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HISTOIRE
DE
JACQUE- AUGUSTE
DE THOU
TOME CIN QJJ I E M E.
HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU,
Depuis 1543. jufqu'en 1607.
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES.
TOME CINQiJIEME.
1564,
1570,
A LONDRES.
M. D C C. XXXIV.
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SO MMAIRES
DES LIVRES
CONTENUS DANS CE CINQU'EME VOLUME,
SOMMAIRE DU LIVRE XXXVII.
A
F faire s d'EcoJJe, Mariage de la Reine ayec Henri
1564.:
15 ^Sj.
d^Arley fils de Mathieu Stuard comte de Lenox, C h a r l e
Affaires de France, Suite du Voyage du Roi. Troubles ^ ^' ^
â Paris caufés par le cardinal de Lorraine, L'amiral de
Coligny y pajje quelques jours. Affaire des Je fuites, Ahre-
gé de la yie de faim Ignace de Loyola, Jugement des Pré-
lats au colloque de Poifjy fur les Je fuites. Conditions auf-
quelles ils font reçus en France, Confultation de Chai le du
Moulin contre les Je fuites. Plaidoyer pour (jr contre les Je^
fuites. Concluions de l'Avocat général contre eux. Arrêt du
Parlement en leur fayeur. Suite du "Voyage du Roi. Ligue
de plufieurs Grands du Royaume, Entrevue du Roi ayec
la reine d'Efpagne is* le duc d'Albe a Bayonne, Démembre^
ment de léyêchéde Bayonne, Guerre du cardinal de Lorraine,
Retour du Roi, Plaintes des Protcflans, Guerre de Hon-
gria, Ciége de Tokai. L'Empereur demande au Pape la
Tome V. " a
«M
îj SOMMAIRES;
communion fous les deux efpeces , ^ le mariage des Tre^
très. Guerre de Soliman contre les Cheyaliers de Malte ^
SOMMAIRE DU LIVRE XXXVIIL
LEs Turcs a //lèvent Malte. Sie^e C^ prife du château
defaint Ehie, Mort de. Dragut, Sïé^e du chatean
\ % 6 < ^^ y^/«^ Michel <S* de la Ville, Arriyée du fecours envoyé'
de Sicile, Les troupes auxiliaires forcent les Turcs de leyer
fiége <S* de fe rembarquer. Particularités du fiege de Mal--
te. Fêtes <ù^ ynariao-es en Italie. Mort de Fie IV. Son ca-*
raSîere. Retablijfcment de l'Ordre de faint Lazare. Morts
de Villehon , de Cipierre y de la Roche-fur-Ton , de Jean Fre^
deric de Saxe , de Ra?U^a'VV y de Neyyhaufen y de Selden^.
de Sonneck , de Rat^eyyil , d'Alexandre de Aies , de Ma-*
the^y de Jean Lan^e y de Conrad Gefner y de Turnehe y de
Goyea y de Philander y de Kirico Stro^^i , de Jean Grollierp
• ou Grollerius. Suite de la guerre d^^ Nord. Affaire de Rof
i 5 ^ ^- toch. Affaires de Pruffe. Suite de laguerre du Nord. TroU"
hles en Allemagne a caufe de la Religion. Morts y du prince
d'.Anhalty de Draconites y du Fufch y de Vida y de Varchi^
de Cornaro y de Charle du Moulin y de Rondelet y de George
Caffanderyde Frutery de Pierre- Je an de Per£ignan> Sup^
J>lice de Vdentin Gentilis^
SOMMAIRES. îjl
SOMMAIRE DU LIVRE XXXIX. ==
Charle
IX.
LeSlion de Fie V. Sa Vie jufquau Fontificat y Son
caraBere s premières aBions de fin Fontificat, Les
Wurcs prennent Scio, Courfis de la flotte Turque fur les
cotes d'Italie, Diète de l Empire à Ausbourg. Ajjemhlées
des Etats à Fresbourg iT à Vienne, Lettre de Jeauprin^
ce de Tranfyhanie aux fiigneurs Hongrois ^lettre de Schv^en-
di aux ynemes. Guerre en Hongrie, Secours donnés à Maxi-
milien, Maximilien Vient en Hongrie, Solimany Vient aujju
Siège <s* prifi de Zighet, Mort de Soliman. Frife de Giu*
la, Selim monte fur le throne de Soliman fin père s il yient
d fon armée, Ohfeques de Soliman, Suite de la guerre en
Hongrie, Ajfcmhlée des Etats, Etats d'Autriche ^ d! au*
très FroVmces, La maladie de Hongrie, Affaires de France.
Ordonnance de Moulins, Difcours du chancelier de l'Hopi^
tal. Le mariage du duc de "Nemours ayec Francoife de Ro^
han ejî déclaré nul, Nouyeaux troubles à Lyon , dans le
Bearn , (^ dans le comté de Foix, Le Fape Fie V* démeni'^
bre Guipufcoa de tEykhé de Bayonne.
SOMMAIRE DU LIVRE XL.
T Roubles des Fayis-bas, Defcription de ce payis. Suc-^
ce/fion des comtes de Flandre, Anciens troubles de la
Flandre, Nouveaux troubles caufé par la crainte de lln-^
qûition, Confédératio7i de la ISfobleJfe : requête des Confédé-
rés, Réponfe de la ducheffe de F arme Gouyernante des Fayis»
ai; '
i 5 ^ ^î
i* SOMMAIRES.
■ b as. Troubles iST" féditionsprefquentous lieux. AffembUeiT
C H A RL E plaintes des Confédérés. Licence ^ profanations des Frctef-
^ ■^' tans. Traité entre la Gouvernante ^ les Confédérés. Suites de
' ^* ce traité. Mémoire des Froteftans d'^?iyers. Ajfemblée de
Tenermonde.Valenciennerefufe de recevoir ^^arnifon. Affai^
res d'EcoJJe. Retour du Roi, DaVid Ri^, eft ajfajfiné che-^U
■ Reine. Retour des exilés. La Reine met un fils au monde. On
^ S ^7' a^ite en Angleterre la quejlionfur lafucceffwn a la Couronne,
La reine d'EcoJfe traite indignement le Roifon époux. Batê^
me du prince d'EcoJfe. Négociation ayec l'Angleterre, Le roi
d'EcoJfe eft très-mal d'un poifon > il e/i mis dans une efpece
de prifon^ ou tl eft affajfiné. On impute fa mort aux comtes de
[Murraj ^ de Morton, Difcours bien différens fur cette
mort. Fie V. envoie un Nonce y qui nepeut paffer en Ecoffe,
La Reine ne garde aucune bienféance. Vains ejforts pour
juftifier Bothy^el : Son mariage ayec la Reine, La Reine
d' Ecoffe e?iyoie en France :, pour tacher de juftifier fon ma^
riage. Ligues pour ^ contre la Reine (^ fon mari. Guerre
entre la Reine ^ les Confédérés. Fropojttions d' acconmiode^
ment y z^ répo?ife. Fuite de BotkyveL La Reine paffe dans
le camp des Confédérés ^y eft retenue y iT conduite en prifon.
On l'oblige d'abdiquer. Le comte de Murray ejl élit tuteur
du Roi y O* Régent du Royaume. Commencement du règne
de Jacque FL Affemblée des Etats, Miferable fin de Bo-^
thyyel, Mouyemens m Irlande.
SOMMAIRES.
SOMMAIRE DU LIVRE XLL
SUite des troubles des Fayis-bas. Requête des Confédé- '^^
rés, Képonfe delà GoWvernante. Hoftilitês de part <tT Charle
d'autre, Anyersfefoumet a la Gouvernante. Retraite duprbi- . *
ce d Orange. Valencienne fe rend à difcretion. Confternat^on
des Confédérés is" des Froteftans. Philippe fe détermine a ufer
de rigueur enyers les Flamans, Le marquis de Bergh p^ le
baron de Montigny font les premières "victimes de font ref-
fentiment. Le duc dAlbey vient avec une armée s <S* pajfe
far les Etats du duc de Savoy e. Crainte des Suijfes <y des
Oenevois, Confeils du duc dAlhe à la Reine mère. Son ar-
rivée d Bruxelles. Se?îtimens de la Gouvernante. Sévérité
du duc dAlhe. Emprifonnement de plufîcurs Seigneurs,
•D'autres abandonnent leur payis. Confed des Sept. Citadelle
latte d Anvers. L'arfenal de Malines eft brûlé. Le duc
dAlhe envoie du fecours en France. Suite de la guerre dt^
JSlord. Mo fcovites battus par les Folonois. Différend au fu^
jet du duché de Slefvvick. Morts , de Fhilippe Landgrave
de Heffe y d'ErneJî de Brun/wick, du prince de Forcicn iT
de fa mère ^ de Stfels -, de Lang , de Robortello , de Fanta--
gâte y de Léopard y de lElecleur de Trêves. Guerre de Go-
tha. Frojets infenfés de Jean Frédéric de Saxe. Soulèvement
des habit ans de Gotha contre ce F rince ZJT les autres profcrits»
La ville de Gotha fe rend. Jean Frédéric eft arrêté. Suppli^
ces des profcrits. Entrée ignominieufe de ce Duc dans Vten^
ne. Etats de Hongrie. Suite de la guerre en FFongrie. .Af-
faires d'Italie. Quelques troubles a Gènes. Guerre daus lifle
de Corfe, Affaires de Tofcane. Affaires de CafaL Affaires
a iij
V] SOMMAIRES.
de France, Edit du Roi fur la fucceffton des mères. Kcjus.
1 I ni- A..^l^- Al.. .......r. 7 • ;
Char LE de rendre Calais aux Anglois, On propofe le ;
^ ^- r Archiduc Charte ayec la reine Elisabeth, Commer
fnariaze de
ci
15/7^
N
Commerce des An-^
glois en MofcoVie,
SOMMAIRE DU LIVRE XLII.
Ow^feaux troubles en France. Flaintes des Frotef
tans. Leurs délibérations. Ils reproinent les armes y
ils marchent "Vers Meaux, Le Roi reVtent a Paris. Ejforts
des Proteftans pour empêcher que Paris Jie reçoive des yi^
yres, La Reine mère travaille â un accommodement, De^
mandes des Proteftans. Le Roi les fait fommer de mettre
les armes bas. Nouvelle requête des Protefla?îs. Conféreitce
pour la paix aujfi inutile que le précédentes. Les deux
partis fe dijpofent à la ^guerre. Divers fucces de part <tT
d'autre. Bataille dans la plaine de famt Denis. L e Conné-
table efi blejfé y <^ meurt quelques jours après. Suite de la
bataille de faint Denis, La charge de Connétable fupprimée
pour quelque tems. Les Proteftans fe rendent juaitres de la.
■ Rochelle, Ambafftades en Allemagne, DtVers Jucces de la.
' ^ ^ ^' ^/^^rre dans les Provinces, Négociation pour faire la paix,,
Suite de la guerre. Siège de Chartres par les Proteftans,
Fin de la guerre. Edit de pacification. Conduite du parle^
ment de Touloufe.
^iaULL.!l.,^nR<«i0l9
SOMMAIRES. vî
SOMMAIRE DU LIVRE XLIII,
AFfaires d'EcoJfe, La Reine fort de prifon. Fermeté
du Régent, La Reine eft "vaincue par le Régejit. La ^J"^ ^ ^
Reinefe retire en Angleterre. Conduite i Eli^aheth a l égard j r 53,
de la reine iEcoJfe, Le Régent fe rend en Angleterre, Ori-
gine des Puritains en Angleterre. Affaires des Payis-has»
Mort de Dom Carlos y ^ de la reine d'Efpagne. Suite des
troubles des Payis-has. Le duc d'Albe fait exécuter un grand
nombre de Seigneurs is de Gentilshommes Flamans. Les
comtes d'Eo-mond C^ de Home condamnés <CT exécutés. Ba^
taille de Gemmiiigem gagnée fur les Confédérés. Vains efforts
de ï Empereur auprès de Philippe pour V adoucir. Avantage
remporté parle prince d'Orange. Affaires d'Allemagne, Mort:
d'Albert de Brandebourg duc de Pruffe , de Henri de Brunf-
yyich yir de Chriftophle de Wirtemberg, Guerre de Treyeso
'Affaires de Suéde. Eric eft déthroné. Affaires de Pologne»
Mort de l éyèque de Strasbourg y de Jean Oporin y d'Onuphre
Tanyini , de François Luitfino ^ de Gratarole iT d'Archam,
— ■_ ■ ■
SOMMAIRE DU LIVRE XLIV.
VEngence que 'Dominique Gourgues tire des Efpagnolf
dans la Floride. Malheureux fucces des "Voyages que
Laudomiere <y Ribaud ay oient faits auparavant en ce payis
là. Belle aSîion , <tjr mort de Pierre de Montluc à Made^
Te. Gourgues malgré fes belles actions eft mal reçu a la Cour^
<T en danger. Paix entre FEmj>ereur <ty les Turcs enHoiV'
viij SOMMAIRES;
^p'ie. Le Prince de Piomhino tente en yain de fur prendre
C H A R L E Bonne en Ajfrique. Guerre des Turcs dans l Arabie heU'
^^' reufe finie par Sinan Bâcha. Di/pute entre les ducs de Fer'
^ ' rare O* de Florence pour la préfeance. La Reine jaMorife
Corne, Le roi d'Efpagne défend la publication de la bulle
in cœna Domini^/^r les immunités du Clergé : la Ré^
publique de Venife t élude, La guerre ciVile recommence en
France. Plainte des Protcftans. Meurtre cruel de René de
Sayoye comte de Sipiere à Frejus en Proyence. Le chance^
lier de l Hôpital difgracié y parce quil donnoit des co?ifeils
de paix. Formule de ferment enyoyée aux Gouyerneurs , pour
le faire prêter aux Proteflans. Embûches drejfées au prince
de Condé j plainte quil en porte au Roi, Origine du nom
des Politiques. Condé fort de Noyers , ayec beaucoup de
danger , paffe la Loire ^ trayerfe le Poitou y<(ir fe rend â la
Rochelle, Lettre de la reine de Nayarre au Roi, Fuite dffi
cardinal de Chatillon j [on paffage en Angleterre, D'Andeloù
leye des troupes en Bretagne. Choc entre fes troupes <S celles
de Martigucs auprès de la Dagueniere, Edits contre les
Protcftans. Expéditions d'^ndelot en Poitou, Prife de Nyort,
Siège 07" prife iAngoulème, Prife de Pons , de faint Jean
d'Ano-eli <ty de Blaje, Jacque deCruffol d'Acier amené at^
prince de Condé les troupes de Dauphiné ^ de Proyence y de
L^figuedoc , <sr de Gafcogne, Combat donné a Mefignan con^
tre un quartier des troupes des Proteflans , ou Mouyans <ù^
Pierre Gourde, deux de leurs chefs , font tue^, <CT dixfept
drapeaux pris, Jacque de la Châtre fie ur de Sillac du parti
du Roi eft tué ayec quelques autres en petit nombre, Cha^
yi^ny fur la Vienne pris par Coligny, Combat a Pamprou :
autre plus confiderable a Jafeneud, Condé s empare de Cham-
pigny. Les troupes du Roi reprennent Mirebeau, Le duc
d Anjou
■e(n
SOMMAIRES. li
d'Anjou campe auprès de Loudmi. AmhaJJade du jRoi à
V Empereur pour lui demander du fecours. Troupes auxlliai- C h a rl e
les envoyées d'Allemagne au Koi, La Coche défaite pris I^-
auprès de ISleuhourg. Frlfe de TS[oyers par les troupes du ' 5 ^ ^'
"Roi, Le Frince de Condé équipe une flotte , <^ en donne U
commandement à la Tour.
SOMMAIRE DU LIVRE XLV.
S^int Michel en l'Hernie ejl ajjiéo^é pour la troijiéme '
fois y ir pris par les Rochelois. Defcription des enyirons, ^ S ^^'
tStége de Sancerre fans fucces. Tentative inutile de Mon-
gommery fur Lufîgnan. Tentative inutile de CateVdle fur
Dieppe <s fur le Hayre, Bataille de Baffac y ou de Jarnacs
k prince de Condé y eft tué. Confier nation des Prote flans,
La reine de Islavarreles raffures y en leur montrant fon fis y
ayec le jeune Henri fis du prince de Condé. Tentative du
duc d' Anjou fur Cognac, Muffidan en Peri^ord ajftégé <tT
pris. Mort de Pompadour iT du jeune Briffac À cejtége,
Lre Roi de Navarre efl déclaré GénéraliJ/tme des Prote/lans.
jyAndelot meurt à Sainte d'une fi éyre maligne ) fon éloge y
fucceffion de la maifon de LaVal continuée par lui. Mort de
François d'Hangeft de Genlis y iT de Jacque Boucard, Por-
ter ejfes d'Exilles dans les ^Ibes reprife par les troupes du
Roi, Arrivée du duc des Deux-Ponts au camp du roi de
]S(ayarre. La Reine "va a Limoges avec les cardinaux de
Bourbon iT de Lorraine, Le duc des Deux-Fonts meurt
après avoir été long-tems malade d'une fièvre quarte 3 // nom-
7ne Voir ad de Mansfeld pour lui fucceder dans le commande-
ment général. Les troupes du Roi arrivent au camp des^
Tome V, b
i; (îS.
X SOMMAIRES.
Catholiques fous la conduite de Santafiore, Meurtre de Bef"
Char. LE ?iard Corbinelli. Combat de Roche-t Abedle lon^^-tems dou^
^ ^- teux y retraite des troupes du Roi, Philippe Stro^:>j i^r Ro^
quelaure font tués dans ce combat. Requête préfentée au Rou
Mort de Lanoi feigneur de MorVitUers. Le coynte du Lu-
de affiége Nyort y Vigoureufe défenfe de PuVtaut. Coligny
s'empare de Lufîgnan i Guron rend le château y Mirembeatù
en eft fait Gouyerneur. Sanjac ajjîege en yain la Charité,
Conquêtes de Mongommery dans la Gafcogne (CT' dans le
Bearn. Prife de Mayarrins iT d'Orte^. Jean de Loma^
gne de Terride y eft fait prifonnicr. Mont de Marfanpriî
par Monluc, Aurtllac en Auyergne pris i^ face âgé par les
Prote flans, Coligny affiége Poitiers défendu par le duc de
Guife, Le duc d'Anjou vient fe camper devant Chatellerauda
Coligny leVe le fége , fous prétexte de fe courir cette pi ace»
On fait efperer à Coligny de furprendre Nantes : le deffeirt
échoue, AJfaut donné a Chatelleraud par les Italiens ^ qui
font repoujfe^ ayec une grande perte. Coligny profcrit par
un arrêt terrible du Parlement, Dominique d'Albe yalet de
chambre de Coligny conyaincu de trahifon , ^ de poifon ,.
Cr exécuté. Le prince d'Orange quitte T armée de Coligny y.
pajfe la Loire y <S^ fe retire en Allemagne»
SOMMAIRE DU LIVRE XLVL
LE duc d'Anjou paffe la Vienne , ^ ya camper au*
pr}s de Loudun, Choc entre les deux armées qui ye--
noient camper à Moncontour j la nuit les fépare. Combat
général le lendemain y grande perte des Proteftans s Lnifan-
terie Allema?ide taillée en pièces par les Suijfes > perd dans
SOMMAIRES. X)
<ette aRion près de quatre mille hommes. Trois cens caya-
lier s y <!r deux mille fantajjins François périjjent du coté Ckarle
des Proteftans. Les débris de leur armée fe retire à Par- ^ ^'
thenai. Leurs Chefs tiennent confeil j enyqyent en An^le- ^ ^ ^ ^'
terre , en Ecoffe , en Dannemarc JoUiciter du fecours. Vau-
drée de Mouy tué par un traître. Nyort eft abandonné j le
Roi y "vient. Lujïjrnan eft rendu par Mtrembeau. Fontenai
<T Chatelleraud fe rendent. Dejjèin prit à l^hort de s'em-
parer de faint Jean d'An^ely. Coligny emmené le prince de
Nayarre <jr le prince de Condé en Guyenne , pour y attirer
le duc d' Anjou. Sanfac fait une tentative fur Ve^elai. Les
Proteftans exilés furprennent Ni/mes , par l' invention d'un
artifan nommé Madaron. Saint André gouverneur de la
Ville eft tué cruellement par les foldats furieux. Siège de
faint Jean d'Angely. Sebajlien de Luxembourg comte de
Martigucs eft tué d'un coup de moufquet. Saintes abandon-
née. De Piles rend faint Jean à des conditions honorables. ~-^:^^
Jean Chapelain ir Honoré Caftelan y médecins fameux qui ^ S 1 ^'
étoient au fiége auprès du Roi , meurent de la pefte. Ex-
ploits de Montaré dans le Bourbo?inois. ABions couragcu-
fès de Marie Barbanfon Veuve de Jean des Barres Ma-
rans furpris par les troupes du Roi. Conjuration pour livrer
Bourges aux Proteftans. Les auteurs convaincus par Claude
de la Châtre. Courjes du Chevalier du Boulay en Beaujfe.
Milly fur le chemin de Lyon pillé un jour de foire. Les Vo-
leurs font pris <£r exécutés à Paris. Les Princes Vont en
Guyenne, Monluc fe retire. Aiguillon en ^^enois leur ou-
vre jes portes. Mongommery Vient du Bearn , vicîorieux
ir triomphant y prend fur fa route F^ufe tST Condom , iT
fe joint aux Princes. Monluc effaye en Vain de F arrêter ,
ir rompt le pont defainte Marie. De Montauhan les Princes
b ij
xîj SOMMAIRES.
~ yont en Languedoc. Le Roi congédie les troupes Italiennes^
C H A R L E Di Impute entre les ducs de Ferrare <S de Florence pour Ix
préféance deyant l'Empereur. Le Pape Pie V. s'en rend
ju^e y en créant Corne Grand Duc de Tofcane, Indignation
de r Empereur â ce fujet. Exemples de pareilles créations
pour juftifier celle-ci. Conférence d' Altemhourg fur la Reli^
gion ^ fans fucch . Mort de Victor Strigelius ^ de Paul
Eber , de Jean Lonicer , de Daniel Barbaro , de Sixte de
.Sienne , de Celius Seamdus Curion , ^ de Batifte du Menih
Accommodement de la "Ville de Brunfwick^ a^ec les princes
de Brunfyyick en Saxe s leur dijférend renouyellé de tcms^
en tems. Le facre du duc de Pruffe confirmé à Lublin par
le roi de Pologne. Diyijîon entre le peuple <sr le fénat de
Dan^icks. calamités caufées par cette diVîfîon. Les Danois^
forcent le port de ReyeL Le duc d\Albe fait arrêter en Flan*
dre les yaiffeaux Anglois pour fe "venger de l argent quon
ay oit pris fur un yaijfeau Efpagnol. Il en demande en yain
la reftitution a la Reine par Chiapino Vitellt fon enyoye.
Rupture du commerce» Le duc d'Albe ne s'applique qu'à,
amaffer de l' argent ^ comme s'il nayoit plus d'ennemis a com-
battre. Monument fuperbe qu'il s'érige lui-même à Anyers
<S* qui le rend odieux. Prodiges arriy es en Flandre i^ en
Bayiere. Mouyemens en Angleterre à l'occafion des troubles.
d'Irlande. Les frères du comte dOrmojid fe liguent ^ pour^
y rétablir la Religion Catholique s le Pape <S le duc d'Albt
promettent leurs fecours. La reine d' Angleterre leur pardon^
ne 5 en confidération de leur frère. Turlogh Leinigh excite
des troubles dans tUlfter proyince d Irlande ^ ^ e/i défait
par les habit ans des Hébrides. Le comte de Murrai rentre
en Ecoffe. Le comte d'Arran s'oppofe aux deffeins de Mur-
rai i mais ayant été abandonné des fes gens , il fait fon.
SOMMAIRES. xi35
'accommodement. Argatheî rentre en grâce y Huntley eft trai'
té avec plus de rigueur , parce quil ne "Veut pas céder. Ma- C h a r le
rie chajpe de [on Royaume fait des intrigues dans un autre ^ ^*
Complots fecrets des Anglois , qui étoient fâchés quon eut ahoU ^
la Religion Catholique che^ eux. Le duc de Norfolck S les
comtes d'Arondel <tT de Pemhrock déftgnés four chefs de
Ventreprife. Le comte de Suffex en a quelque connoiffanccy
<jr d paroi t ne leur être pas contraire. Le duc de Norfolck
prie la reine d' Angleterre de nommer pour f on fucceffeur le
roi d^Ecoffe 3 // lui demande outre cela permiffion d'époufer
la reine d'Ecoffe. Elisabeth interprète mal cette demande iT
la rejette y fait garder de plus pris la reine d'Ecoffe. ISlor-
folck eft mis à la Tour de Londres ^ ayec Robert Ridelfî
agent fecret du Pape y on les met en liberté peu de tems
après. Percy comte de ISlcrthumbelland , ZT NeVîl comte
de Weftmorland prennent les armes pour la Religion Catho-^
lique. Apres leur défaite , Léonard Dacre excite des trou^
hles plus dangereux fur la frontière. Le Pape excomjnunie
FJiXf^beth s Jean Felton affiche la bulle aux portes de ÏE-
yèché avec une hardieffe étonnante, arrêté fur quelque foup-*
fon , /'/ avoue fans difficulté que cefl lui , is* il efl envoyé aw
fupplice. Sa confeffion ^ celles de quelques autres ne laif-
fent aucun doute fur la conjuration. En Exoffe Murrai efl
affaffmé par Jean Hamilton à Lythco , 0/^ Lymnouth. GaU'
tier Scot <^ Thomas Carry font des courfes fur la frontière
d' Angleterre y ils font: défaits par le comte de Suffex. Ma^
thieu Stuart comte de Lenan ayeul du jeune roi d'Ecoffe efl
déclaré inter-roi <ùrpeu de tems après Viceroi. Elisabeth en-
voyé à la reine d'Ecoffe Guillaume Ci cil <is* Gautier Mild-
may pour V exécution du traité £ Edimbourg , iT pour lui faire
de îîouvelles propofïtio?is, Marie y répond avec beaucoup de
b iii
xîvr SOMMAIRES,
.>Mr^ .nm,»; prudmcc Ù* de gi'aVtté ^ <jr re?iyoye la chofe aux Députes
Charte des chefs de fou parti, Thomas Stucley réduit à la mendicité
^^' s'en^faen Italie y donne de grandes efperances au Pape , <^
^ ^' tire de lui de l'arge?2t. Connogher-0-hrien comte de Twornond
excite des troubles en Irlande, Enfin après avoir en yain
imploré notre ajjt/îafîce , il fe foumet à la clémence de U
Reifie, Mort O* éloge de Guillaume Herbert comte de Pem^
hrockyde Henri Clijfort comte de Cumbcrland y C delSlico^
las Trocmm'ton.
Fin des Sommaires du çinq^uiéme Volumç.
HISTOIRE
ISTO
D E
J ACQUE AUGUSTE
DE T H O U-
LIVRE TE ENTEES EPTIF ME.
^^51 N Ecofle :, Matthieu Stuart comte de Le- - " ' ""—
noxj ôc Henri d'Arley fon iils avoient été Charle
rappelles de leur exil : Henri étant venu Je IX.
13 de Février d'Angleterre en Ecofie avec
la permiffion d'Elizabeth , la Reine le reçut
très-favorablement , comme le fils de fa tan-
te \ Il étoit beau & bien fait , ôc cette Prin-
celTe i à force de le vojr ôc de s^entretenir avec lui , com- Hcmi rii^da
mença à l'a-imer. Oi\ en parloir déjà, comme fi elle eûtfongé à J*^'"^'-' ^<-'
I 5 6^.
Affaires
d'Ecolie.
Mariage de
Marie a\c'c
le choifir pour fon mari.
I Henri Stuart comte de Lenox , Marie Stuart e'toit aufTi petite fille.
etoit petit fils de la lœur de Henri Cette fœur de Keni"i VIII. avoite'pou-
yill, roi d'Angleterre, donc lu Reine fe en focondes noces an Douglas, donc
Tome V, A
,enox.
2 HISTOIRE
» Ce bruit ne déplaifoit point à la NoblefTe j mais elle fouhal-
Charle ^^^^ ^.^^ Henri ne reçut cet honneur, que du confentement
I X. de la Reine d'Angleterre. Elizabeth , qui étoit parente de l'un
ï 5 <^ 4* ^^^ l'autre au même degré » ne s'éloignoit pas de ce mariage ;
mais elle vouloir qu'on crût qu'elle l'avoit fait. Il étoit ^ à ce
qu'elle penfoit, de fon intérêt d'empêcher par une alliance mé-
diocre, que la puifTance de fa coufine ne s'élevât plus qu'il ne
convenoit pour la fureté de fes voifins.
Origine de Mais un homme de baffe extraftion ^ nommé David Riz , de
la fortune de Turin , fils d'un joueur d'inftrumens , qui s'étoit gliffé dans le
^^^ ^^' niinifcere > empcchoit la Reine d'aller auffi vite dans cette affai-
re, qu'elle auroit defiré. Le père de Riz lui avoir appris à chan-
ter, 6c il avoir une affez belle voix. N'ayant pas été reçu auffi-
bien qu'il efperoit à Nice dans la Cour du duc de Savoye , il
fuivit le comte de Morette , que le Duc envoya en Ecoffe j ôc
lorfque le Comte en partit, il forma le deffein d'y refier , pour
voir s'il y feroit quelque fortune. Ce qui le porta particuliè-
rement à prendre ce parti , fut que la Reine fe plaifoità enten-
dre chanter, ôc fçavoit affez bien la mufique.
Ainfi s'étant fouvent fait voir à la Cour parmi les Muficiens
François , il plût à la Reine , qui favoit quelque fois enten-
du chanter , ôc il fut reçu dans fa mufique. Ayant étudié ôc
connu les fentimens ôc les inclinations de cette Princeffe , il fit
fi bien peu à peu , qu'il ne fut pas moins en faveur auprès d'elle,
qu'il étoit haï de tout le monde. Il parvint enfuite , par fes flat-
teries ou par fes calomnies , à abaiffer les uns , ôc à éloigner les
autres , dans le deffein de pouffer fa fortune ôc d'entrer dans
les plus grandes affaires : il réùfilt dans fon projet , ôc la Reine
le prit pour fon Secrétaire.
On parloir déjà des grands biens, que cet homme , qui au-
paravant étoit prefque réduit à la mendicité , avoit acquis en
fi peu de tems 5 de fa fortune au-deffus de fon mérite , de fon
arrogance plus grande encore que fa fortune -, enfin du mépris
qu'il avoit pour fes égaux ôc de fa préfomption , qui le portoit
à s'égaler à ceux qui croient beaucoup au-deffus de lui. Les
flatteries ôc les complaifmces des Grands ^ nourriffoient fon
elle avoit eu la mère du jeune comte de t te. Il n'étoit pas rhe'ritier preTomptif
Lenox , comme on verra ci-après ; c'eft | de la couronne , quoi que coufln de la
pour cela que M. de Thou dit que la 1 Reine ôc du même nom ; c'e'toit Jacque
Reine le reçut comme le fils de fa tan- I Hamilton , comte d'Aran.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVII. ^
orgueil : ils s'efforçoient de gagner fon amitié , en le vifitant, en i . '*
lui rendant des honneurs, en prévenant fes ordres, en allant Charle
au devant de Tes moindres fouhaits , en venant à fa porte, en JX.
cherchant les occafions de lui parler , en épiant les momens i ^6±.
qu'il entroit ou qu'il fortoit. Ils faifoient en un mot à fon égard
tout ce qui fe pratique à la Cour à l'égard d'un favori. Tout
cela le rendit i\ infolent , qu'il s'imagina que la Fortune lui
avoit déjà mis entre les mains le fort de tout le royaume d'E-
cofle , pour le gouverner à fon gré. Riz , pour fe faire un ap-
pui contre la haine publique, faifoit très-regulierement fa cour
à Henri comte de Lenox j deftiné à époufer la Reine 5 ôc il
faifoit entendre à ce jeune homme (impie & crédule , qu'il
lui avoit l'obligation de l'amour que la Reine avoit pour lui.
Le comte de Murray ^ , qui n'étoit ni flateur ni difTimulé ,
avoit de l'averfion pour Riz 5 ce qui faifoit croire qu'il étoit
peu favorable à un mariage, dont ce favori vouloit palier pour
l'entremetteur. Riz de fon côté travailloit de toutes fes forces
à faire difgracier le comte de Murray j ôc il jettoit entre Henri
ôc le Comte des femences de divifion & de haine : il fe flattoit
que fi le Comte étoit une fois éloigné de la Cour j il n'auroit
plus rien à craindre pour fa fortune dans tout le refte de fa vie.
Le Comte , homme ferme ôc d'une vertu auftére , digne des
premiers tems , prévint fa difgrace , ôc quitta volontairement
la Cour.
La Reine voulant fortifier la faction ennemie du Comte ,
rappella de leur exil Jacque Hepburn comte de Bothwel, Geor-
ge Gordon comte de Sutherland , un autre George Gordon
fils du comte de Huntley j ôc ayant fait fortir celui-ci de pri-
fon , elle le rétablit dans fes biens Ôc dans fa première dignité.
Bothwel étant revenu de France , le comte de Murray l'ac-
cufa de lui avoir de nouveau drelTé des embûches 5 mais la
Reine intercéda auprès de fon frère } ôc écrivit aux Grands du
Royaume , ufant de foUicitations ôc de menaces , pour les
empêcher de juger cette affaire. On dit aufTi qu'on avoit for-
mé le delfein de hâter la mort du Comte. Four cela on devoit
le faire revenir de Perth , fous prétexte de conférer avec lui i
ôc comme on le connoifibit d'humeur à parler avec fran-
chife ôc liberté, Henri ôc Riz dévoient lui faire une querelle
1 Frère de la Reine , & fils naturel de Jacque V.
Ai;
4 HISTOIRE
■muti^^^.miM— ôc le tuer. Le Comte averti par fes amis évita ce danger»
Char LE Riz, qui avoir d'abord conieillé de ne rien précipiter, fut
IX. ^^ premier à prefier la Reine de terminer fon mariage, dans
^ ^ ^ Tappréhenfion que le comte de Murray , qui devoir être jufte-
^, . ment irrité contr'eux, ne le traversât : car quoique le Comte
pofezpoiir la n cut pas montre deloignemcnt pour ce mariage, & qu il eut
Reine d'£cof- ci-devant opiné à rappeller Henri de fon exil , la Reine fe
perfuadoit néanmoins, que ni lui ni fes oncles ' ne vouloient
cette alliance 5 ôc elle penfoit que fi l'affaire traînoit en
longueur j ils ne manqueroient pas d'y mettre quelque empê-
chement.
Pendant qu'on déliberoit, il arriva un ambaOadeur d'Angle-
terre , avec ordre de déclarer ^ que la Reine étoit très-furprife
de voir traiter avec tant de précipitation une affaire de fi gran-
de conféquence 5 ôc que fa Majefté fouhaitoit que la Reine d'E-
colfe ôc le comte de Lenox , dont elle étoit parente au même
degré , differaffent quelque tems , pour pefer plus mûrement
une fi grande affaire > avant que de la terminer. Elizabeth ne
gagnant rien par cette amballade , envoya aufTi-tôt le comte
Nicolas Trockmorton , pour avertir le comte Matthieu de Le-
nox ôc Henri fon fils , qui n'avoient leur congé que pour un
tems fixe 3 qui étoit déjà expiré i ôc pour ordonner à l'un ôc à
l'autre de revenir en Angleterre , s'ils ne vouloient être ban-
nis, ôc que leurs biens fuifent confifqués*.
On parla auiïi(mais d'abord fecretement) de marier la Rei-
ne d'Ecoffe avec Robert Dudley comte de Leyceftre, qui étoit
en grande faveur auprès d'Elizabeth. Bedfort ôc Randolphe
comte de Barwich en parlèrent depuis ouvertement. L'Am-
baffadeur dit même hautement , que 11 Marie vouloir épou-
fer Dudley , Elizabeth la feroit déclarer par le Parlement
héritière du Royaume d'Angleterre , en cas que la Reine mou-
rût fans enfluis : qu'il étoit de l'intérêt de l'Angleterre , que fi
Marie venoit à la fuccelhon par un ordre légitime, elle n'ame-
nât pas avec elle dans fon royaume un étranger, que les An-
glois ôc les Ecoffois même pouvoient à peine fouffrir. On.
parloir ainfi , parce qu'Elizabeth fçavoit certainement que le
duc de Guife , oncle de Marie , lui avoit parlé d'époufer
1 Les Princes de Lorraine. I & pofTedoient de grands biens en Aa-
a Ils étoienc Anglois l'un ôc l'autre , | gleterre.
D E J. A. DE T H O U , L I V. XXXVîI ;
Ferdinand ' frère de l'Empereur Maximilien ; ôc que depuis la
mort du Duc , le cardinal de Lorraine lui avoir propofé l'archi- q ^ ^ ^ l £
duc Charle : car dans cet intervalle de tems Ferdinand avoir y^
époufé en fecret Philippine Velfer. i c (5 4.
Ces propofitions avoient été faites à Marie , ci l'infcù de ceux
qui avoient l'adminiftration des affaires en France. Lorfqu'ils
le fçûrent, ils n'omirent rien pour traverfer^ôc empêcher le ma-
riage de Marie avec les princes d'Autriche , parce qu'il faifois
ombrage aux François, ôc avec le comte de Leyceftre, parce
qu'une pareille alliance leur paroiflbit indigne d'une Reine
douairière de France. Pour yréùflir, ils firent efperer à Ma-
rie un douaire plus confidérable que celui dont on étoit con-
venu ; & ils mirent les Ecoffois dans leur parti , par la promeffe
qu'ils leur firent d'augmenter les immunitez & les privilèges
dont ils joûiflbient en France. D'ailleurs le cardinal de Lor-
raine , qui avoit perdu l'efpérance de marier fa nièce avec un
Prince de la maifon d'Autriche , à caufe du peu de goût qu'elle
avoit pour cette alliance , étoit perfuadé qu'il falloir fonger à
ce qui étoit acluellement préfent, ôc fous les yeux: il netoit
donc alors occupé que du foin d'empêcher le mariage de Ma-
rie avec le comte de Leyceftre.
Cependant les Proteftans, appuyés du pouvoir ôc du crédit
du comte de Murray, maltraitèrent l'archevêque de faint An-
dré , pour n'avoir pas difcontinué de célébrer la Meffe j ils mi-
rent en prifon plufieurs Prêtres pour le même fujet , quoique
cela fût permis à la Cour 5 ôc ils commençoient déjà à fe ren-
dre formidables à la Pveine. Cette Princeffe voyant qu'elle ne
pouvoit appaifer les féditieux , ni par l'oubli du paffé , ni par
î'augmenration des appointemens accordez aux juges qui con-
noiffoient de ces fortes d'afi'aires , ni par la peine de mort
qu'elle avoit ordonnée contre les adultères , ni par fon appli-
cation ôc fon afiiduité à entendre elle-même les caufes 5 enfin
pour fe faire refpe6ler, ôc pour n'être plus obligée d'écouter
les recommandations ou les plaintes importunes des François,
ôc du Cardinal fon oncle , elle crut qu'il étoit important d'ac-
célérer fon mariage î ôc pour donner plus de conlidération à
celui qu'elle devoit époufcr, elle fit publier un Edit par lequel
elle déclaroit Henri , comte deRoff ôc duc de Rothefay. Puis
i fi.oi de Bolîême.
A ii;
6 HISTOIRE
■ elle fît aiTcmbler les Grands du Royaume à Sterlin, & pniiCH
Char LE paiement ceux qu'elle croyoit qui confentiroient volontiers,
IX. ^^ ^^^ n'oferoient réfifter à fes volontez, ôc ceux qu'elle jugeoit
i r $A,, les moins difficiles. Plulieurs confentirent à ce que la Reine
fouhaitoit, à condition qu'on ne changeroit rien dans la Re-
ligion , qui étoit reçue : les autres pour faire leur cour , donnè-
rent leur confentement fans aucune condition. Il n'y eut
qu'André Stuart baron d'Ochiltre , qui déclara qu'il ne con-
fentiroit jamais qu'on prît un Roi de la religion du Pape.
Le comte de Murray ne fe trouva point à l'alTemblée, quoi-
qu'il ne defaprouvât pas le mariage: il étoit même difpoféà y
confentir , pourvu qu'il fe fit avec l'agrément de la Reine
d'Angleterre, ôc qu'on prît foin de conferver la Religion qu'on
avoir efnbralTée. On agita alors avec une extrême liberté cette
étrange queftion , S'il étoit permis à une Reine après la mort
de fon mari , d'en choifir un autre à fa fantaifie f La plupart
étoient d'avis qu'il n'en étoit pas des héritiers d'un royaume
comme des héritiers particuliers j parce qu'une Reine en pre-
nant un mari donnoit un Roi à tout un peuple : qu'ainfi il étoit
beaucoup plus jufte que le peuple donnât un mari à une fem-
me , qu'une femme donnât un Roi à tout un peuple.
. La fuperftition fut encore un puifTant motif, pour faire hâ-
ter le mariage : les devinerefles d'Angleterre & d'Ecoffe pro-
mettoient un grand bonheur au Roi ôc à la Reine, fi le mariage
fe faifoit fur la fin de Juillet j autrement elles les menaçoient
des plus grands malheurs ôc des plus honteux affronts. Les
bruits qu'on faifoit courir de la mort d'Elifabeth , dont on mar-
quoit le tems précis, achevèrent de déterminer la reine d'E^
coffe à conclure un mariage , qu'elle fouhaitoit ardemment.
Mais rien ne l'y engagea plus fortement , que les confeils de
Riz, qui avoit plus de crédit ôc de pouvoir fur fon efprit, que
la raifon ôc la bienféance ne le permettoient, ôc qui appuyé de
la faveur de la Reine , tâchoit de retenir l'adminiflration des
affaires, dont il s'étoit emparé.
Cet homme voyoit que , fi le mariage fe faifoit du confente-
ment de la Reine d'Angleterre ôc de la Noblelfe d'Ecoffe, i!
en arriveroit deux chofes contraires à fes intérêts particuliers :
la première, qu'on ne lui en auroit point d'obligation j ôc la fé-
conde , qu'on pourvoyeroit par ce moyen à la fureté de la
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVII. 7
Religion Proteflante , qu'il avoir deilein de ruiner. C'eft pour-
quoi il mit tout en ufage pour venir à bout de terminer ce ma- ^
riage,ôc il y rcùflit malgré roppofition des Anglois, & la ré- jy^
pu^nance dcsEcoflbis. Pour faire voir qu'on aioùtoit foi aux /
prédictions, le vingt-neuvieme jour^ oc par conkquent lur la . ,
fin de Juillet , Henri Stuart comte de Lenox époufa Marie „J;frî^f*",^,„t
veuve d'un très grand Roi, ôc héritière d un noriflantlvoyaume. te de Lenox.
Le lendemain lis furent publiquement proclamés Roi ôc Rei-
ne à Edimbourg. Henri fut le cent-feptiéme Roi depuis Fer-
gus, qu'on dit être venu dans le Payis appelle Albion, nom-
mé aujourd'hui les ifles Britanniques , trois cent trente ans
avant la naiffance deJcfus-Chrift. Les Ecoflbis ne mettent point
François II. roi de France , époux de Marie , au nombre de
leurs Rois 5 & jamais ce Prince ne prit dans fes Lettres ou
Edits le titrede roi d'Ecoffe.
Comme nous avons dit fouvent que Henri Stuart étoit du Origîne au
fang royal , il eft à propos de reprendre de plus loin fon ori- ^^^'""^^
gine. Marie fille de Jacque II. roi d'Ecolîe époufa Jacque
Hamilton i ôc de ce mariage naquirent Jacque comte d'Aran ,
& Marie qui époufa Mathieu Stuart comte de Lenox. Jacque
comte d'Aran ayant répudié fa première femme, époufa ^pen-
dant qu'elle vivoit encore , Jenete de Béton tante du Cardinal
de ce nom^ de laquelle il eut Jacque duc de Châtelleraud 5 ce
qui fut caufe que fes ennemis lui contefterent fon état. Aurefte
de Mathieu àc de Marie naquit Jean , qui fut tué par les Ha-
miltons, lorfqu'il faifoit tous fes efforts pour mettre en liberté
Jacque V. Il refta de ce mariage un fécond fils appelle Ma-
thieu , que Jacque V. aima tendrement : il époufa Margue-
rite Douglas fille de la fœur de Henri VIII. roi d'Angleterre ,
dont il eut Henri époux de Marie.
La plupart des Seigneurs ne voulurent point affifter à ces
noces , entr'autres , Jacque duc de Châtelleraud , Gilefpic
comte d'Argathel ' , Jacque comte de Murray , Alexandre
comte de Glcncarn, André comte de Rothes, avec plufieurs
autres. Ils furent citez par les Hérauts, ôc n'ayant point com-
paru , ils furent exilés: ce qui aigrit le plus les efprits , eft qu'on
fit revenir leurs ennemis à la Cour. Bien-tôt après le Roi ôc
la Reine ayant tout préparé pour réduire les rebelles , vinrent
ï Ou Gilepfîc comte d'Argathley.
8 HISTOIRE
.^->— — ^ ^^"^ armes à Glafcow, ils envoyèrent enfuitc un Héraut aux re-
~I^ belles qui ctoient à Pafley , pour les fommer de rendre le châ-
^'l^}/"^^ teau d'Hamilton; ôc furie refus qu'ils en. firent , ils fe difpo-
* ferent à les combattre.
'" S "k* Les chefs du parti contraire ctoient de differens fentimens.
Les Hamiltons fontenoient qu'il n'y avoit point de paix fo-
lidc à efpérer , que par la mort du Roi & de la Reine : que les
inimitiés entre particuliers ceffoient fou vent , ou parce qu'on fe
lafToit des peines qu'elles caufoient^ ou parce que par de grands
avantages on réparoit les injures , qui avoient été faites j mais
que la haine desRoisnepouv^oit jamais finir, que par leur mort.
Les comtes de Murray ôc de Glencarn , qui fçavoient que les
Hamiltons chcrchoient moins le bien du Royaume , que leurs
avantages particuliers ( parce que la Reine étant morte , ils
étoient les plus proches héritiers) ne vouloient point tremper
dans ce noir complot : d'ailleurs ils craignoient la domination
des Hamiltons , dont ils avoient tout récemment éprouvé la
cruauté ôc l'avarice. Ainfi ils tendoient à prendre des voyes
plus douces : ils difoient que le meilleur ôc le plus fage parti
étoit d'employer des remèdes faciles ôc légers , pour guérir des
maux, qui ne faifoient que commencer : qu'on avoit toujours
obfervé en EcolTe, ôc qu'on avoit laiffépour modèle àlapof-
térité, de faire fcmblant de ne pas voiries vices cachés des
Rois , de donner de favorables interprétations à ceux qui
étoient douteux , ôc de fouffrir ceux qu'on ne pouvoit diflimu-
1er, pourvu qu'ils n'entraînaffent point après eux la perte de
l'Etat. Cet avis l'emporta.
Les Grands , dont les forces étoient extrêmement dimi-
nuées y jugeant qu'il falloit céder au tems , allèrent à Hamil-
ton, ôcle lendemain à Edimbourg 5 ôc de-ià, comme ils étoient
incommodés par la citadelle , que leurs amis ne pouvoient ve-
nir des lieux éloignés aufli promptement que la chofe le de-
mandoit , ôc que le Roi ôc la Reine les fuivoient de fort près ,
ils vinrent à Dunfreys ,fuivant le confeil de Maxwcl baron de
Heris. Le Roi ôc la Reine revinrent à Glafcow 5 ôc après avoir
lailfé le comte Mathieu de Lenox , avec la qualité de lieute-
nant , dans les provinces qui font au couchant d'hiver , ils s'a-
vancèrent vers Sterlin ôc jufqu'au milieu de la province de
Fife. Ils fournirent en chemin une partie de la NoblcfTe ,
pronon-
DE J. A. DE THOU, L i v. XXXVIL 9
|>rononcerent diverfes peines contre ceux qui s'étoient retirés en
AnghtQnç , ôc convoquèrent une aflemblée de gens de jufti- p
ce j pour informer ôc faire le procès au refte des conjurez. ^ y
L'armée Royale fortit d'Edimbourg le 9. d'0£lobre , 6c '
marcha vers Dunfreys. Maxwel homme vigilant, également ^ '^^
propre pour le confeil ôc pour l'exécution , alla pour fuppHer
en faveur de ceux de fon parti, au devant de l'armée : ayant
obtenu la confervation du patrimoine de fon beau -père, il
jrevint trouver fes amis , leur fit voir qu'il n'étoit pas en état de
les fecourir , Ôc leur confeilla de mettre ordre à leurs affaires ,
ôc de fe retirer en Angleterre , où il les fuivroit en peu de
tems.
La fa£tion des rebelles étant ainfi diflipée , ôc les chofes
ayant été réglées fuivant la volonté du Roi ôc de la Reine;
ils retournèrent à Edimbourg fur la fin d'Odobre , ôc convo-
quèrent le Parlement pour le mois de Mars prochain , dans
ie deffein d'y faire confifquer les biens des exilés, de les dé-
grader de nobleffe, ôc de faire rompre leurs armes. Elizabeth
ayant donné retraite au comte de Murray , ôc aux autres ban-
nis, ôc ayant fait en fecret donner de l'argent par Betfort à
ce comte, qui étoit fort attaché au parti des Anglois, Marie
lui en fit fes plaintes : mais elle ne reçut pour réponfe d'E-
lizabeth que des plaintes réciproques, de ce qu'elle avoir re-
çu les Anglois rebelles , Yaxley , Standon , Walsh , Ôc O-neal
feigneur d'Irlande j de ce qu elle avoir tramé contre elle de
mauvais deffeins avec le Pape 5 ôc de ce qu'elle ne lui avoit
pas donné fatisfa£tion fur les brigandages des Pirates Ecoffois.
Cependant Riz voyant qu'il n'y avoit point de feigneursà
îa Cour, mettoit tout en ufage, pour profiter d'un tems fi fa-
vorable , ôc pourafi'ermir fa puiffance : il exhortoit fans ceffe
la Reine à fe défaire des chefs de la fa£tion. On avoit befoin
de gardes ou de foldats pour une pareille expédition : mais
comme ils étoient tous Ecoffois , ôc qu'il n'y avoit pas d'ap-
parence qu'ils vouluffent prêter leur miniftere pour maffacrec
la nobleffe de leur payis, on parla d'abord de faire venir des
Allemands , nation fidelle à fes maîtres. Mais Riz y ayant fait
plus d'attention, crut qu'il feroit plus avantageux pour lui de
faire venir des Italiens^ parce qu'étant du même payis,il cr oyoit
pouvoir en difpofer plus aifement. D'ailleurs il s'imaginoit
Tot?je V. B
10 HISTOIRE
que des hommes prêts ( comme on difoit en EcofTe ) à
Char LE ^^^^ faire, nés ôc élevés fous de petits princes, accoùtu^
IX. ^^^ ^ ^^^ guerres injuftes, & qui éloignez de leur patrie n'a-
j - jj ^ voient rien dans les Ifles Britanniques qui les intereflat , étoient
les plus propres à exciter ou à entretenir des troubles. On fit
donc venir de Flandre des foldats vagabonds, les uns après
les autres , ôc en differens tems , pour mieux cacher l'entre-
prife.
A mefure que le crédit de Riz augmentoit auprès de la
Reine , celui du Roi diminuoit : le repentir avoit fuivi de
près un mariage fi précipité. Tout le monde le reconnut peu
à peu , par des preuves qui n'étoient pas équivoques. Car Henri
ayant été proclamé Roi le jour de fon mariage , on mit d'abord
dans les Lettres le nom du Roi , ôc celui de la Reine : on
changea depuis l'ordre naturel , en mettant le nom de la Reine
le premier , ôc celui du Roi le dernier. Enfin la Reine pre-
nant pour prétexte les fréquentes abfences de fon mari , qui
n'avoit point d'autres occupations que la chafle ( ce qui étoit
caufe que plufieurs affaires ne fe faifoient pas à tems , ou ne
fe faifoient point du tout ) elle obtint qu'elle figneroit pour
ies deux ; ôc pour furcroît d'indignité , elle fubftitua Riz au
Roi , pour fceller les Lettres patentes avec un fceau de fer.'
Marie alla plus loin; elle dépouilla en quelque forte Henri
de fa dignité , ôc pour marquer fon mépris pour lui , elle le
rélégua à Peblis pendant l'hiver , comme un Prince dont l'a-
mitié ne pouvoit être fort utile, ni la colère fort redoutable. Son
deflein, en le réléguant, fut de l'éloigner du Confeil, ôc de
lui ôter toute connoiffance des affaires , afin qu'on eût à elle
feule l'obligation des grâces qu'elle accorderoit.
En ce tems-là Cécile , fille de Guftave roi de Suéde ôc fœur
d'Eric , qui avoit époufé Chriftophle marquis de Bade , vint
des extrémités du Nord en Angleterre , pour voir Elizabeth
qui la reçut magnifiquement. Tandis qu'elle étoit à Londres^
elle accoucha d'un fils qu'Elizabeth nomma Edoiiard , pour
renouveller la mémoire de fon frères elle ajouta à ce nom
celui de Fortunat ou Fortuné.
Quelque tems après Donald Mac-carty feigneur d'Irlande
vint fe jetter aux pieds delà Reine, ôc abandonna tellement
fa perfonne , ôc les grands biens qu'il poffcdoit dans cette iile.
DE J. A. DE T HOU .Liv. XXXVII. n
à fa clémence , que lui ôc Tes héritiers mâles , nés en légitime »
mariage , n'en joûiroient que comme les tenant de fa Majefléj q^ a r l e
ôc qu'en cas que fes héritiers mâles vinflent à manquer , tous j -^^
fes biens feroient réunis à la couronne d'Angleterre. En re- i r ,54,
compenfe la Reine lui donna le titre de comte de Giencarn ,
& à Tegue fon fils , celui de Baron de Valence.
Dans le même tems , les haines mortelles des comtes Gi-
raud Defmond , ôc Thomas d'Ormond , ôc d'autres feigneurs,
excitèrent de très-grands troubles dans la partie méridionale
d'Irlande , appellée • Mounfter. La Reine , princefle fage ôc
prudente , voulant terminer ces guerres inteftines , fit venir
le comte Defmond en Angleterre, ôc envoya en Irlande
Warham de S. Léger , qui fçavoit parfaitement les affaires de
cette Ifle : il y remplit avec beaucoup d'intégrité ôc de lu-
niieres la charge de viceroi.
. En France, le Roi , avec la Reine fa mère ôc toute fa Cour, i y «^ 5*.
vint au commencement de l'année i5'<5'j. de Beziers à Nar- Affaires de
bonne, ville confiderable par elle-même, ôc par fon antiquité, France. Suite
dont on voit encore aujourdhui plufieurs monumens. Cette j(Jji°^^*^
ville a autrefois donné le nom non-feulement au Languedoc,
mais à la Province , qui eft au-de-là du Rhône \ De Narbon-
ne le Roi alla pendant l'hiver , qui étoit fort rude , à Carcaflbn-
ne. Cette ville en comprend deux 5 la rivière d'Aude pafTe au
milieu de lune ôc de l'autre , laiffant un affez grand efpace
entre les deux villes. La ville haute, où eft le Palais Epif-
copal, ô: le Siège de l'Evêque, s'étend du midi à l'orient fur
une montagne. La ville baffe eft fituée dans une plaine î ôc
c'eft-là qu'on exerce la Jurididion royale.
Le Roi vint d'abord à la ville épifcopale , communément
appellée la Cité, d'où il devoir le lendemain treizième de Jan-
vier , faire fon entrée dans la ville baiïe avec une pompe royale.
Mais la nuit il tomba fur la ville ôc fur les montagnes voilines
une il prodigieufe quantité de neige, ôc avec tant de violence,
que tous les préparatifs faits pour cette cérémonie furent ren-
verfés : le Roi y demeura comme afiiegé pendant dix jours,
ôc fut contraint d'y attendre le jour de faint Vincent, auquel
il fut reçu dans la baffe ville avec beaucoup de magnificence.
ï Ou Momonie.
z C'eJi la Provence. Tout ce payis a
e'té autrefois appelle' par les Romains
Gaule Narbonnoife , ou Province Nat'
bonnoife, B ij
12 HISTOIRE
. Les plus âgés difoient qu'ils avoient appris de leurs pères ,
Char LE & ^u'ilctoit écrit dans leurs archives, que 123 ans auparavant
l^^ Marie d'Anjou , femme de Charle VIL avoir été retenue dans
j ç ^-^ cette ville trois mois entiers par les neiges, qui étoient de'
plus de fix pieds de haut.
^ ^, , Pendant que le Roi étoit à CarcafTonne, il reçut la nou-
Paris caufez ^^i^^ cle 1 emeute qui etoit arrivée a raris. Le cardinal Cnar-
pariecardinai Je de Lorraine revenant de Rome après le Concile, avant'
e orraine. ^^^ d'aller voir fa mère à Joinville , avoir écrit à la Reine,
pour lui expofer qu'il étoit dans un très-grand danger : que fes-
amis l'avertijGfoient de toutes parts que fes ennemis lui dref-
foient des embûches : qu'il avoit befoin de fecours 5 &c que par
conféquent il demandoit au Roi la permiflion d'avoir des
gardes. Sa demande parut jufte 5 la Reine lui fit expédier les
Lettres néceflaires le 25 de Février de l'année précédente >
& elles furent fignées par Jacque Bourdin, un des quatre fe-
cretaires d'Etat. Cependant depuis la publication de la paix ,
il avoit été défendu très exprelTément , ôc fous de rigoureu-
fes peines, par les édits, ôc particulièrement par celui du i j
Décembre, de marcher armé j ôc il étoit enjoint aux Gouver-
neurs d'y veiller , ôc d'empêcher que qui que ce fût n'en-
trât en armes dans les villes. Lorfque le cardinal de Lorrai-
ne fut arrivé à Joinville ^ réfolu d'aller à Paris pour fe mon-
trer au peuple , ôc voir fes créatures après une fi longue ab-
fence , il manda fes amis de tous côtés j ôc il écrivit furtout
à Claude duc d'Aumale fon frère, qui étoit alors à Anetj
qu'il vînt au-devant de lui avec des gens armés jufqu'à Nan<.
teûil.
En paffant par Soiffons , il fit une vifite de cérémonie au
prince de Condéj foit qu'il crût que cette démarche étoit de
quelque conféquence pour fa réputation j foit qu'il voulût ga-
gner ce Prince , en lui propofant en mariage Anne d'Efte ,
veuve de fon frère , femme très-belle ôc d'un excellent efprit,
ôc qui fembloit très-propre à concilier ôc à unir d'amitié des
perfonnes qui n'étoient pas en fort bonne intelligence. Au
moins cette vifite donna de l'inquiétude aux Montmorencis
ôc aux Colignis, qui craignoient que le prince de Condé, in-
vincible partout ailleurs, ne fe laifi^at vaincre ôc par les appas
de l'amour, ôc par les artifices du Cardinal. Nous avons déjà
CE l A. DE THOU, Liv. XXXVII. 15
dît qu'Éleonore de Roye j époufe du Prince , femme très- re-
commandable par fa vertu ôc par fon attachement pour fon nr^ .^ r ^
mari , etoit morte j que depuis la mort le rrince s étant aban- ^ y
donné à la galanterie , s'étoit bien relâché de fon ancienne x ^ (i\-
manière de vivre '■> que les miniftres ou pafteurs appréhendoient *
fort qu'une vie plus libre n'affoiblît peu à peu le zélé qu'il
avoit fait paroître jufqu'alors pour la Pveligion j ôc que par
cette raifon ceux qui étoient auprès de fa perfonne , le pref-
foientde penfer férieufement à fe remarier.
Après cette vifite :, le cardinal de Lorraine continua fa rou'^
te, & en approchant de Paris, il rencontra prefque tous fes
amis qu'il avoit mandés, qui venoient au-devant de lui. ]1
vint avec eux jufqu'à faint Denis, accompagné de Henri, fils
aîné du feu duc de Guife^ qu'il amenoit à Paris. François de
Montmorenci, gouverneur de Paris ôc de l'ifle de France,
homme d'un grand courage ôc d'une rare probité , apprit que
le Cardinal marchoit armé. Comme il connoifToit fon humeur
êc fon emportement , ôc qu'il n'ignoroit pas qu'on l'avoit nou-
vellement aigri contre fa Maifon , que ce Cardinal haïflbit déjà,
il crut qu'il n'en ufoit ainfi que pour éprouver fa patience, ôc que
par conféquent il falloir repouffer la force par la force. Ce-
pendant comme il étoit équitable ôc droit, il voulut d'abord
l'averdr, de congédier cette fuite de gens armés, qui étoit
une contravention aux édits du Roij de ne pas venir dans un
tems fufpe£tj avec tout l'appareil d'un homme qui iroit à la
guerre , ôc de ne pas entrer pendant l'abfence de Sa Majefté,
dans la capitale du Royaume , qui n étoit que trop portée
au trouble ôc à la fédition.
11 fit enfuite réflexion, qu'il ne convenoit pas, à caufe des
différends ôc de la haine déclarée qui étoient entre eux, d'en-^
yoyer faire un pareil compliment au Cardinal : voici le moyen
qu'il trouva pour garder les bienféances , ôc pour faire en mê-
me tems fçavoir au Cardinal ce qu'il avoit deffein de lui faire
dire. Il vint le 8. de Janvier au Parlement, on il fçavoit qu'il
y auroit un grand nombre de gens attachés aux Guifes, qui
ne manqueroient pas de rapporter au Cardinal ce qu'il auroit
dit 5 ôc il délara publiquement à la Cour , afin qu'elle n'en pré-
tendît caufe d'ignorance , que le Roi Ôc la Reine fa merc lui
ayoient ordonné fur toutes chofcs, de ne pas fouifrir que qui
Bii;
î4 HISTOIRE
j,^,^,,,,^,,,,,^ que ce fut ofât approcher de Paris en armes pendant leur ab-
^ fence : que néanmoins il apprenoit que quelques-uns , mépri-
T'\f ^^ fant l'autorité du Roi ôc des Gouverneurs, marchoient en
armes dans le Royaume , ôc voltigeoint aux environs de Pa-
^ ^ ^ S* ris j qu'il ne pourroit le foufFrir , fans manquer à fon devoir:
qu'au refte :, il prévoyoit que fi ces gens-là continuoient dans
leur audace , l'affaire ne fèpafferoit pas fans quelque trouble ;
qu'il s'étoit crû obligé d'en avertir le Parlement, afin qu'il in-
terpofât fon autorité 5 que pour lui il étoit réfolu , pour s'acquit-
ter de fa charge, de faire obferver les édits, ôc de faire tous
fes efforts , pour empêcher que la témérité de quelques particu-
liers ne donnât la moindre atteinte à l'autorité légitime du Roi
ôc des Magiftrats.
Après avoir parlé de la forte , Montmorenci s'en alla au
Louvre. Il avoir bien entendu parler de la permifTion que la
Reine avoit accordée au Cardinal j mais comme celui-ci ne
î'avoit pas montrée , il fe perfuada que c'étoit par mépris pouc
lui , qu'il en ufoit ainfi ; ôc il crut qu'il devcit employer toute
forte de moyens, pour Fempêcher d'entrer dans la ville.
Le Cardinal de fon côté , quoi qu'averti par fes amis , qui
alloient fouvent le trouver, de la réfolution de Montmorenci;
ne put jamais fe réfoudre à montrer la permiflion qu'il avoit
obtenue du Roi 5 difant que Montmorenci le fçavoit , ôc qu'il
ctoit de l'honneur de la maifon de Guife, ôc de fa propre ré-
putation, qu'on ne crût pas que fes ennemis luiavoientfait la
loi en l'obligeant de montrer fes Lettres 3 principalement dans
Paris , où ils avoient tant de créatures , ôc où ils fe fiattoient
que le peuple prendroit les armes pour les Guifes, contre les
Montmorencis , à caufe de la religion. C'étoit là le voile dont
les Guifes fe couvroient toujours , ôc ils s'imaginoient que le
peuple , qui les regardoit ôc les cheriffoit comme les défenfeurs
de la Foi , n'avoit que de la haine pour les Montmorencis ^
qu'il croyoit moins zélés , à caufe de leur attachement au prince
de Condé ôc aux Colignis.
Entre ceux qui alloient ôc venoient pour cette affaire , on
remarqua principalement Jean Hurault de Bois -taillé. Cet
homme , qui venoit d'acquérir de la réputation dans fon am-
baffade de Venife, avoit été autrefois dans les bonnes grâces
du Cardinal , ôc fa faveur I'avoit élevé aux honneurs : mais il
DE J. A. DE THOU, L.iv. XXXVIL i;
ctoif bien alors avec Montmorenci. Il voulut donc fe mêler
dans la négociation , & il avertit le Cardinal doucement & en ^
ami , de fe conduire fagement ôc prudemment dans une ren- ^^ ^ ^
contre fi délicate , ôc de ne pas forcer un homme aulTi fier, ■^*
qu'étoit le maréchal de Montmorenci, à faire une chofe, dont ^ S ^ S*
Fun ôc l'autre fe repentir oient , 6c feroient très-fâchés , dès
qu'elle feroit faite.
Le Cardinal, qui ne pouvoit retenir fon emportement, ne
répondit à Hurault que par des reproches injurieux , de ce
qu'après avoir reçu de lui tant de bienfaits , il avoit palTé dans
le parti de fes ennemis , avec autant de perfidie que d'ingra-
titude. Il rejetta donc fon confeil, comme fufpeâ: j Ôc fans fe
foucier du péril , il fe mit en chemin le même jour. Cepen-
dant pour ne point paroître abufer de la permiiïion que le Roi
lui avoit accordée , en fe faifant efcorter par un fi grand nom-
bre de gens armés , il fe fépara du duc d'Aumale , qui prit
avec lui une partie de l'efcorte , ôc entra par une autre porte
dans Paris.
Le Cardinal étant à moitié chemin , Montmorenci lui en-
voya un prévôt des maréchaux , avec des archers à cheval , re-
vêtus de leurs cafaques, ( car le Roi donne des archers à chaque
maréchal de France) pour lui ordonner au nom duRoiôc du
gouverneur de Paris de mettre bas les armes. Le Cardinal mé-
, prifa ce commandement , comme injurieux ? parce que, difoit-
il y ces fortes de gens , qui n'ont de pouvoir que furies voleurs;
les criminels , ôc les vagabons qui n'ont ni feu ni lieu , n'avoient
aucun droit fur les perfonnes de fon rang. Il continua donc fà
marche, ôc arriva dans la ville plutôt que Montmorenci ne
i'avoit crû : aiiifi il ne fut point arrêté à la porte , comme ce
Maréchal I'avoit réfolu.
Mais lorfqu'il pafToit dans la rue S. Denis , il rencontra au-
près de la paroifle de S. Innocent Montmorenci ôc Antoine
de Croi prince de Porcien, qui y étoit accouru avec un grand
nombre de gentils-hommes. Là , Montmorenci arrêta ceux du
cortège du Cardinal , qui marchoient les premiers, ôc de part
ôc d'autre il y en eut un ou deux de tués dans la réfiftance
qu'ils firent. Le Cardinal voyant que la chofe s'étoit pafTée au-
trement qu'il ne s'en étoit flatté , fut faifi de peur , ôc s'étant
mis aufli-tôt à pie avec le duc de Guife fon neveu , qui n'étoit
1^ HISTOIRE
■ ■ ' encore qu'un enfant , il fe fauva dans une boutique voîîfîne.-
C H A a L E ^^^ fe^^'^s furent écartés de côté ôc d'autre : ôc Montmorenci
IX. empêcha les fiens de les pourfuivre, & de les maltraiter; con-
J i (^ c. tci'if ^ comme il le difoit lui-même^ d'avoir réprimé par la crain-
te la témérité d'un homme qui infultoit le Roi, ôc qui avoit
i'audace de faire injure au gouverneur de la capitale du Royau-
me.
Le Cardinal accompagné d'un petit nombre de gens alla
fur le foir, par les rues les moins fréquentées , à l'hctel de Clu-
ny, où fa fuite s'étoit déjà retirée. Cet hôtel eft dans un quar-*
tier de Paris éloigné de celui du gouverneur , ôc il n'efl: pref^
que habité que par du menu peuple , que le Cardinal croyoit
lui être dévoilé. Le duc d'Aumale , qui étoit entré par une au-
tre porte , fe rendit au même endroit par un chemin différent.
Il y pafferent l'un ôc l'autre la nuit dans une grande inquiétu^
de , ôc fans dormir. Mais leur trouble fut bien plus grand le
matin : Montmorenci :, qui apprehendoit le défordre , courut
lui-même par la ville avec des gens armés j il fit ouvrir les
boutiques , ôc paffa plufieurs fois devant l'hôtel de Cluny où
le Cardinal fe tenoit caché , avec les ducs de Guife ôc d'Au-
male. Les gens du Gouverneur en paffant parloient fort info-
lemment, ôc difoient bien des chofes outrageantes contre le
Cardinal.
Enfin comme tout Paris étoit en allarmes, le Cardinal follî-i
cité par fes amis , ôc averti par le Parlement de fortir prompte-
ment de la ville , pour éviter un plus grand trouble , montra les
Lettres qu'il avoit obtenues du Roi. Le lendemain on char*
gea Claude Guyot maître des comptes , magiftrat d'une gran-
de probité, très-zelé pour la tranquilité publique, Ôc qui étoit
Prévôt des Marchands pour la féconde fois , d'aller trouver le
maréchal de Montmorenci , Ôc de le prier au nom du Parle-
ment, du premier Préfident Chriftophle de Thou^ ôc de Gille
Bourdin Procureur général, de vouloir bien , pour ne pas trou-
bler le repos public, accorder au cardinal de Lorraine la per^
mifTion de fortir le lendemain de Paris en armes. Il eft vrai ,
ajouta Guyot, que le Roi l'a défendu par fes Edits j mais il l'a
expreffement permis à M. le Cardinal , pour fa fureté, par des
Lettres particulières 5 ôc il en montra la copie.
j Père dç l'Auteur,
DE J. A. DE THOU, Lïv. XXXVIÎ. 17 j
Le maréchal de Montmorenci répondit : Que le Cardinal ^ "j
avoit très-mal fait d'ofer entrer dans Paris dans une pareille r u a r i r ■
conjondure , avec des gens armés, contre la défenfe du Roi * t v
fans avoir montré fes Lettres , ôc (ans en avoir prévenu le Gou- x ç (^ ^ \
verneur: Qu'au refte, file Cardinal vouloir donner les noms ' \
de ceux qu'il vouloit faire pafTer en armes avec lui par l'Ifle de i
France, ôc délivrer une copie en bonne forme des Letrres du \
Roi , il fcroit ce qui étoit de fon devoir > parce que c'étoit à lui i
de maintenir le fouverain pouvoir du Roi, ôc du Gouverneur
qui le repréfente : Qu'il étoit prêt de donner fa vie , pour retenir ■
le Cardinal , ôc tous ceux qui étoient dans l'étendue de fon \
gouvernement, dans les bornes prefcrites par les loix , ôc pour |
leur apprendre à refpecler l'autorité du Roi ôc des Gouver- \
neurs établis par fa Majefté : Que cette affaire regardoit l'o- j
béïffance due au Roi , l'honneur du Gouverneur , ôc la fureté i
publique : Que néanmoins il fçavoit que le Cardinal ôc les fiens j
le vantoient de le faire punir de l'injure qu'ils prétendoient leur * :
avoir été faite le jour précédent : Qu'en les empêchant de mar*
cher en armes , fuivant la difpofition des Edits, il n'avoit fait i
que ce qu'il devoit : Qu'il avoit averti le Parlement de ce qui
arriveroit i ôc que s'il eût en cela manqué à fon devoir , il fe ,
feroit rendu indigne des honneurs dont le Roi l'avoit comblé. |
Cette réponfe , foufcrite de la main de Falaife fecretaire du j
Gouverneur, fut donnée à Guyot , qui eut la prudence delà \
fupprimer, parce qu'il y avoit trop de dureté. Le Cardinal \
Ôc le duc d'Àumale en eurent connoiffance j mais d'une ma-
nière qui ne les mettoit pas dans la néceflité d'en tirer ven- j
gence. Ainfi le Cardinal , accompagné des ducs d'Aumale ;
ôc de Guife ; fortit de Paris prefque auiïi-tôt qu'il y fut entré. i
Le Cardinal s'en alla en Champagne , ôc dans le pays Mellin ;
^ le duc d'Aumale marcha quelque tems de côté ôc d'autre •]
aux environs de la ville, avec des gens armés. Ce fut un nou- L'Amiral de '
veau fujet de troubles 5 carie maréchal de Montmorenci, qui vc^àSfs'ï '
fçavoit bien qu'on le haïlToit à caufe des Colignis , mais qui y p^fle quel- \
prévoyoit auiïi le befoin qu'il auroit d'eux dans la fuite , parce ^^^^ ^°""* \
que les affaires fe broûilloient extrêmement , manda Gafpard \
de Coligny Amiral , qui étoit tranquillement chez lui occu- I
pé du foin de fes affaires. Ce Seigneur arriva à Paris avec \
^ne nombreufe fuite le 22 de Janvier.
Tome V. Ci
iS HISTOIRE
.,.—■--.,.», Montmorencl convoqua un Confeil , où afTiila Claude Gouf-
Ch A.PV.LE ^^^ ^^ Boify , grand ccuyer de France, avec Chriftophle de
t\/ Thou, Renc Baillet , Pierre Seguicr , Chriftophle de Harlay
/ Préfidens , ôc Hurault de Bois-Taillé. 11 expofa à FaiTemblée
les raifons pour lefquelles il avoir prié M. l'Amiral de venir à
Paris i ôc il fit entendre que c'étoit pour délibérer enfemble fur
les moyens d'afTurer le repos public , malgré les bruits qu'on
s'efforçoit de répandre pour le troubler. L'Amiral prit occa-
fion de ce qui venoit d'être dit , pour parler de lui-même , de
fon inviolable fidélité , ôc de fes bonnes intentions ; ôc pour
fe juftifier des crimes, dont on le foupçonnoit faufTement. Il
lit voir que ces foupçons n'étoient fondés que fur des calom-
nies , ôc n'étoient que des effets de l'artifice ôc de l'ambition
de fes ennemis.
L'Amiral répéta la même chofe devant le Prévôt des mar-
chands , ôc en préfence d'environ quarante bourgeois de Pa-
ris , choifis d'entre tous les Ordres. Il leur rappella aufîi le
tems } où étant Gouverneur de Paris , il avoir commencé le
boulevard de la porte S. Antoine, non feulement pour fortifier^
mais pour embellir ôc orner la ville. Enfuite il vint au Parle-
ment avec le maréchal de Montmorenci. Après y avoir parlé
de lui-même en peu de mots , Ôc avec beaucoup de modeflie ;
iî fit offre de fes fer vices à tous en général , ôc à chacun en
particulier. Le lendemain il alla au château de Vincennes fa-
luer le duc d'Alençon ^ il revint le même jour à Paris pour y
travailler pendant quelques jours à fes propres affaires j ôc il
s'en retourna le 25? de Janvier.
Cependant le Gouverneur de Paris , ôc le duc d'Aumale
envoyèrent à la Cour ; l'un , Ouëin de Turin 3 pour jufîifier fa
conduite > ôc fautre , Bertrand de Foiffy de Crenay , pour fe
plaindre au Roi de ce qui s'étoit paffé. Mais le crédit du con-
nétable de Montmorenci*fit fufpendre le jugement de cette
affaire. Cependant comme le bruit s'étoit répandu que le duc
d'Aumale d'un côté, ôc Coligny de l'autre, étoient en armes,
on craignit que Paris ne fut agité de nouveaux troubles , pen-
dant l'abfence du Roi. Pour les prévenir, Michel de Seuvre
chevalier de Malte reçut ordre de partir , pour ordonner à l'un
ôc à l'autre de la part du Roi de mettre bas les armes , de ren-
voyer ceux qui étoient avec eux . ôc de demeurer en repos.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVII. i^
Telle fut rifluë du trouble excité à Paris. Plufieurs accuferent ....«„,.,.^
le maréchal de Montmorenci d'avoir en cette occafion manqué '7^ j
de prudence , aimant mieux irriter des ennemis très-puilTans ^^ ^
1
par un léger affront , que les perdre entièrement , lorfqu'il le
pouvoir. . ^ > ^* ,
En effet le prince de Condé ( foit que l'entretien avec le '
cardinal de Lorraine l'eût changé , foit que ce fût fon fenti- :
ment) defaprouva l'a^lion de Montmorenci , ôc dit : « L'affaire
» a été poulfée trop loin , fi ce n'étoit qu'un jeu i & elle ne l'a \
« pas été affez, fielle étoit férieufe. «> Dans la fuite, on fe fit
la guerre de part ôc d'autre par écrit , ôc l'on publia de la part \
du Gouverneur un livre en forme de relation : on l'attribue à i
Louis Renier de la Planche ^ dont nous avons parlé fous le re- ■ \
gne de François II. On y louoit la fidélité , l'obéïffance , ôc
l'équité de Claude Guyot prévôt des Marchands , & des Eche- j
vins de la ville de Paris, & l'on y relevoit en palfant l'ambition !
des Guifes. L'on y parloir avec beaucoup de fineffe de leurs j
deffeins , de leurs artifices, de leurs efforts, ôc on faifoit en-
trevoir, par une efpece de prophétie, quelle en feroit la fin. Ces J
prédirions furent alors regardées comme venant de la part i
de leurs ennemis , ôc on n'y ajouta aucune foi. Mais dans la
fuite l'événement a fait voir que la plupart n'étoient que trop ;
bien fondées ôc trop véritables. i
On publia de la part des Lorrains une Lettre fous le nom Ecrits r!e
d'un Gentilhomme du Hainaut : l'écrivain tâchoit de juftifier P^"^*^ ^ '^ '^"' '
i'adion des Guifes , ôc rejettoit la caufe des troubles fur les * '
Montmorencis , qui favorifoient les ennemis de la ReHgion
ôc les perturbateurs de l'Etat, ôcles aidoient de leurs confeils, I
de leurs biens, ôc de leurs forces. On répliqua auffi-tôt à cette \
Lettre par une autre , dans laquelle le Gentilhomme du Hai- i
naut proteftoit que le cardinal de Lorraine s'étoit fauffement ■
fervi de ce nom. Il y faifoit une fanglante inve£live contre i
les Guifes , ôc les traitoit d'hommes ambitieux ôc a^'ides du
bien d'autrui. Cette Lettre fut auffi-tôt fuivie d'un autre écrit : 1
l'auteur répondoit plus amplement à la première Lettre du i
Gentilhomme du Hainaut , rabaiffoit l'origine des Lorrains , ôc
relevoit celle des Colignis , qu'il prétendoit ilfus des Seigneurs
de Colognac en Brelfe. Enfin les Lorrains réphquerent à \
ces écrits , par une Lettre fous le nom d'un Gentilhomme j
Cij
2.0 HISTOIRE
. Champenois, parce qu'ils ne pou voient plus fefervir de celui du
Chari F Gentilhomme du Hainaut. On n'auroit point cefle d'écrire, fi
T y le Parlement de Paris n'eut interpofé fon autorité , en défen-
^' dant de vendre ôc de débiter ces écrits, & les fupprimant ,
comme libelles diffamatoires , tendans à exciter des troubles
dans l'Etat.
Affaire <!its Pcu de tcms après , le Roi étant à Bayonne , pour fe rendre
Jefuites. ^ 1^ Conférence dont on étoit convenu avec les Efpagnols >
on plaida au Parlement avec beaucoup de chaleur la caufe des
Jefuites. Ils avoient préfenté dans le mois de Février une re-
quête à la Cour , par laquelle ils demandoient la liberté d'en-
feigner la jeuneffe > ôc le Re£teur de l'Univerfité de Paris s'y
étoit oppofé. Avant que je parle de ce procès , je crois qu'il
eft à propos de dire quelque chofe de leur origine , de leur
ctabliffement ôc de leurs progrès.
Pierre-Antoine Caraife , depuis cardinal , ôc enfin Pape
fous le nom de Paul IV. avoit établi une compagnie de Prê-
tres, qui dévoient vivre dans lafolitude ôc féparés du monde,
pour s'appliquer à la contemplation î ôc du lieu où ils demeu-
roient dans la terre d'Otrante, ils furent appelles Théatins ou
Chiétins '. Par émulation, ou à l'imitation de ce nouvel éta-
bliffement , Ignace de Loyola de Bifcaye, ennuyé du métier
de la guerre, dont il n'avoit tiré ni honneur ni profit, mais
feulement un ^ coup qui l'avoit eftropié , embraffa une vie tran-
quille , ôc forma dans la fuite le defîein d'établir un Ordre de
Religieux.
Abregédela Après un voyagc en Italie, ôc dans la Paleftine , il revint
vie de s. I- en fon payis l'an 1 5'24. , ôc commença à étudier à Barcelone , à
Loyola. ° l'âge de 35 ans. Il eut dans cette ville, pour compagnons
d'une vie plus régulière , un certain Califte , qui l'avoit accom-
pagné dans fon voyage de Jerufalem , Artiaga ôcCazere , Ef-
pagnols , ôc un jeune François , appelle Jean. Sentant dans
la fuite qu'il n'avoit pas fait de grands progrès dans les fcien-
ces à Barcelone, à Àlcalaôcà Salamanque, il fepropofa qua-
tre ans après de venir à Paris. Il y reconnut par fon expérien-
ce que la foiblelfe de l'homme en général , ôc la fienne en
I Voyez le livre XV.
% C'etoit une blefTure à la jambe
gauche , qui fut légère , ôc une autre
plus confîde'rable à la droite , dont il
relia boiteux.
DE J. A. DE THO U, Li v. XXXVÎI. 21
particulier, le rendoient incapable de faire plufieurs chofes dans ^^^^^m
un même tems j il condamna fa précipitation , ôc laifTant là les c h a R L E
voyes abrégées , il réfolut de fuivre le cours ordinaire dans i^
fes études qu'il recommença. i <; 6 <,
Ainfi après avoir repris les principes de la langue Latine , il
étudia enluite en Philofophie fous Jean Pena , grand Philofophe
& habile Mathématicien , ôc en Théologie , dans le Collège du
Couvent des Dominicains. Pierre le Févre , Savoyard , fçavant
difciple d'Ariftote , & François Xavier Navarrois , furent les
premiers compagnons de la vie auftere qu'Ignace menoit à
Paris. Peu de tems après François , à la prière de Jean roi de
Portugal j & par l'autorité du Pape , fut envoyé en Orient. Il
parcourut toute la côte maritime des Indes , avec beaucoup
de travaux & de périls , Ôc porta le premier la lumière de la pa-
role de Dieu jufque dans le fond du Japon. Enfin après avoir
converti à la foi de Jefus-Chrift un grand nombre d'infide-
les , il mourut à l'entrée de la Chine ' l'an i$$6. Les autres
compagnons d'Ignace furent, Jacque Lainez, deSeguença,
qui fut dans la fuite Général de la Société ; Alfonfe Salmeron
de Tolède , très-habile dans les langues Grecque & Latine î
Nicolas Bobadilla, de Palencia ; Simon Rodriguez , de Por-
tugal î Claude le Jai ôc Jean Codure , du Diocéfe de Genève :
ôc Pafquier Brouët , d'Embrun. Ils étudièrent tous avec Ignace
à Paris , ôc firent de grands progrès dans les fciences , ôc dans
ia pieté.
Enfin d'un confentement unanime, après s'être confeffés;
& avoir communié dans l'Eglife de Mont-martre près de Pa-
ris , ils firent chacun en particulier un vœu à Dieu 5 par lequel
ils s'obligèrent à renoncer au monde , aulîi-tôt qu'ils auroient
achevé leur cours de Théologie , à embraffer une pauvreté
perpétuelle , à travailler toute leur vie pour la gloire de Dieu ,
ôc pour le falut des âmes 5 ôc pour cela de s'embarquer dans
un jour marqué pour aller à Jerufalem , de s'y appliquer de
toutes leurs forces à l'inftrudion des Infidèles , ôc d'y cher-
cher la palme du martyre. Ils s'engagèrent , s'ils trouvoient
des obftacles à l'exécution de ce defTein^ d'aller à la fin de l'an-
née à Rome , ôc d'y offrir leurs fervices au Pape ^ Vicaire de
Jefus - Chrift , fans faire avec lui aucune conventio« , fans
I Dans rifle de Sanciâm.
C iij
!i2 HISTOIRE
_ ,..,., i„i.i condition, & fans aucunç reftriclion, pour tous les tems , ôc pour
P tous les lieux du monde. Ce vœu fut fait le i^ d'Août i5'34 ^
' lY L'année fuivante , Ignace retourna malade en Efpagne . ôc
■ bien-tôt après il alla à Venife ^ pour s'acquitter de fon vœu.
■^ ^ , ^' Là , ayant pris les faints Ordres , 6c ramafle fes compagnons
qui étoient difperfcs^il renonça au deflein d'aller à Jerulalem,
ôc alla à Rome avec le Févre ôc Lainez. Ceux qui ont écrie
fa vie , rapportent qu'étant entré dans une Eglife , proche de la
ville fur le grand chemin , pour prier Dieu , il fut comme ravi
ôc élevé au deifus des fens s que le Père éternel lui apparut
avec Jefus fon fils , portant fa Croix ôc fouffrant de cruelles
douleurs j que le Père recommanda au Fils Ignace ôc fes
Compagnons , ôc qu'il promit à Ignace de faiïiftcr à Rome.
Cette vifion fut caufe qu'il donna depuis à fa Société le nom
de Compagnie de Jefus.
Ainfi Ignace ôc fes Compagnons s'aflemblerent à Rome.
Quirin Garzoni , citoyen Romain , les reçut dans fa maifon
auprès du couvçnt des Minimes. Ce fut là que la Société prit
naiiTance : mais elle eut d'abord beaucoup à fouffrir à Rome
même , où elle fut ouvertement improuvée par Barthelemi
Guidiccionne , cardinal de Luques. Ce Prélat aimoit fipeu les
nouveaux Ordres , qu'il écrivit pour montrer la nécefïité de
les réduire à un certain nombre. Néanmoins Paul III. approu-
va le nouvel Inftitut par une Bulle publiée le 3 d'Ottobre
1 5-40, lorfqu'Ignace eut envoyé , par ordre de ce Pontife, des
ouvriers dans les différentes vignes du champ de Jefus-Chrift,
ce qui fut le commencement des voyages apoftoliques de la
Société. On inféra dans la Bulle cette condition : Que la Com-
pagnie ne feroit compofée que de foixante perfonnes j mais
trois ans après cette condition fut otée par un Bref du 14 de
Mars 3 ôc Ignace fut fait fuperieur général de la Société.
Le nombre des compagnons d'Ignace étant augmenté , il
les diftribua en divers endroits. Lainez demeura en Italie ,
Brouët fut envoyé en France ^ Pierre Canifius en Allemagne,
Antoine Araofius de Bifcaye en Efpagne , Simon Rodriguez
en Portugal ; ôc François Xavier dans les Indes. Cependant
Elifabeth Rofelle , qui avoit d'abord aidé Ignace à faire/es
études à Barcelone , étant venue à Rome avec quelques pauvres
î M . Bailler dit que ce fut le quinzième.
DEJ. A. DETHOU^Liv. XXXVII. 23
femmes , aiin de vivre fuivant les régies de la nouvelle
Société , Ignace lui dit qu'il ne pouvoit pas prendre le foin Ch arle
des femmes ; ôc il obtint du Pape , que fa Société feroit à per- j y^^
pétuité exempte d'un tel emploi , quoiqu'elle fe fut dévouée i r (^' r
au Vicaire de J. C. fans aucune exception de lieux 6c de tems,
pour le bien de toutes les nations. Il obtint aufTi que Claude le
Jay feroit difpenfé d'accepter l'évêché de Triefte dansl'Iftrie,
qui lui avoir été donné à la recommandation de Ferdinand
roi des Romains. Ainfi le nouvel Ordre ayant en apparence
écarté tout foupçon d'ambition ôc de cupidité , Paul III. lui
accorda un an avant fa mort d'autres privilèges , qui furent con-
firmés par Jule III.
On crut que Paul IV. feroit contraire à Ignace , à caufe de
quelques fujets de mécontentement. Cependant la Société
s'augmenta beaucoup fous fon Pontificat. Enfin Ignace
épuilé par les veilles ôc par les jeûnes mourut âgé de 6^ ans ,
feize ans après avoir obtenu la confirmation de fon Ordre.
Rinaldus Colombo , qui ouvrit Ton corps , rapporte qu'il trouva
trois pierres dans la veine du foye^ nommée Porte. Telle fut
la fin d'Ignace, fondateur d'une Société, qui s'eft depuis tel-
lement augmentée , qu'elle a commencé à fe rendre formida-
ble aux Pruices mêmes.
Vers ce même tems , Guillaume du Prat évêque de Cler-
mont , fils du cardinal du Prat , pour témoigner aux Pères de
la nouvelle Société l'amour extrême qu'il avoir pour eux,
leur donna dans Paris le collège de Clermont, ( ce qui les lit
appeller du nom de leur collège de Clermont , ôc fit oublier
pendant quelque tems le nom de Jefuites , titre qui paroiffoit à
plufieurs vain ôc orgueilleux. ) Du Prat leur légua auiïi par
fon teftament plus de 3^000 écus , à condition qu'ils établi-
roient des collèges à Billon ôc à Mauriac en Auvergne, pour
y enfeigner la jeuneffe.
Avant la mort d'Ignace, l'an i5'5'o,Brouëtavoit obtenu de
Henry IL à la recommandation du cardinal de Lorraine , dont
le nom fut mis dans les Lettres patentes, que la Société feroit
recûë dans le Royaume , conformément au bref du Pape 5 ôc
qu'il feroit permis aux confrères de cette Société de recevoir
des aumônes, pour bâtir une chapelle ôc un collège à Paris ^
& même dans les autres villes , afin d'y vivre fuivant leur inilitut.
24 HISTOIRE
I ■■! Ces Lettres ayant été préfentées au Parlement quatre ans
Charle ^P^'^S' 1^ troiiiéme jour d'Août, la Cour arrêta que les Lettres
I ^^ du Roi , ôc le Bref du Pape feroient communiquées à l'é-
i <^ (S ^, vêque de Paris, ôc à la Faculté de Théologie , pour , les parties
ouïes, être fait droit fur le tout.
Avis de la Suivant cet arrêté , la Faculté de Théologie donna le pre-
Faculté de ^-jjg,- ^q Décembre de la même année fon avis par écrit. Il
Théologie de . r un. r\ ii e • / •>
Paris, contre contenoit en lubitance: (^ue cette nouvelle bociete , sarro-
Icsjcfuites. geoit le titre inoûi de Compagnie de Jefus i qu'elle recevoit
indifféremment Ôc fans choix toute forte de perfonnes , les
bâtards , les fcélérats , les infimes : Qu'elle n'avoit ni régies ,
ni conftitutions , ni manière de vivre , ni aucun des ufages
qui diftinguent les autres Religieux des perfonnes du fiécle :
Qu'elle avoir obtenu une infinité de privilèges , de libertés ôc
d'immunités , principalement en ce qui concernoit Fadminif-
tration des Sacremens , au préjudice desEvêques ôc du Clergé ,
ôc même des Princes ôc des Seigneurs , à la charge du peuple ,
ôc contre les privilèges de FUniverfité : Qu'ainfi cette Société
lui fembloit deshonorer l'ordre monaftique ôc rehgieux, dont
elle énervoit la difcipline , en fe difpenfant des pieux exerci-
ces , qui entretiennent la ferveur , ôc foûtiennent la vertu ,
comme de l'abftinence, des cérémonies, ôc de la fubordina-
tion aux PuifTances : Qu'elle donnoit même occafion d'enfrein-
dre les vœux , de fe fouftraire de robéïfTance due aux Prélats ;
de dépouiller injuftement les feigneurs Eccléfiaftiques ôc au-
tres de leurs droits , ôc d'introduire dans le gouvernement de
l'Etat ôc de l'Eglife , le trouble , les plaintes , les procez , les
diffentions , les difputes, les jaloufies , les révoltes, les divi-
fions de toute efpece : Que par toutes ces raifons , cette So-
ciété paroiflbit à la facrée Faculté , dangereufe pour la reli-
gion j parce qu'elle troubloit l'Eglife, qu'elle renverfoit la dif-
cipline monaftique, ôc tendoit plus à la deftru£lion qu'à l'é-
dification.
Les confrères de la Société furent faifis d'étonnement à la
vue de cette délibération de la Faculté de Théologie de Paris.
Ils crurent qu'il falloir s'accommoder au tems 3 ôc dans l'efpé-
rance que la haine qu'on avoit conçue pour le nouvel Infti-
tut s'adouciroit peu à peu , ils gardèrent un profond filence
jufqu'au régne de François IL Alors les Guifes , qui les
favori-»
DE J. A. DE THO U, Lîv.XXXVn. ^r
îâvprifoient de tout leur pouvoir, étant à la tête des affaires, ces ,„.,„,^,..,.^.,
Pères recommencèrent leurs pourfbites. D'abord , fuivant i'ar- r; j^ ^ ^^ l £
rêté delà Cour, on pria Euftache du Bellay évêque de Paris j^
de dire fou fentiment. i c 6" ",
Ce Prélat répondit par écrit : Que cette Société , comme ^ '
tous les nouveaux Ordres , étoit infiniment dangereufe; que jugement de
dans les circonftances préfentes elle paroiffoit inftituée , plutôt p^J^^^^^^^^j
pour exciter des troubles , que pour rétablir la paix ôc la con- jefuitcs.
corde dans l'Eglife. Il delaprouvoit particulièrement le nom
de Jefuites, comme un titre plein d'arrogance , par lequel ces
Pères s'attribuoient à eux feuls ce qtii convenoit à toute l'E-
glife Catholique , qu'on peut proprement appeller l'afTemblée
ou la Société des fidèles, dont Jefus-Chrift eft le Chef 5 com-
me fi en prenant ce nom pour eux feuls , ils euffent voulu faire
entendre qu'eux feuls compofoient l'Eglife.
Ce Prélat obfervoit que dans les privilèges accordés à cette
Société par le Pape Paul III. il y avoit beaucoup de chofes
contraires au droit commun y & préjudiciables à Tautorité ôc
à la puiffance des Evêques , des Curés & des Univerfités. Il
en concluoir, que puifque le Pape avoit obligé les confrères de
cette Société à inftruire les Turcs ôc les infidèles , 6c à leur
prêcher la parole de Dieu , il étoit plus à propos qu'on leur
donnât des maifons dans les lieux qui en font proche , de mê-
me que les chevaliers de Rhodes furent autrefois placés com-
me en fentinelle fur les frontières de la Chrétienté.
Cet avis ôc celui de la Faculté de Théologie ayant été lus
& examinés par le Roi dans fon confeil 5 fa Majefté , à l'inf-
dgation du cardinal de Lorraine , manda au Parlement par i^QS
X^etties du 25 Avril i<)6o , que fans avoir égard à l'oppofition
de la faculté de Théologie , ôc de l'évêque de Paris , il publiât
les bulles du Pape , ôc les Lettres du Roi accordées à la So-
ciété. Quoique ces Pères euffent déclaré par une requête
préfentée au Parlement^ qu'ils fe foûmettoient au droit com-
mun , ôc qu'ils renonçoient aux droits ôc aux privilèges que le
Pape leur avoit accordés,qui pouvoientêtre contraires au droit
commun, ôc préjudicier à l'autorité des Evêques, des Chapi-
tres , des Curez ôc des Univerlitez , aux libcrtez de l'Eglife
Gallicane , ôc aux traités faits entre les Rois ôc les Papes r
îa Cour néanmoins par Arrêt du 22 Février renvoya toute
Tome V, D
0.6 HISTOIRE
PafFaire au Concile général , ou à l'aflemblée de l'Eglife Gaî-'
Char LE licane^ pour approuver ce nouvel Ordre.
JX. Ainfi le 25- de Septembre , Jes Prélats s'étant afTemblés en"
1 ç 5 ç. gi^and nombre à PoilTy , fuivant les ordres exprès du Roi , pour
o m'-nt ^^ Colloque dont nous avons parlé , auquel le cardinal Frau-
des p'iélats au cois de Tournon archevêque de Lyon préfidoitj l'Aflemblée
colloque de autorifée par l'Arrêt du Parlement de Paris , qui lui avoir ren-
Poilly jfiir les , , . r , .. , ^ j,t- n i
jeiuiccs. Con- voyc le jugement de cette afiaire , oui le rapport d Jiultache
dirions auf. (ju Bellay évêque de Paris , tout bien confideré , reçut ôc ap-
fo"u: re^ûs en pi'ouva la nouvcUc Compagnie fous le nom de Société ôc de
jfance. Collège, ôc non pas d'Ordre nouvellement inftitué , à condi-
tion: Que les Confrères de cette Société prendroient un au-
tre nom que celui de Société de Jcfus , ou de Jefuites : Que
chaque Evêque dans fondiocéfe auroit une jurifdi£licn entière
fur eux, comme fur les autres Prêtres : Qu'ils ne pourroient rien
faire , au préjudice des Evêques , des Chapitres, des Curés , des
Univerfités ôc des autres Ordres , ni contre leur autorité ôc
leurs fon£lions : Qu'ils feroient gouvernés fuivant le droit com-
mun , ôc qu'ils renonceroient aux privilèges qui lui étoient
contraires. On ajouta , que s'ils n'obfervoient régulièrement
ces conditions , ou que 11 dans la fuite ils obtenoient de nou-
veaux privilèges des Papes , l'approbation de leur Société,
faite par ce décret , feroit tenue comme révoquée dès à pre-
fent.
En vertu de cette délibération, ils ouvrirent à Paris le col-
lège de Clermont. Les fçavans , qui étoient entrés dans la^
Société , lui acquirent beaucoup de réputation , 6c principa-
lement Jean Maldonat ' Portugais , bon Philofophe ôc habile
Théologien. Mais comme l'Univerfité réclamoit contre la li-
berté qu'on avoir accordée à la Sociétés l'affaire fut pour la
féconde fois portée au Parlement , ôc les Confrères du collège
lui préfenterent une requête , par laquelle ils demandoient que
la Cour interposât fbn autorité , afin qu'on ne les empêchât
plus à l'avenir d'indruire la jeunelTe.
Confukation Avant que faffaire fut plaidée en Parlement , l'Univerfité
Mouii^ con" de Paris avoir confulté Charle du Mouhn. La réponfe que ce
tre les Jefui-
tes. I Jean Maldonat eft un des plus fça-
vans The'ologicns que les Jefuites ay ent
eu. Ilenfeigna à Paris pendant plus
de dix ans. Il étoit Efpagnol , &; non-
Portugais , e'rant né dans un village d£
la province d'Eilramadure.
DEJ. A. DETHOU^Liv. XXXVIL 27
fçavant Jurifconfulte donna par écrit , ôc qui fut depuis impri-
mée, contenoit en fubftance: Que de très-juftes raifons obii- Char LE
geoient l'Univeriité de Paris, pour remplir un de fesplus in- j y^
difpenfables devoirs , de faire une nouvelle fommation aux 1 5 6 j.
Jefuites > ôc de les obliger par les voyes de droit à fe défifter
de ces fortes de nouveautez. Voici les raifons dont il fe fer-
vit : Qu'ils établiflbient une nouvelle Compagnie contre les
anciens décrets des Conciles , ôc même d'un Concile général
célébré à Rome fous Innocent III. l'an 121 5'. quiavoient or-
donné y pour éviter le trouble ôc la confufion dans l'Eglife,
de refferrer dans de certaines bornes ces nouvelles Sociétés :
Que l'établiffement des Jefuites étoit contre les Arrêts de la
Cour , qui avoit déjà rejette cette nouvelle Congrégation : Qu'il
étoit contre les avis des Cardinaux qui s'étoient afTembiez à
Nice avec quelques Prélats , par ordre de Paul III. ôc qui
avoient défendu de recevoir de nouveaux Religieux ôc de nou-
veaux Ordres : Que long-tems avant eux , le cardinal Pierre
d'Ailly , Richard archevêque d'Armach , Guillaume de Saint
Amour ôc Jean Gerfon , deux grandes lumières de l'école de
Sorbonne , avoient jugé que la grande quantité de nouveaux
Convens ne pouvoir qu'être à charge au peuple, Ôc à l'Etat:
Qu'en admettant ce nouvel Ordre dans un Royaume naturel-
lement amateur des nouveautez , il étoit à craindre qu'il ne fe
multipliât à l'excès, au préjudice du peuple ôc aux dépens du
Clergé : Que TctaMiffement des Jefuites ne tendoit pas feu-
lement à la ruine de tous les Ordres en particulier, mais
qu'il étoit très-dangereux pour tout le Royaume en général :
Qu'il n'y avoit point d'homme fage , qui n'appréhendât que
fous prétexte de la liberté qu'auroient les Italiens ôc les Ef-
pagnols , dont cette Société étoit particuHerement compo-
fée, d'aller ôc de venir d'un Royaume dans un autre , il ne fe
trouvât bien des efpions, qui feroient paifer nos fecrets juf-
qu'à nos ennemis : Que cet article avoit paru fi important , que
les Papes eux-mêmes , 6c après eux les dotleurs les plus verfés
dans le droit Eccléfiaftique , avoient décidé que cette jufte
appréhenfion étoit une raifon fuffifante pour oter les Evêques
de leurs fiéges , quoiqu'ils foient de droit divin : Que cet Or-
dre n'étant pas approuvé, ne pouvoir paffer pour légitimer ôc
qu'il fembloit n'être iuftitué que pour tendre des pièges aux
ûS HISTOIRE
" mourans, 6c s'emparer de leurs biens : Que d'ouvrir un nou-;
7^ ' veau Collège au milieu de l'Univerfité , à laquelle ils ne vou-'-
j y loient pas obéir ôc fe foûmettre, c'étoit une chofe monftrucu-
fe , ôc qui tendoic à la fédition : Que ces nouveaux maîtres
^ ^' ctoient inutiles ôc fuperflus, dans une Univcrfité, où il y avoit
on grand nombre d'ccoles & de collèges : Qu'ils apportoienD
en France de nouvelles fuperftitions ; qu'ils fafcinoient les
yeux des peuples; qu'ils violoient déjà les Edits de pacifica-
tion , ôc troubloient la tranquillité publique : Qu'enfin ils eau-
feroient dans la fuite de plus grands troubles.
Plaidoyers j^^ caufc fut plaidée en Parlement, les Chambres aflem^
ks jefuites. blées. Pierre Verforis , avocat de grande réputation ^ plaid^î
pour la nouvelle Société , Ôc finit fon difcours en louant fon»
origine ôc fon inftitution '.Etienne Pafquier plaida pour l'Uni*
verlité contre la Compagnie, qu'il appella une Sede ambi-
tieufe^ qui n'avoit qu'une apparence de Religion ; née en Ef-
pagne , élevée en France , ôc formée à Venife ; d'abord per-
îecutée à Rome , reçue enfuite ) ôc comblée de privilèges ex'
cefîifs ôc contraires au droit commun. Il dit : Qu'elle avoit
été condamnée par la Faculté de Théologie de Paris , ôc re-
jettée par l'Evcque de ce Diocefe : Que maintenant fous pré-
texte d'enfeigner gratuitement la jeunefTe, elle caufoit une in-
finité de maux : Que d'un côté elle épuifoit les familles par des
teftamens fuggérés 3 ôc que de l'autre elle féduifoit la jeuneiïs
par une apparence de pieté , ôc la corrompoiti qu'elle fafcinoit
les yeux des enfans par de vaines fuperftitions, ôc que par es
moyen elle jettoit déjà les femences des féditions Ôc des ré-
voltes, qui éclateroient quelque jour à la ruine du Royaume*
Entre les autres vœux des Jefuites , Pafquier releva princi>*.
paiement celui de cette obéïfTance qu'ils appellent aveugle,
qu'ils promettent en tout ôc partout à leur Général, lequel
,*Les Jefuites eft toujours choifi par le Roi d'Efpagne^, ôc qu'ils font pro-
étoient alors feflfion de refpeûer ôc d'honorer comme un Dieu fur terro.
çhkns.""' -^^ compara Ignace de Loyola à Martin Luther, ôc il montra
que l'un ôc l'autre , quoique par des moyens différens , tendoient
à ruiner l'autorité légitime du Magiftrat, à énerver la difcipline
Eccléfiatique, ôc àrenverfer toutes les loix divines ôc humaines.
1 Les plaidoyers de Verforis & de 1 encore aujourd'hui ; ainfî que celui de
Pafquier ont été imprime's , 6c exillent | Montholon , pour les Jefuites»
DE J. A. D E T H O U , L i v. XXXVIL 29
Il dit enfuite , au fujet du nom que leur orgueil leur avoir fait
prendre : Que d'autres Seûaires ayant ufurpé le même titre q^Â/RL^ ^
deux cens ans auparavant, avoient été rejettes de l'Eglife , ôc ^y^ \
que diflipés par un jufte jugement de Dieu, ils avoient tous ^ ^* \
péri miférablement. Il ajouta qu'en prenant ce nom , ils ne vou- ^ ;
loient rien moins que mettre la divifion entre ceux qui pro- \
feflfent une même Religion , ôc faire entendre qu'un Jefuite a \
quelques prérogatives au-deffus d'un autre Chrétien : Que plus |
cette Compagnie affede de foûmiiïion pour le Pape , plus elle i
doit être fufpe£le aux François , qui reconnoiflent à la véritc
le Pape pour le Chef & le premier Evêque de l'Eglifejmais
de telle forte , qu'il foit lui-même obligé de fe foûmettre , com- I
me un inférieur, aux faints Canons, ôc aux décrets -des Con-^ ]
eiles œcuméniques , ôc qu'il ne puifle rien prononcer ou dé-- |
cerner contre le Royaume , contre nos Rois, contre les arrêts j
de la Cour , ôc au préjudice des Evêques dans l'étendue de leur j
jurididion. i
Pafquier dit encore, que d'admettre cette nouvelle Se£le - ;
dans le Royaume, c'étoit recevoir ôc nourrir dans fon fein^ i
autant d'ennemis , qui ne manqueroient pas de déclarer la guerre- ■
au Roi ôc à fon Royaume , s'il arrivoit jamais que quelques- |
Papes de mauvaife humeur tournâflent leurs armes contre la \
France, il conclut , en adreflant la parole aux Juges : ^ Vous l
^dit-il, vous mêmes, MeffieUrs^ qui tolérez aujourd'hui les '
=' Jefuiies, vous vous reprocherez quelque jour, mais trop ,
=>tard, d'avoir été trop crédules, lorfque vous verrez les fui- 1
o> tes funeftes de votre facilité, ôc le renverfement de l'ordre ôc \
"' de la tranquilité publique , non-feulement dans ce Royaume; !
oi mais dans tout le monde Chrétien , par les rufes , par les fu- j
3' percheries, la fuperftition, la diflTmiulation, les feintes, \qs j
a» preftiges, ôc les déteftables artifices de cette nouvelle Société. 3> >
Lorfque Pafquier eut parlé, Verforis répliqua. Enfin Bâ- \
tifte du Ménil , magiftrat diftingué par fon efprit ôc par fa pro- ^leS^A^faT^' j
bité , ôc avocat général du Roi , parla le dernier. Il blâma d'à- General cou-
bord l'aigreur des Avocats de part ôc d'autres ôc après s'être ^^^ ^" -'^^^'^^
beaucoup étendu fur les nouveaux Ordres , ôc fur fextrême
danger oii l'on expofoit , en les recevant , non-feulement la
Religion, mais encore fEtat, il conclut, contre les Jefuites, j
qu'étant engagés par des vœux, ils ne dévoient en aucune
D iij
mm
Charle
IX.
Arrêt du
Parlement
50 HISTOIRE
façon être admis dans le corps de l'Univerfité pour y enfeî-
giier la jeunefle, ôc il requit que la Couravifâtà quoi elle pour-
roit ôc devoit employer le legs de l'évêque de Clermont , pour
conferver d'une autre façon la mémoire ôc la volonté du tefta-
teur. La caufe ayant tenu deux Audiences entières , le Par-
lement, ou pcrfuadc qu'il n'y avoitrien à craindre pour l'ave-
nir , ou en haine des Proteftans, pour la défaite defquels on
croyoit que les Jefuites étoient deftinés , fut d'avis qu'on dé-
libérât plus amplement fur cette affaire j ôc néanmoins il ac-
corda aux Jefuites la permidion d'ouvrir publiquement un Col-
lent en Iq^q pour enfcig^ner la jeunelfe. L'arrêt fut rendu le ç d'Avril.
xaveur des Je- c> i o _ -' , , f
fuites. Cependant le Roi revint par Caftelnaudari de Carcaffonne
à Touloufe^ autrefDis capitale des Tedofages, où il avoit con-
voqué l'alfemblée des Etats de la Province, ôc les Députe2j
Suiredii ^^^ Provinces voifines. Tandis qu'il y étoit , on changea,
lAoyage duRoi. pour faite plaiflr à la Reine mère, le nom d'Alexandre, frère
du Roij il fut appelle Henri, du nom de fon père, ôc on or-
donna en même tems que l'autre frère , nommé Hercule , qui
étoit au château de Vincennes , feroit appelle François , com-
me pour renouvellcr dans ces Princes la mémoire ôc les noms
de leur Père ôc de leur Ayeul. Les Proteftans firent alors de
grandes plamtes contre Blaife de Montluc i mais fon arrivée
à la Cour en empêcha l'effet.
De Touloufe, le Roi vint à Bordeaux ( ce payis s^appelloit
anciennement Bituriges Vthifcï ) où il fut reçu le ^ d'Avril avec
plus de pompe qu'en aucun autre lieu. Trois cens cavaliers ar-
més vinrent au-devant du Roi avec des troupes, qui reprefen-
toient des captifs des nations étrangères. On y voyoit des Grecs,
des Turcs , des Arabes , des Egyptiens , des Ceylanois ' , des In-
diens , des Canariens , des Maures t des Ethiopiens , des Ca-
nibaîes , des Américains , des Brafiliens. Les Chefs de cha-
que nation firent au Roi , chacun en fa langue , des compli-
mens , qui furent interprêtés par leurs Truchemens. ^ Le Roi
entra enfuite par la porte du Chapeau rouge , ôc paffa par
1 L'îfle de Ceyian a e'té connue des
anciens , fous le nom de Taprobane.
z II n'cftpas pofliblequ ily eut alors
à Bordeaux des gens qui fçuflenr routes
CCS langues ; Hi li eil; croiable qu'il n'y
eut que quelques Chefs qui firent ces
complimens , ou que s'ils les firent tous,
ils faifoient fcmblant de parler la lan-
gue des captifs qu'ils reprefentoicnt,
DE J. A. DjE THOU Liv. XXXVlï. ^f
eine rue très-large du même nom. Lorfqu'il fut arrivé à la porte — ..ùal^joia»
de Medoc, une fille defcenduë par une machine en forme de Charle
conque, vint offrir à Sa Maj elle les clefs de la ville. i x.
Les Proteftans de Bordeaux avoient prefenté dès l'année i c (5 c^
précédente leurs demandes au Roi, pendant fon féjour à Va-
lence. Charle les avoir reçus très-favorablement, ôc leur avoit
accordé des Lettres- patentes; mais ils ne purent les faire véri-
fier au Parlement , parce que le Procureur Général , le Maire
6c les Jurats s'y oppoférent. Après l'arrivée du Roi , le Parle-
ment voulant lui faire voir qu'il avoit eu égard à fes ordres ,
donna un Arrct qui ordonnoit que les Lettres-patentes du Roi ,
qui renfermoient les réponfes de Sa Majefté aux demandes des
rroreftans, feroient vérifiées , non par le Parlement, mais par
le Sénéchal de Guyenne. Formalité toute nouvelle , inventée
exprès , afin que la vérification eût moins de force ôc d'autorité.
Voici à peu près les demandes des Proteftans , que le Roi
îeur avoit accordées : Qu'on ne fît point un crime , ôc qu'on
ne caufat aucune inquiétude à ceux qui chanteroient dans
leurs maifons les Pfeaumes en langue vulgaire, ni à ceux qui
vendroient la Bible , ou des explications de la Bible : Qu'on
ne forçât perfonne de contribuer pour ce qu'on appelle le
pain béni , de quêter dans les églifes pour les pauvres , ôc de
tapifler les maifons , devant lefquelles on pafferoit en procef-
fion : Qu'il Rn libre aux artifans de travailler les jours de fêtes
dans leurs maifons , pourvu que leurs boutiques fuffent fermées :
Que perfonne ne fût contraint dans les tribunaux de jurer fur
le bras de faint Antoine , qui efl: en très-grande vénération k
Bordeaux ; ôc que le refus que feroir une partie de faire ce fer-
ment, ne lui caufât aucun préjudice : Que ceux qui auroient
obtenu des Lettres de grâce du Prince , ne fuffent point obli-
gés , attendu le ferment déjà fait , d'obtenir leur grâce de l'Evê-
que ou du Curé. Enfin il fut ordonné que , fans diftindion de
leligion , les Proteftans feroient admis , comme les Catholiques s
dans les charges publiques.
Dans le féjour que le Roi fit à Bordeaux, onrcnouvella les
plaintes qu'on avoit déjà faites contre Henri de Foix comte
de Caudale ôc fes affociés '. Mais le Roi ayant pris connoiffance
I On a vu ci-defTus que ce Sei-
gneur étoic à la tête d'une afîbciation
particulière des Grands ôc de la No-
blefTc, faite fous prétexte de Religioïîj
pour excgrmincr les Protefb.ns,
32 H I s T O I ïl E
de l'afTalrc ] ôc reconnu que la plupart des Grands y étoîent
Ch A R L E i'^P^i^'J^s , crut qu'il falloir l'enfevelir dans l'oubli, il défendit
j ^ donc par une Ordonnance qui fut publiée , d'informer plus am-
j - ^ - plement fur ce que le comte de Candale & fes alTociés avoient
fait , comme ne l'ayant entrepris que par les ordres- du Roi. Sa
Majefté s'en referva la connoifTance ^ ôc l'interdit à tout autre.
Charle j réfolu d'aller à Bayonnepour y conférer avec Eliza-
beth reine d'Efpagne fa fœur , ôc avec les députés de Philip-
pe , partit de Bordeaux , prit fon chemin par le Bazadois , ôc ar-
riva au mont de Marfan ^ où il attendit la nouvelle de l'arrivée
de fa fœur.
Ligue de Au bruit de la nouvelle émeute de Paris , i! s'en joignit un
piufieurs autre qui parut allez fondé , au fuiet d'une ligue fecretc qui
,<jrands du ^ ^ . ^ , j j V> i Tv/v \,
Jloiaume. le tramoit entre quelques grands du Koyaume contre les IVlont-
jiiorencis ôc les Colignis. On en fut afluré par des lettres inter*
ceptées , que le duc d'Aumale avoit écrites le 24 de Février à
René marquis d'Elbœuf, dans lefquelles il parloir de Louis de
Bourbon duc de Montpenfier , de Sebaftien de Luxembourg
vicomte de Martigues , de François le Roi de Chavigni , ôC
de Charle d'Angennes évêque du Aîans , comme s'ils euffent
déjà été ligués enfemble. La Reine appréhendant les fuites
d'un pareil exemple , que les premières fa£lions n'en produis
fiflent d'autres J ôc qu'ainfi on n'en vînt peu à peu jufqu'à abo-»,
îir le nom , ôc l'autorité du Roi , pria fa Majefté, dans un Con-
feil fort nombreux, tenu le 18 de Mai, de déclarer en préfence
des Grands du royaume , ce qu'il avoit appris des traités fe^
crets , de la contribution de deniers , des complots faits avec
les Princes étrangers , ôc des préparatifs de guerre ; ôc de leuc
ordonner à tous de déclarer ce qu'ils en fçavoient. Tous obéi-
rent , ôc fupplierent le Roi avec toute la foûmillion pofTible ;
de ne les pas foupçonner de rien de femblable ; proteftant qu'ils
avoient toujours eu en horreur ces pernicieufes factions ; qu'ils
n'y avoient jamais trempé, ni donné leur nom 5 qu'au contraire
ils étoient prêts de facriHer leurs vies ôc leurs biens ^ pour la dé-
fenfe de f autorité Royale , pour l'obfervation de fes Edits ôc
l'exécution de fes ordres. Ils promirent même avec ferment
de ne jamais prendre les armes en aucun endroit du monde
que par le commandement de fa Majefté. On en dreflfaun a£te,
<jui fut (Igné par les Grands préfens à ce Confeil. il y avoit
parrtii
DE J. A. DE THOU . Liv. XXXVII. 35
•parmi eux quelques-uns de ceux , dont le duc d'Aumale faifoit
mention dans fes lettres , ôc quiétoient depuis peu revenus àla(^p|^j^L£
Cour. On infera dans l'ade^que le Roi vouloir 6c ordonnoit qu'on j x.
le portât à figner aux Princes & aux Grands , qui croient abfens , i < 6 ^,
& que fa Majefté regarderoit comme complices des fa£lions,
rebelles à fon autorité , ennemis du repos public , & crimi-
nels de leze-Majefté , tous ceux qui refuferoient d'obeïr. Enfin
le Roi enjoignoit à tous ceux qui fçavoient quelque cho-
fe de ces factions , de l'en avertir i les aiïurant de fa protedion ,
pour les mettre à l'abri ôc en fureté , contre ceux qui vou-
droient leur faire de la peine.
Montluc rapporte dans fes commentaires^que le Roi lui ayant ^. Mônthe.
ordonné de lui dire ce qu'il penfoit fur cette affaire , il lui avoit ^^cT^me/jce- *
confeillé de condamner & de rompre la première ligue^ & d'en mem.
faire une nouvelle , dont fa Majefté fe déclareroit le chef? de
donner le premier fa foi , afin d'engager par fon exemple les
Princes ôc les Grands ; ôc de fe lier tous enfemble par un fer-
ment folemnel. Il ajoute que le Roi fuivit fon confeil comme
très-bon ôc très-falutaire.
Je veux bien croire que Montluc fut de cet avis , puifqu'il
nous l'apprend lui-même : mais l'ade , dont je viens de parler,
me prouve que le Roi ne fuivit pas fon confeih' puifqu'il con-
damne tous les trairez fecrets des fujers entr'eux^ comme atten-
tatoires à l'autorité Royale, ôc capables de troubler la tranquil-
lité publique. D'ailleurs pourquoi le Roi feroit-il des ligues
avec fes fujers , ôc exi'geroit-il leur ferment ? Loin d'en tirer
quelqu'avantage, ne feroit-ce pas retrancher autant de fon au-
torité, qu'il leur endonneroit i les exciter lui-même, Ôc les ac-
coutumer par fon exemple à former des fadions , ôc à entrete-
nir ôc fomenter des partis dans le Royaume ?
Le Roi ayant reçu la nouvelle qu'Elizabeth fa fœur devoit Entrevue dti
bien-tôt arriver , alla à Bayonne ; d'où il envoya Henri fon Reine ÏEfp'a.
frère au-devant d'elle, jufque fur les frontières de Bifcaye. On gne & le duc
nomma pour accompagner Henri , François de Bourbon , Prin- ^'^^'^^ ^
ce Dauphin , fils du duc de Montpenfier j Henri de Lorraine ^^''""^'
duc de Guife, qui après l'émeute de Paris étoit venu à la Cour;
Eleonor d'Orléans , duc deLongueville j Damville maréchal de
France, fils du Connétable Anne de Montmorenci ; Honorât
de Savoy e comte de Villars , Philippe Rheingrave, François J ufl:
Tome V. E
I
54 HISTOIRE
--------« de Tounion , Timoléoii Cofle de Briflac , Charîe 6c GulIIau*
Charle ^^^^ ^^ Montmorenci, François de Carnavalet , René de ViU
I X. iequier y Jacque de Balaguier de Monfalez , ôc autres. Henri>
^ ^ ^^ accompagné de ces Seigneurs , arriva le p de Juin, veille de
la Pentecôte, à Saint Jean Pied-de-Poit i ôc le lendemain, ayant
paffé la petite rivière de Marquery ,qui fcpare la France de PEf-
pagne, il rencontra Elizabeth au-delà d'Arvany. Après l'avoir
faluée , il l'accompagna jufqu'à faint Sebaftien , où Ferdinand
Alvarez de Tolède duc d'Albe vint aufTi-tôt la trouver, avec
une nombreufe fuite. Il apportoit au Roi , de la part de Philippe,
le collier de la Toifon d'or 5 afin de mieux couvrir les deffeins
fecrets , qu'il devoit communiquer au Roi , & à la Reine.
Le Roi alla au-devant de fa fœur jufque fur les frontières
du Royaume , avec une pompe vrayement Royale. Il avoir
avec lui Henri Prince de Navarre , Charle cardinal de Bour-
bon , les deux frères , Bourbon de Montpenfier , ôc Bourbon de
k Roche-fur-Yon ? Jacque de Savoye , duc de Nemours , Louis
de Guife , & Laurent Strozzi, cardinaux j Louis de Gonza-
gue duc de Nemours , Anne de Montmorenci connétable , le
maréchal de Bourdillon, Gouffier de Boify, grand Ecuyer^
Blaifede Montluç j Artus Collé de Gonaor, Sipierre , Lanfac,
6c autres.
La Reine mère pafla la rivière , pour voir ôc embrafTer fa
fille , ou plutôt ou plus commodément. Le Roi demeura furie ri-
vage, pour lui donner la main, en fortant du batteau. Après s'être
faluez de part ôc d'autre , comme il eft d'ufage- entre des Prin-
ces qui font frères, Henri frère du Roi ôc le cardinal de Bour-
bon, l'accompagnant à droite ôc à gauche, l'amenèrent jufqu'à
Bayonne. Jamais la Nobleffe Françoife ne fit une plus belle
dépenfe , la Reine le fouhaitant ainfi : jamais on ne dépenfa tant
en feftins , en fpe£tacles , en tournois, en bals, ôc en toutes ces
fortes de divertiffemens j afin de faire voiries richelTes ôc la puif-
fance de la France à une nation fuperbe , ôc d'oppofer la vanité
Françoife à l'oftentation Efpagnollc. Pierre Ronfard ' , que je
I II ne faut pas être furpris de l'élo-
ge que l'auteur fait des Poëfies d^ Ron-
fard. Ce Poëte jouifToit encore alors
rfe fa haute re'putation. Plufieurs au-
tres Sçavans & beaux efprits de fon
ficelé lui ont prodigué des louanges.
Tant il ell vrai qu'il n'appartient qu'à
la pofterité de juger fainement du mé-
rite des auteurs,&; qu'un pacte fur-tout
ne doit jamais s'enorgueillir derefiime-
de fes contemporains. Il faut avoiier
néanmoins que Roniard a voit un gé-
nie très-eJeve.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVII. ^;
lie craindrai point d'appellcr le plus grand Poëte qui ait paru de-
puis le fiécie d'Augufte, fut invitéAvint avec plailir à cette entre- C h a R l E
vue. Il fit ôc recita ces beaux vers, qui font encore aujourd'hui iX.
entre les mains de tout le monde, qu'on lit avec tant de plaifir, i j 6 5.
ôc qui font admirer le rare génie de celui qui les a compofez.
Ainfiles jours entiers fepaflbient en divertiffemens j de forte
qu'il fembloit que le Roi n'avoit fait venir Elizabeth fa fœur,
"que pour lui procurer toute forte de plaifirs. La Reine mère
€toit bien aife qu'on eût cette idée. Elle avoit pris fon loge-
ment dans le Palais Epifcopal, auprès duquel elle avoit fait conf-
truire à la hâte une maifon de bois , meublée ôc ornée magni-
fiquement , où Elizabeth couchoit. La Reine mère alloit fou-
vent trouver la Reine fa fille pendant la nuit, par le moyen d'une
galerie ; ôc elle n'étoit vue que de ceux qui étoient dans fa con-
fidence. Lamelle conferoit en fecret avec EHzabcth.ôc avec
le duc d'Albc, qui avoit de pleins pouvoirs du Roi d'Efpagne.
Les Proteftans, gens fort foupçonneux , ont publié qu'on
avoit conclu dans ces conférences un traité fecret entre les deux
Rois, pour rétablir fancienne Religion, extirper ôc anéantir
la nouvelle ; que ces deux Princes s'étoient mutellement don-
nez parole avec ferment, de fe prêter fecours toutes les fois
qu'ils en auroient befoin , que le feu Roi de France s'étoit en-
gagé d'aider le Roi d'Efpagne à faire la guerre dans les Payis-
bas 5 le Roi d'Efpagne , d'aider le Roi de France à réduire les
Proteftans fous fon obéïffance ; ôc tous les deux , de maintenir
l'autorité du Pape. Ce qui eft arrivé enfuite apprendra certai-
nement à la pofterité , fi cela eft vrai ou faux.
Au moins Jean-Batifte Adriani , qui a continué l'hiftoire de
François Guichardin avec beaucoup de fidélité ôc d'exa£litude,
& qui félon toutes les apparences a beaucoup puifé dans les
mémoires de Côme duc de Florence, a écrit que ces conféren-
ces avoient été tenues à la follicitation du Pape j que le Pon-
tife auroit fort fouhaité que Philippe y fût venu ; qu'on y dé-
libéra furies moyens de délivrer la France des Proteftans, qui
étoient regardez comme un mal contagieux j ôc qu'enfin on fe
rangea au lentiment du duc d' Albe , qui , à ce qu'il prétend, étoit
celui de Philippe : c'étoit d'abattre les plus hautes têtes j de
fuivre l'exemple des Vêpres Siciliennes , ôc de maffacrer tous
les Proteftans, fans exception. Etparce que le bruit s'étoit répandu
Eij
S^ HISTOIRE
qu'on aîlolt tenir une aflemblée à Moulins , on ctut que ce qu'on'
Char LE P^^voit faire de mieux, étoit d'y cgorger tous les Grande
IX. ^^ ^^ partie qui y viendroient de toutes parts 5 ôc d'extermi-
i ^ ^ ç fier -en même-tems tous les autres par toute la France , au fignaî»
qu'on en donneroit. Mais comme tous les Grands du parti FrO'
teftant ne vinrent pas à Moulins j ou qu'on crut pour d'autres rai-
fons qu'il ne falloir pas encore exécuter cette entreprife^on la re-
mit à un autre tems. Sept ans après on l'exécuta à Paris , comme
dans un lieu plus commode , lorfqu'on crut avoir trouvé Tocca-
fion favorable , & on l'exécuta de la manière dont elle avoit été
alors réfoluë.François de la Noue affure que plufieurs avoient en-
tendu dire au duc d'Albe , qu'on perdoitfon tems à prendre de
petites grenouilles j qu'il falloir férieufement travailler à pêcher
des faumons , & d'autres gros poinTons. Il ajoute que depuis
ce tems là le prince de Condé & les Colignis , ayant été aver-
tis par leurs amis ;, quiétoientàlaCour, decesréfolutionsfangui-
naires^ avoient tenu confeil enfemble j & que comme ils avoient
tout lieu de fe défier de la Cour , ils avoient agi avec plus d&
précaution , ôc s'étoient tenus plus foigneufemcnt fur leurs
gardes.
A l'occafion de Fhérélle qui ferépandoit dans la France, le
duc d'Albe avoit demandé au nom de Philippe , que le Roi*
révoquât la permilTion qu'il avoit accordée par fon édit aux
Proteftans , de tenir leurs affemblées dans les villes frontières,
de peur que la contagion ne fe glifsât dans les Provinces voi-
sines j & que la commodité du voilinage ne fut pour plufieurs
une occafion depaifer d'un Etat à l'autre. Mais comme lesPro-
teftans firent leurs remontrances, & que dans un mémoire qui
fut rendu public , ils relevèrent l'injuftice de cette demande , le
duc d'Albe n'eut pas fur cet article la fatisfadion qu'il fouhaitoit.
Ce fut néanmoins fous ce prétexte , que le Roi d'Efpagne ob-
Démembre- ^î^f du Pape , que le Guipufcoa ôclaBifcaye, provinces au-
ment de l'E- trefois comprifes dans la Cantabrie , fuflent démembrées du dio-
Bayonne? ^^^^ ^^ Bayonne, dont elles dépendoient : en quoi l'on fit à la
France un tort 6c une injure confiderables ; comme on lui en
avoit déjà fait, lorfque fous le même prétexte on ôta, comme
nous l'avons rapporté ci-defTus , à l'archevêque de Rheims les
cvêchez de Cambrai ôc de Tournai, qui étoient fous fajurif^
diction. Voilà ce qui fe paffa à Bayonne.
D E J. A. DE T HO U, L I ^. XXXVîI. 37
Dès l'année précédente > tandis que la guerre étoit allumée
en Hongrie , les Turcs firent un grand armement fur mer ; ôc c h a r L E
déjà ils aliiégeoient Malte , lorfque Soliman envoya un Chiaoux j ^
au Roi , pour renouvell-er avec fa Majeftc les traitez faits avec j r- 5 ^,,
les Rois fes prédeceffeurs. Cet Ambalfadeur aborda àMarfeille
vers le tems oii le Roi étoit à Bay onne,ôc le capitaine Polin baron
de la Garde , général des galères fe mit en chemin pour le con-
duire à la Cour. Mais leRoi appréhendant que les Grands d'Ef-
pagne , qui accompagnoient Eiizabeth , ne fuflent choquez de
le voir , donna ordre au Baron de s'arrcter à Acqs. Après le
départ de la Reine d'Efpagne, & du duc d'Albe , le Roi don-
na au Chiaoux une audience des plus favorables : il l'afiiira qu'il
obferveroit les anciens traitez faits avec la Porte j ôc il le ren-
voya chargé de préfens, y '
Pendant que le Roi étoit encore au Mont de Marfan , il re-
çut la nouvelle de la guerre du Cardinal C car c'eftle nom que
fes ennemis donnèrent à cette conteftation. ) Le Courier qui
apporta cette nouvelle étoit envoyé par Charle duc de Lor-
raine , beau- frère du Roi. Il étoit chargé de lettres pour la Rei-
ne fa belle-mere, par lefquelles il exprimoit fon embarras ôc
fes inquiétudes, ôc lui demandoit en grâce de vouloir bien lui'
marquer ce quele Roi en penfoit, ôc quelles étoient fes inten-
tions. Voici quelle fut l'origine de cette guerre.
Le cardinal Charle de Lorraine avoir préfenté une requête Guerre â\i
à l'Empereur Maximilien , dans laquelle il fe difoit fon vaiïaL cardinal de,
ôc Prince de l'Empire, à eau fe de fon évêchéde Metz : en cet- ^°"*^"^'
te qualité .il recommandoit à ce Monarque fa juridi£lion ôc le
payis MelFm , ôc le fupplioit de vouloir bien les défendre , ôc -
les fortifier > contre la violence, les incurfions, ôc les vexations
de fes ennemis. Sur cette requête , l'Empereur lui avoit ac-
cordé des lettres , communément appeliées de proteÊtion, ew
forme d'édit, en datte du y de Mai. Muni de ces lettres , le
Cardinal partit de Joinville pour fe rendre à Rambervilliers au
payis de Vôge le 28 de Juin, ôc il tenta de les faire publier-
dans le payis Melîin. Mais comme il prit un tems fâcheux , où
tout étoit fufpeêt , il arriva contre fon efperance , que Pierre Sal-
fede Efpagnol , qu'il avoit fait Gouverneur de l'évêché de Metz ^
ôc fermier des importions, qui étoient fort confidérables, renon-
ça fur le champ à ces titres 3 ôc prenant la qualité de Gouverneur
£ iij
/i
<
I
5^ HISTOIRE
pour le Roi , s'oppofa à la publication , Ôc empêcha de mettre
P I à exécution les ordres du Cardinal qui étoient attachez à fcs let-
j Y très , jufqu'à ce que le Roi eût eu connoiflance de ces lettres ,
^ ôc les eût appuyées de fon autorité.
^ ^' Le Cardinal qui regardoit cette oppofition comme un affront,
& qui étoit fi jaloux de fon autorité patticuUere , qu'il vouloit
la confeuver ôc la foûtenir aux dépens même des autres > ne put
fouffrir l'outrage qu'on lui faifoit •■> ôc parce qu'il ne pouvoir
faire publier fes lettres ^ ni à Vie , dont la citadelle étoit en la
puiffance de Salfede, ni à Marfal, où il y avoit une gar.ni-
\o\\ au nom du Roi , il en fît publier des copies à Ramber-
villiers à Baccarat , ôc à Moyenvic : car le Chancelier qui en
avoit l'original , étoit alors à Strafbourg. C'eflcequi donna lieu
à la querelle entre le Cardinal ôc Salfede. Le Cardinal repro-
choit à Salfede fa perfidie Ôc fon ingratitude > ôc d'avoir entre-
pris à la foUicitation de fes ennemis, de donner atteinte à l'au-
torité d'un Evêque ôc d'un Prince, à qui il avoit de fi grandes
obligations. Il difoit que de fon côté il n'avoit rien entrepris
d'extraordinaire , Ôc qu'il n'avoit fait que fuivre l'exemple de
fes prédeceffeurs , en recommandant à l'Empereur , ôc en
mettant fous fa prote£lion un Evêché , qui de l'aveu de tout
îe monde relevoit de l'Empereur ôc de l'Empire.
Salfede au contraire oppofoit au Cardinal le nom ôc l'auto-
rité du Roi 5 ilfoûtenoit qu'il avoit très-grand tort ^ ôc que d'im-
plorer le fecours ôc la prote£lion de f Empereur , c'étoit , ou
manquer à l'obéïffance dûëauRoi, qui étoit en pofTeffionde
la ville & des dépendances de Metz , ou l'accuferde foiblelTe.
Il ajoûtoit que les trois villes de Lorraine ayant été déclarées
appartenantes au Roi, par le traité fait treize ans auparavant avec
les Grands de l'Empire , les Evêques n'avoient pas eu befoin
de recourir ailleurs, pour avoir de la protedion , que même ils
n'auroient pu le faire , fans bleffer l'autorité ôc la dignité du
Roi j en un mot que ce que le Cardinal avoit fait étoit inoui
depuis ce tems-là.
Cependant Salfede ayant ôté le gouverneur d'Albeftroph
nommé par le Cardinal, mit en fa place François de la Tour,
pour y commander au nom du Roi , Ôc on envoya des trou-
pes de Metz pour garder les fortereffes de Vicôc d'Albeflroph.
En quoi il parut vifiblement qu'il y avoit de la connivence
DE J. A. DE THOU Liv. XXXVII. 39
du côté de Jacque Monberon d'Aufaiice , gouverneur de Metz
pour le Roi 5 ôc qu'il ufoit en cette affaire d'une grande refer- Charl£
ve , en attendant l'événement , ôc de quelle manière cette que- j ^
relie feroit reçue à la Cour. Le cardinal de Lorraine perfuadé j ^ ^ ^^
qu'il falloir ufer de diligence , manda promptement le duc
d'Aumale fon frère , ôc alla à Nanci. Ayant communiqué au
duc de Lorraine ce qui s'étoit pafTé, on réfolut de venger au
plutôt l'injure commune faite à une Maifon iï illuftrc , ôc d'af-
iîéger inceffamment la forterefle de Vie. On leva donc des
troupes^ fur des ordres qui furent donnez le 17 de Juillet, par
îefquels le Cardinal averriffoit fes vafTaux de prendre les armes ^
pour venger l'injure que Salfede lui avoir faite.
Il fembloit que le duc de Lorraine ne pouvoir honnêtement
refufer du fecours à fon parent dans une pareille occauon. Mais
ce Prince ne fçavoit pas les intentions du Roi : le génie du
Cardinal lui étoit fufpeâ; ; il appréhendoit que fa puifTance ne
fut pernicieufe à Fautorité royale , ôc qu'elle ne devînt un jour
préjudiciable ôc nuifible à la fienne propre. Dans cette incertitu-
de il écrivit le 12 de Juillet au frère du Chancelier , nommé
l'Hôpital de la Roche , ôc le pria de fçavoirlesfentimens ôcles
intentions de la Reine, fur le différend entre le Cardinal ôc Sal-
fede. De la Roche rêveur la lettre du duc de Lorraine avant l'ar-
rivée du Courier, que d'Aufance envoyoit à la Cour. La Rei-
ne y qui apprit par cette voie ce qutétoit arrivé , manda aufFi-
tôt à Salfede , qu'elle étoit bien furprife de n'avoir reçu aucu-
ne lettre, de fa part fur une affaire de cette importance , ôc lui
ordonna de lui en écrire au plutôt.
Cependant le Cardinal prcffoit le fiége de Vie. De Linie=
res /à qui il avoit donné le commandement de fes troupes ^
avoir déjà pris la ville, ôc il faifoit avancer pour battre la cita-
delle , le canon que le duc de Lorraine lui avoit prêté • car iî
en avoit inutilement demandé à Aufance. Pendant ce tems-
îà on alloit Ôc venoit de part ôc d'autre , pour accommoder le
différend. On étoit convenu d'abord , que la fortereffe de Vie
ôc Albeftroph refteroient en fequefire entre les mains d'Aufan-
ce; ôc qu'on en feroit fortir la garnifon niife par Salfede, juf-
qu'à ce que le Roi eût donné fes ordres. Le Cardinal n'avoit
ofé refufer ces conditions , de peur qu'on ne crût qu'il vouloit
fe fouftraire entièrement de l'obéiffance du Roi, ôcs'oppofcs
40 HISTOIRE
l_^, , formcilement à fes volontez. Mais comme l'exécution de ce
'^ traité fut traînée en longueur , les afliégez fe trouvèrent très pref-
T xr fez. Car Linieres ayant quitte Je iiege , des qu on eut tait les
,* propofitions , Chrillophle de Baflbmpierre , qui lui avoir fucce-
^° dé , ne voulut jamais faire celTer les batteries. Ainfi avant que
l'affaire fut accommodée, la citadelle fe rendit i ôc les meubles
précieux, que Salfede y avoir en abondance , furent pris ôc pil-
lez par le vainqueur. Cela fait , Baflbmpierre , fuivant les ordres
du Cardinal , mena fes troupes à Albeftroph.
Le Roi ayant marqué par fes lettres qu'il fe trouvoit ofFenfé
de la précipitation avec laquelle on avoit fait le fiége de ViC;,
le Cardinal mit les armes bas , ôc confentit que le capitaine Jac-
que fût mis dans Albeftroph au nom d'Aulance , quand Salfe-
de en auroitretiré fes gens. Le Prélat craignoitque , s'il refiftoit
plus long-tems , le Roi ne voulût point recevoir fes excufesj il
n ignoroit pas que fes ennemis publioient, ( 6c il ne le nioit pas
lui-même) qu'il avoit fouvent traité par lettres ôc par députez
avec l'Archevêque Electeur de Trêves, ôc Nicolas Polwiller
gouverneur de Haguenaw , l'un des plus grands ennemis de la
France , qui après la déroute de S. Quentin étoit entré dans
le Forez à la tête d'un corps d'Allemans. On ajoûtoit que le
Cardinal tramoit encore fecrétement avec eux quelques entre-
prifes , à la ruine du royaume. Four faire ceifer ces bruits , pat-
quelques apparences d'obcïifance ôc de foûmiffion, il crut qu'il
ne pouvoit mieux faire , que d'entendre aux conditions de paix
qui avoient été propofées , ôc de congédier fes troupes. Voilà
ce qui fe fit dans le payis MelTin jufqu'au huit d'Août.
Retour du Enfin on fongea au retour du Roi qui vint à Nérac , féjour
^^^* ordinaire de Jeanne reine de Navarre , où il rétablit Féxercice
de l'ancienne Religion. Puis ayant pris fon chemin par Agen,
capitale des anciens Nitiobriges, ôc par l'ancienne Vefune des
Petrocoriens , maintenant appellée Périgueujfj il arriva à An-
goulême. Cette ville fameufe par les monumens de fes anciens
Comtes ôc Ducs , ancêtres du Roi , "noit d'être horriblement
défigurée dans la dernière guerre. Ses Eglifes avoient été dé-
truites , fes tombeaux ouverts , ôc les corps de i'es Comtes mis
en pièces , comme nous l'avons rapporté ci deffus. Jacquede
Boucard , qui s'étoit acquis une grande réputation parmi les
jProteftans , par fa noblefle, ôc par fon habileté dans les affaires,
.vint
DE X A. DE THOU, L i v. XXXVII. 41
vint trouver le Roi ^ & fit un difcours très éloquent dans le Con-
feille 17 d'Août. Charle
Il dit qu'il a voit été envoyé par les Grands, qui fouhaittoient j n^^
la réformation de la Religion ; afin que fuivant l'ordre de S. M. j - ^ ^^
qui leur avoir été apporté tout récemment du mont de Alarfan ,
& auquel ils setoient fait un plaifir d'obéir , il lui fît de leur part proSa^j. "
de très-humbles remontrances fur ce qu'ils croyoient interelfer
le fervice du Roi ôc la tranquillité publique. « Ils ont jugé , con-
tinu a- t'il, qu'il y avoit principalement deux chofes, dont ils dé-
voient avertira. M. Leurs plaintes ordinaires font le premier
objet que nous devons expofer à fes yeux. Les grands, comme
\qs petits, ne cefTentde crier, que contre la foi des Edits on les
perfécute tous les jours , ôc qu'on les mafiacre impunément de
tous cotez , comme il eft encore arrivé depuis peu à Tours
ôc à Blois ,par la connivence des Magiftrats ôc des Gouver-
neurs des Provinces. Si ces vexations demeuroient impu-
nies , il feroit à craindre que plufieurs qui ne trouveroient
point de fecours ni de protedion dans l'obéifTance ^ ne s'a-
bandonnaflent au defefpoir, ôc n'euffent recours aux derniers
remèdes.
" La féconde chofe dont ils ont cru devoir avernr le Roi,
eft, qu'ils voyoicnt avec douleur le cardinal de Lorraine le-
ver des troupes fans les ordres de S. M. fur les frontières de
la Champagne , ôc principalement dans le BafTigni , ôc faire
la guerre en fon nom dans le payis Meflin , contre ceux qui
n'ont point d'autre crime , que de défendre ôc de foûtenir l'au-
torité fouveraine du Prince. Ils ne croyent pas que le Roi
puifie ou doive fouffrir une telle audace 5 parce que c'eft S. M.
elle même qui eft attaquée dans la perfbnne de Salfede 3 ôc
que ces préludes , qu'on peut appeller des eflais , font les fu-
neftes commencemens d'une guerre plus dangereufe ôcplus
terrible , que le Cardinal médite , ôc qu'il ne manquera pas
de déclarer , lorfqu'il fe verra apuyé des Princes étrangers ,
avec lefquels il entretient de fecretes correfpondances. C'eft
ce qui arrivera fans doute , fi S. M. ne punit pas ces premières
entreprifes , qui n'ont pour but que d'effayer fa patience. '•
Boucard termina fon difcours , en demandant au nom des Pro-
t-eftans qu'on affurât au moins latranquilité publique, en établif-
fant une juftice égale pour tous les fujets de S. M. ôc que par
Tome V, F
42 HISTOIRE
;-^-»-»-. une rigoureufe punition des crimes , on allât au-devant dc^
C H ARL E violences , que la licence & l'impunité faifoient commettre 5 de
JX. P^^^ 9^^ ^^^ innocens , qui ne trouveroient pas les fecours
J S" 5 c. ^^'^^^ attendoient de l'autorité du Roi, ne fufîent contraints ,.
à la honte de cette autorité, de les chercher ailleurs, ou defe
faire juftice eux-mêmes.
Le Confeil répondit favorablement à cette harangue, ôc la
Reine fit efperer aux Proteftans une fituation plus avantageu-
fe , lorfque l'autorité royale feroit plus affermie , & que les
fadions feroient éteintes. Le Roi ayant fait quelque fejour à
Angoulême , alla à Niort, & à Thouars , ville du Poitou , ap-
partenante à la maifon de la Trimoilille. Enfuite il paffala Loire
& vint à Angers. 11 y fut reçu le 8. de Novembre avec une
pompe & une magnificence dignes d'un grand Roi , 6c il logea
dans le château.
Le lendemain le Roi alla par Saumur à Tours , ancienne-
ment appellée defarodunum y capitale de la Touraine. Les Pro-
teftans y renouvellerent leurs plaintes contre François le Roi
de Chavigni , ôc contre le duc de Montpenfier , qui les trai-
îoient avec autant d'injuftice que de rigueurs mais la Reine fçut
éluder ces plaintes, comme toutes les autres^ par les efpéran-
ces flateufes qu'elle leur donna. De Tours on alla à Blois,d'oii
chacun fe retira chez foi , pour fe remettre des fatigues d'un
fi long voyage. En mcme tems on indiqua pour l'année fui-
vante une aflemblée dans Fancienne capitale des Boïens, main-
tenant appellée MouUns en Bourbonnois , où les Grands eurent
ordre de fe trouver.
Guerre de ^^ cette même année , l'Empereur Maximilien, ayant re-
Hongrie, folu de faire la guerre en Hongrie , en donna la conduite
à Lazare Schwendi. Ce Général , qui s'étoit autrefois ren-
du illuftre par fes grandes a£tions , par fon habileté ôc par fon.
courage, étoit demeuré dans une efpéce d'obfcurité, depuis
que Sebaftien Vogelfperg fon ami avoit été la viélime de la
colère de l'Empereur. André Batori , Meichior Baîafli ôc
Gabriel Perenni , Seigneurs Hongrois ; Jean Ruber Pixen-
dorff, Jacque Schutenbourg , Henry Gleizenrhal ôc Jean Al^
cenbourg , capitaines de cavalerie ; Jean Vernhcr ôc Rodol-
phe Salis, capitaines d'mfanterie , ôc plufieurs autres Seigneurs
Allemands , fervirent avec fuccès fous les ordres de Schwendi.
DE J. A. DE THOU, Lîv. XXXVIL 4^
Au commencement de l'année , ces officiers amenèrent un ««
MB
aflez grand nombre de troupes Allemandes, tant d'infanterie Chart p ''
que de cavalerie , dans le payis de Zepii, ainfi appelle des Ge- jy '
pides, qui Pont autrefois habité. Là Schwendi tint avec ces J
chefs un grand Confeil de guerre j où il fut refolu de com- > ^' '
mencer la campagne par le (îége de Tokai. Cette place dé- ;
fendue alors par une bonne garnifon.fous les ordres de F'ran- ;
cois Nemethi , elt très forte par fa fituation , ôc par les ou- ,
vrages que l'art a ajoutez à la nature. En la prenant , on s'ou- ■
vroit un paffage très commode pour entrer dans la Tranfyl- \
vanie : ce fut le motif qui détermina à en former le fiége. i
Le dernier jour de Janvier , Schwendi envoya de CafTo- ;
vie à Gunez , Popendorf commandant de l'artillerie , avec une
compagnie de gens de guerre , le canon , ôc tout l'attirail né- \
celTaire pour un fiége. Il le fuivit avec toute l'armée , ôc cam- . 1
pa devant Tokai. Quelques Allemands furent commandez i
pour s'emparer de Kereftker , petite ville qui fe trouvoit fur
le chemin , très commode pour le paffage des convois , ôc pour ]
foulager le foldat qui étoit prefque nud dans un Ci grand froid.
Cette entreprife réùlîit î on prit ôc on fortifia cette place, mal- '
gré les efforts que fit la garnifon de Tokai, pour l'empêcher 5 1
car étant venus plufieurs fois pour y mettre le feu , ils furent ^
autant de fois repouffez avec perte par les Allemands. j
Tokai eft fituée au confluent du Tibifque , ou de la Teiffe , Siège de j
ôc du Bodrog. La première nuit on fit une levée auprès du ^^* ,
Bodrog , où l'on dreffa une batterie de trois canons , pour abat- 1
tre des clôtures enduites de boue. Le lendemain on commen- ]
ça à battre avec fuccès les défenfes ôc les tours , où étoient les j
munitions de guerre des ennemis : on avança les travaux , ôc I
on éleva les Forts fi haut , qu'ils commandoient la citadelle , 1
ôc que les affiégez à découvert étoient expofez aux coups de \
canon. On dreffa enfuite deux batteries fur une petite colline \
qui dominoit la rivière ; ôc par le moyen de quatre canons '■,
qui y furent braquez , on incommoda fort les corps de gar- !
de, que rien ne couvroit. Comme cet endroit parut impor- \
tant par fa fituation avantageufe , les Impériaux l'attaquèrent 1
d'abord avec peu de fuccès ; parce qu'il n'y avoir pas affez de
pionniers , ôc que la gelée empêchoit qu'on ne pût faire des '
-ouvrages de terre. Mais le travail opiniâtre du foldat fuppléa '
Fij ]
44 HISTOIRE
. à la difette des travailleurs j les levées furent bien augmentées,
Ch A R L E & 011 y fit un logement. La nuit fuivante , qui fut très fombre^
j ^ on fit un autre retranchement entre le Tibifque ô:le Bodrog,
j - ^ ^ & on y plaça des pièces de batterie ; on allongea la première
levée , & on y mit cinq pièces de canon. Le matin on com-
mença à battre la citadelle, ôcla batterie continua tout le jour.
Une grande fortification , que les alTiégez avoient avancée juf-
qu'à la rivière de Bodrog , ôc fur laquelle ils comptoient beau-
coup , fut prefque renverfée en enrier par des mines ; Ôc la brè-
che fut fi confiderable , que fi le mauvais tems, la neige & le
vent, qui donnoient dans les yeux , n'avoient pas empêché les
Impériaux d'avancer , ils feroient entrés ce même jour dans la
citadelle.
Au-delà du Tibifque , Balaflî, féparé du refte de farmce , s'é-
toit fortifié par un retranchements ôc il avoit fait occuper tous
les chemins , ôc toutes les avenues par les Hongrois ôc lesHey-
ducs qu'il commandoit. Gabriel Perenni de fon coié profitant
d'un ruifieau , dont Nemethi avoit détourné le cours en le fai-
fant couler autour de la ville , ôc qui étoit formé des eaux da
Bodrog , refi!erroit extrêmement les afifiégez. Cependant on
avançoit toujours les mines, ôc l'on y mit le feu le lo de Fé-
vrier. La principale fortification fut renverfée , ôc il s'y fit une
très grande ouverture , qui encouragea les Impériaux à y en-
trer, ne fçachant pas qu'il y avoit encore une autre fortification
dans un détour.
Ainfi, fans attendre les ordres de Schwendi j ils firent préci-
pitamment ôc trop tôt une attaque qui leur fut funefte , ôc dans
laquelle il y eut beaucoup de fang répandu. Mais leur Com-
mandant les ayant aufli-tôt ramenés dans leurs tranchées y \qs
afïïégez ne crurent pas qu'ils avoient été repouffés 5 mais feu-
lement qu'on les avoit rappeliez , pour les préparer à faire un
dernier effort. Nemethi qui craignoit d'être réduit à l'extrémi-
té , envoya faire des propofitions pour la reddition de la pla-
ce. Schwendi les rejetta deux fois -, ôc ayant donné un dernier
aflaut, cette fortification, que les ennemis croyoient imprena-
ble , fut prife avec tout le canon qui étoit deffus , ôc ceux qui
la défendoient furent repoufies jufqu'à un ouvrage qui étoit en
dedans.
Déjà l'on tournoit contre la citadelle toutes les machines de
D E J. A. D E T H O U , Liv, XXXVII 4^
guerre, dont lesafîiégez s'étoient fervis pour la défendre, lorf-
que la garnifon n'ayant plus aucune efpérance d'être fecouruë, Ch arl B
demanda à capituler, ôc fit dire à Schwendi qu'ils vouloient j^
lui apprendre une nouvelle qui ne lui feroit pas défagréable. j r 5^,
Enfuite quelques-uns d'entr'eux fortirent , ôc dirent que Ne-
methi avoit été tué le jour précédent d'un coup qu'il avoit
reçu à la tempe ; qu'ils ne vouloient donc plus , ni ne pou-
voient s'opiniârrer à défendre la place > qu'ils demandoient feu-
lement permifTionde fortir à des conditions honnêtes, d'enter-
rer le corps de leur chef où ils voudroient, & de pouvoir con-
ferver à la veuve de Nemethi tout ce qui lui appartenoit. On
ajouta à ces conditions , qu'à l'avenir ils ne porteroient plus
les armes contre l'Empereur, fous quelque capitaine que ce
fût. Ces articles étant réglés , il fortit, avec la veuve de Neme-
thi , environ trois cens cinquante hommes, prefque tous blelTez j
& cette veuve emporta les tréfors de fon'mari, ôc lesfiens,
qui étoient d'un grand prix. Bathori , Balafli ôc Perenni eurent
beau fe plaindre, difant que cela étoit contraire aux articles :
l'autorité de Schwendi l'emporta fur leurs plaintes 5 il rémontra
qu'il falloir religieufement garder fa parole , quand même il
en devroit cotiter quelque chofe j ôc il obtint qu'on n'ôteroit
rien à la veuve de tout ce qu'elle emportoit.
Bien-tôt après on prit Zeréncz j ôc Jean prince de Tranfyl-
vanie defefpérant de pouvoir défendre Zathmar , brûla cette
forterefle , ôc l'abandonna malgré lui aux Impériaux. Mais
Schwendi la fit en même tems rétablir, à caufe de fa fituation
avantageufe. Puis ayant pafTé le Tibifque , il fe rendit maître
d'Erdeud , de Cuvara , de Bathor 3 de Wybania ôc de S. An-
dré, qu'on appelle vulgairement Zenderec. Cependant Jean . .
dans la bafle Hongrie, fortifié à\x fecours des Turcs, faifoit fans
cefTe des courfes auprès de Giula j le gouverneur de Temefwar
ayant amené quatre mille Turcs ^ deux gros canons ôc huit pe-
tits, s'empara bien-tôt dePacotaj ôc peu après d'Iene ôc de De-
feme, pentes places moins importantes, aux environs de Giu-
la y afin que l'enfermant de tous cotez , il pût la prendre avec
moins de peine.
Tandis que des troupes venoicnt de toute» parts fe joindre
à Jean , ôc qu'il avoit déjà fous fes enfeignes de quoi former
une armée affez confiderable, la garnifon deZigcth étant fortie
45 HISTOIRE
^^^^i^g^ en rabfence du comte Nicolas de Zrin , ou de Serin , tailla en
r^TTTZTZ pièces environ deux cens hommes de Ratzenftat, ôc en prit un
CHARLE ^, 1 1 Ti/r • -i i •
T y plus grand nombre. Mais au retour^ comme ils marcnoient en
^ * dcfordre , ils furent défaits par les ennemis , qui accoururent au
fecours , & qui les environnèrent : de forte que de fix cens Im-
périaux à peine pût-il s'en fauver deux. Pendant que Jean rem-
portoit ces petits avantages , Schwendi prelToit le rétabliffe-
ment des fortifications de Zathmar , qui fe faifoient à la hâte.
Les Turcs , après avoir pris une place voifine , voulurent em-
pêcher ces travaux j mais les Allemands forrirent , mirent en
fuite les ennemis , & leur prirent fept enfeignes. Une partie fut
taillée en pièces , d'autres furent noyez, & très peu fe fauverent
de cette défaite. Schwendi laifTa Erafme Mager pour comman-
der dans la place j & s'en alla à CafTovie , pour faire les prépa-
ratifs de guerre néceflaires.
prife d'Er- Jean ne ceflbit d'agir 6c fe donnoit beaucoup de foins. II
aeud par le s'avanca le premier de Juin avec les troupes auxiliaires des
lurcs, versbrcleud , que ochwendi avoit prile,& que le duc
de Saxe Lawembourg défendoit. Lorfque les afîiégez étoient
ferrez de près , Schwendi leur envoya deux cens hommes de
pié , qui entrèrent dans la place. Mais comme le gouverneur de
Temefwar envoyoit continuellement des hommes frais aux af-
fiégeans , après un grand nombre d'attaques Ôc de fordes , où le
duc de Saxe Lawembourg fut tué , les afliégez qu'on n'avoit
pu vaincre par la force , furent vaincus par la faim. Ayant con-
fumé tous leurs vivres, ôc mangé leurs chevaux, ils furent con-
traints de fe rendre au Bâcha à difcretion , le quatre d'Août,
Tous fans exception furent cruellement maffacrez , ôc la place
rafée.
Cependant il venoit de tous cotez des troupes à CafTovie ,
Impériaux. ^^ P^^^ grofïir l'armée de l'Empereur , fous la conduite des com-
tes Nicolas de Serin ôc Eccio de Salms j ôc il y avoir déjà une
nombreufe cavalerie. On n'étoitpas non plus en repos dans la
Croatie , ôc dans les Provinces de robéïflance de Charle d'Au-
triche, où les Chrétiens ayant fouvent combattu contre le Bâ-
cha de Bofnie , eurent toujours l'avantage : mais comme ils
combattoient dans des lieux difficiles ôc embaraflez , il fut im-
poiTible aux vainqueurs de pourfuivre les vaincus. Enfin les
Impériaux ayant attiré les ennemis au combat :, fur Iç bord du
DE J. A. D E T H O U , Liv. XXXVII. 47
Save , dans une plaine , on combattit très vivement de patt r
ôc d'autre. Les Impériaux remportèrent la vidoire , pourfui- c^^j^lê
virent long-tems les ennemis ^ en firent un grand carnage, ôc j y
prirent leur bagage 6c tome leur artillerie. j < 6 <
Il arriva que dans une ville , appellée le RuifTeau des Da-
mes , que les Allemands nomment Newftadt, les habitans en-
nuyez des Impériaux qui y étoient en garnifon , fous la con-
duite de Gleifmeners , traitèrent avec Jean , pour le mettre
en polTefiion de la place : lorfqu'au jour marqué ils eurent
donné le fignal par des feux , comme ils en étoient convenus ,-
les Allemands, qui fe doutèrent de ce que l'on tramoit , pri-
rent les armes, avant que Jean approchât , fondirent fur les ha-
bitans comme fur des traîtres , les traitèrent cruellement , Ôc
n'épargnèrent ni femmes ni enfans. Enfuite ils fe retirèrent
dans la citadelle, après avoir mis le feu à la ville, qui futpref-
qu'entiérement brûlée, avant que Jean fût arrivé avec lesTurcs.
Dès qu'ils parurent , les Allemands fe rendirent, à condition
qu'ils auroient la vie fauve.
Schwendi fe mit auffi en campagne j ôc après quelques lé-
gères efcarmouches , il attaqua très-vivement les Turcs. Ceux-
ci, quoique bien fupérieurs en nombre, évitèrent le combat,
parce qu'ils apprèhendoient les embufcades , ôc fe retirèrent
avec perte. Comme l'automne approchoit , ôc que les Infidè-
les étoient retournez dans leurs garnifons , Schwendi reprit
fans peine la ville que les Allemands venoient de brûler 5 il
prit aulli Erdeud avec tout le territoire des environs : enforte
que de toutes les villes que Jean avoit prifes dans l'été, il n'y
eut que Pacota qui reftât entre les mains des Turcs. Schwendi
poufla fes conquêtes avec tant de bonheur , ôc il profita fi bien de
fa vi£loire, que Jean fut contraint de demander du fecours. Soli-
man , qui craignoit que le fuccès ne fût pas favorable, jugea qu'il
ne falloir pas feulement envoyer du fecours à ce Prince , mais
qu'il devoir y aller en perfonne , ôc faire lui-même la guerre.
Cependant l'Empereur envoya George Hozzuthothy à Conf-
tantinople, pour fonder les difpofitions du Grand-Seigneur, ôc
fçavoir s'il vouloir garder la trêve qu'ils avoient faite. Cernovichz,.
qui y avoit été envoyé auparavant, n'avoit pu tirer que des paroles
ambiguës, ôc étoit revenu avec des efpèrances de paix fort dou-
teufes. Sur ces entrefaites, le Juge ou magiflrat d'Albe-Roïale
4^ HISTOIRE
ayant traité le 1 2 d'Odlobre avec le comte de Salms ,' gouver-
neur de Raab , ou Javarin, pour lui livrer cette place , qui n'en
eft éloignée que de huit milles, le comte s'y rendit la nuit avec
fes troupes très-fecrettement , dans le deflein d'entrer dans la
ville , lorfqu'on en ouvriroit la porte pour faire fortir les bes-
tiaux, ôc de furprendre les Turcs qui ne s'attendoient à rien.
Mais l'Empereur, qui venoit d'envoyer Hozzuthothy à Conf-
tannnople , craignant de ruiner par cette entreprife les efpéran-
ces de paix qu'on lui avoit données , envoya promptement ua
exprès au comte de Salms , pour lui défendre d'exécuter ce
qu'il avoit projette. Le Comte obéît, quoi qu'avec peine, ÔC
fut bien chagrin defe voir enlever une conquête, qu'il croyoit
certaine , 6c dont l'efpérance le flattoit. Les Turcs ayant dé-
couvert ce complot , firent cruellement empaler quarante bour-
geois qui en étoient complices. Pour le Juge , il fe retira d'a-
bord à Palotta avec fa miferable famille , ôc enfuite à Vienne;
pour implorer la protection de l'Empereur. Maximilien congé-
dia fon armée quelque tems après i 6c l'eledeur Augufte fit re-
venir dans fes Etats les troupes auxiliaires qu'il avoit envoyées
en Hongrie.
L'Empereur Cependant Maximilien , à fon avènement à l'Empire , exhor-
demande h ta tous Ics pcuplcs de fon obéïflance à la confiance 6c à la fer-
Communion ' o r- ] i i i r \ r i -i •
fous les deux r^s^e i 6c ann de donner plus de rorce a les paroles , 11 prit tous
efpéces, & le les moyens juftes 6c raifonnables pour gagner leur affeûion : il
frittes. ^^ ^^^^ fi^ ^^^ ^^"^ envifager le péril qui les menaçoit. Il prépara
aufiii l'argent, les hommes, les armes , ôc toutes les autres chofes
neceflaires pour une fi grande guerre. Mais comme fes fujets,
principalement dans la Bohême 6c dans l'Autriche , murmu-
roient hautement , parce qu'on ne leur avoit pas donné , fur l'u-
fage de la coupe dans la Cène, ôc fur le mariage des Prêtres, la fa-
tisfatlion qu'ils avoient efperée du Concile de Trente, ce Prince
pour les appaifer , 6c les rendre plus difpofez à tout ce qu'il fou-
haitteroit, il faifoit de continuelles inftances auprès du Pape,
pour en obtenir ce qu'il jugeoit néceiTaire dans les circonftances
préfentes , 6c ce que le cardinal Moron avoit promis à Ferdi-
nand fon père , 6c à lui-même, lorfque le Pape preifoit la con-
clufion du Concile.
Pie IV. à qui les Pères du Concile avoient laiflé cette affai-
re à décider , perfuadé par le cardinal Moron , ne refufoit pas
d'accorder
DE J. A. DE THOU. Liv. XXXVII. 4p
d'accorder à l'Empereur une chofe dont il ne s'étoit jamais ■■
trop éloigné. Mais à l'inftigation du cardinal Paceco , Philippe c h a R l E
qui craignoit que les Payis-bas ne vouluflent fuivre l'exemple j-^
que l'Empire leur donneroit, envoya à Rome Pierre ui'Avila, ^ ^'
dans letems qu'il avoir fçû que l'Empereur devoit y envoyer
des députez, & il lui donna ordre de détourner le Pape d'un j
deflein qui feroit très-pernicieux à l'Eglife Chrétienne. Les prin- i
cipales raifons que Philippe ordonna à fon AmbafTadeur de faire ]
valoir étoient : Qu'il n'y avoit pas lieu d'efperer que cette con- )
defcendance fit rentrer les fectaires dans leur devoir : Qu'au '
contraire il étoit à craindre que cette facilité ne leur infpirât |
la hardieffe de demander , ou d'ofer entreprendre de plus gran- ;
des chofes : Que leur manière n'étoit pas de demander des cho-
fes injuftes ôc déraifonnables , pour obtenir ce qui eft raifon- j
nable 6c jufte ; mais de commencer par ce qui a quelque ap- i
parence d'équité , ôc de fe faire ainfi une efpece de degré pour ' ^
monter plus haut, ôc pour obtenir les chofes les moins juftes: j
Qu'il étoit donc plus à propos de leur ôter tout d'un coup toute <
efperance, ôc de leur faire voir qu'il étoit du bien de l'Eglife , ôc |
qu'il importo it pour fon union , de ne pas accorder aux uns plus ;
qu'aux autres ; parce que tous étant membres d'un même corps,
enfans d'une même Eglife, tous dévoient avoir le même cultejes j
mêmes cérémonies , la même manière d'adminiflrer les facre- i
mens, ôc de célébrer les faints myfteres. C'eft pourquoi, à la folli-
citation du Collège des Cardinaux , le Pape différa la décifion
de cette affaire , donna des efpérances pour l'avenir , ôc éluda
pour le préfentla demande de l'Empereur.
Cependant Soliman , qui avoit d'abord paru difpofé à accor- Gueire de \
der à Jean prince de Tranfylvanie les fecours qu'il lui deman- fj.^'|è" che°va-
doit , pour fe défendre contre la maifon d'Autriche, changea liers de Mal- j
de deflein , fuivit les avis du Divan , ôc tourna fes armes con- ^^* ;
tre les Chevaliers de Malte. Le Sultan étoit irrité de ce que ces !
Chevaliers , qu'il avoit renvoyez vies ôc bagues fauves , après la i
prife de Rhodes, avoient oublié une grâce fi particulière, ôc !
pouflfc l'ingratitude jufqu'à fe joindre , pour lui faire la guerre, )
au Roi d'Efpagne , l'ennemi implacable de l'Empire Ottoman. ■
En effet ces Chevaliers défoloient par leurs courfes continuel- s
les , les côtes del'Afie ôc de l'Afrq ue 3 ôc depuis la conquête j
Tome V, G i
;o HISTOIRE
du Pignon de Velcz, que les Efpagnols avoient pris Tannée
précédente , ils couroient toute la mer avec plus de liberté que
jamais : & comment un Empereur Turc , qui pofTedoit tant de
Royaumes , qui avoit gagné tant de batailles , ôc fait tant de
conquêtes, auroit-il pii foufFrir plus long-tems ces injures, à la
honte du nom , 6c de la majefté des Ottomans ? D'un autre cô-
té, les femmes mettoientla Religion de la partie ; elles s'efFor-
çoient de jetter des fcrupules dans l'efprit de Soliman , en lui
repréfentant qu'à la honte , & au préjudice de la pieté ôc de la
vraie Religion , ces déteftables Pirates infeftoient le chemin
de la Mecque ' , enforte que les Mufulmans ne pouvoient plus
faire fûrement leurs Pèlerinages dans ce faint lieu.
A tous ces motifs fejoignoient les plaintes importunes d'Haf-
fan Bey d'Alger , fils d'Airadin Barberoufle , ce fameux Pirate^
ôc celles de Dragut Rais , gouverneur de Tripoli , qui lui di-
foient fans cefle , que la côte d'Afrique feroit ruinée , tant qu'il
îaifferoit fubfifter Malte , la plus forte des barrières qu'on op-
pofoit à la puiflance de fa HautelTe : Qu'au contraire en fe ren-
dant maître d'une ifle 11 avantageufement fituée , il fe frayoit
le chemin à la conquête delà Sicile ôc de l'Italie, ôcs'ouvroit
un palTage pour pénétrer jufqu'en Efpagne : Que fes armées
navales trouveroient à Malte un port commode pour fe refaire.
ôc fe rafraîchir , pour fe répandre par tout aux environs, pour
croifer dans les mers des Chrétiens , ôc empêcher l'entrée de
tout ce qui leur venoit par mer.
Soliman fe rendit à toutes ces raifons ; ôc cependant pour
tromper l'Empereur Maximilien, pour le confumer en frais ôc
en dépenfes inutiles, ôcpour l'empêcher de porter plus loin fes
conquêtes , il lui envoya l'évêque d'Hermanftat , afin de l'exhor-
ter à vivre en paix avec le prince de Tranfylvanie. En même
tems Etienne Batori , oncle de ce Prince , ôc ambaffadeur de
Sigifmond Augufte roi de Pologne, vint à Vienne^ avec des or-
dres ôc des inftrudlions de fon neveu à ce fujet. Toutes ces dé-
marches n'étoient qu'une rufe de la part des Turcs , afin d'ar-
rêter les progrès des armes de Maximilien contre un Prince
1 "Vinede l'Arabie, célèbre parmi les
Turcs par la naiflance de Mahomet &
Bon par fon tombeau , comme le dit
l'Auteur. Letombeau de Mahomet eft
à Medine, & non à la Mecque.
DE J. A DE THOU, Liv. XXXVIL ;i
trop foible, pour pouvoir rcfifter à toutes les forces del'Empe- «««.««,■«•
reur ôc de l'Empire , ôc atin de donner au Sultan le tems 6c ~
la commodité de faire la guerre ailleurs. ^^
Ainfi Soliman , qui regardoit les Chevaliers de Maîte com-
me les feuls d'entre les Chrétiens, dont la puifTance fur mec ^ ^ '*
fût redoutable à fon Empire , ne fe contenta pas de leur avoir
enlevé Rhodes avec toutes les places , les fortereffes, & les ter-
res qu'ils avoient dans l'Archipel , dans l'Afie, dans la Grèce,
ôc de leur avoir ôté tout récemment Tripoli : il vouloit les ex-
terminer. Dans ce delTein il équipa la flotte la plus belle ôc la
plus nombreufe , qu'il lui fut polTible j ôc il Ht tous les prépara-
tifs nécefTaires pour la guerre qu'il médiroit. En mcme-tems il
commanda au Bey d'Alger, ôc à Dragut d'armer autant de vaif-
feaux qu'ils pourroient. 11 envoya aulli à Malte des Ingénieurs
déguifez en marchands , pour reconnoître les lieux, mefurer la
hauteur des murailles ^ fonder la profondeur desfoflez, & lui
tracer un plan jufte ôc exadi delà ville , des châteaux ôc des for-
tifications.
Lorfqu'on eût appris dans toutes les parties du monde Chré-
tien la nouvelle d'un fi grand armement, comme on nefça-
voit pas encore de quel côté devoit fondre un fi terrible ora-
ge, dans cette incertitude chacun étoit faifi d'étonnement ôc
de frayeur. Le plus grand nombre blâmoit hautement Pexpe-
dition du Pignon de Vêlez, quoiqu'elle eût réulfiielle n'étoit
pas, difoit-on, d'une aiïez grande conféquence, ôcon ne de-
voit pas pour un avantage li peu conlîderable irriter un Prin-
ce aulFi puiflant ôc aufli vindicatif que Soliman. Tandis que
tout le monde étoit dans Pinquietude , Dom Garcie de Tolè-
de Viceroi de Sicile, qui craignoit pour le Fort de la Gou-
lette, fit promptement équiper une flotte pour pafTer en Afri-
que. En y allant il defcendit à Malte; il vifita le Grand-Maî-
tre de l'Ordre, Jean Parifot de la Valette ; ôc il lui promit que
fi le Turc lui déclaroit la guerre , Philippe ne manqueroit pas
de lui fournir depuilTans fecours. Le Grand-Maitre lui fit voir
l'extrême difette ou l'ifle de Malte fe trouvoit réduite, ôc le
prefla fort de lui envoyer fans délai des vivres de Sicile. Dom
Garcie parut touché, ôc promit au Grand-Maître de dépécher
un homme de confiance à Trapani , avec ordre de faire tranf-
porter à Malte autant de bled ôc de vivres , qu'il feroit poflîble
Gij
SI HISTOIRE
dans le peu de tems qu'ils avoient. La Valette, homme d'un
Ch A R L E t^ès-grand courage , comptant fur l'accomplilTement de ces pro-
IX. niefTes, ne penfa plus qu'à fortifier la ville & les châteaux, à
j - ^^^ faire de grands préparatifs de guerre, à pourvoir aux vivres,
& à faire des levées par toute l'ifle.
Cependant Garcie aborda à Tunis. Il augmenta la garni-
fon du Fort de la Goulette^ & la fournit abondamment de vi-
vres & de toutes fortes de munitions. Il y laifTa pour comman-
der Alfonfe de la Cueva ( qui fut peu après remplacé par Alfon-
fe de Pimente! ) ôc il retourna en Sicile avec la même diligence
qu'il en étoit venu. Dom Garcie fixa fon féjour à Meflîne ,
comme dans la ville la plus commode , en cas que les Turcs
tournaffent leurs armes contre Malte ; & il fe propofa d'y de-
meurer tant que cette guerre dureroit. De là il envoya au Grand
Maître deux enfeignes d'Efpagnols , qui partirent de Syracu-
fe , ôc furent conduites à Malte par Jean de Cardone Général
des galères du royaume de Sicile. Il arriva dans le même-
tems à Malte trois cens cinquante foldatsque la Valette avoit
fait lever en Italie, ôc on apporta avec eux une grande quan-
tité de vivres ôc de munitions , fur des vaifTeaux de charge. Le
Grand-Maître, qui prévoyoit le befoin qu'il pouroit avoir,de ces
vaifTeaux , les retint. Le Roi d'Efpagne ayant eu avis de ce qui fe
paffoit ) jugea fagement que le danger de Malte intereflbit la Si-
cile, ôc même toute l'Italie; dont la fûreté'^dépendoit principale-
ment de la confervation d'une ifle fi importante. Ce Monar-
que manda donc aufli-tôt à tous les Gouverneurs des Provin-
ces , ôc à tous les commandans de fes flottes , de donner à Dom
Garcie tous les fecours qu'il demanderoit.
Philippe écrivit aufli à tous fes vaflaux , ôc aux Princes d'I-
talie fes amis , d'enroller vingt mille hommes de pied. Et pour
ne pas faire une dépenfe fuperfluë , il ordonna par une fage pré-
caution, de ne leur pas donner la paye dès le premier jour de
leur engagement, mais feulement de s'en aflurer , ôc de les dif-
pofer à fe ranger au premier ordre fous les enfeignes de leurs
officiers
Cependant l'armée navale des Turcs étant partie de Confian-
tinople le 2p de Mars, vint dans la Alorée^ ôc aborda àMo-
don. Elle étoit compofée de fept mille hommes des garnifons
de l'Afie mineure, mille de celle de l'ifle de Metelin^ quatre
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXXVII. ss
mille cinq cens du corps des JanifTaires , qui font les principa- .
les forces de l'Empire Ottoman , treize mille volontaires ' , dou- C H a r l E
ze cens hommes des garnifons de Thrace t qu'on nomme au- j x.
jourd'hui la Romanie^ octrois mille de toute forte de gens , que i ç ^ ç*.
l'efperance du butin avoit raflemblez. Toutes ces troupes mon-
toient à trente mille combattans ou environ. Le Bâcha Muf-
tapha, capitaine de grande expérience :, qui les commandoit,
fit à Modon la revûë de ces troupes ^ ôc monta fur la flotte
que le Bâcha Piali amiral avoit amenée de Conftantinople. Elle
étoit compofée de cent trente galères , fans compter les dix qui
croient deftinées à la garde de l'ifle de Rhode , ôc deux à celle
de MeteUn , ôc dix-fept autres. Ainfi la flotte entière compo-
foit cent cinquante-neuf vaiffeaux à rames 3 ôc vingt-deux de
charge , pour tranfporter les vivres ôc les munitions. Lorfqu'elle
fut arrivée à Malte , plufieurs autres navires vinrent fucceflive-
ment de tous cotez en augmenter le nombre , ôc la rendre une
des plus terribles flottes qu'on eût vues depuis long-tems.
1 II y a dans l'Empire Ottoman un
grand nombre de gens nourris Ôc en-
tretenus aux de'pens des Imans ou Prê-
tres Mahometans. M. de Thou obfer-
ve que ces gens fournirent à l'arme'e
les treize mille volontaires compris
dans le dénombrement qu'il en fait,
Fin du trente-fepiéme Livre*
G...
HISTOIRE
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HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
D E TH O U
afTiégentMal-
tç.
LIVRE TRENTE-HVITIEME.
'A R M e'e navale des Turcs étant
partie de Modon , avec un vent fa-
vorable aborda vers le milieu du
mois de Mai à Marza Sirocco , l'un
des ports ' de l'ifle de Malte, qui
regarde l'Orient. Mais comme elle
y fut tourmentée par un mauvais
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tems , elle fe retira dans un autre
,.^ ;.^ port S appelle Maggiaro. Quoique
Igjîl^feiâ^Éte^t^ je me fouvienne d'avoir dit quelque
chofe delafituationdeMalte, lorf^
que j'ai raconté la prife de Tripoli S il faut néanmoins que
j en parle encore une fois en cet endroit. Malte eil une ifle
I C'eft proprement une cale ou anfe.
z Cet autre port eu encore une cale.
3 Voyez Liv. VIL
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXXVIII yy
dans la mer de Sicile , fituée entre la Sicile & la côte d'Afri-
que, éloignée du cap de Paflaro en Sicile de foixante milles, ChaRLB
à deux cens foixante ôc dix milles de Tripoli, ville d'Afrique, j )^^
& de Secco di Palo , ou petite Syrte. Elle à foixante milles de i r 6 <'
circuit , vingt milles de long , ôc environ douze milles de large.
Du côté du couchant il y a une petite ifle , que les anciens ap-
pelloient Gaulos , ôc que les modernes nomment le Goze. Il
n'y a entre cette ifle , ôc celle de Malte , qu'un trajet de qua-
tre milles. Vers le milieu de l'ifle , eft une ville appellée Malte ' ^
dont le Port eft éloigné d'environ huit milles j ce fut ce Port
fur qui tomba tout l'effort de l'armée Ottomane.
C'eft un golfe , dont l'entrée regarde le feptentrion ôc la Si-
cile , ôc qui entre dans les terres environ mille pas. Une langue
de terre , qui s'avance jufqu'à l'embouchure du port, le parta-
ge en deux , ôc forme deux ports. A l'extrémité de cette lan-
gue s'élève un rocher , au haut duquel on a bâti un château
très-fort, appelle le FortS. Elme ^ Le côté gauche du Golfe fe
nomme Marza ^ Mufcietto , ôc il a quelques petites anfes. Le
côté droit en contient quatre aflez grandes, divifées par trois
petites langues : dans Tune eft la ville nommée il Borgo, ou
le bourg, qui eft bien fortifiée : à l'extrémité de cette langue il y
a un château très-fort , nommé le château Saint Ange '^.Dans la
langue voilineil y a une éminence, fur laquelle on a élevé un
château très-fortifié , appelle Saint Michel , qui embraffe dans
fa fortification tout l'efpace qui eft entre le milieu ôc l'extrémi-
té de la langue. Tous ces châteaux avoient de bonnes garni-
fons de troupes d'élite, de François, d'Italiens, ôc d'Efpagnols,-
qui faifoient mille hommes bien armez. Le Grand-Maître avoir
outre cela mille hommes de mer, d'une valeur éprouvée, ôc
cinq cens bourgeois , aufquels on avoir joint quatre mille payi-
fans de l'ifle , armez d'arquebufcs. Il y avoir alors dans l'ifle
cinq cens Chevaliers : le château Saint Ange étoit défendu par
cinquante des plus braves , qui avoient à leur tête Garze-
naro Ros Chevalier Catalan. On mit dans le château Saint
Michel une compagnie de foîdats d'élite , fous les ordres
1 On l'appelle autrement la cité no-
table.
2 Bâti par Léon Strozzi prieur de
Capouë,
3 Marza en Arabe fignifie Port-
4 C'e'toit l'unique Fort, qu'il y eut
dans ride, quand les Chevaliers en pri-
rent pofleflîon : le Grand-Maître l'Ille*
Adam y ajouta des remparts, des baf-
tiens & des foflez.
fé HISTOIRE
^,^^^^^,^^ d'Afdrubal de Medicis , avec les foldats de marine de deuxga-
~ "~ léres j PAmiral Pierre de Monte , qui fut depuis Grand-Maître
T^^^ de l'Ordre , s'y enferma avec un grand nombre d'Italiens, ôc
^' entr' autres avec Fran(çois Zanoguera , ôc Charle Rufo , capitai-
^ ^ ^ S' nés de galères. Il y avoit dans le Fort S. Elme foixante fol-
dats ,aufquels on ajouta depuis foixante Chevaliers , ôc une en-
feigne d'Efpagnols , dont Louis Broglio avoit le commande-
ment. L'ifle du Goze avoit une garnifon de quatre-vingts hom-
mes de guerre , commandez par Giannotto Toreglias de Ma-
jorque. Pierre Mefquita Portugais avoit le commandement
de la vieille ville, ôc on lui joignit Jean Vagnon , avec quatre
Chevaliers ôc une troupe d'élite de cent cinquante hommes de
pie. Guillaume Coppier maréchal de l'Ordre tenoit la campa-
gne avec trente Chevaliers. Ils avoient ordre de courir de cô-
té Ôc d'autre , avec fix cens foldats ôc deux cens Infulaires à che-
val , pour être toujours prêts à donner fur l'ennemi.
Le lendemain l'armée navale des Turcs revint à Marza Si-
rocco ; ÔC la nuit fuivante elle mit fes troupes à terre. Dès le
matin une grande troupe de Turcs alla à Sainte Catherine 5 c'eft
le nom d'un village à deux milles de Malte. La Valette, après
avoir afîîfté aux procédions ôc aux prières de quarante heures ,
fuivant la coutume de l'Ordre , fît fortir cinq cens hommes de
la ville , pour reconnoître les ennemis, fçavoir où ils alloient,
ôc tâcher de découvrir leurs deffeins. Il y eut un combat , où
les Maltois bien inférieurs en nombre , furent d'abord obli-
gez de céder. On apperçut de la ville ce qui fe paffoit s ôc aulîî-
tôt quelques Chevaliers, Ôc un grand nombre de foldats, fous
la conduite de Jean d'Eguerra bailly de Négrepont , vinrent
au fecours. A leur arrivée on retourna au combat j ôc enfin les
Maltois, après avoir long-tems combattu avec beaucoup d'o-
piniâtreté , repoufferent les Turcs avec perte ■> car il en demeu-
ra foixante fur la place, Ôc plufieurs furent bleiïez.
Siése du ^^ P^^ fuivant Muftapha approcha de la place avec douze
château S. El- enleignes, pour la reconnoître de plus près , amenant avec lui le
chevalier de Ribera , qui étoit captif II l'avoit déjà fouvent in-
terrogé , ôc il vouloir encore lui faire des queftions à la vue de
la ville , fur les affaires de l'Ordre , fur la fituation ôc les forces de
la place ,pour fçavoir de quel côté on devoit drelfer les batte-
ries. Mais comme on tirade la ville, ôc qu'on fît une fortie3
Muftapha
me
DE J. A. D E T H O U , L I V, XXXVIIL ^
Muftapha ne penfa plus à la reconnoître , mais feulement à ■ ■
bien combattre. Cependant la perte fut toute de fon côte i (^ h a r l E
il perdit cent cinquante de fesgens 5 6c les Maltois n'eurent j^^
qu'un Che\^lier ôc onze foldats de tuez, ôc environ trente de ^ ^ ^* •
bleflez.
Les ennemis tinrent Confeil , 6c refolurent d'attaquer d'abord
le Fort S. Elme , parce que l'ayant pris , ils croyoient fc rendre
aifément maîtres du port Mufcietto , meilleur que celui de
Sirocco. Muftapha partagea donc fes troupes en trois corps.
Il en mena un vers le Fort S. Elmej il envoya le fécond pour
reconnoître un Fort de la place , appelle le Provençal ', du nom
de notre Provence? ôc le troifiéme fut employé à faire avan-
cer le canon. Ceux qui étoient allez pour reconnoître les mu-
railles, furent repouffezpar le canon de la place ■■> 6c ceux qu'on
avoir envoyez pour faire voiturer l'artillerie , amenèrent en deux
jours douze canons à Mufcietto , 6c fe fervirent pour cela de
boeufs 3 dont ils avoient abondance; car les Infulaires ayant été
avertis avant l'arrivée des Turcs d'amener leurs troupeaux dans
la ville 6c dans la cité , eurent aflez de nonchalance 6c d'opiniâ-
treté pour n'en rien faire.
Aufli-tôt qu'on eut amené le canon , on travailla à faire dç.^
retranchemens ; 6c le jour fjivant on commença avec deux ca-
nons placez fur une colline, à tirer contre une eftacade qui fer-
moir le golfe entre la ville 6c le château S. Michel , contre les
vaifleaux , 6c contie les maifons qui étoient là. Le même jour,
qui étoit le, 25* de Mai, Hali Calabrois , à qui les Chrétiens
donnoient par mépris le nom d'Ulucciali*, ayant été fait Ami-
ral , 6c ayant le premier après BarberouiTe * obtenu de Soli-
man la dignité de Bâcha avec celle d'Amiral , vint d'Alexan-
drie, on il commandoit lagarnifon , aborda à Malte avec llx
galères , 6c fe joignit au refte de l'armée navale des Turcs.
Cependant Jean de la Cerda Amiral vint trouver la Valet-
te, pour lui demander un promt 6c puiilant fecours, 6c tout ce
1 Autrement le Fort de la Hanche
ainfi appelle , parce qu'il a e'té bâti par
un Grand- Maître de ce nom.
2 Ulucciali , félon l'auteur, fignifîoit
Hali Maraudeur. Il y a dans le texte
emenforem ; c'eft une faute , 6c il faut li-
re emanforeni. Em.vijor veut dire un
foldat vagabond , qui fans aveu ÔC uns
Tome V,
ordre court ça 8c là pour piller , un ma-
raudeur. Il ell vrai-femblable que les
Chrétiens, par ce nom qu ils donnoient
à Hali , vouloient lui reprocher qu'il
n étoit qu'un écumeur de mer.
3 EffeéUvement Dragut , quoique
Gcnéral des galères du Grand-Seigneur,
ne put obtenir le titre d'Amiral.
H
5^ HISTOIRE
»^^^^^;^;;».. qui étolt nécefTaire pour la défenfe du Fort S. Elme. II lui re-
Charle P^^^^^"^^^ 4"^ c^ Fort, reflembloit à un corps ufé par une lon-
I X §^^^ maladie > qui a toujours befoin de nourriture. Le Grand-
j j ^ * Maître f(^avoit bien que la Cerda ne lui difoit rien que de vrai>
ôc il étoit touché du malheur dont tant de braves gens étoient
menacez. Mais comme il prévoyoit que les fecours promis ne
viendroient pas li-tôt , & que s'il abandonnoit la défenfe du
Fort y les ennemis inveftiroient aufTi-tôt la ville j il prit le parti
de leur faire foûtenir le fiége auiïi long-tems qu'il feroit polTi-
ble, malgré le danger auquel ils étoient expofez , il pria la Cer-
da de prendre courage , & il le renvoya avec cent cinquante
hommes d'élite.
Dragut, qui avoir beaucoup de crédit auprès de Soliman;
& fans le confeil duquel il étoit défendu aux Bâchas de rien en-
treprendre ni fur terre ni fur mer , arriva avec treize grandes
galères^ ôc deux plus petites, où il y avoit 1400 hommes de
guerre : il fut reçu de toute larmée avec de grandes mar-
ques d'honneur. On dit qu'ayant appris de quelle manière les
Bâchas avoient commencé leurs attaques , il les blâma de n'a-
%'oir pas commencé par le Goze :, par le château qui eft dans
cette Ifle , ôc par la ville peu éloignée du château , prétendant
que par la pril'e de ces places , on auroit fermé tout d'un coup
l'entrée à tous les fecours que les Chrétiens dévoient envoyer ,
ôc coupé pour ainfi dire les mammelles qui fournifToient la
ôc nourriture à toute l'ifle.
Muftapha entreprit de juftifier fa conduite , ôc dit qu'il avoit
commencé par le Fort S. Elme , dans le delfein de s'empa-
rer du port de Mufcietto , ôc de donner à la flotte une retrai-
te plus fûre î ce qui lui avoit paru préférable à tout. Cette con-
teftation fit que Muftapha redoubla fes efforts , ôc qu'il tâcha
de furmonter, par fa diligence ôc parfon travail, les difficuîtez
qui fe rencontroient. Et parce que toute l'ifle de Malte n'eft
qu'une efpéce de rocher , ôc qu'il n'y avoit pas moyen d'ou-
vrir ôc de conduire des tranchées dans un terrain fi dur ôc fi
pierreux , il fit élever une efpéce de muraille , pour lui fervir
de mantelet, formée de poutres ôc de planches attachées en-
femble , qu'il fit enduire de paille ôc de boue, afin de fe met-
tre à couvert ; ôc pour achever le travail plus promtement , il y
employa les rameurs de quarante galères^
DE J. A. DE THOU, Lir. XXXVIIL y^r
La batterie commença le dernier jour de Mai avec quator-
ze pièces de canon pointées contre le château, & principale- Char le
ment contre une défenfe qui en étoit féparée , ôc qui avoit été j^
nouvellement conftruite. Dragut entreprit auffi de la battre de ^ - ^*
revers, avec quatre gros canons qu'il fit drefler à la pointe du
port de Mufcietto , qui eft vis-à-vis le Fort , dont il eft féparé
par un petit bras de mer. La défenfe ne refifta pas long-tems
à une batterie qui fut continuelle : ayant donc, été renverfée,
ôc les parapets abatus , de forte que les afïiégezne pouyoient
plus faire ufage de leurs canons , les afliégez d'un côté tra-
vaillèrent avec une adivité infatigable à rétablir ce qui avoit été
ruiné, à boucher ce qui avoit été ouvert, ôc à faire des retran-
chemens en dedans. Les Turcs d'autre part avancèrent leurs
travaux j 6c les ayant conduits jufqu'au foîfé , ils fe logèrent fort
près du Fort , ôc entreprirent de l'enfermer de tous cotez.
Ils étoient déjà arrivez à la droite , fur le rivage qui eft du
côté de la ville , ôc y avoient placé deux canons , avec un bon
nombre d'arquebufiers , afin d'empêcher le pafTage des barques
qui alloient ôc venoient , pour porter aux afTiégez les chofes
néceflaires. A la gauche ayant continué leurs travaux , ils avoient
atteint le baftion qui regardoit le port de Mufcietto : ce baflion
couvroit le port de ce côté-là , Ôc lui étoit joint par une mu-
raille féche , défendue par cinquante arquebufiers. Comme ces
arquebufiers avoient été harcelez ôc fatiguez toute la nuit par les
Turcs , qui ne cefToient de tirer , ôc qu'étant abattus Ôc acca-
blez par le travail ôc les veilles , ils commencèrent à fe négli-
ger, les ennemis , après avoir tué la fentinelle , entrèrent par une
canoniere : les arquebufiers prirent l'épouvante î une partie fe
précipita d'un pont de bois , qui étoit auprès du baftion, dans
le foffé j ôc l'autre fut taillée en pièces par les Turcs. Ceux-ci
s'étant rendus maîtres du baflion , marquèrent leur joie , fui-
vant leur coutume , par de grands cris ôc par des hurlemens.
Comme ils efpéroient entrer d'emblée dans le château , ils def-
cendirent aufli-tôt dans le foffé , ôc planr^^rent leurs échelles j
mais elles fe trouvèrent trop courtes. Ainfi après un rude com-
bat, les Turcs furent repouffez , Ôc payèrent la peine de leur té-
mérité : ils perdirent quatre cens de leurs gens, ôc les afliégez
n'en eurent pas plus de cinquante de tuez.
Cependant Raphaël Salvago , qui avoit été envoyé à Dom
Hij
I
6o HISTOIRE'
,„„._„,.^ Garde viceroi de Sicile , pour hâter le fecours y étoit arrivé à
^ ^ Mefllne, avec Camille Medici.fils naturel du marquis de Ma-
y y^ rignaii , que la Valette envoyoit au Pape pour le mcme fujet.
Dom Garcie confirma fort au long les promefles qu'il avoit fai-
' ^' tes 5 il aflura qu'on en verroit l'effet avant le 20 de Juillet, ôc
qu'il alloit voler à Malte. Puis il renvoya Salvago avec qua-
tre galères. Ce Chevalier, après avoir doublé le cap dePafTa-
ro, vit bien qu'il ne pouvoit avancer fans s'expofer à un très-
grand péril. Il lailTa donc là les galères j il monta dans un bri-
gantin , ôc entra dans le port avec beaucoup de danger 5 car
les Turcs qui s'étoient doutés de fon arrivée , firent pleuvoir
fur lui une grêle de moufqueterie. Le Grand Maître le ren-
voya fur le champ , pour preffer le Viceroi par fa préfence >
avec ordre de ne le point quitter, que les troupes ne fuffent em-
barquées.
Les Turcs , qui avoient pris le baftion , l'éleverent , par le
moyen des fafcines qu'ils mirent deOlis en très grand nombre,
jufqu'à la hauteur de la murailles & y ayant placé deux pièces
de canon, ils tirèrent fans difcontinuer j ôc pour incommoder
d'avantage les affiégez , ils firent defcendre dans le foiïé des ar-
balétriers , qui tiroient continuellement. Ils firent encore un
pont des antennes de leurs vaiifeaux , qu'ils lièrent enfemble
avec des cables 5 ôc ils le firent de telle largeur , que quatre
hommes armez y pouvoient paffer de front. Ils mirent de la
terre par defllis, afin qu'il ne pût être embrazé parles feux qu'on
jetteroit d'en haut , ôc ijs le joignirent à la muraille du château ,
en l'appuyant fur les bords du fofi"é. Par le moyen de ce pont,
fur lequel ils étoient commodément, les Turcs commencèrent
à creufer la muraille dans une fi grande étendue , que plufieurs
pouvoient s'y mettre à l'abri des coups, que les afiiégez tiroient
d'en haut. Les affiégez s'étant apperçûs de cette manoeuvre,
firent une autre muraille en dedans , vis-à-vis de cet endroit.
En même tems ils firent fortir les femmes , que la Valette re-
<^ut dans la ville avec les bleficz ; ôc en leur place il envoya dans
]e Château cent hommes tous frais.
D'Eguerra , qui commandoit dans le château avec Louis
Broglio, fe trouvant fort incommodé de la blefTure qu'il avoit
reçue dans le premier combat , ôc Broglio s'excufant fur fa
vieillefTe , qui le rendoit moins propre à commander j on domia
DEJ. A. DETHOU> Liv. XXXVIII. 6i.
le commandement du Fort à Meîchior de Montferrata; ôcon
mit fous lui le capitaine Miranda , qui rendit de très bons fervi- C H a R L E
ces pendant le fiége. IX.
Cependant Salvago arriva à Saragoufe , où ayant trouvé deux i 5 (^ r.
galères de l'Ordre , que le chevalier de Cornuflbn conduifoit >
il lui commanda de la part du Grand-Maître Ton oncle ^ de
tranfporter dans l'ifle quatre cens hommes de troupes auxiliai-
res , qui s croient aflemblées en ce lieu 3 ôc il lui enfeigna la rou-
te qu'il trouvoit la plus fûre> pour arriver heureufement à Mal-
te. CornuiTon étant arrivé à l'irie du Goze , 6c ayant appris
des habitans que la cale d'Antofega , ôc tous les lieux des en-
virons, croient occupez par les Turcs, il s'en retourna à Sara-
goufe , s'imaginant qu'il falloitreferver tant de braves gens pour
un meilleur tems.
Il y eut alors quelque trouble dans le Fort S. Elme, caufé
par l'appréhenfion d'une mine : on députa au Grand- Maître ,
pour lui dire qu'il n'éroit pas polTible de défendre la place plus
Jong-tems j qu'il envoyât donc dès cette nuit là même des bar-
ques , pour les faire tranfporter dans la ville ; que s'il ne le fai-
foit , ils n'écouteroient que ce que le defefpoir leurinfpireroit ;
qu'ils fortiroient tous du Fort , & qu'en fe jettant fur les Turcs,
ils s'expoferoient à une perte aflurée, pour mourir les armes à
la main en combattant , plutôt que de finir leur vie par un gen-
re de mort qui n'auroit rien de glorieux , foit qu'ils fulTcnt étouf-
fez fous des ruines , foit que le château étant pris , ils fulTent
égorgez comme des bêtes ; fans pouvoir combattre.
U ne pareille dépuration troubla un peu l'efprit du Grand-Maî-
tre 5 mais après avoir délibéré, il jugea qu'il devoir envoyer aux
affiégez quelques pcrfonnes de poids , pour les affurer ( après
avoir bien examiné la chofe ) que la crainte d'une mine étoit
une terreur panique ôc fans fondement , ôc pour les animer à foû-
ten'r le fiége. Conixantin Caflriot étoit de ceux qu'on envoya ;
il foûtenoit qu'on pouvoit ôcqu'on dcvoit défendre le château»
& il dit qu'il vouloit bien être de ceux qui le défendroient.
Dans le même tems les affiégez ayant repris courage , ôc crai-
gnant alors moins pour leur vie que pour leur honneur , envoyè-
rent dire à la Valette qu'ils n'avoient jamais eu le deffein d'a-
bandonner le Fort i mais que le trouble avoit été caufé par la
négligence de ceux qui étoient au dehors, ôc qui n'envoyoient
pas à tems les chofes dont on avoit befoin. H iij
<^2 HISTOIRE
Cependant les Turcs ne prenoient aucun repos > & avâht le
/-, ~ 1 3 de Juin ils avoient tellement creufé le ballion tourné vers le
j xr port de Mufcietto , avec des maillets & des pinces , qu'on y pou-
, ^' voit monter comme par devrez. Ainfi quoique le pont, qu'ils
' ^ avoient commence, ne rut pas encore achevé j OC qu US neulient
pas encore allez abaifle la muraille , pour pouvoir fe fervir de
leurs échelles , ils réfolurent par une fureur aveugle de monter à
l'aflaut. Le lignai ayant donc été donné, ils plantèrent les échel-
les > ôc s'étant partagez en deux corps , ils commencèrent l'at-
taque. Les uns jettant en haut des cordes, où il y avoir des
crampons de fer , s'accrochèrent aux bariques pleines de terre,
que les alîiégez avoient mifes fur la muraille pour fe couvrir;
les autres prenant avec les mains les pierres qui débordoient ;
ôc grimpant le long de la muraille , parvinrent jufqu'aux cré-
neaux î ôt ayant attaché leurs enfeignes fur les barriques , ils
jettérent des feux d'artifice dans le château. Ils eurent beau re-
doubler leurs efforts, les alîiégez les repoulferent toujours avec
vigueur , quoi qu'avec quelque perte ; ôc les Turcs furent punis
de leur audace par l'horrible carnage qu'on fit de leurs fol-
dats.
Medici arriva à Rome, Ôc appuyé des vives follicitations
de Jofeph Cambiano ambaffadeur de l'Ordre , il obtint du Pa-
pe fon oncle cinq cens hommes de pié, dont Luc-Antoine To-
mafoni de Terni , ancien officier , dont nous avons parlé dans
la guerre de Provence , fut d'abord nommé Commandant. Mais
depuis ayant refufé cette commiffion, on mit en fa place Pom-
pée Colonne, ôc on lui donna cent hommes de plus, avec lef-
quels il vint auffi-tôt à Terracine , pour y attendre l'armée na-
vale. Comme elle arriva tard , il ne put aborder affez tôt à
Mefïïne.
Salvago pendant ce tems-là ne cefToit point de prelTerDom
Garcie, ôc de le prier que tandis que lesfecours qu'il avoir pro-
mis s'alTembleroient , il envoyât au moins en attendant mille
Efpagnols : il l'alTura que fi le Grand-Maître avoir feulement
ce renfort, il ne défefpéroit pas de faire durer lefiége jufqu'au
ip de Juin , ôc que Ci le fecours paroiflbit en ce tems-là , ôc
qu'il y eût feulement neuf mille hommes, les Turcs fe retire-
roient fans doute , ôc abandonneroient l'ifle , fans ofer courir
le hazard d'une bataille, parce qu'ils étoient déjà réduits à vingt
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVIII. ^5
mille , ôc qu'ils donnoient tous les jours des marques évidentes ,' ' '"
de leur foiblefîe, en lâchant lepié, en cédant ^ en fe débandant , Ch arle
& prenant honteufement la fuite. Le Viceroi 3 qui avoit voulu j x.
que Salvago mît fes raifons par écrit, promit qu'il les envoyeroit i ç 5 c*.
à Philippe. Mais il fit paroître Ci peu de refolution & de bonne
volonté , il marqua fi peu de cœur , ôc fi peu de foin de tenir
les paroles qu'il avoit données pendant tout le fiége de Malte ,
qu'il perdit beaucoup de fa réputation.
Cependant le Fort étoit ferré de fort près , & les afiîégez épui-
fez par les travaux , les fatigues ôc les veilles , perdoient infen-
fiblement courage. La Valette les ayant un peu ranimez , ils
reprirent les travaux qu'ils avoient interrompus, ôc ils brûlèrent
la plus grande partie du pont , par le moyen de plufieurs pots
à feu , qu'ils jettoient du haut de la muraille. Les Turcs voyant
que le pont leur devenoit inutile , coupèrent tous les arbres
fruitiers, ôc toutes les vignes qu'ils purent trouver dans l'ifle , ôc
les apportèrent au camp pour en remplir le foffé. Ils prirent
alors quelques vaiffeaux des Chrétiens , par lefquels ils appri-
rent qu'il n'y avoit pas plus de quarante galères dans le port de
MefTine, ôc que Jean- André Doria n'étoit point encore arrivé.
Piali qui fe voyoit en fûr-eté du côté de la mer, défarma fcixante-
dix galères , ôc employa les rameurs aux travaux du fiége. A pei-
ne le foflfé fut-il un peu rempli, qu'il plut aux afTiégeans de tenter
le courage des afTiégez : ils plantèrent donc leurs échelles, ôc
montèrent j mais ils furent vivement repoufifez. Le combat ayant
ceffé trois fois , recommença enfin fur le foir : quoique ce jour-
là tous les efforts des Infidèles fuffent inutiles , ils ne perdirent
pas néanmoins l'efperance d'emporter le Fort.
Muftapha ayant continué la batterie toute la nuit , mit de
grand matin toutes fes troupes en état de donner un dernier
aflaut. Le combat fut plus vif ôc plus opiniâtre qu'il n'avoir été
auparavant: environ cinquante Turcs vinrent à bout de pafler
parjdeffus la muraille d'une fortification, vis-à-vis le pont de
Mufcietto , oii il y avoit peu de monde , parce que tous étoient
occupez à défendre le côté du Fort où étoit le pont , ôc où les
Turcs faifoient leurs plus grands efforts. Le Grand-Maître, qui
apperçut de la ville ce qui fe pafiToit , fit auffi-tôt pointer un ca-
non , qui en tua quelques-uns : les autres effrayez fe précipitè-
rent du haut de la muraille.
^4 HISTOIRE
• Le combat ayant duré fix heures entières i pendant lefqueî-
Char LE ^^^ ^^^ revint fix fois à la charge , avec une perte aflez confidé-
j y^ rable des aOiégez , les Turcs , qui avoient tout mis en ufage , ôc
1 c 5*r perdu huit cens hommes dans cette attaque , prirent enfin le
parti de fc retirer; ce qui caufa une grande joie aux Maltois qui
étoient hors du Fort. En même tems la Valette donna fes or-
dres pour faire panfer les bleflez qu'on en avoit retirez j il y en-
voya un nouveau fecours de cent cinquante homm.es de guer-
re , ôc d'un grand nombre d'ouvriers. Il y joignit une grande
quantité de couvertures pour les foldats , de cordages , d'an-
cres , ôc d'autres chofes de cette nature , propres à mettre les af-
fiégez à couvert.
■ Malgré toutes les inftances de Salvago , qui ne ceflbit de re-
préfenter le préflfant danger , où Malte fe trouvoit réduite , le
Viceroi de Sicile reculoit toujours, ôc commençoit à dire qu'au
lieu d'Efpagnols , il envoyeroit des Italiens. Pour trainer les
chofes en longueur, il s'excufa fur fabfence de ChiappinoVi-
teili qui étoit allé en Tofcane pour y aflembler des troupes, ôc
il promit de l'envoyer à Malte dès qu'il feroit arrivé. Vaincu
néanmoins par la honte ôc par les prières , ôc prelTé par les vi-
ves follicitations de Signorino Gatinara prieur de Meffine , qui
s'ofFroit de faire les levées à fes dépens , pourvu que le Vice-
roi lui donnât les vaifleaux néceflaires pour les transporter avec
une compagnie d'élite d'Efpagnols , il envoya enfin quatre ga-
lères , dont deux appartenoient h la Religion , ôc avoient été
amenées à Saragoufe par le chevalier de CornufTon, Mais en
même tems il enjoignit à Jean de Cardone général des galè-
res , de ne point mettre pié à terre à Malte , fi à fon arrivée
il trouvoit le Fort S. Elme pris.
Cependant les afliégez étoient fort incommodez jour Ôc nuit
par une batterie qui ne difcontinuoit point, ôc par le feu des
galères Turques ; car on les avoit fait paflcr de la Cale de Si-
rocco dans celle de S. Paul ' ôc de S. George. Là , tandis que
Dragut éroit proche le fofi!e , ôc qu'il confidéroit la brèche ,
fans penfer au péril, ôc uniquemenr occupé du foin de donner
{qs ordres , le boulet d'un canon tiré du Fort S. Elme alla par
hazard donner contre une muraille vis-à-vis le foffé , ôc en fit
I On appelle à Malte la Cale de S. J l'on croit que S. Paul fut jette lorfqu'il
Paul , une anfe du côte de la Sicile , ou I fit naufrage.
fauter.
DE J. A. DE THOU Liv. XXXVIIL 6^ \
îauter un éclat de pierre qui le frappa à l'oreille avec tant de • \
violence , qu'il tomba fans connoifTance , jettant une grande PharlE i
quantité de fang par la bouche ôc par le nez : fes gens i'euipor- t v !
terent comme mort. i c ^*?
Enfin par la diligence ôc les foins de Muftapha, on acheva ^ •'• |
îe grand ouvrage que l'on conduifoit du bord du folTé , jufqu'au ■
rivage de la mer , qui touche la viiie. Alors comme on ne pou- i
voit plus envoyer de la ville des hommes frais, pour fuppléer
au petit nombre de ceux qui étoient dans le Fort , les Turcs \
tentèrent un troifiéme affaut le 22 de Juin, avec toutes leurs !
troupes , qu'ils partagèrent en trois ; ôc de la même manière qu'ils !
avoient déjà fait. Mais le combat fut plus rude ôc plus opiniâ-
tre que les autres 5 on combattit jufqu'au foir : pendant le com- i
bat plufieurs des affiégez furent bleÎTez par la grande quantité - \
de flèches , qui tomboient fur eux du Fort que les Turcs avoient ■
élevé au port de Mufcietto , dont la hauteur furpaffoit celle des i
fortifications du château. La nuit fit cefTer le combat 5 mais el- !
le fut plus cruelle que le combat même. Elle fe pafla dans les ;
gemiffemens de ceux qui fe mouroient , ôc de ceux qui pan-
loient les playes des bleiïez , dans l'attente d'une mort certai-
ne ôc fans efpérance d'aucun fecours. !
On envoya auffi-tôt un homme , qui vint à la nage dans la '
ville , donner avis que les afîiégez étoient réduits à la dernière
extrémité i qu'ils avoient perdu la plus grande partie de leurs
gens dans le dernier combat, ôc que ceux qui reftoient étoient ^
ou dangereufement blelfés , ou tellement épuifez par le travail ôc 1
les fatigues , qu'ils n'avoient plus la force ni de porter leurs ar-
mes , ni de fe ibûtenir j que fi on ne leur envoyoit pas du fecours \
pendant la nuit , rien ne pourroit empêcher que les Turcs ne 1
fe rendiffent maîtres du Fort dès le lendemain , ôc que ceux |
qui refteroient après le combat , ne fulfent cruellement égorgés '
comme des bêtes. ^ |
La Valette , moins effrayé du danger des afiîégez , qu'il avoit 1
prévu, que touché de compaflion , chercha tous les moyens de ■
les fauver : 6c quoi qu'il n'y eût guère d'efpérance de leur en-
voyer du fecours , parce que toutes les avenues étoient fer- j
mées , il ne laiffa pas de remplir quatre barques de toutes for-
tes de munitions de guerre. Trois fois elles eiîayerent de paffer , |
ôc jamais elles ne purent arriver jufqu'au Fort,Piaii étant maître
Tome V. I i
66 HISTOIRE
^;^^««-«- de tous les pafTages, Cet Amiral, fuivant les ordres de Mufta-
Charle P^^ ' avoit fait venir quatre-vingt galères à l'embouchure du
I X P°^^ ' ^ avoit fait ranger le long du rivage un grand nombre
^ - ^ ^ d'efquifs ôc de gens de guerre, dans les lieux où les fecours
envoyés de la ville avoient coutume d'aborder.
Prifeau Fort Dès le matin les affiégez , fans perdre le tems à fe plaindre ,'
S.Elmc. ^ f^^-,5 craindre la mort, fe raflemblerent tous « 6c après avoir
donné les marques les plus éclatantes d'une valeur 6c d'une
confiance vraiement héroïques , ils furent enfin forcés par le
grand nombre des ennemis. Lorfque les Turcs entrèrent dans
le Fort, quelques-uns de ceux qui étoient reftés après le com-
bat, fe précipitèrent du haut des murs : un petit nombre fe fau-
va à la nage dans la ville , 6c les autres furent ou noyez, ou pris
ôc maffacrezpar les Turcs, qui couroient de côté 6c d'autre dans
des efquifs. Le fort de ceux qui tombèrent entre les mains des
ennemis , fut fans doute le plus déplorable j car on les fit tous
périr dans lesfupplicesles plus terribles. Le vainqueur exerça
particulièrement fa cruauté ôc fa barbarie fur les Chevaliers 5
on les pendit par les pies 5 on leur arracha les entrailles d'une
manière qui faifoit horreur j 6c on les laiffa expirer au milieu
des plus vives douleurs.
Les Turcs, après avoir marqué leur joie parles grands cris;
qu'ils ont coutume de faire en pareilles occafions , arborèrent
un grand nombre de drapeaux fur les crénaux du Fort qu'ils
avoient pris. Muftapha y vint aufTi-tôt 5 6c l'on dit que jugeant
par le peu de terrain que cette place occupoit , combien il y
auroit de peine h prendre la ville qui avoit tant d'étendue , il
s'écria : « Que penfons-nous que fera la mère , dont le fils qui
w eft fi petit nous a fi long-tems arrêtez ? ^^
En effet le fiége dura vingt-neuf jours , 6c le dernier où le
château fut pris , fut le jour de la vigile de S. Jean Batifte. On
il^ dit qu'il y fut tué quatre mille Turcs ^ des plus braves de leur
armée , treize cens Chrétiens , ôc fur tout plufieurs des princi-
paux 6c des meilleurs Capitaines de l'Ordre. L'Amirande, fa-
meux Capitaine Efpagnol , fe fignala parmi les autres par fon.
habileté 6c fa valeur? 6c pendant tout le fiége il remplit parfai-
tement tous les devoirs d'un bon foldat 6c d'un excellent Of-
ficier, en donnant de bons confeils , en pourvoyant à tout^ en
j M, l'Abbé de Vercot dit huit mille.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVIII. C-j
fe trouvant par tout. Enfin étant couvert de blefTures , ôc ne "~ -
pouvant plus marcher, il fe fit porter fur labréche^ où en ex- Charle
hortantles fiensà s'offrir courageufement à la mort, il fut tué IX.
avec eux. ^ S ^ S*
Le jour même que le Fort faint Elme fut pris , afin que les
Turcs n'euffent pas une joie entière, Dragut , dont le confeil, .
Tadreffe , la fcience de la guerre , & l'expérience contribuoient Mort de
beaucoup aux fuccès de Fentreprife , mourut de fa bleffure. ^^^gut.
Lorfque le château eut été pris , Muftapha s'imaginant que les
Chevaliers avoient entierementperdu courage, ôc que le Grand-
Maître ne refuferoit aucunes conditions, envoya une troupe de
cavaliers, qui s'étant approchez du château faint Michel, ar-
borèrent un drapeau blanc , pour faire entendre qu'ils deman-
doient à avoir une conférence pour parvenir à faire la paix. Un
peu après un certain vieillard s'étant avancé, les aflîégez le pri-
rent, le lièrent , lui bandèrent les yeux, ôc le menèrent à la
Valette. Celui-ci ayant appris du vieillard , qu'il étoit venu pour
traiter avec lui des conditions aufquelles il fe rendroit , peu
s'en fallut qu'il ne le fit pendre. Mais la chofe ayant été pro-
pofée dans le Confeil, on réfolut de refpe£ler à l'égard de cet en-
voyé le droit des gens. On le renvoya feulement avec des pa-
roles menaçantes , ôc on lui déclara , que 11 lui ou quelqu'au-
tre revenoit pour le même fujet, fa témérité feroit aum-tôt pu-
nie de mort. Les propofitions, que le vieillard étoit chargé de
faire, étoient, comme on l'a fçù depuis, que le Grand Maî-
tre fortiroit de Tifle de Malte , avec tous les Chevaliers ôc les
foldats, bagues fauves y ôc que pour recompenfe on lui donne-
roit une ifle commode dans l'Archipel , où il établiroit fa ré-
fidence avec une compagnie de Chevaliers , ôc pour laquelle il
payeroit à l'Empereur des Turcs un certain tribut.
Les ennemis fruftrez de leur efperance s'avancèrent, ôc con-
duifirent vers le château Saint Michel un retranchement qui Siège du
les mcrtoit à couvert du feu des afTiégez , ôc qui n'avoit par $ï^u^"?^j''
j • J^c r c c ' ^^ j ^ V Michel & de
derrière aucune deienle. Sur ces entrefaites Cardone parut a h ville.
la vue de Malte, avec le fecours qu'il amenoit. Il envoya de-
vant Martinez Efpagnol à Mefquita gouverneur de la ville ', pour
I Pour entendre ce qui fe dira dans
la fuite, il faut fe fouvenir qu'on dif-
tinguoit alors deux places, qu'on peut
appellet deux grandes villes; l'ancien-
ne ville, ou la Cité, 8c une autre ville ,
appellée Bourg ; outre les châteaux 6c ]
les ifles. <
lij
en HISTOIRE
fçavoîr en quel état étoient les affaires , comment aîîoît le
Charle ^'^g^ ^^ f^*-^'^^ Saint Elme , ôc en quel endroit il pourroit fii-
j^ rement defcendre. Le Chevalier Elprit de Brunifay de Quin^
j - ^ ^ cy prévint Martinez : car ayant été averti par le commandant
Salvago,des ordres que Garcie avoit donnez à Cardone, qui
d'ailleurs n'étoit pas fortaffetlionné pour lesAlaltois, il dcfcen-
dit auparavant dans l'ille , ôc il avertit tous ceux qu'il rencon-
tra de parler comme lui. Il retourna auffi-tôt trouver Cardone,
& par une rufe louable , il lui dit que les Chevaliers tenoient en-
core le Fort S. Elme j mais qu'il étoit réduit à une il grande ex-
trémité, qu'il étoit abfolument perdu. Ci on ne le lecouroit très-
promptement. Cardone ayant entendu cette réponfe , ht des-
cendre fes troupes en un lieu qu'on nomme Pierre-noire, à fix
milles de la ville. Le lendemain les troupes auxiliaires prirent
ie chemin que la Valette leur avoit indiqué j ôc favorifées d'un
brouillard épais, qui les déroboit à la vue des Turcs, elles fi-
rent un petit circuit pour éviter le port de Mufcictto^ & arri-
vèrent fans aucun accident à celui de Marza Scala. C étoit le
feul endroit oi^i les ennemis n'avoient point mis de corps-de-
garde 5 car ils cccupojent ôc gardoient avec foin tous les en-
virons de la ville. Elles trouvèrent là des eCquifs ; que le Grand
Maître y avoit envoyés , ôc elles furent reçues dans la ville avec
une extrême joie. Tout le monde loua leur fidehté, les regar-
da comme les confervateurs du payis , ôc les remercia d'avoir:
bien voulu s'expofer volontairement , ôcdefi bonne grâce àtant
de périls.
On dit que Muflapha ayant appris leur arrivée, fe reprocha
ia négligence qu'il avoit eue , de ne pas fermer ce paflTage. Auffi-
tôt il y ht faire de bons retranchemens , oh il mit garnifon. Alors
le Grand Maître apprit de Philippe de Lafcaris, qui étoit pafle
de (on côté , quantité de chofes qui fervirent à le fortifier , Ôc
à le précautionner contre les dangers. Philippe étoit de i'illuf-
tre Maifon des Lafcaris , dont il portoit le nom. Il avoit été
fait prifonnier dès fa tendre jeuiiefife à la piife de Patras, ôc il
avoit eu le bonheur de tomber entre les mains d'un maître aflezi
doux. Comme il avoit toujours eu une fecrette aiTe£iion pour
les Chrétiens ( quoique les Turcs l'eufient comblé de biens ôc
d'honneurs , ôc qu'ils l'eufTent reçu dans l'ordre des Saphis ) par
ane infpiratioîi de Dieu , dès qu'il eu trouva i'occafion, ii^
DE J. A. DE THOU. Liv. XXXVIÎÎ. 69
i-enonça généreufementàtout, ôc il paffa à la nage du côté des ■
Maltois. Charle
Lafcaris rapporta donc au Grand Maître , que Muflapha ex- IX.
trêmement irrité de fa réponfe, avoit réiblu d'attaquer de tou- ^ S ^ S-
tes fes forces le château faint Michel , & de le battre de la
colline de faint Elme. Le Grand Maître , pour fe précaution-
ner, fît faire, fuivant l'avis des Ingénieurs, une paliiTade avec
les plus fortes antennes^ ôc les plus forts mâts des vaifleaux j
& il la fit placer de ce côté là , pour empêcher les Turcs
d'approcher des murs. Mais comme la terre étoit fi dure à
l'extrémité du rivage, qu'on ne pouvoit y planter de pieux,
il fut contraint de donner à fa palifTade environ quinze pieds de
moins. Craignant en même tems pour cette partie dé la ville,
dont la défenfe étoit confiée aux Allemands & aux Anglois, il fit
enfoncer en cet endroit quelques barques attachées les unes aux
autres par des chaînes , pour fermer aux Turcs le pafTage de ce
cote la.
Quelque tems auparavant, ôc aufTi-tôt après. la prife du fort
Saint Elme, la Valette appréhendant que les Turcs ne rom-
pifTent la chaîne qui fermoit le port depuis le rivage de la ville
jufqu'à celui de Saint Elme^ ôc que l'ayant rompue, ilsn'euf-
fentla facilité de courir librement dans toutes les anfes du port^
il la fit tranfporter , ôc l'ayant fait conduire de la ville au
château Saint Michel , il en ferma le golfe du miheu , afirt
qu'au moins cette partie fut à fabri de leurs courfes. Il défen-
dit auffi fous de rigoureufes peines d'amener aucun Turc pri-
fonnier dans la ville, ordonnant de tuer fans quartier tous ceux
qui feroient pris ? afin que les Turcs appriffent par là qu'il y
avoit des vengeurs de leurs cruautez ,ô^ afin que les Maltois
n'ayant point de grâce à attendre de la part des Infidèles ^
perfonne ne pensât à fe rendre 5 mais que la crainte d'un fup-
plice inévitable, s'ils tomboient entre leurs mains, les enga-
geât tous à combattre courageufement , ôc à fouffrir les der-
nières extrêmitez plutôt que de fe rendre , perfuadés qu'ils
n'avoient de falut à efperer que de leur fermeté ôc de leur
valeur.
Les Turcs ayant drelTé leur batterie fur la colline de Saint
Elme , comme Lafcaris l'avoir dit , commencèrent le 7 de Juil-
let à battre en même tems ôc le côté de la ville qui regarde
1 iij
70 HISTOIRE
■ * le coin du château Saint Ange , communément appelle TEpe*
Ch AR L E ^^^ ' ^ ^^ château Saint Michel. La batterie ne ceiFant ni jour
j X. i^i i^uit , ils y firent bien-tôt une très-grande brèche : ils ne don-
j j. ^ -^ noient aux afliégez le tems, ni de rétablir ce qui étoit détruit,
ni de faire de nouvelles fortifications. D'ailleurs comme on.
n'avoit pas crû que le château fût jamais attaqué de ce côté
là, le mur y étoit moins épais ôc moins fort^ ôc on ne l'avoit
pas muni d'un terre-plein.
Cependant Salvago , qui étoit retourné àMelIine pour hâter
les fecours, fit hautement fcs plaintes au Vicercij il prit Dieu ôc
les hommes à témoins des promefles qu'il lui avoit faites, ÔC
il le fomma de tenir fa parole. Non content de parler àDom
Garcie avec tant de liberté , il cria publiquement devant le
peuple , qu'on ne tenoit aucune des paroles qui avoient été don-
nées j ôc que parla faulfe prudence , ou plutôt par la lâcheté
ôc la négligence du Viceroi , tout l'ordre de Saint Jean de Je-
rufalem alloit devenir la proie des ennemis du nom Chrétien.
Dom Garcie ne refufa pas d'abord les fecours qu'on lui deman-
doit : il répondit feulement, félon fa coutume, en termes équivo-
ques, ôc allégua beaucoup de mauvaifes raiions; mais quand il vit
que Salvago fe plaignoit devant le peuple,qu'il fe faifoit écouter,
ôc qu'on prenoitfon parti , il crut qu'il étoit perdu de réputation,
s'il ne juftifioitle retardement. Il avoua donc qu'à la vérité il
avoit promis des fecours au Grand Maître de Malte,mais il ajou-
ta qu'il ne les avoit promis que fur des efperances, dont il avoit
été fruftré : Que les cent vingt-cinq galères^ promifes parle Roi
d'Efpagne avoient été réduites à quatre-vingt-dix, qui n'étoit
pas un nombre capable de refifter aux forces des Turcs : Que
d'ailleurs Philippe lui avoit ordonné de prendre garde en
fecourant Malte , de ne pas hazarder témérairement une ar-
mée navale , qui étoit toute Pefperance , ôc toute la reflburce de
la Chrétienté j qu'ainfi il demandoit du tems , pour délibérer
avec tous les chefs de l'armée auxiUaire lorfqu'ils feroient arri-
vez , ôc pour fecourir à propos l'ifie de Malte. Pour perfuader
à Salvago que le plus grand de fes foins , ôc la chofe qu'il avoit
le plus à cœur, étoit la délivrance de Flfle, il ajouta qu'il avoit
imaginé certaines chofes, pour fuppléer par l'art à ce qui man-
quoit à la force. Les plus habiles dans la navigation regar-
dèrent ce difcours , comme une vaine oftentaiion ôc une
D E J. A. D E T H O U , L I V. XXXVIIL 7 i
vraie défaite , pour excufer fes retardemens. m— ^
~ Jean André Doria arriva à propos pour terminer cescontefta- (^ u a r i e
tions. Ayant appris l'état où l'ifle de Malte étoit réduit , il décida t v
qu'il falloit abfolument lafecourir, fans aucun délai. Il déclara, , - ^*
après avoir expofé la manière dont il exécuteroit fon delTein,
qu'il étoit prêt de pénétrer jufque dans la ville de Malte avec
troisgaieres,quiporteroient douze cens hommes d'élite. Dom
Garcie applaudit d'abord à cette propofition , ôc engagea Doria
à jurer foiemnellement qu'il exécuteroit un fi beau defleinimais
par une fecrette envie il changea bien-tôt de fentiment ; il ren-
voya Doria , pour faire pafTer à Malte les troupes que Chiapino
Vitelli avoir levées en Tofcane, & l'armée navale d'Efpagnequi
étoit arrivée à Gènes. Cependant afin qu'on ne crût pas qu'il
rejettoit entièrement Pavis de Doria , & qu'il fe foucioit peu
de la trifte fituation de Malte , il chargea du foin d'exécuter ce
projet Pompée Colonne, général des galères du Pape, auquel
il joignit Jean de Lugny , & François Zanoguera. Colonne
ayant averti la Valette de fon arrivée, reçut pour toute répon-
fe un fignal , qui lui faifoit entendre que les paffages étoient
fermez, ôc qu'il pouvoir s'en retourner. Ainfi il revint en Si-
cile fans avoir rien fait.
Les châteaux & la ville étant invertis ôc ferrez de très-près,
& la batterie continuelle des Turcs , qui tiroient du château S.
Elme fur celui de Saint Michel , empêchant les efquifs d'aller
de côté ôc d'autre, pour porter des vivres 5 la Valette, fuivant
le confeil de Pierre de Monté, qui commandoit dans le château
Saint Michel, trouva un remède à ce mal. 11 fit faire un pont
de tonneaux mis les uns fur les autres, avec une efpece de
plancher affez large, pour contenir deux foldats marchant de
front. Ce pont alloit du château à la ville , ôc formoit un che-
min plus court ôc plus affuré pour porter des vivres ôc des mu-
nuions.
Mais fur ces entrefaites Haflan ^, Bey d'Alger, qui comme
nous l'avons dit, étoit le principal auteur de cette guerre , arri-
va avec vingt-huit petites galères ôc deux grandes , fur lefquel-
îes il amena deux mille bons foldats. A leur arrivée Muftapha
fut tranfporté de joie. La nuit fuivante il trouva le fecret de fai-
re entrer par adrefle dans le port delà ville environ cinquante
ï ou Hufcen fils de BarberoufTe.
72 HISTOIRE
- efquifs , fur lefquels il y avoit deux mille hommes , dont il
Char LE ^'^^"'^ ^^ commandement à Ulucciali, ôc il pofta du côté de la
jY terre iix mille hommes, avec lefquels il réiblut d'attaquer la
^* ville des deux cotez. Ainfi dès le matin du 1 7 de Juillet , il don-
na ordre aux petits vaiffeaux de s'éloigner de la langue de terre>
dont nous avons ci-deflus parlé : aufli-tôt les troupes qui étoient
delTus jetterent de grands cris , ôc allèrent attaquer le château»
après avoir en vain eflayé d'abattre avec des cordes la paliflade
qu'on avoit élevée en cet endroit.
Dans le mêmetems d'autres troupes s'approchèrent parterre
des murailles. Mais celles qui étoient venues du côté de la
mer n'ayant pu defcendre à caufe de la pahlTade, fe détour-
nèrent vers l'éperon, 6c defcendirent proche un cap, oii il y
avoit une défenfe , lieu rude ôc difficile pour unedefcente. L'ar-
deur qui les animoit les empêcha de confiderer le péril. Quoi-
que les affiégez euflcnt déjà fait plufieurs décharges fur eux, les
Turcs ne laifl'erent pas de drefler leurs échelles en grand nom-
bre, ôc de s'efforcer de monter fur l'éperon, tandis qu'une par-
tie monta à la brèche , qu'on avoit prefque mile de niveau avec
la terre. Là , les affiégeans ôc les affiégez combattirent en quel-
que forte, comme s'ils avoientété en plaine, ôc en bataille ran-
gée. On combattit long-tems , ôc avec une extrême opiniâ-
treté du côté de la terre, comme du côté de lamer: de toutes
parts l'air retentiffoit des cris des Turcs , des plaintes des mou-
rans , du bruit de la moufqueterie ôc du canon.
Enfin après un grand carnage des Turcs, qu'une aveugle fu-
reur tranfportoit ôc faifoit avancer trop loin , les affiégez for-
tifiez par le fecours des Chevaliers ôc desfoldats , que le Grand
Maître avoit envoyez fous la conduite de Pierre de Gou y de
François Ruiz de Médina , ôc d'Efprit de Brunifay de Quincy ,
ôc encouragés par la préfence de Monte , qui couroit par tout, *
ôc qui faifoit avec une dihgence inconcevable les plus petites
çhofes , comme les plus grandes , mirent en fuite les affiégeans
qui n'étoient plus affcz forts pour donner un affaut. Plulieurs
fuyars furent tuez par les Chrétiens qui les pourfuivoient. Le
plus grand nombre voulut fejetterdans les efquifs j mais com-
me ils étoient épouvantez, qu'ils ne gardoient point d'ordre,
^ qu'ils fe pouflbient violemment \ts uns les autres , plufieurs
fe laifferent tomber dans la mer. Ceux qui étoient dans les
efquifs
DE J. A. DE THOU. Lrv. XXXVIII. 75
cfquifs périrent comme les autres, parce qu'étant entrez en trop
grandnombre, les efquifs trop chargez coulèrent à fonds. Plu- c h a r l e
fleurs qui ne trouvèrent pas d'efquifs prêtS , aveuglez par la j y
frayeur dont ils étoient faifis , fe jetterent dans la mer , ôc corn- j ^ ^*
me ils ne fçavoient pas nager, ils furent noyés. C'étoit un hor-
rible fpectacle, de voir la mer toute couverte de cadavres, de
têtes , de membres coupés , de cafques & de cuirafTes.
De tous ceux qui avoient combattu du côté de la mer , il ne
s'en fauva que fix cens, qui retournèrent joindre l'armée. Le
carnage fut moins grand du côté de la terre -, car il n'y en eut
que quatre cens de tuez. Les affiégez perdirent quatre-vingt- .
dix hommes d'élite , 6c quelques Chevaliers. François Zano-
guera, Simon de Melo Portugais , de Gordes fergent major,
Frédéric de Tolède fils de D. Garcie , Roderic de Cardine ,
& Brunefaye de Quinci furent dangereufement blefTés. Quinci
s'étoit diftingué par les grands ôc importans fervices qu'il avoit
rendus pendant le fiége. Ce fut lui qui par une rufe falutairc
éluda les ordres de Garcie , qui trompa Cardone > Ôc qui fit à
propos entrer dans l'Ifle unfecours, dont elle avoit un fi grand
befoin : il mourut de fa blelTure. Le Grand-Maître fit égor-
ger tous les prifonniers Turcs fans exception.
Cependant les afiiégez n'interrompoient pas leurs travaux.
Tandis que Muftapha accablé de chagrin ôc de honte , ayant
fait cefTer la batterie , faifoit tranfporter le canon en un autre -
endroit , où il efperoit faire une plus grande brèche , ils réta-
blirent en peu de jours, parleur alTiduité au travail, ce qui avoit
été ruiné 5 ôc ils fermèrent tout ce qui avoit été ouvert : de forte
qu'il falloir battre de nouveau les murailles. Il n'y eut qu'un
feul endroit qu'il ne fut pas poffible de réparer î ( c'étoit celui
que Melchior de Robles, maréchal de camp, d'une expérien-
ce confommée dans la guerre, avoit entrepris de défendre avec
Carlo Ruffo^) parce que les Turcs avoient élevé là une plate-
forme fi haute , qu'elle égaloit prcfque la muraille du château.
Ainfi pour fortifier en quelque forte cet endroit , communé-
ment appelle la Bormola ou le Bormelo , la Valette fit fermer
dans toute fa longueur cette cale, par une chaîne entrelaffée de
fortes antennes i ôc il lit provifion de quantité de feux d'artifice ,
ôc de chaudières de poix fondue , pour les jetter fur les enne*
mis aux endroits qu'ils pouroient attaquer.
Tome y. K
Ch ARLE
74 HISTOIRE
Muftapha changea la forme du fiége. Comme les ruines dé
la muraille , qu'on n'avoit pu rétablir , fembloient fervir de dé-
-lAK-Lt fgj^Cgg ^^^ affiégezj il prit le parti delafapperj mais on fit en
dedans une profonde coupure ;, qui rendit ce travail inutile. Le
' -^ ^' général Turc changea encore une fois de defTcin , ôc réfolut de
faire continuer le retranchement, qu'il avoir commencé fur le
rivage , ôc qui touchoit prefque lamuraille.ôc de le pouffer juf"
qu'au château verslaBormola^ de l'autre côté, il fit fairefur le
parapet même du fofie des mantelets affez hauts , pour mettre les
foldats à couvert du feu du château. Enfuite il fit conftruire fur
le bord de ce même foffé un pont femblable à celui qui avoit été
fait au Fort S. Elme, avec de grandes antennes ôc de très grands
mâts de vaiffeaux. Quoique ce pont n'incommodât pas beau-
coup les afîiégez, le Grand-Maître tenta deux fois pendant la
nuit d'y mettre le feu , mais inutilement. Enfin il donna ordre à
Henri Parifot de la Valette , fils de fon frère , de faire un dernier
effort pour le ruiner. Henri, emporté par le feu delà jeuneffe ;
fortit en plein jour du château avec un détachement de la gar-
nifon ^ à deffein d'attacher des cables aux pièces de bois qui
foûtenoient le pont, de faire enfuite tirer ces cables par lagar-
nifon , ôc de le renverfer. Mais il fut tué dans cette entreprife
d'un coup d'arquebufe , ôc fon corps emporté dans le château.
La Valette fon oncle foûtint cette perte avec beaucoup de
confiance : il dit qu'il eftimoit bienheureux ceux qui perdoient
ia vie pour la cauîe de Dieu , ôc qu'ils lui fembloient avoir af-
fez vécu pour leur falut ôc pour leur gloire , puifqu'ils avoient ^^
avec autant de religion que d'honneur, rendu à Dieu Famé
qu'ils avoient reçue de lui. On tenta depuis la même chofe
par deux autres moyens , qui furent prefqu'auffi funeftes aux
afîiégez.
Cependant les Chevaliers de chaque Nation, qui avoient
entrepris de défendre chaque quartier de la ville ôc du châ-
teau , s'acquittoient dignement de leur devoir , fans aucune
appréhenfion de la mort. Il y en avoit tous les jours plufieurs de
bleffés , dans les combats prefque continuels qu'il falloit effuyerj
d'autres mouroient de maladies caufées par les chagrins , les
travaux ôc les peines : de forte qu'il étoit tous les jours nécef-
faire d'en mettre de nouveaux , à la place des morts Ôc des blef-
fés. Le Grand - Maître fur tout faifoit paroitre un courage
D E J. A. D E T H O U , L I V. XXXVIIL 7;
héroïque , ôc joignoit à toutes les vertus d'un grand Général , , nnu.
qui éclatèrent dans le cours du fiége , un généreux mépris de la C h a r. l e
vie. Ainfi ayant appris que Muftapha , avoit plufieurs fois juré j v '*
que quand il fe feroit rendu maître de la ville , il ne feroit quar- i ^ <\
tier à qui que ce fut , qu'au feul Grand-Maître , parce qu'il
avoit réfolu de le mener en triomphe , &c de le préfenter au
Grand Seigneur : il protefta fouvent en préfence des principaux
Chevaliers de l'Ordre , que Ci le fiége avoit un mauvais fuc-
cès , il vouloit les accompagner à la mort , comme il les avoit
accompagnés au travail î qu'il prendroit l'habit d'un fimple fol-
dat , pour combattre dans la foule j & que pour mourir incon-
nu , les armes à la main , il fe jetteroit dans le fort de la mêlée ,
plutôt que d'attendre la vie de la faveur d'un barbare ^ & d'ê-
tre refervé pour contribuer à la gloire de Soliman, après avoir
été le fujet du triomphe Ôc de la joie de ?vlufl:apha.
Cependant l'ennemi continuoit de battre la ville, ôc le châ-
teau S. Michel , avec foixante gros canons , en plufieurs endroits
à la fois , afin que la Valette , qu'il croyoit hors d'état de fuflire
à tout, avec le peu de troupes qui luireftoit , perdît l'efpérance
de pouvoir conferver la ville, ôc fut forcé de fe rendre. On
tiroit avec tant de furie, que malgré le grand éloignement, le
bruit des batteries fe faifoit entendre jufque dans la Sicile :
c'efi: au moins ce que quelques hiftoriens ont écrit. Comme ^
l'eau n'eft pas abondante dans l'ifie de Malte , le Grand-Maî-
tre, qui craignoit qu'elle ne manquât entièrement, avoit foin
de la faire diftribuer par tête avec une certaine mefure. En un
mot les afiiégez étoient réduits à la dernière extrémité 5 ôcc'eft
ce qu'on avoit foin de faire repréfenter à Dom Garcie , par les
barques qu'on lui envoyoit à la dérobée > toutes les fois que
i'occafion s'en préfentoit. La crainte qu'on eut à Malte , que
les fecours dont l'efpérance avoit jufqu'alors foûtenu les allié-
gez , ne vinflent trop tard, fut le plus grand de tous leurs maux,
ôc celui qui les tourmenta le plus , dès qu'ils fe furent mis dans
l'efprit, que fi ce fecours tardoitplus long-tems, il feroit entiè-
rement inutile.
Du côté des ennemis, les affaires n'étoient pas en meilleur
état. Ils commcnçoient à manquer de blé, parce qu'il falloitle
tirer de loin j ôc que fouvent les convois étoient arrêtés par
différentes caufes. D'ailleurs les fatigues exceffives , ôc les
^* HISTOIRE
,__^,^_^__ chaleui^s infupôttables caufoient dans leur atmée diverfes maîa-
'7^ dies, ôc principalement un flux , qui en emportoit chaque jour ,
, Y ^ un grand nombre. Enfin le bruit qui fe répandoit, que cent ga^
léres ôc quarante vaifTeaux de charge alloient certainement ar*
^^* river , inquiétoit cruellement Muftapha. Aufîî faifoit-il tout ce*
qui étoit poflible , pour prévenir par fa diligence le danger exT
trême dont il étoit menacé.
Dom Garcie faifoit toujours efpérer au Grand-Maître Fac^
- compliflement de ce qu'il lui avoit promis : fur la fin de Juilleî
il l'exhorta à tenir bon pendant le mois d'Août , l'affurant qu'il
avoit recju de Philippe des ordres , qui lui laiflbient plus de
pouvoir ôc de liberté j que pour lui , il attendoit l'aflemblée
des troupes , qui fe devoit faire à MefTme avec autant d'impa-
tience , qu'on fouhaittoLt leur arrivée à Malte > qu'il faifoit dé-
jà, ôc qu'il continueroit de faire tous fes efforts, pour les alfem^
bler au plutôt. Garcie tâchoit en même tems d'excufer fes ré-
tardemens paffés : en attendant que l'armée navale arrivât, il dé-
pêcha le chevalier de Cornufibn avec les galères de l'Ordre;
ôc une troupe de gens d'élite , à qui il donna les enfeignes dont
on étoit convenu. Il fit aufïi prendre les devants aux bâtimens
de charge , parce qu'ils voguent plus lentement , ôc il les en^
voya à. Saragoufe.
Cependant les Turcs ne difcontinuoient point leurs batte-
ries ; non - feuloment les murailles , les fortifications , ôc les
dehors du château Ôc de la ville, mais les maifons ôcle dedans
des édifices étoient renverfés : en forte qu'il n'y avoit plus d'en^
droits où l'on pût être en repos ôc en fureté , pas même les
fales à manger , ôc les chambres. Cependant les Maltois ne
perdoient point courage , ôc ne fe îaiiïbient point abbattre par
tant de maux ; mais chacun animé par fa propre valeur, ou par la
bravoure Ôcles exemples du Grand-Maître, qui foûtenoittout
avec un courage prefque au-deflus des forces humaines , fai-
foit avec une ardeur incroyable tout ce qui étoit de fon de-
voir.
Les Turcs 5 qui s'étoient approchés de la muraille du coté du
quartier de Caftille , fe trouvant incommodés d'une tour qui
les dominoit , réfolurent de remplir le foffé des pierres de la
contrefcarpe , qu'ils démolirent. A mefure qu'ils apportoient
ces pierres , les afliégez travailloient à \qs ôter : mais comme
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVIII. 77
ks Turcs avoient beaucoup plus de travailleurs, ilétoit impof- "
fible aux alliégez de nettoyer le fofTé de tout ce que les affié- Charle
geans y apportoient. Enfin Muftapha ayant eu des nouvelles j x.
certaines de l'armée navale des Chrétiens , par deux galères que 15^^;.
Piali lui avoir envoyées , ôc ne croyant pas devoir expofer des
troupes fatiguées à des troupes toutes fraîches , penfa ferieufe-
ment à lever le fiége :mais Ulucciali s'y étant oppofé J'affaire
fut mife en délibération dans le Confeil , ôc lapluralité desfuf-
frages fut pour la continuation du fiége.
Les Turcs ayant continué leurs travaux , étoient déjà logés
fûrement dans le foffé , & près de la muraille , qu'ils pouvoient
fapper ou miner, fans qu'on pût les en empêcher. Mais il ar-
riva un accident qui découvrit leur entreprife. L'angle d'un
baftion , fous lequel on avoir miné la terre , tomba j ôc André
Mugnatones , brave Efpagnol , étant entré avec plufieurs au-
tres dans cette ouverture , rendit inutile le travail de plufieurs
jours. Muflapha attaqua encore le château le deux d'Août , &t
donna l'affaut au quarder que Ruffo défendoit. Les affiégez le
foûtinrent avec tant de vigueur , qu'après un combat de plu-
fieurs heures , les afTiégeants furent repouffés , mais ce ne fut
pas fans perte du côté des afiîégez, parce que pendant tout le
combat ils furent très-incommodez des batteries qui tiroient
fur eux de toutes parts. Le foffé du quartier de Caftille , que
les affiégez avoient prefque vuidé, fut rempli une féconde fois
de matereaux ^ de moilons ôc de décombres. Après avoir paffé
quatre jours en légères efcarmouches, Muflapha envoya le fept
d'Août trois mille hommes, pour attaquer la place de ce côté-
là , ôc il alla lui-même avec huit mille hommes attaquer le châ*
teau S. Michel. On ne combattit prefqu'avec des flèches à l'at-
taque de la ville. Mais le combat fut fi terrible à celle du châ-
teau , qu'il n'y en avoir point encore eu de fi meurtrier. On ne
combattit pas de loin avec des flèches , mais de près avec l'épée
ôc la pique. Les feux d'artifice, qu'on lançoit de part ôc d'autre ,
formoient un fpeèlacle épouvantable. Le lieu du combat pa-
roiffoit tout en feu à ceux qui le voyoient de loin j ôc c'étoit
la chofe la plus trifte ôc la plus affreufe , de voir tant de divers
genres de mort. Les uns périffoient miferablement d'un feu dé-
vorant dont ils ne pouvoient fe délivrer, Ôc qui les confumoit
avec d'horribles douleurs j les autres précipités d'en haut , U
K iij
*?S HISTOIRE
1 I ■ brifoient la tête ôc le corps ; plufieurs étoient mis en pièces pair
C H A R L E ^^ canon > & cribles par les arquebufes. On voyoit voler de tou-
j y tes parts les têtes ôc les membres des combattans. Les alTié-
I f 5 'f S^2 étoient fur tout maltraités par les coups qu'on tiroit d'en
^ haut. Mais outre leur courage naturel qui les foûtenoit , ils
étoient animés par l'exemple des femmes 3 des enfans ôc des
vieillards les plus caducs , qui étoient accourus pour prendre
part au péril ; tant la crainte de tomber entre les mains des
Turcs avoir fait d'impreflîon fur tous les cœurs , ôc l'emportoit
fur tous les autres fentimens de la nature. Les femmes rem-
plies d'wn courage au-deffus de leur fexe ^ voloient aux lieux ok
il y avoit le plus de danger : elles aidoient les combattans à tout
ce qu'elles pouvoient , apportoient de l'eau pour éteindre le
, feu , ôc jettoient fur les Turcs , ou des pierres , ou de l'eau bouil-
lante i ou de la poix fondue.
Muftapha, qui étoit préfentavec les principaux Chefs ^ alloit
de tous côtés , ôc obligeoit ceux qui le retiroient à retourner
au combat, criant de toutes fes forces , ôc aiTurant que s'ils fai-
foient encore quelques légers efforts , ils feroient bien-tôt maî-
tres de la place , ôc que ce fuccès mettroit fin à tous leurs tra-
vaux. Enfin, après quatre heures d'un combat qui s'échauffoit
de plus en plus à chaque moment , lorfque les affiégez com**
mençoient à manquer non de courage mais de forces , Muf-
tapha fit inopinément battre la retraite , au grand étonnement
du Grand-Maître, qui étoit fort inquiet de Févenement.
Ce qui détermina Muftapha à prendre ce parti , fut, comme
on l'a fçû depuis , que Mefquita gouverneur de la Cité , ayant
vu, d'une guérite où il étoit , les feux dont nous avons parlé 5 ôc
croyant que le château S. Michel brûloir , ôc qu'il étoit prefTé
par les affiégeans y avoit envoyé , pour faire diverfion , Jean de
Lugni ôc Vincent Ventura , avec une troupe d'arquebufiers ,
qui attaquèrent le camp des ennemis du côté ou étoient les
blcfTés ôc les malades , dont ils firent un grand carnage. Cet
événement caufa un fi grand défordre dans le camp , que les
Janififaires s'imaginant que le fecours étoit arrivé , crurent qu'ils
dévoient promtement en donner avis à Muftapha. De forte
que ce Général , qui foupçonnoit auiïi la même chofe , fit ccffer
le combat, ôc revint très-promtement trouver ceux qu'il avoit
laiffés au camp. Ayant appris ce que c'étoit , Ôc indigné d'avoir
D E J. A. D E T H O U, L I V. XXXVIII. rff>
fi lâchement interrompu le combat , il fit recommencer la bat- mmamm
terie du même côté. Mais comme les aflie'gez avoient fait une Ch a r L E
coupure en dedans , il faifoit peu de progrès , fur tout depuis que j ^
François de Guevara eut inventé une efpéce de facs faits d'u- j e ^ c^
ne groffe étoffe , qu'on rempliffoit de terre bien menue, bien
criblée , ôc détrempée dans l'eau î on fortifia les remparts
avec ces facs de terre 5 ôc l'on fit enforte par ce moyen , que
le canon , qui perçoit auparavant des remparts de vingt pies
d'épaiffeur , ne pouvoir plus pénétrer que fept pies.
Le chevalier de CornufTon étant arrivé à la vue de Plfle ;
ôc trouvant toutes les entrées fermées , retourna en Sicile avec
les deux galères de l'Ordre dont nous avons parlé , moins
par l'appréhenfion de perdre fes gens , que par la crainte que
les Turcs ne découvrilîent les deffeins des Chrétiens. Mais il
envoya dans un efquif Jean Bariento de Salazar, qui alla au Go-
ze , ôc vint enfuite defcendre à la ville de Malte d'où ayant reçu
du Gouverneur une efcorte d'infanterie ôc de cavalerie , il s'ap-
procha du camp des ennemis, à la faveur de la nuit , par des
chemins de traverfe. Ayant fait arrêter fon efcorte, il fe cacha
avec cinq cavaliers dans un lieu commode j dès la pointe du
jour, il examina le camp des ennemis , fafituation , ôc tout ce
qu'on a coutume de confidérer en pareille occafion 5 ôc aulli-
tôt il retourna trouver fes gens.
Dom Garcie , qui jufque-Ià n'avoir fçû quel parti prendre,
voyant qu'il n'y avoit plus moyen de différer , ôc qu'il falloic
enfin prendre une réfolution , propofa l'affaire dans le ConfeiL
Il n'avoir jamais été d'avis de donner un combat naval, com-
me Doria l'y exhortoit, ôc il n'y eut ni autorité , ni raifons>
qui puflent le faire changer de fentiment h il déclara hau-=
tement qu'il n'expoferoit jamais à un fi grand danger la flotte
du Roi fon maître , parce que fi elle étoit une fois perdue , les
côtes des Royaumes de Philippe demeureroient fans défenfe^
expofées aux incurfions des Turcs. Ainfi fans vouloir rien écou-
ter davantage fur ce fujet , il ne déliberoit que fur les moyens
d'envoyer des troupes de terre à Malte. Il convoqua pour cet
effet un grand Confeil, où alTilta entre les autres Afcanio de
la Cornia , qui avoit été mis en prifon , comme nous l'avons
dit j ôc à qui le Pape avoit accordé la liberté avec beaucoup
xle peine, aux inftanres prières du roi d'Efpagne, Le Viceroi
«® HISTOIRE
^„^.„^,.,„^ leur dît le fujet pour lequel il les avoir afTemblés. Il leur fît ett-
"Z ~ tendre que n'approuvant pas le parti d'un combat naval , il ne
T V s'agiflbit que des troupes qu'on pourroit envoyer à Malte 3 ôc
' que fur cela il avoit deux queftions à propofer : l'une comment
■^ ^' on pourroit faire entrer dans l'Ifle des troupes fecrétement ÔC
en fureté : l'autre , s'il en falloir envoyer, ôc Ci l'on devoit com-
battre fur terre, en casque l'occafion s'en préfentât ? Les capi-
taines de l'armée navale , qu'on pria d'opiner les premiers ;
convenoient tous qu'on pouvoit faire pafTer des troupes en fu-
reté 5 ôc ils montroient que la chofe n'étoit pas difficile. Les
capitaines des troupes de terre ne s'accordoient pas fi bien. Al-
vare de Sande grand Capitaine , foit qu'il appréhendât de re-
tomber entre les mains des Turcs , dont il étoit nouvellement
forti , foit qu'il voulut par complaifance pour le Viceroi , entrer
dans fes fentimens , ôc juftifier fes délais , fe déclara contre le
voyage de Malte , ôc foûtint que le roi d'Efpagne n'étoit obligé
ni par devoir , ni par intérêt à fecourir les Chevaliers, lorfqu'il
ne le pouvoit faire fans un danger évident.
Il difoit pour apuyer fon fentiment , qu'ils étoient inférieurs
aux Turcs , ôc en galères ôc en troupes , puifque les Turcs avoient
quatre vingt galères , ôc au moins feize mille hommes, ôc que
les Chrétiens n'avoient pas plus de foixantc galères ôc plus de
^ huit mille hommes j que ce qui rendoit encore la partie bien
moins égale , étoit que les Turcs, nourris ôc entretenus dans une
fevére difcipline , avoient non-feulement plus de forces , mais
plus d'obéïflance ôc de foûmiffion , pour fe foûtenir dans les
travaux ôc dans les dangers , ôc que les foldats qui étoient
fur la flotte des Chrétiens , étoient ou des troupes nouvel-
lement levées , ou des hommes énervés par la molleffe ôc
l'oiAveté , qui refufoient pour la plupart d'aller au combat,
ou qui abandonnoient leurs enfeignes prefqu'auffi-tôt qu'ils
avoient vu l'ennemi. D'oii Sande concluoit , que puifqu'il n'y
avoit pas moyen de fecourir l'Ordre de Malte, il falloit écrire
au Grand-Maître^ qu'il vît ce qu'il avoit à faire , ôc lui confeiller
que comme le Grand-Maître de Villiers-rifle-Adam avoit au-
trefois fait à Rhodes , il traitât avec le Turc pour la conferva-
tion ôc la fureté de fon Ordre -, ôc qu'il fortît de Malte aux con-
ditions les plus honnêtes qu'il pourroit obtenir , parce que quand
.cette lile feroit prife j les affaires du roi d'Efpagne ne feroient
pas
DEJ. A. DETHOU, LiV. XXXVIII. 8r
pas entièrement perdues ; ôc que la Sicile étant fi proche , on «
pourroit toujours efpérer de la reparer. C H aRle
Lorfque de Sande eut fini, Cornia dit qu'on ne pouvoit, fans j ^
fe rendre coupable j refijfer des fecours aux afiiégez; ôc il fit i ^ 5 r.
voir qu'on les pouvoir fecourir fans aucun danger , en obfer-
vant , lorfque la flotte feroit arrivée à Malte , ( ce que les plus ^
habiles marins avoient déjà afluré unanimement être facile 3)
de débarquer les troupes auprès de la Cité notable , ou an-
cienne ville j de les faire avancer peu à peu vers la ville Ôc
le camp des ennemis , qui n'en étoient éloignés que de huit
milles î de les faire camper chaque jour dans un lieu avanta-
geux ; de fe fortifier dans tous les campemens 5 de ne point
s'expofer aux rifques d'un combat , ôc de fe joindre aux afiié-
gez. ce Alors, ajoûta-t'il , ou les Turcs perdront l'efpérance de
prendre Malte, ôc ils fe rembarqueront; ou s'ils ne veulent
pas abandonner leur entreprife , ils tourneront leurs forces
contre les troupes Chrétiennes : ôc dans ce cas, quoi qu'ils
ne lèvent pas abfolument le fiége , ils ne garderont pas
leurs poftes avec tant de foin ; on pourra faire entrer des
troupes fraîches dans la place ; le Grand-Maître ôc fes trou-
pes auront le loifir de prendre quelque repos , ôc de fe re-
mettre de leurs fatigues. Pendant ce tems-là les troupes au-
xiliaires demeureront dans leurs retranchemens : elles ne don-
neront à l'ennemi aucune occafion d'en venir à une batail-
le , ôc elles attendront en fureté le fécond convoi. Toutes
les troupes étant enfin arrivées , il eft certain que , fi on ell
obligé d'en venir aux mains , les Chrétiens l'emporteront
fur les Turcs , ôc par le nombre , ôc par la valeur , ôc par les
autres avantages. «
Comme chacun embrafibit cet avis , le Viceroi crut qu'il
lui feroit honteux de nes'y pas rendre i ôc il fut réfolu qu'aufii-
tôt que Doria auroit amené les troupes que Chapino Vitelli le-
voit en Tofcane , on iroit au fecours des afiiégez. Bien -tôt
après Salazar arriva de Malte , ôc apporta des lettres écrites
par Vincent Anaftagi à Afcanio de la Cornia , dans lefquelles
U lui faifoit connoître la fituation de l'Iflc, la forme de la ville ,
la nature des lieux, les diftances de l'un à l'autre , Ôc les lieux
propres à recevoir l'armée navale. Il y joignoit la defcription
du camp des ennemis , ôc il entroit dans un long ôc fidèle détail
Tome V, L
82 HISTOIRE
I I de tout ce qu'il étoit à propos de fçavoir fur tous ces fujets.
Ch A R L E ^^^ attendoit encore avec une partie de la flotte Jean de Car-
I X. donc, qu'on avoir envoyé àPalerme pour remorquer les vaif-
j <; 6 <. f^^u^ ^^ charge , ôc Sancho de Leyva , qui étoit allé à Tu-
nis, pour faire paiïer de là à Malte un fecours d'hommes ôc des
munitions de guerre.
Cependant les ennemis ayant réfolu de ruiner entièrement
ce qu'ils avoicnt en vain eflayé de prendre , partagèrent leurs
troupes , ôc tirèrent au fort. L'attaque du château S. Michel
échut à Mudapha , & celle de la ville à Piali. Ce partage inf-
pira de l'émulation aux deux Commandans , parce qu'ils cru-
rent que celui qui auroit vaincu le premier , auroit la gloire
d'avoir terminé cette guerre , & tout l'honneur de la victoire.
Ainfi en ramaffant toutes leurs forces, ils recommencèrent à
battre & le château ôc la ville j ôc ils s'y portèrent avec d'au-
tant plus d'ardeur, qu'on reçut dans le même tems des lettres
de Soliman , qui commandoit aux Bâchas d'employer toutes
fortes de moyens pour fe rendre maîtres de Malte , ôc s'ils ne
pouvoient en venir à bout avant la fin de l'automne , de palTer
i'hy ver dans ride.
Ayant donc armé quatre mille hommes de la Chiourme , ils
refolurent de donner un aflaut général ^ ôc ils promirent d'a-
bandonner le butin au foldat. Ils donnèrent en effet deux af-
fauts le 1 8 ôc le i p d'Août avec beaucoup de vigueur , attaquant
en même tems la ville ôc le château avec trois differens corps
de troupes. Comme le combat fut très-long ôc très-opiniâtré^
il y eut un grand nombre de tués de part ôc d'autre. Le Grand-
Alaître ayant appris qu'on étoit fort preffé au mur du quartier
de Caftiile , ôc que les ennemis y étoient déjà montés , y ac-
courut, ôc fa préfence fembîa redoubler le courage des aiïié-
gez , qui fe défendoient avec beaucoup de valeur : les femmes
même combattirent avec une hardieffe inconcevable ; enfin les
Turcs furent repouffés.
Ces Infidèles, voyant que les attaques qu'ils faifoient pendant
le jour ne reCifiiffoient point, vinrent à la charge pendant la nuit
au clair de la lune, mais avec aufîi peu de fucccs ; car ils furent
repouffés avec perte. Dès le matin ils recommencèrent le com-
bat, moins dans l'efpérance d'emporter ce qu'ils attaquoient,
que de vaincre enfin par la iaffitude ( ne pouvant faire autrement)
DE J. A. DE THOU, L i v. XXXVIIL S^
ceux qui étoient de; à accablés de tant d'autres maux. Cela fit
que les Chevaliers uferent d'une plus Prande précaution ; & r^„ . ^ r t-
que pour repouiier Iqs aiiiegeans, ils ne le montroient pas auiii- t ^
tôt qu'ils étoient attaqués, pour ne fe pas expofcr à des coups r <\
qui ne portoient prefque jamais à faux , ôc qu'il n'étoit pas fa-
Cilc d éviter.
Tandis qu'on combattoit, il vint un homme tout tremblant
au Grand-Maître , criant que tout étoit perdu , & que les Turc3
étoient entrés par l'endroit dont nous avons parlé : les aiîiégez
étoient en effet de ce c6té-là réduits à la dernière extrémité.
Mais encouragés encore une fois par la préfence du Grand-
Maître , ils chargèrent avec plus d'ardeur qu'auparavant , re-
pouffèrent & culbutèrent les Turcs. On en fut particulière-
ment redevable au courage ôc à l'intrépidité de Laurent Guaf-
coni, qui avec une troupe d'élite renverfa ceux des ennemis,
qui fappoient une défenfe où les affiégez étoient à couvert.
Comme dans le commencement de l'attaque du château S.
Alichelj les afiiégez combattoient avec moins de vivacité , les
ennemis fe perfuaderent qu'ils étoient las ôc abatus , ôc qu'ils
n'auroient plus la force de fe défendre. Cette idée fit qu'après
avoir pris un peu de repos , ils revinrent à la charge : mais trou-
vait toujours dans les afiiégez le même courage , ils furent en-
core repouffcs avec perte. François de Guevara fit fort bien
dans certe occafion , comme il avoit fait dans les autres. Car fe
jettant au milieu des combattans, ôc courant dans tous les lieux
où il y avoit le plus de danger , il montroit aux foldats un cru-
cifix : le Seigneur notre Dieu , leur difoit- il , vous deman-
de en ce moment le fang qu'il a autrefois répandu pour vous.
Ces paroles animèrent tellement les affiégez , qu'on ne pou-
voit dire lequel des deux les encouragcoit à combattre avec
tant de valeur , ou le defir de la gloire, ou le généreux mépris
des dangers Ôc de la mort, On combattoit non-feulement avec
des traits ôc des arquebufes , mais avec l'épée ôc avec des feux
d'artifice. Les Infidèles , fur qui les affiégez tiroient de haut en
bas , avoient toujours du défavantage 5 ôc le feu qu'on lançoit
fur eux, en brûloir un grand nombre, ouïes mettoit hors de
combat. Le lendemain la batterie n'ayant point difcontinuc
pendant toute la nuit , les affiégcans firent encore un effort ; mais
la valeur des affiégez étant toujours la même, ils furent encore
ïepouffés avec perte. L ij
H HISTOIRE
Ce qui caufoit le plus de dépit à Muftapha , cfl qu'il ap-
^ ~ prit par des déferteurs , que les Chrétiens avoient toujours beau-
ly coup de courage ôc de réfoiution , qu'ils avoient abondamment
* le néceiTaire , 6c qu'on donnoit à chacun par jour trois pains,
^ ^' Ôc une grande bouteille de vin : au lieu que les Turcs com-
mençoient à manquer des vivres , de poudre , de munitions ,
ôc principalement de boulets ; de forte qu'ils étoient contraints
de ramafier ceux qu'on tiroit fur eux. D'ailleurs les vaifleaux
de charge qu'on avoit envoyés à l'ifle des Gelves , dans la Ro-
melie, ôc dans la Sourie, pour en rapporter des vivres, ctoient
trop long-tems à venir. Quant àMuftapha, comme il avoit ré-
folu de paffer l'hyver dans flfle , fuivant les ordres de Soli-
man , il avoit fermé le port par une eftacade formée d'anten-
nes ôc de mats de vaiiTeaux , pour empêcher les déferteurs de
paffer en Sicile.
Cependant le viceroide cette Ifle ^ après l'arrivée deCardo-
ne ôc deLeyva, choifit fur toute la flotte foixante galères ,fur
lefquelles il y avoit huit mille hommes de guerre , ôc pour les
rendre plus légères , il en fit ôter tous les bagages. Il partit de
IVleffine , ôc alla à Saragoufe , où il trouva un grand nombre de
Seigneurs , qui s'y étoient aflemblés de toutes les parties du
monde. Là , comme on délibéroit dans le Confeil d'envoyer
devant une perfonne de conlidération à l'ifle du Goze j oii l'ar-
mée navale devoir aborder, pour convenir des flgnaux avec le
Gouverneur de la place , Jean-André Doria s'offrit d'y aller.
Quoi que par une fecrete jaloufie leVicerois'y oppofât, fous
prétexte qu'une pareille commifTion étoit au-deffous d'un Sei-
gneur de cette difbndion , Doria fit fi bien qu'il obtint ce
qu'il fouhaitoit, ôc qu'on le priât d'y aller. Il envoya devant lui
Marrinez : pour lui , il fut pendant quelques jours battu de la
tempête ; ôc après avoir vu deux fois le fignal dont on étoit con-
venu , il revint trouver Dom Garcie , qui étoit enfin parti le 24
d'Août de Saragoufe, faifant route vers flfle de la Lenofe. Mais
ayant pris en chemin un vaiffeau,que les Bâchas envoyoient à
i'Ifle de Gelves , comme le tems étoit contraire , ôc qu'il ne pou-
voir aborder ni à la Lenofe, ni àlaLampedofa, il fe détourna
vers Pantalari. Là les vents changeant à tous momens, ôc une
groffe pluye tombant continuellement , l'armée navale fut dif-
perfée de côté ôc d'autre •> ôc les vaiffeaux qui étoient demeurés
D E J. A. DE T HOU, Liv. XXXVIII. 8;
enfemble, fe choquant les uns les autres ^ briferent leurs épe- -
rons 6c leurs proues. La tempête étant apaifée ^ la flotte abor- Char LE
da à rille de Favagnana , qui n'eft pas éloignée de la ville de j x.
Trapano en Sicile. Après qu'on y eut demeuré quelques jours i c 5 ç.
pour refaire lefoldat des incommoditez de la mer , ôc y avoir
envain attendu Doria , l'armée navale vint à la Lenofa , elle y
prit les fignaux dont on étoit convenu avec le Commandant de
i'ifle du GozCj ôc continua fa route fans crainte. Mais durant
la nuit une partie de la flotte que Cardone conduifoit s'étant
égarée, Dom Garcie, qui avoit envoyé plufleurs elquifs aux en-
virons pour en fçavoir des nouvelles , fut furpris par le jour.
Alors tous les vaifleaux fe raffemblerent : mais on crut avoir
perdu pour cette fois l'occafion favorable du débarquement,
parce qu'on ne douta point que les Turcs n'euffent appcrçu
la flotte. On retourna donc vers le cap Paflaro en Sicile , ôc on
prit terre en un lieu appelle Poxal , ou plus de quinze cens foi-
dats déferterent.
Cet accident jetta Dom Garcie dans des nouvelles perple-
xitez î ôc il remit de nouveau l'affaire en délibération. Mais
ayant été raffuré par le retour de Doria , ôc craignant de fe ren-
dre odieux ôc blâmable , en s'oppofanr feul à l'ardeur de toute
l'armée y ôc en ne fe rendant pas aux vœux ôc à l'empreffement
unanime de tant de Seigneurs il donna ordre à tout , mit en.
écrit tout ce qu'il avoit réglé , ôc fe difpofa à partir. On nom-
ma cinq Chefs pour commander l'armée 5 Alvare de Sande,
pour les troupes de Naples ; Sancho de Londono , pour cel-
les de Milan i Gonzalez de Bracamonte , pour celles de Sar-
daigne : Afcanio de la Cornia fut choifi pour être maréchal de
camp. On arrêta qu'ils auroient tous le commandement après
le Viceroi , ôc qu'on fuivroit ce qui feroit décidé à la pluralité
des voix.
Cependant les Turcs j travailleurs infatigables , fouilloient
fans ceffe la terre , ôc creufoient des mines pour faire fauter
une partie de la ville. Mais pour empêcher l'exécution de ce
deffein , les afliégez également attentifs ôc laborieux contre-
minoient les mêmes endroits. Vers le quartier de Caftille , les
ennemis avoient déjà élevé une plate-forme fupérieure à la
ville , ôc l'avoient conduite jufqu'à la muraille : elle étoit large ,
Ôc munie de niantelets couverts de cuir 3 ils y logèrent deffus
L iij
S5 HISTOIRE
I— ..^jM^ii— , un bataillon d'arquebu fiers , qui incommodèrent d'abord ex-
Charle trêmement les afliégez.
j V II y en eut quelques-uns j qui furent d'avis , que puifqu'on ne
i ^ <\ pouvoir plus défendre cet endroit, on abandonnât la ville ôc
le château S. Michel, 6c qu'on fe retirât dans le château S.
Ange. Mais le Grand-Maître, plein de courage & de fermeté>
rejetta cet avis avec horreur , Rechargea le chevalier de Cier-
mont , dont on connoiflfoit la valeur & l'intrépidité , ôc Fran-
çois de Guevara avec une troupe d'élite , d'attaquer la plate-
forme des ennemis. Ils fortirent en diligence la nuit, par une
ouverture faite exprès à la muraille ; ils montèrent aulFi-tôt fui*
la plate-forme , culbutèrent le corps de garde que les Turcs
y avoicnt mis , & en tuèrent quelques-uns. Clermont comman-
da en mêmc-tems un grand nombre de Travailleurs , qui for-
tifièrent cette plate-forme, ôc il y mit une bonne garnifon.
Les Turcs voyant que les Chrétiens profitant d'un ouvrage,
qui avoir été dreflc avec tant de travail pour leur nuire , s'en
fervoient contre eux-mêmes , ôc défefpérant de pouvoir fe ren-
dre maîtres de la place , par le quartier de Caftille , tranfpor-
terent le dernier jour d'Août l'attaque aux endroits de la ville
les plus bas. Ils ufercnt d'une fi grande diligence , qu'avant
que les alTicgez euflent fait leurs mines , pour faire fauter les
ennemis , lorfqu'ils monteroient fur les murailles , ils étoient
déjà parvenus aux fourneaux 5 ils emportèrent même quelques
barils de poudre , ôc fe retirèrent en fureté. Le même jour on
donna un affaut au château S. Michel s mais les Turcs , après un
long combat furent encore repoulTés avec perte , quoi qu'ils
euitent ruiné une défenfe, dont il ne reftoit plus qu'une fimplc
cloifon de bois. Une groffe pluye , qui furvint alors , obligea
les affiégez de fe retirer. L'ennemi qui crut qu'ils avoient aban-
donné leurs poftes , donna un nouvel aflaut : mais comme il ac-
courut à la brèche plus de monde qu'il n'avoir efperé , il fut
encore repouile avec perte,
Muftapha ayant tant de fois tenté fans fuccès de s'emparer
des châteaux ôc de la ville , foit à force ouverte , foit par la rufe,
foit par les differens ftratagêmes qui font d'ufage à la guerre , ré-
folut de tourner toutes fes forces contre ce qu'on appelle la Cité \
I C'eft une partie de la ville de Malte , I eft plus avant dans les terres , ôc qu'on
(ju'il faut bien difxinguer de la ville qui I appelle la Cité notable.
DE J. A. DE T HOU, Liv. XXXVIIL 87
Comme il approchoit avec un gros détachement , les aiïîé- - ,
gez firent une vigoureufe fortie , ôc le foudroyèrent de leur r p^ ^j^l^
canon : d'où il conclut qu'il n'auroit pas moins de peine à la j'y^
Cité , qu'il en avoit eu à la ville. Cependant comme lesfoîdats ^ '
Turcs fe plaignoicnt hautement dans le camp , de ce qu'on les
expofoit à la boucherie y comme des gens vils & méprifables
dont on fe foucioitpeu , tandis que les Chefs , tranquilles & en
fureté j fembloient n'erre venus au fiége que pour ctre fpeda-
teurs ; Muftapha fit dreffer fa tente fur le bord du foifé devant
le château , & y ayant fait alTembler les principaux Chefs , pour
tenir Confeil fur ce qu'il y avoit à faire , Haffan Eey d'Alger fe
fit fort de monter le premier fur la muraille , Ôc d'y planter les
enfeignes Ottomanes. Par ce moyen on appaifa en quelque-
forte \ts plaintes & les murmures des foldats.
Les alîiégez, que tant de travaux & de fatigues n'avoient
point découragez, fembierent prendre de nouvelles forces, au
bruit qui courut de la révélation d'un Cordelier : ce bon reli-
gieux affuroit, qu'après de longs jeûnes & des prières conti-
nuelles 3 il avoit entendu une voix, qui lui avoit dit, que Dieu
étoit appaifé , & qu'il conferveroit i'Ifle &: l'Ordre de Malte.-
Les Turcs ayant par des travaux continuels creufé plufieurs
mines , les affiégez firent des contremines , où ayant mis le feu
au commencement de Septembre, tous les Turcs quiavoient
déjà pénétré dans plufieurs endroits de la ville , fautèrent en
l'air , ôc périrent. D'un autre côté les afïiégeans s'étant rendus
maîtres de prefque toutes les défenfes du château S. Michel ,
ôc s'étant logés dans des foûterrains où ils étoient à couvert ,
comme leurs retranchemens fe trouvoient prefque joints à la
muraille , ôc qu'il n'y avoit plus entr'eux ôc les alïiégez qu'une
cloifon de planches , ils s'efforcèrent de la renverfer avec des
crocs attachés à de longues piques, ôc de brifer celles des afTié-
gez avec d'autres piques , qui par le bout étoient femblablcs
à des faux : mais ce fut fans fuccès , parce que la valeur in-
vincible des Chrétiens l'emporta toujours fur f opiniâtreté des
Turcs. Enfin il ne reftoit plus aux Généraux des Infidèles, que
l'efpérance de dompter par la faim ceux qu'ils n'avoient pu
vaincre par la force ôc par la rufe.
Cependant le Viceroi partit ce Saragoufe 5 Ôc après avoir
côtoyé la Sicile, ôc doublé le cap de Sciacca, il arriva avec
VIUU* JL4Ua.&9SS3Ba
8S HISTOIRE
un vent trcs-favorablc à la vue de Malte, faifant route vers le
Charle Goze:il en partit au commencement de la nuit, après avoir
I X. ^'^^S^ Is fignal, ôc entra avec bien de la joie dans le détroit. .II
I j c> y. y appi^it qi-ie quarante galères Turques y avoient pailé le jour;
. ôc qu'elles s'étoient retirées vers le coucher du foieil. Comme
fecours en-" ^^ ^'^^ voyoit ricn à craindre , il réfolut d'attendre le jour, pour
voyédcSici- mettre fes troupes à terre. Ainli le fept de Septembre, à la
pointe du jour , ayant traverfé le détroit , l'armée navale des
Chrétiens , aborda vis-à-vis de la petite lile de Comino , à l'Iile
de Malte^ dans un endroit appelle la pointe de Melega. Dom
Garcie ayant débarqué en moins de quatre heures fes troupes
réduites à fix mille hommes , ôc ayant fait tirer plufieurs coups
de canon , pour avertir le Grand-Maître de l'arrivée du fe-
cours , il retourna fur le champ en Sicile , pour y recevoir le
fécond convoi 3 car les troupes qu'on avoir levées dans la Ro-
magne, étoient déjà arrivées à Gaëte , ôc on les attendoit au
premier jour à MeîTine.
Les Chefs des troupes, qui venoient de débarquer, fe mirent
en bataille, pour fe rendre à la ville ou Cité notable, éloignée
de huit milles. Leur marche fut très-lente , parce que n'ayant
point de chevaux , ôc le foldat étant extrêmement chargé , on
ne pût faire le premier jour que trois milles. Ils arrivèrent le
troifiéme jour auprès de la ville , où ils campèrent dans un lieu
avantageux que Cornia avoit choifi , oii il étoit difficile de
monter de front , ôc qui étoit appuyé des deux cotez par la
ville, ôc par un monaftere qui étoit au-deflbus. C'ell dans
ce camp qu'ils reçurent une lettre du Grand-Maître, qui leur
mandoit que les Turcs ayant appris leur arrivée, avoient abat-
tu ôc enlevé leurs tentes, plié bagage, ôc embarqué leurs trou-
pes. Mais au bout de trois jours il arriva un courier de la part
des affiégez , qui annonça que les Turcs avoient changé de
delfein j qu'ils étoient revenus fur leurs pas , ôc avoient fait un
nouveau débarquement , dans la refolution de combattre les
Chrétiens ; Ôc qu'ils paroîtroient inceflamment en bataille.
Ce qui détermina Mudapha à changer de deflein , fut qu'il
apprit par un déferteur de Grenade , qu'il n'étoit arrivé qu'un
petit nombre de trqjjpes ; mais que DomGarcie étoit retourné
en Sicile , pour en ramener un plus grand nombre. Ce Général
fut donc d'avis de prévenir l'arrivée du fécond renfort , ôc de
rifquer
D E J. A. D E TH O U . L I V. XXXVIII. 8p
rîfquer une bataille. Saraifonétoit qu'il leur feroit honteux jôc «»»«—«--.
que Soliman leur feroit un crime , d'avoir tremble , ôc de s'être C H a R l E
lâchement envoles, comme un eflain d'abailles, au premier bruit j \£
de l'arrivée des Chrétiens. Haflan Bey d'Alger fut du même i r (5 <-.
fentiment. Piali,qui penfoit différemment , remontra qu'après
avoir perdu la ifleur & toute la force de leur armée , il étoit très-
dangereux d'expoferun refte de gens foibles , & abattus par de
longs travaux , à combattre contre des troupes fraîches & d'é-
lite. Après avoir fait cette remontrance , il fe rendit à l'avis des
deux autres , ôc fe chargea même de faire aborder la flotte à la
cale de S. Paul, tandis que Muftapha s'avanceroit par terre juf-
qu'au camp des Chrétiens.
Les Cheio de l'armée Chrétienne mirent aullî-tôt leurs trou-
pes en bataille. Cornia étoit d'avis de ne point fortir des li-
gnes. Mais de Sande, qui étoit le premier & le plus diftingué
des Chefs , pour faire oublier apparemment le confcil qu'il
avoit donné de ne point fecourir Malte , ôc pour avoir lieu de
décrier Cornia fon rival , méprifa fon avis , ôc defcendit dans
la plaine avec Chiapino VitelH ; ôc quoi qu'il avouât que le
lieu élevé, que Cornia étoit d'avis de ne point quitter, étoit
plus fur que la plaine , il foûtint que les Turcs ne fe refoudroient
jamais à y monter ; ôc qu'ainfi on fe laifferoit enlever l'occa-
fîon la plus favorable de remporter une vidoire éclatante ôc
certaine , en combattant contre des gens aiToiblis , ôc déjà à
demi vaincus par les maux qu'ils avoient eiTuyés.
Cornia s'oppofa fortement à ce deffein : il prit Dieu ôc les Les troupe*
hommes à témoins , que fi on perdoit la bataille , ce feroit à auxiliaires
eux , ôc non pas à lui, qu'il en faudroit imputer la faute. En- f"'*^""^^'^^
trame néanmoins par 1 ardeur du loldat qui vouloit combattre, vcrk fiégc,
il defcendit aufîî c{ans la plaine. Déjà les Turcs paroiffoient. ^ '^^^'^ '■^"*'
Les Chrétiens conduits par VitelH les empêchèrent de ga-
gner une colline , qui étoit proche , oii ils tâchoient d'arriver
par des chemins détournez , ôc où ils avoient defiein de fe pof-
ter. Ceux qui marchoient les premiers , ayant tourné le dos , les
Chrétiens les pouifuivirent. Alors Muftapha , qui craignoit le
mauvais fuccès d'un combat , s'en retourna vers le rivage ; com-
me il avoit l'efprit troublé par la peur , on dit qu'il tomba deux
fois de cheval. Les Turcs fe retirèrent, en fuyant plutôt qu'en
combattant, ôc plufieur s furent tuez,lorfqu'ils montoient dans
Tom, K M
00 HISTOIRE
leurs valfleaux ; d'autres qui s'étoient jettez à la mer , furent
Charle rioy^z î plufieurs étant entrez dans des efquifs avec pre'cipita-
I X. ^^^^"* * ^ ^^^ ^^^P g'^snd nombre , les firent couler à fonds , ÔC
i K 6 K, P<^rirent moins honorablement qu'ils n'auroient péri en com-
battant. L'ardeur des Chrétiens fut fi grande , que les coups de
canon qu'on tiroir fans ceffe des vaiffeaux Turcs , ne purent
les empêcher de pourfuivre l'ennemi , ôc d'en faire un horrible
carnage. On fçut par les déferteurs que cette fuite avoit coûté
deux mille hommes aux Infidèles : il n'y eut que treize Chré-
tiens qui demeurèrent fur la place.
Particulari- Jamais le puiffant Empire des Turcs n'avoir raffemblé plus de
tezdufiégede troupes , plus de vaiiTeaux , plus de toutes fortes de provifions
Malte. ^ r ' • • -i , ^ • y> c • i
pour un liège j jamais il n y avoir eu d attaques faites avec plus
de vigueur, ôc foûtenuës avec tant de courage ôc de bravoure.
On s'étonna particulièrement de la grolfeur prodigieufe des pié-
, ces de canon, que les ennemis lailTerent : quelques-uns por-
toicnt des boulets de pierre de 500 livres ; d'autres en portoient
de fer de ^o 5 & quelques-uns de 80. Des perfonnes curieu-
fes , après un calcul exa£l , ont afluré qu'ils tirèrent plus de foi»
xante mille coups de canon. Ce fiége le plus mémorable qui
ait jamais été , ôc qui dura quatre mois entiers , a été décrit pair
le comte Jérôme Alexandrin, par Ubert FogHetta, par Celio
Auguftino Curione, par Pierre Salazar , 6c plus amplement pat
Antoine-François Cirni, ôc par Claude de la Grange, Fran-
çois. Les Turcs y perdirent vingt mille hommes j douze mille
portants les armes, ôc huit mille rameurs ou matelots. Du cô-
té des Chrétiens , il périt de diverfes façons , tant dans les
châteaux S. Elme ôc S. Michel, que dans la ville, neuf mille
perfonnes de toutfexe Ôc de tout âge 5 entre lefquels il y avoit
plus de trois mille hommes de guerre : de forte que quand le
fiége fut levé, il ne s'en trouva de relie que fix cens , en y com-
prenant les Chevaliers , dont il en fut tué deux cens cinquante.
Ajoutez à cela le trifte fpedacle d'une ville , dont les mu-
railles étoient renverfées , toute minée ôc contreminée dans
fon circuit , dont les maifons étoient ou abattues, ou ébran-
lées, ôc prêtes à tomber , entièrement femblable , non à une
place bien défendue , mais à une ville prife d'afîaut , ruinée
par l'ennemi , ôc abandonnée après le pillage. Les Chefs de
l'armée auxiliaire allèrent rendre vifite à la Valette > qui leur
DE J. A. DE TKOU, Liv. XXXVIII. 5>i
Et rendre de grands honneurs , ôc qui leur donna toutes les mar- -" |
ques pofllbles d'amitié. Cette vifite ne fe pafla point fans ver- r pj ^ ^ l E ■
fer de part 6c d'autre beaucoup de larmes ; d'un côté , par le jy i
douloureux fouvenir de tant de maux & de tant de grands hom- . . /: ^ 1
mes qu'on venoit de perdre ', ôc de l'autre , parla joie d'un fuc- J ■>' [
ces fi inopiné , fe voyant en repos ôc en fureté , après tant de i
travaux ôc de dangers. Enfin après bien des remercimens , le !
Grand -Maître les renvoya. Les Turcs s'ctant rembarquez , l
faiiis de frayeur , firent route vers la Romelie : leur flotte fut ,
vîië des cotes de Sicile , ôc D. Garcie l'apperçût du port de Sa- \
ragoufe. Il apprit par là , ôc par les lettres de la Valette , que i
le fiége étoit levé ; Ôc il fe trouva déchargé du foin de faire paffer |
à Malte un fécond renfort. ' :
Après les magnificences , qui furent faites à Bayonne pen- ■
dant l'entrevue du roi de France avec la reine d'Efpagne , Phi- j
lippe Strozzi , fils de Pierre Strozzi maréchal de France , Ti- «
moleon de CofTé , fils du maréchal de Briffac , Roger de S. Lari i
de Bellegarde , Pierre de Bourdeilles de Brantofme , Hardoùin j
de Villier de la Rivière , ôc devant eux , René de Voyer vicom- i
te de Paulmi , grand Bailli de Touraine , vinrent trouver D. ]
Garcie , qui leur fit beaucoup de carefTes ôc de grands hon- |
neurs , quoi qu'ils fuffent venus trop tard. Enfuite le Viceroi ,
( afin qu'on pût dire qu'il avoir fait quelque chofe ) choifit fur i
toute la flotte cinquante galères , entre lefquelles il y en avoit , ■
fept de Corne duc de Florence , que l'on jugea les plus légè-
res. Puis ayant mis deflus un détachement de troupes Efp.a-
gnoles , ôc ayant pris avec lui Chiappino Vitelii^ il fit voile vers
l'Orient, afin de pourfuivrc l'armée navale des Turcs. Il de- j
meura quelque tems à l'ancre dans l'ifle de Cerigo * ; attendant >f Ccft la j
Toccafion de les attaquer avec avantage , fi par hazard , croyant ^3'"^"^^ iilc
n avoir rien a craindre, ils savifoient de diviler leur Hotte ; I
mais on s'y prit trop tard. Garcie revint à Mefline far la fin de \
Septembre, fans avoir rien fait. j
Le fuccès auffi heureux qu'inefperé de la levée du fiége de |
Malte , attira à ce Viceroi la haine du public , ôc on le blâma ■
hautement d'avoir envoyé trop tard les fecours promis. Il n'a- !
voit rien fait en cela que par les ordres de Phifippe : mais ce -
Monarque politique ^ voulant éloigner de lui toutes fortes de j
foupcons^ marqua toujours depuis de l'averfion pour Garcie i s
Mij
Charle
IX.
i;(5;.
Fêtes &
Mariages eu
5»i HISTOIRE
il l'éloigna de la Sicile , ne lui donna plus aucune part aux affai-
res , ôc le laifla vieillir à Naples dans fa maifon , comme un finv
pie particulier.
Le bruit du départ des Turcs s'étant répandu en Italie , on
en rendit grâces à Dieu par des procefFions ; ôc principalement:
à Rome, où l'on fit la nuit en figne de joie des feux d'artifice
Italie.^ de différente efpece. Le refte de l'année fe paffa en fêtes ôc en
noces. Alexandre Farnefe , fils d'Odave duc de Parme , ôc de
Marguerite fœur de Philippe , obtint en mariage , par le crédit
de fon oncle, Marie de Portugal fa proche parente. Le ma-
riage fut célébré à Bruxelles , où Alexandre > après avoir long-
tcms demeuré à la Cour d'Efpagne , étoit venu depuis peu trou-
ver fa mère , qui étoit Gouvernante des Payis-Bas , accompa^
gné de Lamoral comte d'Egmond , ôc de Pierre Ernell comte
de Mansfêld.
Barbe ôc Jeanne , (beurs de l'Empereur Maximilîen , avoienC
été promifes l'année précédente , la première à Alfonfe duc de
Ferrare, ôc l'autre à François prince de Florence. Ainfi Tan-
née du deiiil de la mort de Ferdinand étant paffée , François
envoya à lEmpereur le comte Clément Pietra , pour le ma-
riage de Jeanne , dont on étoit déjà convenu. Le Comte alla
auiîi voir Ferdinand ôc Charle , frères de la Princeffe , ôc les
pria de la part du Prince, de lui faire l'honneur de venir à Flo-
rence , pour affifter aux noces de leur fœur. Mais ces deux
Princes s'en excuferent , parce que dans ce tems-là ils ne pou-
voient fans danger s'éloigner de leurs Etats. De-là le comte
Pietra alla jufqu'à Cracovie en Pologne , pour voir Catherine
époufe de Sigifmond , fœur de Jeanne. Sigifmond étant alors
enLithuanie, pour donner ordre aux affaires de ce Duchés
ôc prendre des précautions contre les Mofcovites , le Comte
alla jufqu'à Vilna, pour lui rendre les mêmes devoirs. Le prin-
ce de Florence envoya auffi le comte Jean-Paul de Caftellî
aux Ducs de Bavière ôc de Cleves , qui avoient époufé deux
fœurs de Jeanne; ôc il obtint du duc de Bavière , que Ferdi-
nand fon fils viendroit en Italie, ôc qu'il affifleroit à cesnôcesi
Le prince de Florence vint lui-même en Allemagne , avec
un grand cortège , ôc il falua Jeanne à Infpruck. De là il alla à
Vienne trouver l'Empereur, qui lui rendit de grands honneurs».
A fon retour il vint à Prague, où Ferdinand paffoit l'hiver 5 ôc
DE J. A. DE T HOU, Liv. XXXVIÏL ^5
de là il fe rendit très promtement à Florence. On ctoit demeuré
d'accord qu'on ameneroit en même tems Barbe ôc Jeanne fur Charls
les confins d'Italie , à Trente , aux dépens de l'Empereur 5 mais jx.
que de là elles Ceroient conduites chez leurs maris, ôc à leurs dé- 1^6$^
pens. Le cardinal Chriftophle Madruce, homme d'une libéralité
6c d'une magnificence beaucoup au-defTus d'un particulier , les
traita magnifiquement à Trente , dont il étoitEvêque. Le cardi-
nal Vercelli , & bien-tôt après le cardinal Borromée légat par
toute l'Italie , s'y rendirent au nom du Pape. Barbe y fut mife
entre les mains du cardinal Louis d'Efle frère du duc deFerra-
re 5 ôc Jeanne entre les mains de Paul Jourdain chef de la maifon
des Urfins , gendre de Côme. De Trente , les deux PrincefTes
furent menées en grande pompe, ôc avec un fuperbe cortège ;,
l'une à Ferrare , Ôc l'autre à Plorence , où les noces fe firent avec
beaucoup de magnificence.
La joie publique caufée par ces mariages fut un peu troublée -Mort du
par la nouvelle inopinée de la maladie du Pape , qui rappella ^n^j-^aulere*
promtement à Rome le cardinal Borromée fon neveu , à qui il
avoir ordonné d'alTifter au mariage de Francjois de Medicis , ôc
qui étoit en chemin pour s'y rendre. Le Cardinal arriva affez tôt,
pour être préfent à la mort de fon oncle j il mourut le huitiè-
me jour de fa maladie ( qui étoit l'effet de fa vie peu réglée)
le p de Décembre, âgé defoixante-fix ans huit mois ôc neuf jours,
après cinq ans onze mois ôc quinze jours de Pontificat. Son
corps fut porté dans la Bafiiique du Vatican , ôc enfermé pour
un tems dans un cercueil de briques.
Sous fon Pontificat on vit régner la paix en Italie, le repos
ôc l'abondance dans Rome ôc dans les Provinces de fon obéïf-
fance : le peuple ne fouffrit point , ou fouffrit peu. Ses mœurs
varièrent : tandis qu'il étoit particulier , ôc qu'il poffedoit fous
les Papes précédens les premières charges , il s'acquit unegran-
de réputation , ôc fa vie parut réglée. Mais à peine fut-il élu
Pape , que fa nouvelle dignité le faifant paroître tel qu'il étoit
au fond , changea fa vie ôc fes moeurs. Nous avons déjà ex-'-
pofé ce qu'il fit dans l'affaire du Concile. Lorfqu'il fut fini ,
n'ayant plus de crainte ni d'inquiétude, il fuivitfes inclinations^
qui le portèrent à bien des chofes , qui n'ont pas été approuvées
de tout le monde. Il fut colère en public , jaloux Ôc envieux,
dans le fecret, impatient Ôc difficile lorfqu'il s'agiffoit de donnée
M iij
?«'
>4' HISTOIRE
audience , altler & dur dans fesréponfes , aimant \ dominer,
C H A R L E ^"^^ ^ artificieux^ & grand maître en Part de diflimuler, quoi qu'il
I X. voulût paroître fimple 6c fans finefTe : naturellement timide ^
I j. ^ -^ mais fçachant cacher fa timidité fous une apparence de hardief-
fe î ingrat ^ ôc le fouvenant peu des fervices qu'on lui avoit ren-
dus : avare ôc avide d'argent , il mit tout en ufage pour en tirer
<ie tous cotez , m.ême par des injuftices criantes , & néanmoins
prodigue , ôc aimant à le répandre : de forte qu'il dépenfa pen-
dant fon pontificat de très grandes fommes , dont la plûpa^rt fu-
rent employées en ouvrages publics , ôc en bâtimens. Il buvoit
& mangeoit avec excès , Ôc étoit très voluptueux. Ce fut , à ce
qu'on croit, cette vie déréglée qui avança fa mort. D'ailleurs
il eut trop de foiblelfe pour les enfans de fes fœurs. Comme
il avoit marié cette année, peu de jours avant le carême, lafœur
du cardinal Borromée avec Annibal d'Altemps, fans lui avoir
payé la dot, il lui donna, étant à l'extrémité , cent mille écus
payables après là mort : mais fon fuccefleur reduifit cette fom-
me à la moitié. Etant parvenu au pontificat , il ne voulut ja-
mais fe reconcilier avec Augufte Medichino marquis de Ma-
rignan fon frère , le feul capable de relever fa maifon ; ôc en
cela ce Pontife, quoique vain ôc ambitieux, facrifia fon ambi-
tion à fon reifentiment ôc à fa haine.
Retablifle- En cette année Pie IV. avoit rétabli l'Ordre de S. Lazare de
?^"d^s l' J^^ufalem, dont l'origine eft très ancienne , mais qui en vieil-
ïarc. liffant étoit prefque entièrement tombé. Il lui accorda , com-
me aux autres Ordres Militaires, un très grand nombre de pri-
vilèges , d'honneurs , de prérogatives ôc d'immunitez , par une
Bulle du quatre de Mai. Mais Pie V. fon fucceffeur les révo-
qua en partie , ôc les modéra la féconde année de fon Pontifi-
cat , par deux Conftitutions du 25 de Janvier ôc du 1 1 d'Août.
On fait remonter cet Ordre de Chevalerie jufqu'au tems de
S. Bafile le Grand , ôc du Pape Damafe I. vers l'an 3 53 fous
l'Empire de Julien. Tant d'hôpitaux ôc de maladreries établis
dans toute la Chrétienté, fous le nom de S. Lazare , font foi
de fon antiquité. Mais ces premiers érabhflemens ayant été rui-
nez par les incurfions des Barbares , ôc par l'injure du tems.
Innocent lîl. ôc Honoré III. le prirent fous leur protection vers
Fan 1200. Enfuite Grégoire IX. ôc Innocent IV. lui accordè-
rent bien des privilèges , ôc prefcrivirent aux Chevaliers une
oi
D E J. A, D E T H O U , L I V. XXXVIII.
nouvelle forme d élire un Grand- Maître. Alexandre IV. con
firma libéralement toutes ces conceffions 5 tz. Frédéric Bar- C H a R L
berouiTe leur ayant donné de grands biens dans la Calabre , \ x,
dans la Pouïlle & dans la Sicile , ils les conferverent & les aug- 1565.
nienterent confiderablement , fous la protection des Papes Ni-
colas III. Clément IV. Jean XXII. Grégoire X. Urbain VI.
Paul II. ôc Léon X. Comme cet Ordre avoit beaucoup perdu
de fa fplendeur. Pie IV. le releva, ôc lui donna Jannot de Caftil-
lonpour Grand-Maître. Jannot étant mort à Verceil l'an 1^72,
Grégoire XIII. qui voulut rendre fOrdre de S. Lazare plus
illuftre, en donna laGrande-Maîtrife àEmanuel Philibert duc
de Savoye. Ce Prince convoqua à Nice pour l'année fuivante
une ailemblée des Chevaliers , dans laquelle il leur fit prêter
ferment en qualité de Grand-Maître i ôc pour décorer FOr-
dre, il lui prefcrivit des loix ôc des cérémonies nouvelles , con-
firmées par le Pape. Il le réunit à l'Ordre de S. Maurice ' inf-
titué par le premier duc de Savoye 3 dont les Ducs fuivans ont
tiré leur origine j ôc il donna à ces deux Ordres , qui n'en firent
plus qu un , deux hofpices h l'un à Nice , & l'autre à Turin.
Le même Ordre fut d'abord établi en France. Mais com-
nie les Chevaliers Hofpitaliers de S. Jean de Jerufalem, jaloux
à^s autres Ordres , firent leurs efforts pour abolir celui-ci , ils
obtinrent enfin d'Innocent VIII. qu'il feroit éteint 6c réuni à
celui de S. Jean de Jerufalem. La Bulle de ce Pape ell de l'ari
1490. Les Chevaliers Hofpitahers la tinrent long-tems ca-
chée. Mais lorfque les Chevaliers de S. Lazare en eurent con-
noifiance :, ils en appellerent comme d'abus au Parlement de
Paris l'an 1 5* 44. La caufe ayant été plaidée , ôc Gille le Maître
avocat général du Roi ayant parlé 5 la Cour prononça en fa-
veur des appellans h ôc fupprimant la Bulle du Pape comme abu-
five j ordonna que les Ordres de S. Jean Ôc de S. Lazare de-
meuroient diftinds & féparez.
Depuis ce tems-là, les Chevahers de S. Jean de Jerufalem
(appeliez aujourd'hui Chevaliers de Malte) mirent tout en ufa-
ge pour obtenir par adreffe ce qu'ils n'avoient pu gagner par
I s. Mauritii, à qiio Sabaudiœ Ducer
genus repetunt. Il fembleroit que les
Ducs de Savoie tirent leur origine de
S. Maurice ; ce qui ne fe comprend pas.
Mais ce qu'il y a de certain,c'eit qu'Aîné
ou Amedée VIII, comte de Savoye, Se
depuis fait premier duc de Savoye , a
iniîitue' l'Ordre de S. Maurice, On a
corrigé dans la traduction l'erreur qu»
s'étoit glifféedans le texte.
^^ HISTOIRE
■ la force , ôc pour faire peu à peu oublier fOrdre de S. Lazare,
Ch \RLE ^'^^^ nepouvoient pas entièrement l'éteindre. Ainfi ils en ob-
j -^ tinrent la Grande- M aîtrife jufqu'à Aymar de Chattes , homme
j - ^ ^ ïlluftre par fa nailTance , mais encore plus diftingué par fa can-
deur ôc par fa vertu. Car quoi qu'il fut chevalier de Malte,
ï\ entreprit de rétablir l'Ordre de S. Lazare , dont il étoit le
Chef 5 ôc appuyé de l'autorité du Parlement de Paris , ilre-
foîut de retirer tous les biens, qui avoient été dillipez par fes
prédecefleurs , des mains de ceux qui les pofledoient injufte-
ment. Etant mort dans un deffein fi louable, on mit en fa place
Philibert de Nereftang , homme recommandable par fa mode-
ration ôc par fon courage , à qui l'Ordre de S. Lazare fera un
jour redevable de fa première fplendeur '. •
Mort de Cette année eft remarquable par la mort de quantité de
yuiebon. grands hommes dans la paix ôc dans la guerre. En France Jean
d'Eftouteville de Villebon, lieutenant général du duc de Bouil-
lon dans le gouvernement de Normandie, d'une illuftre naif-
fance , mourut extrêmement âgé. Quelque tems auparavant
François deSepeaux de Vieilleville maréchal de France , ayant
pris querelle avec lui à Rouen, fur quelques paroles injurieufes,
parce qu'il ne lui rendoit pas les honneurs , qu'il prétendoit être
dûs à fa dignité , tira fur le champ l'épée ,& lui coupa un bras.
Toute la réparation que Viliebon, qui étoit vain, pût tirer de
cette injure , fut que fon bras coupé feroit porté avec pompe
dans les rues , ôc honorablement enterré.
Peu de tems après, Philibert Marfilli deSipierre^ gouver-
neur du Roi, homme de bien , ôc grand Capitaine, qui n'a-
voit rien plus à cœur, que la gloire de fon Maître ôc la tran-
quilité de l'Etat , fe voyant attaqué d'une maladie mortelle, de-
manda permifTion à S. M. d'aller aux eaux de Spa, pour tâcher
de rétablir fa fanté. Mais auparavant il avertit la Reine , que
fi elle vouloir le bien du Royaume, elle fit enforte de recon-
cilier les Guifes avec les Colignis j parce que ces deux maifons
fomentoient des factions dans le Royaume , ôc que leur mauvai-
fe intelligence caufoit des mouvemens , qui pouroient conduire
à des guerres civiles. Etant arrivé à Liège , il mourut fur la fin
de Septembre, avant qu'il pût prendre les eaux.
I On a encore effaye de le relever I d'avoir pour Grand-Maître M. le duc
<îiiii3 CCS derniers tems, ayant riionneur | d'Orléans.
CharlQ
D E J. A. D E T H O U , Li V. XXXVIII. 5)7
Charle de Bourbon de la Roche-fur-Yon , frère puîné du _____
duc de Montpenfier , Prince aimable par fa douceur ôc par fon p u « t, r n
équité , & qui avoir rendu de grands fervices à l'Etat , mourut le t y
mois fuivant. Après les fêtes données àBayonne^ aufquelles /
il afTifta^ il revint à Beaupreau, dans l'Anjou, où il fut em-
porté par une fièvre violente, ôc enterré dans l'Abbaye de Bel- ch^e-suii-Yon
îefontaine. Il ne îaifTa point d'enfans , car fon fils unique étoit
mort cinq ans auparavant à Orléans , par le trille accident dont
nous avons parlé en fon lieu.
En Allemagne , mourut dans le même mois Jean Frédéric de JeakFre-
ie dernier des enfans de Jean Frédéric de Saxe , furnommé le ^J'^^^ ^'^
Gonflant , dépouillé de l'EleiSlorat. Après avoir été malade pref-
que toute fa vie, il la finit à lene âgé de vingt-fept ans. Son corps
fut porté à Weyfmar, ôc mis dans le tombeau de fes ancêtres ,
par les foins de Jean Guillaume fon frère.
Le 12 de Décembre^ Jean Ranzau d'une illuflre maifonde de Rakzau.
Holftein 3 après s'être rendu célèbre par fes voyages , par fes
travaux continuels dans la guerre ôc dans la paix , fous trois
Rois de Dannemarc , ôc par la guerre de Dietmarfie qu'il ve-
noit de terminer heureufement , mourut enfin dans fon payis,
xians fa foixante ôc quatorzième année, laifTant deux fils, Hen-
ri ôc Paul, dignes héritiers de la gloire ôc de la vertu de leur
.père.
Le même jour périt malheureufement Joachim Nerrhaufen, dh Ner-
-Chevalier de la Toifon d'or^ Chancelier de Bohême, qui avoir rhausen.
eu d'illuftres & importans emplois fous Ferdinand ôc fous
Maximilien , ôc qui avoit toujours été fcnnemi des Pro-
teftans. Ayant demandé la permiiTion de fe retirer , ôc étant
monté le matin dans une chaife de pofte , le pont de Vienne fur
lequel il paflbit, fe rompit: il tomba dans le Danube avec fa
chaife, ôc fe noya, ^o^ cocher fe fauvaà la nage, avec fix ca-
valiers qui l'accompagnoient.
Le 6 de Mai de la même année un accident prefqu'aufîî ^^^ Seldeh;
funefte fit perdre la vie à George Sigifmond Selden , dont nous
avons fouvent parlé. Il fut Vice-chancelier de Charle-Quint ôc
de Ferdinand. Retournant de fa maifon de campagne à Vien-
ne dans une chaife, avec Jean Ulric Zazi, ôc lifant despfeau-
mes avec attention , il tomba de fa voiture : fa tête porta fi
rudement fur une pierre , qu'il en fut bleffé à mort.
Tome y. N
5>S HISTOIRE
A la fin de l'année Jean Ungnad de Sonneck t illuflre paï
fa naiflance, ôc par fon mérite, mourut a Vintriz , place forte
de laSuabe, dans un âge très-avancé. Son corps fut porté à
Tubinge , ôc inhumé par les ordres de Chriftophle duc de Wir-
temberg auprès du tombeau d'Ulric père de ce Prince. Lorf-
que Sonneck commandoit pour Ferdinand dans la Stirie , ÔC
la Carinthie , il quitta fon payis à caufe de la Religion. Le duc
de Wirtemberg lui ayant offert une retraite, il demeura quel-
que tems à Aurach, où un zèle ardent pour étendre la Religion
chrétienne le porta à faire traduire avec de grandes dépenfes
la Bible , Ôc quelques écrits des Théologiens en langue Tur-
que ôc Sclavonne , ôc de les faire porter ôc diftribuer dans les
payis où ces langues font en ufage. Exemple de pieté , loua-
ble ôc digne d'être tranfmis à la pofterité, pour être fuivi par
les Princes , ôc par ceux qui font plus riches que n'ctoit niluftre
Sonneck.
BE Ratze- Dans la'Lithuanie Nicolas Ratzewil duc d'OHka, ôc Pa-
^^'■* latin de Wilna mourut le 28 de Mai. Il étoit allié à Sigif-
mond Augufle , qui avoit époufé en fécondes noces Barbe cou-
fine germaine de Ratzewil. C'étoit un homme d'un grand ef-
prit ôc d'un grand courage ; ôc nous avons fait voir que la Po-
logne eft redevable à fon adreffe ôc à fon habileté de la con-
quête de la Livonie. Ayant embraffé la Religion Proteftante;
il fut le premier qui fit faire des affemblées dans la Lithuanie,'
à Wilna , dans fon palais , vis-à-vis l'Eglife de faint Jean. Il fît
traduire à fes dépens la Bible en langue vulgaire félon ITIebreu
ôc le Grec , à l'ufage des peuples de Pologne. Il laiffa en mou-
rant quatre enfans , Chriftophle qui fucceda à io.^ titres , George
qui fut depuis Cardinal, Albert qui époufa Anne, fille de Go-
tard duc de Curlande. Gotard fit ce mariage pour reconnoître
en la perfonne du fils les obligations qu'il avoit au père •■> ôc en-
fin Staniflas. Tous les quatre rejetterent la nouvelle religion
que leur père avoit embraffée » ôc firent profeffion de l'ancienne;
d'Alfxaw- L'année 15" 55" ne fut pas moins funefte aux perfonnes célé-
breceAles. |^j.gg j^j^g igg fciences ôc les belles lettres. Alexandre de Aies
Ecoffois , Théologien de grande réputation parmi les Proteftans;
mourut le 17 de Mars à Lipfick, où il avoit enfeigné pendant
vingt ans.
SE Mathez. Le 7 d' Octobre décéda Jean Mathez de Rochlitz 5 iî
D E J. A. D E T H O U . Liv. XXXVIII. <pp
enfeigna long-tems dans la vallée de Joackimfthai, payis rem-
pli de métaux, ce qui lui donna lieu de beaucoup écrire en Charle
Allemand fur la nature & les différentes efpeces des folTiles. IX.
Ayant prêché un matin fur la refurrettion du fils de la veuve de i j <î J.
Naïm , & ayant enfeigné comme Luther , que dans la vie fu-
ture tous ceux qui auront vécu avec pieté , feront rendus à leurs
parens ôc à leurs amis , ôc qu'ils fe connoîtront les uns les au-
tres , il mourut trois heures après d'une mort allez femblable à
celle de Luther, n'étant pas vieux , puifqu'il étoit à peine dans
fa cinquante-deuxième année.
Jean Lange mourut dans un âge plus avancé, puifqu'il avoir de Jbam
quatre-vingts ans. Il étoit né à Leoberg en Silelie : il fut très- ^^^^^'
fçavant en médecine , ôc contribua par fes do£les écrits à per-
fedionner cet art. Il mourut le 21 de Juinà Heidelberg,où il
avoir été long-tems premier Médecin des Electeurs Palatins.
Enfin la mort de Conrad Gefner de Zurich acheva l'année : E.^ Conrad.
mort qui doit être a autant plus déplorée qu il avoit a peine
quarante-neuf ans. Il étoit digne d'une plus longue vie, ôc
ceux qui voudront juger de fes années par le grand nom-
bre de livres très-bons ôc très-utiles , qu'il a , ou compofés , ou
éclaircis , ou donnez au public , croiront qu'il a vécu fort
long-tems. Il commença fes études en France , à Paris ôc à
Bourges. Delà , comme il excelloit en toute forte de fcien-
ces, ôc qu'il fçavoit parfaitement le Grec Ôc le Latin, après
avoir voyagé en Italie , il retourna en fon payis , où il profefîk
ia Médecine ; ôc gagé par le public , il y enfeigna la Phi-
lofophie , dont il expliqua particulièrement la partie qui traite
de Thiftoire naturelle. Il mit aulTile premier au jour quantité
d'ouvrages des anciens, ôc principalementdes Théologiens. Il
joignit à fa profonde érudition la pafïion extrême qu'il eut toute
fa vie, de contribuer à la facilité des études. Se fentant frappé
de la pefte, ôc les forces commençant à lui manquer, il fe leva
de fon lit, non pour donner ordre à fes î-.rTaires domeftiques,
mais pour ranger fes écrits , afin que ce qu'il n'avoit pu faire im-
primer pendant fa vie, le fat après fa mort pour l'utilité pubHque.
Il étoit uniquement occupé de ce travail , auquel fes forces
ne fulïifoient plus , ôc du foin de fon falut éternel , ( car il
avoir renoncé à tout le refte : ) il difoit même agréablement
à fes amis qu'il plioit bagage pour s'en aller 5 lorfque la mort
N ïj
ioo HISTOIRE
■" le furprlt : de forte que l'on eût dit qu'elle nous envioit les
Char LE derniers ouvrages de ce grand homme. Néanmoins ils nepé-
I X. rirent pas tous ; car après fa mort cette bibliothèque qu'il avoit
1 < 6 <. sii^fi rangée , fut comme un riche tréfor , dont on en tira un
grand nombre, que Gafpard "Wolf publia, ôc qui renouvel-
lent chaque jour la douleur qu'on a de l'avoir perdu. Jofias
Simler prononça fon oraifon funèbre , ôc Beze fit fon éloge en
très-beaux vers j il y. dit entr'autres chofes que la nature le
pleuroit , comme le fidèle dépofitaire de fes fecrets , 6c qu'el-
le feroit à l'avenir comme muette , fi fon confident ne parloit
pas lui-même pour elle après fa mort, Gefner mourut le 22
de Décembre.
peTurnebe. La France perdit encore cette année Adrien Turnebe(ou
Tournebœuf ) un des plus grands ornemens de fon fiécle. Il
étoit né à Andely-fur-Seine d'une famille noble , mais peu ri-
che. Il excella dans toutes les efpeces de connoifl'ances , ôc il
brilla par l'éclat de toute forte de vertus. Il commença d'a-
bord par enfeigner les belles Lettres, les langues Grecque ÔC
Latine au Collège Royal à Paris. Il y profefla enfuite la Philo-
fophie. Il nous a laifTé plufieurs monumens d'une rare érudition.
Après avoir donné au public un ouvrage digne de l'immortalité^,
intitulé Adverfaria ; une mort prématurée l'enleva le 1 2 de Juin,
à l'âge de cinquante-trois ans , au grand regret de tous les
états ôc de toutes les conditions, qui prirent autant départ à
la mort de ce grand homme , que s'il avoit appartenu à chacun
d'eux. Le jour même de fa mort, fon corps j comme il l'avoit
ordonné par fon teftament, fut porté à neuf heures du foir fans
aucune cérémonie, accompagné d'un petit nombre defesamis^
dans le cimetière des Ecoliers, où il avoit choifi le lieu de fa
fepuîture, ôc où il fe fouvenoit que Jacque Dubois, célèbre
Médecin , avoit voulu être enterré quelques années auparavant.
Comme il avoit fait les délices de tous les gens de biens , ôc
de tous les fçavans-^ndant fa vie, ils femblerent après fa mort
difputer avec une ardeur ôc une émulation incroyables à qui
lui donneroit plus de louanges. Parmi les Catholiques Jean
Daurat, Ôc Denis Lambin profefleurs au Collège Royal, Pierre
Ronfard, Germain Vaillant de Climpont, Jean Pafferat, Alfonfe
d'Elbene, depuis Evêque d'Alby , ôc Nicolas fils de cet An-
gelo Vergelio de Candie , auteur de ces beaux caractères Grecs
DE J. A. DE T HOU, LiV. XXXVIII. loî
qui font l'admiration & le plaifir de ceux qui les voyent : par- ■ -■
miles Proteftans Jean Mercier, Luc Fruter ,& beaucoup d'au- ~ "
très lui firent des épitaphes en vers. Mais comme les efprits ^^^^^
étoient alors divifez au fujet des nouveaux troubles qui agi-
toient la Religion, ôc qui formoient deux partis, chacun s'ef- ^ S ^S'
forcoit de mettre le mort de fon côté : ceux qui avoient rete-
nu l'ancienne Religion , ôc ceux qui avoient embrafle la nou-
velle , étoient également perfuadez qu'ils donnoient un grand
poids à leur caufe , ôc qu'ils fortifioient beaucoup leur par-
ti , en difant que Turnebe s'étoit déclaré pour eux en mou-
rant.
Un peu après , Antoine Govea paya dans le mois de Sep- c'AsToîBa
tembre le tribut à la mort. Il étoit Portugais de naifTance , Ôc ^®^^^-
il difoit ingénuëment qu'il étoit François par adoption. An-
dré Govea fon oncle l'ayant amené en France lorfqu'il étoit
encore enfant, ôc qu'il n'avoit pas les premiers élemens des belles
lettres j il étudia fi bien , & avec tant de fuccès les humanitez,
que perfonne n'écrivoit plus purement que lui en Latin, ôc ne
foifoit mieux des vers. Il fit enfuite de fi grands progrès dans
la Philofophie d'Ariftote , qu'il entreprit dans fa grande jeu-
neife de défendre ce Philofophe contre Pierre Ramus , ou de
la Ramée, fon grand averfaire : il remportabeaucoup de gloire
& de louanges dans ce combat. Il fembla que fon efprit étoit
également capable de toutes les fciences , ôc qu'il pouvoir
réufiir dans toutes enfemble, comme d'ordinaire tout homme'
peut réuffir en une feule i Emilie Ferret qui enfeignoit le
Droit civil à Avignon , voyant Govea occupé à Lyon à des
études particulières , l'invita de venir dans fon école appren-
dre cette fcience fi embarafiee , fi laborieufe , ôc fi difiicile.
Govea y fit en peu de tems des progrès fi rapides ôc fi éton-
nans , qu'il trouva le moyen d'expliquer par l'antiquité les
queftions les plus épineufes du Droit , avec tant de netteté ôc
de précifion , que Jacque Cujas écrivant il y a plus de onze
ans à Touloufe fur les titres d'Ulpien, témoigna que d on lui
demandoit fon fentiment fur les interprètes ou commentateurs
du Code de Juftinien , il donneroit la palme à Govea fur tous
ceux qui ont été ôc qui font encore. Au moins ai-je oui dire
à Cujas même , lorfque j'étudioisfous lui à Valence , ôc fouvenr
depuis , qu'il avoit toujours eu cette idée de Govea , ôc qu'il
N iij
to2 HISTOIRE
craignoit même alors qu'il ne lui enlevât la gloire qu'il efpé-
roit acquérir dans cette profeflion ; il l'a depuis méritée , de
l'aveu de tout le monde, par une étude continuelle , ôc par le
travail infatigable d'une longue vie. Ainfi Govea enfeigna
le droit civil àTouloufe , à Cahors, à Valence , ôc à Greno-
ble. Il ne s'attacha point aux Interprètes ou Commentateurs ,
dont le nombre eft infini ; 6c par tout il eut une très-grande quan-
tité d'auditeurs ôc de difciples. La guerre s'étant allumée dans
ce Royaume , qu'il aimoit paflîonnément , il fe retira en Ita-
lie j où il trouva , à la recommandation de Marguerite , épou-
fe de Philibert duc de Sayoye , un honnête repos dans fa Cour ',
il fut reçu Confeiller au Confeil fecret de ce Prince. Govea
mourut à Turin d'une maladie contraÊlée , difoit-on , pour avoir
mangé trop de melons. C'efl: le feul à qui tous les fçavans d'une
~^commune voix ayent accordé la gloire fi rare dans ce fiécle ,
d'être en même tems grand Poète, grand Philofophe, grand
Jurifconfulte. Au refte ce grand homme déciaroit par recon-
noiflance , qu'il étoit redevable de tous ces avantages à l'air
de la France , qu'il avoit refpiré dès fa plus tendre jeu-
nelTe.
Guillaume J'avois prefque oublié Guillaume Philander , né à Châtillon
Philander. fur Seine, qui mourut cette année. Avant fa mort il s'étoit lui
même en quelque façon enfeveli dans le filence. Les beaux
écrits qu'il publia fur Vitruve , lorfqu'il étoit à Rome dans la
maifon de George d'Armagnac i alors ambafladeur de Fran-
çois premier , ôc depuis Cardinal , font affez connoître ce qu'il
valoir. Ces fçavans écrits témoignent la profonde connoiffan-
ce qu'il avoit des antiquitez Romaines , ôc les progrès qu'il
auroit pu faire dans les belles Lettres , qu'on commençoit à
cultiver , dans toutes les efpeces de Sciences , ôc fur tout dans
les mathématiques, s'iln'avoit pas tenu une conduite toute con-
traire à la vie fobre 6c laborieufe^ qu'il avoit d'abord embraf-
fée. Ayant été honoré à Rome du droit de Bourgeoifie, avec
l'applaudiiTement unanime de tous les Ordres de la ville ; ôc
étant revenu en France , non-feulement il abandonna l'étude
le refte de fes jours 5 mais il fe lailTa abâtardir par la parefTe :
enfin s'étant oublié lui-même , il mérita de l'être de fes amis ,
à qui il avoit été autrefois fi connu par fa rare érudition , 6c il
mourut à Touloufe le 20 de Février âgé de foixante ans ^ moins
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVIÎI. 105
accablé de vieilleffe , que confumé ôc abbatu pau la lâche oifi- __^__
veté, dans laquelle il avoit langui depuis plufieurs années. L'ar- ~z
chevêque de Touloufe, fon magnifique Mécène , le fit enter- ^ ^^^^
rer dans un des bas cotez de l'églife de S. Etienne , en confi-
deration de fon ancien mérite, dont ce Prélat avoit confervé ^ S ^ S
la mémoire. Philander avoit promis d'enrichir le pubHc de
beaucoup d'ouvrages fur la peinture ôc la fculpture des an-
ciens. Il avoit aufli fait plufieurs découvertes dans les mathé-
matiques : plufieurs ont dit avoir vu à Touloufe fes écrits en
ce genre , dont tous les amateurs des fciences ont d'autant plus
regreté la perte y ou la fupprefïion , qu'ils les fouhaitoientavec
plus d'ardeur. Si cela eft vrai , je ferois d'avis que Fon priât les
Plagiaires qui les retiennent , de donner plutôt les écrits d'un fi
grand homme , fans y mettre fon nom , ou fous des noms
étrangers , ( ce que nous avons dit être arrivé à Pierre Giles , )
que de priver la république des Lettres du fruit de tant de tra-
vaux fi utiles ôc fi glorieux. j
Cette année enleva encore Kyrico Strozzi ^ gentilhomme Kvrico
Florentin. 11 mourut à Pife delà pierre ( maladie ordinaire aux Strozzi.
gens de lettres ) dans fon année chmaterique le fix de Décem-
bre. Il y avoit vingt ans qu'il enfeignoit en cette ville la Phi-
lofophie d'Ariftote > après l'avoir enfeignée huit ans à Boulo-
gne. Auparavant , étant encore fort jeune ^ il avoit fait des le-
çons publiques, & avoit difputé dans l'académie de Florence,
fuivant la coutume du payis. Il y avoit enfuite enfeigné,avec
im grand applaudiffement , la langue Grecque & la Philofo-
phie. Il ajouta aux huit livres de la politique d'Ariflote , que
nous avions , un neuvième ôc un dixième , écrits en Grec , dans
lefquels il a tâché de prendre le ftile ÔC l'efprit de ce grand
homme. Il a aufTi fuppléé les livres de la metaphyfique , Ôc s'efl
fervi pour cela des commentaires des Arabes.
Jean Grollier , ou Grollerius , mérite bien d'être mis en la Jean Grol-
compagnie de tous ces grands hommes. Il étoit né à Lyon Çro^J^'iuç,
d'une très ancienne famille , qui a toujours tenu un rang dif-
tingué , ôc d'où font fortis Imbert du Soleil , ôc Antoine de Ser-
vieresj qui dans ces derniers tems de troubles ont toujours dé-
fendu , avec beaucoup de confiance ôc de fermeté , les inté-
rêts du Royaume ôc l'autorité du Roi. Jean Grollier ayant eu
dès fa jeunefTe un très grand goût 6c une forte pafTion pour
;
Î04 HISTOIRE
■* ■■■■■■iw- les lettres, il entra, quoique fort jeune, dans une très e'troîtc
C H A R L E ^^^^^"^^ d'amitié avec Bu dé , qui étoit déjà vieux î ôc dépuis étant
j^ tréforier des troupes Françoifes dans le Milanez , il fit impri-
j - ^* mer à Venife par Aide Manuce, l'admirable ouvrage de Bu-
dé , de y^JJe , Tan 1^21. Il avoit tant d'inclination pour les gens
de lettres , que quoique François , il gagna i'eftime Ôc l'amitié
de tous les fçavans d'Italie : en forte que plus quelqu'un fe dif-
tinguoit par fon fçavoir , plus il s'emprelToit de mériter les bon-
nes grâces du jeune étranger. Louis Cœlius Rhodiginus , le
plus célèbre des fçavans de fon fiécle en Italie , lui dédia fon
ouvrage des anciennes lefons , comme à celui qui après fon Prin-
ce étoit le plus grand protecteur ôc le plus libéral Mécène des
gens de lettres. Les François ayant depuis été chafTés d'Italie,
Grollier exerça en France , avec beaucoup de fidélité & d'é-
xaditude,la charge de Tréforier , avant qu'elle eût été avilie
par le grand nombre de ceux qui portent ce titre. Il conferva
toujours dans l'exercice de cette charge le même amour pour
les belles lettres , recueillant avec foin un grand nombre de
médailles anciennes , ôc de très bons livres. Il n'épargnoit rien
pour cela ; ôc Gomme il aimoit l'ordre ôc la propreté en tout ,
il fe fit une bibliothèque fi élégante, fi bien entendue , ôc d'un
fi grand goût , qu'on pouvoir la comparer à celle d'Afinius
Pollio , qui fut la première qui parut à Rome. 11 avoit tant de
livres , malgré les libéralités qu'il en fit à Çqs amis , ôc les di-
vers accidens qu'ils efiliyerent, que les bibliothèques les mieux
afTorties qu'on voit à Paris ôc dans les autres lieux du Royau-,
me , n'ont pas de plus grand ornement , que celui qu'elles re-
çoivent des livres de Grollier. Ses médailles de cuivre o.ui
font les meilleures ôc les plus recherchées, ayant été portées
de Paris en Provence , pour être vendues en Italie ', le Roi
ne voulant pas que la France fut privée d'un fi grand tréfor ,
les fît racheter à grand prix , ôç les fit mettre dans fon cabinet ,
avec plufieurs autres monumens de l'antiquité , qu'il avoit déjà.
Pendant que ce grand homme , d'ailleurs irréprochable , s'oc-
cupoit très ferieufement à contenter la louable curiofité qu'il
avoit pour les belles chofes ; des envieux l'accufèrent , ôc mi-
rent fa fortune ôc fa vie même en danger. Il auroit peut-être
fuccombé, fi fon innocence, en laquelle feule il fe confioit
fans implorer le fecoyrs de fes amis , n'avoit été défendue par
Chriftophlg
DE J. A. DE THOU Liv. XXXVîII. lo;
Chriftophle de Thou mon père. Ce Magiftrat ne fe fervoit de ,
l'autorité ôc du crédit ^u il avoit dans le Parlement, & dans la Charle
ville, que pour défendre les gens de bien contre les calomnia- j ^
teurs , les petits ôc les foibles contre les grands ôc les puiffans , i r 5 ^,
& les fçavans contre les ignorans. Grollier continuant toujours
le même genre de vie , ôc toujours également curieux ôc ar-
rangé, parvint jufqu'à l'âge de quatre-vingt fix ans. Enfin après
avoir rendu de grands fervices à l'Etat ôc à la république des
lettres , il mourut en cette année le 22 d'0£lobre , dans fa
maifon à Paris : il fut enterré dans le fauxbourg, auprès du grand
Autel de l'églife de l'Abbaye S. Vincent , maintenant appellée
S. Germain.
Dans le même tems , les Polonois reprirent en Livonie la ^^^^^ j^ ^^ ,
ville ôc le port de Pernaw , dont les Suédois s'étoient rendus ^JorT
maîtres trois ans auparavant. On croit que ce fut par latrahi-
fon des Cavaliers Allemands , qui avoient fervi le roi de Sué-
de. Voici comme la chofe fe paffa. Après que le roi de Sué-
de eut payé ôc congédié les Allemands qui étoient à fon fervi-
ce, quelques-uns relièrent dans la ville , ôc convinrent avec
ceux qui étoient pafles au fervice du roi de Pologne , ôc de
Gotard duc deCurlande lieutenant général de fon armée, qu'ils
ouvriroient la porte , ôc qu'ils les feroient entrer dans la ville
à un certain jour. Ainfi ceux qui étoient demeurés dans Per-
naw , feignant de vouloir dire adieu aux habitans , firent pré-
parer un grand fouper à leurs amis , dans la maifon d'un Sé-
nateur qui demeuroit auprès de la porte , ôc qui en avoit les
clefs. Les Sénateurs ôc les autres conviez étant enfevelis ou
dans le fommeil ou dans le vin , ils prirent ces clefs , ôc firent
entrer, fans coup férir , la troupe de cavalerie , avec laquelle ils
étoient d'intelligence , ôc qui avoit fait douze milles le jour pré-
cédent. Auffi-tôt qu'ils furent entrés , ils publièrent qu'on ne fe-
roit point de mal aux Allemands, pourvu qu'ils n'entrepriffent
rien de leur côté ; ils tuèrent en même tems tous les Suédois
qu'ils rencontrèrent. Cela arriva le dernier jour dAvril.
Les Suédois qui étoient reftés , fe retirèrent dans le château , •
ôc après l'avoir tenu plus de quarante jours, ils fe rendirent en- '•
fin avec armes ôc bagages la veille de la Pentecôte^ qui étoit 1
en cette année le 24. de Juin. Le roi de Pologne mit une gar- I
tiifon dans la ville ôc dans le château. Mais comme ceux qui y \
Tome V, O '
10(5 HISTOIRE
■i.i furent mis, enflez de ce fuccès, Ôc devenus infolens, faifolent
C H A R L E ^cvuvent des courfes jufque fous les murailles de Re\ el , ils
j X. furent enfin furpris ôc défaits par les Suédois dans une chel^
j j 5 ^^ naye proche de la ville, où ils s'étoient poftés. La trahifon,
dont nous venons de parler, ayant fait paflfer les Allemands par-
mi les étrangers pour des gens inconftans & de mauvaife foi ,
le Mofcovite craignit qu'une pareille trahifon ne lui fît perdre
la ville de Derpt 5 il en retira les Allemands , ôc les fit venir plus
avant dans le payis.
Les vaifTeaux de Dannemarck Ôc de Lubec ayant palTé tout
l'hiver dans la mer Baltique , comme en fentinelle, au port de
Stralfund, où étoit le meilleur Arfenal que les Suédois eufTent
en Allemagne, pour empêcher qu'on n'en emportât des mu-
nitions de guerre dans le royaume de Suede^ il parut inopiné-
ment le 22 de Mai une flotte Suedoife de quarante-huit vaif-
feaux , qui les écarta. Quatre de ces vaifTeaux fe retirèrent à
Gripfwalde, ôc furent fauves par l'entremife des Ducs de Pc-
meranie j à condition qu'ils demeureroient là jufqu'à la fin de
la guerre , ôc qu'on renvoyeroit les foldats ôc les matelots.
Ainlî la mer étant libre, environ foixante vaifTeaux firent voile
àts Places maritimes , ôc pafferent en Suéde : la flotte vidorieu-
fe des Suédois arriva le premier de Juin au port de Lubec, à
l'embouchure du Trave. Mais ayant envain tenté de s'en em-
parer , elle retourna vers Copenhague , au-defTus de Moen ÔC
de Falfîer j ôc elle s'arrêta quelques jours à la vue d'ElIebo-
* Les Fia- gen ^, OÙ elle fit payer aux Flamands , Ôc aux autres qui paf-
inands l'ap. foient le détroit pour venir dans la mer Baltique Orientale , le
pellent ainh: , . , i, , ta • i n i
fon vrai nom droit qu on a coiitume de payer aux Danois 5 car la flotte de
«ûMalmocn. Dannemarck n'étoit pas encore équipée. A peine les vaifTeaux
Danois furent-ils joints à ceux de Lubec, que par un accident
qui fut d'un malheureux préfage , le feu prit au vaifTeau Ami-
ral de Lubec , nommé l'Ange , par la faute des matelots qui ne
faifoient pas afTez bonne garde.
Bien-tôt il y eut un long ôc rude combat , dont \qs SuedoL^î
fortirent vi£torieux, mais la victoire fut enfanglantée. Le vaif-
feau Danois Amirah qui portoit onze cens hommes, s'étant
vigoureufement défendu pendant deux jours contre fix vaif-
feaux Suédois, qui l'enfermèrent de toutes parts , fut enfin pris ;
tous ceux qui étoient dedans ayant été ou tuez ou blefTez , il ect
DE J. A. DE THOU3 Liv. XXXVIIL 107
refta à peine vingt-cinq , qui tombèrent entre les mains des Sué-
dois , avec Othon Rud Amiral. Un autre grand vaifleau Da- ^
nois, appelle le Chriftophle, fut criblé de coups, Ôc coulé à fond. j y
Le principal vaifTeau de Lubec, nommé le Maure, qui avoit /
été inverti par cinq vaifleaux Suédois, ôc qui après en avoir re- 1 j'
pouffé un, en voyoit toujours fucceder d'autres ,s'échapa en-
fin, après un combat qui dura tout un jour , ôc après avoir eu
un grand nombre d'hommes tuez , ôc trois cens bleffez. Les
vaifleaux Suédois , le Lion, le Gryphon , le Cygne de Finlan-
de , ôc l'Hercule , périrent dans ce combat : les Danois prirent
le S. George avec tous les foldats qui étoient deffus. Les Sué-
dois par cette vidioire fe rendirent les maîtres, pendant tout l'été
ôc toute l'automne , de la mer Suedoife Orientale.
Cependant Eric fit paffer fes troupes de terre parlaWeftgo-
thie , pour fecourir celles qui étoient occupées au fiége d'El-
fimbourg. Mais ayant appris que le fiége étoit levé^ afin que
fon voyaye ne parût pas avoir été inutile , il tourna fes forces
contre la ville de Warburg dans le Hailand, place très-forte
fur la mer , ôc il la prit de force au mois d'Août. Les Danois
accoururent aufTi-tôt , dans l'efpérance de la reprendre 5 mais
ce fut fans fuccès. Leurs efforts néanmoins ne furent pas en-
tièrement inutiles 5 car Daniel Ranzau , Général de l'armée
Danoife, ayant appris qu'il venoit de nouvelles troupes de Sué-
de au fecours des afTiégez > leva le fiége , alla au devant de l'en-
nemi jufqu'à la rivière de Sch>X'arter, livra bataille aux Sué-
dois , les mit en fuite , ôc prit leur canon. Mais la joie de cet
heureux fuccès fut bien diminuée, par la perte qu'il y fit de beau-
coup de braves gens , ôc fur tout de cinquante gentilshommes
de la principale nobleffe de Dannemarck.
Tandis que la mer étoit comme fermée, par la guerre entre
la Suéde ôcle Dannemarck , ôc qu'on ne pouvoir naviger fûre-
ment fur la mer Baltique , pour commercer avec les Mofco-
vites à Nerva dans la Livonie , les Anglois s'ouvrirent un nou-
veau chemin pour aller les trouver. Ayant paffé toute la Nor-
vège, la Finmarck, le Siriefinland, la Finlappieôc la Barmie,
par delà le foixante-trciziéme degré de latitude j ôc de-là re-
tournant vers le Midi , ils arrivèrent au port S. Nicolas fitué au
foixante-huitiéme degré de longitude. Les Flamands à leur
ipxcmple prirent le même chemin.
Oij
loS HISTOIRE
.—— — i^ Cependant les Princes voifins & les villes , qui fe fentoie'iît
Charle ^^^^ incommodez par l'interruption du commerce , faifoient
IX. ^^^^ leurs efforts parleurs Députez , pour porter les Rois de
I ç (^ ç. Suéde & de Dannemarck à faire la paix, les Ducs dePomera-
nie leur avoient envoyé pour cela Jacque Citzewitz & André
Borck , qui revinrent fans avoir rien conclu. Les deux Rois té-
moignèrent cependant qu'ils n'étoient pas éloignés de fe con-
cilier , & qu'ils n'aimoient pas à répandre le fang.
L'AfTemblée de Roftoch qu'on avoir tenue l'année précé-
dente , pour parvenir à un Traité de paix , s'étoit fcparée fans
rien conclure, parce qu'Eric roi de Suéde n'y envoya pas fes
Plénipotentiaires , fous prétexte qu'on ne lui en avoit pas don-
né avis aflez tôt : les Envoyez de Frédéric roi de Dannemarck ,
ôc de réledleur de Saxe , follicitercnt alors auprès de l'empe-
reur Maximilien un mandement Impérial , pour défendre de
tranfporter de l'Allemagne en Suéde , ni armes , ni munitions ,
ni marchandifes. Ulric Mordeyfen , chancelier de l'éledeur de
Saxe, ne fervit pas bien fon maître en cette occafion ; il crut
que le roi de Dannemarck faifantla guerre au roi de Suéde fans
neceflité , il n'étoit pas à propos d'empêcher le commerce de
l'Allemagne avec la Suéde. Comme il arrêta, par les amis qu'il
avoit à la Cour de l'Empereur , la publication du mandement
Impérial , le duc de Saxe , à l'inftigation de fa femme , fœur du
roi de Dannemarck , le dépouilla de fa charge , 6c mit en fa pla-
ce George Cracow. Quoi qu'on fît de grandes irtftances pour
obtenir la publication du mandement , l'Empereur ne voulut
pas l'accorder , qu'il n'eût auparavant fommé le roi de Suéde ,
de chercher les moyens de faire la paix ; ôc qu'il ne lui eût en-
voyé quelqu'un , pour l'engager à s'en rapporter à lui , fur tous
les differens qu'il avoit avec les Rois de Pologne ôc de Dan-
nemarck , ôc ceux deLubec 5 ôc à faire une Trêve en attendant.
Mais comme le roi de Suéde retint trop long-tems l'envoyé de
l'Empereur j Maximilien, qui étoit à Vienne , fit enfin publier
le mandement dans le mois de Décembre.
Affaire de Sur ces entrefaites , il s'éleva un différend à Roftoch , entre
îKoftoch. le Sénat ôc le Peuple i le Sénat s'attribuoit exclufivement le
droit de recevoir les comptes publics j le Peuple prétendoit
avoir celui d'être préfent à ces redditions de compte. Les ducs
de Meckeibourg, Jean Albert ôc Ulric , qui prétendoient qua
DE J. A.DE T H O U . L ï V. XXXVIÎI. lop
leurs prédécefleurs , dont ils étoient héritiers , avoient depuis ' m i i ' ^
plufieurs liécles des droits fur cette ville; ôc qui n'avoient pu CharlE
jufqu'alors les exercer ^ parce que les Bourgeois avoient toû- j ^^
jours été les plus forts , crurent que l'occafion de faire valoir i <; 6 <c,
leurs prétentions , étoit trop favorable pour la laiffer échapper.
On avoir dès l'année précédente porté cette affaire devant Fer-
dinand. Ce Prince qui n'avoit rien plus à cœur que de confer*
ver la paix en Allemagne, donna commifTion à Jean Albeit
d'examiner ce procès , ôc de le terminer par les voies de droit.
L'Empereur accorda cette commiflion d'autant plus aifément,
que le Syndic ôc le Conful de Roftoch , ou gagnés par les pro-
meffes d'Albert , ou poulies par quelqu'autre motif, avoient de-
mandé à l'Empereur , au nom des habitans de Roftoch , que
l'affaire fût renvoyée aux deux Ducs de Meckelbourg frères,
qui gouvernoient ce payis par indivis , & avec une égale puif-
fance. Ce n'étoit pas l'avis des plus fages & des plus prudens ,
qui confeilloient ôc preffoient fortement les autres de termi-
ner leurs différends , dans leur ville , entr'eux , ôc fans y appeller
qui que ce fût, pour en être le juge ou l'arbitre. Mais le Syn-
dic l'ayant emporté par fon crédit ôc par fon autorité , l'affaire
fut portée aux Princes ? ôc dès l'année précédente elle fut plu-
fieurs fois plaidée , devant eux , fans aucun fuccès ; à GuftroW
ôc à Dobberan.
Cependant la première commifîion étant finie par la mort
de Ferdinand , on en obtint une autre de Maximilien , à la fol-
iicition du même Syndic j mais adreffée feulement à Jean Al-
bert , par laquelle on lui donnoit pouvoir de terminer à l'amia-
ble , ou par les voies de droit , les difïerends des habitans de
Roftoch ; avec cette claufe : Que s'il étoit neceffaire , il pour-
roit contraindre par les armes la partie qui ne voudroit pas obéïr.
Albert autorifé par cette commifîion Impériale , fans conlulter
Ulric fon frère , ôc n'ayant communiqué l'affaire qu'à Jean élec-
teur de Brandebourg , leVa des troupes , fous prétexte qu'on
ne pourroit rien conclure par les voyes de la douceur ôc de la
raifon avec des gens Ci opiniâtres. Le ipd'0£tobreil alla cam-
per auprès de Neuftat fur l'Eld , avec un corps de cavalerie
commandé par Reimar Winterfelt. Ce Commandant, qui avoit
pris les devants , étant venu rapporter^ comme l'on en étoit
convenu , que le chemin étoit ouvert au Prince , on mit ea
Oiij
ïio HISTOIRE
. délibération entre les Chefs, s'il étoit à propos , l'infanterie n'é-
C H A R L E ^^"^ P^ encore arrivée , d attaquer une fi grande ville , munie de
j^ foflez, de remparts, ôc de fortes murailles, avec la feule cava-
j -, ^ ^ lerie , qui pourroit ctre aifément arrêtée, en tendant des chaî-
nes à l'entrée des rues ôc des places : tous furent d'avis qu'il
falloit néceffairement attendre l'infanterie. Le Prince alla lo-
ger à un village nommé Polchow j où ayant changé de deflein,
il entreprit de fonder, non les forces de la ville , mais les dif-
pofitions des habitans.
Le Sénat ôc le Peuple deRoftoch , malgré leurs différends,
fe réunirent à la vue du danger commun , dont ils étoient me-
nacez , ôc envoyèrent leurs Députez à Albert. Ce Prince leur
fit voir la commiflion Impériale , ôc leur déclara qu'il étoit ve-
nu par les ordres de l'Empereur, pour terminer leurs différends
à l'amiable , ou par les voies de droit , ôc rendre à la ville de
Roftoch fa première tranquilité. Que s'ils le recevoient paifi-
blement , il ne toucheroit ni à leurs biens , ni à leurs privilèges ,
ni à leurs immunitez ; mais que s'ils n'obéïffoient pas , il avoit
ordre de S. M. I. de raiïembler contr'eux le fecours de tout le
cercle de la Baffe-Saxe.
Les habitans de Rofloch furent frappés de ce difcours. Ils
étoient deftitués de tout ce qui étoit néceffaire pour fe défen-
dre j ils fe trouvoient épuifés par la pefle qui avoit ravagé leur
ville, ôc enlevé près de neuf mille perfonnes î ils étoient d'ail-
leurs preffés par le refpeâ: dû à l'Empereur , ôc par les exhor-
tations du Syndic. Ainfi après bien des conférences , ôc plu-
fieurs voyages de leurs Députez , ayant obtenu du Prince un
écrit figné de fa main , ôc fcellé de fon fceau , par lequel il pro-
mettoit de garder religieufement les paroles qu'il leur avoit
données , le lendemain , qui étoit le jour de la fête de S. Si-
mon ôc S. Jude :, ils ouvrirent à Jean Albert les portes de
leur ville.
Lorfqu'il fut dans Rofloch , ôc qu'il eût encore une fois don-
né fa parole , il fit affembler le dernier d'Octobre dans le Pa^
lais , le Sénat ôc foixante-huit habitans , ôc leur fit lire publi-
quement le mandement Impérial. Puis ayant remis devant leurs
yeux leurs différends palTés , ôc exagéré dans un long difcours la
rébellion des habitans contre leurs Princes ôc contre le Sénat 5
il abolit le Confeil des foixante j il ordonna de repréfenter les
D E J. A. B E T H O U , L I V. XXXVIII. 1 1 1
Lettres , par lefquelles le Sénat donnoit pouvoir au Peuple »
de créer des Tribuns , lorfqu'il arrivoit quelques fâcheufes Char LE
conjondures , avec permiflion à ces Tribuns d'aflifter ôc de JX.
s'oppofer même aux délibérations du Confeil. Jean Albert fit i ç ^ c.
brûler ces lettres.
Le Sénat, qui voyoit que par là les bourgeois étoient réduits
à leur devoir , & qu'on lui avoir rendu fa première autorité,
s'en réjouit d'abord , ôc donna de grandes louanges à l'équité
& à la juftice du Prince ? il ne pouvoir aflez le remercier de
la bonne volonté qu'il avoit pour lui. Mais cette joie fut bien-
tôt changée en triftelfe : le Prince deux jours après demanda au
Sénat les clefs de la ville j ôc il y fit entrer le refte de fon ar-
mée j qui fubfifta aux dépens des habitans pendant neuf mois.
Enfuite il fe fit compter 6^000 Joachims pour les frais de la
guerre : enfin il défarma les habitans , ôc les mit dans la trifte
necefîité de délibérer entr'eux , non fur la manière de termi-
ner leurs différends , mais fur les moyens d'appaifer le Duc , ôc
de fe dérober au joug infuportable qui menaçoit leur liberté.
Cependant ce Prince affuroit tous les jours avec une extrême
dilTimulation , qu'il ne defiroit que la tranquilité de la ville 5 ôc
qu'il retireroit ôc congédieroit fes troupes , auffi-tôt que les
diflTerends feroient accommodés. Il arriva alors une chofe , qui
renverfa entièrement les projets d'accommodement.qui étoient
fur le point d'être conclus. Ulric frère d'Albert, indigné que
ce Prince eût entrepris cette expédition , fans lui en avoir par-
lé, ôc que les habitans de Rolloch l'euffent reçu dans leur vil-
le , leva des troupes , laiffa une garnifon dans Buzow , ôc alla
à Brunfwich , pour obtenir du fecours des Etats de la Eaff&-
Saxe qui y étoient affemblez. D'un autre côté Maximilien ir-
rité qu'Albert eût fait un ufage de fa commiffion bien con-
traire à fes intentions, écrivit de Vienne le premier de Décem-
bre, que cette expédition d'Albert lui avoit fort déplu •■> ôc or-
donna de congédier auffi-tôt tous les gens de guerre.
Cependant comme Albert alléguoit pour la juftification le
mandement même de l'Empereur; qu'il foûtenoit n'avoir point
paffé les bornes qui lui avoient été prefcrites ; Ôc qu'il promettoit
de n'inquiéter perfonne j Maximilien renouvella (qs premiers
ordres , ôc ordonna qu'on tînt les paroles données aux habi-
tans de Roftoch , de ne point toucher à leurs privilèges j ôc
IÎ2 HISTOIRE
r, qu'on leur rendît hs terres ôc les héritages , dont on s'étoît
Char LE ^'"^^P^^^ <i^"s le premier licge. Mais voyant qu'il ne s'agifToit
j^ plus que du différend entre les deux frères , ducs de Meckel-
^ -^^ bourg, il envoya Bogiflas Félix Haffenftein préfident delà
Bafle-Luface , 6c Erneft Rechberg, pour juger la conteftation
excitée entre les deux frères , ôc pour faire au plutôt congé-
dier les troupes. Ce différend donnoit d'autant plus d'inquié-
tude à l'Empereur , qu'il f(^avoit que l'un des deux frères favo-
rifoit le roi deDannemarck , dont il étoit alliée, ôc que l'autre
étoit pour le roi de Suéde j ôc qu'il craignoit que cette que-
relle n'attirât en Allemagne une guerre , qui jufque-là n'étoit
qu'une guerre étrangère, ôc ne retardât les fecours dont l'Em-
pire avoir befoin, pour foûtenir la guerre contre le Turc.
i $ 6 6, Les Députez de Maximilien vinrent donc le dernier de Dé-
cembre à Roftoch , avec les Députez de réle£teur Augufte ,
ôc des Etats de la Baffe-Saxe. Les Confuls Ôc le Sénat fe re-
pentoient déjà d'avoir , à l'inftigation du Syndic , finon appel-
le , au moins reçu le duc Albert dans leur ville avec fon ar-
mée. Les Députez ayant ordonné à Albert de la part de Ma-
ximilien , ôc du cercle de la Baffe-Saxe , de congédier fes trou-
pes y il répondit qu'il étoit néceffaire de les retenir , en vertu
de la commiffion Impériale qu il avoir, à caufe des diffenlions
inteftines qui étoient dans la ville. Sur cette réponfe , les ha-
bitans dé Roftoch fe voyant réduits à une fi grande extrémité ,
firent enfin, par le confeil d'Haffenilein, ce qu'ils auroient dû
faire dès le commencement? ôc pour ôter au duc d'Albert tout
prétexte de retenir fon armée, le Sénat ôc le Peuple facrifiçrent
tous leurs reflentimens , ôc fe réconcilièrent entr'eux.
Comme cet accommodement fe fit à l'infçu du Duc, il le
regarda comme une confpiration fecrete formée contre lui j ôc
afin de ne pas manquer de raifons , pour s'autorifer à garder
f^s troupes , fous prétexte d'appaifer les troubles , il fit empri-
fonner Jean Palphar ôc Valentin Neuman , qu'il accufoit d'a-
voir tramé cette confpiration. Il eut bien de 1^ peine- à accor-
der leur élargiffement , ôc à fe rendre aux remontrances des
Députez de l'Empereur ^ qui fe plaignirent hautement de ce
procédé,
AulÏÏ-tôt après , voyant qu'il n'avoit aucune bonne raifon ,
au moins connue du public , pour çonfçrver fon armée, il eut
recours
D E J. A. D E T H O U 3 Li^. XXXVIII. 1 1 ^
recours à un expédient. Le Prince Ulric fon frère étoit venu
L ^ ^ ^
à Roiloch avec des troupes, au bruit de cette expédition , Al- r;Tr . t.t g
bert traita avec lui du droit , qu'il prétendoit aulTi avoir fur cette j v
ville, quoiqu'il eût femblé d'abord vouloir l'en exclure, pour , ^ ^^
s'en rendre le feul maître 5 & à l'infcû des députez de l'Empe-
reur, il le reçût dans Roftoch avec fon armée.
Au refte les ducs de Meckelbourg ne manquoient pas de
raifons , pour foûtenir & appuyer leurs prétentions : ils difoient
que Jean roi de Dannemarck, frère d'Eric, avoit vendu Rof-
toch à leurs ancêtres vers l'an 1525*; qu'ils avoient depuis ac-
cordé à la ville beaucoup de privilèges Ôc d'exemptions ; qu'ils
y avoient établi uneUniverfité, ôc qu'ils n'avoient ceffé de l'or-
jier ôc de l'embellir jufqu'eri 1419 î mais que depuis ce tems
là les habitans ayant oublié les grâces qu'ils avoient reçues
des ducs de Meckelbourg, avoient payé d'ingratitude tant d&
bienfaits : que les deux freies Jean Albert ôc Ulric avoient par-
ticulièrement lieu de fe plaindre de la ville de Roftoch j puis-
que quand ils avoient demandé de rentrer dans leurs anciens
droits , elle avoir rejette leurs demandes avec outrage , ôc
qu'enorgueillie de faprofperité, ôc fe confiant en fes forces, elle
leur avoit fièrement refufé toute foi.te de fatisfaétion : mais que
le tems étoit enfin venu de fe faire rendre par les armes , fi on
ne les fatisfaifoit , la juftice qu'ils n'avoient pu jufqu'à ce mo-
nient obtenir par les voies de droit.
Lorlqu'UIric fut entré dans Roftoch ^ il afFc6la de témoigner
tant de refientiment ôc d'indignation , Ôc fit tant de mena-
ces, qu'on ne penfa qu'à l'appaifer. Il fe lailTa néanmoins flé-
chir aux prières des commifiliires Impériaux , ôc aux offres que
les habitans lui firent de foixante milles Joachims , pour les frais
de l'armée qu'il avoit mife fur pié. Après qu'il les eût reçus
il promit de conferver les privilèges de Roftoch , ôc de congé-
dier fes troupes. Les Députez voyant qu'ils ne pouvoient rien
terminer, jugèrent qu'il falloit nécelîairement faire intervenir l'au-
torité de l'Empereur h ôc perfuadez qu'ils inftruiroient mieux
faMajefté Impériale de l'état des affaires, lorfqu'ils feroient au-
près d'elle 3 ils prirent congé des habitans , ôc fortirent de la
.ville.
Ils ne furent pas plutôt partis, que les deux frères prefcrivi-
f ent de nouvelles loix , qui avoient une apparence de pieté , afin
Tome V* P
114 HISTOIRE
_ de pouvoir dire , qu'ils avoient commencé par régler la Reîî-
~ ~ gion. Puis ayant fait abattre les murs de la ville du côté de la
,^ porte méridionale, qui eft proche la place publique, ils firent
* jetter les fondemens d'une citadelle. Ulric touché des prières
* ^ ' des habitans confentoit, fi fon frère le vouloir bien , qu'on dif-
continuât l'ouvrage. Pour obtenir la même chofe d'Albert , oit
entra en compofition, & on confentit à recevoir de lui les ar-
ticles de paix. Albert en propofa , qui furent lus dans une
aflemblce du Sénat trcs-nombrcufe. Mais comme ils parurent
injuftcs 6c infupportables , les deux Princes fe retirèrent fans
avoir rien terminé. Ils laifTerent une garnifon dans la ville ^ ÔC
on continua de bâtir la citadelle qui étoit commencée. Alors
la garnifon, fuivant les ordres qu'elle avoir reçus, commen-
ça à ufer de violence: elle emprifonna dans les châteaux voi-
fins les bourgeois , qui leur paroiffoient fufpe£ts ; elle força les
habitans de fournir le bois, la brique, la chaux, ôc les autres
matereaux néceffaires pour la conftrudion de la citadelle? en-
fin elle commit dans la ville autant de défordre, que fi elle leuc
eût été livrée en proie.
Cependant on intenta un procès aux ducs de Meckclbourgr
on les accufa du crime de fpoliation. Mais après plufieurs cita-
tions, on eut bien de la peine à obtenir, par les inftances réité-
rées d'Antoine Wittersheim, un décret Impérial, qui ordon-
noit que la citadelle feroit mife en fequeftre entre les mains de
l'Empereur. Enfin quelque tems après ( dans la même année
I y55 ) l'affaire fut entièrement terminée , après une longue ôc
malheureufe fuite de calamitez. Grand exemple, qui apprend
aux villes Hbres à éviter avec foin les diffenfions intefîinesj
ou, s'il en arrive qu'on ne puifTe éviter, à les terminer à l'amia-
ble , à facrifier toujours les reffentimens particuliers au bien pu-
blic, ôc à ne jamais implorer contre leurs propres citoyens la
protection Ôc les feccurs des Princes riches Ôc puifîans ; afin
qu'il ne leur arrive pas, comme à la ville de Roftoch , ce qui
arriva autrefois au cheval de la fable d'Efope, qui difputoit avec
le cerf, pour un herbage qui devoir être commun à tous. Elles
doivent aufii fe fouvenir, que les Romains ayant été choifis pour
arbitres entre lesAxticicns ôc les Ardeates, ôc voyant que les
parries ne terminoient point leurs différends , s'attribuèrent la
chofe qui faifoit la matière du procès , ôc par ce moyen
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXVÎII. ny
dépouillèrent les uns & les autres de leur droit. -_«_
Les deux ducs de Meckelbourg, en fortant de Roftoch, pri- p
i:ent deux routes différentes. Ulric s'en alla chez lui, & Albert j V
alla en PrulTe, chez Albert de Brandebourg fon beau-pere , pour ^\
tirer , s'il pouvoir , quelque avantage des troubles dont la Pruffe
étoit agitée. Cet Albert de Brandebourg, comme nous l'avons pri^^j^'^"^^^ *^^
dit en fon lieu, étoit Grand-Maître de l'Ordre Teutonique,ôc
après une longue ôc ruineufe guerre avec Sigifmond I. roi de
Pologne fon oncle maternel , il avoir traité avec lui à ces condi-
tions : Qu'on aboliroit l'Ordre Teutonique^ qui appuyé de tou-
te l'autorité de l'Empire, caufoit de l'ombrage ôc de la peine
aux Rois de Pologne ; & qu'Albert en fe mariant recevroit du
roi de Pologne en fief la Pruffe avec titre de Duché. Ge Prin-
ce, qui aimoit les nouveautez , donna toute fa vie plufieurs mar-
ques de fon inconftance en matière de Religion j ôc s'étant fer*
vi de mauvais confeillers pour l'adminiftration de fes Etats , il
innova plufieurs chofes, contraires aux conditions ftipulées dans
le traité. Son efprit étant affoibli par Tâge ( car il avoir foi-
xante ôc feize ans) il fit alors une chofe capable de ruiner entiè-
rement fon Etat : ce fut par les confeils de Paul Scalick, qui étoit
de la famille des Scaligers de Vérone. Cet homme donna des
marques de fon érudition, par quelques livres qu'il fit imprimer,
voulant imiter le célèbre Jean Pic, à qui il étoit bien inférieur du
côtéde la fcience ôc de la vertu. Par une réputation de pieté ôc
de fçavoiraffez mal fondée, il s'infinua dans les bonnes grâces
d'Albert ; ôc ce Prince crédule le combla de biens. Scalick abu-
fant du pouvoir qu'il avoir fur fon efprit, luiperfuada,pour mieux
affermir fon crédit en cette Cour, de ne fe pas trop fier aux
Pruffiens fcs fujets , parce qu'il étoit Allemand , ôc que les Pruf-
fiens avoient une haine invétérée contre ceux de fa nation :
de régler tellement fes affaires, que les Allemands en euffent
toujours l'adminiftration 5 ôc de confier aux Princes de Brande-
bourg fes confins l'exécution de fes dernières volontez.
Enfin il porta ce vieillard décrépit, ôc préoccupé par les idées
qu'il lui avoir infpirées , d'éloigner du gouvernement Chrifto-
phle Crue Grand Maître de fa maifon , Borch , Elic Canic , ôc
d'autres Seigneurs de la Province , comme fufpe6ls ; ôc de
mettre en leurs places de nouveaux officiers , qui entroient
dans ks deffeins p ôc particulièrement Mathias Horft , dont
P i;
• i2(^ HISTOIRE
_ - ■ prefque tout l'art de plaire confidoit dans fes bouftontierîes %
^ Jean Funch, qu'une ambition démefurée avoir poufleà quitter
^y- la fonction de Prédicateur , pour fe jetter dans les emplois du
* fiécle j Steinbach 6c Jean Snell. Scalick prévoyant la tempête
^ ' que ces changemens alloient exciter, partit avec trente cava-
liers, comme pour venir en France, avec le titre d'AmbalTa-
deur , afin d'obtenir en mariage une fœur du Roi pour le jeu-
ne prince de Prufle. Scalick avoir infpiré cette ridicule vanité
au vieux Duc , homme llmple 6c crédule. Les nouveaux minif-
tres voyant que les Pruffiens n'étoient pas contens , 6c qu'ils
murmuroient , levèrent des troupes, dont ils donnèrent le com-
mandement à Paul Vobifler avec deux cens mille Joachims
d'appointemens ? à condition que fion ne les lui payoit pas en
certains termes , ilpourroit les tirer par force desPruftiens fujets
d'Albert.
Sur ces entrefaites, Jean Albert duc de Meckelbourg vint trou-
ver fon beau-pere j 6c amena avec lui Laurent Kircow , qui ve-
noit de le fervir avec beaucoup de fidélité ôc d'adrelTe dans l'af-
faire de Roftoch. Kircow lié très-étroitement d'amitié avec
Horft, obtint par fon moyen du Duc, à qui Scalick avoir faf-
ciné les yeux, de révoquer le teftament qu'il avoit fait, 6c qui
étoit confirmé par l'autorité de Sigifmond II. roi de Pologne;
d'en faire un nouveau , difi'erent en bien des chofes du premier,
touchant la tutelle de fon fils , 6c la régence de fes Etats , 6c
de mettre l'un 6c l'autre entre les mains d'Albert de Meckel-
bourg. Sigifmond ayant appris ce qui s'étoit pafifé , par les plain-
tes qu'en firent Crue ^ Frédéric Canic, 6cElie fon frère , crut
qu'il étoit de l'intérêt de la Pologne, ôc de fon honneur par-
ticulier, d'empêcher qu'un Prince fon vaffal n'agit contre les
conditions du traité de grâce 6c de fief, que Sigifmond I. fon
père 6c fon prédecefTeur avoit fait avec lui 5 qu'il ne maltrai-
tât i'es fujets , 6c qu'il ne fit, à l'infcû 6c au mépris de fon bien-
faiteur, des difpofitions pourl'adminiftration de fesEtats, qu'il
n'étoit plus en état de gouverner, à caufe de fon grand âge^
ôc de la foiblefle de fon efprir.
Sigifmond envoya de l'afTemblée de Lublin des Députez en
Prufle, avec un édit ou mandement Royal, qu'ils préfenterent
le 27 d'Août aux Etats de la Province. Le Roi de Pologne par
ce mandement banniffoit Paul Scalick de tout le Royaume^ ôc
D E J. A. D E T H O U, L I V. XXXVIÎI. 117
de la PrUfle , ôc annulloit toutes les donations qu'Albert lui —
avoit faites. Il rétablifToit dans leurs charges & emplois les an- Char LE
ciens confeillers , minières ôc officiers y que le Prince avoit dé- j x.
pouillez ou reléguez, & il chaflToit ou dépouilloitles nouveaux. % ^ ^ 6,
Il ordonnoit que le duc de Meckelbourg remît le premier ôc
le fécond teftament du duc de Prufle, pour être dépofcs entre
les mains du Roi de Pologne ; ôc il caflbit ôc annulloit le pré-
tendu droit de fucceflion au duché de Prulfe , que le Duc avoit
donné à TEledeur de Brandebourg. Sa Majefté Polonoife ré-
gloit encore, que le nouveau Duc ne pourroit impofer aux Pruf-
fiens aucunes charges ou impofitions, que de leur confente-
ment ; ôc que s'il avoit quelques différends avec fes fujets , le
Roi leur rendroit juftice. Il déclaroit aulTi , qu'il conferveroit
les privilèges des Etats de Pruffe , ôc qu'il obferveroit très-re-
ligieufement , tous les traitez qui avoient été faits avec le Duc.
Enfin Sigifmond enjoignoit au duc Albert d'exécuter tous
les ardcles de fon ordonnance , en préfence de fes Commiffai-
res, leur donnant pouvoir, s'il n'obéiffoit, de prendre foin
du gouvernenient , de concert avec les Etats de la Province 5
de rendre jufticefur les plaintes qui leur feroient portées ; d'ap-
paifer tous les troubles , ôc de rétablir la paix dans le Duché;
de punir \cs auteurs des maux paffez, Ôc de diminuer les dé-
penfes de la Cour, en retranchant celles qui n'étoient pas né-
ceffaires.
Les CommifTaires employèrent les mois de Septembre ôc
d'Oâobre à faire exécuter ces ordres. On intenta d'abord , au
nom de toute la Province , une accufation contre Jean Funch,
Horft, Snell, ôc Steinbach, ôcon ordonna qu'ils feroient em-
prifonnez avant que d'être entendus dans leurs défenfes. Lorf-
que le Duc les eût livrez aux Commiffaires du Roi de Pologne,
on les enferma dans des prifons féparées : on les interroga ju-
ridiquement, ôc on les condamna à mort, comme coupables
d'avoir introduit des nouvèautez dans le gouvernement, ôc d'a-
voir troublé la tranquillité publique. On fit grâce àSteinbach,
ôc les autres furent exécutez dans la place publique deKonigf-
bergle 28 d'Oêlobre. On fit particulièrement un crime à Funch
d'avoir donné au vieux Duc le confeil également abfurde ôc
pernicieux, de fe retirer chez fesparens en Allemagne, fous
prétexte qu'il n'avoit dans la Pruffe aucun fujet qui lui fut fidèle.
P iij
ïig HISTOIRE
Fuiich fut d'abord Sedateur d'Ofiander ôc de Tes dangerea-
C H A R L E ^^^ opinions. Il y avoit depuis renoncé , ôc avoir acquis le pre-
j^ mier rang dans les bonnes grâces du Prince. Mais ayant abu-
i r < < fé de fa faveur ôc de fon crédit , fon imprudence le perdit, ôc
deshonora fon maître. Du refte ilétoit fcavant, ôc il a rendu
fervice à la Republique des Lettres par fa Chronologie, dont
i'exaditude eft eflimée de tous les fçavans.
On fit dans le même tems un traité d'union entre le Duc
& les Etats de Pruffe , ôc il fut confirmé le 3 d'Ottobre par
les CommiiTaires du Roi de Pologne. En voici les principaux
articles : On établira deux Evêchez dans la Pruffe , à Sambie ôc
à Pomezan : Avantles fêtes de Pâques , le Prince y mettra deux
Prélats capables de remplir cette charge , qui feront élus par les
fulfrages de fes confeillers , de huit perfonnes choifies entre la
Nobleffe, ôc de huit députez des villes : Le Prince connoîtra
des fautes de cesEvêques, qui regarderont le civil > mais pour
celles qui regarderontla doctrine ôc la difcipline, ils feront ju-
gez ôc punis parle Synode : Les Minières bannis de la Pruffe
à caufe de rOfîandrifme y feront rappeliez. Pour ce qui eft du
gouvernement civil , les Gentilshommes Pruffiens , capables
d'exercer les charges publiques, en feront revêtus , ôc ceux du
payis feront toujours préferez aux étrangers : Le Duc n'impo-
fera point de nouveaux tributs à fes fujets : Il ne s'établira aucun
cabaret nouveau à un mille de la ville , fans une permiffion ex-
preffeiLes affemblées de la Province jouiront d'une parfaite
liberté : Les contrats ufuraires feront caffez , ôc les donations
-injuftes annullées : Le Duc ne gardera que les minif^res nécef-
faires , ôc il modérera fes dépenfes : Le décret fait pour la fureté
de Scalick fera révoqué , ôc les libelles diffamatoires qu'il a pu-
bliés, feront fupprimez : Pour le choix des Juges dans les Pro-
vinces, chacune en nommera trois, ôc le Prince choifira l'un des
trois. Il ne pourra faire aucun traité, ni aucune alliance avec
quelque Prince ou Roi que ce fbit, que du confentement du Roi
de Pologne , ou des Etats de la Pruffe : Il confervera les privilè-
ges, droits, libertez, immunitez ôc coutumes delà Province : S'il
fe comporte autrement, ôc Ci méprifantles très-humbles prières
de fes fujets, il ne révoque pas ce qui aura été fait de contrai-
re , les Etats de la Province pourront, fans fe rendre coupables du
crime de rébellion ou de confpiration , recourir à la protection
DE J. A DE THOU, Liv. XXXVIIL n^
du Roi de Pologne , pour la défenfe de leurs privilèges , en
vertu des traitez faits entre le Roi ôc le Duc. Peu de tems après ^ ~ \
on rétablit les deux Evêchez , ôc on en augmenta les revenus. t^ !
On donna celui de Sambie à Joachim Moriin , qu'on fit rêve- ' \
nir de l'Eglife de Brunfwick , ôcfcelui de Pomezan à Geor- *^ ' i
ge Venet, Gentilhomme PrulTien, qu'on fit revenir de Col- !
berg , ville de Pomeranie :, où il s'étoit retiré lorfqu'il fut obli- :|
gé de fortir de fon payis. ^ j
Cependant les Suédois & les Danois combattirent long-tem5 Suite de \$- \
à forces égales, dans le détroit par où l'on va à Stockolm , vis-a- U^j-T ^" \
vis de l'ifle de Gothland. Mais un accident donna depuis la * î
vi£loire aux Suédois , fans combat. L'amiral Danois ayant réfo- j
lu de faire enterrer folemnellement ôc avec pompe , à Wifby
ville de Gothland, un feigneurqui avoit été tué dans le der- . ■
nier combat ( quoique le Gouverneur de l'ifle l'eût averti de \
île pas mettre les vaiffeaux à l'ancre dans un port qui étoit plein; j
de batures \ ) les deux flottes réunies de Dannemarck ôc de Lu- \
bech ne laiflerent pas de venir aborder a la ville. AulTi-tot il - ;
s'éleva une horrible tempête , qui écarta ôc mit en pièces l'une
ôc l'autre flotte, fur lefquellesil y avoit neuf mille hommes,
avec l'amiral Jean Laurentien , ôc Barthelemi Tinnapel conful :
deLubec , qui firent tous un trifte ôc déplorable naufrage. D'un '
autre côté Daniel Ranzau Général des troupes que le Roi de
Dannemarck avoit fur terre , ayant fait une incurfion en Sma- ' |
land, fit du dégât dans la campagne, ôc pilla quelques places^ i
c'efl tout ce qui s'y paflTa de mémorable dans cette année. j
Il y eut du changement. en Saxe, caufé par les Evêques. Troubles e:î j
Sigifmond de Brandebourg , fils de Joachim IL Ele£leur, Ai magne, à j
après avoir ete pendant quatorze ans Archevêque de Mag- iidigioDi '
debourg , commença à embrafler la do6lrine des Proteftans , )
qui étoit déjà reçue en bien des lieux. Dans le tems qu'il mé- !
ditoit d'établir une nouvelle difcipline Eccléfiaftique , confor- ;
mément à cette doctrine ( au fujet de quoi il avoit pris les avis '^
de plufieurs pcrfonnes ) il mourut fort regreté de les Chanoi-
nes, qui favorifoient fon projet, ôc appuyoient fon entreprife, i
Tous leurs fufîrages fe réunirent en faveur de Joachim Frede- '
rie , alors fils unique de Jean George Ele£leur de Brandebourg,. i
qui fut mis en fa place. Le neveu j fuivant le confeil de fes !
I Plages de la mer , où il n'y a pas aflez d'eau pour mettre les vailTeauxà flot, j
12® HISTOIRE
III , Chanoines ^ acheva le changement dans la do£lnne 6c dans
Chart F ^^ difcipline que fon oncle avoit commencé, &c il établit dans
T ^ lapnncipalc Eglife de Magdebourg Sigifroy Northauflcn, qui
, ^ * y fut le premier miniftre de la Confejffion d'Aufbourg. Mais
après la mort de Sigifmond , pendant que le fiége de Magde-
bourg étoit vacant, Jean comte de Mansfeld s'empara de la
fortereflede Rotembourg fur le Saal, qu'il avoit engagée à l'Ar-
chevêque jufqu'à ce qu'il lui eût payé ce qu'il lui devoit , & qui
avoit été mife entre les mains de George comte de SchaWm-
bourg. Le Chapitre de Magdebourg demanda avec inftance
Je rérabhflement de Schawmbourïî. Mansfeld ne fe contenta
pas de le refufer , il prit encore & pilla Kondere , petite place
voiiinc. Alors les Etats de la Pro\ ince levèrent des troupes,
afïiégerent ôc reprirent Rotembourg, plutôt que Mansfeld n'a-
voit cru. Ce comte, qui s'y étoit enfermé aulli témérairement
qu'il l'avoit prife, fut mené prifonnier à Salins , où il mourut de
chagrin l'année fuivante.
L'Eglife de Racenbourg s'étant féparée du Pape, pour em-
braflerla ConfelTion d'Aufbourg, Chriftophleévêque Meckel-
bourg y établit George U fêler, pour y prêcher cette Doctrine.
Au contraire les Chanoines d'Alberftat , qui avoient toujours
conflamment confervé la Religion de leurs anciens prédecef-
feurs, voulant l'affermir de plus en plus, & s'acquitter en même
tems des grandes dettes contractées par les Evêques précedens^
crurent qu'ils feroientl'un ôc l'autre , en fe fervant d'un moyen,
qui ne pouvoir être fuggeré que par une faulTe prudence , ôc
parune œconomie fordide. Ils jetterent les yeux , pour l'élec-
tion d'un Evêque , fur Henri Jule qui n'avoit que deux ans ^ pe-
tit fils de Henri duc deBruniwick, zélé défenfeur de l'ancienr-
ne Religion ; ôc ils l'élurent , à condition qu'il ne recevroit que
^ mille Joachims chaque année, ôc que le refte des revenus de
i'Evêchéferoit employé à payer les dettes. Alais autant qu'ils s'é^
toient trompez dans l'idée qu'ils avoient conçue du jeune Evê-
que , autant le furent-ils dans leurs efperances. L'élection qu'ils
avoient faite, dans la vue de marquer leur fermeté inébranlable
parraport àl'ancienne do£trine, fut la caufe de l'établifTement
de lanouvelle. Jule embraffala dodrine des Proteftans , ôc char-
gea l'Evêché d'un plus grand nombre de dettes.
Prefqu'en même-tems Bernard Rasfeld Evêque de JVÏunfterj
ayant
D E J. A. D E T H O U 3 Li V. XXXVIIL iif
ayant reçu un bref du Pape, qui ordonnoit de chafTer les con- ,
cubines , & l'ayant publié dans le Synode de fon Diocéfe , on ^ a p t f
ne fçauroit dire jufqu'à quel point d'emportement ôc de fureur t\/ \
les concubines portèrent les Chanoines , déjà aigris par d'autres ^ ^ '
■C T JT^ A^ 1 J 1- / 1 • ^ 1 I ? 0 o.
motirs. Li iiveque homme de bien, ennuyé de vivre avec de pa-
reils Eccléfiaftiques , renonça volontairement à fon Evêché le
ct$ d'Oâ:obrei & préférant une vie obfcure ôc affurée à une vie ^
éclatante mais perilleufe , il chercha dans la retraite du repos
& du loifir. On mit en fa place Jean de Hoye , déjà évêque \
d'Ofnabruck , ôc qui avoir été auparavant élu Préfident de la j
Chambre Impériale , Prélat à qui peu d'autres pouvoient être ]
comparés , pour la grandeur de la nailfance , pour la dodrine ^ !
Ôc pour la magnificence î ôc qui fe feroit rendu digne de la plus j
parfaite eftime , fi la contagieufe focieté de fes Chanoines ne
lui avoit pas fait difcontinuer fes premiers exercices , s'il n'a- '
voit pas changé de vie avec eux , ôc s'il n'avoit pas terni fa re- '■
putation , ôc les belles qualitez de fon ame, par une vie dont
la fin ne fut pas conforme à fes commencemens. [
En cette même année , Wolfang prince d'Anhalt^ qui avoit Mort du
foufcrit à la Confellion d'Aufbourg , qu'on lui avoit prefentée ^""^^ ° '^^" i
en lyjo, mourut âgé de foixante-quatorze ans :, fans laiiïer de ' j
pofterité. Jean Draconites , qui avoit plus de fo'xante-dix ans , de J e a n !
mourut à Wrtemberg le 1 6 d'Avril. Il fe rendit célèbre par Dracomtes. ;
une édition de la Bible en cinq langues. Il fentreprit à l'uni- ;
ration de la Polyglotte d'Origene, ôc de celle d'Alcala , mais :
il n'eut pas le tems de l'achever. Le i o de Mai Léonard Fufch he Leonarp '
né à Wembdingen , petite ville des Etats du duc de Bavière , ^^sch. ^
mourut à Tubinge âgé de foixante ôc cinq ans. Il avoit exer- j
ce la médecine avec beaucoup de réputation à Ingolftad , Ôc !
enfuite à Onolfbach. Son hiftoire des plantes lui a acquis beau- !
coup de gloire. '
Le 27 de Septembre la mort enleva Marc- Jérôme Vida > de Vida; ,
de Crémone, que Clément VIL avoit fait évêque d'Alba fur
îeTanaro, trente-cinq ans auparavant. Il fut le premier parmi
les Italiens, après Jacque Sannazar, qui fitfervir la poëfie aux
chofes fainres. Il illuftra fa Province par fes poëfies auffi pures
qu'élégantes , ôc il rendit tranquillement fon ame à Dieu avec 1
la même pieté qu'il avoit vécu. Il fut enterré dans fon églife ;
d'Alba j ôc depuis fes concitoyens , à qui il avoit rendu de i
To?n. V. Q !
Charle
iiï HISTOIRE
grands fervices , lui firent de magnifiques funérailles ] avec def
éloges publics , dans la grande Eglife , où il y eut un concours
Y^"^"" prodigieux.
Benoit Varchi mourut le 1 5 de Novembre dans fon année
g ' clima£terique. Ce que nous avons de fes ouvrages en vers ôc en
VARcai. profe , écrits en langue Tofcane, eft eftimé avec juftice par les
fçavans. Il vécut avec une très grande liberté d'efprit , égale-
ment éloigné de l'ambition & de l'avarice , & mourut dans la
même fimplicité à Florence :, ôc il fut enterré dans Téglife des
Camaldules.
DE Louis Je ne dois pas omettre ici Louis Cornaro , rare ôc memora-
CoRWARo. ^j^. exemple d'une longue vie , qu'il pouffa Jufqu'à cent ans ,
dans une parfaite fanté de corps & d'efprit. Il étoit d'une des
plus illuftres Maifons de la Nobleffe de Venife. Mais le défaut
de fa naiflance le fit exclure des honneurs ôc du gouvernement
de la République. Il époufa à Udine, dans le Frioul^ Véroni-
que y de la Maifon de Spilimbergo i ôc comme il avoir de trp«'
grands biens , il mit tout en ufage pour en avoir des enfans.
Enfin par les vœux qu il fit à Dieu , ôc par le fccours des Mé-
decins , il furmonta la froideur de fa femme > qu'il aimoit ten-
drement , ôc qui étoit déjà d'un âge avancé , ôc lorfqu'il y pen-
foit le moins , il en eut une fille qui fut nommée Claire. Il la
maria à Jean Cornaro fils de Fantin , de la riche Maifon de
Cornaro de Chypre, Ôc en eut une nombreufe poflerité de pe-
tits-fils ôc arriere-petits-fils, qu'il eut la confolation de voir dans
fa vieillefife 5 car Jean eut de Claire huit garçons ôc trois filles.
Louis corrigea par fa fobrieté ôc par fon régime les infirmitez
qu'il avoit contradées par l'intempérance de fa- jeunefile ? ôc il
modéra par la force de fa raifon l'extrême facilité ôc le penchant
qu'il avoit à fe mettre en colère. De forte qu'il fut dans fa vieil-
IcfTe d'une aufii benne conftitution de corps , ôc d'un efprit
aufii doux ôc modéré , qu'il avoit été infirme ôc emporté dans
la fleur de fon âge. Il compofa fur cette matière des livres ,
étant déjà vieux, dans lefquels il expofoit les déreglemens de
fa jeunefie , fon changement Ôc fa réforme , ôc fe promettoit de
vivre très long-tems. Il ne fe flata pas vainement : il mourut
enfin cette année âgé de plus de cent ans , fans douleur, ôc
d'une mort très tranquille à Padoûe, où il avoit fixé fa demeu-
re. Sa femmw j quin'étoit gueres moins âgée que lui, iBouruî
Charle
IX.
\ $ 6 6.
DE Charle
DE X A. DE THOU, Lîv. XXXVIIL 12^
quelque tems après d'une mort auiïi douce. Ils furent enterrez
l'un & l'autre dans réglife de S. Antoine , fans pompe, comme
ils l'avoient ordonné par leur teftament.
En France , Charle du Moulin mourut dans le mois de Sep-
tembre à Paris, où il étoit ne. Il étoit très-fçavant dans le droit
ancien , ôc dans le droit François. Ses Commentaires fur la cou- i^u Moulin.
tume de Paris, ôc fes autres ouvrages pleins d'érudition , paf-
fent parmi nous pour des oracles de droit. Henri II. ayant don-
né, au commencement de la guerre de Parme, unEdit contre
la difcipline dépravée de la Cour de Rome dans la difpenfa-
tion des bénéfices , du Aioulin fit fur cet Edit un Commen-
taire , qui lui attira une terrible difgrace. Bien loin de récom-
penfer fon mérite, comme on le devoit, on l'obligea, avec
autant d'injuftice que d'ingratitude , à quitter fon payis.
Lorfqu'il eût été rappelle de fon exil , le connétable de Mont-
morenci, dont il étoit l'avocat , le préfenta au Roi , le lui recom-
manda, Ôc dit : ce Sire, voilà cet homme qui a fait par un feul
« livre ce que Votre Majefl:é n'a pii faire avec une armée de
a» trente mille hommes, qui a appaifé le pape Jule , ôc vous l'a
M rendu favorable. « Du Moulin publia dans la fuite , avec la
même liberté , une confultation contre le Concile de Trente ,
qui lui fit de nouvelles affaires. Un an avant fa mort , comme
il étoit homme de bien , que les troubles excitez par les Pro-
teftans dans tout le Royaume lui déplaifoient , ôc qu'il étoit fâ-
ché de fe voir accufé, comme s'il eût été un de leurs partifans j
il préfenta dans le mois de Février une requête au Parlement,
par laquelle il demandoit qu'on informât , ôc qu'on procédât
juridiquement contr'eux^ fuivant la rigueur desloix. Les prin-
cipaux Chefs de l'accufation étoient : Que fous prétexte de Re-
ligion , ils formoient desalfemblées féditieufes : Qu'ils tenoient
des Confifloires , Ôc qu'ils établiffoient des Diacres , des An-
ciens, ôc d'autres Miniftres,qu"ils faifoient fubfifter aux dépens du
peuple : Que dans ces Corififtoires les Miniflrcs , qui y tenoient
les premières places , connoiffoient de toute forte d'affaires ,
au mépris des Magiftrats établis par le Roi : Qu'après avoir im-
bu le peuple d'une doctrine pernicieufe ôc erronée , ils le por-
toient à une liberté ôc à une licence effrénée : Qu ils étoient
prefque tous étrangers : Qu'ils n'étoient point appeliez au mi-
iiiftere par une vocation légitime : Qu'ils fuivoient la difciplme
124 HISTOIRE
ôc les loîx de Genève, pour le temporel comme pour le fpiri-
~ tuel y pour le gouvernemem civil comme pour le gouverne-
^^"^ ment Eccléfiaftique , à la ruine du Royaume : Qu'ils empê-
choient les Eccléfiaftiques de faire leurs fonctions : Qu'enfin
^ ^ ils n'omettoient rien pour tenter, ôc pour ébranler la fidélité
des fujets du Roi. Du Moulin rapportoit enfuite les raifonsd&
la haine particulière, qu'ils avoient pourluii fçavoir, qu'il avoit
dit que la Confelïion d'Ausbourg , qui ctoit reçue en Allema-
gne , étoit plus fuportable que celle de Genève ôc de Suifle 3 ôc
que dans fes Commentaires fur la coutume de Paris, il les avoit
traitez de fanatiques ôc de fcditieux. « C'efl: pour cela , difoit du
M Mv ulin , qu'ils parlent mal de moi dans leurs Prêches ; ôc dans
3' leurs Synodes , ôc par tout ailleurs, en public, ôc fans aucun
» ménagement ; qu'ils corrompent mes domeftiques pour m'ob-
w ferver i ôc qu'ils employent ou les menaces, ou l'argent, ou les
05 careffes , pour m'empêcher de trouver des gens qui écrivent
35 fous moi , ou des copiftes. -^ Cet excellent citoyen , qui aimoit
fa. patrie plus qu'on ne peut dire , voyant que fous prétexte de
reformer la ReUgion , ( ce qu'il fouhaitoit avec ardeur) on s'a-
bandonnoit à un efprit de licence, ôc de fa6lion , en fut pénétré
de douleur j ôc il promit, avec ferment, que ii Dieu lui donnoit
encore quelque tems de vie , il feroit tous fes efforts par fes
exemples ôc par fes écrits , pour retirer plufieurs perfcnnes des
erreurs qui faifoient tant de funeflcs progrès. C'eft dans ces dif-
pofitions que du Moulin rendit fon ame à Dieu, étant agè de
plus de foixante ans.
deGuillau- La mort enleva dans la même année Guilîaume Rondelet
ME Ronde- (jg ]V/[ompellier. Quoique François Rabelais en ait parlé avec
mépris, dans cet ouvrage, qu'il a compofé avec une liberté fa-
tyrique , plus ingénieufe qu'irreprehcnfible, on ne peut difcon-
venir qu'il n'ait été un habile Médecin. A la vérité fes ouvra-
ges ne répondent pas à la grande réputation qu'il s'étoitacqui-
fe, ni à l'opinion qu'on en avoit conçue. Un de fes écrits lui a
fait plus d'honneur que les autres i c'eft le Traité des Poifibns,
qu'il a fait imprimer , ôc qui lui auroit mérité plus de louanges,
fi on avoit pu l'attribuer à fon induftrie , ôc non pas à celle d'un
autre. Car on prétend qu'il l'avoit tiré des Commentaires de
Guillaume PeliATier cvêque de Montpellier, homme d'une éru-
dition peu commune ? ôc que cet ouvrage faifoit partie des
1£T.
DE l A. DE THOU, Liv. XXXVIII. i.^ j
fçavantes obfervations, que ce Prdat avoit faites fur Pline, ôc . I
qui pour le malheur de la république des lettres , ont été ou (] j^^j^le i
perdues , ou fupprimées. IX. j
Nous ajouterons à tous ces grands hommes deux Flamands: i ^ (S 6^ i
le premier eft George Caffander, né dans l'ifle de Calïandt à de George \
trois lieues de Bruges 5 ôc c'eft de là qu'il prit le nom de Caf- Cassa^der. |
fander. Nous avons déjà parlé de lui fi amplement dans l'élo- i
ge de l'Empereur Ferdinand fur l'année 1^54, qu'il nousrefte
peu de chofes à en dire. Je me contenterai de louer dans cet j
homme fçavant en l'une & en l'autre langue , qui avoit une
très grande connoifTance de l'anùquité , ôc qui avoit étudié ;
à fond la Religion , une modeftie d'autant plus louable qu'elle
eft rare en ce fiécle j ôc de le propofer comme un modèle à j
ceux qui exercent leurs efprits dans la difpute , afin qu'ils ap- l
prennent de lui à éviter l'animofité ôc l'aigreur. Quoi qu'il fut
doué de tant de bonnes quahtez , jamais il ne fe laifla enfler ■
d'orgueil i jamais il ne rendit injure pour injure j jamais on ne -j
remarqua, ni dans fes mœurs ni dansfes écrits, aucun veftige ' .
d'arrogance ou de vaine gloire. Après avoir long-tems en- 1
feigne à Bruges , Guillaume duc de Cleves le fit venir à Duif- !
bourg , pour réfuter les Anabatiftes , ôc il y refta quelque tems. :
Il pafi^a de là en Allemagne , ôcil fixa fon fejour à Cologne, !
avec Corneille Gauthier Ton bienfaiteur ôc fon compagnon d'é- ■
tudes. Enfin après la confultation , qu'il fit par l'ordre de TEm- .
pereur Ferdinand fur les articles controverfés des Proteftans ,
ôc qu'il envoya à Maximilien , il mourut chrétiennement ôc
avec pieté , de la goutte , le trois de Février , dgé de cinquante-
deux ans. Son corps fut porté dans l'églife de S. François, ac-
compagné du Magiftrat de la ville ôc de fUniverfité. Il y fut
enterré devant le grand Autel i ôc Gauthier , fon ami infépara- '
ble , fit fon éloge funèbre. i
Le fécond eft Lucas Fruter de Bruges. Etant à Paris avec de Lucas \
pluficurs Flamands , ôc entr'autres Jean Douza, Hubert Gifan, Fruter. j
ôc Jean Lernut , un jour d'été , qu'il s'étoit exceflivement échauf- j
fé en jouant à la paume , il but de l'eau froide. Auffi-tôt il tom- l
ba dans une maladie , qui l'emporta prefque fur le champ , ayant !
à peine vingt-cinq ans , Ôc il fut enterré dans l'églife de S.Hi- .■
laire. Il excelloit dans les belles Lettres , ôc il avoit déjàcom- \
pofé plufieurs ouvrages. Surpris par une mort fi promte , il les 1
126 H J s T O î Pv E
abandonna tous au jugement ôc à la bonne foi de Gifan. On
Ch a r l e ^^^'^^ 4^^ celui-ci ne fut pas aflez fidèle à fon ami. Douza lui en
j ^ fit un procès i ôc il eut bien de la peine à l'obliger de donner
i (- (^ ^ au public le peu qui nous refte d'une Ci grande perte , & qu'on
peut regarder comme un petit nombre de planches fauvécs
d'un grand naufrage.
DE PiERKE Le dernier dont nous parlerons , fera Pierre- Jean de Per-
Jeam dePer- pignan , né à Elche dans le royaume de Valence. Il eut de
merveilleufes difpofitions de la nature pour l'éloquence , & il
en fit fes premiers effais dans fa jeunefTe à Conimbre en Por-
tugal 5 de là il alla en Italie , 6c fe fit admirer par deux gran-
des lumières de leur tems , Marc-Antoine Muret ôc Paul Ma-
nuce. Puis ayant été envoyé à Paris , pour donner quelque ré-
putation à la Société des Jefuites, dans laqiîelle il étoit entré,
ôc que Ton pourfuivoit alors j il y fit quelques harangues' ^ Ôc
mourut fur la fin de l'année dans le Collège de Clermont ^
âgé de quarante ans au plus. Il fut regreté de ceux qui aimoient
les belles Lettres , ôc enterré à S. Benoît.
Supplice de Dans cette même année , Valentin Gentilis ^ de Cofenfe , fut
Valentin puni de mort à Berne en Suiffe le neuf de Septembre. Il avoir
été emprifonné huit ans auparavant à Genève , pour avoir fe-
mé parmi les Italiens des erreurs fur la Trinité. Il y fut con-
damné par arrêt du Sénat à être mené par les carrefours de la
ville , à faire amende honorable , ôc à abjurer publiquement
fes erreurs. Mais étant forti de Genève , contre la promeffe
qu'il avoir faite d'y demeurer , ôc ayant été convaincu de ré-
pandre dans les efprits le poifon des mêmes erreurs , il ne put
éviter la peine juftement dûë à fon premier crime , ôc qui n'a-
voit été que différée.
1 Perpiniani Soc. Jeju OratîcneSj ont été plufieurs fois imprimées-
Fin dit trente-huitième Livre,
Gentilis.
127
1^ I mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmwim | -*|
1^ g^ooooii:S^oooo^:§iooof§§toooilS^oooi^§iooo^§iocof§§icûoog| 2|
HISTOIRE
DE
JACQUE AUGUSTE
D E TH O U.
N
LIVRE TRENTE'NEVFIEME.
mmMMmmmm^ e pape pie IV. étant mort à Rome le ■— ~^--^
m "k "^ "^^ "k :f ^ p| 1 3 de Décembre de l'année précédente , C h a r l E
'^^ ;!^ eOeeee .^^ i les Cardinaux, après les neuf jours des IX.
î-/,>'< . ..
^ s X fl ^ N obféques ', s'enfermèrent dans le Con- i ^ 6 6,
^^^' I pf ^ |?f clave, pour réledion d'un nouveau Pon- Eiedionde
^ ^m^.^.^...M ^ '^^ ^^^^' liyavoitentr'euxplufieursfadions.
^ «• ^mJUkm ^ ^ CgUg i a^ojç our Chefs , Charle Bor-
***** ^ il romée, & Marc Sitico d'Altemps, iils
i-;A*y;Â*^SJ^y/Âl';Â^y'^^kr/J*^^^^^^^^ des lœurs du Pape dcrunt, palloit avec
raifon pour la plus forte ôC la plus puiiïante. En effet Pie IV.
leur oncle , avoit fait pendant fon Pontificat quarante-lix Car-
dinaux en différentes promotions j & il n'y en avoit que cin-
quante dans le Conclave. Il y avoit trois autres faÛions , dont
les Chefs étoient Alexandre Farnefe , Piippolyte d'Efte , &c
I Les neuf premiers jours après la j obféques ; & le dixième les Cardinaux
mort du Pape, s'employcnt à faire les | entrent dans le Conclave.
128 HISTOIRE ^
Ferdinand de Medicis. Farnefe étoit à la tête des Cardinaux
Charle ^^^^^ ?^^ P^"^ ^^^' ^^^ ayeul. Le cardinal d'Efte étoit pour les
j ^ François ; le cardinal de Medicis pour les Efpagncjs.
i r ^^ D'abord les Cardinaux donnèrent prefque unanimement
leurs fufFrages au cardinal Jean Morone , à caufe de fon mé-
rite ôc de fa haute prudence. Mais lorfqu'on demanda à Mi-
chel Ghifleri , appelle le cardinal Alexandrin , s'il étoit de ce
fentiment j il pria qu'on lui accordât un peu de tems pour dé-
libérer , jufqu à ce qu'il eût dit la Mefle. Après l'avoir dite,
il répondit qu'il ne pouvoit donnet fa voix au cardinal Moro-
ne , à caufe des foupçons qu'il avoit fait naître fur fa conduite^
ôc pour lefquels Paul IV. l'avoit autrefois fait mettre en prifon^
Le crédit & l'autorité du cardinal Alexandrin fufpendirent d'a-
bord , ôc empêchèrent cnfuite l'éledion de Morone. Le car-
dinal Borromée qui l'avoit propofé, voyant qu'on le rejettoit;
propofa auiïi-tot le cardinal Guillaume Sirlet , récommanda-
ble par fa profonde érudition , ôc par l'intégrité de fes mœurs.
Mais la haine fecréte que le cardinal d' Altemps avoit pour Bor-
romée ^ qui étoit fon neveu, fut un obftacle invincible à l'é-
lection de Sirlet ; ôc quoique d'Altemps eût fouvent juré qu'il
ne confentiroit jamais à l'exaltation d'un Moine au fouverain
Pontificat j néanmoins pour faire voir le crédit & le pouvoir
qu'il avoit dans le Conclave, par rapport à l'éledion d'un Pa-
pe , il jetta les yeux ( ne pouvant faire autrement) fur le cardi-
nal Alexandrin Dominicain , qui fut aufîi-tôt élu par les fufFra-
ges du plus grand nombre dés Cardinaux , le fept de Janvier ;
deux heures avant la nuit. Pour faire plaifir aux Cardinaux Bor-
romée ôc d'Altemps , le nouveau Pape, fuivant leconfeildu
cardinal Colonne , voulut être appelle Pie V. ôc pour leur mar-
quer fa reconnoiffance , il fit donner à Annibal d'Altemps ,
cjui avoit époufé la fœur du cardinal Borromée joooo écus d'or,
à titie de dot, ôc loooo à Frédéric Serbellon leur parent, à
titre de gratification , pour le recompenfer des belles actions
qu'il avoit faites , ôc des grands fervices qu'il avoit rendus dans .
fon gouvernement d'Avignon.
Saviejuf- Pie V. étoit de Bofchi, petite ville dans le territoire d'Aîe-
qu'au Pontih- ^andrie de la Paille , d'une famille très peu confiderable , qui
portoit le nom de Ghifleri. Cependant quelques écrivains^
^ I Voyez la fin du Livre XX. Tome III.
vils
1^66.
DE J. A. DE THOU Ltv, XXXÎX. i2>^
Vils adulateurs , l'ont fait venir de Boulogne , ôc ont prétendu
qu'à caufe de quelques fa6lions elle en avoit été chaflée par /-^„ , ^ t c
une porte ^ qui rut toujours rerinee depuis^ & qui rut ouverte ^ y
fous le Pontificat de Pie V ôc appellée de fon nom Fona-Fia,
La flaterie a encore trouvé moyen d'iiliiftrer la maifon de ce
Pape , en publiant fauflement que les Configlieri , qui font une
des bonnes maifons de Rome, avoient changé de nom à caufe
de quelques factions , & qu'ils s'appelloient auparavant Ghifle-
ri. Ce qu'il y a de fingulier , efr que ie pape Pie V , pour rea-
lifer cette chimère , ordonna que cette maifon ne s'appelleroit
plus déformais Configlieri , mais Ghiileri.
Michel Ghifleri, âgé de quatorze ans , quitta fa famille , où
il y avoit très peu de biens , ôc entra dans l'Ordre de S. Do-
minique. Il s'y acquit une fi grande réputation de fagefle ôc
d'aufterité , que quand il fut en âge , on le fit palTer parles prin-
cipales charges de l'Ordre : enfin il fut fait Inquifiteur à Côme;
dans l'Etat de Milan , où à caufe de la haine qu'on y avoit pour
le Tribunal de l'Inquifition , il eut de grands démêlez avec les
Chanoines de cette Eghfe , foûtenus par Ferdinand de Gon-
zague gouverneur du Milanez. De là fa réputation s'étant
étendue plus loin , il fut envoyé à Bergame dans l'Etat de Ve-
nife , où il fit informer contre George Aledolaco , à qui il avoit
fiTCcedé dans la charge d'Inquifiteur. Pour mettre le comble à
l'audace , ôc à la roideur avec laquelle il exerçoit fon emploi ,
il ofa faire citer à fon tribunal Vi6lor Soranzo évêque de Ber-
game. Mais Nicolas de Ponte gouverneur de la ville , qui fut
depuis élu Duc ou Doge de Venife , arrêta au nom du Sénat
le cours d'une procédure fi violente ^ en ordonnant au Moi-
ne infolent ôc étourdi , de fortir promtement de la ville.
Ghiileri regarda cet ordre du Gouverneur comme un affront,
dont il conferva le fouvenir étant Pape. Car la République
de Venife lui ayant alors envoyé , félon la coutume , une am-
baffade folemnelle , pour le complimenter fur fon élévation
au Pontificat , ôc ayant mis à la tête de l'ambalfade Nicolas
de Ponte , comme le plus diflingué par fon habileté ôc fon
expérience y le S. Père ne voulut jamais l'admettre à fon au-
dience ; parce, difoit-il, qu'il avoit coutume de parler peu digne-
ment ôc avec peu de refpecl du S. Siège. Comme ils étoient qua-
rte ambafiadeurs , les trois autres s'acquittèrent de l'ambaffade.
Tome V» R
130 HISTOIRE
La réputation de feverité ôc de fermeté , que Ghifleri ac-
C H \ R L E ^^^^ P*^^ ^^^ ^^^^^ ^ P^^ plufieurs autres , le mit en fi grande con-
j -^^ fidération auprès de Paul IV qu'il le fit Cardinal en 15^7. Avant
Te K 6 6 ^^'^^ fiit parvenu à cette dignité , la charge de grand Inquifiteur
avoit été partagée entre lui 6c trois autres Cardinaux ; parce
que les perfonnes les plus fenfées trouvoient du danger à con-
fier à un feul homme un pouvoir fi étendu : Paul IV nomma
le nouveau Cardinal feul grand Inquifiteur, avec un pouvoir
abfolu. Pour juftifier cette conduite :, le Pontife dit que le nom-
bre des Inquifiteurs aftbibliflbit une puifTance qui devoit être
infurmontable , ôc être exercée irrémifiTiblement fur toute forte
de perfonnes ; ôc qu'il avoit appris par fa propre expérience
^ que les uns ruinoient fouvent , fous prétexte de douceur ôc d'hu-
manité , ce que les autres avoient fagement ôc févérement or-
donné.
Ghifleri , devenu Cardinal , continua d'exercer la charge
d'Inquifiteur , avec autant de rigueur ôc de févérité , qu'il avoit
fait étant Moine. Par là , s'il fe rendit odieux à bien du monde ,
il n'en fut que plus agréable à un Pontife , qui pendant toute fa
vie favorifa trop ce Tribunal. Mais comme Ghifleri voulut
ufer de la même rigueur fous Pie IV , il lui déplut en plufieurs
affaires : ce Pape jugeoit qu'il étoit utile , ôc même necefiaire, de
donner un frein à cette puifiance odieufe ôc excefiive 5 il vou-
loit gagner par là Fafîeâion du peuple Romain ôc de tout le
Clergé , qui avoient été perfécutez ôc très maltraitez par l'In-
quifition , fous le Pontificat de fon prédécefleur. Comme le
cardinal Ghifleri lui parloir quelquefois avec une liberté info-
lente dans le confiftoire , Pie IV fut plufieurs fois fur le point
de le faire arrêter ôc conduire au château S. Ange. Enfin lorf-
que Ghifleri fut élu Pape , il exerça lui-même , ôc fit exercer
cette jurifdiêtion avec tant de rigueur Ôc de violence, que plu-
fieurs efiuyerent des vexations ôc des perfécutions horribles.
Aufii le peuple ayant appris fon éleêlion, frémit de colère Ôc
d'indignation. Il avoit la mémoire toute récente du Pontifi-
cat de Paul IV, qui avoit élevé Ghifleri aux honneurs ôc aux
dignitez ; ôc il craignoit que Pie V ne fit revivre en fa per-
fonne le Pontife , dont il étoit la créature. Leur crainte ne fut
pas vaine.
Mais fi le nouveau Pape n'oublioit pas les injures^ il fe
DE J. A. DE THOU; Liv. XXXIX; t^i
fouvenoit auflfî des fervices qu'on lui avoit rendus ; & il n'am- »
bitionnoit rien tant que la réputation d'être extrêmement re- Char LE
connoiffant. Ainfi fon premier foin fut de faire revoir le pro- j ^
ces du cardinal Charle Carafî'e , ôc du duc de Paliiano fon fre- i <r 5 ^,
re, pour examiner s'ils avoient été bien ou mal jugez :plufieurs
des Juges qui avoient prononcé la condamnation j retraderent,
pour faire leur cour au nouveau Pape, le fuffrage qu'ils avoient
donné, pour plaire à l'ancien , ôc opinèrent que le jugement
avoit été mal rendu. Suivant cette décifion, les Carafes furent
rétablis dans leur bonne renommée , dans leurs titres , hon-
neurs, dignitez & biens. Paul IV ayant donné à Antoine Ca-
raffe , ci-devant marquis de Montebello , d'anciens domaines
appartenans au comte de Bagno , ce Comte profita de l'inter-
règne, pour s'en remettre en polTelfion. Pie IV lui fit pour ce-
la un long ôc fâcheux procès ; ôc après l'avoir long-tems pour-
fuivi , il le fit citer à Rome. Le Comte s'étant préfenté , fut
mis en prifon , ôc il profita encore du fécond interrègne pourfe
fauver. Mais craignant que Pie V ne le fit condamner com-
me contumace , ôc ne jugeât en faveur d'Antoine Caraife la
reftitution des biens qui étoient en litige , il aima mieux traiter
avec ce dernier par l'entremife du cardinal Colonne , ôc fe dé-
livrer pour loooo écus de toute inquiétude.
Pie V. donna dès le commencement de fon Pontificat de Caïa^cre
grands exemples de févérité, principalement en ce qui con- deWev. Pre-
cernoit la Religion , faifant chercher dans toute l'Italie avec defonPonti-
beaucoup de foin , ôc amener à Rome tous ceux qui étoient ^"t-
foupçonnez du crime d hérefie. Il obtint pour ce fujet du Sé-
nat de Venife, qu'il lui livrât Juîe Zannetti, qui demeuroit à
Padoùe j ôc l'ayant fait condamner à Rome, il y fut impitoya-
blement brûlé. Dans le même tems il envoya le Maître du fa-
cré Palais à Florence , pour demander qu'on lui livrât Pierre
Carnefecchi , favori des Medicis , ôc qui avoit été long-tems
dans une haute confidcration auprès de Marguerite , époufe
du duc de Savoye. Lorfque le Maître du facré Palais préfen-
ta à Côme la lettre de Pie , Carnefecchi étoit aflTis à fa table.
Le Duc qui vouloit, à quelque prix que ce fût, plaire au nou-
veau Pape, ne fit aucune difficulté de livrer aufii-tôt fon favori,
fans fe foucier du danger auquel il l'expofoit. Carnefecchi fut
mené à Rome , où il fe vit accufé par Achille Statio Portugais ,
Ri;
152 HISTOIRE
_ qui avoît été fon fécretairc , homme qui ne manquoît pas de
C H A R L E ^^^voir ^ mais perfide Ôc méchant. Ayant été convaincu d'avoir
j -^ des liaifons d'amitié avec des Se£laires en Allemagne , ôc en
j - ^ ^ Italie avec Vidoire Colonne , veuve du marquis de Pefcaire>
*ll a public ^ avec Julie de Gonzague, femme d'une très grande diftinc-
ungrandnom- tion , mais fufpe£le d'héréfie,il fut condamné au feu. Aonius
ees. °"^"" Palearius , dont les écrits font voir la grande érudition , eut le
même fort , pour avoir dit que flnquifition étoit un poignard
levé fur tous les gens de lettres.
Ce Pape fit aufii des ordonnances très rigoureufes contre
les filles débauchées ^ dont on faifoit depuis long-tems à Ro-
me un trafic honteux ôc public. Il ordonna, ou qu'elles forti-
roient de la ville , ou qu'elles fe marieroient au plutôt, ou qu'el-
les feroient fuftigées publiquement. Et comme on lui repré-
fenta qu'en ôtant ces fortes de femmes d'une ville, où il y avoir
tant de gens qui n'étoient point mariés , on devoir craindre
un plus grand mal, par raport au vice que S. Paul a voit au-
fois reproché aux Romains , il jugea à propos de les tolérer >
à condition toutefois qu'elles feroient enfermées dans de cer-
tains lieux , ôc qu'elles ne pourroient aller librement dans les
rues de Rome , ni la nuit ni le jour, comme elles faifoient au-
paravant. Il s'imagina que la honte obligeroit ces femmes à
renoncer à leur première vie, ôc que les hommes craignant l'in-
famie , n'auroient pas le front d'aller les chercher en ces lieux-là.
Il ordonna aufil que celles qui mourroient dans un commerce
il infâme , feroient jettées à la voyrie.
Le Sénat de Rome , à l'inftigation du Clergé qui n'ofoit par-
ler , s'oppofa d'abord à cette ordonnance , ôc repréfenta que par
ce Décret les loyers des maifons diminueroient , ôc feroient en-
fin réduits à rien 5 qu'on ôtoit l'ancienne liberté ; qu'il falloir
craindre le danger dont j'ai déjà parlé; qu'enfin la pudiciré des
honnêtes femmes ne fe pouvoir conferver au milieu de tant de
gens qui n'étoient point mariés , qu'en rétablifi^ant la liberté
dont on avoit toujours jciii jufqu'alors. Le Pontife demeura in-
flexible dans fa première refolution 3 Ôc le Sénat lui faifant de
nouvelles inftances , il menaça avec un vifage fur lequel la co-
lère étoit peinte , que Ci on ne vouloir pas recevoir la réforme
qu'il vouloir mettre, il fortircit de Rome, ôctransfereroit ailleurs
le S. Siège. Il fit encore dans le gouvernement civil plufieurs
DE J. A. DE THOU, L iV. XXXK, 'f^?
autres reglemens avec plus de févérité ôc de roideur , que de *
prudence ôc de bon fèns , ôc il jetta par là plus de terreur dans Ch a R L E
les efprits , qu'il n'infpira d'amour^ de refpecl ôc de foûmiflîon j^^
pour les loix. i <; 6 6,
Un grand nombre d'hommes ôc de femmes étant alors for-
tis de Rome , ôc cette ville étant devenue comme une folitu-
de , on paria fort diverfement du Pontife. Les uns loûoient
fon grand zele^ qui le portoit à venger la Religion del'infulte
de l'héréfie , Ôc à réformer les mœurs corrompues du fiécle.
Les autres le blâmoient de n'avoir pas aiïez de modération ôc
de prudence. Les fages ôc les honnêtes gens penfoient, que fi la
Papauté n'étoit qu'une charge paftorale , Pie V avoir prefque
tout ce qu'on pouvoit fouhaiter dans un bon Pafteur ; mais que
ia Souveraine Puifiance fe trouvant réunie avec le Pontificat,
ce Pape manquoit de plufieurs des qualitez qui conviennent à
un Prince , qui font necefiaires pour le gouvernement, Ôc qui ne
s'acquièrent que par une longue expérience , ôc par l'ufage du
monde : que Ghifieri élevé dans l'obfcurité d'un cloître , ôc
dans la compagnie des Moines, n'avoir pu acquérir ces qua-
litez 5 parce que la vie monacale ne refiembloit pas à celle de
ia Cour, ôc qu'il y avoit bien de la différence entre régner fur
des fujets , ôc commander à des Moines.
Ses amis, qu'il avoit priés de lui dire ce qu'on penfoit à foiî
fujet i l'ayant informé des difcours qu'on tenoit ; on dit que
toute fa réponfe fut , que le peuple feroit plus affligé de fa
mort, qu'il ne s'étoit réjoui de fon avènement au Pontificat,
Quoi qu'il fçût que les vertus qu'on loue preferablcment à tou-
tes les autres dans un Souverain , font la juftice , la grandeur
d'ame , la clémence , la libéralité ôc la prudence , il fembloit
qu'il n'en connoiflbit point d'autre que la juftice h ôc il l'obfer-
yoit fouvent avec une exactitude fi fcrupuleufe , qu'il faifoit bien
des fautes , ôc qu'il caufoit beaucoup de mal. II avoit une Ci
grande averfion pour la clémence, que faifant un jour l'éloge
de cette vertu aimable ^ uniquement pour cacher fon humeur
dure ôc inflexible , il termina enfin fon difcours , en difant que la
clémence confiftoit à faire punir très févérement les coupables.
Il faifoit paroître peu de generofité ôc de grandeur d'ame dans
i'adminiftration civile , ôc dans les adions privées. D'un autre
côté il donnoit tant à la dignité , ôc à la puiffancc Pontificale ,
R ijj
154 HISTOIRE
■ I qu'il tomboît fouvent dans des excès blâmables , faute de pm-<
Ch A.RI E ^^'^'^^ > ^ ^^ cette expérience, qui ne s'acquiert que par le
I X gi'and ufage des affaires 5 c'eft ce qui parut vifiblemcnt dans
t f <\( les ordres ôc les inftrudions qu'il donna au cardinal Jean-Fran-
1500.. T ,
(jois Commendon , pour traiter avec 1 limpereur.
Il étoit plus defmterefle que libéral , plus charitable que gc-
néreux. Il commença fon Pontificat par donner une fomme
confidérable pour le foulagement des pauvres , ôc pour diver-
fes nécefîitez. Afin de fecourir l'Empereur dans la trifte fituation
de fes affaires , il lui offrit 5oooo écus , ôc lui en promit 5" 0000
chaque année, tant que la guerre dureroit. Voyant l'Ordre de
Malte réduit à un extrême befoin, par le fiége également rui-
neux ôc meurtrier , qu'il avoit foûtenu l'année précédente >
il eut un grand foin de l'affifter : le Grand-Maître de la Va-
lette ayant jugé à propos de bâtir une ville dans cette langue
de terre, où étoit le Fort S. Elme , que les Turcs avoient pris;
il lui fit compter 1 5*000 écus par mois, jufqu'à ce que les forti-
fications de cette place fuffent achevées, ôc en état de défenfe.
Cette ville, par un Décret folemnel du Chapitre de l'Ordre, fut
appellée la cité ou la ville de la Valette , du nom du Grand-
Maître qui l'avoit fait bâtir , & en reconnoiffance des grands
fervices qu'il avoit rendus à tout l'Ordre.
Les Turcs Pie V plein de zèle ôc de foUicitude pour le bien de la
prennentSao. Chrétienté , eut dans la première année de fon Pontificat bien
des fujets de chagrin : ce qui lui caufa le plus de douleur, fut
la prife de Scio par les Turcs. Scio eft une ifle de l'archipel,
entre celle de Metelin ' ôc de Samos , qui a cent vingt-cinq
milles de circuit. Autrefois elle étoit libre : depuis elle jfut fous
la domination des Génois , à qui Andronic Paleologue, em-
pereur de Conftantinople l'avoit donnée fan 13 4*^ en recon-
noiffance des fecours qu'ils lui avoient fournis , pour recouvrer
les Etats dont on l'avoit dépouillé. Hubert Foglietta a cepen-
dant écrit que les Génois prétendoient avoir acquis cette lile,
non par donation , mais par droit de conquête , l'ayant prife
par force fous le commandement de Simon Vignofo.
Dans la fuite, lorfque Mahomet empereur des Turcs eutaf-
fujeti tous les Etats des Defpotcs de la Morée 3 Trebifonde ;
Sinabc , ôc toutes les autres villes que les Chrétiens avoient
X Metelin appelle'e par les anciens Mitylene,
D E J. A. D E T H O U> L I V. XXXIX. 15^
dans le Pont, maintenant Burfie ; il ramena fon armée navale
fur les côtes de la Grèce , ôc il alTiégea la ville de Metelin , Char le
qui a donné fon nom à Flfle. Comme ceux de Scio , où les j ^
Juftiniani commandoient alors , virent que le péril de leurs voi- i r- (5 (j.
fins les regardoit, ils lui offrirent de leur propre mouvement
un tribut , pour n'être pas tout-à-fait réduits à la fervitude.
Ainfi l'on payoit tous les ans 1 0000 ducats au Grand Seigneur,
ôc on en diftribuoit 2000 aux Bâchas , gens avares , avides, ôc
accoutumez à s'enrichir de rapines : c'efi: à ce prix que l'ifle
de Scio rachetoit fa liberté. Mais après la malheureuie expé-
dition de Malte , Piali , pour qu'on put dire qu'il avoir fait quel-
que chofe, entreprit de fe rendre maître de Scio. Il prit pour
prétexte en premier lieu , que les habitans de cette Ifle ayant
pénétré le deffein des Turcs , ( ce qui leur étoit facile à cau-
îe du voifinage ôc de la liberté du commerce ) ils avoicnt
averti les Maltois de ce que les Turcs méditoient contr'eux
l'année précédente : en fécond lieu , qu'ils n'avoient point payé
depuis deux ans le tribut à Soliman ; ce qui étoit arrivé par
l'avarice de l'Agent , qui étoit chargé de leurs affaires à la
Porte } ôc qui s'étoit même fervi de l'argent deftiné au Grand
Vizir ôc aux Bâchas : ôc en troifiéme lieu , qu'ils recevoient tous
les jours les efclaves fugitifs de Conftantinople , ôc qu'ils les ren-
voyoient chez eux. On ajoûtoit à tous ces griefs^ qu'un efcla-
ve de confideration , appartenant à Mcchmet , s'étoit retiré à
Scio 3 ôc que Mechmet demandoit, ou qu'on le lui rendît, ou
qu'on lui en payât la rançon. Le Sénat de Scio ayant appris
ce dernier fait par fon Agent, ôc fçachant de quelle conféquen-
ce il étoit de ne pas avoir pour ennemi un des premiers Mi-
niftres de la Porte , envoya auffi-tôt le prix qu'on demandoit
pour cet efclave : ôc cet Agent toujours animé du même efprit
de cupidité ôc d'avarice , l'avoir converti encore à fon ufage.
Mechmet irrité contre les habitans de Scio , à cauf'^ de l'in-
jure particulière qu'il préténdoit en avoir reçue , adreffa les or-
dres de Soliman à Piali. Ce Général aborda dans les fêtes de
Pâques, avec quatre-vingt galères, à un village nommé Paffa-
pio , fur le bord de la Natolie , vis-à-vis l'ifle de Scio. Des
Tannée précédente ^ on avoir eu quelque foupçon de la mauvaife
volonté des Turcs, fondé fur ce qu'au retour de Malte leur flotte
n'avoir point abordé dans l'ifle fclon la coutume. L'arrivée
i3(^ HISTOIRE
. des galères , dans un tems où on ne les attendoit pas^, augmerf-
Ch ARLE ^^^^ crainte. Le Sénat en étant averti , envoya au Bâcha deux
T Y Sénateurs , pour lui offrir leur Port, ôc toutes les chofes dont
I c 66 ^^ pourroit avoir befoin. Ils s'acquittèrent de leur commif-
fion de bonne grâce , ôc firent au Bâcha les offres les plus
obligeantes. Le Bâcha rufé les reçût très-poliment , & s ex-
cufa de n'être pas abordé dans leur îfle , le jour même de fon
arrivée, fur la folemnité de Pâques, qui tomboit cette année
au 14 d'Avril, ôc dans laquelle il n'avoit pas voulu, difoit-il ,
troubler les cérémonies de leur Religion. Le lendemain de
grand matin , il fit appareiller toute fa flotte, ôclui ordonna de
prendre terre à Fifle de Scio , en trois endroits differens , parcQ
qu'un feul ne fuiiifoit pas pour recevoir tant de vaiffeaux. Le
Bâcha à fon arrivée dans Tlfle , fe promena pendant quelque
tems dans des jardins? puis étant monté à cheval , il alla fur une
colline , d'oii il pouvoit confiderer le château. Ayant vu que
tout y étoit tranquille , il revint fur fa Capitane, ôc envoya dire au
gouverneur ou premier Magiftrat de la ville ^ ôc aux douze qui
en compofoient le Confeil, de venir le trouver, parce qu'il avoit
des chofes de grande conféqucnce à leur communiquer de la
part de Soliman , avant que de mener fon armée dans laPoùille.
Le Sénat n'ignoroit pas le danger dont l'Ifle étoit menacée :
cependant après avoir bien délibéré , ils furent d'avis qu'on al-
lât trouver Piali , de peur que s'ils refufoient , il ne fît par force
ce qu'il avoit projeté d'exécuter par adreffe , ôc qu'il n'en prît
occafion de mettre toute l'Ifle à feu ôc à fang. Le Gouverneur
ou Préfident , ôc les douze qui l'accompagnoient j furent d'a-
bord reçus dans la galère du Général, en apparence avec huma-
nité ôc douceur. Mais à peine y furent-ils entrez , qu'on les
chargea de fers. En même tems , on mit à terre les Janiffaires ;
qui fe rendirent maîtres, fans combat, du Palais de la ville, où
s'affembloit le Sénat , ôc du château. Ils en ôterent l'étendart
fur lequel étoit l'image de S. George, avec une croix rouge ,
Ôc ils y arborèrent l'étendart des Turcs. Comme on ne faifoit
aucune refiftance , ils fe rendirent maîtres du refte de l'Ifle, fans
aucun carnage. Les Infidèles ne pillèrent dans la ville , que la
I Cette ville qui porte le nom de Scio,
eft le licge d'un Evêque du Rit Latin ,
fufFragant de l'archevêque Latin de Na-
|ci , autre iile de l'Archipel, L'ille de
Scio eft fort grande ; les Chrétiens y
jouifTent aujourd'hui d'une grande li-
berté , fous la domination des Turcs , 8ç
y font fort hçureiix,
principalg
DE T. A. DE THOU , Liv. XXXIX. 137
principale Eglife confacrée à Dieu fous le nom de S. Pierre. .„,,.^,^ »
Un Turc touchant avec fes mains profanes le ciboire , où lafain- r rr ^^ ^ 7 E
te hoftie étoit enfermée , demanda à l'Evêque du lieu , fi c'ctoit j ^-^
là fon Dieu , Ci c'étoient là les niyfteres de fa foi : l'Evêque ayant ^ ^'^
répondu qu'oui , le Turc par mépris jetta le ciboire par terre. ^ ^
Alors le Prélat , pénétré de la plus vive douleur , fe jetta à ge-
noux pour le ramaffer 5 6c dit au Turc : tuez-moi , je vous prie,
avant que je voie fouler aux pies ces faints myfteres. Le Turc ,
touché de l'ardente pieté de l'Evêque, s'abftint de la profanation
facrilége , qu'il étoit prêt de commettre.
On rafa toutes les Eglifes des Chrétiens , excepté celle de
S. Dominique, dont les Turcs firent une mofquée ; on ôta aux
Infulaires toute forte de jurifdidion , ôc on y établit un Cadi ,
ou magiftrat Turc, pour rendre la juftice'. Après cela les fa-
milles du Préfident , des douze Confeillers , avec plufieurs au-
tres des plus confidérables , furent envoyées à Conftantinople
fur cinq vaiiïeaux , ôc de là tranfportées en différentes Provin-
ces. Cependant quelques années après, à la recommendation
du Roi de France , ces malheureux Infulaires furent rétablis
dans leur payis. On leur accorda même quelqu'ombre de leur
ancien gouvernement , avec une efpece de jurifdidion , enre-
fervant toujours l'appel au Juge fouverain établi par le Grand-
Seigneur : ce que Soliman accorda d'autant plus aifément ,
qu'il appréhendoit que les Chrétiens de Scio n'abandonnaffent
i'Ifle, ôc qu'étant ainfi déferte, elle ne devînt abfolument inu-
tile aux Turcs.
De Scio Piali fit voguer fa flotte vers Otrante , ôc côtoyant Defcentesdc
la Province de ce nom, il fit plufieurs defcentes, dont tout le l-^f'^^J^cTi,,-
c • r ^ 11- I» 1 ouelurlcsco-
iruit rut de remporter un grand butm , ôc d emmener beau- tes d'Italie.
coup de captifs j car Philippe avoir envoyé des troupes dans la
terre d'Otrante , dans l'Abruzze , dans la Calabre Ôc dans la i
Fouille, pour défendre l'une ôc l'autre côte de la mer , ôc on 1
avoir mis de bonnes garnifons dans les places fortes. Le Pa- j
pe en avoit fait autant pour l'état Eccléfiaftique : il avoit mis \
des troupes dans la Marche d'Ancone,ôc avoit équippé une ;
flotte à Civita-Vecchia. l
L'Empereur qui avoit envoyé l'année précédente Hozzuthothi
1 Peut-être fut ce un Molla, c eil-à-dire, un Juge de Province , au lieu que le
Cadi n'eil qu'un Juge de ville. ;
Tome F. s \
133 HISTOIRE
■ à Conflantînople , ne defefperoit pas d'obtenir une trêve. Ce-
Char LE P^^^^^^^^^f ayant appris , & par plulieurs conjedlures 3 Ôc par Pa-
j ^ veu des prifonniers , que les Turcs fe préparoient à faire la guerre
I f 6 (5 ^^ Hongrie , ôc qu'ils avoient formé le deflein d'attaquer Giula
& Zigeth , il fit de fon côté des préparatifs. Il commença par
fortifier Javarin , qu'il munit de troupes ôc de vivres. Comme
cette place lui parut la plus commode , il voulut que toute l'ar-
mée s'y affemblât î & il publia un Edit pour défendre à tous
ceux du payis, qui eft le long du Danube, de vendre des vins
6c des grains aux étrangers , ôc de louffrir qu'on les tranfportât
hors des terres de fon obéïffance i il prit même des mefures ,
pour empêcher qu'on n'enlevât ce qui avoir été vendu , mais
qui n'avoir pas été livré. Il envoya auflTi à Zigeth un renfort
de troupes , avec ordre à Vifconti Milanois , de fe mettre en
campagne avec deux régimens ; ôc fit diftribuer des commif-
fions pour lever des troupes de toutes parts. Mais voyant que
fes forces feules feroient trop foibles contre une fi grande puif-
Diéte de fance, il convoqua à Ausbourg la diète de l'Empire, pourdé-
Â^rbo"^ ^ libérer fur les moyens de refifter aux efforts de l'ennemi com-
mun > ôc régler ce que chacun devoir contribuer en argent ôc
en hommes. Maximilien s'y rendit le premier, ôc avant tous les
autres Princes, qui alléguèrent d abord diverfes raifons, pour
s'excufer d'y venir. Les Princes de Saxe, ôcles villes Vandali-
ques , s'excufoient en particulier, fur ce que la guerre étant fi fort
allumée entre leurs voifins ,ils ne pouvoient fans péril s'éloigner
de leurs frontières.
L'Empereur ne cefToit de prefTer, par fes Ambafradeurs,Ies
rois de Dannemarck ôc de Suéde , de chercher quelques moyens
de s'accommoder. Le roi de Suéde fembloit ne pas rcfuler l'ac-
commodement. A la prière de Maximilien , il avoir remis le
jugement de fes différends au duc de Pomcranie , ôc à Jean
Frédéric de Saxe , frère de fa mère. Mais il étoit encore fur-
venu d'autres difiicultez , qui empêchoient les Princes de fe
rendre fi-tôt à la Diète j c'étoit le différend qui venoit de s'é-
lever entre les fils de Jean Frédéric de Saxe , ci-devant Elec-
teur. Le plus jeune de ces fils étant mort , les deux autres con-
vinrent de gouverner alternativement. L'aîné gouverna le pre-
mier , foit par la prééminence que l'dge lui donnoit , foit fui-
vant la convention qu'ils avoient faite entr'eux. Mais épris.
DE J. A. DE T H ou, Lrv. XXXIX. i^r^
tomme on le croyoit, des charmes de l'autorité & des douceurs .
du commandement , il ne voulut plus céder le gouvernement
à fon frère. Ce fut le principe d'une haine mortelle entr'eux. Charle
Leurs parens y qui appréhendoient avec raifon de voir les deux
frères de Saxe renouveller l'affreux exemple des deux frères ^ ^
de Thebes \ firent tous leurs efforts pour étouffer cette étin-
celle, & pour l'empêcher d'allumer un feu , qu'il feroit dans la
fuite très difficile d'éteindre. L'Eleéleur Palatin ôc celui de Sa-
xe , s'affemblerent pour cela à Lipfick, où l'affaire ayant été agi-
tée dans plufieurs conférences , fans pouvoir être terminée , el-
le fut renvoyée â la Diére de l'Empire.
Il arriva encore dans cetems-là ^ que Philippe Landgrave de
Heffe maria Louis , Fun de fes fils , avec Hedwige , fille de
Chriftophle duc de Wirremberg ; 6c comme plufieurs Prin-
ces , fuivant l'ufage de la Nation , étoient invitez à ces noces ,
cela fit que le Landgrave Ôc ces autres Princes ne purent ve-
nir que très tard à la Diète. Ne pouvant donc s'y rendre affez
tôt , ils envoyèrent des Députez avec de pleins pouvoirs , pour
agir en leur nom : mais l'Empereur jugeant que l'affaire étoit
trop importante ôc trop difficile , pour en traiter avec des Dé-
putez , refolut d'attendre ces Princes.
Cependant il s'agiffoit à la Cour de Maximilien de plufieurs
autres affaires particulières. Bernardin Bochetel , évêque de
Rennes , commença à parler du ma'riage d'Elizabeth fille de
l'Empereur, avec le Roi de France. On donna auffi audience
à l'ambaffadeur du duc de Savoye, qui avoir deffein de renou-
veller dans la Diète le différend qu'il avoir avec le duc de
Mantouë , fur le duché de Montferrat. On écouta encore ua
envoyé du Pvoi d'Efpagne, qui demandoit la permifiion de lever
quatre régimens Allemands , fous la conduite de Paris (qui mou-
rut bien-tôt après ) d'Albcric Lodron , de Jean-Batifie d'Arco ,
& d'Annibal d'Akcmps , pour en envoyer dix compagnies à la
Goulette en Afrique, ôc mettre les autres en garnifon dans le
Milanez ôc à Naples j afin que fi les Turcs faifoient encore quel-
que entreprife fur Malte, ou fur quelques autres lieux voifins>
on fût à portée d'y envoyer du fecours. C'eft ce que l'envoyé
de Philippe n'eut pas de peine à obtenir. On fit auffi des tour-
nois, ôc on prit les divertiffemens ordinaires du carnaval; afin
1 Etheocle Ôc Polinice , fils d'Oedipe ôc de Joçafte.
Sij
140 HISTOIRE
de faire concevoir par ces démonftrations de joie^ l'efpérance
d'un heureux fuccès.
Enfin les Princes arrivèrent. Joachim II. élefteur de Bran-
debourg , s'croit mis le premier en chemin j mais étant tombé
malade , il retourna chez lui , ôc envoya en fa place Jean George
fou fils ôc fes petits-fils , accompagnez d'une nombreufe No-
blelle. Après eux vinrent les éle£lcurs de Mayence, de Colo-
gne ôc de Tfcves , l'archevêque de Salzbourg , Guillaume duc
de Cléves, ôc les ducs de Holftein , de la maifon des Rois de
Dannemarck. Peu de jours après vinrent Augufte élefteur de
SaxCj avec une très-grande fuite 5 Guillaume de Saxe duc de
Weimar^ qui étoit en difpute avec Jean Frédéric fon frère,
touchant le partage de leur Etat '■> George Frédéric marquis
d'Onolsbach 5 Philippe Rheingrave , ôc Othon Truchfes évê-
que d'Ausbourg. Le Grand Maître de l'Ordre Teutonique y
vmt aufii i ôc quoique cet Ordre eût été aboli, comme nous
l'avons rapporté, il obtint deJ'Empereur des lettres pour la
confervation de fes droits ôc de ceux de lEmpire.
L'ouverture de la Diète fe fit le 26 de Alars. L'Empereur
y ayant fait voir la neceifité de lever de puifiTans fecours con-
tre les Turcs , exhorta vivement les Princes, ôc tous les Etats
de l'Empire, à ne lui pas refufer, dans une conjontture fifâ-
cheufe , dans un befoin fi prefTant , ôc à fon avènement à la
Couronne Impériale , les fecours qu'ils avoient accordés de fi
bonne grâce , ôc avec tant de zèle à Charle Quint , ôc à Ferdi-
nand , lorfqu'ils avoient été attaquez par le même ennemi. Il
leur dit , que le Turc avoir réfolu de tourner toutes fes forces
contre la ville de Vienne , qui étoit le rempart de l'Allema-
gne : qu'outre la perte de cette place, qui les intereflx)it tous,
il s'agiiîbit de leur honneur, ôc qu'ils fe couvriroient d'une hon-
te éternelle , fi l'Allemagne , le plus floriffant Etat de l'Euro-
pe , ôc qui jufqu'alors avoir été invincible , ne prévenoit pas
un fi grand danger , ôc ne donnoit pas à propos les fecours
qui étoient abfolument necefiâires : qu'il ne doutoit pas qu'ils
n'euffent pour le fecourir la même ardeur, dont ils avoient don-
né des marques fi éclatantes à fes ancêtres ; ôc qu'ils ne joi-
gnifi^ent leurs forces aux iiennes , pour maintenir la grandeur
Ôc la majefté de l'Empire, ôc pour repouffer les efforts de fon en-
nemi capital : que s'ils lui accordoient ce qu'il leur demandoit^
DE J. A. DE T H ou, Liv. XXXIX. 141
il ne perdroit jamais la mémoire d'un fi grand fervice , qui
regardoit la gloire ôc l'utilité commune de l'Allemagne. Charle
Après que Maximilien eut parié, Albert duc de Bavière fit j^
au nom de l'Empereur ces propofitions , fur lefquelles la Diète i r c 6,
devoir délibérer : Qu'on cherchât les moyens d'extirper dans
l'Empire les Seèles , qui n'étoient point comprifes dans les con-
ditions de paix , dont on étoit convenu par rapport à la Reli-
gion : Qu'on levât huit mille hommes de cavalerie , ôc quaran-
ta*mille d'infanterie, pour fervir contre le Turc ; ê-c qu'on payât
leur folde pour trois ans, par une impolition de huit mois Ro-
mains : Que cette contribution fe fit en argent monnoyé, qui
feroit employé entièrement pour la guerre, fclon que les be-
foins feroient prefTans : Qu'on cherchât un moyen de réformer
le Tribunal de la Chambre Impériale ; ôc que ce qui y feroit or-
donné ^i\î régulièrement exécuté : Que l'on obfervât les Décrets
concernant la tranquilité publique , & les monnoyes : Qu'on
accommodât les différends qui étoient entre les Princes fur la
preféance : Qu'on terminât les conteflations au fujet de Final
fur la côte de Gènes, qui avoicntété fi fouvent agitées dans les
Diètes : Qu'enfin on enjoignît par un mandement Impérial aux
fujets de ce Marquifat , de mettre bas les armes.
Suivant ces propofitions, la première attention de la Diète
fut d'ordonner contre le Turc de plus grands fecours, qu'on
n'en avoit encore accordé à aucun des prèdécefieurs de Maxi-
milien 5 ôc on témoigna en cela plus d'ardeur qu'on n'avoir ja-
mais fait. Car outre les fecours qui furent promis au nom de
l'Empire , plufieurs offrirent volontairement ôc en particulier
leurs biens ôc leurs fervices , pour foûtenir cette guerre. En-
fuite on envoya à Final Parthin, un des Confeiilers de l'Em-
pereur , avec le gouverneur de Trente, pour terminer , par fon
crédit Ôc fon entremife , la difpute qui étoit entre la maiibn des
Carretto , ôc les fujets du Marquifat.
On traita auffi dans la Dicte du différend entre Antoine comte
d'Altembourg,leroi de Dannemarck, ôc les ducs d'Holftein. Le
comte d'Altembourg demandoitque fEmpereurlui confirmât
par fon autorité le fief de Delmenhoril, ôc de fes autres Etats;
ôc les autres dcmandoient qu'on leur donnât , comme aux plus
proches parens iffus de la même tige, le même fief fjr lequel
ils avoient droit de fucceifion ab intefiat. Ils alleguoient pour
S iij
142 H T s T O I R E
leurs raifons que le roi Chriftierne premier comte d'AItembourg,
avoir donné à Gérard fon frère une partie de ce Comré , à con-
dition qu'elle feroit reverfible à fes defcendans , fi la race de
Gérard venoit à manquer. Le comte d'AItembourg répondoit
qu'il n'avoir point reçu de Gérard, par droit de fuccejïion, le
payis de Delmenhorft 5 mais qu'ayant été pluiieurs années dans
des mains étrangères , il avoir été d'abord acquio à les rifques
ôc dépens : qu'enfuite le payis d'Harpfted avoir été ajouté au
Comté par un mariage : que pour ce qui concernoit le comflé
même d'AItembourg , qu'il avoir eu par fuccefiion de Gérard ,
il confentiroit volontiers que les ducs d'Holilein en partageaf-
fent avec lui le droit de fief , s'ils voulo;ent fouffrir que les
comtes d'AItembourg, comme plus proches parens & cohéri-
tiers , euffent aulTi droit de fief dans le Slefwick , le Holftein, ÔC
la Stormarie j d'autant plus que Gérard ayeul d'Antoine , & fes
defcendans, étoient appeliez à la fucceffion de ces payis, après
i'exrindion de la branche de Chriftierne, par des Letttcs datées
de Coppenhague.
Le duc de Savoye vint aufTi à la Diète , ôc après lui le duc
de-Mantouë , pour difputer le duché de Montferrat. Les deux
frères de Saxe-Weymar demandoient que leurs différends , qui
n'avoient pu être accommodez par les éle£leurs Palatin ôc de
Saxe , fuffent décidez par la Diète. Mais comme la guerre con-
tre le Turc étoit une affaire très preifante , toutes ces contefta-
tions , ôc farticle même de la Religion , furent remis en un au-
tre tems. Le cardinal Jean-François Commendon allifta à la
Diète au nom de Pie V. dont il avoit reçu les ordres à Auf-
bourg, en revenant de Pologne. Marc Sitic cardinal d'Aï-
temps y vint aufli, mais comme évêque de Conftance ôc prince
de l'Empire.
Lorfque le nouveau Pape eut appris du Nonce qu'il avoit à
la Cour de l'Empereur , ôc par d'autres avis , que l'article de la
Religion étoit un de ceux qu'on devoit propofer à la Diète
d'Ausbourg , pour chercher les moyens de terminer les diffé-
rends nez à ce fujet , il crut que ce feroit donner atteinte à fon
autorité, ôc par conféquent à celle de l'Eglife de Rome, mère
de toutes les autres. C'efl pourquoi il ordonna au cardinal
Commendon , en cas qu'on portât l'affaire de la Religion à
îâ Diète , de protefter en fon nom , de menacer de Cenfures
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXÎX. 145
généralement tous les Princes , tant Séculiers qu'EccléfiafTiques, — »^ -
qui y feroient préfens j & de déclarer çn particulier à l'Empe- c harlE
reur , que le Pape le déclareroit déchu de l'Empire Ôc des Royau- j ^
mes , domaines , fucceflfions, & autres droits qu'il pouvoir pré- ^ ^'^^
tendre parrapoit à l'Eipagne.
^ Heureufement les ordres du Pontife furent adrelTés à un hom-
me d'une très grande modération , ôc d'une prudence extrême.
Commendon, qui appréhendoit avec raifon qu'une pareille pro-
tedation n'aigrît les efprits , plutôt que de remédier aux mau^t
qu'on craignoit, jugea très fagement qu'il devoir chercher un
autre moyen d'empêcher les délibérations au fujet de la Reli-
gion. Ainfi, après en avoir communiqué avec l'Empereur, qui
lui fit efperer qu'on remettroit cette affaire à un autre tems^ il
écrivit au Pape , ôc lui manda qu'il n'avoit pas été dans la ne-
cefÏÏté de faire cette protellation. Le Pontife, homme altier ôc
impérieux, ôc quin'écoutoit aucunes raifons, lorsqu'elles étoient
contraires à fes volontez , envoya de nouveaux ordres au Car-
dinal, plus précis que les premiers , ôc lui enjoignit encore plus
fortement , ii on faifoit la plus légère mention des affaires de
la Religion dans la Diète , de faire pubhquement fa protefta-
tion , & d'excommunier au nom du Pape , l'Empereur ôc les
autres Princes. Le Miniftre, plus prudent que fon maître , n'eut
pas plus d'égard aux derniers ordres , qu'aux premiers j ôc par
bonheur lorfqu'ils arrivèrent , l'article concernant la Religion
avoir déjà été remis à un autre tems.
Cependant le Pape ne ceffoit point d'ordonner à Commen-
don , d'avertir l'Empereur de ne jamais foulfrir que l'affaire de
la Religion fût mife en délibération dans aucune Diète 5 ôc de
lui dire avec beaucoup de hauteur : Que Charle Quint avoir
fait une très grande faute , en fe mêlant des affaires de la Re-
ligion , ôc en fouffranr que la Confefîîon d'Ausbourg , drclfée
par Philippe Meîanchton , fût propofée dans une Diète de
l'Empire : Que cet Empereur ayant voulu mal-à-propos fc fer-
vir de fon autorité Impériale , pour apporter dans la fuite un
autre remède , il avoir mis la Religion dans un très grand dan-
ger , bien loin de guérir fes maux , ôc de contribuer à fon réta-
blifiement : Que par là il avoir donné lieu à l'étrange confu-
fion, ôc aux troubles funeftes, qui n'avoient fait depuis qu'aug-
menter en Allemagne : Que ce Prince , qui avoit d'ailleurs de
144 H ISTOIRE
^,^,_^^^^___^ grandes qualitez , auroit bien mieux fait d'aller de bonne heu-
CliARLË ^^' ^^^^ ^^ puifTans remèdes, au devant du mah dent les com-
IX. mencemens font toujours foibies ôc aifés à guérir : Qu'ayant
1X66. ^^^^ ^'*^^^ accorde la malheureufe liberté qui regnoit dans l'Em-
pire, un efprit de vertige s'ctoit emparé des Allemands 5 ôc
qu'il y avoir maintenant parmi eux autant de S'ecles différen-
tes , qu'il y avoir d'hommes oppofez à la Religion Romaine ,
la feule véritable.
Le Papeajoûtoit dans les inftruclions qu'il donnoitàCom-
mendon : Que , puifque les chofes en ctoient venues à ce point ,
que les Allemands flottoient dans la vafte mer des différentes
opinions humaines, fans fçavoir à quoi fe fixer, ôc que le chan-
gement des demeures fufiifoit pour les faire changer de Reli-
gion , il fembloit que c'étoit une occafion favorable que Dieu
préfentoit , pour appliquer à propos le remède au mal , & pour
faire rentrer dans leur devoir tant de Se£laires oppofez les uns
aux autres 5 qu'il étoit bien plus facile de les ramener à l'uni-
té, que s'ils étoient tous d'accord , ôc ne formoient qu'un feul
parti : Que pour cela il falloir fur toutes chofes preficrla pu-
blication du Concile, qui venoit d'être célébré à Trente : Que
fi l'on ne pouvoir obtenir qu'il fiit publié par toute l'Allema-
gne , on demandât au moins avec inftance , qu'il le fut dans
les villes, qui confervoient la Religion de leurs ancêtres, com-
me Saltzbourg, Confiance, Eychftad, Ausbourg,Freii4nghen,
Paffaw , Brixen , ôc Trente : Que puifque ce qui empêchoit les
Evêques de tenir les Synodes de leurs Diocéfes, étoit que les
Métropolitains qui auroient dû commencer, n'avoient pas en-
core tenu les leurs , il falloir faire enforte que l'éledeur de
Mayence ôc les autres Archevêques , reçuffent le Concile de
Trente dans leurs Synodes y afin que leurs Suffragans , à leur
exemple , le fiffent pubUer dans leurs Diocéfes : Qu'il falloir
eritr'autres avertir TéletSleur de Cologne de foufcrire à la Con-
feffion de Foi , qui avoit été publiée conformément aux dé-
crets du Concile , ôc qui étoit déjà reçue en France, en ItaHe,
en Efpagne , en Pologne , dans la Hongrie , ôc dans quelques
Eglifes d'Allemagne i ôc en cas qu'il refufàt d'y foufcrire ,
comme tant d'Evêques avoient déjà fait , de déclarer qu'il
avoit encouru les Cenfures Eccléfiaftiques , Ôc qu'il étoit dé-
jt;hu de fa dignité Electorale : Que l'Empereur de voit aufïï
prendre
D E J. A. D E T H O U, L I V. XXXIX. u^^
prendre garde , puifque l'Archevêque de Magdebourg , nou- ,
vellement élii , éroit mort , que l'éle^leur de Saxe ne s'empa- (;] ^ ^ ^ l e
rat de cet Archevcché , le premier de toute l'Allemagne, com- j yç^
me il avoit déjà fait à l'é^rard de trois Evêchez voifins : Qu'on , - z' >ç
devoir avoir la même attention pour 1 cvecne de Strasbourg :
Qu'il falloit empêcher, autant qu'il feroit poflible , la le£lure des
livres des Sedaires, ôc de ceux qui n croient pas approuvés j
ôc publier au contraire avec zèle & répandre par tout les li-
vres de pieté : Que hs Evêques riches Ôc puifTans dévoient pro-
pofer des récompenfes aux hommes fçavans, ôc établir des Sé-
minaires par tout dans les villes , fuivant les décrets du Con-
cile de Trente : Enfin qu'il falloit au plutôt prendre des mefu-
res avec l'Empereur , ôc les autres Princes , pour reprimer par
l'autorité Impériale l'audace de l'éledeur Palatin , qui avoit em-
braffé une profefîion de foi différente de celle qui avoit été re-
çue dans les Diètes de l'Empire , ôc qui perfécutoit en diverfes
façons les Evêques de fes propres Etats , ôc ceux qui en étoient
voilins.
Ce que le Pape prefcrivit à Commendon, par raport à l'é-
iecleur Palatin , ne fut pas tout-à-fait inutile. Commendon fçut
en profiter ; car voyant que Chriftophle duc de Wirtemberg,
ôc Wolfang de Bavière duc des Deux-Ponts , étoient irrités
contre le Palatin , ôc foûtenoient qu'on ne devoit point ad-
mettre d'autre Religion dans l'Empire , que la Catholique, ôc
celle de la Confeflion d'Ausbourg, ainfi qu'il avoit été réglé
dans les Diètes de l'Empire; il alla trouver l'Empereur , ôc le
pria de ne pas laiffcr perdre une occafion fi favorable d'étein-
dre l'héréfie dans l'Allemagne. Maximilien fuivit cet avis du Lé-.
gat : après avoir tenu Conieil fur cette affaire avec les Princes,
on fignifia au Palatin, ou qu'il eût à quitter fonEleâ:orat,que
l'Empereur confereroit volontiers à fon fils , ou qu'il chaifât
de fes Etats les miniltres Calviniftes. Le Palatin répondit qu'il
n'étoit pas jufte de condamner la doctrine de Calvin , fans
connoiffance de caufe ; il fit obferver en même tems que tout
cela n'étoit qu'un artifice de l'ennemi commun , ( c'eft le nom
qu'il donnoit au Pape) pour troubler la paix de l'Allemagne,
en foûlevant les Princes de l'Empire les uns contre les autres.
L'éleèleur de Saxe , déjà tout occupé de la guerre contre fes
parens , ôc appréhendant que fi la paix du corps Germanique
Tome V» T
C H A R L E
IX.
1^66.
14^ HISTOIRE
venoit a être troublée , ils ne reprifTent un nouveau courage 6c
de nouvelles forces , s'oppofa formellement à la réfolution prife
contre l'életteur Palatin , ôc refufa de fe joindre aux Princes ,
qui l'attaquoient. Ainfi les projets de Commendon ôc des Prin-
ces n'eurent point de fuite.
Réponfede Bernardin Bochetel évcque de Rennes , étoit venu trouver
l'Empereur TEnipereur à la Diète le premier jour de Mai , pour parler du
un- la piopoli- .f 1 r r:i it-»--rt- • • \ ■\/r
tion du ma- mariage de la nue avec le Roi. Mais cinq jours après , Maxi-
^'n°^ ^^' {^ milieu préoccupé par les confeils violens des Efpagnols , ôc
l^oi. fur tout de Thomas Perrenot de Chantonay , chargé des affaires
de Philippe à la Cour de l'Empereur , donna par écrit à l'évê-
que de Rennes une réponfe aulfi indigne qu'infolente. On y
difoit d'abord , que l'Empereur avoir un très grand plaifir de
voir que le Sérénifîime Roi Très-Chrétien fouhaittoit de con-
tracter avec lui une alliance plus étroite : Qu'il étoit bienper-
fuadé que ce dé(ir partoit du bon cœur ôc de la fmcere amitié
du Roi : Qu'il fçavoit bien que plus la Majefté Impériale, & tou-
te la SérénifTime Maifon d'Autriche , feroit étroitement unie
avec le Sérénifïime Roi de France ôc fon royaume , plus il y
auroit de paix ôc de tranquilité dans toute la République Chré-
tienne ; ôc que cette union feroit d'un grand poids , ôc pour-
roit beaucoup contribuer à étendre la gloire de Dieu, ôc àre-
poufler les forces, ôc abattre la puilTance des Turcs : Qu'à la fa-
veur de la difcorde qui regnoit parmi les Chrétiens, cette puif-
fance s'étoit tellement élevée , ôc étoit devenue fi formidable ,
que fi tous les Chrétiens n'uniffoient inceflamment leurs forces
pour arrêter fes progrès , elle feroit fans doute très fatale à toute
la Chrétienté. Puis on ajoûtoit, que l'Empereur n'avoir pas plu-
tôt fait réponfe , parce qu'il avoir voulu confulter le Sérénilîi-
me Roi Catholique d'Efpagne , fon frère , ôc fon très cher cou-
fin , avec lequel il avoir fait une fi grande liaifon, que les affai-
res de fun étoient celles de l'autre : Que S. M. Impériale ne
manquoit pas de partis, ni d'occafions de marier fa féconde fille,
(car il avoir déjà difpofé de l'aînée) ôc de la pourvoir avanta-
geufement pour la gloire ôc les intérêts de la Sérénifïime Mai-
ion d'Autriche : Que néanmoins marchant fur les pas de fes an-
cêtres , il avoit toujours préféré à fon utilité particulière la paix
publique de la Chrétienté ôc du S. Empire Romain , dont il
-étoit obligé de défendre , de recouvrer j ôc d'augmenter les
DE J. A.DE THOU, Liv. XXXIX. 147
droits : Qu'ainfi il ne refufoit pas d'accorder le mariage , que
le Roi fouhaitoit à ces condidons : Qu'avant toutes chofes le C h a r L E
Roi rétabliroit les Evêchez de Metz, de Touh & de Ver- 7 v
dun, qui etoient très-illuilres membres du laint Empire Ro- i r (^ 0,
main , dans leur premier liberté , & dans le même état qu'ils ^
étoient avant qu'Henri IL père du Roi s'en fut emparé, 6c les
eût démembrez du corps Germanique : Que le Roi rcnonce-
roit de bonne foi , fans referve , ôcexpreiTémentj à la paix ôc
à l'alliance qu'il avoit faite avec le Turc 5 qu'il fe joindroit
contre lui avec l'Empereur ; ôc que pour faire connoître cette
union à tout le monde , il leveroit promtement une puiflante
armée deftinée aufecours de la Hongrie ? qu'il la tiendroit prê-
te fur fa frontière , ôc l'entretiendroit à fes dépens. On ajouta
que s il arrivoit qu'il y eût guerre entre le Roi Très-Chrénen
ôc le Roi Catholique, il feroit libre à l'Empereur de prendre
conjointement avec le Roi d'Efpagne la défenfe des droits de
la Maifon d'Autriche ôc de Bouro:o2:ne.
Maximilien déclara qu'à ces conditions il étoitprêt deconfen- Répliqr.e de
tir au mariage du Roi avec fa fille, ôc chargea l'Evêque de Ren- J'E^équc de
nés de porter au Roi cette réponfe, qui a^ oit été faite avec une
mûre délibération. Le lendemain , qui étoit le 7 de Mai , l'Evê-
que de Rennes revint trouver l'Empereur , avec l'écrit qu'il .
lui avoit donné la veille ; ôc lui dit , que l'ayant lu , il avoit trou-
vé que fa Majefté Impériale reconnoiiîbit bien mal l'amitié que
le Roi avoit pour lui , ôc que fa Majefté très-Chrétienne fouhai-;
toit depuis trois ans de cimenter par une alliance plus étroite :
Que pour lui, il s'étoit imaginé , que fi les affaires de l'Empe-
reur ne lui permettoient pas de difpofer librement de ce qui
étoit à lui , il pouvoit au moins fe fervir auprès du Roi d'une
excufe plus honnête , ôc que le Roi Pauroit reçue en bonne part >
Que les conditions propofées par fa Majefté Impériale, ne pa-
uoifToient pas être des articles de mariage , mais des conditions
de paix, que le vainqueur impofoit au vaincu. Que les affai^
res du Roi, quelque chofe que les Efpagnols pûflent dire,
n'étoient pas encore réduites à une telle extrémité , qu'il fût
contraint de tout faire ôcde tout foufflrir. Que fans y être obli-,
gépar ce mariage, lorfqu'il y auroit occafion de faire la guerre
au Turc, fa Majefté prendroit volontiers part aux frais ôc aux
dangers , comme il convenoit au premier des Rois Chrétiensj
Tij
t4S HISTOIRE
_ mais qu'il ne voudroit pas que la Chrctienté en fut plus obli-
^ gée à fa femme , qu'à lui. Qu'au refte toutes chofes étoient
T Y %ales ; ôc qu'un fi grand Roi étoit bien digne d'une telle
' époufe : Que jufque là l'affaire du mariage avoit été traitée
^ * avec tant de ménagement, ôc des paroles il mefurées, qu'il y
avoit eu lieu d'efperer une autre ifluë : Que ce qui avoit été
ajouté dans la réponfe , en manière de proteftation ^ n'étoit pas
plus à propos; parce que s'il y avoit guerre entre les deux Rois,
l'alliance contrariée avec le Roi de France n'empêcheroit pas
l'Empereur de fe joindre contre lui avec le Roi d'Efpagne.
Que c'étoit anticiper fur l'avenir, ôc que la propofition étoit
prématurée ôc à contre tems , parce qu'il y avoit entre les
deux Rois une paix ôc une amitié folide ôc confiante : Que s'il
arrivoit qu'ils fe broùillalfent dans la fuite ^ il étoit du devoir
d'un Prince Chrétien de ne pas attaquer le premier celui dont
il n'auroit reçu aucune injure, foit qu'il eût époufé fa fille, ou
qu'il ne l'eût pas époufée. Que quand fa Majeflé Impériale pen-
feroit autrement, elle auroit dû attendre , pour faire une telle
prpteflation, que le Roi voulût l'obliger par le traité de maria-
ge à ne prendre parti ni pour l'un ni pour l'autre, en casque
la guerre s'allumât entre les deux Rois^ôc qu'il auroit été tems
alors , ôc non pas auparavant , de découvrir fes intentions : Qu'il
ne difoit pas cela pour prefler encore l'Empereur de conclure '
un mariage, qu'il regardoit comme entièrement rompu, ôc dont
le Roi ne parleroit jamais i mais uniquement pour fe déchar-
ger dans fon fein d'une partie delà jufle douleur que lui avoit
caufé un écrit , qui ne répondoit nullement ni à l'amitié que le
Roi avoit pour l'Empereur , ni au refpe£l ôc aux égards dûs à
fa dignité royale : Qu'au refte il prioit l'Empereur de l'excu-
fer , s'il ne recevoit pas cet écrit, ôc s'il ne faifoit point part au
Roi des proteftations qu'il contenoit.
Après que l'Evêque de Rennes eût ainfi parlé, Maximilien
le preffa de lui donner la réponfe par écrit : mais il le refufa, ^
difant que ce que l'Empereur Ôc lui avoientditne faifoit rien
à la chofe, dont il s'agiffoit. Ainfi il prit congé del'Empereur^
qui loua depuis le courage Ôc la prudence de l'Evêque de Ren-
nes , lorfqu'il reconnut qu'il avoit été trompé par Chanto-
n'ay , Ôc par les Efpagnols , qui n'avoient d'autre deflein que de
nuire à la France , même contre les intérêts de l'Empereur.
DEJ. ADETHOU^Liv. XXXIX. 149
Maximilienfefervit de Philippe Rheingrave , qui étoit à Auf- m
bourg, ôc qui étoit fort attaché à la France , pour le faire dire Char LE
afTez clairement à l'Evêquede Rennes. La Reine mère avoir jx.
prié Alfonfe duc de Ferrare , de parler de ce mariage à Maximi- 1 ^ C 6.
lien : mais eu égard au tems , on crut qu'il étoit de la gloire ôc
des intérêts du Roi de furfeoir cette affaire. On ceffa donc alors
d'en parler ; mais quatre ans après on reprit cette négociation,
6c elleréuiîît.
Tandis que ces chofes fe paflbient à Aufbourg; , Charle fre- ^ Affemblces
j pT- ^ ' s Tt n T r^ Ul ' • -^ '^' a Prcsboiirg
re de i Empereur tint a rrelbourg 1 aliemblee , qui y avoit ete ^ ^ vienne.
indiquée. Il trouva les efprits de tous les Seigneurs de Hon-
grie fi bien difpofez j que non feulement ils accordèrent tout
ce qu'on leur demandoit pour une caufe fi jufteôc fincceffai-
re , mais qu'ils déclarèrent qu'ils iroient eux-mêmes à la guerre:,
fi l'Empereur ou quelqu'un de fes frères s'y trouvoit en per-
fonne. L'affemblée étant finie , Charle vint auffi-tôt à Vien-
ne , ôc obtint la mêmechofe des Etats d'Autriche, qui con-
fentirent à une levée de deniers, pour rétablir les fortifications
de la ville , ôc à plufieurs autres reglemens utiles , qui furent
faits.
Sur la fin de la Diète TEledeur Augufte de Saxe, qui étoit
venu avec quinze cens cavaliers bien équipez , reçut de l'Em-
pereur fon inveftiture en grande pompe , avec les cérémonies
sccoûtumées. On fit la même grâce aux Députez des ducs de
Weymar, ôc de l'Elecleur Palatin, qui étoient abfens. Guil-
laume Grombach , qui s'étoit emparé de Wirtzbourg trois ans
auparavant, & qui favoit pillé, fut encore une fois profcrit publi-
quement dans cette Diète le 1 3 de Mars , avec Erneft de Man-
defloë, Guillaume Steyn , Ôc fes autres affociez, qui étoient
retirez dans le château de Gotha ^ chez Jean Frédéric de Saxe.
Cependant Jean Prince de Tranfylvanie ayant pris le titre de Lettres de
roi de Hongrie , de Sclavonie , de Croatie , Ôc de Stirie, écrivit J^^n prince
aux Villes, aux Grands, ôc à la Nobleffe de ces Provinces, nL âux^Sef-
que l'Empereur des Turcs lui avoit envoyé un Chiaoux^avec gncurs Hon-
une lettre , par laquelle il lui mandoit d'exhorter tous les Or- ^^'
dres du Royaume de Hongrie à lui rendre l'hommage ôc
robéiffance : Qu'ils lui feroient un grand plaifir , s'ils vou-
îoient vivre en union entre eux , ôc s'ils ne contefloient qu'à
qui auroit plus de zcle pour fon fervice j afin de n'être plus
T iij
'rois.
Charle
IX,
1 ; (^5.
Lettre de
Schwendi
aux mêmes.
1^0 H I S T O I R E
obligez à lever Ci fouvent des troupes , à faire des préparatifs
de guerre i\ ruineux, ôc à entreprendre des voyages Ci péni-
bles : Qu'ils penfaffent donc férieufement à eux , quand ils le
pouvoient encore, avant qu'il entrât dans la Hongrie j parce
qu'ils y penferoient trop tard, lorfque l'ennemi feroit dans
leurs payis : Que pour exécuter ces ordres de Soliman , Ôc s'ac-
quitter en même temsde Tes obligations de ce qu'il devoit àl'af-
fedion qu'il avoit pour fon Royaume , il les exhortoit avec bon-
té, pour leur propre intérêt, de rentrer dans leur devoir,* de
confulter de bonne heure entr'eux , tandis qu'il leur étoit per-
mis de le faire , 6c de prendre de fages mefures, pour détour-
ner l'orage qui nienaçoit leur patrie , leurs femmes , leurs en-
fans, ôc leurs propres perfonnes : Que pour lui, il feroit en-
forte d'être toujours le même à leur égard, ôc de ne fe jamais
départir de fa clémence, de fa douceur ôcdefabonté: Qu'en-
fin il agiroit auprès de Soliman d'une manière à leur perfua- .
der , qu'il n'avoit rien plus à cœur que la confervation de la
Chrétienté, 6c le bien commun du payis. Dans la même let-
tre Jean indiquoit uneaffemblée à Torda pour le lo de Mars,
déclarant, que comme tous n'ypouvoient pas venir, il étoit à
propos , pour épargner les frais , d'envoyer quatre perfonnes
d'autorité 6c diftinguées par leur prudence, avec de pleins pou-
voirs.
Comme on fit courir plufieurs copies de cette lettre dans la
Hongrie, 6c dans les Provinces voiiines, Schwendi , qui étoit
pour lors à Unghwar , y oppofa promtement une efpece de
réponfe , dans la lettre qu'il écrivit le 4 de Mars en fon nom,
comme Lieutenant de l'Empereur dans ces Provinces. A
i'occafiondela lettre du Prince de Tranfylvanie, remplie d'of-
tentation 6c de déguifement , il exhortoit les Grands à fe dé-
fier d'un homme , qui leur offroit la protedion de l'ennemi com-
mun des Chrétiens 5 comme fi le Grand-Seigneur fe foucioit
de leur confervation , 6c prenoit quelque intérêt à leurs per-
fonnes , 6c à ce qui les touchoit i comme fi depuis deux cens
ans, 6c plus, fes ancêtres 6c lui n'avoient pas fait tous leurs
efforts pour ruiner un Royaume fi floriflant , ou par la force
des armes, ou quand ils ne le pouvoient de cette manière, par
des pièges 6c desardfices, 6c parles difiTentions qu'ils femoient
entre les Grands. Schwendi ajoûtoit que poqr lui, il ne dou*
i
DE J. A. D E T H O U , L I V. XXXIX. i;i î
toit nullement de leur fidélité ôc de leur prudence 5 mais qu'il
avoir cru qu'il étoit de fon devoir de les exhortera ne rien re- CharlE
lâcher de leur ancien zélé pour les intérêts du Royaume, ôcle j x.
fervice de l'Empereur, ôc à fe préparer à foûtenir courageufe- \ < 6 C.
ment une guerre auffi jufte que néceffaire j puifqu'ils'agifToitde
la confervation de leur Religion, de leur patrie, ôc de leurs
propres familles î qu'ils avoient lieu d'efperer de Dieu un heu-
reux fuccès , ôc qu'ils dévoient être perfuadez que le Prince
de Tranfylvanie , auteur de tant de calamitez, netarderoitpas
à être puni de fon impieté. Enfin il leur défendoit de la part
de l'Empereur, d'avoir aucun commerce avec lui , ôc d'envoyer
qui que ce fut à l'aflemblée qu'il avoit indiquée, fous peine
d'être traitez comme rebelles, ôc punis des plus terribles fup-
plices.
Déjà le prince de Tranfylvanie ôc les Turcs étoient en cam- Guerre eu
''• •/ K r 'nj' • \ Hongrie.
pagne: ayant attaque mopmement Aylnac, ville dégarnie, près *
d'Agria j pendant l'abfence du Gouverneur, ils la prirent par
efcalade le 23 d'Avril, ôc taillèrent en pièces ceux qui la dé-
fendoient. Enflez de ce premier fuccès , ils s'avancèrent juf-
qu'à Zigeth. Nicolas de Zrin marcha contre eux avec un dé-
tachement. Le combat dura quatre heures entières : les Infi-
dèles furent battus ^ mis en fuite , ôc forcez de fe retirer à
Cinq-Eglifes.
Vers le même tems la Diète d'Aufbourg étant finie , Maxi-
milien commanda aux principaux chefs des armées d'Allema-
gne de lever par tout des troupes. Voici à peu près quels étoient
ces Chefs : Philbert marquis de Bade, George Helfenftein , Ni-
colas Hadftadt , Guillaume Walterthumb , Louis Ungnad, Bou-
chard de Barby , Jacque Schullembourg 3 Chriftophle Scheî-
lendorf , George Praun 5 Gonthier comte de Schuartzembourg,
Chriftophle de Liechtenftein , Zacharie Gromberg , ôc Ber-
nard Hardeck.
D'Aulhourg l'Empereur vint à Vienne, autrefois la capita-
le de la haute Hongrie, Ôc à prcfent de l'Autriche. Ce Prince
fit prefque toujours fon fcjour dans cette ville. Auiïi-tôt un Cou-
rier vint lui apprendre, que Soliman étoit parti de Conftanti-
nople, ôc qu'ayant marché à grandes journées par Sofia, fur
les confins delà Servie, ôc par Nifla, il étoit arrivé dans la Bul-
garie avec foixante ôc dix mille hommes y qu'il s'avançoit vers
■n«jjBSiiBji8weaMimi
15-2 HISTOIRE
„_ Belgrade j qu'il avoit envoyé devant lui le Bâcha Haly Per-
P taw avec plufieurs Gouverneurs de Province , & qu'il avoit
j V- donné ordre au Général des Spahis de Natolie de pafler par
Gallipoli , de prendre les troupes qui y étoient , ôc de le venir
^ * joindre. Lorfque Soliman fut arrivé à Belgrade y Jean vint le
trouver avec des preiens : ayant été admis à fon audience j il
baifa la main tutelaire de fon puiffant protecteur , & le remer-
cia de ce qu'il vouloir bien continuer avec tant de zeie à ven-
ger fon valfal des injures qu'on lui avoit faites.
Cependant Schwendi alTiégeoit Huft , & le ferroit de très-
près. Plus l'ennemi étoit proche , plus il prefToit le fiége. D'un
autre côté le Bâcha de Bude avoit commencé le 6 de Juin le
fiége de Palotta, ville à huit milles de Javarin, proche d'Al-
bc-Royale. Les murs étant prefque entièrement ruinez par le
feu du canon, qui n'avoitpas ceiTé de tirer pendant liuit jours,
le Gouverneur de la place, George ïhuvry , grand homme de
guerre, & qui avoit déjà foûtenu plufieurs afiauts avec une ex-
trême valeur , fut dangereufement bleffé d'un éclat de pierre.
La ville étoit en très-grand danger, ôc le Bâcha quil'afliégeoit,
voulant paroître avoir fait quelque chofe avant l'arrivée de So-
liman , en prelloit extrêmement le fiége. Déjà les alTiégez, qui
n'avoient plus aucune efperance d'être fecourus, penfoient à
capituler , lorfque les Turcs épouvantez par les bruits qui fe
répandoient de l'arrivée des troupes . qui venoient les attaquer
par derrière, levèrent inopinément le fiége, ôc emmenèrent leurs
canons, à la réferve d'un feul qu'ils avoient auparavant rom-
pu, de quelques barils de poudre, ôc de quelques muids de
farine , dont les afîiégez s'emparèrent. George comte d'Hel-
fenftein étant venu à Javarin avec douze enfeignes d'infan-
terie , envoya le 14 de Juin quatre-vingts- dix charettes au
fourage , aufquelles il joignit un détachement de neuf cens hom-
mes. Les efpions Turcs les ayant découverts , & s'imaginant
que le nombre en étoit plus grand, avertirent le Bâcha. Com-
me il crut qu'ils éroient envoyez pour lui faire lever le fiége;
il pha promtement bagage , ôc fe retira de devant Palotta. On
en rétablit auiTj-tôt les murailles , Ôc on augmenta la garnifon
du Château.
Il y avoit déjà dans l'armée Impériale quatre regimens Al-
lemands commandez par Romcr Wallerthumb, Balderdun,
Helfenftein,
DE J. A. DE TH ou, L IV. XXXIX. i^
Helfenftein , & Pollwiller. On prétend qu'il y avoit vingt mille ««.«...ii^
Chevaliers de l'Ordre Teutonique ' , quatre mille Hongrois T
fort bien armez y ôc un grand nombre de troupes auxiliaires. Le ^ ^'
duc de Savoye y avoit envoyé quatre cens moufquetaires à che- '
vab Corne duc de Florence, quatre mille hommes de pié, ^ ^
qu'il entretenoit à fes dépens : Guillaume de Gonzague duc de
IVÎantouë , ôc les Républiques de Gènes Ôc de Luques envoyè-
rent leurs fecours en argent. Alfonfe d'Efte duc de Ferrare , ou-
tre la fomme de cent mille écus d'or qu'il avoit prêtée àlEm-
pereur, voulut aller en perfonne à cette guerre, avec une gran-
de quantité de très-brave Nobleiïe. Tous les jours il arrivoit
au camp de toutes les parties de l'Europe pluiieurs Princes ,
Seigneurs & Gentilhommes, qui accouroient au bruit de cette
expédition. L'Empereur avoit aulli équipé une flotte fur le Da-
nube , compofée de douze galères & de trente bdtimens de
charges , qui portoient trois mille arquebu fiers prefque tous
Italiens , que commandoit Flaëchk Allemand, Chevalier de
Malte j ces vaifTeaux, qui étoient conftruits de manière qu'on y
étoit à l'abri des flèches , portoient l'artillerie & les bagages.
En attendant que toute l'armée fefut aflemblée à Javarin,le
comte de Salms , qui commandoit dans cette place , vint avec la
plus grande partie des troupes à Palotta, qu'on rétablilToit. Après
y avoir laiiïe les vivres & le bagage, il s'avança avec un dé-
tachement de cavalerie jufqu'à Vêprin y grande ville , mais peu
fortifiée, à deux milles de Palotta, pour la reconnoître j il avoit
donné ordre au refte de l'armée de lefijivre de près. Les avant-
coureurs s'étant approchez de la ville , le commandant fit tirer
quelques coups de canons les murs qui tomboient de vetufté,
6c qui étoient d'ailleurs très-foibles , en furent ébranlés , en-
forte qu'il en tomba une partie : le comte de Salms en tira un
bon augure. Ayant pris quelques efpions Turcs, il apprit d'eux
que le Gouverneur de Vêprin étoit forti de la place , & avoit
emmené avec lui la meilleure partie de la garnifon , dans le def-
fein de faire des courfes , ôc de harceler les Chrétiens. Il fit
donc approcher fes troupes, qui ne firent rien ce jour là , parce
qu'elles furent furprifes de la nuit. Mais le lendemain , elles
fe mirent dès le grand matin en devoir d'efcalade.1: la ville j Ôc
I Ce nombre paroît exorbitant. II y a peut-être une faute dans le chifrç du
texte.
Tome V> V
i;4 HISTOIRE
^^^__^^,__^ quoique ce qui étoit refté de la garnifon eût employé toute la nuit
^ ' à en re'parer les ruines , elles ne laiiïerent pas de Tattaquer : elles
^TV ^ jetterent dans la place quantité de pots à feu , brûlèrent les por-
• tes, tuèrent les fentinelles , ôcfe rendirent maîtres de la place.
* ^ ' Les principaux fe retirèrent en vain dans la citadelle , ou fe
cachèrent dans les caves j on les en tira auiïi-tot , ôc ils fu-
rent tous tuez, parce que quelque tems auparavant ilsavoient
cruellement égorgé un grand nombre de prifonniers Chrétiens.
On épargna néanmoins quelques Seigneurs qui furent pris ,
& envoyez à Prcfbourg, pour être gardez dans la citadelle.
Le comte de Salms ayant mis Thuvry dans Vêprin avec une
bonne garnifon, retourna à Javarin. La joie de cet heureux
fuccès fut mêlée de trifteffe : on apprit que les Impériaux qui
étoient en garnifon à Leventz , ville fituée proche les châteaux
des Montagnes , étant fortis pour attaquer l'ennemi , avoient
été furpris dans des embufcades , ôc que plufieurs avoient été
tuez ou bleflez, & entr'autres Barthélémy Ho wat, homme très-
diftingué par fon courage ôc par fon habileté dans le métier de
la guerre.
L'armée Impériale marcha vers Thatan ou Theodate^ ville fi-
tuée entre Javarin ôc Comar, quiincommodoit fort les Impé-
riaux. C'ell une très-petite place , qui n'eft éloignée du Da-
nube que de quelques lieues vis-h-vis de Comar. Le comte
de Salms en fit approcher fes troupes le ip de Juillet dès le
matin. Ayant apperçû un Turc qu'il connoifiToit de vûë,il de-
manda à lui parler, ôcla garnifon le permit. Il fit dire par ce
Turc aux afiiégez, que s'ils vouloientfe rendre, il les renvoye-
roit vies ôc bagues fauves. Le Turc l'afijara qu'il n'y confen-
tiroient point : cependant il demanda un peu de tems , jufqu'à
ce qu'on eût réponfe du Gouverneur de Bude, ôc qu'en atten-
dant on ne fît rien de part ôc d'autre. Les Impériaux, après avoir
^ attendu quelque tems , attaquèrent la ville j mais ceux qui étoient
dedans la défendirent très-vigoureufement, avec vingt-quatre
pièces d'artillerie , qu'ils ne cefibient de tirer. Le comte de
Salms fit avancer fix canons , ôc commanda à Verdun d'atta-
quer avec fes troupes l'endroit où la muraille étoit tombée.
Mais comme il y avoit beaucoup de danger à n'attaquer les
afltégez que d'un feul côté , voici comme il diftribuafes gens:;
il mit dans le côté gauche d'une vallée mille arquebufiers qui
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXIX. 15;
etoient dans l'eau jufqu'à la moitié du corps , ôc autant du côte e
où les murailles avoient été abatuës par le canon. Puis étant Charle
allé avec deux mille hommes de pié à l'autre côté delà ville, ])^^
il fitpromptement donner le fignal de l'aflaut. La garnifon, per- i r 5 5.
fuadée que toute l'attaque fe feroit du côté de la muraille abat-
tue y accourut , donna vivement furies Impériaux qui fortirent
de l'eau , & le combat fut très-opiniâtré. Cependant le comte de
Salms attaqua la porte , la brifa , ôc entra inopinément dans
la ville. Tous ceux qui étoient dedans, furpris ôc inveftis de tou-
tes parts , furent taillez en pièces. Il n'y en eut que cinquante ,
qui fauverent leur vie,enfe retirant dans une tour, ôcqui fe
rendirent. Le Gouverneur de la place ôc celui de Vêprin fu-
rent de ce nombre , avec quelques-uns des principaux officiers
de Parmce ennemie , qu'on envoya prifonniers à Vienne. Ma-
ximilien^ qui y étoit alors, reçût la nouvelle de ces heureux fuc-
ces le 24. de Juillet. On en rendit à Dieu des allions de grâces,
ôc l'on ordonna des prières.
En même-tems les Turcs , qui étoient dans le château de Gef-
tern , ayant pris l allarme à l'approche du comte de Salms 3 aban-
donnèrent cette place ; ôc à leur exemple, ceuxde Vithan, d'îf-
choki , de Sanbochi , ôc de plufieurs autres châteaux , en fortirent
après y avoir mis le feu , ôc fe retirèrent à Gran , où l'on croyoit
que le comte de Salms devoit aller. C'eft ainfi que la paix fut réta-
blie dans un payis , qui étoit auparavant pillé ôc défolé par les vo-
leurs, que les Hongrois appellent Heidons, lesPolonois Cofa-
ques, ceux de Dalmatie Ufcoques, les Turcs ôc les Sclavons
Martellois,ôcles Allemands Freibutters. Le premier foin fut alors
de faire tous les préparatifs néceiïaires pour bien recevoir un fi
puiflant ennemi , qui étoit lur le point d'arriver Pendant que les
troupes s'affembloient à Javarin, on obferva fa contenance ôc
fa marche. Maximilien plein de pieté ôc de Religion , fçachant
que toutes les forces humaines fans le fecours de Dieu ne font
que foibieire Ôc impuiflTance, avoit ordonné fur toutes chofes
de faire tous les jours à Vienne ôc dans le camp, aufon delà clo-
che, des prières publiques à genoux, pour obtenir de Dieu le
falut ôc la confervation de l'Etat. Ainfi l'on voyoit dans les rues
à la ville, dans les chemins à la campagne, chacun fe mettre
à genoux au fon de la cloche, ôc ceux qui étoient à cheval en
defcendre pour prier. Il défendit aufli par un cdit tous les
V i]
iS^ HISTOIRE
I fpedacles, les jeux, les danfes, ôc généralement tous les amu-
Charle f^'^^'^s, qui entraînent les hommes à la volupté.
I X. Vers le même tems Adrien Eaglioni , qui s'ctoit acquis beau-
^ - ^^^ coup de réputation & de gloire à la guerre, vint en diligence
d'Italie à Vienne, & depuis l'Empereur lui donna le comman-
nez a Maxî- <^ement des troupes auxiliaires Italiennes. Alfonfe Caftaldo le
Hijlien. fuivitde près avec fes troupes. îl y vint auiïi de la part du duc
deSavoye quatre cens moufquetaires à cheval fort bien équi-
pez, fous les ordres du comte delà Chambre, excellent hom-
me de guerre j avec les troupes auxiliaires de Côme, fous la
conduite d'Aurele Fregofe. Un grand nombre de Seigneurs
de diverfes parties du monde vinrent d'eux mêmes, au bruit de
cette guerre, pour fervir dans l'armée Impériale. On y vit arri-
ver de France le jeune Henri de Lorraine , lils du duc de Gui-
fe tué au fiége d'Orléans. Tout jeune qu'il étoit, appelle à la
guerre de Hongrie par le courage martial naturel à fa ?vIaifon,
ôc brûlant déjà à cet âge du deïir d'acquérir de la gloire dans
le métier des armes , il fe rendit au camp , avec une troupe nom-
breufe de jeune noblefle Françoife. Bien-tôt après Timoleoii
de Coffé , FhiUppe Strozzi , ôc Gui de Saint Gelais de Lan-
fac , qui étoient accourus l'année précédente au fecours de
Malte, mais trop tard^ fe rendirent en Hongrie, après avoir
traverfé l'Italie. On y vit auffi arriver de la Nobiefle d'An-
gleterre , comme Thomas Smith , Guillaume Gorges , Henri
Champernoun, Philippe Budshil, Richard Grenvili ,ôc Tho-
mas Wotton. Albert Laski Palatin de Pologne , qui pofledoiî
plufieurs châteaux en Hongrie , y vint trouver l'Empereur , non
comme Seigneur Polonois , mais comme un des Seigneurs de
Hongrie , avec trois mille hommes de cavalerie , vêtus à la Hon-
groife , afin de ne pas donner lieu de croire , qu'on violât la trê-
ve qui étoit entre le Polonois ôc le Turc.
Lorfqu'on tintconfeil fur les opérations de la campagne , on
opina d'abord qu'il falloir faire le fiége de Gran 'j parce qu'en
prenant cette place , on empêcheroitles Turcs de prendre Giu-
îa ôc Zighet. D'autres au contraire foûtinrent , qu'en allîégeant
Gran , on fe mettoit dans la néceflité de courir les rifques d'une
bataille, que la proximité de l'armée de Soliman rendoit inévi-
table. C'eft , difoient-ils, ce qu'on doit éviter avec foin ^ n'étant
1 ou Strigonie.
1 $ 6 6,
DE J. A. DE T HOU, Liv. XXXÎX. in
pas prudent d'expofer au hazard d'un feul combat, dont le fuccès «u..-»u«u.uu,i..
eft toujours très-douteux, toutes les forcés de la Chrétienté : ils c h a r l e
concluoient qu'il falloit renvoyer le fiége de Gran à un tems plus t y
favorable. Maximilien fut de ce dernier fentiment , & il fe con-
tenta dans la conjoncture où il fe trouvoit, de défendre les fron-
tières de Norgawôc de la Hongrie. Ainfi il donna ordre au com-
te de Salms, de ramener dans le camp les troupes qu'il avoir mi-
fes dans Thatan 5 parce que cette place étoit trop éloignée du
Danube, pour pouvoir y tranfporter des vivres commodément.
Tandis que Maximilien, qui étoit avec une armée très-nom-
breufedans le camp près dejavarin, obfervoit lesmouvemens
&i la marche des ennemis , Schwendi , qui avoir reçu ordre de
demeurer dans la haute Hongrie , ôc dans le payis de Zepfi
eut affaire avec les Tartares ^ , que Soliman avoir mandes à la
prière de Jean. Quoiqu'ils fiffent fans ccÏÏq des courfes des deux
cotez du Tibifque , qu'ils défolaffent le payis par leurs vols 6c
leurs brigandages , qu'ils tuaffent ou qu'ils emmenaiïent en cap-
tivité des perfonnes de tout âge ôc de tout fexe ; Schwendi fe
contenta d'abord de fe tenir fur la défenfive , croyant qu'il y
avoit trop de danger de leur livrer bataille , tant qu'ils feroient
fi fuperieurs en nombre , ôc qu'il falloit temporifer jufqu'à ce
que ces hommes naturellement gourmands fe fulfent eux-mç-
iiies détruits , en mangeant avec avidité des fruits précoces, ôc
des raifins en trop grande quantité. En effet ayant été inftruit
au bout de quelque tems que ces troupes barbares étoient ac-
cablées de maladies, affoiblies, ôc très-diminuées, il les atta-
qua, en défit dix mille prefque fans peine, ôc obligea lerefte
à abandonner la Hongrie : un des commandans Turcs , fous
la conduite defquels ils étoient entrez dans le payis, fut tué,
Ôc l'autre bleffé à mort. Après cette vidoire, Schwendife ren-
dit maître des forterefles ou châteaux de Zabathka, de Pelfewcz,
de Gombazzek , de Krafnahwka , ôc de Gady , appartenons
à George Bebeck , qui avoit abandonné le parti de l'Empereur,
pour embrafler celui de Jean, ôc qui s'étoit joint aux Turcs.
Sch\7endi prit encore d'autres châteaux voifins.
Soliman étoit fur le point de partir de Belgrade, lorfquc fes
1 Les Tartares ne dépendent poir.t
du Grand-Seigneur, qui a feulement un
Bâcha à Caffa dans la Crimée ; mais
fon pouvoir ne s'étend point dans !a
campagne , donc le Cam de Tartarie
cft le maître.
i;S HISTOIRE
■ avant-coureurs ayant pafTé le Drab ' rencontrèrent une troupe
Charle <i'ii"^"ïp^i^iaux , proche la forterefle de Sielowefch. Le comte
j^ de Zrin , qui avoit appris par fes efpions Farrivéc des Turcs,
1 1- < < avoit envoyé un détachement fous la conduite de Gafpard Ala-
pian, de Nicolas Cobachs , ôc de plufieurs autres chefs, avec
ordre d'attaquer les ennemis, s'il feprefcntoit une occalion fa-
vorable de les furprendre, ôc de les combattre avec avantage.
Ainii ayant trouvé dès le grand matin les Turcs , qui marchoient
en défordre , écartez les uns des autres , ils les effrayèrent d'a-
bord , en leur faifant croire qu'ils étoient fuivis par un plus grand
nombre : bien-tôt ils les chargèrent , en tuèrent plufieurs , ôc mi-
rent les autres en fuite, Leur Commandant ayant été dange-
reufement blelTé , mourut dans des lieux marécageux où il s'é-
toit dché : fon fils avec plufieurs autres fut pris ôc amené à Zi-
geth, avec un grand butin de chameaux, de chevaux , de mu-
lets, ôc autres bêtes de charge , ôc de quantité de vaiiïelle d'or
ôc d'argent , ôc d'argent monnoyé.
Maximilien L'Empereur avoit donné le commandement général de tou-
vient a Tar- ^q l'armée à Ferdinand fon frère , ôc en fon abfence à Gon-
thier de Sch^^artzembours;, ôc il avoit nommé Paul deZara
Grand Maître de l'artillerie. Pour lui il partit de Vienne le
12 d'Août, Jean Frédéric duc de Pomeranie portant devant
lui Pétendart împériah ôc il vint droit à Altembourg , à deux
milles de Javarin. La cavalerie du Royaume de Bohême étoit
arrivée , Ôc on favoit didribuée en fept compagnies , qui fai-
foient la guerre à leurs dépens. Il y étoit auili venu de la ca-
valerie de la Sileiie ôc de la Luface , commandée par Teufel
ôc par Schwartzembourg. Dans le même-tems arrivèrent d'I-
talie Profper Colonne, Angelo Cefi, ôc Nicolas Gamba ra, cha-
cun avec une nombreufe fuite i ôc après eux Alfonfe d'Efte
duc de Ferrare , avec quatre cens Gentilshommes bien équi-
pez, trois cens arquebuliers, trois cens chevaux légers, ôc au-
tant de gendarmes , fous la conduite de Corneille Bentivoglio,
Ôc d'Ercolino Contrarii , tous parez comme pour une fête.
Wolfang ôc Richard Palatins de Neubourg, ôc le plus jeune
des Princes de Bavière vinrent aufii joindre l'armée à Javarin.
Soliman ^ Cependant Soliman, après avoir pafTé le Save, voulut auiïi
(ba armée, faire pafTcr à fes troupes le Drave , qui fort des montagnes du
j ou Drave.
DE J. A. DE THOU,Liv. XXXIX. i^p
Norgaw , dans le payis de Valérie ou Stirie , & reçoit le Mu- «__«
re , & fe jette dans le Danube. Pour cela il fît faire un pont ^
d'une fi:ru6ture admirable , qui avoit plus d'un mille de Ion- y^- '^
gueur , & quatorze coudées de largeur. Il fut fait en douze , '
jours, ôc Soliman y employa plus de vingt- cinq mille hom- ^
mes. Son deifein fut d'imiter le pont fam.cux , que Cefar fit
autrefois conftruire fur le Rhin avec tant de diligence ôc d'ha-
'bileté. Ce Sultan ^ qui avoit autant de courage & d'élévation
dans l'efprit, qu'aucun de fes prédécefTeurs, fe piaifoit beaucoup
à la ledure de l'hiftoire, ôc avoit fait traduire en fa langue les
commentaires de Cefar , voulant paffer pour héritier de fes ver-
tus ôc de fa gloire , comme il l'étoit de fon Empire. Pour ve-
nir à bout d'un ouvrage , qui avoit été plufieurs fois com-
mencé fans fuccès , à caufe de la rapidité de l'eau , Soliman
ordonna qu'aux endroits, ou l'on ne pouvoit employer les pou-
tres ôc les autres pièces de bois , à caufe de la largeur , de la
rapidité & de la profondeur du fleuve , on y fuppleât par des
barques & de grands batteaux attachés enfemble avec de for-
tes chaînes de fer. Par ce moyen le pont fut continué ôc ache-
vé, ôc l'armée Turque pafla deifus, de l'autre côté du Drave le
deux de Juillet.
Aluftapha, bâcha de Bofnie, Calambey , ôc plufieurs autres
Chefs de l'armée Ottomiane, ayant pafTé la rivière, marchèrent
vers Ottorrn , ôc arrivèrent à Cinq-Eglifes le 21 de Juillet,,
d'où ils eurent ordre de s'avancer vert Albe-Koyale, pour être
à portée de fecourir le gouverneur de Bude , en cas que les
Impériaux entrepriifent quelque chofe de ce côté-là. SoHman
commanda à Haffan-Beck de les fuivre avec plufieurs compa-
gnies. Peu de tems après le bâcha de la Natolie, ayant paffé le
pont avec un grand nombre de Sangiacs , dreffa le pavillon du
Sultan dans la plaine de Mohacz. Soliman s'y rendit aufïi-tôt
par le même chemin 5 ôc en cinq jours il vint devant Zighet,
Il campa à S. Laurent, à un mille de la place, lefept de Juil-
let, ayant fait deux jours auparavant trancher la tête à Oroftan
bâcha de Bude, à caufe de fa négligence à remplir les devoirs
de fa charge.
Zighet , s'il en faut croire ceux du payis , fut bâti par un SiégcdcTi--
Seigneur nommé Anthemius , fur les confins de la Hongrie , §'^^^-
dans un grand lac d'une médiocre profondeur. Cette place eft
1(^0 HISTOIRE
I environnée de marais de toutes parts , ôc ne touche à la terre fer-
Charle '^^^* ^^^ ^'"" côté, où elle eft flanquée de deux bons baftions
j-^ faits de terre & de bois, femblables à ces murailles des Gau-
i r < < lois, dont Cefar fait mention. Zighet eft compofé de deux vil-
les & de deux citadelles j le front eft tourné au midi i les flancs
regardent le levant ôc le couchant? ôcl'on n'y peut aller de part
ôc d'autre que par deux ponts.
Le comte de Zrin ^ qui commandoit dans Zighet , ayant
appris l'arrivée des Turcs , fit aflembler dans la citadelle inté-
rieure les Grands, les habitans ôc les foldats s ôc en leur préfen-
ce il fit un ferment folemnel , qu'avec la grâce du feul vrai Dieu
en trois perfonnes , il vivroit ôc mourroit avec eux i Ôc qu'il gar-
deroit religieufement les promefl'es qu'il avoir faites à Dieu ôc
à l'Empereur, fon fouverain feigneur ôc maître: puis il exigea
d'eux le même ferment, ôc leur fit promettre qu'ils obéïroient
fidèlement à l'Empereur ôc à lui-même , puifqu'il avoir l'hon-
neur d'être fon lieutenant. Il leur déclara enfuite,que s'il mou- ,
roit dans ce fiége , il nommoit Gafpard Alapian , pour com-
mander en fa place. Il les engagea aufli par ferment à obferver
exa£t:ement les ordonnances, par raport àladifcipline militaire,
qu'il avoir faites, qu'il leur propofa, ôc qui étoient drcffées de
cette manière. « Si quelqu'un réfufe d'obéir à fon ofiicier , s'il
" méprife fes ordres , s'il met l'épée à la main contre lui , il fera
« tué impunément. On tuera de même celui qui aura reçu ou
»' lu quelques lettres envoyées de la part des Turcs. Si quel-
« qu'un en trouve , qui ayent été jettées dans la ville par des flé-
M ches , ou par quelqu'autre moyen que ce puiffe être, il les
« portera aufïî-tôt à fon capitaine, qui fera obligé de lesjctter
«• au feu. Qui aura quitté fon pofte fans l'ordre exprès de fon
» capitaine , fera étranglé. S'il fe rrouve deux foldats, qui tra-
=> mentenfemble quelques complots, ou qui fe parlent tout bas
M à l'oreille, ils feront pendus fur le champ. Si quelqu'un les
» voit ou les entend , ôc ne le rapporte pas à l'oflicier, il fubi-
3> ra la même peine. «
Après avoir fait ces ordonnances militaires , Ôc divers autres
reglemens pour la diftribution des vivres , ôc des munitions en-
tre les foldats , il fit drefler une potence dans la grande place ,
où il fit pendre , pour fervir d'exemple , un foldat convaincu
I ou de Serin.
d'avoir
DE J. A. DE THOU, Lïv. XXXIX. i^i
d'avoir tiré l'épée contre un officier. Et pour ôter à fes com- ,
pagnons toute efperance d'obtenir des Turcs aucune grâce ^ ou Charle
compofition honnête, il fit pendre Mahumet , un des princi- j ^^
paux Chefs de l'armce ennemie, fameux par les meurtres qu'il i ^ C(>,
avoit commis fur le chemin de Zighet. Enfuite il commanda
aux Gentilshommes ôc aux foldats , qui demeuroient dans la
grande ville , de démolir leurs maifons , ôc d'en emporter la
paille 5 & à ceux qui demeuroient dans la ville neuve , de tranf-
porter de la paille dans leurs maifons , afin que quand il en fe-
roit befoin y on pût aifcment mettre le feu à la ville , dont les
murailles étoient d'ailleurs conftruites avec du bois ôc des fafci-
nes. Il fit après cela la revue des troupes , ôc trouva en tout
deux mille trois cens hommes de guerre, ôc autant d'habitans,
fans y comprendre les femmes ôc les enfans.
Avant l'arrivée de Soliman, le gouverneur de la Natolie ôc
îe bâcha Akauski, étoient venus aux environs avec quatre-vingt
dix mille Turcs. Auffi-tôt après il y vint encore cent mille hom-
mes , ôc fur le champ ils commencèrent dès le point du jour à
efcarmoucher entre les palififades , ce qui dura jufqu'à midi. Le
lendemain les mêmes Chefs abandonnèrent ce lieu-là avec dix
mille hommes , ôc furent fe pofter à Simeleoff, à un quart de
mille de la forterefle , fur une haute montagne peu éloignée
des vignes de Zighet. Aufii-tôt ils recommencèrent quelques
efcarmouches avec les Impériaux , ôc continuèrent la même
chofe les jours fuivans , jufqu'à l'arrivée de Soliman , avec perte
de beaucoup de gens , qui furent tuez par le feu de la citadelle.
Dès que Sohman fut arrivé, il s'empara d'une colline quiétoit
proche des vignes, ôc y établit fon quartier. Il fit d'abord tirer
de cet endroit tout le canon qu'il avoit amené : ce qui fut
une efpece de commencement de fiége. Enfuite les Turcs ou-
vrirent leurs tranchées , ôc les conduifirent jufqu'à lanouvelle
ville : à la faveur d'un retranchement ôc d'un parapet gabionné,
ils fçurent fe mettre à l'abri des canons de la ville 5 enfin le 8
d'Août, ils commencèrent à battre la place en trois endroits
differens, Hali Bâcha , grand-maître de l'artillerie Turque ,
entreprit la nuit de faire élever une plate-forme , ôc d'y drefier
une batterie au-deflbus de la citadelle intérieure , auprès du jar-
din royal , dans le marais même qui fervoit de foflé à cette
citadelle. Le lendemain il commença à faire tirer le canon
Tom. V, X
i(?2 HISTOIRE
^i^,,,,,^,,,^,,,,^ fans difcontinuer, depuis le point du jour jufqu'au foîr; en for-
7; te que la tour , qui étoit au dedans de la citadelle, fut renverfée,
^lY^ ^ ^ ôc les cloches calTées. La batterie ne cefla pas même pendant
^ * la nuit , ôc tua plufieurs des afliégez.
^ ^ Le comte de Serin , voyant qu'il perdoit tant de monde, fît
à la pointe du jour mettre le feu à la ville neuve , ôc fermer les
portes de la vieille citadelle , dont les ennemis tâchèrent de
fe rendre maîtres. Pour cela ils firent des ponts de bois , de
terre, & de décombres , avec des parapets de facs de peaux
graffes , afin de fe mettre à fabri du canon de la place 3 6c à la
faveur de cette efpece de maiitclcts , ils s'approchèrent telle-
ment, que les afîicgez n'oferent plus paroître. Enfin le ip
d'Août ils donnèrent un affaut : le combat fut long Ôc opiniâ-
tre , ôc il y eut beaucoup de fang répandu de part ôc d'autre >
enfin la vieille ville fut prifc, Ôc il en coûta la vie à plufieurs
braves officiers , qui n'eurent pas le tems de fe retirer dans la
citadelle , ayant été prévenus par les Turcs , qui s'emparèrent
d'un pont fort long, qui étoit fur le lac , ôc qui conduifoit de la
ville à la citadelle.
Les Turcs s'étant rendus maîtres de la ville, formèrent dans les
marais ôc dans les foffez ( qui dans cette faifon étoient prefqu'en-
tierement defféchez ) deux chemins avec des pièces de bois , des
branchages^ des fafcines, ôc des démolitions, ôc mirent des clayes
par deffus. Deux jours après , Haly attaqua la citadelle , qui étok
dans la ville : il y perdit beaucoup de monde Ôc fut repouffé. Il
perdit entr'autres le Bâcha Miferki,ôc les afîiégez emportèrent
avec joie deux de leurs drapeaux. Les Turcs ayant refolu de don-
ner un affaut général , ils choifirent pour cela le 2p d'Août, jour
où Ton célèbre la mémoire de la décolation de S. Jean-Batifle.
Ils avoient une ferme confiance qu'ils réufTiroient , parce qu'ils
fe (ouvenoient que 45* ans auparavant Soliman avoit pris Belgra-
de à pareil jour , que le Roi Louis avoit été tué à la bataille de
Mohatz , ôc que ce jour-là aufTi Rhodes ôc Bude avoient été pri-
fes. Ils fe rappelloient que non-feulement cejour, mais tout le
mois d'Août avoit été heureux ôc à Soliman ôc à Selim fou
père. En effet c' étoit dans ce mois qu'il avoit vaincu le grand
Ifmaël dans la plaine de Calderan , ôc Campfon Gore roi de
Memphis , auprès du Singa. Ils fe reflbuvenoient auUî que Baja-
fet avoit pris dans le même mois d'Août Modondans laMorée,
DE J. A. DE THOU, L i v. XXXIX. 1^3
Ce ne fut pas , comme on le difoit , faute des préparatifs ne-
ceffaires pour un aflaut.qu'ils le différèrent jufqu'au deux de Sep- C h a R L E
tembre j ce fut parce que la maladie, dont Soliman mourut bien- I X .
tôt après , augmentoit. Cependant les Janiflaires ne difconti- 1555,
nuoient point leurs travaux 5 iîs.minerent pendant les nuits la
grande fortificarioUj qui étoit contiguë à la colline 5 & par les
mines ils fe firent une ouverture pour aller jufqu'à la paliflàde du
dedans , oii ils portèrent quantité de bois fec , des planches , de
la paille , ôc de la poudre. Ainfi le j de Septembre les Turcs
brillèrent le plus grand baftion de la citadelle du dehors j ôc
le feu s'augmenta tellement , tant par fa propre force , que
par la violence du vent , qu'après un long combat , les Turcs
ayant été repouffés deux fois, le feu vint enfin jufqu'au maga-
fin de poudre, dont il y avoit grande abondance dans la gran-
de citadelle extérieure, proche les portes de la petite. Alors le
comte de Serin, réduit à la dernière extrémité, entra avecfes
troupes dans la petite citadelle intérieure, ôc il en fit auiïi-tôt
fermer les portes , laiffant dehors plufieurs braves guerriers ,
fans compter les femmes ôc les enfans , qui pendant que les
Turcs étoient en difpute pour le butin , périrent tous diver-
ment par le fer & par le feu , ou furent faits efclaves.
Les Infidèles n'étoient plus féparez des afliégez par des ponts,
ou par des fDffez , ils en étoient comme aux mains , n'ayant plus
qu'une muraille entr'eux & les Chrétiens. Car les murs de la
citadelle extérieure enfermoient la citadelle intérieure j ôc il y
avoit au-devant un mur par oii l'on pouvoit aller droit ôc fans
détour de la grande citadelle dans la petite : cette petite cita-
delle étoit fituée comme dans un coin de l'autre , ôc n'avoit
point d'autre baftion pour fe défendre, que la grande citadel-
le , ni d'autres édifices , qu'une ou deux chambres 011 logeoit
le comte de Serin , ôc quelques maifons où étoit le magafin de
poudre. Pour les vivres , qui étoient encore en affez grande
quantité , ôc qui auroient pu fufiire pour plufieurs jours , ou ils
furent brûlez avec la poudre dans la grande citadelle , ou ils
tombèrent entre les mains des Infidèles. Il y avoit fi peu de
provifions dans la petite citadelle , que pendant les trois jours
qui fe paiTerent jufqu'au dernier affaut, les femmes ôc les en-
fans mouroient miferablement de faim ôc de foif De toute l'ar-
tillerie, qui étoit nombreufe, il ne reftoit que deux gros canons
Xij
1^4 HISTOIRE
ôc quatorze mortiers. Deux jours après , les Turcs attaque'^
Char LE ^^^^^ ^^^ alTiégez dans la petite citadelle, comme ils avoient
j^ fait dans la grande : fur le foir ils y jetterent du feu , qui prit
I c 6 6 ^^'^^ ^'^^^^ ^^ violence , ôc qui fit pendant route la nuit de Ci
grands progrès , par la force du vent , qu'il fut impolTible de
l'cteindre j ôC le lendemain ils fe préparèrent à donner un aflaut
gcncral.
Etrangère- Alors le comtc de Serin voyant qu'il n'y avoit plus aucune
comtïïelîè- efpcrance, & que la garnifon , extrêmement diminuée, com-
rin, mençoit à perdre courage, prit une étrange réfolution, que la
feule neceffité pouvoit infpirer. Prenant l'air d'un homme qui
brave la mort, il fe fit apporter l'habit le plus beau qu'il eût,,
ôc s'en revêtit au lieu de cuiraflc : à la place de fon cafque j il
mit fur fa tête un bonnet de velours, orné d'un diamant de
grand prix, ôc d'un bouquet déplumes de Héron. S'étant en-
fuite fait apporter quatre épées , il en choifit une pour lui, ôc
diftribua les autres à fes amis,leur difant que ces armes fuffifoient
à celui qui aimoit mieux combattre fans embarras, ôc être tue
promptement , que de lutter long-tems contre la mort. Enfui-
te s'étant fait apporter par fon valet de chambre les clefs de la
citadelle, il les fit coudre à fa chemife, ôc avec ces clefs cent
pièces d'or , pour la récompenfe de celui qui le prendroit quand
il auroit été tué. En cet équipage il vint trouver les officiers ôc
les foldats , qui l'attendoient dans la place d'armes , en bataille^
ôc on dit qu'il leur fit ce difcours. « Mes chers compagnons
M ôc frères, le jour eft enfin venu où nous devons acquitter la
^ foi que nous nous fommes donnée les uns aux autres. Comme
3> nous avons vécu enfemble en grande union > fervant fideie-
=' ment notre Prince ôc notre patrie , mourons de même enfem-
35 ble, dans une pleine confiance en la mifericorde de notre Dieu,
» pour lequel nous combattons. Vous voyez l'état où nous fom-
« mes réduits : nous fommes prefTez d'un côté par le feu, qui
« dévore tout ce qui nous environne , ôc de l'autre , par la faim
* ôc par les cris lamentables de tant de femmes ôc d'enfans. Il
» ne nous refte plus d'autre reffource que notre patience , no-
« tre fermeté ôc notre confiance , pour fouffrir avec courage
» tout ce qu'il a plu à Dieu d'ordonner. Il y auroit non-feule-
o> ment de la lâcheté , mais de l'imprudence à capituler avec
I» un ennemi , dont nous avons fi fou\ ent éprouvé la perfidie.
D E J. A. D E T H O U , L I V. XXXIX. i^y
« Ainfi ayant pour nous ôcla protedion de Dieu , ôcletémoi- m ,
« gnage de notre confcience, allons à l'ennemi avec la même C H arle
»' ardeur, avec laquelle nous avons déjà foûtenu tant d'afTauts j IX.
» allons, avant que le feu vienne nous confumer. Allons acque- 1^66».
a> rir une gloire immortelle. Si nous mourons , nous laiderons
a> à la pofterité le glorieux fouvenir d'un courage héroïque ; *
3> mais peut-être réùffirons-nous à fauver nos vies , en nous ou-
» vrant un pafTage au travers des ennemis. ^'
Ayant dit ces paroles , ôc prononcé trois fois , Jejjis , à hau-
te voix , le Comte précédé de l'étendart du Gouverneur, qu'il
avoit donné à porter à Laurent Jurzniski, fait ouvrir \ts portes
de la citadelle : en même tems il fait tirer un mortier chargé à
cartouches , afin que la fumée pût le dérober aux yeux des en-
nemjs. Il fort alors à la tête de fes gens , tenant fon épée nue d'u-
ne main , & un petit bouclier de l'autre. Après avoir quelque
tems combattu fur le pont , il eft environné de toutes parts par
les JanniiTaires , ôc effuye une grêle de flèches. Il tombe enfin
mort de trois bleffures. Ceux qui le fuivoient,le voyant tom-
ber , voulurent rentrer dans la citadelle 3 mais les Turcs s'étant
mêlez avec eux , il y eut de part ôc d'autre un grand carnage >
enfin les alTiégeans le rendirent maîtres de la place. On épar-
gna les femmes ôc les enfans , qui furent réduits à une capti-
vité plus dure que la mort. Prefque tous ceux qui reflerent de
la garnifon furent tuez. Un petit nombre fe déroba à la mort ^
en prenant des turbans comme les Turcs 5 ôc les Turcs eux-
mêmes en dérobèrent quelques-uns à la fureur dufoldat, dans
l'efpérance d'en avoir quelque rançon.
La prife de la citadelle coûta beaucoup de fang aux Infidè-
les : il en périt trois mille , ou par la chute des édifices, ou dans
le Gombat , ou par le feu qui prit aux poudres , ou d'autre ma-
nière. Il y eut de part ôc d'autre un fi horrible carnage, que
ie fang couloir de toutes parts en abondance j ôc qu'on ne pou-
voit marcher dans la citadelle que fur des corps morts. D'un au-
tre côté , on n'entendoit dans le camp des Turcs que des cris
ôc des gémifi^emens. Ainfi la douleur des particuHers diminua la
joie publique de la prife de Zighct. On coupa la tête au comte
de Serin 5 ôc le commandant des Janifi^aites l'envoya à Sohman ,
qu'il croyoit encore en vie. ^^^lais Machmet, qui étoit alors à
la tête des affaires , l'envoya au gouverneur de Bu de , qui la fie
Xiij
i66 ^ HISTOIRE
Ml ■ porter à l'Empereur Maximilien , enveloppée dans une étofTe
C H A R L E ^^ ^^^^' Maximilien fut touché , comme il devoit , d'un fi trifte
j y^ fpe£laclc. Apres avoir loué hautement les vei^us de cet illuf-
^*^ tre mort, il fît remettre à Balthafar , fils du Comte , la tête de;
* fon père , & promit de lui donner en toutes occafions des mar-
ques de la reconnoilTance qu'il avoit des fervices importans
que le comte de Serin lui avoit rendus. Balthafar la fit porter
dans le château de Scacaturn , où il fit faire de magnifiques
funérailles à fon père , dont la tête fut mife dans le tombeau
de fes ancêtres > dans l'églife de fainte Hélène.
Les Turcs perdirent à ce fiége dix-huit mille cavaliers , fept
mille Janiffaires 5 ôc entre les Chefs , Miferki , AH Pertaw , le
premier Chiaoux ou chambellan, ôc celui qui avoit le foin des
finances , tous Bâchas. Zighet, afliégé le 8 de Juillet , fut pris
le 8 de Septembre.
Moitd Soliman étoit mort d'apoplexie dans le camp dès le cinq du
^oliman. même mois , après avoir eu d'abord quelques attaques d'épi-
iepfie. Ce Prince fe rendit illuftre ôc recommandable parmi
les Turcs ) par fa pieté , par fa juftice , par fa grandeur d'ame ,
par fa continence ^ ôc par fa bonne foi : il ne fembloit lui man-
quer que le vrai culte de Dieu. Il avoit foixante ôc feize ans
quand il mourut , ôc en avoit régné quarante-fîx ôc demi. Il
fut élevé fur le thrône de l'Empire Ottoman le même mois
que Chaule Quint fut élu Empereur d'Allemagne. Quoique
îe gouvernement des Turcs foit une efpéce de gouvernement
militaire , ennemi de la paix , ôc qui en ignore les avantages ,
Soliman laifibit prefque toujours l'intervalle d'une année en-
tre deux expéditions. La plupart de fes entreprifes furent heu-
reufes : il augmenta fes Etats de la Hongrie en Europe , ôc de
l'Arménie en Afie. Il eut aulïi quelques revers de fortune l'an-
née précédente 5 au dehors , par le mauvais fuccès de Fentre-
prife de Pvlalthc i ôc au dedans , par la mort de deux de fes fils;
ôc de tous fes petits-fils , qui auroient pu conferver la paix dans fa
maifon ôc dans tout fon Empire. On dit que trois chofes princi-
pales manquèrent au bonheur Ôc aux defirs de Soliman : la pre-
mière, de n'avoir pas réduit fous fapuiffance la ville de Vienne,
îe rempart ôc la clef de l'Allemagne, ôc qu'il prétendoit lui
appartenir , comme héritier de l'Empire , depuis que Maho-
met fon bifayeul avoit fait la conquête de Conftantinople :
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXIX. i(?7
la féconde & la troifiéme , de n'avoir pîi achever la grande
Alofquée d'une ftruiSlure admirable , qu'il avoir commencée
à Conftantinople j ôc les aqueducs qu'il avoir entrepris à l'i-
mitation des Romains. Si Soliman eût eu le bonheur de voir
ces trois chofes avant fa mort , il fe feroit regardé comme
le plus heureux de tous les Potentats.
Mechmet premier Vizir cacha aflez long-tems la mort du
Sultan , avec beaucoup d'adreffe ôc de prudence j il fît même
tuer pendant la nuit fon premier Médecin , de peur qu'il ne
la divulgât. Ce Miniftre appréhendoit que les JanifTaires &
îes autres gens de guerre l'apprenant trop tôt , n'excitaflcnt des
troubles dans le camp j qu'ils ne vouluîTent, fuivant leur cou-
tume , piller la tente & le tréfor du Sultan , avec les effets des
Chrétiens ôc des Juifs 5 qu'enrichis de ce butin , ôc de ces pré-
tieufes dépouilles , ils ne refufaiïent d'obéir à leurs Chefs j ôc
que perfonne n'eût affez de crédit ôc d'autorité pour les con-
tenir dans leur devoir. En effet s'il fût furvenu dans l'armée
Turque quelque trouble , ôc fi on y eût laiffé introduire la li-
cence, ç'auroit été pour Maximilien une belle occafion de rem-
porter bien des avantages, dans une circonilance , où il avoit à
fa difpofition une armée nombreufe y compofce des plus bel-
les troupes de la Chrétienté, qui lui avoient été envoyées de
toutes parts. Les Bâchas , les Officiers , ôc les Janiffaires
fur tout , demandèrent avec beaucoup d'inftance à voir leur
Prince , ôc ils commençoient à fe douter de fa mort. Comme
il y avoit déjà des apparences de quelques mouvemens fi,*crets ,
Mechmet jugea à propos de les tromper adroitement. Il fit
habiller le cadavre de Soliman , ôc l'ayant fait mettre fur un
fiége élevé , il le fit voir de loin aux plus curieux : tout étoit fi
bien difpofé , que ceux qui le virent le crûrent vivant. Après
cette fcéne , Mechmet faifant femblant d'avoir reçu les ordres
de Soliman , fortit de fa tente , fit affembler les Janiffaires , ôc
leur fit un difcours folide , pour les exhorter à preffer le fiége.
Cependant la douleur d'avoir perdu fon maître le trahit jôc
on vit couler imprudemment de fes yeux quelques larmes ,
qu'il ne put retenir. Il s'en apperçut fur le champ 5 ôc il jugea ^
au bruit fourd qu'il entendit fe répandre parmi les Janiffai-
res , que quelques-uns d'eux ayant vu fes larmes ôc fes yeux
encore rouges , en avoient conclu que le Sultan étoit mort.
i6B HISTOIRE
■^ Alors il ufa d'un nouvel artifice; ôc cachant avec une préfetî-
Char LE ^^ d'efprit admirable le vrai fujct de fa douleur , il leur déclara
IX ^"^ ^^ n'étoit pas la mort de Soliman qu'il pleuroit, puifqu'ii
j - ^ ^ étoit en vie :, ôc prefque guéri 5 mais qu'il pleuroit fur tant de
braves gens qui étoient dans l'armée , & fur lui-mcme ? parce
que fuivant les ordres exprès , 6c les menaces terribles de fa
HautefTe , ils étoient dans la trifte nécelTité ou d'emporter Zi-
ghet dans trois jours, ou de périr tous au milieu des plus cruels
fupplices. Ces paroles prononcées avec un vifage fi ferieux 6c
fi trifte , levèrent tous les foupçons qu'on avoit de la mort du
Sultan, 6c animèrent tellement les troupes, qu'elles réfolurent
de mettre fin à un fiege , dont la Fortune fembloit jufqu'alors
îeur avoir envié le fucccs. Ainfi effrayez ou perfuadez par les
difcours de Mechmet , ils donnèrent un afTaut général aux deux
citadelles , 6c les emportèrent.
Pendant que Soliman faifoit le fiége de Zighet , le bâcha *
Prife de Pcrtaw , à la tête d'une armée de quarante mille hommes ,
compofée de Turcs ôc de Tartares,à laquelle il joignit les
troupes de Jean Prince de Tranfylvanie , ôc celles du Bâcha
de Temefwar , marcha vers Giula , place très forte , fituée fur
le lac de Zarcad , près des frontières de la Hongrie Ôc de la
Tranfilvanie. Elle avoit pour Gouverneur LadiflasKereczeni,
qui avoit jufqu'alors fait la guerre contre les Turcs avec beau-
coup de courage 6c de vigueur. On crut que Pertaw avoit
été forcé par une inondation de fe retirer , 6c d'abandonner
le fiége. Les Impériaux le pourfuivirent , chargèrent fon ar-
riere-garde , 6c taillèrent en pièces un grand nombre de fes
gens > mais les eaux s'étant bien-tôt écoulées , les Turcs revin-
rent , ferrèrent la place de très près , 6c la battirent fans difcon-
tinuation pendant plufieurs jours. Les afiiégez firent plufieurs
forties de tems en tems : une nuit fur tout voyant que les af-
(iégeans fe relachoient,ils fortirent, les attaquèrent vivement, ôc
en tuèrent un grand nombre. Ils fe rendirent maîtres du canon ,
qu'ils fe contentèrent d'encloûer , n'ayant ni voitures ni chevaux
pour l'emmener. Enfin , après avoir foûtenu le fiége pendant
foixante jours , Kereczeni eut une conférence avec George Be-
bech , principal auteur de la dernière guerre entre Maximilien
î II y avoit deux Pertav j le premier tué au fiége de Zighet ; ôç le Bâcha qui
ùdt Je liège de Giula.
ÔC
DE J. A. DE THOU, Liv: XXXIX. 169
& Jean , ôc par une capitulation fignée le fécond jour de Sep-
tembre , il rendit Ja ville, dont le fiége avoit commencé le deux
de Juillet. Schwendi avoit néanmoins annoncé que les Turcs
dévoient le lever dans trois jours.
La capitulation portoit, que la garnifon feroit renvoyée vies
•6c bagues fauves. Cependant Kereczeni ayant été amené dans
la tente de Pertaw i où il fut bien reçu , à peine la garnifon fut
elle éloignée de mille pas de la place , qu'elle fe vit attaquée
par deux bataillons Turcs. Les Allemands fe défendirent d'a-
bord avec beaucoup de vigueur j mais étant bien inférieurs en
nombre, ils furent enfin taillez en pièces, à la referve d'un pe-
tit nombre , qui à la faveur de la nuit fe fauva dans des ro-
féaux peu éloignez. Le capitaine Bernard Rotenaw, qui étoit
de ce nombre, alla trouver l'Empereur, accufa Kereczeni, &
affura qu'il avoit trahi S. M. Impériale, Ôc livré Giula. Les
Hongrois néanmoins, quiavoient été préfens à la capitulation,
î'excufoient , ôc rendoient témoignage qu'il n'avoit rien fait,
fans en communiquer auparavant avec les Allemands j que
dans le Confeil il avoit toujours été oppofé à la reddition de
îa place? mais que les Allemands vaincus en partie par lané-
ceffité , ôc en partie par les conditions honorables qu'on leur
propofoit , ôc par les promeffes des ennemis , avoient obligé le
Gouverneur à fe rendre.
Quoi qu'il en foit , foit que ce fût par lâcheté ou par trahi-
fon qu'il eût rendu Giula aux Turcs, il en fut cruellement puni
l'année fui vante. Vers ce tems-îà George Thuvri , dans un com-
bat entre les Lnperiaux qui étoient à Javarin , ôc les Turcs qui
étoient à Albe-Royale, fit prifonnier Mahumet gouverneur de
cette dernière place , qui fe racheta depuis pour la fomme de
50000 écus d'or. Kereczeni avoit efperé d'être échangé avec
Mahumet , parce que fon fils devoir époufer la fille d'Arach ,
qui avoit une charge confidcrable ' à la Cour de FEmpereur,
6c qui avoit Mahumet en fon pouvoir. Mais l'échange ayant été
différé, je ne fçai pour quelles raifons , Kereczeni fut conduit
de Belgrade à Conftantinople. Là plufieurs fe plaignirent des
mauvais traitemens qu'ils avoient reçus de lui , contre les rè-
gles de la guerre ; ôc on l'accufa d'avoir fait couper le nez aux
uns, d'avoir fait fendre la bouche aux autres, ôc d'en avoir fait
I Cette charge étoit comme celle de Prévôt de l'Hôtel.
Tome V^ y
ijo HISTOIRE
I ■ mourir un grand nombre par divers genres de fuplices. Seîiiu
Chari e ^^*^^^^^ Empereur des Turcs , touché de ces plaintes, Taban-
j y donna à fes accufateurs , ôc leur permit de le punir à leur fan-»
1 c 6 ^ taifie. Ils l'enfermèrent dans un muid armé en dedans de gros
clous pointus, & le précipitèrent du haut d'une montagne eu
bas, où il mourut au milieu des douleurs , qu'un fi horrible fu-
plice dut lui faire fouffrir. La malheureufe deflinée du père in-
flua fur le fils, qui mourut peu de tems après, fans laifler de
pofterité : fes terres , fes maifons , ôc fes autres biens , qui
étoient immenfes , tombèrent en des mains étrangères.
Ainfi furent prifes par les Turcs dans le même tems les deux
plus fortes places de la Hongrie , Giula ôc Zighet. Les plus fa-
ges ôc les plus expérimentez jugèrent que l'Empereur ôc fort
Confeil de guerre avoient bien manqué de prudence, de s'ê-
tre tenus dans leur camp fans rien faire , de n'avoir pas détaché
d'une armée fi nombreufe quelques troupes , pour renforcer les
garnifons de ces deux places , ôc les mettre au moins en état
d'en retarder la prife. Car il efl: certain , que fi après la mort de
Soliman les Turcs eufTent trouvé plus de difficuirez à furmon-
ter dans l'un Ôc l'autre fiége, les troupes, ôc principalement les
Janiflaires, qui appréhendoient alors de périr, ôc qui en étoient
menacez, auroient excité quelques troubles dans le campi fur
tout ne fcachant fi Soliman étoit mort ou en vie ; ôc la rufe du
Vizir auroit été inutile. Mais la mort de Soliman étant ar-
rivée, lorfque Giula étoit déjà rendue , ôc que Zighet ne pou-
voit plus tenir long-tems , il fut aifé à un Miniftre aufli habile ÔC
aufïi puifTant, de la cacher.
Après la prife de ces deux places importantes, les Turcs s'a-
bandonnèrent à la joie, ôc les troupes coururent de tous cotez
pour piller. Mechmet , homme d'ailleurs très févére, ôc accou-
tumé à faire obferver aux troupes une éxacle difcipline,nefut
pas fâché dans les circonftances préfentes de les voir fe réjouir,
& penfer à toute autre chofe, qu'aux affaires de l'Etat 5 jufqu'à
ce que Selim , averti de la mort de fon père , pût fe rendre à
Conftantinople, ôc de là au camp, après avoir donné ordre à
tout. En effet, auffi-tôt après la mort de Soliman, Mechmet
avoir écrit en diligence à Selim , dont il avoit époufé la fille ,
ôc quiéroit alors à Mangrefia, ville de la Natolie,à trois jour-
nées de Conftaminople : fa lettre étoit fignée par le Capi-Aga ,
m an
DE J. A. DE T HOU, L IV. XXXIX; 171
Bc par le Médecin. Selim l'ayant lue, vint fur le champ ôctrès
fecrérement à Scutari, vis-à-vis de Conftantinople , où ayant Char LE
ccé reçu dans la Capitane , félon la coutume, par leBoftangi- j^
Bachi , il arriva à Conftantinople au-delà du Bofphore. Il ir 5<j.
avoir auparavant envoyé avertir Scander Bâcha, que Soliman Seiimmon-
avoit laiiTé pour Gouverneur dans la ville, de hâter avec foin tefurictivô
• */ • / ^ . , r n o ^ ne ae Sohma
tout ce qui etoit neceilaire pouria pompe runebrcoc pourlon fonpeie
entrée. AuflTi-tôt que Selim fut dans Conftantinople , Scander
ie conduifit dans le Palais ôc dans le Sérail , où il s'affît fur le
ihrone Impérial , dans une grande falle enrichie de perles , &c
de tout ce que l'oftentation ôc le fafte de ces barbares ont pu
trouver de plus prétieux , ôc qui ne peut être occupée que par
les Sultans de la race des Ottomans. Enfuite on fit dans la
ville les acclamations ordinaires : Que l'ame du grand Sultan
Soliman joùifle d'une paix ôc d'une béatitude éternelles , Ôc
que fa mémoire foit toujours en benedidion : Que le Sultan
Selim vive long-tems, ôc qu'il règne fous d'heureux aufpices ,
6c que fon Empire s'affermifle ôc s'augmente.
On fit la même chofe dans la Remanie ôc dans les autres
Provinces , afin qu'on apprît en même tems par tout, que le pè-
re étoit mort, ôc que le fils avoit pris pofteirion de l'Empire.
Le lendemain^ qui étoit le 24 de Septembre, Selim fortit du
Palais pour fe faire voir au Peuple; Ôc étant monté à cheval,
il alla jufqu'au tombeau de Job , qui eft un lieu proche les mu-
railles de Conftantinople , où les Ottomans ont coutume de
faire une efpece de facrifice. Là , après avoir fait tuer un grand
nombre d'animaux, ôc fait cuire des viandes en quantité, Se-
lim fit donner aux pauvres le.feftin funèbre, qu'il accompagna
d'une grande diftiibution d'argent , ôc revint dans la ville avec
la même pompe ôc les mêmes acclamations du peuple. Ce-
pendant le Sultan avoit donné ordre à Scander Bâcha , de faire
venir de tous les lieux d'alentour les Janiffaires , qui ne fça-
voient pas encore la mort de Sohman, ôc de les affembier dans
un bourg affez près de Conftantinople, fous prétexte d'envoyer
un renfort au fiége de Zigher. Comme Selim étoit déjà fur le
thrône de fon père. Scander leur fit un difcours, pour leur ap-
prendre ôc la mort de Soliman , ôc Fheureux avènement de
fon fils à l'Empire. Afin de les dédommager du pillage qu'ils
ont coutume de faire à la mort du Sultan, il leur offrit loocoo
Y y
1-J2 H I S T O r R E
^,,,,,^^_,_^^^_^ Sulranins. Cette libéralité du nouveau Grand-Seigneur ne dé^
~ plut pas aux Janiflaires 3 ôc ils s'en contentèrent , à condition
A RLE qu'Qj-i igm. donneroit à l'avenir une plus forte paye , lorfqu'ils.
iroient à la guerre*.
\i \ Après ces premières démarches , ôc après s'être afluré des.
rpnarmée, Janiflaires, Selim partit de Conftantinople le 27 de Seprem-r
bre, ôc fe rendit en diligence à fon armée, qu'il rencontra près
de Belgrade. Elle étoit encore incertaine de la mort de Soli-
man, dont le corps étoit porté dans une litière magnifiquement:
ornée,ôc couverte de tous cotez. Si Soliman n'avoir pas été
malade , après de fi heureux fuccès , il auroit dû marcher à.
cheval , ôc comme en triomphe , pour prendre part à la joie pu-
blique. Mais comme on avoit fçû fa maladie , ôc que pendant
fa vie il fe fervoit quelquefois d'une litière, lorfqu'il avoit la
goûte , l'armée fut moins furprife de le voir couché , comme
malade, dans cette voiture. Cependant les Janiflaires voyant
l'habillement de Selim , fe doutèrent de ce qui en étoit. En
effet ce Prince approchant du camp, avoit mis un turban fort
court , ôc de peu de valeur , ôc il s'étoit revêtu d'une robe ÔC.
d'un cafl^etan noirs. Aufli-tôt qu'il apperçût la Htiére , il def-
cendit de cheval, avec tous les Bâchas ôc tous les Miniflres
de la Juftice , appeliez Cadileskers , qui étoient tous habillez
prefque comme lui. Alors on ouvrit la litière , Selim verfa des
larmes fur le corps de Soliman > ôc ordonna qu'en figne de
triftefle , on portât dans toute l'armée les érendarts renverfez.
A ce fpeclacle , il fe fit pendant quelque tems un profond fî-
lence , pendant lequel Selim mit fur fa tête un turban blanc ,
ôc tout brillant de pierreries. Puis s'étant revêtu de l'habille-
ment Impérial , ilmonta fur un autre cheval deftiné à de pa-
reilles cérémonies , ôc quine peutêtremonté que parle Sultan.
Les Bâchas, ôc les autres Grands de l'Empire, montèrent auflî
à cheval , ôc on recouvrit la litière. Enfuite on arbora les En-
feignes du nouveau Sultan , aux acclamations de toute l'ar-
mée, qui falua Selim en qualité de fon Empereur 5 Ôc chacun,
félon fon rang , lui vint baifer les mains, en figne de foûmiflion,:
ôc d'obéïflance.
Obféques. Après avoir fait \qs îargefTes orHinaires aux Janiflaires ôc aux
«le Soliman, peuples , il ordonna que le corps de fon père fût porté à Conftan-
tinople , ôc mis dans le Maufoiée appelle Zuna , que Solia^an*
D E J. A. D E T HO U , Li v. XXXIX. 175
S^étoit fait faire de fon vivant, & il en donna la commifîîon ■-
à Achmeth Bâcha , qui avoir époufé une petite fille de So- Char le
iiman , ôc àFerhat Capi-Aga, Ils conduifnrent le corps, ac- JX.
Gompagnez des Gouverneurs des provinces , ôc des Janiffaires , j ^ 5 ^^
& précédez de l'étendart Impérial, ôc arrivèrent à Conftanti-
nople le 22 de Novembre. Le corps fut re<^û par une troupe
innombrable de peuple, ayant à fa tête celui que les Turcs ap-
pellent Muphti, qui eft parmi eux le chef de la Religion , ôc
le premier dodeur de la Loi. Le Muphti étoit fuivi de Scan-
der Bâcha gouverneur de la ville. Après lui marchoient les of-
ficiers de la Chambre, ou tréforiers , appeliez Dephterdars,
ôc les autres ofliciers , tous en deuil. Enfin la marche étoit ter-
minée par une multitude infinie de toute forte de perfonnes.
Gn tira de la litière le cercueil de bois où étoit le corps de
Sohman : les principaux Officiers le foûtenant tour à tour fur
ia paume de leurs mains élevées, le portoient dans les rues de
la ville. Les Talifmans ôc les Hoggis ( c'eft ainfi qu'ils appel-
lent leurs Prêtres ) ne ceflerent pendant toute la marche de jet-
ter des cris lamentables , ôc de chanter d'une manière trille ôc
lugubre, fuivant l'ufage des Mufulmans , jufqu'à ce qu'on fût
arrivé au lieu de la fepulture. Le corps ayant été mis dans le
Maufolée , on étendit fur la bière un drap tabifé , ôc un autre
broché. On mit à côté un Cimeterre , pour marquer que le
Sultan avoit été un grand guerrier , ôc à fa tête un turban d'u-
ne toile très blanche , très fine ôc très pliflce , avec une aigrette
noire de plumes de Héron. On plaça derrière fà tête , fur le
pavé , des chandeUers avec de gros cierges ronds , de forme py-
ramidale , qu'on n'allume jamais. Enfin on y laifla les Prêtres
dont nous avons parlé, ôc qui adis par terre, ôc ayant les jam--
bes écartées , fuivant l'ufage fuperllitieux de cette Nation , ne-
ceffoient de reciter des prières à la tête du défunt.
Avant que Selim fût venu à l'armée, ôc aufii-tôt après la sùitedela
prife de Zighet , il envoya cfes troupes pour aflTiéger Babotzka. guerred'Hon-
Gn fomma la garnifon de rendre la place : elle le réfufa d'à- ^"^'
bord 3 mais voyant qu'elle n'étoit pas en état de la défendre
contre de fi grandes forces , elle y mit le feu , ôc l'abandonna.
Ceux de Sacka Ôc de Schorgo Suivirent leur exemple. Les
Turcs s'étant mis enfuite à piller dans l'Efclavonie , furent fou-
V^eiu battus par les troupes de Chaile , frère de Maximilién:
Yiij.
ly^- HISTOIRE
« Dans un combat donné auprès de la Sluna , il en mît quatre
C H A R L E ^^^^^ ^^ fuite , fit prilonnier le Bâcha de Bofnie , ôc auroit fans
IX. cloute défait tous les autres , Ci dans la crainte quil avoit d'u-
l ^ ^ ^^ ne armée fi formidable > qui fe répandoit de toutes parts, il ne
fe Eit pas contenté d'être fur la défenfive , ôc s'il n'eût pas rete-
nu fes troupes dans fon camp , entre le Save Ôc le Mure , au-
près de Czakhonthurn , tandis que les Turcs pillant de tous co-
tez, ôc mettant tout à feu ôc à fang, faifoient des courfes juf-
qu'à Sarwar , qui n'eft qu'à deux milles d'Oedenbourg , fur les
frontières du Norgaw.
Comme fhyver approchoit, Selim quitta peu de tems après
la Hongrie , ôc donna ordre à Perthaw Bâcha , d'envoyer des
Turcs, des Valaques, ôc des Tartares à Jean prince de Tranfyl-
vanie , pour pouvoir continuer la guerre contre l'Empereur.
Etant en chemin , le Sultan rencontra auprès de Belgrade Hoz-
zuthothi ambaffadeur de l'Empereur , qui avoit été envoyé,
comme nous l'avons dit, à Conftantinople , pour faire des pro-
pofitions de paix. Mais ayant appris la mort de Soliman , il
s'étoit mis en chemin pour retourner à Vienne. Il ne put ni
voir , ni entretenir Selim. Le Vizir Mechmet fe contenta de
lui dire, qu'ayant été envoyé à Soliman j quiétoit mort, iln'a-
voit pas de pouvoirs pour traiter avec Selim 5 que fi fon maître
vouloir obtenir quelque chofe du nouveau Sultan , il envoyât
un autre Ambaffadeur , ou qu'il le renvoyât lui-même avec de
nouveaux ordres. Le Vizir ajouta , que Maximilien feroit bien
mal confeillé, s'il n'envoyoit promptement demander la paix
au très puiffant Empereurs ôc qu'il auroit bien mieux faitd'ob-
ferver fidèlement les traitez faits avec Ferdinand : Qu'il s'é-
tonnoit de la hardiefie qu'il avoit eue de déclarer témérai-
rement la guerre à un Prince fi puiffant j que Ton connoiffoit
maintenant la foibleffe de Maximilien ; que c'étoit un grand
bien pour lui, que Soliman fût mort j que s'il eût furvêcu à la
prife de Zighet , il auroit bien trouvé les moyens de faire re-
pentir Maximilien , ôc tous les Allemands , de leur audace.
Enfin Selim arriva à Conftantinople le neuf de Decem-
» bre : il y fut reçu avec de grandes démonftrations de joie, ôc
aux acclamations de toute la ville ,comme l'héritier des lauriers
ôc des conquêtes de fon père. Les derniers n'avoient pas
î^iffé de coûter bien chéri car ceux qui exagèrent le moins *
D E J. A. D E T H O U , L I V. XXXIX. 175-
difent qu'il périt de différente manière , dans l'expédition que
je viens de raconter, plus de foixante-dix mille hommes. Char. LE
Cependant Jean voulant aufli de fon côté faire quelque cho- j y
fe, après avoir reçu les troupes auxiliaires de Pertaw, refolut , ^ / r
de reprendre Tokay , que c>chwenai avoit pris 1 année prece- ^ ^
dente. Il avoit pour cette expédition trente pièces de gros ca- desTaitares.
nons, ôc une grande quantité de munitions de guerre. Cette
place étant fituée fur les confins de la Hongrie ôc de la Tran-
lylvanie , ôc étant très forte par fa fituation , parce qu'elle eft
environnée de deux rivières , la Teiflfe ou le Tibifque , ôc le
Bodrog , Jean crut qu'il étoit très-important pour le bien de
fes affaires , de s'en rendre le maître, Schwendi avoir laiffé
dans Tokay Jacque Raminger , avec une bonne garnifon :
ayant fcû le deifein de Jean, il avoit envoyé demandera Ma-
ximilien du fecours. Ce Prince lui envoya auffi-tôt Henri Stau-
piz , avec mille hommes de cavalerie Allemande , fix compa-
gnies d'infanterie , avec l'argent ôc les vivres neceffaires. Jean
ayant fait avancer dix pièces de canon, battit la place fans dif-
condnuer : elle étoit déjà réduite à l'extrémité , lorfqu'un Cou-
rier vint lui apprendre que dix mille Tartares , que Selim lui
avoit donnés, avec des Turcs ôc des Valaques , pour fortifier
fon armée , s'étoient débandez , faifoient un horrible dégât
dans toute la Tranfylvanie , ôc maltraitoient indifféremment
hommes ôc femmes de tout âge , avec une cruauté inoùie. Ainfi
huit jours après avoir commencé le fiége , il fut obligé de le
lever , afin de ne pas abandonner fes fujets à la fureur de ces
barbares , pendant la durée de ce fiége. Car fans parler du pil-
lage i ôc des incendies, on en rapportoit des chofcs horribles :
on difoit qu'ils avoient coupé des enfans par morceaux , qu'ils
les avoient fait rôtir à la broche , ôc les avoient mangez ; qu'ils
fe nourriffoient tous les jours de la chair des Chrétiens , ôc qu'ils
faifoient leurs délices desmammelles des femmes, qui eft pour
ces peuples un mets exquis.
Lorfque Jean fut arrivé dans la Tranfylvanie , il les fit d'a-
bord prier d'en fortir, ôc de faire ceffer tant de violences ôc de
maux. Mais comme ils le refuferent ) il les attaqua à l'impro-
vifte , tandis qu'ils étoient éloignez les uns des autres , ôc en tua
fix mille. Après cette expédition, Jean revint à Varadin, ou
ks Tartarcs en furie , ôc ne rcfpirant que la vengence , vinrent
i7<5: HISTOIRE
■ l'affiéger. Ce Prince voyant que cette place n'étoit pas aîTez
'C H A RLE ^*^^^^ P^*" ^'^^^ adiéte ôc par fes fortifications, pour fe défendre
■TK^ contre tant d'ennemis , lorfqu'ils auroient fait approcher leur
66. canon, en fortit fecrétement la nuit, & fe retira dans des lieux
plus furs , où ayant ramaffé de plus grandes forces , il attaqua
** encore ces barbares qui faifoient de nouveaux dégâts. Il en
tailla en pièces piufieurs milliers, & délivra une multitude pro-
digieufe de malheureux j qu'ils emmenoient en captivité , entre
lefquels il y avoit quantité de femmes Ôc de filles de condition,
qui avoient été prifes dans Beregzas. Ces barbares avoient ré-
pandu l'horreur ôcla défolation dans tout le payis, & principa-
lement aux environs de CafTovie. Là, environ quatre cens Ja-
niffaires , après avoir exercé toutes fcrtes de violences ôc de
cruautez , étoient fur le point d'emmener avec eux environ neuf
cens captifs. Ils avoient auparavant jette l'épouvante de tous
cotez , ôc fur tout parmi les peuples des environs du Danube,
du Wâg ôc du Rab.
Cependant la garnifon d'Albe-Royale reprit Geilern ôc Vi-
tan, dont les Impériaux s'étoient emparés l'été précédent : en
forte que Pabotta , Vêprin , ôc Thatan étoient en très grand
danger de tomber entre les mains d'un ennemi qui étoit fi pro-
che. Les Tartares après avoir été battus piufieurs fois par le
Prince de Tranfylvanie , s'alTocierent quelques Tranfylvains
ôc quelques Janiffaires ^ dans l'efpérance de piller , ôc tournè-
rent du côté de la RufTie ôc de la Podolie , provinces de i'o-
béiffance du roi de Pologne , ôc y exercèrent toutes fortes de
cruautez. Us afTiégerent le Palatin de la province dans une ola-
ce j dont ils firent approcher douze pièces de canon , qu'ils
avoient amenées avec eux. Mais le Palatin , auffi illuftre par
fa valeur ôc par fon courage , que par fon ancienne noblelTe,
fit fur eux de fi fréquentes forties , qu'il enleva leurs batteries ;
ôc défit entièrement les refies de ces barbares inhumains.
D'un autre côté FEmpereur voyant tous les ennemis entière-
ment retirez , ou envoyez en quartier d'hy ver , penfa à retourner
à Vienne 5 mais auparavant il donna de l'argent à Cec comte de
Salms,avec ordre de l'employer à réparer le tort, qu'un incendie
inopiné avoit caufé àjavarin le 19 deSeptembre. Le feu avoir pris
dans le logement d'un foldat, par la négligence d'un cuifmier.
\Jii vent de Midi très violent l'augmenta ii confidèrablement,
que
DE J. A. DE TH OU, L IV. XXXIX. 177
que prefque toutes les maifons , qui étoient de bois , flirent — m^— ,
bmlces. Il n'y eut de fauve que la mairon du Gouverneur , & C h a r l b
la principale Eglife bâtie de pierres. Une autre Eglife , où étoit t y
le magafin à poudre, fut confervée par un grand bonheur ; car ^ /^.
fi le feu y eut pris , toute la ville auroit été ruinée & renverfce
de fond en comble. On ne fçauroit dire combien cet accident
coûta j non feulement aux habitans de Javarin, & à l'armée
Impériale , mais encore à toute la province ; parce qu'un grand
nombre de négocians j & de ceux qui demeuroient fur la fron-
tière, y avoient apporté, comme dans un afile afluré, leurs mar-
chandifes, leurs meubles, & ce qu'ils avoient de plus précieux ;
& que tout cela fut la proye des flammes qui confumerent les
maifons.
. L'Empereur vint à Vienne, accompagné d'un grand nom-
bre de grands Seigneurs , avec Ferdinand fon frère , qui fe re-
tira dans le royaume de Bohême. Enfuite on congédia les trou-
pes de Moravie & de Bohême^ & l'infanterie Allemande, dont
on envoya trois enfeignes choifies en garnifon dans l'ifie de
Comar. Quelques troupes Autrichiennes furent envoyées à
Oedembourg & dans les autres places frontières , pour s'op-
pofer aux incurfions inopinées des ennemis, qui entroient de
ce côté-là pour piller & faire le dégât. L'illuftre Thay fut en-
voyé à Canila , ville qui n'eft pas éloignée de Zighet , avec cinq
cens hommes de cavalerie , & autant d'infanterie. Après cela
Maximilien remercia Alfonfe d'Efte , le duc de Guife , Strozzi
& Briflac , Fregofe , Baglioni , le comte de la Chambre & tous
les autres Seigneurs, qui s'en allèrent bien-tôt après chacun
chez foi.
On convoqua l'aiTemblée des Etats d'Autriche , qui com- Affemblée
mença à Vienne le 28 de Novciibre. Comme ils accorde- '^f^ e^=*"
rent de bonne grâce à l'Emperertr tout ce qu'il fouhaitoit d'eux, g^ 'd'autres
ils lui demandèrent aulfi la permidlon , qu ils défiroient depuis provinces,
long-tems , d'embrafler la Conf . ffion d' Ausbourg Maximilien
éluda tant qu'il put leur demande , mais comme ils le preifoient
fortement, il leur répondit, que puifquils vouloient profeffer
une foi différente de la Tienne , ils eullent à vendre prompte-
ment leurs biens , & à fortir de la province. Ainfi finirent les
Etats de Vienne. L'Empereur alla après à Brunne en Mora-
vie , & à Troppavv en Sileiie , ou il tint les Etats de la province.
Tom€ V, Z ^
lyS HISTOIRE '
De ià il vint encore en Bohême pour y préparer du fecours > Se
C H A R L E ^^ '^^^^ jufqu a Presbourg en Hongrie.
j ^^ Lefucccèsde la guerre contre le Turc eft toujours incer-!
I < 6 6, ^^^^> & fouvent préjudiciable aux Chrétiens. La fin d^ cette
, , campacfne fut le commencement d'une nouvelle maladie. Les;
Le mal dej ./• .// \oivj i i
Hongricc cadavres qui etoient en quantité epars (ça & la d ms les che-
mins ,& qui y pourriffoient , ayant corrompu l'air pai' leur in-
fedlion , plufieurs furent attaquez d'une efpece de contagion,
qu'on appella le mal de Hongrie, Cette maladie ayant celle,
quelque tems après , elle fc renouvella avec plus de violence,
dans le tems de la Diète de Ratisbonne 2 8 ans après. Elle n'avoit
d'abord attaqué que le peuple : elle fe rendit enfuite formida-
ble à tous, & pludeurs grands Seigneurs en moururent, ou en.
furent fort malades. C'étoit une efpece de fièvre maligne 5 ceux
qui en étoient attaquez , fe fentoient extrêmement échauffez ;'
il s'élevoit par tout le corps des pullules, 6c de petites tâches
femblables à celles qui font produites par la morfure des pu-
ces j & lorfqu'on y touchoit , on fentoit comme des étincelles
de feu qui en fortoient : les remèdes même devenoient nui-
fibles & mortels, parce que la chaleur naturelle ne pouvoit
en faire la codion 5 & le mal par fon venin tuoit les plus ro-:
buftes: cette maladie caufoit de grands maux de cœur, une
foiblelTcun abattement^ & une langueur, qui étoient fuivis
d'un violent mal de tête, d'un anfoupitlement léthargique, de
rêveries , & de convulfions. La fièvre étoit inégale 5 tantôt elle .
paroillbit tierce fimple , & tantôt elle ne paroiflbit pas être
vraie fièvre ; quoi qu'ePfedivement ce fût une vraie fièvre con-
tinue. Martin Ruland , médecin de l'Empereur , a fait un traité
particulier de cette maladie , de fes caufes , de fes fymptômes ,
& de la manière d'y remédier. Pour moi , je me borne à eti
parler en hiftorien.
Affaires de Le roi de France encore bien jeune , quoique déclaré ma-
^o^T' ^^^^^ ' ayant paffé une partie de l'hy ver à Blois , après fon voya-
de Moulins, gc de Bayottue , fut au mois de Janvier à Moulins en Bour-
bonnois , où il avoir indiqué une aifemblée des Grands du
Royaume. Il y avoit mandé ceux qu'il avoit renvoyez chez
. eux Tannée précédente , & principalement les Colignis, & Fran-
çois de Montmorenci fils du Connétable , pour les reconcilier
* ou cipierre. avcc Ics Guifes. Car Sipierre * un peu avant fa mort avoit averti
DE J. A. DE THOU; Liv. XXXIX. 17^
ïe Roi que leur méfintelligence entretenoit des partis dans le '
Royaume , & les plus fages le jugeoient ainfi. Cependant pour p yj ^ r r p
ne pas faire paroître que cette alTemblée fefaifoitpour des par- t y
ticuliers , plutôt que pour les affaires de PEtat ^ on y fit venir ^ V-
auiïi les chefs de tous les Parlemens du Royaume^ afin de fa-
tisfaire aux plaintes de toute la France :, que le Roi avoir re-
çues pendant les deux ans qu'il en avoit fait la vifite , & pour
les confulter fur les moyens de remédier aux maux qui fe ré-
pandoient de toutes parts.
Ceux que l'on manda furent Chriftophle de Thou premier
Prefident du Parlement de Paris , & Pierre Seguier Prefident,
Jean Daffis premier Prefident du Parlement de Touloufe , Jac-
que Benoît de Largebafton de celui de Bordeaux , Jean Tru-
chon de celui de Grenoble , Louis le Fevre de celui de Di-
jon, 6c Henri Fourneau Prefident au Parlement d'Aix, tous
perfonnages diftinguez par leur mérite ôc leur intégrité. Lorf-
qu'on les eût fait entrer dans la chambre du Roi , où étoient la
Reine mère, Henri duc d'Anjou , Charle cardinal de Bourbon,
Louis prince de Condé , le duc de Montpenfier , le Prince Dau-
phin fon fils , Charle & Louis de Lorraine cardinaux , les
ducs de Nemours, de Longueville & de Nevers ; Anne de
Montmorenci Connétable de France , & avec lui les frères Odet
cardinal , Gafpard de Coligni amiral de France, ôc François
d'Andelot colonel de l'infanterie Françoife , tous trois fils de la
fœur du Connétable j les maréchaux Liibert de la Platiere Bour-
dillon ,Damville fils du Connétable , ôc François deSepeaux de
Vieille-Ville , Louis de Saint Gelais de Lanfac , Louis d'Og-
nies comte de Chaulnes , Jacque comte de Cruflbl , Honorât
de Savoye , comte de Villars t Bertrand de Simiane de Cor-
des , tous chevaliers de l'Ordre ; Jean de Morvillicrs évéque
d'Orléans , Jean de Montluc de Valence , ôc Sebaftien deLau-
befpine de Limoges 3 le Roi dit : Qu'à fon avènement à la Cou-
ronne, il avoit voulu voyager dans toutes les Provinces de fon
obéïffance , pour entendre les plaintes defes fujets, qui avoient
été accablez de differens maux les années précédentes , ôc dé-
folez par les dernières guerres civiles; ôc pour y remédier de
la meilleure manière qu'il feroit poffible : Que c'étoit pour ce-
la qu'il avoit convoqué une fi illuftre afTemblée ; ôc qu'il les
prioit , ôc leur enjoignoit même par l'autorité Royale , dont il
Zij
iSo HISTOIRE
_ étoit revêtu^ de s'appliquer avec un très-grand foin aune affai-
'7^ T re de cette importance, comme il refperoit de l'amour qu'ils
j y avoient pour lui ôc pour l'Etat j afin d'obéir à la volonté de
^ \ Dieu , décharger fa confcience , foulager le peuple , ôc rétablir
* le règne de la Juliice dans fon premier éclat ôc dans toute fa
pureté.
Difcours du Enfuite le Chancelier de l'Hôpital parla. Après s'être étendu
Chancelier de {^^ j^g grands maux de l'Etat, il conclut, qu'en remontant juf-
°^' ^ " qu'à la fource , on trouvoit qu'ils venoient de la mauvaife admi-
niftration de la Juftice, à quoi il falloit remédier : Que le Roi
l'avoit bien reconnu dans le voyage qu'il avoit fait, ôc qui duroit
depuis deux ans :Que pour lui, il ne pouvoir s'empêcher d'ap-
peller les chofes par leur nom , ôc qu'il parloir comme il
penfoit : Que ceux qui étoient établis pour rendre la juftice ,
commettoient de grands excès , par des concuflions ôc des ra-
pines 5 & que comme ces fortes de fautes étoient très-confidé-
râbles , il ne pouvoit les diffimuler fans fe rendre lui-même cou-
pable : Que ces fautes fe nourriflbientôcs'entretenoientpar l'im-
punité ôc la licence , qui étoient les deux maux les plus funef-
tes à toute forte de gouvernement , mais qui fe répandoient
plus communément dans les Etats où le Prince étoit éledif.
•c C'eft ce qui arrivoit , dit-il, autrefois à Rome , à la mort des
» Empereursi c'eft ce qu'on y voit encore tous les jours à la mort
w des Papes , ôc ce qui fe trouve même en France , quoi qu'il
» n'y ait jamais d'interrègne , lorfque des Princes mineurs vien-
3> nent à fucceder à la Couronne. Alors les méchans ofent tout
» entreprendre , comme fi la porte étoit ouverte aux concuf-
w fions , aux vexations , ôc aux féditions 5 tous abufent de leur
» dignité , ôc des charges publiques dont ils font revêtus j ils en
M ufent comme de leur propre bien , à la ruine du public , au
M mépris du refpe£l qu'on doit à Dieu , de l'autorité du Sou-
»> verain , Ôc du bien de l'Etat. => Il ajouta qu'il ne falloit point
rejetcer ces maux fur les tems fâcheux où l'on vivoit , ni fur la
malignité des hommes : Qu'il n'y avoit point de tems qui pût
empêcher , ou le Juge de rendre une exa£te juftice > ou le Théo-
logien d'interpréter l'Ecriture avec candeur , ôc de bonne foi ,
ou l'homme de guerre de faire bien fon fervice, ôc de défen-
dre fon Roi , ôc les frontières du Royaume : Qu'il falloit donc
corriger les fautes des hommes > ôc les ramener à leur devoir ^
DE J. A. DE T H O U , L I V. XXXIX. igj
plutôt que de blâmer les tems , qui prefque toujours font tels ■.
que les mœurs des hommes -.Qu'il lui fembloit donc qu'on ne Charle
pouvoit rien faire de mieux , que de faire de bonnes loix , de jx.
l'autorité du Roi , de l'avis des plus gens de bien ôc des plus 1^55.
fages j & de les faire à l'avenir obferver religieufement & in-
violablement.
« Je ne nie pas , ajouta le Chancelier, la vérité de ce qu'on
w dit communément : qu'il n'y a que trop de Loix , 6c d'Ordon-
9> nances en France j ôc que la multitude des Loix, comme le
y^ grand nombre des Juges , peut devenir la fource d'un grand
3» nombre de procès. Mais il n'eft pas moins vrai, que quand il
« arrive de nouvelles maladies , on a befoin de nouveaux re-
» médes ; ôc que quand les anciennes loix ont été aboHes , ou
« par l'inobfervation , ou par la licence, il en faut de nouvel-
» les , pour guérir les maux préfens , ôc arrêter le cours des ca-
" lamitez publiques. C'eft ainfi que pour extirper les nouvelles
« fedies qui naiflfoient , ôc qui fe répandoient de tous cotez ,
» Theodore,Valentinien , ôc les autres Empereurs , ont été dans
» la néceiïité de faire de nouvelles loix; ôc qu'il paroît aujour-
a' d'hui de l'intérêt ôc du bien de l'Etat , de faire de nouvelles
» Ordonnances. Que fi on ne les obferve pas , comme cela
* ne peut arriver que par la faute ôc l'avarice des Miniftres mê-
15 me de la Juftice, il faut les punir févérement, ôc chafler des
=1 petites Jurifdidions du Royaume ces fortes de peftes publi-
" ques , qui font autant de fangfuës du miférable peuple. Il faut
^ retrancher tant de Juges fuperflus,qui ne fe nourriflent que
« du fang de ce peuple , ôc de la multiplication ruineufe des
î5 procès. Il faut parmi les tribunaux fubalternes fupprimer les
35 Préfidiaux , en tout ou en partie ; augmenter les gages des Ju-
^ ges qui refteront, les payer des deniers publics, ôc retran-
» cher abfolument les épices que payent les Parties ; car je blâ-
« me extrêmement ôc je condamne ce trafic honteux qu'on fait
» de la Juftice. <»
Dans la fuite de fon difcours , le Chancelier s'étendit fur la
Puiffance Royale , ôc fur fes droits , ôc dit : Que le Roi ne pou-
voit foufîïir que ceux , qui n'ont que le droit de publier les Loix ,
s'attribuaiTent le pouvoir de les interpréter 5 pouvoir qui n'ap-
partient qu'à celui qui a feul le droit de les faire , c'eft-à-dirc,
au Prince : Qu'il n'approuvoit pas aulTi que les Charges de
Z iij
i§2 HISTOIRE
- - Juftice fuffent réfignées j fi ce n'eft par les pères qui ont vîeîîlî
Charle ^^^^ ^^ fervice, en faveur de leurs enfans , pourvu qu'ils fuf-
Tw fent capables de les remplir : Qu'il falloir donc , pour ce qui
I c ^V ^^^^^ ^^^ nominations qui fe font par les Cours Souveraines,
^ ' abolir les brigues Ôc les abus qui s'étoient introduits. Puis ayant
fait une digrefTion fur l'origine , l'autorité & Tinditution des
Cours du Royaume , il propofa de retrancher & de diminuer
le nombre inutile des Chambres , ôc de les réduire à leur pre-
mier établiflement. Il agita auiïi la queftion , lequel étoit le
plus expédient:, que les Parlemens fuflentfédentaires, ou am-
bulatoires , comme ils l'étoient autrefois : Il propofa de leur
donner des appointemens plus confidérables aux dépens du pu-
blic , fi le Roi n'étoit pas en état de les payer , de fupprimec
ainfi les épices j •& ôter toute occafion aux Juges de recevoir
des préfens de la part des Parties. Il infinua encore qu'il étoit
à propos de foûmettre les Juges à la Cenfure j ôc de les obli-
ger à rendre compte de la manière dont ils exerçoient leurs
charges. De toutes ces propofitions il conclut , qu'il feroit plus
à propos d'établir des Juges pour deux ou trois ans, que des Ju-
ges perpétuels.
Le Chancelier propofa encore à l'affemblée plufieurs cho-
fes j concernant la réformation de la Judicature , ôc le rétablif-
fement de l'adminiftration civile. On demanda fur tous ces
Chefs les avis de ceux qui étoient préfens : ils le donnèrent ;
ôc après plufieurs délibérations , on forma dans le mois de Fé-
vrier une Ordonnance , qui du lieu où elle fut faite, a été nom-
mée , Ordonnance de Moulins. Elle eft d'une grande autorité,
& fort ellimée.Elle contient quatre-vingt fix articles,dont les uns
font une confirmation nouvelle de l'Edit donné à Paris deux
ans auparavant , & qui avoit déjà été confirmé par celui que
Sa Majefté donna lorfqu'elle étoit à Roufiillon ; les autres re-
gardent la réformation de l'ordre Judiciaire , ôc tendent à abré-
ger les procédures , & à extirper la chicanne 5 ôc quelques-
uns font des reglemens également fages ôc févéres , pour main-
tenir la tranquillité publique. Au refte tous ces articles font
propofez , comme faits & arrêtez par le Roi étant en fon
Confcil.
On y ordonne entr'autres chofes, que ceux qui font condam-
nez au payement de quelque fbmme, puifTent être emprifonnez
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXÎX. iSj
faute de payement , quatre mois après Ja fignification de la .
6eîitence 5 6c qu ils ne pu.ffenr être élaro;is, ou en faifant ce(- 7. ~~
lion de leurb biens : Que pour retrancher les fauiïctez & les jv
ch.canes qui fe ghiïent dans les procès, on ne puilTe admettre *
dans les eonieftations , dont la matière pafie loo liv. que des ^^ ^^
preuves par contrats ou promelTes par écrit , & jamais des preu-
ves par témoins: Que les fubftituîions faites à Tmfîni , foient
limitées au quatrième degré : Que les fubftitutions ôc les do-
nations entre vifs, foient publiées ôc infinuées dans les Regif-
tres de la Jurifdiélion la pius proche du domicile de ceux qui-
les auront faites; ôc cela dans fefpace de (Ix mois, depuis la.
mort du teftateur, ou depuis le jour de la donation :qu'autre--
ment elles foient nulles : Que toutes les donations entre vifs,,
mutuelles, réciproques , onereufes , faites pour caufe de ma-
riage , ôc toutes autres donations , de quelque nature qu'elles'
puilfent être , foient infinuées ôc inférées dans les regidres de la-
Jurifdiêlion la plus proche , ou des lieux où la donation fera,
faite, ou de la chofe donnée; ôc cela dans quatre mois; qu'au-
trement elles foient nulles, tant pour les créanciers du donatai--
re, que pour les héritiers du donateur : Qu'on puifie reueter ce*
que les mineurs auront perdu aux jeux de hafard ; ôc que la re-
pétition fe puiffe faire par les mineurs, par leurs pères Ôc mè-
res, parleurs tuteurs ou curateurs : Qu'on aboliffe entièrement,
les confréries établies , fous prétexte de Religion, parmi le petit
peuple , les feftins, les repas , les bâtons ', Ôc autres chofes fem-
blables^ qui donnent lieu à la fuperftitition , aux troubles, àla^^
débauche , aux querelles, ôc aux monopoles. .
Cette Ordonnance ayant été apportée à la Cour, ôc l'affaire
niife en délibération , le Parlement fut d'avis de s'oppofer à>
l'enregiftrement , à caufe de quelques autres articles. C'efl: pour-
quoi, lorfque le Roi fut de retour à Paris , ôc qu'il eut oui les
Diputez du Parlement , on lui envoya le lo de Juillet de nou-
velles lettres , par iefquelles oh répondoit à fes demandes. LeCf
ture faite de ces lettres, ôc de l'Ordonnance , la. Cour arrêta
le. 2 3 du même mois, qu'on feroit à Sa Majefté de plus amples
remontrances, fur les articles qui avoient été inferez, avec des
remarques, dans les regiltres de la Cour. Enfin l'Ordonnance
I BâtonsdeConfrérie, qui fervent à ( que Saint , ou la repiéfentation de
porter aux Confréries l'In^agç de .quel- j quelque myûere.
i24 HISTOIRE
- eut lieu ; & le 25 de Décembre on vérifia les lettres ^ par lef-
~ quelles on répondoit aux dernières demandes de la Cour , ôc
T^^^ on confirmoit de nouveau l'Ordonnance. Elle eft maintenant
reçue par tout j ôc c'eft fuivant ces difpofitions qu'on rend la
^ S ^ 0. juftice dans prefque toutes les Cours ôc les autres Jurifdidions
du Royaume.
Avant que le Roi partît de Moulins pour revenir à Paris , il
fe fit une réconciliation , aumoins apparente entre les Colignis
ôc les Guifes ; ôc c'eft ce qui avoir été le principal objet de
l'aflemblée. Ainfi après que l'affaire eut été bien débattue de
part ôc d'autre , l'Amiral Gafpard de Coligni s'étant purgé par
ferment du meurtre du duc de Guife , afiurant qu'il n'en étoit
pas l'auteur , ôc qu'il n'y avoir pas même confenti ^ le Roi in-
terpofa fon autorité, ôc leur ordonna d'être amis. Ilss'embraf-
ferent donc en préfence du Roi , en figne d'amitié j ôc ils
fe promirent mutuellement de n'avoir plus les uns contre les
autres aucun reflentiment de tout ce qui s'étoit paffé. L'ac-
commodement fe fit avec Anne d'Efte , veuve du duc de
Guife, ôc le cardinal de Lorraine frère du feu Duc, mais non
pas avec Henri fon fils. Il étoit depuis peu revenu de Hongrie.
Dans un âge fi peu avancé , on voyoit déjà briller en lui les
vertus du Duc fon père , ôc il faifoit concevoir les plus belles
efperances. Il fe conduifit en cette afl^aire de telle façon , ôc il
compofa fi bien fon vifage, qu'il fut aifé de remarquer, que
quoiqu'il ne s'oppofât pas formellement à l'accommodement^
il ne fe croyoit pas obligé à tenir dans la fuite les articles, dont
les autres étoient convenus entr'eux ', ôc que quand l'occafion
fe prefenteroit , il ne manqueroit ni de courage ni de forces.
On réconcilia aufili le cardinal de Lorraine avec François de
Montmorenci. Le Cardinal afilura, que s'il avoir différé de mon-
trer les lettres qu'il avoir obtenues de la Reine , ce n'avoit point
été par mépris pour Monfieur le Gouverneur , ôc Montmorenci
déclara , qu'il n'avoit point eu delfcin d'offenfer M. le Cardinal,
ni de lui faire injure j mais qu'il n'étoit allé en armes au-de-
vant de lui , que pour conferver ôc maintenir l'autorité du Roi.
Le Roi allant à Aloulins au commencement de l'année ,
avoit envoyé Jacque d' Angenne de Rambouillet en Angleterre,
pour complimenter la Reine Elizabeth fur la paix qui venoit d'ê-
tre affermie entre les deux Couronnes. L'Ambafladeur s'étant
rendu
DE J. A. DE THOU Liv. XXXIX. iS/
rendu à Windfor en grande pompe, s'aflit en la place du Roi>
& avec la permiffion de la Reine , il donna au nom de fon mai- C h a r L E
tre le collier de l'Ordre à Thomas Howart duc de Nortfolck, jx.
&à Robert Dudley comte de Leyceftre, les deux plus grands i c <s 6,
Seigneurs du Royaume. La cérémonie fe fît à Weftminfter fur
ia fin de Janvier.
Dans le même tems on reprit le procès qui étoit entre Fran- Mariage du
^oife de Rohan, & Jacque de Savoye duc de Nemours , dont moa^^s^^^l
les pourfuites avoient été difcontinuées pendant la vie du roi Françoiie de
de Navarre, qui protégepit Françoife fa parente. Comme le j.^l^^i'^^'^^^'
duc de Nemours avoit alors plus de crédit, ôc qu'on avoit
beaucoup d eloignement & de haine pour la Religion Protef-
tante , à laquelle Françoife de Rohan étoit attachée j ce pro-
cès fut vuidé par l'entremife du Pape, ôc le mariage du duc
de Nemours avec Françoife de Rohan fut déclaré nul. Aufli-
tôt après , le Duc époufa Anne d'Efte, veuve du duc de Guife :
les noces en furent faites à S. Maur-les-FofTez , près de Paris î ôc
pour rendre la célébration plus folemnelle, ôc plus autentique^
le Roi ôc la Reine fa mère voulurent bien y afTifter.
Quelque tems après , François de Bourbon , fils du duc de
Montpenfier , époufa Renée d'Anjou , héritière de Nicolas
d'Anjou marquis de Mezieres -, ôc le Roi ôc la Reine honorè-
rent aulli ces noces de leur préfence. Le duc de Montpenfier
fâché de ce que Françoife de Bourbon fa fille, époufe de Hen-
ri Robert de la Marck duc de Bouillon, avoit embraffé la Re-
ligion des Proteftans , pour laquelle il avoit une averfion ex-
trême, établit, pour ramener le mari ôc la femme à l'ancienne
Religion , une conférence entre Simon Vigor ôc Claude de
Saintes ( Théologiens d'une grande réputation , dont Tun a été
depuis archevêque de Narbonne , ôc l'autre évêque d'Evreux )
d'une part 3 ôc Jean d'Efpina , ôc Charle Barbafte de Bearn , au-
trefois Carme , tous deux Proteftans , de l'autre part. Mais com-
me celui-ci ne put y afiifter, Hugues Sureau , dit du Rofier. fut
nommé pour remplir fa place ; ôc pour cela on le fit fortir de
prifon , où il avoit été mis à caufe d'un Libelle qu'il avoit pu-
bliée touchant l'autorité du Magiftrat. La Conférence fut te-
nue à Paris dans l'hôtel de Nevers , en préfence de deux No-
taires, ôc depuis on en imprima les a£lcs à Paris. Le fuccès fut,
qu'après une difpute longue ôc fort aigre de part ôc d'autre, on
To?ne V. A a
1^6 HISTOIRE
fefepara avec très peu de profit, foit pour les difputansqui ne
'Z s'accordèrent fur rien , foit pour les perfonnes en faveur de qui
^ ^ ^ ^ la Conférence avoit été ordonnée.
Il arriva un accident , qui penfa renverfer l'ouvrage de la
No^uveiics réconciliation faite à Moulins , Ôc qui répandit à la Cour de
défiances à la nouvelles défiances. Un certain Simon de May, homme mé-
Cour. chant j tenoit à louage une maifon fur le grand chemin , aflez
près de Châtillon-fur-Loin^ appartenant à Gafpard de Coligni i
& parce que cette maifon étoit feparée de la ville , & propre
pour des vols ôc des brigandages , on foupçonna que de May
avoit été gagné par les ennemis de l'Amiral , pour rafTafliner.
L'Amiral le fit arrêter. Ce miferable efperant couvrir un vrai
crime par une fauffe accufation , ôc ainfi éluder les pourfuites
de Coligni , répondit , lorfqu'il fut interrogé, que l'Amiral l'a-
voit fondée pour fçavoir s'il voudroit attenter à la vie de la Rei-
ne mère > ôc qu'il lui avoit donné de l'argent pour l'y enga-
ger 3 mais que l'ayant refufé, Coligni, pour fc venger de fon
refus , l'avoir fait prendre , ôc l'avoir chargé de crimes faux ôc
fuppofez. Cependant les Juges , après avoir bien examiné les
informations , ôc les preuves , crurent qu'ils dévoient y avoir
plus d'égard , qu'aux paroles d'un criminel j qui ne cherchoit
qu'à fe fauver , ou au moins à prolonger fa vie. Ainfi ils le
condamnèrent au fupplice deftiné pour les voleurs ôc meur-
triers ; c'eft-à-dire , à être rompu , Ôc mis fur la roue. Par ce
moyen , les bruits qui avoient couru , ôc partagé la Cour en
diverfes fadions, furent affoupis pour un tems i ôc les mouve-
mens d'aigreur , de reffentiment ôc de haine , qui s'étoient re-
veillez à cette occafion dans des efprits mal reconciliez , pa-
rurent un peu appaifez.
On eut aufii des nouvelles à la Cour, que lesProteftans^qui
Nouveaux étoient en grand nombre à Lyon , méditoient quelqu'entre-
troubles a pj-jf^ . ^ comme l'on trouva dans une maifon proche de la ci-
tadelle un conduit foûterrain , en forme de mine, les foupçons
augmentèrent. On fortifia la citadelle d'hommes , de munitions^
de canon ôc de vivres? ôc on en donna le commandement à
Pierre Bufliere de Chambaret , d'une des premières maifons
du Limoufin , aufii illullre par fes glorieux exploits de guerre >
que par fa nobleffe.
Il y eut en même tems du bruit dans le comté de Foix, ôc
'OiX,
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXIX. 187
dans le Bearn , appartenans à Jeanne d'Albret reine de Na-
varre , ôc qui s'étendent julqu'aux Pyrénées. Pour le Bearn , les C H \ r L E
chofes s'arrangèrent de façon ^ que quoique les Proteftans y fuf- j^
fent en plus grand nombre que les Catholiques , ceux-ci ne ^ ^ ^5 ^^
laifferent pas d'être maintenus dans le libre exercice de leur djps le
Religion. Il y eut plus de difficultez dans le comté deFoixj Bearn &dans
ôc comme les Catholiques y étoient en plus grand nombre que fc
les Proteftans :, les affaires y tournèrent tout autrement. Jean
Brabançon , qui aimoit à mener une vie libre , follicité par Ro-
bert de Pellevé , frère de Nicolas , qui fut depuis Cardinal , fe
démit en fa faveur de l'évêché de Pamiers , ville dans le comté
de Foix, Ôc ne fe referva qu'une petite penfion. Il trouva peu
de bonne foi dans fon fucceffeur j ôc il eut avec lui un long ôc
fâcheux procès, qui demeura indécis. Le nouvel Evêque en-
treprit de chagriner les Proteftans , ôc d'empêcher le libre exer^
cice de leur Religion dans Pamiers.
L'Edit donné à Cremieu l'année précédente ordonnoit , tou-
chant les éle6li©ns des Confuls , Maires ou Magiftrats , que les
Confeillers des villes ôc bourgs , à qui ces élections apparte-
noient , nommeroient deux fujets pour chaque charge , qu'ils
envoyeroient au Roi le nom des élus,ôcqueSaMajefté choi-
firoit celui qu'elle voudroit. Lorfque le Confeil de ville avoit
•nommé autant de Proteftans que de Cathohques, l'évêque de
Pamiers obtenoit du Roi , que Sa Maiefté rejettât les Protef- .
tans , ôc ne nommât que des Catholiques , pour être Con-
fuls pendant l'année. Non content de donner ce chagrin aux
Proteftans, il fe fervit de l'Edit même de pacification , pour
les troubler dans l'exercice de leur Religion. Cet Edit donné
le fept de Mars i$6^, ordonnoit que les Proteftans ne pour-
roient tenir des aflemblées publiques de Religion , que dans
les lieux où ils fe feroient publiquement ôc librement aifem-
blez jufqu'au jour de fEdit. Robert de Pellevé prétendit donc
que les Proteftans de Pamiers avoient difcontinué leurs aflem-
blées avant le fept de Mars , ôc que par conféquent ils
n'avoient plus droit de s'affembler : il fe mit en état de le
prouver par les informations qu'il fit faire très-fecrétement.
L'affaire ayant depuis été portée au Confeil du Roi , fans que
les Proteftans en euffent connoiffance , on s'en rapporta aux
preuves ou informanons fecrétes , que l'évêque de Pamiers avoit
Aa ij
i88 HISTOIRE
fait faire. On ordonna qu'on ne feroit point à Pamiers d'exer-
Ch ARLE ^^^^ d'autre Religion , que de la Catholiques & on manda à
I X Damville ^ gouverneur de Languedoc , de faire exécuter cet
i < 6 6. ^^^^^ ^^ Confeil du Roi.
Les Proteftans ayant fçû ce qui s'étoit fait contr'eux , dépu-
tèrent auffi-tôt Simon de Senier , pour faire leurs très-humbles
remontrances au Roi : mais malgré les inftances de la reine de
Navarre j qui partageoit avec FEvêque la feigneurie de Pa-
miers , ils ne purent rien obtenir contre un Prélat appuyé de tout
le crédit du cardinal de Lorraine. Les Proteftans voyant que la
Cour ne leur étoit pas favorable , ôc fâchez de fe voir privez d'u-
ne liberté dont ils avoient joui pendant quatre ans , tâchèrent de
la conferver ; non pas en tenant des affemblées publiques , mais
en fe réunifiant , pour faire l'exercice de leur Religion dans
des maifons particulières. D'un côté , les Cathohques pref-
foient l'exécution de l'arrêt du Confeil du Roi j de l'autre , les
Proteftans prétendoient l'éluder , en difant qu'ils avoient été ju-
gez fans être entendus , & que l'arrêt avoit été furpris par les
artifices de l'Evêque, fur de faufies informations. Voilà ce qui
donna lieu aux troubles.
C'étoit la coutume à Pamiers , que les jours de fête le peuple
précédé d'enfeignes déployées , deftinées à cet ufage , couroit
par les rues de la ville en buvant Ôc en mangeant ; Ôc qu'on y
faifoit des danfes aufiî tumultueufes , qu'indécentes : les Cha-
noines de la Cathédrale autorifoient cette licence. Ce fut une
occafion favorable , dont la populace profita , pour troubler les
aflfemblées des Proteftans , ôc pour les infulter de toutes ma-
nières, par paroles ôc par adions. Les principaux Chefs qui au-
torifoient ces défordres , étoient Mauleon d'Urban Chanoine,
& la Broufi^e Conful , que l'on difoit avoir fortifié l'églife des
Auguftins , ôc y avoir fait porter des armes. D'un autre côté ,
les Proteftans, qui fe voyoient attaquez , ne demeurèrent pas
dans l'inadion 5 ôc le ip de Mai, comme ces danfes pafix)ient
devant l'églife des Dominicains , un enfant jetta des pierres au
milieu de la troupe. Il n'en fallut pas d'avantage, dans la dif-
pofition où étoient les efprits de part ôc d'autre , pour les aigrir,
Ôc les porter à une fédition î on courut jufqu'au fauxbourg de
rOurmet , qui eft feparé de la ville , ôc qui néanmoins y efî
joint , pour fe battre. Mais par l'entremife des Confuls ôc du
DEJ. A. DETHOU.Lîv. XXXIX. 1 8^
Viguier, le bruit fut appaifé fans répandre de fang, ôc l'on dé-
fendit ces danfes & ces feftins les jours de fête. Char le
Comme le jour de la Pentecôte approchoit , la licence con- JX.
tinua : fous prétexte de Religion , des hommes mafquez cou- 1^66,
roient au milieu des proceflions ; & pour choquer les Protef-
tans , on expofa dans la place publique de petites ftatuës d'ar-
gent. Les efprits étant irritez, on en vint aifément àunefé-
dition, dans laquelle le Viguier, qui accourut pour l'appaifer,
penfa perdre la vie. La nuit fuivante, les Chanoines ou par
crainte , ou pour fe défaire de leurs ennemis , armèrent cent
cinquante hommes , dont ils donnèrent le commandement à
Kochebrune , ôc ils les firent entrer dans le château de l'Evê-
que, auprès de la ville. Il y eut enfuite plufieurs petits combats
entre les habitans, & il y en eut plufieurs de bleflez de part &.
d'autre. Les Proteftans attaquèrent la maifon de la BroulTe,
& y ayant mis le feu, elle fut bien-tôt brûlée , avec cinq autres
maifons voifines. Après l'incendie on en vint au carnage , ôc
la BroulTe après avoir vu fa maifon brûlée , fut tué. Sompchies,
l'un des Confuls fe rendit, à condition qu'il auroit la vie fauve.
Le Viguier le mena avec foixante de fes compagnons dans la
citadelle , 011 la plupart fe retirèrent avec les Chanoines , n ayant
point d'autre moyen de fefauver. On pilla le couvent des Car-
mes , ôc on y tua quelque Religieux.
Les Proteftans ne doutant pas que ces violences ne fuflent
très-mal reçues du Gouverneur de la Province ôc du Parlement
deTouloufe, députèrent quelques-uns d'entr'eux à Guillaume
vicomte de Joyeufe, pour s'excufer de ce qu'ils avoient fait,
ôc faire voir que d'Urban ôc la BroulTe étoient les véritables
auteurs de la (édition. Peu de tems après le Viguier fut en-
voyé en Cour pour le même fujet. Cependant les vainqueurs
marchèrent au couvent des Auguftins, que d'Urban défen-
doit, ôc qu'il ne voulut pas ouvrir, quoique Sompchies l'y ex-
hortât. Mais la nuit fuivante ayant abandonné la place, il for-
titavec trois cens hommes parla porte de Cailloup. Le Cou-
vent fut pillé , ôc les ftatuës qui étoient dans TEglife furent ren-
verfées. On fît la même chofe dans TEglife de faint François, ôc
dans l'Hôpital de la ville le $ de Juin. Le lendemain le cou-
vent des Dominicains fut pris Ôc pillé. Ainfi les Proteftans
fe rendirent maîtres de Pamiers , ayant tué ou chafTé leurs en-
nemis. Aa iij
ipô HISTOIRE
Un certain Hermite de faint Auguftin , nommé Polvareil,
~f^ . ^ j r s'enfuit à Foix, place munie d'une forte citadelle ,qui donne le
ry nom atout le payis. Lorfqu'il fut un peu revenu de fa fayeur>
/^ & qu'il eut repris haleine, il dit aux habitans que les Proteftans
' avoient égorge tous les Catholiques de Pamiers , & il les ex-
horta à fe venger fur ceux de Foix de ce qu'avoient fait ceux
de Pamiers. Le peuple 1 écouta, ôc fuivit fon confeil. S'étant
mis fous la conduite des Merciers ' , ils tirèrent par force les
Proteftans de leurs maifons, ôc ils en tuèrent trente-cinq. Les
autres animez par ce carnage de leurs confrères , prirent les ar-
mes, s'attroupèrent, allèrent enfemble à la porte de faint Vin-
cent , que les Merciers avoient fermée , ôc l'ayant ouverte avec
des leviers & des coignées , ils fe retirèrent dans Ïqs monta-
gnes voifmes.
Cependant les Proteftans de Pamiers fe repentant, mais trop
tard, des effets de leur fureur, -firent venir du Soulan gentil-
homme du payis 3 homme de courage , pour commander dans
la ville j ôc pour couvrir leur faute, ils permirent aux Catholi-
ques, qui étoientreftez en petit nombre, de faire le fervice di-
vin pubHquement , ôc au fon des cloches. Mais ayant appris
que Joyeufe leur envoyoit JeanNogaret de la Valette, ôc le
capitaine Scipion , ils prirent l'épouvante , ôc furent un peu trou-
blez. La Valette leur propofa ces conditions : Que les prifon-
niers de part ôc d'autre faits à Pamiers ôc à Foix , fufTent mis
en liberté : Que l'on congediroit les gens de guerre qu'on
avoir fait venir de l'un ôc de l'autre côté : Qu'on défarmât les
particuliers : Qu'on mît les armes dans la maifon de Ville , ôc
qu'on s'abandonnât pour tout le refte à la volonté du Roi , dont
on attendoit les ordres de jour en jour. Les Proteftans fe con-
fièrent à l'équité de la Valette , dont ils connoifToient la mo-
dération , ôc ils firent tout ce qu'il leur prefcrivit. On retint feu-
lement les foldats , non pas pour garder la ville , mais pour les
mettre eux-mêmes enfiiretéjparçe qu'ils repréfenterent que les
payifans étant animez contre eux , ils n'avoient point de lieu
à la campagne où ils pufTent être en fiireté.
Odet de Foix comte de Carmain ôc Jean de Montluc évê-
que de Valence intcrpofant leur crédit , on parut d'abord trai-
ter l'affaire par les voies de droit. Mais le vicomte de Joyeufe
z C'ell le nom d une famille de Pamiers.
DE J. A. DE T HOU, Liv. XXXIX. i^i
ayant envoyé de Sarlaboz demander à la Ville un logement
pour lui , ôc pour trois compagnies d'infanterie j ceux qui fe fen- C h a R l E
toient coupables furent effrayés de la propofition ^ ôc les habi- IX.
tans refuferent entièrement ce que Joyeufe leur demandoit, ôc \ < 6 6.
s'excuferent fur leurs immunitez ôc leurs privilèges. Sur cela
on dépêcha de part ôc d'autre à la Cour; les uns pour exagé-
rer ôc agraver le crime des habitans , ôc \qs autres pour le di-
minuer ôc l'excufer. Cependant les armes qu'on avoir mifes dans
l'Hôtel de ville le $ de Juillet en furent retirées ôc rendues
aux habitans. Tout étoit en défordre aux environs de Pa-
miers. Jacque d'Angennes de Rambouillet y vint de la part
du Roi , avec des ordres très-étendus j pour accommoder cette
affaire. En même-tems les vicomtes de Rabat ôc de Caumont,
de la première nobleffe du payis de Foix, ôc attachez aux Pro-
teftans y vinrent le trouver^ à la prière des habitans , ôc le prièrent
de vouloir bien faire ceffer les violences , que les troupes de
Joyeufe exerçoient non feulement à Pamiers^ mais dans toute
la Province. Ils lui offrirent leurs fervices , ôc promirent que
il on ufoit de modération ôc de douceur, les affaires s'accom-
moderoient fuivant les intentions du Roi. La Reine de Na-
varre y travailla de fon côté , ôc elle fe fervit des gens qu'elle
avoit dans le payis , pour preffer les Proteftans de fe foumettre
aux Minières du Roi.
On fit donc une trêve, après avoir fait un peu éloigner les trou-
pes de Sarlaboz ; ôc le23 de Juillet àlafollicitation du vicomte
de Rabat, qui s'entremettoit dans cette affaire, toute la gar-
nifon , au nombre defix cens arquebufiers, fartit delà ville , Ôc
avec eux tous les coupables. Le lendemain Rambouillet, ac-
compagné de Sarlaboz, ôc d'une petite troupe de gens de gucr-
re, entra dans la ville ^ enfeignes déployées, ôc tambour bat-
tant , fans faire aucun mal aux habitans. De Pamiers Rambouil-
let alla à Foix, pour informer de la fédition excitée par Pol-
vareil Auguftin , ôc du carnage qu'on y avoit fait des Protef-
tans. Peu de tems après Joyeufe vint lui-mcmeà Pamiers avec
cent cavaliers , ôc il y fut en apparence reçu avec des marques
d'honneur ôc de foumiffion. 11 fut fuivi par Jean Daffis Prefi-
dent, ôcparfix Confeillers du Parlement de Touloufe, Com-
miffaires déléguez pour connoître de cette affaire. Après avoir
entendu les témoins^ affoupi l'affaire pour un temSj ôcfait efpcrcr
ip5 HISTOIRE
I qu'on rendrolt également juftice à l'un ôc à l'autre parti , ( car
Ch ARLE ifs étoient également follicités par les veuves de ceux qui avoient
IX. ^f^ tuez de partôc d'autre, dont les gemiflemens ôcles larmes
\ S 6 6. faifoient à leurs yeux un des plus triftes fpeclacles , ) ils s'en re-
tournèrent.
Dix-huit des coupables qui avoient fui , furent pris au mois
de Septembre , ôc envoyez dans les prifons de Touloufe, d'oii
ils fe fauverentprefquetous. Après cela , foit que ]e Parlement
de Touloufe leur fûtfufpecl, foit qu'ils ne fe crûlTent pas affez
innocens , pour s'expofer à fubir un jugement , ils reprefente-
rent au Roi les raifons de leurs foupçons, ôc ils obtinrent de
fa Majefté que le Parlement de Paris prendroit connoiffance
de leur affaire. Mais auffi-tôt après Je cardinal de Lorraine ob-
tint la revocation des lettres que le Roi avoit déjà fait expé-
dier à ce fujet. L'affaire fut donc renvoyée au Parlement de
Touloufe , ôc on y condamna les fugitifs par contumace, com-
me criminels de leze-Majefté, à être pendus, ôc leurs biens furent
confifquez au profit du Roi,après avoir prélevé la fomme de qua-
rante mille livres pour le rétabliffement des Eglifes ruinées. Le
même arrêt prononçoit des peines rigoureufes contre ceux qui
les logeroient , ou qui les afTifleroient d'argent , de vivres , ôc
autres fecours : il ordonnoit de leur courir fus , comme à des
voleurs publics, perturbateurs de la paix, ennemis de leur pa-
rier ôc de les tuer même, fi on ne pouvoir les arrêter. Ces malheu-
reux prirent alors le parti de fe retirer dans les Pirenées , en un
lieu appelle les Cabanes , ôc ils menèrent avec eux Martin Ta-
chard , autrefois miniflre de la vallée d' Angrogne dans le Pié-
mont. Ils fe cachèrent là pendant quelque tems , difperfez en
différents endroits. Mais lorfque la nécefîité , ou, comme ils di-
foient, le defir de fe venger des injures qu'ils recevoient de
leurs ennemis, les eût forcez de fortir, pour aller piller décote
ôc d'autre^ ils furent trahis par des payifans irritez, qui conju-
rèrent leur perte, ôc le 2<5 de Mai de l'année fuivante ils furent
furpris ôc environnez par Tilladet. C'étoit un ofîicier,à qui Blaife
de Montluc avoit donné une commifTion pour lever trois enfei-
gnes de gensdepié,afin d'empêcher les affemblées de laNoblcffe
de Foixj qui étoit en armes fous le prétexte des querelles particu-
lières de Soulan ôc de Roquemaurel. Tachard ayant été pris,
fut d'abord mené à Foix ^ comme en triomphe, ayant fjr la tête
un
DE J. A. DE THOU, Liv. XXXIX. ip^
un bonnet blanCjôc un chapelet pendu au cou, qu^on lui avoit
mis par dérifion. On le mena enfuite à Touloufe , où il fut con- Q h a R L E
damné à mort ôc exécuté. j X.
En cette année , par les artifices des Efpagnols , qui profî- i r ^ (^.
toient de nos malheurs , Ôc par la lâcheté criminelle de ceux qui
avoient alors l'adminiflration des affaires de l'Etat , Pie V. fit un y, démembre
grand tort à la France, en ôtantà l'évéque deBayonne le Gui- le Guipufcoa
pufcoa, qui eft une partie de la Bifcaye , ôc qui étoit fous fa deBayonne,
jurifdi£tion. Pour colorer cet injufte démembrement, on allé-
gua que la France étant infe£tée du fubtil poifon des Se£lai-
res , il y avoit tout lieu de craindre que les peuples qui feroient
obligez d'aller en France , & de recourir à un Evêque Fran-
çois , pour lui demander juftice dans les caufes Eccléfiafliques
qui étoient de fon reflTort, ne fuffent infenfiblement attaqués
de cette contagion , ôc ne PapportafTent dans les Etats du
Roi d'Efpagne , qui s'en étoient heureufement garantis juf-
qu'alors.
Le Pape trop facile déclara par une Bulle du dernier jour
d'Avril^ que ces juftes motifs l'avoient déterminé à fe rendre
aux pieux ôc louables defirs de Philippe , ôc à lui accorder ce qu'il
avoit tant deraifon de lui demander. Il ordonna à l'évéque de
Bayonne , ôc à l'archevêque d'Auch fon métropolitain , d'é-
tablir, dans l'efpacede fix mois, dans le Diocefe de Pampelu-
ne , ou dans celui de Calahorra, des hommes diftinguez par la
pureté de leurs mœurs i ôc par leur do(^rine , nés dans les Royau-
mes d'Efpagne , avec la qualité ôc les pouvoirs de Vicaires gé-
néraux ôc Officiaux de l'évéque deBayonne, pourconnoître des
caufes des habitans du Guipufcoa : ajoutant que s'ils n'en nom-
moientpas dans le tems marqué, il donnoitparla même bulle
pouvoir, tant à l'évéque de Pampelune qu'à celui de Calahorra,
de connoître de ces caufes , ôc défendoit fous les peines de
droit à l'archevêque d'Auch ôc à l'évéque de Bayonne , de
connoître à l'avenir des affaires du payis de Guipufcoa, ôc d'y
exercer par eux-mêmes aucune jurifdiétion. On déclaroit néan-
moins que ce démembrement n'auroit lieu , que tant que les
erreurs des Se£laires infeéteroient le Royaume de France. Cet-
te bulle donnée en i y 5(5 ne vint à la connoiffance de l'évé-
que de Bayonne qu'en i|<58, après la mort du Connétable i
Tome V. B b
iP4 HISTOIRE
^^_^,^,,,„__ lorfque le chancelier de l'Hôpital eût été chafTé de la Cour,
'Z, ôc dans le tems que la guerre civile mettoit tout le Royaume
"rv^ ^ ^ en feu. C'eft ce qui fît qu'on négligea de demander au Pape
^* la jufte réparation d'une injuftice fi énorme 6c fi injurieufe à
^ -^ la France.
fin dt( trente-neuvième Livre.
«^4» r^ <-*i, r^ r^ r^ oîu <^ <^ <^ f^ <^ <^ '"^ ''^ »'4*f^'^**'^^^^'^<^^*v»<^f^r^<A* '
IIÉi! "^'^ ^^^ "^^ "^^^ ^^^ ^'^ $É?I '■
^ô:=s^=^=^=^=S;®=2;S=2)(S=S^=:ô?|; J
HISTOIRE
DE i
JACQUE AUGUSTE j
D £ T H O U. ■
■ i
LIVRE Q^VARANTIEME. '
'^^^f*jf*!?%.^îè^^ E T T E année remarquable ,^ par les I
f^ Q Q:^.ry^ Q ^ évenemens que nous avons déjà rap- Ch arle
Il ni! ^^ portés , ne le fut pas moins par les IX.
^ Il g g ^ p$ troubles des Payis-bas. Les Flamans i y <5 (5".
^S Cî«jÇ §^ è ^ 2^ fixent à l'an i<66 l'époque de leurs Troubles des j
^ ^S ^^'-^ 8S^ malheurs î car ce fut alors que com- i^yi^-bas. ,
^ Il Sc/îs/se/îïe/^ Il II mença l'horrible guerre civile y qui^ I
'^ 0=2)3-©3^=Ô ^ dans le tems que j'écris , déchire de- ;
^'^^î^*^**^''!^^^^ P^^^ trente-trois ans entiers ^ ces Pro-
<j^«^-^iii lii iii ii^»^^^ ^^j^^^^g autrefois fi florifiantes. Mais j
avant que d'en parler , j'ai crii qu'il étoit à propos de dire quel- j
que chofe de cepayis, de fes limites, de fes provinces, ae la !
fucceflion des Princes qui l'ont gouverné, ôc enfin des maux
inteftins, dont il a été accablé.
I Cùm h<sc Scribo, Ainfi M. de Thou écrivoit ceci en i $99- \
Bb ij !
mssisjrSBsssst
196 HISTOIRE
Les anciens ont regarde les Payis-bas comme la troifiémc
Char LE partie de la Gaule 5 ôc il efl confiant que Cefar ôc les autres
IX. auteurs leur ont donné pour limites le Rhin à l'orient, la Sei-
1^66. ne au midi,ôc l'oceanà l'Occident, 6c au feptentrion. Aujour-
Dcfcrinio ^'^'^^ ^^ P^"^ grande partie de ce payis eft occupée par le
de CCS pjo- Roi de France, le duc de Lorraine, les Palatins deBavie-
yinces. j-g^ |g Juc de Cleves, les archevêques de Trêves & de Co-
logne, Ôc par l'évéque de Liège. Lerefte du payis dont nous
avons à parler , eft fous l'obéifTance de Philippe IL Roi d'Ef-
pagne , ôc efl appelle Flandre , de la plus belle de ces Pro-
vinces. On lui donne plus fouvent le nom de Payis-bas^ à eau-
fe de fa fituation 5 parce qu'il n'y a prefque point de monta-
gnes^ que plufieurs rivières arrofent ce payis , ôc vont fe per-
dre enfuite dans la mer. Les Allemands ou Germains, qui ayant
franchi leurs limites , inondèrent les Provinces voifines , don-
nèrent à tout ce payis le nom de baffe Allemagne M ôc ils ont
cru avoir droit d'en ufer ainfi , parce que la plupart de ces peu-
ples fe fervent delà langue Flamande,qui eft tirée de l'Alleman-
de. Quelques-uns néanmoins parlent la langue Wallonne ou
Françoife , ôc par conféquent une langue tirée de la Ro-
maine.
Cependant le nom de baffe- Allemagne eft nouveau : car dans
les anciennes notices, ôc fous l'Empire de Valentinien, qui
mourut en 37P , toute cette contrée étoit comprife fous le nom
de l'une ôc de l'autre Belgique. D'ailleurs il femble que \qs
Allemands n'ont pas eu plus de droit de donner au Payis-bas
le nom d'Allemagne, que les Scythes de donner à l'A fie le nom
de Scythie, parce qu'ils en ont été long-tems les maîtres. En-
fin s'il faut donner le nom d'Allemagne aux Payis-bas, parce
que les Allemands s'y font répandus , il faudra de même ap-
peller Allemagne la plus grande partie de fltalie, la Grande
Bretagne ôc la Gaule, parce que les Lombards , les Anglois-
Saxons, ôc les Francs , tous peuples d'Allemagne, fe font em-
parez de ces payis y ôc les ont réduits fous leur obéïffance.
Les Payis-bas , qui font aujourd'hui fous la domination de la
^ maifon d'Autriche, font divifez en 1 7 Provinces, dont quelques-
unes font véritablement de l'Allemagne, parce qu'elles font au-
delà du Rhin, comme la Frife ( qu'onappelle occidentalcjàla
I Cefl peut-être l'origine du nom de Pays-ba$ , Inferior Germania*
D E J. A. DE T HOU, Liv. XL. 191 \
différence de Tautre qui s'étend vers l'orient ) le comté de ________;
Zutphen,ôc le payis d'Over-IfTel , peninfule, entre le bras ii*- c^arle
ferieur du Rhin , qui pafle le long d'Arnheim ,& la rivière d'Jf- j \^^
fel. Cependant ces Provinces font comprifes fous le nom de \ c c 6.
Flandre oudePayis-bas ,ou ^ comme prétendent les Allemands,
de baffe Allemagne , quoique véritablement ils appartiennent
àla vraie ôc haute Allemagne. Il feroit inutile de parler en par-
ticulier de chacune de ces Provinces, de leur gouvernement,
de leurs Confeils, de leurs Magiftrats , ôc de leurs Coutumes,
parce que ce font des chofes connues de tout le monde , Ôc
que d'autres Ecrivains en ont traité dans des ouvrages particu-
liers. Je dirai feulement qu'il n'y a point de payis fur la terre
plus peuplé ôc plus riche : il renferme deux cens huit villes mu-
rées , cent cinquante bourgs , qui ne cèdent point aux villes
fermées, en grandeur ôc en richeffes, ôc fix mille trois cens
paroiffes ; cependant toute cette contrée n'a pas plus de trois \
cens quarante milles de circuit.
Nous dirons ici quelque chofe de la fucceffion des Com- Succcffion ;
tes deFlandrej parce que cette Province, la plus belle ôc la plus dc%iandr^"
confîderable de toutes, ôc qui a donné fon nom aux autres , a été
confiderablement augmentée par des alliances , par des traités ôc '
par des conquêtes. La Flandre étoit autrefois habitée par les Pleu-
mofiens , les Grudiens ôc les Gorduniens : ce qu'on appelle l'Ar-
tois , étoit fous la puiffance des François dès le tems de Clovis ,
comme il paroît par les annales du règne de ce Prince 5 ôc l'un ôc 1
l'autre commencèrent à faire partie du Royaume de France^ I
auffi-tôt que ceux de la ville de Gand capitale de toutela nation |
eurent chaffé la garnifon des Romains. Trois cens trois ans après \
Clovis , Charle- Magne établit^pour garder la frontière de Flan- j
dre , Liderick de Harlebeque , qu'il créa Grand Foreftier , ôc
il lui donna à perpétuité ce Gouvernement j que nos Rois n'a-
voient jufqu'alors donné aux Gouverneurs de Flandre , que <
pour un tems. Les deicendans de Harlebeque jouirent de ce . j
Gouvernement jufqu'à Baudouin furnommé Bras-de-fer, qui par j
une étrange témérité enleva ,foixante ôc dix ans après cette con- ■
ceffion , Judith H)Ie de Charîe-le-Chauve, qui s'étoit retirée à j
Senlis après la mort d'Earduifroi d'Anglererre,fon premier mari. I
Cet enlèvement fe fit à l'infçù du père de Judith, mais avec le ]
confentementdefon frcre. L'affaire fut terminée par l'entremife
du Pape i les noces furent célébrées à Auxerre avec l'agrément
Bbiij
îpS HISTOIRE
■ de Charle. Baudouin reçut de fon beau-pere la Flandre avec
Char LE ^^^^^ ^^ marquifat ou de comté. Depuis Baudouin jufqu'à
l^ Arnoul VIII. les Princes de cette maifon fe fuccederent fans
j ç ^ ^ aucune interruption dans la joûifTance de cette Province. Mais
enfin Robert , dit le Frifon , troubla l'ordre léginme & natu-
rel de cette fuccelïion, Arnoul fils de Baudouin de Mons ayant
cté tué , ôc Baudouin comte de Hainault , frère d'Arnoul , ayant
été exclus. Depuis ce tems là le Comté de Flandre paiïa en di-
verfes mains, jufqu'à Thierri comte d'Alface, fils de Thier-
ri, qui époufa Gertrude petite-fille de Robert, dit le Frifon.
Philippe fon fils étant mort fans enfans , la Flandre retourna l'an
iip4 à Marguerite, qui avoit époufé Baudouin fils de Bau-
douin comte de Hainault. Ainfi la vingtième année depuis la
mort d'Arnoul, le Comté de Flandre fut rendu à la pofterité
de l'héritier légitime , non par la force des armes , mais par le
droit de l'alliance.
^. Baudouin fils de Marguerite conquit l'Empire d'Orient, ôc
nelaiffaque deux filles, Marguerite & Jeanne. Marguerite, qui
furvêcut à Jeanne , époufa Guillaume de Dampierre de la mai-
fon d'Archambaud Sire de Bourbon. Enfuite comme il n'y avoit
plus d'enfans mâles delà race de Baudouin, dit Bras-de-fer, les
Bourbons poflederent la Flandre , ôc ayant quitté leur nom ôc
leurs armes, ils palTerent dans la maifon de Flandre,ôc leur pofte-
rité régna fur cepayis jufqu'à Louis, qui fut le cinquième Com-
te de Flandre depuis Guillaume. Louis en mourant ne laiffa
qu'une fille appellée Marguerite. Elle fut depuis mariée à
Phihppe duc de Bourgogne , frère de Charle V. C'cft de
ce Philippe que vient la maifon de Bourgogne , à laquelle
la maifon d'Autriche a enfin fuccedé , par une extrême im-
prudence de Louis XI : car ce Prince d'ailleurs très-fage ôc
t rès- politique , aveuglé par la haine implacable qu'il avoit
pour la maifon de Bourgogne , lailfa époufer à Maximilien
d'Autriche une PrincelTe qu'il pouvoir obtenir en mariage
pour fon fils. C'eft par ces foibles commencemens , que la
maifon d'Autriche , qui avant Rodolfe n'étoit ni fort riche 3
ni fort puiffante , s'aggrandit depuis en Allemagne ; ôc que
par cette heureufe alliance elle jetta les fondemens d'une puif-
fance, qui eft depuis devenue formidable à toute la terre.
Quand Cefar dit que les Belges font les plus courageux ôc
les plus forts d'entre lès Gaulois, il en apporte cette raifon : Qu'ils
D E J. A. D E T H O U . L I V. XL. i^p
font les plus éloignez du luxe ôc de la politefie de la Province Ro- .
maine;que les marchands vont rarement dans leur payis.ôc qu'on (] ^ ^^ j^ l £
ne leur porte point les chofes, qui fervent à amollir les hom- jy
mes. Cette raifon n'a plus lieu aujourd'hui j car il n'y a point de i ç 5 5
Provinces, où il fe faffe un plus grand commerce 5 point de peu-
ples qui entreprennent des voyages fur mer de plus long cours.ôc
qui travaillent avec plus d'art aux ouvrages qui fervent au luxe.
Mais comme ils ont retenu au milieu de l'abondance le même
efprit qu'ils avoient dans leur ancienne difette , ils ont tou-
jours le même courage > ôc la nature leur a confervé un fi
grand amour pour la liberté & une fi grande crainte de la per-
dre, que les moindres bruits à ce fujet les mettent en mou-
vement. Pour le faire voir clairement , je prendrai les chofes
de plus haut , & j'expoferai en peu de mots les troubles qui fe
font excitez de tems en tems dans ces Provinces.
Il eft confiant que les comtes de Flandre depuis Loderick jro'îlbiT"?
& Baudouin Bras-de-fer , ont rendu hommage aux Rois de la Flandre.
France jufqu'à François I. qui renonça par un traité aux droits
de la France fur la Flandre. En vertu de ces droits , Ferdinand "^ " ou Ferrand.
ayant refufé de venir à l'alTemblée indiquée à SoifTons , pour
délibérer fur la guerre qu'on devoit faire aux Anglois , il y
a plus de 3 ^'o ans j Philippe Augufte juftement irrité entra
dans la Flandre avec une armée, pour le malheur du comte,
& le défit dans une bataille donnée près de Bovines , malgré
les puiiïans fecours des Anglois , des Allemands , & d'Othon
IV. qui étoit lui-même prefent. La bataille fut des plus fan-
glantes ^ ôc des plus mémorables ; Ferdinand fut pris & rete-
nu prifonnier , jufqu'à ce qu'onze ans après il jura folemnelle-
ment une paix, dont on a depuis fi fouvent renouvelle la mé-
moire dans les traitez qui ont été faits.
Gui deDampierre n'ayant pas voulu obferver les conditions
du traité , ôc refufant de rendre hommage , s'attira de très-fâ-
cheufes guerres , dont la fin fut d'être contraint en 1300, pour
réparer fa faute, d'abandonner fa perfonne ôc fes Etats à la dif-
cretion du Roi de France. Depuis ce tems là les Flamans
ont été pendant plus de 200 ans dans une révolte prefque
continuelle, ou contre la France, ou contre leurs Princes. En
effet l'année d'après, il y eut une émeute à Bruges excitée par un
I Traité de Madrid.
200 HISTOIRE
I » nommé Pierre le Roi de la lie du peuple , à roccafion d'une
Char LE inipofition pour payer les frais que le Roi avoir faits pour
IX, les guerres précédentes. A leur exemple ceux de Gandferé-
1^66, volterent l'année fuivante j 6c la fureur du peuple porta les cho-
fes au point , que Philipe Augufte fut obligé de donner bataille
auprès de Courtrai, où nos affaires furent tellement ruinées
par la témérité de Robert d'Arras, & de Raoul de Nelle , que
nous penfàmes perdre entièrement cette autorité , qui avoit été
blelTée par la rébellion du peuple, ôc que nous allions venger.
On fît encore quatre campagnes en Flandre , & il n'y en eut
qu'une dont le fuccès fut allez heureux. La joie qu'elle caufa
fut bien-tôt troublée par la perte de la bataille deMons en Pue-
le , dans laquelle le Roi courut rifque de perdre la vie. Enfin la
guerre fut plutôt différée qu'éteinte, par le traité de paix qui fut
fait aubout de cinq ans à l'Ille. Six ans après Pierre le Roi
ayant ramaffé de nouvelles forces, nous fumes contrains d'a-
cheter une nouvelle paix , en adoucilTant les conditions de
la première. On prit pourtant Douay , ôci'Ifle , ôc le Roi de
France y mit garnifon, jufqu'à ce que le comte de Flandre
l'eût pleinement rembourfécîes frais delà guerre. Ainfi le Com-
te fut mis en liberté : mais depuis fe plaignant qu'on ne lui te-
noit pas les promefTes faites parEnguerrandeMarigni, il cor-
feilla aux Flamans de reprendre les armes.
Sous Louis Hutin ôc fous Philippe le Long, la Flandre fut
agitée par une longue fuite de rebellions ; ôc pendant ce tems
là ceux de Gand, qui ne lailfoientéchaper aucune occafion de
remuer , excitèrent des troubles au dedans, comme s'ils euffent
été parfaitement tranquilles au dehors. Enfin l'an 1520 on fît
une trêve, qu'on confirma, fuivant l'ufage^ par des mariages.
Mais trois ans après, ceux de Bruges fe révoltèrent, parce que
le comte de Namur avoit pris l^Eclufe. Le Roi ayant encore
accommodé cette affaire avec beaucoup de modération ôc de
douceur , l'année fuivante le peuple irrité contre la Nobleffe , à
qui il donnoit le nom odieux de Porte-lis , parce qu'elle vou-
loir la paix, ôc prenoit les intérêts de la France, fe fouleva avec
beaucoup d'infolence. Louis comte de Courtrai, qui voulut,
quand il n'en étoit plus tems, réprimer ce peuple féroce par
la févérité, fut en grand danger de fa vie. Il fut afîîégé dans
Courtrai , ôc vjt tuer fous fes yeux la plus grande partie de la
Nobleffe
DE J. A. DE THOU, Lrv. XL. soi
Noblefle ; il eût bien de la peine à fe fauver; ôc ce fut un grand
bonheur pour lui , qu'on le mît en prifon , ce qui empêcha que ~Z
ces furieux ne le miflent en pièces. -r -y^
Ceux de Bcuges n'étant pas contens d'un crime, 6c ayant Rat-
ger à leur tête , déclarèrent la guerre à ceux de Gand ôc d'Au- ^ ^
denarde, qui tenoientpour le Prince. Mais ayant été défaits ôc
perdu neuf cens hommes, leur courage fe raiientit j 6c prefTez
par les cenfures du Pape, ils furent obligez d'aller comme des
fupplians trouver un Prince , dont ils avoient peu auparavant
rejette les prières. Ainfion fit un traité qui fut appelle ia paix
d'Arles. Mais à peine l'année fut-elle finie , que ceux de Bru-
ges la violèrent , dès qu'ils eurent appris la mort de Charle le
Bel , comme s'ils n'avoient plus rien à craindre. Mais Philip-
pe de Valois le plus proche parent S 6c par conféquent Thé-
ritier de Charle, ne pouvant fouffrirau commencement de fon
règne une fi grande injure, qui pouvoir le perdre de réputation
6c ruiner fes affaires , mena une armée en Flandre 5 6c après
une bataille , dont le fuccès fut long-tems douteux, il défit auprès
de CaiTel ôc tailla en pièces neuf mille rebelles. Peudetems
après , Siger Jaffone , qui avoit excité les troubles , ayant voulu
recommencer la guerre avec les reftes des troupes échapées de
Ja bataille de Caffel , fut pris , 6c rigoureufement puni , comme
il le meritoit.
Malgré tout cela , les Fîamans ne furent pas long-tems en
repos. Quoique le Pape, qui les avoit fait venir à Avignon,
les eût engagez peu detems auparavant, à prêter ferment de
fidélité à Philippe, ils ne laiflerent pas, à l'inftigation de Jac-
que Artevelde marchand Braffeur de bière ^ de fe foulevec
avec plus de fureur que jam.ais contre la NoblefTe qui étoit pour
le Roi h furie bruit qu'ils firent malicieufement ccurir , que les
Anglois défendroient le commerce de la laine , qui efl la prin-
cipale reffource du peuple de Flandre, s'ils ne quittoient le parti
de la France. Nous n'avons jamais eu de guerre avec les An-
glois plus funef-e que celle-là , 6c il n'y en eut point de plus
fatale aux Flamans. Suivant la légèreté naturelle à ce peuple,
ils s'ennuyèrent dArtevelde, qu'ils avoient d'abord fuivi avec
I Fils du comte de Valois frère de
Philippe le Bel , 6c par confe'quent
coufin germain des trois derniers Rois
frères , Louis Hutin , Philippe le Long,
ôc Charle le Bel , fils de Philippe le Bel.
z C'e'toit un homme d'un vrai mé-
rite , qui avoit e'poufé la veuve d'un
Braffeur de bière de Gand.
Tom. V, Ce
202
HISTOIRE
TssaKEKsgs
Charle
IX.
f 5 56".
tint d'ardeur: il s'éleva une fédition à Gand , où Artevelde
ayant eu l'extravagance de propofer qu'on dépouillât le Prin-
ce du comté de Flandre ^ il fut pris ôc puni, l'an 15^5'jdixans
après le commencement de la fédition.
AufTi-tôt après , fous le comte Louis , dit de Malle , il y eut
encore une émeute pour le même fujet, quoique le chef de
la fédition eût été exécuté. Comme le nouveau Prince ne vou-
lut pas quitter le pard du Roi , que la Fortune femblcit avoir
abandonné , ni pafTer dans celui des Anglois j il fut conti aint
de fortir de fon payis : mais lorfqu'il y fut revenu , il punit en
diverfes façon les Tiflerands de Bruges , gens naturellement
portez à la fédition , 6c il traita avec les Anglo s à Dunquer-
que. Les Tifferands de Gand, Ôc les habitans d'Ypres ne fu-
rent point épouvantez par l'exemple qu'on venoit de faire fur
ceux de Bruges? niais ils furent bien-tôt punis : on fit mourir les
uns , ôc on bannit les autres.
Quelque tems après Louis ^ de Malle , ayant époufé la
fille de Charle V , il n'y eut perfonne qui ne crût qu'après
une telle alliance, la Flandre alloit jouir d'une parfaite tran-
quillité. Ce fut néanmoins alors que parut la fadion , ou la
bande des chapperons blancs , qui s'éleva fous prétexte des impo-
fitions exceiïives cju'on voulut lever , pour rétablir les finan-^
ces épuifées par les liberalitez fans bornes qu'on avoit faites;
Cette fa6iion fut aufiTi-tct fuivie du règne de Philippe Arte-
velde ^ , dont on vit le commencement ôc la fin dans l'efpa-
ee de deux ans. Sous ce prétendu règne on prit Bruges ; de
Malle y fut fait prifonnier, ôc il y eût trois mille hommes tail-
lez en pièces. Charle VI. vengea dans la fuite cette injure par
la défaite de vingt mille Flamans qui furent taillez en pièces
dans la bataille de Roosbecque , ou Rofcbec , ôc par la mort
d' Artevelde qui tranchoir du fouverain. De Malle mourut, ôc
laifia Marguerite unique héritière d'un domaine fi étendu? elle
fut mariée à Philippe de Bourgogne oncle du Roi K
Après ce mariage , le Roi venant en Flandre , pour faire
rentrer les rebelles dans leur devoir , on fit un traité avec le
nouveau comte de Flandre. Tout le monde fe perfuada que
1 Louis m.
1 Fils dejacque Arrevelde ; il n'a-
voit pas les grandes qualicez de fon
père ; il fie néanmoins une figure plus
brillante.
3 Charle VI.
DE J. A. DE THOU,Lrv. XL. 20J
les Flamans , tout féroces qu'ils étoient , le refpederoient plus 1 ' ■
que fes prédecefTeurs , en confideration de la France avec la- C h a r l e
quelle il étoit fi intimement uni. Mais on fut trompé: car on ix.
ne put jamais les obliger à fe jetter aux pieds de Philippe , pour 1 z 6 6.
lui demander pardon de ce qui s'étoit pafle , & la Princeife
Marguerite fut contrainte , pour ôter à fon mari tout prétexte
de reprendre les armes j d'intercéder publiquement en leur fa-
veur. Sous Philippe duc de Bourgogne , & fous Jean fon fils,
les Flamans furent aiTez tranquilles pendant vingt-fix ans , ôc
femblerent fe contenter d'être les fpedateurs de nos calamitez.
Il arriva feulement que le Parlement de Paris ayant envoyé
des Hiiilfiers pour ajourner ceux de Gand, ils les chaflerent
outrageufement: c'étoit ce femble pour ne pas laiifer prefcrire ,
par le laps d'un fi long tems le droit de faire du bruit , 6c d'ex-
citer des troubles.
Enfuite arrivèrent ces tems fi fâcheux pour la France , où
nos malheurs fufpendirent les troubles domeftiques de la Flan-
dre. Les Flamans prirent alors les armes pour une caufe en ap-
parence plus jufte , puifque c'étoit pour leur Prince i mais en
effet très-injuftement , puifqu'ils les tournèrent contre la Fran-
ce, dont ils étoient les valîaux ,& firent la guerre au Roi leur
premier Seigneur. Le traité d'Arras , fi humiliant pour la Fran-
ce, par les conditions honteufes aufquelles elle fe vit obligée de
fe foumettre , pour expier la mort du duc Jean^ & le mauvais
fuccès du fiége de Calais, firent reprendre aux Flamans leur
premier efprit de fédition & de révolte. Ceux de Bruges & de
Gand , qui font les deux plus puiflantes villes de toute la Flan-
dre , fe révoltèrent contre Philippe leur duc , & tuèrent Jean
de Villiers Tlfle-Adam , lorfqu'il entroit à Bruges avec le Prin-
ce Pan 1457. Il étoit maréchal de France, & il s'étoit rendu
fameux pour avoir pris & repris la ville de Paris.
On punit ceux de Bruges par la fuppreiTion d'une partie de
leurs immunitez. Mais cet exemple ne fit point changer ceux
de Gand. Douze ans après ils chafierent les principaux de leur
ville , & ayant pris les armes , quatre défaites ne furent pas ca-
pables d'atfoiblir leur courage. Enfin lorfqu'ils en furent venus
aux mains avec toutes leurs forces, fe trouvant dans un très-
grand danger auprès de Gavre , ils éprouvèrent dans Philippe ,
un Prince aufii clément & aufii généreux après fa vidoire , qu'il
Tome V, C c ij *
204 HISTOIRE
' ' "**• avoit été févere avant leur révolte. On leur ota cependant les
C H A R L E enfcignes militaires , dont ils fe fervoient , pour exciter les peu*
I X. pies à la fédition j & de l'avis du Prince même 3 on donna une
,1^66, meilleure forme aux réglemens , qu'il avoir faits pour le bon
gouvernement & la police de ces Provinces.
Sous le duc de Bourgogne Charle le Hardi , ceux de Gand
foûlevez , comme portent leurs annales , par le roi de France ,
excitèrent encore des troubles : mais cette révolte flit appaifée
dès fa naiflance j ôc les Fîamans demeurèrent neuf ans entiers
en repos. Sous Maximilien d'Autriche, qui avoir époufé Marie
fille unique & héritière de Charle le Hardi , comme les villes
de Flandre fe plaignoient qu'on avoir diminué leurs privilèges
par le traité de Caflant ( i ) fait l'année 1 48 j . les révoltes recom-
mencèrent ; & dans une fédition élevée à Bruges, Maximilien
fut pris & conduit en prifon , pour renouveller en quelque forte
<5c perpétuer le fouvenir d'un pareil attentat, commis autrefois
contre le comte de Flandre , (2) Louis de Malle. Depuis ce
tems-îà les peuples parurent avoir dépofé le penchant naturel
qu'ils avoient à la fédition , & la Flandre demeura tranquille
pendant cinquante-trois ans. Il fembloit que l'efprit de rébel-
lion & d'indépendance qui autrefois , au plus petit bruit & au
premier vent, excitoitfi facilement tant d'horribles tempêtes,
étoit entièrement éteint jlorfque ceux de Gand fe voyant foulez,
par le gouvernement dur de Marie reine de Hongrie , ou pouf-
fez par leur propre efprit , parurent tels qu'ils étoient auparavant,.
& recommencèrent en 1 5* 3 8. à fe révolter, avec le malheureux
fuccès dont nous avons déjà parlé.
Nouveaux Lcs Flamaus étant de ctx.it humeur , & ayant devant les yeux
troubles eau- \q^ exemples de leurs ancêtres , animez d'ailleurs par le zèle de
c"imJ de î^ Rehgion , qui a tant de force pour émouvoir les efprits & les-
rinquifuion, cœurs , & enorgueillis par d'immenfes richefles , & par le luxe:
qui regnoit chez eux , il n'eft pas furprenant qu'ils ayent en-
core reprisles armes, pour ne les pas quitter aifément. La crain-
te de voir étabhr chez eux flnquifition d'Efpagne, qui avoir
troublé vingt ans auparavant le royaume de Naples, (3) & qui
avoir depuis peu jette des foupcons & des défiances dans l'efprit
des François , fut la caufe de cette guerre. Les Grands s'étoient
(i)ou CaJfant. I (3) Sous le viccroiPierrc dcTokde,
(i}LouU III
I
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 50;
'déjà plaints plufieursfois, que par les nouveaux Evêchez", que —
Paul IV. érigeoit en difïerens lieux , on introduifoit infenfi- Charle
blement cet odieux tribunal dans leur payis , ôc qu'on don- j^
noit atteinte à leur liberté ^ à leurs immunirez ôc à leurs privi- 1^66,
leges. D'ailleurs ils n'avoient pas encore oublié , que Philip-
pe ' quittant la Flandre , y avoir voulu pour ce fait lailTer des
Efpagnols en garnifon. Quoique ce Prince , à la foUicitation &
aux prières des Grands , eût abandonné ce deflein , néanmoins
comme il laifTa dans les Payis-bas le cardinal Granvelle, avec or-
dre à la duchefle de Parme de fuivre fes avis pour le gouverne-
ment 3 il parût aux Flamans que c'étoit là pour une Nation libre,
un joug plus pefant ôc plus infuportable que toute forte de gar-
nifons. Car ils haïflbient ce Cardinal plus qu'on ne peut l'ex-
primer j ôc ils difoient , que comme il étoit d'une balle extrac-
tion , 6c par conféquent ennemi de la Nobleffe , il leur drefToit
fans cefTe des pièges pour opprimer leur liberté, ôc que pour
faire fa cour aux Efpagnols , il chargeoit les Flamans de ca-
lomnies.
Dans l'établiflcment des nouveaux Evêchez , Granvelle ayant
été fait archevêque de Malines , prit le titre de Primat ôc de
grand Inquifiteur par toute la Flandre. Il dépouilla les arche-
vêques de Rheims , de Trêves ôc de Cologne de la Jurifdiêtion
qu'ils avoient en Flandre i ôc il diminua confiderablement celle
des évêques de Munfter ôc de Liège. Il fe fervoit dans toutes
ces entreprifes du doêleur François Sonnius , qui avoit été nom-
mé évêque d'Anvers. De-là s'élevèrent un grand nombre de
plaintes , non-feulement de la part des Grands ^ mais encore de
la part des Chapitres ôc des Jvîoines , qui étoient fâchez de fe
voir enlever leurs bénéfices ôc leurs biens , pour la fubfiftance
des nouveaux Evêques , à qui l'on n'avoir point aflTigné d'autres
fonds. Cependant la Gouvernante ôc le Confeil jugèrent à
propos d'envoyer Floris de Montmorenci , baron de Monti-
gni i chevalier de la Toifon d'or , à Philippe roi d'Efpagne ,,
pour l'informer pleinement ^ ôc avec plus de certitude , de l'état
des Provinces, ôc du danger qui les menaçoit. Arrivé à Madrid,
on le congédia avec une réponfe ambiguë , ôc néanmoins en
lui faifant efperer qu'on yeilleroit aux repos ôc à la tranquilité
des Payis-bas.
1 Philippe II.
C c iij
2o^ HISTOIRE
I I ■!■ Les villes s'oppofoient de toutes leurs forces aux entreprifes
C H A R L E ^^ Cardinal , ôc particulièrement celle d'Anvers , qui prévoyoit
IX 4^^ rinquifidon empêcheroit le commerce & la liberté ^ qui y
1^66 entretiennent une efpéce de Foire perpétuelle , la plus célè-
bre de tout l'Univers. Elle députa donc vers Philippe Gode-
froi Sterck ' Maire de la ville , Urfelle Echevin , & Jacque de
Wefenbeek penfionnaire. Le roi d'Efpagne leur accorda une
audience le ii de Juinj mais il ne leur donna qu'au mois de
Décembre cette réponfe vague ôc équivoque : que ceux d'An-
vers ne recevroient aucune incommodité de l'Inquifition. Un
des Députez étant venu rapporter cette réponfe , le Confeii
conféra avec tous les Négocians 5 6c ils ne purent croire que
les réponfes & les promeffes d'Efpagne fuiïent finceres , fi
SonniuS:, qui étoit le principal auteur ôc promoteur de i'établif-
fement des nouveaux Evêchez , étoit reçu évêque d'Anvers.
Les Députez obdnrent à la fin du roi d'Efpagne le trois d'Août
1 ^(53 , qu'il ne feroit plus parlé pour le préfent des nouveaux
Evêchez.
Cependant l'affaire de la Religion s'échauffoit de plus en
plus à Anvers ; ôc comme on faifoit mourir plufieurs perfonnes
pour crime d'héréfie , on entendoit de tous cotez les plaintes
ôc les murmures du peuple. On en étoit déjà venu des paro-
les , aux voies de fait. Lorfqu'on mena Chriftophle Fabry , au-
trefois Carme , au lieu du fupplice , il s'éleva une fédition gé-
nérale i ôc une grêle de pierres , dont le boureau fut accablé ;
îe força de laiffer le corps du patient à demi brûlé. Comme on
n'ofoit plus exécuter publiquement les condamnez , on inventa
un nouveau genre de fupplice 5 on lioit ces malheureux la tête
avec les genoux , ôc on les jettoit dans une cuve pleine d'eau ;
où ils étoient fuifoquez peu à peu. Cependant on ne le put
faire fi fecrétement , que le peuple n'en eût connoiffance, ôc
ne fe mît en mouvement. Il s'échauffa jufqu'au point d'aflîé-
ger les prifons , de rompre les barreaux des fenêtres j de don-
ner des cordes aux prifonniers , Ôc de les aider à fe fauver.
On ne put jamais perfuader aux habitans de Lewarden ÔC
de Groningue dans la Frife , ni à ceux de Ruremonde ôc de
Deventer dans la Gueldre, de recevoir les nouveaux Evêques.'
Ceux qui étoient déjà en poffefTion des autres Eglifes^ plaidoient
ï C'eli le Prévôt ou principal Officier.
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 207
d'une manière indécente > & prefque fans pudeur , contre leurs
Chapitres. Le Concile de Trente, qu'on avoit recommencé Charle
deux ans. auparavant , étant fini , le cardinal Granvelle fut d'à- J X.
vis de ne plus parler de l'établifTement de Tlnquifition , qui i ^ ^ 5,
étoit fi odieufe à tous les Ordres de FEtat 5 mais feulement de
faire publier le Concile de Trente, auquel toutes les perfon-
nés fages ôc bien intentionnées pour la Religion , croyoient
ne pouvoir refufer de fe foûmettre. Sous ce prétexte on pu-
blia des Décrets , qu'on fit exécuter avec la même rigueur
dont on ufoit auparavant 5 ôc l'on nourfuivit par tout avec beau-
coup plus de vivacité tous ceux qui étoient fufpe£ls d'héréfie ,
comme déjà convaincus 6c condamnez par le Concile.
Ces pourfuites donnèrent lieu à de plus grandes plaintes. le cardinal
Les grands fe joignirent au peuple 5 Ôc enfin la haine contre le Granvciie le
,*-• 1 • 1 / 1 1 T • i>r^ 1 ^"^^^ detclter
Cardmal éclata de toutes parts. Le prmce d Orange , le comte par fes perfe-
d'Egmond, ôc le comte de Horn , écrivirent à Philippe de leur cuuons.
propre main , qu'il n'y avoit point d'autre moyen de pacifier
la Flandre , que d'éloigner du miniîlére un Cardinal , dont le
nom étoit fi odieux a tout le peuple. En effet , pour marquer
l'horreur qu'on avoit pour lui , ôc pour l'outrager , on faifoit
porter aux valets fur leurs mandilles , des capuchons rouges en
Droderie , comme en portoient les foux. Mais comme il étoit
aifé de juger que par cette efpéce de capuchon , l'on avoit
voulu marquer l'habillement de tête du Cardinal , on mit auffi-
tôt à la place" du capuchon un faifceau de flèches bien liées en-
femble , pour figurer ôc faire fentir l'union intime de tous les
coeurs pour l'obéïffance ôc le fervice du Roi. Mais le Cardi-
nal prit cela pour un fymbole de la Conjuration que les Grands
avoient formée contre lui. Voyant donc que c'étoit à lui per-
•fonnellement qu'on en vouloit, il prit ^ en homme d'efprit ôc
prudent , qui prévoyoit l'horrible tempête dont les Payis-bas
étoient menacés , le parti démettre fa vie en fureté, en fe retirant
dans la Franche- Comté 5 ôc il demeura quelque tcms à Befan-
<;on , d'où il étoit , pour y attendre fans danger le fuccès de fes
entreprifes , ôc pour donner de loin plus ftirement, ôc fans foup-
çon , des confeils à fes émiflaires.
La retraite de Granvelle fit fur tout beaucoup de plaifir à la
Gouvernante des Payis-bas, qui ne pouvoir plus fouffrir fon
fkfte ôc fon arrogance , ôc qui fe croyoit délivrée par fon abfcnce
I
2û8 HISTOIRE
■ d'une grande inquiétude. Mais elle n'eut pas long- teilislieii
Charle ^^ ^^ réjouir. Car les Cardinaliftes, ou Efpagnoliftes (c'eftie
Y)ç nom qu'on donnoit aux cmilTaires du Cardinal , ôc aux créatu-
- ^ ^ res d'Efpagne ) lui firent bien-tôt fentir que celui qu'elle croyoit
abfent, étoit comme préfent, ôc affiftoit en quelque forte aux
Confeils. Philippe , en quittant la Flandre , avoir établi trois
Confeils Souverains , dont relevoient les Jurifdi£lions , les Siè-
ges, ôc les Confeils des Provinces. Le premier, pour les affai-
res d'Etat , étoit compofé de la ducheife de Parme Gouver-
nante, des Chevaliers de la Toifon d'or, des Gouverneurs des
Provinces , ôc d'un nombre de Seigneurs choilis j ôc ce Con-
feil aimoit fincérement la paix ôc la tranquilité publique. VU
rie Viglius de Ayta de S^ichem préfidoit au fécond , qu'on
appeiloit Confeil fecret ou privé 3 Ôc Charle comte de Berlay-
mont étoit Chef du troiiiéme , qui concernoit les Finances.
Ceux qui compofoient ces deux derniers Confeils , étoient pref-
que tous de la fadion du Cardinal , ôc quelques-uns étoient
aulll du Confeil d'Etat ; ce qui fut caufe de quelques diffen-
tions qui s'élevèrent entr'eux. Car les Efpagnoliftes ne fouf-
froient qu'avec peine la grande autorité du Confeil d'Etat ; ôc
fe plaignoient qu'on en abufoit, pour chercher les occafions
de les blâmer , ôc de leur faire des affaires auprès du Roi , fur
ce qui regardoit la Jufdce ôc les Finances : ôc de leur côté, ils
étoient très attentifs à ne perdre aucune occafion de décrier
le Confeil d'Etat, Ôc d'accufer la Gouvernante de nourrir les
troubles ôc les fèditions par fa diffimulation ôc par fa trop gran-
de douceur.
Pour fermer la bouche aux calomniateurs , le Confeil d'E-
tat fut d'avis d'envoyer en Efpagne Lamoral comte d'Egmond ,
Seigneur d'une probité connue , ôc que l'on croyoit agréable
à Philippe , par les nouveaux fervices qu'il lui avoit rendus.
Le Comte paffa par la France, pour aller en Efpagne; ôc plein
de la confiance que lui infpîroient fes fervices , il parla au Roi
fon maître avec une généreufe liberté , ôc lui remontra que la
publication de tant d'Edits rigoureux , ne pouvoir caufer que
des troubles ôc des fèditions dans les Payis-bas : Que le feul nom
de rinquifitionfaifoit horreur à tout le monde : Que les Grands
ôc la Nobleffe murmuroient ôc fe plaignoient hautement des
atteintes 3 qu'on donnoit peu à peu à l'ancienne liberté : Que
les
DE J. A. DE THOU Liv. XL. 2o>
les peuples des vilies, des bourgs ôc des villages, étoient per- --
fuadez que cela faifoit tort au commerce : Que le Clergé mê- C harle
me étoit mécontent de voir les biens Ecciéiiaftiques aban- jx.
donnez à la difcretion de quelques perfonnes fufpedes , qui i ^ c 6,
fuivant leurs fantaifies , en dépoùilloient les uns , pour enri-
chir les autres ; que c'eft ce qui arrivoit dans l'affaire des nou-
veaux Evêchez , dont l'éredion utile à un très petit nombre >
caufoit un grand tort au public : Qu'on ne pouvoit remédier à
tous ces maux , qu'en révoquant entièrement, ou au moins en
modérant les Edits ôc les Ordonnances concernant la Reli-
gion , en abolilTant les nouveaux Evéchez ;, ôc en rétabliffant
'ancienne liberté.
Le comte d'Egmond fut reçu , écouté , Ôc congédié en appa-
rence avec toutes les marques de bienveillance ôc d'honneur ,
qu'on pouvoit fouhaiter ; ôc on lui fit efperer de fatisfaire au
premier jour à une partie de fes demandes. Ainfi il revint dans
fon payis avec cette réponfe Ôc de grandes promeffes. Com-
ptant fur les paroles qu'on lui avoit données en Efpagne , il
exhorta les Flamands à bien efperer de la bonté du Roi. On.
le chargea auffi d'affembler trois Evêques, autant de Docteurs
en Théologie , Ôc des perfonnes habiles , verfées dans le droit
divin ôc humain ? ôc de leur propofer de la part du Roi , de dé-
cider une affaire de cette importance. Ceux que le comte d'Eg-
mond fit affembler , furent Martin Rithove évêque d'Ypres ,
Antoine Thavet évêque d'Arras, Joffe Raveflin, de Ticit en
Flandres , ôc Vilmar Bernarts.
C'eft ainfi qu'on amufoit publiquement le Comte, qui ne fça-
voit rien de ce que l'on tramoit fecretement , tandis qu'on
écrivoit à la ducheffe de Parme d'ordonner aux Evêques , c]ui
favorifoient l'Inquifition , de ne rien relâcher de leur première
févérité. En effet , foit que Philippe eût d'abord ufé de diffi-
mulation , foit qu'il eût changé de fentiment, on fit tout le con-
traire de ce qu'on avoit promis au Comte. Ce Prince perfua-
dé par fes Miniftres , ôc confirmé dans fes fentimens par les let-
tres du Cardinal, ôc de ceux de fa faction, refolut d'ufer de ri-
gueur envers les Flamands , ôc de purger entièrement ces Pro-
vinces du venin de fhéréfie, en y établiffant l'Inquifition d'Ef-
pagnej ôc au cas qu'elles refufaffent de recevoir ce tribunal,
de fe faire décharger par le Pape du ferment qu'il avoit fait >
Tome K D d •
2IO HISTOIRE
III d'obtenir de ce Pontife la pernuirion de faire entrer des trou-
Ch aRLE P^^ Efpagnoles ôc étrangères , pour les dompter j de les trai^
IX ^^^' ^^^^ comme des Provinces héréditaires , mais comme un
\ < 6 6 P'^y^^ nouvellement conquis ôc fubjugué par la force i d'y éta-
blir une domination defpotique , d'y faire de nouvelles loix à
la difcretion du vainqueur 5 ôc après avoir exterminé les Grands,
Ôc les perfonnes les plus confiderables du payis, de ramener les
autres, par la crainte du châtiment, à ce qu'on appelle une par-
faite ôc aveugle obéïflance.
Une refolucion fi cruelle, fi pernicieufe pour la Flandre, ôc
qui fut dans la fuite fi funefte à Philippe même , hâta les nou-
veaux troubles. Ils furent néanmoins fufpendus pendant un an;
ôc davantage ; parce qu'on étoit alors occupé à terminer un
différend , qui s'étoit élevé entre lesAnglois ôc les Flamands.
Les Anglois, fous prétexte delà crainte qu'ils avoient de l'In-
quifition , tâchoient de tranfporter ailleurs le commerce ; ôc
pour cela ils avoient augmenté les impôts de plus de moitié.
Le prix du tranfport des draps étoit aufïi confiderablement
rehauffé : en forte qu'ils avoient adroitement enlevé aux Fla-
mands le commerce du drap , ôc s'en étoient rendus maîtres.
Non contens de cela , les Anglois avoient encore défendu par
des Ordonnances publiques, de tranfporter chez eux un grand
nombre d'ouvrages des Manufactures de Flandre. Les Fla-
mands de leur côté défendirent par une Ordonnance du 2 de
Décembre i^^^, le tranfport des marchandifes de Flandre per-
mifes ' en Angleterre. Comme ils fe faifoient beaucoup de tort
les uns aux autres^ ôc que les Anglois transferoient peu à peu
le commerce de Flandre à Embden , ville très marchande de la
Frife orientale , enfin ils traitèrent enfemble , pour ne pas rom-
pre leur ancienne amitié 5 ôc par l'entremife de Dom Diego Guf-
man de Silva, Philippe fit quelques jours après un traité avec
les Anglois , qui fut auifi-tôt publié en Angleterre ôc en Flandre.
On indiqua l'année fuivante une aflemblé à Bruges vers la
fête de Pâques. Antoine Bro^^n vicomte de Montagut , cheva-
lier de la Jarretière , Nicolas Wotton , doyen de Cantorbery, ôc
"Walter Haddon Jurifconfulte , y vinrent de la part de la reine
I II y a dans le texte un non oublié.
Il faut lire non interdiBaritm , fans quoi
il ne paroît pas qu'il yaitdefens. Car
comment les Flamands , pour fe venger
des Anglois, auroient-ils défendu le
tranfport des marchandifes en Flandre
interdites en Angleterre.
DE J. A. DE THOU,.Liv. XL. 211
d'Angleterre. Le roi d'Efpagne y envoya Floris de Montmo- m
rend, baron de Montigni, qui étant abfent, fut reprefenté par (^^j^ ^Lg
Philippe de Montmorenci , feigneur de Hachicourt , Chrifto- j^^
phled'Afibnviile, & Joachim Gilles. Comme après de longs i r <$ 5-,
débats on ne put rien terminer , l'afTembiée fut interrompue au
mois de Septembre , ôc l'affaire remife au 25 de Mars de l'année
fuivante, qui fut celle de la naiflance des troubles. Les Députez
travaillèrent encore inutilement à accommoder les différends
des deux Nations , jufqu'au 2 1 de Juin ; & comme le bruit cou-
rut , que Philippe alloit bien-tôt venir en Flandre , on fufpendit
Paffembléej jufqu'à ce qu'on pût propofer l'affaire au Roi mê-
me , lorfqu'il feroit arrivé.
Cependant fur la fin de 1^6^ , Marguerite ducheffe de Par-
me, Gouvernante des Payis-bas , reçut de Philippe des ordres Philippe en-
exprès, pour faire exaÊtement obferver les anciennes 6c nou- voyedesor-^
velles Ordonnances fur la Religion j faites par fon père ôc par la dûcheflTe de
lui : étant, difoit-il ^ perfuadé qu'une trop grande douceur étoit Parme
caufe, que le mal avoit fait de fi grands progrès , il ordonnoit
en cas que quelques Juges fiffent difficulté d'exécuter fes or-
dres , par la crainte d'exciter des féditions ^ de leur déclarer
qu'on en mettroit d'autres en leur place , qui auroient plus de
courage Ôc de fermeté ; ôc qu'il fe trouveroit dans les Payis-bas
un grand nombre de perfonnes , qui travailleroient de toutes
leurs forces à maintenir l'ancienne Religion , & l'obéiÏÏance
dûë à l'autorité Royale. Quant à ce qui concernoit l'Inquifi-
tion , on avoit ajouté dans les lettres du Roi , que Sa Majefté
vouloir que tous fes fujets , en général ôc en parnculier , don-
naffent aux préfidens du faim Office tous les fecours neceffai-
res pour fexercice de leur charge, ôc pour les mettre en état
de faire exécuter ce qu'ils auroient ordonné, comme ils avoient
fait jufqu'alors , ôc comme ils y étoient autorifez par les loix
divines ôc humaines : qu'au refte ce n'étoit pas une chofe nou-
velle, puifqu'elle avoit été pratiquée du tems de fon père.
Ainfi on enjoignoit à la duchelTe de Parme , de ne plus per-
mettre qu'on délibérât fur une chofe fi neceffaire ; mais de la
mettre promptement à exécution. On lui mandoit auffi défaire
recevoir le Concile de Trente , ôc obferver religieufement fes
Décrets , l'affurant qu'elle ne pouvoit rien faire de plus agréa-
ble au Roi. La Gouvernante envoya aulTi-tôt dans les Provinces
D d ij
112 HISTOIRE
■» des copies de ces lettres , & elle y joignit les fiennes y pour oir-
Charle ^"^"^"^^^ à ^'^^^ ^" général 6c en particulier , d'obéir aux vq-
jy lontez du Roi : oc afin que cela fe fit plus commodément , elle
ç K < enjoignit aux villes de choifir un de leurs Confeillers , pour être
pendant fix mois comme AfTefTeurs des Inquifiteurs dans l'e-
xercice de leur charge i Ôc à chaque lixiéme mois de le chan-
ger y ôc d'en mettre un autre en fa place ^ pour faire obfervec
exactement les Décrets du Concile de Trente : de donner foi-
gneufement avis de ce qui concernoit cette affaire , afin qu'au
moins de trois mois en trois mois ^ on pût fçavoir en quel état
ctoit la Religion dans les Payis-bas y ôc que s'il s'élevoit quel-
ques difficultez , Son Altefle pût envoyer des Députez pour les
terminer.
Les nouveaux Evcques tinrent des Conciles provinciaux ;
Conciles conformément aux Décrets du Concile de Trente. Il fut ordon-
teniiieaFlan- i^^ dans CCS Concilcs , que les Curez reroient un denombre-
*ife- ment des familles de leurs Paroifles : Que les nouveaux habitans
apporteroient des certificats de leur Curé .pour attefler qu'ils
étoient Catholiques Romains , ôc qu'ils avoient été mariez en
teltems, ôc en tel lieu : Qu'outre cela le Curé écriroit les noms ^
furnoms ôc domiciles de fes Paroifliens 5 ôc qu'il tiendroit re-
giftre desenfans qui feroient bâtifez , ôc de leurs Parains : Qu'on
ne recevroit aucun Maître d'école , de la foi duquel on ne fû£
bien afluré j ôc qu'on lui prefcriroit les livres qu'il devoit faire
lire à la jeunelTe : Qu'on obferveroit avec foin fi les pauvres ,
qui vivoient" d'aumônes . étoient Catholiques Romains : Qu'on
leur prefcriroit de fe confeffer ôc de communier ; ôc que s'ils
ne le faifoient pas . ils feroient privez des aumônes.
Us caufent Tous CCS articles ayant été publiez , on ne fçauroit dire com-
tes troubles, bien ils foûleverent ôc émurent les efprits. Les Etats de Bra-
bant furent les premiers à s'oppofer à l'exécution de ces Or-
donnances, qui ne pouvoient, difoient-ils , fe conciher avec
le ferment que le Roi ôc le Confeil avoient fait , de conferver
les privilèges de la Province. Ils fupplierent qu'on voulût bien
révoquer des reglemens fi févéres h déclarant que , fi on ne le
faifoit,ils en porteroient leurs plaintes aux Etats généraux de
Flandre^ ôc qu'ils imploreroient leur appiii. Les Conciles pro-
vinciaux des Evêques foûtenoient au contraire , qu'il n'y avoit
rien en tout cela de nouveau : que l'Inquifition , l'ardcle qui
DE J. A. DE THOU. L i v. XL, 213
leur faifoit le pius de peine , avoit déjà été exercée dans les .. n ' ^*
Payis-bas , & même en France, ôc qu'on avoit eu la précau- Char LE
tion de déclarer , que la ville d'Anvers ne feroit foûmife ni à ce jx.
Tribunal , ni à la jurifdi£lion de i'Evêque : que pour ce qui j ^ ^ ^^
étoit du Concile de Trente, on exigeoit feulement qu'il fût re-
çu avec des modifications, 6c conformément aux Ordonnances
qui avoient été faites à ce fujet, ôc qu'on devoit publier.
Les Etats continuant leur oppofition^ ôc perfiftant dans leur
refus, ôc la duchelTe de Parme d'un autre côté preflant l'obfer-
vation des articles de l'Ordonnance > ceux qui étoient fecréte-
ment attachés à la Do61;rine reçue en Allemagne ôc en Suiiïe ,
firent courir des Libelles :, des Vers Ôc des Satyres , qu'on affi-
cha aux portes des Eglifes , de la Cour , ôc du Palais. Ils fi-
rent même tomber entre les mains de la Gouvernante un Li-
belle j dans lequel ils faifoient connoître de quelle manière les
Etats de Flandre dévoient refifter aux ordres de la Cour , à l'In-
quifition ;, ôc aux Décrets des Evêques. On y découvroit les
artifices , les rufes ôc les intrigues fecretes des émiflaires du car-
dinal Granvelle ^ ôc on y ajoûtoit des menaces contre ceux qui
étoient allez perfides, pour donner atteinte à la liberté de leur
patrie , ôc contre ceux qui par lâcheté ou par foiblelîe aban-
donnoient la caufe publique , ôc les intérêts communs de toute
la Nation.
La duchefie de Parme prévoyant que ces premières démar-
ches conduiroient infailliblement à la fédition, ôc de la fédition
à une révolte , tint Confeil, ôc pubha à Bruxelles le 24 de Mars
un écrit, qui contenoit en fubftance : Que comme on avoit re-
connu qu'il n'y avoit point eu d'Inquifition dans le Erabant, de-
puisl'an 1 5" ^o, l'intention de S. M. CathoHque n'étoit pas d'ap-
pefantir le joug des peuples de ces Provinces j mais de confer-
ver ôc maintenir leurs libertez ôc leurs immunitez i ôc que pour le
Concile de Trente , on ne les obligeoitpas de le recevoir autre-
ment ) qu'avec les modifications qu'exigeoient leurs privilèges.'-
Le peuple fe rejoiiit fort de cette déclaration 3 mais les Etats
qui n'avoient encore qu'une partie de ce qu'ils fouhaittoient^
allèrent plus loin , ôc demandèrent à la Gouvernante, que la-
déclaration qui avoit été faite , fût confirmée par le Roi , ôc
fcellée de fon fceau i ôc qu'on leur donnât des aflurances en
bonne forme , que jamais on n'introduiroit dans le Brabant
D d iij
21^ HISTOIRE
"'■" """ aucune forte d'Inquifition ; ni i'Eccléfiaftique , qui s*exerce fous
Ch ARLE le nom du Pape ? ni la Civile ou Séculière, qui s'exerce au nom
I X. du Prince ; que le Juge ordinaire connoîtroit de tous les ciri-
i $ 66. mes , même de celui d'héréfie ? ôc que les Ordonnances du Roi,
fur la Religion , feroient adoucies. La duchefle de Parme ré-
pondit qu'elle délibéreroit fur tout cela avec les Chevaliers de
la Toifon d'or , &c les autres Confeillers du Confeii Souverain.
En effet on parla dans ce Confeii d'envoyer au roi d'Efpagne
un projet de modération & d'adouciffement des Ordonnan-
ces, fans préjudicier néanmoins à la Religion Romaine, ôc à
l'autorité Royale.
Confédéra- Cependant le peuple murmuroit, & s'emportoitpar desécrits
tion delaNo- contre la NoblelTe , qui demeuroit à la campagne j 6c qui pou-
voit aifément devenir la vi£l:ime d'une multitude furieufe ■> ils
i'avertilToient fans ceffe, ôc lui reprefentoient qu'il étoit de fon
devoir d'être les médiateurs entre le Roi ôc le peuple j parce
que le Roi accorderoit plus volontiers, en conlidération de la
Nobleffe, ce qu'on lui demandoit, qu'il neferoit fans cela. Ain-
fi les Gentilshommes fenfibles au danger qui les menaçoit , ôc
foUicités par ceux qui favorifoient fecretement le parti des Pro-
teftans , s'ailemblerent à Sainte Gertrude, près d'Anvers, Ôc fi-
rent une confédération pour le maintien de la liberté de leur
patrie. « Puifque des étrangers , difoient-ils , qui ne travaillent
w ni pour la gloire de Dieu , ni pour l'intérêt du Roi , ni pour
M le bien du payis , mais pour fatisfaire leur avarice ôc leur am-
" bition , fe font fervis du prétexte fpécieux de la Religion ôc
" de la tranquilité publique , au grand défavantage du Roi ÔC
« de fes fujets , pour obtenir de Sa Majefté , non feulement
^' qu'elle ne modéreroit pas la rigueur des reglemens touchant
« la Religion, comme Sa, Alajefté l'avoit promis , mais qu'elle
3' prelTeroit l'établiffement de l'Inquifition , qui eft également
» odieufc ôc formidable à tous les Ordres de l'Etat; ôc d'où il
» ne faut point douter qu'on ne voie fuivre en peu de tems la
w perte totale des Payis-bas, le renverfement de l'autorité Roya-
oy le , l'anéantiflement de la liberté Ôc des privilèges de la Pro-
» vince : Nous prenons Dieu à témoin , que pour détourner
» ces maux, nous avons fait enfemble une confédération , pour
o> maintenir l'obéiflance que nous devons à la Majefté Royale,
» pour le bien de la patrie , ôc pour la liberté commune. Nous
•J
a»
DE J. A. DE THOU , Liv. XL. 21^ :
nous obligeons par ferment d'empêcher que rinquifition ne _
s'introduiie , fous prétexte d'Ordonnances , ou de quelques rju » j^t £ i
autres Décrets que ce puiffe être. Nous déclarons publique- j y !
o> ment, qu'en cela nous ne prétendons rien faire , ou entre- i ^ /^ <
w prendre , qui foit contraire à la gloire de Dieu, ôc qui puifle ^ ' ;
J5 donner la moindre atteinte à l'autorité du Roi ôc des Etats ,
oî mais que nous ne fouhaitons autre chofe , que d'employer !
»> pour leur fureté nos confeils , nos vies ôc nos biçns 3 ôc d'em- j
a> pêcher , par tous les moyens pofTibles , toutes fortes de com- i
» plots , de féditions ôc de troubles. => !
On propofa auflî dans l'aflemblée , de députer à l'Empereur \
Maximilien coufinduRoid'Efpagne , pour le fupplier d'interpo- j
fer fa médiation auprès de fa Majefté Catholique, afin d'en ob- j
tenir la modération des ordonnances rigou ■ eufes , qui étoient le \
fujet de leurs plaintes. On dreffa enfuite d'un commun accord j
une requête 3 qui devoit être prefentée en un certain jour à la \
duchefTe de Parme , au nom des Etats de Flandre. Les princi- i
paux de l'aflemblée de faint Gertrude étoient Henri de Brede- «
rode, de l'illuftre maifon des comtes de Flandre , Louis de \
Naflau frère du prince d'Orange , Floris de Pallant comte de ]
Culembourg , le comte de Bergh , ôc plufieurs autres. S'étant ]
rendus à Bruxelles au nombre de plus de quatre cens , ils de- \
mandèrent audience à la Gouvernantes ôc le y d'Avril ils par- i
tirent de l'hôtel du comte de Culembourg, allèrent au Palais ':
cinq à cinq , ôc quatre à quatre, avec un grand filence, tous !
vêtus d'habits gris, ayant de petites écuelles de bois attachées i
à leurs chapeaux , ôc une médaille d'or au cou , fur un côté
de laquelle étoit le portrait du Roi , ôc au revers une beface
fufpenduë par deux mains entrelaflfées en ligne de foi, avec ces
paroles : Fidèles jufqu'à la beface. Ce furent là comme les ar- j
mes ôc la devife de la faêtion des Confédérez. !
Ayant été admis à l'audience de la Gouvernante, Bredero< Requête des ]
de portant la parole pour tous , dit , qu'ils étoient venus pour Confédérez. , \
prefenter à fon Altefle,avec tout le refpeêt Ôc la fou million i
poffible J leur requête. Il fe plaignit enfuite de ce qu'on accu- i
foit fauffemcnt fes aflociez ôc lui-même de fédition, de révol- i
te ôc de perfidie: il demanda qu'on nommât les accufateurs, ;
ôc qu'on les obligeât de comparoître j afin qu'après avoir en- *
teuciu les accufateurs ôc les accufez , on pût juger lefquels étoient j
^x6 HISTOIRE
^ les coupables. La duchefle de Parme reçût la requête, pro-
Charle ^^'^^^ ^^ ^^ ^^^^' ^ ^'y ^^^"^^ auflTi-tôt réponfe ,& les congédia:
i\r Lorfqu'ils fortoient y le comte de Berlaymont, qui n'e'toit pas de
^ \ leurs amis , dit par mépris à la Gouvernante, qu'il n'y avoit rien
' à craindre de ces coquins-là, puifqu'ilsétoient tous, ou en effet,
ou par la couleur de leur habit , de vrais mendians , que les lan-
gues Wallonne ôc Françoife appellent des Gueux \ Depuis cette
raillericl'ufage a été dans le Payis-bas de nommer Gueux ceux à
qui l'on a donné le nom de Huguenots en France. Pour nous;
nous leur donnerons dans la fuite le même nom de Protejîans,
que nous donnons dans cette hiftoire à ceux d'entre nous, qui
profeffent la Religion reformée.
Le lendemain la Duchefle ayant convoqué un Confeii plus
nombreux , y fit lire la requête des Confcdérez , qui contenoit
en fubftance : Que l'obéiflance due au Roi, ôc l'amour de la
patrie avoient engagé les Confederez à s'expofer au danger
d'être blâmez, plutôt que de manquer à leur devoir : Qu'ils
s'étoient aflfemblez . 6c qu'ils avoient dreffé leur requête, pour
prévenir les troubles dont la Flandre étoit menacée : Qu'ils
fupplioient donc inftamment le Roi, de ne point impofer à des
peuples libres le joug infuportable de Tlnquifition jde fuppri-
mer les nouveaux Evêques , qui n'avoient été inftituez que pour
rétablir, d'adoucir les ordonnances trop févéres, qui avoient
été faites , d'en différer l'exécunon , ôc de laiffer à chacun la
liberté de confcience : Que ce qui les engageoit à demander
cette grâce, étoit le danger qui menaçoit les particuliers, comme
l'Etat : Qu'ils fçavoient très-certainement que le peuple ôc les
payifans ne fouffriroient jamais l'Inquifition , Ôc que les Con-
federez , qui demeuroient dans leurs terres à la campagne , fe-
roient les premiers expofez à leur fureur : Que cependant ils
prenoient Dieu à témoin de leur foumiflîon ôc de leur fidélité:
Que fi le Prince ne fe rendoit pas aux prières Ôc aux inftances
du public , ôc n'avoit aucun égard à leur oppofition , on ne
pourroit au moins leur attribuer les troubles ôc les féditions ,
qui ne manqueroient pas d'arriver , ôc dont ils feroient parfaite^
ment innocens.
Après la le£lure de la requête, les avis fe trouvèrent parta-
gez. Philippe de Montmorenci comte de Home dit, qu'il falloit
} en Wallon Glmifett,
appaifer
DE J. A.DE THOU, Lrv. XL. 217
appaifer le peuple, à quelque prix que ce fût; parce que fans »
cela l'Etat étoit menacé de troubles & de féditions, & que fi Char LE
en ne cedoit au tems , la NoblefTe & la Gouvernante elle- jy^
même , ne pourroient être à l'abri de la fureur d'une populace 1^55.
mutinée. Mais les créatures d'Efpagne rejetterent cet avis du
comte de Horne, qui n'avoit en vue que la tranquillité publique^
6c voulurent le faire palTer pour une menace qu'il faifoit à la
DuchefTe , afin de la forcer à entériner la requête des Confé-
dérez , qu'ils traitoient d'incivile.
Elle y répondit néanmoins d'une manière à faire connoître Béponfe àt
la bonne volonté qu'elle avoit pour les Confédérez. Elle dit '^ ^^«"^«r-
qu'elle fouhaitoitrincerement pouvoir leur accorder toutes leurs
demandes j mais qu'elles étoient dételle nature, qu'elle ne pou-
voir rien décider à ce fujet de fa propre autorité : Qu'elle avoit
les mains liées par les ordres exprès du Roi , à qui elle croyoit
qu'il falloir faire une dépuration, 6c qu'elle tâcheroit de leur
rendre favorable autant qu'elle pourroit , par fes lettres ôc par
fesprieres: Qu'en attendant elle les conjuroit 6c leur enjoignoit
de veiller eux-mêmes , 6c de travailler de toutes leurs forces,
pour empêcher que la tranquillité publique ne fût troublée : Que
pour elle , elle auroit une Ci grande attention , pour contenir les
Inquifiteurs dans les bornes de la prudence 6c de la modéra-
tion , que chacun lui en fçauroit gré 6c la remerciroit : enfin
qu'elle efperoit obtenir par fon entremife auprès du Roi, que
ces Provinces feroient délivrées de rinquifition.
Deux jours après les Confederez revinrent au Palais de la Gou-
vernante, 6c la remercièrent d'une réponfefi favorable. Mais
ils demandèrent en même-tems , qu'on en fit une plus ample dé-
claration j ils promirent de fe foumettre à tout ce qui feroit or-
donné par le Roi 6c par les Etats de Flandre , 6c de fe compor-
ter à l'avenir de manière, qu'on ne pourroit les blâmer avec
raifon.Ilsajoûterent,qu'ayant appris que leurs ad verfairesavoient
réfolu de faire imprimer leur requête j ils prioient qu'elle fut
imprimée de bonne foi , fans y rien augmenter, 6c fans en rieix
retrancher. La Gouvernante ayant loué leur bonne volonté,
les pria auiïi de fe tenir dans les bornes de la modération , 6c
de ne point faire d'aiîemblées clandeftines, pour fefaireun plus
grand nombre de partifans. Les Confédérez remercièrent en-
core une fois la Gouvernante , 6c la prefTerent de déclarer
Tome y, E e
2i8 HISTOIRE
devant toute fa Cour , que ce qu'ils avoient fait n'avoit point été
Charle entrepris avec une mauvaife intention. A quoi elle répondit
IX feulement , qu'elle le croyoit ainfi. Les Confédérezs'étant re-
6 6 ^^^^^ ^^^ murmurant , on leur envoya, fuivant le confeil de Chrif-
tophle d'AlTonviile , Philippe de Lallain comte de Hoochltrate>
avec Berty fecretaire , pour leur déclarer dans leur affemblée,
ôc leur donner parole au nom de la DuchefTe , que la Cour n'or-
donneroit rien au fujet de la Religion j qu'elle n'eût reçu la
réponfe du Roi.
On envoya en Efpagne Montmorenci de Montigny, ôc le
comte de Bergh, Chevaliers de la Toifon d'or, pour deman-
der la modération des ordonnances, ôc des décrets concer-
nant la Religion. Ces Seigneurs furent reçus bien différem-
ment de ce qu'ils avoient penfé , ôc même bien maltraités dans
la fuite , comme nous le dirons. On les amufa d'abord , par des
réponfes ambiguës ôc captieufes j ce qui augmenta fort les foup-
çons ôcles défiances desFlamans : ôc cependant on publia une
formule de modération des ordonnances , qui excita l'indigna-
tion de plufieurs, ôc fit rire en général tout le monde. Caroa
y accordoit comme une très-grande grâce aux Proteftans, aux
Miniftres , à leurs hôtes , ôc à ceux qui cauferoient quelque fcan-
dale , celle de n'être point brûlez , mais feulement pendus : on
y déclaroit que ceux en général qui changeroient de fentimens,
feroient punis par le glaive , ôc ie petit peuple qui tomberoit
dans l'erreur par le banniffement. La Cour envoya cette for-
mule aux Etats de chaque Province , pour y être ratifiée. Ceux
d'Artois, du Hainault, ôc du comté deNamur y foufcrivirent.
Elle fut enfuite pubhée dans la Flandre ôc dans le Brabant,
fans y appeiier ceux de Hollande, de Zelande , de Frife , ni
les autres? parce qu'on croyoit qu'appuyez fur leurs privilèges
ôc leurs immunitez, ilsnevoudroient jamais confentir à la vé-
rification de la formule. Au refte tout ceci fut fait fecretement,
ôc à l'infçû des peuples , qui fuivoient prefque tous la dodrine
des Proteftans.
Troubles & Cependant on fit courir le bruit de la mauvaife réception
qu'en°tour^" dcs Députez en Efpagne, de la colère ôc de l'indignation du
Ueux. Roi contre les hérétiques ôc leurs fauteurs , de f équipement
d'une flotte , pour tranfporter le Roi en Flandre , des levées
qu'Eric de Brunfwich , qui étoit au fervice de fa Majefté
DE J. A. DE THOU> L ! v. XL, 2ii>
Catholique , avoit faites en Allemagne , pour être prêt à toute
occafîon de fecourir à main armée les Inquifiteurs ôc les nou~ Ch arle
veaux Evêques. On ajoûtoit que la douceur , dont on ufoit en- jy
vers les Députez n'étoit pas (Incere, mais apparente ôcfimu- /^
lée , pour donner au Roi le rems d'amafler de l'argent & de
lever des gens de guerre , afin de venir en Flandre lorfqu'on
y penferoit le moins 5 que le cardinal Granvelle y viendroit
aulîî , 6c que la réfoludon étoit prife de punir rigoureufe-
ment ceux de la Noblefle 5 qui avoient eu la témérité crimi-
nelle de quitter la Religion ôc le parti du Roi. Le peuple
échauffé ôc irrité par ces bruits, ôc n'efperant rien de bon de l'Ef-
pagne, eut la hardiefle d'aller publiquement aux prêches, pour
infpirer, par cette liberté, du courage à ceux de fon parti, ôc
pour intimider fes ennemis , en leur faifant voir que le nombre
des Confédérez s'augmentoit de jour en jour. Ainfi après avoir
commencé à Ypres, on fît des affemblées publiques dans la
Flandre , dans le Brabant, dans la Gueldres, ôc dans la Frife,
ôc ces affemblées fe tenoient en pleine campagne, ôc dans tous
les autres lieux qui paroiffoient les plus commodes. Le peuple
y accourut de toutes parts, d'abord fans armes, enfuite avec
des épées, pour fe défendre H on les attaquoit, ôc enfin avec
des arquebufes -, ôc fur le commencement de Juin on fit des
prêches en Allemand ôc en François, dans un champ nommé
Tlaer , fitué près de Borgherhout , affez proche d'Anvers.
Cela fut caufe que le Confeil d'Anvers , quicraignoit une fé-
dition, écrivit à la Gouvernante, ôc la fupplia de vouloir bien
venir à la ville , ôc y faire fon féjour, pour appaifer les trou-
bles. La DuchelTe ayant demandé du tems pour délibérer là
deffus , fit cependant publier le 26 de Juin une ordonnance
fort rigoureufe contre ceux qui tenoient des «ffemblées : mais
cette ordonnance ne fut d'aucune utilité. Les Proteflans , dont
l'audace croiffoit avec le nombre, prefenterent le 3 de Juillet
une requête au Confeil, dans laquelle ils tâchoient de prouver
par plufieurs raifons , que les prêches qui fe faifoient auparavant
en fecret, dévoient alors fe faire publiquement, à caufe du grand
nombre des auditeurs; ôc ils demandoient que , pour éviter le
bruit ôc la confufion, on leur affignàt un lieu dans la ville. Ils
fe fervoient des propres termes de leurs privilèges , pour prou-
ver que le Magiltrat étoit en droit de leur accorder ce qu'ils
Ee ij
^2o HISTOIRE
'i, demandoient, & ils citoient des exemples , pour faire voir qu^^on
^ pouvoit fans aucun danger admettre deux Religions dans un
jy Etat. Le Confeil envoya auiTi-tôt cette requête à la Gouvernant
> jj te , ôc réitéra fes prières , pour l'engager à venir demeurer à An-
^ ' vers : mais elle le refufa, à moins qu'on ne voulût recevoir dans
la ville une garnifon î ce que les habitans avoient en horreur.
Comme li onavoit appréhendé que les fujets de troubles ne
manquaffent , Brederode, 6c Charle de Brimeu comte de Me-
gen vinrent dans le même tems à la ville ^ fans en avoir deman-
dé l'agrément : tous les deux étoient fufpe£ls aux bourgeois
pour des raifons bien différentes 3 le premier^ parce qu'il étoit
regardé comme le chef des Proteftans dans les Payis-bas , ÔC
le fécond , parce qu'on croyoit qu'il vouloit ufer d'artifice, pour
faire entrer dans la ville les troupes qu'il avoir aux environs
dans la Campine Brabançonne. Ile peuple étant déjà échauffe,
Brimeu fut obligé de fortir de la ville. La Gouvernante y en-
voya auffi-tôt Guillaume de Naflau prince d'Orange , avec de
pleins pouvoirs. Lorfqu'il étoit fur le point d'y entrer le 1 3 de
Juillet, le Confeil vint au-devant de lui, avec Brederode ôc
d'autres Gentilshommes , & comme il paffoit dans la ville à che-
val, le peuple cria : Vivent les Gueuw Le Prince les en reprit,
& leur prédit qu'ils fe repentiroient quelque jour de cette accla-
mation téméraire. Puis ayant aflemblé le Confeil , il expofa
les ordres qu'il avoir de la Gouvernante , ôc il conféra avec
tous les Corps de la ville, fur les moyens déterminer tous les
différends, d'ôter les foupçons ôc les défiances, ôc de rétablir
la paix Ôc la tranquillité.
Ces conférences lui firent connoître que le Confeil ne fe fioit
pas fort aux bourgeois ôc aux marchands étrangers , quoiqu'ils
luffent attachez à la doctrine des Proteftans ; que les bourgeois
6c les autres habitans d'Anvers craignoient les miniftres delà
Cour , ôc fe défioient du Confeil i qu'ils foupçonnoîent de vou-
loir faire entrer des foldats dans la ville 5 enfin que les Protef*
tans craignoient généralement tout , ôc qu'ils n'étoient pas mê-
me bien d'accord entre eux , ôc que le Confeil entretenoit cette-
mefintelligence fecrette, en favorifant fourdement les Protef-
tans de la confeflion d'Aufl^ourg contre les Calviniftes : mais
que les uns ôc les autres joints enfemble, étoient les plus forts
aans la ville ^ ôc pourroient la réduire, en leur pouvoir , quand
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. s^r
ils le voudroient. Le prince d Orange jugea donc qu'il n'y -^
avoir pas de fureté à vouloir les foumettre par la force , mais ^
qu'il falloir les exhorter avec douceur , Ôc les engager à quit- ^-A^
ter les armes , ôc à les mettre entre les mains des bourgeois. ^*
On convint donc que les bourgeois feroient la garde , ôc qu'a- ^ S ^ ^'
près avoir donné les furetez néceflaires , on engageroit douce-
ment les Proteftans à mettre les armes bas , & à interrompre
leurs prêches Juiqii'à ce que tout fût décidé ôc réglé fuivant l'a-
vis des Etats de Flandre.
Déjà le bruit s'étoit répandu ^ que Brunfwich avoir levé des
troupes , ôc qu elles couroient avec licence dans toute la Fri-
fè, ôc le Prévôt des maréchaux , ou le Bailli , qu'on nomme en
Flamand Drojfan , allant à cheval dans le Brabant avec des ar-
chers en armes, pour arrêter des criminels, avoir fait foupçon-
ner qu'il vouloit empêcher les affemblées qui fe faifoient à la
campagne : ce qui augmentoit ces foupçons , eft qu'on avoit
vu en même-tems à Malines des chariots remplis d'armes , ôc
des batteaux chargez de canon. Les Proteftans ne gardèrent
plus de mefures , ôc ils affederent de marcher , non pas com-
me des gens qui font en paix, mais comme des gens de guerre,
en armes ôc en bataille : ce qui donna beaucoup d'inquiétude
à tout le monde, dans la jufte crainte des fuites : à peine le
prince d'Orange pouvoit-il les contenir par fa préfence , ôcpar
les menaces qu'il mêloit quelquefois aux exhortations ôc aux
prières.
Les Confédérez voyant que les Courtifans , par leurs artifi- AFembr
ces, avoient fait évanouir l'efperance qu'on leur avoit don- &plaintesdc«
née, d'affembler les Etats de Flandre, qu'ils avoient regardez Confédérez.
comme leur dernière reffource , s'aiïemblerent à faint Tru-
den^ château appartenant à l'Evcque de Liège ■> delà ils alle-
tentà Arfchot, ôc enfuite à DufFele. La Gouvernante leur en-
voya le prince d'Orange ôc le comte d'Egmond, pour traiter
avec eux , pour leur demander ce qu'ils prétendoient faire dans
leur alTemblées , ôc de quoi ils fe plaignoient? pour leur dire
qu'à leur confideration on avoit envoyé en Efpagne le ba-
ron de Montigny Ôc le comte de Bergh , deux Seigneurs d'un
grand crédit , ôc en qui ils dévoient avoir une parfaite con-
fiance, ôc pour les exhorter ( puifque depuis leur requête on
n avoit rien fait de nouveau touchant l'Inquifition ôc l'exécution-
Ee. iij.
222 HISTOIRE
,,,„,„,.,._,^ des ordonnances ) à ne pas donner de juftes fujets de mécori-
'Z tentenient , ôc de colère au Roi, qui étoit dans la difporition
T^^^ de faire publier une amniftie pour tout le pafféi à perfeverer
dans l'obeiflance, à reprimer i'infolence ôc la méchanceté des
I J 6 o. 5e£^aires , qui fe vantoient d'être prêts à faire éclater , à l'inftiga-
tiondes Françoisja rébellion qu'ils tramoient depuis long-tems;
ôc à empêcher, autant qu'ils pourroient les prêches , parce que
ceux qui follicitoient le peuple à cesaffemblées , ou qui y con-
nivoient^ violoient honteuiement le traité , ôc agifToient con-
tre les termes même de la requête.
Les Confédérez répondirent par écrit : Qu'ils remercioient
fon AltciTe des ordres qu'elle avoir eu la bonté d'envoyer aux
Gouverneurs j mais qu'ils n'avoient pas été obfervez comme il
falloir: Qu'on n'y avoitprefque point eu d'égard à Tournay , à
rifle , à Mons en Hainault , à Aire , à Ath , 6c à Bruxelles , plu-
lîeurs y ayant été emprifonnez pour caufe de Religion : Qu'ils
avoient fait tous leurs efforts pour empêcher les prêches & les
autres alfembiées 5 mais qu'ils n'avoient pii rien obtenir du peu-
ple, dont les foupçons étoient confidérablement augmentez,
parce que la réponfe, que la Gouvernante avoit promife avant
deux mois, n'étoit point encore arrivée d'Efpagne , ôc qu'on
ne parloir plus de l'affemblée des Etats généraux , qu'on leur
avoit fait efperer : Que quant à ce qu'on difoit, que les François
avoient part à ces troubles , les Confédérez pouvoient affû-
rer qu'ils n'en avoient aucune connoiffance , & qu'ils étoient
prêts , s'il écoit néceffaire , de monter à cheval, Ôc de s'oppofer
de toutes leurs forces aux entreprifes des étrangers j mais que
dans la fituation prefente des affaires il ne leur fembloit pas
qu'il fut à propos d'attaquer les fujets du Roi de France : Que
puifqu'on cherchoit aies calomnier, comme s'ils avoient porté
le peuple à faire des affemblées , ils ne refufoient pas de fe jus-
tifier de cette calomnie , ôc du crime de rébellion qu'on leuc
imputoit faulTement : Que quoiqu'ils euffent pour la plupart
embralTé la do£lrine Proteftante , la diverfité de Religion ne
les empêcheroit jamais d'avoir pour le Roi la fidélité ôc l'obéïf^
fance qu'on lui devoit : Qu'ils ne fe défioient point de la clé-
mence de fa Majefté y mais que leur confcience ne leur re-
prochant aucun crime , ils ne croyoient pas avoir befoin de
cet oubli du paflé, que la Gouvernante leur faifoit efperer >
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 223'
qu'ei\ un mot ils n avoient rien fait qui eût befoin de pardon
Gu de grâce.
Les Confcdérez ajoutèrent à ces réponfes des plaintes , de
ce qu'on fe dcchaînoit contr'eux dans les converfations , com-
me contre des gens atteints ôc convaincus du crime de leze
majeftéjqueles Chevaliers de la Toifon d'or, les Grands ,Ôc au-
tres évitoient leur compagnie. Ils parloienr du bruit qu'on avoir
répandu, que le Roi viendroit au premier jour , & qu'il les feroit
punir , qu'il avoit déjà demandé le paffage par la France , que
le duc de Savoye lui avoit pour cela offert fes bons offices ^
Ôc que le Clergé devoir donner au Roi beaucoup d'argent , pour
les frais de la guerre. Ils avoùoient, quepuifqu'on ne vouloit
pas pourvoir à leur fureté , ils avoient eu la précaution , pour
leur propre défenfe , de fe faire des amis en Allemagne , dont
ils employeroient les fecours , s'ils en avoient befoin 5 mais
qu'ils n'avoient abfolument fait aucune démarche du côté des
François , ôc n'avoient pris avec eux aucunes mefures. Enfin ils
demandoient que la Gouvernante leur donnât toutes les fure-
tez neceffaires : déclarant néanmoins qu'ils feroient contens , Ci
Son Alteffe faifoit entrer dans fes Confeils le prince d'Oran-
ge , le comte d'Egmond ôc le comte de Horne , trois'Seigneurs
fi diftinguez par leur mérite ôc leur fidélité ; ôc fi elle vouloit
bien ne rien ordonner dans cette grande affaire :, fans les avoir
appeliez.
Ils lui préfentérent fur cela une requête drellée depuis peu
à S. TronS dans le payis des anciens Centrons S par laquelle
ils promettoient de mettre bas les armes , ôc d'obéïr à toutes
les délibérations des Etats généraux de la Flandre ; mais à con-
dition que la Gouvernante obligeroit la Nobleffe à pourvoir à
leur fureté , en cas que des efprits brouillons fifTent quelqu'en-
treprife contr'eux. Ils demandoient outre cela , qu'elle établît'
dans chaque Province quelques perfonnes du nombre des Con-
fédérez, pour examiner ce qui fe feroit dans cette affaire, ôc
veiller à leurs intérêts. Ils finiifoient , en avertiffant la ducheffe
de Parme , que fi on n'appaifoit de bonne heure les troubles
déjà excitez , il pourroit bien arriver que les François , ennemis
ï S. Tron , ville 8c Abbaye du payis j Commentaires , qui habitoicnt ce can-
de Liège. i ton du payis de Liège.
^Peuples dont parle Cefar dans fes J
>i24 HISTOIRE
^^^^^^^^^^^^^^^^^^ perpétuels des Flamans , profireroientde ces diflentlons intefti-«
~ nés, pour entrer dans les Payis-bas.
^T^v ^ ^ Cette réponfe des Confcdérez nuifit beaucoup aux comtes
de Home & d'Egmondjcar en déclarant qu'ils fe fioient àLur
■^ ^ ^* équité, ils rendirent leur fidélité fufpecle au roi dEfpagne, 6c
à fes créatures : auiîi les plus fages ont jugé que c'eft ce qui
hâta leur perte. Ce qu'ils avoient ajouté dans leur dernier mé-
moire, touchant le roi de France, caufa de la crainte ôc de l'in-
quiétude à la Gouvernante : de forte qu'elle chercha les moyens
de donner quelque fatisfadion aux Confédérez , en attendant
Licence & qu'elle eiàt reçu du Roi une réponfe plus claire. Mais fur cqs
profanauoii entrefaites elle reçût des nouvelles de tous \qs cotez , que \qs
tans. " peuples en furie avoient pillé les Temples , renverfé les Au-
tels , & brifé les Images. Car après que le comte d'Egmond,
gouverneur de la Flandre, fût forti de cette Province, & que
la ducheffe de Parme l'eût fait venir à Bruxelles , le peuple com-
mença à faire grand bruit ; ôc, comme il arrive ordinairement,
les fcelerats & les débauchez, avec les filles de mauvaife vie ,
fe mirent de la partie. Le défordre commença aux environs
d'Ypres dans le mois d'Août; & il s'étendit avec tant de rapidité
& de confufion dans les autres villes ôc bourgs, que les Egli-
£es & les Chapelles fe trouvèrent pillées , les Autels renveriez,
& les Images brifées , fans qu'on pût fçavoir par qui le mal avoit
commencé.
On fit la même cliofe à Bailleul en Hainaut : comme le mal
gagnoit, 6c fe répandoit de toutes parts, quelques-uns voulu-
rent en faire autant à Bruges ; mais le Penfionnaire Dogme fit
fermer les portes , ôc les empêcha. Dans la Gueldre , dont le
comte de Megen étoit Gouverneur > la veille mêmedel'Af-
fomption de la Sainte Vierge , les Principaux de Nimégue, of-
fenfez de la hardieffe d'un certain Louis, Moine défroqué, qui
avoit embraffé la Dodrine de Calvin , & qui avoit fait quel-
ques Prêches dans la ville au cimetière des Juifs , s'aflemblerent
au Couvent de S. Jean , pour délibérer s'ils le chafl'eroienr de
la ville j mais le plus grand nombre s'y étant oppofé, onfe fépa^
ra fans rien faire.
La guerre déclarée aux Images n'éclata nulle part avec tant
de fureur qu'à Anvers. Le lendemain que le prince d'Orange
fut parti pour Bruxelles, où la Gouvernante l'avoit rappelle , il
y
DE J. A. DE THOU, Lîv. XL. 22; !
y eut une Procefîion dans laquelle on porta une grande Ima- .«.«,..,,«^
ge de la Sainte Vierge , avec beaucoup de pompe & de fo- ^
lemnité : l'Image fut enfuite remife dans fa Chapelle; 6c il n'y J"^ \
avoit plus alors , à ce qu'il fembloit , rien à craindre de la fu- *
reur des ennemis des Images. Mais quelques jeunes gens, qui ^ ^ *
jouoient à l'entrée de FEglife , commencèrent à faire des rail- i
leries fur cette cérémonie ; ôc l'un d'entr'eux dit, qu'il étoit fur- !
pris que cette idole fiit fi-tot rentrée dans fa niche , comme li
elle avoit eu peur. En même tems de l'autre côté del'Eglife, |
qui eft très-grande , d'autres jeunes faineans commencèrent à !
contrefaire les Prédicateurs , ôc à s'en mocquer. Il y en eut un ■
plus âgé que les autres, qui monta dans la chaire , ôc fit un fer- ■
mon ridicule à fes compagnons; ceux-ci lui jettoientde petites !
pierres ôc de la poufFiere , ôc lui de fon côté repouffoit les affail- j
lansavec de longs bâtons : enfin comme ce jeu impie s'échauf- ^
foitjun Marinier , fcandalifé ôc indigné de leur infolence , vint
de l'autre côté de la chaire, ôc en fit fortir de force celui qui y ]
étoit. En même tems les autres attaquèrent vivement le Mari- i
nier , qui eut bien de la peine à fe fauver , après avoir été blefle
à la cuilfe.
On le mena au Magiftrat , à qui il raconta tout ce qui s' étoit 1
paiïé. La garde accourut aufli-tôt à l'Eglife , en fît fortir le peu- ^
pie , ôc ferma les portes le jour d'après , qui étoit le 20 d'Août. \
Quelques autres jeunes libertins , ayant mené avec eux des • :
enfans à l'Eglife , à l'heure de Vêpres , leur firent dire bien des
chofes injurieufes contre l'Image de la SainteVierge. Une vieille ',
femme , qui vendoit des bougies à la porte de l'Eglife , offenfée \
de ces difcours , leur jetta d'abord des ordures , ôc enfuite les
maltraita , ce qui caufa du trouble. Jean d'Immerfelle Marcgra-
ve y accourut aufii-tôt avec des archers, pour l'appaifer, ôc fit ;
fermer les portes de l'Eglife , à la refcrve d'une. Mais la crainte
qu il eut pour lui-même, l'ayant fait retirer , le peuple qui avoit ,
commencé le jour précédent à fe battre par jeu , commença ce \
jour-là à fe battre très-ferie-ufement. Ainfi s'excitant les uns les i
autres , des que les enfans eurent crié, Privent les Gueux , com- [
me fi ces paroles eufient été le fignal du combat , ils en vin-
rent aux voies de fait , ôc continuèrent leurs violences avec 1
tant de fureur, qu'avant minuit toutes les Sacrifties furent en-
foncées ôc pillées, les Autels renverfez, les Images brifécs ou
Tome y. , F f
126 HISTOIRE
!■■. emportées , & les portes de la grande Eglife rompues. Enfuite
Charle ^^^ Icelerats ayant grofÏÏ la troupe, on courut aux autres Egli-
ly^ fes, & on pilla avec la même fureur des CoDvents d hommes
1X66. ^^^ femmes , où ils portèrent des flambeaux allumez , afin que
rien ne pût fe dérober à leurs yeux. Tout fut fait avant le lever
du foleil j ôc malgré la confufion inféparable de la multitude ,
il y eut tant d'ordre & de concert entr'eux , qu'il n'y eut pas la
moindre difpute pour le partage du butin ; & ce qu'on aura
peine à croire , il n'y eut perfonne de blefTé par les pierres fans
nombre, qui tombèrent pendant qu'on renverfoit les Autels,
ôc qu'on brifoit les Images.
Cependant les Magiftrats & les bourgeois , ceux même qui
étoient attachez aux Proteftans , mais qui n'approuvoient pas
que cela eût été fait par une fédition , & delà propre autorité
des particuliers , furent effrayés , ôc mirent des gardes dans les
rues : ôc comme ils n'avoient pu arrêter la fureur du peuple i ôc
qu'ils voyoient les Eglifes ruinées 3 ils craignoient avec raifon
que cette canaille , animée par l'appas du butin , ne paffât du
- pillage des Eghfes à celui des maifons particulières. Pour pré-
venir ce danger, ils firent fermer toutes les portes de la ville,
ôc ils n'en laifferent qu'une ouverte. Les nouveaux Iconoclaftes
étant fortis le matin par cette porte , allèrent d'abord au Mo-
naftere de S. Bernard , à un mille ôc demi de la ville , ôc ils le
pillèrent auffi bien que toutes les Eglifes ôc Chapelles voifineSa
dont ils abattirent les Autels ôc les Images. C'eft ce qui fit de-
puis reprocher aux bourgeois d'Anvers , qu'ils avoient préfé-
ré leur fureté ôc leurs intérêts particuliers à ce que les Eglifes
avoient de plus faint. Ce jour-là ôc les deuxfuivans, on con-
tinua dans la ville le pillage des Eglifes^ fans que perfonne ofâr
s'y oppofer. Enfin comme l'on tâchoit avec des cordes d'en-
traîner ôc de faire tomber le grand Crucifix , qui étoit bien do-
ré, il tomba fur les armes d'un Chevalier de la Toifon d'or^
qu'on avoir placées depuis peu fur les fiéges du Choeur , ôc les
■ brifa. Les Magiftrats ôc la plupart des habitans , fâchez de ces
excès , prirent les armes ; ôc leur patience s'étant changée
en une jufte indignation , ils chargèrent ôc repoufferent la po-
pulace ^ qui exerçoit ces violences. On en prit quelques-uns ,
dont une partie furent pendus pour l'exemple, ôc les autrçs ban-^
iiis ou condamnez à d autres peines..
D E J. A. D E T H O U, L I V. XL. 227
On tâcha enfuite d'empêcher les Prêches , qu'on n'avoit per- m.— ■■.■■■■^■.■«
mis , que pour prévenir de plus grands troubles. On ordonna fur r h a r l E
peine de la vie , de cefler la profanation des Images , de repré- t y
fenter tout ce qui a voit été pris ôc enlevé , ôc de le rapporter /^
dans vingt-quatre heures aux Echevins , Ôc aux Quarteniers de la
ville : l'Ordonnance fut fignifiée auxProteftanspar JacqueWe-
fembeck. On rendit bien des chofes, qui furent portées à la mai-
fon de Ville. Les corps des métiers, ôc les autres bourgeois >
firent en cette occafion tous leurs efforts , pour retirer par ca-
refles des mains de la populace ^ ôc fauver les excellens tableaux '
qu'ils avoient enlevez. Les Proteftans , qui voyoient bien que
cette fédition les rendroit odieux , allèrent d'abord trouver le
Bourgmeftre Jacque Heiden 5 puis ils publièrent le 25 d'Août
im écrit, pour fe juftifier, dans lequel ils déclaroient que c'étoit
à leur infçù , Ôc malgré eux, qu^on avoir fait la guerre aux Lia-
ges 5 que quoi qu'ils en euffent toujours fouhaité l'abolition ,
parce qu'il étoit de la gloire de Dieu d'abolir de pareils abus , ôc
de ne pas fouffrir de femblables fuperftitions , ils défaprouvoient
néanmoins ce qui avoir été fait fans la participation Ôc l'auto-
rité du Magiftrat 5 qu'ils déteftoient le vol , le pillage, ôc toutes
fortes de violences 5 ôc qu'ils feroient ordonner aux gens de leur
Religion par leurs Payeurs , de rendre tout ce qu'ils avoient
pris , ôc de le remettre entre les mains des Magiftrats j que c'é-
toit Dieu lui même , qui avoit établi le Magiftrat , qu'ils fça-
voient bien que , fuivant le commandement de Dieu , il falloit
lui obéïr, ôc payer le tribut; ôc qu'ils étoient prêts , fi on le leur
ordonnoit, derenouveller leur ferment de fidélité ôc d'obéiÏÏan-
ce. Enfuite ils demandoient un lieu pour s'affembler, ôc ils
prioient qu'on les excufât , fi en attendant ils fe fervoient de
quelques Eglifes , pour y tenir leurs alTemblées. Enfin ils fup-
plioient qu'on defîendît par une Ordonnance , de fe maltrai-
ter les uns les autres, par paroles ou par adions , pour caufede
Religion. Le Magiftrat leur accorda , pour mettre les Eglifes
à couvert , la permiftion de faire leurs affemblées dans la Ville-
neuve. Il permit aufTi à un Miniftre du fauxbourg du Kiel , qui
profeffoit la ConfefTion d'Ausbourg , de prêcher dans l'égli-
fe de S. George.
Cependant le Magiftrat ne ceftbit d'écrire au prince d'O-
range, pour le prier de venir à Anvers j mais foit qu'il aimât
Ffi;
22g HISTOIRE
_ - mieux que tout cela fe fît en fon abfence i folt qu'il eût deiïeirf
P « A D T p de réduire les bourg^eois par la necelTité de leurs affaires , il ne
V^ H A RLE . p r. . v, , , i •
I X voulut y venir , qu a condition qu ils s abandonneroient entie-
i r < ^ rement à lui, ôc qu'ils le rendroient maître abfolu de leurs per-
fonnes , de leurs biens , ôc du gouvernement de la ville h ce qu'ils
avoient jufqu'alors conftamment rcfufc. On fit donc afTembler
le Confeil de la ville à ce fujet i ôc il fut réfolu que les bourgeois
rendroient obéïffance au prince d'Orange , ôc qu'il gouverne-
roit la ville avec un plein pouvoir , fous Marguerite ducheflfe de
Parme j qu'il difpoferoit des gardes ôc des gamifons 3 qu'il fe-
roit des loix telles qu'il le jugeroit à propos pour le bien com-
mun , ôc pour la tranquilité publique j pourvu que par là il ne
donnât aucune atteinte aux privilèges ôc aux anciennes coutu-
mes de la ville. A ces conditions le prince d'Orange retourna
à Anvers le 26 d'Août. Les troubles étoient appaifez, ôc la paix
regnoit alors dans la ville : mais l'exemple avoir palfé jufqu'aux
autres villes ôc bourgs.
Des hommes turbulens Ôc féditieux avoient eu la liardieffe
d'entreprendre à Malines ce qui avoir été fait à Anvers i mais le
Magiftrat les arrêta. A Lire , le Magiftrat ne pouvant refifter à la
multitude , promit de faire ôter des Eglifes les Images^ ôc tout ce
qui pouvoir être un fujet de fcandale. 11 exécuta fidèlement ce
qu'il avoir promis 5 ôcil fit enlever des Eglifes tout ce qui pou-
voit exciter au pillage les chefs des nouveaux Iconoclaftes. La
populace fit librement tout ce qu'elle voulut à Breda, à Berg-op-
Zom y ôc à Bofleduc en Brabant 5 à G and, à Ypres y à Tenermon-
de y à Aloft, à Oudenarde , à Tournay , ôc à Valenciennes en
Flandre. On fit la même chofe à Mae^richt, à Dordrecht , à
Amfterdam , à Delft , à la Haye , à Harlem 3 à la Brille, ôc à Ley-
den : dans les Ifles de la Zelande, à Camp-veer , ôc à Fleiïingue :
dans laFrife , à Groningue , à Leuvardin , ôc en plufieurs autres
lieux de la Province j à Campen , à S^cot, ôc à Deventer , villes
du payis d'Over-Iffel j à Arnheim 3 à Venlo , à Harder^ich, à
Ruremonde, ôc à Nimégue , dans la Gueldre. A Middeibourg ,
la populace ayant été long-tems arrêtée par le Confeil , ôc par
la compagnie des Archers 3 fut enfin la plus forte j ôc ne fe con-
tentant pas d'avoir renverfé les Autels , ôc brifé les Images , elle
contraignit le Magiftrat ôc l'Evêqne , à lui remettre entre les
mains ceux qu'on avoit emprifonnez pour oaufe de Religion.
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 22^
Vingt-deux furent élargis j ôc afin que le mal ne paffâtpas plus ^ ■■■■■■
avant , le Magiftrat permit aux nouveaux Miniftres de tenir leurs C h a R l E
Prêches dans les Eglifes. j -v^
Comme ces ennemis des Images faifoient des courfes dans 1 <- k <■
les Payis-bas , la Gouvernante commença à craindre non-feu-
lement pour l'Etat , mais pour fa propre perfonne. D'abord elle
forma le deffein de quitter Bruxelles , ôc de fc retirer à Mons
en Hainaut , oi^i elle devoit fe faire conduire par les gouver-
neurs des Provinces avec une bonne efcorte. Mais le préfident
yiglius de Swichem lui ayant donné avis , que les habitans
avoient refolu de fermer les portes de la ville , 6c de l'empê-
cher d'en fortir , elle changea de fentiment , ôc elle confia la
garde de Bruxelles à Pierre Erneft ccmte de Mansfcld. Ce
Seigneur convoqua le Confeil de la ville dans le Palais j où fe
trouvèrent le prince d'Orange , avant qu'il retournât à Anvers ,
ôc les comtes d'Egmond ôc d'Hoochftrate. Ils dirent à ralTem-
blée,que la duchefie de Parme avoit refolu de demeurer dans
la ville fur leur parole ; mais à condition qu'ils donneroient de
fi bons ordres, qu'on n'y tiendroit point de Prêches, ôc qu'on
ne toucheroit point aux Eglifes. Ils ajoutèrent , que la Gouver-
nante les prioit ôc leur ordonnoit d'obéir en tout au comte de
Mansfeld ', ce que les habitans promirent de faire , ôc ils s'y en-
gagèrent par ferment. La DucheiTe fe trouva par-là délivrée
d'une grande peur j mais peu de tems après elle en eut une bien
plus grande, caufée par un avis qu'on lui donna fecretement, que
les fadieux avoient refolu de brifer la nuit fuivante les Images ^
de tuer Jean de Ligne prince de Barbançon, comte d'Arem-
berg , avec le comte de Barlaymont, ôc de l'enlever elle-même;
Ce fut une terreur panique, adroitement répandue par les amis
des Proteftans , afin d'obliger la duchelfe de Parme à traiter avec
eux , ôc à leur accorder des conditions avantageules. Ils ne fui-
rent pas trompez dans leur ^efnerance 5 car la Gouvernante ap-
préhendant une révolte générale , crut qu'il falloit s'accommo-
der au tems 5 ôc de l'avis des Grands ôc de fon Confeil , elle
confentit qu'on tînt des Prêches , dans les mêmes lieux où I'oîî
en avoit tenu jufqu à ce jour , qui étoit le 23 d'Août. Mais elle
ne le permit, qu'à condition qu!on mettroit les armes bas 5 ôc
que cela n'auroit lieu que jufqu'à ce que le îloi en eût autre-
ment ordonné j de l'avis des Etats. Ceft ce qu'elle confirma
Ffiij
230 HISTOIRE
,1 par un écrit figné de fa main , qu'elle donna aux Confédérez
/^ o ^ t> T 17 qui traitoient de la paix.
TV Le prince d Orange , les comtes d hgmond , de Horne , de
1^66 Montmorenci d'Achicourt, ôc d'AfTonville, avoient eu ordre
Traité entre de traiter avec les Confédérezj ôc les Confédérez de leur coté
laGouvcrnan- avoicnt nommé pour traiter avec eux , Louis de NafTaw , Euf-
fédérée. °"' tache de Fiennes , George de Montigni de Noyelles, de Môn-
tigni de Villers , ôc plulieurs autres. Enfin après plufieurs con-
férences, on étoit convenu que la duchefle de Parme feroit une
cfpéce de traité avec les Confédérez, par un écrit figné de fa
main , qu'elle feroit publier. Il fut en effet publié le 23 d'Août.
Par cet écrit 3 la Gouvernante déclaroit que jufqu'à ce qu'elle
eût reçu du Roi une réponfe plus certaine , elle confentoit
que i'Inquifition , dont on s'étoit plaint , ceflat , ôc qu'on fît
une nouvelle Ordonnance : mais que le Roi n'avoit pas encore
déterminé fi cette grâce feroit pour tous les Etats de la Flan-
dre. Puis , afin d'ôter tout lieu de foupçon Ôc de défiance à
ceux qui craignoient que l'affaire n'eût été rapportée au Roi de
mauvaifc foi , la Gouvernante promettoit au nom de S. M. l'ou-
bli de tout le pafifé ^ ôc proteftoit qu'elle étoit prête de leur en
donner des affurances publiques ôc autentiques , en telle for-
me qu'ils voudroient, pourvu que de leur côté ils s'engageafiTent
par ferment à ne rien entreprendre à l'avenir , ou par eux-mê-
mes 3 ou par d'autres , contre l'autorité du Roi , ôc contre la
tranquilité publique j mais au contraire à faire tous leurs efforts
pour ramener chacun à fon devoir i pour appaifer les troubles
ôc les féditions 5 pour réprimer les fadieux j pour empêcher le
pillage ôc la profanation des Eglifes , des Couvents , ôc des lieux
Saints 5 ôc pour faire punir , fuivant toute la rigueur des loix ,
ceux qui avoient confeillé ou commis ces facrileges , ces vio-
lences y ÔC ces crimes déteftables. On éxigeoit encore des Con-
fédérez , dans cet écrit de la Duchefle , qu'ils prilfent garde
qu'on ne fit aucune injure ôc aucune violence au Clergé , aux
Miniftres de la Juftice , à la Nobleflfe , ni à aucun des fujets
de Sa Majefté Catholique î qu'on ne tînt des Affemblées dans
les lieux où il n'y en avoit point encore eu î ôc qu'on ne vînt
en armes à celles qu'il étoit permis de tenir 5 qu'ils filfent
chaflfer des Payis-bas tous les étrangers, qui avoient pris part à ces
troubles 5 enfin qu'ils employafifent tout le crédit ôc le pouvoir
DE J. A. DE THOU.Liv. XL. 231
qu'iFs avoient fur le peuple , pour l'engager à mettre bas les __
armes, ôc à promettre une foûmiiTion entière, ôc une parfaite Cî-TarTe
obéïflance aux délibérations & aux ordonnances , qui fe fcroient y y
par le Roi ôc par les Etats généraux de Flandre , touchant la 1 ^ <]<
Religion & la Police , pour établir, conferver ôc maintenir la
tranquilité publique.
On drerfa deux jours après un a6i:e d'aflTurance ôc de garan- suites de
tic , par lequel la Gouvernante donnoit fa parole , ôc promet- ce Traité,
toit avec ferment , que le Roi ôc elle n'imputeroient jamais à
la Noblelfe confédérée, ni leur réquête, ni leur confédération^
ni rien de tout ce qu'ils avoient pu faire ou dire jufqu'à ce jour,,
déclarant que telle étoit fa volonté ôc celle du Roi i ôc ordon-
nant aux Gouverneurs , aux Chevaliers de la Toifon d'or , au
Préfident du Confeil d'Etat, au Confeil Privé, ôc àtous les Chefs
de Juftice^ de tenir la main à l'exécution de la parole ôc des af-
furances données aux Confédérezj ôc de les faire jouir de toute
la fureté qui leur étoit promife , fans y apporter, ou fouifrir qu'on
y apportât aucun obftacle. Le même jour les Confédérez ayant
reçu récrit de la Gouvernante j s'obligèrent encore par écrit
d'obferver de bonne foi les conditions qu'elle leur avoir pref-
erites. Enfuite la Duchelfe écrivit à toutes les Provinces , Ôc h^
tous les Juges , pour leur notifier que le Roi vouloir ôc entcn-
doit : Que l'ancienne ôc véritable Religion Catholique fût main-
tenue : Que les Gouverneurs ôc Magiftrats prifTent garde que-
l'Etat ne reçut aucun préjudice , en attendant que le Roi vint
lui-même , ôc ordonnât en perfonne de toutes chofes : Que ce-
pendant on appaifât les troubles , ôc qu'on réprimât les fédi-
tieux. En même tems on permit par tout de tenir des Prêches ,
dans les lieux ou l'on en tenoiî publiquement îe 25* d'Août, ôc
auparavant. L'on pourvut aulTi d'un com.mun confentement à la
fureté de tous en général , ôc de chacun en particulier, quoi que'
de Religion différente ; mais on ajouta cette claufe : Jufqu'à ce.
qu'il en eût été autrement ordonné par le Roi, par fon Confeil ^
ou par les Etats généraux de la Flandre.
Les affaires de la Religion paroiffant accommodées dans les-
Payis-ba3,le3 Proteftans, qui ne craignoient rien de la part des
Catholiques , commencèrent aulfi-rot à s'y faire la guerre les
uns autres. Ceux de la Confeffiond'Ausbourg avoient fait venir
Z'
1 "^ "?
HISTOIRE
mmammm^mk Mathias Fkcius IllyricLis', auteur des Centuries Eccléfiafli-
Charle quesj Dominique Spangenberg , Jean Vorftius , Louis Hamel-
JX, man ^ & d'autres. Il en étoit aufli venu plufieurs , qu'on avoit
1^66. niandez de Genève ôc d'Angleterre , qui fuivoient la ConfefTion
de foi de Suiffc. Après quelques difputes, ceux de la ConfefTion
de Suiffe l'emportèrent fur ceux de la ConfefTion d'Ausbourg,
parle crédit & l'entremife de Marc Ferez, Commiiîionnaire Ef-
pagnol , très riche , qui les favorifoit. Cependant le prince d'O-
range permit l'exercice de Tune ôc de l'autre Religion dans la vil-
le d'Anvers. Les nobles Confcdérez ayant obtenu ce qu'ils de-
niandoient, partirent de Bruxelles ^ôc s'en allèrent chez eux:
la Gouvernante congédia aufTi les Gouverneurs , qui s'en re-
tournèrent chacun dans leur Province , pour y exécuter fes oi?-
dres.
Le comte d'Egmond fe rendit dans la province de Flan-
dre , qu'il gouverna avec beaucoup de fagelTe & d'équité ; il y
permit les Prêches, comme il étoit porté dans l'Edit de la du-
chefTe de Parme : mais il diminua peu à peu le nombre des lieux
Gii Ton en tenoit , ôc il lit punir promptemcnt les Iconoclaftes»
Les Confédérez ne le trouvèrent pas mauvais > parce qu'ils
vouloient fe décharger de la haine ôc du blâme , que ces vio-
lences leur avoient attiré. Jean Cafembroot, un des Confédé-
rez , ayant rencontré quelques-uns de ces fa£lieux en fon che-
min , auprès de Grammont en Flandre , les défit , ôc il en prit
trente , dont il en fit pendre vingt fur le champ. Le comte d'A-
remberg alla dans rOver-IffeL dont il étoit Gouverneur. Il y
trouva de grands troubles, ôc tout en défordre ôc en confufion ,
au fujct de la Religion 5 mais il s'y conduifit avec tant de fa-
geffe , qu'en très peu de tems il rendit cette Province la plus
tranquille des Payis-bas , quoique le voifmage d'Allemagne
la rendît ordinairement la Province la plus agitée Ôc la plus fu-
jette aux troubles.
Le prince d'Orange revenu à Anvers, aux conditions que
nous avons rapportées, enjoignit aux Proteftans dechoifir qua-
tre hommes de chaque langue , avec lefquels il pût conférer.
I Mathias Trancowits ou Franco wirs,
rf'lllyrie eu Efclavonie , un des auteurs
ds rhiftoire Eccléliaftique faite pat les
Proteflans, connue fous le nom de Cen-
turi s de Magdcbourg. Il en a e'te' parlé
dans les livres precedens.
On
DE J. A. DE THOU. Liv. XL; 25^
On choifit , pour les Allemands , Marc Perez^ quoi qu'il fût Ef-
pagnol 5 Charle de Bombergues , Herman de Meére , ôc Cor- /^ g
neille de Bombergues : pour les Flamans, François ou Walons ', jy-
François Godin , Nicolas du Vivier , Jean du Carlier , Ôc Nico- , ^ 5 '<^
las Selin: pour ceux de la ConfefiTion d'Ausbourg , Gille de
Grève , Henri de Broecke , Giile de Branderien , ôc Thomas
de Gheere. Le prince d'Orange convint avec eux , qu'il leur
feroit permis de tenir des Prêches en certains lieux , mais fans
port d'armes ; ôc pour les maintenir dans la liberté qu'on leur
avoir accordée fur tout le refte , il leur permit, parce que l'hy-
ver approchoit , de bâtir des Temples , ou d'autres lieux pro-
pres pour y tenir leurs AfTemblées. On en éleva d'abord deux
magnifiques , avec une diligence incroyable; chacun y contri-
buant de fon argent ou de fon travail, avec une ardeur extraor-
dinaire ; l'un des deux , qui ctoit rond , échut aux Flamans Fran*
cois ou Walons : mais toutes ces permiflTions ne dévoient avoir
lieu , que jufqu'à ce qu'il en fût autrement ordonné parle Roi
ôc par les Etats généraux de la Flandre.
D'Anvers le prince d'Orange alla en Hollande j en Zelandc
ôc en Frife, dont il avoit le gouvernement. Il trouva quelques
troubles dans ces Provinces , caufez par les troupes qu'Eric de
Brunfwic , d'ailleurs fufpe£l aux Proteftans , y levoit.
Lorfque le Prince partit d'Anvers, on mit en fa place Philip-
pe deLallain comte d'Hoocftrate , gouverneur de Malines. Se-
condé par les bourgeois , qui lui donnèrent des fecours , non-
feulement il repoulTa les feditieux, qui vouloient abattre les Ima-
ges , qu'on avoit remifes dans la grande Eglife depuis le pre-
mier pillage ,mais il arrêta les principaux auteurs des troubles ;
ôc pour infpirer de la crainte aux autres , il en fit pendre fix le
1 8 d'Odobre. Il fit auffi punir du dernier fupplice à Aloft un
miniftre , qui tenoit un Prêche dans un lieu où il n'étoit pas per-
mis d'en tenir. Les Proteftans voyant que tant de profanations
ôc de pillages d'Eglifes , ôc tant de féditions , dont on étoit con-
traint de punir les auteurs , les rendoient odieux , publièrent un
écrit , qu'ils préfenterent au comte d'Hoocftrate le 27 d'Oc-
tobre , où , après avoir tâché de rejetter toute la faute fur le
Bourgmeftre , ôc fur les Echevins, ils s'excufoient fur le paffé ,
T L'auteur appelle les Wallons Galli,
France. Il ruitre'timologiedeleur nom.
9uoi qu'ils ncfufTent pas alors fournis à la U les appelle aufli quelquefois GaUpnes.
Tome f^, G g
234: HISTOIRE
ôc particulièrement fur ce qu'ils avoient été en armes à leurs aî^
C H A R L E ^^^'^^^^^^' " Nous ne l'avons pas fait , difoient-ils , pour atta-
IX " cjuer , mais pour nous défendre : l'exemple du maflacre de
i <^ 66 " VaflTi , arrivé depuis peu en France j nous a effrayez j étant dans
» la même fituation , nous avons appréhendé le même fort 5 ôc
« on ne doit pas être furprisque nous ayons porté des armes,
3' pour repouffer la force par la force. « Enfuite ils faifoient
voir par un long difcours , que la Religion s'infinue dans l'ef-
prit ôc dans le cœur, par un don particulier de Dieu , ôc non pat
des commandemens humains. Ils fupplioient le Comte de vou-
loir bien fuivre le fage confeil de Gamaliel , de peur qu'une
trop grande violence , & une exceiTive févérité dans le Alagif-
trat , ne portât les peuples à embrafler les opinions impies des
libertins , ôc de ceux qui ont de mauvais fentimens fur la Divi-
nité. Ce qui pourroit bien arriver , Ci on défendoit le culte qu'ils
avoient embrailé, ôc qu'ils jugeoient le meilleur , ôc qu'on leur
impofàt la neceffité de faire profelTion de celui dont ils avoient
horreur. Ils déclaroient, qu'ils admettoient tous les ardcles fon-
damentaux^ renfermez dans le Symbole, ôc dans les quatre Con-
ciles œcuméniques 5 ôc qu'ils ne refufoient pas defe foùmettre
fmcérement à la Confelîion de foi reçue en Allemagne , en
France ôc en Angleterre. Ils demandoient inftamment qu'on
leur accordât la même liberté, proteftant du refte qu'ils étoient
prêts de renouveller leur ferment de fidélité, Ôc de s'engager de
nouveau a payer éxadement les impôts ôc les tributs. Ils of-
froient pour obtenir cette grâce 300000 florins, qu'ils payeroient
à certains termes , pour aider Sa Majeflé Catholique à retirer
fes domaines dans les Payis-bas , qui avoient été engagez.
Ils remontroient qu'une pareille conduite ne manquoit pas
d'exemples , que les Empereurs chrétiens avoient autrefois ac-
cordé la même grâce aux Ariens ôc aux Novatiens j que le Pa-
pe lui-même foufre , ôc nourrit prefque dans fonfein les Juifs,
ennemis déclarez du nom Chrétien 5 que l'Empereur Charle
d'heureufe mémoire , père du Roi , avoir accordé la même cho-
fe aux Allemands 5 qu'enfin les François leurs voifins jbûifToient
de la même liberté par la bonté de leur Roi ; qu'il n'y avoir pas
lieu de craindre , qu'ils fifient quelques entreprifes contre l'auto-
rité Royale dans des affemblces de Religion , où il ne fe tra-
moit point d'intrigues fecretes, où tout fe faifoit publiquement ,
D E J. A. D E T H O U , L I V. XL, i^^
Se où les Magiftrats ^ ôc tous ceux qui le fouhaiteroient, pour- »^
roient aiïifter. ^ . ^ Charle
Le comte d'Hoocftrate envoya ce mémoire à la Gouvernan- j x.
tej-ôc lui manda qu'il auguroit très mal des affaires desPayis- i ^ c 6,
bas , fi le Roi touché des prières de Son Altefle> ne moderoit
pas la rigueur de fes Ordonnances , ôc ne donnoit pas quelque
latisfadion à fes peuples.
Sur ces entrefaites , la DuchefTe avoir reçu quantité de let-
tres d'Efpagne , qui lui apprenoient que le Roi étoit fort irrité
des troubles qui s'étoient élevez , de la profanation ôc du pilla-
ge des Eglifes 5 qu'il ne vouloir point d'autre Religion dans
les Payis-bas , que la Catholique Romaine > qu'il avoir deffein
d'extirper toutes les femences de rébellion , que les Se6laires
avoientjcttées j qu'il avoitrefolu pour cela d'employer une puif-
fante armée , ôc de tourner de ce côté-là toutes Tes forces , parce
que l'exemple des Payis-bas pourroit entraîner les autres Pro-
vinces de fon obéiflance. Philippe ne laiffoit pas cependant de
flater l'efperance des Grands par des lettres ambiguës j il en
avoir entr'autres écrit quelques-unes de fa main au prince d'O-
range , datées de Segovie , pleines d'affurances de bienveil-
lance ôc d'affedion , ôc qui furent depuis publiées. Ces lettres
furent caufe que la plus grande partie de la Nobleffe fe fepara
peu à peu des Confédérez , ôc aima mieux fe confier à la clé-
mence du Roi j que d'en venir aux dernières extrémitez. La
Gouvernante voyant que cette féparation avoit affoibli le parti
des Confédérez, leva des troupes, fous prétexte de punir ceux
qui abattoient les Images , donna peu à peu atteinte à la Hberté
de tenir les ailemblées , forma des difficukez fur les Heux où \
l'on pouvoir en tenir , fit informer contre quelques Miniftres ,
comme s'ils euflcnt porté les peuples à la fédition , en fit punir
quelques-uns , interpréta en différentes façons les lettres d'aiïii'
rance, qu'on avoit données aux Confédérez , ôc commença en-
fin à dire ouvertement , qu'il y avoit bien des chofes qu'elle n'a-
voit accordées que par force.
D'un autre côté, le prince d'Orange , les comtes d'Egmond,
de Home , d'Hoocflrate , ôc Louis de Naffau , s'affemblerent
le j d'Odobre à Tenermonde i ôc ayant produit les lettres du
baron de Montigni ôc du comte de Bergh , qu'on retenoit en-
core en Efpagne , par lefquelles ils mandoient que le Roi étoit
Ggij
23<^ HISTOIRE
fort irrité des troubles des Payis-bas , ils.confulterent enfem*
ChaPvLE ^^^ furcequ'ily avoit à faire. Le prince d'Orange montra auiTî
IX. ^^^ lettres de François d'Alava ambaffadcur de Philippe auprès
i r ^^ du roi de France , qu'il avoit interceptées 5 par lefquelles le Mi-
niftre avertiflbit la Gouvernante de donner au dehors bien des
marques d'amitié au prince d'Orange, ôc aux comtes d'Egmond
& de Horne , qu'il difoit être les auteurs ôc les promoteurs de
tous les maux de la Frandre. Il alTuroit que le Roi Catholique
en ufoit de la même façon à l'égard de Montigni, de Bergh ôc
de Renard , qui étoient en Efpagne , jufqu'à ce qu'ayant fait
tous les préparatifs néceflaires , il pût faire connoître fes véri-
tables fentimens , ôc prendre fon tems pour les punir.
Après la le£ture de ces lettres , le prince d'Orange , homme
prudent ôc prévoyant , prella les aflbciez de prendre tous en-
femble de juftes mefures pour aller de bonne heure au-devant
du danger : il leur dit qu'il connoifToit parfaitement le génie des
Efpagnols , qui aimoient mieux les révoltes ôc les féditions, que
l'obéilTance , ôc la tranquilité publique ; parce qu'ils en pren-
droient occafion de faire la guerre , ôc d'abandonner les Payis-
bas à la licence ôc au pillage du foldat : qu'ils ne manqueroient
pas de perfuader au Roi de fubjuguer des Provinces , liéres de
leurs privilèges ôc de leurs immunitez , qui ne cefleroient ja-
mais d'être en mouvement , tant qu'on les en laiileroit jouir :
qu'ils avoient donc befoin de fe tenir parfaitement unis , pour
prévenir les maux dont ils étoient menacez. Le comte d'Eg-
mond , qui comptoit trop fur les fervices qu'il avoit rendus à
i'Efpagne , ôc qui fe flattoit mal-à-propos d'être trop bien au-
près du Roi , pour avoir rien à craindre , fut d'un fentiment con-
traire à celui du prince d'Orange. Ainfi on ne put rien con-
clure alorf', ôc l'affaire fut remife à un autre tems.
Cependant la Gouvernante , dont les troupes nouvellement
affemblées avoient relevé le courage , manda aux habitans de Va-
lenciennes de recevoir dans leur ville en garnifon les foldats
de Philippe de Sainte Aldegonde baron de Norkermes , qui
commandoit dans la Province , en l'abfence du marquis de
Bergh. Le prétexte dont on fe fervit pour les y engager , fut
que les Proteftans étoient les plus forts dans cette ville , ôc qu'il
y avoit lieu de craindre que la proximité de la France n'enga-
geât ceux de cette Nation, qui profefToient la même Religion;
T>E J. A. DE THOU, Liv. XL. 257
à s'yglifTer, à s'emparer d'une ville , qui après Mons étoit la
plus confidérablejla plus grande, la plus peuplée, la plus avan- T^T
tageufement fituée , & la mieux fortifiée de tout le Hainaut. t y
Mais comme les habitans alléguèrent leurs privilèges pours'ex- /^
cufer de recevoir aucune garnifon, Norkermes vint à Valen-
ciennes le 20 d'0£lobre, ôcil leur promit qu'onles exempteroit
de garnifon, pourvu qu'ils tinllent leurs aiTemblées hors la vil-
le. Ils acceptèrent la propoiition , mais à condition que le Ba-
ron viendroit en perfonne à Valenciennes > qu'il ratifieroit cet-
te convention , ôc qu'il défigneroit un lieu pour tenir leurs af-
femblées.
Un mois après il y vint , mais fans avoir auparavant convo-
qué le Confeil. Ainfi les bourgeois ne s'étant pas rendus affez
tôt , il en prit occafion de changer de fentimenti il forrit en colc-
le de la ville , & il la menaça, auflî bien que S. Amand , de beau-
coup de maux. La GouvernantcauflTi indignée contre les habitans
de Valenciennes que le Baron, leur fit un fécond commande-
ment de recevoir garnifon. Ils perfifterent dans leur refus , ti-
rèrent leur canon fur les troupes royales qui alloient vers l'ab-
baye de S. Sauve, ôc pillèrent la Chartreufe ôc l'abbaye de S.
Vaaft. Les bourgeois de Valenciennes furent déclarez crimi-
nels de leze-majefté le 14. de Décembre ; ôc peu de jours après
Norkermes vint les affiéger. Alors les Prêches furent interrom-
pus en plufieurs endroits de la Flandre , foit par crainte, foit à
caufe de la rigueur de l'hyver ; mais ils continuèrent long-tems
après à Amfterdam , à Maeftricht, à Utrecht, à Anvers, ôc à
Gand.
En Ecoiïe , le Roi ayant été relégué , David Riz fut aufTi-tôt Affaires d'E-
tiré de fon état d'obfcurité 5 ôc la Reine , pour lui donner tous <^^'^^'
les honneurs , qu'il pouvoir avoir dans fon Palais , l'admit à
manger tous les jours à fa table. Afin de lui préparer cette fa-
veur , elle introduifit quelques mois auparavant la coutume de
faire manger quelques-uns a fa table , îbus prétexte de fe ren-
dre populaire ; ôc elle en augmenta le nombre, afin que Riz
fût moins envié. Prefqu'aufli-tôt elle le diminua; ôc après avoir
accoutumé les yeux à un fpedacle fi nouveau , il y mangeoii
ordinairement avec une perfonne ou deux. Mais croyant faire
cefier l'envie , en choififtant pour manger un lieu plus petit ôc
plus fecret ( car elle mangeoit bien fouvent , ou dans fon cabinet ,
G giij
^3^ HISTOIRE
ou même chez Riz ) elle ne fit qu'augmenter les foupçons ,
C H A R L E ^ ^^ haine qu'on avoit pour lui. Déjà les Grands du Royaume
j^y^ murmuroient de voir un étranger de baffe naiffance , pardître
i t' ^ ^^ infiniment au-deffus de fa condition , 6c l'emporter fur le Roi
même, par la magnificence de fes habits, de fes meubles, ôc
de fon train j lorfque, par un emportement de femme , la Reine
fe mit en tête de lui donner droit de voix ôc de fuffrage dans
le Confeil , s'imaginant que fi elle en venoit à bout , elle me-
neroit le Confeil à fa fantaifie. Il falloit donc pour cela des
richeffes ôc des titres , afin qu'il ne parût pas qu'un gueux ÔC
on mercenaire , eût été tiré tout-à-coup de la pouffiere , pour
être élevé à la dignité de Confeiller d'Etat. Mais la Reine ne
put lui en procurer. Les anciens propriétaires des terres titrées
ne furent point touchez de fes prières ; ils le furent encore moins
de fes menaces ; ôc ils ne purent fe refoudre à fe dépouiller;
pour enrichir ôc illuflrer un étranger , fans biens ôc fans no-
bleffe. La Reine fe mit dans une plus grande colère, ôc le peu-
ple d'une autre part en conçut plus d'indignation. Les vieil-
lards fe fouvinrent à ce fujet du tems où le frère de leur Roi
ayant été tué par un horrible crime , Rockeran qui de tailleur
de pierres fut fait comte de Marre , excita une guerre civile ,
qui n'avoit pu être éteinte que par la mort du Roi même , ôc
par la ruine prefque totale du Royaume.
Retour du Quoique le Roi , qui étoit revenu , fût fort offenfé de ces
Roi. David bruits , néanmoins comme il avoit réfolu de ne croire perfon-
fine chez la ' "^ ' ^""^^^ d'cxaminçr la chofe par lui-même , lorfqu'il eut apris
Reine. que Riz étoit entré dans la chambre de la Reine , il vint à une
petite porte , dont il avoit la clef, Ôc la trouva fermée au ve-
roûil contre la coutume. Il frappa, Ôc perfonne ne répondit. Il
en conçut tant de reffentiment , qu'il paffa toute la nuit fans
dormir , ôc que le lendemain il déhbéra fecrétement avec fes
confidens , de fe défaire de Riz. La Reine , qui avoit fouvent
furpris le Roi avec fon Confeil fecret , fe douta de quelque cho-
fe , ôc lui parla avec beaucoup d'aigreur, menaça les officiers
de fa Maifon , ôc leur dit que c'étoit en vain qu'ils tenoient
Confeil , qu'elle fçavoit tous leurs complots , ôc qu'elle fçau-
roit bien y remédier quand il feroit tems. Ces menaces , bien
loin d'intimider le Roi , ne firent que le porter à hâter l'exé-
cution de fon deffein. Il le communiqua à Mathieu comte dç
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 239
Lenox fon père > & ils convinrent enfemble qu'il n'y avoit *— ■ »»„
qu'un feul moyen défaire finir tous les maux ^ qui étoitdefe Char le
réconcilier avec cette partie de la Noblefle qui etoità la Cour, jx.
& de faire revenir l'autre j car le Roi pour contenter la Rei- i <: 6 6^
ne avoit également mécontenté tous les Nobles. Mais il falloir
pour réudir, ufer d'une grande diligence , parce que le jour de
l'aflemblée , 011 la Reine avoit réfolu de profcrire tous les Sei-
gneurs abfens , approchoit. Riz follicitoit fortement tous ceux
qui dévoient être de cette affemblée 5 il les fondoit, il tâchoit
de pénétrer ce qu'ils répondroient^lorfqu'on leur demanderoit
leur avis 5 il prioit 6c il menaçoit, félon qu'il croyoit que cha-
cun étoit fufceptible de crainte ou d'efperance.
Le Roi, fuivant le confeil de fon père , crut qu'il n'y avoit
pasdetems à perdre , ôc manda Jacque Duglas comte de Mor-
ton, & Patrice baron de Lendfey fes parens. L'un & l'autre
en conférèrent avec Patrice Rethuen ( ou Reuven) homme de
réfolution & de main , mais qui étoit alors extrêmement affoi-
bli d'une longue maladie. Tous reprefenterent au Roi la fau-
te qu'il avoit commife en chaffant la principale Nobleffe de
fon Royaume , pour plaire à un fcélerat, ôc en élevant fi haut
un homme du néant : que Sa Majefté elle-même éprouvoit
fa fierté ôc fes mépris. Le Roi avoua qu'il avoit eu tort , ôc
jura de ne rien faire à l'avenir que de l'avis ôc du confente-
ment de la Noblefie. Mais comme ils craignoient que ce jeu-
ne Prince naturellement foible, ôc qui avoit été jufqu'alors gou-
verné par fa femme , ne fe laiffàt encore gagner par fes careffes ,
ôcneles perdit tous ; en défavouant les mefures qu'on avoit jugé
à propos de prendre, ils lui prefenterent par écrit les articles
dont il étoit convenu. Ces articles étoient, d'établir la Religion,
comme on l'avoit réglé à l'arrivée de la Reine en Ecofle , de
faire revenir ceux qu'on avoit reléguez , ôc de tuer David Riz,
parce que tant qu'il vivroit , le Roi ne pourroit conferver fa di-
gnité, ôc que la Noblefle ne feroit pas en affurance. Le Roi
figna tous ces articles avec une parfaite liberté, ôc avec une
grande joie , ôc déclara hautement qu'il vouloir être regardé
comme auteur du meurtre de Riz; chacun les figna après lui.
Mais pour prévenir la condamnation à^s Seigneurs abfens, Ôc
de peur qu'un plus long retardement ne fît découvrit le com-
plot, on réfolut de l'exécuter furie champ.
240 HISTOIRE
La Reine foupoit dans un petit cabinet, 6c Riz étoît à Ijt
Ch A R L E table , à l'ordinaire , avec la femme du comte d'Argathel 5 lorf-
IX. cjue le Roi, dont la chambre étoit au deiïbus de celle delà
1^66, Reine, y monta par un petit efcalier dérobé, qui ne fervoit
qu'à lui. Patrice Rethuen le fuivoit avec cinq perfonnes au
plusi le comte de Morton fe promenoir dans l'anti-chambre
avec un grand nombre de fes amis y ôc avoir mis des perfon-
nes de confiance dans la cour, pour être prêts à tout ^ en cas
qu'il y eut du bruit. Lorfqu'on vit entrer le Roi, ôc après lui
Rethuen, mal propre, défait, pâle, comme un homme qui fortoit
d'une longue maladie, Ôc néanmoins armé 5 on s'imagina que ce-»
lui-ci avoir un tranfport caufé parla fièvre. LaReine, plus éton-
née ôc plus troublée que les autres de le voir , ayant demandé ce
que c'étoit, Rethuen adreffa la parole à Riz , ôc lui commanda
de fe lever Ôc de fortir , n'étant pas digne d'être afîis à cette table.
La Reine l'ayant entendu , ôc fe doutant bien de ce qui en étoit,
fe leva auiïi-tôt, Ôc fe mit entre Riz, ôc ceux qui venoient à
lui. Le Roi l'embrafla , ôc lui dit qu'elle ne devoit rien craindre,
ôc qu'il ne s'agiflbit que de fe défaire d'un homme de néant.
Alors David fut enlevé par les conjurez , premièrement dans
la chambre voifme , ôc delà dans une autre chambre, où il fut
percé de plufieurs coups par ceux qui étoient avec le comte de
Morton, contre le fentiment des chefs qui étoient d'avis de le
faire pendre dans la place publique , pour donner au peuple
un fpe£lacle , qui l'auroit réjoui. George Duglas fils naturel du
comte d'Angufe lui donna le premier coup , ôc vérifia la pré-
didion d'un Aftrologue , qui l'avoir averti qu'il étoit menacé
d'un grand danger de la part d'un bâtard. David , qui crut que
l'Aftronome parloir du comte de Murray> frère naturel de la
Reine , répondit que tant qu'il vivroit , ce bâtard n'auroit ja-
mais ailez de puiflance pour fe faire craindre. Après Duglas;
celui qui fe trouva le plus proche, frappa le premier, ôcainlî
tous les autres de fuite, félon qu'ils étoient placez; car tous
voulurent avoir quelque part au meurtre de Riz , ou pour fatis-
faire leurs reflentimens particuliers , ou pour venger lePubHCj
à qui ce miferable avoir tant fait de mal.
Les comtes de Huntley , d'Athol , ôc de Both^el qui fou-
poient dans un autre appartement du palais, ayant entendu le
bruit que fît cette expédition ^ voulurent fortir 5 mais on les en
empêçhsi
DE J. A. DE THOU Liv. XL. 241 \
empêcha , fans néanmoins leur faire de mal. Après cette a£lion - :
Ja Reine étant venue de fon cabinet dans fa chambre , Rethuen, C h a R L E i
homme d'une liberté, qui alloit jufqu'à la rufticité, entra dans j^ \
la chambre de la Reine, s'alTit , & demanda à boire. LaRei- j ^ ^ ^^
ne, pénétrée d'une vive douleur de ce qui venoit d'arriver, \
regarda cette démarche de Rethuen , comme une nouvelle '
injure : elle s'emporta contre lui^ le traita de perfide ôc de trai- 1
tre, & lui reprocha foninfolence de lui parier affis, tandis qu'elle j
étoit debout. Rethuen répondit, que ce n'étoit point par un dé- ]
faut de refpeâ: qu'il en ufoitainii ; que c'étoit uniquement par- |
ce qu'il n'avoir pas la force de fe tenir debout. Enfuite il ex- 1
horta la Reine à fe fervir , pour le gouvernement du Royaume, l
de la Noblefle , qui avoit intérêt que les affaires fuffent bien \
conduites , ôcnon pas d'avanturiers , de fripons , ôc de gens de
néant, qui ne pouvoient donner aucun gage de leur fidélité, ;
parce qu'ils n'avoientni bien ni honneur à perdre. Il ajouta que j
le gouvernement d'Ecofle étoit fondé fur des Loix j que ce ^
Royaume n'avoit pas coutume d'être gouverné fuivant le ca- j
priée ôc la fantaifie d'une feule perfonne , mais fuivant les loix, ,
Ôc de l'avis ôc du confentement de la Noblefle ; que tous ceux l
qui avoient donné atteinte à ces loix, avoient reçu la juftepei- \
ne de leur témérité , 6c qu'enfin les Ecoflbis n'avoient pas telle- 1
ment dégénéré de la vertu de leurs ancêtres , qu'ils puflent fup-
porter , non la domination, mais le defpotifme ôc la tyrannie d'un j
étranger , qu'ils auroient pu à peine prendre honnêtement pour i
leur valet. La Reine fut extrêmement irritée de ce difcours. \
Cependant on mit des gardes dans tous les lieux convenables, j
pour empêcher de plus grands mouvemens,ôc les conjurez fe j
retirèrent. Le peuple étant accouru de toutes parts , au bruit qui :
s'étoit fait dans le Palais, le Roi leur dit parla fenêtre , que la ,
Reine ôc lui étoient en parfaite famé 5 qu'il n'y avoit aucun fu- ;
jet de faire du bruit i qu'on n'avoit rien fait que par fon ordre; i
qu'ils fçauroient ce qui s'étoit pafle , quand il en feroit tems > ôc
qu'ainfi il les exhoitoit à fe retirer chacun chez foi. \
Le lendemain les Grands, qui étoient venus d'Angleterre fur ^ ^^^°^^' «^^s
les avis que le Roi leur avoit donnez, fe prefenterent devant les ''^ ^ ' '
juges pour fe défendre contre leurs accufateurs j ôc comme per-
fonne ne comparut , ils protefterent publiquement qu'il n'avoit !
Tome F, H h !
242 .HISTOIRE
^^^^^ pas tenu à eux qu'on ne jugeât leur procès, puifqu'ils s'étoient
-. ? fournis à la juftice h ils fe retirèrent enfuite dans leurs maifons.
•C H A RLE La Reine j pour tromper les gardes qu'on avoir placez , fit ve-
nir le comte de Murray fon frère , qui étoit revenu en EcofTe
^ S ^ ^' après la mort de Riz, comme s'il avoit été rappelle d'un exil -,
elle s'entretint quelque tenis avec lui , Ôc lui fit efperer qu'à
l'avenir elle fe laifTeroit conduire par les avis des Grands du
Royaume. Les gardes s'étant un peu relâchez, elle fortit du
Palais la nuit par une porte de derrière , avec George Seton,
qui avoit amené deux cens cavaliers. Elle fe retira d'abord dans
fon château , ôc enfuite à Dumbar , où elle amena le Roi , qu'el-
le fit menacer de mort j s'il ne la fuivoit. Là , feignant de s'être
reconciliée avec les bannis, elle tourna toute fa fureur contre
les meurtriers de Riz. Pour exercer contre eux avec plus de
liberté toute la rigueur desloix, elle avoit fait publier par un
cricur ( ôc c'eft ce qu'on ne put entendre, fans en faire bien
des railleries ) que perfonne n'eût la hardieffe de dire que le
Roi avoit eu connoiflance , ou qu'il avoit été compUce du meur-
tre de Riz. On procéda enfuite dans cette affaire avec tant de
rigueur , que plufieurs , dont la plupart étoient irinocens , fu-
rent condamnez àdiverfes peines, ôc quelques-uns mêmes pu-
nis de mort. Ce qui augmenta findignation publique^ fut la paf-
fion indécente que la Reine fit paroître après la mort de Riz.
Non contente d'avoir élevé à de fi grands honneurs un hom-
me, qui n'étoit confiderable ni par fa naifîance, ni par aucunes
belles qualitez,ni par aucuns fervices rendus à l'Etat^ elle oublia
le péril oii elle avoit été > ôc comme fi tout eût été tranquille,
elle fit tranfporter la nuit le corps de Riz , qu'on avoit enterré
devant la porte de l'Eglife la plus proche , ôc le fit mettre dans
le tombeau du Roi fon père, ôc des Princes fes enfans , auprès
du corps de la Reine Madeleine , fille de François I.
La Reine ac- Les affaires étant en quelque forte accommodées, ôc les
couche d'un comtcs d'Argathel ôc de Alurray étant rentrez en grâce; la
*' Reine, dont la groffelfe avançoit, revint iiir la fin d'Avril au
château d'Edimbourg, où elle accoucha d'un fils le 19 de Juin,
un peu après neuf heures du foir. Elle en donna aufil-tôt avis
à Elizabeth Reine d'Angleterre i par Jacque Melvin , ôc
Elizabeth envoya au(li-tôt en Ecoffe Henri Kilgrey , pour
DE J. A. DE T H O U , L I V. XL. 245
complimenter fa fœur ' fur fon heureux accouchement , & fur la
naiffancê de fon dis. Elle la fit prier en même-tems de ne plus ~Z ~
entretenir,parles fecours qu'elle fourniffoitfecretement les trou- ^1%-
bles,que Schan-o-neal excitoiten Irlande 5 de ne point favo- *
rifer contre les traitez le transfuge Chriftophle Rokeibey , ôcde ^ ^ ^ '
faire punir févérement les brigands qui couroientfur la fron-
tière. Elizabeth alla enfuite pour fe divertir à Oxfort ôc à Cam-
bridge , les deux villes d'Angleterre les plus fameufes par les fça-
vantes Univerfirez qui y font établies. Elle s'y délaila quelque
tems de fes grandes occupations, dans la compagnie des fça-
vans qu'elle y trouva en grand nombre j elle y paffa les nuits
dans les fpedlacles j ôc les jours dans les difputes publiques. En-
fuite , après les difcours de remerciement faits de part ôc d'au-
tre, elle revint à Londres le premier jour de Novembre, où
elle fut reçue aux acclamations d'un peuple très-nombreux,
qui accourut au-devant d'elle. Auiïi-tôt après on parla des dif-
putes publiques i les fentimens fe trouvant partagez à caufe de
la diveriité de Religions , & chacun tâchant de ménager (^qs in-
térêts , ôc de pourvoir à la fureté de la Religion qu'il profeffoit.
Belle ôc Monfon , grands Jurifconfultes , Dulton ôc d'autres OnpreflTeîa
parloient hautement, ôc difoient que les Rois étoient obligiez de ?T^ ^r^^"
le deiigner un lucceileur. Les comtes de rembrok ôc de Ley- maner.
ceftre appuyoient cette opinion , Ôc ce fut à leur inftigation que
Nicolas Bacon , garde du grand fceau , fit un long difcours à
Ehzabeth , pour lui perfuader qu'il étoit de l'intérêt de l'Etat
qu'elle fe mariât bien-tôt. Mais la Reine perfuadée par Huick
fon médecin , que le mariage lui feroit pernicieux , à caufe d'un
empêchement naturel qu'elle avoir, n'en voulut point entendre
parler j Guillaume Cecil, quicherchoità plaire à la Reine, fa-
vorifoit fecretement cet avis. Elizabeth employa donc toutes
lesraifons qu'elle pouvoir imaginer , pour éluder les demandes
importunes de ceux qui l'approchoient ; leur promettant d'a-
voir pour le Royaume non feulement les foins d'une Reine,
mais toute la tendreffe d'une mère. Thornton do£teur en Droit
au collège de Lincoln ôc profeffeur à Londres, étoit un de ceux
quifaifoient le plus d'inftances. Comme en difputant fur lefuc-
cefleur à la Couronne d'Angleterre , il avoir révoqué en doute
I C'eft le nom qu'elles fe donnoient mutuellement, depuis qu'elles e'toient l'une
& l'autre en bonne intelligence.
Hhij
544 HISTOIRE
le droit de Marie reine d'EcofTe ^ il fut mis eriprifoiii à la fol-
licitation de Meîvin j les comtes de Pembroch & de Leycef-
tre furent quelque tems interdits de l'entrée de la chambre de
la Reine , ôc Bacon fut à peine remis en grâce. Les Etats du
Royaume ayant impofé d'eux-mêmes unefomme d'argent très-
confiderable, dont la plus grande partie étoit déjà levée, ils la
prefenterent à Elizabeth pour l'engager à fe marier : mais la Rei-
ne la refufagénéreufement, difant qu'elle aimoit mieux le cœur
que l'argent de fes fujets.
Conduite de Cependant le Roi d'Ecofle étant entièrement exclus du Gou-
coire!^"^ ^ ^' vernement , Jacque Hebburn comte de Bothwel avoitfeul tout
le crédit ôcl'adminiftration des affaires de l'Etat. La Reine qui
ne vouloit pas que perfonne doutât de l'extrême inclination
qu'elle avoit pour lui; fit entendre aflez clairement à tout le
monde , qu'on ne pouvoitrien obtenir d'elle que parfon canal.
Le Roi étoit regardé comme un importun & un fâcheux j ôc
s'il arrivoit quelquefois qu'il vînt pour voir la Reine, elle &
fes femmes compofoient tellement leurs vifages, leurs difcours
& leurs manières , qu'il paroiffoit vifiblement qu'elles n'avoient
rien plus à cœur que de faire comprendre au Roi, que la Rei-
ne le méprifoit beaucoup , ôc que fa préfence les ennuyoit & leur
étoit fort à charge. Le Prince fe voyant abandonné de tout le
monde, ôc las d'ailleurs des outrages qu'il recevoir tous les jours
de Bothwel , s'en alla à Sterlin.
Batéme du Peu de tems avant l'hyver il vint des Amb'^ffadeurs de Fran-
coire. ce ôc d'Angleterre, pour tenir le Prince fur les fonts de Baté-
me. La cérémonie en fut faite à Sterlin le 1 8 de Décembre.
Les parains furent Charle roi de France , ôc Emanuel Phili-
bert duc de Savoye 5 Elizabeth reine d'Angleterre fut la ma-
reine , ôc l'enfant fut nommé Charle Jacque j mais depuis il ne
porta plus le premier nom. Le comte de Betfort affiftaà cette
cérémonie au nom d'Eiizabeth , ôc apporta une cuve d'or maf-
fif, dont il fit préfent à l'enfant. Ce comte étoit chargé de fol-
liciter auprès de Marie la ratification du traité d'Edimbourg :
elle lerefufapour lors, difant qu'il y avoit quelque claufe dans
ce traité, qui dérogeoit aux droits qu'elle ôc fes enfans avoient
fur le Royaume d'Angleterre 5 que néanmoins elle envoye-
roit au premier jourà fafoeur des Ambaffadeurs pour confirmer
ce traité , après y avoir fait quelque changemens. Cependant
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 24/
on convint dès lors de ces conditions qui furent : Que Ma- ■
rie ôc fes enfans ne prendroient point les titres ôc les armes ^ ~
d'Angleterre , pendant la vie d'Elizabeth ; ôc qu Elizabeth ne ^J"^ ^ ^
feroit rien qui préjudiciât à Marie dans fon droit à la fuccef-
fion d'Angleterre. Betfort ayante félon les ordres qu'il avoir, ^ 5 ^ *^*
parlé d'accommoder le différend qui étoit entre la Reine d'E-
cofle ôc fon mari ; ôc ayant témoigné qu'EIizabeth fa maîtreffe
fouhaitoit ardemment cette reconciliation ; Marie dit , qu'el-
le étoit bien obligée à Elizabeth de fa bonne volonté 3 ôc
elle rejetta la faute de cette mefintelligence fur quelques Sei-
gneurs brouillons , qui abufant de la facilité ôc de la crédulité
de fon mari , lui avoient fait un outrage qu'on ne pouvoir par-
donner : comme elle étoit alors malade, elle écrivit à Eliza-
beth, pour lui recommander fon fils, ôc la prier de le prendre
fous fa proteftion.
Le Roi qu'on avoir mandé pour la cérémonie du batême -^^ ^^oî cfl
de fon fils, comme pour en faire le parallèle avec Bothwel , très-mal à\m
avoit pris fon parti , Ôc s'étoit réfolu à tout fouffirir ôc à tout fai- po'^*^"-
re, afin de regagner les bonnes grâces de la Reine, qui lui
avoit ôté toutes les marques extérieures de la royauté. Etant allé
à Glafcow pour y voir fon père, à peine étoit-il à un mille de
Sterlin , qu'il fentit dans toutes les parties de fon corps une dou-
leur aiguë , ôc que peu après il lui fortit de tous cotez des taches
ôc despuftules livides avec tant de violence, qu'il n'y avoit point
d'apparence qu'il pût en échapper. Jacque Aberneth , très-
habile médecin , confuîté fur le genre de cette maladie, répon-
dit qu'elle venoit d'unpoifon, que le Roi avoit heureufement
furmonté par la force defajeunefre,ôc de fon temperamment. =»«««««^il— ■
Cependant la Reine, pour écarter tous les foupçons^ réfo- i r (S j
lut d'aller à Glafcow ; mais elle fit auparavant mener fon fils
à Edimbourg, malgré la rigueur de l'hyverj parce que félon dansuncefpeî
elle la maifon , où cet enfant ^toit nourri , étoit incommode ôc ^^'^^ priions
mal faine, ôc que les fluxions étoient à craindre pour lui dans TnL^^^ ^^^^
un lieu froid ôc humide. S'étant donc déchargée fur le comte
de Bothwel du foin de toutes les affaires , elle prit les Hamil-
tons pour l'accompagner dans fon voyage , ôc vint trouver le
Roi , quin'étoitpas encorebien guéri. Après beaucoup de plain-
tes, de reproches, ôc de gémiflemens, de part ôc d'autre, en-
fin le Roi ôc la Rein^ fe réconcilièrent. De-là on fit porter le
H h iij
2^6 HISTOIRE
, Roi en iiîiere à Edimbourg, où il fut logé dans une maifon que
P Both\(^el lui avoit fait préparer , ôcqui n'avoit point été habitée
T^ depuis plufieurs années. Située près des murailles de la ville,
y entre les ruines de deux Eglifes , on ne pouvoit entendre d'au-
' ^ cune part ce qui s'y paflbit. On y mit avec lui un très-petit
nombre de domeftiques, qui ne lui furent donnez que pour ob-
ferver fes paroles Ôc fes aillions j mais la plupart prévoyant, ou
fçachantle péril prochain , dont il étoit menace , le quitterentj
ceux qui relièrent , ne purent jamais tirer les clefs de la maifon
des mains des maréchaux des logis.
Alors on forma le deifein de tuer le Roi, ôc l'on commu-
niqua cetteréfolution à quelques Gentilshommes, qui craignant
pour leur Religion, qui leur paroifloit être en danger , à caufe
de l'union qui étoit entre le Roi & les Proteftans , promirent
volontiers leurs fervices pour l'exécution de cette attentât. Ils
y étoient encore excitez par les lettres du Pape 5 on ajoûtoit
même par celles du cardinal de Lorraine. En effet s'étant adref-
fez à lui, pour demander au Pape l'argent dont ils avoient befoin,
afin de rétablir la Religion, de leurs ancêtres, on leur fit réponfe
qu'ils travailleroient en vain , s'ils ne commençoientpar fe défai-
re de ceux qui étoient un obftacle à ce rétabliîTementi on les nom-
moit en particulier, & on mettoit entre les autres Jacque frère
naturel de la Reine , comte de Murray , ôc Jacque Duglas com-
te de Morton. Le Pvoi, fimple ôc crédule, fe croyoitbien affu-
ré de l'affedion de la Reine ; cependant ceux qui vouloient
hâter fa perte , firent courir le bruit qu'il penfoit à fe retirer
en France, ou en Efpagne , ôc qu'il avoit déjà concerté fa fuite
avec les Anglois , qui avoient un vaiffeau à l'embouchure du
Cluyd. On choifit donc la nuit fuivante pour l'exécution du
crime, qu'on avoit projette j ôc Bothwel prit toutes les mefu-
res ( parce que le meurtre devoir fe faire dans un lieu , où il
y avoit beaucoup de monde, ) pour le faire imputer , s'il étoit
polTible , à d'autres qu'à ceux qui en feroient les vrais auteurs.
L'affaire ne fe traitoit pas avec tant de fecretôc de précau-
tion, que plufieurs perfonnes ne fe doutaffent du complot, ôc
n'auguraffent mal de la prétendue réconciliation qui venoit d'ê-
tre faite. Cependant le Roi, plus attaché à fa femme qu'on ne
peut le dire , ne voyoit ôc ne foupçonnoit rien de ce qui fe
îramoit contre lui, ôc perfonne n'ofoit l'avertir du danger dont
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 247
il étoit menacé ; parce que pour gagner les bonnes grâces de
la Reine il avoir coutume de lui rapporter tout ce qu'on lui ~
difoit. En même tems Robert ^ frère du comte de Àlurray, ^harle
ayant horreur de l'attentat énorme qu'on méditoit , ou touché
de compaflTion pour ce jeune Prince , lui donna avis de la conf- '5^7-
piration formée contre fa peffonne j cette déclaration penfa lui
coûter la vie. Car le Roi, fuivant fa coutume, ne manqua
pas de le dire à la Reine. S'étant donnez à ce fujet l'un à l'au-
tre un démenti en prefence de la Reine , ils portèrent de part
ôc d'autre la main à l'épée, ôc le comte de Murray eut bien
de la peine à appaifer la querelle. Tous les autres , épouvan-
tez par cet exemple , voyoient bien le péril 3 mais ils n'ofoient
en avertir le Roi. La Reine voulant empêcher qu'on ne la foup-
çonnât, pour donner d'ailleurs des marques de l'amour qu'elle
avoir pour fon mari , 6c faire croire qu'elle avoit fincerement
pardonné Ôc oublié tout le pafTé , fît apporter fon lit du Palais, le
fit drelfer dans la chambre qui étoit au-deffous de celle du Roi,
ôc y coucha quelques nuits : avant de fe coucher elle avoit tou-
jours de longs entretiens avec le Roi.
Quoiqu'on fouhaitât fur toutes chofes que le projet ne pût
être découvert , cependant par une extrême imprudence, on ôta
le lit de la chambre , ôc on en mit un autre de moindre prix. Plu-
fieurs perfonnes furent furprifes de ce ménagement fordide^dans
une affaire où l'on prodiguoit l'honneur avec tant d'excès. Après
avoir pris cette précaution , on mit de la poudre fous la mai-
fon. Quand la nuit fut venue , ôc que la Reine fe fût entre-
tenue affez long-tems avec le Roi, elle feignit d'avoir oublié
qu'un Muficicn nommé Sebaftien , s'étant marié ce jour là ,
elle devoit mettre la nouvelle mariée au lit. Sous ce prétexte
elle fc leva promptement ôc s'en alla au Palais , ou après s'être
aflez long-tems entretenue avec Bothwel , elle le congédia. Bo-
thwcl ayant aulTi-tôt changé ci'habit , ôc s'étant revêtu d'un ha-
billement de guerre, revint dans la ville , ôc paffa au travers
de la garde. En même-tems deux bandes de conjurez vinrent
à la maifon , où étoit le Roi , entrèrent dans fa chambre ( car
ils avoient toutes les clefs , ) Ôc l'ayant trouvé endormi , ils l'é-
toufferent, en lui ferrant la gorge avec les mains. Ils en firent
autant à un valet de chambre, ôc ils les portèrent tous deux
dans un jardin au-deffous , fans leur avoir fait autre chofe. En-
r248 HISTOIRE
. fuite lis mli-ent le feu à la poudre : la mailbii fut renverfée de
r-rr » t> T c foi^d en comble avec un li grand fracas, que lesmaifons voi-
jy lines en turent ébranlées , oc que ceux qui en ctoient les plus
. - j^ _ éloignez , furent réveillez.
La Reine faifant femblant de n'avoir rien f<çû , 6c d'avoir
été réveillée par le bruit , envoya voir ce que c'étoit. Le peu-
ple eifrayé accourut en foule. La Reine fit apporter au Pa-
lais le corps du Roi par des porteurs, étendu fur un bancren-
verfé. On dit que, fans donner aucune marque de douleur,
ou de joie , elle regarda long-tems, ôc avec une très-grande
attention , le corps de ce Prince , qui étoit le plus bel homme
de fon tems. Cette aftion fe p alfa le lo de Février, quoique
les Grands du Royaume, qui étoientpréfens/uffent d'avis de lui
faire de magnifiques funérailles , elle donna ordre que le corps
fût enterré de nuit , fans aucune pompe , auprès de celui de Da-
vid Riz , par les mêmes qui Favoient apporté au Palais, On fit
en même tems courir le bruit à la Cour , que les comtes de
Murray ôc de Morton étoient les vrais auteurs du meurtre du
Roi. Ce bruit paffa jufqu'en Angleterre 5 ôc voici les raifons
qui donnèrent lieu de le croire, en prenant la choie de plus
loin.
Syftcme dif- On difoit Quc fcpt ans auparavant , la Reine étant prête de
^'"'^"'/"r ^t P^^er de France en Ecolfe , le comte de Murray avoit con-
feilléàElizabeth reine d'Angleterre, des'oppofer à fon paffage,
ôc que la haine du frère contre fa fœur venoit de ce que n'ayant
point d'autre titre que celui de Prieur de faint André, ôc en
ayant demandé un autre plus relevé , la Reine le lui avoit refufé
par le confeil de fes oncles : Que la Reine étant arrivée dans
le Royaume, fon frère l'avoit fouvent preifée, en cas qu'elle
mourût fans laiffer d'enfans, de fubftituer la couronne à qua-
tre perfonnes de la maifon de Stuart, àl'exclulion des HamiK
tons, ajoutant la claufe,fans diftindion de légitimes ou illégi-
times , efperant par ce moyen fe faire comprendre dans le nom-
bre des quatre : Que la Reine ayant aifément apperçû , par fa
pénétration naturelle , le but oûtendoit ce confeil, s'étoit po-
liment excufée de le fuivrej ôc que pour contenter cet ambi-
tieux , elle lui avoit donné le titre de comte de Marre , ôc puis
de Murray , avec de très-grands biens : Qu'élevé par les bon-
tez de fa focur à ces honneurs, ôc ayant beaucoup de crédit
ôc
D E J. A. D E T H O U , Lï7. XL. 549
& de pouvoir, il avoit ruiné la maifon des Gordons, qui étoit
auparavant une des plus puiiïantes du Royaume : Qu'il avoit ^
chaflc de la Cour le duc de Chatelleraud, chef de la maifon jy
des Hamiltons Ôc fait mettre en prifon le comte d'Arran fon
fils : Qu'il avoit fait reléguer en Angleterre Jacque Hepburne : ^
Qu'il avoit tenu la Reine comme pnfonniere 3 ôc que pour em-
pêcher qu'elle ne fe mariât avec Ferdinand,& enfuite avec Char-
le frère de l'Empereur Maximilien,ii avoit fait enfortede lui faire
cpoufer Henri d'Arley ' fon parent : Que s'érant auffi-tôt repenti
d'avoir fait cette propcfition, parce qu'il croyoit ce Seigneur
contraire à la doiStrine des Proteftans , il avoit prié Elizabeth
d'empêcher ce maiiage:Que néanmoins ayant été conclu jl avoit
lié une étroite amitié avec Jacque Duglas comte de Morton,
homme ruféjôc prêt à tout faire j à qu'ayantdélibeié enfemble,ils
étoient convenusjque puifqu'on ne pouvoit rompre le mariage, il
falloit au moins s'eîforcer par des intrigues fecretes d'y niettre la
divifion : Que Morton, habile dans l'art de broùiiler, avoit ai-
fement perfuadé au nouveau Roi de prendre , pour fe venger
du mépris que fa femme faifoit de lui, toutes les marques de
la royauté j lui difant que l'ordre établi par la nature étoit que
les femmes obéiffent, ôc que les mariscommandafTent : Qu'en-
fuite il avoit rempli de foupçons i'efprit crédule de ce jeune
Prince 5 ôc que pour l'aliéner entièrement de la Reine , par une
injurefignalée, il l'avoit porté au meurtre de David Riz : Que
quoique le comte de Morton fe fut retiré en Angleterre après
cet aflafîinat ( parce que le Roi fe repentoit d'y avoir trem-
pé ) Ôc que le comte de Murray fe fût par là rendu odieux à
tout le monde , la Reine avoit néanmoins eu la bonté de le re-
mettre en grâce auprès du Roi : Que le comte de Murray
craignant toujours pour lui , ôc voulant rendre le mal pour
le bien , n'avoit pas ceffé , par des vues d'ambition , de femer
la difcorde entre le Roi ôc la Reine : Qu'ayant éré reconci-
lié avec Bothwel, par l'entremife de la Reine, après des ini-
mitiez mortelles , il lui avoit fait efperer de lui faire époufcr la
Reine fa fœur après la mort de fon mari j lui offrant pour cela
fes fervices , ôc ceux de Morton , qui avoit été rappelle de fon
exil à la Cour : Qu'ainfi Both\7el , qui étoit encore le plus
en faveur ôc en crédit auprès de la Reine , avoit entrepris
ji Ou Stuart : ce^ celui qu'elle e'poufa, ôc dont on vient de voir la mort funefie.
Tom. V, li
570 HISTOIRE
d'afTaflinei: le Roi , ôc que tous les conjurez s'y étolent enga-^
ru A n T p sez par écrit 5 mais que dans le tems de l'exécution , le comte
jv deMurray setoit ablente exprès, pour écarter de lui tous les
(5*T Soupçons, ôc les faire tomber fur la Reine j ôc pour être à por-
tée de fecourir les conjurez, s'il arrivoit quelque chofe qu'on
- n'eût pas prévu : Qu'après le meurtre du Roi, il avoir confeillé
à la Reine d'époui'er Bothwel, illuftre ôcrecommandable par
la grandeur de fa Maifon, ôcpar les grands fervices qu'il avoit
rendus à la Reine ôcà fa mère 5 mais qu'en cela même JVlurray
ôc Morton n'avoient eu en vue que de charger de la haine publi-
que une Princeiïe fnnple ôc crédule , que ce mariage ne man-
queroit pas de rendre fufpededu parricide de fonmarij defa-
tisfaire la haine particulière qu'ils avoient pour Bothwel , de
foulever la NoblefTe contre la P\.eine , ôc contre lui, ôc défaire
enfin paffer dans leurs mains le timon de l'Etat : Mais que pour
prévenir les mauvais deifeins de ces deux Comtes, George Gor-
don comte deHuntley^ôc Gilefpic Cambell comte d'Argathel,
qui avoient une parfaite connoiflance de toute l'affaire , avoient
publié d'eux-mêmes un écrit,pour attefter^quc le comte de Mur-
ray ôc le fecretaire Lidington leur avoient déclaré , lorfque la
Reine étoità Gragmilar, que Morton , Lindfey, Ôc Pattice Re-
thuen,n'a voient formé ledeflein de tuer Riz, que pour fau ver le
comte de Murray qu'on devoir bien-tôt profcru'ei ôcque pour
marquer leur reconnoiffance à ces conjurez , Murray ôc Lidin-
gton fouhaitoient que Morton ôcfes complices fuffent rappeliez
de leur exil : Que le comte de Murray avoit auffi flaté le comte
de Huntley , de le faire rétabHr dans les biens de fes ancêtres >
ajoutant néanmoins que cela ne pouvoit fe faire , qu'en trou-
vant le moyen de caufer le divorce de la Reine avec fon mari :
Qu'on avoit fait part à Bothwel de ce deffein 5 qu'enfuite on
avoit été trouver la Reine , ôc que Lidington en avoit ob-
tenu le rappel de Morton, de Lindfey, de Rethuen, ôc des
autres complices : Qu'alors Lidington avoit extrêmement exa-
géré les prétendus mauvais traitemens que la Reine avoit re-
' ^ûs du Roi ; qu'il avoit fait voir que ces injures mettoient fa
perfonne ôc fon Royaume dans un très-grand danger , ôc qu'en-
iin il lui avoit confeillé de fe féparer de fon mari : Que la Rei-
ne avoit répondu , qu'elle aimoit mieux fe retirer en France pour
un tems, jufqu'à ce que fon mari fût revenu àlui-même, que de
DE J. A. DE THOU,Lîv. XL. sfi
rien faire qui pût être contraire aux intérêts de fon fils, ôcà fon -
propre honneur 5 ôc qu'ainfi ils priffent garde de rien entrepren- C H a R L E
dre en fa confideration , qui tournât à fon défavantage : Que Li- j X.
dington avoit pris 6c le danger ôc le fuccès fur lui ôc fur fes amis, 1 c ^ 7,
qui n'avoient en vue que le bien de la Reine 5 l'affurant qu'on
ne feroit rien qui ne fût approuvé par le Sénat : Que tels fu-
rent les commencemens de la conjuration, qui fut formée à
rinfçû de la Reine , ôc que le meurtre du Roi en fut la fin.
C'eft ainfi qu'on expofoit l'affaire à la Cour d'Angleterre , furie
témoignage des comtes de Huntley & d'Argathel.
Comme on parloir par tout fort diverfement de cet horrible
affaffinat^Ôcquefuivant les différentes conje£lures,ceux-ci en ac-
cufoient certaines perfonnes , ôc ceux-là d'autres ? quelques-uns
imputèrent ce crime à Jean Hamikon archevêque de faint An-
dré, & ils fondoient leurs foupçons fur la haine mortelle qu'on
avoit eue pour fon père, ôc fur fa reconciliation toute récente,
avec la Reine , lorfqu'il l'avoit accompagnée à Glafcow. Il y
avoit auiîi d'autres indices tirez du paffé & du prefent, que
chacun recueilloit fuivant fes préjugez 6c fapaffion, 6c qui don-
noient lieu à divers jugemens. La nouvelle s'en répandit en
France , ôc on y attribua la conjuration aux Grands du Royau-
me, qui étoient attachez à l'ancienne Religion , 6c quiavoient,
dit-on , formé ce projet , dans la crainte que la Religion de leurs
pères ne fût entièrement renverfée par un Roi, qui penchoit
du côté des Proteftans. Le comte de Murray , qui avoit eu bien
de la peine, la veille du meurtre , à obtenir de la Reine la per-
mifiion d'aller voir fa femme qui fe mouroit , revint fur le
champ au bruit de ce qui s'étoit paffé j il courut alors rifque de
fa vie î car Bothwel,qui apprehendoit un concurrent, que la
Reine 6c lui ne pouvoient fouffrir , s'étoit chargé de lui ôter
la vie.
Peu de tems auparavant Pie V. avoit envoyé à Marie reine
d'Ecoffe Vincent Lauro,archevêque de Monreai en Sicile, Pvé-
îat recommandable , non feulement par fa rare érudition , mais
encore par fon habileté , ôc par fon expérience dans les aflfai-
reà. Il étoit chargé d'une lettre écrite de la propre main du
Pape , par laquelle il affûroit cette Princeffe de Faffedion vraie-
ment paternelle, qu'il avoit pour elle 6c pour fon Royaume,
ôc du defir ardent qu'il avoit d'y maintenir 6c affermir l'ancienne
li ij
2^2 HISTOIRE
Religion. Lorfque ce Nonce fut arrivé à Paris , l'archevcque
Charle ^^ Glafcow , ambaiïadeur d'Ecofle à la Cour de France^ lui
j X. remit une lettre de la Reine , par laquelle cette Princeffe , après
i $ 6 1, ^^^ avoir marqué qu'elle fouhaitoit ardemment de le voir arri-
ver en EcofTe, le prioit néanmoins de différer encore un pea
de tems, jufqu'à ce que les reftes des derniers troubles fulfent
entièrement éteints , afin qu'il nût alors faire fon entrée dans
le Royaume avec plus de fùreré ôc de dignité. Laurodefoii
côté récrivit à la Reine , pour l'exhorter & la preOer par les plus
fortes raifons quil put imaginer , de rétablir la Religion en Ecof-
fe. Il lui envoya pour cet effet Edouard Hay Jefuite , pour
lui parler en fecrct, ôc pour fîater fes efperances, en lui faifant
entendre que la Reine Elizabeth étant déchue de fon droit à
la couronne, comme prolcrite ôc excommuniée^ il ne fcroit
pas impoffible de mettre fa Majefté en polTeffion du Royau-
me d'Angleterre , qui luiappartenoit déjà comme à la plus prO'
che héritière. Trois mois s'érant écoulez de cette façon , Lauro
jugea qu'il ne convenoitni à fa perfonne , ni à fa dignité, de
refter Çi long-tems à Paris j ôc perfuadé qu'un plus long délai la
rendroit méprifable aux uns , ôc fufpeél aux autres , il envoya
l'évcque de Dublin à la Reine, pour la prefler de lui donner au
plutôt le moyen de palier en EcolTe.
La Reine propofa deux chofes à l'afTemblée des Etats : QuQ
le batême du Prince fon fils fe fit avec les anciennes cérémo-
nies, ôc que le Nonce du Pape fut reçu dans le Royaume
avec tous les honneurs qui lui étoient dûs. La première de
cespropofitions fut agréée du confentement unanim.e de tous
les Ordres ; ôc on remit à un autre tems à délibérer fur la fé-
conde. Vincent Lauro réfolu de paffer en Ecoife , étoit déjà
arrivé à Anvers ( car le paffage par Calais n étoit pas fur à
caufe de la proximité de l'Angleterre ) lorfqu'on reçût la nou-
velle du meurtre du Roi , ôc des troubles que cette attion dé-
teftable avoit eau fez en Ecoffe. Ainfi s'évanouit l'efperance
qu'on avoit conçue du rétablilTement de la Religion en ce
Royaume j le Pape rappella Lauro, Ôc ce Prélat retourna en
Sicile pour avoir foin de fon troupeau
La Reine ne Quoique la Reine eût d'abord réfolu d'appaifer le peuple
carde aucune par une affeûation de triftefle , elle fe lailTa d'abord entraîner
aienfcance. ^ ^^^ penchant , ÔC par une impatience de femme elle ne voulut
t^mamBemàieS^-
DE J. A. DE THOU, Liv.XL. is^
pas s'aiïujettir à Pancienne coutume, félon laquelle les Reines
doivent , pendant quarante jours après la mort de leurs maris, Gharle
non feulement ne pas paroître en public, mais ne pas voir j-^
le jour. Elle fit auln-tôt ouvrir les fenêtres ^ & le douzième jour ^'
de fon deuil , fans Te foucier de tout ce qu'on en pouvoir dire,
elle alla à Seton à fcpt milles d'Edimbourg , ayant toujours à
fes cotez Borhwel , qui étoit particulièrement accufé du meur-
tre du Roi. Du Croc , qui étoit chargé des affaires du Roi de
France en Ecoffe , eut bien de la peine à l'engager à reve-
nir à Edimbourg , en lui remontrant qu'une telie conduite la
perdroit dhonneur chez tous les étrangers. De retour dans
cette capitale. Ion premier foin fut de faire déclarer Bothwel
mnocent du meurtre du RoL Le juge criminel commença la
procédure chez le comte d'Argathel, ôc les témoins furent pro-
duits. Mais comme ils varioient , ôc que les domefliques, in*
terrogez fur l'entrée des affalfins dans la maifon , répondirent
qu'ils n'avoient pas les clefs , mais qu'elles étoient entre les
mains de la Reine , on diifera la procédure , ôc enfin on n'en
parla plus. Toutefois pour faire croire qu'on ne l'avoir pas en-
tièrement abandonnée, on pubhaun édit, par lequel on promet-
toit une fomme d'argent à ceux qui en découvriroient les cir-
confiances.
Cependant le peuple murmuroit hautement: on répandoit
des libelles, on expofoit des tableaux, ôc on faifoitla nuit des
cris , qui faifoient fentir aux coupables que leurs fecrets avcient
tranfpiré jufqu'au peuple. La Reine ^ extraordinairemenr irri-
tée , fit faire de très exades informations, pour découvrir les au-
teurs des libelles j ôc elle déclara par un édit, qu'on traiteroit
comme criminels , non feulement ceux qui les auroient publiez,
mais même ceux qui les auroient lus. Au lieu de fermer la
bouche du peuple par ces rigoureufes ordonnances , comme les
affaffins du Roi l'avoient efperé , on ne fit qu'augmenter fon
reffentiment ôcfon indignation ,ôc on y mit le comble par une
adion qui a peu d'exemples : ce fut la diflribution qu'on fit fans
pudeur, des armes, des chevaux, ôc des meubles du feu Roi ,
entre les ennemis de fon père , ôc ceux qui étoient le plus foup-
çonnez d'avoir trempé dans ce parricide ; de forte qu'un tailleur,
qui racommodoit un habit du feu Roi pour l'ufage de Bothwelj
eut la hardi elfe de dire ^ qu'il voyoit bien qu'on obfervoit
1 i iij
2>4 HISTOIRE
•■ religieufemcnt le droit ôc la coutume reçue , félon laquelle la
C H A R L E ci^po^iills du mort appartient au bourreau.
JX. I-a Reine perfuadée que le château d'Edimbourg lui étoit
4 c (^ 7. neceflaire , pour contenir le peuple qui ctoit en mouvement ,
traita avec Jean Areskin comte de Marre, qui éroit malade à
Sterlin 5 ôc pour le déterminer à lui remettre le château entre les
mains, elle lui fit efperer de lui donner fon fils à garder^ comme
un gage de fa fidélité à obferver le traité. Les foupçons & les dé-
fiances de part 6c d'autre retardèrent affez long-tems la conclu-
fion de ce traité , qui fut enfin figné. Comme le jour de Taflem-
blée , qui avoit été indiquée au 1 3 d'Avril, approchoit, on vou-
Vains efforts ^"^ ^^ prévenir par le jugement précipité de Bothwel. La cou-
peur juftifier tume dans de pareilles caufes eft de citer les accufateurs > la
iLthweî ^^ femme ^ le père , la mère , l'enfant , afin qu'ils comparoilfent par
eux mêmes , ou par Procureur dans le tems porté par les loix ,
c'eft-à-dire dans quarante jours. Mathieu duc de Lenox, père
du feu Roi y eut ordre de comparoître , fans être alFifté de fes
amis , avec fa feule maifon , que la pauvreté avoit réduite à un
très petit nombre de domeftiques. Mais il aima mieux, par hon-
te ou par crainte , ne pas fe préfenter. Ainfi fon Procureur l'ayant
excufé, les Juges, menacez d'être traitez comme des criminels de
ieze-majefté , furent contraints de prononcer, qu'ils ne voyoient
pas de fujet pour condamner Bothwel : ajoutant néanmoins que
leur Sentence ne pourroit préjudiciel à quiconque voudroit
dans la fuite intenter une accufation contre lui , dans toutes les
formes prefcrites par le droit. Bothwel , plutôt renvoyé hors
de Cour que déchargé , entreprit de fe juftiiier , ôc de faire con-
noître fon innocence , en faifant aflBcher dans la place publi-
que un cartel de défi, par lequel il déclaroit, qu'il étoit prêt de
combattre avec tout homme de famille honnête & de bonne
réputation , qui l'accuferoit du meurtre du Pvoi. Il y eut d'au-
tres affiches en réponfe , par lefquelles on acceptoit le défi , pour-
vu qu'on défignât un heu pour le combat, où l'on pût fe faire
connoître fans danger.
Son mariage Cependant Bothwel , qui afpiroit ouvertement à l'honneur
avec a ezne. ^'^pQjjfgj. [^ Reine , cxtorqua des Seigneurs, qui étoient fes amis,
un confentement figné de leur propre-main. Il obtint la même
chofe des Evêques qui étoient à Edimbourg. Après cela, la
Reine étant allée à Sterlin voir fon fils , Bothwel , de concert
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. ^^^
avec elle, fe trouva fur le chemin, au pont d' Ain-ion, fîtfem-
blant de l'enlever , ôc la mena à Dumbar. Mais il y avoir un Char le
autre obftacle à ce mariage , qu'on jugea à propos de lever, \y^
tandis que la Reine étoit à Dumbar , avec fon ravilTeur. Bothwel i ç 5 7,
avoit époufé une Hlle de la maifon de Gordon j ôc pour faire
ce mariage , il s'étoit fcparé de la femme qu'il avoit , laquelle
étoit encore vivante : de forte que c'étoit moins un mariage >
qu'un adultère. On obligea donc la première femme à intenter
une adion en caffation de mariage devant les Juges Royaux,
& devant les Juges Ecclcfiaftiques. Dans l'un ôc dar^ l'autre
tribunal, Bothwel e'toit accufé d'adultéré ; c'étoit pour les Ju-
ges royaux une raifon fudifante de caiïer le mariage , & d'or-
donner le divorce. Pour engager le Juge Eccléfiaftique à pronon-
cer de la même façon, on ajouta qu'avant le mariage Bothwel
avoit été en commerce avec une proche parente de fa femme.
Le procès fut intenté, plaidé ôc jugé dans l'efpace de dix jours.
L'archevêque de S. André , qui étoit un des Juges , fe préta.
d'autant plus volontiers à ce que la Reine fa parente fouhaitoit
dans cette affaire , que la voyant fe précipiter elle-mcme , &
courir à fa perte , il efperoit que l'adminiilration des affaires re-
viendroit bien-tôt aux Hamiltons j fes proches parens ôc héritiers
du Royaume.
Cette première difficulté étant levée , il en reftoit encore deux
autres 5 c'efi: que la Reine étant à Dumbar , comme prifonnie-
re , entre les mains de Bothwel , ( car on le difoit ainfi ) on ne
pouvoit légitimement la fiancer i ni publier fes bans par trois
Dimanches. C'eft pourquoi afin de la mettre en liberté de con-
trader , ôc d'obferver toutes les cérémonies de l'Eglife , on la
ramena à Edimbourg, où ayant déclaré ôc affirmé devant les
Juges , qu'elle étoit libre ôc maîtrefle de fa perfonne , le Prédi-
cateur requis par les Diacres ôc les anciens, qui n'avoient ofé
refifter , publia les promeflfes du futur mariage entre Jacque
Hepburne , créé depuis peu duc des Orcades , Ôc Marie Stuart,
L'évêque des Orcades appuya ce mariage de toute fon autori-
té, tandis que prefque tout le monde crioit, ôc difoit haute-
ment J qu'on ne pouvoit, félon lesloix, marier un homme qui
avoit, difoit-on, deux femmes vivantes , ôc qui avoit depuis peu
de tems fait un aveu honteux de fon infaiiie adultère , pour
fe féparer d'une troifiéme.
s;5 HISTOIRE
Le mariage ayant été célébré dans l'Eglife , très peu de per-
Charle ^'^"^^^^' ^ors les amis Ôc les parens de Bothwel, fe trouvèrent
j -^ au feftin , ôc tous les autres fe retirèrent chez eux pleins d'in-
j ^ ^ * dignation , difant que la Reine en époufant Bothwel , n'avoit
pas fait un vrai mariage , ôc s'étoit reconnue publiquement
complice du meurtre du Roi , dont Bothwel étoit atteint ôc
convaincu dans l'efprit de tous les gens de bien. Du Croc mê-
me chargé des affaires de France , quoi qu'attaché aux Guifes,
refufa conflamment d'y venir, perfuadé qu'il n'étoit pas de la
dignité de fon miniftere d'y alTiiter : ôc quelques raifons qu'on
pût lui apporter , jamais on ne put le déterminer à honorer de
ia préfence des noces , que le peuple chargeoit de maledidions
Ôc d'exécrations , que les parens de la Reine défaprouvoient ,
ôc qu'il fçavoit en particulier être en horreur à la maifon de
Guife. La Reine voyant que quand elle marchoit dans la ville
avec fon nouveau mari, le peuple ne faifoit plus les acclama-
tions ordinaires, ôc recevant de toutes parts des nouvelles, qui
lui apprenoient que ce mariage l'avoir déshonorée dans toutes
les Cours étrangères, elle reconnût enfin , mais trop tard, que
c'étoit là une de ces fautes, qu'il efl plus aifé de commettre,
que d'excufer.
Ainfi ayant tenu Confeil, pour délibérer fur les moyens de
maintenir fa puiiïance au dedans, ôc de conferver fa réputation
au dehors , dans la trifte fituation où étoient fes affaires , elle re-
folut fur toutes chofes d'envoyer quelqu'un de fa part en Fran-
ce, au Roi , à la Reine-mere ? ôc à fes oncles. Elle choifit pour
cette ambaffade Guillaume évêque de Dumblan , à qui elle
donna des inflrutlions dreffées par elle-même. Elle s'excufoit
d'abord, de ce que les bruits publics leur avoient appris l'ac-
compliffement oe fon mariage , avant qu'elle leur eût fait fça-
voir fes intentions ôc fes deffeins. Elle relevoit enfuite les ver-
tus de Bothwel , ôc les grands ôc importans fervices qu'il avoit
Tendus à fEcoffe du vivant de fa mère, ôc à elle-même depuis
fon fécond mariage. Elle ajoûtoit , que par ces fervices Bothwel
avoit fait voir à tout le monde fon obéïlfance ôc fa fidélité pour
la majefté Royale j mais qu'en fervant bien l'état, il s'étoit atti-
ré la haine de plusieurs perfonnes , qu'il n'avoit jamais offen«
fées en particulier j ce qui n'étoit pas étonnant dans un Royau-
nie aufïï fujet aux troubles ôc aux rebellions. Qu'après la mort
de
»«B«miji.i»*i»«i
D E J. A. D E T H O U . L I V. XL. 257
de fon dernier mari , Bothwel étoit devenu très hardi , fans néan-
moins rien diminuer de fon zèle ôc de fes foins pour ie bien de /^
l'Etat. Enfin qu'il en étoit venu à ce point d'arrogance, de lui j w
dire à elle même, qu'elle n'avoir point d'autre moyen de recon-
noître fes fervices, que de fe donner à lui : qu'une pareille pro- ^ '*
polition avoit paru à la Reine bien nouvelle ôc bien fâcheufe;
mais que le Royaume étant tout en combuftion, on avoit jugé
qu'elle devoit dilTimuier fon chagrin : Que fon ambition le por-
tant à ce qu'il y a de plus grand, il avoit profité de la famiHa-
r Jté qu'il s'étoit acquife par fes fervices continuels , pour per-
fuader à la Noblefle , que fi elle vouloir bien confentir à fon
mariage avec la Reine, fa Majefté ne s'en éloigneroit pas : Qu'a-
près avoir obtenu ce confentement, il avoit eu affez de hardief-
fe } pour joindre la violence aux prières 3 ôc qu'il avoit eu l'au-
dace de l'enlever en chemin , lorfqu'elle revenoit de voir fon
fils, ôc de l'emmener avec lui à Dumbar : Que la Reine ayant
vu avec furprife un confentement figné des Grands , auquel
elle ne fe feroit jamais attendue , ayant fait de ferieufes refle-
xions fur les fervices de Bothwel , prévoyant d'ailleurs que les
EcofTois ne foufFriroient pas long-tems une Reine fans mari ,
elle s'étoit enfin rendue à ces raifons , avoit cédé à la force ôc
à la neceffité , ôc lui avoit promis de l'époufer : Que Bothwel
ayant commencé par une attion hardie , ôc étant parvenu au
premier degré , n'avoir point eu de patience qu'il ne fût arrivé
au dernier •> qu'il n'avoir ceffé de la preiïer Ôc de l'importuner ,
en ajoutant des raifons aux prières , jufqu'à ce qu'il eûr obte-
nu d'elle f fans force ôc fans violence , que le mariage promis
s'exécuteroit fans différer davantage : Que la Reine ne pouvoit
dilTîmuler, qu'ill'avoit traitée autrement qu'elle n'auroit voulu ,
ôc qu'elle ne l'avoit mérité : Que Bothwel avoit plus fongé à
fatisfaire fa paffion, qu'à faire plaifir à la Reine -, ôc qu'il n'avoit
pas eu afiez d'égard aux bienléances , que devoit obferver une
Princefie élevée dan< l'ancienne Religion , dont elle déclaroit
enpafiantque ni lui ni aucun autre, ne pourroient jamais la dé-
tacher : Qu'elle reconnoifl!bit fincerement qu'elle avoit fait en
cela une faute 5 mais qu'elle prioit le Roi , la Reine , fes on-
cles, ôc fes amis, de ne la lui pas reprocher , ôc de n'en pas
faire un crime à Bothwel •. Qu'étant impofliblc que ce qui eftfait
ne le foit pas , elle étoit refoluë de le prendre dans la meilleure
Tome V» K k
2;8 HISTOIRE
part , & de lui donner l'interprétation la plus favorable qu'el-
Ch \p LE pourvoit : Que Bothwel étant véritablement fon mari, elle
I x' vouloir Teflimer , l'aimer 6c le refpe£ler : Que ceux qui fai-
j ^ ^' foient profelTion d'être amis de la Reine, dévoient auffi fc dé-
clarer les amis de celui qui lui étoit uni par des liens indiflb-
lubles : Qu'elle fouhaitoit donc que le Roi, la Reine-mere » fes
oncles , ôc fes amis , n'euffentpas moins d'amitié pourBothwel ^
quoi qu'il eût agi avec elle trop librement , Ôc peut-être avec
trop de hardielTe & de témérité ( ce qu'elle attribuoit à la vio-
lence de fon amour) que fi tout jufqu'à ce jour avoit été fait
de leur confentement ôc à leur gré.
Ligues pour Voilà les remèdes qu'on employa ^ contre la mauvaife repu-
& contre la tation quc Alarie s'étoit acquife au dehors. Mais pour le dedans
mari. ^ " du Royaume , elle ne penfa qu'à fe concilier, ôc s'affurer par des
préfens , ou par des promefTes , les auteurs ôc les complices de
la mort du Roi : elle méprifa tous les autres. Elle agifîbit avec
d'autant plus de fécurité , qu'elle s'imaginoit pouvoir s'en dé-
faire fans peine , s'ils s'opiniâtroienf à lui refifter. Elle apprit de-
puis, que quelques Seignelirs s'étoient ligués, fous prétexte de
veiller à la confervation du petit Prince , qu'ils difoient que la
Reine vouloir mettre entre les mains de fon beau-pere. Pour
juftifier leur confédération^ ces Seigneurs difoient , que Bothwel
vouloit perdre cet enfant , ôc qu'il paroifïoit qu'il s'en déferoit à
la première occafion j afin qu'il ne reftât perfonne pour venger la
mort de fon père , ou pour précéder dans l'ordre de la fuccef-
fion à la couronne les enfans que Bothwel pourroit avoir de la
Reine. Les chefs de la confédération étoient Gilepfic de Cam-
bell comte d'Argathel , Jacque Duglas comte de Morton , Jean
Areskin comte de Marre , Jean Stuart comte d'Athol , Ale-
xandre de Cunnigham comte de Glencarn , Patrice Lindfey ,
ôc Robert Boid. Mais bien-tôt après le repentir détacha de la
confédération , ôc fit paffer dans le parti contraire le comte
d'Argathel ôc Boid.
La Reine par une extrême imprudence tâcha de faire une
ligue contraire à celle-là j s'imaginant faulTement que la puifTan-
ce légitime pouvoit s'aflTermir par les fa6lions , plutôt que pat:
la bonne conduite 5 ôc ne penfant pas que , comme l'autori-
té s'acquiert par les bonnes manières, elle fe perd par \qs mau-
vaifes > ôc que la majeftc deftituée de la vertu ne tarde pas à
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. 2;p
s'évanouir. Les articles de cette ligue, fur lefquels on força les «^—i-ui^ii» '
complices, & la plus grande partie de la Noblelle à faire fer- C H ah le 1
ment , croient de défendre en toutes chofes la Reine ôc Bothwel j x 1
fon mari, ôc d'appuyer de toutes leurs forces tout ce qu'ils juge- i <; C. '
roient à propos de faire. La Reine ôc Bothwel s'engageoienc ]
de l'autre part à protéger les Confédérez , à veiller ôc à pour- i
voir , autant qu'ils pourroient , à leur confervation ôc à leurs i
intérêts. On manda le comte de Murray , pour lui faire ligner I
cette ligue avec les autres ; mais il le refufa conftamment , & '
on ne put l'y engager ni par prières, ni par menaces : il répon-
dit toûjoiirs , qu'il ne pouvoit ni juftement , ni honnêtement faire
une ligue avec fa Souveraine , à qui il étoit obligé d'obéir en -I
tout j que par foûmiffion à fes ordres il s'étoit reconcilié avec
Bothwel j qu'il garderoit exactement tout ce qu'il avoit alors
promis j mais qu'il étoit perfuadé , qu'il étoit de la juftice , ôc du
bien de l'Etat, de ne faire aucune ligue^ ni aucune confédération,
foitavec lui, foit avec quelqu'autre que ce pût être. Dans tou-
tes les converfations que le Comte eut avec Bothwel, il éluda par
fa modération ôc par fa retenue toutes les occafions de querelle,
que Bothwel cherchoit , ôc il perfifta courageufement dans fon
refus. La Reine, qui appréhendoit que fa fermeté ne devînt un
exemple , que bien d'autres pourroient fuivre , ôc qui ne vouloit
pas qu'il fe retirât à Murray , lui permit d'aller en France , en
Allemagne, ou en quelqu'autre lieu qu'il voudroit.
Cependant les Confédérez s'imaginant que le peuple favo- Guerre en-
riferoit leurs entreprifes , levèrent deux mille hommes fi fecré- ^jV^?>'^^'''r'
tement, qu Alexandre de Humes vint a leur tête allieger liorth- aérez.
wich , oi^i étoit la Reine avec Bothwel, avant que l'un ôc l'au-
tre en euflent rien fçû. Aîais comme une partie des Confédé-
rez n'étoient pas venus au tems marqué , par le retardement )
du comte d'Athol , qui les retint à Sterlin , ôc que de Humes I
n'avoit pas affez de monde pour fermer toutes les avenues,
Bothweh ôc la Reine fous un habit d'homme , fe fauverent,
& allèrent droit à Dumbar. Les Confédérez ayant perdu cette :
occafion , ôc ne voulant pas relier fans rien faire , marchèrent \
vers Edimbourg , pour s'en rendre les maîtres. Jacque Balfour i
étoit dans le château où Bothwel l'avoit mis î on croyoit qu'il !
étoit fon confident , ôc par conféquent complice du meurtre
du Roi. Mais foit qu'on ne lui tînt pas les promefies qu'on lui
Kkij
s,6o HISTOIRE
^ avoit faites , foit que Both\(^el eût voulu lui ôter le gouverne-
C H A R L E ^^^^ ^" château , & que cela lui eût fait abandonner fon parti ;
j^ il avoit promis aux Confédcrez de mettre cette place entre
j - jj* leurs mains. Ils vinrent donc pour cet effet à Edimbourg, où
étoient l'archevêque de S. André, George Gordon comte de
Huntley , & Jean Lefley évêque de Rofle, du parti de la Rei-
ne. Ceux-ci voyant que les habitans avoient reçu les Conjurez
dans la ville , fe rendirent dans la place publique , pour offrir
au peuple de fe mettre à leur tête : mais perfonne ne venant à
eux , ils fe retirèrent dans le château > où Balfour les reçut , &
ies Ht bien-tôt fortir par une porte de derrière , fans leur faire
aucun mal j parce que n'ayant pas encore conclu fon traité
avec les Confédérez , il ne vouloir pas fe fermer, du côté de la
Cour, toute efpérance de rentrer en grâce.
Les Confédérez s'étant rendus maîtres d'Edimbourg , & te-
nant la Reine & Bothwel comme affiégez dans Dumbar ,
ils fe croyo.ient au comble de leurs vœux , lorfque , contre
toute efpérance , les chofes changèrent tout-à-coup de face.
Non-feulement ceux qui étoient impliquez dans le meurtre
du Roi , mais un grand nombre d'autres, touchés decompaf-
fhDn à la vûë du trifte fort de la Reine , accoururent à fon
fecours. Les Confédérez au contraire fe trouvoient réduits à
de grandes extrêmitez : peu de gens les venoient joindre : l'ar-
deur du peuple fe rallentiffoit ; & ils n'avoient pas ce qui étoit
neceffaire pour former des fiéges. Tandis qu'ils étoient dans
l'inquiétude, ôc qu'ils délibéroient fur ce qu'ils avoient à fau-e,
la Reine , ou féduite par de mauvais confeils , ou animée par
de vaines efpérances , refolut d'aller à Lyth , s'imaginant qu'à
fon arrivée il viendroit un plus grand nombre de gens fe join-
dre à elle 5 6c que fa préfence ne manqueroit pas d'infpirer du
courage à fes amis , 6c de la terreur à les ennemis. Ceux qui
étoient auprès de cette Princeffe , nourriffoient cette fauffe
confiance par leurs lâches flatteries ', ôc ils l'affuroient que fon
courage 6c fa vertu ne trouveroient rien de difficile. Cepen-
dant ii elle eût feulement demeuré encore trois jours dans le
château de Dumbar , les Confédérez qui n'avoient point de
groffe artillerie , auroient été contraints de retourner chacun
chez eux. La Reine étant donc venue à Seton dans un jour,
ôc ayant diilribué fes troupes dans les villages voifins, on vir-t
DE J. A. DE THOU , Liv. XL. 2^1 \
sufli-tôt en donner avis aux Confédcrez. Ils fortirent la nuit «^^^-j^ga^^s^^g^ ■
d'Edimbourg, ôc allèrent en bataille à MufTilbourg, afin de pafTer C h a R L E i
l'Esk , avant qu'on le fût emparé du pont ôc des gués j ôc d em- I X. |
pêcher le paflage de la Reine , qui s'étoit arrêtée à Prefton. \ $ 6j. \
Déjà les deux armées étoient en préfence , ôc n'avoient en- 1
tr'elles qu'une colUne, dont la Reine s'étoit emparée. Com-
me elle étoit fi efcarpée , qu'on ne pouvoir y arriver fans pé-
ril ^ les Confédérez fe détournèrent un peu vers la droite, pour '
avoir le foleil à dos , monter plus facilement , ôc combattre en ■
un lieu moins défavantageux. La Reine interprétant cette dé- I
marche d'une autre façon , ôc croyant que les ennemis médi- ;
toient une retraite , ôc prenoient le chemin de Dalkeyth, ville ;
appartenante au comte de Morton , elle commença à fe tenir ^
moins fur fes gardes , ôc à prendre moins de précautions. Voyant propofinonj 1
enfuite que les Confédérez , après s'être rendus dans une plaine^ d'accommo- !
fe mettoient en bataille , elle leur envoya du Croc , pour leur réponfe.' |
promettre le pardon ôc l'oubli du palfé , ôc les exhorter à met- ^ .1
tre les armes bas. Morton, qui commandoit l'avant- garde, avec ;
Alexandre de Humes , fit réponfe à du Croc par un truche-
ment , au nom des Confédérez , qu'ils n'avoient pas pris les ar- j
mes contre la Reine , mais contre le meurtrier du Roi : queii 1
la Reine vouloir le faire punir , ou l'éloigner de fa perfonne s \
elle reconnoîtroit au(îi-tôt que les Confédérez ôc lui n'avoient \
point de plus forte paiïion , que de demeurer inviolablement |
dans la fidélité Ôc l'obéïffance qu'ils dévoient à Sa Majefté 3
qu'autrement il étoit impoffible de trouver aucune voie d'ac-
commodement.. I
Quoi qu'on n'eût pu rien obtenir des Confédérez par l'en- '
tremife de du Croc , la Reine ne laifTa pas de demeurer dans
fon camp. Bothwel s'étant alors avancé fur un beau cheval hors |
des retranchemens , fit demander par un herault , s'il y avoir !
quelqu'un qui voulût fe battre avec lui. Jacque comte de Mur- ■
ray s'étoit quelque tems auparavant offert à ce combat, par un 1
cartel qui fut alors afiiché, mais fans fe nommer. Guillaume ;
comte de Tilbarn , frère aîné de Jacque , accepta ce défi. Maid
Bothwel ayant répondu que ces deux hommes n'étoient pas j
d'une condition à tirer lepée contre lui , Patrice de Lindfey de j
la première Noblefi^e fe préfcnta , ôc comme il y eut encore,
de la conteftation fur la condition ôc la dignité des perlbnnes- , !
Kk iij
B
2.62 HISTOIRE
la Reine interpofa fon autorité, ôc empêcha le combat, endé-
C HA RLE fsriciarit 3. Bothwel de fe battre. Dans l'armée de la Reine ou
j;)^ étoit partagé : Tes amis & fes parens vouloient qu'on donnât le
I ç d 7. combat fur le champ : le peuple au contraire , dont le nombre
étoit le plus grand , ne vouloir point qu'on en vînt aux mains ,
difant qu'il étoit plus jufte que Bothwel défendît lui-même fa
caufe par fes propres armes , que de hazarder la vie de tant de
Noblefle , ôc principalement celle de la Reine : que les Hamil-
tons , qui venoient , difoit-on , avec cinq cens cavaliers j étoient
proche î ôc que quand ils feroient arrivez, on pourroit,s'il le
falloit, combattre avec plus de fureté ôc d'avantage. La Reine,
impatiente de donner combat, verfa des larmes de colère , fe
fâcha contre les Grands '■> ôc ne pouvant faire autre cliofe elle
envoya un herault à l'armée ennemie demander qu'on lui dépu-
tât Guillaume Kircadey baron de Grangy , pour conférer avec
lui fur les moyens de faire la paix , tandis que les deux armées
demeureroient en bataille.
Fuite de Dans le tems qu'on fe difpofoit au pourparler , Bothwel dé-
ochwei. La fefperant du fuccès , quitta le camp de la Reine, pour appaifer
da^iii'i'ecaiTip l^îs Confédérez , & marcha vers Dumbar avec deux hommes
desCoiifédé- feulement, qu'il renvoya aulÏÏ-tôt. La Reine qui étoit conve-
tenuë^ & con'- ^^'^^ ^^^^ Kircadey , que le refte de l'armée fe retireroit en fù-
diiite en pri- rcté , vint avcc lui trouver les Seigneurs , vêtue d'une efpece
de cafaquin de peu de valeur , 6c prefqu'ufé , qui lui defcen-
doit un peu au-deflous des genoux. Elle fut reçue d'abord avec
quelques marques de l'ancien refpe£l qu'on avoir pour elle.
Mais ayant demandé qu'on la laiffât aller , pour conférer avec
les Hamiltons , promettant de revenir , elle ne put l'obtenir.
Alors s'étant mis en colère , elle leur parla avec beaucoup d'ai-
greur , ôc leur reprocha en face les bienfaits qu'ils avoient re-
çus d'elle. On l'écouta en filence : mais s'étant avancée juf-
qu'au corps de bataille , commandé par les comtes de Glenkar-
ne i de Marre, ôc d'Athol , elle y fut reçue de tous cotez avec
des injures , des owtrages , ôc des reproches fanglans. Ce qui
mit le comble à l'indignité de la réception, fut que de quelque
côté qu'elle fe tournât, on lui mettoit toujours devant les yeux
un drapeau fufpendu entre deux picques , fur lequel on voyoit
prefenté le cadavre du feu Roi Henri , ôc auprès de lui fon en-
fant , qui ayant les mains étendues vers le ciel » demandoit à
fon-i
D E J. A. D E T H O U , L I V. XL, -263
Dieu la vengence de cet exécrable parricide. A cet afpecl , Ma-
rie s'évanouit, ôc on fut obligé de la foûtenir, de peur qu'elle r harle
ne tombât de cheval. Enfin fur le foir elle entra dans Edim- t v
bourg , où tout le peuple accourut au-devant d'elle , pour la 1 <; /-r
voir. Elle avoir le vifage fi couvert de larmes ôc de poufTie-
re , qu'il fembloit qu'on lui avoit jette de la boue. On portoit
toujours devant elle le drapeau dont nous avons parlé.
Cette Pnncefle , d'un courage héroïque , malgré le change-
ment de fa fortune , ne changea point de fentiment : elle ne
voulut rien donner à la neceilité des circonftances fâcheufes où,
elle fe trou voit ; elle reflentit néanmoins , comme elle devoit ,
un Cl indigne traitement. Arrivée au logis qu'on lui avoit defti-
né, elle fe mit à une fenêtre , d'où elle parla au peuple , ôc lui
dit, après bien d'autres menaces, qu'elle feroit mettre le feu
à la ville, ôc qu'elle i'éteindroit avec le fang de fes perfides fu-
jets. Mais bien-tôt après , par ordre des Grands , elle fut con-
duite avec une bonne efcorte dans uneforterefre,qui efl: furie
Lac Levin. On lui donna , pour lui faire compagnie , la mère
du comte de Murray , autrefois maîtreffe de Jacque V , qui
par une fotte arrogance, infulta , dit-on, au malheur de Ma-
rie , fe vantant d'avoir été la véritable époufe du Roi Jacque V,
ôc foutenant que fon fils étoit légitime. C'eft au moins le bruit
qu'on répandoit alors j pour rendre le comte de Murray odieux.
Cependant on crut qu'il avoit été également éloigné de corps ,
d'efprit ôc de cœur , foit du parricide , foit des troubles , (bit
du mariage de Bothwei qui en furent les fuites.
Tout cela fe paffa un peu avant que l'évêque de Dumblaii
fut venu à la Cour de France. Lorfqu'il y arriva, on avoit dé-
jà reçu des lettres de du Croc , ôc de Ninien Cocborne , qui
avoit fervi quelque tems en France en qualité de Meftre de
camp de cavalerie , par lefquelles on avoir appris tout ce qui
s'étoit paffé en Ecofïe. L'Evêque, qui ne fçavoit rien de tout
cela, ayant été conduit à faudience du Roi, commença un long
difcours préparé , dans lequel il relevoit, par des louanges ex-
ceffives ôc contraires à la vérité , les vertus de Bothwel. La
Reine-mere l'interrompit , ô-: lui montra les lettres qu'on avoit
reçues d'Ecofle. On fe mocqua beaucoup , ôc du difcours de
l'Ambaffadeur, ôc de l'inutilité de fon ambaflade.
Cependant Bothwel, réfolu de prendre la fuite , envoya un
264 HISTOIRE
■ homme de confiance au château d'Edimbourg , poiii* lui appor-
Charle ^^'^ "" peut coffre d'argent, fur lequel il y avoir de tous cotez
IX. ^^^ chiffres , qui marquoient qu'il avoir autrefois appartenu à
j - ^_ François II, premier époux de la Reine dEcoffe. Il étoir rem-
pli de lettres qu'on a vues depuis , qui parloient clairement du
meurtre du Roi , ôc de tout ce qui s'en étoit enfuivi j ôc il étoit
recommandé prefque dans toutes , qu'on les brûlât dès qu'on
les auroit lues. Balfour, qui commandoit encore dans le châ-
teau, ôc qui favorifoit fecrettement les Confédérez , donna le
petit coffre à l'envoyé de Bothweh mais en même tems il leur
en donna avis. Le coffre fur faifi , ôc les Confédérez parurent
y avoir trouvé une convidion entière de toute l'affaire , fur la-
quelle on avoir jufqu'alors répandu des doutes. Bothwel voyant
que fes affaires alloient très-mal de tous cotez , perdit toute ef-
perance de les voir rétablies , ôc s'enfuît dans les Orcades,
ôc de-là aux ifles de Schetlandt , où fe trouvant réduit aune
extrême necelïîté , il commença à faire le métier de Pirate.
Pour la Reine , quoique le plus grand nombre la fuppliât de
vouloir bien féparer fa caufe de celle de Bothwel , elle ne
voulut jamais y confentir. Plus irritée que vaincue par les
maux qui Faccabloient , elle répondit avec force , qu'elle aimoit
mieux vivre avec Bothwel, dans toutes les extrêmitez où fa
mauvaife fortune l'avoit réduit , que de vivre fans lui dans les
déhces de la Royauté.
LaKeineeft La haine qu'on avoit conçue pour la Reine, s'adoucit avec
obligée d'à b- \q tems : les Confédérez virent, contre leur attente, que lafu-
*' "* reur de plufieurs fe changeoit en compaffion. D'ailleurs la fac-
tion de ceux qui étoient complices de la mort du Roi , ou qui
avoient depuis foufcrit à la ligue de la Reine , commençoit à
prendre le deffus. Les Confédérez tentèrent inutilement de les
réunir avec eux , pour délibérer de concert fur ce qu'il y avoit
à faire î ils ne purent l'obtenir. Cependant ils reduifirent la
Reine, qui n'avoit plus aucune efperance, à renoncer à la cou-
ronne, fous le prétexte de fa mauvaife fanté, ou de telle autre
raifon qu'elle voudroit alléguer , ôc à donner la tutelle de fon
fils , ôc l'adminiftration du Royaume, à celui d'entre les Grands >
qu'elle voudroit choifir. Ainfi malgré elle, ôc après avoir fait,
fuivant le confeilde Trockmorton , les proteftations ufitées en
pareil cas , Marie nomma Jacque comte de Murray fon frère
naturel j
DE J. A. DE THOU. Liv. XL. ti6^
naturel ( fuppofé qu'il voulût bien accepter cette charge lorf-
qu'il feroit de retour) Jacque Hamilton duc de Chatellerault, Char LE
Mathieu Stuart duc de Lenox , Gilepfic de Cambell comte jx.
d'ArgatheL Jean Stuart comte ^d'Athol, Jacque Duglas comte 1^57,
de Morton , Alexandre Cunnigham comte de Glencarn , ôc
Jean Areskin comte de Marre. On envoya enfuite des perfon-
nés chargées de procuration , pour mettre le jeune Prince en
poireiTion du Royaume , en le plaçant furie tlirône à Sterîin , ou
en tel autre lieu, qui fembleroit le plus commode. Cette cérémo-
nie fe fît le 25* de Juillet.&le vingtième jour d'après l'avènement
du Roi au thrône. Jacque de Murray , à qui fes amis avoient
donné avis de tout ce qui s'étoit pafTé t arriva de France en
EcofTe. Il y fut reçu par les Confédérez avec beaucoup de joie , iç jointe
6c chacun le prefla vivement de prendre le gouvernement du de Mmiay cft
Royaume pendant la minorité du Roi , fils de fa fœur , en lui RoV^&^Re"
remontrant qu'il étoit le feu 1 qui pût rempUr cette place , fans gentduRoy-
attirer l'envie ou la jaloufie 3 parce que fa vertu avoit été éprou- ^^^^'
vée par une infinité de dangers ; qu'il avoit mérité cet honneur
par les importans fervices » 6c que la Reine le demandoit. I
Le Comte pria qu'on lui donnât quelques jours pour déli- 1
berer, pendant lefquels il écrivit aux Grands du parti contrai- I
re, 6c principalemenr au comte d'Argathel, pour qui il avoit I
beaucoup de déférence. Enfin n'ayant pu obtenir ni une con- "
' férence avec la fadion oppofée, ni un plus long délai de la part ;
des Confédérez , qui voyoient que l'afl^aire preflbit , il fut dé- f
claré Régent , par les fufFrages unanimes de tous ceux qui étoient ^
préfens. Le troifiéiiie jour après fon arrivée , il fut prefenté avec
quelques autres perfonnes à la Reine. Cette Princeffe l'ayant
prié de fe charger de l'adminiftration du Royaume , 6c de la \
tutele de fon fils , Ôc de vouloir bien pourvoir à la conferva- ;
tion de fa vie 6c de fon honneur, il parut àplufieurs n'être pas
affez reconnoiflant de l'honneur qu'elle lui faifoit de fi bonne
grâce 3 ôc on l'accufa d'avoir moins penlé à confoler une Reine j
prifonniere , qu'à infulter à fes malheurs. En effet , comme '•
il étoit d'une humeur auftére , il lui confeilla durement de
faire pénitence , 6c d'implorer la divine mifericorde , com- \
me on exhorteroitune perfonne à l'extrémité. La Reine témoi- !
gna la douleur qu'elle avoit de fes fautes paffées , en avoua inge- ^
nuement quelques-unes , tacha d'en excufcr quelques-autres , " \
Tome F. h\ ^
^66 HISTOIRE
en les attribuant à la fragilité humaine , ôc nia abfolument un
C HA RLE g'^^^"^^ nombre de celles qui lui étoient imputées. Le comte de
j ^ Murray lui répondit , que c'étoit aux Etats à lui accorder la gra-
i (- ^j ce qu'elle demandoit : qu'au refte il elle vouloit conferver fa
vie & fon honneur, elle devoit fur toutes chofes prendre gar-
de à ne jamais troubler le repos du Royaume ôc du Roi , en
fe fauvant de prifon , ou en follicitant le Roi de France ôc la
Reine d'Angleterre à exciter dans l'EcoiTeuneguerre ou étran-
gère ou civile : qu'elle ne devoit à l'avenir avoir aucun com-
merce avec Bothwelj nifongeràfe venger de fes ennemis.
Le comte de Murray s'obligea enfuitepar écrit , à ne rien
faire qui concernât le Roi , ôc fon mariage, ou la liberté delà
R.eine , fans le confentement des Confédérez. Il chargea Li-
dingthon d'avertir Trockmorton de ne plus faire de protefta-
tions ôc d'oppolitions au nom de la Reine j parce que les
Confédérez ÔC lui étoient prêts de tout foufïrir plutôt que de
permettre que la Reine rétablie dans fa première liberté j re-
tînt auprès d'elle le parricide Bothwel , qu'elle mît le Roi fon
fils en danger, qu'elle excitât des troubles dans le Royaume,
Ôc qu'elle profcrivît les Confédérez. Quoiqu'il ne fût pas des
amis delà France, il ne laiffa pas d'infmuer aux Anglois ce
qu'ils avoient à craindre de ce côté là ; parce que les François
n'abandonneroient jamais les EcofTois , qui étoient leurs anciens
alliez.
Dans le même tems Philbert le Voyer de Lignerol étant
venu , après Villeroy , de la part du Roi de France , pour voir
la Reine , on lui refufa l'entrée de la prifon , comme on avoit
^fait aux autres. Auiïi-tôt après , on arrêta Jean Hepburne , Pa-
ris , François de nation, Dagiish, ôc d'autres de la fuite de Bo-
thwel , convaincus d'avoir été prefens au meurtre du Roi. Ils
déclarèrent à la queftion qu'ils avoient entendu dire à Bothwel
leur maître , que les comtes de Murray ôc de Morton étoient
les auteurs du meurtre du Roi > ôc ils déchargerentlaReine, en
difant qu'elle n'avoit eu aucune connoiffance de l'action qu'on
projettoit. Mais comme ils difoient avoir appris cela de la bou-
che de Bothwel , on y ajouta alors peu de foi. Quelques an-
nées après , lorfque Morton fut exécuté , il varia tellement,
qu'il donna lieu de le croire , ou de ne le pas croire, ainfî que
nous le dirons dans fon tems. Comme on ne pouvoit rien
DE J. A. DE THO U, Liv. XL. 2(^7
obtenir en faveur de la Reine, foit du Régent, foit des Confc- - .
dérez; le Roi de France à la prière des Guifesj envoya Paf- C H ah le
quieres Gentilhomme du Dauphiné, à la Reine Elizaberh , ly^
pour la prier inftamment d© joindre fes forces à celles de la i r (^7
France, afin de remettre Marie fa fœur en liberté, ôc fur le
thrône. Mais les Anglois, qui n'aimoient pas à fe lier avec nous,
lors même que la caufe étoit commune entre les deux nations,
prièrent le Roi de les difpenfer d'en venir à une guerre ouverte>
& confentirent feulement qu'on interdît aux Ecoflbis tout com-
merce avec la France ôc l'Angleterre , jufqu'à ce qu'ils euilent
remis leur Reine en liberté : efperant que fans prendre les ar-
mes , cette feule défenfe fuffiroit pour détacher le peuple des
Confederez j ôc qu'alors les amis de la Reine , qui jufques-là
avoient été les plus foibles , deviendroient les plus forts.
Cependant le 2p de Juillet, après un difcours prononcé par ^
Jean Cnox , Jacque VI. fut mis en poiTeiïion du Royaume. Jac- ment du ic-
queDuglas ôc Alexandre de Humes jurèrent pour lui qu'il ob- g"«^ ^^ h^-
ferveroit les loix ; qu'il embrafferoit la dodrine ôc la Religion '^"^
qu'on enfeignoit alors publiquement , ôcqu'il combattroit tous
les ufages contraires. Les Grands de l'autre parti, qui étoit la
faclion des Hamiltons, ayant appris ce qui s'étoit paffé, furent
très-indignez, ôc murmurèrent hautement de voir qu'un petit
nombre de Seigneurs, qui n'étoient pas les plus puiflans,s'é-
toient emparez du gouvernement, ôc qu'ils difpofoient de tout
fans leur participation ôc leur confentement , à quoi ils ne s'é-
toient jamais attendus. Mais Jacque de Murray ayant donné AfTcmbiéc
une entière fatisfa£lion au comte d'Argathel , ôc aux autres de des Etats.
la même faâion, qui étoient venus le trouver à Edimbourg,
il obtint que tous fe réuniroient dans l'afTemblée générale des
Etats. Elle fut très-nombreufe , ôc fe tint le 2; d'Août. On y
confirma avant toutes chofesla nomination du Régent, avec
tous les pouvoirs ôc toute l'autorité attachez à cette charge.
Sur ce qui concernoit la Reine , les avis furent partagez.
Lindfey , ôc peu d'autres furent d'avis , par refpc£l pour la Ma-
jeflé royale, de la rétablir dans fa première dignité ; mais à con-
dition qu'on feroit le procès aux parricides, fuivant la rigueur
des loix 5 qu'on établiroit avant toutes chofes la Religion ; qu'on
pourvoiroit à la confcrvation du Roi , ôc que la Reine feroit
féparéc de Bothwel. Le comte d'Athol, ôc ceux qui étoient
Llij
26B HISTOIRE
I , I. avec lui , opinèrent que la Reine fiit reléguée pouf jamais en
Ch ARLE ï^^^"c^ °^ ^^ Angleterre j pourvu que le Roi de France 6c
TV Elizabeth l'empêchaflent de rien entreprendre contre fon fils
- /_ dans le Royaume. D'autres conclurent à la faire comparoître
en juftice, ôc après l'avoir convaincue du parricide, à la con-
damner à une prifon perpétuelle. Quelques-uns même vou-
loient lui faire perdre la couronne ôc la vie, comme étant dé-
jà atteinte ôc convaincue par les lettres qu'on avoit entre les
mains.
Trockmorton parlant de la part d'Elizabeth , qui avoit été
dans la même fituation, ôc qui avoit appréhendé le même fort
que Marie , fit voir par l'autorité des faintes Ecritures , que
la majefté fainte ôc facrée des Rois n'étoit foumife qu'à la
feule juftice du Souverain juge qui eft dans le ciel : ôc qu'il
n'y avoit aucun tribunal fur la terre où l'on pût les citer :
qu'il n'y avoit en Ecofle aucun Magiftrat, qui ne dépen-
dît de la Reine , ou qu'elle n'eût commis à l'exercice de
fa charge. D'un autre côté , on oppofoit le droit particulier
du Royaume d'Ecoffe , qui ne regardoit pas comme une
puiflTance libre Ôc légitime, celle quis'élevoit au-deffus des loix.
L'avis qui gardoitle milieu , l'emporta enfin, ôc il fut réfolu que
la Reine dcmeureroit en prifon. Les chofes étant ainfi en quel-
que façon réglées , il y eut une apparence de paix , ôc on mit
bas les armes j mais il étoit aifé de juger qu'une paix fi mal affer-
mie , jointe à l'indignation qui paroifiToit affez clairement dans
quelques efprits encore agitez , enfanteroit de triftes évenemens
dans le tems qu'on y penferoit le moins.
Nos Ambaffadeurs ôc ceux d'Angleterre eurent audience;
mais Une fut permis ni aux uns ni aux autres de voir la Rei-
ne , qu'on gardoit en prifon. Du Croc ôc Nicolas de Neuf-
ville de ViUerdy , que le Roi avoit envoyés extraordinairement
au premier bruit des troubles qui agitoient l'Ecoffe , deman-
dèrent avec inftance à voir la Reine 5 on les refufa. Lindfey
répondit avec hauteur à Nicolas Trockmorton, quidemandoit
la même chofe de la part d'Elizabeth , qu'on ne lui accorde-
roit pas ce qu'on avoit refufé au roi de France. On avertit
aufiTifAmbafladeur, que la Reine fa maîtreffe marquât plus de
reconnoiffance ôc de libéralité envers ceux, qui étoient atta-
chez à fon parti : car elle en avoit affez mal ufé à l'égatd de ceux
\eaammmmii
DE J. A. DE THOU, Liv. XL. a^p
qui étant perfécutez au fujet du meurtre de David Riz , s'étoient
retirez en Angleterre, ôcpour ainfi dire, jettez entre fesbras: Char le
on lui fit même entendre , que fi elle n'en agiflbit mieux à l'ave- jx.
nir , les Ecoflbis fe voyant fans efperance de fon côté , aban- j - ^ „^
donneroient les Anglois , ôc s'attacheroient au parti des Fran-
çois, pour lequel ils avoient beaucoup de penchant.
Cependant on équipa une flotte, non aux dépens du public, Mifcrablefin
( caries finances étoient épuifées ) mais aux dépens du comte de <ie Bothwei.
Morton, ôc on l'envoya fous la conduite de Kirkade, pour
prendre Bothwel , qui , comme on l'a dit , faifoit le métier de
Pirate, vers les Orcades & les ifles les plus éloignées. Kirkade
fit une fi grande diligence, qu'il penfa prendre Bothwel, qui
fe croyoit fort en fureté. Une partie de fçs gens furent pris î
pour lui il fe fauva par le derrière de l'ifle , où les grands vaif-
îeaux ne pouvoient le fuivre ; ôc il s'enfuit avec un très petit
nombre de compagnons par de petits détroits , qu'on pouvoir
prefque pafl^er à gué. De-là la tempête le jetta fur les côtes de
Dannemarck : mais comme il ne répondit pas nettement aux
queftions qu'on lui fit , d'où il venoit , ôc où il alloit , on le mit
d'abord aux arrêts : ôc ayant été reconnu par des marchands , il
fut mis dans une étroite prifon à Dracholm. Là il fut accufé
parles amis d'une fille de condition de Norvège, qu'il avoit
violée plufieurs années auparavant , fous prdteiefie de mariage,
Ôc qu'il avoit abandonnée pour en prendre une autre. Enfin dix
ans après , la folie s'étant jointe àfes autres mifercs, il eut une
fin digne de la vie qu'il avoit menée.
En cette année finit en Llande la plus forte rébellion , qui Mouvemens
ait troublé ce Royaume, après celle du comte de Tir-Oen.
Il me femble qu'il eft à propos de remonter plus loin , pour
en découvrir lescommencemens, parce qu'on croit qu'elle fut
la caufe de celle qui s'éleva quelques années après. Vers l'an
145*2, lorfque la guerre étoit allumée entre les maifons de Lan-
caftre ôc d' Yorck , Richard duc d'Yorck , dont les ancêtres, fur-
nommez Mortimers ôc de Bourck , avoient pofiedé à titre de
comté , ôc par droit héréditaire, la province d'Ulfter ( qui eft la
partie la plus feptentrionale de l'Irlande ) en fit venir , pour
fortifier fon parti , des troupes Angloifes , qui y étoient en
garnifon. Les Seigneurs de la maifon d'O-neal, qui tire fon
origine des anciens rois d'Ulfter, profitèrent de cette occafion
L 1 lij
en Irlande.
i
±10 HISTOIRE
-' ôc s'emparèrent de cette Province , comme d'un héritage aban-*
C H A R T. E donné. Cone-o-neal , furnommé Bacco , c'eft-à-dire le boiteux;
I X. ^s plus confiderable de cette maifoii en puiffance ôc en richef-
i c 57. ^'^s, vint en Angleterre l'an 15" 44- fous le règne de Henri VIII,
après que les Etats d'Irlande eurent donné à lui ôc à fes fuc-
cefTeurs le nom de Rois d'Irlande , au lieu du nom de Seigneurs
ou Defpotes de l'Ifle , qu'avoient porté fes prédecefleurs. Henri
le créa comte de Tir-Oen , & afTûra cette dignité à Mathieu
fon fils aîné , qu'on appelloit alors le baron de Dunganon , ôc
aux héritiers mâles de Mathieu , qui feroient iiïlis d'un légiti-
me mariage. Jean II. fils de Cone^ quelesirlandois nommoient
Shan, ne put fouffrir cette élévation de Mathieu, qu'il difoit
être batard,prérendant qu'il étoit fils d'un ouvrier en fer de la ville
de Dundalk j dont Cône fon père avoit pafTionnément aimé la
femme. Il fouleva donc contre Mathieu les autres Seigneurs
de la maifond'O-neal ; ôc enfin il le tua en trahifon à la chaffe. Il
drefla auffides embûches à fon père, qui mourut quelque tems
après , ou de peur d'être tué par fon fils , ou du chagrin qu'il
conçut du meurtre de Matthieu.
De Mathieu naquit Hugue , qui excita depuis de fi grands
troubles en Irlande. Mais comme 011 ne le craignoit pas alors
beaucoup , à caufe de la foiblefïe de fon âge , Jean perfuadé
que fon frère aylllt été tué, ôc fon père étant mort, il n'avoit
plus rien à defirer, s'empara de toute lafuccefifion defonpere;
ôc fe faifant appeller O-neal , il fe rendit maître de la provin-
d'Ulfter, ôc obligea les grands ôc le peuple , par carefTes ou par
menaces , à lui rendre hommage. Il défit fouvent les Ecoflbis,
qui des ifles Hébrides étoient paflez dans ce payis pour le pil-
ler 5 ôc enfin il fe révolta contre la Reine d'Angleterre.
Henri Sydney, qui étoit alors Viceroi d'Irlande, appréhendant
la férocité de Jean , réfolut d'agir avec lui fuivant toutes les rè-
gles de la' juftice , ôc il lui demanda quelle raifon il avoit d'ex-
clure Hugue de la fuccefiTion de fon père ? Jean répondit que
le père d' Hugue étoit ou fils d'un artifan , ou bâtard adultérin
de Cône, ôc que pour lui il étoit né en légitime mariage : Que
Cône fon père n'avoit pu fe donner un héritier , fans le con-
fentement des Grands , ôc du peuple d'Ulf^er : Que par con-
féquent , fuivant les lettres de Henri VIII. fcellées du grand
feau d'Angleterre , Cône avoit envain inftitué Mathieu fon
DE J. A. DE ÏHOU, Liv. XL. 271
héritier, ôc que Mathieu n'avoit pas été reconnu ôc confirmé —
héritier de fon père parle ferment de douze hommes : Que Charle
quand Mathieu auroit été légitime, néanmoins félon la loi d'Ir- J X
lande, nommée Tanishienne, on avoir dû préférer un homme 1^57.
fait, ôc le plus proche parent , à un enfant de onze ans, dont
le père étoit mort avant l'ayeul 5 ôc qu'enfin il avoit été pro-
clamé du confentement unanime de tous les peuples, O-neal,
c'eft-à-dire , Prince d'Ulfter , ôc revêtu de toute l'autorité fou-
veraine , fans avoir befoin de la confirmation de la Reine d'An-
gleterre.
Sydney lui ayant dit qu'il en écriroit à la Reine , ôc l'ayant
exhorté en attendant à le contenir dans fon devoir , Jean le
promit d'abord. Mais aufïî-tôt finconftant Irlandois man-
qua à fa parole, fe fit fervir comme Roi d'Ulfter, ôc fe for-
ma une compagnie de fept cens gardes du corps. Il fit enfuite
des levées dans la province 5 ôc ayant trouvé qu'il pouvoit avoir
environ mille hommes de cavalerie , ôc quatre mille d'infante-
rie i plein de courage ôc de confiance , il pilla ôc fit le dé-
gât par tout aux environs , ôc fe moqua de ceux qu'on lui
avoit envoyez pour traiter de la paix. Il eut même la té-
mérité de faire le fiége de Dundalck , où il y avoit garnifon
Angloifej mais ayant été repoufféavec perte, il fut contraint
de fe retirer. Le Vice-roi leva une armée pour arrêter fes
conquêtes , ôc par un trait de prudence digne d'un grand Gé-
jiéral , il fit embarquer le colonel Edouard Randolfe avec
fept cens vieux foldats , Ôc l'envoya de l'autre côté de l'Ul-
fter, pour furprendre Jean ôc l'attaquer par derrière. Randol-
phe s'étant campé à Derwe , petite ville Epifcopale près de ,
Laugh-foyl, au payis fcptentrional d'Ulfter, il obligea Shan à
ceiïer de piller , pour venir de ce côté là 5 ôc ayant été au-de-
vant de lui , il lui donna bataille , ôc le défit. Il y eut un grand
nombre de tuez dans l'armée de Jean , ôc très peu du côté des
Anglois. La mort de Randolfe , qui périt en combattant cou-
rageufement dans les premiers rangs , troubla la joie de cette
vidoire. Le Viceroi mit en fa place Edouard de Saint Lo ,
qui ayant autant de courage ôc de valeur , ne donna pas moins
d'exercice aux rebelles, pendant trois ans qu'il eut en ce lieu
un Fort : mais ce Fort ayant été brûlé par un accident , avec les
vivres , les munitions , ôc tout l'attirail de guerre , Saint Lo
^12 HISTOIRE
fit embarquer fon infanterie fur quelques petits vaifTeaux, qui
Char LE ^^^ étoient reliez $ pour lui s'étant mis à la tête de la cavaîc-
IX. ^^^ > ^^ marcha durant quatre jours au milieu des ennemis , ôc
I j (5 7. contre toute efperance il s'échapa , ôc vint trouver le Viceroi
fans avoir perdu aucun de fes gens.
Ces fuccès rabattirent extrêmement la fierté de Shan. Com-
me la plupart étoient déjà las delà duretédefon gouvernement,
& des incommoditez de la guerre , le Viceroi n'eut pas plutôt
mis le pié dans l'Ulfter , que la plus grande partie de la Provin-
ce vint lui rendre hommage. Le dernier effort de la folie de
Jean, fut de tenter encore une fois le fiége de Dundalck, qu'il
fut contraint de lever avec une grande perte j enfin fe voyant;
abandonné de fes gens ; il perdit entièrement courage , ôc for-
ma le deffein de venir , la corde au cou, fe jetter aux pies du
Viceroi. Ses partifans l'empêchèrent de faire une attion fi hon-
teufe j mais ils lui confeillerent en même tems de prendre une
refoludon, qui ne lui fut pas plus falutaire. Ce fut d'implorer le
fecours des Pyrates des Hébrides , qui étoient à Clandeboye.
Car quand il auroit été affuré de leur bonne foi, il auroit dû au-
moins appréhender qu'ils ne fe fouvinffent de l'injure qu'il leur
avoir faite. Il vint donc avec l'élite de fes gens, ôc avec la fem-
me d'O-donei, qu'il avoit enlevée de force à fon mari, fe livrer
imprudemment à d'anciens ennemis, avec qui il s'étoit recon-
cilié. Il fut d'abord bien reçu en apparence par Guillaume Bufck,
ôc par Alexandre Oge^ chefs des Pyrates Ecoffois. Mais comme
ils cherchoient une occafion de fe venger, un jour qu'ils man-
geoient enfemble , ils en vinrent exprès aux réproches ôc aux
injures jils fe jettererrt enfuite fur Shan, ôc le tuèrent avec fes
gens au commencement de Juin , cinq ans après qu il fe fut ré-
volté. Cette mort ne rendit pas la paix à cette Province épui-
fée par la guerre : elle ne fit qu'infpirer un nouveau courage à
Hugue fon neveu. En effet voyant fon oncle mort , il entre-
prit de faire valoir fes anciennes prétentions. Dans l'efperance
de fe mettre en polTefiion des biens , dont on l'avoit dépouillé, il
excita de nouveaux troubles ; ôc pour faire de la peine aux An-
glois, il fit venir des Efpagnols dans l'ifle.
Tin du quarantiémç Livre,
HISTOIRE
^7^
,"<*,
»^
HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE TH O U.
LIVRE QV ARANT E-V N lE ME.
jS^â3g^:^Eé^gé^ Alenciennes étant aOlégée , le ba- ^. ,
^ ij) (J) (J) (J) (^ Q>^ron de Norkeniies, qui cominandoit ^
^ cs GC5>S^C5QC5G^^5)(S^ yS; P l'armée du Roi d'Efpagne , compofée , ^
~ de dix enleignes d inranterie , & de mil-
le chevaux, prit avec lui Jean de RafTe-
§ *3 ^ gem gouverneur de Lille , de Douay ^"'^^ ^'^^
LE
^
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§*.
V*§ ^ le chevaux, prit avec lui Jean de RalTe- ^ '*
*^ *3 ^ gem gouverneur de Lille , de Douay ^V?^ j'^*
*^) ' ¥■ * * xv^ -. ?fS> n i>A 1 • • • V /- 1 •' troubles des
8^ c3bcS(^c5^c53(^S ^ ^ <Sc dOrchies , qui avoit a les ordres Payxs bas.
^ {J^ (J> (^ (^ (^ ^ trois cens arquebuHers , ôc cent cava-
liers. Lepremier jour de Janvier il com-
battit avec fuccès les Confédérez , qui
avoient été joints par les Proteftans de Tournay fous la con-
duite du capitaine Jean Sereau. Le Baron ayant raflemblé tou-
tes fes forces pendant la nuit, les attaqua dès le grand matin ,
lorfqu'ils étoient débandez ôc difperfez de côté & d'autre, en-
tre "Waterloo ôc Lanoy : il les mit en fuite j le capitaine Sereau
fut blelTé , ôc eut bien de la peine à fe fauver. Comme ils s'étoient
Tome y. Mm
a74 HISTOIRE
retirez à Tournay , Norkermes , pour profiter de îa vicloire , y
accourut fur le champ avec neuf enfeignes j & fomma la ville
de le recevoir. Les Proteftans, qui fe voyoient abandonnez en
même tems , 6c de la fortune , ôc de leurs amis , n'eurent pas
le courage de refifter ; on ouvrit les portes au Baron, qui ayant
pris pofleflion de la ville , lit exécuter quelques Miniftres, ôc
quelques-uns de ceux qui étoient attachez à leur doctrine.
Cependant le baron de Buederode qui étoit à la tère des
Confédérez , cherchant tous les moyens de faire la paix , écri-
vit au nom de fes affociez à la ducheffe de Parme ^ gouvernan-
te des Payis-bas , ôc lui demanda permifTion de venir à la Cour.
Il fe plaignit en même tems , de ce qu'on n'avoit point eu d'é-
gard aux alTurances qui leur avoient été données. La Gouver-
nante , qui attribuoit tous les troubles excitez dans les Payis-bas
à l'audience qu'elle avoir donnée aux Confédérez le $. d'A-
vril de l'année précédente , leur défendit expreflement de venir,
ôc mit garnifon dans Bruxelles , pour empêcher la Nobleffe d'y
entrer. Le baron de Brederode écrivit de nouveau d'Anvers à
îa Ducheffe le 8 de Février ; il faifoit voir dans fa lettre, que les
troublez excitez depuis peu ne venoient pas de la requête qu'ils
avoient préfentée l'année dernière , mais du pernicieux confeiî
que le cardinal Granvelle ôc les créatures d'Efpagne avoient
donné , d'introduire l'Inquifition , que des peuples nés libres
regardoient comme un joug odieux Ôc infuportable, ôc de ce
qu'on avoit répondu fi tard ôc fi peu favorablement à leur re-
quête. Il afiuroit la Gouvernante, que ni lui ni les Confédérez
ne refufoient pas de fe foûmettre à des conditions juftes & rai-
fonnables j que c'étoit uniquement pour cela qu'ils lui avoient
demandé la permifTion de venir à la Cour : Que puifqu'elle
avoit jugé à propos de la leur refufer, ils la fupphoient au moins
de recevoir avec bonté ^ la nouvelle requête qu'ils avoient refo-
lu de lui adreffer.
Dans cette requête , les Confédérez rappelloient tout ce qui
s'étoit pafTé l'année précédente 5 ils reprefentoient que tous
avoient concouru de bonne grâce ôc unanimement au traité
de pacification conclu au mois d'Août : Que les Gouverneurs
avoient tout réglé dans les Provinces, félon les articles du trai-
té , ôc les ordres de Son Alteffe : Que fi dans quelques lieux
leurs foins n avoient pas également réiiffi j il ne falloit pas s'ea
DEJ. A. DETHOU, L i v. XLL 27^
prendre aux Confédérez , mais à quelques efprits remuans , qui _«_—,—
ne cherchoient pas aflez à maintenir la tranquilité de l'Etat. Ils 1^ I
fe plaignoientenfuite, de ce qu'on avoit défendu les aflemblées j-y .
publiques de Religion dans des endroits où elles avoient été
accordées : Que les Confédérez avoient été traitez indigne- ^
ment, contre les paroles qui leur avoient été données : Qu'on
avoit défendu aux Grands d'avoir aucun commerce avec eux,
s'ils ne vouloient être traitez comme coupables des mêmes cri-
mes , qui leur étoient fauilement ôc calomnieufement imputez:
Et qu'enfin on les regardoit comme criminels d'Etat déjà con-
damnez fur de fimples préjugez fans fondement , fans les avoir
entendus ni convaincus.
Ils ajoûtoient, que jufqu'alors ils avoient diiïimulé tous ces
fujets de plaintes j mais quefçachant qu'on levoit des troupes par
tout , pour leur faire la guerre , ils ne pouvoient demeurer tran-
quilles : Qu'ils fupplioient donc Son Altefle , de vouloir bien
déclarer nettement , fi elle étoit refoluë de garder inviolable-
ment, ou de rompre les traitez qu'elle avoit faits: Qu'ils ne le
lui demandoient, que pour fçavoir à quoi ils dévoient s'en te-
nir , ôc s'ils pouvoient en fureté compter fur la foi publique,
fur les paroles données, & fur les grâces accordées par les Edits :
Que fi on vouloit faire obferver les ordonnances dans toute
leur force , comme ils l'efperoient , ils prioient qu'on congé-
diât les troupes ; qu'on levât le fiége de Valenciennes > qu'on
ne perfécutât plus les Proteftans , ôc que la Gouvernante ré-
voquât ôc annullât de fon autorité les ordonnances contraires ,
dont on fe fervoit pour les tourmenter : Que fi on refufoit de
le faire , ils proteftoient publiquement devant Dieu ôc devant
la Gouvernante, qu'ils étoient innocens des maux publics, ôc
de tous les troubles qui avoient été, ou qui feroient déformais
excitez. Les Confédérez écrivirent la même chofe à la No-
blefle.
La Gouvernante répondit le 12 de Février, qu'elle ne fça-
voit pas quels étoient ceux de la Nobleiïe qui avoient dreflfé
cette requête , puifque la plus grande partie de ceux qui lui
avoient prefenté celle du cinq d'Avril de l'année précédente ,
avoùoient que le Roi leur avoit donné une pleine fatisfaclion fur
l'article de i'Inquifition : Que quels qu'ils fuiTent, il6 avoient
mal entendu fes paroles, s'ils prétendoient qu'en accordant li
M m i ;
216 HISTOIRE
--^»^»». permifTîon de tenir des aflemblées de Religion , fans fcandaîe
Ckarle ^ ^^^^ trouble , elle avoir eu intention d'accorder l'étabiifTe-
j^^ ment des Confiftoires , les quêtes , les levées d'argent :, Ôcl'ad-
j - ^ miniftration publique des Sacremens ( toutes chofes capables
d'exciter de grands troubles dans le gouvernement de l'Eglife
ôc de l'Etat ) ôc fur tout la célébration du mariage conformé-
ment à Tufage nouveau , qui pouvoit caufer tant d'embarras
dans les familles , par rapport aux fucceffions : Que toutes ces
chofes étoient trop contraires au maintien de l'autorité Roya-
le, ôc à la jurifdidion des Magiftrats , pour avoir pu être accor-
dées : Que comme tout le monde en convenoit^, elle ne pouvoit
allez s'étonner qu'ils euffent l'audace de reclamer la foi publi-
que. Aux plaintes , touchant la garantie qu'on leur avoir accor-
dée fur leur requête^ elle répondoit qu'on n'y avoit jamais donné
atteinte. Par rapport à celles qui concernoient la liberté de Re-
ligion , elle déclaroit qu'elle n'avoit pas eu intention de la leur
accorder. La Gouvernante ajoûtoit à cette réponfe des plain-
tes contre les Ccnfédérez , ôc faifoit entendre qu'ils avoient
voulu foùlever le peuple contre le Roi, contre le Clergé , ôc
contre l'Etat 5 <5c qu'elle étoit refoluë de prévenir tous ces maux.
Enfin elle leur confeilloit de fe retirer chacun chez foi > Ôc de
fe conduire de telle façon ^ qu'ils pûflent juftifier leurs adions
ôc leurs paroles aux yeux du Roi , lorfqu'il viendroit dans hs
Payis-bas i les menaçant , s'ils n'obéïflbient , d'y apporter un
prompt remède.
Une réponfe fi dure , bien loin d'appaifer les Confédé-
rez , ne fit que les irriter d'avantage. Ils ne penférent donc
plus à d'autre moyen , qu'à celui de la force ôc des armes. Ils
levèrent des troupes , Brederode t aux environs de Vianen , Jean
de Touloufe , aux environs d'Anvers , ôc les autres en diffe-
rens lieux de la Flandre. Vianen eft une ville de Hollande fur
le Leck, (qui fait un bras du Rhin, ) près d'Utrecht. Cette
ville appartenoit au baron de Brederode j ôc c'eft ce qu'on ne
lui conteftoit pas. Mais il prétendoit en être tellement le Sei-
gneur , qu'il ne relevoit de perfonne î ôc que par conféquent
il ne devoir ni foi ni hommage à qui que ce fût. Il fondoit
fes prétentions fur ce qu'il étoit iflu des comtes de Hollande j
ôc que fes ancêtres avoient reçu d'eux ce domaine par fuccef-
fipn , ou par donation , ôc qu'ils l'avoient pofledé à titre de
DE X A. DE THOU, Liv. XLL 577
Principauté. Comme on lui avoit intenté fur cela un procès à ,
la Cour de Malines, à la diligence du procureur général du Char le
Fifc, & qu'il ne pouvoit en voir la fin ; ce Seigneur, naturel- i^
lement haut , en fut Ci indigné , que le procès étant encore pen- 1 ^ ^ ^
dant , il s'arrogeoit dans Vianen tous les droits de la Souve- ' "
raineté , y tenoit fouvent des Confeils fecrets^ ôc y recevoir les
Confédérez,qui venoientà lui de toutes parts, pour délibérer
enfemble fur leurs affaires. Aullî-tôt après qu'on eut prefenté
à la Gouvernante la requête du 5 d'Avril, Brederode avoit fait
battre une médaille de cuivre , avec les armes de Bourgogne.
Il y avoit d'un côté ces paroles : Per tela , per ignés ( au milieu
des traits & des feux ) ôc fur le revers : tnfigne Vianenfe , ( dé-
vife de Vianen. ) En même tems il leva des troupes , ôc forti-
fia à la hâte cette ville.
D'un autre côté le capitaine Antoine Bomberg vint dans le
mois de Février à Bofleduc , & ayant foûlevé le peuple, il fit
mettre en prifon Merode de Peterfem , ôc Jean Cheyf chance-
lier deBrabant, que la ducheffe de Parme avoit envoyez pour
retenir les peuples dans leur devoir. Le comte de Meghen ,
qui les fuivoit avec des troupes , attendoit à quelque diftance
de la ville, qu'ils euffent fini leur négociation, comptant qu'on
lui ouvriroit les portes , ôc qu'on le recevroit. Mais ayant ap-
pris ce qui leur étoit arrivé , il fit approcher fes troupes , fui-
vant les ordres qu'il avoit reçus de la Ducheffe , ôc voulut em-
porter par la force ce qu'il n'avoit pu obtenir par la douceur.
Bofleduc eft une des quatre places les plus confiderables
du Brabant. Forte par fa fituation ôc par fes bons murs , en-
fermée d'un côté par la rivière de Duefe, qui prend fa fource
dans le payis de Liège , ôc qui arrofe la ville en coulant vers
le Nord 5 il ne paroiffoit pas aifé d'en faire le fiége, ôc de s'en
rendre maître avec un fi petit nombre de foldats. Mais les
bourgeois , qui y étoient en grand nombre > belUqueux ôc ri-
ches , ne s'accordoient pas fur le fait de la Religion '■> ôc pen-
dant que le comte de Meghen faifoit élever des Forts à toutes
les avenues , pour boucher tous les paffages des vivres, ils dif-
putoient entr'eux fur ce qu'ils dévoient faire pour le bien de
leur ville. Une partie difoit qu'il falloit obéïr à la Gouvernan-
te, ôc recevoir le comte de Meghen j qu'il étoit encore tems
d'obtenir le pardon i Ôc qu'il ne falloit pas attendre que le
M m iij ^
S78 HISTOIRE
^...^■^■■■■—i commerce,qui faifoit feul fubfifter une fi grande ville,fût entière-
r^,r . Ty r T7 ment uiterrompujparce qu'aloi'S ïls auroient inutilement recours
TV a des prières taraives,qui ne leroient pomt écoutées. Les autres
^ * difoient au contraire, qu'il falloir défendre par les armes une li-
berté , qu'ils ne pouvoient plus maintenir à l'abri des loix 5 qu'il
ne reftoit plus rien à un peuple qui avoit perdu fa liberté ; que
par conféquent il falloit confacrer leurs vies, leurs biens , & tout
ce qu'ils pofledoient , pour conferver cet avantage tel qu'ils l'a-
voient reçu de leurs ancêtres ; 6c qu'il falloit bien fe garder,
pour conferver la vie , de perdre un bien fans lequel on ne
peut vivre.
La difpute s'échauffa à un point , que les bourgeois penfe-
rent en venir aux mains. Le comte de Meghen l'ayant fçii, trai-
ta fecrettement avec ceux qui étoient d'avis de le recevoir , ôc
après leur avoit fait de magnifiques promefles , il convint avec
eux que la nuit fuivante il attaqueroit la ville, par le côté qui
étoit confié à leur garde j qu'ils y accoureroient aulîî-tôt , com-
me pour fe défendre 5 qu'ils ouvriroient leurs portes , & qu'ils
joindroient leurs forces aux fiennes : ce qui fut exécuté. Le
Comte étant entré dans Bofleduc » punit fevérement les fédi-
tieux î il condamna le plus grand nombre au dernier fupplice j
ôc il chaffa les autres de la ville. Bomberg , qui avoit prévu le
danger , s'en étoit tiré à propos î il s'étoit fait payer une fomme
pour fes foldats , ôc en fortant de Bofleduc, il avoit obtenu non-
feulement pour fes troupes , mais pour les bourgeois qui vou-
droient en fortir , affez de tems , pour pouvoir fe retirer en
fureté.
Le comte de Meglien , perfuadé qu'il falloit profiter de ces
premiers fuccès , marcha promptement vers la Hollande , où
les Confédérez avoient formé de plus grands deiïeins : fon
arrivée, à laquelle on ne s'attendoit point, fit échouer une gran-
de partie de leurs projets. Cependant Jean de Touloufe, que
Pierre Haeck de Mildebourg avoit prié devenir, vouloir avec
la Nobleffe choifie^dont il étoit accompagné, prendre Flef-
finguc , ville fituée dans le Walcheren , la plus confiderable des
Ifles de la Zelande. On avoit fait venir pour cela quelques
vaifieaux d'Anvers j mais il n'y en avoit pas affez pour une (î
grande entreprife. Les habitans , avertis par les vaiffeaux qui
àoient arrivez trop tôt, doublèrent les gardes, ôc par là firent
K3JMt.taBfciafflMat
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLL ^i^
échouer les projets de Touloufe. N'ayant plus d'eiperance de
ce côté-là, il vint dans l'Oofterweele, proche d'Anvers , pour Char le
encourager par fa préfence ceux de fa faction , ôc pour être en j v
état de fecourir fes amis dans toutes les occafions quipouroient » r- /j 7
fe préfenter.
On renouvelloit alors dans Anvers la difpute qui s'étoit éle-
vée l'année précédente:, entre les Calviniftes ôc les Luthériens >
le Confeil de la ville protegeoit les derniers , parce que leur
do£lrine étoit reçue dans l'Empire , dont Anvers étoit membre
par fon marquifat. Mathias Flacius , homme violent , ôc qui
caufoit de grands troubles par tout où il mettoit le pié , n'a-
voit pas laifle échaper une fi belle occafion , pour fortifier fon
parti. Au contraire , les Grands qui étoient attachez aux nou-
veautez , favorifoient en fecret les Calviniftes , dont les Egli-
fes de France fuivoient la Dodrine. Jean de Touloul'e , pour
être à portée de les afiifter , s'étoit campé fur les coteaux efcar-
pez , qui bordent l'Efcaut , dans un lieu où il fe croyoit en fu-
reté. La duchefle de Parme y envoya aufii-tôt de Bruxelles
Philippe de Lanoy , Mandeville > ôc *Gilles Villen , de Na-
mur , avec une compagnie de quatre cens gardes , aufquels
s'étoient joints Valentin de Pardieu , de la Mote maréchal de
camp , avec les troupes du comte d'Egmond, qui étoit à Axel
dans la Flandre 5 ôc Jean de Grève , grand Prévôt de Bra-
bant. Tous s'étant afiemblez le 1 3 de Mars de grand matin ) à
un lieu marqué , chargèrent les troupes de Touloufe , qui ne
s'attendoient à rien moins :, ôc les défirent. On en tua une par-
tie i un grand nombre tombèrent de deflus les hauteurs dans la
rivière , ôc Touloufe , qui s'étoit enfermé dans une maifon , re-
folu de s'y défendre jufqu'à la dernière extrémité , y fut brûlé
avec la maifon.
Les habitans d'Anvers confternez de cet échec , couru-
rent auiïi-tôt aux armes , quoi qu'ils ne fuffent pas bien d'ac-
cord entr'eux, ôc qu'ils ne fe fiaflent pas beaucoup les uns aux
autres. La Gouvernante y envoya auffi-tôt le prince d'Oran-
ge, ôc le comte d'Hoocftrate. Ils furent d'abord afiez mal reçus,
il y en eut même un affez hardi , pour préfenter fon épée nue au
prince d'Orange. Mais ce Prince, habile dans l'art d'appaifcr
les féditions populaires :, vint à bout par fa patience de cal-
mer cet orage. 11 fit aflembler dans la place publique , près de
ft^o HISTOIRE
l'hôtel des monnoyes, les Catholiques 6c les Luthériens ( car ik
avoient moins d'oppoiition les uns aux autres ;) ôc ils s'y trouvè-
rent au nombre de quatre cens à cheval. D'un autre côté, les
marchands ou conimiflionnaires Itahens , Efpagnols & Portu-
guais , appréhendant d'être attaquez par les fadicux , s'étoient
affemblez en armes dans le quartier près du port. Les Calvi-
niftes étoient en plus petit nombre, mais ils avoient plus d'ar-
mes & de canons i ôc ils s'étoient fortifiez fur le pont du Meer.
Deux jours fe pafTerent à aller 6c venir de part ôc d'autre. En-
fin le Prince par fa prudence , ôcpar l'entremife de Jean Stra-
len Bourgmeftre , qui s'étoit rendu agréable à tous les par-
tis , appaifa les habitans j Ôc comme tous avoient également
horreur de s'égorger, chacun, après avoir re(;u fes furetez, fe
retira tranquillement chez foi. Comme la Gouvernante réùf-
fîdoit dans toutes fes entreprifes , ôc qu'ils ne pouvoient d'ail-
leurs efperer de fecours , ils envoyèrent peu de tems après des
députez à Bruxelles, qui firent leur accommodement à ces con-
ditons : Que les Proteftans cefTeroient leurs Prêches : Qu'on
rétabliroit les Prédicateurs Catholiques : Qu'on répareroit les
Eglifes : Qu'on exécuteroit les anciens Edits : Que perfonne
ne feroit puni pour le pafle , ni dans fon corps , ni dans fes
biens : Que ces conventions fubfifteroient, jufqu'à ce que le Roi
en eût autrement ordonné , de l'avis des Etats. On exclut for-
mellement du traité les profanateurs des Eglifes ôc des Ima-
ges, ôc autres femblables criminels i mais la Gouvernante pro-
mit d'écrire au Roi en leur faveur. Les habitans d'Anvers ac-
ceptèrent ces conditions, ôc confentirent que la Duchelfevînt
dans leur ville , ôc y mît garnifon. Suivant ce traité, on ren-
voya tous les miniftres Calviniftes ôc Luthériens , qui après
avoir demandé des pafleporis au Confeil ôc aux Magiftrats, di-
rent adieu aux habitans : ils leur reprochèrent durement leur
ingratitude , ôc les menacèrent de la punition de Dieu , pour
avoir rejette fes grâces , ôc facrifié fa gloire à leurs intérêts.
Retraite du Peu de tems après , le prince d'Orange , qui avoir déjà quel-
prince d'O- quefois conféré à Hellegate ôc à Villebrouck , avec les com-
""^^' tes d'Egmond ôc de Horne , eut une dernière conférence avec
e^:x , pour les avertir du danger qu'il prévoyoit. Il les exhorta
à prendre fortement la défenfe de l'Etat , ôc à faire une confé-
dération avec tous Içs Seigneurs , pour fermer aux Efpagnols
l'entrée
D E J. A. D E T H O U , Lî V. XLI 281
rentrée des Payis-bas, Mais le comte d'Egmond^ dont le com-
te de Horne fuivoit prefqi^e toujours les fenrimens, ne goûta r" "
point l'avis du prince d'Orange. Soit par attachement à fa fli- ^^ar^
mille , qu'il auroit peut-être été contraint d'abandonner j foit ^ ^'
par crainte d'être dépouillé des grands biens, dont un homme ^ S ^'^'
aulTi vain & auiTi faftueux qu'il étoit, ne pouvoit fe pafTer ; foit
par la trop grande confiance que lui infpiroient les importans
fervices , qu'il avoir rendus au roi d'Efpagne ; jamais on ne
put le déterminer à prévenir la perte de fa patrie ^ & la fienne
propre. Quelque chofe que le Prince lui pût dire , il n'avoir
qu'une feule réponfe : « J'efpere, difoit-il , ôc je fuis perfuadé
»' que les Prêches étant abolis , ôc les profanateurs des Eglifes
3' punis , le Roi fera fatisfait, & n'impolera aucune autre pei-
" ne. 3> Le prince d'Orange continuant de lui montrer, pour
ainfi dire, au doigt, les malheurs dont ils étoient menacez , rien
ne fut capable de l'ébranler. « J'aurai , reprit alors le prince
a» d'Orange, la confolation dans nos malheurs , d'avoir voulu
» fervir mes amis Ôc ma patrie, ôc de leur avoir offert mes con-
«> feils ôc mon bras. Puifque par un fecret jugement de Dieu , ÔC
» par un aveuglement déplorable de votre part, je ne puis me faire
« écouter , Comte , je n'ai plus qu'une chofe à vous dire ; c'eft
« que fi vous perfiftez dans votre opiniâtreté, vous vous précipi-
3' tez vous même . ôc vous précipitez tous les Seigneurs de ces
M Provinces dans un danç^er inévitable : oui nous courons tous à
« une perte certaine. Je prévois de plus que nos ennemis fe
j' ferviront de vous ; comme d'un pont pour faire leur defcen-
3' te , ôc mettre pié à terre ; ôc que votre tête fcparée de votre
a> corps leur tiendra lieu de trophée. ^'
Ainfi parla le prince d'Orange , foit qu'il prévît en effet ce
qui devoir arriver, foit qu'il voulût frapper le comte d Egmond,
& le faire changer de fentiment, en lui mettant devant les yeux
le danger oii il s'expofoit. Mais il ne put rien gagner 5 ils s'em-
bralTerent l'un l'autre les larmes aux yeux , ôc fe féparerent. Peu
detems après , le prince d'Orange ayant pris congé de la du-
chelfe de Parme , alla d'Angers à Breda , ôc de-là en Alle-
î-nagne , fous prétexte de mettre ordre à fes affaires : la plupart
de fes amis , qu'il fit fecrettement avertir , le fuivirent. Le
plus grand nombre de la Nobleffe , comptant fur les fervices
ôc fur le crédit du comte d'Egmond , demeura avec lui , ôc
Tome V* Nn
Char le
2S2 HISTOIRE
à fon exemple fe détacha des Confcdcrez.
Cependant on interdit tous les Prêches à Audenarde ; &
A R LE pour empêcher les Proteftans de Bruges de s'affembler , on en-
1 A. voya au lieu de l'aflemblée iommer le Miniftre de comparoî-
^5^7' tre le lendemain devant le Magiftrat , pour y prêter ferment
. de fidélité au Roi , fuivant les traitez. Mais le Miniflrcperfua-
dé qu'il n'y avoit pas de fureté pour lui à fe prefenter , prit le
parti de fe retirer. Peu de tems après les Proteftans ayant fait
venir un autre Miniftre, il fut arrêté à la porte de la ville ^ &
mis en prifon , pour avoir prêché après midi contre la défenfe
du Franc , c'eft-à-dire du Magiftrat, qui a la fouveraine auto-
rité à Bruges. Cet emprifonnement infpira aux Proteftans un&
fi grande frayeur, qu'ils n'oferent plus faire depuis aucune af-
femblée publique ni particulière.
Le baron de Norkermes preffoit le fiége de Valenciennes.
Les bourgeois avoient d'abord efperé qu'ils recevroient quel-
ques fecours , que le prince de Porcien devoir leur envoyer
de France ; mais il mourut dans ce tems-là. Les habitans d'An-
vers leur avoient aulTi donné quelques efperances ; & c'eft
ee qui les avoit encouragez à une fi longue refiftance. Voyant
toutes leurs efperances évanouies, ils préfenterent un mémoi-
re aux Chevaliers de l'Ordre de la Toifon d'or , pour fe laver
du crime de leze-majefté , dont la ducheffe de Parme les ac-
cufoit. Pour ce qui conceinoit les Prêches , ils faifoient voir
qu'ils n'avoient rien fait en cela contre les ordres de la Gou-
vernante, & qu'ils avoient été autorifez parles Chevaliers de
l'Ordre. Ainfi ils fupplioient qu'on les épargnât , & qu'on ne
fît aucune entreprife contre la liberté de confcience, qui leur
avoit été accordée , contre leurs vies , ni contre leurs biens.
Cette requête , bien loin de leur fervir , ne fit qu'irriter da-
vantage la Ducheffe , qui fe perfuada qu'on donnoit atteinte
à fon autorité , ôc qui ne pût fouffrir que les Flamans , au lieu
de s'adrelfer à elle , préfentaflent leurs requêtes aux Chevaliers
de la Toifon d'or. Ainfi elle manda au Baron de hâter la prife
de Valenciennes. Cependant elle envoya Philippe de Croy
duc d' Arfchot , & le comte d'Egmond , pour tâcher de faire
rentrer les alTiégez dans leur devoir , & leur propofer ces con-
ditions, qui paroifToient honnêtes : Qu'il feroit permis aux Mi-
iiiftres de fortir , en demandant les paffeports necelTaires , ôc
DE J. A. DE THOU , Liv. XLI 2S5
-qu^on accorderolt aux habirans le pardon de tout le paiïé. Les ,1,.,, , ,
bourgeois ne jugèrent pas à propos d'accepter ces conditions. 7^
Alors Norkermes fit battre la ville par vingt-quatre canons, jy
entre la porte de Mons & la porte Cordon. Ce ne fut pas nean- J
moins le feu de cette batterie qui les découragea, ce fut la dé- ^
faite de Jean de Touloufe dans FOftervel , & la redudion
d'Anvers. Ces deux événemens répandirent la contiernation
& la terreur dans Valenciennes : ils perdirent entièrement cou-
rage ; Ôc n'ayant plus aucune efperance d'être fecourus , ils fc
rendirent enfin à difcretion le 24 de Mars au foir.
Norkermes étant entré dans la ville , en fit promptement
fermer toutes les portes. Il fit au(Ii-tôt mettre en prifon Mi-
chel Herlin, le premier ôc le plus confiderable des bourgeois,
qu'on croyoit être l'auteur des troubles , avec fon fils , ôcilleur
fit trancher la tête. Il fit pendre Gui de Brès, ôc Peregrin de
la Grange, minières. Plufieurs autres furent exécutez , & quel-
ques auteurs ont écrit qu'il y eut en diverfes fois plus de deux
cens perfonnes condamnées à mort. Norkermes s'étant enfuite
emparé de S. Amand , fit avancer fes troupes vers Câteau-Cam-
brefis } petite ville appartenant à l'évêque de Cambray , qui
avoir jufqu'alors été ouverte aux Proteftans, ôc d'où ils faifoient
ÔQS courfes prefque continuelles dans le payis. Les bourgeois
ayant appris la reddition de Valenciennes, fortirent de ia pla-
ce , que Norkermes abandonna au pillage. On y prit le miniftre
Philippe f qu'on condamna à avoir la main coupée j ôc à être
pendu.
On fit en même tems répandre par tout , que l'exercice de
la Religion Proteftante étant aboli , ôc celui de l'ancienne Re-
ligion rétabli en tous lieux , la Gouvernante avoit appaifé la
colère du Roi, ôc que Sa Majefté ayant changé de refolution,
ne penfoit plus à envoyer une armée dans les Payis-bas. Sur
ce bruit , les Seigneurs s'étudièrent à Fenvi à donner au Roi
une entière fatisfatlion. On défendit prefque par tout les Prê-
ches j on repara les Eglifes, ôc les Flamans firent paroinre dans
les fêtes de Pâques plus d'ardeur à rétablir les Images , que les
Hérétiques n'en avoient eu à les renverfer. On courut en foule
abattre les Temples que les Proteftans venoicnt de bâtir à
Ypres , à Bai lieu l ôc à Armentieres. On en fit autant â Comi-
ncs '> ôc par les ordres du duc d'Arfchot , on fe fervit de la
N n ij
2U HISTOIRE
wr^^u^aggara cliarpetite clu Temple pour faire des potences , aufqueîles on
Charle psi^dit un grand nombre de coupables , ôc particulièrement
IX. ceux qui furent convaincus d'avoir pillé les Eglifes , ôc brife
1 j" d 7. ^^s images. Le Temple élevé à Gand futabatu par les foldats
du Roi, & renverfé de fond en comble dans l'efpace d'une
heure. Delà on alla en Hollande, où la doclrine des Protef-
tans avoit jette de plus profondes racines.
Le baron deBrederode,qui s'éroit retiré à AmfLerdamavec
fes troupes, tandis qu'on fortiiioit Vianen, reçut ordre de la du-
chefTe de Parme de fortir de cette place. Ilrefufa d'abord d'o-
béir , ôc fit même emprifonner le fecretaire de la Torre , qui lui
avoit apporté les ordres. Mais voyant que toute la NoblefTo
des Payis-bas, & tout le peuple des villes & des campagnes
avoient été réduits par force ou par crainte , ilfortit de la ville
6c laifla Vianen fans g.arniibn. Cette ville ne tarda pas à fe fou-
mettre aux comtes de Meghen & d'Aremberg , qui pourfui-
voient les reftes des Proteftans. Le Baron dit adieu aux Con-
tédérez , ôc s'étant embarqué avec fa maifon , ôc tout ce qu'il
put emporter de meubles , il alla à Conden , d'où il paiïa en
' Allemagne, où peu de tems après il mourut de chagrin. Sa veu-
ve, qui étoit de la maifon des comtes de Meurs, Dame d'un
grand courage ,. époufa l'Elecleur Frédéric Palann.
Dans le même tems ceux d'Utrecht, après avoir exercé leur
fureur contre les Eglifes Ôc contre les images, fe ralentirent,
envoyèrent des Députez à Bruxelles , ôc pour appaifer la Gou-
vernante , ils reçurent garnifon. A leur exemple ceux de Ma-
feck qui font delà domination de l'évêque de Liège, Ôc ceux
d'AlTelt, qui avoientmarché fur les traces de leurs voifins , ôc
pillé les Eglifes, rentrèrent dans leur devoir. Ceux d'AlTelt foû-
tinrent long-tems le fiégei mais leurs murs étant abatus, n'ayant
plus de fecours à cfperer, ôc les Confédérez fe, trouvant affoi-
bhs ôc difperfez , ils fe rendirent enfin à Gérard Groefbeck
îeurévêque ôc leur prince, à ces condidon qui leur furent pref-
crites : Qu'ils feroient rétablir ôc réparer les Eglifes à leurs dé-
pens : Qu'ils rembourferoient les frais de la guerre : Qu'ils fe-
roient profelFion de la Religion Catholique Romaine, ôcre-
jetteroient toutes les autres ; ôc qu'ils recevroient garnifon..
Peu de tems après , environ cinq cens Proteftans étant for-
tis de Ruremonde enGueldres pour aller au prêche , lorfqu'ils
E J. A. DE THOU, Liv. XLI. 285'
voulurent rentrer dans la ville , les Magiftrats les en empêchè-
rent. La ville même de Cologne ne fut pas exempte de trou- Char. LE
blés. Un rainiftre Calvinifte ayant prêché à quelque diftance j x.
de la ville:, attira tant de monde, qu'il y eut lieu d'appréhen- , r (jy.
der que cela ne causât quelque fédition parmi les bourgeois 6c
ne troublât la tranquillité publique. Le Bourgmsftre Confîantin
Liskirchen diffipa bien-tôt cette crainte, par la fage ôc prudente
défenfe qu'il fit aux bourgeois de fortir de la ville pour aller
entendre le fermon. LeAliniftre n'ayaiit plus d'auditeurs^ s'en-
nuya ôc fe retira,
La Gouvernante après avoir traité avec ceux d'Anvers, en-
voya devant elle Charlefils de Pierre Erneft comte de Mans-
feldt J qui entra dans la ville avec l'air d'un ennemi , à la tête
de feize enfeignes de François : la Duchefi'e le fuivit deux jours
après avec cinq cens chevaux. AuiH-tôt on ordonna des lita-
nies & des procelïîons publiques , où affifterent un grand nom-
bre de Chevaliers de laToifon d'or ,' on p*it la plupart de ceux
quiétoient accufez d'avoir caufé les troubles, ôc quelques-uns
furent pendus : on rétablit les Eglifes i on renouvella les an-
ciennes ordonnances touchant la Religion; on rebatifa les en-
fans , que les Proteftans avoient batifez j on abatit les temples
qu'ils avoient fait bâtir avec autant de magnificence qu'ils avoient
pu dans le peu de tems qu'on leur avoir donné, ôc après une
exade perquifition , on fit un fidèle inventaire de toutes les ar-
mes qui fe trouvèrent dans les maifons.
Cependant les troupes de la noblefTe Confédérée , qu'elle
avoir congédiées fans les payer , fe répandirent licentieufement
dans lepayis, au nombre de cinq mille ou environ , ôc pillè-
rent l'Abbaye d'Egmond, fans que le comte de Meghen qui
les pourfuivoit pût s'y oppofer. Enfin la plus grande partie palTa
la Meufe, & fe retira dans le duché de Cleves : les autres fe-
difperferent en d'autres endroits. Mais quelques-uns des chefs
s'étant féparez des autres , ôc pafTant le Zuiderfée furent trahis
par les mariniers , qui firent échouer le vaiiTeau fur un banc.
Là ils furent environnés ôcpris par le capitaine Mulhart, qui
commandoit les troupes du comted'Aremberg, & le y de Mai
ils furent mis dans la prifon d Harlinghen en Frife. C'étoient
entr'autres, les deux frères de Battembourg, Herman Galama
ôc SicurtBeyma Gentilshommes de Frife , avec quelqu'autres.
Nu iij
2^6 HISTOIRE
Quelques-uns d*eux furent transferez à Vilvoorde , ôc les au-
C H A R L E ^^^^ ailleurs , fuivant les ordres de la Gouvernante , qui les fit
j ^ punir de différente manière.
j < 6 7 Pendant tous ces troubles des Payis-bas y Philippe , qui en
. _ * étoit extrêmement fâché , tenoit à Madrid de fréquens Con-
pa^ne°fe dé- ^^^^^ ^^^^ ^^^ Miniftres ôc fes confidens fur les moyens de les
tennineàufer appaifer. Il en tint enfin un à Segovie. Les plus fages,ôc ceux
fnverf"ks quï penfoient le mieux, étoient d'avis d'employer la douceur
JFlamans. plutôt que la févérité. Ruy Gomez de Sylva fut le premier
qui propofa cet avis , s'offrant d'aller dans les Payis - bas , ÔC
d'y terminer tous les différends par la clémence ôc la dou-
ceur. Suarez Figueroa duc de Feria, & Frefneda confelfeur
du Roi, furent de ce fendment : mais Ferdinand Alvarez de
Tolède duc d'Albe , le malheureux auteur du parti rigoureux,
que Charle père de Philippe avoir pris autrefois contre les
Allemands , comme nous l'avons dit ailleurs , fut d'un avis con-
traire, ÔC foutint qu'il n'y avoit ni repentir ni fatisfa£lion qui
pût expier fimpieté ôc la rébellion des Flamans , à moins qu'ils
ne commençalfent par faire un aveu public de leur crime, ôc
par abandonner , fans réferve ôc fans aucune condition, leurs
biens Ôc leurs vies à la difcretion de leur Souverain. Com-
me il y avoit bien de l'apparence que des peuples fi fiers
ôc fi opiniâtres ne voudroient pas fefoumettre à cette condi-
tion, le Duc ajouta que le Roi manqueroit àce qu'il devoit à
Dieu , ôc à ce qu'il fe devoit à lui même , s'il n'ufoit pas en-
^vers ces criminels d'Etat d'une févérité capable de fervir éter-
nellement d'exemple, ôc d'apprendre à tous les autres fujets à
.être plus fages : qu'il devoit donner toute fon application j Ôc
employer toutes les forces de la monarchie Efpagnole pour
une expédition , qui intereffoit la gloire de Dieu ôc celle de
fa majefté Catholique.
Ce dernier avis fut appuyé du crédit ôc de l'autorité du car-
dinal de Granvelle, qui avoit confeillé la violence ôc les ri-
gueurs, dont on avoit ufé fi mal à propos envers les Allemands,
Se qui avoit d'ailleurs une haine particulière pour les peuples
des Payis-bas. Philippe qui étoit naturellement vindicatif, ôc
qui n'oublioit pas aifément les injures , fe rendit au defir
.ambitieux que les Efpagnols avoient de porter la guerre en
Flandre, ôc lliivitle fentiment du duc d'Albe. Le duc de Feria
DE J. A. BË THOU, Liv. XLI. 2S7
changea auiTi- tôt defentiment; Efpinofa ôc le grand Inquifiteur
furent du même avis , ôc dirent que non feulement il étoit du
devoir du Roi ^ de reprimer les nouveaux mouvemens exci- ^harle
tez par le peuple Flaman j mais qu'il étoit encore néceflaire pour ^^*
fa réputation,de punir févérement ceux qui en étoient les auteurs ^5^7-
6c les complices. Ce n'étoit pas feulement les anciens ennemis
des Flamans qui infpiroient au Roi ces fentimens: il y étoit
confirmé parles lettres qu'il recevoit chaque jour de la duchefle
de Parme , qui rafTuroit que l'autorité Royale reprenoit infen-
fiblement le defius, & que les féditieux ou fe diflipoient peu
à peu , ou étoient obligez , foit par la force , foit par la crainte,
de rentrer dans leur devoir. C'eftce qui fit croire au Roi d'Ef-
pagne qu'il étoit tems de profiter de l'occafion favorable qui
fe prefentoit à lui , de faire une punition exemplaire des coupa-
bles, (Se de venger la majefté Royale blellée par les attentats de
ces rebelles.
On commença l'exécution de ces violentes réfolutions par
les députez des Payis-bas, qui étoient venus en Efpagne dès l'an-
née précédente. On les amufa long-tems par ces lenteurs qui
font ordinaires aux Efpagnois , ôc enfin on les mit en prifon. Le
marquis deBergh, indigné de voir fes fervicesfi mal payez^y mou-
rut de chagrin, ôc l'on crut qu'il avoir été empoifonné. Comme il
mourut fans enfans , fes biens furent confifquez au profit du Roi :
mais comme il fut depuis flipulé dans le traité de Pacification
fait à Gand, que chacun rentreroit dans fes biens, la fille de
Peterfem ôc delà fœur du marquis de Bergh , qui avoir époufé
le feigneur de Berzele, recueillit la fuccefllon de fon oncle.
Floris de Montmorenci baron de Montigni , homme fage ôc
d'un grand cœur, quifaifoit les délices de fa patrie, fut trans-
féré à Médina, où il eut la tête tranchée avec pîufieurs au-
tres. Cependant le baron de Montigni ôc le marquis deBergh
étoient Catholiques. La Reine, les Grands du Royaume, ôc
leurs amis folliciterent fortement en leur faveur 5 le Marquis mê-
me , pour plus grande preuve de fa foi , avoit écrit de fa pri-
fon à fa femme , de faire rebatifer tous les enfans de fes terres,
qui avoient été batifez dans les afi^emblées des Protellans j ce
qu'elle fit. Les biens de Montigni furent confifquez , comme
ceux du Marquis, ôc otez à fa fille fon unique heridere , née
d'Helenede Melun, fille d'Hugue prince d'Elpinoy, qu'il avoit-
2SS HISTOIRE
époufée depuis peu. Aiors Philippe déclara qu'il partiroit au
C H /^ R L E P^'^"^^^^^^ prochain , pour aller dans les Payis-bas. Il y avoir lorlg-
T v" tems que la Gouvernante le pubiioit, foit qu'elle voulût le faire
j ç, ^* croire aux Flamans , pour les contenir par la crainte , ou par l'ef-
perance, tandis qu'on faifoittous les préparatifs de guerre 5 foit
que le Roi eut en effet pris d'abord cette réfolution.
Quand le voyage eut été réfolu , on propofa à Phihppe trois
routes différentes pour fe rendre en Flandre. La première par
rOcean : mais il n'y avoit ni honneur nifùreté pour un grand Roi
à prendre ce chemin avec un petit nombre de vaiffeaux '■> ôc pour
faire cette route avec une flotte nombreufe & convenable à
fa dignité, il falloir trop de tems: il y avoir même du danger,
car il falloir aborder par la Zelande ou la Hollande, qui croient
les deux Provinces ou la Religion nouvelle avoit caufé le plus
de troubles , ôc dont la fidélité étoit devenue plus fufpccte , à
caufe du prince d'Orange qui en étoit Gouverneur, ôcà qui
la Coi^r ne fe fioit point. La deuxième route étoit par la Mé-
diterranée , par l'Italie , ôc par f Allemagne j mais elle parut trop
longue , d'une trop grande dépenfe , & même très-périlleufe s
parce qu'il falloir paifer avec une nombreufe armée fur les ter-
res de plulieurs princes Proteftans. Il en reitoit une troifiéme
par l'Italie j parla Savoye, parla Breffe, par la Franché-comré,
ôc par la Lorraine. Cette route avoit fes incommoditez ; elle
parut néanmoins plus fûre & plus courte que les deux autres.
Mais comme les perfonnes habiles & expérimentées crai-
gnoient que la faifon commençant à n'être plus favorable, l'ar-
mée n'eût beaucoup de peine à paffer par les montagnes de
la Savoye, &que la cavalerie Ôc l'infanterie n'euffent beaucoup
à fouffrir des neiges , Philippe fit demander au Roi de France
la permiffion de paffer par la Provence & par le Lionnois,
deux Provinces dont le climat eft fort doux , afin de gagner
la Franche-comté. Mais pour n'avoir pas la peine de tranfpor-
ter les troupes jufqu'à Gènes , il le fit prier en même-tems de
vouloir bien qu'on les débarquât à Frejus en Provence. Le
Roi s'en excufa , ôc fit dire au Roi Catholique , que dans la fi-
tuation prefente des affaires , l'arrivée des Efpagnols dans des
Provinces où il y avoit un très-grand nombre de Proteftans,
feroit naître trop de foupeons ôc de défiances; que les troupes
qui pafferoiçnt ne fçroient pas en fureté , ôc que lui-même
n'étoit
DE J. A. DE THOU, Liv. XLl. :2Sp
h'étoit pas en état de le garantir des infultes qu'en pourroit
leur faire. ^^
V_/ H A R I E
Enfin on fe détermina à pafTer par la Savoye 5 mais comme t y
Philippe n'ignoroit pas que cette Province ne pourroit lui four- '^'
nir des vjvres , il envoya Jean dAcuna de Vêla à Emanuel ^
Philibert duc de Savoye , fon allié , & qui lui étoit entièrement
dévoué , pour lui demander le païïage par fes Etats. Il lit partir
avec lui François dl barra intendant des vivres , afin de faire
tranfporter dan.N un payis fterile les provifions nécelTaires pour
le pafiage de l'armce. 11 envoya aufîi Antoine de Mendofe à
Charle duc de Lorraine i ces deux Pnnces accordèrent tout ce
qu'on leur demandoit.
Tout étant prêt pour le voyage, PhiHppe déclara qu'il ne Leduc d'Al-
partiroit point, parce que fes affaires ne le permettoient pas; ^"^ "^^^^ '^"^'^
mais qu il y envoyero^t un Lieutenant, avec une armée oc de danUeiPayis*
pleins pouvoirs. Granvelie & le Grand Inquifiteur firent tom- ^^^^-
ber le choix fur le ducd'Albe, auteur de l'avis rigoureux qu'on
avoir fuivi ? bien perfuadés que perfonne n'étoit plus propre à
exécuter dans toute la rigueur les réfolutions violentes qu'ils
avoient infpirées. Gomez de Sylva , quoiqu'il eût été d'abord
d'un avis contraire , ne s'oppofa point à ce choix, ravi de voir
fon rival éloigné de la Cour. D'ailleurs il ne doutoit pas que
le Roi ne fe repentît bien-tôt d'avoir fuivi un li mauvais con-
feil, ôc n'en fçût fort mauvais gré à ceux qui le lui avoient donné.
On fit venir les vieilles bandes Efpagnoles , qui étoient dans
les Royaumes de Naples , de Sicile ôc de Sardaigne , pour fer-
vir fous le duc d'Aibe 3 on augmenta la cavalerie légère en
Gompofant les compagnies de cent hommes , au lieu de cin-
quante , ôc en ajoutant deux compagnies d'Efpagnols comman-
dées par Lopez de Zapata, ôc Sancho d'Avila gouverneur de
îa citadelle dePavie. On y joignit deux compagnies deMouf-
quetaircs à cheval , qui avoient été levées par Pierre de Monte
gouverneur de la citadelle de Navarre, ôc par Gonfalve de
Montero. Alberic de Lodron qui avoir eu ordre de lever de
l'infjnterie Allemande dans laSouabe ôc dansle Tirol, amena
douze enfeignes de trois cens hommes chacune. Cependant
le duc d'A be ayant pris congé du Roi , vint à Carthagene , ou
Jean André Doria avoir eu ordre de fe rendre avec trente-fcpc
galères pour tranfporter l'armée. Le duc d'Albe emmena avec
Tome y, O o
fi^o HISTOIRE
tm^i^^mm lui quinze Compagnies de nouvelles levées , pour être diftrî-
C H A R L E ^^^^^ ^ ^^ place des vieilles troupes dans les Royaumes de Na-
I y pies , de Sicile ôc de Sardaigne , ôc dans le Milanez : prefqu aufÏÏ-,
j ^ (clj tôt il en arriva deux autres à Tarragone.
Enfin le duc d'Albe partit le lo de Mai. Ayant été alors at-
taqué d'une fièvre ^ avec la goûte à laquelle il étoit fujet , il
envoya devant le refte de la flotte , ôc il fut contraint de s'ar-
rêter à Nice avec quatre galères. Après s*y être un peu repo-
fé, il en partit , ôc arriva à Gènes le fepticme jour après fou
départ d'Efpagne. Entre les dix-fept compagnies de nouvel-
les troupes qu'il avoir amenées , il en choifit quatre , qu'il joi-
gnit aux vieilles troupes deftinées pour les Payis-bas. De Ge-
îies il alla par terre à Alexandrie de la Paille , où il trouva Ga-
briel de la Cueva duc d'Albuquerque , gouverneur du Mila-
nez, qui étoit venu au-devant de lui. De-là il envoya Bernar-
din de Mendoze au Pape , pour reprendre les négociations ,
qui j à fon inftigation , avoient été commencées à Bayonne
avec la reine Catherine de Medicis , ôc pour délibérer fur ce
qu'il y avoir à faire.
Ibarra avoit fait de grands magafîns de vivres à S. Ambroi-
fe, petite ville du Piémonr, au pié des Alpes, près du mont
Cénis. C'efl: là que toute l'armée devoir s'afTembler j pour en
faire la revue. On y trouva dix-neuf enfeignes du régiment de
Naples , fous la conduite d'Alfonfe de Ulloa , dix de Sicile ,
fous les ordres de Julien Rcanero , dix du Milanez, comman-
dées par Sancho de Londofio, ôc dix de Sardaigne , y compris
Jes quatre de nouvelles troupes, que Gonfalve de Bracamonte
commandoitj en tout quarante-neuf compagnies dmfanterie >
qui faifoient huit mille fept cens quatre-vingt hommes. A la tê-
te de chaque compagnie il y avoit quinze carabiniers , dont
l'expérience a fait fentir l'utilité dans les combats. La cavale-
rie confiftoit en cinq compagnies de cavalerie légère d'Efpa-
gnols , deux d'Italiens , deux d'Albanois, ôc deux de moufque-
taires à cheval Efpagnols ^ qui faifoient en tout douze cens
chevaux.
La revue étant faite , le duc d'Albe alla le quinze de Juin
à Aft, après s'être un peu remis de fa fièvre tierce, ôc de là il
fut à Poërino , où il conféra avec le duc de Savoye , enfin il
vint à S. Ambroife, ou toutes les troupes s'étoient aflemblées.
DE J. A. DE THOU;Liv. XLL 2^1
Il fépara l'armée en trois corps , Ôc lui fit pafler les Alpes , par ,
le mont Cénis. Il étoit à la tête de Pavant-garde , compofée du p u a c r n
régiment d' Alfonfe de Ulloa y avec trois compagnies de cava- t v
ierie légère Italienne , & deux de moufquetaires Efpagnols à ^*_
cheval. Le corps de bataille étoit commandé par Ferdinand de
Tolède , fils naturel du duc d'Albe, général de la cavalerie,
qui avoit à fes ordres le régiment de Londofio j trois compa-
gnies de cavalerie légère Efpagnole , l'artillerie 6c les bagages,
Chiappino Vitelli marquis de Cetona , grand Capitaine , com-
mandoit l'arriere-garde:, où étoient les regimens de Sicile ôc de
Sardaigne , & les deux compagnies de cavalerie Albanoife.
L'armée marchant en cet ordre , arriva le quatorzième jour à
Montfleur, fur les frontières de Franche-Comté, par un che-
min très-difficile, par des montagnes efcarpèes , Ôc par des val-
lées étroites i entrecoupées par la rivière d'Arche , qui coulant
fur un lit de cailloux très-incgal , qu'on peut pafTer prefque par
tout à gué , fe mêle enfuite avec l'Izere , ôc qu'il faut paffer
alors fur un pont. Il y avoit encore un autre embarras caufè pat
la nature des lieux , Ôc la fterilitè de cette année 5 c'eft que s'il
fe fut trouvé quelque difficulté dans le chemin , qui eût obli-
gé l'armée à refter plus d'un jour dans chaque logement , elle
auroit été en danger de périr de faim.
Le paflage de l'armée Efpagnole par la Savoye , fit appréhen-
der aux Suiifes ôc aux Genevois que le duc d'Albe ne fit quel-
que entreprife contr'eux. Le duc de Savoye crut qu'il devoit
faifir une fi belle occafion. Ayant fait fonder les difpofitions du
Canton de Berne , il renouvella une ancienne querelle , ôc il
tranfigea avec eux fur quelques domaines enlevez à fes ancê-
tres. Voici ce que notre hiflorien Philippe de Comines nous
apprend fur l'origine de cette querelle. Charle , furnommé le
Guerrier \ dernier duc de Bourgogne , de la Maifon de Fran-»
ce, ne mettant point de bornes à ("es defirs ambitieux , ôc vou-
lant toujours pouffer plus loin fes conquêtes, s'étoit rendu maî-
tre de la perfonne dlolande , fœur de Louis XI. ôc veuve d'A-
mcdèe VIII. duc de Savoye j ôc il abufoit de fes domaines
qu'il retenoit , pour contenter la paffion infatiable qu'il avoit
1 II fut aufli furnommé le Kardî, 8c
le téméraire, il e'coit fils de Philippe III.
dit le Bon. II ne laifla qu'une fille nora-
me'e Marie de Bourgogne , mariée à
Maximilieii d'Autriche ayeul de l'Em-
pereur Charle V.
O o ij
'i^i HISTOIRE
ri I iM..^u^ d'étendre fes Etats. II arriva dans ce tems-là , par la temerîtédé
Char LE J^^^"^ ^^ Savoye , comte de Romont , un incident^ dontle:^
j y Suiffes furent extrêment irritez. Le fujet éroit très léger , mais
i f (^*7 ^^^ ^^'^^ pouvoir être avec gens qui fe faifoient gloire d'une
noble pauvreté. Il ne s'agifToit que d'une charretée de peaux de
mouton , que les gens du comte de Romont avoicnr enlevée à
un SuifTe. Les SuiflTes en portèrent plulieurs fois leurs plaintes
par leurs envoyez au Comte , qui ne fe mit pas fort en peine
de leur donner fatisfa£tion. Il n'en fallut pas d'avantage , pour
engager un peuple né libre , ôc qui ne fouffroit pas volontiers
les injures , à prendre les armes. C'eft ce que firent les Suiffes ,
& ils s'emparèrent du bailliage de Vaut , ôc de quelques autres ,
aux environs de Genève.
Le duc de Bourgogne qui auroit acheté bi-en cher une pa-
reille occafion , ne la laiffa pas échaper : il refolut de faire la
guerre aux Suiffes ; ôc quelques conditions que cette Nation
pût lui offrir , ils ne purent jamais le détourner de fa rgfolu-
tion. Il n'eut pas plus d'égard aux prières de Louis XI. qui
s'entremit dans cette affaire , ôc qui lui envoya des Ambaffa*
deurs, pour lui faire voir par bien des raifons que cette guerre,
qui lui coûteroit beaucoup , ne lui feroit d'aucune utilité , quand
même il en fortiroit vidorieux. Mais peu s'en fallut que le duc
de Bôurgx)gne ne fût très févérementpuni de fon obflination >
car dans l'efpace de vingt jours il fit deux pertes confiderables ^
la première à Granfon , oi^t il fut mis en fuite , après avoir per-
du toute fa vaiffelle d'argent , ôc l'autre à Morat , où ayant eu
huit mille hommes tuez ,- ôc n'ayant plus aucune efperance
de remettre fon armée fur pié , il fe retira dans la Franche-
Comté , chargé de honte ôc de confuflon, l'an i^']6\ Cefuc-
eès releva extrêmement le courage des Suiffes. Depuis ce tems-
là ils avoient confervé les baillages conquis fur la Savoye, com-^
me des monumens de leur valeur , ôc des fruits de la victoire
qu'ils avoient remportée fur un Prince fi puiffant.
La crainte qu'ils eurent que l'armée Efpagnole , qui pafToit ,
-n'aidât au duc de Savoye à reprendre ces baillages, fit qu'ils con^
vinrent de lui rendre les trois baillages les plus proches de Gène»
Te j mais à condition qu'il laifferoit aux peuples de ces baillâ-
mes une entière liberté de confcience , ôc le libre exercice de la
>&. L'aanée fuivânte il perdit une bataille près de Nanci ^ Se y fut tué.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLL apj
Religion qu'ils avoienr enibraflée ; & que fi le duc deSavoye leur . lj;
faiiuir quelques violences, ils pourroient paiTer chez les Suifles,& C H A R L E
implorer leur protection, lans être cenfez violer le traité de paix. j ^
Les Genevois avoient d'autres raifons de craindre i nous an- ^ ^
rons lieu ailleurs de parler plus amplement de leurs différends
avec le duc de Savoye. Lorfque l'armée Efpagnole étoit fuc
le point de pafler , la crainte les porta à députer vers les SuifTes,
qui appréhendoient aflez déjà pour eux-mêmes. Ils envoyèrent
en mçme tems au prince de Condé , qui étoit à Autun avec
d'Andelot , pour l'exhorter à prendre les armes à la vue du
danger commun où ils fe trouvoient expofez, ôc peur lui de-
mander du fecours. Mais comme le duc d'Aibe pafTa très ra-
pidement , la crainte fut bien tôt diflipée. Ce Duc ne s'arrêta
point jufqu'à fon arrivée en Flandre. Mais en paffant parla Sa-
voye Ôc par la Breffe , il confeilla à la Reine-mere de prendre
des Suiifes à fa folde, & de faire des levées dans le Royaume,
afin d'accabler en même tems ks Sedaires de France & des
Payis-bas. On fuivit avec ardeur cet avis, on enrolla fix mille
Suiffes , ôc on fit des levées dans la Champagne ôc dans la Pi-
cardie. On donna aufii des ordres aux Gouverneurs des villes»
qui fe trouvoient limitrophes , de fe mettre en campagne avec
de la cavalerie , fous prétexte de garder la frontière ^ ôc de co«
toyer l'armée Efpagnole dans fon palîage.
Les Proteftans de France , qui virent bien que tous ces mon-
vemens fe faifoient contr'eux , fe preflerent de prendre les ar-
mes, ôc ils penferent furprendre le Roi ôc toute fa Cour, qui
croient à Monceaux près de Meaux» Le duc d'Albe prit ea
Franche- Comté quatre compagnies de cavalerie , que Philippe,
y avoir fait lever , commandées par Vergi gouverneur de 1»
Province , par le baron de Chevreaux , par Montmartin ôc pac
Clervaux, quatre Seigneurs de la première noblelfe du payis. Il y
prit auffi cent arquebuliers à cheval. Au bout de douze jours il
arriva à Fontcnay fur les frontières de la Lorraine 5 de-là il vint en
douze jours à Thionville, petite ville du duché de Luxembourg.
Il y trouva Charle comte de Berlaymont , ôc le baron de Nor-
kermès , que la ducheffe de Parme avoir envoyées pour le fa-
iuer>^ ôc il leur montra les ordres du Roi , qu'ils lui demandè-
rent à voir au nom de la Gouvernante. Ces ordres donnoient aa
éuLQ d'Aibe le commandement général des armées dans toute Î3>
O o iiji
a^4 HISTOIRE
_ Flandre. Mais comme il apprit que tout y étoît tfanquille , i!
Ch AR L E ^^^ê'^'^^^ > pour diminuer la dépenfe , la cavalerie Allemande
jy qu'on venoit de lever, ôc qui Tattendoit fur la frontière, ôc il
j - ^_ ne garda que le régiment d'Alberic comte de Lodron , qu'il
envoya devant lui de Thionville à Anvers , avec ordre à feize
enfeignes Flamandes , qui étoient dans la ville , d'en fortir.
Pour lui il marcha avec le refte de l'armce vers Bruxelles;
Il envoya devant lui François Ibarra , pour rendre fcs devoirs
àladuchelTe de Parme, ôc lui apprendre fon arrivée. Enfin il
arriva en Flandre le 22 d'Août, ayant retenu auprès de lui le
régiment de Sicile , auquel il lit donner des logemens dans
Bruxelles par les maréchaux des logis. Il envoya celui de Na-
ples à Gand , celui de Sardaigne à Anghien , Ôc celui de Lom-
hardie, ou du Milanez , commandé par Sancho de Londofio,'
à Lire , ville du Brabant, pour y être en garnifon. En même
tems il donna ordre à Ferdinand de Tolède de demeurer à
Dieft en Brabant , avec le plus de cavalerie qu'il pourroit.
Comme la ducheffe de Parme occupoit le Palais , le duc d'Al-
be fe logea dans l'hôtel du comte de Culembourg. De-là il
vint en grand cortège faluer la Ducheffe , ôc lui fit voir des
ordres ôc des pouvoirs très étendus , qu'il avoir reçus du Roi.
Outre le commandement général des armes , on lui attribuoit
la connoiffance de tout ce qui concernoit la Religion , avec
pouvoir de punir les Magiilrats , de les dépofer , d'en mettre
d'autres en leur place , Ôc d'accorder les Lettres de rémiffion:
mais tout le refte de l'adminiftration ôc du gouvernement civil
étoit confervé à la Gouvernante. Comme il auroit pu s'élever
quelque conteftation fur ce qui regardoit les armes ôc la Re-
ligion, parce que cela fembloit appartenir au Gouvernement
Civil , on avoir ajoiité dans la commiffion du duc d'Albe ,
qu'il auroit feul le droit de prononcer fur ces conteftations , Ôc
de décider fouverainement ce qui étoit de fon reffort, ôc ce
qui étoit de celui de la Ducheffe. Il donna enfuite à la Du-
cheffe la lettre du roi d'Efpagne , qu'il lui avoit écrite de fa
main , dans laquelle ce Prince lui mandoit , qu'il avoit confié
au duc d'Albe l'exécution de certains ordres , qu'il lui feroit
fçavoir dans le tems. La Gouvernante ayant demandé au duc
d'Albe quels étoient ces ordres, il lui répondit fièrement, com-
me pour fe mocquer d'elle , que fa mémoire ne les lui fourniffoit
DE J. A. DE THOU,Lïv. XLL ap^
pas pour le préfent, qu'il pourroit s'en fouvenir dans la fuite ^ i^m^auttMMj^
& qu'il ne manqueroit pas de les lui faire connoître. ^ C h a R LE i
La duchefife de Parme , extrêmement picquée de TafFront j ^^^ \
qu'on lui faiibit , eut néanmoins la prudence de diflimuler fon j r (5 y. ^
reflentiment , jufqu a ce qu'elle trouvât l'occafion favorable de
demander au Roi la permiflion de fe retirer , ôc de fortir hon-
nêtement d'une Province , qu'elle avoit gouvernée avec tout le !
zèle ôc l'équité qu'on pouvoir defirer. Cette Princeffe étoit |
bien perfuadée que fon abfence la feroit extrêmement regret- |
ter de tous les Flamans, ôc que la feule comparaifon qu'on fe- ;
roit de fon gouvernement , avec celui d'un pareil fuccelTeur, [
fuffiroit pour détruire les calomnies dont on l'avoit voulu noir- \
cir auprès du Roi, comme fi par trop d'indulgence elle avoit j
nourri ôc entretenu les troubles des Payis-bas.
AufTi-tôt que le duc d'Albe fut arrivé à Bruxelles , Ôc qu'il sévùrhé da !
eut mis fes troupes autour de lui en quartiers dans le Brabanr, <iiicd'A:bc., |
il fit publier un mémoire pour repondre au nom du Roi à la -j
requête qui avoit été prefentée l'année précédente. Il y rap- \
pelloit tous les Edits de Charle Quint , ôc de Philippe II, con- |
cernant la Religion ôc l'Inquifition 5 Ôc il ôtoit toute efperance j
de les voir modérer, ôc d'avoir une affemblée des Etats. En- i
fuite il envoya fes Lettres de créance à toutes les Provinces, \
pour leur faire connoître les ordres qu'il avoit re^us. Il exhor- ]
ta tous les Flamans à la foûmiffion ôc à l'obéiÏÏance, à mettre
les armes bas , ôc à faire profeflion de la Religion de leurs an-
cêtres. Afin que perfonne ne doutât du pouvoir imracnfe que ;
le Roi lui avoit donné , il fit imprimer les Lettres patentes de :
fa commilTion.
Le premier des ordres fecrets que Philippe avoit donnez au ^
duc d'Albe , étoit de s'affurer de tous les Grands qui étoient j
fufpe£ts. Le comte d'Egmond éta'nt venu au-devant de lui juf-
qu'à Tilcmont , on dit que le Duc le voyant venir , adreffa la
parole à fes gens , ôc leur dit affez haut , afin que le Comte '
pût ï entendre : P^otd un grand Hérétique : que le Comte parut j
embaraffé d'un pareil difcours ; mais que le Duc prit un air rianr^ j
6i l'cmbraffa ; Ôc que lui ayant déclaré qu'il ne l'avoit dit que
pour rire , le Comte ne s'en ofî'ença point. Le comte d'Hor-
ne vint enfuite le trouver à Louvain : après en avoir été bien
jre^u , il en obtint la penniflion d'aller chez lui pendant quelque
sp^ HISTOIRE
■ tems. On croît que c'eft ce qui empêcha le Duc de s'aiïufet
Charle ^'^^^^'^ -^^ comte d'Egmond , parce qu'ayant refolu de les faire
IX ^^^^ arrêter enfemble, il craignoit que s'il en faifoit emprifon-
j - ^* ner quelqu'un en particulier^ tous les autres ne priflent la fuite.
Ainli il différa cette expédition jufqu'au jour , où les ayant tous
mandez à Bruxelles , fou;^ le prétexte de tenir une aflfemblée
générale de tous les Grands , il pût les faire arrêter tous à la
fois. Comme le roi d'Efpagne avoir connu parles lettres de la
duchelTe de Parme , qu'elle n'approuvoit pas cette refolution ,
ce fut un des ordres qu'il voulut lui cacher. Le ducd'Albe lui-
même reconnut quels étoient fur cela les fentimcns de la Gou-
vernante, parce que dans une converfation qu'il eut auec elle;
elle l'aflura que non -feulement les comtes d'Egmond ôc de
Horne , mais le prince d'Orange lui-même , & toutes les au-
tres, fe contiendroient dans le devoir, fi on vouloit les traiter
avec douceur & avec bonté j qu'au contraire fi on les traitoit
avec févérité , elle appréhendoit bien que le Roi n'eût pas tout
le fuccès qu'il deiiroit 5 qu'elle connoiflbit parfaitement le gé-
nie ôc l'humeur des Flamans ; qu'il n'y avoit rien qu'ils n'ofaf-
fent entreprendre pour la confervation de leur liberté ; qu'au-
tant qu'ils étoient fujets à exciter des troubles à chaque nou^
veauté qu'on vouloit introduire dans leur payis , autant ils étoient
faciles à être ramenez à leur devoir par la clémence de leurs
Princes; mais que fi on leur otoit l'efperance de conferverleur
liberté , il n'y avoit point d'extrémité où le defefpoir ne pût
les porter ; que ceux qui avoient d'autres fentimens , fe trom-
poient très grofiierement , ôc que les délibérations fur la ma-
nière d'appaifer les troubles des Pay is-bas , prifes dans un Royau-
me il éloigné , ôc dont les mœurs ôc les inclinations étoient (i
différentes , pouvoient tromper le Roi , l'induire en erreur , ôc
lui faire commettre de grandes fautes. Le Duc, qui connoiffoit
ces fentimens de la Gouvernante , prit grand foin de lui cachçc
fes deffeins.
Les habitans de Gand animez de l'efprit de leurs pères , mal-
gré l'état où la Flandre étoit alors , reprirent leur ancien cou-
rage. Ne pouvant fouffrir la garnifon qu'on avoit mife dans leur
ville , ils prièrent le comte d'Egmond gouverneur de la Flan-
dre , de parler au duc d'Albe en leur faveur. Le Comte le leur
promit. Ainfiiorfqu'il partit pour Bruxelles , ils envoyèrent avec
lui
DE J. A. DE THOU, Liv. XLI. 5^7
ïui des Députez , qui ne recurent point d'autre réponfe du Duc > , >.
finon qu'il auroit foin de faire tout ce qui étoit du fervicj ôc p„
des intérêts du Roi. Enfin tout étant prêt pour l'exécution Je j y
fon grand deffein , il fit venir à Bruxelles les comtes d'hi mo -d ^ '
éc de Horne, fous prétexte de les confulter fur desafîaiiesd u-
ne extrême importance : il les appella le 10 de Septembre au
Confeil, à midi. Dans le même tems il donna ordre à Andro
de Salazar gouverneur de la citadelle de Palerme en Sicile , ôc
à Jean d'Efpuches , d'obferver Jean Cafcmbroot feigneur de
Backerfeel ^ qui étoit alors à Bruxelles. Il envoya aufii le comte
de Lodron , Ôc Sancho de Londoiio à Anvers , pour arrêter
Antoine Stralen , homme riche ôc en grand crédit parmi fes
concitoyens. Ils exécutèrent leur conimiflion , Ôc Farrêterenc
dans le chemin , entre Anvers ôc Malines : aufîi-tôt ils firent
faire l'inventaire de fes biens à Anvers, ôc mettre le fcellé chez
lui. Pendant ce tems-là le duc d'Albe amufoit le Confeil, fur la
citadelle qu'il vouloit faire conftruire dans cette ville , ôc dont
il leur montra le plan ? il fit fi bien qu'il le fit durer jufqu'au
foir, ôc jufqu'au moment qu'il fût afluré qu'on avoit arrêté Stra-
len ôc Cafembroot. Aufii-tôt qu'il fçut qu'ils étoient arrêtez,
il congédia le Confeil , ôc donna en même tems ordre à San-
cho d'Avila, capitaine de fes gardes, d'arrêter le comte d'Eg-
mond , ôc à Jérôme de Salines, gouverneur de Portercole en
Tofcane, de fe faifir du comte de Horne. Ces deux Officiers
faifant femblant de reconduire par honneur les deux Comtes,
les firent pafler par deux différentes portes, afin de les arrêter
féparement, Ôc avec moins de bruit. D'Avila ayant demandé
^u comte d'Egmond fon épée de la part du Roi , ce grand
homme lui dit , que c'étoit à regret qu'il quittoit une épée , qu'il
avoit tirée tant de fois, ôc avec tant de fuccès pour fon Roi ôc
pour fa patrie. Pendant qu'on arrêtoit le comte d'Horne , il
demanda où étoit le comte. d'Egmond ; mais ceux qui l'en-
vironnoient ne lui répondant point -, il leva les yeux au ciel ,
poufi^a un grand foupir , ôc dit : « Il étoit bien jufle que je
p' fuffe le compagnon de fortune de celui dont j'ai toujours
95 fuivi les confeils. « Il fe reprocha à lui-même fa crédulité
jôc fa fimplicité , d'avoir préféré l'amitié du Comte , aux fa-
ges ôc falutaires avis du prince d'Orange , ôc de n'avoir pas
ajouté foi aux prédictions qu'il leur avoit faites à l'un ôc à
Tome V, Pp
ipS HISTOIRE
f. l'autre, dans la dernière conférence qu'ils avoîent eue à Ville-»
Char LE ^'^^^^\-
jy Après cette expédition, le duc d'Albe envoya Berlaymont
^* 6c Pierre Erneft de Mansfeldt , à la duchefle de Parme , pour
^ lui apprendre ce qui venoit d'être fait , ajoutant que c'étoitcet
article fur lequel il avoit plu au Roi de s'expliquer obfcure-
ment dans ces lettres , & ce qu'il avoit eu ordre de lui cacher
pour un tems 5 que c'étoit par confideration pour elle qu'il en
avoit ufé de cette manière , afin de prendre fur lui feul toute la
haine de cette action , ôc tout le danger auquel il pourroit fc
trouver expofé , ii cette expédition étoit fuivie de quelques trou-
bles 5 & afin que la Duchefle pût conferver l'amour des peu-
ples, dont le gouvernement lui étoit confié. La Gouvernante
reçût très mal cette excufe , qu'elle regarda comme une nou-
velle injure. Elle faifoit voir à cette PrincefTe que le Duc n'a-
' voit aucune confiance en elle j ôc qu'après l'avoir mife dans la
neceflité de demander à fortir des Payis-bas , il ne laiflbit pas
de la traiter encore par dérifion de Gouvernante de la Provin-
ce. Le comte d'Hoocftrate , mandé par le duc d'Albe j s'étoit
mis en chemin : mais fous le prétexte d'une maladie vraie ou
feinte , il ne vint pas jufqu'à Bruxelles j & par là il fçut fe ga-
rentir du danger. On arrêta encore plufieurs autres perfonnes
moins confiderables.
La nuit qui fuivit Pemprifonnement de ces Seigneurs , le
duc d'Albe demanda au comte d'Egmond , le mot du guet de
la citadelle de Gand , dont il étoit Gouverneur , afin que le re-
préfentant à Trouïlhere , qui y commandoit en fon abfence,
il livrât la citadelle, ou à lui (duc d'Albe, ) ou à celui à qui il
en donneroit le commandement. La citadelle fut donc livrée ,
ôc le commandement donné à Alfonfe de Ulloa , qui étoit déjà
dans la ville avec fon régiment j auffi-tôt les comtes d'Eg-
mond Ôc de Horne y furent mis en prifon. Les autres Seigneurs
arrêtez furent partie transferez à Vilvoorde ^ ôc partie gardez à
Bruxelles. Pierre Erneft de Mansfeldt , qui étoit prefent lorf-
qu'on les arrêta , fit figne à Charle fon fils , qui étoit aufli pre-
fent , de fe retirer , parce qu'il craignoit qu'on ne l'arrêtât ,
pour avoir afîifté aux premières conférences des Confédérez >
ôc qu'il ne comptoit ni fur la faveur ôc le crédit, que fa fidé-
lité ôc fes fervices avoient méritez , ni fur l'amitié d'un hmmc?
DE J. A. DE THOU, t iv. XLL 2^^
feuffi févére 6c aufîî implacable , qu'étoit le duc d^Albe. Le fils ^
fuivit le fage confeil de fon perej il fe fauva promptement , & Ch arle
fe retira en France , où il fut reçu avec beaucoup de marques jv
de diftin6lion. Il y demeura long-tems , s'y maria deux fois j ^ ^
ôc étant retourné dans les Payis-bas, il reconnut bien mal dans
les dernières guerres, les obligations qu'il avoit à nos Rois, ôc
à ce Royaume.
Cependant comme on envoyoit par tout des CommifTai-
res , pour informer contre les auteurs de la fédition i la ter-
reur fe repandit dans toute la Flandre. Plufieurs ne croyant pas
que leur innocence pût les mettre à l'abri de la rigueur excef-
five des Efpagnols , prirent le parti de s'enfuïr , les uns en An-
gleterre, ôc dans les villes maritimes de la Flandres les autres
en Allemagne ôc en France. Alors s'évanouit entièrement la
lueur d'efpérance que les Provinces avoient conçue , de voir
FalTemblée des Etats de Flandre 5 ôc en leur place on établit un
Confeil de Sept , auquel le duc d'Albe devoit préfider. On
nomma d'abord , pour la forme feulement , les comtes d'A-
remberg ôc de Berlaymont 5 car ils n'alTifterent jamais à ce
Confeil : ôc l'on mit pour remplir leur place.le baron de Norker-
mes. Les principaux , dont ce Confeil fut compofé , furent Jean
de Vargas , ôc Louis Delrio Jurifconfultes Efpagnols j Adrien
Nicolaï, chancelier du Confeil de Gueldres ; Jean Porta , Jac-
que Helfelt, Jean de Blafere du Bois, procureur général, ôc
Jacque de la Torre fécretaire. Le duc d'Albe étendit dans la
fuite la jurifdidion de ce Confeil , contre les privilèges des
Provinces , contre l'autorité des Cours , ôc principalement du
Confeil fouverain des Payis~bas > il régla qu'on ne pourroit ap-
peller des Sentences de ce Tribunal , ôc il lui attribua, avec un
plein pouvoir , la connoiffance de toutes les caufes qui con-
cernoicnt la Religion ôc le crime d'Etat. Suivant les décrets
de rinquifition d'Efpagne, fa jurifditlion fut encore étendue
au-delà de fes bornes , ôc excelîivement augmentée. Aufîî-tôt
une infinité de perfonnes furent emprifonnées à Tournay , à
Malines , à Gand ^ à Anvers, ôc ailleurs, dont plufieurs furent
exécutez. Ce qui rendit ce Tribunal fi odieux , qu'on lui don-
na le nom de Confeil, non de Paix ôc de Juftice ; mais de dif-
corde Ôc de fang : ce qui fut exprimé en langue vulgaire pacui^
mot fait exprès.
^'ùo HISTOIRE
■ Le duc d'Albe vint peu de tems après à Anvers , où l'ori
Charle ^voit commencé à bâtir une vafte citadelle dans le fauxbourg
l^ du Kiel i au midi. On avoit pour cela rempli le fofle de ce cô*
15*^7. ^^'^^ * ^ <^n avoit abattu la porte de Croonenbourg , ôc une
tour , que fon antiquité auroit dû faire refpeder. L'ouvrage
de cette citadelle fut conduit par Paciotto , architecte Sa-
voyard, qui avoit bâti celle qu'Emanuel Philibert duc de Sa-
voye avoit depuis peu fait coniiruire à Turin. Paciotto fui-*
vit les deffeins & les confeils de Chiappmo Vitelli, ôc du com^
te de Serbellon grand prieur de Hongrie , qu'on y avoit en-
voyez. On lui donna une forme quinquangulaire , ou à cinq
faces î ôc à chaque côté on éleva des dcfenfes larges ôc avan-
cées, dont quatre , par une vanité jufqu'alors inconnue aux Ef-
pagnols mêmes , portèrent le nom du fcul duc d' Albe. Le pre-
mier de ces Forts s'appelloit , le Dy.c , le fécond , ^ Albe , le troi-
iiéme , Ferdinand ^ ôc le quatrième , de Tolède, qui étoit le nom
de famille du Duc. Pour le cinquième, on lui donna le nom
de rArchite£le. Le Duc prefla extrêmement les travaux 5 ôc
pour achever promptement ce grand ouvrage, il y Ht travail-
ler deux mille hommes. Les habirans d'Anvers payèrent pour
les frais de la confl:ru£tion de cette citadelle 400c co florms;
qu'ils dévoient reprendre fur les importions du centième &
du dixième denier , ils y confenrirent d'autant plus volontiers;
qu'ils efperoient par là s'exempter d'avoir garnifon dans leur
ville. Mais ils furent trompez. Car quoique le gouvernement
de la citadelle fût d'abord donné à Gabriel Serbellon Milanois,
grand homme de guerre, dont nous avons déjà parlé , ôc en-
fuite à Sancho d'Avila , qui de fimple foldat étoit parvenu à
tous les honneurs militaires, ôc qu'on y eût en même tems mis
une garnifon convenable , le comte de Lodron refla néan-
moins en garnifon dans la ville > avec quelques compagnies
d'Allemans.
La citadelle d'Anvers étoit déjà en état de dèfenfe, lorfque
par un funefte accident farfenal de Malines fut brûlé. Vingt
ans auparavant, le tonnerre étoit tombé fur la tour où l'on gar-
doit la poudre ; quelques auteurs ont écrit qu'il y périt plus de
cinq cens hommes ; les uns accablez fous les ruines , les autres
étouffez Ôc morts de faim dans des fouterrains. Jean Sleidan,
qui a fait dans le dix-feptiéme livre de fon hiltoire, un ample?
DE J. A. DE THO U, Liv. XLI. 301
détail de cet accident:, dit que la ville en fut très endomma-
gée , que les arbres furent déracinez, que plus de deux cens Ch « ^ LE
hommes y périrent en diverfes façons , lans compter ceux qui JX,
furent bltlTez & mutilez , & ceux qui furent comme le joiiet \ ^ $ -j,
de la fortune , rSc qui penferent perdre la vie , ayant été tirez de
dcifous terre trois ou quatre jours après, ôc s'étant dérobez à
la mort à la faveur de quelques provifions qui s'y trouvèrent.
Il ajoure qu'un grand nombre de chevaux , de beftiaux , ôc de
troupeaux , furent confumez avec les écuries ôc les érables où
ils étoient renfermez iôc que le mur du côté de la tour qui fut
brûlée , fut renverfé jufqu'aux fondemens , ôc les pierres jet-
tées de côré ôc d'autre à plus de deux cens pas. On vit cette
année prefque tous les mêmt^s effets dans 1 incendie dont nous
parlons : cet accident rappella le duc d'Albe à Bruxelles, plii-
tôt qu'il n'y devoit retourner ; voulant fe trouver à cette ville ;
pour être à portée de donner i'es ordres > en cas qu'il arrivât
quelque chofe de nouveau.
Comme le feu delà guerre civile s'étoit rallumé peu aupa- - , ,,„.,
j II- lo-r- 1 •/rr•^ Le duc d'Aï-
tavant dans la l^rance, le Koi , luivant le traite lecret rait a beenvoycdu
Bayonne , demanda du fecours au duc d'Albe. Le Duc , non- accours en
feulement accorda de bonne grâce ce qu'on lui demandoit i
mais croyant que tout étoit pacifié ôc tranquille dans lesPayis-
bas , il offrit fa perionne ÔC fes fervices. Une offre fi obligeante
parut fufpe£le à la Reine, ôc aux principaux membres du Con-
feil : appréhendant que 11 le Duc venoit en France, ils n'euffent
dans le fein du Royaume , au lieu d'un ami fecourable , un dan-
gereux efpion , ils le remercièrent , ôc lui firent entendre qu'il
feroit ôc plus fur ôc plus avantageux pour les deux Rois , qu'il
demeurât dans les Payis-bas , ôc qu'il envoyât un autre Général
à la tête des troupes auxiliaires, qui entreroient en France. Le
Duc jetta les ^eux fur Jean de Lignes prince de Barbançon,
comte d'Aremberg , qu il envoya au Roi avec quinze cens che-
vaux tirez des armées de Flandre , ôc du comté dvr Bourgogne?
mille fantaffins Efpagnols, ôc autant de Flamans qui craignant
la févérité ou plutôt la cruauté du duc d'Albe, s'enrollerent
volontiers, pour être un peu plus élo'gnez du danger.
Le duc d'Albe ayant pris les devants , ôc ayant mis ordre
aux affaires de Flandre , Philippe pouvoit y venir en toute fu-
reté, ôc y être reçu avec tous les honneurs dus à un grand Roi y
4fc P p iij
«iHi
502 HISTOIRE
. & c'eft ce qui avoit d'abord été réfolu. Mais Bernardin de
TT Mendofe nous apprend que plufieurs chofes le retinrent en Ef-
TV pagne j entr autres 1 empnlonnement de ion fils , qui fut luivi
' prefque immédiatement de fa mort, ôc de celle de la Reine
^ '* Elizabeth fon époufe ; ôc les troubles funeftes que les Maures
excitèrent dans le royaume de Grenade , & qui mirent toute
l'Efpagne en mouvement. Nous parlerons en particulier de
ces évcnemens. PalTons maintenant des Payis-bas en Allema'
gne ) ôc dans les payis feptentrionaux.
Suite de la La guerre allumée par la témérité d'Eric , entre la Suéde d*u-
Nord^ '^*"^^*^ ne part , le Dannemarck ôc la Pologne de l'autre » n'étoit pas
encore finie. Comme elle pouvoit troubler toute l'AIlemagn-e,
l'Empereur Maximilien j prince très fage Ôc très prudent , avoit
fait tous fes efforts les années précédentes pour la terminer ; ôc
il ne ceffa d'y travailler encore cette année. Il indiqua pour
cela au mois de Mars une affemblée àStralfund, ôc y envoya
i'Eledeur Frédéric Palatin , ôc les ducs de Pomeranie, Henri
de Ranzau , vicaire de Holftein , y vint de la part de Frédé-
ric roi de Dannemarck , ôc affura les Députez ou Commiffaires
Impériaux , que fon père étoit difpofé à fe foûmettre à leur ju-
gement. Mais le roi de Suéde ayant écrit qu'il ne pouvoit pas
y envoyer des Plénipotentiaires , Ranzau prit congé des Corn-
miflaires de l'Empereur, ôc s'en retourna en Dannemarck fans
avoir rien fait.
Le mois fuivant, Eric vint avec une armée à Anflo en Nor-
vège , ôc attaqua fans fuccès Aggershaufen. Le commandant de
cette fortereffe ayant mis le feu à la petite ville d'Anflo , pour
incommoder les aiïiégeans j ôc le roi de Dannemarck ayant eu
le tems d'envoyer des troupes de Coppenhague ^ les Suédois
furent repouffés ôc obligés de lever le fiége. Enfuite comme (î
îe roi de Suéde n'avoit pas eu affez d'ennemis au dehors, il en
trouva , ou s'en fit au dedans de fes Etats. En effet j devenu
comme furieux , il conçut des foupçons ôc des défiances con-
tre fes principaux Conleillers j il les accufa de crime de leze-
majefté , ôc à rinftigation de Pierre , fécretaire d'Etat , homme
turbulent , ôc qui ne s'appliquoit qu'à aigrir l'efprit du Roi , il
fit mourir à Upfal Suanton comte de Stur , avec fes deux fils
Nicolas ôc Eric, Abraham fils de Guftave, Ivare fils d'Ivare;
ôc pour joindre l'impiété au meurtre , il condamna au mcme
D E J. A. D E T H O U, L I V. XLI. 50^
genre de mort Denis Burgius fon précepteur. Tous furent exé-
cutez fans être entendus, comme s'ils avoient été atteints & Charle
convaincus d'une confpiration formée contre leur Prince. jv
Après cet horrible maffacre , Eric couvert de honte , & tour- i ç ^ 7,
mente par les remords de fa confcience , pour effacer en quel-
que forte fon crime, voulut faire un acte de Juftice. 11 mit en
liberté fon frère Jean, qu'il retenoit depuis quelques années en
prifon avec fa femme : mais il femble que ce fut pour fufciter
un vengeur de tant d'innocens , qu'il avoit fait cruellement mou-
rir, pour le renverfer de fon thrône, & pour le mettre à foiî
tour dans les fers. Avant que cette révolution arrivât, le roi de
Suéde effuya cette année un grand nombre de pertes. Nico-
las Kurfel ayant furpris la garnifon , que Sigifmond Augufte
avoit mife à Lemfal, dans la Livonie, Nicolas Tolivenski gé-
néral Polonois , pour reparer cette perte par quelque a£lion
éclatante , vint fur la frontière de la province de Wiekke : il
y trouva les Suédois tout glorieux de leur fuccès , ôc qui (e
croyoient en fureté j il les attaqua , ôc remporta une célèbre
vidoire : quelques auteurs ont écrit qu'il y eut deux mille Sué-
dois tuez , ôc un plus grand nombre de prifonniers , ôc que
les Polonois prirent les drapeaux de Revel. D'un autre côté ,
Daniel de Ranzau général Danois, entra le mois de Septem-
bre dans la Suéde , par des défilez fi étroits , qu'on les appelle
communément des trous ; ôc après y avoir impunément brûlé
ôc pillé le payis pendant quelques mois , il pénétra jufqu'à Wadf-
tena. Eric efîirayé de ces progrès , fut forcé, pour les arrêter, ÔC
pour prévenir le danger dont il étoit menacé , de mettre lui-
même le feu à plufieurs places, ou villes de fes Etats, ne trou-
vant que ce trille ôc déplorable moyen pour prévenir de plus
grandes pertes. Ranzau , après avoir fait un riche butin , ÔC
avoir répandu la terreur dans une grande étendue de payis , re-
vint en Dannemarck fans avoir fait aucune perte.
Prefque dans le même rems , il y eut le 17 de Septembre
un combat entre les Polonois ôc les Mofcovites , auprès du lac
de Stin. Les Polonois fortis de Witepfck , tuèrent environ trois
cens Mofcovites , prirent cent vingt pièces de canon , avec une
grande quantité de poudre ôc de baies , ôc firent outre cela un
très-riche butin. Le 12 de Décembre, l'infanterie qui étoit en
garnifon à \7itepfck , ayant fait encore une fortie , combatiit
^04 HISTOIRE
avec beaucoup de fuccès les Mofcovites proche de'Welifckî
Ch AR.LE ^"^ partie fut taillée en pièces , l'autre mife en fuite, & plu-
IX. fieurs fe noyèrent dans la Ouina. Alexis Simiskowf , ôc Bogdan
i ^ ^ j^ Reory , de la première noblefle de RuiTie , y furent faits pri-
fonniers.
Différend Pendant qu'on y faifoit la guerre de tous cotez Jes Députez
au fiyet â\x gui s'ctoicnt aiTemblcz à Odenfée, dans Tifle de Funen , éxami-
duché de Slef- ^ ijrr j •>/./. , , -j-m i
^ict. nercnt le dinerend qui s etoit eievc entre le roi de Dannemarck ;
& les ducs d'Holftein fes parens , touchant le duché de Slefwick.
Les Ducs avoiioient que leurs ancêtres avoientreçuôcpolTedé
ie duché de Slefwick, comme feudataires des rois de Danne-
marck. Ainfi ils ne refufoient pas de rendre l'hommage, dont
ils étoient convenus à Coldingen avec Chriftierne III 20 ans
auparavant: mais ils prétendoicnt que c'étoitun fief héréditai-
re ôc libre, qui n'étoit point fujet au fervice , ôc qui pouvoir être
tenu ôc pofTedé par les femmes, comme par les hommes ; & ils
le prouvoient par les ades ou les lettres des Rois prédécefTeurs
de Frédéric y qu'ils produifoient , ôc par le droit commun de
Dannemarck obfervé dans le duché de Slefwick. C'eft ainfi que
îe Roi Voldemar avoir donné en i 5 2(5 la principauté du Sud-
Jutland , avec le domaine utile ôc dire£t , à Gérard comte de
Holftein , Ôc à fes héritiers j ne fe refervant que les droits de
Seigneur fouverain ou dominant , ôc le droit d'inveftiture. Ainfi
le roi Chriflophle avoit donné deux ans après le Nord-Judand
à Jean comte de Holftein , ôc à fes héritiers hoirs, tant mâles que
femelles, à titre de fiefj ôc cette donation avoit été confirmée
douze après par Voldemar IV. Ainfi cent ans après , Chrifto-
phlc m avoit voulu que le duc Adolphe jouît de ce Duché
de la même façon que les Rois ou Reines, qui l'avoient précé-
dé , en avoient joui ^ librement Ôc fans aucune condition. Ainfi
Adolphe , dernier duc de Slefwick , étant mort fans enfans Fan
1450 , ce fief n'avoit point été rciini à la Couronne par droit de
reverfion ; mais Chriftierne I. roi de Dannemarck en avoit
hérité comme fils de la fœur d'Adolphe. Les Rois fesfuccef-
feurs l'avoient pofi^edé au même titre d'hérédité ? ôc Frédéric L
avoit de plus déclaré Pan 1424, que les habitans de Slefwick
n'étoient point obligez de fuivre , ni de fervir qui que ce fût à la
guerre, hors les limites du Duché j à moins qu ils ne fe fufi^ent
.volontairemeint engagez , ou qu'ils ne reçuffent la foldc.
Ceux:
DE J. A. DE THOU, Lrv. XLI. ^of
Ceux qui parloient pour le roi de Dannemarck j difoient qu'on
ne pouvoir produire aucun acle public , fait dans ie Royaume . p u r t » ^
qui exemptât formellement^ & en termes exprès, les feudatai- -ry ■
res du fervice 3 que dans la conceffion des fiefs , qui font d'un ^*_ ''
droit étroit ôc rigoureux , il en falloir faire une mention expref-
fe j ôc que dans le doute , on devoit toujours prononcer en |
faveur du Seigneur contre le fujet ; que fans remonter plus haut , 1
il étoit confiant que par la Sentence de l'Empereur Sigifmond , \
entre les mains duquel les deux Parties avoient paffé un com-
promis , les lettres de Voldemar avoient été annullées , ôc le du- I
ché de Slefwick ôté aux Ducs, ôc adjugé au Roi 5 qu'enfuite ;
à la mort d'Adolphe dernier Duc, le Duché avoir été réuni à
la Couronner que tous les titres antérieurs avoient été éteints; '
ôc qu'il n'étoit pas certain qu'on eût fait depuis une nouvelle \
concefîion ; que ce Duché ayant d'abord été donné aux ducs I
de Hoiftein , on devoit penfer qu'il n'avoit été accordé que pour '
les mâles, feuls capables de pofTeder un fief, qui doit le fervi-
ce des armes : Que par cette raifon la fœur d'Adolphe n'avoit j
pu le polfeder , ôc que les Princes d'aujourd'hui n'étoient pas les
légitimes héritiers. La matière ayant été difcutée , ôc mife en ^
déUberation pendant quelques jours , il fut décidé que la caufe
feroit plaidée devant Augufle éle£leur de Saxe , Ulric duc de \
Meckelbourgj ôc Guillaume Landgrave deHefle 5 ôc que ces i
Princes, en qualité de CommilTaires ou d'arbitres choifis, l'ac- '
commoderoient à l'amiable. La difcuiïion de cette affaire dura .
pendant dix ans entiers, Ôc ne finit qu'en 15" 80.
Le nom de Guillaume Landgrave de Hefîe nous avertit de ^^''^ ^^
parler pour la dernière fois du Landgrave Philippe fon père. Il landgravs
ctoit de la plus illuftre Ôc de la plus ancienne maifon de FEm- de Hesse
pire , puifqu'il tiroit fon origine de nos Rois Carlovingiens , ôc j
des enfans fugitifs de Charle ', dernier Prince de cette race , qui ;
mourut en prifon à Orléans. Philippe naquit en i<)0^ près du
camp de Guillaume fon père, qui afiiégeoit Chamb, ville du Pa-
latinat j ôc ce fut une efpece de préfage de la vie guerrière qu'il |
devoit mener. La différence des Religions ayant troublé ôc j
divifé l'Allemagne , il fe déclara zélé défenfeur de la caufe des
Froteftans , ôc de la liberté Germanique. Il foufcrivit à la I
1 Charle de Lorraine , frère de Lothaire, ôc oncle de Louis V. dit le fainean^ . '
4;rnier Roi de la race Carlovingienne. I
Tome y, Q^
'^««im«ransKXS!!K%»
306 HISTOIRE
Confédcraiion ou ligue de Smalcade, ôc quoique la fortune
Char LE ^^^ ^^^ ^^^ contraire, fon courage invincible lui fit toujours te^
jY nir ferme contre l'Empereur Charle-Quint. Mais après la dé-
,' faite de Jean Frédéric éledeur de Saxej ayant à la perfuafioii
■^ de Maurice fon gendre traité avec l'Empereur, il fut honteu-
fement trompé par une petite rufede Granvelle, qui avoir mis
dans un des articles du traité une lettre pour une autre ; ce qui
en changeoit entièrement le fensj on l'arrêta, ôc il fut forcé
pendant cinq années de fuivre par tout fon vainqueur , en
campagne, à la guerre & à la Cour, comme prifonnier , juf-
qu'à ce que Maurice ayant quitté le parti de l'Empereur , il fut
mis en liberté avec 1 EIe6leur de Saxe. Depuis ce tems là, en-
nuyé d'une vie Ci agitée , fi inquiète Ôc fi pénible , après tant de
travaux ôc de fangues il ne fit plus rien de mémorable , fi ce
n'eft qu'en 1^62 il envoya des troupes auxiliaires en France,
à la follicitation du prince de Condé , qui les lui demanda au
nom de la Pleine mère. Philippe étoit un Prince d'un très-grand
courage , fage , prudent , ôc d'un bon confeil , mais qui comp-
toit moins fur fa prudence , que fur fa valeur & fa fortune. Après
avoir cefiTé de faire la guerre , il cultiva les fciences & les bel-
les lettres, 6c il fonda à Marpourg une célèbre Univerfité, à
qui il donna de très-grands privilèges , ôc de fort gros revenus.
Il enrichit aufii confiderablement les hôpitaux établis à Heyne,
à Merckhaufen, à Braubach ôc à Hocheym. J'ajouterai une
chofe que plufieurs ont regardée comme une plaifanterie, ôc que
je n'ai pas crû devoir omettre : c'eft que ce Prince avoir un
tempérament très-inépuifable pour les plaifirs de l'amour ; en-
forte qu'étant d'ailleurs très-chafte, n'ayant point de maîtrefies,
ôc ne voyant que fon époufe , qui ne pouvoir le foufirir Ci fou-
vent , il conféra fur cela avec fes miniftres ou pafteurs j qui con-
fendrent , avec la permilfion de la Princeffe, qu'il prît une fé-
conde femme ou concubine, dont la fréquentation le mît en
état d'en ufer plus modérément avec fon époufe. Enfin cette
année qui étoit fon année climaterique » il mourut le lendemain
de Pâques. Les Médecins ayant fait l'ouverture de fon corps
lui trouvèrent trois tefticules.
D'Ernest Erneft duc de Brunfwick, qui avoit toujours été très-uni à
yfiç]^^ ~ Philippe, le fuivit de près. Ses fujetslui donnerentles furnoms
de Pieux, de Confiant ôc de Courageux j il mourut le fécond jour
d'Avril , ôc fut inhumé à Olterrode.
DEJ. A. DE THOUiLiv, XLL 507
Dans la même année, Antoine de Croy prince dePorcien,
jeune homme d un grand courage ôc d un eipriteleve , fur pris r^ „ , „ . „
dune nevre ardente a rar;s, ôc mourut le 5* de (Vlai , ayant a jy
peine pafle fa vine:t-rixiéme année. Francoife d' Amboife de Se- ^ ^ *
nigan la mère etoit morte quelque mois auparavant. Le <^on-
nétable Anne de Montmorenci , fous prétexte de la fuite du pf^V^^ciEN^
duc d'Arfchot fon parent,, avoit intenté un fâcheux procès à et de same-
cette Dame, ôc l'avoit'fait honteufementemprifonner. Le Cou- ^^-
nêtable ayant été pris à Saint Quentin ôc conduit prifonniers en
Flandre,lesGuifes par haine pour leur rivab plutôt que par affec-
tion pour la dame de Senigan , profitèrent de cette occafion
pour la confoler,ôc la foulager dans fes malheurs. Cependant
la Cour ôc toute la France ayant depuis été déchirées par des
fa£lions , le prince d^ Porcien fon fils embraffa la dodrine des
Proteftans , ôc prit le parti du Connétable Ôc des Colignis. Deux
ans auparavant , lorfque le maréchal de Montmorenci marcha
contre le cardinal de Lorraine , le Prince vint à Paris avec fes
troupes, pour être à portée de féconder le Maréchal. L'auteur
de la vie de Claude , fils naturel de Claude de Guife , abbé de
Cluni , rapporte que cet Abbé fit donner au prince de Porcien,
par Saint Barthelemi fon émiffaire, un bouillon, qui lui fit per-
dre la raifon , Ôc le rendit furieux , pour le punir de fon ingra-
titude envers une famille , à qui il avoit de fi grandes obligations.
Je m'en rapporte à ce quienefl, ôc je me contente d'indiquer
mon auteur, qu'on dit être Dagoneau de Vaux bailli de Cluni.
La mort enleva cette même année à Jene dans la Thurin- DeStifels
ge Michel Stifels d'Eflingen , âgé de quatre-vingts ans , ôc qui
avoit long-tems profeffé dans la Saxe ôc dans la Pruffe. Ses li-
vres fur l'algèbre font eftimez des fçavans , comme ils méri-
tent de l'être.
Après lui, mourut à Sweinits dans la Silefie \q 26 Août Jean De Lang.
Lang , âgé de foixante-quatre ans ôc plus. Il étoit né à Freif-
tadt , ville du duché de TefTchen en Silefie. Il s'efl: rendu re-
commandable à lapofterité parla tradu6lion fidèle de l'hiftoire
Eccléfiaftique deNicephore, qu'il fit par ordre de l'Empereur
Ferdinand , fur un manufcrit ancien , très-beau , ôc le feul qui
fut en Europe. J'ai enfin obtenu long-tems après par mes foins,
qu'on me le prêtât, ôc afin qu'il ne puiffe périr, on le fera
imprimer ea France dans fa langue naturelle.
R
308 H I S T O I r. ii
__ François Robortellonc à Udine, mourut en Italie le 18 de
C H A R L E •^'^^^^ ^^"^ ^^ cinquante-unième année. Il profefTa avec beaucoup
T y d'éclat à Boulogne & à Padouë. Ses difFerens écrits donnèrent
^ ^ ' de lui une haute idée , à laquelle il ne répondit point. Il dif-
puta très-fouvent, mais à forces bien inégales ^ avec Charle Si-
OBOR- gQj^iijg ^ ^ çQ^ conteftations furent plus vives & plus aigres qu'il
T£LLO.
De Panta-
GATi.
De Léo-
pard.
ne convient à des gens de lettres. Les Allemands qui avoient
toujours pris fon parti dans ces difputes, lui firent de grands
honneurs après fa mort.
Elle fut fuivie de celle d'06lavien Pantagate , qui voulut être
appelle Pacatus. Il étoit de Brefce. Il entra dans l'ordre des
ServiteSjôc ilfe diftingua par fa grande probité, ôc par la pro-
fonde connoilîluice qu'il eut de l'antiquité ôc des belles let-
tres. Tous ceux qui faifoient profeiïion de littérature à Rome
venoient le trouver en foule , & il répondoit dans fa maifon à
tous ceux qui venoient le confulter fur les belles Lettres , com-
me les anciens Jurifconfultes répondoient dans des places pu-
bliques à ceux qui venoient les confulter fur le droit; ôc tous
fortoient d'avec lui plus inftruits qu'ils n'étoient en y entrant.
Onuphre Panvini , Amoine Auguftin , ôc Fulvius Urfinus , trois
des plus fçavans hommes de leurs tems , furent fes principaux
admirateurs, ils ont avoué fincerement qu'ils avoient beaucoup
appris d'un fi grand maître > ôc qu'ils avoient donné au public
bien des chofes , dont il avoit eu la bonté de leur faire part. Ou-
tre la réputation qu'il s'acquit par les belles lettres y il fe fit tant
d'amis par les fervices qu'il rendoit à tout le monde , que les
Romains lui donnèrent le refpedable furnom de Père, Enfin
le 30 de Décembre de cette année, il rendit à Dieu fon ame
bienfaifante , qui avoit obligé tant de perfonnes. 11 avoit un
peu plus de foixante ôc treize ans , ôc il fut enterré à Rome dans
le Couvent des Servites,
Avant Pantagate , mourut le 3 de Juin dans fa cinquante-
feptiéme année Paul Léopard , né à Ifemberg en Flandre. Il
étoit fçavant dans les langues Greque ôc Latine , ôc il les en-
richit aflez confiderablement pour le tems y par fon ouvrage des
Corredionsqui parut après fa mort. La première décade de cet
ouvrage fut imprimée au(îî-tôt ■■> la deuxième ayant été long-tems
fupprimée , a été publiée depuis peu de tems par Jean Gruter.
Au relie Léopard étoit un homme fans ambition , qui aima
DE J. A. DE THOU, L i v. XLl. 50^
mieux demeurer caché ôc inconnu dans un petit collège, à «»««=«^
Bergues-Saint-Vinox près de Dunquerquc; que de recevoir Qharle
dans le grand monde les honneurs 6c les dignitez , aufquelles j )^
il pouvoir afpirer. ^ i ç (5-?.
Dès le p de Février, Jean de Leyen archevêque ôc Elec-
teur de Trêves étoit mort à Coblents. Il avoir toujours traité J^f.^^'^^^"
avec beaucoup de févérite les peuples de i rêves ôc de Coblents, Tkeve.
qui vouloient changer de Religion. Après beaucoup de con-
teftations entre ceux de Trêves ôc le Chapitre , on élut enfin
à Coblents le 7 d'Avril Jacque de Eltz^ôi quoiqu'il fut très-
attaché à la Religion de fes pères , fes fujets trouvèrent en lui
beaucoup plus de douceur que dans celui qui l'avoir précédé.
L'événement le plus mémorable de l'année 1 5" 6j fut la guerre Guene ds
de Gotha en Allemagne, qui fut recommencée par un décret °^ *
de l'Empire , ôc achevée dans l'efpace d'un an. Voici quelle en
fut l'origine. Guillaume Grumbach ayant ramaffé les reftcs de
de l'armée d'Albert marquis de Brandebourg, qui avoit été mis
au ban de l'Empire, ne fe contenta pas d'avoir aflalTiné l'E-
vêque de Virtzbourg par une horrible trahifon , ôc d'avoir par
une entreprife auffi étonnante que téméraire pris ôc pillé la ville
Epifcopale ; il foHicita ouvertement la Noblefle à fe foulever
contre ÏQS loix de FEmpire, ôc pour fortifier fon parti, ôc fe
ménager un lieu de retraite, à lui ôc à fes complices , que FEm-
pereur avoit profcrits , il alla trouver en fecret Jean Frédéric
ôc Jean Guillaume princes de Saxe , fils de Jean Frédéric , au-
trefois Ele£teur : il les pria , les conjura, ôcles prefla fortement
d'avoir pitié d'une Noblefle > quigemiflbit fous la tirannie des
Evêques ôc des autres Princes, ôc quimettoit en eux toutes fes
efperances, comme dans les feuls défenfeurs ôc vengeurs de la
liberté Germanique.
Il difoit à ces Princes, que s'ils n'étoient pas toucliez de la
trifte fituation des autres, ils dévoient craindre pour eux-mê-
mes , ôc prévenir le danger dont ils étoient menacez : Qu'on
avoit en vue de réduire d'abord la Noblefle , pour les oppri-
mer enfuite eux-mêmes , lorfqu'ils n'auroient plus de fecours
à efperer : Qu'on n'étoitpas content d'avoir par une injuftice
criante dépouillé leur père de l'Eleâiorat : Qu'on avoit regar-
dé ce premier crime , comme un degré pour parvenir à ce que
l'on méditoit 6c projettoit depuis fi long-tems. Il les exhortoit à
Q q iij
310 HISTOIRE
prendre enfin des fentimens & des réfolutions dignes de îeuH
Charle ^^^^^'^^'^^^ > ^ ^ ^'^^ P^^ donner lieu par une patience exceflive
TV aux nouvelles injures qu'on avoir deflein de leur faire. «Vous
^ * ï' n'avez , ajoûtoit Grunibach , qu'à vouloir 5 vous ne man-
»' querez pas de gens, qui fe feront un plaifir de vous fervir;
»j ôc de combattre fous vos aufpices : une pareille entreprife
»» fera également glorieufe ôc utile à la maifon de Saxe : par
» là vous maintiendrez ôc conferverez la liberté delà Nobleffe;
»» vous reprendrez par une jufte guerre ce que l'on vous a in-
ce Juftementravi ; ôc vous rentrerez dans l'ancienne dignité atta-^
« chée à v-otre illuftre Maifon.
Jean Guillaume de Saxe ne put écouter un homme fi pref-
fant j ôc qui avoit l'infolence de joindre les menaces aux pro-
méfies : il lui répondit qu'il perfevereroit conftamment dans la
fidélité qu'il devoit à l'Empire , ôc il le chafla d'auprès de lui.
Il n'en fut pas de même de Jean Frédéric fon frère : comme
il étoit très-crédule, plein de vanité ôc d'ambition, ôc qu'il ne
pouvoir pardonner l'affront fignalé qu'on avoit fait à fon père,
les paroles de Grumbach le pénétrèrent jufqu'au fond du cœur :
perfuadé qu'il ne devoit pas laifler échapper l'occafion favora-
ble qui s'ofiroit , il n'examina pas afiez s'il avoit les moyens
nécefi^aires pour réufiîr : il ne fit aucune réflexion fur les vues
ôc les defifeins qui faifoient agir Grumbach dans cette affaire,
ôc il fe livra tout entier aux confeils ôc aux caprices d'un mé-
chant homme, qui étant ruiné, ôc perdu de réputation ^ n'avoic
rien à rifquer.
Grumbach fe voyant alTuré d'un patron ôc d'un appui fi puif-
fant, conçut les plus folles efperances , ôc crut avoir trouvé l'oc-
» cafion favorable de réuffir dans les projets extravagans qu'il avoit
formez. Pour animer de plus en plus ce Prince, ôc pour fe l'at-
tacher plus fortement, il commença par jetter dans fon cœur des
femences d'averfion ôc de haine pour un frère qui ne penfoit
pas comme lui , ôc il n^omit rien pour les brouiller : mais afin
qu'il ne pût pas rompre fes engagemens, il voulut le lier à fa
caufe par un crime éclatant. Il aigrit de plus en plus fon ef-
prit contre Augufte, revêtu de la dignité Eledorale, qu*on
avoit enlevée à fon père ; il le porta enfin à conjurer contre fa
vie , ôc à fuborner des miferables pour rairafi[îner.
Dans la Diète tenue trois ans auparavant à Worms , qui fut
Giijtïsiiiiivia*»
DE J. A. DE THOU, Liv. XLI. 311
la dernière de TEmpire de Ferdinand , on avoir réfolu pour
maintenir la tranquilîite'publique,d'entreLenir quinze cens hom- p
mes de cavalerie.dont mille feroient fous les ordres de l'EIedeur j y
Augufte, & cinq cens fous ceux de Guillaume de Cleves duc de ^ '„
Juliers. L'Electeur voyant que l'audace des conjurez augmen- '''
toit de jour en jour, écrivit ôc députa à Jean Frédéric de Saxe
fon coufin germain, pour l'engager à éloigner de lui le chef
de la fadion 6c toute fa fuite, ôc à ne prendre aucune part aux
defleins violens d'un homme turbulent ôc féditieux , à moins
qu'il ne voulût fe perdre > lui ôc les Tiens : il lui rappelJa en mê-
me tems le traité fait entre tous les Princes de la maifon de
Saxe , par lequel ils s'étoient engagez les uns les autres de ne
donner ni retraite , ni protection aux ennemis publics ôc parti-
culiers , ni en général à tous ceux qui auroient été mis au ban
de l'Empire.
Frédéric Ele£leur Palatin , ôc Philippe Landgrave de HcÏÏe
rendirent le même bon office à Jean Frédéric de Saxe, ôc le"
Palatin vint en perfonne dans la Thuringe^ delà il alla avec
Jean Guillaume à Lipfick trouver lEledeur Augufte , pour
oter , s'il étoit poffiblcjtoutfujet de diiïention , ôc pour recon-
cilier les deux frères fes gendres, entr'eux, ôc avec l'Eledeur
Augufte leur coufm.
Dans la nouvelle Diète de l'Empire tenue à Aufbourg , qui fut
la première fous Maximilien,on renouvella ôc on confirma la fen-
tence de banôcde profcription déjà prononcée contre Grum-
bach ôc fes complices , ôc on l'étendit à ceux qui leur donne-
roient retraite , ou leur fourniroient quelque fecours. On la pu-
blia enfuite à fon de trompe , ôc avec toutes les formalitez ac-
coutumées ; ôc on chargea l'Eledeur de Saxe de la faire exécu-
ter. On réfolut auffi dans la Diète de députer à Jean Frédéric
de Saxe pour le fommer de livrer les profcrits entre les mains
de l'Empereur , ou de les faire emprifonner , fous peine, s'il n'o-
béifToit, d'être traité comme ceux qui leur donneroient retraite.
Peu de tems après on découvrit la confpiration formée con-
tre FEleCleur Augufte, par Grumbach, fous le nom de Jean
Frédéric, de la confiance, ôc de la facilité duquel il abufoit.
La Befme qui fut pris près de Drefde, révéla ce complot, ôc
avoua fon crime à la queftion. Philippe PlaiTen , fameux afTafiin,
déclara que Grumbach l'avoit engagé à prix d'argent à tuer
3T2 HISTOIRE
, , rEle£leuL* de Saxe. L'Ele£leur lui-même en avoit d'aîiîeurs des
^_ preuves certaines 5 Gontier comte de Schwartzbourg , ôc Chrif-
e.H ARLE fQpj^ig Zebitz lui avoient rapporté ce qu'on avoit entendu de
la bouche de Grumbach. Mais comme il croit trcs-fage Ôc trcs-
^ ^ '^* politique, il diffimula habilement ce qu'il avoit appris, jufqu'à
ce qu'il eût fait tous les préparatifs de guerre. Cependant il écri-
voit fouvent à fon coufm, Tavertiflant en bon ami de rentrer
dans fon devoir. Les réponfes de Jean étoient orgueilleufes
ôc infolentes j il faifoit néanmoins efperer que par égard pour
l'Empereur ôc pour l'Empire, qui l'ordonnoient ainli, il ren^
voyeroit les profcrits.
Cela fe paffa dans le tems de la prife de Zighet ôc de Giula
par les Turcs. Ainfi les conjurez qui voyoient que ces pertes
avoient mis le trouble ôc la confternation dans l'Empire, étoient
au comble de leur joie , ôc montroient à découvert tous leurs
pernicieux defleins , follicitantla NoblefTe à abandonner le parti
de l'Empereur, ôc empêchant qu'on ne lui fournît les fecours
qu'on étoit convenu de lui donner pour foûtenir la guerre con-
tre les Infidèles. Ce procédé outroit l'Empereur ; ôc l'Eleâeur
Augufle , qui avoit beaucoup de crédit fur fa Majefté Impéria-
le, ne ceffoit de l'animer. L'Eledeur Palatin, le Landgrave
de HcfTe, ôc le duc de Cleves offrirent leur médiation i ôc ils
n'épargnèrent ni foins ni travaux, ni dépenfcs, pour faire ren-
trer Jean Frédéric dans fon devoir, ôc pour terminer à l'amia-
ble tous les différends qui étoient entre l'Eledeurfon coufinôc'
lui. L'Empereur même paroiffoit ne s'y pas oppofer , proteftant
. qu'il ne déteftoitrien tant que les guerres civiles, ôc il le fit bien
voir par plufieurs exemples qu'il donna d'une patience qu'on
pourroit nommer excefTive : il demandoit feulement que fi on
faifoit un accommodement, ce fut fans préjudicier à fa dignité
de chef de l'Empire, car le ban étoit moins l'affaire de l'Em-
pereur , que celle de l'Empire
Commejean ne vouloir entendre à aucunes propofitio.jas,quoî-
quejufles ôc honnêtes, enfin l'Eleûeur Augufte reçut un man-
dement de l'Empereur, qui lui ordonnoitde mettre le plus prom-
tement qu'il feroit polTible à exécution le décret de l'Empire,'
L'Ele6leur accompagné d'Othon , comte d'Eberftein ,de Fa-
bien Schcneych, ôc de Chriftophle Carolov^iz, tous Cheva-
liers, que l'Empereur lui avoit donnez pour adjoints, exécuta
DE J. A. DE THOU Liv. XLI. 51^
fa commifTîon avec autant de fecret, que' de diligence : ôc pour «
furprendre les Conjurez, il fit marcher fes troupes au milieu p _T
de i'hy ver. Elles arrivèrent devant la ville de Gotha i avant t y
que les profcrits , euflent pu rien découvrir de la rcfolution que S
l'Empereur avoit prife. Ils apperçurent enfin les Impériaux la ^
veille de Noël de l'année précédente \<;66 , dans le tems qu'ils
fe réjouiflbient des pertes que l'Empereur avoit faites en Hon-
grie , & qu'ils fe croyoient parfaitement en fureté.
Auffi-tôtunherault publia le mandement Impérial, qui décla-
roit Jean Frédéric de Saxe déchu de fa dignité , à caufe du
crime de leze-Majefté Impériale, difpenfoitfesfujets de lafi*
délité qu'ils lui dévoient auparavant , comme à leur légitime
Seigneur j & leur ordonnoit de l'abandonner , ôc de prêter fer-
ment à Jean Guillaume de Saxe fon frère. On afliégea la ville >
mais comme il n'y avoit pas encore aflez de troupes venues
pour pouvoir entièrement Tin veftir, on ne put empêcher l'en-
trée des fecours & des vivres. Quelques foldats du voifinage,
la plupart peu aguerris , furent donc conduits par force dans la
ville ) avec des vivres tirez des environs , qu'on pilla , mais
en petite quantité , ôc feulement pour quelques jours.
Bien-tôt après toute l'armée arriva, & quelques jours fe paffe-
rent fans rien faire. Le quatorzième jour après le commencement
du fiége l'Ele£leur Augufte vint au camp. Ayant réglé avec Jean
Guillaume fon coufin l'ordre & la difpofition des troupes , ôc les
ayant placées aflez près de la ville , pour l'inveftir entièrement , il
envoya , fuivant les loix de la guerre , fommer la ville de fe ren-
dre ; ce qu'elle refu fa. Alors il donna de fi bons ordres pour faire
travailler jour ôc nuit, ôc les pionniers le fervirent fi bien ,ôc
avec tant de diligence, qu'en peu de jours toute la ville fe
trouva entourée de foflez , de parapets ôc de forts. Malgré le
feu prefque continuel des canons ae la ville , la tranchée fut
pouflce fi près des murs , que les afliégeans Ôc les aflîégez pou-
voient fe parler. Cependant les déferteurs ôc des lettres inter-
ceptées découvrirent plus clairement les defl^sins également per-
nicieux ôc extravagans des profcrits. Ils s'étoient propofé fi le
fuccès avoit répondu à leurs vœux, de lever au commencement
du printems huit mille hommes de cavalerie , ôc quatre regi-
mens d'infanterie , dont deux dévoient être poftez dans la
">J^eftfalie jufqu'au Rhin , ôc les deux autres dans le payis
Tom, V* Rr
■ 3H HISTOIRE
• Vandalique, avec ordre à ceux qui feroient datts la Weflfa-
Ch A R I F 1^^ > ^^ piller & ravager les Evêchez , la Franconie & la Thu-
T y ringe, & de faire contribuer les villes de Mulhaufein , de Nord-
^' haufen, & d'ErfFord , appartenants à l'Eledeur de Saxe i ôcaux
regimens qui feroient dans le payis Vandalique , de faire la
même choîe, ôc de piller tout FEledlorat de Saxe.
Les rebelles dévoient après cela s'aflembler à "Wittemberg
en Saxe, pour y déclarer Jean Frédéric Electeur j puis aflem-
bler leurs troupes , ôc le faire proclamer Empereur par l'armée ,
comme on faiîbit autrefois chez les Romains > forcer les Princes
de l'Empire à le reconnoître , fe défaire de tous ceux qui refufe-
roient d'obéir , tirer la Nobleffe Allemande de la fervitude , où
les Princes la tenoient -, lui rendre fon ancienne liberté , enforte
qu'elle fut indépendante de tout autre que de l'Empereur ; ôc
enfin de donner à l'Empire une forme toute nouvelle. Tout
ce que les déferteurs déclarèrent fut confirmé dans la fuite ^ ôc
. ' par les aveux des prifonniers j ôc pat les papiers qu'on trouva
dans le château de Gotha.
Il y avoit entr'autresun écrit, par lequel on déclaroit queMa-
ximilien en renouvellant la publication duban contre les prof-
crits, avoit manqué à fa parole, ôc violé fon ferment. Que par
cet infigne parjure il s'étoit rendu indigne ôc privé lui même
de la dignité Impériale , ôc que par conféquent il étoit déchu
de tous les droits attachez à l'Empire. On trouva auiïi dans
ces papiers une déclaration de guerre à tous les membres de
l'Empire, à laquelle Jean Frédéric avoit ajouté des notes ôc des
j corrections de fa propre main. Il y avoit encore des mémoi-
res , ou il avoit réglé les appointemens qu'il donneroit aux chefs
de fon armée fur fes biens, ôcles recompenfes qu'il donneroit
au foldat victorieux , fur le butin qu'on feroit, ôc fur les terres
dont on s'empareroit 5 des traitez faits ou à faire avec desPrin- *
ces étrangers , Ôc fur-tout avec Eric roi de Suéde , dont le gé-
nie turbulent paroifToit aux conjurez très-propre à troubler le
. repos de l'Allemagne > des lettres écrites au Roi de France j
remnlies de plaintes ôc d'invedives contre l'Empereur ôc lesPrin-
ces de l'Empire , par lefquelles on luidemandoit des fecours;
enfin les alfûrances que Grumbach donnoit à Jean Frédéric de
lui procurer l'amitié, ôc les fecours d'Elizabeth reine d'An-
gleterre. Quoique Jean Frédéric eut époufé Agnès , fille du
DE J. A. DE T H O U,Liv. XLI. 51^-
Landgrave de Hefle , 6c veuve de Maurice, qui avoit dépouil- >
lé de Ion Ekdorat le père de Jean, Grumbach n'eut pas de Ch \rle
peine à perfuader à ce Prince qu'il pouvoit la répudier, pour j-v
époufer la Reine Elizabeth. Le Prince fut aflez infenfé pour , ^ ^*
Vouloir la répudier en enet, oc pour ne pas écouter i^s lages
avis de fon beau-pere, qui ne ceflbit de lui prédire les fuites .;
funeftes qu'auroient tant de folles entreprifes.
Les Conjurez, afin d'achever de leféduire, avoient fuppofé
des lettres en chiffres > qu'Elizabeth lui écrivoit , pour lui mar-
quer l'amour extrême dont elle brûloir pour lui, ce que la re-
nommée lui avoit appris de fa vertu , 6c de celle de fon père,
ôc le delir ardent qu'elle avoit de l'entretenir. On dit que Grum-
bach , pour faire croire au Prince des chofes fi peu croyables,
avoit fuborné dès l'année précédente, avec autant d'impruden-
ce que de hardielïe, une femme abandonnée, qu'il avoit inf-
truitc de ce qu'elle devoit dire 6c faire , qui vint avec un mau-
vais habit à Erfford : que le Prince y vint en même tems , l'ef-
prit tout rempli, des vaines promeifes dont on l'avoit leurré:
que cette femme qu'il prenoit pour Elizabeth , lui dit que l'ai-
mant éperduement , elle avoit feint une maladie, ôc étoit ve-
nue avec toute la diligence poflible , pour avoir le plaifir de le
voir, 6c de lui parler : que Jean Frédéric s'étoit long-tems en-
tretenu avec elle; 6c qu'après les plus tendres embraffemens,
elle avoit pris congé de lui , 6c lui avoit donné les plus fortes
alFûrances de lui envoyer des fecours 6c de l'époufer.
Grumbach , pour mettre tout en ufage , ajouta l'art magique
à l'impofture* Il fit venir des Aftrologues auprès de Jean Fré-
déric : ce Prince fuperftitieux ôc crédule les confultoit en fe-
cret , pour leur demander quelles étoient les réponfes des An-
glois5 pour fçavoir quelle feroit lefuccès de la guerre Ôc des
négociations ; quand arriveroit la mort de Maximihen ôc de
TEledeur de Saxe, où il faudroit fouiller pour trouver des tré-
fbrs : il leur faifoit quantité d'autres quellions. Comme les mi-
niftres blâmoient publiquement ces impietez , les Conjurez les
menacèrent des plus grands fupplices , s'ils ne fe taifoicnt, C'eft
par ces criminels artifices , que Grumbach s'étoit tellement ren-
du maître del'efprit de Jean Frédéric, qu'il en faifoit tout ce
<qu'il vouloit. Pour amufer le peuple , ôc le retenir attaché au
parti des rebelles, il l'aflembla, ôc dans un difcours public qu'il
Rr ij
■^i6 HISTOIRE
^^ leur fit , il déclara qu'on ne leur faifoit la guerre que pour reii-
7^ _ ~ verfer ôc abolir leur Religion , fuivant le complot fait entre
jy l'Empereur, l'Eledeur de Saxe, ôc les Evêques d'Allemagne,
,' Cependant ce peuple n^ayant aucun fecours à efperer , man-
quant de vivres, fans habits , ôc fans avoir dequoi en faire, ôc
informé d'ailleurs que les finances du Prince étoient entière-
ment épuifées , étoit dans de cruelles inquiétudes , qui aug-
mentoient à mefure qu'il voyoit abattre les maifonsde la ville,
pour faire des retranchemens ôc des forts. Ce qui acheva de
répandre l'allarme ôc la défolation , ce fut un bruit vrai ou faux,
que les partifans de l'Empereur firent courir , que le duc de Go-
tha ôc les autres chefs avoient réfolu de fe retirer dans le châ-
teau avec un certain nombre de foldats choifis , ôc de mettre le
feu à la ville.
Réduits à de fi fàcheufes extrêmitez , ils virent bien qu'ils
n avoient point d'autre reflburce pour fe dérober à une ruine
«ntiere ôc inévitable , que de livrer les profcrits , comme l'Em-
pereur les avoir fommez de le faire, ôc de fe foumettre à une
puififance légitime. D'ailleurs la garnifon , qui s'étoit engagée
au fervice de Jean Frédéric pour trois mois , ne voulut plus ,
ce tems étant écoulé, s'engager de nouveau? foit qu'ils trou-
vaflent que fa caufe n'étoit pas bonne, foit qu'ils prévifiîentuii
mauvais fuccès. En effet les affiégez n'avoient plus dans la ville
de parapets ni de boulevards aflfez hauts , pour fe mettre à l'a-
bri du feu des afiiégeans : les Impériaux par leurs forts ôc leurs
cavaliers voyoient dans toute la ville , ôc ils paroiffoient avoir
fait tous les préparatifs néceffaires pour livrer un aflaut général,
Ainfi à la réferve de ceux qui avoient figné la Conjuration , les
principaux des habitans de tous les ordres , Nobles , Sénateurs,
gens de la Cour du Prince, s'afiTemblerent avec le peuple, ôc
réfolurent unanimement , que puifque les gens de Grum-
bach leur avoient fermé tout accès , ôc qu'ils ne pouvoient par-
ler au Prince, ils lui écriroient pour le fupplier très-humble-
ment de vouloir bien ne fe pas perdre, lui ôcfes fujets, pour
une auffi mauvaife caufe que celle des Profcrits s de ne pas per-
dre fon honneur ôc foname, en foutenant une injufte guerre
contre l'autorité légitime, ôc de fe tirer par un prompt repen-
tir d'un fi affreux danger. Mais on ne répondit à leur requête,
que par des menaces. Pendant que les bourgeois, les payifans^
DE J. A. DE T H ou, Liv.XLI. 517
6c les foldats de la garnifoii déliberoient en fecret fur ce qu'ils ,
avoient à faire , il arriva un accident qui révolta les efprits , & p
qui fit changer leurs timides ôcfecretes délibérations en un fou- j^
levement ouvert ôc déclaré. '
Il y avoir dans la ville de Gotha un ndmmé Jean Hoffman, ' ^ '*
homme d'un grand crédit, diftingué dans la bourgeoificplein de
courage ôc de valeur , ôc que les bourgeois avoient choifi pour
îeur Commandant. Le règlement fait entre la garnifon ôc les
habitans portoit, que ceux-là défendroient le château , ôc ceux-
ci la ville, ôc que pour les travaux les uns fe fuccederoient aux
autres. La veille de Pâques , contre les termes de cette con-
vention , on obligea Hoffman d'attaquer un fort que les aflié-
geans avoient élevé, ôc qui incommodoit extrêmement lesaf-
fiégez. Ce bon citoyen marcha bravemenr à l'ennemi , mais
n'ayant point été fecouru , il fut tué avec quelques foldats. Les
bourgeois , perfuadez que les Conjurez l'avoient fait de deffein
prémédité , coururent en foule dans la ville , s'exhortant les uns
les autres à tourner leurs armes contre les profcrits. Ce fut com-
me un fignal qui mit les foldats de la garnifon en mouvement.
Jérôme Brandenftein , un des commandans , les preffoit dans
ce moment là de s'engager de nouveau , ôc il les avoir pour cet
effet affemblés dans la place du château. Comme ils le refufoient
conftamment,malgré les menaces que Brandenftein ôc Jean Fré-
déric lui-même joignoient à leurs prières , ils entendirent les
cris des Bourgeois. Ils fe rendirent auffi-tôt maîtres des portes
du château , ôc les habitans y étant accourus , ils fe joignirent
à eux, ôc commencèrent par fe faifir du colonel Brandenftein , ÔC
demandèrent enfuite les autres Profcrits. Ceux-ci au bruit qu'ils
avoient entendu, s'étoient échappez de côté ôc d'autre, ôc cachez
dans le château. On fit une fi exade perquifition , qu'ils furent
bien-tôt découverts, ôc tirez de leurs retraites , fçavoir Grum-
bach, chef de toute la fadion, Guillaume Steinfonaffocié ôc fon
confident ; Chriftian Bruch, chancelier du Prince, ôc Jean Beyer^
qui étant directeur de la Monnoie de l'Electeur Augufte , ôc
fe trouvant infolvable, avoit quitté fon maître, ôc s'étoit joint
aux conjurez. Zebitz qui s'étoit glorifié d'avoir tué l'Evêque
de Wirtzbourg avec Pithius de Lunebourg , s'échappa fur le
foir , ainil que quelques autres , ôc fortit le lendemain du château
Rr iij
5iS HISTOIRE
. dès le matin. Puis ayant trompé les gardes, ôc ayant franchi
Charle "^^ foiïeaflez petit, fur un cheval qu'il pouffa à toute bride, il
j^ - s*évada.
^ J Ceux qui furent pris, furent aufli-tôt conduits au Palais dans
la ville, ôc mis en différentes prifons. Après cela les habitans
tinrent Confeil, & réfolurent d'écrire une lettre commune à
rEle£leur Augufte, adreffées à Jean Guillaume de Saxe ôc aux
Commiffaircs de l'Empereur, pour leur apprendre ce que les
Nobles , les gens de la Cour , les Officiers de la ville , ôc le
Sénat avoient fait 5 ôc du confentement de Jean Frédéric , ils
les prièrent de vouloir bien prendre un jour,pour dreffer un trai-
té d'accommodement 5 proteflant au furplus qu'ils étoient prêts
de livrer les profcrits,ôc la ville même, dès qu'ils le pourroient
faire à des conditions raifonnables. Jean Frédéric joignit à la
lettre commune les lettres qu'il écrivoit en particuUer ôc fépa-
rément , non pas aux Princes , mais aux Commiffaircs de TEm-
pereur , par lefquelles , comme s'il eût encore été maître de la
ville , ôc qu'il eût pu obtenir des conditions auffi avantageu-
fes qu'il auroit pu faire autrefois , il avoit la folie de deman-
der qu'on fît venir l'Eleâeur Palatin , Guillaume duc de Cle-
ves , ôc le Landgrave Philippe de Heffe fon beau-pere ( car il
ne fçavoit pas qu'il étoit mort depuis peu de jours) pour con-
férer tous enfemble fur les moyens de faire la paix.
L'Eledeur Augufle n'étoit pas alors dans le camp : il étoit
allé avec le duc Jean Guillaume à Calfel, pour affilier auxfu^
nerailles du Landgrave. Cependant les Commiffaircs de l'Em-
pereur firent réponfe aux affiégez , ôc les exhortèrent à efperer
beaucoup de la bonté de l'Eledeur , qui devoir revenir au pre-
mier jour , pourvu qu'ils gardaffent avec foin les Profcrits qu'ils
avoient mis en prifon. Auflî-tôt que fEledeur Augufte fut re-
venu dans le camp , il accorda aux habitans de Gotha ce qu'ils
La ville de demandoientj mais on ne fit aucune réponfe à Jean Frédéric.
Gotha fc Au jour marqué pour la conférence on propofa des conditions,
rend. j 1 r ht r- j • • ' • 1 • a •
dans leiquelles Jean rredenc, qui n avoir plus ni tête ni con-
feil j eut la vanité , ou la ftupidité , ( on ne fqait lequel des deux )
de fouffrir qu'on le comprît. On convint que ce Prince met-
troit fa perfonne , fa ville , fon château , avec toutes les muni-
tions de guerre ôc tous les vivres , ôc enfin tous i^^ domaines
DEJ. A. DETHOU,L fv. XLL 51^
entre les mains de l'Empereur , fans aucune condition : Que 1
les profcrits ôc les fujets de PEIefteur Augufte , qui avoient por- C H a r L E
té les armes contre ce Prince, fans avoir été difpenfez du fer« jx
ment qu'ils lui avoient fait comme à leur Seigneur, lui feroient t <- <;j 7
remis : Que les gens de guerre fortiroient dans quatre heures
de la ville ôc du château , fans tambour , après avoir remis leurs
enfeignes toutes pliées : Que l'on conferveroit aux habitans de
Gotha leurs vies , leurs biens , ôc leurs privilèges fans y donner
atteinte : Qu'ils ouvriroient leurs portes , ôc recevroient garni-
fon dans la ville ôc dans le château : Qu'on en donneroit les
clefs à l'Electeur : Que les prifonniers feroient rendus de part
ôc d'autre , fans rançon : Que les fujets du duc de Saxe-Gotha
députeroient huit d'entre eux , pour rendre hommage à l'Em-
pereur, ou en fa place à l'EIedeurde Saxe, ôc jurer que ni les
îbldats , ni les habitans ne porteroient jamais les armes con-
tre l'Empereur, contre l'Empire^ ni contre l'Eledeur : Qu'ils
prêteroient ferment de fidélité à Jean Guillaume de Saxe, ôc
que Jean Frédéric fon frère , ôc fes enfans , demeureroient ex-
clus de tous droits au duché de Saxe-Gotha : Que s'il arrivoit
que Jean Guillaume mourût fans enfans mâles , la fuccefïîon
feroit dévolue à l'Electeur de Saxe ôc à fes enfans ^ ôc à leur
défaut au Landgrave de HefTe.
Lorfque la capitulation eut été fignée de part Ôc d'autre , PE-
ledeur ayant à fes cotez Jean Guillaume fon coufin , ôc Adolfe
de Holftein , entra dans la ville ôc puis dans le château fur le
foir i précédé d'une grande partie de fa cavalerie , ôc accom-
pagné d'un grand nombre de Seigneurs. Cela arriva le 13 d'A-
vril, jour auquel Melchior Zobel évêque de Wirtzbourg avoit
été aflalFiné par les émifiaires de Grumbach, Exemple mémo-
rable de la jufte vengence de Dieu, qui permit que le même
jour où l'Evêque avoit perdu la vie, fut huit ans après , celui
où Grumbach fon meurtrier fut livré entre les mains de l'Em-
pereur , pour expier par fa mort un fi grand crime. On remar-
qua encore que ce jour tomba cette année au Dimanche, qui
dans le calendrier Ecclefiaftique prend fon nom du Pfeaume :
MifericordiâDomini '.Le même Dimanche,vingt ans auparavant^
I L'introit delà MefTe du deuxième [ Down»" JM^t«-w«w, commeil y a dans
Dimanche après Pâques commence le texte de l'auteur, d^'f. C'eft ce deu-
par ces mots : MifcricordiâDomimple- xie'me Dimanche d'après Pâques que
«a eji , ^c. & non pas : mifericordias M. de Thou veut dcfîgner.
S2d HISTOIRE
• fe trou voit être le 24 d'Avril i 6c prefque à la même heure , Jean
Ch A R L E ï^^^^^'^ic Eledeur de Saxe , père de Jean Frédéric, dont nous
j yç parlons , avoit été battu ôc fait prifonnier par Charle-Quint, au-
I r 67 P''^^ ^^ Mulberg. C'eft pourquoi Jean Frédéric , Prince fuper-
ftitieux , regardoit ôc déploroit ce Dimanche, comme un jour
malheureux? ôc il avoit coutume dans la fuite de dire que les
malignes influences des aftres lui avoient donné un fort aufli
funefte que celui de fon père : comme s'il ne s'étoit pas lui-mê-
me engagé dans ce labyrinthe de malheurs , pour s'être laifle
tromper par fa vanité , par fa crédulité , par les pernicieux con-
feils de fcélerats qui n'avoient plus rien à perdre , ôc parles vai-
nes ôcfaufles réponfes des devins qu'il confultoit.
Supplices des On arrêta ce Prince, ôc on lui donna des gardes. Le len-
rocrus. demain il fe mit entre les mains d'Othon comte d'Eberftein,
de Fabien Scheneych, ôc de Chriftophle Caroîowizj Commif-
faires de l'Empereur j ôc il demanda qu'on ne le conduifit point
en Autriche, mais que l'Eledeur de Saxe le gardât auprès de
lui. On le mena cependant trois jours après à Vienne, ôc on
donna à la Duchefle fon époufe la permiffion d'aller où elle
voudroit , ôc d'emporter fes meubles les plus prétieux. Il fut
enfuite queftion des Profcrits ôc des prifonniers. On appliqua
d'abord Grumbach à la queflionî ôc comme luiôc fes compli-
ces confefTerent leurs crimes , dont nous avons parlé , on les
condamna à mort, ôc ils furent exécutés le 18 d'Avril. Grum-
bach ôc Bruch furent écartelez : Stein fut traité avec moins de
rigueur, parce que Grumbach l'avoir excufé , en avouant qu'il
l'avoitleduiti on lui coupa d'abord la tête , ôc enfuite on le cou-
pa en quatre : on traita de la même manière Jérôme Bran-
denftein, commandant du château, qui dans l'expédition de
"Wirtzbourg s'étoit conduit, non-feulement en homme méchant
ôc fcélerat , mais même en bête féroce , Ôc qui avoit tellement
maltraité les habitans de Gotha pçndant le tems du fiége de
cette ville , que fi les Juges ne l'avoient pas condamné au fup-
phce , il n'auroit pu fe dérober à la fureur du peuple. Jean
Beyer fut pendu ôc étranglé ; David Bongartener un des prin-
cipaux Gentilhommes de Suabe, né à Aufbourg, eut la tête
tranchée. Il auroit pu fe tirer du danger, s'il avoit pris un mau-
vais habit , ôc s'il fe fut mêlé avec les (impies foldats : mais il
gima miçux par une fotte yanité fe faire diftinguçr ^ en montant
fur
DE J. A. DE THOU, Liv. XLL ^it \
îur un beau cheval fuperbement équipé, & en fe parant d'ai- » j
gretesfort brillantes. Ce Seigneur , obligé de s'enfuir à caufe Charle i
de fes dettes , s'étoit aflbcié avec Grumbach , 6c éroit entré dans j x. '
le pernicieux complot que ce factieux avoit formé de rendre la j c (j 7, ;
Nobleffe indépendante , ôc de fecouer le joug des Princes. Un ,\
i?nagicien , qui confeJTa tout ce que nous avons rapporté ci- '
defTusj fut pendu.
On fit après cela le partage de rartillerie, qui confiftoiten
centfoixante pièces de canon. L'Ele£leur Augufte par le droit !
de Commandant général prit d'abord les neuf plus groflfes , ôc ;
partagea le refte également avec le Prince Jean Guillaume.après 1
en avoir mis à part huit grofles pièces , dont ils firent prefent à
j'Empereur. Enfuite la Diète de Ratifbonne ordonna par un
décret folemnel la démolition du château de Gotha .«pour avoir ■
fervi d'afile à des féditieux , ôc à des criminels de leze-Majellé.
On frappa des médailles d'argent pour conferver la mémoire
d'une victoire fî conliderable , avec cette infcription : Tandem
bona caufa mumphat : ( A la fin la bonne caufe triomphe. ) !
L'Eledeur de Saxe avoir déjà un très-grand crédit dans le
corps des Princes de l'Empire i mais depuis qu'il eut fi heu- \
reufemenr terminé la guerre de Gotha, ôc qu'il eut par cette ;
victoire affermi l'Eledorat dans fa maifon, ôc affùré la tranquil- \
lité dans l'Empire, il devint l'arbitre ôc le Prince le plus puif- j
fentde toute l'Allemagne. Marchant fur les traces des Empe-. i
reurs Othons,dont il étoit iffujil apprit la langue Latine dans \
un âge affez avancé. Il employa le refte de fa vie à fes affaires, \
Ôc à amafler les richeiTes immenfes qu'il laiffa. 1
Cependant Jean Frédéric fut ignominieufement conduit à Entrée igno-
Vienne , où il entra le 22 de Juin. Malgré la pluie, qui tom- j"'^''/^" „ p"c^ i
boit en abondance , le peuple accourut en foule à un fpedacle fi dcnc vie saxe j
nouveau. Cinquante cavaliers Bavarois marchoient devant , ^^^'^^ Vicimc. ,
fuivis d'autant de Saxons j huit autres marchoient enfuite , por- I
tant leurs enfeignes baififées, ôc environ cinq cens hommes de
pié environnoient un char découvert , où ce malheureux Prin- :
ce étoit afiis, portant un chapeau de paille fur fa tête. En cet i
équipage on lui fit faire plufieurs tours dans les places les plus !
confiderables de la ville, afin de contenter la curiofité de tous I
ceux qui vouloient le voir. De Vienne on le transféra à Naples, ^ i
avec une efcorte de cinquante foldats , ôc un très- petit nombre
Tome F^ Si
522 HISTOIRE
M'" .i..!.*— de domeftiques. Maximilien lui accorda néanmoins dans la fui-
Charle ^^ "^^^ maifon plus nombreufe.
IX Quelque tems après l'Ele^leur dcMayence, toute la mai-
j -^y^ fon de Bavière ôc du Palatin, TEledeur de Brandebourg, le
duc de Virtcinberg, Guillaume Landgrave de Hefle , l'Elec-
teur de Trêves , le duc de Cleves, le marquis de Bade^, ôc le
comte d'Henneberg députèrent à l'Empereur , pour le prier de
vouloir bien rappeller fa clémence ôc fa douceur , ôc pardon-
ner au Prince qu'il tenoit en prifon^ parce qu'il avoir moins pé-
ché par le cœur que par l'efprit , ôc qu'on devoit principale-
ment attribuer fes égaremens ôc fa chute à la malignité de ceux
qui l'avoient féduit. Enfin ils le fupplioient d'accorder cette
grâce , pour l'honneur de toute la maifon de Saxe , ôc à la confi-
deration de tous les Princes qui la lui demandoient. Comme
cette recommandation fe fit par écrit, Maximihen y répondit
de même : ce Prince s'excufa de ne pouvoir faire alors ce qu'ils
lui demandoient, parce que ce n'étoit pas fa caufe perfonnelle,
mais celle de tout l'Empire j ôc que comme on apprenoit chaque
jour qu'il fe tramoit de nouvelles confpirations, ilétoit del'inte-
ïêtde tout le corps Germanique de tenir en fa puiffance ceux
qui pourroient exciter des mouvemens, au moins pendant quel-
que tems, jufqu'àce que les efprits fulTent calmez, ôc qu'il n'y
eût plus lieu de craindre quelque guerre civile. Les députez fu-
rent renvoyez avec cette réponfe , ôc cependant ils obtinrent
un peu plus de liberté pour le prifonnier.
L'Empereur La guetre avec le Turc ayant été déclarée , la diète de Ra-
tenir k^E-^ tifbonne avoit ordonné que l'argent perçu dans l'efpacede trois
tats ans feroit payé en une année, à condition néanmoins que cette
fomme ne feroit donnée à l'Empereur, qu'au cas qu'il y eût
réellement guerre. On avoit réfolu la même chofe à Erford
dans le mois d'Août. On tint fur le même fujet une affemblée
à Prague : on ordonna une levée confiderable de deniers dans
tout le Royaume de Bohême, ôc par une réfolution des Etats,
tous les Ordres furent obligez de payer les fommes aufquelles
ilsétoient impofez. Comme tout cela fe fit très-promptement,
l'Empereur vint à Vienne , ôc alla auffi-tôt à Prefbourg , en
Hongrie , où il tint les Etats , après avoir reçu les plaintes du
peuple, qui fe plaignoit de l'infolence des foldats Allemands.
On réfolut de donner cette année cent cinquante mille écus>pour
DE J. A. DE THOU» Lrv. XLI. 52J
foûtenîr la guerre contre les Turcs; ôc on obligea tous les payi- ^
fans, à douze jours de travail, pour les fortificationsque l'on Charle
faifoit fur la frontière. j y^^
Les Hongrois demandoient que l'Empereur envoyât des deux 1^57.
cotez du Danube des CommilTaires, partie Hongrois , partie Al-
lemands , pour juger les conteftations fur les domames qui
avoient été injuftement enlevés à leurs anciens propriétaires ,
pour punir les brigands ôc ceux qui fe trouveroient coupables
depeculat, ôc pour abolir les nouvelles impofitionsÔc les nou-
veaux droits de péage. lis demandoient encore qu'il leur fut
permis de racheter les villes ôc les places que les Rois de Hon-
grie avoient engagées '■> qu'on donnât à la Hongrie des Evêques
capables ôc tirés de la nation , ôc qu'il fut libre à ceux qui le vou-
droient , d'embraffer la confelîîon d'Ausbourg. On avoit déjà
démandé la même chofe dans les deux précédentes aflemblées
des Etats. Dans celle-ci Maximilien ne voulut point l'accorder.
L'afFemblée de Presbourg étant finie > il revint à Vienne le ^
du mois d'Août.
Sur la fin de l'année précédente, Lazare Schwendi avoit fait Suite de U
lefiégede Zathmar ville très-forte, qui appartenoità ce Geor- Hongrie!"
ge Bebeck, qui entretenoit ôc fomenroit la haine Ôc la divi-
iion entre l'Empereur ôc le Prince deTranfylvanie. Bebeck,dans
la crainte d'un mauvais fuccès , étoit forti fecretement de la pla-
ce , efperant que la garnifon ne laiiTeroit pas de faire une vi-
goureufe défenfe. En effet ils foutinrent pendant quelque tems
le fiége avec d'autant plus de fermeté, que les canons ne pou-
voient rien contre eux, ni contre la place. Schwcndi, général
a6lif ôc vigilant , examinant les dehors de la ville , pour trouver
quelque moyen de la réduire , fut reconnu des alTiégez à fa
taille, qui étoit des plus grandes. Comme on tira fur lui , il re-
çut dans l'épaule un coup de feu, qui brûla fon habit , fouré de
peaux à caufe de l'hiver. Il trouva enfin un endroit plus com-
mode pour placer fes batteries? ôc comme il n'y avoit point
de commandant qui fçût mieux fe faire obéir du foldat , il y
fit tranfporter fes canons avec un travail ôc des peines qu'on
ne peut exprimer. Ces nouvelles batteries réduilirent bien-tôt
la garnifon à la dernière extrémité. La place fe rendit, vie ôc ba-
gues fauves. Schwendila réduifit le 4 de Janvier de cette an-
née : il y fit un riche butin, donna à la femme de Eebeckune
Sfij
524 HISTOIRE
— pleine & entière liberté de fe retirer en toute aiTurance avec^
Ch arle ^^^^^ ^^^ meubles, ôc ne réferva pour lui que les canons.
IX. •^^^. de tems après Schwendi , lans avoir égard au froid
, - j^_ rigoureux de Ihiver, affiégeaavec autant de fuccès Munkacz,.
ville bien fortifiée , ôc fituée très-avantageufement pour faire la
guerre dans le payis. Le 1 7 de Février , quatrième jour du fiége,
la garnifon fe rendit ,à condition d'avoir vie ôc bagues fauves.
Si elle ne fe fut pas rendue ce jour là^ la pluie qui tomba le
lendemain avec une abondance, dont on avoit peu d'exem-
ples, auroit infailliblement entraîné & perdu tout l'attirail de
guerre, ôc le foldat auroit été comme fubmergédans fon camp.
Ce ne furent pas les feules pertes que fit le Prince de Tranfyl-
vanie ; l'argent qu'il envoyoit pour payer fes troupes fut pris
par les Impériaux.
Ce Prince extrêmement touché de la perte de Munkacz ;
rélolut de la reprendre à quelque prix que ce fût. La prife de
cette place lui fermoir le chemin de la Pologne ôc de la Ruf-
fie, ôc il ne pouvoir plus recevoir de troupes auxiliaires du Roi
de Pologne fon ami que par la Moldavie, en leur faifant faire
de grands détours par des routes très-difficiles. Après la prife
de Munkacz , Schwendi invertit auffi-tôt la ville d'Huft. Mais
le Bâcha de Bude ayant- envoyé desprefens, ôc entr'autres deux
chevaux d'une rare beauté à Maximiiien, pour le prier de ne pas
permettre que les progrès de Schwendi fuffent un obftacleaux
négociations qu'on faifoit pour la paix 3 ce Général, ou parles
ordres qu'il reçut de l'Empereur , ou par la difficulté qu'il trou-
voit, leva le blocus , ôc retourna à Caffovie , fur le ferment que
e Bâcha réitéra plufieurs foi> , de faire empaler tous ceux qu'il
çauroit avoir fait quelque courfe , ôc caufé quelque dommage
dans les terres de lEmpereur.
Cependant à peine Schwendi fut-il décampé, que le Prin-
ce de Tranfylvanie vint avec le Bâcha Haffan affiéger Dedes
place appartenant à Gabriel Perenni. La garnifon après quel-
ques jours de fiége, fe voyant deftituée de tout fecours, fortit
fecretement pendant la.nuit, ôc fe fauva par des chemins incon-
nus. Les ennemis, qui s'étoient rendus maîtres de la place fans
aucune peine , firent des courfes dans tous les environs , rava-
gèrent ôc mirent tout à feu ôc à fang. Delà ayant ramafie leurs
.forces ; ils attaquèrent ôc prirent Rifwar , dans le tems qu on ne
DE J. À. DE THQU.Liv. XLÏ. 32;
s'attendoit à rien moins. Ils s'emparèrent anfli des Thermes,
qu'on appelle communément les ruifîeaux des Dames. Mais Charle
Ruber lieutenant de Schwendi ne tarda pas à reprendre ces JX.j
places. 11 força Rifwar , &c pafla la garnifon au fil de l'épée. 1567,
Pour les Tiiermes , ce fut un accident qui l'en rendit le maî-
tre. Le feu prit aux poudres , ôc le château commençant à brû^
îer, il ne fallut prefque point de combat pour réduire ceux qui
le défendoient.
Pendant que de part Ôc d'autre on s'amufoit à de légères efcar-
niouches en divers lieux , Edouard Cernovich , que l'Empereur
avoir envoyé à Conftantinople pour negotier la paix, en revint,
ôcaiTura que Sehm affembloit de nouvelles troupes pour les en-
voyer au premier jour en Hongrie ^ 6c qu'il en deftinoit une
partie à faire le fiége de Canifa j mais que fi on envoyoitprom-
tement des ambaffadeurs pour traiter d'un accommodement,
les Turcs fufpendroient leurs entreprifes. L'Empereur y en-
voya donc en cette qualité Antoine Verantz évêque d'Agria,
qui avoit eu cinq ans auparavant la même commidîon , ôc Chrif-
tophle Tiejfïenbach. Ils partirent de Vienne fur la fin du mois
de Juin pour fe rendre à Conftantinople , où ils arrivèrent le
ai d'Août. Après avoir falué les Bâchas de la Porte, ôc avoir
été régalés dans un feftin public, fuivant l'ufage de lananon,,
ils furent introduits à l'audience du Grand Seigneur : la nego-
tiation traîna cependant en longueur, ôc dura jufqu'à l'année
fuivante. Selim ayant pailé tout ce tems-là à Andrinople, les
Plénipotentiaires de FEmpereur l'y fuivirent, ôc ne le quittèrent
point que l'afl^aire ne fut entièrement finie > comme nous le di-
rons dans la fuite.
Pendant cette année la paix régna en Italie. Elle fut néan- Aftaires d'î-
moins un peu troublée par quelques légers mouvemens. Une " ^^'
affaire , qui regardoit des particuliers , devint à Gènes parla vi-
vacité des parties une affaire publique, ôc dégénéra prefque en
fédition. Jean-Batifte Lercaro , homme riche ôc puiftant , avoit
gouverné cette Republique avec une grande réputation de pro-
bité ôc de juftice. Mais parce qu'on le croyoit un peu trop
porté pour les Efpagnols , lorfque le tems de fon adminiftra--
tion fut fini, il ne put obtenir (ce qui avoit été accordé à-
prefque tous les autres Doges) d'avoir pour toute fa vie la char-
ge ôc la dignité de Procurateur. Comme on fçut qu'Auguftiiv
S f iij.
52^ HISTOIRE
^ Pineîii, Ôc Luc Spinoia , Sénateurs qui exerçoient alors la charge
Charlf ^^ Cenfeursj avoient empêché le Sénat d'accorder cet hon-
jxT- neur à Lercaro î Jean-Etienne fon fils ne pouvant fouffrir ÔC
,* laifler impunie l'injure faite à fon père & à lui , s'abandonna
•^ à toute l'ardeur qu'infpire une bouillante jcuneiTe, animée par
ledelir delà vengence. Ainfi un jour furie foir il appoftades
afiallins , pour fe défaire de ces deux Sénateurs , lorfqu'ils forti-
roient du Palais. Pinelh fut tué d'un coup de piftolet, ôc Spi-
noia dangereufement blelfé. On apprit par un des affafTms qui
fut pris, que Jean-Etienne étoit l'auteur de ce meurtre, ôc oa
le mit en prifon , avec fon père î mais comme il déclara à la
queftion, que fon père en étoit très-innocent, on le mit en liber-
té. Pour lui il fut condamné à mort.
Garfias de Tolède général des galères d'Efpagne , qui avoît
autrefois logé chez Lercaro , ôc qui fe trouvoit alors à Gènes
pour préparer ce qui étoit néceffaire au tranfport des troupes
du duc d'Albe, employa inutilement fa recommandation, fes
follicitations ôc fes prières. La haine qu'on avoir pour les Ef-
pagnols, qui s'intereffoient en fa faveur, ôc Ténormité du cri-
me l'emportèrent fur les fervices ôc le mérite du père, ôc le
fils fut exécuté. A cette occafionles Génois, qui n'étoientpas
bien d'accord entr'eux, fe diviferent en differens partis : mai$
l'heureux fuccès de la guerre de Corfe appaifa bien-tôt l'émeu'
te , ôc empêcha qu'on n'en vînt à une fédition ouverte. Nous
croyons devoir reprendre la chofe de plus loin, ôc remontée
jufqu'à l'origine de cette guerre.
Guerre dans Sanpietro , de Baftilica dans l'ifle de Corfe , dont nous avons
^^i e de Cor- ^^j^ fouvent parlé, capitaine expérimenté, intrépide, ôc dont
rien n'étoit capable d'abattre le courage , avoir époufé il y
avoit vingt ans Vannina , fille ôc unique héritière de François
Ornano, un des plus riches Seigneurs de l'ifle, où il pofle-
doit un très-grand nombre de terres. S'étant mis en tête de
s'affranchir , lui Ôc fa patrie , de la domination des Génois, il
leur déclara une guerre qui leur donna bien de la peine , ôc les
irrita extrêmement. La paix ayant été depuis faite entre les
Rois de France ôc d'Efpagne, Sanpietro ne put renoncer à la
haine qu'il avoit conçue contre les Génois , perfuadé d'ailleurs
que CQS Républicains ne pourroient jamais lui pardonner l'in-
jure, que leur avoit fait un homme qu'ils avoient banni. Il n'omit
DE J. A. DE THOU, Liv. XLL 527
donc rien pour fe procurer des fecours qu'il ne pouvoir plus
efperer de la part des François. Il s'adrefla d'abord à Corne Charle
duc de Florence , & comme il le refufa , il tenta les Turcs, j y^
pour fçavoir s'ils voudroient profiter de cette guerre , & en- 1 r ^ 2.
voyer encore une flotte dans la mer de Tofcane. Pour cela il
alla à Conftantinople.
Tandis qu'il y étoit , les Génois ne négligèrent rien , pour
faire de la peine à un ennemi fi déclaré , ôc pour lui faire aban-
donner les pernicieux defleins qu'il avoit formez contre leur
République. Dans cette vue ils firent enforte de fe rendre maî-
tres de fa femme & de fes enfans. Pour cet effet ils gagnèrent
les domeftiques de fa femme, ôc entr'autres Auguftin Bazzica
Lupo , qui alloit fouvent de Marfeille à Gènes, ôc Michel Prê-
tre, à qui Sanpietro avoit en partant confié lefoin d'Alfonfe
ôc d'Antoine-François , fes deux fils. Pouffez par les Génois j
ils confeillerent à Vannina de quitter fon mari coupable de
crime d'Etat, d'abandonner famaifon , ôc de fe rendre avec fes
enfans à Gènes, auprès de fes légitimes maîtres : ils lui perfua-
derent que c'étoit le feul moyen de recouvrer, pour elle ôc
pour fes enfans, les biens, que le crime de fon mari leur avoit
fait perdre , ôc d'obtenir enfin de la clémence delà République
ia grâce du rebelle Sanpietro. On n'eut pas de peine àféduire
une femme légère ôc volage, qui haïflbit un mari fombre , fâ-
cheux, ôc de mauvaife humeur , ôc qui afpiroit au plaifir déme-
ner une vie plus libre. Ainfi ayant envoyé devant elle fes meu-
bles les plus prétieux, elle fe déroba à tous fes amis, ôc partit
de Marfeille iur une petite barque, accompagnée d'Antoine-
François fon fils ôc du Prêtre Michel , qui étoit chargé de la
conduire. Antoine de Saint Florent , ami ôc confident de San-
pietro , en ayant eu avis , monta fur un brigantin , ôc fit tant de
diligence , qu'il la joignit proche d'Antibes , la retira de fa bar-
que, ôc la mit entre les mains du Seigneur du heu : celui-ci la
fit conduire avec fon fils à Aix , 011 efl le Parlement de Pro-
vence.
Sanpietro revenant de Confïantinople étoit déjà defcendu
furies côtes de Barbarie. Il revenoitde là à Marfeille, lorfqu'il
apprit ce qui étoit arrivé à fa femme : il en fut fi troublé, qu'a-
veuglé par fa fureur, il tua Pierre- Jean Calvefe fon dome(lique>
parce que , comme ils s'entretenoient de cette affaire , il eut
32S HISTOIRE
l'imprudence de dire à Sanpietro , qu'il l'avoithieii fçûë aupa-
Charle ^'^^"'^^ ^™s qu'il n'avoir pas voulu lui en parler, de peur qui!
j^ n'eût le fort de Flore de Corte,que fa femme fit étrangler par
I c 5 7 ^^^ efclaves Turcs. Sanpietro étant abordé à Marfeille, vint
■* la nuit à Aix dans la maifon oùfon époufe étoit gardée. Il de-
manda qu'on la lui remît entre les mains. Le Parlement s'y op-
pofa. Mais Vannina , qui avoit un courage au-deiïus de fon lexe,
• quoiqu'elle fe doutât bien du funefte fort qu'on lui préparoit>
déclara qu'elle vouloir bien retourner avec fon mari. Ils vin-,
rent donc enfemble dans la maifon qu'ils avoient à Marfeille.
A la \ué des murailles nues de la maifon , ( car elle avoit fait
enlever les meubles) le reffentiment de Sanpietro fe renouvella.
Gomme il étoit de baffe extradion, ôc qu'il ne s'étoit élevé
que par fes belles a£lions militaires, ôc que Vannina au con-
traire étoit d'uneiliuftrenaiffance, il s'étoit accoutumé à lui par-
ler toijjours avec refpe6l. Il lui parla cette dernière fois de la
même manière 3il lui reprocha fa perfidie, &: lui dit que la faute
qu'elle avoit commife ne pouvoit s'expier que par la mort.
Puis ôtant fon chapeau , il lui annonça qu'elle devoit fe dif-
pofer à mourir. Comme il penfoit à faire venir des efclaves
Turcs , pour faire cette expédition , Vannma ne le pria pas
de lui accorder la vie ; mais elle lui demanda en grâce & avec
Inftance, que puifqu'il lui falloir mourir , elle eûr la confola-
tion de rendre fon ame à Dieu , non pas entre les mains de
vils efclaves , mais dans celles de l'homme qu'elle n'avoit choifi
pour fon mari , qu'à caufe de fa valeur & de fon courage. San-
pietro s'imaginant que Vannina lui difoit cela férieufement , ôc
n'étant pas plus touché pour cela de compaffion , fit comme
un boureau qui exécuteroit la fentence d'un juge : il deman-
da humblement pardon à fa Dame ( c'eft ainfi qu'il appelloit
toujours fa femme ) enfuite il lui mit un mouchoir au cou ôC
il l'étrangla.
Après cette expédition il vintenpofteàlaCour de France,pouc
prévenir les accufations,ôc pour fe juftifieren perfonne de forx
crime. Le bruit s'en étoit déjà répandu , ôcla plupart avoient été
faifis d'indignation ôc d'horreur. Les femmes fur-tour , qui ap-
prehendoientles fuites d'un fi pernicieux exemple , déteftoient
ce cruel mari. La Reine mère ne voulut pas fouifrir la viië d'un
il méchant homme ^ dont les mains étoient teintes du fang d'une
a
DE J. A. DE T H O U , L I V. XLI. 32^
fiilluftre époufe. Sanpietro découvrit fa poitrine, Ôc fit voir
les cicatrices des bleiîures qu'il avoit reçues au fervice de la Char le
France. Qu'importe , difoit-il , qu'importe au Roi 6c à la Fran- j y^
ce , de fçavoir fi Sanpietro à bien ou mal vécu , ôc comment il i c- ^ 7.
s'efl: comporté avec fa femme? Ces paroles prononcées par un
homme féroce , mais qui avoit rendu de très-grands fervices au
Roi , adoucirent un peu les Courtifans , que cette a£lion avoit
indignés, ôc il obtint par ce moyen qu'on ne lui fit point fon
procès.
Sanpietro plus irrité que jamais contre les Génois quiétoient
la cauîe de la perte de fa femme , remua ciel 6c terre , pour
exécuter fes anciens projets, ôc leur fufciter de nouveaux em-
barras dans rifle de Corfe. Il écrivit à Aurele Fregofe , qui étoit
entré au fervice de Côme, pour mettre cette homme ambi-
tieux dans fes intérêts, ôc rengager à partager avec lui la gloi-
re 6c le profit des entreprifes qu'il méditoit.
Il envoya Antoine ôc Paris de Saint Florent pour mefurer
fecretement la hauteur des murs deBonifacio. Il follicita aufifi
fes anciens amis de l'ifle , ôc tous les complices de fa fadion,
ôcil fit tous les préparatifs pour l'expédition qu'il avoit entête.
Il s'écoula néanmoins trois ans avant qu'il pafTât dans l'ifle. En-
fin lorfque les Génois s'y attendoient le moins , le i 2 de Juin
• ï ^(^^il y fit une defcente avec Antoine Saint-Florent , Achille
Compocafi^b, Pierre-Jean Ornano , Brufchino d'Orezza, Bâtifte
de Pietra, ôc quelques François, ôc il fe rendit maître d'Iftria qu'il
trouva fans garnifon. Il y fit la guerre pendant trois ans ôc plus,
par le feul fecours des exilés ôc des payifans , qui haïfiîbient la
domination des Génois. Les fuccès de i^QS entreprifes furent
très-variez , mais plus fou vent mauvais que bons ôc heurcux.En-
fuite les differens partis s'échaufl^erent ; on renouvella les noms
prefque oubliez des fadions noire ôc rouge, ôc on ufa de rigueur,
6c même de cruauté envers les prifonniers de part ôc d'autre.
Enfin leslnfulaires s'ennuyèrent d'une longue guerre , ôc fe dé-
goûtèrent de Sanpietro. Comme ils penfoient à l'abandonner,
il fortit de Vico , ôc s'en alla vers Cauro , avec Alfonfe fon fils,
André de Brando , Antoine-Pierre de Corte , ôc Bâtifte de Pie-
tra. 11 envoya devai>t Vitoli , qui avoit déjà formé le defi^ein
de le tuer, avec Hercole de Iftria, Ambroife de Baftelica ôc
d'autres. 11 rencontra en chemin des foldats Génois , qui étoient
Tome V, Tt
330 HISTOIRE
^_ fortis fous la conduite de Raphaël Juftiniano de la ville d^Alaz^
/^„ . T, T r. zo. dont François Fornari étoit £[ouverneur. Il nrouva aulTi. les^
jy fieres Michel Ange , Jean- Antoine ôc Jean-François Ornano»
/ Il combatit d'abord affez long-tems contre Jeaii- Antoine feul,
comme fi ç'avoit été un duel. Mais une troupe de moufque-
taires Génois étant furvenuë , Vitoli le perça par derrière
d'un coup de piftolet qui le fit tomber de Ion cheval. Aufli-
tôt Michel Ange, ôc Jean-François mirent pie à terre, ôc le per-
cèrent de mille coups de poignard, Ils coupèrent enfuite fa
tête j ôc la portèrent à Fornari.
Il y eut quelque tems après une vive conteflation entre ces af-
falTins , fur le prix auquel les Génois avoient mis la tête de San»-
pietro. Les foldats, qui étoient fortis avec Raphaël Juftiniano,.
prétendoient qu'il leur étoit dû , parce que Sanpictro avoit été
bleffé^ôc renverfé de fon cheval par une de leurs baies. D'un au-
tre côté les frères Ornano foutenoient qu'il n'étoit pas mort
d'une baie, mais des coups d'épée ou de poignard, qu'ils lui
avoient donnez. Ils convinrent enfin après bien des difputes que
le prix feroit partagé entr'eux : on donna deux mille écus aux frè-
res Ornano , ôc deux mille à Raphaël Juftiniana Alfonfe fils de
Sanpietro,après la mort de fon pere/ut nommé Général des Cor*
fes, par les foins ôc les mouvemens que fe donna Léonard de
Corte. Mais les fecours que la France lui fourniffoit en argent.
ôc en hommes , devenant très-modiques, tous les voyages qu'An-
toine Padoano faifoit au-dedans ôc au dehors, n'étant d'aucune
utilité, ôc la plupart des Seigneurs de Fille l'abandonnant , il
fut obligé deux ans après de faire un accommodement avec
George Doria, ôc Jérôme Léon Anconitano évêque deSago-
ne. Par ce traité il obtint qu'on lui conferveroit la vie avec tous
fes effets, ôc que fes biens Ôc domaines feroient aulTi confervez, à
lui ôc à fes enfans , pendant huit années. Le traité étant conclu^
il s'embarqua ôc fortit de l'ifle de Corfe le premier jour d'Avril
de cette année i56'7.
Affaires de La Tofcane fut auflî agitée de troubles ôc de divifions.
Gôme , qui avoit toujours fermé les oreilles aux promeffes ,
aux prières , ôc aux vives inftances de Sanpietro , prit hau-
tement fous fa protedion les marquis Malafpini , Seigneurs
de la Lunegiane , ôc s'engagea à les affranchir du paffage des
troupes Efpagnoles. Les Princes voifms , envieux ou jaloux de
DE J. A. DE THOU, Liv. XLL 5^1
•Côme, en furent picquez, 6c le Roi d'Efpagne lui-même fut ,
fâché de voir une nouvelle puiflfance s'accroître infenfiblement p
aux dépens de la fienne. D'ailleurs Jean-François Orfino ' étant tv
mort, le procès fur le comté de Petigliano ôc de Sorano fe ^*
renouvella entre le fils Nicolas , dont nous avons déjà tant de
fois parlé, ôc Orfo. François prince de Florence vouloit main-
tenir Orfo dans la pofleiïion des biens de fon père, que Côme
avoir pris fous fa protedion. Les Farnefes prenoient le parti
de Nicolas , dans fefperance de pouvoir acquérir le comté de
Petigliano , fi Nicolas en étoit le maître.
Orfino le père étant prêt de mourir , avoir pardonné à Ni-
colas tous les fujets de mécontentement qu'il lui avoit donnez,
& il avoit fait un fécond teftament, par lequel il le déclaroit
fon héritier comme fon aîné, & revoquoitle premier, par le-
quel il l'avoir déshérité , comme un enfant ingrat.
Cela arriva précifément dans le temsqueles efprrts fetrou^
vant échauffez au Bourg-Saint Sépulcre, parles factions des Pi-
chi ôc desGraziani, les plus fages appréhendèrent que cet exem-
ple ne fît imprefiion , ôc qu'on ne vît les anciennes jaloufies de
partis fe reveiller dans toute la Tofcane, Ôc dans chacune de
fes villes. Lucjacomini commandoitdans ville du Bourg-Saint
Sépulcre. Les Pichi ôc les Rigi , contre le refped dû à ce Gou-
verneur, profitèrent d'une occafion favorable qui fe prefenta :
ils tuèrent Scipion Goracci , le principal chef de la fadion con-
traire des Graziani , ôc bleflerent dangereufement Laurent Go-
racci : après cela ils fe retirèrent dans une tour bien fortifiée.
Othon Monauti , qui n'étoit pas éloigné , le comte de Mon-
tedolio , ôc Nicolas Tornabon ^ évêque du lieu , vinrent prom-
tement interpofer leur médiation: leurs foins ne purent entière-
ment appaifer le trouble, ni empêcher que Sylveftre Goracci,
frère de celui qui avoit été tué , n'entrât dans la ville avec les
bannis , ne mît en liberté ceux de fa fa6lion , qu'on y tenoit pri-
fonniers, ne courût impunément,ôc ne fît fentir dans toute la ville
les effets de fon reffentiment ôc de fa haine. Comme on ne pou-
voit réprimer la faftion des Graziani par la force , Pierre comte
de Carpegne entreprit d'en venir à bout par la rufe ôc la fineffe,
ôc il nefe fouciapas , pour faire plaifir au Prince^ de fe perdre
d'honneur , ôc depaffer pour un homme fans parole. Il engagea
I ou des Uriîns. t ou Tornabuoni.
Tt ij
^S2 HISTOIRE
m les Graziani à ne plus faire de mal aux habitans du Bourg ,
Charle ^ ^ cefler de venger les injures qu'ils avoient reçues de leurs
j ^ ennemis particuliers fur un peuple innocent : Ôc il leur offrit
j - (j -^ obligemment Bafcio, place de fa dépendance , très-commode
pour leur fervir de retraite. Ils s'y croyoient en fureté, lorfqu'il
arriva la nuit un détachement de gens armez, qui les furprirent,
& les invertirent de toutes parts. Comme on eût mis le feu à
la place, ôc qu'elle comménçoit à brûler , Fabio de Carpegne
ayant horreur de la perfidie de fon oncle qui les avoir trom-
pez, s'entremit pourles aHiiégez^ ôcSylveftre avec douze affo--
ciez , ayant fait promettre qu'on ne les traiteroit point fuivant
la rigueur des loix , fe rendit. Le Prince n'eut aucun égard à
ces promedes : il les fit conduire dans les prifons de Florence,
6c pour infpirer de la terreur à tous les autres , il les fit fur le
champ exécuter , fur la fin de Juillet.
Afin qu'on pût dire que toute l'Italie avoir été en combuf-
tion, il y eut dans le même tems quelques légères brouilleries
dans la maifon de Gonzague, mais qui n'eurent pas de fuites,
Louis de Gonzague entra en Italie^ ôc fit courir le bruit que
c'étoit pour vifiter Ôc faire fortifier les villes du marquifat de
Saluflfes, dont il étoit gouverneur pour le Roi de France, avec
une pleine autorité, mais en efl^et c'étoit dans le deffein d'y
lever des troupes pour la guerre j qu'on fe difpofoit fecretemene
de faire aux Proteftans du Royaume, comme l'événement le
fit depuis connoître. Guillaume duc de Mantouë, frère de Louis,
avec lequel il n'étoitpas en très-bonne intelligence, entra dans
quelque défiance de ce voyage,ôc craignit que fous prétexte des
aflfaires du Roi de France , il ne fût venu pour s'emparer du du-^
ché de Montferrat, dont il prétendoit avoir fa part. Ainfi il fc
crut obligé de prendre promptement des mefures, de peuif
qu'à la faveur du duc de Savoye, voifin quin'étoit pas defes
amis, ôc à l'occafion de l'arrivée de fon frère, les exilez ou
bannis de Cafal ne fiflent fur cette place quelque entreprife con-
traire à fes droits.
Affaire de Cafal communément appelle Saint Vaz, étoit autrefois une
ville municipale très-peuplée , ôc que fa fituation commode fur
le Pd rendoit très-riche , quoiqu'elle n'eût point alors de mu-
railles. Les Empereurs lui accordèrent depuis de grands privi-
lèges. Frédéric lui accorda laJurifdi£liondes villes Impériales
DE J. A. DE THOU, Xiv. XLI. 335
pure & mixte, (i) Henri lui confirma ceïte grâce 1 27 ans après. ■
Mais les habitans de Cafal ayant oublié tant de bienfaits , & C h a r l e
ayant confpiré contre Henri lui-même , avec Pavie , Albe , Ver- i x.
ceil & Valence , toutes ces villes furent privées des privilèges , 1557,
grâces & exemptions, que les Empereurs leur avoient accordées.
On décerna même contre elles une efpece de Ban , ( c'eft ainfi
qu Alberic de Rofata de Bergame Jurifconfulte de ce tems-là
en parle ) c'eft-à-dire , qu'elles furent profcrites par un décret
Jmpcrial.comme coupables ducrime de Icze-Majefté Impériale.
Les habitans de Cafal appréhendant l'exécution rigoureufe
de ce décret , fe mirent fous la protection d' Andronic Paléolo-
gue Empereur d'Orient, dont le fils nommé Théodore polie-
doit le M ontferrat, petite Province, avec titre de Duché, fituée
entre Alexandrie de la Paille & le comté d' Aft , qui a le Mila-
nezaumidi,& lePôau Nord. A Théodore fucceda fon fils
Jean ; à Jean , Guillaume 5 à Guillaume , Jacque , dont le fils
Guillaume II. entoura Cafal de murailles, accorda à fes habitans
le droit de bourgeoifie , & obtint de Sixte I V. en 1474 qu'elle
fut érigée en ville Epifcopale. Depuis ce tems là Cafal , qui
étoit redevable aux Paléologues de fa fureté , de fes richeflès
& de fon élévation , demeura fous leur domination , depuis
qu'elle fut profcrite parles Empereurs d'Occident , jufqu à Jean
George , qui fucceda à Bonifàce fils de fon frère , lequel avoit
été miferablement tué en jouant. Jean George étant mort peu
de tems après , l'an i J 3 ^ ^ comme il ne reftoit plus d'hoirs ma-
les de l'illuftre maifon des Paléologues , la fucceffion fut con-
tefl:ée entre le duc de Savoye , le marquis de SalulFes , & Fré-
déric de Gonzague duc de Mantouë, qui avoit époufé Margue-
rite fœur de Boniface II. Lacaufefut plaidée devant l'empe-
reur Charle-Quint , & vivement follicitée , comme une affaire
de très-grande conféquence.
Dès ce rems là les habitans de Cafal prétendirent avoir un
droit particulier, & que leur ville ne devoir point être con-
fondue a\ ec le duché de Montferrat. Il alleguoient en leur
faveur les droits anciens , & les privilèges qu'ils avoient reçus
des Empereurs, Ibûtenant qu'au défaut de mâles dans la maifon
(i) Meriacmixti Imperiijitrifdiâio.W j re. II y en a d'autres qui relèvent d«
7 a des vill.s Iiiucriaics c Lrrment I lEmpireScdc quelques autres Piiiffan-
iibrcs . qui p'- reicveiit tjue de l'Empi- 1 ces.
Tome K T t iij * /
354 HISTOIRE
■' '( : des ducs de Montferrat , le fief de CafaI éroît dévolu à l'Em-
Char LE pi^e. Mais ils ne furent point alous écoutez ,& Charle qui vou-
IX. loit obliger Frédéric de Gonzague , pour l'empêcher de pren-
I c ($■ 7. ^^^ 1^ P'^^*'^^ ^^ ^^ France , accorda aux femmes le droit de fuc-
ceder à ce fief , & prononça ainfi en faveur de Gonzague , au-
quel il adjugea Cafal , avec le duché de Montferrat. Quoique
le duc de Savoye ne fit pas éclater fon reilentiment , il eil cer-
tain que ce jugement ne lui plut point.
Depuis ce tems là Guillaume fils de Frédéric ayant deman-
dé à l'Empereur Ferdinand la confirmation de ce droit , il ne
l'obtint pas d'abord ; ceux qui étoient auprès de l'Empereur pré^
tendant qu'on avoit furpris à Charle V. fon frère le décret qu'il
avoit donné en faveur des Gonzagues. Cette difficulté releva
le courage & les efperances des citoyens de Cafal. Conrad
Mola & Olivier Capello Jurifconfultes , qui avoient le plus
de crédit & de pouvoir dans la ville , fe fiatant de recouvrer
leur ancienne liberté , attirèrent à leur parti un grand nombre
de bourgeois , & à leur perfuafion , la ville réfolut en corps , de
folliciter aux frais du public la confirmation de leurs anciens
privilèges auprès de l'Empereur Maximilien , qui avoit fuccedé
à Ferdinand fon père. On députa , pour négocier cette affaire à
la Cour Impériale , ceux même qui avoient été les auteurs de
la dehberation.
Guillaume duc de Mantoûe , pour foûienir fes droits contre
ceux de Cafal , députa de fon côté Paul Emile Bardelone , à
qui il donna des ordres & des inftrudions très-amples. Cet en-
voyé foûtint que ceux de Cafal ne pou voient s'appuyer de leurs
anciens privilèges; parce que s'en étant rendus indignes par
leur faute , en manquant de fidélité pour Henri leur bien-fai-
teur , ces privilèges avoient été révoqués , fupprimés & annul-
lés. Il ajouta que l'an 1504 Jean Paléologue avoit rendu hom-
mage à l'Empereur Charles IV. en qualité de marquis de Mont-
ferrat & de Cafal j & que ceux de Cafal lui avoient prêté fer-
ment de fidélité , & payé un tribut annuel en cette qualité ,
conformément au décret Impérial. Maximilien frappé de ces
raifons , jugea qu'il ne devoit rien innover dans cette affaire >
& il adjugea Cafal , avec le duché de Montferrat , aux ducs de
Alantouë.
Molaôc Capello fruflrés de leurs efperances, & craignant
' DE J. A. DE THOU, Liv. XLI 555^
îe refTentiment du Duc , abandonnèrent leurs maifons ôc leur
payis , & s'en allèrent chacun de leur côté. Ils ne laifTerent pas Char le
cependant d'exhorter leurs concitoyens, s'il fe prefenroit quel- j^
que occafion favorable , à ne pas manquer à ce qu'ils fe de- ^ ^ ^ j^
voient à eux-mêmes ', ôc à défendre- par la force ôc par les ar-
mes les droits légitimes^ dont la faveur & le crédit despuif-
fances les avoient injuftement dépouillés. Capello , qui n'étoit
pas moins homme de main qu'homme d'efprit ôc de tête ,
s'étoit mis au fcrvice du duc de Savoye , qui avoit des préten-
tions fur Cafal ôc fur le Mont ferrât j ôc c'eftcequi donna lieu
de craindre que Capello appuyé de la protection du Duc , n'en-
tretînt ôc ne fomentât une fa£lion dans la ville. Guillaume de
Gonzague duc de Mantouë , qui crut en être bien certain , ôc
par beaucoup d'indices , ôc par les nouvelles qui fe répandoient,
ôc furtout par les lettres de l'évêque d'Alexandrie de la Paille ,
vint à Cafal avec fa maifon, ôc amena avec lui Vefpafien de
Gonzague fon parent , afin de prévenir les Bannis , qui avoient
deifein de s'emparer de la ville par furprife ôc par traiiifon. S'é-
tant logé dans la citadelle ^ il fit tirer deux coups de canon ,
qui étoient le fignal dont on étoit convenu , pour avertir les
payifans voifins d'entrer en armes dans Cafal. Ainfi des le ma-
tin ly compagnies entrèrent dans la ville. Guillaume raffuré
par ce renfort , ôc ayant déconcerté les projets de Capello ,
qui devoir j difoit-on, entrer dans Cafal avec 12000 hommes
d'infanterie, s'en alla, ôc laiiTa dans la ville Vefpafien de Gon-
zague, pour y commander.
Vefpafien n'ayant plus rien à craindre, prit fon temps pour
faire le procès à ceux qui étoient fufpeéls , ôc il fit exécuter
ceux qu'il trouva coupables. Flaminio , bâtard de filluftre mai-
fon des Paléologues, convaincu d'avoir eu part à la dernière
confpiration , fut condamné à une prifon perpétuelle , au lieu
de la mort qu'il avoit méritée. Il mourut peu de tems après de
chagrin dans Goïto , où il étoit enfermé. Cette place eft fituée
fur le Mincio. Guillaume y fit conftruire^ avec autant de foins
que de dépenfes , une citadelle , qui ne fe fait pas moins admi-
rer par la beauté du bâtiment , que par la bonté de fes forti-
fications.
Le roi de France fit cette année une Ordonnance , ée:ale- ,^^!^^'^^^ ^^
.... O uC 1T3I1CC.
ment utile ôc jufte, qui en confervant la fplendcur ôc l'éclat Edit du Koi
n^ HISTOIRE
■ des familles nobles , pourvoyoit en mcme-tems avec beau-
Charle coup de fagefle à la confolation des veuves. Suivant le Sena-
I X. tus-Confulre , appelle Tertyllien , fait fous l'empereur Hadrien,
i ^ 6j, ^^^ mères hériroient de leurs enfans j ôc cette difpofition ne
fur la fuccef- faifoit aucuue diftindion entre les difîerens biens , dont i'iié-
mer *^" ritage étoit compofé. Par là les biens paternels qui venoient
des ancêtres, paifoient dans d'autres familles ? on arrachoit ' ,
pour ainfi dire, ce qui pouvoir conferver le fouvenir des an-
ciennes maifons , ôc les parens qui croient du côté du père,
même les plus proches, dépouillés ainfi de leurs biens, étoient
réduits à une extrême pauvreté. Cette loi avoit lieu dans fes
Provinces du Royaume , où l'on fuit le droit Romain, comme
dans la Guyenne , le Languedoc , la Provence ôc le Dauphi-
né, ôc même dans les bailliages d'Auvergne , du Forez , du
Lyonnois , ôc du Mâconnois i quoiqu'ils foient du reflbrt du
Parlement de Paris : c'étoit un mal , auquel on remédia par l'Or-
donnance de cette année. Elle donne à la mère ^ pour la con^
foler de la perte de fes enfans , les biens meubles i les immeu-
bles , qui viennent d'ailleurs , que du père ôc de la ligne pa-
ternelle ; ôc l'ufufruit , fa vie durant , de la moitié des biens
paternels , dont la propriété après fa mort retourne aux plus
proches parens du père.
Cette Ordonnance fut accordée aux inftances de Jean de
Monduc évêque de Valence. Pierre de Monduc fon neveu,
fils aîné de Blaife , ôc qu'il avoit inftitué fon héritier, ayant été
tué deux ans auparavant à Madère , le Prélat appréhendoit, que
fi le feul enfant qui reftoit de Pierre venoit à mourir , fa veu-
ve n'emportât tous les biens de la maifon de Montluc , au
préjudice des autres enfans de Blaife. L'Edit fut donné au mois
de May dans le château de S. Maur-les-FofTez -, ôc il fut véri-
fié ôc enregiftré au Parlement de Paris, à la requête du Procu-
reur du Roi, le 29 de Juillet, ôc reçu avec de grands applau-
diffemens du public. Cependant les autres Parlemens du royau-
me , que cet Edit regardoit plus particulièrement , le rejette-
ront , comme ayant été brigué ôc donné par faveur i malgré les
I Imagimbusvelutïrevulfis. Pour mar-
quer la noblefTe , les Romains faifoient
mettre fur leurs portes les portraits, ou
au moins les armes & les marques
de dignité ôc de noblefîe de leurs an-
cêtres : ne pas laifler à des familles de
quoi foûtenir la noblefTe de leurs aa-
cêtres , c'eft ce que M. de Thou appel-
le imagines revsllere,
lettre
DE J. A. DE THO U, Liv. XLI. 3,^7
lettres de juflîon réitérées , on ne put les engager à l'enre-
^^^^^^- . , . Charle
Pendant que le Roi étoit encore à S. Maur, dans le mois i^
d'Avril , Thomas Smith , accompagné de Henri Norris Ambaf- ^ - ^* •
fadeur d'Angleterre en France , vint à la Cour de la part d'E- Le Roi re-
lifabeth fa maîtrefle , pour traiter de la reftitution de Calais, f^f^ç de rendre
Un des articles du traité de Câteau-Cambrefis^ étoit que Calais, Angiois!"''
avec tout fon territoire feroit rendu aux Anglois huit ans après;
que de riches marchands étrangers , ôc non fujets de la Fran-
ce y feroient caution , ôc s'engageroient , en cas qu'on, ne fit
pas la reftitution, au payement de 500000 écus ; 6c que ce-
pendant le Roi donneroit des otages. Ceux que le Roi donna
furent Frédéric de Foix de Candale, Louis de Sainte-Maure
marquis de Nèfle & comte de Laval , Gafton de Foix mar-
quis de Trans , & Antoine du Prat feigneur de Nantoûillet.
On avoir ajouté cette claufe : Que s'il arrivoit que la guerre
fe renouvellât par la faute d'une des deux parties , celle qui fe-
roit caufe de la guerre , feroit déchue de tous les droits , que
le traité lui donnoit ; ôc que l'autre ne feroit plus obligée à en
tenir les conditions. Après ce Traité, les Anglois avoient en-
voyé des troupes auxiliaires à Rouen, & ils s'étoient emparés
du Havre de Grâce, que le Roi n'avoir pu recouvrer que par
la force des armes , Elifabeth ayant refufé de le rendre , lorf-
qu on le lui redemanda. Cependant les Anglois faifoient beau-
coup d'inftance pour la reftitution de Calais , conformément
au Traité. Le Roi répondit d'abord , que la demande qu'on lui
faifoit lui paroifToit nouvelle & extraordinaire : jugeant néan-
moins qu'après les grandes affaires, qu'il avoir terminées de-
puis le Traité, il ne lui reftoitplus qu'à établir une paix folide
ôc durable entre la France ôc l'Angleterre , il renvoya cette
affaire à fon confeil , ôc les Ambaffadcurs Anglois y furent en-
tendus.
Ils fe fondoient particulièrement fur les termes formels du
Traité, ôc prétendoient qu'il n'éroit rien arrivé depuis , qui
dût en empêcher fexécution : Que les François avoient les
premiers fait connoître la difpofition où ils étoient, de faire la
guerre aux Anglois : Que Marie reine d'Ecoffe n'avoir pris les
armes d'Angleterre, que parce qu'elle fe fentoit appuyée de
la France : Qu'on avoir appris par des lettres interceptées , que
Tome V^ Vu
338 HISTOIRE
■Il ■ II. les troupes Fran^oifes^ qui étoient au fervice de TEcofTe , n'é-
C H A R L E ^^^^^"^^ P^s ^^"f po'-^'^ ^"^ défenfe de la reine Marie , que pour atta-
j^ quer l'A ngletcrre. Michel de l'Hôpital chancelier répondit avec
j - ^*_ beaucoup de folidité. Il dit , qu'à s'en tenir aux termes du Trai-
té ^ les Anglois étoient déchus de leur prétendu droit fur Ca-
lais j puifquil étoit formellement llipulé , qu'une des deux par-
ties qui feroit attaquée par l'autre , ne feroit plus tenue à la ref-
titution de ce qu'elle pourroit devoir : Qu'on avoir tort d'ob-
jeder au roi de France , que Marie reine d'Ecoffe eût pris les
armes & les marques de la Royauté d'Angleterre 5 puifque
cela ne regardoit en aucune façon le Roi î ôc que fi les Anglois
regardoient cela comme une injure , ils pouvoient s'adrefTer
à Marie elle-même , pour lui en faire leurs plaintes : Qu'en
fourniflant à Marie des fecours , les François n'avoient fait que
ce qu'ils dévoient , pour maintenir fur fon throne une Reine lé-
gitime contre des fujets rebelles : mais que les Anglois :, en
s'oppofant fur mer & fur terreau paiTage des François, ôc en
les tenant comme aiTiégés dans Lith , a voient les premiers rom-
pu la paix , ôc perdu par ce feul fait tout le droit qu'ils pré-
tendoient avoir à la reftitution de Calais : Que ce qu'ils alle-
guoient fur la foi des lettres interceptées, n'étoit que des con-
jedures , ôc non des vérités : Qu'au refte la guerre étant une
fois allumée , on pouvoit tout tenter ôc tout entreprendre, par-
ce qu'on agiiïoit alors en ennemi
Il fut queftion enfuite de l'expédition de Defic contre l'E-
eoffe. Jean de Montiuc évêque de Valence, qui avoit ctépre-
fent à cette guerre , ayant reçu ordre du Roi de parler, dit que
les Anglois avoient alors fait plufieurs tentatives fur le royau-
me d'Ecoffe, injurieufes au roi de France ^ , à qui ce Royau-
me appartenoit alors : Qu'ils avoient allumé le feu de la ré-
bellion dans le cœur des Ecoffois : Qu'ils les avoient empê-
chez de rentrer dans leur devoir ; ôc qu'ainfi ils avoient encore
en cela violé la foi des Traités. Smith , fans répondre à ces
objedions , revenoit toujours aux termes du Traité, ôc préten-
doitquele Roine pouvoit, fans y manquer , fe difpenfer de
rendre Calais : Que bien-loin de reprocher aux Anglois les fe-
cours donnez à Rouen ôc au Havre, il falloir plutôt les louer
& les remercier : Qu'ils ne l'avoient fait que comme de bons
1 François II. qui avoit cpoufé la reine Marie.
DE J. A. DE THOir, Lrv. XLI. 55^
voifins & de bons amis : Que la Reine fa maîtrefle avoit en ■
cela rendu un bon office à un Roi mineur , afin d'empêcher Char LE
qu'au milieu des troubles ôc des guerres , dont fon Royau- I X.
me étoit agité , il n'arrivât quelque chofe de pire à une place , i ç 57,
comme le Havre, Ci voifine de l'Angleterre i ôc qu'elle avoit
dès-lors proteflé dans un mémoire qu'elle publia , que fa Ma-
jefté ne prenoit pcfTeffion de cette place , que pour un lemS;,
pour Ja conferver au Roi, ôc la lui remettre.
Le. Chancelier reprit la parole, Ôc dit , que les adions de la
fcre'niffime reine d'Angleterre n'avoient pas répondu à fes pa-
roles ', puifque la paix ayant été faite , ôc le Roi lui ayant rede-
mandé cette ville, non-feulement elle n'avoit pas fatisfaitàfa
jufte demande , mais qu'elle en avoit aufTi-tôt chaifé tous les
François , ôc y avoit mis une très-forte garnifon ; enforte qu'il
avoit paru à tout le monde qu'elle ne fe bornoit pas à vouloir dé-
fendre cette place , mais à faire de nouvelles conquêtes dans
la Normandie : Que ce n'étoitdonc qu'à la dernière extrémité,
que le Roi s'étoit déterminé à en faire le fiége : ôc qu'en con-
fidération de la Reine , à qui le Roi cherchoit à faire plaifir
en tout , le Connétable Anne de Montmorenci , qui comman-
doit l'armée royale , avoit eu de très-bonnes manières avec les
Anglois.LeChancelier conclut de tout cela, que la Reine n'étoit
pas fondée enraifon, pour redemander au Roi la ville de Calais,
qui lui avoit été rendue , moins par le droit de la guerre , que
comme un héritage qu'on reftituoit à Tes anciens maîtres : Que
les Anglois féparés de toute la terre , par les bornes que la na-
ture leur a prefcrites , dévoient fe contenter de ce qu'ils pof-
fedoient , ôc ne pas prendre ce qui appartenoit aux autres : ôc
que les François de leur coté ayant recouvré un ancien domai-
ne, dévoient dans la fuite vivre en paix ôc en amitié avec les
Anglois. On ajouta des plaintes , lur ce que dans le tems de
la guerre , la reine d'Angleterre avoit donné retraite aux trans-
fuges Françoise ôc qu'elle avoit refufé, contre la difpofition des
Traités , de les rendre au Roi , lorfqu'il les avoit fait demander
par fes Ambalfadeurs. On fe fit enfuite de part ôc d'autre quel-
ques reproches, mais plus obligeans, qu'injurieux. On dit aux
Anglois qu'ils étoient plus prudens ôc plus circonfpe£ls que les
François dans les Traités qu ils faifoient 5 Ôc ïU répliquèrent, que
c'étoit à nous qu'il falloit donner cette louange , puifque les
Vui;
340 HISTOIRE
François étoient plus fins que les Anglois. Ce fut pour ces
Charle ^^^^°"^ ^ P^^'^ plufieurs autres , que le Roi s'excufa de rendre
jy Calais. Au refte hs Ambafladeurs Anglois furent congédiés
j - J^ avec de grandes marques de confidération ôc de bienveillance.
On piopo- Cependant l'Empereur envoya le comte de Stolberg en An-
feie ma;ijgc gleterre , pour propofer le mariage de la reine Elifabeth , non
Cha^^avlr P^^s avcc Ferdinand, mais avec l'Archiduc Charle. UAmbalTa-
la reine EUfa- deur fut reçu avccune grande magnificence , ôc avec de grands
témoignages d'amitié. Elifabeth de fon côté envoya le comte de
Sufiex à l'Empereur , après l'avoir honoré du Cordon de l'Or-
dre de la Jarretière. Ce Comte , foit par jaloufie contre le comte
de Leyceftre, qui afpiroit à l'honneur d'époufer la Reine, foit
pour la gloire ôc l'honneur de la nation Angloife , qu'un ma-
riage fi diiproportionné auroit deshonoré , n'omit rien pour en-
gager la Reine à fe marier avec un Prince étranger. Il fit fon
voyage avec un magnifique cortège? il pafla par Anvers, par
Cologne > par Mayence 3 par Wormes ^ par Spire , par Ulm ,
ôc par Aufbourg , ôc il demeura quelques jours à la cour de
Vienne. Le comte de Leyceftre lui donna le Baron du North,
moins pour lui faire compagnie dans fon AmbafTade , que pour
être fon efpion , ôc afin de rompre par fon adrefle les meîures
que fon zélé lui faifoit prendre, pour faire réùfiir le mariage
qu'il defiroit. Le Comte convint bien-tôt des articles du ma-
riage , qui regardoient les titres ou qualités , la fuccefiîon des
enfans de fun ôc de l'autre côté , Ôc autres matières 3 parce
qu'on avoir prefqu'encore fous les yeux les articles du mariage
entre Philippe roi d'Efpagne , ôc Marie reine d'Angleterre. On
trouva plus de difiicultez fur le fait de la religion. L'Empereur
demandoit pour fon frère une Eglife publique , dans laquelle
lui ôc les fiens eufi^ent le libre exercice de la religion Catholi-
que, fuivant l'ancien ufage. Les Anglois difoient au contraire >
qu'une pareille conceffion blefieroit la confcience de la Reine j
l'expofant au danger de perdre la couronne , peut-être même la
vie. L'Empereur fit entendre que l'Archiduc fon frère pourroit
fe contenter d'une Chapelle particulière, qui feroit dans fonPa-
lais, pourvu qu'on ne fît pas une recherche trop exacte de
ceux qui voudroient y être admis : Il ne put obtenir cet ar-
ticle ; on fe contenta de lui répondre , que fi Charle vouloir ve-
nir en Angleterre , pour traiter en perfomie avec Elifabeth , ils
MBMMBa
DEJ. A. DETHOU, Liv. XLÎ, 341
autolent certainement l'un & l'autre tout lieu d'être contens de
ce voyage. Le comte de Suflex pafTa de Vienne à Gratz , à r^ „ , t, t r-
■T ^ -^ s i> A ^ • 1 •Il 1 V - 1 r , , ' ^^ H A R L E
la Cour de 1 Archiduc Cnarie , ou il tut reçu avec tous les hon- j -^
neurs poiTibles. Il y attendit envain une réponfe plus favorable 1 ^ 6*7
de la Reine j enfin il demanda fon audience de congé , ôcil ^
i
levint en Angleterre. Depuis cette Ambaflade , l'Empereur ôc
la reine d'Angleterre fe donnèrent mutuellement de fréquentes '
marques d'amitié ; ôc Maximilien eut tant de confidération ôc j
d'affedion pour Elifabeth , qu'il retarda ou empêcha autant qu'il ;
put l'exécution de la mauvaife volonté du Pape, & les entre- ]
prifes de Philippe fon coufin, contr'elle. i
Dans le même tems la Reine d'Angleterre reçut une ma- j^^TT"-*^^
gnifîque ôc folemnelle ambaflade de Jean fils de Bafile Grand dans la^Mof- i
Duc ou Czar de Ruflîe , avec des prefens , qui confiftoient fur- <^0Yie. ;
tout en peaux de Martres zibeHnes.pour renouveller leur ancien- <
ne alliance avec lesAnglois. Les Ambafladeurs étoientEtien- !
ne Tuwerdick Ôc Théodore Pogorella , qui firent à la Reine j
ôc aux Anglois les offres les plus obligeantes de fervices. L'an
15^3 André Judde , George Barnes ôc Antoine Hufey , riches )
negocians de Londres , qui cherchoient un chemin par la mer
Glaciale:, pour aller au Cathay S entreprirent cette navigation ,
fous la conduite d'Hugue baron de Willoughbey. Ce capital- \
ne étant mort de froid ^ Richard Chancelier fon lieutenant con- j
tinua fâ route , ôc arriva à l'embouchure de la Duina au foixan- !
te-troifiéme degré de latitude feptentrionale. Il trouva le mo- ]
naftere de faint Nicolas , que la dévotion ôc le concours des .]
peuples a rendu très-céiébre. Delà il fe rendit fur des traîneaux,
fuivant l'ufage du payis, à Mofcou capitale de cet Empire. Jean
Bafilides le reçut très-gratieufement , & promit qu'il accorde-
toit aux Anglois de grands privilèges, s'ils pouvoienr faire tranf- |
porter par mer dans fes Etats les marchandifes qu'il avoir tant j
de peine à faire venir par la Pologne , avec laquelle il étoit en j
guerre. Chancelier de retour en Angleterre, fous le règne de ^ I
Marie , rendit compte à cette Princefle ôc à fon Confeil du j
fuccès de fon voyage , ôc leur fit connoître que les draps i
d'Angleterre étoient très - recherchez des Mofcovites , qui \
les achetoient fort cher > ôc qu'au contraire le lin , le chanvre, '
la cire , ôc les pelleteries les plus préneufes étoient en cepayis-
1 ou à la Chine , . ■
Vuiij j
542 HISTOIRE
^^m^^i^^ h à très-vil prix. Ainfi on jugea qu'il étoit de l'intérêt de l'E-
r^tr * OT tr tat d'établir à Londres une compagnie, qui fut appel! ée de Mof-
TV covie. Elle fit des profits UTimenles j parce que lous le règne
/ d'ElizabethJes Anglois eurent feulsla permifTion de faire palTer
dans la Mofcovie toutes les marchandifes des payis étrangers.
Ce privilège encouragea les Anglois à vifiter avec plus de foin
toutes les Provinces de ce vafte Empire. Ainliils apprirent qu'en
remontant la Duina fur des canots, on pouvoittranfporter les
marchandifes jufqu'au Wologda, ôc delà par terre enfept jours
jufqu'à Jareflaw , d'où l'on defcend par le Volga , en trente jours
ôc autant de nuits, à Aftracan.
Les Anglois, encouragez par de fi heureux fuccès , firent con-
ftruireun vaifleau, pour entrer dans la mer Cafpienne, qu'ils
trouvèrent pleine de bafi"es. L'ayant pafTée , ils pénétrèrent dans
les vafies déferts du Mazandoran , ôc du Chorazan, jufqu'au
fond de la Medie , à Tauris ôc à Cafbin. De fi beaux commen-
cemens leur firent efperer qu'ils pourroient trouver le chemin
du Cathay. Mais la guerre , qui s'éleva entre les Turcs ôc les
Perfes, les empêcha d'aller plus loin^ ôc fit évanouir toutes leurs
«fperances.
Fm du quarante-unième Livre»
54?
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HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
D £ TH O U.
LIVRE QVARANTE-DEVXIEME,
^J^fff^l^r^^l^P^J^ E s nouveaux troubles de la Fran-
O^O^C^^âSf^
ce fuivirent de bien près ceux des Charle
f'p^'i Nw. tw«i5>«''«.«'"'-ip v-/ r^"% Payis-bas. Voici à peu près les caufes J X.
^^ 5^ yx? W( de part & d autre aulquelles on les \ < 6 y.
^^ '"^ % I èi ^^^^^^^ attribua. Les Proteftans, dont la pa- Nouveaux
^2 ^-^ ?^ ■ ^ ,^^t J-MN* [g^ tience le trouva epunee par les lup- tioubics en
^ ^^^ Et,\f,:J;„4 O^ PJices, les bannifTemens Jes ignomi- p,';;,^f,:, jes
^1 rA r-'i >^.'i ^''1 r^ fyi *■• N^^ nieSjôc les pertes de biens, qu'on leur Proteftans.
^=^în'"^^mrT^=7^r^,^^ "f loultnr pendant un allez ong-
s^K£^^:::JKi^^fii2j%.si^h2J^^dJ tems ; raliemblerent enlin tous leurs
lu jets de plauites , ôc confulterent enir'eux fur \ç,s melures qu ils
dévoient prendre dans la trille fituation de leurs affaires. Leur
principal grief étoitl'inobfervation des c'dits donnez en leur fa-
veur.dont oncludoitlesdifporitions,foit par de nouvelles décla-
rations,foitpar la mauvaife volonté des Juges ôc des Gouverneurs
344 HISTOIRE
,. de Provinces. Un autre grief étoit, que tout le mal qu'on leur fai-
TT" foit, même le meurtre de plufieurs perfonnes de leur parti, de-
TXT- meuroit impuni, & qu'on entendoit par tout dire que lesPro-
- ^* teftans , qui marchoient maintenant tête levée, feroient bien-tôt
^ dépouillez de la prétendue liberté, ou plutôt delà licence qu'ils
s'étoient arrogée^ ou qu'ils avoient extorquée du Roi. ^ Abattre
95 les murailles des places, dont ils s'étoient rendus maîtres, & y
95 bâtir des citadelles jufque danslefein du Royaume, n'étoit-
33 ce pas, difoient-ils, découvrir clairement la haine dont on
3> étoit animé contre eux , & le delTein qu'on avoir formé de ti-
« rer de tout le parti en général la vengence, qu'il feroit impof-
w fible de tirer de chacun en particulier f «
C'eftpour cela qu'on avoit depuis peu enrollé fix mille SuifTes
& qu'on faifoit actuellement des levées dans tout le Royaume.
Ce n'étoitpas certainement pour faire la guerre au duc d'Albe
ôc aux Efpagnols , avec qui l'on étoit en fi bonne intelligence,
fur-tout depuis Fentrevûë, ôc les conférences de Bayonne. Les
Efpagnols , les Proteftans , tous les gens fages ôc expérimentez,
les Courtifans eux-mêmes , fi on les interrogeoit ,nepouvoient
en difconvenir. C'eft encore à cela que tendoient les fréquens
confeils que l'on tenoit entre le Pape , ou fes miniftres , ôc ceux
» Pie V. ^^^ ^^^^ ^^^^ • confeils, où le Pontife^ ne travailloit qu'à en-
tretenir ôc augmenter la haine de ces deux Princes , contre les
Proteftans de France ôc des Payis-bas, ôc à faire allumer dans
le même-tems le feu de la guerre par Philippe en Flandre, ôc
par Charle dans fon Royaume.
Toutes ces raifons déterminèrent les chefs des Proteftans à s'aJP-
fembler auprès du Prince de Condé, de l'amiral deColigni,ôc
de fon frère Dandelot , d'abord à Valéry, ôc enfuite à Châtil-
lon fur Loin. Après bien des conteftations on convint unani-
mement, qu'il falloit commencer par employer tous les moyens
poftibles pour fe procurer la paix , avant que d'en venir au grand
remède , c'eft-à-dire à la prife d'armes. Ç'avoit été le fentiment
de Cologni, qui craignoit de rentrer dans une guerre, qui
ne manqueroit pas de les rendre odieux. Mais comme le Roi
differoit toujours de renvoyer les Suiftfes ( quoiqu'on l'en fup-
pliât très-inftamment, ôc qu'on lui remontrât que ces troupes
n'étoient plus néceflaires depuis que le duc d'Albe étoit arrivé
dans Içs Payis-bas ) ces délais afFedez augmentèrent infiniment
les
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIL 545»
les foupçons & les défiances. Le prince de Condé apprit mêiric ——«_»«
parles lettres d'un grand Seigneur de la Cour ^ qui favorifoic ^ '■
îes Proteftans, qu'on a voit réfolu fecretement de l'arrêter, lui jy ^
ôc l'Amiral, de le mettre dans une étroite prifon, ôc de fe dé-
faire de Coligni : de faire entrer en même tems deux mille
Suifles dans Paris , autant à Orléans , ôc deux mille autres à
Poitiers : de révoquer auffi-tôt l'édit en faveur des Proteftans,
d'en publier de contraires, ôc d'achever la ruine entière de leur
parti. Les défiances, que faifoit naturellement naître la marche
des Suifles, qui s'avançoient à mefure que le prince de Condé
employoit fes amis à foliiciter la Cour de les renvoyer , join-
tes à ces nouvelles, animèrent tellement les chefs du parti Pro-
teftant qui étoient aflemblez, que ce ne fut plus un Confeil tran-
quille, où chacun propofoit fon avis à fon tour, ôc de fang
froid , mais une aflemblée tumultueufe , où l'on n'entendoit
qu'un bruit confus de voix plaintives, qui difoient : « Jufqu'à
=' quand fouffrirons-nous qu'on abufe de notre patience? At-
=' tendrons-nous qu'on nous mené pies ôc mains liez à Paris ,
» qu'on nous traîne enfuite au lieu du fupplice, ôc que nos en-
=» nemis fe repaifl!ent de notre fang, pour afl^buvir leur cruauté?
»' Pourquoi differons-nous ? Nous avons déjà des troupes étran-
»' gères, ôc par conféquent des ennemis dans le fein du royaume
a' qui viennent pour nous attaquer. Les Suifles fe fouviennent
» de la perte qu'ils ont faite à la bataille de Dreux , ôc ils vien-
» nent pour venger fur nous le mal que nous avons été forcez
» de leur faire , ainfi qu'à nos ennemis , lorfque nous avons été
»> contrains de combattre pour notre jufte défenfe. Avons-nous
35 oublié la perte de tant de milliers d'hommes, qu'on a fait pé-
05 rir en tant de façons différentes depuis fédit de pacification ?
» Nous avons eu beau nous en plaindre : la malice ôc les arti-
oi ficesde nos ennemis font emporté fur nos plaintes. Nousn'a-
» vons reçu que des paroles vagues, que des réponfes illufoi-
35 res, que des remifes ôc des délais , pour éluder nos prières,
35 ôc fruftrer toutes nos efperances. Si nous pouvions croire que
» tout cela fe fit par les ordres du Roi , à qui nous devons l'o-
sijbéiffance, peut-être ferions-nous obligez de nous foumettre.
35 Mais puifque perfonne n'ignore que tour cela fe fait ou malgré
y lui, ou à fon infçii, par des gens qui fe couvrent de fon nom,
p 6c qui empêchent nos juftes plaintes de parvenir jufqu'à fon
Tome V, Xx
S^6 HISTOIRE
I » thrône j puifque deftituez de tout fecours ] nous fommes en
Cu A B T c " proie à nos ennemis^ nous nous devons à nous-mêmes de
TV » ne les pas engagera nous taire de nouvelles mjures, en du-
J < 6 7 "' fiiîiulantpluslong-tems celles qu'ils nous ont déjà faites. Nos
» pères , difperfez de coté & d'autre ^ ont profefle la vraie Reli-
ai gion en fecret depuis plus de quarante ans , ôc ils ont enduré,
« avec une patience à l'épreuve , toute forte d'injures , d'af-
3' frons ôc de fupplices. A prefent que par une grâce fignalée de
♦5 Dieu, il y a non feulement des familles, des villages, 6c de
M petites places ; mais de grandes villes entières , qui appuyées-
9» de l'autorité Royale font profeflion publique de la véritable
« foi en Jefus-Chrift, nous tomberions dans uneapoflafie indi-
» gne du nom Chrétien que nous portons , fi par un honteux fi-
as lence 6c une modération à contre-tems ) nous trahiffions une 11
w jufte caufej fi oubliant cette nobleffe.dont nousfaifons une vai-
!» ne parade en toute autre chofe, nous manquions dans la cau-
a> fe de Dieu à ce que nous devons à ce titre glorieux ; 6c fî
05 en perdant nos âmes j nous entraînions la perte de tant d'au-
« très. Ainfi nous vous fupplions , vous , MeflTieurs , à qui nous
M avons confié le foin de nos affaires, d'employer votre cré-
» dit , votre autorité , ôc vos forces, pour nous fauver ^ en fau-
aï vant la Religion. 3j
Leurs déli- On ne fçauroit exprimer la vive imprefïîon que ces paroles
aérations. firent fur tous les cœurs. Alais ne fçachant quelles mefures pren-
dre , leurs fentimens étoient partagez. Il n'y avoit perfonne qui
ne vît bien le danger dont ils étoient menacez ; mais on étoir
en balance fur les moyens de le prévenir. « Si nous avons
» recours aux plaintes , difoient plufieurs d'entr'eux , nous ne
m ferons qu'irriter ceux avec qui nous avons nécefl^airement af-
w faire. Si au contraire nous prenons les armes , à quelles ca-
» lomnies , à quels reproches , à quelles maledi£tions ne nous
» expofons-nous pas ? On nous imputera tous les maux , qui
05 font les fuites funeftes 6c inféparables de la guerre , 6c par
» tout on nous accufera d'être d'injuftes 6c de criminels ag-
» grefleurs. Si on ne peut fe venger fur nous, parce que nous
M ferons à l'abri , ayant les armes à la main , on pourra impuné-
»> ment ( 6c les méchans croiront que ce fera jultement & avec
35 raifon)fe venger fur nos femmes 6c fur nos enfans , que nous
0» aurons abandonnez, 11 femble donc plus avantageux 6c plus à
DEJ. A. DE THOU, Liv. XLÎI. 547
« propos de marcher fur les traces de nos pères , & defouffrir
3> comme innocens tout le mal qu'on voudra nous faire , que Cu arl£
M de nous rendre coupables, en rendant le mal pour le mal , 6c j v
« & de violer, en défendant mal une bonne caufe , la juftice 6c i ^ ^'j^
s» l'équité , qui feules ont jufqu'à prefent combattu pour nous. «
Pendant que les principaux chefs du parti Proteftantparloient
de cette forte^ 6c queles autres leur applaudiflbient , d'Ande-
lot, qui avoit un grand pouvoir fur les efprits des Seigneurs,
6c dont la parfaite probité étoit connue de tout le monde, prit
la parole 6c dit : :.' Je ne difconviendrai pas , Meffieurs , que
« votre fentiment ne foit clairement appuyé fur les règles de
»» la juftice 6c de la prudence. Mais pour guérir les maux in-
» veterez dont la France eft depuis long-tems attaquée , il faut
»» abfolument des remèdes plus puiflans : l'importance de nos
» affaires exige de grands fentimens , un courage invincible ,
3> 6c une fermeté à l'épreuve. Car, permettez-moi de vous le
9> demander, fi vous attendez que nous foyons reléguez dans
» les payis étrangers , ou que nous foyons emprifonnez , ou que
»> chaffez de nos maifons , nous foyons errans dans les forêts ôc
» dans les déferts, expofez à la barbarie d'un peuple en fureur,
t>-> méprifez par les gens de guerre , condamnez d'avance par les
» Grands ', de quoi nousfervira notre patience 6c notre douceur?
0' Quelle reffource trouverons-nous dans notre innocence ? A
« qui porterons-nous nos juftes plaintes ? Qui eft-ce qui voudra
» nous regarder, nous parler, nous écouter ? Il eft tems, Mef-
» fleurs, de fortir de l'erreur dans laquelle nous avons fi long-
aï tems été , au grand préjudice delà Religion 6c de la tranquil-
aî lité publique. Il eft tems d'ouvrir les yeux , 6c de recommencer
» une guerre également jufte 6c néceffaire. Défendons nous con-
M tre les violentes attaques de ceux qui nous perfécutent^ 6c met-
Bî tons-nous peu en peine de ce que nos ennemis 6c des hom-
3> mes pervers pourront dire de nous, en nous reprochant d*a-
« voir les premiers donné lieu à la guerre. Ce font eux , qui
B» violant les droits divins 6c humains les plus facrez, ont tant
« de fois manqué à leurs fermens , 6c à l'obfervation des trai-
3> tez qu'ils ont faits avec nous; ce font eux, qui ont troublé
a' en tant de différentes manières le repos du Royaume : ce font
» eux , qui en faifant venir jufque dans le fein delà France tant
•> de troupes étrangères, nous ont déjà en quelque façon déclaré
Xx ij
348 HISTOIRE
^' la guerre. Si nous perdons le tems à délibérer, fi par notre né-
~Z 33 «[licence nous leurlaiflbns le tems ôc l'avantage de nous atta-
TV " 4"^"^ » avant que noua foyons en état de nous défendre , c'eft
^ * S' fait de nos biens , de nos vies , & de notre Religion i tout eft
^ '' 3' perdu fans reffource. »
Ils rcpren- ^^ difcours d'Andelot produifitun grand changement dans
nent les ar- les efprirs > ôc tous unanimement furent d'avis de repoufier par
*""* la force une violence , qui entraîneroit , fi on ne s'y oppofoit
pas , la perte inévitable de leur parti. Mais il fe trouvoit des
difficultez prefque infurmontables dans le choix des moyens ,
pour bien faire la guerre. Les uns penfoient qu'il falloit d'a-
bord agir avec modération j qu'il feroit à propos que les chefs
des Proteftans fe rendifl'ent maîtres d'Orléans par la voye de
la douceurs & qu'après cette expédition , ils envoyaffent au
Roi une requête en forme de mémoire , pour juftifier leur con-
duite , en arturant fa Majefté qu'ils ne l'avoient pas fait pour
exciter des troubles , mais pour fe précautionner contre les
troupes auxiliaires des Suiffes , dont l'arrivée en France les
inquiétoit , ôc leur caufoit des défiances : & que s'il plai-
foit au Roi de les renvoyer, comme ils l'en avoient déjà tant
de fois fupphé, fa Majefté les trouveroit difpofez à fe retirer
chacun chez foi , fans bruit ôc fans trouble. Mais ceux qui
étoient d'un avis contraire, ayant repréfenté le danger ou les
Proteftans feroient expofez dans une ville, dont la citadelle
étoit occupée parles troupes du Roi, qui pourroient par là
fe procurer une libre entrée dans la ville , ce fentiment fut
rejette.
D'autres vouloient qu'on commençât par fe rendre maîtres
de tout ce qu'on pourroit de places fortes , de villes ôc de
bourgs, dans toutes les Provinces du Royaume ; Ôc qu'on fe
Ï)réparât à les bien défendre , lorfqu'on les auroit prifes. Mais
es plus prudens ne penfoient pas de même j ôc remontroient
que dans la première guerre ils avoient pris plus de loo villes,
ôc qu'ils les avoient perdues en un moment î parce qu'ils n'a-
voient ni les troupes ni les forces néceffaires pour les fecouric
à tems.
Enfin Coligny, qui étoit revenu au fentiment de fon frère , fit
prendre la réfolution de faire ouvertement la guerre , de ne pren-
dre que peu de places , mais de choifir les plus importantes j
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIL 349
de former au plutôt une bonne armée , qui ne fût prefque .
qu'un camp volant ; de commencer par attaquer les Suif- pu a ri e
fes, qui faifoient la principale force de leurs ennemis , dansle j y
tems qu'ils y penferoient le moins j ôc de les tailler en pièces j i r < -7
enfin d'enlever de la Cour le cardinal Charle de Lorraine ,
auteur de tous les troubles de la France , ôc l'ennemi le plus
capital des Proteftans.
On oppofoit à cet avis ^ que le Cardinal e'toit toujours au-
près du Roi j que les Suilfes étoient à fes cotez pour le gar-
der 5 que s'ils les attaquoient dans de pareilles conjonâures ,
on les accuferoit d'en avoir voulu au Roi lui-même, & non
au Cardinal ôc aux SuifTes j qu'une telle entreprife les rendroit
extrêmement odieux à tout le monde , ôt leur attireroit une
haine irréconciliable de la part du Roi , dont il étoit impor-
tant de fe ménager la bienveillance , ôc de gagner l'afFeêlion.
D'Andelot, toujours auteur des réfolutionsles plus hardies, ré-
pliquoit que l'événement feroit voir quelles avoient été les in-
tentions des Proteftans 5 comme Charle VIL encore Dauphin
avoir autrefois prouvé à toute la terre par l'événement , que
ce n'étoit pas contre le Roi fon père , ni contre le Royaume
qu'il avoir pris les armes : que perfonne ne pourroit fe perfua-
der que tant de François fe fuflent réunis pour confpirer con-
tre leur Roi , ôc le perdre : qu'on avoir bien vu des conjura-
tions de quelques particuliers, mais jamais de tous enfemble :
quefi la Fortune donnoit au parti d'heureux commencemens,
ce feroit le moyen de finir promptement la guerre , d'éteindre
le feu de la divifion , d'éloigner du miniftere les ennemis de
la tranquillité publique , d'obtenir du Roi , plus inftruit ôc
mieux confeillé, la confirmation des édits , ôc d'établir dans le
Royaume une paix folide ôc durable. Tout le monde revint
à ce fentiment ; on réfolut de faire tous les préparatifs nécef-
faires pour l'heureux fucccs de ces entreprifes , ôc chacun fe
difpofa à la guerre.
Les Proteftans avoient réfolu de s'emparer de Lyon , de
Touloufe ôc de Troyes, trois villes des plus confidérables du
Royaume : mais foit par la faute des chefs , foit par des revers
de fortune, tous leurs efforts furent inutiles , ôc ils virent é-
choùer la plupart des projets , qu'ils avoient formés dans leurs
alfemblées : au contraire bien des chofes qu'ils n'avoient pas
X X iij
yers Mcaiix.
55:0 HISTOIRE
prévues, leur réùflirent contre toute efpcrance ; Dieu le per-*
C H A RL E ^^"^-'^^ ^infi , pour faire clairement connoître que les hommes
j -^ les plus prudens , ôc les plus confommés dans les affaires, con-
j ^ fultent , délibèrent, fe déterminent, 6c entreprennent , mais
fouvent fans fuccès j & qu'il n'appartient qu'à Dieu de régler
les évenemens , Ôc de conduire les deftins ôc les entreprifes
des hommes , en leur donnant, félon fa volonté, de bons ou
de mauvais fuccès.
Iismarciient Le prince de Condé avoit indiqué pour la fin de Septem-
bre l'alfemblée qui fe devoir tenir à Rozay en Brie. La plus
grande partie de la Nobleffe des environs s'y rendit. Le Prin-
ce avoit avec lui l'Amiral Coligny , d'Andelot frère de l'Ami-
ral , ôc François comte de la Koche-Foucauld. Ils partirent
enfemble de Valéry, ils pafferent la Marne à Trillebaidou ;
prirent leur route par Lagny , ôc fe rendirent aifément maîtres
de Rozay. La Nobleffe des Provinces les plus éloignées , vint
les y trouver ; ôc pour tromper plus facilement la Cour , ils ar-
rivoient prefque un à un. Il y avoit déjà bien 400 hommes
de cavalerie affemblés , lorfque la Reine apprit quelque chofe
de ce qui avoit été jufqu'alors tenu fecret. Elle avoit quitte
Monceaux , ôc étoit à Meaux avec le Roi. Pour obliger les
Proteftans à ne rien entreprendre, jufqu'à ce que les Suiffes;
qui étoient proche, fuffent arrivés auprès du Roi, ôc que la
Cour fût en fureté , la Reine envoya le maréchal François de
Montmorenci au prince de Condé, pour lui demander ce que
fignifioit ce concours fubit ôc inopiné de tant de gens de guer-
re ? Le Maréchal trouva les confédérez en bataille à Torcy ;
près de Lagny , ôc il les amufa par fes conférences , jufqu'à
ce que les Suifes, que le Prince de Condé vouloir attaquer en
chemin, fuflent arrivez à Meaux , comme ils arrivèrent en ef-
fet dans le tems de la conférence. Voici en fubflance ce qui
s'y paffa.
Montmorenci demanda d'où venoit cette nouveauté, ôcil
blâma les Confédérez. ^ Si vous avez , leur difoit-il , quelque
» chofe à demander au Roi, pourquoi ne venez-vous pas trou-
ai ver fa Majefté , comme des fujets dociles ôc amis de la paix;
a' pourquoi y venez-vous armez ? Où font vos paroles , vos
m promelfes > vos fermens ? Où eft votre obéïlîance f Vous
» Monfieur , qui êtes prince du Sang , combien ne vous
DE J. A. DE THOU; Liv. XLII. 5^1
» fendez-vous pas odieux par le confeil que vous donnez à tant ,.,,.,, -— .
s> de Seigneurs 3 que vous éloignez par votre exemple de l'o- ~
i^^béïÏÏance dûë au Roi, de venir en armes fommer fa Majefté J"^^
OD de vous accorder ce que vous lui demandez ? Pourquoi ,
» MefTieurs, avez- vous pris le parti de forcer le Roi par les ^ 5 " 7*
» armes, plutôt que de le fléchir par vos prières, comme doi-
« vent faire de bons & de fidèles fujets f Quittez les armes , ôc
w venez comme Aqs fupplians prefenter au Roi vos très-hum-
M blés remontrances. « A ce difcours , que le Maréchal avoit
paru faire en ami, les Confédérez répliquèrent, que les beaux
noms de fidélité ôc d'obéïflance n'étoient plus, que des termes
fpécieux ôc frivoles ; ôc que ceux qui en faifoient parade ôc
qui les leur objedoient fans ceffe , en avoient eux-même très-
fouvent profané la fainteté , en faifant paffer pour ennemis du
Roi ceux qui vouloient mettre un frein à leur ambition, ôc
en les jettant malgré eux dans la trifce nécefiité de prendre les
armes pour défendre la juftice de leur caufe : qu'au refte s'ils
réuffiflbient , l'événement feroit connoître la droiture ôc la pu-
reté de leurs intentions î ôc qu'en donnant des bornes à l'am-
bition de leurs ennemis, ils mettroient bien-tôt fin à la guerre
qu'ils étoient forcés de recommencer.
Pendant la conférence , on apprit que les SuifTes appro-
choient, ôc marchoient fans s'arrêter. Le maréchal de Mont-
inorenci retourna auffi-tôt à la Cour , ôc le prince de Condé
continua fa marche, pour furprendre ces troupes auxiliaires»
Mais il vint trop tard , ôc les Suifles étoient déjà arrivés au-
près du Roi. Le Maréchal ayant prefenté le mémoire que les
Proteftans lui avoient donné , ôc rendu compte de ce qu'il
avoit fait ôc de ce qu'il avoit vu , on tint confeil dans lamai-
fon du Connétable , pour délibérer fur ce qu'il y avoit à faire.
Ce Seigneur , qui étoit fort au-delTus de tous les autres par fa di-
gnité , par fon expérience, par fa fidélité envers le Roi , ôc par
fon ardent amour pour fa patrie, fut d'avis que la Cour de-
meurât à Meaux , ville forte par elle-même , ôc que l'arrivée
des Suifles , ôc des troupes qui alloient y venir de jour en jour,
rendroit imprenable. Il ajouta que le Roi nepouvoit fe met-
tre en chemin , fans courir les rifques d'un combat : « Qui
•» peut , ajoûtoit-il , répondre du fuccès f Un Roi bien confeillé
^ doit mettre tout en ufage pour éviter une bataille , où il lui
3^2 HISTOIRE
ferok honteux d'être vaincu , ôc fort trifte d'être le vainqueur/
Char LE '' ^^ ^^ convient pas à fa Majefté de paroître fuir ; ii n'y a
j -^ o> point encore eu d'hoftilitez : on eft encore en quelque fa-
i <: 6 7 " ^>^^^ ^^^^ ^^^ bornes du devoir : fi une fois les armées etoient
»5 en prefence , quoiqu'on n'en vint pas aux mains , le Roi ne
M pardonneroit jamais l'injure qu'il prétendroit avoir reçue.
35 D'un autre côté les Proteftans, qui appréhenderoient le reffen-
»> timent ôc la vengence d'un Prince qu'ils auroient fi fort of-
y^ fenfé, ne mettroient jamais les armes bas. Ainfi à propor-
♦> tion du véritable zélé que l'on a pour la gloire du Roi , ôc
" pour la tranquillité publique , on doit fouhaiter avec ar-
« deur ôc tâcher d'éteindre le feu d'une guerre civile. Tant
« qu'il y aura lieu d'efperer une réconciliation , il faut re-
» trancher tous les fujets de mécontentement ôc de plainte ;
3' autant qu'il eft pofîible , fans préjudicier néanmoins à lama-
a> jefté royale : enfin le parti qui me paroît le plus fur pour le
^ Roi , eft d'attendre tranquillement la fin de ces troubles dans
»la ville, où fa Majefté fe trouve a£luellement. »
La Reine parut d'abord applaudir au Connétable , foit qu'el-
le fût touchée du difcours d'un homme d'un fi grand poids ;
foit qu'elle penfât aulfi que c'étoit le parti le plus fage. Mais
elle changea aufii-tot , foit par la légèreté naturelle à fonfexe,
foit , comme on le difoit alors, qu'elle eût été gagnée par le
cardinal de Lorraine. Ce Cardinal regardoir les troubles com-
me favorables à fes deileins ambitieux ; il vouloir faire connoî-
tre aux fils du duc fon frère le pouvoir qu'il avoir fur l'efprit
du peuple de Paris , ôc montrer en même-tems à ce peuple ces
enfans , qui avançoient en âge , ôc renouveller par là ou entre-
tenir fes anciennes fadions. C'eft pourquoi , comme s'il y
avoir eu matière à de nouvelles délibérations, à l'occafion de
quelques bruits qu'on répandit j la Reine fit le même jour af-
fembler lesGrands danslamaifon du duc deNemours , tout dé-
voué aux Guifes , ôc que la goutte retenoit alors au lit. Onfup-
pofa dans ce Confeil que le nombre des confédérez augmentant
d'heure en heure , il y avoir lieu de craindre que le Roi , mal-
gré les troupes qui l'environnoient , ne fe trouvât aflîégé dans
une fi petite ville.Enfin la fa£lion des Guifes fit conclurre, que le
Roi fortiroit de Meaux lanuitfuivante , pour aller à Paris. Le
Chancelier Michel de l'Hôpital , fommant la Reine de fa
parole
ARLE
DE J. A. DE THOU> Liv. XLII. sn
parole , remontra envain que c'étoit expofer le Roi à un dan- -
ger évident, trahir l'Etat, fermer toutes les voyes de réconcilia- 7^
tion 3 réduire le royaume à la trifte néceflité de foûtenir une j v^
guerre fatale ; qu'enfin ces confeils venoient de gens ennemis du
repos & de la tranquillité publique, ôc qu'il falloit punir de mort ^
les auteurs des faux bruits. Ce digne magiftrat , à qui l'Etat
avoit tant d'obligations, devint , pour avoir parlé de la forte , û'
odieux aux grands ôc au peuple , qui fe précipitoient aveuglé-
jnent dans les plus grands malheurs , que ne pouvant plus
foûtenir leurs indignes procédez , il fe trouva contraint l'an-
née d'après de quitter cette première charge de la robe, ôc d'a-
bandonner la Cour.
La réfolution étant prife , on donna ordre aux Sulfles d'être
fous les armes à minuit. A peine fe furent-ils repofez pendant
trois heures , qu'ils fe levèrent , ôc vinrent avec joye fe ranger
autour du Roi , marchant par troupes , enfeignes déployées. Le
Roi étoit accompagné d'environ 900 Gentilshommes à che-
val , mais prefque fans armes. Sa Majefté ayant fait quatre
lieues, rencontra à la pointe du jour la petite troupe du prince
de Condé , qui n'étoit que de 400 hommes à cheval, mais très-
bien équipés. Quand ils fe furent approchez, il y eut entre
eux quelques légères efcarmouches , car il parut également
dangereux ôc fatal aux deux partis d'en venir à une bataille.
Les Suilfes firent paroître beaucoup de fang froid ôc un ar-
dent defir de combattre ; ils mirent même leurs boucliers à
terre, comme ils ont coutume de faire , lorfqu'ils font fur le
point de combattre. Le Connétable , qui appréhendoit qu'on
ne s'échauffât de part ôc d'autre , ôc que contre l'intention des
deux partis on n'en vînt à une bataille , confeilla au Roi ôc à
la Reine de prendre une a'Jtre route , avec un détachement
de 200 cavaliers compofé de la Noblefle de la Courj dont
les principaux chefs étoicnt Claude de Lorraine duc d'Au-
male , le maréchal de Vieille-ville , MauvoiHiniere , ôc de
Fonfeca baron de Surgeres j ôc d'aller droit à Paris. Pour lui
il continua de marcher avec les Suifies ôc le refte de la No-
blefle en bon ordre, faifant tête detems en tems aux ennemis,
ôc il arriva fans beaucoup de perte ni de part ni d'autre au
Bourguet. Le Roi avec la Reine ôc fa Cour , fe rendit fans au-
cun accident à Paris le 2^ de Septembre avant la nuit. La
Tome V^ Y y
Ch
5;4 HISTOIRE
néceflltc où il fe trouva alors de fuir , lui infpira une haine mor-
i A R L E ^^^^^ contre les Proteftans 5 6c cette haine furieufe ne put être fa-
I X. tisfaite, comme les plus fages l'avoient pre'vû ^ que par Thorrible
j ^ ^ ^^ maflacre de ceux de ce parti , c'eft-à-dire par la honte éternelle
du nom François.
D'un autre côté le cardinal de Lorraine , ravi d'avoir allumé
le feu de la guerre > s'en alla en diligence à Rheims. Il penfa
être pris près de Château-Thierry par les troupes des confé-
dérez qui venoientde Champagne. Un excellent cheval d'Ef-
pagne qu'il montoit, le tira à peine du péril , & il y perdit fa
vaiffelle d'argent ôc tout fon bagage. Les Confédérez vinrent
enfuite à Claye, où ils refterent cinq jours , en attendant la ré-
ponfe à la requête qu'ils avoient donnée au maréchal de Mont-
morenci. Comme ils prévirent bien que l'accommodement
feroit difficile , ôc qu'on ne leur accorderoir pas la fatisfaêtion
qu'ils demandoient, ils envoyèrent en Guyenne des exprès,
qui paflerent par le Poitou ôc par l'Angoumois , pour faire
promptement marcher tous les troupes , qui avoient pris les
armes prefque dans le même moment partout le Royaume.
Ils envoyèrent auffi dans le Dauphiné , dans l'Auvergne ,
ôc dans le Languedoc :> pour prefler les levées qu'on y faifoit.
Après avoir pris cqs fages précautions pour l'avenir, ils réfo-
iurent d'inveftir tellement la ville de Paris , qu'on en fermât
toutes les avenues , ôc qu'on empêchât le pafTage ôc l'entrée
des vivres. Ils commencèrent par envoyer une garnifon à Mon-
tereau-Faut- Yonne , d'où l'on apporte à Paris une grande partie
des vivres , qui viennent de Champagne ôc de Bourgogne >
éc dans une même nuit ils brûlèrent tous les moulins à vent,
qui étoient entre la porte du Temple ôc celle de Saint Ho-
noré. Ils firent par là plus de peur que de mal aux Parifiens,
qui furent extrêmement frapés d'une adion fi extraordinaire.
Le Roi fut aufii très-irrité de l'affront fignalé qui lui étoit fait,
par des fujets qui avoient l'infolence d'attaquer la capitale de
îon Royaume, Ôc d'employer le fer ôc le feu contre le lieu où
,fa Majeflé faifoit fa réfidence.
La ville de Paris eft fimée au milieu d'une campagne de«
plus fertiles ôc des plus abondantes , ôc partagée prefqu'éga-
lement en deux parties par la Seine. Cette rivière qui prend
fa fource en Bourgogne , paffe par Troyes, reçoit l'Aube à
DE J. A, DE THOU. Liv.XLIL ^st
Pont, Ôc le Loin proche Moret , arrofe Melun ôc Corbeil , ôc .
reçoit à Confiant , au-deffous du Pont de Charenton , la Marne çp
appellée la petite nourrice de Paris , à caufe de la grande t y
quantité de vivres qu'elle y apporte. Au-delTous de Paris la ^'
Seine fait tant de tours ôc de détours , que jufqu'à PoifTy , où
à peine il y a fix lieues de chemin par terre , on en compte 2.6
par eau. Vous diriez que ce Fleuve a peine à quitter la capi-
tale du Royaume^ tant il ferpente , ôc coule doucement le long
des villages voifins , qu'il femble n'arrofer que pour y pren-
dre les vivres j dont une ville fi peuplée à befoin. L'Oyfe , qui
fe décharge dans la Seine à Confiant - Sainte - Honorine , eft
une autre mère nourrice de Paris. Cette rivière prend fa four-
ce dans le Tierache , paffe par la Fere ôc par Noyon : groffie
par la Velle , qui vient de Rheims , ôc par l'Aifne qui vient
de SoilTons , elle arrofe Compiegne, ôc tranfporte à Paris les
provifions ôc les vivres qu'elle ramafîe dans ces fertiles Provin-
ces. Le cours de la Seine eft fi doux , qu'on peut y faire re-
monter aifément les plus gros batteaux? ce qui fait que Paris
reçoit tout ce qui eft apporté dans la Seine parles rivières qui s'y
déchargent au-deflusôcau-deffous de Rouen, ôc que la naviga-
tion depuis Rouen jufqu'à Paris eftauffi facile que commode.
Ce font toutes ces commodités qui ont fait que Paris , ville
d'abord affez petite, s'eft tellement augmentée, qu'elle peut
être mife en parallèle avec les plus grandes villes du monde.
Mais fi on venoit à fermer tous ces pafTages, ôc à boucher les
entrées des vivres, il eft conftant que cette capitale tomberoit
aufli-tôt en défaillance ôc périroit , comme un grand corps
fort ôc robufte , dont on auroit coupé les veines. C'étoit une
entreprife hardie ôc difficile : c'eft néanmoins à quoi les Pro-
teftans fe déterminèrent fur le champ , perfuadés qu'en blo-
quant cette ville , avant qu'elle eût eu le tems de faire les pro-t
vifions néceiïaires pour fubfifter pendant le fiége , elle feroit
bien-tôt réduite à de grandes extrémités ; ôc qu'avant l'arrivée
des troupes du Roi , ils pourroient obtenir une paix avanta-
geufe,en dépit de ceux qu'ils appelloient les ennemis delà
tranquillité publique.
La Reine cependant travailloit à un accommodement. Elle
lenvoyaverslesConfédérezle Chancelier de l'Hôpital , Vieille-
Yyi;
5;^ HISTOIRE
Ville, & Jean de Morvilliers, trois hommes d'un grand poiéi
Charle ^ cl'une grande fagefle. Ils dirent aux Confédérez qu'il avoit
I X. P^'-^ ^^ -^^^ * comme à tout le monde , trèi> finguliec que des-
i K 6j, perfonnes ^à qui on n^avoit fait aucun tort , enflent pris les ar*
La reine nies dans le tems qu'on s'yattendoit le moins i que leurcon-
Mere travail- duite étoit d'un très-mauvais exemple : qu'ils avoient manqué
commode- ' à la fidélité & à robéiflance qu'ils dévoient à leur Souverain :
nieut. que les Princes étrangers n'auroient jamais fait ce qu'ils avoient
ofé faire, en prenant les armes, fans avoir auparavant déclaré
la guerre : ôc qu'ils avoient eu d'autant moins de raifon. d'en
ufer ainfi , qu'ils n'avoient pu faire cette démarche fans fe ren-^
dre coupables du crime de leze-majefté.
Le prince de Condé répondit, que ni lui , ni aucun de ceu)s
de fon parti, n*avoit jamais penfé à prendre les armes contre
le Roi , ou contre la patrie ; mais qu'ils avoient été forcés à^
fe préparer à une jufte & légitime défenfe, par l'extrême dan-^
ger où ils étoient expofez , ôc par la trifte néceffité de préve-
nir la ruine & la perte inévitable de leur parti : qu'ainfi il
fupplioit faMajefté de vouloir bien écouter favorablement les
trop juftes plaintes, qu'ils avoient renfermées dans leur requê-
te. En même-tems il la donna aux députez ,. pour la prefenter
au Roi. Les Confédérez dans ce mémoire tachoient de jufti-
fier leur conduite , d'en rejetter tome la faute fur Tambition'
de ceux qui avoient tant de fois empêché le Roi d'écouter
leurs remontrances , & de faire voir que ce n'avoit été qu'à
la dernière extrémité, & lors qu'ils n'avoicnt pu faire autre-
ment , qu'ils s'étoient déterminés à un remède (i violent ôc fi-
contraire à leurs inclinations ,. n'en ayant plus aucun autre
pour mettre à couvert leurs biens & leurs vies.
La fuite du mémoire étoit une forte inventive contre les-
Guifes , dont ils cenfliroient vivement Tefprit inquiet , re-
muant , brouillon ôc ambitieux, & à qui ils reprochoient, i**»,
D'avoir autrefois prétendu par droit d'hérédité au duché d'An-
jou & au comté de Provence. 2°. Après avoir été déboutés
de ces injuftes prétentions , de s'être uniquement appliqués à
brouiller le Royaume par de nouvelles entreprifes , d'avoiï
rempli par leurs menfonges , leurs artifices , ôcleurs calomnies,
J'efprit du Roi & de la Reine , de foupc^ons ôc de défiances
DE J. A. DE THOU , Liv. XLIL ^sf
contre les Pi-oreftans î & de leur avoir fait croire fauflement
qu'il avoient conjuré la perte de leurs Majeftés & duRoyau- Charlr
me. » On ne peut , ajoûtoient-ils / nous reprocher d'autre cri- Jx,
»' me , que de nous être oppofés à leurs projets ambitieux : j - ^ -^
•» c'eft eontr'eux feuJs , & non pas contre la majefté Royale ,
» que nous avons été forcés de prendre les armes j c'eft contra
» leurs injuftes violences que nous avons été contraints de re-»
»» courir à une défenfe jufte ôc autorifée par toutes les loix. Ils
•» l'ont néanmoins emporté dans l'efprit du Roi j ils ont abufé
• de fa trop grande confiance j & ils lui ont perfuadé par leurs
» pernicieux confeils , de lever des troupes dans les payis étraa-
»» gers , fous d'autres prétextes : voilà ce qui a mis dans la.
» trifte néceflité de prendre les armes , des hommes inno-
» censj, qui n'afpirent qu'au bonheur de vivre dans la fidélité ,
» dans Fobfervation des loix , ôc dans l'obéiflànce due à leur
» Souverain. «
Ils fupplioient enfuite très-humSIement & très-inftamment
leR:oi, de vouloir bien faire informer fur ce qui leur étoit ca-
lomnieufement imputé y de faire punir ceux qui feroient con-
vaincus d'en être les auteurs , fuivant l'énormité de la calom-
nie i & d'ordonner la peine du Talion contre ceux qui étant
coupables du crime de leze-majefté , par leurs fecrettes intri-
gues & leur commerce avec les princes étrangers, au grand;
préjudice de l'Etat j accuilbient de ce crime des perfonnes qui
s'étoient diftinguées par leur inviolable fidélité pour leur Prin-
ce , & par leur tendre amour pour la patrie. Ils difoient enco-
re que ks Proteftans n'ignoroient pas les confeils que le Car-
dinal avoir donnés à la Reine , à Marchez , ôc depuis peu à
Monceaux , d« faire arrêter le prince de Gondé, l'Amiral de
Coligny , d'Andelot , & d'autres Seigneurs : Que dans-
les conférences tenues à Rayonne avec le duc d'Albe j on.
avoit perfuadé à la Reine de leur faire la guerre : Que c'eft
ce qui les avoit obligés , n'ayant point d'autre voye pour fe ga-
rantir , de prendre les armes : Qu'ils éroient prêts de les met-
tre bas , aufli^tôt qu'on leur auroit donné toutes les fûretés
convenables , ôc qu'on auroit conclu une paix à des condi-
tions juftesôc raifonnahles.
Les envoyez delà Reine étant partis, avec le mémoire qu'on
Jeuc avoit donné, le prince de Gondé vint avec les Confédérée
Yyn; •
4j3 HISTOIRE
le fécond jour d'Odobre à Saint Denis , fitué à deux lieueà
Charle ^^ ^^^'^s > pour fermer le pafTage aux vivres de ce côté-là ;
ly comme il avoit été réfolu. Il rencontra en chemin Evrard de
- ç, >r* S. Sulpice avec des lettres de créance du Roi, pour lui don-î
ner, à lui &. à tous ceux de fon parti de la part de fa Majefté ,'
toute forte d'afîiirances 3 ôc lui faire tout efperer de fa bonté.
Il lui promit qu'elle leur envoyeroit dans peu des députez ;
& qu'elle donneroit les ordres néceffaires pour veiller Ôcpour-^
voir à leur fureté. Le lendemain le Chancelier de l'Hôpitah
Sebaftien de Laubefpine évêque de Limoges , ôc Saint Sulpi-
ce , vinrent trouver le prince de Condé. Après beaucoup de
difcours de part ôc d'autre fur les fâcheufes conjonctures où
l'on étoit j le Chancelier aflura le Prince , que l'intention da
Roi étoit de dillîper entièrement des deux cotez les foupçons
ôc les défiances, qui avoient donné lieu à ces nouveaux troubles;
d'établir dans tout le Royaume une paix folide, fondée fur l'é-»
quité ôc laraifon , ôc de donner pour cela un Edit portant abo-
lition ôc oubli de tout le paffé. On en fit la le£lure en préfen-
ce de tous les Confédérez. Le Prince ayant déclaré enfuite ,
que ni lui , ni ceux de fon parti , n'en étoient contens ,1e Chan-
celier le pria de vouloir bien leur dire ce qu'ils fouhaitoient
de plus de fa Majefté. La réponfe fut qu'ils s'expliqueroient
par écrit , ôc on fe fépara. Le Roi envoya dès le lendemain
Ligncrolles , pour recevoir de leurs mains la réponfe qu'ils
avoient promis dé faire , ôc l'apporter à fa Majefté.
Demandes j^j^ répoufc des Confédércz renfermoit ces demandes : Que
4tans. ' "^ " le Roi, pour difiiper toutes les défiances des Proteftans , ôc
pour convaincre le public qu'il ne confervoit dans fon cœur
aucun refte de relTentiment , congédiât au plutôt toutes les trou-
pes étrangères : Qu'il permît au prince de Condé, ôc aux Sei-
gneurs qui étoient avec lui , de fe rendre , après avoir mis les
armes bas , auprès de fa Majefté j ôc qu'il eut la bonté d'écou-
ter favorablement leurs plaintes : Qu'il punît févérement les
calomniateurs : Qu'il confirmât dans toute leur étendue , ôc
maintînt dans toute leur force les Edits donnez en faveur des
Proteftans , qui avoient été altérés , énervés , ôc prefqu'entie-
rement abolis par les interprétations ôc les déclarations pu-
bliées depuis; ôc qu'en donnant àfes fujets, la liberté decon-
fcieuce , il rendît la paix à fon Royaume : Que cette gracQ
DE X A. DE T HOU, Lrv. XLII. s^c,
Î)foduîroit en France d'auffi bons effets , Ôc une paix auïïi fo- ^
ide , que produifit en Allemagne la grâce que Charle-Quint ^ *
accorda à tous les membres de l'Empire , lorfqu'il eut vaincu txt-
6c réduit fous fa puifTance les chefs des Proteftans : Que le Roi ^' '
partageât également^ fans aucune diftin£lionde religion ^ les di- ^
gnitez , les honneurs ôc les magiftratures j & en revêtit tous ;
ceux qui s'en trouveroient dignes : Qu'il foûlageât i^QS peu- i
pies , en diminuant les impôts que les Italiens ôc ceux qui \
avoienttrop de crédit à la Cour, avoient fait excefîivement
augmenter, à leur profit ôc au grand préjudice de la Noblef- 1
fe : Enfin que pour rétablir la tranquillité publique par les i
moyens les plus propres , on tînt incefTamment, fui vaut l'an- ■
cien ufage , une aflemblce parfaitement libre des Etats du i
Royaume. i
Pignerolîes ayant apporté cet écrit à la Cour , la Reine ac- ^^ j^^; j^^ \
coûtumée à des dépenfes fans bornes , ôc à qui il falloit cha- f^it fommcr i
que jour de nouveaux impôts pour les foûtenir, en fut extrê- amièTbaV^*
mement picquée. Elle regarda comme une injure perfonnelle j
ce qui étoit dit des Italiens. Elle s'imagina que les Proteftans i
ne demandoient l'affemblée des Etats , que parce qu'ils étoient
las de fon adminiftration , qu'ils vouloient fécoùer le joug de \
fon gouvernement, fe mettre en liberté, ôc la refferrer elle- j
mcme dans des bornes qu'elle appréhendoit. Elle crut avoit '
trouvé l'occafion favorable de faire éclater toute la haine qu'el-
le avoir depuis long-tems conçue ; ôc s'abandonnant aux mou- ,
vemens de la plus vive colère , elle entreprit ( ce qui ne lui fut j
pas difficile , ) d'animer contre les Proteftans toute la Cour ^ ;
dont elle difpofoit à fon gré. Elle en vint à bout avec d'autant
moins de peine, que dans le même tems on rapporta au Roi, !
que les Confédérez avoient fait afficher à Montereau-Faut-
Yonne des placards au nom du prince de Condé , dans lefquels
ils declaroient qu'ils n'avoient pris les armes que pour obtenir
le foûlagement du peuple par la diminution des impôts in- ^
ventés nouvellement par les Italiens 5 qui comme des fanfuës ,
tiroient le fang du peuple , à la ruine de l'Etat , fans qu'il en re-
vînt aucun avantage à fa Majefté,ôcau grand préjudice delà I
Noblefle : enfin pour rétablir l'ancienne liberté, ôc pouraf- ~ ;
fermir la paix accordée par les Edita du Roi , contre les ef-
forts des féditieux.
iSCj,
5^0 HISTOIRE
■■ On cefTa donc de traiter avec les Confédérez , ôc lalflant
pT" TTT là les conférences & les négotiations , on ne fit aucune répon-
j y fe à leur écrit j mais on envoya le 7 d'Odobre un herault à
Saint Denis, avec des ordres du Roi , fignés par Claude de Lau*
befpinCj ôc Floiimond Robertel Secrétaires d'Erat, qui con-
tenoient en fubftance : Qu'il n'étoit permis à qui que ce fût ,
qu'au Roi , d'indiquer des aflemblées dans le Royaume , de
faire des levées d'hommes & d'argent , ôc d'afficher des pla-
cards : Que c'étoient des droits tellement attachez à la Royau-
té, qu'ils ne pouvoient être communiquez à aucun autre, de
quelque qualité ôc condition qu'il fût : Que c'étoient des loix
aufquelles tous dévoient fe foumettre 5 ôc principalement ceux
qui par les prérogatives de leur naiflance , ou par le devoir de
leurs charges , étoient obligez d'être plus intimement attachez
au Roi : Que néanmoins fa Majefté étoit informée que plufieurs
s'étoient aflembiez en armes à faint Denis , fans fes ordres, ayant
à leur tête le prince de Condé, les frères Coligni, Odet car-
dinal de Châtillon , Gafpard Amiral , ôc François d'Andelot,
François comte de la Rochefoucauld , François d'Hangefl de
Genlis, George de Glermont d' A mboife, François comte de
Sault , François Barbançon de Cany , Jacque de Boucard ;
Bayencour de Bouchavanes , Dailly de Pequigni , Jacque de
Brouillard comte de Montmorenci, Raguier d'Efiernay , Ga-
briel comte de Montmorenci, ôc Jean de Ferrieres Vidame
de Chartres : Que pour cela le Roi avoir mandé à un de fes
heraults > de leur faire commandement à tous , de quelque qua-^!
lité ou condition qu'ils fuffent , que puifqu'ils s'étoient aflem-
biez en armes fans fes ordres, ils euflent à les mettre bas, ôc
à fe prefenter inceflamment devant fa Majefté , pour lui ren-
dre , comme à leur légitime fouverain établi de Dieu au-def-
fus d'eux , i'obéïflance qu'ils lui dévoient , fuivantla loi de Dieu;
(înon qu'ils déclaraffent qu'ils approuvoient , ratifioient ôc con-
firmoient les aflemblées défendues , ôc la prife d'armes qu'ils
avoient faite , au grand préjudice du peuple , ôc au mépris de
l'autorité Royale i afin que fur cette déclaration fa Majefté prît
les réfolutions qui feroient convenables, t
La publication de cet ordre du Roi déconcerta un peu \q%
Seigneurs Confédérez. Le plus grand nombre fut d'avis qu'il
failoit adoucir ôc modérer leurs demandes, parce que fi leur
premier
Nouvelle rc
quête des
Proceâaas.
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLIL 5(^1
premier mémoire venoit à la connoiflance des Princes étran- __
^ers,il ne manqueroit pas de les indifpofer contre leur parti : Que p ^
fila guerre venoit à s'allumer, leur principale reflburce étoit t y
dans les troupes auxiliaires qu'ils efperoient de l'Allemagne; >.*
mais que Ci les Princes de l'Empire apprenoient , qu'il ne s'agif- ^
foit pas feulement de la Religion dans cette guerre , ôc qu'on
y attaquoit l'autorité Royale ôl le gouvernement civil , ils per-
droient beaucoup du zèle ôc de l'ardeur qu'ils avoient témoi-
gné jufqu'alors pour les fecourir : Qu'ils étoient affurez que Lan-
lac nommé parle Roi, pour aller vers les Princes d'Allemagne,
& empêcher les levées quife faifoient en faveur des Protellans,
€toit principalement chargé dans fes inftru£lions de leur faire
voir , qu'il ne s'agilToit plus dans cette guerre de foiitenir les
intérêts de la Religion, mais de borner l'autorité du Roi 5 ôc
que cette révolte pouvoit être d'une très-dangereufeconféquen-
ce , non feulement pour le Roi en particulier , mais générale-
ment pour tous les autres Souverains. On prit donc la réfolu-
tion de changer le mémoire des demandes , ôc on drefla une
nouvelle requête , dans laquelle on fupplioit très-humblement
là Majefté d'accorder à tous fes fujets , par tout ôc fans aucu-
ne diftindion de perfonnesni de lieux, une pleine ôc entière
liberté de Religion ôc de confcience , ôc de vouloir bien fu-
primer toutes les interpi;étations , que fa Majefté ou fes Parle-
mens avoient ajoutées aux édits. Ils s'excufoient d'avoir parlé
dans leur premier écrit du foulagement du peuple ôcderaflem-
blée des Etats : ils dirent qu'ils l'avoient fait avec une bonne
intention , non pour donner aucune atteinte à l'autorité Roya-
le , à laquelle ils avoient toujours été difpofez de rendre une
parfaite obéiflfance , ni pour prendre la liberté de borner fapuif-
fance j mais feulement pour donner à fa Majefté des preuves
de leur fidélité, en l'avertiflant , comme ils y étoient obligez,
ôc en le fuppliant très-humblement de regarder quelquefois un
peuple malheureux ôc défolé, avec cette bonté qui lui étoit na-
turelle, ôc d'arrêter le cours des calamitez publiques par tous les
moyens que fa prudence lui infpireroit. Enfin ils prioient ôc
conjuroient fa Majefté, de vouloir bien prendre en bonne part
une démarche prefcrite par le devoir, ôc par leur refpcdueux atta-
chement pour fa perfonne j de fermer les oreilles aux faufles Ôc
calomnieufes imputations de leurs ennemis , Ôc de ne pas
Tome V, Z z
5^2 HISTOIRE
^, oublier fa clémence ôc fa bonté, pour fuivre leurs impreffions'.
Char LE ^^ mémoire ayant été apporté à la Cour , fit un très-grand
j^ changement dans les efprits î ôc les perfonnes prudentes ne déf-
I - ^_ efpérerent plus qu'on ne pût enfin en venir à un accommo-
dement , puifque tout fe réduifoit à la caufe de la Religion.
auffi^înunie^ La Reine mère s'y oppofa d'abord : car voyant que la mort
quciesprécé- du duc de Guifc avoit diminué la puiflanced'uneMaifon , qui
avoit commencé à lui caufer des défiances par fon trop grand cré-
dit, & ë^^^^^ ^^^ les flatteries du cardinal de Lorraine, elle
paroiflbit toute occupée du foin de divifer par une guerre les
Montmorencis ôc les Colignis^ que la paix avoit réunis , ôc
dont la bonne intelligence lui étoit devenue fufpe£le. Mais le
Connétable l'emporta ; il fut réfolu de renouer les conférences,
ôc la Reine fut comme forcée de confentir que ce Seigneur
fût chargé de la négociation. Il vint donc à la Chapelle, entre
Paris ôc S. Denis , avec François de Montmorenci fon fils , ôc
avec Artu.s de Coflé de Gonnor , qui venoit d'être fait maréchal
de France j après la mort de Bourdillon. Ils étoient accom-
pagnez d'Armand Gontault de Biron, ôc de Claude de Laubef-
pine fecretaires d'Etat, Le Prince de Condé s'y rendit aufli-
tôt avec les frères Coligni , le Vidam e de Chartres , le comte
de Sault ôî: le fieur de Cani.
Les Proteftans ayant demandé avartt toutes chofes la tole-
lence de leur Religion, ôc la liberté de l'exercer dans tout le
Royaume, fans aucune diftindion de Heux ôc de perfonnes, le
Connétable, tout zélé qu'il étoit pour la paix ôc la tranquillité
publique, déclara hautement que le Roi n'y confentiroit ja-
mais : Que les édits faits en faveur des Proteftans n'étoientpas
pour toujours , ôc que le dernier fur-tout donné à Orléans , n'é-
toit que pour un tems : Que le deffein du Roi n'étoit pas de
tolérer deux Religions dans le Royaume î mais plutôt d'em-
ployer tous les moyens poflibles pou^r conferver ôc affermir
l'ancienne : Et que fa Majefté ainieroic mieux être en guerre
avec fes fujets, que de fe rendre fufped^ou odieux aux Prin-
ces fes voifins pour une telle caufe. Ainfi on fe jfépara de part
ôc d'autre fans rien conclure. Les conférences étanc âinfi rom-
pues , on perdit toute efpérance de paix , ôc on ne p.en.Ca plus
des deux cotez qu'à la guerre.
Alors du Bec de Bourry amena aux Proteftans huit enfei^^peç
'uerre.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLII. s'^S
du payis de Caux. Les capitaines Paris, Helie , Pré, & Ne- ■
gués levèrent quelques regimens , fuivant les ordres d'An- Chaule,
delot Colonel général de l'infanterie Françoife. Mafconis fit jy
un détachement de cent vingt hommes de la garnifon de Metz, /
aufquels fe joignirent trois cens hommes de Champagne, ôc tous
arrivèrent fans aucun accident à faint Denis. Peu de tems après p^-jr^" k^àiC-
Claude Antoine de Vienne de Clervant , Ambure , de Saint pofent à u
Chaumas commandant de la garnifon de Metz , à l'infcû de §^
Jacque de Monberon d'Auzance^ amenèrent à l'armée qui étoit
à Montereau , huit enfeignes d'infanterie , ôc quatre compagnies
de cavalerie , commandées par Duilly gendre de François de
Scepeaux maréchal de France. D'un autre côté le vidame de
Chartres, le comte de Montgommery , delà Noue, doritnous
aurons fouvent lieu de parler dans la fuite , Nicolas de Cham-
pagne comte de laSufe, Charlede Beaumanoir deLavardin,
& d'autres levaient de la cavalerie ôc de l'infanterie dans l'An-
jou, dans la Bretagne, dans la baffe Normandie^ dans le Per-
che , dans le payis Chartrain , ôc dans la BeaulTe.Tous s'aflem-
blerent au commencement d'Odobre à Thoury , au nombre
de mille chevaux, oii environ, Ôc de trois mille hommes de
pié.
Janville ouvrit fes portes au vidame de Chartres , qui l'a-
voit fommée de fe rendre. Enfuite on partagea l'armée j Mont-
gommery commandoitl'avant-garde, ôc le Vidame l'arriere-
garde. La ville d'Etampes ayant refufé de fe rendre lorfqu'elle
fut fommée, le capitaine Saint Jean, frère de Montgommery,
la prit par efcalade. Auffi-tôt le château fe rendit. Le vain-
queur y mit garnifon , pour être maître de toute la campagne
des environs , plus abondante en vivres qu'aucune autre. D'E-
tampes on alla àDourdan : Jean de l'Hôpital comte de Choify,
qui en étoit commandant , la rendit au Vidame j ôc gagné par
ce Seigneur , qui le prefenta au prince de Condé , il s'attacha
au parti Protellant.
Comme les ponts, les partages, ôcles ports des environs de
Paris étoient occupez par les troupes du Roi , les Confédé-
rez en vinrent aux mains avec celles qui étoient à faint Cloud.
Ils paflerent enfuite la Seine fur des batteaux qu'ils avoient
préparez pour cela, le 2^ d'Ottobre. Les troupes qui gar-
doient cette petite place fous les ordres de Guicour , l'ayant
Zz ij
3^4 HISTOIRE
^__ _ abandonnée, ôc s'étant retirées dans une tour à l'entrée du pont,
CharijË S^'^^^^ eurent le tems de fortifier d'un bon foffé ; les troupes
TV des Proteftans qui avoient pafle la rivière , arrivèrent fans ac-
J cident à faint Ouën , où l'amiral de Coligni les attendoit. Alors
tout ce qu'il y avoit de troupes dans l'armée du prince de Con-
dé montoit à deux mille hommes de cavalerie, ôc quatre mille
d'infanterie , ôc il y en arrivoit encore tous les jours. Les Con-
fédérez tinrent là un grand Confeil i Ôc pour pouvoire dire qu'ils
n'avoient rien omis de tout ce qui dépendoit d'eux , afin de par-
venir à un accommodement 3 ils réfolurent avant tout d'en-
voyer Teligny pour traiter avec la Reine mère.
On diftribua enfuite l'armée. Une partie demeura à faint De-
nis avec le Prince de Condé , les Vidâmes de Chartres ôc d'A-
miens , François Barbançon de Cany , François comte de Sault^
Nicolas de Champagne comte de la Sufe , ôc autres capitai-
nes. Une partie s'avança à faint Ouën , village fur la Seine ,
qui eft fur la droite en allant à Paris , avec l'amiral de CoU-
gny, d'Andelot fon frère, Clermont d'Amboife ôc de Renty*
François d'Angeft de Genlis, Nicolas (du Bec de Vardes, Ôc
d'autres prirent leurs logemens à la gauche au village d'Auber-
villiers. Par cette diftribution de quartiers , les deux villages
etoient comme les deux ailes de l'armée des Proteftans , ôc
faint Denis étoit comme le centre où étoit le corps de bataille^
On envoya plus loin Montgommery pour occuper le Bour-
get, qui eft fur le chemin de Senhs ôc de Clermont. Tous les
chemins pour faire entrer des vivres dans Paris par terre ayant
été fermez, Clermont d'Amboife fut commandé pour mener
fa troupe à Charenton, village fur la Marne, qui a un pont
fortifié d'une tour y au-defifus de Confiant. Celui qui comman*
doit dans la Tour , attendit à peine l'ennemi pour fe rendre,
ôc il eut pour cela quelque tems après la tête tranchée à Paris,
Clermont abandonna enfuite Charenton , parce que Lagny,
qui eft au-deffus ôc fitué auffi fur la Marne , étant gardé par les
Proteftans , l'entrée des vivres par cette rivière étoit entière-
ment fermée. Dans le même tems d'Andelot partit pour Poif-
fy , avec cinq cens chevaux ôc un détachement d'infanterie. On
envoya devant Montgommery pour s'emparer de Pontoifè ^
afin que les ponts qui (ont furl'Oife ôc fur la Seine, étant oc-
cupez parles Proteftans, Paris fe trouvât réduit à une extrême
DE J. A. DE THOU, Liv. XLII. 5^5
nécefTité : mais cette entreprife fut inutile , ôc même préjudi- — '
ciableaux Confédérez, car Montgommery trouva que la pla- Char le
ce avoit une trop forte garnifon pour pouvoir être forcée en I X.
peu de tems. Philippe Strozzi , fils de Pierre Strozzi maréchal i 5 (^ 7.
de France , tué à Thionville ,y avoit laiffé en paflantune partie
du régiment de Picardie , qu'il commandoit , ôc il étoit venu
avec le refte à Paris par un chemin différent de celui que les
Proteftans avoient crû qu'il prendroit. Pendant que d'Andelot
s'arrêtoit à Poiffy , les troupes du Roi lui fermèrent le paffage,
ôc il ne put rejoindre affez tôt Parmée des Confédérez , pour
fe trouver à la bataille qui fut donnée.
Déjà un grand nombre de troupes étoient venues de tou-
tes parts fe rendre auprès du Roi. La charge de Colonel gé-
néral de l'infanterie , que d'Andelot poffedoit, fut partagée en
deux charges. Le Roi donna l'une à Strozzi , ôc l'autre à Ti-
moleon de ColTé fils du maréchal de Briffac , jeune homme
d'un très-grand courage. Les compagnies ordinaires de la ca-
valerie Françoife j qui font la principale force du Royaume,
étoient aufîi venues en grand nombre. Outre le domaine da
Roi , & les tributs immenfes que paye le Royaume , Charle
VIL dont le règne avoit été agité de plufieurs guerres civiles,
faifant réflexion qu'une grande puiffance ne peut fubfifter long-
tems fans effuyer bien des troubles , inventa avec beaucoup
de prudence une impofition particulière , qui fufiifoit pour
l'entretien de cinquante mille hommes de pié , ôc une au-
tre qui étoit deftinée pour la fubfiftance de la cavalerie or-
dinaire. C'eft ainfi que nos Rois , au milieu des guerres les
plus confidérables qu'ils ont eues avec nos voifins , ont long>-
tems confervé leurs armées dans une difcipline , qui leur fai-
foit honneur, ôc qui n'étoit point à charge au peuple. Mais le
grand nombre de guerres civiles, ôc la fordide avarice de ceux
qui ont été en faveur auprès de nos Rois beaucoup plus qu'ils
ne le méritoient^ ayant épuifé les finances, ces anciens im-
pôts ont été confondus avec les autres : d'où il eft arrivé que
la difcipline s'eft énervée ; que les mœurs fe font corrompues 5
que les troupes fe font trouvées dans le befoin i que les peu-
ples ont été furchargez de nouvelles impolitions i ôc que le fol-
dat,qui n^étoit pas payé, s'eft licentié, jufqu'à faire descourfes..
ôc à tourmenter les peuples par fes vols, ôc par Tes brigandages
Zz iij.
B6S histoire
jiiiiMii— —■ Cependant Tanaquil du Bouchet de Puy-Greffier raiïemblôit
Ch ARLE ^^^ troupes Proteftantes dans toute la Guyenne : il leur avoit
I X. donné rendez-vous à un jour marquera Gonflant en Angoumois,
j ç. ^ _ & on avoit nommé François de la Rochefoucault,avec Artus de
_^. ^ Vauldray de Moûy , pour les recevoir & les amener. On avoit
ces de part & en même tems envoyé la Noue, officier aufl] recommandable
d'autre. par fon exa£te probité , que par fes vertus militaires, à Orléans,
dont la plupart des habitans étoient attachez au parti du prin-
ce de Condé , avec ordre de s'en rendre maître,mais moins par
la force , qu'on n'avoir pas le tems d'employer , que par la rufe
Ôc l'artifice ; ce qu'il exécuta avec autant d'habileté que de bon-
heur. Ce capitaine arriva à Orléans avec peu de foldats ; les
habitans qui étoient d'intelligence, l'aidèrent à y entrer & à s'en
rendre le maître , fans faire de mal à qui que ce fût. Ceux qui
lui étoient contraires fe retirèrent dans la porte Bannier, qui ,
eft comme une efpece de château qui domine fur la ville, &
qui étoit défendue par une garnifon fous les ordres du capitai-
ne Caban. La Noue , également a6lif ôc brave , l'ayant aufri-tôt
attaqué. Caban fit faire plufieurs décharges de fon canon con-
tre les maifons de la ville qui étoient vis-à-vis la porte. Mais
voyant que l'ennemi avoit poulTé la tranchée bien près de la
porte, Ôc qu'il étoit deftitué de tour fecours, il fe rendit. C'eft
ainfî que la Noue fe mit en pleine pofTefïîon d'Orléans , qui
fut un entrepôt également commode ôc fur pour les trou-
pes qui venoient de Guienne , afin de joindre le prince de
Condé.
D'un autre côté ce Prince envoya du Bec de Bourry pour
s'emparer d' Argenteûil , place fituée au bord de la Seine au-
deffous de faint Denis j elle n'avoit que de foibles murs , & étoit
prefque fans foflez. Bourry ayant tout préparé pendant la nuit,
s'approcha au point du jour, dans le tems qu'on changeoit les
gardes, ôc s'en rendit maître fans aucune peine. Affez près
d'Argenteùil , de l'autre côté de la Seine , eft le château de
Buzenval ^ qui appartient aux Chouarts. Le concierge , en l'ab-
fence de fon maître qui étoit à Paris , vint trouver le prince de
Condé, après la prife d'Argenteùil , pour lui demander une fau-
ve-garde. Le Prince lui accorda avec beaucoup de bonté ce
qu'il lui demandoit. Mais comme le lieu étoit très-avantageu-
fement fitué , il crut devoir profiter de l'occafion favorable
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLII. 5^7
qui fe prefentoit de s'en emparer. Non feulement il accorda »
au Concierge des lettres de fauve-garde , mais il lui donna quel- C H a R L E
ques Gentilshommes pour le défendre, difant que les lettres n'é- j ^^
toient pas d'une grande utilité , à moins qu'il n'y eût quelqu'un 1^67,
pour les appuyer j ôc les faire exécuter. Ces Gentilshommes
après avoir vifité les lieux , jugèrent que ce pofte étoit très-
avantageux pour faire des courfes ; ôc ne fe contentant pas de
Je garder , ils demandèrent au Prince une garnifon de cinquante
foldats, avec lefquels ils ravagèrent le payis , ôc rendirent im-
praticables les chemins d'Anjou, du Maine, du Perche, du
payis Chartrain, ôc celui de la Normandie même, par où l'on
portoit bien des vivres à Paris. Car ils fermèrent le chemin de
Normandie par le pont de Neuilly, avec des pontons ôc des
bateaux qu'ils firent venir de faint Ouen. Ayant pris Buzenval,
ils avancèrent, ôc prirent faint Porcien, maifon des Celeftins
près Paris , qui n'eft pas éloignée de Verfailles. Delà ils s'avan-
cèrent vers Trappe î ôc comme il reftoit à ceux qui condui-
foient des beftiaux à Paris un pafTage pour arriver du payis Char-
train ôc de Normandie , ils fe rendirent maîtres de Dampierre
dans le duché de Chevreufe , qui étoit la maifon de plaifan-
ce du cardinal de Lorraine. C'eft ainfi qu'ils invertirent Paris,
qu'ils fermèrent tous les paflages des vivres , ôc que par leurs
courfes ils empêchèrent que rien ne pût entrer dans cette ville.
Les provifions commen(^ant à y manquer, le peuple fe mit
à murmurer, ôc fi le Roi n'avoir pas été dans la ville, il fe fe-
roit porté à la fédition. On commença à charger le Conné-
table de reproches ôc d'injures : fes ennemis le décrioient fous
main, ôc animoient le peuple à crier hautement contre lui, à
caufe de fon alliance avec les Cohgnis. Il fut arrêté qu'on re-
prendroittous les portes , dont les Confédérez s'étoient empa-
rez , ôc par lefquels ils tenoient Paris bloqué. Les chefs de l'ar-
mée Royale réfolurent de commencer par rompre tous les pon-
tons, que les ennemis avoient conftruits , afin d'empêcher la
communication ôc le pafi^age des fecours que le prince de Con-
dé voudroit envoyer à tous les lieux des environs, dont ils'é-
toit emparé ; Ôc voici comment on s'y prit.
On fit conrtruire un longbateau, tel qu'on en voit fouvent
fur la Seine, ôc on le couvrit de planches de trois pouces d'é-
paiffeur , pour mettre les foldats à l'abri des coups d'arquebufes.
S6B HISTOIRE
f > '" — ■'"' ""^ On mit dedans un détachement de cinquante foldats , 6c plu-
C H A RL E ^^^^^^^ charpentiers avec un grand nombre de haches ôc de tar-
1^^ rieres. Ils partirent le 4 de Novembre pendant la nuit: étant
1^57. arrivez, ils trouvèrent peu de gardes, à demi endormis. Ainli
ils n'eurent pas beaucoup de peme à fe rendre maîtres des pon-
tons , qu'ils amenèrent de l'autre côté de la rivière. Les ouvriers
defcendirent fur le champ , les percèrent d'une infinité de trous,
éc les firent couler à fond. Après quoi ils remontèrent la ri-
vière à force de rames , ôc revinrent à Paris fans aucun acci-
dent, ayant ôté aux ennemis le fecours qu'ils tiroient de ces
pontons. Alors les chefs de l'armée Royale , aflurez que le
prince de Condé ne pouvoir plus envoyer de fecours , com-
mandèrent un détachement pour reprendre Buzenval,OLiBre-
chinville venoit depuis peu d'être mis , à la place d'Amanzay
lieutenant d'Andelot, qui y commandoit auparavant. Les prin-
cipaux officiels du détachement étoient Eleonor d'Orléans duc
de Longuevule, Guillaume de Montmorenci de Thoré, Ti-
moleon de CofTé comte de Briffac, Jean Bloflet de Torcy,
qui commandoient quinze cens cavaliers bien équipez, ôc trois
mille hommes de pié. C'étoit plus de monde qu'il n'enfalloit
pour l'expédition qu'on vouloit faire : mais il n'y en auroit
pas eu trop, fi d'Andelot, qui étoit à PoiiTy, avoit pu y venir
affez tôt. Claude de Lorraine duc d'Aumale commandoit cet-
te petite armée. Etant arrivé devant le château i il fit fommer
Brechinville de fe rendre 5 fur fon refus il fit approcher le ca-
non. Après environ une centaine de coups, Brechinville n'ayant
aucune efperance de fecours, confeilla à fa garnifon de capi-
tuler. Ayant obtenu vies ôc bagues fauves , il rendit la place
au duc d'Aumale , ôc on le conduifit avec les fiens à S. Ouën.
On reprit aufll-tôt faint Porcien ôc Dampierre , Ôc on rouvrit
tous les chemins , pour faire librement ôc fûrement palfer les
vivres.
l^^îainelî"^ Le peuple de Paris ne cefTapas pour cela de murmurer: il
.faia: jpcfiis. difoit que ce n'étoit pas affez de remettre l'abondance dans
la ville , fi on ne chafi!bit entièrement l'ennemi , qui faifoit tous
les jours des courfes jufqu'aux portes de Paris. Ces plaintes ôc
ces murmures tomboient fur le Connétable. La haute pruden-
ce de ce grand homme lui fit d'abord méprifer tous ces repror
ches , ne croyant pas qu'il dût préférer (a réputation ôc là gloire
DE J. A. DE THOU , Lîy. XLII. 36^
à laconfervation 6c au bien de l'Etat. Mais enfin ou déterminé ■
parToccafion qui feprefentoit, ou ne pouvant plus fuporterles C h arl E
reproches injurieux dont on Taccabloit ^ voyant d'ailleurs que j X.
les troupes arrivant de tous cotez , il y avoit de quoi for- i ^ Ci,
•nier une armée afTez cônfidérable , il jugea qu'on pouvoit
Tenter quelque entreprife : car Pierre de Lomagne de Terri-
de , 6c Louis de Laftic grand Prieur d'Auvergneavoient quel- •
que tems auparavant amené au Roi des troupes de la Guyenne
éc du Languedoc j 6c l'armée Royale avoit déjà avancé fes
portes jufqu'à la Chapelle, qui eft à la moitié du chemin de
Paris à faim Denis. Celle du prince de Condé les avoit aulïi
avancez jufqu'à un lieu appelle le Landit , allez près de la Cha-
pelle , enforte qu'il y avoit tous les jours entre deux armées
Il voifines quelques légères efcarmouches. Enfin le Connéta-
ble crut qu'il falloit profiter de l'abfence de d'Andelot , 6c me-
ner fon armée contre les ennemis , non dans le deffein d'en
venir à une a£lion générale 6c décifive, (car il ne penfoitpas
que le prince de Condé ofât la rifquer, ) mais au moins pour
les chafler avec perte des villages de S.Ouën 6c d Aubervilliers ,
6c forcer même le Prince à abandonnera ville de S.Denis.
Avant que d'exécuter ce projet , la veille du jour de la ba-
taille , le Connétable détacha cinq cens cavaliers choifis , qui
s'étant avancez jufqu'au camp des ennemis , les forcèrent de
demeurer fous les armes tout le jour 6c toute la nuit , 6c les fa-
tiguèrent fans cefle par de légères efcarmouches , ou Dam-
pierre , Enfeigne de la compagnie d'Andelot , fut tué. Le Con-
nétable ayant appris , par le rapport de ces cavaliers, le nombre
ôc les forces des ennemis , prit le lendemain congé du Roi , lui
donna de grandes efpérances d'un heureux fuccès , 6c fit mar-
cher toute l'armée. En fortant de Paris : « Ce jour , dit- il, me
« juftifiera 6c contre les reproches de mes ennemis , 6c contre
« la haine du peuple; car ou il me verra en vie 6c triomphant,
« ou il pleurera ma mort, lorfque j'aurai défait les ennemis , 6c
r> porté la confternation dans leur parti. « Ces paroles furent
comme un préfage de ce qui devoir lui arriver.
Les Confédérez tinrent Confeil fur ce qu'ils avoient à faire.
Les uns étoient d'avis d'abandonner S. Ouen 6c Aubervilliers,
qu'il ne leur paroiffoitpas poiïible de conferver, fans s'cxpofer
à un trop grand danger j de renfermer toutes les troupes dans
Tome /^. A a a
370 HISTOIRE
^^^^^^^^^^^^^^ S. Denis, & d'y relier jufqu'à ce que toutes celles qui étoicnt
~ ' difperfées fufTent réunies. Les autres avoùoient qu'il y avoit
rt/"^^ du danger à garder ces deux villages : mais ils foûrenoient
qu'en les abandonnant, ils perdoient une réputation ^ qu'il
^ S ^7' eft il important de s'affurer^ fur-tout au commencement de la
guerre. Ils penfoient donc que le parti le plus fage étoit , que
les tïoupes qui occupoient ces villages fe miiTent en bataille,
fe fiiïent voir aux ennemis dans la difpoiition de combattre,
& qu'après cela elles fe retiraflent peu à peu pourfe réunir aux
autres. Le prince deCondé difoitau contraire, qu'il nes'agif-
foit pas feulement de l'honneur & delà réputation, mais qu'il
y avoit un très-grand danger à abandonner ces deux villages^
parce que les ennemis, enflez de ce fuccès, ne manqueroient
pas d'inveftir toute l'armée , qui fe feroit enfermée dans faint
Denis j que les Proteftans , d'agrefleurs qu'ils étoicnt , fe trou-
veroient attaquez , Ôc ferrez très étroitement ; que tandis qu'ils
perdroient courage en fe voyant aiïiégez , les ennemis d'un
autre côté s'animeroient, Ôc deviendroient plus hardis ôc plus
entreprenans : que d'ailleurs il leur laifToit à penfer quel parti
prendroient les troupes auxiliaires Allemandes , qui étoient dé-
jà fous les armes, & qu'on attendoit au premier jour, lorf-
qu'elles apprendroient une fitrifte nouvelle : Qu'ils étoient trop
éclairez pour ignorer que tout le monde abandonne volontiers
le parti des affligez ôc des malheureux i & que les hommes fe
tournent ordinairement du côté que la Fortune femble favo-
rifer : Qu'il n'y avoit pas moins de rifque à fuivre l'avis quipa-
roiffoit tenir le milieu 5 parce que fi après avoir une fois paru en
bataille , les troupes fe retiroient à la vue de l'ennemi , elles s'ex-
pofoient manifeftemeutà une perte irréparable. Car, ajoûta-t-il,
c'eftun principe reçu de toutes les perfonnes habiles ôc expéri-
mentées dans le métier de la guerre, que quand deux armées font
en préfence , celle qui fe retire la première, cède toujours la
vi£loire à l'autre. Le Prince conclut , que puifqu'il étoit honteux
d'abandonner des poftes qu'on avoit pris, ôc très-dangereux
de fe retirer à la vue des ennemis, il ne reftoit plus qu'un parti
à prendre , qui étoit , puifqu'on fe trouvoit dans la nécefîité de
combattre , de délibérer fur la manière de le faire avec avan-
tage : Qu'il ne falloir pas défefperer du fuccès i que plus les en-
nemis étoient fuperieurs en nombre, plus ils fe négligeroienti
D E J. A. D E T H O U , Liv. XLIL 371
ôc comme ils ne s'imaginoient pas que les Confédérez vouluf- ,,„.„.,..,^
fent en venir aux mains , il fe pourroit bien faire que les voyant ^
accepter le combat , la furprife pourroit répandre la terreur par- , ^
mi leurs troupes, ôc caufer leur défaite : Que fi la chofe tournoit
autrement , il falloir prendre de fi bonnes mefures, que l'on pût ^ ' *
combattre fans perdre beaucoup de monde : Que bien des rai-
fons pouvoient faire efperer que cela feroit ainfi ; parce qu'ils
étoient dans une faifon où les jours font nébuleux ôc courts ; que
des troupes, difperfées ça ôc là dans une fi grande ville, ne pour-
roient enfortir que tard : qu'on ne fort pas d'une villeoiil'on vit
dans le luxe Ôc la moicfle , pour venir au combat , comme d'un
camp oui l'on garde une exa£le difcipline:qu'on ne peut pas non
plus difpoferfi aifément ôc faire marcher fi vite l'artillerie : qu'en-
fin ils avoient affaire à un Général très-prudent 6c très-vieux ,
qui voyant l'ennemi préparé à le bien recevoir , contre fon
attente , prendroit des mefures pour ne rien entreprendre té-
mérairement, & pourrifquer le moins qu'il pourroit : que par
conféquent on n'en viendroit aux mains que fur le foir , & qu'il
arriveroit , comme on fa prefque toujours vu, que le courage
& la valeur, que le petit nombre feroit paroîrre au commence-
ment du combat , les égaleroit pendant quelque tems au plus
grand nombres & que quand l'armée la plus nombreufecom-
menceroit à prendre le deflus , la nuit termineroit le combat,
& donneroit lieu de faire une retraite affurée ôc honorable :
que les ténèbres envelopperoient également la vi£loire des uns
ôc la défaite des autres : qu'ainfi les Confédérez conferveroient
leur réputation auprès des étrangers i qu'ils éviteroientles dai>
gers d'un fiége ruineux , ôc qu'ils préviendroient, avec autant
de fageffe que d'honneur , une perte qui paroiffoit inévitable.
Cet avis du prince de Condé l'emporta: les Seigneurs Protef-
tans y applaudirent , ôc tous fe difpoferent au combat,
Iln'y avoit dans l'armée Proteftante que quinze cens cava-
liers au plus, fous dix-huit étendards de Gentilshommes, équi-
pez ôc armez à la hâte, ôc par conféquent aflez mal , ôc douze
cens hommes de pié , fans enfeignes, ôc levez indifféremment
de tous les cotez. L'armée du Roi au contraire étoit compo-
fée de quatre-vingts enfeignes, qui faifoient feize mille hommes
de pié; de vieilles troupes, de Suiffes, ôc de nouvelles levées,
de trois mille chevaux des anciennes compagnies du Royaume,
bien équipez ôc bievi armez. A a a ij
57^ HISTOIRE
■ Entre Paris ôc S. Denis efl: une vafte plaine partage'eparuii
C HA RLE chemin pavé, qui eft entre S. Oùen fur le bord de la Seine à
IX. gauche, & Aubervilliers qui efl: à droite. Le Connétable
1 ç 61. <iyâ"t fait marcher foii infanterie ^ laifTa une bonne garnifon
à la Chapelle 5 puis s'étant avancé vers la Villettc, il mitfon
armée en bataille dans la plaine. Il plaça les Suiffes à la droite
& mit à leurs cotez un bon nombre d'arquebullers François,,
pour garder quatorze pièces de canon braquées contre Au-
bervilliers. Pour lui il fe mit à la gauche des Suiffes, avec un
corps de cavalerie , ôc il fe couvrit d'un grand nonibre de
cavaliers , commandez par François de Montmorenci fon fils
aîné. A la gauche de Montmorenci , étoient les efcadrons de
cavalerie , compofez des compagnies de Jacque de Savoye
duc de Nemours , d'Eleonor d'Orléans duc de Longueville ,
de François le Roi de Chavigny , de Guillaume de Thoré-
Montmorenci , de Louis de S. Gelais de Lanfac , du duc de
Retz, ôc autres ; ôc ils étoient couverts par des compagnies d'ar-
quebufiers.Au-deffous , du côté de la Chapelle , éroit l'infante-
rie , dont les armes dorées ôc luifantes formoient un beau fpe-
6table, Les regimens de Strozzi ôc de Briffac couvroient le
côté droit des Suiffes , ôc au-deffus d'eux vers Aubervilliers ^
étoient quelques efcadrons de cavalerie , commandés par Artus
de Coffé maréchal de France, Armand Gontault de Biron ma-
réchal de Camp, Euftache de Confiant vicomte d'Auxy, Har-
doùin de Villiers , ôc autres. Claude de Ijorraine duc d'Au-
male , Ôc Henri de Montmorenci duc de Damvilie étoient
reftésun peu au-deffous delà Vilette, couverts de deux efca-
drons de cavalerie , pour venir en cas de befoin au fecours
des Suiffes ôc de l'infanterie Françoife.
Rîtaille de Le prince de Condé divifa en trois corps fon armée , qui
S. Ucms. avoir été jufqu'alors logée dans trois lieux differens. Le pre-
mier commandé par l'AmiraJ de Coligny, avec George de
Clermont d' Amboife marquis de Galerande , fes fils , Ranty
ôc autres , étoit au-deffous de S. Ouën, avec lix compaf^nies
de cavalerie , ôc 400 moufquetaires à cheval, fous les ordres
de Dominique de Provanes Valfenieres , pour couvrir le vil-
lage ôc faire tête à ceux qui couvroient le Connétable. Fran-
çois d'Hangeft de Genlisôc Charle de Beaumanoir deLavar^
din , avec du Bec de Vaxdes , Breffauk de Peffancour , fix
DE J. A. DE THO U, Liv. XLII. 375
compagnies de cavalerie , ôc environ 400 hommes de pie mâsajoesm*/^
fuivoient par derrière & formoient une autre aile , pour foûte- q ^ ^ j^ r. ^
nir l'attaque. Ils s'étendoient vers Aubervilliers, où ilparoii- j y^^
foit que devoir être le fort du combat , vis-à-vis les troupes ^ - ^5 -7.
de Biron. Ils rirent un retranchement depuis Aubervilliersuf-
qu'à un moulin à vent, entre ce village ôc celui de la Vileite,
tournant un peu à droite , ôc ils mirent dans ce moulin un dé-
tachement d'arquebufiers. Le prince de Condé étoit au mi-
lieu dans le corps de bataille , où étoient aufli Odet cardinal
de Châtillon , de Poix de Séchelles , lieutenant de Henri duc
d'Anghien rils du prince de Condé , François de Barbançon
de Cany , Jean de Ferrieres Vidame de Chartres , & Charlo
d'Ailly de Pecquigny Vidame d'Amiens, le rils de Pecquigny ,
les comtes de Sault ôc de la Sufe , Jean Raguier d'Efternays
ôc Bouchavane , avec fix compagnies de cavalerie ôc 400
arqueburiers. Robert Stuart , avec les Ecoiïbis, s'étendoit vis-
à-vis de S. Denis jufqu'à la Chapelle du Landir.
Les deux armées étant ainri rangées en bataille , le combat
commença par une décharge des canons de l'armée du Roi ',
car les Confédérezn'en avoient aucun. Après trois ou quatre
décharges , qui ne rirent pas beaucoup de mal , ôc quelques
légères efcarmouches entre les coureurs, Genlis, qui craignoit
que tout l'effort de l'armée du Roi ne tombât de fon côté ,
fe prépara , fuivant les ordres qu'il avoit reçus du Prince , à don-
ner fur les troupes qui étoient vis-à-vis. De Vardes ne pou-
vant, plus fupporter les volées de canon, avoit déjà pris les de-
vants, ôc pour dérober fa troupe à un ri grand feu , il couroit à
Tennemi. Genlis qui le fuivoit , attaqua deux fois. Le nombre
dès troupes du Roi augmentant fans ceffe , le combat devint
très meurtrier , ôc il fut obligé de fe retirer 5 mais fa retraite
favorifée par le feu des arqueburiers, qnigardoient le retran-
chement dont nous avons parlé , caufa beaucoup de perte aux-
ennemis. L'amiral de Coligny fuivit Genlis ôc de Vardes ,
après en avoir donné avis au Prince , ôc s'avançant pour fe-
courir Genlis , ôc le tirer du danger où fa troupe beaucoup
inférieure en nombre étoit expoféeril attaqua fi vivement les
toupes qu'il rencontra, qu'il culbuta ks premiers rangs fur
ceux qui étoient derrière, ôc qu'il mit en fuite le régiment de
Paris. Le Prmce de Condé fuivit auHi.-tôt l'Amiral, ôc il
A a a n'i
574- HISTOIRE
courut avec tant d'ardeui* , que les moufquetaires j qui étoicnç
à fes côtés , ne purent l'atteindre aflez tôt. Le maréchal de
JVIontmorenci combattoit au-devant de Ton père. Le prince
de Condé,qui ne fongeoit qu'à joindre l'Amiral , ôc à atta-
^ quer le Connétable , fit inutilement tous fes efforts pour éviter
la rencontre du Maréchal. Celui-ci attendit le Prince & foû-
tint fon attaque avec tant de fermeté , qu'il l'obligea à parta-
ger fa troupe , à en abandonner une partie , ôc à s'éloigner
avec l'autre. Alors l'affaire parut avoir deux faces toutes diffé-
rentes. Tandis queJe fils vitlorieux tailloit en pièces tous les
Confédérez , le père repouffé par Coligny , fe vit attaqué fi
vivement par le Prince , par le cardinal de Châtillon , par le
vidame de Chartres , ôc par d'autres chefs , qu'il fut miférable-
ment abandonné par fes troupes, qui fe débandèrent 6c pri-
rent honteufement la fuite ; enforte que l'armée du Roi fe
trouvoit en méme-tems ôc vi£lorieufe Ôc vaincue.
Le Connê- Anne de Montmorencij ce vieillard rcfpeclable , quiavoic
table eftbieiré blanchi à la p'Jcrre, après avoir remph dans un âge ii avan-
' ce tous les devoirs non - feulement d'un Connétable , mais
d'un fimple foldat , éprouva alors le fort de la guerre , ôc fut
bleffé au vifage. Environné de toutes parts , ôc preffé par Ro-
bert Stuart de fe rendre , il lui donna un fi grand coup de la
garde de fon épée fur la jouë , qu'il lui fit fauter trois dents.
Irrité par la douleur que lui caufa ce coup , Stuart lui-même ,
ou quelqu'autre, lui tira un coup de piftolct par derrières ôc
comme fa cuiraffe n'étoit pas afîés forte , il fut percé Ôc bleffé
mortellement. Cependant le maréchal de Coffé avertit les ducs
d'Aumale ôc de Damville de doubler le pas •■> ce qu'ils firent
fi à propos i qu'ils rallièrent les troupes qui avoient plié , ôc^fes
ramenèrent au combat. Chavigny ayant attaqué Clermont ,
le bleffa dangereufement, ôc culbuta fa troupe.
Enfin après un combat très-fanglant ôc très-opiniâtré de trois
quarts d'heure , les troupes du Roi accoururent vers le Con-
nétable , bleffé à mort , ôc lâchement abandonné. Pour les
Confédérez , ils fe raffemblerent auprès du prince de Condé,
qui avoir eu un cheval tué fous lui d'un coup de lance , ôc
la nuit qui s'approchoit termina le combat. Les moufque-
taires ôc les arquebufiers y eurent peu départ , ôc ne purent fe
battre que foiblement ôc de loin ; mais la cavalerie fervit
DEJ. A. DE TROU, Liv.XLII. 57;
beaucoup , Ôc fit paroître une très - grande valeur.
Le prince cie Condé ayant monté un autre cheval, remit Char] E \
fon armée en bataille , & fe retira en très-bon ordre à Saint ] X. !
Denis. François de Montmorenci , dont les vertus militaires 1 5 67. 1
parurent avec éclat dans cette journée , la pourfuivit avec quel- ^ 1
ques-uns des Tiens. On emporta le Connétable à demi mort |
de fîx bleflures , & l'armée royale rentra dans Paris. Elle per-
dit dans cette adion le comte de Chaulnes , Jérôme de Turin ,
plufieurs des principaux ofRcierSj.40 Gentilshommes ôc 300 \
hommes de pié. Claude de Bafternay baron d'Anton, jeune j
homme d'un très-grand courage , Ôc l'unique efpérance de la '
maifon des comtes du Bouchage , combattant avec beaucoup i
de valeur auprès du Connétable fon oncle maternel , fut per- i
ce de coups , dont il mourut peu de tems après, extrêmement l
regreté de François, ôc d'Ifabelle deSavoye, fes père Ôc mère. i
La perte des Confédérez fut plus grande 5 car il refta fur la l
place plus de ^o Gentilshommes de la haute Nobleiïe jôc cn-
tr'autres François comte de Sault ôc S. André fon frère 5 Ni- |
colas de Champagne comte de la Sufe j Charle dAilly de ~ !
Pecquigny vidame d'Amiens ôc fon fils.( Leur fuccefTion ht ,
dans la fuite la matière d'un procès : comme il s'agiffoit de ^ |
fçavoir lequel des deux étoit mort U premier , le Parlement ,
qui ne put le fçavoir , jugea qu'il ne devoir point renverfcr i
l'ordre de la nature , ôc fuivant la règle étabhe par le droit,
prononça en faveur de ceux qui prétendoient que la fuccef-
fion avoit paffé du père au fils , ôc qu'étant les héritiers légiti-
mes du fils , elle leur appartenoit. ) De Garennes fut auiïi tué
dans ce combat, ôc François de Barbançon de Cany fut empor-
té ôc mis en pièces d'un boulet de canon j quelque recherche i
qu'on en fit, on ne put jamais trouver fon corps : quelques- j
uns ont cru qu'il fut pris ôc tué hors du champ de bataille. i
L'amiral de Coligny courut un extrême danger; car étant
monté fur un cheval Turc , qui avoit la bouche forte ôc dure , l
ôc fes rênes ayant été coupées , il fut emporté par fon cheval. :
Ne pouvant l'arrêter , malgré tous fes eflx3rts, il fc trouva quel- i
que-tems mêlé parmi les fuyards de l'armée du Roi, ôc n'y fut j
point reconnu. AulTi-tôt le bruit fe répandit qu'il avoit été pris j
ôc mené à Paris, où il étoit gardé dans un lieu inconnu. La j
Reine le fit foigneufement chercher dans Thûtel des Urfins î 1
37^ HISTOIRE
, II- foupçonnant Chriftophle de la Chapelle aux Urfins, allié aux
f" TT * T, T r^ Coiienis & aux Montmorencis , de l'avoir redré & caché dans
V^ H AR L E „ o
jY la maiion.
^* Comme les deux armées fe retirèrent avant que le combat
fût entièrement fini, on mit en doute lequel des deux partis
avoit remporté la vidoire. Mais François de la Noue , bon
connoiflfeur & juge intégrera prononcé en faveur de l'armée
royale i parce qu'elle refta maîrrefle du champ de bataille , 6c
eut toute la nuit les morts à fa difpofition. En effet , comme
ils étoient fuperieurs en nombre , en artillerie, & en piquiers,
& qu'ils avoient par-deflus cela l'avantage d'être mieux cam-
pés , on ne peut douter qu'ils n'eufftnt remporté une pleine
ôc entière vidoire , iî la nuit n'eût pas fépare les combattans.
Cette aâion fe palTa le lo de Novembre.
Mort du Le lendemain le Connétable qui avoir rendu de Ci grands
Son éîoge.^* fcrvices à la France , expira âgé d'un peu moins de quatre-
vingts ans , illuftre par fa naiiîance , plus iilultre par les gran-
des charges qu'il avoir remplies , par fon habileté dans la guer-
re , par fa prudence & par fon expérience , qui le mettoient
fort au-deffus des autres , récommandable fijr-tout par le ten-
dre amour qu'il avoir pour fa patrie ôc par fon zélé ardent pour
la gloire du nom François. Après avoir long-rems combartu
contre l'envie ôc la jaloufie de fes ennemis, dont les artifices
étoient venus à bout de foûlever le peuple contre lui , il trou-
^;a enfin le moven d'en triompher , & il confirma, par une mort
glorieufe ôc mémorable , la vérité de l'oracle qu'il avoit lui-
même prononcé. Il s'étoit trouvé à huit batailles , dans quatre
defquelles il avoit commandé en chef; toujours avec beau-
coup de gloire , mais fouventavec peu defuccès : la Fortune
qui lui fut prefque toujours contraire, ne lelaifia pas furvivre
à celle qu'il venoit d'acquérir dans cette dernière adion. On
crut que la reine Mère, qui afpiroit à un pouvoir fans bornes,
regarda la mort du Connétable , comme un grand bonheur
pour elle : ellefevoyoit délivrée d'un homme qui gouvernoit
îbuverainement la Cour , où il rempliffoit depuis tant d'années
la première place, ôc qui fembloit lui reprocher tout le bien
qu'on faifoit à d'autres. Elle eut néanmoins le foin de cacher
Ù joye , & de paroître prendre part au deuil public. Ellecou^
roana tous les titres glorieux , dont ce grand homme avoit
cte
DE J. A.DE THOU,I.iv. XLIL 577
été revêtu, par de magnifiques funérailles qu'elle lui fit faire '
dans la capitale du Royaume. On y porta fon effigie , honneur C h a R L E
qu'on ne rend qu'aux Rois ôc aux enfans des Rois. j ^
Cependant, comme fi c'eût été un deuil public de toute la i ^ 6j,
France, il y eut une efpece de fufpenfion d'armes , ôc pen- Suitesdcla
dant qu'on déliberoit fur le choix d'un nouveau Connétable , ^^^"•'jj'' ^^ '^
on ne penfa point à profiter de la victoire. Le jour même de
la bataille le prince de Condé avoir envoyé un exprès à d'An-
delot pour hâter fon retour. D'Andelot la nuit fuivante pafTa
la Seine avec fes troupes , fur les pontons que les troupes roya-
les avoient coulez à fonds à S. Oiien j mais que le capitaine
la M,ofibniere avoit trouvé le fecret de tirer de l'eau , ôc dont
il avoit fait boucher les trous avec de la mouffe, des étoupes
ôc de la poix. Après avoir réjoint le Prince à S. Denis , ils
tintent confeil , ôc réfolurent, pour difputer à l'armée du Roi
l'honneur de la vidoire, ôc pour foûtenir leur réputation , tant
parmi les François , que parmi les troupes auxiliaires qui leur
venoient d'Allemagne , que d'Andelot fortiroit dès le matin
de S. Denis avec fes troupes en bataille ; ôc qu'il fe feroit voir
dans la plaine , comme s'il attendoit les ennemis , dans la réfo-
lution de leur livrer un fécond combat. D'Andelot s'acquitta
parfaitement de cette commillion ; il s'avança jufqu'aux faux-
bourgs de Paris , ôc il brûla quelques moulins à vent. Il s'en
trouva un qui n'étoit pas de bois ^ comme la plupart des au-
tres , mais de pierre , ôc l'armée royale l'avoir ailés bien fortifié
par un fofic ôc une palifiade. Le capitaine Guerry étoit de-
dans avec un petit détachement , réfolu de fe bien défendre.
D'Andelot fâché de voir la réfiftance d'un mounn, tandis que
tout cedoit à fes armes , prit le parti de le forcer, ôc il en don-
na le foin au brave Valfeniere , qui avoit la veille commandé
les volontaires. Ce capitaine accompagné de Beauregard ôC
d'autres, après pluficurs attaques , fut enfin repouffé par Guer-
ry : ils fe retirèrent l'un ôc l'autre au fon des trompettes. Quoi-
que cette affaire ne fût en elle-même qu'une bagatelle, elle fit
beaucoup d'honneur à Guerry j le moulin porta depuis fon
nom : il fut élevé à des emplois confidérables , ôc fut fait
colonel.
La mort du Connétable caufa dans Paris une efpece d'ina- 1.3 charge
£lion. On ne fut pas long-tems à chercher un fuccefieur : on d^ Connéu*
Tome V. B b b
37^ HISTOIRE
, réfolut de fupprimer pour un tems une charge , qui étant la
Charle P"^^^^^^^^^ '^^ Royaume , ôc donnant tant de prérogatives ôc
TXT- d'honneurs à celui qui en étoit revêtu , fembloit ne devoir être
^ ' confiée à qui que ce fut dans des tems Ci fâcheux. Le Roi don-
blcdippiimce ^^ ^^ Commandement général des armes à Henri duc d'Anjou
poui ciueiciiie- fon frère , à la foliicitation de la reine Mcre , qui l'aimoit cper-
*'^'"^* duëment. Comme il étoit encore enfant , il n'en eut que le
titre ; toute l'autorité réfidoit dans les Chefs 6c les Seigneurs
qu'elle mit auprès de lui.
LesConfédérezj qui s'étoientvûs forcés de donner bataille;
^ ôc qui avoient perdu beaucoup de monde , étant d'ailleurs
bien inférieurs aux troupes du Roi ^ craignirent que les nou-
velles troupes qui arrivoient chaque jour au duc d'Anjou j ne
mifient l'armée du Roi en état , ou de les affiéger dans S. De-^
-nis, ou d'empêcher la jonction des troupes qu'ils attendoient :
ainfi ils abandonnèrent cette place, ôc marchèrent vers Mon-
tereau , pour aller au-devant des troupes auxiliaires Alleman-
des, qui étoient déjà arrivées en Lorraine, commandées par
Jean Cazimir, fils de l'élefteur Palatin : ils donnèrent en mê-
me-tems avis à ceux de leur parti , qui accouroient de toutes
les parties du Royaume , de fe trouver au lieu ôc au joue
marqués.
Les Piotcf- Les Proteftans , qui étoient les plus forts dans le Poitou ,
tans fe ren- (jans l'Angoumois , ÔC daus la Saintonge , y faifoient partout
delaRo^helk. ^^^ levées , ôc épioient l'occafion de prendre la Rochelle.
Cette ville efl: fituée dans la Saintonge , dans un payis gras ôc
fur le bord de la mer. Riche depuis long-tems par la commo-
dité de fon port , par fon grand commerce marinme , ôc par
les grands privilèges que nos Rois lui ont accordés, on peur
dire qu'elle s'eft élevée au point d'opulence oii nous la voyons,
par les guerres civiles , qui ont défolé , ôc prefque ruiné les au-
tres villes. Par le Traité de Bretigny fait en i ^60 après que
le roi Jean eut été fait prifonnier, on céda aux Anglois la Ro-
chelle avec le Poitou, le Limoufin , la Saintonge ôc l'Angou-
mois. Mais douze ans après les Rochellois firent bien voir, que
c'étoit malgré eux qu'on les avoit affujettis à des étrangers 5
ils fe foûleverent , chafTerent les Anglois , prêtèrent de nou-
veau ferment au Roi , ôc en reçurent avec de nouveaux privi-
vileges la confirmation des anciens. Depuis ce tems -là, la
DE J. A. DE THOU, Liv. XLÏI. 57^
Rochelle eft toujours demeurée rotunife & fidèle à nos Rois. .
Elle fut néanmoins pendant quelque-tems foûmife, avec toute Charle
la Guyenne, à Charle frère de Louis XL Cette ville eftgou- jv
vernée par 100 hommes, qu'on appelle Pairs ou Echevins. ^ . ^„^
Chaque année après Pâques on choifit un des cent pour être
Maire. C'eft après le Gouverneur & le Lieutenant de Roi , le
premier Magidrat , fon autorité eft très-grande dans la ville ,
ôc c'eft ce qui fait que les anciens reglemens portent , qu'il ne
pourra être dans cette place plus d'un an. La coutume eft d'en
choifir trois fur les cent , & d'en préfenter les noms au Gou-
verneur ou au Roi , qui nomme celui des trois qu'il juge à
propos , ôc ordonne qu'il fera élevé à cette dignité , pour Tan-
née fuivante. G'étoit alors Guy Chabot de Jarnac , lieutenant
pour le Roi en Saintonge , qui polTedoit le gouvernement de
la Rochelle , par droit d'hérédité , Seigneur audi illuftrepar fes
vertus i que par l'éclat de fa naiffance. Amateur Blandin Juge-
royal , qui étoit Maire , avoir donné avis au Roi , que s'il
vouloir conferver la Rochelle , il fe gardât de donner fon
agrément à Trucharcs qui briguoit cette dignité y parce au'il
étoit attaché au parti Calvinifte, ôc que les liaifons qu'il avoit
avec Saint-Ermine , qui étoit attaché au prince de Condé, le
rendoienttrès-fufpecl. Il arriva cependant que Truchares par
fes intrigues , ôc à la recommandation de Jarnac ôc d'autres
Seigneurs , fut élu entre les cent , avec deux autres , nommé
enfuite par le Roi , ôc inftallé par Blandin fon prédécefleur.
Peu de tems après il prit fecrcttement des mefures avec le
prince de Condé, ôc Saint-Ermine étant venu à la Rochelle
par ordre du Prince > dont il fe difoit Lieutenant , Truchares
lui livra la ville , dont la plupart des habitans étoient Calvi-
niftes, le 1 1 de Février de l'année fuivante \$6%. Alors les
Rochellois prêtèrent ferment entre les mains de Saint-Ermine j
ôc promirent qu'ils confacreroient volontiers leurs biens , leurs
forces , ôc leurs vies pour le maintien de leur religion. Depuis
ce tems-là la Rochelle eft reftée foûmife au prince de Condé
ôc aux Proteftans, fans garnifon ôc fans citadelle, ôc ellea toii-
jours été leur plus fur azile ^
Lorfque le prince de Condé marchoitavec fes troupes vers
I Jufqu en l'année i^zS fous îe règne de Louis XIII. qu'elle fut afliege'e par l'ar-
me royale , & prife après un long fiég e.
B b b Ij
,3So HISTOIRE
Montereau, Francoife d'Ofleans fa fœur, femme du duc de
Ch ARLE Lo^"'gueville,vint au-devant de lui, accompagnée de Charlotte
j^ de Laval, femme de Coligni. Le Prince les renvoya à Or-
, - ^* leans, 6c il arriva à Montereau , où il laifla Renty avec fept
enfeignes d'infanterie, afin de garder une place 11 commode
pour le paflage des troupes. De Montereau le Prince continua
fa route vers la Lorraine, pour y recevoir les troupes auxiliaires
d'Allemagne. La Cour y avoit auffi envoyé le duc d'Aumaîe,
pour emmener trois mille hommes de cavalerie, quiavoient
été levées en Allemagne au nom du Roi, par Jean-Guillaume
de Saxe, ôc Charle marquis de Bade.
Amba/Tudes Louis de Saint Gelais deLanfac fut aufîî envoyé à Frede-
gnc, ^'"^' ^'^^ électeur Palatin^ pour le faire fouvenir defon ancienne al-
liance avec la France , ôc pour le prier d'empêcher fon fils Jean
Cafimir de donner des fecours au Prince de Condé. Lanfac
lui dit , qu'il ne s'agiiToit plus de la Religion , que les Protef-
tans joùiiïbient en France d'une pleine liberté, qu'on ne gê-
noit point leurs confciences, 6c qu'on les laiflbit dans la pof-
feflion tranquille de leurs biens , de leurs dignitez , 6c de tout
ce qui leur appartenoit5 qu'il s'agiiToit maintenant de toute au-
tre chofe 5 que fous un faux prétexte de Religion , ils atta-
quoient l'autorité Royale j que perfonne n'étoit plus inte-
reilé à maintenir la puiffance Souveraine que les Princes d'Al-
lemagne qui aimoient fincerement la Religion , de peur que
leurs fujets ne fuiviffent un pareil exemple , 6c n'entreprif-
fent de leur faire la loi. Les ordres 6c les inftrudions données
à Lanfac étoient entièrement conformes à celles qui avoient
déjà été données à Bernard Bochetel évêque de Rennes. Ce
Prélat avoit facilement perfuadé la même chofe à Guillaume
Landgrave de HelTe, 6c parle canal de ce Prince, à Augufte
électeur de Saxe , 6c à Joachim éle6leur de Brandebourg ; il en
avoit même obtenu qu'ils permirent à Guillaume de Saxe, ôc
au marquis de Bade de faire pour le Roi les levées dont nous
avons parlé.
Cette ambalTade de Lanfac embaraffa pendant quelque tems
î'efprit de l'élefteur Palatin ; enforte qu'il avoit de la peine à
croire ce que lui difoient Honoré Prevoft, du Chatelier Por-
tant , ôc Gervais Barbier Francour , qui le preffoient au nom
du prince de Condé d'envoyer les fecours dont on étoit convenu.
DE J. A. DE THOU, Lir. Y.LIL 381
Il fufpendit même h marche de fon fiis jufqu'à ce qu'il eut été «»^^^«»»»
pleinement informé de l'état des chofes. Pour cela il envoya (^^arle
Venceflas Zuleger , un de fes Miniftres , à la Cour de France, | ^
avec Lanfac , fur la parole que Lanfac lui donna de le rame- ^ ^^\
ner lui même en fureté. Zuleger ayant appris , tant à la Cour^
qu'à l'armée du prince de Condé,par où il pafTa en revenant,
que les chofes étoienr bien différentes de ce que les ambaiïa-
deurs publioient j ilconfeilla à l'Electeur fon maître de neplus
différer d'envoyer les fecours promis, 6c de donner à Cafimir
fon fils la permiffion de partir. Mais afin que les Eledeurs de
Saxe ôc de Brandebourg , & le Landgrave de Heffe ne fuffent
pas choquez de la conduite de Féledleur Palatin , Zuleger fut
chargé de les aller trouver , pour les convaincre de la vérité ,
dont il avoir été témoin oculaire dans fon voyage de France,
Lanfac qui accompagnoit Zuleger dans fon retour , fuivant
les ordres du Palatin ^ fut pris, lorfqu'il le menoit au camp
des Confédérez. Mais heureufement celui qui portoit fon
porte-feuille avec fes lettres , fes papiers, fes ordres 6c fesinf-
trudions, ayant pris un autre chemin, ne fut pas arrêté: ainfî
le prince de Condé, à qui Lanfac fut mené auffi-tot , ne put
rien découvrir de fes fecrets. Lanfac fut mis en liberté, fans
avoir payé aucune rançon , parce qu'il fe plaignit d'avoir été
arrêté contre le droit des gens , dans le tems qu'il conduifoit
Zuleger au Prince.
Cependant les troupes de la Guyenne étoient arrivées. La Divers fuc-
cavalerie confiftoit en quatorze compagnies commandées par ^"^^^^^j"""
Puy-Grefiier de Saint Cyr,par Soubife, par Languilliers, par Provinces.
CharleRouaut de Landereau , par Puiviauît, 6c par Saint Mac-
tin de la Coudre. L'infanterie fut diftribuée en trois regimens
dans chacun defquels il y avoir neuf enfeignes, fous les ordres
de Pardaillan, d'Armand de Ciermont de Piles 6c de Campai-
gnac , qui avoir été moine. Ayant pris à Confiant en Limoufin
quelques pièces de campagne, de la poudre, 6c d'autres armes,
ils attaquèrent Dorât, que Campaignac força. Etant enfuite en-
trez dans le Poitou , ils fe rendirent maîtres, fans coup férir,
de Lufignan , place très-forte , que du Vigean qui y comman-
doit leur rendit. Ils conçurent quelque efperance de pouvoir
s'emparer de Poitiers capitale de la Province , par le moyen
des Calvinifles qui y étoient : ils s'y arrêtèrent inutilement
Bbbiij
582 HISTOIRE
pendant quelques jours ; Guy de Daillon comte de Lude, quî
ru K ^ T c y etoit accouru avec la première NoblefTe de la Province,
j^ ht échouer leurs projets. JJela ils le mirent en chemin ^ ôc ne
, - ^ _ s'arrêtèrent point qu'ils ne fuflent arrivez à Orléans. Ils y pri-
rent deux gros canons , une couievrine , de la poudre , ôc les
autres munitions nécelTaires , ôc marchèrent vers Pont-fur-Yon-
ne , qui étoit défendu par Saint Martin ôc Saint Loup avec
trois enfeignes. Il y avoir avec eux dans la place plufieurs ha-
bitans , batehers, gens forts ôc obftinez. Sommez de fe ren-
dre, ils le refuferent. Les Proteftans firent approcher leur ca-
non , ôc drefîerent une batterie fur une petite couline couver-
te de vignes , qui domine fur la place. Comme les murs étoient
nouvellement bâtis ôc foiblesj après qu'on eût tiré quelques
coups, il y eut une grande brèche. Campaignac, qui vit qu'il
n^avoit point defofléau-deflbus, ou qu'il étoit très-petit, mon-
ta aufîî-tôt fur la brcche; Monferrand , Lanjoran ôc de Piles le
fuivirent de près ; la place fut forcée , ôc on tua tous ceux qu'on
y trouva. Ceux qui s'étoient retirez dans une Eglife voiline
furent aufli tuez à coups d'arquebufes : plufieurs qui avoient ga-
gné le pont en fuyant , ôc qui entroient en foule dans les ba-
teaux, eurent le même fort 5 ceux qui échaperent fe retirèrent
à Sens ; d'autres qui s'étoient réfugiez dans le château , eurent
la vie fauve , ôc fortirent de la ville.
Après la prife de Pont, Coligni qui commandoit Tavant-
garde,y vint au-devant de ces troupes, ôc s' étant joints, ils
marchèrent à Sens, dans le deffein , non de prendre la place,
mais d'amufer les troupes du Roi , qui en craignoient lefiége,
ôc de donner ainfi à l'armée des Confédérez tout le tems né-
ceflfaire pour palier la Seine. La chofe arriva, comme ils l'a-
voient concertée. Henri de Lorraine duc de Guife , encore
très jeune, mais quiavoit déjà donné de très-grandes efperan-
ces dans la guerre de Hongrie , fit venir auprès de lui toutes
les troupes qui étoient à Troyes , pour fe mettre en état defoû-
tenir le fiége. Aulîi-tôt Coligni tourna du côté de Bray-fur-
Seine, place, dont les murs étoient foibles, qui n^avoit rien
de fortifié que fon Pont , ôc qui n'avoit qu'une très-petite gar-
nifon, fous les ordres de Gombauld. Cet ofiicier fervoit alors
fous le duc de Nemours. Depuis ce tems là il fut en faveur au-
près de nos Rois , ôc fe vit dans la fuite élevé à de très-grands
DE J. A. DE THOU, Lîv.XLII. ^è^
Iionneurs. C'eft là que les Proteftans exécutèrent leur projet --
enaflTurance. Ik drefîerent leur batterie contre l'endroit le plus 7-.
fort, & ils firent brèche. Mais iifalloit pour y monter pafTer ^^f^^^
unfofTé profond ôc plein de l'eau que la rivière y portoit: en-
forte que le foldat mouillé, ôc obligé de grimper par des endroits ^ ^ ^'
gliffans, ou tomboit, ou étoit facilement culbuté parlagarnifon
qui étoit fur les remparts. Genlis s'étoit chargé de cette expé-
dition : ayant renverfé la Tour ôc le mur qui étoit au-deflbus^
il commanda Courboufon frère de Montgommery , pour don-
ner l'affaut. Mais la brèche n'étoit pas affez grande , ôc l'in-
commodité, dont nous avons parlé, caufa beaucoup de perte
aux affiégeans. Courboufon y fut bleffé ôc repoulfé , avec per-
te d'environ cent vingt des liens. Comme on croyoit que les
Proteftans irritez de cet échec ne manqueroienc pas de reve-
nir à la charge avec de plus grandes forces , Gombauld qui n'a-
voit point de fecours à efperer, fe rendit à dts conditions ho-
norables y les habitans payèrent deux miile écus , qui furent em-
ployez à rembourfer les frais du fiége , Ôc à panfer les bleffez i ôé'
on y mit la compagnie de cavalerie de Genlis en garnifon.
Delà on marcha à Nogent-fur-Seine , qui n'en eft éloigné
que de quatre lieues. La place ouvrit fur le champ fes portes
à d'Andelotjôc lui paya deux mille écus. On y mit de Mo-
nins Ôc Payet, tous deux capitaines aux Gardes. Ces places
étant ainfi fortifiées, le prince de Condé rappella Renti, qu'il
avoit laiffé à Montereau , ôc lui donna ordre de couper les
ponts , ôc de venir le joindre. Ce Prince paffa la Seine à Bray^
avec la meilleure partie de l'armée 5 ôc Coligni , qui comman-
doit l'avant-garde , la paffa à Nogent. On abandonna cette der-
nière place , ôc on laiffa à Bray une partie de la garnifon juf-
qu'àce que l'armée fut avancée plus loin. Les Conf.'dérez tour-
nèrent enfuite à gauclic, ôc furent à Epcrnay fur la Marne, oii
ils demeurèrent trois jours , en attendant que les foldats, qu'ils
avoient laiffcz à Bray , fuflent venus les joindre, ôc ils y déli-
bérèrent fur les propofitions de paix qui avoient été faites de-
puis peu.
On crut que la Reine mère l'avoit fait exprès , pour retar-
der la marche des Proteftans, qui alloient à grandes journées
en Lorraine, ôc donner le tems au duc d'Anjou, qui les fui-
voit avec fon armée, de les attendre, ôc de les obliger aune
'3^ HISTOIRE
i ., bataille décifivè. La Reine leur avoit envoyé pour cet effet
Charle Gonibauld. Ils tinrent confeil j la plupart ennuyez déjà d'une
IX. guerre^ dont les commencemens ne répondoient pas à leurs
i r (^j^ efpérances , pleins d'amour pour leur patrie, ôcfaifis d hor-
reur, par l'idée des maux dont elle étoit menacée, furent d'avis
d'entrer dans une negotiation, qui put les conduire à la paix.
Mais Jean de Ferrieres vidame de Chartres fe récria contre
cet avis,ôc foùtint que leur ennemis ne cherchoientpas à faire
la paix , mais à déconcerter les projets des Confédérez, ôc faire
échouer leurs entreprifes , à retarder l'exécution de leurs pro-
jets, à mettre la divifion parmi eux, à les détacher les uns des
autres, aies brouiller avec Iqs étrangers , Ôc enfin à les réduire
à la néceflîté de combattre avec beaucoup de défavantage;
D'où il conclut qu'il ne falloit entendre à aucunes propofirions,
jufqu'à ce que leur jondion avec les Allemands étant faire , Ôc
ayant reçu toutes les troupes du dedans, qu'ils attendoient,
ils fufTent en état ou de rifquer une bataille décifivè , ou de
faire un traité à des conditions juftes ôc glorieufes. Tel fut le
fendment du Vidame. Cependant le prince de Condé, qui
craignoitde fe rendre odieux ^ s'il paroifTbit s'éloigner d'un ac-
commodement, marqua un grand penchant pour la paix, ÔC
il renvoya Gombauld plein de confiance que fa negotiation
réufiTiroit. Le Prince le fuivit de près , ôc retourna à Montereau >
oii Gombauld avoit affuréque le Roi envoyeroit des députez.
Mais comme il n'en parut aucun , il retourna promptement à
fon armée.
On y tint encore un Confeil , pour déhberer fur ce qu'il con-
venoit de faire, n'y ayant plus aucune efperance d'accommo-
dement. Coligni fut d'avis qu'on refiât où ils étoient î parce que
tout le monde regarderoit leur départ , ou comme une fuite ^
ou au moins comme unehonteufe retraite de gens quiavoient
peur ; qu'il étoit extrêmement important pour leur réputation
de ne pas donner lieu à une telle idée , ôc qu'il ne falloit pas
craindre ,que s'ils demeuroient où ils étoient , le prince Cafi^
mir tardât devenir les joindre, fur-tout lorfqu'il auroit appris
qu'ils n'croient refcez en chemin que dans laréfolution de com-
battre, fi l'ennemi venoit. Ainfi favis de PAmiral fut d'envoyer
à Cafimir une dépuration de la principale Noblefi^e, pour lui
expofer les motifs du parti qu'ils avoient pris , pour s'excufer
de
DE J. A. 13 E THOU, Liv.XLIL ^Sy
^e ce qu'ils n'alloient pas au-devant de lui , ôc pour lui faire .
entendre qu'ils étoient reftez afin de garder les pafîagesdes ri- Ch arle
vieres j enfin pour le prier de venir , ôc d'être bien perfua- T X
de qu on lui compteroit a Ion arrivée 1 argent qu on lui avoit i < 67,
promis.
Le vidame de Chartres foûtenoit au contraire , qu'on ne pou-
voit pas donner le nom de fuite à une marche , qui ne fe fai-
foit avec tant de diligence , que pour fe joindre plutôt à des
troupes alhées qu'on alloit recevoir : qu'à la guerre une réfo-
îution paflbit pour glorieufe , ôc faifoit honn^eur , lorfquelle étoit
utile ôc néceiJaire : qu'il étoit certain que fi on n'alloit pas au-
devant de Cafimir , on lui donneroit lieu de fe plaindre^ com-
me d'un mépris qu'on faifoit de lui : Que parles intrigues des
ducs de Guife ôc d'Aumale , il pourroit bien changer de fen-
timent, ôc ne pas venir, ou qu'on pourroit lui fermer les paffa-
ges,Ôc Tempêcher d'arriver : Que quand même aucun de ces in-
conveniens ne feroit à craindre, il fe pourroit bien faire que
des hommes, qui feconduiroient moins par amitié que par in-
térêt, retourneroient fur leurs pas , fi on manquoit de leur don-
ner à tems l'argent qu'on leur avoit promis : Et qu'ainfi \qs
Confédérez feroient fruftrez de l'efperance qu'ils avoient fon-
dée fur un fecours également prompt ôcnécefl^aire : Que s'ils
avoient une fois perdu cette reffource , à qui auroient-ils recours,
en qui mettroient-ils leur confiance ?
Cet avis prévalut, mais les opinions furent encore partagées fur
la manière d'exécuter cette réfolution. La plupart croyoient,
que pour pouvoir revenir plus promptement, il ne falloit faire
marcher que la cavalerie , ôc laifler l'infanterie en garnifon à
Nogent , à Bray ôc à Pont-fur-Seine j que par là on feroit le
voyage avec beaucoup plus de diligence, ce qui étoit très im-
portant, ôc qu'on épargneroit à l'infanterie les fatigues infépara-
blés d'un long voyage, dans une faifon fi avancée ôc fi fâcheu-
fe. L'amiral de Coligny s'éleva contre cet avis , ôc dit qu'on ne
pouvoir laiflTer là l'infanterie , fans l'expofer à un danger évident,
parce que ces places étant fi foibles ôc de fi peu de défenfe ,
les garnirons qu'on y mettoit feroient obligées de fe rendre à
l'arrivée de l'ennemi , ou que fi elles réfiftoient , elles feroient
forcées ôc taillées en pièces : que puifqu'il falloit aller en Lor-
raine , toute l'armée devoit marcher enfemble , mais à petites
Tome y, Ccc
S^é HISTOIRE
. journées , comme on a coutume de mener ufte armée ordU
C H R I F "^^^'^ • 9"^ ^^ cette façon on conferveroit toutes les troupes;
7X7- ôc on viendroit heureufementà bout de ce que Ton fe promet-
, - ^* toit : Que cette réfolution pouvoit encore produire un grancl
bien , parce que l'armée du Roi voyant les Conféderezen mar-
che, pourroit bien être tentée de les fuivre , dans leiperance de
les atteindre ôc de les combattre , ôc abandonneroit ainfi le
defTein qu'elle avoir pris d'alFiéger Orléans, ville où il y avoit
plus de femmes que d'hommes ôc de foldats ' : Que pendant
ce tems là les troupes qu'on atrendoit du Languedoc ôc de la
Guyenne arriveroient ôc ferviroient à fortifier lagarnifon d'Or-
léans, ôc à augmenter l'armée. D'autres opinèrent à mener l'in-
fanterie , mais à marcher le plus vite qu'il feroit polTible , de
peurqueCafimirne prit un plus long retardement comme une
marque de mépris , ou ne le fervit de ce prétexte pour jufti-*
fier fon retour , en difant qu'il y auroit été forcé , par le défaut du
payement promis à fes troupes. C'eft enfin à quoi le Confeilfe
détermina : on fixa le jour du départ , alÏÏi que toute l'armée fût
prête à marcher. Voici quel fut l'ordre de la marche. Le
prince de Condé étoit à la tête du corps de bataille: il éroit
fuivi de l'amiral de Coligni qui commandoit l'avant- garde;
d'Andelot fut chargé de courir de côté ôc d'autre, avec un dé-»
tachementdemoufquetaires, à qui on donna des chevaux. Ar-«
tus de Vaudray de Mouy formoit i'arriere-garde avec la cava*^
ierie légère.
On faifoit par ordre du prince de Condé des levées dans le
Dauphiné , la Provence ôc le Languedoc. Jacque de Cruflbl
feigneur deDacier,qui en étoit chargé, étoit allé dans le Ma-»'
connois, le Bourbonnois , l'Auvergne ôc le Vivarez, pour ex-«
horter toutes ces troupes à fe ranger en un certain jour fous
leurs enfeignes. René de Savoye fils du comte de Tende , com-
munément appelle Sipierre , levoit des foldats en Provence ^
près de Sifteron, dont Paul de Richiend de Mouvans s'étoit
rendu maître par fon ordre. Louis du Puy de Monbrun faifoit
des levées en Dauphiné , ôc déjà les Dauphinois Ôc les Pro-"
vencaux s'étoient aifemblez , dans le deflein de venir le plus
promptement qu'il feroit poffible trouver le prince de Condé,
I II y a dans le texte ac mulîo milite firmati j ce qui ne forme aucun fens : iî
faut lire nëcwukoj ôcc.
D E J. A. D E T H O U , L I V. XLIL 5S7
'Mais à la prière de Dacier, qui avoitréfolu de s'emparer des
citadelles de Nifmes ôc de Montpellier^ villes gardées par les Cu ^d i n
feuls bourgeois , Sipierre , Mou vans, Senasj le baron de Bar, t v;
,Cerefl:e , & d'autres s'y rendirent avec deux mille hommes t ^ (^ ^
d'infanterie , aufquels Monbrun fe joignit , avec fept cens hom-
mes du Dauphiné. A leur arrivée la citadelle de Nifmes ou-
vrit fes portes. Ils eurent plus de peine à fe rendre maîtres de
celle de Montpellier , bâtie dans la Place de l'Eglife de faint
Pierre , proche celle des Carmes. Il y avoit dedans une gar-
nifon de trois cens hommes , qui firent une vigoureufe réfiftan-
ce , dans l'efperance qu'ils feroient promptement fecourus par
Guillaume de Joyeufe , lieutenant de Henri de Montmorenci
duc de Damville gouverneur de la Province. Mais les Pro-
teftans ayant fait un retranchement, où ils étoient à couvert
d'un côté, du feu de la citadelle , ôcde i autre, des attaques des
troupes auxiliaires , Joyeufe vint inutilement au fecours , ôc les
affiégezaprèsun grand nombre depetits combats, furent con-
trains de fe rendre. Après s'être entièrement rendu maître de
la ville 6c de la citadelle de Montpellier, Sipierre retourna fur
fes pas , vers Sifteron; parce qu'il apprit que Bertrand de Si-
miane de Gordes ôc Louis de Maugiron étoient en ces quar-
tiers là avec des troupes.
Cependant les comtes de Bourniquer,ôc de Monclar, Poulin,
deCaumont, Serignan, Rapin , ôc de Montagut faifoientdes
levées dans le Rouergue, le Quercy , ôc jufqu'aux Pyrénées,
dans le comté de Foix , dans l'Albigeois ^ ôc le Lauraguez.
Après avoir affemblé fept mille hommes , ils allèrent droit à
faint Fronton , qui étoit occupé par les troupes du Roi , àc
dont la garnifon défoloit tout le payis voifin. N'ayant point
de canons, ils fappérentles murs, aidez parles payifans, qui
accouroient de toutes parts pour fe venger de tous les maux
qu'ils avoient reçus de la garnifon. Les affiégeans forcèrent la
place , ôc firent un grand carnage des foldats qui y étoient.
On exerça fur eux toute la fureur qu'infpirent les haines parti-
culières, jointes à la licence effrénée. Ces troupes vidorieufes
fe joignirent à Cruflbl Dacier. Les Dauphinois le prièrent à
leur tour de vouloir bien les. fecourir. A cet effet il marcha
avec toute fon armée vers faint Marcellin , dont de Gordes ôc
Maugiron avoient fait le ficgc , ô: il prit fa route par le Pont-
Ccc ij
588 HISTOIRE
Saint Efprit , où il avoitréfolu de pafler le Rhône. Mais corn-
C H A R L E n'ie quelques troupes forties d'Avignon s'étoient portées dans
I X. la Tour du pont, ôc qu'avec deux vailTeaux armez ils s'oppo-
1 < 61. foient au palTage^ les Confëdérez furent obligez de s'arrêter;
jufqu'à ce qu'ils euflent chafle les foldats d'Avignon de ce Fort
qu'ils occupoient. Ces foldats tâchèrent d'abord de faire fau-
ter avec de la poudre une arche du pont î mais n'ayant pu en
venir à bout , ils remontèrent fur leur vaiffeaux, ôc fe retirèrent à
Avignon. Les Confëdérez pendant ce tems là attaquèrent faint
Marcel, place peu éloignée du Pont-Saint Efprit. Le malheur
du fils de Senas , qui fut tué à la première approche , anima tel-
lement les afliégeans , ôc ils attaquèrent la place avec tant de
fureur , qu'elle fut bien-tôt forcée. Deux cens hommes , qui s y
trouvèrent , furent paffez au fil de l'épée. Delà ils entrèrent dans
le Dauphiné pour faire lever le fiége de faint Marcellin. De
Gordes Ôc de Maugiron ayant appris qu'ils venoient , fe reti-
rèrent auffi-tôt, parce qu'ils étoient inférieurs en nombre, ôc
allèrent à Grenoble. Dans le Bourbonnois , dans l'Auvergne,
le Forez, le Mâconnois , ôc le Beaujollois, Poncenac ôc Ver-
belay avoient déjà engagé au fervice du prince de Condé
trois mille hommes de pié , ôc cinq cens hommes de cava-
lerie , ôc ils leur avoient donné ordre de s'afîembler dans le mois
d'Octobre à la Pacaudiere.
Ces troupes étant arrivées, on tint Confeil , pour délibérer
fi on iroit droit trouver le prince de Condé, ou fi on attendroit
la jon£lion de celles qui venoient de la Provence , du Lan-
guedoc ôc de la Guyenne. Ce dernier avis femporta , ôc on
réfolut de les attendre, pour marcher avec plus de fureté. Ce-
pendant pour ne pas laifler dans l'inadion celles qui étoient
arrivées , ôc les empêcher de fe débander pendant ce retarde-
ment, on prit le parti delesconduire dans le Mâconnois, dans
la principauté de Dombes , ôc dans le payis des environs. On
fut d'abord à Cluny : cette Abbaye fe racheta du pillage par une
fomme d'argent 5 les Proteftans qui y étoient en prifon furent
élargis, ôc fe joignirent aux Confédérez. On alla en fuite atta-
quer Saint Jean, qui étoit défendu par Charongereaux. Les
habitans firent une vigoureufe réfillance , ôc fe laifferent forcer.
L'ennemi s'approcha des murs , mit le feu aux portes , plan-
ta les échelles en divers endroits 5 enfin la place fut prife ôc
D E J. A. D E T H O U , L I V. XLII. 3?^
pillée , ôc ce ne fut pas fans répandre beaucoup de fang.
Après cette expédition , Poncenac étant retourné à la Pacau- ^
diere , on tint Confeil pour réfoudre où l'on iroit. Poncenac in- ^J\r
fifta pour retourner en Dauphiné, 6c fe joindre à l'armée de
Dacier ; fon avis fut fuivi comme le plus fïir. Mais Lovefe , qui ^ ' *
s'étoit rendu maître de Mâcon , ôc qui faifoit dans le payis
voiiin des courfes fort lucratives , ne voulut pas fuivre les au-
tres , quoique Poncenac lui fit voir clairement que fa perte
étoit inévitable, dès que le duc de Nevers feroit arrivé avec
fes troupes. Il ne fe trompa pas dans fa conjedure , mais il ne
put lui-même éviter le malheur qu'il avoit annoncé à Lovefè.
Lorfqu'il paflbit par le Forez, Verbelay formoit l'avam-garde
avec trois cens cavaliers ôc fix cens arquebufiers , ôc Poncenac
le fuivoitavec feptcens hommes de pie ôc cent cavaliers. Alors
Montaré, heutenant du duc de Nemours dans le gouvernement
du Bourbonnois, ôclc marquis de la Chambre ^ prièrent inftam-
ment les troupes delà Guyenne, qui paffoient parla pour aller
joindre l'armée Royale , fous les ordres de Terride , de la Va-
lete ôc de Montfalez , de ne pas laiffer échapper une fi belle
occafion de pourfuivre Poncenac ôc Verbelay , qui n'étoient
pas loin , ôc qui marchoient comme des fuyards , plutôt que
comme des gens qui euflent envie de combattre. Pour les mieux
perfuader , ils ajoutèrent que s'ils venoient les atteindre , la feu-
le vûë des troupes Royales répandroit la terreur dans leur pe-
tite armée , ôc qu'elle feroit bien-tôt dilFipée fans combat : Que
les Provinces plus éloignées feroient intimidées , ôc que cet évé-
nement retarderoit au moins la jonction des troupes des Con-
fédérez , ôc les empêcheroit de fe donner mutuellement les fe-
cours dont elles avoient befoin. Les chefs de ces troupes fe
rendirent à ces inftances, ôc retournèrent fur leurs pas. Supé-
rieurs en nombre, ils atteignirent Poncenac (car Verbelay étoit
déjà plus loin) à Champoùilly près deFeurs, ôc ils le défirent
avant qu'il eût pu fe mettre en défenfe. Le capitaine Ville-
noife fut tué , avec environ trois cens arquebullers , ôc on prit
prefque tous les drapeaux. Ce qui reftoit de l'infanterie s'étant
enfermé dans un enclos , capitula , à condition d'avoir la vie fau-
ve 5 ils s'engagèrent à ne plus fervir, ôc on les laifla aller. Pon-
cenac^ qui eut bien de la peine à fe fauver , alla joindre Ver-
beray ^ qui venoit j mais trop tard ^ à fcn fecours. Alors ik
Ccc iij
5pd HISTOIRE
^^^^^ jugèrent à propos de changer l'ordre de leur marche ; iîs 'e
^ partagèrent en petits pelotons, pour n'être pas furpris , ôc ils fe
T\f ^ mirent en chemin. Cette rcfolution qui paroiffoit fage & pru-
dente,leur fut pernicieure5car un grand nombre en prit occafion
' ^ '^' de déferter . ôc toutes ces troupes fc trouvèrent à la fin réduites à
1200 cavaliers. Poncenac & Verbelay leur ayant fait promet-
tre qu'ils ne quitteroient point le fervice, les menèrent à faint
Amand en Auvergne 5 de là ils les firent pafier dans le Vivarez
par des chemins détournez , ôc ils arrivèrent enfin à Valence
en Dauphiné.
Le duc de Nevers , après avoir reçu l'argent du Pape ., & les
troupes qu'il amenoit du Piémont, avoir déjà pafie les Alpes,
ôc étoit arrivé à Grenoble j il ne tarda pas à vérifier la prédic-
tion de Poncenac. Son armée étoit compofée de fix enfeignes
d Italiens, commandées par Alexandre Purpurato , Camille,
Artilleria , Jean Pierre Navarre , de Dreux de Rian , ôc Marc
Antoine RofTo. Il s'y joignit deux compagnies des Gardes Fran-
çoifes , fous la conduite de Gruchy , deux enfeignes de Fran-
çois, fous les ordres de Beauregard, ôc trois autres de vieilles
troupes,commandées par Courbon,Tillaretôc le vieux de rifle.
Il y avoit outre cela les Compagnies de cavalerie du duc de
Nevers, de Charle de Birague, ôc de Juîe Centurione, auf-
quelles fe réunirent les regimens de François de Beaumont ba-
ron des Adrets , qui avoit quitté les Proteftans , pour prendre
îe parti de la Cour. Il y avoit encore les compagnies de Maugi-
ron, de quelques autres, ôc 7000 Suifles qu'on avoit levez depuis
peu : toutes ces troupes montoient enfembleà 1 3000 hommes.
Le duc de Nevers étant arrivé à Lyon , prit avec lui quel-
ques canons, ôc réfolut de fe rendre maître de Mâcon, dont
la garnifonincommodoit beaucoup tout le Lyonnois. Le jeu-
ne la Clayette ôc plufieurs Gentilshommes étoient venus trouver
Lovefe, ôc comptant fur Ja bravoure de ce Gouverneur, ils
avoient mieux aimé s'enfermer avec lui dans Mâcon , que d'al-
ler trouver le prince de Condé , comme ils en avoient reçu
l'ordre. Mâcon ell fur la Saône , qu'on y pafle fur un pont ^ pour
aller en Brefie. Cette rivière borne la ville au midi, ôc au le-
vant ; elle eft entourée au couchant ôc au nord de coteaux
plantez de vignes, fur lefquels on pofta les SuifTes. Le duc
de Nevers avoit fait dreffer fes batteries contre la parde de la
DE J. A. DE THOU, Liv. XLII. 5pi
ville, qui eft entre la Saône ôc la tour des Porchers. Mais la ■— »-
plus forte attaque fut de l'autre côté de la rivière , dans le faux- Qj, a r l =■
bourg faint Laurent, oii étoit Chambery. Claude de Saux de jy
Venloux lieutenant du gouverneur de la Province fe logea vis- . ^ /-
à-vis la porte faint Antoine. Quand la porte de BrelTe eiit été
ruinée, la poudre manquant;, Lovefe après quelques jours de
fiége rendit la ville au duc de Nevers le 4 de Décembre , con-
tre l'avis du plus grand nombre de la Noblefle qui étoit avec
lui.
Le duc alla enfuite en Champagne , ôc remit les troupes
au duc d'Anjou. Ayant appris peu detems après que Henriette
de Cleves fon époufe étoit dangereufement malade d'une
couche, il partit avec plus d'empreffement que de précau-
tion , pour aller la voir , avec un détachement de 60 hom-
mes. Arrivé près de Donzy , place qui lui appartenoit , il ren-
contra la garnifon d'Antrain , place dont le prince de Condé
avoir donné le gouvernement à Beaumont. Bourgoin, qui étoit
à la tête , fut d'abord enfoncé. Mais Beaumont étant arrivé
avec 60 cavaliers , ou environ, le combat recommença ? les Pro-
teftans furent encore vaincus : le duc de Nevers fut fort bleffé
au genoûil. Il s'en fentit toute fa vie ; ôc il n'oublia jamais l'in-
fulteque fes vafTaux lui avoient faite. Cela arriva au mois de
Février de l'année 1558.
Cependant on amufoit les Proteftans par des proportions
de paix j ôc on envoyoit de part ôc d'autre des députez , dans
î'efperance que le duc d'Anjou avoir de retarder leur marche >
de les atteindre , Ôc de les forcer à une bataille générale. Alors
il arriva un accident fâcheux pour les Proteftans , mais qui
leur fauva une plus grande perte. François de la Noue a écrit
que ce fut pendant une fufpenfion d armes de quatre jours ,
dont on étoit convenu pour une conférence. De Boifly, au
BlofTet ôc de Ciere s'étoient logez proche de Châlons^ dans
la ville de Sarry. Pendant qu'ils difputoient entr'eux à qui gar-
deroit le château , ou le village , ayant négligé de mettre un
affcz grand nombre de fentineiles , le comte de Briflac fur-
vintavec de Tinfanterie^ôc un détachement de chevaux,& s'em-
para des deux avenues quialloient au château. DeBoifiyavec
fon maréchal de Logis fit une vigoureufe réfiflance 5 mais
ayant eu la main percée d'un coup de piftoiet , abandonné
5P2 HISTOIRE
. des fiens , & inverti de toutes parts , il s'e'chappa par un efca-
Ch ARL E ^^^^ dérobé, de Clere & plufieurs autres furent pris. De BoifTy
j ^ bleffé , 6c Bloflet , avec i $ . cavaliers au plus, couverts de honte,
I ç ^ - n'oferent aller joindre l'armée des Proteftans ; & en effet , de
quelle utilité pouvoir être leur jondion après une (ï grande
perte? Ils allèrent à Auxerre , dont les habitans n'avoient pas
beaucoup d'attention pour Defbordes , qui en étoit le gou-
verneur. Ils fe fortifièrent dans cette ville , ôc ils la conferve-
rent jufqu'à la paix.
Cet accident ouvrit les yeux des Confédérez , 6c leur fit
connoître leur faute. Ils fe mirent promptement en marche >
ils laifferent Châlons 6c la Marne à leur droite , 6c ils arrivè-
rent à S. Michel , au-delTous de Verdun. Ayant pafifé la Meufe,
ilsfe dérobèrent au danger d'une bataille générale 6c décifive,
qu'ils n'auroient pu éviter , fi un plus long retardement avoit
donné le tems à l'armée du Roi d'arriver j ce fut ainfi qu'un
léger accident leur fit prévenir un bien plus grand malheur.
Car pendant ce tems-là le duc d'Anjou , à qui on avoit don-
né pour confeil les ducs de Nemours 6c deLongueville, Ar-
tus de Coffé maréchal de France, Gafpard deSaulx comte de
Tavanes,Sebaftien de Luxembourg de Martigues , Carnavalet
gouverneur du Prince, 6c Jean de LofTes , marchoit à grandes
journées > bien réfolu de livrer combat à l'ennemi , s'il pou-
voit l'atteindre. Mais Briffac, foitparune trop grande ardeur
de combattre , foit par vanité , 6c pour ne partager avec per-
fonne la gloire qu'il fe flattoit d'acquérir , fit échouer le pro-
jet qu'on avoir formée de furprendre l'ennemi.
Dans le même tems Jean comte d'Aremberg , Général d'une
grande réputation, envoyé par le duc d'Albe, arriva au camp
du duc d'Anjou avec quinze cens cavaliers, 6c un cortège aufïi
brillant que nombreux. Ce renfort augmenta confiderablement
l'armée au Roi. Cependant on ne ceffa point de negotier. Te-
ligny , jeune homme d'unefprir 6c d'une prudence fort au-def-
fus de fon âge , 6c que Coligni dans la fuite choifit pour fon
gendre à caufe de fes rares qualitez, alloit fanscefTe de l'un 6c
de l'autre côté. On avoit envoyé dès le 20 de Décembre Ro-
bert de Combaud, avec un écrit? où pour le conciher plus
aifément fur les differens articles qui avoient été propofez , le
Roi confentoit que le prince de Condé traitât avec S. M. par
le
DE J. A. DE THOU, Liv. XLII. 395
le miniftere du cardinal de Châtillon , du comte de la Roche- _____^__
foucault ôc de Bouchavanes, & leur accordoit toutes les fû- C h a RLE
retez néceflaires, pour fe rendre à la Cour. Sur cela le cardi- j ^
nal de Châtillon , accompagné de quelques Gentilhommes , 1^57.
( car on voulut bien que la Rochefoucault ôc Bouchavanes de-
meuraflent à l'armée, ) vint à Bar, ôc de là à Châlons.
La Reine mère s'y rendit le lendemain avec les cardinaux
de Bourbon , de Lorraine ôc de Guifc. Le cardinal de Châ-
tillon dit que les Confédérez étoient difpofez à accepter les
conditions , que le Roi leur avoit offertes : Qu'ils demandoient
feulement qu'il plût à fa Majefté d'expliquer plus clairement
quelques termes obfcurs ôc équivoques , ôc d'ufer de diligen-
ce> parce que la guerre ayant donné lieu à lalicence , aux meur-
tres ôc aux pillages, il n'y avoit point de jour qui ne coûtât au
Royaume plus de cent mille écus : Qu'au refte les exphcations
qu'il demandoit au nom du prince de Condé étoient une affai-
re d'une demi-heure. La Reine répondit que la matière étant
d'une très-grande importance, il falloir que le Roi, qui étoit
majeur, en prît connoiffance, ôc qu'il ne décidât rien que de
Favis de fon Confeil : Qu'ainfi l'affaire ne pouvoir être traitée
qu'en fa préfence , ôc que lui feul pouvoir la iinir. Elle dit donc
au Cardinal de venir au château de Vincennes -, ôc elle lui
promit toutes les fûrerez qu'il pouvoir exiger : elle ordonna 4^
Bloffel deTorcy , chevalier de la Toifon d'or, de l'y conduire
fûrement avec vingt gardes du Roi.
Dès que le cardinal de Châtillon fut venu au lieu marque
avec Jacque de Brouillard de Lizy fon proche parent, Fran-
çois Rafin dit Pothon> fénéchal d'Agenois ,lui défendit delà
part du Roi de parler à quelque Parifien que ce pût être. La
Reine cependant étoit allée à Paris par un autre chemin , ôc les
cardinaux de Lorraine ôc de Guife s'étoient rendus de Châ-
lons à Rheims. Trois jours après on envoya Jean de Morvil-
liers ôc Louis de Saint-Gelais de Lanfac, pour traiter avec le
cardinal de Châtillon. Il témoigna d'abord beaucoup de ré-
pugnance, ôc il dit hautement qu'il ne traiteroit qu'en pré-
fence du Roi, ôcque la Reine mère l'avoir ainfi réglé à Châ-
lons. Morvilliers prefTa le Cardinal de commencer la négotia-
tion, en lui faifanteiperer^ que quand on auroit commencé.
Tome F, Ddd
5P4 HISTOIRE
. & que tout feroit applani , alors l'afFaire feroit terminée en pré*
Charle ^^^^^ ^^ ^^ Majefté.
I X ^^^ convint donc d'abord que l'édit d'Orléans , auquel on
T r /<■ s avoit donné plufieurs atteintes , feroit rétabli dans fon entier :
v^ue IQS articles de cet edit , qui n avoient point encore cte
exécutez le feroient, & qu'on ré voqueroit pour le préfent ôc pour
l'avenir tous les changemens qu'on y avoit faits. On convint
encore pour plus grande fureté ^ que l'édit feroit publié & enre-
giftré dans tous les Parlemens du Royaume , à la requête des
Procureurs du Roi^ ôc qu'il auroit lieu, jufqu'à ce que l'affai-
re fut décidée par un Concile univerfel y libre 6c canonique.
Après être convenu de ces chefs , il s'agiffoit de l'interpré-
tation de quelques articles de cet édit 5 ce que le cardinal de
Châtillon croyoit devoir fe faire en préfence du Roi. Le len-
demain , on lui envoya Chriftophle de Thou ^ premier Préfi-
dent du parlement de Paris , auquel on joignit René Baillet
préfidentdu même Parlement, homme de probité, qui n'étoit
pas défagréable aux Colignis , & qui leur étoit même un peu
parent. Le Cardinal , qui crut qu'on ne changeoit ainfi de né-
gociateurs, que pour traîner l'affaire en longueur, ôc ne rien
finir, refufa de traiter 5 ôc on ne fit rien pendant trois jours.
Enfin la Reine ayant fait venir le Cardinal au couvent des
Minimes % qui n'eft pas éloigné de Paris, elle s'y rendit avec
le cardinal de Bourbon. Cette Princeffe dit que ce n'étoit pas
affez de traiter de la paix , fi on ne convenoit des moyens d'em-
pêcher que le feu de la guerre, qui auroit été éteint, nefe ral-
lumât ; ÔC elle pria le cardinal de Châtillon de lui donner fur
cela fon avis. Celui-ci répondit fur le champ : « Puifque la
»' crainte, les exils ôc les differcns fupplices n'ont rien gagné
»> jufqu'à prefent fur les Proteftans 5 qu'au contraire la per-
»' fécution n'a fait qu'augmenter leur nombre ôc les fortifier,
" ôc que les deux partis fe trouvant ennuyez de la guerre, il
» a fallu en venir à un accommodement 5 il me femble qu'il
. » n'y a point de meilleur moyen de l'affermir, que de faire un
» traité , qui contienne de part ôc d'autre tous les fujets de fa
» Majefté , en leur rendant également juftice , fans faire aucune
1 Père de l'auteur. z Ce font les Minimes du bois de Vincennes.
DE J. A. DE THOU> Liv. XLÎL 59;
s> diftindion de Religion j ôc que le Roi , fuivant les mou- .
« vemens de la bonté qui lui eft naturelle > partage entr'eux Ch arle
0» les dignitez , les honneurs , les grâces , & les magiftratures ; | y
» enforte qu'il ne paroifTe faire que ce qu'il lui plaît , mais ce- t r (jg
3> pendant avec raifon , avec juftice , avec équité. «
Le Cardinal ajouta, que pour lever tous les foupçons Ôc ôter
les défiances, il falloit congédier toutes les troupes étrangè-
res t Ôc toutes les nouvelles levées , puifque c'étoit la crainte
feule de ces troupes, qui avoit caufé cette dernière guerre,
Ôc forcé \qs Proteftans de prendre les armes , n'ayant point d'au-
tres moyens pour mettre à couvert leurs biens ôc leurs vies.
« Voilà , ajoûtoit-il, le vrai ôc le feul moyen d'établir une paix
3> folide. Qui que ce foit, Gentilhomme , ou autre, nefortira ja-
» mais de fa rriaifon, lorfqu'il croira que fa confcience, fa li-
3> berté, fa vie, fa fortune , fa charge, ôc fon emploi feront en
» aiïûrance. Il eft aifé de prouver cette vérité par l'exemple
M d'une multitude innombrable de gens , que ce feul motif fait
»> tous les jours venir en foule auprès du prince de Condé ,
» dont ils connoiflent à peine le nom, qui. n'ont jamais reçu
» de lui aucun bien-fait, ôc qui n'en efperent aucun 3 bien ré-
» folus de retourner chacun chez foi , dès que le Roi aura eu
»> la bonté de les maintenir fans crainte dans la palfible pofTef-
" fion de ce qu'ils ne peuvent s'aifùrer par les armes , qu'en
»' rifquant beaucoup. » Florimont Robertet fecretaire d'Etat
ayant mis par écrit ce difcours du Cardinal, la Reine mère lui
promit d'en parler au Roi, ôc s'en alla.
Le lendemain, 20 de Janvier, Morvilliers vint trouver le
cardinal de Châtillon ,avec une réponfe du Roi par écrit, qui
contenoit en fubftance : Que les moyens propofez par les Pro-
teftans, pour établir une paix véritable, fmcere ôc folide, ne
paroiffoient pas certains i parce que ces moyens dépendoient
de la bonne foi de gens qui en avoient déjà manqué plufieurs
fois en prenant les armes, ôc en faifant entrer des troupes étran-
gères d^ns le Royaume de leur propre autorité» contre les dif-
pofitions de l'édit d'Orléans : Que le Roi étoit étonné que les
Proteftans n'euffent pas renvoyé les troupes auxiliaires d'Al-
lemagne , auffi-tôt qu'ils avoient reçu les conditions que Com- .
bauld leur avoit préfentéesipuifqu'ils avoùoient qu'ils en étoient
contens , Ôc que par ces conditions on leur avoit donné une
Ddd ij
3P5 HISTOIRE
bonne garantie : Que fa Majefté ne pouvoir oublier la peine que
C HARLE ^^ ^"^ s'etoitpafiTc à Meaux lui avoir caufée , ôc qu'il ne pou voit
IX regarder cet attentat que comme une confpiration des Pro-
j ^*g teftans contre fa propre perfonne : Que fa Majeftc vouloit Ôc
ordonnoit que les Proteftans commençafTent par lui faire fatis-
fadion fur ce grief ôc fur pluffeurs autres.
Le cardinal de Châtillon répondit par un écrit , qui fut de-
puis publié. Cet écrit portoit : Que le prince de Condé ôc les
Confédérez n'avoient pris les armes que dans une extrême né-
ce/Tité y ôc pour leur jufte défenfe : Que s'ils ne l'eufTent pas
fait, leurs ennemis auroient impunément achevé de les perdre,
ôc de bouleverfer le Royaume : Qu'ainfi ils ne pouvoient con-
gédier les troupes auxiliaires , qu'ils avoient été obligez défaire
venir , pour les oppofer à tant de troupes étrangères , que leurs
ennemis avoient levées , en Italie , en Suifle , ôc dans le Payis-
bas,fans expofer leurs vies, ou fans fe voir réduits à abandon-
ner le Royaume : Qu'ils ne refufoient pas néanmoins de met-
tre bas les armes, dès qu'on auroit remis les chofes dans leur
premier état 5 pourvu que fa Majefté renvoyât aufli les Italiens,
les Suifles , ôc les troupes nouvellement envoyées par le Roi
d'Efpagne, qu'on n'avoir fait venir que pour les exterminer.
Pour ce qui regardoit l'affaire de Meaux , le Cardinal protef-
toit au nom du prince de Condé ôc de tous les Confédérez,
qu'ils n'avoient jamais penfé à former une conjuration ni con-
tre fa Majefté, ni contre faMaifon, ôc qu'ils aimeroient mieux
mourir mille fois, que d'avoir une pareille penfée; Qu'ils étoient
venus à Meaux uniquement pour fe jetter aux genoux de fa
Majefté i ôc pour la fupplier avec toute l'humilité ôc la foumif-
fion poflibles, de vouloir bien révoquer l'arrêt que leurs enne-
mis l'avoient forcé de prononcer, ôc qui étoit fur le point d'ê-
tre exécuté contre eux , ôc contre tous ceux qui proteftoient
n'avoir point d'autre vue, que de réformer ôc corriger les abus
qui s'étoient gliflez dans la Religion : Que c'étoit contre ces
ennemis feulei^jent, ôc non contre l'autorité ôc la majeflé^du Roi,
qu'ils avoient pris les armes j ce qu'ils étoient prêts de foutenic
à main armée contre ceux qui oferoient dire le contraire : Que
pour cela il fupplioit fa Majefté de vouloir bien rendre fes bon-
nes grâces au prince de Condé ôc à tous {qs partifans , de les
regarder comme de très-bons, très-foûmis , Ôc très-lideles fujets^
DE J. A. DE THOU.Liv. XLÎI. 5^7
de leur accorder une pleine ôc entière liberté de confcience^
ôc de les maintenir dans le libre exercice de leur Religion, c^arle
& dans la paiiible & tranquille joùifTance de leurs vies 3 de i^ç^
leurs biens, ôc de leurs dignitez : Proteftant qu'ils étoient dif- j ^ 5 g,,
pofez à fe laifTer réduire à la dernière extrémité , 6c à fouffrir
tout ce qu'il plairoit à Dieu de permettre ou d'ordonner, plutôt
que de fe livrer entre les mains de leurs ennemis , qui étoient
ceux du Roi ôc de l'Etat , ôc d'être abandonnés à leur difcretion.
Ainfi finit la négotiation de paix, ôc on renonça au defleinde
pourfuivre l'armée des Proteftans. On ne manqua pas à ce fu-
jet de faire des reproches à ceux qui compofoient le Confeil
du duc d'Anjou , comme s'ils euiïenr favorifé en fecret le paiti
des Confédérez. C'eft au moins ce que dirent alors leurs en-
vieux. On en vouloit principalement au maréchal de CofTé , ôc à
François de Carnavalet, l'homme le plus recommandablepar fa
fidélité j fa modération, la pureté ôc l'intégrité de fes moeurs :
mais que ceux qui lui ont depuis fuccedé dans fon emploi ,
ôc d'autres, commençoient déjà à le calomnier, pour le met-
tre mal dans l'efprit du Prince , ôc le faire éloigner de fa per-
fonne. ^
Les Confédérez étant arrivez en Lorraine, ôc ne vo^nt Suite de i»
point paroître Calimir, qu'ils avoient crû trouver arrivé avec ^^
fes troupes auxiliaires, commencèrent à murmurer, ôc à dire
tout ce que la colère ôc une efpece de défefpoir leur infpiroit.
On ne manqua pas de murmurer aufîi contre les chefs j mais
d'une part , les plaifanteries du prince de Condé , qui étoit natu-
rellement gai ôc de bonne humeur, ôc de l'autre , les férieufes
réprimandes de Coligni firent bien-tôt ceffer les plaintes. Il ne
fe paflii que cinq jours depuis l'arrivée de l'armée des Confédé-
rez , jufqu'à la nouvelle qu'on reçut que Calimir étoit proche. La
trifteffe fit auffi-tôt place à la joie , ôc le defir de combattre fuc-
ceda au défefpoir. Prefque dans le même moment on retomba
dans la triflcffe ôc dans l'abattement. Les agens du prince de
Condé s'étoient obligez de faire compter cent mille écus aux
Allemands, fl-tôt qu'ils auroient joint l'armée Proteftante i ôc
cependant le Prince ôc les autres Confédérez avoient à peine de
quoi fournir aux dépenfes journalières de leurs maifons. Le
Prince ôc l'Amiral fe trouvant dans une li fàcheufe extrémité,
employèrent tout ce qu'ils avoient de crédit , d'éloquence
Ddd iij
'lierre.
5p8 HISTOIRE
. ôc d'induftne , pour perfuader aux Confédérez de contribuer
Ch ARL E chacun, autant qu'il pourroit, pour une chofe fi néceiTaire, dont
I X dépendoit la confervation du parti. Ils engagèrent par leur
1X63 exemple les Seigneurs à donner pour cet effet leur vaifTelle d'ar-
gent y leurs bijoux , ôc leurs meubles les plus précieux.
La plus grande ditïiculté fut de faire contribuer ceux qui ,
accoutumez à vivre de pillage, aimoient mieux prendre que
donner. Cependant picquez d'honneur , ôc animez par les vi-
ves exhortations de leurs Miniftres , ils confentirent à une
contribution; ôc l'exemple, faifant impreflion fur les autres,
les foldats même ôc les valets d'armée, foit par émulation, foit
par vanité, donnèrent àl'envi, avec joie ôc avecprofufion, plus
d'argent qu'on ne fçauroit croire ; enforte qu'on tira de cette
efpece de collede environ trente mille écus , fomme , qui toute
modique qu'elle étoit, appaifa pour un tems les troupes Alle-
mandes , qui eurent plus d'égard à la bonne volonté qu'à l'effet.
On en eut la principale obligation à Cafimir. Ce Prince
écrivit de Pont-à-Mouifon,OLiilpa(falaMofelle, au Roi: Qu'il
n'étoitpas venu en France pour i^es propres intérêts, mais pour
la défenfe de ceux qui profefToient la même Religion que lui,
ôc qu'il étoit prêt de retourner fur fes pas avec fes troupes, (i
fa Majefté avoir la bonté de leur accorder la liberté de con-
fcience, l'exercice public de leur Religion , ôc une alTurance
de les laifler jouir tranquillement de leurs vies, deleurs biens
ôc de leurs dignitez. Cafimir avoir emmené avec lui les deux
frères Wolfang ôc George, comtes de Barby , le conite de Ho-
len , Jean Bleichard Landfchad lieutenant de Cafimir , Wol-
fang Falkenrod maréchal de camp , Chriftophle "WolftendorfF
capitaine des gardes à cheval , Thierry de Vcfenbuch lieute-
nant colonel de fix compagnies de cavalerie , Chriftophle de
Malspergk , ôcTheodoric de Schomberg, qui avoient chacun à
leurs ordres quinze cens hommes de cavalerie. Jean Sebalde
Siglinger commandoit finfanterie. Il y avoir dans l'armée de
Cafimir fix mille cinq cens chevaux, trois mille hommes de
pié, quatre moyennes pièces de canon ^ avec leurs afîuts.
Le Prince de Condé ayant reçu ce renfort, réfolut d'aller
à Paris, ôc d'en faire le théâtre de la guerre, pour fatiguer l'ar-
mée du Roi, ôc forcer la Cour, déjà ennuyée de la guerre,
à faire plus promptement la paix. Mais l'armée avoir peu de
DE J. A, DE THOU, Liv. XLTI. ^pp
bagages ; elle manquoit d'argent j elle n'avoir prefque aucunes — »
provifions, ni aucunes voitures pour tranfporrer les vivres: il Charle
falloir d'ailleurs pafler par des villes Ôc des places ennemies, Ôcla IX.
faifon rendoit les chemins fort mauvais. L'habileté des Chefs 1568.
&. la neceffité trouverenr le moyen de furmonter ces difficul-
tez. La précaution admirable de Coligni , un des plus prudens
généraux de fonfiécle, fit que les particuliers prêtèrent leurs
chariots pour apporter les provifions 5 que dans chaque com-
pagnie de cavalerie, dont le nombre étoit de quarante, il y
avoir deux boulangers , & deux chevaux de charges ; que cha-
que jour en arrivant au logement , les boulangers cuifoient
du pain, qui étoit auiïi-tôt diftribué aux foldatsj qu'on faifoit
des magafins dans les villes > dont lesProteftans s'etoient ren-
dus maîtres , ôc qui avoient alors des vivres en abondance j que
les villes ôc les places fansgarnifon , pour fe rednner du pillage
& du feu , donnoient d'elles-mêmes des vivres ôc des provi-
fions , qui étoient mifes entre les mains des Commiflaires char-
gez de ce détail pour l'ufage de l'armée. Le pillage fournifToit
aux petits befoins particuliers du foldat. Car c'étoit le fentiment
de Coligni 3 & il avoit coutume de dire, que pour former
ce monftre ( c'eft ainfi qu'il appelloit une armée deflinée à une
guerre civile) il falloir commencer par le ventre.
Il n'y avoit pas moins de difficuhés , par rapport à la marche
& aux canipemens. Pour les furmonter , on étendoit les loge-
mens contre les règles de la difcipline militaire î afin que le
foldat pût trouver de quoi vivre, ôc des maifons pour fe mettre à
l'abri des injures du tems , dans une faifon fi rude. On féparoit
l'infanterie en deux; on en mettoitune partie dans la première
ligne, & l'autre dans la féconde? & la cavalerie étoit diftribuée
dans les villages voifins 5 afin que s'il arrivoir quelque chofe, tous
puffent promprement accourir au quartier des chefs, & que fi on
attaquoit quelqu'un des logemens , ils fulTent à portée de venir
au fecours. Entre les efcadrons de cavalerie légère , on met-
toit des arquebufiers à cheval. On fortifioit chaque logement
d'un retranchement, ôc de quelques ouvrages faits à la hâte,
pour pouvoir en cas d'attaque , faire quelque réfiflance , & a-
voir le tems d'être fccouru. On les faifoit marcher, comme
on les logeoit , par troupes , ôc on marquoit à tous Iheure ôc
le lieu ou Us dévoient être campez. On avoit placé à l'avant-
400 HISTOIRE
_ garde la cavalerie légère^ compofée de fix cens cavaliers choifis,
r^ TT A n T c- & d'autant de moufqaetaires à cheval, avec très-peu de bagage.
T y Comme ils marchoient en cet ordre entre J omville ôc Chau-
(5*8 niont , les garnifons de ces deux places fortirent , Ôc les harce-
lèrent. Ils pafTerentla Marne près deLangres, ôc prenant leur
chemin par la Bourgogne , ils vinrent à la fource de la Seine.
Les Italiens que Louis de Gongazue duc de Nevers comman-
doit , ôc qu'il avoit poftez dans le voifinage , pour empêcher ou
pour retarder le paflage de l'armée Proteftante, s'aviferent de ce
ftratagcme. Ils jetterent fecretement dans la rivière des poin-
tes de fer ôc des clous, afin que les chevaux fe bleflant tombaf-
fent ôc fiflent tomber leurs cavaliers , ôc que les chargeant alors
ils puiTent les tuer ôcles défaire fans peine. Cette rufe fut fans
fuccès ; car les premiers qui fondèrent le gué , ayant connu le
ftratagéme à leurs dépens, en garentirent les autres. Ils eurent
foin de nettoyer avec des râteaux le lit de la rivière j ôc l'armée
qui étoit plus nombreufe que l'armée ennemie, la pafTa , malgré
le corps d'Italiens qui firent en vain leurs efforts pour s'y oppo-
fer. Le prince de Condé qui étoit à Ancy-le-franc , un des
plus beaux châteaux du Royaume, appartenant aux Clermont-
Tallart , détacha Théodoric de Schomberg avec fon régiment,
pour fuivre ces Italiens. Schomberg les attaqua , tailla en pie-
ces le plus grand nombre, mit les autres en fuite, ôc rapporta
deux drapeaux au prince de Condé. Le Prince , en conlidera-
tion de ce fervice , lui fit préfent d'un collier pefant deux cens
écus d'or.
Delà les Proteftans marchèrent vers Auxerre , dont des Bor-
des étoit gouverneur. Comme il avoit fait bien des chofes , qui
avoient extrêmement mécomenté les habitans , le prince de
Condé, à leur prière, luiôta ce gouvernement, ôc le donna
à Antoine Marrafin de Guerchy. Des Bordes eut néanmoins
affez de crédit auprès du Prince , pour l'engager à mener fon
armée à Crevant, place fur l'Yonne, riche par elle-même, ôc
où plufieurs perfonness'étoient retirées -.ilTaffura que le pillage
de cette place fourniroit à la dépenfe de l'armée. Pendant
qu'on en faifoit le fiége , ôc que les habirans fe défendoient
avec beaucoup de vigueur, le Prince apprit que l'enfeigne de
fa compagnie avoit été tué à Francy , place au-delTous de Cre-
vant,qu'il avoit deftinée pour fon logement. Ily envoyaBourry
avec
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIL 401
avec fon régiment , pour punir les bourgeois de leur témérité. ,
Mais comme ils firent une vigoureufe réfiftance , ôc qu'après p „ * d t p
ieparti qu'ils avoient pris, ils s'étoient préparez à tout évene- Ty
inent , il fallut employer plus de forces. On laifla donc le fiége ^ o
de Crevant j on en emmena les canons , oc on les mit en bat- ^
terie contre Irancy. Ayant fait brèche , les troupes de Bourry
donnèrent i'affaut : elles furent fuivies par un détachement de
Gafcons, qu'Armand de Clermont de Piles avoit emmenés. La
place fut prife & mife à feu ôc à fang, avec tant de fureur ôc
de cruauté , que le fang couloit de tout côtés , ôc qu'ofi douta
lequel des deux i'avoit emporté , ou la témérité des affiégez, ou
rinhumanité des alTiégeans. Après avoir pafle l'Yonne ôc la Cu-
re à quelque diftance d'Irancy^ on marcha à Bleneau , àChâ-
tillon, ôc à Montargis, où l'armée paffa la rivière de Loin. De-
là les troupes s'étendirent , ôc allèrent dans laBeaufle. Le prin-
ce de Condé devoit aller de-là à Orléans, pour y recevoir les
troupes qui y étoient arrivées du Languedoc , du Dauphiné, ôc
de la Guyenne, ôc pour y prendre du canon, ôc d'autres mu-
nitions de guerre. Mais avant que nous allions plus loin , il faut
entrer dans quelque détail de ce qui fe pafla dans les Provinces.
Lorfcjue les troupes du Roi commencèrent à faire des cour-
fes dans le Poitou, Cacodiere leur fit tète au nom des Con-
fédérez, ôc ayantfurpris deux capitaines qui levoient des trou-
pes par les ordres de Guy de Daillon comte du Lude,illes
tua. Il y avoit déjà cinq cens cavaliers affemblez à Marûeil,
ville fituée fur le Loy , forte par fa fituation ôc par fon château :
ils dévoient au premier jour fe mettre en marche pour aller trou-
ver le prince de Condé. Le comte du Lude gouverneur de la
Province l'ayant appris , crut qu'il ètoit de fon devoir de s'op-
pofer à ces commencemens , ôc d'attaquer ces nouvelles XQ-^iz^^
avant qu'elles fuflTent en plus grand nombre. Il réfolut donc
de venir à Mareiiilavec fix compagnies de cavalerie, ôc un ré-
giment d'infanterie, après avoir poftédans les villages voifins;
qui ont des murs, ôc qu'on appelle bourgs, des officiers pour
garder lespaflages, ôc incommoder les Proteftans. Il fit pren*'
.dre les devants à fa compagnie de cavalerie, fous les ordres
de la Marcoufle fon lieutenant, ôc de Philippe Frefeaude la
Frefeliere fon enfeigne.
Pour lui, étant arrivé à Sainte Hermine, à deux lieues de
Tome F, Eee
402 HISTOIRE
Hi,,,.^. nm Mareiiil, il envoya une compagnie de cavalerie, commandce
r^ u , T, T r pai' Albergement bâtard de la maifon de Volvire de RufFec ,
I X pouriomnier ceux qui etoient en armes de les mettre bas, oc
I c 6 8 ^^ fe retirer dans leurs maifons, & pour examiner en même
tems s'il y avoir une occadon favorable de faire quelque en-
treprife contre l'ennemi. Cacodiere , qui commandoit en Tab-
fence du Gouverneur, n'attendit pas qu'il fût averti de ce qui
fe paiToit. Jugeant bien que ce lieu étoit trop petit , pour con-
tenir tant de monde , il n'eut pas de peine à perfuader à fes gens
qu'il falloir prévenir le danger, ôc fe retirer. Ainfi il^ partirent
la nuit fui vante , ôc fe rendirent en diligence à Talmond, lieu
environné de marais, proche la mer, & par conféquent d'un
très - difficile accès. Mais bien - tôt la fatigue leur lit per-
dre courage , ôc n'étant pas encore bien revenus de la peur que
la nécefTité de fuir leur avoir caufée, ils mirent les armes bas,,
ôc fe difperferent.
Une partie fe retira à la Rochelle , dont les Proteftans ve-
noient de fe rendre les maîtres. Fabius de faint Ermine y com-
mandoit au nom du prince de Condé, Ôc plufieurs y accou-
roient, comme à unlieu fur, tranquille j ôc favorable au com-
merce. Alors on commença à fortifier la ville ;ôc les Protef-
tans s'emparèrent des places voifines , de l'ifîe de Ré, de la pe-
ninfule de Marans , ôc de plufieurs villes ôc châteaux fur la merj
ce qui leur fut aifé dans un payis où tout le monde avoir du
penchant pour leur Religion. Après ces expéditions, voyant que
la ville ne trouveroit pas de quoi faire fubfiftertant d'habitans,
s'ils n'avoient des troupes pour préferver les villages d'alentour
des courfes que faifoit le comte du Lude, ils levèrent quatre
enfeignes de cavalerie , ôc quelques compagnies d'arquebu fiers,
pour fortifier le château de Marans fitué dans le bas Poitou^
ôc pour pouvoir delà defcendre vers Luçon ôc Sainte Gemme,,
places de tout le payis les mieux pourvues de tout ce qui efl:
néceffaire à la vie.
Luçon ôc Maillezais étoient autrefois deux riches Abbayes,,
que Jean XXII , du tems de Philippe de Valois, érigea en Evê-
ché. Luçon avoir alors de bons murs ôc un bon foffé , qu'on
rafa depuis, dans le tems de la guerre avec les Anglois ,
ôc il n'y refta de fort qu'une Eglife, qui difputeen beauté ôc
en magnificence avec les plus belles Èglifes de la Province.
DE J. A. DE THO U, Liv. XLII. 403
Tout le peuple s'y éroit réfugié j il y avoit aufîî quelques fol- -
dats du Roi commandez par Chantecier Prêtre , qui arrêtèrent ^ ^
pendant quelque tems les Proteftans, ôc en tuèrent quelques- ^^
uns. BoilTeau ôc Sauvage, les deux principaux chefs des Protef-
tans , irritez de cette réfiftance, redoublèrent leurs efforts , en- ^ ^ ^
foncèrent les portes de l'Eglife , ôc égorgèrent tout ce qui s'offrit
à eux. Chantecier, qui avoit eu la main gauche emportée d'un
coup de canon, étoit fi adroit de Tautre main, qu'il ne man-
quoit jamais de tuer tous ceux qu'il tiroit , pourvu qu'il pût les
voir. On le prit enfin , on l'étrangla , 6c ajoutant finfulte à l'in-
humanité , on le traita très-ignominieufement devant ôc après
fa mort.
Luçon ayant été pris ôc pillé , le capitaine la Belle , dit Rouf-
feau , marcha avec un détachement de vingt hommes à Sainte
Gemme. Comme il marchoit fans ordre, plus occupé du foin
de piller que de conferver fa troupe, Sogré ôc quelqu'autres
envoyez par le comte du Lude, ôc quis'étoient avancez juf-
qu'àla Popeliniere, fans être apperçus des fentinelles , le furpri-
rent5 une crainte fubite fucceda alors à l'air triomphant, avec
lequel il marchoit, ôc il fe rendit honteufemenr. 11 avoit déjà
donné fa parole , lorfque la garnifon de la Rochelle vint à fon
fecoursj ainfi il ne put réparer fa faute. Les Proteftans enlevè-
rent leur butin ôcfe retirèrent , après avoir mis le capitaine Sau-
vage dans le château de Marans. Le même jour, le comte
du Lude vint à Sainte Hermine , ôc mit fes troupes en quar-
tier à Fontenay , à JNiort , à Mareùil , à Luçon , ôc à Sainte
Hermine. Ces troupes fans difcipline, ôc abandonnées à la li-
cence, exercèrent inhumainement contre les payifans tout ce
qu'on peut imaginer de cruauté.
Dans la Guyenne ,Blaife de Montluc gouverneur de la Pro-
vince n'eût pas plutôt appris le tumulte de Meaux , qu'il fe ren-
dit maître de Lecloure , une des plus confiderables villes de
la Gafcogne, ôc capitale du comté d'Armagnac. Il en ota Af-
tarac de Fontrailles qui commandoit dans le châceau , ôc que
fon attachement pour la nouvelle Rehgion rendoit fufpe6l,ôc
il mit à fa place la Caffagne. Il affembla avec la même di-
ligence les Seigneurs de la Province , ôc les exhorta d'affifter
le Roi ôc la Reine dans la peine où ils fe trouvoient, ôc de
rendre tous les fervices qu'ils pourroient à leur patrie, dans les
Eee ïj
404 HISTOIRE
_ rems fâcheux ôc le danger preflant où elle étoit. II n'y avoit
C H A. RLE ^" ^^^^ ^^^ quatre enieignes de cavalerie, commandées pat
jyr Hedor de Pardaillan de Gondrin , Jean de Nogaret de la Va-
1 c 68 ^^^^^ y ^^ Maiïez , ôcBazourdan, huit compagnies de moufque-
taires à cheval , ôc quarante d'infanterie , fous la conduite de
Saint Orens , ôc de Fabien fils de Montluc , Chevalier de
Malte.
A peine s'étoit-il écoule vingt-neuf jours après la prife de
Lectoure, que non feulement toutes les troupes s'aflemblerent
au bruit dn danger oii étoit le Roi , mais qu'elles s'avancèrent
jufqu'à Limoges. Montluc le pcre les y îuivit en diligence,
pour les conjurer de partir fans aucun délai. Il leur donna pour
général Lomagne de Terride , le plus ancien des officiers ;ôc
il mit fous lui Gondrin. Jacque de Balaguer de Monfalez,
homme d'un grand courage , mais fort ambitieux , fut très-mé-
content de ce choix , ôc on eut bien de la peine à l'appaifer, en
lui donnant le commandement de lavant-garde. Montluc fut
bien mal recompenfé de fa diligence ôc de fes bons fervices;
car à la recommandation d'Anne de Montmorenci , on don-
na à Henri de Foix de Candale fon gendre le gouvernement
de Bordeaux ôc du Bordelois, avec une pleine autorité h ôc cela
fous les yeux de Montluc , à qui on ôtapar là la plus noble par-
tie du gouvernement général delà Guyenne qu'il avoit. Mont-
luc fe retira à Agen , d'où il écrivit plufieurs lettres à la Rei-
ne, pour fe plaindre de l'injuftice qui lui avoit été faite. Il y
relia jufqu'à ce que le Connétable étant mort , la Reine lui
manda qu'elle ne pouvoit honnêtement retirer à Candale ce
qu'on lui- avoit accordé -, mais que pour leconfoler en quelque
façon de la perte qu'il avoit faite d'une partie de fon gouver-
nement, elle lechargeoit du foin défaire la guerre en Sainton-
ge > ôc le fiége de la Rochelle.
Quoique Montluc n'eût pas l'argent néceffaire pour cette
expédition , parce qu'il falloir le tirer de Bordeaux, de Tou-
loufe, ôc d'autres lieux éloignez, ôc quoi qu^on n'eût pas en-
core amené les canons qu'on devoir envoyer de Nantes, néan-
moins pour n'être pas oifif, il vint à Saint Macaire , où il eut
une conférence avec Gabriel Caumont de Laufun un des plus
grands Seigneurs du payis. Il exhorta toute la Nobleffe à ne pas
manquer à ce qu'ils fe dévoient à eux-mêmes dans une pareille.
DE J. A, DE THOU . Liv. XLîI. 40;
occarion> 6c il fit prendre les devants à Madaillan enfeigne de *
îacompaffnie de Laufun, avec la cavalerie ^ à laquelle il ioienit o t, r.
une cornette a arquebuiiers a cheval , lous la conduite de V er- i y
duran gouverneur de Bazas. Il lui donna encore les compa- ^ô
gnies de Mabrun , de Thodias , & de la Motte Mongauzy, ^,
Cependant il donna ordre à Roger de Saint ^pilry de Belle-
garde de veiller avec foin pendant fon abfence , à Cominges,
àTarbes, dans le Bearn, ôc aux environs , pour empêcher que
l'ennemi , qu'ils laiflbient derrière , ne fit aucune enrreprife. Il
chargea Negrepellifle de garder les Baillages ou jugeries de
Verdun ' & de Rivière. Il donna le commandement dans le
Rouergue à la Valette de Cornuflbn l'aîné , ôc il envoya dans
le Quercy quatre regimens d'infanterie , pour s'oppofer aux
yicomtesj s'ils faifoient quelques tentatives.
Montluc avoir donné ordre à Madaillan d'aller le plus vire
qu'il pourroit à Saintes, fans interrompre fa marche, fi ceux
de Marans croient encore à Saint Severin , de les attaquer fuu
le champ, & s'il ctoit vainqueur, de les tailler tous en pièces,
fans faire aucun quartier : bien perfuadé que cet exemple ré-
pandroit la terreur parmi tous les autres payifans, & les obli-
geroit à mettre les armes bas ; & que la frayeur ôc l'épouvante
des fuyards s'étendroit jufqu'aux Rochellois. Madaillan s'ac-
quitta parfaitement de fa commiflion 5 il trouva ceux de Ma-
rans à Saint Severin , ôc il n'eut pas de peine à les tailler en
pièces 5 il leur enleva trois drapeaux.
Le fixiéme jour d'après, Montluc vint à Marennes , avec
la compagnie de cavalerie de Jacque Defcars de Morville,
& une partie de celle de Jarnac; car le relie, attaché au parti
ÛQS Proteftans, étoit allé trouver le prince de Condé. Monduc
trouva à Marennes Antoine de Pons , lieutenant de Roi dans
la Saintonge , Ôc Seigneur de ces ides. Lcberon parent de
Montluc commandoit finfanterie , ôc Verduran faifoit les
fondions de maréchal de camp. Le comte du Lude vint en
même-tems à faint Jean , Ôc conféra avec Monduc fur la ma-
nière dont ils feroient la guerre , tandis que de Pons fe ren-
droit maître des ifles d'Oleron ôc d'Alvert , fon ancien pa- '
trimoine, dont les peuples furent fort intimidez par l'arrivée:
de Montluc.
L Ville de la Gafcogne,
Eee n;,
40^ HISTOIRE
,^^,^,^„„,^^, Il reftoit encore à prendre Tlfle de Rc, où îes habîtâns
~ avoient élevé un grand nombre de forts autour de l'Eglife , ôc
TV fur le bord de la mer. On détacha pour s'en rendre maîtres
* 500 arquebufiers choifis de toute l'armée fous la conduite de
* ^ ' Lcberon. Ils partirent du Broùage ayant le vent contraire , con-
tre lequel il^î^iterent le jour & la nuir. RepouiTcs ôc par le
vent 6c par les dards , qu'on leur lançoit de deffus le rivage ;
Ôc ne pouvant faire leur defcente , Leberon fit mettre les fol-
dats , qu'il avoir amenés fur des bâtimens de charge , dans un
vaififeau ; il fit le tour de fille, &: fit fa defcente par des ro-
chers efcarpés. Au(li-tôt il marcha vers la grande fortification,
proche de l'Eglife , qui n'étoit éloignée du lieu 011 il avoit
abordé , que d'une heure de chemin j il l'attaqua à l'impro-
vide par diffcrens cotez ; la prit , ôc mafiacra fans quartier tous
ceux qui s'y trouvèrent , fuivant les ordres qu'il en avoit re-",
eus de Montluc. Le relie des infulaires failis de crainte aban-
donnèrent les autres fortifications , montèrent en foule fur ce
qu'ils trouvèrent de vaiffeaux & de bâtimens , & s'en allèrent
à la Rochelle. Voilà en abrégé ce que Montluc fit dans la
Saintonge ; il en auroit fans doute fait d'avantage, fi l'argent, qui
ell le nerf de la guerre , ne lui avoit pas manqué; ou fi la paix
qui fut faite , n'avoit pas arrêté le cours de fes vi£loires.
Pendant que les armes du Roi avoient de fi heureux fuccès
en Guyenne , Poncenac ôc Verbelay, avec les reftes de la dé-
faite de Champoùi'ly , fe retirèrent par de chemins écartez
auorès du fieur Dacier. Poncenac prefibit tous les Confédé-
rez de partir tous enfemble , fans difterer , & d'aller joindre.
le prince de Condé. Mais Dacier touché par les prières des
peuples, qui le conjuroient de ne les point abandonner , ne
voulut pas fe mettre en chemin , difant qu'il étoit d'une très-
grande conféquence pour le prince de Condé, de ne pas bif-
fer ces Provinces fans troupes. Ainfi avant que de fortir du
Dauphiné , pour s'oppofer aux enrreprifes que les troupes du
Roi pourroient faire pendant fon abfence , il fit entrer dans S.
André, place peu éloignée de Vienne, le capitaine Pipetavec
300 arquebufiers, prévoyant bien que les ennemis ne man-
queroient pas de faire des courfes de ce côté-là.
La chofe arriva comme il favoit prévu ; le baron des Adrets
ayant amafTé de toutes parts 2000 hommes de pied , avec
DEJ. A. DETHOU^Liv. XLII. 407
quelque cavalerie légère y y accourut auffi-tot. Il fit appro- ,
cher le canon , & battre continuellement la place. Lorfan'il r^
y eut une granae orecne , ripet dépourvu de tout iecoursprit -r y
une réfolution extrême , parce qu'il connoiffoit le génie du ^ ô
Baron , & qu'il fe doutoit bien qu'il en ufcroit envers les Pro-
teftanSj comme il en ufoit auparavant envers les troupes du
Roi. Ainfi ayant pris avec lui ia garnifon , & quelques bour-
geois , il fortit la nuit , fe fit un paflage au travers des aJTié-
geans , en tua un grand nombre , & s'étant échappé des mains
d'un cruel vainqueur y il fe retira avec très-peu de perte aupre-
mier endroit , 011 il trouva garnifon.
Pendant cetems-là les Vicomtes , dont nous avons parlé ci-
deffus , de Mouvans , Rapin , ôc Poncenac entreprirent avec
la permifiîon du fieur Dacier , de conduire des troupes au
prince de Condc. Elles étoient d'abord composées de 6'oco
hommes , prefque tous d'infanterie. Mais les Gafcons, & fur-
tout ceux qui étant accoutumez à vivre de brigandages & de
vols dans les Pyrénées , aimoient mieux piller que faire la
guerre j ayant deferté , elles fe trouvèrent enfin réduites à 4000
hommes. Après avoir paffé la Loire au Pont S. Rambert ,
elles traverferent le Forez , & arrivèrent à Ganat , fur les con-
fins de l'Auvergne. Ayant enfuite continué leur route, ôc Pon-
cenac ayant laiflfé une garnifon au Pont de Vichy fur l'Allier,
lorfqu'elles furent dans la plaine qui efl au-deflfous, proche la
forêt de Randan, aifez près du village de Cognac , on vit pa-
roître les troupes du Roi qui confiftoient prefque toutes en
cavalerie , Ôc qui avoient à leur tête de Saint Heran gouver-
neur d'Auvergne , de Saint Chaumont , de Cordes , d'Urfé ,
i'évêque du Puy^ Haute-feuille , Brefiieu , Ôc plufieurs autres
de la première noblefle.
Les Vicomtes ayant apperçu cette armée > mirent leurs trou-
pes en bataille , ôc firent rompre le pont de Vichy ; afin que
le foldat n'ayant aucune efpérance de retraite , ne pût comp-
ter que fur fon courage. Ils crurent même qu'il falloit prompte-
ment le mettre aux mains avec l'ennemi, afin de ne paslaif-
fer rallentir fon ardeur -, ôc de crainte que les vivres ne leur
manquafient, s'ils fe laiflbient d'avantage refferrer dans cette val-
lée. Ils partagèrent leur armée en trois ; cnforte que le corps
(de bataille commandé par Monclar ôc Mouvans , couvroit le-
4o8 HISTOIRE
■ I . I iiiiM , village j les troupes de Foix étoient à la gauche j Poncenac
Charle ^^^*'" ^ coté, niais plus en arrière avec une partie delacava-
j^ lerie , & Bourniquet avec le refte de la cavalerie , étoit à la
I c 5 8 ^i^oifs- L'armée du Roi avoir moins d'infanterie , mais plus
'de cavalerie. On. la partagea en deux ; la tête étoit compofée
de 800 hommes de cheval ou environ , & l'infanterie étoit
derrière. On fit marcher devant 200 arquebufiers à cheval ,
avec quelques cavaliers , pour attirer les ennemis au combat.
Mouvans ayant pris avec lui 20 hommes choifis de fon régi-
ment j &L quelques volontaires du comté de Foix , fe couvrit
d'un petit buiflbn, ôf. les reçut avec tant de fermeté, que les
principaux ayant été tués à la première attaque , les autres fu-
rent obligez de fe retirer. Les chefs de l'armée royale recon-
noilTant leur faute , tâchèrent de la réparer en quittant le lieu
incommode ou ils étoient, pour s'avancer dans la plaine. Les
Proteftans en firent autant iur le champ , animés par le petit
fuccès qu'ils venoient d'avoir , & par la confiance qu'ils avoient
en leurs forces. Poncenac pourluivit les fuyards , & continua
de faire marcher fes troupes, quoique le terrain ne Kn pas
avantageux à l'infanterie, jufqu'à ce qu'il eût occupé un en-
droit marécageux , qui étoit au milieu de la plaine. Après y
avoir pofté environ 100 arquebufiers pour en garder le pafTa-
ge, ôc pour recevoir ceux qui pourroient être obligés de fe
retirer , les Confédérez s'avancèrent & rangèrent leur armée en
bataille. Cinquantevolontaires furent placés à la tête, & la cava-
lerie fut mifc aux cotez, pour couvrir l'infanterie, qui étoit au
milieu. Alors S. Heran commanda Haute-feuille & Breilieu ,
avec un détachement de cavalerie , bien équippé , 6c quatre
enfeignes d'infanterie, pour les charger.
Pendant qu'on combattoit de part ôc d*autre avec beaucoup
d'ardeur, Bourniquet vint à grands pas ôc donna très -vive-
ment fur ceux que les volontaires avoient déjà rompus ? ÔC
Haute- feuille y fut blefic mortellement. D'un autre côté ,
Brefiicu combattait contre Poncenac ôc Yolet d'Auvergne >
ôc il ne fut pas plus heureux , ayant été tué après un combat
très-opiniâtré , dans lequel il perdit 100 hommes, ôc toute fon
infanterie fut difperfée. On firprifonnier Laforeft de Beullon;
ôc parce qu'il avoir eu l'imprudence de fe vanter d'avoir violé
^Utes les fçpinaes Protefontes, cjui çtoiçnt tombées entre fes
mains
D E J. A. D E T HO U, Liv. XLII. 40P
mains » on le traita très-indignement , & on le maiTacra. , i,..
Un accident fâcheux empêcha que la joye des Protcftans ne p„
fut complette , ôc changea leur triomphe en deùil. Retour- w
nant la nuit vidorieux à Cognac, où ils avoientlailTé leurs ba- ^ ^*o
gages, leurs en feignes , qui étoicnt blanches , ne furent point
reconnues par leurs gensi il s'éleva entr'eux une querelle ^ Ôc
il y eut quelques coups tirés. Sudaret, prévôt de Forez ; fut
bleiïe , & peu de tems après il mourut de fa bleffure. Ponce-
nac fut malheureufement tué , ôc fon corps porté dans le châ-
teau de Changy , où il fut enterré. Mais S. Chaumont ôc d Ur-
fé pafTant par là quelque-rems après , le foldat infolent déterra
fon corps , lui fit mille infultes , enfin le mit cruellement en
pièces: de l'Eclufe ne put les retenir, ni parles réprimandes,
ni par les coups. La nuit d après le combat , l'armée royale plia
bagage, ôc fe retira > laifTant aux Confédérez le paffage libre.
Leur malheur leur fit perdre TaffeÊlion des peuples; ôc on leur
refufa honteufement l'entrée des villes de Riom, de Clermont
de Monferrand, ôc d'Aigue-perfe ; ce qui les obligea de fe
détourner dans des villages , ôc de marcher prefque un à un.
Dans plufieurs endroits on les arrêtoit , dans d'autres on les
dépoûilloit , ôc on les tuoit dans quelques-uns ; enforre que
de leur propre aveu , ils perdirent plus de monde dans leur
retraite , que dans la bataille de Cognac.
Les Confédérez ayant ramaffé leurs troupes, ôc ne trouvant
rien qui les pût troubler dansleur marche, entrèrent dans leBer-
xy , où ils reçurent des lettres de Françoife d'Orléans , feniine
du prince de Condé , qui les preflbit de hâter leur arrivée , ôc
leur mandoit que Sarra comte de Miartinengue , Antoine du
PleiTis de Richelieu , ôc d'autres , étoient dans le voifinage
d'Orléans : qu'il n'y avoir dans la ville qu'un grand nombre
de femmes incapables de la défendre : que peu de tenif: au-
paravant la ville avoir penfc être furprife, faute d'avoir un corps
de garde afifez nombreux à la porte Bannier : ôc qu'on ne s'é-
toit tiré de ce danger , qu'avec beaucoup de peine , par la
valeur du capitaine Hamon , ôc du capitaine Befle , qui y avoit
été tué. Après la le£ture de ces lettres , les Proteftans fe ren-
dirent en diligence à Orléans , où ils furent reçus avec bien
de la joye Ôc des complimens de la part de la princelTe de
Tome V, Fff
410 ei S TOI RE
Condé, ôcdes autres Seigneurs. MartinengueferetkaàBeau-
Ch ARLE §^"^y ^ de là à Blois.
T X7- L'armée Proteftante sVtant un peu remife de fes fatigues >
^ o crut qu'elle devoit faire quelque entreprife. Peu de tems après
' ' fon arrivée » elle fe mit en campagne , ôc marcha à Beaugency.
Il y avoit 5*000 hommes de pied , 400 chevaux , deux greffes
pièces de batterie , ôc deux couîevrines. La ville ayant auflî-
tôt ouvert fes portes^ on fut à Blois, 011 Richelieu s'étoit en-
fermé , avec Innocent Tripier de Monterud , ci-devant gou-
verneur pour le Roi de la ville d'Orléans, & Soocombattans.
Dès la première attaque , les Gafcons 6c les Provençaux em-
portèrent \cs fauxbourgs de la porte de Chartres. Ayant enfuite
fait proche de cette porte une brèche large de 1 8 pas , on
lomma Richelieu de fe rendre. L'ayant refufé , on envoya la
nuit reconnoître la brèche , ôc on rapporta qu'il étoit affez
aifé d'en approcher par dehors , mais que la defcente en de-
dans étoit très-difficile 6c très-dangereufe. On réfolut donc
de l'abandonner , ôc de tranfporter les batteries du côté de la
porte de Tours. On y fit une brèche plus large que la pre-
mière. Richelieu demanda à capituler 5 ôc après de longues
conteftations on convint que la ville feroit rendue^ mais qu'el-
le ne feroit point pillée , que la garnifon auroit la vie fauve 5
Ôc qu'elle fortiroit avec armes & bagages. Malgré cette con-
vention plufieurs furent dépouillez y fans que les chefs , qui
avoient envie de garder leur parole, pûffent l'empêcher 5 tant
il eft vrai que dans des guerres civiles il n'y a prefque point
de difcipîine parmi les troupes , ni d'autorité dans les chefs.
Après avoir pris Blois , ôc y avoir mis Hamon avec trois
enfeignes d'infanterie, les Conféderez marchèrent à Mont-Ri-
chard fur le Cher, près de Chenonceaux. Mais étant fur le point
de forcer la place,le prince de Condé,qui étoit venu en Beauffe,
pour faire le fiége de Chartres , leur donna ordre de venir
en diligence fe joindre à lui. Chartres eft la capitale de la
Beauffe : fituée dans une plaine très-vafte , elle s'élève d'un côté
Ôc s'abaiffe de l'autre dans une profonde vallée î elle eft par-
tagée par la rivière d'Eure , qui tombant de Courville reçoit
au-deffous de la ville , près de Cerify , la rivière de Blaife , paffe
par Dreux 6c par Anet , ôc enfin va fe jetter dans la Seine au
DE J. A. DE THOU Liv. XLII. 411
Pont de l'Arche un peu au-deffus de Roûen.Le lit de l'Eure étoit
autrefois un peu plus éloigné de Chartres j mais les habitans
l'ont détourné pour faire pafler la rivière dans leur ville, ôc y
placer leurs moulins.
Peu avant l'arrivée du prince de Condé , le Roi avoit en-
voyé à Chartres Jean de Bourdeilles d'Ardelles, de l'illufti-e
maifon des vicomtes de Bourdeilles dans le Perigord , avec
dix enfeignes de Gafcons & de Perigordins. Les bourgeois
craignant l'infolence de ces troupes accoutumées à la licence
& au pillage j avoient refufé de les recevoir , & les avoienc
même honteufement repoufTées. Fontaine la Guion étoit aupa-
ravant Gouverneur de la ville ; mais on mit en fa place An-
toine Ligneres chevalier de l'Ordre , ôc capitaine de cinquante
hommes d'armes d'ordonnance , officier de grande réputa-
tion. Il vint à Chartres avec deux cornettes de cavalerie , com^
mandées par Charny ôc Rence, ôc cinq enfeignes d'infante-*
rie. Ces troupes ne furent reçues dans la ville , que fur le bruit
qui courut , qu'elle alloit être afliégée , ôc cinq jours feulement
avant l'approche des ennemis. Les habitans, un peu adoucis
par la crainte du danger dont ils étoient menacés , reçurent
auffi en même-tems d' Ardelles ; mais après lui avoir fait pro^
mettre avec ferment, que ni lui, ni fes foldats ne fe venge^
roient point du paflé , ôc qu'ils traiteroient les bourgeois avec
beaucoup de modération & de douceur.
Enfin le prince de Condé , pour furprendre la ville , mar- siége de
cha les 23 ôc 24 de Février fans s'arrêter, lit en ces deux jours Cha^-tres par
r ^ r ■ • V ou Q V a- les Proteftans.
avec toute Ion armée 20 lieues , arriva a Chartres ôc 1 invelht.
Il n'y eut d'abord que de légères efcarmouches dans les for-
ties que firent les aiïiégez. Les afTiégeans prirent par force les
fauxbourgs des portes Guillaume ôc S. Marate , ôc on y logea
les troupes de France. De Tlfle avec fes troupes prit fon lo-
gement dans les fauxbourgs des portes S. Jean ôc de Dreux.
De Mouvans ôc les Vicomtes , avec les troupes du Dauphiné,
de Provence ôc de Gafcogne , occupèrent les fauxbourgs des i
portes des Efpars ôc de Saint Michel : on plaça les Allemands ;
dans rAbbaye de Jofaphat. On dreffa de ce côté-là dans un \
couvent de religicufes une batterie de.cjuatre canons, pour bat-*
tre la porte de Dreux , ôc la muraille qui eft proche. La ca- j
vakrie fut mife en quartier dans les villages voiiins , ôc diftribuce i
Fffij i
412 HISTOIRE
J de la manière qui parut la plus commode. Lîgneres veil-
Ch ARLE ^^^^ ^^"s ceiïe , & étoir toujours en action. Ayant convoqué
IX. "i'^c afTemblée des principaux bourgeois, illeur fit un difcours
i < 6 B, pathétique , pour les exhorter à ne manquer, dans une occafion
fi importante , à rien de ce qu ils dévoient au Roi ôc à eux-
mêmes, à perféverer dans la fidélité, & à vivre en bonne in-
telligence. Il pria ceux qui avoient du courage , de prendre
les armes , ôc de contribuer aux travaux j & ceux qui ne pou-
voient ni l'un ni l'autre , de contribuer au moins par leurs biens
aux befoins publics. Il fit enfuite la vifite de la ville , ôc en
fortifia les endroits foibles, par une tranchée qu'il fit faire en-
dedans; il éleva un Fort à la porte de Dreux ; il fit auffi faire fix
mouhns à bras^ pour fuppléeraux moulins à eau, en cas qu'on
détournât la rivière , comme il arriva dans la fuite ; il avoit
commencé par diftribuer les quartiers de la ville entre les of-
ficiers généraux : Rence fut choifi pour avoir en fécond le
commandement général.
Les Conféderez s'étoient emparez des maîfons qui étoient
proche le foffé , où étant à couvert ilstiroient fur les affiégés;
qui ne l'étoient pas , & les incommodoient fort. Pour remé-
dier à cet inconvénient , Ligneres fit tendre des toiles , afîa
que les ennemis ne pufTent pas appercevoir ceux qui alloient
& venoient. L'ennemi dreiïa enfuite une batterie contre la
porte de Dreux , qui brifa les chaînes du pont-levis , ôc ne fit
point d'autre mal. Les affiégés de leur côté faifoient de fré-
quentes forties 5 ôc comme la ville fe trouva afliégée plutôt
qu'ils n'avoient cru , ils firent dans ces forties ce qu'ils n'a~
voient pu faire auparavant , ôc mirent le feu aux édifices voi-
fins, qui les incommodoient. Le couvent des Cordeliers , ôc
l'églife de S. Jean , qui étoient hors la ville, furent brûlez. La
première batterie ne faifant point de progrès , on la tranfporta,
ôc on battit ,1e mur au-defTous de la Tour ôc delà porte Guil-
. laume avec tant de furie, que les défenfes furent en peu de
rems renverfées , ôc qu'on fit une brèche large de 1 5 pas ou;
environ. Mais comme elle étoit défendue par le Fort qu'on
avoit élevé devant la porte de Dreux , ôc qu'on avoit fait de
ee côté-là en-dedans un retranchement très élevé , on fut d'a-
vis de commencer par fe rendre maître du Fort. On y en-
voya pour cet eiFetBordet,avec un détachement de^o hommes.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIL 415
jpartie fantafllns :, partie pionniers , mais tandis qu'il s'efforçoit im ■
de le faire fapper, il fut tué d'un coup d'arquebufe. Onnelaifla Charl''
pas de prendre le Fort , & d'y faire un logement. x y
Ce fut un accident fâcheux pour les alîîégez, mais qui fut >j*o
aufli-tôt reparé par la valeur ou par la rufe du capitaine Floïat.
Etant forti par la porte de Dreux , avec un détachement de
60 hommes , qui portoient les drapeaux & les armes des Pro-
teflans ,il arriva le long du folTé en dehors jufqu'au Fort > fans
qu'on reconnût l'artifice > il attaqua ceux qu'on y avoit mis dans .
le tems qu'ils ne s'y attendoient pas 5 il reprit le Fort, & le
conferva toujours jufqu'à la fin. Alors les Confédérez fe réfo-
iurent à donner l'afTaut. Andelot envoya pour cela le capi-
taine Norman , pour reconnoître la brèche. Il la vifita avec
foin, ôc il rapporta que le foîdat ne pouvoit encore y mon-
ter , fans un grand danger. Andelot lui donna , pour ré-
compenfe une chaîne d'or. Sur fon rapport on prit le parti
de recommencer la batterie , pour applanir la brèche i 6c
dans le même -tems Ligneres, qui étoit attentif à tout , &:
préparé à tout événement, fit élever un cavalier entre la porte
de Dreux ôc le couvent des Dominicains 5 il mit defTus une
pièce de canon , ^ue les Proteftans avoient enterrée après la
bataille de Dreux , ôc qui fut par cette raifon appellée la Hugue-
note. Comme les coups de ce canon portoient fur la brèche ^^
il empêchoit les alliégeans d'en approcher. Ligneres pofta en-
core des foldats dans la boucherie , qui étoit près du boule-
vart , pour y faire fentinelle jour ôc nuit j avec ordre aux bour-
geois de porter aux fentinelles les vivres dont ils avoient be-
foin.
Cependant les Confédérez arrêtèrent le cours de la rivière
d'Eure , au-deffus de Chartres , la détournèrent dans fon an-
cien lit , ôc rendirent ainfi inutiles les moulins à eau , dont la
ville fe fervoit : s'ils l'avoient fait plutôt, ils eufient réduit les
afTiégés à une extrême néceflTité ; car n'ayant pas dans la ville
toutes les provifions nécefiaires pour foûtenir un fiége , ôc y
étant depuis entré une garnifon de 4000 hommes, il auroit été
difficile , fans le fecours des moulins , de fournir à lafubfiftan-
ce de tant de monde. D'un autre côté, les affiégésfaifoient de
firéquentes forties 5 tantôt par la porte S> Michel , ôc tantôt par
lîeile de S. Jean :, ôc ils prirent entr'autres deux drapeaux des
Fffiii
414* HISTOIRE
■ ■ Vicomtes , qui furent fufpendus dans la grande Eglife."
C H A RLE Le prince de Condé. toujours vigilant ôc a6tif, apprit que
I X. Jean de Nogaret de la Valette lieutenant de la cavalerie le-
I î 5 S. S^^e fous le duc de Nemours , étoit déjà venu à Oudan avec
j 8 cornettes de cavalerie Françoife & quelques compagnies
détachées d'Italiens, dans le defiein de fecourir les a/ïiégés,
de furprendre ceux des afiîégeans , qui occupoient les poftes
les plus éloignés , d'empêcher les fourageurs de s'étendre , ôc
de s'emparer des convois. Il y envoya auiïi-tôt l'amiral de Co-
ligny a\'ec Artus de Vauldray de Mouy , ôc d'autres officiers
à la tête de huit cornettes de cavalerie Françoife ôc fix d'Al-
lemands , qui faifoient en tout 5^00 chevaux. Coligny entra
de force dans Oudan , oii quelques Italiens lui firent tête 5 pen-
dant que la Valette qui avoit déjà plié bagage , prefloit très-
fort la retraite. Le plus grand nombre fut tué j d'autres furent
faits prifonniers 5 on prit quatre drapeaux , les bagages ôc les
chevaux j ôc les Confédérez revinrent aulïi-tôt au camp , avec
un riche butin. La Valette ayant ramaffé 15*00 chevaux, lit
fouvent face à ceux qui le pourfuivoient, marcha toujours en
bon ordre , fe tira avec beaucoup de gloire d'un fi grand dan-
ger , ôc revint joindre le duc d'Anjou , qui étoit campé des
deux cotez de la Seine.
Fin de la Cependant on avoit renoué les négociations pour parvenic
Guerre. à un traité de paix ', ôc le cardinal de Chatillon étoit en con-
férence à Long-jumeau avec Armand de Gontault de Biron
maréchal de Camp , ôc Henri de Memme de MalafFife maître
des Requêtes. L'affaire fut afîez long-tems agitée de part ôc
d'autre. On fit intervenir dans la négociation , pour concilier
\qs parties , Thomas Sacvill baron de Buckhurfl , de la part de
la reine d'Angleterre , ôc Guy Cavalcanti , d'une famille no-
ble de Florence. Le prince de Condé , foit par cette bonté
de cœur qui lui étoit naturelle y foit qu'il crût n'avoir plus à
craindre le danger qui l'avoir déterminé à réprendre les armes ,
penchoitvers la paix. Mais Coligny, dontlesvûës étoient beau-
coup plus étendues , penfoit bien différemment , ôc il ne cef-
foit de dire que la Cour ne faifoit ces propofitions de paix ,
que pour divifer ôc defunir les Proteftans, dont elle ne pou-
voit venir à bout , tant qu'ils étoient unis ôc fous les armes ;
pour les defarmer ôc leur faire rendre les places qui leur fer voient
D E J. A. D E T H O U, L î V. XLII. 41,-
d'azile ; pour les aflbiblir ôc leur ôter toutes les forces , pour
les furprendre chacun en particulier j pour les punir deraf- Char le
front que le Roi croyoit lui avoir été fait à Meaux , ôc dont jx
le reflentiment ne faifoit que croître de jour en jour j & fur- 1 ^ 6 S
tout pour les empêcher a£l:uellement de fe rendre maîtres de
Chartres , dont la prife étoit inévitable, & qui feroit dans les
mains des Proteftans , comme une forte citadelle, capable de
commander & d'incommoder extrêmement la ville de Paris.
Le Prince, qui étoit bien perfuadé de tout cela , ne laiiïoitpas
de faire comme s'il eût fouhaité la paix , dans la penfée qu'ii
avoit toujours eue , qu'on ne pouvoit la refufer honnêtement ,
éc fans fe rendre odieux.
A dire le vrai , l'un &c l'autre fe trouvoient comme forcez
d'en venir à un accommodement. Déjà une parde des trou-
pes de la Saintonge & du Poitou s'en étoient allées, fans pren-
dre congé du prince de Condé , ôc un grand nombre d'autres
le menaçoient d'en faire autant j de forte qu'il y avoit tout Heu
de craindre que le mauvais exemple n'entraînât les autres, ôc
que toutes ne quittalTent le fervice. D'ailleurs on murmuroit
aflez hautement 5 ôc l'on difoit que puifqu'on n'avoit pris les ar-
mes, que pour en venir à une paix, ôc que la Cour le de-
mandoit, il n'y avoit plus autre chofe à faire , qu'à terminer
uneguerrefifuneile ôc ii ruineufe : Que le foldat ne pouvoit
tirer fon prêt , ôc que fou vent on le laifToit manquer de vi-
vres : Que la Noblefle éloignée de fon payis fouffroit beau-
coup : Que leurs maifons étoient en proie à leurs ennemis :
Qu'ils ne pouvoient plus ni fouffrir une fi longue abfence , ni
négliger un fi grand danger: Qu ainfi ils fupplioientles feigneurs
Confédérez d'avoir égard à leurs remontrances , ôc de ne pas
pouffer à bout la patience de leurs partifans, par unefaufle pru-
dence , ou plutôt par une vraie obftination.
Avant que d'en venir à la dernière extrémité , on tenta tou-
tes fortes de moyens pour retenir quelques troupes après que
la Nobleffe fe feroit retirée , non dans le deflein de faire aucu-
ne entreprife , mais feulement pour pouvoir fe foûtenir avec
quelque honneur , ôc fe précautionner contre les fuites d'une
paix qui feroit peut-être mal obfervée. Car pour les trou-
pes auxiliaires Allemandes que pouvoit-onen faire? Les dif-
tribuer dans de bons quartiers , c'étoit leur donner lieu de fe
^i6 HISTOIRE
■Il I » confumer elles même*; peu h peu. Les retenir dans un camp,
C H ARLE c'étoitunechofeimpoifible, étant environnez comme ils étoient
IX ^^ places ennemies , & n'ayant pas de provifions. Enfin ceux
1 <: 6 S ^^^ étoient le plus oppofez à la paix , furent contrains d'y don-
ner les mains. Elle fut donc conclue & publiée dans le camp
le 25 de Mars, ôc aulîi-tôt on leva le fiége de Chartres.
Les aflTiégez y perdirent deux cens cinquante hommes, ÔC
entr'autre Caumon lieutenant de Ligneres, qui fut enterré dans
i'Eglife des Dominicains , & d'Ardeîles capitaine de dix en-
feignes de Gafcons, homme diftingué par fa bonne mine, ÔC
par fa valeur. Il eut la tête caifce d'un coup de moufquet 3 tan-
dis qu'il étoit de garde fur la brèche. Il fut extrêmement re-
greté de tout le monde. De Ligneres voulant par honneur le
^ faire enterrer dans la grande Eghfe , les Chanoines s'y oppo-
ferent , & reprefenterent que , fuivant l'ancien ufage , ôc les fta^
tuts dreffez par leurs prédecelTeurs , il étoit défendu d'inhumet
qui que ce fut dans un Heu fi fpecialement confacré à la Vierge :
Que d'ailleurs la ftrufture de leur Eglife ne permetroit pas d'ou-
vrir la terre, puifqu'elle étoit toute voûtée en defifous. Le Roi
néanmoins ordonna qu'on éleveroitdans I'Eglife un tombeau,ÔC
que d'Ardeîles y feroit mis. Le Chapitre fitfemblant d'y con-
fentir, en faveur des grands fervices que ce Capitaine avoit ren-
dus à la ville, mais pour conferver la profonde vénération ÔC
îe religieux refpe£l qu'on avoit toujours eu pour ce lieu faint,
ils firent fecretement enlever la nuit le corps du défunt, qui
fut transféré dans une Eglife voifine. Les Proteftans perdirent
à ce fiége environ trois cens hommes, tant Allemands que
François.
Edit de Par l'Edit qui fut vérifié ôc enregiftré au Parlement le 27
aci cation. ^^ Mars , le Roi confirmoit l'édit donné cinq ans auparavant,
dans toute fon étendue , fupprimant , révoquant , ôc annullant
toutes exceptions , reftriclions , interprétations , ôc déclarations
données depuis : Sa JVlajefté accordoit l'abolition ôc l'oubli des
derniers troubles , avec cette claufe , [ jufqu'à ce que par la mi-
fericorde de Dieu tous les fujets du Roi fe trouvafijnt réunis
dans la profeffion d'une feule ôc même Religion. ] Suivant ce
traité, oti -envoya les Allemands j qui s'en retournèrent avec
Jean Cafimir par le même chemin en Lorraine , ôc de Lor-
raine en Allemagne. Cafimir revint auprès de fon père à
Heidelberg
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIL 417
Heidelberg , oii Guillaume de NafTau d'Orange , qui avoit de-
puis long-tems quitté les Payis-bas, l'attendoit , pour lui deman- ]
der des fecours contre les violences du duc d'Albe, Ôc com- ^^_^le
me ille difoit , pour la défenfe de la Religion.
Apres cela on rendit les villes ôc les places qu'on avoit pri- 15^^»
fes pendant la guerre, SoifTons^ Auxerre, Orléans, Blois &c
la Charité. Les Proteftans ne purent obtenir pour garantie que
ia parole du Roi & de la Reine , qu'ils avoient Ci fort ofFenfez,
& qui reflentoient très-vivement la dernière injure , qu'ils
croyoient avoir reçue, La plupart des Proteftans en furent in-
dignez , ôc jugèrent que cette paix n'étoit qu'apparente , ôc
qu'elle cachoit quelque piège qui leur étoit tendu. L'événe-
ment vérifia bien-tôt ce prefTentiment.
Le Roi envoya àTouloufe Rapin, un des Gendlshommes Conduite
du prince de Condé , qui s'étoit extrêmement diftingué dans ^" TollSr
le Languedoc pendant les dernières guerres j ôc qui étoit par
là devenu odieux aux Touloufains. Il étoit chargé des ordres
de fa Majefté pour prefler l'enregiftrement de l'Edit. Le Par-
lement le fît arrêter , le condamna pour un autre fujet , à ce
qu'ils difoient , ôc lui fit couper la tête. Le prince de Condé
iiidigné,en porta fes plaintes au Roi, qui parut entrer dans
fes fentimens. D'ailleurs les juges les plus équitables trouve-*
rent que les raifons alléguées par le parlement de Touloufe >
pour fa juftification, n'étoient pas bonnes. Mais on tomba peu
après dans des tems , qui délivrèrent les Touloufains de l'em-
barras où ils étoient pour s'excufer auprès du Roi ôc du Prin-
ce de Condé, ôc l'on eut alors bien de la peine aies obliger >
;2près quatre lettres de Juffion , à enregiftrer l'Edit. Ils l'enre-
giftrerent enfin ; mais avec des modifications ôc des reftric-
tions qu'ils eurent foin d'inférer fecretement dans les regiftres
de la Cour.
Fin (iu quarante-deuxième Livre,
Tome F, Ggg
HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE QVARANTE'TROISIEME.
mM^Ê^m^mM^ o u r nous délafler un peu du trifte dé-
Charle N * * * * ^ ^ M ^^^ ^^ "^os malheureufes affaires, il eft
IX. Il ^ g^^^tJ^i ^^ i à propos de jetter les yeux fur celles
î $ 6S. l4i ^ M T^ N ^ l4 ^^^ étrangers. Le fils de Marie ayant
•Affaires d'£- S «î* 1 J P « ^ P"^ poffefTion du thrône d'Ecoffe^ôc
GoiFe. <:i5 ^ I^W^^-^è-i^l A 0 ^^ puilfance de Jacque comte de Mur-
i 1 Zf!f^f Z II ray Régent du Royaume fe trouvant
É É bien établie par l'emprifonnement de
ivs^.;^./;«'?//;NV/;^/;„^î>;^;>;x*?^s*?.x??;.N*u^ j^ Renie , il reftoit encore à aflurer la
paix , qui devoir être le fruit de ces changemens par un gou-
vernement équitable ôc fondé fur les loix. Pour cela le Ré-
gent réfolut de parcourir , au commencement du printems, tout
le Royaume , pour y faire des affemblées des differens Or-
dres , & réparer les brèches faites à l'autorité par les trou-
bles , dont l'Ecolfe avoit été agitée jufqu'alors. Mais com-
me les efprits ôc les coeurs des Grands n'étoient pas encore
DEJ. A. DETHOU, Liv. XLIII. ^i^
bien réunis , plufieurs accoutumez à la licence des guerres ci- ______
viles appréhendoient le repos & la tranquillité de l'Etat: d'au- '
très fepromettoient, en donnant la liberté àla Reine, des hon- Charle
neurs Ôc des recompenfes : les autres enfin fe faifoient un agréa- ^^'
ble fpe£lacle des troubles & des divifions^qu'ils fe reprefentoient 15^8.
comme un moyen de s'élever.
De ce nombre étoient Guillaume Metellan 6c Jacque Bai-
four. Tandis que Both>x'el étoit en place, ils avoient toujours
marqué une haine extrême pour lui, ôc quoi qu'on fût perfua-
dé qu'ils n'avoient pas ignoré le complot fait pour tuerie Roi,
ils avoient depuis ce tems là paru fort oppofez à la Reine.
Mais voyantBothwel culbuté, ilspenferentàla remettre en li-
berté , efperant par ce fervjce obtenir plus aifément l'impu-
nité de leur crime. Les Hamiltons avoient formé le même def-
fein,penfant que la Reine étant remontée fur le thrône. Une
feroit pas difficile de fe défaire d'un enfant , dont l'ombre avoit
fervi à l'en faire defcendre i que par ce premier pas, ils fe trou-
veroient d'un degré plus proche de la royautés qu'après cela
il n y auroit plus ni peine ni danger à faire périr une Reine , qui
feroit, comme ils s'imaginoient, en horreur à tout le Royaume ,
qui fe conduiroit en tyran, & qui s'abandonneroit à fon hu-
meur naturellement cruelle. George Gordon comte de Huntley,
ArgatheLôc Guillaume Murray Tilibourdin,fe joignirent à eux.
D'un autre côté leRegenr,bien loin de perdre courage, s'ar-
moit d'une fermeté inébranlable, ôc comme il n'ignoroit aucu-
ne des conjurations qu'on tramoit contre lui , il fe confoloit,
en fe difant à lui-même, que puifqu'il lui falloit un jour per-
dre la vie , il ne pouvoir la perdre plus glorieufement , qu'au
milieu des peines qu'il fe donnoit pour procurer la paix, ÔC
la tranquillité de TEtat. On convoqua une affemblée à Glafco w.
Pendant que les Etats s'affembloient , on gagna les gardes de
la Reine, qui étoit enfermée dans le château du Lac Levin,
ôc on la mit en liberté. George Duglas frère utérin du Régent,
avoit préparé toutes les choies nécelTaires à fon évafion. C'é-
toit un jeune homme d'un efprit très-doux, ôc qui pouvoir bien
à fon âge fe laifler gagner par des carefTes. Auili le Régent par
précaution l'avoir éloigné. Les officiers du château étoient à . ^^, ^^'"^
tabie,lorlqu on leur vint dire que la Reine s etoit fauvee lur un
petit vaiflfeau. Ils firent inutilement bien du bruit ; on avoit eà
Ggg ij
420 HISTOIRE
la précaution de tirer routes les petites barques à terre, ôcde
"~ ~ boucher tous les trous par où l'on pafie les rames , enforte qu'il
^^^^^ ne fut pas poffible de la pourfuivre.
La Reine trouva à l'autre bord du lac des chevaux. Elle fut
^ conduite dans les maifons de ceux qui avoient procure fon éva-
fion , & le lendemain , qui e'toit le 5 de Mai , elle arriva à Ha-
milton , à cinq milles de Glafcow. Là ayant pris les témoi-
gnages de Robert Melvin ôc autres , ôc ayant produit la pro-
teftarion qu'elle avoir faite , fuivant le confeil de Nicolas de
Trochmorton ambalTadeur d'Angleterre j les Seigneurs & les
Gentilshommes qui s'y trouvèrent, déclarèrent unanimement
que la cefTion du Royaume faite par la Reine , en prifon , pro-
venant d'une crainte j qui peut faire imprelTionfur l'homme le
plus ferme , étoit vaine , 6c de nul effet. On en dreffa un a6te
. public ôc folemnel j qui fut confirmé par le ferment de la Rei-
ne. Ce changement dans les affaires en apporta beaucoup dans
les efprits. Un grand nombre prenant de nouveaux fentimens,
ou manifeftant ceux qu'ils tenoient cachez, abandonnèrent le
parti du Régent ôc du Roi mineur. On remarqua entre les au-
tres Robert Eoyd d'une ancienne maifon, mais né avec une
fortune très-mediocre^ qui paffoit pour un homme ferme ôc
habile, ôc qui par un changement étonnant s'étant rangé du cô-
té delà Reine , auiïi-tôt qu'elle fut mife en liberté, entraîna avec
lui Gilepfic Cambell comte d'Argathel. Il écrivit cependant
à Morton pour juftifier fa conduite, ôc lui manda qu'il nefe-
roit peut -être pas moins utile au Roi, que s'il avoit relié dans
fon parti.
On délibéra enfuite dans le Confeil , qui fe tenoit chez le
Régent, fi on devoit demeurer à Glafcow, ou s'il falloir aller
trouver le Roi à Sterlin. Plufieurs étoient de ce dernier avis:
ils prétendoient qu'il n'y avoit pas de fureté à demeurera Glaf-
cow, àcaufede la proximité d'Hamilton, ôc dans une conjonc-
ture où tant de perfonnes fe rangeoient de l'autre côté. Le com-
te de Murray foûtenoit au contraire que tout dépendoit des
commencemens ■> qu'un départ fi femblable à une fiiite les des-
honoroit , qu'ils ne dévoient rien éviter avec plus de foin, que
d'être foupçonnez d'avoir peur, afin de ne pas décourager ceux
qui demeuroient dans leur parti , en infpirant un nouveau cou-
rage à leurs ennemis j qu'il leur reftoit encore dans le voifinage
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIIL 421
alTez demaifons riches &puiiïantes, capables de les foûtenir, __!?
jufqu'à ce qu'il leur vînt des fecours de plus loin. Cet avisl'em- C harlE
porta. Cependant l'ambafTadeur de France alloitfanscefTe de jx.
côté & d'autre pour concilier les deux partis. 1 c 5 8.
La Reine avoit déjà plus de fix mille cinq cens hommes
fous les armes ; le Régent en avoit à peine quatre mille. Ceux-
là ne faifoient qu'augmenter ôc fe fortifier, ôc. ceux-ci dimi-
nuoient , ôc s'affoibliiToient chaque jour. Les chefs du parti de
la Reine avoient réfolu de la laifler à Dunbritton , d'aller par
delà Glafcow , de faire la guerre , ôc de conduire l'armée à
leur fantaifie. Le Régent mit promptementfes troupes en cam-
pagne, ôc ayant appris que la Reine marchoit de l'autre côté
de la rivière , il fit pafler fon infanterie deflus le pont , ôc la
cavalerie i par des guez que la mer forme en fe retirant dans
le tems de fon reflux, ôc il leur donna ordre de gagner en di-
ligence le village de Lofid fitué fur la rivière de Catcarth au
pied d'une colline. Lachofe réuflit, ôc l'armée du Régent s'em-
para de la colline , que l'armée de la Reine vouloir gagner la
première, où elle nepût arriver a OTez-tôt, parce que le comte
d'Argathel étant tombé malade ne put marcher afîez vite.
L'armée de la Reine fe voyant prévenue par l'armée du Ré-
gent, s'empara d'une petite colline qui étoit vis-à-vis, ôc fe par-
tagea en deux corps. On mit dans le premier les principales
forces , afin que s'il ébranloit ôc rcnverfoit le corps des enne-
mis , qui lui feroit oppofé , il pût répandre la terreur Ôc la conf-
ternation dans le refte de l'armée , ôc la défaire fans peine ôc fans
combat. Le Régent mit fon armée fur deux ailes , Jacque Du-
glas de Morton^ Robert Sempill, Alexandre de Humes, ôc
Patrice baron de Lindfey , chacun avec fes vafiaux , étoient
à la droite. Jean comte de Marre , Alexandre comte de Glen-
carn , Guillaume comte de Terck étoient à la tête de l'aîle
gauche. Les arquebufiers étoient dans le village au-deffous de
la colline , ôc dans les jardins le long du grand chemin.
L'artillerie de la Reine fut d'abord démontée par celle du
Roi i mais d'un autre côté la cavalerie du Roi, qui étoit de
la moitié moins nombreufe , fut enfoncée par celle de la Reine.
Ces cavaliers ayant fini leur combat avec la cavalerie duRoi ,
voulurent, pour rompre aufli l'infanterie , monter fur la colline:
mais les archers du Roi , ôc une partie des cavaliers , cjui après
422 HISTOIRE
avoir fuï étoîent venus fe rejoindre à leur corps, les repoufîe-
Char LE ^^^^' Pendant ce rems-là l'aîle gauche marchant par le grand
IX. chemin , qui par une pente douce conduit de la colline à la
i c (S s. vallée , malgré le feu des arquebufiers de la Reine fortit en-
fin de ce deftlé, & fe mit en bataille.
Alors les deux infanteries ayant formé de part & d'au-
tre une efpece de pallifTade avec leurs piques , combattirent
fans plier pendant une demi-heure , avec tant d'acharnement
& d'opiniâtreté , que ceux dont les hallebardes furent rompues ,
jettoient à la tête de leurs ennemis leurs dagues ou poignards,
des pierres , les morceaux de leurs lances , ôc tout ce qu'ils
pouvoient trouver fous leurs mains.
La Reine Dans les derniers rangs de l'armée du Régent, les foldats
parkRe"ent commençoient à fuir , foitpar crainte, foit pour quelqu'autre ^
raifon 5 ôc Ci les rangs du milieu , qui étoient très-ferrés , n'a-
voient pas empêché que ce mouvement ne fe fit fentir aux
premiers, tous fe feroient fans doute débandez. Mais la fe-
conde ligne venant à la charge , ôc fe joignant à la première,
renouvella le combat avec tant de violence , que la ligne op-
pofée de l'armée de la Reine ne pouvant y refifter , fut mife en
déroute, ôc obligée de prendre la fuite. Cependant le Régent
fît cefler le carnage ; foit par un fentiment d'humanité ôc de
douceur ; foit qu'il appréhendât qu'en pourfuivant les fuyards ,
fes troupes ne rompiffent leurs rangs , ôc que s'il y avoir en-
core quelque corps de troupes fraîches dans l'armée ennemie,
il ne vînt fondre fur elles , ôc leur arracher la vidoire des mains.
Il y eut dans l'armée de la Reine environ 300 hommes de
tués , ôc un plus grand nombre de prifonniers.
La Reine , qui étoit affez proche pour voir ce qui fe pafToit,
perdit toute efpérance , ôc réfolut de fe retirer en Angleterre.
Elle fit ce jour-là environ 60 milles de chemin î ôc marchant
enfuite pendant plufieurs nuits , elle arriva chez le baron de
Heris. De là elle envoya fans différer Jean de Béton à la rei-
ne d'Angleterre , pour lui apprendre le trifte état de Ces affai-
res , ôc pour mettre fa perfonne ôc fon Royaume fous fa gar-
de ôc fa protection.
C'eft ainfi qu'une armée plus nombreufe fut vaincue par^
celle que fon petit nombre lui rendoit méprifable : Exemple
qui doit apprendre aux gens de guerre à refpcder ôc craindre
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIIL 425
leurs ennemis , ôc à ne pas perdre par trop de confiance les —■■»»■■■■- :
faveurs de la Fortune. Cette vidoire fut remportée lei3de(]|_j^j^LE ^
Mai. Le Régent s'avança le lendemain dans la vallée de Cli- j ^
defdale , ôc s'empara d'Hamilton , & de Draffen , deux pla- 1 ^ ^ 3 ]
ces entièrement dégarnies. Il convoqua enfuite l'aflemblée des i
Etats à Edimbourg. Pour empêcher cette affemblée t le comte >
d'Argathel j accompagné d'environ 600 de fesparens ôc de fes '
vafTaux , s'avança jufqu'à Glafcow ? ôc Huntley avec 1000 i
hommes de pied vint jufqu'à Berth. On fit auffi courir le bruit
que Sebaftien de Luxembourg de Martigues alloitau premier ]
jour pafler en Ecoffe-, avec des troupes auxiliaires de France, i
comme cela étoit autrefois arrivé. j
Marie, un peu remife de fa première frayeur , prit contre la Reine fe
l'avis de £es Partifans la réfolution de partir , avant que Béton '^^"'«^ ^'' ^"' ]
fut revenu. Elle monta fur une Barque^ ôc prit pour compa- '^ ^^^^' \
gnons de fon voyage le comte de Heris , chez qui elle logeoit, i
ôc le comte de Fleming. Elle aborda à Wirkinton en Cum- \
berland , à l'embouchure du Derwent Me 18 de Mai. Le mê- -
me jour elle écrivit de fa main à Elifabeth une lettre, dans la- \
quelle reprenant fes anciennes plaintes fur les entreprifes de fes
fu}ets rebelles , elle lui racontoit comment elle avoit été for- j
cée de fe démettre de la Royauté i de quelle manière Dieu \
i'avoit tirée de prifon , ôc comment fon armée ayant été bat- ]
tue par les rebelles fur le chemin de Dunbritton , elle s'étoit
retirée chez le baron de Heris. Enfin elle la prioit de vouloir i
bien la recevoir dans fes Etats , ôc lui faciliter les moyens de ]
l'aller trouver î afin qu'elle pût expofer fes malheurs à une Rei- i
ne, qu'elle avoit toujours regardée comme fa prote£lrice , ôc I
en qui elle avoit mis fon efpérance , ôc prendre avec elle des
mefures pour recouvrer fa couronne. j
Dès qu'Elifabeth eut reçu la lettre de Marie , elle lui envoya j,S^"[5^"/jJ*^ v '
par François Knollesune réponfe , dans laquelle elle tâchoitde l'égard de h \
la confoler,ôc lui promettoitf^ bons offices,pour la remettre fur ^'^j.'^^ •^'•^- |
le trône. Mais elle lui refufoit la permiiïion de venir à la Cour, ' '
ôc elle ordonnoit àLouder gouverneur de Carlile , de la con- |
duire dans cette ville , afin qu'elle fût plus à l'abri des courfes '
de fes ennemis. Marie ne laifTa pas defolliciter vivement une i
entrevue avec Elifabeth , par le baron de Heris : mais ne pou-
vant l'obtenir , elle demanda au moins qu'il lui fût permis de •
I ou Berwen. !
424 HISTOIRE
j fe retirer où elle voudroit ; afin qu'il ne paTÛt pas qu'une Rei-
Cha RLE ^"^^ ' ^ ^^^ ^^^^ avoir eu recours dans fon affli£lion, la retenoit
JX. à Carliîe , comme dans une prifon , contre la parole qu'elle
I S* 5 8. ^"^ avoit donnée. Cela fit naître des foupçons & des défian-
ces entre les deux Reines j l'une regardant comme une injure
le refus qu'on faifoit de la recevoir i ôc l'autre difant que l'An-
gleterre n'étoit pas encore aflfez paifible , pour qu'elle pût fû-
renient recevoir à la Cour une Reine, fa parente ôc héritière
de fon Royaume.
Puifqu'Elifabeth ne vouloit pas recevoir Marie, il fembloit
qu'elle n'avoit point d'autre parti à prendre que celui de la
renvoyer honnêtement. Mais ce parti avoit aulTi fes dangers^ car
il étoit à craindre que la reine d'Ecofle, piquée de ce renvoi ,
ôc ayant d'ailleurs le talent de perfuader , ne regagnât les cœurs
de plufieurs de fes fujets, Ôcne rendît fenfibles à fes malheurs,
non-feulement les EcolTois , mais même ceux des Anglois qui
pourroient être ébranlez par des motifs de Religion. Ainfi ,
comme il y avoit du danger à laifler échapper une Princefle,
que la Fortune avoit mife entre fes mains , ôc qu'elle ne pouvoit
la retenir, fans fe rendre extrêmement odieufe ; Elifabeth prit
un milieu , par lequel elle crut pouvoir en même-tems ménager
toutes les têtes couronnées , intereffées dans la caufe de la rei-
ne d'Ecoffe , 6c profiter de la bonne fortune qui fe préfentoit
à elle , ôc qui la rendoit maîtreffe de la perfonne d'une Reine ,
à qui fes malheurs donnoient lieu ou impofoient lanécelîitéde
demeurer honnêtement dans fes Etats.
Elifabeth écrivit donc au Régent , pour le prier de différer
raffemblée des Etats , ôc de ne point précipiter le jugement
ôc la condamnation de fes ennemis ; mais d'attendre qu'elle
fût informée de tout ce qui s'étoit paffé : pa):ce qu'elle ne pou-
voit fe difpenfer honnêtement d'écouter une Reine, fa voifine
ôc fa proche parente , qui fe plaignoit d'un affront fignalé ,
qu'elle difoit avoir reçu de fes fujets. On tint néanmoins les
Etats , dans lefquels Guillaume Metellan , dont l'attachement
pour le parti contraire n'étoit pas douteux , fut d'avis d'en con-
damner un petit nombre , pour faire trembler tous les autres ;
ôc de faire efperer le pardon ôc la grâce à ceux qui voudroient
fe repentir ôc rentrer dans leur devoir. Cet avis entrain a la plu-
ralité des fuffrages , malgré les murmures ôc les plaintes de
plufieurg
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIII. 425'
plufieurs , qui prévoyoient que cette conduite ne ferviroit qu*à
rendre leurs ennemis & plus opiniâtres & plus puiflans. Le Re- Charli
gent pafTa de là dans l'Annandale, dans le Nithefdale , & dans IX.
le bas Galloùay , où il fe rendit maître de toutes les places , i 5 (5 8.
punifTant ou recevant en grâce les Seigneurs. Il en fut rappelle
par les lettres d'Elifabeth , qui lui furent rendues par Walter
Mildmor. Cette Princefle fe plaignoit , non-feulement de l'in-
jure faite à la reine d'EcofTe fa parente , mais encore de l'af-
front qui en réjailliroit fur tous les Souverains > fi la Majefté roya-
le étoit impunément expofée à la fureur des féditieux. Elle ajoû-
toit que l'affaire de la reine d'Ecoffe étoit l'affaire de tous les
Princes ; ôc qu'il étoit de leur intérêt d'empêcher les fuites , que
pouvoir avoir l'exemple pernicieux d'un fi énorme attentat. Elle
fîniffoiten priant le Régent, de lui envoyer des perfonnes en état
de lui apprendre tout ce qui s'étoitpaffé, ôc de répondre à tout
ce qu'on répandoit contre lui de vrai ou de faux.
Le Régent fut très-fâché, ôc regarda comme une chofe
peu honorable pour lui , de rendre compte à une Puiffance
étrangère de ce qui s'étoit fait en Ecoffe. Cependant , com-
me il appréhendoit que le cardinal de Lorraine, qui étoit très-
puififant, ôc qui promettoit à la reine Marie de l'appuyer ^^de
toutes les forces de la France, n'attirât dans le parti de la Rei-
ne un grand nombre d'Ecoffois ^ ôc qu'il voyoit d'ailleurs
qu'en choquant la reine d'Angleterre, il n'auroit plus de ref-
fources contre les difîicultez qu'il avoit à furmonter , il fe ren-
dit enfin , quoiqu'à regret. On réfolut donc d'envoyer à Eli-
fabeth une magnifique ambaffade : comme on étoit embar-
raffé furie choix des Ambaffadcurs,les plus grands Seigneurs
s'excufant d'y aller , le Régent dit qu'il iroit lui-même , ÔC
il prit pour l'accompagner le comte Guillaume Metellan ,
(qui lui étoit à la vérité très-fufpeâ , mais qu'il croyoit plus dan-
gereux de laiffer chez lui dans destems fi fâcheux ) les comtes
Jacque Douglas , ôc Patrice Lindfey , pour les Seigneurs :
pour l'état Eccléfiaftique, Adam évêque d'Orkney , ôc Robert
abbé de Dumfermiling: ôc pour le Tiers état, Jacque Mac-
Gilly , ôc George Buchanan , qui a écrit l'Hiftoire d'Ecoffe.
Le Régent fe mit en chemin avec eux , ôc le 4 de Novem-
bre , jour deftiné à l'alTemblée , il entra dans la ville d'Yorck. ^ ^'=/<^6f"c
Le même jour ôc preiqu a la même heure , Thomas Howard giccerre.
Tome V^ Hhh
4î(? HISTOIRE
duc de Nofthfolk y arriva auflij avec Thomas Ratellff comte
Char LE ^^ SufTex^ôc le Chevalier Rodolfe Sadleir. Dès ce rems-là le
j ^ duc de Northfolck , ayant perdu fa femme j traitoit , mais fe-
XK 6^. cretement , de fon mariage avec la reine d'Ecoffe , ôc le comte
de Suffex entroit dans le fecret de cette négociation.
On donna en même-tems audience aux ambaffadeurs de
Marie, qui étoient Jean de Lefley évêque de Roffe; Guil-
laume baron de Levingfton , Robert Boyd , Gauvin abbé de
Kilewening, Jean Gordon , ôc Jacque Cocborne , qui de-
mandèrent que les Anglois donnaflent des fecours à la Reine
pour réduire les Rebelles , ôc remonter fur le Trône. Le Ré-
gent prétendit au contraire qu'on n'avoir rien fait que fuivant
les règles de la juftice ôc les anciens Décrets , ôc infifta fur l'ob-
fervation de ce quiavoitété ordonné par les Etats. Lescom-
miffaires Anglois dirent qu'il ne leurfuffifoit pas, pour bien ju-
ger la caufe , d'avoir les décrets de la nation , dont on leur
avoir donné copie , fi l'on ne leur faifoir voir les raifons qui
avoient déterminé les Seigneurs Ecoffois à prononcer un ju'
gement fi rigoureux contre leur Reine. Le Régent s'en ex-
cufa 3 pour n'être pas obligé d'être Taccufateur de fa fœur ôc
de. fa «Reine , Ôc de découvrir fes crimes à des étrangers , qui
les écoûteroient avec plaifir. En un mot, il déclara qu'il n'en
feroit rien , que la reine Elifabeth n'eût promis qu'elle pren-
droit le jeuneRoi fous fa prote£tion, ôc qu'elle deviendroit com-
me fa tutrice , au cas qu'on lui fît voir que Marie étoit complice
de la mort du Roi , qui avoit été tué par fes confeils. Les
Anglois répondirent qu'ils n'avoient pas les pouvoirs néceflai-
res pour prendre cet engagement , mais qu'ils en écriroient
à la Reine. Elifabeth manda que les Ecoflbis du parti du Roi
lui envoyaflent un ou plufieurs députés.
Le Régent députa Guillaume Metellan 5 ôc comme il s'en
défioit , ôc qu'il le regardoit moins comme fon partifan , que
comme fon efpion , qui étoit en commerce avec le duc de
Northfolck , il lui donna pour adjoint le Jurifconfulte Mac-
Gilly. Ils vinrent à Londres : mais comme ils n'expliquoient
pas aflez clairement l'affaire , on fouhaita que le Régent lui-
même y vînt , ôc qu'il s'expliquât en prefence d'Elifabeth fur
les articles , dont il étoit queftion. Il y alla donc , mais avec
une très -petite fuite j ôc ayant été admis à l'audience de la
D E J. A. D E T H O U , L I V. XLIII. 427
Reine , il y déclara, comme il avoit fait dans l'afTcmblée d'York^ .
qu'il ne fe porteroit pour accufateur de la Reine dEcofle , Charle
qu'aux conditions qu'il avoir piopofées. Pendant ce tems-là IX.
il s'éleva des troubles en EcofTe, excitez principalement par i r ^ $,
Jacque Balfour , qui Ht courir le bruit que le Régent avoit
promis aux Anglois de les rendre maîtres du royaume , de
leur en livrer les plus fortes places, & de leur donner même
le Roi en otage.
Le Régent fe vit alors réduit à de fâcheufes extrêmitez.
D'un côté il étoit obligé de retourner promptement enEcoffe
pour éteindre le feu naiifant d'une guerre civile : il voyoit de
Tautre, que s'il fe féparoit mal d'avec la reine d'Angleterre ,
cela nuiroit extrêmement aux affaires du Roi. Dans ce dan-
ger qui lui fembloit inévitable de l'une ou de l'autre part , il
crut devoir intenter auprès d'Elifabeth une accufation dans les
formes contre Marie, dans un Confeil où étoient le duc de
Northfolck, les comtes d'Arondel, de Suffex, & de Leicef-
tre, E. Clinthon , Amiral , Guillaume Cecil baron de Bur-
ghley , ôc Rodolphe Sadieir. Il protefta que c'étoit malgré
lui , ôc par les importunitez de fes ennemis , qu'il accufoit fa
Reine 6c fa fœur , auprès d'une princeffe étrangère , du crime
le plus énorme : Qu'il ne l'accufoit point par pafiion , ôc pour fe
fatisfaire mais uniquement par la nécefîité où il fe trouvoit de
fe juftiHer : Que c'étoit enfin par force ôc à regret qu'il décou-
vriroit des chofes , qu'il auroit voulu enfevelir dans un éternel
oubli.
Après cette proteftation, le Régent raconta par ordre, com-
ment tout s'étoit paffé > il produifit les depofitions des com-
plices de la mort du Roi , telles qu'ils les avoient faites avant
leur mort , ôc les décrets des aflemblées des Etats , foufcrits
par la plupart de ceux qui fuivoient alors la Reine, ôc quifac-
cufoient( lui Régent) d'avpir eu part à l'aflaflinat du Roi. En-
fin il fît apporter le petit coffre d'argent dont nous avons parlé,
que la Reine Marie avoit reçu de François II. roi de France
fon premier mari , qu'elle avoit donné à Bothwel , ôc dans le-
quel on trouva des lettres qu'elle lui avoit écrites de fa pro-
pre main en François , avec des vers en cette langue , compo-
lez par cette Princeffe. Ceux qui ont écrit ces faits , ajoutent
que le Régent fit voir trois contrats de mariage; le premier
Hhhij
428 HISTOIRE
««^«-^ écrit de la main de la Reine avant la mort du Roi > par lequel
Char LE ^^^^ s'obligeoit ôc promettoità Bothwel del'époufer, auffi-tôt
I X qu'elle feroit libre ôc maîtrefle de fes volontez j le fécond
j - ^ 0 écrit de la main de Gordon de Huntley , avant le divorce de
Both\(^el avec fa première femme ? Ôc le troifiéme paffé publi-,
quement dans le tems de la célébration du mariage.
Comme les lettres ôc les vers , qui paroiflbient écrits de la
propre main de Marie , étoient fans (ignature ôc fans date ,
on objedoit qu'il arrivoit fouvent , que fuivant une mauvaife
coutume , les Princes avoient auprès d'eux des hommes fi ha-
biles à contrefaire les écritures , que fouvent on ne pouvoit dif-
tinguer l'original d'avec la copie , Ôc le vrai d'avec le faux.'
En effet le Secrétaire Lidington difoit partout à l'oreille^ que
très-fouvent il avoit contrefait en cachette l'écriture de la Rei-
ne. Malgré cette difficulté, Elifabeth parut être convaincue
par toutes ces preuves , elle étoit néanmoins dans une efpece
d'embarras , ôc ne fçavoit quel parti prendre. D'un côté elle
trouvoit l'occafion de fatisfaire la haine qui regnoit depuis
long-tems dans foncœur à fégard de Marie qu'elle n'avoir ja-
mais aimée , ôc étoit en même-tems frappée du crime énorme
dont cette Princefle fembloit atteinte Ôc convaincue. D'un au-
tre côté , elle ne pouvoit s'empêcher de plaindre le fort de la
Reine d'Ecoffe réduite à un fi déplorable état, ôc dont la for-
tune étoit fi changée. Ce qui faifoit plus d'imprefiion fur fon
efprit , étoit le titre augufte de Reine , dont Marie étoit revê-
tue , ôc la crainte d'autorifer par cet exemple l'ufage de dépo-
fer les Souverains 5 ufage qui par là pouvoit s'introduire dans
les autres Royaumes. Quoique l'ambafTadeur du roi d'Efpa-
gne eût promis d'employer fes bons offices pour Marie , il
ne parut point dans cette affaire. Mais les Ambaffadeurs de
France firent les inftances les plus vives , en faveur d'une Prin-
ceffe déjfoûillée de fes états 3 ôc c'eft principalement ce qui dé-
termina Elifabeth à donner une réponfe ambiguë , ôc à diffé-
rer de prononcer un jugement , jufqu'à ce qu'elle vît quel fe-
roit le fuccès d'un fi grand événement. En attendant ;, outre
ceux, dont nous avons déjà parlé, qui compofoient le con-
feil le jour de l'accufation , elle fit difiribuer des copies de
la procédure, qui contenoit les crimes dont on accufoic la reine
d'Ecoffe, aux comtes de Northumberland, de Weftmorland,
DE J. A. DE THOU, Lîv.XLlII. 42^
de Shropp, de Worchefter i de Hungtingdon, & de Warwick : --——---.
elle leur ordonna de garder un profond filence, ôc donna au Charl"
Régent lapermiflTion de s'en retourner. j y
Le Régent demanda, que fi les accufateurs avoient quelque j ^ <k
chofe à lui reprocher , ils comparufTent avant fon départ, afin
qu'ils ne profitaffent pas de fon abfence pour le calomnier.
Oi\ fit venir les Agents chargez de la procuradon de la reine
d'EcofiTe, Ôc on leur ordonna de déclarer s'ils avoient quelque
chofe à dire contre lui , ôc contre ceux de fon parti. Ils ré-
pondirent d'abord qu'ils ne diroient rien , qu'après en avoir
reçu des ordres exprès de la Reine leur maîtrefle , ôc qu'elle
auroit été elle-même entendue : enfin après avoir long-tems
tergiverfé , ils furent obligez d'avouer à leur confufion qu'ils
n'avoient aucune raifon particulière de penfer que le comte
de Murray Ôc fes partifans fulTent complices de la mort du Roi,
Ainfi fe termina l'afifemblée.
Le Régent étoit fur le point de partir , avec les autres dé-
putés, lorfque Jacque Hamilton duc de Châtelleraud , c-de-
vant Viceroi 3 arriva. Ce Duc, rebuté ôc ennuyé de latriftefi-
tuation de fes affaires , avoit quitté l'Ecofl^e pour paifer en
France. Les princes de Lorraine ayant appris IWemblée de
Londre , lui avoient donné une fomme affés modique , ôc
l'avoient engagé à s'y rendre , pour difputer le gouvernement .
du Royaume au comte de Murray. La caufe fut plaidée de-
vant la Reine avec beaucoup de chaleur. Hamihon préten-
doit que fuivantles loixdeprefque toutes les Nations ,ôc prin-
cipalement fuivant les ufages du royaume d'Ecofile , la Ré-
gence lui appartenoit comme au plus proche parent , ôc à l'hé-
ritier préfomptif de la couronne 3 ôc il appuyoit fa prétention
fur plufieurs ej«emples tirés de Phiftoire d'Ecoffe. Il alleguoit
encore qu'il avoit été exclu de la Régence , non par les fuf-
frages d'une afiemblée légitime j mais par l'injuftice ôc la vio-
lence d'une troupe de rebelles : ôc ce qui étoit encore plus
indigne , qu'au mépris du fang ôc de la parenté, on avoit mis
un bâtard en fa place. Il demandoit donc qu'on lui rendît une
dignité qui lui étoit dûëj Ôc il affuroit que ce feroit le moyen
d'appaifer en peu de tems tous les troubles du Royaume , ôc de
remettre fans peine ôc fans violence la Reine fur le trône.
Les ^mbaffadeurs du roi d'Ecoffe répliquèrent qu'Hamilton
Hhhiij
Charle
IX.
I ; (5 8.
43Ô HISTOIRE
demandoit une chofe non-feulement contraire aux loix 6c aux.
coutumes anciennes î mais encore très-injufte : ôc ils firent
voir par des exemples contr:'ives , que l'adminidration duroyau*
me avoit toujours été confiée , non aux plus proches pa-
reils , mais à ceux que raflemblée des EratS choili Joit comme
les plus dignes ôc les plus propres à bien gouverner. Ils dé-
montroient encore Pinjuftice de cette prétention par le dan-
ger des fuites. En effet , y a-t'il rien de plus injufte ôc déplus
dangereux , difoient-ils , que de confier la tutelle ôc la vie d'un
jeune Roi à celui qui attend ôc qui eft intereffé à fouhaiter la
mort de fon pupille h à un homme que la foif de régner peut
rendre cruel ôc inhumain à chaque inftant , ôc à qui le dépôt
de l'autorité facilite les moyens de rompre la foible barrière
qui eft entre lui ôcle thrône où il afpire, ôc de franchir un ob^
ftacle qui ne confifte que dans la vie d'un enfant.
Ils prouvèrent la vérité de ces maximes par des exemples
étrangers ; ôc ils ajoutèrent , qu'on avoit d'autant plus lieu
de l'appréhender dans cette conjondure , qu'il s'agifloit d'une
Maifon , qui ne s'étant pas contentée d'avoir afTaiïiné le bi-
faveul du Roi leur maître , s'étoit efforcée de perdre fou
ayeul maternel , ôc avoit tramé contre lui des complots pen-
dant toute fa vie > qui ne pouvant pas faire mourir fon ayeul
paterneh l'avoit enfin déthrôné; qui avoit facrifié fon père,
ôc qui ne pouvant s'emparer du Royaume , avoit vendu fa
mère ôc fa couronne à des étrangers. Les Ambaffadeurs n'ajou-
tèrent cette dernière circonftance, que pour rendre les Fran-
çois odieux , Ôc pour fe faire mieux écouter de la Reine Eli-
zabeth. En effet dès qu'elle les eût entendus , elle fit dire à
Haniilton par i'aflemblée , que fa demande étoit injufte, ôc qu'il
ne devoit attendre aucun appui de fa part : que les ambaffa-
deurs du Roi d'Ecoffe l'avoient priée de le retenir , jufqu'à ce
qu'ils euffent obtenu la permifTion de s'en aller 5 parce que c'é-
toit uniquement fa prefence qui faifoit toutes les efperances de
ceux qui tramoient une confpiration en Ecolfe : que cette de-
mandelui avoit paru jufte ; Xju'elle leleuravoit promis iqu'ainfî
elle lui défendoit de fortir de fes Etats avant leur départ.
Le Régent regardant cette réponfe de la Reine d'Angle-
terre comme une déclaration publique de fa bonne volonté
pour lui^réfolut pour mettre Marie encore plus mal dans fon
DE J. A. DE T H O U , Lrv. XLIÎI. 451
efprit, de lui faire voir les lettres interceptées, par lefquelles ^"■"^"" '^^ 1
cette Princefife fe plaignoit amèrement qu'Elizabeth l'avoit trai- C h a r l e :
vée indignement contre les paroles qu'elle lui avoit données , IX, ;
& faifoit efperer aux Ecoffois de fon parti d'autres fecours que i j 5 8, i
ceux dont elle s'étoit flattée de la part de l'Angleterre. Eliza- ' " \
beth fe voyant accufée d'infidélité & de manque de parole , & j
trouvant encore d'autres chofes dans ces lettres , qui pouvoient i
faire craindre de nouveaux troubles , réfolut d'être plus fur fes j
gardes à l'avenir , & de ne pas négliger fes propres affaires en ;
travaillant à celles des autres. Le Régent prit congé de cette j
Princefle , & s'en retourna avec les autres députez en Ecofle
vers la fin d^ l'année. j
Dans cette même année , Colman , Button , Hallingham , Bei> ori^ir.c de*
fon , & d'autres Anglois , qui penfoient de la même façon , fe per- Paruaius, ,
(uaderent , ou au moins voulurent faire croire qu'ils avoient des ■
fentimens plus purs & plus finceres en matière de Religion & de i
dodrine. Ils commencèrent donc à attaquer la difcipline reçue :
dans l'Eglife Anglicane , la liturgie & l'autorité des Evêques. ]
Ils prétendirent qu'en tous ces points l'églife d'Angleterre étoit, ■
au moins en apparence , trop conforme aux rits & ufages de
celle de Rome , & qu'il falloit ramener toutes fes cérémonies ■
& tous fes ufages à la difcipline prefcrite par l'églife de Genè-
ve. Quoique la Reine les fit fur le champ arrêter , ils ne laiife- , i
rcnt pas de fe faire un grand nombre de fedateurs. Quelques j
Evêques donnèrent dans leurs fentimens. Une grande partie j
de la Nobleffe s'y attacha , dans l'efperance de s'enrichir des j
biens d'Eglife , dont ils étoient avides ^ & le peuple les fuivit , i
par amour pour les nouveautez , & par oppofition pour le Pa- ,
pe. On donna dès le commencement à cette fede le nom de. ;
Puritains : elle fit depuis de grands progrès dans toute l'ide ;
elle domine maintenant en Ecolle , 6c elle elt fort nombreufe
en Angleterre.
Pendant que ceci fe paffoit dans la grande Bretagne , la mê- Affaires des
me année , vers le commencement , le ducd' Albe dans les Payis- Payis-Bas.
Bas fit citer par un placard affiché publiquement le 19 de Jan-,
vier f Guillaume de Naflau prince d'Orange , & Antoine Lal-^
lain, comte de Hoocftrate. Les crimes imputez au Prince étoient,.
qu'ayant été comblé de biens & d'honneurs par l'Empereur,
Chaile V. honoré de l'ordre de la Toifon ,-fait confcillcr
Tonjf F. H h h iiij ""
45^ HISTOIRE
—■■■■■■■ I- d'Etat j gratifié du Gouvernement du comte de Bourgogne , &
Charle de ceux de Hollande , de Zelande & d'Wtrecht, il n'avoit eu
IX. ^"^ d^ l'ingratitude pour Philippe fon Roi ^ fils de Charle
X ç 6S, ^^" bienfaiteur: que trahiflant fon honneur, fon ferment, ôc
fa foi , il avoir conjuré contre fon Prince , & penfé à fe ren-
dte maître des Payis-bas : Qu'il avoir fait des courfes en Bra-^
bant : Qu'il avoitfoUicité les peuples à la révolte , en leur inf-
pirant une terreur panique de rinquifition d'Efpagne : Qu'il
avoittenu à Bruxelles & à Breda des alîemblées fecrettes : Qu'il
avoit engagé Brederode , le chef <3c le flambeau de la rébellion ,
à fortifier Vianen , & qu'ayant été envoyé à Anvers , pour ap-
paifer les troubles , il avoit foulevé le peuple en faveur des hé^
réfiques.
Le comte d'Hoocfirate étoit accufé d'avoir manqué de re-
connoiflance , & de fidélité pour fon Prince , après en avoir
été comblé d'honneurs 5 d'être entré dans tous les complots du
prince d'Orange -, d'avoir favorifé toutes les entreprifes des re-
belles, coupables du crime de leze-Majeftéj d'avoir fait pu-
bliera Malines, contre la volonté & à l'infcû de la ducheile
de Parme , une ordonnance en faveur des féditieux ; & de s'ê-
tre enfin uni avec les Conjurez à Dendermonde. Cette procé-
dure fe fit à rinftigation & à la requifition de Bofe avocat du
Roi. On cita encore Louis de NalTau , les comtes de Cuîem-
bourg & de Bergnes , Henri de Brederode & autres.
Le prince d'Orange & le comte d'Hoccfirate répondirent
à la citation , par un long mémoire publié à Diilembourg le i j
d'Avril. Après s'être juftifiés fur tous les chefs de la citation,
iljrejettoient tous les maux & tous les troubles des Payis-bas
fur l'Inquifition d'Efpagne , & ils faifoient voir par bien des rai-
fons , que tout cela étoit une fuite de la rufe & de la tyrannie
des Efpagnols , qui fous prétexte de Religion en vouloient à
la liberté de leur patrie , 6c tendoient à abolir les privilèges ,
les exemptions & les .anciens droits de la Flandre , & à rédui-
re ce payis ci un trifte & miferable efclavage. îîs s'élevoient
enfui te avec force contre l'éreâion àes nouveaux Evcchez,
contre la publication du concile de Trente , & contre l'ambi-
tion démefurée du cardinal Granvelle. Enfin ils foûtenoient
qu'ils n'a voient rien fait que dans la viië de conferver leur liber-
té 3 & d'alTurer la tranquillité publiquel.'
Cependant
DEJ. A. DE THOU,Liv. XLIII. 43^
Cependant le ducd'Albe envoya à Louvain arrêter Philippe _____^_
Guillaume de Naffaw , comte de Buren, fils du prince d'O- Cu^i^le
fange , qui étudioit dans l'Univerfité de cette ville. On le con- j y
duifit d'abord à Anvers , enfuite le Duc l'envoya en Efpagne, » ^ <<* g
011 il fut long-tems retenu comme en arrêt, cependant avec
beaucoup de liberté. Aufll-tôt après le Duc mit une forte gar-
nifon Eipagnole dans Breda, château appartenant au prince
d'Orange.
Vers le même tems on reçut la nouvelle de Pemprifonne- y^ ^^° r '^rlosi
ment de Charle , plus connu fous le nom de Dom Carlos, prin-
ce d'Efpagne , que Philippe fon père fit arrêter. On dit bien
des chofes de ce Prince, qui fe réduifent à faire croire qu'é-
tant jeune , vif, violent, d'une ambition démefurée , ôc aimant
à dominer , fon père ombrageux ôc défiant avoit appréhen-
dé qu'il n'excitât quelques troubles. Ce qu'il y a de certain, c'eft
que les EmifTaires de Philippe lui ayant rapporté ce qu'il avoit
dit des Flamans , dont les malheurs l'avoient touché , ôc dont il
avoit déploré le trifte fort , Philippe s'imagina que fon fils pen-
foit à s'échaper d'Efpagne pour paffer dans les Payis-bas. Dom
Carlos avoit auffi marqué une haine déclarée contre le duc
d' Albe , contre Ruy Gomez de Sylva , ôc contre Dom Juan
d'Autriche fils naturel de Charle V, qui étoit le plus en faveur
à la Cour. Philippe s'étoit encore mis en tête que fon fils avoit
confpiré fa perte , Ôc il croyoit en avoir plufieurs indices?
entr' autres de ce qu'il portoit continuellement dans fes culo-
tes, quifuivantl'ufagede la nation, étoient très-amples, deux
piftolets faits avec beaucoup d'art. C'eft ce que Philippe apprit
de Louis de Foix.
Ce célèbre ingénieur, natif de Paris , fut rarchite£le du palais
de rEfcurial,ôc du Monaftere que Philippe fi tbâtir avec une ma-
gnificence vrayement Royale, llfut aufli l'inventeur de la machi-
ne admirable avec laquelle on élevé l'eau du Tage jufqu'à la plus
haute partie de la ville de Tolède. Dom Carlos le chargea de
lui faire un livre alTez pefant, pour tuer un homme d'un feul
coup. De Foix lui en fit un, compofé de douze tablettes , d'une
pierre bleue , long de fix pouces , ôc large de quatre , couvert
de lames d'acier : mais par deflfus de lames d'or , qui pefoit plus
de quatorze livres: mais auflitôt de Foix vint le dire à Philippe.
Cet Ingénieur de retour en France , où il a fignalé fon adrelTe
Tome V, lii
434 HISTOIRE
, ôcfon habileté , en creufant un nouveau port à Bayonne, &
Charle ^" bâtiflant le Fanal :, communément appelle la Tour de Cor^
jy doiian à l'embouchure de la Garonne, m'a rapporté queDom
j ^ (^ g Carlos avoit fouhaité un livre de cette façon , parce qu'il avoit
lu dans les annales d'Efpagne , qu'un certain Evêque prifon-
Jiier avoit fait couvrir de cuir une brique de la grandeur d'un
bréviaire y qu'il en tua celui qui le gardoit, ôc qu'il s'étoit fau-
ve par ce moyen.
Comme ce Prince vouloir être feul dans fa chambre la nuitj
fans aucun domeftique 5 il fe fit faire auffi par de Foix une ma-
chine, avec laquelle, par le moyen de quelques poulies^ il
pouvoir étant couché dansfon lit ouvrir ôc fermer fa porte. Ce
Prince inquiet ne dormoit point , qu'il n'eût fous fon chevet
deuxépées nues ôc deux piltolets chargez. Il avoit encore dans
fa garde-robe deux arquebufes avec de la poudre ôc des bal-
les , toujours prêtes à tirer. Toutes ces armes juftifioient les
foupçons Ôc les défiances du père 3 il avoit néanmoins jufqu'alors
dilFimulé fon chagrin contre fon fils. Enfin la veille de Noël,
Dom Carlos faifant fa confeffion à un Prêtre , déclara qu'il
avoit réfolu de tuer un homme. Le Confefieur l'ayant entendu,
lui dit qu'il ne pouvoit Pabfoudre. Le Prince infilia , ôc deman-
da , que s'il neparticipoit pas à la table facrée des fidèles, ii lui
donnât au moins devant le peuple un pain non confacré^pour
éviter le fcandale. Le Confefieur n'y voulut point confentir, ÔC
alla fur le champ rapporter au Roi ce qui s'étoit pafi^e, comme
il luiavoitétéordonné.Philippe s'écria aufiitôt, qu'il étoit l'hom-
me que fon fils vouloir tuer h mais qu'il alloit prendre de bon-
ne mefures pour le prévenir.
On entendit auffi très-fouvent ce jeune Prince, lorfqu'il for-
toit de la chambre de la Reine EHzabeth ' , avec qui il avoit
de longs ôc fréquens entretiens , fe plaindre ôc marquer fa co-
lère ôc fon indignation, de ce que fon père la lui avoit enle-
vée. Il parloir ainfi, parce que dans la dernière negotiation,
pour faire la paix entre les Rois de France ôc d'Efpagne , avant
la mort de Marie reine d'Angleterre époufe de Philippe, les
Ambafladeurs avoient traité du mariage d'Elizabeth de France
avec Charle prince des Efpagnes , fils de Philippe 3 mais M a-
ÙQ étant morte dans ce tems-là, la negotiation changea de
1 Filk de Henri II. ôc femme de Philippe II.
DE J. A. D E T H O U , L I V. XLIII. 43T
face, & le père prit pour lui la Princefie deftinée à fon fils. »
Philippe , déjà très-prévenu par ces indices , étoit de jour en C h a R L E
jour confirmé dans fon fentiment, par les nouvelles ôc les té- XX.
moignages qu'il recevoir. Comme par fuperftition , ou par i j ^ 8.
une pieté affe£lée, ce Prince également impérieux ôc dé-
fiant ne faifoit rien de conféquence fans confulter le tribunal
de rinquifition , qu'on appelle communément le Saint Office,
il lui communiqua cette affaire, àc prit larefolution de prévenir
fon fils ôc de s'alTûrer de fa perfonne. L'arrêter pendant le jour,
c'éroit faire à ce Prince un affront trop fignalé , ôc il y avoit trop
de danger j parce qu'il étoit naturellement féroce , qu'il étoit tou-
jours environné de gens qui lui reffembloient , ôc qu'on le foup-
çonnoit de porter toujours des piftolets chargez. On réfolut donc
de prendre le tems de la nuit , ôc voici comme on s'y prit.
De Foix, fuivant les ordres qu'il en avoit reçus, arrêta avec
tant d'art les poulies, quifervoient à fermer en dedans la porte
de la chambre du Prince , qu'il ne s'en apperçut point. Ainfi
croyant avoir fermé à fon ordinaire les verrouils , il s'imagina
qu'on ne pouvoir ouvrir fa porte qu'avec violence ôc qu'avec
un grand bruit. Il y avoit encore à craindre , que le Prince ré-
veillé par le bruit que fon père feroit en entrant , ne le tuât avec
les épées ôc les armes à feu qu'il avoit fous fon chevet , ôc dont
il avoit appris à fe fervir dans une perfedion , qui le mettoit
au-deffus de tous les jeunes Seigneurs de la Cour. C'eft pour-
quoi le comte de Lerme eut ordre d'entrer le premier dans fa
chambre j ce qu'il exécuta fans faire aucun bruit : il enleva fe-
cretement toutes les armes que le Prince avoit fous fon che-
vet 5 après quoi il fe rendit maître de la garde-robe , oui l'on
fçavoit qu'il avoit toujours plufieurs arquebufes toutes prêtes
à tirer.
Philippe entra après , précédé de Ruy Gomez de Sylva,
du duc de Feria , du grand Commandeur , ôc de Diego de
Cordouë. Jamais le malheureux Prince ne dormit fi profon-
dement •> le bruit que faifoit tant de monde ne l'éveilla point,
ôc il fallut pour le tirer de fon fommeil , que Gomez le poufsât
quelque tems avec le coude. Réveillé enfin , dès qu'il fe vit
pris i ôc que fon père étoit dans fa chambre , il s'écria qu'il étoit
mort, ôc il conjura ceux qui étoient prefens , avec des gémif-
femens^ des larmes, ôc des hurlemens qui faifoient pitié, de le
In i;
43<^ HISTOIRE
tuer. Je ne ibis pas venu , lui dit Philippe , pour vous faire tuer;
Ch ARLE ^"'^^^ P^"*^ ^'0"S châtier en père, ôc vous faire rentrer dans vo-
JX. tre devoir. Il lui fit cnfuite une ferieufe réprimande, lefitle-
1558. ^^^' lui ôta tous fesdomeftiques, ôclui donna des gardes. Ceux-
ci le revêtirent d'habits lugubres, lui donnèrent un chapeau
noir, ôterent de fa chambre les tapifferies ôc le lit magnifique
qui y étoit, & n^ laifTerent qu'un petit lit roulant, ôc un ma-
telas.
Le Prince fe voyant en cet état , s'abandonna audéfefpoir,
ôc à la fureur. Comme il avoir peu de gardes , il alluma un
très-grand feu , fous prétexte du froid rigoureux de Thyver , ôc
il fe jetta dedans : fon habit ôc fa chemife furent brûlés. Les
gardes accoururent, ôc le retirèrent par force ôc avec peine»
Cette première tentative ne lui ayant pas réulTi , il en fit une au-
tre. Ayant pafTé deux jours fans boire, il but le troifiéme jour
une fi grande quantité d'eau froide , qu'il s'en fallut peu qu'il ne
mourut. Une autre fois, après avoir fait diète pendant quelques
jours, il mangea tant de pâtez farcis de viande difficile à digé-
rer , qu'il penfa étouffer.
Voilà ce que de Foix m'en a appris. Pierre Giuftiniani , no-
ble Vénitien, ajoute que Charle voulut s'étrangler avec un
diamant qu'il mit dans fa bouche 5 mais que fes gens vinrent
aflez-tôt pour l'en empêcher. Philippe voyant donc que fon
fils étoit d'un cara£lere, que ni la raifon, ni les châtimens ne
pouvoient changer ou adoucir , en conféra encore une fois
avec le Saint Office ', ôc jugea à propos pour prévenir la
mort qu'il vouloit fe donner à lui-même, de le faire condam-
ner par un, juge légitime. Mais afin de fauvcr l'honneur
du fang Royal, l'arrêt fut exécuté en fecret, ôc on lui fit ava-
ler un bouillon empoifonné , dont il mourut quelques heures
après , au commencement de fa vingt-troifiéme année.
Philippe , avant la mort de fon fils , écrivit de fa propre main
au Pape le 2 1 de Janvier. Après avoir commencé fa lettre par
un long difcours fur fa foumiffion, ôc fon obéifl^ance pour le
Pontife, il lui apprenoit qu'il avoit été obligé pour de bonnes
laifons d'emprifonner fon fils, ôc il lui promectoit de ne rien
omettre dans cette affaire, de tout ce qu'on peut fouhaiter d'un
père ôc d'un Roi également jufte ôc prudent. Plufieurs ont écrit:
<pe Dom Carlos étoit mort dans le mois de Juillet , ôc d'autres
Beine d'Ef-
pagne.
DE J. A. DE T HOU, Liv. XLIIL 437
dans le mois cl'0£lobre. Pour moi je crois , ôc de Foix m'a ^^^^^^^'^^^^
dit. qu'il étoit mort bien plutôt j mais qu'on avoit caché fa mort ^
j 1 •/ o ' ' ' J- 1 „ Charlf.
pendant quelques mois, ôc quon nen répandit la nouvelle jy
qu'après la vi6t:oire que le duc d'Albe remporta à Gemmingen, ^\
dont nous parlerons dans la fuite. * ^
Elifabeth reine d'Efpagne , âgée de 25 ans j & enceinte , ^^o« ^^ ^^
fuivit de près fon beau-iils. Elle mourut quelques mois après :
Quelques - uns foupçonnerent Philippe de l'avoir fait em-
poifonner , parce qu'il lui avoit fait un crime de la trop gran-
de familiarité qu'elle avoit avec Dom Carlos. Il eft néan-
moins facile de fe convaincre du contraire , par la grande &
lîncére douleur que fa mort caufa , tant à la Cour que dans
toute i'Efpagne j le Roi la pleura , comme une femme qu'il
aimoit très-tendrement , ôc les peuples la regreterent , comme
fi le lien qui réûniflbit \qs deux Rois avoit été entièrement
rompu : pour cette raifon on lui avoit donné le nom d'Irène ^
Cet exemple d'une févérité, ou comme plufieurs le difoient
hautement , d'une cruauté fî inoûie , répandit la terreur dans
les efprits de tous les fujets de Philippe , ôc principalement
des Flamands , qui fe fentoient coupables d'une fédition ou-
verte , ôc qui ne pouvoient efpérer aucune grâce d'un Prince
qui n'avoir pas pardonné à fon propre fils, ôc àquiPieV. avoit
donné pour cela de très-grandes louanges. C'efi ce qui rédui-
fit les Grands ôc les peuples des Payis-bas à la trifle nécef-
firé d'en venir aux dernières extrêmitez ; d'autant plus qu'ils
avoient entendu dire, que le Tribunal du faint Office avoit pro-
noncé fur leur caufe avec autant de févérité que fur celle de
Dom Carlos.
Le bruit qui s'en étoit répandu , n' étoit que trop vrai : car ^^-^^^ ^^^
\qs Inquifiteurs de Madrid , confultez par Philippe fur l'affaire troubles des
des Payis-bas, délibérèrent ôc prononcèrent le 1 5 de Février, i^^x^^'^^s.
qu'en général ôc en particulier tous les peuples des Payis-bas
& tous les Ordres ôc Etats de la Flandre, ( à la referve feule-
ment de ceux qui étoient nommément ôc diftin£lement mar-
qués dans les informations ) étoient apoftats , hérétiques ôc cri-
minels de leze-majefté : ôc non- feulement ceux qui s'étoient
ouvertement féparés de Dieu , de la fainte Eglife , ôc de l'o-
béïffance due au Roi 5 mais auffi ceux qui fe difant Catholiques
J Icene en Grec fignifie Paix.
Iiilij
J
^
43S HISTOIRE
M avoient manqué à leur devoir , ôc par une faufTe prudence
Charle ^^ s'étoient pas d'abord oppofez aux entreprifes des fé6lai-
j-N^ res & des fédideux, pour les réprimer , comme il auroit été
1 < 63 très-facile au commencement. Ils déclarèrent de plus , que les
Nobles, qui avoient préfenté ôc publié au nom du Prince des
requêtes ôc des plaintes contre la fainte Inquifition , ôc qui
avoient par là malicieufemeat excité à la fédition les apoftats,
les hérétiques ôc les rebelles , étoient tous tombés dans le cri-
me de leze-majefté divine ôc humaine.
Suivant ce jugement de l'Inquifition , Philippe envoya le
2j de Février des ordres au duc d'Albe , de fe conformer aux
décrets des Inquifiteurs , ôc de faire dans toutes les formes ôc
dans toute la rigueur des loix le procès aux rebelles^ aux hé-
rénquesj ôc aux criminels d'Etat. Conformément à ces ordres,
le Confeil établi par le duc d'Albe , communément appelle le
Confeil de Sang , drefla des reglemens pour rous les Com-
miflaires, afin qu'il n'y eût dans leurs procédures , dans leurs
fentences , ôc dans l'application des peines^ aucun doute , au-
cune incertitude, aucune variation.
Comme ces Juges enveloppoient dans leurs procédures
les perfonnes les plus innocentes , ôc qu'aucun ne pouvoir
fe fouftraire à des reglemens fi généraux , on ne peut expri-
mer les mouvemens ôc les troubles qui agitèrent les Grands
Ôc les riches , qui crûrent que c'étoit à eux qu'on en vouloir.
Voyant qu'en vertu de ces Edits pleins de fureur , on exerçoit
d'horribles châtimens fur les perfonnes les plus groffieres , ôc
fur les payfans , que dans les villes on condamnoit les préfens
à des amendes , à des baniffemens , ôc à des fupplices , ôc
qu'on agiffoit contre les abfens par la faifie , la confifcation >
ôc la vente de leurs biens j plufieurs , furtout dans la Flandre
Occidentale, devinrent furieux , exerçant leur vengence fur
les Prêtres Ôc les Moines , dépouillant ceux qu'ils rencon-
troient j ôc par une efpece de rage inoûie jufqu'alors, leur
coupant le nez ôc les oreilles.
Cependant Margueritte ducheiïe de Parme j qui ne pouvoir
plus relier avec honneur dans un gouvernement , dont toute
l'autorité lui avoit été enlevée , pour en revêtir un homme fu-
perbe , qui travailloit tous les jours à décrier fa conduite auprès
de Philippe , réfolut , avec l'agrément de fon frère 3 de fe
DE J. A- DE THOU^Liv.XLlII. 435?
retirer en Italie. Dès la fia de l'année précédente , elle avoit .
rendu publique une lettre , par laquelle elle afiuroit les Etats 7^
de Flandre, qu'elle auroit fouhaité de faire dans leur aflem- r4f ^
blée la démifïion d'un gouvernement, dont elle s'étoit char-
gée à Gand , il y avoit neuf ans 5 mais que ne le pouvant , ^
à caufe des troubles, elle leur difoit adieu par écrit. Elle les
prioit Ôc conjuroit , de perféverer conftament dans la Religion
de leurs ancêtres , ôc dans l'obéifTance ôc la fidélité qu'ils dé-
voient au Roi , ôc d'employer tous leurs foins ôc toutes leurs
forces pour procurer le bien public. Elle ajoûtoit , que par fon
zélé, ôc fes travaux , elle avoit avant le mois d'Avril dernier ra-
mené toutes les villes ôc toutes les provinces à l'obéifTance due
au Souverain i ôc qu'elle avoit mis de bonnes garnifons dans
les villes qui en avoient befoin : enforte qu'il ne reftoitplus
qu'à punir les coupables, ôc à établir la paix ôc la tranquillité
publique , par les moyens que le Roi jugeroit les plus pro-
pres.
La gouvernante ajouta ce dernier article , pour rendre
odieux le duc d'Albe , ôc pour faire voir qu'avant fon arrivée
dans les Payis-bas , elle avoit pris de bonne heure de juftes
mefures , pour rétablir la tranquillité publique dans ces Pro-
vinces. Marguerite ne partit pas fi-tôt , parce qu'elle attendit
îong-tems la réponfe de Philippe fon frère. Elle re^ut enfin
d'Efpagne une lettre pleine d'amitié ôc de tendreffe , telle qu'on
a coutume d'écrire à une perfonne qu'on remercie après l'a-
voir dépouillée de fa dignité. Elle fortit de Bruxelles le 10
d'Avril accompagnée du duc d'Albe, qui la conduifit jufqu'à
une très-petite diftance de la ville. Elle prit fa route par le Na-
murrois , par le Hainault ôc le duché de Luxembourg. Delà
elle paffa par l'Allemagne , pour fe rendre en Italie auprès
d'Ottave duc de Parme fon mari, laiffant en Flandre le doux
ôc agréable fouvenir d'une Gouvernante , que les peuples com-
bloient de louanges ôc de béne£lions.
Pendant ce tems-là , le prince d'Orange faifoit des levées
en Allemagne , ôc fe difpofoit à attaquer la Flandre dans le
mois de Mai , par les frontières de Gueldres ôc de Frifc , par
Maeftricht , ôc par nos frontières. Il devoir employer à cela les
troupes auxiliaires d'Allemagne, qui avoient fervi fous le prin-
ce de Condé , ôc qui retournèrent dans leur payis après le
440 HISTOIRE
■ traité de Pacification. Les Confédérez levoient aufll des trou-
Char LE pcsdans le payis de Liège. Le duc d'Albe ayant appris par
j X. rambaffadeur d'Efpagne à la Cour de France , que les Aile-
I ç 5 8. "i^nds , qui avoient été au fervice du prince de Condé, avoient
réfolu d'entrer dans les Payis-bas, fit avancer les troupes Efpa-
gnôles ôcltaliennes fur la firontiere , vers le pays de Liège. Il
y envoya aufli le baron d'Hierges , fils du Comte de Ber-
. laymont ^ avec 2000 Flamands , & il fit engager au fervice
du roi d'Efpagne les Italiens qui avoient été à celui du roi de
France , ôc qu'on venoit de congédier.
On découvrit en même - tems une conjuration , tramée
pour prendre ou pour tuer le duc d'Albe. Ryfoire,qui étoit
à la tête , s'étoit chargé de faire pafTer au fil de l'épée les
dix enfeignes qui étoient en garnifon à Bruxelles. Ryfoire ôc
de Carloo fon frère , de la maifon de Vander-noot , dreffe-
rent une embufcade pour furprendre le duc d'Albe , qui de-
voir aller par dévotion au monaftere de Groenendale , dans
le bois de Soenien. Ils avoient avec eux au jour marqué plus
de ^000 cavaliers armés près de la maifon d'Ohein , ôc envi-
ron ^00 hommes de pié à Bruxelles. De Carloo s'étoit caché
dans le monaftere fous l'habit de Moine, dans l'appréhenfion,
difoit-il , du duc d'Albe. De Likes découvrit la confpiration
6c en avertit le Duc ; il eut néanmoins, aflez de peine à le
^ détourner du voyage , pour lequel tout étoit prêt. On prit un
des conjurez ôc on T'appliqua à la queftion , où ayant avoué tou-
tes les circonftances du complot, il expia par un horrible fup-
plice un projet criminel , qui n'eut aucun fuccès.
Le duc d'Albe ayant appris que les Confédérez avoient déjà
de nombreufes troupes au-delà de la Meufe , crut qu'il devoir
les prévenir. Il envoya donc , avant qu'elles fuffent afifemblées,
Sancho de Londono à Namur , avec cinq enfeignes de fon
Régiment , commandées par François de Valdés , Diego de
Carvajal, Antoine Muxica, ôc François deVargas; ôc il char-
gea Ferdinand , fils naturel de Prieur , de faire marcher Lopez
de Acuna avec la cavalerie qui étoit dans le Tournefis. On
donna aufll ordre à Sancho d'Àvilà capitaine des Gardes du
I Une médaille frappe'e en 1176.
prouve que le vrai nom de ce Seigneur
eft Barlaymom. C'eft ainfî qu'on l'ap-
pellera dans la fuite de cette Traduc
tien , 8c non pas Barlemout, comme oa
le trouve dans plufieurs Hiftoires ou
Mémoires.
duc
c
H ARL E
IX.
1558.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIII. 441
duc d'AIbe, à Nicolas Bafta qui comm^ndoit la cavalerie Al-
banoife , & à Pierre de Monte commandant des moufquetai- r^
res à cheval , de fe joindre à Londono.
Ces troupes fe détournant de la route qu'elles avoientprife,
fuivantles ordres du duc d'AIbe, marchèrent à Maeftricht; ou
après avoir fait repofer le foldat fatigué du voyage , & avoir
pris quatre enfeignes d'Allemands du régiment du comte d'E-
berliein , elles s'avancèrent vers Ruremonde , place forte ÔC
avantageufement fituée au confluent du Roër ôc de la Meufe
fur les confins des duchés de Gueldres ôc de Cleves. Les Con-
fédérez avoient tenté peu de tems auparavant de s'en rendre
maîtres , d'abord par rufe , ôc enfuite par force , mais inu-
tilement : car Londono étant prêt d'arriver , ils furent obligés
de fe retirer après avoir pillé le fauxboutg , abattu les images
de l'Eglife , & brûlé le pont de bois , qui étoit fur le Roër.
lis prirent enfuite leur chemin par Waffemberg , & s'en allè-
rent à Erkelens dans le duché de Cleves , mais appartenant
au duché de Gueldres.
D'Avila les ayant atteints entre Erkelens ôc Dalem , avec ^ ^^^^^
fa cavalerie, en donna avis à Londono ; ôc il le pria de le fui- aérez font
vre promptement avec fon infanterie. Les Confédérez obli- battus.
gez de s'arrêter en cet endroit 3 fe mirent en bataille : mais ne
pouvant foûtenir le choc de la cavalerie de d'Aviia , ôc leur in-
fanterie commençant à plier, ils fe retirèrent avec perte à Da-
lem. Ils perdirent ce jour-là deux enfeignes , ôc en conferverent
fept , qui entrèrent dans une place voifine , où elles fe forti-
fièrent par un retranchement ôc un foffé , ôc mirent leurs ca-
nons en batterie fur le pont. Londono étant arrivé avec fon
infanterie , les attaqua , força leur retranchement, ôc les tailla
prefque tous en pièces : on enleva aux Confédérez fept dra-
peaux , ôc ils eurent 1 000 hommes de tués. Les Efpagnols ont
écrit qu'ils n'en perdirent pas plus de vingt. François deVar-
guas, qui fe diftingua beaucoup dans ce combat , y fut dan-
gereufement bleffé. La bataille fe donna le 2j d'Avril. Les
prifonniers furent conduits à Bruxelles , condamnez ôc exécu-
tez fur le champ.
Londono ayant ainfî fait perdre aux Confédérez l'efpérance
de s'emparer de Ruremonde > il y entra lui-même avec cinq
enfeignes, ôc y mena quelques prifonniers, qu'il fit pendre.
Tome y, Kkk
442 HISTOIRE
. La pefte qui ' défoloit cette ville , l'ayant obligé d'en fortir , il
Ch ARL E d^^'^ib'J^ ^^s troupes à Venlo ôc à Grave , & mit dans les pla-
I X ^^^ voifines cinq autres enfeignes qui étoient arrivées depuis
I c ^ 8. P^*^ ^^ Tournay ôc de Vilvoord. Peu de tems après il mar-
cha avec ces dix enfeignes à Maeftricht.
Le duc d'Albe ayant appris que de nouvelles troupes s*af-
fembloient dans le duché de Gueldres , à Boxemer , comman-
da le comte de Meghen gouverneur de la Province avec un dé-
tachement , pour aller de ce côté-là 5 ôc il lui donna , pour lac-
, compagner , André de Salazar gouverneur de Palerme en Si-
cile. Il commanda en même-tems Gonzalez de Bracamonte
avec huit enfeignes de fon régiment, qui étoit en garnifon à
Bofleduc, ôc les autres, qui étoient à Audenardc , pour al'er
joindre le comte de Meghen. Ferdinand Prieur donna aullï
ordre à Cefar d'Avalos frère du marquis de Pefcaire , colonel
de cavalerie , de prendre avec lui les compagnies de RuyLo-
pez d'Avalos, de la Court de Martinengh , ôc la fienne , d'al-
ler à Grave , ôc de fe joindre avec le comte de Meghen.
Ce Comte y étant arrivé , trouva que les Confédérez ayant
abandonné Boxemer , étoient allés fur des vaifleaux à Grave ;,
place fur la Meufe , fur les frontières des duchezde Gueldres
ôc de Cieves , ôc qu'ils avoient pris la ville ôc les deux cita-
delles. II manda donc à Bracamonte de pafler promptement
avec fes gens la Meufe , ôc le Vahal , qui eft un bras du Rhin 3
de venir le joindre , pour faire le fiége de Grave , ôc de fe pofter
du côté qui regarde le Brabant. On fit venir les canons deNime-
gue , ôc le comte de Meghen fe plaça de l'autre côté. Mais la
garnifon, effrayée de l'arrivée de Céfar d'Avalos , quitta Grave,
ôc fe retira confufément ôc en petits pelotons de côté ôc d'au-
tre. On mit dans la place, fuivant les ordres du duc d'Albe,
une enfcigne du régiment de Bracamonte : on diftribua les au-
tres dans ies lieux circonvoiiins , Ôc on renvoya Céfar d'Avalos
à Bofleduc.
Cependant Coqueville, Vaillant, ôc le capitaine S. Amand,'
tous braves officiers venus de Normandie, s'affemblerent fur la
frontière , ôc on ne douta pas que ce ne fut par les ordres du prin-
ce de Condé, Ayant levé des troupes en Artois, en Flandre ôc
en Angleterre , ils faifoient des courfes dans les Payis-bas , pour
faire une diverfion en faveur du prince d'Orange. Le duc d'Albe
DE J. A: DE THOU, Liv. XLIIL 445
îmté de ce procédé en fit porter des plaintes au roi de France '
par l'ambaffadeur d'Efpagne. Le Roi écrivit aufli-tôt au prin- Z^ ~
t^^ A r^ A' ■ • j r- 1 • «. 1 • j Charle
ce de Conde ^ avec qui on venoit de taire la paix , & lui de- j ^
manda fi c'étoit par fes ordres que Coqueville ,quiavoit été '
à fon fervice , en ufoit ainfi ? Le Prince nia que ce fût par fes ^
ordres, ôc manda qu'il fe mettoit peu en peine de ce que fai-
foit Coqueville.
Le Roi donna donc ordre au maréchal Artus de CofTé de
prendre avec lui les garnifons de Picardie , ôc de donner la
chafie à des coureurs , qui defoloient le payis par leurs brigan-
dages. Le Maréchal pourfuivit Coqueville jufqu'à Saint Valle-
ry , à l'embouchure de la Somme , ôc l'ayant forcé de fe re-
tirer dans cette place avec 600 hommes de pié ôc 200 che-
vaux , il l'inveftir. Ayant aufli-tot fait approcher le canon ôc
abattu le mur , tandis que Coqueville ôc Saint Amand s'effor-
çoient de faire reparer la brèche , on introduifit dans la place
les troupes du maréchal de Coflé , à certaines conditions. Co-
queville fe retira dans une maifon voifine, où il fut pris avec
S. Amand ôc Vaillant , après qu'on eut fait un grand carnage
de leurs gens. Tous les Flamands furent tués , ôc Cofle ne
conferva que les François. Les chefs qui avoient été pris fu-
rent conduits à Paris fous bonne efcorte , ôc furent condam-
nés à mort , comme gens qui avoient pafîé au fervice des
ennemis.
Cependanr il arriva bien des chofes , qui firent de la peine
au duc d Albe. L'életleur Palatin ayant appris, que fous le fpe-
cieux prétexte de la liberté du commerce , les négocians Ita-
liens faifoient defcendre fur le Rhin une grande quantité de
monnoyes défendues , fit arrêter le 1 8 de Février à Manheim ,
lieu où l'on paye les droits, le vaifieau qui les portoit , ôc fit
tranfporter à Heidelberg toutes les marchandifes ôc tout l'ar-
gent qui étoit deffus. On en fit Tinventaire, qui, à ce que pu-
blièrent les Efpagnols , montoit à 150000 Ducats. Le duc
d'Albe en fit aufli-tôt de grandes plaintes au nom du roid'Ef-
pagne. Jean ôc Jean-Antoine Grimaldi en demandoient la
reftitution , aufii bien que Chriftophle Centurione, au nom de
Lucien fon frère , d'Auguftin Spinola , ôc de Thomas de Fief-
que , tous Génois , appuyez de la récommendation d'Emanuel
duc de Savoye. Le Palatin leur oppofale décret de l'Empire
Kkkij
444r HISTOIRE
_________ de l'an 15'5'p , portant défenfe de tranfporter la monnoye , &
^ foûtenoit que ce qu'il avoit fait n'ctoit qu'une julle punition
-j^ décernée contre ceux qui avoient voulu frauder fes droits: il
renvoya les marcliands & les mariniers , avec un procès ver-
^ ' bal autentiquede la manière dont la chofe s'étoit paffée. En-
fin après de long débats, malgré l'entremife du duc d'Albe ^
qui employoit les prières , ôc quelquefois les menaces , les Gé-
nois fe trouvèrent contraints de tranlîger avec l'éleâeur Pala-
tin à des conditions , qui faifoient bien connoître qu'ils n'a-
voient pas été exempts de faute.'
La perte que le duc d'Albe efluya en Frife ^fut beaucoup
plus confidérable. Louis de Naffaw ayant raflemblé environ
7000 hommes de pied , Ôc quelque cavalerie y étoit entré en
Frife , après avoir déclaré qu'il n'avoir pris les armes , que pour
la défenfe de la liberté de la patrie ôc des confciences 5 ce qu'il
marquoit clairement dans fes drapeaux , dont la devife étoit
aut reciperare aut mori , ( ou recouvrer la liberté , ou mourir. )
Ayant parcouru cette Province , il avoit alFiégé ôc pris Wed-
den , château du comte d'Aremberg , par 011 l'on entre de la
Frife Orientale dans la feigneurie de Groningue ; ôc il étoit oc-
cupé à fortifier Delfziel , village qui n'en eft pas éloigné , com-
mode par fon port , ôc fitué au-deifous de l'embouchure de la
rivière d'Eems. Il s'étoit aufli rendu maître de Dam , place éga^
lement éloignée de Groningue ôc de Delfziel.
Audi tôt que le duc d'Albe l'eût appris, il donna ordre au
comte d'Aremberg, gouverneur de P'rife , qui étoit revenu de-
puis peu de France , où il avoit mené les troupes auxiliaires ,,
de marcher vers ce payis-là avec cinq enfeignes de fon régi-
ment, pour donner la chaffe aux troupes de Nafîaw , lesdifÏÏ*
per ôc les faire fortir de cette Province. Il ordonna à Braca-
monte , avec les dix compagnies du régiment de Sardaigne,
qu'il commandoit , ôc au comte de Meghen , avec les qua-
tre enfeignes d'Allemands , ôc trois compagnies de cavalerie-
legére , qui étoient à Bofleduc , de fe joindre au comte d'A-
remberg. Ce Comte ayant reçu ces ordres , prit avec lui fix pe-
tits canons , ôc étant forti de Groningue , afin de pourfuivre Naf-
faw , avant qu'il eût reçu un plus grand nombre de troupes,.
il marcha vers Dam , où les Confédérez s'étoient affemblés.
Comme i! y avoit envoyé de l'infanterie Efpagnole , il y eut
D E J. A. DE THOU,Liv. XUII. 445-
d'abord de légères efcarmouches , avec quelque perte du côté ^— ...«éi..^
de l'armée de NafTaw, qui fut obligé à la fin de quitter ce Char LE
village j quoique le pofte fut avantageux ; parce qu'il n'y avoir jy
point de murailles, ôc qu'il n'avoit pas letemsdele fortifier: ^ r (5*8,
il alla camper à trois lieuës de cette place , dans une Ab-
baye de Prémontrés , (nuée dans le territoire de Gemmin-
gem. La fituation de ce Monafiere lui a fait donner le nom
d'Heyligherlée ; parce qu'étant inacceflible à caufe des marais,
dont il efl environné , il a fallu apporter de loin une terre
féche ôc ferme , dont on a fait un tertre , fur lequel le mo-
naftere a été bâti. Il y a fur ce tertre un bois , où les Confédé-
fez s'étoientpoftez. Le même jour que les deux armées avoient
eu une légère efcarmourche à Dam , le comte d'Aremberg
pourfuivit celle de Naflfaw , comme il auroit pourfuivi des
fuyards , foit qu'il comptât fur une vidoire certaine , foit qu'il
fût picqué de l'injure perfonnelle qui lui avoit été faire dans la
prife &le pillage de fon château de Wedden : il réfolut , pour
le venger du chagrin qu'ils lui avoient caufé , de les combat^
tre au plutôt , & de ne pas attendre l'arrivée du comte de
Meghen , qui marchoit le plus vite qu'il lui étoit poffible. Ainli
le lendemain de l'avantage qu'il avoit remporté fur l'armée de
NafTaw > qui étoit le 23 de Mai , le comte d'Aremberg fit
iTiarcner fes troupes vers l'Abbaye d'Heyligherlée , oùNalTa^c
s'étoit fortifié.
Celui-ci ayant appris l'arrivée du Comte , mit fon armée en
bataille > il forma un gros bataillon quatre au-devant du bois,
au pied duquel étoit un marais , & en forma un autre à la gau-
che fur la croupe du tertre, compofé d'environ trois mille ar-
quebufiers : il plaça fa cavalerie à la droite, ôc il mit fur le pen-
chant du tertre , devant le corps de bataille , une troupe d'en-
fans perdus. Toutes les avenues étant ainfi fermées, il ne ref-
toit qu'un chemin étroit , qui s'étendoit au travers des Marais,
le long du bois jufqu'au tertre , par où l'on alloit à l'Abbaye.
Le comte d'Aremberg y étant arrivé, fit auffitôt amener fon
artillerie, ôc donna ordre aux Efpagnols de s'avancer en dili-
gence, pour attaquer les enfans perdus. Mais les Confédérez
avoient un petit coteau qui les mettoit à l'abri du canon. On
changea donc les batteries , ôc tandis qu'on tranfportoit les ca-
nons , les ennemis parurent reculer peu à peu. Le comte
Kkkiij
44<^ HISTOIRE
^ d'Arembei'g, qui s'imaginaqu'iîs vouloient fuir ^ s'avança aved
^ trop d'ardeur à larcte de trois cens chevaux de Martinengh (car
j\^ il n'enavoltpas davantage avec lui, avant l'arrivée du comte
de Meghen ) & il fe précipita malheureufement dans les marais.
^ ' Tout ce terrain eft compofé d'une terre légère & friable , que
les peuples employentà allumer le feu, après l'avoir tirée, cou-
pée en morceaux, & fait fécher.Les eaux, dont ce payis eft rem-
pli couvrent aufli-tôt les endroits qui ont été creufez, pour en
tirer la terre : mais comme il y croit de l'herbe,on s'imagine aifé-
ment que tout le terrain eft folide, enforte que fi ceux qui paf-
fent par là n'ont pas de bons guides , ils tombent, avant que de
pouvoir connoître le péril , dans des précipices dont ils peuvent
à peine fe tirer. Comme le comte d'Aremberg connoifToitla
nature du terrain , on fut très-furpris de fa démarche , ôc on de-
manda pourquoi il s'étoit jette lui ôc les fiens dans un fi grand
danger f On a dit communément, & c'eft cequiparoit le plus
certain, que les murmures ôc les calomnies des Efpagnols fu-
rent la feule caufe d'une conduite fi imprudente 5 parce que
voyant que ce Comte differoit de combattre > ils i'accuferent
hautement d'être d'intelligence avec l'ennemi , ôc de vouloir
lui donner le tems de fe retirer. Le Comte plein de courage
ôc d'honneur, ne pouvant fupporter des plaintes fi injurieufes,
ni fouffrir qu'on eût le moindre doute fur fa fidélité , n'envifa-
gea plus le danger, ôc marcha aux Confédérez avec d'autant
plus d'imprudence , que fa perte fembloit inévitable.
Défaite des Ainfiles Efpagnols attaquant l'ennemi fans ordre, ôc lemé-
Efpagaols. prifant extrêmement (ce qui a toujours été très-pernicieux)
ils fe précipitèrent dans les marais, Ôc la plupart, qui étoient
chargez de longues picques, furent prefque engloutis. Tatidis
que la première ligne des Confédérez ccmbattoit avec les Ef-
pagnols, ôc que ceux qui étoient dans le marais s'efforçoient
d'en fortir, les ennemis, qui étoient (ur le derrière, vinrent par
un chemin détourné charger en flanc les troupes du Roi d'Ef-
pagne. Le comte d'Aremberg foutint long-tems tous les efforts
de leur cavalerie avec une extrême valeur. Les Efpagnols ont
écrit qu'il tua de fa main Adolfe de Naflaw , le plus jeune des
frères du prince d'Orange ; d'autres difent qu'il fût tué d'un bou-
let de canon. Quoiqu'il en foit , le Comte ayant eu un cheval
tué fous lui, ôc en ayant aufli-tôt montç un autre j il revint à
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIII. 447
îa charge ^ où il fe trouva accablé par le grand nombre des en-
nemis qui l'environnoient. Enfin après un combat très-opi- n u * rle
niâtre, il fut tué par Antoine de Soele de Hontein, qui cher- t y
choit à venger la mort de fon frère , Chevalier de Malte , qui i ^ 5 3^
venoit d'être tué fous fes yeux. Les Efpagnols perdirent en
cette occafion plufieurs officiers d'un grand nom , Alvarez Ofo-
rio, Jean Ferez de Sotomayor , Pierre de Cabrera , fept capi-
taines , & plus de cinq cens foidats. On leur prit fix canons,
tout leur attirail de guerre , & tous leurs bagages. L'infanterie
Allemande fe voyant environnée déroutes parts , mit les armes
bas, fuivant fa coutume, fe rendit, & promit de ne fervir de
fix mois dans l'armée de Philippe.
On lit dans Thiftoire que trente-deux ans auparavant , Geor-*
ge baron de Schenck avoit remporté dans le même lieu une
célèbre vi£loire, faifant le fiége de Dam. Deux femmes épri-
fes de fa bonne mine, ôc craignant qu'il ne périt, l'avertirent
qu'il arrivoit du fecours î alors le Baron u^a de ce ftratageme :
il laifla les tentes , l'attirail , & les bagages dans le camp , & il y
fit allumer des feux partout, comme s'il y avoit été. Enfuite
il fe retira fans bruit , 6c fans que les aiïiégez s'en apperçuffenr,
vers Heyligherlée. S'étant rendu maître de toutes les routes,
par où les troupes auxiliaires dévoient pafTer ; il les attaqua à
leur arrivée dans le tems qu'ils y penfoient le moins , & les ayant
précipitez dans les marais , il remporta fur eux une pleine vie-
toire ) ôc revint enfuite continuer le fiége. Les aihégez ayant
appris ce qui s'étoit palfé , ôc n'ayant point d'efperance d'ê-
tre fecourus , fe rendirent. C'eft ainfi que Schenck qui com-
mandoit les troupes de Charle V. contre le duc de Guel-
dres , prit Dam, 6c le fournit à l'Empereur ^ qui ordonna d'ea
rafer les murailles.
Pendant que Naflaw pourfuivoir l'armée du Roi d'Efpagne,'
qu'il avoit dilïipée , 6c forcée de prendre la fuite, il rencontra
dans ion chemin André Salazar , que le comte de Meghen avoit
envoyé devant lui, 6c qu'il luivoit. Salazar foûtint bravement
les efforts du vainqueur , & ramaffa les débris de l'armée vain-
cue. Le corps du comte dAremberg fut enterré dans le mo-
naOere voifm Tel fut le fuccès de la bataille donnée entre
Winfchoten 6c Heyligherlée , dans les campagnes que Tacite
443 HISTOIRE
.. , I— a appelle Trompeufes \ qui font arrofées par l'Ems ôc la Lîp-
Charle P^' ^^ bataille fut prefque aufTifunefte aux vainqueurs qu'aux
TV- vaincus, par la mort de tant de grands hommes, que le duc
^'g d'Albe fit exécuter , pour fe venger de la défaite de fon armée,
comme nous le dirons bien-tôt. Encouragez par l'arrivée du
comte de Meghen, les Efpagnols fe raflemblerent auprès de
Martinengh , ôc ils campèrent à Zuytbrouk , affez près des en-
nemis. Le comte de Meghen craignant que la perte qu'ils ve-
noient de faire , n'achevât de mettre le trouble dans la îeigneu-
rie de Groningue , fit entrer dans cette ville , où il n'y avoit que
quatre enfeignes commandées par Jean Baceau, quatre autres
enfeignes du régiment d'Aremberg, & autant d'Allemands.
Nafiaw après favidoire marcha vers Groningue, prit une Ab-
baye qui en eft proche , & y mit garnifon.
Comme il y avoit fouvent de petits combats entre les deux
armées , Charle de Brimes comte de Meghen reçut un coup
d'arquebufe au cou, ôc mourut peu de tems après de fa blef-
fure. Ses gens ne tardèrent pas à venger fa mort : ils prirent
l'Abbaye, ôc maflacrerent deux cens hommes qui y étoient
en garnifon. Curtio de Martinengh courut aulTi un très-grand
danger, ayant eu un cheval tué fous lui. Le duc d'Albe ayant
appris la défaite du comte d'Aremberg, envoya prefque tous
les Efpagnols à Namur,ôc deux mille hommes depié, avec
cinq cens cavaliers, à Maeftricht. Il envoya en même tems Ma-
ximilien comte de Boffut Gouverneur de Hollande, pour for-
tifier les autres villes. On publia aulïl-tôt une ordonnance , qui
enjoignoit à tous ceux qui avoient quitté les Payis-bas pour
caufe de Religion d'y revenir , fous peine , s'ils n'obéilfoient,
d'être punis par la confifcation de leurs biens , ôc par un bannif-
fement perpétuel.
Le duc d'Aï- Comme perfonne n'obéiffoit à cet édit ^ dans la crainte d'une
teVun^arand P^^s grande peine? qu'on recevoir tous les jours des nouvel-
nombre ^de les de nouveaux troubles ; qu'on en apprehendoit encore
Seigneurs & (j'auttes 5 Quc l'on répandoit des mémoires ou libelles , &
de Gentils- ,, j\ ., . r i- j p i
hommes Fia- quc 1 on ailtriDuoit en divers lieux de 1 argent pour gagner les
wans. peuples 5 le duc d'Albe réfolut enfin d'exécuter ce qu'il médi-
toit depuis long-tems , ôc de faire éclater la haine implacable
I In camps fallacibiis,
qu'il
D E J. A. D E T H O U , L r V. XLIII. 44^
u'il avoit conçue contre les feigneurs & la noblefle de Flan-
re , qu'il accufoit d'avoir caufé les troubles dont ce payis étoit C h a r l E
agité. ....... IX.
Il fit donc venir les prifonniers ^ qu'il avoit fait condamner , - /»
comme coupables du crime de leze-Majefté , ôc il les fit exécu-
ter publiquement à Bruxelles le premier jour de Juin. Les pre-
miers exécutez furent Gibert 6c Theodoric de Battembourg frè-
res, qui avoient été pris l'année précédente, en paffantlc détroit
qui répare la Hollande ôc la Frife ; Pierre Andelot, Philippe
de Winghen , Maximilien Cock , Philippe Triefl de Gand ,
Jean de Bois deTreflong, Barthélémy de Val , Herman Gala-
nia, Artus Batfon, Sicurt Beyma, natif de Frife, Jacque de Pen-
tane, Firmin Pelletier, Conftantin de Bruxelles, Jean de Rumau
ôc Louis du Carlier natif de Cambray, Pierre Ôc Philippe Wa-
terleys , autrement Daelts^ frères. Le lendemain on mena publi-
quement au fupplice Jean de Montigny Villiers ôc du Dhuy,
de la plus ancienne noblefle de Flandre , qui avoient aufîi été
pris à Dalem ; Quintin Benoifl bailli d'Anghien , & Corneille
Nieem orateur , qui s'étoit acquis parmi eux une grande répu-
tation. On fit venir par le coche de Gand , où ils étoient en
prifon , Lamoral comte d'Egmond , ôc Philippe de Montmo-
renci comte de Horn, conduits par dixenfeignes d'Efpagnols,
ôc par une troupe de cavalerie ; ôc lorfqu'ils furent arrivez à
Bruxelles, on les remit en prifon vis-à-vis la place publique.
Alors on prononça leur fentence de mort, portée parle duc
d'AIbe , juge fouverain du Confeil criminel. C'eft le titre
qu'il prenoit.
On accufoit le comte d'Egmond , comme il étoit porté dans
la fentence , de s'être immifcé dans les troubles , contre la fi-
délité ôc l'obéiflance dues au Roi , ôc de s'être rendu coupa-
ble de parjure Ôc de fédition j d'avoir figné la déteftable con-
fédération du prince d'Orange, ôc de fes aflfociez pour la li-
berté des Payis-bas , contre Tlnquifition d'Efpagne , c'eft-à-dire
contre l'autorité ôc la majefté du Roi 5 d'avoir pris la Noblefle
fous fa protection, ôc d'avoir au préjudice de la Religion Catho-
lique, fouffertôcauthoriféparune lâche condefcendence lesCé-
ditions,ôc les horribles effets de l'audace effrénée des Proteflans,
u'il auroit du reprimer en qualité de Gouverneur de la province
e Flandre , que le Roi avoit confiée à fes feins. On reprochoit
Tome V. LU
I
45*0 HISTOIRE
prefque les mêmes chofes au comte de Horn.
Charle ^^ haine déclarée du duc d'Albepour tous les étrangers,
IX ^ lur-tout pour le comte d'Egmond , qui par fa dignité^ fou
I c 5 's ^"^^''^if^^ ^ ^es fervices ne cedoit à perfonne , peut-être pas même
au duc d'Albe^fut la vraie caufe de la mort de ces deux Comtes.
d'Eg" on'n^ On croit que ce qui hâta leur perte fut la nécelTité où le duc
de Horn con- d'Albc fc trouva d'aller lui-même ^ avec toutes les troupes du
eSutez^ Roi en Frife , pour venger la défaite du comte d'Aremberg :
il craignoit que s'il laiflbit derrière lui ce nombre de feigneurs
& degentilshommesj quoique prifonniers, ils n'excitaflent quel-
ques nouveaux troubles pendant fon abfence. Ainfi pour fe
délivrer de cette apprehenfion , pour répandre la terreur dans
tous les efprits par le fupplice des principaux de laNoblefle,
pour avoir l'efprit plus libre, ôc pour fe rendre plus terrible à
l'ennemi , qu'il alloit combattre , le Duc ordonna l'exécution
de la fentence.
Lorfqu'on en eut fait la le£lure au comte d'Egmond , il dit
qu'il ne croyoit pas que fa vie paffée eût fi fort ofFenfé le Roi,
qu'il dut être puni 'ii févérement : Que néanmoins il demandoiî
en grâce , que s'il avoir fait quelque faute quelle quelle fût , on
fe contentât de la lui faire expier par la perte de fa vie ôc de
fes biens , ôc qu'on n'étendît pas la peine jufqu'à deshonorer
une 11 illuftre Maifon , ôc à perdre fa femme ôc fes enfans : Qu'au
refte il étoit difpofé, puifque c'étoit la volonté de Dieu ôc du
Roij à fouffrir patiemment la mort. Alors il demanda une plu-
me, ôc écrivit au Roi d'Efpagne en François : Que fa con-
fcience ne luireprochoit pas d'avoir jamais rien entrepris con-
tre la fidélité qu'il devoit à fon Souverain , ou qui pût caufer
le moindre préjudice à la Religion Catholique : Qu'il n'avoit
rien fait que ce qu'il avoit crû être utile , ôc même néceffaire
pour le fervice de fa Majefté » ôc pour le bien public : Qu'il
le fupplioit donc, s'il avoit en cela commis quelque faute, de
vouloir bien la lui pardonner, ôc d'ufer de cette bonté, qui
lui étoit naturelle , envers une femme , des enfans , ôc des do-
meftiques , qui étoient entièrement innocens. Il donna fa lettre
cachetée à l'évêque d'Ypres, qui l'alTiftoitau fupplice , le priant
de l'envoyer au Roi 5 ce que le Prélat lui promit. Il ne s'appli-
qua plus après cela qu'à la prière i il fit fa confeflion à l'évêque
d'Ypres , il en reçut l'abfolution, ôc il fe prépara à la mort.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIII. 45-1
Le comte de Horn dit d'abord , qu'il feroit fa confefTion à .
Dieu , & refufa de s'entretenir avec l'évêque d'Ypres : mais en- p « * i> 1 g
fin il fut obligé de faire ce que le comte d'Egmondavoit fait, Ty
Ôc h nuit fepaffa dans ces exercices. Le lendemain, veille de .-'g
la Pentecôte j de Juin , le comte d'Egmond demanda pour
toute grâce , qu'on ne différât pas l'exécution plus long-tems,
craignant que fon ame , troublée par une penfée trop vive de la
mort , nefe livrât à quelques fentimens de defefpoir. Ainfi on le
conduifit fur le midi dans la place publique , oi^i l'on avoit dreffé
un échaffaut couvert de drap noir, & dont toutes les avenues
ctoient occupées par des foldats , foit pour l'apareil , foit pour
empêcher qu'il ne s'élevât quelque émeute.
Le Comte étoit accompagné de Julien Romero maréchal
de camp , de François Saline , ôc de l'évêque d'Ypres. Lorf-
qu'on lui eiat tranché la tête, on jetta un drap noir fur fon corps,
& on amena le comte de Horn. Ce Seigneur confeffa qu'il
étoit coupable devant Dieu de bien des péchez i il fouhaita
mille profperitez à tous ceux qui étoient préfens , il les pria de
joindre leurs prières aux fiennes : mais on eut beau le preffer
de reconnoître qu'il avoit offenfé le Roi , de la manière dont
on cherchoit à le lui faire avoiier par les queftions qu'on lui
faifoit , il le refufa toujours conftamment. Enlin s'étant dépouil-
lé , il fe mit à genoux fur un carreau , ôc ayant recommandé
fon ame à Dieu , le boureau lui coupa la tête. Les têtes de ces
deux Comtes furent attachées à des poteaux de fer , ôc demeu-
rèrent expofées deux heures à la vûë du peuple. Leurs corps
furent mis dans des cercueils de plomb, ôc dépofez dans l'E-
glife de fainte Claire qui étoit près de là. Celui du comte d'Eg-
mond fut enfuite enterré à Sottinghem , ville de Flandre qui
lui appartenoit , ôc celui du comte de Horn à Campine , dans
le Brabant.
Telle fut la fin du comte d'Egmond, âgé de quarante fix ans,
un des plus illuftres Seigneurs de fon tems , ôc par fa naiffan-
ce , ôc par fes vertus militaires. Il avoit rendu de très-grands
fervices à Philippe , ôc fur-tout dans les batailles de Saint Quen-
tin ôc de Gravelines, dont on lui attribua unanimement ôc avec
juftice toute la gloire. On n'eut alors aucun égard à tant d'ex-
ploits, à tant de fuccès, ni à des fervices fi importans. L'hor-
seur qu'on avoit connue pour les Proteftans, aufquels on croyoit
LU ij
4;^ HISTOIRE
I que le Comte avoit été favorable ^ ou plutôt la haine, la jaîou-
C H A R L E ^^^' ^ l'envie du duc d^Albe , qui faifoit un abus manifefte de la
j ^^ puifTance qui lui étoit confiée , l'emportèrent furies égards dus
j ^ ^ g au mérite & aux fervices du Comte. Ce qui lui fit plus de pei-
ne, fut de laiffer en mourant dans une extrême pauvreté Sabi-
ne de Bavière fon époufe , trois fils ôc huit filles. Le comte de
Horn mourut fans enfans.
Auflî-tot après cette exécution , Antoine de Stralen Bourg-
meftre d'Anvers , & Jean Cafembroot de Backerfel fecre-
taire du comte d'Egmond furent appliquez à une ^très-cruel-
le queftion à Vilvoorde. Tant de llipplices jetterent alors une
grande terreur dans les efprits i mais elle fe changea enfuite
en haine, & en horreur pour le nom Efpagnol , ôc dégénéra
enfin en un défefpoir, qui caufa la révolte de tous les Payis-
bas. Trente ans entiers fe paiïerent à répandre le fang de part
& d'autre, ôc cette guerre cruelle fe termina enfin par la perte
que la Maifon d'Autriche fit d'un de Ces Etats héréditaires.
Peu de tems auparavant , le 28 de Mai , par fentence du Con-
feil de fang , la maifon de Floris de Pallant comte de Culem-
bourg, à Bruxelles, oiile duc d'Albe avoir demeuré jufqu'au dé-
part delà duchefle de Parme, fut rafée 3 la place fut pavée, ôc on
y érigea une pyramide de marbre , avec une infcription aux
quatre cotez , en quatre langues j qui contenoit en fubftance :
que la maifon avoit été détruite de fond en comble, pour con-
ferver la mémoire de la déteftable conjuration qui y avoit été
faite deux fois contre la Religion CathoUque Romaine, con~
tre l'autorité Royale , ôc contre les provinces des Payis-bas.
Cependant le duc d'Albe ayant appris la perte de la bataille
en Frife, ôc la mort du comte d'Aremberg, envoya aufli-tôt
à Groningue pour le remplacer , Chiappino Vitelli , grand Ma-
réchal , avec fix compagnies d'Allemands du régiment de Me-
ghen, quatre du régiment de Jean Buech, ôc ifoo chevaux
Allemands commandez par Eric de Brunfwich, qui avoient re^
çû ordre de s'aflembler à Deventer dans l'Over-yfi^el. On
commanda aufii à l'infanterie , que le baron d'Hiergues levoit
dans TArtois, ôc dans les châtellenies d'Ypres , de Furne ôc
de Dixmude , ôc à fix cornettes de cavalerie , fous les ordres
de Gafpard de Robles de Billy , de fe joindre au prince de
Brunfwich. Louis deNaifaw, enflé de la victoire ^ avoit mené
DE J. A. DE THOU , Liv. XLIIL 45S
fes troupes vers Groningue , ôc s'étoit campé ôc fortifié à trois s>
milles de la ville , après s'être rendu maître des lieux circon- Char le
voifins, ôc fur-tout d'un Couvent de filles, où il avoit mis jx.
garnifon j de forte qu'il avoit derrière lui Emden , l'évêché j r 5 g,
de Munfter Ôc la Weftphalie , dont il tiroit une grande quan-
tité de vivres. Ayant occupé tous les paffages , qui étoient
devant lui , il fembloit qu'il allcit inveftir ôc ferrer de près
la ville. Tel eft le terrein de ce payis - là , que les eaux ve-
nant à remplir les foffes creufées , pour les raifons que nous
avons rapportées j fi on s'écarte des chemins que l'art a mé-
nagez y on tombe dans des abîmes marécageux , dont il efi:
très-difficile de fe tirer , ôc dans lefquels on eft prefqu'afTuré
de périr. Ainfi lorfque Vitelli vint à Groningue, on applanit
tous les chemins qui conduifoient à la ville , afin qu'on pût
voir l'ennemi de plus loin , ôc que la cavalerie trouvant un
terrein uni, pût combattre plus aifément. Les deux armées du
Roi ôc des Confédérez étant fi près l'une de l'autre , il y avoit
fouvent de petits combats , prefque toujours defavantageux aux
-XDonfédérez. Les troupes de la ville étant forties pour s'empa-
rer d'un pofte avantageux . fitué entre le couvent ôc la ville , iî
y eut un combat dans lequel les Confédérez perdirent 150 de
leurs gens , tandis que ceux de la ville en perdirent à peine
dix. Ce qui continua de la même fa(^on jufqu'à l'arrivée du
duc d'Albe.
Ce Duc ayant réfoîu de partir pour la Frife, fit venir dix-
fept enfeignes du régiment deNaples , qui étoit en garnifon
à Gand , ôc il en laifi!a deux dans la citadelle. Il en prit dix du
régiment de Lombardie , qui étoit à Maeftricht , ôc autant
du régiment de Sicile, qui étoit à Bruxelles, ôc il les fit tou-
tes marcher à Bolleduc. Il commanda à la CrefiToniere gouver-
neur de Bruxelles , de faire amener dix- fept canons de Mali-
nes i à Sainte Aldegonde baron de Norkermes , de fe mettre
à la tête de la cavalerie légère, ôc de lever 1000 cavaliers en
Franche- Comté 3 ôc à Jean de Croy comte du Reux, de le-
ver de l'infanterie dans l'Artois ôc le Hainault. Ayant mis une
garnifon convenable dans Valenciennes , il s'avança jufqu à
Bos-le-Duc , oii il obligea tous les Confeillers du Roi de ffi
rendre , pour défiberer fur ce qu'il conviendro.it de faire, lî
fit courir le bruit qu'il ne s'agiroit que des fecours » qu'il falloix:
L 1 l iij
^S3 HISTOIRE
envoyer en Frife : car il vouloit faire croire à tout le monde »
^ ~~ que plufieurs raifons rempêchoient d'y aller en perfonne.
j ^ Etant donc parti de Bruxelles le 2 j de Juin , il arriva à Ma-
lines le mcme jour , ôc le lendemain à Anvers. Il mit dans la
^ * citadelle Gabriel Serbellon, avec deux enfcignes d'Allemands
du Régiment d'Alberic , comte de Lodron, ôc il en deftina
fix autres du même régiment pour la garde de la ville. Il alla
enfuite avec toute l'armée à Bos-le-Duc. Là ayant appris que le
comte de Bredemberg, beau-freredu prince d'Orange , s'étoit
emparé de Berchem , ôc que cette ville étant prife^ on ne pour-
voit plus tranfporter des vivres du Brabant en Frife ; il y en-
voya fur le champ Sancho de Londoiïo , avec fon régiment
qui étoit logé à Trenel 6c à Grave. Londoiïo prit avec lui
la compagnie de cavalerie de Nicolas Bafta Albanois, une
compagnie d'ordonnance , ôc fix pièces de canon. Aufîi-tôt
qu'il fut arrivé, il s'approcha de la ville , pour la vifiter, avec
un très-petit nombre de gens. Mais la garnifon qui ne comp-
toir pas beaucoup fur les fortifications de la ville , en fortit
la nuit fuivante , ôc y lailTa neuf canons. S'étant difperfcs çà ôc
îà , les troupes du Roi les furprirent ôc en tuèrent la meilleure
partie.
On avoit envoyé devant à Deventer François de Barra ,
pour avoir foin des vivres : ôc on avoit préparé des batteaux>
afin que l'infanterie pût pafler en même-tems ôc en fiireté i'IiTel,
la Meufe . le Vahal , ôc le bras fuperieur du Rhin : ce qui fut
exécuté avec autant de diligence , que de bonheur, quoique
les pluyes fréquentes eulTent extrêmement fait groiïir ces riviè-
res. Enfin le duc d'Albe arriva à Deventer le 10 de Juillet ,
Ôc il y trouva Jean Bernard , qui conduifoit 300 cavaliers Al-
lemands. Auffi-tôt il donna des commiflaires à Jean-Baptifte
de Monte , à Aurelio Palermo , ôc à George Machuca , pour
engager chacun une compagnie de cavalerie des Italiens Ôc
des Albanois , qui avoient depuis peu fervi en France , ôc qu'on
avoit renvoyez. Il en donna aulTi une à Lopez d'Acuna, pour
lever une compagnie de cavalerie légère Efpagnole.
Le lendemain , le duc d'Albe partit de Deventer avec fes
troupes j ôc à la tête d'une compagnie d'arquebufiers à cheval,
commandée par Montero , il vint à Ommen. Le jour fuivant il
iarriva à Coevorden , ville fameufe par la bataille célèbre qui y
DE J. A. DE THOU.Liv. XLIIL 45^^
fat donnée le 28 de Juillet 1227, dans laquelle Othon évêque _,
d'Utrecht (que d'autres appellent Bernard ) fut furpris & tué Charle
avec 5" 00 des principaux de fon armée, par Rodolphe deFrife j y
entre le marais & la ville : Gérard duc de Gueldres , ôc Gife- » r- 5 g
bert Arneftel Hoilandois qui commandoient l'armée fous FE-
véque furent faits prifonniers.
De Coevorden , le duc a Albe alla le lendemain à Rolde ,
qui en eft éloigné de deux milles 5 il y trouva Chiappino Vitelli ,
avec la cavalerie de Brunfwich. Là il apprit que l'ennemi at-
tendoit de jour en jour un renfort de 600 cavaliers Allemands,
& de 15*00 hommes de pied , que le comte d'Hoocftrate avoit
levés en France , en Flandre 6c dans la Lorraine 5 ôc qu'il fe
difpofoit à attaquer un Fort élevé par les Royaliftes , dans le-
quel on avoit mis trois compagnies du régiment de Buech :
ce qui fit qu'il continua fa route, 6c partit de grand matin 3.
faifant marcher à la tête de fon armée 300 arquebufiers, com-
mandez par Montefdoca , par Diego de Bracamonte , 6c par
Laurent Perea, avec des charettes chargées de vivres. Le'
comte de Meghen vint le recevoir en chemin, avec fa cava-
lerie ôc fon infanterie ; ôc enfin il arriva fans aucun accident
à Groningue. Ayant pafle au travers de la ville , il alla loger
près de la porte de la rivière. Il y tînt confëil avec Ferdinand
fils de Prieur , Vitelli Norkermes , ôc Londoîio. Suivant ce
qui y fut réglé , après avoir bien fait examiner le camp des
ennemis , il envoya devant lui Cefar d'Avalos, Ôc CurtioMar-
tinengh , avec la cavalerie légère ôc des arquebufiers à cheval ^
pour applanir les avenues , ôc fortifier infenfiblement quelque
logement auprès des ennemis.
Louis de Naiïaw avoit déjà abandonné le monaftere ôc les
autres poftes qui étoient devant^ ôc il s'étoit retiré dans fort
camp , où il s'étoit fortifié 5 enforte qu'il étoit couvert d'un
côté par la rivière , ôc de l'autre , par un fofle très-profond.
Il avoit auffi fait conftruiré deux ponts fur la rivière , ôc forti-
fier deux maifons à l'autre bord. Il y avoit fait faire des cano-
nieres , y avoit mis garnifon , ôc y avoit fait porter des torches 5
afin que s'il en étoit befoin , on pût aifement mettre le feu à
ces maifons, ôc que l'armée du Roi ne pût pas s'enfervir. Il
avoit encore fortifié à fa gauche Maifon- rouge, lieu allés
proche du camp.
4y<? HISTOIRE
Le duc d'AIbe y envoya d'abord Gafpard deRobles, avec
Charle 200 arquebufiers , commandez par Ganteau ôc Germigny.
I X. Après un combat long & opiniâtre, ils s'en rendirent enfin les
i ^ 6B. maîtres : alors ils donnèrent avis au duc d'AIbe, que l'enne-
mi fongeoit à fe retirer, ôc qu'il ctoit à propos de l'attaquer
par cet endroit , qui étoit le moins fort. En effet, il n'y avoir
que le fofle ; 6c pour le forcer il n'y avoir ni rivière ni ruiffeau
à paflfer. Le duc envoya aufll-tôt 200 arquebufiers du régi-
ment deSardaigne , fous les ordres de François deBeaumont ,
& ordonna que dès qu'on verroit l'ennemi abandonner fes
retranchemens on l'attaquât de ce côté-là. On avoit auffi pré-
paré des batteaux , afin que fi l'ennemi demeuroit plus long-
tems dans fon camp , l'armée du Roi pût le lendemain paner
la rivière &c l'attaquer de l'autre côté.
Louis de Naffaw reçut cependant , par les derrières de fon
camp ) un renfort de fix enfeignes d'Allemands , & de feize de
François, commandés par George Lallain baron de Ville, frère
du comte d'Hoocftrate qui étoit dans le parti du prince d'O-
range. Il étoit midi, lorfquele duc d'AIbe apprit par fes ef-
pions que l'ennemi penfoit à décamper. Il chargea auffi-tôt Al-
fonfe Ulloa de fe mettre à la tête d'un détachement de 40.0
arquebufiers Efpagnols fous les ordres de Diego Henriquès ,
d'Innigo de Medinilla, de Ferdinand d'Anafco, d'André de
Salazar gouverneur de la citadelle de Palerme en Sicile , 6c
de Jean d'Efpuche, Caftelan de Piombino en Tofcane , 6c d'at-
taquer le retranchement des ennemis. Il commanda en même-
tems à Nicolas Bafta 6c à Montero , que fi l'ennemi ne fe re-
tiroit pas ce jour-là , ils l'attaquaffent avec la cavalerie par la
droite , où Vitelli avoit fait applanir les chemins : non qu'il
efperât de le forcer ( car la fituation naturelle du terrain en ren-
doit l'accès très - difiicile ) mais pourl'empêcher de s'en aller ^
6c l'amufer jufqu'au point du jour ; afin qu'on eût le tems de
l'inveftir de tous les cotez , 6c de le forcer à une bataille. Louis
de Naflaw étant déjà fur le point de partir , 6c ayant fait pren-
dre les devants à une partie du bagage , les troupes du Roi
l'attaquèrent avec tant de vigueur , qu'ayant franchi le fofle ,
ils pouffèrent l'ennemi jufque dans l'intérieur de fon camp , 6c
pafferent les ponts dont nous avons parlé : mais le feu qui fut
^lis aux maifons par les fuyards, empêcha les Efpagnols de les
pourfuivre
DE J. A. DE THO U, Liv. XLIÎI. 4;?
jpourfuivre. Il y eut 300 hommes de NafTaNS^ tués, on prit trois
pièces de campagne ôc un drapeau. Diego Henriques , Alfonfe C h a R l E
de Vargas , Anafo & MediniDa combattirent avec une extrême IX.
valeur ; & l'ardeur des Royaliftes fut telle , que plulleurs de la 1568.
cavalerie légère defcendirent de cheval pour pafler la rivière
à la nage .tenant d'une main la queue de leur cheval, Ôc une
picque de l'autre. Le combat durajufqu'au foir. Le duc d'Aï-
be ayant alors fait battre la retraite , revint à Groningue.
Il y lailTa JeanBucch pour garder la ville , avec quatre en-
feignes d'Allemands , ôc la cavalerie de Brunfwich , parce
qu'on ne pouvoir en faire aucun ufage dans ces lieux. Enfuite
il envoya Chiappino Vitclh avec 2000 hommes de pie , pour
pourfuivre les ennemis dans leur fuite, ôc lui donna une com-
pagnie de cavalerie Allemande , fous la conduite de Jean Ber-
nard. Le duc le fuivitavec deux cornettes de cavalerie legerej
ôc ayant appris que Naflaw avoir tiré deux enfeignes d'infan-
terie de Dam , pour renforcer fon armée , ôc qu'il marchoit
avec toutes fes troupes à Sutebourg j il y envoya Cefar d'A-
valos avec joo des arquebufiers de Vitelli ôc fa compagnie
de cavalerie. Pour lui> il alla à Veden , château appartenant
à la maifon d'Aremberg , ôc de là à Reiden, village del'évê-
ché de Munfter , où ^y a un pont de bois fur l'Ems. Il le fit
fur le champ fortifier par un Foc t qu'il fit conftruire à l'autre
bord , ôc il y mit garnifon. Bernardin Mendofe reproche à
Louis de Nafl^aw j comme une très-grande faute , de ne s'être
pas rendu maître de ce pont j parce que l'ayant une fois pris
ôc transféré fon camp de l'autre côté de la rivière , il auroitpû ,
fans courir aucun danger, attendre les fecours que le prince
d'Orange fon frère lui amenoit d'Allemagne , ayant entre les
troupes du Roi ôc fon armée, TEms qu'il n'étoit pas poffible
de paffer à gué.
Tandis que le duc d'Albe étoit à Reiden , fes efpions vin-
rent lui dire que Naflaw s'itoit campé à deux milles de ce vil-
lage , à Gemmingen , autre village du comté d'Emdcn , fitué
à l'embouchure de l'Ems. 11 en partit donc le 21 de Juillet
dans le defllein de livrer combat à NafiTaw , qui ne pouvoit l'é-
viter , ayant l'ennemi de front ôc la rivière à dos. Le duc fe
mit en chemin de très-grand matin pendant un broiiillardfort
cpais. Mais le foleil l'ayant difTipc, après qu'il eût fait un mille
Tom, V. M m m
4^8 HISTOIRE
& demi, il fît faire alte à fa cavalerie dans nnlieu avantageux. En-
C^H A R L E ^^^^^ ^^ confia la garde du pont àFerdinandPrieur, pour n'y laiiTer
jy paffer qui que ce fût fans un ordre exprès. Puis prenant avec lui
V r- /- c Norkermes ôc Vitelli , il envoya devant Sancho d'Aviîa , pour
reconnojtre les ennemis a un autre cote. 11 s avança un peu ôc
miîndaà Prieur de lui envoyer Cefar d'Avalos, avec une com-
pagnie de cavalerie , ôc 200 arquebufiers du régiment deLom-
bardie , fous les ordres de Diego de Carvajal. Il leur fit faire alte
dans cet endroit , ôc leur ordonna de garder le pafTage. Après
s'être avancé , ne pouvant rien apprendre de certain de l'en-
nemi, les uns lui difant qu'il s'arrêtoit à Gemmingen , ôc hs
autres, qu'il plioit bagage pour fe retirer 5 il fit marcher Julien
Romero ôc Sancho de Londoiîo , chacun avec yoo hommes
des regimens d'Efpagne , commandes par les capitaines Fran-
çois de Vaides , Ferdinand de Tolède , Lopez de Figueroa ,
Jean Oforio Ulloa, Marc de Tolède , Louis de Reynofo , An-
toine de Tolède , Laurent Perea , Ferdinand de Saavedra ,
Ruiz de Zapata , Diego de Carvajal, Ferdinand de Medinilla,
Diego Kenriques , ôc Pierre Gonfalve de Mendofe : Alfonfe
Ulloa ôc Gonfalve de Bracamonte , eurent ordre de relier. Il
fit fuivre ce détachement par Cefar d'Avalos ôc Curtio Mar-
tinengh, avec la cavalerie. Voici coiii|||e il avoit difpofé l'or-
dre de bataille. Les Efpagnols étoient à la tête , Ôc derrière
eux'les Allemands 3 puis quinze enfeignes de Flamands, com-
mandez parle baron d'Hierges ôc Gafpard de Robles deBilîy.
L'arriere-garde étoit compofée de 300 cavaliers fuivis de Jean
Bernard , avec fa compagnie de cavalerie. Tous marchoient
en bataillons quarrés , fe fuivantles uns les autres par pelotons ,
parce que les levées étoient étroites, ôc que les champs qui
font au-deffous , quoique verds en apparence , étoient inac-
cefTibles par les goufres marécageux dont ils étoient remplis ,
ôc qu'ainfi il n'étoit pas pofTible à une armée de s'étendre d'a-
vantage.
Bataille de Sancho d'Avila, Salazar, Alfonfe de Vargas , Bernardin
Gemmingem jvîendofe , ÔC quelques autres Gentilshommes, coururent pour
gai^nee lur les , ,, i i . , . _ i j i r '
Confédérez. S emparer d un pont qui etoit lut un canal , dont les eaux le jet-
tent dans l'Ems. Mais les ennemis y étoient déjà venus en grand
nombre , pour abattre ôc démolir les levées ôc les digues, inon-
der la campagne , rendre impraticables tous les chemins ^ ôc
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIIL 4^9
incommoder l'armée royale dans fon camp. Les ennemis fu-
rent répoulîez , ÔC on les empêcha de continuer leur ouvrage. T^, "TTT
Cependant avant qu on eut rebouche {ç.s canaux , qu ils avoient 1 y
ouverts, il fe répandit dans la campagne une fi grande quan- ^'0
tité d'eau, que le foldat en certains endroits en avoir jufqu'à
la moitié du corps : ôc s'ils euiïent commencé leur travail de
grand madn, ils auroient fans doute contraint le duc d'Albe
de reculer. Mais ayant commencé trop tard > & ayant été trop
tôt repouflez, ce fut un ouvrage commencé fans pouuoirêtrc
achevé , dont ils ne tirèrent pas grande utihté.
Cette féconde faute de Naffaw fut plus confidérable que la
première , qu'il avoir faite en ne fe rendant pas maître du pont
de Reiden. Le defir de la reparer lui fit envoyer 4000 arque?
buiiers, pour reprendre ce pont. Ils combattirent avec beau-
coup de bravoure, mais avec peu de fuccès. Car les troupes
du Roi s'étant défendues long-tems, quoiqu'en petit nombre,
il leur vint un renfort d'infanterie, qui ranima leur courage;
enfin ils mirent en fuite" avec beaucoup de perte les arquebu-
fiers deNafiaw, qui trouvant fans cefi'e des trous , ne pou-
voient prefqu'avancer, & avoient peine à fe réjoindre à leurs
gens. Gabriel Manriques fils du comte Oforio fut tué dans ce
combat. Julien Romero ôc Sancho deLondono, qui étoient
dans la première ligne t vinrent remplacer ceux qui étoient
déjà fatigués du combat , s'approchèrent de l'ennemi, & l'en-
gagèrent de nouveau à combattre : ils furent fuivis par Ruiz
de Zapata, ôc par Diego de Carvajal , avec 1200 arquebu-
fiers. Louis deNaffaw, pour fe mettre en bataille devant le
village de Gemmingem, avoit partagé fon armée en deux gros
corps. Le front étoit tourné du côté de l'ennemi •■> la cavalerie
étoit à la droite , la gauche étoit couverte par la rivière d Ems ,
ôc les canons étoient devant le corps de bataille. Comme les
troupes du Roi fe trouvèrent fort incommodées de ce canon ;
elles s'avancèrent pour en venir aux mains. Celles de Naflaw
les méprifant à caufe de leur petit nombre, fortirent de leurs
retranchcmens, Ôc defcendirent dans la prairie , qui étoit au-
defix)us ; enfeignes déployées. Mais Lopez de Figucroa lesre-
poufi[a , les mit en fuite , jetta dans leurs efprits une terreur
qu'ils communiquèrent aux autres j ôc en fe retirant en defor-
dre i ils rompirent leur propre cavalerie. D'Avalos venant
Mm m ij
^6o HISTOIRE
____„__ auffi-tôt à la char2:e avec de la cavalerie j ôc Pierre Gonfaîvé
p de Mendofe, avec Medinilla , accompagnez d'arqiiebufiers ,
jx^ entrant par force dans les maifons voifines, le duc d'Albe ar-
' riva avec toute l'armée, ôc acheva la défaite des ennemis ,qui
^ ' étoient déjà en defordre ôc débandés.
Ils éprouvèrent dans le même tems , ôc prefque dans le mê-
me lieu , deux malheurs bien differens : car une partie furent
brûlez avec les maifons où l'on avoit mis le feu , ôc les autres
furent noyez dans la rivière , qui étoit au-deflbus du champ de
bataille: les bonnets ou chapeaux de ces derniers, poulies pac
la marée qui montoit alors , portèrent à Groningue les nou-
velles d'une bataille , qu'on n'avoit encore pu apprendre
d'ailleurs. Le carnage continua depuis midi jufqu'au foir, ôc
ne cefTa point depuis le commencement de la nuit jufqu'au
jour fuivant. Les chemins étoient fi couverts de cadavres ,
de cuirafles , de cafques , d'épées , d'armes , qu'on ne fçavoit ou
mettre le pied. Quelques Allemands s'étant réfugiez dans une
Ifle à l'embouchure de la rivière d'Ems , le duc d'Albe y en-
voya dès le matin Lopez de Figueroa , d'Hiergesôc Billy ^
qui les taillèrent en pièces , fans qu'il en échapât un feul, D'A"
valos ôc Martinengh pourfuivirent les relies de l'armée défaite
jufqu'à quatre milles d'Allemagne , ce qui n'eft prefque jamais
arrivé.
Les Confédérez perdirent plus de 7000 hommes : on prit
vingt drapeaux , les autres furent jettes dans la rivière ; l'armée
royale s'empara de 16 pièces de canon, ôc de tous les baga-
ges , même de ceux du Comte d'Hoocftrate ; qui avoit quitté
l'armée peu de tems auparavant. Henri de Sigen , lieutenant
de NaffaWjfut fait prifonnier. Jamais fi grande vidtoire ne
coûta fi peu de fang aux vainqueurs î car il n'y eut pas dans
l'armée royale plus de huit perfonnes tuées. Louis de Naf-
faw ôc Jufte comte de Schaumbourg, après avoir fait des pro-
diges de valeur, eurent bien de la peine à gagner à la nage
l'autre bord de la rivière , où ils montèrent fur une petite barv
que , Ôc fe retirèrent à Emden. On a dit que la caufe d'une fi
grande défaite fut un foûlevement excité parmi les troupes, à
l'occafion d'un payement qu'on leur avoit promis , ôc qu'on ne
fit pas dans le tems. C'eft ce qui fit qu'ils ne gardèrent pas
leurs poftes , ôc qu'ils n'obéirent point à la voix de leurs chefs?
DE J. A. DE THOU3L1V. XLIIL 46*1
'6c que prefles par rennemi , ils ne firent prefqu'aucune rcfif-
tance. Tel fut le fuccès delà bataille donnée à Gemmingem rpi^RLE
le 21 de Juillet, dont le duc d'Albe envoya aulTi-tôtla nou- j^
velie à Philippe par André de Salazar , ôc au Pape par Carriilo 1^58.
de Merlo. Il écrivit en mênie-tems à Jean de Hoye évêque
de Munfter , pour lui faire part de la vi£loire qu'il venoit de
remporter, ôcpour fe plaindre à lui, de ce que le comte d'Em-
den avoit fourni des vivres ôc des munitions à l'armée de
NafTaw. Le Duc avoit même quelque envie de le traiter en
ennemi : mais les obftacles qui s'offrirent , & les affaires qui
i'appelloient ailleurs , lui firent changer de fentiment.
Ayant demeuré deux jours à Gemmingem, il en partir pour
Dam. Les Goujats ôc les valets d'armée brûlèrent prefque
tous les villages qui fe trouvèrent fur le chemin , pour ven-
ger la mort de leurs maîtres qui avoient été tués dans la dé-
faite du comte d'Aremberg. Lespayifans irritez de cette cruau-
té , en prirent quelques-uns , qu'ils amenèrent au prince de
NafTaw. Le Prince fît grâce aux Italiens ôc aux Flamands ;
mais il traita les Efpagnols fuivant les loix rigoureufes de la
guerre. Ce qui fit tant de peine à ceux de cette nation , que
le régiment de Sardaigne Efpagnol , fans écouter la voix
de leurs chefs, ôc fans le foucier de leurs ordres, fe répandi-
rent çà ôc là dans tout le payis , ôc y mirent le feu , fans
épargner qui que ce flit. Le duc d'Albe, pour punir un pro-
cédé Il indigne, ôc pour fe laver lui-même de la honte d'une
telle adion , cafTa le régiment, à la referve de Martin Diaz
ôc de joo foldats qui n'y avoient point eu de part.
De Dam , le duc vint à Delfziel , village confidérable par
fon port qui eft très-commode ôc très -propre pour le tranfport
des vivres ôc des munitions , il y laiffa une garnifon convena-
ble ôc revint à Groningue. De là il envoya Alfonfe Ulloa ,
pour fe rendre maître d'Oulf , château appartenant au comte
de Battembourg, fort par fa fituation , ôc par un foffé profond.
Il y vint avec dix-fept enfeignes de fon régiment , ôcles com-
pagnies de cavalerie de Jean Velcz de Gucvara, ôc d'Aurelio
Paiermo , douze gros canons ôc deux coulevrines. Il fit ap-
procher le canon ôc battit la place pendant deux jours. Lors-
qu'il fe difpofoit à donner l'affaut, la garnifon quitta le châ-
teau , ôc fe aifperfa la nuit de côté ôc d'autre. Ulloa y lallTa
M m m iij
^62 HISTOIRE
, yo foldats ôc retourna à Bos-le-Duc. Le duc d'AIbe , après
Char LE ^^^^^ réglé toutes fes affaires ci Groningue, & avoir fait con^
j y ftruire une forte citadelle , pour retenir dans le devoir une ville
/g fi peuplée , ôc à laquelle il ne fe fioit pas, alla par Amflerdam
à Utrecht , où Frédéric fon fils vint au - devant de lui avec
2 5'oo hommes d'infanterie Efpagnole , & de l'argent ^ plus qu'il
n'en falloit , pour payer (on armée pendant plulieurs mois. Son
père le déclara fur le champ Général de l'infanterie , ôc ayant
fait la revue de toutes fes troupes , il trouva 7000 chevaux ,
ôc 50000 hommes de pié. Pour infpirer la terreur aux peu-
ples de ce payis, il fit couper la tête à une vieille femme d'Am-
fterdam fort riche ^ âgée de 80 ans ; parce qu'elle avoit reçu
un miniftre dans fa maifon.
Vains efforts Dans le même-tems une grande quantité d'hommes qui
de 1 Eaipe- n'étoient pas encore armés , mais qui s'étoient aflemblés pour
reur auprès , r • r -r n ^ t^ i tt-ii- r r
de Philippe s engager a lervir tous Juite de Soëte de Villiers, turent lur-
pour l'adou- pj-jg p^j- \q^ Efpagnols dans le duché de Julliers près de Dalem ;
une partie fut taillée en pièces , ôc l'autre fut diflipée. Cepen-
dant le prince d'Orange levoit en Allemagne le plus de trou-
pes qu'il pouvoir , ôc follicitoit tous fes amis à le fecourir.
Il avoit envoyé des députés à l'Empereur , pour juftifier les
levées que la nécefiité l'avoir contraint de faire dans l'Em-
pire ; pour le fupplier , comme le chef de la maifon d'Autri-
che en Allemagne , d'avoir compaiTion des payis-bas , dont
fes illuftres ancêtres tiroient leur origine j ôc pour lui remon-
trer que les Efpagnols tourmentoient cruellement ces Provin-
ces , autrefois fi florifiantes , ôc que la fageife ôc la prudence
des Seigneurs ôc des Etats avoient trouvé le moyen de paci-
fier : qu'ils avoient tiré contre les grands ôc les riches , le
glaive terrible ôc odieux de Tlnquifition , qu'on devoit plutôt
employer contre les Maures : qu'on ne pouvoir exprimer leur
rapacité ôc leur barbarie i que les Flamands en avoient fou»
vent porté leurs plaintes, au Roi , ôc lui avoient député les prin-
cipaux de la Noblefle , qui n'en avoient reçu qu'un traitement
bien indigne desfervices importans qu'ils avoient rendus: que
ces miferables peuples au defefpoir de n'être pas écoutez de
leur prince, qui s'étoit laifle prévenir par les calomnies de leurs
ennemis , avoient été forcés de recourir aux armes , comme
au feul moyen de remédiera leurs maux , prêts à les quitter ii-tôt
DEJ. A. DE THOU,Liv. XLIII. 4(^3
qu'ils feroient délivrés de la crainte du joug barbare ôc tvran- __
nique , fous lequel les étrangers qui les gouvernoient les fai- p
foient gémir : qu'ainii ils fuppiioient très-humblement fa majeflé t ^t- '
Impériale d'interpofer fon autorité auprès du roi d'Efpapne fon '^'^
coulin, oc de lui taire voir qu il n y avoit point d autre moyen de -^
rétablir la paix dans les payis-bas, que d'en retirer les garnifons
étrangères, d'ôter aux peuples tout Heu de craindre l'Inquifition,
de leur rendre ôc de leur conferver leurs privilèges , leurs libér-
iez ôc leurs franchifesi de rendre jufticeà tous également, ôc
de chercher dans une aiïembîée générale des Seigneurs ôcdes
Etats , les moyens de procurer ôc d'affermir la tranquilHté pu-
blique.
L'Empereur Maximilien ne rejetta pas les follicitations ôc
les prières du prince d'Orange. Alais comme il étoit d'un ca-
ractère doux ôc prudent , il crut qu'il ne s'agiffoit pas feule-
ment des intérêts des Payis-bas , dont une grande partie rele-
voit de l'Empire , mais que cette affaire regardoit TEmpirc
même. Il appréhenda que l'Allemagne fe fouvenant encore
de la guerre , que les Eipagnols y avoient récemment allu-
mée , ne fe foûlevât , ôc il jugea qu'il devoit.au plutôt trai-
ter de cette importante affaire avec Philippe. Pour donner plus
de poids à fes raifons , ôc pour faire une plus vive impreflion
fur i'efprit de fon coufin , il perfuada à Charle fon frère ^
Prince qui aimoit beaucoup la paix, d'aller en Efpagne,*tanc
pour d'autres raifons qui le regardoient en particulier , que pour
fe mettre à la tête d'une négociation , dont dépendoit non-
feulement la tranquillité des Payis-bas, mais la paix de l'Em-
pire. Le prince Charle y confentit d'autant plus volontiers ,
qu'il prévoyoit , que fi le feu de la guerre étoit une fois bien al-
lumé en Flandre, il ne feroit pas aifé de l'éteindre 5 que par
une fuite néceiïaire les forces du roi d'Efpagne fon coufin , qui
feroient bien mieux employées contre le Turc ^ ennemi dé-
claré de la maifon d'Autriche, ôcfon ennemi particulier à caufe
du voifmagc , feroient tranfportées ailleurs ; ôc que les fron-
tières de l'Allemagne n'en pourroient tirer aucun fecours.
Charle prit donc fa route par l'Italie , vint à Gènes , 011 il
trouva une ûote , qui le tranfi orta en Efpagne. Il fit toutes les
initances poffibles auprès de Philippe. Mais il étoit trop tard ;
le fort en étoit jette : il n'y avoir plus ni honneur ni fureté k
4^4 HISTOIRE
■ ■ I I Mil» rappeller en Efpagne l'armée ôc le duc d'Albe ," qu'on avoit
ChaRLE envoyés en Flandre, ôc le Roi étoit même peifuadé qu'il ter-
j^^ niroit fa réputation, s'il paroiiToit li-tôt fe repentir d'une réfo-
i ? 6 8. l'J'^ic)n qu'il avoit prife> malgré \qs remontrances ôc les oppo-
fitions de tous les Princes fes alliés : ôc quoiqu'il n'ignorât pas
que cette expédition lui auiroit la haine de tous les Ordres
de l'Empire, il publia l'année fuivante un mémoire en langue
Allemande , pour fe juftilier , dans lequel il s'efForçoit , en exa-
gérant le crime des Flamands , ôc en les faifant pafler pour cou-
pables de leze-majeflé , de faire voir que fa conduite étoit fon-
dée fur la juftice.
Déjà le prince d'Orange, auprès duquel Louis de Naflaw
fon frère s'étoit retiré après la défaite de Gemmingem , avoit
raffemblé une nombreufe armée , dans laquelle il y avoit qua-
rante-quatre enfeignes d'infanterie Allemande , commandée
par Nicolas Hadftad ( gentilhomme d'Alface , ôc pour cela
profcrit par Ferdinand d'Autriche ) par Veyt Schooner , ôc
parBalthafar Volffj 3000 hommes de pied Flamands Ôc Fran-
çois : ycoo chevaux fous les ordres de Frédéric de Roltzhaufen
maréchal de Hefle ( qui s'étoit diftingué par une expédition en
Franceentreprife fix ans auparavant ) de Theodoric de Schom-
berg , de Jutte comte de Schoumbourg , d'Albert comte de
Nafiaw , de Bouchard comte de Barby,d'OthondeMal{bourg,
d'Herman Rydefal , ôc d'Adam de Vers. Cette armée avoir
(ix pièces de canipagne , ôc quatre gros canons. Les princi-
paux d'entre les Flamands étoient le comte d'Hoocftrate, ôc
l'aîné de Bottembourg (car le duc d'Albe avoit fait exécuter
fes deux frères ) Waroux de Ryfoire , Charle Hamets de Box-
tel, de Louverval, ôc autres. lisavoient cette devife fur leurs
drapeaux : Pro lege ,grege , & Rege.
Toutes les troupes du prince d'Orange étant réunies , il pu-
blia le 28 de Juillet un mémoire , dans lequel il rendoit comp-
te des raifons qui l'avoient déterminé à prendre les armes pour
la gloire de Dieu , pour le bien du Roi , pour les intérêts de
fa majefté Impériale ôc de fes fils , héritiers du roi d'Efpagne,
contre la cruelle tyrannie du furieux duc d'Albe. 11 y rappel-
loit le fouvenir de tout ce qui avoit précédé i ôc ilimploroit,
pour pouvoir réûdir dans une entreprife dont dépendoit le fa-
lut de tant de peuples , les fecours , la faveur , ôc les bons offices
de
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLIII. ^6^
de tout le monde. Etant arrivé à RomerftroflF dans l'évêché ,
de Trêves au commencementdeSeptembre,il y fitla revue Char le
générale de fon armée , 6t ayant paffé le Rhin, il vint à S. Vite, j ^
village de fon domaine. Ayant enfuite demandé au duc de x ç 5 g.
Cleves la permifiion de faire pafiTer fon armée fur fes terres ,
Louis de NafTaw fon frère prit Aremberg de force, ôc paffa
la garnifon Efpagnole au fil de l'épée. Il fe rendit aufli maître
de Kerpenôc d'Eppin, entre Cologne Ôc Duren^d'Hornefonôc
de Witten, maifon du comte deCulembourg.il tira une grande
fomme d'argent d'Aix-la-Chapelle. Puis il prit fur le Rhin 18
vaifleaux chargés de marchandifesd'ItaUe, que les marchands
rachetèrent à grand prix. Il défit aufiî quelques compagnies de
l'armée du Roi près de Noyteim.
Comme le prince d'Orange s'arrêta afTez îong-tems en cet
endroit , le duc d'Albe étoit incertain s'il marcheroit vers le
Luxembourg & la Flandre, ou du côté des frontières de Fran-
ce . Ainfi comme il craignoitpour la Franche- Comté , quoique
les Suifles fufient obligez par leurs traitez avec l'Efpagne de la
défendre , il envoya à Vergy baron de Chamlite gouverneur
de cette Province , une fomme confiderable , que des Banquiers
lui prêtèrent à de gros intérêts. Il chargea auiîi Norkermes , le
comte du Reux , ôc Chriftophle de Mondragon gouverneur de
Danvilliers , de lever de la cavalerie ôc de l'infanterie , ôc de le
fecourir en cas de befoin. Il envoya furie champ deRobles
avec fon régiment dans ce payis , avec ordre de faire entrer
dans Limbourg Antoine de Berrio enfeignede Diego de Car-
vajal , avec un détachement de cinquante Efpagnols. Pour
lui , comme il avoit beaucoup de prudence ôc d'habileté,ôc qu'il
prévoyoit que la bonne intelligence ôc la fubordination ne
fubfifteroient pas Iong-tems entre tant de nations qui compo-
foient l'armée ennemie , ôc qui étoient fans engagement , ÔC
fans folde , il fe difpofa à fe tenir fur la défenfive. Il employa du
tems à ramafler fes forces^jugeant prudemment que, quand on a
afiaire à une armée plus nombreufe ôc plus forte , il vaut mieux
temporifer , ôc fe battre en retraite que d'attaquer. Cependant
pour ne pas abandonner fes gens dans le danger , il vint à Maef-
tricht avec quatre regimens Allemands , commandez par Al-
beric comte de Lodron ôc Philippe d'Erbcftein , ôc ayant joint
le refte de l'armée, il y paflfa la M.eufe, fortifia fon camp, ôc
Tome V, Nnn
^6Ô HISTOIRE
,,^,. M..iin.» fît conftruire un pont de batteaux.afin de faciliter les courfes qu'il
C H A R L E vouloit faire dans le payis, pour faire le dégât dans tous les lieux
I X P'^'-* ^" l'ennemi devoit paffer, ôc pour lui ôter la commodité des
I ç ^ T paflages , & les moyens d'avoir des vivres ôc des provifions.
'* II eut foin auffi de faire femer une grande quantité de pointes
de fer & de clous dans les endroits de la Meufe qu'on pou-
voit pafTer à gué, afin de rendre le paffage également dangereux,
pour les hommes & les chevaux. Il y avoir dans l'armée du duc
d'Albe feize mille hommes de pié, fçavoir quarante enfeignes
d'Efpagnols , feize de vieilles troupes Flamandes ^ tirées des gar-
nifons voifines,fix commandées par Philippe deLanoy de Beau-
vais, cinq par Charle d'Arfilles gouverneur deLandrecy, &
cinq par Jacquede Briacgouverneur deMariembourg, dix du
baron d'Hierges , cinq de Gafpard de Robles , qui s'étoir char-
gé de défendre Ruremondedansle duché de Gueldres, vingt
d'Allemands fous les ordres d'Alberic de Lodron & du comte
d'Erbeftein.
Cependant il s'éleva dans l'armée du prince d'Orange une
fédition militaire , comme le duc d'Albe l'avoit prévu i & tan-
dis que le prince travailloit à l'appaifer, il penfa être tué d'un
coup de piftolet , qui frappa la garde de fon épée. Les foldats
furieux tuèrent Malfpergh , Ôc quelques autres qui étoient
avec lui. Cette émeute étant un peu appaifée , le Prince fit plier
bagage , ôc alla dans le payis de Liège , après avoir fait une ten-
tative inutile fur la ville de Liège, qu'il avoir crû pouvoir fur-
prendre , Ôc il arriva fur le bord de la Meufe. Il y fit fans cefTe
différentes marches au-deffus ôc au-deffous, pour tenir le duc
d'Albe en fufpens , ôc pour l'empêcher de découvrir Tendroit
où il avoir réfolu de paffer cette rivière.
Enfin le 7 d'0£i;obre il s'approcha d'un gué de la Meufe ,
auquel on n'avoir pas penfé , allez près deStockem proche Ma-
feyck. Il envoya auffi-tôt quelques cavaliers pour fonder ôc
nettoyer le gué > ôc il les fit fuivre de la plus grande partie de fa
cavalerie, à qui il donna ordre de ferrer leurs rangs, ôc defe
ranger en haye dans la rivière depuis un bord jufqu'à l'autre.
Par ce moyen on arrêta un peu le cours rapide du fleuve. Ainfi
le prince d'Orange fit paffer la Meufe à fon armée , fans au-
cun danger , au grand étonnement du duc d'Albe , qui le
vit d'un lieu élevé, l'admira, ôc en fut effrayé. Plulieurs ont cru
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIII. ^67
que fi le Prince avoit marché droit vers l'armée du Roi , il Tau- :
roit furprife ôc diflipée fans peine j comme on fe fouvenoit en- r u 4 o t p ;
core qu'il étoit arrive , lorfque l'Empereur Charle V. ayant pafle j v i
l'Elbe à Mulberg , délit Jean Frédéric éle£l:eur de Saxe. Mais 1 ^ <'s ^
le Prince crut avoir aflez fait de ramafîer toutes i^es troupes en- * '
core fatiguées 6c toutes trempées , ôc de les retenir dans un |
camp bien fortifié. j
Cependant le Roi de France écrivit au duc d'Albe , pour le :
remercier de fes fervices : il lui offrit un fecours de deux mille \
chevaux , qu'il devoir lui envoyer , commandez par Claude î
de Lorraine duc d'Aumale, & par Artus de Coffé maréchal
de France, qui avoient ordre de difliper entièrement avant ■
qu'elles fuffent affemblées, les troupes des Proteftans , qu'il avoit 1
appris qu'on levoit fur la frontière. Le Duc remercia le Roi,
& accepta fes offres. Puis il envoya Charle-Philippe de Croy i
marquis d'Havre, frère du duc d'Arfchot, pour les recevoir ôc |
les lui amener. Mais nos François n'ayant point paru fur la fron- ]
tiere au jour marqué , le Marquis revint trouver le duc d'Aï- I
be, qui s'étoit retranché proche Maeftricht dans un lieu, que
les habitans appellent communément le camp de l'Empereur.
Pendant qu'il y étoit, ce Général ombrageux & défiant fit pen- ]
dre un Trompette,que le prince d'Orange avoit envoyé à Maef- ■
tricht 5 foit pour intimider les autres , foit qu'il appréhendât que j
ce Trompette ne pratiquât quelque fecrette intelligence avec
les bourgeois. Tandis que le Duc fe tenoit enfermé dans fon
camp , il y eut quelques légères efcarmouches entre les deux i
armées , celle du Roi évitant avec foin d'en venir à une ba-
taille générale. Elle avoit abondamment toutes les provifions j
néceffaires , ôc celle du Prince n'avoir au contraire des vivres ;
que pour peu de jours. C'eft ce qui l'obligea d'abord à marcher I
vers Spa * ville du payis de Liège , puis à retourner fur fes pas à * ou Tongres: i
Sainte Gertrudc, vers Saint Truden? le duc d'Albe le fuivant ;
toujours , ôc harcelant fon arriere-garde. Là les troupes du j
Roi ayant drefle des embûches à celles du Prince, il y eut un 1
combat fort vif, où Marc de Tolède donna des marques figna- j
lées de fa valeur. Le Prince , qui manquoit de vivres , fe ré- ]
pandit dans le Brabant , Ôc pénétra jufqu'à Virmont à trois mil- ]
les de Louvain, où le baron d'Hierges , que le duc d'Albe ]
avoit envoyé devant , s'étoit enfermé. Dans la marche le Prince - j
Nnn ij j
4(^8 HISTOIRE
^^•^^•n!^ attaquoit fans ceïïe le DuCj ôc n'omettoit rien pour l'enga-
C H A R L E ë^^ ^ ^^^ bataille. Le Duc qui s'étoit retranché dans fon camp,
jy aflez près de Tienen , ayant appris que le Prince vouloir faire
1 c 5*8 P^^er le Geet à fon armée , commanda Frédéric fon fils
& Chiappino Vitelli ^ avec quatre enfeignes d'Efpagnols , quel-
ques compagnies de François ôc de Flamans , ôc quelques cor-
nettes de cavalerie, pour s'emparer d'un chemin étroit envi-
ronné de bois de tous cotez , par où l'ennemi devoir pafTer.
On mit dans ces défilez Montesdoça ôc Salinas avec cinq cens
arquebufiers. Le prince d'Orange n'ayant paru avec toute fon
armée que vers le coucher du foleil, on ne fit rien ce jour là,
quoique le comte d'Hoocftrate fut d'avis ôc prefsât [le Prin-
ce de donner le combat. L'affaire fut remife au lendemain >
à caufe de la nuit qui approchoit, ôc que les deux armées paf-
ferent fous les armes , n'ayant entre elles qu'une petite colli-
ne. Le lendemain l'armée du Prince s'étant mis en marche,
quoiqu'on ne fçût pas quelle route il avoit envie de prendre,
le duc d' Albe mit la fienne en bataille dès le grand matin en
cet ordre : la cavalerie légère étoit à la tête > Frédéric de To-
lède fuivoit avec toute l'infanterie , ôc fix cornettes de cavale-
rie Allemande fermoient la marche.
Le prinee Aufïi-tôt la Cavalerie légère du Duc commença le combat
d'Orange eft \ • • r • o » i i * ii* j' n
vaincu par le tres-vivement , prit une enleigne , ôc s empara de la collme, d ou
ducd'Albc. l'armée découvroit aifément ce quife paffoit dans celle des en-
nemis. Le refte de l'armée étant en marche, ôc quatre cor-
nettes de cavalerie Allemande s'étant avancées , Alvarez
Cabrai qui commandoit les moufquetaires à cheval , preffa
fortement le duc d'Albe de charger l'arriere-garde des en-
nemis , quoique l'infanterie ne fut pas encore arrivée. L'oc-
cafion étoit d'autant plus favorable , que l'avant-garde avoit
déjà paffé le Geet , ôc qu'il fembloit qu'on pouvoit plus fure-
ment vaincre une partie de l'armée ennemie , qui fe trouvoit
réparée de l'autre par une rivière. Mais le Duc , qui ne con-
noiffoit pas bien les Ueux, ne voulut pas le permettre j ôc tan-
dis qu'il envoyoit unpayifan, pour les examiner , il penfa per-
dre une belle occafion de remporter un grand avantage. 11
ne laiffa pas d'envoyer Sancho d'Avila ôc Gonfalve de Bra-
camonte , chacun avec un détachement de fix cens hommes,
pour s'emparer des défilez , dont nous avons parlé : Gafpard
DE J. A. DE T H O U , L i v. XLIII. ^6^
de Robles fut chargé avec fon régiment d'attaquer îes enne- _^
mis. Le combat fut encoretrès-vif: les troupes du Roi, quoi- r-u p
qu'en plus petit nombre, animées de l'efperance d'être foute- tv
nuësparlerefte de l'armée, qui étoitfurle point d'arriver, com- /n
battirent avec tant de valeur , que les Confédérez, quoiqu'en
plus grand nombre , perdirent courage : fe trouvant fans aucu-
ne efperance de fecours , parce qu'une grande partie de l'armée
étoit déjà de l'autre côté de la rivière, ils furent enfin rompus,
difiipezj & entièrement défaits. Plus de deux mille furent tuez
par la grefle demoufqueterie, que tirèrent les troupes du Roi,
qui n'eurent pas plus de vingt hommes tuez , ôc environ
cinquante blelTez. Le comte d'Hoocftrate ayant reçu un
coup d'arquebufe au pié , en mourut quelques jours après. Eve-
rard de ^ Vele de Louverval commandant de l'infanterie Fla-
mande fut fait prifonnier. Le duc d'Albe lui fit couper la tête '
à Bruxelles , où Diego de Tolède fils du Connétable de Na-
varre vint le trouver.
Après cette défaite , le prince d'Orange reçut à Judoigne les
troupes auxiliaires de France, qui confiftoient en deux mille
hommes d'infanterie , ôc cinq cens de cavalerie , commandez
par François d'Hangeft de Genlis^accompagné de Louis deLa-
iioy de Morvilliers, Renty, de Mouï, d'Anglure Autricour,
Jean Raguier d'Efternay , ôc de Poyet commandant de l'in-
fanterie. Ces troupes étoient venues par le Luxembourg, avoient
pafTé entre Dinan ôc Charlemont , ôc avoient pillé en paffant S»
Hubert ôc faint Jangay, dans la forêt d Ardenne. Puis ayant
mis le feu à l'Abbaye de faint Hubert , qui efl: en très-grande
vénération dans ces lieux , elles vinrent jufqu'à Tienen. Ce ne
fut pas tant ce renfort, que la difette des vivres, qui obligea
!e prince d'Orange à courir 'de côté ôc d'autre dans un payis,
oi^iilne trouvoit prefqueque des villes ennemies. Ilchangeoit
très-fouvent de camp, ôc cherchoit fans cefTe l'occafiond en-
gager le duc d'Albe à une bataille générale. Le Duc au con-
traire fuivoit toujours l'ennemi 5 mais il eut foin de fe camper
fi avantageufement, ôc de fortifier fi bienfon camp, qu'on ne
put le forcer à combattre malgré lui.
L'armée du Prince vint de Judoigne à Heylefem , prez de
Tilemont, où le baron d'Hierges s'étcit enfermé, refoluè d'y
^ 1 D'autres difent que fon vrai no;ii étoit Philippe de Morbaix ficur de LouveryaL
N u n iij
470 HISTOIRE
«._,.i. paffer la Meufc , fi la faifon l'eût permis. Mais les pluies de
7^ _TT l'hiver ayant confidérablement groflTi la rivière, 6c ne pouvant
T y- trouver le gué , il tournèrent à gauche. Le duc d'Albe , qui étoit
/r, à Louvain , prit avec lui le régiment de Mondragon , les com-
' pagnies de cavalerie des comtes Jean Bâtifte del Monte , de
Sanfecondo ôc de Nugorala , celle de George Machuca , & la
compagnie des moufquetaires à cheval de Montero. Il fuivit les
ennemis , atteignit leur arriere-garde fur le chemin de fainte
Marie , & leur tua cinq cens hommes. Il logea la nuitfuivante
à Bavais , ôc il envoya Frideric fon fils à Huy dans le payis de
Liège , où il y avoit un pont de pierre fur la Meufe , pour y
mettre un corps-de-garde , ôc empêcher l'ennemi d'en profiter.
Le Prince avoit envoyé à Liège demander la liberté d'y palier,
promettant de ne faire aucun tort , ôc offrant des otages. L'Evê-
que ( c'étoit Gérard Groeibeck ) ôc le Chapitre entièrement
dévouez aux Efpagnols , l'ayant refufé , le Prince fit tirer quel-
ques coups de canon contre la ville , prit fa route à la droite,
ôc defcendit dans le Hainault , où les campagnes étoient plus
fpatieufes , ôc où l'on pouvoit efperer de trouver des vivres en
plus grande abondance.
Avantage Etant arrivé au Quefnoy , ôc marchant vers le Cambrefis ,
k'vm'^^'d'o'^ enfin il trouva ce qu'il cherchoit depuis fi long-tems. Ayant
ranâc ' rencontré l'armée du duc d'Albe, il défit dix enfeignes Alle-
mandes , huit Efpagnoles , ôc trois compagnies de cavalerie
légère : ainfi il eut en quelque façon fa revanche de la derniè-
re perte qu'il avoit faite. Sancho d'Avila , François de Tolède
Ôc Ruy de Lopez furent bleffez dans ce combat, ôc d'Avalos
y fut tué. De là le Prince alla affiéger Gâteau Cambrefis j Mol-
leyn , malgré la frayeur dont les habitans étoient faifis , le défen-
dit avec un extrême courage ôc une très-grande prefence d'ef-
prit. Là le Prince fe trouvant réduit à une extrême nécelTité,
fe laiffa perfuader par Genlis ôc par les autres officiers Fran-
çois qu'il avoit auprès de lui, de pafler en France , où la guerre
civile avoit recommencé.
Il vient en Quoique le Roi eût envoyé le maréchal de CofTé fur la
frontière , avec deux mille hommes d'infanterie, ôc quelques cor-
nettes de cavalerie , pour l'empêcher d'entrer dans le Royaume,
I L'exprefllon latine eft équivoque, j vêque qui fit tirer quelques coups de
Strada dit formellement que ce fut TE- | canon fur l'armée du prince d'Orange.
DE J. A. DE THOU,Liv. XLIII. 471
il ne laifTa pas de pafTer la Somme au-defTus de Saint Quen- «___^
tin , ôc de venir julqu'à Soiflbns. Gafpard de Schomberg vint ~^
Ty trouver de la part du Roi , pour lui dire que fa Majefté étoit "^^ ^ ^
extrêmement étonnée de le voir entrer en France, avec une
armée fi nombreufe , fans lui en avoir fait fçavoir les raifons, ^ ^
Ôc fans avoir fait , fuivant une ancienne & louable coutume
obfervée entre les Princes , une déclaration de guerre : que
s'il demandoit la liberté de pafTer en Allemagne, comme le
Roi l'avoit entendu dire, fa Majefté ne la lui refuferoit pas, à
condition que le Prince promettroit de ne faire dans tout lepaf-
fage aucun a6le d'hoftilité.
Le prince d'Orange répondit le cinq de Décembre, qu'il
avoit fait fçavoir au Roifes intentions : Qu'il n'étoit pas affez ftu-
pide, pour entreprendre avec fi peu de forces de faire la guerre
à un Prince fi puiflant j mais qu'il n'avoit pu fe refufer à la com-
pafiionque lui caufoit l'extrême danger où fe trouvoient réduits
ceux qui profefibient la vraie Pveligion , Ôc dont plufieurs
étoient menacez d'une perte qui fembloit inévitable : Qu'il
fupplioit donc le Roi , par la bonté qui lui étoit naturelle , de re-
garder en pitié des fujets, qui ne le propofoient que de pro-
curer l'honneur ôc la gloire de Dieu , de mettre leurs vies en
fureté , ôc de fervir fidèlement leur Roi , ôc de vouloir bien fai-
re obferverexadement les édirs donnez en leur faveur. Schom-
berg pendant ce tems là fonda les penfées du Prince, ôclui
fit efperer qu'on payeroit fes foldats , s'il vouloit bien fortir de
Ja France fans y faire aucun tort. Puis fe fervant de fon efprit ôc
de fon habileté , il eflaya de gagner les officiers Ôc les chefs de
fa connoiiïance , ôc en leurreprefentant l'heureufe fituation des
affaires de la France, le trifte état de celles des Confédérez ,
ôc la difficulté de réuffir dans leurs entreprifes , il tâcha de les
engager à quitter le parti qu'ils avoient embrafTé.
Auffi-tot on entendit de toutes parts dans le camp \qs murmu-
res des foldats , qui fe plaignoient de ce que leurs chefs, contre
la parole qu'ilsleur avoient donnée, les expofoient à une perte
inévitable,dans une faifon fâcheufe.Ôc dans un payis où ils étoienc
traitez comme ennemis, ôc qui appartenoità un Prince, qui
ne leur avoit fait aucun mal : ils fe plaignoient auffi de ce qu'on
ne leur avoit pas encore payé l'argent qui leur avoit été promis.
Le Prince faifant toutes les inftances polfibles , pour les engagev
472 HISTOIRE
à marcher à grandes journées vers le prince de Condé, ils le
Charle fcfi-^ferent ablolument , difanr qu'on ne les avoir pas engagez
I X pour faire la guerre au roi de France, mais feulement au duc
I Ç 58. <^'Albe : que la paye de tant de mois leur étant due , ôc ne
voyant aucun lieu d'en efperer lepayemenr^nipour le prefent,
ni pour l'avenir , c'étoit les conduire à une mort certaine : en
un mot , qu'on les ramenât dans leur payis , tandis que le roi
de France vouloir bien leur permettre d'y retourner , ôc qu'ils
n'avoient rien à craindre. Schomberg , après avoir ainfi femé
la divifion dans le camp , s'en retourna, ôc revint à la Cour.
Le prince d'Orange , qui prévoyoit bien que plus il avan-
ceroit , plus il fe formeroit de peines ôc d'embarras , prit le
parti , pour ne pas paroître y être forcé , de fe rendre aux rai-
fons de Schomberg , ôc de confentir à ce que le Roi fouhai-
toit. Ainfi il tourna du côté de l'Allemagne , ôc il alla à Straf-
bourg. Là il congédia fes troupes ôc il vendit fa vaiffelle d'ar-
gent 5 afin que s'il ne pouvoit pas entièrement fatisfaire fes
officiers , il pût au moins par cette marque de libéralité ôc de
générofité les appaifer , ôc conferver leur bonne volonté pour
un tems plus favorable. Il donna de cet argent trois mois de
paye à fa cavalerie , ôc il s'obligea de leur payer le refte dans
telpace de douze ans, engageant pour fureté de ce payement
fa Seigneurie de Monfort , fa principauté d'Orange ôc fes au-
tres biens. Puis il fe joignit à Volfang de Bavière duc de Deux-
ponts, qui fe difpofoit à partir pour la France.
Le duc d'Albe n'ayant plus rien à craindre , après avoir
chafie l'armée des Confédérez des Payis-bas , mit i^s troupes
en quartier d'hiver ; le régiment de Sancho de Londofio à
Utrecht , à Worckum , ôc à Bommel j celui de Julien Ro-
mero à Bruxelles ôc àMalines ; celui d'Alfonfe Ulloa , à Maef-
tricht , à Bos-le-Duc , à Berti ôc à Grave j les compagnies de
BiUy , à Groningue j celles de Mondragon à Deventer, ôc
celles d'Alberic de Lodron , à Valenciennes ôc à Anvers.
Affaires ^^ ^^ ^^ P^^^ prcfquc rien de confidérable en Allemagne
d'Allemagne, pendant l'année i5'58. au moins pour ce qui concerne les af-
faires générales de l'Empire : ôc il y eut peu de faits pardcu-
liers , dignes d'être tranimis à la pofterité. Le 20 de Mars ,
fête de S. Cuthbert mourut Albert de Brandebourg ci-devant
grand-Maître de l'Ordre Teutonique. Ce Prince ne trouvant
point
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIII. 47^
point d'autre moyen de terminer la guerre , qu'il avoit avec «
Sigifmondroi de Pologne fon oncle ^ abandonna cette qualité, C H a R LE
viola le ferment qu'il avoit fait à l'Empire , ôc fut créé duc jx.
de PrufTe l'an 1 5'2 5* , à condition , qu'il céderoit à la Pologne i ç 5 8.
en propriété Danzick , Thorn, Marienbourg , ôc Elbing , ôc Mort d'Al-
qu'il tiendroit la PrufTe en fief , dont il feroit hommage à la J^l"^ ^® ^'^p'
couronne de Pologne. Il fe maria enfuite ? ôc ayant embraffé je PruSe. ^'^
îa confefTion d'Aufbourg , il établit une célèbre Univerlité à
Konifb,erg,à laquelle il donna de gros revenus. L'Ofiandrif-
me y caufa pendant quelque-tems du trouble : mais Albert
ayant depuis renoncé à cette erreur , l'Univerfité recouvra fon
ancienne tranquillité. Albert étant vieux , donna tant de cré-
dit à fes minifîres , en qui il avoit trop de confiance , qu'ils
troublèrent toute la PrufTe, tant dans le fpirituel , que dans le
temporel. SigifmondAugufte, qui voyoitavec peine ce renver-
fement de l'Eglife ôc de l'Etat , fut obligé d'y apporter un re-
mède convenable , en faifant punir févérement les auteurs des
troubles , ou par le dernier fupplice , ou par de grofTes amendes.
Le duc de PrufTe mourut enfin à Tapiaw , âgé prefque de
80 ans, après avoir gouverné la PrufTe pendant 5*0 années. Par
un bonheur peu ordinaire , Anne -Marie de Brunf\vich fa fc-
conde femme , dont il avoit eu Albert Frédéric, qui fut fon
héritier pour le duché de PrufTe , mourut le même jour que lui.
La more ne fépara point deux perfonnes qui avoient toujours
vécu dans une parfaite union, ôc parut ne les enlever dans le
même moment , que pour épargner à l'une des deux la dou-
leur de furvivre à l'autre. Le roi de Pologne donna des tuteurs
à Albert Frédéric , qui n'avoit que quinze ans. Lorfqu'il fut
déclaré majeur, il reçut l'inveititure du duché de PrufTe, avec
les mêmes cérémonies ôc la même folennité qui furent obfer-
vées pour fon père , dans TafTemblée des Etats tenus àLubHn,
en préfence de Joachim électeur de Brandebourg , ôc des Prin-
ces Albert Frédéric , ôc Georges Frédéric de la même mai-
fon ; ôc il reçut ce duché en fief du roi de Pologne , qui le
fit chevalier ôc lui donna le drapeau.
Henry de Brunfwich , prefqu'aufTi âgé qu'Albert , le fuivir ^ort de
d'affez près. Il mourut le onzième de Juin dans fon château ^<^"'> <^^
de Wolfenbutel. Ce Prince avoit pafTé toute fa vie dans les ^^" ^'^ '
guerres civiles ou étrangères. Il accompagna George de Saxe
Tome V, O o o
474 HISTOIRE
^^^^^^^,^ dans fon expédition contre les Frifons. Il donna des fecours
~ à Eric de Brunf\^ich fon parent , dans la guerre qu'il eut avec
^ v^ ^^ l'évêque d'Hildesheim. Il le lignala dans la guerre des payifans,
& il aida puifTamment Charle V. dans les guerres contre la
1500. prance , foit dans le Milanez , foit dans le royaume de Na-
pies. De retour chez lui , ce Prince ennemi du repos ,
à la foUicitation de l'Empereur , déclara aux Confédérez de
Smalcalde , &C aux villes de Gofllar ôc de Brunfwich une guerre
dont le fuccès fut très-funeftc & pour lui ôc pour toute l'Alle-
magne , puifqu'elle occafionna la guerre dans tout l'Empire.
Henri fut fait prifonnier par Philippe Landgrave de Hefle :
conduit à CafTel , il ne fut plus que fpeclateur de la guerre qu'il
avoit allumée. Tiré de prifon dans le tems qu'il s'y attendoit
le moins , il déclara une féconde fois la guerre à la ville de Brunf-
\f'ich, l'an ly^o. Cette guerre étant terminée par les ordres
de l'Empereur, il fe plongea dans une autre, qui ne fut pas
moins fatale ; ôc après avoir affiégé Magdebourg , il attira à lui
les troupes de Volrad de Mansfeld , qui s'étoient foulevées ,
faute de payement , ôc fit une guerre particulière aux évêques
de Minden ôc de Munfter , ôc à Eric fon parent. Il fit enfuite
avec Maurice éleâ:eur de Saxe , contre Albert de Brande-
bourg , une ligue qui entraîna la perte de fa maifon. Car dans ce
fameux combat, qui fut donné entre ces Princes auprès de
Sivershaufen , le 10 de Juillet 15* 5" 3, il perdit Charle Vi£lor ôc
Philippe Magnus , deux de fes fils , qui donnoient de gran-
des efpérances , ôc Maurice étant mort prefque en même-tems,
il fe trouva chargé de conduire la guerre , que les villes ôc les
Evêques avoient entreprife contre Albert de Brandebourg ,
qui avoit porté le feu ôc le fer dans prefque toute l'Allema-
gne. Henri de Brunfwich acheva de le réduire , ôc de lui en-
lever le peu de forces qui lui reftoit j il vengea la mort de fes
fils j il rentra dans fes Etats , ôc ayant rendu la paix à l'Alle-
magne, il s'appliqua à la conduite de fes propres affaires , ôc
à reparer les pertes quêtant de guerres lui avoient caufées. Il
rétablit le château de Wolfenbutel , le plus fort de toute l'Al-
lemagne , ôc remit en bon état la ville , qui avoit été ou brû-
lée ou renverfée. Il paya les dettes qu'il avoit contrariées, ôc
ne travailla le refte de fa vie qu'au rétabliffement de fes finan-
ces , que fa négligence ôc fes guerres avoient dérangées ôc
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIIL 47^
prefqu'entierement épuifées. Enfin ce Prince qui avoit cent ■
fois fouhaité ôc efpéré de mourir à la tête defes troupes, dans Ch a RLE
un combat, ou dans un fiége , mourut tranquillement chez j)^^
lui. Il lailTa de Marie de Wirtemberg fon époufe , un fils ap- i ç ^ 8.
pelle Jule , qu'il avoit deftiné à l'Eglife , tant que Vi£tor ôc
Philippe avoient vécu. A peine Henri R\t - il mort , que
Jule abandonna la Rehgion de fes ancêtres. En prenant le
gouvernement de fon duché , il embrafla la confeiïion d'Auf-
bourg , ôc la fit prêcher dans fes Etats par Jacque Andréa de
Tubinge, 6c par Martin Chemnitius , qu'il fit venir. Il confeilla
à Jean Loerbeer abbé de Rittershaufen à un mille de Brunf-
wich , d'embrafier la même religion 5 Loerbeer le fit , y éta-
blit un Collège ,fe maria, 6c ne laifTa pas de conferver l'Ab-
baye le refte de fes jours. A fon exemple Everard Hollc évê-
que de Verden abolit dans tout fon évêché la religion de fes
Pères 6c y fit recevoir la confeflion d'Aufbourg.
Sur la fin de l'année Chriftophle duc de Wirtemberg paya Mort de
aufli le tribut à la nature. Il mourut à StutP^ard a^ré de n ans. Çhnitophie
C etoitun Prince habile dans les langues , d'un efprit fort orné berg.
ôc protedeur zélé des fçavans. 11 éprouva du vivant d'Ulric
fon père l'inconftance de la Fortune ; mais dans l'adverfi-
té , comme dans la profperité, il conferva les mêmes fen-
timens , ôc fon grand courage fut toujours invincible. Avant
qu'il fuccedât au duché de Wirtemberg , il fervit très-utile-
ment François I. dans les guerres du Piémont j il fignala fon
habileté dans le métier de la guerre , 6c dès l'âge de vingt-
deux ans, on le mit à la tête de trente-trois enfeignes. Au refte
il fut un des plus zélés partifans de la confeiïion d'Aufbourg ,
qu'il avoit entrepris de défendre à Trente par fes Ambaffadeurs
ôc par les écrits de {es Théologiens. La paix ayant été réta-
blie dans l'Empire , le duc de Wirtemberg fe livra tout entier
aux exercices convenables à un tems de tranquillité 6c de paix î
ôc après l'expédition d'Elwanger dont nous avons parlé , il de-
meura paifible dans fon château , oii il pafla agréablement fes
dernières années dans la le£lure des livres facrés. Louis fon
fils lui fucceda ; car tous les autres , qu'il eut en aflez grand
nombre d'Anne Marie de Brandebourg, moururent avant lui.
Il y eut cette année là une guerre en Allemagne , qui fut Guerre de
éteinte dès fon commencement. La caufe de cette guerre fut i^^^^*-
Oooij
ifeiigjatjga
47<^ HISTOIRE
que les archevêques de Trêves prétendoieiit être les fouverains
Char LE ^^^^^^"^^'^i^fs ôc abfolus de leur viile 5 y exercer une pleine au-
j y torité j l'obliger à leur prêter le ferment h y impofer des droits
i f d's ^ ^^^ tributs, y établir un Sénat; s'en faire apporter les clefs >
avoir le droit de faire exécuter les fentences , & de juger
les caulcs criminelles. Les habitans au contraire prétendoient
• que tout cela leur appartenoit , ôc ils alléguoient pour foûte-
lîir leur prétention, ou la coutume j ou la prefcription fondée
fur une ancienne pofTeffion. Jacque d'Elts étoit alors arche-
vêque de Trêves. Pour venger le tort qu'il prétendoit avoir
été fait en tout cela à fon prédécefTeur , il fit fecretement tranf-
porter par la Mofelle de gros canons de fon château de Her-
meftein dans fon palais. Puis fe fervant des cavaliers Allemands
que Philippe comte du Rhin avoit levés pour le (ervice du Roi,
commandés par Antoine d'Elts fon coufin germain, il fit enle-
ver les troupeaux ôc les beftiaux de habitans , qui ne s'atten-
doient à rien de femblable , ôc il invertit la ville de Tréves>
de forte qu'on ne pouvoir plus y faire entrer des vivres. Quoi-
que les habitans euffcnt obtenu un mandement de la Chambre
Impériale , qui ordonnoit à l'Archevêque de lever le fiége , il
ne laiiTa pas de le continuer depuis le 10 de Juin jufqu'au 1 1
de Juillet.
Ce jour-là à huit heures du foir, le ciel étant fort ferein ,
après le coucher du foleil, Cyprien Leowitz, très-célébre As-
trologue^ vit trois Lunes, ôc les obferva pendant trois quarts
d'heure. La vraie Lune étoit au milieu , brillante de fa lumière
naturelle , c'eft-à-dire , de celle qu'elle emprunte du Soleil.
Les deux autres , qui tournoient autour d'elle , étoient rougeâ-
tres ôc comme couvertes de fang 3 leur bord étoit partie blanc
ôc partie bleu, ôc le fond paroiffoit enfanglanté. L'Empe-
reur ôc les Electeurs du Rhin conjecturèrent de ce Phénomè-
ne, qui fut publié partout , ôc de la guerre allumée par l'arche-
vêque de Trêves , que l'Empire alloit être affligé de grands
maux , ôc c'eft ce qui les détermina à envoyer promptement
leurs députés ,- entre lefquels Herman Eppingen envoyé de
l'éledeur Palatin , fit éclater fa diligence ôc fon habileté. Ils
négotierent entre le Prélat ôc les habitans , qui après bien des
allées ôc des venues, ôc de longs débats ^ acceptèrent enfin
l'entremife ôc la méditation des princes de l'Empire , ôc
DE J. A. DE THOU, Liv.XLIII. 477
tranfigerent à ces conditions : Que l'archevêque de Trêves »,
donneroit caution , qu'il ne feroit fait aucun tort aux habitans : C h a r i e
Qu'il feroit admis dans la ville avec des gens de guerre, qui jy
prêteroient ferment entre les mains du commiiTaire de TEm- ^ ^'g
pereur: Et que les habitans de leur côté en uferoient envers
l'Archevêque de manière qu'il ne feroit pas dans la néceffité
de demeurer plus long-tems dans la ville : Que les diiferends
Ôc les droits conteftez entre les parties feroient difcutez , jugez -
& terminez, fuivant la forme du droit établi dans l'Empire.
C'eft ainfii que la prudence de l'Empereur ôc des Princes ar-
rêta le progrés d'une guerre, qui auroit été d'autant plus per-
nicieufe , que la Flandre & la France étoient en feu. L'ac-
commodement fut honorable à l'Archevêque ^ ôc un peu à
charge aux habitans.
Il s'éleva cette année de bien plus grands troubles en Suéde,
qui furent aulii bien-tot ailoupis , & qui cauferent un grand suede. Eue
changement dans l'Empire. Eric roi de Suéde, felaiflant aller eft déthioaé.
à de mauvais confeils , avoit exercé bien des cruautez & fait
quantité d'entreprifes très-imprudentes, qui lui avoient attiré
la haine de tout le monde. Il voulut, pour achever de fe des-
honorer, célébrer folennellement à Stokolm , comme il fit le
4 de Juillet, fon mariage avec Catherine, de très-baffe naiffan-
ce , dont il avoit eu deux enfans, ôc il la lit couronner avec
lesfolennités ordinaire^.
Magnus duc de Saxe, qui époufale lendemain Sophie fœur
d'Eric , fut obligé malgré lui d'affifter à cette cérémonie. Jean
duc de Finlande, qui comme nous avons dit, étoit forti de
prifon l'année précédente » ôc Charle duc de Sudermanie ^
avoient quitté la Cour quelques-jours auparavant , pour ne fe
pas trouver à des noces qui deshonoroient leur maifon. S'é-
tant rendus maîtres de"Wadftena , ils fe liguèrent avec Stenon
leur oncle , Turon , ôc un grand nombre de Seigneurs du
Royaume , ôc ils folliciterent la Nobleffe à quitter le parti d'E-
ric, écrivant à chacun d'eux une lettre , dans laquelle ils ex-
pofoient l'ordre , le détail , ôc les raifons du projet qu'ils avoient
formé.
Eric n'eût pas plutôt appris cette conjuration , qu'il leva
des troupes à la hâte , ôc les envoya contre fes frères. Mais dès
qu'elles furent en prefence , elles pafi'erent de leur côté le 2^
O o o iij
47^ HISTOIRE
. d'Août. Quelques jours après la veuve de Guftave, quiavoît
Char LE ^po"^*^^^ 5 ^^ juillet Magnus de Saxe, ayant reçu le matin le
IX ^* ^^^^^9^^ ^^s Chrétiens, avec fes fœurs , demanda un- pa{^
ï < 68 Report à Eric, comme pour s'aller promener ôc faire unepar-
tie de plaifir. Elles fortirent dans une barque furie Mêler, Ôc
s'étant avancées à looo pas de la ville , JVCgnus, quiavoitété
envoyé avec 40 chevaux pour examiner la marche des enne-
mis , vint les recevoir à l'autre bord du lac ; & pafTa avec elles
du côté de Jean ôc de Charle. Auffi-tôtles cavahers qui avoient
été mis en fentinelle devant la porte de la ville, paflerent dans
le camp des Confédérez. Enfin les deux frères s'étant appro-
chez de Stockholm avec une armée , le 1 8 de Septembre ;
l'aiïiégerent. Ils envoyèrent devant eux un Trompette , pour
demander à Eric qu'il leur livrât George , fils de Pierre , fon
Secrétaire , ôc le principal miniftre de fes paffions ôc de fes
crimes. Le Roi qui voyoit que tout le monde l'abandonnoit,
ôc qui fentoit bien qu'il n'avoit pas moins à craindre de la
part de fes domeftiques , que de fes ennemis , s'imagina qu'il
pourroit appaifer fes frères en leur livrant George j ainfi il le
fit conduire par quelques foldats de la garnifon à l'armée de
fes frères, avec fa mère qui étoit complice de tous fes crimes.
On. le fit traîner dans tout le camp fur deux roues , après lui
avoir coupé les oreilles , qu'on attacha à un poteau. On le
donna enfuite en fpedacle à toute l'armée pendu à un gibet ,
, où il relia une heure en vie. On lui rompit les bras ôc les
jambes fur une des roues , ôc enfin on coupa fon corps en
quatre parties.
Cependant Jean fit publier un mémoire , dans lequel ilex-
pofoit les raifons qui l'avoient déterminé à faire la guerre au
Roi Eric. Il lui reprochoit entr'autres crimes , d'avoir au com-
mencement de fon règne méprifé les fages confeils des vieil-
lards, ôc d'avoir mis dans le miniftere de jeunes gens très-
ignorans, dont les mauvais confeils l'avoient précipité dans
une guerre aufli téméraire qu'injufte contre les Rois ôc les vil-
les voifines ^ guerre dont les fuites avoient été très-funeftes à
fon Royaume : D'avoir conçu fans aucune raifon une haine in-
jufle contre fes parens i de l'avoir lui-même furpris avec laPrin-
cefTe fon époufe dans fon château d'Abone , ôc de l'avoir re-
tenu pendant quatre ans dans une étroite prifon: D'avoir enlevé
DEJ. A. DETHOU, Liv. XLIII. 47^
àSiglfmond Augufte roi de Pologne, fans aucun fondement, i.
"Wittenftein , Parnaw , ôc Karcks , dans lefquelles il avoit mis r u ar le
garnifon : D'avoir défolé fes voifins ôc fes fujets , par une guerre j y
de huit années , malgré les follicitations de l'Empereur , qui ^'g
avoit offert fa médiation : D'avoir malicieufement retenu un
an entier les envoyez des villes maritimes , ôc de les avoir en-
fin renvoyez fans leur faire aucune réponfe : D'avoir par fes
pirateries ôc fes brigandages rendu la mer impraticable j non-
leulement à fes voifins , mais encore aux nations éloignées ,
même à Philippe roi d'Efpagne : De ne s'être pas contenté de
Favoir cruellement vexé par les ennuis d'une prifon de quatre
ans , ôc par l'enlèvement de fes biens 5 d'avoir encore par
un horrible parricide attenté à fa vie , ayant donné ordre à
George , dans le tems de l'affreux maffacre , qui fut fait l'an-
née précédente à Upfal , de le tuer avec fon fils , ôc de livrer
fon époufe au tyran de la Ruffie , ennemi déclaré du nom ôc
des héritiers de Chriftierne , qui avoit pour cela envoyé en
Suéde fes Ambaffadeurs , avec un affez grand nombre de gens
armez i en attendant le fuccès de cette entreprife : D'avoir re-
jette tous les moyens de faire une paix auffi utile, que glorieufe
avec les rois de Dannemarck Ôc de Pologne : D'avoir penfé,
après l'horrible carnage des Grands fait à Upfal, à quitter fon
Royaume , ôc à s'enfuir en Ruffie , ne pouvant plus foûtenir
les remords d'une confcience qui lui reprochoit fans ceffe un
fi grand crime : De n'avoir pas tenu la parole qu'il avoit donnée,
lorfque touché de repentir , il avoit promis , en recevant le fa-
cré Viatique des Chrétiens , de livrer George l'auteur de tous
ces maux j d'avoir au contraire rétabli ce monftre dans fon an-
cienne dignité 5 ôc d'avoir chaffétous fes autres confeillers ; D'a-
voir par une légèreté ôc une imprudence inoùies, pris pour fa
femme , contre toute pudeur ôc toute bienféance , la fille d'un
Huiffier, dont il avoit d'abord fait fa concubine, ôc de l'avoir
affociée au trône , après avoir rejette par mépris les alliances
qu'il auroit pu , ôc qu'il avoit même commencé de négotier
avec les Rois 6c les Princes fes voifins : D'avoir fauffement im-
puté aux Grands ôc aux plus fideiles minifires du Royaume des
crimes 5 de les avoir condamnez fans les entendre j de les avoir
punis en différentes manières , ôc d'avoir partagé leurs biens
48o H I S T O I Pv E
tu«...^«,-u— — entre lui ôc George fon infâme miniftre : D'avoir ôté îa vie à
Charle P'*^^ ^^ ^°° payians de Gorhie par un certain brigand nom-
j X ^'^^ Odolfe , lun des plus grands fcélérats du monde , accoû-
I C d's- tumédès l'enfance à répandre le fang : D'avoir inventé de nou-
veaux genres de fupplices Ôc de tortures , pour forcer ces mi-
ferables à confefler des crimes, aufquels ils n'avoient pas mê-
me penfé: D'avoir accablé d'impofitions nouvelles 6c intolé-
rables tous les Etats du Royaume, 6c principalement IcsEc-
cléiiaftiques : D'avoir par fes horribles rapines épuifé les reve-
nus des Hôpitaux 6c des Univerfitez , 6c d'avoir à la façon* des
Barbares enrolié malgré elle dans la milice une jeunefTe, qui
auroit pu dans d'autres conditions fervir utilement l'Eglife 6c
l'Etat : Enfin d'avoir très-mal gouverné le Royaume , d'avoir
fouillé le thrône , 6c d'avoir deshonoré la majefté Royale par
fes actions criminelles 6c infâmes ^ 6c de s'erre par là rendu
indigne de la couronne qu'il portoit. Jean terminoit fon mé-
moire en déclarant que telles étoient les raifons qui les avoient
déterminés Charle à: lui , à déclarer la guerre à Eric roi de
Suéde leur frère.
La fin de cette guerre fut, que la ville de Stockholm fe trou-
vant réduite à la dernière extrémité , n'ayant plus aucune efpe-
rance d'être fecouruë , 6c d'ailleurs tous les efprits étant cho-
quez 6c indignez du mariage honteux que le Roi venoit de
contrarier , fe rendit le 2p jour de Septembre , fête de faint
Michel. Dans le tems qu'elle fut rendue, Eric parut oubHer le
danger preflant oii il étoit, pour ne fe fouvenir que de fa fé-
rocité naturelle. Pour mettre le comble à la mefiire de fes
crimes, 6c qu'on put dire qu'il n'y en avoir aucun qu'il n'eût
commis j il fuborna un foldat , qui frappa rudement par der-
rière d'un coup de hache Stenon fon oncle , qui lui tendoit
la main dans la place publique , 6c qui en mourut peu de jours
après.
Charle de Sudermanie ôc Magnus duc de Saxe entrèrent
dans la ville , reçurent la citadelle qui fe rendit à eux, 6c y mi-
rent une garnifon de deux compagnies. Enfin le 30 de Sep-
tembre, Jean le plus âgé des frères d'Eric, entra comme eu
triomphe dans la ville, avec dix-fept cens chevaux, ôc quel-
ques enfeignes d'infanterie j 6c après avoir fait déclarer Eric
déchu
DE J. A.DE THOU, Liv. XLIIL 481
déchu de la couronne, & l'avoir mis fous une bonne garde, ' '"
avec Catherine fa femme j il fut déclaré Roi de Suéde, du Cha?vLE
confentement unanime de tous les Erats, ôc avecTapplaudifre- i X.
ment de tous les Grands du Royaume. Exemple qui doit ap- 1^68,
prendre à tous les Rois à ne pas croire que tout leur eft per-
mis j à ne pas abufer de la puiffance que Dieu leur a don-
née fur leurs peuples, pour fatisfaire leurs pallions , pour
affouvir leur cruauté j leur avarice , leur infanable cupidité j à
ne fe pas livrer à leurs mauvaifes inclinations , ni aux confeils
pernicieux des méchans qui les environnent ; mais à refpe£ler
& à craindre un Dieu vengeur , qui ne laifTe point le crime
impuni.
Avant que Jean eût déclaré publiquement la guerre à Eric;
il avoir déjà envoyé George Guldenftein ôc Turon Bielki aa
Roi de Danemarck à Rofchildt , pour traiter de la paix h ôc
ils étoient convenus d'un accommodement , dont on avoir
drefle un a£le folemnel ôc autentique à ces conditions : Que
les Suédois rendroient Walberg , qu'ils avoient pris fur les Da-
nois , ôc que les Danois rendroient aux Suédois Elfebourg. Jean
ayant fini la guerre , s'étant rendu maître de Stockolm , ôc ayant
mis ordre à toutes fes affaires plus promptement Ôc plus heu-
reufement qu'il n'avoit efperé , fe repentit du traité qu'il avoit
conclu. La guerre recommença l'année d'après, ôc les Danois
prirent au commencement de Novembre Warberg ( ou Ward-
bourg) place forte fituée fur la côtedeHalland en Suéde. Mais
ia joie du fuccès fut troublée par la douleur d'avoir perdu Fran-
çois Brokhaufenôc Daniel Ranzau. Les Danois s'avancerenr,
ÔC comme on n'obfervoit point les conditions du traité, ils
mirent cruellement à feu ôc à fang tous les endroits par où ils
paflerent.
La guerre entre lesMofcovites ÔclesPolonois fubfiftoit toù- ' Affaires de
jours. Sigifmond ayant levé une armée de cent mille hommes, l^^^os"^-
s'avança à Rodoskowiz , à vingt-quatre milles par delà Vilna.
Cependant il revint fans rien faire à Grodno, congédia une
grande partie de fes troupes, ôc fe contenta d'envoyer avec
du canon lesfoldats qui faifoient leur tems de fervice , pour
alïiéger Ula , place forte , appartenant aux Mofcovites, ôc il
en donna le commandement à Kolekiewiz gouverneur de ia
Tome Vp ï' P R
Charle
IX.
•15(5 8.
4S2 HISTOIRE
Samogltie, quiavoit autrefois été au fervice de Charle-Quînt f
mais Tentreprife neréuflit point. Cette place, qu'on ne put alors
forcer/utfurprife le 28 de Septembre par Romain Sanguskow^
qui la prit & la brûla. La plus grande partie de la garnifon fut
tuée,quelques-uns furent noyez dans la Dwina 6c dans l'Ula,ri-
vieres qui paffent le long de cette ville, ôc très-peu furent faits
prifonniers. Le refte de l'année fe paiTa en courfes, que les Polo-
nois firent fur les terres des Mofcovites : la garnifon de Vitebsk
ayant défolé les Mofcovites, ceux-ci vinrent à leur tour le 29
de Septembre avec fept mille Tartares de la Horde Nohaicen-
recommandez par Seremieti,par Bafile Buturlin , & par So-
borow : ils mirent le feu à Vitebsk , 6c fe vengèrent ainfi des
pertes qu'ils avoient reçi\ës.
Tandis qu'on faifoit la guerre en Suéde, on travailloit en
Saxe à trouver les moyens, qu'on avoir fouvent cherché inuti-
lement, d'établir la paix parmi les Proteftans. Le 20 d Octo-
bre commencèrent enfin à Altembourg les conférences entre
les Théologiens de l'élecleur Augufle , 6c ceux de Jean Guil-
laume de Saxe , après que les parties eurent réglé de concert
l'ordre 6c la forme, qu'elles dévoient obferver. Le but de ces
conférences éroir d'établir une paix folide 6c durable entre les
Ecoles , les Eglifes , les Prédicateurs 6c les Théologiens qui
faifoient profelïion de fuivre la même Religion , 6c d'être atta-
chez à la Confelîion d'Aufbourg.
Mort d'E- Vers le même-tems , mourut le 2^ de Novembre Erafiiie^
QUE DE delà Maifon des comtes de Limpurg, évêquedeStrasbourg^
. SiKASBouKG. homme recommandable par fa pieté 6c fon érudition. Etant
jeune, il étudia en mathématique à Tubinge, fous Jean Sto-
fler ; en droit , fous Conrad Braun , 6c fous Jean Marguard 5
ôc à Paris fous Jean Sturm, qu'il fit depuis venir à Strasbourg,
Ôc mit à la tête de l'Univerfité. Tant que ce Prélat vécut , il
aima 6c entretint foigneufement la paix, 6c il crut que pour
la maintenir dans lEglife , il falloit s'attacher inviolablementà
l'aurorité des Pères 6c rejetter tout ce quis'y étoit gliflfé d'abus.
De Jean Ce que nous venons de dire de ce grand homme, m'aver-
Opokin. jif (je garantir de l'oubli , autant qu'il eft en moi , les autres fa-
vans , qui font morts dans le cours de cette année. Le pre-
niier qui fe prefente eft Jean Oporin de Bâle: à l'exemple des
ÏDE J. A. DE THOU, Lrv. XLIIL 485
Froben S il n'épargna rien, ôc il rendit de très-grands fervi- «
ces à la République des lettres par fon habileté & fes foins^ p „ ~ ^
en donnant en très-beaux cara6teres un grand nombre d'où- jy
vrages anciens ôc modernes. Son fiécle & les fuivans lui ont /r>
d'autant plus d'obligation , qu'en fe confervant tout entier
au bien public ^ il négligea fes propres affaires ^ ôcles laiffa dans
un étrange dérangement ^ fongeant moins à laiflerun riche hé-
ritage, qu'à acquérir une gloire immortelle. Il mourut le 7 de
Juillet, âgé de foixante ans ôc plus. L'Univerfitc prit foin de
fon convoi , Ôc les Do£teurs le portèrent dans la grande Egli-
fe de fa ville natale, où il fut enterré proche les tombeaux
du célèbre Didier Erafme, de Simon Grynée, de Jean (Eco-
lampade,ôc de Sebaftien Munfter.
Le fécond dont je dois parler , eft Onuphre Panvini de Ve- d'Okuphrb
rone religieux de l'ordre de faint Auguftin , homme qui fem- Panvini.
bloitnépour tirer des ténèbres toutes les antiquités Romaine
ôc Eccléfiaftiques , comme le prouvent les beaux Ôc éternels
monumens qu'il a laiflez. Ayant fuivi en Sicile fon principal
protedeur, le cardinal Alexandre de Farnefe, il mourut à Pa-
lerme , dans la circonflance de tems la plus fâcheufe pour lui ôc
pour le public , dans le tems qu'il travailloit à une hiftoire de
î'Eglife, le 1 C> de Mars, âgé de trente-neuf ans. Ses amis , pour
reconnoitre les fervices qu'il leur avoir rendus , aind qu'à tous les
gens de lettres , lui élevèrent à Rome dans I'Eglife de faint Au-
guftin un maufolée de marbre , orné de fon bufte en bronze.
Quelques jours auparavant, mourut François Luitfino, né DeFratsçois
dans le payis de Robortello , c'eft-à-dire à Udine dans le Friouh ^""sino.
homme auffi illuftre par (on amour pour les belles lettres , que
pour la pureté de fes mœurs. 11 étoit fecretairedu duc de Par-
me j ôc on fe promettoit beaucoup de la fécondité de fon ef-
prit, lorfqu'une mort prématurée l'enleva le 7 de Mars dans fa
quarante-cinquième année. Ses frères le firent enterrer ho-
norablement dans la grande Eglife de Parme.
Guillaume de Gratarole natif de Bcrgame, Médecin celé- deGrata-
bre , qui a enrichi fa profeflion par fes do£tes écrits , mourut rôle.
à Baie le 16 d'Avril.
Sur la fin de l'année Roger Afchani de Kirckbywith dans d'Ascham.
I Fameux Imprimeurs de Bâlç,
Ppp ij
'^^4 HISTOIRE
^ la provîticë d'York mourut à Londres le 50 de Decembfe,
r'rr . n T r- âgc dc cinquaute trois ans. Il fut lié d'une étroite amitié avec
V-'HARLE -P . ^T • T Ti/r 1 « T o T • T-'i-
jy Jérôme Oforio, Jean Metel, & Jean Sturme.LaremerLliza-
1 f 68 ^^^^ ^^ choifit pour être fon fecretaire dans la langue Latine.
Edouard Granta Rt fon oraifon funèbre , ôc fit imprimer fes Içt-i
très qui font très-bien écrites.
Fin dti quarante 'troiftéme Livre,
3 >3 .3 ^3 ^3 «.3 «3 .B.3_ »^.%<9-^^. «^^«^_iL 3 «3 .3 >3 .3 .
i^^t^ m^ m^ "^^^ ^^ ^i^ ^^ SÈ^
HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE QVARENTE-QVATRIEME.
'ii'tk.^^^.^i^'klk'k E .fix de Juin de cette année i ; 58 Do- =
"ê^ ^ eytî'^^— n ^ niinique Gourgue arriva en France^ C ha RLE i
^ Y"^^'^"" li ^ d'un voyage qu il avoit fait à la Flori- I X. j
^ H |^«^«^«^| H g$ ^ie dans l'Amérique occidentale. Mais i ; 5 0. j
S ^. S T i ^ ^ ^^'^""^ ^^ P^'^^' ^^ ^^"^ expedidon ,. Découverte I
^ (^§ * ' ètâ ?^ i^ crois qu'il eft à propos de rappor- de la Floride.
^ Il Sc/5S/3î/3C/^ Il ^ '^ei^ fuccintement les voyages que nos ^
'^ 0=:+)2:2^^=0 ^François ont faits aux Indes ^ depuis
'^'V'Vi/Wii^'Mu'Mvj:si:^^ celui de Nicolas Durand de Villega- .!
^^^^ & 4. ^:§^^^ g„^^^_ Les Hiftoriens ne font pas d'ac^ |
cord fur le premier qui a découvert la Floride. Les Efpagnols, :
qui j à la refer ve de ce qui regarde la première découverte de ,
Chriftophle Colombe, s'attribuent celle de toutes les Indes oc- j
cidentales , prétendent que Ponce natif de Léon eft le premier \
P p p iij -
4$^ HISTOIRE
. qui ait abor3c dans la Floride î que ce fut un Dimanche des
r» u » T, T n Rameaux , appelle en Efpagne , comme en France , Pâque flcu-
T y ne , ôc que pour cette railon il donna le nom de r loride a cette
^*g contrée. Mais la plupart des auteurs avec plus de vrai-fem-
blance font honneur de cette découverte à Sebaftien Gabot ,
patron d'un navire Vénitien , ôc allez bon aftronome. Ils di-
fent qu'excité par la gloire, que Chriftophle Colombe s'étoit
acquile depuis peu, il entreprit ce voyage fous les aufpices de
Henri Vil , ôc qu'il aborda à la Floride dès l'année 1 49 (J , avant
que les Efpagnols fongeaflent à y envoyer. Quoiqu'il en foit,
leur Ponce de Léon y ayant été maflacré avec tous fes gens,
le bruit qui fe repandit de la férocité ôc de la barbarie des
habitans du payis , ôta tellement Tenvie d'y retourner , que per^
fonne n'ofa s'y hazarder jufqu'en 1J34, que Ferdinand Sotoj
le plus cruel, ôc en même-tems le plus avare de tous les hom-
mes, y fut envoyé avec quelques vaifleaux, fur lefquels ilavoit
^ embarqué cinq cens hommes , dont la plupart étoient de vieux
foldats. Il tourmenta ôc accabla durant cinq années ces mal-
heureux Sauvages , en les contraignant de travailler à des mi-
nes , dont il efperoit tirer des richelTes immenfes. Mais au dé-
fefpoir de voir que le fuccès ne répondoit pas à fes efperan-
ces, il tomba malade de chagrin, ôc mourut au milieu des
plus cruelles douleurs. On y envoya depuis ( c'eft- à-dire en
l'année 15" 44 ) Julien Summanoôc Pierre Ahumada, que le
fort malheureux de Soto n'avoit point découragez 5 mais leur
entreprife fut fans fuccès. Charle V. voyant qu'on ne pouvoit
réuflir en ce payis-là par la force , voulut y employer les moyens
de la Religion , ôc y envoya des Religieux pour prêcher la foi:
ils ne furent pas plus heureux que ceux qui les avoient précé-
dez. Ces mirtionnaires étoient Louis Cancello Dominicain,
6c quatre autres du même Ordre. Cancello effaya de gagner
ces peuples par des difcours infinuans ôc pleins de douceur;
mais comme il ne pouvoit fe faire entendre de ces Barbares,
6c que fon difcours éloquent étoit pour eux vuide de fens, ils
fe jetterent fur lui ôc fur deux de fes compagnons, ôc les mirent
en pièces à la vue des autres.
La partie la plus avancée de la Floride reflemble fort à une
manche , dont le bout s'avance affez loin dans la mer. Sa lon-
gueur ell d'environ quarante lieues , ôc fa largeur de vingt.
iUC.
DE J. A. DE T H O U , L i v. XLIV. 487
L'extrémité du cap eft fous le vingt-cinquième degré de lati-
tude feptentrionale, ôc il s'étend enfuite infenfiblement vers le Charle
couchant d'été. Aux environs de cette pointe -ce ne font que j x
àGS baiïes 6c des bancs fout dangereux , au milieu defquels font i r ^ s
ce qu'on appelle les rochers des Martyrs, ôc un peu plus loin
les illes des Tortues.
Les François ont aulTi abordé à la Floride. L'amiral de Coli- Voyage des
gny, également zélé ôc pour la gloire de fa patrie & pour la tioiiv ^^ ^
propagation de fa Religion, voyant Villegagnon de retour,
& fâché qu'il ne lui eût pas tenu la parole fecrette qu'il lui
a> oit donnée,fit un nouvel armement pour ce payis-!à,& en don-
na le commandement à Jean Ribaud de Dieppe , homme très-
habile dans la m?rine , fort brave, & ce qui étoit pour Cohgny le
point capital j Proteflant zélé. Cette petite flotte étoit très-bien-
iburnie de tout ce qui étoit néceffaire pour ce voyage : elle étoit
montée de beaucoup de Nobleffe choifie, ôc d'un affez bon-
nombre de vieux foldats. Ribaud , muni d'une commiiïion du
Roi , mit à la voile au mois de h evrier i y (52 , & ayant pris une
route différente de celle que tiennenr les Efpagnols, au bout
de deux mois il aborda aux côtes de l'Amérique , dans un lieu
couvert de hautes forêts, ôc où il n'y avoir aucun port. C'étoic
un cap fitué à trente degrez en deçà de la Ligne: il le nom-
ma le Cap François, afin que ce fût un monument de fa na-
vigation. Delà rafant la côte , ôc tirant au Nord, il entra dans
un beau fleuve, qu'il nomma le fleuve Dauphin, parce qu'il
y vit quantité de dauphins. S'étant enfuite embarqué ftir fes
chaloupes, il remonta la rivière de Mai, à laquelle il donna
ce nom , à caufe du mois où il y étoit entré. Il parut fur la côte
un petit prince avec lequel il s'aboucha. Après avoir examiné
cet endroit^ôc avoir admiré des forêts de meuriersnoirs.ôc blancs
fur lefquels on voyoit une multitude de vers à foye, quinaif*
foicnt fur ces arbres , ôc y faifoient leurs foyes, il s'avança le
long de la côte, & ayant trouvé une rivière à quatorze lieues
de celle de Mai , il la nomma la Seine : à deux lieues de là il
en trouva une autre , qu'il nomma la Loire , ôC tout de fuite cinq
autres, qu'il nomma la Charante, la Garonne, la Gironde,
la Belle ôc la Grande. En cet endroit nos François ayant plié
leurs voiles, jctterent l'ancre à dix brafles d'eau, & étant en-
trez dans le détroit de fainte Hélène , ils remarquèrent que fo2i>
^85 HISTOIRE
- embouchure, large de trois lieues de France/aifoit une fourche,
Charle ^^ rentrant dans les terres , ôc qu'un des bras tournoit vers le
IX Nord,& l'autre vers le couchant. Ils appellerent cet endroit
ï ç 5 8 ^^ ^^P ^^ Loup , parce qu'ils y vivent une troupe d'Indiens qui
faifoient rôtir un petit loup cervier. Lorfqu'ils furent avancez
dans cette embouchure, ils arborèrent, dans un lieu agréable
entouré de cèdres 6c de limonniers, les armes de France qu'ils
avoient apporté bien gravées fur une pierre, Ôc ils nommèrent
cet endroit l'ifle des Cèdres. Entre cette embouchure & le
Port-royal, Ribaud , de l'avis de René Laudoniere , ôc d'un
nommé Sale qui entendoit allez bien les fortifications, com-
mença à bâtir un Fort de bois & de terre , de forme triangulai-
re , qu'il nomma la Caroline , du nom de Charle IX. Il y laiiïa
fes canons & fes provifions , avec une partie du monde qu'il
avoit amené. Mais avant de partir, il exhorta cette garnifon à
montrer autant de courage pour défendre ce Fort , qu'elle en
avoit fait paroître en le fuivantdans des payis 11 éloignez. « Sou-
K> venez-vous, leur dit-il, que vous êtes François > foutenez la
"gloire de votre patrie, ôc celle que vous avez déjàacquife.
S' Ne doutez pas que vous ne foyez recompenfez de vos tra-
« vaux , ôc que le Roi ne vous envoyé bien-tôt des fecours
M capables de maintenir cet établiflfement. Je vais lui rendre
» compte de l'heureux fuccès de notre entreprife, ôc je revien->
» drai au plutôt vous joindre. »
Il établit pour commander en fon abfence un nommé Al-
bert, (^'ilexhorta,ainfi que les foldats,à bien faire fon devoir. S'é-
tant enfuite embarqué avec Laudoniere,ôc le refte de fes gens,il
fit voile d'abord vers le Nord. Après avoir cherchéenvain l'em-
bouchure du fieuve appelle Jourdain S il fit route vers l'Orient,
ôc arriva heureufement à Dieppe le 20 de Juillet de la même an-
née.Comme la guerre civile étoit allumée dans toutes les pro-
vinces de France, ilfutimpolTible d'envoyer affez tôt à la Flo-
ride les fecours que Ribaud avoit promis. Cependant les Fran-
çois qu'il y avoit laifTez travaillant jour ôc nuit fans relâche;
mirent leur Fort en étatde défenfcj ôc ayant enfuite fait ami-
tié, d'abord avec un petit Prince de ces cantons nommé Au-
doufta , ôc enfuite avec quatre autres nommez Maion, Hoia^
I Je ne trouve ce nom ni dans les Geographies, ni fur les cartes: il fuut que fa dé-
nomination ait été changée.
Touppa
DEJ. A. DE THOU,Liv. XLIV. 48^
Touppa, Ôc StalamCs ils en reçurent quelques fecours de vi- 1— i^— ^
vres. Ces petits Princes s'étant bien-tôt laflez de les aflifter , r; h a'r l E
ils eurent recours à deux frères > qui étoient les pluspuiflans jv
de tout le payis, 6c dont l'Etat étoit à 25* lieues du Fort : l'un ^ x 6 S.
s'appelloit Ovadé, & l'autre Convexis. Ces Princes leur firent
des prefens de perles , de cryftal , & de pailles d'argent , ôc leur
donnèrent outre cela une aflez grande quantité de mil , de fè-
ves , 6c de farine. Nos François étant revenus à leur Fort très
contens de leur voyage , il arriva un incendie qui confuma
leur principale maifon : mais ce malheur fut bien-tôt reparé
par la libéralité généreufe d'Andoufta , 6c d'un autre petit roi
nommé Maccou.
Sur ces entrefaites y la garnifon n'ayant point à craindre
d'ennemis au dehors , travailla elle-même à fa perte. Les foldats
conjurèrent contre Aubert , 6c le tuèrent, foit à caufe de fa
févérité outrée , foit parce que ce nouveau gouvernement , dans
un payis éloigné , lui avoit infpiré un orgueil infupportable.
Ils mirent à fa place Nicolas Barrois , homme doux, prudent
ôc équitable , qui rétablit en peu de tems la difcipline , ôc fit
rentrer les mutins dans leur devoir : mais comme le fecours
ne venoit point , ôc que les vivres commençoient à manquer,
ils réfolurent unanimement de retourner en France le plutôt
qu'ils pourroient. Ils bâtirent pour cela un vaiffeau j ôc An-
doufta leur ayant fourni les cordages néceflTaires , ils embar-
quèrent leur canon , ôc ce qui leur reftoit de provifions. Enfin
après avoir remercié les Princes voifins des fecours qu'ils leur
avoient donnez , ôc leur avoir promis de revenir^ ils mirent à
îa voile. A peine avoient-ils fait le tiers du voyage, qu'il fur-
vint un calme qui dura vingt jours , fans qu'ils pûfTent faire
avancer le vaiffeau. Leurs vivres étant entièrement confumez,
ils fe virent réduits à une (i grande extrémité , qu'ils n'avoient
d'autre boifTon que de l'eau de mer, ou leur urine? ni d'autre
aliment que leurs fouliers , ôc les autres cuirs qu'ils pouvoient
avoir : lorfque tout cela fut épuifé , la mifere les reduifit à la
chair humaine. Ils avoient fur leur vaiflëau un nommé Lache-
ry , méchant homme , qu'Aubert avoit chaffé pour i^cs crimes,
6c enfermé dans un lieu écarté , où. on lui donnoit fi peu à
manger , qu'il y étoit prefque mort de faim ; comme il étoit ma-
lade ôc languilïant, fes compagnons le tuèrent ôc partagèrent
Tom, V^ Q 4 S
4Po HISTOIRE
fon corps entr'eux. Ils jugèrent qu'il valoit encore mieux
fauver tout l'équipage par la mort d'un mauvais fujet , que de
laifler périr tant d'hommes en épargnant celui-là. Cela les fit
vivre encore quelques jours : mais ils retombèrent bien - tôt
dans les mêmes extrêmitez. Une frégate Angloife qui les ren-
contra , les tira enfin du péril où ils étoient. Les Anglois les trai-
tèrent avec beaucoup d'humanité , leur donnèrent des vivres,
les menèrent en Angleterre , ôc les préfenterent à la reine Eli-
fabeth , qui fongeoit à envoyer une flotte dans le payis d'où
ils ven oient.
Second Dans cet intervalle la paix ayant été faite en France, & la
François à\i nouvcllc du malheur de nos François n'étant pas encore ar-
Flondc rivée, Coligny, qui avoir fait fon accommodement, prefla H
fort le Roi d'envoyer une féconde flotte à la Floride , qu'il
l'obtint î ôc à fa recommandation , on en donna le comman-
dement à Laudoniere, qui avoir accompagné Ribaud dans le
premier voyage. Ce nouveau Commandant n'étoit pas moins
attaché au parti Proteftant que Ribaud : il avoit d'ailleurs de
grandes connoiffances , mais il étoit plus homme de mer que
de guerre. On lui afTigna cent mille francs par an pour payer
les troupes , ôc pour les autres frais du voyage. Il équipa trois
bâtimens au Havre , l'un de fix vingts tonneaux , l'autre de cent
ôc le troifiéme de foixante. Ayant embarqué delTus toute forte
d'ouvriers en grand nombre, il mit à la voile le 22 d'Avril de
l'année i^6^',&c ayant paffé par les Canaries comme Villega-
gnon, ôc enfuite par les Antilles, il aborda le 22 de Juin à
la nouvelle France , vers l'embouchure de la rivière de Mai.
Il fe trouva fur la côte un Prince du payis , nommé Satou-
riona. Laudoniere ayant pris terre en cet endroit , alla trou-
ver ce Prince avec Ottigny fon lieutenant, ôc d'Arlacfon en-
feigne , ôc ils allèrent tous enfemble au lieu où Ton avoit ar-
boré deux ans auparavant les armes de France gravées fur une
pierre. Les Indiens , pour marquer le refpeû infini qu'ils avoient
pour le Roi , ôc leur amitié pour la nation Françoife , avoient
orné le haut de la pierre de couronnes de laurier , Ôc rangé en
bas tout autour des corbeilles pleines de fleurs. Satouriona
avoit un fils nommé Atorée, qui étoit parfaitement beau,ÔC
qui ayant époufé fa mère , comme il efl permis parmi eux ,
en avoit eu des enfans très-beaux ôc très-bien faits. Depuis ce
DE J. A. DE THOU , Liv. XLIV. 4pi
mariage fi contraire aux loix de la nature , Satouriona par bien- ■
féance n'avoit plus eu de commerce avec leur mère. Les hom- C h a r l E
mes vivent long-tems dans ces payis-là. Le trifayeul de Satou- j x
riona, qui vivoit encore alors , voyoit fa pofterité jufqu'à la i r 5 8
cinquième génération j il falloit qu'il eût au moins cent-cin-
quante ans.
Nos François ayant long-tems fuivi la côte en tirant vers le
Nord, ôc ne jugeant pas à propos de s'établir au Port-royal >
comme on avoir fait au dernier voyage, defcendirent plus bas
vers l'embouchure de la rivière de Mai. La fituation du lieu
leur ayant paru plus avantageufe que celle de l'ancien Fort ,
ils y en bâtirent un nouveau, qu'ils nommèrent encore La
Caroline. Laudoniere voulant connoître la difpofition des
Princes de cette contrée , ôc fçavoir s'il y avoir des mines
d'or ôc d'argent , ôc fi l'on pouvoit efperer d'en retirer des ri-
chefles ( ce qui étoit le but principal de leur voyage) détacha
Ottigny , avec Thomas le Vaffeur 6c François la Caille, pour
aller à la découverte. Ottigny ayant pénétré jufqu'aux Etats
d'Olata Outina , qui avoit neuf Rois pour tributaires , lui pro-
mit du fecours contre Satouriona fon ennemi mortel , 6c
dans fon retour il en promit à Satouriona contre lui. Il revint
enfijite trouver Laudoniere , ôc peu de tems après , c'eft-à-
dire le 28 Juillet ^ les vaifleaux , qui les avoient amenez , mirent
à la voile pour retourner en France.
Sur ces entrefaites , Satouriona étant fur le point de marcher
contre Timogoa , fomma Laudoniere de lui envoyer le fe-
cours qu il lui avoit promis. Celui-ci bien informe que Sa-
touriona ne pouvoit différer fa marche , s'excufa fur ce qu'on
l'avoir averti trop tard , ôc fetira d'affaire en lui promettant du
fecours dans deux mois. Satouriona ayant adoré le Soleil fui-
vant les céiémonies du payis, afin de le rendre favorable à fon
entreprife , marcha contre l'ennemi avec dix Princes fes tri-
buraires : ôc ayant tué un petit nombre d'ennemis > ôc fait quel-
ques prifonniers , il retourna dans fes Etats. Laudoniere vou-
loir bien vivre avec Satouriona ; mais il vouloir en même-
tems erre ami d'Outina, pour avoir la liberté de pénétrer jus-
qu'aux lieux où il s'imaginoit qu'il y avoit dequoi s'enrichir.
Dans cette vue il demanda à Satouriona les prifonniers qu'il
avoit faits fur Outina : l'Lidien les ayant refufez , Laudoniere
Q q q ii
4P3 HISTOIRE
.,,.,.,,..„_.^ le força de Tes lui remettre. Aufli-tôt il les renvoya à Outlna ,
'Zy ôc il y joignit quelques prefens avee le portrait du roi de Fran-
^^ ce. S'étant depuis mis en tête de raccommoder ces deux petits
Rois, il en parla à Satouriona, qui parut allez content des
^^ ' propolltions qu'il lui fit.
1. Pendant que cela fe paflToit , il furvint un orage épouvanta-
ble , qui dura trois jours ; tout le payis des environs fut frap-
pé ôc brûlé par le tonnerre h on ne voyoit que maifons en feu;
l'air étoitenflaméde toutes parts ; l'eau boûilloit dans les rivie^
res j les poiffons y moururent en fi grande quantité i que l'air
en fut infedé , 6c caufa la pefte. Les Indiens s'imaginant qus
c'étoient nos canons qui avoient fait tout ce fracas, nous crai-
gnirent ôc nou5 refpeclerent encore plus qu'ils nefaifoientau-<
paravant : mais les dilTentions domeiliques ruinèrent bien-tôt
cet établifferaent.-
Un certain La Roquette de Perîgord ayant fait accroire à
fes compagnons qu'il fçavoit la magie j les affura qu'en rémon-
tant la rivière , on trouveroit des mines d'or ôc d'argent^ ca-
pables non-feulement de les enrichir tous , mais encore do
produire au Roi des fommes confidérables. Dans cette idée
ils s'attroupent , ôc font demander par le capitaine la Caille
la permifllon d'aller chercher ces mines. Notre général , di-
foient-ils , n'eft qu'un lâche , qui nous fait perdre le tems j dan3
peu de jours nous allons refter fans vivres ôcfans argent. Lau-
doniere étonné de les voir dans ces difpofitions fait ce qu'il
peut pour les appaifer, ôc il leur donne parole qu'il fera en>
forte que les vivres ne manquent point. C'eft ce qui lui a faij
dire dans fa Relation , que fes gens lui avoient fouvent drelfvS
des embûches.
Elles avoient été jufqu'alors fans effet : mais il n'en fut pas
de même, en cette occafion : les mutins ayant à leur tête un
nommé Desfourneaux > homme extrêmement avare , Etienna
le Genevois ' , La Croix , ôc un certain Signori Gafcon , en^
trerent de force dans la maifon de. Laudoniere, qui étoit dans
fon lit mabde, Ôcle lièrent avec Ottigny ôc d'Arlac. La Cailk
trouva moyen de s'échapper dans le tumulte. Ils forcèrent
enfuite Laudoniere à figner un ordre qu'ils avoient drelTé , pas
1 Le Latin dit Genmnjts qui fignifîe Génois; mais ks relation? Françoife?
rappellent le Genevois .
DE J. A, DE T HOU, Liv. XLIV. ^93
lequel , attendu la difette où ils étoient, il leur permettoit d'al- __..„
1er chercher des vivres dans la nouvelle Efpagne. Auffi-rôt 1^
ils équippent à la hâte deux bâtimens i ils donnent le comman- ^-r^
dément de l'un à Michel VafTor , & celui de l'autre à un nom- '
mé ïrenchant , & ils mettent à la voile le huit de Décembre, * ^
Cependant Rocheferriere, qui avoit été envoyé quelque-
tems auparavant vers Outina, étoit arrivé dansfes Etats, Com-
me il trouva ce Prince bien difpofé à notre égard , à caufe
des prifonnierrs que nous lui avions fait rendre :, il donna à
notre envoyé de grands éclairciiîemens fur les Monts d'Apa-
îatey S où il y a quantité de mines d'or ôc d'argent. Au bout
de quelques mois Rocheferriere revint au Fort delà Caroline^
avec des prefens que ce Prince lui avoit faits.
Nos voyageurs rebelles à leurs chefs , fe féparerent dès la for--
tie de l'embouchure de la rivière , ôc ne fe réjoignirent que
plufieurs jours après > ôc avec beaucoup de peine. Ils pafte-
rent au - dslà. de l'ille de Cuba en pillant partout fur leur route i
& ayant rencontré dans cette mer un bâtiment Efpagnol ri^
ehement chargé, ils le prirent. Le gouverneur de la Havane j.
qui eft le port de Flfle de Cuba , étoit deflus avec trois de
fes enfans : pour fe tirer des mains des François , il leur pro-
mit une grolfe rançon , ôc ayant écrit à fa femme de payer la
fomme qu'il avoit promife^ii leur montra la lettre 3 & les pria
de trouver bon qu'un de fes hls en fut le porteur^ afin que la
chofe ne fouffrît point de difficulté. Ils furent allez dépourvus
de jugement pour y confentir. Le fils porta la lettre à fa mère.,
ôc commença par lui dire , fuivant l'ordre fecret que fon
père lui avoit donné > qu'elle fe gardât bien d'exécuter ce
qui étoit dans la lettre 5 qu'au contraire elle fit monter des
gens à cheval, ôc qu'elle envoyât par toute l'ifle ramalTer du
fecours. La femme exécuta les ordres de fon mari avec tant
de diligence , que le lendemain au point du jour nos pirates^
qui étoient tout fiers de leur butin , furent très-furpris de fe voir
entre deux gros vaifleaux bien fournis d'artillerie, ôc d'un autre
grand navire à éperon. Vingt-cinq de leur bande fe jettercnt
au plus vite dans une corvette qui étoit auprès , ôc ayant coupé
le cable de l'ancre :, ils s'ouvrirent en combattant un paflage
au travers des ennemis ; tous les autres furent faits prifonniers,
l' AU' Nord de la Floride, .
Qqqiij;
4P4 HISTOIRE
,« ôc ayant été menez à terre, les uns y fu rent vendus, & les au-
p très furent menez en Efpagne ôc en Portugal.
lY Voilà le premier a£le d'hoftilité qui fut fait témérairement
de notre part contre les Efpagnols , qui fçurent s'en venger
* promptement : mais Laudoniere le fit aulTi de Ton côté : car
Desfourneaux ôc Etienne le Genevois , qui étoient du nombre
des vmgt-cinq qui s'étoient fauvez , n'ayant pas voulu croire le
capitaine Trenchant , qui éroit d'avis de retourner au Fort ,
parce qu'ils n'a voient point de vivres, furent bien tôt forcez à
rentrer dans la rivière , malgré la crainte qu'ils avoient que Lau-
doniere ne fe vengeât de l'nifulte qu'ils lui avoient faite. Ils
comptoient qu'ils pourroient tirer quelques vivres des Indiens
de leur connoiflance, ôc fe remettre enfuite en mer, fans que
ceux du Fort s'en apperçuflent : mais ils furent furpris ôc arrê-
tez par la Caille , que Laudoniere envoya avec vingt-cinq
arquebufiers vers l'embouchure , fur l'avis qu'il reçut des In-
diens , que les mutins étoient rentrez dans la rivière. Les Chefs
furent pafTez par les armes , à la prière des foldats,qui deman-
dèrent qu'on leur épargnât l'infamie du gibet. On fit grâce aux
autres.
Cependant la difette augmentoit de jour en jourdans le Fort,
ôc les Indiens qui en étoient inftruits par le bruit commun , n'y
portoient des vivres qu'en petite quantité. Dans cet état, comme
les fecours qu'on attendoit de France ne venoient point , on
réfolut unanimement de fe préparer au retour. On commen-
ça donc à conftruire des vaifTeaux, qui ne purent erre achevez
qu'au mois d'Août , ôc l'on n'étoit encore qu'au commence-
ment de Mai de l'année 1 7^5'. Dans cet intervale on travailla
à recueillir des vivres. Mais comme on en trouvoit peu ôc
qu'ils coûtoient fort cher, nos François preiïez par la néceflité
engagèrent Laudoniere à former une entreprife fur la perfonne
d'Outina, avec qui il avoir lié une amitié particulière, ôc dont
il avoir tiré de grands avantages. Laudoniere y confenrit, &fe
faifit en effet de la perfonne de ce Prince î mais les Indiens
ne lui donnèrent pas plus de vivres pour cela : ils comptèrent
pour mort le Prince qui étoit prifonnier , ôc fongerent à fe
choifir un nouveau Roi. Ainfi cette entreprife ne fervit qu'à
rendre les François plus odieux dans le payis.
Dans cette extrémité, il arriva quatre bâtimens Anglois ,
DE J. A. DE THO U, Liv. XLIV. 49;
commandez par Jean Hawkins j il fécourut nos François avec _
une bonré & une libéralité qui furpafla leur efperance: car il Cvi ^R
poufTa l'humanité jufqu'à leur vendre à un prix fort raifonna- t y
ble un de {es vaifleaux , celui que nos gens avoient conftruit , ^ ô
ne paroifTant pas en état de pouvoir furement reporter les trou-
pes en France. Tout étoit prêt pour le départ j on avoit dit
adieu aux princes Indiens , aufquels on promettoit de revenir
bien-tôt , Ôc l'on alloit mettre à la voile , lorfqu'on apperçut
fept navires à l'embouchure de la rivière. C'étoitla flotte de
JeanRibaud envoyée à leur fecours: elle étoit partie de Dieppe
dès le mois de May j mais ayant étérejettée à l'Ifle de Wigt^
qui appartient à l'Angleterre, ils ne purent arrivera laFlori-
ride que le 14- d'Août. Ribaud fut reçu le 30 parLaudoniere
avec de grandes démonftrations de joye , mais peu finceres :
car au fond il étoit très -fâché qu'on lui eût envoyé un fuc-
ceiTeur.
Sept jours après leur arrivée, huit bâtimens Efpagnols ayant
paru à l'entrée de la rivière , obligèrent les nôtres , qui étoient à
l'anchre, de couper leurs cables, ôc de prendre le large. La
flotte Efpagnole les fuivit quelque-tems > mais n'ayant pu les
joindre , elle entra dans le fleuve que nous avons nommé
Dauphin , dont l'embouchure efl: éloignée de huit lieues de
celle de la rivière de May. Ils y mirent leurs troupes à terre
avec du canon , & commencèrent à s'y retrancher , employant
à ce travail un grand nombre de Nègres qu'ils avoient amenez.
Ribaud en ayant été informé par le capitaine Coufette, ôc
ayant fait affembler le confeil chez Laudoniere,qui étoit au
lit malade de la fièvre , il demanda l'avis de tous les capitai-
nes. La Grange, Ottigny, Sainte-Marie, Vefty ôc Jonville^
qui étoient les principaux, furent tous de l'avis de Laudoniere
qui parla le premier, ôc convinrent : Qu'il falloit fortifier le
plus promptement que l'on pourroit leFort de laCaroline; Qu'on
ne devoir pas rifquer la flotte à la mer dans une faifon où il
regnoit fur cette côte des vents impétueux , ôc d'afllreux tour-
billons j que l'on fçavoit bien quand on partoit, mais que l'on
nefçavoitpas quand on reviendroit , ôc que dans l'intervalle le
Fortferoit en danger , ayant l'ennemi fiprès. Ribaud au con-
traire vouloir qu'on marchât droit à l'ennemi , avant qu'il pût
raffembler fes forces , ôc avoir le tems de conllruire un Fort
49^ HISTOIRE
„,,.— ,^.«„.— aux environs : Que dans la guerre les premiers fuccès font dé-
C HARLE ^^^^^^ • Q*^^ ^^^ -^^^^ Indiens , qui en haine des Efpagnols ,
j^ avoient jufqu'alors favorifé rétabliflement des François ^ al-
I ç 6 8 Soient les abandonner , s'ils voyoient qu'à l'arrivée des Efpa-
gnols ils allaifent fe cacher ôc fe renfermer dans leur Fort.
Pour appuyer fon avis , il leur montra une lettre de l'Amiral
qui s'expliquoit ainfi. =^ En fermant ma lettre j'apprends que
" Pierre de Melandez eft parti pour la nouvelle France. Son-
3' gez à empêcher que les Efpagnols ne puiffent rien entré-
es prendre contre nous , comme il eft jufte que nous n'entre-
3vp renions rien contr'eux. =j
Après la le£lure de cette lettre ^ fans avoir égard au premier
avis y il fait embarquer fon monde , & ayant pris entre \qs gens
de Laudoniere, Ottigny , Ôc d'Arlac fon enfeigne, il monte
dir fon vaiiTeau le 8 Septembre. Il demeura deux jours en ra-
de , pour attendre la Grange , qui n'approuvoit pas ce deiTein.
Dès qu'il fut arrivé, il mit à la voile ; mais ayant été battu dès
Is jour même d'une horrible tempête , qui dura jufqu'au pre-
mier d'0£lobre, il fut obligé d'amener fes voiles : tous les
vaifTeaux furent jettez fur les rochers , ôc brifez à plus de yo
lieues du Fort. Mais tout le monde fe fauva , excepté la
Grange un des Çentilshommes de Coligny , qui s'étant mis
fur un morceau du mats de fon vaiiTeau, fut englouti par les va-
gues. Les bâtimens Efpagnols ne fouffrirent pas moins que
les nôtres de cette tempête : le vaiffeau la Trinité , que mon-
toit le commandant , ayant été feparé du refte de la flote , fut
pourfuivi par Ribaud ôc périt le premiei dans ces rochers.
Pendant ce tems-là , les Efpagnols qui étoient defcendus à
terre eurent le tems de s'avancer jufqu'à notre Fort, ôc d'ac-
cabler la garnifon qui étoit foible ôc découragée par la perte
de notre flotte : car il n'y avoir que deux cens quarante hom-
mes , ôc tout ce qu'il y avoit de plus brave avoir fuivi Ribaud :
d'ailleurs Laudoniere, quicroyoit être en fureté du côté delà
terre , n'étoit point fur fes gardes. Les Efpagnols , guidez par
un des nôtres , qu'ils avoient gagné en lui donnant de l'ar-
gent, Ôc commandez par Pierre de Melandez ,pafrerent avec
une diligence incroyable les étangs, les bois ôc les rivières qui
•étoient entr'eux ôc nous , ôc parurent le 20 de Septembre à
rla vûë de notre Fort un peu avant le Soleil levé, le ciel étant
fort
DE J. A. DE THOU3 Liv. XLIV. 4^7
fort couvert. La garde étoit déjà levée , & la Vigne, qui con- ■
niandoit , avoit permis aux foldats fatiguez du travail de la nuit C H a r L E
d'aller fe repofer j mais ayant apperc^û les Efpagnols qui def- JX.
cendoient un coteau , enfeignes déployées, il donna l'allarme: 1 c 5 8.
les nôtres qui étoient encore dans leurs lits , fi fatiguez qu'ils
ne pouvoient prefque fe remuer , furent accablez de tous co-
tez. L'ennemi , après un combat de peu de durée , fe rendit
maître du Fort, &. planta fes drapeaux fur le rempart. Le carna-
ge fut affreux : foldats, femmes, enfans , vieillards, malades,
tout fut palfé au fil de l'épée.
Ceux qui purent échaper à la première fureur des Efpagnols,
ne perdirent point courage ; Laudoniere , à qui fa maladie
avoit laiflé beaucoup de foibleiïe , fe retjra avec quelques autres
en petit nombre par des marais , qui étoient derrière le Fort , ôc
gagna les vaifleaux de Ribaud, qui étoient au bord du Fleu-
ve. Il y eut de nos gens , qui à l'arrivée des Efpagnols fau-
tèrent en bas du rempart, & d'autres qui fe fauverent dans les
bois, Ôc fur une hauteur, d'où l'on voyoit ce carnage , entr'au-
très Nicolas Chalus , ôc Jacque de Morgue , qui en ont fait
une relation. Les gémiflemens , ôc les cris furent le fignal au-
quel le refle de ces malheureux fe rafîembla. On délibéra fur
ce qu'il y avoit à faire 5 les uns étoient d'av:s d implorer la pi-
tié du vainqueur. Car que faire ? il ne pouvoir venir de fe-
cours d'aucun endroit j on ne voyoit rien à efperer : le ciel,
la terre, la mer , les bois, les hommes, tout étoit contre eux :
qui pourroit f<çavoir ce que feroient les Efpagnols , fi l'on fe
remettoit à leur difcretion f Peut-être, difoicnt-ils , qu'ils nous
donneront lavie,ôc s'ils ne nous la donnent pas, une prompte
mort fera la fin de nos miferes. Ne vaut-il pas mieux fe ren-
dre à des hommes que d'être dévorez par des bêtes féroces dans
les bois , ou d'y mourir miferablcment de faim^aprcs avoir langui
long-tems ? Les autres, ôc en particulier Chalus, n'approu-
voient pas cet avis : il vaur mieux, difoit-il , s'abandonner à la
mifericorde de Dieu qu'à celle des hommes. Tout le monde
connoît l'orgueil ôc la cruauté des Efpagnols •■> mais s'ils font
cruels envers tous les hommes, ils le font bien davantage en-
vers ceux qui font profeffion de fuivre le pur Evangile '. Je me
I C'eft-à-dire envers les Proteftans.
Tome V, Rrr
4PÎt HISTOIRE
fierois plus a la pitié des bêtes féroces , qu'à celle de cette tià-
Charle ^^^" barbare.
j ^ Malgré ces raifons il y en eut fix , qui n'ayant pas le cou-
j - ^g^ rage de refifter à tant de maux, allèrent fe rendre aux ennemis,
qui les maflacrerent fur le champ. Leurs compagnons, qui vi-
rent cette inhumanité , jugèrent bien qu'il falloir chercher d'au-
tres moyens de fauver leur vie. Laudoniere demeura caché
toute la nuit dans les joncs 6c les herbes d'un marais, ayant de
l'eau jufqu'au nombril. Le lendemain de grand matin étant fou-
tenus par quelques-uns de fesgens, il fe traîna avec beaucoup
de peine jufqu'aux navires François , qui étoient fur la rivière:
l'attention ôcThumanité extrême de nos matelots fauvatoutce
qui refta du débris de la colonie. Par tout où ils entendoient des
cris j ils y couroient avec des canots ou des chaloupes, ôc les
menoient à leurs vaifTeaux. Quand tout y fut raflemblé , on dé-
libéra fur le retour en France.
Après l'horrible cruauté dont j'ai parlé, les Efpagnols eurent
l'impudence d'envoyer un trompette aux François qui reftoienr,
pour leur perfuader de fe rendre à certaines conditions, qu'ils
promettoient d'obferver ^ comme fi ceux à qui ils faifoient ces
offres, euffent ignoré ce qui venoit d'arriver. Leurs propofi--
tions ayant été rejettées , ils entrent en fureur , ôc ne pouvant
en faire fentir les effets aux vivans,ils l'exercèrent fur les morts.
Leur ayant arraché les yeux , & les portant au bout de leurs
épées,ils les jettoient du côté de la rivière où nos gens étoient,en
leur infultant avec un ris barbare. JeanRibaud, qui avoir écha-
pé à la fureur des flots, ne put échaper à celle des hommes:
comme il ignoroit la prife du Fort, il vouloit qu'on y envoyât
quelqu'un pour demander du fecours ; mais nos François à de-
mi morts de faim, ayant apperçu de loin un corps d'EfpagnoIs
qui marchoient du côté du Fort, ôc fe voyant fans aucune ef-
perance d'être fecourus , détachent quelques-uns d'entre eux
pour aller trouver le Commandant, ôc luioffirir de fe rendre à
condition d'avoir la vie fauve.
Perfidie & Il y avoit une rivière entre eux ôc les ennemis. Valrnont>
Erpaem)ls." ^^^ conduifoit ce corps, reçût les députez avec une bonté ap-
parente : il leur dit que les Efpagnols dans leur vidoire fe fai-
foient une loi inviolable de trai^-er avec humanité les ennemis
qui mettoient bas les armes , Ôc fur-tout les François : Qu'il
DE J. A, DE THOU, Liv. XLIV. ^99
Fulvroit fur ce point la maxime de fon payis , & qu'il fe don- .
neroit bien de garde de rien faire contre eux, qui pût exciter p
entre les deux nations des haines cruelles , ôc attirer des ca- t y
iamitez publiques: Qu'ils pouvoient donc venir fans rien crain- '
dre. En même tems il fait mettre du monde dans une barque '
pour les aller prendre. Ribaud y entre le premier,fuivi de trente
de fes gens. Quand il fut de l'autre côté de la rivière, Valmont
les reçut d'abord avec beaucoup d'honnêtetés ce qui trompa les
autres. Mais un moment après on fépara fes gens , ôc on les atta-
cha deux à deux, les mains liées derrière le dos. Ribaud ôc Otti-
gny commencerenr à augurer quelque chofe de funefte, & fom-
merent Valmont de tenir fa promefle : il continua à diflTimuler,
leur renouvella la parole qu'il leur avoir donnécôc jura qu'il n'a-
voit fait attacher ainfi les François , que pour pouvoir les con-
duire fùrement au Fort. Mais dans la vérité il n'agiflbit ainfi,
que parce qu'il n'avoit pas encore fait le choix de ceux qu'il
vouloit garder, qui étoient les artifans, les canoniers, les ma-
telots, ôc les pilotes. Lorfqu'il fut près de fon Fort , il deman-
da, qui étoient ceux d'entre eux qui pourroient remplir ces
fondions : il s'en trouva trente , qu'il mit à l'écart. Ayant
alors joint une compagnie , qui de concert avec lui étoit for-
tie du Fort , ôc venoit à fa rencontre , il fit figne d'exécuter
l'ordre qu'il leur avoit donné. Aufii-tôt cette troupe fe jettant
fur nos François, qui étoient fans armes , ôc qui marchoient à
quelque diftance des foldats de Valmont, les pafTe tous cruel-
lement au fil de l'épée. En vain Ribaud ôc Ottigny prirent
Dieu à témoin , ôc réclamèrent la foi qu'on leur avoit donnée :
Valmont leur tourna le dos, fans les écouter, ôc àl'inftantils
furent poignardez par fes foldats. Il périt environ fix cens Fran-
çois dans cette occafion. Melandés fit élever un grand bûcher,
ôc brûler les corps de ces malheureux. Après quoi il fit rafec
Ribaud, mit fa barbe dans une lettre cachetée, ôc par une
vanité ridicule , il l'envoya à Seville , comme un grand tro-
phée. Ayant enfuite fait couper fon corps en quatre, il fit pla-
cer les quartiers dans l'endroit le plus élevé de fon Fort , pour
être un monument de cette belle action.
Les nôtres apprirent cet horrible maflacre , par un matelot
qui échapa de cette boucherie , comme par miracle ; car trois
de fes camarades étant tombez fur lui pendant ce mafiacre, il fe
Rrr i;
;oo HISTOIRE
trouva tout baigné de fang ôc pafla pour mort. La peur l'ayant
Char LE ^'^^^^^^^^ ^^ nuit, il reprit peu à peu fes efprits, ôc s'étant en-
Ty fuite fouvenu qu'il avoir un couteau dans une gaine de bois,
1 c 6 S ^^ ^^ remua du mieux qu'il put, ôc étant venu à bout de tirer
* fon couteau, il coupa les cordes dont il étoit lié, ôc s'enfuit. H
demeura long-tems caché chez les Indiens , ôc retomba une fé-
conde fois entre les mains des Efpagnols ; mais leur fureuc
étant ra(enrie,ils le garderent,avec un nommé Pompier, qui avoit
été pris à la Havane , ôc ils le deftinerent à fervir comme ef-
clave fur leurs vaiffeaux. Celui fur lequelil étoit, ayant été pris
dans la fuite parles François , il recouvra fa hberté ôc raconta
à de Morgue tout ce qu'il avoit vu.
Cependant ceux qui s'étoient fauvez du Fort , fous la con-
duite de Jacque Ribaud ôc de Laudoniere, quittèrent ce fu-
nefte payis le 25* de Septembre, ôc après un mois de naviga-
tion ils arrivèrent à la vue des Açores. Etant heureufement
entrez le 10 de Décembre dans le canal de faint George, ils
furent portez en Angleterre , ôc abordèrent au port de Soua-
vezes. Laudoniere y ayant reçu quelque argent d'un marchand
de faint Malo , s'en alla par terre à Briftol , ôc de là à Londres,
- où Paul de Foix , homme d'un très-grand mérite , étoit alors
ambafladeur du Roi. Laudoniere ayant encore emprunté de
lui de l'argent , paffa à Calais , ôc arriva enfin à Paris. Il y ap-
prit que le Roi étoit à Moulins, où il tenoit les Etats 5 il s'y
rendit, ôc ayant fait le récit de tout ce qui étoit arrivé, il ne
fut pas trop bien reçu.
Ceux qui ont examiné avec le plus d'exa£litude la conduite
de Ribaud , l'ont blâmé de ce qu'étant arrivé à la Floride le 14.
du mois d'Août , il avoit perdu plus de quinze jours à parcourir
la côte : il devoit , félon eux , employer ce tems à débarquer fon
canon , à fe fortifier dans quelque endroit , ôc à renvoyer Lau-
doniere en France : par ce moyen il n'auroit point été obli-
gé de marcher contre l'ennemi. L'ayant d'ailleurs fait trop tard,
6c contre l'avis des officiers, il avoit hâté fa ruine ôc celle des
François qui étoient avec lui. Il feroit néanmoins bien plus
jufte , ce me femble , d'en rejetter la faute fur ces hommes per-
fides, qui tenant les premières places dans le Confeil du Roi,
avoient foin d inftruire les Efpagnols de ce qui fe pafibit chez
nous. Car peut-on douter que Melandez n'eut fçu le deffein
DE J. A. DE THOU, Liv.XLÎV. ;ci
deRlbaud, ôcle tems précis de fon voyage, lorfqu'on le voit «
marcher en quelque forte fur fes pas , ôc arriver à la Floride Char le
prefque aulîi-tôt ? j -^
A cette perte que la cruauté Efpagnole nous caufaja Fortune i r 5 s
en ajouta une féconde, par la mort de Pierre de Montluc ,
d'abord appelle Bertrand , fils du fameux Biaife de Montluc. Bertrand'^ae"
Il avoit eu du commandement dans lapremiere guerre civile, ôc Momiuc.
il y avoit acquis de la réputation. Ennuie du repos il fit le pro-
jet d'une grande entreprife, avec Fabien fon cadet, Pompa-
dour , ôc beaucoup de Noblefle choifie , peu de tems après l'en-
trevûë que la Reine Catherine de Medicis eut à Bayonne avec
Elizabeth fa fille. Il partit de Bordeaux , avec trois grands
vaiffeaux bien fournis de matelots, de rameurs, & de provi-
fions de guerre ; il avoit outre cela douze cens foldars , ôc il
fe flatoit de faire un coup d'éclat. Son deffein étoit d'aller en
Guinée, de vifiter les royaumes de Manicongo, de Mofambi-
que, de Quiloo ôc deMelinde; d'y faire alliance avec quel-
qu'un des Princes du payis , ôc d'obtenir enfuite de lui par pro-
mefles ou par force la permiiïion de bâtir une fortereffe fur fes
terres, dans quelque endroit avantageux ; afin que les marchands
François pufient y venir en fiireté fous la prote£tion du Roi,
Ôc faire le commerce de l'Afrique ôc de l'Afie , fans pafler ,
comme auparavant, par les mains des Portugais. Dans ce def-
fein il avoit amené quelque bannis de Portugal , qui connoif-
foient les lieux ôc les tems où l'on peut commercer 5 ôc il avoit
promis avec ferment à fon père , qu'il feroit enforte que tous
les avantages que les Efpagnols ôc les Portugais tiroient du com-
merce, tourneroient à la gloire de la nation Françoife, ôc au
profit du Roi : qu'au refte il ne feroit jamais le premier agref-
feur à regard de qui que ce fat; mais que fi on l'attaquoit,.
on ne le feroit pas impunément, ôc qu'il fçauroit bien fe dé-
fendre.
Il partit dans cette réfolution , ôc ayant long-tems lutté con-
tre une tempête , il arriva enfin aux Canaries, ôc s'approcha
de Madère. Cette ifle, qui eil la première des Canaries, la
plus agréable ôc la mieux fournie de toutes les commoditez de"
la vie , eft de figure triangulaire, Ôc à environ vingt-deux lieues-
de tour. Montluc ayant envoyé à terre quelques-uns de fe&
gens pour faire de l'eau, on tira le canon, ôc les infulaires;
Rrr iii
J02 HISTOIRE
„«„«..„,«. étant en même tems fortis en armes , fe mirent à pourfuivre
InTTTZTZ nos gens. Montluc qui ne s'atrendoit point àceshcftilitez, dans
Charle & V 1 1 ^ T» • ' ^1 • ,1 r
jy un tems ou les deux Kois etoient en bonne nitelligence, rut
- ^'o vivement picqué de leur procédé. Il débarqua fes troupes , Ôc
ayant reconnu le terram, il chercha a amuler 1 ennemi par un
combat léger. En même tems il ordonna à fon frère de mar-
cher par derrière , de prendre un chemin plus long, ôc de s'a-
vancer le plus promptemcnt qu'il pourroit vers la ville : les
ennemis fe trouvant entre les deux frères , fans pouvoir être fe-
courus par ceux de la ville , furent taillez en pièces j & il n'en
échapa aucun.
AuflTi-tôt Montluc marche droit à la place , fait avancer fon
canon , 6c l'attaque : les habitans confternez par la perte qu'ils
venoient d'elfuyer , firent peu de réfiftance : la place fut empor-
tée ôc pillée. Il ne reftoit que la grande Eglife, où quelques
foldats s'étoient retranchez. Montluc la fait attaquer : mais il
reçut en ce moment une grande blefTure à la cuiflfe , dont il
mourut peu de jours après, extrêmement regretté de fes troupes.
Sa mort rendit inutile fon entreprife , dont il y avoit lieu d'efpe-
rer un grand fuccès. Il fut enterré honorablement dans l'E-
glife des Cordeliers de cette ifle. Le Roi de Portugal ayant fait
faire des plaintes à ce fujet , parles Ambafladeursqu'il avoit
à la Cour de France, l'affaire fut agitée dans le Confeil.
L'Amiral entreprit de juftifier cette expédition : il montra
clairement que nos gens ne pouvoient être blâmez , d'avoir ven-
gé avec tant de courage toutes les injures , que Villegagnon,
envoyé du Roi, avoit reçues autrefois des Portugais, dans une
expédition dont il s'étoit chargé j en un mot il plaida avec
tant de force la caufe des compagnons de Montluc , que la
crainte avoit obligez de fe difperfer ôc de fe cacher, qu'ils fu-
rent tous abfous des accufations , que l'on avoit intentées con-
tre eux. Cependant ce qui étoit arrive dans la Floride ôc à
Madère fit peu d'impreffion fur la Cour partagée alors en
différentes fadions. Elle y fut pour ainfi dire inlcnfible , ou du
moins, à la honte du nom François , elle affedla de le paroî-
tre, foit paraveifion pour la Religion Proteftante, queprofef-
foient prefque tous ceux qui avoicntpafié à la Floride avecRi-
baud ôc Laudoniere, foit en haine de Coligni lui-même , qui
ctoit le principal auteur de cette expédition.
D E J. A. D E T H O U , L ï V. XLIV. 505
Mais pendant que la Cour demeuroit dans l'inadion , un -
particulier ienfible à l'injure qu'il avoit reçue lui-même, ôcà CharlE
celles qui avoient été faites à i'a patrie, entreprit de tirer ven- I^-
gence de l'orgueil , ôc de la cruauté déteftable des Efpagnols. 1^63,
Ce fut Dominique Gourgues, né au Mont de Marfan en Gaf- Voyage &
cogne , homme de tête & demain» Après avoir fervi avec dif- ^^''pedition de
tinction en lolcane, il rut pris par les hlpagnols & mis aux
galères. Ayant depuis été mis en liberté par Mathurin de l'Ef-
cure de Romegas Chevalier de Malte, il conçut une fi gran-
de haine contre les Efpagnols, qu'il fit un ferment folemnel
qu'à la première occaiion il fe vengeroit par quelque coup d'é-
clat de l'outrage qu'ils lui avoient fait. La dernière injure faite
à la nation Françoife ayant encore allumé fa colère , il ne fon-
gea plus qu'à fatisfaire fon reffentiment. Il vendit une partie
defon bien pour faire de l'argent j il emprunta de fes amisî
& des fommes qu'il put ramaffer, il équipa trois petits bàti-
mens , fur lefquels il embarqua deux cens foldats d'élite j ôc
environ quatre-vingt matelots. 11 prit avec lui Cafeneuve qu'il
fit fiDn lieutenant, ôc François de Bordeaux, à qui il donna
le commandement d'un des bâtimens de fa petite flotte.
Tout étant ainfi préparé, il mit à la voile le 21 d'Août, fans
dire à perfonnefon defîein. Il feignit d'aller au Brezil , ou dans
la mer du Nord , où il avoit déjà fait quelques voyages. Après
avoir efluiéau commencement quelques tempêtes affezfacheu-
fes , il arriva enfin au Cap faint Antoine dans l'ifle de Cuba»
Ce fut là qu'il découvrit à fes compagnons fon deffein , qu'il
avoit tenu caché jufqu'alorsi il les conjura de ne le pas abandon-
ner , dans une occafion où il s'agiffoir de la gloire du nom Fran-
çois. Ils le promirent avec ferment. P e ns d'une noble ardeur
ils pafient heureufement le détroit de Bahama , dans une fai-
fon où ce paflage eft fort dangereux 5 & fans attendre la plei-
ne lune, ou pour l'ordinaire il y a moins de péril, ils décou-
vrent les côtes de la Floride , & arrivent enfin à l'embouchure Arrivée de
de la rivière de Mai. Les Efpagnols ne doutant point que ce p^cV^j^j^ ^
ne fût des bâtimens de leur nation , les faluertnr de quelque
coups de canon Gourgues ne voulut pas les defabufer, & leur
rendit le falut. Après quoi feignant d'aller ailleurs ,il s'é'oigna
jufqu'à ce qu'ils l'eufient perdu de vûë , & alla faire fa defcente
à l'embouchure de la Seine j éloignée de quinze lieuëi> de celle
de la rivière de Mai.
^04 HISTOIRE
'^^ Dès qu'il parut ^ les Indiens s'avancèrent en grand nombre
riona.
Char LE armez d'arcs & de flèches. Gourgues éleva Tes en feignes en
IX. figne de paix, & leur fit dire par un trompette, qu'il venoit
1^68, delà part du Roi de France, pour leur offrir l'amitié & la pro-
tection de ce Monarque , contre ceux qui les oppiimoient. Il
y eut une grande joie de part 6c d'autre , ôc l'on s'en donna
réciproquement les témoignages les plus vifs. Les Indiens re-
tourneient chez eux avec emprelfement. Le lendemain Sa-
touriona revint à la côte avec fesenfans, ôc deux Princes fcs
tributaires, dontfun s'appelloit Molona ôc l'autre Almacand.
Toute leur fuite ayant mis les armes bas , les nôtres quiterent
auifi leurs moufquets , ôc allèrent au-devant d'eux avec l'épée
feulement , ayant Gourgues à leur tête. Le Prince Indien le
fit affeoir à coté de lui fur un ilége élevé , fait de lentifque, ôc
Entrevue garni de moufle. Toute leur fuite ayant arraché les ronces qui
avec acou- ^tQJgi-jj. aux environs , s'aflit en cercle autour d'eux. Satouriona,
par le moyen d'un interprète , fit en la prefence de Gour-
gues de grandes plaintes contre les Efpagnols, lui fit le dé-
tail de tous les outrages , que lui, fes femmes ,ôc fes enfans en
avoient reçus, fur- tout depuis le malheur arrivé à nos gens.
Il dit à Gourgues qu'il feroit ravi de fe liguer avec les Fran-
çois, pour venger fes injures ôc les leurs. La propofition ayant
été acceptée, Ôc le traité conclu, Gourgues offrit quelques petits
prefens au Prince Indien , c'étoient des fabres , des couteaux,
des javelots , des bagues, des hallebardes , des fonnetes , ôc au-
tres bagatelles pareilles. Les Princes Indiens lui donnèrent en
revanche une petite chaîne d'argent,avec des peaux de cerf très-
bien préparées , ôc ils le prièrent de leur donnera chacun une
chemife, qui ferviroit pour les parer aux jours de fête, ôc pour les
enfevelir après leur mort. Pierre Dubré, quis'étoit échapé du
maflfacre que les Efpagnols avoient fait de nos gens , étoit de-
puis ce tems là demeuré caché chez Satouriona : on fe fervit
de lui pour reconnoître l'état des ennemis , Ôc on envoya des
gens habiles Ôc expérimentez pour examiner leurt Fort.
Oiotocara parent de Satouriona n'oublioit rien de tout ce
qui pouvoit contribuer au fuccès de l'entreprife. On convint
d'un jour où les Princes Indiens viendroient avec leurs troupes
armées à leur manière. Satouriona donna en otage un de fes
fils, ôc celle de routes iss femmes qu'il aimoit le plusj c'étoit une
jeune
D E J. A, DE THOU,Liv, XLIV. yoy
5eune perfonne de dix-huit ans. Jamais fidélité ne fut plus — — ■
grande , ni fecret mieux gardé. Outre la Caroline que les Ef- r; u ar l E
pagnols avoient reparée après la défaite de Ribaud , ils avoient t y
déplus fur la rivière de Mai, mais plus près de la mer , deux ^ ^ ^'g
autres Forts, où il y avoit cinquante hommes de garnifon, ôc
quelques canons de ceux qu'ils nous avoient pris : les garni-
rons de ces Forts montoient à quatre cens hommes d'élite. Tou-
tes nos troupes, tant Indiens que François, s'étant raffemblées
fur la Somme , les Indiens burent d'une Hqueur qu'ils nomment
Cajfme : ils la compofent du jus de quelques herbes , 6c ils ont
coutume d'en boire , lorfqu'ils vont à quelque entreprife péril-
leufe, perfuadés qu'elle enflame leur courage , ôc qu'elle les met
en état de fouffrir affez long-tems la faim ôc la foif Gourgues
fit mine d'en boire comme eux, après quoi on femiten mar-
che fous la conduite d'Olotocara^ qui tenoit fa hache à la main^
ôc avoit un grand defir d'acquérir de la gloire.
Malgré le rems pluvieux ôc les marécages , on arriva fur les P^î^e des
bords de la rivière de Sanavahia ^. La barque,qui portoit leurs tfpagnôîs.
vivres au travers de ces lieux déferts, n'étant pas encore arrivée,
ils fouffrirent beaucoup de la faim ; mais leur courage furmonta * *"* ^'"''■'^"'' **•
toutes ces incommoditez. Ils palTerent enfuite une autre ri-
vière à gué, après que la marée fe fut retirée, ayant leur four-
niment attaché à leurs cafques : de grandes huitres que le flux
avoit amenées dans la rivière les incommodèrent fort dans ce
paffage. Enfin ils arrivèrent à la vûë du Fort, que les Efpa-
gnols avoient bâti près de l'embouchure du Mai, fur la rive
droite de ce fleuve. Après quelques coups de canon , Oloto-
cara , qui ne fçavoit ce que c'étoit que de garder des rangs,
étant monté le premier fur le rempart , ôc ayant tué un cano-
nier des ennemis d'un coup de pertuifane , ôc Gourgues l'ayant
fuivi avec fes gens , la place fut emportée. Gourgues prend un
bateau fur le champ, pafTe de l'autre côté de la rivière avec
quatre-vingt moufquetaires, attaque l'autre Fort que les enne-
mis y avoient , ôc s'en rend maître fans peine. Ceux de la gar-
nifon ,qui voulurent fe fauver, furent pris par les Indiens , qui
étoient embufquéesdans le bois. Il y eutfix vingts Efpagnols
tuez , ôc l'on en referva trente pour le fupplice.
Aufli-tôt ils préparent des échelles , ôi marchent à la Ca-
roline , qui n*étoit qu'à deux lieues de là , guidez par un colonel
Tome F, ■ Sï£
X
yo^ HISTOIRE
Efpagnol qu'ils avoient fait prifonnier. Gourgues , bien infoi'-^
p mé pau cet officier de la fituation & de la force de la place ,
^^^, de la profondeur du foffé^ & du nombre des foldats dont la
^/ô garnifon étoit compofée , marche toute la nuit, & arrive le ma-
^ ^ ' tin à la vue du Fort. On lui tira pîuiieurs volées de canon , mais
cela ne l'empêcha pas de tout préparer pour l'attaque. Il com-
mença par placer fes Indiens dans les bois des environs , pour
arrêter ceux qui voudroient fe fauver : il réfolut enfuite d'at-
taquerle Fort par l'endroit où le foffé étoit le moins profond.
Le Commandant ayant détaché foixante hommes pour recon-
noitre nos gens , Cafeneuve les coupa i ôc Gourgues les char-
gea, ôc les tailla en pièces, fans qu'il en échapât un feul. Le
Commandant effi:ayé fort du Fort avec ce qui lui reftoit de
monde , ôc veut fe fauver dans les bois > mais les Indiens que
Gourgues y avoir placez, l'arrêtèrent ôc le tuèrent avec tous fes
gens. Quelques uns d'entre eux , qui craignoient la fureur des
Indiens offeniëz , avoient été d'avis de fe remettre plutôt à la
difcretion des François ; mais on ne les écouta point. Ainfi fut:
pris le Fort de laCaroHne: on y trouva cinq grofles coulevri-
nés , quatre petites , dix-huit barils de poudre , ôc toutes fortes
de pro vidons en abondance.
Gourgues ayant ainfi exécuté fonentreprife, Ôcne fongeant
plus qu'à retourner en France , fît embarquer une partie de
fes provillons, échapées au feu qui y prit par l'imprudence de
quelqu'un des nôtres. A l'égard des prifonniers , Gourgues
leur ayant reproché leur perfidie, ôc la cruauté avec laquelle
ils avoient traité les François trois ans auparavant , contre la
foi du traité qu'ils avoient fait avec eux > les fît pendre à des
arbres qui étoient autour de la place, ôc y fit mettre une inf-
cription qui portoiti que ce n'étoit pas comme Efpagnols qu'on
les avoit ainfî traitez, mais comme des traitres, desbrigandsj
ôc des aflafïins. Il en ufade la forte, parce que Melandez ayant
fait maifacrer nos François , avoit fait dreffer une infcription
quiportoir; que ce n'étoit pas comme François, mais comme
Luthériens , qu'il les avoit fait mourir,
Lorfque tout cela fut exécutée Gourgues dit aux Indiens- j
que s'ils vouloient conferver leur liberté, il falloit rafer tous ces
Forts j ce qui fut fait en un jour , tous les Indiens des environs
y étant accourus à l'envi. Il détacha enfuite Cafeneuve , avec
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. J07
fon canon j pourfe rendre par mer àleur flotte ^ qu'ils avoient ■ s
laiflee à l'embouchure de la Seine ^ pour lui il fe mit en che- p u p t p •'
min par terre avec quatre-vingts moufquetaires , pour fe ren- jv^ |
dre au même lieu. /j i l
La vengence , qu'il avoir tirce des Efpagnols , Ôc la Floride ' 1
qu'il venoit de mettre en liberté, lui acquirent beaucoup de '
gloire, & fa marche fut une efpece de triomphe. Les Indiens ]
accouroient de toutes parts fur fon paffage , pour le féliciter fur ]
ce fuccès ,& pour le remercier du grand fervice qu'il leur avoit
rendu. Il fe trouva parmi eux une vieille femme , qui affura ;
qu'elle mourroit déformais fans regret , puifqu'elle avoit vu les
Efpagnols chaffez du payis , ôc les François victorieux. Gour-
gues ayant tout difpofé pour fon retour^ prit congé des Rois i
Indiens, les exhorta à garder fidèlement le traité qu'ils avoient ' i
fait avec le Roi de France , ôc leur fit efperer que dans douze ;
Lunes (c'eft ainfi qu'ils comptent les mois) le Roi leur envoyé- j
roit de nouveaux fecours. La féparation ne fe fit pas fans que '
les Indiens verfa'flent beaucoup de larmes. Gourgues eut beau- j
coup de peine à s'arracher d'entre leurs bras : celui qui lui mar- |
qua le plus de tendreffe ce fiit Olotocara , qui avoit fervi avec i
tant de courage, Ôc de fidélité dans l'attaque des trois Forts.
Gourgues ayant rendu grâces à Dieu de l'heureux fuccès de -» i
fon voyage , partit des côtes de la Floride le 3 de Mai , ôc par |
un bonheur extraordinaire, ayant fait onze cens lieues en dix- Retour de j
fept jours, il arriva en parfaite fanté à la Rochelle, le i 5 de Goiugiics. j
Juin, n'ayant perdu qu'un de fes bâtimens , huit foldats, ôc j
quelques Gentilshommes , qui furent tuez à l'attaque des Forts. ;
Les Efpagnols j qui l'avoient fuivi , tant en allant qu'en rêve- "
nant , parurent encore au Cap de Baye , un peu au-deffus de j
la Rochelle, mais ils arrivèrent trop tard : Gourgues étoit déjà ;
dans le port. Il fut reçu avec de grands honneurs par les Ro-
chelois 3 ôc peu de tems après s'étant rendu à Bordeaux , il mit *i
à l'Hôtel de ville les canons qu'il avoit pris aux Efpagnols , ôc i
s'en alla en pofte joindre Blaife de Montluc gouverneur de \
Guienne , qui l'envoya au Roi. A fon arrivée à Paris , il fut foit 1
étonné de voir,qu'au lieu d'une recompenfe qu'il devoir atren- i
dre, il fe trouvoit dans un grand péril : car le Roi d'Efpagne j
avoit mis fa tête à prix, ôc fon AmbafTadeur s'étoit plaint par j
fon ordre de ce qui venoit d'airiver à la Floride. Gourgues 1
Sffii ;
yo8 HISTOIRE
I ne trouva aucune prote£lion j l'Amiral étant alors éloigné de
Charle ^^ Cour, ôc les Lorrains , dont la Reine avoir befoin , y étant
j y les maîtres. Le Roi traita Gourgues de perturbateur du repos
I ç 5 8 public , ôc lui défendit de paroître devant lui. Il vit bien qu'il
falloit céder , le parti d'Efpagne dominant alors à la Cour ; ainlî
il prit le parti de fe cacher pour quelque tems chez fes amis.
Trêve entre Sur la fin du mois de Mai; les envoyez de l'Empereur, qui,
IfaximïiTèn Commc uous avous dit, étoient depuis un an allez à Conftantino'
& ks Turcs, pic , pour renouveller la trêve avec le Sultan , revinrent à Vien-
ne le 30 d'Avril , avec Ibrahim que le Grand Seigneur envoyoit
en ambaflade pour d'autres affaires. La dernière trêve , dans
laquelle avoir été compris le Vaivodejean, ôcles Vénitiens
avoit été faite à condition que chacun garderoit ce qu'il avoit
pris dans la dernière guerre. L'Empereur y trouva un grand
avantage : car Schwendi avoit étendu fes frontières en deçà
ôc au-delà de laTeyfTe^dela longueur de quarante milles d'Al-
lemagne, ôc il fe trouvoit dans cet efpace quantité de places ôc
déports, ou pris furies ennemis, ou bâtis, ou'du moins com-
mencez par Schwendi. Ce fut aufli ce Général qui donna l'a-
vis d'établir une caiffe militaire en Hongrie 5 ce qui fut depuis
d'un grand fecours pour les affaires pubhques. Ce fut lui qui
diftribua les troupes Allemandes dans les places fort«s , ôc qui
par cette fage prévoyance afiura la frontière de la Hongrie ôc
de la Stirie. On. jugea diverfement des raifons qui avoient en-
gagé Selim à fe porter de fi bonne grâce à faire la paix avec
Maximilien. La principale, à ce qu'on croit ^ fut la révolte de
l'Arabie. Selim qui avoit tourné iès penfées du côté de l'O-
rient, ôc qui avoit équipé pour cela une puifiante flotte , ne
vouloit point laifTer d'ennemis derrière lui.
Peu de tems après, Maximilien fe rendant enfin aux priè-
res de fes peuples, accorda aux Princes d'Allemagne, ôc à la
Nobleffe d'Autriche , la liberté de prêcher la doctrine de la Con-
felTion d'Aufbourg dans leurs places de guerre , dans les villes
ôc dans les bourgades > ce qu'il avoit refufé jufqu'alors : mais
ce fut à condition qu'ils fe conformeroient aux anciennes Egli-
fes de cette ConfeiFion , à l'égard des rites. Cette claufe fut
ajoutée fur les remontrances de Thomas Perrenot de Chan-
tonay ambaiïadeur de Phihppe II , afin d'empêcher que cet
exemple ne fut pernicieux pour la Flandj:e i ce qui fufpendit
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. Jcp
quelque tems , Ôc rendit prefque inutile la grâce de l'Empereur.
Les Turcs coururent cette année fur les côtes d'Italie h mais c h a r l E
ils ne firent qu'y répandre la terreur. Le prince Piombino , j y^
Généial des galères de Florence, voyant Selim embaraffé dans i ^ c 'è
la guerre contre les Arabes , forma le deiTein de furprendre . ,, . ,,
Bone fur la côte de Barbarie: il fe flattoit d'y faire beaucoup talie.'^^^^
d'efclaves, ôc d'en rapporter un grand butin, 6c comptoit d'y
réufTir par le moyen d'un renégat, qui alloitôc venoit del'une
à l'autre côte. Il paiTa d'abord en Sardaigne 3 mais lorfqu'il fut
à la vue de l'Afrique, ôc de la ville même de Bone, il fut
battu durant trois jours d'une tempête qui le contraignit à re-
lâcher d'abord à Cagliari, & enfuiteà Livourne, d'où il étoic
parti. A peine ^qs gens s'étoient-ils refaits des fatigues de la
mer, ôc du mal qu'elle leur avoir caufé, qu'il apprit que Ca-
ragial, fameux Corfaire , étoit forti du port d'Alger avec quel-
ques frégates , ôc qu'il inquietoit toute la côte voilîne. Sur
cet avis étant forti du port de Livourne pour le chercher , il
le joignit près de l'ifle de Corfe. Le combat fut rude ôc opi-
niâtre j mais enfin les Turcs fe retirèrent avec perte d'une de
leurs galères, qui futprife par les Chrétiens, à qui la victoire
coûta cher. François Ruccellai Chevalier de Malte y fut dan-
gereufement bleffé , 6c le Général lui-même y eut la cuifTe per-
cée d'unefleche 5 enforte que quand il rentra dans le port avec
fes vaiffeaux pleins de morts 6c de bleffez , fa flotte reffem-
bloit plutôt à une armée battue, qu'aune armée viêtorieufe.
Mutahar étoit en ce tems là maître de l'Arabie heureu-
fe ; il defcendoit des Princes Mahometans qui avoient régné
en Afie, avant que les Turcs euflent étendu leurs conquêtes
jufques-là. Ce Prince avoir une table frugale i mais dans tout
le refte, &c fur-tout dans fes équipages de chevaux, il étoit
magnifique : il avoit le corps 6c l'efprit fort fains , quoiqu'il fût
dans fa quatre-vingt-quinzième année. Ennuyé de la domi-
jiation Ottomane , il ne faifoit pas toujours tout ce que les Bâ-
chas des environs fouhaitoient. Ils traitèrent cela de révolte?
ôc comme ils ne cherchoient qu'un prétexte pour l'attaquer j
ils perfuaderent à Sehm de lui déclarer la guerre, Muftapha
fut d'abord envoyé contre lui j mais il fit peu de progrès. On
envoya Sinan à fa place? celui-ci après quelques combats affez
légers, tels qu'ils fe donnent entre des Arabes, vint à bout par
Sffiij
5'io HISTOIRE
— «■«u^.j.u,». force ou par furprife, d'obliger Mutahar à donner au Sultatï
Charlb des otages, qui lui rcpondiffent de fa lidelitépour l'avenir. Il
I X. donna Omar fon fils ôc Haidar fon neveu, fils de fon frère.
1 ç 6" 8 Après cela Sinan s'en retourna comme en triomphe à Conf^
tantinople > cet heureux fuccès fervit comme de degré à cet
homme fuperbe ôc ambitieux , pour s'élever dans la fuite à tout
ce qu'il y avoit de plus grand.
Dift-eiend fur Le différend qui croit depuis îong-tems entre les ducs de
îa préféance p^Q-are ' ôcdc Floreuce ^ pour la préiéance^ fe renouvella dans
entre les ducs iv x r) r • ' • i ■ rr
de Ferrare & ce tems la. JLc râpe vouloir s en attirer la connoiliance ; mais
de Florence. |g J,jc de Fctrare n'y voulut point confentir î on eut beau le
citer à Rome , il ne voulut jamais y envoyer de procureur,
prétendant que c'étoit à l'Empereur à juger le procès. Co-
rne de Medicis ne pouvant pas refuler ce juge , ôc d'un au-
tre côté ne voulant pas déplaire au Pape , fit fi bien , que
le S. Père confentir que Maximilien fut le juge de ce différend;
mais à condition qu'il agiroit comme arbitre, & non comme
Empereur j ôc que dans un certain tems limité il prendroit
connoilTance de f affaire, & la termineroit juridiquement. Cô-
me envoya pour cela à la Cour de Vienne Louis Antinori,
qui fut depuis fait évêque de Volterra ^ à fa recommandation.
Maximilien , qui ne vouloir rien relâcher de i^s droits , ôc qui
dans le jugement qu'il devoir rendre entre ces deux Princes,
vouloir tâcher de ne mécontenter ni l'un ni 1 autre,fut vivement
picqué des lettres que le Pape lui écrivit fur cette affaire, par
îefquelles il lui prefcrivoit le tems ôc les conditions de ce ju-
gement, & le privoit, comme Empereur, du droit de connoître
d'une affaire qui leregardoit véritablement , ôc qui ne pouvoit
être légitimemenr portée à un autre tribunal. Comme il étoit
jufte 6c prudent, il tiroir autant quïl pouvoit la chofe en lon-
gueur ; èc s'il étoit obligé de juger , il vouloir que ce fut de
concert avec les parties.
Come , qui vouloit foûtenir les prérogatives anciennes de îa
république de Florence , qu'il avoit encore augmentée des
Etats de Sienne ôc de Pife , ne vouloit rien relâcher de Ces
I Alfonfe II. fils d'Hercule , & de
Renée de France; il avoit époufé d'a-
bord Lucrèce de Medicis , puis Barbe
d'Autriche.
z Côme de Medicis I. du nom dé-
clare' Grand Duc de Tofcane , pat
Pie V.
3 Viîîo de l'Etat de Florence entre
Sienne oc Livourne»
B E J. A. D E T H O U, L I V. XLIV. 5-11
droits , & demandoit que la chofe fat décidée en rigueur. De ,
l'autre côté, la balance avoit penché long-tems pour le duc de p '
Ferrare, par le crédit du duc de Guife ' fon beau-frere , qui avoit j v
gouverné le Royaume fous François II. Alais comme la guerre ^ô
venoit de recommencer contre le prince de Condé, Corne,
à qui la Reine demandoit de grands fecours d'argent , char-
gea Pandolfe Petrucci,fon Miniftre à la Cour de France, de
profiter de cette occafion pour lui faire rendre la juilice qui
lui étoit due. Catherine de Medicis y étoit allez portée d'elle-
même , perfuadée qu'il s'agifToit de l'honneur de fa famille ; ôc
elle faifoit afTez connoître qu'il n'y avoit rien qu'elle ne vou-
lût faire , pour obliger la maifon de Aîedicis : cependant elle
ne croyoit pas qu'il convînt d'adjuger la préféance au duc de
Florence, contre une décifion rendue par la cour de France ,
fous le feu Roi; à la requête du cardinal de Lorraine, dont le cré-
dit étoit alors très-puiffant : elle penfoit qu'il fuffifoit pour le pre-
fent que Côme difputât la préféance à Alfonfe ; que le procès
qu'il lui intentoit là-deffus , tenoit en fufpens le droit que la fen-
tence rendue fous François II. avoit acquis au duc deFerrare ,
& qu'on pourroit enfuite peu à peu l'en dépouiller tout-à-fait;
ce qui arriva en effet : car la nouvelle de la mort de Charle
Infant d'Efpagne étant venue à la Cour , le miniftre de Fer-
rare prit place immédiatement au-delfous de FambafTadeur de
Venife au fervice folennel , qui fut fait pour ce Prince dans
î'Eglife de Notre-Dame de Paris. Mais Petrucci , miniftre de
Côme, étant furvenu , fuivi d'un grand cortège de Floren-
tins, dont la "Cour étoit pleine , ôc d'un grand nombre même
de François , qui en haine des Guifes étoient ravis de morti-
fier le duc de Ferrare , ôc fe fentant d'ailleurs appuyé du cré-
dit de la Reine , quoiqu'elle affe£lât de paroître neutre , il de-
manda d'être placé entre les miniftres de Venife ôc de Ferrare.
Ils alloient en venir aux mains 3 mais le duc d'Anjou qui étoit
là prefent avec le duc d'Alençon , le cardinal de Bourbon .
6c les princes Lorrains , pouflé fecretement par la Reine ,
faifit l'occafion, ôc leur ordonna à tous deux defortir de I'E-
glife pour éviter le fcandale, ôc fans préjudice de leurs droits.
C'efI: ainfi que la poireATion où étoit le duc de Ferrare , fut
1 Ce duc de Guife cft François duc de Guife tue' par Poltroten i j'Cjj. il avoit
è'poufé Anne d'Eft ,fœur d' Alfonfe II.
JI2 HISTOIRE
^, interrompue. Mais quelques années après la Reine fit fi bien j
P^ que le Roi prononça formellement en faveur du ducdeFIo-
't^ rence , qui dans l'intervalle avoit été créé grand Duc de Tof-
^'o cane par Pie V.
^ ' Ce fut vers ce tems-là , que ce Pape qui cherchoit à aug-
Ln Biiiic /« menter les privilèges du Clergé , au préjudice des Souverains,
voulut exempter les Ecclcfiaftiques de toute la Chrétienté des
tributs, des impôts, ôc généralement de toutes les contribu-
tions que les fujets doivent à leurs Souverains. Dans cette
vue il publia la Bulle in Cœna Domim remplie de menaces ter-
ribles contre tous les Princes ôc contre toutes les Républi^
ques , qui obligeroient les Eccléfiaftiques de leurs terres à four-
nir ces contributions deftinées au foûtien de l'Etat , les décla-
rant excommuniez Ôc incapables d'être abfous au tribunal de
la pénitence. Tous les princes d'Italie y furtout le Roi Phi-
lippe , ôc la République de Venife > trouvèrent cette Bulle
très-extraordinaire ôc très-préjudiciable à leurs intérêts. Le
Pape ne laifTa pas d'ordonner qu'elle feroit publiée par-tout,
par les Evêques ou leurs grands Vicaires , ôc par les Curez ;
fans aucun égard pour les Souverains. Philippe indigné de
ce procédé défendit à tous les évêques d'Efpagne ôc d'Itahe >
fous les peines les plus rigourcufes , d'exécuter les ordres du
Pape : il déclara qu'il ne fouffriroit pas qu'on lui pût repro-
cher , d'avoir laiffé diminuer , par une lâche condefcendance;
la dignité de la couronne qu'il tenoit de fes ancêtres , ôc les
fonds du tréfor de fes Etats. Il ajouta qu'il ne portoit point
envie aux permiffions que le Pape accordoit au roi de France,
dont le P^oyaume étoit plein d'hérétiques, de tirer des fub-
fides du Clergé François , tandis que lui , qui avoit fçu preferver
fes Etats de cette peile , fevoyoit dépouillé du pouvoir de le-
ver furies Eccléfiaftiques des payis de fon obéïflance, des droits
qu'ils avoient payés de tout tems. Les Vénitiens ne paroif-
foient pas plus difpofez à fouffrir ce nouveau joug : ils pré-
tendoient qu'on ne pouvoit diminuer le tréfor du Prince fans
ébranler l'Etat , dans le falut duquel celui de tous les corps ,
Ôcdes Religieux mêmes, étoit renfermé: cette affaire fut débat-
tue pendant plufieurs mois avec beaucoup de vivacité départ
^ ôc d'autre. Enfin la guerre pour la religion s'étant allumée en
France ôc dans les Payis-bas, le zèle du Pape fe refroidit ,
fis
DE J. A. DE THO U, Liv. XLIV. ^15
& au lieu de foulager le Clergé, comme il en avoit eu le
deflein , il (ouffrit qu'aux anciennes charges on en ajoutât de Char LE
nouvelles, qui achevèrent de l'accabler. IX.
En France tout tendoit à la guerre , & les deux partis co- i 5" 5 8.
loroient de raifons fpecieufes les préparatifs qu'ils faifoient. Affaires de
Celui de la Reine rappelioit fans cefTe la mémoire encore ré-
cente du foûlevement de Meaux. Ils difoient que les Hugue-
nots n'étoient jamais contens : Qu'après avoir obtenu de la
bonté du Roi un Edit de pacification , pour prix des maux
qu'ils avoient caufez , ils travailloient fans cefTe ou à l'é-
tendre à leur profit , ou à l'afFoiblir au préjudice du Roi :
Qu'ils retenoient toujours les places, qui lui dévoient être ren-
dues par le traité qu'il avoit bien voulu faire avec eux , com-
me Montauban , Sancerre , Ôc la plupart des places fortes , ôc
des villes du Languedoc , du Quercy , du Roûergue ôc du Dau-
phiné, comme Caftre, Cahors , Millaud, Vezelai en Bour-
gogne ôc la Rochelle en Saintonge : Que cette dernière ville
non-feulement refufoit de recevoir Jarnac fon gouverneur ôc
les troupes qu'il y menoit en garnifon , mais qu'elle continuoit
avec une ardeur extrême les fortifications qu'elle avoit com-
mencées pendant les troubles : Qu'elle ne vouloir pas fouffrir
que les officiers du Roi j qu'elle avoit chafTez dans la dernière
guerre , rentraflent dans la ville 5 qu'elle conftruifoit des vaif-
feaux de fon autorité particulière ; qu'elle ne vouloit point
fournir les fommes que le Roi lui avoit demandées : Que tout
cela donnoit à fa Majefté de juftes foupçons , que les Protef-
tans penfoient à renouveller la guerre : Que le Roi d'ailleurs
trouvoit fort mauvais qu'il fortît tant de monde de fon royau-
me fans fa permiffion , pour aller fervir le prince d'Orange
contre le duc d'Albe , Général des troupes de Philippe fon
allié. On leur reprochoit encore l'adion de Coqueville , qui
n'auroit pii , difoit-on , aflembler un fi grand nombre de fol-
dats , s'il n'avoit eu des ordres du prince de Condé: on ajoû-
toit à cela les intelligences fecretes qu'ils avoient avec le prin-
ce d'Orange , ôc avec les princes Proteftans d'Allemagne ,
les traitez qu'ils avoient faits avec eux , ôc les couriersquial-
loient ôc venoient fans cefTe fous prétexte d'ambaffades.
Les Proteflans de leur côté difoient, qu'ils avoient pris les
armes pour la religion ôc pour la liberté de confcience, qu'on
Tome V, T 1 1
S14: HISTOIRE
. leur laifToit en apparence par unEdit, mais qu'on leur ôtoit
Charle ^^ effet i puifqu'en plufieurs endroits on iesempêchoit des'af-
IX. fembler,lur des ordres qui avoient été mendiez par des gens
I T 6 8 ambitieux & ennemis delà tranquillité publique : Qu'on avoit
écrit à Saint - Heran gouverneur d'Auvergne , que la volonté
du Roi étoit que les places fortes , ôc les villes qui apparte-
noient à fa mère, à fes frères ^ & au duc de Monpenfier, ne
fuffent point fujettes à ces affemblées ; en un mot que le but
de la dernière pacification n'étoit pas de rétablir la tranquil-
lité dans le Royaume , mais de defarmer, fous prétexte de paix^
les Religionnaircs qui avoient alors un grand nombre de trou-
pes Françoifes Ôc étrangères , afin de les accabler fans peine :
Que c'étoit pour cela que la Cour continuoit détenir à fa fol-
de les Suiffes , que l'on étoit convenu de renvoyer , & que l'on
avoit gardé quelques cornettes Italiennes : Qu'au lieu de li-
centier les troupes Françoifes , on les avoit diftribuces dans les
places , pour les affembler après la moiffon : Qu'on ne faifoit
point revenir dans les villes ceux qui en avoient été chaflez ,
& qu'on ne leur rendoit point les biens dont on les avoit dé-
pouillez : Qu'ils étoientallarmez des bruits qui couroient , que
le Roi envoyoit des Ambafîadeurs au Pape , pour lui deman-
der la permiflion d'aliéner pour cinquante mille écus d'or de
rente des biens eccléfiaftiques. Car à quelle fin peut- on de-
mander ce fecours , difoient-ils , & comment fe peut-on flater
de l'obtenir, fi cet argent n'eftdeftiné pour les frais de la guerre
contre les Proteftans ? Et pourquoi ces ambaffades envoyées
en Allemagne, fi ce n'eft pour aliéner du prince de Condé, ôc
du parti qu'il fou tient, les ptinces de l'Empire qui font fes amis,
ôc qui lui font unis pour la caufe de la religion ? Que peuvent
penfer les Proteftans de la publication du Concile de Trente ,
que tous les Parlemens du Royaume ont rejettée , mais que
des hommes fa6lieux ôc féditieux follicitent avec tant d'em-
prefifement j fi ce n'eft qu'on veut les faire declarefiiirétiques
par tous les Ordres du Royaume, afin de leur déclarer enfuite
une guerre générale , comme à des ennemis de l'Etat ? C'eft
en effet de cela , ajoûtoient-ils , qu'il a été queftion dans les
conférences qui fe font tenues en Lorraine , à Bayonne, ôc
fur la frontière de Picardie. Pour répandre la terreur , ils fai-
foienr valoir l'exemple de i'Inquifition d'Efpagne établie
DE J. A. DE THOU, Liv. XLÎV. ;ij
dans les Payis - bas , ôc les bruits qui couroient , que la rei- _
ne d'Ecofle avoit cédé au roi Philippe le droit quelle avoit C harle
fur l'Angleterre : Qu'il fe faifoit des affociations dans les vil- jv
les entre la bourgeoifie , par une autorité privée, & fous pré- 1^53
texte de religion , mais en effet pour fe liguer contr'eux. Ils
ajoûtoient qu'ils fçavoient bien que le cardinal de Lorraine
avoit confeillé au Roi de fe faifir de tous les Grands & du
prince de Condé même , à quelque prix que ce fût , ôc de
décider enfuite de leur fort , de la manière qu'il jugeroit à pro-
pos : Que ce projet lui avoit été fuggeré par le duc d'Albe,
de qui l'on citoit une maxime Efpagnole , dont nous avons
déjà parlé : Ot^e la tête d'un Saumon vaut mtCMX que celle de cin~
quame Grenouilles : Qu'en conféquence de ce confeil,Goas
avoit été envoyé en Bourgogne avec fon régiment , quatre
compagnies du régiment de BrifTac , ôc quatorze cornettes de
cuiraffiers, pour prendre ce Prince ôc l'Amiral : Qu'à l'égard
de ce qu'on difoit de Coqueville ôc du prince d'Orange , rien
n*étoit plus propre à montrer la malice de leurs ennemis, qui
n'ayant aucun crime véritable à leur reprocher, imputoientà
des innocens le crime des autres.
Telles étoient à peu près les raifons de part ôc d'autre. Com-
me les Rochelois perfiftoient à refufer abfolument de recevoir
Jarnac , on y envoya le maréchal de la Vieuville y avec un
plein pouvoir de régler les affaires de la ville, de rétablir les
officiers du Roi dans leurs biens ôc dans leurs emplois, de con-
fier la garde de la tour, où l'on attache la chaîne qui ferme le
port , à celui que fa Majefté avoit nommé pour cet emploi ,
ôc d'y mettre une garnifon capable de maintenir l'autorité du
Roi.
En attendant que la Vieuville fût en état de partir, on en-
voya des gens pour fonder les Rochelois. Pour lui il s'arrêta
à fa belle maifon de Duretalen Anjou ' , d'où il s'avança juf-
qu'à Poitiers. Les Rochelois s'excuferent de le recevoir, al-
léguant leurs privilèges (caria bonté de nos rois leur en a
accordé de très-grands ) Ôc demandèrent inftamment qu'on
ne les forçât point à recevoir les conditions qu'on leur pro-
pofoit de la part du Roi. Tandis qu'on négocioit, ôc que les
I Entre la Flèche 6c Angers.
T 1 1 ij
yi5 HISTOIRE
courriers alloient & venoient , il s'ccoula tant de tems , qu'on
p, reprit les armes.
,^ Cependant il arriva de tous cotez des plaintes au fujet des
violences commifes , ôc des entreprifes qu'on avoir faites au
Pla^nrcsd "^^P^^^ ^^ l'Edit. On fe plaignoit que l'on avoit empêché le
Proteftans. prince de Condé d'aller à fon gouvernement de Picardie, ÔC
que Scnarpont fon Lieutenant avoit été dépouillé de fon em-
ploi j à caufe de fa religion : Qu'à Lyon , au lieu de donner
aux Proteftans, fuivant l'Edit, un lieu hors des murspours'af-
fembler , parce qu'il ne leur étoit pas permis de le faire dans
la ville , on avoit tant formé de difficultez & de chicanes fur
l'endroit qu'on leur donneroit , qu'enfin on leur avoit entiè-
rement ôté le moyen de s'aflembler : Qu'à Paris les Prédica-
teurs fe déchaînoient avec tant de rage contr'eux , qu'il pa-
roiflbit qu'il s'agiflfoit bien moins de rejetter leur dodrine , que
de les livrer au premier jour à la fureur du peuple : Qu'on de-
voit remarquer furtout les principes de certains Théologiens
nouveaux , qui fe donnoient le nom de J efuites : Sçavoir, qu'on
ne doit point faire de paix avec les hérétiques ; qu'on ne peut
avoir d'union avec eux, qu'on n'eft point obligé de leur gar-
der la foi qu'on leur a donnée; que c' étoit une adion de pieté
& utile pour le falut , que de les tuer; que tous les Chrétiens
dévoient prendre les armes pour exterminer cette pefte : Qu'au
décret du Concile de Conftance , qui permet de ne pas gar-
der la foi aux hérétiques , ils joignoient l'Ecriture pour prou-
ver la même chofe : Qu'ils citoient pour exemple ceux que les
Lévites tuèrent par ordre de Moyfe, ceux qui avoient adoré
le Veau d'or , les Prêtres de Baal , que Jehu enferma par une
fupercherie dans le temple de leur Dieu , ôc qu'il fit tous maf-
facrer ' : Qu'on entendoit de toutes parts les difcours ôc les
menaces des fa£lieux , qui difoient hautement que les Hugue-
nots n'avoient plus que trois mois à vivre ; que dès que la
moilTon ôc les vendanges feroient achevées , on feroit main
bafle fur eux 3 que le Roi même ne le pourroit pas empêcher
quand il le voudroit, ôc que s'il le vouloir, on l'enfermeroit
I En faifant femblant d'embraffer le
culte de Baal , Ôc lui faifanc même of-
frir un facrifice folennel. Voyez le
quatrième livre des Rois ch. 1 0. L'ac-
tion de Jehu eft loue'e dans ce même
chapitre ; mais quant àl'efFet, non
quant à la manière qui etoit trèscii-
minelle.
DE J. A. DE THOU , Liv. XLIV. 517
dans un couvent , ôc qu'on en mettroit un autre fur le thrône. ___^_
Ils ajoûtoient, que peu de tems après la publication de l'Edit C H a r L E
il s'excita une fédition à Amiens , qui eft la ville la plus con- j x
fidérable de toute la Picardie , Ôc il y avoit eu plus de cent per- i ç 5 s.
fonnes maflacrées par la populace : Que la ville d'Auxerre ,
dont les Proteftans avoient été maîtres dans la dernière guer-
re, ayant été rendue, ceux qui en avoient été bannis n'étoient
pas plutôt rentrez dans la ville , qu'ayant conjuré contre ceux
qui leur étoient fufpecls, ils en avoient fait périr en diverfes
manières environ cent-cinquante, dont ils avoient traîné inhu-
mainement les corps dans les cloaques , ou dans la rivière :
Qu'à Rouen, à Bourges , à IfToudun, à Antrain, à Troye, à
S. Léonard , à Orléans , à Blois , on les avoit infultez , lorf-
qu'ils alloient aux prêches, ôc qu'il y en avoit même eu quel-
ques-uns de tuez : Qu'à Ligny en Barrois, la populace irritée
pourfuivant un Huguenot , il fe fauva dans la maifon du pre-
mier magiftrat de la ville , croyant y trouver un azile contre
la fureur populaire ; mais que les fadieux étant entrez de for-
ce dans cette maifon, malgré la réfiftance du maître, ils en
avoient arraché ce malheureux ôc l'avoient maflacré : Qu'à
Clermont en Auvergne, un jour qu'on faifoit avec beaucoup
de folennité la proceffion du Saint-Sacrement , un Proteftant
n'ayant pas marqué affez de refpe61: dans la rue , ôc n'ayant
point tapifle fa porte , la populace étoit entrée dans fa maifon,
l'avoit pillée , ôc ayant traîné ce malheureux dans la place publi-
que , y avoit drelTé un bûcher du bois qu'on avoit apporté de
chez lui , ôc l'avoit brûlé vif, fans vouloir l'entendre , ôc fans que
le magiftrat donnât aucune marque qu'il defapprouvoit cette
a6lion.
Mais ce qui indigna le plus le prince de Condé ôc ceux de
fon parti , ce fut le meurtre de René de Savoye comte de
Cipierre , fils de Claude de Savoye comte de Tende : ce Sei-
gneur ne futaifalTmé, que parce qu'il favorifoit le parti pro^
teftant i on dit même que fon frère avoit eu part à cette hor-
rible adion. Comme il revenoit de Nice, où il étoit allé voir
le duc de Savoye fon parent, lorfqu'ilfut près de Frejus , on
l'avertit qu'il y avoit des gensembuiquez dans le bois, qui l'at-
tendoient. Sur cet avis , il tourna bride vers la ville avec toute
fa fuite , qui étoit de trente-cinq perfonnes , ôc il fe hâta d'y
T t t iij
5ig HISTOIRE
arriver, ne doutant point qu'il n'y fût en fureté. Comme il y
r H 4 Tî I V entroit , les trois cens hommes dont fembufcade étoit compo-
IX. ^^^ > ^ ^"^ lavoient pourluivi dans la hiite ^ y entrent avec
j - (^g^ lui : Gafpard de Villeneuve feigneur des Arcs, qui les con-
duifoit , fait à l'inftant fonner les cloches , ôc ayant foûlevé tout
le peuple , il marche à la tête de cette populace , à la maifon
où Cipierre s'étoit enfermé. Les Confuls , qui craignoient pour
fa vie , firent ce qu'ils purent pour arrêter le defordre : enfin
on obtint parleur entremife que cette populace fe retireroit,
à condition que Cipierre ôc fes gens rendroient leurs armes.
Cela ayant été exécuté , 6c le peuple s'étant retiré, des Arcs,
qui crut avoir fatisfait à fa parole , revint avec fa troupe, atta-
que la maifon , s'en rend maître , ôc tue tous \qs gens de Ci-
pierre. Mais ne voyant point parmi les morts le corps de ce
jeune Seigneur , que les Confuls avoient fait évader , il fit
femblant d'être inquiet pour fa vie , ôc il pria inftamment les
Confuls de le remettre entre fes mains , s'ils vouloient le fau-
ver , parce qu'autrement il feroit infailliblement maffacré par
la populace. Comme ils nepouvoient s'imaginer que des Arcs
les trompât, ôc qu'ils craignoient d'ailleurs qu'on ne leur ar-
rachât par force ce Seigneur , ou qu'on ne l'égorgeât entre
leurs mains, ils le prefenterent à des Arcs : aufli-tôt fesgensle
poignardèrent, lui donnèrent cent coups après fa mort, Ôc dé-
figurèrent entièrement fon cadavre. Bien des gens crurent que
cela ne s'étoit pas fait fans quelque ordre fecret de la Cour j
ôc ce qui rend cette opinion très-vraifemblable , eft qu'un des
gens de Cipierre , qui faifoit fes affaires à Paris, fut dans le mê-
me tcms affafliné auprès du Louvre, fans qu'on ait pu enf^a-
voir la raifon , à moins que ce ne fût pour fe faifir des lettres
ôc des ordres fecrets qu'il pouvoit avoir pour fon maître.
Prefque dans le même-tems d'Amanzay , homme de mé-
rite , également récommendable par fes grandes qualitez , ôc
par une modeftie admirable , tenant à fa porte fa petite fille
par la main , fut tué cruellement par des afiafïins , qu'on ne
connoiflbit point. Ceux des Proteilans , qui calculèrent avec
le plus d'exaditude tous ces meurtres , prétendirent qu'en trois
mois on avoir par ces moyens exécrables fait périr plus de
dix mille perfonnes. Mais je crois qu'ils exageroient j car la
dernière guerre en fix mois n'en avoir fait périr au plus que
:inq cens.
çi
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLIV. 51^
Le prince de Condé étoit alors à Noyers en Bourgogne ^
petite place forte , qu'il avoir eûë de fa femme Françoife d'Or- Ch a r l E
leans '. Gafpard de Saulx comte de Tavanes , lieutenant du j x.
duc d'Aumaîe , Gouverneur de la Province , avoir déjà effayé i ç 5 g.
de la furprendre. Mais ayant manqué fon coup , il raflembloit
des troupes de tous cotez pour la prendre de force. Le Prin-
ce en étant informé :, écrit à tout ce qu'il avoit d'amis dans
le Royaume , leur reprefente la grandeur du péril où il fe
trouve 3 les prie de le fecourir , & de prendre les armes ,
dès qu'il fera néceffaire. Pendant que cela fe pafToit^ il arri-
va des lettres du Roi , qui ordonnoient d'exiger des Fluguenots
une fomme de trois cens mille écus d'or ^ que le Roi avoit
avancée pour payer les Allemands qui avoient été au iervice
du prince de Condé. Ce Prince & tous les Seigneurs de fon
parti étoient cautions du payement. Les lettres du Roi por-
toient y que l'intention de fa Majefté n'étoit pas qu'on levât
cette fomme fur tous les Huguenots indiftindement, mais feu-
lement fur ceux qui avoient porté les armes pour le prince de
Condé. Il venoit lettre fur lettre pour la faire payer fur le
champ , afin que plus ce payement feroit à charge & difficile ,
plus ceux qui s'en étoient rendus cautions fe dégoûtaffent du
parti du Prince , èc que leur embarras rendît les autres moins
difpofez à l'embraffer.
Le prince de Condé, perfuadé que c'étoit un artifice de fes
ennemis j écrivit au Roi pour s'en plaindre, ôc pour le prier
d'avoir pitié du Royaume épuifé par les guerres civiles. Co-
ligny écrivit dans les mêmes vues à la ducheffe de Savoye ,
qu'il fçavoit avoir beaucoup de crédit auprès de la Reine mère,
ôc la pria inftamment de ménager un accord entre les deux
partis , & d'empêcher la guerre civile. On prit dans cetems-
là un foldat, qui mefuroit la profondeur des foffez de Noyers ,
à deffein de furprendre la place , ôc de fe rendre maître de
la perfonne du Prince ôc de toute fa famille : il y avoit été
envoyé par Coqueret enfcigne de la Verniere , comme il l'a-
voua depuis. Le Prince envoya Teligny à la Cour, pour fe
plaindre du tort que lui faifoient les lettres du Roi , dont je
viens de parler , ôc pour prier fa Majefté d'ordonner qu'on
I Elle ëtoit fille de François d'Or-
léans marquis de Rothelin : c'ctoit la
troifie'me femme de ce Prince ; il l'e-
poufa à Vendôme en 1^6^.
po HISTOIRE
^,^,g„„^,„^^ publiât des monitoires , afin qu'on pût être inflruit , tant de
Z^ l'entreptife de Coqueret , que des meurtres , des complots ,
jy^ des embûches, des aflemblées clandeftines , & des excès énor-
mes, où fe portoient les prédicateurs par leurs déclamations
■^ ' pleines de fureur , 6c de donner ordre aux Gouverneurs des
Provinces ôc aux Magiftrats , d'obferver religieufement les
Edits de pacification.
Le Chance- Le jeune Roi, touché de ces remontrances , conjura la Reine
lier de l'Hô- ^q prendre des mefures , pour empêcher que la guerre ne
ne d'être Jio" recommençât ; & pour faire enforte que les Edits fuflent ob-
teiluK. fervez, fans quoi l'Etat feroit en grand péril. Mais Catherine
perfuadée que cela lui étoit fuggeré par le Chancelier de l'Hô-
pital , qui étoit un homme de bien , reprefenta au Roi fon
fils la rébellion des Rochelois , ôc lui fit entendre qu'il étoit
à craindre que les autres villes ne fuiviflent cet exemple , ôc ,
que l'amour de la liberté ne les engageât dans une révolte
pareille. Comme elle fçavoit que le Chancelier étoit ennemi
des troubles , ôc qu'il pouvoir beaucoup fur l'efprit du Roi ,
elle entreprit de ruiner fon crédit par des délations fecretes.
Elle difoit qu'il favorifoit dans le cœur le parti des Huguenots;
ôc que fans la charge importante dont il étoit revêtu , ilfe de-
clareroit ouvertement en leur faveur : Que fa fille , fa femme,
fon gendre , fes petits fils, ôc toute fa mai fon , étant de cette
religion , on ne pouvoit prefque pas douter , qu'il n'en fût lui-
même en fecret.
Il arriva même une chofe , qui donna occafion à fes ennemis
de le rendre encore plus fufpe£i:. Le Pape accorda au Roi
une bulle qui lui permettoit d'ahener des biens de l'Eglife , juf-
qu'à la fomme de cinquante mille écus de rente, à condition
que cette fomme feroit employée à faire la guerre aux héré-
tiques , afin de les exterminer entièrement , ou de les forcer
à fe foûmettre à l'Eglife Romaine. Les fentimens du Confeil
fe trouvèrent partagez. Comme la Bulle attaquoit les Edits
précédens , ôc qu'elle renfermoit le motif barbare de tuer ôc
d'exterminer tous les hérétiques , plufieurs membres du Con-
feil , le Chancelier à la tête , foûtinrent qu'il n'étoit pas à pro-
pos de publier cette Bulle, qui feroit voir à tout le monde,
qu'il y avoit long-tems que l'on fe préparoit à la guerre , ôc
qui découvriroit entièrement la ligue que l'on avoit cachée
avec
DE J. A.DE THOU, Liv. XLIV. 5-21
avec tant de foin jufqu'alors : ainfiron fut d'avis de demander ,
une autre buile au Pape :, ôc qu'en attendant on feroit ufaee ~r77777Z
e celle ci pour le beloin preienr. jy
Cette aîfaire attira beaucoup d'ennemis au Chancelier, ôc ^^ô
la Reine ne perdant aucune occaiion de rendre fufpeds les ' I
con.eiis de ceAlagiftrat, trop zélé pour fa patrie, le jeune j
PvOi commença à iè refroidir pour lui, & à ne le plus rece- i
voir avec un vilage ouvert, comme il faifoit auparavant. L'Hô-
pital qui avoir famé grande , ôc qui n'étoit pas iiomme à efTuyer
de mauvais trai^ernens, commença à fonger à la retraite. Il Retraite Ja
s'en alla donc à Vignay , maifon qu'il avoir fait bâtir auprès l'Hôpitii.'^ ^^ !
d'Eflampes. la Reine y envoya Pierre Brulard, fecretaire de i
fes commandcmens, pour l'exhorter de la part du Roi à fe re- ]
pofer , & pour lui demander les Sceaux 5 il \qc remit fur le champ, :
& ils furent donnez à Jean de Morvilliers , en attendant que le ,
Roi en eut diCpoic. ]
La Reine délivrée du Chancelier, Ôc n'ayant plus perfonne î
qui s'oppofât à fes volontez , ne fongea plus qu'à brouiller les '
affaires. La refolution étant prife de faire la guerre aux Pro- i
teftans, elle voulut les défunir pour les ruiner plus aifément.
Pour cet effet elle envoya à tous [qs Gouverneurs de Provinces, serment pro- . "■
une f^armule de ferment que Ton feroit prêter à tout le mon- ?ofé par h
de. Elle portoit qu'on prenoit Dieu à témoin , ôc qu'on ju- ^^^"^*
roit en fon nom , qu'on reconnoiffoit Charle IX. pour fon Prin-
ce Ôc pour fon Souverain naturel , ôc qu'on étoit difpofé à !
lui rendre toute forte d'honneur, d'obéiffance ôc de foumiffion : i
Qu'on ne prendroit jamais les armes fans fon ordre exprès, ôc I
qu'on n'alTifleroiten aucune manière ceux qui les auroient prifes j
contre lui : Qu'on ne feroit aucune contribution d'argent , fous ]
quelque prétexte que ce pût être, fans fa permilTion : Qu'on
ne s'engageroit dans aucune entreprife fecrete , ni dans au- I
cun traité lans fon aveu : Qu'on n'y entreroit en aucune ma- i
niere , ôc que Ci Ton apprenoit qu'il s'en fît de cette nature, on |
en donneroit de bonne foi avis au Roi , ou aux Gouverneurs i
établis de fa part : Que Ton fupplioit très-humblement fa Ma- ^
jefté d'ufer envers ceux qui prctoient ce ferment de fa cle- i
mence ôc de fa bonté naturelle, de les tenir pour fes bons ôc
fidèles fuje' s , ôc de les prendre fous fa protection , proteflant
qu'ils vuieroicnt Dieu continuellement pour fa fanté ôc pour
Tome V, V u u
S12 HISTOIRE
- fa confervation , & pour celle de fa mère, & de Îqs frefês, &
Charle qu'ils fe foumettoient volontairement à tous les fupplices les
IX. P^*^^ rigoureux , fi par leur faute il s'élevoit des troubles dans la
I f 5 8. ^'^^^^ de . . . (on devoir marquer le nom de la ville ) pour la dé-
fenfe de laquelle ils promettoient de facrifier leurs biens ôc leurs
vies , ôc d'entretenir une amitié fincere ôc véritable avec les
Catholiques.
Le prince de Condé ne doutant pas que ce formulaire n'eut
été inventé pour le perdre , ôc pour deshonorer les Proteftans,
apporta quelque tempérament à cet ordre , tantôt en s'excu-
fant de le faire exécuter, ôc tantôt en y joignant des inter-
prétations qui l'adouciflbient. Mais étant informé de jour en
jour des defTeins que l'on tramoit contre lui ôc contre fes amis,
ilendonnaavis à l'amiral deColigni, quiétoit allé, avec toute
fa famille, de Châtillon àTanlay , place fortifiée, qui appar-
tenoit à d'Andelot fon frère , ôc qui n'étoitpas loin de Noyers.
Après quoi le Prince fongeaà fortir de ce lieu, pour prévenir
les defi^eins de fes ennemis : car on faifoit venir en Bourgo-
gne quatorze compagnies de cavalerie , ôc autant d'infanterie^,
qu'on difoit auparavant deftinées pour le fiége de la Rochelle.
D'ailleurs le retour de Teligny de la Cour ne lui préfageoit
rien de bon ', quoique les lettres qu'il en avoir rapportées, fuf-
fent remplies de belles paroles , ôc de proteftations d'amitié.
Dans cet état , ne fçachant à quoi fe déterminer, il pria Jean-
ne de Rohan marquife de Rothehnfabelle-mere, d'aller trou-
ver le Roi, ôc de le conjurer de ne pas foufirir qu'on donnât
atteinte à des promeflTes que fa Majefté avoir confirmées par
ferment , & par un édit , ni que \qs ennemis de la tranqui-
îité publique abufafilent de fon nom ôc de fon autorité , pour
exécuter leurs pernicieux projets. La marquife l'avoir à peine
quitté , qu'il reçut courier fur courier pour l'avertir de fe mettre
en fureté 5 que s'il tardoit un moment, il s'en repentiroit, mais
trop tard : qu'il venoit des troupes de tous cotez ; qu'il y en
avoit déjà de poftées aux environs de Noyers , ôc qu'il ne pou-
voir plus fe retirer fans courir grand rifque d'crre pris. Le Prin-
ce s'étant abouché avec Coligny, ôc voyant qu'il n'y avoit plus
à délibérer , après avoir recommandé l'événement à Dieu , réfo-
lutde fe retirer au plutôt. Sur le point de partir, il écrivit au Roi
le 23 du mois d'Août, ôc rejetta laçaufede tous les troubles
DE J. A. DE T H ou, Li^f. XLIV. ^^3
furie cardinal de Lorraine. Il difoit dans fa lettre , que cet ef-
prit inquiet ôc remuant étoit caufe qu'une infinité de gens de ~p,
bien abandonnoient leurs maifons pour mettre leur vie à cou- ^^^^^^ i
vert î errans ça ôc là , ôc fuyans de maifon en maifon , avec ^'
leurs femmes ôc leurs enfans, qu'ils portoient entre leurs bras. ^ ^ *
Il joignit à cette lettre une longue requête, quia été publiée
depuis, ôc dont voici la fubftance.
Il commençoit par dire, qu'il ne doutoit point de la bienveil- Requête du
lance du Roi pour les Proteftans, ni de fa fidélité à obferver P""" '^^
fes édits j il venoit enfuite aux anciens griefs, ôc fur-tout au Roi»
traité fecret fait à Bayonne pour exterminer tous les Religon-
naires à la fois, tant en France qu'aux Payis-bas. Il fe plaignoit
auflî qu'on eût fait des levées de Suiffes par le confeil du duc
d'Albe , quoiqu'on feignit de lès faire contre les Efpagnols qui
venoient en Flandre. Il parloir des conférences fecretes te-
nues à Monceaux , ôc à Alarchais , dans la maifon du même
Cardinal , Ôc des mefures que l'on y avoit prifes , pour arrêter
le prince de Condé ôc l'Amiral , s'ils approchoient de Vin-
cennes. Il rappelloit enfuite l'ambaffade du cardinal de Sain-
te-Croix, ôclesdifcours piquans, que la Reine ôc le Connéta-
ble de Alontmorenci avoient tenus à Chantilli à l'amiral de
Châtillon : Que depuis la paix il y avoit eu beaucoup de pa-
roles données , ôc nul effet : Qu'il n'y avoit pas une ville où
l'édit eût été exécuté : Qu'on n'y avoit eu aucun égard à Lyon, "*
au Puy , à Bourges , à Dijon , à Beaune : Que Rapin , qui avoit
très-bien fervi en Languedoc pour le prince de Condé, étant
venu à Touloufe par ordre de ce Prince , avec des lettres du
Roi , ôc fous la foi publique , pour fignifier au Parlement » de
la part du Roi , qu'il eût à publier l'édit que fa Majefté ve-
noit d'accorder aux Proteftans , il y avoit été arrêté ôc condam-
né à mort le 1 3 d'Avril dernier : Que cela avoit été fuivi de
meurtres ôc de maflacres, commis en une infinité d'endroits,
à Amiens, à Auxerre, à Bourges ôc à Blois : Que la violence des
princes Lorrains avoit empêché qu'on ne fit en cette occafion
les informations néceffaires : Que la prote£lion que le cardi-
nal de Guife donnoit ouvertement aux aflaflins de Sipierre
montroit bien qu'il étoit auteur , ou du moins complice de ce
meurtre : Que depuis on avoit fait un édit , qui ordonnoit à
tous ceux de la Religion reformée , de fe défaire dans un
Vuu ij
5-24 HISTOIRE
^____^^,_^^^,^^__^ certain tems de leurs emplois, ôc de leurs charges, & qui defen--»
~ doit qu'à l'avenir ils ypuffent être admis : Qu'en cunféquen-
Char LE ^^ ^^ ^^^-^^ ^^^ ^ Gafpard de Coligni la charge d'Amiral , ôc
à d'Andelot fon frère celle de colonel générai de linfanterie^
^ • à Bayencour de Bouchavanes le gouvernement de Laon , à
Louis Lanoi de MorviJIiers celui de Boulogne ) ôc à Scnar-
pont celui de Picardie j ôc que pour tenir tant de malheureux,
comme affiégcz de toutes parts, on avoit mis en pleine paix
des corps-de-garde dans tous les ports , fur tous les ponts , ÔC
à tous les pafTages, ce qui ne s'éroit jamais vu : Qu'on avoit
formé des aflbciations en plufieurs endroits , fous prétexte de
ReHgion 3 fur-tout à Dijon , où Jean Begat confeiller au Par-
lement j auteur d'un libelle fait contre ledit de pacification,
avec Raimond Fiot , la Malleraye , ôc les deux fils de Tava-
nes , avoit mis tout en œuvre pour irriter les efprits du petit peu-
ple, ôc troubler la tranquillité publique : Que Touarçay , Vaffé
ôc Sourches en avoient fait autant dans le Maine.
Il paflbit enfuite aux anciens projets, ou pour mieux dire.,
aux chimères des princes Lorrains, qui fe vantoient de defcen-
dre de la première race des Rois de France , ôc qui préten-
dant avoir des droits fur la Provence Ôc fur l'Anjou , ne me-
nageoient rien pour les faire valoir. « S'il fe trouve, difoit-il,
« des gens qui s'oppofentà leurs defleins,il n'y a point de ca-
M lomnies qu'ils n'inventent pour les perdre: ils les traitent de
» politiques, nom qu'ils ont inventé, pour défigner leurs enne-
3' mis : CQS politiques , fi on les en croit, font plus dangereux
'>' Ôc plus pernicieux que les hérétiques même. Ils comprennent
w fous ce nom les Catholiques, qui font ennemis des trou-
» blés ôc des fa£lions , ôc par conféquent peu favorables à leur
=« parti , comme le cardinal Charle de Bourbon , le chancelier
=>' de l'Hôpital^ ôc les maréchaux de Montmorenci. »
( G'eft ici le premier endroit de notre hiftoire où je vois le
nom de Politiques pris en mauvaife part : il eft vrai que les pré-
dicateurs fe font déchainez depuis avec fureur contre ce nom>
fous lequel ils déchiroient les perfonnes les plus confiderables
de l'Etat, qui aimoient la paix, fans laquelle il n'y a plus ni re-
ligion ni fureté. )
Le Prince ajoûtoit à la fin de fa requête , que l'Empereur
Maximilien avoit écrit au Roi , que les cardinaux de Lorraine
DE l A. DE THOU, Liv. XLIV. pj
<& de Granvelle étoienrcaufe de toutes les guerres, & de tou- __
tes les divHujns qui re2:noient dans la Chrétienté. Il proteftoit r^
ennn, tant en Ion nom, qu au nomces oeigneurs oc Gentils- jy
hommes de la Religion proteftante , que pour prévenir les ,'«
maux qui menaçoient le Royaume , ils avoient tous réfolu d'un
commun accord de faire la guerre au feul cardinal de Lorrai-
ne, à qui ilsdonnoient le nom injurieux de Prêtre infâme, de
tygre , ôc de tyran , déclarant qu'ils pourfuivroient toujours fes
ininiftres & fes partifans , comme des parjures , des brigands ,
des violateurs de la foi publique, en un mot comme les enne-
mis de la paix , & de la tranquillité de l'Etat.
Le Prince ayant envoyé fa lettre & fa requête au Rolj fit
courir le bruit qu'il en attendroit la réponfe à Noyers î mais it
en partit fur le champ dans un état digne de compaflTion :ilétoit
accompagné de fa femme & de tous (es enfans, dont trois étoient
encore au berceau. Coligni le fuivoit avec fa famille , compo-
fée d'une fille nubile^ ôc d'enfans en bas âge , dont quelques-
uns étoient portez par leurs nourices. La femme de d'Ande-
lot y étoit auffi avec un enfant âgé de deux ans ; ils n'avoient
que cent cinquante foldats d'efcorte , & ils faifoient les plus
grandes journées qu'ils pouvoient^pouréchaper aux embûches
qu'on leur avoir dreffées. Comme {^es ennemis ne penfoient
gueres qu il dût fe mettre en marche avec fi peu de monde,
ils négligèrent de le pourfuivre. Ainfi il arriva fans accident aux
bords de la Loire. Quoique cette rivière foit navigable depuis
Rouanne jufqu'à la mer , cependant comme elle eft fort fa-
blonneufe, il y a bien des endroits où on la paffe à gué. Con-
dé en ayant trouvé un auprès de Sancerre, la pafia : Bois, qui
marchoit après lui , ayant ramaffé de côté & d'autre environ,
deux cens chevaux, fe logea dans Bony , afin d'affurer ce paffa-
ge à la NobieiTe qui accouroit de tous côtés pour joindre le
Prince. Mais comme fes corps-de-garde étoient trop éloignez
les uns des autres , Sarra Martinengue , & le capitaine Ca-
ban étant furvenus routa coup, furprirent la place, & fe ren-
dirent maitres des chevaux Ôc des bagages avec tant de dili-
gence , que la garnifon eut à peine le tems de fe fauver dans
le château, qu'ellerendit même peu après, à condition qu'elle
auroit la vie fauve , mais qu'elle n'emporteroit ni armes ni ba-
gages.
Vuu iij
y2(^ HISTOIRE
- • A peine le Prince avoit-il paflé le gué, que les troupes qiû
Char LE avoient eu ordre de quitter le fiége de la Rochelle ^ pour fe
IX. rendre en Bourgogne, parurent de l'autre côté de la rivière à S.
1 ^ 6 S. Godon. Le lendemain la Loire grolTit tellement par un débor-
dement foudain , qu'on ne pouvoir la paifer en bateau fans dan-
ger. Le prince de Condé ôc la fuite regardèrent cet accident,
comme un bienfait fingulier de la Providence, auquel ils étoient
redevables de leur falut. BiofTet , Boucard & Jean d'Hangeft
feigneur d'Ivoy , l'étant venu joindre avec bon nombre de
Gentilshommes , il traverfa le Poitou , ôc vint dans l'Angou-
mois , d'où il lit dire au maréchal de Scepeaux , qui étoit venu
jufqu'à Poitiers, qu'il avoir réfolu pour fa fureté de s'en aller
à Vertueil chez le comte de la Rochefoucault , ôc d'y atten-
dre la réponfe du Roi.
Blaife de Montluc, gouverneur de Guienne, Guitinieres,
ôc François d'Efcars , Gouverneurs , l'un de Perigord , l'autre
du Limoufin, étoient déjà en campagne, pour s'oppofer aux
entreprifes du prince de Condé, ôc des autres Proteftans, qui
ne laifTerent pas de venir en grand nombre joindre ce Prin-
ce fous la conduite de Soubize ; de Languiîlier, de Puygre-
fier , de Saint-Gyr , ôc de Pluviaut. Avec ce renfort il fe ren-
dit à la Rochelle le 1 8 de Septembre, Ôc il y fut reçu parles
habitans avec de grandes démonftrations de joie. Il y laifla
comme en dépôt fa famille ôc tous fes bagages , ôc après les
avoir conjurez d'en prendre foin, il leur fit un difcoursjdans
lequel il commença par déplorer la captivité malheureufe du
Roi , qui étant en quelque forte affervi à de mauvais confeil-
1ers , n'avoir pas le pouvoir de faire obferver les édits qu'il avoit
faits pour la paix, quelque defir qu'il en eût. Il déclara enfuite
qu'il avoit été forcé de prendre les armes pour le maintien de
Fautorité du Roi , ôc pour la confervation de l'Etat : qu'il les
prioit de vouloir bien fe joindre à lui pour une fi jufte caufe. Sur
ce plan ils drefferent une formule de ferment, que le Prince
prêta le premier, ôc enfuite tous les autres. Le cardinal de Lor-
raine y étoit nommé expreilément ; ôc ils déclaroient tous hau-
tement , qu'ils n'en vouloient qu'à lui , ôc à fa fadion.
Cependant la licence augmentant de jour en jour , ôc les
inimitîez particulières fe montrant à découvert , on n'enten-
doit parler que des crimes énormes, que l'avarice, la cruauté
DEJ. A. DETHOU,Liv. XL IV. 527
'êc les autres pafTions faifoient commettre en tous lieux. Pour «^«^.««m..».»
arrêter ce débordement ) les chefs jugèrent à propos de drefier C h a r l E
des règles de difcipline , qu'on faifoit lire toutes les femaines I X.
dans le camp à haute voix :, afin que perfonne n'en prétendît 1 c 5 S.
caufe d'ignorance. Mais peut-on fe flatter que la piétés, la foi,
îa difcipline, feront obfervées dans une guerre auiïi impie que
i'efl communément la guerre civile f Cependant la règle fe fou-
tint pendant quelque tems parmi eux : mais cette régularité
fe relâcha bien-tôt. Comme on ne payoit point les foldats ,
les chefs les laiflbient piller, la nobleffe fe corrompit, 6c tout
dégénéra enfin en une licence pernicieufe.
Ce fut verscetems-là, que Jeanne d'Albret Reine deNa- Arrivée ic
varre vint à la Rochelle, avec Henri prince de Bearn fonfils, bm"ala Ro^
& Catherine fa fille , accompagnée d'un corps confiderable de chelle.
troupes. Car Armand de Clermont feigneur de Piles avoit le-
vé dans le Perigord , l'Auvergne, ôc le Quercy vingt-trois com-
pagnies d'infanteries le vicomte de Montamar frère de Fon-
trailles en avoit dix,ôc Saint Aiegrin neuf? ce qui faifoit qua-
rante-deux compagnies, dont ils a voient formé trois regimens.
AfTerac de Fontrailles fénéchal d'Armagnac commandoit l'in-
fanterie légère. Ils vinrent de Nerac à Bergerac, ôc de là à
Muiïidan S où ils rencontrèrent Briquemaut : enfuite ayant laifle
Aubeterre ôc Barbefieux à leur gauche , ils vinrent à Archiac.
Le prince de Condé qui s'étoit arrêté quelque tems devant
Cognac, parce qu'on avoit refufé d'abord de lui en ouvrir les ^.
portes , les joignit en cet endroit.
La Reine de Navarre ayant écrit au Roi, à la Reine, au Lettres de
duc d'Anjou ôc au cardinal de Bourbon , pour juftifier fesdé- ^.ctte Princef-
marches, leur envoya fes lettres par Bertrand deSalignac. Elle
y marquoit que l'obéififancc qu'elle devoitau Roi, ôc la parenté
proche qui étoit entre elle ôc Condé, ne lui permettoientpas
d'abandonner ce Prince dans une caufe de Religion qui leur
ctoit commune i elle rejettoit toute la caufe des troubles fur
les confeils fanguinaires de la fatlion des Guifes , ôc parti-
culièrement fur l'ambition du cardinal dcLorraine j elle con-
juroit inftamment le duc d'Anjou de rompre avec lui, ôc de
ne le pas féconder dans la volonté détcilable qu'il avoit d'ex-
terminer la maifon Royale j elle faifoit fouvenir le cardinal de
I Ville du haut Perigord,
5'2S HISTOIRE
■ Bourbon du péril ou i) s'expofoit lui-même, 6c lui faifoit ace
Cha;- le ^^'i^^ '^"^ remontrance fort vive.
IX. '' Jufquà quand, lui difoit-elle, ferez vous livré au cardi-
I 5" <5 8. " dinal de Lorraine f Avez-vous déjà oublié qu'il a attenté à
« votre vie ? Qu'eft devenue cette inquiecudc qu'il vous caufa,
« 6c qui vous empêcha quelque detems de dormir ? Le faux fer-
3> ment qu'il vousafair, qu'il n'y a jamais penfé, l'a entièrement
» diiTîpée, ôc vous avez mieux aimé en croire les proteftations
=> de ce fourbe , que de travailler à mettre votre Maifon à cou-
» vert du péril qui la menace. « Il avoit couru en effet quel-
que tems auparavant un bruit afîez bien fondé, que dans une
grande maladie de la Reine on avoit fuborné des gens, pour
affaliiner le cardinal de Bourbon, François de Montmorencî,
6c le chancelier de l'Hôpital ; parce qu'on craignoit que fi la
Reine venoit à mourir, 6c il ces trois hommes étoient alors
en vie , le Roi n'écoutât plus aifément les confeils violens
d^s factieux.
Le cardinal de Châtillon , qui fçavoit qu'on en vouloit à
fa perfonne , ayant appris ces mouvemens , abandonna le châ-
teau de Brelé , qui étoit fa maifon de plaifance près de Beau-
Le cardinal vais, 6c s'cnfuit^ ayant I^iffé dans ce lieu la plus grande partie
de cbàciiioii de fes meubles. Comme il ne lui étoit pas pofîible d'aller join-
AnSctene? ^^'^ ''^ p^ince de Condé ni fes frères, qui étoient trop éloignez
de lui , il s'embarqua en Normandie , ôc ayant échapé avec
aflcz de peine à la pourfuite de fes ennemis, il arriva heûreu-
fement en Angleterre.
Les Protef. D'Andclot étoit en Bretagne, oij il avoit de grands biens
Went^^lkT ^^ ^^^^ ^^ Claude de Rieux comteffe de Laval fa première
tïoiipcs. femme : car il étoit alors remarié en féconde noces \ Sur les
lettres qu'il y reçut de l'amiral de Châtillon fon frère 6c du
prince de Condé, il avoit aflemblé bien des troupes, tant de
la Province où il étoit, que de celles de Normandie , du Mai-
ne, 6c de TAnjou. Il leur avoit donné rendez-vous à Beau-
fort ^ fitué en Anjou dans une vallée très-fertile. Jean de Per-
rière vidame de Chartre, ôc Antoine de la Rochefoucault-
Chaumont frère de Barbefieux l'y vinrent joindre avec tout
I Avec Anne de Salra d'une famille ! en Vallée : elle eft environ à cinq lieuea
de Lorraine. d'Angers , ôc à une lieue de la Loire»
i On appelle cette ville Bcaufort
le LUT
D E J. A. D E ï H O U , L I V. XLIV. pp
leur monde. Charle de Beaumanoir de Lavardin , avec quatre
compagnies de cavalerie , ôc deux de moufquetaires , ôc le com- Charle
te de Mongommeii avec trois compagnies ôc cinq d'infante- j v
rie , allèrent fe loger à faint Mathurin fur la levée de la Loire. , ç (^ g.
François de la Noue avec quatre cornettes de cavalerie t ôc
cinq cens hommes de pie , eut ordre de fe faifir du pafTage
de faint Martin ôc des Rofieres , ôc de fonder le gué en cet
endroit. Montejan du BrofTay, Saintgravé Cognée, François
d'Angennes , du Coudray , Rabodange , de Sey , BrefTauIt , ôc
quelques autres l'y joignirent. D'Andelot fe logea à faint Ma-
thurin , ôc y mit engarnifon les compagnies de la Minguetiere
ôc de BrofTay ; Montejan ôc BrefTauIt furent envoyez avec deux
compagnies de fantafîins , ôc ce qu'ils avoient de cavalerie pour
garder laDagueniere , ôc empêcher les troupes, qui viendroient
d'Angers, de pafTerla rivière. Leur camp étant auifi défendu
par la rivière du côté du midi, parle pofle de la Dagueniere
du côté du couchant, ôc par celui de S. Martin du côté du levant,
il n'y avoit que le côté du Nord à garder; mais il y avoit de ce
côté là une vallée (ituée au-defTous de la levée de la Loire,
ôc couverte d'un bois fi épais, qu'on ne croyoit pas que l'en-
nemi pût y entrer : d'ailleurs le vidame de Chartre, qui s'é-
toit pofté avec fa troupe à Beaufort, n'en étoit pas éloigné,
ôc il étoit à portée de donner du fecours , fi Ton étoit attaqué
par là.
Pendant que la Minguetiere fonde le gué, ôcque d'Ande-
îot fonge à diner, Boifvert maréchal de camp vient les avertir
que l'ennemi approche. Le duc de Montpenfier étoit arrivé à
Saumur avec François le Roifieur de Chavigny,ôc il avoit en-
voyé ordre à Sebaftien de Luxembourg feigneur de Martigues
de le venir joindre avec ce qu'il avoit de troupes , afin de met-
tre en défordre les Proteflans difperfez , ôc de les empêcher
de fe rafTembler ôc de pafTer la Loire. Martigues étant en
marche fut rappelle par leâ Nantois, qui ne fe croyoient pas
en fureté, ayant d'Andelot dans le voifinagc. Le tems que ce re-
tardement lui fit perdre > donna moyen aux Proteflans de ren-
forcer leurs troupes. Etant enfin revenu à Angers , ôc fe voyant
prefTé par les lettres que Montpenfier lui écrivoit coup fur coup,
il fe met en marche le lendemain , fans avoir des nouvelles
fûtes des ennemis. 11 avoit neuf cornettes de cavalerie, quelques
Tome V. X x x
Sso HISTOIRE
■»-«»'"^ ■ moufquetaires à cheval , qu^on avoir tirez des gardes depuis
C H A R L E ^^"§ ^^""^s » ^^^ enfeignes de gens de pié , & beaucoup de No-
j ^ bielle de la Province. Il pafia l'Authion au-defllis de Sorge,
I c 5 8. ^ ^^ ^'^^^^^^ ^^ ^^ ^^^^ ^^ ^^ levée : il détacha vingt Gensd'armes
armés de toutes pièces pour prendre les devans, fit mettre à pié
les moufquetaires , ôc ayant joint à cette troupe deux cens
hommes d'élite , qu'il fit marcher devant , il les fuivit avec fa
compagnie de cavalerie. Son arriere-garde étoit compofée de
l'infanterie commandée par Jean de Leomont feigneur de
Puigaillard.
Combat en- j] niarcha en cet ordre à la Dagueniere. N'y ayant point
liques & les trouve les troupes a qui 1 on en avoit donne la garde , û s a-
Pioteftans. vança jufqu'à la Chapelle , où il rencontra Boifvert : là il y eut
un combat : Plan capitaine des gardes de Martigues fut tué
au premier choc. Mais comme toutes les troupes, qui étoient
dans le camp des Proteftans, étoient compofées de foldats nou-
vellement levez j & fans expérience , elles plièrent dès que l'in-
fanterie de Martigues parut. Les Proteftans y perdirent envi-
ron vingt hommes & trois capitaines : la Minguetiere y fut
pris. Martigues ayant appris de lui , que d'Andelot n'étoit pas
loin , eut d'abord de la peine à le croire , parce qu'il ne s'y atten-
doit pas j mais ne pouvant plus en douter , il fe repentit de
l'entreprife téméraire oi^i il s'étoit engagé. Enfin il réfolut de
fe tirer de ce péril par fon courage , ôc de pouffer vivement
les ennemis qui avoient pris l'épouvante.
Dans ce deffein il détacha Lourcheavec vingt- cinq Gen-
d'armes, pour attaquer faint Mathurin. Les chofes étoient
en cet état , lorfque Boifvert vint au lieu où étoit d'Andelot,
6c lui apprit ce qui venoit d'arriver. D'Andelot :, un peu trou-
blé de cet accident imprévu , eut à peine le tems de monter
à cheval avec une douzaine de gentilshommes des premières
maifons du Royaume, pour choifir un endroit où ils pulfcnt
combattre avec avantage. Il y foutint deux fois les efforts de
Lourches , & fe vit réduit à en venir aux mains , avec un af-
fez grand péril. Boifvert tira alors un coup de moufquet à
Lourches , qui ordonnoit déjà à d'Andelot de fe rendre, ôc
le jetta par terre, mais après avoir fauve d'Andelot du péril où
il étoit,ilne put l'éviter lui-même : car ayant été enveloppé fur le
champ par un grand nombre de foldats , il fut tué fur la place.
DE J. A. DE THOU, Lrv. XL^\^ ^i
D^Andelot fe retira infenfiblement vers la vallée, où fes gens .
fe raffembloient de toutes parts. ^T" ~~T
Martigues content de s'être ouvert le paflage , & d'avoir j y
chafle de fon pofte un auffi grand capitaine que d'Andelot, ^ ^o
oc craignant que s il s amuloit a attaquer les ennemis ^ ils n eul-
fent letems de renforcer leurs troupes , 6c de lui fermer les paf- remporté %r
fagesparoù il pouvoir joindre Montpenfier , fait fonner la re- l'armée Ca-
traite , ôc condnue fa marche du côté de faint Martin ôc des ^^oW"«*
Rofieres , dans le même ordre qu'il étoit venu : mais ayant ap-
perçu les troupes de la Noue en bataille dans la vallée, qui
étoit au-deffous de la levée ^ ilfentit qu'il étoit enveloppé de
toutes parts, ôc qu'il n'y avoit point d'autre moyen defe tirer
de ce mauvais pas, qu'en montrant une hardiefle plus grande
encore que la témérité de fon entreprife. Ainfi ayant fait dire
à Puigaillard qui lui demandoit du fecours contre d'Andelot.
lequel faifoit avancer fon arriere-garde , de fe fauver comme
il pourroit i fans fe troubler , il prit fon parti fur le champ , Ôc or-
donna à fes troupes qui n'étoient prefque compofées que d'an-
ciens foldats, ôc qui marchoient très-vite fur la levée, de char-
ger les ennemis. Ils le firent avec tant de courage qu'ils en-
foncèrent les troupes des Proteftans, qui n'étoient compofées
que de nouvelles levées , ôc leur prirent même un drapeau.
S'étant ainfi ouvert le paflage > ils marchèrent en vainqueurs
du côté de Saumur, ôc rencontrèrent fur le chemin Riche-
lieu qui venoit à leur rencontre. Unhazard, qui jetta d'An-
delot dans Terreur, contribua beaucoup au fuccès du defi^ein
de Martigues, Quelques payifans étant venus dire à d'Ande-
lot, que Martigues fe retiroit ôc regagnoit Angers , il les crut
trop légèrement j fans cela il lui étoit aifé d'enfermer Marti-
gues entre la Noue ôc lui, ôcde le tailler en pièces. Le bruit
de cet avantage fe répandit de toutes parts^ôc ceux qui y avoient
intérêt le grolTirentiîfort, qu'on crut que c'étoitfait de d'An-
delot, ôcde fes troupes. Là nouvelle en étant venue jufqu'au
Roi , d'Andelot crut qu'il étoit à propos de rabaiffer un peu
la gloire de Martigues , qui étoit redevable à la Fortune beau-
coup plus qu'à fa valeur du fuccès qu'il avoit eu , ôc qu'il fal-
loit tenir confeil , pour voir ce qu'il y auroit à faire en cette
conjoncture.
Comme on étoit vers la fin de Septembre ; Ôc qu'il y avoit
Xxx ij
L'armée Prc-
teltante palîe
la Loire.
552 - HISTOIRE
peu d^efperance de trouver des guez dans cette faifon ; on
délibéra de quel côté on tourneroit. La plupart étoient d'avis
de retourner en Bretagne, ôc de fefaifir des paflages de la Sar-
te , de la Mayenne &du Loir, afin qu'on pût faire pafler tou-
tes les troupes à la fois^ étant de la dernière importance de
ne les point féparer dans la conjon£lure prefente. Les autres
difoient , que puifque la Loire n'étoit pas guéable , il falloit em-
porter de force le pont de Ce ; ce qui étoit, félon eux, une
affaire de peu de jours : mais on ne jugea pas qu'il fut prudent
d'entreprendre le fiége d'une place, quelque foible qu'elle fût,
ayant les ennemis fi près de foi, ôc dans le tems qu'on venoit
de recevoir un échec. La Noue ayant en fon particulier de-
mandé à d'Andelot ce qu'il comptoit faire, fi l'on ne trouvoit
point de gué ; ce Seigneur , qui étoit intrépide , répondit fur
le champ , ôc fans délibérer : ce Que pouvons-nous faire de
o> mieux que de prendre un parti extrême , ôc de mourir enbra-
« ve gens, ou de nous tirer au moins avec honneur des mains
« de nos ennemis. Mon avis efl: donc, qu'il faut que nous nous
« retirions tous enfemble à fept ou huit lieues d'ici 3 que nous
y choififiions une belle plaine pour y camper , que nous faffions
» adroitement courir le bruit, que nous nous retirons à la dé-
=5 bandade, pour chercher un azile , 011 nous puiffions nous met-
» tre à couvert. Lorfque ce bruit fera parvenu aux oreilles de
» Martigues ôc de Montpenfier , ils n'auront pas grande pei-
3' ne aie croire. Pendant ce tems là nous exhorterons nos trou-
05 pes à combattre avec courage ; ôc fi nos ennemis nous arta-
5' quent dans notre retraite, comme il n'y a pas à douter qu'ils
3' n'accourent ( plutôt à la vérité pour faire du butin que pour
M combattre ) alors nous les recevrons de bonne grâce, ôc nous
» les vaincrons infailliblement , pourvu que nous combattions
'^ avec tout le courage ôc toute la vigueur que nous devons.
»> Après quoi il n'y aura perfonne dans le Royaume qui ofe nous
»' attaquer d'un mois , ôc notre victoire nous donnera le moyen,"
» ou d'aller chercher desfecours en Allemagne , ou de remon-
» ter vers les fources des rivieres,pour nous joindre à nos amis. »
Dans cette diverfité d'avis Mongommery, qui vouloir qu'on
pafiat la Loire , furvint , ôc aflfura qu'il avoir trouvé un gué com-
mode. On détacha un vieux capitaine nommé la Garde , avec
quelques nioufquetaiues pour le fonder, ôc quoiqu'il y eût
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLIV. sss
bien des gens ennuyez de la guerre , & qui eulTent mieux ai-
mé retourner chez eux que de pafier la Loire, cependant la Char le
vûë du péril qu'ils couroient , s'ils fe féparoient des autres / jv
les retint, & tout pafla avec unevitefle & une ardeur incroya- i ç 6$ '
ble , les hommes , les équipages, & les munitions de guerre. ' ;
Montpenfier ne fe prefenta point de l'autre côté delà rivière, i
& n'inquiéta point l'arriere-garde commandée par la Noue. '
Cette nouvelle étant venue à la Cour, où Puiguillard fut en-
voyé pour juftifier les Généraux , la réputation , que les trou- \
pes du Roi s'étoient acquife par le dernier fuccès, diminua ]
beaucoup. On étoit furpris que des gens qui avoient pu met- I
tre en fuite toutes les troupes de d'Andeîot, n'euffent pu l'em- i
pêcher de pafier la Loire ; ce qui étoit bien plus aifé.
Dès le commencement de la guerre , le Roi avoir déclaré . Editssufu- ,
le duc d'Anjou fon frère Générahfiime de fes armées, & il lelbns,
avoit envoyé des lettres dans tout le Royaume, par lefquelles j
il prenoit fous fa protcdion tous fes fujets , tant Protcftans que ;
Catholiques, pourvu qu'ils demeuraflent en paix dans leurs
maifons j 6c en cas qu'on leur fit quelque injuftice, il leur per- j
mettoit d'en porter leurs plaintes. On avoit donné à ce fujet )
à tous les Gouverneurs des ordres également fpecieux & pref- i
fans. La Reine ôc le cardinal de Lorraine s'apperçurent bien- .
tôt , que ces lettres n'avoient pas fait beaucoup d'impreflion fur !
îaNoblefie ôc fur les gens de guerre, qui voyoient bien qu'on I
ne cherchoit qu'à lesamufer, & à les divifer afindeles acca- {
bler enfuite plus aifément : auffi aux premiers ordres du prin- !
ce de Condé , on les vit venir de toutes parts en armes pour
le joindre. Cela fut caufe que fur la fin de Septembre on donna i
un édit d'un genre bien différent. Le Roi, après avoir loué la .{
clémence , la pieté , ôc le zèle des Rois fes prédeceflcurs , de j
fon frère j de fon père ôc de fon ayeul , diîbit que l'édit du i
mois de Janvier, quil avoit fait en faveur des Proteftans au
commencement de fon règne , n'étoit que pour un tems ^ ]
ôc en attendant qu'il fut majeur : Que cet édit avoit été fuivi
d'une guerre très- cruel le ; mais que la paix s'étant faite deux
ans après , ill'avoit confirmé de nouveau après l'avoir interpre- i
té, ôc y avoir mis quelques adouciflemens : Que les Protef- :
tans abufant de fa bonté , ôc fe couvrant du prétexte de la Re- i
ligion , l'avoient violé de nouveau , ayant recommencé la guerre ]
Xxx iij
SSi HISTOIRE
. avant même de la déclarer > qu'il leur a voit encore pardomié
C H A R L E cet attemât , ôc que l'amour qu'il avoir pour la paix l'avoit por-
IX. t:é à la leur accorder à des conditions raifonnables : Que voyant
I y 5 8. qu'ils ne l'obfervoient pas mieux que la précédente, & qu'ils
retenoient, contre le traité ôc malgré lui ^ la Rochelle , Mon-
tauban , Caftres , ôc d'autres villes i ôc qu'au lieu de les ren-
dre, comme ilsl'avoient promis, ils y avoient mis garnifon^ il
étoit obligé d'en venir aux derniers remèdes iQu'ainfi par cet
édit perpétuel ôc irrévocable, il défendoit dans toute l'étendue
de fon Royaume à toutes perfonnes , de quelque condinon
qu'elles fuflent , fous peine de perdre la vie ôc leurs biens ,
l'exercice de toute autre Religion que de la Catholique Ro-
maine , qui étoit celle de fes ancêtres , ôc la Tienne , ôc qu'il
ordonnoit à tous les Miniftres de la Religion nouvelle , de for-
tir du Royaume , quinze jours après la publication de cet éditî
avec cette claufe cependant, que l'intention de fa Majefté n'étoit
pas qu'on perfécutât, ni qu'on inquiétât la confcience de ceux
qui avoient fait jufqu'alors profelTion de la Religion qu'on ap-
pelloit Reformée , pourvu qu'à l'avenir ils n'en profellairent
point d'autre que la Catholique Romaine.
Ce fécond edit fut bien-tôt fuivi d'un troifiéme, qui ordon-
noit à tous ceux qui faifoient profelîlon de la Religion réfor-
mée , de fe démettre de leurs charges , de leurs magiftratu-
res, ôc de tous les emplois publics. Ces édits, qui étoient
comme les préludes d'une guerre fanglante , par les fenti-
mens de haine ôc de défefpoir qu'ils mettoient dans le cœur
des Proteftans , furent vérifiez au Parlement avec d'aufli
grands éloges , que fi après les malheurs d'une longue ôc per-
nicieufe guerre, ils fuflent venus apporter au peuple l'agréa-
ble nouvelle d'une paix prochaine. Le Parlement en ordon-
nant la publication de ces édits, ajouta une chofe, qui étoit
fans exemples c'eft qu'à l'avenir tous ceux qui entreroient dans
les charges ôc dans les emplois publics , feroient obligez de
promettre avec ferment de vivre ôc mourir dans la Religion
Catholique Romaines ôc que s'ils l'abandonnoient, ils confen-
toient d'être privez de la magiftrature , ôc de toute autre digni-
té, comme en étant indignes. Cet édit, qui ne fut fait que pour
deshonorer ôc détruire la Religion Proteftante , n'a jamais pu
être révoqué , quoique par des édits pofterieurs , les Proteftanfi
1 La mère de d'Andelot étoit fœur
du Connétable.
z Louis III , c'eft en fa faveur que
la vicomte' de Thouars fut e'rîge'e en
Duché par Charle IX. en i yôj.
1 ;() 8,
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIV. S3S
ayant été déclarez capables de pofleder des dignitez. Ce ne n i i
fut qu'avec beaucoup de peine , & après de grands débats , que C H a R L E
trente ans après on en abolit l'ufage pour le bien de la paix. jy
Tout cela fe pafla après que le chancelier de l'Hôpital eut
été relégué dans fa maifon. Ce digne Magiftrat voyant que
déformais fes bons avis ne ferviroient de rien, que l'efprit du
Roi étoit prévenu par l'artifice des factieux , ôc que la Reine
penchoit pour ce parti là, défefperant d'ailleurs du falut de
l'Etat, 6c ennuyé d'une vie tumultueufe^avoit pris le parti de
la retraite ôc du repos. On reconnut depuis par expérience , que
ces édits, qu'on n'avoit faits que pour ruiner le parti Proteftant,
avoient produit un effet tout contraire à l'intention de ceux qui
les avoient fabriquez j car ils eurent le déplaifir de voir que les
Religionnaires également infenfibles à l'efperance ôc à la crain-
te, ôc ne fe fouciant ni des promeffes dont on tâchoitde les
leurer , ni des peines qu'on décernoit contre eux , abandon-
noient avec une ardeur ôc une joie incroyable, leurs femmes,
leurs enfans , leurs maifons, ôc venoient de jour en jour fe
rendre auprès du Prince de Condé, dont on avoit prétendu les
détacher par ces édits.
D' Andelot ayant paffé la Loire, marcha droit à Thouars , pla-
ce importante , appartenant à la maifon de la Trimouille. Les
portes lui en furent ouvertes ,ôc il y fut très-bien reçu par Jean-
ne de Montmorenci fa coufine germaine ', fille du Connéta-
ble Anne de Montmorenci , ôc femme de Louis de la Tri-
mouille ^. Il détacha la Colombiere , qui furprit Claude de
Goufier duc de Roanez dans fa magnifique maifon d'Oiron,
On l'envoya fous une bonne efcorte à la Rochelle , ôc on lui
demanda une grofie rançon : mais après avoir long-tems dif-
féré de la payer , il donna enfin fa parole au prince de Condé,
Ôc on le laiila aller. Dans la fuite lorfque le prince de Con-
dé fut mort , Goufier prétendit qu'il n'étoit plus engagé à per-
fonne , ôc qu'il étoit quitte. La chofe fut agitée long-tems j mais
il ne paya rien , ôc il fe moqua de la Colombiere, qui avoit
grande envie d'avoir cette proie.
r3<^ HISTOIRE
j^ , De Thoviars , d'Andelot marcha à Parthenay, ôc fe rendit
C H A R L E ^"^^^^"^^ ^^ ^'^ ville. Malo , qui en étoit gouverneur , s'érant obftiné
TV à défendre le château , & ayant été forcé, fut pendu en pu-
I c 5 8 ^ition de fa témérité, pour avoir voulu tenir contre une armée
dans un lieu qui n'étoit pas de défenfe. Delà ayant joint fes
troupes avec celles de Coligny fon frère, ils marchèrent en-
femble àNyort :c'efl une ville forte ôc fameufe par fes foires,
cil l'on vient de toutes les parties du Royaumes elle eftfituée
fur la Seure , qui commence en cet endroit à porter bateau,
traverfe enfuite le payis d'Aunis, Ôc va fe jetter dans la mec
au-dcffus de Marans : elle eft différente d'une autre rivière du
même nom * , fur laquelle il y a un pont à la Pommeraye : celle-
ci prend fa fource dans les marets de Gatine, traverfe la fo-
rêt voifme , pafle à Mortagne , ôc à Cliffon , ôc vient tomber
dans la Loire auprès de Nantes,
P^o^eitans*^^^ Gui de DaiUon comte du Lude, gouverneur de Poitou , a voit
mis dans Nyort la Marcoufle, avec un régiment d'infanterie,
ôc beaucoup de Noblefle d'élite. On le fomma de rendre la
place 5 mais fe fiant à fes troupes, il le refufa. On fît venir de
la Rochelle trois pièces de canon : dès qu'elles furent en ba-
terie , il capitula , à condition de fortir vie ôc bagues fauves.'
On prit tout de fuite Melle , où le capitaine Louis étoit en gar-
nifon avec quarante hommes > il déclara qu'il ne fe rendroit
point qu'il ne vit du canon : lorfqu'on en eut amené , il fe ren-
dit à difcretion , ôcl'on fît main baffe fur ce qui étoit dans la pla-
ce. Tous les foins que Coligny fe donna pour l'empêcher
furent inutiles j il eut beau vouloir toucher le foldat, ôc pro-
tefter que c'étoit violer les droits de la guerre , ôc la foi publi-
que, ouvrir la porte aux meurtres réciproques, ôc aux ven-
gences particulières ; on ne fécouta point. On envoya enfuite
Pluviaut avec une partie de l'armée à Fontenai-le-comte, qui
eft fitué fur la Vandée 5 il fe rendit maître de la ville. Haute-
combe fe jetta dans le château avec fept bourgeois feulement,
ôc s'y défendit quelques jours : quand il vit néanmoins qu'on
dreffoit des échelles , ôc qu'on mettoit le feu aux portes , il fe
rendit , à condition que lui Ôc fes gens auroient la vie fauve;
niais on ne leur tint point parole : il fut conduit à la Rochelle;
I On l'appelle la Seure Nantoife \ l'autre s'appelle la Seure Nyortoifç.
OU
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. ^57
où on le fit mourir. Saint Maixant s'étant rendu peu de tems
après fans combat , on obligea la bourgeoifie à payer une fom- ""' -
me pour les frais de la guerre. Char LE
Pluviaut avoir ordre de fe faifir aufll de Lufignanj mais le ^ ■^•
maréchal de la Vieuville S quiétoit à Poitiers , ôc Jean de la i î ^ S»
Haye y ayant envoyé de bonne heure des troupes , & tout
ce qui étoit néceffaire pour foûtenir un fiége , ils fauverent la
place. Cependant le Roi donna ordre à Jacque Goyon Sei-
gneur de Matignon , lieutenant de Roi de la bafle Norman-
die ^ à Jean Grogner de Vafîe, Gouverneur du payis du Mai-
ne, ôc à Claude de la Châtre , Gouverneur de la Touraine ôc
du Bcrry , d'aller joindre le duc de Monpenfier j on lui en-
voya aulfi Timoleon de Coffé comte de BrifTac avec de l'in-
fanterie, ôc Henri de Lorraine duc de Guife, avec quelques .
efcadrons de Gend' armes. Ce jeune Prince, qui avoir pour
la gloire une ardeur au-deflus de fon âge j s'étoit déjà acquis
de la réputation en Hongrie: fe trouvant d'ailleurs foûtenu du
nom de fon père , il donnoit de grandes efperances pour l'a-
venir. Les Confédérez étant maîtres du Poitou , defcendirent
dans l'Angoumois. Mongommery avoir pris les devants avec
huit compagnies de cavalerie 3 ils avoient deflein d'inveflir
Angoulême, avant que Monluc y pût faire entrer du fe*
cours.
Cette ville eft fituée près de la Charante fur une mon-
tagne efcarpée de tous cotez , excepté du côté du chemin ^^Ji^e p^"'
qui va à Limoge : mais elle étoit fortifiée de ce côté-là de trois les Confcdé-
murailles , ôc d'un foffé très-profond. Nicolas d'Anjou mar- """
quis de Mezieres commandoit dans la place avec quatre cens
hommes. Il avoir avec lui Vivonne , Seigneur de la Châtai-
gneraie, d'Argence, le bâtard de RuflTec , ôc beaucoup d'au-
tres gentilshommes des plus confidérables de la Province. On
commen(ja par battre l'ouvrage qui éroit au - deflbus du châ-
teau : dès qu'il y eut brèche , Mongommery monta à l'aflaut ;
mais il fut repouflTé avec perte i Pierre Buffier de GenifTac y
fut tué. Les Confédérez jugeant que l'entreprife étoit difficile
ôc que le fiége pourroit être long , ôc d'un évenemenr dou-
teux , délibérèrent s'il ne valoit pas mieux lever le ficge , ôc aller
au-devant des troupes qui leur venoient de Languedoc ôc de
i François de Scepeaux fait maréchal de Frgnce en ij5z.
Tome V, Y y y
rcz.
;38 HISTOIRE
* Gafcogne , que de refter là d'avantage. Pendant qu'ils déli-
Charle beroient, un des habitans leur vint dire que la garnifon per-
I X. doit courage , & qu'elle fe rendroit , fi l'on tentoit un fécond
I y (5 8. aflaut. Sur cet avis ils tranfportent leur canon à Sainte Claire>
& commencent à battre la place de ce côté-là. Ils connurent
bien- tôt qu'on leur avoit dit vraii car d'Argence , que Mezie-
res avoit déjà envoyé plufieurs fois dans le camp des afTiégcans,
fous prétexte de leur faire des propofitions, n'ayant re(^u au-
cune nouvelle ni du Roi ni de fes Généraux , depuis que la
place étoit inveftie i commença à entrer ferieufement en né-
Prifed'An gociatiou. La Capitulation fut réglée à ces conditions : Que
gouiéme. les Scigueurs fortiroient en pleine liberté avec armes ôc ba-
gages , les Gentilshommes avec leurs chevaux , & les foldats
avec leur épée : ces articles furent fidèlement obfervez. Plu-
viaut , qui avoit fequeftré quelques chevaux des Gentilshom-
mes, les rendit, forcé par Coligny, à qui ce procédé déplut
fort : il lui en fit une rude réprimande ) 6c le prince de Cou-
dé eut beaucoup de peine à empêcher qu'il ne le frapât. C'eft
ainfi que cette ville > qui à caufe de fa fituation avoit pafTé juf-
que-là pour imprenable, ôc qui en effet n'avoit jamais étéprife
par force , tomba entre les mains des Religionaires. Condé
en donna le gouvernement à René de l'Hôpital , feigneur de
Sainte Mefme , ôc y mit garnifon. Le bâtard de RufFec y fut
tué dans une querelle, qu'on lui fit exprès pour quelque inimi-
tié particulière : fa mort coûta cher aux Proteftans, & fut ven-
gée par celle de plufieurs innocens.
Prife de On marcha de là à Pons en Saintonge. Antoine de Pons
^°"^* Seigneur d'une très-ancienne nobleffe étoit dans la place , ôc
il y avoit été joint par les troupes de Vivonne , feigneur de
la Châtaigneraie , qui ayant appris le fiége d'Angoulême , étoit
ford de Saint-Jean-d'Angely , où il commandoit pour fecou-
rir cette place. A peine étoit-ii forti , que la ville d'Angou-
lême ouvrit les portes au prince de Condé : les habitans n'ayant
pas voulu recevoir les troupes qu'il leur menoit, il \ts envoya
à Pons. Les ennemis en arrivant devant cette place , prirent
les fauxbourgs d'emblée , ôc commencèrent à battre la porte
de Saintes : ayant enfuite tranfporté leur canon dans un au-
tre endroit , Ôc ayant fait brèche , Armand de Clermont fei-
gneur de Pile , , donna l'afiaut, ôc fe rendit maître de la ville.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. nP
Antoine de Pons s'étant retiré dans le château avec fa garni- m.». ■»«.«.■—
fon, fut bien-tôt obligé de fe rendre. On l'envoya à la Ro- Charle
chelle fous bonne efcorte , ôc on laifTa Boeffe avec quelques I X.
troupes dans le château. Les Religionaires étoient déjà mai- i j 5 8.
très de Saintes y de Saint Jean d'Angely ^ ôc de Tailiebourg.
Ce château ^ quieft fur la Charante, appartient à la maifon de
la Trimoùille : Romegou frère de Bourdeille , qui fut tué au
fiége de Chartre , s'en étoit emparé il y avoit long-tems. La
paix ayant été faite depuis , on n'avoit jamais pu , ni par négo-
ciation ni par menaces , l'obliger à la rendre. Voilà pourquoi
il étoit entre les mains des Proteftans. Ils furprirent dans ce p^jf^ ^c
même tems la ville de Blaye fituée à l'embouchure de la Ga- Biayc.
ronne, place très-forte & d'une grande importance: on y mit
Pardaillan avec une bonne garnifon. Par ce moyen les Pro-
teftans étoient prefque entièrement maîtres de la Saintonge , de
l'Angoumois Ôc du Poitou , ôc après s'être vus peu de tems au-
paravant dans un très-grand péril , ils fe trouvoient tout d'un
coup au comble de la profperité. Ils avoient fouvent à la bou-
che un mot que Themiftocle difoit pendant fon exil 3 pour fa
confolation ôc pour celle des gens qui étoient avec lui : jefe-
rois -perdu i fi je n'avois été perdu. Mais ils firent une faute, qui
troubla le cours de leurs profperitez. Les troupes que le fieur
de Mouvans leur amenoit , n'ayant pas fait affez de diligence ,
furent taillées en pièces par celles du Roi. C'eft ce que je vais
raconter , en reprenant les chofes de plus haut.
Condé en partant de Noyers avoit écrit en Dauphiné, en
Provence , en Languedoc , ôc en Gafcogne , à ce qu'ils ap-
pelloient leurs Eglifes. Illeur expofoit la grandeur du péril où
il fe trouvoit , ôc les prioit de faire les derniers efforts pour le
fecourir. Afin de preffer cts fecours , il envoya Saint George
fleur de Verac , Ôc plufieurs autres couriers dans la fuite. Ces
lettres eurent leur effet : les levées fe firent avec une ardeur
infinie, ôc les chefs y travaillèrent à fenvi; les peuples aban-
donnoient tout , leurs maifons , leurs femmes , leurs enfans.
Mais fi la difficulté fut grande pour faire des foldats, elle le
fut bien d'avantage pour les raflembler dans un même lieu :
enfin lorfque cela fut fait , on en donna le commandement gé-
néral à Jacque de Cruffol, feigneur d'Acier \ Le Dauphiné
1 II quitta depuis le parti des Protef- j ne de CrufToI, premier duc d'Ufez,
ans, après la more de fon frère Antoi- ) dont il étoit héritier.
Yyyij
540 HISTOIRE
I- fournit trois cornettes de cavalerie ôc fept regimens d 'infan-
Ch AR I F ^^^^^' -^^^ Colonels étoient Louis Dupuy de Monbrun , An-
jy cône de Saint Romain, Virieu, de Blacons , Mirabel, de
u ç /a Chelar , & d'Oroze ? tout cela faifoit foixante-quinze compa-
^ * gnies. Paul Richien lieur de Mouvans amenoit de Provence
dix compagnies d'infanterie , & deux cornettes de cavalerie
commandées par Valavoire & par Pafquiers. On leva en Lan-
guedoc trente-cinq compagnies , dont on fît quatre regimens
commandez par Baudiné frère de d'Acier. Il y avoir outre
cela les quatre cornettes des fieurs d'Acier , ôc de Boûillar-
gues , du chevalier d'Ambre , & de Spondillan , Ôc deux re-
gimens faifant dix-huit compagnies , levez dans le Vivarez ôc
dans le Roûergue , ôc commandez par Pierre de Gourgues ^
ôc par le vicomte de Panât , avec cent hommes de cavalerie
• légère , commandez par Thoiras : tout cela enfemble formoit
^23000 hommes.
Sur le bruit de leur marche , Bertrand de Simiane de Cor-
des , gouverneur du Dauphiné , vint à Montelimar , pour les
empêcher de pafler le Rhône : il avoit équippé quelques pe-
tits bâtimens , qui alloient de côté ôc d'autre fur ce Heuve ,.
pour inquiéter les troupes qui s'aflembloient fur fes bords.
Pour remédier , à cela les chefs des Proteflans furent d'avis de
prendre ou de fortifier deux endroits , dont la fituation fût
avantageufe , d'y donner rendez-vous à toutes leurs troupes ,
ôc de pafTer ce fleuve avec des pontons. Pour cet effet, Chan-
gy fe faifit d'abord du château Pyrauld , qui eft dans le Vi-
varez, un peu au-deffous de Vienne. De Cordes ordonna au
Gouverneur de Lyon d'y marcher avec du canon. Sur les inf-
tances de Changy, Saint Romain fe hâta d'arriver , accourut
avec fa troupe , ôc paffa heureufement , avant que le canon fiît
arrivé. Du Pont ôc Des-Oulieres fe faifirent d'une petite pla-
ce nommée Bais , fituée un peu au-deffous fur la rivière de
Bais. Toutes les troupes , qui venoient de Valence , de Gap
ôc de Die , pafferent en cet endroit fans obftacle. Mouvans ar-
riva un peu plus tard : ce qui le retarda fut un certain Senas ,
ôc un miniftre de Merindol , qui lui jetterent quelques fcru-
pules dansl'efprit, foûtenantque cette guerre ne fe faifoit point
pour la religion , mais pour des inimitiez ôc des querelles parti-
culières.Enfin il arriva au bord du Rhône, ôc ayant eu une légère
efcarmouche avec les petits bâtimens qui alloient ôc venoiemfur
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLIV. 541
ce fleuve, il fit élever à la hâte un Fort à trois angles, aflez grand
pour contenir mille hommes 5 il étoit flanqué de fept petits Ch arle
baftions. Les foldats y travaillant jour ôc nuit, & combattant j x
d'une main, pendant qu'ils travailloient de l'autre, le Fort fut i ^ (5 8,
bien-tôt en état de défenfe. Le régiment de Provence, Mira-
bel , Blacons , Ancone , Monbrun 6c d'Orofe paflerent le
Rhône fans péril , parce que de Gordes , qui craignoit pour
Creft, Dio ôc Loriol, qu'il avoir laiflez derrière lui, avoir pris
le parti de retourner en Provence. Les Confédérez n'atten-
doient plus que la Coche , qui amenoit environ fept cens mouf-
quetaires , qu'il avoir levez dans les montagnes : mais comme
il n'arriva point, foit qu'on l'eût averti trop tard , foit pour
quelqu'autre raifon, Chelar,qui étoit refté le dernier dans le
Fort, y étant encore demeuré un jour ôc une nuit , l'abandon-
na ôc paflli de l'autre côté : c'eft ce qu'on a depuis appelle le
Fort de Mouvans.
Cependant Virieu ôc Changy , qui avoient pafle le Rhône
les premiers à Pyrauld , s'emparèrent d'Annonay , dont nous
avons fouvent parlé dans la première guerre civile 5 ôc ils y
reçurent tout ce qui venoit du Forets ôc des environs. De là
ils marchèrent à Aubenas , entrèrent dans les Cevenes , ôc arri-
vèrent à Alais. Saint Romain, qui avoir amené jufques-là
les troupes du Dauphiné> fe démit du commandement, ôc le
remit entre les mains de Virieu. Toutes les troupes s'étant af-
femblées en cet endroit , elles fe mirent en marche vers le
Roùergue , ôc arrivèrent en cinq jours de marche à Millau ,
où Antoine du Pleix feigneur de Gremian s'étoit rendu par
ordre de d'Acier , pour tacher d'engager la ville à fe joindre
aux Confédérez. D'Arpajon, Thoiras , Panât, ôc ATontaigu,
ayant paflé le Tarn fur un pont, y vinrent joindre d'Acier. On
tint confeil fur ce qu'il y avoit à faire : mais les quatre vi-
comtes ne paroiflantpas difpofez^à fortir du Quercy , ÔcMon-
clar d'ailleurs ayant afl^uré que le prince de Condé lui avoit
écrit , qu'il étoit dans la réfolution de les venir trouver , ils al-
lèrent pafler le Lot à Cadenac.
On détacha Moreau maréchal de Camp , pour aller fonder
le gué de Soiiillac : mais il fut pris par Galeot de la Tour vi-
comte de Limeuil auprès de Gramat, où MonlucMonfalez,
ôc Defcars s'étoient rendus. Ayant été mené à Monluc , ii
Y y y ii j
542 HISTOIRE
m.uj^.««ja-M» ]ui dit que d'Acier appi'ochoit , & ce qu'il avoit de troupes.
Charle •^o"^'^^ voyant, parce que lui difoit Moreau^que tout ce
T X *î^^ Joyeufe ôc les autres chefs des Catholiques lui avoient
/n dit fur le nombre de ces troupes, étoit faux, ôc qu'il n'auroit
* point affaire, comme on le lui avoit fait entendre, à fix mille
foldats de nouvelles levées, ôc à des troupes de femmes, d'en-
fans ôc de Goujats , réfolut de les combattre au partage de la
Dordogne , dans quelque endroit qui pouvoit leur être defa-
vantageux. Il prit là-deffus les avis d'Heâor de Pardaillande
Gondrin , de Lomagne Terride , de Jean de Nogaret la Va-
lette ) d'Armand de Gontaud de Biron maréchal de Camp ,
de Sainte Colom.be , de Limeuil , de Maffei , de Defcars mê-
me , ôc de ?vionfalez. Celui-ci s'y oppoioit fortement , foûte-
nant qu'il falloit exécuter fur le champ l'ordre du Roi , qui
portoit que les troupes de Guienne allaffent fans délai joindre
le duc de Monpenfier.
Les autres chefs n'obéïrent pas d'abord à ces ordres. Mais
Monfalez , qui afpiroit à l'honneur de conduire ce fecours ,
ayant trouvé le moyen de faire venir un fécond ordre de la
Cour, Monluc lui remit les troupes, comme il le dit lui-mê-
me dans fes Commentaires , ôc piqué de ce qui venoit d'ar-
river , il donna fon infanterie à Fabien fon iiis Chevalier de
Malte , ôc fe retira à Gourdon. Pendant ce tems-là les Ccn-
fédérez avançoient toujours , ôc faifoient chercher des guez ,
afin de pafler la Dordogne. Comme les troupes du Roi s'é-
toient retirées , ils la palîerent fans oppofition le quatorzième
jour d'Odobre, ôc vinrent à Soùillac, de là à Benac ôc à
S. Châtier en Perigord , fans être attaquez , ôc ils y pafferent
la rivière de l'Ifle.
Le duc de Monpenfier étoit déjà arrivé à Perigueux , fitué
fur cette rivière, après avoir fait la revue de fon armée à Châ-
teileraud en Poitou , où étoit le rendez-vous général de tou-
tes fes troupes. Martigues , Guife Ôc Briflac menoient l'avant-
garde j Monpenfier étoit au corps de bataille ôc marchoit le
long de la Vienne. Quelques troupes des Confédérez com-
mandées par Puy-Vidal , s'étant logées à Confolans , ôc ne
faifant pas bonne garde, y furent furprifes ôc taillées en pièces
par Briffac : mais il y perdit Engaravaques , jeune homme
d'une grande valeur. Monpenfier étant arrivé à Perigueux ^
DE J. A. DE THOU, Liy. XLIV. h?
ôc ayant mis fes troupes en des quartiers voifms de la place *
fit des détachemens, pour apprendre des nouvelles des enne- Pharle
mis : on lui rapporta que d'Acier n'étoit qu'à deux lieues de ] v
lui , qu'il étoit arrivé avec Ion armée à Saint Châtier, ôc qu'il , ^ /- o
avoit poite les troupes aux environs, de manière, qu il y avoit
deux regimens en chaque quartier; que Mouvans , qui étoit
haut & fier , ne pouvant s'accommoder avec Baudiné frère
de d'Acier, & général de l'infanterie , s'étoit campé avec Pier-
regourde auprès de Mefignac , affez loin du refte de l'armée.
On prit des mefures pour l'y enlever : pour cela il fut réfolu
qu'on iroit droit à Saint Châtier , ôc que l'on engageroit le
combat avec d'Acier , pour l'amufer pendant que la cavalerie
tomberoit fur Mouvans Ôc fur Pierregourde, afin que d'Acier
occupé lui-même à fe défendre, ôc coupé par les troupes du
Roi , ne pût leur donner defecours.
On chargea Briflac de cette expédition. II parut la nuit
avec douze censGensd'armes ôc autant de fantafiins d'élite ^
ôc arriva au point du jour auprès de Mefignac. L'ardeur d'en
venir aux mains penfa lui faire perdre l'occafion. Car Pierre-
gourde ayant apperçu les ennemis, donna l'allarme au camp,
ôc fe retrancha dans le village , au grand regret de Mouvans,
qui vouloit qu'on allât fur le champ à l'ennemi. Dans lemê-
me-tems Monpenfier attaqua vivement d'Acier. Celui-ci, qui
comprit le defifein des ennemis , fe défendit vigoureufement 3
ôc envoya d'Orofe pour dire à Mouvans de ne point fortir de
fon pofte , ôc de ne point engager le combat ; que c'étoit le
moyen défaire échouer le delfein de Monpenfier ; que les en-
nemis , fatiguez du combat de la journée , feroient obligez de
fe retirer fur le foir ; Ôc que la nuit il iroit lui-même à fon fe-
cours , ou y envoyeroit quelqu'un avec un renfort confidéra-
ble. Ce confeil, qui étoit fort fage , fut approuvé par Pierre-
gourde, ôc Mouvans s'y étant rendu avec beaucoup de peine,
retint quelque-tems fes troupes.
BrifiTac jugeant qu'il n'y avoit rien à faire , tant que les en-
nemis fe tiendroient dans leur pofte , tacha de reparer par une
rufe la faute que trop de précipitation lui avoit fait faire. Sur
le midi il fait fonner la retraite , comme pour s'en retourner ;
ôc ayant tourné tout court à droite , il fe pofta derrière une
colline , qui le déroboit à la vue des ennemis. Alouvans,qui
Î44 HISTOIRE
■ ctoit l'homme du monde le plus préfomptueux , jugeant que
C H A R L E ^^^ troupes du Roi s'étoient retirées , fait fonner la marche ôc
I X. ^^ ^^^^ ^^ chemin enfeignes déployées , pour aller à Riberac,
1 5* (î 8. i'^'ialgré les remontrances de Pierregourde , qui vouloir qu'on
attendît jufqu'au foir. Mouvans marchoit à la tête , Pierre-
gourde à la queue. Ils s'avancèrent en cet ordre juCqu'à une
forêt voifine , à l'abri de laquelle ils comptoient marcher dé-
formais en fureté : mais lorfqu'ils furent éloignez du pofte qu'ils
venoient de quitter , ils tombèrent dans l'embufcade que Brif-
fac leur avoir dreffée.
Dctaitedes Mouvans reçut d'abord les Royaliftes de fort bonne grâce,
tiouj)cs des ôc leur tua beaucoup de monde, à lafaveur d'un détachement
?j!-"Briirac! ^"^ Pierregourde envoya à fon fecours j mais la cavalerie du
Roi s'étant feparée en deux corps , ôc ayant chargé en flanc
l'arriere-garde qui étoit découverte , les Religionaires fe mi-
tent en defordre j ôc malgré les efforts des chefs qui fe défen^
dirent avec une valeur extrême, ils furent taillez en pièces
avec un grand carnage. Ceux qui purent échapper fe fauve-
rent dans le village ou dans la forêt voifine. Mouvans fut tué :
ce fut la jufte récompenfe de fa témérité , ôc Pierregourde ,
dont les fages confeils meritoient un plus heureux fort , eut
la même deftinée. Il y eut plus de mille hommes tuez du
côté des Confédérez , ôc dix-fept drapeaux pris. Du côté de
Briffac il y eut peu de morts : Jacque de la Châtre de Sillac
frère de Claude de la Châtre , dont j'ai fi fouvent parlé, y fut
tué : la mort de cet homme feul pouvoir être regardée comme
une grande perte. Ce jeune homme, qui avoir un efprit culti-
vé par les lettres » Ôc une valeur qui eft héréditaire à fa maifon,
étoit capitaine des gardes du duc d'Anjou : il fe trouva à ce
combat à la tête de quelques-uns de ces gardes. Les enne-
mis commençant à plier , il les chargea avec un peu trop d'ar-
deur, ôc comme ils s'étoient couverts d'une haye , il la fit fau-
ter à fon cheval:, qui étoit vigoureux. Mais n'étant fuivi de
perfonne Ôc fon cheval ayant été tué fous lui , il reçut un coup
de lance au travers du corps , dont il fut tué.
Briffac ayant heureufement exécuté cette entreprife , fe ren-
dit fur le foir au camp du duc de Monpenlier , qui lui donna
de grands éloges. L'armée refta encore trois jours à Perigueux,
pour fe refaire. D'Acier arriva le lendemain à Riberac , où il
^ fut
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. ^45-
fut joint par environ mille foldats qui étoient échappez de la de- «^
faite de Mouvans. On tint confeil fur ce qu'il y avoir à faire. Char LE
Quelques-uns , par un fentiment peut-être trop humain, vou j^
loient qu'on y reftât jufqu'a ce qu'on pût raffembler tous ceux 1 ^ <5 s.
qui croient échappez du dernier combat , & qui alloient être
expofez à la cruauté des payifans , dès que l'armée feroit éloi-
gnée : mais on s'en tint au parti le plus fur, qui étoitde gagner
su plus vite Aubeterre , pour joindre l'armée de Condé. Ce
Prince y joignit d'Acier le premier de Novembre , & fon armée
étant alors la plus forte , ce fut à Monpcnfier à reculer , & aux
Confédérez à le pourfuivre à leur tour i ils le firent très-vive-
ment.
Monpenfier gagna Monmorillon en fix jours de marche ,
èc après y avoir féjourné deux jours , il détacha la Valette avec
un corps de troupes armées à la légère , afin d'arrêter Coligny
par des efcarmouches: pour lui il gagna Chatelieraud. Cepen-
dant Coligny alFiégea Chauvigny fur la Vienne i la ville étant
prife, Paffat rendit le Château , à condition d'avoir la vie fauve.
Coligny y fit mettre le feu , afin que les Catholiques ne puf-
fent s'en fervir , ôc il fe retira. Le duc d'Anjou étoit arrivé
avec une armée de 12000 hommes de pié , Ôc de 4000 che-
vaux, fans compter les SuiiTes, qui menoient avec eux un grand
train d'artillerie. Monpenfier l'ayant joint, ôc Boucard d'un
autre côté ayant joint les Confédérez avec un corps d'infan-
terie qu'il amenoit de Pons , Condé , dont l'armée étoit forte de
iSooQ faïuaflins , ôc de 3000 chevaux , réfolut d'aller à la ren-
contre du duc d'Anjou.
11 arriva que les deux avant-sjardes marchant du côté de ,^^^,^''°"r^^
T r ' j / 1 / 1 j r^ , . du Roi lont
l^ungnan , précédées par les maréchaux de Camp , voul'jient battues pai le
toutes deux occuper le même pofte. Les détachemens de l'ar- priii^e de
mce du Koi étant arrivez les premiers a ramprou , a cinq
lieues au-deflbus de Poitiers , ceux de l'armée des Confédérez
y arrivèrent prefque aufiTi-tôt : il y eut quelques efcarmouches
de part ôc d'autre. Mais Coligny ôc d'Andelot fon frère étant
furvenus , Martigues , qui commandoit la première ligne de
l'armée fous Monpenfier , fe retira , ôc fe mit en bataille dans
la plaine qui eft au-deflbus , ayant jette des moufquetaires
dans un bois voifin pour prendre les Confédérez en fianc , ôc
faire feu fur eux. Ceux-ci voulant les chaffer de ce pofte.
Tome F. Z z z
S^6 HISTOIRE
prennent quatre cens volontaires du régiment de Montgom-
7^ mery , ôc les y envoyent fur les trois heures après midi. Le
jy combat fut rude: les troupes du Roi fouffrirent le plus, ôc il
,*o y eut environ cinquante hommes de tuez de leur côté? mais
^ ' le nombre des bleffez fut beaucoup plus grand. Enfin la nuit
féparales combatans. La Noue écrit , que l'armée du Roi per-
dit là une belle occafîon de remporter un avantage confidéra-
ble , en ce qu'ils crurent trop légèrement que toute l'armée
du prince de Condé étoit à Pamprou ; de forte que le com-
bat ayant été engagé par la témérité de celui qui comman-
doit les moufquetaires à cheval, d'Andelot ôc Coligny furent
très - embarraiïez , & fe trouvèrent même de fentiment con-
traire : le premier étoit d'avis de faire retraite > &c le fécond
de faire ferme. Si dans ce moment l'armée catholique eut char-
gé avec toutes fes forces les ennemis , elle auroit taillé en pie-
ces toute leur avant-garde.
Martigues trouvant fon pofte defavantageux , fongea à fe
retirer à la faveur de la nuit , ôc pour le faire avec plus de fu-
reté , ôc tromper les ennemis , il ordonna à tous les tambours
de battre la marche des Suiifes , pour faire croire à l'ennemi
que ceux de cette nation , qui étoient demeurez à Jafeneùil
avec le duc d'Anjou, venoient d'arriver: il fit dans la même
vi^ië attacher des mèches allumées aux hayes ôc aux arbres épars
ça ôc là , ôc allumer des feux de tous cotez. Tout étant ainlî
difpofé, il décampa iluis bruit, ôc réjoignit le duc d'Anjou ,
fans autre perte que celle de quelques bagages. A fon arri-
vée il envoya une partie de fes troupes à Sanzay , qui n'eft éloi-
gné de Jafeneùil que d'une lieuë. Condé , qui ignoroit la re-
traite des troupes du Roi , paffa la nuit dans une grande in-
quiétude. Ayant fçû au point du jour qu'ils étoient décampez,
il réfolut de les fuivre ôc de hazarder un combat à quelque
prix que ce fût. Il fit manger fes troupes ôc fe mit en marche.
Il y avoir deux chemins , fun qui alloit à Jafeneiïil , ôc l'au-
tre à Sanzay. Cela joint à un brouillard épais , qui ne fedif-
fipa que vers le midi , fut caufe qu'ils s'égarèrent. Coligny
ayant été détaché avec un corps d'élite pour gagner Sanzay,
Condé , qui devoit le fuivre avec toute l'armée , prit maiheu-
reufement l'autre chemin , ôc ne reconnut fon erreur , que
lorfqu'ii fut près de Jafeneiiil. Comme il n'étoit ni honorable
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. 5-47
ni fur de fe retirer en préfence de l'armée ennemie, il mit en ,
bataille toute fon infanterie , qui faifoit environ 1 2000 hommes, c h a r i f
ôc commença le combat , ayant envoyé ordre à Coiigny de TV
le venir joindre au plutôt. i c 5 8
Le duc d'Anjou de fon côtéfemet en bataille, ôc fait pla- Combat en-
cer fon canon de manière qu'il incommodoit extrêmement ^[^ ^^ ^"c
15 ^ j Tt ' •/• / -x- r-i^ V . d'Anjou & le
armce du rrmce, qui etoit rangée vis-a-vis. Coiigny^ , qui p,,nce de
n'avoit pas encore vu ceux que le prince de Condé lui avoir Condé.
envoyez pour le faire venir , jugea, par le bruit du canon, de
ce qui étoit arrivé , ôc laiffant les troupes royales qui étoient
à Sanzay , ôc qu'il alloit tailler en pièces, il marcha en diligen-
ce au fecours du Prince ôc le joignit à l'entrée de la nuit.
Toute la journée s'étoit paffée en efcarmouches , tantôt entre
des moufquetaires des deux partis , qui s'attaquoient tour à
tour au milieu des buiflbns ôc des ronces , tantôt entre de gros
pelotons d infanterie , qui marchoient à découvert : pendant
ce tems-là le canon ne ceffoitde tirer, lentement à la vérité,
mais prefque toujours à coup fur. Guife fe prefenta plufieurs
fois avec de la cavalerie î mais perfonne ne paroifTant de l'au-
tre côté , il n'entreprit rien, Monfalez s'avança auffi avec cin-
quante gens-d'armes. Maisd'Andelot ayant envoyé contre lui
la Perrière avec une troupe de moufquetaires à cheval , qui
dévoient être foûtenus par Montgommery , il ne jugea pas à ^
propos de les attendre. L'infanterie feule combattit 5 il y eut
beaucoup de monde tué de part ôc d'autre , ôc encore plus de
bleffez : la perte ôc le péril furent affez égaux , ôc aucun des
partis n'eut lieu de s'attribuer la vi6toire.
A mefure que les troupes du Prince s'étoient avancées , les les Cou-
bagages en avoient fait autant. Les valets ôc les goujats s'ar- jf^^j*. 'donnent
rcterent dans les bois , ôc y allumèrent des feux, fans fe mettre deux armées,
en peine de leurs maîtres , qui étant extrêmement fatiguez de
tous les mouvemens qu'il avoitfalu faire depuis plufieurs jours,
furent obligez de fe paffer cette nuit-là de leurs bagages , ôc
les comptèrent même perdus. Au milieu de la nuit Condé dé-
tacha quatre efcadrons, pour en apprendre des nouvelles. Lorf-
qu'ils virent tous ces feux qui étoient allumez dans le bois ,
ils crurent que c'étoit le duc d'Anjou qui décampoit i ce qui
les obligea de s'arrêter. Les troupes du Roi de leur côté ne
doutant pas que ce ne fût l'armée du Prince, qui étoit venu
Z zz ij
3-4^ HISTOIRE
■ cavnper anprè5 d'eux , furent toute la nuit fous îe^ armes. Ce>
Charle p£ri^^i"it ce n'étoit que des valets ôc des goujats, qui s'érant
j^ poftez entre les deux armées , paflfoient la nuit à boire Ôc à
i r ^ S. fe divertir. Les quatre efcadrons détachez par Condé, ayant en-
tendu leurs difcours ôc le bruit qu'ils failbient , fe doutèrent
de ce que c'étoit,ôc s'approchèrent. Ces goujats , qui ne les
connoiflbient point , les faluerent à coups d'arquebufe. On
leur cria de refpeder leurs maîtres j alors effrayez du péril où
ils fe trouvoient , ils plièrent bagage fans bruit, ôcs'en allèrent
au camp. Les Généraux rirent beaucoup de cette avanture.
Le lendemain les deux armées décampèrent. Le duc d'An-
jou prit la route de Poitiers avec fes bleffez , qui moururent
prefque tous en chemin , ce qui fit croire aux troupes du Roi
que les ennemis avoient empoifonné leurs balles. Le régi-
ment de Briffac étcit logé à Aufence , dont le château appar-
tenoit au Gouverneur de Metz. Les foldats fe promenant fans
précaution dans le bourg y furent furpris par Coligny , qui en
tua environ deux cens , le refte fe fauva dans le château , oii
ils auroient été pris, fans le fecours qui leur vint de Poitiers»
^ Le prince de Condé ayant décampé , s'empara de Mirebeau,
petite ville du baillage de Saumur, Ôc de la province d'An-
jou. Portail, Tréforier de France , qui avoit été quelque-tems
auparavant emprifonnc à Paris pour la religion , ôc mis en li-
berté depuis , y vint trouver ce Prince, ôc l'exhorta à la paix
au nom du Roi ôc delà Reine , lui infinuant que c'étoit à lui à
faire les premières démarches. Condé lui fit réponfe , devant
tous les Seigneurs de fa fuite , qu'on l'avoit forcé à prendre les
armes , ôc que ce n'étoit point contre le Roi qu'il les avoit pri-
fcs , mais contre fes ennemis, ôc en particulier contre le car-
dinal de Lorraine, auteur de tous les troubles : Que ce n'étoit
pas même pour l'attaquer , mais uniquement pour fe défendre :
Que voyant avec une extrême douleur , que le Roi étoit tou-
jours invefti de ces méchans hommes , il avoit réfolu avec
l'aide de Dieu , d'aller jufqu'à lui , ôc d'expofer à fa Majeftéce
quil vouloir lui demander. C'efI: ainfi qu'il congédia Portail:
en même-tems il le chargea de rendre au Roi une lettre pleine
d'inve£lives contre les Guifes, ôc d'affurer le Roi Ôcla Reine,
que fi on vouloir prendre des mefures juftes pour aflurer la
liberté de confcience , lui ôc tout fon parti , quelque puiffaiit
DE J. A. DE THOU,Liv. XLIV. Hp
■qu'il fût , étoient difpofez à fe foûmettre aux conditions de i i
paix qu'il plairoit au Roi de leur impofer. CharlE ■
Il longea enfuite à fe rendre maître d'un porte fur la Loire, j v !
qui partage pour ainfi dire le Royaume en deux 5 fa vûë en j r 58, 1
cela étoit d'avoir la liberté de palTer, quand il voudroit, de lun ' \
ou de l'autre côté de cette rivière. Dans ce deffeiu, iltraver- 1
fa les terres des environs de Thouars , & vint camper auprès
de Champigny , qui étoit le principal château du duc de Mont-
penfier : l'ayant forcé, il y prit un Cordelier nommé Babelor,
qu'il fit pendre > parce que c'étoit lui qui avoit exhorté la gar- i
nifon à fe défendre, Montpenfier en fut vivement piqué, ôc |
ifvengea fa mort par celle de beaucoup de Proteftans j qui tom- j
berent entre fcs mains. i
Condé prit de là fa route vers Saumur : le duc d'Anjou au
contraire ayant été renforcé par les troupes de Guillaume comte
de Joyeufe lieutenant de Henri de Montmorenci Damville , :
tira du côté de Loudun , dont les Proteftans étoient maîtres, i
à deflein de couper les vivres à leur armée. Pour faire croire
qu'il en vouloit faire le fiege , il commença par fonimer la gar-
nifon de fe rendre, mais en même temsil détacha les comtes .
du Lude & de Briffac avec un corps de fept mille hommes pour i
reprendre Mirebeau. Les murs & les foflez de la place ne va-
loient rien : le Prince y avoit mis la Borde avec quatre cens
hommes des troupes du Languedoc ôc du Dauphiné. Mais il i
y avoit à un coin de la ville , fur une hauteur qui a une gran- j
de étendue , un château très-fort par fon affiette , où il y avoit j
une bonne garnifon , commandée par Pierre de Chuppes. La î
Borde ayant refufé de fe rendre , on fit venir le canon , qui eut |
bien-tôt fait plufieurs brèches. L'alTaut ayant été donné en plu- '
fleurs endroits tout à la fois, la garnifon, après avoir perdu en- j
viron fix vingts hommes, fe fauva dans le château. On le fit bat- Mmlicres Sâ i
tre auffi-tôt très-vivement , & après quelques jours de fiége, de «^'^"^"^^^^«^e !
Chuppes capitula avec le comte du Lude a des conditions tie.
honnêtes,qui furent très-mal obfervées. Les troupes du Roi vou- !
lurent venger alors l'injure qu'on leur avoit faite peu de tems au- i
ravant à Meilej ôc la vûë de la Borde, qu'ils difoient avoir été . "
prefent au carnage des Catholiques fait au fac de cette pia- ]
ce , leur en rafraichilfant la mémoire , ils firent main baffe fur '
les Proteftans , fans aucun égard pour la capitulation. La Borde
Zzz iij
Sso HISTOIRE
^ ayant été gardé pour le lendemain , on le fît mourir très-cruel-
C H A R L E ^^^^"'^^"'^ ' ^ ^'^^'^ i^^^^ enfuite fon cadavre dans la rue , afin qu'il
j Y ^Lit mangé des chiens. On mit dans le château de Mirebeau
^ g la Marche de Guitiniere avec unegarnifon : peu de tems après
on lui fubflitua Guillaume de Hautemer feigneur de Ferva-
quesi mais il n'y demeura pas long- tems , & Ton mit Villaine
à fa place.
Pendant ce tems-là ^ Condé étant venu camper auprès de
Saumur, ou commandoit Saint Senar, d'Andelot fe chargea
de fe rendre maître du monaftere de faint Florent , qui eft au-
près de la ville. Le lieu eft fort par fon afîiete 3 ôc il y avoit
deux cens hommes pour le défendre. Après quelques jours de
fiégCj la Haye , qui y commandoit, s'étant rendu à difcretion,
fut égorgé avec tous fes foldats, pour venger le carnage tout
récent de la garnifon de Mirebeau. Cependant lesRoyaliftes
prétendoient juftifier ce malTacre y difant que les Huguenots
avoient commencé les premiers, à violer le droit des gens par le
fac de Melle.
Le duc d'Anjou s*avançant vers Loudun,avoit pafle à Thouars
& à Montreuil-Beliay , ou il trouva des vivres en abondance,
A l'approche de l'armée Catholique , d'Acier fe jetta dans la
place avec fon régiment. Condé, inquiet du péril où il fetrou-
voit, ôc d'ailleurs bien aife de trouver l'occafionde combattre*
prend la route de Loudun, ôc fepofte avec toute fes troupes
dans les fliuxbourgs. Les deux armées fe trouvèrent ainfi en
prefence, ôc elles demeurèrent quatre jours entiers en batail-
les , à la portée du canon , fans qu'il y eût entre elles ni ruif-
feau ni folié , ni autres bornes qui les féparaflent , que celles
que Ton plante pour diftinguer les differens héritages de la cam-
pagne : mais l'hiver étoit il violent, ôc le terrain fi couvert de
glace , que les chevaux ôc les hommes ne pouvoient ni mar-
cher, ni fe foutenir, ôc qu'il y en avoit plus de blefTez par
les chutes qu'ils faifoient i que par les coups que leurtiroient
les ennemis : d'ailleurs quelque animé que l'on fût de part ôc
d'autre, ôc par la haine , ôc par l'amour de la gloire , quand les
membres font engourdis parle froid, on n'eft guère en état
de combattre. Il n'y avoit même que la prefence des Chefs,
qui pût retenir le foldat en campagne dans une faifon fi ri-
goureufe. Amfi quoique les deux armées fuflent fort proches.
D E J. A. DE THOU,Liv. XLIV. 5p
il ne fe fit rien de mémorable , ôc tout aboutit de part & d'au- ___
tre à quelques volées de canon. Ch '\rle
Leducd'Anjou j quiétoit obligé d'eflTuyer la rigueur de l'air j^
dans fon camp , recevoit tous les jours des lettres de fa mère, j r ^ g,
qui l'exhortoit à ne point bazarder un combat général , & à
fe contenter de tirer la guerre en longueur , pour fatiguer l'en-
nemi qui n'avoit ni vivres ni argent. Il fe retira donc le pre-
mier , Ôc ayant mis une petite rivière entre lui ôc l'armée des
Confédérez , il dillribua fes troupes dans des quartiers alTez
étendus pour qu'elles pufTent s'y refaire. Dans fa retraite une
compagnie de fes Suiifes fut taillée en pièces, ôc deux compa-
gnies Françoifes, qui s'étoient amufées à boire dans un village, y
furent enlevées. Les troupes du Prince fouffrirent moins ; car
comme elles étoient logées dans les fauxbourgs , elles y furent
du moins à l'abri des injures de l'air. Coligny croyant qu'il
pourroit faire quelque entreprife contre les Royaliftes, qui
étoient dans des quartiers éloignez les uns des autres , ôc peu
fur leurs gardes , partit avec douze mille hommes de pié , douze
cens chevaux, ôc quatre petites pièces de campagne, ôc alla
droit au quartier du duc d'Anjou : il comptoit que le ruifleau
qui féparoit les deux armées, ôc dont il avoit fait fonder les
guez, ne feroit pas difficile à pafler^ il fe flattoit d'ailleurs que
les ennemis n'y feroient pas une garde bien régulière. Mais
il fe trompa; il trouva des gens qui lui difputerent vigoureu-
fement le paiTage, qu'il tenta deux fois , fans fuccès. Le canon
ayant commencé à tirer contre lui , les troupes ennemies, qui
étoient difperfées , fe rafTemblerent au bruit, ôc arrivèrent aiïez
àtemspour rendre fon delTein inutile. En même tems Bri (lac,
qui avoit toute la faveur du duc d'Anjou^ Ôc qui aimoit les
entreprifes hazardeufes, forma ledeflein d'enlever d'Andelot
ôcColigny, qui étoient campez à Montreuil-Bellay. La Noue
dans fes Commentaires détaille afiez au long les mefures qu'il
avoit prifes pour cela ; mais comme il manqua fon coup, je
ne m'étendrai pas fur les circonftances.
Cependant les deux armées murmurant hautement, difoienf
que ce n'étoit pas contre des hommes qu'on leur faifoit faire
la guerre , mais contre la nature ôc contre le ciel même. Les
Généraux jugeant leurs plaintes raifonnables les mirent en quar-
tier d'hiver. Lç duc d'Anjou mena la fienne à Chinon fur la
'^S^ HISTOIRE
."■ - Vienne > & lui donna des quartiers aux environs. Le prince
Char LE de Condé mit Yvoi dans Loudun avec une bonne garnifon,
IX. & fe rerira dans le Poitou. Il eft aifc de juger combien les
I S" (5 8. ^^^^ armées avoient fouffert, ôc par la difette ôc parla rigueur
de laHùfon, puifqu'après qu'on les eutféparéeSj il mourut dans
un mois de part & d'autre plus de huit mille hommes > les uns
de maladies violentes , les autres de langueur.
Lettre de Pendant que Condé & ceux de fon parti agiiïbient avec
bretTi/R^'" ^^"^ ^^ vivacité , la Pveine de Navarre ' crut ne devoir pas de-
ne Ehzabeth. meurer oifive h ôc comme elle connoifToit le befoin qu'ils avoient
Effet de cette d'argent j elle fongea à leur en procurer. EUeécrivit pour cela,
avant le I y d'OdobrC:, à la Reine d'Angleterre, ôc elle chargea
Chatelier gentilhomme de fa maifon , de lui porter la lettre.
Elle y rendoit compte des caufes de la guerre , des mefures ,
ôc des delTeins des Confédérezj ôc comme ce n'étoit point
contre le Roi qu'ils avoient pris les armes , elle prioit cette
PrinceflTe de vouloir bien les aider dans une caufequi iateret-
foit tous les Proteftans , ôc de lui accorder à l'avenir fa pro-
tection , pour fes enfans ôc pour elle : fes prières foutenuës par
la prefence du cardinal de Châtillon, qui étoit en grand cré-
dit auprès d'Elizabeth , firent tout l'effet qu'elle pouvoit
fouhaiter ; car elle lui envoya auflTi tôt cent mille pièces d'or,
qu'on appelle des Angelots ^,ôc lix pièces de canon en bon état,
avec toutes fortes de munitions de guerre. D'ailleurs elle re-
çut avec bonté tous les exilez François, qui étant obligez pour
la Religion de fortir de la Normandie, ôc des provinces d'en
deçà de la Loire , s'étoient réfugiez en Angleterre. Elle ne
fe contenta pas de les aiïifter elle-même, elle fit faire la mê-
me chofe à fes peuples, qui ne font pas naturellement difpo-.
fez à bien traiter les étrangers S ôc fur-tout les François, à cau-
fe des haines qui ont été autrefois entre les deux nations. Les
Rochelois prêtèrent vingt mille écus d'or. Par l'ordre des Prin-
ces ( c'eftle nom qu'ils dormoient aux chefs du parti Proteftant)
on mit en vente les biens Eccléfiaftiques , ôc comme tous ces
payis étoient aux pouvoir des Religionnaires , il fe trouva des
1 Jeanne d'Albret mère de Henri IV.
belle-fcpur du prince de Condé.
2 Angelot, monnoie d'Angleterre,
battue du tems de Henri VI. ainfi nom-
tise, {jarce g.u'ily avait fur cette mon-
noie une figure d'Ange, qui portoit les
écufTons de France 8c d'Angleterre.
l C'eft un ancien pre'juge' contre ces
Infulaires. Horace dit : Ftfam Britan"
nos hofpitibus feros%
achetcurso
DE J. A. DE T H OU,Liv: XLIV. SS3
acheteurs , qui ne balancèrent point de faire leurs offres.
Le Roi de fon côté avoit envoyé à Rome , il y avoit déjà C h a r l E
du tems, Bâtifte Alamanni évêque de Mâcon, & Annibal jy
Ruccellai, à Venife, à Ferrare, à Mantoue, & à Florence, i f 58
pour emprunter de l'argent ôc des troupes. Sa Majefté envoya
aufîi à Vienne Antoine Fumée de Blandy maître desRequê- méeeiîvoydà
tes , pour fe plaindre à l'Empereur de l'infolence de fes fujets, vienne.
qui avoient repris les armes contre lui , & pour prier fa Ma-
jefté Impériale d'empêcher qu'il ne vînt d'Allemagne des corps
de cavalerie ou d'infanterie au fecours du prince de Condé.
L'envoyé du Roi fut admis à l'audience le 1 6 ci'0£l;obrej& voici
la réponfe que lui fit l'Empereur. Il lui dit : Qu'il étoit bien fâché Réponfc de
que le Roi de France fe trouvât forcé, par la rébellion & par ^^^P^^*^"^'
la témérité du prince de Condé & de fes partifans , à prendre
les armes contre eux , dans la vue de les chaffer tous du Royau-
me, ôc de n'y fouffrir point d'autre Religion que la Catholi-
que : Que ce qu'il fouhaitoit fur toutes chofes , étoir que l'union
ôcla tranquilité fût rétablie entre les Princes 3 que l'on épargnât
le fang Chrétien , Ôc que l'on eût une horreur extrême des guer-
res civiles, qui achevoient de ruiner les forces de la Chrétienté,
déjà fort affoibhes par les armes des Infidèles : Qu'il faudroit
chercher les moyens de ne point répandre le fang Chrétien >
& de rétablir entre le Souverain & les fujets une paix folide
& fincere : Que fans cela le Roi ôc fon floriffant Royaume
alloient tomber dans une infinité d'embarras ôc de malheurs;
d'autant plus qu'en Allemagne ôc en Angleterre il couroit des
bruits fur le Roi ôc fur les principaux de fon Confeil , qui ne
laiffoient aucun lieu de douter que plufieurs grands Princes ,
amis de Condé ôc de fon parti , ôc zelez pour la caufe qu'il
foutenoit , ne lui fournîfTent de grands fecours d'argent ôc de
troupes : Qu'à l'égard des levées qu'on faifoit en Allemagne
pour ce Prince , il lui étoit bien difficile de les empêcher : Que
Cl dans la guerre précédente , qui étoit bien plus favorable que
celle-ci ( parce qu'il ne s'y agiffoit point de Religion , mais feu-
lement de défendre la perionne du Roi , ôc de maintenir Con.
autorité contre des fujets rebelles) iln'avoit pas pu empêcher
ces levées , quelques mefures qu'il eut prifes pour le faire , il
n'y avoit pas heu d'efperer qu'il pût en venir à bout , lorfqu'il
s'agiffoit d'une guerre bien moins favorable, entreprife pour une
Tome V. . Aaaa
JJ4 HISTOIRE
caufe, qui étoît commune aux princes d'Allemagne & aux fujets
r H R I E ^^ "^^^ Très-Chrétien.
jy Fumée ayant reçu cette réponfe , alla trouver à Altembourg
'q Jean Guillaume duc de Saxe , qui s'y étoit rendu , pour afTif-
ter à des conférences fur la Religion. Il y renouvella les plain-
tes qu'il avoit faites à Vienne , ôc demanda à ce Prince le fe-
cours qu'il s'étoit engagé de fournir par un traité. Voici la ré-
Réponfedu por^f^ qu'il lui fit le vingt- feptiéme de Novembre : Qu'il
duc de Saxe, étoit bien fâché que la guerre, qui ne venoit que de finir en
France, s'y fût fi-tôt rallumée j d'autant plus qu'un des partis en
rejettoit la caufefur la révolte, & l'autre fur la Religion: Que
fuivant les commandemens de Dieu , il falloit bien diftinguer
les chofes divines d'avec les humaines : Que c'étoit ce qu'a-
voient fait avec grand foin les Empereurs Chrétiens , Conf-
tantin , Theodofe, Marcien, Juftinien, Charlemagne, Louis
le Débonnaire , ôc depuis peu Jean Frédéric fon père : Qu'il
ctoit donc de la fagefle ôc delà pieté du Roi^ de ne pas fouf-
frir que l'on tourmentât fes fujets pour la Religion : Que la
véritable Religion ne caufoit jamais de féditions î que c'étoit
elle au contraire qui foutenoit la difcipline ôc l'obéifîance par-
mi les peuples : Que les princes de l'Empire étoient fort mé-
contens des bruits qui couroient d'un traité fait entre le Pa-
pe ôc le Roi d'Efpagne contre les Princes de la Confef-
fion d'Aufl3ourg ; & qu'on difoit que le Roi , pouffé par de
mauvais confeils , y étoit entré : Qu'on le lui avoit affûté à lui-
même , lorfqu'il pafTa à Fulde \ en revenant de la campagne
qu'il avoit faite en France : Que le Roi devroit y réfléchir fé-
rieufement : Que pour lui , il ne manqueroit jamais de rendre
fervice à fa Majefié, à l'exemple de fes ancêtres , autant que fa
confcience ôc fa Religion le pourroient permettre. Fumée
s'en revint en France , fans avoir rien obtenu ni d'un côté ni de
l'autre.
Le Roi fur la fin de l'année fit lever en Allanagne cinq
mille fix cens chevaux. Philibert marquis de Bade les comman-
doit en chef, ôc avoit fous lui les deux Dietzen de HefTe-Vef-
terbourg, ôc Leninghen bâtard de la maifon de Hefife, les
comtes Rheingraves, ôc Chriflophle de BafTompierre : ccxorps
1 Abbaye & ville célèbre dans le territoire de Buchow près du payis de HefTc,
& fur la rivière de Fulde.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. ^;;
pafTa le Rhin à Mayence , pour venir ioindre le duc d'Au- --5-«««»-.
maie, qui l'attendoit en Lorraine, oh il avoir été envoyé par le 7^
T,.^ j j ir •'r, ,L.HARLE
Kol, avec trois compagnies de gendarmes, lalienne, celle de jv
Jean de Luxembourg comte de Brienne, & celle du maré-
chal de la Vieuville ' » fix efcadrons de cavalerie légère , ôc > o^
dix compagnies d'infanterie. D' Aumale ayant appris que la Co-
che, qui étoit du Dauphiné, perfuadé qu'il lui étoit impofli-
ble d'aller joindre le Prince de Condé, étoit paffe avec ce
qu'il avoit de troupes dans le territoire de Genève , & qu'il
ravageoit la Franche-Comté , l'Alface, la principauté de Salm>
6c toutes les terres de l'évêque de Strafbourg , le met en mar-
che avec huit mille hommes, & va droit à Neubourg. Y ayant
trouvé la Coche , qui faifoit des courfes de tous cotez, àladé-
bandade,avec quinze cens hommes,tant cavalerie qu'infanterie,
il l'obligea malgré lui d'en venir à un combat le 12 de No-
vembre. Il avoit avant cela détaché Gohas avec fon régiment,
pour chafler les Proteftans de Neubourg , & s'emparer de la
place j ce qu'il fit. Quoique la Coche fût beaucoup plus foi-
ble que le duc d'Aumale, il ne perdit point courage ,Ôc s'étant
mis en bataille , autant que l'embarras où il fe trouvoit , ôc le peu
de tems qu'il avoit, le purent permettre, ilfitunedéfenfe vigou- Vidoiredu
i'eufe,ôc tua bien du monde au duc d'Aumale:enfin ayant été en- ^c'^ dAuma-
y elopé par le grand nombre , il en fut accablé plutôt que vaincu»
Il avoit avec luiDofTenville prévôt deLorrainejJacqueChartier,
qui avoit une compagnie de moufquetaires à chevahClaude- An-
toine de Vienne de Clairvant , qui commandoit une compagnie s
SuifTe de Neufchatel : il avoit aulTi beaucoup de Seigneurs , en
tr'autres Antoine de Clermont marquisdeRenel, laCarde,Ba-
con , Duilly y & Raguier de Sternay. Ceux-ci , qui avoient pris
les devans , s'ouvrirent de force un pafTage pour gagner fainte
Marie, malgré les payifans qui s'étoient aflemblez pour l'em-
pêcher ;& ils joignirent heureufement le prince d'Orange qui
étoit à Strafbourg. Quand à ceux qui fe trouvèrent au com-
bat, il y en eut environ fix vingt tuez : la Coche fut pris
avec Vaflar , la Sauge, quelques colonels, & quelques capi-
taines , ôc fut conduit à Metz : quelques jours après comme on
e menoit hors de la ville , fous prétexte de l'échanger contre
1 François de Sepeaux,
Aaaa ij
^{6 HISTOIRE
d'autres prlfonniers, il fut afTafTiné par des gens qu'on avoir ap-
Char LE P^^^z
IX ^^ ^"^ ^^^^ ^^ même tems , que Noyers petite ville de Bour-
i < 6S, E^S"^' ^'^^ ^^ prince de Condé s'étoit fauve avec Coligny,
fut afÏÏegé par Charle de la Rochefoucault comte de Barbe-
freux Gouverneur de Champagne. La garnifon, qui étoitfoi-
ble, fe défendit long-tems avec beaucoup de courage ; enfin
elle fe rendit à ces conditions : Qu'on laifferoit aller les fol-
dats fans leur faire aucun mal, ôc qu'on feroit un inventaire
des meubles magnifiques , que le prince de Condé avoir dans
îe château , ôc que Barbefieux s'en rendroir garant. Mais les
portes ne furent pas plutôt ouvertes , que fans égard pour la
capitulation, lesfoldats de Barbefieux infulterent ôc maltraitè-
rent cruellement ceux de la garnifon. Il y en eut un petit nom-
bre, qui après avoir été dépouillez, fe fauverenti le refte fut
emmené à Troyes. On crut que Barbefieux en avoir ufé ainfi,
pour pouvoir s'excufer du pillage des meubles du Prince, dont il
avoir grande envie de s'emparer.
Condé ne fut pas plutôt à la Rochelle, que pour ne rien ou-
blier de tout ce quipouvoit contribuera fortifier fon partie ôc
à lui donner du relief, il fongea à armer une flotte 5 ce qu'il
n'avoit pas fait dans les guerres précédentes : la ville où il étoit
lui facihtoit l'exécution decedefifein. Sa flotte fut bien-rôt en
état 5 elle étoit compofée de neuf vaifleaux, bien équipez, ôc
de quelques bâtimens légers, fur lefquels il fir embarquer mille
hommes d'équipage j tant foldats que matelots, Ôc quantité de
munitions de guerre. La Tour , frère cadet de Chatelier-Por-
taut, en ayant été nommé Commandant, fortit du port delà
Rochelle le 10 d'06tobre , ôc ayant rencontré un bon nombre
de navires deFlandre^ de Bretagne^ ôc de Normandie, chargez
de marchandifes , ôc de toutes fortes de meubles , il s'en rendit
maître. Ayantenfuite pafTéà la vue du Conquet', où l'on étoit
accouru de toutes parts en armes, fur l'avis qu'il y a voit une
flotte de corlàires en mer , il alla relâcher à Plimouth fur la
cote d'Angleterre. Il y prit la pofte avec quelques gentilshom-
mes, ôc s'en alla trouver la Reine, qui étoit à Hamptoncourj
êc par le moyen du cardinal de Châtillon , qui avoir beaucoup
1 Port de Bretagne à quatre ou cinq lieues de Brefl^
DE J. A. DE THOU, Liv. XLIV. 557
de crédit en cette Cour , il obtint de cette Princeffe la per- »
mifTion d'ufer , fous l'autorité de ce Prélat, des droits de r^. «, g
la guerre contre les Flamans , ôc les François fes ennemis 3 j y
Gue les vaiffeaux & les hommes , qui feroient pris de l'aveu , -, 5 g
au Cardinal , feroient déclarez de bonne prife i & que l'argent ^
qu'on en tireroit feroit employé pour les frais de la guerre,
& pour les intérêts de la caufe qu'il foûtenoit.
Tin du qt/iarante-quatriémc Livre,
A a a a ii j
,*!r.
************** *r*-'^*****'3
*********************
(Ti****^***********^*** -^
01.'
HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
D £ T H O U.
Chaule
IX.
I ; (5 8.
Siège de
S. Michel en
rHerme.
LIVRE QVARANTE-CINQVIEME.
s
§^
U R la fin de l'année les Rochelois ,
avec l'agrément du prince de Con-
dé , ailiégerent pour la troifiéme fois
Saint Michel en l'Hermc , fitué fur
le bord de la mer en Poitou. Com-
me la garnifon faifoit fouvent des
courfes fur leurs terres , ils l'avoient
déjà attaqué deux fois , mais inutile-
ment. On croit qu'autrefois tout le
terrain qui s'étend depuis Luçon juf-
qu à la Rochelle étoit inondé ; mais que la mer s'étant reti-
rée peu à peu , les terres avoient commencé de paroître , &
que depuis , la fituation avantageufe du lieu , & la fertilité de
la terre avoient invité les habitans du voifinage à deffecher les
marais ^ à les cultiver, & à y faire des habitations. On y bâtit
§3 ^ C5:Q&^03K5(SS <3
DE J. A.'DE THOU , Liv. XLV. SS9
d'abord une Chapelle , qui fut bien-tôt célèbre parla pieté des
peuples 3 ôc par les pèlerinages qu'on y faifoit , mais qui eft Charl E
devenue depuis un très-grand ôc très-riche monaftere , qui a j x
pourtant toujours confervé le nom d'Herme , ou d'Hermitage , i j (î 8.
foit que fa fituation , ou fon origine en foit caufe. Le châ-
teau eft quarré, très-élevé> &. entouré d'un bon mur, où l'on
ètoit autrefois à couvert des flèches ôc des baliftes , machines
qui ne font plus aujourd'hui en ufage : mais depuis quelques
années on l'a fortifié de baftions à angles faillants , ôc d'un
foffé très-profond , pour affurer cette côte contre les Anglois.
La Noblefle l'ayant fait battre avec deux pièces de canon , y
fit donner l'alTaut. Jacque de Billy de Prunay , Abbé du lieu ,
homme illuftre par fa pieté ôc par fa rare érudition , n'y étoit
pas alors. Un Religieux nommé Châteaupers, homme de tête,
qui commandoit en fon abfence , non-feulement foûtint les ef-
forts des afTiègeans , mais il les repoulTa vigoureufement ôc les
obligea de lever le fiége , après y avoir perdu fix- vingts
hommes.
Ils y revinrent quelque - tems après fous la conduite de
Champagnac , qui ayant d'abord été Moine, ôc enfuite foldat ,
affuroit hardiment qu'il fçauroit bien triompher des Moines.
Il arriva devant la place avec cinq cens moufquetaires d'élite ,
ôc quelque cavalerie de la province. Il parut au commence-
ment que la Fortune vouloit le favorifer , la garnifon ayant été
obligée de fe retirer dans le Fort avec perte : mais il fut peu
de tems après bleffé à la tête par un Moine , ôc le coup fut fi
terrible qu'il tomba mort , ôc le fiége fut encore levé. Ils y re-
vinrent pour la troifiéme fois , fe fouciant moins de prendre
ce pofte, que de venger l'afîront qu'ils avoientreçu. La Gou-
lene fe chargea de l'entreprife , on lui donna fept compagnies,
ôc deux groffes pièces de canon. La Garde, qu'il envoya de-
vant, s'étant rendu maître du bourg, qui eft au-deffous du mo-
naftere , la garnifon fe trouva fort refferrée par la cavalerie en-
nemie, qui couroit à droite ôc à gauche : cela ne les empê-
cha pourtant pas de faire des forties , ôc d'incommoder beau-
coup les aflîégeans , fur lefquels ils tiroient prefque à coup fur.
Le château eft baigné d'un côté par la mer , ôc de l'autre il
eft entouré de vignes , de prairies ^ ôc d'un terrain fabloneux;
& l'endroit où il eft bâd eft fi bas , que lorfque la mer eft agitée.
S^o HISTOIRE
. ou qu*elle s'enfle beaucoup ( comme dans le tems des équi-
Ch a rl e ^^^^^ ^" printems & de l'automne ) tout ce terrain eft en grand
j ^ danger d'être fubmergé : quand cela arrive , la terre qui fe trou-
i ^ 6*8. ve imbibée d'eau falée , eft fterile durant plufieurs années ^ quel-
que foin que l'on prenne de la cultiver. Le feul remède qu'on
y a trouvé , eft de faire des canaux dans les campagnes avec
des ponts ôc des arches , & de fermer ces canaux par des éclu-
fes pour laiffer entrer la marée , quand elle n'eft pas trop haute,
ou pour la repouflfer ou rompre fon impétuofité, quand elle
eft trop violente. Les affiégez ayant ouvert en quelques en-
droits ces éclufes , ôc les ayant fermées en d'autres , inondè-
rent tellement ce payis , déjà fort marécageux par lui-même ,
ôc prefque inacceflible en hy ver , qu'ils comptèrent qu'il ne
feroit pas poiïible d'y mener du canon par terre. Goulene ,
qui le croyoit comme eux y en fit venir par mer , le fit dé-
barquer dans une eau tournante, qui fe trouve entre le port
ôc le château lorfque la marée fe retire , ôc le fit mettre fur
des batteaux plats , avec Taide de Scipion Vergano Ligenieur
très-habile ^ ôc de quelques canoniers Anglois.
^^^,^^„^,^,,^ On commença le premier Janvier à battre la porte de Lu-
çon : la brèche étant faite , en tenta l'affaut , mais en vain ;
^ S ^ 9' parce qu'on avoit fait un foffé derrière , ôc des retranchemens
aux deux cotez , d'où l'on tiroit fur les aflaillans. Gaufl^eville
ayant voulu reconnoître l'endroit , y fut tué. On changea donc
la batterie j Ôc on la drefla dans un lieu qu'un deferteur mon-
tra. Après quelques volées de canon ^ il y eut une brèche fuf-
fifante : mais les affiégez ne parlèrent point de fe rendre , foit
qu'un fecours de trente foldats,que le comte du Lude leur
envoya fous la conduite du capitaine Vaquay , eût ranimé leur
courage î foit qu'ils comptafiTent que la rigueur de l'hy ver for-
ceroit enfin les affiégeans à fe retirer j foit qu'ils ajoûtafientfoi
à une vieille prédiSion , à laquelle la fuperftition des Anglois
avoit donné cours , ôc qui afluroit que la chapelle , qui étoit fous
la prote£lion de S. Michel , ne tomberoit jamais au pouvoir
des ennemis, ôc que tous ceux qui viendroient l'attaquer ,
quand même il n'y auroit perfonne pour la défendre , tom-
beroient morts fur la place, le vifage tourné du côté du dos. On
ne fçait fi ce conte étoit une pure invention des premiers reli-
gieux de la maifon j ou fi en effet ils ajoûtoient foi à une
pareille
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. s^i
pareille rêverie. Quoiqu'il en foit , cela ne laiflbit pas d'en- m
courager la garnifon , au point qu'il n'y avoir point a extrêmi- C h a rl E
tez qu'ils ne fuflent prcts de foufFrir , dans la perfuafion on jx '
ils croient, que les ennemis ne pouvoient réûffir. i ç 5o, '
Cependant la brèche étant large , l'aiTaut fut donné , & les i
affiég^eans envoyant fans cefTe des hommes frais , à la place de P|i^f ^^ S. \
° .,.■'(, . f j. (^ A J11 Michel. i
ceux qui etoient fatiguez , le rendirenr enhn maures aelapla- cruauté I
ce: Châteaupers fe fauva par une porte de derrière : mais il fut des vaia-
pris depuis. On tua tout ce qu'on rencontra i fans diftindion 'l"^""' j
d'âge ni de fexe : les galeries , les caves, les citernes, tout \
étoit plein de corps morts, ôc regorgeoit de fang. Un nom-
mé Forteau fe diftingua par-deffus les autres , en fe faifant un
divertiflement de plonger fon bras jufqu'au coude dans le fang ]
de ces malheureux , & il en fît referver plufieurs pour le len- j
demain ôc le jour fuivant , afin d'avoir le plaifir de les tuer de ]
fa propre main, & de fang froid. Le butin fut grand, parce ;;
que les payifans àQ?> environs , ôc la NoblefTe même, y a voient i
porté tout ce qu'ils avoient de plus précieux , comme dans un
afile, que la fainteté du lieu , fon alTiete naturelle, ôc fes fortifî- ]
cations leur faifoient regarder comme très - fur. Château- \
pers étant convenu de fa rançon , à condition qu'il feroit I
conduit à la Rochelle , ôc qu'il y demeureroit prifonnier juf- i
qu'à ce qu'il eût payé le prix dont on étoit convenu i on
trouva quelques lettres de lui ou vraies ou fuppofées , rem- i
phes d'injures atroces , ôc de confeils déteftables^ contre les \
chefs du parti Proteftant. Ce fut un prétexte pour révoquer la .j
grâce qu'on lui avoir accordée, à la prière de quelques amis ->
ôc il fut tué avec les autres. On affure qu'il périt plus de 400 1
hommes dans cette horrible boucherie. Forteau eut le com- ■
mandement de la place, ôc on le chargea d'en ruiner les for- '
tifications , l'Eglife même , ôc le Monaftere , afin qu'il ne pût 1
plus fervir de retraite aux Royaliftes pour faire des courfes
dans le payis. Il s'acquittaparfaitement de cette commiiïîon,
à quoi il employa un mois entier. Peu de tems après ce mé- |
chant homme , fouillé de tant de meurtres, périt d'une manière i
miferable. « j
Ainfi fut ruiné de fond en comble le monaflere de S. Mi- 1
chel en l'Herme, qu'on avoir autrefois fortifié pour la fureté
de cette côte : ce que la France en paix avoit fagement fait
Tomç V. B b b b • ;
'$62 HISTOIRE
2!î5i^-«««»« pour repoiîfTer l'ennemi étranger , fut alors regardé comme'
Char LE contraire à la tranquillité publique, parce que les guerres ci*
I X. ^^^^s avoient renverfé l'efprit , & gâté le jugement de prefaue
1 < 6 g ^^^^ ^^ monde. Peut-être verra-t-on un jour lanéceffité de lô
rebâtir , Ci nos François deviennent afiez fages , pour aimer
mieux faire la guerre à leurs ennemis qu'à leurs compatriotes.
Entreprifc D'un autrc côté, les troupes du Roi s'approchèrent de Saii-
fur Sanccrre. ccrre, mais inutilement. Après la dernière paix, qui fut faite
au mois de Mars , le Roi avoir réfolu de fe rendre maître de
cette ville, ou delà ruiner. Tous les Gouverneurs voifins l'en
follicitoient; parce qu'étant remplie de Proteftans, quiétoient
nez dans lepayis, ou qui s'y étoient réfugiez, ôc étant (ituée
fur les frontières de la Sologne 6c du Berry , elle étoit re*
doutable à ces deux provinces par fon avantageufe fituation >
étant bâtie fur un roc , qui n'eft acceiïible que du côté du che-
min de Bourges j ôc du côté de l'Orient, dominant fur la Loire
qui pafTe au-deilous. On ordonna donc aux habitans de re-^
cevoir garnifon : ils s'en excuferent (ur leur pauvreté, ôc fur
ce qu'étant éloignez des grands chemins, ôc fans commerce, ils
n'avoient pas befoin de troupes pour les garder. La chofe ayant
été agitée dans le Confeil du Roi, on leur propofa une fécon-
de condition , qui étoit de rafer leurs fortifications : les habi-
tans qui vouloient fe délivrer d'une garnifon dont on les me-
naçoit , ôc qui prévoyoient bien que la paix ne dureroit p.^s
iong-tems, y confentirent , pourvu que les comtes deBueiî,
feigneurs de Sancerre , y donnaffent leur confentement. L'af-
faire ayant traîné en longueur, on reprit les armes de routes partsi
ôc les habitans, au lieu de démanteler cette ville àéjk très-forte
par fa fituarion , travaillèrent avec ardeur à y ajourer de nou-
velles fortifications.
Siège de Sarra Martinengo , qui avoit une bonne garnifon à Gien ,
Sancerre. éloigné d'une journée de Sancerre , François de Balzac d'En-
trague gouverneur d'Orléans, ôc Claude de la Châtie gouver-
neur de Berry , s'étant abouchez , ÔC voulant profiter de i'ab-
fence d'Avantigny , Gentilhomme du voifinage , habile capi-
taine, en qui les habitans de Sancerre avoient grande con-
fiance , joignirent ce qu'ils avoient de troupes, ôc marchèrent
à Sancerre , avec un corps de 3000 fantaffins , ôc quelque ca-
valerie compofée des Gentishommes du voifinagc. Ils avoient
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. $6^
huit pièces de canon , dont ils commencèrent à battie la porte -^ ->
de Bourges. Il y eut bien-tôt une large brèche 5 mais le fofl'é Ci^ \rj p
que Ton avoir creufé derrière , ôc les retranchemens que l'on j v-
avoit faits aux deux cotez, rendoient l'approche très- difficile. /
Vieupont, feigneur d'HacqucvilIe^ fils du feigneur de Neuf-
bourg, jeune homme hardi & intrépide, fe chargea d'y don-
ner l'afifaut. Il le fit avec toute la vigueur poflible : mais les
habitans tirant fans ceffefurles aflfaillans , dont le flanc écoit
découvert, il fut obligé de fe retirer avec perte. On changea
la batterie , & on la dreffa du coté de S. Saturnin , où les chefs
avoient appris qu'ils trouveroient moins de difficultez. On y
eut bien-tôt fait une brèche plus grande que la première. D'Hac-
queviile monta encore à l'alfaut : mais la garnifon , à qui le pre-
mier fuccès avoit enflé le courage , le repoufla avec tant de
yigueur, que lui ôc un grand nombre de ceux qu'il commandoit
demeurèrent fur la place, Ôc beaucoup d^autres y furent dan-
gereufement bleiTez. Depuis ce tems-ià les afliégez , qui étoienc
commandez par Joaneau juge du lieu , ôc par deux capitaines ,
l'un nommé la Fleur , ôc l'autre Laurent , ne fe tinrent plus fur
la dcfenfive > ils attaquèrent nos troupes , ôc les fatiguèrent ex-
trêm.ement par les forties fréquentes qu'ils firent.
Sur ces entrefaites, Jacque deSavoye duc de Nemours fe ren-
dît au fiége , avec un corps de troupes qu'il avoit levées dans le
Lyonnois , Ôc dans les provinces voifines : il étoit accompagné
de François de Beaumont baron des A drets, qui après avoir fcrvi
le parti Proteftant dans les guerres précédentes , fervoit le Roi
dâîis celle-ci, avec un corps confidérable de troupes qu'il avoit à
fes ordres. Des Adrets alloit en Lorraine joindre le duc d'Au-
maîe ,par ordre exprès du Roi, quife difpofoit à marcher en
perfonne de ce côté-là. La Châtre le folUcita envain de refter
quelques jours avec eux, jufqu'à ce qu'avec fon fecours ilseuf-
fent forcé Sancerre : comme il jugea que le fiége feroit long,
ôc qu'il étoit d'ailleurs prefl(é par le duc d' Aumale , qui lui écri-
voit lettre fur lettre , non-feulement il ne voulut pas refter ,
mais il leur confeilla de lever le fiége : ils le firent en efi^et au
commencement de Février , après avoir demeuré plus de cinq j^^^^ »cgccit
femaines devant cette place , ôc y avoir perdu plus de cinq
cens hommes. Nemours tira vers la Lorraine j les autres s'en
retournèrent avec leur canon chacun dans leur gouverne-
ment. B b b b ij
y(?4 HISTOIRE
_ Les habîtatts enflez Ôc enhardis par ce fuccès , fortifièrent Si
^ Thibaud , fitué fur la Loire au-deffous de Sancerre , ôc y mirent
T y une bonne garnifon , qui non-feulement faifoit des courfes dans
y le payis voifin, mais qui ruinoit le commerce, en faifant payer
^ ^' de gros droits à tous les navires qui paiïbient fur la Loire. Les
S. Thibaud bourgeois de Nevers ôc de la Charité , qui ont des ponts fur
fortifié par les cette rivierc , imaginèrent ce ftratageme. Ils conftruilirent de
sLSre. ^ longs batteaux , percez aux endroits néceffaires pour leur dcf-
fein, ôc recouverts de planches. Ils les remplirent de foldats ;
ôc mirent delTus des marchandifes qui empêchoient qu'on ne
vît les troupes , En même tems ils pofterent de la cavalerie en
embufcade dans le voillnage. Lorfque ces navires furent arrivez
à S. Thibaud , la garnifon croyant que c'étoit des marchands ,
leur ordonne de s'arrêter j ôc accourt à l'inftant pour recevoir les
droits. Les foldats qui étoient cachez dans les batteaux , ôc la
cavalerie qui écoit embufquée aux environs, fe joignent , ôc les
enveloppent de tous cotez. Il y en eut bien cinquante tuez;
les autres ayant pris la fuite, grimpèrent, comme ils purent;
au travers des vignes, rentrèrent enfin dans la ville, qui eftfort
élevée de côté là, ôc portèrent avec effroi à leurs compagnons la.
nouvelle de leur défaite»
Pendant ce tems-là , les Vicomtes de Borniquet, de Monclar^
de Paulin ôc de Gordon, qui n'avoient pas voulu fe joindre à
d'Acier, qui traverfoit la Guyenne avec fon armée (parce qu'ils
ne croyoient pas qu'il fut à propos de lailTer derrière eux cette
Province dénuée de troupes ) fe tenoient aux environs deMon-
tauban, de Caftres, de Millaud, ôc dePuylaurens ^ qui étoient
leurs lieux de retraite , ôc courans çà ôc là avec fix mille hom-
mes d'infanterie, ôc un bon corps de cavalerie, ils ravageoient
tout le payis jufqu'aux portes de Touloufe. Lorfque d'Acier fut
allé plus loin , Montluc , pour empêcher ces courfes , mit trois
compagnies d'infanterie à Caftillon fur la Dordogne, ôc autant
àfainteFoi, fous les ordres de Levron , ôc il envoya Saintorens
à Libourne , avec une compagnie de cavalerie ôc trois d'infan-
terie pour garder cette place , qui eft fituée au confluent de la
Dordogne ôc de Flfle , ôc qui eft d'une grande importance pour
toute la Province. Il ordonna en même tems à Fabien de Mont-
luc fon fils , d'occuper avec de l'infanterie les poftes les plus
avantageux du Quercy ôc de l'Agenois»
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. s^s
De PitCj que le prince de Condé avoit envoyé de ce côté »
là , pour y lever le plus de troupes qu'il pourroit , ayant fait un Charle
corps de douze cens moufquetaires, ôc de deux cens chevaux, \y^^
fe rend maître de Bergerac ôc de fainte Foi 5 ôc ayant laifTé fon ^ r ^ 9,,'
infanterie , il parcourt tout le Périgord avec fa cavalerie , ôc met
le feu à tous les villages fufpeds d'avoir eu quelque part au car-
nage de Mouvans : après quoi il raflembla fes troupes , ôc mar-
cha du côté de Saintes.
Dans ce même tems , la compagnie de cavalerie de Bref-
fault, qui étoit à Thoùars , fut furprife ôc taillée en pièces par
un détachement de Royaliftes fortis de Saumur. Le Capitai-
ne, avec un petit nombre de Ïqs gens, fe fauva en habit de
valet.
Ce fut vers le tems que Caffillac, Seigneur de Ceiïai , Lieu-
tenant de la compagnie de Guife cavalerie, fut envoyé par le
Roi au duc d'Anjou fon frère, qui étoit à Vertueil en Angou^
mois. 11 lui portoit des ordres fecrets. Comme ilcouroitla pof-
te, pour faire plus de diligence, il fut arrêté à Coùé, par Vc-
rac qui occupoit les chemins avec quelques foldats , ôc il fut
mené à la Rochelle i mais lorfqu'il fut attaqué, il avoit eu la
précaution de cacher fi bien fon paquet ^ qu'on ne put le trou-
vera ôc lorfque Verac fe fut éloigné , on le porta au duc
d'Anjou.
D'un autre côté, BrifTac étant forti de Lufignan, ôc ayant Briflac fur-
fait une marche dérobée, furnrit Monpommeri à S. Eloi, lui P'^"'^^»'^»"-
tua environ vingt hommes, ôc 1 obhgea de le retirer dans le
Château. Il pilla la ville, ôc fit prifonniers quelques Capitaines,
entr'autres l'Abbé de S .Jean frère de Mongommcri 3 après quoi
craignant d'être enveloppé , il fe retira à fon pofte. A quelque
tems de-là, les Proteftans formèrent le deflfein de furprendre
la ville de Lufignan. Mais ayant manqué leur coup, ils tour-
nèrent du côté du Château , où Guron commandoit : ils îra- r> r • -,• «
ri- • • j 1 V 1 1 ^i Confpiranon
gnerent Ion Lieutenant, qui promit de leur hvrer la place le des Proteftans
17 de Février : il choifit ce jour-là , parce qu'il fe devo.t alors ^""^^^^ ^"^"
donner un grand repas dans la ville, ou les principaux Om- quéc.
eiers de la garnifon étoient invitez : ôc les Proteftans dévoient
fe rendre auprès des portes. Le jour venu, le Lieutenant vieni
dans le Château, avec fept de fes complices, ôc ayant maffa-
cré le corps de garde, ou il y avoit peu de monde, il va droit
Bbbbiij
^66 HISTOIRE
à Guron, qui fortoit au bruit qu'il venoit d'entendre , 6c lui
ç> porte un coup, qui l'eut tué. Il fa femme s'e'tant jettée entre deux
I Y n'eût reçu le coup , qui la tua. Le Lieutenant n'ayant pu tuer le
/ Commandant , ne put fe rendre maître de la place. Gurou
échappé de fes mains, fe fauva dans le donjon du château , ôc
à force de crier, il réveilla enfin fes compagnons qui étoient à
boire : ils vinrent promptement à fon fecours, & montant par
delTus les murs , parce que les Conjurez étoient maîtres des
portes , ils tuèrent le Lieutenant & fes complices , avec tous ceux
qui étoient entrez dans le château , ôc confervercnt ainfi cettg
place au Roi. '
Autre conf- ^" découvrït vcrs le même teras une autre conjuration , que
piration man- CateviUc avoït tramée avec quelques Gentilshommes de Nor^
îê"deDkppl" n^andie , pour furprendre Dieppe. La NoblefTe du payis étoit
fâchée de voir que les Edits du Roi étoien': fi mal obfervez j Ôc
ne pouvant plus foufFrir l'injuftice & la dureté des Gouverneurs,
elle cherchoit à fe procurer un afile pour elle , ôc pour tous ceux
qui faifoient profelïioa de la même Religion. Cateville com-
muniqua fon deiïein à un Officier, qui avoir fous lui quelques
foldats,en qui il avoit grande confiance. Cet Officier, ou ef-
frayé du péril , ou ayant horreur du projet , le découvrit à Ci-
cogne gouverneur de la place , qui en donna auffi-tôt avis à
Jean de Moùy feigneur de la Meilleraye. Cateville fut arrêté
par fon ordre , & ayant été interrogé , il avoua qu'il avoit fait
part de fon deflein à Lignebœuf, qui étoit un Gentilhomme
des plus confiderables du payis de Caux , 6c fort ami de la
Meilleraye. Lignebœuf fut mandé : quoi qu'il fçût que Cate-
ville étoit arrêté, il comptoit tellement fur l'amitié de la Meille-
raye, qu'il ne fit aucune difficulté de venir. Ayant été inter-
rogé, il avoiia que Cateville lui avoit parlé de fon projet: mais
il affura en même tems qu'il s'y étoit fortement oppofé , & avoit
fait fon poffible pour l'en détourner i Cateville lui-même en
convenoit. Cependant comme il n'avoit point découvert la
conjuration , le parlement de Rouen le condamna à mort , aufli
bien que Cateville, L'a£lion de la Meilleraye fut interprétée
différemment : bien des gens condamnèrent fa féverité , com-
me outrée 5 mais le plus grand nombre le loiia, d'avoir eu affez
de vertu, pour facrifier un ami particulier aux intérêts de la Ré-
publique.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. $6i
Les Proteftans firent dans le même tems une pareille tenta-
tive fur le Havre , ou Sarlaboz commandoit avec quatre com- Ch a rl E'
pagnies d'infanterie. Ils avoient un vaifTeau à l'ancre , qui étoit, \y^^
difoient-ils , chargé de cuirs de Barbarie. On le fît entrer dans 1^60,
îe Port avec la permifîion du Commandant : ce bâtiment ctoit Autre en-
plein de foldats cachez. Lorfque la nuit fut venue , ils en forti- If'^i^'^îf '•^
* - , /i/-i^ii- •/• 1 rroteltans fur
rent, & ayant donne le lignai aux habitans, quietoient du com- le Havre, fans
plot, ils coururent en foule à la place 5 6c après avoir fait main- ^^^'^'^•
bafTe fur îe corps de garde , ils remplirent la ville de tumulte Ôc
d'épouvante. Sarlaboz ne f(^achant quel parti prendre au milieu
des ténèbres de la nuit, ne put faire autre chofe , que d'envoyer
des gens pour faire la garde aux portes , & d'autres pour faire
la ronde autour des murailles. Enfin le jour ayant paru , le dé-
fordre celTa , le nombre des Conjurez s'étant trouvé plus petit
qu'on ne penfoit , ôc incapable de tenir tête à la garnifon. La
plupart regagnèrent leur vailTeau , & s'enfuirent, les autres ayant ]
été pris ôc convaincus, par une information exaâe que fit faire i
Mantaigu confeiller au parlement de Rouen , furent condam-
nez à mort. i
L'hy ver commençant à devenir plus fupportable , les armées les srmces '
fortirent de leurs quartiers. Le duc d'Anjou ayant prisfamar- Te mettent »n ,
che par le Poitou , le Limoufm ôc l' Angoumois , cotoyoit la ri- ^^^'"P^S"^' i
viere de Charante , comme s'il eût eu quelque deffein fur ChaT |
teamieuf , afin de fe mettre entre le prince de Condé ôc de Pi- \
le , qui lui amenoit un renfort confîderabîe, ôc d'empêcher leur
jon6lion. Le Prince , pour le prévenir , paffa la Charante à Co-
gnac , ôc marcha droit à Châteauneuf , oii il y avoit un com--
mandant EcofTois. Il fembloit que le Prince cherchoit uneba»
taille, ôc le duc d'Anjou, dont l'armée avoit été renforcée , ne
paroiffoit pas la vouloir éviter. Cîayde de Savoye comte de
Tende, qui avoit fuivi le duc de Nemours jufqu à Sancerre,
fe fepara de lui en cet endroit , ôc fe rendit à l'armée du duc
d'Anjou , avec trois mille hommes de pié , Ôc une très belle ca-
valerie. Outre cela le Rhingrave Philippe, ôc Chriftophle de
Baffompierre lui avoient amené deux mille chevaux Allemands^
ayant laifTé en Lorraine le duc d'Aumale Nemours, ôc le ba-
ron des Adrets , pour s'oppofcr au palfage des troupes Aile- i
mandes qui marchoient au fecours de Condé. Le duc d'An-
jou étant arrivé à Confolans en Limoufm , ôc y ayant païïe la
tfmKmmmumoHB
5<^S HISTOIRE
• Vienne , prit la route de Vertueil. Il y apprit que le deHeln des
nrj A D r n Confedcrez , etoit daller au-devant des troupes que de Pile
jy leur amenoit j & que c etoit dans cette vue qu ils marciioient
j ^ ^' du côté de Cognac pour y pafler la Charante , afin de recevoir
" ' les troupes que les Vicomtes leurs envoyoient , & qui venoicnt
lentement , parce que leurs marches étoient difficiles ôc dan-
gereufes ; que leur deiïein étoit ^ lorfque toutes hurs forces fe-
roient jointes, de marcher du côté de la Loire, pour y atten-
dre Wolfang de Bavière duc des Deux -Ponts , qui venoit
les joindre avec une armée d'Allemands. Sur cet avis, le duc
d'Anjou refolut de les prévenir. Pour cet effet , il détache Har-
douin de Villiers feigneur de Rivière , avec un corps de bon-
nes troupes , pour fe failir de Jarnac. Jl n'en fut pas plutôt maî-
tre , que Coligni étant furvenu, l'y attaqua. Villiers voyant qu'il
ne pouvoit pas tenir dans la ville, fe retira dans le château. On
y amena du canon 5 il fe défendit encore quelques jours. Mais
voyant que le fecours n'arrivoit pas auffi-tôt qu'on le lui avoit
fait efperer,il promit de fe rendre, à condition qu'il auroit la
vie fauve , & qu'il pourroit emporter fes effets. La capitulation
étant acceptée , il rendit la place à Briquemault , à qui Coligny
avoit laiffé la conduite du fiége. On y mit en garnifon le vi^
comte de Montamar avec fon régiment.
Le duc d'Anjou ne pouvant plus paffer la Charante fur le
pont de Jarnac , comme il l'avoit efperé , alla paffer cette ri-
vière au-deffus d'Angoulême , & ayant pris Ruffec enpaffant,
il paffa la garnifon au fil de l'épée 3 ôc la ville de Melle en Poi-
tou ayant été prife dans le même tems, la garnifon eut le mê-
me fort. De-là le duc d'Anjou marcha du côté de Château-
neuf Cette ville fituée fur la Charante , entre Angoulême &
Jarnac , ou il n'y avoit que foixante hommes de garnifon, avoit
été prife par de Piie^ dans le tems qu'on afhégeoit Angoulê-
me , 6c les Confédérez y av oient mis une forte garnifon. Elle
ouvrit peu de tems après les portes aux troupes du Roi, l'Ecof-
fois qui y commandoit ayant eu permiffion d'en fortir vie & ba-
gues fauves. On fit à l'inftant rétablir le pont que les Prote-
flans avoient rompu , ôc l'on donna ordre d'en faire un autre
de bateaux : ce fut Armand de Gontaud de Biron qui fut char-
gé de ce foin. L'armée du Roi marcha enfuite vers Cognac >
pour faire croire aux ennemis qu'on ne penfoit plus à paffer la
Charante
DE J. A. DE THOU^Liv.XLV. y^p
Charanteà Châteauneuf : mais auiïi-tôt elle revint fur fes pas. »
Coligny qui menoit l'avant-garde , voulant reconnoître les /-^
ennemis de plus prés , fortit de Jarnac avec huit cens chevaux , jv
& autant de moufquetaires , ôc marcha à leur rencontre , la ri- ^*
viere entre deux. Quelques détachement de l'armée du Roi
ayant pafle la rivière en bateau , on efcarmoucha pendant quel-
que tems.
Coligny croyant qu'il y alloit de fon honneur , d'empêcher
que les ennemis ne s'avançaflent plus loin fans combat , va
camper plus près d'eux , pofte deux regimens d'infanterie à un
quart de lieue de leur camp , ôc huit cens chevaux derrière ,
pour foûtenir cette infanterie, fi elle étoit attaquée, ôc leur or-
donne s'il arrivoit quelque chofe , d'en avertir promptement
les Généraux. Ces ordres ainfi donnez, il va à Bafîac ', qui étoit
entre Jarnac ôc le camp du duc d'Anjou : mais l'infanterie ôc
la cavalerie qu'il avoir poftée , comme je viens de le dire , mur-
murant contre les fouriers de l'armée qui les avoient mis dans
un pofte fi incommode, l'abandonnèrent, ôc allèrent dans un
autre endroit. Ce fut une grande faute , ôc qui fut très funefte
à leur parti j car cela fut caufe que les troupes qu'on avoit pla-
cées , pour empêcher les ennemis de pafler , fe trouvèrent trop
foibles pour les attaquer , ou pour les repoufler vigoureufement ,
ou du moins pour leur faire craindre que toute l'armée du prin-
ce de Condé ne fût là 5 ce qui étoit précifement l'intention que
Coligny avoit eue dans la difpofition qu'il avoit faite.
Biron ayant achevé fon pont avec une extrême diligence,
l'armée du Roi commença à pafler vers minuit en grand filen-
ee y il n'y eut qu'environ cinquante cavaliers des ennemis qui
s'en apperçurent vers le point du jour : mais il étoit trop tard j
^ tout ce que put faire Coligny , à qui ils en donnèrent avis , fut
d'envoyer l'ordre à tous ces petits corps difperfez çà ôc là , aflez
loin les uns des autres , de fe rendre tous à Baflac , où il étoit ,
afin de pouvoir faire une retraite honorable à la vue de l'ar-
mée du Roi : en même tems il envoya devant l'infanterie avec
les bagages. Si cet ordre avoit été exécuté auffi promptement
qu'il pouvoit l'être , Coligny fe feroit retiré fans perte. Mais
il fe pafla trois heures avant que Montgommeri ôc Pluviaut euf-
lent raflcmblé leurs gens h ôc d'Acier, qui avoit pris une autre
1 Abbaïe de S. Benoît , fur la rive droite de la Charante , près de Jarnac.
Tome V, Ce ce
Sio HISTOIRE
I. route i marcha du côté d'Angoulême : ainfi il étoit trois heu-
Charle "-^^ après midi lorfque tout cela fut rafTemblé, & alors prefque
j^ toute l'armée du Roi étoit pafTée , Ôc attaquoit déjà vivement
j ^ ^ Q^ l'arriere-garde conduite par la Noue.
^Condé qui menoit le corps de bataille, ôc qui faifoit fa re-
traite , ayant appris ce qui fe pafToit , fait faire alte à fes trou-
pes. La Noue avoit à peine fait une demi-lieuë de chemin,
qu'il fut pouffé vigoureufement , par un gros des troupes du
<Roi. D'Andelot qui fe trouva près de-là , les ayant reçus de
même , la perte ne fut pas grande. A peine s'étoient-ils remis
en marche, qu'un plus gros corps commandé par le duc de
Guife, par Martigucs, par Jean de Sourches feigneur de Ma-
hcorne, ôc par le jeune Briffac, vint de nouveau tomber fur
l'arriere-garde. La Noue foûtint cette attaque avec une valeur
extrême 5 mais ayant été renverfé de deffus fon cheval , il fut fait
prifonnier avec la Loue : fes troupes furent renverfées fur d'An-
delot , qui non-feulement foûtint tout l'effort des ennemis , mais
repoufTa même BrifTac avec perte. Dans ce choc les Catholi-
ques perdirent Jacque de Balaguier feigneur de Monfalez ,
Jean de Billy feigneur dePrunay, & quelques autres. Ayant
reçu un nouveau renfort de Moufquetaires , ils fe rendirent
maîtres de BafTac :, ôcs'y fortifièrent fî bien qu'il fut impofhble
de les en chaffer.
Bataille de Coligny en ayant été informé par d'Andelot , en donna avis
Jarnar. au prince de Condé , ôc lui fit dire qu'il étoit important qu'il
fit marcher fur le champ tout ce qui lui refloit de troupes de fon
avant- garde j ce qu'il exécuta avec beaucoup de diligence , ôc
il les rangea en bataille à la gauche au - deffous d'une petite
colline. Coligny chargea le premier , ayant fait marcher de-
vant lui la Tour du Châteher , qui venoit de joindre Condé ,
après avoir ramené fa flotte à la Rochelle. Comme la Tour étoit
à la tête , ôc qu'il exhortoitles troupes à bien faire en leur mon-
trant l'exemple, fon cheval ayant été tué fous lui^ il fut ren-
verfé ôc pris : par malheur on reconnut que c'étoit lui , qui cinq
ans auparavant avoit tué Charry à Paris j ainfi il fut tué au mo-
ment même.
Prefque toute l'armée du Roi étoit pafTée , ôc elle commen-
^oità s'étendre beaucoup fur la gauche, où Soubife^ l'Anguil-
lier, Piuviaut, Claveau ôc quelques autres Seigneurs du Poitou
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. f-ji
commandoient : le combat y fut rude , les Confédérez, qui
fe trouvèrent enfermez entre les Royaliftes 6c la rivière > Chaple
ôc qui d'ailleurs étoient fort inférieurs en nombre, y fouffri- jy'
rent beaucoup. Soubife 6c Languillier furent pris : mais lèpre- j ^ ^'
niier s'échappa des mains de ceux qui le gardoient. Mefan-
chere, ôc laBrandonniere furent tuez dans la chaleur du com-
bat. Il y avoir encore la chauffée de l'étang, où les Confédé-
rez fe défendoient ; mais y ayant été attaquez par un gros de
cavalerie Allemande, ils furent obligez de plier j puis ils fe
mirent à fuir à la débandade. Condé au delefpoir s'étant ap-
proché d'eux avec trois cens chevaux , leur parla ainfi : « Voici, Harangue
«mes amis, ce que vous aviez fouhaité inutilement jufqu'ici. ^onj^"â\o^
M Non-feulement vous pouvez combattre votre ennemi , mais armce.
»> vous y êtes forcez : tout ce que vous pouviez attendre
« de la prudence ôc de l'habileté de vos Généraux , pour vo-
» tre fureté 6c pour la leur , ils l'ont fait pleinement : c'eft à
»> nous à vaincre à prefent par notre courage toutes les diffi-
9' cultez du lieu Ôc du tems , 6c toutes celles qui fe prefentent
»> dans la fituation où la fortune de la guerre nous a mis. Vous
" venez de voir le corps de bataille des ennemis repouffé par
'!» d'Andelot : Coligny vient de l'ébranler tout de nouveau >
w nous le renverferons entièrement avec l'aide de Dieu , fi
»> nous l'attaquons avec toute la bravoure qu'on doit attendre
» de nous. Notre Dieu efl le Dieu des armées : il aime à être
0' ainfî nommé : il fe déclare toujours pour la bonne caufe h il
» ne manque jamais defecourir ceux qui le fervent i 6c il nous
» protégera infailhblement , fi après avoir pris les armes pour
» la liberté de nos confciences , nous mettons toute notre ef-
»' perance en lui : ne craignons point la multitude de nosen-
0' nemis j c'eft fa caufe que nous défendons , il va les difTiper
f» de fon foufHe. Mais il s'agit de combattre , ôc non de déli-
» bérer. Ne longeons à la retraite , qu'après que nos enne-
» mis feront défaits. Quel que puiffe être l'événement , mes
" amis , je prie de tout mon cœur nôtre Dieu , arbitre de
« la guerre Ôc de la victoire , que fi le combat tourne à no-
35 tre avantage , ce foit pour fa gloire , ôc que fi le con-
3> traire arrive , le malheur de cette journée retombe fur moi
S' feul. "
AufTi-tôt il s'avance avec un air intrépide, ôc charge avec
C c c c ij
n^ HISTOIRE
, tant de vigueur, que tout plie devant lui. Mais le duc d'Anjou
r> rr . ,, , r, amvant dans le moment avec le refte de l'armée , il fut en-
j ^ veloppé de toutes parts : après un combat opiniâtre , qu'il
* rétablit plufieurs fois , fe trouvant toujours à la tête, faifant en
Le prince nicmc-tcms le devoir de capitaine ôc de foldat, 6c allant de
de Condc e(i rang en rang , pour ranimer fes troupes par fes difcours ôc par
défait , pns ç^^^ exemple , il fe vit enfin abandonné, & accablé par fon che-
val , qui , percé de coups , fe renverfa fur lui. Dans cet état il
reconnut un officier des ennemis nommé Tifon d'Argence j
ôc un autre nommé S. Jean. Ayant levé la vifiere de fon caf-
que , il fe fit connoître ôc fe rendit. Ils lui donnèrent leur pa-
role de lui fauver la vie. Mais Montefquiou, capitaine des
Gardes du duc d'Anjou , étant furvenu avec des ordres fecrets,
à ce qu'on croit , les mit hors d'état de tenir leur parole j car
s'étant approché , dans le tems que le Prince leur parloir , ii
lui tira un coup de piftolet par derrière Ôc le tua.
5on éloge. Ainfi mourut Louis de Bourbon Condc, prince du Sang
Royal , bien plus illuftre par fon courage guerrier , ôc par fes
hautes vertus, que par la grandeur de fa nailTance. La valeur,
la conftance , l'efprit , l'adrefTe , lafagacité, l'expérience, la po-
litefTe , l'éloquence Ôc la libéralité fe trouvèrent réunies en lui"
dans un degré éminent:il y eut peu de Seigneurs de fon tems
qui l'égalaffent dans toutes ces vertus j mais de l'aveu même
de fes ennemis , il ne s'en eft pas trouvé un feul qui l'ait fur-
paflfé. Sa mort fut fuivie de celle de plufieurs grands perfon-
nages , ôc de tant de malheurs , que l'on crut le parti Protef-
tant entièrement ruiné : mais la conftance ôc la bonne con-
duite de Coligny le releva bien-tôt, contre l'opinion de tout le
monde , ôc les chofes tournèrent de manière , qu'on fut obligé
de terminer par un Traité de paix une guerre, quifembloit ter-
minée par la vidoire du duc d'Anjou. Les Proteftans y per-
dirent , outre ceux que j'ai dit , Chriftophle de Rochechouart
feigneur de Chandenier , Jule de Beaumont de Rieux , Bef-
fon l'aîné , Tabatière le jeune , Barette , la Meilleraie , ôc en-
viron cinquante autres gentilshommes du Poitou j ôc outre
cela Montejan , Duglas Ôc Corneille , gentilshommes EcofTois ,
ôc Auger de la Moriniere officier d'infanterie : mais comme
ce ne fut prefque qu'un combat de cavalerie, ôc qu'excepté
le régiment de Pluviaut , il y eut très-peu de gens de pré qui
DE J. A. DE THOU. Liv.XLV. 575
combatifTent^ l'infanterie des Proteftans perdit peu de monde. ,.
Robert Stuart Ecoflbis , qu'on accufoir d'avoir tué deux ans Ch-\rî e
auparavant le connétable de Montmorenci à la journée de S. | ^
Denys, fut pris dans ce combat ôc tué enfuite à coups de poi- j r- 5 g
gnard. Courboufon frère de Montgommery , & Guerchy ,
qui étoit dangereufement bleffé , tombèrent entre les mains
des Royaliftes. La Noue fut échangé avec Sefiacj Courbou-
fon qui avoir demandé d'être échangé contre lui, piqué qu'on
lui eût préféré la Noue , quitta l'armée y ôc fe tint chez lui. On
compte que les Proteftans perdirent dans ce combat quatre
cens hommes , ôc les Catholiques la moitié moins. Les prin-
cipaux de ceux qui furent tuez du côté àcs derniers , furent
Monfalez jPrunay j Ingrande , Pic comte delà Mirandole, le
comte de Moret , Moncanvre , Lignere qui avoir défendu
Chartres un an auparavant , ôc quelques autres.
Coligny ôc d'Andelot ayant fçû la mort du prince de Con-
dé, ôc voyant qu'il n'y avoit pas moyen de raflbrer les fuyards
ni de les arrêter y fe retirèrent avec quelques gentilshommes
fort braves , ôc prenant un autre chemin fur la droite , ils ga-
gnèrent Saint Jean d' Angely. L'infanterie , à qui le prince de
Condé avoit fait prendre les devants.perfuadée qu'on ne pou voit
prefque pas éviter d'en venir à un combat^ avoit repris la route
de Jarnac , pour fecourir fon parti ; mais elle apprit en arrivant
que les Confédérez avoient été battus , ôc peu s'en fallut qu'elle
ne fut furprife par les troupes du Roi , qui pourfuivoient les
fuyards. Ayant eu le tems de pafTer la rivière, elle rompit les
ponts avec tant de diligence , que les vainqueurs ne purent la
joindre. Ce fut le cinq de Mars que ce combat fut donné. Le
duc d'Anjou arriva le même jour à Jarnac , ôc le corps du
prince de Condé , mis par dérifion fur une ânefl'e , y fut apporté
le même jour. On le rendit au prince de Bearn , qui le fit en-
terrer à Vendôme dans le tombeau de fcs ancêtres.
Le duc d'Anjou goûta en jeune homme le plaifir de la vic-
toire qu'il venoit de remporter. Après avoir rendu publique-
ment à Dieu des adions de grâces , il eut envie de bâtir une
chapelle dans l'endroit , où le prince de Condé avoit été tué>
Claude de Saintes fameux prédicateur, ôc depuis évêque d'E-
vreux, lui avoit infpiré cette idée. Il changea depuis de fenti-
ment^par un confeil beaucoup plus fage que lui donna Fran(^ois
C c c c iij
5'74 HISTOIRE
r:=r:i-~.=:rr dc Camavaîet , qui lui fit entendre que c e'roit le moyen de
Charle perfuader à tout le monde , qu'il avoit fait tuer le prin-
IX. ce de Condé , comme le bruit en couroit déjà. Ainfi il fe
I 5 (^p. contenta de dépêcher un courier au Roi, pour lui porter en
diligence la nouvelle de ce grand fucccs. Le Roi s'étoit avan-
cé jufqu'à Metz pour foûtenir le duc d'Aumale , qu'il avoit
envoyé avec un corps d'armée, pour s'oppofer aux Allemands
quialloient joindre le prince de Condé , ôc les empêcher d'en-
trer en France. Le courier étant arrivé à minuit , le Roi fe
leva &L fe rendit auiïi-tôt avec toute la Cour à l'Eglife Mer
tropolitaine , pour y faire chanter le TeDeum^ eniuite il en-
voya ordre par tout le Royaume d'eu rendre grâces à Dieu
par des prières publiques.
Ceux qui fe fauverent de la déroute , gagnèrent Cognac ,
où ils arrivèrent à l'entrée de la nuit. D'Acier s'y rendit aufîl
avec cent enfeignes de gens de pié , qui ne s'étoient point trou-
vez au combat: il avoit avec luiBaudiné, Ton frère Blacons ,
du Chelar , Mirabel,6c quelques autres Seigneurs. Entre les
officiers de cavalerie , Montgommery , la Rochefoucauld ,
Chaumont,6c quelques autres vinrent l'y joindre. La reine de
Navarre , qui avoit un grand cœur ôc un efprit mâle , y étant
accourue fur le champ , fit à tous ces Seigneurs , ôc aux trou-
pes qui formoient un cercle autour d'elle, un difcours propre
à leur relever le courage. Elle loua d'abord le feu prince de
Condé , fon beaufrere , qui avoit montré, dit-elle, jufqu'à fa
mort autant de fidélité que de valeur, pour foûtenir la caufe
jufte dont il avoit entrepris la défenfe : elle les exhorta à imiter
fon courage ôc fa fermeté , ôc à prendre, à fon exemple , une
ferme réfolution de combattre pour la défenfe de la vérité
Ôc de la liberté de la patrie , qui étoit en bute aux efforts im-
pies de quelques méchans hommes. Qu'il ne falloir pas croire
qu'une fi bonne caufe fût éteinte avec ce grand Prince ;
Que le malheur qui lui étoit arrivé, ne devoit pas jetter dans
le defefpoir des hommes aufll remplis de pieté qu'ils fétoient:
Que Dieu, dont il foûtenoit la caufe, avoit pourvu à fa dé^
fenfe : Qu'il lui avoit afibcié pendant fa vie des hommes , qui
étoient en état de remédier promptement ôc facilement aux
maux que fa mort pourroit caufer : Qu'ils voyoient devant
eux le prince de Bearn , ôc le fils du grand Condé, qui n étoit
D E J. A. DE THOU,Liv. XLV. H)
pas moins héritier de fa valeur , que de fon nom : Qu'elle ne
doutoit pas que ces deux jeunes Princes, aidez de tous les Charle
Grands quiétoient dans cette aflemblée , ne fuflent un jour j x.
en état de foûtenir une caufe fi louable. Voilà à peu près ce i c c o.
qu'elle dit en préfence des Seigneurs ôc de l'armée. Mais elle
dit en particulier à fon fils tout ce qu'elle jugea capable d'en-
flamer fon jeune cœur. Elle retourna enfuite à la Rochelle ,
pour procurer à fon parti de nouveaux fecours.
Les Généraux tinrent confeil fur ce qu'il y avoir à faire dans
la conjondure prefente. Un des points les plus importans
qu'on y agita , fut de fçavoir en quel endroit on mettroit les
Princes : c'eft ainfi qu'ils appelloicnt le prince de Bearn , &
le jeune prince deCondé, fous lesaufpices defquelsla guerre
fe continua depuis. Plufieurs étoient d'avis qu'ils fifient leur
féjour à Angoulême , ville bien fortifiée & par l'art & par
la nature , & qui ne pouvoir être afiiégée. D'autres difoient
qu'il valoir mieux qu'ils demeurafi'ent à Cognac auprès d'eux ,
de peur que leur éloignement n'achevât d'abattre le courage
des troupes , confternées par la dernière défaite , & que le
defefpoir ne les portât à abandonner Cognac, & à fe retirer.
Enfin on prit le parti de les mener à Saintes , oii Coligny ôc
d'Andelot furent obligez de fe rendre , pour y prendre les der-
nières réfolutions: on jugea qu'il falloit laifi^er à Cognac quel-
ques-uns des principaux officiers ^ pour défendre la place j fi
par hazard on en formoit le ficge.
Les Princes fe rendirent donc à Saintes , & les deux Co-
lignis y arrivèrent prefqu'aufii-tôt qu'eux. Sur leur avis, onré-
folut de refter dans cette ville jufqu'à ce que fon fçût à quoi
s'en tenir j fur les fiéges d'Angoulême ôc de Cognac , que l'ar-
mée du Roi avoir deflein de former , fi Ton en croyoit les
bruits publics : Qu'enfuite on iroit au-devant des fecours qui
leur venoient d'Allemagne, ôc qu'on leur manderoit en atten-
dant , de fe faifir, de gré ou de force , de quelque paflage fur
Ja Loire. Quelque tcms après les Colignis menèrent les deux
Princes à S.Jean d'AngeJy , oii ils crurent qu'ils feroientplus
en fûrcté, ôc ils y mirent une forte garnifon fous le comman-
dement de Chelar. De Piles refta à Saintes avec fes troupes.
Mais il eut depuis ordre d'aller à Pons , ôc l'on mit à Saintes
Blacons , avec fon régiment. Monrgommcry fut envoyé à
57^ HISTOIRE
^^^^^^^^ Angoulême avec quatorze efcadrons de cavalerie j mais com-
me ils refterent long-tems devant la place à attendre le refte
Chaule ^^ ^^^^ monde , BrifTac , qui les avoit luivis , les mit en déroute
^■^' ôc les culbuta dans les fbnez. Chaumont, un de leurs offi-
^ 5 ^ ^' ciers généraux , y fut pris avec deux cornettes.
Pendant ce tems-là le duc d'Anjou marchoit vers Cognac
avec un train d'artillerie. Martigue ôc Briflacnes'imaginoient
pas depuis la dernière vi6toire , qu'il y eût rien d'impofTible
pour eux. Cependant Blacons ayant fait ouvrir le mur de la
première enceinte , fit une fortie fur eux , dans le tems qu'ils
ne s'y attendoient pas, & leur tua plus de cent hommes. Il y
avoit dans la place 7000 hommes d'infanterie nouvellement
levez , qui ne connoiOToient que par la renommée la défaite
de Jarnac, ôc qui n'en étoient point effrayez : ils faifoient des
forries fréquentes , qui fatiguoient beaucoup les troupes du Roi,
ôc ils leur tuèrent près de trois cens hommes. Cette refillance les
obligea à lever lefiége. Le duc d'Anjou s'avança plus loin,
ôc tenant en quelque forte toutes les forces des Confédére2;
renfermées dans un efpace affez petit , il fit invertir Montai-
gu ' , place qui appartient à la maifon de la Trimoùille. Pui-
gaillard ôc Gouillé gouverneur de Nantes ôc d'Angers eurent
ordre de l'afFiéger avec 3000 hommes d'infanterie qu'on ve-
noit de lever en Poitou. DuplefTis , homme avare , ôc qui ne
fe tenoit point fur fss gardes , commandoit 4aris ce pofle.
Celui qui prefîbit le duc d'Anjou de s'en faifir étoit C. Rou-
haud feigneur de Landereau : il affuroit que la prife de cette
place rendroit les Proteftans plus timides , ôc arrcteroit leurs
courfes. On fit venir du canon de Nantes, ôc on conduifitla
tranchée vers un moulin qui regarde la porte de cette ville.
Deux jours après DuplefTis mourut ; on ne fçait fi ce fut de fiè-
vre ou de chagrin dei^Q voir deshonoré. Après fa mort laBrof-
fe prit le commandement : il n'avoit avec lui que cinquante
hommes , qui s'étant fauvez quelque-tems auparavant de Nyort
ctoient venus en cet endroit chercher un afile : il fe défendit
avec vigueur, ôc lit même des forties , où il tua du monde
aux affiégeans. Dans le mcme-tems Landereau marcha à Tif-
fauge bourg ^ , qui appartenoit au vidame de Chartres , ôc
1 Petite ville du Poitou, fur un ruif- 2 Bourg de Poitou fur la Seure Nan-
feau qui va tomber dans la Seure Nan- toife. Il touche à l'extrémité' de TAn-
tçfife. jpu.
qui
DE X A. DE THOU, Liv. 5CLV. ^77
qui étoit autrefois aflez peuplée, mais qui eft aujourd'hui comme _„«_
deferte -, le château qui eft très-fort , eft fermé d'un côté par la "
Seure j de l'autre ^par un étang , & de tous les autres cotez ^^^^^^^
par un rocher efcarpé ôc prefque inacceiïlble. Il y a outre cela
un bon mur , & une tour bien bâtie , ôc qui eft en fureté con- ' 5 ° ^*
tre les afTauts. Le jeune Moterie Cafau y commandoit avec 40
foldats j mais s'étant brouillé avec Griffon Intendant du Vi-
dâmes la garnifon ne fut plus payée, les vivres manquèrent , '
ôc les foldats fe débandèrent. Priou, que le Vidamey envoya,
n'ayant ni foldats ni munitions , fut obhgé de fe rendre , d'au-
tant plus que Landereau rafTurcit, quoique fauflement , que
Montaigu , qui n'en en eft éloigné que de trois lieues , étoit
pris. LaGuioniere, qu'on avoir fait commandant de la place,
mit le feu au château ôcle ruina entièrement, afin qu'il ne pût
plus fervir aux Proteftans. Quelques jours après , la Creftbn-
niere prit Foreft fur la Seure î c'eft un château très-fort : il y
perdit du monde , ôc entre autres la Moterie.
Landereau étant retourné devant Montaigu , ôc voyant que
le liège n étoit pas plus avancé , que lorsqu'il en étoit parti ,
fit retirer le canon , ôc dreffer la batterie du côté de l'étang.
La brèche fut bien-tôt li grande , qu'il étoit impoftible à une
garnifon qui n'étoit que de cinquante hommes , de la défendre:
On donna avec une clochete le fignal aux troupes de fe fauver
dans le château: on abandonna la ville à Puygaillard, ôc le
foldat furieux la faccagea. On fomma enfuite le château de
fe rendre : on dit à ceux qui le défendoient , que depuis la
déroute de Jarnac , ils n^avoient plus de reffource. La Brofte ,
fatigué par les cris ôc les lamentations d'un peuple qui ne lui
étoit d'aucun fecours , promit de fe rendre , à condition qu'il au-
roit la vie ôc la liberté, ôc que chacun pourroit emporter ce
qui étoit à lui. Ces conditions furent accordées ' , mais très-
mal obfervées. On dépouilla la plupart de ceux qui fortiretït
de la place : quelques-uns furent faits prifonniers , ôc ne furent
mis enhberté qu'en payant leur rançon.
Le duc d'Anjou ayant levé le fiége de Cognac , ravagea
tout le pays jufqu'à Saint Jean d'Angely , ôc prit enfuite la
route d'Angoulème. Quelques officiers, qui étoient dans la
place , lui avoient fait efperer , qu'il pourroit la furprendre.
I Du parti Proteftanc,
Tome V, D d d d
57S
HISTOIRE
Mais Coligny qui en avoit eu vent , y envoya Montgommsry
Char LE ^ Sainte Même qui en ctoit Gouverneur y ôc qui y mena les
IX. regimens de Mombrun ôc de Mirabel. Ils firent abattre le
\ % 6 Q. retranchement , qui empêchoit qu'on ne pût faire la ronde au-
tour du rempart , Ôc ils prévinrent par ce moyen les entrepri-
fes fecretes ôc les trahifons. Le duc d'Anjou voyant fon coup
manqué , s'en retourna le 12 d'Avril, ôc prit en chemin fai-
fant , ôc après quelques jours de lîége, le château d'Aubeterre ,
qui eft très-fort. De là il entra en Perigord j ôc détacha Briflac
pour fe failirde Mucidan, qui appartient à la maifonde Gram-
mont. Il y avoit longtems que Montluc Ôc François d'Efcars
l'afîiégeoient , fans le pouvoir prendre. La garnifon ayant dé-
fendu long-tems la ville, y mit le feu , ôc fe retira dans le châ-
teau. On le battit pendant plufieurs jours avec beaucoup de
violence , Ôc lorfque la brèche fut faite , on y donna plufieurs
affauts» qui furent vaillamment foûtenus par les afiTiégez. Pom-
padour, de la première nobleflfe duLimoufin, y fut tué. Brif-
fac , fenfiblement touché de cette perte , voulut aller lui-même
reconnoître la brèche, ôc la profondeur du foffé^ Ôc pour cela
s'étant avancé hors de la tranchée , couvert de fon bouclier ôc
de fon cafque, ôc ayant eu l'imprudence de fe découvrir le
vifage,il reçut un coup d'arquebufe ' à la tête, dont il mou-
rut fur le champ , fort regreté de toute l'armée , qui ne put
s'empêcher de pleurer ce jeune homme ^ fils d'un père fi illùC-
tre , ôc qui étant deftiné aux plus grands honneurs ôc aux plus
grandes dignitez du Royaume , perifibit ainfi à la fieur de fon
âge : car il n'avoit pas encore vingt-fept ans. Après cela le
château ne tint que peu de tems ; le commandant le rendit,
à condition que fa garnifon ôc lui auroient la vie fauve , ôc la
liberté d'emporter leurs effets. Mais le regret qu'on avoit de
la perte de Brifi^ac fut caufe qu'on ne leur tint point parole :
auffi-tôt que la garnifon eut perdu la place de vue, elle fut
paifée au fil de l'épée par les foldats furieux. Du côté des affié-
geans deux gentilshommes Florentins furent tuez, Baptifte Car-
nefechi ôc Louis Alamanni.
C'efl à peu près dans ce tems - là que le prince de Bearn
Mort de
Briliac.
I Brantôme dit que ce futunnom-
fhé Carbcnniere qui le tua ; que c c-
toit le meilleur tireur qu'on eût jamais
vu , qui ne manquoit pas un coup , Se
qu'il le connoiiToit, parce qu'il avoit:
été dans fa compagnie.
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLV. nP
accepta le commandement général de l'armée des Proteftans
confédérez , & qu'il fit prêter ferment à tous les Seigneurs qui Ch a R L E j
y avoient des emplois. D'Andelot ayant fait la revue des dé- i^ I
bris de leur armée, trouva qu'ils avoient encore quatre mille i <; 6 9.
chevaux. Comme ils avoient le tems de fe rétablir , il marcha i
vers le Poitou avec un corps d'élite, afin d'amaffer des fonds i
pour la guerre, en tirant de l'argent de tous cotez, ôc fur-tout .1
des revenus du Clergé 5 & afin de tacher de rétablir en ce j
payis-là les affaires des Proteflans , qui y alloient fort mal. Il j
avoit avec lui Mirebeau ôc la Café fon frère , de l'illuftre fa-
mille de Pons , ôc François d'Angennes , avec deux compa- '
gnies de cavalerie , ôc les trois regimens de Saint-Megrin , \
de Lamouffon , ôc de Montamar. Il voulut le premier de Mai ]
furprendre Landereau : ce capitaine lui échapa y ôc fe retira
en diligence à Montaigu , qu'il avoit pris fans beaucoup de \
peine. D'Andelot le pourfuivit jufques-là : mais il ne put en- ]
lever cette place à un homme auffi brave. On tenta avec audi \
peu de fuccès de fe faifir de Clilfon : cette place eft fituée fur !
la Seure affés près de l'endroit, où elle fe jette dans la Loire» !
elle appartenoit à Odet d'Avaugour bâtard de la maifon de ■
Bretagne, qui la gardoit au nom du Roi avec deux compa-
gnies d'infanterie.
D'Andelot s'en retourna de là à Saintes, fans avoir tiré d'au- -^^^^^ ^^ \
tre avantage de fes forces, que d'en avoir fait montre dans ces d'Anddot. |
Provinces. Il y fut alors attaqué d'une fièvre ardente ôc pefti- j
lentielîe^ Ôcl'on foupçonna qu'il avoit été empoifonné : quoi- i
qu'il en foit ^ il y mourut le 27 de Mai. C'étoit un des pre- j
miers hommes du royaume par rapport à fa haute prudence, . ■
à fa droiture, ôc à fon habileté dans fart de la guerre. On fit
à fa mort le même jugement qu'on avoit fait à celle du prince
de Condé ; on crut le parti Proteftant ruiné. Mais Coligny fon |
frère , qui fe trouva feul chargé de tout le fais de cette guerre , I
foûtint ôc rétablit tout pat fon courage : la mort d'un grand 1
Prince, ôc la perte d'un frère, avec qui il fut toujours très-uni, I
ne furent point capables de l'abattre , ôc il fit voir à toute la
France ( ôc fes ennemis même en convinrent) qu'il étoit ca-
pable defoûtenir lui feul tout le partiProteftant, dont on croyoit i
auparavant, qu'il ne foûtenoit qu'une partie. D'Andelot avoit '
époufé Claude de Rieux, héritière des maifons de Laval ôc \
Ddddij i
5-80 HISTOIR E
»w de Rieux, qui font les deux plus grandes , & les deux plus lî^-'
Charle ^^^^ maifons de Bretagne jc'cft de lui qu'eft defcendu le comte
T'Y de Laval ^ d'aujourd'hui , qui a quitté le nom de Tes ancêtres^
1 c<5q pour prendre celui de cette illuftre famille.
Mort de Quelquc-tems après la mort de ce grand homme , Jacque
Jacque de de Boucard , Grand-maître de l'artillerie , homme d'une haute
réputation ôc dans la paix , & dans la guerre , mourut dans la
même ville. Sa charge fut donnée à Jean d'Hangeft feigneur
d'Ivoy fon gendre : François d'Hangeft de Genlis frère aîné de
H Jean étoit mort à Strafbourg quelque-tems auparavant. On pré-
tend qu'il mourut de chagrin , de ce qu'on lui préfera Louis
de Lanjy de Morvilliers pour commander en chef les trou-
pes Françoifes > qui fe joignirent aux troupes auxiliaires d'Al-
lemagne. Comme il ne laifibit point d'enfms d'Ifabelle des
Urfins fa femme, il inftitua fon frère héritier de tous fes biens
ôc du titre principal de cette illuftre Maifon : ainfi nous l'appel-
lerons à l'avenir Genlis. La charge de Colonel général de fin-
fanterie que Henri IL avoir donnée à d'Andelot , pour récom-
penfe de fes fervices, fut donnée pour lors , au nom des princes
de Bearn & de Condé , à Jacque de Cruflbl d'Acier. Le Roi
de fon côté l'avoit deftinée à Brilfac : mais comme il étoit
mort , fa Majefté la donna à Philippe Strozzi proche parent
de la Reine y fils de Pierre Strozzi , un des grands capitai-
nes de fon tems j & il y joignit la charge de Général de l'in-
fanterie Piémontoife, dont Briffac étoit revêtu.
Exiles eft C'eft dans ce tems- là qu'on reçut la nouvelle j qu'Exiles avolt
pris par Co- ^^ furpris au mois d'Avril par les Proteftans , fous le comman-
dement de Coîombel, de Grenoble, capitaine brave ôc en-
treprenant. Exiles eft un château très-fort iltuéendeçà deSuze
aux piez des Alpes Cottiennes. Il n'y avoir dedans que vingt
hommes commandez par Jean de Gaye. Colombel , qui fçavoit
que ce pofte étoit mal gardé, y arriva de grand marin ôc s'em-
para fans peine d'une place , qui auroit pu arrêter long-tems une
armée nombreufe , ôc foûtenir un fiége en forme. Mais fi fa
conquête ne lui coûta guéres , fa conduite ne lui fit pas beau-
coup d honneur. Lorfqu'il eut pris la place , il y commit \qs
plus grands excès, ôc fongea bien plus à piller les Eglifes , ôc à
I Celui dont parle ici M. de Thou efl apparemment Gui XX. qui fut tué en Hon-
grie en I (Soj.
D E J. A. DE THOU^Liv. XLV. ySi
brlferles images , qu'à fortifier ce poûe important , ôc à le pour-
voir de munitions de guerre & de bouche. Cette conquête CH^ri
ayant jette la terreur dans tout le payis , du Rouflci & de la Ca- i y'
fetre, qui étoient à Briancon , château très- fort dans le voifina- ^*
ge, lèvent à la hâte des troupes, & vont invertir Exiles, Ils s'em- ^
parent d'abord de la bafle ville, qui eft fur la Doriaj & ayant
reçu des troupes de tous cotez , non-feulement des payis qui
appartenoientau Roi j mais même de ceux du duc de Savoye,
ils tentent plufieurs attaques, mais toujours inutilement. Cepen-
dant les artiégez , qui n'avoient pas beaucoup à craindre d'eux,
commencèrent au bout d'un mois à craindre , & même à fen-
tir la famine , e'tant réduits à une extrême difette. Louis de
Birague lieutenant du duc de Nevers envoya vers eux le capi-
taine Fremige , qui penchoit un peu du côté du Calvinifme;
& ce fut une des raifons pour lefquelles on le choifit pour pro-
pofer à Colombel de fe rendre. Comme fes foldats mouroicnr de
faim , il écouta Fremige, & rendit la place : à condition que lui
& fes gens auroient vie ôc bagues fauves. Mais la capitulation
ne fut gardée que pour lui feul 5 tous les autres furent maffa-
crez à la fortie du Fort. Colombel ayant été retenu d'abord,
puis mis en liberté , fe retira à Genève.
Vers ce même tems de Piles fut détaché avec deux mille
hommes depié, pour s'emparer del'ifie de Medoc, qui s'étend
le long des côtes de la Saintonge , entre la Rochelle ôc Bor-
deaux. Il s'acquita de cette commifîion avec beaucoup décou-
rage , ôc il y fit un grand butin. De là il marcha à Bourg fur"
la Dordogne, à defîein de furprendre cette place , qui étoit fort-
importante pour alTurer leurs convois. Il détacha pour cela So-
re , habile dans la marine, ôc Rouvrais qui ayant été chafTés de
Normandie pour la Religion , Ôc étant paffés en Angleterre,
étoient revenus depuis peu à la Rochelle. Mais la place s'é-
tant bien défendue, par le moyen du fecours que Monduc y
envoya fort à propos, le coup fut manqué, ôc de Piles rappelle
par les Princes leva le fiége pour aller les joindre. Il y per-
dit Dominique de Provane de Valfenieres colonel d'une gran-
de valeur , qui fut tué par fes propres foldats dans une forrie,
parce que n'ayant pas l'habit uniforme du régiment , ils le pri-
rent pour un ennemi
Volfang de Bavière duc des Deux-Ponrs, qui avoit levé une
D d d d ii;
y82 HISTOIRE
I - armée > fur ia prière que le prince deCondé lui en avoir fait
Charle f^îi^s, par François Barbier de Francour , en fut déclaré Gé-
I X. néraiiffime par Frédéric éleveur Palatin fon parecit. Il fedif-
i c 6 Q, P^^f'i aulfi-tôt à aller au fecours des Confédérez , dont les affai-
res alloient de mal en pis. Mais comme il fentit bien que
Djiuîponts ^ fon entreprife feroit blâmée , non feulement par le Roi de Fran-
vient au fe- qq niais même par la plupart des Princes étrangers , il foncjea
cours des , , . n-r i J J> a l ^ /-^ ■ '
Protcihns, a la juitiner. Le duc a Aumale , que la Cour avoit envoyé pour
s'oppofer à fon pafTage, lui ayant écrit là deflus, il ne lui Ht point
de réponfe. Mais il envoya le 2 1 de Février une longue lettre au
Roi, dans laquelle il expofoitlanéceffité où il s'étoit trouvé de
lever une armée, tant pour mettre à couvert fon payis, qui avoit
été ruiné les années précédentes par des paflages continuels de
troupes j que pour aiïifter les princes deBearn ôc de Condé, ôc
ceux qui profefToient la même Religion, qui tous lui avoient por-
té leurs plaintes des traitemens indignes :, ôc des outrages qu'on
leur faifoit : Qu'on les dépouilloit de leurs biens & de leurs
emplois, ôc ce qui étoit encore plus cruel, qu'on vouloir leur
ôter la liberté de confcience , contre la foi du dernier éditj
qui la leur avoit laiffée : Qu'on avoit fait entrer dans le Royau-
me des troupes étrangères pour les exterminer, ôc que dans
cette extrémité ils avoient imploré fon fecours : Qu'il ne pou-
voir , ni ne devoit le leur refufer dans une caufe fi jufte > puif-
que ce n'étoit point contre le Roi qu'ils avoient pris les ar-
mes, mais contre les ennemis de la tranquillité publiques ni
en vûë de troubler le repos de la France , mais au contraire
pour l'affermir, ôc pourvoir en même tems à leur propre falut :
Qu'en fon particulier il étoit trop perfuadé delà bonté ôc de
lajuftice de leur caufe , ôc que tout ce qu'on difoit contre eux
n'étoit que de pures calomnies : Qu'il fe fouvenoit que dans
^ la dernière guerre , on avoit infinuéau prince Jean Cafimir fon
cou(in les mêmes menfonges contre euxi mais que rien ne fai-
foit mieux voir la faulTeté de ces imputations, que le dernier édit
du Roi , puifque fa Majefté par cet édit approuvoit tout ce
qu'ils avoient fait, comme entrepris parfes ordres, ôc pour le
bien du Royaume : Qu'il proteftoit qu'il entroit en France avec
des troupes auxiliaires , pour défendre non feulement les Prin-
ces deBearn ôc de Condé, mais en général tous ceux qui fui-
Vi^ienr la même Religion , fuffeat-ils de la condition la plus
DE J. A. DE THOU. Liv. XLV. yg^
médiocre , comme la charité Chrétienne l'exigeoit de lui : Aîais
qu'il donnoit fa parole^ que s'il s'appercevoit qu'ils euflent d'au- C H a r l E
très vues que de fe maintenir dans leur Religion , & dans la 1 X.
liberté de confcience, il les abandonneroit fur le champ, ôc i c (5o
iroit offrir fes troupes & fes fervices au Roi j à qu i il fouhaitoit lin-
cerement toutes fortes de profperitez,&que fans aller plus loin,
il ctoit prêt à s'en retourner , fi l'on vouloir accorder aux Protef-
tans de France une liberté entière de confcience , avec joùif-
fance libre de leurs biens & de leurs emplois, &• leur donner
par rapport à cet article des furetez fuffifanres : Que pour fai-
re voir que ce n'étoit point l'intérêt qui l'amenoit en France,
quoiqu'il eut dépenfé plus décent mille écus d'or pour la levée
des troupes qu'il avoir ^ il ne demanderoit aucun dédommage-
ment par rapporta ces frais : Que fi on ne vouioit pas écouter
ces propofitionsj cet écrit feroit connoître à tout le monde la
pureté de fes intentions , ôc le difculperoit lui & fon armée de
tous les malheurs que cette guerre cauferoit infailliblement à
la France. Cette lettre ayant été rendue au Roi, quelaues ef-
prits fa£tieux,qui la traduifirent en François^ y inférèrent plu-
lieurs chofes dures ôc très-offenfantes, contre le Roi, ôc con-
tre le duc d'Anjou fon frère , au fujet du meurtre du prince de
Condé : mais peu de tems après le duc des Deux-Ponts , prin-
ce très-fage ôc très-mefuré dans fes paroles , les défavoua, com-
me desfauffetez très-éioignées de fon caractère , de fa politefTe,.
ôc du refped qu'il avoir pour le Roi.
Il n'eut pas plutôt envoyé fa lettre , que dès le lende-
main il fit paffer le Rhin à une partie de fes troupes. Pour
lui il partit de Saverne , ville de fon domaine , ôc arriva le der-
nier jour de Février à Hochfeld , bourg du baillage d'Ha-
guenau , où il avoit réfolu de faire la revûë de fa cavalerie,
ôc y féjourna jufqu'au 15' de Mars. Il fe trouva à cette revue,
fuivantles rollesquien ont été faits, fept mille cinq cens qua-
tre-vingt-feize cavaliers , ôc outre cela beaucoup de chariots,
ôcde chevaux de bagages. Les principaux chefs étoient Fran-
çois de Harocourt, Gille de Sonnenberg, Guillaume d'Hei-
deck, Balthazar de Dierbach, Reinard de Cracou, Jean de
Buech , Jean de Ders, Henri deStein, Ludolf de Heimbruch,
qui conduifoit deux cens foixante ôc dix neuf chevaux au nom
du comte d^Schombourg, de Charle de Mansfeld, ôc de Thierri.
584 HISTOIRE
- de Schomberg. Il y avoit fix mille hommes d'une très-belle
C H \ R T F i'^^'^'^^^'^i^ ^ diftiibuée en vingt-fix compagnies fous deux géné-
T y raux , dont l'un ctoit Quirin de Gangoif baron de Hohenghe-
<*o rolfeck lieutenant du duc des Deux-Ponts ,.& l'autre Jean-Jac-
que de Granvillars , qui avoit fervi pourl'Efpagne contre nous
dans les dernières guerres de Flandre. Meinard Schomberg
étoit maréchal de camp général de l'armée , & le duc des Deux-
Ponts qui en étoit GénéraliiTîme , nomma pour fon lieutenant
général Wolrad de Mansfeld frère de Charle.
Il fe joignit à ces troupes grand nombre de François ôc de Fla-
mans , entr'autres Guillaume de NalTau prince d'Orange , avec
Louis ôc Henri fes frères , à la tête de quelques efcadrons de ca-
valerie, ôc beaucoup d'autres dont j'ai déjà parlé , comme Mor-
villierSjJean de Hangeft de Genlis, Antoine de Clermont mar-
quis de Renel, Claude- Antoine de Vienne de Clairvant, Def-
fonville, Dully Artus de Vaudray feigneurde Mouy , d'Eller-
nai, de Feuquiere, de Briquemaut d'Autricour, de Lanti, ôc
grand nombre d'autres , jufqu'au nombre de fix cens chevaux
commandez par MorviUiers. Le jeune Briquemaut le joignit
aufli avec huit cens moufquetaires : toutes ces troupes traver-
ferent l' Aface. L'évêque de Strafbourg , qui avoit maltraité de-
puis peu quelques troupes du Prince de Condé, craignant que
le duc des Deux-Ponts n'en tirât vengence , le reçut avec de
grandes marques d'amitié , ôc fit donner à fes troupes tou-
tes fortes de provifions ôc de rafraichifiemens.
D'Aumale fe fentant trop foible , pour difputer à cette ar-
mée l'entrée du Royaume , pafla dans la Franche-Comté, ôc
pourfuivit jufqu'à Cîteaux un corps d'Allemands , qui avoient
pafTé la Saône auprès de Montreuil.. Il y eut un combat fort ru-
de auprès de Gilly > ou la perte fut égale î car chaque parti y
perdit environ deux cens hommes. Les Allemands arrivèrent
à Beaune le 25- de Mars , ôc ils y féjournerent deux jours pour
attendre leurs bagages : dès qu'ils furent arrivez ils marchèrent
du côté de Vezelay. Le duc d'Aumale voyant qu'il ne pou-
voir plus les empêcher d'avancer , cefTa de les pourfuivre, tra-
verfal'Auxerrois, ôc s'en vint fur la Loire pour fe joindre au
duc d'Anjou qui marchoit du même côté avec fonarméç, ôc
difputer au duc des Deux-Ponts le paiTage de cette rivière. Le
duc d'Anjou , qui étoit déjà arrivé à Gien , avoit outre les
troupes
DE J. A. DE THOU, Lrv: XLV. ^85-
troupesFrançoifes fix mille chevaiixAllemands commandez par _„_.
Philbert marquis de Bade, parles deux bâtards de HefTe-Vef- p T
ferbourg, ôc Leintinghen, ôc par les deux frères Rhingraves. jv
Le duc des Deux-Ponts trouvaun gué auprès de Pouilly^ ' ,
dans le Nivernois 3 celui qui le lui montra fut Antoine Ma-
ratin de Guerchy cornette de Coligny^qui ayant e'té pris au t-»^^ '^t"/ '^^
U J T • / ' ^ u ^1 • 1 J J'A Deux- Ponts
combat de Jarnac , avoir ete renvoyé chez lui par le duc d An- airiéoe la
jou. Dès qu'une partie de fes troupes eut pafle la Loire, il for- Chante & la
ma le deffein de fe rendre maître de la Charité , dont la fitua-
tion avantageufe le mettoit en état de faire pafler fon armée
fans péril fur l'un ou l'autre bord de cette rivière , quand il
îe jugeroit à propos. La Charité eft dans une plaine fur le
bord d'en deçà de la Loire 5 la ville eft quarrée , ôc entourée
d'une affez mauvaife muraille , ôc de quelques tours en petits
nombre > mais on y a fuppléé par un fofTé très-large ôc très-pro-
fond, qui va en diminuant du coté qui regarde la rivière , ôc fe
confond enfin avec la plaine : il y a un très-beau pont de pierre,
au-delà duquel eft un faubourg entouré de jardins Ôc de ver-
gers remplis de toute forte d'arbres fruitiers , qui font un afpc£l
très-agréable. Ce fut de ce côté là qu'on l'attaqua : on y drefla
une batterie de trois coulevrines fous les ordres du feigneur
de Mouy , ôc l'on commença à battre le mur qui étoit vis-à-
vis , ôc les tours qui le flanquoient, afin d'empêcher la garni-
fon de défendre le murqui étoit entre deux. Le duc des Deux-
Ponts fit faire une autre batterie contre la tour de Nevers , ôc
contre le mur qui s'étendoit jufqu'à la porte faint Pierre. La
brèche étant faite , le Commandant, par une lâcheté auffiper-
nicicufe qu'infâme, s'enfuit fecretement la nuit , fous prétexte
d'aller demander du fecours au duc d'Anjou; mais en effet
pour fe tirer du danger oi^i il fe voyoit. Les habitans troublez par
fa retraite , ôc preflezpar l'ennemi demandèrent un pour parler.
Pendant qu'on négocie , quelques bourgeois Proteftans ca-
chez , defcendirent à un certain fignal une corde, ôc firent
monter les ennemis les uns après les autres avec beaucoup de
peine j mais en fi grand nombre qu'ils (e rendirent maîtres de
la ville^ concernée par la fuite du Commandant. Ce fut le 20
de Mai que cela arriva : les Officiers François empêchèrent
leurs troupes de piller^ ôc firent donner le butin de la ville aux
, iPetite ville entre Sancerre ôc la Charité,
Toms y, Eeee
SÎ<$ HISTOIRE
■ Allemands, pour leur tenir lieu d'un mois de folde qu^onïeur
Z^ avoir promis, ôc qu'on ne leur avoir point paye. Du Paz de
HARLE Peuquiçj-e excellent officier, & qui entendoit parfaitement les
"^* fiéges , y fut tué. Du Chateletde Dully, gendre de François
'■ S ^ P* (je Scepeaux maréchal de France , ôc gentilhomme d'une des
premières familles de Lorraine , mourut dans le camp de ma-
ladie. On donna le commandement de cette place à Guerchy
avec deux compagnies d'infanterie, ôc quelque cavalerie. Les
Généraux y laiflerent leurs mortiers & leurs coulevrines , ôc fe
mirent en marche avec le refte de leur artillerie qui étoit en
bon état.
La Reine mère , accompagnée des cardinaux de Bourbon &
de Lorraine, étoit arrivée quelques jours auparavant à Limoges,
oii étoit le duc d'Anjou fon fils. L'armée alla de là au Blanc en
Berry, où il fe tint un confeil entre les Généraux, en prefcnce
de cette PrincefTe, fur le parti qu'il y avoit à prendre depuis
l'arrivée du duc des Deux-Ponts. Après qu'on eut bien pefé ce
que les ennemis pouvoient faire, on jugea que le duc des Deux-
Ponts avoit deffein d'aller en Guyenne > pour joindre fes forces
à celles du prince de Bearn , ôc rendre les Confédérez très-puif-
fans en cette Province. La vue de la Reine de Navarre, qui
prefToit cette jonction, étoit, difoit-on, ou de fe faire rétablir
par force dans la pofTefTion du Bearn , dont elle étoit prefque
entièrement dépouillée j ou q'ue ces Princes, après avoir réuni
leurs forces , laifTafTent autant de troupes qu'il en falloir pour
mettre h Guyenne à couvert ; ôc qu'ayant repaffé la Loire à
la Charité, ils marchaffent enfuite vers la Bourgogne, pour y
recevoir les troupes nouvelles qu'on publioit que Jean Cafi-
mir leur amenoit, afin qu'avec ce nouveau renfort ils puiTent
hazarder une bataille, ou fi l'armée royale Tévitoit, marcher
tout droit à Paris , ôc forcer le Roi à leur offrir la paix à des
conditions aufli avantageufes pour eux , que honteufes pour lui.
Pour déconcerter leurs projets, on décida qu'il falloir que le
Roi raOcmblât le plus de troupes qu'ilpourroiti qu'il envoyât des
couriers, pour hâter la marche de celles qui venoient d'Italie? Ôc
qu'après cela on fuivît^ ôc on harcelât fans celle l'armée Protef-
tante,qui auroit contre elle non feulement toutes les villes ôc tou-
tes les places fortes, mais les bourgades mêmes ôc les villagesjen
unmotqu'on leur fît la guerre, comme le duc d'Albe i'avoit
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLV. 587
faîte dans les Payis-bas , ou fans en venir à un combat général , il ,
avoir tellement fatigué le prince d'Orange^ qui étoit à la tête pu a ri e
d'une armée d'Allemands , qu'il favoit chaffé entièrement de j v
ces provinces. Mais en prenant ce parti , il leur reftoit une (-'
inquiétude j ils craignoient que tandis que l'armée des Princes
marcheroit du côté de Paris , Coligny ne refiât du côté de la
Guyenne , ôc ne facilitât aux Anglois fes alliez le moyen de
s'emparer de ces provinces, qui demeureroient fans défenfe,
loffque l'armée du Roi s'en feroit éloignée. Sur cela , plufieurs
croient d'avis qu'on bazardât une bataille, fi l'occafion s'en pre-
fentoit , ôc que le Roi rifqueroit beaucoup , 11 l'on differoit de
le faire. Les autres foutenoient qu'il étoit très-dangereux de rif-
quer un combat. Car où en feroit-on, difoient-ils, fi les Alle-
mands de l'armée du Roi venoient à refufer de combattre con-
tre ceux de l'armée des Princes? Ce feroit encore bien pis,
fî ceux de l'armée des Princes prenoient le même parti ,
& vouloient n'être que fpedateurs du combat : car fi cela
arrivoit , & qu'il n'y eût que les François des deux partis
qui en vinifent aux mains , de quelque côté que la vidoire
fe déclarât , il étoit impoiïible que le vainqueur ne fe trouvât
extrêmement affoibli , ôc ne fût par conféquent à la merci des
Allemands, qui n'auroient rien perdu. Ainfi on en revint au
premier avis, qui étoit de harceler fans cefle l'ennemi^ fans rien
rifquer, ôc d'empêcher (i l'on pouvoit que le duc des Deux-
Ponts ne joignît les Confédérez.
Pour cet effet le duc d'Anjou avoitpoftéun corps auprès
de Limoges, pourdifputer le paffage de la Vienne. Mais Mouy
& d'Autricour, qui avoient été envoyez devant, pour cher-
cher un gué^ ayant taillé en pièces ce petit corps, le duc des
Deux-Ponts n'eut plus rien qui fempêchât de joindre les Con-
fédérez y d'autant plus que fur la nouvelle de la prife de la Cha-
rité, Coligny s'étoit mis en marche avec ce qu'il avoit de trou-
pes , pour recevoir avec tous les honneurs polfibles ce Prin-
ce, à qui il avoit tant d'obligation , 6c joindre i<^s forces aux
fiennes. Il laiffa la Noue pour donner ordre aux affaires de la
Guyenne, ôc s'étant mis en marche^ à deffein de traverfer le
Perigord ôc FAngoumois , il détacha Antoine de la Roche-
foucault-Chaumont avec un bon corps d'infanterie , pour fe fai-
fir de Nantron, place appartenant à la Reine de Navarre, où
Eeee ij
5S§ 'HISTOIRE
les ennemis avoient quatre-vingts hommes en garnifon. Il
Chari e ^'^'^''po'^^^ d'emblce le 7 de Juin, ôc pafTa la garnifon au fil de
j y ' répée j après quoi ils continuèrent leur marche. Il envoya en-
i < 60 ^^^^^ Monrgommery pour commander en chef l'arméQ des
Vicomtes qui ne pouvoient s'accorder enfemble , & pour ar-
rêter les progrès que Montluc ôc Jean de Lomagne de Ter-
ride faifoient dans le Bearn.
Dans le même tems la nouvelle étant venue à l'armée des
Confédérez , que le pafTage de la Vienne étoit ouvert, ce fut
une grande joie pour les troupes Allemandes : mais elle ne
Mort du duc dura gueres. La maladie de leur Général ôc fa mort, qui la
des Deux- fuivit bien-tôt après , les plongea dans la trifteffe. Ce Prince,
qui étoit pefant , avoit eu long-tems la fièvre quarte : les fati-
gues de fa marche ayant augmenté confiderablement fon maî,
il mourut le 1 1 de Juin àNeflbn, à trois lieues de Limoges,
entre les bras du prince Louis de NafTau. Il n'avoir que qua-
rante-trois ans. Avant fa mort il exhorta fes amis à continuer
avec vigueur une guerre, qu'ils avoient entreprife pourlacaufe
commune , & pour la liberté des deux Princes qui étoicnt leurs
aUiez , ôc qui penfoient comme eux fur la Religion. Enfuite
il nomma pour généraliffime de fon armée Volrad de Mans-
feîd , qui avoit été fon lieutenant jufqu'alors. Son corps ^ dont
onôta les entrailles j fut d'abord porté avec de grands honneurs
à Angoulême , ôc enfuite en fon payis , où il fut mis dans le
tombeau de fes ancêtres.
Quatre jours après, les deux armées fe joignirent. Si la joie
fut grande, l'étonnement ne le fut pas moins , lorfqu'ils firent
réflexion à combien de périls ils avoient été expofez, ôc fur-
tout les Allemands, qui étant partis des bords du Rhin, avoient
traverfé tant de payis ; ôc qui toujours fuivis ôc harcelez par
une armée , ôc ayant tant de rivières à pafTer , étoient enfin
arrivez jufqu'au milieu de la Guyenne fans faire aucune per-
te. Après que les deux Princes eurent remercié l'armée , oh
renouvella l'alliance , ôc l'on frappa une médaille d'or , où
l'on voyoit d'un côté la Reine de Navarre ôc fon fils Henri,
avec leurs noms ; ôc fur les revêts étoient ces mots : Pax cer-
ta i vi6îona intégra y mors honefta. ( Patx ajfurée iVÎBoire entière,
mort glorieufe. ) mais l'événement ne répondit pas à cette inP
cription.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. 589
Le 26 de Mai, ils repaflTerent une féconde fois la Vienne
tousenfemble auprès d'Êfle, place qui appartient à la maifon Ckarle
d'Efcars. Ils avoient envoyé devant la Loue & Rouvrai avec JX.
quelques compagnies de moufquetaires , pourchafTer les trou- 1 c 6 9.
pesduRoi.quife difpofoientàleur difputerlepaffageielles atta-
quèrent en effet les Confédérez avec beaucoup de vigueur , ôc
les repouflerent d'abord > mais ceux-ci étant revenus à la char-
ge , repoufferent à leur tour les Royaliftes , ôc les mirent en
fuite 3 après leur avoir tué plus de cent hommes. L'armée des
Princes y campa, & y fit un féjour affez long pour donner le
tems aux Allemands de fe rétablir des fatigues d'une fi longue
marche. On s'avança de là jufqu'à faint Irier en Limoulin,
où l'on paya un mois de folde aux troupes Allemandes, ôc
où l'on fit la revue de l'armée.
Leduc d'Anjou vint camper le 23 de Juin à Roche- abeil-
le, à un quart de lieuë des ennemis. Mais comme il étoit im-
pollible que tant de troupes pulTent fubfifter dans un endroit
Il flerile ( car l'armée des Catholiques étoit de trente mille hom-
mes , Ôc celle des Proteftans de vingt-cinq mille ) les premiers
furent enfin obligez d'étendre leurs quartiers, pour avoir des
vivres.
Quelque tems auparavant , ils avoient reçu à faint Jean de
Livron un corps de troupes auxiliaires du Pape Pie V. Il étoit
de^ooo hommes d'Lrifanterie,ôc de 800 chevaux, commandé
par Sforce comte de Santafiore, homme d'une grande expé-
rience dans la guerre 5 ôc c'eft pour cette raifon que le faint
Père, qui ne donnoit rien à la faveur, lui avoir confié le com-
mandement général de ces troupes : il y vint outre cela mille
hommes de pié fous la conduite de Fabien de Monte, fils de
Baudouin frère de Jule III , Ôc deux cens chevaux comman-
dez par François de Somme de Crémone, ôc par Albert Pioj
ces douze cens hommes avoient été levez par Corne duc de
Florence à la prière du Pape. Il y avoir dans ces troupes un frère
de JacqueCorbinclli, que nous avons connu ôc chéri, dans
le tems qu'il étoit à Paris, où la beauté de fon cfprit, autant
que fa profonde érudition , le fit généralement eflimer. Ce-
lui-ci. qui s'appelloit Bernard, étoit un bon ofîicier, ôc fort bra-
ve : mais parce qu'il paffoit pour avoir trempé dans la conjiv
ration de Pandoife Pucci , onl'avoit voulu faire affairmer trois
Eeee iij
^po HISTOIRE
- ans auparavant à Moulins en Bourbonnois^parunnommé Au-i
Char LE relio-Santi : rafiafTin ayant été pris & convaincu , fut puni de
IX. mort. Bernard Corbinellifut tué vers ce tems-ci, auprès de la
i < 6 g, PalilTe fur le chemin de Lyon, dans le tems qu'il alloit avec
François Gincomini joindre les troupes du comte de Santafiore.
Les afiTaiïins, qui croient Leonel comte d'Oddi, dePeroufe,
& un certain Conftannno, ayant coupé la tête à Bernard , ils
la mirent dans un fac, ôc étant retournés en diligence à Lyon,
ils prirent la polie pour l'Italie, & portèrent cette tête à Flo-
rence.
Les Italiens ne furent pas plutôt arrivez au camp du duc
d'Anjou, que pour faire montre de leur bravoure, ils alloient
tous les jours efcarmoucher contre les Proteftans. Le camp des
Catholiques étoit dans une plaine , ôc fur un coteau en pente
douce , qui aboutilToit à des vallées ; ôc il étoit fortifié d'un bon
foffé paliftadé , excepté du côté qui regardoit faint Irier , où il
Y avoit un vallon profond , ôc au-deiïus une colline , fur la-
quelle on avoir placé le canon , dont on avoit donné la gar-
de aux Suiffes. Au pié de la colline, il y avoit un ruiffeau ôc
quantité de fources, qui formoient un étang : au-delà de la
chauffée de l'étang le duc d'Anjou avoit mis un bon corps-de-
garde , compofé de deux regimens , commandez par la Barte
ôc Goas, qui éroient encore en dueil pour la mort du jeune
Briffac , général de l'infanterie > ôc en cas d'accident ils avoient
près d'eux des hayes , ôc des bois de châtaigniers, oia ils pou-
voient fe renreri ôc derrière il y avoit de l'infanterie, ôc un
bon corps de cavalerie pour les foutenir.
Coligny inftruit de cette difpofition . ôc perfuadé qu'il y alloit
de fon honneur ôc de fes intérêts de prévenir les deffeins du
duc d'Anjou, qui avançoit toujours , marcha de ce côté là
avec toute fon armée, il menoitl'avant-garde , ôc avoit avec
lui Jean de Soubize,la Fin feigneur de Beauvais, François
de Briquemaut, la Loue , Teligny, ôc Louis de Naffau avec
un corps de troupes Allemandes. Le corps de bataille oii'
étoient les deux Princes de Bearn ôc de Condé, le Prince d'O-
range , Henri de Naffau fon frère , ôc Volrad de Mansfcld,
étoit conduit par François de la Rochefoucault. Baudiné ôc
de Piles avec leurs regimens couvroient le flanc droit i Rou-
.vrai ôc Pouilly couvroient le gauche , ôc il y avoit derrière un
DEJ. A. DETHOU, Liv. XLV. S9^
Cofps de cavalerie pour les foûrenir. L'infanterie Allemande
marchoit lur les aîles avec toute raitillerie. Char LE
Quoique ies deux camps funent li près l'un de l'autre, l'ar- JX
mée du kui éroit dans une fi grande lécurité , qu'elle n'apprit j ^ ^ g
l'arrivée des ennemis , qui marchoient avec toutes leurs trou- ^
■ r ^ • 5-1 1 Combat en-
pes, que par un pnlonnier, qu ils renvoyèrent peu de tems treks Roya-
avant que de fe mettre en marche. On cria aux armes de toutes ^1^^^\^ ,^"
parts , Ôc avec beaucoup de défordre , comme il arrive ordi- ° '^ "*^^'
nairement , quand on eft furpris. Auiïi-tot on fit fortir les mouf-
Guetaires de leurs retranchemens , pour foutenir les corps-de-
gardes qui croient fur la levée. De Piles commença le com-
bat, ôc ceux de fes foldats qui s'avancèrent le plus furent re-
pcuffez par un gros des troupes du Roi 5 mais comme ils fe
trouvèrent foutenus par d'autres qui les fuivcient , les Roya-
îiftes furent obligez de rentrer dans leurs retranchemens , d'où
étant couverts par les paliiïades , & par les châtaigniers , ils ti-
rèrent fans ceffefur les Confédérez, 6c leur tuerenc beaucoup
de monde. Ils combattirent ainfi pendant un tems allez con-
fidérable : mais enfin vaincus par le nombre y ( car toute l'ar-
mée ennemie étoit arrivée ) ils commencèrent à fonger à la re-
traite , mais trop tard.
Les chofes étant en cet état , ôcles officiers généraux, qui
étoient le plus près de la mêlée, ayant bien de la peine à re-
tenir les foldats, en les aflurant que le fecours étoit proche;
on voit arriver tout d'un coup Philippe Strozzi , qui avoir fuc-
cedé à BrifTac dans la charge de Colonel général de l'infante-
rie Françoife. Il avoit avec lui trois cens hommes choifis, parmi'
îefquels on comptoit des colonels Ôc des capitaines d'une gran-
de réputation. Animé parcelle de fon père, par fon propre
courage , par l'émulation que lui donnoit la gloire de BrifTac,
qu'il voyoit avec quelque forte de jaloufie regreté de tous les
foldats j il exhorte tous ceux qu'il rencontre, il les appelle par
leur nom , il fe met à leur tête, ôc fait fi bien, qu'il rétablit le
combat. 11 montra ce jour là tant de bravoure , que les foldats
furent confolez de la perte de Brifl"ac. Les Cathohques encou-
ragez par fa fermeté chargèrent ôc firent plier les troupes du
feigneur de Piles j ôc Somma étant venu à la charge, avec fa
compagnie de cavalerie , leur paffa fur le ventre , ôc les fit fuir
àladebandadeice qui'renditle combat douteux ; de Piles même
■BfJBM
5P2 HISTOIRE
m abandonné de fes foldats, ôc enveloppé par un petit nombre
Char LE d'G^"^riGi"^''is , fut en grand danger de perdre la vie
IX Coligny s'étant apperçu de ce defordre , envoya des trou-
1 c (5 0 P^^ fraîches pour foutenir celles qui étoient fatiguées , ôc
qui commençoient à prendre la fuite : ôc comme on n'avoit
lifks foifS- jufque là combattu que de front , il ordonna qu'on fît le tour
tus. du village , ôc qu'on attaquât ce retranchement par le flanc :
il donna cette commifïîon à la Ramiere, officier d'une grande
bravoure, ôc lui donna pour le féconder RouvraiÔcPouilly. Ils
marchèrent tous trois avec leur détachement le long des bords
de l'étang , ôc vinrent prendre les Catholiques en flanc ôc en
queue. Alors la face du combat changea entièrement : les fol-
dats de Strozzi furent envelopez de toutes parts 5 ne pou-
vant plus foutenir les efforts des ennemis, ôc prefles d'ailleurs
par un corps de cavalerie qui vint fondre fur eux , fous la con-
duite de Joachim le Vaffeur feigneur de Cognée, ôc de François
d'Angennes feigneur du Coudrai, ils furent tellement mis en
déroute , qu'i*! fut impoiTibîe de les rallier.
Les Catholiques perdirent deux oflîciers généraux très-efti-
mez j l'un étoit faint Loup lieutenant de Strozzi , ôc l'autre
Roquelaure. Strozzi lui-même, après avoir fait le devoir d'un
grand Général pendant que fes troupes conferverent leurs rangs,
ôc celui d'un bon foldat lorfqu'elles furent en déroute , eut
bien de la peine à éviter la fureur des Proteftans, qui ce jour
là tranfportez décolère, ôc ne fe fouciant point du butin, ne
firent prefque point de quartier. A la fin pourtant ayant été pris
ôc reconnu , il fut mené à Coligny. L'armée du Roi perdit
en cette occafion plus de quatre cens hommes, entre lefqucls
il y en avoit bien cinquante, tant colonels que capitaines. Du
côté des Proteflans il n'y eut que cinquante hommes tuez ,
du nombre defqueîs furent Irememond ôc la Fontaine, capi-
taines d'infanterie. Le carnage auroit été plus grand fi l'on
eût pourfuivi les fuyards j mais la pluie continuelle empêcha
la cavalerie de le faire, ôc l'infanterie le put encore moins 3 ou-
tre qu'elle étoit fatiguée du combat ôc de la pluie , ôc que les
armes à feu étoient mouillées Ôc hors d'état de fervir: de for-
te que les vaincus, qui s'étoient difperfez dans leur fuite; eurent
le loifir de fe retirer dans leur camp , n'étant pourfuivis de
perfcnniî.
Le
DE J. A. DE THOU3 Liv. XLV. S93
Le lendemain, le duc de Nemours voulant faire fentiraux _
ennemis , que leur avantage de la veille n'étoit pas fort confi- Ch a r le
dérable , réfolut d'infulter leur camp avec quatre cens Italiens jx.
& quelques troupes armées à la légère 5 il s'imagina que fin- 1 ç 5 p.
commodité du lieu ôc la difette des vivres les obligeroient d'en
fortir: mais les ayant trouvez difpofez à le bien recevoir , il
fe retira avec perte : ces deux adions fe pafTerent le quinze Ôc
le feize de Juin.
Les Confédérez ayant enfin réuni toutes leurs forces, & vou-
lant juftifier au Roi leur innocence , ôc la juftice de leur caufe , Requête des
prirent alors la réfolution de lui adreffer une requête , oii rap- au°Roi/^^^
pellant le fouvenir des guerres précédentes , & en rejettant la
caufe fur les Guifes ôc furies autres ennemis d-^la tranquillité
publique, ils proteftoient qu'ils avoient été forcez de prendre
les armes, pour défendre leur religion, leurs vies ôc leurs biens
aufquels les Guifes en vouloient : Que s'il plaifoit à faMajefté
de permettre à tous les Proteftans de fon Royaume, de s'af-
fembler librement, de vivre dans le repos, d'exercer tranquil-
lement leurs emplois , ôc de jouir paifiblement de leurs biens,
ôc de leur donner une garantie fuffifante pour leur ôter toute
inquiétude fur tous ces points , ils mettroient fur le champ les
armes bas. L'Eftrange ayant été choifi pour porter cette requête
au Roi , demanda un paffeport au duc d'Anjou 5 ce Prince ré-
pondit qu'il en écriroit au Roi : il le fit en effet , ôc faMajefté
îui ayant permis de faire fur cela ce qu'il jugeroit à propos ,
il ne chercha qu'à amufer les Proteftans , en différant de joue
en jour de leur donner une réponfe pofitive.
Sur cela Coligni fut d'avis d'envoyer la requête à François
de Montmorenci maréchal de France , homme d'une vertu
digne de fantiquité , ôc qui aimoit fincerement fa patrie. 11
ctoit alors à la Cour ; mais comme il étoit proche parent du
prince de Condé ôc des Colignis , il y étoit un peu fufped.
Le Maréchal répondit à Coligni par une lettre datée d'Or-
léans ôc du 20 de Juillet , que le Roi ne recevroit point les re- i
quêtes des Proteftans , ôc n'écoûteroit point leurs propofitions, ]
qu'ils n*euffent auparavant obtenu leur grâce , en fe foumet- ,
tant ôc en rentrant dans leur devoir. Six jours après Coligni
lui envoya , par Montreuil Bonin ,une féconde lettre, dans la-
quelle il proteftoit au nom des Princes Ôc de leurs Confédérez; i
Tome F, F f f f
yP4: HISTOIRE
^„,,„,..„;,. contre l'injure qui leur étoit faite par les ennemis du repos pu-
pi blic y qui empêchoient qu'on n'écoutât leurs raifons ; il pre-
X ^ noit Dieu & tous les princes Chrétiens à témoins des démar-
ches qu'il avoit faites, ôc il declaroit qu'on ne pouvoitluiim-
' ^* puter les malheurs que cette guerre entraîneroit : qu'au refte
lui Ôc les Confédérez > feroient toujours tous leurs efforts
pour aflurer le bonheur de l'Etat en général , ôc celui des par-
ticuliers.
Dans ce même tems les officiers généraux de l'armée du
duc d'Anjou tinrent un grand confeil , fur ce qu'il y auroit à
faire pour rétablir leurs troupes. On fut d'avis de les diftribuer
pour un tems dans les places : que pendant ce tems-là les gen.
tilshommes qui fervoient dans Farmée , pourroient aller chez
eux fe répofer ôc ramaffer de l'argent , pour revenir enfuite à
l'armée , où ils feroient plus en état de fervir. Cela fut ainfi
arrêté, ôc on leur donna à tous rendez-vous au Camp pour le
quinzième du mois d'Août.
Pour les Confédérez , ils réfolurent de refier en campagne,
foit qu'il ne leur fut pas aifé de retourner dans leurs maifons,
foit qu'ils vouluffent occuper les troupes Allemandes , qui fe
mutinent aifément dans le repos , afin de les tenir dans le de-
Expédition ^^q\^^ Ainfî pour profiter s'ils pouvoient de l'inadion des Ca-
des Contede- - ,. .f ^ , i r» • j o ' • ^
rez. thohques, ils entrèrent dans le rerigord , ôc étant arrivez a
Tivierele vingt-huit de Juillet , ils prirent parcompofitionla
ville de Brantôme , où il y a une Abbaye célèbre 5 ôc par force ,
deux fortereffes , dont Tune étoit le château de l'évêque dePe-
rigueux, ôc l'autre fe nommoit la Chapelle. Il y avoit dans
cette dernière place deux cens , tant foldats , que payifans ,
qui furent tuez. Au commencement du mois d'Août ils paffe-
rent la Vienne à Confolans , ôc marchèrent droit à Chabanez ,
place qui appartenoitau vidame de Chartres. La Planche, que
Montluc y avoit mis avec une compagnie d'infanterie , fut fom-
mé de fe rendre. Comme il fe flatoit d'être bien-tôt fecouru
Ear Montluc , il le refulk. On fit approcher le canon , qui eut
ien-tôt renverfé la plus gtande tour. Le Commandant , dont
la garnifon n'étoit pas allez nombreufe pour défendre toute
l'enceinte delà place, mit le feu à la partie la plus foible. Pen-
dant qu'on montoit à l'affaut , le vent augmenta l'embrafe-
ment , ôc pouffa la fumée dans les yeux des ^ITiégez 3 enforte
DE J. A. DE THOU. Liv. XLV. yp;
qu'ils furent forcez , ayant le vent contr'eux , & étant d'ailleurs *— ^"'^'^^
accablez par le grand nombre des ennemis. Le château fut Char LE
pris enfuite & la garnifon pafTée au fil de l'épée. La Planche , I X.
pour fe racheter , promit une grofle rançon , & outre cela qu'il 156p.
feroit rendre la liberté à Pierre Viret y que Montluc avoit pris
dans le Bearn. Ce fut dans ce tems-là que Louis de Lanoy
de Morvilliers , qui avoit été préféré à Genlis , pour la char-
ge de Général de la cavalerie Françoife > mourut de maladie
à Angoulême ; Ôc ce fut peu de tems après que Mouy reprit
par compofition la ville de Saint Gênez , qui paya dix mille
livres pour fe racheter du pillage.
Le duc d'Anjou étant forti de Perigueux , traverfa le Li-
moufin , ôc étant arrivé à Loche en Touraine , il congédia fes
troupes , & leur ordonna de fe retrouver fous leurs drapeaux le
premier d'Octobre, ayant prorogé defix femaines le tems qu'on
leur avoit donné d'abord.
Pendant que tout cela fe paflbit du côté du Limoufin , &
du PerigordjGui de Daillon comte du Lude, qui comman-
doit en Poitou , n'étoit pas dans l'ina£lion. 11 fe mit en cam-
pagne avec cinq mille hommes de pié , parmi lefquels il y
avoit quatre compagnies commandées par d'Onoux ; il me-
noit avec lui quatre greffes pièces de canon , pour des fiéges
& quelques coulevrines. Il prit en chemin faifant les châteaux
de Chevreux & de Magnée qui appartenoient à Saint Gelais,
& fit tuer ou noyer les garnifons malgré les capitulations : au
moins on le publia ainfi , peut-être pour le rendre odieux.
Il arriva devant Nyort le vingtième de Juin , ayant avec lui
Landereau , les Granges , Maronieres , & beaucoup de gen-
tilshommes delà meilleure Noblefle du Poitou. Puigaillard gou-
verneur d'Angers eutordre de l'aller joindre avec ce qu'il avoit
de troupes. La Noue ayant été informé de leur deffein envoya
au fecours de la place Pluviaut, avec fix compagnies d'infan-
terie , fa compagnie de cavalerie , & quelques moufquetaires à
cheval. Pluviaut donna rendez-vous à fes troupes à Fontenai-
l'Abbatu qui appartient à la maifon de Rohan : mais ayant feu
que Daillon étoir porté fur fa route , ôc qu'il avoit mis des trou-
pes à Fors , où il falloir qu'il paflat , il ordonna au capitaine Bois
de prendre les devans: pour lui il s'écarta du chemin ordinaire, &
arriva fans aucune perte à Fontenai. Il y laifTa fes bagages , afin
Ffffij
'S9^ HISTOIRE
^ d'avoir moins d'embarras dans fa marche, & voici l'ordre qu'il
Charle y g^'^ds» Il marchoit à la tête, accompagné de douze gens-
I X. d'armes armez de toutes pièces. L'infanterie venoit enfuire >
a S 6p. couverte fur les flancs par les moufquetaires à cheval , ôc quel-
ques cuiraffiers étoient à la queue de l'arriere-garde. Tout
cela ne faifant qu'un gros , trompa l'ennemi , ôc lui fit croire
qu'il y avoir plus de troupes qu'il n'y en avoir en effet.
Lorfqu'il fut affez près de la ville pour voir les deux tours
plfcoursde ^g la grande Efflife , il dit à fes foldats : - Voilà les dra-
Pliiviaut a fcs ° ^ i i ^ r ■
foldats, « peaux que vous devez regarder , que vous devez luivre ,
« & auprès defquels il faut vous rendre aujourd'hui i c'eft là
» qu'il faut grimper des pieds ôc des mains j perdons plutôt la
» vue du folcil , que la vùë de ces tours : quand l'honneur ôc
» la gloire ne feroient pas des motifs affez puiffans pour nous
«> faire agir , le péril où font nos amis fuffiroit pour nous enga-
=' ger à ne leur pas manquer au befoin. S'ils n étoient expofez
J5 qu'aux évenemens ordinaires de la guerre , ces braves hom-
« mes s'en mettroient peu en peine j mais ils font expofez à
« la haine ôc aux vengences particulières d'ennemis impitoya-
0' blés i ôc cette penfée étant capable de faire frémir fhomme
=> le plus brave , ce feroit un crime à nous , ôc une véritable
35 impiété de les abandonner dans un fi affreux péril. Allons ,
*» compagnons , notre entreprife ne peut manquer d'être heu-
3) reufe 5 allons, ou chercher une mort glorieufe , ou délivrer
» nos amis d'un malheur inévitable. »
Aulîî-tôt il fe met en bataille , donne la gauche à conduire
à la Roche de la maifon de la Louviere î il fe met à la droite*
& laiffe l'Etang fon lieutenant pour conduire le corps de re-
ferve. Sur ces entrefaites il fortit fept efcadrons d'un hameau
voifm , qui vinrent les charger. Pluviaut , qui n'étoit pas
venu là pour combattre , mais pour fe jetter dans la place ,
continua toujours de marcher en combattant , ôc entra dans
la ville avec la meilleure partie de fon monde. Comme fon
infanterie ne put marcher fi vite que lui , il perdit un drapeau
ôc eut environ cent hommes tuez 5 le refte fe difperfa dans
les vignes, ôc fefauva comme il put.
Siège de Le même jour on battit avec deux pièces de canon la porte
Nyort par du pont ÔC les deux tours voifines. Celui qui commandoit dans
tudeT " '^ place , fut bleffc d'un coup d'arquebufe ? il y eut outre cela
DE J. A. DE THOU,Liv. XLV. 5-5)7
■quelques habitansbleffez. La brèche ayant été reparée le mieux >
qu'on put pendant la nuit , on braqua le canon contre la Tour c u * o t »
d'Efpingalle , 011 commandoit le capitaine Gargouillaud. Cette jy
batterie ayant tiré fans relâche deux jours durant , 6c Gargouil- , r- /r'
laud ayant été blelTé , les ennemis montèrent à la brèche , ôc ^ -
plantèrent en même-tems des échelles de l'autre côté de la ville.
Le combat fut meurtrier aux deux attaques pendant une de-
mie heure. Les afiiégez y perdirent Membrole lieutenant du
Gouverneur Ôc vingt-cinq foldatsj mais la perte des alfiégeans
fut beaucoup plus grande : cependant les enfans , les femmes
&les filles ayant travaillé à l'envi à réparer la brèche, les trou-
pes du Roi recommencèrent le lendemain à battre la Tour
pour achever de la renverfer. Les aiïiégeans étoient maîtres
d'une partie, ôc les alfiégez de l'autre : mais il arriva une chofe
qui fit un grand tort aux derniers, ôc quipenfa êtrecaufe de
leur ruine. Pendant que Pluviaut couroit de côté ôc d'autre >
pour donner fes ordres partout, il fut frapé fi vivement d'un
éclat de pierre que le canon fit fauter , qu'il penfa en être ac-
cablé. On le crut mort pendant quelques momens 5 mais on
n'en dit rien , de peur de décourager la garnifon. Au refte fa
blefîure fut fi confidérable , qu'il fut dix mois entiers au lit fans
pouvoir agir. Le combat ayant recommencé , \qs Royaliftes
attaquèrent vigoureufement, mais ils furent reçus de même ôc
contraints enfin de fe retirer.
On battit enfuite quatre jours durant la Tour de Pellet ;
mais avec moins de violence , parce que la poudre commen-
çoit à manquer , ôc que celle qu'on devoit leur apporter des
lieux voifms n'arrivoit point. D'ailleurs les afTiégez, qui corn-
mençoient à avoir quelque efperance de faire lever le fiége ,
travailloient jour ôc nuit à reparer les brèches , encouragez par
les vives ôc fréquentes exhortations que Pluviaut leur faiîbit
de fon lit, ôc par les alTurances qu'il leur donnoit de jour en
jour que la Noue viendroit bien-tôt les fecourir. Tout cela fe
pafla dans le tems de la défaite de Strozzi , dont j'ai parlé ci-
delTusî ôc la Noue avoir alors fort peu de troupes. Cependant,
comme il ne vouloit point abandonner fes amis , ôc qu'il étoit
d'ailleurs vivement follicité par François du Vigean , il fe mit
en marche avec quatre cens chevaux ôc deux compagnies d'in-
fanterie, deftinez pour garder la Rochelle , ôc avec le régiment
Ffffiij
;p8 HISTOIRE
. de Saint Megrin , mort depuis peu dans cette ville. Son def-
r « A T? T r fein étoit d'entrer de très-grand matin dans Nyort fans au-
Lj H A RLE , Ç» , . , .-'
l^ cun ordre démarche : mais les mauvais chemins ayant em-
1 f 5 Q. péché fon infanterie d'arriver au tems marqué , pour ne pas
perdre fon tems , il alla à Fontenai , où les compagnies de ca-
valerie de Landereau , de Richelieu , & de Dantes s'étoient re-
tranchées : il força le retranchement , ôc l'ayant fait attaquer
par divers endroits en même-tems, illeur tua environ deux cens
cinquante hommes , ôc prit prefque tous leurs bagages : puis
ayant été averti , que Daillon leur envoyoit du fecours , il fe
retira avec le butin qu'il avoit fait , marcha fans difcontinuer,
& fe rendit enfin à Mofé.
Ce fuccès encouragea les afliégez î ôc fur l'avis qu'ils eurent
que les afîiégeans dévoient les attaquer le lendemain avec tou-
tes leurs forces , ils fe préparèrent de leur côté à les recevoir de
bonne grâce , fe flatant que la Noue ne manqueroit pas d'ac-
courir promptement à leur fecours avec de nouvelles forces.
La brèche étoit grande en deux endroits j cependant Daillon
fe méfiant du fuccès , ôc croyant que les affiégez pourroient
confentir à fe rendre à des conditions avantageufes , il leur
envoya trois capitaines pour les inviter à un pour-parler. Le
Gouverneur répondit fièrement aux propofitions de Daillon ;
qu'ayant reçu ce gouvernement du prince de Bearn gouver-
neur de la Guienne , dont le Poitou dépendoit^ il ne pouvoir
écouter aucune propofition fans fon ordre ; qu'ainfi il deman-
doit du tems pour en écrire aux Princes , & que cependant
on pourroit faire une trêve. Les députez n'ayant rien obtenu,"
retournèrent trouver Daillon , qui voyant qu'il n'y avoit rien
à gagner par la négociation, fit mettre £qs troupes en bataille
après midi, ôc les fit monter à la brèche au bruit des tambours
Ôc des trompettes.
La nuit d'auparavant les affiégez avoient arrêté les eaux de la
Seure , par des bâtardeaux qu'ils avoient faits, ôc ils l'avoient fait
regorger de telle forte dans le fofle, par oiiil falloir que lesaiïié-
geaiis pafiafTent , que les foldats en avoient jufqu'au nombril 5 en-
forte qu'il leur fut impoflible de garder leurs rangs, ôc qu'ils for-
tirent de là en defordre , ôc peu en état d'afiaillir vigoureufement.
Ils ne laiflerent pas de combattre avec beaucoup de bravoure :
mais Fenfeigne de la compagnie du Général ayant été tué , ils
D E J. A. DE THOU,Liv. XLV. 5^^
perdirent courage, & fe voyant accablez de feux d'artifice, d'hui- ■
le , d'eau bouillante , ôc d'une grêle de pierres , ils commence- c h a r L E
rent à lâcher pie , après avoir perdu beaucoup de monde. Lorf- j v
qu'ils eurent repafie ce foiïe plein d'eau , leurs capitaines leur i <- (^ n
firent tant de reproches , qu'il fe trouvèrent difpofez à retour-
ner à l'attaque : mais il s'en trouva peu qui ofafTent rentrer une
féconde fois dans lefoffé , Ôc tous ceux qui l'entreprirent furent
tuez. Le drapeau du général , qui avoir été pris , fut porté
dans la ville en grande pompe, & y caufa une grande joye.
Le lendemain les aiïiégeans tinrent confeil , pour délibérer
fi l'on continueroit lefiége, ou fi on le leveroit : le plus grand
nombre étoit d'avis de le lever , les foldats étant rebutez, après
avoir été tant de fois repoulfez. D'ailleurs Daillon avoit été
informé pas fes efpions , que Teligny étoit en chemin pour fe-
courir la place , qu'il étoit accompagné de Charle de Mans-
feld frère de Volrad , qui avoit quatre compagnies de cava-
lerie Allemande , avec le régiment de Briquemaut , ôc un
corps de bonne cavalerie. Malgré tout cela Puygaillard , qui
étoit arrivé nouvellement d'Angers , ôc qui comptoit fur la
valeur de fes troupes, qui étoient toutes fraiches , fut d'avis
de tenter encore un aflaut , avant que le fecours arrivât. Cepen-
dant les affiégez étoient animez par tous les avantages qu'ils
avoient remportez , ôc par l'efperance d'un fecours prochain 5
au lieu que la vigueur des affiégeans étoit extrêmement ralen-
tie : de forte que les troupes de Puygaillard , toutes fraiches
qu'elles étoient , fe reflentirent du découragement de leurs
compagnons, ôc qu'au lieu de combattre avec cette bravoure
qu'on en attendoit , elles fe retirèrent bien-tôt, ôcprefque avec
ignominie. Les Royaliftes perdirent plus de quatre cens hom-
mes à ce fiége : du côté de la ville on n'en perdit qu'environ
cinquante.
Daillon fit plier bagage le troifiéme de Juillet , ôc craignant
d'être attaqué dans fa retraite , ou par la garnifon , on par Te-
ligny , qui venoit au fecours de la ville, il marcha en bataille
ôc arriva le même jour à Cherveux , ôc le lendemain à Saint
Maixant. D'Onoux y reftaavecfon régiment ôc avec deux gref-
fes pièces de canon ôc deux coulevrines. Du Lude pafla de
là à Lufignan , où il mit fix canons , ôc ayant confié à Guron
& à Defciufeaux fon frère la garde de ce château , qui eft le
6oô HISTOIRE X
■ plus fort du payisj il y laifTa la Paillerie avec quatre Compa-
^ ■ giiies de fantallins , ôc s'en retourna à Poitiers. Teligny n'ar-
fv^^^ riva à Nyort qu'après la levée du fiége j il alla voir Pluviaut
qui gardoit encore le lit, & après l'avoir confolé , ôc fait de
•^ ^' grands éloges du courage 6c de la fermeté de la garnifon ÔC
des habitans , il s'en retourna.
Coligni ayant été informé dans le même tems qu'il y avoir
dans Châteileraud beaucoup de gens , qui favorifoient en fe-
cret le parti Proteftant , il y envoya la Loue , avec un petit
corps de troupes choides. Son arrivée ayant jette le trouble
dans toute la ville , le Gouverneur , nommé Villiers , traita avec
lui, ôc promit de lui remettre la place pour le prince de Na-
varre, à certaines conditions. La chofe s'exécuta le quatre de
Juillet . ôc tandis que Villiers fortoit par une porte , la Loue
entra par l'autre. C'efl: à peu près de la même manière que
Coligni prit Lufignan d'emblée : il fit femblant de vouloir
aîTiéger Saint Maixant j mais ayant paffé au-delà > il marcha
droit à Lufignan , qui eft à cinq lieues de Poitiers , ôc s'en
rendit maître. Guron fe retira dans le château avec £qs gens
ôc emporta avec lui tout ce qu'il y avoit de meilleur dans h
ville.
Le château de Lufignan eft fitué fur un roc efcarpé ôc fort lar-
ge : du côté qui regarde la campagne , il eft entouré de deux
murailles fi fortes Ôc fi épaifles , qu'elles font prefque à l'épreu-
ve du canon , ôc le folfé eft li profond , que quoiqu'il foit com-
mandé par les hauteurs voifines , il eft cependant très - difficile
d'en approcher. Du côté de la ville , il y a trois murailles ôc
deux follez. La plupart des gentilshommes ôcdes habitans du
voifinage , ayant toujours regardé cette forterefle comme im-
prenable, s'y étoient retirez avec leurs enfans ôc tout ce qu'ils
avoient de plus précieux , ôc s'y croyoient beaucoup plus en
fureté qu'à Poitiers. Mais par malheur cette place , qui étoit
très-bien fournie de canon ôc de toutes fortes de muninons ,
manquoit d'hommes , ôc quoiqu'on y eut mis quatre compa-
gnies pour la garder, à peine s'y trouva-t'il cent foldats.
Dans cet état, un Vendredi feptiéme de Juillet, Coligni
^^^^^ ^. ayant fait venir de Taillebourg ôc de la Rochelle deux grof-
pnle du cha- y . j o i *^ • j ^
teau de Lufi- les pieccs de canon , oc quelques pièces de cr..;npagne , lem-
gnan, blablcs à celles que les Allemands mènent avec eux, fit faire
unQ
DEJ. A. DE THOU,Lrv. XLV. 6oi
tme batterie fur une hauteur qui coramandoit la place , ôc qui .
étoit toute couverte de taillis > au milieu defquels on plaça des Charle
moufquetaires , qui faifoient un feu continuel fur le château. La j x
brèche étant grande , on réfolut d'y donner l'aflaut. L'entre- j j 5'g,
prife étoit perilleufe, parce qu'on n'y pouvoit monter qu'à dé-
couvert. De Piles fe chargea de l'attaquer avec fon régiment :
Briquemaut 6c Gui Philippe de la Fin feigneur de la Nocle ,
eurent ordre de le foûtenir avec leurs compagnies de cava-
lerie. Coligni donna ordre à du Breùil ôc à Rouvrai de fe
couvrir de leurs boucliers , ôc d'approcher le plus près qu'ils
pourroient , pour reconnoître fi le mur étoit bien rafé. Du
Brùeil fut accablé fous des ruines, qu'un coup de canon tiré
imprudemment par les afîiégeans fit ébouler fur lui. Rouvrai
dangereufement blefi^é , retourna dire à Coligni, que le mur
n'étoit pas affez rafé 5 ainfi les canonades recommencèrent. En-
fin la garnifon étant accablée par une grêle de moufqueterie,
& tellement effrayée qu'elle n'ofoit plus paroître à la brèche,
ôc d'ailleurs la Paillerie ayant été emporté Ôc mis en pièces par
un coup de canon, l'effroi ôc le defefpoir de la garnifon fu-
rent fi grands, qu'ils capitulèrent le 21 de Juillet, ôc rendi-
rent à Coligni cette fortereffe, qui avoir été regardée jufqu'a-
lofs comme imprenable, ôc que les Anglois avoient autrefois
attaquée inutilement. Quatre jours après , la garnifon Ôc les ha-
bitans fortirent,ôc la capitulation fut gard-ée très-exa£rement:
cet exemple mit fin aux vengences particulières , ôc aux maf-
facrcs alternatifs qui s'étoient faits jufques-là. On mit dans cette
fortereffe François de Pont de Mirambeau , avec deux com-
pagnies d'infanterie.
Pendant que la guerre fe faifoit ainfi par terre , on ne fe tenoit
pas à rien faire fur la mer. La Tour, à qui le prince de Condé
avoir donné le commandement de fa flotte ayant été tué à Jarnac,
Jean Sore , qui lui fucceda dans cet emploi , alla croifer fur les
côtes de Bretagne , ôc prit, après un rude combat donné à la
vue de Breft , quelques navires Portugais : les ayant menez à
la Rochelle, il y débarqua environ cinquante Anglois qu'il
avoit fur fon bord , ôc qui étoient très-habiles pour les mines
ôc pour tous les ouvrages qui fervent aux attaques , ôc à la
défenfe des places j ce qui leur fut fort uilc dans la fuite.
Ayant depuis équipé vingt bâtimcns , il donna à l'Amiral le
Tome y. Ggg§
(^02 HISTOIRE
ti^^g^mmm i"^oï^*^ àe Prince de Condé ^ & fe remit en mer pour faire le mé-
C H A rTe ^^^^ ^^ Corfaire.
IX Cependant la guerre étoit allumée dans toutes les parties du
_ ^ A Royaume. Châtillon fur Loing , dont l'Amiral Gafpard de
Coligni portoit le nom > étoit gardé par Gigon au nom de ce
Seigneur. Au mois de Mai précèdent , Sarra Martinengo s'en
étant approché , à la prière de du Tillet Greffier en chef du
Parlement , avec quelques troupes qu'il avoit tirées de la Buf-
iiere , qui eft un château du voifmage , Gigon mit le feu à la
ville : le vent ayant pouffé la flame dans le château , il le ren-
dit à condition de fortir vie & bagues fauves. Il fe retira en-
fuite avec toute fa famille à Montargis , où tous les Religio-
naires qui vouloient vivre en paix , avoient un afile alfuré par
la protection de Renée de France ^ ducheffe de Ferrare. Il
avoit aufTi tiré parole de Martinengo , que f on conferveroit
les meubles magnifiques de Châtillon , qui étoient en grand
nombre , & qu'on les lailferoit dans le château : mais malgré
cette parole donnée , on les enleva le mois de Juillet fui-
vant pour les mener à Paria j où ils furent vendus à l'encan,
Château-Renard appartenant au même Seigneur fut aulTi pris
par compofition , parTriflan de Roftein, que le Roi y envoya.
Ce pofte étoit entre les mains d'un Italien nommé Fretini ,
qui à la faveur de cette retraite pilloit ôc voloit impunément
fur le chemin de Lyon.
Après la défaite de Strozzi, Louis de Bloiïet , furnommé
communemiCnt le Bègue , étant venu à Regeane y château de
i'évêque d'Auxerre, qu'il avoit furpris depuis peu, il s'y trou-
va tout d'un coup afTiégé par les garnifons d'Auxerre , de Vil-
leneuve , ôc de Joigny. Comme elles ne lui donnèrent pas le
tems de fe fortifier , ni de fe reconnoître, il fe fauva, non fans
peine, avec un petit nombre de fes gens; tous les autres fu-
rent ou mafiacrez fur le champ , ou refervez pour périr par de
longs & cruels fupplices. Il y en avoit un parmi eux, que l'on
appelloit Cœur de Roi, qui étoit très haï dans le payis, àcaufe
des courfes fréquentes qu'il y faifoit : la populace le mit en
pièces , lui arracha le cœur du ventre , le porta dans toutes
les places de la ville , le mit à l'enchère , & enfuite le fit griller
I Fiîlc de Louis XII. mariée au duc de Ferroie , ôc qui revint en France lorf-
qu elle fut veuve.
D E J. A. DE THOU, Liv. XLV. 603 \
fur les charbons. îl y en eut même qui poufTcrent l'inhuma- -■- î
nité jufqu'à en manger. Dans le même tems Matignon ' lieu- n tt ar i e ■
tenant général de la bafTe Normandie , fe rendit maître de jv |
LafTay petite place du Maine , qui appartenoit à Jean de Fer- ^ ^ /q ■
riere vidame de Charrre. Ce fut Lage gouverneur du château de j
Caën , qui lui amena du canon pour ce ficge. Dès qu'il fut i
arrivé, la Proche qui commandoit dans LafTay fe rendit. Mari- j
gnon prit enfuite la Ferté au Vidame dans le Perche , Ôc y mit ]
une bonne garnifon. Cette place eft fituée au miheu d'un ma-
rais 6c très- forte. * !
Pendant que tout cela fe paiToit dans le Maine ^ Louis Pré- .^^^.8^ ^^^^ |
vôt de Sanfac vint par ordre du duc d'Anjou fe camper le fix leArouperdu
de Juillet devant la Charité, avec 7000 hommes de pié qu'il Roi. |
raffembla des garnifons de Nevers , de Bourges , de Gien ôc i
d'Orléans, & quelques détachemens de cavalerie. Cette ville,
dont Guerchy étoit Gouverneur , étoit d'une grande confé^
quence pour les Religionaires , à caufe du pont qu'elle a fur
la Loire. Ainli il importoit beaucoup au Roi qu'on la leur en- '
levât , ôc qu'on leur ôtât le moyen de paffer de la Guyenne l
dans les provinces qui font endeçà de la Loire. On commença 1
par battre la porte de Paris , ôc on y eut bien-tôt fait une fort j
grande brèche : mais comme il étoit très-difficile d'y aborder, i
on fut d'avis de tranfporter la batterie d'un autre côté , ôc de
battre la tour de Barby , qui eft vis-à-vis de la porte de Ne- ^
vers, ôc de l'autre côté de la ville. On eut foin auparavant de i
jetter une partie de l'infanterie dans les vignes , dont les cô- i
teaux des environs font couverts. François de Balzac d'En- 1
tragues, gouverneur d'Orléans, étoit logé dans unfauxbourg '
de l'autre côté de la Loire , fur le chemin de Bourges. Il avoir '.
là quelques pièces de canon , qui battoient à revers l'endroit \
que Sanfac faifoit battre en brèche de 1 autre 5 mais il le chan- ''
gea déplace , ôc il le pointa fur une hauteur au-defîus du mou- 4
lin , pour tirer dans une vallée qui eft au-delà de la Loire ,
ôc ruiner la tour , qui étoit auprès de la porte de Saint Pierre.
C'étoit Renty qui défendoit ce côté-là j comme la batterie l
faifoit peu d'effet, on la dreffa contre la tour, qui eft auprès
de la porte de Nevers: le mur fut en un moment renverfe des i
deux cotez i mais la Tour , qui étoit d'une ftrudure très-folide , i
1 Jacque Goyon. G g g g ij
do4 HISTOIRE
■ ne fut point endommagée. Cependant après avoir fait recan"
C H A R L E i^oifi^c la brèche, l'aflaut fut réfolu j on y monta avec beaucoup
I X. d'ardeur , & l'on y combattit vivement de part & d'autre : mais
1 ç 5 Q. comme lesaflfiégez avoientfaitun fofle derrière la, brèche ;, ôc
qu'ils avoient des retranchemens des deux cotez , d'où ils in-
commodoient fort les affailians, Sanfac fut forcé de faire retrai-
te. Il y eut dans cette a6lion environ loo hommes tuez , tans
d'un côté c]ue de l'autre. Guerchy tua de fa main Ravctot au
milieu du marché , parce qu'il troubloit la difcipline militaire.
Les troupes du Roi avoient déjà perdu plus de cinq cens
hommes.
Il leur arriva encore un autre malheur , qui les confterna
extrêmement. Un. foldat , qui s'enfuyoit , jetta imprudemment-
fa mèche allumée dans un baril de poudre : le feu y prit au
même inftant , 6c s'étant communiqué aux autres barils voifins ,
tout fauta en l'air avec un lî épouventable fracas , que tous
les foldats , qui étoient aux environs , s'enfuirent , les uns d'un
côté les autres de l'autre : il y en eut même qui furent jettes
par la force du feu de l'autre côté de la rivière , ôc qu'on y
vit avec horreur brûler ôc fe confumer dans les fables.
Lcfiégecft Sanfac ayant recommencé à battre la place, pour élargirli
levé. brèche , ôc rafer d'avantage le mur , il fe répandit tout d'un
coup un bruit dans l'armée , que les Proteftans marchoient au
fecours de la ville , ôc qu'ils n'étoient pas éloignez. L'émo-
tion fut 11 grande parmi les troupes Cathohques , qu'il fut in>
polîîble aux officiers généraux de les faire refter. D'Orbate
même ayant voulu montrer plus de févérité que les autres ,
fut tué par fes propres foldats. Ainfi le fiége fut levé avec beau-
coup de defordre. Quelque-tems après Bloffet ôc le capitaine
Bois , vinrent à la Charité par l'ordre de Coligni. Guerchy
fortifié par leur arrivée , fe rendit maître de Donzy, qui étoir
un pofte avantageux pour faire venir des vivres dans la ville y
ôc il y mit Bois avec une garnifon. Il fournit tout de fuite
Pouilly , Saint Léonard , Antrain t ôc tout le payis des envi-
rons. Mais Sanfac étant revenu avec de nouvelles troupes ^
mit le fiége evant Vezelay.
Cependant Montgommery , que la reine de Navarre avoit
envoyé en Guienne avec deux cens chevaux, s'étant joint au:i
DE J. A. DE THOU,Liv. XLV. 6oi
troupes d-es Vicomtes faifoit de grands progrès. Des qu'il fût ^^^-^-^-'^nr^
à Caftres , les Religionaires de Gaillac, de Rabafteins , deS. q^ ^rle
Antoine , de Montauban 3 de Caftelnaudary & de Foix , qui jv
le regardoient comme un grand capitaine , fe rendirent en t c- ^'o
foule auprès de lui : il fut encore joint par le vicomte de Cau-
mont , qui s'étant emparé l'annce précédente du payis de Foix,
ôc en ayant été depuis chafTé par Maillet, s'étoit retiré dans
les Pyrénées. Outre cela Montamar , Gouverneur de Bearn
pour la reine de Navarre, lui amena cinquante chevaux d'é-
lite ôc autant de moufquetaires. Il (e mit en marche avec tout
ce monde fans bagages ; ôc comme il paffoit à Fuyîaurens , ii
trouva quelque cavalerie commandée par Negrepelifie , qui
voulut s'oppofer à fa marche. Il y eut un combat fort vif i
mais cela ne l'empêcha pas d'entrer dans le comté de Foix ,
de pafTer la Garonne à S. Gaudens, ôc enfuite la Riege, d'oîi
continuant fa marche par de longs détours ôc par des chemins
très-embarraffez, il defcendit dans le payis de Bigorre, ôc in-
veftit tout d'un coup la ville de Tarbes , qui efl fituéeaux pieds
des Pyrénées , près des fources de l'Adour, dans un lieu fort
agréable ôc arrofé de belles eaux. Malgré la réfiftancevigou-
reufe de la garnifon ôc des payifans , qui s'opiniâtrerent à atten-
dre le fecours que Montluc leur avoit promis , il la prit d'af-
faut , ôc la faccagca. Par la diligence qu'il fit , il évita Dan-
ville, Montluc y Bellegarde , Scipion de Vimercat, ôc Negre-
pelifie , qui venoient contre lui avec quatre mille fantafiins ÔC
huit cens chevaux , ôc tout de fuite il fit une irruption dans le
Bearn, que Jean Lomagne de Terride, capitaine de grande
réputation , avoit prefque entièrement foumis. Le duc d'An-
jou l'avoit chargé de cette expédition dans le rems que l'armée
du Roi étoit dans le Poitou ôc dans la Saintonge , ôc il lui avoit
donné pour cela un bon corps de troupes Gafcones , perfuadé
que cela feroit une grande diverfion , ôc que la reine de Nar
varre ne manqueroit pas d'envoyer une partie de fes troupes
pour défendre fon propre payis. Lomagne après s'erre rendu
maître d'Ortez ôc de Pau > étoit occupé au fiége de Navar-
rins. Les Rois de la famille d'Albret avoient donné à cette
place le nom du Royaume qu'ils avoient perdu > ôc Henri
d'Albret, père delà reine de Navarre , avoit eu foin de lafos-
uiier avec de bons baftions à la moderne , ôc n'avoit rica
G gg g iij
■ ■ Il i]i mm
^06 HISTOIRE
épargné pour cela. Il y avoit déjà deux mois que îe fiége du-
Charle ^*^i^ ' ^ qu'on batoit la place avec trois pièces de canon, que
j^ Terride avoit fait venir de Dacqs & de Bayonne ; ôc quoi-
que BalTillon, quiycommandoit pour la Reine, fe défendît très-
ï 5* <5 i?. \y^Q^^ ^ 1^ place commençoit à ctre fort prefTée. Mais dès que
Terride eut appris l'approche de Montgommery , il fut fi éton-
né , qu'il fit aufii-tôt plier bagage ôc fe retira en hâte à Orrez
avec fon canon , accompagné de Sainte Colombe , gentil-
homme des plus confidcrables du payis. Montgommery l'y
pourfuivit auffi - tôt. C'étoit au commencement du mois
d'Août : après quelque combat , s'étant rendu maître des
fauxbourgs ôc de la ville , il y trouva du canon , qu'il fit à
l'inftant braquer contre le château , afin que l'ennemi fuyant
ôc effrayé n'eût pas le tems de fe reconnoître. En effet ,
Terride fut fort étonné de voir toute la ville en feu^ ôc que
îa cour du château commençoit à être embrafée. Serignac
fon- frère , qui fuivoit le parti des Proteflans , étant venu le
trouver de la part de Montgommery , ôc l'ayant menacé qu'on
ne feroit aucun quartier s'il ne fe rendoit , il commença
à capituler. Sainte Colombe , ôc fix autres Chevaliers de l'or-
dre du Roi , furent compris dans les articles de la capitu-
lation , ôc on leur promit la vie , fur la parole que donna Ter-
Tide, que le frère de Alontgommery, qui avoit été pris à faint
Eloy , feroit mis en liberté. Caumont fut chargé de mener en
lieu de fureté la garnifon ôc les ofîîciers. Mais on retint Sain-
te Colombe, Pourdeac, Gohas ôc Favas : la Reine de Na-
varre les fit mourir , fous prétexte qu'étant leur Souveraine ( car
elle prétendoit l'être de Bearn ) ils étoient coupables de rébel-
lion. Mais il eft certain que le Bearn a fait autrefois partie de
la France, ôc qu'on l'a compté entre les Sénéchauffées qui
étoient du refix)rt du Parlement de Touloufe : il efl: vrai que
nos Rois ont donné ce payis en toute Souveraineté aux Prin-
ces de la maifon d'Albret, pour recompenfer leur fidélité à l'é-
gard de la France , ôc les confoler de la perte de leur royau-
me de Navarre , dont les rois d' Arragon fe font emparez de
notre tems.
Pendant ce tems-là Montluc s'étoit avancé jufqu'à Aire;
(ville Epifcopale qui a pris le nom de la rivière, fur laquelle
elle eft fituée ) ôc enfuite jufqu'à faint Sever pour fecourisr
DE J. A, DE THOU, Liv. 5^LV. (^07
Terride?maisla jaloufies'étantmireentreéux.&run ne voulant
rien céder à l'autre, Terride pendant la conteftation perdit les
troupes, 6c fut pris lui-même. Pau fut abandonné dans le
même tems par Peré qui y commandoit pour le P^oi. Cet
homme s'étoit attiré la haine de tout le payis , pour avoir fait
mourir quelques miniftres Proteftans , pour avoir menacé
Pierre Viret d'un pareil traitement, ôc avoir fait pendre un
Préfident ôc un Confeiiler du Parlement. Buflillon , qui avoit
il bien défendu Navarrins , fe croyant mal recompenfé , ou ef-
perant que le Roi luiferoit un meilleur parti que la Reine de
Navarre , s'il quittoit le fervice de cette PrincelTe , fut foup-
çonné d'avoir quelque intelligence avec Montluc 3 Ôc là deffus
il fut tué par Marchaftel ôc parla Motte Pujol, de l'aveu de
Montgommery , Ôc traîné comme traître dans toutes les rues
par les goujats , ôc par les valets de l'armée. Montgommery
mit dans Navarrins Serignac frère de Terjdde avec une forte
garnifon.
Montluc ne voyant plus rien à faire de ce côté là, fongea à
d'autres projets , Ôc appella en Guyenne Dam-ville , à qui le
Roi avoit donné le comimandement général de fes troupes,
non-feulement dans le Languedoc, dont Damville étoit gou-
verneur, mais en Provence, en Dauphiné, ôc dans la Guyen-
ne même. Il n'y fut pas plutôt, queMontluc qui ne pouvoit fouf-
frir de compagnon , ôc bien moins encore de fuperieur , fe"
brouilla avec lui , comptant que le Roi lui ôtoit tout ce qu'il
donnoit à Damville. Le deffein de Montluc étoit de porter
la guerre au-delà dePAdour, ôc celui de Damville, de retour-
ner en Languedoc, où le Parlement de Touloufe le ptioit de'
revenir. Ainfi on ne fit rien de confidérable. Cependant Mont-
luc voulant faire quelque chofe , pria Damville de lui prêter
les dix compagnies d'infanterie que commandoit Savignac j ÔC
ayant pris avec lui Gondrinfeigneur de Montefpan, Tilladet,
d'Arnay, de la Bous , la Chapelle Luzieres, de TEftang, ôc
Caftella , tous officiers de remarque , il forma le deflein de fe
rendre maître du Mont de Marfan , fituéfur le Midou\ où
il y avoit toute forte de provifions en abondance j c'étoit
Ch ARLE
IX.
i M. deThou dit fitué,'wr la m'îmo
rivière , c eft-à-dire l'Adour , dont il
venoit de parler : mas il fe troinpe j il
eft vrai que le Midcu tombe dans l'A-
dour un peu au-defTous du Mont d^
Marfan.
C H A R L E
^og HISTOIRE
Faras de faint Macaire, qui conimandoit dans la place poui: là
reine de Navarre.
Montluc étant parti de faint Maurice; avec Mathurin de l'Ef-
cur de Romegas , Chevalier fameux par fes expéditions dans
^ ^* Ja mer Orientale , & s étant approché de la ville , prit d'abord
les fauxbourgs par cfcalade. La partie de la ville qui eft fituée
jde ce côté là, 6c en deçà de l'Âdour, eft fortifiée d'une très-
bonne muraille; la plus confidérable partie de la ville efl au-
delà de l'Adour, ôciéparée , par la rivière , de la première par-
tie dont je viens de parler. Au-delà de la féconde eft la cita-
delle , qui fait comme une troifiéme ville. Après la prife des
fauxbourgs les affiégeans fe portèrent fur le pont, ôc firent por-
ter quantité de fafcines pour brûler la porte de la ville. Mais
le feu , qu'on fit fur eux d'une tour voifine, les incommoda tel-
lement , qu'ils furent obligez de fe retirer fans rien faire. Alont-
îuc ayant fait ouvrir quelques maifons qui étoient bâties fur le
bord de la rivière , ôc ayant trouvé un gué , envoya des fol-
dats d'élite pour pafler de l'autre côté du fleuve, avant que hs
habitans euflent achevé de fe retrancher fur l'autre bord , &
d'en rendre l'approche impoflTible aux Catholiques,par le moyen
de tonneaux pleins de terre qu'ils commençoient déjà à ranger
le long de la rivière : en quoi il y eut plus de bonheur que de
prudence. Car comme il y avoit aux fenêtres des maifons, qui
étoient en deçà , un grand nombre de nos gens qui tiroient fans
cefle fur tout ce qui paroifToit de l'autre côté , ceux que Mont-
lac avoit détachez paflerent fans être inquiétez , ôc étant fui vis
par d'autres, qui paflbient continuellement.ils fe trouvèrent en II
grand nombre, qu'ils fe rendirent maîtres de cette féconde ville
làifie d'effroi , ôc obligèrent Favas à fe retirer dans le château
avec fa garnifon. Monduc fit aufii-tôt pointer l'artillerie pour
le battre : le Gouverneur n'ayant aucune efperance de fecours,
battit la chamade. Dans letems qu'on difputoit fur les arti-
cles de la capitulation , Montluc fit dire aux troupes de tenter
de furprendre le château , pour venger la mort de tant de bra-
ves gens, que les Proteftans avoient cruellement raaffacrez dans
le Bearn , ôc leur ordonna de ne point faire de quartier. Ils
l'entreprirent , ôc la chofe réuffit : car ayant planté des échel-
les du côté de la campagne, ils eurent le tems, pendantqu'on
difputoit fur les conditions , d'eptrer dans le château , ôc de s'en.
rendre
DEJ. A. DETHOU, Ln . XLV. 60^
rendre maîtres. Le foldat furieux tua tout ce qui fe trouva de- _
vaut lui; Savignac le jeune, ôc Montluc eurent bien de la r^,^ , ^ , „
peine a lauver raras avec un petit nombre a autres. U y en jy
eut qui fe jetterent par ks fenêtres pour fe fauver 3 mais ils fu- j ^ <'q
rent arrêtez par la cavalerie.
Après la prifc de cette place , Damville retira les troupes
qu'il avoir prêtées à Montluc, & étant retourné en Langue-
doc, il invertit Mazeres , dont le fiége fut long & meurtrier.
Pour Montluc, il prit fon chemin du rôtc de Nogarol, Ôc
retourna à Leytoure , ayant laifTé Gondrin à Eufe avec fa com-
pagnie de cavalerie , ôc un régiment d'infanterie de nouvel-
les levées ; mais dès que Montgommery parut , il abandon-
na ce pofte. On mit aufïï une garnifon à Florence en Lan-
guedoc.
Pendant ce tems là le capitaine Arnay faifoit le dégât aux
environs de Nerac. Montluc le fit avertir de fe retirer à Aufch j
il ne fuivit point fon confeil , & s'en trouva mal : car ayant
été furpris par le vicomte de Caumont , il fut taillé en pièces
avec fon arriere-garde qu'il conduifoit. D'un autre côté Cou-
lant, qui commandoit pour les Princes dans les montagnes du
Languedoc , furprit dans le Vivarez l'Abbaye de Bonnefoi ,
qui efl: très forte par fon afllete, ôc très-riche jil y mit cinquante
hommes en garnifon fous les ordres de Tialet ôc de Charrie-
res : mais avant qu'ils euffent eu le tems de s'y fortifier , Pierre
de Chateauneufde Rochebonne , gouverneur du Velay ,y mar-
cha à la hâte avec une troupe de gens ramaffez , ôc ayant
inverti la place , il s'en rendit maître par compofition. Mal-
gré le traité, il fit maffacrer toute la garnifon, à la refervede
Tialer.
Ce que le peuple en fureur fit contre les Relieionnaires d'Or- ^''",3"^^^
- ^ ^ exerce es 3
leanseft incomparablement plus inhumain. Le Lieutenant gé- Orléans con-
néral , fous prétexte de pourvoir à la fureté de la ville, les fit t^e les Pr^tef,
tous mettre en prifon , hommes ôc femmes fans dirtin£lion. Une ""^'
partie fut enfermée dans ce qu'on appelle la mailbn quarrée
des quatre coins , ôc le refte dans la tour de Marrinville. Le
21 d'Août le peuple, excité par un fanatique, attaqua cespri-
fons , ôc égorgea tout ce qui s'y trouva : mais n'ayanr pu en-
trer dans celle de la Tour , ils y mirent le feu. Une grande par-
tie de ceux qui étoient dedans furent brûlez j les autres s'étant
Tomer, Hhhh
5io HISTOIRE
._,,_„_^ jettez par les fenêtres , ou fe tuèrent en tombant , ou furent
~ maflacrezà coups d'hallebardes par la populace ^ dont la tout
^y^^ ctoit invertie. On ne fit aucun quartier aux femmes , non
^' plus qu'aux hommes. La plupart des Proteftans , effrayez de
^ ^' cet accident, fe retirèrent àMontargis, pour y jouir de i'azi-
le que la duchelfe de Ferrare leur y avoir procuré. Mais quel-
que tems après , ils eurent ordre du Roi d'en fortir , malgré
* la protection de cette Princeffe , qui en fut vivement piquée.
Heureufement pour eux , du Bec feigneur de Bourry , étant ar-
rivé dans ces quartiers avec cinq cornettes de cavalerie :, les
emmena , fans qu'on leur fit aucun mal. Une partie fe retira
à Sancerre, ôc le relie à la Charité.
Prife d'O- Quelque tems auparavant Orillac, ville d'Auvergne , avoit
i^'"^.*^a^'^'^ ^^^ été furpris ; voici comme cela arriva. La Roque & Beffonniere
ayant remarque que leshabitans avoientmurela porte qui don-
ne fur la rivière , ôc qu'ils n'avoient laiffé qu'un guichet , qui fe
fermoir en dedans & en dehors par deux portes de bois, ils
percèrent avec une tarriere la porte qui étoit en dehors , ôc jet-
terent par ce trou environ cent livres de poudre entre les deux
portes de bois : ayant rebouché le trou , & fait de loin une
trainée de poudre , ils y mirent le feu. L'effet en fut fi ter-
rible, que non feulement les portes de bois fautèrent en l'air,
mais que la porte même, que l'on avoit murée, & une gran-
de étendue de mur en fut renverfée. lis fe jetterent dans la
place par cette brèche au nombre de cent cinquante , ôc ayant
tué environ fix vingts bourgeois, qui réveillez parce bruit
effroyable, qu'on avoir entendu au miHeu de la nuit , avoient
pris les armes, ôc étoient accourus dans les rues, ils mirent
le refte en fuite , ôc s'emparèrent de la place. Les Eglifes , ôc
fur-tout le monafteiC de faint Pierre, furent ruinez avec une
fureur barbare, comme c'étoitla coutume alors. Sur l'avis qu'en
eut faint Heran gouverneur de la Province, il y accourut avec
une troupe de foldats choifis , fe flatant que lagarnifon, qui n'a-
voir pas eu le tems de fe forrifier , fe rendroit dès qu'il pa-
roîtroit : mais quand il les vit réfolus à fe défendre , comme
il fe fentoit trop foiblepour \qs forcer, il s'en retourna à faint
Flour, fans avoir rien entrepris.
D'un autre côté Coligni, après la prife de Lufignan , fît
marcher le 22 de Juillet fon avant-garde vers Jafeneuil , ôc le
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. e^u |
lendemain il envoya toute fon infanterie à Quin<;ay,à une bonne j ' !
iieuë de Poitiers. Sur ces entrefaites, Coùé, quiavoit été fur- Charle i
pris parles troupes du Roi , fut repris par faint George de Ve- I X. i
rac feigneur de Coùé. Lagarnifon , après s'être défendue quel- i c 5p. l
que tenis, y fut brûlée avec le château, oii le feu confu- ^ .., ^
• , . Couc repris ^
ma tout i on nefçait s'il y prit par accident, ou fi ce fut lagar- par les Pro-
nifon qui l'y mit par defefpoir. Sanzai , Vivonne , Montreuil- t^ftans. j
Bonin, ôc diverfes autres places des environs, qui étoient avanta-
geufes pour aflurer les convois, furent prifes par compofition: J
quatre jours après Coligny alla camper auprès de Poitiers. Son !
premier deffein avoir été de fe rendre maître de Lufignan, de I
faint Maixent, & de Mirebeau , qui efl: du baillage de Saumur,
afin que devenu maître de la Province parlaprile de ces trois
villes, il en pût tirer de mois en mois des fubfides confiderables, !
pour faire fubfifter fon armée , ôc pour entretenir de bonnes gar- :
nifons dans les places qu'il avoit conquifes. Il vouloit enfuite I
aller à Saumur, qui n'eft fortifié ni par l'art, ni par la nature,
ôc qui eft pourtant d'une grande importance , à caufe du pont
qu'elle a fur la Loire. Son deffein étoit de bien fortifier ce
pont , afin d'avoir à l'avenir un paffage fur , pour pénétrer dans j
les Provinces voifines de Paris Ôc de la Cour. Il voyoit que ,|
c'étoit à la Cour , ôc dans la capitale du Royaume , que fe for- ■
moient les deffeins , ôc où l'on trouvoit les fonds néceffaires |
pour continuer la guerre j qu'enfin il n'y avoit point de paix à '
attendre, tandis que la guerre fe fer oit loin de là 5 qu'il falloir '
donc s'en approcher, pour faire défirer la paix au Roi , ôcau j
peuple de Paris : mais la prife de Lufignan , ôc fix pièces de |
canon qu'il y trouva, le firent changer de réfolution. Flaté des ;
heureux fuccès de fa campagne , il crut qu'il pourroit fe ren- |
dre maître de Poitiers, ôc il marcha de ce coté là, contre IV j
vis de plufieurs de fes amis. -
Poitiers, capitale de la province, eft une ville^ dont l'enceinte Siège de I
eft très- grande ; bâtie fur le penchant d'une montagne, elle eft en- ^^i\onl ^^^ j
tourée de tous cotez de coUines efcarpées , qui commandent la i
ville, Ôc qui n'en font fcparées que par une vallée fort étroite: 1
enforte que des moufquetaires peuvent tirer à couvert fur les ■
troupes de la ville , vers un endroit qui eft fort bas. Il eft vrai que ;
du côté de la porte de la Tranchée, cette vallée s'élargit, Ôc forme .
une plaine affez étendue. Le Clain, qui vient du Limoufin, J
Hhhhij
* ou de S.
Lazare.
^M HISTOIRE
_^_,,„._^ baigne le pîé de la montagne entre le midi & le levante écpaf-
"Z, fant à la droite de la porte de la Tranchée , il fe partage en
j^ plufieurs canaux, & forme quelques ifles également agréables
ôc utiles aux habitans. Ilfefepare encore en deux bras au-def-
^ ^' fous du rampart auprès de faint Cyprien : l'un des bras coule
aux piez des murs j l'autre s'en écarte, & vient rejoindre le
premier au pont Joubert, ôctraverfant enfuite leprcdel'Ab-
beflfe , entre le fauxbourg de Rochereuil & le château triangu-
laire, que Jean duc deBerry frère de Charle V bâtit en cet en-
droit, il fort de Poitiers , ôc va fe jetterdans la Vienne auprès de
Chatelleraud. Au-delà du château , ôc dans l'endroit le plus bas
de la ville, il y a le fauxbourg faint Ladre * qui eft fort grand : de
là jufqu'à l'Eglifede faint Hilaire^ qui regarde le couchant
& le Septentrion , eft la bafle ville qui n'eft pas moins gran-
de que la haute. Au pié des murs de ce côté là , eft l'étang
de faint Hilaire, coupé en deux par le pont Achard, d'où l'on
peut monter par un chemin fort roide à la porte de la Tranchée,
Le comte du Lude n'ayant pu prendre Nyort, étoit revenu à
Poitiers avec fes trois frères, René abbé des Chateliers,François
de Sautré, ôc François de Briaçon : il avoit outre cela avec
lui Philippe de Volvire feigneur de Ruffec, Jean le Jay fei-
gneur deBoiffequin, Guillaume de Hautemer feigneur de Fer-
vaque, d'Argence, de la Beraudiere, de Rouet lieutenant de la
Trimouille,ôc d'autres Chevaliers de rOrdre,avec quelques C2b-
pitaines de cavalerie : fes officiers d'infanterie étoient Paflac , I2
PradeJaVacherie,d'Arfach,duLys,Boifvertj Bonneau, Boiflan-
de , Jarrie , ôc quelques autres j ôc déplus fix compagnies delà
bourgeoifie, qui avoient chacun leur capitaine, fous les ordres
de Jean de la Haye lieutenant général de Poitiers , homme a^lif,
ôc plus ambitieux qu'il n.e convenoit à fon état 5 ce qui fut
enfin caufe de fa ruine. Il fit un journal du fiége qu'il pubha
fous un nom emprunté ^ Le duc d'Anjou avoit eu foin de
pourvoir à la fureté de la place , en y envoyant une compa-
gnie de cavalerie Allemande , deux cens chevaux Italiens fous
la conduite d'Angelo Cefi ôc de Jean des Urfins, ôc trois
1 II a fait un journal du fiege de Poi-
tiers , où i! nous apprend qu'il eft gen-
tilhomme , 8c que d'agent des affaires
deMadame de laRoufliere-Girard étant
devenu fon mari , elle Tavoit mis en
e'tat d'acheter la lieutenance ge'nérale
de la Se'néchaufTe'e du Poitou. Voilà ce
que M. de Thou appelle ici Pr(?îor,
tiers,.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. €i^
cens moufquetaires à cheval commandez par Paul Sforze frère ,
du comte de Santafiorei enforte qu'il y avoir dans Poitiers rju ai^t p
douze cens chevaux. Comme le château n'étoit pas bien fort, t y
le comte du Lude y fit faire un nouveau baftion, afin qu'il fût !^
hors d'infulte, & qu'il put fe défendre pendant quelque tems.
Il y avoir un corps de troupes au pont Achard, 6c l'on forti-
fia faint Hilaire.
Le duc d'Anjou ayant appris que Lufignan étoit alTiégé, Le duc de
envoya le duc de Guife avec le marquis de Mayenne fon fre- Guifè, avec
re. Le premier étoit déjà au rang des grands capitaines , tant gneurs,'fe jet-
par fon propre mérite, que par la grande réputation de fon père, te dans Poi-
Comme ils apprirent en chemin queLufignan s'étoit rendu,pour
ne pas s'en retourner fans rien faire 3 ils fe jetterent tous deux
dans Poitiers le 22 de Juillet, fuivis de Melchior Defprez de
Monpefat, deRené de RochechouartMortemar,dePauI Cha-
bot de Clairvaux , de Philippe de Châteaubriant feigneur des
Roches-Baritault, du jeune Clermont, ôc de plufieurs autres fei-
gneurs de haute naiffance. Leur arrivée releva extrêmement:
le courage des habitans confternez j ôc les difpofa à foûtenir
le fiége avec vigueur.
Les deux jours fuivans fe paiïerent en efcarmouches j iî
y eut quelques habitans qui furent mal traitez par Lafin 6c
par de Piles, qui les pourfuivirent jufqu'au fauxbourg faint
Ladre : les afTiégeans de leur côté furent mis en déroute dans un
combat très-vif, qui fe donna fur le bord de l'étang de faint
Hilaire , où ils étoient fous le feu de deux pièces de canon de
la ville qui tiroient fans cefTe fur eux. Le lendemain François
de CalTiIlac de Seffac lieutenant du duc de Guife s'étant avan^
ce jufqu'au village de faint Marve , avec un détachement de
cavalerie , où étoient Goutinieres , Boisjourdan , 6c Jean des
Urfins, ôc ayant furpris les ennemis accablez des travaux delà
veille, Ôc filas qu'ils ne pouvoient prefque fe remuer de leurs
lits, il en tua un grand nombre:en s'en retournant il trouvafur fon
chemin Briquemaut ôc Mandolf lieutenant de Jean de Buechj
il les mit en déroute, ôc Mandolfe demeura fur la place. Cela
ob ligea les afiiégeans à tirer un £o([é de ce côté là , pour eni-
pêcher les forties , ôc Coligni en donna la garde à Blacons.
Il y avoir environ fix mille combattans dans Poiriers , tant
et cangers qu'habitans , nombre bien petit pour défendre une
Hhhhiij
(ÎI4 HISTOIRE
^->-«-^ ville d'un fi grand circuit , contre une armée très-nombreufe :
C H \ R L E '^^'^^^ ^'^^ ^^^ ^^^ P^"^^ grand , les provifions de guerre ôc de bou-
j V che auroient bien-tôt manqué j au refte l'événement fit voir qu'il
f ô'q ^^^^^ ^^^^ grand pour foûtenir un long fiége. Il y avoir dans
le château lix grofîes pièces de canon, ôc deux petites , & plu-
fieurs autres pièces , dont on ne faifoit aucun ufage > mais dans
cette occafion on trouva le moyen de les faire fervir. On avoit
outre cela quantité de feux d'artifices, de pots à verfer de l'huile
bouillante, de cercles de feu, de poix, de bitume, ôc d'autre ma-
tière inflammable; de chevaux de frife,ôc de chaufretrapes,pour
jetter dans les endroits par où les ennemis pourroient appro-
cher.
Le premier jour d'Août faifoit trembler les habitans fuper-
ftitieux j parce qu'il y avoit fept ans qu'à pareil jour la ville avoit
été prife 6c faccagée par S. André, ayant été livrée par Pineau
qui commandoit dans la citadelle. Ce jour là les affiégez dif-
poferent leurs batteries : ils en drefferent une de huit groffes
pièces fur la hauteur qui regarde le pont Joubert , d'oii ils ti-
rèrent trois jours durant fur la tour du pont. C'étoit Genlis
qui avoit le commandement général de leur artillerie. Jufques-
là les afïîégez s'étoient maintenus dans les fauxbourgs , mais ils
jugèrent à propos de les abandonner d'eux-mêmes , parce qu'ils
n'avoient pas aflfez de monde pour garder un fi grand terrain.
La Rochefoucault , qui commandoit fous les Princes , ôc Vol-
rad de Mansfeld fe portèrent à faint Lazare , ôc Briquemaut
au fauxbourg de Pierre-levée: celui de Rochereuil n'étant bon
à rien , ôc les deux partis ne fe fouciant pas de ce pofle , il de-
meura aux alTiégez. Coligni ôc Lafin fe logèrent à faint Be-
noît. Il fe donnoit fouvent de petits combats entre les deux
partis : ceux de la ville firent des forties fréquentes , où ils eu-
rent beaucoup de monde blefie j parce qu'ils combattoient en
bas, ôc qu'ils fe trouvoient expofez au feu des ennemis qui
étoient fur les hauteurs. Mais les blefiez étoient parfaitement
-bien traitez , par les foins de la Haye maire de la ville ; outre
les Chirurgiens, il y avoit des femmes établies exprès, pour four-
nir aux blefiez tout ce qui leur étoit néccfîaire, pour les nourrir,
& pour les panfer.
Le 5" d'Août il y eut un grand combat. Le brave la Va-
cherie pafîant avec fon régiment au travers d'une vigne entre
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. 6is
Rochereûil ôc le château , fut tué d'un coup d'arquebufe qu'il '
reçut à la tête. Il fut fort regreté du duc de Guife ôc de toute Charle
la ville. Le lendemain d'Onoux, à qui le comte du Lude avoit IX.
donné le gouvernement de Saint Maixent, & qui étoit venu i S ^ 9-
à la prière du duc de Guife pour fe jetter dans la place, y en-
tra fuivi de fa troupe , avec autant d'adreffe que de bonheur :
il étoit accompagné du capitaine Bourg de Calverac^ôc de Pru-
nay. Pour exécuter ce deffein, il envoya fes bagages ôc les
bouches inutiles à Parthenay , où commandoit le capitaine Al-
lard j Ôc il marcha avec tant de diligence ôc de fecret , que les
ennemis n'en eurent aucune connoilfance : car après avoir en-
cloué fon canon , diflribué ce qu'il y avoit de poudre aux fcl-
dats, ôc ce qu'il y avoit de vivres aux habitans, ôc fait recon-
noître les chemins , il fe mit en marche à l'entrée de la nuit
avec cinq cens hommes , entre lefquels étoit Donald Macro-
dore Ecoffois , le Sénéchal , le Procureur ôc l'Avocat du Roi.
Il fit dix lieues en quatre heures, ôc ayant pafie la Vonne près
de Jafenueil, fans donner de foupçon à un corps- de-garde de
trois cens hommes que les ennemis y avoient , il arriva fans
aucune perte à la porte de la Tranchée , qui lui fut ouver-
te fur le champ par la Jarrie qui y étoit de garde. Le duc de
Guife le félicita beaucoup fur fon arrivée , ôc toute la ville
en fut dans la joie j mais Coligni en fut très - étonné ôc très-
|)iqué.
Trois jours après , la garnifon de Chatelleraud fortit de la
ville, fous la conduite du capitaine Normand avec des drapaux
femblables à ceux de l'armée du Roi , ôc ayant trompé par là
les corps-de-gardes qui étoient fur leur route , ils furprirent dans
leurs logemens Bonnivet de Crevecocur , ôc Virpont fei-
gneur de Neubourg, ôc père de celui qui fut tué à Sancerre :
ils tuèrent quelques foldats, ôc firent prifonniers Bonnivet, avec
le marquis de Rangone qui fut mené à Niort.
Les ennemis ayant jugé à propos de changer leurs batteries,
ils en drefferent , une de trois pièces au-deffus de faint Cyprien
vis-à-vis faint Benoît, & ayant battu toute la journée la porte
de la Tour , ils en ruinèrent entièrement le haut. Mais du
Lys , qui y commandoit, foutint Ci bien le bas par le moyen
des tonneaux dont il fe couvrit, que malgré le feu continuel
que les ennemis faifoient fur lui , il fçut par fa fermeté admirable
6i6 HISTOIRE
■ conferver ce pofle jufqu à la fin , ce qui lui fit beaucoup
Charle cl'honneur. Tous lesefforts des afîicgcans le tournèrent enfuite
IX. contre le mur qui ei\ au-delà du pré de l'Abbefle, ôc on le
j - ^ g^ battit en plufieurs endroits de front ôc en flanc. Cette attaque
incommoda extrêmement les aiïiégez , ôc leur fit perdre bien
du monde ; car pour défendre cette brèche ils étoient obligez
de defcendre par des coteaux , où ils avoienttoutle corps dé-
couvert & expofé au feu de l'ennemi. La brèche étant très-
grande , les afliégeans firent un pont de tonneaux & de plan-
ches attachées defTus avec des cables , ôc le jetterent fur le
Clain , qui paflbit au pied de la brèche.
Tout étoit prêt pour l'aflaut , ôc toute la ville étoit dans lef-
froi , 6c dans la confternation. Le confeil de guerre s'étant af-
lemblé à cefujet^ bien des gens étoient d'avis de mettre en
fureté le duc de Guife & fon frère S & de ne pas expofer à un
péril manifefte , & aux infultes de leurs ennemis mortels, deux
Jeunes gens d'une fi grande naifiance , ôc qui étoient le plus
ferme appui de la religion Catholique : car c'eft ainfi qu'on
parloir d'eux. Mais du Lude , Rultec , d'Onoux ôc de Bourg
furent d'un avis contraire , Ôc foûtinrent que fi tout le mon-
de fe prefentoit avec courage , on étoit en état de foûtenir
cet affaut , ôc de repouffer les ennemis , qui après avoir pafle
îa brèche feroient obligez de combattre avec defavantage dans
le pré où ils avoient fait un folTé 5 parce qu'ils feroient fous Iq
feu des afiiégez qui tireroient d'en haut fur eux : Que l'on
pourroit même y combattre avec de la cavalerie , le lieu ayant
affez d'étendue pour cela 5 ce qui feroit très-avantageux aux
Catholiques ; puifque leurs ennemis ne pouvant pas monter
à l'alïaut à cheval , feroient réduits à combattre à pié contre
la cavalerie des afiiégez : Qu'il falloir pour cela que les deux
Guifes s'y trouvalTent , que leur préfence rappelleroit la mé-
moire de leur père , & de la défenfe de Metz , contre l'Em-
pereur Charle Quint , fuivi de toutes les forces de l'Alle-
magne ; Que s'ils fe retiroient , cela décourageroit tout le
monde '> que les Habitans fe croiroient perdus , Ôc n'agi-
roient plus à l'avenir avec ce courage qu'ils avoient montre
jufqu alors. Le duc de Guife , qui tout jeune qu'il étoit, avoit
une ambition fans bornes, ôc une envie extrême d'acquerii
I Charle mar<iuis de Mayenne.
de
DE J. A. DE T H ou, Liv. XLV. (^17
de la gloire , ne voulut pas , même au péril de fa vie , démen- ■
tir l'opinion quele peuple ôc une grande partie de la Noblefle Charle
avoient de lui, ni qu-'on pût lui reprocher d'avoir eu plus de j v
foin de conferver fa vie , que de foûtenir la gloire de fa maifon , 1^5,,
celle de fon père Ôc la fienne propre , dans une occafion déci-
five. Ainfi il fut entièrement de l'avis de Daillon , 6c préfera
un péril glorieux à des confeils timides. Ayant pris ce parti,
il pofta des troupes pour défendre la brèche, Ôc femit en ba-
taille derrière le fofle qu'on avoit fait entre le mur & la ville ,
à la vûë des ennemis , qui étoient au-delà du Clain , ôc qui
préparoient tout pour l'aflaut : c'étoit le jour de la fête de S.
Laurent 10 d'Août.
Voici la difpofition de Coligni : fept cens moufquetaires
d'élite dévoient monter les premiers à la brèche. Ils étoient
fuivis de 500 hommes armez de cuirafles ôc de boucliers , ôc de
300 Allemands armez dépiques ôc de hallebardes : mais com-
me le pont qu'il avoit fait faire à la hâte, ne lui paroifToit pas
aifez fort pour porter tant de monde, il n'entreprit rien ce jour-
là. La nuit fuivante , pendant que quelques moufquetaires delà
ville amufoient l'ennemi par des efcarmouches t des plongeurs
Italiens coupèrent les cables qui attachoient les planches , ôc
ruinèrent le pont. Les affiégez avoient bâti un Fort dans le
couvent des Carmélites , d'oui ils faifoient un feu terrible fur
les bateries des ennemis , ôc l'on perdoit de part ôc d'autre
beaucoup de monde : ceux de la ville démontèrent un des ca-
nons des aflTiégeans , mais ils perdirent un très-habile Ingénieur,
nommé Antoine Serafon Romain 5 ôc Calverac capitaine de
réputation fut tué dans ces efcarmouches.
On continua de battre la place jufqu'au ip d'Août, Ôcl'oii
fît de grandes brèches en plufieurs endroits. Les ennemis en
attaquèrent une ôc s'y logèrent. Billy de Prunay ' , auflTi illuftre
par fon courage que par fa Nobleffe , y reçut une blelTure , dont
il mourut quelques jours après. D'Onoux y fut blefle à mort,
une nuit qu'il faifoit la ronde autour des murs : il avoit avec
lui une troupe de gens d'élite, ôc fon deflein étoit de chafTer
la Noue, ôc fa compagnie de cavalerie d'une tour à demi rui-
née, où il s'étoit porté : mais il reçut un coup de moufquet,
dont la balle perça fon cafque ôc lui entra dans la tête 5 on
I Du parti Catholique.
Tome y, liii
^i8 HISTOIRE
ut tout ce qu'on put pour le fauver, mais inutilement
C H A R L E ^" pointa enfuite contre la tour , où étoit la Noue , les ca-
j^ nons qui étoient dans le Fort des Carmes, ôcl'ontua lepre-
1 7 (J Q ^"^"'^^^ capitaine du régiment d'Ambre. La Noue fut bleffé au
bras droit , Conforgien à la cuiiTe , & d'autres eurent les jam-
bes caiïces. Cependant les alTiégez ctoient réduits à des extrê-
mitez facheufes j d'un côté, il n'y avoit aucune apparence qu'ils
pufTent plus long-tems défendre la brèche 5 de l'autre, ils étoient
dans une grande difette de vivres : leurs moulins ctoient rui-
nez , ôc leurs provifions confommées j ils n'avoient que des
feuilles d'arbres ou de vignes , pour nourrir leurs chevaux ,
point du tout de foini & ce qu'ils avoient d'orge ôc d'avoins
étoit refervé pour les hommes : d'ailleurs tout étoit exceflive-
nient cher. Dans cet embarras un Echevinde la ville, nommé
la Bedoliere, capitaine d'une compagnie bourgeoife , propofa
un avis , qui fut fuivi : c'étoit de faire déborder le Clain , ôc d'i-
nonder la prairie. Pour en venir à bout , on enfonça deux rangs
de gros pieux dans l'eau à travers la rivière , ôc l'on remplit
de terre l'intervalle qui étoit entre deux. A peine cela fut-il
achevé, que la rivière fe déborda avec tant de violence , qu'el-
le pénétra jufqu'au pic du mur intérieur j l'eau y étoit fi haute
qu'on ne pouvoit approcher du retranchement fait en-dedans
que par le moyen d'un pont î cela releva le courage des af-
fiégez. D'ailleurs le duc d'Anjou leur envoyoit courier fur
Courier , ôc leur donnoit fa parole qu'ils feroient fecourus
avant uh mois. Cependant les habitans ayant jette quelque
loupçon dans l'efprit du duc de Guife contre des perfonnes
déjà fufpedes du côté de la Religion , on les fit tous ve-
nir à l'Eglife de Saint François , mais fans leur faire aucun
mah on les avertit feulement de fe tenir chez eux, ôc de gar-
der la fidélité qu'ils dévoient à leurs concitoyens , qui s'expo-
foient à toutes fortes de dangers pour le falut de la ville h on
fit en même-tems fortir toutes les bouches inutiles pour mé-
nager les vivres : mais les afiiégeans les ayant repouffez dans
les fofifés , où ils mouroient de faim , les bourgeois touchez d(3
compafiion leur permirent de revenir dans la ville.
Vers ce tems là les afiiégeans jetterent un nouveau pont fus
le Clain, entre le pont Joubert ôc l'Eglife de faint Cyprien ,
yis-à-vis de l'églife de faint Saturnin , afin de pafifer delà dans
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. €i$
îe pré de i'Evcque, vers les églifes de fainte Radegonde & de m
faint Sulpice. Ce pont étoit fait de tonneaux, de planches & ChaRLE
de clayes , ôc il ctoit attaché avec des cables ôc des chaînes à ix.
ào-s pieux qu'on avoit enfoncez dans la rivière : il paroifToit fi 1^50,
folide , qu'on efperoit pouvoir faire pafTer du canon deflus.
Quelques-jours après , on en commença un tout femblable un
peu au-deflbus.
Ce fut à peu près dans le même-tems que Daillon comte de
Briançon , frère du comte du Lude , en revenant d'une fortie
dans laquelle il avoit eu occafion de s'entretenir avec d'Acier,
fut tué d'un coup de canon à la tête , auprès du baftion des
Carmélites , ou il fe retiroit. Ce fut une grande perte pour
cette illuftre famille, & il fut très-regreté des citoyens , ôc du
duc de Guife. Girard de la RouflTiere , 6c le Cornette de la
compagnie du comte du Lude furent dangereufement blefîez
dans la même occafion.
Enfin le vingt-quatrième d'Août, iour de faint Bartbelemi;
les Proteftans recommencèrent à battre la place plus forte-
ment qu'ils n'avoient encore fait , ôc ils tirèrent ce jour-là
plus de huit cens coups. Le duc de Guife ôc le comte du Lude
ne doutant pas qu'ils ne montaflent bien-tôt àralfaut, fe pré-
paroient à les bien recevoir, ôc exhortoient les troupes à bien
faire. Dans la perfuafion que la journée ne fe pafleroit pas fans
combat , on enferma les femmes des principaux officiers , Ôc
quelques autres dans le château , afin que s'il arrivoit un mal-
heur , comme on avoit lieu de le craindre , elles puflent y être
à couvert de la première fureur du foldat. Coligni fut d'avis
de reconnoître la brèche , avant que de l'attaquer , ôc de fon-
der la profondeur de l'inondation. 11 arriva par bonheur qu'un
officier , nommé Dominique, qui avoit eu l'infolence de tirer
fon poignard en la prefencede Coligni , ôc qui ayant été pris
fur le champ , s'attendoit à être puni de mort , fut condamné
par les Généraux à aller faire ces deux chofes , qui lui tien-
droient lieu du fupplice qu'il meritoit. Il alla hardiment, cou-
vert d'une cuirafle ôc d'un boxiclier , ôc étant revenu trouver
Coligni , il lui dit qu'à la vérité la brèche étoit en état , mais
que l'inondation étoit fi profonde , que les foldats auroient
de l'eau jufqu a la ceinture. Sur ce rapport, Coligni fit revenir
liii i;*
6io HISTOIRE
\qs troupes qui étoient commandées pour l'afTaiït , ôc les ren-
Charle voya dans leurs quartiers.
j ^^ Il nY eut ce jour-là que de petits combats peu importansj
I c 5 0. cependant les affiégez y perdirent Guacour , qui étoit un of-
ficier de grande réputation. On employa la nuit à reparer la
brèche. Le duc de Guife fe mit à la tête des travailleurs ^ &
à fon exemple tout le monde agit avec une ardeur extrême.
Ainfi non-feulement la brèche fut reparée , mais cet endroit fc
trouva plus fort qu'il n'étoit avant qu'on y eût fait brèche. Le
lendemain les aiïiégeans changèrent de place une batterie de
trois canons j & ayant redoublé leur feu, ils réfolurent de don-
ner un affaut fur le minuit , fans tambour ni trompeite , afin de
furprendre les affiégez , qui ne s'attendroient point à être atta-
quez à cette heure : mais les foldats n'ayant pas été aflcmblés
afifez tôt j on n'entreprit rien ^ quoique les deux Princes fuffent
venus exprès de faint Maixent pour être témoins de cette ac-
tion : après avoir rendu vifite aux ofiRciers Allemands , ôc leur
avoir donné un grand repas ^ ils s'en allèrent à Nyort.
La Reine arriva cependant à Amboife, ôc delàà Tours >
fuivie des cardinaux de Bourbon ôc de Lorraine. Le duc d'An-
jou , qui étoit à Loches , fe rendit auprès d'elle, afin de tenir
confeil fur les moyens de fecourir Poitiers. On détacha de là
Fabien deMontluc, avec cinq cens arquebufiers d'élite. Mais
lorfqu'il fut arrivé à Rochepozai S il ne put pafler outre , parce
qu'il avoir été découvert par les ennemis.
Les affiégeans drefferent une batterie de trois pièces con-
tre le moulin Tifon , pour ôter aux affiégez le moyen d'avoir
de la farine , ôc ils jetterent le haut du moulin à^bas : mais
comme l'inondation , qui étoit au-delà de la muraille de la ville^
les incommodoit extrêmement , ils travaillèrent de toutes leurs
forces à faire retirer les eaux. Pendant qu'ils y étoient occupez ,
les Italiens firent une fortiepar le pont Achard, ôc y engagèrent
un aficz long combat. Jean de Beaumanoir Lavardin , jeune
homme plein de feu , s'y comporta avec beaucoup de valeur,
ôc tua d'un coup de piftolet un de ces Italiens : il auroit eu
néanmoins de la peine à fe tirer de leurs mains , fi faint Her-
mine n'étoit accouru à fon fecours.
1 Petite ville fur la Creufe , fur la frontière du Berry,
DE J. A. DE THOU , Li V. XLV. 621
Depuis ce tems-là les plus grands efforts fe firent du côté
du fauxbourg de Rochereuil, que les deux partis avoient né- Cu « ^ r p
gligé jufqu'alors : les afTiégeans fe perfuadoient, que s'ils pou- i y
voient s'en rendre maîtres , il leur feroit facile de rompre les ^'
digues^ ôc de remettre le Claindans fon lit; mais les coups de
canon ne faifoient point d'effet contre les facs à laine, dont le
mur étoit couvert. Il y eut grand nombre de bleffez , tant du
côté de la ville ^ que du côté des affiégeans ; il y eut encore
plus de malades , ôc les maladies étoint très - dangcreufes. Co-
ligny eut la dyffenterie , Ôc fut en danger d'en mourir. Le comte
de la Rochefoucault fut obligé de quitter l'armée pour chan-
ger d'air : les Médecins engagèrent d'Acier à s'en aller à Nyort,
6c Briquemault à Châtelleraud. Jean la Fin de Beauvais fe re-
tira pour la même raifon d'abord à Lufignan , ôc enfuite à S.
Maixent, auffi-bien que la Nocle fon frère j qui avoit déjà
perdu Bedeùil fon fils.
Le premier jour de Septembre on recommença à tirer con-
tre le fauxbourg de Rochereuilj ôc principalement contre la
tour du pont. Lorfqu'on en eut renverfé une partie , on s'em-
para de la hauteur qui avoit été 11 long-tems difputée , ôc on
la fortifia avec des gabions à l'ordinaire. De là les ennemis
voyoient à découvert tout ce qui alloit ôc venoit dans le faux-
bourg qui étoit en bas, ôc faifoient pluvoir une grêle déballes
qui incommodoit fort les affiégez. Pourfe garantir , ils mirent
pendant la nuit de grandes barriques des deux cotez de la rue,
ôc les couvrirent de planches épaiffes , afin de pouvoir aller
ôc venir par - deffous fans danger : ils attachèrent même des
toiles en certains endroits , pour ôter aux ennemis la viië de ce
qui fe paiïoit.
Le deuxième jour de Septembre les affiégez firent une fortie
au fauxbourg de Rochereuil, ôc montèrent fur cette hauteur
couverte de vignes, dont les ennemis s'étoient rendus maîtres 5
ôc après avoir renverfé tousles gabions , qu'ils avoient rangez de
ce côté-là , pour fe mettre à couvert du feu du château , ils ren-
trèrent dans la ville fans avoir fait aucune perte. Le lende-
main le mur de Rochereuil ayant été renverfé , après avoir re-
fifté pendant plufieurs jours au feu continuel d'une batterie, que
les ennemis avoient en bas fous des Noyers , Coligni fit don-
ner l'affaut. De Piles étoit avec fon régiment , Saint Audens
liii iij
mKJUJiMua
^22 HISTOIRE
frère de Eriquemaut marchoit enfuite à la tête ai^ec le fien >
77 ôc il étoit fuivi d'un régiment Allemand heriffé de piques. Pen-
r y dant ce tems-là on ne ceflbit de tirer contre le château. PafTac,
Nozieres^ Carbonniere, ôc Montai, qui étoient à la brèche ,
^ ^' ayant fait tirer fur eux des canons chargez à cartouches , le régi-
ment de Piles fut très-mal traité , ôc le retira avec une perte
confidcrable , 6c de Piles lui-même y reçut une blelTuredan-
gereufe à la cuifTe. Saint Audens , fans s'effrayer , le foûtint
avec beaucoup de fermeté j mais ayant été blelTé dange-
reufement , ôc fes gens faifant mal leur devoir , il futaufiTi obli-
gé de fe retirer , ôc mourut quelque-tems après de fa bleffu-
re. Les Allemands étonnez de ces pertes, mais excitez parleurs
officiers , firent de nouveaux efforts : cependant Coligni, qui
jugea qu'ils n'emporteroient pas l'endroit attaqué, leur envoya
ordre de revenir. L'avantage qu'eurent les affiégez en cette oc-
cafion leur coûta cher. Paffac , qui avoit fuivi les Confédérez
dans la dernière guerre , Montai , qui avoit accompagné le
duc de Guife en Hongrie, la Renaudie , ôc beaucoup d'au-
tres bons officiers, y furent tuez. Coligni ôc de Mouy fe jufti-
fierent , en difant que leur intention n'avoit pas été de faire at-
taquer cet endroit, mais feulement de faire reconnoître labre'
che, Ôc que la Nobleffe Françoife , toujours avide de gloire,
avoit imprudemment engagé les troupes à aller plus loin qu'il
ne falloit.
te fiége La nuit fuivante fe paffa dans un grand filence , les afTié-
t& levé. geans étant attriftez de la perte qu'ils avoient faite, ôc les affié-
gez n'ofant fe réjouir de leur avantage. Les trois jours fuivans
fe pafferent en petits combats, dans l'un defquels Chateau-
briand feigneur des Roches-Baritaud fut bleffé.
Cependant le bruit couroit que le duc d'Anjou approchoit
avec une puiffanre armée ; en effet il vint camper auprès de
Châtelleraud. Coligni, qui necherchoit qu'un prétexte pourle-
ver le fiége , fit plier bagage , après avoir perdu , à ce qu'on pré-
tend , plus de deux mille hommes , ôc fait tirer plus de quatre
mille coups de canon. La Haye a écrit qu'il n'y périt pas plus
de cent hommes de la garnifon , entre lefquels il y avoit
vingt gentilshommes , dont environ douze avoient des em-
plois confidérables dansFarmée. On ordonna des prières pu-
pliques poui: rendre grâces à Dieu > le duc de Guife ayanç
De j. a. de thou, liv. xlv. 6i^
îoiîé beaucoup la confiance ôc le courage des habitans, les af-
fura de fon amitic , ôc leur promit fa prote£lion. 11 partit -en- Ch arlB
fuite le p de Septembre pour aller joindre le Roi , qui ctoit j^^
à Tours, ôc le même jour le comte de Sanzai entra dans la 1^50,
même ville avec deux cens chevaux , la plupart Italiens com-
mandez par P. Paut Toiinghi. Après le départ du duc de Guife ,
les habitans de Poitiers raferenc entièrement l'Abbaye de S.
Cyprien , déjà très-endommagée : ce qui les porta à le faire,
fut que durant le fiége cet endroit les avoit fort incommodez.
On donna dans ce même-tems quelque efperance à Coli-
gnide fe rendre maître de Nantes, ville opulente Ôc très-con-
iidérable, fituée près de l'embouchure delà Loire. On chargea
Pomenie de furprendre le château où commandoit Sanzai le
pere,ôc que fîx hommes, avec qui l'on avoit de l'inteHigen-
ce, dévoient livrer. Teligny eut ordre de fe rendre aux envi-
rons , avec cinq cens chevaux Ôc autant de moufquetaires ,
pour s'emparer de la ville dès qu'on feroit maître du château.
Mais fur le point d'exécuter l'entreprife , Pomenie , en fe la-
vant les mains pour aller déjeuner avec les officiers de garde,
s'apperçut que la pierre de fa bague s'étoit caflee d'elle-même 3
fans qu'il eût fait aucun effort j il crut fuperflitieufement que
cela ctoit de mauvais augure pour le deffein qu'il avoit formé,
ôc il confeilla à fes complices d'y renoncer : ainfi le voyage de
Teligny ne fervit de rien. Cependant comme Sanzai ôc les ha-
bitans ne fçurent rien de la conjuration , perfonne ne fut in^^
quiété à ce fujet.
Leduc d'Anjou, qui étoit devant Châtelleraud , avoit déjà Siège de
fait ouvrir la tranchée endeçà de la Vienne : fon armée étoit ^a^^Je^^^""*^
compofée de dix mille hommes d'infanterie , de trois mille d'Anjou,
chevaux Allemands , de mille Italiens, Ôc de deux mille hom-
mes de cavalerie Françoife. Dès le feptiéme de Septembre le
canon ayant fait une brèche de plus de cinquante pies à la porte
de fainte Catherine , il reçut la nouvelle que le fiége de Poi-
tiers étoit levé , ôc que Coligni marchoit à lui avec toute fon
armée. Sur cet avis, il crut devoir tenter d'emporter la place
de vive force, avant que ce Général arrivât. Il s'éleva à ce fujet
une difpute entre les François ôc les Italiens : ces derniers di-
foient que venant de fi loin fecourir la France , par un motif
de gloire ôc de Religion , l'honneur de l'attaque leur devoit
62^ HISTOIRE
__ appartenir ; les François au contraire foûtenoient que perfon-
r^ ~ ne ne devoit leur contefter cet honneur. Pour les accommo-
j y der , on remit le jugement au fort , qui décida en faveur des
^* Italiens. Le fignal étant donné, ils marchèrent de bonne gra-
^ ^' ce à l'aflaut , pour montrer leur courage ôc s'acquérir de la
gloire. La Loue maréchal de camp commandoit dans la ville.
Ses troupes étoient compofées de fa compagnie de chevaux
légers , de celles de Valavoire , de BroiTay , de la Motte >
& de Roeiïes ; mais elles étoient fort diminuées par les com-
bats , où elles s'étoient trouvées : il avoit outre cela fept com-
pagnies d'infanterie , ôc quelques moufquetaires fous la con-
duite du capitaine Normand. La ville eft fituée dans une plai-
ne j ks murs font mauvais , ôc fon folTé n'eft pas aifés profond ;
d'ailleurs elle n'a point de rempart du côté où eft fon pont fur
la Vienne. Il y avoit entre les murs de la ville ôc les maifons
un efpace vuide , principalement du côté où étoit la brèche.
Les alfiégez avoient élevé à la hâte quelques retranchemens
fur les flancs , ôc placé des moufquetaires dans les maifons , ôc
fur- tout dans une , que l'onnommoit le Châtelet, pour tirer fans
cefle fur ceux qui voudroient entrer dans la ville. Car il n'y
avoit pas moyen de fe prefenter pour défendre la brèche, à
moins d'y vouloir périr. Les Italiens voyant qu'elle étoit aban-
donnée, envoyèrent Ottaviode Montacuto, ôc Scipion Cor-
binelli pour la reconnoître : fans attendre leur rapport , ils
y montent fur le champ , ôc plantent leurs drapeaux fur la mu-
raille. Mais lorfqu'ils fe furent un peu avancez , ils efluyerent
un feu terrible de moufqueterie , de front ôc en flanc , ôc fe trou-
vant d'ailleurs prelfés par les François , qui marchoient fous la
conduite de Cofleins pour les foûtenir , ôc qui n'étant point
incommodez par le feu des ennemis , demeuroient en place ,
ôc empêchoient les Italiens de reculer -, ceux-ci dans cette ex-
trémité ne cherchèrent plus qu'à périr glorieufement. Il y en
eut plus de deux cens tuez ; les principaux furent Giuftiniani,
& Beneio. Celui-ci s'étant envelopé dans fon drapeau ,Puif-
3> que je ne fçaurois , dit-il , remporter la vi£toire avec ce dra-
3) peau , mourons du moins dedans. Auffi-tôt il s'avança vers les
ennemis , au milieu d'une grêle de moufquetades , ôc étant
criblé de coups , il perdit la vie avec fon drapeau. Les autres
qui refterent fur la place furent Ottavio de Montalte , Calloccio
de
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. 61^
de Sienne qui commandoit trois compagnies , & Fabiano de ,
Monte, fils de Baudouin frère du Pape Jule III, qui étant Char le
blefle à mort & abandonné dans le fofle par fes compagnons , j)^
fut emporté par les vainqueurs dans la ville où il mourut peu i r ^ n
de tems après de fa blefTur'e. François Gualteroti ôc Jçromc
Ruccellai y furent dangereufement bleffés.
La nuit fuivante Coligni arriva à un fauxbourg, où il pafTa Levée du
la Vienne j il envoya aux aiTiégez un fecours de quatre cens ^^S"-'-
jTioufquetaires, fous la conduite d'un capitaine Dauphinois
nommé Bernier: ils entrèrent dans la ville par le pont. Le len-
demain le duc d'Anjou retira fon canon Ôc le renvoyai après
quoi il fe mit en marche , après avoir laiflé un corps de trou-
pes, pour couvrir fa retraite , contre les troupes qui fortiroient
de la ville. Il arriva en cet état au port de Pile , où il palTa
la rivière en bon ordre. Soubize , Beauvais ôc Briquemaut ef-
fayerent en vain de fe rendre maîtres de ce port , ôc d'en chaf-
fer la garnifon que le duc d'Anjou y avoir laifTée : elle ferma
fi-bien les avenues, ôc fe défendit avec tant de courage, qu'elle
contraignit les ennemis à fe retirer ; après quoi ils pafferent
ia Creufe , ôc réjoignirent l'armée.
Le lendemain Coligni ayant trouvé un bon gué , entre le
port de Pile ôc la Haye , pafia la Creufe , ôc s'approcha du
camp du duc d'Anjou : mais comme ce Prince étoit bien re-
tranché , il vit qu'il ne pourroit lattirer au combat. Ainlî
après avoir demeuré deux jours en préfence, voyant que les
vivres commençoient à lui manquer, il retourna fur fes pas ,
rep fla la Creufe , ôc alla à Faye la Vineufe, pour y rafraichir
fon armée après tant de fatigues. Le duc d'Anjou s'arrêta à
Celles jufqu'au quinzième de Septembre, pour yattendreles
troupes qui lui venoient de toutes parts j ôc de là il marcha
à Chinon fur la Vienne , où il mit fon armée en des quartiers
de rafraichiffementafTez éloignez les uns des autres.
Telle fut l'ifTuë des deux fiéges de Poitiers ôc de Châtelle-
raud , où les deux partis perdirent beaucoup de monde : le fé-
cond fut caufe de la levée du premier. Coligni ayant recon-
nu , mais trop tard, qu'il avoir fait une faute, fut ravi de trou-
ver un prétexte honnête pour le lever. Depuis le combat de
Jarnac , la Fortune avoit paru jufques-làfe jouer entre les deux
partis , ôc leur donner tour à tour dQS avantages égaux , fans
Tome /^, K. k k I5
626 HISTOIRE
fe déclarer : mais l'afFaire de Moncontour , où la néceiïitc les
^ forqa de rifquer un combat général , fit pancher la balance
Char LE ^^ ^5^^ j^^ Catholiques.
Quelques jours auparavant :, c'étoitle treizième deSeptem-
^ ^« ?* bre , le Parlement de Paris , à la requête de Gille Bourdin
Parlement de procureur général, ayant fait le procès à Coligni commère-
Paris qui con- belle ôc coupable de îeze-majefté , le condamna à mort :, ôc
damne a mort • • ^ -w ' v -^ • \ v • •
Coligni, Jean promit cmquante mille ecus dor a quiconque le livreroit vi-
de Ferncre& vant. Depuis, c'eft- à-dire ^ le vingt-huinéme de Septembre ,
meryf^'"' ^^"^ la requête du même Bourdin, il fut ordonné qu'afin d'ôter
toute ambiguité , on donneroit la même fomme à quiconque
le tueroit ^ françois ou étranger j on lui promit de plus , que
s'il fe trouvoit coupable du même crime que Coligni , il au-
roit fa grâce. On donna un pareil arrêt contre Jean de Per-
rière vidame de Chartre, ôc contre le comte de Alontgommery 5
ôc leurs effigies furent ignominieufement traînées dans un tom-
bereau , ôc enfuite attachées à une potence. L'arrêt contre Co-
ligni flit publié partout le Royaume? ôc afin que les étrangers
en fuflent inftruits , les Princes Lorrains eurent foin de le faire
traduire en Latin , en Allemand, en Italien, en Efpagnol Ôc
en Anglois , ôc de le répandre partout. Coligni ne s'en mit
pas beaucoup en peine alors ■> mais il eut dans la fuite fon exé-
cution.
Pendant que ce Seigneur étoit à Faye, Dominique d'AÎ-
be , un de fes valets de chambre , ayant été convaincu detrahi-
fon , ôc d'avoir voulu empoifonner fon maître , fut condamné
à être pendu. Cet homme avoit été envoyé au duc des Deux-
Ponts , avec des lettres du Prince de Navarre , du Prince de
Condé^ ôc de Coligni , dans le tems que ce Duc étoit encore
fur nos frontières. Ayant été pris à Brifiac , par la Rivière ca-
pitaine des Gardes du duc d'Anjou , il montra les lettres dont
il étoit chargé , ôc fa lettre de créance , à la Reine , au duc d'An-
jou ôc au cardinal de Lorraine, ôc en reçut quelque argent >
ôc des promefles d'une fortune plus éclatante. Lorfqu'il eut reçu
les réponfcs du duc des Deux-Ponts , il porta fes lettres à la
Rivière , ôc lui rendit compte de tout ce qu'il fçavoit des def-
feins des Allemands. La Rivière jugeant qu'après le premier
pas que cet homme avoit fait, on le meneroit auffi loin que
l'on voudroir, l'accable de promcfles , ôc lui fait tout efperer j
DE J. A. DE THOU, Liv. XLV. 6l'^
s'il veut empoifonner Coligni. D'Albe y confent , donne fa ■
parole, reçoit de l'argent , avec une poudre empoifonnée , ôc Ch arl E
revient trouver fon maître devant Poitiers. Coligni foupçon- \ y^
nant quelque chofe , à caufe de la longueur du tems que ce i ç 5 n.
domeftique avoir mis à fon voyage , donna ordre qu'on l'arrê-
tât, & qu'on l'interrogeât. Ayant tout avoué, il fut condamné à
mort ôc exécuté.
Ce fut dans ce tems-là que le prince d'Orange ne voulant
pas paroître avoir abandonné les affaires de Flandre , prit con-
gé des Princes , ôc de Coligni , pour aller au fecours de fon parti
Il laifla en France fes deux frères Louis ôc Henri avec une fuite
convenable j ôc s'étant déguifé, il fe mit en chemin avec un
grand fecret , paffa la Loire à Vezelai , ôc arriva heureufement
fur notre frontière, ôc delà en Allemagne, où il alla lever de
nouvelles troupes, pourfoûtenir les Proteftans, tant enFrançe
que dans les Payis-bas.
lin dti quarante-cinquième Livre,
Kkkkij
HISTOIRE
a^^i^^©^©^^®!
^"v. y'< j.'vK/ i.-'^ y-y, ^r-i ^""i i-'-i fy^ f^i ^"i >^-'< ^-"1 i-'^< ^^< î'** ¥^< ^^<
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^'"A ^y N>r/ N*<; ^'*^ j-wy nw^ jo*> j..^ v«c/ nvi/x j^w^ xrj g"^ n^v jy^ y"^
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HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
ivn»
LIVRE Q^VARANTE-SIXIEME,
Charle
IX.
I s 5(?.
Le duc d'An-
jou palfc la
Vienne.
r^fs 1 ^'^-« ^ "w
^- ^" fe^ T m
i^-"^ ^"'^ r.'i J^'^j i-'/^ 4^"'^ •^"■.
W^^ ^>vCÎ ?A-Î ^Av-5 5-^^ ?■/«? /CVC^
^
s>l|fSfs>l0fvG>lp^ E duc d'Anjou ayant fait rafraîchir
Ion armée, ôc reçu un rentort de
vingt-cinq compagnies d'infanterie,
avec les nouvelles levées que le Roi
avoit fait faire en France, fitconf-
truire des ponts fur la Vienne , qui
étoit extrêmement groflie , & l'ayant
pafTée le 26 de Septembre avec de
grandes difficultez , il marcha du
côté des ennemis. Monpenfier me-
noit lavant-garde. Pour lui il alla avec le corps de bataille du
côté de Loudun , ou les ennemis avoient de grands magazins,
afin de les empêcher d'en faire ufage , ôc il s'avança jufqu'à Mi-
rebeau , pourfe mettre entre eux, ôc \qs provinces de Poitou ôc
^7^'\ f^'i i^"<i ^^'''i ^"'i ^^'i i^'< ^'i
kte j WÂ ^^,4 ^^v< ^;,^< i.J >.ji,^ %-Â ^
DE J. A. DE THOU,tiv: XLVI. ^^^ i
de Guyenne , ôc les empêcher d'y rentrer : le fuccès juftifia le ^
parti qu'il avoir pris. Dans fa marche , Biron maréchal de camp C H a R L E i
lui vint dire , qu'il avoir rencontré les avant-coureurs des enne- jx '
mis , qui marchoient du côté de Moncontour. Cet avis fut j ^ ^ „^
caufe que la bataille, que les deux partis fouhaitoient également, ;
fe donna plutôt qu'on ne croyoit. Les troupes de Languedoc, |
de Provence & de Dauphiné, éloignées de leurs maifons,ôC j
accablées des fatigues continuelles de cette guerre , commen-*
<;oient en s'en ennuier, & preflbient Coligni de rifquer une j
bataille. Ses Allemands qui n'étoient point payez murmuroient
tout haut, ôcparoiffoienttrès-difpofez à fe mutiner, fi l'on dif-
feroit un combat qu'ils demandoient. Ainfi ce Général , en
danger de fe voir abandonné des François, ou accablé parla 1
révohe des Allemands , peuple très-féditieux , Ôc le danger étant j
d'autant plus grand que l'ennemi étoit près de lui, jugea qu'il i
lui étoit impoiïible d'éviter une bataille j mais ne voulant pas j
qu'on s'apperçût qu'il étoit forcé de la rifquer, il fit femblant j
de la chercher. \
A l'égard du duc d'Anjou , quoiqu'il n'eût pas les mêmes rai- j
fons de combattre , ôc qn'il en eût au contraire de très-fortes -• i
de ne rien hazarder, puifqu'il lui étoit avantageux ôc facile de \
tirer la guerre en longueur, fon camp étant plein de provifidns i
de bouche qu'on y portoit de toutes les villes d'alentour , ôc i
fes troupes très-bien payées , cependant il s'ennuyoit de la du- '
rée de la guerte, ôc fouhaitoit de la finir par une bataille, fur-
tout depuis qu'il avoit fçû que le prince d'Orange étoit allé en ,
Allemagne, ôc queSchomberg, qui y étoit arrivé devant lui, \
y faifoit des levées pour les Proteftans : il voyoit bien, que fi i
ces nouveaux fecours pouvoient entrer en France, ce feroit \
le commencement d'une nouvelle guerre, qui ne finiroit que i
par la ruine des deux partis : parce que le Roi en ce cas \
leveroit auffi des troupes étrangères, ôc qu'au moyen de cet- ;
te multitude d'étrangers qui ie trouveroient dans les deux j
armées , les Généraux n'y feroient plus les maîtres , ôc n'auroient !
pas moins à craindre de ces corps auxiliaires, que de leurs en- \
jiemis mêmes. !
Telles furent les raifons des Généraux qui fervoient fous le I
duc d'Anjou , ôc celles même du Confeil du Roi , lorfqu'il j
^ut queftion de prendre un parti fur la manière de finir la guerre ; i
Kkkk u)
6iù HISTOIRE
mais ce qui acheva de déterminer à la bataille , fut la nouvelle
qu'on requt du côté des Pyrénées, que Montgommery , après
avoir réduit le Bcarn , & la partie de la Guyenne qui s'étend
le long de ces montagnes y marchoit en diligence avec fon ar-
mée viclorieufe , qu'il devoir encore renforcer en chemin par
les troupes des Vicomtes , ôc qu'il feroit dans peu au camp des
Confédérez.
Coligni étant arrivé le 30 de Septembre au village de faint
Clair , qui n'eft éloigné de Moncontour que de deux lieues ,
mit le lendemain matin fon armée en bataille dans la plaine
qui eft au-deflbus du village. Elle étoit compofée de lix mille
chevaux, tant François qu'Allemands , de huit mille moufque-
taires, ôc quatre mille Allemands, armez dépiques 6c de hal-
lebardes. Lemoufquet étoit rare parmi eux, ôc même inutile.
Toute fon artillerie ne confiftoit qu'en trois gros canons,
trois petits , 6c deux coulevrines i le refte de fon canon étoit
à Luiignan , où il l'avoit envoyé lorfqu'illeva le fiége de Poi-
tiers. Louis de Naffau commandoit le corps de bataille , en
l'abfence du comte de la Rochefoucault qui étoit malade? Co-
lio:ni étoit à la tête de tout. Mais l'armée du Roi ne s'étant
point prefentée pour le combat , il n'y eut que des efcarmou-
ches entre les avant-coureurs des deux armées.
Choc entre Coligni trompé par fes efpions , qui l'aiTurerent que le duc
" d'Anjou étoit encore loin , marcha vers Moncontour, dont la
Noue, la Loue, 6c le capitaine Normand s'étoient déjà rendus
maîtres i la Loue avec cinq compagnies d'infanterie , 6c Nor-
mand avec fes moufquetaires. IllaifTa deMouy pour conduire
l'arriere-garde avec deux cens chevaux , 6c autant de moufque-
taires. Pendant qu'ils étoient en marche, Monpenfier, qui com-
mandoit l'avant-garde de l'armée du Roi , informé par fes cou-
reurs que les ennemis feretiroient , doubla le pas 6c détacha
quelques compagnies de cavalerie contre l'arriere-garde des
ennemis. Mouy , qui la commandoit fait volte face, fans s'é-
tonner j puis il continue de marcher, ayant mis fes deux cens
moufquetaires à la queue. Les décharges continuelles qu'ils fai-
foient , arrêtèrent pendant quelque tems la cavalerie qui les har-
celoit : mais enfin elle chargea fi vivement , qu'ils fe mirent
en déroute après avoir perdu plus de cent hommes. Mouy ne
fe déconcerta point i il fit ferme , 6c foutim avec beaucoup
les deux ar
D E J. A. DE THOU,Liv. XLVl. 631
de vigueur tout l'effort des ennemis î mais cène fut pas fans
perte. Dodencourt fon lieutenant, homme d'une grande va- Ch^rle
leur, & Monterrin , qui combattoità fes cotez, furent tuez. jx.
Albert Pape de Saint Auban fut prisi mais il trouva moyen i < 6 9.
de s'échapper. Pendant qu'on ctoit aux mains , le corps de ba-
taille ôc l'avant-garde des Proteftans paffa par des marécages
bourbeux, ôc gagna avec quelque defordre l'autre côté du ruif«
feau. Lorfqu'ils y furent, l'armée du Roi s'arrêta ^ ôc leur don-
na le loifir de fe reconnoître. La Noue avoue qu'elle eut pu
dès ce moment remporter une victoire pleine ôc entière, fi elle
i/eut point donné de relâche aux ennemis qui fe retiroient.
L'armée Cathohque s'étant arrêtée , celle des Proteftans en
fît de même. Coligni , qui avoit fait la faute de fe retirer en pré-
fencedes ennemis, qu'il croyoit éloignez fur le rapport de fes
coureurs , voulut la reparer : il exhorta donc fes troupes au
combat, parla en particulier à tous les officiers généraux, ôc
leur fît de grandes careffes. 11 conjura les Allemands, qui ve-
iioient de lui prêter ferment, de ne point fe décourager : il
s'excufa de la faute que l'ignorance du lieu où étoit le duc
d'Anjou lui avoit fait faire : il leur dit que le pafTage duruif-
feau l'avoit tout-à-fait réparée 5 que l'occafion de combattre
qu'ils avoient tant déiîrée , ôc qu'ils avoient même demandée
avec un peu trop de vivacité , ne pouVoit jamais être plus bel-
le p qu'il falloir remercier Dieu de ce que le Général des enne-
mis venoit de lui-même leur prefenter la bataille.
Après leur avoir parlé de la forte avec beaucoup de pre-
fence d'efprit ôc de fermeté, pour leur perfuader encore plus
qu'il ne diffimuloit ôc ne craignoit rien , il leur donna un
confeil très-hardi , ôc que plufieurs jugèrent téméraire , mais
qui dans l'état 011 étoient les chofes , fembloit être d'une né-
ceiïité abfoluë : ce fut de rcpaffer le ruiffeau , ôc d'aller atta-
quer les troupes du Roi. Il fe mit lui-même à la tête avec fa
troupe , ôc un détachement de la cavalerie de d'Acier, ôc paffa
fans ordre , comme il arrive dans tous les défilez : foutenu
des Allemands qui pafferent de même à la débandade , il char-
gea les ennemis avec tant de vigueur , qu'il mit en fuite tout
ce qu'il rencontra , prit deux drapeaux , Ôc leur tua environ
vingt-cinq hommes : mais le gros de l'armée s'étantmisen mou-
vement pour le charger , il fallut à fon tour reculer , Ôc fes
auv. .a.» uttf.miJJi^
6^2 HISTOIRE
troupes ne cefTerent point de le faire , qu'elles n'eufTent rejoint
ChaRlë ^^^'^ i^'^^^ofS"^ ^^^ s'ébranla pour les fourenir. Il y en eut qui
ly^^ furent jufqu'à Parthenai , ôc les autres jufqu'à Moncontouc
i r ^ g croyant que tout étoit perdu î la Serrée Ôc la Rivière y furent
dangereufement bleffez , ôc le dernier mourut quelque tems
après de fa blefTure.
Les deux armées commençoient à fe mettre en bataille , ôc
à fe difpofer au combat, lorfque Biron ayant placé fon canon
très-avantageufement fur des hauteurs, auprès des gorges qui
étoient au bout de la plaine, commença à tirer fur les enne-
mis. Coligni avoir pofté l'infanterie Françoife au pié de la mon-
tagne, pour la mettre à couvert du canon : mais l'infanterie Al-
lemande, n'ayant pas aiïez de terrain pour s'y placer , étoit ex-
pofée au feu de cette batterie. Il eft vrai qu'ils l'évitoient en
le jettant ventre à terre : mais les ennemis ayant mené du ca-
non dans un autre endroit , ôc ayant difpofé la féconde batte-
rie, de manière qu'elle croifoit la première, cela incommoda
extrêmement la cavalerie Allemande, qui étoit fort reflerrée.
Dès la première décharge , Charle de Mansfeld frère de Vol-
rad fut tué avec trois cavaliers. La cavalerie Françoife ibufîroit
moins , parce qu'elle occupoit un plus grand front , Ôc que les
rangs n'étoient pas ferrez en ce tems là comme ils le font au-
jourd'hui» Alors Volrad, preffépar les murmures de fes troupes,
pria Coligni de confiderer l'état fâcheux oii il fe trouvoit: ce Gé-
néral , qui n'avoit aucun moyen d'y remédier , trouva au moins
de belles paroles pour les encourager» il loua extrêmement la
fidélité ôc le courage de Volrad ôc des troupes Allemandes:
il les appella plufieurs fois les défenfeurs uniques de la liberté
Françoife, ôc par conféquent de la Religion ,ôc les exhorta à la
conftance ôc à la fermeté. La nuit qui furvint empêcha l'armée
du Roi de remporter unevidoirecomplette, ôc fauva les Con-
fédérez d'une entière défaite , comme il leur arriva encore à
la bataille de faint Denis. Laffez enfin ôc abattus par ce com-
bat lent ôc meurtrier, ils fe retirèrent infenfiblement , ôc fans
avoir fait fonner la retraite , à une bonne lieuë du champ de
bataille , ôc paflTerent la nuit entre deux rivières, dont rune,qu'on
appelle la Dire, paiïelelong des murs deMoncontour : le len-
demain ils partirent avant le ;our pour s'y rendre. Les Protef-
tans perdirent, entre ceux dont j'ai déjà parlé, un capitaine
femeux
t) E J. A. D E T H O U. Liv. XLVI. ^3^
fameux nommé de Tlfle , fix vingt hommes de pié , & vingt ca- -1
valiers. Les Catholiques n'y perdirent que trente hommes au pu ^rlb
plus. jy
Le duc d'Anjou s'étant avancé jufqu'à faint Clair, campa ^* ^
fur le champ de bataille, pour marque de fa vidoire, & ayant ^ *
fait le lendemain des détachemens pour avoir des nouvelles
des ennemis , il marcha avec toute fon armée vers Montcon-
tour. Sur ce que fes efpions l'aiïurerent que les ennemis
s'étoient portez dans des plaines fpacieufes , qui font de l'autre
côté de la Dive , fur le champ il réfolut de les forcer au com-
bat j mais comme il falloit pafler la rivière > il remonta vers la
fource du côté de la Grimaudiere, afin de la palier fans expo-
fer fes troupes. Les chofes étant en cet état , deux hommes
de l'armée du duc d'Anjou vinrent demander un pour-parlec
aux Confédérez : après leur avoir témoigné l'intérêt qu'ils
prenoient au falut de leurs concitoyens , ils firent donner avis
à Coligni d'éviter le combat , ôc de fe retirer en lieu fur i que
l'armée du Roi étoit fi forte , ôc les troupes fi remplies d'ar^
deur, qu'ils ne croyoient pas que celles des Princes fuffenten
état de leur tenir tête. Coligni ayant affemblé le Confeil de
guerre, on fut long-tems embaraffé fur la réfolurion que l'oa
devoir prendre : les uns foutenoient qu'on ne devoit pas né-
gliger des avis que l'on recevoir de fes amis, ôc qu'il falloit pré-
férer le parti le plus fur à celui qui paroifToit le plus glorieux:
les autres difoient au contraire , que c'étoit un ftratageme des
ennemis , dont les confeils doivent toujours être fufpeds. lis
ajoùtoient, que les retraites que l'on fait la nuit, ont toujours
quelque chofe de deshonojrant , fans compter qu'elles fe font
rarement fans defordre.
Cet avis l'ayant emporté , Coligni qui étoit intérieurement
pour le premier, n'ofa pas fe déclarer, Ôc difpofa tout , com-
me s'il -eut été de l'avis qui avoit prévalu. Mais il y avoir
d'autres raifons qui engageoient ce Général , malgré fa répu-
gnance, à prendre ce parti. On n'entendoit autre chofe dans le
camp que ces fortes de difcours : « Jufques à quand les Prin-
» ces , ôcles Généraux abuferont-ils de notre patience? Nous
M fommes depuis un an entier éloignez de nos maifons ,
w fans qu'on nous ait donné le prêt. Nous avons paffé l'hi-
0» ver au milieu des glaces ôcdes neiges, fans tentes, ôc expo-
a fez à unfroid fi exgeffif , que les deux années , quoi qu'eu
TomeF. ~ L|U1
^34 HISTOIRE
■ " prefence n*ont pu en venir aux mains , ôc qu'également anî-
Charle " ^^^^^ P*^^'- s'entre-détruire , elles ont manqué de force pour
I X. " ^^ faire. Aujourd'hui nous n'avons pas moins àfoufFrir de la
i ç ^ n " chaleur : nous fommes fans celle occupez , ou à faire des fié-
M gQS y OU à pafler d'un camp dans un autre, toujours au mi-
«î lieu des périls , ôc dans un payisoii tout eft contre nous. On
3' nous attaque, fans qu'il nous foit poffiblc de combattre. Nous
a» l'avons éprouvé ces jours pafTez , lorfque les boulets pleu-
■• voient fur nous , ôc que nous nous voyons emportez les uns
» après les autres , fans pouvoir tirer un coup contre ceux qui
»> nous foudroyoient. Qu'on finifle enfin nos miferes.aux dépens
» même de notre vie : il n'y a point de péril qui nous éton-
» ne: qu'on nous mené à l'ennemi^ ou qu'on nous dégage de
w notre ferment. C'efl: une grâce que de faire périr prompte-
» ment ceux qui font condamnez à mourir. »
Coligni poufifé , ou pour mieux dire , forcé par toutes ces rai-f
fons, fe réfolut au combat , ôc ayant renvoyé fes bagages la nuit,
il ordonna qu*on fut prêt à partir avant le foleil levé, ôc qu'on
marchât du côté d'Ervault. Si tout le monde avoit été prêt à
l'heure qu'il avoit marquée , il auroit pu éviter le combat. Mais
outre que la plupart des troupes ne furent pas afifez-tôt aiïem-
blées , il arriva un incident très-facheux. L'infanterie Alle-
mande déclara , qu'ils ne marcheroient point qu'on ne leur
eût donné le prêt : fur leur exemple une partie de la cavale-
rie commençant aufll à fe mutiner , il falut beaucoup de tems
pour les appaifer. Tout cela fit que le duc d'Anjou , malgré
les détours qu'il fut obligé de prendre, arriva avant que l'ar-
mée des Proteftans fût en fureté , ôc la força à courir le rifquc
d'une bataille.
Cependant Coligni jugeant par les murmures continuels de
fes foldats, qu'ils ne cherchoient qu'une occafion pour fe re-
tirer j fit venir de Parthenay les deux Princes , afin qu e leur pre-
fence les retînt : d'ailleurs il comptoit qu'ils feroient fuivis d'un
grand nombre de troupes fraiches, ôc fur-tout de beaucoup de
NoblefTe de Saintonge ôc de Guyenne : mais il fe trompa. Ils
n'amenèrent avec eux que cent cinquante chevaux , avec d'A-
cier, quirelevoitde maladie. Après qu'ils eurent falué les Gé-
néraux Allemands , ôc fait beaucoup de careffes à la NobleiTe
Françoife , leur prefence ranima dans le cœur des troupes Id
joie qui paroiflbit éteinte.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVL €3^
L'armée étant partie fort tard de Montcontour.comme je l'ai
(dit , & tirant du côté d'ErvauIt , rencontra dans la plaine d'Af- r; h ar l E
fay le duc d'Anjou , qui après avoir pafTé la Dive , marchoit j ^
en hâte pour les joindre. Il s'étoit détourné fur la gauche , pour t ç 5 a
ôter aux ennemis le moyen de gagner le bas Poitou î ôc après
avoir détaché Allard pour fe faifir du pofte d'Ervault , il avoir
envoyé ordre à la garnifon de Thouars de garder foigneufe-
ment les guez de Thoué.
D'un autre côté Coligni envoya d'Aubouiniere des Champs
avec un corps d'élite, pour fe faifir des défilez marécageux qui
font fur le chemin d'Ervault , afin qu'en cas de befoin il pût faire
fa retraite de ce côté là. Voici comme il difpofa fon armée.
Louis de Naflau.qui commandoit la bataille^avoit ordre de mar- \
cher fur la droite, ôc de s'avancer comme s'il eut voulu aller à
Ervault, ôc il lui avoit donné trois pièces de canon Ôc une coule-
vrine. Pour lui il fe mit à la première ligne , ôc s'avança vers la
gauche,par oh l'armée du duc d'Anjou devoir arriver. De Mouy ■
lefuivoitavec deux pièces de gros canon, deux coulevrines , ôC ■'
quelques pièces de campagne , ôcil avoit avec lui Puygreffier, J
la Noue, Teligny ôc Volrad de Mansfeld général des troupes !
Allemandes. Mais Mansfeld avoit donné une partie des trou- '
pes de fa nation à Louis de Naffauj ôc une partie de fon in-
fanterie à Granvillars. \
Tout étant ainfi difpofé, les Allemands fe profternent, ôc _,.,,. . I
i_ -r î r ■ ^ V r i i • ^o Bataille de
Dallent la terre, iuivant 1 ulage de leur payis , oc promettent Moncoutouu
avec ferment de faire bien leur devoir. Coligni, félon fa cou- ]
tume,rangea fes troupes de manière, que les gens de pié puffent
combattre parmi les cavaliers. Les Allemands étoient à la tête :
de tout, ôc formoient un gros bataillon fort ferré. Ils étoient
fous les ordres de Gerolzeck ôc de Granvillars : fur leurs ailes .
à droite ôc à gauche on avoit pofté les regimens de Piles, de '
Rouvrai , du jeune Briquemaut ôc de du Chelar, ôc on y avoit
entre-mêlé quatre compagnies de cavalerie Françoife ôc Aile- j
mande. La bataille étoit compofée des regimens deBaudiné, '.
de Monbrun , de Blacons, de Mirabel , ôc de Virieu , prefquc :
tous moufquetaires , ôc fort peu de piquiersj on y avoit mêlé j
de même quelques pelotons de cavalerie pour les foutenir. Les 1
volontaires étoient placez devant la première ligne , de forte; ]
qu'ils couvroient les deux aîles, i
' LlIIij
Charle
IX.
ê3^ HISTOIRE
Le duc d'Anjou avoit gardé le même ordre de bataille.
Monpenfier commandoit la première ligne; compofée de qua-
tre mille Suitres, qu'on avoit mis àl'aîle droite avec huit pièces
de canon, ôc qui croient commandez par Clery ; de cinq re-
gimens François de la Barre , de Sarlabous, des deux del'Iflej
ôc d'Onoux. Martigues qui commandoit la tête de la cavalerie,
avoit ordre de charger le premier , après les troupes armées
à la légère, qu'on placetoûjours devant toute l'armée. Il étoit
fuivi de François de Bourbon fils du duc de Monpenfier , &
de François le Roi feigneur de Chavigny : il avoit fur fa
droite le comte de Santafiore avec fes deux frères Mario Ôc
Paul, le comte de SafiTatello, Scipion Picolomini, Charle de
Birague, ôc toute la cavalerie Italienne. Derrière eux étoit Mon-
penfier , ayant auprès de lui la cavalerie Allemande comman-
dée par les deux Dietzen bâtards de Hefi!e, par les deux frères
Rhingraves , par le comte de Vefterbourg , Ôc par Gafpar de
Schomberg; tout cela compofoit dix-huit compagnies. Le duc
de Guife ôc Jean de Nogaret de la Valette eurent ordre de
refter avec les SuifTes , Ôc de fe tenir prêts à exécuter tout ce
qu'on leur ordonneroit. La première ligne étoit compofée de
cinq mille cinq cens chevaux. Le duc d'Anjou menoit le corps
de bataille > ôc avoit avec lui les ducs d'Aumale ôc de Lon-
gueville , Artus de Coffé maréchal de France j Gafpard de
Saulx de Tavannes, Honoré de Savoye marquis de Villars,
à qui le Roi avoit donné la charge d'Amiral depuis la con-
damnation de Coligni, la Fayette^ Guillaume de Montmorenci
Thoré , François de Carnavalet , Jean d'Efcars de la Vauguion,
René de Villequiers , Dupuy Vatan , Vefigny , Mailly gouver-
neur de Montreuil ? avec trois mille gendarmes, ôc deux mille
chevaux Allemands , fçavoir mille commandez par le marquis
de Bade, ôc mille autres en cinci compagnies , qui étoient fous
les ordres de Pierre Erneft dejVlansfeld,avec quelques com-
pagnies de gens de pié. Le corps des SuifTes étoit comman-
dé par Louis Fiffer , ôc il avoit devant lui Charle de Mont-
morenci ',qui étoit leur colonel général. Sur les deux ailes étoient
1 Troifiéme fils du Connétable An-
ne de Montmorenci. Il y a une faute
dans l'hiftoire généalogique du Père
Anfelme donnée par Dufourny : car il
met qu'il fut fait Colonel général des
SuifTes après 1171 ,& le voilà ici dès
Tannée if6p;
D E J. A. D E T H O U. L 1 V. XLVÎ. <?37
lesEfpagnolsôc les Flamands, que Philippe II avoir envoyez
au fecours du Roi. Derrière croient les regimens de Cofleins , Chak le
de Goas , de Fabien de Montluc , 6c de Rance, quiavoient \y^
devant eux fept grofTes pièces de canon : les volontaires de t c 6 o
cette armée étoient placez comme ceux de l'autre à la tête de
tout. Le pofte du duc d'Anjou étoit entre le marquis de Bade
ôc les SuifTes , ôc ceux-ci ctoient couverts d'un coté par la ca-
valerie de Mansfeld , Ôc de l'autre par le maréchal de CofTé :
Carnavalet eut ordre de fe tenir devantleduc d'Anjou, avec
fa compagnie de cinquante gensd'armes, tous gentilshommes
des meilleures maifons du Royaume , ôc Biron avec les ma-
réchaux de camp de fe tenir derrière lui ôc à fa droite.
Les deux armées marchant l'une contre l'autre , Biron ôc
Tavanes, en qui le duc d'Aniou avoir une grande confiance,
montent fur une hauteur voifine pour exammer mieux la con-
tenance des ennemis. Tavanes l'ayant confidérée avec beau-
coup d'attention , vint retrouver le duc d'Anjou avec un air
de gayeté , comme fi la vi£toire eut été certaine j ôc ayant af-
furé ce prince que le fucccs du combat feroit heureux , non-
feulement il remplit de joye les troupes , mais il leur donna
une ardeur extrême d'en venir aux mains. Le duc d'Aniou
ayant exhorté fes foldats à marcher, non pas au combat, mais
à une vidoire alTurée, s'avança dans l'ordre que je viens de
dire fur les huit heures du matin. Auiïi-tôt le canon des enne-
mis commença à tirer j celui des Catholiques y répondit avec
un bruit fort fuperieur : mais quoique leurs coups fuffent plus
fréquens , ils faiîbient moins d'effet, parce qu'on tiroit trop bas,
ôc que le coup du boulet fe rompoit contre la terre.
Dans ce moment Tavanes ayant confeillé au duc d'Anjou
de faire tourner fes troupes un peu fur la gauche , Coligni
qui vit ce mouvement , fit avancer les fiennes fur la droite ,
pour fe ménager une retraite du côté d'Ervault. Le premier
choc fut contre les volontaires des Confédirez, qui furent tail-
lez en pièces ou diflipez. Alors Monpenfier , par le confeil
de Coffé , ouvrit fes rangs pour donner paffage au duc d'Anjou
qui s'avançoit. Les Princes en ce moment exhortèrent leurs
troupes à fefouvenir, que c'étoit là le moment décifif du falut
ou de la ruine de leur parti , ôc que l'un ôc l'autre dépendoit de
la manière dont ils combattroient j après quoi ils retournèrent
Lliliij
63^ HISTOIRE
I à leur polie. Coligni,quivitque Monpenfiervenoit le charger
C H A R I F ^^^^ toutes fes forces , envoya prier Louis de Naflau , qui com-
T y mandoit fous les Princes^dclui envoyer quelciues efcadrons Al-
^* lemands. Nailaujentrainé par le defir de combattre,fit une gran-
"^ de faute : car au lieu d'envoyer le fecours que Coligni de-
mandoit, il quitta fon porte & le mena lui-même. Au(Iî-tôt
Monpenfier détacha Martigues, qui après un rude combat
fit plier de Mouy , ôc le culbuta fur fon infanterie. Après quoi
Monpenfier chargea vigoureufement Coligni , & fut reçu de
même. Le combat fut meurtrier ôc long - tems douteux , en-
forte que les Proteftans crièrent plufieurs fois vidoire. Mais
Coligni ayant été blefle à la joue, d'un coup de piftolet qu'on
lui tira de côté, & ayant envain taché de cacher fa bleffure,
fut enfin contraint de fe retirer de la mêlée. Il le fit le plus
fecretement qu'il put. D'Autricourt qui avoit enfoncé la ligne
qui étoit devant lui, ôc qui dans la chaleur de l'adion étoit
pafle au-delà , y fut tué. Le duc d'Anjou , averti par Tavanes
que l'armée du Roi phoit , s'avança au-delà des SuifTes^ ôc fe
jettant au milieu de la mêlée rétablit le combat. Mais il cou*
rut grand rifque j car au premier choc le marquis de Bade,
qui étoit à côté de lui avec fa cavalerie Allemande , y fut tué.
Vi(fîoiiede Le maréchal de Coffé , qui étoit à la gauche des Suifles , ôc
l'aniiée du • > • r • j ' "
Roi. ^^^ n avoit encore fait aucun mouvement, attendant toujours
le moment d'agir , vint fort à propos le fecourir. Sans ce fe-
cours , perfonne ne doute que les Proteftans n'eufient rem-
porté la vi6loire. Comme ils étoient fatiguez , ôc inférieurs en
nombre , ces troupes toutes fraiches les repouflerent , ôc les
firent pHer. Biron ôc les maréchaux de Camp arrivant en mê-
me-tems les mirent en déroute. La cavalerie Allemande dans
fa fuite paffa fur le ventre à l'infanterie de la même nation ,
qui avoit été déjà fort maltraitée par les SuifTes de farmée du
Roi , après un combat très-obftinéî ce qui arrive toujours en-
tre ces deux Nations , par la jaloufie qu'elles ont l'une contre
l'autre. Cette cavalerie qui fuyoit , paflant au milieu d'eux ;
comme par une brèche , les fepara , ôc donna moyen aux
Suiffes de les attaquer de toutes parts , ôc d'en faire un horri-
ble carnage. Ils eurent beau jetter leurs armes ôc deman-
der quartier j ils furent tous maflacrez fans pitié. Trois mille
François , qui étoient à côté d'eux , furent envelopez par \ç%
DE J. a: de THOU, Liv. XLVI. €-^o
Sulfles , Ôc par la cavalerie du Roi. Mais le duc d'Anjou or- ^
donna qu'on leur fit quartier; il y en eut cependant environ Charle
mille tuez : le relie de l'infanterie Françoife s'étoit mife en IX.
fureté par la fuite. De quatre mille fantaflins Allemands , il i 5 <^i?«
n'en relia que deux cens j qui furent fauvez par l'humanité de
quelques-uns des vainqueurs , & que le Roi renvoya dans leur
payis avec Hedor Reilen leur commandant. Les débris de
l'armée battue fe retirèrent , les uns à Parthenay ^ les autres à
Nyort ; il y en eut à qui la peur donna des ailes , ôc qui s'en-
fuirent jufqu'à la Rochelle ôc jufqu'à Angoulême. Louis de
Naffau ôc Volrad de Mansfeld fe retirèrent en bon ordre du
côté d'Ervault , ôc arrivèrent bien avant dans la nuit à Parthenay.
Le duc d'Aumale, Biron, Thoré ôc les maréchaux de Camp
les pourfuivirent affez long-tems, mais envain. NalTau, égale-
ment brave ôc habile dans la guerre, fe retira devant eux, fans
qu'ils pulTent l'entamer. Le foldat qui fe fouvenoit encore de
, ce qui s'étoit palTé à la Roche- Abeille , ôc à Sainte Colombe , ôc
de ceux qu'on avoit malfacrez en Bearn contre la foi publi-
que, fit un carnage horrible. Sans compter la perte des Alle-
mands dont j'ai parlée il y périt deux mille fantaflins François
ôc bien trois cens cavaHers. Il y eut grand nombre de chevaux
bleffez. Ceux qui veulent compter les valets , les goujats ôc
tous ceux de cette efpece , qui périrent ce jour-là , font le nom-
bre des morts bien plus grand. L'artillerie ôc les bagages des
Allemands , furent pris , Ôc prefque tous leurs drapeaux : les
troupes Françoifes ayant envoyé leurs bagages à Nyort ôc à
Parthenai avant le combat, les fauverent par ce moyen. En-
tre les morts illurtrcs , on compta Tanneguy du Bouchet , fei-
gneur de Puygreffier ancien officier , d'Autricour, le frère
de Biron j ôc Saint Bonnet : entre les prifonniers on compta la
Noue , qu'on eut bien de la peine à arracher des mains du
foldat furieux : d'Acier ^ fut pris par Santafiore, qui lui ayant
fauve la vie, contre les ordres exprès qu'il avoit de Pie V.*
encourut la difgrace de ce Pontife : cependant fa Sainteté ren-
voya depuis d'Acier fans rançon ^ pour montrer que cen'é-
toit pas pour de l'argent que fes troupes faifoient la guerre ,
1 Jacque de CrufTol , qui fut depuis
duc d'Ufez.
i Si Santafiore lui avoit obéi , Jac-
que de CrufTol ne fe feroit pas conver-
ti , ëc n'auroit pas laiife une fi illuitre
poftcritc.
^4û HISTOIRE
. n^ais feulement pour exterminer les hérétiques : c'eft ce que
/n rr , „ T r- ^^^ Jérôme Catena dans la vie de ce Pape.
^HARLE T>. ^ ^ j r> u \- -i ' *
I X ^^^^ Catholiques il n y eut que cinq cens cava-^
,' lierstuez? mais il y périt des perfonnes d'un grand nom, en-
^ ^' tr'autres l'aîné des Rhingraves , Philbert marquis de Bade , ÔC
Clermont de Dauphiné, François Saflatello, Francifquin de
Peroufe , ôc Scipion Picolomini lieutenant du comte de Mon-
tacuti. Pierre Erneft de Mansfeld fut blefle dangereufement
au bras 5 le jeune Rhingrave fut auiïi bleffé , ôc le duc de
Guife reçut au pie un coup ; dont il fut long-tems boiteux-
Gafpard de Schomberg , quoique blelTé à la cuilTe , paffa la
nuit fur le champ de bataille avec fes Allemands, pour mar-
quer qu'ils étoient victorieux : Mailly ôc Baffompierre furenc
pareillement bleffez : mais ils guérirent tous. Ce fut le troifié^
me d'0£lobre que cette bataille fe donna.
Le duc d'Anjou, qui étoit arrivé à S. Generoux ^ fort avanC
dans la nuit, envoya de là Albert de Gondi comte de Retz
porter la nouvelle de cette victoire au Roi, qui étoit à Tours.
Le bruit s'en répandit bien-tôt par toute la France , Ôc de là
en Italie : la joye en fut univerfelle , ôc on ne douta prefque
pas que le parti Proteftant ne fut ruiné fans refTource. Les Gé-
néraux de ce parti qui s'étoient difperfez dans la déroute, fe
ralTemblerent à Parthenai , ôc y ayant tenu confeil , ils envoyè-
rent des députez en Angleterre j enEcoffcen Dannemarck,
d'où Saint Simon étoit arrivé depuis peu , ôc chez les SuifTes,
avec ordre de diminuer le plus qu'ils pourroient la perte qu'ils
venoient de faire , de remontrer à toutes ces PuifTances l'inté-
rêt qu'elles avoient à prendre de leur défenfe , de leur réprefentec
le péril commun , ôc de leur demander un prompt fecours. Le
cardinal de Châtillon ôc le vidame de Chartres ^ , qui étoient
enAngleterre, foUiciterent vivement la reine Ehfabeth. Cette
Princefle ne fe contentant pas d'entrer par elle-même dans
leurs intérêts, envoya des ambaffadeurs à tous les Princes Pro-
teftans fes alliez, pour les prefler de fournir des fecours poui*
une caufe qui leur étoit commune.
Cependant les Généraux, avec ce qui leur reftoit de trou-
pes , fortirent de Parthenai fur les trois heures du mann j après
I Sur le Thoué , 8ç fur le chemin de Montçontow 4 Tbouars.
f, Jean de Ferrierç^
s'être
DE J. A. DE THOU. Liv. XLVI. ^41
S^êtte rafraîchis, autant que le peu de tems qu'ils avoient le ;
put permettre , ôc prirent la route deNyort, où ils arrivèrent Charle
le cinquième d'0£tobre : le même jour Henri de Chum- I X.
pernoun arriva dans leur camp avec cent Anglois très-bien i$6g'.
équipez. La reine de Navarre ôc les Princes lui firent un ac-
cueil très-honorable. Il avoir fur fon étendard ces mots pour
devife Det mihi virtus Finem\
Les Princes ayant donné ordre aux affaires , autant que la
conjondture le permettoit :, laifferent à Nyort de Mouy qui étoit ^
un excellent officier , avec une garnifon affez forte pour arrê-
ter quelque-tems l'armée vi£lorieufe, ôc ils fe retirèrent à S.
Jean d'Angely : ils y trouvèrent Armand de Clermont de
Piles , qui travailloit fans relâche à fortifier cette place 5 outre
ce qu'il avoit déjà de troupes , on lui donna cinq cens mouf-
quetaires , avec la compagnie de cavalerie de la Motte , Pujols
& les moufquetaires de la Mure. Doriol , gentilhomme de
Saintonge qui commandoit dans la ville :, remit de lui-même
le commandement à de Piles j on envoya auffi quelques trou-
pes à Angoulême. Après ces précautions, les Princes s'en allè-
rent à la Rochelle , la feule ville où ils pufîent demeurer en
fureté après une fi grande perte, ôc qui, au jugement même de
la Noue, ne fervit pas moins pour lors aux Proteftans , qu'Or-
léans leur avoit été utile dans la dernière guerre. Car outre
la force de cette place , ôc l'avantage de fa fituation , on ne
f<çauroit exprimer combien la flotte, qu'ils y avoient con-
flruite ôc équipée , leur procura de fecours pour fubvenir aux
frais de la guerre.
Le duc d'Anjou pendant ce tems-là ne demeuroit pas dans
i'inadlion : perfuadé par l'avis des officiers généraux de fon
armée , qu'il falloit pourfuivre vivement les ennemis , il mar-
cha d'abord à Parthenai , où il ne trouva perfonne : de là
il s'en alla à Nyort. A fon arrivée de Mouy , ayant fait une Dc Mouy
fortie vigoureufe avec fa compagnie de cavalerie , reçut en eft airailinc.
rentrant dans la place un coup de piftolet de Louviers More-
vel , qui après une trahifon fi déteftable , fe fauva dans le camp
du duc d'Anjou, fur un cheval excellent, que de Mouy lui avoit
donné quelques jours auparavant. Cet afIalTin , qui s'eft rendu
1 Ces mots peuvent fîgnifier : c^ejî par la vçrtu que je veux arriver à mon but ;
pu Puiffai-je mourir en brave homme.
Tome V, Mm m m
d0 HISTOIRE
. fameux de notre tems , avoit été élevé Page dans îa maifori
r^ry s T. r T^ dcs PriHces Lorrains , ôc il y avoit donné des marques de fon
T-v mauvais naturel : car le gouverneur des rages 1 ayant un jour
A fait châtier févérement pour une faute qui le meritoit , il le tua
'en traître;, 6c pafTa chez les ennemis un peu avant le combat
de Renty. Après la paix faite avec l'Efpagne , ce deferteur
trouva moyen de s'infmuer de nouveau chez les Guifes. Dès
. xjue le Parlement eut mis la tête de Coîigny à prix ^ il s'of-
^ frit pour cette exécution ^ôc ayarttreçude l'argent d'avance;
il pafla dans le parti des Princes ; Ôc fe montra très-zelé, pour
leur religion, qui lui paroifToit, difoit-il ,plus pure que i'autreJ
Pour s'afTurer encore d'avantage leur confiance , il inventa cent
menfonges , ôc aflura que les Guifes lui avoient fait des injus-
tices atroces. Après avoir tenté plufieurs fois, mais toujours
envain, d'exécuter ce qu'il avoit promis , confidérant d'un côté
le péril auquel il s'expofoit , ôc ne voyant d'ailleurs aucune
apparence de réunir, pour ne pas s'en retourner fans avoir rien
fait, il lia avec de Mouy une amitié très-étroite , ôc vécut allés
long-tems avec lui dans la plus grande union. Enfin voyant
les armées fi proche , il fongea à profiter de l'occafion , ôc il
exécuta contre Mouy , qui tenoit le premier rang après Coli-
gni dans le parti des Confédérez , ce qu'il n'avoit ofé entre-
prendre contre Coligni même. C'eft ce meurtre qui le fit périr
depuis , comme il le meritoit ; mais la vengence qu'on en
tira fut funefte à Ces auteurs , comme nous le verrons dans la
fuite. Mouy ne mourut pas fur le champ du coup qu'il reçut;
mais il fe vit hors d'état d'agir: il quitta Nyort par le confeil
de fes amis , ôc s'en alla d'abord à Saintes , ôc enfuite à la Ro-^
chelle , où il mourut peu de tems après,
le "Roi fe Sa retraite découragea la garnifon de Nyort : la Brofie ;
!ie"Nyort,'^de ^^^ avoit défcudu Cette place contre le comte de Lude, s'é-
I.ufignan, & tant retiré avec trois cens moufquetaires, les habitans ouvrirent
d^mres pia-j j^^j.^ ^^^^^^ ^^ ^^^ d'Anjou. Le Roi, la Reine, ôc lecardi-
-nal de Lorraine s'y rendirent prefque auffi-tôt , afin d'affermik'
parleur prefence la victoire qu'on venoit de remporter. Les
Confédérez perdirent encore dans le même tems Lufignan ^
qui étoit la meilleure fortereffe de toute la Province. Pons de
Mirambeau, qui y commandoit, fatigué des murmures conti--
auels de fcs foldats ^ Ôc ne voyant aucune efperance de fecours>
D E J, A. D E T H O U , L !^: XLVL '^41
tprcs plufieurs fommations qui lui furent faites par Lanzac fon -
proche parent , fe îaifla enfin perfuader , ôc rendit cette im- ^ '
portante place , à condition que lui & fa garnifon auroient vie j^ ^
& bagues fauves : cela ne lui fit pas honneur , & il en fut de-
puis blâmé. Puviaut de Claveau , qui n'étoit pas encore bien ^ ^^
guéri de fa blefTure abandonna aullî Fontenai , fentant bien
qu'il n'étoit pas en état d'y foûtenir un fiége , & il fe retira à Ma-
rans , qu'il fe chargea de défendre, moyennant les fecours qu'on
lui envoya. Lornay, qui étoità Châtelleraud avec une com-
pagnie de cavalerie, 6c avec les moufquetaires du capitaine
Morans, fortit de la place fur la fimple fommation d'un Héraut
envoyé par le duc d'Anjou. Les garnifons de Chauvigni fur
îa Vienne , de Rochepozai , de l'Angle , de Prully , ôc de
Clairvaut , vinrent le joindre , ôc prirent leur chemin par le
Blanc en Berry , pour s'en aller à Sancerre ôc à la Charité.
Après la déroute de Montcontour , Gornay capitaine fort
brave , avoit en fe retirant furpris Bourg-dieu ' , place très-
forte par fafituation. Montluc, Panfieres ôc duFauxj étoient
dedans avec beaucoup d'autres officiers ; mais ils trouvèrent
moyen de fe fauver des mains des Proteftans. Au bruit de cette
prife , la garnifon de Châteauroux , qui n'en eft qu'à une por-
tée demoufquet, ôc celles des autres poftes voifins, y accou-
rurent en fi grand nombre , que Gornay jugea qu'il lui feroit
impoffible de fe défendre contr'eux : mais il arriva fort à pro-
pos que Lornai vint le joindre avec les troupes qu'il avoit dans
Châtelleraud. Briquemaut y étoit déjà arrivé avant lui ', celui-
ci qui fortoit d'une grande maladie , s'étant mis en marche
avec fa troupe , fut attaqué par les payifans , ôc par d'autres
gens qui s'étoient joints à eux : ayant perdu fes bagages , ÔC
une partie de fon monde , il arriva enfin à Bourg - dieu ,
mais ce ne fut pas fans peine. Y étant retombé malade , il
fut forcé de s'y arrêter quelque-tems. Ces garnifons fi voifi-
nes étoient tous les jours aux mains , ôc il y eut plus de deux
cens hommes tuez de part ôc d'autre , la Fortune fe décla-
rant tantôt pour ceux-ci , tantôt pour ceux-là. Enfin Clau-
de de la Châtre Gouverneur du Berry ayant aflfemblé les gar»-
nifons des environs ôc fait venir des troupes de tous cotez,
1 Petite ville du Berry fur la rivière d'Indre.
M m m m ïj
^44 HISTOIRE
, invertit le Bourg- dieu :, & il n'y a pas à douter qu'il ne l'eût
Charle foi^cé,fans Guerchy, qui fortit de la Charité avec un corps
IX. ^^ troupes d'élite , pafTa , je ne fçai fi je dois dire hardiment ou
I - ^ g témérairement , dans une faifon très-defavantageufe , toutes les
rivières qui ctoient fur fa route, ou à gué ou à la nage , ôc vint
délivrer la garnifon de Bourg-dieu , qu'il conduilit dans un
lieu , OLi elle n'avoit rien à craindre. Peu de tems après la mes-
intelHgence fe mit entre Bois ôc Guerchy , & peu s'en fallut
qu'elle ne ruinât les affaires des Proteftans j du moins elle re-
tarda beaucoup leurs progrès.
Il y avoir long-tems que les troupes du Dauphiné & du Lan-
guedoc demandoient la permifîion de retourner dans leurs mai-
fons. Coligni les avoir toujours amufées par de belles paroles ,
ôc fous prétexte d'un combatprochain, les avoit retenues dans
fon camp. Ennuyées de la guerre , après avoir communiqué
leur deflein à Verbelet ^ frère de l'évêque du Puy , elles s'en
allèrent à Angoulême fans demander congé ; & y ayant été
jointes par beaucoup d'autres , il s'y trouva quatre cens che-
vaux & quelques moufquetaires. Monbrun, Mirabel , Quinteh
Verbelet ôc Pontez s'étant mis à leur tête , le 14. d'Odobre ,
traverferent le Perigord ôc arrivèrent deux jours après à Soûil-
lac ^ , où ils comptoient paffer la Dordogne à gué : mais la ri-
vière étant groflie^ il ne fut pas poffible de le faire. Le tems
qu'ils perdirent à chercher des bateaux, les empêcha de paffeu:
aufïî promptement qu'il étoit néceffaire pour leur fureté. Ainii
\qs garnifons des poftes voifins s'étant raffemblées à Sarlat ,
vinrent fondre tout d'un coup fur les moufquetaires , dont
plufieurs avoient déjà pafle la rivière , ôc les ayant mis en de-
fordre fans beaucoup de peine , elles en dépouillèrent une
partie , ôc noyèrent les autres. Quintel fut fait prifonnier
avec Mormoiron ôc Sarrai : mais ce dernier fut mis en liberté
peu de tems après. Ceux qui avoient pafle la rivière étoient
dans une grande fécurité : mais le bruit les ayant reveillez, ils
prirent les armes , & s'étant mis en bataille , ils prévinrent le dan-
ger dont ils étoient menacez. Car ayant abandonné leurs com-
pagnons , ôc traverfé le Quercy ) jufqu'au château d'Acier , ils
îe rendirent heureufement à Aurillac , ville d'Auvergne, dont la
Beffonniere s'étoit depuis peu rendu maître par furprife*
i Petite ville du Quercy.
DE J. A. DE THOU, Lïv. XLVI. 6^^
Après l'arrivée du Roi à Nyort , on tint confeil fur ce qu'il
y avoit à faire: les uns prétendoient qu'il falloit pourfuivre fans r» r, . n » r^
■'..11 . i . P . 1 ^ ^ ^ ... LiHARLE
relâche les ennemis qui ruyoïentj queli on les pouvoir join- -.y
dre , on les déferoit fans peine? que s'ils fe jettoient dans des , ^-/^ q
places , on les y forceroit , & qu'on les feroit tous prifonniers,
Les autres foûtenoient que ce projet étoit chimérique ; que les
ennemis avoient jette toute leur infanterie dans les places , ôc
qu'à l'égard de leur cavalerie , comme elle marchoit fans ba-
gage, il netoit pas pofTible de la fuivre: que le fruit de cette
grande victoire devoit être de s'emparer des places qui étoient
entre les mains des ennemis , qu'il y en avoit déjà beaucoup
qui s'étoient rendues , ôc qu'avec un peu de diligence 6c de vi-
gueur on obligeroit les autres à fuivre leur exemple ; qu'il fal-
loit attaquer leur capitale pour les chafTer tout à fait de la
Saintongeôc du Poitou? que fi on lailToit derrière foi les places
dont ils étoient en pofTelïion , une feule fuffiroit pour les ren-
dre maîtres de toute la Province. On fuivit ce dernier avis j ôc
l'on fit en cela à peu près la même faute, que Coligni fit lorfqu'il
alla mettre le fiége devant Poitiers : car quoique les fuites n'en
ayent pas été fi funeftes, le fuccès n'en fut pas plus heureux»
La réfolution fut donc prife de s'emparer avant toutes chofes
de Saint Jean d'Angely.
Pendant ce tems là les troupes des Confédérez fe déban-
dant de jour en jour, les deux Princes, de l'avis de Coligni^
* réfolurent de lailTer le comte de la Rochefoucault à la Ro-
chelle , ôc de fe retirer d'abord en Guyenne ôc de là en Lan-
guedoc , foit pour détourner le duc d'Anjou d'afiiéger Saint
Jean d'Angely , ne doutant pas qu'il ne les pourfuivît , foit
pour y lever une nouvelle armée , ôc raffermir par leur pré-
ience les amis qu'ils avoient/ dans ces Provinces : ils en-
voyèrent pour cela des ordres à Montgommery de les atten-
dre à Montauban , ôc firent dire aux Vicomtes de raflembler
le plus de troupes qu'ils pourroient ; qu'ils arriveroient incef-
famment , ôc qu'il étoit d'une grande importance qu'ils trou-
vaflent à leur arrivée leurs ordres exécutez. Ils partirent donc de
Saintes, avec ce qu'ils avoient de cavalerie Françoife ôc Alle-
mande, ôc environ trois mille hommes de pied conduits par
Rouvrai , ôc arrivèrent le vingt-cinq d'0£lobre à Argental
fur la Dordogne. La Beflbnniere , qui venoit de furprendre
M m m m iij
lïi^p.
6^â HISTOIRE
. ■_!_, Aurillac ; s'y étoit aufîî rendu, afin de tenir des batteaux prêts
Charle pourpafler les Princes ôcleurs troupes: on employa huit jours
IX. ^ ^^ paflage.
Ils fommerent Bord ^ petite ville d'Auvergne î mais elle re-;
fufli d'ouvrir fes portes , ôc pour détourner l'orage , elle don-
na deux mille écus d'or aux 'Princes , 6c le pafTage libre à leurs
troupes. Après avoir jette ainfi l'épouvante en Auvergne, com-^
me 11 le fort de la guerre eût du tomber fur cette Province ;
les Princes traverfercnt le Rouergue ôc le Qucrcy , ôc ayant
pafTé le Lot au-deflbus de Cadenat , ils allèrent à Saint Mar^»
tin, à Cauiïade , ôc de là à Montauban , où Montgommery,
qui revenoit vi^lorieux de Bearn , avoit reçu ordre de les at-
tendre avec fes troupes ôc celles des Vicomtes. Monbrun ôc
Mirabel étoient déjà arrivez à Aurillac, ôc s'étoient logez à
Arpajon pour y rafraîchir leurs troupes. Foulques s'y étoit ren-
du par un autre côté, avec environ foixante cavaliers: de là
pourfuivant fa marche avec Mirabel , il rencontra la garnifon
de Roûillac , qui jointe avec les payifans , s'étoit poftée fur
le fommet des montagnes, ôc avoit bouché tous les défilez. lî
entreprit de forcer le paffage : mais il fut repoulTé ôc contraint
de retourner à Arpajon. A la fin cependant ayant palî'é le Lot
ôc traverfé le Rouergue ôc les Cevenes , ils arrivèrent tous
heureufement à Privas , ôc de là à Aubenas dans le Vivarez.
Monbrun ^ refta malade à Aurillac. Les Princes avoient don-
né le gouvernement de cette place ôc de toute la province à
.Verbelet , avec ordre d'y faire des troupes : il y leva fept
cens moufquetaires ôc trois cens gens-d'armes, ôc il fit payer
de grandes femmes au payis pour les frais de ces levées.
Saint-Heran gouverneur d'Auvergne avoit ramaffé à la hâte
quelques troupes pour reprendre Aurillac. Mais l'arrivée des
Princes lui ayant fait abandonner cette entreprife , il attaqua
le château de Saint Sulpice ôc le prit. Saillant qui en étoit
Gouverneur , étant malade , y fut tué. Sa femme qui avoit
un courage mâle, ôc qui avoit, dit-on , blelTé Saint-Heran à
cette attaque , fut emmenée par le vainqueur à Saint Flour.
Après que les troupes du Roi eurent levé le fiége de laCharité,|
1 Vilîe fur la Dordogne, fur la fron- neve. Cependant fans ces mots il n'y a
tiere du Limoufin ôc de l'Auvergne. point de fcns. Je l'ai rétabli fur i'edvs
2 Cela n'eil pas dans l'édition de Ge- tion de Drouart,
DE J. A. DE THOU , tïv. XLVI i^4>
Sanfac refta dans le payis pour tenir les peuples dans le de- - ]
Voir 3 mais dès qu'il eut appris la vitloire de Montcontour, ^ ^ i
il crut qu'il failoit profiter de l'occafion pour faire des conque- tv '
tes dans la Bourgogne , ôc dans le Nivernois. Pour cela il affem- / ,
ble une nouvelle armée compofe'e de huit compagnies de ca- ^ ' '-'
yalerie & de trente-deux enfeignes de gens de pié, comman- i
dez par Edouard de FoifTy, ôc ayant pris quatre grofles pièces ;
de canon , ôc deux coulevrines , il marcha à Donzy pofte corn- \
mode pour les convois ^ mais foible. Le capitaine Bois qui y \
commandoit , l'abandonna à fon approche , ôc fe retira avec
fes foldats à la Charité. De là Sanfac marcha à Noyers : la I
garnifon lui rendit la place , à condition d'en fortir vie ôc ba- i
gués fauves. Mais la plupart des foldats , malgré la capitula- ;
tion , furent menez à Troye , où le peuple furieux les maf-
facra inhumainement. Vezelai ^ qui eft une des meilleures j
places de Bourgogne, avoit été furpris dès le commencement ;
de la guerre par du Tarot j aidé de quelques Gentilshom- i
mes Proteftans du voifinage. Ils efcaladerent la place au point i
du jour j dans le tems qu'on changeoit les gardes : c'étoit Sara- !
îzin, capitaine brave ôc adif, qui y commandoit alors avec une •
compagnie d'infanterie. Guerchy ayant appris que Sanfac fe ^^^p ^^ î
préparoit à l'attaquer , y envoya deux autres compagnies : sa^fac! " '
fur le bruit qui courut de ce liége 3 BlolTet Ribaupierre ôc
Befanfeu fe jetterent dans la place , la croyant d'une grande \
importance pour tenir la province dans le devoir. Vezelay !
eft fitué fur une montagne fort haute ôc efcarpée de tous ;
cotez , excepté d'un côté par oii l'on y aborde aifcment : i! j
a d'ailleurs de bonnes murailles ôc de bonnes tours. Le fixié- \
me d'OiStobre Sanfac reconnut la place, ôc s'alla enfuite pof- 1
terà Acquiens ôcà Saint Père qui font deux villages fituez au !
au pied de la montagne. Deux jours après il envoya trois com- :
pagnies pour invertir la place du côté de la porte de Barlequi
touche à l'églife de Saint Etienne. La garnifon fit fur eux une \
vigoureufe Ibrtie , ôc mit en fuite deux de ces compagnies » '■
tandis que la troifiéme fe tenoit dans les vignes des envi-
ions. Le dix du mois d'Août il ouvrit la tranchée ôc com- ^
mença à battre la porte de Barle : au bout de deux jours un ^ ^
pan de la tour tomba. Deux jours après il fit tranfporter fon i
canon vis-à-vis la porte du Guichet , ôc y pofta huit compagnies. '
-^4S HISTOIRE
,„_,^^_,_^,^,^,_^ Lorfqu'il y eut brèche de ce côté - là , il fit attaquet les deux
~ ~~~ brèches tout à la fois , ôc en même-tems on planta les échelles
Char LE ^jj côté des Cordeliers , afin de diviferles forces desaffiégez.
^' On y combattit avec beaucoup de valeur de part & d'autre.
l S ^ 9» Lgs habitans , qui craignoient d'être pillez , fécondèrent lagar-
nifon avec beaucoup de fidélité ôc de courage , ôc firent fi bien
leur devoir j que la place ne fut pas emportée. Il y avoir cepen-
dant un traître dans la ville,nommé Albert de la Chafle^qui écri-
voit à Sanfac tout ce qui s'y pafToit, lui faifoit connoître les en-
droits les plus foibles ôc les plus aifez à battre , ôc lui jettoit
{qs lettres par deffus le mur avec une fronde : il avoit enga-
gé un maître d'Ecole de la ville dans fon complot ; mais il fu-
rent découverts , ôc punis de mort l'un Ôc l'autre. Il y eut beau-
coup de monde tué à cet afTaut , ôc entr'autres Sarrazin gou-
verneur de la place.
Sanfac changea encore fon canon de place , ôc le pointa
contre l'Eglifedes Cordeliers. Tous ceschangemens donnoient
beaucoup d'efperance à la garnifon déjà encouragée par {^qs
premiers fuccèsj de forte que Sanfac ayant tenté un fécond
aflaut inutilement , prit le parti , quoi qu'à regret , de lever le
fiége, après y avoir perdu trois cens hommes , refolu ce-
pendant d'y revenir. Comme fon canon n'étoit plus en état
de fervir, il alla à Avalon pour en prendre d'autre, ôc vint
une féconde fois attaquer la place. Mais ayant trouvé la mê-
me refiftance que la première fois , il eut le même fuc-
chs. Ainfi voyant qu'il ne la pouvoit prendre de force, il re-
folut de changer le fiége en blocus , afin de la prendre par fa-
mine h ce qui ne lui réuffit pas mieux que le refte. Car Bri-
quemaut ôc Guerchy y firent entrer plufieurs convois , ôc
ayant forcé les poftes des afiiégeans , entrèrent dans la pla-
ce , relevèrent le courage de la garnifon , ôc la déterminè-
rent à fe défendre jufqu'à la dernière extrémité. Depuis le mois
d'Octobre jufqu'au 1 6 de Décembre que Sanfac leva abfolu-
ment le fiége, il perdit plus de mille cavaliers , ôc entr'autres
Edouard de Foifiy qui commandoit fon infanterie, outre ce
qu'il avoit perdu au premier fiége.
Prefque.dans le même tems , les Confédérez s'emparèrent de
Nîmes par un ftratageme bien conduit. Cette ville eft capi-
tale de la Gaule Narboçpife 5 mais outre {qs richeiïes , ôc \qs
ouvrages
DE J. A. DE THOU,Liv.XLVL €4^
ouvrages modernes dont on l'a embellie , il n'y a point eu de „
ville dans tout l'empire Romain, à la referve de Rome, qui /-^ ^
puifTe lui être comparée, par rapport à ks monumens d'une jy
antiquité refpettable : amphiteatre , palais , temple de Vefta ^ ^ '
nors de la ville , de tous cotez on ne voit qu anciennes rui-
nes , ôc que morceaux d'une beauté admirable , qui dans l'état
déplorable où ils font, peuvent le difputer encore aux Palais
modernes de nos rois. On y voit cette fameufe fontaine dont
les anciens ont tant parlé , nommée comme la ville * , & qui * ^ons Kei
lui fut dans la circonftance dont il s'agit très-fatale. Les Protef- "^'"*-^"''
tans , dont le payis eft rempli , y étoient très maltraités : les
uns avoient été bannis, les autres dépouillez de leurs biens
& de leurs charges par Saint André gouverneur de la ville >
vieillard colère jufqu'à la férocité , comme font ordinairement
les Languedociens , dont l'amour & la haine vont toujours
jufqu'à l'excès. Ces Proteftans brûlant de l'envie de fe ven-
ger, ôc de retourner dans leur patrie, mettoient tout en œu-
vrer confeils, exhortations aux amis qu'ils avoient dans la vil-
le, force, rufe, tout étoit employé pour recouvrer leurliberté
ôc leurs biens.
Une grande partie de ces bannis s'étoit retirée à faint ^ Gê-
niez , qui n'en eft pas éloigné , & ils avoient fortifié d'un fofle
& d'un rempart ce pofte , que les Catholiques avoient déman-
telé. Comme ils y tenoient confeil fur leurs afFaires,un Charpen^
tier de CauvifiTon ^ nommé Aladaron , à qui l'on promit une re-
compenfe,dit qu'il fçavoit un moyen de les rétablir dans leur pa-
trie. La fontaine dont je viens de parler eft fi abondante, qu'elle
fait moudre quantité de moulins dans la ville , ôc au dehors :
elle pafle entre le château 6c la porte des Carmes, & entre
dans la place par un canal fermé d'une grille de fer.
Au-deflus, & tout auprès du château, où commandoit le
capitaine Aftoul , il y avoit une guérite, où l'on mettoit une
fentinelle , qui changeoità toutes les heures de la nuit. Lorf-
qu'elle fortoit de fa£tion, elle fonnoit la cloche du château >
pour avertir le foldat qui devoit lui fucceder de venir prendre
ù. place ; or il fe paflbit toujours quelque tems avant qu'il ar-
rivât. Madaron le remarqua, & ayant communiqué fondeflein
à un de fes amis , qui avoit une petite maifon attenant la
i Bourg du diocefe d'Uzez. l z Petite yjllc entre Nimes & Montpellieit»
Tome /^. JvTnnn
^<ô HISTOIRE
ri _ ■ citadelle , êc fort près du foiïe de la ville , il entreprît de limer
C H A R T F ^^^ barreaux de fer. Voici comme il s'y prit : lorfqu'il defcen-
jy doit dans le foflé, il mettoit autour de lui une corde , que fon
^* ami, qui ctoit dans ville , lui jettoit, ôc qu'il tiroir ou lâchoit
^ quand la fentinelle s'en alloit ou arrivoit, pour avertir Madaroii
de reprendre ou de ceflfer fon travail. C'étoit le lignai dont ils
étoient convenus entr'eux, & lorfque le jourapprochoitil cou-
vroit les endroits limez de cire & de boue, & s'en alloit fans bruit.
Il eut tout limé en quinze nuits, mais non pas de fuite j il choifiA
foit celles où il y avoit le moins de Lune, & où le ciel étoit le plus
couvert, & il eut la confiance de demeurer pendant tout ce tems
là dans la boue jufqu'aux genoux, ôc defouffrirlapluieôc toutes
les injures de l'air. La faifon de l'automne , qui dans ce payis là
eft ordinairement accompagnée de grands vents, & le bruit de
l'eau qui couloit entre les barraux , fervirent à empêcher qu'on
n'entendît le bruit de la lime: & lorfque les fentinelles l'entendi-
rent, il ne leur vint jamais en penfée , qu'on limât ces barreaux; ils
crurent plutôt que c'étoit, ouïe bruit des eaux qui entraînoient
des cailloux , ou celui de quelques chiens qui rongeoient des os.
Mais afin que la chofe demeurât extrêmement fecrette, Madaron
n'en parla aux bannis que le 15 de Novembre , lorfque fon ou-
vrage fut entièrement achevé.
L'entreprife leur parut très-perilleufe ; mais comme leur fa«^
lut en dépendoit, on fut d'avis delà tenter. Servas, quicom-
niandoit dans ce canton pour les Princes, en chargea Saint Cg-
me, capitaine hardi & vigilant, ôc lui donna pour cela trois
cens hommes d'élite , tant cavaliers que fantarfins. Saint Côr
me partit fans bruit , ôc pofta fes gens dans des plans d'oliviers;
qui font autour de la ville. UnMiniftre qu'il avoit mené avec
lui , y fit la prière à l'ordinaire , ôc exhorta enfuite tout le mon-
de par des raifons prefTantes , ôc prifes des motifs de la Religion;
à fe comporter vaillamment dans cette entreprife : mais pen-
dant qu'il les prêchoit , il arriva une chofe qui penfa décon*-
certer tout ce monde déjà ébranlé par la grandeur du pé-^
ril où ils s'expofoient. Il parut tout à coup une lumière fou-*
daine, qu'on n'avoit jamais vue au mois de Novembre y
l'éclat en étoit fi vif, Ôc dura fi long-tems, qu'ils ne doutèrent
point que les fentinelles ne les euflent découverts : d'ailleurs-
ces gens timides ôc fuperllitieux crurent que ce phenoiiiene
DE J. A. DE THOU^Liv. XLVL t^t
fignifioit que Dieu condamnoit leur deflein. Saint Côme au
contraire, appuyé du miniftre, les aflura que c'étoit une marque (] h a r L E
que Dieu fe déclaroit pour eux , ôc qu'il leur donneroitun heu- j -^
reuxfuccès , puifqu'il fembloit guider par cette lumière les dé- i r Kg
fenfeurs de fa gloire , contre les ennemis de la vérité. C'eft ainfi
qu'il faifoit valoir fon parn.
Enfin il defcend dans le fofîe , ôc ayant arraché fans peine
les barreaux de fer , il entre dans la ville, avec trente de ceux
fur la bravoure defquels il comptoitle plus. Il ordonna en mê-
me tems aux valets ôc aux goujats de monter à cheval ôc de
courir au tour de la ville , en faifant grand bruit, pour faire croi-
re aux habirans que c'étoit un corps confiderable de cavale-
rie , ôc de fe rendre enfuite à la porte de la Couronne, par où
ils entreroient, ôc fe répandroient enfuite dans toutes les rues.
Pourfordfier de plus en plus l'opinion que ceux de la ville au-
roient conçue de leur nombre, on leur joignit quelques trom^
pertes pour fonner en differens quartiers , comme fi la ville
eût été prife.
Sur ce bruit les fentinelles , qui étoientau-deflus du canal,
s'enfuient dans le château , fonnent la cloche , ôc crient aux
armes. Paffan , qui avoir fuivi Saint Côme , avec 80 hom-
mes , fe pofta auprès du château , pour empêcher la garnifon
d'en fordr , ôc la bourgeoifie d'y entrer. Saint Côme s'étant
avancé jufqu'aux Carmes, fait main baffe fur un corps-de-gar-
de qu'il trouve en chemin : ce n'étoitprefque que des Prêtres,
qui inquiets pour leur vie faifoient eux-mêmes la garde , afin
oe fe mettre à couvert de leurs ennemis. De là il tire à la porte
de la Couronne , où ayant trouvé un officier , il lui met le poi-
gnard fur la gorge , ôc lui demande le mot du guet : des qu'il
lefçut, il le dit à fes gens,ôc commença à fe promener librement
partoute la ville. Ayant briféenmême-tems la porte de la Cou-
ronne, il fit entrer fa cavalerie de goujats, qui remplit en un
moment toutes les rues, ôc fit cent fois plus de bruit que n'en
auroient fait des gens de guerre. Toute la garnifon , ôc les qua-
tre compagnies de milice bourgeoife, qui étoient toujours fous
les armes , en furent fi effrayées , que la plupart n'oferent for-
tir de chez eux , ôc que les autres courant çà ôc là , tremblans,
ôc fans chefs , furent pris ôc défarmez , ou par les bourgeois,
qui étoient de la confpiradon , ou par les troupes qui étoient
entrées dans la ville. " N n n n ij
^^5 HISTOIRE
• Saint André fut très-confterné de cet accident imprévu t'ïl
^- - avoit quelques foldats avec lui , ôc il efTaya , mais en vain , de
Charle ramafler ceux qui étoient difperfez. Enfin voyant qu'il nepou-
I-^' voit entrer dans le château, ôc qu'il n'avoit aucun quartier à
^ S ^ 9' attendre des Proteftans , il fauta témérairement du haut des
murs dans le fofle j ôc fe cafTa la cuilTe : ce malheureux vieil-
lard y demeura jufqu'au jour, abandonné de tout le monde.
Pîufieurs fe fauverent dans l'amphithéâtre , qu'on appelle les
Arènes, ôc en bouchèrent les portes avec des pierres qu'ils trou-
vèrent fous leur main : mais ils n'y demeurèrent que jufqu'au
lendemain matin , qu'on les lalffa fortir par la porte faint An»
dré. Aftoul , qui commandoit dans le château , ôc qui avoit fon
logement dans la ville , s'empara avec vingt-cinq hommes de
la porte des Dominicains , ôcla défendit avec beaucoup de cou-
rage jufqu'au lendemain midi , qu'il fortit de la ville par le gui-
chet , ôc rentra dans le château.
Prife de la C'efl ainfi que cette ville fut prife prefque fans combat. Ce-
Tiiic & du pendant les vainqueurs , ennemis de touttems des vaincus, ôc
château de * . , ' • \ i / j
Mirmes. irritez par des outrages recens , commirent a leur égard tout ce
que la férocité ôc la cruauté peuvent infpirer de plus affreux j
ôc maffacrerent , contre les loix de la guerre/ plus de cent cin-
quante habitans. Saint André ayant été rapporté chez lui , ÔC
mis dans fon lit, y fut tué à coups de piftolet par le peuple fu-
rieux. L'arrivée de Saint Romain , que les Princes envoyèrent
pour commander en chef dans le Languedoc, reprima la fu-
reur de ce peuple , qui croiffoit de jour en jour. Foulques y
vint quelque tems après , avec les troupes qu'il avoit fous fes
ordres. Cependant le château n'étoit pas pris. Aftoul le défen-
dit opiniâtrement pendant trois mois, avec cinquante hommes,
Ôc quelque fecours qu'il reçut du château de Marguerites , qui
en eft éloigné de trois lieues. Mais les mines que l'on fit ayanî
renverfé une partie delà tour, quoique les afliégeans n'enpuf-
fent pas tirer grand avantage, la garnifon, qui ne voyoitau*
cune efperance de fecours , capitula ôc fe rendit.
Pendant que cela fe paffoit du côté du Languedoc ,1e duc
d'Anjou vint camper auprès de faint Jean d'Angely. Les Prin»
ces y avoient envoyé un renfort confiderable , avant qu'ils qui-
laffent la Saintonge pour pafTer dans la haute Guyenne ', mais dès
qu'ils furent éloignez , perfonne ne fe foucia d'exécuter leur§
t
DE J. A. DE THOU>Liv. "KLVJ. (?yï
'ordres , foit qu'on defefperât du fuccès, foit pour d'autres rai- n*
fons inconnues. Il n'y eut que François la Pcrfonne , qui eut c h aRL fi-
le courage de fe jetter dans la place avec trente foldats , ôc jx.
trente habitans de quelques endroits voifins , le même jour i t 6 Qt
que l'armée du Roi y arriva, c'eft- à-dire le i5 d'Odobre. Bi-
ron y étoit venu quelque tems auparavant par ordre du Roi,
& avoir fort exhorté les habitans de fe rendre , niais inutile-
ment. ^
Saint Jean d'Ang^ely eil fitué dans un lieu bas fur la rivière Siège de s.
dr> y^ • j ' - -frii /i Jean d'Ange-
e boutonne. Ce qui a donne ce nom a cette Ville, elt un mo- ly par Tannée
iiaftere d'une antiquité refpeclable \ où il y a une Eglife dédiée <^^ ï^°^^
à faint Jean-Baptifte. La Boutonne vient du côté d'Angoulê-
me , 6c pafTe par Chizay ôc par Tonnay , qu'on appelle Ton-
nay-fur-Boutonne , pour lediftinguer d'un aucre Tonnay qu'on
appelle Tonnay- Charante> parce qu'il eftfur la Charante. Le
lit de la Boutonne eft étroit , mais profond > elle pafTe dans
une grande partie des foflez de la ville, ôc en fépare le faux-
bourg de fainte Croix. Du refte la ville eft forte, ôc elle a de
bonnes murailles , ôc de bonnes tours. De Piles » qui y étoit:
venu après la perte de Nyort , l'avoir encore fortifiée à la hâte
autant que la brièveté du tems le lui avoit permis,ôc il avoir éle-
vé de nouveaux baftions au château,à la porte d'Aunis qu'il avoit
fait murer,ôc dans les autres endroits qu'il jugea les plus foibles.Il
avoit avec lui la Motte Pujols, la Ramiere , Paluel , appelle com-
munément Fravo Serido , des Eiïars, la Garde , Montault / ôc la
Perfonne. Dès le premier jour il fit faire des forties par les portes
de Matas ôc de Nyort , ôc l'on y combatit vivement, tandis que le
refte de la garnifon ruinoit les fauxbourgs , Ôc coupoit les ar-
bres des environs , afin que les afiiégez pufTent découvrir de
loin : de ce bois on fit des fafcines pour foûtenir les rem-
parts. Le cinquième jour du fiége, Pujols fit une fortie avec
deux cens hommes , attaqua vivement les troupes qui étoient
dans le fauxbourg d'Aunis , ôc leur prit deux drapeaux -, mais
de fon côté le capitaine Parafol fut tué , ôc fon frère fait pri-
fonnier.
Le 25 d'0£lobre le Roi arriva au camp , ôc y fut falué par
la décharge de toute l'artillerie , ôc par des cris de toute l'armée.
On fomma la garnifon de fe rendrez mais elle le refiafa, fous
.1 Jl fut fondé par Pépin dans le huitième fiecle»
N n n n ii;
€^4^ HISTOIRE
. prétexte qu'elle gardoit la place , au nom & par les ordres du
C H A R L E pî^ii^ce de Navarre , qui avoir le gouvernement de Guyenne. Le
IX, lendemain on dreffa une petite batterie fur une hauteur couver-
15 6 Q, ^^ ^® vignes , pour battre la porte de Nyort ôc celle d'Aunis.
Elle fît une grande brèche dès le premier jour , mais qui fut
prefque entièrement reparée la nuit ; on fit outre cela un fofle
au-devant 3 & l'on éleva des retranchemens des deux cotez, où
l'on plaça dç^ moufquetaires pour faire un feu continuel fur
ceux qui monteroient à la brèche , ôc les obliger de fe reti-
rer. Cependant cette batterie incommodoit beaucoup la gar-
nifon, 6c Ramiere y fut blefle en deux endroits d'un éclat de
poutre. Mais malgré fa bleflureja crainte qu'il eut que les alTié-
geans n'emportaflent la place , s'ils montoient fur le champ
à l'alTaut, l'empêcha de fe faire porter chez lui : il aima mieux
différer de fe faire panfer, que d'abandonner fon poftedans un
tems où fa prefence y étoit fi nécellaire. Elle ferviten efî'et
beaucoup : car les troupes du Roi voyant la garnifon fai-
re bonie contenance , ôc prête à foûtenir l'aflaut , ne jugè-
rent point à propos de le donner ce jour là. Mais fi ce retar-
dement fauva les afliégez, il hâta la mort de Ramiere , qui fe-
roit peut-être guéri de fa bleflure , fi elle avoit été panfée fur le
champ. L'agitation violente de cette journée ayant caufé une
inflammation dans fa playe , il mourut peu de tems après , fort
regretté de ceux de fon parti.
Les jours fuivans on dreffa des batteries contre d'autres en-
droits j ôc l'on fit une large brèche au baftion d'Aunis : les trou-
pes y montèrent à l'inftant, fans attendre l'ordre de leurs chefs,
ôc fans avoir leurs drapeaux j aufli le fuccès yïqw fut-il pas heu-
reux i car après avoir recommencé deux fois le combat, elles
furent toujours repouffées. D'Arial qui défendoit la brèche y
fut tué, avec fept foldats j il y en eut encore fept autres tuez
au baftion d'Aunis par des coulevrines qui y tiroient de côté.
Mais la perte des afiiégeans fut beaucoup plus grande. Les
Proteftans étoient perfuadez que la ville auroit été emportée
ce jour làj fi l'armée du Roi avoit fait tous les efforts qu'elle
pouvoir faire : au moins eft-il vrai , que de Piles avoit fait faire
une ouverture à la muraille de l'autre côté, pour fe retirer par
là , tandis que le foldat vainqueur feroit occupé au pillage de
|a ville.
DE J. A. DE THOU,Liv. XLVI. ^;/
Biron recommença à parler d'accommodement 5 ôc il exhorta ■
de Piles à fonger à lui , ôc à ne pas pouffer à bout la patience du C H a R i E
Roi : il lui fit dire que Lufignan ôc Nyort étoient pris , que j^
Saintes ôc Cognac capituloient , ôc que les Princes , fur l'or- ^ ^ ^*
dre defquels il rejettoit fa défobéiffance > étoient bien loin^
ôc avoient paffé la Dordogne j qu'il n'avoit point de fe-
cours à efperer ; que tout le payis d'alentour étoit contre lui ;
qu'il devoir donc ménager fa paix , que le Roi y étoit porté,
Ôc qu'il ne devoir pas rejetter des conditions honorables ^
qu'on étoit prêt de lui accorder. Quoique de Piles craignît
ces pour-parlers , cependant ce nom de paix l'engagea à écou-
ter les conditions aufquelles on la lui offriroit. On donna des
otages de part ôc d'autre. Goutiniere alla dans la ville de la part
du Roi , tandis que la Perfonne alla pour les afliégez au quar-
tier du Roi qui étoit aux Landes. Il fut très-bien reçu par les
Maréchaux de France qui s'y trouvèrent : mais il leur dit, qu'il
n'avoit aucun ordre de parler de capitulation i que tout ce qu'on
lui avoit permis étoit d'écouter les conditions que l'on propo-
feroit 3 pour faire une paix générale , ôc d'en faire le rapport à Ces
fuperieurs. Les Maréchaux répondirent , qu'ils fouhaitoient aufli
bien que lui cette paix générale ; mais qu'ils ne voyoient pas
comment on pourroit terminer une affaire de cette conféquen-
ce en l'abfence des Princes ; que ce que le Roi vouloir pour le
prefent , étoit qu'on fît une trêve de dix jours , pendant lefquels
de Piles envoyeroit quelqu'un aux Princes, pour recevoir leurs
ordres ; ôc que fi pendant ce tems là il ne lui venoit point de
fecours, il rendroit la place au Roi, à condition que les chefs
ôc les foldats fortiroient avec chevaux, armes ôc bagages , pour
aller où ils voudroient , ôc qu'on laifferoit la liberté de confcien-
ce à ceux qui refteroient dans la ville.
De Piles figna ces conditions , quoiqu'à regret : on envoya
aux Princes la Perfonne avec Barbefieres Chemeraud. En paf-
fant par Angoulême, il rendit compte à Saint Memin de l'état
OLi étoient les affiégez , ôc le pria de fe hâter de les fecourir -
on fit tout ce qu'on put pour cela pendant la durée de la trê-
ve. Fonbedouere fut chargé de conduire le détachement , ôc
de lui montrer un gué fur la rivière? ôc Saint-Surin étant part*
d' Angoulême avec quarante cavaliers , parut fur les foffez,ÔC
entra dans la ville par la porte de Matas,
^$6 HISTOIRE
Au bmit de cette conférence , la garnifon de Saintes aban^
C HARLE donna la ville, fans attendre que l'armée vi6lorieufe vint l'af-
I X. ficger. Le duc d'Anjou y envoya une greffe garnifon , & quel-
I S 6 Q» ^^^ cavalerie, pour inquiéter par des courfes continuelles les
Proteftans , qui palloient fans cefle de Saint Jean d'Angely à la
Rochelle.
Enfin le i8 de Novembre, jour auquel la trêve expiroit,
Biron envoya un Héraut pour fommer la ville de fe rendre,
comme on en étoit convenu. De Piles qui n'avoit figné qu'à
regret , cherchant à gagner du tems , répondit qu'il aimoit cent
fois mieux mourir j que de fe livrer lui ôc fa garnifon à fes en-
nemis , pour être égorgez comme des bcres ; qu^il f(çavoit bien
que c'étoit là ce qu'il avoit à attendre , s'il confentoit à ce
qu'on demandoit de lui. Ainfi le canon recommença à tirer :
quatre jours après une nouvelle batterie j que l'on avoit dreffée
ayant jette à bas la tour du bourreau , on monta à l'afTaut. Les
affiégez ne s'oublièrent pas en cette occafîon : ils defcendi-
rent dans le foffé, ôc s'étant couverts avec des mantelets , ils
tirèrent fans cefTe en flanc fur les troupes qui montoient à l'af-
Mort de faut. Ce fut là que Sebaflien de Luxembourg comte de Mar.-
slb^de^Lii- ^^gues , allant continuellement de côté ôc d'autre, pourpouf-
xembom-g. ferles travaux , ôc placer des gabions , reçut un coup de mouf^
quet à la tête , dont il mourut prefque fur le champ. C'étoit un
grand général , également iiluflre ôc par fa valeur , ôc par l'é-
clat de fa naiffance. Le gouvernement de Bretagne , qu'il avoit
eu à la mort de Jean de BrofTes duc d'Eftampes fon oncle ma-
ternel ' , fut donné à Louis de Bourbon Montpenfier.
Dans le même-tems les afTiégez , conduits par Pujols êc S.
Surin , font une fortie avec quatre-vingts chevaux foûtenus de
trois cens moufquetaires. Saint Surin attaqua les gendarmes
de Bernard de Saint Severin duc de Somme dans le pofle qu'ils
gardoient , ôc les mit en déroute. Pujols pouffa jufqu'aux bat-
teries , ôc fut pendant quelque-tems maître du canon ôc de la
poudre : mais comme il ne s'étoit pas attendu à un fi grand
fuccès , il ne s'étoit point muni de ce qu'il falloit pour encloûee
le canon , ôc pour mettre le feu aux poudres. Il reçut une gran-^
de bleffure dans cette aâ:ion.
I La mère de M. de Martigues e'toit Charlotte de Broffes fœur de Jean de
BrofTes.
u
DE J. A.DE THOU, Liv. XLVI. é<;i
Le duc d'Anjou fit battre après cela le baftion de la porte
d'Aunis, avec cinq grofles pièces de canon qu'on plaça fur Charle
le foiïe 5 enforte qu'on étoit au-defTus de l'ouvrage que l'on bat- I X.
toit , ôc que l'on voyoit tout ce qui étoit dedans , & que les i r ^ o»
afliégez ne pouvoient y venir , qu'ils ne fuiïent tout à découvert.
iTout le mur extérieur fut rafé depuis ce baftion jufqu'au châ-
teau 5 & le retranchement que l'on avoit fait en dedans fur des
pieux ôc des poutres, pour ibutenirle mur , ayant pareillement
€té renverfé , les afTiégez furent dans un grand effroi ; mais à
force de travail ils vinrent à bout de reparer la brèche '■> toute
la bourgeoifie Ôc les femmes même y travaillèrent : cependant
îe canon faifant voler de côté & d'autre la terre 6c le gravier,
que l'on avoit employé à cette réparation , tua beaucoup de
monde aux aiïiégez.
Sur le bruit qui fe répandit qu'il venoit du fecours d'An-
goulême , fous la conduite de Saint Auban ' , de Piles y envoya
Fonbedouere qui les conduifit jufqu'à Chifay 5 mais ayant été
découverts par les troupes du Roi , ils furent obligés de sqvl
retourner. Saint-Auban s'étant avancé avec un petit nombre
de gens jufqu'au pont de Saint Julien , fut auffi découverte il
eifaya de fe retirer , mais il fut pourfuivi fi vivement , qu'il
fut pris. De forte que les afliégez n'ayant plus aucune eipe-
rance d'être fecourus , on reprit la voye de la négociation , fur
les inftances de Biron ôc de Charles de Montmorenci ; ôc en-
fin le deuxième de Décembre la capitulation fut fignée par
Pujols, à ces conditions : Que les généraux ôc X^s foldats for-
tiroient avec leurs bagages , leurs chevaux , leurs armes ôc leurs
drapeaux , mais pliez , ôc que Biron ôc Cofleins les efcorte-
roient jufqu'à ce qu'ils fuffent en fureté : Qu'ils ne porteroient
les armes de quatre mois pour le parti Proteftant. La garni-
fon conduite par Paluel , furnommé Seride , fortit le lendemain,
compofée de huit cens hommes depié ôc d'environ cent che-
vaux. A peine furent- ils dans lefauxbourg, qu'ils furent enve-
loppez par les troupes du Roi i foit que ce fût l'avidité du bu-
tin qui les portât à violer ainfi la capitulation, ou qu'elles fuf-
fent irritées par la perte de Martigues, qui venoit de mourir.
On pouiTa ces malheureux dans les quartiers voifins , ôc on
leur ota tout ce qu'ils avoient, malgré tout ce que purent faire
ï II s'appelloit Albert Pape de Saint Auban,
Tome y, Oooo
6s^ HISTOIRE
i„i , pour l'empêcher, Biron j Cofieinsj ôc le duc d'Aumale lieu-
Ch AP L E ^^^'^'^"^ ^^ ^"^ d'Anjou , qui étoit à la porte de Matas, par ou
jK^ ils fortoient.
/ Biron les efcorta jufqu'à Sieche , d'où ils allèrent à Saint
Cibardeau & de là à Angoulême , toujours accompagnés d'un
Héraut ôc d'un trompette du Roi. Ils écrivirent au duc d' Au-
maie , & à Biron , pour fe plaindre de l'injuftice qu'on leur
avoir faite contre la foi du traité : mais toute la fatisfadion
qu'on leur donna ne confifla qu'en de vaines promefles. De
Piles crut que le manquement de parole des ennemis, le déga-
geoit de la Tienne : ainfi fans attendre que les quatre mois
fuffent paffez , il reprit les armes, & ayant pafle la Dordogne,
avec une troupe d'élite , il alla joindre les Princes , malgré tous
les efforts de Jean d'Efcars de la Vauguyon , qui le fuivit inu-
tilement avec quatre compagnies de cavalerie.
La garnifon perdit environ cent hommes pendant le cours
du fiége : les habitans qui travaillèrent jour ôc nuit à repa-
rer les brèches que le canon faifoit , en perdirent prefque au-
tant. Du côté des Catholiques il y refta plus defix mille hom-
mes, ou tuez par les ennemis, ou emportez par les maladies
qui régnèrent parmi les troupes durant cet hyver j enforte
que l'événement fit voir que le duc d'Anjou^ en s'amufant à
alTiéger Saint Jean d'Angely , au lieu de pourfuivre les enne-
mis qui étoient en defordre, avoir fait la même faute queCo-
ligni , en s'opiniâtrant au fiége de Poitiers : mais les généraux
Catholiques furent d'autant moins excufables , que l'exemple
tout récent de Coligni devoit les inftruire , ôc les empêcher
de faire une faute , qu'ils avoient tant blâmée dans ce vieux
Général.
Il mourut à ce fiége deux hommes célèbres , aulîi unis par
l'amitié , qu'ils l'étoient par leur profefllon , ôc qui avoient pref-
que toujours demeuré dans une même maifon, tant à l'armée
qu'à la Cour. Ce furent Jean Chapelain, ôc Honoré Caflelan
premiers Médecins du Roi Ôc de la Reine, riches l'un ôc l'au-
tre , mais par la libéralité des Princes qu'ils fervoient , ôc non
par les gains fordides qui deshonorent la plupart de ceux qui
exercent cette profeffion. Le plus riche des deux étoit Cha-
pelain : car outre les bienfaits du Prince , il avoit eu de grands
biens de fonpere. Tous les troubles de la Courne l'arrachèrent
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVI. ^yp
Jamais à fes livres : il en avoit un grand nombre, furlefquels
il avoit fait des notes très-fçavantes ôc très-judicieures ; il les CharlB
laifla en mourant dans fa magnifique Bibliothèque ;mais ilsfc JX.
font perdus ou dilTipez pendant les troubles de Paris : vraie j c 6 o,
perte pour les lettres , ôc pour la Republique ! Comme ces
deux illuftres amis avoient toujours vécu enfemble , ils mou-
rurent aulTi en même-tems dans la même maifon ôc delà même
maladie , qui avoit quelque chofe de contagieux, ôc qui mal-
gré les remèdes emporta bien du monde. __«^
Le Roi entra dans Saint Jean d'Angely avec la Reine ôc
îe cardinal de Lorraine. II y mit pour gouverneur Goutiniere ^ 5 7 o*
avec huit compagnies d'infanterie. Le Roi étant pafTé de là
dans le Poitou , ôc enfuite dans l'Anjou , arriva à Angers vers
îe commencement de l'année fuivante. Les députez des Piin-
ces , chargez de négocier la paix , y vinrent trouver fa Ma-
jefté ôc en eurent audience.
Pendant le fiége de Saint Jean d'Angely on fit deux tenta-
tives , qui ne réûlfirent point j l'une fur Taillebourg , ôc l'autre
fur Blaye, où Segur de Pardaillan commandoit. Le troifiéme
de Novembre Sanfac le vint trouver avec des lettres du Roi.
Segur protefta dans la réponfe qu'il y fit, que perfonnen'é-
toit plus foumis ni plus fidèle au Roi que lui ; mais qu'il s'a-
giffoit ici d'une guerre entreprife pour la religion, contre les
infraÊleurs des édits du Roi , qui avoient forcé fa Majefté à
prendre les armes malgré elle : qu'ainfi il la fupplioit de trou-
ver bon qu'il gardât Blaye jufqu'à ce qu'on eût pris desme-
fures , capables d'affurer la paix ôc la tranquillité publique.
Pendant ce tems-là on envoya en Berry , Sanzay , avec
quelques efcardons , ôc Goas avec fon régiment , pour em- fié^^é7& "dé-
pêcher lescourfes de la garnifon de la Charité. Montaré gou- fendu par Ma-
verneur du Bourbonnois , avoit auparavant , c'eft-à-dire fur '^'^n^D^nîcX
la fin d'Oâobre , inverti le château de Benegon , que tenoit ce château.
Marie de Barbancon veuve de Jean des Barres Seigneur de
Neuvy ôc fœur de Cany , qu'on avoit impliqué dans l'accufa-
tion intentée contre le prince de Condé , ôc qui fut tué à la
journée de Saint Denis, comme on la vu ci-deflus. Cette Dame
n'avoit dans fon château que cinquante hommes. Le prétexte
pour l'attaquer, fut qu'elle donnoit retraite aux Proteftans^ qui
pilloient le Bourbonnois , le Berry ôc tous les lieux d'alentour,
O o o o i;
^6o HISTOIRE*
Montaré amena pour ce fiége deux mille hommes , Compofez;
Ch A R I F d^P^yi^^i'is , & L-amafifez de côté 6c d'autre , avec quelques pie-
jy ces de canon. On battit la place pendant quinze jours , on en
j ^ ' renverfa les murs Ôc les tours , & on eut bien de la peine à la
prendre , après un liège qui fut plus long qu'on ne Tavoit cru.'
Marie la défendit avec un courage extrême 5 elle étoit par tout
prefque toujours à la tête des foldats , qu'elle animoit par fa.
prefence ôc par fes difcours , ôc Alontaré la vit fouvent dans
cette fonction. Enfin la poudre ayant manqué au foldat , fans
que le courage manquât à cette Héroïne, elle rendit fon châ-
teau , ôc elle demeura prifonniere. Mais le Roi informé do^
fa valeur extraordinaire la fit mettre en liberté. Le château fut
pillé , ôc Montoré l'ayant jugé inutile , l'abandonna ; les Protef-*
tans le réparèrent fur le champ , ôc il leur fervit encore de re-
traite pour faire des courfes dans le payis.
Ils s étoient emparez de beaucoup d'autres portes dans le Ber-
ry. Belon y tenoit Ligneres avec quatre vingts moufquetaires» ,
Renty , qui faifoit la fondion de Aliniftre , gardoit Baugy ,
qu'ils venoient de réprendre : le capitaine Chartrain étoit à la
Chapelle d'Angeron , pofte avantageux, fur le chemin d'Or-
léans 5 ôc le capitaine Bois ôc Baudry étoient avec leurs garni-
rons , le premier à Montfaucon , ôc le fécond à Châteauneuf..
Claude de la Châtre , gouverneur de la Province , entreprit,
de leur enlever tous ces poftes. Dans cette vîië il fe mit en.
marche avec les troupes Allemandes qu'il avoir , environ fepr
cens moufquetaires , ôc quelques efcadrons de cavalerie. II
furprit Menetou fur le Cher, où il y avoitune compagnie de
cavalerie légère en garnifon , fous les ordres de la Pataudiere:
les officiers étoient fortis de la place pour quelque expédition^,
La Pataudiere, qui ne s'attendoit pas à l'arrivée de la Châtre 5
ayant perdu la meilleure partie de fes gens , fe retira avec ce
qui lui reftoit dans une maifon fortifiée, ôc il s'y défendit avec
tant d'opiniâtreté, que la Châtre fut contraint de s'en aller fans
avoir pu le forcer. Panfieres voyant que Briquemaut, dont il
étoit lieutenant , ôc qui avoir fous fes ordres un corps de quinze
cens moufquetaires ôc de dix- neuf cornettes de cavalerie^
ne vouloir pas aller au fecours de la Pataudiere , qui étoit.
comme affiégé dans Menetou , le quitta de dépit , ôc ayant,
avec lui une troupe de braves foldats , traverfa le Poitou Ôc
.ilUH-VUkASJUJ
DE J. A. DE THOU , Lîv. XLVî. 6^r
i'Angoumois , pour joindre l'armée des Gonfédérez : mais
ayant été enveloppé par la Noblefle de ces cantons, è<i ayant Char LE
perdu quarante de fes gens , comme il étoit bien munté , il t x.
fe fauva avec fon frère , & ayant abandonné tout Ton monde, j ^ j q,
dont une partie fut tuée ôc l'autre dépouillée & laifTée à la mer-
ci des payifans , il s'en alla joindre les Princes dans le Quercy.
De Menetou la Châtre marcha à Châteauneuf, qui eft aufïï
fur le Cher, Baudry étoit dedans avec foixante honimes : la
ville fut prife d'emblée , n'étant pas en état de défenfe. La gar-
nifon s'étant retirée dans le château , on tenta de s'en rendre
maître par l'efcalade; mais la chofe n'ayant pas réùiïi , on ea
vint à la fappe , ôc l'ouvrage avançant, la garnifon fe retira
dans le vieux Fort. Alors on mit quelques pièces fur la voûte
de l'Eglife du château, qui commencèrent à foudroyer cet
endroit , ce qui obligea la garnifon à fe rendre vie ôc bagues
fauves. Mais la capitulation ne fut point obfervée i la plupart
des foldats delà garnifon furent jettez dans la rivière par ceux
de la Châtre, qui s'y oppofa vainement.
Il ne réùllit pas de même à Lignieres. Après plufieurs af-
fauts , où fes troupes furent vigoureufement repouffées , il fut
obligé de fe retirer fans prendre cette ville , quoiqu'on y man-
quât de vivres , Ôc que Belon ôc fes (oldars euffent été réduits
pendant quelque-tems à manger de la chair de cheval. Le
iiége delà Chapelle d'Angeron ne fut pas plus heureux 5 Bri-
quemaut étant accouru au fecours le Ht lever. Sur ces entre-
faites Sanzay ôc Goas étant arrivez dans le Berry , attaquèrent
de nouveau Lignieres ôc le prirent par compolirion, ôc à co-
dition que la garnifon auroit vie ôc bagues lauves : ce qui fut
exécuté. De là ils allèrent attaquer Baugy , qui fe défendit
d'abord fort bien Mais le commandant ayant été tué , ôc les
affiégeans ayant fait attaquer la place par plufieurs endroits ^
tout à la fois , elle fut emportée 5 tout ce qui fe trouva fous la
main du foldat fut paffé au fil de l'épée , à peine fe fauva-t-il
fept hommes j Renty qui en étoit un , fut fait piifonnier ôc con-
duit à Bourges.
Pendant que tout cela fe paiToit en Berry , Guy Dailloii p^-Q, ^^
comte du Lude , gouverneur de Poitiers, s'étant joint avec Mataas^
Puygaillard , qui s'étoit faili de Fontenay , abandonné par \cs
Piotcflans après la bataille de Montcontour , forma le defleind^
O 0 o o lij
^62 HISTOIRE
, fe rendre maître de Marans , qui eft à quatre lieuës de la Ro-
C H ARLE chelle. Ce lieu n'eft fort que par fa fituation : car il n'a point
I X. ^^ muraille. Le château ne peut gueres être pris fans canon :
i î 7 G ^^ place eft prefque toute entourée de marais profonds ôcfpa-
cieux , formez par les eaux qui fe débordent pendant l'hy ver:
du côté du Nord elle eft défendue par un foffé plein d'eau qu'on
appelle le canal ou le pafTage de Berauld. On y va du côté de
Surgere ôc de Saint Jean , par une levée garnie de caillouta-
ge. Le capitaine Sauvage , qui y commandoit pour les Con-
fédérez dans les guerres précédentes , avoit fait une ouverture
à cette chauffée , ôc y avoit mis un pont - levis , dont il avoit
fortifié les deux bouts par des ouvrages de gazon. Puviaut les
avoit agrandis 6c élevez plus haut. Puygaillard ayant inutile-
ment attaqué le pont, fut averti par les payifans des environs,
de remplir de fagots , de joncs ôc de paille les trous des ma-
rais , que les pluies n'avoient pas encore inondez j afin que la
terre étant affermie par ce moyen , fes troupes pûffent mar-
cher dans le marais à pié fec , tourner autour du Fort, ôc atta-
quer Marans par derrière. Mais les afliégez ayant découvert
fon deffein , le rendirent inutile. Ils envoyèrent du monde
pour diffiper les corps-de-garde , qu'il avoit déjà poftez fecre-
tement dans les endroits du marais les plus propres à favorifer
l'exécution de fon entreprife.
Sanzai fe rendit au même endroit , mais d'un autre côté : il
venoit de prendre Beauvoir fur mer ^ que tenoit René de
Rohan feigneur de Pontivy , place forte , qui faute d'eau ôc
de vivres , fut forcée de fe rendre à des conditions affez ho-
norables , mais mal obfervées. Peu de tems après le comte du
Lude , accompagné de Charle de Rouhault de Landereau, vint
auiïi fe camper fur le paffage de Berauld. Puviaut fe voyant in-
vefti de toutes parts , contre fon attente , apprit en même - tems
qu'on attaquoit la Brune , qui eft un Fort fur le chemin de Ma-
rans à la Rochelle , par oii il ne croyoit pas qu'on dût venir à lui ,
ôc que Jean de Chambes de Monforeau s'étant emparé de l'ifle
d'Elle au-deffus de Marans , fe préparoit à l'attaquer avec des
bateaux armez. Il fe retire à Charon avec deux cens chevaux ,
fait dire à tous fes gens de fy venir joindre , ôc ayant en mê-
me-tems formé le deffein de brûler Marans avant que le comte,
i Cette ville eft près de l'ifle Boyn, aux confins du Poitou 6c de la Bretagne,
D E J. A. DE THOU,Liv. XLVI. 66^
du Lude en fût maître, il fait apporter quantité de paille pour
y mettre le feu : mais les troupes du Roi y étant arrivées plu- ~Z
tôt qu'il n'avoit crû , il courut beaucoup de rifque , ôc eut t v^^^
afles de peine à arriver fain ôc fauf à la Rochelle.
Le gouvernement de Marans fut donné à Hardouin de Vil- ^ S 7 ^*
liers de la Rivière, qui avoit beaucoup contribué à le prendre.
On lui dgnna huit compagnies d'infanterie , outre le régiment
du Lude , pour fe rendre maître de toute la côte qui s'étend
depuis S. Michel jufqu'à la Rochelle y ôc pour y faire con-
tinuellement des courfes. Les vainqueurs allèrent de là aux Ifies
de Marennes en SaintongC:, ôc au-deflusde la Rochelle, avec
trente compagnies de gens de pié , ôc huit compagnies de ca-
valerie, afin de bloquer la Rochelle de tous cotez , perfua-
dez que cette ville étant réduite aux dernières extrêmitez , ou
feroit obligée de fe rendre , ou du moins ne pourroit plus don-
ner aux Confédérez tous les fecours qu'elle leur avoit fournis
jufqu'alors. Ci on pouvoir lui ôter le revenu des marais falans, qui
font très-grands ôc très-bons en ces quartiers-là. Le capitaine
Chenet, avec les débris de l'infanterie Allemande, ôc les pay-
fans qu'il raflembla de tous cotez , gardoit les avenues des
Ifles de Marennes : il les défendit d'abord avec beaucoup de
courage; mais les Catholiques envoyant fans cefTe des gens
frais pour relever ceux qui étoient fatiguez , les Proteftans ac-
cablez enfin par le nombre abandonnèrent ce polie, ôc fe
retirant çà ôc là à travers une multitude de canaux , dont
ces marais font pleins , après être tombez cent fois dans des
trous ôc des gouffres pleins de boue j ils arrivèrent enfin à
Broùage.
Les troupes du Roi y étant arrivées prefqueauHi-tôt qu'eux,
ils n'eurent pas le tems de fe reconnoître ôc de fe délafler :
dans la confternation où les jetta cette nouvelle attaque , ils
prirent la fuite, les uns d'un côté, les autres de l'autre. Il en
périt une partie dans les marais; les autres, qui fe difperferent
çà ôc là fur la côte , furent ou tuez par les ennemis , ou en-
gloutis par les flots: les Allemands fur-tout, qui ne connoif-
foient point le payis, furent aflbmmez par tout comme des bêres.
Chenet, Minguetiere , ôc Maifon- neuve , ayant abandonné
leurs foldats , eurent à peine le tems de s'embarquer , ôc de fe
fauver à laRochelle? enibrte que de ce grand corps d'Alkmand.s,
^<^^ H I S T O I R E
qui étoit venu au fecours des Princes , à peine refla-t-il trois
Charle cens hommes.
I X. ^^^ ^^ ^^ ^^ Tannée les Confédérez firent une tentavie fur
I c 7 o. Bourges. L'Efpau, la Rofe capitaine d'une compagnie delà
Entrcprife gamifou de Sancerre , & la Grange un des Confeillers de
^esConfede- JBour^es, mais qui éroit en fuiteàcaule de la reliorion . promi-
icz lur Bour. i- -ii / j v tt /- r. n i- ° i ii t •
ges. rent dix mille ecus d or a Uriin rallu, lieutenant de Mann
gouverneur de la Tour , qui efi: comme la citadelle de Bour-
ges, pour l'engager à leur livrer cette tour : il le leur promit,
^ c'étoit , leur diloit-il , à laperfuafion de Guillaume fon frè-
re qui demeuroit à Sancerre. Mais il découvrit tout à Marin,
ôc à la Châtre gouverneur de Berry , qui lui ordonnèrent d'à-
inufer toujours Ion frère de l'efperance de leur livrer cette for-
terede. Le jour pour afTembler les Conjurez ayant été fixé au
vingt-deux de Décembre, on leur drefiTa des embûches dans
îa ville avec des feux d'artifice , des pots pleins d'huile bouil-
lante , des grenades, des lits de poudre que l'on femaendif-
ferens endroits , & du canon que l'ondifpofa décote ôc d'au-
tre pour s'en fervir au befoin, La Chckre 3 pour ôter tout foup-
çon , pafla à des courfes de bagues toute la journée , qui précé-
da la nuit où ils dévoient exécuter leur projet 5 ôc fur le foir
il fit fermer les portes , ôc mettre tout le monde fous les ar-«,
mes fans bruit.
Le fignal ayant été donné par Urfin, ( ce fignal étoit un
flambeau allumé qu'on éleva en l'air deux fois de fuite) les
Conjurez dans la crainte d'être découverts , comme ils l'é-
toient en effet, s'arrêtèrent un moment. Urfin va au-devant
d'eux i les afiure que tout eft en bon état , qu'ils n'avoient qu'à
•venir Ôc montrer du courage. AulTi - tôt il entre le premier
dans la Tour. D'Efpau l'y fuit avec douze hommes , Renty avec
vingt-cinq , des Elfars avec cinquante > tous le boucher d'une
main Ôc l'épée nue de l'autre. Briquemaut s'étoit approché de
la ville , avec douze cens moufquetaires ôc treize compagnies
de cavalerie , pour voir ce que cela deviendroit. Dès que fcs
moufquetaires furent defcendus dans le fofié avec des échel-
les pour pafTer par-deiïus les murs , ils s'apperçurent bien-tôt
qu'ils étoient trahis , tant par les coups de canon , qu'on leur
tira , que par le feu que l'on mit aux poudres , dont quelques-
pns d'entr'eux furent mis en pièces , d'autres brûlez , 6c d'autres
fort
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVI. 66^
fort bleflez : ceux qui ne le furent point n'ayant aucun moyen ^
de fe fauver :, tombèrent entre les mains de la garnifon. Les p
officiers de ville vouloient qu'on les fit mourir , comme des -r ^
traîtres ôc des rebelles , fur-tout ceux qui étoient de la ville :
mais la Châtre ne voulut pas le permettre , craignant que par ^
reprefailles on ne traitât de même les Catholiques , qui tom-
beroient entre les mains des Proteftans. Le Roi même ordon-
na qu'à l'avenir on traitât les prifonniers fuivant les loix de la
guerre. AinfiRenty d'Efpau , laRofe ôc tous les autres prifon-
niers furent parfaitement bien traitez par la Châtre, ôc mis en
liberté, après qu'on eut payé leur rançon.
Dans ce même tems ceux des Proteftans,qui s'étoient retirez
dans les places qu'ils avoient fur la Loire, ne fe tenoientpas
en repos : ils faifoient des courfes non-feulement dans le Berry
ôc dans la Sologne, mais de l'autre côté même de la Loire,
& jufques dans la BeaufTe ôc dans le Gâtinois. Entr'autres
un gentilhomme du voifinage , fort connu , nommé le che-
valier du Boulay, avec Boutteville ôc quelques autres, ayant
appris qu'il y avoir une grande foire à Milly , formèrent le
deflein de la piller. Milly eft une petite ville entre Etampes
& Fontainebleau fur la route de Lyon , François de Vendô-
me , celui qui périt en prifon, l'avoit donnée à Henri de Mon-»
morenci Damville , il y avoir neuf ans. Du Boulay , Boutte-
'Ville , ôc les autres font quarante lieues pour s'y rendre , ôc
ayant furpris les marchands , ils les dépouillent entièrement ôc
s'en retournent chargez de butin : mais lorfque leurs chevaux
furent fatiguez , comme ils étoient fuivis de près , ils fe trou-
vèrent fort embarrallés, ne fçachant où fe réfugier. Ils fefai-
firent d'un endroit appelle Ville-Maréchal , château apparte-
nant à Jean Olivier évêque de Lombez : s'y étant fortifiez
ils y dépoferent leur butin j ôcfans fe foucier de reicurneraux
lieux d'où ils venoient , ils^ ite fongerent plus qu'à faire de nou-
veaux brigandages. Sur ces entrefaites François de Balzac
d'Entragues , gouverneur de la province , dont tout le mon-
de imploroit le fecours , trouv-a fort à propos P. Erneft de
Mansfeld , qui s'en retournoit en Flandre avec les troupes que
Philippe II avoir envoyées au Roi : il le pria de les lui prêtée
pour quelques jours. Mansfeld y ayant confenti , il afliége ce
château ôc le bat avec deux pièces de canon , qu'il avoit faiç
Tome y. î^ P P P.
■66^ HISTOIRE
- I, Il I venir de Paris : la brèche étant faite , du Boulai exhorta Tes
Char LE compagnons à fe bien défendre , ôc leur ayant promis de leur
IX. amener dans peu du fecours , il fortit de bon matin, s'enfuir,
I î 7 G. ^ ^'^^^ ^^^^ rejoindre fes gens. Bouteville , qui avoir fon fils
avec lui , fe voyant abandonné , la brèche très-grande ^ & trop
peu de monde pour la défendre, capitula, à condition d'avoir
vie ôc bagues fauves , & fe rendit. Mais les payifans , outrez
de tous les maux qu'il leur avoir faits, maffacrerent une gran-
de partie de fes gens. Bouteville ôc fon fils demeurèrent prifon-
niers , ôc malgré les inftances de Balzac , qui vouloir qu'on gar-
dât la capitulation faite avec eux , le Parlement perfuadé qu'on
n'étoit pas obligé de fuivre à leur égard les loix de la guerre,
ôc qu'on devoir les traiter comme des voleurs de grand che-
min , les fit comparoître , ôc les condamna à être pendus t com-
me traitres ôc brigands publics.
Pendant ce tems là les Princes ayant d'abord paffc la Dordo-
gne , puis le Lot à Cadenac , étoient arrivez à Montauban.
De là ils allèrent affiéger Aiguillon , fitué au confluent de la
Garonne ôc du Lot. La Loue fut détaché avec quelques trou-
pes armées à la légère, pour invefrir la place. Leberon qui étoit
dedans la rendit d'abord (c'étoit le 17 de Novembre ) ôc il fe
retira avec Montlucfon oncle maternel à fainte Marie, au-def-
fous d'Agen. L'armée des Confédérez y arriva le lendemain,
& y demeura jufqu'au to de Décembre, que le corps qui for-
moit l'avant-garde fe retira, pour faire place aux deux Princes,
qui étoient fur le point d'arriver. On jugea à propos d'y faire
un pont de batteaux : on enfonça pour cela dans la rivière 14
groiTes poutres garnies de fer, ôc par deffus en travers on en
pofa d'autres d'une groffeur médiocres on fit enfuite un plan-
cher deffus avec des ais bien joints , ôc on le couvrit de fu-
mier, afin que les chevaux puffent s'y foutenir. Pour l'affer-
mir , on fit venir d'Aiguillon d^ gros cables ôc des chaînes de
fer, qui paffoient d'un côré de la rivière à l'autre : il y avoir
à chaque bout du pont un efpece de pont-levis foutenu fur des
roues, ôc qui s'abaiffoit, afin qu'on put y entrer ôc en fortir
aifément. Le deffein de Coligni , en faifant faire ce pont par
la Loue, étoit d'ypaffer la Garonne, ôc de s'emparer de rout
le payis qui eft au-delà jufqu'à Bazasôc Langon , ce qui étoit
aifé , parce qu'il n'y avoir point de place forte. Cependant
DE J. A. DE THOU> Lïv. XLV. C.6-J
Montgommery s'étant rendu maître de tout le Bearn , ôc enfuite it
d'Eufe "-y qui fe trouva fur fa route, ôc ayant taillé en pièces les Char le
capitaines Harbens & Arnay , fe rendit à Condom , oià il de- y^
meura plus d'un mois à ne rien faire , foit que fes fuccès Feuf- ^ ^ _ ^_
fent rendu négligent , foit qu'il attendit que le pont de la Ga-
ronne fut achevé. Quoiqu'il en foit , Montluc prétend qu'il fit
une grande faute. Pendant que tout le monde étoit dans TeiTroi,
queDamvilleétoit arrêté à Mazeres^, ôc que Montluc n'avoit
aucune forces à lui oppofer , il eft indubitable qu'il pouvoir
fe rendre maître de tout le payis.
Le pont étant achevé , Damville entreprit de le ruiner. Dans
cette vûë il envoya de Touloufe Paget avec deux barques ar-
mées j mais fon projet ne réulTit point. Montluc, rival de la gloi-
re de Damville , forma le même deflein ^ ôc en vint à bout avec
plus de bonheur que d'habileté, par le moyen d'un Architede
fans nom. Cet homme prétendoit que fi l'on détachoit un de
ces moulins, qui font en grand nombre fur le Lot, & fur les
autres rivières , ôc qu'on le laifsât aller au courant de l'eau , qui
eft toujours très-rapide, mais qui l'étoit beaucoup plus alors,
parce que la rivière étoit très-groHe , ôc débordée, il préten-
doit , dis-je , que la violence avec laquelle ce moulin tombe-
roit fur le pont, le romproit infailliblement. Un Ingénieur ha-
bile , nommé Thodias, penfoit de même j mais aiin de rendre
le coup du moulin encore plus violent , il confeilla de le char-
ger de grofies pierres. Montluc fe moqua d'abord de ce pro-
jet , ôc le regarda , comme une chimère 5 il confentit néanmoins
de l'eflayer^ ôc il s'en trouva bien : car le moulin étant tombé
la nuit fur le pont , non-feulement brifa les cable , ôc les chaî-
nes qui le tenoient , mais emporta même les batteaux qui le
portoient , jufqu'à faint Macaire , ôc jufqu'à Bordeaux. Cet ac-
cident déconcerta les defTeins de Cohgni: on eut bien de la
peine à faire pafler fur des batteaux , que l'on attacha enfem-
ble, les troupes de Montgommery ', ôc la partie de celles des
1 Bourg du comté d'Armagnac fur
la Gelife, qui fc jette dans la Garonne
près d'Aiguillon.
2 Petite ville du comte' de Foix fur
la rivière de Lers .Elle n'eit pas loin de
Pamiers.
3 Pour entendre cela il faut fe fou-
venir que Montgommery e'toità Con-
doiT) au-delà de la Garonne , & Coli-
gni à Aiguillon en deçà. Coligni vou-
loitpafTtr au-delà. oc s'emparer duCon-
domois, 8c duBazadois; une partie de
fcs troupes c'toitde'jà paflee. Mais fou
ponte'tiint rompu, il falut faire repaf-
fer eq deçà 8c les troupes de Montgom-
mery , 8c la partie de l'arme'e de Coli-
gni, qui^voit pafle au-delà, afin d'aller
enfemble à Montauban fur le Tarn.
Ppppij
66^ HISTOIRE é
I ^ Princes, qui avoit pafTé de l'autre côté de la rivîere dans le
C H A RL E ^^""^^ 4'^^ ^^ P^^'^'^ ^^'^^^ ^"^ ^^^^' L'armée retourna à Montauban,
IX. &^ l'on y prit la réfolution de marcher vers le Languedoc.
j 5-70. Le Roi renvoya en ces tems là toutes les troupes Italien-
nes i à la referve d'un petit corps , qui rePca fous les ordres de
Pierre-Paul Tofinghi , & qui fervirent en Saintonge. Sa Ma-
jefté remercia Santafiore leur Général , ôc lui ayant donné des
marques honorables de la fatisfadion qu'elle avoit de fes fer-
vices , lui fit prefent des drapeaux qu'il avoit pris. Elle re-
conipenfa magnifiquement tous les officiers qui s'en retour-
noient avec lui , ôc le pria de faire de grands remerciemens
au faint Père. Sa Sainteté eut tant de joie de cette heureufe
expédition , qu'elle voulut en conferver la mémoire à la pof-
teritéparun monument illuftre. Pour cela elle fit porter les dra-
peaux de Santafiore dans faint Jean deLatran, qui efl: la pre-
mière Eglife de Rome , avec une infcviption , qui marquoit que
Santafiore , Général des troupes du Pape , les avoit pris fur les
fujets rebelles de Charle IX.
Affaires dl- Alfonfe duc de Ferrare, & Côme duc de Tofcane ayant
jalie. gjj^ comme nous l'avons dit, une difpute fort vive fur la pré-
féance , l'Empereur ôc le Pape prétendoient l'un ôc l'autre que
le jugement leur en appartenoit : le Pape , qui étoit en fecret
pour Côme, termina en quelque forte cette affaire par un acte
préliminaire , qui tendoit vifiblement à ruiner les prétentions
d'Alfonfe : car il publia le 27 d'Août une bulle , par laquelle
"Côme créé il Créa Côme Grand Duc de Tofcane. Il parloir dans le préam-
Spic^v"^ bule de la puiflance que Dieu lui avoit donnée , parce qu'il
étoit afiis fur le thrône fublime de l'Eglife militante 5 il difoit
qu'en qualité de Pafteur il lui appartenoit d'examiner qui étoient
ceux qui meritoient des honneurs extraordinaires par leur zèle
pour le faint Siège : Qu'il n'avoit vu perfonne qui en fut plus
digne que Côme , Prince fouverain de Tofcane , parce qu'il
excelloit fur tous les Princes , par fa pieté y 6c par fon attache-
ment inviolable pour l'Eglife Romaine : Qu'il avoit libérale-
ment fourni à Charle roi de France de grands fecours pendant
les dernières guerres : Qu'il avoit étabh depuis quelques an-
nées l'ordre militaire de faint Etienne^ pour la gloire de Dieu,
ôc pour la propagation de la véritable Religion : Qu'il gou-
vernoit fes peuples avec une prudence ôc une judice toujours,
égale : Qu'il étoit puiilant en argent 6c en troupes : Qu'il
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVI ^6c)
pofTedoit une grande étendue de payis avec un pouvoir fouve-
rain, & fans dépendre de perfonne , Ôc entin parce qu'il étoit allié
très-proche de lEmpereur Maximilien : Il ajoûtoit qu'il ne
faifoit en cela que ce qu'avoient fait de leurs tems Alexandre
III, Innocent III. 6c Honoré III, en créant des rois de Por-
tugal, des Bulgares, desValaques ôc d'Irlande, ôc en accor-
dant au duc de Bohême le privilège de porter le nom de Roi. Il
lui fit outre cela prefent d'une couronne d'or d'un goût nou-
veau ôc délicat.
Cette entreprifed'un Pape, qui faifoit profeiïion d'équité ôc
de modération , parut extraordinaire à bien des gens , ôc TEm-
pereur en fut très-piqué : il la regarda comme une injure faite
à l'Empire , ôc à lui-même. Ainfi Côme étant venu à Rome
avec un train de Roi, pour y être facré le 4 de Mars , qui étoit
le jour marqué pour cette cérémonie , les ambafiadeurs de l'Em-
pereur s'y oppoferent , donnèrent leur proteftation par écrity
& menacèrent d'en tirer raifon , fi le Pape continuoit d'entre-
prendre fur les droits de l'Empire. L'Avocat de la chambre
Apoftolique ayant refufé de recevoir leur proteftation , la cé-
rémonie fut faite : mais les princes de l'Empire ayant pris feu
à ce fujet , la chofe alla fi loin j que quoique le Pape, naturel-
lement opiniâtre , ne changeât gueres de fentiment , ôc ne fut
pas difpofé à rendre compte de les allions à perfonne^ il crut
cependant qu'il devoit entrer en négociation avec l'Empereur
fur celle-ci.
Il entreprit donc delà juftifier auprès de lui, ôc il chargea
de cette commiffion le cardinal Commendon * : voici les ^jean-Fr-n-
raifons ôc les exemples que l'on citoit pour l'autorifer : Que
c'étoit le Pape qui avoir tranfporté l'Empire d'Orient en Occi-
dent, ôc qui avoit établi les Electeurs : Que Zacharie avoir dé-
gradé Childeric , ôc fait Pépin roi des François : Que Benoît
IX. avoit créé Cafimir Roi de Pologne , que les Allemands
prétendent être une dépendance de l'Empire : Que Grégoire
yil. avoi-t fait Démetrius roi de Croatie ôc de Dalmatie, qui
font des dépendances du Royaume de Hongrie ; enfin qu'Ale-
xandre III. avoit créé roi de Portugal Alfonfe , qui n'avoit que
le titre de Duc, quoique le Portugal fiit alors fournis à la cou-
ronne de Caftillci ôc que même depuis ce tems là le Portugal
avoit été tributaire du faint Siège , comme il étoit aile de le
Pppp iij
COiS,
^70 HISTOIRE
_,,_...^ montrer par les explications de Luce IL ôc de Grégoire VIL
p ~r qui aflure que le royaume d'Efpagne eil du patrimoine de faint
j Y Pierre : Qu'Innocent III. avoir de même créé Calo-Jean roi
des Bulgares ôc des Valaques , quoique ces provinces fuflent
^ ' membres du Royaume de Hongrie : Qu'Honoré IIL avoit
par la même raifon pris fous fa protection le roi de ThefTalo-
nique , quoique cette ville appartînt à l'Empereur de Conftan-
tinople, ôc qu'il avoit même donné au comte d'Auxerre le
titre d'Empereur d'Orient : Que Mindac duc de Lithua-»
nie i ôc Daniel duc de la RufTie méridionale , avoient été
déclarez Rois par l'autorité du faint Siège : Que c'étoiten ver-
tu de cette même autorité , que tous ces tyrans , que l'Empereur
Louis de Bavière avoit établis en Italie , étoient devenus Prin-
ces légitimes : Que c'étoient \qs Papes qui avoient donné l'Ir-
lande aux rois d'Angleterre , ôc que les rois d'Efpagne ne pof-
fedoient la Navarre qu'à titre de donation du faint Siège, qui
avoit dépouillé de cette couronne, la maifon d'Albretôc celle
de Bourbon, qui en étoit héritière, pour en faire prefent aux
rois d'Arragon.
A ces raifons Côme ajoûtoit les fiennes, mais toujours par
la bouche du Pape qui l'avoit pris fous fa protedion : il difoit
que la République de Florence étoit tout-à-fait indépendan-
te , ôc n'appartenoit point à l'Empire : Que fon gouvernement
avoit été réglé par Clément VIL de concert avec l'Empereur
Charle-Quint : Que les Medicis avoient pris de leur autorité
propre le titre de Ducs, ôc qu'il ne le tenoient point des Em-
pereurs : Que Côme y qui avoit pris ce titre , fans en de-
mander permiiTion à l'Empereur, pouvoir bien prendre de mê-
me celui de Grand Duc , qui lui étoit donné par le Pontife
Romain.
Pie V. ne fe contenta pas de négocier avec Maximilien par
le moyen du cardinal Commendon , il en fit parler à Philippe
IL par Michel Bonelli, qu'on appelloit le cardinal Alexan-
drin , pour tâcher d'accommoder cette affaire jmais il chargea
en même-tems le cardinal Sidco, qu'on appelloit autrement, le
cardinal d'Altemps , en cas que l'Empereur fe rendît trop dif-
ficile, de lever en Allemagne dix mille hommes depié, pour
faire voir à ce Prince que le Pape étoit aufïï puifTant que lui ,
ôc qu'il ne le craignoit pas. Mais nous parlerons de cela dans
la fuite.
DE J. A. DE T H O U , L I V. XLVI. ^71
Il ne fe pafTa rien de confidérable cette année en Allema-
ene^fi ce n'elî: que la conférence fur quelques points de Re- r^„ * n t r^
Jigion, quiavoit ete commencée 1 année précédente a Altem- jy
bourg le 20 d'Odobre ;, entre les The'ologiens de Mifne, ôc i r 7*3
ceux de Thuringe, fut rompue fans rien terminer. Après avoir
beaucoup écrit de part ôc d'autre, fur un ou deux points con- d'Allem7ene
teftez , & s'être communiquez réciproquement leurs écrits , ils
fe féparerent enfin le p de Mars , fans la permiflion ni le con-
fentement de l'Eledeur Augufte, ni de Jean Guillaume duc
de Saxe. La conférence tourna fi mal, qu'elle a plutôt été une
fource de nouvelles difputes, qu'elle n'a terminé les ancien-
nes j & elle aigrit tellement les efprits de part ôc d'autre, que
le public en fut très-choqué , comme tout le monde l'a pu
voir par les écrits , que les deux partis publièrent dans le tems.
Viètorin Strigel , Théologien célèbre dans fon parti, qui fe -^^oî^t de
^ C o ' J • J ViCTORJN
trouva a cette conférence , & qu on regardoit comme un des Strigel , de
principaux auteurs des divifions , mourut à Heidelberg le 25* Paul Eeer
de Juin âgé de quarante-cinq ans. Le 10 de Décembre fuivant LoNictl!^^
PaulEber, natif de Kitzingen , ville de Franconie, mourut à
"Wittemberg, oii il avoir long-rems enfeigné la Théologie. Jean
Lonicer , natif dOrthern dans le comté de Mansfeld , mourut
quelque tems avant lui. Lonicer aimoit fort l'étude j mais après
la mort de fon père , fon beau-pere ne trouvant pas bon qu'il
s'adonnât aux lettres , il s'enfuit à Eifleben , d'oiril pafTa en-
fuite à Wittemberg \ C'étoit un homme laborieux , ôc qui avoir
fait de fi grands progrès dans l'étude des trois langues, & dans
la Philofophie , que les princes de Hefle l'attirèrent à Mar-
pourg avec Jean Cornaro : y ayant été fait profeffeur en Grec,
il eut grand nombre d'auditeurs, ôc fit d'excellens élevés. Mais
fî fa fcience le rendit illuftre , il le fut encore davantage par
fa chaftetc, par famodeftie , ôc par fa tempérance. Il a traduit
en Latin beaucoup d'auteurs Grecs. Il mourut le 20 de Juil-
let de cette même année, âgé de foixante ôc dix ans. Il laiflTa
un fils nommé Adam Lonicer , qui ayant quitté Marpourg
vint s'établir à Francfort fur le Mein , où il pratiqua la mé-
decine avec beaucoup de réputation.
Je viens aux hommes illuftres d'Italie : le premier dont je De Damiel
parlerai fera Daniel Barbaro , une des plus grandes lumières de Barbako.
I 'Ville de l'EIej^orat de Saxe avec Univcrfité , elle cfl fituéc fut l'Elbe.
^12 HISTOIRE
la Republique de Venife, ôc de la même famille qu'Hermo-
Charle ^^'■'^ Barbarus, qui fut autrefois reftaurateur des Letties & de
j \^ la Philofop^hie en Italie. Daniel étoit grand Philofophe & grand
j _ Mathématicien, & il fut,aufîi-bien qu'Hermolaus , décoré du
titre de Patriarche d'Aquilée j il a beaucoup écrit , ôc après
Philandre , c'eftfans contredit le plus fçavant de tous les Com-
mentateurs de Vitruveiil difoit ordinairement^qùe s'iln'avoit
été Chrétien , il auroit juré fur toutes les paroles d'Ariftote >
tant il admiroitla pénétration ôc la fubtilité de fon efprit, pour
chercher ôc pour découvrir la venté dans tous les myftcres
de la nature j il trouvoit à cet Auteur une raifon fi droite 6c
lîfùre, qu'on pouvoir dire , félon lui , qu'elle pafToit les bornes
ordinaires de leiprit humain. Il fe livra depuis tout entier à
l'étude de la Théologie, comme ilconvenoit à un Evêque,ôc
il traduifiten Latin piufieurs ouvrages des pères Grecs. Il y en
a eu quelques-uns d'imprimezi les autres font entre les mains de
fes héritiers : il auroit donné un bien plus grand nombre d'é-
crits y fi une mort prématurée ne l'avoit enlevé à la République.
Il mourut le 19 d'Avril de cette année, n'ayant gueres plus de
quarante ans : fes obfeques furent très-fimpîes, comme celles
des plus pauvres. Ce Prélat illuflre, qui n'avoitni vanité^ ni
ambition , l'avoit ainfi ordonné par fon teftament. Il eft inhumé
dans l'Eglife de faint François des Vignes , fans épitaphe.
De Sixte Sa mort fut fuivie quelques jours après de celle de Sixte de
pz SiENWE. Sienne, qui mourut à Gènes au couvent des Dominicains, n'é-
tant pas fort âgé : il difoit que Pie V. étant Général de cet Or-
dre l'avoit arraché des ténèbres de l'erreur, ôc l'avoit pour ainfi
dire tiré de Penfer. Ce fut ce qui l'engagea à entrer dans le
même Ordre. Audi lui a-t-il témoigné fa reconnoilfance par
un excellent ouvrage divifé en huit livres , où il fait la critique
des Livres Saints ,6c donne une méthode de les entendre, 6c
de les mettre en quelque forte à couvert des faufles interpré-
tations des hérétiques : tout cela appuyé des paffages des Pè-
res 6c des écrivains de l'antiquité.
De Curïon, Le dernier dont je parlerai fera Ccelius Secundus Curion,Pro-
teilant, natif de San-Quirico en Piémont,homme habile en tout
genre de littérature , 6c qui s'eft fait une grande réputation à
Milan , à Pavie , ôc depuis à Luque, à Turin, 6c enfinà Yvrée?
piais ayant eu beaucoup à fouffrir dans ces endroits, à caufe de
D E J. A. D E T H O U , Li V. XLVI. 67^
fa Religion , il prit le parti de fe retirer à Baie , où il enfeigna .
pendant vingt-trois ans la philofophie&laRhetorique.Ilymou- Ch a rt £
rut le 24 de Novembre âgé de foixante-fept ans. Il avoit vu jy
mourir quelques années auparavant ^ contre l'ordre de la na- c- 7*0
ture 3 Auguftin Curion fon fils , jeune homme de grande ef-
perance , comme on en peut juger par quelques ouvrages de
lui qui font paflez à la pofterité.
La France vit mourir cette année Jean du Mefnil, homme De Jean du
aulTi recommandable par fon équité, par fa prudence ôc par fon cat^l^énérs^'
efprit,que par fa grande érudition. J'en ai déjà parlé avec éloge au parlement
par rapport à cette caufe des Jefuites qui fut plaidée au Parle- ^ ^^"^•
ment avec tant de vivacité cinq ans auparavant. Il ne faifoit que
d'entrer dans la cinquante-deuxième année de fon âge , 6c il
méritoit de vivre pluslong-tems, fi Dieu avoit voulu donner
la paix à la France , au lieu de l'abandonner à de nouveaux trou-
bles , & aux funeftes fuites des confeils de quelques méchans
hommes. Il avoit d'abord été Avocat au Parlement , & y avoit
plaidé pour les particuliers avec une grande réputation d'ha-
bileté , d'exa£titude , & de fidélité. Le Roi l'ayant tiré de fa pro-
fefiion pour le faire Avocat général , il s'acquitta des fonctions
de fa charge d'une manière qui augmenta beaucoup fa réputation
ayant toûjoursmontré dans cette place.outre une érudition pro-
fonde & une grande connoifi!ance du palais j une fermeté d'a-
me inébranlable , un efprit élevé fans orgueil, une conduite
fage qui ne fe démentit jamais , un amour confiant de la
droiture, & un zèle admirable pour le bien public. Il avoit
avec tout cela un efprit fi pénétrant ôcfi lumineux, quelorf-
qu'il s'agifi"oit de juger des afl^aires , il débroùilloit en deux
mots ce que les Avocats des parties avoient expliqué, ou plu-
tôt embrouillé par de longs plaidoyers : & tous les juges étoient
fi perfuadez de fon équité , que l'arrêt fe formoit toujours fur
fes conclufions. Il fembloit , qu'il di£toit au Préfident ce qu'il
devoit prononcer. Ceux qui ontfuivi cela avec quelque curio-
fité , ont obfervé que le Parleme/it n'^a prefque jamais décidé
contre fon fentiment , ni contre fes plaidoyers. Ce grand hom-
me plein d'amour pour fa patrie , ôc jaloux de la gloire du nom
François, plus même que fon état ne le comportoit, voyant que
les vices de ce fiécle fe fortifioient de plus en plus , ôc que
par une fureur, ou un aveuglement, ou il n'y avoit point de
Tome l'^, Q 9 ^ 4
i?74 HISTOIRE
,.,, ,„, remède , toutes les démarches des Grands du Ro3'anme tcn-
CrT . r> T i^ doient manifeftement à la ruine de l'Etat, en eut tant de cha-
J X S^^^ ' qu'A tomba malade d'une hydropifie , qui Femporta le
2 d'Août. Il avoit choifi avec l'agrément du Roi , pour fon fuc-
1 Ç 7 0 ^ . ^
* cefleur dans fa charge , & pour en faire les fondions pendant
fa maladie, Auguftin de Thou , né , difoit-il , d'une famille très-
zelée pour le bien public, & frcre d'ailleurs de Chriftophle
de Thou premier Préfident , pour qui il avoit toiàjours eu une
amitié ôc une vénération finguliere. On lui fît des funérailles,
comme on les fait à un confeiller du Parlement : fon corps fut
porté à faint Jean , oùileft enterré ; la pompe fut grande , mais
la trifteffe que fa mort caufaà tous les Ordres de l'Etat le fut
encore davantage. Le chancelier Michel de l'Hôpital, avec
qui il avoit toujours vécu dans une amitié aufTi intime j que l'é-
toit l'union de leurs cœurs ôc de leurs fentimens fur les affai-
tes publiques , ôc qui étoit alors relégué dans fa maifon , fit des
vers très-élegans pour pleurer fa mort , ôc lui fit une très-belle
épitaphe.
Affaires D u côté de la Saxe , les difputes entre la ville de Brunfwick ôC
a* Allemagne, j^g Pi'inces de Cette Maifon , fe terminèrent enfin à l'amiable.
Par le traité , le Sénat de la ville s'engagea de rendre au duc
Julede Brunfwick le Baillage entier d'Affembourg, qui efl: aux
environs de Wolfembutel , ôc qui avoit été engagé pour la pre-
mière fois cent foixante-huit ans auparavant par Bernard ôc
Henri de Brunfwick, pour fe mettre en état de venger l'aflaf-
fmat de Frédéric de Brunfwick ' leur frère, élti Empereur. Le
Duc de fon côté promit de donner,à titre de fief, aux deuxCon-
fuls de la Republique, les Baillage d'Eich ôc de Wenthaufen,
ôc de renoncer pour lui ôc pour fes héritiers à toute prétention
fur le fac ôc fur la vieille rue, qui font des parties de la ville de
Brunfwick, que Henri de Brunfwick père de Jule avoit tou-
jours foûtenu n'être qu'engagées j au lieu que le Sénat préten-
^oit qu'elles lui avoient été vendues.
A l'égard de la Prufle , Albert Frédéric de Brandebourg *,
I Frédéric de Brunfwick frère
de Henri & de Bernard,fut e'iù Empe-
reur à Francfort l'an 1400 , à la place
de Wenceflas qui avoit été dépofé com-
me indigne ; mais en s'en retournant il j duc de Piufîe. Idem. lib. z. c, 8,
fut affaffiné par un comte de .Waldeck
à rinftigation de l'Archevêque de
Mayence. Inihoff:
z Fils d'Albert Grand- Maître de
l'Ordre Teutonique, 8cen cette qualité
DE J. A. DE THOU , Liv. XLVI. 6'^^
nouveau Duc, ayant été folemnellement reconnu au commen- -»
cernent de l'année , à la diète de Lublin , Sigifmond Augufte Char LE
roi de Pologne ajouta à cette grâce un nouveau bienfait 5 car jx
lui ayant promis tant en fon nom , qu'au nom de fes fuccefTeurs 1^70
rois de Pologne jqu'illaifTeroit à tous les peuples dépendans de Affaires de
la PrufTe, la liberté de fuivre la Confefïion d'Auftoure:, il lui ^'f" ^ ^^
accorda de plus par une ordonnance qu'il fit publier exprès ,
que tant qu'il vivroit il ne feroit permis à aucun Gennlhom-
iTie de ce Duché d'appeller du Duc au Roi , à moins que ce
ne fiit pour une injuftice criante & manifefte^ ou pour un dé-
ni de juftice h ôc que dans les procès qui regarderoient le fim-
ple peuple, on n'écoûteroit point les particuliers qui prefente-
roient des requêtes pour demander la revifion des affaires^ ou
qui appelleroient des juges du Duc à la Cour des Pairs. Al-
bert Frédéric ayant obtenu tous ces avantages , s'en retour-
na très-content dans fes Etats,
La ville de Danzick ne fut pas fi-bien traitée : lesdivifion$
du Sénat ôc du peuple y excitèrent d'abord des troubles , ôc
lui attirèrent enfuite de grandes calamitez: car quelques-uns,
même des Magiftrats , s'étant plaints au Roi que le Sénat
s'approprioit tous les revenus ôc tous les péages de la ville ,
que tout s'y décidoit par paffion ', que le Sénat opprimoit im-
punément tous les citoyens qui lui déplaifoient , Ôc que le
peuple ne pouvoit jamais obtenir aucune juftice contre ceux
qui étoienten crédit j Sigifmond y envoya des CommiiTaires,
pour examiner l'état de la ville , ôc la manière d'adminiftrer la
juftice. Le Sénat d'abord refufadeles recevoir , ôc quoiqu'il les
eût reçus dans la fuite , Sigifmond piqué de l'affront qu'il lui
avoir fait par le premier refus , ne lui rendit aucune juftice.
Les Commiffaires royaux ayant examiné en rigueur les comp-
tes du Sénat , ôc cherchant à le brouiller de plus en plus avec
le peuple , accordèrent au nom du Roi des droits ôc des prii-
vileges exorbiians à de viles communautez , comme à des
bralTeurs , ôc à des bouchers , gens, comme on fçait, toujours
prêts à exciter des féditions , ôc ils cafferent toutes les tranfac-
tions qui avoient été pafTées auparavant , entre le Sénat ôc ces
artifans. Après cela voulant tirer leur avantage particulier des
divifions publiques, ils doublèrent le péage, que la ville d'a-
bord j ô<. enfuite le Sénat , avoient dcftiné pour l'entretien du
Qqqqij
eiô HISTOIRE
, port & des levées de la Viftule '■> & ils ordonnèrent que la moi-
Th r t F ^^^ vi^oVi au profit du Roi. D'un autre côté ils promirent l'abo-
Ty lition des Pirates , ôc la diminution ou la fupprefTion entière
de toutes les autres charges ; ôc dirent qu'il n'y avoit point
- ^ ' d'autre moyen d'appaiferle Roi, &c de lui donner fatisfadion
fur l'injure qu'on lui avoit faite. Ils changèrent outre cela en
beaucoup de chofes l'ordre de la juftice , afFoiblirent extrême-
ment l'autorité du Sénat , ôc. ébranlèrent même les privilèges
du peuple : car les affaires de conféquence ayant été jufque-là
décidées dans l'affemblée des Etats de Prulfe , & ne pouvant
être jugées ailleurs , fuivant le privilège accordé par le roi Ca-
fimir , ces Commiffaires firent un nouveau règlement , par le-
quel cette connoifi^ance étoit attribuée au Sénat du royaume
de Pologne. Ainfi les Prufîiensj qui jufqu'alors n'avoient re-
connu que le Roi pour fupericur , eurent le déplaifir de voir
leur liberté & leurs privilèges fournis à la jurifdi£tion du Sé-
nat de Pologne.
Pendant ce tems-là les corfaires Polonois, qui avoientleur
retraite dans le port de Danzick , fous prétexte d'obéir au Roi
qui étoit en guerre avec les Suédois & les Mofcovites, enle-
voient tous les vaiffeaux des villes de Revel & de Narva ,
dont la première appartenoit aux Suédois , & la féconde aux
Mofcovites , ôc ils pilloient même de tems en tems les vaif-
feaux Danois. Pour fe venger de cette infulte , Frédéric roi de
Dannemarck fit arrêter tous les bânmens de Danzick , qui
étoient dans fes ports , fous prétexte que les corfaires fe reri-
roient dans le port de Danzick. Le peuple affligé eut recours
aux commiffaires du Roi , ôc fupplia qu'on leur tînt parole,
ôc qu'on exécutât le traité qu'on avoit fait avec eux à des con-
ditions très-onereufes. On envoya des Ambaffadeurs au roi de
Dannemarc qui fit rendre les vaiffeaux : mais comme toutpa-
roiffoit tendre à la guerre , on convint de prendre pour arbi-
tres rélecteur de Saxe ' ôc celui de Brandebourg , mais cela
n'aboutit à rien. Le roi de Pologne ^ étant mort peu de tems
après , la ville de Danzick penfa à s'affurer la liberté du com-
merce , traita , enfon propre ôc privé nom, avec la couronne
de Dannemarc , fans s'être adrefifée au Sénat de Pologne , ôc
moyennant cent mille Joachins qu'elle paya , elle obtint outre
I Augufte. a Sigifmond Augufte.
DEJ. A. DETHOU. Liv. XLVI. 6tj
la reftltution des vaifTeaux ôc des marchandifes que les Da- i
nois lui avoientprifes , la liberté de la navigation ôc du com- Charle
merce dans tous les ports de Dannemarc. Ce fuccès leur ayant jy
enflé le cœur, ils fe figurèrent qu'ils ne dépendoient plus de t ç 7 q
perfonne î ce qui leur attira depuis de grands malheurs , com-
me nous le dirons en fon lieu.
Pendant qu'on facroit en Suéde, avec une affluence ex- Affaires de
traordinaire des Grands & du peuple, Jean III, fils de Gui- ^"^'^^*
tave, à la place d'Eric qui avoir été dépofé , & que tout le
monde étoit dans la joye , les flotes de Dannemarc 6c de Lu-
bec s'étant jointes le dix de Juillet, & ayant attaqué à l'im-
provifte le port de Revel , où jufque-là les vaifleaux avoient
toujours été en fureté, le prirent, le pillèrent ,ôc emmenèrent
environ trente navires chargez de toutes fortes de marchan-
difes de grand prix. La flotte Danoife étant retournée dans
fes ports , le Roi fit mettre à terre ce qu'il y avoit de troupes
& alla attaquer le fort de Warberg, dont les Suédois s'étoient
rendus maîtres : il y perdit les deux principaux oflliciers de
fes troupes Daniel Rantzau ôc Franc^ois Brakenhoufen. Mais \
le Fort le rendit le treizième de Novembre. Pendant que les
Danois étoient occupez à ce Siège , les Suédois firent des
courfes dans le payis deBleking,qui eft dans la province de
Schonen , ôc y pillèrent ôc brûlèrent grand nombre de villes
6c de villages.
Du côté des Payis-bas i le duc d'Albe ayant réûfîi dans tau- Affaires des
tes fes entreprifes , retourna à Bruxelles au commencement P^y^^-^^^,
de l'année , ôc commença à penfer aux moyens d'établir de
nouveaux évêchez en Flandre 3 ôc d'y introduire l'Inquifition
contre les perfonnes fufpettes dans la foi. Il en cita grand
nombre à l'afTemblée appellée Sanguinaire , ôc il jetta dans les
efprits tant de terreur, que la plupart abandonnèrent le payis,
Quoiqu'il n'y ait point d'endroit au monde, où il y ait tant
d'ouvriers que dans c^s provinces , la févérité des ordonnan-
ces qu'il publia , en fit fuir un fi grand nombre , que les Payis-
bas ne furent plus qu'une vafte ôc trifte folitude. La plupart
fe retirèrent en Angleterre, àcaufe du voifinage i ils y portèrent
la fabrique des draps, ôc. apprirent cet art aux Anglois, qui avant
ce tems-là ne s'appliquoient qu'à l'agriculture ôc à la nourri-
ture des beftiaux 5 ce qui a porté un préjudice extrême au
Qqqqiij
1^73 HISTOIRE
commerce des Flamands : car le nombre de ceux qui allèrent
chercher un azile en Angleterre fut Ci grand, qu'ils rétabHrent
Chari, E plufieurs villes entièrement dépeuplées, entr'autrcs Norwic,
I-^' Colchefter , Maiftone , Sandwick , Hampton , Ôc quelques
^ i" 7 o* autres j ce qui mit la reine Elizabeth en état de faire bien
delà peine au duc d'Albe. Un vaifleau de Bifcaye, ôc quatre
autres petits batimens chargez de deux cens mille écus d'or ,
étant pourfuivis par Jean Sore lieutenant deColigni, fefau-
verent dans un port d'Angleterre. L'Ambaffadeur de Philippe
II les ayant reclamez , la Reine donna ordre qu'on les relâ-
chât : mais pendant qu'ils attendoient ou un vent propre pouc
s'en aller , ou un ordre du duc d'Albe , la Reine foUicitée par
le cardinal de Châtillon, & par le vidame de Chartre, révo-
qua l'ordre qu'elle avoir donné , ôc fit mettre à terre les cin-
quante caiffcs où étoit l'argent. Elle allégua que cet argent
n'appaitenoit point au roi d'Efpagne , mais à des ncgocians
particuliers de Gènes , ôc que c'eft un droit des Souverains
de pouvoir dans le befoin fe fervir de l'argent qui appartient
aux marchands 5 qu'ainfi elle étoit réfoluë d'emprunter pour
des befoins prefi'ans cet argent , qu'elle avoir fauve des mains
des Corfaires. Elle fit publier le fixjéme de Janvier un manifcftç
à ce fujet.
Le duc d'Albe , outré de cette injure, crut qu'il y alloitde
fon honneur d'en tirer vengence. Sans confulter les Etats
du payis , ni faire attention au péril où il alloit mettre le com-
merce , qui fait toutes les forces de la Flandre , il fait arrêter
à Anvers ôc ailleurs tous les marchands Anglois , les fait gar-
der dans leurs maifons , fait faifir leurs effets , ôc les fait ven-
dre à l'encan. La Reine de fon côté permet aux Anglois d'ar-
rêter par reprefailles les Flamands , de mettre leurs biens en
fequellre , d'amener dans les ports les vaiffeaux qui étoient à
la rade, ôc de les garder jufqu'à ce qu'on leur eût donné une
pleine ôc entière fatisfadion. Chacun ayant ainfi fatisfait foi*^
refientiment , on commença à parler d'accommoder cette af-
faire. Le duc d'Albe avoit reconnu, quoiqu'un peu tard, la
faute qu'il avoit faite, ôc que les Efpagnols ôc les Flamands
fouffroient beaucoup plus de l'interruption du commerce, que
les Anglois ; parce que ceux-ci fur ces entrefaites avoient en-
voyé leurs draps à Hambourg , ôc n'avoient point eu d'autrp
DE J. A. DE T H O U, L I V. XLVI. 6-]^
hial , que de tranfporter la place de leur commerce en Aile- ■
magne , au lieu qu'elle étoit en Flandre. Leduc d'Albe en- c^arlE
voya donc à Londre Chriftophle d'Affonville : mais comme jy
il n'avoir point de lettres du roi d'Efpagne , la Reine lui re-
fufa l'audience , & le renvoya avec méprisa fon Confeil,pour
y propofer ce qu'il avoir à dire : elle dit hautement qu'elle
regardoit comme un outrage inllgne Tinfulte , que le duc d'Al-
be lui avoit faite fans raifon & fans ménagement.
Le fier Efpagnol , piqué du nouvel affront que la Reine ve-
noit de lui faire , fit publier une ordonnance le premier d'A-
vril j pour défendre tout commerce avec l'Angleterre , fous
peine de confifcation contre les contrevenans , jufqu'à ce qu'il
en eût été autrement ordonné 5 ôc afin que fon ne pût éluder
fes ordres , il propofa en même-tems des récompenfes aux
dénonciateurs : mais à la referve de quelques Anglois ban-
nis , il ne fe trouva pas beaucoup de gens qui vouluffent fe
mêler de ce métier odieux. Un de ces bannis , nommé Guil-
laume Parcker , avoit fous lui un Do£leur , nommé Jean
Storie , qui avoit étélnquifiteur en Angleterre, fous le règne
de Marie. Mais dans ce tems , foit pauvreté , foit envie de
faire du mal à fes compatriotes, il fe mit à faire le métier de
délateur. On vint dire à ce vieillard avide , qu'il y avoit un
bâtiment nouvellement arrivé d'Angleterre , qui étoit rempli
de marchandifes de grand prix. Il y court tranfporté de joye
& entre dedans j mais à l'inltant il y efl: enfermé par un ma-
telot nommé Corneille d'Eychen , que les Anglois avoient
payé pour cela , ôc fur le champ le vaiffeau met à la voile ,
& emmené Storie en Angleterre : au lieu de la récompenfe
qu'il efperoit , comme dénonciateur de ce vaiffeau de contre-
bande, il fut condamné à être pendu comme traître, ôc com-
me chef des bannis conjurez contre la Reine , titres contenus
dans l'ignominieux écriteau qu'il portoit îorfqu'on l'exécutao
Le commerce ayant ccffé entièrement , ôc les peuples des
Payis-bas en murmurant tout haut , le duc d'Albe envoya en
Angleterre ChiappinoVitelli, marquis de Cetone , étant perfua-
dé qu'un homme de cette confidération feroit mieux reçu par la
Reine : il avoit avec lui le docteur Fonck , & la Tour fecre-
taire du Duc, pour l'aider dans fa négociation. Il n'y eut rien
t^u'il ne fit pour obtenir que l'argent fût reftitué , ôc que les
6^0 HISTOIRE
I hoftilitez ceflaflent à l'avenir i mais on ne lui accorda rien.
C H A R L E Lorfqu'il fut retourné en Flandre , le duc d' Albe publia contre
jy les Anglois des Ordonnances encore plus terribles que toutes
^ _ les précédentes j ce qui porta un grand préjudice aux négo-
ciations publiques , ôc un plus grand encore au commerce des
Payis-bas.
Cependant le duc d'Albe, qui n'avoit alors aucune autre
affaire que celle dont je viens de parler , employoit toute fon
adrefle à amafler de l'argent. Il fit à ce deiîein aflembler les
Etats , ôc leur ayant expofé la nécelTité où il étoit d'avoir des
fonds pour les frais , tant de la guerre précédente , que de
celle qu'il feroit obligé de faire à l'avenir pour ladéfenfedu
payis , il leur propofa de faire payer un droit fur tout ce qui
fe vendroit, qui feroit d'un dixième fur le prix des meubles,
&c d'un vingtième fur celui des immeubles 5 6c outre cela le
centième de tous les biens , tant meubles , qu'immeubles , que
chacun poffedoit. Cette propofition déplût extrêmement : car
outre que cette exaâion étoit énorme^ que pouvoit-on imaginer
de plus fâcheux , que de réduire tous les particuliers à donner
un compte rigoureux de tous les biens qu'ils pofTedoient ? Ainlî
après quelachofe eut été beaucoup debatuë , quoiqu'ils euffent
enfin confenti au dixième ôc au vingtième, ils ne laiflerent pas
dans la fuite de fe plaindre hautement qu'on leur fît payer le
dixième du pain ôc de la bière qu'ils confommoient. Les bou-
langers ôc les braffeurs deBruxelles ayant ceflè pendant quelques
jours de travailler, on fut enfin contraint defe relâcher fur ce
point. Les peuples de Frife ôc de la Gueldre donnèrent une
fomme pour fe racheter du centième 5 on demanda de gran-
des fommes aux autres provinces pour avoir la même exemp-
tion. Cela fit naître de nouvelles difficultez fur la portion que
chaque province payeroit de la fomme totale qui étoit deman-
dée en général j car fuivant les anciens reglemens la Flandre
payoit un tiers de toute l'impofition; le Brabant un quart, la
Hollande le quart de la taxe de la Flandres l'Artois, leHai-
naut , ôc les autres provinces payoient chacune un fixiéme :
mais les Flamands ôcles peuples du Brabant reclamoient con-
tre ce règlement , ôc prétendoient qu'il avoit été fait pendant
que leurs princes étoient en guerre avec la France , afin que
les provinces qui par leur voifinage étoient les plus expofées
aux
DE J. A. DE THOU,Liv. XLVL 6ix
aux malheurs de la guerre , fuflent les moins chargées ; mais , >
qu'étant pour lors en paix, il étoit fâcheux pour les habitans ç^ „ . „ i
de la Flandre & du Brabant, de payer un tiers , ôcun quart, jy !
pendant que les payis voifins de la France payoient beaucoup _ ^ * !
moins j qu'il feroit bien plus raifonnable de rejetter fur ces ^ ' * i
provinces une partie de la charge exceiïive que la Flandre ôc '
le Brabant portoient. Au contraire les peuples de l'Artois ,
du Hainault , de la Châtellenie de flfle , d'Orchies , de Douai, j
& de Namur , foûtenoient qu'il falloit s'en tenir aux anciens ' i
états. Toutes ces difputes rendirent la levée de ces deniers i
très-difficile, ôc aliénèrent tellement les efprits, que ce fut la '
fource des nouveaux troubles qui s'élevèrent bien-tôt après. ]
Pendant que cela fe paffoit en Flandre , Charle Nicolaï Na- i
politain y arriva de la part du Pape : il apportoit au ducd'Al- j
be une épée dorée y & un chapeau garni de diamans , qui i
avoient été bénis folennellement à Rome. Nicolaï les lui pre- i
fenta avec Xq'?, cérémonies les plus étudiées, au nom du Pape \
ôc des Cardinaux , comme une récompenfe de fon zélé extrê- |
me pour la religion Catholique, ôc des fervices qu'il avoitren- - \
dus au Saint Siège. Le duc d'Albe l'ayant remercié de ce \
prefent , voulut encore donner des marques publiques de fa joye |
par des tournois , ôc des courfes de bagues i ôc l'on vit dans
cette même place , où un an auparavant on avoit fait mourir
tant de grands Seigneurs , les Efpagnols , ôc les gentilshom- i
mes des plus grandes maifons , rompre des lances les uns con-
tre les autres. I
Dans ce même-tems on travailîoit en diligence à achever Monument |
dans les Payis-bas un grand nombre de citadelles , qu'on y l^ duc'^d'Al- !
avoit commencées , ôc fur tout celle d'Anvers. Lorfqu'elle be.
fut prefque achevée, le duc d'Albe voulut en travaillant à la
fureté de la province , travailler en méme-tems pour fa gloire j
particulière. C'eft dans cette vue qu'il s'y fit ériger un Monu- (
ment fuperbe , mais qui le fit plus haïr qu'il ne lui fut glorieux.
Pour exécuter ce deffein , il fît fondre le canon qu'il avoit I
pris fur Louis de Nafîau à la bataille de Gemminghen , ôc il |
en forma une maffe énorme de bronze. Sur un pié d'eflal de i
cette maffe étoit fa ftatuë , vêtue d'une cuiraflfe , le bras droit
étendu vers la ville j il y avoit à fes pieds deux fîatuës de bron- i
ze , profternées dans la pofture de fupplians , avec plufieurs j
Tome V^ R r r r '
(^72 HISTOIRE
bras qui tenoient dans leurs mains des requêtes , des hâcîie?
Charle t>nrées , des bourfes ; des flambeaux & des maillets : elles
I X. reprefentoient la Noblefle ôc le Peuple terralTé , Ô£ le Clergé
1770. ^ couvert de leur violence. Ces malheureux avoient des écuel-
les pendues à leurs oreilles , ôc des befaces de gueux à leui*
cou , pour fervir à rappeller le nom de gueux que l'on avoit
donné aux Proteftans des Payis-bas. Du pié de ces ftatuës il
fortoit des ferpens & des couleuvres , avec des mafques ôc
d'autres figures épouvantables , qui ctoient des fymboles de la
faufleté , de la malice, & de l'avarice des vaincus. Sur le de-
vant du pié d'eftal il y avoit un marbre d'azur :, avec cette inf-
criprion : y^ la gloire de Ferdînand Alvarez de Taiede , didc-
d''Âlhe , Gouverneur général de la Flandre pour Philippe roi
d'EJpagne y pour avoir éteint les /éditions , chajfé les rebelles y
mis en fureté la religion , fait ohferver la juftice <& affernni la
paix des provinces , ce Monument a été élevé au minière le plus
fdele du meilleur de tous les Rois.
Au côté droit du pié d'eftal on voyoit un berger qui me-
noit paître fes brebis : les loups ôc les lions fuyoient de tous
cotez ', les hiboux , ôc les chauvefouris s'envoloient au levée
d'une aurore , qui dilïipoit tous ces monftres par l'éclat de fa
lumière, avec ces deux mots grecs , A^M^/k^zo^ H'^o5 3 P Aurore
ehaffant taus les maux,
L'Infcription du côté gauche étoit : Au Dieu de nos Peres^
6c un peu au-defl"ou5 étoit La Pieté , avec des trophées ôc
les autres fymboles de la victoire.
Au-deflbus de fa ftatuë on lifoit ces mots * Fondu par Jon^
geling ^ du hron'ze pris fur P ennemi.
Quoique le duc d'Albe fut extrêmement à charge aux peu-
ples des Payis-bas par la févérité outrée de fes jugemens , par
lexadion des impôts nouveaux j qu'il avoit établis à la place des
anciens, qui étoient bien moins onéreux, Ôc par le renverfe-
ment total des privilèges , des franchifes ôc des immunitez de
ces provinces , on peut dire cependant que rien ne leur ren-
dit fbn nom ôc celui de&Efpagnols fi odieux que ce Monu*
ment. Ce fpeftacle , qui étoit toujours devant leurs yeux , fem-
bloit leur dire fans ceffe , non qu'ils avoient été une fois vain-
cus i Ôc réduits à fe foumettre , mais qu'ils éroient condam-
nez à uia efclavage éternel ; eniin ils s'imaginoient fe yoii;
D E J. A. D E T H O U, L I V. XLVL 613
enchaîner ôc mener tous les jours en triomphe. On dit que Phi- ^^_____
lippe même defapprouva l'orgueil de cet homme , qui pour- Çpj^^^LE
tant, de l'aveu même de fes ennemis, étoit un des plus grands ^y^.
Généraux de fon fiécle. Quatre ans après Louis de Reque- i r n q, î
fens , qui fucceda au duc d'Albe dans le gouvernement des * j
Payis-bas , eut ordre du Roi d'abattre ce Monument. En ef- ^
fet, dans le tems que j'étois à Anvers, je le vis dans un coin \
de la citadelle abandonné Ôc couché à terre ; & j'avoue que j
je fus également frappé de la beauté admirable de cet ouvra- j
ge , ôc de l'orgueil infenfé de celui qui l'avoir fait faire. \
Il y eut cette année plufieurs Phénomènes en differens en- Differens j
droits : à Louvain il y eut un tremblement de terre qui fut PhcnomcT j
fuivi d'une tempête extraordinaire , la terre parut plufieurs fois ^'^^' 1
s'entr'ouvrir. Les quatorzième ôc dix-neuviéme de Mai on vit
des feux voler dans l'air , le tems étant très-ferein. Le huit de
Novembre on vit à PafTau ôc à Saitzbourg en Bavière une
comète livide, dont il fortoit des rayons enflâmez. Elle parut à
l'entrée du cinquième degré du Capricorne , auprès d'une étoile
brillante qui eft dans le figne du Sagittaire 5 fa queue étoit tour- i
née du côté de l'Orient , Ôc fon mouvement la portoit vers (
l'Occident : ce fut Benoît Valere Aftrologue qui l'obferva. On 1
prétendit que tous ces Phénomènes étoient des avant-coureurs '
de nos divifions. \
11 y eut auiTi en Angleterre différentes fortes de troubles : y- h
Edmond Boteler , frère du comte d'Ormond, remua du côté en idandc..
de l'Irlande , ôc affifté de fon frère Pierre ôc de fes autres frères,
il ravagea long-tems le payis de Mounfter, qui étoit dans fon |
voifinage, pillant ou brûlant tout. Pourfe mettre à couvert de j
la punition , il le ligua avec Jacque Fitz-moris, de la maifon
de Defmond ,avec Marc Artimore , Fitz-Edmond Sénéchal
d'Imokel , ôc avec quelques autres , qui vouloient rétablir dans
ce payis -là l'ancienne religion de leurs pères: le Pape même I
ôc Philippe II. entrèrent dans la confpiration , ôc le dernier pro- |
mit de leur envoyer des fecours de Flandre. Ils furent decia- j
rez rebelles en Angleterre , ôc l'on envoya contr'eux Pierre j
Careu l'aîné , qui leur fit la guerre avec differens fuccès , mais
qui du moins empêcha leurs courfes. Ils affiégerent Kilken, j
ôc demandèrent qu'on leur livrât la femme de Warham de j
Saint Léger : mais ayant été chaffez de devant la place par unq \
R r r r ij
574 HISTOIRE
. fortie vigoureufe que la garnifon fit fur eux ", ils fe jetterent
Charle ^^^ lepayis d'alentour , ôc ils y firent d'horribles ravages. Le
j-^ duc d'Albe leur envoya fecrettement Jean deMendole, pour
* les animer ôc les affermir dans leur révolte ; mais ce feu fut
éteint par le comte d'Ormond , qui y ayant été envoyé d'An-
gleterre , pcrfuada à fes frères rebelles de s'abandonner à la
clémence de la Reine: ils fe rendirent donc prifonnierspour
marque de leur foumiiïion. Le crédit que leur frère avoit au-
près de la Reine empêcha qu'ils ne fuflent mis en juftice. Cette
PrincefTe d'ailleurs fut bien aife de trouver cette occafion, de
donner aux mécontens une preuve éclatante de fa bonté 3 ôc
de gagner par ce bienfait une grande ôc illuftre Maifon , qui
lui étoit déjà attachée par une parenté très-proche. Le Viceroi
envoya contre le refle des Rebelles Hunfroy Gilbert:, qui ache-
va de les diiïiper.
Il y eut d'autres troubles dans la province d'Ulfter , exci-
tez par Turlog Leinig , homme léger , livré à toutes les paf-
fions de fes gens j qui lui faifoient faire la paix ou la guerre à
leur gré : ce ne fut pas tant la réfiftance des garnifons qui fit
cefier fes ravages , que \qs courfes continuelles des habitans des
Ifles Hébrides. Pendant qu'il étoit occupé à faire la guerre en
Angleterre , ces infulaires fortoient de leur payis , où il ne croît
rien , entroient dans le fien qui erttrès-fertiie, ôc y ravageoicfit
tout.
Il y eut beaucoup plus à craindre du côté de l'Ecofie. Jac-
d'Ecoii"^^ que de Murray feigneur EcofTois^ qui en étoit Viceroi , y
étant retourné d'Angleterre ^ convoqua à Sterhn tous les grands
qui étoient dans le parti du Roi. On lut dans cette affemblée
le traité qu'on venoit de faire avec Elizabeth , ôc il y fut gé-
néralement apptouvé ôc applaudi. Dans le même tems Jacque
Hamilton , chef de fa famille , qui avoit été adopté pour père
par la Reine , chofe dont on n'avoit jamais vu d'exemple ,
fe rendit auili en Ecofie , en qualité de lieutenant général du
Royaume pour cette Princefle. Elle fit aufii-tôt publier des
Edits, qui défendoient à tous les EcofTois d'obéir à d'autres
qu'à ceux qu'elle avoit mis en place. Ceux du parti du Roi ,
ayant ramaiiéquelquesfommes d'argent, foudoyerent les trou-
pes ôc fe difpoferent à la guerre : le rendez-vous fut à Glaf-
cow, où l'on s'y rendit en grand nombre de toutes parts.
DE J. A. DE T H ou, Liv. XLVI. 67;
Hamilton voyant qu'il fe rangeoit peu de monde de fon
côté, ôc qu'il s'étoit trompé dans fon elperance, trouva bon Charle
que fes amis négociaflent un accommodement. La condition j x,
fut qu'il reconnoîtroit le Roi pour fon fouverain ^ le traité fut j ^ - q^
fait fur ce pie là. Gilepfic Cambell comte d'Argathel, ôc Geor-
ge Gordon comte de Huntley refuferent d'y être compris ,
piquez contre Hamilton de ce qu'il s'étoit, difoient-ils Jlvré
lui-même à fes ennemis , au lieu qu'il ne favoit fait que dans
la dernière néceffité. Comme ils efperoient des conditions
plus avantageufes, par la crainte que leurs ennemis avoient
de leur puiffance , ôc qu'ils étoient encore animez par les let-
tres de la reine Marie , qu'on difoit gardée moins étroitement
que par le paffé , ils demandèrent qu'on rompît l'aflemblée ,
ôc qu'on la remît au neuvième du mois de Mars. Il s'éleva à
ce fujet unedifputcj ôc Flamilton ayant avoué, avec plus de
fîncerité que de prudence , que ce n'étoit que par force qu'il
avoir confenti au dernier traité , ôc que s'il étoir en pleine li-
berté , il n'approuveroit rien de tout ce qui s'étoit fait , le
Viceroi le fît arrêter fur le camp avec Maxwel fon principal
confeiller , ôc les fît enfermer tous deux dans le château d'E-
dimbourg.
On délibéra enfuite fur les comtes d'Argathel Ôc de Hunt-
ley : il n'y eut pas grande difficulté pour le premier ; par-
ce que quoiqu'il eût été dans le parti contraire pendant fab-
fence du Viceroi , il s'étoit toujours montré fort modéré, ôc
avoir mené fes troupes par-tout le Royaume fans faire de mal
à perfonne. Ainii à fon égard , lorfqu'il fut à Saint André , on
fe contenta qu'il fît ferment d'obéir , ôc d'être fidèle au Roi
à l'avenir j avec la claufe que s'il manquoit à fa parole , il
confentoit non-feulement d'être foûmis aux peines portées par
les loix , mais qu'il vouloit bien paffer pour un homme fans
probité ôc fans honneur. L'affaire de Huntley ne fut pas fi aifée
à régler. Sa fidélité toujours chancelante le rendoit fufpeêl au
parti du Roi ; ôc la mémoire toute récente des ravages qu'il
avoir faits dans les terres de fes voifms , le rendoit odieux à
ceux du payis. Mais d'autres difoient que le meilleur parti qu'il
y eut à prendre , étoit de guérir , s'il fe pouvoir , les maux pu-
blics , fans ruiner perfonne, ôcfans verfer de fangi qu'ainfi ils
étoient d'avis qu'on fît grâce du pafle à un homme puiffant ,
R r r r iij
iSjê HISTOIRE
foLitenu pai' de grandes alliances & par un grand nombi'e de
C H A R L E vaflaux , ôc qui pourroit , Ci on le mettoit au defefpoir , raflem-'
IX. bler des forces redoutables. D'autres alléguoient que fonpere,
1570. Toûtenu par toutes les forces de fa famille floriffante , avoitété
très-aifement abattu j que le fils , qui s'étoit trouvé accablé fous
les ruines de fon père , ne s'étoit pas encore bien relevé ;
qu'ainfi on ne devoir pas appréhender qu'en le pourfuivant ,
félon les loix , il en pût arriver aucune chofe qui troublât la
tranquillité publique. On prit un milieu j on ne refufa point
au comte de Huntely le pardon de fa révolte j mais on ne
voulut pas lui remettre fes brigandages , ni le profit qu'il en
avoit tiré. On lui permit de prendre des arbitres , & de tran-
jfiger à l'amiable avec ceux qu'il avoit dépouillés de leurs biens.
A l'égard de ceux qui l'avoient fuivi, on ne fît point de rè-
gle générale , on fut d'avis de les juger chacun en particulier.
On voulut bien cependant que fes domeftiques ne flifTent point
mis en juftice , ôc on lui permit de décerner lui-même con-
tr'eux les peines qu'il jugeroit à propos.
La paix étant ainfi conclue , quoique d'une manière affés
peu folide , le Viceroi marcha avec fes troupes vers le Nord
d'Ecoffe j ôc y ayant pacifié tout à fon gré, contre l'attente de
bien des gens , il s'en revint à Perth , oui il reçut une lettre de
Robert Boydj qui lui donnoit avis qu'on avoit découvert une
confpiration contre la reine Elifabeth : mais Boyd ajoûtoit que
cette Princeffe étoit i\ puiflante ôc en même-tems fi fage , que
quand on auroit réuni contre elle toutes les forces d'Angleterre
il ne feroit pas aifé de lui réfifter : voici le véritable état de
cette affaire.
Confpira- La reine Marie ayant mal réuffi dans fon payis , pafla en
'^kterre. ' Angleterre. Elle n'y fut pas plutôt , qu'elle fongea à y exci-
ter des troubles, ôc la chofe ne paroiffoit pas difficile , dans un
tems que les efprits étoient dans un grand mouvement ôc
très-échauffez , par la douleur que leur caufoic le changement
qu'on venoit de faire dans la Religion. D'ailleurs le Pape les
aigriflbit encore, ôc leur faifoit valoir le mieux qu'il pouvoir fes
forces , ôc celles des autres Etats Catholiques. Les François
ôc les Efpagnols y contribuoient auiTi , ôc c'étoient ceux qui
jétoient le plus en état de le faire. Mais la jaloufie naturelle , qui
;:es:noit entre les deux Monarques , ne permettoit ni à l'un ni
D E J. A. DE THOU,Lrv. XLVI tnl
\ l'autre , quelque abbattu ôc quelque épuifé qu'il fût par les
guerres paftees , de fouffrir que fon rival devînt plus puiflant ^ '
& fît pancher la balance de fon côté , en fubjugant l'Angle- -rt? ^
terre. Leur inaction n'empêcha pas les Anglois , fâchez qu'on
leur interdit la religion de leurs pères , de continuer leurs in- * 5 7 ^«
trigues. Le peuple , toujours prêt à donner dans la nouveauté,
jettoit les yeux lur tous les Grands , pour voir s'il n'en trou-
veroit point quelqu'un , qui fût en état de foûtenir une fi bon-
ne caufe , ôc qui eût afiez de vertu , pour qu'il pût lui confier
fes biens ôc fa vie : ils crurent appercevoir ce caradere dans
Thomas Ho^t'ard duc de Norfolcic. C'étoit le premier hom-
me du Royaume , ôc par fa naiffance ôc par fes biens , ôc par
les fervices de fon père y quoique payez d'une fin honteufe:
D'ailleurs il avoir une grande réputation de prudence parmi
ceux qui le connoifloient. Comme on cherchoit un chef pour
ce parti , ce Seigneur engagé beaucoup plus par les appas d'une
fortune qui le flattoit > que par fa propre inclination , fe joi-
gnit plutôt à eux par imprudence , qu'il ne fe fit leur chef par
un delfein prémédité. Il avoir eu trois femmes qui toutes trois
lui avoient apporté de grands biens : mais c'étoit la première -
qui l'avoit le plus enrichi. Elle étoit fille du comte Henri d'A-
rondel , un des premiers Seigneurs du Royaume : elle avoir
une focur ^ mariée au baron de Lumley 3 qui avoir de grands
biens dans le Nord d'Angleterre. Le comte d'Arondel avoir
été vingt-fix ans auparavant grand Maréchal fous Henri VIII ^
dans le tems que ce prince mit le fiége devant Boulogne ,
ôc depuis grand Maître de la Cour : mais lorfqu'il eut per-
du l'efperance d'époufer la Reine , il fe démit de cette char-
ge , ôc ne fongea plus qu'à mener une vie tranquille. Le
troifiéme, qui le joignit à eux, fut Guillaume Herbert comte
de Pembrock , qui fous Henri VIII avoir été grand Cham-
bellan , fous Edouard , grand Ecuyer, ôc fous Marie , com-
mandant des troupes contre Viat , ôc général de l'armée auxi-
liaire que cette princefie envoya au ^\é.gç^ de Saint Quentin.
Depuis deux ans il avoit été fait grand maître de la Cour à la
place du comte d'Arondel. Il avoit deux fils , l'un de la fœur
de Guillaume Parry marquis de Nortampton, l'autre de Cathe-
line , fixiéme Ôc dernière femme d'Henri VIII. L'aîné époufa
a Elle s'appelloit Marie, j z Jeanne d'Arondel
6l^ HISTOIRE
_____^,^_,^__^ la fille de George Talbot comte de Schrewibury : bien des
■~ gens crurent que le comte Thomas de SufTex entroit aufli dans
^^^^^ cette conjuration; mais ce ne fut pas fi ouvertement , qu'il ne
le pût nier , lorfqu'elle fut découverte.
'57 0» Norfolck , qui étoit revêtu de la plus grande dignité du
Royaume après la Reine i dont il étoit proche parent , foû-
tenu par de grands biens ôc par un grand nombre d'amis ôc de
vaflaux , étoit en droit d'afpirer à tout ce qu'il y avoit de plus
élevé ; mais ce qui l'animoit le plus étoit la jaloufie qu'il avoit
contre Edouard Seymer comte d'Herfort. Il étoit au defef-
poir , lui 6c tous ceux de fon parti, que ce Seigneur fût appel-
lé à la fucceiïiondu Royaume, en cas que la Reine n'eût point
d'enfans ; parce qu'il avoit époufé Catherine fille de Henri Grey
& de Françoife Brandon. Cette Brandon étoit fiile de Char-
le Brandon duc de Suffolck, & de la princeffe Marie d'An-
gleterre , féconde foeur de Henri VIH ôc féconde femme de
Louis Xn.
Norfolck ayant trouvé une occafion favorable, vint à Lon-
dres avec le comte d'Arondel , Pembrock ôc Lumley , ôc fup-
pîia très - humblement la Reine , par un difcours préparé , de
vouloir bien nommer un fucceffeur à la couronne , en cas qu'el-
le vînt à mourir fans enfans : il ajouta que cela étoit d'une ex-
trême importance pour la tranquillité publique, ôc qu'il y al-
loit de fa gloire de prendre des mefures pour l'afTurer , même
après fa mort : Que foit qu'elle regardât les loix, ou les vœux de
tous fesfujets, cène pouvoit être que le prince d'EcofTejque
ce droit lui appartenoit comme au plus proche héritier , tant
du côté paternel , que du côté maternel 5 Que fon père étoit
petit-fils de Margueritte d'Angleterre fœur aînée de HenriVUI,
qui avoit été mariée en premières noces à Jacque IV roi d'E-
colfe, ôc qui époufa après la mort de ce Prince Archambaud
de Duglas comte d'Anguish, dont elle eut une fille nommée
Margueritte, qui naquit à Harbet dans le Northumberland ,
aux confins de l'Angleterre, ôc qui fut auîTi mariée en Angle-
terre à Mathieu Stuart compte de Lenox, dont elle eut Henri
Stuart père de Jacque VI: Qu'ainfi illaprioit,qu'ilfût defigné
fon fucceffeur; parce que la fucceflion ne pouvoit refterdou-
teufe , fans donner occafion à de nouveaux troubles , qui s'é-
leveroient peut-être dès fon vivant , ôc qui au moins naîtroient
infailliblement.
D E J. A. D E T HO U, Lïv. XLVJ. 6n^
infailliblement après fa mort, ôc que Norfolck ajouta pour -
lui-même de très-humbles prières à la Reine , lui demanda per- r; h a R L E
miffion d'époufer Marie Stuart reine d'Ecoffe , avouant que fans jx
ion agrément il ne le pourroit ni ne le voudroit faire : Que quoi- 1^70.
qu'il ne fit cette demande qu'en fon nom, l'objet principal
de fa penfée étoit, qu'il ne falloit marier cette Princeffe qu'à
un feigneurné dans l'ifle de la Grande Bretagne, qui n'ame-
nât rien d'étranger dans ce Royaume, ni mœurs, ni proiets ,
ni puiffance : Que cela étoit de la dernière importance pour
conferver l'union des deux couronnes : Qu'il falloit outre cela
un homme attaché à la reine d'Angleterre, qui étoit en effet
très-digne qu'on s'attachât à elle : Un homme qui travaillât de
toutes fes forces à éteindre les reftes des anciennes haines , à
nourir Ôc entretenir l'amitié ôc l'intelligence entre les deux na*
tions , ôc à prendre de bonnes mefures pour empêcher qu'elle
ne fe rompît à l'avenir: Qu'il fe flatoit que la Reine avoitlieu
d'attendre tout cela de lui.
Il y avoit dans ce difcours bien des chofes qu'il étoit diffi-
cile que la Reine prit en bonne part. Premièrement , elle fe
fouvenoit que dès les premières années de fon règne, Marie
repaffant de France en Angleterre, lui avoit fait faire des pro-
pofitions femblables par fes Ambaifadeurs , & que Norfolck
n ignoroit pas la réponfe qu'elle lui avoit faite , qui marquoit
affez que cette demande ne lui plaifoit pas; elle voyoit bien
que fi elle renouvelloit la même propofition , ce n'etoit pas afin
d'aflurerpour le prefent& pour l'avenir le repos du Royaume,
dont elle étoit perfuadée qu'elle fe foucioit peu. C'étoit en effet
une hardieffe extrême & peu fenfée à un fujet, de prétendre ob-
tenir dans un tems peu favorable ce qui avoit été expreflement
refufé àuneReine. Elle jugea donc que le defiein de Norfolck
en faifant cette demande n avoit pas été de l'obtenir , mais d'a-
voir par un refus un prétexte defe mettre à la tête d'une fac-
tion , qui fe formoit dans le Royaume. Ce mariage , que Nor-
folck propofoit, la bleflbit d'autant plus, qu'elle jugeoit bien
qu'il n'avoit pas fait une pareille demande fans l'aveu de la rei-
ne d'Ecoffe. Elle voyoit d'ailleurs que cette Reine, deux fois
veuve ^ ôc qu'on difoit encore mariée à Bothwel , n'étoitpas
plutôt entrée dans un royaume voifin, qu'elle avoit fongé à con-
traûer un quatrième mariage avec un des plus grands Seigneurs
7 orne y, Sf ff
680 HISTOIRE
de ce Royaume, avant même que d'être déliée du troifiéme.
Charle Q*^^ fignifioit tout cela, fmon que fous prétexte de chercher
l^ un azile, elle cherchoit à femer des troubles dans un royau-
j ^ j Q^ me, dont elle prétendoit que la fuccenion appartenoit à elle
& à fes enfans.
Elizabeth fe fouvenoit encore , que dès que la Reine d'E-
cofTe eut mis le pié en Angleterre , elle étoit allée loger chez
Scrope , qui commandoit fur la frontière des deux Etats. Or ce
Scrope avoit époufé une fœur de Norfolck ; ôc il y avoit beau-
coup d'apparence que c'étoit cette fœur qui avoit négocié le
projet de ce mariage entre la Reine Marie ôc fçn frère. D'ail-
leurs la reine d'Angleterre n'ignoroit pas qu'il y avoit desmou-
vemens dans le Royaume? que le peuple murmuroit tout haut
contre le changement introduit dans la Religion , & que la
Noblefle même étoit mal difpofée en bien des endroits j enfor-
te qu'il étoit comme fur qu'il y auroit des troubles , s'il fe trou-
voit un chef.
Cette confidération détermina Elizabeth à faire obferver les
niouvemens , les intrigues , les entreprifes de Marie. Elle char-
gea de ce foin George Talbot comte de Schrewfbury, Edouard
Hafling comte de Huntington, ôc Henri KnoUe frère du Vice-
chambellan. A l'égard des demandes de Norfolck ôc de fes
partifans, elle leur fit dire par le chanceHer Jean Bacon , par
Guillaume Cecil fecretaire d'Etat , par François Knolle Vice-
chambellan , ôc par quelques-uns des principaux de fon confeii,
de nepluspenfer à un deflein téméraire, ôc qui leur feroit per-
nicieux. Par cette réponfe ambiguë elle fe débarafTa de leurs
demandes, Ôc leur fit afiez entendre que leur propofition l'a-
voit indifpofée contre eux. Leur première démarche après cela
fut d'aller à Nonfuch chez le comte d'Arondel , ôc de là à Wil-
tone , où Pembrock demeuroit ordinairement. Cela fit juger
à la Reine qu'ils vouloient entreprendre quelque chofe, à l'ai-
de deshabitans de ces provinces feptentrionales, toujours dif-
pofez à exciter des féditions.
La Reine crut qu'il y auroit de l'imprudence à attendre que
le parti des Conjurez fe fortifiât : c'eft pourquoi elle fit partir
de Londres des gens de confiance pour prévenir leurs defîeins.
Ceux qu'elle chargea de cet emploi firent tant de diligence,
qu'ils furpriïent Norfolck , ôc le conduifirent à la Reine , qui
D E J. A. D E T H O U. L î v. XLVL €$1
ëtoit à Windfor environ à huit lieues de Londres : les gardes
du corps eurent ordre de le conduire fur le champ à la Tour Char le
de Londres , pour y demeurer jufqu'à ce que la Reine en or- jx
donnât autrement. i c 7 o,
A cette nouvelle, Thomas Percy comte de Northumber-
land^ôc Nicolas de Newal comte de Weftmotland , foHicitez
par Nicolas Mofton prêtre Anglois, que le Pape avoir envoyé
aux Conjurez , entreprirent de rétablir l'ancienne Religion
que quelques fcelerats, difoient-ils, qui étoient auprès de la
Reine, a\'oient prefque entièrement abolie. Ils commencè-
rent par publier un manifefte, pour rendre raifon de leur entre-
prife i après quoi ils fe mirent à lever des foldats fur la fron-
tière du côté du Nord. Ils demandoient par leur écrit, que
la Religion fut rétablie , que la Reine chafsat fix de fes con-
feillersj qu'elle rétablît ceux qu'elle avoit dépouillez de leurs
charges j enfin qu'elle accordât une amniftie générale. Leur
manifefte fut foufcrit par le Chevalier Chriftophie Flanet, par
Richard Norton ,par François fon fils, ôc par quelques autres.
On n'y dit pas un mot du mariage de la Reine d Écofle avec
le duc de Norfolck, afin que le prétexte de la guerre fût plus
fpecieux. Ils avoient déjà un corps d'environ neuf mille hom-
mes. Elizabeth , dont les forces n'étoient pas encore alîem-
blées , fit en attendant publier contre eux une ordonnance
le 24 de Novembre, par laquelle après avoir parlé avec force
de la conjuration des comtes de Northumberland, de Weft-
morland , ôc de leurs complices, ôc avoir expliqué tous les
moyens qu'elle avoit employez pour empêcher qu'ils n'en vinf-
fent à une révolte ouverte, elle les profcrivoit comme traî-
tres ôc rebelles , ôc enjoignoit à Henri comte de Suflex , qui
commandoit fur la frontière du côté du Nord, d'y faire pu-
blier fon ordonnance royale, ôcde pourfuivre les rebelles ôc
leurs partifans.
Cependant Elizabeth /difTimulant fon reflentiment dans la
conjonélure prefente , écrivit aux Etats d'Ecode aflemblés à
Perth, prefque dans le même-tems que Marie leur écrivoir de
fon côté. Elizabeth leur propofa trois conditions ; la première
qu'ils rétabliffent la Reine dans le rang ôc dans fautorité qu'elle
avoit eue, ôc s'ils ne pouvoient accorder cet article , qu'elle
jouît du moins , en commun avec fon fils, des honneurs de la
Sfff ij
622 HISTOIRE
^^____^ royauté, ôc qu^on mît fon nom dans toutes les lettres & dans tous
"Z les ades quiémaneroient de l'autoritéRoyale ; ôcau cas qu'on
Charle „„ 14 j • 1' -1' ' 11 A • A*
j^ ne voulut accorder ml un ml autre ^ quelle put au moins, n
elle vouloit , mener une vie privée dans fon palais , où elle joùi-
^ ' ' roit de tous les honneurs qu'elle pourroit fouhaitter , à la refer-
ve de ceux de la royauté. On fentit bien qu'EIizabeth, en met-
tant cette troiliéme condition , abandonnoit peu à peu cette
Reine fon alliée , qui commençoit à lui être fufpeâe. Ceux
qui tenoient le parti du Roi confentirent fans peine à cette
dernière condition : mais ils rejetterent opiniâtrement les deux
autres.
On lut enfuite dans PafTemblée les lettres de la reine d'E-
cofle , par lefquelles elle demandoit qu'on lui donnât des ju-
ges , pour prendre connoifTance de fon mariage avec Bothweh
& que fi on trouvoit qu'il fût fait contre les îoix, on la déclarât
libre. Les partifans du jeune Roi éludèrent fa demande, par une
réponfe infultante : ils lui confeilierent d'écrire au roi de Dan-
nemarck , ôc de le prier de mettre Bothwel en juftice, & de
le faire punir comme affafiTm de fon fécond mari : ils lui dirent
que par ce moyen elle feroit dégagée , & maîtreffe de fe ma-
rier à qui elle voudroit , fans que perfonne pût l'en empêcher:
Que fi elle ne goûtoit pas cet expédient , on avoitlieu de croire
que ce n'étoit pas férieufement qu'elle parloit de faire divorce
avec Bothwell 3 mais que ce n'étoit qu'une feinte , pour faire
un nouveau mariage aufîi peu ftable que celui qu'elle avoit con-
trarié avec lui.
Le jugement de l'afTemblée ayant été porté à Elizabeth , elle
ne fut pas trop fâchée , qu'on eût accepté la condition qui don-
noit le moins d'autorité à la reine d'Ecoffe , dont elle com-
mençoit aie défier, ni qu'on eût répondu aux lettres de cette
Princeiïe d'une manière qui reculât fon nouveau mariage, dont
les Conjurez hâtoient tant la conclufion. C'étoit en efîèt au-
tant de tems que Ton donnoità la reine d'Angleterre, pour fe
mettre en état de diiïiper cette grande tempête. Cependant
comme elle ne vouloir pas encore fe découvrir à la reine d'E-
coffe, elle répondit aux Etats, pour gagner du tems, qu'elle
n'étoit pas tout à fait contente du jugement qu'ils avoient ren-
du i & ellefe plaignit qu'on ne lui eût pas envoyé un homme
qui fût d'un caradere à finir avec lui une affaire de cette
DEJ. A. DETHOa Liv. XLVI. ^8^
importance. Ainfi de concert avec le Viceroi , qui cherchoit ..n .
de fon côté à tirer les chofes en longueur, elie fit enforte ru a RLE
qu'on propofàt encore la même affaire à l'afTemblée qui fe tint j y
quelque tems après à Sterlin. Les demandes de Marie y furent
d'abord éludées fous differens prétextes très- frivoles 5 mais dans
la fuite elles furent nettement ôc ouvertement rejettées 5 fur
cette grande raifon , qu'étant difficile qu'il y ait une focieté
fidèle entre deux perfonnes qui partagent la royauté , on ne
pouvoir guère feflater , qu'une femme qui étolt à la fleur de
fon âge, & qui n'avoit pas voulu partager l'autorité avec un
mari, pût fe réfoudre à la partager avec un enfant : Que fi
par deffus cela, elle venoit à époufer unhomme puiffant, com-
me elle le prétendoit, ilétoit à craindre que les forces de cette
Princeffe le trouvant alors confidérablemenc augmentées , les
amis du jeune Roi ne fe refroidîffent , ôc ne préferaffent une
fortune prefeme qu'on leur offriroit, à une efperance aulTi éloi"
gnée qu'incertaine^ôcque parconféquentla vie ôcl'état du jeune
Prince ne fuffent en grand danger: carpourroit-on douter qus
celui que Marie épouferoit , ôc qu'elle alTocieroit au thrône , ne
fît tousfes efforts pourôter i'obftacle, qui empêcheroitles en-
fans qu'il auroit de la Reine de parvenir à la couronne f
Voilà ce que Robert Petcarn ; feigneur très-attaché au jeu-
ne Roi, reprefenta à la reine d'Angleterre, dans le tems que
la confpiration de Norfolck fut découverte , ôc tout- à-fait dé-
concertée par la défaite des troupes des comtes de Northum-
berlandôc deWeftmorland j car on fit quantité de prifonniers,
qui furent conduits à Norwick , où ils furent condamnez à mort
par le juge royal, ôc par l'avocat du Roi , ôc exécutez fur le
champ. Les principaux étoient Jean Trockmorton , George
Redman, Jean Apleart, Thomas Brook, Chtidophle Piater,
Briand Hollandois , ôc Edouard Fifcher. A l'égard de Robert
Flood,de Jean Hubert, ôc d'Edoaard Smith , ils furent condam-
nez à une prifon perpétuelle. Le comte de Northumberland
s'étant fauve en Ecoffe, y fut arrêté ôc mis en prifon par l'or-
dre de Jacque comte de Murray, qui fut ravi de faire ce plai-
fir à la reine d'Angleterre, dont fa fortune dépendait ablolu-
ment. Le comte de Weflmorland trouva un azile chez Carry
baron de Fermi-Hurfl:, ôc chez Gautier Seft baron de Buch-
îuy. De là il fe fauva dans les Payis-bas, oia moyennant une
Sfffnj.
IX.
15 70-
6H HISTOIRE
■■^^ petite penfionque l'Efpagne donnoit aux bannis d'Angleterre,
C ~ ^^ vécut dans une pauvreté extrême jufqu'à un âge fort avancé.
L'armée des Conjurez ayant été entièrement diflipée , on
crut le feu de la guerre éteint ; mais Léonard Dacré, qui étoit
boflu , le ralluma du côté de Nauworth dans le Comberland,
auprès de la muraille de Severe ' 5 ôc l'on eut tout lieu de crain-
dre qu'il ne s'étendît , & qu'il ne troublât la tranquilité du Royau-
me. Guillaume Dacré , fils du frère aîné de Léonard ^ étoit mort
depuis quelque tems par un accident très-malheureux. Corn-
me il apprenoit à voltiger , il tomba, ôc le cheval de bois fur
lequel il s'exerçoit étant tombé fur lui le frappa fi rudement,
qu'il en mourut : comme il n'avoit que des filles, Léonard , fâ-
ché qu'une fi grofle {uccellion pafsât à fes petites nièces, leur
intenta un procès pour les en dépouiller : mais le jugement ne
lui ayant pas été favorable , il fe mit entête d'exciter des trou-
bles dans l'Etat, ôc de mettre en liberté Marie Stuart. Elle
venoit d'être tranfportéc, par les comtes deSolop ôc de Hun-
tington, de Tutburre à Coventry ^ qui eft une place forte, éloi-
gnée de la frontière. Pour mieux cacher fon deflein , il alla à
la Cour , où Chiappino-Vitelli avoit été envoyé par le duc
d'Albe , fous prétexte d'y conclure un traité pour le commer-
ce, mais en effet pour voir fur les lieux quel feroit le fuccès
de la conjuration formée contre Elizabeth, ôc pour fe mettre
à la tête du parti de Alarie , fi les chofes prenoient un bon train.
Mais le parti des comtes de Northumberland Ôc de Weftmor-
landfut bien-tôt diffipé , dans le tems même que Léonard étoit
à Londres , ôc on le foupçonna d'avoir trempé dans la conf-
piration. Cependant ayant eu permifÏÏon de voir la Reine , i\
obdnt le pardon du palfé, ôc il lui rendit depuis de très-bons
fervices , pour achever de détruire les refies de ce parti. Cette
Princeffe pleine de bonté,l'ayant renvoyé bien-tôt après fur cette
frontière, où la famille des Dacrés efl trcs-puiffante , il fe rengea
de nouveau du côté des rebelles 5 Ôc comme il étoit homme
de main , il fe chargea de tuer Scrope , un des principaux fei-
gneurs de cette province , ôc i'évêque de Carlilc, l'un ôc l'autre
I Cette muraille s'etendoit depuis
Neucallle fu 1er Tyn jufqu'à Carlile fur
l'Eden , ôc depuis la mer Germanique
jufqu'à la mer d'Irlande pour empê-
cher les courfes des peuples de l'EcoiTe,
z Coventre, ou Coventry eft dans
le comté de Warvick.
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVI. <î8y
très-attachez à la Reine. N'ayant pu l'exécuter , il écrivit aux ta^r^
Ecoiïbis en faveur des comtes deNorthumberland & de Well- p
morland , qui étoient toujours errans ^ fans pouvoir trouver t y
de retraite fûre 3 ayant enfin tout à fait levé le mafque , il fe
faifit du château de Greyftach ôcdes autres places des Dacrés,
& travailla fans relâche à fortifier Nauworth , qui étoit à lui ,
6c raniaffa tous les brigands qui infeftoient cette frontière.
La Reine ayant envoyé contr'cux Hunsdon , Léonard rafTem-
bla toutes fes forces , quitta fes places , marcha au-devant de
lui , ôc le combattit auprès de la petite rivière de Gelte. L'ac-
tion fut très-vive; Léonard y fit tous les devoirs d'un grand
Capitaine , & la vicloire coûta cher à Hunsdon. Dacré le fau-
va d'abord en Ecoffe , ôc étant pafTé de là dans les Payis-bas,
il mourut enfin à Louvain dans une grande mifere.
Norfolck, qui étoit toujours gardé dans la tour de Londres,
voulant fe juflifier du crime dont on l'accufoit, fit publier le
vingt- quatrième de Juillet par fes amis , tant à la Cour, que
dans le refte du Royaume , qu'il étoit bien fâché d'avoir prêté
l'oreille aux propofitions qu'on lui avoit faites , d'époufer la
reine d'Ecofle , & de s'être attiré la jufte indignation de
la Reine ; qu'il s'en répentoit , qu'il en demandoit pardon à
fa Majefté , ôc qu'il la fupplioitj après cet aveu , de vouloir bien
lui rendre fes bonnes grâces : il ajoûtoit qu'il étoit prêt de fa-
crifier pour fon fervice , fes biens , fon fang ôc fa vie même ,
aux premiers ordres qu'elle lui donneroit ; qu'il lui engageoit
fa parole , qu'il ne prendroit à l'avenir aucune réfolution , ni
fur ce mariage, ni fur toutes les affaires qui interelfoient l'Etat,
que de concert avec elle. Elifabeth touchée de cet aveu , qui
paroiflbit fincere, ôc n'ayant jamais voulu de mal à Norfolck,
fe rendit à fes prières ôc à celles de fes amis , ôc confentit qu'il
fût élargi , ôc allât demeurer dans fa maifon auprès des Char-
treux.
Sur ces entrefaites , Robert Rodolfi vint en Angleterre
par ordre du Pape , fous prétexte de quelques affaires qu'il
avoit à Londres ; mais en effet pour débaucher les Anglois ,
en leur failant des promefTes magnifiques , tant au nom de fa
Sainteté , que de Philippe II : c'étoit l'agent de tous ceux qui
étoient auprès de la Reine. Sur quelque loupçon que l'on con-
c^ut contre lui , il fut mis en prifon ? mais ayant été nais en
6^6 HISTOIRE
liberté , en même-tems que Norfolck , il repaiïa en Italie :
heureufement pour lui il ne fe trouva pas en Angleterre, lorf-
que le détail de la conjuration tramée contre Elifabeth fut
découvert, par les papiers ôc les lettres fecrettes des com-
plices.
Pendant que cela Ce paflbit en Angleterre , les Partifans que
Marie avoit en EcoiTe faifoient tout leur poffible pour trou-
bler ce Royaume: comme le comte de Murray étoit celui qui
mettoit le plus grand obdacle à leurs defleins , ils réfolurent
de s'en défaire. Guillaume de Metellan paflbit pour être le
chef de ce parti : Thomas Craffort l'ayant accufé d'avoir eu
part à la mort du feu Roi ' , le Viceroi le fit arrêter à Sterlin
où il étoit ailé depuis peu , ôc le fit conduire à Edimbourg.
Mais le baron de Hume ôcGalatinKirkadey ami intime du Vi-
ceroi , l'ayant prié inftamment de rendre la liberté à Metellan ;
il le fit : la complaifance qu'il eut alors pour eux fut depuis la
caufe de fa ruine : car Petcarn étant revenu d'Angleterre ,
après y avoir exécuté heureufement tout ce qui l'y avoit fait
aller , affura le Viceroi que la Reine étoit très-contente de
tout ce qu'il avoit fait en Ecoue j de ce qu'il avoit pacifié la
frontière , fait arrêter le comte de Northumberland , un des
principaux conjurez ; de ce qu'il le tenoiten prifon , & en gé-
néral de ce qu'il travailloit très -utilement pour l'intérêt da
jeune Roi. Il ajouta à cela les promefTes les plus flateufes de
la part d'Elifabeth. Murray croyant n'avoir plus rien à crain-
dre , négligea les bruits qui couroient d'une conjuration for-
mée contre lui ; il différa l'afTemblée des Etats , & ayant en-
voyé le comte de Northumberland fous bonne garde dans un
château qui eft fur le lac Levin , il partit le trente-un de Dé-
cembre pour fe rendre à Sterlin.
Confiiira- -^^ Commencement de l'année fuivante il arriva de grands
tion contre le changemeiis en Ecoffe. La mort du Viceroi donna la liberté
Murray ^ *^^^ fatlions qui divifoient le Royaume , de fe montrer à dé-
couvert : mais la bonne fortune du jeune Roi fit que tout s'ac-
commoda , fans guerre , ôc même fans danger. Murray re-
cevoir des avis de toutes parts des embûches que lui drefToit
la faûion de Tes ennemis , qui ne pouvoient réùffir tant qu'il
rivroit , Ôc qui s'imaginoient que tout leur fcroit ailé dès qu'il
j Henri Stuart , fécond mari de la reine d'EcoiTe,
feroit
DE J. A.DE THOU, Liv. XLVL ^p7
feroit mort. Mais outre ces motifs ils étoient vivement folli- n»
citez par la Reine prifonniere, qui les afluroit que dans peu CharlB
ils recevroient des fecours de France & d'Efpagne. Soit que J X.
Je Viceroi méprifar naturellement ces fortes d'avis, foit qu'il 1^70*
fe crût aflez à couvert par le grand nombre de Nobleffe qu'il
avoir toujours à fa fuite , il ne prit aucune précaution nouvelle.
Les Hamiltons étoient à la tête des Conjurez : ils publioient
que Murray en vouloir à la Royautés que c'étoit lui feul qui
empêchoit que la Reine ne revînt tenir fon rang en Ecofle i
que fous prétexte de défendre le jeune prince contre fa mère,
il prenoit des mefures pour fe mettre la couronne fur la tête ,
à la première occafion que l'enfance du Roi ne manqueroit
pas de lui fournir : fur cela ils firent un complot de fe défaire
de lui. On a cru que Guillaume Kirkadey, gouverneur de la
citadelle d'Edimbourg, y étoit entré. Jacque Hamilton fils de
la fœur de l'archevêque de Saint André , s'offrit pour l'exécu-
ter , & il n'attendoit pour le faire que de trouver quelque mo-
ment favorable. N'ayant peu en venir à bout , ni à Glafco j
ni depuis à Sterlin , il fe flatta de réùflir mieux à Lytko , par-
ce que cette place appartenoit à la maifon d'Hamilton.
Cependant on vint dire au Viceroi qu'il fe tînt fur fes gar- n eft aflaf-
àç,s> , Ôc qu'il y avoir un affafl^in logé à trois ou quatre maifons ^"^é.
de la fienne. Cet avis ne fit d'autre effet fur lui que de lui
faire prendre la réfolution de fortir par une autre porte > ôc de
s'en aller par un autre chemin : mais il fe trouva un grand
nombre de cavaliers qui l'en empêchèrent. Dans le tems qu'il
pouffoit fon cheval pour fortir vire de ce lieu fufpe6t , une
foule de monde l'ayant arrêté , fafiaflin qui étoit fur un bal-
con derrière un rideau , lui tira un coup d'arquebufe , & étant
forti à finftant par une porte de derrière , fe fauva fur un
cheval qu'on lui tenoit tout prêt. Le coup perça de part en
part un peu au-deffous du nombril: Murrey qui avoir un grand
courage , defcendit de cheval avec autant de tranquillité que
s'il n'eut point été bleffé , ôc s'en retourna à pié chez lui. Ce-
pendant les douleurs qu'il feniit , l'ayant averti qu'il étoit près
de fa dernière heure, il donna les ordres qu'il jugea ncceffai-
res , ôc ayant recommandé le Roi aux Seigneurs qui étoient
prefens ^ il fe difpofa tranquillement à la mort. Ses amis fe
flefefperoient , & difoient que fa bonté excelTive lui avoit attirç
Tomç F» T 1 1 1
^p8 H I s T O I R E
- ce malheur î parce que quelques jours auparavant il avoir fait
C H R I F E^^^^ ^ ^^^ meurtrier^, condamné à la mort pour crime de haute
T Y trahifon. Murray entendant ces difcours leur dit : Tout ce
que vous pourrez dire , ne me fera jamais repentir de ce que
' j'ai fait. Il mourut fur le minuit le vingt-troifiéme de Janvier.
Son élo^c Pendant fa vie , le Royaume s'ctant trouvé divifé en plu-
fîeurs faâions, fes envieux le déchirèrent par des bruits fâcheux
qu'ils faifoient courir contre luL Après fa mort fes ennemis
même ne purent lui refufer les juftes louanges qu'il meritoit.
De leur aveu jamais homme n'eut l'efprit plus prefent dans les
occafions perilleufes, ne combattit avec plus de bonheur, ne
rendit juftice avec plus d'équité, ne fût plus fage , plus libé-
ral , plus humain. L'aflaffinat de Murray fit donner à Hamil-
ton le furnom d'afTailin. On ne fçait fi ce fut l'archevêqae de
Saint André qui l'engagea à faire ce coup , ou s'il s'y porta de
lui-même pour venger fa propre querelle : quoiqu'il en foit,
ne fe fentant pas en fureté en EcofTe; il paifa en France > où
comme on le jugea homme d'expédition , on lui fit des offres
avantageufes pour entreprendre contre Coligni , à la vie du-
quel on en vouloit beaucoup , ce qu'il avoit exécuté contre
Murray : mais il répondit féchement qu'il n'étoit pas ^enu ea
France pour y faire le métier d'afTafTin : que ce qu'il avoir fait
en Ecoffe , il l'avoir fait par colère & par un juffe reffentiment,
& qu'il s'en répentoit i mais qu'il n'y avoit ni prière ni argent
qui fuflent capables de l'engager à tuer quelqu'un pour l'injure
d'un autre.
La mort de Murray ayant fufpendu toutes les affaires d'E-
coffe, le Royaume, qui étoit divifé par les fattions du jeune
Roi & de la Reine fa mère, n'étoit proprement ni en paix ni
en guerre , & il fut long-tems dans cet état. Elifabeth fe por-
îoit toujours pour arbitre entre les deux partis 5 mais elle ref-
ferroit de jour en jour pias étroitement fa prifonniere. Les
Hamilrons ne pouvant venir à bourde troub'er l'EcofTe, ré-
folurent de brouiller les Ecoffois avec les Anglois, qui com-
mençoient à fe déclarer pour le parti du Roi. Ce fur à leur
infligarion que Gautier Scot baron de Buchluy Ôc Thomas
Carry baron de Fernihurfl , tous deux zélés partifans de Marie,
ôc qui étoient fur la frontière des deux Royaumes j entrèrent
en Angleterre, ôc mirent tout à feu ôc à fang, avec une cruauté
D E J. A. D E T H O U , L I V. XLVI. 6s>9
înoûie ; afin que s'ils ne pouvoient par des voyes ordinal- ■ j
res engager leurs voifins à prendre tes armes, ils les y for- CharlE '
çaflTent malgré eux, à force de leur faire du mal. On indiqua in/ j
vers ce tems-là une aflemblée, pour choiiir un Viceroi du nom- r. 7 o ^
bre de ceux que Marie avoir nommez pour tureurs au Roi ;
fon fils, pourvu qu'il ne fût point pafle dans la faûion con- j
traire. Mais l'afiemblée fut remife par le confeil de Guillau- ;
me Meteilan : c éroir le principal auteur des troubles , ôc il ■
avoir été mis en prifon dans la citadelle à ce fujet. Après la î
mort de Murray il en fortit , du confentement du comte '
d'Athol. ,
Lorfque les Etats furent aflemblez pour Péîe£lion du Vice- [
roi ^ on y fit entrer Thomas Randolfe , que la reine d'Angleterre j
avoit envoyé , pour fe plaindre des courfes que les EcofTois |
rebelles avoient faites fur la frontière d'Angleterre , & pour \
les affurer de fon affedion pour la nation EcofToife. Comme :
il n'y avoit point encore de Viceroi élu , on fe contenta de faire , \
une réponfe polie , ôc l'on remit après l'éle£tion à donner la " Z
réponfe pofitive. A la fin on donna audience à Robert 6c à i
Guillaume Duglas frères utérins du feu comte de Murray. Ils \
demandèrent qu'on vengeât la mort de leur frère , qui n'avoit l
point été aflalTmé pour des inimitiés particulières , mais pour '
des raifons qui intereffoient TEtat. Les Seigneurs fe trouvè-
rent partagez. Les uns étoient d'avis de renvoyer cette affaire
à une autre affemblée : les autres foûtenoient qu'il falioit pren- i
dre fur le champ une réfolution contre des gens qui avoient '
déjà pris les armes , pour foûtenir par la force le crime qu'ils \
venoient de commettre. Enfin il fut réfolu , fur l'avis des com-
tes d'Athol & de Morton, de furfeoir cette affaire jufqu'au j
premier de Mars, qui étoitle jour marqué pour fe raffembler. I
Pendant ce tems-là les partifans de la Reine , Boyd , Argathel
ôc les Hamiltons fe rendirent à Lytko pour délibérer fur ce i
qu'ils avoient à faire. L'affemblée n'ayant rien terminé. Hum- j
ney, d'Athol , Crafort , Ogilby , de Humes , Seton ôc Meteilan , !
qui étoient du même parti , s'affemblerent à Edimbourg le
quatrième de Mars : mais il ne fe fit prefque rien dans cette
affemblée : on y agita feulement la queftion du droit de nom-
mer un Viceroi , fçavoir fi les Ecoffois tiroient ce droit j
des lettres patentes de la Reine prifonniere , ou de l'autorité I
T t t t ij ^
*jô6 HISTOIRE
'— ■ de l'alTemblée générale des Grands : Comme on ne put s'ac-^
Ç H A R L E corder , l'afTemblce fe fépara fans rien faire. Ceux qui cran
I X. gnoientque l'autorité du jeune Roi , foiitenu par les Anglois,
I j- 7 o. ne s'affermît de plus en plus pendant que la Reine étoit pri-
fonniere, ne voyant point d'autre moyen de l'empêcher que
de jetter des femences de guerre avec l'Angleterre , envoyé--
rent les mêmes mécontens » dont nous avons déjà parlé , ré-^
commencer leurs ravages fur la frontière de ce royaume , ôc ils
le firent avec la dernière inhumanité. Ils déchiroient en mê-
me-tems la reine Elifabeth par les difcours les plus injurieux;
calomnioient les grands d'Ecoffe , \qs traitoient de vaffaux
des Anglois , & difoient hautement que fi leurs ennemis
faifoient venir des fecours d'Angleterre , ils en feroient venir
de France ôc d'Efpagne. Ce qui les encouragea , ôc les affer-
mit dans ces fentimens, fut l'arrivée de Verac, officier de la
maifon du Roi de France , qui vint à Dumbritton fur la côte
d'Angleterre , ôc qui leur fit des promeffes magnifiques de la
part des Guifes, par qui il étoit envoyé. Auffi-tôt les Hamil-
tons indiquèrent une affemblée pour le treizième d'Avril , ÔC
afin que le lieu donnât à l'affemblée plus de relief ôc plus d'au-
torité , ils la transférèrent à Edimbourg. Les habitans de cette
ville n'étoient pas pour eux 5 car outre qu'ils étoient très-atta-
chez au jeune Roi , ils craignoient de déplaire à Elifabeth ,
dans les états de laquelle ils faifoient leur commerce ; mais com-
me Guillaume Kirkadey , qui étoit gouverneur de la ville ôc
du château , étoit attaché au parti de la reine d'Ecoffe , cette
confidération les ralfuroit contre la mauvaife volonté des
habitans.
Pendant que tout cela fe palToit , ôc qu'ils travailloient fans
fuccès à attirer dans leur parti , par le moyen du comte d'A-
thol , Jaque de Duglas comte de Morton , on apprit tout d'un
coup que l'armée Angloife étoit arrivée à Warwic fous la con-
duite de Thomas Ratcliff comte de SulTex^ ce qui déconcerta
un peu leurs projets : car Alexandre de Hume ôc Jean Maxwel,
qui ne faifoient que de fortir de prifon , s'en allèrent en hâte
fur la frontière pour mettre leurs terres à couvert : Carri ôc
Scot, qui à l'infligation de l'archevêque de S. André avoient
donné occafion à cette guerre , qu'ils croyoient favorable à
leurs deffeins , ne fe fentant pas en état de la foûtenir Ôc fe
DEJ. A. DETHOU. Liv. XLVL 7ot
Voyant abandonnez de leurs voifins, envoyèrent en diligence
demander du fecours aux Chefs de la fa£lion , & les prier , s'ils r; h ar LE
ne jugeoient pas à propos de leur en envoyer , de s'avancer y^
du moms jufqu'à Lander , place de leur voifinage , pour faire j ^ 7 q
croire aux Anglois qu'ils avoient deiïcin de leur faire la guerre.
Mais ils n'obtinrent rien, ôc les Hamilrons au lieu de les fe-
courir , envoyèrent des députez au comte de SufTexpour de-
mander une trêve ^ pendant laquelle ils envoyeroient des Am-
baffadeurs à la reine d'Angleterre , pour l'informer de l'état
des affaires d'Ecoffe , & pour fe juftificr des courfes que l'on
avoir faites fur les terres de fon Royaume. Mais le Comte ,
qui connoiffoit leurs artiftces , ne voulut jamais confentir à une
trêve j pendant laquelle il faudroit entretenir fes troupes fans
en tirer de fervice. N'ayant donc rien gagné de ce côré-là >
ils revinrent à leurs intrigues ordinaires , ôc ils fe fervirent de
rémiffaire des Guifes , chargé des ordres du Roi, pour faire
courir le bruit que tout étoit tranquile en France : que Coli-
gni ôc ceux de fon parti avoient été réduits à promettre de for-
tir inceffamment du Royaume, de peur que leur préfence n'y
excitât de nouveaux troubles : que le Roi avoir levé des trou- ..
pes qui viendroient dans peu à leur fecours. Non-feulemenc
leurs envoyez ne furent pas écoutez en Angleterre , mais peu
s'en fallût qu'on ne les infultât j ôc les lettres qu'on écrivoic
de France à la reine d'Ecoffe , ayant été dans ce même temg
interceptées par les Anglois, tout le monde connut que tous
ces fecours promis par Verac étoient des chimères , ainfi on
n'y compta plus.
Le tems de l'affemblée indiquée au premier Mai approchoit ,
les Hamiltons fe rendirent à Lytko ' avec les Seigneurs de leur
parti : ceux du parti du Roi s'affemblerent à Edimbourg, mal-
gré les embûches qu'on leur avoir dreffées fur le chemin , ôc
dont Jean Areskin comte de Marre , eut bien de la peine à fe
garantir. Pendant qu'ils rejettent les uns furies autres les eau-
les des troubles , les Royaliftes déclarèrent qu'il n'y avoit point
de conditions aufquellcs ils ne vouluffent bien confentir 5 que
fi quelqu'un fe plaignoit d'eux, ils étoient prêts à lui donner
telle fatisfaclion que des gens de bien jugeroient convenable,
pourvu que fans bleffer l'autorité du Roi , on voulût bien fe
.1 Cette place appartenoit à leur famille.
T 1 1 1 iij
702 HISTOIRE
nmn . I ^^mMMmm joindrc à eux, pour venger le meurtre du Roi , 6c du Vîce-
Chari F ^^^' "^^ P^""^^ '^^^ Hamiltons ne répondit rien ôc indiqua fon
ïy aflemblée à Lyd^o pour le troifiéme d'Août. Les Royaliftes
envoyèrent Robert Petcarn à Eiifabeth , pour prendre avec
* elle des melures contre leurs ennemis communs , & pour l'af-
furer que les EcofTois pleins de refpe£t pour elle ne choifi-
roient point de Viceroi que de fon agrément.
Dans le inême-tems Jacque Hamilton duc de Châtelleraud,
Huntley 6c Argathel lieutenant de la reine d'Ecofle, envoyè-
rent avec fa permiiTion George Seton au duc d'Albe pour les
intérêts de cette PrincefTe. Seton le follicita vivement de tra-
vailler à la liberté de Marie , 6c d'interpofer fon crédit auprès
de Philippe II , pour l'engager à la fecourir. Il lui repréfenta
que la défenfe de cette Reme malheureufe étoit une chofe
digne de la pieté 6c de la juftice d'un prince fi puiflant ; qu'il
mettroit le comble à fa gloire , s'il vouloit bien fe déclarer pour
une caufe fi jufte^ fi fainte , 6c fi honorable? qu'il afFermiflbit
par ce moyen la religion de fes ancêtres , 6c que ce que fon
père avoir fait fi glorieufement pour le duc de Florence :, ôc
pour le Sultan Mahomet, il le feroit avec une gloire beau-
coup plus grande pour une Reine chrénenne , héritière légi-
time du throne d'Angleterre : qu'en le faifant il n'cbligeroit
pas feulement la France :, mais le Dannemarc , la Lorraine 6c
toute la maifon de Guife. Que la plus grande partie de la No-
bleffe t 6c tous ceux qui avoient confervé la religion de leurs
ancêtres étoient pour elle j que les ports du Royaume étoient
entre fes mains : Qu'on ne pouvoir douter que le Pape , mal*
gré fon éloignementj n'entrât dans cette ligue facrée , 6c ne la
foûtînt de toutes fes forces : Qu'il demandoit en attendant
qu'on défendît dans les Payis-bas le commerce avec l'Ecofl^e
rebelle , 6c qu'on donnât dix mille cous d'or à la Reine prifon-
niere pour fes befoins prefens.
Le duc d'Albe fit réponfe par le baron de Nortkermes ,
qu'il ne manqueroit pas d'en écrire fortement au roi d'Efpay
gne ; mais qu'il ne pouvoir pas interdire aux Flamans le com-
merce avec TEcoiTe , parce que cela étoit contraire à leurs pri-
vilèges : à l'égard de l'argent qu'on demandoit , il fut payé
fur le champ.
Seton ne fe contenta pas d'avoir négocié avec le duc d'Albej
DEJ. A. DETHOU,Liv. XLVI. 705
iî fe déguifa en gueux , fe rendit au camp des Efpagnols , & ■
y parcourut les compagnies de foidats à deflein'de débaucher le C H \ r l e
Ecoflbis , qui étoient au fervice de rEfpagne. Il les regaloit | v
& leur offroit de l'argent pour les engager à le fuivre. Ayant i r 7*0
été furpris dans cette manœuvre, il fut condamné à être mis
fur un canon prêt à tirer j mais il trouva moyen de fe fauver
auprès du duc d'Albe t d'où il retourna joindre ceux qui l'a-
voient envoyée emportant avec lui fon argent , ôc chargé ou- >>
tre cela de beaucoup de belles promefTes.
Les défiances , qui avoient paru pendant quelque-tems com- Buiiecfep-
nie affoupies en Angleterre, s y renouvellerent alors. Pie V, qui v. contre h
n'avoit employé juique-là contre Elifabeth que la rufeôcdes ^^^Jj^^ ^^*^*"
embûchesiecretes, fit afficher à Rome le 25" de Février une Bul-
le , par laquelle il la profcrivoit comme hérétique ôc fautrice
d'Hérétiques , fur ce qu'elle n'avoit pas voulu permettre au Lé-
gat du Pape d'entrer en Angleterre jôc qu'elle avoit mcprifé les
prières ôcles avis pieux des princes voifins. En conféquence il la
retranchoit ,elle & tous lespartifans de fesimpietez, de l'unité
du corps de Jefus - Chrifl , comme des membres gâtez j la
privoit de tous les droits qu'elle avoit fur le royaume d'An-
gleterre , & délioit tous fes fujets du ferment de fidélité qu'ils
lui avoient fait. Après cette démarche il étoit nécelTaire qu'E-
lifabeth , qui n'avoit été ni citée , ni avertie, connut du moins
la fentence par laquelle elle étoit condamnée , & il n'y avoiî
pas de fureté à la lui fignifier. Jean Felton homme d'une har-
diefTe , ou plutôt d'une témérité extrême , vainquit cet ob-
ftacle : il alla au mois d'Août , accompagné feulement d'un
ami , afficher la Bulle du Pape à la porte de l'Evêque de Lon~
dre fur le foir. Elle y demeura à la vue de tout le monde juf-
qu'à huit heures du matin du jour fuivant. L'ami de Felton ré-
folu de fe fauver, lui confeilla de faire de même : celui-ci
répondit , qu'il étoit difpofé à fouffrir tous les maux aufquels on;
pouvoit le condamner pour cette action. On l'arrêta fur ua
{impie foupçon , ôc {ts douze jugfs ' lui ayant demandé par
qui la Buiie avoir été affichée: Meffieurs , dit-il, n'ayez plus
là-defFus d'embarras ,ni d'inquiétude 5 c'eft moi qui l'ai affichée^
0\\ le mena à i'inftant même au fupplice ( c'étoitle 8 d'Août)
I En Aiifrleterre on eft toûiours ju- .. perfonnes du même érat. Ainiî cha*-
gédan&lssafîairei criminelles par douze I cun eit jugé par fes Pairs..
70^
HISTOIRE
wm
Ch ARLE
IX.
1570.
ôc fur ce qu'on lui dit de reconnoître fa faute ] ôc d'en de-
mander pardon à la Reine ^ il répondit avec intrépidité qui!
n'avoit point offenfé fa Majefté. Cela iointaux dcpofitions des
conjurez , ôc de leurs complices qui avoient été condamnez ,
ne laiffoit pas le moindre lieu de douter que la conjuration ne
fût réelle.
La Reine ne pouvant plus réfifter aux reprefentations conti-
nuelles de fon Confell, renvoya le duc deNorfolck à la Tour.
Elle ne montroit pourtant point encore ce qu'elle méditoit
Les Ambaf-
fadeurs de
France &
d'Efpagnede-
Sè^de'h^' contre la Reine prifonniere. Contente de faire obferver par
?eine Marie, des perfonnes affidées toutes fes démarches , elle la tenoit dans
une prifon affez libre. Il y eut quelque négociation de la part
deCharle IX. pour la liberté de cette Princeffe •> Paul deFoix
ambaflTadeur ordinaire , Ôc Jean de Montluc évêque de Va-
lence ambafladeur extraordinaire furent chargez de négocier
cette affaire. Ils fe plaignirent, à la foUicitation de l évêque de
Rofle , qu'on la retenoit dans une prifon trop étroite , ôc que
fa vie même n'étqit pas en fureté , parce que Henri Hafting
comte de Huntington qui l'avoir en garde , ayant des préten-
tions fur la couronne d'Angleterre ,traitoit cctteP rincefle d'une
manière dure ôc inhumaine. Philippe IL fit demander la mê-
me chofepar fon Ambafladeur. Enzabeth répondit : Qu'on ne
devoit pas s'étonner , qu'après avoir découvert des intrigues
qui reflembloient fort à une conjuration, elle fe tînt encore
.plus fur fes gardes qu'elle n'avoit fait jufqu'alors : Qu'il n'y
avoir pas d'apparence qu'elle mît en liberté une Princeffe ,qui
employoit toute forte de mauvais moyens pour fe mettre fur
la tête une couronne qui ne lui appartenoit pas: Qu'elle étoit
l'objet ôc la reflburce de tous ceux qui conjuroient contre l'E-
tat, ôc qu'il feroit d'une imprudence extrême de mettre fa pro-
pre vie en péril , pour fauver celle d'un autre : Qu'elle fçavoit
bien que Huntington n'avoit aucun droit à la couronne? qu'elle
ne nioit pourtant pas qu'il ne fût fon parent j mais que d'ail-
leurs il y avoir long-tems qu'il n'avoit plus la garde de la rei-
ne d'Ecoffe; que c'étoit le comte de Schropp qui en étoit char-
gé : Qu'il n'y avoir rien qu'elle n'eût fait pour Marie j ôc qu'elle
feroit encore à l'avenir tout ce qu'on pouvoit attendre d'une
foeur très-bien intentionnée. Qu'au refte le roi de France ôc
gelui d'Efpagne ne pouvoient trouver mauvais que fon principal
but
i;7 0»
DE J. A. DE THOU, Liv. XLVL 70^
but dans toutes {^es démarches fut d'affurer le falut de Ces peu- ■
pies & lefien. ^ ^ r , . • CharlE
Pendant qu'on déliberoit dans cette Cour fur ce qu'on feroit jx.
de Marie, fi on lamettroit en liberté, ou fi on la ret'endroit
en pnfon, l'armée d'Angleterre qui étoit fur la frontière d'E-
cofTe, étant entrée dans ïivedale, pilla, ôc brûla toutes" les
maifons & toutes les terres des Carrys ôc des Scots , qui a\ oient
commencé leshoftilitez : elle prit ôc pilla le château de Humes,
contre l'attente du Baron de ce nom, qui fçachantque lecom-
te de Suflex , ôc le Chevalier Guillaume Drury favorifoient
en fecret la fa6lion de Norfolck, s'étoit flatté qu'il n'avoitrien
à craindre pour fes terres. Scrope d'un autre côté étant entré
dans le payis d'Annand ravagea toutes les terres de Jonfton,
qui étoir un de ceux qui avoient fait des courfes fur le payis
Anglois. Drury ayant reçu des otages des EcofTois royaliftes ,
marcha avec mille hommes de pié ôc trois cens chevaux con-
tre les Hamiltons j qui afliégeoient le château de Glafco à def-
fein de le ruiner , de peur qu'il ne fervit de retraite ôc de pla-
ce de guerre à Mathieu StuartdeLevin, revenu nouvellement
d'Angleterre. Sur le bruit de fa marche , Hamilton , Argathel,
Huntley fe retirèrent, l'un d'un côté, l'autre de l'autre , ôc les
Ecoflfoisde leur parti levèrent le liège en defordre. Les Anglois
étant allez à Glafco , font le dégât dans tout le payis de Clid,
pillant ôcfaccagant toutes les terres des Hamiltons , ôc de ceux
qui avoient trempé dans le meurtre du Viceroi, ou qui avoient
donné retraite aux bannis d'Angleterre : mais du refte ils ne
firent rien d'important,par la mauvaife manœuvre de Drury, qui
ayant, dit-on , conteillé à fes troupes , qui n'étoient pas payées,
de fe mutiner, ht avorter toute l'entreprife.
Cependant Petcarn étant revenu d'Angleterre , raporta au
Confeii , que la Reine fe plaignoit qu'il fe fût paffé quatre mois
depuis le meurtre du Viceroi , fans qu'elle eût reçu aucune let-
tres de leur part; qu'après un fi long retardement, elle ne fça-
voit plus ce qu'elle pouvoit efperer d'eux : Que fatiguée par les
prières des rois de France ôc d'Efpagne , ôc par les plaintes
continuelles de la reine d'Ecolfe , elle lui avoir promis une au-
dience à certaines conditions; ce qui l'empêchoit de pouvoir
entrer dans les mefures qu'ils prendroient pour la nomination
fl'un Viceroi , de peur de porter quelque préjudice à cette
Tome y\ V u u u
70^ HISTOIRE
Reine, avant de l'avoir entendue. Qu'elle les priolt en atten-
C H A R L E ^^^^ * ^^ ^^^^^ celTer les courfes ôc les hoftilitez. Voilà ce qui fut
IX. dit tout haut : mais en particulier, on dit tout bas aux Grands
I ç 7 G. ^^ l'afTemblée , qu'ils ne pouvoient rien faire de plus agréable
à la Reine, quedenommer à cette dignité le comte de Lenox
l^nox'nom^-^ ayeul du Roi. AufTi tôt les Seigneurs du parti du Roi le nom-
mé interroi mercnt Interroi : comme ils n'étoient pas aflez inftruits des in-
a'Econe, en- i-gj-i^ons d'Elizabctli , ils n'oferent lui donner une autorité ab-
' foluë ôc perpétuelle , ôc ils fe contentèrent de la lui déférer juf-
qu'au 1 2 de Juillet : mais dès qu'ils eurent reçu les lettres , par
Itfquelles cette Princeffe leur marquoit qu'elle ne croyoit pas
qu'il y eût perfonne qui put être préféré à Payeul de leur Roi,
il déclarèrent tout d'une voix Lenox Viceroi, au lieu d'Interroi.
Il fit fur le champ prêter le ferment ordinaires après quoi il
ordonna que tous ceux qui étoient en âge de porter les armes,
fe trouvafl'ent à Lytko le lo d'Août, pour empêcher l'afTem-
blée des féditieux , ( c'eft le nom qu'il donnoitaux Hamiltons)
ôc il remit celle des Royaliftes au lo d'0£tobre. Il fe rendit
au jour marqué à Lytko avec cinq mille hommes ; & fur l'a-
vis qu'il y reçut, que Gordon de Huntley avoit poflé à Berkin
quelques troupes , qu'il tenoit à fa folde , qui attaquoient ôc
dépoùilloient indifféremment les gens du payis ôc tous les paf-
fans , il y marcha auffi-tôt , de l'avis de fon confeil , perfuadé
qu'en faifant diligence il furprendroit ces milices, Ôc les chefs
même du parti, qui étoient le comte de Crafort, Ogilby ôC
Balfour. Il fit prendre les devant à Patris Lindefey, à Guil-
laume Raven , ôc à Jacque Haliburton gouverneur de Dun-
dee ) avec de finfanterie à cheval. Mais quelque diligence qu'ils
fiffent , ils ne purent prévenir le bruit de leur marche. Ogilby
ôc Balfour ayant fçû qu'ils approchoient , fe mirent à couvert
dans les montagnes , après avoir exhorté leurs foldats à bien
faire leur devoir, ôc les avoir affurez d'un prompt fecours. Dès
que ces troupes fe virent abandonnées de leurs chefs elles
ne fongerent plus qu'à piller. Les uns fe faifirent de la tour
d'une Eglife voifine, les autres fe retirèrent dans la maifon
du comte de Marre j maisMorton étant arrivé avec huit cens
chevaux, Ôc enfuite le Viceroi avec d'autres troupes, la garni-
fon fe rendit. On fit pendre une trentaine de foldats , ôc on
iaiffa aller tout le refte , après leur avoir ôté leur armes.
DE J. A. DE THO U, Liv. XLVI. 70^
Après cette expédition , le Viceroi retourna à Edimbourg, __,
où l'on agiroit depuis quelque tenis l'affaire du meurtre ducom- 7^
X \ï^ \ Ti ■ ' ■ ■■ V r- ■ r Char LE
te de Murray : mais la Renie étant intervenue , i anaire fut ren- t y
voyée après^la conférence que Ton avoit promife^pour entendre
les raifons de la reine d'Ecofle , qui étoit alors à Ciaxlef^c^orth
dans le territoire de Derby. On lui dépêcha Guillaume Cecil , f^^tS^d''c"°"^
ôc Gautier Mildmay, qui fe rendirent aumoisd'Ottobre auprès part d F'i'zan
d'elle avec beaucoup de peine : car les débordement des n- ^^^^l,^ '^ ^^*"
vieres avoient rendu les chemins très-difïiciles. Voici les
conditions qu'ils lui propoferent pour finir toutes les divi-
fîons d'Ecofle , ôc pour la rétablir fur lethrône. Que le trai-
té d'Edimbourg, fait il y avoit dix ans ,6c qui avoit été tant de
fois remis fur le tapis, feroit confirmé : Qu'elle renonceroir à
tous fes droits , 6c à toutes fes prétentions fur la couronne d'An-
gleterre, pendant la vied'Eiizabeth ôcde fes enfans légitimes,
il elle en laiifoit à fa mort : Qu'elle ne pourroit faire de traité
avec aucun Prince contre l'Angleterre : Qu'elle ne feroit entrer
en Ecofle aucunes troupes étrangères: Qu'elle n'entretiendroit
aucune liaifon avec les Anglois Ôc les Irlandois^que de concert
avec la reine d'Angleterre:Qu'elle lui feroit rendre de bonne foi
les Anglois Ôc les Irlandois fugitifs : Qu'elle informeroit avec
toute la févéritépoflTible des meurtres de Henri ' d'Arîey ôc du
comte de Murray . Que le jeune Roi fon fils feroit donné pour
otage aux Anglois, ôc mené en Angleterre : Qu'elle ne pourroit
époufer aucun Anglois fans l'agrément d'Elizabeth , ni au-
cun autre , fans le confentement des Etats dEcoffe : Qu'el-
le fe chargeroit d'empêcher que les EcolTois ne palfafTcnt
en Irlande, fans le confentement de la reine d Angleterre :
Qu'elle donneroit des otages fuiHfans pour la fureté de tous ces
articles j ôc que fi elle entreprenoit quelque chofe contre Eli-
zabeth , au préjudice de ce traité, elle feroit déchue de toux le
droit qu'elle prétendoit; avoir fur le royaume d'Angleterre.
On ajouta pour plus grande fureté , que les Anglois garde-
roient pendant trois ans les châteaux de Humes ôc de Falf-
caftle, ôc qu'on leur livreroit outre cela quelques forterefies
du côté de Galloway ôc de Cantyre ^ pour empêcher que les
I II s'appelloit Henri Stuart, & il
étoic coufin germain de la reine d'E-
cofle qui l'avoit époufé. Voyez les
livres pre'cedens.
2 Petites provirces au Sudoucft dc
l'EcofTe , voifines de l'Irlande.
V U U U ij
7o8 HISTOIRE
^^ Vi^Kifnnc de CCS caiitons, partie Ecoflbis, partie Irîandois, ne
Z paflafTent en Irlande : Que tous ces articles feroient confirmez
j^ par l'autorité parlementaire des Etats d'Ecofle.
Marie ayant entendu ces propofitions, commença à déplo-
' ' ' rer fes malheurs , à décrier la mémoire du comte de Murray,
dont on vouloir qu'elle vengeât la mort, à excufer Norfolck;
& à protefter qu'elle mettoit toute fon efperance dans la bons
té d'Elizabeth. Mais comme les commifTaires de cette Prin^
ceiTelapreflbient de donner une réponfe pofitive, elle renvoya
l'affaire à l'évêque de RofTe fon ambaiîadeur en Angleterre,
* Alex. Gor- à l'évêque de Galloway ^, & au comte de Levingfton, envoyez
■ * par fes lieutenans. Mais lorfqu'il fallut parler net j elle répon*
dit avant toute chofe, que l'alliance qu'elle avoir avec laFran^
ce ayant tant coûté à l'EcofTe 3 elle ne pouvoit y renoncer>
à moins que les Anglois ne voulufTent indemnifer pleinement
fes fujets du préjudice que cette rupture leur cauferoit. Sur
d'autres articles elle répondit^ que fi les Anglois vouioient pro-
mettre de leur côté ce que l'on exigeoit des Ecoffois^, elle
ne feroit pas difficulté d'y confentir : Qu'à l'égard des meur-
triers de Henri d'Arley & du comte de Murray , elle n'empê-
choit pas qu'on ne les pourfuivît en juftice : Q^^^^^^ ^^ jeune
Roi fon fils , qu'elle ne pouvoit pas le donner en otage , puif-
qu'il étoit entre les mains de ceux quife fervoient de fon nom
pour colorer leur révolte contre elle : Qu'au refle c'étoit une
chofe fans exemple qu'une Reine libre fût obligée pour fe ma-
rier de recevoirla loi , ou d'un Prince étranger , ou de fes pro-
pres fujets: Qu'elle vouloir bien donner des Ecoffois pour ôta^'
ges , pourvu que l'on convînt des perfonnes , ôc que l'on ex-
ceptât de ce nombre le duc de Chatelieraud , Huntley , Ar-
■ gathel, ôc le comte d'Athol : Qu'elle confentiroit pareillement
à perdre tout le droit qu'elle avoir fur l'Angleterre, fi elle en-
ireprenoit quelque chofe contre cette couronne > au préjudi-
ce de ce traité , pourvu qu'Elizabeth promît la même chofe
de fon côté : Qu'à l'égard des châteaux de Humes & de Faft-
caftle que l'on demandoit, ce n'étoit pas à elle à qui il falloir
s'adrefler, mais au maître de ces châteaux: Que ceux qui de^
mandoient qu'on livrât aux Anglois les Forts du payis de Gaî-
îoway & de Cantyre , n'infiïtoient là-delTus qu'à deflein de rai-;
îumer le feu de la guerre dans toute l'Ecoffe^
DE J. A. DE THOU,Liv. XLVI. 7cp'
L'accord , comme on le voit^ n'étoit pas prêt à fe faire en-
tre ces deux Princeffes. Elizabeth n'ignoroit pas qu'on folli- Charle
citoit vivement les fecours du Pape ôc du duc d'Albe ; mais jy
comme elle étoit en quelque forte maitreflTedu gouvernement
de l'Ecofle, elle fit prolonger la trêve, ôc différer l'aflemblée ^ ' *
des Etats de ce Royaume. L'évêque de Roffe , qui étoit très-
actif & très-zelé pour les intérêts de Marie , envoya en diligen-
ce au Pape ôc au roi d'Efpagne une copie des demandes que
l'on faifoit à cette Princefle. Il déclara que fi les fecours pro-
mis n'arrivoient dans peu , elle feroit forcée malgré elle de faire
fon traité avec l'Angleterre , fans la participation de fes amis
ôc de fes alliez; ôc que dans l'extrémité facheufe, où elle fe
trouvoit réduite , elle feroit obligée , pour mettre fa perfonne
en fureté , d'accepter toutes les conditions qu'on luipropofoit:
Que c'étoit à eux de voir, quelle occafion ils perdoient de ré-
tablir la Religion dans la grande Bretagne , ôc de remettre fur
le thrône une Reine qui en avoir été chaffée par les Héré-
tiques.
Pour appuyer l'avîs del'Evêque , on envoya un certain Tho-
mas Stucley, homme qui s'étoit deshonoré par une vie très-dére-
glée,Ôc dont les affaires étoient auffi dérangées que la conduite.
Il s'étoit flatté de les rétablir par le moyen d'une charge de féné-
chal de Wexford en Irlande , dont on lui avoit donné quel-
que efperance; mais la chofe ayant manqué, il fe déchaina
contre la Reine d'Angleterre avec la dernière ingratitude, ôc
vomit contre elle tout ce qu'il put imaginer de plus injurieux.
Il pafla enfuite en Italie , ôc alla trouver Pie V , ôc comme ii
étoit grand maître dans l'art de flater , il perfuada à ce vieil-
lard crédule , qu'avec trois mille Efpagnols , il chafieroit fans
peine les Anglois d'Irlande, ôc brûleroit la flotte d'Angleterre.
Farces belles promefles il trouva moyen de tirer du faintPere
<le grandes fommes d'argent , dont tout le fruit fut une ligue
que cet extravagant fit faire entre le Pape ôc le roi d'Efpagne
pour s'emparer de l'Irlande. Mais ce beau deflein, que les Ef-
pagnols n'ont point abandonné pendant un grand nombre d'an-
nées, ôc qui leur a coûté des fommes immenfes, ôc un grand
nombre d hommes , s'évanouit enfin à la mort d'Elizabcth.
Dans ce même tems Connober Obrien , troifiéme comte
de Twomond ^ homme accoutumé à vivre de pillage , ne
Vuuu iij
Charle
IX.
Mort
©"Herbert
COMTE DE
FfMBKOK.
710 HISTOIRE
pouvant fouffrir la juftice exa£le ôc févére d'Edouard Fitton
qui avoir été fait féncchal de Connaught , par Henri Sidney
Viceroi d'Irlande, entreprit de fe révolter : mais après quel-
ques petits combats , fe voyant abandonné de fes foldats, il fe
fauva en France ; depuis étant repaffé en Angleterre , il deman-
da pardon à Ja Reine, & cette Princefle remplie de bonté lui
fit rendre fes biens ôc le rétablit dans fes emplois.
Ce fut dans le même tems qu'Anne d'Autriche , fille de
l'Empereur Maximilien, ayant été mariée à Philippe fon on-
cle maternel , alla le trouver en Efpagne : elle mit à la voile en
Zelande. Elizabeth, qui durant nos troubles s' attribuoit Tem-
piredelamer Britannique, envoya Charle Howard avec une
efcadre de vaiffeaux de guerre, ôc beaucoup de NobîefTe pour
faire honneur à cette Princefle, ôc pour l'efcorter dans toute
l'étendue de cette mer : l'inimitié n'étoit pas encore déclarée
entre elle ôc Philippe , ôc elle étoit dans un commerce conti-
nuel de politefleôc d'amitié avec la maifon d'Autriche.
Avant de quitter l'Angleterre , je dois dire un mot des
hommes illuftres qui y moururent pendant cette année. Je mets
à la tête Guillaume Herbert comte de Pembrok , fils de Ri-
chard , bâtard de l'ancien Herbert. Cet homme avoit l'ame
grande , ôc fa haute prudence contribua beaucoup à lui procu-
rer une fortune digne de fon courage. Henri VIII. ôc lui , ayant
époufé les deux fœurs , filles de Guillaume Parry , il eut un grand
crédit fous le règne de ce Prince. Après la mort de Henri,
le Royaume fe trouvant divifé en deux fa£l:ions fous Edouard
VI, il s'attacha à la plus forte, ce qui lui fit donner l'ordre de
la Jarretière, ôc la dignité de comte de Pembrok. Sous le règne
de Marie, il foutint courageufementles droits du Royaume, ôc
défit l'armée de Wiat. Ce fut lui qui commanda le fecours que
l'Angleterre envoya à Philippe IL qui afliégeoit Saint Quen-
tin. Il fut enfuite fait Gouverneur de la province de Galles,ôcde
la ville de Calais, avant que nous reulTions reprife : enfin il eut
fous Elizabeth la chargedcgrand Maître de la Cour, ôc il pafla
dans l'efprit de tout le monde, pour avoir conduit les afl^aires
du Royaume avec autant de fidélité que de i^digQÏ^Q. La feule
chofe dont on l'ait blâmé , eft d'avoir confenti que Norfolck
cpoufat la reine d'Ecofle , quoiqu'on foit perfuadé qu'il le fit
dans une bonne intention : cependant cela feul lui fit perdre
DE J. A. DE THOU,Liv. XLVI. 711
le fruit de tous les fervices qu'il avoit rendus; chofe afTez or- ■ «
dinaire dans les cours des Princes. Ce procédé le rendit fi odieux Ck arle
au gouvernement, qu'on ne doute pas, que fi fon année cli- JX.
materique ne fût venue terminer fa vie, il n'eût couru rifque 1^70.
de la perdre fous d'autres prétextes ; ôc peu s'en fallut même
qu'on ne lui fît fon procès après fa mort.
Henri de Cliffort comte de Comberland ôc fils d'un autre De Henri
Henri le fuivit de près : il étoit iffu d'une maifon très-ancien- deCuffokt.
ne , ôc il fut élevé par Henri VIII. aux premières dignitez de
l'Etat. Les grands biens des Maifons de Vefcôc de Vieux-pont,
qui pafferent dans fa famille par des mariages^ la rendirent puif-
famment riche. Pourluiilépoufa Eleonor fille de Charle Bran-
don duc de Suffolck ôc de Marie fœur de Henri VIII , ôc il
en eut Marguerite , qui fut mariée avec une magnificence ex-
traordinaire au comte de Derby, flaté de l'efperance agréable de
recueillir une fi riche fuccefTion: mais cette efperance s'évanouit,
par un fécond mariage que le comte de Comberland contraria
avec une fille de la maifon d'Acre, dont il eut deux fils.
Le dernier dont je parlerai eft Nicolas Trocmorton, fils du DeNicola«
Chevalier George ôc de Catherine de Vaux. Jamais homme Trocmor
n'eut l'efprit plus vif ni plus actif: il avoit fur-tout un talent admi-
rable pour éclaircir les affaires les plus embrouillées. Sa fortune
commença fous le règne de Marie. Elizabeth l'envoya Ambaf-
fadeuren diverfes Cours de l'Europe, ôcil s'acquit par tout une
grande réputation de fageffe : cependant il n'eût jamais de di-
gnité plus élevée que celle de premier Echanfon, ôc de Gar-
de du tréfor royal. Celui qui nuifit le plus à l'accroiffement de
fa fortune fut Cecil, contre qui il s'étoit déclaré en faveur du
comte de Leycefter , qui paya fort mal fes fervices : car Troc-
morton étant allé à un grand fouper qu'il donnoit, il y mourut
fubitement; ôc on ne douta prefque pas qu'il n'y eut été em-
poifonné.
fin du Cinquième Volume,
ION. I
RESTITUTIONS.
DIFFERENTES LEÇONS,
b
V u
VARIANTES,
NOTES ET CORRECTIONS
DU CINQTJIE-ME VOLUME.
EXPLICATION DES MJRQVES
dont on s^ejlfervi pour déjigner les endroits d'où font p-ifes
les Rejlitutions qmfuivent,
V *. Signifie que le pafTagereftitue' e'toit dans l'e'dition cïe PatilTon , m foJh
MS. Reg. Veut dire que le pafTage refticué ou la variante eft dans le Manufcrit
de la Bibliothèque du Roi , qui eft celui de l'Auteur même.
MS. Samm. Fait entendre la même chofe du Manufcrit de Meflieurs de Sainte-
Marthe.
P. Défîgne les variantes prifes de l'e'dition de Patiffon.
D. Dénote les variantes prifes de Te'dition des Drouarts. La lettre (f)
marque l'édition des Drouarts in folio , (o) !a même in oSîavo ,
(d) la même in douze.
Tilt. Signifie que la note , ou la corredion eft de Mefùeurs Dupuy.
Kig, Que la note , ou correction eft de Rigault.
C. Que la note , ou corre<Stion eft de l'Editeur Anglois.
Edk. Afigl. Défigne l'édition d'Angleterre.
Jy-d. Tliuan. L'index des noms propres qui font dans l'Hiftoirede M. de Thou,
Tout ce qui n'eft précédé ni fuivi d'aucune marque , eft de nous.
L I FRE TRENTE-SEPTIEME.
AGE 2. ligne ^, Riz, lifez ici & partout ailleurs , Ric-i
P
CIO.
Pag. 3.1. II. A Henry Comte de Lcnox, effacez Comte de
Lenox s cefi le titre du père , & non pas dujils. Ici & ailleurs
lifez Jtmplement ^ Henry Darnley.
Tome y, Xxxx
7i4 RESTITUTIONS,
Pag. 3.1. 23. D'une vertu digne des premiers temps, ajour.
ne pouvant plus foutenir les difcours qui fe faifoient fut
les converfations fréquentes «5c fecrétes de la Reine avec
fon Favorv , prévint ôcc. D. f. & MS. Samm.
< ^ 1. 26. George Gordon , lif, Jean Gordon. C.
1. 27. Un autre George, effacez, un autre. C.
1. SS' ^^^ devoit , lif. la Reine devoir. D.f.
Pag. 4. 1. 27. Bedfort & Randolphe Comte de Barwich , /ijl
Bedford Gouverneur de Berwich & Randolph Ambalià-
deur d'Angleterre eii Ecolîe. C.
Pag. (^. î. I. Sterlin , on Sterling.
Pag. 7. 1. 20. & 2 j. Marie , lif. Elizabeth. C.
1. 27. Mathieu, nor. Il étoit fils de ce Jean qui fut tue
par Jacques Hamilton dans un combat donné proche le
pont de Lythco le quatrième de Septembre 15: 2 6". C.
Pag. 7. & fuivantes , lif. Janette Beaton , ait liett de 3 Jenete de
Béton. D' Argyle , au lieu d'Argathel. Glencairn , au lieu
àe y Glencarn. Glafgov/, au lieu de y Gl^^cow. Dumfreis , ^^j;
lieu de , Dunfreys. Harries ou Herries , au lieu de , Heris. C.
Pag. 1 1. 1. ^. Et à Tegue fon fils , lif & de Baron de Valence.
not. Camden,d'où cet endroit eft tiré,dit bien que Mac-carty
fut fait Comte de Clancar, ou Clancarty , & Baron de Va-
lentia ; mais il ne parle point de Tegue fon fils. Il eft vrai
qu'en Angleterre les fils aînés des Comtes joùifient du fé-
cond titre de leurs pères quant au nom, mais non pas quant
aux droits & prérogadves de la Pairie. C.
Pag. 1 8. 1. 27. Le vingt-neuf de Janvier, lif le trente de Jan-
vier. Edit. Angl.
1.3^. De Seuvre, lif. de Seurre.
Pag. ip.l. 12. Un livre, not. Ce livre étoit intitulé, le Devl?
des marchands. Put.
Pag. 2 1. 1, 22. Codure , ou Codur.
Pag. 27. 1. 18. D'Armach , lif. d'Armagh en Irlande.
Pag. 3 4. 1. 6. Marquery , not. Cette rivière eft ainfi nommée
' par la Popehniere , 1. 10. p. 381. mais on ne la connoît
aujourd'hui que fous le nom de Bidafte , en Efpagnol , Bi-
dajfoa. Edit. Angl.
1. ip. De Nemours, lif de Ne vers.
Pag. 38.1. 38. D'Albeftroph, ou d'Alberftrof.
C O R R E C T I O N s, ôca rjil
Pag. 40.1. 21. 'Le Forez, ///^ la Brefle. C,
Pag. 45.1. 12. Cadbvie , /if. Cafchaii.
1. 13. Giiiiez, /if. Guncz.
1. 17. Kereftker, /if Kereftrer.
Pag. 45*. 1. 28. Cuvaua, on Kwar.
1.25?. Zenderec, /if Zendereu.
1.33. D'Iene, /if de Jene.
Pag. 4(?. 1. 27. Le quatrième d'Août, ///^ le fixiéme de Juil-
let. £^/>. ^yjg/.
Pag. 48.1.33. Il faifoit, effacez y il. j^
Pag. 5" i.l. 30. Afrique. Ù Editeur Ang/ois met Barbarie, quî
eft une partie de l'Afrique , où font Alger , Tunis & Tri-
poli.
Pag. 5*3. 1. 12. Metelin, mt. C'eft le nom de la ville Capitale
de l'ide de Lesbos j elle donne aulTi fon nom à toute l'ide.
. Put, L
LITRE TKENTE^HV ITIEME.
Pag. J4. 1. 3. Vers le iTiilieu du mois de May ^ /if le treize do
May. Put.
Pag. 5-5. 1. 6. Soixante. Oufuivam P édition de Dromrt , qua-^
rante.
1. j?. Giannotto Toreglias , /if Gianneto Torrellas.
Pag. 6"i.l. I. Monferrata, /if Commandeur de Montferrar,
1. 4. Saragoufe , ou Siracufe.
Pag. (58.1. 38. Saphis, /if Spahis.
Pag. 72. 1. 2j?. Gow i /if Giou.
Pag. 73.1. 14. Roderic Cardine , ou Rodrigue de Cardinez,^
Pag. 8 1. 1. 2. Réparer , /if reprendre.
Pag. 83.1. 14. Laurent Guafconi, /f Vincent Guafconi. G;
Pag. 8j.l. 3. Favagnana, /if Favignana.
Pag. pj. 1.8. De Caftillon, /if de Chailillon.
Pag. 5)(5. 1. 3. De Chattes, /if de Chaftes.
1. 18. Mourut extrêmement âgé, wor. Villebon movl-
rut à Rouen le famedy 1 8. Août 1 5 58. C.
Pag. 5)7. 1. 13. lene , /if Jene.
1. 14. Weyfmar, /if Weymar.
Xxxx ij
^jS restitutions,
Pag. p7. 1. 24. Nerrhaiifen , lif. Newhaiifen.
Pag. p 8.1. 3 y. De Aies, hf. de Aies, ou Haies.
Pag. 100. 1. 37. Climpont, lif. Pimpont.
1. dern. Vergelio, /if. Vergetio.
Pag. 102. 1. 2. Profeflion 3 il, /{/T profeilîonj & qu'il a depuis
&c.
Pag. 107.1. 3 5'. La Pinmarck, lif. le Finmarck.
Uid. Le Siriefinlaiid , lif. le Scricfinland.
Pag. lop.l. 35. L'Eld^ OH Elde.
Pag. 1 1 2. L 3 3 . Palphar , iif. Plaffard.
Pag. r 18. 1. II. Sambie , ou Sambien, not. L'Evêque de Sam-
bien a fa réfidence à Konigsberg j & celui de Pomefan à^
Marienwerder. Put.
Pag. np. 1. 13. Wisby, lîf. Wisbuy.
'Pag. 120.1.3. Sigifroy Northauflen, iif. de Northaufen.
1, 1^. Evêque Meckelbourg , lij] Evêque de Mee^
kelbourg.
Pag. 12 1.1.5). De Hoye, ou Hoyen^
Pag. 124.1. 38. Pelifïîer, 0» Pellicier.
pag. 126". 1. 10. Conimbre,o^ Coïmbre.
LIFRE TRENTE-NEVriE'ME.
Pag. 127.1.2. Le treize de Décembre, lif. le huit. Put,
Pag. 128.1.7. Ghifleri, ou Ghifilieri , cr de même ailleurs^
1. 3 6. Bofchi , ou Bofco.
Pag. 1 3 8. 1. <^. Javarin , ou Raab.
Pag. 13p. 1. 3 I. Lodron, ou Lodrone.
Pag. 140.1. 14. Onolsbach, ou Anfpach.
Pag. 141. 1. 21. A Final Parthin, hf. à Final, Parthin un &c.
1. 34. Altembourg , ou Oldenbourg , & ainfi ailleurs.
Pag. 142.1. ly. La Stormarie, ou le Stormar.
^^è- 14^1-22. Des deux Ponts 5 lif. de Deux-Ponts.
Pag. 14(^.1. 10. Chantonay,o« Chantonet.
V^g' 147- 1- 18. Qu'à ces conditions, lif que quand le Roi
auroit accepté & accompli ces conditions , & non autre-
ment, il &c. D. d.
Pag. i^;).l. 32. Sclavonie, lif Dalmatie.
C O R R E C T I O N s, &:e. -ji^
Pag. \^o.\. 26. Unghwar, lif. Ungnano.
Pag. 1 5" 1 . 1. 16. Aysnac , not, C'eft peut-être Hamaski qui eil
proche d'Agria. C
1. 28. Ungnad, ou Ugnad.
1. 2p. Schullembourg , lif. Schulemberg.
Pag. 15:5.1. 24. Vcprin, lif, Vefprin.
Pag. 15" 4.1. 17. Howat, lif Houwat.
Pag. i$6.\. 18. Au camp, ajout, par le eonfeil du Cardina)
fon oncle. D, f. *
1. 24. Thomas Smith , lif Jean Smith. C
1.25". Budshil,/?/^ Butshide.
Pag. 157. 1. 6. De Norgaw , lif du Nortgaw.
1. 32. Gady , lif Gadg.
Pag. 158.1. 2. Sielowefch, lif Siclowefch.
1.37. Le Save,o^ la Save.
Pag. 15p. 1.22. Calambey , ///7 Catambeg.
1. 24. Ottorrn , lif Ottow.
1. 34. Oroftan, If Oroflan.
Pag. 162. 1. 38. Roi de Memphis , lif Sultan d'Egypte."
Pag. 1(^4.1.22. Qui le prendroit, lif qui fe faifiroit de fcri
corps.
Pag. 1^5. L-ir. Jurzniski, lif Juraniski.
1. 38. Machmet , ou Mehemet.
Pag. i66.\. 34. Principales, lif principalement.
Pag. 170.1. 38. Mangrefia, noT. C'eft l'ancienne Magnefîc ,
qu'on appelle aufli, Manifla.
Pag. 171.I. 4. Bofphore, ou le détroit de Conftantinople.
Pag. 174.1. 6. Le Mure, ou Muer.
1. j?. Oedenbourg, nor, fur les confins de la Hongrie
& de l'Autriche. Put.
Pag. 175. 1. 20. Pabotta , lif Paîota.
1. 3 j. Cec, lif Ecc ou Eccio.
Pag. 184.1. dern. & 185-. 1. i. L'Ambafladeur.... s'aflît en k
place du Roi , lif l' Ambafladeur reprefentant le Roi fon
maître , fe rendit en grande pompe à Windfor , & y pnt
féance parmi les Chevaliers de S. Georges > enfuite avec la
permiflion &c. C.
1. 33. Sureau , lif Sureau natif de Rozoy en Tiè-
rache, dit aulïï du Rozier. C.
7iS R E S T I T U T I O N Si
Pag. 187.1.^. Brabançon, lif. Barbançon.
Pag. 18^.1. 12. Rochebrune, ou Roquebrune.
LIF RE QjyJRJNTIE'ME.
Pag. 20^.1,6. Ce fait, lif. cet effet.
Pag. 210. 1. 2^. i$6^. C'eft en 1^6^. félon Meteren.'
Not. au bas de la page 2. col. 1. 2. en Flandre, lif.
de Flandres.
Pag. 2 ip. 1. 12. Prêches, not. L*on a déjà fait remarquer , que
c'eft un terme odieux dont les Catholiques fe font fervis. M.
de Thou ne l'a jamais employé , lorfqu'il a parlé en hifto-
rien. Conciones , eft le terme , dont il a ufé. On doit tou-
jours l'expliquer par aflemblées de religion, dont le but
principal étoit la prédication de la parole de Dieu. Les
autres termes ne doivent être regardez, que comme des
expreillons vulgaires échapées au Tradudeur.
Pag. 220. 1. 15. Campine, ou paï's de Kempen.
-Pag. 22 1.1. 25). S. Truden, oh S, Truyen, aliàs S. Tron au
paï's de Liège.
Pag. 225. 1. 25. Après le mot portes mettez un point. Après
Août , otez le point.
Pag. 228. 1. 5 I. Leuvardin , lif Leewaerden ou Lewarden,
1.32. Swot, lif. Swol.
Pag. 234. 1. 2(5". 300000., lif. 30000. florins, not. Trente mille
florins , quand ils feroient d'or , paroiflent ime fomme mo-
dique pour retirer des domaines de la Couronne aliénez. Il
y a peut-être faute dans le Latin ; nous n'entreprenons pas
de la corriger 5 car d'un autre côté ce font les feuls Protef-
tans d'une ville , qui offrent cette fomme 5 & alors elle ne
paroît plus modique , mais affez conlidérable.
1.27. Ses Domaines dans les Païs-Bas, lif.les Do-
maines de Flandres.
Pag. 238. 1. 20. Rockeran, lif Cockran, not. Robert Cockran
favori de Jacques IIL Roi d'Ecoffe. C
Pag. 23p. 1. 16. Rethuen ou Reuven, lif le Lord Ruthuen,
Pag. 2^2. 1. j?. Seton , ou Seaton.
\.^6. D'un fils, ajout, qui fut enfuite appelle Jac-
C O R R E C T I O N s, Sec. 71^
ques , & qui règne aujourd'hui heureufement dans la Gran-
de Bretagne. D. f. 0. d.
Pag. 2^2.1. 37. Du loir 3 lif. du matin. C
1.38. Melvin , ///7 Melvil.
1. 35). Kilgrey, ou Killegrew.
Pag. 243. 1. 1 6. On parla , ajout, d'abord dans des conférences
particulières, & enfuite publiquement, de la grande affaire
de la fucceffion à la Couronne > il s'éleva même fur cette
queftion des ôcc.
1. 20. Dulton, lif. Dutton.
Pag. 244. 1. 10. Cependant le Roi d'Ecoffe étant entièrement
exclus du gouvernement. On lit en place dans P édition des
Drouarts , depuis la mort de Riz ou Riccio. D. f. 0. d.
1.22. Le Prince fe voyant, lif. Le Prince n'ayant
plus aucune part dans les bonnes grâces de fon époufe,
& voyant qu'après bien des foins & des complaifances il
n'avoit pu venir à bout de regagner dans fon efprit la place
qu'il y occupoit auparavant , fe retira à Sterlin. MS. Samm.
Peu de jours après la Reine partit pour fe rendre à Ged-
burg. D'un autre côté le Comte de Borhwel ayant entre-
pris au commencement d'Odobre une expédition en Li^
dalie , fut dangereufement bleffé par un voleur. La blef-
fure parut d'abord mortelle ; enforte qu'on fut obligé de
le tranfporter dans un château du voifmage. Aurfi-tôt que
Marie en eut reçu la nouvelle, la difficulté des chemins,
les dangers qu'elle pouvoir courir dans ce voyage , rien ne
fut capable de la retenir. Elle fe rendit fur le champ auprès
du Comte avec très-peu de fuite , & dans un équipage in^
digne de fon rang , 6c le fit tranfporter à Gedburg. Là fans
fe mettre en peine de fa réputation , elle pouffa le foin
qu'elle prit pour la guérifon de ce Favori , jufqu'au point
de rifquer fa propre vie. En effet , à force de veilles Ôc
de fatigues elle tomba dans une maladie, qui parut d'a-
bord fi dangereufe , qu'on commença prcfque à défefpe-
rer de fes jours. Dès que le Roi en fut infîruit , il paitic
en pofte , & fe rendit à Gedburg pour la voir , [ dans l'efpe-
rance de regagner par cette démarche ce qu'il n'avoit pu
obtenir par tous fes foins & fcs refpeccs , & de rentrer dans
les bonnes grâces de cette Princeffe. ]£>./* On bien dans
^20 RES T I TUTÏ G N S,
refperance que , fuivant ce qui arrive ordinairement, la
crainte du danger préfent feroit naître en fon cœur un re-
pentir falutaire du paflTé , qu'elle rentreroit en elle-même ,
& prendroit pour la fuite des rëfolutions plus convenables.
MS. Samm. Mais loin de lui donner aucune marque de
réconciliation , elle ordonna que perfonne ne fc levât à fon
arrivée , qu'on ne lui fît pas l'homieur de le faluer , & qu'on
ne lui donnât pas même de logement. En effet ce Prince
qui ne fçavoit où loger étoit fur le point de remonter à
cheval , lorfqu'un Gentilhomme de la maifon de Humes
•honteux du traitement qu'on faifoit à fon Roi , prit un pré-
texte pour fe retirer , & céda fon appartement à Henri. Mais
Marie ne le laiffa pas longtems à Gedburg , & dès le lende-
main elle lui fit reprendre la route de Sterlin. D.f, * Ce
procédé parut d'autant plus indigne , que dans le tems mê-
me que la Reine éloignoit de fa prefence le Roi fon époux ;
elle faifoit tranfporter Bothwel du logis oii il demeuroit
dans le rien,à la vue de tout le peuple, ce qui réveilla
encore les mauvais bruits que fon voyage avoir fait naî-
tre. MS. Samm. Outre cela on entendit dire à cette Prineef-
fe, qu'elle ne pouvoit plus vivre , fi elle n'étoit défaite du
Roi fon époux , & que fi elle ne pouvoit s'en délivrer autre-
ment , elle fe donneroit la mort à elle-même. Elle parla
auffi plufieurs fois d'un divorce , dont on viendroit aifé-
iiient à bout , difoit-elle , en faifant cafler la difpenfe que
le Pape avoir accordée.pour leur mariage. D.f,* non. Tout
cet endroit .efi tiré de Phijîoire de Buchanan. Q.
•Pag. 244. 1. 27. 'Le dix-huit de Décembre , lif. le quinze. C.
^2ig. 24 j. 1. 1 6. Le Roi , lif. Ces lettres qui fembloient mettre
le Roi en parallèle avec Bothwel , achevèrent également
de perdre Marie de réputation, & de lui attirer la haine
des étrangers comme de fes Sujets. En effet, on ne pou-
voit voir fans indignation que cette Princeffe épuisât fes
tréfors -pour mettre Bothwel en état de faire des dépen-
des immenfes, tandis qu'au contraire elle retranchoit le né-
ceflaire à fon époux , qu'elle lui défendoit de paroîrre de-
vant les Miniftres des Cours étrangères, qu'elle lui ôtoit
fes Officiers , & faifoit défenfe à la noblefle du Royaume
4'a.Vûir^our Jiu aiicun refped» Après avoir fi cxaellement
;aialtraitp
C O R R E C T I ON S, Sec. '-jif
maltraité ce Prince , qui de Ton côté avoir pris le parti
de tout endurer, & même de fe faire l'efclave de toutes
les volontés de la Reine, pour regagner fes bonnes grâ-
ces. Après lui avoir fait tant d'affironts , & lui avoir fait
' enlever la vaiflelle d'argent dont il fe fervoit depuis fon
mariage , pour lui en donner d'étain , Marie voyant ce
Prince réfolu d'aller à Glafcow pour y voir fon père, le
congédia après l'avoir ^ dit-on, empoifonné. Mais l'effet du
poifon fe fit fentir plutôt que ne fe l'étoient promis ceux
qui l'avoient donné. A peine le Roi étoit-il à un mille de
Ôcc. MS. Samm.
Pag. 2^6. 1. 24. Morton, ajout, qui étoient les principaux Con-^
feillers du Roi. MS. Samm.
1.25). Cluyd, lif. Firth de Clyd.
Pag. 248.1. 16. Palais, ajout. Comme fi elle eût voulu dans
le cours de l'année appaifer les mânes de cet infâme Fa-
vori par la mort du Roi fon époux. Auffi-tôt les compli-
ces de ce crime firent courir le bruit que 6:c. AIS. Samm^
Put. & Rig.
Pag. 2J0.1. 17. Gilefpic Cambell Comte d'Argathel, ///^ Ar-;
chibald Campbel Comte d'Argyle.
Pag. 2^.1. 33. Archevêque de Monreal en Sicile, ///7 Eve-
que de Mondovy en Piémont.
Pag. 252. 1. 21. L'Evêque de Dublin, lif. l'Archevêque. C.
1. 3 6. En Sicile , lif. en Italie.
1.38. D'abord , ///7 bientôt.
Pag. 254. 1. ly. Menacez, ajout, par la Reine. D. f. 0. d. *
1. 35?. La Reine étant allée, lif. La Reine , dans le
delTein de faciliter le complot que Bothwel avoit formé de
l'enlever fous prétexte de vouloir fe rendre maître de la
perfonne du jeune Roi, fe rendit à Sterlin, ou elle mit
tout en œuvre pour retirer fon fils des mains d'Erskine. La
réfiftance qu'elle trouva dans ce Seigneur à faire ce qu'elle
fouhaitoit dérangea fon projet,fans pouvoir l'obliger à aban-
donner fes premières vues. Comme elle ne pouvoir fatis-
faire en même-tems à fa paffion & à fon. honneur, qu'elle
avoit efperé pouvoir ménager à la faveur de cet artifice ,
elle prit le parti de renoncer à l'un , pour contenter Tau-
-tre. Marie pour exécuter fon deffein , fefervitdu m.inifterQ
Tome K Y y y y
722 RESTITUTIONS,
d'un valet de Chambre François, nommé Paris. Ce do-
meftique lui étoit tout dévoué, & on lui avoit déjà fait con-
fidence de cette intrigue. Paris fe rendit auprès de Both-
wel , l'inllruifit des intentions de la Reine au fujet de l'en-
lèvement , dont ils s'étoient déjà entretenus , & lui ordon-
.na de la part de cette PrincelTe de fe trouver à fa ren-
' ' contre vers le pont d'Almond avec quelques troupes , de
fefailir de la Reine j comme malgré elle, Ôc de l'enlever.
Le Comte voyoit toute la grandeur du crime qu'il alloit
commettre , quoiqu'il n'appréhendât pas d'ailleurs d'en
être jamais puni. Cependant comme il n'imaginoit que ce
, feul moyen de mettre à couvert l'honneur d'iuie grande
Princefle qui ne fouhaitoit rien avec plus de pafllon que
de pouvoir lui donner librement des marques de fon in-
clination pour lui , il obéit ponduellement à fes ordres ;
l'enleva , & la conduilit à Dunbar. Il fe trouvoit encore un
autre obftacle à cette honteufe alhance, & tandis que la
, Reine peu en peine de fa réputation & de fon honneur
reftoit à Dunbar entre les bras de fon ravifleur , on trouva
pour lever cette nouvelle difficulté un moyen, quin'étoit
pas moins infâme que le mariage même que l'on projettoit.
Bothwel avoit époufé une fille ôcc. D. f. *
Pag. 2^6.1. 20. Une de ces fautes , iif. un de ces crimes. D.f,
1. 27. Dumblan, /i/7 Dunblain.
Pag. 2^8. 1. 30. Cunnigham Comte de Glencarn, Iif, Cuning-
ham Comte de Glencairn.
Pag. 26'i.l. 35". Comte de Tilbarn, Iif. Sieur de Tillibardin,
Pag. 2(52. 1. 1 5'. Kircadey Baron de Grangy , Iif Kirkaldy Sieur
de Grange C.
1. 3 3. Elle y fut reçue , Iif d'une manière bien diffé-
rente , & elle n'entendit de toutes parts que ce cri géné-
ral : Brûlez cette proflituée , brûlez cette parricide. Ce qui
mit le comble, &c. AÏS. Samm.
Pag. 2^3.1. 25?. Cocborne , iif Cockburn.
Pag. 2^4. 1. j. De lettres, ajoitt. écrites de la propre inain de
la Reine. MS. Samm.
1. 8. Auroit lues , ajout. Bothwel qui appréhendoit
' l'inconftance naturelle aux femmes [ l'inconflance de la
Reine , MS. Samm. ] dont il avoit vu en peu d'années tant
C O R R E C T I O N s, 5cc. 723
d'exemples , les avoit confervées ; afin que s'il avoit jamais
quelque différend avec la Reine , il pût faire voir par ce
témoignage qu'il n'étoit pas l'auteur , mais feulement le
miniftre ôc le complice du meurtre du Roi. Balfour Ôcc.
D.f. *
Pag. 2(5'4. 1. ir. Parurent avoir trouvé , lif. y trouvèrent une
preuve complette de toute l'intrigue dont on avoit de vio-
lens foupçons , mais qui n'étoit pas encore bien dévoilée ;
cette découverte domia une connoiflance parfaite de tout
le crime. D,f, 0. d,
Pag. 26"^. 1. p. Jaloufie , ajout, tant par fa naiflance, que par-«
ce que &c. MS. Samm.
Pag. 270. 1. 28. Les ides Hébrides , ///71es ifles Occidentales.
Pag. 271. 1. 28. Derwe, /tf. Derry.
Pag. 272. 1. 24. Guillaume Bufck, /rf. Mac-Gillefpiç. VEdi^
teur Anglais pour appuyer fa correÛion j cite Camden j dont
ce trait d^hijîoire efl tiré.
LI^RE QV ARANTE^VNIEME.
Pag. 277. 1. 28. Duefe, ou Difer.
Pag. 278.1. 33. Mildebourgj lif, Middelburg.
Pag. 281.1. 35-. D'Angers, ///7 d'Anvers.
. 2. Audenarde, ou Oudenarde,
. 17. Porcien, lif Porcean.
. ip. Conden,///7 Embden.
.33. Navarre, If. Novarre.
. 8. Aflez déjà, lif déjà affez.
. 3 (). Envoyées, lif envoyés.
. 37. D'Horne, lif de Horne; & ainft par-tout,
. 14. Toutes, lif tous.
. 6, Le dix de Septembre , ou fuivant F édition dt.
, le neuf
.23. Portercole, ou Porto-Ercole.
. 20. Son père , lif le Roi fon maître.
.33. Le dix-fept de Décembre , ou fuivant féditiori
de Londres j le feize.
Pag. 30^. 1. 27. Très-inépuifable, effacez très.
Yyyy ij
Pag. 282.
Pag. 284.
Pag. 28p.
Pag. 2p3.
Pag. 2PJ.
Pag. 2p6'.
.Pag. 2P7.
Londres
Pag. 302
Pag. 303
724 R EST I T U T I O N S,
Pag. 507. 1. p. Prifonniers , lif. prifonnier.
1. 3 I. Sweinits, lif. Schweidnitz.
Pag. 3 12. 1. 3 8. Scheneych , lif. Schoeneych.
Ibid. Carolowiz , lif. Carlewitz.
Pag. 3 15". 1- 10. Ce que , lif fur ce que.
1.25?. Des Anglois, lif des Anges,
Pag. 3 ip. 1. dern. Mifericordiâ , lif. Alfericordias^
Pag. 550. 1. I. D'Alazzo , lif d'Aiazzo.
Pag. 3 3 1. 1. 27. Monauti , lif Montauti.
Pag. 332. 1. I. Du Bourg, ûjout. Saint Sépulcre.
i. 4. Bafcio , not. de P Editeur Anglais. C'eft le paVs
de Mathieu de Bafcio Fondateur des Capucins. M. de
Thou dans un autre endroit de fon liifloire , prétend que
le Fondateur des Capucins étoit d'une maifon noble du
Duché de Spolete. Il a confondu Bafcio dans le Duché
d'Urbin ( dont il eft queftion ici ) avec Bûfchi château de
rOmbrie fur le bord du Tibre à- la hauteur d'Orvieto ,
qui a donné fon nom à une maifon qui fubfille encore
dans les branches du Comte de Bafchi à Orvieto, du Com-
te de Bafchi dans la haute Provence , & des Marquis d'An*
baix & de Pignan dans le Languedoc. C.
Pag. 33^. 1. 24. 12000. lif 2000.
Pag. 340. 1. 15?. Le Baron du North , lif le Lord North.
Pag. 342. 1. 15. Mer Calpienne , not. maintenant Mer de Bac-
chu ou de Sala. C.
1. I ^. Mazandoran , not. nommé autrefois Hircanie,
à préfent Zagathay. C.
Ibid. Chorafan , autrefois Bachiane ^ maintenant Sir-
van. C.
■ - - ■■■■ ■ - - - " - I I I -- ■ 1 ^^U.
LIFRE QVJKANTE-DEVXIE'ME.
Pag. 344. 1. 2C). Dandelot, lifz ici & par-tout ailleurs , d'An-
delot.
ï*^g- 349- 1. <^. Le plus capital, effacez le plus.
Pag. 3 jo.l. 6. Les deftins, lif. les deileins.
ï'ag. 3S3''^'3^^ Bourguet , lif Bourget.
1.39. Le xingt-ncnf , ou fiivant P édition de Londres p
le vingt-huit.
Pag. 5^p.
Pag. 3 60.
Pag. 5(^3.
le ving
Pag. 3 66.
Pag. 3(^8.
Pag. 372.
C O R R E C T I O N S , &c; 72 J
. ij. Pignevolles , ///] Ligneroles.
. 5. Robertel, ///^ Robertet.
.38. Le vingt-cinq , oufuivant r édition de Londres ^
-quatre.
. I. Tanaquil , eu Tanneguy.
. 3 . Confiant , lif. Çonfolant , & ailleurs.,
.13. Brechinville , lif. Brechainville.
. ^j. Ranty, lif, Renty.
. 3 j?. Brefîauit de Peflancour, lif BrefTaud Angevin,
de Befiancour. Ce font deux perfonnes.
Pag. 382. 1. 16. Monferrand, Lanjoran , lif Monferrand de
Langoiran.
1. 37. De Gombauld , lif de Robert de Combauldr
&" ainfi par-tout.
1. dern. Attendre , lif. atteindre.
Pag. 385*. 1. 3(5. Mettoit, lif mettroit.
Pag. 3 8 (j. 1. 28. De Dacier , lif. d'Acier 5 & ainfi dans toute la
fuite.
Pag. 3po.l. 15^. Camille, Artilleria. Otez la virgule ; c^ejl un
feul homme.
,Pag. ^^lA. ^. Venloux , lif Ventoux.
1,31. De BoilTy , lif le Capitaine Boify , ou Bois.
• 1.32. CIqyg , lif Clery.
1.33.' La Ville , lif le Village.
Pag. 3p2. 1. 7. Desbordes , lif. la Borde j & ainfi dans la fuite,
■Pag. 35)5.1. 24. Bloiiel,///? Blolleî.
.Pag. 3P7. 1. 18. A le calomnier, lif à calomnier.
Pag. 400.1. 38. Francy , lif. Irency.
Pag. 401.1. 2j. Marueil fur le Loy , lif Mareuil fur le Lay,
Pag. 402. 1. 2. De Volvire, lifez. ici & ailleurs y de Voluire.
1. 18. Fabius de Saint Hermine, If. du Fa, autre-
ment S. Hermine.
*Pag. 405". 1. 3. Verduran, lif Verduzan.
1. 27. Defcars de Morville, lif d'Efcars de Merville.
Pag. 405). 1. 7. Sudarer. La Popelinicre P app e l le ySd.dur et.
Pag. 41 1. 1. 30. Et S. Marate , lif ik de Morat.
Pag. 414. 1. 2p. Sacviir Baron de Buckurfi:, <?« Sackville Lord
Buckhurft.
^26 RESTITUTIONS,
LIFRE QVJRANTE^TKOISIEME.
Pag. 41 p. 1. 20. Qui feroit, lif, que la grandeur de fes crimes i
lendoit odieux ôcc. D.f,
1. 2 3 . Murray Tilibourdin , lif, de Tillibardin.
Pag. 420. 1.7. A cinq, oufuivant Sédition de Londres ^k hmt
milles.
Pag. 421.1. 16, Lofid, lif. Langfide. Catcarth, lîf, Carthe.
l. 26. Sempill , lif, Semple.
Pag. 422. 1. 33. Baron de Heris, lif Maxwel Lord Harries.
Pag. 423. 1. p. Berth, lif. Perth.
1. 1 6. Le Comte , lif le Baron.
1. 2j. Retirée, ajout, en Angleterre. C.
Pag. 425.1. 3. Nithefdale, lif Nithifdale.
1. 6. Mildmor , lif Middlemore.
1.35. ^prés Gilly, ajout. Henri Balnaves.
L 37. Avec eux , lif Et le 4. Odobre il entra dans
la ville d'Yorck , lieu deftiné pour la conférence.
Pag. 426". 1. 8. Gauvin, Kilcwening , Cocborne , lif Gawin,
Kilwinning, Cockburn.
pag. 427.1. 38. Par cette Princefîe , ajout, qui dévoilèrent la
palfion criminelle dont elle avoit brûlé pour Bothwel , leurs
projets , leurs defleins , & les mefures qu'ils avoient prifes
enfemble & pour le meurtre ^u. Roi , ôc pour l'enlève-
ment de Marie. On produifit aufli trois contrats ôcc. MS,
Samm.
Pag. 42_9. 1. I. Shropp , lif. Shrewsbury.
Pag. 432.1. 22. Bofe, lif. du Bois o«Bofch Avocat Eifcal de
Malines.
1. 23. Le Comte, lif les Comtes.
Pag. 43(^.1. 32. IVot. La lettre de Philippe au Pape a été im-»
primée dans la vie de Pie V. par G. Jérôme Catena. Put.
Pag. 438.1. II. Le vingt-fept, oufuivant Meteren , le vingt-
fix de Février,
Pag. 435). 1.28. Le Namurois, ou le Comté de Naniur,
1.31. Ottave, lif. Odave.
pag. 440. 1. 7. D'Hierges , Ufez par-tout , de Hierges.
C 0 RRE CTI 0 N S,âcc. 707
Pag. 540. 1. 3 3. Il chargea, ajout, le grand Prieur Perdlnand foa
fils naturel , de faire marcher &c.
Note au bas de la page. Barlaymont, lif. Berlaymont.
Pag. 4.41.1. 2. De Monte, oh del Monte. Mendofcu P appelle ^
Montanes.
1.23. De d'Avila, effacez de.
1. 32. Varguas, lif. Vargas.
Pag. 442. 1. 4. Vilvoord , on Vilvorde.
1. 13. Bosleduc, ou Bois-le-Duc.
1. 14. Ferdinand Prieur, hf, le Prieur Ferdinand.
Pag. 447. 1.3. Soele, lif. Soete, Sieur de Hontein. Meterert
F appelle , de Haultein.
Pag. 448. 1. 7. Zuytbrouk , ou Zuytbroeck.
1. 16. De Brimes, lif. de Brimeu.
Pag. 44p. 1. 8. Le détroit , not. Ceft ce qu'on appelle le Zuy^
der-mer, ou Zuyder-zée.
1. II. De Bois, lif de Bloys.
1. 12. Batfon, not. Meteren P appelle , Boudechon.
Ibid. Pentan , ou Pentane. Meteren met , Elpen-'
dani.
Pag. 45 1. 1. 14. Sahne , ou de Salinas.
1. 30. Campine , ou Kempen , not. Jean Petit met
à S. Guidule , & depuis porté en la ville de Wert. Put.
Pag. 454. Cottée par mégarde , 453. 1. p. Bredemberg. Meteren
le nomme , Vandenberghe.
1. 10. Berchem , Meteren met , le château de Hee-«
xenberghe.
1. 13. Tïcnel y Mendo fa met, Venlo , au lieu de Tre-
nel. Put.
1. 22. De Barra, lif d'Ibarra.
1. 30. Des Commiflaires, lif des CommifTions.
Pag. 45:^.1. 22. Ferdinand fils de Prieur , lif, le Prieur FeCi
dinand fon fils.
Pag. 4J7. 1. 3. Anafo , lif. Anafco.
1. 18. Sutebourg, lif Ziiyt-broeck:
Pag. 45- 8. 1. 6. A Prieur , lif au Prieur.
Pag. 45:5). I. 21. Manriques, ou Manriquez.
Pag. 4^0. 1. 32. Schaumbourg , lif Schouvvenbiu'g , & atnft
dans la fuite.
'72$ R E s Tî T U T I O N S'T
Pag. ^d*!.!. 28. Village, îif. place.
1.52. O\x\ï,0H Ôlfen.
1. 3 j . Aurelio Palermo , ou Aurelio de Palerme;
Pag. ^54..!. 24. De Vers, Iif. de Wels ou Welfen.
1. 28. Waroux de Ryfoire, Charles Hamets de Eox-
tel, Iif Waroux , Ryfoire , Carloo, Hamets , Boxtol. Ce font
autant de perfonnes.
Pag. 4(5'y. 1. 8. D'Eppin , ou d'Eppen.
1. 38. D'Erbeftein, Iif d'Ehei:(\:em,& ainft par-tout;
Pag. 4<^^. 1. II. Lanoy de Beauvais, Iif de Beauvois.
Pag. 4^7.1. 37. Virmont, Iif Tillemont ou Thienen.
Pag. ^6S. 1. 26. Alvarez Cabrai , iif. le Sieur de Câpres. L^E"
diteur Anglois traduit le Baron de Chevreaux de la Maifon
de Vienne. Mais fon croit qu!il fe trompe.
Pag. 4^p.l. i<?. Diego de Tolède fils du Connétable, Iif
Diego de Tolède fon fils , ( du Duc d'Albe ) Connêtabl-e de
de Navarre , not. Louis de Beaumont ( dit P Editeur Anglois )
ComtedeLerine pofledoit par droit d'hérédité la dignité de
' Connétable de Navarre. Son fils lui fuccéda. Ce fils étant
mort en i5'3o. laifTa aulfi à fon fils cettte dignié. Celui-ci
mourut en 15'6'j. ne laiflant que trois filles. Briande l'aînée
cpoufa la même année Diego de Tolède fils du Duc d' Al-
be , qui du chef de fa femme fuccéda à fon beau-pere , fut
fait Connétable de Navarrre, & a tranfmis cette digmté
à fes defcendans jufqu'à ce jour. Ç
Pag. 470.1. 10. Bavais, ou Bavay.
Pag. 472. 1. 3 I. Berti, Iif Weert.
Pag. 47(5. 1. 12. Hermeftein , ou Ehrenbreitftein , qui eft 1q
vrai nom , & dont le premier n'eft que l'abrégé. Ç.
Pag. 482. 1.2p. Marguard , Iif Marquard.
Pag. 483.1. 5. Confervant, Iif confacrant.
LIFRE QV JKANTE-Qy ATKIEME.
Pag. 48(5". 1. 5". Gabot, ou Gavot aliàs Cavot.
Pag. 487.1. 38. Sainte Hélène, ajout, qu'ils appellerent Port-
Royal.
Pag. 48^. 1. y. Convexis, Iif Couexis.
Pag. 48 j?.
C O R R E C T I O N s /Sec. y^p
Pag.^Sjj.l. 15. Aubert, lif. Albert.
1. 18. Barrois, lif. Barre.
1. 5 5" . Lachery , lif. Lachere.
Pag. 5:00.1. 18. Souavezes, lif, Swanfey dans le païs de Gla*
morgan en South- Wales. C.
Pag. yoi.l. 17. Quiloo, lif. Qiiiloa.
Pag. yoj.l. 8. De l'Efcure, lif. de l'Efcut.
1. ip. De Bordeaux, ou Bourdelois.
Pag. 504. 1. 8. Avec emprefîement , lif en danHuit. C.
Pag. 508.1. 10. Le trente d'Avril, lif le trente - unième de
May.
Pag. 5" 05). 1. 6. Bone , oh Bonne , not. c'eft l'ancienne Hypponc
ville Epifcopale , Sicge de S. Auguftin.
Pag. 5 12. 1. 2;). Tandis que lui ôcc. If. Mais qu'il ne pouvoit
foufifrir qu'un Prince comme lui, qui avoir fçu préferver
fes Etats de cette perte , fut dépouillé &c.
Pag. 5- 15. 1. 23. De la Vieuville, oh Vieille-ville.
1.33. A Poitiers , ajout, où peu de tems après il
mourut d'apoplexie. Ce fut un des Seigneurs de fon tems
des plus illuftres par fa naiflance , fa libéralité , fa pruden-
ce, fon cfprit,fa probité & fa douceur. Son zélé pour fa
gloire & pour la tranquilité de la France , dont il donna des
preuves dans tous les tems, le firent également regreter
de tous les gens de bien. Les Rochelois ôcc. MS. Samm,
Le P. Anfelme dit qu'il mourut de poifon en fon château
de Durerai le 30, Novembre 1 57 1. H/ft. Geneal. de France^
p. 544.. C.
Pag. 520. 1. 34. Le motif barbare , lif. les exprelTions barbares
de &c.
Pag. y 2 1.1. 12. Brulard, lif Brulart.
Pag. 523.1. 16. Marchais , lif Marchez.
Pag. 524.1. 14. La Malleraye , lif de Maleroie.
1. 17. Sourches , lif. Chourfes j & ainfi dans toute la
fuite.
Pag. 52(^.1. 20. De Puygrefïicr, de S. Cyi:,. lif. de Puygref-
fier, dit S. Cyr.
1. 21. Pluviaut, ou Pluviault, ou Puviaut.
Pag. 52^.1. 8. Saintgravé Cognée. Alettez une virgule entre ces
deux mots ^ ce font deux perfonnes.
Tome /■< Zzzz
730 RESTITUTIONS,
Pag. 5'3<5.1. 25:. Dans la place, not. Les Catholiques par droit
de reprefailles , paflerent au fil de l'épée l'année fuivante
la gamifon de Magné , château fitué à trois lieues de:
Niort. C.
Pag. 537. 1. 34. Bufïier, lif. Buffiere..
Pag. 538.1. 23. Sainte Mefme, lif. Sainte Memme.
Pag. 540. 1. 2. Ancone de S. Romain. Mettez une virgule en^
tre ces deux noms ; ce font deux perfonnes.
l.'j. Richien, ou BJchiend.
1. 3 I. Des Oulieres, lïf. des Olieres.
1. 32. Bais fur la rivière de Bais, not, M. de Thou-
a pris cet endroit de la Popeliniere 1. 15". fol. 70. mais 'i\
s'eft trompé j il n'y a point de rivière h mais un bourg Ôc
un château qui domine le bourg. C
Pag. 54X.I. S. Dio, lif. Die.
1. 25?. Montaigu , lif. Montagut. Et toujours de même y
fait pour les Seigneurs de ce nom jfoit pour la petite Ville qui
le leur a donné..
Pag. 542.1. 12. De Mailei, lif de du Maflez.,
Pag. 543. 1. 18. Mefignac , ///. Melllgnac.
Pag. 554.1. 35. Les deux Dietzen, Uf Les deux Comtes de-
Diez, fils naturels de Philippe Landgrave de Hefle, le Com-
te de Wefterbourg & Leininghen , les Comtes Rheingra-
ves ôcc. mt. Philippe furnommé le Magnanime Landgra-
ve de Heffe ayant pris pour féconde femme du confente-
ment de fon époufe , & par l'avis de fes Théologiens Mar=
guérite de Sala , il en eut fix enfans, Maurice , Chriftophle ,
François , Philippe , Volrath , 5c Frideric. Par fon ,teftament
ce Prince leur laifla quelques châteaux & quelques gou-
vernemens j & pour leur donner quelque titre honorable ,
il ordonna qu'ils prendroient le nom de Hefle , & la qua-
lité de Comtes de Diez , & de Seigneurs de Lisberg ôc
de Bickenbach. Ils moururent tous fans s'être mariez. A-
l'égard de la maifon de Wefterbourg, elle tire fon nom du
château de Wefterbourg fitué dans cette partie de la We-
teravie , que les Allemands appellent den Weferzvald, ôc
defcend des Seigneurs de Runckel. Outre cela le Land-
grave de Hefie Leninghen étant mort fans enfans l'an 14^7.
J^einhard de Weiterbourg, c^ui avoir époufé la Princeffe.
€ O R R E C T I O N s, ôcc. 731
Marguerite fœur du Landgrave , s'empara de tous fes Etats ,
<& prit le titre de Comte deXeiningheii & de Weftcrbourg,
qui pafla à fes defcendans jufqu'à Reinhard ion petit fils.
Ceft de celui-ci que fortirent les deux branches de Lei-
. ninghen & de Wefterbourg. P^. fuppkm. aux Geneahg, de
Rîtterhus. l. 4. f. 7. dr /. (5. <r. 5). C.
^^g- 5'54- ï- 3<^- L€s Comtes Reingraves, Uf, les Comtes du
Rhin. Fut.
l'ag. ^yj-.l. 10. Salm, ou Salms.
1. 2^. Dollenviile , Uf, d'OITonville \ &, ainfi dans
toute la fuite,
1. 28. La Carde , Uf. de Cardes.
1.35. Quand, Uf quant.
i. 3 5". Vaflar, Uf Vaflan.
V3ig. 5';7.1. 7. Qu'il foutenoit, ajout, La Reine Llizabeth eut
une autre querelle beaucoup plus vive avec le Duc d'Albe
au fujet de l'enlèvement de quelques vaifleaux Efpagnols,
:& de l'argent qui avoir été pris defius. En effet , il arriva
fur ces entrefaites que la Tour ayant donné la chafle à un
grand navire de Bifcaye & à quatre petits , de ceux que les
Efpagnols appellent Affabras , fur lefquels il y avoir deux
cens mille écus , ils allèrent fe réfugier dans un port d'An-
gleterre. Geraldo Spefeo demanda à la Reine au nom du
Roi Philippe fon maître un pafleport pour pouvoir tranf-
porter fùrement , foit par mer , foit par terre , la charge de
-ces vaifleaux jufqu'à Anvers , & EHzabeth ne paroiflbit pas
d'abord fort éloignée d'accorder ce qu'on fouhaitoit j mais
comme Spefeo attendoit une réponfe pofitive du Duc d'Al-
be , dans cet intervalle le Cardinal de Chatillon donna avis
à la Reine, que l'argent qui étoit fur les vaifleaux Efpa-
gnols n'appartenoit point à Philippe ; qu'il étoit à des né-
gocians Italiens , & que dès qu'il feroit rendu en Flandres ,
le Duc d'Albe avoir réfolu de s'en rendre maître de gré
ou de force , & de l'employer à faire la guerre aux Pro-
teftans. En même-tems il confeilloit à cette Princefle^ pour
priver le Duc d'un fi puiflant fecours , & qui entre fes mains
ileviendroit lî pernicieux à la caufe commune , de profi-
ter d'une fi belle occafion que la fortune lui préfentoit , lui
faifant eiuendre qu'elle avoir droit de retenir cet argent,
Z z z z ij
732 RESTITUTIONS,
Le confeil du Cardinal fut fuivi. La Cour d'Angleterre
prit pour prétexte , que ces fommes n'appartenant point au
Roi d'Efpagne allié de S. M. B. mais à quelques particu-
liers, rien ne pouvoir empêcher la Reine de les leur em-
prunter dans le befoin prefiànt , où elle fe trouvoit réduite.
Ainfi on fit débarquer tous les caiffons, de peur, difoit-
on , que les François ne s'en rendiflent maîtres 5 & après
avoir fait fes billets pour la fomme qui fe trouva fur ces vaif-
feaux , Elizabeth ordonna que cet argent fut employé à fes
iifages. AuflTi-tôt que le Duc d'Albe eut été inftruit par
Spefeo de ce procédé, il ne fongea qu'à tirer raifon de cet
outrage. Sans prendre l'avis, ni des Etats, ni du Confeil Sou-
verain des Païs-Bas 5 fans avoir égard à l'alliance qui étoit
entre les maifuns d'Angleterre & de Bourgogne , il fit ar-
rêter fur le champ à Anvers & dans toutes les autres villes
de Flandres , tout ce qui s'y trouva d' Anglois , ôc les retint
prifonniers dans le comptoir de cette nation , où il envoya
des troupes pour les garder. La même chofe s'exécuta à
la follicitation du Duc dans toute l'Efpagne. Elizabeth de
fon côté informée de cette démarche , fit arrêter fur le
champ tous les marchands Flamans avec tous leurs effets,
qui furent mis en féqueftre ; & pour fervir de garantie &
d'indemnité aux Anglois , qui étoient entre les mains des
Efpagnols , elle fit entrer dans fes ports plufieurs vaifleaux
de cette nation qui étoient en mer , fans que ceux qui les
montoient fçufient le fujet de ce nouvel ordre. Cependant
le Duc d'Albe voyant le grand nombre de vailTea^ux,
d'hommes & d'effets , que les Anglois retenoient à la na-
tion Efpagnole , fe repentit de fa précipitation. Pour la répa-
rer il députa fur le champ Chriftophle d' Aflbnville à la Rei-
ne j mais comme il n'étoit envoyé que par le Duc , & qu'il
n'avoir aucuns pouvoirs de Philippe , il ne put obtenir au-
diance de cette Princelle. Elle le renvoya à fon Confeil >
& ce Seigneur ayant refufé de fon côté d'entrer en né-
gociation avec les Minifires de la Cour d'Angleterre, re-
paffa en Flandres fans avoir rien conclu. En même-tems
Elizabeth fit déclarer au Duc, que malgré la grandeur de
l'outrage qu'elle avoir reçu , elle étoit réfoluë à ne fe porter
à aucune hoftiliié , à moins que lui-même ne fe portât à
CORRECTIONS, kc. 73 v
de plus grandes violences. Elle fit fignifier la mcme chofe
à Philippe , & ne manqua pas de fe plaindre très-vivement
de la conduite précipitée & inconiiderée du Duc d'Albe.
Cependant tandis que de part & d'autre on fe failiiToit
de tous les vailfeaux & de tous les effets qu'on trouvoit
à fa bienféance , afin que cette méfintelligence n'interrom-
pît point le commerce , les négocians Anglois firent paf-
fer toutes leurs marchandifes en Allemagne, ôc établirent
un comptoir à Hambourg. Le Duc d'Albe à fon tour au
mois d'Avril fuivant , défendit tout commerce entre les
Païs-Bas & l'Angleterre. Cependant il ne laiffa pas quel-
que tems après de députer à Elizabeth Chiapin Vitelliv
Marquis de Cetona avec Fonde & le Secrétaire de la Torrc,
pour retirer de fes mains l'argent, donc elle s'étoit faifîî
mais après des ordonnances fi rigoureufes, ils arrivèrent
trop tard pour pouvoir rien obtenir de cette fiere Prin-
cefie. On renouvella donc ces défenfes j on y en ajouta
mcme encore de plus feveres. C'efl ce qui donna occa-
iion à des animofitez , qui fans qu'il y eût d'ailleurs de
guerre ouverte entre les Anglois & les Flamans, mirent
beaucoup de dérangement dans le commerce , ôc eurent
des fuites fi préjudiciables aux deux nations. A peine au
bout de quatre ans ce différend put-il être terminé, comme
je le dirai dans la fuite. D. f, Tom, II. p. ^5;. Ôc D. c,
Tom. IV. jtJ. 3 18.
LIVB^E QVJKÀNJE- CINQVIEME.
Pag. ^6i,.\. 4. Vicupont ôcc. lif. De vieux Pont d'Aigueville
fils du Baron de Neufbourg.
Pag. 554. 1. 22. Borniquetj lif. Bourniquet.
1.27. Puylaurens, lif, Puy-Laurent,
1. 33. Levron , lif Leberon,
Pag. y (^5". 1. I. De Pire, If. De Piles.
1. 14. De CeUai, lif de Seflac.
Pag. ^^■y. 1. 18. Montaigu, lif Montagut.
1. ^6. d'Aumale Nemours. Séparez ces deux nom^par
me virgule y ce font deux pcrfonnes.
734 RESTITUTIONS,
Pag. 5*70.1. 18, Mais repouiTa même Briflac avec perte, lijl
mais qui leur fit même abandonner le pofte de BaÛac avec
perte. U Editeur Anglois juge qu^on doit faire cette correâlion
dans le texte ^ Ù" il cite la Popelimere liv, ly.. pag. 85.
Pag. 5*72. 1. 24. Qui l'ait furpalTé , ajout. Outre cela perfonne
ne fut plus zélé obfervateur que lui de la religion qu'il avoit
embraliee j non qu'il cachât fous un mafque hypocrite au-
cuns projets ambitieux : fon génie infiniment élevé le met-
toit plus en état d'en former que qui que ce foit 5 mais en
cela le goût feul d'une piété véritable qui lui étoit natu-
relle le faifoit agir. Sa mort &c. MS. Samm.
Pag. ^73.1. 14. Moncanvre, lif. Moncanure.
Ibid. Lignere , lif. Ligneris.
Pag. J74. 1. 17. Baudiné, fon frère Blacons, lif. Baudiné fou
firere, Blacons.
Pag. J77. N^ ayez point d^ égard à la note, Oeft le parti Catho^
lique qui accorda les conditions & les obferva mal.
Pag. 582. 1. 10. Le vingt -mi, ou fuivant t édition de Londres ^
le dix-neuf. Voyez la Popeliniere l. 16. p. ^2.
Pag. 584. 1. 16. Dully Artus, lif. Duilly, Artus. Ce font deux
perfonnes,
1. 17. De Briquemaut d' Autricour. A/<£?ff f 2 une virgule
entre ces deux noms pour les dijlinguer ; ce font deux perfonnes.
^ag. y 8 j . 1. I . Six mille , ou fuivant P édition de Londres , cinq
mille.
1. 2. Par les deux bâtards de Hefle , Wefterbourg &
Leininghen ôc par les deux frères Rhingraves , lif. par les
Comtes de Diez bâtards de Philippe Landgrave de Hefle ,
les Comtes de Wefi:erbourg & de Leininghen & les Rhin-
graves. Voyez ci-dejfus la note qui a été faite fur le même
fujetpag. 554.
Pag. jSp.l. 3 I. Somme , lif. Somma.
Pag. 5<po. 1. j. Gincomini, lif. Giacominî.
Pag. J92. 1. 3 I. Irememond, lif Trememond.
Pag. 5" 5? 5.1. 24. Chevreux, lif. Cherveux.
1.34. Fontenai-i'Abbatu , Uf "Frontenay-rAbbatn.
I^ag. ^s>9' 1- 32. Le troificme , ou plutôt le deuxième, not. La
•' Popeliniere /. 17./?. 105-. dit formellement , que le Comte
du Ludc leva fon camp le S.amedy deuxième de Juillet. C.
C O R R E C T I O N s , &ci 7 j;
Fag. 5"^^. 1. dern. Defclufeaux, lif. des Clufeaux.
Pag. 601. 1. 27. De Pont de Mirambeau , ///7 de Pons de Mi-
rembeau.
Pag. dey. 1. 3. S. Antoine, lif, S. Antonin.
1. 15-. La Riege, ou l'Ariege , ou rAiiriege,'
Pag. 6'o6'. 1. 3. De Dacqs, lif. d'Acqs.
Pag. 60J. l. 8. BuOlllon , ///: Bafllllon.
1. 13. Pujol, lif. Pujols.
1. 33. De la Bous , lif, de Larbous^
Ibid. Luzieres , lif Lozieres.
Pag. (>o8.1. I, Paras, lif Favas.
1. 3. L'EfcLir, lif l'Efcut.
1.30. MontluG, ajout, donna ordre à MonteftruC
de faire pointer l'artillerie &c.
Pag. (5op. 1. 13. Florence , ^'^^Tr^i difent , Fleurance.
Pag. 6\o.\. 13. Orillac, lif Aurillac.
Pag. 6^12.1. 2 j. De la Beraudiere, de Rouet, lif de la Be-t
raudiere Sieur Rouler. Otez la virgule j c'ejl une même per-
fonne.
Pag. (j 1 3. 1. I. Sforze , ott Sforce.
Pag. 61^. 1. 1(5. Les affiégés, lif les alTiégeans.
Pag. (>i5'. 1. 7. Du Capitaine Bourg &c. lif des Capitaines
Bourg, de Calverac, & de Prunay. Ce font trois Officier s.^
1. 2p. Virpont Seigneur de , lif Vieuxpont Baron de.
Pag. (^23. 1. 6. Paut, lif Paul. \
1. 13. Pomenie , lif Pomenic, & ainft ailleurs,
Pag. ^24. î. 25. De Montacuto , lif de Montauti ou Mon-
tauto.
1. 53. Giufuniano 6c Beneio , ///7 Giuftiniano Benci;
Oejî un fui homme.
\. dern. De Montalte , lif Montaldo qui comman-
doit trois compagnies, Cailoccio de Sienne, 6c Fabiano
&c.
LIF RE QyJKANTE^SlXIEME.
Pag. ^32. 1. 37. La Dire, If. la Dive.
Pag. 6^3^,1. Kj. Ervauk, not, C'eft fans doute Air vault. Aurea.
73<? RESTITUTIONS;
fy'allis , Abbaye à dix lieues de Poitiers du côté du cou-
chant.
Pag. 6^ 6. 1. 3 4. Fiffer , ou Phiffer.
Pag. (^40. 1. i. Francirquin, lif. Franciofino.
Pag. ^41. L 3. Chumpemoun , lif. Champemoun.
1. I j. De la Motte , Pujols. Otez la virgule ; ce rCefi
qu'une perfonne.
1. 34. Louviers Morevel,.///) de Maurcvel.
Pag. C) 43.1. 16. Gornay, lif. Goiunay.
Pag. (^44. 1. kS". Verbelet, ou Verbelay.
1. 31. Sarrai, lif Sarraz.
Pag. 64-6.1. 10. Cadenat, lif Cadenac.
Pag. (^47. 1. 30. Saint Père, lif Saint Peré.
Pag. 6'5'3. l. 25". La Garde , Montault. L'Editeur Anglois veut
que ce ne f oit qiH une feule perfonne , ainfi il faut retrancher^
la virgule.
P.ag. ^5:^.1, 33. Saint Memin, lif. de Saint Mefmes , ou de
Sainte NLQvaiWQ , fuivant lUnd. Thuan.
Pag. 6^^.\. II. Goutiniere , lif Guitinieres.
Pag. dd4. 1. 3. Tentavie, lif tentative.
1. 7. Pallu , lif Palus.
1. 1 5 . Le vingt-deux , not. La Popelin. 1. 2 1 . pag. 1^6,
ditj que ce fut le vingt-un de Décembre. C.
■Pag. 666. 1. 2 1. Le dix-fept , ou fuivant P édition de Londres ^ \o
dix-huit.
Pag. 66-]. 1. 3. Harbens , lif l'Arboux.
1. 12. Paget. Momluc le nomme ^ Projet.
Pag. ^74.1. 22. Baillage^ lif Bailliage.
1. 5c. Sac, lif Sack.
Pag. 6']']. 1. 20. Le treize, ou fuivant Pédition de Londres,le onze."
. Pag. 6jS. h p. Dans un port, lif. dans les ports de Plimouth,
de Falmouth , ôc de Southampton. C. LEditeur Anglois cite
là-deffus Camden.
Not. Après la pag. 6^0. il y a une erreur dans les cliif.
fres. Le Leâfeur peut aifément y fuppléer,
Pag. 683. 1.2;. Boteler, ou Buder.
1.30. Marc Artimore, lif. Maccarty-More.
1. 3 I. Imokel, lif Imokelly.
1.37. Kilken, lif. Kilkenny,
Pag. 6Z^,
C O R R E C T I O N s , 5cc. 737
Pag. ^84. 1. dern. Où l'on s'y rendit, lif, où Ton fc rendit.
Pag. (58 5*. 1. ip. Camp, lif. Champ.
Pag. (fSS.l. 10. Seymer, lif. Seymour.
1.32. D'Anguish, If d'Angus.
1. 33. Harbet, If Harbottle.
Pag. (5Sp.i. I. Après fa mort. Mettez un point , & ajoutez ?
Après avoir ainfi parlé pour les intérêts de l'Etat, Norfolch
&c.
Pag. ô'pr.I. 17. Flanet, If. Flanncr.
Pag. ô'^) 3. 1. 22. Petcarn, If Pitcairn.
1. 28, Par le Juge Royal , If par le Chevalier Ro-
bert Cadin, premier Juge du Banc du Roi , & par Gilbert
Gérard Procureur général , & exécutez &c.
1.31. Hollandois , If Holland.
1. 37. Carry , If Ker.
1.38. Seù:,lf Scot Sieur de Bucclugh.
Pag. ^^4. l. 4. Dacré , If Dacres.
1. 6. Muraille de Severe. JJEditeur Anglois remari
que qn'ofî P appelle communément y la muraille des Pides. •
1. 17. De Soîop, If de Shrcwsbury.
1. 18. Tutburre, If Tutbury.
Note au bas de la page ligne 2. Su 1er, If furie,
Pag. (jpj'.l. y. Greiftach, If Greiftoch.
1.33. Rodolphi , If Ridolphi.
1. 37. De tous ceux , If dont fe fervoit la Reine
d'Ecofle. Sur quelque foupçon «Sec. D.f. 0. d.
Vdg. 6^6.1.'). Pendant que cela fe pafloit en Angleterre.
Effacez ces mots & tranfportez ici les cinq premières lignes
de r alinéa mi fuit. Cette tranfpofition rend la narration plui
claire ^ ainji que Pa obfervé M. Dupuy,
Pag. 6^-]. 1. 18. Glafco , lif Glafcow , ou Glafgow.
1. ij?. Lytko, If Linlithgow.
Pag. 6ç)ç^, l. 34. Ogilby , ou Ogilvy.
Pag. 70 7- 1- ^' Tivedale. «o^ C'eiUe pais de Thuid, vulgoUQ-i
viotdale.
1. 13. Annand. Ed. Angl. Annandale.
1. ij?. De Levin, lif de Lenox.
1. 23. Païs de Clid, lif Clyddefdalc.
Pag. 70(5. l. 20. Berkin, lif Brechin.
Tom. V^ Aaaaa
738 RESTITUTIONS;
Pag. 'J06, 1. 27. Raven , lif. Ruthven.
Pag. 707. 1. 5*. Claflefworth , lif. Chattefworth.
Pag. 705>.l. 58. Connober Obrien, lif. Conogher O-brian.
1. dern. Twomond , lif. Thomond.
Pag. 710.1. 24. Parry, lif Parr.
Pag. 71 1. L 10. Vefc & Vienxpont j lif Vefcies & Vieponts,^
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