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Full text of "Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou : depuis 1543. jusqu'en 1607. Traduite sur l'édition latine de Londres .."

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HISTOIRE 


DE 


JACQUE- AUGUSTE 

DE    THOU 


TOME      CIN  QJJ  I  E  M  E. 


HISTOIRE 

UNIVERSELLE 


DE 


JACQUE-AUGUSTE 

DE    THOU, 

Depuis  1543.  jufqu'en  1607. 

TRADUITE  SUR  L'EDITION  LATINE  DE  LONDRES. 

TOME    CINQiJIEME. 


1564, 


1570, 


A      LONDRES. 


M.    D  C  C.    XXXIV. 


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SO  MMAIRES 

DES     LIVRES 

CONTENUS  DANS  CE  CINQU'EME  VOLUME, 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XXXVII. 


A 


F  faire  s  d'EcoJJe,  Mariage  de  la  Reine  ayec  Henri 


1564.: 


15  ^Sj. 


d^Arley  fils  de  Mathieu  Stuard  comte  de  Lenox,  C  h  a  r  l  e 

Affaires  de  France,  Suite  du  Voyage  du  Roi.  Troubles  ^  ^'  ^ 
â  Paris  caufés  par  le  cardinal  de  Lorraine,  L'amiral  de 
Coligny  y  pajje  quelques  jours.  Affaire  des  Je  fuites,  Ahre- 
gé  de  la  yie  de  faim  Ignace  de  Loyola,  Jugement  des  Pré- 
lats au  colloque  de  Poifjy  fur  les  Je  fuites.  Conditions  auf- 
quelles  ils  font  reçus  en  France,  Confultation  de  Chai  le  du 
Moulin  contre  les  Je  fuites.  Plaidoyer  pour  (jr  contre  les  Je^ 
fuites.  Concluions  de  l'Avocat  général  contre  eux.  Arrêt  du 
Parlement  en  leur  fayeur.  Suite  du  "Voyage  du  Roi.  Ligue 
de  plufieurs  Grands  du  Royaume,  Entrevue  du  Roi  ayec 
la  reine  d'Efpagne  is*  le  duc  d'Albe  a  Bayonne,  Démembre^ 
ment  de  léyêchéde  Bayonne,  Guerre  du  cardinal  de  Lorraine, 
Retour  du  Roi,   Plaintes  des  Protcflans,  Guerre  de  Hon- 

gria,  Ciége  de  Tokai.  L'Empereur  demande  au  Pape  la 
Tome  V.  "  a 


«M 


îj  SOMMAIRES; 

communion  fous  les  deux  efpeces ,  ^  le  mariage  des  Tre^ 
très.  Guerre  de  Soliman  contre  les  Cheyaliers  de  Malte ^ 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XXXVIIL 

LEs  Turcs  a //lèvent  Malte.  Sie^e  C^  prife  du  château 
defaint  Ehie,  Mort  de.  Dragut,  Sïé^e  du  chatean 
\  %  6  <  ^^  y^/«^  Michel  <S*  de  la  Ville,  Arriyée  du  fecours  envoyé' 
de  Sicile,  Les  troupes  auxiliaires  forcent  les  Turcs  de  leyer 
fiége  <S*  de  fe  rembarquer.  Particularités  du  fiege  de  Mal-- 
te.  Fêtes  <ù^  ynariao-es  en  Italie.  Mort  de  Fie  IV.  Son  ca-* 
raSîere.  Retablijfcment  de  l'Ordre  de  faint  Lazare.  Morts 
de  Villehon ,  de  Cipierre  y  de  la  Roche-fur-Ton ,  de  Jean  Fre^ 
deric  de  Saxe  ,  de  Ra?U^a'VV  y  de  Neyyhaufen  y  de  Selden^. 
de  Sonneck ,  de  Rat^eyyil ,  d'Alexandre  de  Aies ,  de  Ma-* 
the^y  de  Jean  Lan^e  y  de  Conrad  Gefner  y  de  Turnehe  y  de 
Goyea  y  de  Philander  y  de  Kirico  Stro^^i ,  de  Jean  Grollierp 
•  ou  Grollerius.  Suite  de  la  guerre  d^^  Nord.    Affaire  de  Rof 

i  5  ^  ^-  toch.  Affaires  de  Pruffe.  Suite  de  laguerre  du  Nord.  TroU" 
hles  en  Allemagne  a  caufe  de  la  Religion.  Morts  y  du  prince 
d'.Anhalty  de  Draconites  y  du  Fufch  y  de  Vida  y  de  Varchi^ 
de  Cornaro  y  de  Charle  du  Moulin  y  de  Rondelet  y  de  George 
Caffanderyde  Frutery  de  Pierre- Je  an  de  Per£ignan>  Sup^ 
J>lice  de  Vdentin  Gentilis^ 


SOMMAIRES.  îjl 


SOMMAIRE   DU   LIVRE  XXXIX.  == 

Charle 
IX. 


LeSlion  de  Fie  V.  Sa  Vie  jufquau  Fontificat  y  Son 
caraBere  s  premières  aBions  de  fin  Fontificat,  Les 
Wurcs  prennent  Scio,  Courfis  de  la  flotte  Turque  fur  les 
cotes  d'Italie,  Diète  de  l Empire  à  Ausbourg.  Ajjemhlées 
des  Etats  à  Fresbourg  iT  à  Vienne,  Lettre  de  Jeauprin^ 
ce  de  Tranfyhanie  aux  fiigneurs  Hongrois  ^lettre  de  Schv^en- 
di  aux  ynemes.  Guerre  en  Hongrie,  Secours  donnés  à  Maxi- 
milien,  Maximilien  Vient  en  Hongrie,  Solimany  Vient  aujju 
Siège  <s*  prifi  de  Zighet,  Mort  de  Soliman.  Frife  de  Giu* 
la,  Selim  monte  fur  le  throne  de  Soliman  fin  père  s  il  yient 
d  fon  armée,  Ohfeques  de  Soliman,  Suite  de  la  guerre  en 
Hongrie,  Ajfcmhlée  des  Etats,  Etats  d'Autriche  ^  d! au* 
très  FroVmces,  La  maladie  de  Hongrie,  Affaires  de  France. 
Ordonnance  de  Moulins,  Difcours  du  chancelier  de  l'Hopi^ 
tal.  Le  mariage  du  duc  de  "Nemours  ayec  Francoife  de  Ro^ 
han  ejî  déclaré  nul,  Nouyeaux  troubles  à  Lyon ,  dans  le 
Bearn  ,  (^  dans  le  comté  de  Foix,  Le  Fape  Fie  V*  démeni'^ 
bre  Guipufcoa  de  tEykhé  de  Bayonne. 


SOMMAIRE    DU  LIVRE   XL. 

T  Roubles  des  Fayis-bas,  Defcription  de  ce  payis.  Suc-^ 
ce/fion  des  comtes  de  Flandre,  Anciens  troubles  de  la 
Flandre,  Nouveaux  troubles  caufé  par  la  crainte  de  lln-^ 
qûition,  Confédératio7i  de  la  ISfobleJfe  :  requête  des  Confédé- 
rés, Réponfe  de  la  ducheffe  de  F  arme  Gouyernante  des  Fayis» 

ai;       ' 


i  5  ^  ^î 


i*  SOMMAIRES. 

■  b as.  Troubles  iST"  féditionsprefquentous  lieux.  AffembUeiT 
C  H  A  RL  E  plaintes  des  Confédérés.  Licence  ^  profanations  des  Frctef- 

^  ■^'       tans.  Traité  entre  la  Gouvernante  ^  les  Confédérés.  Suites  de 

'     ^*    ce  traité.   Mémoire  des  Froteftans  d'^?iyers.  Ajfemblée  de 

Tenermonde.Valenciennerefufe  de  recevoir ^^arnifon.  Affai^ 

res  d'EcoJJe.  Retour  du  Roi,  DaVid  Ri^,  eft  ajfajfiné  che-^U 

■  Reine.  Retour  des  exilés.  La  Reine  met  un  fils  au  monde.  On 
^  S  ^7'    a^ite  en  Angleterre  la  quejlionfur  lafucceffwn  a  la  Couronne, 

La  reine  d'EcoJfe  traite  indignement  le  Roifon  époux.  Batê^ 
me  du  prince  d'EcoJfe.  Négociation  ayec  l'Angleterre,  Le  roi 
d'EcoJfe  eft  très-mal  d'un  poifon  >  il  e/i  mis  dans  une  efpece 
de  prifon^  ou  tl  eft  affajfiné.  On  impute  fa  mort  aux  comtes  de 
[Murraj  ^  de  Morton,  Difcours  bien  différens  fur  cette 
mort.  Fie  V.  envoie  un  Nonce  y  qui  nepeut  paffer  en  Ecoffe, 
La  Reine  ne  garde  aucune  bienféance.  Vains  ejforts  pour 
juftifier  Bothy^el  :  Son  mariage  ayec  la  Reine,  La  Reine 
d' Ecoffe  e?iyoie  en  France  :,  pour  tacher  de  juftifier  fon  ma^ 
riage.  Ligues  pour  ^  contre  la  Reine  (^  fon  mari.  Guerre 
entre  la  Reine  ^  les  Confédérés.  Fropojttions  d' acconmiode^ 
ment  y  z^  répo?ife.  Fuite  de  BotkyveL  La  Reine  paffe  dans 
le  camp  des  Confédérés  ^y  eft  retenue  y  iT  conduite  en  prifon. 
On  l'oblige  d'abdiquer.  Le  comte  de  Murray  ejl  élit  tuteur 
du  Roi  y  O*  Régent  du  Royaume.  Commencement  du  règne 
de  Jacque  FL  Affemblée  des  Etats,  Miferable  fin  de  Bo-^ 
thyyel,  Mouyemens  m  Irlande. 


SOMMAIRES. 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XLL 

SUite  des  troubles  des  Fayis-bas.  Requête  des  Confédé-  '^^ 

rés,  Képonfe  delà  GoWvernante.  Hoftilitês  de  part  <tT  Charle 
d'autre,  Anyersfefoumet  a  la  Gouvernante.  Retraite  duprbi-  .  * 

ce  d Orange.  Valencienne  fe  rend  à  difcretion.  Confternat^on 
des  Confédérés  is"  des  Froteftans.  Philippe  fe  détermine  a  ufer 
de  rigueur  enyers  les  Flamans,  Le  marquis  de  Bergh  p^  le 
baron  de  Montigny  font  les  premières  "victimes  de  font  ref- 
fentiment.  Le  duc  dAlbey  vient  avec  une  armée  s  <S*  pajfe 
far  les  Etats  du  duc  de  Savoy  e.  Crainte  des  Suijfes  <y  des 
Oenevois,  Confeils  du  duc  dAlhe  à  la  Reine  mère.  Son  ar- 
rivée d  Bruxelles.  Se?îtimens  de  la  Gouvernante.  Sévérité 
du  duc  dAlhe.  Emprifonnement  de  plufîcurs  Seigneurs, 
•D'autres  abandonnent  leur  payis.  Confed  des  Sept.  Citadelle 
latte  d  Anvers.  L'arfenal  de  Malines  eft  brûlé.  Le  duc 
dAlhe  envoie  du  fecours  en  France.  Suite  de  la  guerre  dt^ 
JSlord.  Mo fcovites  battus  par  les  Folonois.  Différend  au  fu^ 
jet  du  duché  de  Slefvvick.  Morts  ,  de  Fhilippe  Landgrave 
de  Heffe  y  d'ErneJî  de  Brun/wick,  du  prince  de  Forcicn  iT 
de  fa  mère  ^  de  Stfels  -,  de  Lang ,  de  Robortello ,  de  Fanta-- 
gâte  y  de  Léopard  y  de  lElecleur  de  Trêves.  Guerre  de  Go- 
tha. Frojets  infenfés  de  Jean  Frédéric  de  Saxe.  Soulèvement 
des  habit  ans  de  Gotha  contre  ce  F  rince  ZJT  les  autres  profcrits» 
La  ville  de  Gotha  fe  rend.  Jean  Frédéric  eft  arrêté.  Suppli^ 
ces  des  profcrits.  Entrée  ignominieufe  de  ce  Duc  dans  Vten^ 
ne.  Etats  de  Hongrie.  Suite  de  la  guerre  en  FFongrie.  .Af- 
faires d'Italie.  Quelques  troubles  a  Gènes.  Guerre  daus  lifle 
de  Corfe,  Affaires  de  Tofcane.  Affaires  de  CafaL  Affaires 

a  iij 


V]  SOMMAIRES. 

de  France,  Edit  du  Roi  fur  la  fucceffton  des  mères.  Kcjus. 

1  I        ni-        A..^l^-        Al..     .......r.     7  •  ; 


Char  LE  de  rendre  Calais  aux  Anglois,  On  propofe  le  ; 
^  ^-      r  Archiduc  Charte  ayec  la  reine  Elisabeth,  Commer 


fnariaze  de 


ci 


15/7^ 


N 


Commerce  des  An-^ 
glois  en  MofcoVie, 

SOMMAIRE   DU  LIVRE   XLII. 

Ow^feaux  troubles  en  France.  Flaintes  des  Frotef 
tans.  Leurs  délibérations.  Ils  reproinent  les  armes  y 
ils  marchent  "Vers  Meaux,  Le  Roi  reVtent  a  Paris.  Ejforts 
des  Proteftans  pour  empêcher  que  Paris  Jie  reçoive  des  yi^ 
yres,  La  Reine  mère  travaille  â  un  accommodement,  De^ 
mandes  des  Proteftans.  Le  Roi  les  fait  fommer  de  mettre 
les  armes  bas.  Nouvelle  requête  des  Protefla?îs.  Conféreitce 
pour  la  paix  aujfi  inutile  que  le  précédentes.  Les  deux 
partis  fe  dijpofent  à  la  ^guerre.  Divers  fucces  de  part  <tT 
d'autre.  Bataille  dans  la  plaine  de  famt  Denis.  L  e  Conné- 
table efi  blejfé  y  <^  meurt  quelques  jours  après.  Suite  de  la 
bataille  de  faint  Denis,  La  charge  de  Connétable  fupprimée 
pour  quelque  tems.  Les  Proteftans  fe  rendent  juaitres  de  la. 
■  Rochelle,  Ambafftades  en  Allemagne,  DtVers  Jucces  de  la. 
'  ^  ^  ^'  ^/^^rre  dans  les  Provinces,  Négociation  pour  faire  la  paix,, 
Suite  de  la  guerre.  Siège  de  Chartres  par  les  Proteftans, 
Fin  de  la  guerre.  Edit  de  pacification.  Conduite  du  parle^ 
ment  de  Touloufe. 


^iaULL.!l.,^nR<«i0l9 


SOMMAIRES.  vî 

SOMMAIRE    DU    LIVRE    XLIII, 

AFfaires  d'EcoJfe,  La  Reine  fort  de  prifon.  Fermeté 
du  Régent,  La  Reine  eft  "vaincue par  le  Régejit.  La  ^J"^  ^  ^ 
Reinefe  retire  en  Angleterre.  Conduite i Eli^aheth  a  l égard  j  r  53, 
de  la  reine  iEcoJfe,  Le  Régent  fe  rend  en  Angleterre,  Ori- 
gine des  Puritains  en  Angleterre.  Affaires  des  Payis-has» 
Mort  de  Dom  Carlos  y  ^  de  la  reine  d'Efpagne.  Suite  des 
troubles  des  Payis-has.  Le  duc  d'Albe  fait  exécuter  un  grand 
nombre  de  Seigneurs  is  de  Gentilshommes  Flamans.  Les 
comtes  d'Eo-mond  C^  de  Home  condamnés  <CT  exécutés.  Ba^ 
taille  de  Gemmiiigem  gagnée  fur  les  Confédérés.  Vains  efforts 
de  ï  Empereur  auprès  de  Philippe  pour  V  adoucir.  Avantage 
remporté  parle  prince  d'Orange.  Affaires  d'Allemagne,  Mort: 
d'Albert  de  Brandebourg  duc  de  Pruffe ,  de  Henri  de  Brunf- 
yyich  yir  de  Chriftophle  de  Wirtemberg,  Guerre  de  Treyeso 
'Affaires  de  Suéde.  Eric  eft  déthroné.  Affaires  de  Pologne» 
Mort  de  l éyèque  de  Strasbourg  y  de  Jean  Oporin  y  d'Onuphre 
Tanyini ,  de  François  Luitfino  ^  de  Gratarole  iT  d'Archam, 

—  ■_  ■    ■  

SOMMAIRE  DU  LIVRE  XLIV. 

VEngence  que  'Dominique  Gourgues  tire  des  Efpagnolf 
dans  la  Floride.  Malheureux  fucces  des  "Voyages  que 
Laudomiere  <y  Ribaud  ay oient  faits  auparavant  en  ce  payis 
là.  Belle  aSîion ,  <tjr  mort  de  Pierre  de  Montluc  à  Made^ 
Te.  Gourgues  malgré  fes  belles  actions  eft  mal  reçu  a  la  Cour^ 
<T  en  danger.  Paix  entre  FEmj>ereur  <ty  les  Turcs  enHoiV' 


viij  SOMMAIRES; 

^p'ie.  Le  Prince  de  Piomhino  tente  en  yain  de  fur  prendre 

C  H  A  R  L  E  Bonne  en  Ajfrique.   Guerre  des  Turcs  dans  l Arabie  heU' 

^^'       reufe  finie  par  Sinan  Bâcha.  Di/pute  entre  les  ducs  de  Fer' 

^      '    rare  O*  de  Florence  pour  la  préfeance.   La  Reine  jaMorife 

Corne,  Le  roi  d'Efpagne  défend  la  publication  de  la  bulle 

in  cœna  Domini^/^r  les  immunités  du  Clergé  :  la  Ré^ 

publique  de  Venife  t élude,  La  guerre  ciVile  recommence  en 

France.  Plainte  des  Protcftans.  Meurtre  cruel  de  René  de 

Sayoye  comte  de  Sipiere  à  Frejus  en  Proyence.  Le  chance^ 

lier  de  l Hôpital  difgracié  y  parce  quil  donnoit  des  co?ifeils 

de  paix.  Formule  de  ferment  enyoyée  aux  Gouyerneurs ,  pour 

le  faire  prêter  aux  Proteflans.  Embûches  drejfées  au  prince 

de  Condé j  plainte  quil  en  porte  au  Roi,   Origine  du  nom 

des  Politiques.   Condé  fort  de  Noyers  ,  ayec  beaucoup  de 

danger ,  paffe  la  Loire  ^  trayerfe  le  Poitou  y<(ir  fe  rend  â  la 

Rochelle,  Lettre  de  la  reine  de  Nayarre  au  Roi,  Fuite  dffi 

cardinal  de  Chatillon  j  [on  paffage  en  Angleterre,  D'Andeloù 

leye  des  troupes  en  Bretagne.  Choc  entre  fes  troupes  <S  celles 

de  Martigucs  auprès  de  la  Dagueniere,    Edits  contre  les 

Protcftans.  Expéditions  d'^ndelot  en  Poitou,  Prife  de  Nyort, 

Siège  07"  prife  iAngoulème,  Prife  de  Pons ,  de  faint  Jean 

d'Ano-eli  <ty  de  Blaje,  Jacque  deCruffol  d'Acier  amené  at^ 

prince  de  Condé  les  troupes  de  Dauphiné  ^  de  Proyence  y  de 

L^figuedoc ,  <sr  de  Gafcogne,  Combat  donné  a  Mefignan  con^ 

tre  un  quartier  des  troupes  des  Proteflans  ,  ou  Mouyans  <ù^ 

Pierre  Gourde,  deux  de  leurs  chefs ,  font tue^,  <CT  dixfept 

drapeaux  pris,  Jacque  de  la  Châtre  fie  ur  de  Sillac  du  parti 

du  Roi  eft  tué  ayec  quelques  autres  en  petit  nombre,  Cha^ 

yi^ny  fur  la  Vienne  pris  par  Coligny,  Combat  a  Pamprou  : 

autre  plus  confiderable  a  Jafeneud,   Condé  s  empare  de  Cham- 

pigny.  Les  troupes  du  Roi  reprennent  Mirebeau,  Le  duc 

d  Anjou 


■e(n 


SOMMAIRES.  li 

d'Anjou  campe  auprès  de  Loudmi.  AmhaJJade  du  jRoi  à 
V Empereur  pour  lui  demander  du  fecours.   Troupes  auxlliai-  C  h  a  rl  e 
les  envoyées  d'Allemagne  au  Koi,  La  Coche  défaite  pris       I^- 
auprès  de  ISleuhourg.  Frlfe  de  TS[oyers  par  les  troupes  du     '  5  ^  ^' 
"Roi,  Le  Frince  de  Condé  équipe  une  flotte ,  <^  en  donne  U 
commandement  à  la  Tour. 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XLV. 


S^int  Michel  en  l'Hernie  ejl  ajjiéo^é  pour  la  troijiéme  ' 

fois  y  ir pris  par  les  Rochelois.  Defcription  des  enyirons,     ^  S  ^^' 
tStége  de  Sancerre  fans  fucces.   Tentative  inutile  de  Mon- 
gommery  fur  Lufîgnan.  Tentative  inutile  de  CateVdle  fur 
Dieppe  <s  fur  le  Hayre,  Bataille  de  Baffac  y  ou  de  Jarnacs 
k  prince  de  Condé  y  eft  tué.  Confier  nation  des  Prote  flans, 
La  reine  de  Islavarreles  raffures  y  en  leur  montrant  fon  fis  y 
ayec  le  jeune  Henri  fis  du  prince  de  Condé.   Tentative  du 
duc  d' Anjou  fur  Cognac,  Muffidan  en  Peri^ord  ajftégé  <tT 
pris.  Mort  de  Pompadour  iT  du  jeune  Briffac  À  cejtége, 
Lre  Roi  de  Navarre  efl  déclaré  GénéraliJ/tme  des  Prote/lans. 
jyAndelot  meurt  à  Sainte  d'une  fi éyre  maligne  )  fon  éloge  y 
fucceffion  de  la  maifon  de  LaVal  continuée  par  lui.  Mort  de 
François  d'Hangeft  de  Genlis  y  iT  de  Jacque  Boucard,  Por- 
ter ejfes  d'Exilles  dans  les  ^Ibes  reprife  par  les  troupes  du 
Roi,  Arrivée  du  duc  des  Deux-Ponts  au  camp  du  roi  de 
]S(ayarre.  La  Reine  "va  a  Limoges  avec  les  cardinaux  de 
Bourbon  iT  de  Lorraine,  Le  duc  des  Deux-Fonts  meurt 
après  avoir  été  long-tems  malade  d'une  fièvre  quarte  3  //  nom- 
7ne  Voir  ad  de  Mansfeld  pour  lui  fucceder  dans  le  commande- 
ment général.  Les  troupes  du  Roi  arrivent  au  camp  des^ 
Tome  V,  b 


i;  (îS. 


X  SOMMAIRES. 

Catholiques  fous  la  conduite  de  Santafiore,  Meurtre  de  Bef" 
Char. LE  ?iard  Corbinelli.  Combat  de  Roche-t Abedle  lon^^-tems  dou^ 
^  ^-  teux  y  retraite  des  troupes  du  Roi,  Philippe  Stro^:>j  i^r  Ro^ 
quelaure  font  tués  dans  ce  combat.  Requête  préfentée  au  Rou 
Mort  de  Lanoi  feigneur  de  MorVitUers.  Le  coynte  du  Lu- 
de  affiége  Nyort  y  Vigoureufe  défenfe  de  PuVtaut.  Coligny 
s'empare  de  Lufîgnan  i  Guron  rend  le  château  y  Mirembeatù 
en  eft  fait  Gouyerneur.  Sanjac  ajjîege  en  yain  la  Charité, 
Conquêtes  de  Mongommery  dans  la  Gafcogne  (CT'  dans  le 
Bearn.  Prife  de  Mayarrins  iT  d'Orte^.  Jean  de  Loma^ 
gne  de  Terride  y  eft  fait prifonnicr.  Mont  de  Marfanpriî 
par  Monluc,  Aurtllac  en  Auyergne  pris  i^  face  âgé  par  les 
Prote flans,  Coligny  affiége  Poitiers  défendu  par  le  duc  de 
Guife,  Le  duc  d'Anjou  vient  fe  camper  devant  Chatellerauda 
Coligny  leVe  le  fége ,  fous  prétexte  de  fe  courir  cette  pi  ace» 
On  fait  efperer  à  Coligny  de  furprendre  Nantes  :  le  deffeirt 
échoue,  AJfaut  donné  a  Chatelleraud  par  les  Italiens  ^  qui 
font  repoujfe^  ayec  une  grande  perte.  Coligny  profcrit  par 
un  arrêt  terrible  du  Parlement,  Dominique  d'Albe  yalet  de 
chambre  de  Coligny  conyaincu  de  trahifon ,  ^  de  poifon  ,. 
Cr  exécuté.  Le  prince  d'Orange  quitte  T armée  de  Coligny  y. 
pajfe  la  Loire  y  <S^  fe  retire  en  Allemagne» 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XLVL 

LE  duc  d'Anjou  paffe  la  Vienne ,  ^  ya  camper  au* 
pr}s  de  Loudun,  Choc  entre  les  deux  armées  qui  ye-- 
noient  camper  à  Moncontour  j  la  nuit  les  fépare.  Combat 
général  le  lendemain  y  grande  perte  des  Proteftans  s  Lnifan- 
terie  Allema?ide  taillée  en  pièces  par  les  Suijfes  >  perd  dans 


SOMMAIRES.  X) 

<ette  aRion  près  de  quatre  mille  hommes.  Trois  cens  caya- 
lier  s  y  <!r  deux  mille  fantajjins  François  périjjent  du  coté  Ckarle 
des  Proteftans.  Les  débris  de  leur  armée  fe  retire  à  Par-  ^  ^' 
thenai.  Leurs  Chefs  tiennent  confeil  j  enyqyent  en  An^le-  ^  ^  ^  ^' 
terre ,  en  Ecoffe  ,  en  Dannemarc  JoUiciter  du  fecours.  Vau- 
drée  de  Mouy  tué  par  un  traître.  Nyort  eft  abandonné  j  le 
Roi  y  "vient.  Lujïjrnan  eft  rendu  par  Mtrembeau.  Fontenai 
<T  Chatelleraud  fe  rendent.  Dejjèin  prit  à  l^hort  de  s'em- 
parer  de  faint  Jean  d'An^ely.  Coligny  emmené  le  prince  de 
Nayarre  <jr  le  prince  de  Condé  en  Guyenne ,  pour  y  attirer 
le  duc  d' Anjou.  Sanfac  fait  une  tentative  fur  Ve^elai.  Les 
Proteftans  exilés  furprennent  Ni/mes ,  par  l' invention  d'un 
artifan  nommé  Madaron.  Saint  André  gouverneur  de  la 
Ville  eft  tué  cruellement  par  les  foldats  furieux.  Siège  de 
faint  Jean  d'Angely.  Sebajlien  de  Luxembourg  comte  de 
Martigucs  eft  tué  d'un  coup  de  moufquet.  Saintes  abandon- 
née. De  Piles  rend  faint  Jean  à  des  conditions  honorables.  ~-^:^^ 
Jean  Chapelain  ir  Honoré  Caftelan  y  médecins  fameux  qui  ^  S  1  ^' 
étoient  au  fiége  auprès  du  Roi ,  meurent  de  la  pefte.  Ex- 
ploits de  Montaré  dans  le  Bourbo?inois.  ABions  couragcu- 
fès  de  Marie  Barbanfon  Veuve  de  Jean  des  Barres  Ma- 
rans  furpris  par  les  troupes  du  Roi.  Conjuration  pour  livrer 
Bourges  aux  Proteftans.  Les  auteurs  convaincus  par  Claude 
de  la  Châtre.  Courjes  du  Chevalier  du  Boulay  en  Beaujfe. 
Milly  fur  le  chemin  de  Lyon  pillé  un  jour  de  foire.  Les  Vo- 
leurs font  pris  <£r  exécutés  à  Paris.  Les  Princes  Vont  en 
Guyenne,  Monluc  fe  retire.  Aiguillon  en  ^^enois  leur  ou- 
vre jes  portes.  Mongommery  Vient  du  Bearn ,  vicîorieux 
ir  triomphant  y  prend  fur  fa  route  F^ufe  tST  Condom ,  iT 
fe  joint  aux  Princes.  Monluc  effaye  en  Vain  de  F  arrêter , 

ir  rompt  le  pont  defainte  Marie.  De  Montauhan  les  Princes 

b  ij 


xîj  SOMMAIRES. 

~  yont  en  Languedoc.   Le  Roi  congédie  les  troupes  Italiennes^ 


C  H  A  R  L  E  Di Impute  entre  les  ducs  de  Ferrare  <S  de  Florence  pour  Ix 
préféance  deyant  l'Empereur.   Le  Pape  Pie  V.  s'en  rend 
ju^e  y  en  créant  Corne  Grand  Duc  de  Tofcane,  Indignation 
de  r  Empereur  â  ce  fujet.   Exemples  de  pareilles  créations 
pour  juftifier  celle-ci.  Conférence  d' Altemhourg  fur  la  Reli^ 
gion  ^  fans  fucch .  Mort  de  Victor  Strigelius  ^    de  Paul 
Eber ,  de  Jean  Lonicer ,  de  Daniel  Barbaro  ,  de  Sixte  de 
.Sienne ,  de  Celius  Seamdus  Curion ,  ^  de  Batifte  du  Menih 
Accommodement  de  la  "Ville  de  Brunfwick^  a^ec  les  princes 
de  Brunfyyick  en  Saxe  s  leur  dijférend  renouyellé  de  tcms^ 
en  tems.  Le  facre  du  duc  de  Pruffe  confirmé  à  Lublin  par 
le  roi  de  Pologne.  Diyijîon  entre  le  peuple  <sr  le  fénat  de 
Dan^icks.  calamités  caufées  par  cette  diVîfîon.  Les  Danois^ 
forcent  le  port  de  ReyeL  Le  duc  d\Albe  fait  arrêter  en  Flan* 
dre  les  yaiffeaux  Anglois  pour  fe  "venger  de  l argent  quon 
ay oit  pris  fur  un  yaijfeau  Efpagnol.  Il  en  demande  en  yain 
la  reftitution  a  la  Reine  par  Chiapino  Vitellt  fon  enyoye. 
Rupture  du  commerce»  Le  duc  d'Albe  ne  s'applique  qu'à, 
amaffer  de  l' argent  ^  comme  s'il  nayoit  plus  d'ennemis  a  com- 
battre. Monument  fuperbe  qu'il  s'érige  lui-même  à  Anyers 
<S*  qui  le  rend  odieux.  Prodiges  arriy es  en  Flandre  i^  en 
Bayiere.  Mouyemens  en  Angleterre  à  l'occafion  des  troubles. 
d'Irlande.   Les  frères  du  comte  dOrmojid  fe  liguent  ^  pour^ 
y  rétablir  la  Religion  Catholique  s  le  Pape  <S  le  duc  d'Albt 
promettent  leurs  fecours.  La  reine  d' Angleterre  leur  pardon^ 
ne  5  en  confidération  de  leur  frère.   Turlogh  Leinigh  excite 
des  troubles  dans  tUlfter  proyince  d Irlande  ^  ^  e/i  défait 
par  les  habit  ans  des  Hébrides.  Le  comte  de  Murrai  rentre 
en  Ecoffe.  Le  comte  d'Arran  s'oppofe  aux  deffeins  de  Mur- 
rai i  mais  ayant  été  abandonné  des  fes  gens  ,  il  fait  fon. 


SOMMAIRES.  xi35 

'accommodement.  Argatheî  rentre  en  grâce  y  Huntley  eft  trai' 
té  avec  plus  de  rigueur  ,  parce  quil  ne  "Veut  pas  céder.  Ma-  C  h  a  r  le 
rie  chajpe  de  [on  Royaume  fait  des  intrigues  dans  un  autre ^  ^* 
Complots  fecrets  des  Anglois ,  qui  étoient fâchés  quon  eut  ahoU  ^ 
la  Religion  Catholique  che^  eux.  Le  duc  de  Norfolck  S  les 
comtes  d'Arondel  <tT  de  Pemhrock  déftgnés  four  chefs  de 
Ventreprife.  Le  comte  de  Suffex  en  a  quelque  connoiffanccy 
<jr  d  paroi t  ne  leur  être  pas  contraire.  Le  duc  de  Norfolck 
prie  la  reine  d' Angleterre  de  nommer  pour  f on  fucceffeur  le 
roi  d^Ecoffe  3  //  lui  demande  outre  cela  permiffion  d'époufer 
la  reine  d'Ecoffe.  Elisabeth  interprète  mal  cette  demande  iT 
la  rejette  y  fait  garder  de  plus  pris  la  reine  d'Ecoffe.  ISlor- 
folck  eft  mis  à  la  Tour  de  Londres  ^  ayec  Robert  Ridelfî 
agent  fecret  du  Pape  y  on  les  met  en  liberté  peu  de  tems 
après.  Percy  comte  de  ISlcrthumbelland  ,  ZT  NeVîl  comte 
de  Weftmorland  prennent  les  armes  pour  la  Religion  Catho-^ 
lique.  Apres  leur  défaite ,  Léonard  Dacre  excite  des  trou^ 
hles  plus  dangereux  fur  la  frontière.  Le  Pape  excomjnunie 
FJiXf^beth  s  Jean  Felton  affiche  la  bulle  aux  portes  de  ÏE- 
yèché  avec  une  hardieffe  étonnante,  arrêté  fur  quelque  foup-* 
fon ,  /'/  avoue  fans  difficulté  que  cefl  lui ,  is*  il  efl  envoyé  aw 
fupplice.  Sa  confeffion  ^  celles  de  quelques  autres  ne  laif- 
fent  aucun  doute  fur  la  conjuration.  En  Exoffe  Murrai  efl 
affaffmé  par  Jean  Hamilton  à  Lythco ,  0/^  Lymnouth.  GaU' 
tier  Scot  <^  Thomas  Carry  font  des  courfes  fur  la  frontière 
d' Angleterre  y  ils  font:  défaits  par  le  comte  de  Suffex.  Ma^ 
thieu  Stuart  comte  de  Lenan  ayeul  du  jeune  roi  d'Ecoffe  efl 
déclaré  inter-roi  <ùrpeu  de  tems  après  Viceroi.  Elisabeth  en- 
voyé à  la  reine  d'Ecoffe  Guillaume  Ci  cil  <is*  Gautier  Mild- 
may  pour  V  exécution  du  traité  £  Edimbourg ,  iT  pour  lui  faire 
de  îîouvelles  propofïtio?is,  Marie  y  répond  avec  beaucoup  de 

b  iii 


xîvr  SOMMAIRES, 

.>Mr^  .nm,»;  prudmcc  Ù*  de  gi'aVtté  ^  <jr  re?iyoye  la  chofe  aux  Députes 

Charte  des  chefs  de  fou  parti,  Thomas  Stucley  réduit  à  la  mendicité 

^^'      s'en^faen  Italie  y  donne  de  grandes  efperances  au  Pape ,  <^ 

^    ^'    tire  de  lui  de  l'arge?2t.  Connogher-0-hrien  comte  de  Twornond 

excite  des  troubles  en  Irlande,  Enfin  après  avoir  en  yain 

imploré  notre  ajjt/îafîce ,  il  fe  foumet  à  la  clémence  de  U 

Reifie,  Mort  O*  éloge  de  Guillaume  Herbert  comte  de  Pem^ 

hrockyde  Henri  Clijfort  comte  de  Cumbcrland  y  C  delSlico^ 

las  Trocmm'ton. 

Fin  des  Sommaires  du  çinq^uiéme  Volumç. 


HISTOIRE 


ISTO 


D  E 


J  ACQUE     AUGUSTE 

DE    T  H  O  U- 


LIVRE  TE  ENTEES EPTIF ME. 

^^51  N  Ecofle  :,  Matthieu  Stuart  comte  de  Le-  -  "  '  ""— 
noxj  ôc  Henri  d'Arley  fon  iils  avoient  été  Charle 
rappelles  de  leur  exil  :  Henri  étant  venu  Je  IX. 
13  de  Février  d'Angleterre  en  Ecofie  avec 
la  permiffion  d'Elizabeth  ,  la  Reine  le  reçut 
très-favorablement ,  comme  le  fils  de  fa  tan- 
te \  Il  étoit  beau  &  bien  fait ,  ôc  cette  Prin- 
celTe  i  à  force  de  le  vojr  ôc  de  s^entretenir  avec  lui  ,  com-  Hcmi  rii^da 
mença  à  l'a-imer.  Oi\  en  parloir  déjà,  comme  fi  elle  eûtfongé  à  J*^'"^'-'  ^<-' 


I  5  6^. 

Affaires 
d'Ecolie. 

Mariage  de 
Marie  a\c'c 


le  choifir  pour  fon  mari. 

I   Henri  Stuart  comte  de  Lenox ,  Marie  Stuart  e'toit  aufTi   petite  fille. 

etoit  petit  fils  de  la  lœur  de  Henri  Cette  fœur  de  Keni"i  VIII.  avoite'pou- 

yill,  roi  d'Angleterre,  donc  lu  Reine  fe  en  focondes  noces  an  Douglas,  donc 

Tome  V,  A 


,enox. 


2  HISTOIRE 

»       Ce  bruit  ne  déplaifoit  point  à  la  NoblefTe  j  mais  elle  fouhal- 
Charle  ^^^^  ^.^^  Henri  ne  reçut  cet  honneur,  que  du  confentement 
I X.       de  la  Reine  d'Angleterre.  Elizabeth ,  qui  étoit  parente  de  l'un 
ï  5  <^  4*     ^^^  l'autre  au  même  degré  »  ne  s'éloignoit  pas  de  ce  mariage  ; 
mais  elle  vouloir  qu'on  crût  qu'elle  l'avoit  fait.  Il  étoit  ^  à  ce 
qu'elle  penfoit,  de  fon  intérêt  d'empêcher  par  une  alliance  mé- 
diocre, que  la  puifTance  de  fa  coufine  ne  s'élevât  plus  qu'il  ne 
convenoit  pour  la  fureté  de  fes  voifins. 
Origine  de        Mais  un  homme  de  baffe  extraftion  ^  nommé  David  Riz ,  de 
la  fortune  de   Turin  ,  fils  d'un  joueur  d'inftrumens ,  qui  s'étoit  gliffé  dans  le 
^^^     ^^'      niinifcere  >  empcchoit  la  Reine  d'aller  auffi  vite  dans  cette  affai- 
re, qu'elle  auroit  defiré.  Le  père  de  Riz  lui  avoir  appris  à  chan- 
ter, 6c  il  avoir  une  affez  belle  voix.  N'ayant  pas  été  reçu  auffi- 
bien  qu'il  efperoit  à  Nice  dans  la  Cour  du  duc  de  Savoye ,  il 
fuivit  le  comte  de  Morette ,  que  le  Duc  envoya  en  Ecoffe  j  ôc 
lorfque  le  Comte  en  partit,  il  forma  le  deffein  d'y  refier  ,  pour 
voir  s'il  y  feroit  quelque  fortune.  Ce  qui  le  porta  particuliè- 
rement à  prendre  ce  parti ,  fut  que  la  Reine  fe  plaifoità  enten- 
dre chanter,  ôc  fçavoit  affez  bien  la  mufique. 

Ainfi  s'étant  fouvent  fait  voir  à  la  Cour  parmi  les  Muficiens 
François ,  il  plût  à  la  Reine ,  qui  favoit  quelque  fois  enten- 
du chanter ,  ôc  il  fut  reçu  dans  fa  mufique.  Ayant  étudié  ôc 
connu  les  fentimens  ôc  les  inclinations  de  cette  Princeffe ,  il  fit 
fi  bien  peu  à  peu ,  qu'il  ne  fut  pas  moins  en  faveur  auprès  d'elle, 
qu'il  étoit  haï  de  tout  le  monde.  Il  parvint  enfuite ,  par  fes  flat- 
teries ou  par  fes  calomnies ,  à  abaiffer  les  uns ,  ôc  à  éloigner  les 
autres ,  dans  le  deffein  de  pouffer  fa  fortune  ôc  d'entrer  dans 
les  plus  grandes  affaires  :  il  réùfilt  dans  fon  projet ,  ôc  la  Reine 
le  prit  pour  fon  Secrétaire. 

On  parloir  déjà  des  grands  biens,  que  cet  homme  ,  qui  au- 
paravant étoit  prefque  réduit  à  la  mendicité ,  avoit  acquis  en 
fi  peu  de  tems  5  de  fa  fortune  au-deffus  de  fon  mérite ,  de  fon 
arrogance  plus  grande  encore  que  fa  fortune  -,  enfin  du  mépris 
qu'il  avoit  pour  fes  égaux  ôc  de  fa  préfomption  ,  qui  le  portoit 
à  s'égaler  à  ceux  qui  croient  beaucoup  au-deffus  de  lui.  Les 
flatteries  ôc  les  complaifmces  des  Grands  ^  nourriffoient  fon 

elle  avoit  eu  la  mère  du  jeune  comte  de  t  te.  Il  n'étoit  pas  rhe'ritier  preTomptif 

Lenox ,  comme  on  verra  ci-après  ;  c'eft  |  de  la  couronne  ,  quoi  que  coufln  de  la 

pour  cela  que  M.  de  Thou  dit  que  la  1  Reine  ôc  du  même  nom  ;  c'e'toit  Jacque 

Reine  le  reçut  comme  le  fils  de  fa  tan-  I  Hamilton  ,  comte  d'Aran. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXVII.       ^ 

orgueil  :  ils  s'efforçoient  de  gagner  fon  amitié ,  en  le  vifitant,  en  i  .  '* 

lui  rendant  des  honneurs,  en  prévenant  fes  ordres,  en  allant  Charle 
au  devant  de  Tes  moindres  fouhaits ,  en  venant  à  fa  porte,  en       JX. 
cherchant  les  occafions  de  lui  parler  ,  en  épiant  les  momens      i  ^6±. 
qu'il  entroit  ou  qu'il  fortoit.  Ils  faifoient  en  un  mot  à  fon  égard 
tout  ce  qui  fe  pratique  à  la  Cour  à  l'égard  d'un  favori.  Tout 
cela  le  rendit  i\  infolent ,  qu'il  s'imagina  que  la  Fortune  lui 
avoit  déjà  mis  entre  les  mains  le  fort  de  tout  le  royaume  d'E- 
cofle  ,  pour  le  gouverner  à  fon  gré.  Riz ,  pour  fe  faire  un  ap- 
pui contre  la  haine  publique,  faifoit  très-regulierement  fa  cour 
à  Henri  comte  de  Lenox  j  deftiné  à  époufer  la  Reine  5  ôc  il 
faifoit  entendre  à  ce  jeune  homme  (impie  &  crédule ,  qu'il 
lui  avoit  l'obligation  de  l'amour  que  la  Reine  avoit  pour  lui. 

Le  comte  de  Murray  ^ ,  qui  n'étoit  ni  flateur  ni  difTimulé , 
avoit  de  l'averfion  pour  Riz  5  ce  qui  faifoit  croire  qu'il  étoit 
peu  favorable  à  un  mariage,  dont  ce  favori  vouloit  palier  pour 
l'entremetteur.  Riz  de  fon  côté  travailloit  de  toutes  fes  forces 
à  faire  difgracier  le  comte  de  Murray  j  ôc  il  jettoit  entre  Henri 
ôc  le  Comte  des  femences  de  divifion  &  de  haine  :  il  fe  flattoit 
que  fi  le  Comte  étoit  une  fois  éloigné  de  la  Cour  j  il  n'auroit 
plus  rien  à  craindre  pour  fa  fortune  dans  tout  le  refte  de  fa  vie. 
Le  Comte  ,  homme  ferme  ôc  d'une  vertu  auftére ,  digne  des 
premiers  tems ,  prévint  fa  difgrace ,  ôc  quitta  volontairement 
la  Cour. 

La  Reine  voulant  fortifier  la  faction  ennemie  du  Comte , 
rappella  de  leur  exil  Jacque  Hepburn  comte  de  Bothwel,  Geor- 
ge Gordon  comte  de  Sutherland  ,  un  autre  George  Gordon 
fils  du  comte  de  Huntley  j  ôc  ayant  fait  fortir  celui-ci  de  pri- 
fon ,  elle  le  rétablit  dans  fes  biens  Ôc  dans  fa  première  dignité. 
Bothwel  étant  revenu  de  France ,  le  comte  de  Murray  l'ac- 
cufa  de  lui  avoir  de  nouveau  drelTé  des  embûches  5  mais  la 
Reine  intercéda  auprès  de  fon  frère }  ôc  écrivit  aux  Grands  du 
Royaume  ,  ufant  de  foUicitations  ôc  de  menaces  ,  pour  les 
empêcher  de  juger  cette  affaire.  On  dit  aufTi  qu'on  avoit  for- 
mé le  delfein  de  hâter  la  mort  du  Comte.  Four  cela  on  devoit 
le  faire  revenir  de  Perth ,  fous  prétexte  de  conférer  avec  lui  i 
ôc  comme  on  le  connoifibit  d'humeur  à  parler  avec  fran- 
chife  ôc  liberté,  Henri  ôc  Riz  dévoient  lui  faire  une  querelle 

1  Frère  de  la  Reine ,  &  fils  naturel  de  Jacque  V. 

Ai; 


4  HISTOIRE 

■muti^^^.miM—  ôc  le  tuer.    Le  Comte  averti  par  fes  amis  évita  ce  danger» 
Char  LE       Riz,  qui  avoir  d'abord  conieillé  de  ne  rien  précipiter,  fut 
IX.        ^^  premier  à  prefier  la  Reine  de  terminer  fon  mariage,  dans 
^  ^  ^        Tappréhenfion  que  le  comte  de  Murray  ,  qui  devoir  être  jufte- 
^,   .  ment  irrité  contr'eux,  ne  le  traversât  :  car  quoique  le  Comte 

pofezpoiir  la  n cut  pas  montre  deloignemcnt  pour  ce  mariage,  &  qu  il  eut 
Reine  d'£cof-  ci-devant  opiné  à  rappeller  Henri  de  fon  exil  ,  la  Reine  fe 
perfuadoit  néanmoins,  que  ni  lui  ni  fes  oncles  '  ne  vouloient 
cette  alliance  5  ôc  elle  penfoit  que  fi  l'affaire  traînoit  en 
longueur  j  ils  ne  manqueroient  pas  d'y  mettre  quelque  empê- 
chement. 

Pendant  qu'on  déliberoit,  il  arriva  un  ambaOadeur  d'Angle- 
terre ,  avec  ordre  de  déclarer  ^  que  la  Reine  étoit  très-furprife 
de  voir  traiter  avec  tant  de  précipitation  une  affaire  de  fi  gran- 
de conféquence  5  ôc  que  fa  Majefté  fouhaitoit  que  la  Reine  d'E- 
colfe  ôc  le  comte  de  Lenox ,  dont  elle  étoit  parente  au  même 
degré  ,  differaffent  quelque  tems ,  pour  pefer  plus  mûrement 
une  fi  grande  affaire  >  avant  que  de  la  terminer.  Elizabeth  ne 
gagnant  rien  par  cette  amballade ,  envoya  aufTi-tôt  le  comte 
Nicolas  Trockmorton  ,  pour  avertir  le  comte  Matthieu  de  Le- 
nox ôc  Henri  fon  fils  ,  qui  n'avoient  leur  congé  que  pour  un 
tems  fixe  3  qui  étoit  déjà  expiré  i  ôc  pour  ordonner  à  l'un  ôc  à 
l'autre  de  revenir  en  Angleterre ,  s'ils  ne  vouloient  être  ban- 
nis, ôc  que  leurs  biens  fuifent  confifqués*. 

On  parla  auiïi(mais  d'abord  fecretement)  de  marier  la  Rei- 
ne d'Ecoffe  avec  Robert  Dudley  comte  de  Leyceftre,  qui  étoit 
en  grande  faveur  auprès  d'Elizabeth.  Bedfort  ôc  Randolphe 
comte  de  Barwich  en  parlèrent  depuis  ouvertement.  L'Am- 
baffadeur  dit  même  hautement  ,  que  11  Marie  vouloir  épou- 
fer  Dudley  ,  Elizabeth  la  feroit  déclarer  par  le  Parlement 
héritière  du  Royaume  d'Angleterre ,  en  cas  que  la  Reine  mou- 
rût fans  enfluis  :  qu'il  étoit  de  l'intérêt  de  l'Angleterre ,  que  fi 
Marie  venoit  à  la  fuccelhon  par  un  ordre  légitime,  elle  n'ame- 
nât pas  avec  elle  dans  fon  royaume  un  étranger,  que  les  An- 
glois  ôc  les  Ecoffois  même  pouvoient  à  peine  fouffrir.  On. 
parloir  ainfi ,  parce  qu'Elizabeth  fçavoit  certainement  que  le 
duc  de  Guife  ,   oncle  de  Marie  ,  lui  avoit  parlé  d'époufer 

1  Les  Princes  de  Lorraine.  I   &  pofTedoient  de  grands  biens  en  Aa- 

a  Ils  étoienc  Anglois  l'un  ôc  l'autre ,   |   gleterre. 


D  E  J.  A.   DE  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXVîI        ; 

Ferdinand  '  frère  de  l'Empereur  Maximilien  ;  ôc  que  depuis  la 

mort  du  Duc ,  le  cardinal  de  Lorraine  lui  avoir  propofé  l'archi-  q  ^  ^  ^  l  £ 
duc  Charle  :  car  dans  cet  intervalle  de  tems  Ferdinand  avoir        y^ 
époufé  en  fecret  Philippine  Velfer.  i  c  (5  4. 

Ces  propofitions  avoient  été  faites  à  Marie  ,  ci  l'infcù  de  ceux 
qui  avoient  l'adminiftration  des  affaires  en  France.  Lorfqu'ils 
le  fçûrent,  ils  n'omirent  rien  pour  traverfer^ôc  empêcher  le  ma- 
riage de  Marie  avec  les  princes  d'Autriche  ,  parce  qu'il  faifois 
ombrage  aux  François,  ôc  avec  le  comte  de  Leyceftre,  parce 
qu'une  pareille  alliance  leur  paroiflbit  indigne  d'une  Reine 
douairière  de  France.  Pour  yréùflir,  ils  firent  efperer  à  Ma- 
rie un  douaire  plus  confidérable  que  celui  dont  on  étoit  con- 
venu ;  &  ils  mirent  les  Ecoffois  dans  leur  parti ,  par  la  promeffe 
qu'ils  leur  firent  d'augmenter  les  immunitez  &  les  privilèges 
dont  ils  joûiflbient  en  France.  D'ailleurs  le  cardinal  de  Lor- 
raine ,  qui  avoit  perdu  l'efpérance  de  marier  fa  nièce  avec  un 
Prince  de  la  maifon  d'Autriche ,  à  caufe  du  peu  de  goût  qu'elle 
avoit  pour  cette  alliance ,  étoit  perfuadé  qu'il  falloir  fonger  à 
ce  qui  étoit  acluellement  préfent,  ôc  fous  les  yeux:  il  netoit 
donc  alors  occupé  que  du  foin  d'empêcher  le  mariage  de  Ma- 
rie avec  le  comte  de  Leyceftre. 

Cependant  les  Proteftans,  appuyés  du  pouvoir  ôc  du  crédit 
du  comte  de  Murray,  maltraitèrent  l'archevêque  de  faint  An- 
dré ,  pour  n'avoir  pas  difcontinué  de  célébrer  la  Meffe  j  ils  mi- 
rent en  prifon  plufieurs  Prêtres  pour  le  même  fujet ,  quoique 
cela  fût  permis  à  la  Cour  5  ôc  ils  commençoient  déjà  à  fe  ren- 
dre formidables  à  la  Pveine.  Cette  Princeffe  voyant  qu'elle  ne 
pouvoit  appaifer  les  féditieux ,  ni  par  l'oubli  du  paffé  ,  ni  par 
î'augmenration  des  appointemens  accordez  aux  juges  qui  con- 
noiffoient  de  ces  fortes  d'afi'aires  ,  ni  par  la  peine  de  mort 
qu'elle  avoit  ordonnée  contre  les  adultères  ,  ni  par  fon  appli- 
cation ôc  fon  afiiduité  à  entendre  elle-même  les  caufes  5  enfin 
pour  fe  faire  refpe6ler,  ôc  pour  n'être  plus  obligée  d'écouter 
les  recommandations  ou  les  plaintes  importunes  des  François, 
ôc  du  Cardinal  fon  oncle  ,  elle  crut  qu'il  étoit  important  d'ac- 
célérer fon  mariage  î  ôc  pour  donner  plus  de  conlidération  à 
celui  qu'elle  devoit  époufcr,  elle  fit  publier  un  Edit  par  lequel 
elle  déclaroit  Henri ,  comte  deRoff  ôc  duc  de  Rothefay.  Puis 

i  fi.oi  de  Bolîême. 

A  ii; 


6  HISTOIRE 

■  elle  fît  aiTcmbler  les  Grands  du  Royaume  à  Sterlin,  &  pniiCH 

Char  LE  paiement  ceux  qu'elle  croyoit  qui  confentiroient  volontiers, 
IX.  ^^  ^^^  n'oferoient  réfifter  à  fes  volontez,  ôc  ceux  qu'elle  jugeoit 
i  r  $A,,  les  moins  difficiles.  Plulieurs  confentirent  à  ce  que  la  Reine 
fouhaitoit,  à  condition  qu'on  ne  changeroit  rien  dans  la  Re- 
ligion ,  qui  étoit  reçue  :  les  autres  pour  faire  leur  cour ,  donnè- 
rent leur  confentement  fans  aucune  condition.  Il  n'y  eut 
qu'André  Stuart  baron  d'Ochiltre ,  qui  déclara  qu'il  ne  con- 
fentiroit  jamais  qu'on  prît  un  Roi  de  la  religion  du  Pape. 

Le  comte  de  Murray  ne  fe  trouva  point  à  l'alTemblée,  quoi- 
qu'il ne  defaprouvât  pas  le  mariage:  il  étoit  même  difpoféà  y 
confentir  ,  pourvu  qu'il  fe  fit  avec  l'agrément  de  la  Reine 
d'Angleterre,  ôc  qu'on  prît  foin  de  conferver  la  Religion  qu'on 
avoir  efnbralTée.  On  agita  alors  avec  une  extrême  liberté  cette 
étrange  queftion ,  S'il  étoit  permis  à  une  Reine  après  la  mort 
de  fon  mari ,  d'en  choifir  un  autre  à  fa  fantaifie  f  La  plupart 
étoient  d'avis  qu'il  n'en  étoit  pas  des  héritiers  d'un  royaume 
comme  des  héritiers  particuliers  j  parce  qu'une  Reine  en  pre- 
nant un  mari  donnoit  un  Roi  à  tout  un  peuple  :  qu'ainfi  il  étoit 
beaucoup  plus  jufte  que  le  peuple  donnât  un  mari  à  une  fem- 
me ,  qu'une  femme  donnât  un  Roi  à  tout  un  peuple. 
.  La  fuperftition  fut  encore  un  puifTant  motif,  pour  faire  hâ- 
ter le  mariage  :  les  devinerefles  d'Angleterre  &  d'Ecoffe  pro- 
mettoient  un  grand  bonheur  au  Roi  ôc  à  la  Reine,  fi  le  mariage 
fe  faifoit  fur  la  fin  de  Juillet  j  autrement  elles  les  menaçoient 
des  plus  grands  malheurs  ôc  des  plus  honteux  affronts.  Les 
bruits  qu'on  faifoit  courir  de  la  mort  d'Elifabeth ,  dont  on  mar- 
quoit  le  tems  précis,  achevèrent  de  déterminer  la  reine  d'E^ 
coffe  à  conclure  un  mariage ,  qu'elle  fouhaitoit  ardemment. 
Mais  rien  ne  l'y  engagea  plus  fortement ,  que  les  confeils  de 
Riz,  qui avoit  plus  de  crédit  ôc  de  pouvoir  fur  fon  efprit,  que 
la  raifon  ôc  la  bienféance  ne  le  permettoient,  ôc  qui  appuyé  de 
la  faveur  de  la  Reine ,  tâchoit  de  retenir  l'adminiflration  des 
affaires,  dont  il  s'étoit  emparé. 

Cet  homme  voyoit  que ,  fi  le  mariage  fe  faifoit  du  confente- 
ment de  la  Reine  d'Angleterre  ôc  de  la  Noblelfe  d'Ecoffe,  i! 
en  arriveroit  deux  chofes  contraires  à  fes  intérêts  particuliers  : 
la  première,  qu'on  ne  lui  en  auroit  point  d'obligation  j  ôc  la  fé- 
conde ,  qu'on  pourvoyeroit  par  ce  moyen  à  la  fureté  de  la 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXXVII.     7 

Religion  Proteflante  ,  qu'il  avoir  deilein  de  ruiner.  C'eft  pour-  

quoi  il  mit  tout  en  ufage  pour  venir  à  bout  de  terminer  ce  ma-  ^ 
riage,ôc  il  y  rcùflit  malgré  roppofition  des  Anglois,  &  la  ré-        jy^ 
pu^nance  dcsEcoflbis.  Pour  faire  voir  qu'on  aioùtoit  foi  aux  / 

prédictions,  le  vingt-neuvieme  jour^  oc  par  conkquent  lur  la  .      , 

fin  de  Juillet  ,  Henri  Stuart  comte  de  Lenox  époufa  Marie  „J;frî^f*",^,„t 
veuve  d'un  très  grand  Roi,  ôc  héritière  d  un  noriflantlvoyaume.  te  de  Lenox. 
Le  lendemain  lis  furent  publiquement  proclamés  Roi  ôc  Rei- 
ne à  Edimbourg.  Henri  fut  le  cent-feptiéme  Roi  depuis  Fer- 
gus,  qu'on  dit  être  venu  dans  le  Payis  appelle  Albion,  nom- 
mé aujourd'hui  les  ifles  Britanniques  ,  trois  cent  trente  ans 
avant  la  naiffance  deJcfus-Chrift.  Les  Ecoflbis  ne  mettent  point 
François  II.  roi  de  France  ,  époux  de  Marie  ,  au  nombre  de 
leurs  Rois  5  &  jamais  ce  Prince  ne  prit  dans  fes  Lettres  ou 
Edits  le  titrede  roi  d'Ecoffe. 

Comme  nous  avons  dit  fouvent  que  Henri  Stuart  étoit  du  Origîne  au 
fang  royal ,  il  eft  à  propos  de  reprendre  de  plus  loin  fon  ori-  ^^^'""^^ 
gine.  Marie  fille  de  Jacque  II.  roi  d'Ecolîe  époufa  Jacque 
Hamilton  i  ôc  de  ce  mariage  naquirent  Jacque  comte  d'Aran , 
&  Marie  qui  époufa  Mathieu  Stuart  comte  de  Lenox.  Jacque 
comte  d'Aran  ayant  répudié  fa  première  femme,  époufa  ^pen- 
dant qu'elle  vivoit  encore ,  Jenete  de  Béton  tante  du  Cardinal 
de  ce  nom^  de  laquelle  il  eut  Jacque  duc  de  Châtelleraud  5  ce 
qui  fut  caufe  que  fes  ennemis  lui  contefterent  fon  état.  Aurefte 
de  Mathieu  àc  de  Marie  naquit  Jean ,  qui  fut  tué  par  les  Ha- 
miltons,  lorfqu'il  faifoit  tous  fes  efforts  pour  mettre  en  liberté 
Jacque  V.  Il  refta  de  ce  mariage  un  fécond  fils  appelle  Ma- 
thieu ,  que  Jacque  V.  aima  tendrement  :  il  époufa  Margue- 
rite Douglas  fille  de  la  fœur  de  Henri  VIII.  roi  d'Angleterre  , 
dont  il  eut  Henri  époux  de  Marie. 

La  plupart  des  Seigneurs  ne  voulurent  point  affifter  à  ces 
noces  ,  entr'autres  ,  Jacque  duc  de  Châtelleraud ,  Gilefpic 
comte  d'Argathel  '  ,  Jacque  comte  de  Murray  ,  Alexandre 
comte  de  Glcncarn,  André  comte  de  Rothes,  avec  plufieurs 
autres.  Ils  furent  citez  par  les  Hérauts,  ôc  n'ayant  point  com- 
paru ,  ils  furent  exilés:  ce  qui  aigrit  le  plus  les  efprits ,  eft  qu'on 
fit  revenir  leurs  ennemis  à  la  Cour.  Bien-tôt  après  le  Roi  ôc 
la  Reine  ayant  tout  préparé  pour  réduire  les  rebelles ,  vinrent 

ï   Ou  Gilepfîc  comte  d'Argathley. 


8  HISTOIRE 

.^->— — ^  ^^"^  armes  à  Glafcow,  ils  envoyèrent  enfuitc  un  Héraut  aux  re- 
~I^  belles  qui  ctoient  à  Pafley  ,  pour  les  fommer  de  rendre  le  châ- 

^'l^}/"^^  teau  d'Hamilton;  ôc  furie  refus  qu'ils  en. firent ,  ils  fe  difpo- 
*  ferent  à  les  combattre. 
'"  S  "k*  Les  chefs  du  parti  contraire  ctoient  de  differens  fentimens. 
Les  Hamiltons  fontenoient  qu'il  n'y  avoit  point  de  paix  fo- 
lidc  à  efpérer ,  que  par  la  mort  du  Roi  &  de  la  Reine  :  que  les 
inimitiés  entre  particuliers  ceffoient  fou  vent ,  ou  parce  qu'on  fe 
lafToit  des  peines  qu'elles  caufoient^  ou  parce  que  par  de  grands 
avantages  on  réparoit  les  injures ,  qui  avoient  été  faites  j  mais 
que  la  haine  desRoisnepouv^oit  jamais  finir,  que  par  leur  mort. 
Les  comtes  de  Murray  ôc  de  Glencarn ,  qui  fçavoient  que  les 
Hamiltons  chcrchoient  moins  le  bien  du  Royaume ,  que  leurs 
avantages  particuliers  (  parce  que  la  Reine  étant  morte ,  ils 
étoient  les  plus  proches  héritiers)  ne  vouloient  point  tremper 
dans  ce  noir  complot  :  d'ailleurs  ils  craignoient  la  domination 
des  Hamiltons  ,  dont  ils  avoient  tout  récemment  éprouvé  la 
cruauté  ôc  l'avarice.  Ainfi  ils  tendoient  à  prendre  des  voyes 
plus  douces  :  ils  difoient  que  le  meilleur  ôc  le  plus  fage  parti 
étoit  d'employer  des  remèdes  faciles  ôc  légers ,  pour  guérir  des 
maux,  qui  ne  faifoient  que  commencer  :  qu'on  avoit  toujours 
obfervé  en  EcolTe,  ôc  qu'on  avoit  laiffépour  modèle  àlapof- 
térité,  de  faire  fcmblant  de  ne  pas  voiries  vices  cachés  des 
Rois  ,  de  donner  de  favorables  interprétations  à  ceux  qui 
étoient  douteux  ,  ôc  de  fouffrir  ceux  qu'on  ne  pouvoit  diflimu- 
1er,  pourvu  qu'ils  n'entraînaffent  point  après  eux  la  perte  de 
l'Etat.  Cet  avis  l'emporta. 

Les  Grands  ,  dont  les  forces  étoient  extrêmement  dimi- 
nuées y  jugeant  qu'il  falloit  céder  au  tems ,  allèrent  à  Hamil- 
ton,  ôcle  lendemain  à  Edimbourg  5  ôc  de-ià, comme  ils  étoient 
incommodés  par  la  citadelle ,  que  leurs  amis  ne  pouvoient  ve- 
nir des  lieux  éloignés  aufli  promptement  que  la  chofe  le  de- 
mandoit ,  ôc  que  le  Roi  ôc  la  Reine  les  fuivoient  de  fort  près , 
ils  vinrent  à  Dunfreys  ,fuivant  le  confeil  de  Maxwcl  baron  de 
Heris.  Le  Roi  ôc  la  Reine  revinrent  à  Glafcow  5  ôc  après  avoir 
lailfé  le  comte  Mathieu  de  Lenox  ,  avec  la  qualité  de  lieute- 
nant ,  dans  les  provinces  qui  font  au  couchant  d'hiver ,  ils  s'a- 
vancèrent vers  Sterlin  ôc  jufqu'au  milieu  de  la  province  de 
Fife.    Ils  fournirent  en  chemin  une  partie  de  la  NoblcfTe , 

pronon- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XXXVIL      9 

|>rononcerent  diverfes  peines  contre  ceux  qui  s'étoient  retirés  en  

AnghtQnç ,  ôc  convoquèrent  une  aflemblée  de  gens  de  jufti-  p 
ce  j  pour  informer  ôc  faire  le  procès  au  refte  des  conjurez.  ^  y 

L'armée  Royale  fortit  d'Edimbourg  le  9.  d'0£lobre ,  6c  ' 

marcha  vers  Dunfreys.  Maxwel  homme  vigilant,  également  ^  '^^ 
propre  pour  le  confeil  ôc  pour  l'exécution  ,  alla  pour  fuppHer 
en  faveur  de  ceux  de  fon  parti,  au  devant  de  l'armée  :  ayant 
obtenu  la  confervation  du  patrimoine  de  fon  beau -père,  il 
jrevint  trouver  fes  amis ,  leur  fit  voir  qu'il  n'étoit  pas  en  état  de 
les  fecourir ,  Ôc  leur  confeilla  de  mettre  ordre  à  leurs  affaires  , 
ôc  de  fe  retirer  en  Angleterre ,  où  il  les  fuivroit  en  peu  de 
tems. 

La  fa£tion  des  rebelles  étant  ainfi  diflipée ,  ôc  les  chofes 
ayant  été  réglées  fuivant  la  volonté  du  Roi  ôc  de  la  Reine; 
ils  retournèrent  à  Edimbourg  fur  la  fin  d'Odobre ,  ôc  convo- 
quèrent le  Parlement  pour  le  mois  de  Mars  prochain ,  dans 
ie  deffein  d'y  faire  confifquer  les  biens  des  exilés,  de  les  dé- 
grader de  nobleffe,  ôc  de  faire  rompre  leurs  armes.  Elizabeth 
ayant  donné  retraite  au  comte  de  Murray ,  ôc  aux  autres  ban- 
nis, ôc  ayant  fait  en  fecret  donner  de  l'argent  par  Betfort  à 
ce  comte,  qui  étoit  fort  attaché  au  parti  des  Anglois,  Marie 
lui  en  fit  fes  plaintes  :  mais  elle  ne  reçut  pour  réponfe  d'E- 
lizabeth  que  des  plaintes  réciproques,  de  ce  qu'elle  avoir  re- 
çu les  Anglois  rebelles ,  Yaxley ,  Standon ,  Walsh ,  Ôc  O-neal 
feigneur  d'Irlande  j  de  ce  qu  elle  avoir  tramé  contre  elle  de 
mauvais  deffeins  avec  le  Pape  5  ôc  de  ce  qu'elle  ne  lui  avoit 
pas  donné  fatisfa£tion  fur  les  brigandages  des  Pirates  Ecoffois. 
Cependant  Riz  voyant  qu'il  n'y  avoit  point  de  feigneursà 
îa  Cour,  mettoit  tout  en  ufage,  pour  profiter  d'un  tems  fi  fa- 
vorable ,  ôc  pourafi'ermir  fa  puiffance  :  il  exhortoit  fans  ceffe 
la  Reine  à  fe  défaire  des  chefs  de  la  fa£tion.  On  avoit  befoin 
de  gardes  ou  de  foldats  pour  une  pareille  expédition  :  mais 
comme  ils  étoient  tous  Ecoffois ,  ôc  qu'il  n'y  avoit  pas  d'ap- 
parence qu'ils  vouluffent  prêter  leur  miniftere  pour  maffacrec 
la  nobleffe  de  leur  payis,  on  parla  d'abord  de  faire  venir  des 
Allemands ,  nation  fidelle  à  fes  maîtres.  Mais  Riz  y  ayant  fait 
plus  d'attention,  crut  qu'il  feroit  plus  avantageux  pour  lui  de 
faire  venir  des  Italiens^  parce  qu'étant  du  même  payis,il  cr  oyoit 
pouvoir  en  difpofer  plus  aifement.    D'ailleurs  il  s'imaginoit 
Tot?je  V.  B 


10  HISTOIRE 

que  des  hommes  prêts    (  comme  on   difoit  en  EcofTe  )  à 

Char  LE  ^^^^  faire,  nés   ôc  élevés   fous  de  petits  princes,  accoùtu^ 

IX.       ^^^  ^  ^^^  guerres  injuftes,  &  qui  éloignez  de  leur  patrie  n'a- 

j  -  jj  ^      voient  rien  dans  les  Ifles  Britanniques  qui  les  intereflat ,  étoient 

les  plus  propres  à  exciter  ou  à  entretenir  des  troubles.  On  fit 

donc  venir  de  Flandre  des  foldats  vagabonds,  les  uns  après 

les  autres ,  ôc  en  differens  tems ,  pour  mieux  cacher  l'entre- 

prife. 

A  mefure  que   le  crédit  de  Riz  augmentoit  auprès  de  la 
Reine  ,  celui  du  Roi  diminuoit  :  le   repentir  avoit  fuivi  de 
près  un  mariage  fi  précipité.  Tout  le  monde  le  reconnut  peu 
à  peu ,  par  des  preuves  qui  n'étoient  pas  équivoques.  Car  Henri 
ayant  été  proclamé  Roi  le  jour  de  fon  mariage ,  on  mit  d'abord 
dans  les  Lettres  le  nom  du  Roi ,  ôc  celui  de  la  Reine  :  on 
changea  depuis  l'ordre  naturel ,  en  mettant  le  nom  de  la  Reine 
le  premier ,  ôc  celui  du  Roi  le  dernier.  Enfin  la  Reine  pre- 
nant pour  prétexte  les  fréquentes  abfences  de  fon  mari ,  qui 
n'avoit  point  d'autres  occupations  que  la  chafle  (  ce  qui  étoit 
caufe  que  plufieurs  affaires  ne  fe  faifoient  pas  à  tems ,  ou  ne 
fe  faifoient  point  du  tout  )  elle  obtint  qu'elle  figneroit  pour 
ies  deux  ;  ôc  pour  furcroît  d'indignité ,  elle  fubftitua  Riz  au 
Roi ,  pour  fceller  les  Lettres  patentes  avec  un  fceau  de  fer.' 
Marie  alla  plus  loin;  elle  dépouilla  en  quelque  forte  Henri 
de  fa  dignité ,  ôc  pour  marquer  fon  mépris  pour  lui ,  elle  le 
rélégua  à  Peblis  pendant  l'hiver ,  comme  un  Prince  dont  l'a- 
mitié ne  pouvoit  être  fort  utile,  ni  la  colère  fort  redoutable.  Son 
deflein,  en  le  réléguant,  fut  de  l'éloigner  du  Confeil,  ôc  de 
lui  ôter  toute  connoiffance  des  affaires ,  afin  qu'on  eût  à  elle 
feule  l'obligation  des  grâces  qu'elle  accorderoit. 

En  ce  tems-là  Cécile ,  fille  de  Guftave  roi  de  Suéde  ôc  fœur 
d'Eric ,  qui  avoit  époufé  Chriftophle  marquis  de  Bade ,  vint 
des  extrémités  du  Nord  en  Angleterre ,  pour  voir  Elizabeth 
qui  la  reçut  magnifiquement.  Tandis  qu'elle  étoit  à  Londres^ 
elle  accoucha  d'un  fils  qu'Elizabeth  nomma  Edoiiard  ,  pour 
renouveller  la  mémoire  de  fon  frères  elle  ajouta  à  ce  nom 
celui  de  Fortunat  ou  Fortuné. 

Quelque  tems  après  Donald  Mac-carty  feigneur  d'Irlande 
vint  fe  jetter  aux  pieds  delà  Reine,  ôc  abandonna  tellement 
fa  perfonne ,  ôc  les  grands  biens  qu'il  poffcdoit  dans  cette  iile. 


DE  J.  A.   DE   T  HOU  .Liv.  XXXVII.     n 

à  fa  clémence ,  que  lui  ôc  Tes  héritiers  mâles ,  nés  en  légitime  » 

mariage ,  n'en  joûiroient  que  comme  les  tenant  de  fa  Majefléj  q^  a  r  l  e 
ôc  qu'en  cas  que  fes  héritiers  mâles  vinflent  à  manquer ,  tous        j  -^^ 
fes  biens  feroient  réunis  à  la  couronne  d'Angleterre.  En  re-     i  r  ,54, 
compenfe  la  Reine  lui  donna  le  titre  de  comte  de  Giencarn , 
&  à  Tegue  fon  fils ,  celui  de  Baron  de  Valence. 

Dans  le  même  tems ,  les  haines  mortelles  des  comtes  Gi- 
raud  Defmond ,  ôc  Thomas  d'Ormond ,  ôc  d'autres  feigneurs, 
excitèrent  de  très-grands  troubles  dans  la  partie  méridionale 
d'Irlande ,  appellée  •  Mounfter.  La  Reine ,  princefle  fage  ôc 
prudente  ,  voulant  terminer  ces  guerres  inteftines ,  fit  venir 
le  comte  Defmond  en  Angleterre,  ôc  envoya  en  Irlande 
Warham  de  S.  Léger ,  qui  fçavoit  parfaitement  les  affaires  de 
cette  Ifle  :  il  y  remplit  avec  beaucoup  d'intégrité  ôc  de  lu- 
niieres  la  charge  de  viceroi. 

.   En  France,  le  Roi ,  avec  la  Reine  fa  mère  ôc  toute  fa  Cour,     i  y  «^  5*. 
vint  au  commencement  de  l'année  i5'<5'j.  de  Beziers  à  Nar-     Affaires  de 
bonne,  ville  confiderable  par  elle-même,  ôc  par  fon  antiquité,  France.  Suite 
dont  on  voit  encore  aujourdhui  plufieurs  monumens.  Cette  j(Jji°^^*^ 
ville  a  autrefois  donné  le  nom  non-feulement  au  Languedoc, 
mais  à  la  Province  ,  qui  eft  au-de-là  du  Rhône  \  De  Narbon- 
ne  le  Roi  alla  pendant  l'hiver ,  qui  étoit  fort  rude ,  à  Carcaflbn- 
ne.  Cette  ville  en  comprend  deux  5  la  rivière  d'Aude  pafTe  au 
milieu  de  lune  ôc  de  l'autre ,  laiffant  un  affez  grand  efpace 
entre  les  deux  villes.  La  ville  haute,  où  eft  le  Palais  Epif- 
copal,  ô:  le  Siège  de  l'Evêque,  s'étend  du  midi  à  l'orient  fur 
une  montagne.  La  ville  baffe  eft  fituée  dans  une  plaine  î  ôc 
c'eft-là  qu'on  exerce  la  Jurididion  royale. 

Le  Roi  vint  d'abord  à  la  ville  épifcopale ,  communément 
appellée  la  Cité,  d'où  il  devoir  le  lendemain  treizième  de  Jan- 
vier ,  faire  fon  entrée  dans  la  ville  baiïe  avec  une  pompe  royale. 
Mais  la  nuit  il  tomba  fur  la  ville  ôc  fur  les  montagnes  voilines 
une  il  prodigieufe  quantité  de  neige,  ôc  avec  tant  de  violence, 
que  tous  les  préparatifs  faits  pour  cette  cérémonie  furent  ren- 
verfés  :  le  Roi  y  demeura  comme  afiiegé  pendant  dix  jours, 
ôc  fut  contraint  d'y  attendre  le  jour  de  faint  Vincent,  auquel 
il  fut  reçu  dans  la  baffe  ville  avec  beaucoup  de  magnificence. 


ï  Ou  Momonie. 

z  C'eJi  la  Provence.  Tout  ce  payis  a 


e'té  autrefois  appelle'  par  les  Romains 
Gaule  Narbonnoife ,  ou  Province  Nat' 
bonnoife,  B  ij 


12  HISTOIRE 

.  Les  plus  âgés  difoient  qu'ils  avoient  appris  de  leurs  pères , 

Char  LE  &  ^u'ilctoit  écrit  dans  leurs  archives,  que  123  ans  auparavant 

l^^       Marie  d'Anjou  ,  femme  de  Charle  VIL  avoir  été  retenue  dans 

j  ç  ^-^     cette  ville  trois  mois  entiers  par  les  neiges,  qui  étoient  de' 

plus  de  fix  pieds  de  haut. 
^  ^,  ,  Pendant  que  le  Roi  étoit  à  CarcafTonne,  il  reçut  la  nou- 
Paris  caufez  ^^i^^  cle  1  emeute  qui  etoit  arrivée  a  raris.  Le  cardinal  Cnar- 
pariecardinai  Je  de  Lorraine  revenant  de  Rome  après  le  Concile,  avant' 
e  orraine.  ^^^  d'aller  voir  fa  mère  à  Joinville  ,  avoir  écrit  à  la  Reine, 
pour  lui  expofer  qu'il  étoit  dans  un  très-grand  danger  :  que  fes- 
amis  l'avertijGfoient  de  toutes  parts  que  fes  ennemis  lui  dref- 
foient  des  embûches  :  qu'il  avoit  befoin  de  fecours  5  &c  que  par 
conféquent  il  demandoit  au  Roi  la  permiflion  d'avoir  des 
gardes.  Sa  demande  parut  jufte  5  la  Reine  lui  fit  expédier  les 
Lettres  néceflaires  le  25  de  Février  de  l'année  précédente  > 
&  elles  furent  fignées  par  Jacque  Bourdin,  un  des  quatre  fe- 
cretaires  d'Etat.  Cependant  depuis  la  publication  de  la  paix , 
il  avoit  été  défendu  très  exprelTément ,  ôc  fous  de  rigoureu- 
fes  peines,  par  les  édits,  ôc  particulièrement  par  celui  du  i  j 
Décembre,  de  marcher  armé  j  ôc  il  étoit  enjoint  aux  Gouver- 
neurs d'y  veiller ,  ôc  d'empêcher  que  qui  que  ce  fût  n'en- 
trât en  armes  dans  les  villes.  Lorfque  le  cardinal  de  Lorrai- 
ne fut  arrivé  à  Joinville  ^  réfolu  d'aller  à  Paris  pour  fe  mon- 
trer au  peuple ,  ôc  voir  fes  créatures  après  une  fi  longue  ab- 
fence ,  il  manda  fes  amis  de  tous  côtés  j  ôc  il  écrivit  furtout 
à  Claude  duc  d'Aumale  fon  frère,  qui  étoit  alors  à  Anetj 
qu'il  vînt  au-devant  de  lui  avec  des  gens  armés  jufqu'à  Nan<. 
teûil. 

En  paffant  par  Soiffons ,  il  fit  une  vifite  de  cérémonie  au 
prince  de  Condéj  foit  qu'il  crût  que  cette  démarche  étoit  de 
quelque  conféquence  pour  fa  réputation  j  foit  qu'il  voulût  ga- 
gner ce  Prince ,  en  lui  propofant  en  mariage  Anne  d'Efte , 
veuve  de  fon  frère ,  femme  très-belle  ôc  d'un  excellent  efprit, 
ôc  qui  fembloit  très-propre  à  concilier  ôc  à  unir  d'amitié  des 
perfonnes  qui  n'étoient  pas  en  fort  bonne  intelligence.  Au 
moins  cette  vifite  donna  de  l'inquiétude  aux  Montmorencis 
ôc  aux  Colignis,  qui  craignoient  que  le  prince  de  Condé,  in- 
vincible partout  ailleurs,  ne  fe  laifi^at  vaincre  ôc  par  les  appas 
de  l'amour,  ôc  par  les  artifices  du  Cardinal.  Nous  avons  déjà 


CE  l  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXVII.         15 

dît  qu'Éleonore  de  Roye  j  époufe  du  Prince ,  femme  très-  re- 

commandable  par  fa  vertu  ôc  par  fon  attachement  pour  fon  nr^  .^  r  ^ 
mari ,  etoit  morte  j  que  depuis  la  mort  le  rrince  s  étant  aban-       ^  y 
donné  à  la  galanterie ,  s'étoit  bien  relâché  de  fon  ancienne     x  ^  (i\- 
manière  de  vivre  '■>  que  les  miniftres  ou  pafteurs  appréhendoient  * 

fort  qu'une  vie  plus  libre  n'affoiblît  peu  à  peu  le  zélé  qu'il 
avoit  fait  paroître  jufqu'alors  pour  la  Pveligion  j  ôc  que  par 
cette  raifon  ceux  qui  étoient  auprès  de  fa  perfonne ,  le  pref- 
foientde  penfer  férieufement  à  fe  remarier. 

Après  cette  vifite  :,  le  cardinal  de  Lorraine  continua  fa  rou'^ 
te,  &  en  approchant  de  Paris,  il  rencontra  prefque  tous  fes 
amis  qu'il  avoit  mandés,  qui  venoient  au-devant  de  lui.  ]1 
vint  avec  eux  jufqu'à  faint  Denis,  accompagné  de  Henri,  fils 
aîné  du  feu  duc  de  Guife^  qu'il  amenoit  à  Paris.  François  de 
Montmorenci,  gouverneur  de  Paris  ôc  de  l'ifle  de  France, 
homme  d'un  grand  courage  ôc  d'une  rare  probité ,  apprit  que 
le  Cardinal  marchoit  armé.  Comme  il  connoifToit  fon  humeur 
êc  fon  emportement ,  ôc  qu'il  n'ignoroit  pas  qu'on  l'avoit  nou- 
vellement aigri  contre  fa  Maifon ,  que  ce  Cardinal  haïflbit  déjà, 
il  crut  qu'il  n'en  ufoit  ainfi  que  pour  éprouver  fa  patience,  ôc  que 
par  conféquent  il  falloir  repouffer  la  force  par  la  force.  Ce- 
pendant comme  il  étoit  équitable  ôc  droit,  il  voulut  d'abord 
l'averdr,  de  congédier  cette  fuite  de  gens  armés,  qui  étoit 
une  contravention  aux  édits  du  Roij  de  ne  pas  venir  dans  un 
tems  fufpe£tj  avec  tout  l'appareil  d'un  homme  qui  iroit  à  la 
guerre ,  ôc  de  ne  pas  entrer  pendant  l'abfence  de  Sa  Majefté, 
dans  la  capitale  du  Royaume ,  qui  n  étoit  que  trop  portée 
au  trouble  ôc  à  la  fédition. 

11  fit  enfuite  réflexion,  qu'il  ne  convenoit  pas,  à  caufe  des 
différends  ôc  de  la  haine  déclarée  qui  étoient  entre  eux,  d'en-^ 
yoyer  faire  un  pareil  compliment  au  Cardinal  :  voici  le  moyen 
qu'il  trouva  pour  garder  les  bienféances ,  ôc  pour  faire  en  mê- 
me tems  fçavoir  au  Cardinal  ce  qu'il  avoit  deffein  de  lui  faire 
dire.  Il  vint  le  8.  de  Janvier  au  Parlement,  on  il  fçavoit  qu'il 
y  auroit  un  grand  nombre  de  gens  attachés  aux  Guifes,  qui 
ne  manqueroient  pas  de  rapporter  au  Cardinal  ce  qu'il  auroit 
dit  5  ôc  il  délara  publiquement  à  la  Cour ,  afin  qu'elle  n'en  pré- 
tendît caufe  d'ignorance ,  que  le  Roi  Ôc  la  Reine  fa  merc  lui 
ayoient  ordonné  fur  toutes  chofcs,  de  ne  pas  fouifrir  que  qui 

Bii; 


î4  HISTOIRE 

j,^,^,,,,^,,,,,^  que  ce  fut  ofât  approcher  de  Paris  en  armes  pendant  leur  ab- 
^  fence  :  que  néanmoins  il  apprenoit  que  quelques-uns  ,  mépri- 

T'\f  ^^  fant  l'autorité  du  Roi  ôc  des  Gouverneurs,  marchoient  en 
armes  dans  le  Royaume ,  ôc  voltigeoint  aux  environs  de  Pa- 
^  ^  ^  S*  ris  j  qu'il  ne  pourroit  le  foufFrir  ,  fans  manquer  à  fon  devoir: 
qu'au  refte  :,  il  prévoyoit  que  fi  ces  gens-là  continuoient  dans 
leur  audace ,  l'affaire  ne  fèpafferoit  pas  fans  quelque  trouble  ; 
qu'il  s'étoit  crû  obligé  d'en  avertir  le  Parlement,  afin  qu'il  in- 
terpofât  fon  autorité  5  que  pour  lui  il  étoit  réfolu ,  pour  s'acquit- 
ter de  fa  charge,  de  faire  obferver  les  édits,  ôc  de  faire  tous 
fes  efforts ,  pour  empêcher  que  la  témérité  de  quelques  particu- 
liers ne  donnât  la  moindre  atteinte  à  l'autorité  légitime  du  Roi 
ôc  des  Magiftrats. 

Après  avoir  parlé  de  la  forte  ,  Montmorenci  s'en  alla  au 
Louvre.  Il  avoir  bien  entendu  parler  de  la  permifTion  que  la 
Reine  avoit  accordée  au  Cardinal  j  mais  comme  celui-ci  ne 
î'avoit  pas  montrée  ,  il  fe  perfuada  que  c'étoit  par  mépris  pouc 
lui ,  qu'il  en  ufoit  ainfi  ;  ôc  il  crut  qu'il  devcit  employer  toute 
forte  de  moyens,  pour  Fempêcher  d'entrer  dans  la  ville. 

Le  Cardinal  de  fon  côté ,  quoi  qu'averti  par  fes  amis  ,  qui 
alloient  fouvent  le  trouver,  de  la  réfolution  de  Montmorenci; 
ne  put  jamais  fe  réfoudre  à  montrer  la  permiflion  qu'il  avoit 
obtenue  du  Roi  5  difant  que  Montmorenci  le  fçavoit ,  ôc  qu'il 
ctoit  de  l'honneur  de  la  maifon  de  Guife,  ôc  de  fa  propre  ré- 
putation, qu'on  ne  crût  pas  que  fes  ennemis  luiavoientfait  la 
loi  en  l'obligeant  de  montrer  fes  Lettres  3  principalement  dans 
Paris ,  où  ils  avoient  tant  de  créatures ,  ôc  où  ils  fe  fiattoient 
que  le  peuple  prendroit  les  armes  pour  les  Guifes,  contre  les 
Montmorencis  ,  à  caufe  de  la  religion.  C'étoit  là  le  voile  dont 
les  Guifes  fe  couvroient  toujours  ,  ôc  ils  s'imaginoient  que  le 
peuple ,  qui  les  regardoit  ôc  les  cheriffoit  comme  les  défenfeurs 
de  la  Foi ,  n'avoit  que  de  la  haine  pour  les  Montmorencis  ^ 
qu'il  croyoit  moins  zélés ,  à  caufe  de  leur  attachement  au  prince 
de  Condé  ôc  aux  Colignis. 

Entre  ceux  qui  alloient  ôc  venoient  pour  cette  affaire ,  on 
remarqua  principalement  Jean  Hurault  de  Bois -taillé.  Cet 
homme ,  qui  venoit  d'acquérir  de  la  réputation  dans  fon  am- 
baffade  de  Venife,  avoit  été  autrefois  dans  les  bonnes  grâces 
du  Cardinal ,  ôc  fa  faveur  I'avoit  élevé  aux  honneurs  :  mais  il 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L.iv.  XXXVIL       i; 

ctoif  bien  alors  avec  Montmorenci.  Il  voulut  donc  fe  mêler 

dans  la  négociation ,  &  il  avertit  le  Cardinal  doucement  &  en  ^ 

ami ,  de  fe  conduire  fagement  ôc  prudemment  dans  une  ren-      ^^  ^  ^ 

contre  fi  délicate  ,  ôc  de  ne  pas  forcer  un  homme  aulTi  fier,  ■^* 

qu'étoit  le  maréchal  de  Montmorenci,  à  faire  une  chofe,  dont      ^  S  ^  S* 

Fun  ôc  l'autre  fe  repentir  oient ,  6c  feroient  très-fâchés ,  dès 

qu'elle  feroit  faite. 

Le  Cardinal,  qui  ne  pouvoit  retenir  fon  emportement,  ne 
répondit  à  Hurault  que  par  des  reproches  injurieux  ,  de  ce 
qu'après  avoir  reçu  de  lui  tant  de  bienfaits ,  il  avoit  palTé  dans 
le  parti  de  fes  ennemis  ,  avec  autant  de  perfidie  que  d'ingra- 
titude. Il  rejetta  donc  fon  confeil,  comme  fufpeâ:  j  Ôc  fans  fe 
foucier  du  péril ,  il  fe  mit  en  chemin  le  même  jour.  Cepen- 
dant pour  ne  point  paroître  abufer  de  la  permiiïion  que  le  Roi 
lui  avoit  accordée ,  en  fe  faifant  efcorter  par  un  fi  grand  nom- 
bre de  gens  armés  ,  il  fe  fépara  du  duc  d'Aumale  ,  qui  prit 
avec  lui  une  partie  de  l'efcorte ,  ôc  entra  par  une  autre  porte 
dans  Paris. 

Le  Cardinal  étant  à  moitié  chemin  ,  Montmorenci  lui  en- 
voya un  prévôt  des  maréchaux  ,  avec  des  archers  à  cheval ,  re- 
vêtus de  leurs  cafaques,  (  car  le  Roi  donne  des  archers  à  chaque 
maréchal  de  France)  pour  lui  ordonner  au  nom  duRoiôc  du 
gouverneur  de  Paris  de  mettre  bas  les  armes.  Le  Cardinal  mé- 
,  prifa  ce  commandement ,  comme  injurieux  ?  parce  que,  difoit- 
il  y  ces  fortes  de  gens ,  qui  n'ont  de  pouvoir  que  furies  voleurs; 
les  criminels ,  ôc  les  vagabons  qui  n'ont  ni  feu  ni  lieu  ,  n'avoient 
aucun  droit  fur  les  perfonnes  de  fon  rang.  Il  continua  donc  fà 
marche,  ôc  arriva  dans  la  ville  plutôt  que  Montmorenci  ne 
i'avoit  crû  :  aiiifi  il  ne  fut  point  arrêté  à  la  porte  ,  comme  ce 
Maréchal  I'avoit  réfolu. 

Mais  lorfqu'il  pafToit  dans  la  rue  S.  Denis  ,  il  rencontra  au- 
près de  la  paroifle  de  S.  Innocent  Montmorenci  ôc  Antoine 
de  Croi  prince  de  Porcien,  qui  y  étoit  accouru  avec  un  grand 
nombre  de  gentils-hommes.  Là ,  Montmorenci  arrêta  ceux  du 
cortège  du  Cardinal ,  qui  marchoient  les  premiers,  ôc  de  part 
ôc  d'autre  il  y  en  eut  un  ou  deux  de  tués  dans  la  réfiftance 
qu'ils  firent.  Le  Cardinal  voyant  que  la  chofe  s'étoit  pafTée  au- 
trement qu'il  ne  s'en  étoit  flatté ,  fut  faifi  de  peur ,  ôc  s'étant 
mis  aufli-tôt  à  pie  avec  le  duc  de  Guife  fon  neveu ,  qui  n'étoit 


1^  HISTOIRE 

■  ■   '  encore  qu'un  enfant ,  il  fe  fauva  dans  une  boutique  voîîfîne.- 

C  H  A  a  L  E  ^^^  fe^^'^s  furent  écartés  de  côté  ôc  d'autre  :  ôc  Montmorenci 
IX.       empêcha  les  fiens  de  les  pourfuivre,  &  de  les  maltraiter;  con- 
J  i  (^  c.     tci'if  ^  comme  il  le  difoit  lui-même^  d'avoir  réprimé  par  la  crain- 
te la  témérité  d'un  homme  qui  infultoit  le  Roi,  ôc  qui  avoit 
i'audace  de  faire  injure  au  gouverneur  de  la  capitale  du  Royau- 
me. 

Le  Cardinal  accompagné  d'un  petit  nombre  de  gens  alla 
fur  le  foir,  par  les  rues  les  moins  fréquentées ,  à  l'hctel  de  Clu- 
ny,  où  fa  fuite  s'étoit  déjà  retirée.  Cet  hôtel  eft  dans  un  quar-* 
tier  de  Paris  éloigné  de  celui  du  gouverneur ,  ôc  il  n'efl:  pref^ 
que  habité  que  par  du  menu  peuple ,  que  le  Cardinal  croyoit 
lui  être  dévoilé.  Le  duc  d'Aumale ,  qui  étoit  entré  par  une  au- 
tre porte  ,  fe  rendit  au  même  endroit  par  un  chemin  différent. 
Il  y  pafferent  l'un  ôc  l'autre  la  nuit  dans  une  grande  inquiétu^ 
de ,  ôc  fans  dormir.  Mais  leur  trouble  fut  bien  plus  grand  le 
matin  :  Montmorenci  :,  qui  apprehendoit  le  défordre ,  courut 
lui-même  par  la  ville  avec  des  gens  armés  j  il  fit  ouvrir  les 
boutiques ,  ôc  paffa  plufieurs  fois  devant  l'hôtel  de  Cluny  où 
le  Cardinal  fe  tenoit  caché ,  avec  les  ducs  de  Guife  ôc  d'Au- 
male. Les  gens  du  Gouverneur  en  paffant  parloient  fort  info- 
lemment,  ôc  difoient  bien  des  chofes  outrageantes  contre  le 
Cardinal. 

Enfin  comme  tout  Paris  étoit  en  allarmes,  le  Cardinal  follî-i 
cité  par  fes  amis ,  ôc  averti  par  le  Parlement  de  fortir  prompte- 
ment  de  la  ville ,  pour  éviter  un  plus  grand  trouble ,  montra  les 
Lettres  qu'il  avoit  obtenues  du  Roi.  Le  lendemain  on  char* 
gea  Claude  Guyot  maître  des  comptes ,  magiftrat  d'une  gran- 
de probité,  très-zelé  pour  la  tranquilité  publique,  Ôc  qui  étoit 
Prévôt  des  Marchands  pour  la  féconde  fois ,  d'aller  trouver  le 
maréchal  de  Montmorenci ,  Ôc  de  le  prier  au  nom  du  Parle- 
ment, du  premier  Préfident  Chriftophle  de  Thou^  ôc  de  Gille 
Bourdin  Procureur  général,  de  vouloir  bien ,  pour  ne  pas  trou- 
bler le  repos  public,  accorder  au  cardinal  de  Lorraine  la  per^ 
mifTion  de  fortir  le  lendemain  de  Paris  en  armes.  Il  eft  vrai , 
ajouta  Guyot,  que  le  Roi  l'a  défendu  par  fes  Edits  j  mais  il  l'a 
expreffement  permis  à  M.  le  Cardinal ,  pour  fa  fureté,  par  des 
Lettres  particulières  5  ôc  il  en  montra  la  copie. 
j  Père  dç  l'Auteur, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lïv.  XXXVIÎ.      17  j 

Le  maréchal  de  Montmorenci  répondit  :  Que  le  Cardinal  ^           "j 

avoit  très-mal  fait  d'ofer  entrer  dans  Paris  dans  une  pareille  r  u  a  r  i  r           ■ 

conjondure ,  avec  des  gens  armés,  contre  la  défenfe  du  Roi  *  t  v 

fans  avoir  montré  fes  Lettres ,  ôc  (ans  en  avoir  prévenu  le  Gou-  x  ç  (^  ^               \ 

verneur:  Qu'au  refte,  file  Cardinal  vouloir  donner  les  noms  '             \ 

de  ceux  qu'il  vouloit  faire  pafTer  en  armes  avec  lui  par  l'Ifle  de  i 

France,  ôc  délivrer  une  copie  en  bonne  forme  des  Letrres  du  \ 

Roi ,  il  fcroit  ce  qui  étoit  de  fon  devoir  >  parce  que  c'étoit  à  lui  i 
de  maintenir  le  fouverain  pouvoir  du  Roi,  ôc  du  Gouverneur 

qui  le  repréfente  :  Qu'il  étoit  prêt  de  donner  fa  vie ,  pour  retenir  ■ 

le  Cardinal ,  ôc  tous  ceux  qui  étoient  dans  l'étendue  de  fon  \ 

gouvernement,  dans  les  bornes  prefcrites  par  les  loix  ,  ôc  pour  | 

leur  apprendre  à  refpecler  l'autorité  du  Roi  ôc  des  Gouver-  \ 

neurs  établis  par  fa  Majefté  :  Que  cette  affaire  regardoit  l'o-  j 

béïffance  due  au  Roi ,  l'honneur  du  Gouverneur ,  ôc  la  fureté  i 

publique  :  Que  néanmoins  il  fçavoit  que  le  Cardinal  ôc  les  fiens  j 

le  vantoient  de  le  faire  punir  de  l'injure  qu'ils  prétendoient  leur  *     : 
avoir  été  faite  le  jour  précédent  :  Qu'en  les  empêchant  de  mar* 

cher  en  armes  ,  fuivant  la  difpofition  des  Edits,  il  n'avoit  fait  i 
que  ce  qu'il  devoit  :  Qu'il  avoit  averti  le  Parlement  de  ce  qui 

arriveroit  i  ôc  que  s'il  eût  en  cela  manqué  à  fon  devoir ,  il  fe  , 

feroit  rendu  indigne  des  honneurs  dont  le  Roi  l'avoit  comblé.  | 

Cette  réponfe  ,  foufcrite  de  la  main  de  Falaife  fecretaire  du  j 
Gouverneur,  fut  donnée  à  Guyot ,  qui  eut  la  prudence  delà  \ 
fupprimer,  parce  qu'il  y  avoit  trop  de  dureté.  Le  Cardinal  \ 
Ôc  le  duc  d'Àumale  en  eurent  connoiffance  j  mais  d'une  ma- 
nière qui  ne  les  mettoit  pas  dans  la  néceflité  d'en  tirer  ven-  j 
gence.  Ainfi  le  Cardinal ,  accompagné  des  ducs  d'Aumale  ; 
ôc  de  Guife  ;  fortit  de  Paris  prefque  auiïi-tôt  qu'il  y  fut  entré.  i 
Le  Cardinal  s'en  alla  en  Champagne  ,  ôc  dans  le  pays  Mellin  ; 
^  le  duc  d'Aumale  marcha  quelque  tems  de  côté  ôc  d'autre  •] 
aux  environs  de  la  ville,  avec  des  gens  armés.  Ce  fut  un  nou-  L'Amiral  de  ' 
veau  fujet  de  troubles  5  carie  maréchal  de  Montmorenci,  qui  vc^àSfs'ï  ' 
fçavoit  bien  qu'on  le  haïlToit  à  caufe  des  Colignis  ,  mais  qui  y  p^fle  quel-  \ 
prévoyoit  auiïi  le  befoin  qu'il  auroit  d'eux  dans  la  fuite ,  parce  ^^^^  ^°""*  \ 
que  les  affaires  fe  broûilloient  extrêmement ,  manda  Gafpard  \ 
de  Coligny  Amiral ,  qui  étoit  tranquillement  chez  lui  occu-  I 
pé  du  foin  de  fes  affaires.  Ce  Seigneur  arriva  à  Paris  avec  \ 
^ne  nombreufe  fuite  le  22  de  Janvier. 

Tome  V.  Ci 


iS  HISTOIRE 

.,.—■--.,.»,      Montmorencl  convoqua  un  Confeil ,  où  afTiila  Claude  Gouf- 
Ch  A.PV.LE  ^^^  ^^  Boify  ,  grand  ccuyer  de  France,  avec  Chriftophle  de 
t\/       Thou,  Renc  Baillet  ,  Pierre  Seguicr  ,  Chriftophle  de  Harlay 
/       Préfidens ,  ôc  Hurault  de  Bois-Taillé.  11  expofa  à  FaiTemblée 
les  raifons  pour  lefquelles  il  avoir  prié  M.  l'Amiral  de  venir  à 
Paris  i  ôc  il  fit  entendre  que  c'étoit  pour  délibérer  enfemble  fur 
les  moyens  d'afTurer  le  repos  public  ,  malgré  les  bruits  qu'on 
s'efforçoit  de  répandre  pour  le  troubler.  L'Amiral  prit  occa- 
fion  de  ce  qui  venoit  d'être  dit ,  pour  parler  de  lui-même ,  de 
fon  inviolable  fidélité ,  ôc  de  fes  bonnes  intentions  ;  ôc  pour 
fe  juftifier  des  crimes,  dont  on  le  foupçonnoit  faufTement.  Il 
lit  voir  que  ces  foupçons  n'étoient  fondés  que  fur  des  calom- 
nies ,  ôc  n'étoient  que  des  effets  de  l'artifice  ôc  de  l'ambition 
de  fes  ennemis. 

L'Amiral  répéta  la  même  chofe  devant  le  Prévôt  des  mar- 
chands ,  ôc  en  préfence  d'environ  quarante  bourgeois  de  Pa- 
ris ,  choifis  d'entre  tous  les  Ordres.  Il  leur  rappella  aufîi  le 
tems }  où  étant  Gouverneur  de  Paris ,  il  avoir  commencé  le 
boulevard  de  la  porte  S.  Antoine,  non  feulement  pour  fortifier^ 
mais  pour  embellir  ôc  orner  la  ville.  Enfuite  il  vint  au  Parle- 
ment avec  le  maréchal  de  Montmorenci.  Après  y  avoir  parlé 
de  lui-même  en  peu  de  mots ,  Ôc  avec  beaucoup  de  modeflie  ; 
iî  fit  offre  de  fes  fer  vices  à  tous  en  général ,  ôc  à  chacun  en 
particulier.  Le  lendemain  il  alla  au  château  de  Vincennes  fa- 
luer  le  duc  d'Alençon  ^  il  revint  le  même  jour  à  Paris  pour  y 
travailler  pendant  quelques  jours  à  fes  propres  affaires  j  ôc  il 
s'en  retourna  le  25?  de  Janvier. 

Cependant  le  Gouverneur  de  Paris ,  ôc  le  duc  d'Aumale 
envoyèrent  à  la  Cour  ;  l'un ,  Ouëin  de  Turin  3  pour  jufîifier  fa 
conduite  >  ôc  fautre  ,  Bertrand  de  Foiffy  de  Crenay  ,  pour  fe 
plaindre  au  Roi  de  ce  qui  s'étoit  paffé.  Mais  le  crédit  du  con- 
nétable de  Montmorenci*fit  fufpendre  le  jugement  de  cette 
affaire.  Cependant  comme  le  bruit  s'étoit  répandu  que  le  duc 
d'Aumale  d'un  côté,  ôc  Coligny  de  l'autre,  étoient  en  armes, 
on  craignit  que  Paris  ne  fut  agité  de  nouveaux  troubles ,  pen- 
dant l'abfence  du  Roi.  Pour  les  prévenir,  Michel  de  Seuvre 
chevalier  de  Malte  reçut  ordre  de  partir  ,  pour  ordonner  à  l'un 
ôc  à  l'autre  de  la  part  du  Roi  de  mettre  bas  les  armes  ,  de  ren- 
voyer ceux  qui  étoient  avec  eux  .  ôc  de  demeurer  en  repos. 


DE  J.   A.  DE   THOU,  Liv.  XXXVII.     i^ 

Telle  fut  rifluë  du  trouble  excité  à  Paris.  Plufieurs  accuferent  ....«„,.,.^ 

le  maréchal  de  Montmorenci  d'avoir  en  cette  occafion  manqué  '7^  j 

de  prudence  ,  aimant  mieux  irriter  des  ennemis  très-puilTans        ^^  ^ 


1 


par  un  léger  affront ,  que  les  perdre  entièrement ,  lorfqu'il  le 

pouvoir.  .  ^  >     ^*  , 

En  effet  le  prince  de  Condé  (  foit  que  l'entretien  avec  le  ' 

cardinal  de  Lorraine  l'eût  changé ,  foit  que  ce  fût  fon  fenti-  : 

ment)  defaprouva  l'a^lion  de  Montmorenci ,  ôc  dit  :  «  L'affaire 
»  a  été  poulfée  trop  loin  ,  fi  ce  n'étoit  qu'un  jeu  i  &  elle  ne  l'a  \ 

«  pas  été  affez,  fielle  étoit  férieufe.  «>  Dans  la  fuite,  on  fe  fit 
la  guerre  de  part  ôc  d'autre  par  écrit ,  ôc  l'on  publia  de  la  part  \ 

du  Gouverneur  un  livre  en  forme  de  relation  :  on  l'attribue  à  i 

Louis  Renier  de  la  Planche  ^  dont  nous  avons  parlé  fous  le  re-  ■         \ 

gne  de  François  II.  On  y  louoit  la  fidélité  ,  l'obéïffance ,  ôc 
l'équité  de  Claude  Guyot  prévôt  des  Marchands  ,  &  des  Eche-  j 

vins  de  la  ville  de  Paris,  &  l'on  y  relevoit  en  palfant  l'ambition  ! 

des  Guifes.  L'on  y  parloir  avec  beaucoup  de  fineffe  de  leurs  j 

deffeins ,  de  leurs  artifices,  de  leurs  efforts,  ôc  on  faifoit  en- 
trevoir, par  une  efpece  de  prophétie,  quelle  en  feroit  la  fin.  Ces  J 
prédirions  furent  alors  regardées  comme  venant  de  la  part  i 
de  leurs  ennemis ,  ôc  on  n'y  ajouta  aucune  foi.   Mais  dans  la 
fuite  l'événement  a  fait  voir  que  la  plupart  n'étoient  que  trop  ; 
bien  fondées  ôc  trop  véritables.                                                                                 i 

On  publia  de  la  part  des  Lorrains  une  Lettre  fous  le  nom    Ecrits  r!e 
d'un  Gentilhomme  du  Hainaut  :  l'écrivain  tâchoit  de  juftifier  P^"^*^  ^  '^  '^"'  ' 

i'adion  des  Guifes ,  ôc  rejettoit  la  caufe  des  troubles  fur  les      *  ' 

Montmorencis ,  qui  favorifoient  les  ennemis  de  la  ReHgion 
ôc  les  perturbateurs  de  l'Etat,  ôcles  aidoient  de  leurs  confeils,  I 

de  leurs  biens,  ôc  de  leurs  forces.  On  répliqua  auffi-tôt  à  cette  \ 

Lettre  par  une  autre  ,  dans  laquelle  le  Gentilhomme  du  Hai-  i 

naut  proteftoit  que  le  cardinal  de  Lorraine  s'étoit  fauffement  ■ 

fervi  de  ce  nom.    Il  y  faifoit  une  fanglante  inve£live  contre  i 

les  Guifes  ,  ôc  les  traitoit  d'hommes  ambitieux  ôc  a^'ides  du 
bien  d'autrui.  Cette  Lettre  fut  auffi-tôt  fuivie  d'un  autre  écrit  :  1 

l'auteur  répondoit  plus  amplement  à  la  première  Lettre  du  i 

Gentilhomme  du  Hainaut ,  rabaiffoit  l'origine  des  Lorrains ,  ôc 
relevoit  celle  des  Colignis  ,  qu'il  prétendoit  ilfus  des  Seigneurs 
de  Colognac  en  Brelfe.    Enfin  les  Lorrains  réphquerent  à  \ 

ces  écrits ,  par  une  Lettre  fous   le  nom  d'un  Gentilhomme  j 

Cij 


2.0  HISTOIRE 

.  Champenois,  parce  qu'ils  ne  pou  voient  plus  fefervir  de  celui  du 
Chari  F  Gentilhomme  du  Hainaut.  On  n'auroit point  cefle  d'écrire,  fi 
T  y        le  Parlement  de  Paris  n'eut  interpofé  fon  autorité  ,  en  défen- 
^'       dant  de  vendre  ôc  de  débiter  ces  écrits,  &  les  fupprimant , 
comme  libelles  diffamatoires ,  tendans  à  exciter  des  troubles 
dans  l'Etat. 
Affaire  <!its      Pcu  de  tcms  après ,  le  Roi  étant  à  Bayonne  ,  pour  fe  rendre 
Jefuites.         ^  1^  Conférence  dont  on  étoit  convenu  avec  les  Efpagnols  > 
on  plaida  au  Parlement  avec  beaucoup  de  chaleur  la  caufe  des 
Jefuites.   Ils  avoient  préfenté  dans  le  mois  de  Février  une  re- 
quête à  la  Cour ,  par  laquelle  ils  demandoient  la  liberté  d'en- 
feigner  la  jeuneffe  >  ôc  le  Re£teur  de  l'Univerfité  de  Paris  s'y 
étoit  oppofé.  Avant  que  je  parle  de  ce  procès  ,  je  crois  qu'il 
eft  à  propos  de  dire  quelque  chofe  de  leur  origine  ,  de  leur 
ctabliffement  ôc  de  leurs  progrès. 

Pierre-Antoine  Caraife  ,  depuis  cardinal ,  ôc  enfin  Pape 
fous  le  nom  de  Paul  IV.  avoit  établi  une  compagnie  de  Prê- 
tres, qui  dévoient  vivre  dans  lafolitude  ôc  féparés  du  monde, 
pour  s'appliquer  à  la  contemplation  î  ôc  du  lieu  où  ils  demeu- 
roient  dans  la  terre  d'Otrante,  ils  furent  appelles  Théatins  ou 
Chiétins  '.  Par  émulation,  ou  à  l'imitation  de  ce  nouvel  éta- 
bliffement ,  Ignace  de  Loyola  de  Bifcaye,  ennuyé  du  métier 
de  la  guerre,  dont  il  n'avoit  tiré  ni  honneur  ni  profit,  mais 
feulement  un  ^  coup  qui  l'avoit  eftropié ,  embraffa  une  vie  tran- 
quille ,  ôc  forma  dans  la  fuite  le  defîein  d'établir  un  Ordre  de 
Religieux. 
Abregédela  Après  un  voyagc  en  Italie,  ôc  dans  la  Paleftine  ,  il  revint 
vie  de  s.  I-  en  fon  payis  l'an  1 5'24. ,  ôc  commença  à  étudier  à  Barcelone ,  à 
Loyola.  °  l'âge  de  35  ans.  Il  eut  dans  cette  ville,  pour  compagnons 
d'une  vie  plus  régulière  ,  un  certain  Califte ,  qui  l'avoit  accom- 
pagné dans  fon  voyage  de  Jerufalem  ,  Artiaga  ôcCazere  ,  Ef- 
pagnols ,  ôc  un  jeune  François  ,  appelle  Jean.  Sentant  dans 
la  fuite  qu'il  n'avoit  pas  fait  de  grands  progrès  dans  les  fcien- 
ces  à  Barcelone,  à  Àlcalaôcà  Salamanque,  il  fepropofa  qua- 
tre ans  après  de  venir  à  Paris.  Il  y  reconnut  par  fon  expérien- 
ce que  la  foiblelfe  de  l'homme  en  général  ,  ôc  la  fienne  en 


I  Voyez  le  livre  XV. 
%  C'etoit  une  blefTure  à  la  jambe 
gauche ,  qui  fut  légère  ,  ôc  une  autre 


plus  confîde'rable  à  la  droite  ,  dont  il 
relia  boiteux. 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Li  v.  XXXVÎI.     21 

particulier,  le  rendoient  incapable  de  faire  plufieurs  chofes  dans  ^^^^^m 
un  même  tems  j  il  condamna  fa  précipitation ,  ôc  laifTant  là  les  c  h  a  R  L  E 
voyes  abrégées  ,  il  réfolut  de  fuivre  le  cours  ordinaire  dans        i^ 
fes  études  qu'il  recommença.  i  <;  6  <, 

Ainfi  après  avoir  repris  les  principes  de  la  langue  Latine ,  il 
étudia  enluite  en  Philofophie  fous  Jean  Pena ,  grand  Philofophe 
&  habile  Mathématicien ,  ôc  en  Théologie ,  dans  le  Collège  du 
Couvent  des  Dominicains.  Pierre  le  Févre ,  Savoyard  ,  fçavant 
difciple  d'Ariftote ,  &  François  Xavier  Navarrois ,  furent  les 
premiers  compagnons  de  la  vie  auftere  qu'Ignace  menoit  à 
Paris.  Peu  de  tems  après  François ,  à  la  prière  de  Jean  roi  de 
Portugal  j  &  par  l'autorité  du  Pape  ,  fut  envoyé  en  Orient.  Il 
parcourut  toute  la  côte  maritime  des  Indes  ,  avec  beaucoup 
de  travaux  &  de  périls ,  Ôc  porta  le  premier  la  lumière  de  la  pa- 
role de  Dieu  jufque  dans  le  fond  du  Japon.  Enfin  après  avoir 
converti  à  la  foi  de  Jefus-Chrift  un  grand  nombre  d'infide- 
les ,  il  mourut  à  l'entrée  de  la  Chine  '  l'an  i$$6.  Les  autres 
compagnons  d'Ignace  furent,  Jacque  Lainez,  deSeguença, 
qui  fut  dans  la  fuite  Général  de  la  Société  ;  Alfonfe  Salmeron 
de  Tolède  ,  très-habile  dans  les  langues  Grecque  &  Latine  î 
Nicolas  Bobadilla,  de  Palencia  ;  Simon  Rodriguez  ,  de  Por- 
tugal î  Claude  le  Jai  ôc  Jean  Codure ,  du  Diocéfe  de  Genève  : 
ôc  Pafquier  Brouët ,  d'Embrun.  Ils  étudièrent  tous  avec  Ignace 
à  Paris ,  ôc  firent  de  grands  progrès  dans  les  fciences ,  ôc  dans 
ia  pieté. 

Enfin  d'un  confentement  unanime,  après  s'être  confeffés; 
&  avoir  communié  dans  l'Eglife  de  Mont-martre  près  de  Pa- 
ris ,  ils  firent  chacun  en  particulier  un  vœu  à  Dieu  5  par  lequel 
ils  s'obligèrent  à  renoncer  au  monde ,  aulîi-tôt  qu'ils  auroient 
achevé  leur  cours  de  Théologie  ,  à  embraffer  une  pauvreté 
perpétuelle ,  à  travailler  toute  leur  vie  pour  la  gloire  de  Dieu , 
ôc  pour  le  falut  des  âmes  5  ôc  pour  cela  de  s'embarquer  dans 
un  jour  marqué  pour  aller  à  Jerufalem  ,  de  s'y  appliquer  de 
toutes  leurs  forces  à  l'inftrudion  des  Infidèles ,  ôc  d'y  cher- 
cher la  palme  du  martyre.  Ils  s'engagèrent ,  s'ils  trouvoient 
des  obftacles  à  l'exécution  de  ce  defTein^  d'aller  à  la  fin  de  l'an- 
née à  Rome ,  ôc  d'y  offrir  leurs  fervices  au  Pape  ^  Vicaire  de 
Jefus  -  Chrift  ,  fans  faire  avec  lui  aucune  conventio«  ,   fans 

I  Dans  rifle  de  Sanciâm. 

C  iij 


!i2  HISTOIRE 

_ ,..,., i„i.i  condition,  &  fans  aucunç  reftriclion,  pour  tous  les  tems ,  ôc  pour 

P  tous  les  lieux  du  monde.  Ce  vœu  fut  fait  le  i^  d'Août  i5'34  ^ 

'  lY  L'année  fuivante  ,  Ignace  retourna  malade  en  Efpagne  .  ôc 

■        bien-tôt  après  il  alla  à  Venife  ^  pour  s'acquitter  de  fon  vœu. 

■^  ^  ,  ^'     Là  ,  ayant  pris  les  faints  Ordres ,  6c  ramafle  fes  compagnons 

qui  étoient  difperfcs^il  renonça  au  deflein  d'aller  à  Jerulalem, 

ôc  alla  à  Rome  avec  le  Févre  ôc  Lainez.   Ceux  qui  ont  écrie 

fa  vie ,  rapportent  qu'étant  entré  dans  une  Eglife ,  proche  de  la 

ville  fur  le  grand  chemin ,  pour  prier  Dieu ,  il  fut  comme  ravi 

ôc  élevé  au  deifus  des  fens  s  que  le  Père  éternel  lui  apparut 

avec  Jefus  fon  fils ,  portant  fa  Croix  ôc  fouffrant  de  cruelles 

douleurs  j  que  le  Père  recommanda  au  Fils  Ignace  ôc  fes 

Compagnons  ,  ôc  qu'il  promit  à  Ignace  de  faiïiftcr  à  Rome. 

Cette  vifion  fut  caufe  qu'il  donna  depuis  à  fa  Société  le  nom 

de  Compagnie  de  Jefus. 

Ainfi  Ignace  ôc  fes  Compagnons  s'aflemblerent  à  Rome. 
Quirin  Garzoni  ,  citoyen  Romain ,  les  reçut  dans  fa  maifon 
auprès  du  couvçnt  des  Minimes.  Ce  fut  là  que  la  Société  prit 
naiiTance  :  mais  elle  eut  d'abord  beaucoup  à  fouffrir  à  Rome 
même ,  où  elle  fut  ouvertement  improuvée  par  Barthelemi 
Guidiccionne  ,  cardinal  de  Luques.  Ce  Prélat  aimoit  fipeu  les 
nouveaux  Ordres  ,  qu'il  écrivit  pour  montrer  la  nécefïité  de 
les  réduire  à  un  certain  nombre.  Néanmoins  Paul  III.  approu- 
va le  nouvel  Inftitut  par  une  Bulle  publiée  le  3  d'Ottobre 
1 5-40,  lorfqu'Ignace  eut  envoyé  ,  par  ordre  de  ce  Pontife,  des 
ouvriers  dans  les  différentes  vignes  du  champ  de  Jefus-Chrift, 
ce  qui  fut  le  commencement  des  voyages  apoftoliques  de  la 
Société.  On  inféra  dans  la  Bulle  cette  condition  :  Que  la  Com- 
pagnie ne  feroit  compofée  que  de  foixante  perfonnes  j  mais 
trois  ans  après  cette  condition  fut  otée  par  un  Bref  du  14  de 
Mars  3  ôc  Ignace  fut  fait  fuperieur  général  de  la  Société. 

Le  nombre  des  compagnons  d'Ignace  étant  augmenté ,  il 
les  diftribua  en  divers  endroits.  Lainez  demeura  en  Italie  , 
Brouët  fut  envoyé  en  France  ^  Pierre  Canifius  en  Allemagne, 
Antoine  Araofius  de  Bifcaye  en  Efpagne  ,  Simon  Rodriguez 
en  Portugal  ;  ôc  François  Xavier  dans  les  Indes.  Cependant 
Elifabeth  Rofelle ,  qui  avoit  d'abord  aidé  Ignace  à  faire/es 
études  à  Barcelone ,  étant  venue  à  Rome  avec  quelques  pauvres 
î    M .  Bailler  dit  que  ce  fut  le  quinzième. 


DEJ.  A.  DETHOU^Liv.  XXXVII.     23 

femmes  ,  aiin  de  vivre  fuivant  les  régies   de   la  nouvelle 
Société ,  Ignace  lui  dit  qu'il  ne  pouvoit  pas  prendre  le  foin  Ch  arle 
des  femmes  ;  ôc  il  obtint  du  Pape  ,  que  fa  Société  feroit  à  per-       j  y^^ 
pétuité  exempte  d'un  tel  emploi  ,  quoiqu'elle  fe  fut  dévouée     i  r  (^'  r 
au  Vicaire  de  J.  C.  fans  aucune  exception  de  lieux  6c  de  tems, 
pour  le  bien  de  toutes  les  nations.  Il  obtint  aufTi  que  Claude  le 
Jay  feroit  difpenfé  d'accepter  l'évêché  de  Triefte  dansl'Iftrie, 
qui  lui  avoir  été  donné  à  la  recommandation  de  Ferdinand 
roi  des  Romains.    Ainfi  le  nouvel  Ordre  ayant  en  apparence 
écarté  tout  foupçon  d'ambition  ôc  de  cupidité  ,  Paul  III.  lui 
accorda  un  an  avant  fa  mort  d'autres  privilèges ,  qui  furent  con- 
firmés par  Jule  III. 

On  crut  que  Paul  IV.  feroit  contraire  à  Ignace ,  à  caufe  de 
quelques  fujets  de  mécontentement.  Cependant  la  Société 
s'augmenta  beaucoup  fous  fon  Pontificat.  Enfin  Ignace 
épuilé  par  les  veilles  ôc  par  les  jeûnes  mourut  âgé  de  6^  ans , 
feize  ans  après  avoir  obtenu  la  confirmation  de  fon  Ordre. 
Rinaldus  Colombo ,  qui  ouvrit  Ton  corps ,  rapporte  qu'il  trouva 
trois  pierres  dans  la  veine  du  foye^  nommée  Porte.  Telle  fut 
la  fin  d'Ignace,  fondateur  d'une  Société,  qui  s'eft  depuis  tel- 
lement augmentée ,  qu'elle  a  commencé  à  fe  rendre  formida- 
ble aux  Pruices  mêmes. 

Vers  ce  même  tems ,  Guillaume  du  Prat  évêque  de  Cler- 
mont ,  fils  du  cardinal  du  Prat ,  pour  témoigner  aux  Pères  de 
la  nouvelle  Société  l'amour  extrême  qu'il  avoir  pour  eux, 
leur  donna  dans  Paris  le  collège  de  Clermont,  (  ce  qui  les  lit 
appeller  du  nom  de  leur  collège  de  Clermont ,  ôc  fit  oublier 
pendant  quelque  tems  le  nom  de  Jefuites ,  titre  qui  paroiffoit  à 
plufieurs  vain  ôc  orgueilleux.  )  Du  Prat  leur  légua  auiïi  par 
fon  teftament  plus  de  3^000  écus  ,  à  condition  qu'ils  établi- 
roient  des  collèges  à  Billon  ôc  à  Mauriac  en  Auvergne,  pour 
y  enfeigner  la  jeuneffe. 

Avant  la  mort  d'Ignace,  l'an  i5'5'o,Brouëtavoit  obtenu  de 
Henry  IL  à  la  recommandation  du  cardinal  de  Lorraine ,  dont 
le  nom  fut  mis  dans  les  Lettres  patentes,  que  la  Société  feroit 
recûë  dans  le  Royaume  ,  conformément  au  bref  du  Pape  5  ôc 
qu'il  feroit  permis  aux  confrères  de  cette  Société  de  recevoir 
des  aumônes,  pour  bâtir  une  chapelle  ôc  un  collège  à  Paris ^ 
&  même  dans  les  autres  villes ,  afin  d'y  vivre  fuivant  leur  inilitut. 


24  HISTOIRE 

I    ■■!  Ces  Lettres  ayant  été  préfentées  au  Parlement  quatre  ans 

Charle  ^P^'^S'  1^  troiiiéme  jour  d'Août,  la  Cour  arrêta  que  les  Lettres 

I  ^^       du  Roi ,  ôc  le  Bref  du  Pape  feroient  communiquées  à  l'é- 

i  <^  (S  ^,    vêque  de  Paris,  ôc  à  la  Faculté  de  Théologie  ,  pour ,  les  parties 

ouïes,  être  fait  droit  fur  le  tout. 
Avis  de  la        Suivant  cet  arrêté ,  la  Faculté  de  Théologie  donna  le  pre- 
Faculté  de     ^-jjg,-  ^q  Décembre  de  la  même  année  fon  avis  par  écrit.  Il 

Théologie  de  .  r  un.  r\  ii      e       •      /       •> 

Paris,  contre  contenoit  en  lubitance:  (^ue  cette  nouvelle  bociete ,  sarro- 
Icsjcfuites.  geoit  le  titre  inoûi  de  Compagnie  de  Jefus  i  qu'elle  recevoit 
indifféremment  Ôc  fans  choix  toute  forte  de  perfonnes  ,  les 
bâtards  ,  les  fcélérats ,  les  infimes  :  Qu'elle  n'avoit  ni  régies , 
ni  conftitutions ,  ni  manière  de  vivre  ,  ni  aucun  des  ufages 
qui  diftinguent  les  autres  Religieux  des  perfonnes  du  fiécle  : 
Qu'elle  avoir  obtenu  une  infinité  de  privilèges ,  de  libertés  ôc 
d'immunités ,  principalement  en  ce  qui  concernoit  Fadminif- 
tration  des  Sacremens ,  au  préjudice  desEvêques  ôc  du  Clergé , 
ôc  même  des  Princes  ôc  des  Seigneurs ,  à  la  charge  du  peuple , 
ôc  contre  les  privilèges  de  FUniverfité  :  Qu'ainfi  cette  Société 
lui  fembloit  deshonorer  l'ordre  monaftique  ôc  rehgieux,  dont 
elle  énervoit  la  difcipline ,  en  fe  difpenfant  des  pieux  exerci- 
ces ,  qui  entretiennent  la  ferveur  ,  ôc  foûtiennent  la  vertu , 
comme  de  l'abftinence,  des  cérémonies,  ôc  de  la  fubordina- 
tion  aux  PuifTances  :  Qu'elle  donnoit  même  occafion  d'enfrein- 
dre les  vœux ,  de  fe  fouftraire  de  robéïfTance  due  aux  Prélats  ; 
de  dépouiller  injuftement  les  feigneurs  Eccléfiaftiques  ôc  au- 
tres de  leurs  droits ,  ôc  d'introduire  dans  le  gouvernement  de 
l'Etat  ôc  de  l'Eglife ,  le  trouble  ,  les  plaintes ,  les  procez  ,  les 
diffentions ,  les  difputes,  les  jaloufies ,  les  révoltes,  les  divi- 
fions  de  toute  efpece  :  Que  par  toutes  ces  raifons ,  cette  So- 
ciété paroiflbit  à  la  facrée  Faculté ,  dangereufe  pour  la  reli- 
gion j  parce  qu'elle  troubloit  l'Eglife,  qu'elle  renverfoit  la  dif- 
cipline monaftique,  ôc  tendoit  plus  à  la  deftru£lion  qu'à  l'é- 
dification. 

Les  confrères  de  la  Société  furent  faifis  d'étonnement  à  la 
vue  de  cette  délibération  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 
Ils  crurent  qu'il  falloir  s'accommoder  au  tems  3  ôc  dans  l'efpé- 
rance  que  la  haine  qu'on  avoit  conçue  pour  le  nouvel  Infti- 
tut  s'adouciroit  peu  à  peu  ,  ils  gardèrent  un  profond  filence 
jufqu'au  régne  de  François  IL    Alors  les  Guifes  ,  qui  les 

favori-» 


DE   J.  A.  DE  THO  U,  Lîv.XXXVn.    ^r 

îâvprifoient  de  tout  leur  pouvoir,  étant  à  la  tête  des  affaires,  ces  ,„.,„,^,..,.^., 
Pères  recommencèrent  leurs  pourfbites.  D'abord ,  fuivant  i'ar-  r;  j^  ^  ^^  l  £ 
rêté  delà  Cour,  on  pria  Euftache  du  Bellay  évêque  de  Paris       j^ 
de  dire  fou  fentiment.  i  c  6"  ", 

Ce  Prélat  répondit  par  écrit  :  Que  cette  Société ,  comme  ^  ' 

tous  les  nouveaux  Ordres  ,  étoit  infiniment  dangereufe;  que    jugement  de 
dans  les  circonftances  préfentes  elle  paroiffoit  inftituée  ,  plutôt  p^J^^^^^^^^j 
pour  exciter  des  troubles ,  que  pour  rétablir  la  paix  ôc  la  con-  jefuitcs. 
corde  dans  l'Eglife.   Il  delaprouvoit  particulièrement  le  nom 
de  Jefuites,  comme  un  titre  plein  d'arrogance  ,  par  lequel  ces 
Pères  s'attribuoient  à  eux  feuls  ce  qtii  convenoit  à  toute  l'E- 
glife Catholique ,  qu'on  peut  proprement  appeller  l'afTemblée 
ou  la  Société  des  fidèles,  dont  Jefus-Chrift  eft  le  Chef  5  com- 
me fi  en  prenant  ce  nom  pour  eux  feuls ,  ils  euffent  voulu  faire 
entendre  qu'eux  feuls  compofoient  l'Eglife. 

Ce  Prélat  obfervoit  que  dans  les  privilèges  accordés  à  cette 
Société  par  le  Pape  Paul  III.  il  y  avoit  beaucoup  de  chofes 
contraires  au  droit  commun  y  &  préjudiciables  à  Tautorité  ôc 
à  la  puiffance  des  Evêques  ,  des  Curés  &  des  Univerfités.  Il 
en  concluoir,  que  puifque  le  Pape  avoit  obligé  les  confrères  de 
cette  Société  à  inftruire  les  Turcs  ôc  les  infidèles  ,  6c  à  leur 
prêcher  la  parole  de  Dieu  ,  il  étoit  plus  à  propos  qu'on  leur 
donnât  des  maifons  dans  les  lieux  qui  en  font  proche ,  de  mê- 
me que  les  chevaliers  de  Rhodes  furent  autrefois  placés  com- 
me en  fentinelle  fur  les  frontières  de  la  Chrétienté. 

Cet  avis  ôc  celui  de  la  Faculté  de  Théologie  ayant  été  lus 
&  examinés  par  le  Roi  dans  fon  confeil  5  fa  Majefté ,  à  l'inf- 
dgation  du  cardinal  de  Lorraine  ,  manda  au  Parlement  par  i^QS 
X^etties  du  25  Avril  i<)6o  ,  que  fans  avoir  égard  à  l'oppofition 
de  la  faculté  de  Théologie ,  ôc  de  l'évêque  de  Paris ,  il  publiât 
les  bulles  du  Pape ,  ôc  les  Lettres  du  Roi  accordées  à  la  So- 
ciété. Quoique  ces  Pères  euffent  déclaré  par  une  requête 
préfentée  au  Parlement^  qu'ils  fe  foûmettoient  au  droit  com- 
mun ,  ôc  qu'ils  renonçoient  aux  droits  ôc  aux  privilèges  que  le 
Pape  leur  avoit  accordés,qui  pouvoientêtre  contraires  au  droit 
commun,  ôc  préjudicier  à  l'autorité  des  Evêques,  des  Chapi- 
tres ,  des  Curez  ôc  des  Univerlitez  ,  aux  libcrtez  de  l'Eglife 
Gallicane  ,  ôc  aux  traités  faits  entre  les  Rois  ôc  les  Papes  r 
îa  Cour  néanmoins  par  Arrêt  du  22  Février  renvoya  toute 
Tome  V,  D 


0.6  HISTOIRE 

PafFaire  au  Concile  général ,  ou  à  l'aflemblée  de  l'Eglife  Gaî-' 

Char  LE  licane^  pour  approuver  ce  nouvel  Ordre. 

JX.  Ainfi  le  25-  de  Septembre  ,  Jes  Prélats  s'étant  afTemblés  en" 
1  ç  5  ç.  gi^and  nombre  à  PoilTy ,  fuivant  les  ordres  exprès  du  Roi ,  pour 
o  m'-nt  ^^  Colloque  dont  nous  avons  parlé  ,  auquel  le  cardinal  Frau- 
des p'iélats  au  cois  de  Tournon  archevêque  de  Lyon  préfidoitj  l'Aflemblée 
colloque  de  autorifée  par  l'Arrêt  du  Parlement  de  Paris ,  qui  lui  avoir  ren- 

Poilly  jfiir  les  ,   ,      .  r  ,  ..  ,  ^  j,t-    n      i 

jeiuiccs.  Con-  voyc  le  jugement  de  cette  afiaire  ,  oui  le  rapport  d  Jiultache 
dirions  auf.  (ju  Bellay  évêque  de  Paris ,  tout  bien  confideré  ,  reçut  ôc  ap- 
fo"u:  re^ûs  en  pi'ouva  la  nouvcUc  Compagnie  fous  le  nom  de  Société  ôc  de 
jfance.  Collège,  ôc  non  pas  d'Ordre  nouvellement  inftitué  ,  à  condi- 

tion: Que  les  Confrères  de  cette  Société  prendroient  un  au- 
tre nom  que  celui  de  Société  de  Jcfus  ,  ou  de  Jefuites  :  Que 
chaque  Evêque  dans  fondiocéfe  auroit  une  jurifdi£licn  entière 
fur  eux,  comme  fur  les  autres  Prêtres  :  Qu'ils  ne  pourroient  rien 
faire , au  préjudice  des  Evêques ,  des  Chapitres,  des  Curés  ,  des 
Univerfités  ôc  des  autres  Ordres  ,  ni  contre  leur  autorité  ôc 
leurs  fon£lions  :  Qu'ils  feroient  gouvernés  fuivant  le  droit  com- 
mun ,  ôc  qu'ils  renonceroient  aux  privilèges  qui  lui  étoient 
contraires.  On  ajouta ,  que  s'ils  n'obfervoient  régulièrement 
ces  conditions ,  ou  que  11  dans  la  fuite  ils  obtenoient  de  nou- 
veaux privilèges  des  Papes  ,  l'approbation  de  leur  Société, 
faite  par  ce  décret ,  feroit  tenue  comme  révoquée  dès  à  pre- 
fent. 

En  vertu  de  cette  délibération, ils  ouvrirent  à  Paris  le  col- 
lège de  Clermont.  Les  fçavans  ,  qui  étoient  entrés  dans  la^ 
Société  ,  lui  acquirent  beaucoup  de  réputation ,  6c  principa- 
lement Jean  Maldonat  '  Portugais  ,  bon  Philofophe  ôc  habile 
Théologien.  Mais  comme  l'Univerfité  réclamoit  contre  la  li- 
berté qu'on  avoir  accordée  à  la  Sociétés  l'affaire  fut  pour  la 
féconde  fois  portée  au  Parlement ,  ôc  les  Confrères  du  collège 
lui  préfenterent  une  requête ,  par  laquelle  ils  demandoient  que 
la  Cour  interposât  fbn  autorité ,  afin  qu'on  ne  les  empêchât 
plus  à  l'avenir  d'indruire  la  jeunelTe. 
Confukation  Avant  que  faffaire  fut  plaidée  en  Parlement  ,  l'Univerfité 
Mouii^  con"  de  Paris  avoir  confulté  Charle  du  Mouhn.  La  réponfe  que  ce 

tre  les  Jefui- 


tes. I  Jean  Maldonat  eft  un  des  plus  fça- 

vans The'ologicns  que  les  Jefuites  ay  ent 
eu.  Ilenfeigna  à  Paris  pendant  plus 


de  dix  ans.  Il  étoit  Efpagnol ,  &;  non- 
Portugais  ,  e'rant  né  dans  un  village  d£ 
la  province  d'Eilramadure. 


DEJ.  A.  DETHOU^Liv.  XXXVIL    27 

fçavant  Jurifconfulte  donna  par  écrit ,  ôc  qui  fut  depuis  impri- 
mée, contenoit  en  fubftance:  Que  de  très-juftes  raifons  obii-  Char  LE 
geoient  l'Univeriité  de  Paris, pour  remplir  un  de  fesplus  in-  j  y^ 
difpenfables  devoirs  ,  de  faire  une  nouvelle  fommation  aux  1  5  6  j. 
Jefuites  >  ôc  de  les  obliger  par  les  voyes  de  droit  à  fe  défifter 
de  ces  fortes  de  nouveautez.  Voici  les  raifons  dont  il  fe  fer- 
vit  :  Qu'ils  établiflbient  une  nouvelle  Compagnie  contre  les 
anciens  décrets  des  Conciles ,  ôc  même  d'un  Concile  général 
célébré  à  Rome  fous  Innocent  III.  l'an  121 5'.  quiavoient  or- 
donné y  pour  éviter  le  trouble  ôc  la  confufion  dans  l'Eglife, 
de  refferrer  dans  de  certaines  bornes  ces  nouvelles  Sociétés  : 
Que  l'établiffement  des  Jefuites  étoit  contre  les  Arrêts  de  la 
Cour ,  qui  avoit  déjà  rejette  cette  nouvelle  Congrégation  :  Qu'il 
étoit  contre  les  avis  des  Cardinaux  qui  s'étoient  afTembiez  à 
Nice  avec  quelques  Prélats  ,  par  ordre  de  Paul  III.  ôc  qui 
avoient  défendu  de  recevoir  de  nouveaux  Religieux  ôc  de  nou- 
veaux Ordres  :  Que  long-tems  avant  eux ,  le  cardinal  Pierre 
d'Ailly  ,  Richard  archevêque  d'Armach ,  Guillaume  de  Saint 
Amour  ôc  Jean  Gerfon  ,  deux  grandes  lumières  de  l'école  de 
Sorbonne ,  avoient  jugé  que  la  grande  quantité  de  nouveaux 
Convens  ne  pouvoir  qu'être  à  charge  au  peuple,  Ôc  à  l'Etat: 
Qu'en  admettant  ce  nouvel  Ordre  dans  un  Royaume  naturel- 
lement amateur  des  nouveautez ,  il  étoit  à  craindre  qu'il  ne  fe 
multipliât  à  l'excès,  au  préjudice  du  peuple  ôc  aux  dépens  du 
Clergé  :  Que  TctaMiffement  des  Jefuites  ne  tendoit  pas  feu- 
lement à  la  ruine  de  tous  les  Ordres  en  particulier,  mais 
qu'il  étoit  très-dangereux  pour  tout  le  Royaume  en  général  : 
Qu'il  n'y  avoit  point  d'homme  fage  ,  qui  n'appréhendât  que 
fous  prétexte  de  la  liberté  qu'auroient  les  Italiens  ôc  les  Ef- 
pagnols  ,  dont  cette  Société  étoit  particuHerement  compo- 
fée,  d'aller  ôc  de  venir  d'un  Royaume  dans  un  autre  ,  il  ne  fe 
trouvât  bien  des  efpions,  qui  feroient  paifer  nos  fecrets  juf- 
qu'à  nos  ennemis  :  Que  cet  article  avoit  paru  fi  important ,  que 
les  Papes  eux-mêmes ,  6c  après  eux  les  dotleurs  les  plus  verfés 
dans  le  droit  Eccléfiaftique  ,  avoient  décidé  que  cette  jufte 
appréhenfion  étoit  une  raifon  fuffifante  pour  oter  les  Evêques 
de  leurs  fiéges ,  quoiqu'ils  foient  de  droit  divin  :  Que  cet  Or- 
dre n'étant  pas  approuvé,  ne  pouvoir  paffer  pour  légitimer  ôc 
qu'il  fembloit  n'être  iuftitué  que  pour  tendre  des  pièges  aux 


ûS  HISTOIRE 

"  mourans,  6c  s'emparer  de  leurs  biens  :  Que  d'ouvrir  un  nou-; 

7^  '  veau  Collège  au  milieu  de  l'Univerfité  ,  à  laquelle  ils  ne  vou-'- 

j  y  loient  pas  obéir  ôc  fe  foûmettre,  c'étoit  une  chofe  monftrucu- 
fe  ,  ôc  qui  tendoic  à  la  fédition  :  Que  ces  nouveaux  maîtres 
^  ^'  ctoient  inutiles  ôc  fuperflus,  dans  une  Univcrfité,  où  il  y  avoit 
on  grand  nombre  d'ccoles  &  de  collèges  :  Qu'ils  apportoienD 
en  France  de  nouvelles  fuperftitions  ;  qu'ils  fafcinoient  les 
yeux  des  peuples;  qu'ils  violoient  déjà  les  Edits  de  pacifica- 
tion ,  ôc  troubloient  la  tranquillité  publique  :  Qu'enfin  ils  eau- 
feroient  dans  la  fuite  de  plus  grands  troubles. 
Plaidoyers      j^^  caufc  fut  plaidée  en  Parlement,  les  Chambres  aflem^ 

ks  jefuites.  blées.  Pierre  Verforis ,  avocat  de  grande  réputation  ^  plaid^î 
pour  la  nouvelle  Société ,  Ôc  finit  fon  difcours  en  louant  fon» 
origine  ôc  fon  inftitution  '.Etienne  Pafquier plaida  pour  l'Uni* 
verlité  contre  la  Compagnie,  qu'il  appella  une  Sede  ambi- 
tieufe^  qui  n'avoit  qu'une  apparence  de  Religion  ;  née  en  Ef- 
pagne  ,  élevée  en  France ,  ôc  formée  à  Venife  ;  d'abord  per- 
îecutée  à  Rome ,  reçue  enfuite  )  ôc  comblée  de  privilèges  ex' 
cefîifs  ôc  contraires  au  droit  commun.  Il  dit  :  Qu'elle  avoit 
été  condamnée  par  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris ,  ôc  re- 
jettée  par  l'Evcque  de  ce  Diocefe  :  Que  maintenant  fous  pré- 
texte d'enfeigner  gratuitement  la  jeunefTe,  elle  caufoit  une  in- 
finité de  maux  :  Que  d'un  côté  elle  épuifoit  les  familles  par  des 
teftamens  fuggérés 3  ôc  que  de  l'autre  elle  féduifoit  la  jeuneiïs 
par  une  apparence  de  pieté ,  ôc  la  corrompoiti  qu'elle  fafcinoit 
les  yeux  des  enfans  par  de  vaines  fuperftitions,  ôc  que  par  es 
moyen  elle  jettoit  déjà  les  femences  des  féditions  Ôc  des  ré- 
voltes, qui  éclateroient  quelque  jour  à  la  ruine  du  Royaume* 
Entre  les  autres  vœux  des  Jefuites ,  Pafquier  releva  princi>*. 
paiement  celui  de  cette  obéïfTance  qu'ils  appellent  aveugle, 
qu'ils  promettent  en  tout  ôc  partout  à  leur  Général,  lequel 

,*Les  Jefuites  eft  toujours  choifi  par  le  Roi  d'Efpagne^,  ôc  qu'ils  font  pro- 

étoient  alors  feflfion  de   refpeûer  ôc  d'honorer  comme  un  Dieu  fur  terro. 

çhkns.""'  -^^  compara  Ignace  de  Loyola  à  Martin  Luther,  ôc  il  montra 
que  l'un  ôc  l'autre ,  quoique  par  des  moyens  différens ,  tendoient 
à  ruiner  l'autorité  légitime  du  Magiftrat,  à  énerver  la  difcipline 
Eccléfiatique,  ôc  àrenverfer  toutes  les  loix  divines  ôc  humaines. 

1    Les  plaidoyers  de  Verforis  &  de    1    encore  aujourd'hui  ;  ainfî  que  celui  de 
Pafquier  ont  été  imprime's ,  6c  exillent   |    Montholon ,  pour  les  Jefuites» 


DE  J.   A.  D  E   T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXXVIL    29 

Il  dit  enfuite ,  au  fujet  du  nom  que  leur  orgueil  leur  avoir  fait 

prendre  :  Que  d'autres  Seûaires  ayant  ufurpé  le  même  titre  q^Â/RL^  ^ 

deux  cens  ans  auparavant,  avoient  été  rejettes  de  l'Eglife ,  ôc       ^y^  \ 

que  diflipés  par  un  jufte  jugement  de  Dieu,  ils  avoient  tous     ^     ^*  \ 

péri  miférablement.  Il  ajouta  qu'en  prenant  ce  nom ,  ils  ne  vou-       ^  ; 

loient  rien  moins  que  mettre  la  divifion  entre  ceux  qui  pro-  \ 

feflfent  une  même  Religion ,  ôc  faire  entendre  qu'un  Jefuite  a  \ 


quelques  prérogatives  au-deffus  d'un  autre  Chrétien  :  Que  plus  | 

cette  Compagnie  affede  de  foûmiiïion  pour  le  Pape ,  plus  elle  i 
doit  être  fufpe£le  aux  François ,  qui  reconnoiflent  à  la  véritc 
le  Pape  pour  le  Chef  &  le  premier  Evêque  de  l'Eglifejmais 

de  telle  forte ,  qu'il  foit  lui-même  obligé  de  fe  foûmettre ,  com-  I 

me  un  inférieur,  aux  faints  Canons,  ôc  aux  décrets -des  Con-^  ] 

eiles  œcuméniques ,  ôc  qu'il  ne  puifle  rien  prononcer  ou  dé--  | 

cerner  contre  le  Royaume ,  contre  nos  Rois,  contre  les  arrêts  j 

de  la  Cour ,  ôc  au  préjudice  des  Evêques  dans  l'étendue  de  leur  j 

jurididion.  i 

Pafquier  dit  encore,  que  d'admettre  cette  nouvelle  Se£le  -  ; 

dans  le  Royaume,  c'étoit  recevoir  ôc  nourrir  dans  fon  fein^  i 

autant  d'ennemis ,  qui  ne  manqueroient  pas  de  déclarer  la  guerre-  ■ 

au  Roi  ôc  à  fon  Royaume ,  s'il  arrivoit  jamais  que  quelques-  | 

Papes  de  mauvaife  humeur  tournâflent  leurs  armes  contre  la  \ 

France,  il  conclut ,  en  adreflant  la  parole  aux  Juges  :  ^  Vous  l 

^dit-il,  vous  mêmes,  MeffieUrs^  qui  tolérez  aujourd'hui  les  ' 

='  Jefuiies,  vous  vous  reprocherez  quelque  jour,  mais  trop  , 

=>tard,  d'avoir  été  trop  crédules,  lorfque  vous  verrez  les  fui-  1 

o>  tes  funeftes  de  votre  facilité,  ôc  le  renverfement  de  l'ordre  ôc  \ 

"'  de  la  tranquilité  publique  ,  non-feulement  dans  ce  Royaume;  ! 

oi  mais  dans  tout  le  monde  Chrétien ,  par  les  rufes ,  par  les  fu-  j 

3' percheries,  la  fuperftition,  la  diflTmiulation,  les  feintes,  \qs  j 

a»  preftiges,  ôc  les  déteftables  artifices  de  cette  nouvelle  Société.  3>  > 

Lorfque  Pafquier  eut  parlé,  Verforis  répliqua.  Enfin  Bâ-  \ 

tifte  du  Ménil ,  magiftrat  diftingué  par  fon  efprit  ôc  par  fa  pro-  ^leS^A^faT^'  j 
bité ,  ôc  avocat  général  du  Roi ,  parla  le  dernier.  Il  blâma  d'à-  General  cou- 
bord  l'aigreur  des  Avocats  de  part  ôc  d'autres  ôc  après  s'être  ^^^  ^"  -'^^^'^^ 
beaucoup  étendu  fur  les  nouveaux  Ordres ,  ôc  fur  fextrême 
danger  oii  l'on  expofoit ,  en  les  recevant ,  non-feulement  la 

Religion,  mais  encore  fEtat,  il  conclut,  contre  les  Jefuites,  j 
qu'étant  engagés  par  des  vœux,  ils  ne  dévoient  en  aucune 

D  iij 


mm 


Charle 
IX. 


Arrêt  du 
Parlement 


50  HISTOIRE 

façon  être  admis  dans  le  corps  de  l'Univerfité  pour  y  enfeî- 
giier  la  jeunefle,  ôc  il  requit  que  la  Couravifâtà  quoi  elle  pour- 
roit  ôc  devoit  employer  le  legs  de  l'évêque  de  Clermont ,  pour 
conferver  d'une  autre  façon  la  mémoire  ôc  la  volonté  du  tefta- 
teur.  La  caufe  ayant  tenu  deux  Audiences  entières ,  le  Par- 
lement, ou  pcrfuadc  qu'il  n'y  avoitrien  à  craindre  pour  l'ave- 
nir ,  ou  en  haine  des  Proteftans,  pour  la  défaite  defquels  on 
croyoit  que  les  Jefuites  étoient  deftinés ,  fut  d'avis  qu'on  dé- 
libérât  plus  amplement  fur  cette  affaire  j  ôc  néanmoins  il  ac- 
corda aux  Jefuites  la  permidion  d'ouvrir  publiquement  un  Col- 
lent  en  Iq^q   pour  enfcig^ner  la  jeunelfe.  L'arrêt  fut  rendu  le  ç  d'Avril. 

xaveur  des  Je-       c>       i  o        _       -'   ,  ,  f 

fuites.  Cependant  le  Roi  revint  par  Caftelnaudari  de  Carcaffonne 

à  Touloufe^  autrefDis  capitale  des  Tedofages,  où  il  avoit  con- 
voqué l'alfemblée  des  Etats  de  la  Province,  ôc  les  Députe2j 
Suiredii       ^^^  Provinces  voifines.  Tandis  qu'il   y  étoit ,   on  changea, 

lAoyage duRoi.  pour  faite  plaiflr  à  la  Reine  mère,  le  nom  d'Alexandre,  frère 
du  Roij  il  fut  appelle  Henri,  du  nom  de  fon  père,  ôc  on  or- 
donna en  même  tems  que  l'autre  frère  ,  nommé  Hercule ,  qui 
étoit  au  château  de  Vincennes ,  feroit  appelle  François ,  com- 
me pour  renouvellcr  dans  ces  Princes  la  mémoire  ôc  les  noms 
de  leur  Père  ôc  de  leur  Ayeul.  Les  Proteftans  firent  alors  de 
grandes  plamtes  contre  Blaife  de  Montluc  i  mais  fon  arrivée 
à  la  Cour  en  empêcha  l'effet. 

De  Touloufe,  le  Roi  vint  à  Bordeaux  (  ce  payis  s^appelloit 
anciennement  Bituriges  Vthifcï  )  où  il  fut  reçu  le  ^  d'Avril  avec 
plus  de  pompe  qu'en  aucun  autre  lieu.  Trois  cens  cavaliers  ar- 
més vinrent  au-devant  du  Roi  avec  des  troupes,  qui  reprefen- 
toient  des  captifs  des  nations  étrangères.  On  y  voyoit  des  Grecs, 
des  Turcs ,  des  Arabes ,  des  Egyptiens ,  des  Ceylanois  ' ,  des  In- 
diens ,  des  Canariens ,  des  Maures  t  des  Ethiopiens ,  des  Ca- 
nibaîes ,  des  Américains ,  des  Brafiliens.  Les  Chefs  de  cha- 
que nation  firent  au  Roi ,  chacun  en  fa  langue  ,  des  compli- 
mens ,  qui  furent  interprêtés  par  leurs  Truchemens.  ^  Le  Roi 
entra  enfuite  par  la  porte  du  Chapeau  rouge ,  ôc  paffa  par 


1  L'îfle  de  Ceyian  a  e'té  connue  des 
anciens ,  fous  le  nom  de  Taprobane. 

z  II  n'cftpas  pofliblequ  ily  eut  alors 
à  Bordeaux  des  gens  qui  fçuflenr  routes 
CCS  langues  ;  Hi  li  eil;  croiable  qu'il  n'y 


eut  que  quelques  Chefs  qui  firent  ces 
complimens ,  ou  que  s'ils  les  firent  tous, 
ils  faifoient  fcmblant  de  parler  la  lan- 
gue des  captifs  qu'ils  reprefentoicnt, 


DE  J.   A.   DjE  THOU  Liv.  XXXVlï.    ^f 

eine  rue  très-large  du  même  nom.  Lorfqu'il  fut  arrivé  à  la  porte  — ..ùal^joia» 
de  Medoc,  une  fille  defcenduë  par  une  machine  en  forme  de  Charle 
conque,  vint  offrir  à  Sa  Maj elle  les  clefs  de  la  ville.  i  x. 

Les  Proteftans  de  Bordeaux  avoient  prefenté  dès  l'année  i  c  (5  c^ 
précédente  leurs  demandes  au  Roi,  pendant  fon  féjour  à  Va- 
lence. Charle  les  avoir  reçus  très-favorablement,  ôc  leur  avoit 
accordé  des  Lettres- patentes;  mais  ils  ne  purent  les  faire  véri- 
fier au  Parlement ,  parce  que  le  Procureur  Général ,  le  Maire 
6c  les  Jurats  s'y  oppoférent.  Après  l'arrivée  du  Roi ,  le  Parle- 
ment voulant  lui  faire  voir  qu'il  avoit  eu  égard  à  fes  ordres  , 
donna  un  Arrct  qui  ordonnoit  que  les  Lettres-patentes  du  Roi , 
qui  renfermoient  les  réponfes  de  Sa  Majefté  aux  demandes  des 
rroreftans,  feroient  vérifiées ,  non  par  le  Parlement,  mais  par 
le  Sénéchal  de  Guyenne.  Formalité  toute  nouvelle ,  inventée 
exprès ,  afin  que  la  vérification  eût  moins  de  force  ôc  d'autorité. 

Voici  à  peu  près  les  demandes  des  Proteftans ,  que  le  Roi 
îeur  avoit  accordées  :  Qu'on  ne  fît  point  un  crime ,  ôc  qu'on 
ne  caufat  aucune  inquiétude  à  ceux  qui  chanteroient  dans 
leurs  maifons  les  Pfeaumes  en  langue  vulgaire,  ni  à  ceux  qui 
vendroient  la  Bible ,  ou  des  explications  de  la  Bible  :  Qu'on 
ne  forçât  perfonne  de  contribuer  pour  ce  qu'on  appelle  le 
pain  béni ,  de  quêter  dans  les  églifes  pour  les  pauvres ,  ôc  de 
tapifler  les  maifons ,  devant  lefquelles  on  pafferoit  en  procef- 
fion  :  Qu'il  Rn  libre  aux  artifans  de  travailler  les  jours  de  fêtes 
dans  leurs  maifons ,  pourvu  que  leurs  boutiques  fuffent  fermées  : 
Que  perfonne  ne  fût  contraint  dans  les  tribunaux  de  jurer  fur 
le  bras  de  faint  Antoine  ,  qui  efl:  en  très-grande  vénération  k 
Bordeaux  ;  ôc  que  le  refus  que  feroir  une  partie  de  faire  ce  fer- 
ment, ne  lui  caufât  aucun  préjudice  :  Que  ceux  qui  auroient 
obtenu  des  Lettres  de  grâce  du  Prince ,  ne  fuffent  point  obli- 
gés ,  attendu  le  ferment  déjà  fait ,  d'obtenir  leur  grâce  de  l'Evê- 
que  ou  du  Curé.  Enfin  il  fut  ordonné  que ,  fans  diftindion  de 
leligion ,  les  Proteftans  feroient  admis ,  comme  les  Catholiques  s 
dans  les  charges  publiques. 

Dans  le  féjour  que  le  Roi  fit  à  Bordeaux,  onrcnouvella  les 
plaintes  qu'on  avoit  déjà  faites  contre  Henri  de  Foix  comte 
de  Caudale  ôc  fes  affociés  '.  Mais  le  Roi  ayant  pris  connoiffance 


I  On  a  vu  ci-defTus  que  ce  Sei- 
gneur étoic  à  la  tête  d'une  afîbciation 
particulière  des  Grands  ôc  de  la  No- 


blefTc,  faite  fous  prétexte  de  Religioïîj 
pour  excgrmincr  les  Protefb.ns, 


32  H  I  s   T  O  I  ïl  E 

de  l'afTalrc  ]  ôc  reconnu  que  la  plupart  des  Grands  y  étoîent 
Ch  A  R  L  E  i'^P^i^'J^s ,  crut  qu'il  falloir  l'enfevelir  dans  l'oubli,  il  défendit 
j  ^        donc  par  une  Ordonnance  qui  fut  publiée ,  d'informer  plus  am- 
j  -  ^  -      plement  fur  ce  que  le  comte  de  Candale  &  fes  alTociés  avoient 
fait ,  comme  ne  l'ayant  entrepris  que  par  les  ordres- du  Roi.  Sa 
Majefté  s'en  referva  la  connoifTance  ^  ôc  l'interdit  à  tout  autre. 
Charle  j  réfolu  d'aller  à  Bayonnepour  y  conférer  avec  Eliza- 
beth  reine  d'Efpagne  fa  fœur ,  ôc  avec  les  députés  de  Philip- 
pe ,  partit  de  Bordeaux ,  prit  fon  chemin  par  le  Bazadois ,  ôc  ar- 
riva au  mont  de  Marfan  ^  où  il  attendit  la  nouvelle  de  l'arrivée 
de  fa  fœur. 
Ligue  de         Au  bruit  de  la  nouvelle  émeute  de  Paris ,  i!  s'en  joignit  un 
piufieurs         autre  qui  parut  allez  fondé ,  au  fuiet  d'une  ligue  fecretc  qui 

,<jrands  du         ^  ^  .    ^  ,  j     j    V>  i       Tv/v     \, 

Jloiaume.  le  tramoit  entre  quelques  grands  du  Koyaume  contre  les  IVlont- 
jiiorencis  ôc  les  Colignis.  On  en  fut  afluré  par  des  lettres  inter* 
ceptées ,  que  le  duc  d'Aumale  avoit  écrites  le  24  de  Février  à 
René  marquis  d'Elbœuf,  dans  lefquelles  il  parloir  de  Louis  de 
Bourbon  duc  de  Montpenfier ,  de  Sebaftien  de  Luxembourg 
vicomte  de  Martigues ,  de  François  le  Roi  de  Chavigni ,  ôC 
de  Charle  d'Angennes  évêque  du  Aîans ,  comme  s'ils  euffent 
déjà  été  ligués  enfemble.  La  Reine  appréhendant  les  fuites 
d'un  pareil  exemple  ,  que  les  premières  fa£lions  n'en  produis 
fiflent  d'autres  J  ôc  qu'ainfi  on  n'en  vînt  peu  à  peu  jufqu'à  abo-», 
îir  le  nom  ,  ôc  l'autorité  du  Roi ,  pria  fa  Majefté,  dans  un  Con- 
feil  fort  nombreux,  tenu  le  18  de  Mai,  de  déclarer  en  préfence 
des  Grands  du  royaume ,  ce  qu'il  avoit  appris  des  traités  fe^ 
crets ,  de  la  contribution  de  deniers  ,  des  complots  faits  avec 
les  Princes  étrangers  ,  ôc  des  préparatifs  de  guerre  ;  ôc  de  leuc 
ordonner  à  tous  de  déclarer  ce  qu'ils  en  fçavoient.  Tous  obéi- 
rent ,  ôc  fupplierent  le  Roi  avec  toute  la  foûmillion  pofTible  ; 
de  ne  les  pas  foupçonner  de  rien  de  femblable  ;  proteftant  qu'ils 
avoient  toujours  eu  en  horreur  ces  pernicieufes  factions  ;  qu'ils 
n'y  avoient  jamais  trempé,  ni  donné  leur  nom  5  qu'au  contraire 
ils  étoient  prêts  de  facriHer  leurs  vies  ôc  leurs  biens  ^  pour  la  dé- 
fenfe  de  f  autorité  Royale ,  pour  l'obfervation  de  fes  Edits  ôc 
l'exécution  de  fes  ordres.  Ils  promirent  même  avec  ferment 
de  ne  jamais  prendre  les  armes  en  aucun  endroit  du  monde 
que  par  le  commandement  de  fa  Majefté.  On  en  dreflfaun  a£te, 
<jui  fut  (Igné  par  les  Grands  préfens  à  ce  Confeil.  il  y  avoit 

parrtii 


DE   J.   A.  DE   THOU  .  Liv.  XXXVII.      35 

•parmi  eux  quelques-uns  de  ceux ,  dont  le  duc  d'Aumale  faifoit 
mention  dans  fes  lettres ,  ôc  quiétoient  depuis  peu  revenus  àla(^p|^j^L£ 
Cour.  On  infera  dans  l'ade^que  le  Roi  vouloir  6c  ordonnoit  qu'on      j  x. 
le  portât  à  figner  aux  Princes  &  aux  Grands ,  qui  croient  abfens  ,     i  <  6  ^, 
&  que  fa  Majefté  regarderoit  comme  complices  des  fa£lions, 
rebelles  à  fon  autorité  ,  ennemis  du  repos  public  ,  &  crimi- 
nels de  leze-Majefté  ,  tous  ceux  qui  refuferoient  d'obeïr.  Enfin 
le   Roi  enjoignoit  à   tous   ceux  qui  fçavoient  quelque  cho- 
fe  de  ces  factions ,  de  l'en  avertir  i  les  aiïurant  de  fa  protedion , 
pour  les  mettre  à  l'abri  ôc  en  fureté ,  contre  ceux  qui  vou- 
droient  leur  faire  de  la  peine. 

Montluc  rapporte  dans  fes  commentaires^que  le  Roi  lui  ayant     ^.  Mônthe. 
ordonné  de  lui  dire  ce  qu'il  penfoit  fur  cette  affaire ,  il  lui  avoit  ^^cT^me/jce-  * 
confeillé  de  condamner  &  de  rompre  la  première  ligue^  &  d'en  mem. 
faire  une  nouvelle ,  dont  fa  Majefté  fe  déclareroit  le  chef?  de 
donner  le  premier  fa  foi ,  afin  d'engager  par  fon  exemple  les 
Princes  ôc  les  Grands  ;  ôc  de  fe  lier  tous  enfemble  par  un  fer- 
ment folemnel.  Il  ajoute  que  le  Roi  fuivit  fon  confeil  comme 
très-bon  ôc  très-falutaire. 

Je  veux  bien  croire  que  Montluc  fut  de  cet  avis  ,  puifqu'il 
nous  l'apprend  lui-même  :  mais  l'ade  ,  dont  je  viens  de  parler, 
me  prouve  que  le  Roi  ne  fuivit  pas  fon  confeih'  puifqu'il  con- 
damne tous  les  trairez  fecrets  des  fujers  entr'eux^  comme  atten- 
tatoires à  l'autorité  Royale,  ôc  capables  de  troubler  la  tranquil- 
lité publique.  D'ailleurs  pourquoi  le  Roi  feroit-il  des  ligues 
avec  fes  fujers  ,  ôc  exi'geroit-il  leur  ferment  ?  Loin  d'en  tirer 
quelqu'avantage,  ne  feroit-ce  pas  retrancher  autant  de  fon  au- 
torité, qu'il  leur  endonneroit  i  les  exciter  lui-même,  Ôc  les  ac- 
coutumer par  fon  exemple  à  former  des  fadions ,  ôc  à  entrete- 
nir ôc  fomenter  des  partis  dans  le  Royaume  ? 

Le  Roi  ayant  reçu  la  nouvelle  qu'Elizabeth  fa  fœur  devoit    Entrevue  dti 
bien-tôt  arriver ,  alla  à  Bayonne  ;  d'où  il  envoya  Henri  fon  Reine ÏEfp'a. 
frère  au-devant  d'elle,  jufque  fur  les  frontières  de  Bifcaye.  On  gne  &  le  duc 
nomma  pour  accompagner  Henri ,  François  de  Bourbon ,  Prin-  ^'^^'^^  ^ 
ce  Dauphin  ,  fils  du  duc  de  Montpenfier  j  Henri  de  Lorraine    ^^''""^' 
duc  de  Guife,  qui  après  l'émeute  de  Paris  étoit  venu  à  la  Cour; 
Eleonor  d'Orléans ,  duc  deLongueville  j  Damville  maréchal  de 
France,  fils  du  Connétable  Anne  de  Montmorenci  ;  Honorât 
de  Savoy e  comte  de  Villars ,  Philippe  Rheingrave,  François  J  ufl: 
Tome  V.  E 


I 


54  HISTOIRE 

--------«  de  Tounion ,  Timoléoii  Cofle  de  Briflac ,  Charîe  6c  GulIIau* 

Charle  ^^^^  ^^  Montmorenci,  François  de  Carnavalet ,  René  de  ViU 
I  X.  iequier  y  Jacque  de  Balaguier  de  Monfalez  ,  ôc  autres.  Henri> 
^  ^  ^^  accompagné  de  ces  Seigneurs ,  arriva  le  p  de  Juin,  veille  de 
la  Pentecôte,  à  Saint  Jean  Pied-de-Poit  i  ôc  le  lendemain,  ayant 
paffé  la  petite  rivière  de  Marquery  ,qui  fcpare  la  France  de  PEf- 
pagne,  il  rencontra  Elizabeth  au-delà  d'Arvany.  Après  l'avoir 
faluée  ,  il  l'accompagna  jufqu'à  faint  Sebaftien  ,  où  Ferdinand 
Alvarez  de  Tolède  duc  d'Albe  vint  aufTi-tôt  la  trouver,  avec 
une  nombreufe  fuite.  Il  apportoit  au  Roi ,  de  la  part  de  Philippe, 
le  collier  de  la  Toifon  d'or  5  afin  de  mieux  couvrir  les  deffeins 
fecrets  ,  qu'il  devoit  communiquer  au  Roi ,  &  à  la  Reine. 

Le  Roi  alla  au-devant  de  fa  fœur  jufque  fur  les  frontières 
du  Royaume ,  avec  une  pompe  vrayement  Royale.  Il  avoir 
avec  lui  Henri  Prince  de  Navarre ,  Charle  cardinal  de  Bour- 
bon ,  les  deux  frères ,  Bourbon  de  Montpenfier ,  ôc  Bourbon  de 
k  Roche-fur-Yon  ?  Jacque  de  Savoye ,  duc  de  Nemours ,  Louis 
de  Guife ,  &  Laurent  Strozzi,  cardinaux  j  Louis  de  Gonza- 
gue  duc  de  Nemours ,  Anne  de  Montmorenci  connétable ,  le 
maréchal  de  Bourdillon,  Gouffier  de  Boify,  grand  Ecuyer^ 
Blaifede  Montluç  j  Artus  Collé  de  Gonaor,  Sipierre  ,  Lanfac, 
6c  autres. 

La  Reine  mère  pafla  la  rivière ,  pour  voir  ôc  embrafTer  fa 
fille ,  ou  plutôt  ou  plus  commodément.  Le  Roi  demeura  furie  ri- 
vage, pour  lui  donner  la  main,  en  fortant  du  batteau.  Après  s'être 
faluez  de  part  ôc  d'autre ,  comme  il  eft  d'ufage- entre  des  Prin- 
ces qui  font  frères,  Henri  frère  du  Roi  ôc  le  cardinal  de  Bour- 
bon,  l'accompagnant  à  droite  ôc  à  gauche,  l'amenèrent  jufqu'à 
Bayonne.  Jamais  la  Nobleffe  Françoife  ne  fit  une  plus  belle 
dépenfe ,  la  Reine  le  fouhaitant  ainfi  :  jamais  on  ne  dépenfa  tant 
en  feftins ,  en  fpe£tacles ,  en  tournois,  en  bals,  ôc  en  toutes  ces 
fortes  de  divertiffemens  j  afin  de  faire  voiries  richelTes  ôc  la  puif- 
fance  de  la  France  à  une  nation  fuperbe ,  ôc  d'oppofer  la  vanité 
Françoife  à  l'oftentation  Efpagnollc.  Pierre  Ronfard  ' ,  que  je 


I  II  ne  faut  pas  être  furpris  de  l'élo- 
ge que  l'auteur  fait  des  Poëfies  d^  Ron- 
fard. Ce  Poëte  jouifToit  encore  alors 
rfe  fa  haute  re'putation.  Plufieurs  au- 
tres Sçavans  &  beaux  efprits  de  fon 
ficelé  lui  ont  prodigué  des  louanges. 
Tant  il  ell  vrai  qu'il  n'appartient  qu'à 


la  pofterité  de  juger  fainement  du  mé- 
rite des  auteurs,&;  qu'un  pacte  fur-tout 
ne  doit  jamais  s'enorgueillir  derefiime- 
de  fes  contemporains.  Il  faut  avoiier 
néanmoins  que  Roniard  a  voit  un  gé- 
nie très-eJeve. 


DE  J.  A.  DE    THOU,  Liv.  XXXVII.      ^; 

lie  craindrai  point  d'appellcr  le  plus  grand  Poëte  qui  ait  paru  de- 
puis le  fiécie  d'Augufte,  fut  invitéAvint  avec  plailir  à  cette  entre-  C  h  a  R  l  E 
vue.  Il  fit  ôc  recita  ces  beaux  vers,  qui  font  encore  aujourd'hui       iX. 
entre  les  mains  de  tout  le  monde,  qu'on  lit  avec  tant  de  plaifir,     i  j  6  5. 
ôc  qui  font  admirer  le  rare  génie  de  celui  qui  les  a  compofez. 

Ainfiles  jours  entiers  fepaflbient  en  divertiffemens  j  de  forte 
qu'il  fembloit  que  le  Roi  n'avoit  fait  venir  Elizabeth  fa  fœur, 
"que  pour  lui  procurer  toute  forte  de  plaifirs.  La  Reine  mère 
€toit  bien  aife  qu'on  eût  cette  idée.  Elle  avoit  pris  fon  loge- 
ment dans  le  Palais  Epifcopal,  auprès  duquel  elle  avoit  fait  conf- 
truire  à  la  hâte  une  maifon  de  bois ,  meublée  ôc  ornée  magni- 
fiquement ,  où  Elizabeth  couchoit.  La  Reine  mère  alloit  fou- 
vent  trouver  la  Reine  fa  fille  pendant  la  nuit,  par  le  moyen  d'une 
galerie  ;  ôc  elle  n'étoit  vue  que  de  ceux  qui  étoient  dans  fa  con- 
fidence. Lamelle  conferoit  en  fecret  avec  EHzabcth.ôc  avec 
le  duc  d'Albc,  qui  avoit  de  pleins  pouvoirs  du  Roi  d'Efpagne. 

Les  Proteftans,  gens  fort  foupçonneux  ,  ont  publié  qu'on 
avoit  conclu  dans  ces  conférences  un  traité  fecret  entre  les  deux 
Rois,  pour  rétablir  fancienne  Religion,  extirper  ôc  anéantir 
la  nouvelle  ;  que  ces  deux  Princes  s'étoient  mutellement  don- 
nez parole  avec  ferment,  de  fe  prêter  fecours  toutes  les  fois 
qu'ils  en  auroient  befoin ,  que  le  feu  Roi  de  France  s'étoit  en- 
gagé d'aider  le  Roi  d'Efpagne  à  faire  la  guerre  dans  les  Payis- 
bas  5  le  Roi  d'Efpagne  ,  d'aider  le  Roi  de  France  à  réduire  les 
Proteftans  fous  fon  obéïffance  ;  ôc  tous  les  deux  ,  de  maintenir 
l'autorité  du  Pape.  Ce  qui  eft  arrivé  enfuite  apprendra  certai- 
nement à  la  pofterité ,  fi  cela  eft  vrai  ou  faux. 

Au  moins  Jean-Batifte  Adriani ,  qui  a  continué  l'hiftoire  de 
François  Guichardin  avec  beaucoup  de  fidélité  ôc  d'exa£litude, 
&  qui  félon  toutes  les  apparences  a  beaucoup  puifé  dans  les 
mémoires  de  Côme  duc  de  Florence,  a  écrit  que  ces  conféren- 
ces avoient  été  tenues  à  la  follicitation  du  Pape  j  que  le  Pon- 
tife auroit  fort  fouhaité  que  Philippe  y  fût  venu  ;  qu'on  y  dé- 
libéra furies  moyens  de  délivrer  la  France  des  Proteftans,  qui 
étoient  regardez  comme  un  mal  contagieux  j  ôc  qu'enfin  on  fe 
rangea  au  lentiment  du  duc  d' Albe ,  qui ,  à  ce  qu'il  prétend,  étoit 
celui  de  Philippe  :  c'étoit  d'abattre  les  plus  hautes  têtes  j  de 
fuivre  l'exemple  des  Vêpres  Siciliennes ,  ôc  de  maffacrer  tous 
les  Proteftans,  fans  exception.  Etparce  que  le  bruit  s'étoit  répandu 

Eij 


S^  HISTOIRE 

qu'on  aîlolt  tenir  une  aflemblée  à  Moulins ,  on  ctut  que  ce  qu'on' 

Char  LE  P^^voit  faire  de  mieux,  étoit  d'y  cgorger  tous  les  Grande 
IX.  ^^  ^^  partie  qui  y  viendroient  de  toutes  parts  5  ôc  d'extermi- 
i  ^  ^  ç  fier  -en  même-tems  tous  les  autres  par  toute  la  France  ,  au  fignaî» 
qu'on  en  donneroit.  Mais  comme  tous  les  Grands  du  parti  FrO' 
teftant  ne  vinrent  pas  à  Moulins  j  ou  qu'on  crut  pour  d'autres  rai- 
fons  qu'il  ne  falloir  pas  encore  exécuter  cette  entreprife^on  la  re- 
mit à  un  autre  tems.  Sept  ans  après  on  l'exécuta  à  Paris ,  comme 
dans  un  lieu  plus  commode ,  lorfqu'on  crut  avoir  trouvé  Tocca- 
fion  favorable  ,  &  on  l'exécuta  de  la  manière  dont  elle  avoit  été 
alors  réfoluë.François  de  la  Noue  affure  que  plufieurs  avoient  en- 
tendu dire  au  duc  d'Albe ,  qu'on  perdoitfon  tems  à  prendre  de 
petites  grenouilles  j  qu'il  falloir  férieufement  travailler  à  pêcher 
des  faumons ,  &  d'autres  gros  poinTons.  Il  ajoute  que  depuis 
ce  tems  là  le  prince  de  Condé  &  les  Colignis  ,  ayant  été  aver- 
tis par  leurs  amis  ;,  quiétoientàlaCour,  decesréfolutionsfangui- 
naires^  avoient  tenu  confeil  enfemble  j  &  que  comme  ils  avoient 
tout  lieu  de  fe  défier  de  la  Cour  ,  ils  avoient  agi  avec  plus  d& 
précaution  ,  ôc  s'étoient  tenus  plus  foigneufemcnt  fur  leurs 
gardes. 

A  l'occafion  de  Fhérélle  qui  ferépandoit  dans  la  France,  le 
duc  d'Albe  avoit  demandé  au  nom  de  Philippe ,  que  le  Roi* 
révoquât  la  permilTion  qu'il  avoit  accordée  par  fon  édit  aux 
Proteftans ,  de  tenir  leurs  affemblées  dans  les  villes  frontières, 
de  peur  que  la  contagion  ne  fe  glifsât  dans  les  Provinces  voi- 
sines j  &  que  la  commodité  du  voilinage  ne  fut  pour  plufieurs 
une  occafion  depaifer  d'un  Etat  à  l'autre.  Mais  comme  lesPro- 
teftans  firent  leurs  remontrances,  &  que  dans  un  mémoire  qui 
fut  rendu  public ,  ils  relevèrent  l'injuftice  de  cette  demande  ,  le 
duc  d'Albe  n'eut  pas  fur  cet  article  la  fatisfadion  qu'il  fouhaitoit. 
Ce  fut  néanmoins  fous  ce  prétexte ,  que  le  Roi  d'Efpagne  ob- 
Démembre-  ^î^f  du  Pape ,  que  le  Guipufcoa  ôclaBifcaye,  provinces  au- 
ment  de  l'E-  trefois  comprifes  dans  la  Cantabrie ,  fuflent  démembrées  du  dio- 
Bayonne?  ^^^^  ^^  Bayonne,  dont  elles  dépendoient  :  en  quoi  l'on  fit  à  la 
France  un  tort  6c  une  injure  confiderables  ;  comme  on  lui  en 
avoit  déjà  fait,  lorfque  fous  le  même  prétexte  on  ôta,  comme 
nous  l'avons  rapporté  ci-defTus ,  à  l'archevêque  de  Rheims  les 
cvêchez  de  Cambrai  ôc  de  Tournai,  qui  étoient  fous  fajurif^ 
diction.  Voilà  ce  qui  fe  paffa  à  Bayonne. 


D  E  J.  A.  DE  T  HO  U,  L  I  ^.  XXXVîI.      37 

Dès  l'année  précédente  >  tandis  que  la  guerre  étoit  allumée 
en  Hongrie  ,  les  Turcs  firent  un  grand  armement  fur  mer  ;  ôc  c  h  a  r  L  E 
déjà  ils  aliiégeoient  Malte ,  lorfque  Soliman  envoya  un  Chiaoux       j  ^ 
au  Roi ,  pour  renouvell-er  avec  fa  Majeftc  les  traitez  faits  avec     j  r-  5  ^,, 
les  Rois  fes  prédeceffeurs.  Cet  Ambalfadeur  aborda  àMarfeille 
vers  le  tems  oii  le  Roi  étoit  à  Bay  onne,ôc  le  capitaine  Polin  baron 
de  la  Garde ,  général  des  galères  fe  mit  en  chemin  pour  le  con- 
duire à  la  Cour.  Mais  leRoi  appréhendant  que  les  Grands  d'Ef- 
pagne ,  qui  accompagnoient  Eiizabeth ,  ne  fuflent  choquez  de 
le  voir  ,  donna  ordre  au  Baron  de  s'arrcter  à  Acqs.  Après  le 
départ  de  la  Reine  d'Efpagne,  &  du  duc  d'Albe ,  le  Roi  don- 
na au  Chiaoux  une  audience  des  plus  favorables  :  il  l'afiiira  qu'il 
obferveroit  les  anciens  traitez  faits  avec  la  Porte  j  ôc  il  le  ren- 
voya chargé  de  préfens,  y    ' 

Pendant  que  le  Roi  étoit  encore  au  Mont  de  Marfan ,  il  re- 
çut la  nouvelle  de  la  guerre  du  Cardinal  C  car  c'eftle  nom  que 
fes  ennemis  donnèrent  à  cette  conteftation.  )  Le  Courier  qui 
apporta  cette  nouvelle  étoit  envoyé  par  Charle  duc  de  Lor- 
raine ,  beau- frère  du  Roi.  Il  étoit  chargé  de  lettres  pour  la  Rei- 
ne fa  belle-mere,  par  lefquelles  il  exprimoit  fon  embarras  ôc 
fes  inquiétudes,  ôc  lui  demandoit  en  grâce  de  vouloir  bien  lui' 
marquer  ce  quele  Roi  en  penfoit,  ôc  quelles  étoient  fes  inten- 
tions. Voici  quelle  fut  l'origine  de  cette  guerre. 

Le  cardinal  Charle  de  Lorraine  avoir  préfenté  une  requête     Guerre  â\i 
à  l'Empereur  Maximilien ,  dans  laquelle  il  fe  difoit  fon  vaiïaL    cardinal  de, 
ôc  Prince  de  l'Empire,  à  eau  fe  de  fon  évêchéde  Metz  :  en  cet-  ^°"*^"^' 
te  qualité  .il  recommandoit  à  ce  Monarque  fa  juridi£lion  ôc  le 
payis  MelFm ,  ôc  le  fupplioit  de  vouloir  bien  les  défendre ,  ôc - 
les  fortifier  >  contre  la  violence,  les  incurfions,  ôc  les  vexations 
de  fes  ennemis.  Sur  cette  requête  ,  l'Empereur  lui  avoit  ac- 
cordé des  lettres ,  communément  appeliées  de  proteÊtion,  ew 
forme  d'édit,  en  datte  du  y  de  Mai.  Muni  de  ces  lettres  ,  le 
Cardinal  partit  de  Joinville  pour  fe  rendre  à  Rambervilliers  au 
payis  de  Vôge  le  28  de  Juin,  ôc  il  tenta  de  les  faire  publier- 
dans  le  payis  Melîin.  Mais  comme  il  prit  un  tems  fâcheux  ,  où 
tout  étoit  fufpeêt ,  il  arriva  contre  fon  efperance ,  que  Pierre  Sal- 
fede  Efpagnol ,  qu'il  avoit  fait  Gouverneur  de  l'évêché  de  Metz  ^ 
ôc  fermier  des  importions,  qui  étoient  fort  confidérables,  renon- 
ça fur  le  champ  à  ces  titres  3  ôc  prenant  la  qualité  de  Gouverneur 

£  iij 


/i 

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I 


5^  HISTOIRE 

pour  le  Roi ,  s'oppofa  à  la  publication  ,  Ôc  empêcha  de  mettre 
P  I  à  exécution  les  ordres  du  Cardinal  qui  étoient  attachez  à  fcs  let- 

j  Y         très ,  jufqu'à  ce  que  le  Roi  eût  eu  connoiflance  de  ces  lettres , 

^  ôc  les  eût  appuyées  de  fon  autorité. 
^  ^'  Le  Cardinal  qui  regardoit  cette  oppofition  comme  un  affront, 
&  qui  étoit  fi  jaloux  de  fon  autorité  patticuUere ,  qu'il  vouloit 
la  confeuver  ôc  la  foûtenir  aux  dépens  même  des  autres  >  ne  put 
fouffrir  l'outrage  qu'on  lui  faifoit  •■>  ôc  parce  qu'il  ne  pouvoir 
faire  publier  fes  lettres  ^  ni  à  Vie ,  dont  la  citadelle  étoit  en  la 
puiffance  de  Salfede,  ni  à  Marfal,  où  il  y  avoit  une  gar.ni- 
\o\\  au  nom  du  Roi ,  il  en  fît  publier  des  copies  à  Ramber- 
villiers  à  Baccarat ,  ôc  à  Moyenvic  :  car  le  Chancelier  qui  en 
avoit  l'original ,  étoit  alors  à  Strafbourg.  C'eflcequi  donna  lieu 
à  la  querelle  entre  le  Cardinal  ôc  Salfede.  Le  Cardinal  repro- 
choit  à  Salfede  fa  perfidie  Ôc  fon  ingratitude  >  ôc  d'avoir  entre- 
pris à  la  foUicitation  de  fes  ennemis,  de  donner  atteinte  à  l'au- 
torité d'un  Evêque  ôc  d'un  Prince,  à  qui  il  avoit  de  fi  grandes 
obligations.  Il  difoit  que  de  fon  côté  il  n'avoit  rien  entrepris 
d'extraordinaire  ,  Ôc  qu'il  n'avoit  fait  que  fuivre  l'exemple  de 
fes  prédeceffeurs  ,  en  recommandant  à  l'Empereur  ,  ôc  en 
mettant  fous  fa  prote£lion  un  Evêché ,  qui  de  l'aveu  de  tout 
îe  monde  relevoit  de  l'Empereur  ôc  de  l'Empire. 

Salfede  au  contraire  oppofoit  au  Cardinal  le  nom  ôc  l'auto- 
rité du  Roi  5  ilfoûtenoit  qu'il  avoit  très-grand  tort  ^  ôc  que  d'im- 
plorer le  fecours  ôc  la  prote£lion  de  f  Empereur ,  c'étoit ,  ou 
manquer  à  l'obéïffance  dûëauRoi,  qui  étoit  en  pofTeffionde 
la  ville  &  des  dépendances  de  Metz ,  ou  l'accuferde  foiblelTe. 
Il  ajoûtoit  que  les  trois  villes  de  Lorraine  ayant  été  déclarées 
appartenantes  au  Roi,  par  le  traité  fait  treize  ans  auparavant  avec 
les  Grands  de  l'Empire ,  les  Evêques  n'avoient  pas  eu  befoin 
de  recourir  ailleurs,  pour  avoir  de  la  protedion ,  que  même  ils 
n'auroient  pu  le  faire  ,  fans  bleffer  l'autorité  ôc  la  dignité  du 
Roi  j  en  un  mot  que  ce  que  le  Cardinal  avoit  fait  étoit  inoui 
depuis  ce  tems-là. 

Cependant  Salfede  ayant  ôté  le  gouverneur  d'Albeftroph 
nommé  par  le  Cardinal, mit  en  fa  place  François  de  la  Tour, 
pour  y  commander  au  nom  du  Roi ,  Ôc  on  envoya  des  trou- 
pes de  Metz  pour  garder  les  fortereffes  de  Vicôc  d'Albeflroph. 
En  quoi  il  parut  vifiblement  qu'il  y  avoit  de  la  connivence 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XXXVII.      39 

du  côté  de  Jacque  Monberon  d'Aufaiice ,  gouverneur  de  Metz 
pour  le  Roi 5  ôc  qu'il  ufoit  en  cette  affaire  d'une  grande  refer-  Charl£ 
ve  ,  en  attendant  l'événement ,  ôc  de  quelle  manière  cette  que-       j  ^ 
relie  feroit  reçue  à  la  Cour.  Le  cardinal  de  Lorraine  perfuadé      j  ^  ^  ^^ 
qu'il  falloir  ufer  de  diligence ,  manda  promptement  le  duc 
d'Aumale  fon  frère  ,  ôc  alla  à  Nanci.  Ayant  communiqué  au 
duc  de  Lorraine  ce  qui  s'étoit  pafTé,  on  réfolut  de  venger  au 
plutôt  l'injure  commune  faite  à  une  Maifon  iï  illuftrc  ,  ôc  d'af- 
iîéger  inceffamment  la  forterefle  de  Vie.  On  leva  donc  des 
troupes^  fur  des  ordres  qui  furent  donnez  le  17  de  Juillet, par 
îefquels  le  Cardinal  averriffoit  fes  vafTaux  de  prendre  les  armes  ^ 
pour  venger  l'injure  que  Salfede  lui  avoir  faite. 

Il  fembloit  que  le  duc  de  Lorraine  ne  pouvoir  honnêtement 
refufer  du  fecours  à  fon  parent  dans  une  pareille  occauon.  Mais 
ce  Prince  ne  fçavoit  pas  les  intentions  du  Roi  :  le  génie  du 
Cardinal  lui  étoit  fufpeâ;  ;  il  appréhendoit  que  fa  puifTance  ne 
fut  pernicieufe  à  Fautorité  royale  ,  ôc  qu'elle  ne  devînt  un  jour 
préjudiciable  ôc  nuifible  à  la  fienne  propre.  Dans  cette  incertitu- 
de il  écrivit  le  12  de  Juillet  au  frère  du  Chancelier  ,  nommé 
l'Hôpital  de  la  Roche ,  ôc  le  pria  de  fçavoirlesfentimens  ôcles 
intentions  de  la  Reine,  fur  le  différend  entre  le  Cardinal  ôc  Sal- 
fede. De  la  Roche  rêveur  la  lettre  du  duc  de  Lorraine  avant  l'ar- 
rivée du  Courier,  que  d'Aufance  envoyoit  à  la  Cour.  La  Rei- 
ne y  qui  apprit  par  cette  voie  ce  qutétoit  arrivé  ,  manda  aufFi- 
tôt  à  Salfede ,  qu'elle  étoit  bien  furprife  de  n'avoir  reçu  aucu- 
ne lettre,  de  fa  part  fur  une  affaire  de  cette  importance ,  ôc  lui 
ordonna  de  lui  en  écrire  au  plutôt. 

Cependant  le  Cardinal  prcffoit  le  fiége  de  Vie.  De  Linie= 
res  /à  qui  il  avoit  donné  le  commandement  de  fes  troupes  ^ 
avoir  déjà  pris  la  ville,  ôc  il  faifoit  avancer  pour  battre  la  cita- 
delle ,  le  canon  que  le  duc  de  Lorraine  lui  avoit  prêté  •  car  iî 
en  avoit  inutilement  demandé  à  Aufance.  Pendant  ce  tems- 
îà  on  alloit  Ôc  venoit  de  part  ôc  d'autre ,  pour  accommoder  le 
différend.  On  étoit  convenu  d'abord ,  que  la  fortereffe  de  Vie 
ôc  Albeftroph  refteroient  en  fequefire  entre  les  mains  d'Aufan- 
ce; ôc  qu'on  en  feroit  fortir  la  garnifon  niife  par  Salfede,  juf- 
qu'à  ce  que  le  Roi  eût  donné  fes  ordres.  Le  Cardinal  n'avoit 
ofé  refufer  ces  conditions  ,  de  peur  qu'on  ne  crût  qu'il  vouloit 
fe  fouftraire  entièrement  de  l'obéiffance  du  Roi,  ôcs'oppofcs 


40  HISTOIRE 

l_^, ,        formcilement  à  fes  volontez.  Mais  comme  l'exécution  de  ce 

'^  traité  fut  traînée  en  longueur ,  les  afliégez  fe  trouvèrent  très  pref- 

T  xr  fez.  Car  Linieres  ayant  quitte  Je  iiege  ,  des  qu  on  eut  tait  les 
,*  propofitions ,  Chrillophle  de  Baflbmpierre ,  qui  lui  avoir  fucce- 
^°  dé  ,  ne  voulut  jamais  faire  celTer  les  batteries.  Ainfi  avant  que 
l'affaire  fut  accommodée,  la  citadelle  fe  rendit  i  ôc  les  meubles 
précieux,  que  Salfede  y  avoir  en  abondance , furent  pris  ôc  pil- 
lez par  le  vainqueur.  Cela  fait ,  Baflbmpierre ,  fuivant  les  ordres 
du  Cardinal ,  mena  fes  troupes  à  Albeftroph. 

Le  Roi  ayant  marqué  par  fes  lettres  qu'il  fe  trouvoit  ofFenfé 
de  la  précipitation  avec  laquelle  on  avoit  fait  le  fiége  de  ViC;, 
le  Cardinal  mit  les  armes  bas ,  ôc  confentit  que  le  capitaine  Jac- 
que  fût  mis  dans  Albeftroph  au  nom  d'Aulance ,  quand  Salfe- 
de en  auroitretiré  fes  gens.  Le  Prélat  craignoitque ,  s'il  refiftoit 
plus  long-tems ,  le  Roi  ne  voulût  point  recevoir  fes  excufesj  il 
n  ignoroit  pas  que  fes  ennemis  publioient,  (  6c  il  ne  le  nioit  pas 
lui-même)  qu'il  avoit  fouvent  traité  par  lettres  ôc  par  députez 
avec  l'Archevêque  Electeur  de  Trêves,  ôc  Nicolas  Polwiller 
gouverneur  de  Haguenaw  ,  l'un  des  plus  grands  ennemis  de  la 
France  ,  qui  après  la  déroute  de  S.  Quentin  étoit  entré  dans 
le  Forez  à  la  tête  d'un  corps  d'Allemans.  On  ajoûtoit  que  le 
Cardinal  tramoit  encore  fecrétement  avec  eux  quelques  entre- 
prifes  ,  à  la  ruine  du  royaume.  Four  faire  ceifer  ces  bruits ,  pat- 
quelques  apparences  d'obcïifance  ôc  de  foûmiffion,  il  crut  qu'il 
ne  pouvoit  mieux  faire ,  que  d'entendre  aux  conditions  de  paix 
qui  avoient  été  propofées  ,  ôc  de  congédier  fes  troupes.  Voilà 
ce  qui  fe  fit  dans  le  payis  MelTin  jufqu'au  huit  d'Août. 
Retour  du  Enfin  on  fongea  au  retour  du  Roi  qui  vint  à  Nérac ,  féjour 
^^^*  ordinaire  de  Jeanne  reine  de  Navarre ,  où  il  rétablit  Féxercice 

de  l'ancienne  Religion.  Puis  ayant  pris  fon  chemin  par  Agen, 
capitale  des  anciens  Nitiobriges,  ôc  par  l'ancienne  Vefune  des 
Petrocoriens ,  maintenant  appellée  Périgueujfj  il  arriva  à  An- 
goulême.  Cette  ville  fameufe  par  les  monumens  de  fes  anciens 
Comtes  ôc  Ducs ,  ancêtres  du  Roi ,  "noit  d'être  horriblement 
défigurée  dans  la  dernière  guerre.  Ses  Eglifes  avoient  été  dé- 
truites ,  fes  tombeaux  ouverts ,  ôc  les  corps  de  i'es  Comtes  mis 
en  pièces  ,  comme  nous  l'avons  rapporté  ci  deffus.  Jacquede 
Boucard ,  qui  s'étoit  acquis  une  grande  réputation  parmi  les 
jProteftans ,  par  fa  noblefle,  ôc  par  fon  habileté  dans  les  affaires, 

.vint 


DE  X  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XXXVII.     41 

vint  trouver  le  Roi  ^  &  fit  un  difcours  très  éloquent  dans  le  Con- 

feille  17  d'Août.  Charle 

Il  dit  qu'il  a  voit  été  envoyé  par  les  Grands,  qui  fouhaittoient  j  n^^ 
la  réformation  de  la  Religion  ;  afin  que  fuivant  l'ordre  de  S.  M.  j  -  ^  ^^ 
qui  leur  avoir  été  apporté  tout  récemment  du  mont  de  Alarfan , 
&  auquel  ils  setoient  fait  un  plaifir  d'obéir ,  il  lui  fît  de  leur  part  proSa^j.  " 
de  très-humbles  remontrances  fur  ce  qu'ils  croyoient  interelfer 
le  fervice  du  Roi  ôc  la  tranquillité  publique.  «  Ils  ont  jugé ,  con- 
tinu a- t'il,  qu'il  y  avoit  principalement  deux  chofes,  dont  ils  dé- 
voient avertira.  M.  Leurs  plaintes  ordinaires  font  le  premier 
objet  que  nous  devons  expofer  à  fes  yeux.  Les  grands,  comme 
\qs  petits,  ne  cefTentde  crier,  que  contre  la  foi  des  Edits  on  les 
perfécute  tous  les  jours ,  ôc  qu'on  les  mafiacre  impunément  de 
tous  cotez  ,  comme  il  eft  encore  arrivé  depuis  peu  à  Tours 
ôc  à  Blois  ,par  la  connivence  des  Magiftrats  ôc  des  Gouver- 
neurs des  Provinces.  Si  ces  vexations  demeuroient  impu- 
nies ,  il  feroit  à  craindre  que  plufieurs  qui  ne  trouveroient 
point  de  fecours  ni  de  protedion  dans  l'obéifTance  ^  ne  s'a- 
bandonnaflent au  defefpoir,  ôc  n'euffent  recours  aux  derniers 
remèdes. 

"  La  féconde  chofe  dont  ils  ont  cru  devoir  avernr  le  Roi, 
eft,  qu'ils  voyoicnt  avec  douleur  le  cardinal  de  Lorraine  le- 
ver des  troupes  fans  les  ordres  de  S.  M.  fur  les  frontières  de 
la  Champagne ,  ôc  principalement  dans  le  BafTigni ,  ôc  faire 
la  guerre  en  fon  nom  dans  le  payis  Meflin ,  contre  ceux  qui 
n'ont  point  d'autre  crime ,  que  de  défendre  ôc  de  foûtenir  l'au- 
torité fouveraine  du  Prince.   Ils  ne  croyent  pas  que  le  Roi 
puifie  ou  doive  fouffrir  une  telle  audace  5  parce  que  c'eft  S.  M. 
elle  même  qui  eft  attaquée  dans  la  perfbnne  de  Salfede  3  ôc 
que  ces  préludes ,  qu'on  peut  appeller  des  eflais ,  font  les  fu- 
neftes  commencemens  d'une  guerre  plus  dangereufe  ôcplus 
terrible ,  que  le  Cardinal  médite ,  ôc  qu'il  ne  manquera  pas 
de  déclarer ,  lorfqu'il  fe  verra  apuyé  des  Princes  étrangers , 
avec  lefquels  il  entretient  de  fecretes  correfpondances.  C'eft 
ce  qui  arrivera  fans  doute ,  fi  S.  M.  ne  punit  pas  ces  premières 
entreprifes  ,  qui  n'ont  pour  but  que  d'effayer  fa  patience.  '• 
Boucard  termina  fon  difcours  ,  en  demandant  au  nom  des  Pro- 
t-eftans  qu'on  affurât  au  moins  latranquilité  publique,  en  établif- 
fant  une  juftice  égale  pour  tous  les  fujets  de  S.  M.  ôc  que  par 
Tome  V,  F 


42  HISTOIRE 

;-^-»-»-.  une  rigoureufe  punition  des  crimes  ,  on  allât  au-devant  dc^ 

C  H  ARL  E  violences ,  que  la  licence  &  l'impunité  faifoient  commettre  5  de 

JX.       P^^^  9^^  ^^^  innocens ,  qui  ne  trouveroient  pas  les  fecours 

J  S"  5  c.     ^^'^^^  attendoient  de  l'autorité  du  Roi,  ne  fufîent contraints ,. 

à  la  honte  de  cette  autorité,  de  les  chercher  ailleurs,  ou  defe 

faire  juftice  eux-mêmes. 

Le  Confeil  répondit  favorablement  à  cette  harangue,  ôc  la 
Reine  fit  efperer  aux  Proteftans  une  fituation  plus  avantageu- 
fe ,  lorfque  l'autorité  royale  feroit  plus  affermie  ,  &  que  les 
fadions  feroient  éteintes.  Le  Roi  ayant  fait  quelque  fejour  à 
Angoulême  ,  alla  à  Niort,  &  à  Thouars  ,  ville  du  Poitou ,  ap- 
partenante à  la  maifon  de  la  Trimoilille.  Enfuite  il  paffala  Loire 
&  vint  à  Angers.  11  y  fut  reçu  le  8.  de  Novembre  avec  une 
pompe  &  une  magnificence  dignes  d'un  grand  Roi ,  6c  il  logea 
dans  le  château. 

Le  lendemain  le  Roi  alla  par  Saumur  à  Tours ,  ancienne- 
ment appellée  defarodunum y  capitale  de  la  Touraine.  Les  Pro- 
teftans y  renouvellerent  leurs  plaintes  contre  François  le  Roi 
de  Chavigni ,  ôc  contre  le  duc  de  Montpenfier  ,  qui  les  trai- 
îoient  avec  autant  d'injuftice  que  de  rigueurs  mais  la  Reine  fçut 
éluder  ces  plaintes,  comme  toutes  les  autres^  par  les  efpéran- 
ces  flateufes  qu'elle  leur  donna.  De  Tours  on  alla  à  Blois,d'oii 
chacun  fe  retira  chez  foi  ,  pour  fe  remettre  des  fatigues  d'un 
fi  long  voyage.  En  mcme  tems  on  indiqua  pour  l'année  fui- 
vante  une  aflemblée  dans  Fancienne  capitale  des  Boïens,  main- 
tenant appellée  MouUns  en  Bourbonnois ,  où  les  Grands  eurent 
ordre  de  fe  trouver. 
Guerre  de  ^^  cette  même  année  ,  l'Empereur  Maximilien,  ayant  re- 
Hongrie, folu  de  faire  la  guerre  en  Hongrie  ,  en  donna  la  conduite 
à  Lazare  Schwendi.  Ce  Général  ,  qui  s'étoit  autrefois  ren- 
du illuftre  par  fes  grandes  a£tions  ,  par  fon  habileté  ôc  par  fon. 
courage,  étoit  demeuré  dans  une  efpéce  d'obfcurité,  depuis 
que  Sebaftien  Vogelfperg  fon  ami  avoit  été  la  viélime  de  la 
colère  de  l'Empereur.  André  Batori  ,  Meichior  Baîafli  ôc 
Gabriel  Perenni  ,  Seigneurs  Hongrois  ;  Jean  Ruber  Pixen- 
dorff,  Jacque  Schutenbourg ,  Henry  Gleizenrhal  ôc  Jean  Al^ 
cenbourg ,  capitaines  de  cavalerie  ;  Jean  Vernhcr  ôc  Rodol- 
phe Salis,  capitaines  d'mfanterie  ,  ôc  plufieurs  autres  Seigneurs 
Allemands ,  fervirent  avec  fuccès  fous  les  ordres  de  Schwendi. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lîv.  XXXVIL     4^ 

Au  commencement  de  l'année ,  ces  officiers  amenèrent  un  «« 


MB 


aflez  grand  nombre  de  troupes  Allemandes,  tant  d'infanterie  Chart  p  '' 

que  de  cavalerie ,  dans  le  payis  de  Zepii,  ainfi  appelle  des  Ge-       jy  ' 

pides,  qui  Pont  autrefois  habité.  Là  Schwendi  tint  avec  ces  J 

chefs  un  grand  Confeil  de  guerre  j  où  il  fut  refolu  de  com-        >     ^'  ' 

mencer  la  campagne  par  le  (îége  de  Tokai.  Cette  place  dé-  ; 

fendue  alors  par  une  bonne  garnifon.fous  les  ordres  de F'ran-  ; 

cois  Nemethi ,  elt  très  forte  par  fa  fituation  ,  ôc  par  les  ou-  , 

vrages  que  l'art  a  ajoutez  à  la  nature.  En  la  prenant ,  on  s'ou-  ■ 

vroit  un  paffage  très  commode  pour  entrer  dans  la  Tranfyl-  \ 

vanie  :  ce  fut  le  motif  qui  détermina  à  en  former  le  fiége.  i 

Le  dernier  jour  de  Janvier  ,  Schwendi  envoya  de  CafTo-  ; 

vie  à  Gunez  ,  Popendorf  commandant  de  l'artillerie ,  avec  une 
compagnie  de  gens  de  guerre  ,  le  canon ,  ôc  tout  l'attirail  né-  \ 

celTaire  pour  un  fiége.  Il  le  fuivit  avec  toute  l'armée ,  ôc  cam-  .     1 

pa  devant  Tokai.   Quelques  Allemands  furent  commandez  i 

pour  s'emparer  de  Kereftker  ,  petite  ville  qui  fe  trouvoit  fur 
le  chemin ,  très  commode  pour  le  paffage  des  convois ,  ôc  pour  ] 

foulager  le  foldat  qui  étoit  prefque  nud  dans  un  Ci  grand  froid. 
Cette  entreprife  réùlîit  î  on  prit  ôc  on  fortifia  cette  place,  mal-  ' 

gré  les  efforts  que  fit  la  garnifon  de  Tokai,  pour  l'empêcher  5  1 

car  étant  venus  plufieurs  fois  pour  y  mettre  le  feu ,  ils  furent  ^ 

autant  de  fois  repouffez  avec  perte  par  les  Allemands.  j 

Tokai  eft  fituée  au  confluent  du  Tibifque ,  ou  de  la  Teiffe ,     Siège  de  j 

ôc  du  Bodrog.  La  première  nuit  on  fit  une  levée  auprès  du        ^^*  , 

Bodrog ,  où  l'on  dreffa  une  batterie  de  trois  canons ,  pour  abat-  1 

tre  des  clôtures  enduites  de  boue.  Le  lendemain  on  commen-  ] 

ça  à  battre  avec  fuccès  les  défenfes  ôc  les  tours ,  où  étoient  les  j 

munitions  de  guerre  des  ennemis  :  on  avança  les  travaux  ,  ôc  I 

on  éleva  les  Forts  fi  haut ,  qu'ils  commandoient  la  citadelle  ,  1 

ôc  que  les  affiégez  à  découvert  étoient  expofez  aux  coups  de  \ 

canon.  On  dreffa  enfuite  deux  batteries  fur  une  petite  colline  \ 

qui  dominoit  la  rivière  ;  ôc  par  le  moyen  de  quatre  canons  '■, 

qui  y  furent  braquez  ,  on  incommoda  fort  les  corps  de  gar-  ! 

de,  que  rien  ne  couvroit.   Comme  cet  endroit  parut  impor-  \ 

tant  par  fa  fituation  avantageufe  ,  les  Impériaux  l'attaquèrent  1 

d'abord  avec  peu  de  fuccès  ;  parce  qu'il  n'y  avoir  pas  affez  de 
pionniers  ,  ôc  que  la  gelée  empêchoit  qu'on  ne  pût  faire  des  ' 

-ouvrages  de  terre.  Mais  le  travail  opiniâtre  du  foldat  fuppléa  ' 

Fij  ] 


44  HISTOIRE 

.  à  la  difette  des  travailleurs  j  les  levées  furent  bien  augmentées, 
Ch  A  R  L  E  &  011  y  fit  un  logement.  La  nuit  fuivante ,  qui  fut  très  fombre^ 
j  ^        on  fit  un  autre  retranchement  entre  le  Tibifque  ô:le  Bodrog, 
j  -  ^  ^      &  on  y  plaça  des  pièces  de  batterie  ;  on  allongea  la  première 
levée ,  &  on  y  mit  cinq  pièces  de  canon.  Le  matin  on  com- 
mença à  battre  la  citadelle,  ôcla  batterie  continua  tout  le  jour. 
Une  grande  fortification ,  que  les  alTiégez  avoient  avancée  juf- 
qu'à  la  rivière  de  Bodrog ,  ôc  fur  laquelle  ils  comptoient  beau- 
coup ,  fut  prefque  renverfée  en  enrier  par  des  mines  ;  Ôc  la  brè- 
che fut  fi  confiderable ,  que  fi  le  mauvais  tems,  la  neige  &  le 
vent,  qui  donnoient  dans  les  yeux  ,  n'avoient  pas  empêché  les 
Impériaux  d'avancer  ,  ils  feroient  entrés  ce  même  jour  dans  la 
citadelle. 

Au-delà  du  Tibifque ,  Balaflî,  féparé  du  refte  de  farmce ,  s'é- 
toit  fortifié  par  un  retranchements  ôc  il  avoit  fait  occuper  tous 
les  chemins ,  ôc  toutes  les  avenues  par  les  Hongrois  ôc  lesHey- 
ducs  qu'il  commandoit.  Gabriel  Perenni  de  fon  coié  profitant 
d'un  ruifieau  ,  dont  Nemethi  avoit  détourné  le  cours  en  le  fai- 
fant  couler  autour  de  la  ville ,  ôc  qui  étoit  formé  des  eaux  da 
Bodrog  ,  refi!erroit  extrêmement  les  afifiégez.  Cependant  on 
avançoit  toujours  les  mines,  ôc  l'on  y  mit  le  feu  le  lo  de  Fé- 
vrier. La  principale  fortification  fut  renverfée ,  ôc  il  s'y  fit  une 
très  grande  ouverture  ,  qui  encouragea  les  Impériaux  à  y  en- 
trer, ne  fçachant  pas  qu'il  y  avoit  encore  une  autre  fortification 
dans  un  détour. 

Ainfi,  fans  attendre  les  ordres  de  Schwendi  j  ils  firent  préci- 
pitamment ôc  trop  tôt  une  attaque  qui  leur  fut  funefte ,  ôc  dans 
laquelle  il  y  eut  beaucoup  de  fang  répandu.  Mais  leur  Com- 
mandant les  ayant  aufli-tôt  ramenés  dans  leurs  tranchées  y  \qs 
afïïégez  ne  crurent  pas  qu'ils  avoient  été  repouffés  5  mais  feu- 
lement qu'on  les  avoit  rappeliez ,  pour  les  préparer  à  faire  un 
dernier  effort.  Nemethi  qui  craignoit  d'être  réduit  à  l'extrémi- 
té ,  envoya  faire  des  propofitions  pour  la  reddition  de  la  pla- 
ce. Schwendi  les  rejetta  deux  fois  -,  ôc  ayant  donné  un  dernier 
aflaut,  cette  fortification,  que  les  ennemis  croyoient  imprena- 
ble ,  fut  prife  avec  tout  le  canon  qui  étoit  deffus  ,  ôc  ceux  qui 
la  défendoient  furent  repoufies  jufqu'à  un  ouvrage  qui  étoit  en 
dedans. 

Déjà  l'on  tournoit  contre  la  citadelle  toutes  les  machines  de 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  Liv,  XXXVII      4^ 

guerre,  dont  lesafîiégez  s'étoient  fervis  pour  la  défendre,  lorf- 
que  la  garnifon  n'ayant  plus  aucune  efpérance  d'être  fecouruë,  Ch  arl  B 
demanda  à  capituler,  ôc  fit  dire  à  Schwendi  qu'ils  vouloient  j^ 
lui  apprendre  une  nouvelle  qui  ne  lui  feroit  pas  défagréable.  j  r  5^, 
Enfuite  quelques-uns  d'entr'eux  fortirent ,  ôc  dirent  que  Ne- 
methi  avoit  été  tué  le  jour  précédent  d'un  coup  qu'il  avoit 
reçu  à  la  tempe  ;  qu'ils  ne  vouloient  donc  plus ,  ni  ne  pou- 
voient  s'opiniârrer  à  défendre  la  place  >  qu'ils  demandoient  feu- 
lement permifTionde  fortir  à  des  conditions  honnêtes,  d'enter- 
rer le  corps  de  leur  chef  où  ils  voudroient,  &  de  pouvoir  con- 
ferver  à  la  veuve  de  Nemethi  tout  ce  qui  lui  appartenoit.  On 
ajouta  à  ces  conditions  ,  qu'à  l'avenir  ils  ne  porteroient  plus 
les  armes  contre  l'Empereur,  fous  quelque  capitaine  que  ce 
fût.  Ces  articles  étant  réglés ,  il  fortit,  avec  la  veuve  de  Neme- 
thi ,  environ  trois  cens  cinquante  hommes,  prefque  tous  blelTez  j 
&  cette  veuve  emporta  les  tréfors  de  fon'mari,  ôc  lesfiens, 
qui  étoient  d'un  grand  prix.  Bathori ,  Balafli  ôc  Perenni  eurent 
beau  fe  plaindre,  difant  que  cela  étoit  contraire  aux  articles  : 
l'autorité  de  Schwendi  l'emporta  fur  leurs  plaintes  5  il  rémontra 
qu'il  falloir  religieufement  garder  fa  parole  ,  quand  même  il 
en  devroit  cotiter  quelque  chofe  j  ôc  il  obtint  qu'on  n'ôteroit 
rien  à  la  veuve  de  tout  ce  qu'elle  emportoit. 

Bien-tôt  après  on  prit  Zeréncz  j  ôc  Jean  prince  de  Tranfyl- 
vanie  defefpérant  de  pouvoir  défendre  Zathmar ,  brûla  cette 
forterefle  ,  ôc  l'abandonna  malgré  lui  aux  Impériaux.  Mais 
Schwendi  la  fit  en  même  tems  rétablir,  à  caufe  de  fa  fituation 
avantageufe.  Puis  ayant  pafTé  le  Tibifque ,  il  fe  rendit  maître 
d'Erdeud  ,  de  Cuvara  ,  de  Bathor  3  de  Wybania  ôc  de  S.  An- 
dré, qu'on  appelle  vulgairement  Zenderec.  Cependant  Jean  .  . 
dans  la  bafle  Hongrie,  fortifié  à\x  fecours  des  Turcs,  faifoit  fans 
cefTe  des  courfes  auprès  de  Giula  j  le  gouverneur  de  Temefwar 
ayant  amené  quatre  mille  Turcs  ^  deux  gros  canons  ôc  huit  pe- 
tits, s'empara  bien-tôt  dePacotaj  ôc  peu  après  d'Iene  ôc  de  De- 
feme,  pentes  places  moins  importantes,  aux  environs  de  Giu- 
la y  afin  que  l'enfermant  de  tous  cotez ,  il  pût  la  prendre  avec 
moins  de  peine. 

Tandis  que  des  troupes  venoicnt  de  toute»  parts  fe  joindre 
à  Jean ,  ôc  qu'il  avoit  déjà  fous  fes  enfeignes  de  quoi  former 
une  armée  affez  confiderable,  la  garnifon  deZigcth  étant  fortie 


45  HISTOIRE 

^^^^i^g^  en  rabfence  du  comte  Nicolas  de  Zrin ,  ou  de  Serin ,  tailla  en 
r^TTTZTZ  pièces  environ  deux  cens  hommes  de  Ratzenftat,  ôc  en  prit  un 

CHARLE    ^,  1  1  Ti/r    •  -i  i      • 

T  y  plus  grand  nombre.  Mais  au  retour^  comme  ils  marcnoient  en 
^  *  dcfordre  ,  ils  furent  défaits  par  les  ennemis ,  qui  accoururent  au 
fecours ,  &  qui  les  environnèrent  :  de  forte  que  de  fix  cens  Im- 
périaux à  peine  pût-il  s'en  fauver  deux.  Pendant  que  Jean  rem- 
portoit  ces  petits  avantages ,  Schwendi  prelToit  le  rétabliffe- 
ment  des  fortifications  de  Zathmar ,  qui  fe  faifoient  à  la  hâte. 
Les  Turcs ,  après  avoir  pris  une  place  voifine  ,  voulurent  em- 
pêcher ces  travaux  j  mais  les  Allemands  forrirent  ,  mirent  en 
fuite  les  ennemis ,  &  leur  prirent  fept  enfeignes.  Une  partie  fut 
taillée  en  pièces ,  d'autres  furent  noyez,  &  très  peu  fe  fauverent 
de  cette  défaite.  Schwendi  laifTa  Erafme  Mager  pour  comman- 
der dans  la  place  j  &  s'en  alla  à  CafTovie ,  pour  faire  les  prépa- 
ratifs de  guerre  néceflaires. 
prife  d'Er-       Jean  ne  ceflbit  d'agir  6c  fe  donnoit  beaucoup  de  foins.  II 

aeud  par  le  s'avanca  le  premier  de  Juin  avec  les  troupes  auxiliaires  des 
lurcs,  versbrcleud ,  que  ochwendi  avoit  prile,&  que  le  duc 
de  Saxe  Lawembourg  défendoit.  Lorfque  les  afîiégez  étoient 
ferrez  de  près ,  Schwendi  leur  envoya  deux  cens  hommes  de 
pié ,  qui  entrèrent  dans  la  place.  Mais  comme  le  gouverneur  de 
Temefwar  envoyoit  continuellement  des  hommes  frais  aux  af- 
fiégeans ,  après  un  grand  nombre  d'attaques  Ôc  de  fordes ,  où  le 
duc  de  Saxe  Lawembourg  fut  tué ,  les  afliégez  qu'on  n'avoit 
pu  vaincre  par  la  force ,  furent  vaincus  par  la  faim.  Ayant  con- 
fumé  tous  leurs  vivres,  ôc  mangé  leurs  chevaux,  ils  furent  con- 
traints de  fe  rendre  au  Bâcha  à  difcretion ,  le  quatre  d'Août, 
Tous  fans  exception  furent  cruellement  maffacrez  ,  ôc  la  place 
rafée. 

Cependant  il  venoit  de  tous  cotez  des  troupes  à  CafTovie  , 

Impériaux.  ^^  P^^^  grofïir  l'armée  de  l'Empereur ,  fous  la  conduite  des  com- 
tes Nicolas  de  Serin  ôc  Eccio  de  Salms  j  ôc  il  y  avoir  déjà  une 
nombreufe  cavalerie.  On  n'étoitpas  non  plus  en  repos  dans  la 
Croatie ,  ôc  dans  les  Provinces  de  robéïflance  de  Charle  d'Au- 
triche, où  les  Chrétiens  ayant  fouvent  combattu  contre  le  Bâ- 
cha de  Bofnie  ,  eurent  toujours  l'avantage  :  mais  comme  ils 
combattoient  dans  des  lieux  difficiles  ôc  embaraflez ,  il  fut  im- 
poiTible  aux  vainqueurs  de  pourfuivre  les  vaincus.  Enfin  les 
Impériaux  ayant  attiré  les  ennemis  au  combat  :,  fur  Iç  bord  du 


DE  J.   A.  D  E   T  H  O  U  ,  Liv.  XXXVII.     47 

Save ,  dans  une  plaine  ,  on  combattit  très  vivement  de  patt  r 

ôc  d'autre.  Les  Impériaux  remportèrent  la  vidoire  ,  pourfui-  c^^j^lê 
virent  long-tems  les  ennemis ^  en  firent  un  grand  carnage,  ôc       j  y 
prirent  leur  bagage  6c  tome  leur  artillerie.  j  <  6  < 

Il  arriva  que  dans  une  ville ,  appellée  le  RuifTeau  des  Da- 
mes ,  que  les  Allemands  nomment  Newftadt,  les  habitans  en- 
nuyez des  Impériaux  qui  y  étoient  en  garnifon  ,  fous  la  con- 
duite de  Gleifmeners  ,  traitèrent  avec  Jean ,  pour  le  mettre 
en  polTefiion  de  la  place  :  lorfqu'au  jour  marqué  ils  eurent 
donné  le  fignal  par  des  feux ,  comme  ils  en  étoient  convenus  ,- 
les  Allemands, qui  fe  doutèrent  de  ce  que  l'on  tramoit ,  pri- 
rent les  armes,  avant  que  Jean  approchât ,  fondirent  fur  les  ha- 
bitans comme  fur  des  traîtres ,  les  traitèrent  cruellement ,  Ôc 
n'épargnèrent  ni  femmes  ni  enfans.  Enfuite  ils  fe  retirèrent 
dans  la  citadelle,  après  avoir  mis  le  feu  à  la  ville,  qui  futpref- 
qu'entiérement  brûlée,  avant  que  Jean  fût  arrivé  avec  lesTurcs. 
Dès  qu'ils  parurent  ,  les  Allemands  fe  rendirent, à  condition 
qu'ils  auroient  la  vie  fauve. 

Schwendi  fe  mit  auffi  en  campagne  j  ôc  après  quelques  lé- 
gères efcarmouches ,  il  attaqua  très-vivement  les  Turcs.  Ceux- 
ci,  quoique  bien  fupérieurs  en  nombre,  évitèrent  le  combat, 
parce  qu'ils  apprèhendoient  les  embufcades  ,  ôc  fe  retirèrent 
avec  perte.  Comme  l'automne  approchoit ,  ôc  que  les  Infidè- 
les étoient  retournez  dans  leurs  garnifons  ,  Schwendi  reprit 
fans  peine  la  ville  que  les  Allemands  venoient  de  brûler  5  il 
prit  aulli  Erdeud  avec  tout  le  territoire  des  environs  :  enforte 
que  de  toutes  les  villes  que  Jean  avoit  prifes  dans  l'été,  il  n'y 
eut  que  Pacota  qui  reftât  entre  les  mains  des  Turcs.  Schwendi 
poufla  fes  conquêtes  avec  tant  de  bonheur ,  ôc  il  profita  fi  bien  de 
fa  vi£loire,  que  Jean  fut  contraint  de  demander  du  fecours.  Soli- 
man ,  qui  craignoit  que  le  fuccès  ne  fût  pas  favorable,  jugea  qu'il 
ne  falloir  pas  feulement  envoyer  du  fecours  à  ce  Prince  ,  mais 
qu'il  devoir  y  aller  en  perfonne ,  ôc  faire  lui-même  la  guerre. 

Cependant  l'Empereur  envoya  George  Hozzuthothy  à  Conf- 
tantinople,  pour  fonder  les  difpofitions  du  Grand-Seigneur,  ôc 
fçavoir  s'il  vouloir  garder  la  trêve  qu'ils  avoient  faite. Cernovichz,. 
qui  y  avoit  été  envoyé  auparavant,  n'avoit  pu  tirer  que  des  paroles 
ambiguës,  ôc  étoit  revenu  avec  des  efpèrances  de  paix  fort  dou- 
teufes.  Sur  ces  entrefaites,  le  Juge  ou  magiflrat  d'Albe-Roïale 


4^  HISTOIRE 

ayant  traité  le  1 2  d'Odlobre  avec  le  comte  de  Salms ,'  gouver- 
neur de  Raab ,  ou  Javarin,  pour  lui  livrer  cette  place  ,  qui  n'en 
eft  éloignée  que  de  huit  milles,  le  comte  s'y  rendit  la  nuit  avec 
fes  troupes  très-fecrettement  ,  dans  le  deflein  d'entrer  dans  la 
ville  ,  lorfqu'on  en  ouvriroit  la  porte  pour  faire  fortir  les  bes- 
tiaux, ôc  de  furprendre  les  Turcs  qui  ne  s'attendoient  à  rien. 
Mais  l'Empereur,  qui  venoit  d'envoyer  Hozzuthothy  à  Conf- 
tannnople  ,  craignant  de  ruiner  par  cette  entreprife  les  efpéran- 
ces  de  paix  qu'on  lui  avoit  données  ,  envoya  promptement  ua 
exprès  au  comte  de  Salms ,  pour  lui  défendre  d'exécuter  ce 
qu'il  avoit  projette.  Le  Comte  obéît,  quoi  qu'avec  peine,  ÔC 
fut  bien  chagrin  defe  voir  enlever  une  conquête,  qu'il croyoit 
certaine ,  6c  dont  l'efpérance  le  flattoit.  Les  Turcs  ayant  dé- 
couvert ce  complot ,  firent  cruellement  empaler  quarante  bour- 
geois qui  en  étoient  complices.  Pour  le  Juge ,  il  fe  retira  d'a- 
bord à  Palotta  avec  fa  miferable  famille ,  ôc  enfuite  à  Vienne; 
pour  implorer  la  protection  de  l'Empereur.  Maximilien  congé- 
dia fon  armée  quelque  tems  après  i  6c  l'eledeur  Augufte  fit  re- 
venir dans  fes  Etats  les  troupes  auxiliaires  qu'il  avoit  envoyées 
en  Hongrie. 
L'Empereur  Cependant  Maximilien ,  à  fon  avènement  à  l'Empire ,  exhor- 
demande  h     ta  tous  Ics  pcuplcs  de  fon  obéïflance  à  la  confiance  6c  à  la  fer- 

Communion  '      o       r-       ]      i  i        i      r  \    r  i  -i       • 

fous  les  deux  r^s^e  i  6c  ann  de  donner  plus  de  rorce  a  les  paroles ,  11  prit  tous 
efpéces,  &  le  les  moyens  juftes  6c  raifonnables  pour  gagner  leur  affeûion  :  il 
frittes.  ^^  ^^^^  fi^  ^^^  ^^"^  envifager  le  péril  qui  les  menaçoit.  Il  prépara 
aufiii  l'argent,  les  hommes,  les  armes ,  ôc  toutes  les  autres  chofes 
neceflaires  pour  une  fi  grande  guerre.  Mais  comme  fes  fujets, 
principalement  dans  la  Bohême  6c  dans  l'Autriche  ,  murmu- 
roient  hautement ,  parce  qu'on  ne  leur  avoit  pas  donné ,  fur  l'u- 
fage  de  la  coupe  dans  la  Cène,  ôc  fur  le  mariage  des  Prêtres,  la  fa- 
tisfatlion  qu'ils  avoient  efperée  du  Concile  de  Trente,  ce  Prince 
pour  les  appaifer ,  6c  les  rendre  plus  difpofez  à  tout  ce  qu'il  fou- 
haitteroit,  il  faifoit  de  continuelles  inftances  auprès  du  Pape, 
pour  en  obtenir  ce  qu'il  jugeoit  néceiTaire  dans  les  circonftances 
préfentes ,  6c  ce  que  le  cardinal  Moron  avoit  promis  à  Ferdi- 
nand fon  père ,  6c  à  lui-même,  lorfque  le  Pape  preifoit  la  con- 
clufion  du  Concile. 

Pie  IV.  à  qui  les  Pères  du  Concile  avoient  laiflé  cette  affai- 
re à  décider ,  perfuadé  par  le  cardinal  Moron  ,  ne  refufoit  pas 

d'accorder 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Liv.  XXXVII.       4p 

d'accorder  à  l'Empereur  une  chofe  dont  il  ne  s'étoit  jamais  ■■ 

trop  éloigné.  Mais  à  l'inftigation  du  cardinal  Paceco ,  Philippe  c  h  a  R  l  E 

qui  craignoit  que  les  Payis-bas  ne  vouluflent  fuivre  l'exemple       j-^ 

que  l'Empire  leur  donneroit,  envoya  à  Rome  Pierre  ui'Avila,        ^  ^' 

dans  letems  qu'il  avoir  fçû  que  l'Empereur  devoit  y  envoyer 

des  députez,  &  il  lui  donna  ordre  de  détourner  le  Pape  d'un  j 

deflein  qui  feroit  très-pernicieux  à  l'Eglife  Chrétienne.  Les  prin-  i 

cipales  raifons  que  Philippe  ordonna  à  fon  AmbafTadeur  de  faire  ] 

valoir  étoient  :  Qu'il  n'y  avoit  pas  lieu  d'efperer  que  cette  con-  ) 

defcendance  fit  rentrer  les  fectaires  dans  leur  devoir  :  Qu'au  ' 

contraire  il  étoit  à  craindre  que  cette  facilité  ne  leur  infpirât  | 

la  hardieffe  de  demander ,  ou  d'ofer  entreprendre  de  plus  gran-  ; 

des  chofes  :  Que  leur  manière  n'étoit  pas  de  demander  des  cho- 

fes  injuftes  ôc  déraifonnables  ,  pour  obtenir  ce  qui  eft  raifon-  j 

nable  6c  jufte  ;  mais  de  commencer  par  ce  qui  a  quelque  ap-  i 

parence  d'équité ,  ôc  de  fe  faire  ainfi  une  efpece  de  degré  pour  '  ^ 

monter  plus  haut,  ôc  pour  obtenir  les  chofes  les  moins  juftes:  j 

Qu'il  étoit  donc  plus  à  propos  de  leur  ôter  tout  d'un  coup  toute  < 

efperance,  ôc  de  leur  faire  voir  qu'il  étoit  du  bien  de  l'Eglife ,  ôc  | 

qu'il  importo  it  pour  fon  union ,  de  ne  pas  accorder  aux  uns  plus  ; 

qu'aux  autres  ;  parce  que  tous  étant  membres  d'un  même  corps, 

enfans  d'une  même  Eglife,  tous  dévoient  avoir  le  même  cultejes  j 

mêmes  cérémonies ,  la  même  manière  d'adminiflrer  les  facre-  i 

mens,  ôc  de  célébrer  les  faints  myfteres.  C'eft  pourquoi,  à  la  folli- 

citation  du  Collège  des  Cardinaux ,  le  Pape  différa  la  décifion 

de  cette  affaire ,  donna  des  efpérances  pour  l'avenir ,  ôc  éluda 

pour  le  préfentla  demande  de  l'Empereur. 

Cependant  Soliman ,  qui  avoit  d'abord  paru  difpofé  à  accor-     Gueire  de  \ 
der  à  Jean  prince  de  Tranfylvanie  les  fecours  qu'il  lui  deman-  fj.^'|è"  che°va- 

doit ,  pour  fe  défendre  contre  la  maifon  d'Autriche,  changea  liers  de  Mal-  j 

de  deflein ,  fuivit  les  avis  du  Divan ,  ôc  tourna  fes  armes  con-  ^^*  ; 

tre  les  Chevaliers  de  Malte.  Le  Sultan  étoit  irrité  de  ce  que  ces  ! 

Chevaliers ,  qu'il  avoit  renvoyez  vies  ôc  bagues  fauves ,  après  la  i 

prife  de  Rhodes,  avoient  oublié  une  grâce  fi  particulière,  ôc  ! 

pouflfc  l'ingratitude  jufqu'à  fe  joindre  ,  pour  lui  faire  la  guerre,  ) 

au  Roi  d'Efpagne ,  l'ennemi  implacable  de  l'Empire  Ottoman.  ■ 

En  effet  ces  Chevaliers  défoloient  par  leurs  courfes  continuel-  s 

les ,  les  côtes  del'Afie  ôc  de  l'Afrq  ue  3  ôc  depuis  la  conquête  j 

Tome  V,  G  i 


;o  HISTOIRE 

du  Pignon  de  Velcz,  que  les  Efpagnols  avoient  pris  Tannée 
précédente  ,  ils  couroient  toute  la  mer  avec  plus  de  liberté  que 
jamais  :  &  comment  un  Empereur  Turc  ,  qui  pofTedoit  tant  de 
Royaumes ,  qui  avoit  gagné  tant  de  batailles ,  ôc  fait  tant  de 
conquêtes,  auroit-il  pii  foufFrir  plus  long-tems  ces  injures,  à  la 
honte  du  nom ,  6c  de  la  majefté  des  Ottomans  ?  D'un  autre  cô- 
té, les  femmes  mettoientla  Religion  de  la  partie  ;  elles  s'efFor- 
çoient  de  jetter  des  fcrupules  dans  l'efprit  de  Soliman ,  en  lui 
repréfentant  qu'à  la  honte ,  &  au  préjudice  de  la  pieté  ôc  de  la 
vraie  Religion ,  ces  déteftables  Pirates  infeftoient  le  chemin 
de  la  Mecque  ' ,  enforte  que  les  Mufulmans  ne  pouvoient  plus 
faire  fûrement  leurs  Pèlerinages  dans  ce  faint  lieu. 

A  tous  ces  motifs  fejoignoient  les  plaintes  importunes  d'Haf- 
fan  Bey  d'Alger ,  fils  d'Airadin  Barberoufle  ,  ce  fameux  Pirate^ 
ôc  celles  de  Dragut  Rais  ,  gouverneur  de  Tripoli ,  qui  lui  di- 
foient  fans  cefle ,  que  la  côte  d'Afrique  feroit  ruinée ,  tant  qu'il 
îaifferoit  fubfifter  Malte  ,  la  plus  forte  des  barrières  qu'on  op- 
pofoit  à  la  puiflance  de  fa  HautelTe  :  Qu'au  contraire  en  fe  ren- 
dant maître  d'une  ifle  11  avantageufement  fituée ,  il  fe  frayoit 
le  chemin  à  la  conquête  delà  Sicile  ôc  de  l'Italie,  ôcs'ouvroit 
un  palTage  pour  pénétrer  jufqu'en  Efpagne  :  Que  fes  armées 
navales  trouveroient  à  Malte  un  port  commode  pour  fe  refaire. 
ôc  fe  rafraîchir ,  pour  fe  répandre  par  tout  aux  environs,  pour 
croifer  dans  les  mers  des  Chrétiens ,  ôc  empêcher  l'entrée  de 
tout  ce  qui  leur  venoit  par  mer. 

Soliman  fe  rendit  à  toutes  ces  raifons  ;  ôc  cependant  pour 
tromper  l'Empereur  Maximilien,  pour  le  confumer  en  frais  ôc 
en  dépenfes  inutiles,  ôcpour  l'empêcher  de  porter  plus  loin  fes 
conquêtes ,  il  lui  envoya  l'évêque  d'Hermanftat ,  afin  de  l'exhor- 
ter à  vivre  en  paix  avec  le  prince  de  Tranfylvanie.  En  même 
tems  Etienne  Batori ,  oncle  de  ce  Prince  ,  ôc  ambaffadeur  de 
Sigifmond  Augufte  roi  de  Pologne,  vint  à  Vienne^  avec  des  or- 
dres ôc  des  inftrudlions  de  fon  neveu  à  ce  fujet.  Toutes  ces  dé- 
marches n'étoient  qu'une  rufe  de  la  part  des  Turcs ,  afin  d'ar- 
rêter les  progrès  des  armes  de  Maximilien  contre  un  Prince 


1  "Vinede  l'Arabie,  célèbre  parmi  les 
Turcs  par  la  naiflance  de  Mahomet  & 
Bon  par  fon  tombeau ,  comme  le  dit 


l'Auteur.  Letombeau  de  Mahomet eft 
à  Medine,  &  non  à  la  Mecque. 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXXVIL      ;i 

trop  foible,  pour  pouvoir  rcfifter  à  toutes  les  forces  del'Empe-  «««.««,■«• 
reur  ôc  de  l'Empire ,  ôc  atin  de  donner  au  Sultan  le  tems  6c  ~ 
la  commodité  de  faire  la  guerre  ailleurs.  ^^ 

Ainfi  Soliman ,  qui  regardoit  les  Chevaliers  de  Maîte  com- 
me les  feuls  d'entre  les  Chrétiens,  dont  la  puifTance  fur  mec  ^  ^  '* 
fût  redoutable  à  fon  Empire ,  ne  fe  contenta  pas  de  leur  avoir 
enlevé  Rhodes  avec  toutes  les  places ,  les  fortereffes,  &  les  ter- 
res qu'ils  avoient  dans  l'Archipel ,  dans  l'Afie,  dans  la  Grèce, 
ôc  de  leur  avoir  ôté  tout  récemment  Tripoli  :  il  vouloit  les  ex- 
terminer. Dans  ce  delTein  il  équipa  la  flotte  la  plus  belle  ôc  la 
plus  nombreufe  ,  qu'il  lui  fut  polTible  j  ôc  il  Ht  tous  les  prépara- 
tifs nécefTaires  pour  la  guerre  qu'il  médiroit.  En  mcme-tems  il 
commanda  au  Bey  d'Alger,  ôc  à  Dragut  d'armer  autant  de  vaif- 
feaux  qu'ils  pourroient.  11  envoya  aulli  à  Malte  des  Ingénieurs 
déguifez  en  marchands ,  pour  reconnoître  les  lieux,  mefurer  la 
hauteur  des  murailles  ^  fonder  la  profondeur  desfoflez,  &  lui 
tracer  un  plan  jufte  ôc  exadi  delà  ville  ,  des  châteaux  ôc  des  for- 
tifications. 

Lorfqu'on  eût  appris  dans  toutes  les  parties  du  monde  Chré- 
tien la  nouvelle  d'un  fi  grand  armement,  comme  on  nefça- 
voit  pas  encore  de  quel  côté  devoit  fondre  un  fi  terrible  ora- 
ge, dans  cette  incertitude  chacun  étoit  faifi  d'étonnement  ôc 
de  frayeur.  Le  plus  grand  nombre  blâmoit  hautement  Pexpe- 
dition  du  Pignon  de  Vêlez,  quoiqu'elle  eût  réulfiielle  n'étoit 
pas,  difoit-on,  d'une  aiïez  grande  conféquence,  ôcon  ne  de- 
voit pas  pour  un  avantage  li  peu  conlîderable  irriter  un  Prin- 
ce aulFi  puiflant  ôc  aufli  vindicatif  que  Soliman.  Tandis  que 
tout  le  monde  étoit  dans  Pinquietude ,  Dom  Garcie  de  Tolè- 
de Viceroi  de  Sicile,  qui  craignoit  pour  le  Fort  de  la  Gou- 
lette,  fit  promptement  équiper  une  flotte  pour  pafTer  en  Afri- 
que. En  y  allant  il  defcendit  à  Malte;  il  vifita  le  Grand-Maî- 
tre de  l'Ordre,  Jean  Parifot  de  la  Valette  ;  ôc  il  lui  promit  que 
fi  le  Turc  lui  déclaroit  la  guerre  ,  Philippe  ne  manqueroit  pas 
de  lui  fournir  depuilTans  fecours.  Le  Grand-Maitre  lui  fit  voir 
l'extrême  difette  ou  l'ifle  de  Malte  fe  trouvoit  réduite,  ôc  le 
prefla  fort  de  lui  envoyer  fans  délai  des  vivres  de  Sicile.  Dom 
Garcie  parut  touché,  ôc  promit  au  Grand-Maître  de  dépécher 
un  homme  de  confiance  à  Trapani ,  avec  ordre  de  faire  tranf- 
porter  à  Malte  autant  de  bled  ôc  de  vivres ,  qu'il  feroit  poflîble 

Gij 


SI  HISTOIRE 

dans  le  peu  de  tems  qu'ils  avoient.  La  Valette,  homme  d'un 

Ch  A  R L  E  t^ès-grand  courage ,  comptant  fur  l'accomplilTement  de  ces  pro- 

IX.       niefTes,  ne  penfa  plus  qu'à  fortifier  la  ville  &  les  châteaux, à 

j  -  ^^^    faire  de  grands  préparatifs  de  guerre,  à  pourvoir  aux  vivres, 

&  à  faire  des  levées  par  toute  l'ifle. 

Cependant  Garcie  aborda  à  Tunis.  Il  augmenta  la  garni- 
fon  du  Fort  de  la  Goulette^  &  la  fournit  abondamment  de  vi- 
vres &  de  toutes  fortes  de  munitions.  Il  y  laifTa pour  comman- 
der Alfonfe  de  la  Cueva  (  qui  fut  peu  après  remplacé  par  Alfon- 
fe  de  Pimente!  )  ôc  il  retourna  en  Sicile  avec  la  même  diligence 
qu'il  en  étoit  venu.  Dom  Garcie  fixa  fon  féjour  à  Meflîne , 
comme  dans  la  ville  la  plus  commode ,  en  cas  que  les  Turcs 
tournaffent  leurs  armes  contre  Malte  ;  &  il  fe  propofa  d'y  de- 
meurer tant  que  cette  guerre  dureroit.  De  là  il  envoya  au  Grand 
Maître  deux  enfeignes  d'Efpagnols ,  qui  partirent  de  Syracu- 
fe  ,  ôc  furent  conduites  à  Malte  par  Jean  de  Cardone  Général 
des  galères  du  royaume  de  Sicile.  Il  arriva  dans  le  même- 
tems  à  Malte  trois  cens  cinquante  foldatsque  la  Valette  avoit 
fait  lever  en  Italie,  ôc  on  apporta  avec  eux  une  grande  quan- 
tité de  vivres  ôc  de  munitions ,  fur  des  vaifTeaux  de  charge.  Le 
Grand-Maître,  qui  prévoyoit  le  befoin  qu'il  pouroit  avoir,de  ces 
vaifTeaux ,  les  retint.  Le  Roi  d'Efpagne  ayant  eu  avis  de  ce  qui  fe 
paffoit  )  jugea  fagement  que  le  danger  de  Malte  intereflbit  la  Si- 
cile, ôc  même  toute  l'Italie;  dont  la  fûreté'^dépendoit  principale- 
ment de  la  confervation  d'une  ifle  fi  importante.  Ce  Monar- 
que manda  donc  aufli-tôt  à  tous  les  Gouverneurs  des  Provin- 
ces ,  ôc  à  tous  les  commandans  de  fes  flottes ,  de  donner  à  Dom 
Garcie  tous  les  fecours  qu'il  demanderoit. 

Philippe  écrivit  aufli  à  tous  fes  vaflaux ,  ôc  aux  Princes  d'I- 
talie fes  amis ,  d'enroller  vingt  mille  hommes  de  pied.  Et  pour 
ne  pas  faire  une  dépenfe  fuperfluë  ,  il  ordonna  par  une  fage  pré- 
caution, de  ne  leur  pas  donner  la  paye  dès  le  premier  jour  de 
leur  engagement,  mais  feulement  de  s'en  aflurer  ,  ôc  de  les  dif- 
pofer  à  fe  ranger  au  premier  ordre  fous  les  enfeignes  de  leurs 
officiers 

Cependant  l'armée  navale  des  Turcs  étant  partie  de  Confian- 
tinople  le  2p  de  Mars,  vint  dans  la  Alorée^  ôc  aborda  àMo- 
don.  Elle  étoit  compofée  de  fept  mille  hommes  des  garnifons 
de  l'Afie  mineure,  mille  de  celle  de  l'ifle  de  Metelin^  quatre 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXXVII.      ss 

mille  cinq  cens  du  corps  des  JanifTaires ,  qui  font  les  principa-  . 

les  forces  de  l'Empire  Ottoman ,  treize  mille  volontaires  ' ,  dou-  C  H  a  r  l  E 

ze  cens  hommes  des  garnifons  de  Thrace  t  qu'on  nomme  au-       j  x. 

jourd'hui  la  Romanie^  octrois  mille  de  toute  forte  de  gens ,  que      i  ç  ^  ç*. 

l'efperance  du  butin  avoit  raflemblez.  Toutes  ces  troupes  mon- 

toient  à  trente  mille  combattans  ou  environ.  Le  Bâcha  Muf- 

tapha,  capitaine  de  grande  expérience  :,  qui  les  commandoit, 

fit  à  Modon  la  revûë  de  ces  troupes  ^  ôc  monta  fur  la  flotte 

que  le  Bâcha  Piali  amiral  avoit  amenée  de  Conftantinople.  Elle 

étoit  compofée  de  cent  trente  galères ,  fans  compter  les  dix  qui 

croient  deftinées  à  la  garde  de  l'ifle  de  Rhode ,  ôc  deux  à  celle 

de  MeteUn ,  ôc  dix-fept  autres.  Ainfi  la  flotte  entière  compo- 

foit  cent  cinquante-neuf  vaiffeaux  à  rames  3  ôc  vingt-deux  de 

charge ,  pour  tranfporter  les  vivres  ôc  les  munitions.  Lorfqu'elle 

fut  arrivée  à  Malte  ,  plufieurs  autres  navires  vinrent  fucceflive- 

ment  de  tous  cotez  en  augmenter  le  nombre ,  ôc  la  rendre  une 

des  plus  terribles  flottes  qu'on  eût  vues  depuis  long-tems. 


1  II  y  a  dans  l'Empire  Ottoman  un 
grand  nombre  de  gens  nourris  Ôc  en- 
tretenus aux  de'pens  des  Imans  ou  Prê- 
tres Mahometans.  M.  de  Thou  obfer- 


ve  que  ces  gens  fournirent  à  l'arme'e 
les  treize  mille  volontaires  compris 
dans  le  dénombrement  qu'il  en  fait, 


Fin  du  trente-fepiéme  Livre* 


G... 


HISTOIRE 


^%    f^i    i%    ('■'■{    ^''^i    ^"i    '>'^'i    j""*-^    ^"-s    ^'*''^    ^*-- 
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HISTOIRE 

D  E 


JACQUE     AUGUSTE 

D  E     TH  O  U 


afTiégentMal- 
tç. 


LIVRE  TRENTE-HVITIEME. 

'A  R  M  e'e  navale  des  Turcs  étant 
partie  de  Modon  ,  avec  un  vent  fa- 
vorable aborda  vers  le  milieu  du 
mois  de  Mai  à  Marza  Sirocco ,  l'un 
des  ports  '  de  l'ifle  de  Malte,  qui 
regarde  l'Orient.  Mais  comme  elle 
y  fut  tourmentée  par  un  mauvais 


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tems  ,  elle  fe  retira  dans  un  autre 


,.^  ;.^  port  S  appelle  Maggiaro.  Quoique 

Igjîl^feiâ^Éte^t^  je  me  fouvienne  d'avoir  dit  quelque 

chofe  delafituationdeMalte,  lorf^ 
que  j'ai  raconté  la  prife  de  Tripoli  S  il  faut  néanmoins  que 
j  en  parle  encore  une  fois  en  cet  endroit.  Malte  eil  une  ifle 


I  C'eft  proprement  une  cale  ou  anfe. 
z  Cet  autre  port  eu  encore  une  cale. 


3  Voyez  Liv.  VIL 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXXVIII       yy 

dans  la  mer  de  Sicile  ,  fituée  entre  la  Sicile  &  la  côte  d'Afri- 
que,  éloignée  du  cap  de  Paflaro  en  Sicile  de  foixante  milles,  ChaRLB 
à  deux  cens  foixante  ôc  dix  milles  de  Tripoli,  ville  d'Afrique,        j  )^^ 
&  de  Secco  di  Palo ,  ou  petite  Syrte.  Elle  à  foixante  milles  de     i  r  6  <' 
circuit ,  vingt  milles  de  long ,  ôc  environ  douze  milles  de  large. 
Du  côté  du  couchant  il  y  a  une  petite  ifle ,  que  les  anciens  ap- 
pelloient  Gaulos ,  ôc  que  les  modernes  nomment  le  Goze.  Il 
n'y  a  entre  cette  ifle ,  ôc  celle  de  Malte  ,  qu'un  trajet  de  qua- 
tre milles.  Vers  le  milieu  de  l'ifle ,  eft  une  ville  appellée  Malte  '  ^ 
dont  le  Port  eft  éloigné  d'environ  huit  milles  j  ce  fut  ce  Port 
fur  qui  tomba  tout  l'effort  de  l'armée  Ottomane. 

C'eft  un  golfe  ,  dont  l'entrée  regarde  le  feptentrion  ôc  la  Si- 
cile ,  ôc  qui  entre  dans  les  terres  environ  mille  pas.  Une  langue 
de  terre  ,  qui  s'avance  jufqu'à  l'embouchure  du  port,  le  parta- 
ge en  deux ,  ôc  forme  deux  ports.  A  l'extrémité  de  cette  lan- 
gue s'élève  un  rocher ,  au  haut  duquel  on  a  bâti  un  château 
très-fort,  appelle  le  FortS.  Elme  ^  Le  côté  gauche  du  Golfe  fe 
nomme  Marza  ^  Mufcietto ,  ôc  il  a  quelques  petites  anfes.  Le 
côté  droit  en  contient  quatre  aflez  grandes,  divifées  par  trois 
petites  langues  :  dans  Tune  eft  la  ville  nommée  il  Borgo,  ou 
le  bourg,  qui  eft  bien  fortifiée  :  à  l'extrémité  de  cette  langue  il  y 
a  un  château  très-fort ,  nommé  le  château  Saint  Ange  '^.Dans  la 
langue  voilineil  y  a  une  éminence,  fur  laquelle  on  a  élevé  un 
château  très-fortifié ,  appelle  Saint  Michel ,  qui  embraffe  dans 
fa  fortification  tout  l'efpace  qui  eft  entre  le  milieu  ôc  l'extrémi- 
té de  la  langue.  Tous  ces  châteaux  avoient  de  bonnes  garni- 
fons  de  troupes  d'élite,  de  François,  d'Italiens,  ôc  d'Efpagnols,- 
qui  faifoient  mille  hommes  bien  armez.  Le  Grand-Maître  avoir 
outre  cela  mille  hommes  de  mer,  d'une  valeur  éprouvée,  ôc 
cinq  cens  bourgeois ,  aufquels  on  avoir  joint  quatre  mille  payi- 
fans  de  l'ifle ,  armez  d'arquebufcs.  Il  y  avoir  alors  dans  l'ifle 
cinq  cens  Chevaliers  :  le  château  Saint  Ange  étoit  défendu  par 
cinquante  des  plus  braves  ,  qui  avoient  à  leur  tête  Garze- 
naro  Ros  Chevalier  Catalan.  On  mit  dans  le  château  Saint 
Michel  une  compagnie  de  foîdats  d'élite  ,   fous  les  ordres 


1  On  l'appelle  autrement  la  cité  no- 
table. 

2  Bâti  par  Léon  Strozzi  prieur  de 
Capouë, 

3  Marza  en  Arabe  fignifie  Port- 


4  C'e'toit  l'unique  Fort,  qu'il  y  eut 
dans  ride, quand  les  Chevaliers  en  pri- 
rent pofleflîon  :  le  Grand-Maître  l'Ille* 
Adam  y  ajouta  des  remparts,  des  baf- 
tiens  &  des  foflez. 


fé  HISTOIRE 

^,^^^^^,^^  d'Afdrubal  de  Medicis ,  avec  les  foldats  de  marine  de  deuxga- 
~  "~  léres  j  PAmiral  Pierre  de  Monte ,  qui  fut  depuis  Grand-Maître 

T^^^  de  l'Ordre  ,  s'y  enferma  avec  un  grand  nombre  d'Italiens,  ôc 
^'  entr' autres  avec  Fran(çois  Zanoguera ,  ôc  Charle  Rufo ,  capitai- 
^  ^  ^ S'  nés  de  galères.  Il  y  avoit  dans  le  Fort  S.  Elme  foixante  fol- 
dats ,aufquels  on  ajouta  depuis  foixante  Chevaliers ,  ôc  une  en- 
feigne  d'Efpagnols ,  dont  Louis  Broglio  avoit  le  commande- 
ment. L'ifle  du  Goze  avoit  une  garnifon  de  quatre-vingts  hom- 
mes de  guerre ,  commandez  par  Giannotto  Toreglias  de  Ma- 
jorque. Pierre  Mefquita  Portugais  avoit  le  commandement 
de  la  vieille  ville,  ôc  on  lui  joignit  Jean  Vagnon ,  avec  quatre 
Chevaliers  ôc  une  troupe  d'élite  de  cent  cinquante  hommes  de 
pie.  Guillaume  Coppier  maréchal  de  l'Ordre  tenoit  la  campa- 
gne avec  trente  Chevaliers.  Ils  avoient  ordre  de  courir  de  cô- 
té Ôc  d'autre ,  avec  fix  cens  foldats  ôc  deux  cens  Infulaires  à  che- 
val ,  pour  être  toujours  prêts  à  donner  fur  l'ennemi. 

Le  lendemain  l'armée  navale  des  Turcs  revint  à  Marza  Si- 
rocco ;  ÔC  la  nuit  fuivante  elle  mit  fes  troupes  à  terre.  Dès  le 
matin  une  grande  troupe  de  Turcs  alla  à  Sainte  Catherine  5  c'eft 
le  nom  d'un  village  à  deux  milles  de  Malte.  La  Valette,  après 
avoir  afîîfté  aux  procédions  ôc  aux  prières  de  quarante  heures , 
fuivant  la  coutume  de  l'Ordre ,  fît  fortir  cinq  cens  hommes  de 
la  ville ,  pour  reconnoître  les  ennemis,  fçavoir  où  ils  alloient, 
ôc  tâcher  de  découvrir  leurs  deffeins.  Il  y  eut  un  combat ,  où 
les  Maltois  bien  inférieurs  en  nombre ,  furent  d'abord  obli- 
gez de  céder.  On  apperçut  de  la  ville  ce  qui  fe  paffoit  s  ôc  aulîî- 
tôt  quelques  Chevaliers,  Ôc  un  grand  nombre  de  foldats,  fous 
la  conduite  de  Jean  d'Eguerra  bailly  de  Négrepont  ,  vinrent 
au  fecours.  A  leur  arrivée  on  retourna  au  combat  j  ôc  enfin  les 
Maltois,  après  avoir  long-tems  combattu  avec  beaucoup  d'o- 
piniâtreté ,  repoufferent  les  Turcs  avec  perte  ■>  car  il  en  demeu- 
ra foixante  fur  la  place,  Ôc  plufieurs  furent  bleiïez. 
Siése  du  ^^  P^^  fuivant  Muftapha  approcha  de  la  place  avec  douze 

château  S.  El-  enleignes,  pour  la  reconnoître  de  plus  près  ,  amenant  avec  lui  le 
chevalier  de  Ribera ,  qui  étoit  captif  II  l'avoit  déjà  fouvent  in- 
terrogé ,  ôc  il  vouloir  encore  lui  faire  des  queftions  à  la  vue  de 
la  ville ,  fur  les  affaires  de  l'Ordre ,  fur  la  fituation  ôc  les  forces  de 
la  place  ,pour  fçavoir  de  quel  côté  on  devoit  drelfer  les  batte- 
ries. Mais  comme  on  tirade  la  ville,  ôc  qu'on  fît  une  fortie3 

Muftapha 


me 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I V,  XXXVIIL     ^ 

Muftapha  ne  penfa  plus  à  la  reconnoître  ,  mais  feulement  à  ■   ■ 

bien  combattre.     Cependant  la  perte  fut  toute  de  fon  côte  i  (^  h  a  r  l  E 
il  perdit  cent  cinquante  de  fesgens  5  6c  les  Maltois  n'eurent       j^^ 
qu'un  Che\^lier  ôc  onze  foldats  de  tuez,  ôc  environ  trente  de     ^  ^  ^*  • 
bleflez. 

Les  ennemis  tinrent  Confeil ,  6c  refolurent  d'attaquer  d'abord 
le  Fort  S.  Elme ,  parce  que  l'ayant  pris ,  ils  croyoient  fc  rendre 
aifément  maîtres  du  port  Mufcietto  ,  meilleur  que  celui  de 
Sirocco.  Muftapha  partagea  donc  fes  troupes  en  trois  corps. 
Il  en  mena  un  vers  le  Fort  S.  Elmej  il  envoya  le  fécond  pour 
reconnoître  un  Fort  de  la  place  ,  appelle  le  Provençal  ',  du  nom 
de  notre  Provence?  ôc  le  troifiéme  fut  employé  à  faire  avan- 
cer le  canon.  Ceux  qui  étoient  allez  pour  reconnoître  les  mu- 
railles,  furent  repouffezpar  le  canon  de  la  place  ■■>  6c  ceux  qu'on 
avoir  envoyez  pour  faire  voiturer  l'artillerie ,  amenèrent  en  deux 
jours  douze  canons  à  Mufcietto  ,  6c  fe  fervirent  pour  cela  de 
boeufs  3  dont  ils  avoient  abondance;  car  les  Infulaires  ayant  été 
avertis  avant  l'arrivée  des  Turcs  d'amener  leurs  troupeaux  dans 
la  ville  6c  dans  la  cité ,  eurent  aflez  de  nonchalance  6c  d'opiniâ- 
treté pour  n'en  rien  faire. 

Aufli-tôt  qu'on  eut  amené  le  canon  ,  on  travailla  à  faire  dç.^ 
retranchemens  ;  6c  le  jour  fjivant  on  commença  avec  deux  ca- 
nons placez  fur  une  colline,  à  tirer  contre  une  eftacade  qui  fer- 
moir le  golfe  entre  la  ville  6c  le  château  S.  Michel ,  contre  les 
vaifleaux ,  6c  contie  les  maifons  qui  étoient  là.  Le  même  jour, 
qui  étoit  le,  25*  de  Mai,  Hali  Calabrois ,  à  qui  les  Chrétiens 
donnoient  par  mépris  le  nom  d'Ulucciali*,  ayant  été  fait  Ami- 
ral ,  6c  ayant  le  premier  après  BarberouiTe  *  obtenu  de  Soli- 
man la  dignité  de  Bâcha  avec  celle  d'Amiral ,  vint  d'Alexan- 
drie, on  il  commandoit  lagarnifon  ,  aborda  à  Malte  avec  llx 
galères ,  6c  fe  joignit  au  refte  de  l'armée  navale  des  Turcs. 

Cependant  Jean  de  la  Cerda  Amiral  vint  trouver  la  Valet- 
te, pour  lui  demander  un  promt  6c  puiilant  fecours,  6c  tout  ce 


1  Autrement  le  Fort  de  la  Hanche 
ainfi  appelle ,  parce  qu'il  a  e'té  bâti  par 
un  Grand- Maître  de  ce  nom. 

2  Ulucciali ,  félon  l'auteur,  fignifîoit 
Hali  Maraudeur.  Il  y  a  dans  le  texte 
emenforem  ;  c'eft  une  faute ,  6c  il  faut  li- 
re emanforeni.  Em.vijor  veut  dire  un 
foldat  vagabond ,  qui  fans  aveu  ÔC  uns 

Tome  V, 


ordre  court  ça  8c  là  pour  piller ,  un  ma- 
raudeur. Il  ell  vrai-femblable  que  les 
Chrétiens,  par  ce  nom  qu  ils  donnoient 
à  Hali ,  vouloient  lui  reprocher  qu'il 
n  étoit  qu'un  écumeur  de  mer. 

3  EffeéUvement  Dragut  ,  quoique 
Gcnéral  des  galères  du  Grand-Seigneur, 
ne  put  obtenir  le  titre  d'Amiral. 

H 


5^  HISTOIRE 

»^^^^^;^;;»..  qui  étolt  nécefTaire  pour  la  défenfe  du  Fort  S.  Elme.  II  lui  re- 
Charle  P^^^^^"^^^  4"^  c^  Fort,  reflembloit  à  un  corps  ufé  par  une  lon- 
I  X        §^^^  maladie  >  qui  a  toujours  befoin  de  nourriture.  Le  Grand- 
j  j  ^  *       Maître  f(^avoit  bien  que  la  Cerda  ne  lui  difoit  rien  que  de  vrai> 
ôc  il  étoit  touché  du  malheur  dont  tant  de  braves  gens  étoient 
menacez.  Mais  comme  il  prévoyoit  que  les  fecours  promis  ne 
viendroient  pas  li-tôt  ,  &  que  s'il  abandonnoit  la  défenfe  du 
Fort  y  les  ennemis  inveftiroient  aufTi-tôt  la  ville  j  il  prit  le  parti 
de  leur  faire  foûtenir  le  fiége  auiïi  long-tems  qu'il  feroit  polTi- 
ble,  malgré  le  danger  auquel  ils  étoient  expofez ,  il  pria  la  Cer- 
da de  prendre  courage  ,  &  il  le  renvoya  avec  cent  cinquante 
hommes  d'élite. 

Dragut,  qui  avoir  beaucoup  de  crédit  auprès  de  Soliman; 
&  fans  le  confeil  duquel  il  étoit  défendu  aux  Bâchas  de  rien  en- 
treprendre ni  fur  terre  ni  fur  mer  ,  arriva  avec  treize  grandes 
galères^  ôc  deux  plus  petites,  où  il  y  avoit  1400  hommes  de 
guerre  :  il  fut  reçu  de  toute  larmée  avec  de  grandes  mar- 
ques d'honneur.  On  dit  qu'ayant  appris  de  quelle  manière  les 
Bâchas  avoient  commencé  leurs  attaques  ,  il  les  blâma  de  n'a- 
%'oir  pas  commencé  par  le  Goze  :,  par  le  château  qui  eft  dans 
cette  Ifle ,  ôc  par  la  ville  peu  éloignée  du  château  ,  prétendant 
que  par  la  pril'e  de  ces  places ,  on  auroit  fermé  tout  d'un  coup 
l'entrée  à  tous  les  fecours  que  les  Chrétiens  dévoient  envoyer , 
ôc  coupé  pour  ainfi  dire  les  mammelles  qui  fournifToient  la 
ôc  nourriture  à  toute  l'ifle. 

Muftapha  entreprit  de  juftifier  fa  conduite ,  ôc  dit  qu'il  avoit 
commencé  par  le  Fort  S.  Elme ,  dans  le  delfein  de  s'empa- 
rer du  port  de  Mufcietto ,  ôc  de  donner  à  la  flotte  une  retrai- 
te plus  fûre  î  ce  qui  lui  avoit  paru  préférable  à  tout.  Cette  con- 
teftation  fit  que  Muftapha  redoubla  fes  efforts ,  ôc  qu'il  tâcha 
de  furmonter,  par  fa  diligence  ôc  parfon  travail,  les  difficuîtez 
qui  fe  rencontroient.  Et  parce  que  toute  l'ifle  de  Malte  n'eft 
qu'une  efpéce  de  rocher ,  ôc  qu'il  n'y  avoit  pas  moyen  d'ou- 
vrir ôc  de  conduire  des  tranchées  dans  un  terrain  fi  dur  ôc  fi 
pierreux  ,  il  fit  élever  une  efpéce  de  muraille ,  pour  lui  fervir 
de  mantelet,  formée  de  poutres  ôc  de  planches  attachées  en- 
femble ,  qu'il  fit  enduire  de  paille  ôc  de  boue,  afin  de  fe  met- 
tre à  couvert  ;  ôc  pour  achever  le  travail  plus  promtement ,  il  y 
employa  les  rameurs  de  quarante  galères^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lir.  XXXVIIL    y^r 

La  batterie  commença  le  dernier  jour  de  Mai  avec  quator- 
ze pièces  de  canon  pointées  contre  le  château,  &  principale-  Char  le 
ment  contre  une  défenfe  qui  en  étoit  féparée ,  ôc  qui  avoit  été       j^ 
nouvellement  conftruite.  Dragut  entreprit  auffi  de  la  battre  de     ^  -  ^* 
revers,  avec  quatre  gros  canons  qu'il  fit  drefler  à  la  pointe  du 
port  de  Mufcietto ,  qui  eft  vis-à-vis  le  Fort ,  dont  il  eft  féparé 
par  un  petit  bras  de  mer.  La  défenfe  ne  refifta  pas  long-tems 
à  une  batterie  qui  fut  continuelle  :  ayant  donc, été  renverfée, 
ôc  les  parapets  abatus ,  de  forte  que  les  afïiégezne  pouyoient 
plus  faire  ufage  de  leurs  canons  ,  les  afliégez  d'un  côté  tra- 
vaillèrent avec  une  adivité  infatigable  à  rétablir  ce  qui  avoit  été 
ruiné,  à  boucher  ce  qui  avoit  été  ouvert,  ôc  à  faire  des  retran- 
chemens  en  dedans.  Les  Turcs  d'autre  part  avancèrent  leurs 
travaux  j  6c  les  ayant  conduits  jufqu'au  foîfé ,  ils  fe  logèrent  fort 
près  du  Fort ,  ôc  entreprirent  de  l'enfermer  de  tous  cotez. 

Ils  étoient  déjà  arrivez  à  la  droite  ,  fur  le  rivage  qui  eft  du 
côté  de  la  ville ,  ôc  y  avoient  placé  deux  canons ,  avec  un  bon 
nombre  d'arquebufiers ,  afin  d'empêcher  le  pafTage  des  barques 
qui  alloient  ôc  venoient ,  pour  porter  aux  afTiégez  les  chofes 
néceflaires.  A  la  gauche  ayant  continué  leurs  travaux ,  ils  avoient 
atteint  le  baftion  qui  regardoit  le  port  de  Mufcietto  :  ce  baflion 
couvroit  le  port  de  ce  côté-là ,  Ôc  lui  étoit  joint  par  une  mu- 
raille féche ,  défendue  par  cinquante  arquebufiers.  Comme  ces 
arquebufiers  avoient  été  harcelez  ôc  fatiguez  toute  la  nuit  par  les 
Turcs ,  qui  ne  cefToient  de  tirer ,  ôc  qu'étant  abattus  Ôc  acca- 
blez  par  le  travail  ôc  les  veilles ,  ils  commencèrent  à  fe  négli- 
ger, les  ennemis ,  après  avoir  tué  la  fentinelle ,  entrèrent  par  une 
canoniere  :  les  arquebufiers  prirent  l'épouvante  î  une  partie  fe 
précipita  d'un  pont  de  bois  ,  qui  étoit  auprès  du  baftion,  dans 
le  foffé  j  ôc  l'autre  fut  taillée  en  pièces  par  les  Turcs.  Ceux-ci 
s'étant  rendus  maîtres  du  baflion  ,  marquèrent  leur  joie ,  fui- 
vant  leur  coutume  ,  par  de  grands  cris  ôc  par  des  hurlemens. 
Comme  ils  efpéroient  entrer  d'emblée  dans  le  château  ,  ils  def- 
cendirent  aufli-tôt  dans  le  foffé ,  ôc  planr^^rent  leurs  échelles  j 
mais  elles  fe  trouvèrent  trop  courtes.  Ainfi  après  un  rude  com- 
bat, les  Turcs  furent  repouffez ,  Ôc  payèrent  la  peine  de  leur  té- 
mérité :  ils  perdirent  quatre  cens  de  leurs  gens,  ôc  les  afliégez 
n'en  eurent  pas  plus  de  cinquante  de  tuez. 

Cependant  Raphaël  Salvago  ,  qui  avoit  été  envoyé  à  Dom 

Hij 


I 


6o  HISTOIRE' 

,„„._„,.^  Garde  viceroi  de  Sicile ,  pour  hâter  le  fecours  y  étoit  arrivé  à 
^  ^  Mefllne,  avec  Camille  Medici.fils  naturel  du  marquis  de  Ma- 

y  y^  rignaii ,  que  la  Valette  envoyoit  au  Pape  pour  le  mcme  fujet. 
Dom  Garcie  confirma  fort  au  long  les  promefles  qu'il  avoit  fai- 
'  ^'  tes  5  il  aflura  qu'on  en  verroit  l'effet  avant  le  20  de  Juillet,  ôc 
qu'il  alloit  voler  à  Malte.  Puis  il  renvoya  Salvago  avec  qua- 
tre galères.  Ce  Chevalier,  après  avoir  doublé  le  cap  dePafTa- 
ro,  vit  bien  qu'il  ne  pouvoit  avancer  fans  s'expofer  à  un  très- 
grand  péril.  Il  lailTa  donc  là  les  galères  j  il  monta  dans  un  bri- 
gantin  ,  ôc  entra  dans  le  port  avec  beaucoup  de  danger  5  car 
les  Turcs  qui  s'étoient  doutés  de  fon  arrivée  ,  firent  pleuvoir 
fur  lui  une  grêle  de  moufqueterie.  Le  Grand  Maître  le  ren- 
voya fur  le  champ  ,  pour  preffer  le  Viceroi  par  fa  préfence  > 
avec  ordre  de  ne  le  point  quitter,  que  les  troupes  ne  fuffent  em- 
barquées. 

Les  Turcs ,  qui  avoient  pris  le  baftion  ,  l'éleverent ,  par  le 
moyen  des  fafcines  qu'ils  mirent  deOlis  en  très  grand  nombre, 
jufqu'à  la  hauteur  de  la  murailles  &  y  ayant  placé  deux  pièces 
de  canon,  ils  tirèrent  fans  difcontinuer  j  ôc  pour  incommoder 
d'avantage  les  affiégez  ,  ils  firent  defcendre  dans  le  foiïé  des  ar- 
balétriers ,  qui  tiroient  continuellement.  Ils  firent  encore  un 
pont  des  antennes  de  leurs  vaiifeaux  ,  qu'ils  lièrent  enfemble 
avec  des  cables  5  ôc  ils  le  firent  de  telle  largeur  ,  que  quatre 
hommes  armez  y  pouvoient  paffer  de  front.  Ils  mirent  de  la 
terre  par  defllis,  afin  qu'il  ne  pût  être  embrazé  parles  feux  qu'on 
jetteroit  d'en  haut ,  ôc  ijs  le  joignirent  à  la  muraille  du  château , 
en  l'appuyant  fur  les  bords  du  fofi"é.  Par  le  moyen  de  ce  pont, 
fur  lequel  ils  étoient  commodément,  les  Turcs  commencèrent 
à  creufer  la  muraille  dans  une  fi  grande  étendue ,  que  plufieurs 
pouvoient  s'y  mettre  à  l'abri  des  coups,  que  les  afiiégez  tiroient 
d'en  haut.  Les  affiégez  s'étant  apperçûs  de  cette  manoeuvre, 
firent  une  autre  muraille  en  dedans ,  vis-à-vis  de  cet  endroit. 
En  même  tems  ils  firent  fortir  les  femmes ,  que  la  Valette  re- 
<^ut  dans  la  ville  avec  les  bleficz  ;  ôc  en  leur  place  il  envoya  dans 
]e  Château  cent  hommes  tous  frais. 

D'Eguerra  ,  qui  commandoit  dans  le  château  avec  Louis 
Broglio,  fe  trouvant  fort  incommodé  de  la  blefTure  qu'il  avoit 
reçue  dans  le  premier  combat  ,  ôc  Broglio  s'excufant  fur  fa 
vieillefTe  ,  qui  le  rendoit  moins  propre  à  commander  j  on  domia 


DEJ.  A.  DETHOU>  Liv.  XXXVIII.      6i. 

le  commandement  du  Fort  à  Meîchior  de  Montferrata;  ôcon 

mit  fous  lui  le  capitaine  Miranda ,  qui  rendit  de  très  bons  fervi-  C  H  a  R  L  E 

ces  pendant  le  fiége.  IX. 

Cependant  Salvago  arriva  à  Saragoufe ,  où  ayant  trouvé  deux  i  5  (^  r. 
galères  de  l'Ordre ,  que  le  chevalier  de  Cornuflbn  conduifoit  > 
il  lui  commanda  de  la  part  du  Grand-Maître  Ton  oncle  ^  de 
tranfporter  dans  l'ifle  quatre  cens  hommes  de  troupes  auxiliai- 
res ,  qui  s  croient  aflemblées  en  ce  lieu  3  ôc  il  lui  enfeigna  la  rou- 
te qu'il  trouvoit  la  plus  fûre>  pour  arriver  heureufement  à  Mal- 
te. CornuiTon  étant  arrivé  à  l'irie  du  Goze  ,  6c  ayant  appris 
des  habitans  que  la  cale  d'Antofega  ,  ôc  tous  les  lieux  des  en- 
virons, croient  occupez  par  les  Turcs,  il  s'en  retourna  à  Sara- 
goufe ,  s'imaginant  qu'il  falloitreferver  tant  de  braves  gens  pour 
un  meilleur  tems. 

Il  y  eut  alors  quelque  trouble  dans  le  Fort  S.  Elme,  caufé 
par  l'appréhenfion  d'une  mine  :  on  députa  au  Grand- Maître  , 
pour  lui  dire  qu'il  n'éroit  pas  polTible  de  défendre  la  place  plus 
Jong-tems  j  qu'il  envoyât  donc  dès  cette  nuit  là  même  des  bar- 
ques ,  pour  les  faire  tranfporter  dans  la  ville  ;  que  s'il  ne  le  fai- 
foit ,  ils  n'écouteroient  que  ce  que  le  defefpoir  leurinfpireroit  ; 
qu'ils  fortiroient  tous  du  Fort ,  &  qu'en  fe  jettant  fur  les  Turcs, 
ils  s'expoferoient  à  une  perte  aflurée,  pour  mourir  les  armes  à 
la  main  en  combattant ,  plutôt  que  de  finir  leur  vie  par  un  gen- 
re de  mort  qui  n'auroit  rien  de  glorieux ,  foit  qu'ils  fulTcnt  étouf- 
fez fous  des  ruines  ,  foit  que  le  château  étant  pris ,  ils  fulTent 
égorgez  comme  des  bêtes  ;  fans  pouvoir  combattre. 

U  ne  pareille  dépuration  troubla  un  peu  l'efprit  du  Grand-Maî- 
tre 5  mais  après  avoir  délibéré,  il  jugea  qu'il  devoir  envoyer  aux 
affiégez  quelques  pcrfonnes  de  poids ,  pour  les  affurer  (  après 
avoir  bien  examiné  la  chofe  )  que  la  crainte  d'une  mine  étoit 
une  terreur  panique  ôc  fans  fondement ,  ôc  pour  les  animer  à  foû- 
ten'r  le  fiége.  Conixantin  Caflriot  étoit  de  ceux  qu'on  envoya  ; 
il  foûtenoit  qu'on  pouvoit  ôcqu'on  dcvoit  défendre  le  château» 
&  il  dit  qu'il  vouloit  bien  être  de  ceux  qui  le  défendroient. 
Dans  le  même  tems  les  affiégez  ayant  repris  courage ,  ôc  crai- 
gnant alors  moins  pour  leur  vie  que  pour  leur  honneur ,  envoyè- 
rent dire  à  la  Valette  qu'ils  n'avoient  jamais  eu  le  deffein  d'a- 
bandonner le  Fort  i  mais  que  le  trouble  avoit  été  caufé  par  la 
négligence  de  ceux  qui  étoient  au  dehors,  ôc  qui  n'envoyoient 
pas  à  tems  les  chofes  dont  on  avoit  befoin.  H  iij 


<^2  HISTOIRE 

Cependant  les  Turcs  ne  prenoient  aucun  repos  >  &  avâht  le 
/-,  ~   1 3  de  Juin  ils  avoient  tellement  creufé  le  ballion  tourné  vers  le 

j  xr  port  de  Mufcietto ,  avec  des  maillets  &  des  pinces ,  qu'on  y  pou- 
,  ^'  voit  monter  comme  par  devrez.  Ainfi  quoique  le  pont,  qu'ils 
'  ^  avoient  commence,  ne  rut  pas  encore  achevé  j  OC  qu  US  neulient 
pas  encore  allez  abaifle  la  muraille  ,  pour  pouvoir  fe  fervir  de 
leurs  échelles ,  ils  réfolurent  par  une  fureur  aveugle  de  monter  à 
l'aflaut.  Le  lignai  ayant  donc  été  donné,  ils  plantèrent  les  échel- 
les >  ôc  s'étant  partagez  en  deux  corps  ,  ils  commencèrent  l'at- 
taque. Les  uns  jettant  en  haut  des  cordes,  où  il  y  avoir  des 
crampons  de  fer ,  s'accrochèrent  aux  bariques  pleines  de  terre, 
que  les  alîiégez  avoient  mifes  fur  la  muraille  pour  fe  couvrir; 
les  autres  prenant  avec  les  mains  les  pierres  qui  débordoient  ; 
ôc  grimpant  le  long  de  la  muraille  ,  parvinrent  jufqu'aux  cré- 
neaux î  ôt  ayant  attaché  leurs  enfeignes  fur  les  barriques ,  ils 
jettérent  des  feux  d'artifice  dans  le  château.  Ils  eurent  beau  re- 
doubler leurs  efforts,  les  alîiégez  les  repoulferent  toujours  avec 
vigueur  ,  quoi  qu'avec  quelque  perte  ;  ôc  les  Turcs  furent  punis 
de  leur  audace  par  l'horrible  carnage  qu'on  fit  de  leurs  fol- 
dats. 

Medici  arriva  à  Rome,  Ôc  appuyé  des  vives  follicitations 
de  Jofeph  Cambiano  ambaffadeur  de  l'Ordre  ,  il  obtint  du  Pa- 
pe fon  oncle  cinq  cens  hommes  de  pié,  dont  Luc-Antoine  To- 
mafoni  de  Terni ,  ancien  officier  ,  dont  nous  avons  parlé  dans 
la  guerre  de  Provence ,  fut  d'abord  nommé  Commandant.  Mais 
depuis  ayant  refufé  cette  commiffion,  on  mit  en  fa  place  Pom- 
pée Colonne,  ôc  on  lui  donna  cent  hommes  de  plus,  avec  lef- 
quels  il  vint  auffi-tôt  à  Terracine ,  pour  y  attendre  l'armée  na- 
vale. Comme  elle  arriva  tard  ,  il  ne  put  aborder  affez  tôt  à 
Mefïïne. 

Salvago  pendant  ce  tems-là  ne  cefToit  point  de  prelTerDom 
Garcie,  ôc  de  le  prier  que  tandis  que  lesfecours  qu'il  avoir  pro- 
mis s'alTembleroient  ,  il  envoyât  au  moins  en  attendant  mille 
Efpagnols  :  il  l'alTura  que  fi  le  Grand-Maître  avoir  feulement 
ce  renfort,  il  ne  défefpéroit  pas  de  faire  durer  lefiége  jufqu'au 
ip  de  Juin ,  ôc  que  Ci  le  fecours  paroiflbit  en  ce  tems-là  ,  ôc 
qu'il  y  eût  feulement  neuf  mille  hommes,  les  Turcs  fe  retire- 
roient  fans  doute  ,  ôc  abandonneroient  l'ifle  ,  fans  ofer  courir 
le  hazard  d'une  bataille,  parce  qu'ils  étoient  déjà  réduits  à  vingt 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XXXVIII.     ^5 

mille ,  ôc  qu'ils  donnoient  tous  les  jours  des  marques  évidentes  ,'  '  '" 

de  leur  foiblefîe,  en  lâchant  lepié,  en  cédant  ^  en  fe  débandant ,  Ch  arle 
&  prenant  honteufement  la  fuite.  Le  Viceroi  3  qui  avoit  voulu       j  x. 
que  Salvago  mît  fes  raifons  par  écrit,  promit  qu'il  les  envoyeroit     i  ç  5  c*. 
à  Philippe.  Mais  il  fit  paroître  Ci  peu  de  refolution  &  de  bonne 
volonté ,  il  marqua  fi  peu  de  cœur  ,  ôc  fi  peu  de  foin  de  tenir 
les  paroles  qu'il  avoit  données  pendant  tout  le  fiége  de  Malte  , 
qu'il  perdit  beaucoup  de  fa  réputation. 

Cependant  le  Fort  étoit  ferré  de  fort  près ,  &  les  afiîégez  épui- 
fez  par  les  travaux  ,  les  fatigues  ôc  les  veilles ,  perdoient  infen- 
fiblement  courage.  La  Valette  les  ayant  un  peu  ranimez  ,  ils 
reprirent  les  travaux  qu'ils  avoient  interrompus,  ôc  ils  brûlèrent 
la  plus  grande  partie  du  pont ,  par  le  moyen  de  plufieurs  pots 
à  feu ,  qu'ils  jettoient  du  haut  de  la  muraille.  Les  Turcs  voyant 
que  le  pont  leur  devenoit  inutile  ,  coupèrent  tous  les  arbres 
fruitiers,  ôc  toutes  les  vignes  qu'ils  purent  trouver  dans  l'ifle ,  ôc 
les  apportèrent  au  camp  pour  en  remplir  le  foffé.  Ils  prirent 
alors  quelques  vaiffeaux  des  Chrétiens  ,  par  lefquels  ils  appri- 
rent qu'il  n'y  avoit  pas  plus  de  quarante  galères  dans  le  port  de 
MefTine,  ôc  que  Jean- André  Doria  n'étoit  point  encore  arrivé. 
Piali  qui  fe  voyoit  en  fûr-eté  du  côté  de  la  mer,  défarma  fcixante- 
dix  galères ,  ôc  employa  les  rameurs  aux  travaux  du  fiége.  A  pei- 
ne le  foflfé  fut-il  un  peu  rempli,  qu'il  plut  aux  afTiégeans  de  tenter 
le  courage  des  afTiégez  :  ils  plantèrent  donc  leurs  échelles,  ôc 
montèrent  j  mais  ils  furent  vivement  repoufifez.  Le  combat  ayant 
ceffé  trois  fois ,  recommença  enfin  fur  le  foir  :  quoique  ce  jour- 
là  tous  les  efforts  des  Infidèles  fuffent  inutiles ,  ils  ne  perdirent 
pas  néanmoins  l'efperance  d'emporter  le  Fort. 

Muftapha  ayant  continué  la  batterie  toute  la  nuit ,  mit  de 
grand  matin  toutes  fes  troupes  en  état  de  donner  un  dernier 
aflaut.  Le  combat  fut  plus  vif  ôc  plus  opiniâtre  qu'il  n'avoir  été 
auparavant:  environ  cinquante  Turcs  vinrent  à  bout  de  pafler 
parjdeffus  la  muraille  d'une  fortification,  vis-à-vis  le  pont  de 
Mufcietto ,  oii  il  y  avoit  peu  de  monde ,  parce  que  tous  étoient 
occupez  à  défendre  le  côté  du  Fort  où  étoit  le  pont ,  ôc  où  les 
Turcs  faifoient  leurs  plus  grands  efforts.  Le  Grand-Maître,  qui 
apperçut  de  la  ville  ce  qui  fe  pafiToit ,  fit  auffi-tôt  pointer  un  ca- 
non ,  qui  en  tua  quelques-uns  :  les  autres  effrayez  fe  précipitè- 
rent du  haut  de  la  muraille. 


^4  HISTOIRE 

•  Le  combat  ayant  duré  fix  heures  entières  i  pendant  lefqueî- 

Char  LE  ^^^  ^^^  revint  fix  fois  à  la  charge  ,  avec  une  perte  aflez  confidé- 
j  y^  rable  des  aOiégez ,  les  Turcs ,  qui  avoient  tout  mis  en  ufage ,  ôc 
1  c  5*r  perdu  huit  cens  hommes  dans  cette  attaque  ,  prirent  enfin  le 
parti  de  fc  retirer;  ce  qui  caufa  une  grande  joie  aux  Maltois  qui 
étoient  hors  du  Fort.  En  même  tems  la  Valette  donna  fes  or- 
dres pour  faire  panfer  les  bleflez  qu'on  en  avoit  retirez  j  il  y  en- 
voya un  nouveau  fecours  de  cent  cinquante  homm.es  de  guer- 
re ,  ôc  d'un  grand  nombre  d'ouvriers.  Il  y  joignit  une  grande 
quantité  de  couvertures  pour  les  foldats  ,  de  cordages ,  d'an- 
cres ,  ôc  d'autres  chofes  de  cette  nature ,  propres  à  mettre  les  af- 
fiégez  à  couvert. 

■  Malgré  toutes  les  inftances  de  Salvago  ,  qui  ne  ceflbit  de  re- 
préfenter  le  préflfant  danger  ,  où  Malte  fe  trouvoit  réduite  ,  le 
Viceroi  de  Sicile  reculoit  toujours,  ôc  commençoit  à  dire  qu'au 
lieu  d'Efpagnols  ,  il  envoyeroit  des  Italiens.  Pour  trainer  les 
chofes  en  longueur,  il  s'excufa  fur  fabfence  de  ChiappinoVi- 
teili  qui  étoit  allé  en  Tofcane  pour  y  aflembler  des  troupes,  ôc 
il  promit  de  l'envoyer  à  Malte  dès  qu'il  feroit  arrivé.  Vaincu 
néanmoins  par  la  honte  ôc  par  les  prières  ,  ôc  prelTé  par  les  vi- 
ves follicitations  de  Signorino  Gatinara  prieur  de  Meffine ,  qui 
s'ofFroit  de  faire  les  levées  à  fes  dépens ,  pourvu  que  le  Vice- 
roi  lui  donnât  les  vaifleaux  néceflaires  pour  les  transporter  avec 
une  compagnie  d'élite  d'Efpagnols ,  il  envoya  enfin  quatre  ga- 
lères ,  dont  deux  appartenoient  h  la  Religion  ,  ôc  avoient  été 
amenées  à  Saragoufe  par  le  chevalier  de  CornufTon,  Mais  en 
même  tems  il  enjoignit  à  Jean  de  Cardone  général  des  galè- 
res ,  de  ne  point  mettre  pié  à  terre  à  Malte  ,  fi  à  fon  arrivée 
il  trouvoit  le  Fort  S.  Elme  pris. 

Cependant  les  afliégez  étoient  fort  incommodez  jour  Ôc  nuit 
par  une  batterie  qui  ne  difcontinuoit  point,  ôc  par  le  feu  des 
galères  Turques  ;  car  on  les  avoit  fait  paflcr  de  la  Cale  de  Si- 
rocco dans  celle  de  S.  Paul  '  ôc  de  S.  George.  Là ,  tandis  que 
Dragut  éroit  proche  le  fofi!e  ,  ôc  qu'il  confidéroit  la  brèche , 
fans  penfer  au  péril,  ôc  uniquemenr  occupé  du  foin  de  donner 
{qs  ordres ,  le  boulet  d'un  canon  tiré  du  Fort  S.  Elme  alla  par 
hazard  donner  contre  une  muraille  vis-à-vis  le  foffé  ,  ôc  en  fit 

I    On  appelle  à  Malte  la  Cale  de  S.    J    l'on  croit  que  S.  Paul  fut  jette  lorfqu'il 
Paul ,  une  anfe  du  côte  de  la  Sicile ,  ou    I    fit  naufrage. 

fauter. 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XXXVIIL      6^  \ 

îauter  un  éclat  de  pierre  qui  le  frappa  à  l'oreille  avec  tant  de  •  \ 

violence  ,  qu'il  tomba  fans  connoifTance ,  jettant  une  grande  PharlE  i 

quantité  de  fang  par  la  bouche  ôc  par  le  nez  :  fes  gens  i'euipor-       t  v  ! 

terent  comme  mort.  i  c  ^*? 

Enfin  par  la  diligence  ôc  les  foins  de  Muftapha,  on  acheva        ^     •'•  | 

îe  grand  ouvrage  que  l'on  conduifoit  du  bord  du  folTé ,  jufqu'au  ■ 

rivage  de  la  mer ,  qui  touche  la  viiie.  Alors  comme  on  ne  pou-  i 

voit  plus  envoyer  de  la  ville  des  hommes  frais,  pour  fuppléer 
au  petit  nombre  de  ceux  qui  étoient  dans  le  Fort ,  les  Turcs  \ 

tentèrent  un  troifiéme  affaut  le  22  de  Juin,  avec  toutes  leurs  ! 

troupes ,  qu'ils  partagèrent  en  trois  ;  ôc  de  la  même  manière  qu'ils  ! 

avoient  déjà  fait.  Mais  le  combat  fut  plus  rude  ôc  plus  opiniâ- 
tre que  les  autres  5  on  combattit  jufqu'au  foir  :  pendant  le  com-  i 
bat  plufieurs  des  affiégez  furent  bleÎTez  par  la  grande  quantité          -                    \ 
de  flèches ,  qui  tomboient  fur  eux  du  Fort  que  les  Turcs  avoient  ■ 
élevé  au  port  de  Mufcietto  ,  dont  la  hauteur  furpaffoit  celle  des  i 
fortifications  du  château.  La  nuit  fit  cefTer  le  combat  5  mais  el-                              ! 
le  fut  plus  cruelle  que  le  combat  même.  Elle  fe  pafla  dans  les  ; 
gemiffemens  de  ceux  qui  fe  mouroient ,  ôc  de  ceux  qui  pan- 
loient  les  playes  des  bleiïez ,  dans  l'attente  d'une  mort  certai- 
ne ôc  fans  efpérance  d'aucun  fecours.  ! 

On  envoya  auffi-tôt  un  homme  ,  qui  vint  à  la  nage  dans  la  ' 

ville ,  donner  avis  que  les  afîiégez  étoient  réduits  à  la  dernière 
extrémité  i  qu'ils  avoient  perdu  la  plus  grande  partie  de  leurs 
gens  dans  le  dernier  combat,  ôc  que  ceux  qui  reftoient  étoient  ^ 

ou  dangereufement  blelfés ,  ou  tellement  épuifez  par  le  travail  ôc  1 

les  fatigues ,  qu'ils  n'avoient  plus  la  force  ni  de  porter  leurs  ar- 
mes ,  ni  de  fe  ibûtenir  j  que  fi  on  ne  leur  envoyoit  pas  du  fecours  \ 
pendant  la  nuit ,  rien  ne  pourroit  empêcher  que  les  Turcs  ne  1 
fe  rendiffent  maîtres  du  Fort  dès  le  lendemain ,  ôc  que  ceux  | 
qui  refteroient  après  le  combat ,  ne  fulfent  cruellement  égorgés  ' 
comme  des  bêtes.                                                                                        ^  | 

La  Valette ,  moins  effrayé  du  danger  des  afiîégez ,  qu'il  avoit  1 

prévu,  que  touché  de  compaflion ,  chercha  tous  les  moyens  de  ■ 

les  fauver  :  6c  quoi  qu'il  n'y  eût  guère  d'efpérance  de  leur  en- 
voyer du  fecours  ,  parce  que  toutes  les  avenues  étoient  fer-  j 
mées ,  il  ne  laiffa  pas  de  remplir  quatre  barques  de  toutes  for- 
tes de  munitions  de  guerre.  Trois  fois  elles  eiîayerent  de  paffer ,  | 
ôc  jamais  elles  ne  purent  arriver  jufqu'au  Fort,Piaii  étant  maître 

Tome  V.  I  i 


66  HISTOIRE 

^;^^««-«-  de  tous  les  pafTages,  Cet  Amiral,  fuivant  les  ordres  de  Mufta- 

Charle  P^^  '  avoit  fait  venir  quatre-vingt  galères  à  l'embouchure  du 

I  X         P°^^  '  ^  avoit  fait  ranger  le  long  du  rivage  un  grand  nombre 

^  -  ^  ^      d'efquifs  ôc  de  gens  de  guerre,  dans  les  lieux  où  les  fecours 

envoyés  de  la  ville  avoient  coutume  d'aborder. 
Prifeau  Fort  Dès  le  matin  les  affiégez  ,  fans  perdre  le  tems  à  fe  plaindre ,' 
S.Elmc.  ^  f^^-,5  craindre  la  mort,  fe  raflemblerent  tous  «  6c  après  avoir 
donné  les  marques  les  plus  éclatantes  d'une  valeur  6c  d'une 
confiance  vraiement  héroïques ,  ils  furent  enfin  forcés  par  le 
grand  nombre  des  ennemis.  Lorfque  les  Turcs  entrèrent  dans 
le  Fort,  quelques-uns  de  ceux  qui  étoient  reftés  après  le  com- 
bat, fe  précipitèrent  du  haut  des  murs  :  un  petit  nombre  fe  fau- 
va  à  la  nage  dans  la  ville ,  6c  les  autres  furent  ou  noyez,  ou  pris 
ôc  maffacrezpar  les  Turcs,  qui  couroient  de  côté  6c  d'autre  dans 
des  efquifs.  Le  fort  de  ceux  qui  tombèrent  entre  les  mains  des 
ennemis ,  fut  fans  doute  le  plus  déplorable  j  car  on  les  fit  tous 
périr  dans  lesfupplicesles  plus  terribles.  Le  vainqueur  exerça 
particulièrement  fa  cruauté  ôc  fa  barbarie  fur  les  Chevaliers  5 
on  les  pendit  par  les  pies  5  on  leur  arracha  les  entrailles  d'une 
manière  qui  faifoit  horreur  j  6c  on  les  laiffa  expirer  au  milieu 
des  plus  vives  douleurs. 

Les  Turcs,  après  avoir  marqué  leur  joie  parles  grands  cris; 
qu'ils  ont  coutume  de  faire  en  pareilles  occafions  ,  arborèrent 
un  grand  nombre  de  drapeaux  fur  les  crénaux  du  Fort  qu'ils 
avoient  pris.  Muftapha  y  vint  aufTi-tôt  5  6c  l'on  dit  que  jugeant 
par  le  peu  de  terrain  que  cette  place  occupoit ,  combien  il  y 
auroit  de  peine  h  prendre  la  ville  qui  avoit  tant  d'étendue  ,  il 
s'écria  :  «  Que  penfons-nous  que  fera  la  mère ,  dont  le  fils  qui 
w  eft  fi  petit  nous  a  fi  long-tems  arrêtez  ?  ^^ 

En  effet  le  fiége  dura  vingt-neuf  jours ,  6c  le  dernier  où  le 
château  fut  pris  ,  fut  le  jour  de  la  vigile  de  S.  Jean  Batifte.  On 
il^  dit  qu'il  y  fut  tué  quatre  mille  Turcs  ^  des  plus  braves  de  leur 

armée  ,  treize  cens  Chrétiens  ,  ôc  fur  tout  plufieurs  des  princi- 
paux 6c  des  meilleurs  Capitaines  de  l'Ordre.  L'Amirande,  fa- 
meux Capitaine  Efpagnol ,  fe  fignala  parmi  les  autres  par  fon. 
habileté  6c  fa  valeur?  6c  pendant  tout  le  fiége  il  remplit  parfai- 
tement tous  les  devoirs  d'un  bon  foldat  6c  d'un  excellent  Of- 
ficier,  en  donnant  de  bons  confeils ,  en  pourvoyant  à  tout^  en 
j  M,  l'Abbé  de  Vercot  dit  huit  mille. 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXXVIII.     C-j 

fe  trouvant  par  tout.  Enfin  étant  couvert  de  blefTures ,  ôc  ne  "~  - 

pouvant  plus  marcher,  il  fe  fit  porter  fur  labréche^  où  en  ex-  Charle 
hortantles  fiensà  s'offrir  courageufement à  la  mort,  il  fut  tué       IX. 
avec  eux.  ^  S  ^  S* 

Le  jour  même  que  le  Fort  faint  Elme  fut  pris  ,  afin  que  les 
Turcs  n'euffent  pas  une  joie  entière,  Dragut ,  dont  le  confeil, . 
Tadreffe ,  la  fcience  de  la  guerre ,  &  l'expérience  contribuoient  Mort  de 
beaucoup  aux  fuccès  de  Fentreprife ,  mourut  de  fa  bleffure.  ^^^gut. 
Lorfque  le  château  eut  été  pris ,  Muftapha  s'imaginant  que  les 
Chevaliers  avoient  entierementperdu  courage,  ôc  que  le  Grand- 
Maître  ne  refuferoit  aucunes  conditions,  envoya  une  troupe  de 
cavaliers,  qui  s'étant  approchez  du  château  faint  Michel,  ar- 
borèrent un  drapeau  blanc ,  pour  faire  entendre  qu'ils  deman- 
doient  à  avoir  une  conférence  pour  parvenir  à  faire  la  paix.  Un 
peu  après  un  certain  vieillard  s'étant  avancé,  les  aflîégez  le  pri- 
rent, le  lièrent  ,  lui  bandèrent  les  yeux,  ôc  le  menèrent  à  la 
Valette.  Celui-ci  ayant  appris  du  vieillard ,  qu'il  étoit  venu  pour 
traiter  avec  lui  des  conditions  aufquelles  il  fe  rendroit  ,  peu 
s'en  fallut  qu'il  ne  le  fit  pendre.  Mais  la  chofe  ayant  été  pro- 
pofée  dans  le  Confeil,  on  réfolut  de  refpe£ler  à  l'égard  de  cet  en- 
voyé le  droit  des  gens.  On  le  renvoya  feulement  avec  des  pa- 
roles menaçantes ,  ôc  on  lui  déclara ,  que  11  lui  ou  quelqu'au- 
tre  revenoit  pour  le  même  fujet,  fa  témérité  feroit  aum-tôt  pu- 
nie de  mort.  Les  propofitions,  que  le  vieillard  étoit  chargé  de 
faire,  étoient,  comme  on  l'a  fçù  depuis,  que  le  Grand  Maî- 
tre fortiroit  de  Tifle  de  Malte  ,  avec  tous  les  Chevaliers  ôc  les 
foldats,  bagues  fauves  y  ôc  que  pour  recompenfe  on  lui  donne- 
roit  une  ifle  commode  dans  l'Archipel ,  où  il  établiroit  fa  ré- 
fidence  avec  une  compagnie  de  Chevaliers  ,  ôc  pour  laquelle  il 
payeroit  à  l'Empereur  des  Turcs  un  certain  tribut. 

Les  ennemis  fruftrez  de  leur  efperance  s'avancèrent,  ôc  con- 
duifirent  vers  le  château  Saint  Michel  un  retranchement  qui     Siège  du 
les  mcrtoit  à  couvert  du  feu  des  afTiégez  ,  ôc  qui  n'avoit  par  $ï^u^"?^j'' 

j       •  J^c     r       c  c  '         ^^  j  ^    V    Michel  &  de 

derrière  aucune  deienle.  Sur  ces  entrefaites  Cardone  parut  a  h  ville. 
la  vue  de  Malte,  avec  le  fecours  qu'il  amenoit.  Il  envoya  de- 
vant Martinez  Efpagnol  à  Mefquita  gouverneur  de  la  ville  ',  pour 


I  Pour  entendre  ce  qui  fe  dira  dans 
la  fuite,  il  faut  fe  fouvenir  qu'on  dif- 
tinguoit  alors  deux  places, qu'on  peut 
appellet  deux  grandes  villes;  l'ancien- 


ne ville,  ou  la  Cité, 8c une  autre  ville  , 

appellée  Bourg  ;  outre  les  châteaux  6c  ] 

les  ifles.  < 


lij 


en  HISTOIRE 

fçavoîr  en  quel  état  étoient   les  affaires  ,   comment  aîîoît  le 

Charle  ^'^g^  ^^  f^*-^'^^  Saint  Elme ,  ôc  en  quel  endroit  il  pourroit  fii- 
j^  rement  defcendre.  Le  Chevalier  Elprit  de  Brunifay  de  Quin^ 
j  -  ^  ^  cy  prévint  Martinez  :  car  ayant  été  averti  par  le  commandant 
Salvago,des  ordres  que  Garcie  avoit  donnez  à  Cardone,  qui 
d'ailleurs  n'étoit  pas  fortaffetlionné  pour  lesAlaltois,  il  dcfcen- 
dit  auparavant  dans  l'ille ,  ôc  il  avertit  tous  ceux  qu'il  rencon- 
tra de  parler  comme  lui.  Il  retourna  auffi-tôt  trouver  Cardone, 
&  par  une  rufe  louable  ,  il  lui  dit  que  les  Chevaliers  tenoient  en- 
core le  Fort  S.  Elme  j  mais  qu'il  étoit  réduit  à  une  il  grande  ex- 
trémité, qu'il  étoit  abfolument  perdu.  Ci  on  ne  le  lecouroit  très- 
promptement.  Cardone  ayant  entendu  cette  réponfe  ,  ht  des- 
cendre fes  troupes  en  un  lieu  qu'on  nomme  Pierre-noire,  à  fix 
milles  de  la  ville.  Le  lendemain  les  troupes  auxiliaires  prirent 
ie  chemin  que  la  Valette  leur  avoit  indiqué  j  ôc  favorifées  d'un 
brouillard  épais,  qui  les  déroboit  à  la  vue  des  Turcs,  elles  fi- 
rent un  petit  circuit  pour  éviter  le  port  de  Mufcictto^  &  arri- 
vèrent fans  aucun  accident  à  celui  de  Marza  Scala.  C  étoit  le 
feul  endroit  oi^i  les  ennemis  n'avoient  point  mis  de  corps-de- 
garde  5  car  ils  cccupojent  ôc  gardoient  avec  foin  tous  les  en- 
virons de  la  ville.  Elles  trouvèrent  là  des  eCquifs  ;  que  le  Grand 
Maître  y  avoit  envoyés ,  ôc  elles  furent  reçues  dans  la  ville  avec 
une  extrême  joie.  Tout  le  monde  loua  leur  fidehté,  les  regar- 
da comme  les  confervateurs  du  payis ,  ôc  les  remercia  d'avoir: 
bien  voulu  s'expofer  volontairement ,  ôcdefi  bonne  grâce  àtant 
de  périls. 

On  dit  que  Muflapha  ayant  appris  leur  arrivée,  fe  reprocha 
ia  négligence  qu'il  avoit  eue ,  de  ne  pas  fermer  ce  paflTage.  Auffi- 
tôt  il  y  ht  faire  de  bons  retranchemens ,  oh  il  mit  garnifon.  Alors 
le  Grand  Maître  apprit  de  Philippe  de  Lafcaris,  qui  étoit  pafle 
de  (on  côté ,  quantité  de  chofes  qui  fervirent  à  le  fortifier ,  Ôc 
à  le  précautionner  contre  les  dangers.  Philippe  étoit  de  i'illuf- 
tre  Maifon  des  Lafcaris ,  dont  il  portoit  le  nom.  Il  avoit  été 
fait  prifonnier  dès  fa  tendre  jeuiiefife  à  la  piife  de  Patras,  ôc  il 
avoit  eu  le  bonheur  de  tomber  entre  les  mains  d'un  maître  aflezi 
doux.  Comme  il  avoit  toujours  eu  une  fecrette  aiTe£iion  pour 
les  Chrétiens  (  quoique  les  Turcs  l'eufient  comblé  de  biens  ôc 
d'honneurs ,  ôc  qu'ils  l'eufTent  reçu  dans  l'ordre  des  Saphis  )  par 
ane  infpiratioîi  de  Dieu  ,  dès  qu'il  eu  trouva  i'occafion,  ii^ 


DE  J.  A.  DE   THOU.  Liv.    XXXVIÎÎ.      69 

i-enonça  généreufementàtout,  ôc  il  paffa  à  la  nage  du  côté  des  ■ 
Maltois.  Charle 

Lafcaris  rapporta  donc  au  Grand  Maître ,  que  Muflapha  ex-  IX. 
trêmement  irrité  de  fa  réponfe,  avoit  réiblu  d'attaquer  de  tou-  ^  S  ^  S- 
tes  fes  forces  le  château  faint  Michel ,  &  de  le  battre  de  la 
colline  de  faint  Elme.  Le  Grand  Maître  ,  pour  fe  précaution- 
ner, fît  faire,  fuivant  l'avis  des  Ingénieurs,  une  paliiTade  avec 
les  plus  fortes  antennes^  ôc  les  plus  forts  mâts  des  vaifleaux  j 
&  il  la  fit  placer  de  ce  côté  là  ,  pour  empêcher  les  Turcs 
d'approcher  des  murs.  Mais  comme  la  terre  étoit  fi  dure  à 
l'extrémité  du  rivage,  qu'on  ne  pouvoit  y  planter  de  pieux, 
il  fut  contraint  de  donner  à  fa  palifTade  environ  quinze  pieds  de 
moins.  Craignant  en  même  tems  pour  cette  partie  dé  la  ville, 
dont  la  défenfe  étoit  confiée  aux  Allemands  &  aux  Anglois,  il  fit 
enfoncer  en  cet  endroit  quelques  barques  attachées  les  unes  aux 
autres  par  des  chaînes ,  pour  fermer  aux  Turcs  le  pafTage  de  ce 
cote  la. 

Quelque  tems  auparavant,  ôc  aufTi-tôt  après.  la  prife  du  fort 
Saint  Elme,  la  Valette  appréhendant  que  les  Turcs  ne  rom- 
pifTent  la  chaîne  qui  fermoit  le  port  depuis  le  rivage  de  la  ville 
jufqu'à  celui  de  Saint  Elme^  ôc  que  l'ayant  rompue,  ilsn'euf- 
fentla  facilité  de  courir  librement  dans  toutes  les  anfes  du  port^ 
il  la  fit  tranfporter  ,  ôc  l'ayant  fait  conduire  de  la  ville  au 
château  Saint  Michel  ,  il  en  ferma  le  golfe  du  miheu ,  afirt 
qu'au  moins  cette  partie  fut  à  fabri  de  leurs  courfes.  Il  défen- 
dit auffi  fous  de  rigoureufes  peines  d'amener  aucun  Turc  pri- 
fonnier  dans  la  ville,  ordonnant  de  tuer  fans  quartier  tous  ceux 
qui  feroient  pris  ?  afin  que  les  Turcs  appriffent  par  là  qu'il  y 
avoit  des  vengeurs  de  leurs  cruautez  ,ô^  afin  que  les  Maltois 
n'ayant  point  de  grâce  à  attendre  de  la  part  des  Infidèles  ^ 
perfonne  ne  pensât  à  fe  rendre  5  mais  que  la  crainte  d'un  fup- 
plice  inévitable,  s'ils  tomboient  entre  leurs  mains,  les  enga- 
geât  tous  à  combattre  courageufement ,  ôc  à  fouffrir  les  der- 
nières extrêmitez  plutôt  que  de  fe  rendre  ,  perfuadés  qu'ils 
n'avoient  de  falut  à  efperer  que  de  leur  fermeté  ôc  de  leur 
valeur. 

Les  Turcs  ayant  drelTé  leur  batterie  fur  la  colline  de  Saint 
Elme ,  comme  Lafcaris  l'avoir  dit ,  commencèrent  le  7  de  Juil- 
let à  battre  en  même  tems  ôc  le  côté  de  la  ville  qui  regarde 

1  iij 


70  HISTOIRE 

■  *  le  coin  du  château  Saint  Ange ,  communément  appelle  TEpe* 

Ch  AR  L  E  ^^^  '  ^  ^^  château  Saint  Michel.  La  batterie  ne  ceiFant  ni  jour 

j  X.       i^i  i^uit ,  ils  y  firent  bien-tôt  une  très-grande  brèche  :  ils  ne  don- 

j  j.  ^  -^     noient  aux  afliégez  le  tems,  ni  de  rétablir  ce  qui  étoit  détruit, 

ni  de  faire  de  nouvelles  fortifications.    D'ailleurs  comme  on. 

n'avoit  pas  crû  que  le  château  fût  jamais  attaqué  de  ce  côté 

là,  le  mur  y  étoit  moins  épais  ôc  moins  fort^  ôc  on  ne  l'avoit 

pas  muni  d'un  terre-plein. 

Cependant  Salvago ,  qui  étoit  retourné  àMelIine  pour  hâter 
les  fecours,  fit  hautement  fcs  plaintes  au  Vicercij  il  prit  Dieu  ôc 
les  hommes  à  témoins  des  promefles  qu'il  lui  avoit  faites,  ÔC 
il  le  fomma  de  tenir  fa  parole.  Non  content  de  parler  àDom 
Garcie  avec  tant  de  liberté  ,  il  cria  publiquement  devant  le 
peuple ,  qu'on  ne  tenoit  aucune  des  paroles  qui  avoient  été  don- 
nées j  ôc  que  parla  faulfe prudence ,  ou  plutôt  par  la  lâcheté 
ôc  la  négligence  du  Viceroi ,  tout  l'ordre  de  Saint  Jean  de  Je- 
rufalem  alloit  devenir  la  proie  des  ennemis  du  nom  Chrétien. 
Dom  Garcie  ne  refufa  pas  d'abord  les  fecours  qu'on  lui  deman- 
doit  :  il  répondit  feulement,  félon  fa  coutume,  en  termes  équivo- 
ques, ôc  allégua  beaucoup  de  mauvaifes  raiions;  mais  quand  il  vit 
que  Salvago  fe  plaignoit  devant  le  peuple,qu'il  fe  faifoit  écouter, 
ôc  qu'on  prenoitfon  parti ,  il  crut  qu'il  étoit  perdu  de  réputation, 
s'il  ne  juftifioitle  retardement.  Il  avoua  donc  qu'à  la  vérité  il 
avoit  promis  des  fecours  au  Grand  Maître  de  Malte,mais  il  ajou- 
ta qu'il  ne  les  avoit  promis  que  fur  des  efperances,  dont  il  avoit 
été  fruftré  :  Que  les  cent  vingt-cinq  galères^  promifes  parle  Roi 
d'Efpagne  avoient  été  réduites  à  quatre-vingt-dix,  qui  n'étoit 
pas  un  nombre  capable  de  refifter  aux  forces  des  Turcs  :  Que 
d'ailleurs  Philippe  lui  avoit  ordonné  de  prendre  garde  en 
fecourant  Malte  ,  de  ne  pas  hazarder  témérairement  une  ar- 
mée navale  ,  qui  étoit  toute  Pefperance ,  ôc  toute  la  reflburce  de 
la  Chrétienté  j  qu'ainfi  il  demandoit  du  tems ,  pour  délibérer 
avec  tous  les  chefs  de  l'armée  auxiUaire  lorfqu'ils  feroient  arri- 
vez ,  ôc  pour  fecourir  à  propos  l'ifie  de  Malte.  Pour  perfuader 
à  Salvago  que  le  plus  grand  de  fes  foins ,  ôc  la  chofe  qu'il  avoit 
le  plus  à  cœur,  étoit  la  délivrance  de  Flfle,  il  ajouta  qu'il  avoit 
imaginé  certaines  chofes,  pour  fuppléer  par  l'art  à  ce  qui  man- 
quoit  à  la  force.  Les  plus  habiles  dans  la  navigation  regar- 
dèrent  ce   difcours  ,  comme  une  vaine  oftentaiion  ôc  une 


D  E  J.   A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXVIIL      7  i 

vraie  défaite  ,  pour  excufer  fes   retardemens.  m— ^ 

~  Jean  André  Doria  arriva  à  propos  pour  terminer  cescontefta-  (^  u  a  r  i  e 
tions.  Ayant  appris  l'état  où  l'ifle  de  Malte  étoit  réduit ,  il  décida  t  v 
qu'il  falloit  abfolument  lafecourir,  fans  aucun  délai.  Il  déclara,  ,  -  ^* 
après  avoir  expofé  la  manière  dont  il  exécuteroit  fon  delTein, 
qu'il  étoit  prêt  de  pénétrer  jufque  dans  la  ville  de  Malte  avec 
troisgaieres,quiporteroient  douze  cens  hommes  d'élite.  Dom 
Garcie  applaudit  d'abord  à  cette  propofition  ,  ôc  engagea  Doria 
à  jurer  foiemnellement  qu'il  exécuteroit  un  fi  beau  defleinimais 
par  une  fecrette  envie  il  changea  bien-tôt  de  fentiment  ;  il  ren- 
voya Doria  ,  pour  faire  pafTer  à  Malte  les  troupes  que  Chiapino 
Vitelli  avoir  levées  en  Tofcane,  &  l'armée  navale  d'Efpagnequi 
étoit  arrivée  à  Gènes.  Cependant  afin  qu'on  ne  crût  pas  qu'il 
rejettoit  entièrement  Pavis  de  Doria ,  &  qu'il  fe  foucioit  peu 
de  la  trifte  fituation  de  Malte ,  il  chargea  du  foin  d'exécuter  ce 
projet  Pompée  Colonne,  général  des  galères  du  Pape,  auquel 
il  joignit  Jean  de  Lugny ,  &  François  Zanoguera.  Colonne 
ayant  averti  la  Valette  de  fon  arrivée,  reçut  pour  toute  répon- 
fe  un  fignal ,  qui  lui  faifoit  entendre  que  les  paffages  étoient 
fermez,  ôc  qu'il  pouvoir  s'en  retourner.  Ainfi  il  revint  en  Si- 
cile fans  avoir  rien  fait. 

Les  châteaux  &  la  ville  étant  invertis  ôc  ferrez  de  très-près, 
&  la  batterie  continuelle  des  Turcs ,  qui  tiroient  du  château  S. 
Elme  fur  celui  de  Saint  Michel ,  empêchant  les  efquifs  d'aller 
de  côté  ôc  d'autre,  pour  porter  des  vivres 5  la  Valette,  fuivant 
le  confeil  de  Pierre  de  Monté,  qui  commandoit  dans  le  château 
Saint  Michel,  trouva  un  remède  à  ce  mal.  11  fit  faire  un  pont 
de  tonneaux  mis  les  uns  fur  les  autres,  avec  une  efpece  de 
plancher  affez  large,  pour  contenir  deux  foldats  marchant  de 
front.  Ce  pont  alloit  du  château  à  la  ville ,  ôc  formoit  un  che- 
min plus  court  ôc  plus  affuré  pour  porter  des  vivres  ôc  des  mu- 
nuions. 

Mais  fur  ces  entrefaites  Haflan  ^,  Bey  d'Alger,  qui  comme 
nous  l'avons  dit,  étoit  le  principal  auteur  de  cette  guerre ,  arri- 
va avec  vingt-huit  petites  galères  ôc  deux  grandes ,  fur  lefquel- 
îes  il  amena  deux  mille  bons  foldats.  A  leur  arrivée  Muftapha 
fut  tranfporté  de  joie.  La  nuit  fuivante  il  trouva  le  fecret  de  fai- 
re entrer  par  adrefle  dans  le  port  delà  ville  environ  cinquante 

ï  ou  Hufcen  fils  de  BarberoufTe. 


72  HISTOIRE 

-  efquifs ,  fur  lefquels  il  y  avoit  deux  mille  hommes  ,  dont  il 

Char  LE  ^'^^"'^  ^^  commandement  à  Ulucciali,  ôc  il  pofta  du  côté  de  la 
jY  terre  iix  mille  hommes,  avec  lefquels  il  réiblut  d'attaquer  la 
^*  ville  des  deux  cotez.  Ainfi  dès  le  matin  du  1 7  de  Juillet ,  il  don- 
na ordre  aux  petits  vaiffeaux  de  s'éloigner  de  la  langue  de  terre> 
dont  nous  avons  ci-deflus  parlé  :  aufli-tôt  les  troupes  qui  étoient 
delTus  jetterent  de  grands  cris ,  ôc  allèrent  attaquer  le  château» 
après  avoir  en  vain  eflayé  d'abattre  avec  des  cordes  la  paliflade 
qu'on  avoit  élevée  en  cet  endroit. 

Dans  le  mêmetems  d'autres  troupes  s'approchèrent  parterre 
des  murailles.  Mais  celles  qui  étoient  venues  du  côté  de  la 
mer  n'ayant  pu  defcendre  à  caufe  de  la  pahlTade,  fe  détour- 
nèrent vers  l'éperon,  6c  defcendirent  proche  un  cap,  oii  il  y 
avoit  une  défenfe  ,  lieu  rude  ôc  difficile  pour  unedefcente.  L'ar- 
deur qui  les  animoit  les  empêcha  de  confiderer  le  péril.  Quoi- 
que les  affiégez  euflcnt  déjà  fait  plufieurs  décharges  fur  eux,  les 
Turcs  ne  laifl'erent  pas  de  drefler  leurs  échelles  en  grand  nom- 
bre, ôc  de  s'efforcer  de  monter  fur  l'éperon,  tandis  qu'une  par- 
tie monta  à  la  brèche ,  qu'on  avoit  prefque  mile  de  niveau  avec 
la  terre.  Là ,  les  affiégeans  ôc  les  affiégez  combattirent  en  quel- 
que forte,  comme  s'ils  avoientété  en  plaine,  ôc  en  bataille  ran- 
gée. On  combattit  long-tems  ,  ôc  avec  une  extrême  opiniâ- 
treté du  côté  de  la  terre,  comme  du  côté  de  lamer:  de  toutes 
parts  l'air  retentiffoit  des  cris  des  Turcs ,  des  plaintes  des  mou- 
rans ,  du  bruit  de  la  moufqueterie  ôc  du  canon. 

Enfin  après  un  grand  carnage  des  Turcs,  qu'une  aveugle  fu- 
reur tranfportoit  ôc  faifoit  avancer  trop  loin  ,  les  affiégez  for- 
tifiez par  le  fecours  des  Chevaliers  ôc  desfoldats ,  que  le  Grand 
Maître  avoit  envoyez  fous  la  conduite  de  Pierre  de  Gou  y  de 
François  Ruiz  de  Médina ,  ôc  d'Efprit  de  Brunifay  de  Quincy , 
ôc  encouragés  par  la  préfence  de  Monte  ,  qui  couroit  par  tout,  * 
ôc  qui  faifoit  avec  une  dihgence  inconcevable  les  plus  petites 
çhofes ,  comme  les  plus  grandes ,  mirent  en  fuite  les  affiégeans 
qui  n'étoient  plus  affcz  forts  pour  donner  un  affaut.  Plulieurs 
fuyars  furent  tuez  par  les  Chrétiens  qui  les  pourfuivoient.  Le 
plus  grand  nombre  voulut  fejetterdans  les  efquifs  j  mais  com- 
me ils  étoient  épouvantez,  qu'ils  ne  gardoient  point  d'ordre, 
^  qu'ils  fe  pouflbient  violemment  \ts  uns  les  autres ,  plufieurs 
fe  laifferent  tomber  dans  la  mer.  Ceux   qui  étoient  dans  les 

efquifs 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Lrv.  XXXVIII.        75 

cfquifs  périrent  comme  les  autres,  parce  qu'étant  entrez  en  trop  

grandnombre,  les  efquifs  trop  chargez  coulèrent  à  fonds.  Plu-  c  h  a  r  l  e 
fleurs  qui  ne  trouvèrent  pas  d'efquifs  prêtS  ,  aveuglez  par  la       j  y 
frayeur  dont  ils  étoient  faifis ,  fe  jetterent  dans  la  mer ,  ôc  corn-     j  ^  ^* 
me  ils  ne  fçavoient  pas  nager,  ils  furent  noyés.  C'étoit  un  hor- 
rible fpectacle,  de  voir  la  mer  toute  couverte  de  cadavres,  de 
têtes  ,  de  membres  coupés  ,  de  cafques  &  de  cuirafTes. 

De  tous  ceux  qui  avoient  combattu  du  côté  de  la  mer ,  il  ne 
s'en  fauva  que  fix  cens,  qui  retournèrent  joindre  l'armée.  Le 
carnage  fut  moins  grand  du  côté  de  la  terre  -,  car  il  n'y  en  eut 
que  quatre  cens  de  tuez.  Les  affiégez  perdirent  quatre-vingt-  . 
dix  hommes  d'élite  ,  6c  quelques  Chevaliers.  François  Zano- 
guera,  Simon  de  Melo  Portugais  ,  de  Gordes  fergent  major, 
Frédéric  de  Tolède  fils  de  D.  Garcie  ,  Roderic  de  Cardine , 
&  Brunefaye  de  Quinci  furent  dangereufement  blefTés.  Quinci 
s'étoit  diftingué  par  les  grands  ôc  importans  fervices  qu'il  avoit 
rendus  pendant  le  fiége.  Ce  fut  lui  qui  par  une  rufe  falutairc 
éluda  les  ordres  de  Garcie ,  qui  trompa  Cardone  >  Ôc  qui  fit  à 
propos  entrer  dans  l'Ifle  unfecours,  dont  elle  avoit  un  fi  grand 
befoin  :  il  mourut  de  fa  blelTure.  Le  Grand-Maître  fit  égor- 
ger tous  les  prifonniers  Turcs  fans  exception. 

Cependant  les  afiiégez  n'interrompoient  pas  leurs  travaux. 
Tandis  que  Muftapha  accablé  de  chagrin  ôc  de  honte  ,  ayant 
fait  cefTer  la  batterie ,  faifoit  tranfporter  le  canon  en  un  autre  - 
endroit ,  où  il  efperoit  faire  une  plus  grande  brèche  ,  ils  réta- 
blirent en  peu  de  jours,  parleur  alTiduité  au  travail,  ce  qui  avoit 
été  ruiné  5  ôc  ils  fermèrent  tout  ce  qui  avoit  été  ouvert  :  de  forte 
qu'il  falloir  battre  de  nouveau  les  murailles.  Il  n'y  eut  qu'un 
feul  endroit  qu'il  ne  fut  pas  poffible  de  réparer  î  (  c'étoit  celui 
que  Melchior  de  Robles,  maréchal  de  camp,  d'une  expérien- 
ce confommée  dans  la  guerre,  avoit  entrepris  de  défendre  avec 
Carlo  Ruffo^)  parce  que  les  Turcs  avoient  élevé  là  une  plate- 
forme fi  haute  ,  qu'elle  égaloit  prcfque  la  muraille  du  château. 
Ainfi  pour  fortifier  en  quelque  forte  cet  endroit ,  communé- 
ment appelle  la  Bormola  ou  le  Bormelo  ,  la  Valette  fit  fermer 
dans  toute  fa  longueur  cette  cale,  par  une  chaîne  entrelaffée de 
fortes  antennes  i  ôc  il  lit  provifion  de  quantité  de  feux  d'artifice , 
ôc  de  chaudières  de  poix  fondue  ,  pour  les  jetter  fur  les  enne* 
mis  aux  endroits  qu'ils  pouroient  attaquer. 

Tome  y.  K 


Ch  ARLE 


74  HISTOIRE 

Muftapha  changea  la  forme  du  fiége.  Comme  les  ruines  dé 
la  muraille  ,  qu'on  n'avoit  pu  rétablir  ,  fembloient  fervir  de  dé- 
-lAK-Lt  fgj^Cgg  ^^^  affiégezj  il  prit  le  parti  delafapperj  mais  on  fit  en 
dedans  une  profonde  coupure  ;,  qui  rendit  ce  travail  inutile.  Le 
'  -^  ^'  général  Turc  changea  encore  une  fois  de  defTcin ,  ôc  réfolut  de 
faire  continuer  le  retranchement,  qu'il  avoir  commencé  fur  le 
rivage ,  ôc  qui  touchoit  prefque  lamuraille.ôc  de  le  pouffer  juf" 
qu'au  château  verslaBormola^ de  l'autre  côté,  il  fit  fairefur  le 
parapet  même  du  fofie  des  mantelets  affez  hauts ,  pour  mettre  les 
foldats  à  couvert  du  feu  du  château.  Enfuite  il  fit  conftruire  fur 
le  bord  de  ce  même  foffé  un  pont  femblable  à  celui  qui  avoit  été 
fait  au  Fort  S.  Elme,  avec  de  grandes  antennes  ôc  de  très  grands 
mâts  de  vaiffeaux.  Quoique  ce  pont  n'incommodât  pas  beau- 
coup les  afîiégez,  le  Grand-Maître  tenta  deux  fois  pendant  la 
nuit  d'y  mettre  le  feu ,  mais  inutilement.  Enfin  il  donna  ordre  à 
Henri  Parifot  de  la  Valette ,  fils  de  fon  frère ,  de  faire  un  dernier 
effort  pour  le  ruiner.  Henri,  emporté  par  le  feu  delà  jeuneffe  ; 
fortit  en  plein  jour  du  château  avec  un  détachement  de  la  gar- 
nifon  ^  à  deffein  d'attacher  des  cables  aux  pièces  de  bois  qui 
foûtenoient  le  pont,  de  faire  enfuite  tirer  ces  cables  par  lagar- 
nifon ,  ôc  de  le  renverfer.  Mais  il  fut  tué  dans  cette  entreprife 
d'un  coup  d'arquebufe  ,  ôc  fon  corps  emporté  dans  le  château. 
La  Valette  fon  oncle  foûtint  cette  perte  avec  beaucoup  de 
confiance  :  il  dit  qu'il  eftimoit  bienheureux  ceux  qui  perdoient 
ia  vie  pour  la  cauîe  de  Dieu ,  ôc  qu'ils  lui  fembloient  avoir  af- 
fez vécu  pour  leur  falut  ôc  pour  leur  gloire ,  puifqu'ils  avoient ^^ 
avec  autant  de  religion  que  d'honneur,  rendu  à  Dieu  Famé 
qu'ils  avoient  reçue  de  lui.  On  tenta  depuis  la  même  chofe 
par  deux  autres  moyens ,  qui  furent  prefqu'auffi  funeftes  aux 
afîiégez. 

Cependant  les  Chevaliers  de  chaque  Nation,  qui  avoient 
entrepris  de  défendre  chaque  quartier  de  la  ville  ôc  du  châ- 
teau ,  s'acquittoient  dignement  de  leur  devoir  ,  fans  aucune 
appréhenfion  de  la  mort.  Il  y  en  avoit  tous  les  jours  plufieurs  de 
bleffés ,  dans  les  combats  prefque  continuels  qu'il  falloit  effuyerj 
d'autres  mouroient  de  maladies  caufées  par  les  chagrins  ,  les 
travaux  ôc  les  peines  :  de  forte  qu'il  étoit  tous  les  jours  nécef- 
faire  d'en  mettre  de  nouveaux ,  à  la  place  des  morts  Ôc  des  blef- 
fés.   Le  Grand  -  Maître  fur  tout  faifoit  paroitre  un  courage 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXVIIL     7; 

héroïque ,  ôc  joignoit  à  toutes  les  vertus  d'un  grand  Général , , nnu. 

qui  éclatèrent  dans  le  cours  du  fiége ,  un  généreux  mépris  de  la  C  h  a  r.  l  e 
vie.  Ainfi  ayant  appris  que  Muftapha ,  avoit  plufieurs  fois  juré       j  v      '* 
que  quand  il  fe  feroit  rendu  maître  de  la  ville  ,  il  ne  feroit  quar-     i  ^  <\ 
tier  à  qui  que  ce  fut ,  qu'au  feul  Grand-Maître ,  parce  qu'il 
avoit  réfolu  de  le  mener  en  triomphe  ,  &c  de  le  préfenter  au 
Grand  Seigneur  :  il  protefta  fouvent  en  préfence  des  principaux 
Chevaliers  de  l'Ordre ,  que  Ci  le  fiége  avoit  un  mauvais  fuc- 
cès ,  il  vouloit  les  accompagner  à  la  mort ,  comme  il  les  avoit 
accompagnés  au  travail  î  qu'il  prendroit  l'habit  d'un  fimple  fol- 
dat ,  pour  combattre  dans  la  foule  j  &  que  pour  mourir  incon- 
nu ,  les  armes  à  la  main ,  il  fe  jetteroit  dans  le  fort  de  la  mêlée , 
plutôt  que  d'attendre  la  vie  de  la  faveur  d'un  barbare  ^  &  d'ê- 
tre refervé  pour  contribuer  à  la  gloire  de  Soliman,  après  avoir 
été  le  fujet  du  triomphe  Ôc  de  la  joie  de  ?vlufl:apha. 

Cependant  l'ennemi  continuoit  de  battre  la  ville,  ôc  le  châ- 
teau S.  Michel ,  avec  foixante  gros  canons ,  en  plufieurs  endroits 
à  la  fois  ,  afin  que  la  Valette ,  qu'il  croyoit  hors  d'état  de  fuflire 
à  tout,  avec  le  peu  de  troupes  qui  luireftoit ,  perdît  l'efpérance 
de  pouvoir  conferver  la  ville,  ôc  fut  forcé  de  fe  rendre.  On 
tiroit  avec  tant  de  furie,  que  malgré  le  grand  éloignement, le 
bruit  des  batteries  fe  faifoit  entendre  jufque  dans  la  Sicile  : 
c'efi:  au  moins  ce  que  quelques  hiftoriens  ont  écrit.  Comme  ^ 

l'eau  n'eft  pas  abondante  dans  l'ifie  de  Malte ,  le  Grand-Maî- 
tre, qui  craignoit  qu'elle  ne  manquât  entièrement,  avoit  foin 
de  la  faire  diftribuer  par  tête  avec  une  certaine  mefure.  En  un 
mot  les  afiiégez  étoient  réduits  à  la  dernière  extrémité  5  ôcc'eft 
ce  qu'on  avoit  foin  de  faire  repréfenter  à  Dom  Garcie ,  par  les 
barques  qu'on  lui  envoyoit  à  la  dérobée  >  toutes  les  fois  que 
i'occafion  s'en  préfentoit.  La  crainte  qu'on  eut  à  Malte  ,  que 
les  fecours  dont  l'efpérance  avoit  jufqu'alors  foûtenu  les  allié- 
gez  ,  ne  vinflent  trop  tard,  fut  le  plus  grand  de  tous  leurs  maux, 
ôc  celui  qui  les  tourmenta  le  plus ,  dès  qu'ils  fe  furent  mis  dans 
l'efprit,  que  fi  ce  fecours  tardoitplus  long-tems,  il  feroit  entiè- 
rement inutile. 

Du  côté  des  ennemis,  les  affaires  n'étoient  pas  en  meilleur 
état.  Ils  commcnçoient  à  manquer  de  blé,  parce  qu'il  falloitle 
tirer  de  loin  j  ôc  que  fouvent  les  convois  étoient  arrêtés  par 
différentes  caufes.    D'ailleurs  les  fatigues  exceffives  ,  ôc  les 


^*  HISTOIRE 

,__^,^_^__  chaleui^s  infupôttables  caufoient  dans  leur  atmée  diverfes  maîa- 

'7^  dies,  ôc  principalement  un  flux  ,  qui  en  emportoit  chaque  jour  , 

,  Y  ^     un  grand  nombre.  Enfin  le  bruit  qui  fe  répandoit,  que  cent  ga^ 

léres  ôc  quarante  vaifTeaux  de  charge  alloient  certainement  ar* 

^^*     river ,  inquiétoit  cruellement  Muftapha.  Aufîî  faifoit-il  tout  ce* 

qui  étoit  poflible ,  pour  prévenir  par  fa  diligence  le  danger  exT 

trême  dont  il  étoit  menacé. 

Dom  Garcie  faifoit  toujours  efpérer  au  Grand-Maître  Fac^ 
-  compliflement  de  ce  qu'il  lui  avoit  promis  :  fur  la  fin  de  Juilleî 
il  l'exhorta  à  tenir  bon  pendant  le  mois  d'Août ,  l'affurant  qu'il 
avoit  recju  de  Philippe  des  ordres  ,  qui  lui  laiflbient  plus  de 
pouvoir  ôc  de  liberté  j  que  pour  lui  ,  il  attendoit  l'aflemblée 
des  troupes ,  qui  fe  devoit  faire  à  MefTme  avec  autant  d'impa- 
tience ,  qu'on  fouhaittoLt  leur  arrivée  à  Malte  >  qu'il  faifoit  dé- 
jà, ôc  qu'il  continueroit  de  faire  tous  fes  efforts,  pour  les  alfem^ 
bler  au  plutôt.  Garcie  tâchoit  en  même  tems  d'excufer  fes  ré- 
tardemens  paffés  :  en  attendant  que  l'armée  navale  arrivât,  il  dé- 
pêcha le  chevalier  de  Cornufibn  avec  les  galères  de  l'Ordre; 
ôc  une  troupe  de  gens  d'élite ,  à  qui  il  donna  les  enfeignes  dont 
on  étoit  convenu.  Il  fit  aufïi  prendre  les  devants  aux  bâtimens 
de  charge ,  parce  qu'ils  voguent  plus  lentement ,  ôc  il  les  en^ 
voya  à.  Saragoufe. 

Cependant  les  Turcs  ne  difcontinuoient  point  leurs  batte- 
ries ;  non  -  feuloment  les  murailles ,  les  fortifications  ,  ôc  les 
dehors  du  château  Ôc  de  la  ville,  mais  les  maifons  ôcle  dedans 
des  édifices  étoient  renverfés  :  en  forte  qu'il  n'y  avoit  plus  d'en^ 
droits  où  l'on  pût  être  en  repos  ôc  en  fureté ,  pas  même  les 
fales  à  manger ,  ôc  les  chambres.  Cependant  les  Maltois  ne 
perdoient  point  courage ,  ôc  ne  fe  îaiiïbient  point  abbattre  par 
tant  de  maux  ;  mais  chacun  animé  par  fa  propre  valeur,  ou  par  la 
bravoure  Ôcles  exemples  du  Grand-Maître,  qui  foûtenoittout 
avec  un  courage  prefque  au-deflus  des  forces  humaines ,  fai- 
foit avec  une  ardeur  incroyable  tout  ce  qui  étoit  de  fon  de- 
voir. 

Les  Turcs  5  qui  s'étoient  approchés  de  la  muraille  du  coté  du 
quartier  de  Caftille ,  fe  trouvant  incommodés  d'une  tour  qui 
les  dominoit ,  réfolurent  de  remplir  le  foffé  des  pierres  de  la 
contrefcarpe  ,  qu'ils  démolirent.  A  mefure  qu'ils  apportoient 
ces  pierres ,  les  afliégez  travailloient  à  \qs  ôter  :  mais  comme 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XXXVIII.     77 
ks  Turcs  avoient beaucoup  plus  de  travailleurs,  ilétoit  impof-  " 

fible  aux  alliégez  de  nettoyer  le  fofTé  de  tout  ce  que  les  affié-  Charle 
geans  y  apportoient.  Enfin  Muftapha  ayant  eu  des  nouvelles       j  x. 
certaines  de  l'armée  navale  des  Chrétiens ,  par  deux  galères  que     15^^;. 
Piali  lui  avoir  envoyées ,  ôc  ne  croyant  pas  devoir  expofer  des 
troupes  fatiguées  à  des  troupes  toutes  fraîches ,  penfa  ferieufe- 
ment  à  lever  le  fiége  :mais  Ulucciali  s'y  étant  oppofé  J'affaire 
fut  mife  en  délibération  dans  le  Confeil ,  ôc  lapluralité  desfuf- 
frages  fut  pour  la  continuation  du  fiége. 

Les  Turcs  ayant  continué  leurs  travaux ,  étoient  déjà  logés 
fûrement  dans  le  foffé ,  &  près  de  la  muraille ,  qu'ils  pouvoient 
fapper  ou  miner,  fans  qu'on  pût  les  en  empêcher.  Mais  il  ar- 
riva un  accident  qui  découvrit  leur  entreprife.  L'angle  d'un 
baftion  ,  fous  lequel  on  avoir  miné  la  terre ,  tomba  j  ôc  André 
Mugnatones  ,  brave  Efpagnol ,  étant  entré  avec  plufieurs  au- 
tres dans  cette  ouverture  ,  rendit  inutile  le  travail  de  plufieurs 
jours.  Muflapha  attaqua  encore  le  château  le  deux  d'Août ,  &t 
donna  l'affaut  au  quarder  que  Ruffo  défendoit.  Les  affiégez  le 
foûtinrent  avec  tant  de  vigueur  ,  qu'après  un  combat  de  plu- 
fieurs heures  ,  les  afTiégeants  furent  repouffés  ,  mais  ce  ne  fut 
pas  fans  perte  du  côté  des  afiîégez,  parce  que  pendant  tout  le 
combat  ils  furent  très-incommodez  des  batteries  qui  tiroient 
fur  eux  de  toutes  parts.  Le  foffé  du  quartier  de  Caftille ,  que 
les  affiégez  avoient  prefque  vuidé,  fut  rempli  une  féconde  fois 
de  matereaux  ^  de  moilons  ôc  de  décombres.  Après  avoir  paffé 
quatre  jours  en  légères  efcarmouches,  Muflapha  envoya  le  fept 
d'Août  trois  mille  hommes,  pour  attaquer  la  place  de  ce  côté- 
là  ,  ôc  il  alla  lui-même  avec  huit  mille  hommes  attaquer  le  châ* 
teau  S.  Michel.  On  ne  combattit  prefqu'avec  des  flèches  à  l'at- 
taque de  la  ville.  Mais  le  combat  fut  fi  terrible  à  celle  du  châ- 
teau ,  qu'il  n'y  en  avoir  point  encore  eu  de  fi  meurtrier.  On  ne 
combattit  pas  de  loin  avec  des  flèches ,  mais  de  près  avec  l'épée 
ôc  la  pique.  Les  feux  d'artifice,  qu'on  lançoit  de  part  ôc  d'autre , 
formoient  un  fpeèlacle  épouvantable.  Le  lieu  du  combat  pa- 
roiffoit  tout  en  feu  à  ceux  qui  le  voyoient  de  loin  j  ôc  c'étoit 
la  chofe  la  plus  trifte  ôc  la  plus  affreufe ,  de  voir  tant  de  divers 
genres  de  mort.  Les  uns  périffoient  miferablement  d'un  feu  dé- 
vorant dont  ils  ne  pouvoient  fe  délivrer,  Ôc  qui  les  confumoit 
avec  d'horribles  douleurs  j  les  autres  précipités  d'en  haut ,  U 

K  iij 


*?S  HISTOIRE 

1  I  ■  brifoient  la  tête  ôc  le  corps  ;  plufieurs  étoient  mis  en  pièces  pair 
C  H  A  R  L  E  ^^  canon  >  &  cribles  par  les  arquebufes.  On  voyoit  voler  de  tou- 
j  y  tes  parts  les  têtes  ôc  les  membres  des  combattans.  Les  alTié- 
I  f  5  'f  S^2  étoient  fur  tout  maltraités  par  les  coups  qu'on  tiroit  d'en 
^  haut.  Mais  outre  leur  courage  naturel  qui  les  foûtenoit  ,  ils 

étoient  animés  par  l'exemple  des  femmes  3  des  enfans  ôc  des 
vieillards  les  plus  caducs  ,  qui  étoient  accourus  pour  prendre 
part  au  péril  ;  tant  la  crainte  de  tomber  entre  les  mains  des 
Turcs  avoir  fait  d'impreflîon  fur  tous  les  cœurs ,  ôc  l'emportoit 
fur  tous  les  autres  fentimens  de  la  nature.  Les  femmes  rem- 
plies d'wn  courage  au-deffus  de  leur  fexe  ^  voloient  aux  lieux  ok 
il  y  avoit  le  plus  de  danger  :  elles  aidoient  les  combattans  à  tout 
ce  qu'elles  pouvoient  ,  apportoient  de  l'eau  pour  éteindre  le 
,  feu ,  ôc  jettoient  fur  les  Turcs ,  ou  des  pierres ,  ou  de  l'eau  bouil- 
lante i  ou  de  la  poix  fondue. 

Muftapha,  qui  étoit  préfentavec  les  principaux  Chefs  ^  alloit 
de  tous  côtés ,  ôc  obligeoit  ceux  qui  le  retiroient  à  retourner 
au  combat,  criant  de  toutes  fes  forces ,  ôc  aiTurant  que  s'ils  fai- 
foient  encore  quelques  légers  efforts ,  ils  feroient  bien-tôt  maî- 
tres de  la  place ,  ôc  que  ce  fuccès  mettroit  fin  à  tous  leurs  tra- 
vaux. Enfin,  après  quatre  heures  d'un  combat  qui s'échauffoit 
de  plus  en  plus  à  chaque  moment ,  lorfque  les  affiégez  com** 
mençoient  à  manquer  non  de  courage  mais  de  forces ,  Muf- 
tapha  fit  inopinément  battre  la  retraite  ,  au  grand  étonnement 
du  Grand-Maître,  qui  étoit  fort  inquiet  de  Févenement. 

Ce  qui  détermina  Muftapha  à  prendre  ce  parti ,  fut,  comme 
on  l'a  fçû  depuis ,  que  Mefquita  gouverneur  de  la  Cité ,  ayant 
vu,  d'une  guérite  où  il  étoit ,  les  feux  dont  nous  avons  parlé  5  ôc 
croyant  que  le  château  S.  Michel  brûloir ,  ôc  qu'il  étoit  prefTé 
par  les  affiégeans  y  avoit  envoyé  ,  pour  faire  diverfion ,  Jean  de 
Lugni  ôc  Vincent  Ventura ,  avec  une  troupe  d'arquebufiers , 
qui  attaquèrent  le  camp  des  ennemis  du  côté  ou  étoient  les 
blcfTés  ôc  les  malades ,  dont  ils  firent  un  grand  carnage.  Cet 
événement  caufa  un  fi  grand  défordre  dans  le  camp  ,  que  les 
Janififaires  s'imaginant  que  le  fecours  étoit  arrivé ,  crurent  qu'ils 
dévoient  promtement  en  donner  avis  à  Muftapha.  De  forte 
que  ce  Général ,  qui  foupçonnoit  auiïi  la  même  chofe ,  fit  ccffer 
le  combat,  ôc  revint  très-promtement  trouver  ceux  qu'il  avoit 
laiffés  au  camp.  Ayant  appris  ce  que  c'étoit ,  Ôc  indigné  d'avoir 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L I  V.  XXXVIII.     rff> 

fi  lâchement  interrompu  le  combat ,  il  fit  recommencer  la  bat-     mmamm 

terie  du  même  côté.  Mais  comme  les  aflie'gez  avoient  fait  une  Ch  a  r  L  E 
coupure  en  dedans ,  il  faifoit  peu  de  progrès ,  fur  tout  depuis  que       j  ^ 
François  de  Guevara  eut  inventé  une  efpéce  de  facs  faits  d'u-     j  e  ^  c^ 
ne  groffe  étoffe  ,  qu'on  rempliffoit  de  terre  bien  menue,  bien 
criblée  ,  ôc  détrempée  dans  l'eau  î  on  fortifia  les   remparts 
avec  ces  facs  de  terre  5  ôc  l'on  fit  enforte  par  ce  moyen  ,  que 
le  canon ,  qui  perçoit  auparavant  des  remparts  de  vingt  pies 
d'épaiffeur  ,  ne  pouvoir  plus  pénétrer  que  fept  pies. 

Le  chevalier  de  CornufTon  étant  arrivé  à  la  vue  de  Plfle  ; 
ôc  trouvant  toutes  les  entrées  fermées ,  retourna  en  Sicile  avec 
les  deux  galères  de  l'Ordre  dont  nous  avons  parlé ,  moins 
par  l'appréhenfion  de  perdre  fes  gens ,  que  par  la  crainte  que 
les  Turcs  ne  découvrilîent  les  deffeins  des  Chrétiens.  Mais  il 
envoya  dans  un  efquif  Jean  Bariento  de  Salazar,  qui  alla  au  Go- 
ze ,  ôc  vint  enfuite  defcendre  à  la  ville  de  Malte  d'où  ayant  reçu 
du  Gouverneur  une  efcorte  d'infanterie  ôc  de  cavalerie  ,  il  s'ap- 
procha du  camp  des  ennemis,  à  la  faveur  de  la  nuit ,  par  des 
chemins  de  traverfe.  Ayant  fait  arrêter  fon  efcorte,  il  fe  cacha 
avec  cinq  cavaliers  dans  un  lieu  commode  j  dès  la  pointe  du 
jour,  il  examina  le  camp  des  ennemis ,  fafituation ,  ôc  tout  ce 
qu'on  a  coutume  de  confidérer  en  pareille  occafion  5  ôc  aulli- 
tôt  il  retourna  trouver  fes  gens. 

Dom  Garcie ,  qui  jufque-Ià  n'avoir  fçû  quel  parti  prendre, 
voyant  qu'il  n'y  avoit  plus  moyen  de  différer  ,  ôc  qu'il  falloic 
enfin  prendre  une  réfolution ,  propofa  l'affaire  dans  le  ConfeiL 
Il  n'avoir  jamais  été  d'avis  de  donner  un  combat  naval,  com- 
me Doria  l'y  exhortoit,  ôc  il  n'y  eut  ni  autorité ,  ni  raifons> 
qui  puflent  le  faire  changer  de  fentiment  h  il  déclara  hau-= 
tement  qu'il  n'expoferoit  jamais  à  un  fi  grand  danger  la  flotte 
du  Roi  fon  maître ,  parce  que  fi  elle  étoit  une  fois  perdue  ,  les 
côtes  des  Royaumes  de  Philippe  demeureroient  fans  défenfe^ 
expofées  aux  incurfions  des  Turcs.  Ainfi  fans  vouloir  rien  écou- 
ter davantage  fur  ce  fujet ,  il  ne  déliberoit  que  fur  les  moyens 
d'envoyer  des  troupes  de  terre  à  Malte.  Il  convoqua  pour  cet 
effet  un  grand  Confeil,  où  alTilta  entre  les  autres  Afcanio  de 
la  Cornia  ,  qui  avoit  été  mis  en  prifon ,  comme  nous  l'avons 
dit  j  ôc  à  qui  le  Pape  avoit  accordé  la  liberté  avec  beaucoup 
xle  peine,  aux  inftanres  prières  du  roi  d'Efpagne,  Le  Viceroi 


«®  HISTOIRE 

^„^.„^,.,„^  leur  dît  le  fujet  pour  lequel  il  les  avoir  afTemblés.  Il  leur  fît  ett- 
"Z  ~  tendre  que  n'approuvant  pas  le  parti  d'un  combat  naval ,  il  ne 

T  V  s'agiflbit  que  des  troupes  qu'on  pourroit  envoyer  à  Malte  3  ôc 
'  que  fur  cela  il  avoit  deux  queftions  à  propofer  :  l'une  comment 
■^  ^'  on  pourroit  faire  entrer  dans  l'Ifle  des  troupes  fecrétement  ÔC 
en  fureté  :  l'autre ,  s'il  en  falloir  envoyer,  ôc  Ci  l'on  devoit  com- 
battre fur  terre,  en  casque  l'occafion  s'en  préfentât  ?  Les  capi- 
taines de  l'armée  navale ,  qu'on  pria  d'opiner  les  premiers  ; 
convenoient  tous  qu'on  pouvoit  faire  pafTer  des  troupes  en  fu- 
reté 5  ôc  ils  montroient  que  la  chofe  n'étoit  pas  difficile.  Les 
capitaines  des  troupes  de  terre  ne  s'accordoient  pas  fi  bien.  Al- 
vare  de  Sande  grand  Capitaine  ,  foit  qu'il  appréhendât  de  re- 
tomber entre  les  mains  des  Turcs ,  dont  il  étoit  nouvellement 
forti ,  foit  qu'il  voulut  par  complaifance  pour  le  Viceroi ,  entrer 
dans  fes  fentimens  ,  ôc  juftifier  fes  délais  ,  fe  déclara  contre  le 
voyage  de  Malte ,  ôc  foûtint  que  le  roi  d'Efpagne  n'étoit  obligé 
ni  par  devoir ,  ni  par  intérêt  à  fecourir  les  Chevaliers,  lorfqu'il 
ne  le  pouvoit  faire  fans  un  danger  évident. 

Il  difoit  pour  apuyer  fon  fentiment ,  qu'ils  étoient  inférieurs 
aux  Turcs ,  ôc  en  galères  ôc  en  troupes ,  puifque  les  Turcs  avoient 
quatre  vingt  galères  ,  ôc  au  moins  feize  mille  hommes,  ôc  que 
les  Chrétiens  n'avoient  pas  plus  de  foixantc  galères  ôc  plus  de 
^  huit  mille  hommes  j  que  ce  qui  rendoit  encore  la  partie  bien 

moins  égale ,  étoit  que  les  Turcs,  nourris  ôc  entretenus  dans  une 
fevére  difcipline ,  avoient  non-feulement  plus  de  forces  ,  mais 
plus  d'obéïflance  ôc  de  foûmiffion ,  pour  fe  foûtenir  dans  les 
travaux  ôc  dans  les  dangers  ,  ôc  que  les  foldats  qui  étoient 
fur  la  flotte  des  Chrétiens ,  étoient  ou  des  troupes  nouvel- 
lement levées  ,  ou  des  hommes  énervés  par  la  molleffe  ôc 
l'oiAveté  ,  qui  refufoient  pour  la  plupart  d'aller  au  combat, 
ou  qui  abandonnoient  leurs  enfeignes  prefqu'auffi-tôt  qu'ils 
avoient  vu  l'ennemi.  D'oii  Sande  concluoit ,  que  puifqu'il  n'y 
avoit  pas  moyen  de  fecourir  l'Ordre  de  Malte, il  falloit  écrire 
au  Grand-Maître^  qu'il  vît  ce  qu'il  avoit  à  faire ,  ôc  lui  confeiller 
que  comme  le  Grand-Maître  de  Villiers-rifle-Adam  avoit  au- 
trefois fait  à  Rhodes ,  il  traitât  avec  le  Turc  pour  la  conferva- 
tion  ôc  la  fureté  de  fon  Ordre  -,  ôc  qu'il  fortît  de  Malte  aux  con- 
ditions les  plus  honnêtes  qu'il  pourroit  obtenir ,  parce  que  quand 
.cette  lile  feroit  prife  j  les  affaires  du  roi  d'Efpagne  ne  feroient 

pas 


DEJ.  A.  DETHOU,  LiV.  XXXVIII.      8r 
pas  entièrement  perdues  ;  ôc  que  la  Sicile  étant  fi  proche ,  on  « 

pourroit  toujours  efpérer  de  la  reparer.  C  H  aRle 

Lorfque  de  Sande  eut  fini,  Cornia  dit  qu'on  ne  pouvoit,  fans  j  ^ 
fe  rendre  coupable  j  refijfer  des  fecours  aux  afiiégez;  ôc  il  fit  i  ^  5  r. 
voir  qu'on  les  pouvoir  fecourir  fans  aucun  danger ,  en  obfer- 
vant ,  lorfque  la  flotte  feroit  arrivée  à  Malte ,  (  ce  que  les  plus  ^ 
habiles  marins  avoient  déjà  afluré  unanimement  être  facile  3) 
de  débarquer  les  troupes  auprès  de  la  Cité  notable  ,  ou  an- 
cienne ville  j  de  les  faire  avancer  peu  à  peu  vers  la  ville  Ôc 
le  camp  des  ennemis  ,  qui  n'en  étoient  éloignés  que  de  huit 
milles  î  de  les  faire  camper  chaque  jour  dans  un  lieu  avanta- 
geux ;  de  fe  fortifier  dans  tous  les  campemens  5  de  ne  point 
s'expofer  aux  rifques  d'un  combat ,  ôc  de  fe  joindre  aux  afiié- 
gez. ce  Alors,  ajoûta-t'il ,  ou  les  Turcs  perdront  l'efpérance  de 
prendre  Malte,  ôc  ils  fe  rembarqueront;  ou  s'ils  ne  veulent 
pas  abandonner  leur  entreprife  ,  ils  tourneront  leurs  forces 
contre  les  troupes  Chrétiennes  :  ôc  dans  ce  cas,  quoi  qu'ils 
ne  lèvent  pas  abfolument  le  fiége  ,  ils  ne  garderont  pas 
leurs  poftes  avec  tant  de  foin  ;  on  pourra  faire  entrer  des 
troupes  fraîches  dans  la  place  ;  le  Grand-Maître  ôc  fes  trou- 
pes auront  le  loifir  de  prendre  quelque  repos  ,  ôc  de  fe  re- 
mettre de  leurs  fatigues.  Pendant  ce  tems-là  les  troupes  au- 
xiliaires demeureront  dans  leurs  retranchemens  :  elles  ne  don- 
neront à  l'ennemi  aucune  occafion  d'en  venir  à  une  batail- 
le ,  ôc  elles  attendront  en  fureté  le  fécond  convoi.  Toutes 
les  troupes  étant  enfin  arrivées  ,  il  eft  certain  que ,  fi  on  ell 
obligé  d'en  venir  aux  mains  ,  les  Chrétiens  l'emporteront 
fur  les  Turcs ,  ôc  par  le  nombre ,  ôc  par  la  valeur  ,  ôc  par  les 
autres  avantages.  « 
Comme  chacun  embrafibit  cet  avis  ,  le  Viceroi  crut  qu'il 
lui  feroit  honteux  de  nes'y  pas  rendre  i  ôc  il  fut  réfolu  qu'aufii- 
tôt  que  Doria  auroit  amené  les  troupes  que  Chapino  Vitelli  le- 
voit  en  Tofcane ,  on  iroit  au  fecours  des  afiiégez.  Bien -tôt 
après  Salazar  arriva  de  Malte  ,  ôc  apporta  des  lettres  écrites 
par  Vincent  Anaftagi  à  Afcanio  de  la  Cornia  ,  dans  lefquelles 
U  lui  faifoit  connoître  la  fituation  de  l'Iflc,  la  forme  de  la  ville , 
la  nature  des  lieux,  les  diftances  de  l'un  à  l'autre  ,  Ôc  les  lieux 
propres  à  recevoir  l'armée  navale.  Il  y  joignoit  la  defcription 
du  camp  des  ennemis ,  ôc  il  entroit  dans  un  long  ôc  fidèle  détail 
Tome  V,  L 


82  HISTOIRE 

I     I  de  tout  ce  qu'il  étoit  à  propos  de  fçavoir  fur  tous  ces  fujets. 

Ch  A  R  L  E  ^^^  attendoit  encore  avec  une  partie  de  la  flotte  Jean  de  Car- 
I  X.       donc,  qu'on  avoir  envoyé  àPalerme  pour  remorquer  les  vaif- 
j  <;  6  <.     f^^u^  ^^  charge  ,  ôc  Sancho  de  Leyva  ,  qui  étoit  allé  à  Tu- 
nis, pour  faire  paiïer  de  là  à  Malte  un  fecours  d'hommes  ôc  des 
munitions  de  guerre. 

Cependant  les  ennemis  ayant  réfolu  de  ruiner  entièrement 
ce  qu'ils  avoicnt  en  vain  eflayé  de  prendre  ,  partagèrent  leurs 
troupes ,  ôc  tirèrent  au  fort.  L'attaque  du  château  S.  Michel 
échut  à  Mudapha  ,  &  celle  de  la  ville  à  Piali.  Ce  partage  inf- 
pira  de  l'émulation  aux  deux  Commandans ,  parce  qu'ils  cru- 
rent que  celui  qui  auroit  vaincu  le  premier  ,  auroit  la  gloire 
d'avoir  terminé  cette  guerre ,  &  tout  l'honneur  de  la  victoire. 
Ainfi  en  ramaffant  toutes  leurs  forces,  ils  recommencèrent  à 
battre  &  le  château  ôc  la  ville  j  ôc  ils  s'y  portèrent  avec  d'au- 
tant plus  d'ardeur,  qu'on  reçut  dans  le  même  tems  des  lettres 
de  Soliman  ,  qui  commandoit  aux  Bâchas  d'employer  toutes 
fortes  de  moyens  pour  fe  rendre  maîtres  de  Malte ,  ôc  s'ils  ne 
pouvoient  en  venir  à  bout  avant  la  fin  de  l'automne ,  de  palTer 
i'hy  ver  dans  ride. 

Ayant  donc  armé  quatre  mille  hommes  de  la  Chiourme  ,  ils 
refolurent  de  donner  un  aflaut  général  ^  ôc  ils  promirent  d'a- 
bandonner le  butin  au  foldat.  Ils  donnèrent  en  effet  deux  af- 
fauts  le  1 8  ôc  le  i  p  d'Août  avec  beaucoup  de  vigueur ,  attaquant 
en  même  tems  la  ville  ôc  le  château  avec  trois  differens  corps 
de  troupes.  Comme  le  combat  fut  très-long  ôc  très-opiniâtré^ 
il  y  eut  un  grand  nombre  de  tués  de  part  ôc  d'autre.  Le  Grand- 
Alaître  ayant  appris  qu'on  étoit  fort  preffé  au  mur  du  quartier 
de  Caftiile  ,  ôc  que  les  ennemis  y  étoient  déjà  montés ,  y  ac- 
courut, ôc  fa  préfence  fembîa  redoubler  le  courage  des  aiïié- 
gez  ,  qui  fe  défendoient  avec  beaucoup  de  valeur  :  les  femmes 
même  combattirent  avec  une  hardieffe  inconcevable  ;  enfin  les 
Turcs  furent  repouffés. 

Ces  Infidèles,  voyant  que  les  attaques  qu'ils  faifoient  pendant 
le  jour  ne  reCifiiffoient  point,  vinrent  à  la  charge  pendant  la  nuit 
au  clair  de  la  lune,  mais  avec  aufîi  peu  de  fucccs  ;  car  ils  furent 
repouffés  avec  perte.  Dès  le  matin  ils  recommencèrent  le  com- 
bat,  moins  dans  l'efpérance  d'emporter  ce  qu'ils  attaquoient, 
que  de  vaincre  enfin  par  la  iaffitude  (  ne  pouvant  faire  autrement) 


DE  J.  A.   DE  THOU,  L  i  v.  XXXVIIL     S^ 

ceux  qui  étoient  de; à  accablés  de  tant  d'autres  maux.  Cela  fit 

que  les  Chevaliers  uferent  d'une  plus  Prande  précaution  ;  &  r^„  .  ^  r  t- 

que  pour  repouiier  Iqs  aiiiegeans,  ils  ne  le  montroient  pas  auiii-       t  ^ 

tôt  qu'ils  étoient  attaqués,  pour  ne  fe  pas  expofcr  à  des  coups        r  <\ 

qui  ne  portoient  prefque  jamais  à  faux  ,  ôc  qu'il  n'étoit  pas  fa- 

Cilc  d  éviter. 

Tandis  qu'on  combattoit,  il  vint  un  homme  tout  tremblant 
au  Grand-Maître ,  criant  que  tout  étoit  perdu ,  &  que  les  Turc3 
étoient  entrés  par  l'endroit  dont  nous  avons  parlé  :  les  aiîiégez 
étoient  en  effet  de  ce  c6té-là  réduits  à  la  dernière  extrémité. 
Mais  encouragés  encore  une  fois  par  la  préfence  du  Grand- 
Maître  ,  ils  chargèrent  avec  plus  d'ardeur  qu'auparavant ,  re- 
pouffèrent  &  culbutèrent  les  Turcs.  On  en  fut  particulière- 
ment redevable  au  courage  ôc  à  l'intrépidité  de  Laurent  Guaf- 
coni,  qui  avec  une  troupe  d'élite  renverfa  ceux  des  ennemis, 
qui  fappoient  une  défenfe  où  les  affiégez  étoient  à  couvert. 

Comme  dans  le  commencement  de  l'attaque  du  château  S. 
Alichelj  les  afiiégez  combattoient  avec  moins  de  vivacité  ,  les 
ennemis  fe  perfuaderent  qu'ils  étoient  las  ôc  abatus  ,  ôc  qu'ils 
n'auroient  plus  la  force  de  fe  défendre.  Cette  idée  fit  qu'après 
avoir  pris  un  peu  de  repos ,  ils  revinrent  à  la  charge  :  mais  trou- 
vait toujours  dans  les  afiiégez  le  même  courage  ,  ils  furent  en- 
core repouffcs  avec  perte.  François  de  Guevara  fit  fort  bien 
dans  certe  occafion ,  comme  il  avoit  fait  dans  les  autres.  Car  fe 
jettant  au  milieu  des  combattans,  ôc  courant  dans  tous  les  lieux 
où  il  y  avoit  le  plus  de  danger ,  il  montroit  aux  foldats  un  cru- 
cifix :  le  Seigneur  notre  Dieu  ,  leur  difoit-  il  ,  vous  deman- 
de en  ce  moment  le  fang  qu'il  a  autrefois  répandu  pour  vous. 
Ces  paroles  animèrent  tellement  les  affiégez  ,  qu'on  ne  pou- 
voit  dire  lequel  des  deux  les  encouragcoit  à  combattre  avec 
tant  de  valeur  ,  ou  le  defir  de  la  gloire,  ou  le  généreux  mépris 
des  dangers  Ôc  de  la  mort,  On  combattoit  non-feulement  avec 
des  traits  ôc  des  arquebufes ,  mais  avec  l'épée  ôc  avec  des  feux 
d'artifice.  Les  Infidèles ,  fur  qui  les  affiégez  tiroient  de  haut  en 
bas ,  avoient  toujours  du  défavantage  5  ôc  le  feu  qu'on  lançoit 
fur  eux,  en  brûloir  un  grand  nombre,  ouïes  mettoit  hors  de 
combat.  Le  lendemain  la  batterie  n'ayant  point  difcontinuc 
pendant  toute  la  nuit ,  les  affiégcans  firent  encore  un  effort  ;  mais 
la  valeur  des  affiégez  étant  toujours  la  même,  ils  furent  encore 
ïepouffés  avec  perte.  L  ij 


H  HISTOIRE 

Ce  qui  caufoit  le  plus  de  dépit  à  Muftapha  ,  cfl  qu'il  ap- 
^  ~  prit  par  des  déferteurs ,  que  les  Chrétiens  avoient  toujours  beau- 

ly  coup  de  courage  ôc  de  réfoiution ,  qu'ils  avoient  abondamment 
*  le  néceiTaire  ,  6c  qu'on  donnoit  à  chacun  par  jour  trois  pains, 
^  ^'  Ôc  une  grande  bouteille  de  vin  :  au  lieu  que  les  Turcs  com- 
mençoient  à  manquer  des  vivres ,  de  poudre  ,  de  munitions  , 
ôc  principalement  de  boulets  ;  de  forte  qu'ils  étoient  contraints 
de  ramafier  ceux  qu'on  tiroit  fur  eux.  D'ailleurs  les  vaifleaux 
de  charge  qu'on  avoit  envoyés  à  l'ifle  des  Gelves  ,  dans  la  Ro- 
melie,  ôc  dans  la  Sourie,  pour  en  rapporter  des  vivres,  ctoient 
trop  long-tems  à  venir.  Quant  àMuftapha,  comme  il  avoit  ré- 
folu  de  paffer  l'hyver  dans  flfle  ,  fuivant  les  ordres  de  Soli- 
man ,  il  avoit  fermé  le  port  par  une  eftacade  formée  d'anten- 
nes ôc  de  mats  de  vaiiTeaux  ,  pour  empêcher  les  déferteurs  de 
paffer  en  Sicile. 

Cependant  le  viceroide  cette  Ifle  ^  après  l'arrivée  deCardo- 
ne  ôc  deLeyva,  choifit  fur  toute  la  flotte  foixante  galères  ,fur 
lefquelles  il  y  avoit  huit  mille  hommes  de  guerre ,  ôc  pour  les 
rendre  plus  légères ,  il  en  fit  ôter  tous  les  bagages.  Il  partit  de 
IVleffine  ,  ôc  alla  à  Saragoufe ,  où  il  trouva  un  grand  nombre  de 
Seigneurs ,  qui  s'y  étoient  aflemblés  de  toutes  les  parties  du 
monde.  Là  ,  comme  on  délibéroit  dans  le  Confeil  d'envoyer 
devant  une  perfonne  de  conlidération  à  l'ifle  du  Goze  j  oii  l'ar- 
mée navale  devoir  aborder,  pour  convenir  des  flgnaux  avec  le 
Gouverneur  de  la  place  ,  Jean-André  Doria  s'offrit  d'y  aller. 
Quoi  que  par  une  fecrete  jaloufie  leVicerois'y  oppofât,  fous 
prétexte  qu'une  pareille  commifTion  étoit  au-deffous  d'un  Sei- 
gneur de  cette  difbndion  ,  Doria  fit  fi  bien  qu'il  obtint  ce 
qu'il  fouhaitoit,  ôc  qu'on  le  priât  d'y  aller.  Il  envoya  devant  lui 
Marrinez  :  pour  lui ,  il  fut  pendant  quelques  jours  battu  de  la 
tempête  ;  ôc  après  avoir  vu  deux  fois  le  fignal  dont  on  étoit  con- 
venu ,  il  revint  trouver  Dom  Garcie ,  qui  étoit  enfin  parti  le  24 
d'Août  de  Saragoufe,  faifant  route  vers  flfle  de  la  Lenofe.  Mais 
ayant  pris  en  chemin  un  vaiffeau,que  les  Bâchas  envoyoient  à 
i'Ifle  de  Gelves ,  comme  le  tems  étoit  contraire ,  ôc  qu'il  ne  pou- 
voir aborder  ni  à  la  Lenofe,  ni  àlaLampedofa,  il  fe  détourna 
vers  Pantalari.  Là  les  vents  changeant  à  tous  momens,  ôc  une 
groffe  pluye  tombant  continuellement ,  l'armée  navale  fut  dif- 
perfée  de  côté  ôc  d'autre  •>  ôc  les  vaiffeaux  qui  étoient  demeurés 


D  E  J.  A.  DE  T  HOU,  Liv.  XXXVIII.      8; 

enfemble,  fe  choquant  les  uns  les  autres  ^  briferent  leurs  épe-  - 

rons  6c  leurs  proues.  La  tempête  étant  apaifée  ^  la  flotte  abor-  Char  LE 
da  à  rille  de  Favagnana  ,  qui  n'eft  pas  éloignée  de  la  ville  de  j  x. 
Trapano  en  Sicile.  Après  qu'on  y  eut  demeuré  quelques  jours  i  c  5  ç. 
pour  refaire  lefoldat  des  incommoditez  de  la  mer  ,  ôc  y  avoir 
envain  attendu  Doria  ,  l'armée  navale  vint  à  la  Lenofa ,  elle  y 
prit  les  fignaux  dont  on  étoit  convenu  avec  le  Commandant  de 
i'ifle  du  GozCj  ôc  continua  fa  route  fans  crainte.  Mais  durant 
la  nuit  une  partie  de  la  flotte  que  Cardone  conduifoit  s'étant 
égarée,  Dom  Garcie,  qui  avoit  envoyé  plufleurs  elquifs  aux  en- 
virons pour  en  fçavoir  des  nouvelles  ,  fut  furpris  par  le  jour. 
Alors  tous  les  vaifleaux  fe  raffemblerent  :  mais  on  crut  avoir 
perdu  pour  cette  fois  l'occafion  favorable  du  débarquement, 
parce  qu'on  ne  douta  point  que  les  Turcs  n'euffent  appcrçu 
la  flotte.  On  retourna  donc  vers  le  cap  Paflaro  en  Sicile  ,  ôc  on 
prit  terre  en  un  lieu  appelle  Poxal ,  ou  plus  de  quinze  cens  foi- 
dats  déferterent. 

Cet  accident  jetta  Dom  Garcie  dans  des  nouvelles  perple- 
xitez  î  ôc  il  remit  de  nouveau  l'affaire  en  délibération.  Mais 
ayant  été  raffuré  par  le  retour  de  Doria ,  ôc  craignant  de  fe  ren- 
dre odieux  ôc  blâmable ,  en  s'oppofanr  feul  à  l'ardeur  de  toute 
l'armée  y  ôc  en  ne  fe  rendant  pas  aux  vœux  ôc  à  l'empreffement 
unanime  de  tant  de  Seigneurs  il  donna  ordre  à  tout  ,  mit  en. 
écrit  tout  ce  qu'il  avoit  réglé  ,  ôc  fe  difpofa  à  partir.  On  nom- 
ma cinq  Chefs  pour  commander  l'armée  5  Alvare  de  Sande, 
pour  les  troupes  de  Naples  ;  Sancho  de  Londono ,  pour  cel- 
les de  Milan  i  Gonzalez  de  Bracamonte ,  pour  celles  de  Sar- 
daigne  :  Afcanio  de  la  Cornia  fut  choifi  pour  être  maréchal  de 
camp.  On  arrêta  qu'ils  auroient  tous  le  commandement  après 
le  Viceroi ,  ôc  qu'on  fuivroit  ce  qui  feroit  décidé  à  la  pluralité 
des  voix. 

Cependant  les  Turcs  j  travailleurs  infatigables  ,  fouilloient 
fans  ceffe  la  terre ,  ôc  creufoient  des  mines  pour  faire  fauter 
une  partie  de  la  ville.  Mais  pour  empêcher  l'exécution  de  ce 
deffein  ,  les  afliégez  également  attentifs  ôc  laborieux  contre- 
minoient  les  mêmes  endroits.  Vers  le  quartier  de  Caftille ,  les 
ennemis  avoient  déjà  élevé  une  plate-forme  fupérieure  à  la 
ville  ,  ôc  l'avoient  conduite  jufqu'à  la  muraille  :  elle  étoit  large , 
Ôc  munie  de  niantelets  couverts  de  cuir  3  ils  y  logèrent  deffus 

L  iij 


S5  HISTOIRE 

I— ..^jM^ii— ,  un  bataillon  d'arquebu fiers  ,  qui  incommodèrent  d'abord  ex- 

Charle  trêmement  les  afliégez. 

j  V  II  y  en  eut  quelques-uns  j  qui  furent  d'avis ,  que  puifqu'on  ne 

i  ^  <\  pouvoir  plus  défendre  cet  endroit,  on  abandonnât  la  ville  ôc 
le  château  S.  Michel,  6c  qu'on  fe  retirât  dans  le  château  S. 
Ange.  Mais  le  Grand-Maître,  plein  de  courage  &  de  fermeté> 
rejetta  cet  avis  avec  horreur  ,  Rechargea  le  chevalier  de  Cier- 
mont ,  dont  on  connoiflfoit  la  valeur  &  l'intrépidité  ,  ôc  Fran- 
çois de  Guevara  avec  une  troupe  d'élite ,  d'attaquer  la  plate- 
forme des  ennemis.  Ils  fortirent  en  diligence  la  nuit,  par  une 
ouverture  faite  exprès  à  la  muraille  ;  ils  montèrent  aulFi-tôt  fui* 
la  plate-forme  ,  culbutèrent  le  corps  de  garde  que  les  Turcs 
y  avoicnt  mis ,  &  en  tuèrent  quelques-uns.  Clermont  comman- 
da en  mêmc-tems  un  grand  nombre  de  Travailleurs ,  qui  for- 
tifièrent cette  plate-forme,  ôc  il  y  mit  une  bonne  garnifon. 

Les  Turcs  voyant  que  les  Chrétiens  profitant  d'un  ouvrage, 
qui  avoir  été  dreflc  avec  tant  de  travail  pour  leur  nuire  ,  s'en 
fervoient  contre  eux-mêmes ,  ôc  défefpérant  de  pouvoir  fe  ren- 
dre maîtres  de  la  place ,  par  le  quartier  de  Caftille ,  tranfpor- 
terent  le  dernier  jour  d'Août  l'attaque  aux  endroits  de  la  ville 
les  plus  bas.  Ils  ufercnt  d'une  fi  grande  diligence  ,  qu'avant 
que  les  alTicgez  euflent  fait  leurs  mines  ,  pour  faire  fauter  les 
ennemis  ,  lorfqu'ils  monteroient  fur  les  murailles  ,  ils  étoient 
déjà  parvenus  aux  fourneaux  5  ils  emportèrent  même  quelques 
barils  de  poudre  ,  ôc  fe  retirèrent  en  fureté.  Le  même  jour  on 
donna  un  affaut  au  château  S.  Michel  s  mais  les  Turcs ,  après  un 
long  combat  furent  encore  repoulTés  avec  perte  ,  quoi  qu'ils 
euitent  ruiné  une  défenfe,  dont  il  ne  reftoit  plus  qu'une  fimplc 
cloifon  de  bois.  Une  groffe  pluye ,  qui  furvint  alors  ,  obligea 
les  affiégez  de  fe  retirer.  L'ennemi  qui  crut  qu'ils  avoient  aban- 
donné leurs  poftes ,  donna  un  nouvel  aflaut  :  mais  comme  il  ac- 
courut à  la  brèche  plus  de  monde  qu'il  n'avoir  efperé  ,  il  fut 
encore  repouile  avec  perte, 

Muftapha  ayant  tant  de  fois  tenté  fans  fuccès  de  s'emparer 
des  châteaux  ôc  de  la  ville ,  foit  à  force  ouverte ,  foit  par  la  rufe, 
foit  par  les  differens  ftratagêmes  qui  font  d'ufage  à  la  guerre ,  ré- 
folut  de  tourner  toutes  fes  forces  contre  ce  qu'on  appelle  la  Cité  \ 

I  C'eft  une  partie  de  la  ville  de  Malte ,  I  eft  plus  avant  dans  les  terres ,  ôc  qu'on 
(ju'il  faut  bien  difxinguer  de  la  ville  qui   I    appelle  la  Cité  notable. 


DE  J.  A.   DE  T  HOU,  Liv.  XXXVIIL     87 

Comme  il  approchoit  avec  un  gros  détachement  ,  les  aiïîé-  -  , 

gez  firent  une  vigoureufe  fortie  ,  ôc  le  foudroyèrent   de  leur  r  p^  ^j^l^ 
canon  :  d'où  il  conclut  qu'il  n'auroit  pas  moins  de  peine  à  la        j'y^ 
Cité ,  qu'il  en  avoit  eu  à  la  ville.  Cependant  comme  lesfoîdats     ^        ' 
Turcs  fe  plaignoicnt  hautement  dans  le  camp ,  de  ce  qu'on  les 
expofoit  à  la  boucherie  y  comme  des  gens  vils  &  méprifables 
dont  on  fe  foucioitpeu ,  tandis  que  les  Chefs ,  tranquilles  &  en 
fureté  j  fembloient  n'erre  venus  au  fiége  que  pour  ctre  fpeda- 
teurs  ;  Muftapha  fit  dreffer  fa  tente  fur  le  bord  du  foifé  devant 
le  château ,  &  y  ayant  fait  alTembler  les  principaux  Chefs ,  pour 
tenir  Confeil  fur  ce  qu'il  y  avoit  à  faire ,  Haffan  Eey  d'Alger  fe 
fit  fort  de  monter  le  premier  fur  la  muraille  ,  Ôc  d'y  planter  les 
enfeignes  Ottomanes.   Par  ce  moyen  on  appaifa  en  quelque- 
forte  \ts  plaintes  &  les  murmures  des  foldats. 

Les  alîiégez,  que  tant  de  travaux  &  de  fatigues  n'avoient 
point  découragez,  fembierent  prendre  de  nouvelles  forces,  au 
bruit  qui  courut  de  la  révélation  d'un  Cordelier  :  ce  bon  reli- 
gieux affuroit,  qu'après  de  longs  jeûnes  &  des  prières  conti- 
nuelles 3  il  avoit  entendu  une  voix,  qui  lui  avoit  dit,  que  Dieu 
étoit  appaifé  ,  &  qu'il  conferveroit  i'Ifle  &:  l'Ordre  de  Malte.- 
Les  Turcs  ayant  par  des  travaux  continuels  creufé  plufieurs 
mines  ,  les  affiégez  firent  des  contremines ,  où  ayant  mis  le  feu 
au  commencement  de  Septembre,  tous  les  Turcs  quiavoient 
déjà  pénétré  dans  plufieurs  endroits  de  la  ville  ,  fautèrent  en 
l'air ,  ôc  périrent.  D'un  autre  côté  les  afïiégeans  s'étant  rendus 
maîtres  de  prefque  toutes  les  défenfes  du  château  S.  Michel , 
ôc  s'étant  logés  dans  des  foûterrains  où  ils  étoient  à  couvert , 
comme  leurs  retranchemens  fe  trouvoient  prefque  joints  à  la 
muraille  ,  ôc  qu'il  n'y  avoit  plus  entr'eux  ôc  les  alïiégez  qu'une 
cloifon  de  planches ,  ils  s'efforcèrent  de  la  renverfer  avec  des 
crocs  attachés  à  de  longues  piques,  ôc  de  brifer  celles  des  afTié- 
gez  avec  d'autres  piques  ,  qui  par  le  bout  étoient  femblablcs 
à  des  faux  :  mais  ce  fut  fans  fuccès  ,  parce  que  la  valeur  in- 
vincible des  Chrétiens  l'emporta  toujours  fur  f  opiniâtreté  des 
Turcs.  Enfin  il  ne  reftoit  plus  aux  Généraux  des  Infidèles,  que 
l'efpérance  de  dompter  par  la  faim  ceux  qu'ils  n'avoient  pu 
vaincre  par  la  force  ôc  par  la  rufe. 

Cependant  le  Viceroi  partit  ce  Saragoufe  5  Ôc  après  avoir 
côtoyé  la  Sicile,  ôc  doublé  le  cap  de  Sciacca,  il  arriva  avec 


VIUU*  JL4Ua.&9SS3Ba 


8S  HISTOIRE 

un  vent  trcs-favorablc  à  la  vue  de  Malte,  faifant  route  vers  le 
Charle  Goze:il  en  partit  au  commencement  de  la  nuit,  après  avoir 
I  X.        ^'^^S^  Is  fignal,  ôc  entra  avec  bien  de  la  joie  dans  le  détroit.  .II 
I  j  c>  y.     y  appi^it  qi-ie  quarante  galères  Turques  y  avoient  pailé  le  jour; 
.  ôc  qu'elles  s'étoient  retirées  vers  le  coucher  du  foieil.  Comme 

fecours  en-"  ^^  ^'^^  voyoit  ricn  à  craindre  ,  il  réfolut  d'attendre  le  jour,  pour 
voyédcSici-  mettre  fes  troupes  à  terre.  Ainli  le  fept  de  Septembre,  à  la 
pointe  du  jour  ,  ayant  traverfé  le  détroit ,  l'armée  navale  des 
Chrétiens ,  aborda  vis-à-vis  de  la  petite  lile  de  Comino ,  à  l'Iile 
de  Malte^  dans  un  endroit  appelle  la  pointe  de  Melega.  Dom 
Garcie  ayant  débarqué  en  moins  de  quatre  heures  fes  troupes 
réduites  à  fix  mille  hommes  ,  ôc  ayant  fait  tirer  plufieurs  coups 
de  canon  ,  pour  avertir  le  Grand-Maître  de  l'arrivée  du  fe- 
cours ,  il  retourna  fur  le  champ  en  Sicile ,  pour  y  recevoir  le 
fécond  convoi  3  car  les  troupes  qu'on  avoir  levées  dans  la  Ro- 
magne,  étoient  déjà  arrivées  à  Gaëte  ,  ôc  on  les  attendoit  au 
premier  jour  à  MeîTine. 

Les  Chefs  des  troupes,  qui  venoient  de  débarquer,  fe  mirent 
en  bataille,  pour  fe  rendre  à  la  ville  ou  Cité  notable,  éloignée 
de  huit  milles.  Leur  marche  fut  très-lente ,  parce  que  n'ayant 
point  de  chevaux ,  ôc  le  foldat  étant  extrêmement  chargé ,  on 
ne  pût  faire  le  premier  jour  que  trois  milles.  Ils  arrivèrent  le 
troifiéme  jour  auprès  de  la  ville  ,  où  ils  campèrent  dans  un  lieu 
avantageux  que  Cornia  avoit  choifi  ,  oii  il  étoit  difficile  de 
monter  de  front  ,  ôc  qui  étoit  appuyé  des  deux  cotez  par  la 
ville,  ôc  par  un  monaftere  qui  étoit  au-deflbus.  C'ell  dans 
ce  camp  qu'ils  reçurent  une  lettre  du  Grand-Maître,  qui  leur 
mandoit  que  les  Turcs  ayant  appris  leur  arrivée,  avoient  abat- 
tu ôc  enlevé  leurs  tentes,  plié  bagage,  ôc  embarqué  leurs  trou- 
pes.  Mais  au  bout  de  trois  jours  il  arriva  un  courier  de  la  part 
des  affiégez  ,  qui  annonça  que  les  Turcs  avoient  changé  de 
delfein  j  qu'ils  étoient  revenus  fur  leurs  pas ,  ôc  avoient  fait  un 
nouveau  débarquement ,  dans  la  refolution  de  combattre  les 
Chrétiens  ;  Ôc  qu'ils  paroîtroient  inceflamment  en  bataille. 

Ce  qui  détermina  Mudapha  à  changer  de  deflein ,  fut  qu'il 
apprit  par  un  déferteur  de  Grenade ,  qu'il  n'étoit  arrivé  qu'un 
petit  nombre  de  trqjjpes  ;  mais  que  DomGarcie  étoit  retourné 
en  Sicile  ,  pour  en  ramener  un  plus  grand  nombre.  Ce  Général 
fut  donc  d'avis  de  prévenir  l'arrivée  du  fécond  renfort ,  ôc  de 

rifquer 


D  E  J.  A.  D  E  TH  O  U  .  L  I  V.  XXXVIII.     8p 

rîfquer  une  bataille.  Saraifonétoit  qu'il  leur  feroit  honteux  jôc  «»»«—«--. 
que  Soliman  leur  feroit  un  crime ,  d'avoir  tremble  ,  ôc  de  s'être  C  H  a  R  l  E 
lâchement  envoles,  comme  un  eflain  d'abailles,  au  premier  bruit       j  \£ 
de  l'arrivée  des  Chrétiens.  Haflan  Bey  d'Alger  fut  du  même     i  r  (5  <-. 
fentiment.  Piali,qui  penfoit  différemment , remontra  qu'après 
avoir  perdu  la  ifleur  &  toute  la  force  de  leur  armée ,  il  étoit  très- 
dangereux  d'expoferun  refte  de  gens  foibles ,  &  abattus  par  de 
longs  travaux ,  à  combattre  contre  des  troupes  fraîches  &  d'é- 
lite. Après  avoir  fait  cette  remontrance ,  il  fe  rendit  à  l'avis  des 
deux  autres  ,  ôc  fe  chargea  même  de  faire  aborder  la  flotte  à  la 
cale  de  S.  Paul,  tandis  que  Muftapha  s'avanceroit  par  terre  juf- 
qu'au  camp  des  Chrétiens. 

Les  Cheio  de  l'armée  Chrétienne  mirent  aullî-tôt  leurs  trou- 
pes en  bataille.  Cornia  étoit  d'avis  de  ne  point  fortir  des  li- 
gnes. Mais  de  Sande,  qui  étoit  le  premier  &  le  plus  diftingué 
des  Chefs  ,  pour  faire  oublier  apparemment  le  confcil  qu'il 
avoit  donné  de  ne  point  fecourir  Malte ,  ôc  pour  avoir  lieu  de 
décrier  Cornia  fon  rival ,  méprifa  fon  avis ,  ôc  defcendit  dans 
la  plaine  avec  Chiapino  VitelH  ;  ôc  quoi  qu'il  avouât  que  le 
lieu  élevé,  que  Cornia  étoit  d'avis  de  ne  point  quitter,  étoit 
plus  fur  que  la  plaine ,  il  foûtint  que  les  Turcs  ne  fe  refoudroient 
jamais  à  y  monter  ;  ôc  qu'ainfi  on  fe  laifferoit  enlever  l'occa- 
fîon  la  plus  favorable  de  remporter  une  vidoire  éclatante  ôc 
certaine  ,  en  combattant  contre  des  gens  aiToiblis  ,  ôc  déjà  à 
demi  vaincus  par  les  maux  qu'ils  avoient  eiTuyés. 

Cornia  s'oppofa  fortement  à  ce  deffein  :  il  prit  Dieu  ôc  les     Les  troupe* 
hommes  à  témoins ,  que  fi  on  perdoit  la  bataille ,  ce  feroit  à  auxiliaires 
eux  ,  ôc  non  pas  à  lui,  qu'il  en  faudroit  imputer  la  faute.  En-  f"'*^""^^'^^ 
trame  néanmoins  par  1  ardeur  du  loldat  qui  vouloit combattre,  vcrk  fiégc, 
il  defcendit  aufîî  c{ans  la  plaine.    Déjà  les  Turcs  paroiffoient.  ^ '^^^'^ '■^"*' 
Les  Chrétiens  conduits  par  VitelH  les  empêchèrent  de  ga- 
gner une  colline ,  qui  étoit  proche ,  oii  ils  tâchoient  d'arriver 
par  des  chemins  détournez ,  ôc  où  ils  avoient  defiein  de  fe  pof- 
ter.  Ceux  qui  marchoient  les  premiers ,  ayant  tourné  le  dos ,  les 
Chrétiens  les  pouifuivirent.  Alors  Muftapha  ,  qui  craignoit  le 
mauvais  fuccès  d'un  combat ,  s'en  retourna  vers  le  rivage  ;  com- 
me il  avoit  l'efprit  troublé  par  la  peur ,  on  dit  qu'il  tomba  deux 
fois  de  cheval.  Les  Turcs  fe  retirèrent,  en  fuyant  plutôt  qu'en 
combattant,  ôc  plufieur  s  furent  tuez,lorfqu'ils  montoient  dans 
Tom,  K  M 


00  HISTOIRE 

leurs  valfleaux  ;  d'autres  qui  s'étoient  jettez  à  la  mer ,  furent 
Charle  rioy^z  î  plufieurs  étant  entrez  dans  des  efquifs  avec  pre'cipita- 
I  X.       ^^^^"*  *  ^  ^^^  ^^^P  g'^snd  nombre  ,  les  firent  couler  à  fonds  ,  ÔC 
i  K  6  K,     P<^rirent  moins  honorablement  qu'ils  n'auroient  péri  en  com- 
battant. L'ardeur  des  Chrétiens  fut  fi  grande ,  que  les  coups  de 
canon  qu'on  tiroir  fans  ceffe  des  vaiffeaux  Turcs ,  ne  purent 
les  empêcher  de  pourfuivre  l'ennemi ,  ôc  d'en  faire  un  horrible 
carnage.  On  fçut  par  les  déferteurs  que  cette  fuite  avoit  coûté 
deux  mille  hommes  aux  Infidèles  :  il  n'y  eut  que  treize  Chré- 
tiens qui  demeurèrent  fur  la  place. 
Particulari-      Jamais  le  puiffant  Empire  des  Turcs  n'avoir  raffemblé  plus  de 

tezdufiégede  troupes  ,  plus  de  vaiiTeaux  ,  plus  de  toutes  fortes  de  provifions 
Malte.  ^       r  '  •         •    -i     ,      ^     •  y>  c  •  i 

pour  un  liège  j  jamais  il  n  y  avoir  eu  d  attaques  faites  avec  plus 

de  vigueur,  ôc  foûtenuës  avec  tant  de  courage  ôc  de  bravoure. 
On  s'étonna  particulièrement  de  la  grolfeur  prodigieufe  des  pié- 
,  ces  de  canon,  que  les  ennemis  lailTerent  :  quelques-uns  por- 
toicnt  des  boulets  de  pierre  de  500  livres  ;  d'autres  en  portoient 
de  fer  de  ^o  5  &  quelques-uns  de  80.  Des  perfonnes  curieu- 
fes ,  après  un  calcul  exa£l ,  ont  afluré  qu'ils  tirèrent  plus  de  foi» 
xante  mille  coups  de  canon.  Ce  fiége  le  plus  mémorable  qui 
ait  jamais  été ,  ôc  qui  dura  quatre  mois  entiers  ,  a  été  décrit  pair 
le  comte  Jérôme  Alexandrin,  par  Ubert  FogHetta,  par  Celio 
Auguftino  Curione,  par  Pierre  Salazar ,  6c  plus  amplement  pat 
Antoine-François  Cirni,  ôc  par  Claude  de  la  Grange,  Fran- 
çois. Les  Turcs  y  perdirent  vingt  mille  hommes  j  douze  mille 
portants  les  armes,  ôc  huit  mille  rameurs  ou  matelots.  Du  cô- 
té des  Chrétiens ,  il  périt  de  diverfes  façons  ,  tant  dans  les 
châteaux  S.  Elme  ôc  S.  Michel,  que  dans  la  ville,  neuf  mille 
perfonnes  de  toutfexe  Ôc  de  tout  âge  5  entre  lefquels  il  y  avoit 
plus  de  trois  mille  hommes  de  guerre  :  de  forte  que  quand  le 
fiége  fut  levé,  il  ne  s'en  trouva  de  relie  que  fix  cens ,  en  y  com- 
prenant les  Chevaliers ,  dont  il  en  fut  tué  deux  cens  cinquante. 
Ajoutez  à  cela  le  trifte  fpedacle  d'une  ville  ,  dont  les  mu- 
railles étoient  renverfées  ,  toute  minée  ôc  contreminée  dans 
fon  circuit  ,  dont  les  maifons  étoient  ou  abattues,  ou  ébran- 
lées, ôc  prêtes  à  tomber  ,  entièrement  femblable  ,  non  à  une 
place  bien  défendue  ,  mais  à  une  ville  prife  d'afîaut  ,  ruinée 
par  l'ennemi  ,  ôc  abandonnée  après  le  pillage.  Les  Chefs  de 
l'armée  auxiliaire  allèrent  rendre  vifite  à  la  Valette  >  qui  leur 


DE  J.  A.  DE   TKOU,  Liv.  XXXVIII.     5>i 

Et  rendre  de  grands  honneurs ,  ôc  qui  leur  donna  toutes  les  mar-  -"  | 

ques  pofllbles  d'amitié.  Cette  vifite  ne  fe  pafla  point  fans  ver-  r  pj  ^  ^  l  E  ■ 

fer  de  part  6c  d'autre  beaucoup  de  larmes  ;  d'un  côté ,  par  le       jy  i 

douloureux  fouvenir  de  tant  de  maux  &  de  tant  de  grands  hom-     .  .  /:  ^  1 

mes  qu'on  venoit  de  perdre  ',  ôc  de  l'autre ,  parla  joie  d'un  fuc-        J     ■>'  [ 

ces  fi  inopiné  ,  fe  voyant  en  repos  ôc  en  fureté ,  après  tant  de  i 

travaux  ôc  de  dangers.  Enfin  après  bien  des  remercimens ,  le  ! 

Grand -Maître  les  renvoya.    Les  Turcs  s'ctant  rembarquez  ,  l 

faiiis  de  frayeur  ,  firent  route  vers  la  Romelie  :  leur  flotte  fut  , 

vîië  des  cotes  de  Sicile  ,  ôc  D.  Garcie  l'apperçût  du  port  de  Sa-  \ 

ragoufe.  Il  apprit  par  là  ,  ôc  par  les  lettres  de  la  Valette ,  que  i 

le  fiége  étoit  levé  ;  Ôc  il  fe  trouva  déchargé  du  foin  de  faire  paffer  | 

à  Malte  un  fécond  renfort.  '  : 

Après  les  magnificences ,  qui  furent  faites  à  Bayonne  pen-  ■ 

dant  l'entrevue  du  roi  de  France  avec  la  reine  d'Efpagne ,  Phi-  j 

lippe  Strozzi ,  fils  de  Pierre  Strozzi  maréchal  de  France  ,  Ti-  « 

moleon  de  CofTé ,  fils  du  maréchal  de  Briffac ,  Roger  de  S.  Lari  i 

de  Bellegarde ,  Pierre  de  Bourdeilles  de  Brantofme ,  Hardoùin  j 

de  Villier  de  la  Rivière ,  ôc  devant  eux ,  René  de  Voyer  vicom-  i 

te  de  Paulmi  ,  grand  Bailli  de  Touraine  ,  vinrent  trouver  D.  ] 

Garcie  ,  qui  leur  fit  beaucoup  de  carefTes  ôc  de  grands  hon-  | 

neurs  ,  quoi  qu'ils  fuffent  venus  trop  tard.    Enfuite  le  Viceroi  , 

(  afin  qu'on  pût  dire  qu'il  avoir  fait  quelque  chofe  )  choifit  fur  i 
toute  la  flotte  cinquante  galères  ,  entre  lefquelles  il  y  en  avoit                       ,      ■ 
fept  de  Corne  duc  de  Florence ,  que  l'on  jugea  les  plus  légè- 
res.   Puis  ayant  mis  deflus  un  détachement  de  troupes  Efp.a- 
gnoles  ,  ôc  ayant  pris  avec  lui  Chiappino  Vitelii^  il  fit  voile  vers 

l'Orient,  afin  de  pourfuivrc  l'armée  navale  des  Turcs.  Il  de-  j 

meura  quelque  tems  à  l'ancre  dans  l'ifle  de  Cerigo  *  ;  attendant      >f  Ccft  la  j 
Toccafion  de  les  attaquer  avec  avantage ,  fi  par  hazard ,  croyant  ^3'"^"^^  iilc 

n avoir  rien  a  craindre,  ils  savifoient  de  diviler  leur  Hotte  ;  I 

mais  on  s'y  prit  trop  tard.  Garcie  revint  à  Mefline  far  la  fin  de  \ 

Septembre,  fans  avoir  rien  fait.  j 

Le  fuccès  auffi  heureux  qu'inefperé  de  la  levée  du  fiége  de  | 

Malte ,  attira  à  ce  Viceroi  la  haine  du  public  ,  ôc  on  le  blâma  ■ 

hautement  d'avoir  envoyé  trop  tard  les  fecours  promis.  Il  n'a-  ! 

voit  rien  fait  en  cela  que  par  les  ordres  de  Phifippe  :  mais  ce  - 

Monarque  politique  ^  voulant  éloigner  de  lui  toutes  fortes  de  j 

foupcons^  marqua  toujours  depuis  de  l'averfion  pour  Garcie  i  s 

Mij 


Charle 

IX. 

i;(5;. 

Fêtes  & 

Mariages  eu 

5»i  HISTOIRE 

il  l'éloigna  de  la  Sicile ,  ne  lui  donna  plus  aucune  part  aux  affai- 
res ,  ôc  le  laifla  vieillir  à  Naples  dans  fa  maifon ,  comme  un  finv 
pie  particulier. 

Le  bruit  du  départ  des  Turcs  s'étant  répandu  en  Italie ,  on 
en  rendit  grâces  à  Dieu  par  des  procefFions  ;  ôc  principalement: 
à  Rome,  où  l'on  fit  la  nuit  en  figne  de  joie  des  feux  d'artifice 
Italie.^  de  différente  efpece.  Le  refte  de  l'année  fe  paffa  en  fêtes  ôc  en 

noces.  Alexandre  Farnefe  ,  fils  d'Odave  duc  de  Parme ,  ôc  de 
Marguerite  fœur  de  Philippe ,  obtint  en  mariage ,  par  le  crédit 
de  fon  oncle,  Marie  de  Portugal  fa  proche  parente.  Le  ma- 
riage fut  célébré  à  Bruxelles  ,  où  Alexandre  >  après  avoir  long- 
tcms  demeuré  à  la  Cour  d'Efpagne ,  étoit  venu  depuis  peu  trou- 
ver fa  mère  ,  qui  étoit  Gouvernante  des  Payis-Bas ,  accompa^ 
gné  de  Lamoral  comte  d'Egmond  ,  ôc  de  Pierre  Ernell  comte 
de  Mansfêld. 

Barbe  ôc  Jeanne ,  (beurs  de  l'Empereur  Maximilîen ,  avoienC 
été  promifes  l'année  précédente ,  la  première  à  Alfonfe  duc  de 
Ferrare,  ôc  l'autre  à  François  prince  de  Florence.  Ainfi  Tan- 
née du  deiiil  de  la  mort  de  Ferdinand  étant  paffée  ,  François 
envoya  à  lEmpereur  le  comte  Clément  Pietra  ,  pour  le  ma- 
riage de  Jeanne  ,  dont  on  étoit  déjà  convenu.  Le  Comte  alla 
auiîi  voir  Ferdinand  ôc  Charle ,  frères  de  la  Princeffe  ,  ôc  les 
pria  de  la  part  du  Prince,  de  lui  faire  l'honneur  de  venir  à  Flo- 
rence ,  pour  affifter  aux  noces  de  leur  fœur.  Mais  ces  deux 
Princes  s'en  excuferent ,  parce  que  dans  ce  tems-là  ils  ne  pou- 
voient  fans  danger  s'éloigner  de  leurs  Etats.  De-là  le  comte 
Pietra  alla  jufqu'à  Cracovie  en  Pologne ,  pour  voir  Catherine 
époufe  de  Sigifmond  ,  fœur  de  Jeanne.  Sigifmond  étant  alors 
enLithuanie,  pour  donner  ordre  aux  affaires  de  ce  Duchés 
ôc  prendre  des  précautions  contre  les  Mofcovites  ,  le  Comte 
alla  jufqu'à  Vilna,  pour  lui  rendre  les  mêmes  devoirs.  Le  prin- 
ce de  Florence  envoya  auffi  le  comte  Jean-Paul  de  Caftellî 
aux  Ducs  de  Bavière  ôc  de  Cleves ,  qui  avoient  époufé  deux 
fœurs  de  Jeanne;  ôc  il  obtint  du  duc  de  Bavière  ,  que  Ferdi- 
nand fon  fils  viendroit  en  Italie,  ôc  qu'il  affifleroit  à  cesnôcesi 

Le  prince  de  Florence  vint  lui-même  en  Allemagne ,  avec 
un  grand  cortège  ,  ôc  il  falua  Jeanne  à  Infpruck.  De  là  il  alla  à 
Vienne  trouver  l'Empereur,  qui  lui  rendit  de  grands  honneurs». 
A  fon  retour  il  vint  à  Prague,  où  Ferdinand  paffoit l'hiver  5  ôc 


DE  J.  A.  DE  T  HOU,  Liv.  XXXVIÏL    ^5 

de  là  il  fe  rendit  très  promtement  à  Florence.  On  ctoit  demeuré 
d'accord  qu'on  ameneroit  en  même  tems  Barbe  ôc  Jeanne  fur  Charls 
les  confins  d'Italie ,  à  Trente  ,  aux  dépens  de  l'Empereur  5  mais        jx. 
que  de  là  elles  Ceroient  conduites  chez  leurs  maris,  ôc  à  leurs  dé-     1^6$^ 
pens.  Le  cardinal  Chriftophle  Madruce,  homme  d'une  libéralité 
6c  d'une  magnificence  beaucoup  au-defTus  d'un  particulier ,  les 
traita  magnifiquement  à  Trente  ,  dont  il  étoitEvêque.  Le  cardi- 
nal Vercelli ,  &  bien-tôt  après  le  cardinal  Borromée  légat  par 
toute  l'Italie  ,  s'y  rendirent  au  nom  du  Pape.  Barbe  y  fut  mife 
entre  les  mains  du  cardinal  Louis  d'Efle  frère  du  duc  deFerra- 
re  5  ôc  Jeanne  entre  les  mains  de  Paul  Jourdain  chef  de  la  maifon 
des  Urfins ,  gendre  de  Côme.  De  Trente ,  les  deux  PrincefTes 
furent  menées  en  grande  pompe,  ôc  avec  un  fuperbe  cortège  ;, 
l'une  à  Ferrare ,  Ôc  l'autre  à  Plorence ,  où  les  noces  fe  firent  avec 
beaucoup  de  magnificence. 

La  joie  publique  caufée  par  ces  mariages  fut  un  peu  troublée  -Mort  du 
par  la  nouvelle  inopinée  de  la  maladie  du  Pape  ,  qui  rappella  ^n^j-^aulere* 
promtement  à  Rome  le  cardinal  Borromée  fon  neveu  ,  à  qui  il 
avoir  ordonné  d'alTifter  au  mariage  de  Francjois  de  Medicis ,  ôc 
qui  étoit  en  chemin  pour  s'y  rendre.  Le  Cardinal  arriva  affez  tôt, 
pour  être  préfent  à  la  mort  de  fon  oncle  j  il  mourut  le  huitiè- 
me jour  de  fa  maladie  (  qui  étoit  l'effet  de  fa  vie  peu  réglée) 
le  p  de  Décembre,  âgé  defoixante-fix  ans  huit  mois  ôc  neuf  jours, 
après  cinq  ans  onze  mois  ôc  quinze  jours  de  Pontificat.  Son 
corps  fut  porté  dans  la  Bafiiique  du  Vatican ,  ôc  enfermé  pour 
un  tems  dans  un  cercueil  de  briques. 

Sous  fon  Pontificat  on  vit  régner  la  paix  en  Italie,  le  repos 
ôc  l'abondance  dans  Rome  ôc  dans  les  Provinces  de  fon  obéïf- 
fance  :  le  peuple  ne  fouffrit  point ,  ou  fouffrit  peu.  Ses  mœurs 
varièrent  :  tandis  qu'il  étoit  particulier ,  ôc  qu'il  poffedoit  fous 
les  Papes  précédens  les  premières  charges ,  il  s'acquit  unegran- 
de  réputation ,  ôc  fa  vie  parut  réglée.  Mais  à  peine  fut-il  élu 
Pape  ,  que  fa  nouvelle  dignité  le  faifant  paroître  tel  qu'il  étoit 
au  fond ,  changea  fa  vie  ôc  fes  moeurs.  Nous  avons  déjà  ex-'- 
pofé  ce  qu'il  fit  dans  l'affaire  du  Concile.  Lorfqu'il  fut  fini , 
n'ayant  plus  de  crainte  ni  d'inquiétude,  il  fuivitfes  inclinations^ 
qui  le  portèrent  à  bien  des  chofes ,  qui  n'ont  pas  été  approuvées 
de  tout  le  monde.  Il  fut  colère  en  public  ,  jaloux  Ôc  envieux, 
dans  le  fecret,  impatient  Ôc  difficile  lorfqu'il  s'agiffoit  de  donnée 

M  iij 


?«' 


>4'  HISTOIRE 

audience  ,  altler  &  dur  dans  fesréponfes  ,  aimant  \  dominer, 
C  H  A  R  L  E  ^"^^  ^  artificieux^  &  grand  maître  en  Part  de  diflimuler,  quoi  qu'il 
I X.       voulût  paroître  fimple  6c  fans  finefTe  :  naturellement  timide  ^ 
I  j.  ^  -^     mais  fçachant  cacher  fa  timidité  fous  une  apparence  de  hardief- 
fe  î  ingrat  ^  ôc  le  fouvenant  peu  des  fervices  qu'on  lui  avoit  ren- 
dus :  avare  ôc  avide  d'argent ,  il  mit  tout  en  ufage  pour  en  tirer 
<ie  tous  cotez ,  m.ême  par  des  injuftices  criantes ,  &  néanmoins 
prodigue  ,  ôc  aimant  à  le  répandre  :  de  forte  qu'il  dépenfa  pen- 
dant fon  pontificat  de  très  grandes  fommes ,  dont  la  plûpa^rt  fu- 
rent employées  en  ouvrages  publics  ,  ôc  en  bâtimens.  Il  buvoit 
&  mangeoit  avec  excès ,  Ôc  étoit  très  voluptueux.  Ce  fut ,  à  ce 
qu'on  croit,  cette  vie  déréglée  qui  avança  fa  mort.  D'ailleurs 
il  eut  trop  de  foiblelfe  pour  les  enfans  de  fes  fœurs.   Comme 
il  avoit  marié  cette  année,  peu  de  jours  avant  le  carême,  lafœur 
du  cardinal  Borromée  avec  Annibal  d'Altemps,  fans  lui  avoir 
payé  la  dot,  il  lui  donna,  étant  à  l'extrémité  ,  cent  mille  écus 
payables  après  là  mort  :  mais  fon  fuccefleur  reduifit  cette  fom- 
me  à  la  moitié.  Etant  parvenu  au  pontificat  ,  il  ne  voulut  ja- 
mais fe  reconcilier  avec  Augufte  Medichino  marquis  de  Ma- 
rignan  fon  frère ,  le  feul  capable  de  relever  fa  maifon  ;  ôc  en 
cela  ce  Pontife,  quoique  vain  ôc  ambitieux,  facrifia  fon  ambi- 
tion à  fon  reifentiment  ôc  à  fa  haine. 
Retablifle-       En  cette  année  Pie  IV.  avoit  rétabli  l'Ordre  de  S.  Lazare  de 
?^"d^s  l'  J^^ufalem,  dont  l'origine  eft  très  ancienne  ,  mais  qui  en  vieil- 
ïarc.  liffant  étoit  prefque  entièrement  tombé.  Il  lui  accorda ,  com- 

me aux  autres  Ordres  Militaires,  un  très  grand  nombre  de  pri- 
vilèges ,  d'honneurs ,  de  prérogatives  ôc  d'immunitez  ,  par  une 
Bulle  du  quatre  de  Mai.  Mais  Pie  V.  fon  fucceffeur  les  révo- 
qua en  partie ,  ôc  les  modéra  la  féconde  année  de  fon  Pontifi- 
cat ,  par  deux  Conftitutions  du  25  de  Janvier  ôc  du  1 1  d'Août. 
On  fait  remonter  cet  Ordre  de  Chevalerie  jufqu'au  tems  de 
S.  Bafile  le  Grand ,  ôc  du  Pape  Damafe  I.  vers  l'an  3  53  fous 
l'Empire  de  Julien.  Tant  d'hôpitaux  ôc  de  maladreries  établis 
dans  toute  la  Chrétienté,  fous  le  nom  de  S.  Lazare  ,  font  foi 
de  fon  antiquité.  Mais  ces  premiers  érabhflemens  ayant  été  rui- 
nez par  les  incurfions  des  Barbares  ,  ôc  par  l'injure  du  tems. 
Innocent  lîl.  ôc  Honoré  III.  le  prirent  fous  leur  protection  vers 
Fan  1200.  Enfuite  Grégoire  IX.  ôc  Innocent  IV.  lui  accordè- 
rent bien  des  privilèges ,  ôc  prefcrivirent  aux  Chevaliers  une 


oi 


D  E  J.   A,  D  E  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXVIII. 

nouvelle  forme  d  élire  un  Grand- Maître.  Alexandre  IV.  con 
firma  libéralement  toutes  ces  conceffions  5  tz.  Frédéric  Bar-  C  H  a  R  L 
berouiTe  leur  ayant  donné  de  grands  biens  dans  la  Calabre  ,  \  x, 
dans  la  Pouïlle  &  dans  la  Sicile ,  ils  les  conferverent  &  les  aug-  1565. 
nienterent  confiderablement ,  fous  la  protection  des  Papes  Ni- 
colas III.  Clément  IV.  Jean  XXII.  Grégoire  X.  Urbain  VI. 
Paul  II.  ôc  Léon  X.  Comme  cet  Ordre  avoit  beaucoup  perdu 
de  fa  fplendeur.  Pie  IV.  le  releva,  ôc  lui  donna  Jannot  de  Caftil- 
lonpour  Grand-Maître.  Jannot  étant  mort  à  Verceil  l'an  1^72, 
Grégoire  XIII.  qui  voulut  rendre  fOrdre  de  S.  Lazare  plus 
illuftre,  en  donna  laGrande-Maîtrife  àEmanuel  Philibert  duc 
de  Savoye.  Ce  Prince  convoqua  à  Nice  pour  l'année  fuivante 
une  ailemblée  des  Chevaliers ,  dans  laquelle  il  leur  fit  prêter 
ferment  en  qualité  de  Grand-Maître  i  ôc  pour  décorer  FOr- 
dre, il  lui  prefcrivit  des  loix  ôc  des  cérémonies  nouvelles ,  con- 
firmées par  le  Pape.  Il  le  réunit  à  l'Ordre  de  S.  Maurice  '  inf- 
titué  par  le  premier  duc  de  Savoye  3  dont  les  Ducs  fuivans  ont 
tiré  leur  origine  j  ôc  il  donna  à  ces  deux  Ordres ,  qui  n'en  firent 
plus  qu  un  ,  deux  hofpices  h  l'un  à  Nice ,  &  l'autre  à  Turin. 

Le  même  Ordre  fut  d'abord  établi  en  France.  Mais  com- 
nie  les  Chevaliers  Hofpitaliers  de  S.  Jean  de  Jerufalem,  jaloux 
à^s  autres  Ordres ,  firent  leurs  efforts  pour  abolir  celui-ci  ,  ils 
obtinrent  enfin  d'Innocent  VIII.  qu'il  feroit  éteint  6c  réuni  à 
celui  de  S.  Jean  de  Jerufalem.  La  Bulle  de  ce  Pape  ell  de  l'ari 
1490.  Les  Chevaliers  Hofpitahers  la  tinrent  long-tems  ca- 
chée. Mais  lorfque  les  Chevaliers  de  S.  Lazare  en  eurent  con- 
noifiance  :,  ils  en  appellerent  comme  d'abus  au  Parlement  de 
Paris  l'an  1 5* 44.  La  caufe  ayant  été  plaidée ,  ôc  Gille  le  Maître 
avocat  général  du  Roi  ayant  parlé  5  la  Cour  prononça  en  fa- 
veur des  appellans  h  ôc  fupprimant  la  Bulle  du  Pape  comme  abu- 
five  j  ordonna  que  les  Ordres  de  S.  Jean  Ôc  de  S.  Lazare  de- 
meuroient  diftinds  &  féparez. 

Depuis  ce  tems-là,  les  Chevahers  de  S.  Jean  de  Jerufalem 
(appeliez  aujourd'hui  Chevaliers  de  Malte)  mirent  tout  en  ufa- 
ge  pour  obtenir  par  adreffe  ce  qu'ils  n'avoient  pu  gagner  par 


I  s.  Mauritii,  à  qiio  Sabaudiœ  Ducer 
genus  repetunt.  Il  fembleroit  que  les 
Ducs  de  Savoie  tirent  leur  origine  de 
S.  Maurice  ;  ce  qui  ne  fe  comprend  pas. 
Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,c'eit  qu'Aîné 


ou  Amedée  VIII,  comte  de  Savoye,  Se 
depuis  fait  premier  duc  de  Savoye ,  a 
iniîitue'  l'Ordre  de  S.  Maurice,  On  a 
corrigé  dans  la  traduction  l'erreur  qu» 
s'étoit  glifféedans  le  texte. 


^^  HISTOIRE 

■  la  force  ,  ôc  pour  faire  peu  à  peu  oublier  fOrdre  de  S.  Lazare, 

Ch  \RLE  ^'^^^  nepouvoient  pas  entièrement  l'éteindre.  Ainfi  ils  en  ob- 
j  -^  tinrent  la  Grande- M aîtrife  jufqu'à  Aymar  de  Chattes ,  homme 
j  -  ^  ^  ïlluftre  par  fa  nailTance  ,  mais  encore  plus  diftingué  par  fa  can- 
deur ôc  par  fa  vertu.  Car  quoi  qu'il  fut  chevalier  de  Malte, 
ï\  entreprit  de  rétablir  l'Ordre  de  S.  Lazare  ,  dont  il  étoit  le 
Chef  5  ôc  appuyé  de  l'autorité  du  Parlement  de  Paris  ,  ilre- 
foîut  de  retirer  tous  les  biens,  qui  avoient  été  dillipez  par  fes 
prédecefleurs ,  des  mains  de  ceux  qui  les  pofledoient  injufte- 
ment.  Etant  mort  dans  un  deffein  fi  louable,  on  mit  en  fa  place 
Philibert  de  Nereftang ,  homme  recommandable  par  fa  mode- 
ration  ôc  par  fon  courage  ,  à  qui  l'Ordre  de  S.  Lazare  fera  un 
jour  redevable  de  fa  première  fplendeur  '.  • 
Mort  de  Cette  année  eft  remarquable  par  la  mort  de  quantité  de 
yuiebon.  grands  hommes  dans  la  paix  ôc  dans  la  guerre.  En  France  Jean 
d'Eftouteville  de  Villebon,  lieutenant  général  du  duc  de  Bouil- 
lon dans  le  gouvernement  de  Normandie,  d'une  illuftre  naif- 
fance  ,  mourut  extrêmement  âgé.  Quelque  tems  auparavant 
François  deSepeaux  de  Vieilleville  maréchal  de  France ,  ayant 
pris  querelle  avec  lui  à  Rouen,  fur  quelques  paroles  injurieufes, 
parce  qu'il  ne  lui  rendoit  pas  les  honneurs ,  qu'il  prétendoit  être 
dûs  à  fa  dignité  ,  tira  fur  le  champ  l'épée  ,&  lui  coupa  un  bras. 
Toute  la  réparation  que  Viliebon,  qui  étoit  vain,  pût  tirer  de 
cette  injure  ,  fut  que  fon  bras  coupé  feroit  porté  avec  pompe 
dans  les  rues ,  ôc  honorablement  enterré. 

Peu  de  tems  après,  Philibert  Marfilli  deSipierre^  gouver- 
neur du  Roi,  homme  de  bien  ,  ôc  grand  Capitaine,  qui  n'a- 
voit  rien  plus  à  cœur,  que  la  gloire  de  fon  Maître  ôc  la  tran- 
quilité  de  l'Etat ,  fe  voyant  attaqué  d'une  maladie  mortelle,  de- 
manda permifTion  à  S.  M.  d'aller  aux  eaux  de  Spa,  pour  tâcher 
de  rétablir  fa  fanté.  Mais  auparavant  il  avertit  la  Reine  ,  que 
fi  elle  vouloir  le  bien  du  Royaume,  elle  fit  enforte  de  recon- 
cilier les  Guifes  avec  les  Colignis  j  parce  que  ces  deux  maifons 
fomentoient  des  factions  dans  le  Royaume ,  ôc  que  leur  mauvai- 
fe  intelligence  caufoit  des  mouvemens ,  qui  pouroient  conduire 
à  des  guerres  civiles.  Etant  arrivé  à  Liège  ,  il  mourut  fur  la  fin 
de  Septembre,  avant  qu'il  pût  prendre  les  eaux. 

I  On  a  encore  effaye  de  le  relever  I  d'avoir  pour  Grand-Maître  M.  le  duc 
<îiiii3  CCS  derniers  tems,  ayant  riionneur    |    d'Orléans. 

CharlQ 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  Li  V.  XXXVIII.      5)7 

Charle  de  Bourbon  de  la  Roche-fur-Yon ,  frère  puîné  du  _____ 
duc  de  Montpenfier ,  Prince  aimable  par  fa  douceur  ôc  par  fon  p  u  «  t,  r  n 
équité ,  &  qui  avoir  rendu  de  grands  fervices  à  l'Etat ,  mourut  le        t  y 
mois  fuivant.   Après  les  fêtes  données  àBayonne^  aufquelles  / 

il  afTifta^  il  revint  à  Beaupreau,  dans  l'Anjou,  où  il  fut  em- 
porté par  une  fièvre  violente,  ôc  enterré  dans  l'Abbaye  de  Bel-  ch^e-suii-Yon 
îefontaine.  Il  ne  îaifTa  point  d'enfans ,  car  fon  fils  unique  étoit 
mort  cinq  ans  auparavant  à  Orléans ,  par  le  trille  accident  dont 
nous  avons  parlé  en  fon  lieu. 

En  Allemagne  ,  mourut  dans  le  même  mois  Jean  Frédéric  de  JeakFre- 
ie  dernier  des  enfans  de  Jean  Frédéric  de  Saxe ,  furnommé  le  ^J'^^^  ^'^ 
Gonflant ,  dépouillé  de  l'EleiSlorat.  Après  avoir  été  malade  pref- 
que  toute  fa  vie,  il  la  finit  à  lene  âgé  de  vingt-fept  ans.  Son  corps 
fut  porté  à  Weyfmar,  ôc  mis  dans  le  tombeau  de  fes  ancêtres , 
par  les  foins  de  Jean  Guillaume  fon  frère. 

Le  12  de  Décembre^  Jean  Ranzau  d'une  illuflre  maifonde  de  Rakzau. 
Holftein  3  après  s'être  rendu  célèbre  par  fes  voyages ,  par  fes 
travaux  continuels  dans  la  guerre  ôc  dans  la  paix ,  fous  trois 
Rois  de  Dannemarc ,  ôc  par  la  guerre  de  Dietmarfie  qu'il  ve- 
noit  de  terminer  heureufement ,  mourut  enfin  dans  fon  payis, 
xians  fa  foixante  ôc  quatorzième  année,  laifTant  deux  fils,  Hen- 
ri ôc  Paul,  dignes  héritiers  de  la  gloire  ôc  de  la  vertu  de  leur 
.père. 

Le  même  jour  périt  malheureufement  Joachim  Nerrhaufen,  dh  Ner- 
-Chevalier  de  la  Toifon  d'or^  Chancelier  de  Bohême,  qui  avoir  rhausen. 
eu  d'illuftres  &  importans  emplois  fous  Ferdinand  ôc  fous 
Maximilien  ,  ôc  qui  avoit  toujours  été  fcnnemi  des  Pro- 
teftans.  Ayant  demandé  la  permiiTion  de  fe  retirer ,  ôc  étant 
monté  le  matin  dans  une  chaife  de  pofte ,  le  pont  de  Vienne  fur 
lequel  il  paflbit,  fe  rompit:  il  tomba  dans  le  Danube  avec  fa 
chaife,  ôc  fe  noya,  ^o^  cocher  fe  fauvaà  la  nage,  avec  fix  ca- 
valiers qui  l'accompagnoient. 

Le  6  de  Mai  de  la  même  année  un  accident  prefqu'aufîî  ^^^  Seldeh; 
funefte  fit  perdre  la  vie  à  George  Sigifmond  Selden ,  dont  nous 
avons  fouvent  parlé.  Il  fut  Vice-chancelier  de  Charle-Quint  ôc 
de  Ferdinand.  Retournant  de  fa  maifon  de  campagne  à  Vien- 
ne dans  une  chaife,  avec  Jean  Ulric  Zazi,  ôc  lifant  despfeau- 
mes  avec  attention ,  il  tomba  de  fa  voiture  :  fa  tête  porta  fi 
rudement  fur  une  pierre ,  qu'il  en  fut  bleffé  à  mort. 
Tome  y.  N 


5>S  HISTOIRE 

A  la  fin  de  l'année  Jean  Ungnad  de  Sonneck  t  illuflre  paï 
fa  naiflance,  ôc  par  fon  mérite,  mourut  a  Vintriz  ,  place  forte 
de  laSuabe,  dans  un  âge  très-avancé.  Son  corps  fut  porté  à 
Tubinge  ,  ôc  inhumé  par  les  ordres  de  Chriftophle  duc  de  Wir- 
temberg  auprès  du  tombeau  d'Ulric  père  de  ce  Prince.  Lorf- 
que  Sonneck  commandoit  pour  Ferdinand  dans  la  Stirie ,  ÔC 
la  Carinthie  ,  il  quitta  fon  payis  à  caufe  de  la  Religion.  Le  duc 
de  Wirtemberg  lui  ayant  offert  une  retraite,  il  demeura  quel- 
que tems  à  Aurach,  où  un  zèle  ardent  pour  étendre  la  Religion 
chrétienne  le  porta  à  faire  traduire  avec  de  grandes  dépenfes 
la  Bible ,  Ôc  quelques  écrits  des  Théologiens  en  langue  Tur- 
que ôc  Sclavonne ,  ôc  de  les  faire  porter  ôc  diftribuer  dans  les 
payis  où  ces  langues  font  en  ufage.  Exemple  de  pieté ,  loua- 
ble ôc  digne  d'être  tranfmis  à  la  pofterité,  pour  être  fuivi  par 
les  Princes ,  ôc  par  ceux  qui  font  plus  riches  que  n'ctoit  niluftre 
Sonneck. 

BE  Ratze-      Dans  la'Lithuanie  Nicolas  Ratzewil  duc  d'OHka,  ôc  Pa- 
^^'■*  latin  de  Wilna  mourut  le  28  de  Mai.  Il  étoit  allié  à  Sigif- 

mond  Augufle ,  qui  avoit  époufé  en  fécondes  noces  Barbe  cou- 
fine  germaine  de  Ratzewil.  C'étoit  un  homme  d'un  grand  ef- 
prit  ôc  d'un  grand  courage  ;  ôc  nous  avons  fait  voir  que  la  Po- 
logne eft  redevable  à  fon  adreffe  ôc  à  fon  habileté  de  la  con- 
quête de  la  Livonie.  Ayant  embraffé  la  Religion  Proteftante; 
il  fut  le  premier  qui  fit  faire  des  affemblées  dans  la  Lithuanie,' 
à  Wilna ,  dans  fon  palais ,  vis-à-vis  l'Eglife  de  faint  Jean.  Il  fît 
traduire  à  fes  dépens  la  Bible  en  langue  vulgaire  félon  ITIebreu 
ôc  le  Grec ,  à  l'ufage  des  peuples  de  Pologne.  Il  laiffa  en  mou- 
rant quatre  enfans ,  Chriftophle  qui  fucceda  à  io.^  titres ,  George 
qui  fut  depuis  Cardinal,  Albert  qui  époufa  Anne,  fille  de  Go- 
tard  duc  de  Curlande.  Gotard  fit  ce  mariage  pour  reconnoître 
en  la  perfonne  du  fils  les  obligations  qu'il  avoit  au  père  •■>  ôc  en- 
fin Staniflas.  Tous  les  quatre  rejetterent  la  nouvelle  religion 
que  leur  père  avoit  embraffée  »  ôc  firent  profeffion  de  l'ancienne; 
d'Alfxaw-       L'année  15"  55"  ne  fut  pas  moins  funefte  aux  perfonnes  célé- 

breceAles.  |^j.gg  j^j^g  igg  fciences  ôc  les  belles  lettres.  Alexandre  de  Aies 

Ecoffois ,  Théologien  de  grande  réputation  parmi  les  Proteftans; 
mourut  le  17  de  Mars  à  Lipfick,  où  il  avoit  enfeigné  pendant 
vingt  ans. 
SE  Mathez.      Le  7  d' Octobre  décéda  Jean  Mathez  de  Rochlitz  5   iî 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U .  Liv.  XXXVIII.       <pp 

enfeigna  long-tems  dans  la  vallée  de  Joackimfthai,  payis  rem- 
pli de  métaux,  ce  qui  lui  donna  lieu  de  beaucoup  écrire  en  Charle 
Allemand  fur  la  nature  &  les  différentes  efpeces  des  folTiles.       IX. 
Ayant  prêché  un  matin  fur  la  refurrettion  du  fils  de  la  veuve  de     i  j  <î  J. 
Naïm  ,  &  ayant  enfeigné  comme  Luther ,  que  dans  la  vie  fu- 
ture tous  ceux  qui  auront  vécu  avec  pieté ,  feront  rendus  à  leurs 
parens  ôc  à  leurs  amis ,  ôc  qu'ils  fe  connoîtront  les  uns  les  au- 
tres ,  il  mourut  trois  heures  après  d'une  mort  allez  femblable  à 
celle  de  Luther,  n'étant  pas  vieux ,  puifqu'il  étoit  à  peine  dans 
fa  cinquante-deuxième  année. 

Jean  Lange  mourut  dans  un  âge  plus  avancé,  puifqu'il  avoir     de  Jbam 
quatre-vingts  ans.  Il  étoit  né  à  Leoberg  en  Silelie  :  il  fut  très-  ^^^^^' 
fçavant  en  médecine ,  ôc  contribua  par  fes  do£les  écrits  à  per- 
fedionner  cet  art.  Il  mourut  le  21  de  Juinà  Heidelberg,où  il 
avoir  été  long-tems  premier  Médecin  des  Electeurs  Palatins. 

Enfin  la  mort  de  Conrad  Gefner  de  Zurich  acheva  l'année  :  E.^  Conrad. 
mort  qui  doit  être  a  autant  plus  déplorée  qu  il  avoit  a  peine 
quarante-neuf  ans.  Il  étoit  digne  d'une  plus  longue  vie,  ôc 
ceux  qui  voudront  juger  de  fes  années  par  le  grand  nom- 
bre de  livres  très-bons  ôc  très-utiles ,  qu'il  a  ,  ou  compofés ,  ou 
éclaircis  ,  ou  donnez  au  public  ,  croiront  qu'il  a  vécu  fort 
long-tems.  Il  commença  fes  études  en  France ,  à  Paris  ôc  à 
Bourges.  Delà ,  comme  il  excelloit  en  toute  forte  de  fcien- 
ces,  ôc  qu'il  fçavoit  parfaitement  le  Grec  Ôc  le  Latin,  après 
avoir  voyagé  en  Italie ,  il  retourna  en  fon  payis ,  où  il  profefîk 
ia  Médecine  ;  ôc  gagé  par  le  public  ,  il  y  enfeigna  la  Phi- 
lofophie ,  dont  il  expliqua  particulièrement  la  partie  qui  traite 
de  Thiftoire  naturelle.  Il  mit  aulTile  premier  au  jour  quantité 
d'ouvrages  des  anciens, ôc  principalementdes  Théologiens.  Il 
joignit  à  fa  profonde  érudition  la  pafïion  extrême  qu'il  eut  toute 
fa  vie,  de  contribuer  à  la  facilité  des  études.  Se  fentant  frappé 
de  la  pefte,  ôc  les  forces  commençant  à  lui  manquer,  il  fe  leva 
de  fon  lit,  non  pour  donner  ordre  à  fes  î-.rTaires  domeftiques, 
mais  pour  ranger  fes  écrits ,  afin  que  ce  qu'il  n'avoit  pu  faire  im- 
primer pendant  fa  vie,  le  fat  après  fa  mort  pour  l'utilité  pubHque. 
Il  étoit  uniquement  occupé  de  ce  travail ,  auquel  fes  forces 
ne  fulïifoient  plus ,  ôc  du  foin  de  fon  falut  éternel ,  (  car  il 
avoir  renoncé  à  tout  le  refte  :  )  il  difoit  même  agréablement 
à  fes  amis  qu'il  plioit  bagage  pour  s'en  aller  5  lorfque  la  mort 

N  ïj 


ioo  HISTOIRE 

■"    le  furprlt  :  de  forte  que  l'on  eût  dit  qu'elle  nous  envioit  les 
Char  LE  derniers  ouvrages  de  ce  grand  homme.  Néanmoins  ils  nepé- 
I  X.       rirent  pas  tous  ;  car  après  fa  mort  cette  bibliothèque  qu'il  avoit 
1  <  6  <.     sii^fi  rangée  ,  fut  comme  un  riche  tréfor ,   dont  on  en  tira  un 
grand  nombre,  que  Gafpard  "Wolf  publia,  ôc  qui  renouvel- 
lent chaque  jour  la  douleur  qu'on  a  de  l'avoir  perdu.  Jofias 
Simler  prononça  fon  oraifon  funèbre ,  ôc  Beze  fit  fon  éloge  en 
très-beaux  vers  j  il  y.  dit  entr'autres  chofes  que  la  nature  le 
pleuroit ,  comme  le  fidèle  dépofitaire  de  fes  fecrets ,  6c  qu'el- 
le feroit  à  l'avenir  comme  muette ,  fi  fon  confident  ne  parloit 
pas  lui-même  pour  elle  après  fa  mort,  Gefner  mourut  le  22 
de  Décembre. 
peTurnebe.      La  France  perdit  encore  cette  année  Adrien  Turnebe(ou 
Tournebœuf  )  un  des  plus  grands  ornemens  de  fon  fiécle.  Il 
étoit  né  à  Andely-fur-Seine  d'une  famille  noble ,  mais  peu  ri- 
che. Il  excella  dans  toutes  les  efpeces  de  connoifl'ances ,  ôc  il 
brilla  par  l'éclat  de  toute  forte  de  vertus.  Il  commença  d'a- 
bord par  enfeigner  les  belles  Lettres,  les  langues  Grecque  ÔC 
Latine  au  Collège  Royal  à  Paris.  Il  y  profefla  enfuite  la  Philo- 
fophie.  Il  nous  a  laifTé  plufieurs  monumens  d'une  rare  érudition. 
Après  avoir  donné  au  public  un  ouvrage  digne  de  l'immortalité^, 
intitulé  Adverfaria  ;  une  mort  prématurée  l'enleva  le  1 2  de  Juin, 
à  l'âge  de  cinquante-trois  ans  ,  au  grand  regret  de  tous  les 
états  ôc  de  toutes  les  conditions,  qui  prirent  autant  départ  à 
la  mort  de  ce  grand  homme ,  que  s'il  avoit  appartenu  à  chacun 
d'eux.  Le  jour  même  de  fa  mort,  fon  corps  j  comme  il l'avoit 
ordonné  par  fon  teftament,  fut  porté  à  neuf  heures  du  foir  fans 
aucune  cérémonie,  accompagné  d'un  petit  nombre  defesamis^ 
dans  le  cimetière  des  Ecoliers,  où  il  avoit  choifi  le  lieu  de  fa 
fepuîture,  ôc  où  il  fe  fouvenoit  que  Jacque  Dubois,  célèbre 
Médecin ,  avoit  voulu  être  enterré  quelques  années  auparavant. 
Comme  il  avoit  fait  les  délices  de  tous  les  gens  de  biens ,  ôc 
de  tous  les  fçavans-^ndant  fa  vie,  ils  femblerent  après  fa  mort 
difputer  avec  une  ardeur  ôc  une  émulation  incroyables  à  qui 
lui  donneroit  plus  de  louanges.  Parmi  les  Catholiques  Jean 
Daurat,  Ôc  Denis  Lambin  profefleurs  au  Collège  Royal,  Pierre 
Ronfard,  Germain  Vaillant  de  Climpont,  Jean  Pafferat,  Alfonfe 
d'Elbene,  depuis  Evêque  d'Alby  ,  ôc  Nicolas  fils  de  cet  An- 
gelo  Vergelio  de  Candie ,  auteur  de  ces  beaux  caractères  Grecs 


DE  J.  A.  DE  T HOU,  LiV.  XXXVIII.     loî 

qui  font  l'admiration  &  le  plaifir  de  ceux  qui  les  voyent  :  par-  ■  -■ 

miles  Proteftans  Jean  Mercier,  Luc  Fruter  ,&  beaucoup  d'au-  ~  " 

très  lui  firent  des  épitaphes  en  vers.  Mais  comme  les  efprits  ^^^^^ 
étoient  alors  divifez  au  fujet  des  nouveaux  troubles  qui  agi- 
toient  la  Religion,  ôc  qui  formoient  deux  partis,  chacun s'ef-  ^  S  ^S' 
forcoit  de  mettre  le  mort  de  fon  côté  :  ceux  qui  avoient  rete- 
nu l'ancienne  Religion ,  ôc  ceux  qui  avoient  embrafle  la  nou- 
velle ,  étoient  également  perfuadez  qu'ils  donnoient  un  grand 
poids  à  leur  caufe  ,  ôc  qu'ils  fortifioient  beaucoup  leur  par- 
ti ,  en  difant  que  Turnebe  s'étoit  déclaré  pour  eux  en  mou- 
rant. 

Un  peu  après ,  Antoine  Govea  paya  dans  le  mois  de  Sep-  c'AsToîBa 
tembre  le  tribut  à  la  mort.  Il  étoit  Portugais  de  naifTance ,  Ôc  ^®^^^- 
il  difoit  ingénuëment  qu'il  étoit  François  par  adoption.  An- 
dré Govea  fon  oncle  l'ayant  amené  en  France  lorfqu'il  étoit 
encore  enfant,  ôc  qu'il  n'avoit  pas  les  premiers  élemens  des  belles 
lettres  j  il  étudia  fi  bien ,  &  avec  tant  de  fuccès  les  humanitez, 
que  perfonne  n'écrivoit  plus  purement  que  lui  en  Latin,  ôc  ne 
foifoit  mieux  des  vers.  Il  fit  enfuite  de  fi  grands  progrès  dans 
la  Philofophie  d'Ariftote ,  qu'il  entreprit  dans  fa  grande  jeu- 
neife  de  défendre  ce  Philofophe  contre  Pierre  Ramus  ,  ou  de 
la  Ramée,  fon  grand  averfaire  :  il  remportabeaucoup  de  gloire 
&  de  louanges  dans  ce  combat.  Il  fembla  que  fon  efprit  étoit 
également  capable  de  toutes  les  fciences  ,  ôc  qu'il  pouvoir 
réufiir  dans  toutes  enfemble,  comme  d'ordinaire  tout  homme' 
peut  réuffir  en  une  feule  i  Emilie  Ferret  qui  enfeignoit  le 
Droit  civil  à  Avignon ,  voyant  Govea  occupé  à  Lyon  à  des 
études  particulières ,  l'invita  de  venir  dans  fon  école  appren- 
dre cette  fcience  fi  embarafiee  ,  fi  laborieufe ,  ôc  fi  difiicile. 
Govea  y  fit  en  peu  de  tems  des  progrès  fi  rapides  ôc  fi  éton- 
nans  ,  qu'il  trouva  le  moyen  d'expliquer  par  l'antiquité  les 
queftions  les  plus  épineufes  du  Droit ,  avec  tant  de  netteté  ôc 
de  précifion ,  que  Jacque  Cujas  écrivant  il  y  a  plus  de  onze 
ans  à  Touloufe  fur  les  titres  d'Ulpien,  témoigna  que  d  on  lui 
demandoit  fon  fentiment  fur  les  interprètes  ou  commentateurs 
du  Code  de  Juftinien ,  il  donneroit  la  palme  à  Govea  fur  tous 
ceux  qui  ont  été  ôc  qui  font  encore.  Au  moins  ai-je  oui  dire 
à  Cujas  même ,  lorfque  j'étudioisfous  lui  à  Valence ,  ôc  fouvenr 
depuis ,  qu'il  avoit  toujours  eu  cette  idée  de  Govea ,  ôc  qu'il 

N  iij 


to2  HISTOIRE 

craignoit  même  alors  qu'il  ne  lui  enlevât  la  gloire  qu'il  efpé- 
roit  acquérir  dans  cette  profeflion  ;  il  l'a  depuis  méritée ,  de 
l'aveu  de  tout  le  monde,  par  une  étude  continuelle ,  ôc  par  le 
travail  infatigable  d'une  longue  vie.  Ainfi  Govea  enfeigna 
le  droit  civil  àTouloufe  ,  à  Cahors,  à  Valence  ,  ôc  à  Greno- 
ble. Il  ne  s'attacha  point  aux  Interprètes  ou  Commentateurs  , 
dont  le  nombre  eft  infini  ;  6c  par  tout  il  eut  une  très-grande  quan- 
tité d'auditeurs  ôc  de  difciples.  La  guerre  s'étant  allumée  dans 
ce  Royaume  ,  qu'il  aimoit  paflîonnément ,  il  fe  retira  en  Ita- 
lie j  où  il  trouva ,  à  la  recommandation  de  Marguerite ,  épou- 
fe  de  Philibert  duc  de  Sayoye ,  un  honnête  repos  dans  fa  Cour  ', 
il  fut  reçu  Confeiller  au  Confeil  fecret  de  ce  Prince.  Govea 
mourut  à  Turin  d'une  maladie  contraÊlée ,  difoit-on ,  pour  avoir 
mangé  trop  de  melons.  C'efl:  le  feul  à  qui  tous  les  fçavans  d'une 
~^commune  voix  ayent  accordé  la  gloire  fi  rare  dans  ce  fiécle , 
d'être  en  même  tems  grand  Poète,  grand  Philofophe,  grand 
Jurifconfulte.  Au  refte  ce  grand  homme  déciaroit  par  recon- 
noiflance ,  qu'il  étoit  redevable  de  tous  ces  avantages  à  l'air 
de  la  France  ,  qu'il  avoit  refpiré  dès  fa  plus  tendre  jeu- 
nelTe. 
Guillaume  J'avois  prefque  oublié  Guillaume  Philander ,  né  à  Châtillon 
Philander.  fur  Seine,  qui  mourut  cette  année.  Avant  fa  mort  il  s'étoit  lui 
même  en  quelque  façon  enfeveli  dans  le  filence.  Les  beaux 
écrits  qu'il  publia  fur  Vitruve ,  lorfqu'il  étoit  à  Rome  dans  la 
maifon  de  George  d'Armagnac  i  alors  ambafladeur  de  Fran- 
çois premier ,  ôc  depuis  Cardinal ,  font  affez  connoître  ce  qu'il 
valoir.  Ces  fçavans  écrits  témoignent  la  profonde  connoiffan- 
ce  qu'il  avoit  des  antiquitez  Romaines ,  ôc  les  progrès  qu'il 
auroit  pu  faire  dans  les  belles  Lettres  ,  qu'on  commençoit  à 
cultiver ,  dans  toutes  les  efpeces  de  Sciences ,  ôc  fur  tout  dans 
les  mathématiques,  s'iln'avoit  pas  tenu  une  conduite  toute  con- 
traire à  la  vie  fobre  6c  laborieufe^  qu'il  avoit  d'abord  embraf- 
fée.  Ayant  été  honoré  à  Rome  du  droit  de  Bourgeoifie,  avec 
l'applaudiiTement  unanime  de  tous  les  Ordres  de  la  ville  ;  ôc 
étant  revenu  en  France  ,  non-feulement  il  abandonna  l'étude 
le  refte  de  fes  jours  5  mais  il  fe  lailTa  abâtardir  par  la  parefTe  : 
enfin  s'étant  oublié  lui-même  ,  il  mérita  de  l'être  de  fes  amis , 
à  qui  il  avoit  été  autrefois  fi  connu  par  fa  rare  érudition ,  6c  il 
mourut  à  Touloufe  le  20  de  Février  âgé  de  foixante  ans  ^  moins 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    XXXVIÎI.    105 

accablé  de  vieilleffe  ,  que  confumé  ôc  abbatu  pau  la  lâche  oifi-  __^__ 

veté,  dans  laquelle  il  avoit  langui  depuis  plufieurs  années.  L'ar-  ~z 

chevêque  de  Touloufe,  fon  magnifique  Mécène  ,  le  fit  enter-  ^  ^^^^ 
rer  dans  un  des  bas  cotez  de  l'églife  de  S.  Etienne ,  en  confi- 
deration  de  fon  ancien  mérite,  dont  ce  Prélat  avoit  confervé  ^  S  ^  S 
la  mémoire.  Philander  avoit  promis  d'enrichir  le  pubHc  de 
beaucoup  d'ouvrages  fur  la  peinture  ôc  la  fculpture  des  an- 
ciens. Il  avoit  aufli  fait  plufieurs  découvertes  dans  les  mathé- 
matiques :  plufieurs  ont  dit  avoir  vu  à  Touloufe  fes  écrits  en 
ce  genre ,  dont  tous  les  amateurs  des  fciences  ont  d'autant  plus 
regreté  la  perte  y  ou  la  fupprefïion  ,  qu'ils  les  fouhaitoientavec 
plus  d'ardeur.  Si  cela  eft  vrai ,  je  ferois  d'avis  que  Fon  priât  les 
Plagiaires  qui  les  retiennent ,  de  donner  plutôt  les  écrits  d'un  fi 
grand  homme ,  fans  y  mettre  fon  nom ,  ou  fous  des  noms 
étrangers ,  (  ce  que  nous  avons  dit  être  arrivé  à  Pierre  Giles ,  ) 
que  de  priver  la  république  des  Lettres  du  fruit  de  tant  de  tra- 
vaux fi  utiles  ôc  fi  glorieux.  j 

Cette  année  enleva  encore  Kyrico  Strozzi  ^  gentilhomme  Kvrico 
Florentin.  11  mourut  à  Pife  delà  pierre  (  maladie  ordinaire  aux  Strozzi. 
gens  de  lettres  )  dans  fon  année  chmaterique  le  fix  de  Décem- 
bre. Il  y  avoit  vingt  ans  qu'il  enfeignoit  en  cette  ville  la  Phi- 
lofophie  d'Ariftote  >  après  l'avoir  enfeignée  huit  ans  à  Boulo- 
gne. Auparavant ,  étant  encore  fort  jeune  ^  il  avoit  fait  des  le- 
çons publiques,  &  avoit  difputé  dans  l'académie  de  Florence, 
fuivant  la  coutume  du  payis.  Il  y  avoit  enfuite  enfeigné,avec 
im  grand  applaudiffement ,  la  langue  Grecque  &  la  Philofo- 
phie.  Il  ajouta  aux  huit  livres  de  la  politique  d'Ariflote ,  que 
nous  avions ,  un  neuvième  ôc  un  dixième ,  écrits  en  Grec ,  dans 
lefquels  il  a  tâché  de  prendre  le  ftile  ÔC  l'efprit  de  ce  grand 
homme.  Il  a  aufTi  fuppléé  les  livres  de  la  metaphyfique ,  Ôc  s'efl 
fervi  pour  cela  des  commentaires  des  Arabes. 

Jean  Grollier  ,  ou  Grollerius  ,  mérite  bien  d'être  mis  en  la  Jean  Grol- 
compagnie  de  tous  ces  grands  hommes.  Il  étoit  né  à  Lyon  Çro^J^'iuç, 
d'une  très  ancienne  famille  ,  qui  a  toujours  tenu  un  rang  dif- 
tingué ,  ôc  d'où  font  fortis  Imbert  du  Soleil ,  ôc  Antoine  de  Ser- 
vieresj  qui  dans  ces  derniers  tems  de  troubles  ont  toujours  dé- 
fendu ,  avec  beaucoup  de  confiance  ôc  de  fermeté ,  les  inté- 
rêts du  Royaume  ôc  l'autorité  du  Roi.  Jean  Grollier  ayant  eu 
dès  fa  jeunefTe  un  très  grand  goût  6c  une  forte  pafTion  pour 


; 


Î04  HISTOIRE 

■* ■■■■■■iw-  les  lettres,  il  entra,  quoique  fort  jeune,  dans  une  très  e'troîtc 

C  H  A  R  L  E  ^^^^^"^^  d'amitié  avec  Bu  dé ,  qui  étoit  déjà  vieux  î  ôc  dépuis  étant 
j^  tréforier  des  troupes  Françoifes  dans  le  Milanez  ,  il  fit  impri- 
j  -  ^*  mer  à  Venife  par  Aide  Manuce,  l'admirable  ouvrage  de  Bu- 
dé  ,  de  y^JJe ,  Tan  1^21.  Il  avoit  tant  d'inclination  pour  les  gens 
de  lettres ,  que  quoique  François ,  il  gagna  i'eftime  Ôc  l'amitié 
de  tous  les  fçavans  d'Italie  :  en  forte  que  plus  quelqu'un  fe  dif- 
tinguoit  par  fon  fçavoir ,  plus  il  s'emprelToit  de  mériter  les  bon- 
nes grâces  du  jeune  étranger.  Louis  Cœlius  Rhodiginus ,  le 
plus  célèbre  des  fçavans  de  fon  fiécle  en  Italie  ,  lui  dédia  fon 
ouvrage  des  anciennes  lefons ,  comme  à  celui  qui  après  fon  Prin- 
ce étoit  le  plus  grand  protecteur  ôc  le  plus  libéral  Mécène  des 
gens  de  lettres.  Les  François  ayant  depuis  été  chafTés  d'Italie, 
Grollier  exerça  en  France  ,  avec  beaucoup  de  fidélité  &  d'é- 
xaditude,la  charge  de  Tréforier ,  avant  qu'elle  eût  été  avilie 
par  le  grand  nombre  de  ceux  qui  portent  ce  titre.  Il  conferva 
toujours  dans  l'exercice  de  cette  charge  le  même  amour  pour 
les  belles  lettres  ,  recueillant  avec  foin  un  grand  nombre  de 
médailles  anciennes ,  ôc  de  très  bons  livres.  Il  n'épargnoit  rien 
pour  cela  ;  ôc  Gomme  il  aimoit  l'ordre  ôc  la  propreté  en  tout , 
il  fe  fit  une  bibliothèque  fi  élégante,  fi  bien  entendue ,  ôc  d'un 
fi  grand  goût ,  qu'on  pouvoir  la  comparer  à  celle  d'Afinius 
Pollio ,  qui  fut  la  première  qui  parut  à  Rome.  11  avoit  tant  de 
livres  ,  malgré  les  libéralités  qu'il  en  fit  à  Çqs  amis  ,  ôc  les  di- 
vers accidens  qu'ils  efiliyerent,  que  les  bibliothèques  les  mieux 
afTorties  qu'on  voit  à  Paris  ôc  dans  les  autres  lieux  du  Royau-, 
me ,  n'ont  pas  de  plus  grand  ornement ,  que  celui  qu'elles  re- 
çoivent des  livres  de  Grollier.  Ses  médailles  de  cuivre  o.ui 
font  les  meilleures  ôc  les  plus  recherchées,  ayant  été  portées 
de  Paris  en  Provence  ,  pour  être  vendues  en  Italie  ',  le  Roi 
ne  voulant  pas  que  la  France  fut  privée  d'un  fi  grand  tréfor , 
les  fît  racheter  à  grand  prix ,  ôç  les  fit  mettre  dans  fon  cabinet , 
avec  plufieurs  autres  monumens  de  l'antiquité ,  qu'il  avoit  déjà. 
Pendant  que  ce  grand  homme ,  d'ailleurs  irréprochable  ,  s'oc- 
cupoit  très  ferieufement  à  contenter  la  louable  curiofité  qu'il 
avoit  pour  les  belles  chofes  ;  des  envieux  l'accufèrent ,  ôc  mi- 
rent fa  fortune  ôc  fa  vie  même  en  danger.  Il  auroit  peut-être 
fuccombé,  fi  fon  innocence,  en  laquelle  feule  il  fe  confioit 
fans  implorer  le  fecoyrs  de  fes  amis ,  n'avoit  été  défendue  par 

Chriftophlg 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XXXVîII.    lo; 

Chriftophle  de  Thou  mon  père.  Ce  Magiftrat  ne  fe  fervoit  de  , 
l'autorité  ôc  du  crédit  ^u  il  avoit  dans  le  Parlement,  &  dans  la  Charle 
ville,  que  pour  défendre  les  gens  de  bien  contre  les  calomnia-       j  ^ 
teurs  ,  les  petits  ôc  les  foibles  contre  les  grands  ôc  les  puiffans ,     i  r  5  ^, 
&  les  fçavans  contre  les  ignorans.  Grollier  continuant  toujours 
le  même  genre  de  vie ,  ôc  toujours  également  curieux  ôc  ar- 
rangé, parvint  jufqu'à  l'âge  de  quatre-vingt  fix  ans.  Enfin  après 
avoir  rendu  de  grands  fervices  à  l'Etat  ôc  à  la  république  des 
lettres  ,  il  mourut  en  cette  année  le  22  d'0£lobre ,  dans  fa 
maifon  à  Paris  :  il  fut  enterré  dans  le  fauxbourg,  auprès  du  grand 
Autel  de  l'églife  de  l'Abbaye  S.  Vincent ,  maintenant  appellée 
S.  Germain. 

Dans  le  même  tems  ,  les  Polonois  reprirent  en  Livonie  la     ^^^^^  j^  ^^  , 

ville  ôc  le  port  de  Pernaw ,  dont  les  Suédois  s'étoient  rendus  ^JorT 
maîtres  trois  ans  auparavant.  On  croit  que  ce  fut  par  latrahi- 
fon  des  Cavaliers  Allemands ,  qui  avoient  fervi  le  roi  de  Sué- 
de. Voici  comme  la  chofe  fe  paffa.  Après  que  le  roi  de  Sué- 
de eut  payé  ôc  congédié  les  Allemands  qui  étoient  à  fon  fervi- 
ce,  quelques-uns  relièrent  dans  la  ville  ,  ôc  convinrent  avec 
ceux  qui  étoient  pafles  au  fervice  du  roi  de  Pologne  ,  ôc  de 
Gotard  duc  deCurlande  lieutenant  général  de  fon  armée,  qu'ils 
ouvriroient  la  porte ,  ôc  qu'ils  les  feroient  entrer  dans  la  ville 
à  un  certain  jour.  Ainfi  ceux  qui  étoient  demeurés  dans  Per- 
naw ,  feignant  de  vouloir  dire  adieu  aux  habitans ,  firent  pré- 
parer un  grand  fouper  à  leurs  amis ,  dans  la  maifon  d'un  Sé- 
nateur qui  demeuroit  auprès  de  la  porte  ,  ôc  qui  en  avoit  les 
clefs.  Les  Sénateurs  ôc  les  autres  conviez  étant  enfevelis  ou 
dans  le  fommeil  ou  dans  le  vin  ,  ils  prirent  ces  clefs  ,  ôc  firent 
entrer,  fans  coup  férir ,  la  troupe  de  cavalerie ,  avec  laquelle  ils 
étoient  d'intelligence ,  ôc  qui  avoit  fait  douze  milles  le  jour  pré- 
cédent. Auffi-tôt  qu'ils  furent  entrés ,  ils  publièrent  qu'on  ne  fe- 
roit  point  de  mal  aux  Allemands,  pourvu  qu'ils  n'entrepriffent 
rien  de  leur  côté  ;  ils  tuèrent  en  même  tems  tous  les  Suédois 
qu'ils  rencontrèrent.   Cela  arriva  le  dernier  jour  dAvril. 

Les  Suédois  qui  étoient  reftés  ,  fe  retirèrent  dans  le  château ,  • 

ôc  après  l'avoir  tenu  plus  de  quarante  jours,  ils  fe  rendirent  en-  '• 

fin  avec  armes  ôc  bagages  la  veille  de  la  Pentecôte^  qui  étoit  1 

en  cette  année  le  24.  de  Juin.  Le  roi  de  Pologne  mit  une  gar-  I 

tiifon  dans  la  ville  ôc  dans  le  château.  Mais  comme  ceux  qui  y  \ 

Tome  V,  O  ' 


10(5  HISTOIRE 

■i.i  furent  mis,  enflez  de  ce  fuccès,  Ôc  devenus  infolens,  faifolent 

C  H  A  R  L  E  ^cvuvent  des  courfes  jufque  fous  les  murailles  de  Re\  el ,  ils 

j  X.        furent  enfin  furpris  ôc  défaits  par  les  Suédois  dans  une  chel^ 

j  j  5  ^^  naye  proche  de  la  ville,  où  ils  s'étoient  poftés.  La  trahifon, 
dont  nous  venons  de  parler,  ayant  fait  paflfer  les  Allemands  par- 
mi les  étrangers  pour  des  gens  inconftans  &  de  mauvaife  foi  , 
le  Mofcovite  craignit  qu'une  pareille  trahifon  ne  lui  fît  perdre 
la  ville  de  Derpt  5  il  en  retira  les  Allemands ,  ôc  les  fit  venir  plus 
avant  dans  le  payis. 

Les  vaifTeaux  de  Dannemarck  Ôc  de  Lubec  ayant  palTé  tout 
l'hiver  dans  la  mer  Baltique  ,  comme  en  fentinelle,  au  port  de 
Stralfund,  où  étoit  le  meilleur  Arfenal  que  les  Suédois  eufTent 
en  Allemagne, pour  empêcher  qu'on  n'en  emportât  des  mu- 
nitions de  guerre  dans  le  royaume  de  Suede^  il  parut  inopiné- 
ment le  22  de  Mai  une  flotte  Suedoife  de  quarante-huit  vaif- 
feaux  ,  qui  les  écarta.  Quatre  de  ces  vaifTeaux  fe  retirèrent  à 
Gripfwalde,  ôc  furent  fauves  par  l'entremife  des  Ducs  de  Pc- 
meranie  j  à  condition  qu'ils  demeureroient  là  jufqu'à  la  fin  de 
la  guerre  ,  ôc  qu'on  renvoyeroit  les  foldats  ôc  les  matelots. 
Ainlî  la  mer  étant  libre,  environ  foixante  vaifTeaux  firent  voile 
àts  Places  maritimes ,  ôc  pafferent  en  Suéde  :  la  flotte  vidorieu- 
fe  des  Suédois  arriva  le  premier  de  Juin  au  port  de  Lubec,  à 
l'embouchure  du  Trave.  Mais  ayant  envain  tenté  de  s'en  em- 
parer ,  elle  retourna  vers  Copenhague  ,  au-defTus  de  Moen  ÔC 
de  Falfîer  j  ôc  elle  s'arrêta  quelques  jours  à  la  vue  d'ElIebo- 

*  Les  Fia-  gen  ^,  OÙ  elle  fit  payer  aux  Flamands ,  Ôc  aux  autres  qui  paf- 
inands  l'ap.     foient  le  détroit  pour  venir  dans  la  mer  Baltique  Orientale  ,  le 

pellent  ainh:      ,      .  ,  i,  ,  ta         •  i     n  i 

fon  vrai  nom  droit  qu  on  a  coiitume  de  payer  aux  Danois  5  car  la  flotte  de 
«ûMalmocn.  Dannemarck  n'étoit  pas  encore  équipée.  A  peine  les  vaifTeaux 
Danois  furent-ils  joints  à  ceux  de  Lubec,  que  par  un  accident 
qui  fut  d'un  malheureux  préfage ,  le  feu  prit  au  vaifTeau  Ami- 
ral de  Lubec  ,  nommé  l'Ange  ,  par  la  faute  des  matelots  qui  ne 
faifoient  pas  afTez  bonne  garde. 

Bien-tôt  il  y  eut  un  long  ôc  rude  combat ,  dont  \qs  SuedoL^î 
fortirent  vi£torieux,  mais  la  victoire  fut  enfanglantée.  Le  vaif- 
feau  Danois  Amirah  qui  portoit  onze  cens  hommes,  s'étant 
vigoureufement  défendu  pendant  deux  jours  contre  fix  vaif- 
feaux  Suédois,  qui  l'enfermèrent  de  toutes  parts  ,  fut  enfin  pris  ; 
tous  ceux  qui  étoient  dedans  ayant  été  ou  tuez  ou  blefTez ,  il  ect 


DE  J.  A.  DE  THOU3  Liv.  XXXVIIL     107 

refta  à  peine  vingt-cinq ,  qui  tombèrent  entre  les  mains  des  Sué- 
dois ,  avec  Othon  Rud  Amiral.  Un  autre  grand  vaifleau  Da-  ^ 
nois,  appelle  le  Chriftophle,  fut  criblé  de  coups,  Ôc  coulé  à  fond.       j  y 
Le  principal  vaifTeau  de  Lubec,  nommé  le  Maure,  qui  avoit  / 

été  inverti  par  cinq  vaifleaux  Suédois,  ôc  qui  après  en  avoir  re-  1  j' 
pouffé  un,  en  voyoit  toujours  fucceder  d'autres  ,s'échapa  en- 
fin, après  un  combat  qui  dura  tout  un  jour  ,  ôc  après  avoir  eu 
un  grand  nombre  d'hommes  tuez ,  ôc  trois  cens  bleffez.  Les 
vaifleaux  Suédois ,  le  Lion,  le  Gryphon ,  le  Cygne  de  Finlan- 
de ,  ôc  l'Hercule ,  périrent  dans  ce  combat  :  les  Danois  prirent 
le  S.  George  avec  tous  les  foldats  qui  étoient  deffus.  Les  Sué- 
dois par  cette  vidioire  fe  rendirent  les  maîtres,  pendant  tout  l'été 
ôc  toute  l'automne ,  de  la  mer  Suedoife  Orientale. 

Cependant  Eric  fit  paffer  fes  troupes  de  terre  parlaWeftgo- 
thie ,  pour  fecourir  celles  qui  étoient  occupées  au  fiége  d'El- 
fimbourg.  Mais  ayant  appris  que  le  fiége  étoit  levé^  afin  que 
fon  voyaye  ne  parût  pas  avoir  été  inutile ,  il  tourna  fes  forces 
contre  la  ville  de  Warburg  dans  le  Hailand,  place  très-forte 
fur  la  mer ,  ôc  il  la  prit  de  force  au  mois  d'Août.  Les  Danois 
accoururent  aufTi-tôt  ,  dans  l'efpérance  de  la  reprendre  5  mais 
ce  fut  fans  fuccès.  Leurs  efforts  néanmoins  ne  furent  pas  en- 
tièrement inutiles  5  car  Daniel  Ranzau  ,  Général  de  l'armée 
Danoife,  ayant  appris  qu'il  venoit  de  nouvelles  troupes  de  Sué- 
de au  fecours  des  afTiégez  >  leva  le  fiége ,  alla  au  devant  de  l'en- 
nemi jufqu'à  la  rivière  de  Sch>X'arter,  livra  bataille  aux  Sué- 
dois ,  les  mit  en  fuite  ,  ôc  prit  leur  canon.  Mais  la  joie  de  cet 
heureux  fuccès  fut  bien  diminuée,  par  la  perte  qu'il  y  fit  de  beau- 
coup de  braves  gens  ,  ôc  fur  tout  de  cinquante  gentilshommes 
de  la  principale  nobleffe  de  Dannemarck. 

Tandis  que  la  mer  étoit  comme  fermée,  par  la  guerre  entre 
la  Suéde  ôcle  Dannemarck  ,  ôc  qu'on  ne  pouvoir  naviger  fûre- 
ment  fur  la  mer  Baltique  ,  pour  commercer  avec  les  Mofco- 
vites  à  Nerva  dans  la  Livonie ,  les  Anglois  s'ouvrirent  un  nou- 
veau chemin  pour  aller  les  trouver.  Ayant  paffé  toute  la  Nor- 
vège, la  Finmarck,  le  Siriefinland,  la  Finlappieôc  la  Barmie, 
par  delà  le  foixante-trciziéme  degré  de  latitude  j  ôc  de-là  re- 
tournant vers  le  Midi ,  ils  arrivèrent  au  port  S.  Nicolas  fitué  au 
foixante-huitiéme  degré  de  longitude.  Les  Flamands  à  leur 
ipxcmple  prirent  le  même  chemin. 

Oij 


loS  HISTOIRE 

.—— — i^      Cependant  les  Princes  voifins  &  les  villes ,  qui  fe  fentoie'iît 
Charle  ^^^^  incommodez  par  l'interruption  du  commerce  ,  faifoient 
IX.        ^^^^  leurs  efforts  parleurs  Députez  ,  pour  porter  les  Rois  de 
I  ç  (^  ç.     Suéde  &  de  Dannemarck  à  faire  la  paix,  les  Ducs  dePomera- 
nie  leur  avoient  envoyé  pour  cela  Jacque  Citzewitz  &  André 
Borck ,  qui  revinrent  fans  avoir  rien  conclu.  Les  deux  Rois  té- 
moignèrent cependant  qu'ils  n'étoient  pas  éloignés  de  fe  con- 
cilier ,  &  qu'ils  n'aimoient  pas  à  répandre  le  fang. 

L'AfTemblée  de  Roftoch  qu'on  avoir  tenue  l'année  précé- 
dente ,  pour  parvenir  à  un  Traité  de  paix ,  s'étoit  fcparée  fans 
rien  conclure,  parce  qu'Eric  roi  de  Suéde  n'y  envoya  pas  fes 
Plénipotentiaires ,  fous  prétexte  qu'on  ne  lui  en  avoit  pas  don- 
né avis  aflez  tôt  :  les  Envoyez  de  Frédéric  roi  de  Dannemarck , 
ôc  de  réledleur  de  Saxe ,  follicitercnt  alors  auprès  de  l'empe- 
reur Maximilien  un  mandement  Impérial ,  pour  défendre  de 
tranfporter  de  l'Allemagne  en  Suéde  ,  ni  armes ,  ni  munitions , 
ni  marchandifes.  Ulric  Mordeyfen ,  chancelier  de  l'éledeur  de 
Saxe,  ne  fervit  pas  bien  fon  maître  en  cette  occafion  ;  il  crut 
que  le  roi  de  Dannemarck  faifantla  guerre  au  roi  de  Suéde  fans 
neceflité ,  il  n'étoit  pas  à  propos  d'empêcher  le  commerce  de 
l'Allemagne  avec  la  Suéde.  Comme  il  arrêta,  par  les  amis  qu'il 
avoit  à  la  Cour  de  l'Empereur ,  la  publication  du  mandement 
Impérial ,  le  duc  de  Saxe ,  à  l'inftigation  de  fa  femme ,  fœur  du 
roi  de  Dannemarck ,  le  dépouilla  de  fa  charge ,  6c  mit  en  fa  pla- 
ce George  Cracow.  Quoi  qu'on  fît  de  grandes  irtftances  pour 
obtenir  la  publication  du  mandement ,  l'Empereur  ne  voulut 
pas  l'accorder ,  qu'il  n'eût  auparavant  fommé  le  roi  de  Suéde , 
de  chercher  les  moyens  de  faire  la  paix  ;  ôc  qu'il  ne  lui  eût  en- 
voyé quelqu'un  ,  pour  l'engager  à  s'en  rapporter  à  lui ,  fur  tous 
les  differens  qu'il  avoit  avec  les  Rois  de  Pologne  ôc  de  Dan- 
nemarck ,  ôc  ceux  deLubec  5  ôc  à  faire  une  Trêve  en  attendant. 
Mais  comme  le  roi  de  Suéde  retint  trop  long-tems  l'envoyé  de 
l'Empereur  j  Maximilien,  qui  étoit  à  Vienne ,  fit  enfin  publier 
le  mandement  dans  le  mois  de  Décembre. 
Affaire  de  Sur  ces  entrefaites ,  il  s'éleva  un  différend  à  Roftoch  ,  entre 
îKoftoch.  le  Sénat  ôc  le  Peuple  i  le  Sénat  s'attribuoit  exclufivement  le 
droit  de  recevoir  les  comptes  publics  j  le  Peuple  prétendoit 
avoir  celui  d'être  préfent  à  ces  redditions  de  compte.  Les  ducs 
de  Meckeibourg,  Jean  Albert  ôc  Ulric ,  qui  prétendoient  qua 


DE  J.  A.DE  T  H O  U .  L ï V.  XXXVIÎI.    lop 

leurs  prédécefleurs ,  dont  ils  étoient  héritiers ,  avoient  depuis  '  m  i  i  '  ^ 
plufieurs  liécles  des  droits  fur  cette  ville;  ôc  qui  n'avoient  pu  CharlE 
jufqu'alors  les  exercer  ^  parce  que  les  Bourgeois  avoient  toû-  j  ^^ 
jours  été  les  plus  forts  ,  crurent  que  l'occafion  de  faire  valoir  i  <;  6  <c, 
leurs  prétentions ,  étoit  trop  favorable  pour  la  laiffer  échapper. 
On  avoir  dès  l'année  précédente  porté  cette  affaire  devant  Fer- 
dinand. Ce  Prince  qui  n'avoit  rien  plus  à  cœur  que  de  confer* 
ver  la  paix  en  Allemagne,  donna  commifTion  à  Jean  Albeit 
d'examiner  ce  procès ,  ôc  de  le  terminer  par  les  voies  de  droit. 
L'Empereur  accorda  cette  commiflion  d'autant  plus  aifément, 
que  le  Syndic  ôc  le  Conful  de  Roftoch  ,  ou  gagnés  par  les  pro- 
meffes  d'Albert ,  ou  poulies  par  quelqu'autre  motif,  avoient  de- 
mandé à  l'Empereur ,  au  nom  des  habitans  de  Roftoch  ,  que 
l'affaire  fût  renvoyée  aux  deux  Ducs  de  Meckelbourg  frères, 
qui  gouvernoient  ce  payis  par  indivis  ,  &  avec  une  égale  puif- 
fance.  Ce  n'étoit  pas  l'avis  des  plus  fages  &  des  plus  prudens  , 
qui  confeilloient  ôc  preffoient  fortement  les  autres  de  termi- 
ner leurs  différends ,  dans  leur  ville ,  entr'eux  ,  ôc  fans  y  appeller 
qui  que  ce  fût,  pour  en  être  le  juge  ou  l'arbitre.  Mais  le  Syn- 
dic l'ayant  emporté  par  fon  crédit  ôc  par  fon  autorité ,  l'affaire 
fut  portée  aux  Princes  ?  ôc  dès  l'année  précédente  elle  fut  plu- 
fieurs fois  plaidée ,  devant  eux ,  fans  aucun  fuccès  ;  à  GuftroW 
ôc  à  Dobberan. 

Cependant  la  première  commifîion  étant  finie  par  la  mort 
de  Ferdinand  ,  on  en  obtint  une  autre  de  Maximilien ,  à  la  fol- 
iicition  du  même  Syndic  j  mais  adreffée  feulement  à  Jean  Al- 
bert ,  par  laquelle  on  lui  donnoit  pouvoir  de  terminer  à  l'amia- 
ble ,  ou  par  les  voies  de  droit ,  les  difïerends  des  habitans  de 
Roftoch  ;  avec  cette  claufe  :  Que  s'il  étoit  neceffaire ,  il  pour- 
roit  contraindre  par  les  armes  la  partie  qui  ne  voudroit  pas  obéïr. 
Albert  autorifé  par  cette  commifîion  Impériale ,  fans  conlulter 
Ulric  fon  frère ,  ôc  n'ayant  communiqué  l'affaire  qu'à  Jean  élec- 
teur de  Brandebourg  ,  leVa  des  troupes  ,  fous  prétexte  qu'on 
ne  pourroit  rien  conclure  par  les  voyes  de  la  douceur  ôc  de  la 
raifon  avec  des  gens  Ci  opiniâtres.  Le  ipd'0£tobreil  alla  cam- 
per auprès  de  Neuftat  fur  l'Eld  ,  avec  un  corps  de  cavalerie 
commandé  par  Reimar  Winterfelt.  Ce  Commandant,  qui  avoit 
pris  les  devants ,  étant  venu  rapporter^  comme  l'on  en  étoit 
convenu  ,  que  le  chemin  étoit  ouvert  au  Prince  ,  on  mit  ea 

Oiij 


ïio  HISTOIRE 

.  délibération  entre  les  Chefs,  s'il  étoit  à  propos , l'infanterie  n'é- 
C  H  A  R  L  E  ^^"^  P^  encore  arrivée ,  d  attaquer  une  fi  grande  ville  ,  munie  de 
j^  foflez,  de  remparts,  ôc  de  fortes  murailles,  avec  la  feule  cava- 
j  -,  ^  ^  lerie  ,  qui  pourroit  ctre  aifément  arrêtée,  en  tendant  des  chaî- 
nes à  l'entrée  des  rues  ôc  des  places  :  tous  furent  d'avis  qu'il 
falloit  néceffairement  attendre  l'infanterie.  Le  Prince  alla  lo- 
ger à  un  village  nommé  Polchow  j  où  ayant  changé  de  deflein, 
il  entreprit  de  fonder,  non  les  forces  de  la  ville  ,  mais  les  dif- 
pofitions  des  habitans. 

Le  Sénat  ôc  le  Peuple  deRoftoch ,  malgré  leurs  différends, 
fe  réunirent  à  la  vue  du  danger  commun ,  dont  ils  étoient  me- 
nacez ,  ôc  envoyèrent  leurs  Députez  à  Albert.  Ce  Prince  leur 
fit  voir  la  commiflion  Impériale ,  ôc  leur  déclara  qu'il  étoit  ve- 
nu par  les  ordres  de  l'Empereur,  pour  terminer  leurs  différends 
à  l'amiable ,  ou  par  les  voies  de  droit ,  ôc  rendre  à  la  ville  de 
Roftoch  fa  première  tranquilité.  Que  s'ils  le  recevoient  paifi- 
blement ,  il  ne  toucheroit  ni  à  leurs  biens ,  ni  à  leurs  privilèges , 
ni  à  leurs  immunitez  ;  mais  que  s'ils  n'obéïffoient  pas  ,  il  avoit 
ordre  de  S.  M.  I.  de  raiïembler  contr'eux  le  fecours  de  tout  le 
cercle  de  la  Baffe-Saxe. 

Les  habitans  de  Rofloch  furent  frappés  de  ce  difcours.  Ils 
étoient  deftitués  de  tout  ce  qui  étoit  néceffaire  pour  fe  défen- 
dre j  ils  fe  trouvoient  épuifés  par  la  pefle  qui  avoit  ravagé  leur 
ville,  ôc  enlevé  près  de  neuf  mille  perfonnes  î  ils  étoient  d'ail- 
leurs preffés  par  le  refpeâ:  dû  à  l'Empereur ,  ôc  par  les  exhor- 
tations du  Syndic.  Ainfi  après  bien  des  conférences ,  ôc  plu- 
fieurs  voyages  de  leurs  Députez  ,  ayant  obtenu  du  Prince  un 
écrit  figné  de  fa  main ,  ôc  fcellé  de  fon  fceau ,  par  lequel  il  pro- 
mettoit  de  garder  religieufement  les  paroles  qu'il  leur  avoit 
données  ,  le  lendemain ,  qui  étoit  le  jour  de  la  fête  de  S.  Si- 
mon ôc  S.  Jude  :,  ils  ouvrirent  à  Jean  Albert  les  portes  de 
leur  ville. 

Lorfqu'il  fut  dans  Rofloch ,  ôc  qu'il  eût  encore  une  fois  don- 
né fa  parole  ,  il  fit  affembler  le  dernier  d'Octobre  dans  le  Pa^ 
lais ,  le  Sénat  ôc  foixante-huit  habitans ,  ôc  leur  fit  lire  publi- 
quement le  mandement  Impérial.  Puis  ayant  remis  devant  leurs 
yeux  leurs  différends  palTés ,  ôc  exagéré  dans  un  long  difcours  la 
rébellion  des  habitans  contre  leurs  Princes  ôc  contre  le  Sénat  5 
il  abolit  le  Confeil  des  foixante  j  il  ordonna  de  repréfenter  les 


D  E  J.  A.  B  E  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXVIII.     1 1 1 

Lettres  ,  par  lefquelles  le  Sénat  donnoit  pouvoir  au  Peuple  » 

de  créer  des  Tribuns  ,  lorfqu'il  arrivoit  quelques  fâcheufes  Char  LE 
conjondures  ,  avec  permiflion  à  ces  Tribuns  d'aflifter  ôc  de       JX. 
s'oppofer  même  aux  délibérations  du  Confeil.  Jean  Albert  fit     i  ç  ^  c. 
brûler  ces  lettres. 

Le  Sénat,  qui  voyoit  que  par  là  les  bourgeois  étoient  réduits 
à  leur  devoir  ,  &  qu'on  lui  avoir  rendu  fa  première  autorité, 
s'en  réjouit  d'abord ,  ôc  donna  de  grandes  louanges  à  l'équité 
&  à  la  juftice  du  Prince  ?  il  ne  pouvoir  aflez  le  remercier  de 
la  bonne  volonté  qu'il  avoit  pour  lui.  Mais  cette  joie  fut  bien- 
tôt changée  en  triftelfe  :  le  Prince  deux  jours  après  demanda  au 
Sénat  les  clefs  de  la  ville  j  ôc  il  y  fit  entrer  le  refte  de  fon  ar- 
mée j  qui  fubfifta  aux  dépens  des  habitans  pendant  neuf  mois. 
Enfuite  il  fe  fit  compter  6^000  Joachims  pour  les  frais  de  la 
guerre  :  enfin  il  défarma  les  habitans ,  ôc  les  mit  dans  la  trifte 
necefîité  de  délibérer  entr'eux ,  non  fur  la  manière  de  termi- 
ner leurs  différends ,  mais  fur  les  moyens  d'appaifer  le  Duc ,  ôc 
de  fe  dérober  au  joug  infuportable  qui  menaçoit  leur  liberté. 
Cependant  ce  Prince  affuroit  tous  les  jours  avec  une  extrême 
dilTimulation  ,  qu'il  ne  defiroit  que  la  tranquilité  de  la  ville  5  ôc 
qu'il  retireroit  ôc  congédieroit  fes  troupes ,  auffi-tôt  que  les 
diflTerends  feroient  accommodés.  Il  arriva  alors  une  chofe ,  qui 
renverfa  entièrement  les  projets  d'accommodement.qui  étoient 
fur  le  point  d'être  conclus.  Ulric  frère  d'Albert,  indigné  que 
ce  Prince  eût  entrepris  cette  expédition  ,  fans  lui  en  avoir  par- 
lé, ôc  que  les  habitans  de  Rolloch  l'euffent  reçu  dans  leur  vil- 
le ,  leva  des  troupes ,  laiffa  une  garnifon  dans  Buzow  ,  ôc  alla 
à  Brunfwich  ,  pour  obtenir  du  fecours  des  Etats  de  la  Eaff&- 
Saxe  qui  y  étoient  affemblez.  D'un  autre  côté  Maximilien  ir- 
rité qu'Albert  eût  fait  un  ufage  de  fa  commiffion  bien  con- 
traire à  fes  intentions,  écrivit  de  Vienne  le  premier  de  Décem- 
bre, que  cette  expédition  d'Albert  lui  avoit  fort  déplu  •■>  ôc  or- 
donna de  congédier  auffi-tôt  tous  les  gens  de  guerre. 

Cependant  comme  Albert  alléguoit  pour  la  juftification  le 
mandement  même  de  l'Empereur;  qu'il  foûtenoit  n'avoir  point 
paffé  les  bornes  qui  lui  avoient  été  prefcrites  ;  Ôc  qu'il  promettoit 
de  n'inquiéter  perfonne  j  Maximilien  renouvella  (qs  premiers 
ordres  ,  ôc  ordonna  qu'on  tînt  les  paroles  données  aux  habi- 
tans de  Roftoch  ,  de  ne  point  toucher  à  leurs  privilèges  j  ôc 


IÎ2  HISTOIRE 

r,  qu'on  leur  rendît  hs  terres  ôc  les  héritages ,  dont  on  s'étoît 

Char  LE  ^'"^^P^^^  <i^"s  le  premier  licge.  Mais  voyant  qu'il  ne  s'agifToit 
j^        plus  que  du  différend  entre  les  deux  frères ,  ducs  de  Meckel- 
^  -^^      bourg,  il  envoya  Bogiflas  Félix  Haffenftein  préfident  delà 
Bafle-Luface ,  6c  Erneft  Rechberg,  pour  juger  la  conteftation 
excitée  entre  les  deux  frères ,  ôc  pour  faire  au  plutôt  congé- 
dier les  troupes.  Ce  différend  donnoit  d'autant  plus  d'inquié- 
tude  à  l'Empereur ,  qu'il  f(^avoit  que  l'un  des  deux  frères  favo- 
rifoit  le  roi  deDannemarck  ,  dont  il  étoit  alliée,  ôc  que  l'autre 
étoit  pour  le  roi  de  Suéde  j  ôc  qu'il  craignoit  que  cette  que- 
relle n'attirât  en  Allemagne  une  guerre  ,  qui  jufque-là  n'étoit 
qu'une  guerre  étrangère,  ôc  ne  retardât  les  fecours  dont  l'Em- 
pire avoir  befoin,  pour  foûtenir  la  guerre  contre  le  Turc. 
i  $  6  6,         Les  Députez  de  Maximilien  vinrent  donc  le  dernier  de  Dé- 
cembre à  Roftoch  ,  avec  les  Députez  de  réle£teur  Augufte  , 
ôc  des  Etats  de  la  Baffe-Saxe.  Les  Confuls  Ôc  le  Sénat  fe  re- 
pentoient  déjà  d'avoir  ,  à  l'inftigation  du  Syndic ,  finon  appel- 
le ,  au  moins  reçu  le  duc  Albert  dans  leur  ville  avec  fon  ar- 
mée. Les  Députez  ayant  ordonné  à  Albert  de  la  part  de  Ma- 
ximilien ,  ôc  du  cercle  de  la  Baffe-Saxe ,  de  congédier  fes  trou- 
pes y  il  répondit  qu'il  étoit  néceffaire  de  les  retenir ,  en  vertu 
de  la  commiffion  Impériale  qu  il  avoir,  à  caufe  des  diffenlions 
inteftines  qui  étoient  dans  la  ville.  Sur  cette  réponfe ,  les  ha- 
bitans  dé  Roftoch  fe  voyant  réduits  à  une  fi  grande  extrémité , 
firent  enfin,  par  le  confeil  d'Haffenilein,  ce  qu'ils  auroient  dû 
faire  dès  le  commencement?  ôc  pour  ôter  au  duc  d'Albert  tout 
prétexte  de  retenir  fon  armée,  le  Sénat  ôc  le  Peuple  facrifiçrent 
tous  leurs  reflentimens  ,  ôc  fe  réconcilièrent  entr'eux. 

Comme  cet  accommodement  fe  fit  à  l'infçu  du  Duc,  il  le 
regarda  comme  une  confpiration  fecrete  formée  contre  lui  j  ôc 
afin  de  ne  pas  manquer  de  raifons  ,  pour  s'autorifer  à  garder 
f^s  troupes ,  fous  prétexte  d'appaifer  les  troubles ,  il  fit  empri- 
fonner  Jean  Palphar  ôc  Valentin  Neuman ,  qu'il  accufoit  d'a- 
voir tramé  cette  confpiration.  Il  eut  bien  de  1^  peine- à  accor- 
der leur  élargiffement ,  ôc  à  fe  rendre  aux  remontrances  des 
Députez  de  l'Empereur  ^  qui  fe  plaignirent  hautement  de  ce 
procédé, 

AulÏÏ-tôt  après  ,  voyant  qu'il  n'avoit  aucune  bonne  raifon  , 
au  moins  connue  du  public , pour  çonfçrver  fon  armée,  il  eut 

recours 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  3  Li^.  XXXVIII.     1 1 ^ 

recours  à  un  expédient.  Le  Prince  Ulric  fon  frère  étoit  venu 

L  ^  ^        ^ 

à  Roiloch  avec  des  troupes,  au  bruit  de  cette  expédition ,  Al-  r;Tr  .  t.t  g 
bert  traita  avec  lui  du  droit ,  qu'il  prétendoit  aulTi  avoir  fur  cette        j  v 
ville,  quoiqu'il  eût  femblé  d'abord  vouloir  l'en  exclure,  pour     ,  ^  ^^ 
s'en  rendre  le  feul  maître  5  &  à  l'infcû  des  députez  de  l'Empe- 
reur, il  le  reçût  dans  Roftoch  avec  fon  armée. 

Au  refte  les  ducs  de  Meckelbourg  ne  manquoient  pas  de 
raifons ,  pour  foûtenir  &  appuyer  leurs  prétentions  :  ils  difoient 
que  Jean  roi  de  Dannemarck,  frère  d'Eric,  avoit  vendu  Rof- 
toch à  leurs  ancêtres  vers  l'an  1525*;  qu'ils  avoient  depuis  ac- 
cordé  à  la  ville  beaucoup  de  privilèges  Ôc  d'exemptions  ;  qu'ils 
y  avoient  établi  uneUniverfité,  ôc  qu'ils  n'avoient  ceffé  de  l'or- 
jier  ôc  de  l'embellir  jufqu'eri  1419  î  mais  que  depuis  ce  tems 
là  les  habitans  ayant  oublié  les  grâces  qu'ils  avoient  reçues 
des  ducs  de  Meckelbourg,  avoient  payé  d'ingratitude  tant  d& 
bienfaits  :  que  les  deux  freies  Jean  Albert  ôc  Ulric  avoient  par- 
ticulièrement lieu  de  fe  plaindre  de  la  ville  de  Roftoch  j  puis- 
que quand  ils  avoient  demandé  de  rentrer  dans  leurs  anciens 
droits  ,  elle  avoir  rejette  leurs  demandes  avec  outrage ,  ôc 
qu'enorgueillie  de  faprofperité,  ôc  fe  confiant  en  fes  forces,  elle 
leur  avoit  fièrement  refufé  toute  foi.te  de  fatisfaétion  :  mais  que 
le  tems  étoit  enfin  venu  de  fe  faire  rendre  par  les  armes ,  fi  on 
ne  les  fatisfaifoit ,  la  juftice  qu'ils  n'avoient  pu  jufqu'à  ce  mo- 
nient  obtenir  par  les  voies  de  droit. 

Lorlqu'UIric  fut  entré  dans  Roftoch  ^  il  afFc6la  de  témoigner 
tant  de  refientiment  ôc  d'indignation ,  Ôc  fit  tant  de  mena- 
ces, qu'on  ne  penfa  qu'à  l'appaifer.  Il  fe  lailTa  néanmoins  flé- 
chir aux  prières  des  commifiliires  Impériaux ,  ôc  aux  offres  que 
les  habitans  lui  firent  de  foixante  milles  Joachims ,  pour  les  frais 
de  l'armée  qu'il  avoit  mife  fur  pié.  Après  qu'il  les  eût  reçus 
il  promit  de  conferver  les  privilèges  de  Roftoch  ,  ôc  de  congé- 
dier fes  troupes.  Les  Députez  voyant  qu'ils  ne  pouvoient  rien 
terminer,  jugèrent  qu'il  falloit  nécelîairement  faire  intervenir  l'au- 
torité de  l'Empereur  h  ôc  perfuadez  qu'ils  inftruiroient  mieux 
faMajefté  Impériale  de  l'état  des  affaires,  lorfqu'ils  feroient  au- 
près d'elle  3  ils  prirent  congé  des  habitans ,  ôc  fortirent  de  la 
.ville. 

Ils  ne  furent  pas  plutôt  partis,  que  les  deux  frères  prefcrivi- 
f  ent  de  nouvelles  loix ,  qui  avoient  une  apparence  de  pieté ,  afin 
Tome  V*  P 


114  HISTOIRE 

_  de  pouvoir  dire ,  qu'ils  avoient  commencé  par  régler  la  Reîî- 

~  ~  gion.  Puis  ayant  fait  abattre  les  murs  de  la  ville  du  côté  de  la 

,^  porte  méridionale,  qui  eft  proche  la  place  publique,  ils  firent 
*  jetter  les  fondemens  d'une  citadelle.  Ulric  touché  des  prières 
*  ^  '  des  habitans  confentoit,  fi  fon  frère  le  vouloir  bien ,  qu'on  dif- 
continuât  l'ouvrage.  Pour  obtenir  la  même  chofe  d'Albert ,  oit 
entra  en  compofition,  &  on  confentit  à  recevoir  de  lui  les  ar- 
ticles de  paix.  Albert  en  propofa ,  qui  furent  lus  dans  une 
aflemblce  du  Sénat  trcs-nombrcufe.  Mais  comme  ils  parurent 
injuftcs  6c  infupportables ,  les  deux  Princes  fe  retirèrent  fans 
avoir  rien  terminé.  Ils  laifTerent  une  garnifon  dans  la  ville  ^  ÔC 
on  continua  de  bâtir  la  citadelle  qui  étoit  commencée.  Alors 
la  garnifon,  fuivant  les  ordres  qu'elle  avoir  reçus,  commen- 
ça à  ufer  de  violence:  elle  emprifonna  dans  les  châteaux  voi- 
fins  les  bourgeois  ,  qui  leur  paroiffoient  fufpe£ts  ;  elle  força  les 
habitans  de  fournir  le  bois,  la  brique,  la  chaux,  ôc  les  autres 
matereaux  néceffaires  pour  la  conftrudion  de  la  citadelle?  en- 
fin elle  commit  dans  la  ville  autant  de  défordre,  que  fi  elle  leuc 
eût  été  livrée  en  proie. 

Cependant  on  intenta  un  procès  aux  ducs  de  Meckclbourgr 
on  les  accufa  du  crime  de  fpoliation.  Mais  après  plufieurs  cita- 
tions, on  eut  bien  de  la  peine  à  obtenir,  par  les  inftances  réité- 
rées d'Antoine  Wittersheim,  un  décret  Impérial,  qui  ordon- 
noit  que  la  citadelle  feroit  mife  en  fequeftre  entre  les  mains  de 
l'Empereur.  Enfin  quelque  tems  après  (  dans  la  même  année 
I  y55  )  l'affaire  fut  entièrement  terminée ,  après  une  longue  ôc 
malheureufe  fuite  de  calamitez.  Grand  exemple,  qui  apprend 
aux  villes  Hbres  à  éviter  avec  foin  les  diffenfions  intefîinesj 
ou,  s'il  en  arrive  qu'on  ne  puifTe  éviter,  à  les  terminer  à  l'amia- 
ble ,  à  facrifier  toujours  les  reffentimens  particuliers  au  bien  pu- 
blic, ôc  à  ne  jamais  implorer  contre  leurs  propres  citoyens  la 
protection  Ôc  les  feccurs  des  Princes  riches  Ôc  puifîans  ;  afin 
qu'il  ne  leur  arrive  pas,  comme  à  la  ville  de  Roftoch  ,  ce  qui 
arriva  autrefois  au  cheval  de  la  fable  d'Efope,  qui  difputoit  avec 
le  cerf,  pour  un  herbage  qui  devoir  être  commun  à  tous.  Elles 
doivent  aufii  fe  fouvenir,  que  les  Romains  ayant  été  choifis  pour 
arbitres  entre  lesAxticicns  ôc  les  Ardeates,  ôc  voyant  que  les 
parries  ne  terminoient  point  leurs  différends ,  s'attribuèrent  la 
chofe  qui   faifoit  la  matière  du  procès  ,  ôc  par  ce  moyen 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXXVÎII.     ny 

dépouillèrent   les  uns  &   les  autres  de   leur  droit.  -_«_ 

Les  deux  ducs  de  Meckelbourg,  en  fortant  de  Roftoch,  pri-  p 
i:ent  deux  routes  différentes.  Ulric  s'en  alla  chez  lui,  &  Albert       j  V 
alla  en  PrulTe,  chez  Albert  de  Brandebourg  fon  beau-pere ,  pour  ^\ 

tirer ,  s'il  pouvoir ,  quelque  avantage  des  troubles  dont  la  Pruffe 
étoit  agitée.  Cet  Albert  de  Brandebourg,  comme  nous  l'avons  pri^^j^'^"^^^  *^^ 
dit  en  fon  lieu,  étoit  Grand-Maître  de  l'Ordre  Teutonique,ôc 
après  une  longue  ôc  ruineufe  guerre  avec  Sigifmond  I.  roi  de 
Pologne  fon  oncle  maternel ,  il  avoir  traité  avec  lui  à  ces  condi- 
tions :  Qu'on  aboliroit l'Ordre  Teutonique^  qui  appuyé  de  tou- 
te l'autorité  de  l'Empire,  caufoit  de  l'ombrage  ôc  de  la  peine 
aux  Rois  de  Pologne  ;  &  qu'Albert  en  fe  mariant  recevroit  du 
roi  de  Pologne  en  fief  la  Pruffe  avec  titre  de  Duché.  Ge  Prin- 
ce, qui  aimoit  les  nouveautez ,  donna  toute  fa  vie  plufieurs  mar- 
ques de  fon  inconftance  en  matière  de  Religion  j  ôc  s'étant  fer* 
vi  de  mauvais  confeillers  pour  l'adminiftration  de  fes  Etats ,  il 
innova  plufieurs  chofes,  contraires  aux  conditions  ftipulées  dans 
le  traité.  Son  efprit  étant  affoibli  par  Tâge  (  car  il  avoir  foi- 
xante  ôc  feize  ans)  il  fit  alors  une  chofe  capable  de  ruiner  entiè- 
rement fon  Etat  :  ce  fut  par  les  confeils  de  Paul  Scalick,  qui  étoit 
de  la  famille  des  Scaligers  de  Vérone.  Cet  homme  donna  des 
marques  de  fon  érudition,  par  quelques  livres  qu'il  fit  imprimer, 
voulant  imiter  le  célèbre  Jean  Pic,  à  qui  il  étoit  bien  inférieur  du 
côtéde  la  fcience  ôc  de  la  vertu.  Par  une  réputation  de  pieté  ôc 
de  fçavoiraffez  mal  fondée,  il  s'infinua  dans  les  bonnes  grâces 
d'Albert  ;  ôc  ce  Prince  crédule  le  combla  de  biens.  Scalick  abu- 
fant  du  pouvoir  qu'il  avoir  fur  fon  efprit,  luiperfuada,pour  mieux 
affermir  fon  crédit  en  cette  Cour,  de  ne  fe  pas  trop  fier  aux 
Pruffiens  fcs  fujets  ,  parce  qu'il  étoit  Allemand ,  ôc  que  les  Pruf- 
fiens  avoient  une  haine  invétérée  contre  ceux  de  fa  nation  : 
de  régler  tellement  fes  affaires,  que  les  Allemands  en  euffent 
toujours  l'adminiftration  5  ôc  de  confier  aux  Princes  de  Brande- 
bourg fes  confins  l'exécution  de  fes  dernières  volontez. 

Enfin  il  porta  ce  vieillard  décrépit,  ôc  préoccupé  par  les  idées 
qu'il  lui  avoir  infpirées  ,  d'éloigner  du  gouvernement  Chrifto- 
phle  Crue  Grand  Maître  de  fa  maifon ,  Borch  ,  Elic  Canic ,  ôc 
d'autres  Seigneurs  de  la  Province  ,  comme  fufpe6ls  ;  ôc  de 
mettre  en  leurs  places  de  nouveaux  officiers ,  qui  entroient 
dans  ks  deffeins  p  ôc  particulièrement  Mathias  Horft ,  dont 

P  i; 


•  i2(^  HISTOIRE 

_    -  ■         prefque  tout  l'art  de  plaire  confidoit  dans  fes  bouftontierîes  % 

^  Jean  Funch,  qu'une  ambition  démefurée  avoir  poufleà  quitter 

^y-         la  fonction  de  Prédicateur  ,  pour  fe  jetter  dans  les  emplois  du 

*  fiécle  j  Steinbach  6c  Jean  Snell.  Scalick  prévoyant  la  tempête 
^  '  que  ces  changemens  alloient  exciter,  partit  avec  trente  cava- 
liers, comme  pour  venir  en  France,  avec  le  titre  d'AmbalTa- 
deur ,  afin  d'obtenir  en  mariage  une  fœur  du  Roi  pour  le  jeu- 
ne prince  de  Prufle.  Scalick  avoir  infpiré  cette  ridicule  vanité 
au  vieux  Duc ,  homme  llmple  6c  crédule.  Les  nouveaux  minif- 
tres  voyant  que  les  Pruffiens  n'étoient  pas  contens ,  6c  qu'ils 
murmuroient ,  levèrent  des  troupes,  dont  ils  donnèrent  le  com- 
mandement à  Paul  Vobifler  avec  deux  cens  mille  Joachims 
d'appointemens  ?  à  condition  que  fion  ne  les  lui  payoit  pas  en 
certains  termes ,  ilpourroit  les  tirer  par  force  desPruftiens  fujets 
d'Albert. 

Sur  ces  entrefaites,  Jean  Albert  duc  de  Meckelbourg  vint  trou- 
ver fon  beau-pere  j  6c  amena  avec  lui  Laurent  Kircow ,  qui  ve- 
noit  de  le  fervir  avec  beaucoup  de  fidélité  ôc  d'adrelTe  dans  l'af- 
faire de  Roftoch.  Kircow  lié  très-étroitement  d'amitié  avec 
Horft,  obtint  par  fon  moyen  du  Duc,  à  qui  Scalick  avoir  faf- 
ciné  les  yeux,  de  révoquer  le  teftament  qu'il  avoit  fait,  6c  qui 
étoit  confirmé  par  l'autorité  de  Sigifmond  II.  roi  de  Pologne; 
d'en  faire  un  nouveau ,  difi'erent  en  bien  des  chofes  du  premier, 
touchant  la  tutelle  de  fon  fils ,  6c  la  régence  de  fes  Etats ,  6c 
de  mettre  l'un  6c  l'autre  entre  les  mains  d'Albert  de  Meckel- 
bourg. Sigifmond  ayant  appris  ce  qui  s'étoit  pafifé ,  par  les  plain- 
tes qu'en  firent  Crue  ^  Frédéric  Canic,  6cElie  fon  frère  ,  crut 
qu'il  étoit  de  l'intérêt  de  la  Pologne,  ôc  de  fon  honneur  par- 
ticulier, d'empêcher  qu'un  Prince  fon  vaffal  n'agit  contre  les 
conditions  du  traité  de  grâce  6c  de  fief,  que  Sigifmond  I.  fon 
père  6c  fon  prédecefTeur  avoit  fait  avec  lui  5  qu'il  ne  maltrai- 
tât i'es  fujets ,  6c  qu'il  ne  fit,  à  l'infcû  6c  au  mépris  de  fon  bien- 
faiteur, des  difpofitions  pourl'adminiftration  de  fesEtats,  qu'il 
n'étoit  plus  en  état  de  gouverner,  à  caufe  de  fon  grand  âge^ 
ôc  de  la  foiblefle  de  fon  efprir. 

Sigifmond  envoya  de  l'afTemblée  de  Lublin  des  Députez  en 
Prufle,  avec  un  édit  ou  mandement  Royal,  qu'ils  préfenterent 
le  27  d'Août  aux  Etats  de  la  Province.  Le  Roi  de  Pologne  par 
ce  mandement  banniffoit  Paul  Scalick  de  tout  le  Royaume^  ôc 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  XXXVIÎI.     117 

de  la  PrUfle ,  ôc  annulloit  toutes  les  donations  qu'Albert  lui  — 
avoit  faites.  Il  rétablifToit  dans  leurs  charges  &  emplois  les  an-  Char  LE 
ciens  confeillers ,  minières  ôc  officiers  y  que  le  Prince  avoit  dé-  j  x. 
pouillez  ou  reléguez,  &  il  chaflToit  ou  dépouilloitles  nouveaux.  %  ^  ^  6, 
Il  ordonnoit  que  le  duc  de  Meckelbourg  remît  le  premier  ôc 
le  fécond  teftament  du  duc  de  Prufle,  pour  être  dépofcs  entre 
les  mains  du  Roi  de  Pologne  ;  ôc  il  caflbit  ôc  annulloit  le  pré- 
tendu droit  de  fucceflion  au  duché  de  Prulfe ,  que  le  Duc  avoit 
donné  à  TEledeur  de  Brandebourg.  Sa  Majefté  Polonoife  ré- 
gloit  encore,  que  le  nouveau  Duc  ne  pourroit  impofer  aux  Pruf- 
fiens  aucunes  charges  ou  impofitions,  que  de  leur  confente- 
ment  ;  ôc  que  s'il  avoit  quelques  différends  avec  fes  fujets ,  le 
Roi  leur  rendroit  juftice.  Il  déclaroit  aulTi ,  qu'il  conferveroit 
les  privilèges  des  Etats  de  Pruffe ,  ôc  qu'il  obferveroit  très-re- 
ligieufement ,  tous  les  traitez  qui  avoient  été  faits  avec  le  Duc. 
Enfin  Sigifmond  enjoignoit  au  duc  Albert  d'exécuter  tous 
les  ardcles  de  fon  ordonnance ,  en  préfence  de  fes  Commiffai- 
res,  leur  donnant  pouvoir,  s'il  n'obéiffoit,  de  prendre  foin 
du  gouvernenient ,  de  concert  avec  les  Etats  de  la  Province  5 
de  rendre  jufticefur  les  plaintes  qui  leur  feroient  portées  ;  d'ap- 
paifer  tous  les  troubles ,  ôc  de  rétablir  la  paix  dans  le  Duché; 
de  punir  \cs  auteurs  des  maux  paffez,  Ôc  de  diminuer  les  dé- 
penfes  de  la  Cour,  en  retranchant  celles  qui  n'étoient  pas  né- 
ceffaires. 

Les  CommifTaires  employèrent  les  mois  de  Septembre  ôc 
d'Oâobre  à  faire  exécuter  ces  ordres.  On  intenta  d'abord ,  au 
nom  de  toute  la  Province ,  une  accufation  contre  Jean  Funch, 
Horft,  Snell,  ôc  Steinbach,  ôcon  ordonna  qu'ils  feroient  em- 
prifonnez  avant  que  d'être  entendus  dans  leurs  défenfes.  Lorf- 
que  le  Duc  les  eût  livrez  aux  Commiffaires  du  Roi  de  Pologne, 
on  les  enferma  dans  des  prifons  féparées  :  on  les  interroga  ju- 
ridiquement, ôc  on  les  condamna  à  mort,  comme  coupables 
d'avoir  introduit  des  nouvèautez  dans  le  gouvernement,  ôc  d'a- 
voir troublé  la  tranquillité  publique.  On  fit  grâce  àSteinbach, 
ôc  les  autres  furent  exécutez  dans  la  place  publique  deKonigf- 
bergle  28  d'Oêlobre.  On  fit  particulièrement  un  crime  à  Funch 
d'avoir  donné  au  vieux  Duc  le  confeil  également  abfurde  ôc 
pernicieux,  de  fe retirer  chez  fesparens  en  Allemagne,  fous 
prétexte  qu'il  n'avoit  dans  la  Pruffe  aucun  fujet  qui  lui  fut  fidèle. 

P  iij 


ïig  HISTOIRE 

Fuiich  fut  d'abord  Sedateur  d'Ofiander  ôc  de  Tes  dangerea- 

C  H  A  R  L  E  ^^^  opinions.  Il  y  avoit  depuis  renoncé  ,  ôc  avoir  acquis  le  pre- 

j^        mier  rang  dans  les  bonnes  grâces  du  Prince.  Mais  ayant  abu- 

i  r  <  <     fé  de  fa  faveur  ôc  de  fon  crédit ,  fon  imprudence  le  perdit,  ôc 

deshonora  fon  maître.  Du  refte  ilétoit  fcavant,  ôc  il  a  rendu 

fervice  à  la  Republique  des  Lettres  par  fa  Chronologie,  dont 

i'exaditude  eft  eflimée  de  tous  les  fçavans. 

On  fit  dans  le  même  tems  un  traité  d'union  entre  le  Duc 
&  les  Etats  de  Pruffe ,  ôc  il  fut  confirmé  le  3  d'Ottobre  par 
les  CommiiTaires  du  Roi  de  Pologne.  En  voici  les  principaux 
articles  :  On  établira  deux  Evêchez  dans  la  Pruffe  ,  à  Sambie  ôc 
à  Pomezan  :  Avantles  fêtes  de  Pâques ,  le  Prince  y  mettra  deux 
Prélats  capables  de  remplir  cette  charge  ,  qui  feront  élus  par  les 
fulfrages  de  fes  confeillers ,  de  huit  perfonnes  choifies  entre  la 
Nobleffe,  ôc  de  huit  députez  des  villes  :  Le  Prince  connoîtra 
des  fautes  de  cesEvêques,  qui  regarderont  le  civil  >  mais  pour 
celles  qui  regarderontla  doctrine  ôc  la  difcipline,  ils  feront  ju- 
gez ôc  punis  parle  Synode  :  Les  Minières  bannis  de  la  Pruffe 
à  caufe  de  rOfîandrifme  y  feront  rappeliez.  Pour  ce  qui  eft  du 
gouvernement  civil  ,  les  Gentilshommes  Pruffiens ,  capables 
d'exercer  les  charges  publiques,  en  feront  revêtus ,  ôc  ceux  du 
payis  feront  toujours  préferez  aux  étrangers  :  Le  Duc  n'impo- 
fera  point  de  nouveaux  tributs  à  fes  fujets  :  Il  ne  s'établira  aucun 
cabaret  nouveau  à  un  mille  de  la  ville  ,  fans  une  permiffion  ex- 
preffeiLes  affemblées  de  la  Province  jouiront  d'une  parfaite 
liberté  :  Les  contrats  ufuraires  feront  caffez ,  ôc  les  donations 
-injuftes  annullées  :  Le  Duc  ne  gardera  que  les  minif^res  nécef- 
faires ,  ôc  il  modérera  fes  dépenfes  :  Le  décret  fait  pour  la  fureté 
de  Scalick  fera  révoqué ,  ôc  les  libelles  diffamatoires  qu'il  a  pu- 
bliés, feront  fupprimez  :  Pour  le  choix  des  Juges  dans  les  Pro- 
vinces, chacune  en  nommera  trois,  ôc  le  Prince  choifira  l'un  des 
trois.  Il  ne  pourra  faire  aucun  traité,  ni  aucune  alliance  avec 
quelque  Prince  ou  Roi  que  ce  fbit,  que  du  confentement  du  Roi 
de  Pologne ,  ou  des  Etats  de  la  Pruffe  :  Il  confervera  les  privilè- 
ges, droits,  libertez,  immunitez  ôc  coutumes  delà  Province  :  S'il 
fe  comporte  autrement,  ôc  Ci  méprifantles  très-humbles  prières 
de  fes  fujets,  il  ne  révoque  pas  ce  qui  aura  été  fait  de  contrai- 
re ,  les  Etats  de  la  Province  pourront,  fans  fe  rendre  coupables  du 
crime  de  rébellion  ou  de  confpiration ,  recourir  à  la  protection 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXXVIIL       n^ 

du  Roi  de  Pologne ,  pour  la  défenfe  de  leurs  privilèges  ,  en 
vertu  des  traitez  faits  entre  le  Roi  ôc  le  Duc.  Peu  de  tems  après  ^  ~           \ 
on  rétablit  les  deux  Evêchez  ,  ôc  on  en  augmenta  les  revenus.  t^                ! 
On  donna  celui  de  Sambie  à  Joachim  Moriin ,  qu'on  fit  rêve-  '               \ 
nir  de  l'Eglife  de  Brunfwick  ,  ôcfcelui  de  Pomezan  à  Geor-  *^       '            i 
ge  Venet,  Gentilhomme  PrulTien,  qu'on  fit  revenir  de  Col-  ! 
berg ,  ville  de  Pomeranie  :,  où  il  s'étoit  retiré  lorfqu'il  fut  obli-  :| 
gé  de  fortir  de  fon  payis.                                                            ^  j 
Cependant  les  Suédois  &  les  Danois  combattirent  long-tem5  Suite  de  \$-         \ 
à  forces  égales,  dans  le  détroit  par  où  l'on  va  à  Stockolm ,  vis-a-  U^j-T  ^"  \ 
vis  de  l'ifle  de  Gothland.  Mais  un  accident  donna  depuis  la  *                   î 
vi£loire  aux  Suédois ,  fans  combat.  L'amiral  Danois  ayant  réfo-  j 
lu  de  faire  enterrer  folemnellement  ôc  avec  pompe  ,  à  Wifby 
ville  de  Gothland,  un  feigneurqui  avoit  été  tué  dans  le  der-  .      ■ 
nier  combat  (  quoique  le  Gouverneur  de  l'ifle  l'eût  averti  de  \ 
île  pas  mettre  les  vaiffeaux  à  l'ancre  dans  un  port  qui  étoit  plein;  j 
de  batures  \  )  les  deux  flottes  réunies  de  Dannemarck  ôc  de  Lu-  \ 
bech  ne  laiflerent  pas  de  venir  aborder  a  la  ville.  AulTi-tot  il  -          ; 
s'éleva  une  horrible  tempête ,  qui  écarta  ôc  mit  en  pièces  l'une 
ôc  l'autre  flotte,  fur  lefquellesil  y  avoit  neuf  mille  hommes, 
avec  l'amiral  Jean  Laurentien  ,  ôc  Barthelemi  Tinnapel  conful  : 
deLubec  ,  qui  firent  tous  un  trifte  ôc  déplorable  naufrage.  D'un  ' 
autre  côté  Daniel  Ranzau  Général  des  troupes  que  le  Roi  de 
Dannemarck  avoit  fur  terre ,  ayant  fait  une  incurfion  en  Sma-  '            | 
land,  fit  du  dégât  dans  la  campagne,  ôc  pilla  quelques  places^  i 
c'efl  tout  ce  qui  s'y  paflTa  de  mémorable  dans  cette  année.  j 
Il  y  eut  du  changement. en  Saxe,  caufé  par  les  Evêques.  Troubles e:î         j 
Sigifmond  de  Brandebourg  ,  fils  de  Joachim   IL  Ele£leur,  Ai  magne,  à  j 
après  avoir   ete  pendant  quatorze  ans   Archevêque  de  Mag-  iidigioDi  ' 
debourg ,  commença  à  embrafler  la  do6lrine  des  Proteftans ,  ) 
qui  étoit  déjà  reçue  en  bien  des  lieux.  Dans  le  tems  qu'il  mé-  ! 
ditoit  d'établir  une  nouvelle  difcipline  Eccléfiaftique  ,  confor-  ; 
mément  à  cette  doctrine  (  au  fujet  de  quoi  il  avoit  pris  les  avis  '^ 
de  plufieurs  pcrfonnes  )  il  mourut  fort  regreté  de  les  Chanoi- 
nes, qui  favorifoient  fon  projet,  ôc  appuyoient  fon  entreprife,  i 
Tous  leurs  fufîrages  fe  réunirent  en  faveur  de  Joachim  Frede-  ' 
rie ,  alors  fils  unique  de  Jean  George  Ele£leur  de  Brandebourg,.  i 
qui  fut  mis  en  fa  place.  Le  neveu  j  fuivant  le  confeil  de  fes  ! 
I  Plages  de  la  mer ,  où  il  n'y  a  pas  aflez  d'eau  pour  mettre  les  vailTeauxà  flot,  j 


12®  HISTOIRE 

III  ,  Chanoines  ^  acheva  le  changement  dans  la  do£lnne  6c  dans 
Chart  F  ^^  difcipline  que  fon  oncle  avoit  commencé,  &c  il  établit  dans 
T  ^  lapnncipalc  Eglife  de  Magdebourg  Sigifroy  Northauflcn,  qui 
,  ^  *  y  fut  le  premier  miniftre  de  la  Confejffion  d'Aufbourg.  Mais 
après  la  mort  de  Sigifmond ,  pendant  que  le  fiége  de  Magde- 
bourg étoit  vacant,  Jean  comte  de  Mansfeld  s'empara  de  la 
fortereflede  Rotembourg  fur  le  Saal,  qu'il  avoit  engagée  à  l'Ar- 
chevêque jufqu'à  ce  qu'il  lui  eût  payé  ce  qu'il  lui  devoit ,  &  qui 
avoit  été  mife  entre  les  mains  de  George  comte  de  SchaWm- 
bourg.  Le  Chapitre  de  Magdebourg  demanda  avec  inftance 
Je  rérabhflement  de  Schawmbourïî.  Mansfeld  ne  fe  contenta 
pas  de  le  refufer ,  il  prit  encore  &  pilla  Kondere ,  petite  place 
voiiinc.  Alors  les  Etats  de  la  Pro\  ince  levèrent  des  troupes, 
afïiégerent  ôc  reprirent  Rotembourg,  plutôt  que  Mansfeld n'a- 
voit  cru.  Ce  comte,  qui  s'y  étoit  enfermé  aulli  témérairement 
qu'il  l'avoit  prife,  fut  mené  prifonnier  à  Salins ,  où  il  mourut  de 
chagrin  l'année  fuivante. 

L'Eglife  de  Racenbourg  s'étant  féparée  du  Pape,  pour  em- 
braflerla  ConfelTion  d'Aufbourg,  Chriftophleévêque  Meckel- 
bourg  y  établit  George  U  fêler,  pour  y  prêcher  cette  Doctrine. 
Au  contraire  les  Chanoines  d'Alberftat ,  qui  avoient  toujours 
conflamment  confervé  la  Religion  de  leurs  anciens  prédecef- 
feurs,  voulant  l'affermir  de  plus  en  plus,  &  s'acquitter  en  même 
tems  des  grandes  dettes  contractées  par  les  Evêques  précedens^ 
crurent  qu'ils  feroientl'un  ôc  l'autre ,  en  fe  fervant  d'un  moyen, 
qui  ne  pouvoir  être  fuggeré  que  par  une  faulTe  prudence ,  ôc 
parune  œconomie  fordide.  Ils  jetterent  les  yeux ,  pour  l'élec- 
tion d'un  Evêque ,  fur  Henri  Jule  qui  n'avoit  que  deux  ans  ^  pe- 
tit fils  de  Henri  duc  deBruniwick,  zélé  défenfeur  de  l'ancienr- 
ne  Religion  ;  ôc  ils  l'élurent ,  à  condition  qu'il  ne  recevroit  que 
^  mille  Joachims  chaque  année,  ôc  que  le  refte  des  revenus  de 

i'Evêchéferoit  employé  à  payer  les  dettes.  Alais  autant  qu'ils  s'é^ 
toient  trompez  dans  l'idée  qu'ils  avoient  conçue  du  jeune  Evê- 
que ,  autant  le  furent-ils  dans  leurs  efperances.  L'élection  qu'ils 
avoient  faite,  dans  la  vue  de  marquer  leur  fermeté  inébranlable 
parraport  àl'ancienne  do£trine,  fut  la  caufe  de  l'établifTement 
de  lanouvelle.  Jule  embraffala  dodrine  des  Proteftans ,  ôc  char- 
gea l'Evêché  d'un  plus  grand  nombre  de  dettes. 

Prefqu'en  même-tems  Bernard  Rasfeld  Evêque  de  JVÏunfterj 

ayant 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  3  Li V.  XXXVIIL     iif 

ayant  reçu  un  bref  du  Pape,  qui  ordonnoit  de  chafTer  les  con-  , 

cubines ,  &  l'ayant  publié  dans  le  Synode  de  fon  Diocéfe ,  on  ^     a  p  t  f 

ne  fçauroit  dire  jufqu'à  quel  point  d'emportement  ôc  de  fureur  t\/                \ 

les  concubines  portèrent  les  Chanoines ,  déjà  aigris  par  d'autres  ^  ^               ' 

■C        T   JT^      A^         1                          J       1-                                 /     1          •            ^                1  I   ?   0  o. 

motirs.  Li  iiveque  homme  de  bien,  ennuyé  de  vivre  avec  de  pa- 

reils  Eccléfiaftiques  ,  renonça  volontairement  à  fon  Evêché  le 

ct$  d'Oâ:obrei  &  préférant  une  vie  obfcure  ôc  affurée  à  une  vie  ^ 

éclatante  mais  perilleufe ,  il  chercha  dans  la  retraite  du  repos 

&  du  loifir.  On  mit  en  fa  place  Jean  de  Hoye ,  déjà  évêque  \ 

d'Ofnabruck  ,  ôc  qui  avoir  été  auparavant  élu  Préfident  de  la  j 

Chambre  Impériale  ,  Prélat  à  qui  peu  d'autres  pouvoient  être  ] 

comparés ,  pour  la  grandeur  de  la  nailfance ,  pour  la  dodrine  ^  ! 

Ôc  pour  la  magnificence  î  ôc  qui  fe  feroit  rendu  digne  de  la  plus  j 

parfaite  eftime  ,  fi  la  contagieufe  focieté  de  fes  Chanoines  ne 

lui  avoit  pas  fait  difcontinuer  fes  premiers  exercices  ,  s'il  n'a-  ' 

voit  pas  changé  de  vie  avec  eux ,  ôc  s'il  n'avoit  pas  terni  fa  re-  '■ 

putation  ,  ôc  les  belles  qualitez  de  fon  ame,  par  une  vie  dont 

la  fin  ne  fut  pas  conforme  à  fes  commencemens.  [ 

En  cette  même  année ,  Wolfang  prince  d'Anhalt^  qui  avoit  Mort  du 

foufcrit  à  la  Confellion  d'Aufbourg ,  qu'on  lui  avoit  prefentée  ^""^^  °  '^^"            i 

en  lyjo,  mourut  âgé  de  foixante-quatorze  ans  :,  fans  laiiïer  de  '                    j 

pofterité.  Jean  Draconites ,  qui  avoit  plus  de  fo'xante-dix  ans  ,  de  J  e  a n             ! 

mourut  à  Wrtemberg  le  1 6  d'Avril.  Il  fe  rendit  célèbre  par  Dracomtes.            ; 

une  édition  de  la  Bible  en  cinq  langues.  Il  fentreprit  à  l'uni-  ; 

ration  de  la  Polyglotte  d'Origene,  ôc  de  celle  d'Alcala  ,  mais  : 

il  n'eut  pas  le  tems  de  l'achever.   Le  i  o  de  Mai  Léonard  Fufch  he  Leonarp            ' 

né  à  Wembdingen ,  petite  ville  des  Etats  du  duc  de  Bavière ,  ^^sch.                   ^ 

mourut  à  Tubinge  âgé  de  foixante  ôc  cinq  ans.  Il  avoit  exer-  j 

ce  la  médecine  avec  beaucoup  de  réputation  à  Ingolftad  ,  Ôc  ! 

enfuite  à  Onolfbach.  Son  hiftoire  des  plantes  lui  a  acquis  beau-  ! 

coup  de  gloire.  ' 

Le  27  de  Septembre  la  mort  enleva  Marc- Jérôme  Vida  >  de  Vida;           , 
de  Crémone,  que  Clément  VIL  avoit  fait  évêque  d'Alba  fur 
îeTanaro,  trente-cinq  ans  auparavant.  Il  fut  le  premier  parmi 
les  Italiens,  après  Jacque  Sannazar,  qui  fitfervir  la  poëfie  aux 
chofes  fainres.  Il  illuftra  fa  Province  par  fes  poëfies  auffi  pures 

qu'élégantes ,  ôc  il  rendit  tranquillement  fon  ame  à  Dieu  avec  1 

la  même  pieté  qu'il  avoit  vécu.   Il  fut  enterré  dans  fon  églife  ; 

d'Alba  j  ôc  depuis  fes  concitoyens  ,  à  qui  il  avoit  rendu  de  i 

To?n.  V.                                                          Q  ! 


Charle 


iiï  HISTOIRE 

grands  fervices ,  lui  firent  de  magnifiques  funérailles  ]  avec  def 
éloges  publics ,  dans  la  grande  Eglife  ,  où  il  y  eut  un  concours 
Y^"^""  prodigieux. 

Benoit  Varchi  mourut  le  1 5  de  Novembre  dans  fon  année 
g      '     clima£terique.  Ce  que  nous  avons  de  fes  ouvrages  en  vers  ôc  en 

VARcai.  profe ,  écrits  en  langue  Tofcane,  eft  eftimé  avec  juftice  par  les 
fçavans.  Il  vécut  avec  une  très  grande  liberté  d'efprit ,  égale- 
ment éloigné  de  l'ambition  &  de  l'avarice  ,  &  mourut  dans  la 
même  fimplicité  à  Florence  :,  ôc  il  fut  enterré  dans  Téglife  des 
Camaldules. 
DE  Louis      Je  ne  dois  pas  omettre  ici  Louis  Cornaro  ,  rare  ôc  memora- 

CoRWARo.  ^j^.  exemple  d'une  longue  vie ,  qu'il  pouffa  Jufqu'à  cent  ans , 
dans  une  parfaite  fanté  de  corps  &  d'efprit.  Il  étoit  d'une  des 
plus  illuftres  Maifons  de  la  Nobleffe  de  Venife.  Mais  le  défaut 
de  fa  naiflance  le  fit  exclure  des  honneurs  ôc  du  gouvernement 
de  la  République.  Il  époufa  à  Udine,  dans  le  Frioul^  Véroni- 
que y  de  la  Maifon  de  Spilimbergo  i  ôc  comme  il  avoir  de  trp«' 
grands  biens  ,  il  mit  tout  en  ufage  pour  en  avoir  des  enfans. 
Enfin  par  les  vœux  qu  il  fit  à  Dieu ,  ôc  par  le  fccours  des  Mé- 
decins ,  il  furmonta  la  froideur  de  fa  femme  >  qu'il  aimoit  ten- 
drement ,  ôc  qui  étoit  déjà  d'un  âge  avancé  ,  ôc  lorfqu'il  y  pen- 
foit  le  moins  ,  il  en  eut  une  fille  qui  fut  nommée  Claire.  Il  la 
maria  à  Jean  Cornaro  fils  de  Fantin ,  de  la  riche  Maifon  de 
Cornaro  de  Chypre,  Ôc  en  eut  une  nombreufe  poflerité  de  pe- 
tits-fils ôc  arriere-petits-fils,  qu'il  eut  la  confolation  de  voir  dans 
fa  vieillefife  5  car  Jean  eut  de  Claire  huit  garçons  ôc  trois  filles. 
Louis  corrigea  par  fa  fobrieté  ôc  par  fon  régime  les  infirmitez 
qu'il  avoit  contradées  par  l'intempérance  de  fa-  jeunefile  ?  ôc  il 
modéra  par  la  force  de  fa  raifon  l'extrême  facilité  ôc  le  penchant 
qu'il  avoit  à  fe  mettre  en  colère.  De  forte  qu'il  fut  dans  fa  vieil- 
IcfTe  d'une  aufii  benne  conftitution  de  corps ,  ôc  d'un  efprit 
aufii  doux  ôc  modéré ,  qu'il  avoit  été  infirme  ôc  emporté  dans 
la  fleur  de  fon  âge.  Il  compofa  fur  cette  matière  des  livres  , 
étant  déjà  vieux,  dans  lefquels  il  expofoit  les  déreglemens  de 
fa  jeunefie ,  fon  changement  Ôc  fa  réforme ,  ôc  fe  promettoit  de 
vivre  très  long-tems.  Il  ne  fe  flata  pas  vainement  :  il  mourut 
enfin  cette  année  âgé  de  plus  de  cent  ans  ,  fans  douleur,  ôc 
d'une  mort  très  tranquille  à  Padoûe,  où  il  avoit  fixé  fa  demeu- 
re. Sa  femmw  j  quin'étoit  gueres  moins  âgée  que  lui,  iBouruî 


Charle 

IX. 

\  $  6  6. 

DE  Charle 

DE  X  A.  DE  THOU,  Lîv.  XXXVIIL     12^ 

quelque  tems  après  d'une  mort  auiïi  douce.  Ils  furent  enterrez 
l'un  &  l'autre  dans  réglife  de  S.  Antoine  ,  fans  pompe,  comme 
ils  l'avoient  ordonné  par  leur  teftament. 

En  France ,  Charle  du  Moulin  mourut  dans  le  mois  de  Sep- 
tembre à  Paris,  où  il  étoit  ne.  Il  étoit  très-fçavant  dans  le  droit 
ancien ,  ôc  dans  le  droit  François.  Ses  Commentaires  fur  la  cou-  i^u  Moulin. 
tume  de  Paris,  ôc  fes  autres  ouvrages  pleins  d'érudition ,  paf- 
fent  parmi  nous  pour  des  oracles  de  droit.  Henri  II.  ayant  don- 
né, au  commencement  de  la  guerre  de  Parme,  unEdit  contre 
la  difcipline  dépravée  de  la  Cour  de  Rome  dans  la  difpenfa- 
tion  des  bénéfices  ,  du  Aioulin  fit  fur  cet  Edit  un  Commen- 
taire ,  qui  lui  attira  une  terrible  difgrace.  Bien  loin  de  récom- 
penfer  fon  mérite,  comme  on  le  devoit,  on  l'obligea,  avec 
autant  d'injuftice  que  d'ingratitude  ,  à  quitter  fon  payis. 

Lorfqu'il  eût  été  rappelle  de  fon  exil ,  le  connétable  de  Mont- 
morenci,  dont  il  étoit  l'avocat ,  le  préfenta  au  Roi ,  le  lui  recom- 
manda, Ôc  dit  :  ce  Sire,  voilà  cet  homme  qui  a  fait  par  un  feul 
«  livre  ce  que  Votre  Majefl:é  n'a  pii  faire  avec  une  armée  de 
a»  trente  mille  hommes,  qui  a  appaifé  le  pape  Jule ,  ôc  vous  l'a 
M  rendu  favorable.  «  Du  Moulin  publia  dans  la  fuite ,  avec  la 
même  liberté ,  une  confultation  contre  le  Concile  de  Trente , 
qui  lui  fit  de  nouvelles  affaires.  Un  an  avant  fa  mort ,  comme 
il  étoit  homme  de  bien ,  que  les  troubles  excitez  par  les  Pro- 
teftans  dans  tout  le  Royaume  lui  déplaifoient ,  ôc  qu'il  étoit  fâ- 
ché de  fe  voir  accufé,  comme  s'il  eût  été  un  de  leurs  partifans  j 
il  préfenta  dans  le  mois  de  Février  une  requête  au  Parlement, 
par  laquelle  il  demandoit  qu'on  informât ,  ôc  qu'on  procédât 
juridiquement  contr'eux^  fuivant  la  rigueur  desloix.  Les  prin- 
cipaux Chefs  de  l'accufation  étoient  :  Que  fous  prétexte  de  Re- 
ligion ,  ils  formoient  desalfemblées  féditieufes  :  Qu'ils  tenoient 
des  Confifloires  ,  Ôc  qu'ils  établiffoient  des  Diacres  ,  des  An- 
ciens, ôc  d'autres  Miniftres,qu"ils  faifoient  fubfifter  aux  dépens  du 
peuple  :  Que  dans  ces  Corififtoires  les  Miniflrcs ,  qui  y  tenoient 
les  premières  places ,  connoiffoient  de  toute  forte  d'affaires , 
au  mépris  des  Magiftrats  établis  par  le  Roi  :  Qu'après  avoir  im- 
bu le  peuple  d'une  doctrine  pernicieufe  ôc  erronée  ,  ils  le  por- 
toient  à  une  liberté  ôc  à  une  licence  effrénée  :  Qu  ils  étoient 
prefque  tous  étrangers  :  Qu'ils  n'étoient  point  appeliez  au  mi- 
iiiftere  par  une  vocation  légitime  :  Qu'ils  fuivoient  la  difciplme 


124  HISTOIRE 

ôc  les  loîx  de  Genève,  pour  le  temporel  comme  pour  le  fpiri- 
~  tuel  y  pour  le  gouvernemem  civil  comme  pour  le  gouverne- 

^^"^       ment  Eccléfiaftique ,  à  la  ruine  du  Royaume  :  Qu'ils  empê- 
choient  les  Eccléfiaftiques  de  faire  leurs  fonctions  :  Qu'enfin 
^  ^  ils  n'omettoient  rien  pour  tenter,  ôc  pour  ébranler  la  fidélité 

des  fujets  du  Roi.  Du  Moulin  rapportoit  enfuite  les  raifonsd& 
la  haine  particulière,  qu'ils  avoient  pourluii  fçavoir,  qu'il  avoit 
dit  que  la  Confelïion  d'Ausbourg  ,  qui  ctoit  reçue  en  Allema- 
gne ,  étoit  plus  fuportable  que  celle  de  Genève  ôc  de  Suifle  3  ôc 
que  dans  fes  Commentaires  fur  la  coutume  de  Paris,  il  les  avoit 
traitez  de  fanatiques  ôc  de  fcditieux.  «  C'efl:  pour  cela ,  difoit  du 
M  Mv  ulin ,  qu'ils  parlent  mal  de  moi  dans  leurs  Prêches  ;  ôc  dans 
3'  leurs  Synodes  ,  ôc  par  tout  ailleurs,  en  public,  ôc  fans  aucun 
»  ménagement  ;  qu'ils  corrompent  mes  domeftiques  pour  m'ob- 
w  ferver  i  ôc  qu'ils  employent  ou  les  menaces,  ou  l'argent,  ou  les 
05  careffes  ,  pour  m'empêcher  de  trouver  des  gens  qui  écrivent 
35  fous  moi ,  ou  des  copiftes.  -^  Cet  excellent  citoyen ,  qui  aimoit 
fa. patrie  plus  qu'on  ne  peut  dire ,  voyant  que  fous  prétexte  de 
reformer  la  ReUgion  ,  (  ce  qu'il  fouhaitoit  avec  ardeur)  on  s'a- 
bandonnoit  à  un  efprit  de  licence,  ôc  de  fa6lion ,  en  fut  pénétré 
de  douleur  j  ôc  il  promit,  avec  ferment,  que  ii  Dieu  lui  donnoit 
encore  quelque  tems  de  vie ,  il  feroit  tous  fes  efforts  par  fes 
exemples  ôc  par  fes  écrits ,  pour  retirer  plufieurs  perfcnnes  des 
erreurs  qui  faifoient  tant  de  funeflcs  progrès.  C'eft  dans  ces  dif- 
pofitions  que  du  Moulin  rendit  fon  ame  à  Dieu,  étant  agè  de 
plus  de  foixante  ans. 
deGuillau-  La  mort  enleva  dans  la  même  année  Guilîaume  Rondelet 
ME  Ronde-  (jg  ]V/[ompellier.  Quoique  François  Rabelais  en  ait  parlé  avec 
mépris,  dans  cet  ouvrage,  qu'il  a  compofé  avec  une  liberté fa- 
tyrique  ,  plus  ingénieufe  qu'irreprehcnfible,  on  ne  peut  difcon- 
venir  qu'il  n'ait  été  un  habile  Médecin.  A  la  vérité  fes  ouvra- 
ges ne  répondent  pas  à  la  grande  réputation  qu'il  s'étoitacqui- 
fe,  ni  à  l'opinion  qu'on  en  avoit  conçue.  Un  de  fes  écrits  lui  a 
fait  plus  d'honneur  que  les  autres  i  c'eft  le  Traité  des  Poifibns, 
qu'il  a  fait  imprimer ,  ôc  qui  lui  auroit  mérité  plus  de  louanges, 
fi  on  avoit  pu  l'attribuer  à  fon  induftrie ,  ôc  non  pas  à  celle  d'un 
autre.  Car  on  prétend  qu'il  l'avoit  tiré  des  Commentaires  de 
Guillaume  PeliATier  cvêque  de  Montpellier,  homme  d'une  éru- 
dition peu  commune  ?  ôc  que  cet  ouvrage  faifoit  partie  des 


1£T. 


DE  l  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXVIII.     i.^  j 

fçavantes  obfervations,  que  ce  Prdat  avoit  faites  fur  Pline,  ôc  .              I 

qui  pour  le  malheur  de  la  république  des  lettres  ,  ont  été  ou  (]  j^^j^le  i 

perdues ,  ou  fupprimées.  IX.                  j 

Nous  ajouterons  à  tous  ces  grands  hommes  deux  Flamands:  i  ^  (S  6^               i 

le  premier  eft  George  Caffander,  né  dans  l'ifle  de  Calïandt  à  de  George             \ 

trois  lieues  de  Bruges  5  ôc  c'eft  de  là  qu'il  prit  le  nom  de  Caf-  Cassa^der.  | 

fander.  Nous  avons  déjà  parlé  de  lui  fi  amplement  dans  l'élo-  i 
ge  de  l'Empereur  Ferdinand  fur  l'année  1^54,  qu'il  nousrefte 

peu  de  chofes  à  en  dire.  Je  me  contenterai  de  louer  dans  cet  j 
homme  fçavant  en  l'une  &  en  l'autre  langue  ,  qui  avoit  une 

très  grande  connoifTance  de  l'anùquité  ,  ôc  qui  avoit  étudié  ; 
à  fond  la  Religion ,  une  modeftie  d'autant  plus  louable  qu'elle 

eft  rare  en  ce  fiécle  j  ôc  de  le  propofer  comme  un  modèle  à  j 

ceux  qui  exercent  leurs  efprits  dans  la  difpute  ,  afin  qu'ils  ap-  l 
prennent  de  lui  à  éviter  l'animofité  ôc  l'aigreur.  Quoi  qu'il  fut 

doué  de  tant  de  bonnes  quahtez  ,  jamais  il  ne  fe  laifla  enfler  ■ 

d'orgueil  i  jamais  il  ne  rendit  injure  pour  injure  j  jamais  on  ne  -j 

remarqua,  ni  dans  fes  mœurs  ni  dansfes  écrits,  aucun  veftige  '          . 

d'arrogance  ou  de  vaine  gloire.    Après  avoir  long-tems  en-  1 

feigne  à  Bruges ,  Guillaume  duc  de  Cleves  le  fit  venir  à  Duif-  ! 

bourg  ,  pour  réfuter  les  Anabatiftes ,  ôc  il  y  refta  quelque  tems.  : 

Il  pafi^a  de  là  en  Allemagne  ,  ôcil  fixa  fon  fejour  à  Cologne,  ! 

avec  Corneille  Gauthier  Ton  bienfaiteur  ôc  fon  compagnon  d'é-  ■ 

tudes.  Enfin  après  la  confultation ,  qu'il  fit  par  l'ordre  de  TEm-  . 
pereur  Ferdinand  fur  les  articles  controverfés  des  Proteftans , 
ôc  qu'il  envoya  à  Maximilien  ,  il  mourut  chrétiennement  ôc 
avec  pieté ,  de  la  goutte ,  le  trois  de  Février ,  dgé  de  cinquante- 
deux  ans.  Son  corps  fut  porté  dans  l'églife  de  S.  François, ac- 
compagné du  Magiftrat  de  la  ville  ôc  de  fUniverfité.  Il  y  fut 

enterré  devant  le  grand  Autel  i  ôc  Gauthier ,  fon  ami  infépara-  ' 

ble  ,  fit  fon  éloge  funèbre.  i 

Le  fécond  eft  Lucas  Fruter  de  Bruges.  Etant  à  Paris  avec  de  Lucas            \ 

pluficurs  Flamands  ,  ôc  entr'autres  Jean  Douza,  Hubert  Gifan,  Fruter.  j 

ôc  Jean  Lernut ,  un  jour  d'été ,  qu'il  s'étoit  exceflivement  échauf-  j 

fé  en  jouant  à  la  paume ,  il  but  de  l'eau  froide.  Auffi-tôt  il  tom-  l 

ba  dans  une  maladie ,  qui  l'emporta  prefque  fur  le  champ ,  ayant  ! 

à  peine  vingt-cinq  ans ,  Ôc  il  fut  enterré  dans  l'églife  de  S.Hi-  .■ 

laire.  Il  excelloit  dans  les  belles  Lettres  ,  ôc  il  avoit  déjàcom-  \ 

pofé  plufieurs  ouvrages.  Surpris  par  une  mort  fi  promte ,  il  les  1 


126  H   J  s   T    O   î  Pv  E 

abandonna  tous  au  jugement  ôc  à  la  bonne  foi  de  Gifan.  On 
Ch  a  r  l  e  ^^^'^^  4^^  celui-ci  ne  fut  pas  aflez  fidèle  à  fon  ami.  Douza  lui  en 
j  ^         fit  un  procès  i  ôc  il  eut  bien  de  la  peine  à  l'obliger  de  donner 
i  (-  (^  ^      au  public  le  peu  qui  nous  refte  d'une  Ci  grande  perte ,  &  qu'on 
peut  regarder  comme  un  petit  nombre  de  planches  fauvécs 
d'un  grand  naufrage. 
DE  PiERKE       Le  dernier  dont  nous  parlerons ,  fera  Pierre- Jean  de  Per- 
Jeam  dePer-  pignan  ,  né  à  Elche  dans  le  royaume  de  Valence.  Il  eut  de 
merveilleufes  difpofitions  de  la  nature  pour  l'éloquence  ,  &  il 
en  fit  fes  premiers  effais  dans  fa  jeunefTe  à  Conimbre  en  Por- 
tugal 5  de  là  il  alla  en  Italie ,  6c  fe  fit  admirer  par  deux  gran- 
des lumières  de  leur  tems ,  Marc-Antoine  Muret  ôc  Paul  Ma- 
nuce.  Puis  ayant  été  envoyé  à  Paris  ,  pour  donner  quelque  ré- 
putation à  la  Société  des  Jefuites,  dans  laqiîelle  il  étoit  entré, 
ôc  que  Ton  pourfuivoit  alors  j  il  y  fit  quelques  harangues'  ^  Ôc 
mourut  fur  la  fin  de  l'année  dans  le  Collège  de  Clermont  ^ 
âgé  de  quarante  ans  au  plus.  Il  fut  regreté  de  ceux  qui  aimoient 
les  belles  Lettres ,  ôc  enterré  à  S.  Benoît. 
Supplice  de       Dans  cette  même  année ,  Valentin  Gentilis ^  de  Cofenfe ,  fut 
Valentin  puni  de  mort  à  Berne  en  Suiffe  le  neuf  de  Septembre.  Il  avoir 
été  emprifonné  huit  ans  auparavant  à  Genève ,  pour  avoir  fe- 
mé  parmi  les  Italiens  des  erreurs  fur  la  Trinité.   Il  y  fut  con- 
damné par  arrêt  du  Sénat  à  être  mené  par  les  carrefours  de  la 
ville ,  à  faire  amende  honorable ,  ôc  à  abjurer  publiquement 
fes  erreurs.  Mais  étant  forti  de  Genève  ,  contre  la  promeffe 
qu'il  avoir  faite  d'y  demeurer  ,  ôc  ayant  été  convaincu  de  ré- 
pandre dans  les  efprits  le  poifon  des  mêmes  erreurs  ,  il  ne  put 
éviter  la  peine  juftement  dûë  à  fon  premier  crime ,  ôc  qui  n'a- 
voit  été  que  différée. 

1  Perpiniani  Soc.  Jeju  OratîcneSj  ont  été  plufieurs  fois  imprimées- 

Fin  dit  trente-huitième  Livre, 


Gentilis. 


127 

1^  I  mmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmwim  |  -*| 

1^  g^ooooii:S^oooo^:§iooof§§toooilS^oooi^§iooo^§iocof§§icûoog|  2| 

HISTOIRE 

DE 

JACQUE      AUGUSTE 

D  E     TH  O  U. 


N 


LIVRE  TRENTE'NEVFIEME. 

mmMMmmmm^  e  pape  pie  IV.  étant  mort  à  Rome  le  ■— ~^--^ 
m  "k  "^  "^^  "k  :f  ^  p|  1 3  de  Décembre  de  l'année  précédente ,  C  h  a  r  l  E 
'^^  ;!^  eOeeee  .^^  i  les  Cardinaux,  après  les  neuf  jours  des        IX. 


î-/,>'<      .     .. 


^  s  X       fl  ^  N  obféques  ',  s'enfermèrent  dans  le  Con-     i  ^  6  6, 
^^^'   I        pf  ^  |?f  clave,  pour  réledion d'un  nouveau Pon-      Eiedionde 


^  ^m^.^.^...M  ^  '^^  ^^^^'  liyavoitentr'euxplufieursfadions. 
^  «•  ^mJUkm  ^  ^  CgUg      i  a^ojç    our  Chefs ,  Charle  Bor- 


*****  ^  il  romée,  &  Marc  Sitico  d'Altemps,  iils 
i-;A*y;Â*^SJ^y/Âl';Â^y'^^kr/J*^^^^^^^^  des  lœurs  du  Pape  dcrunt,  palloit  avec 
raifon  pour  la  plus  forte  ôC  la  plus  puiiïante.  En  effet  Pie  IV. 
leur  oncle ,  avoit  fait  pendant  fon  Pontificat  quarante-lix  Car- 
dinaux en  différentes  promotions  j  &  il  n'y  en  avoit  que  cin- 
quante dans  le  Conclave.  Il  y  avoit  trois  autres  faÛions ,  dont 
les  Chefs  étoient  Alexandre  Farnefe  ,  Piippolyte  d'Efte ,  &c 

I  Les  neuf  premiers  jours  après  la    j    obféques  ;  &  le  dixième  les  Cardinaux 
mort  du  Pape,  s'employcnt  à  faire  les    |    entrent  dans  le  Conclave. 


128  HISTOIRE  ^ 

Ferdinand  de  Medicis.  Farnefe  étoit  à  la  tête  des  Cardinaux 

Charle  ^^^^^  ?^^  P^"^  ^^^'  ^^^  ayeul.  Le  cardinal  d'Efte  étoit  pour  les 
j  ^        François  ;  le  cardinal  de  Medicis  pour  les  Efpagncjs. 
i  r  ^^  D'abord  les  Cardinaux  donnèrent  prefque  unanimement 

leurs  fufFrages  au  cardinal  Jean  Morone ,  à  caufe  de  fon  mé- 
rite ôc  de  fa  haute  prudence.  Mais  lorfqu'on  demanda  à  Mi- 
chel Ghifleri ,  appelle  le  cardinal  Alexandrin ,  s'il  étoit  de  ce 
fentiment  j  il  pria  qu'on  lui  accordât  un  peu  de  tems  pour  dé- 
libérer ,  jufqu  à  ce  qu'il  eût  dit  la  Mefle.  Après  l'avoir  dite, 
il  répondit  qu'il  ne  pouvoit  donnet  fa  voix  au  cardinal  Moro- 
ne ,  à  caufe  des  foupçons  qu'il  avoit  fait  naître  fur  fa  conduite^ 
ôc  pour  lefquels  Paul  IV.  l'avoit  autrefois  fait  mettre  en  prifon^ 
Le  crédit  &  l'autorité  du  cardinal  Alexandrin  fufpendirent  d'a- 
bord ,  ôc  empêchèrent  cnfuite  l'éledion  de  Morone.  Le  car- 
dinal Borromée  qui  l'avoit  propofé,  voyant  qu'on  le  rejettoit; 
propofa  auiïi-tot  le  cardinal  Guillaume  Sirlet ,  récommanda- 
ble  par  fa  profonde  érudition  ,  ôc  par  l'intégrité  de  fes  mœurs. 
Mais  la  haine  fecréte  que  le  cardinal  d' Altemps  avoit  pour  Bor- 
romée ^  qui  étoit  fon  neveu,  fut  un  obftacle  invincible  à  l'é- 
lection de  Sirlet  ;  ôc  quoique  d'Altemps  eût  fouvent  juré  qu'il 
ne  confentiroit  jamais  à  l'exaltation  d'un  Moine  au  fouverain 
Pontificat  j  néanmoins  pour  faire  voir  le  crédit  &  le  pouvoir 
qu'il  avoit  dans  le  Conclave,  par  rapport  à  l'éledion  d'un  Pa- 
pe ,  il  jetta  les  yeux  (  ne  pouvant  faire  autrement)  fur  le  cardi- 
nal Alexandrin  Dominicain ,  qui  fut  aufîi-tôt  élu  par  les  fufFra- 
ges du  plus  grand  nombre  dés  Cardinaux  ,  le  fept  de  Janvier  ; 
deux  heures  avant  la  nuit.  Pour  faire  plaifir  aux  Cardinaux  Bor- 
romée ôc  d'Altemps  ,  le  nouveau  Pape,  fuivant  leconfeildu 
cardinal  Colonne ,  voulut  être  appelle  Pie  V.  ôc  pour  leur  mar- 
quer fa  reconnoiffance ,  il  fit  donner  à  Annibal  d'Altemps , 
cjui  avoit  époufé  la  fœur  du  cardinal  Borromée  joooo  écus  d'or, 
à  titie  de  dot,  ôc  loooo  à  Frédéric  Serbellon  leur  parent,  à 
titre  de  gratification  ,  pour  le  recompenfer  des  belles  actions 
qu'il  avoit  faites ,  ôc  des  grands  fervices  qu'il  avoit  rendus  dans . 
fon  gouvernement  d'Avignon. 
Saviejuf-        Pie  V.  étoit  de  Bofchi,  petite  ville  dans  le  territoire  d'Aîe- 
qu'au  Pontih-  ^andrie  de  la  Paille  ,  d'une  famille  très  peu  confiderable  ,  qui 
portoit  le  nom  de  Ghifleri.    Cependant  quelques  écrivains^ 
^  I  Voyez  la  fin  du  Livre  XX.  Tome  III. 

vils 


1^66. 


DE  J.   A.  DE  THOU  Ltv,  XXXÎX.      i2>^ 

Vils  adulateurs ,  l'ont  fait  venir  de  Boulogne ,  ôc  ont  prétendu 

qu'à  caufe  de  quelques  fa6lions  elle  en  avoit  été  chaflée  par  /-^„  ,  ^  t  c 

une  porte  ^  qui  rut  toujours  rerinee  depuis^  &  qui  rut  ouverte        ^  y 

fous  le  Pontificat  de  Pie  V  ôc  appellée  de  fon  nom  Fona-Fia, 

La  flaterie  a  encore  trouvé  moyen  d'iiliiftrer  la  maifon  de  ce 

Pape  ,  en  publiant  fauflement  que  les  Configlieri ,  qui  font  une 

des  bonnes  maifons  de  Rome,  avoient  changé  de  nom  à  caufe 

de  quelques  factions ,  &  qu'ils  s'appelloient  auparavant  Ghifle- 

ri.  Ce  qu'il  y  a  de  fingulier ,  efr  que  ie  pape  Pie  V ,  pour  rea- 

lifer  cette  chimère ,  ordonna  que  cette  maifon  ne  s'appelleroit 

plus  déformais  Configlieri ,  mais  Ghiileri. 

Michel  Ghifleri,  âgé  de  quatorze  ans ,  quitta  fa  famille ,  où 
il  y  avoit  très  peu  de  biens ,  ôc  entra  dans  l'Ordre  de  S.  Do- 
minique. Il  s'y  acquit  une  fi  grande  réputation  de  fagefle  ôc 
d'aufterité ,  que  quand  il  fut  en  âge  ,  on  le  fit  palTer  parles  prin- 
cipales charges  de  l'Ordre  :  enfin  il  fut  fait  Inquifiteur  à  Côme; 
dans  l'Etat  de  Milan ,  où  à  caufe  de  la  haine  qu'on  y  avoit  pour 
le  Tribunal  de  l'Inquifition ,  il  eut  de  grands  démêlez  avec  les 
Chanoines  de  cette  Eghfe ,  foûtenus  par  Ferdinand  de  Gon- 
zague  gouverneur  du  Milanez.  De  là  fa  réputation  s'étant 
étendue  plus  loin ,  il  fut  envoyé  à  Bergame  dans  l'Etat  de  Ve- 
nife ,  où  il  fit  informer  contre  George  Aledolaco ,  à  qui  il  avoit 
fiTCcedé  dans  la  charge  d'Inquifiteur.  Pour  mettre  le  comble  à 
l'audace  ,  ôc  à  la  roideur  avec  laquelle  il  exerçoit  fon  emploi , 
il  ofa  faire  citer  à  fon  tribunal  Vi6lor  Soranzo  évêque  de  Ber- 
game. Mais  Nicolas  de  Ponte  gouverneur  de  la  ville  ,  qui  fut 
depuis  élu  Duc  ou  Doge  de  Venife  ,  arrêta  au  nom  du  Sénat 
le  cours  d'une  procédure  fi  violente  ^  en  ordonnant  au  Moi- 
ne infolent  ôc  étourdi  ,  de  fortir  promtement  de  la  ville. 
Ghiileri  regarda  cet  ordre  du  Gouverneur  comme  un  affront, 
dont  il  conferva  le  fouvenir  étant  Pape.  Car  la  République 
de  Venife  lui  ayant  alors  envoyé  ,  félon  la  coutume  ,  une  am- 
baffade  folemnelle  ,  pour  le  complimenter  fur  fon  élévation 
au  Pontificat  ,  ôc  ayant  mis  à  la  tête  de  l'ambalfade  Nicolas 
de  Ponte  ,  comme  le  plus  diflingué  par  fon  habileté  ôc  fon 
expérience  y  le  S.  Père  ne  voulut  jamais  l'admettre  à  fon  au- 
dience ;  parce,  difoit-il,  qu'il  avoit  coutume  de  parler  peu  digne- 
ment ôc  avec  peu  de  refpecl  du  S.  Siège.  Comme  ils  étoient  qua- 
rte ambafiadeurs ,  les  trois  autres  s'acquittèrent  de  l'ambaffade. 
Tome  V»  R 


130  HISTOIRE 

La  réputation  de  feverité  ôc  de  fermeté ,  que  Ghifleri  ac- 

C  H  \  R  L  E  ^^^^  P*^^  ^^^  ^^^^^  ^  P^^  plufieurs  autres ,  le  mit  en  fi  grande  con- 
j  -^^       fidération  auprès  de  Paul  IV  qu'il  le  fit  Cardinal  en  15^7.  Avant 
Te  K  6  6     ^^'^^  fiit  parvenu  à  cette  dignité ,  la  charge  de  grand  Inquifiteur 
avoit  été  partagée  entre  lui  6c  trois  autres  Cardinaux  ;  parce 
que  les  perfonnes  les  plus  fenfées  trouvoient  du  danger  à  con- 
fier à  un  feul  homme  un  pouvoir  fi  étendu  :  Paul  IV  nomma 
le  nouveau  Cardinal  feul  grand  Inquifiteur,  avec  un  pouvoir 
abfolu.  Pour  juftifier  cette  conduite  :,  le  Pontife  dit  que  le  nom- 
bre des  Inquifiteurs  aftbibliflbit  une  puifTance  qui  devoit  être 
infurmontable  ,  ôc  être  exercée  irrémifiTiblement  fur  toute  forte 
de  perfonnes  ;  ôc  qu'il  avoit  appris  par  fa  propre  expérience 
^     que  les  uns  ruinoient  fouvent ,  fous  prétexte  de  douceur  ôc  d'hu- 
manité ,  ce  que  les  autres  avoient  fagement  ôc  févérement  or- 
donné. 

Ghifleri  ,  devenu  Cardinal ,  continua  d'exercer  la  charge 
d'Inquifiteur  ,  avec  autant  de  rigueur  ôc  de  févérité ,  qu'il  avoit 
fait  étant  Moine.  Par  là ,  s'il  fe  rendit  odieux  à  bien  du  monde , 
il  n'en  fut  que  plus  agréable  à  un  Pontife ,  qui  pendant  toute  fa 
vie  favorifa  trop  ce  Tribunal.  Mais  comme  Ghifleri  voulut 
ufer  de  la  même  rigueur  fous  Pie  IV ,  il  lui  déplut  en  plufieurs 
affaires  :  ce  Pape  jugeoit  qu'il  étoit  utile ,  ôc  même  necefiaire,  de 
donner  un  frein  à  cette  puifiance  odieufe  ôc  excefiive  5  il  vou- 
loit  gagner  par  là  Fafîeâion  du  peuple  Romain  ôc  de  tout  le 
Clergé  ,  qui  avoient  été  perfécutez  ôc  très  maltraitez  par  l'In- 
quifition ,  fous  le  Pontificat  de  fon  prédécefleur.  Comme  le 
cardinal  Ghifleri  lui  parloir  quelquefois  avec  une  liberté  info- 
lente  dans  le  confiftoire  ,  Pie  IV  fut  plufieurs  fois  fur  le  point 
de  le  faire  arrêter  ôc  conduire  au  château  S.  Ange.  Enfin  lorf- 
que  Ghifleri  fut  élu  Pape ,  il  exerça  lui-même  ,  ôc  fit  exercer 
cette  jurifdiêtion  avec  tant  de  rigueur  Ôc  de  violence,  que  plu- 
fieurs efiuyerent  des  vexations  ôc  des  perfécutions  horribles. 
Aufii  le  peuple  ayant  appris  fon  éleêlion,  frémit  de  colère  Ôc 
d'indignation.  Il  avoit  la  mémoire  toute  récente  du  Pontifi- 
cat de  Paul  IV,  qui  avoit  élevé  Ghifleri  aux  honneurs  ôc  aux 
dignitez  ;  ôc  il  craignoit  que  Pie  V  ne  fit  revivre  en  fa  per- 
fonne  le  Pontife  ,  dont  il  étoit  la  créature.  Leur  crainte  ne  fut 
pas  vaine. 

Mais  fi  le  nouveau  Pape  n'oublioit  pas  les  injures^  il  fe 


DE  J.  A.  DE  THOU;  Liv.  XXXIX;      t^i 

fouvenoit  auflfî  des  fervices  qu'on  lui  avoit  rendus  ;  &  il  n'am-  » 

bitionnoit  rien  tant  que  la  réputation  d'être  extrêmement  re-  Char  LE 
connoiffant.  Ainfi  fon  premier  foin  fut  de  faire  revoir  le  pro-  j  ^ 
ces  du  cardinal  Charle  Carafî'e ,  ôc  du  duc  de  Paliiano  fon  fre-  i  <r  5  ^, 
re,  pour  examiner  s'ils  avoient  été  bien  ou  mal  jugez  :plufieurs 
des  Juges  qui  avoient  prononcé  la  condamnation  j  retraderent, 
pour  faire  leur  cour  au  nouveau  Pape,  le  fuffrage  qu'ils  avoient 
donné,  pour  plaire  à  l'ancien ,  ôc  opinèrent  que  le  jugement 
avoit  été  mal  rendu.  Suivant  cette  décifion,  les  Carafes  furent 
rétablis  dans  leur  bonne  renommée  ,  dans  leurs  titres ,  hon- 
neurs, dignitez  &  biens.  Paul  IV  ayant  donné  à  Antoine  Ca- 
raffe ,  ci-devant  marquis  de  Montebello ,  d'anciens  domaines 
appartenans  au  comte  de  Bagno  ,  ce  Comte  profita  de  l'inter- 
règne, pour  s'en  remettre  en  polTelfion.  Pie  IV  lui  fit  pour  ce- 
la un  long  ôc  fâcheux  procès  ;  ôc  après  l'avoir  long-tems  pour- 
fuivi  ,  il  le  fit  citer  à  Rome.  Le  Comte  s'étant  préfenté  ,  fut 
mis  en  prifon ,  ôc  il  profita  encore  du  fécond  interrègne  pourfe 
fauver.  Mais  craignant  que  Pie  V  ne  le  fit  condamner  com- 
me contumace  ,  ôc  ne  jugeât  en  faveur  d'Antoine  Caraife  la 
reftitution  des  biens  qui  étoient  en  litige ,  il  aima  mieux  traiter 
avec  ce  dernier  par  l'entremife  du  cardinal  Colonne  ,  ôc  fe  dé- 
livrer pour  loooo  écus  de  toute  inquiétude. 

Pie  V.  donna  dès  le  commencement  de  fon  Pontificat  de     Caïa^cre 
grands  exemples  de  févérité,  principalement  en  ce  qui  con-  deWev. Pre- 
cernoit  la  Religion  ,  faifant  chercher  dans  toute  l'Italie  avec  defonPonti- 
beaucoup  de  foin  ,  ôc  amener  à  Rome  tous  ceux  qui  étoient  ^"t- 
foupçonnez  du  crime  d  hérefie.   Il  obtint  pour  ce  fujet  du  Sé- 
nat de  Venife,  qu'il  lui  livrât  Juîe  Zannetti,  qui  demeuroit  à 
Padoùe  j  ôc  l'ayant  fait  condamner  à  Rome,  il  y  fut  impitoya- 
blement brûlé.  Dans  le  même  tems  il  envoya  le  Maître  du  fa- 
cré  Palais  à  Florence  ,  pour  demander  qu'on  lui  livrât  Pierre 
Carnefecchi  ,  favori  des  Medicis ,  ôc  qui  avoit  été  long-tems 
dans  une  haute  confidcration  auprès  de  Marguerite  ,  époufe 
du  duc  de  Savoye.  Lorfque  le  Maître  du  facré  Palais  préfen- 
ta  à  Côme  la  lettre  de  Pie  ,  Carnefecchi  étoit  aflTis  à  fa  table. 
Le  Duc  qui  vouloit,  à  quelque  prix  que  ce  fût,  plaire  au  nou- 
veau Pape,  ne  fit  aucune  difficulté  de  livrer  aufii-tôt  fon  favori, 
fans  fe  foucier  du  danger  auquel  il  l'expofoit.  Carnefecchi  fut 
mené  à  Rome  ,  où  il  fe  vit  accufé  par  Achille  Statio  Portugais , 

Ri; 


152  HISTOIRE 

_         qui  avoît  été  fon  fécretairc  ,  homme  qui  ne  manquoît  pas  de 

C  H  A  R  L  E  ^^^voir  ^  mais  perfide  Ôc  méchant.  Ayant  été  convaincu  d'avoir 

j  -^         des  liaifons  d'amitié  avec  des  Se£laires  en  Allemagne ,  ôc  en 

j  -  ^  ^      Italie  avec  Vidoire  Colonne  ,  veuve  du  marquis  de  Pefcaire> 

*ll  a  public  ^  avec  Julie  de  Gonzague,  femme  d'une  très  grande  diftinc- 

ungrandnom-  tion ,  mais  fufpe£le  d'héréfie,il  fut  condamné  au  feu.  Aonius 

ees.   °"^""    Palearius ,  dont  les  écrits  font  voir  la  grande  érudition ,  eut  le 

même  fort ,  pour  avoir  dit  que  flnquifition  étoit  un  poignard 

levé  fur  tous  les  gens  de  lettres. 

Ce  Pape  fit  aufii  des  ordonnances  très  rigoureufes  contre 
les  filles  débauchées  ^  dont  on  faifoit  depuis  long-tems  à  Ro- 
me un  trafic  honteux  ôc  public.  Il  ordonna, ou  qu'elles  forti- 
roient  de  la  ville ,  ou  qu'elles  fe  marieroient  au  plutôt,  ou  qu'el- 
les feroient  fuftigées  publiquement.  Et  comme  on  lui  repré- 
fenta  qu'en  ôtant  ces  fortes  de  femmes  d'une  ville,  où  il  y  avoir 
tant  de  gens  qui  n'étoient  point  mariés  ,  on  devoir  craindre 
un  plus  grand  mal,  par  raport  au  vice  que  S.  Paul  a  voit  au- 
fois  reproché  aux  Romains ,  il  jugea  à  propos  de  les  tolérer  > 
à  condition  toutefois  qu'elles  feroient  enfermées  dans  de  cer- 
tains lieux  ,  ôc  qu'elles  ne  pourroient  aller  librement  dans  les 
rues  de  Rome  ,  ni  la  nuit  ni  le  jour,  comme  elles  faifoient  au- 
paravant. Il  s'imagina  que  la  honte  obligeroit  ces  femmes  à 
renoncer  à  leur  première  vie,  ôc  que  les  hommes  craignant  l'in- 
famie ,  n'auroient  pas  le  front  d'aller  les  chercher  en  ces  lieux-là. 
Il  ordonna  aufil  que  celles  qui  mourroient  dans  un  commerce 
il  infâme  ,  feroient  jettées  à  la  voyrie. 

Le  Sénat  de  Rome ,  à  l'inftigation  du  Clergé  qui  n'ofoit  par- 
ler ,  s'oppofa  d'abord  à  cette  ordonnance ,  ôc  repréfenta  que  par 
ce  Décret  les  loyers  des  maifons  diminueroient ,  ôc  feroient  en- 
fin réduits  à  rien  5  qu'on  ôtoit  l'ancienne  liberté  ;  qu'il  falloir 
craindre  le  danger  dont  j'ai  déjà  parlé;  qu'enfin  la  pudiciré  des 
honnêtes  femmes  ne  fe  pouvoir  conferver  au  milieu  de  tant  de 
gens  qui  n'étoient  point  mariés  ,  qu'en  rétablifi^ant  la  liberté 
dont  on  avoit  toujours  jciii  jufqu'alors.  Le  Pontife  demeura  in- 
flexible dans  fa  première  refolution  3  Ôc  le  Sénat  lui  faifant  de 
nouvelles  inftances ,  il  menaça  avec  un  vifage  fur  lequel  la  co- 
lère étoit  peinte  ,  que  Ci  on  ne  vouloir  pas  recevoir  la  réforme 
qu'il  vouloir  mettre,  il  fortircit  de  Rome,  ôctransfereroit  ailleurs 
le  S.  Siège.  Il  fit  encore  dans  le  gouvernement  civil  plufieurs 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  iV.  XXXK,     'f^? 

autres  reglemens  avec  plus  de  févérité  ôc  de  roideur ,  que  de  * 

prudence  ôc  de  bon  fèns ,  ôc  il  jetta  par  là  plus  de  terreur  dans  Ch  a R L E 
les  efprits ,  qu'il  n'infpira  d'amour^  de  refpecl  ôc  de  foûmiflîon      j^^ 
pour  les  loix.  i  <;  6  6, 

Un  grand  nombre  d'hommes  ôc  de  femmes  étant  alors  for- 
tis  de  Rome  ,  ôc  cette  ville  étant  devenue  comme  une  folitu- 
de  ,  on  paria  fort  diverfement  du  Pontife.  Les  uns  loûoient 
fon  grand  zele^  qui  le  portoit  à  venger  la  Religion  del'infulte 
de  l'héréfie ,  Ôc  à  réformer  les  mœurs  corrompues  du  fiécle. 
Les  autres  le  blâmoient  de  n'avoir  pas  aiïez  de  modération  ôc 
de  prudence.  Les  fages  ôc  les  honnêtes  gens  penfoient,  que  fi  la 
Papauté  n'étoit  qu'une  charge  paftorale ,  Pie  V  avoir  prefque 
tout  ce  qu'on  pouvoit  fouhaiter  dans  un  bon  Pafteur  ;  mais  que 
ia  Souveraine  Puifiance  fe  trouvant  réunie  avec  le  Pontificat, 
ce  Pape  manquoit  de  plufieurs  des  qualitez  qui  conviennent  à 
un  Prince ,  qui  font  necefiaires  pour  le  gouvernement,  Ôc  qui  ne 
s'acquièrent  que  par  une  longue  expérience ,  ôc  par  l'ufage  du 
monde  :  que  Ghifieri  élevé  dans  l'obfcurité  d'un  cloître ,  ôc 
dans  la  compagnie  des  Moines,  n'avoir  pu  acquérir  ces  qua- 
litez 5  parce  que  la  vie  monacale  ne  refiembloit  pas  à  celle  de 
ia  Cour,  ôc  qu'il  y  avoit  bien  de  la  différence  entre  régner  fur 
des  fujets ,  ôc  commander  à  des  Moines. 

Ses  amis,  qu'il  avoit  priés  de  lui  dire  ce  qu'on  penfoit  à  foiî 
fujet  i  l'ayant  informé  des  difcours  qu'on  tenoit  ;  on  dit  que 
toute  fa  réponfe  fut ,  que  le  peuple  feroit  plus  affligé  de  fa 
mort,  qu'il  ne  s'étoit  réjoui  de  fon  avènement  au  Pontificat, 
Quoi  qu'il  fçût  que  les  vertus  qu'on  loue  preferablcment  à  tou- 
tes les  autres  dans  un  Souverain  ,  font  la  juftice ,  la  grandeur 
d'ame ,  la  clémence ,  la  libéralité  ôc  la  prudence  ,  il  fembloit 
qu'il  n'en  connoiflbit  point  d'autre  que  la  juftice  h  ôc  il  l'obfer- 
yoit  fouvent  avec  une  exactitude  fi  fcrupuleufe ,  qu'il  faifoit  bien 
des  fautes ,  ôc  qu'il  caufoit  beaucoup  de  mal.  II  avoit  une  Ci 
grande  averfion  pour  la  clémence,  que  faifant  un  jour  l'éloge 
de  cette  vertu  aimable  ^  uniquement  pour  cacher  fon  humeur 
dure  ôc  inflexible ,  il  termina  enfin  fon  difcours ,  en  difant  que  la 
clémence  confiftoit  à  faire  punir  très  févérement  les  coupables. 
Il  faifoit  paroître  peu  de  generofité  ôc  de  grandeur  d'ame  dans 
i'adminiftration  civile  ,  ôc  dans  les  adions  privées.  D'un  autre 
côté  il  donnoit  tant  à  la  dignité ,  ôc  à  la  puiffancc  Pontificale , 

R  ijj 


154  HISTOIRE 

■  I  qu'il  tomboît  fouvent  dans  des  excès  blâmables ,  faute  de  pm-< 

Ch  A.RI  E  ^^'^'^^  >  ^  ^^  cette  expérience,  qui  ne  s'acquiert  que  par  le 

I  X        gi'and  ufage  des  affaires  5  c'eft  ce  qui  parut  vifiblemcnt  dans 

t  f  <\(      les  ordres  ôc  les  inftrudions  qu'il  donna  au  cardinal  Jean-Fran- 
1500..  T  , 

(jois  Commendon  ,  pour  traiter  avec  1  limpereur. 

Il  étoit  plus  defmterefle  que  libéral ,  plus  charitable  que  gc- 
néreux.  Il  commença  fon  Pontificat  par  donner  une  fomme 
confidérable  pour  le  foulagement  des  pauvres ,  ôc  pour  diver- 
fes  nécefîitez.  Afin  de  fecourir  l'Empereur  dans  la  trifte  fituation 
de  fes  affaires ,  il  lui  offrit  5oooo  écus ,  ôc  lui  en  promit  5" 0000 
chaque  année,  tant  que  la  guerre  dureroit.  Voyant  l'Ordre  de 
Malte  réduit  à  un  extrême  befoin, par  le  fiége  également  rui- 
neux ôc  meurtrier  ,  qu'il  avoit  foûtenu  l'année  précédente  > 
il  eut  un  grand  foin  de  l'affifter  :  le  Grand-Maître  de  la  Va- 
lette ayant  jugé  à  propos  de  bâtir  une  ville  dans  cette  langue 
de  terre,  où  étoit  le  Fort  S.  Elme ,  que  les  Turcs  avoient  pris; 
il  lui  fit  compter  1 5*000  écus  par  mois,  jufqu'à  ce  que  les  forti- 
fications de  cette  place  fuffent  achevées,  ôc  en  état  de  défenfe. 
Cette  ville,  par  un  Décret  folemnel  du  Chapitre  de  l'Ordre,  fut 
appellée  la  cité  ou  la  ville  de  la  Valette  ,  du  nom  du  Grand- 
Maître  qui  l'avoit  fait  bâtir ,  &  en  reconnoiffance  des  grands 
fervices  qu'il  avoit  rendus  à  tout  l'Ordre. 
Les  Turcs  Pie  V  plein  de  zèle  ôc  de  foUicitude  pour  le  bien  de  la 
prennentSao.  Chrétienté ,  eut  dans  la  première  année  de  fon  Pontificat  bien 
des  fujets  de  chagrin  :  ce  qui  lui  caufa  le  plus  de  douleur,  fut 
la  prife  de  Scio  par  les  Turcs.  Scio  eft  une  ifle  de  l'archipel, 
entre  celle  de  Metelin  '  ôc  de  Samos ,  qui  a  cent  vingt-cinq 
milles  de  circuit.  Autrefois  elle  étoit  libre  :  depuis  elle  jfut  fous 
la  domination  des  Génois  ,  à  qui  Andronic  Paleologue,  em- 
pereur de  Conftantinople  l'avoit  donnée  fan  13  4*^  en  recon- 
noiffance des  fecours  qu'ils  lui  avoient  fournis ,  pour  recouvrer 
les  Etats  dont  on  l'avoit  dépouillé.  Hubert  Foglietta  a  cepen- 
dant écrit  que  les  Génois  prétendoient  avoir  acquis  cette  lile, 
non  par  donation ,  mais  par  droit  de  conquête ,  l'ayant  prife 
par  force  fous  le  commandement  de  Simon  Vignofo. 

Dans  la  fuite,  lorfque  Mahomet  empereur  des  Turcs  eutaf- 
fujeti  tous  les  Etats  des  Defpotcs  de  la  Morée  3  Trebifonde  ; 
Sinabc ,  ôc  toutes  les  autres  villes  que  les  Chrétiens  avoient 
X  Metelin  appelle'e  par  les  anciens  Mitylene, 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U>  L  I  V.  XXXIX.      15^ 

dans  le  Pont,  maintenant  Burfie  ;  il  ramena  fon  armée  navale 
fur  les  côtes  de  la  Grèce  ,  ôc  il  alTiégea  la  ville  de  Metelin  ,  Char  le 
qui  a  donné  fon  nom  à  Flfle.  Comme  ceux  de  Scio  ,  où  les  j  ^ 
Juftiniani  commandoient  alors ,  virent  que  le  péril  de  leurs  voi-  i  r-  (5  (j. 
fins  les  regardoit,  ils  lui  offrirent  de  leur  propre  mouvement 
un  tribut  ,  pour  n'être  pas  tout-à-fait  réduits  à  la  fervitude. 
Ainfi  l'on  payoit  tous  les  ans  1 0000  ducats  au  Grand  Seigneur, 
ôc  on  en  diftribuoit  2000  aux  Bâchas ,  gens  avares  ,  avides,  ôc 
accoutumez  à  s'enrichir  de  rapines  :  c'efi:  à  ce  prix  que  l'ifle 
de  Scio  rachetoit  fa  liberté.  Mais  après  la  malheureuie  expé- 
dition de  Malte ,  Piali ,  pour  qu'on  put  dire  qu'il  avoir  fait  quel- 
que chofe,  entreprit  de  fe  rendre  maître  de  Scio.  Il  prit  pour 
prétexte  en  premier  lieu  ,  que  les  habitans  de  cette  Ifle  ayant 
pénétré  le  deffein  des  Turcs ,  (  ce  qui  leur  étoit  facile  à  cau- 
îe  du  voifinage  ôc  de  la  liberté  du  commerce  )  ils  avoicnt 
averti  les  Maltois  de  ce  que  les  Turcs  méditoient  contr'eux 
l'année  précédente  :  en  fécond  lieu ,  qu'ils  n'avoient  point  payé 
depuis  deux  ans  le  tribut  à  Soliman  ;  ce  qui  étoit  arrivé  par 
l'avarice  de  l'Agent  ,  qui  étoit  chargé  de  leurs  affaires  à  la 
Porte }  ôc  qui  s'étoit  même  fervi  de  l'argent  deftiné  au  Grand 
Vizir  ôc  aux  Bâchas  :  ôc  en  troifiéme  lieu ,  qu'ils  recevoient  tous 
les  jours  les  efclaves  fugitifs  de  Conftantinople ,  ôc  qu'ils  les  ren- 
voyoient  chez  eux.  On  ajoûtoit  à  tous  ces  griefs^  qu'un  efcla- 
ve  de  confideration  ,  appartenant  à  Mcchmet ,  s'étoit  retiré  à 
Scio  3  ôc  que  Mechmet  demandoit,  ou  qu'on  le  lui  rendît,  ou 
qu'on  lui  en  payât  la  rançon.  Le  Sénat  de  Scio  ayant  appris 
ce  dernier  fait  par  fon  Agent,  ôc  fçachant  de  quelle  conféquen- 
ce  il  étoit  de  ne  pas  avoir  pour  ennemi  un  des  premiers  Mi- 
niftres  de  la  Porte  ,  envoya  auffi-tôt  le  prix  qu'on  demandoit 
pour  cet  efclave  :  ôc  cet  Agent  toujours  animé  du  même  efprit 
de  cupidité  ôc  d'avarice  ,  l'avoir  converti  encore  à  fon  ufage. 
Mechmet  irrité  contre  les  habitans  de  Scio  ,  à  cauf'^  de  l'in- 
jure particulière  qu'il  préténdoit  en  avoir  reçue  ,  adreffa  les  or- 
dres de  Soliman  à  Piali.  Ce  Général  aborda  dans  les  fêtes  de 
Pâques,  avec  quatre-vingt  galères,  à  un  village  nommé Paffa- 
pio  ,  fur  le  bord  de  la  Natolie ,  vis-à-vis  l'ifle  de  Scio.  Des 
Tannée  précédente  ^  on  avoir  eu  quelque  foupçon  de  la  mauvaife 
volonté  des  Turcs,  fondé  fur  ce  qu'au  retour  de  Malte  leur  flotte 
n'avoir  point  abordé  dans  l'ifle  fclon  la  coutume.  L'arrivée 


i3(^  HISTOIRE 

.  des  galères  ,  dans  un  tems  où  on  ne  les  attendoit  pas^,  augmerf- 

Ch  ARLE  ^^^^  crainte.  Le  Sénat  en  étant  averti ,  envoya  au  Bâcha  deux 
T  Y  Sénateurs  ,  pour  lui  offrir  leur  Port,  ôc  toutes  les  chofes  dont 
I  c  66  ^^  pourroit  avoir  befoin.  Ils  s'acquittèrent  de  leur  commif- 
fion  de  bonne  grâce  ,  ôc  firent  au  Bâcha  les  offres  les  plus 
obligeantes.  Le  Bâcha  rufé  les  reçût  très-poliment  ,  &  s  ex- 
cufa  de  n'être  pas  abordé  dans  leur  îfle  ,  le  jour  même  de  fon 
arrivée,  fur  la  folemnité  de  Pâques,  qui  tomboit  cette  année 
au  14  d'Avril,  ôc  dans  laquelle  il  n'avoit  pas  voulu,  difoit-il , 
troubler  les  cérémonies  de  leur  Religion.  Le  lendemain  de 
grand  matin ,  il  fit  appareiller  toute  fa  flotte,  ôclui  ordonna  de 
prendre  terre  à  Fifle  de  Scio  ,  en  trois  endroits  differens ,  parcQ 
qu'un  feul  ne  fuiiifoit  pas  pour  recevoir  tant  de  vaiffeaux.  Le 
Bâcha  à  fon  arrivée  dans  Tlfle  ,  fe  promena  pendant  quelque 
tems  dans  des  jardins?  puis  étant  monté  à  cheval ,  il  alla  fur  une 
colline ,  d'oii  il  pouvoit  confiderer  le  château.  Ayant  vu  que 
tout  y  étoit  tranquille ,  il  revint  fur  fa  Capitane,  ôc  envoya  dire  au 
gouverneur  ou  premier  Magiftrat  de  la  ville  ^  ôc  aux  douze  qui 
en  compofoient  le  Confeil,  de  venir  le  trouver,  parce  qu'il  avoit 
des  chofes  de  grande  conféqucnce  à  leur  communiquer  de  la 
part  de  Soliman ,  avant  que  de  mener  fon  armée  dans  laPoùille. 
Le  Sénat  n'ignoroit  pas  le  danger  dont  l'Ifle  étoit  menacée  : 
cependant  après  avoir  bien  délibéré ,  ils  furent  d'avis  qu'on  al- 
lât trouver  Piali ,  de  peur  que  s'ils  refufoient ,  il  ne  fît  par  force 
ce  qu'il  avoit  projeté  d'exécuter  par  adreffe  ,  ôc  qu'il  n'en  prît 
occafion  de  mettre  toute  l'Ifle  à  feu  ôc  à  fang.  Le  Gouverneur 
ou  Préfident ,  ôc  les  douze  qui  l'accompagnoient  j  furent  d'a- 
bord reçus  dans  la  galère  du  Général,  en  apparence  avec  huma- 
nité ôc  douceur.  Mais  à  peine  y  furent-ils  entrez  ,  qu'on  les 
chargea  de  fers.  En  même  tems  ,  on  mit  à  terre  les  Janiffaires  ; 
qui  fe  rendirent  maîtres,  fans  combat,  du  Palais  de  la  ville,  où 
s'affembloit  le  Sénat ,  ôc  du  château.  Ils  en  ôterent  l'étendart 
fur  lequel  étoit  l'image  de  S.  George,  avec  une  croix  rouge , 
Ôc  ils  y  arborèrent  l'étendart  des  Turcs.  Comme  on  ne  faifoit 
aucune  refiftance ,  ils  fe  rendirent  maîtres  du  refte  de  l'Ifle,  fans 
aucun  carnage.  Les  Infidèles  ne  pillèrent  dans  la  ville ,  que  la 


I  Cette  ville  qui  porte  le  nom  de  Scio, 
eft  le  licge  d'un  Evêque  du  Rit  Latin  , 
fufFragant  de  l'archevêque  Latin  de  Na- 
|ci ,  autre  iile  de  l'Archipel,  L'ille  de 


Scio  eft  fort  grande  ;  les  Chrétiens  y 
jouifTent  aujourd'hui  d'une  grande  li- 
berté ,  fous  la  domination  des  Turcs ,  8ç 
y  font  fort  hçureiix, 

principalg 


DE    T.  A.  DE   THOU  ,  Liv.    XXXIX.     137 

principale  Eglife  confacrée  à  Dieu  fous  le  nom  de  S.  Pierre.  .„,,.^,^ » 

Un  Turc  touchant  avec  fes  mains  profanes  le  ciboire ,  où  lafain-  r  rr  ^^  ^  7  E 
te  hoftie  étoit  enfermée ,  demanda  à  l'Evêque  du  lieu ,  fi  c'ctoit       j  ^-^ 
là  fon  Dieu ,  Ci  c'étoient  là  les  niyfteres  de  fa  foi  :  l'Evêque  ayant        ^  ^'^ 
répondu  qu'oui ,  le  Turc  par  mépris  jetta  le  ciboire  par  terre.        ^  ^ 
Alors  le  Prélat ,  pénétré  de  la  plus  vive  douleur ,  fe  jetta  à  ge- 
noux pour  le  ramaffer  5  6c  dit  au  Turc  :  tuez-moi ,  je  vous  prie, 
avant  que  je  voie  fouler  aux  pies  ces  faints  myfteres.  Le  Turc , 
touché  de  l'ardente  pieté  de  l'Evêque,  s'abftint  de  la  profanation 
facrilége  ,  qu'il  étoit  prêt  de  commettre. 

On  rafa  toutes  les  Eglifes  des  Chrétiens ,  excepté  celle  de 
S.  Dominique,  dont  les  Turcs  firent  une  mofquée  ;  on  ôta  aux 
Infulaires  toute  forte  de  jurifdidion  ,  ôc  on  y  établit  un  Cadi , 
ou  magiftrat  Turc,  pour  rendre  la  juftice'.  Après  cela  les  fa- 
milles du  Préfident ,  des  douze  Confeillers ,  avec  plufieurs  au- 
tres des  plus  confidérables ,  furent  envoyées  à  Conftantinople 
fur  cinq  vaiiïeaux ,  ôc  de  là  tranfportées  en  différentes  Provin- 
ces. Cependant  quelques  années  après,  à  la  recommendation 
du  Roi  de  France ,  ces  malheureux  Infulaires  furent  rétablis 
dans  leur  payis.  On  leur  accorda  même  quelqu'ombre  de  leur 
ancien  gouvernement ,  avec  une  efpece  de  jurifdidion ,  enre- 
fervant  toujours  l'appel  au  Juge  fouverain  établi  par  le  Grand- 
Seigneur  :  ce  que  Soliman  accorda  d'autant  plus  aifément , 
qu'il  appréhendoit  que  les  Chrétiens  de  Scio  n'abandonnaffent 
i'Ifle,  ôc  qu'étant  ainfi  déferte,  elle  ne  devînt  abfolument  inu- 
tile aux  Turcs. 


De  Scio  Piali  fit  voguer  fa  flotte  vers  Otrante ,  ôc  côtoyant    Defcentesdc 
la  Province  de  ce  nom,  il  fit  plufieurs  defcentes,  dont  tout  le  l-^f'^^J^cTi,,- 

c     •      r         ^  11-  I»  1  ouelurlcsco- 

iruit  rut  de  remporter  un  grand  butm ,  ôc  d  emmener  beau-  tes  d'Italie. 


coup  de  captifs  j  car  Philippe  avoir  envoyé  des  troupes  dans  la 

terre  d'Otrante  ,  dans  l'Abruzze  ,  dans  la  Calabre  Ôc  dans  la  i 

Fouille,  pour  défendre  l'une  ôc  l'autre  côte  de  la  mer  ,  ôc  on  1 

avoir  mis  de  bonnes  garnifons  dans  les  places  fortes.  Le  Pa-  j 

pe  en  avoit  fait  autant  pour  l'état  Eccléfiaftique  :  il  avoit  mis  \ 

des  troupes  dans  la  Marche  d'Ancone,ôc  avoit  équippé  une  ; 

flotte  à  Civita-Vecchia.  l 
L'Empereur  qui  avoit  envoyé  l'année  précédente  Hozzuthothi 

1  Peut-être  fut  ce  un  Molla,  c  eil-à-dire,  un  Juge  de  Province ,  au  lieu  que  le 
Cadi  n'eil  qu'un  Juge  de  ville.  ; 

Tome  F.  s  \ 


133  HISTOIRE 

■  à  Conflantînople  ,  ne  defefperoit  pas  d'obtenir  une  trêve.  Ce- 
Char  LE  P^^^^^^^^^f  ayant  appris ,  &  par  plulieurs  conjedlures  3  Ôc  par  Pa- 
j  ^  veu  des  prifonniers ,  que  les  Turcs  fe  préparoient  à  faire  la  guerre 
I  f  6  (5  ^^  Hongrie  ,  ôc  qu'ils  avoient  formé  le  deflein  d'attaquer  Giula 
&  Zigeth ,  il  fit  de  fon  côté  des  préparatifs.  Il  commença  par 
fortifier  Javarin ,  qu'il  munit  de  troupes  ôc  de  vivres.  Comme 
cette  place  lui  parut  la  plus  commode  ,  il  voulut  que  toute  l'ar- 
mée s'y  affemblât  î  &  il  publia  un  Edit  pour  défendre  à  tous 
ceux  du  payis,  qui  eft  le  long  du  Danube,  de  vendre  des  vins 
6c  des  grains  aux  étrangers ,  ôc  de  louffrir  qu'on  les  tranfportât 
hors  des  terres  de  fon  obéïffance  i  il  prit  même  des  mefures  , 
pour  empêcher  qu'on  n'enlevât  ce  qui  avoir  été  vendu  ,  mais 
qui  n'avoir  pas  été  livré.  Il  envoya  auflTi  à  Zigeth  un  renfort 
de  troupes  ,  avec  ordre  à  Vifconti  Milanois ,  de  fe  mettre  en 
campagne  avec  deux  régimens  ;  ôc  fit  diftribuer  des  commif- 
fions  pour  lever  des  troupes  de  toutes  parts.  Mais  voyant  que 
fes  forces  feules  feroient  trop  foibles  contre  une  fi  grande  puif- 
Diéte  de  fance,  il  convoqua  à  Ausbourg  la  diète  de  l'Empire,  pourdé- 
Â^rbo"^  ^  libérer  fur  les  moyens  de  refifter  aux  efforts  de  l'ennemi  com- 
mun >  ôc  régler  ce  que  chacun  devoir  contribuer  en  argent  ôc 
en  hommes.  Maximilien  s'y  rendit  le  premier,  ôc  avant  tous  les 
autres  Princes,  qui  alléguèrent  d  abord  diverfes  raifons,  pour 
s'excufer  d'y  venir.  Les  Princes  de  Saxe,  ôcles  villes  Vandali- 
ques ,  s'excufoient  en  particulier,  fur  ce  que  la  guerre  étant  fi  fort 
allumée  entre  leurs  voifins  ,ils  ne  pouvoient  fans  péril  s'éloigner 
de  leurs  frontières. 

L'Empereur  ne  cefToit  de  prefTer,  par  fes  Ambafradeurs,Ies 
rois  de  Dannemarck  ôc  de  Suéde ,  de  chercher  quelques  moyens 
de  s'accommoder.  Le  roi  de  Suéde  fembloit  ne  pas  rcfuler  l'ac- 
commodement. A  la  prière  de  Maximilien ,  il  avoir  remis  le 
jugement  de  fes  différends  au  duc  de  Pomcranie ,  ôc  à  Jean 
Frédéric  de  Saxe  ,  frère  de  fa  mère.  Mais  il  étoit  encore  fur- 
venu  d'autres  difiicultez  ,  qui  empêchoient  les  Princes  de  fe 
rendre  fi-tôt  à  la  Diète  j  c'étoit  le  différend  qui  venoit  de  s'é- 
lever entre  les  fils  de  Jean  Frédéric  de  Saxe ,  ci-devant  Elec- 
teur. Le  plus  jeune  de  ces  fils  étant  mort ,  les  deux  autres  con- 
vinrent de  gouverner  alternativement.  L'aîné  gouverna  le  pre- 
mier ,  foit  par  la  prééminence  que  l'dge  lui  donnoit ,  foit  fui- 
vant  la  convention  qu'ils  avoient  faite  entr'eux.    Mais  épris. 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Lrv.  XXXIX.      i^r^ 

tomme  on  le  croyoit,  des  charmes  de  l'autorité  &  des  douceurs     . 
du  commandement ,  il  ne  voulut  plus  céder  le  gouvernement 
à  fon  frère.  Ce  fut  le  principe  d'une  haine  mortelle  entr'eux.  Charle 
Leurs  parens  y  qui  appréhendoient  avec  raifon  de  voir  les  deux 
frères  de  Saxe  renouveller  l'affreux  exemple  des  deux  frères     ^  ^ 
de  Thebes  \  firent  tous  leurs  efforts  pour  étouffer  cette  étin- 
celle, &  pour  l'empêcher  d'allumer  un  feu  ,  qu'il  feroit  dans  la 
fuite  très  difficile  d'éteindre.  L'Eleéleur  Palatin  ôc  celui  de  Sa- 
xe ,  s'affemblerent  pour  cela  à  Lipfick,  où  l'affaire  ayant  été  agi- 
tée dans  plufieurs  conférences ,  fans  pouvoir  être  terminée ,  el- 
le fut  renvoyée  â  la  Diére  de  l'Empire. 

Il  arriva  encore  dans  cetems-là  ^  que  Philippe  Landgrave  de 
Heffe  maria  Louis ,  Fun  de  fes  fils ,  avec  Hedwige  ,  fille  de 
Chriftophle  duc  de  Wirremberg  ;  6c  comme  plufieurs  Prin- 
ces ,  fuivant  l'ufage  de  la  Nation  ,  étoient  invitez  à  ces  noces , 
cela  fit  que  le  Landgrave  Ôc  ces  autres  Princes  ne  purent  ve- 
nir que  très  tard  à  la  Diète.  Ne  pouvant  donc  s'y  rendre  affez 
tôt ,  ils  envoyèrent  des  Députez  avec  de  pleins  pouvoirs ,  pour 
agir  en  leur  nom  :  mais  l'Empereur  jugeant  que  l'affaire  étoit 
trop  importante  ôc  trop  difficile ,  pour  en  traiter  avec  des  Dé- 
putez ,  refolut  d'attendre  ces  Princes. 

Cependant  il  s'agiffoit  à  la  Cour  de  Maximilien  de  plufieurs 
autres  affaires  particulières.  Bernardin  Bochetel ,  évêque  de 
Rennes ,  commença  à  parler  du  ma'riage  d'Elizabeth  fille  de 
l'Empereur,  avec  le  Roi  de  France.  On  donna  auffi  audience 
à  l'ambaffadeur  du  duc  de  Savoye,  qui  avoir  deffein  de  renou- 
veller dans  la  Diète  le  différend  qu'il  avoir  avec  le  duc  de 
Mantouë ,  fur  le  duché  de  Montferrat.  On  écouta  encore  ua 
envoyé  du  Pvoi  d'Efpagne,  qui  demandoit  la  permifiion  de  lever 
quatre  régimens  Allemands ,  fous  la  conduite  de  Paris  (qui  mou- 
rut bien-tôt  après  )  d'Albcric  Lodron  ,  de  Jean-Batifie  d'Arco , 
&  d'Annibal  d'Akcmps ,  pour  en  envoyer  dix  compagnies  à  la 
Goulette  en  Afrique,  ôc  mettre  les  autres  en  garnifon  dans  le 
Milanez  ôc  à  Naples  j  afin  que  fi  les  Turcs  faifoient  encore  quel- 
que entreprife  fur  Malte,  ou  fur  quelques  autres  lieux  voifins> 
on  fût  à  portée  d'y  envoyer  du  fecours.  C'eft  ce  que  l'envoyé 
de  Philippe  n'eut  pas  de  peine  à  obtenir.  On  fit  auffi  des  tour- 
nois, ôc  on  prit  les  divertiffemens  ordinaires  du  carnaval;  afin 

1  Etheocle  Ôc  Polinice  ,  fils  d'Oedipe  ôc  de  Joçafte. 

Sij 


140  HISTOIRE 

de  faire  concevoir  par  ces  démonftrations  de  joie^  l'efpérance 
d'un  heureux  fuccès. 

Enfin  les  Princes  arrivèrent.  Joachim  II.  élefteur  de  Bran- 
debourg ,  s'croit  mis  le  premier  en  chemin  j  mais  étant  tombé 
malade ,  il  retourna  chez  lui ,  ôc  envoya  en  fa  place  Jean  George 
fou  fils  ôc  fes  petits-fils ,  accompagnez  d'une  nombreufe  No- 
blelle.  Après  eux  vinrent  les  éle£lcurs  de  Mayence,  de  Colo- 
gne ôc  de  Tfcves ,  l'archevêque  de  Salzbourg ,  Guillaume  duc 
de  Cléves,  ôc  les  ducs  de  Holftein ,  de  la  maifon  des  Rois  de 
Dannemarck.  Peu  de  jours  après  vinrent  Augufte  élefteur  de 
SaxCj  avec  une  très-grande  fuite  5  Guillaume  de  Saxe  duc  de 
Weimar^  qui  étoit  en  difpute  avec  Jean  Frédéric  fon  frère, 
touchant  le  partage  de  leur  Etat  '■>  George  Frédéric  marquis 
d'Onolsbach  5  Philippe  Rheingrave ,  ôc  Othon  Truchfes  évê- 
que  d'Ausbourg.  Le  Grand  Maître  de  l'Ordre  Teutonique  y 
vmt  aufii  i  ôc  quoique  cet  Ordre  eût  été  aboli,  comme  nous 
l'avons  rapporté,  il  obtint  deJ'Empereur  des  lettres  pour  la 
confervation  de  fes  droits  ôc  de  ceux  de  lEmpire. 

L'ouverture  de  la  Diète  fe  fit  le  26  de  Alars.  L'Empereur 
y  ayant  fait  voir  la  neceifité  de  lever  de  puifiTans  fecours  con- 
tre les  Turcs  ,  exhorta  vivement  les  Princes,  ôc  tous  les  Etats 
de  l'Empire,  à  ne  lui  pas  refufer,  dans  une  conjontture  fifâ- 
cheufe  ,  dans  un  befoin  fi  prefTant  ,  ôc  à  fon  avènement  à  la 
Couronne  Impériale ,  les  fecours  qu'ils  avoient  accordés  de  fi 
bonne  grâce  ,  ôc  avec  tant  de  zèle  à  Charle  Quint ,  ôc  à  Ferdi- 
nand ,  lorfqu'ils  avoient  été  attaquez  par  le  même  ennemi.  Il 
leur  dit ,  que  le  Turc  avoir  réfolu  de  tourner  toutes  fes  forces 
contre  la  ville  de  Vienne ,  qui  étoit  le  rempart  de  l'Allema- 
gne :  qu'outre  la  perte  de  cette  place,  qui  les  intereflx)it  tous, 
il  s'agiiîbit  de  leur  honneur,  ôc  qu'ils  fe  couvriroient  d'une  hon- 
te éternelle  ,  fi  l'Allemagne  ,  le  plus  floriffant  Etat  de  l'Euro- 
pe ,  ôc  qui  jufqu'alors  avoir  été  invincible ,  ne  prévenoit  pas 
un  fi  grand  danger  ,  ôc  ne  donnoit  pas  à  propos  les  fecours 
qui  étoient  abfolument  necefiâires  :  qu'il  ne  doutoit  pas  qu'ils 
n'euffent  pour  le  fecourir  la  même  ardeur,  dont  ils  avoient  don- 
né des  marques  fi  éclatantes  à  fes  ancêtres  ;  ôc  qu'ils  ne  joi- 
gnifi^ent  leurs  forces  aux  iiennes  ,  pour  maintenir  la  grandeur 
Ôc  la  majefté  de  l'Empire,  ôc  pour  repouffer  les  efforts  de  fon  en- 
nemi capital  :  que  s'ils  lui  accordoient  ce  qu'il  leur  demandoit^ 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Liv.  XXXIX.  141 
il  ne  perdroit  jamais  la  mémoire  d'un  fi  grand  fervice  ,  qui 
regardoit  la  gloire  ôc  l'utilité  commune  de  l'Allemagne.  Charle 

Après  que  Maximilien  eut  parié,  Albert  duc  de  Bavière  fit  j^ 
au  nom  de  l'Empereur  ces  propofitions ,  fur  lefquelles  la  Diète  i  r  c  6, 
devoir  délibérer  :  Qu'on  cherchât  les  moyens  d'extirper  dans 
l'Empire  les  Seèles ,  qui  n'étoient  point  comprifes  dans  les  con- 
ditions de  paix  ,  dont  on  étoit  convenu  par  rapport  à  la  Reli- 
gion :  Qu'on  levât  huit  mille  hommes  de  cavalerie ,  ôc  quaran- 
ta*mille  d'infanterie,  pour  fervir  contre  le  Turc  ;  ê-c  qu'on  payât 
leur  folde  pour  trois  ans,  par  une  impolition  de  huit  mois  Ro- 
mains :  Que  cette  contribution  fe  fit  en  argent  monnoyé,  qui 
feroit  employé  entièrement  pour  la  guerre,  fclon  que  les  be- 
foins  feroient  prefTans  :  Qu'on  cherchât  un  moyen  de  réformer 
le  Tribunal  de  la  Chambre  Impériale  ;  ôc  que  ce  qui  y  feroit  or- 
donné ^i\î  régulièrement  exécuté  :  Que  l'on  obfervât  les  Décrets 
concernant  la  tranquilité  publique ,  &  les  monnoyes  :  Qu'on 
accommodât  les  différends  qui  étoient  entre  les  Princes  fur  la 
preféance  :  Qu'on  terminât  les  conteflations  au  fujet  de  Final 
fur  la  côte  de  Gènes,  qui  avoicntété  fi  fouvent  agitées  dans  les 
Diètes  :  Qu'enfin  on  enjoignît  par  un  mandement  Impérial  aux 
fujets  de  ce  Marquifat ,  de  mettre  bas  les  armes. 

Suivant  ces  propofitions,  la  première  attention  de  la  Diète 
fut  d'ordonner  contre  le  Turc  de  plus  grands  fecours,  qu'on 
n'en  avoit  encore  accordé  à  aucun  des  prèdécefieurs  de  Maxi- 
milien 5  ôc  on  témoigna  en  cela  plus  d'ardeur  qu'on  n'avoir  ja- 
mais fait.  Car  outre  les  fecours  qui  furent  promis  au  nom  de 
l'Empire  ,  plufieurs  offrirent  volontairement  ôc  en  particulier 
leurs  biens  ôc  leurs  fervices ,  pour  foûtenir  cette  guerre.  En- 
fuite  on  envoya  à  Final  Parthin,  un  des  Confeiilers  de  l'Em- 
pereur ,  avec  le  gouverneur  de  Trente,  pour  terminer ,  par  fon 
crédit  Ôc  fon  entremife ,  la  difpute  qui  étoit  entre  la  maiibn  des 
Carretto ,  ôc  les  fujets  du  Marquifat. 

On  traita  auffi  dans  la  Dicte  du  différend  entre  Antoine  comte 

d'Altembourg,leroi  de  Dannemarck,  ôc  les  ducs  d'Holftein.  Le 
comte  d'Altembourg  demandoitque  fEmpereurlui  confirmât 
par  fon  autorité  le  fief  de  Delmenhoril,  ôc  de  fes  autres  Etats; 
ôc  les  autres  dcmandoient  qu'on  leur  donnât ,  comme  aux  plus 
proches  parens  iffus  de  la  même  tige,  le  même  fief  fjr  lequel 
ils  avoient  droit  de  fucceifion  ab  intefiat.  Ils  alleguoient  pour 

S  iij 


142  H  T   s   T   O  I  R  E 

leurs  raifons  que  le  roi  Chriftierne  premier  comte  d'AItembourg, 
avoir  donné  à  Gérard  fon  frère  une  partie  de  ce  Comré ,  à  con- 
dition qu'elle  feroit  reverfible  à  fes  defcendans  ,  fi  la  race  de 
Gérard  venoit  à  manquer.  Le  comte  d'AItembourg  répondoit 
qu'il  n'avoir  point  reçu  de  Gérard,  par  droit  de  fuccejïion,  le 
payis  de  Delmenhorft  5  mais  qu'ayant  été  pluiieurs  années  dans 
des  mains  étrangères  ,  il  avoir  été  d'abord  acquio  à  les  rifques 
ôc  dépens  :  qu'enfuite  le  payis  d'Harpfted  avoir  été  ajouté  au 
Comté  par  un  mariage  :  que  pour  ce  qui  concernoit  le  comflé 
même  d'AItembourg ,  qu'il  avoir  eu  par  fuccefiion  de  Gérard , 
il  confentiroit  volontiers  que  les  ducs  d'Holilein  en  partageaf- 
fent  avec  lui  le  droit  de  fief ,  s'ils  voulo;ent  fouffrir  que  les 
comtes  d'AItembourg,  comme  plus  proches  parens  &  cohéri- 
tiers ,  euffent  aulTi  droit  de  fief  dans  le  Slefwick ,  le  Holftein,  ÔC 
la  Stormarie  j  d'autant  plus  que  Gérard  ayeul  d'Antoine ,  &  fes 
defcendans,  étoient  appeliez  à  la  fucceffion  de  ces  payis,  après 
i'exrindion  de  la  branche  de  Chriftierne,  par  des  Letttcs  datées 
de  Coppenhague. 

Le  duc  de  Savoye  vint  aufTi  à  la  Diète ,  ôc  après  lui  le  duc 
de-Mantouë  ,  pour  difputer  le  duché  de  Montferrat.  Les  deux 
frères  de  Saxe-Weymar  demandoient  que  leurs  différends ,  qui 
n'avoient  pu  être  accommodez  par  les  éle£leurs  Palatin  ôc  de 
Saxe ,  fuffent  décidez  par  la  Diète.  Mais  comme  la  guerre  con- 
tre le  Turc  étoit  une  affaire  très  preifante  ,  toutes  ces  contefta- 
tions ,  ôc  farticle  même  de  la  Religion ,  furent  remis  en  un  au- 
tre tems.  Le  cardinal  Jean-François  Commendon  allifta  à  la 
Diète  au  nom  de  Pie  V.  dont  il  avoit  reçu  les  ordres  à  Auf- 
bourg,  en  revenant  de  Pologne.  Marc  Sitic  cardinal  d'Aï- 
temps  y  vint  aufli,  mais  comme  évêque  de  Conftance  ôc  prince 
de  l'Empire. 

Lorfque  le  nouveau  Pape  eut  appris  du  Nonce  qu'il  avoit  à 
la  Cour  de  l'Empereur ,  ôc  par  d'autres  avis ,  que  l'article  de  la 
Religion  étoit  un  de  ceux  qu'on  devoit  propofer  à  la  Diète 
d'Ausbourg  ,  pour  chercher  les  moyens  de  terminer  les  diffé- 
rends nez  à  ce  fujet ,  il  crut  que  ce  feroit  donner  atteinte  à  fon 
autorité,  ôc  par  conféquent  à  celle  de  l'Eglife  de  Rome,  mère 
de  toutes  les  autres.  C'efl  pourquoi  il  ordonna  au  cardinal 
Commendon  ,  en  cas  qu'on  portât  l'affaire  de  la  Religion  à 
îâ  Diète  ,  de  protefter  en  fon  nom  ,  de  menacer  de  Cenfures 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXÎX.     145 

généralement  tous  les  Princes ,  tant  Séculiers  qu'EccléfiafTiques,  — »^ - 

qui  y  feroient  préfens  j  &  de  déclarer  çn  particulier  à  l'Empe-  c  harlE 
reur ,  que  le  Pape  le  déclareroit  déchu  de  l'Empire  Ôc  des  Royau-       j  ^ 
mes ,  domaines ,  fucceflfions,  &  autres  droits  qu'il  pouvoir  pré-     ^     ^'^^ 
tendre  parrapoit  à  l'Eipagne. 

^  Heureufement  les  ordres  du  Pontife  furent  adrelTés  à  un  hom- 
me d'une  très  grande  modération ,  ôc  d'une  prudence  extrême. 
Commendon,  qui  appréhendoit  avec  raifon  qu'une  pareille  pro- 
tedation  n'aigrît  les  efprits  ,  plutôt  que  de  remédier  aux  mau^t 
qu'on  craignoit,  jugea  très  fagement  qu'il  devoir  chercher  un 
autre  moyen  d'empêcher  les  délibérations  au  fujet  de  la  Reli- 
gion. Ainfi,  après  en  avoir  communiqué  avec  l'Empereur,  qui 
lui  fit  efperer  qu'on  remettroit  cette  affaire  à  un  autre  tems^  il 
écrivit  au  Pape ,  ôc  lui  manda  qu'il  n'avoit  pas  été  dans  la  ne- 
cefÏÏté  de  faire  cette  protellation.  Le  Pontife,  homme  altier  ôc 
impérieux,  ôc  quin'écoutoit  aucunes  raifons,  lorsqu'elles  étoient 
contraires  à  fes  volontez ,  envoya  de  nouveaux  ordres  au  Car- 
dinal, plus  précis  que  les  premiers  ,  ôc  lui  enjoignit  encore  plus 
fortement ,  ii  on  faifoit  la  plus  légère  mention  des  affaires  de 
la  Religion  dans  la  Diète  ,  de  faire  pubhquement  fa  protefta- 
tion ,  &  d'excommunier  au  nom  du  Pape  ,  l'Empereur  ôc  les 
autres  Princes.  Le  Miniftre,  plus  prudent  que  fon  maître  ,  n'eut 
pas  plus  d'égard  aux  derniers  ordres  ,  qu'aux  premiers  j  ôc  par 
bonheur  lorfqu'ils  arrivèrent ,  l'article  concernant  la  Religion 
avoir  déjà  été  remis  à  un  autre  tems. 

Cependant  le  Pape  ne  ceffoit  point  d'ordonner  à  Commen- 
don ,  d'avertir  l'Empereur  de  ne  jamais  foulfrir  que  l'affaire  de 
la  Religion  fût  mife  en  délibération  dans  aucune  Diète  5  ôc  de 
lui  dire  avec  beaucoup  de  hauteur  :  Que  Charle  Quint  avoir 
fait  une  très  grande  faute ,  en  fe  mêlant  des  affaires  de  la  Re- 
ligion ,  ôc  en  fouffranr  que  la  Confefîîon  d'Ausbourg ,  drclfée 
par  Philippe  Meîanchton  ,  fût  propofée  dans  une  Diète  de 
l'Empire  :  Que  cet  Empereur  ayant  voulu  mal-à-propos  fc  fer- 
vir  de  fon  autorité  Impériale ,  pour  apporter  dans  la  fuite  un 
autre  remède  ,  il  avoir  mis  la  Religion  dans  un  très  grand  dan- 
ger ,  bien  loin  de  guérir  fes  maux  ,  ôc  de  contribuer  à  fon  réta- 
blifiement  :  Que  par  là  il  avoir  donné  lieu  à  l'étrange  confu- 
fion,  ôc  aux  troubles  funeftes,  qui  n'avoient  fait  depuis  qu'aug- 
menter en  Allemagne  :  Que  ce  Prince ,  qui  avoit  d'ailleurs  de 


144  H    ISTOIRE 

^,^,_^^^^___^  grandes  qualitez ,  auroit  bien  mieux  fait  d'aller  de  bonne  heu- 
CliARLË  ^^'  ^^^^  ^^  puifTans  remèdes,  au  devant  du  mah  dent  les  com- 
IX.        mencemens  font  toujours  foibies  ôc  aifés  à  guérir  :  Qu'ayant 
1X66.     ^^^^  ^'*^^^  accorde  la  malheureufe  liberté  qui  regnoit  dans  l'Em- 
pire, un  efprit  de  vertige  s'ctoit  emparé  des  Allemands  5  ôc 
qu'il  y  avoir  maintenant  parmi  eux  autant  de  S'ecles  différen- 
tes ,  qu'il  y  avoir  d'hommes  oppofez  à  la  Religion  Romaine , 
la  feule  véritable. 

Le  Papeajoûtoit  dans  les  inftruclions  qu'il  donnoitàCom- 
mendon  :  Que ,  puifque  les  chofes  en  ctoient  venues  à  ce  point , 
que  les  Allemands  flottoient  dans  la  vafte  mer  des  différentes 
opinions  humaines,  fans  fçavoir  à  quoi  fe  fixer,  ôc  que  le  chan- 
gement des  demeures  fufiifoit  pour  les  faire  changer  de  Reli- 
gion ,  il  fembloit  que  c'étoit  une  occafion  favorable  que  Dieu 
préfentoit ,  pour  appliquer  à  propos  le  remède  au  mal ,  &  pour 
faire  rentrer  dans  leur  devoir  tant  de  Se£laires  oppofez  les  uns 
aux  autres  5  qu'il  étoit  bien  plus  facile  de  les  ramener  à  l'uni- 
té, que  s'ils  étoient  tous  d'accord ,  ôc  ne  formoient  qu'un  feul 
parti  :  Que  pour  cela  il  falloir  fur  toutes  chofes  preficrla  pu- 
blication du  Concile,  qui  venoit  d'être  célébré  à  Trente  :  Que 
fi  l'on  ne  pouvoir  obtenir  qu'il  fiit  publié  par  toute  l'Allema- 
gne ,  on  demandât  au  moins  avec  inftance ,  qu'il  le  fut  dans 
les  villes,  qui  confervoient  la  Religion  de  leurs  ancêtres,  com- 
me Saltzbourg,  Confiance,  Eychftad,  Ausbourg,Freii4nghen, 
Paffaw  ,  Brixen ,  ôc  Trente  :  Que  puifque  ce  qui  empêchoit  les 
Evêques  de  tenir  les  Synodes  de  leurs  Diocéfes,  étoit  que  les 
Métropolitains  qui  auroient  dû  commencer,  n'avoient  pas  en- 
core tenu  les  leurs  ,  il  falloir  faire  enforte  que  l'éledeur  de 
Mayence  ôc  les  autres  Archevêques ,  reçuffent  le  Concile  de 
Trente  dans  leurs  Synodes  y  afin  que  leurs  Suffragans ,  à  leur 
exemple ,  le  fiffent  pubUer  dans  leurs  Diocéfes  :  Qu'il  falloir 
eritr'autres  avertir  TéletSleur  de  Cologne  de  foufcrire  à  la  Con- 
feffion  de  Foi  ,  qui  avoit  été  publiée  conformément  aux  dé- 
crets du  Concile  ,  ôc  qui  étoit  déjà  reçue  en  France,  en  ItaHe, 
en  Efpagne ,  en  Pologne ,  dans  la  Hongrie  ,  ôc  dans  quelques 
Eglifes  d'Allemagne  i  ôc  en  cas  qu'il  refufàt  d'y  foufcrire  , 
comme  tant  d'Evêques  avoient  déjà  fait  ,    de  déclarer  qu'il 
avoit  encouru  les  Cenfures  Eccléfiaftiques ,  Ôc  qu'il  étoit  dé- 
jt;hu  de  fa  dignité  Electorale  :  Que  l'Empereur  de  voit  aufïï 

prendre 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  XXXIX.      u^^ 

prendre  garde ,  puifque  l'Archevêque  de  Magdebourg ,  nou-  , 
vellement  élii ,  éroit  mort ,  que  l'éle^leur  de  Saxe  ne  s'empa-  (;]  ^  ^  ^  l  e 
rat  de  cet  Archevcché ,  le  premier  de  toute  l'Allemagne,  com-       j  yç^ 
me  il  avoit  déjà  fait  à  l'é^rard  de  trois  Evêchez  voifins  :  Qu'on     ,  -  z'  >ç 
devoir  avoir  la  même  attention  pour  1  cvecne  de  Strasbourg  : 
Qu'il  falloit  empêcher,  autant  qu'il  feroit  poflible ,  la  le£lure  des 
livres  des  Sedaires,  ôc  de  ceux  qui  n  croient  pas  approuvés  j 
ôc  publier  au  contraire  avec  zèle  &  répandre  par  tout  les  li- 
vres de  pieté  :  Que  hs  Evêques  riches  Ôc  puifTans  dévoient  pro- 
pofer  des  récompenfes  aux  hommes  fçavans,  ôc  établir  des  Sé- 
minaires par  tout  dans  les  villes ,  fuivant  les  décrets  du  Con- 
cile de  Trente  :  Enfin  qu'il  falloit  au  plutôt  prendre  des  mefu- 
res  avec  l'Empereur  ,  ôc  les  autres  Princes ,  pour  reprimer  par 
l'autorité  Impériale  l'audace  de  l'éledeur  Palatin ,  qui  avoit  em- 
braffé  une  profefîion  de  foi  différente  de  celle  qui  avoit  été  re- 
çue dans  les  Diètes  de  l'Empire ,  ôc  qui  perfécutoit  en  diverfes 
façons  les  Evêques  de  fes  propres  Etats ,  ôc  ceux  qui  en  étoient 
voilins. 

Ce  que  le  Pape  prefcrivit  à  Commendon,  par  raport  à  l'é- 
iecleur  Palatin ,  ne  fut  pas  tout-à-fait  inutile.  Commendon  fçut 
en  profiter  ;  car  voyant  que  Chriftophle  duc  de  Wirtemberg, 
ôc  Wolfang  de  Bavière  duc  des  Deux-Ponts  ,  étoient  irrités 
contre  le  Palatin  ,  ôc  foûtenoient  qu'on  ne  devoit  point  ad- 
mettre d'autre  Religion  dans  l'Empire  ,  que  la  Catholique,  ôc 
celle  de  la  Confeflion  d'Ausbourg,  ainfi  qu'il  avoit  été  réglé 
dans  les  Diètes  de  l'Empire;  il  alla  trouver  l'Empereur  ,  ôc  le 
pria  de  ne  pas  laiffcr  perdre  une  occafion  fi  favorable  d'étein- 
dre l'héréfie  dans  l'Allemagne.  Maximilien  fuivit  cet  avis  du  Lé-. 
gat  :  après  avoir  tenu  Conieil  fur  cette  affaire  avec  les  Princes, 
on  fignifia  au  Palatin,  ou  qu'il  eût  à  quitter  fonEleâ:orat,que 
l'Empereur  confereroit  volontiers  à  fon  fils  ,  ou  qu'il  chaifât 
de  fes  Etats  les  miniltres  Calviniftes.  Le  Palatin  répondit  qu'il 
n'étoit  pas  jufte  de  condamner  la  doctrine  de  Calvin  ,  fans 
connoiffance  de  caufe  ;  il  fit  obferver  en  même  tems  que  tout 
cela  n'étoit  qu'un  artifice  de  l'ennemi  commun  ,  (  c'eft  le  nom 
qu'il  donnoit  au  Pape)  pour  troubler  la  paix  de  l'Allemagne, 
en  foûlevant  les  Princes  de  l'Empire  les  uns  contre  les  autres. 
L'éleèleur  de  Saxe ,  déjà  tout  occupé  de  la  guerre  contre  fes 
parens ,  ôc  appréhendant  que  fi  la  paix  du  corps  Germanique 
Tome  V»  T 


C  H  A  R  L  E 

IX. 

1^66. 

14^  HISTOIRE 

venoit  a  être  troublée  ,  ils  ne  reprifTent  un  nouveau  courage  6c 
de  nouvelles  forces ,  s'oppofa  formellement  à  la  réfolution  prife 
contre  l'életteur  Palatin  ,  ôc  refufa  de  fe  joindre  aux  Princes , 
qui  l'attaquoient.  Ainfi  les  projets  de  Commendon  ôc  des  Prin- 
ces n'eurent  point  de  fuite. 
Réponfede  Bernardin  Bochetel  évcque  de  Rennes ,  étoit  venu  trouver 
l'Empereur      TEnipereur  à  la  Diète  le  premier  jour  de  Mai  ,  pour  parler  du 

un- la  piopoli-  .f  1      r     r:i  it-»--rt-         •  •  \         ■\/r 

tion  du  ma-  mariage  de  la  nue  avec  le  Roi.  Mais  cinq  jours  après ,  Maxi- 
^'n°^  ^^'  {^  milieu  préoccupé  par  les  confeils  violens  des  Efpagnols  ,  ôc 
l^oi.  fur  tout  de  Thomas  Perrenot  de  Chantonay  ,  chargé  des  affaires 

de  Philippe  à  la  Cour  de  l'Empereur ,  donna  par  écrit  à  l'évê- 
que  de  Rennes  une  réponfe  aulfi  indigne  qu'infolente.  On  y 
difoit  d'abord  ,  que  l'Empereur  avoir  un  très  grand  plaifir  de 
voir  que  le  Sérénifîime  Roi  Très-Chrétien  fouhaittoit  de  con- 
tracter avec  lui  une  alliance  plus  étroite  :  Qu'il  étoit  bienper- 
fuadé  que  ce  dé(ir  partoit  du  bon  cœur  ôc  de  la  fmcere  amitié 
du  Roi  :  Qu'il  fçavoit  bien  que  plus  la  Majefté  Impériale, &  tou- 
te la  SérénifTime  Maifon  d'Autriche ,  feroit  étroitement  unie 
avec  le  Sérénifïime  Roi  de  France  ôc  fon  royaume ,  plus  il  y 
auroit  de  paix  ôc  de  tranquilité  dans  toute  la  République  Chré- 
tienne ;  ôc  que  cette  union  feroit  d'un  grand  poids ,  ôc  pour- 
roit  beaucoup  contribuer  à  étendre  la  gloire  de  Dieu,  ôc  àre- 
poufler  les  forces,  ôc  abattre  la  puilTance  des  Turcs  :  Qu'à  la  fa- 
veur de  la  difcorde  qui  regnoit  parmi  les  Chrétiens,  cette puif- 
fance  s'étoit  tellement  élevée ,  ôc  étoit  devenue  fi  formidable , 
que  fi  tous  les  Chrétiens  n'uniffoient  inceflamment  leurs  forces 
pour  arrêter  fes  progrès ,  elle  feroit  fans  doute  très  fatale  à  toute 
la  Chrétienté.  Puis  on  ajoûtoit,  que  l'Empereur  n'avoir  pas  plu- 
tôt fait  réponfe ,  parce  qu'il  avoir  voulu  confulter  le  Sérénilîi- 
me  Roi  Catholique  d'Efpagne ,  fon  frère ,  ôc  fon  très  cher  cou- 
fin ,  avec  lequel  il  avoir  fait  une  fi  grande  liaifon,  que  les  affai- 
res de  fun  étoient  celles  de  l'autre  :  Que  S.  M.  Impériale  ne 
manquoit  pas  de  partis,  ni  d'occafions  de  marier  fa  féconde  fille, 
(car  il  avoir  déjà  difpofé  de  l'aînée)  ôc  de  la  pourvoir  avanta- 
geufement  pour  la  gloire  ôc  les  intérêts  de  la  Sérénifïime  Mai- 
ion  d'Autriche  :  Que  néanmoins  marchant  fur  les  pas  de  fes  an- 
cêtres ,  il  avoit  toujours  préféré  à  fon  utilité  particulière  la  paix 
publique  de  la  Chrétienté  ôc  du  S.  Empire  Romain  ,  dont  il 
-étoit  obligé  de  défendre  ,  de  recouvrer  j  ôc  d'augmenter  les 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XXXIX.         147 

droits  :  Qu'ainfi  il  ne  refufoit  pas  d'accorder  le  mariage ,  que 

le  Roi  fouhaitoit  à  ces  condidons  :  Qu'avant  toutes  chofes  le  C  h  a  r  L  E 
Roi  rétabliroit  les  Evêchez  de  Metz,  de  Touh  &  de  Ver-        7  v 
dun,  qui  etoient  très-illuilres  membres  du  laint  Empire  Ro-     i  r  (^  0, 
main ,  dans  leur  premier  liberté  ,  &  dans  le  même  état  qu'ils        ^ 
étoient  avant  qu'Henri  IL  père  du  Roi  s'en  fut  emparé,  6c  les 
eût  démembrez  du  corps  Germanique  :  Que  le  Roi  rcnonce- 
roit  de  bonne  foi ,  fans  referve  ,  ôcexpreiTémentj  à  la  paix  ôc 
à  l'alliance  qu'il  avoit  faite  avec  le  Turc  5  qu'il  fe  joindroit 
contre  lui  avec  l'Empereur  ;  ôc  que  pour  faire  connoître  cette 
union  à  tout  le  monde  ,  il  leveroit  promtement  une  puiflante 
armée  deftinée  aufecours  de  la  Hongrie  ?  qu'il  la  tiendroit  prê- 
te fur  fa  frontière ,  ôc  l'entretiendroit  à  fes  dépens.   On  ajouta 
que  s  il  arrivoit  qu'il  y  eût  guerre  entre  le  Roi  Très-Chrénen 
ôc  le  Roi  Catholique,  il  feroit  libre  à  l'Empereur  de  prendre 
conjointement  avec  le  Roi  d'Efpagne  la  défenfe  des  droits  de 
la  Maifon  d'Autriche  ôc  de  Bouro:o2:ne. 

Maximilien  déclara  qu'à  ces  conditions  il  étoitprêt  deconfen-  Répliqr.e  de 
tir  au  mariage  du  Roi  avec  fa  fille,  ôc  chargea  l'Evêque  de  Ren-  J'E^équc  de 
nés  de  porter  au  Roi  cette  réponfe,  qui  a^  oit  été  faite  avec  une 
mûre  délibération.  Le  lendemain ,  qui  étoit  le  7  de  Mai ,  l'Evê- 
que  de  Rennes  revint  trouver  l'Empereur ,  avec  l'écrit  qu'il . 
lui  avoit  donné  la  veille  ;  ôc  lui  dit ,  que  l'ayant  lu ,  il  avoit  trou- 
vé que  fa  Majefté  Impériale  reconnoiiîbit  bien  mal  l'amitié  que 
le  Roi  avoit  pour  lui ,  ôc  que  fa  Majefté  très-Chrétienne  fouhai-; 
toit  depuis  trois  ans  de  cimenter  par  une  alliance  plus  étroite  : 
Que  pour  lui,  il  s'étoit  imaginé ,  que  fi  les  affaires  de  l'Empe- 
reur ne  lui  permettoient  pas  de  difpofer  librement  de  ce  qui 
étoit  à  lui ,  il  pouvoit  au  moins  fe  fervir  auprès  du  Roi  d'une 
excufe  plus  honnête ,  ôc  que  le  Roi  Pauroit  reçue  en  bonne  part  > 
Que  les  conditions  propofées  par  fa  Majefté  Impériale,  ne  pa- 
uoifToient  pas  être  des  articles  de  mariage ,  mais  des  conditions 
de  paix,  que  le  vainqueur impofoit  au  vaincu.  Que  les  affai^ 
res  du  Roi,  quelque  chofe  que  les  Efpagnols  pûflent  dire, 
n'étoient  pas  encore  réduites  à  une  telle  extrémité ,  qu'il  fût 
contraint  de  tout  faire  ôcde  tout  foufflrir.  Que  fans  y  être  obli-, 
gépar  ce  mariage,  lorfqu'il  y  auroit  occafion  de  faire  la  guerre 
au  Turc,  fa  Majefté  prendroit  volontiers  part  aux  frais  ôc  aux 
dangers ,  comme  il  convenoit  au  premier  des  Rois  Chrétiensj 

Tij 


t4S  HISTOIRE 

_  mais  qu'il  ne  voudroit  pas  que  la  Chrctienté  en  fut  plus  obli- 

^  gée  à  fa  femme ,  qu'à  lui.    Qu'au  refte  toutes  chofes  étoient 

T  Y  %ales  ;  ôc  qu'un  fi  grand  Roi  étoit  bien  digne  d'une  telle 
'  époufe  :  Que  jufque  là  l'affaire  du  mariage  avoit  été  traitée 
^  *  avec  tant  de  ménagement,  ôc  des  paroles  il  mefurées,  qu'il  y 
avoit  eu  lieu  d'efperer  une  autre  ifluë  :  Que  ce  qui  avoit  été 
ajouté  dans  la  réponfe  ,  en  manière  de  proteftation  ^  n'étoit  pas 
plus  à  propos;  parce  que  s'il  y  avoit  guerre  entre  les  deux  Rois, 
l'alliance  contrariée  avec  le  Roi  de  France  n'empêcheroit  pas 
l'Empereur  de  fe  joindre  contre  lui  avec  le  Roi  d'Efpagne. 
Que  c'étoit  anticiper  fur  l'avenir,  ôc  que  la  propofition  étoit 
prématurée  ôc  à  contre  tems  ,  parce  qu'il  y  avoit  entre  les 
deux  Rois  une  paix  ôc  une  amitié  folide  ôc  confiante  :  Que  s'il 
arrivoit  qu'ils  fe  broùillalfent  dans  la  fuite  ^  il  étoit  du  devoir 
d'un  Prince  Chrétien  de  ne  pas  attaquer  le  premier  celui  dont 
il  n'auroit  reçu  aucune  injure,  foit qu'il  eût  époufé  fa  fille,  ou 
qu'il  ne  l'eût  pas  époufée.  Que  quand  fa  Majeflé  Impériale  pen- 
feroit  autrement,  elle  auroit  dû  attendre ,  pour  faire  une  telle 
prpteflation,  que  le  Roi  voulût  l'obliger  par  le  traité  de  maria- 
ge à  ne  prendre  parti  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre,  en  casque 
la  guerre  s'allumât  entre  les  deux  Rois^ôc  qu'il  auroit  été  tems 
alors ,  ôc  non  pas  auparavant ,  de  découvrir  fes  intentions  :  Qu'il 
ne  difoit  pas  cela  pour  prefler  encore  l'Empereur  de  conclure  ' 
un  mariage,  qu'il  regardoit  comme  entièrement  rompu,  ôc  dont 
le  Roi  ne  parleroit  jamais  i  mais  uniquement  pour  fe  déchar- 
ger dans  fon  fein  d'une  partie  delà  jufle  douleur  que  lui  avoit 
caufé  un  écrit ,  qui  ne  répondoit  nullement  ni  à  l'amitié  que  le 
Roi  avoit  pour  l'Empereur ,  ni  au  refpe£l  ôc  aux  égards  dûs  à 
fa  dignité  royale  :  Qu'au  refte  il  prioit  l'Empereur  de  l'excu- 
fer ,  s'il  ne  recevoit  pas  cet  écrit,  ôc  s'il  ne  faifoit  point  part  au 
Roi  des  proteftations  qu'il  contenoit. 

Après  que  l'Evêque  de  Rennes  eût  ainfi  parlé,  Maximilien 
le  preffa  de  lui  donner  la  réponfe  par  écrit  :  mais  il  le  refufa,  ^ 
difant  que  ce  que  l'Empereur  Ôc  lui  avoientditne  faifoit  rien 
à  la  chofe,  dont  il  s'agiffoit.  Ainfi  il  prit  congé  del'Empereur^ 
qui  loua  depuis  le  courage  Ôc  la  prudence  de  l'Evêque  de  Ren- 
nes ,  lorfqu'il  reconnut  qu'il  avoit  été  trompé  par  Chanto- 
n'ay ,  Ôc  par  les  Efpagnols  ,  qui  n'avoient  d'autre  deflein  que  de 
nuire  à  la  France ,  même  contre  les  intérêts  de  l'Empereur. 


DEJ.  ADETHOU^Liv.  XXXIX.        149 

Maximilienfefervit  de  Philippe  Rheingrave ,  qui  étoit  à  Auf-  m 
bourg,  ôc  qui  étoit  fort  attaché  à  la  France  ,  pour  le  faire  dire  Char  LE 
afTez  clairement  à  l'Evêquede  Rennes.  La  Reine  mère  avoir       jx. 
prié  Alfonfe  duc  de  Ferrare ,  de  parler  de  ce  mariage  à  Maximi-     1  ^  C  6. 
lien  :  mais  eu  égard  au  tems ,  on  crut  qu'il  étoit  de  la  gloire  ôc 
des  intérêts  du  Roi  de  furfeoir  cette  affaire.  On  ceffa  donc  alors 
d'en  parler  ;  mais  quatre  ans  après  on  reprit  cette  négociation, 
6c  elleréuiîît. 

Tandis  que  ces  chofes  fe  paflbient  à  Aufbourg; ,  Charle  fre-  ^  Affemblces 

j      pT-      ^  '        s  Tt      n  T    r^       Ul  '  •  -^    '^'  a   Prcsboiirg 

re  de  i  Empereur  tint  a  rrelbourg  1  aliemblee ,  qui  y  avoit  ete  ^  ^  vienne. 
indiquée.  Il  trouva  les  efprits  de  tous  les  Seigneurs  de  Hon- 
grie fi  bien  difpofez  j  que  non  feulement  ils  accordèrent  tout 
ce  qu'on  leur  demandoit  pour  une  caufe  fi  jufteôc  fincceffai- 
re ,  mais  qu'ils  déclarèrent  qu'ils  iroient  eux-mêmes  à  la  guerre:, 
fi  l'Empereur  ou  quelqu'un  de  fes  frères  s'y  trouvoit  en  per- 
fonne.  L'affemblée  étant  finie  ,  Charle  vint  auffi-tôt  à  Vien- 
ne ,  ôc  obtint  la  mêmechofe  des  Etats  d'Autriche,  qui  con- 
fentirent  à  une  levée  de  deniers,  pour  rétablir  les  fortifications 
de  la  ville ,  ôc  à  plufieurs  autres  reglemens  utiles ,  qui  furent 
faits. 

Sur  la  fin  de  la  Diète  TEledeur  Augufte  de  Saxe,  qui  étoit 
venu  avec  quinze  cens  cavaliers  bien  équipez ,  reçut  de  l'Em- 
pereur fon  inveftiture  en  grande  pompe  ,  avec  les  cérémonies 
sccoûtumées.  On  fit  la  même  grâce  aux  Députez  des  ducs  de 
Weymar,  ôc  de  l'Elecleur  Palatin,  qui  étoient  abfens.  Guil- 
laume Grombach  ,  qui  s'étoit  emparé  de  Wirtzbourg  trois  ans 
auparavant,  &  qui  favoit  pillé,  fut  encore  une  fois  profcrit  publi- 
quement dans  cette  Diète  le  1 3  de  Mars ,  avec  Erneft  de  Man- 
defloë,  Guillaume  Steyn  ,  Ôc  fes  autres  affociez,  qui  étoient 
retirez  dans  le  château  de  Gotha  ^  chez  Jean  Frédéric  de  Saxe. 

Cependant  Jean  Prince  de  Tranfylvanie  ayant  pris  le  titre  de     Lettres  de 
roi  de  Hongrie  ,  de  Sclavonie ,  de  Croatie ,  Ôc  de  Stirie,  écrivit  J^^n  prince 
aux  Villes,  aux  Grands,  ôc  à  la  Nobleffe  de  ces  Provinces,  nL  âux^Sef- 
que  l'Empereur  des  Turcs  lui  avoit  envoyé  un  Chiaoux^avec  gncurs  Hon- 
une  lettre  ,   par  laquelle  il  lui  mandoit  d'exhorter  tous  les  Or-  ^^' 
dres  du  Royaume  de   Hongrie  à  lui  rendre    l'hommage   ôc 
robéiffance  :  Qu'ils  lui  feroient  un    grand  plaifir  ,  s'ils  vou- 
îoient  vivre  en  union  entre  eux ,  ôc  s'ils  ne  contefloient  qu'à 
qui  auroit  plus  de  zcle  pour  fon  fervice  j  afin  de  n'être  plus 

T  iij 


'rois. 


Charle 

IX, 

1  ;  (^5. 


Lettre  de 
Schwendi 
aux  mêmes. 


1^0  H  I  S  T  O   I  R  E 

obligez  à  lever  Ci  fouvent  des  troupes ,  à  faire  des  préparatifs 
de  guerre  i\  ruineux,  ôc  à  entreprendre  des  voyages  Ci  péni- 
bles :  Qu'ils  penfaffent  donc  férieufement  à  eux ,  quand  ils  le 
pouvoient  encore,  avant  qu'il  entrât  dans  la  Hongrie  j  parce 
qu'ils  y   penferoient  trop  tard,  lorfque   l'ennemi  feroit  dans 
leurs  payis  :  Que  pour  exécuter  ces  ordres  de  Soliman  ,  Ôc  s'ac- 
quitter en  même  temsde  Tes  obligations  de  ce  qu'il  devoit  àl'af- 
fedion  qu'il  avoit  pour  fon  Royaume ,  il  les  exhortoit  avec  bon- 
té, pour  leur  propre  intérêt,  de  rentrer  dans  leur  devoir,*   de 
confulter  de  bonne  heure  entr'eux ,  tandis  qu'il  leur  étoit  per- 
mis de  le  faire  ,  6c  de  prendre  de  fages  mefures,  pour  détour- 
ner l'orage  qui  nienaçoit  leur  patrie ,  leurs  femmes  ,  leurs  en- 
fans,  ôc  leurs  propres  perfonnes  :  Que  pour  lui,  il  feroit  en- 
forte  d'être  toujours  le  même  à  leur  égard,  ôc  de  ne  fe  jamais 
départir  de  fa  clémence,  de  fa  douceur  ôcdefabonté:  Qu'en- 
fin il  agiroit  auprès  de  Soliman  d'une  manière  à  leur  perfua-  . 
der ,  qu'il  n'avoit  rien  plus  à  cœur  que  la  confervation  de  la 
Chrétienté,  6c  le  bien  commun  du  payis.  Dans  la  même  let- 
tre Jean  indiquoit  uneaffemblée  à  Torda  pour  le  lo  de  Mars, 
déclarant,  que  comme  tous  n'ypouvoient  pas  venir,  il  étoit  à 
propos ,  pour  épargner  les  frais  ,  d'envoyer  quatre  perfonnes 
d'autorité  6c  diftinguées  par  leur  prudence,  avec  de  pleins  pou- 
voirs. 

Comme  on  fit  courir  plufieurs  copies  de  cette  lettre  dans  la 
Hongrie,  6c  dans  les  Provinces  voiiines,  Schwendi ,  qui  étoit 
pour  lors  à  Unghwar  ,  y  oppofa  promtement  une  efpece  de 
réponfe ,  dans  la  lettre  qu'il  écrivit  le  4  de  Mars  en  fon  nom, 
comme  Lieutenant  de  l'Empereur  dans  ces  Provinces.  A 
i'occafiondela  lettre  du  Prince  de  Tranfylvanie,  remplie  d'of- 
tentation  6c  de  déguifement ,  il  exhortoit  les  Grands  à  fe  dé- 
fier d'un  homme ,  qui  leur  offroit  la  protedion  de  l'ennemi  com- 
mun des  Chrétiens  5  comme  fi  le  Grand-Seigneur  fe  foucioit 
de  leur  confervation ,  6c  prenoit  quelque  intérêt  à  leurs  per- 
fonnes ,  6c  à  ce  qui  les  touchoit  i  comme  fi  depuis  deux  cens 
ans,  6c  plus,  fes  ancêtres  6c  lui  n'avoient  pas  fait  tous  leurs 
efforts  pour  ruiner  un  Royaume  fi  floriflant ,  ou  par  la  force 
des  armes, ou  quand  ils  ne  le  pouvoient  de  cette  manière, par 
des  pièges  6c  desardfices,  6c  parles  difiTentions  qu'ils  femoient 
entre  les  Grands.  Schwendi  ajoûtoit  que  poqr  lui,  il  ne  dou* 


i 

DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I V.  XXXIX.        i;i  î 


toit  nullement  de  leur  fidélité  ôc  de  leur  prudence  5  mais  qu'il 
avoir  cru  qu'il  étoit  de  fon  devoir  de  les  exhortera  ne  rien  re-  CharlE 
lâcher  de  leur  ancien  zélé  pour  les  intérêts  du  Royaume,  ôcle        j  x. 
fervice  de  l'Empereur,  ôc  à  fe  préparer  à  foûtenir  courageufe-     \  <  6  C. 
ment  une  guerre  auffi  jufte  que  néceffaire  j  puifqu'ils'agifToitde 
la  confervation  de  leur  Religion,  de  leur  patrie,  ôc  de  leurs 
propres  familles  î  qu'ils  avoient  lieu  d'efperer  de  Dieu  un  heu- 
reux fuccès ,  ôc  qu'ils  dévoient  être  perfuadez  que  le  Prince 
de  Tranfylvanie ,  auteur  de  tant  de  calamitez,  netarderoitpas 
à  être  puni  de  fon  impieté.  Enfin  il  leur  défendoit  de  la  part 
de  l'Empereur,  d'avoir  aucun  commerce  avec  lui ,  ôc  d'envoyer 
qui  que  ce  fut  à  l'aflemblée  qu'il  avoit  indiquée,  fous  peine 
d'être  traitez  comme  rebelles,  ôc  punis  des  plus  terribles  fup- 
plices. 

Déjà  le  prince  de  Tranfylvanie  ôc  les  Turcs  étoient  en  cam-     Guerre  eu 

''•  •/  K     r  'nj'  •  \      Hongrie. 

pagne:  ayant  attaque  mopmement  Aylnac,  ville  dégarnie,  près  * 
d'Agria  j  pendant  l'abfence  du  Gouverneur,  ils  la  prirent  par 
efcalade  le  23  d'Avril,  ôc  taillèrent  en  pièces  ceux  qui  la  dé- 
fendoient.  Enflez  de  ce  premier  fuccès ,  ils  s'avancèrent  juf- 
qu'à  Zigeth.  Nicolas  de  Zrin  marcha  contre  eux  avec  un  dé- 
tachement. Le  combat  dura  quatre  heures  entières  :  les  Infi- 
dèles furent  battus  ^  mis  en  fuite  ,  ôc  forcez  de  fe  retirer  à 
Cinq-Eglifes. 

Vers  le  même  tems  la  Diète  d'Aufbourg  étant  finie ,  Maxi- 
milien  commanda  aux  principaux  chefs  des  armées  d'Allema- 
gne de  lever  par  tout  des  troupes.  Voici  à  peu  près  quels  étoient 
ces  Chefs  :  Philbert  marquis  de  Bade,  George  Helfenftein ,  Ni- 
colas Hadftadt ,  Guillaume  Walterthumb ,  Louis  Ungnad,  Bou- 
chard de  Barby ,  Jacque  Schullembourg  3  Chriftophle  Scheî- 
lendorf ,  George  Praun  5  Gonthier  comte  de  Schuartzembourg, 
Chriftophle  de  Liechtenftein ,  Zacharie  Gromberg ,  ôc  Ber- 
nard Hardeck. 

D'Aulhourg  l'Empereur  vint  à  Vienne,  autrefois  la  capita- 
le de  la  haute  Hongrie,  Ôc  à  prcfent  de  l'Autriche.  Ce  Prince 
fit  prefque  toujours  fon  fcjour  dans  cette  ville.  Auiïi-tôt  un  Cou- 
rier vint  lui  apprendre,  que  Soliman  étoit  parti  de  Conftanti- 
nople,  ôc  qu'ayant  marché  à  grandes  journées  par  Sofia,  fur 
les  confins  delà  Servie,  ôc  par  Nifla,  il  étoit  arrivé  dans  la  Bul- 
garie avec  foixante  ôc  dix  mille  hommes  y  qu'il  s'avançoit  vers 


■n«jjBSiiBji8weaMimi 


15-2  HISTOIRE 

„_  Belgrade  j  qu'il  avoit  envoyé  devant  lui  le  Bâcha  Haly  Per- 

P  taw  avec   plufieurs  Gouverneurs  de  Province  ,  &  qu'il  avoit 

j  V-  donné  ordre  au  Général  des  Spahis  de  Natolie  de  pafler  par 
Gallipoli ,  de  prendre  les  troupes  qui  y  étoient ,  ôc  de  le  venir 
^  *  joindre.  Lorfque  Soliman  fut  arrivé  à  Belgrade  y  Jean  vint  le 
trouver  avec  des  preiens  :  ayant  été  admis  à  fon  audience  j  il 
baifa  la  main  tutelaire  de  fon  puiffant  protecteur ,  &  le  remer- 
cia de  ce  qu'il  vouloir  bien  continuer  avec  tant  de  zeie  à  ven- 
ger fon  valfal  des  injures  qu'on  lui  avoit  faites. 

Cependant  Schwendi  alTiégeoit  Huft ,  &  le  ferroit  de  très- 
près.  Plus  l'ennemi  étoit  proche  ,  plus  il  prefToit  le  fiége.  D'un 
autre  côté  le  Bâcha  de  Bude  avoit  commencé  le  6  de  Juin  le 
fiége  de  Palotta,  ville  à  huit  milles  de  Javarin,  proche  d'Al- 
bc-Royale.  Les  murs  étant  prefque  entièrement  ruinez  par  le 
feu  du  canon,  qui  n'avoitpas  ceiTé  de  tirer  pendant  liuit  jours, 
le  Gouverneur  de  la  place,  George  ïhuvry ,  grand  homme  de 
guerre,  &  qui  avoit  déjà  foûtenu  plufieurs  afiauts  avec  une  ex- 
trême valeur ,  fut  dangereufement  bleffé  d'un  éclat  de  pierre. 
La  ville  étoit  en  très-grand  danger,  ôc  le  Bâcha  quil'afliégeoit, 
voulant  paroître  avoir  fait  quelque  chofe  avant  l'arrivée  de  So- 
liman ,  en  prelloit  extrêmement  le  fiége.  Déjà  les  alTiégez,  qui 
n'avoient  plus  aucune  efperance  d'être  fecourus,  penfoient  à 
capituler ,  lorfque  les  Turcs  épouvantez  par  les  bruits  qui  fe 
répandoient  de  l'arrivée  des  troupes .  qui  venoient  les  attaquer 
par  derrière,  levèrent  inopinément  le  fiége,  ôc  emmenèrent  leurs 
canons,  à  la  réferve  d'un  feul  qu'ils  avoient  auparavant  rom- 
pu, de  quelques  barils  de  poudre,  ôc  de  quelques  muids  de 
farine ,  dont  les  afîiégez  s'emparèrent.  George  comte  d'Hel- 
fenftein  étant  venu  à  Javarin  avec  douze  enfeignes  d'infan- 
terie ,  envoya  le  14  de  Juin  quatre-vingts- dix  charettes  au 
fourage ,  aufquelles  il  joignit  un  détachement  de  neuf  cens  hom- 
mes. Les  efpions  Turcs  les  ayant  découverts ,  &  s'imaginant 
que  le  nombre  en  étoit  plus  grand,  avertirent  le  Bâcha.  Com- 
me il  crut  qu'ils  éroient  envoyez  pour  lui  faire  lever  le  fiége; 
il  pha  promtement  bagage ,  ôc  fe  retira  de  devant  Palotta.  On 
en  rétablit  auiTj-tôt  les  murailles ,  Ôc  on  augmenta  la  garnifon 
du  Château. 

Il  y  avoit  déjà  dans  l'armée  Impériale  quatre  regimens  Al- 
lemands commandez  par  Romcr  Wallerthumb,  Balderdun, 

Helfenftein, 


DE  J.  A.  DE  TH  ou,  L  IV.  XXXIX.       i^ 

Helfenftein ,  &  Pollwiller.  On  prétend  qu'il  y  avoit  vingt  mille  ««.«...ii^ 
Chevaliers  de  l'Ordre  Teutonique  ' ,  quatre  mille  Hongrois  T 
fort  bien  armez  y  ôc  un  grand  nombre  de  troupes  auxiliaires.   Le  ^  ^' 
duc  de  Savoye  y  avoit  envoyé  quatre  cens  moufquetaires  à  che-  ' 

vab  Corne  duc  de  Florence,  quatre  mille  hommes  de  pié,     ^  ^ 
qu'il  entretenoit  à  fes  dépens  :  Guillaume  de  Gonzague  duc  de 
IVÎantouë ,  ôc  les  Républiques  de  Gènes  Ôc  de  Luques  envoyè- 
rent leurs  fecours  en  argent.  Alfonfe  d'Efte  duc  de  Ferrare ,  ou- 
tre la  fomme  de  cent  mille  écus  d'or  qu'il  avoit  prêtée  àlEm- 
pereur,  voulut  aller  en  perfonne  à  cette  guerre,  avec  une  gran- 
de quantité  de  très-brave  Nobleiïe.  Tous  les  jours  il  arrivoit 
au  camp  de  toutes  les  parties  de  l'Europe  pluiieurs  Princes , 
Seigneurs  &  Gentilhommes,  qui  accouroient  au  bruit  de  cette 
expédition.  L'Empereur  avoit aulli  équipé  une  flotte  fur  le  Da- 
nube ,  compofée  de  douze  galères  &  de  trente  bdtimens  de 
charges ,  qui  portoient  trois  mille  arquebu fiers  prefque  tous 
Italiens ,  que  commandoit  Flaëchk  Allemand,  Chevalier  de 
Malte  j  ces  vaifTeaux,  qui  étoient  conftruits  de  manière  qu'on  y 
étoit  à  l'abri  des  flèches ,  portoient  l'artillerie  &  les  bagages. 
En  attendant  que  toute  l'armée  fefut  aflemblée  à  Javarin,le 
comte  de  Salms ,  qui  commandoit  dans  cette  place ,  vint  avec  la 
plus  grande  partie  des  troupes  à  Palotta,  qu'on  rétablilToit.  Après 
y  avoir  laiiïe  les  vivres  &  le  bagage,  il  s'avança  avec  un  dé- 
tachement de  cavalerie  jufqu'à  Vêprin  y  grande  ville  ,  mais  peu 
fortifiée,  à  deux  milles  de  Palotta,  pour  la  reconnoître  j  il  avoit 
donné  ordre  au  refte  de  l'armée  de  lefijivre  de  près.  Les  avant- 
coureurs  s'étant  approchez  de  la  ville ,  le  commandant  fit  tirer 
quelques  coups  de  canons  les  murs  qui  tomboient  de  vetufté, 
6c  qui  étoient  d'ailleurs  très-foibles ,  en  furent  ébranlés  ,  en- 
forte  qu'il  en  tomba  une  partie  :  le  comte  de  Salms  en  tira  un 
bon  augure.  Ayant  pris  quelques  efpions  Turcs,  il  apprit  d'eux 
que  le  Gouverneur  de  Vêprin  étoit  forti  de  la  place  ,  &  avoit 
emmené  avec  lui  la  meilleure  partie  de  la  garnifon ,  dans  le  def- 
fein  de  faire  des  courfes ,  ôc  de  harceler  les  Chrétiens.  Il  fit 
donc  approcher  fes  troupes,  qui  ne  firent  rien  ce  jour  là ,  parce 
qu'elles  furent  furprifes  de  la  nuit.    Mais  le  lendemain  ,  elles 
fe  mirent  dès  le  grand  matin  en  devoir  d'efcalade.1:  la  ville  j  Ôc 

I  Ce  nombre  paroît  exorbitant.  II  y  a  peut-être  une  faute  dans  le  chifrç  du 
texte. 

Tome  V>  V 


i;4  HISTOIRE 

^^^__^^,__^  quoique  ce  qui  étoit  refté  de  la  garnifon  eût  employé  toute  la  nuit 

^  '  à  en  re'parer  les  ruines ,  elles  ne  laiiïerent  pas  de  Tattaquer  :  elles 

^TV  ^     jetterent  dans  la  place  quantité  de  pots  à  feu  ,  brûlèrent  les  por- 

•      tes,  tuèrent  les  fentinelles ,  ôcfe  rendirent  maîtres  de  la  place. 

*  ^       '    Les  principaux  fe  retirèrent  en  vain  dans  la  citadelle  ,  ou  fe 

cachèrent  dans  les  caves  j  on  les  en  tira  auiïi-tot  ,  ôc  ils  fu- 

rent  tous  tuez,  parce  que  quelque  tems  auparavant  ilsavoient 

cruellement  égorgé  un  grand  nombre  de  prifonniers  Chrétiens. 

On  épargna  néanmoins  quelques  Seigneurs  qui  furent  pris  , 

&  envoyez  à  Prcfbourg,  pour  être  gardez  dans  la  citadelle. 

Le  comte  de  Salms  ayant  mis  Thuvry  dans  Vêprin  avec  une 

bonne  garnifon,  retourna  à  Javarin.  La  joie  de  cet  heureux 

fuccès  fut  mêlée  de  trifteffe  :  on  apprit  que  les  Impériaux  qui 

étoient  en  garnifon  à  Leventz  ,  ville  fituée  proche  les  châteaux 

des  Montagnes  ,  étant  fortis  pour  attaquer  l'ennemi  ,  avoient 

été  furpris  dans  des  embufcades  ,  ôc  que  plufieurs  avoient  été 

tuez  ou bleflez,  &  entr'autres  Barthélémy  Ho wat,  homme  très- 

diftingué  par  fon  courage  ôc  par  fon  habileté  dans  le  métier  de 

la  guerre. 

L'armée  Impériale  marcha  vers  Thatan  ou  Theodate^  ville  fi- 
tuée entre  Javarin  ôc  Comar,  quiincommodoit  fort  les  Impé- 
riaux. C'ell  une  très-petite  place ,  qui  n'eft  éloignée  du  Da- 
nube que  de  quelques  lieues  vis-h-vis  de  Comar.  Le  comte 
de  Salms  en  fit  approcher  fes  troupes  le  ip  de  Juillet  dès  le 
matin.  Ayant  apperçû  un  Turc  qu'il  connoifiToit  de  vûë,il  de- 
manda à  lui  parler,  ôcla  garnifon  le  permit.  Il  fit  dire  par  ce 
Turc  aux  afiiégez,  que  s'ils  vouloientfe  rendre,  il  les  renvoye- 
roit  vies  ôc  bagues  fauves.  Le  Turc  l'afijara  qu'il  n'y  confen- 
tiroient  point  :  cependant  il  demanda  un  peu  de  tems  ,  jufqu'à 
ce  qu'on  eût  réponfe  du  Gouverneur  de  Bude,  ôc  qu'en  atten- 
dant on  ne  fît  rien  de  part  ôc  d'autre.  Les  Impériaux,  après  avoir 
^  attendu  quelque  tems ,  attaquèrent  la  ville  j  mais  ceux  qui  étoient 
dedans  la  défendirent  très-vigoureufement,  avec  vingt-quatre 
pièces  d'artillerie ,  qu'ils  ne  cefibient  de  tirer.  Le  comte  de 
Salms  fit  avancer  fix  canons ,  ôc  commanda  à  Verdun  d'atta- 
quer avec  fes  troupes  l'endroit  où  la  muraille  étoit  tombée. 
Mais  comme  il  y  avoit  beaucoup  de  danger  à  n'attaquer  les 
afltégez  que  d'un  feul  côté  ,  voici  comme  il  diftribuafes  gens:; 
il  mit  dans  le  côté  gauche  d'une  vallée  mille  arquebufiers  qui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXIX.        15; 

etoient  dans  l'eau  jufqu'à  la  moitié  du  corps ,  ôc  autant  du  côte  e 


où  les  murailles  avoient  été  abatuës  par  le  canon.  Puis  étant  Charle 
allé  avec  deux  mille  hommes  de  pié  à  l'autre  côté  delà  ville,  ])^^ 
il  fitpromptement  donner  le  fignal  de  l'aflaut.  La  garnifon,  per-  i  r  5  5. 
fuadée  que  toute  l'attaque  fe  feroit  du  côté  de  la  muraille  abat- 
tue y  accourut ,  donna  vivement  furies  Impériaux  qui  fortirent 
de  l'eau ,  &  le  combat  fut  très-opiniâtré.  Cependant  le  comte  de 
Salms  attaqua  la  porte  ,  la  brifa  ,  ôc  entra  inopinément  dans 
la  ville.  Tous  ceux  qui  étoient  dedans,  furpris  ôc  inveftis  de  tou- 
tes parts ,  furent  taillez  en  pièces.  Il  n'y  en  eut  que  cinquante , 
qui  fauverent  leur  vie,enfe  retirant  dans  une  tour,  ôcqui  fe 
rendirent.  Le  Gouverneur  de  la  place  ôc  celui  de  Vêprin  fu- 
rent de  ce  nombre  ,  avec  quelques-uns  des  principaux  officiers 
de  Parmce  ennemie ,  qu'on  envoya  prifonniers  à  Vienne.  Ma- 
ximilien^  qui  y  étoit  alors,  reçût  la  nouvelle  de  ces  heureux  fuc- 
ces  le  24.  de  Juillet.  On  en  rendit  à  Dieu  des  allions  de  grâces, 
ôc  l'on  ordonna  des  prières. 

En  même-tems  les  Turcs ,  qui  étoient  dans  le  château  de  Gef- 
tern  ,  ayant  pris  l  allarme  à  l'approche  du  comte  de  Salms  3  aban- 
donnèrent cette  place  ;  ôc  à  leur  exemple,  ceuxde  Vithan,  d'îf- 
choki ,  de  Sanbochi ,  ôc  de  plufieurs  autres  châteaux ,  en  fortirent 
après  y  avoir  mis  le  feu ,  ôc  fe  retirèrent  à  Gran  ,  où  l'on  croyoit 
que  le  comte  de  Salms  devoit  aller.  C'eft  ainfi  que  la  paix  fut  réta- 
blie dans  un  payis ,  qui  étoit  auparavant  pillé  ôc  défolé  par  les  vo- 
leurs, que  les  Hongrois  appellent  Heidons,  lesPolonois  Cofa- 
ques,  ceux  de  Dalmatie  Ufcoques,  les  Turcs  ôc  les  Sclavons 
Martellois,ôcles  Allemands  Freibutters. Le  premier  foin  fut  alors 
de  faire  tous  les  préparatifs  néceiïaires  pour  bien  recevoir  un  fi 
puiflant  ennemi ,  qui  étoit  lur  le  point  d'arriver  Pendant  que  les 
troupes  s'affembloient  à  Javarin,  on  obferva  fa  contenance  ôc 
fa  marche.  Maximilien  plein  de  pieté  ôc  de  Religion ,  fçachant 
que  toutes  les  forces  humaines  fans  le  fecours  de  Dieu  ne  font 
que  foibieire  Ôc  impuiflTance,  avoit  ordonné  fur  toutes  chofes 
de  faire  tous  les  jours  à  Vienne  ôc  dans  le  camp,  aufon  delà  clo- 
che, des  prières  publiques  à  genoux,  pour  obtenir  de  Dieu  le 
falut  ôc  la  confervation  de  l'Etat.  Ainfi  l'on  voyoit  dans  les  rues 
à  la  ville,  dans  les  chemins  à  la  campagne,  chacun  fe  mettre 
à  genoux  au  fon  de  la  cloche,  ôc  ceux  qui  étoient  à  cheval  en 
defcendre  pour  prier.    Il   défendit  aufli  par  un  cdit  tous  les 

V  i] 


iS^  HISTOIRE 

I  fpedacles,  les  jeux,  les  danfes,  ôc  généralement  tous  les  amu- 

Charle  f^'^^'^s,  qui  entraînent  les  hommes  à  la  volupté. 

I X.  Vers  le  même  tems  Adrien  Eaglioni ,  qui  s'ctoit  acquis  beau- 

^  -  ^^^     coup  de  réputation  &  de  gloire  à  la  guerre,  vint  en  diligence 
d'Italie  à  Vienne,  &  depuis  l'Empereur  lui  donna  le  comman- 
nez  a  Maxî-  <^ement  des  troupes  auxiliaires  Italiennes.  Alfonfe  Caftaldo  le 
Hijlien.  fuivitde  près  avec  fes  troupes.  îl  y  vint  auiïi  de  la  part  du  duc 

deSavoye  quatre  cens  moufquetaires  à  cheval  fort  bien  équi- 
pez, fous  les  ordres  du  comte  delà  Chambre,  excellent  hom- 
me de  guerre  j  avec  les  troupes  auxiliaires  de  Côme,  fous  la 
conduite  d'Aurele  Fregofe.  Un  grand  nombre  de  Seigneurs 
de  diverfes  parties  du  monde  vinrent  d'eux  mêmes,  au  bruit  de 
cette  guerre,  pour  fervir  dans  l'armée  Impériale.  On  y  vit  arri- 
ver de  France  le  jeune  Henri  de  Lorraine ,  lils  du  duc  de  Gui- 
fe  tué  au  fiége  d'Orléans.  Tout  jeune  qu'il  étoit,  appelle  à  la 
guerre  de  Hongrie  par  le  courage  martial  naturel  à  fa  ?vIaifon, 
ôc  brûlant  déjà  à  cet  âge  du  deïir  d'acquérir  de  la  gloire  dans 
le  métier  des  armes ,  il  fe  rendit  au  camp ,  avec  une  troupe  nom- 
breufe  de  jeune  noblefle  Françoife.  Bien-tôt  après  Timoleoii 
de  Coffé  ,  FhiUppe  Strozzi ,  ôc  Gui  de  Saint  Gelais  de  Lan- 
fac  ,  qui  étoient  accourus  l'année  précédente  au  fecours  de 
Malte,  mais  trop  tard^  fe  rendirent  en  Hongrie,  après  avoir 
traverfé  l'Italie.  On  y  vit  auffi  arriver  de  la  Nobiefle  d'An- 
gleterre ,  comme  Thomas  Smith ,  Guillaume  Gorges ,  Henri 
Champernoun,  Philippe  Budshil,  Richard  Grenvili  ,ôc  Tho- 
mas Wotton.  Albert  Laski  Palatin  de  Pologne ,  qui  pofledoiî 
plufieurs  châteaux  en  Hongrie ,  y  vint  trouver  l'Empereur ,  non 
comme  Seigneur  Polonois ,  mais  comme  un  des  Seigneurs  de 
Hongrie ,  avec  trois  mille  hommes  de  cavalerie ,  vêtus  à  la  Hon- 
groife ,  afin  de  ne  pas  donner  lieu  de  croire ,  qu'on  violât  la  trê- 
ve qui  étoit  entre  le  Polonois  ôc  le  Turc. 

Lorfqu'on  tintconfeil  fur  les  opérations  de  la  campagne  ,  on 
opina  d'abord  qu'il  falloir  faire  le  fiége  de  Gran  'j  parce  qu'en 
prenant  cette  place ,  on  empêcheroitles  Turcs  de  prendre  Giu- 
îa  ôc  Zighet.  D'autres  au  contraire  foûtinrent ,  qu'en  allîégeant 
Gran ,  on  fe  mettoit  dans  la  néceflité  de  courir  les  rifques  d'une 
bataille,  que  la  proximité  de  l'armée  de  Soliman  rendoit  inévi- 
table. C'eft ,  difoient-ils,  ce  qu'on  doit  éviter  avec  foin  ^  n'étant 
1  ou  Strigonie. 


1  $  6  6, 


DE  J.  A.  DE   T  HOU,  Liv.  XXXÎX.      in 

pas  prudent  d'expofer  au  hazard  d'un  feul  combat,  dont  le  fuccès  «u..-»u«u.uu,i.. 
eft  toujours  très-douteux,  toutes  les  forcés  de  la  Chrétienté  :  ils  c  h  a  r  l  e 
concluoient  qu'il  falloit  renvoyer  le  fiége  de  Gran  à  un  tems  plus       t  y 
favorable.  Maximilien  fut  de  ce  dernier  fentiment ,  &  il  fe  con- 
tenta dans  la  conjoncture  où  il  fe  trouvoit,  de  défendre  les  fron- 
tières de  Norgawôc  de  la  Hongrie.  Ainfi  il  donna  ordre  au  com- 
te de  Salms,  de  ramener  dans  le  camp  les  troupes  qu'il  avoir  mi- 
fes  dans  Thatan  5  parce  que  cette  place  étoit  trop  éloignée  du 
Danube,  pour  pouvoir  y  tranfporter  des  vivres  commodément. 

Tandis  que  Maximilien,  qui  étoit  avec  une  armée  très-nom- 
breufedans  le  camp  près  dejavarin,  obfervoit  lesmouvemens 
&i  la  marche  des  ennemis ,  Schwendi ,  qui  avoir  reçu  ordre  de 
demeurer  dans  la  haute  Hongrie ,  ôc  dans  le  payis  de  Zepfi 
eut  affaire  avec  les  Tartares  ^ ,  que  Soliman  avoir  mandes  à  la 
prière  de  Jean.  Quoiqu'ils  fiffent  fans  ccÏÏq  des  courfes  des  deux 
cotez  du  Tibifque ,  qu'ils  défolaffent  le  payis  par  leurs  vols  6c 
leurs  brigandages ,  qu'ils  tuaffent  ou  qu'ils  emmenaiïent  en  cap- 
tivité des  perfonnes  de  tout  âge  ôc  de  tout  fexe  ;  Schwendi  fe 
contenta  d'abord  de  fe  tenir  fur  la  défenfive ,  croyant  qu'il  y 
avoit  trop  de  danger  de  leur  livrer  bataille ,  tant  qu'ils  feroient 
fi  fuperieurs  en  nombre ,  ôc  qu'il  falloit  temporifer  jufqu'à  ce 
que  ces  hommes  naturellement  gourmands  fe  fulfent  eux-mç- 
iiies  détruits ,  en  mangeant  avec  avidité  des  fruits  précoces,  ôc 
des  raifins  en  trop  grande  quantité.  En  effet  ayant  été  inftruit 
au  bout  de  quelque  tems  que  ces  troupes  barbares  étoient  ac- 
cablées de  maladies,  affoiblies,  ôc  très-diminuées,  il  les  atta- 
qua, en  défit  dix  mille  prefque  fans  peine,  ôc  obligea  lerefte 
à  abandonner  la  Hongrie  :  un  des  commandans  Turcs ,  fous 
la  conduite  defquels  ils  étoient  entrez  dans  le  payis,  fut  tué, 
Ôc  l'autre  bleffé  à  mort.  Après  cette  vidoire,  Schwendife  ren- 
dit maître  des  forterefles  ou  châteaux  de  Zabathka,  de  Pelfewcz, 
de  Gombazzek  ,  de  Krafnahwka ,  ôc  de  Gady ,  appartenons 
à  George  Bebeck  ,  qui  avoit  abandonné  le  parti  de  l'Empereur, 
pour  embrafler  celui  de  Jean,  ôc  qui  s'étoit  joint  aux  Turcs. 
Sch\7endi  prit  encore  d'autres  châteaux  voifins. 

Soliman  étoit  fur  le  point  de  partir  de  Belgrade,  lorfquc  fes 


1  Les  Tartares  ne  dépendent  poir.t 
du  Grand-Seigneur,  qui  a  feulement  un 
Bâcha  à  Caffa  dans  la  Crimée  ;  mais 


fon  pouvoir  ne  s'étend  point  dans  !a 
campagne  ,  donc  le  Cam  de  Tartarie 
cft  le  maître. 


i;S  HISTOIRE 

■  avant-coureurs  ayant  pafTé  le  Drab  '  rencontrèrent  une  troupe 
Charle  <i'ii"^"ïp^i^iaux  ,  proche  la  forterefle  de  Sielowefch.   Le  comte 
j^         de  Zrin ,  qui  avoit  appris  par  fes  efpions  Farrivéc  des  Turcs, 
1 1-  <  <     avoit  envoyé  un  détachement  fous  la  conduite  de  Gafpard  Ala- 
pian,  de  Nicolas  Cobachs  ,  ôc  de  plufieurs  autres  chefs,  avec 
ordre  d'attaquer  les  ennemis,  s'il  feprefcntoit  une  occalion fa- 
vorable de  les  furprendre,  ôc  de  les  combattre  avec  avantage. 
Ainii  ayant  trouvé  dès  le  grand  matin  les  Turcs ,  qui  marchoient 
en  défordre ,  écartez  les  uns  des  autres ,  ils  les  effrayèrent  d'a- 
bord ,  en  leur  faifant  croire  qu'ils  étoient  fuivis  par  un  plus  grand 
nombre  :  bien-tôt  ils  les  chargèrent ,  en  tuèrent  plufieurs ,  ôc  mi- 
rent les  autres  en  fuite,  Leur  Commandant  ayant  été  dange- 
reufement  blelTé ,  mourut  dans  des  lieux  marécageux  où  il  s'é- 
toit  dché  :  fon  fils  avec  plufieurs  autres  fut  pris  ôc  amené  à  Zi- 
geth,  avec  un  grand  butin  de  chameaux,  de  chevaux  ,  de  mu- 
lets, ôc  autres  bêtes  de  charge  ,  ôc  de  quantité  de  vaiiïelle  d'or 
ôc  d'argent ,  ôc  d'argent  monnoyé. 
Maximilien      L'Empereur  avoit  donné  le  commandement  général  de  tou- 
vient  a  Tar-   ^q  l'armée  à  Ferdinand  fon  frère ,  ôc  en  fon  abfence  à  Gon- 
thier  de  Sch^^artzembours;,  ôc  il  avoit  nommé  Paul  deZara 
Grand  Maître  de  l'artillerie.   Pour  lui  il  partit  de  Vienne  le 
12  d'Août,  Jean  Frédéric  duc  de  Pomeranie  portant  devant 
lui  Pétendart  împériah  ôc  il  vint  droit  à  Altembourg ,  à  deux 
milles  de  Javarin.  La  cavalerie  du  Royaume  de  Bohême  étoit 
arrivée ,  Ôc  on  favoit  didribuée  en  fept  compagnies ,  qui  fai- 
foient  la  guerre  à  leurs  dépens.  Il  y  étoit  auili  venu  de  la  ca- 
valerie de  la  Sileiie  ôc  de  la  Luface ,  commandée  par  Teufel 
ôc  par  Schwartzembourg.  Dans  le  même-tems  arrivèrent  d'I- 
talie Profper  Colonne,  Angelo  Cefi,  ôc  Nicolas  Gamba  ra,  cha- 
cun avec  une  nombreufe  fuite  i  ôc  après  eux  Alfonfe  d'Efte 
duc  de  Ferrare ,  avec  quatre  cens  Gentilshommes  bien  équi- 
pez, trois  cens  arquebuliers,  trois  cens  chevaux  légers,  ôc  au- 
tant de  gendarmes  ,  fous  la  conduite  de  Corneille  Bentivoglio, 
Ôc  d'Ercolino  Contrarii  ,  tous  parez  comme  pour  une  fête. 
Wolfang  ôc  Richard  Palatins  de  Neubourg,  ôc  le  plus  jeune 
des  Princes  de  Bavière  vinrent  aufii  joindre  l'armée  à  Javarin. 
Soliman  ^        Cependant  Soliman,  après  avoir  pafTé  le  Save,  voulut  auiïi 
(ba  armée,     faire  pafTcr  à  fes  troupes  le  Drave ,  qui  fort  des  montagnes  du 
j  ou  Drave. 


DE   J.  A.    DE  THOU,Liv.  XXXIX.     i^p 

Norgaw  ,  dans  le  payis  de  Valérie  ou  Stirie ,  &  reçoit  le  Mu-  «__« 
re ,  &  fe  jette  dans  le  Danube.  Pour  cela  il  fît  faire  un  pont  ^ 
d'une  fi:ru6ture  admirable  ,  qui  avoit  plus  d'un  mille  de  Ion-        y^-    '^ 
gueur  ,  &  quatorze  coudées  de  largeur.  Il  fut  fait  en  douze  ,  ' 

jours,  ôc  Soliman  y  employa  plus  de  vingt- cinq  mille  hom-  ^ 
mes.  Son  deifein  fut  d'imiter  le  pont  fam.cux  ,  que  Cefar  fit 
autrefois  conftruire  fur  le  Rhin  avec  tant  de  diligence  ôc  d'ha- 
'bileté.  Ce  Sultan  ^  qui  avoit  autant  de  courage  &  d'élévation 
dans  l'efprit,  qu'aucun  de  fes  prédécefTeurs,  fe  piaifoit  beaucoup 
à  la  ledure  de  l'hiftoire,  ôc  avoit  fait  traduire  en  fa  langue  les 
commentaires  de  Cefar ,  voulant  paffer  pour  héritier  de  fes  ver- 
tus ôc  de  fa  gloire ,  comme  il  l'étoit  de  fon  Empire.  Pour  ve- 
nir à  bout  d'un  ouvrage  ,  qui  avoit  été  plufieurs  fois  com- 
mencé fans  fuccès  ,  à  caufe  de  la  rapidité  de  l'eau  ,  Soliman 
ordonna  qu'aux  endroits,  ou  l'on  ne  pouvoit  employer  les  pou- 
tres ôc  les  autres  pièces  de  bois ,  à  caufe  de  la  largeur ,  de  la 
rapidité  &  de  la  profondeur  du  fleuve ,  on  y  fuppleât  par  des 
barques  &  de  grands  batteaux  attachés  enfemble  avec  de  for- 
tes chaînes  de  fer.  Par  ce  moyen  le  pont  fut  continué  ôc  ache- 
vé, ôc  l'armée  Turque  pafla  deifus,  de  l'autre  côté  du  Drave  le 
deux  de  Juillet. 

Aluftapha,  bâcha  de  Bofnie,  Calambey  ,  ôc  plufieurs  autres 
Chefs  de  l'armée  Ottomiane,  ayant  pafTé  la  rivière,  marchèrent 
vers  Ottorrn  ,  ôc  arrivèrent  à  Cinq-Eglifes  le  21  de  Juillet,, 
d'où  ils  eurent  ordre  de  s'avancer  vert  Albe-Koyale,  pour  être 
à  portée  de  fecourir  le  gouverneur  de  Bude ,  en  cas  que  les 
Impériaux  entrepriifent  quelque  chofe  de  ce  côté-là.  SoHman 
commanda  à  Haffan-Beck  de  les  fuivre  avec  plufieurs  compa- 
gnies. Peu  de  tems  après  le  bâcha  de  la  Natolie,  ayant paffé  le 
pont  avec  un  grand  nombre  de  Sangiacs ,  dreffa  le  pavillon  du 
Sultan  dans  la  plaine  de  Mohacz.  Soliman  s'y  rendit  aufïi-tôt 
par  le  même  chemin  5  ôc  en  cinq  jours  il  vint  devant  Zighet, 
Il  campa  à  S.  Laurent,  à  un  mille  de  la  place,  lefept  de  Juil- 
let, ayant  fait  deux  jours  auparavant  trancher  la  tête  à  Oroftan 
bâcha  de  Bude,  à  caufe  de  fa  négligence  à  remplir  les  devoirs 
de  fa  charge. 

Zighet ,  s'il  en  faut  croire  ceux  du  payis  ,  fut  bâti  par  un    SiégcdcTi-- 
Seigneur  nommé  Anthemius ,  fur  les  confins  de  la  Hongrie  ,  §'^^^- 
dans  un  grand  lac  d'une  médiocre  profondeur.  Cette  place  eft 


1(^0  HISTOIRE 

I         environnée  de  marais  de  toutes  parts ,  ôc  ne  touche  à  la  terre  fer- 
Charle  '^^^*  ^^^  ^'""  côté,  où  elle  eft  flanquée  de  deux  bons  baftions 
j-^        faits  de  terre  &  de  bois,  femblables  à  ces  murailles  des  Gau- 
i  r  <  <      lois,  dont  Cefar  fait  mention.  Zighet  eft  compofé  de  deux  vil- 
les &  de  deux  citadelles  j  le  front  eft  tourné  au  midi  i  les  flancs 
regardent  le  levant  ôc  le  couchant?  ôcl'on  n'y  peut  aller  de  part 
ôc  d'autre  que  par  deux  ponts. 

Le  comte  de  Zrin  ^  qui  commandoit  dans  Zighet ,  ayant 
appris  l'arrivée  des  Turcs ,  fit  aflembler  dans  la  citadelle  inté- 
rieure les  Grands,  les  habitans  ôc  les  foldats  s  ôc  en  leur  préfen- 
ce  il  fit  un  ferment  folemnel ,  qu'avec  la  grâce  du  feul  vrai  Dieu 
en  trois  perfonnes ,  il  vivroit  ôc  mourroit  avec  eux  i  Ôc  qu'il  gar- 
deroit  religieufement  les  promefl'es  qu'il  avoir  faites  à  Dieu  ôc 
à  l'Empereur,  fon  fouverain  feigneur  ôc  maître:  puis  il  exigea 
d'eux  le  même  ferment,  ôc  leur  fit  promettre  qu'ils  obéïroient 
fidèlement  à  l'Empereur  ôc  à  lui-même  ,  puifqu'il  avoir  l'hon- 
neur d'être  fon  lieutenant.  Il  leur  déclara  enfuite,que  s'il  mou-  , 
roit  dans  ce  fiége ,  il  nommoit  Gafpard  Alapian  ,  pour  com- 
mander en  fa  place.  Il  les  engagea  aufli  par  ferment  à  obferver 
exa£t:ement les  ordonnances, par  raport  àladifcipline  militaire, 
qu'il  avoir  faites,  qu'il  leur  propofa,  ôc  qui  étoient  drcffées  de 
cette  manière.  «  Si  quelqu'un  réfufe  d'obéir  à  fon  ofiicier ,  s'il 
"  méprife  fes  ordres ,  s'il  met  l'épée  à  la  main  contre  lui ,  il  fera 
«  tué  impunément.  On  tuera  de  même  celui  qui  aura  reçu  ou 
»'  lu  quelques  lettres  envoyées  de  la  part  des  Turcs.  Si  quel- 
«  qu'un  en  trouve ,  qui  ayent  été  jettées  dans  la  ville  par  des  flé- 
M  ches ,  ou  par  quelqu'autre  moyen  que  ce  puiffe  être,  il  les 
«  portera  aufïî-tôt  à  fon  capitaine,  qui  fera  obligé  de  lesjctter 
«•  au  feu.  Qui  aura  quitté  fon  pofte  fans  l'ordre  exprès  de  fon 
»  capitaine  ,  fera  étranglé.  S'il  fe  rrouve  deux  foldats,  qui  tra- 
=>  mentenfemble  quelques  complots,  ou  qui  fe  parlent  tout  bas 
M  à  l'oreille,  ils  feront  pendus  fur  le  champ.  Si  quelqu'un  les 
»  voit  ou  les  entend ,  ôc  ne  le  rapporte  pas  à  l'oflicier,  il  fubi- 
3>  ra  la  même  peine.  « 

Après  avoir  fait  ces  ordonnances  militaires ,  Ôc  divers  autres 
reglemens  pour  la  diftribution  des  vivres  ,  ôc  des  munitions  en- 
tre les  foldats ,  il  fit  drefler  une  potence  dans  la  grande  place , 
où  il  fit  pendre  ,  pour  fervir  d'exemple  ,  un  foldat  convaincu 
I  ou  de  Serin. 

d'avoir 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Lïv.  XXXIX.  i^i 

d'avoir  tiré  l'épée  contre  un  officier.  Et  pour  ôter  à  fes  com-  , 
pagnons  toute  efperance  d'obtenir  des  Turcs  aucune  grâce  ^  ou  Charle 
compofition  honnête,  il  fit  pendre  Mahumet ,  un  des  princi-       j  ^^ 
paux  Chefs  de  l'armce  ennemie,  fameux  par  les  meurtres  qu'il     i  ^  C(>, 
avoit  commis  fur  le  chemin  de  Zighet.    Enfuite  il  commanda 
aux  Gentilshommes  ôc  aux  foldats ,  qui  demeuroient  dans  la 
grande  ville  ,  de  démolir  leurs  maifons  ,  ôc  d'en  emporter  la 
paille  5  &  à  ceux  qui  demeuroient  dans  la  ville  neuve  ,  de  tranf- 
porter  de  la  paille  dans  leurs  maifons  ,  afin  que  quand  il  en  fe- 
roit  befoin  y  on  pût  aifcment  mettre  le  feu  à  la  ville ,  dont  les 
murailles  étoient  d'ailleurs  conftruites  avec  du  bois  ôc  des  fafci- 
nes.  Il  fit  après  cela  la  revue  des  troupes ,  ôc  trouva  en  tout 
deux  mille  trois  cens  hommes  de  guerre,  ôc  autant  d'habitans, 
fans  y  comprendre  les  femmes  ôc  les  enfans. 

Avant  l'arrivée  de  Soliman,  le  gouverneur  de  la  Natolie  ôc 
îe  bâcha  Akauski,  étoient  venus  aux  environs  avec  quatre-vingt 
dix  mille  Turcs.  Auffi-tôt  après  il  y  vint  encore  cent  mille  hom- 
mes ,  ôc  fur  le  champ  ils  commencèrent  dès  le  point  du  jour  à 
efcarmoucher  entre  les  palififades ,  ce  qui  dura  jufqu'à  midi.  Le 
lendemain  les  mêmes  Chefs  abandonnèrent  ce  lieu-là  avec  dix 
mille  hommes ,  ôc  furent  fe  pofter  à  Simeleoff,  à  un  quart  de 
mille  de  la  forterefle ,  fur  une  haute  montagne  peu  éloignée 
des  vignes  de  Zighet.  Aufii-tôt  ils  recommencèrent  quelques 
efcarmouches  avec  les  Impériaux  ,  ôc  continuèrent  la  même 
chofe  les  jours  fuivans ,  jufqu'à  l'arrivée  de  Soliman ,  avec  perte 
de  beaucoup  de  gens ,  qui  furent  tuez  par  le  feu  de  la  citadelle. 
Dès  que  Sohman  fut  arrivé,  il  s'empara  d'une  colline  quiétoit 
proche  des  vignes,  ôc  y  établit  fon  quartier.  Il  fit  d'abord  tirer 
de  cet  endroit  tout  le  canon  qu'il  avoit  amené  :  ce  qui  fut 
une  efpece  de  commencement  de  fiége.  Enfuite  les  Turcs  ou- 
vrirent leurs  tranchées ,  ôc  les  conduifirent  jufqu'à  lanouvelle 
ville  :  à  la  faveur  d'un  retranchement  ôc  d'un  parapet  gabionné, 
ils  fçurent  fe  mettre  à  l'abri  des  canons  de  la  ville  5  enfin  le  8 
d'Août,  ils  commencèrent  à  battre  la  place  en  trois  endroits 
differens,  Hali  Bâcha  ,  grand-maître  de  l'artillerie  Turque  , 
entreprit  la  nuit  de  faire  élever  une  plate-forme  ,  ôc  d'y  drefier 
une  batterie  au-deflbus  de  la  citadelle  intérieure ,  auprès  du  jar- 
din royal  ,  dans  le  marais  même  qui  fervoit  de  foflé  à  cette 
citadelle.  Le  lendemain  il  commença  à  faire  tirer  le  canon 
Tom.  V,  X 


i(?2  HISTOIRE 

^i^,,,,,^,,,^,,,,^  fans  difcontinuer,  depuis  le  point  du  jour  jufqu'au  foîr;  en  for- 

7;  te  que  la  tour ,  qui  étoit  au  dedans  de  la  citadelle,  fut  renverfée, 

^lY^  ^  ^  ôc  les  cloches  calTées.  La  batterie  ne  cefla  pas  même  pendant 

^  *       la  nuit ,  ôc  tua  plufieurs  des  afliégez. 
^  ^  Le  comte  de  Serin  ,  voyant  qu'il  perdoit  tant  de  monde,  fît 

à  la  pointe  du  jour  mettre  le  feu  à  la  ville  neuve ,  ôc  fermer  les 
portes  de  la  vieille  citadelle ,  dont  les  ennemis  tâchèrent  de 
fe  rendre  maîtres.  Pour  cela  ils  firent  des  ponts  de  bois ,  de 
terre,  &  de  décombres  ,  avec  des  parapets  de  facs  de  peaux 
graffes ,  afin  de  fe  mettre  à  fabri  du  canon  de  la  place  3  6c  à  la 
faveur  de  cette  efpece  de  maiitclcts ,  ils  s'approchèrent  telle- 
ment,  que  les  afîicgez  n'oferent  plus  paroître.  Enfin  le  ip 
d'Août  ils  donnèrent  un  affaut  :  le  combat  fut  long  Ôc  opiniâ- 
tre ,  ôc  il  y  eut  beaucoup  de  fang  répandu  de  part  ôc  d'autre  > 
enfin  la  vieille  ville  fut  prifc,  Ôc  il  en  coûta  la  vie  à  plufieurs 
braves  officiers ,  qui  n'eurent  pas  le  tems  de  fe  retirer  dans  la 
citadelle  ,  ayant  été  prévenus  par  les  Turcs ,  qui  s'emparèrent 
d'un  pont  fort  long,  qui  étoit  fur  le  lac ,  ôc  qui  conduifoit  de  la 
ville  à  la  citadelle. 

Les  Turcs  s'étant  rendus  maîtres  de  la  ville,  formèrent  dans  les 
marais  ôc  dans  les  foffez  (  qui  dans  cette  faifon  étoient  prefqu'en- 
tierement  defféchez  )  deux  chemins  avec  des  pièces  de  bois ,  des 
branchages^  des  fafcines,  ôc  des  démolitions,  ôc  mirent  des  clayes 
par  deffus.  Deux  jours  après ,  Haly  attaqua  la  citadelle ,  qui  étok 
dans  la  ville  :  il  y  perdit  beaucoup  de  monde  Ôc  fut  repouffé.  Il 
perdit  entr'autres le  Bâcha  Miferki,ôc  les  afîiégez  emportèrent 
avec  joie  deux  de  leurs  drapeaux.  Les  Turcs  ayant  refolu  de  don- 
ner un  affaut  général ,  ils  choifirent  pour  cela  le  2p  d'Août,  jour 
où  Ton  célèbre  la  mémoire  de  la  décolation  de  S.  Jean-Batifle. 
Ils  avoient  une  ferme  confiance  qu'ils  réufTiroient ,  parce  qu'ils 
fe  (ouvenoient  que  45*  ans  auparavant  Soliman  avoit  pris  Belgra- 
de à  pareil  jour  ,  que  le  Roi  Louis  avoit  été  tué  à  la  bataille  de 
Mohatz ,  ôc  que  ce  jour-là  aufTi  Rhodes  ôc  Bude  avoient  été  pri- 
fes.  Ils  fe  rappelloient  que  non-feulement  cejour,  mais  tout  le 
mois  d'Août  avoit  été  heureux  ôc  à  Soliman  ôc  à  Selim  fou 
père.  En  effet  c' étoit  dans  ce  mois  qu'il  avoit  vaincu  le  grand 
Ifmaël  dans  la  plaine  de  Calderan ,  ôc  Campfon  Gore  roi  de 
Memphis ,  auprès  du  Singa.  Ils  fe  reflbuvenoient  auUî  que  Baja- 
fet  avoit  pris  dans  le  même  mois  d'Août  Modondans  laMorée, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XXXIX.     1^3 

Ce  ne  fut  pas ,  comme  on  le  difoit ,  faute  des  préparatifs  ne- 


ceffaires  pour  un  aflaut.qu'ils  le  différèrent  jufqu'au  deux  de  Sep-  C  h  a  R  L  E 
tembre  j  ce  fut  parce  que  la  maladie,  dont  Soliman  mourut  bien-  I X . 
tôt  après ,  augmentoit.  Cependant  les  Janiflaires  ne  difconti-  1555, 
nuoient  point  leurs  travaux  5  iîs.minerent  pendant  les  nuits  la 
grande  fortificarioUj  qui  étoit  contiguë  à  la  colline  5  &  par  les 
mines  ils  fe  firent  une  ouverture  pour  aller  jufqu'à  la  paliflàde  du 
dedans  ,  oii  ils  portèrent  quantité  de  bois  fec ,  des  planches ,  de 
la  paille ,  ôc  de  la  poudre.  Ainfi  le  j  de  Septembre  les  Turcs 
brillèrent  le  plus  grand  baftion  de  la  citadelle  du  dehors  j  ôc 
le  feu  s'augmenta  tellement ,  tant  par  fa  propre  force  ,  que 
par  la  violence  du  vent ,  qu'après  un  long  combat ,  les  Turcs 
ayant  été  repouffés  deux  fois,  le  feu  vint  enfin  jufqu'au maga- 
fin  de  poudre,  dont  il  y  avoit  grande  abondance  dans  la  gran- 
de citadelle  extérieure,  proche  les  portes  de  la  petite.  Alors  le 
comte  de  Serin,  réduit  à  la  dernière  extrémité,  entra  avecfes 
troupes  dans  la  petite  citadelle  intérieure,  ôc  il  en  fit  auiïi-tôt 
fermer  les  portes ,  laiffant  dehors  plufieurs  braves  guerriers , 
fans  compter  les  femmes  ôc  les  enfans ,  qui  pendant  que  les 
Turcs  étoient  en  difpute  pour  le  butin  ,  périrent  tous  diver- 
ment  par  le  fer  &  par  le  feu ,  ou  furent  faits  efclaves. 

Les  Infidèles  n'étoient  plus  féparez  des  afliégez  par  des  ponts, 
ou  par  des  fDffez  ,  ils  en  étoient  comme  aux  mains ,  n'ayant  plus 
qu'une  muraille  entr'eux  &  les  Chrétiens.  Car  les  murs  de  la 
citadelle  extérieure  enfermoient  la  citadelle  intérieure  j  ôc  il  y 
avoit  au-devant  un  mur  par  oii  l'on  pouvoit  aller  droit  ôc  fans 
détour  de  la  grande  citadelle  dans  la  petite  :  cette  petite  cita- 
delle étoit  fituée  comme  dans  un  coin  de  l'autre ,  ôc  n'avoit 
point  d'autre  baftion  pour  fe  défendre,  que  la  grande  citadel- 
le ,  ni  d'autres  édifices ,  qu'une  ou  deux  chambres  011  logeoit 
le  comte  de  Serin  ,  ôc  quelques  maifons  où  étoit  le  magafin  de 
poudre.  Pour  les  vivres ,  qui  étoient  encore  en  affez  grande 
quantité  ,  ôc  qui  auroient  pu  fufiire  pour  plufieurs  jours ,  ou  ils 
furent  brûlez  avec  la  poudre  dans  la  grande  citadelle ,  ou  ils 
tombèrent  entre  les  mains  des  Infidèles.  Il  y  avoit  fi  peu  de 
provifions  dans  la  petite  citadelle  ,  que  pendant  les  trois  jours 
qui  fe  paiTerent  jufqu'au  dernier  affaut,  les  femmes  ôc  les  en- 
fans  mouroient  miferablement  de  faim  ôc  de  foif  De  toute  l'ar- 
tillerie, qui  étoit  nombreufe,  il  ne  reftoit  que  deux  gros  canons 

Xij 


1^4  HISTOIRE 

ôc  quatorze  mortiers.    Deux  jours  après ,  les  Turcs  attaque'^ 

Char  LE  ^^^^^  ^^^  alTiégez  dans  la  petite  citadelle,  comme  ils  avoient 
j^         fait  dans  la  grande  :  fur  le  foir  ils  y  jetterent  du  feu  ,  qui  prit 
I  c  6  6     ^^'^^  ^'^^^^  ^^  violence  ,  ôc  qui  fit  pendant  route  la  nuit  de  Ci 
grands  progrès ,  par  la  force  du  vent ,  qu'il  fut  impolTible  de 
l'cteindre  j  ôC  le  lendemain  ils  fe  préparèrent  à  donner  un  aflaut 
gcncral. 
Etrangère-      Alors  le  comtc  de  Serin  voyant  qu'il  n'y  avoit  plus  aucune 
comtïïelîè-    efpcrance,  &  que  la  garnifon ,  extrêmement  diminuée,  com- 
rin,  mençoit  à  perdre  courage,  prit  une  étrange  réfolution,  que  la 

feule  neceffité  pouvoit  infpirer.  Prenant  l'air  d'un  homme  qui 
brave  la  mort,  il  fe  fit  apporter  l'habit  le  plus  beau  qu'il  eût,, 
ôc  s'en  revêtit  au  lieu  de  cuiraflc  :  à  la  place  de  fon  cafque  j  il 
mit  fur  fa  tête  un  bonnet  de  velours,  orné  d'un  diamant  de 
grand  prix,  ôc  d'un  bouquet  déplumes  de  Héron.  S'étant  en- 
fuite  fait  apporter  quatre  épées ,  il  en  choifit  une  pour  lui,  ôc 
diftribua  les  autres  à  fes  amis,leur  difant  que  ces  armes  fuffifoient 
à  celui  qui  aimoit  mieux  combattre  fans  embarras,  ôc  être  tue 
promptement ,  que  de  lutter  long-tems  contre  la  mort.  Enfui- 
te  s'étant  fait  apporter  par  fon  valet  de  chambre  les  clefs  de  la 
citadelle,  il  les  fit  coudre  à  fa  chemife,  ôc  avec  ces  clefs  cent 
pièces  d'or ,  pour  la  récompenfe  de  celui  qui  le  prendroit  quand 
il  auroit  été  tué.  En  cet  équipage  il  vint  trouver  les  officiers  ôc 
les  foldats ,  qui  l'attendoient  dans  la  place  d'armes ,  en  bataille^ 
ôc  on  dit  qu'il  leur  fit  ce  difcours.  «  Mes  chers  compagnons 
M  ôc  frères,  le  jour  eft  enfin  venu  où  nous  devons  acquitter  la 
^  foi  que  nous  nous  fommes  donnée  les  uns  aux  autres.  Comme 
3>  nous  avons  vécu  enfemble  en  grande  union  >  fervant  fideie- 
='  ment  notre  Prince  ôc  notre  patrie ,  mourons  de  même  enfem- 
35  ble,  dans  une  pleine  confiance  en  la  mifericorde  de  notre  Dieu, 
»  pour  lequel  nous  combattons.  Vous  voyez  l'état  où  nous  fom- 
«  mes  réduits  :  nous  fommes  prefTez  d'un  côté  par  le  feu,  qui 
«  dévore  tout  ce  qui  nous  environne ,  ôc  de  l'autre ,  par  la  faim 
*  ôc  par  les  cris  lamentables  de  tant  de  femmes  ôc  d'enfans.  Il 
»  ne  nous  refte  plus  d'autre  reffource  que  notre  patience ,  no- 
«  tre  fermeté  ôc  notre  confiance ,  pour  fouffrir  avec  courage 
»  tout  ce  qu'il  a  plu  à  Dieu  d'ordonner.  Il  y  auroit  non-feule- 
o>  ment  de  la  lâcheté  ,  mais  de  l'imprudence  à  capituler  avec 
I»  un  ennemi ,  dont  nous  avons  fi  fou\  ent  éprouvé  la  perfidie. 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L I V.  XXXIX.      i^y 

«  Ainfi  ayant  pour  nous  ôcla  protedion  de  Dieu  ,  ôcletémoi-     m  , 

«  gnage  de  notre  confcience,  allons  à  l'ennemi  avec  la  même  C  H  arle 
»'  ardeur,  avec  laquelle  nous  avons  déjà  foûtenu  tant  d'afTauts  j       IX. 
»  allons,  avant  que  le  feu  vienne  nous  confumer.  Allons  acque-     1^66». 
a>  rir  une  gloire  immortelle.  Si  nous  mourons  ,  nous  laiderons 
a>  à  la  pofterité  le  glorieux  fouvenir  d'un  courage  héroïque  ;  * 
3>  mais  peut-être  réùffirons-nous  à  fauver  nos  vies ,  en  nous  ou- 
»  vrant  un  pafTage  au  travers  des  ennemis.  ^' 

Ayant  dit  ces  paroles  ,  ôc  prononcé  trois  fois ,  Jejjis ,  à  hau- 
te voix ,  le  Comte  précédé  de  l'étendart  du  Gouverneur,  qu'il 
avoit  donné  à  porter  à  Laurent  Jurzniski,  fait  ouvrir  \ts  portes 
de  la  citadelle  :  en  même  tems  il  fait  tirer  un  mortier  chargé  à 
cartouches ,  afin  que  la  fumée  pût  le  dérober  aux  yeux  des  en- 
nemjs.  Il  fort  alors  à  la  tête  de  fes  gens ,  tenant  fon  épée  nue  d'u- 
ne main  ,  &  un  petit  bouclier  de  l'autre.  Après  avoir  quelque 
tems  combattu  fur  le  pont ,  il  eft  environné  de  toutes  parts  par 
les  JanniiTaires  ,  ôc  effuye  une  grêle  de  flèches.  Il  tombe  enfin 
mort  de  trois  bleffures.  Ceux  qui  le  fuivoient,le  voyant  tom- 
ber ,  voulurent  rentrer  dans  la  citadelle  3  mais  les  Turcs  s'étant 
mêlez  avec  eux ,  il  y  eut  de  part  ôc  d'autre  un  grand  carnage  > 
enfin  les  alTiégeans  le  rendirent  maîtres  de  la  place.  On  épar- 
gna les  femmes  ôc  les  enfans ,  qui  furent  réduits  à  une  capti- 
vité plus  dure  que  la  mort.  Prefque  tous  ceux  qui  reflerent  de 
la  garnifon  furent  tuez.  Un  petit  nombre  fe  déroba  à  la  mort  ^ 
en  prenant  des  turbans  comme  les  Turcs  5  ôc  les  Turcs  eux- 
mêmes  en  dérobèrent  quelques-uns  à  la  fureur  dufoldat,  dans 
l'efpérance  d'en  avoir  quelque  rançon. 

La  prife  de  la  citadelle  coûta  beaucoup  de  fang  aux  Infidè- 
les :  il  en  périt  trois  mille ,  ou  par  la  chute  des  édifices,  ou  dans 
le  Gombat ,  ou  par  le  feu  qui  prit  aux  poudres ,  ou  d'autre  ma- 
nière. Il  y  eut  de  part  ôc  d'autre  un  fi  horrible  carnage,  que 
ie  fang  couloir  de  toutes  parts  en  abondance  j  ôc  qu'on  ne  pou- 
voit  marcher  dans  la  citadelle  que  fur  des  corps  morts.  D'un  au- 
tre côté ,  on  n'entendoit  dans  le  camp  des  Turcs  que  des  cris 
ôc  des  gémifi^emens.  Ainfi  la  douleur  des  particuHers  diminua  la 
joie  publique  de  la  prife  de  Zighct.  On  coupa  la  tête  au  comte 
de  Serin  5  ôc  le  commandant  des  Janifi^aites  l'envoya  à  Sohman , 
qu'il  croyoit  encore  en  vie.  ^^^lais  Machmet,  qui  étoit  alors  à 
la  tête  des  affaires ,  l'envoya  au  gouverneur  de  Bu  de ,  qui  la  fie 

Xiij 


i66  ^  HISTOIRE 

Ml  ■  porter  à  l'Empereur  Maximilien ,  enveloppée  dans  une  étofTe 

C  H  A  R  L  E  ^^  ^^^^'  Maximilien  fut  touché ,  comme  il  devoit ,  d'un  fi  trifte 
j  y^        fpe£laclc.  Apres  avoir  loué  hautement  les  vei^us  de  cet  illuf- 
^*^      tre  mort,  il  fît  remettre  à  Balthafar  ,  fils  du  Comte  ,  la  tête  de; 
*     fon  père  ,  &  promit  de  lui  donner  en  toutes  occafions  des  mar- 
ques de  la  reconnoilTance  qu'il  avoit  des  fervices  importans 
que  le  comte  de  Serin  lui  avoit  rendus.  Balthafar  la  fit  porter 
dans  le  château  de  Scacaturn  ,  où  il  fit  faire  de  magnifiques 
funérailles  à  fon  père  ,  dont  la  tête  fut  mife  dans  le  tombeau 
de  fes  ancêtres  >  dans  l'églife  de  fainte  Hélène. 

Les  Turcs  perdirent  à  ce  fiége  dix-huit  mille  cavaliers ,  fept 
mille  Janiffaires  5  ôc  entre  les  Chefs  ,  Miferki ,  AH  Pertaw  ,  le 
premier  Chiaoux  ou  chambellan,  ôc  celui  qui  avoit  le  foin  des 
finances ,  tous  Bâchas.  Zighet,  afliégé  le  8  de  Juillet ,  fut  pris 
le  8  de  Septembre. 
Moitd  Soliman  étoit  mort  d'apoplexie  dans  le  camp  dès  le  cinq  du 

^oliman.  même  mois ,  après  avoir  eu  d'abord  quelques  attaques  d'épi- 
iepfie.  Ce  Prince  fe  rendit  illuftre  ôc  recommandable  parmi 
les  Turcs  )  par  fa  pieté  ,  par  fa  juftice ,  par  fa  grandeur  d'ame , 
par  fa  continence  ^  ôc  par  fa  bonne  foi  :  il  ne  fembloit  lui  man- 
quer que  le  vrai  culte  de  Dieu.  Il  avoit  foixante  ôc  feize  ans 
quand  il  mourut ,  ôc  en  avoit  régné  quarante-fîx  ôc  demi.  Il 
fut  élevé  fur  le  thrône  de  l'Empire  Ottoman  le  même  mois 
que  Chaule  Quint  fut  élu  Empereur  d'Allemagne.  Quoique 
îe  gouvernement  des  Turcs  foit  une  efpéce  de  gouvernement 
militaire  ,  ennemi  de  la  paix ,  ôc  qui  en  ignore  les  avantages , 
Soliman  laifibit  prefque  toujours  l'intervalle  d'une  année  en- 
tre deux  expéditions.  La  plupart  de  fes  entreprifes  furent  heu- 
reufes  :  il  augmenta  fes  Etats  de  la  Hongrie  en  Europe  ,  ôc  de 
l'Arménie  en  Afie.  Il  eut  aulïi  quelques  revers  de  fortune  l'an- 
née précédente  5  au  dehors ,  par  le  mauvais  fuccès  de  Fentre- 
prife  de  Pvlalthc  i  ôc  au  dedans ,  par  la  mort  de  deux  de  fes  fils; 
ôc  de  tous  fes  petits-fils ,  qui  auroient  pu  conferver  la  paix  dans  fa 
maifon  ôc  dans  tout  fon  Empire.  On  dit  que  trois  chofes  princi- 
pales manquèrent  au  bonheur  Ôc  aux  defirs  de  Soliman  :  la  pre- 
mière, de  n'avoir  pas  réduit  fous  fapuiffance  la  ville  de  Vienne, 
îe  rempart  ôc  la  clef  de  l'Allemagne,  ôc  qu'il  prétendoit  lui 
appartenir  ,  comme  héritier  de  l'Empire ,  depuis  que  Maho- 
met fon  bifayeul  avoit  fait  la  conquête  de  Conftantinople  : 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXIX.      i(?7 

la  féconde  &  la  troifiéme  ,  de  n'avoir  pîi  achever  la  grande 
Alofquée  d'une  ftruiSlure  admirable  ,  qu'il  avoir  commencée 
à  Conftantinople  j  ôc  les  aqueducs  qu'il  avoir  entrepris  à  l'i- 
mitation des  Romains.  Si  Soliman  eût  eu  le  bonheur  de  voir 
ces  trois  chofes  avant  fa  mort  ,  il  fe  feroit  regardé  comme 
le  plus  heureux  de  tous  les  Potentats. 

Mechmet  premier  Vizir  cacha  aflez  long-tems  la  mort  du 
Sultan ,  avec  beaucoup  d'adreffe  ôc  de  prudence  j  il  fît  même 
tuer  pendant  la  nuit  fon  premier  Médecin  ,  de  peur  qu'il  ne 
la  divulgât.  Ce  Miniftre  appréhendoit  que  les  JanifTaires  & 
îes  autres  gens  de  guerre  l'apprenant  trop  tôt ,  n'excitaflcnt  des 
troubles  dans  le  camp  j  qu'ils  ne  vouluîTent,  fuivant  leur  cou- 
tume ,  piller  la  tente  &  le  tréfor  du  Sultan ,  avec  les  effets  des 
Chrétiens  ôc  des  Juifs  5  qu'enrichis  de  ce  butin ,  ôc  de  ces  pré- 
tieufes  dépouilles  ,  ils  ne  refufaiïent  d'obéir  à  leurs  Chefs  j  ôc 
que  perfonne  n'eût  affez  de  crédit  ôc  d'autorité  pour  les  con- 
tenir dans  leur  devoir.  En  effet  s'il  fût  furvenu  dans  l'armée 
Turque  quelque  trouble ,  ôc  fi  on  y  eût  laiffé  introduire  la  li- 
cence, ç'auroit  été  pour  Maximilien  une  belle  occafion  de  rem- 
porter bien  des  avantages,  dans  une  circonilance ,  où  il  avoit  à 
fa  difpofition  une  armée  nombreufe  y  compofce  des  plus  bel- 
les troupes  de  la  Chrétienté,  qui  lui  avoient  été  envoyées  de 
toutes  parts.  Les  Bâchas  ,  les  Officiers  ,  ôc  les  Janiffaires 
fur  tout ,  demandèrent  avec  beaucoup  d'inftance  à  voir  leur 
Prince  ,  ôc  ils  commençoient  à  fe  douter  de  fa  mort.  Comme 
il  y  avoit  déjà  des  apparences  de  quelques  mouvemens  fi,*crets , 
Mechmet  jugea  à  propos  de  les  tromper  adroitement.  Il  fit 
habiller  le  cadavre  de  Soliman ,  ôc  l'ayant  fait  mettre  fur  un 
fiége  élevé  ,  il  le  fit  voir  de  loin  aux  plus  curieux  :  tout  étoit  fi 
bien  difpofé  ,  que  ceux  qui  le  virent  le  crûrent  vivant.  Après 
cette  fcéne ,  Mechmet  faifant  femblant  d'avoir  reçu  les  ordres 
de  Soliman  ,  fortit  de  fa  tente ,  fit  affembler  les  Janiffaires ,  ôc 
leur  fit  un  difcours  folide ,  pour  les  exhorter  à  preffer  le  fiége. 
Cependant  la  douleur  d'avoir  perdu  fon  maître  le  trahit  jôc 
on  vit  couler  imprudemment  de  fes  yeux  quelques  larmes , 
qu'il  ne  put  retenir.  Il  s'en  apperçut  fur  le  champ  5  ôc  il  jugea ^ 
au  bruit  fourd  qu'il  entendit  fe  répandre  parmi  les  Janiffai- 
res ,  que  quelques-uns  d'eux  ayant  vu  fes  larmes  ôc  fes  yeux 
encore  rouges ,  en  avoient  conclu  que  le  Sultan  étoit  mort. 


i6B  HISTOIRE 

■^  Alors  il  ufa  d'un  nouvel  artifice;  ôc  cachant  avec  une  préfetî- 

Char  LE  ^^  d'efprit  admirable  le  vrai  fujct  de  fa  douleur ,  il  leur  déclara 

IX        ^"^  ^^  n'étoit  pas  la  mort  de  Soliman  qu'il  pleuroit,  puifqu'ii 

j  -  ^  ^     étoit  en  vie  :,  ôc  prefque  guéri  5  mais  qu'il  pleuroit  fur  tant  de 

braves  gens  qui  étoient  dans  l'armée  ,  &  fur  lui-mcme  ?  parce 

que  fuivant  les  ordres  exprès  ,  6c  les  menaces  terribles  de  fa 

HautefTe  ,  ils  étoient  dans  la  trifte  nécelTité  ou  d'emporter  Zi- 

ghet  dans  trois  jours,  ou  de  périr  tous  au  milieu  des  plus  cruels 

fupplices.  Ces  paroles  prononcées  avec  un  vifage  fi  ferieux  6c 

fi  trifte ,  levèrent  tous  les  foupçons  qu'on  avoit  de  la  mort  du 

Sultan,  6c  animèrent  tellement  les  troupes,  qu'elles  réfolurent 

de  mettre  fin  à  un  fiege ,  dont  la  Fortune  fembloit  jufqu'alors 

îeur  avoir  envié  le  fucccs.  Ainfi  effrayez  ou  perfuadez  par  les 

difcours  de  Mechmet ,  ils  donnèrent  un  afTaut  général  aux  deux 

citadelles ,  6c  les  emportèrent. 

Pendant  que  Soliman  faifoit  le  fiége  de  Zighet ,  le  bâcha  * 
Prife  de  Pcrtaw  ,  à  la  tête  d'une  armée  de  quarante  mille  hommes , 
compofée  de  Turcs  ôc  de  Tartares,à  laquelle  il  joignit  les 
troupes  de  Jean  Prince  de  Tranfylvanie ,  ôc  celles  du  Bâcha 
de  Temefwar ,  marcha  vers  Giula ,  place  très  forte  ,  fituée  fur 
le  lac  de  Zarcad  ,  près  des  frontières  de  la  Hongrie  Ôc  de  la 
Tranfilvanie.  Elle  avoit  pour  Gouverneur  LadiflasKereczeni, 
qui  avoit  jufqu'alors  fait  la  guerre  contre  les  Turcs  avec  beau- 
coup de  courage  6c  de  vigueur.  On  crut  que  Pertaw  avoit 
été  forcé  par  une  inondation  de  fe  retirer ,  6c  d'abandonner 
le  fiége.  Les  Impériaux  le  pourfuivirent ,  chargèrent  fon  ar- 
riere-garde ,  6c  taillèrent  en  pièces  un  grand  nombre  de  fes 
gens  >  mais  les  eaux  s'étant  bien-tôt  écoulées  ,  les  Turcs  revin- 
rent ,  ferrèrent  la  place  de  très  près ,  6c  la  battirent  fans  difcon- 
tinuation  pendant  plufieurs  jours.  Les  afiiégez  firent  plufieurs 
forties  de  tems  en  tems  :  une  nuit  fur  tout  voyant  que  les  af- 
(iégeans  fe  relachoient,ils  fortirent,  les  attaquèrent  vivement,  ôc 
en  tuèrent  un  grand  nombre.  Ils  fe  rendirent  maîtres  du  canon , 
qu'ils  fe  contentèrent  d'encloûer ,  n'ayant  ni  voitures  ni  chevaux 
pour  l'emmener.  Enfin ,  après  avoir  foûtenu  le  fiége  pendant 
foixante  jours ,  Kereczeni  eut  une  conférence  avec  George  Be- 
bech ,  principal  auteur  de  la  dernière  guerre  entre  Maximilien 

î  II  y  avoit  deux  Pertav  j  le  premier  tué  au  fiége  de  Zighet  ;  ôç  le  Bâcha  qui 
ùdt  Je  liège  de  Giula. 

ÔC 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv:  XXXIX.    169 

&  Jean ,  ôc  par  une  capitulation  fignée  le  fécond  jour  de  Sep- 
tembre ,  il  rendit  Ja  ville,  dont  le  fiége  avoit  commencé  le  deux 
de  Juillet.  Schwendi  avoit  néanmoins  annoncé  que  les  Turcs 
dévoient  le  lever  dans  trois  jours. 

La  capitulation  portoit,  que  la  garnifon  feroit  renvoyée  vies 
•6c  bagues  fauves.  Cependant  Kereczeni  ayant  été  amené  dans 
la  tente  de  Pertaw  i  où  il  fut  bien  reçu ,  à  peine  la  garnifon  fut 
elle  éloignée  de  mille  pas  de  la  place ,  qu'elle  fe  vit  attaquée 
par  deux  bataillons  Turcs.  Les  Allemands  fe  défendirent  d'a- 
bord avec  beaucoup  de  vigueur  j  mais  étant  bien  inférieurs  en 
nombre,  ils  furent  enfin  taillez  en  pièces,  à  la  referve  d'un  pe- 
tit nombre ,  qui  à  la  faveur  de  la  nuit  fe  fauva  dans  des  ro- 
féaux  peu  éloignez.  Le  capitaine  Bernard  Rotenaw,  qui  étoit 
de  ce  nombre,  alla  trouver  l'Empereur,  accufa  Kereczeni,  & 
affura  qu'il  avoit  trahi  S.  M.  Impériale,  Ôc  livré  Giula.  Les 
Hongrois  néanmoins,  quiavoient  été  préfens  à  la  capitulation, 
î'excufoient ,  ôc  rendoient  témoignage  qu'il  n'avoit  rien  fait, 
fans  en  communiquer  auparavant  avec  les  Allemands  j  que 
dans  le  Confeil  il  avoit  toujours  été  oppofé  à  la  reddition  de 
îa  place?  mais  que  les  Allemands  vaincus  en  partie  par  lané- 
ceffité ,  ôc  en  partie  par  les  conditions  honorables  qu'on  leur 
propofoit ,  ôc  par  les  promeffes  des  ennemis ,  avoient  obligé  le 
Gouverneur  à  fe  rendre. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  foit  que  ce  fût  par  lâcheté  ou  par  trahi- 
fon  qu'il  eût  rendu  Giula  aux  Turcs,  il  en  fut  cruellement  puni 
l'année  fui  vante.  Vers  ce  tems-îà  George  Thuvri ,  dans  un  com- 
bat entre  les  Lnperiaux  qui  étoient  à  Javarin ,  ôc  les  Turcs  qui 
étoient  à  Albe-Royale,  fit  prifonnier  Mahumet  gouverneur  de 
cette  dernière  place  ,  qui  fe  racheta  depuis  pour  la  fomme  de 
50000  écus  d'or.  Kereczeni  avoit  efperé  d'être  échangé  avec 
Mahumet ,  parce  que  fon  fils  devoir  époufer  la  fille  d'Arach , 
qui  avoit  une  charge  confidcrable  '  à  la  Cour  de  FEmpereur, 
6c  qui  avoit  Mahumet  en  fon  pouvoir.  Mais  l'échange  ayant  été 
différé,  je  ne  fçai  pour  quelles  raifons ,  Kereczeni  fut  conduit 
de  Belgrade  à  Conftantinople.  Là  plufieurs  fe  plaignirent  des 
mauvais  traitemens  qu'ils  avoient  reçus  de  lui ,  contre  les  rè- 
gles de  la  guerre  ;  ôc  on  l'accufa  d'avoir  fait  couper  le  nez  aux 
uns,  d'avoir  fait  fendre  la  bouche  aux  autres,  ôc  d'en  avoir  fait 

I  Cette  charge  étoit  comme  celle  de  Prévôt  de  l'Hôtel. 
Tome  V^  y 


ijo  HISTOIRE 

I  ■  mourir  un  grand  nombre  par  divers  genres  de  fuplices.  Seîiiu 

Chari  e  ^^*^^^^^  Empereur  des  Turcs  ,  touché  de  ces  plaintes,  Taban- 
j  y  donna  à  fes  accufateurs  ,  ôc  leur  permit  de  le  punir  à  leur  fan-» 
1  c  6  ^  taifie.  Ils  l'enfermèrent  dans  un  muid  armé  en  dedans  de  gros 
clous  pointus,  &  le  précipitèrent  du  haut  d'une  montagne  eu 
bas,  où  il  mourut  au  milieu  des  douleurs  ,  qu'un  fi horrible  fu- 
plice  dut  lui  faire  fouffrir.  La  malheureufe  deflinée  du  père  in- 
flua fur  le  fils,  qui  mourut  peu  de  tems  après,  fans  laifler  de 
pofterité  :  fes  terres  ,  fes  maifons  ,  ôc  fes  autres  biens ,  qui 
étoient  immenfes ,  tombèrent  en  des  mains  étrangères. 

Ainfi  furent  prifes  par  les  Turcs  dans  le  même  tems  les  deux 
plus  fortes  places  de  la  Hongrie ,  Giula  ôc  Zighet.  Les  plus  fa- 
ges  ôc  les  plus  expérimentez  jugèrent  que  l'Empereur  ôc  fort 
Confeil  de  guerre  avoient  bien  manqué  de  prudence,  de  s'ê- 
tre tenus  dans  leur  camp  fans  rien  faire ,  de  n'avoir  pas  détaché 
d'une  armée  fi  nombreufe  quelques  troupes ,  pour  renforcer  les 
garnifons  de  ces  deux  places  ,  ôc  les  mettre  au  moins  en  état 
d'en  retarder  la  prife.  Car  il  efl:  certain ,  que  fi  après  la  mort  de 
Soliman  les  Turcs  eufTent  trouvé  plus  de  difficuirez  à  furmon- 
ter  dans  l'un  Ôc  l'autre  fiége,  les  troupes,  ôc  principalement  les 
Janiflaires,  qui  appréhendoient  alors  de  périr,  ôc  qui  en  étoient 
menacez,  auroient  excité  quelques  troubles  dans  le  campi  fur 
tout  ne  fcachant  fi  Soliman  étoit  mort  ou  en  vie  ;  ôc  la  rufe  du 
Vizir  auroit  été  inutile.  Mais  la  mort  de  Soliman  étant  ar- 
rivée, lorfque  Giula  étoit  déjà  rendue  ,  ôc  que  Zighet  ne  pou- 
voit  plus  tenir  long-tems ,  il  fut  aifé  à  un  Miniftre  aufli  habile  ÔC 
aufïi  puifTant,  de  la  cacher. 

Après  la  prife  de  ces  deux  places  importantes,  les  Turcs  s'a- 
bandonnèrent à  la  joie,  ôc  les  troupes  coururent  de  tous  cotez 
pour  piller.  Mechmet ,  homme  d'ailleurs  très  févére,  ôc  accou- 
tumé à  faire  obferver  aux  troupes  une  éxacle  difcipline,nefut 
pas  fâché  dans  les  circonftances  préfentes  de  les  voir  fe  réjouir, 
&  penfer  à  toute  autre  chofe,  qu'aux  affaires  de  l'Etat  5  jufqu'à 
ce  que  Selim ,  averti  de  la  mort  de  fon  père ,  pût  fe  rendre  à 
Conftantinople,  ôc  de  là  au  camp,  après  avoir  donné  ordre  à 
tout.  En  effet,  auffi-tôt  après  la  mort  de  Soliman,  Mechmet 
avoir  écrit  en  diligence  à  Selim ,  dont  il  avoit  époufé  la  fille , 
ôc  quiéroit  alors  à  Mangrefia,  ville  de  la  Natolie,à  trois  jour- 
nées de  Conftaminople  :  fa  lettre  étoit  fignée  par  le  Capi-Aga , 


m  an 


DE  J.  A.  DE  T HOU,  L  IV.  XXXIX;    171 

Bc  par  le  Médecin.  Selim  l'ayant  lue,  vint  fur  le  champ  ôctrès 
fecrérement  à  Scutari,  vis-à-vis  de  Conftantinople ,  où  ayant  Char  LE 
ccé  reçu  dans  la  Capitane ,  félon  la  coutume,  par  leBoftangi-       j^ 
Bachi  ,  il  arriva    à  Conftantinople  au-delà  du  Bofphore.  Il      ir  5<j. 
avoir  auparavant  envoyé  avertir  Scander  Bâcha,  que  Soliman     Seiimmon- 
avoit  laiiTé  pour  Gouverneur  dans  la  ville,  de  hâter  avec  foin  tefurictivô 

•  */      •         /      ^  .  ,  r      n  o  ^       ne  ae  Sohma 

tout  ce  qui  etoit  neceilaire  pouria  pompe  runebrcoc  pourlon  fonpeie 
entrée.  AuflTi-tôt  que  Selim  fut  dans  Conftantinople ,  Scander 
ie  conduifit  dans  le  Palais  ôc  dans  le  Sérail ,  où  il  s'affît  fur  le 
ihrone  Impérial ,  dans  une  grande  falle  enrichie  de  perles ,  &c 
de  tout  ce  que  l'oftentation  ôc  le  fafte  de  ces  barbares  ont  pu 
trouver  de  plus  prétieux ,  ôc  qui  ne  peut  être  occupée  que  par 
les  Sultans  de  la  race  des  Ottomans.  Enfuite  on  fit  dans  la 
ville  les  acclamations  ordinaires  :  Que  l'ame  du  grand  Sultan 
Soliman  joùifle  d'une  paix  ôc  d'une  béatitude  éternelles  ,  Ôc 
que  fa  mémoire  foit  toujours  en  benedidion  :  Que  le  Sultan 
Selim  vive  long-tems,  ôc  qu'il  règne  fous  d'heureux  aufpices  , 
6c  que  fon  Empire  s'affermifle  ôc  s'augmente. 

On  fit  la  même  chofe  dans  la  Remanie  ôc  dans  les  autres 
Provinces ,  afin  qu'on  apprît  en  même  tems  par  tout,  que  le  pè- 
re étoit  mort,  ôc  que  le  fils  avoit  pris  pofteirion  de  l'Empire. 
Le  lendemain^  qui  étoit  le  24  de  Septembre,  Selim  fortit  du 
Palais  pour  fe  faire  voir  au  Peuple;  Ôc  étant  monté  à  cheval, 
il  alla  jufqu'au  tombeau  de  Job ,  qui  eft  un  lieu  proche  les  mu- 
railles de  Conftantinople  ,  où  les  Ottomans  ont  coutume  de 
faire  une  efpece  de  facrifice.  Là ,  après  avoir  fait  tuer  un  grand 
nombre  d'animaux,  ôc  fait  cuire  des  viandes  en  quantité,  Se- 
lim fit  donner  aux  pauvres  le.feftin  funèbre,  qu'il  accompagna 
d'une  grande  diftiibution  d'argent ,  ôc  revint  dans  la  ville  avec 
la  même  pompe  ôc  les  mêmes  acclamations  du  peuple.  Ce- 
pendant le  Sultan  avoit  donné  ordre  à  Scander  Bâcha ,  de  faire 
venir  de  tous  les  lieux  d'alentour  les  Janiffaires ,  qui  ne  fça- 
voient  pas  encore  la  mort  de  Sohman,  ôc  de  les  affembier  dans 
un  bourg  affez  près  de  Conftantinople,  fous  prétexte  d'envoyer 
un  renfort  au  fiége  de  Zigher.  Comme  Selim  étoit  déjà  fur  le 
thrône  de  fon  père.  Scander  leur  fit  un  difcours,  pour  leur  ap- 
prendre ôc  la  mort  de  Soliman  ,  ôc  Fheureux  avènement  de 
fon  fils  à  l'Empire.  Afin  de  les  dédommager  du  pillage  qu'ils 
ont  coutume  de  faire  à  la  mort  du  Sultan,  il  leur  offrit  loocoo 

Y  y 


1-J2  H  I  S  T  O  r  R  E 

^,,,,,^^_,_^^^_^  Sulranins.  Cette  libéralité  du  nouveau  Grand-Seigneur  ne  dé^ 

~  plut  pas  aux  Janiflaires  3  ôc  ils  s'en  contentèrent ,  à  condition 

A  RLE  qu'Qj-i  igm.  donneroit  à  l'avenir  une  plus  forte  paye ,  lorfqu'ils. 
iroient  à  la  guerre*. 
\i        \         Après  ces  premières  démarches ,  ôc  après  s'être  afluré  des. 

rpnarmée,  Janiflaires,  Selim  partit  de  Conftantinople  le  27  de  Seprem-r 
bre,  ôc  fe  rendit  en  diligence  à  fon  armée,  qu'il  rencontra  près 
de  Belgrade.  Elle  étoit  encore  incertaine  de  la  mort  de  Soli- 
man, dont  le  corps  étoit  porté  dans  une  litière  magnifiquement: 
ornée,ôc  couverte  de  tous  cotez.  Si  Soliman  n'avoir  pas  été 
malade  ,  après  de  fi  heureux  fuccès  ,  il  auroit  dû  marcher  à. 
cheval ,  ôc  comme  en  triomphe ,  pour  prendre  part  à  la  joie  pu- 
blique. Mais  comme  on  avoit  fçû  fa  maladie ,  ôc  que  pendant 
fa  vie  il  fe  fervoit  quelquefois  d'une  litière,  lorfqu'il  avoit  la 
goûte  ,  l'armée  fut  moins  furprife  de  le  voir  couché ,  comme 
malade,  dans  cette  voiture.  Cependant  les  Janiflaires  voyant 
l'habillement  de  Selim  ,  fe  doutèrent  de  ce  qui  en  étoit.  En 
effet  ce  Prince  approchant  du  camp,  avoit  mis  un  turban  fort 
court ,  ôc  de  peu  de  valeur  ,  ôc  il  s'étoit  revêtu  d'une  robe  ÔC. 
d'un  cafl^etan  noirs.  Aufli-tôt  qu'il  apperçût  la  Htiére  ,  il  def- 
cendit  de  cheval,  avec  tous  les  Bâchas  ôc  tous  les  Miniflres 
de  la  Juftice  ,  appeliez  Cadileskers  ,  qui  étoient  tous  habillez 
prefque  comme  lui.  Alors  on  ouvrit  la  litière  ,  Selim  verfa  des 
larmes  fur  le  corps  de  Soliman  >  ôc  ordonna  qu'en  figne  de 
triftefle ,  on  portât  dans  toute  l'armée  les  érendarts  renverfez. 
A  ce  fpeclacle  ,  il  fe  fit  pendant  quelque  tems  un  profond  fî- 
lence ,  pendant  lequel  Selim  mit  fur  fa  tête  un  turban  blanc , 
ôc  tout  brillant  de  pierreries.  Puis  s'étant  revêtu  de  l'habille- 
ment Impérial ,  ilmonta  fur  un  autre  cheval  deftiné  à  de  pa- 
reilles cérémonies ,  ôc  quine  peutêtremonté  que  parle  Sultan. 
Les  Bâchas,  ôc  les  autres  Grands  de  l'Empire,  montèrent  auflî 
à  cheval ,  ôc  on  recouvrit  la  litière.  Enfuite  on  arbora  les  En- 
feignes  du  nouveau  Sultan ,  aux  acclamations  de  toute  l'ar- 
mée, qui  falua  Selim  en  qualité  de  fon  Empereur  5  Ôc  chacun, 
félon  fon  rang ,  lui  vint  baifer  les  mains,  en  figne  de  foûmiflion,: 
ôc  d'obéïflance. 
Obféques.       Après  avoir  fait  \qs  îargefTes  orHinaires  aux  Janiflaires  ôc  aux 

«le  Soliman,     peuples ,  il  ordonna  que  le  corps  de  fon  père  fût  porté  à  Conftan- 
tinople ,  ôc  mis  dans  le  Maufoiée  appelle  Zuna  ,  que  Solia^an* 


D  E  J.  A.  D  E  T  HO  U  ,  Li  v.  XXXIX.    175 

S^étoit  fait  faire  de  fon  vivant,  &  il  en  donna  la  commifîîon  ■- 

à  Achmeth  Bâcha  ,  qui  avoir  époufé  une  petite  fille  de  So-  Char  le 
iiman  ,  ôc  àFerhat  Capi-Aga,  Ils  conduifnrent  le  corps,  ac-  JX. 
Gompagnez  des  Gouverneurs  des  provinces ,  ôc  des  Janiffaires ,  j  ^  5  ^^ 
&  précédez  de  l'étendart  Impérial,  ôc  arrivèrent  à  Conftanti- 
nople  le  22  de  Novembre.  Le  corps  fut  re<^û  par  une  troupe 
innombrable  de  peuple,  ayant  à  fa  tête  celui  que  les  Turcs  ap- 
pellent Muphti,  qui  eft  parmi  eux  le  chef  de  la  Religion  ,  ôc 
le  premier  dodeur  de  la  Loi.  Le  Muphti  étoit  fuivi  de  Scan- 
der Bâcha  gouverneur  de  la  ville.  Après  lui  marchoient  les  of- 
ficiers de  la  Chambre,  ou  tréforiers ,  appeliez  Dephterdars, 
ôc  les  autres  ofliciers ,  tous  en  deuil.  Enfin  la  marche  étoit  ter- 
minée par  une  multitude  infinie  de  toute  forte  de  perfonnes. 
Gn  tira  de  la  litière  le  cercueil  de  bois  où  étoit  le  corps  de 
Sohman  :  les  principaux  Officiers  le  foûtenant  tour  à  tour  fur 
ia  paume  de  leurs  mains  élevées,  le  portoient  dans  les  rues  de 
la  ville.  Les  Talifmans  ôc  les  Hoggis  (  c'eft  ainfi  qu'ils  appel- 
lent leurs  Prêtres  )  ne  ceflerent  pendant  toute  la  marche  de  jet- 
ter  des  cris  lamentables  ,  ôc  de  chanter  d'une  manière  trille  ôc 
lugubre,  fuivant  l'ufage  des  Mufulmans ,  jufqu'à  ce  qu'on  fût 
arrivé  au  lieu  de  la  fepulture.  Le  corps  ayant  été  mis  dans  le 
Maufolée  ,  on  étendit  fur  la  bière  un  drap  tabifé ,  ôc  un  autre 
broché.  On  mit  à  côté  un  Cimeterre  ,  pour  marquer  que  le 
Sultan  avoit  été  un  grand  guerrier  ,  ôc  à  fa  tête  un  turban  d'u- 
ne toile  très  blanche ,  très  fine  ôc  très  pliflce  ,  avec  une  aigrette 
noire  de  plumes  de  Héron.  On  plaça  derrière  fà  tête  ,  fur  le 
pavé ,  des  chandeUers  avec  de  gros  cierges  ronds ,  de  forme  py- 
ramidale ,  qu'on  n'allume  jamais.  Enfin  on  y  laifla  les  Prêtres 
dont  nous  avons  parlé,  ôc  qui  adis  par  terre,  ôc  ayant  les  jam-- 
bes  écartées ,  fuivant  l'ufage  fuperllitieux  de  cette  Nation ,  ne- 
ceffoient  de  reciter  des  prières  à  la  tête  du  défunt. 

Avant  que  Selim  fût  venu  à  l'armée,  ôc  aufii-tôt  après  la     sùitedela 
prife  de  Zighet ,  il  envoya  cfes  troupes  pour  aflTiéger  Babotzka.  guerred'Hon- 
Gn  fomma  la  garnifon  de  rendre  la  place  :  elle  le  réfufa  d'à-  ^"^' 
bord  3  mais  voyant  qu'elle  n'étoit  pas  en  état  de  la  défendre 
contre  de  fi  grandes  forces ,  elle  y  mit  le  feu  ,  ôc  l'abandonna. 
Ceux  de  Sacka  Ôc  de  Schorgo  Suivirent  leur  exemple.    Les 
Turcs  s'étant  mis  enfuite  à  piller  dans  l'Efclavonie  ,  furent  fou- 
V^eiu  battus  par  les  troupes  de  Chaile  ,  frère  de  Maximilién: 

Yiij. 


ly^-  HISTOIRE 

«  Dans  un  combat  donné  auprès  de  la  Sluna ,  il  en  mît  quatre 


C  H  A  R  L  E  ^^^^^  ^^  fuite  ,  fit  prilonnier  le  Bâcha  de  Bofnie ,  ôc  auroit  fans 
IX.  cloute  défait  tous  les  autres ,  Ci  dans  la  crainte  quil  avoit  d'u- 
l  ^  ^  ^^  ne  armée  fi  formidable >  qui  fe  répandoit  de  toutes  parts,  il  ne 
fe  Eit  pas  contenté  d'être  fur  la  défenfive ,  ôc  s'il  n'eût  pas  rete- 
nu fes  troupes  dans  fon  camp  ,  entre  le  Save  Ôc  le  Mure ,  au- 
près de  Czakhonthurn ,  tandis  que  les  Turcs  pillant  de  tous  co- 
tez, ôc  mettant  tout  à  feu  ôc  à  fang,  faifoient  des  courfes  juf- 
qu'à  Sarwar ,  qui  n'eft  qu'à  deux  milles  d'Oedenbourg ,  fur  les 
frontières  du  Norgaw. 

Comme  fhyver  approchoit,  Selim  quitta  peu  de  tems  après 
la  Hongrie  ,  ôc  donna  ordre  à  Perthaw  Bâcha ,  d'envoyer  des 
Turcs,  des  Valaques,  ôc  des  Tartares  à  Jean  prince  de  Tranfyl- 
vanie  ,  pour  pouvoir  continuer  la  guerre  contre  l'Empereur. 
Etant  en  chemin ,  le  Sultan  rencontra  auprès  de  Belgrade  Hoz- 
zuthothi  ambaffadeur  de  l'Empereur  ,  qui  avoit  été  envoyé, 
comme  nous  l'avons  dit,  à  Conftantinople ,  pour  faire  des  pro- 
pofitions  de  paix.  Mais  ayant  appris  la  mort  de  Soliman ,  il 
s'étoit  mis  en  chemin  pour  retourner  à  Vienne.  Il  ne  put  ni 
voir ,  ni  entretenir  Selim.  Le  Vizir  Mechmet  fe  contenta  de 
lui  dire,  qu'ayant  été  envoyé  à  Soliman  j  quiétoit  mort,  iln'a- 
voit  pas  de  pouvoirs  pour  traiter  avec  Selim  5  que  fi  fon  maître 
vouloir  obtenir  quelque  chofe  du  nouveau  Sultan  ,  il  envoyât 
un  autre  Ambaffadeur ,  ou  qu'il  le  renvoyât  lui-même  avec  de 
nouveaux  ordres.  Le  Vizir  ajouta ,  que  Maximilien  feroit  bien 
mal  confeillé,  s'il  n'envoyoit  promptement  demander  la  paix 
au  très  puiffant  Empereurs  ôc  qu'il  auroit  bien  mieux  faitd'ob- 
ferver  fidèlement  les  traitez  faits  avec  Ferdinand  :  Qu'il  s'é- 
tonnoit  de  la  hardiefie  qu'il  avoit   eue  de  déclarer  témérai- 
rement la  guerre  à  un  Prince  fi  puiffant  j  que  Ton  connoiffoit 
maintenant  la  foibleffe  de  Maximilien  ;  que  c'étoit  un  grand 
bien  pour  lui,  que  Soliman  fût  mort  j  que  s'il  eût  furvêcu  à  la 
prife  de  Zighet ,  il  auroit  bien  trouvé  les  moyens  de  faire  re- 
pentir Maximilien  ,  ôc  tous  les  Allemands ,  de  leur  audace. 
Enfin  Selim  arriva  à  Conftantinople  le  neuf  de  Decem- 
»        bre  :  il  y  fut  reçu  avec  de  grandes  démonftrations  de  joie,  ôc 
aux  acclamations  de  toute  la  ville  ,comme  l'héritier  des  lauriers 
ôc  des  conquêtes  de  fon  père.    Les  derniers  n'avoient  pas 
î^iffé  de  coûter  bien  chéri  car  ceux  qui  exagèrent  le  moins  * 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I  V.  XXXIX.    175- 

difent  qu'il  périt  de  différente  manière ,  dans  l'expédition  que 

je  viens  de  raconter,  plus  de  foixante-dix  mille  hommes.  Char.  LE 

Cependant  Jean  voulant  aufli  de  fon  côté  faire  quelque  cho-  j  y 
fe,  après  avoir  reçu  les  troupes  auxiliaires  de  Pertaw,  refolut  ,  ^  / r 
de  reprendre  Tokay ,  que  c>chwenai  avoit  pris  1  année  prece-  ^  ^ 
dente.  Il  avoit  pour  cette  expédition  trente  pièces  de  gros  ca-  desTaitares. 
nons,  ôc  une  grande  quantité  de  munitions  de  guerre.  Cette 
place  étant  fituée  fur  les  confins  de  la  Hongrie  ôc  de  la  Tran- 
lylvanie ,  ôc  étant  très  forte  par  fa  fituation  ,  parce  qu'elle  eft 
environnée  de  deux  rivières  ,  la  Teiflfe  ou  le  Tibifque ,  ôc  le 
Bodrog ,  Jean  crut  qu'il  étoit  très-important  pour  le  bien  de 
fes  affaires ,  de  s'en  rendre  le  maître,  Schwendi  avoir  laiffé 
dans  Tokay  Jacque  Raminger  ,  avec  une  bonne  garnifon  : 
ayant  fcû  le  deifein  de  Jean,  il  avoit  envoyé  demandera  Ma- 
ximilien  du  fecours.  Ce  Prince  lui  envoya  auffi-tôt  Henri  Stau- 
piz ,  avec  mille  hommes  de  cavalerie  Allemande  ,  fix  compa- 
gnies d'infanterie ,  avec  l'argent  ôc  les  vivres  neceffaires.  Jean 
ayant  fait  avancer  dix  pièces  de  canon,  battit  la  place  fans  dif- 
condnuer  :  elle  étoit  déjà  réduite  à  l'extrémité  ,  lorfqu'un  Cou- 
rier vint  lui  apprendre  que  dix  mille  Tartares ,  que  Selim  lui 
avoit  donnés,  avec  des  Turcs  ôc  des  Valaques ,  pour  fortifier 
fon  armée  ,  s'étoient  débandez  ,  faifoient  un  horrible  dégât 
dans  toute  la  Tranfylvanie  ,  ôc  maltraitoient  indifféremment 
hommes  ôc  femmes  de  tout  âge ,  avec  une  cruauté  inoùie.  Ainfi 
huit  jours  après  avoir  commencé  le  fiége  ,  il  fut  obligé  de  le 
lever ,  afin  de  ne  pas  abandonner  fes  fujets  à  la  fureur  de  ces 
barbares  ,  pendant  la  durée  de  ce  fiége.  Car  fans  parler  du  pil- 
lage i  ôc  des  incendies,  on  en  rapportoit  des  chofcs  horribles  : 
on  difoit  qu'ils  avoient  coupé  des  enfans  par  morceaux ,  qu'ils 
les  avoient  fait  rôtir  à  la  broche ,  ôc  les  avoient  mangez  ;  qu'ils 
fe  nourriffoient  tous  les  jours  de  la  chair  des  Chrétiens ,  ôc  qu'ils 
faifoient  leurs  délices  desmammelles  des  femmes,  qui eft pour 
ces  peuples  un  mets  exquis. 

Lorfque  Jean  fut  arrivé  dans  la  Tranfylvanie  ,  il  les  fit  d'a- 
bord prier  d'en  fortir,  ôc  de  faire  ceffer  tant  de  violences  ôc  de 
maux.  Mais  comme  ils  le  refuferent  )  il  les  attaqua  à  l'impro- 
vifte ,  tandis  qu'ils  étoient  éloignez  les  uns  des  autres ,  ôc  en  tua 
fix  mille.  Après  cette  expédition,  Jean  revint  à  Varadin,  ou 
ks  Tartarcs  en  furie  ,  ôc  ne  rcfpirant  que  la  vengence ,  vinrent 


i7<5:  HISTOIRE 

■  l'affiéger.  Ce  Prince  voyant  que  cette  place  n'étoit  pas  aîTez 
'C  H  A  RLE  ^*^^^^  P^*"  ^'^^^  adiéte  ôc  par  fes  fortifications,  pour  fe  défendre 
■TK^        contre  tant  d'ennemis ,  lorfqu'ils  auroient  fait  approcher  leur 
66.    canon,  en  fortit  fecrétement  la  nuit,  &  fe  retira  dans  des  lieux 
plus  furs ,  où  ayant  ramaffé  de  plus  grandes  forces  ,  il  attaqua 
**  encore  ces  barbares  qui  faifoient  de  nouveaux  dégâts.  Il  en 

tailla  en  pièces  piufieurs  milliers,  &  délivra  une  multitude  pro- 
digieufe  de  malheureux  j  qu'ils  emmenoient  en  captivité ,  entre 
lefquels  il  y  avoit  quantité  de  femmes  Ôc  de  filles  de  condition, 
qui  avoient  été  prifes  dans  Beregzas.  Ces  barbares  avoient  ré- 
pandu l'horreur  ôcla  défolation  dans  tout  le  payis,  &  principa- 
lement aux  environs  de  CafTovie.  Là,  environ  quatre  cens  Ja- 
niffaires ,  après  avoir  exercé  toutes  fcrtes  de  violences  ôc  de 
cruautez ,  étoient  fur  le  point  d'emmener  avec  eux  environ  neuf 
cens  captifs.  Ils  avoient  auparavant  jette  l'épouvante  de  tous 
cotez ,  ôc  fur  tout  parmi  les  peuples  des  environs  du  Danube, 
du  Wâg  ôc  du  Rab. 

Cependant  la  garnifon  d'Albe-Royale  reprit  Geilern  ôc  Vi- 
tan,  dont  les  Impériaux  s'étoient  emparés  l'été  précédent  :  en 
forte  que  Pabotta  ,  Vêprin  ,  ôc  Thatan  étoient  en  très  grand 
danger  de  tomber  entre  les  mains  d'un  ennemi  qui  étoit  fi  pro- 
che. Les  Tartares  après  avoir  été  battus  piufieurs  fois  par  le 
Prince  de  Tranfylvanie  ,  s'alTocierent  quelques  Tranfylvains 
ôc  quelques  Janiffaires  ^  dans  l'efpérance  de  piller ,  ôc  tournè- 
rent du  côté  de  la  RufTie  ôc  de  la  Podolie ,  provinces  de  i'o- 
béiffance  du  roi  de  Pologne  ,  ôc  y  exercèrent  toutes  fortes  de 
cruautez.  Us  afTiégerent  le  Palatin  de  la  province  dans  une  ola- 
ce  j  dont  ils  firent  approcher  douze  pièces  de  canon  ,  qu'ils 
avoient  amenées  avec  eux.  Mais  le  Palatin ,  auffi  illuftre  par 
fa  valeur  ôc  par  fon  courage  ,  que  par  fon  ancienne  noblelTe, 
fit  fur  eux  de  fi  fréquentes  forties  ,  qu'il  enleva  leurs  batteries  ; 
ôc  défit  entièrement  les  refies  de  ces  barbares  inhumains. 

D'un  autre  côté  FEmpereur  voyant  tous  les  ennemis  entière- 
ment retirez ,  ou  envoyez  en  quartier  d'hy  ver ,  penfa  à  retourner 
à  Vienne  5  mais  auparavant  il  donna  de  l'argent  à  Cec  comte  de 
Salms,avec  ordre  de  l'employer  à  réparer  le  tort,  qu'un  incendie 
inopiné  avoit  caufé  àjavarin  le  19  deSeptembre.  Le  feu  avoir  pris 
dans  le  logement  d'un  foldat,  par  la  négligence  d'un  cuifmier. 
\Jii  vent  de  Midi  très  violent  l'augmenta  ii  confidèrablement, 

que 


DE  J.    A.    DE  TH  OU,  L  IV.  XXXIX.      177 

que  prefque  toutes  les  maifons ,  qui  étoient  de  bois  ,  flirent  — m^— , 
bmlces.  Il  n'y  eut  de  fauve  que  la  mairon  du  Gouverneur ,  &  C  h  a  r  l  b 
la  principale  Eglife  bâtie  de  pierres.  Une  autre  Eglife ,  où  étoit       t  y 
le  magafin  à  poudre,  fut  confervée  par  un  grand  bonheur  ;  car        ^  /^. 
fi  le  feu  y  eut  pris ,  toute  la  ville  auroit  été  ruinée  &  renverfce 
de  fond  en  comble.  On  ne  fçauroit  dire  combien  cet  accident 
coûta  j  non  feulement  aux  habitans  de  Javarin,  &  à  l'armée 
Impériale  ,  mais  encore  à  toute  la  province  ;  parce  qu'un  grand 
nombre  de  négocians  j  &  de  ceux  qui  demeuroient  fur  la  fron- 
tière, y  avoient  apporté,  comme  dans  un  afile  afluré,  leurs mar- 
chandifes,  leurs  meubles,  &  ce  qu'ils  avoient  de  plus  précieux  ; 
&  que  tout  cela  fut  la  proye  des  flammes  qui  confumerent  les 
maifons. 

.  L'Empereur  vint  à  Vienne,  accompagné  d'un  grand  nom- 
bre de  grands  Seigneurs  ,  avec  Ferdinand  fon  frère ,  qui  fe  re- 
tira  dans  le  royaume  de  Bohême.  Enfuite  on  congédia  les  trou- 
pes de  Moravie  &  de  Bohême^  &  l'infanterie  Allemande,  dont 
on  envoya  trois  enfeignes  choifies  en  garnifon  dans  l'ifie  de 
Comar.  Quelques  troupes  Autrichiennes  furent  envoyées  à 
Oedembourg  &  dans  les  autres  places  frontières ,  pour  s'op- 
pofer  aux incurfions  inopinées  des  ennemis,  qui  entroient  de 
ce  côté-là  pour  piller  &  faire  le  dégât.  L'illuftre  Thay  fut  en- 
voyé à  Canila  ,  ville  qui  n'eft  pas  éloignée  de  Zighet ,  avec  cinq 
cens  hommes  de  cavalerie  ,  &  autant  d'infanterie.  Après  cela 
Maximilien  remercia  Alfonfe  d'Efte ,  le  duc  de  Guife  ,  Strozzi 
&  Briflac  ,  Fregofe  ,  Baglioni ,  le  comte  de  la  Chambre  &  tous 
les  autres  Seigneurs,  qui  s'en  allèrent  bien-tôt  après  chacun 
chez  foi. 

On  convoqua  l'aiTemblée  des  Etats  d'Autriche ,  qui  com-      Affemblée 
mença  à  Vienne  le  28  de  Novciibre.  Comme  ils  accorde-  '^f^  e^=*" 
rent  de  bonne  grâce  à  l'Emperertr  tout  ce  qu'il  fouhaitoit  d'eux,  g^  'd'autres 
ils  lui  demandèrent  aulfi  la  permidlon  ,  qu  ils  défiroient  depuis  provinces, 
long-tems  ,  d'embrafler  la  Conf .  ffion  d' Ausbourg    Maximilien 
éluda  tant  qu'il  put  leur  demande  ,  mais  comme  ils  le  preifoient 
fortement,  il  leur  répondit,  que  puifquils  vouloient  profeffer 
une  foi  différente  de  la  Tienne  ,  ils  eullent  à  vendre  prompte- 
ment  leurs  biens ,  &  à  fortir  de  la  province.   Ainfi  finirent  les 
Etats  de  Vienne.  L'Empereur  alla  après  à  Brunne  en  Mora- 
vie ,  &  à  Troppavv  en  Sileiie ,  ou  il  tint  les  Etats  de  la  province. 
Tom€  V,  Z  ^ 


lyS  HISTOIRE  ' 

De  ià  il  vint  encore  en  Bohême  pour  y  préparer  du  fecours  >  Se 
C  H  A  R  L  E  ^^  '^^^^  jufqu  a  Presbourg  en  Hongrie. 

j  ^^  Lefucccèsde  la  guerre  contre  le  Turc  eft  toujours  incer-! 

I  <  6  6,    ^^^^>  &  fouvent  préjudiciable  aux  Chrétiens.  La  fin  d^  cette 
,  ,   campacfne  fut  le  commencement  d'une  nouvelle  maladie.  Les; 

Le  mal  dej  ./•  .//  \oivj  i  i 

Hongricc        cadavres  qui  etoient  en  quantité  epars  (ça  &  la  d  ms  les  che- 
mins ,&  qui  y  pourriffoient ,  ayant  corrompu  l'air  pai'  leur  in- 
fedlion ,  plufieurs  furent  attaquez  d'une  efpece  de  contagion, 
qu'on  appella  le  mal  de  Hongrie,  Cette  maladie  ayant  celle, 
quelque  tems  après ,  elle  fc  renouvella  avec  plus  de  violence, 
dans  le  tems  de  la  Diète  de  Ratisbonne  2  8  ans  après.  Elle  n'avoit 
d'abord  attaqué  que  le  peuple  :  elle  fe  rendit  enfuite  formida- 
ble à  tous,  &  pludeurs  grands  Seigneurs  en  moururent,  ou  en. 
furent  fort  malades.  C'étoit  une  efpece  de  fièvre  maligne  5  ceux 
qui  en  étoient  attaquez ,  fe  fentoient  extrêmement  échauffez  ;' 
il  s'élevoit  par  tout  le  corps  des  pullules,  6c  de  petites  tâches 
femblables  à  celles  qui  font  produites  par  la  morfure  des  pu- 
ces j  &  lorfqu'on  y  touchoit ,  on  fentoit  comme  des  étincelles 
de  feu  qui  en  fortoient  :  les  remèdes  même  devenoient  nui- 
fibles  &  mortels,  parce  que  la  chaleur  naturelle  ne  pouvoit 
en  faire  la  codion  5  &  le  mal  par  fon  venin  tuoit  les  plus  ro-: 
buftes:  cette  maladie  caufoit  de  grands  maux  de  cœur,  une 
foiblelTcun  abattement^  &  une  langueur,  qui  étoient  fuivis 
d'un  violent  mal  de  tête,  d'un  anfoupitlement  léthargique,  de 
rêveries ,  &  de  convulfions.  La  fièvre  étoit  inégale  5  tantôt  elle . 
paroillbit  tierce  fimple  ,  &  tantôt  elle  ne  paroiflbit  pas  être 
vraie  fièvre  ;  quoi  qu'ePfedivement  ce  fût  une  vraie  fièvre  con- 
tinue.  Martin  Ruland ,  médecin  de  l'Empereur ,  a  fait  un  traité 
particulier  de  cette  maladie  ,  de  fes  caufes  ,  de  fes  fymptômes , 
&  de  la  manière  d'y  remédier.  Pour  moi ,  je  me  borne  à  eti 
parler  en  hiftorien. 
Affaires  de      Le  roi  de  France  encore  bien  jeune ,  quoique  déclaré  ma- 

^o^T'  ^^^^^  '  ayant  paffé  une  partie  de  l'hy ver  à  Blois ,  après  fon  voya- 

de  Moulins,     gc  de  Bayottue ,  fut  au  mois  de  Janvier  à  Moulins  en  Bour- 
bonnois  ,  où  il  avoir  indiqué  une  aifemblée  des  Grands  du 
Royaume.  Il  y  avoit  mandé  ceux  qu'il  avoit  renvoyez  chez 
.    eux  Tannée  précédente ,  &  principalement  les  Colignis,  &  Fran- 
çois de  Montmorenci  fils  du  Connétable  ,  pour  les  reconcilier 

*  ou  cipierre.  avcc  Ics  Guifes.  Car  Sipierre  *  un  peu  avant  fa  mort  avoit  averti 


DE  J.  A.  DE  THOU;  Liv.    XXXIX.    17^ 

ïe  Roi  que  leur  méfintelligence  entretenoit  des  partis  dans  le  ' 

Royaume ,  &  les  plus  fages  le  jugeoient  ainfi.   Cependant  pour  p  yj  ^  r  r  p 
ne  pas  faire  paroître  que  cette  alTemblée  fefaifoitpour  des  par-        t  y 
ticuliers  ,  plutôt  que  pour  les  affaires  de  PEtat  ^  on  y  fit  venir        ^  V- 
auiïi  les  chefs  de  tous  les  Parlemens  du  Royaume^  afin  de  fa- 
tisfaire  aux  plaintes  de  toute  la  France  :,  que  le  Roi  avoir  re- 
çues pendant  les  deux  ans  qu'il  en  avoit  fait  la  vifite ,  &  pour 
les  confulter  fur  les  moyens  de  remédier  aux  maux  qui  fe  ré- 
pandoient  de  toutes  parts. 

Ceux  que  l'on  manda  furent  Chriftophle  de  Thou  premier 
Prefident  du  Parlement  de  Paris ,  &  Pierre  Seguier  Prefident, 
Jean  Daffis  premier  Prefident  du  Parlement  de  Touloufe ,  Jac- 
que  Benoît  de  Largebafton  de  celui  de  Bordeaux  ,  Jean  Tru- 
chon  de  celui  de  Grenoble ,  Louis  le  Fevre  de  celui  de  Di- 
jon, 6c  Henri  Fourneau  Prefident  au  Parlement  d'Aix,  tous 
perfonnages  diftinguez  par  leur  mérite  ôc  leur  intégrité.  Lorf- 
qu'on  les  eût  fait  entrer  dans  la  chambre  du  Roi ,  où  étoient  la 
Reine  mère,  Henri  duc  d'Anjou ,  Charle  cardinal  de  Bourbon, 
Louis  prince  de  Condé ,  le  duc  de  Montpenfier ,  le  Prince  Dau- 
phin fon  fils  ,  Charle  &  Louis  de  Lorraine  cardinaux  ,  les 
ducs  de  Nemours,  de  Longueville  &  de  Nevers  ;  Anne  de 
Montmorenci  Connétable  de  France ,  &  avec  lui  les  frères  Odet 
cardinal ,  Gafpard  de  Coligni  amiral  de  France,  ôc  François 
d'Andelot  colonel  de  l'infanterie  Françoife ,  tous  trois  fils  de  la 
fœur  du  Connétable  j  les  maréchaux  Liibert  de  la  Platiere  Bour- 
dillon  ,Damville  fils  du  Connétable ,  ôc  François  deSepeaux  de 
Vieille-Ville ,  Louis  de  Saint  Gelais  de  Lanfac  ,  Louis  d'Og- 
nies  comte  de  Chaulnes ,  Jacque  comte  de  Cruflbl ,  Honorât 
de  Savoye ,  comte  de  Villars  t  Bertrand  de  Simiane  de  Cor- 
des ,  tous  chevaliers  de  l'Ordre  ;  Jean  de  Morvillicrs  évéque 
d'Orléans  ,  Jean  de  Montluc  de  Valence ,  ôc  Sebaftien  deLau- 
befpine  de  Limoges  3  le  Roi  dit  :  Qu'à  fon  avènement  à  la  Cou- 
ronne, il  avoit  voulu  voyager  dans  toutes  les  Provinces  de  fon 
obéïffance ,  pour  entendre  les  plaintes  defes  fujets,  qui  avoient 
été  accablez  de  differens  maux  les  années  précédentes  ,  ôc  dé- 
folez  par  les  dernières  guerres  civiles;  ôc  pour  y  remédier  de 
la  meilleure  manière  qu'il  feroit  poffible  :  Que  c'étoit  pour  ce- 
la qu'il  avoit  convoqué  une  fi  illuftre  afTemblée  ;  ôc  qu'il  les 
prioit ,  ôc  leur  enjoignoit  même  par  l'autorité  Royale ,  dont  il 

Zij 


iSo  HISTOIRE 

_  étoit  revêtu^  de  s'appliquer  avec  un  très-grand  foin  aune  affai- 

'7^  T  re  de  cette  importance,  comme  il  refperoit  de  l'amour  qu'ils 

j  y        avoient  pour  lui  ôc  pour  l'Etat  j  afin  d'obéir  à  la  volonté  de 
^  \     Dieu  ,  décharger  fa  confcience ,  foulager  le  peuple ,  ôc  rétablir 
*    le  règne  de  la  Juliice  dans  fon  premier  éclat  ôc  dans  toute  fa 
pureté. 
Difcours  du      Enfuite  le  Chancelier  de  l'Hôpital  parla.  Après  s'être  étendu 
Chancelier  de  {^^  j^g  grands  maux  de  l'Etat,  il  conclut,  qu'en  remontant  juf- 
°^'  ^  "       qu'à  la  fource ,  on  trouvoit  qu'ils  venoient  de  la  mauvaife  admi- 
niftration  de  la  Juftice,  à  quoi  il  falloit  remédier  :  Que  le  Roi 
l'avoit  bien  reconnu  dans  le  voyage  qu'il  avoit  fait,  ôc  qui  duroit 
depuis  deux  ans  :Que  pour  lui,  il  ne  pouvoir  s'empêcher  d'ap- 
peller  les  chofes  par  leur  nom  ,  ôc  qu'il  parloir  comme  il 
penfoit  :  Que  ceux  qui  étoient  établis  pour  rendre  la  juftice , 
commettoient  de  grands  excès  ,  par  des  concuflions  ôc  des  ra- 
pines 5  &  que  comme  ces  fortes  de  fautes  étoient  très-confidé- 
râbles ,  il  ne  pouvoit  les  diffimuler  fans  fe  rendre  lui-même  cou- 
pable :  Que  ces  fautes  fe  nourriflbientôcs'entretenoientpar  l'im- 
punité ôc  la  licence ,  qui  étoient  les  deux  maux  les  plus  funef- 
tes  à  toute  forte  de  gouvernement  ,  mais  qui  fe  répandoient 
plus  communément  dans  les  Etats  où  le  Prince  étoit  éledif. 
•c  C'eft  ce  qui  arrivoit ,  dit-il,  autrefois  à  Rome ,  à  la  mort  des 
»  Empereursi c'eft  ce  qu'on  y  voit  encore  tous  les  jours  à  la  mort 
w  des  Papes ,  ôc  ce  qui  fe  trouve  même  en  France ,  quoi  qu'il 
»  n'y  ait  jamais  d'interrègne ,  lorfque  des  Princes  mineurs  vien- 
3>  nent  à  fucceder  à  la  Couronne.  Alors  les  méchans  ofent  tout 
»  entreprendre ,  comme  fi  la  porte  étoit  ouverte  aux  concuf- 
w  fions  ,  aux  vexations ,  ôc  aux  féditions  5  tous  abufent  de  leur 
»  dignité ,  ôc  des  charges  publiques  dont  ils  font  revêtus  j  ils  en 
M  ufent  comme  de  leur  propre  bien ,  à  la  ruine  du  public  ,  au 
M  mépris  du  refpe£l  qu'on  doit  à  Dieu ,  de  l'autorité  du  Sou- 
»>  verain ,  Ôc  du  bien  de  l'Etat.  =>  Il  ajouta  qu'il  ne  falloit  point 
rejetcer  ces  maux  fur  les  tems  fâcheux  où  l'on  vivoit ,  ni  fur  la 
malignité  des  hommes  :  Qu'il  n'y  avoit  point  de  tems  qui  pût 
empêcher ,  ou  le  Juge  de  rendre  une  exa£te  juftice  >  ou  le  Théo- 
logien d'interpréter  l'Ecriture  avec  candeur ,  ôc  de  bonne  foi , 
ou  l'homme  de  guerre  de  faire  bien  fon  fervice,  ôc  de  défen- 
dre fon  Roi ,  ôc  les  frontières  du  Royaume  :  Qu'il  falloit  donc 
corriger  les  fautes  des  hommes  >  ôc  les  ramener  à  leur  devoir  ^ 


DE   J.  A.    DE  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XXXIX.     igj 

plutôt  que  de  blâmer  les  tems  ,  qui  prefque  toujours  font  tels  ■. 

que  les  mœurs  des  hommes -.Qu'il  lui  fembloit  donc  qu'on  ne  Charle 
pouvoit  rien  faire  de  mieux  ,  que  de  faire  de  bonnes  loix  ,  de       jx. 
l'autorité  du  Roi ,  de  l'avis  des  plus  gens  de  bien  ôc  des  plus     1^55. 
fages  j  &  de  les  faire  à  l'avenir  obferver  religieufement  &  in- 
violablement. 

«  Je  ne  nie  pas ,  ajouta  le  Chancelier,  la  vérité  de  ce  qu'on 
w  dit  communément  :  qu'il  n'y  a  que  trop  de  Loix ,  6c  d'Ordon- 
9>  nances  en  France  j  ôc  que  la  multitude  des  Loix,  comme  le 
y^  grand  nombre  des  Juges ,  peut  devenir  la  fource  d'un  grand 
3»  nombre  de  procès.  Mais  il  n'eft  pas  moins  vrai,  que  quand  il 
«  arrive  de  nouvelles  maladies ,  on  a  befoin  de  nouveaux  re- 
»  médes  ;  ôc  que  quand  les  anciennes  loix  ont  été  aboHes ,  ou 
«  par  l'inobfervation ,  ou  par  la  licence,  il  en  faut  de  nouvel- 
»  les ,  pour  guérir  les  maux  préfens  ,  ôc  arrêter  le  cours  des  ca- 
"  lamitez  publiques.  C'eft  ainfi  que  pour  extirper  les  nouvelles 
«  fedies  qui  naiflfoient ,  ôc  qui  fe  répandoient  de  tous  cotez , 
»  Theodore,Valentinien ,  ôc  les  autres  Empereurs ,  ont  été  dans 
»  la  néceiïité  de  faire  de  nouvelles  loix;  ôc  qu'il  paroît  aujour- 
a'  d'hui  de  l'intérêt  ôc  du  bien  de  l'Etat ,  de  faire  de  nouvelles 
»  Ordonnances.  Que  fi  on  ne  les  obferve  pas ,  comme  cela 
*  ne  peut  arriver  que  par  la  faute  ôc  l'avarice  des  Miniftres  mê- 
15  me  de  la  Juftice,  il  faut  les  punir  févérement,  ôc  chafler  des 
=1  petites  Jurifdidions  du  Royaume  ces  fortes  de  peftes  publi- 
"  ques ,  qui  font  autant  de  fangfuës  du  miférable  peuple.  Il  faut 
^  retrancher  tant  de  Juges  fuperflus,qui  ne  fe  nourriflent  que 
«  du  fang  de  ce  peuple ,  ôc  de  la  multiplication  ruineufe  des 
î5  procès.  Il  faut  parmi  les  tribunaux  fubalternes  fupprimer  les 
35  Préfidiaux ,  en  tout  ou  en  partie  ;  augmenter  les  gages  des  Ju- 
^  ges  qui  refteront,  les  payer  des  deniers  publics,  ôc  retran- 
»  cher  abfolument  les  épices  que  payent  les  Parties  ;  car  je  blâ- 
«  me  extrêmement  ôc  je  condamne  ce  trafic  honteux  qu'on  fait 
»  de  la  Juftice.  <» 

Dans  la  fuite  de  fon  difcours ,  le  Chancelier  s'étendit  fur  la 
Puiffance  Royale ,  ôc  fur  fes  droits ,  ôc  dit  :  Que  le  Roi  ne  pou- 
voit foufîïir  que  ceux ,  qui  n'ont  que  le  droit  de  publier  les  Loix , 
s'attribuaiTent  le  pouvoir  de  les  interpréter  5  pouvoir  qui  n'ap- 
partient qu'à  celui  qui  a  feul  le  droit  de  les  faire ,  c'eft-à-dirc, 
au  Prince  :  Qu'il  n'approuvoit  pas  aulTi  que  les  Charges  de 

Z  iij 


i§2  HISTOIRE 

-    -        Juftice  fuffent  réfignées  j  fi  ce  n'eft  par  les  pères  qui  ont  vîeîîlî 
Charle  ^^^^  ^^  fervice,  en  faveur  de  leurs  enfans  ,  pourvu  qu'ils  fuf- 
Tw         fent  capables  de  les  remplir  :  Qu'il  falloir  donc  ,  pour  ce  qui 
I  c  ^V      ^^^^^  ^^^  nominations  qui  fe  font  par  les  Cours  Souveraines, 
^  '     abolir  les  brigues  Ôc  les  abus  qui  s'étoient  introduits.  Puis  ayant 

fait  une  digrefTion  fur  l'origine ,  l'autorité  &  Tinditution  des 
Cours  du  Royaume ,  il  propofa  de  retrancher  &  de  diminuer 
le  nombre  inutile  des  Chambres ,  ôc  de  les  réduire  à  leur  pre- 
mier établiflement.  Il  agita  auiïi  la  queftion  ,  lequel  étoit  le 
plus  expédient:,  que  les  Parlemens  fuflentfédentaires,  ou  am- 
bulatoires ,  comme  ils  l'étoient  autrefois  :  Il  propofa  de  leur 
donner  des  appointemens  plus  confidérables  aux  dépens  du  pu- 
blic ,  fi  le  Roi  n'étoit  pas  en  état  de  les  payer ,  de  fupprimec 
ainfi  les  épices  j  •&  ôter  toute  occafion  aux  Juges  de  recevoir 
des  préfens  de  la  part  des  Parties.  Il  infinua  encore  qu'il  étoit 
à  propos  de  foûmettre  les  Juges  à  la  Cenfure  j  ôc  de  les  obli- 
ger à  rendre  compte  de  la  manière  dont  ils  exerçoient  leurs 
charges.  De  toutes  ces  propofitions  il  conclut ,  qu'il  feroit  plus 
à  propos  d'établir  des  Juges  pour  deux  ou  trois  ans,  que  des  Ju- 
ges perpétuels. 

Le  Chancelier  propofa  encore  à  l'affemblée  plufieurs  cho- 
fes  j  concernant  la  réformation  de  la  Judicature ,  ôc  le  rétablif- 
fement  de  l'adminiftration  civile.  On  demanda  fur  tous  ces 
Chefs  les  avis  de  ceux  qui  étoient  préfens  :  ils  le  donnèrent  ; 
ôc  après  plufieurs  délibérations ,  on  forma  dans  le  mois  de  Fé- 
vrier une  Ordonnance ,  qui  du  lieu  où  elle  fut  faite,  a  été  nom- 
mée ,  Ordonnance  de  Moulins.  Elle  eft  d'une  grande  autorité, 
&  fort  ellimée.Elle  contient  quatre-vingt  fix  articles,dont  les  uns 
font  une  confirmation  nouvelle  de  l'Edit  donné  à  Paris  deux 
ans  auparavant ,  &  qui  avoit  déjà  été  confirmé  par  celui  que 
Sa  Majefté  donna  lorfqu'elle  étoit  à  Roufiillon  ;  les  autres  re- 
gardent la  réformation  de  l'ordre  Judiciaire ,  ôc  tendent  à  abré- 
ger les  procédures ,  &  à  extirper  la  chicanne  5  ôc  quelques- 
uns  font  des  reglemens  également  fages  ôc  févéres ,  pour  main- 
tenir la  tranquillité  publique.  Au  refte  tous  ces  articles  font 
propofez  ,  comme  faits  &  arrêtez  par  le  Roi  étant  en  fon 
Confcil. 

On  y  ordonne  entr'autres  chofes,  que  ceux  qui  font  condam- 
nez au  payement  de  quelque  fbmme,  puifTent  être  emprifonnez 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXÎX.       iSj 

faute  de  payement  ,  quatre  mois  après  Ja  fignification  de  la  . 

6eîitence  5  6c  qu ils  ne  pu.ffenr  être  élaro;is,  ou  en  faifant  ce(-  7.  ~~ 

lion  de  leurb  biens  :  Que  pour  retrancher  les  fauiïctez  &  les        jv 
ch.canes  qui  fe  ghiïent  dans  les  procès,  on  ne  puilTe  admettre  * 

dans  les  eonieftations ,  dont  la  matière  pafie  loo  liv.  que  des     ^^    ^^ 
preuves  par  contrats  ou  promelTes  par  écrit ,  &  jamais  des  preu- 
ves par  témoins:  Que  les  fubftituîions  faites  à  Tmfîni  ,  foient 
limitées  au  quatrième  degré  :  Que  les  fubftitutions  ôc  les  do- 
nations entre  vifs,  foient  publiées  ôc  infinuées  dans  les  Regif- 
tres  de  la  Jurifdiélion  la  pius  proche  du  domicile  de  ceux  qui- 
les  auront  faites;  ôc  cela  dans  fefpace  de  (Ix  mois,  depuis  la. 
mort  du  teftateur,  ou  depuis  le  jour  de  la  donation  :qu'autre-- 
ment  elles  foient  nulles  :  Que  toutes  les  donations  entre  vifs,, 
mutuelles,  réciproques  ,  onereufes ,  faites  pour  caufe  de  ma- 
riage ,  ôc  toutes  autres  donations ,  de  quelque  nature  qu'elles' 
puilfent  être  ,  foient  infinuées  ôc  inférées  dans  les  regidres  de  la- 
Jurifdiêlion  la  plus  proche ,  ou  des  lieux  où  la  donation  fera, 
faite,  ou  de  la  chofe  donnée;  ôc  cela  dans  quatre  mois;  qu'au- 
trement elles  foient  nulles,  tant  pour  les  créanciers  du  donatai-- 
re,  que  pour  les  héritiers  du  donateur  :  Qu'on  puifie  reueter  ce* 
que  les  mineurs  auront  perdu  aux  jeux  de  hafard  ;  ôc  que  la  re- 
pétition fe  puiffe  faire  par  les  mineurs,  par  leurs  pères  Ôc  mè- 
res, parleurs  tuteurs  ou  curateurs  :  Qu'on  aboliffe entièrement, 
les  confréries  établies ,  fous  prétexte  de  Religion,  parmi  le  petit 
peuple ,  les  feftins,  les  repas ,  les  bâtons  ',  Ôc  autres  chofes  fem- 
blables^  qui  donnent  lieu  à  la  fuperftitition ,  aux  troubles,  àla^^ 
débauche ,  aux  querelles,  ôc  aux  monopoles. . 

Cette  Ordonnance  ayant  été  apportée  à  la  Cour,  ôc  l'affaire 
niife  en  délibération  ,  le  Parlement  fut  d'avis  de  s'oppofer  à> 
l'enregiftrement ,  à  caufe  de  quelques  autres  articles.  C'efl:  pour- 
quoi, lorfque  le  Roi  fut  de  retour  à  Paris  ,  ôc  qu'il  eut  oui  les 
Diputez  du  Parlement ,  on  lui  envoya  le  lo  de  Juillet  de  nou- 
velles lettres ,  par  iefquelles  oh  répondoit  à  fes  demandes.  LeCf 
ture  faite  de  ces  lettres,  ôc  de  l'Ordonnance  ,  la. Cour  arrêta 
le. 2 3  du  même  mois,  qu'on  feroit  à  Sa Majefté  de  plus  amples 
remontrances,  fur  les  articles  qui  avoient  été  inferez,  avec  des 
remarques,  dans  les  regiltres  de  la  Cour.  Enfin  l'Ordonnance 

I  BâtonsdeConfrérie,  qui  fervent  à    (    que  Saint  ,  ou  la  repiéfentation  de 
porter  aux  Confréries  l'In^agç  de  .quel-    j    quelque  myûere. 


i24  HISTOIRE 

-      eut  lieu  ;  &  le  25  de  Décembre  on  vérifia  les  lettres  ^  par  lef- 

~  quelles  on  répondoit  aux  dernières  demandes  de  la  Cour  ,  ôc 

T^^^  on  confirmoit  de  nouveau  l'Ordonnance.  Elle  eft  maintenant 

reçue  par  tout  j  ôc  c'eft  fuivant  ces  difpofitions  qu'on  rend  la 

^  S  ^  0.    juftice  dans  prefque  toutes  les  Cours  ôc  les  autres  Jurifdidions 

du  Royaume. 

Avant  que  le  Roi  partît  de  Moulins  pour  revenir  à  Paris  ,  il 
fe  fit  une  réconciliation ,  aumoins  apparente  entre  les  Colignis 
ôc  les  Guifes  ;  ôc  c'eft  ce  qui  avoir  été  le  principal  objet  de 
l'aflemblée.  Ainfi  après  que  l'affaire  eut  été  bien  débattue  de 
part  ôc  d'autre ,  l'Amiral  Gafpard  de  Coligni  s'étant  purgé  par 
ferment  du  meurtre  du  duc  de  Guife ,  afiurant  qu'il  n'en  étoit 
pas  l'auteur ,  ôc  qu'il  n'y  avoir  pas  même  confenti  ^  le  Roi  in- 
terpofa  fon  autorité,  ôc  leur  ordonna  d'être  amis.  Ilss'embraf- 
ferent  donc  en  préfence  du  Roi  ,  en  figne  d'amitié  j  ôc  ils 
fe  promirent  mutuellement  de  n'avoir  plus  les  uns  contre  les 
autres  aucun  reflentiment  de  tout  ce  qui  s'étoit  paffé.  L'ac- 
commodement fe  fit  avec  Anne  d'Efte  ,  veuve  du  duc  de 
Guife,  ôc  le  cardinal  de  Lorraine  frère  du  feu  Duc,  mais  non 
pas  avec  Henri  fon  fils.  Il  étoit  depuis  peu  revenu  de  Hongrie. 
Dans  un  âge  fi  peu  avancé  ,  on  voyoit  déjà  briller  en  lui  les 
vertus  du  Duc  fon  père  ,  ôc  il  faifoit  concevoir  les  plus  belles 
efperances.  Il  fe  conduifit  en  cette  afl^aire  de  telle  façon  ,  ôc  il 
compofa  fi  bien  fon  vifage,  qu'il  fut  aifé  de  remarquer,  que 
quoiqu'il  ne  s'oppofât  pas  formellement  à  l'accommodement^ 
il  ne  fe  croyoit  pas  obligé  à  tenir  dans  la  fuite  les  articles,  dont 
les  autres  étoient  convenus  entr'eux  ',  ôc  que  quand  l'occafion 
fe  prefenteroit ,  il  ne  manqueroit  ni  de  courage  ni  de  forces. 
On  réconcilia  aufili  le  cardinal  de  Lorraine  avec  François  de 
Montmorenci.  Le  Cardinal  afilura,  que  s'il  avoir  différé  de  mon- 
trer les  lettres  qu'il  avoir  obtenues  de  la  Reine ,  ce  n'avoit  point 
été  par  mépris  pour  Monfieur  le  Gouverneur ,  ôc  Montmorenci 
déclara ,  qu'il  n'avoit  point  eu  delfcin  d'offenfer  M.  le  Cardinal, 
ni  de  lui  faire  injure  j  mais  qu'il  n'étoit  allé  en  armes  au-de- 
vant de  lui ,  que  pour  conferver  ôc  maintenir  l'autorité  du  Roi. 

Le  Roi  allant  à  Aloulins  au  commencement  de  l'année , 
avoit  envoyé  Jacque  d' Angenne  de  Rambouillet  en  Angleterre, 
pour  complimenter  la  Reine  Elizabeth  fur  la  paix  qui  venoit  d'ê- 
tre affermie  entre  les  deux  Couronnes.  L'Ambafladeur  s'étant 

rendu 


DE   J.   A.   DE  THOU  Liv.  XXXIX.      iS/ 

rendu  à  Windfor  en  grande  pompe,  s'aflit  en  la  place  du  Roi> 

&  avec  la  permiffion  de  la  Reine ,  il  donna  au  nom  de  fon  mai-  C  h  a  r  L  E 

tre  le  collier  de  l'Ordre  à  Thomas  Howart  duc  de  Nortfolck,       jx. 

&à  Robert  Dudley  comte  de  Leyceftre,  les  deux  plus  grands     i  c  <s  6, 

Seigneurs  du  Royaume.  La  cérémonie  fe  fît  à  Weftminfter  fur 

ia  fin  de  Janvier. 

Dans  le  même  tems  on  reprit  le  procès  qui  étoit  entre  Fran-     Mariage  du 
^oife  de  Rohan,  &  Jacque  de  Savoye  duc  de  Nemours ,  dont  moa^^s^^^l 
les  pourfuites  avoient  été  difcontinuées  pendant  la  vie  du  roi  Françoiie  de 
de  Navarre,  qui  protégepit  Françoife  fa  parente.  Comme  le  j.^l^^i'^^'^^^' 
duc  de  Nemours  avoit  alors  plus  de  crédit,  ôc  qu'on  avoit 
beaucoup  d  eloignement  &  de  haine  pour  la  Religion  Protef- 
tante  ,  à  laquelle  Françoife  de  Rohan  étoit  attachée  j  ce  pro- 
cès fut  vuidé  par  l'entremife  du  Pape,  ôc  le  mariage  du  duc 
de  Nemours  avec  Françoife  de  Rohan  fut  déclaré  nul.  Aufli- 
tôt  après ,  le  Duc  époufa  Anne  d'Efte,  veuve  du  duc  de  Guife  : 
les  noces  en  furent  faites  à  S.  Maur-les-FofTez ,  près  de  Paris  î  ôc 
pour  rendre  la  célébration  plus  folemnelle,  ôc  plus  autentique^ 
le  Roi  ôc  la  Reine  fa  mère  voulurent  bien  y  afTifter. 

Quelque  tems  après ,  François  de  Bourbon ,  fils  du  duc  de 
Montpenfier ,  époufa  Renée  d'Anjou  ,  héritière  de  Nicolas 
d'Anjou  marquis  de  Mezieres  -,  ôc  le  Roi  ôc  la  Reine  honorè- 
rent aulli  ces  noces  de  leur  préfence.  Le  duc  de  Montpenfier 
fâché  de  ce  que  Françoife  de  Bourbon  fa  fille,  époufe  de  Hen- 
ri Robert  de  la  Marck  duc  de  Bouillon,  avoit  embraffé  la  Re- 
ligion des  Proteftans ,  pour  laquelle  il  avoit  une  averfion  ex- 
trême, établit,  pour  ramener  le  mari  ôc  la  femme  à  l'ancienne 
Religion  ,  une  conférence  entre  Simon  Vigor  ôc  Claude  de 
Saintes  (  Théologiens  d'une  grande  réputation  ,  dont  Tun  a  été 
depuis  archevêque  de  Narbonne ,  ôc  l'autre  évêque  d'Evreux  ) 
d'une  part  3  ôc  Jean  d'Efpina ,  ôc  Charle  Barbafte  de  Bearn  ,  au- 
trefois Carme ,  tous  deux  Proteftans ,  de  l'autre  part.  Mais  com- 
me celui-ci  ne  put  y  afiifter,  Hugues  Sureau ,  dit  du  Rofier.  fut 
nommé  pour  remplir  fa  place  ;  ôc  pour  cela  on  le  fit  fortir  de 
prifon  ,  où  il  avoit  été  mis  à  caufe  d'un  Libelle  qu'il  avoit  pu- 
bliée touchant  l'autorité  du  Magiftrat.  La  Conférence  fut  te- 
nue à  Paris  dans  l'hôtel  de  Nevers  ,  en  préfence  de  deux  No- 
taires, ôc  depuis  on  en  imprima  les  a£lcs  à  Paris.  Le  fuccès  fut, 
qu'après  une  difpute  longue  ôc  fort  aigre  de  part  ôc  d'autre,  on 
To?ne  V.  A  a 


1^6  HISTOIRE 

fefepara  avec  très  peu  de  profit,  foit  pour  les  difputansqui  ne 

'Z  s'accordèrent  fur  rien  ,  foit  pour  les  perfonnes  en  faveur  de  qui 

^  ^  ^  ^     la  Conférence  avoit  été  ordonnée. 

Il  arriva  un  accident ,  qui  penfa  renverfer  l'ouvrage  de  la 
No^uveiics    réconciliation  faite  à  Moulins  ,  Ôc  qui  répandit  à  la  Cour  de 
défiances  à  la  nouvelles  défiances.    Un  certain  Simon  de  May,  homme  mé- 
Cour.  chant  j  tenoit  à  louage  une  maifon  fur  le  grand  chemin ,  aflez 

près  de  Châtillon-fur-Loin^  appartenant  à  Gafpard  de  Coligni  i 
&  parce  que  cette  maifon  étoit  feparée  de  la  ville ,  &  propre 
pour  des  vols  ôc  des  brigandages ,  on  foupçonna  que  de  May 
avoit  été  gagné  par  les  ennemis  de  l'Amiral ,  pour  rafTafliner. 
L'Amiral  le  fit  arrêter.  Ce  miferable  efperant  couvrir  un  vrai 
crime  par  une  fauffe  accufation  ,  ôc  ainfi  éluder  les  pourfuites 
de  Coligni ,  répondit ,  lorfqu'il  fut  interrogé,  que  l'Amiral  l'a- 
voit  fondée  pour  fçavoir  s'il  voudroit  attenter  à  la  vie  de  la  Rei- 
ne mère  >  ôc  qu'il  lui  avoit  donné  de  l'argent  pour  l'y  enga- 
ger 3  mais  que  l'ayant  refufé,  Coligni,  pour  fc  venger  de  fon 
refus  ,  l'avoir  fait  prendre ,  ôc  l'avoir  chargé  de  crimes  faux  ôc 
fuppofez.  Cependant  les  Juges  ,  après  avoir  bien  examiné  les 
informations  ,  ôc  les  preuves  ,  crurent  qu'ils  dévoient  y  avoir 
plus  d'égard ,  qu'aux  paroles  d'un  criminel  j  qui  ne  cherchoit 
qu'à  fe  fauver ,  ou  au  moins  à  prolonger  fa  vie.  Ainfi  ils  le 
condamnèrent  au  fupplice  deftiné  pour  les  voleurs  ôc  meur- 
triers ;  c'eft-à-dire  ,  à  être  rompu ,  Ôc  mis  fur  la  roue.  Par  ce 
moyen  ,  les  bruits  qui  avoient  couru ,  ôc  partagé  la  Cour  en 
diverfes  fadions,  furent  affoupis  pour  un  tems  i  ôc  les  mouve- 
mens  d'aigreur ,  de  reffentiment  ôc  de  haine ,  qui  s'étoient  re- 
veillez à  cette  occafion  dans  des  efprits  mal  reconciliez ,  pa- 
rurent un  peu  appaifez. 

On  eut  aufii  des  nouvelles  à  la  Cour,  que  lesProteftans^qui 
Nouveaux  étoient  en  grand  nombre  à  Lyon  ,  méditoient  quelqu'entre- 
troubles  a  pj-jf^  .  ^  comme  l'on  trouva  dans  une  maifon  proche  de  la  ci- 
tadelle un  conduit  foûterrain ,  en  forme  de  mine,  les  foupçons 
augmentèrent.  On  fortifia  la  citadelle  d'hommes ,  de  munitions^ 
de  canon  ôc  de  vivres?  ôc  on  en  donna  le  commandement  à 
Pierre  Bufliere  de  Chambaret  ,  d'une  des  premières  maifons 
du  Limoufin ,  aufii  illullre  par  fes  glorieux  exploits  de  guerre  > 
que  par  fa  nobleffe. 

Il  y  eut  en  même  tems  du  bruit  dans  le  comté  de  Foix,  ôc 


'OiX, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXXIX.       187 

dans  le  Bearn  ,  appartenans  à  Jeanne  d'Albret  reine  de  Na- 

varre ,  ôc  qui  s'étendent  julqu'aux  Pyrénées.  Pour  le  Bearn ,  les  C  H  \  r  L  E 
chofes  s'arrangèrent  de  façon  ^  que  quoique  les  Proteftans  y  fuf-        j^ 
fent  en  plus  grand  nombre  que  les  Catholiques  ,  ceux-ci  ne     ^  ^  ^5  ^^ 
laifferent  pas  d'être  maintenus  dans  le  libre  exercice  de  leur     djps  le 
Religion.  Il  y  eut  plus  de  difficultez  dans  le  comté  deFoixj  Bearn &dans 
ôc  comme  les  Catholiques  y  étoient  en  plus  grand  nombre  que  fc 
les  Proteftans  :,  les  affaires  y  tournèrent  tout  autrement.  Jean 
Brabançon ,  qui  aimoit  à  mener  une  vie  libre ,  follicité  par  Ro- 
bert de  Pellevé  ,  frère  de  Nicolas ,  qui  fut  depuis  Cardinal ,  fe 
démit  en  fa  faveur  de  l'évêché  de  Pamiers ,  ville  dans  le  comté 
de  Foix,  Ôc  ne  fe  referva  qu'une  petite  penfion.  Il  trouva  peu 
de  bonne  foi  dans  fon  fucceffeur  j  ôc  il  eut  avec  lui  un  long  ôc 
fâcheux  procès,  qui  demeura  indécis.  Le  nouvel  Evêque  en- 
treprit de  chagriner  les  Proteftans ,  ôc  d'empêcher  le  libre  exer^ 
cice  de  leur  Religion  dans  Pamiers. 

L'Edit  donné  à  Cremieu  l'année  précédente  ordonnoit ,  tou- 
chant les  éle6li©ns  des  Confuls ,  Maires  ou  Magiftrats ,  que  les 
Confeillers  des  villes  ôc  bourgs  ,  à  qui  ces  élections  apparte- 
noient ,  nommeroient  deux  fujets  pour  chaque  charge  ,  qu'ils 
envoyeroient  au  Roi  le  nom  des  élus,ôcqueSaMajefté  choi- 
firoit  celui  qu'elle  voudroit.  Lorfque  le  Confeil  de  ville  avoit 
•nommé  autant  de  Proteftans  que  de  Cathohques,  l'évêque  de 
Pamiers  obtenoit  du  Roi ,  que  Sa  Maiefté  rejettât  les  Protef-  . 
tans  ,  ôc  ne  nommât  que  des  Catholiques  ,  pour  être  Con- 
fuls pendant  l'année.  Non  content  de  donner  ce  chagrin  aux 
Proteftans,  il  fe  fervit  de  l'Edit  même  de  pacification  ,  pour 
les  troubler  dans  l'exercice  de  leur  Religion.  Cet  Edit  donné 
le  fept  de  Mars  i$6^,  ordonnoit  que  les  Proteftans  ne  pour- 
roient  tenir  des  aflemblées  publiques  de  Religion  ,  que  dans 
les  lieux  où  ils  fe  feroient  publiquement  ôc  librement  aifem- 
blez  jufqu'au  jour  de  fEdit.  Robert  de  Pellevé  prétendit  donc 
que  les  Proteftans  de  Pamiers  avoient  difcontinué  leurs  aflem- 
blées avant  le  fept  de  Mars  ,  ôc  que  par  conféquent  ils 
n'avoient  plus  droit  de  s'affembler  :  il  fe  mit  en  état  de  le 
prouver  par  les  informations  qu'il  fit  faire  très-fecrétement. 
L'affaire  ayant  depuis  été  portée  au  Confeil  du  Roi ,  fans  que 
les  Proteftans  en  euffent  connoiffance  ,  on  s'en  rapporta  aux 
preuves  ou  informanons  fecrétes ,  que  l'évêque  de  Pamiers  avoit 

Aa  ij 


i88  HISTOIRE 

fait  faire.  On  ordonna  qu'on  ne  feroit  point  à  Pamiers  d'exer- 

Ch  ARLE  ^^^^  d'autre  Religion  ,  que  de  la  Catholiques  &  on  manda  à 
I X        Damville  ^  gouverneur  de  Languedoc  ,  de  faire  exécuter  cet 

i  <  6  6.     ^^^^^  ^^  Confeil  du  Roi. 

Les  Proteftans  ayant  fçû  ce  qui  s'étoit  fait  contr'eux  ,  dépu- 
tèrent auffi-tôt  Simon  de  Senier ,  pour  faire  leurs  très-humbles 
remontrances  au  Roi  :  mais  malgré  les  inftances  de  la  reine  de 
Navarre  j  qui  partageoit  avec  FEvêque  la  feigneurie  de  Pa- 
miers ,  ils  ne  purent  rien  obtenir  contre  un  Prélat  appuyé  de  tout 
le  crédit  du  cardinal  de  Lorraine.  Les  Proteftans  voyant  que  la 
Cour  ne  leur  étoit  pas  favorable ,  ôc  fâchez  de  fe  voir  privez  d'u- 
ne liberté  dont  ils  avoient  joui  pendant  quatre  ans  ,  tâchèrent  de 
la  conferver  ;  non  pas  en  tenant  des  affemblées  publiques ,  mais 
en  fe  réunifiant ,  pour  faire  l'exercice  de  leur  Religion  dans 
des  maifons  particulières.  D'un  côté  ,  les  Cathohques  pref- 
foient  l'exécution  de  l'arrêt  du  Confeil  du  Roi  j  de  l'autre ,  les 
Proteftans  prétendoient  l'éluder ,  en  difant  qu'ils  avoient  été  ju- 
gez fans  être  entendus ,  &  que  l'arrêt  avoit  été  furpris  par  les 
artifices  de  l'Evêque,  fur  de  faufies informations.  Voilà  ce  qui 
donna  lieu  aux  troubles. 

C'étoit  la  coutume  à  Pamiers ,  que  les  jours  de  fête  le  peuple 
précédé  d'enfeignes  déployées ,  deftinées  à  cet  ufage  ,  couroit 
par  les  rues  de  la  ville  en  buvant  Ôc  en  mangeant  ;  Ôc  qu'on  y 
faifoit  des  danfes  aufiî  tumultueufes ,  qu'indécentes  :  les  Cha- 
noines de  la  Cathédrale  autorifoient  cette  licence.  Ce  fut  une 
occafion  favorable ,  dont  la  populace  profita ,  pour  troubler  les 
aflfemblées  des  Proteftans ,  ôc  pour  les  infulter  de  toutes  ma- 
nières, par  paroles  ôc  par  adions.  Les  principaux  Chefs  qui  au- 
torifoient ces  défordres , étoient  Mauleon  d'Urban  Chanoine, 
&  la  Broufi^e  Conful ,  que  l'on  difoit  avoir  fortifié  l'églife  des 
Auguftins ,  ôc  y  avoir  fait  porter  des  armes.  D'un  autre  côté , 
les  Proteftans,  qui  fe  voyoient  attaquez  ,  ne  demeurèrent  pas 
dans  l'inadion  5  ôc  le  ip  de  Mai,  comme  ces  danfes  pafix)ient 
devant  l'églife  des  Dominicains ,  un  enfant  jetta  des  pierres  au 
milieu  de  la  troupe.  Il  n'en  fallut  pas  d'avantage,  dans  la  dif- 
pofition  où  étoient  les  efprits  de  part  ôc  d'autre ,  pour  les  aigrir, 
Ôc  les  porter  à  une  fédition  î  on  courut  jufqu'au  fauxbourg  de 
rOurmet ,  qui  eft  feparé  de  la  ville  ,  ôc  qui  néanmoins  y  efî 
joint ,  pour  fe  battre.  Mais  par  l'entremife  des  Confuls  ôc  du 


DEJ.  A.  DETHOU.Lîv.  XXXIX.     1 8^ 

Viguier,  le  bruit  fut  appaifé  fans  répandre  de  fang,  ôc  l'on  dé- 
fendit ces  danfes  &  ces  feftins  les  jours  de  fête.  Char  le 

Comme  le  jour  de  la  Pentecôte  approchoit ,  la  licence  con-  JX. 
tinua  :  fous  prétexte  de  Religion ,  des  hommes  mafquez  cou-  1^66, 
roient  au  milieu  des  proceflions  ;  &  pour  choquer  les  Protef- 
tans ,  on  expofa  dans  la  place  publique  de  petites  ftatuës  d'ar- 
gent. Les  efprits  étant  irritez,  on  en  vint  aifément  àunefé- 
dition,  dans  laquelle  le  Viguier,  qui  accourut  pour  l'appaifer, 
penfa  perdre  la  vie.  La  nuit  fuivante,  les  Chanoines  ou  par 
crainte  ,  ou  pour  fe  défaire  de  leurs  ennemis ,  armèrent  cent 
cinquante  hommes ,  dont  ils  donnèrent  le  commandement  à 
Kochebrune ,  ôc  ils  les  firent  entrer  dans  le  château  de  l'Evê- 
que,  auprès  de  la  ville.  Il  y  eut  enfuite  plufieurs  petits  combats 
entre  les  habitans,  &  il  y  en  eut  plufieurs  de  bleflez  de  part  &. 
d'autre.  Les  Proteftans  attaquèrent  la  maifon  de  la  BroulTe, 
&  y  ayant  mis  le  feu,  elle  fut  bien-tôt  brûlée  ,  avec  cinq  autres 
maifons  voifines.  Après  l'incendie  on  en  vint  au  carnage ,  ôc 
la  BroulTe  après  avoir  vu  fa  maifon  brûlée  ,  fut  tué.  Sompchies, 
l'un  des  Confuls  fe  rendit,  à  condition  qu'il  auroit  la  vie  fauve. 
Le  Viguier  le  mena  avec  foixante  de  fes  compagnons  dans  la 
citadelle ,  011  la  plupart  fe  retirèrent  avec  les  Chanoines ,  n  ayant 
point  d'autre  moyen  de  fefauver.  On  pilla  le  couvent  des  Car- 
mes ,  ôc  on  y  tua  quelque  Religieux. 

Les  Proteftans  ne  doutant  pas  que  ces  violences  ne  fuflent 
très-mal  reçues  du  Gouverneur  de  la  Province  ôc  du  Parlement 
deTouloufe,  députèrent  quelques-uns  d'entr'eux  à  Guillaume 
vicomte  de  Joyeufe,  pour  s'excufer  de  ce  qu'ils  avoient  fait, 
ôc  faire  voir  que  d'Urban  ôc  la  BroulTe  étoient  les  véritables 
auteurs  de  la  (édition.  Peu  de  tems  après  le  Viguier  fut  en- 
voyé en  Cour  pour  le  même  fujet.  Cependant  les  vainqueurs 
marchèrent  au  couvent  des  Auguftins,  que  d'Urban  défen- 
doit,  ôc  qu'il  ne  voulut  pas  ouvrir,  quoique  Sompchies  l'y  ex- 
hortât. Mais  la  nuit  fuivante  ayant  abandonné  la  place,  il  for- 
titavec  trois  cens  hommes  parla  porte  de  Cailloup.  Le  Cou- 
vent fut  pillé ,  ôc  les  ftatuës  qui  étoient  dans  TEglife  furent  ren- 
verfées.  On  fît  la  même  chofe  dans  TEglife  de  faint François,  ôc 
dans  l'Hôpital  de  la  ville  le  $  de  Juin.  Le  lendemain  le  cou- 
vent des  Dominicains  fut  pris  Ôc  pillé.  Ainfi  les  Proteftans 
fe  rendirent  maîtres  de  Pamiers  ,  ayant  tué  ou  chafTé  leurs  en- 
nemis. Aa  iij 


ipô  HISTOIRE 

Un  certain  Hermite  de  faint  Auguftin ,  nommé  Polvareil, 
~f^  .  ^  j  r  s'enfuit  à  Foix, place  munie  d'une  forte  citadelle  ,qui  donne  le 
ry  nom  atout  le  payis.  Lorfqu'il  fut  un  peu  revenu  de  fa  fayeur> 
/^  &  qu'il  eut  repris  haleine,  il  dit  aux  habitans  que  les  Proteftans 
'  avoient  égorge  tous  les  Catholiques  de  Pamiers ,  &  il  les  ex- 
horta à  fe  venger  fur  ceux  de  Foix  de  ce  qu'avoient  fait  ceux 
de  Pamiers.  Le  peuple  1  écouta,  ôc  fuivit  fon  confeil.  S'étant 
mis  fous  la  conduite  des  Merciers  ' ,  ils  tirèrent  par  force  les 
Proteftans  de  leurs  maifons,  ôc  ils  en  tuèrent  trente-cinq.  Les 
autres  animez  par  ce  carnage  de  leurs  confrères ,  prirent  les  ar- 
mes, s'attroupèrent,  allèrent  enfemble  à  la  porte  de  faint  Vin- 
cent ,  que  les  Merciers  avoient  fermée ,  ôc  l'ayant  ouverte  avec 
des  leviers  &  des  coignées ,  ils  fe  retirèrent  dans  Ïqs  monta- 
gnes voifmes. 

Cependant  les  Proteftans  de  Pamiers  fe  repentant,  mais  trop 
tard,  des  effets  de  leur  fureur, -firent  venir  du  Soulan  gentil- 
homme du  payis  3  homme  de  courage  ,  pour  commander  dans 
la  ville  j  ôc  pour  couvrir  leur  faute,  ils  permirent  aux  Catholi- 
ques, qui  étoientreftez  en  petit  nombre,  de  faire  le  fervice  di- 
vin pubHquement ,  ôc  au  fon  des  cloches.  Mais  ayant  appris 
que  Joyeufe  leur  envoyoit  JeanNogaret  de  la  Valette,  ôc  le 
capitaine  Scipion ,  ils  prirent  l'épouvante ,  ôc  furent  un  peu  trou- 
blez. La  Valette  leur  propofa  ces  conditions  :  Que  les  prifon- 
niers  de  part  ôc  d'autre  faits  à  Pamiers  ôc  à  Foix ,  fufTent  mis 
en  liberté  :  Que  l'on  congediroit  les  gens  de  guerre  qu'on 
avoir  fait  venir  de  l'un  ôc  de  l'autre  côté  :  Qu'on  défarmât  les 
particuliers  :  Qu'on  mît  les  armes  dans  la  maifon  de  Ville ,  ôc 
qu'on  s'abandonnât  pour  tout  le  refte  à  la  volonté  du  Roi ,  dont 
on  attendoit  les  ordres  de  jour  en  jour.  Les  Proteftans  fe  con- 
fièrent à  l'équité  de  la  Valette ,  dont  ils  connoifToient  la  mo- 
dération ,  ôc  ils  firent  tout  ce  qu'il  leur  prefcrivit.  On  retint  feu- 
lement les  foldats ,  non  pas  pour  garder  la  ville ,  mais  pour  les 
mettre  eux-mêmes  enfiiretéjparçe  qu'ils  repréfenterent  que  les 
payifans  étant  animez  contre  eux ,  ils  n'avoient  point  de  lieu 
à  la  campagne  où  ils  pufTent  être  en  fiireté. 

Odet  de  Foix  comte  de  Carmain  ôc  Jean  de  Montluc  évê- 
que  de  Valence  intcrpofant  leur  crédit ,  on  parut  d'abord  trai- 
ter l'affaire  par  les  voies  de  droit.  Mais  le  vicomte  de  Joyeufe 
z  C'ell  le  nom  d  une  famille  de  Pamiers. 


DE  J.  A.  DE  T  HOU,  Liv.  XXXIX.      i^i 

ayant  envoyé  de  Sarlaboz  demander  à  la  Ville  un  logement 
pour  lui ,  ôc  pour  trois  compagnies  d'infanterie  j  ceux  qui  fe  fen-  C  h  a  R  l  E 
toient  coupables  furent  effrayés  de  la  propofition  ^  ôc  les  habi-  IX. 
tans  refuferent  entièrement  ce  que  Joyeufe  leur  demandoit,  ôc  \  <  6  6. 
s'excuferent  fur  leurs  immunitez  ôc  leurs  privilèges.  Sur  cela 
on  dépêcha  de  part  ôc  d'autre  à  la  Cour;  les  uns  pour  exagé- 
rer ôc  agraver  le  crime  des  habitans ,  ôc  \qs  autres  pour  le  di- 
minuer ôc  l'excufer.  Cependant  les  armes  qu'on  avoir  mifes  dans 
l'Hôtel  de  ville  le  $  de  Juillet  en  furent  retirées  ôc  rendues 
aux  habitans.  Tout  étoit  en  défordre  aux  environs  de  Pa- 
miers.  Jacque  d'Angennes  de  Rambouillet  y  vint  de  la  part 
du  Roi ,  avec  des  ordres  très-étendus  j  pour  accommoder  cette 
affaire.  En  même-tems  les  vicomtes  de  Rabat  ôc  de  Caumont, 
de  la  première  nobleffe  du  payis  de  Foix,  ôc  attachez  aux  Pro- 
teftans  y  vinrent  le  trouver^  à  la  prière  des  habitans ,  ôc  le  prièrent 
de  vouloir  bien  faire  ceffer  les  violences ,  que  les  troupes  de 
Joyeufe  exerçoient  non  feulement  à  Pamiers^  mais  dans  toute 
la  Province.  Ils  lui  offrirent  leurs  fervices ,  ôc  promirent  que 
il  on  ufoit  de  modération  ôc  de  douceur,  les  affaires  s'accom- 
moderoient  fuivant  les  intentions  du  Roi.  La  Reine  de  Na- 
varre y  travailla  de  fon  côté  ,  ôc  elle  fe  fervit  des  gens  qu'elle 
avoit  dans  le  payis ,  pour  preffer  les  Proteftans  de  fe  foumettre 
aux  Minières  du  Roi. 

On  fit  donc  une  trêve,  après  avoir  fait  un  peu  éloigner  les  trou- 
pes de  Sarlaboz  ;  ôc  le23  de  Juillet  àlafollicitation  du  vicomte 
de  Rabat,  qui  s'entremettoit  dans  cette  affaire,  toute  la  gar- 
nifon ,  au  nombre  defix  cens  arquebufiers,  fartit  delà  ville  ,  Ôc 
avec  eux  tous  les  coupables.  Le  lendemain  Rambouillet,  ac- 
compagné de  Sarlaboz,  ôc  d'une  petite  troupe  de  gens  de  gucr- 
re,  entra  dans  la  ville ^  enfeignes  déployées,  ôc  tambour  bat- 
tant ,  fans  faire  aucun  mal  aux  habitans.  De  Pamiers  Rambouil- 
let alla  à  Foix,  pour  informer  de  la  fédition  excitée  par  Pol- 
vareil  Auguftin ,  ôc  du  carnage  qu'on  y  avoit  fait  des  Protef- 
tans.  Peu  de  tems  après  Joyeufe  vint  lui-mcmeà  Pamiers  avec 
cent  cavaliers ,  ôc  il  y  fut  en  apparence  reçu  avec  des  marques 
d'honneur  ôc  de  foumiffion.  11  fut  fuivi  par  Jean  Daffis  Prefi- 
dent,  ôcparfix  Confeillers  du  Parlement  de  Touloufe,  Com- 
miffaires  déléguez  pour  connoître  de  cette  affaire.  Après  avoir 
entendu  les  témoins^  affoupi  l'affaire  pour  un  temSj  ôcfait  efpcrcr 


ip5  HISTOIRE 

I  qu'on  rendrolt  également  juftice  à  l'un  ôc  à  l'autre  parti ,  (  car 
Ch  ARLE  ifs  étoient également follicités  par  les  veuves  de  ceux  qui  avoient 
IX.       ^f^  tuez  de  partôc  d'autre,  dont  les  gemiflemens  ôcles  larmes 
\  S  6  6.     faifoient  à  leurs  yeux  un  des  plus  triftes  fpeclacles  ,  )  ils  s'en  re- 
tournèrent. 

Dix-huit  des  coupables  qui  avoient  fui ,  furent  pris  au  mois 
de  Septembre  ,  ôc  envoyez  dans  les  prifons  de  Touloufe,  d'oii 
ils  fe  fauverentprefquetous.  Après  cela ,  foit  que  ]e  Parlement 
de  Touloufe  leur  fûtfufpecl,  foit  qu'ils  ne  fe  crûlTent  pas  affez 
innocens ,  pour  s'expofer  à  fubir  un  jugement ,  ils  reprefente- 
rent  au  Roi  les  raifons  de  leurs  foupçons,  ôc  ils  obtinrent  de 
fa  Majefté  que  le  Parlement  de  Paris  prendroit  connoiffance 
de  leur  affaire.  Mais  auffi-tôt  après  Je  cardinal  de  Lorraine  ob- 
tint la  revocation  des  lettres  que  le  Roi  avoit  déjà  fait  expé- 
dier à  ce  fujet.  L'affaire  fut  donc  renvoyée  au  Parlement  de 
Touloufe ,  ôc  on  y  condamna  les  fugitifs  par  contumace,  com- 
me criminels  de  leze-Majefté,  à  être  pendus,  ôc  leurs  biens  furent 
confifquez  au  profit  du  Roi,après  avoir  prélevé  la  fomme  de  qua- 
rante mille  livres  pour  le  rétabliffement  des  Eglifes  ruinées.  Le 
même  arrêt  prononçoit  des  peines  rigoureufes  contre  ceux  qui 
les  logeroient ,  ou  qui  les  afTifleroient  d'argent ,  de  vivres ,  ôc 
autres  fecours  :  il  ordonnoit  de  leur  courir  fus ,  comme  à  des 
voleurs  publics,  perturbateurs  de  la  paix,  ennemis  de  leur  pa- 
rier ôc  de  les  tuer  même,  fi  on  ne  pouvoir  les  arrêter.  Ces  malheu- 
reux prirent  alors  le  parti  de  fe  retirer  dans  les  Pirenées ,  en  un 
lieu  appelle  les  Cabanes  ,  ôc  ils  menèrent  avec  eux  Martin  Ta- 
chard ,  autrefois  miniflre  de  la  vallée  d' Angrogne  dans  le  Pié- 
mont. Ils  fe  cachèrent  là  pendant  quelque  tems ,  difperfez  en 
différents  endroits.  Mais  lorfque  la  nécefîité ,  ou,  comme  ils  di- 
foient,  le  defir  de  fe  venger  des  injures  qu'ils  recevoient  de 
leurs  ennemis,  les  eût  forcez  de  fortir,  pour  aller  piller  décote 
ôc  d'autre^  ils  furent  trahis  par  des  payifans  irritez,  qui  conju- 
rèrent leur  perte,  ôc  le  2<5  de  Mai  de  l'année  fuivante  ils  furent 
furpris  ôc  environnez  par  Tilladet.  C'étoit  un  ofîicier,à  qui  Blaife 
de  Montluc  avoit  donné  une  commifTion  pour  lever  trois  enfei- 
gnes  de  gensdepié,afin  d'empêcher  les  affemblées  de  laNoblcffe 
de  Foixj  qui  étoit  en  armes  fous  le  prétexte  des  querelles  particu- 
lières de  Soulan  ôc  de  Roquemaurel.  Tachard  ayant  été  pris, 
fut  d'abord  mené  à  Foix  ^  comme  en  triomphe,  ayant  fjr  la  tête 

un 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XXXIX.       ip^ 

un  bonnet  blanCjôc  un  chapelet  pendu  au  cou,  qu^on  lui  avoit 

mis  par  dérifion.  On  le  mena  enfuite  à  Touloufe ,  où  il  fut  con-  Q  h  a  R  L  E 

damné  à  mort  ôc  exécuté.  j  X. 

En  cette  année ,  par  les  artifices  des  Efpagnols ,  qui  profî-      i  r  ^  (^. 
toient  de  nos  malheurs ,  Ôc  par  la  lâcheté  criminelle  de  ceux  qui 
avoient  alors  l'adminiflration  des  affaires  de  l'Etat ,  Pie  V.  fit  un  y,  démembre 
grand  tort  à  la  France,  en  ôtantà  l'évéque  deBayonne  le  Gui-  le  Guipufcoa 
pufcoa,  qui  eft  une  partie  de  la  Bifcaye ,  ôc  qui  étoit  fous  fa  deBayonne, 
jurifdi£tion.  Pour  colorer  cet  injufte démembrement,  on  allé- 
gua que  la  France  étant  infe£tée  du  fubtil  poifon  des  Se£lai- 
res ,  il  y  avoit  tout  lieu  de  craindre  que  les  peuples  qui  feroient 
obligez  d'aller  en  France ,  &  de  recourir  à  un  Evêque  Fran- 
çois ,  pour  lui  demander  juftice  dans  les  caufes  Eccléfiafliques 
qui  étoient  de  fon  reflTort,  ne  fuffent  infenfiblement  attaqués 
de  cette  contagion  ,  ôc   ne  PapportafTent  dans  les  Etats  du 
Roi  d'Efpagne ,  qui  s'en  étoient  heureufement  garantis  juf- 
qu'alors. 

Le  Pape  trop  facile  déclara  par  une  Bulle  du  dernier  jour 
d'Avril^  que  ces  juftes  motifs  l'avoient  déterminé  à  fe  rendre 
aux  pieux  ôc  louables  defirs  de  Philippe ,  ôc  à  lui  accorder  ce  qu'il 
avoit  tant  deraifon  de  lui  demander.  Il  ordonna  à  l'évéque  de 
Bayonne ,  ôc  à  l'archevêque  d'Auch  fon  métropolitain  ,  d'é- 
tablir, dans  l'efpacede  fix  mois,  dans  le  Diocefe  de  Pampelu- 
ne  ,  ou  dans  celui  de  Calahorra,  des  hommes  diftinguez  par  la 
pureté  de  leurs  mœurs  i  ôc  par  leur  do(^rine ,  nés  dans  les  Royau- 
mes d'Efpagne ,  avec  la  qualité  ôc  les  pouvoirs  de  Vicaires  gé- 
néraux ôc  Officiaux  de  l'évéque  deBayonne,  pourconnoître  des 
caufes  des  habitans  du  Guipufcoa  :  ajoutant  que  s'ils  n'en  nom- 
moientpas  dans  le  tems  marqué,  il  donnoitparla  même  bulle 
pouvoir,  tant  à  l'évéque  de  Pampelune  qu'à  celui  de  Calahorra, 
de  connoître  de  ces  caufes ,  ôc  défendoit  fous  les  peines  de 
droit  à  l'archevêque  d'Auch  ôc  à  l'évéque  de  Bayonne ,  de 
connoître  à  l'avenir  des  affaires  du  payis  de  Guipufcoa,  ôc  d'y 
exercer  par  eux-mêmes  aucune  jurifdiétion.  On  déclaroit  néan- 
moins que  ce  démembrement  n'auroit  lieu  ,  que  tant  que  les 
erreurs  des  Se£laires  infeéteroient  le  Royaume  de  France.  Cet- 
te bulle  donnée  en  i  y  5(5  ne  vint  à  la  connoiffance  de  l'évé- 
que de  Bayonne  qu'en  i|<58,  après  la  mort  du  Connétable  i 
Tome  V.  B  b 


iP4  HISTOIRE 

^^_^,^,,,„__  lorfque  le  chancelier  de  l'Hôpital  eût  été  chafTé  de  la  Cour, 

'Z,  ôc  dans  le  tems  que  la  guerre  civile  mettoit  tout  le  Royaume 

"rv^  ^  ^  en  feu.  C'eft  ce  qui  fît  qu'on  négligea  de  demander  au  Pape 

^*       la  jufte  réparation  d'une  injuftice  fi  énorme  6c  fi  injurieufe  à 

^  -^  la  France. 


fin  dt(  trente-neuvième  Livre. 


«^4» r^ <-*i, r^ r^ r^ oîu <^ <^ <^ f^ <^ <^ '"^  ''^  »'4*f^'^**'^^^^'^<^^*v»<^f^r^<A*  ' 

IIÉi!    "^'^    ^^^    "^^    "^^^    ^^^    ^'^    $É?I  '■ 

^ô:=s^=^=^=^=S;®=2;S=2)(S=S^=:ô?|;  J 

HISTOIRE 

DE  i 

JACQUE      AUGUSTE  j 

D  £    T  H  O  U.  ■ 

■ i 

LIVRE  Q^VARANTIEME.  ' 


'^^^f*jf*!?%.^îè^^  E  T  T  E  année  remarquable  ,^  par  les I 

f^  Q Q:^.ry^ Q  ^  évenemens  que  nous  avons  déjà  rap-  Ch  arle 

Il  ni!    ^^  portés  ,  ne  le  fut  pas  moins  par  les        IX. 

^    Il  g  g  ^  p$  troubles  des  Payis-bas.  Les  Flamans     i  y  <5  (5". 

^S  Cî«jÇ   §^   è  ^  2^  fixent  à  l'an  i<66  l'époque  de  leurs    Troubles  des  j 

^  ^S    ^^'-^   8S^  malheurs  î  car  ce  fut  alors  que  com-  i^yi^-bas.  , 

^    Il  Sc/îs/se/îïe/^  Il    II  mença  l'horrible  guerre  civile  y  qui^  I 

'^  0=2)3-©3^=Ô  ^  dans  le  tems  que  j'écris ,  déchire  de-  ; 

^'^^î^*^**^''!^^^^  P^^^  trente-trois  ans  entiers  ^  ces  Pro- 

<j^«^-^iii  lii  iii  ii^»^^^  ^^j^^^^g  autrefois  fi  florifiantes.    Mais  j 

avant  que  d'en  parler ,  j'ai  crii  qu'il  étoit  à  propos  de  dire  quel-  j 

que  chofe  de  cepayis,  de  fes  limites,  de  fes  provinces,  ae  la  ! 

fucceflion  des  Princes  qui  l'ont  gouverné,  ôc  enfin  des  maux 
inteftins,  dont  il  a  été  accablé. 
I  Cùm  h<sc  Scribo,  Ainfi  M.  de  Thou  écrivoit  ceci  en  i  $99-  \ 

Bb  ij  ! 


mssisjrSBsssst 


196  HISTOIRE 

Les  anciens  ont  regarde  les  Payis-bas  comme  la  troifiémc 
Char  LE  partie  de  la  Gaule  5  ôc  il  efl  confiant  que  Cefar  ôc  les  autres 
IX.        auteurs  leur  ont  donné  pour  limites  le  Rhin  à  l'orient,  la  Sei- 
1^66.    ne  au  midi,ôc  l'oceanà  l'Occident,  6c  au  feptentrion.  Aujour- 
Dcfcrinio    ^'^'^^  ^^  P^"^  grande  partie  de  ce   payis   eft  occupée  par  le 
de  CCS  pjo-  Roi  de  France,  le  duc  de  Lorraine,  les  Palatins  deBavie- 
yinces.  j-g^  |g  Juc  de  Cleves,  les  archevêques  de  Trêves  &  de  Co- 

logne, Ôc  par  l'évéque  de  Liège.  Lerefte  du  payis  dont  nous 
avons  à  parler ,  eft  fous  l'obéifTance  de  Philippe  IL  Roi  d'Ef- 
pagne ,  ôc  efl  appelle  Flandre ,  de  la  plus  belle  de  ces  Pro- 
vinces. On  lui  donne  plus  fouvent  le  nom  de  Payis-bas^  à  eau- 
fe  de  fa  fituation  5  parce  qu'il  n'y  a  prefque  point  de  monta- 
gnes^ que  plufieurs  rivières  arrofent  ce  payis  ,  ôc  vont  fe  per- 
dre enfuite  dans  la  mer.  Les  Allemands  ou  Germains,  qui  ayant 
franchi  leurs  limites ,  inondèrent  les  Provinces  voifines ,  don- 
nèrent à  tout  ce  payis  le  nom  de  baffe  Allemagne  M  ôc  ils  ont 
cru  avoir  droit  d'en  ufer  ainfi  ,  parce  que  la  plupart  de  ces  peu- 
ples fe  fervent  delà  langue  Flamande,qui  eft  tirée  de  l'Alleman- 
de. Quelques-uns  néanmoins  parlent  la  langue  Wallonne  ou 
Françoife  ,  ôc  par  conféquent  une  langue  tirée  de  la  Ro- 
maine. 

Cependant  le  nom  de  baffe- Allemagne  eft  nouveau  :  car  dans 
les  anciennes  notices,  ôc  fous  l'Empire  de  Valentinien,  qui 
mourut  en  37P ,  toute  cette  contrée  étoit  comprife  fous  le  nom 
de  l'une  ôc  de  l'autre  Belgique.  D'ailleurs  il  femble  que  \qs 
Allemands  n'ont  pas  eu  plus  de  droit  de  donner  au  Payis-bas 
le  nom  d'Allemagne,  que  les  Scythes  de  donner  à  l'A  fie  le  nom 
de  Scythie,  parce  qu'ils  en  ont  été  long-tems  les  maîtres.  En- 
fin s'il  faut  donner  le  nom  d'Allemagne  aux  Payis-bas,  parce 
que  les  Allemands  s'y  font  répandus ,  il  faudra  de  même  ap- 
peller  Allemagne  la  plus  grande  partie  de  fltalie,  la  Grande 
Bretagne  ôc  la  Gaule,  parce  que  les  Lombards ,  les  Anglois- 
Saxons,  ôc  les  Francs ,  tous  peuples  d'Allemagne,  fe  font  em- 
parez de  ces  payis  y  ôc  les  ont  réduits  fous  leur  obéïffance. 
Les  Payis-bas ,  qui  font  aujourd'hui  fous  la  domination  de  la 
^  maifon  d'Autriche,  font  divifez  en  1 7 Provinces,  dont  quelques- 

unes  font  véritablement  de  l'Allemagne,  parce  qu'elles  font  au- 
delà  du  Rhin,  comme  la Frife  (  qu'onappelle  occidentalcjàla 
I  Cefl  peut-être  l'origine  du  nom  de  Pays-ba$ ,  Inferior  Germania* 


D  E  J.  A.  DE  T  HOU,  Liv.   XL.  191  \ 

différence  de  Tautre  qui  s'étend  vers  l'orient  )  le  comté  de  ________; 

Zutphen,ôc  le  payis  d'Over-IfTel ,  peninfule,  entre  le  bras  ii*-  c^arle 
ferieur  du  Rhin  ,  qui  pafle  le  long  d'Arnheim  ,&  la  rivière  d'Jf-        j  \^^ 
fel.   Cependant  ces  Provinces  font  comprifes  fous  le  nom  de     \  c  c  6. 
Flandre  oudePayis-bas  ,ou  ^  comme  prétendent  les  Allemands, 
de  baffe  Allemagne ,  quoique  véritablement  ils  appartiennent 
àla  vraie  ôc  haute  Allemagne.  Il  feroit  inutile  de  parler  en  par- 
ticulier de  chacune  de  ces  Provinces,  de  leur  gouvernement, 
de  leurs  Confeils,  de  leurs  Magiftrats ,  ôc  de  leurs  Coutumes, 
parce  que  ce  font  des  chofes  connues  de  tout  le  monde ,  Ôc 
que  d'autres  Ecrivains  en  ont  traité  dans  des  ouvrages  particu- 
liers. Je  dirai  feulement  qu'il  n'y  a  point  de  payis  fur  la  terre 
plus  peuplé  ôc  plus  riche  :  il  renferme  deux  cens  huit  villes  mu- 
rées ,  cent  cinquante  bourgs ,  qui  ne  cèdent  point  aux  villes 
fermées,  en  grandeur  ôc  en  richeffes,  ôc  fix  mille  trois  cens 
paroiffes  ;  cependant  toute  cette  contrée  n'a  pas  plus  de  trois  \ 

cens  quarante  milles  de  circuit. 

Nous  dirons  ici  quelque  chofe  de  la  fucceffion  des  Com-     Succcffion  ; 

tes  deFlandrej  parce  que  cette  Province,  la  plus  belle  ôc  la  plus  dc%iandr^" 
confîderable  de  toutes,  ôc  qui  a  donné  fon  nom  aux  autres ,  a  été 
confiderablement  augmentée  par  des  alliances ,  par  des  traités  ôc  ' 

par  des  conquêtes.  La  Flandre  étoit  autrefois  habitée  par  les  Pleu- 
mofiens ,  les  Grudiens  ôc  les  Gorduniens  :  ce  qu'on  appelle  l'Ar- 
tois ,  étoit  fous  la  puiffance  des  François  dès  le  tems  de  Clovis , 
comme  il  paroît  par  les  annales  du  règne  de  ce  Prince  5  ôc  l'un  ôc  1 

l'autre  commencèrent  à  faire  partie  du  Royaume  de  France^  I 

auffi-tôt  que  ceux  de  la  ville  de  Gand  capitale  de  toutela  nation  | 

eurent  chaffé  la  garnifon  des  Romains.  Trois  cens  trois  ans  après  \ 

Clovis ,  Charle- Magne  établit^pour  garder  la  frontière  de  Flan-  j 

dre ,  Liderick  de  Harlebeque ,  qu'il  créa  Grand  Foreftier ,  ôc 
il  lui  donna  à  perpétuité  ce  Gouvernement  j  que  nos  Rois  n'a- 
voient  jufqu'alors  donné  aux  Gouverneurs  de  Flandre  ,  que  < 

pour  un  tems.  Les  deicendans  de  Harlebeque  jouirent  de  ce  .      j 

Gouvernement  jufqu'à  Baudouin  furnommé  Bras-de-fer,  qui  par  j 

une  étrange  témérité  enleva  ,foixante  ôc  dix  ans  après  cette  con-  ■ 

ceffion  ,  Judith  H)Ie  de  Charîe-le-Chauve,  qui  s'étoit  retirée  à  j 

Senlis  après  la  mort  d'Earduifroi  d'Anglererre,fon  premier  mari.  I 

Cet  enlèvement  fe  fit  à  l'infçù  du  père  de  Judith,  mais  avec  le  ] 

confentementdefon  frcre.  L'affaire  fut  terminée  par  l'entremife 
du  Pape  i  les  noces  furent  célébrées  à  Auxerre  avec  l'agrément 

Bbiij 


îpS  HISTOIRE 

■  de  Charle.  Baudouin  reçut  de  fon  beau-pere  la  Flandre  avec 
Char  LE  ^^^^^    ^^  marquifat  ou  de  comté.    Depuis  Baudouin  jufqu'à 
l^        Arnoul  VIII.  les  Princes  de  cette  maifon  fe  fuccederent  fans 
j  ç  ^  ^      aucune  interruption  dans  la  joûifTance  de  cette  Province.  Mais 
enfin  Robert ,  dit  le  Frifon ,  troubla  l'ordre  léginme  &  natu- 
rel de  cette  fuccelïion,  Arnoul  fils  de  Baudouin  de  Mons  ayant 
cté  tué ,  ôc  Baudouin  comte  de  Hainault ,  frère  d'Arnoul ,  ayant 
été  exclus.  Depuis  ce  tems  là  le  Comté  de  Flandre  paiïa  en  di- 
verfes  mains,  jufqu'à  Thierri  comte  d'Alface,  fils  de  Thier- 
ri,  qui  époufa  Gertrude  petite-fille  de  Robert,  dit  le  Frifon. 
Philippe  fon  fils  étant  mort  fans  enfans ,  la  Flandre  retourna  l'an 
iip4  à  Marguerite,  qui  avoit   époufé  Baudouin  fils  de  Bau- 
douin comte  de  Hainault.  Ainfi  la  vingtième  année  depuis  la 
mort  d'Arnoul,  le  Comté  de  Flandre  fut  rendu  à  la  pofterité 
de  l'héritier  légitime ,  non  par  la  force  des  armes ,  mais  par  le 
droit  de  l'alliance. 
^.  Baudouin  fils  de  Marguerite  conquit  l'Empire  d'Orient,  ôc 

nelaiffaque  deux  filles,  Marguerite  &  Jeanne. Marguerite,  qui 
furvêcut  à  Jeanne ,  époufa  Guillaume  de  Dampierre  de  la  mai- 
fon d'Archambaud  Sire  de  Bourbon.  Enfuite  comme  il  n'y  avoit 
plus  d'enfans  mâles  delà  race  de  Baudouin,  dit  Bras-de-fer,  les 
Bourbons  poflederent  la  Flandre ,  ôc  ayant  quitté  leur  nom  ôc 
leurs  armes,  ils  palTerent  dans  la  maifon  de  Flandre,ôc  leur  pofte- 
rité régna  fur  cepayis  jufqu'à  Louis,  qui  fut  le  cinquième  Com- 
te de  Flandre  depuis  Guillaume.  Louis  en  mourant  ne  laiffa 
qu'une  fille  appellée  Marguerite.  Elle  fut  depuis  mariée  à 
Phihppe  duc  de  Bourgogne  ,  frère  de  Charle  V.  C'cft  de 
ce  Philippe  que  vient  la  maifon  de  Bourgogne  ,  à  laquelle 
la  maifon  d'Autriche  a  enfin  fuccedé ,  par  une  extrême  im- 
prudence de  Louis  XI  :  car  ce  Prince  d'ailleurs  très-fage  ôc 
t  rès- politique  ,  aveuglé  par  la  haine  implacable  qu'il  avoit 
pour  la  maifon  de  Bourgogne  ,  lailfa  époufer  à  Maximilien 
d'Autriche  une  PrincelTe  qu'il  pouvoir  obtenir  en  mariage 
pour  fon  fils.  C'eft  par  ces  foibles  commencemens ,  que  la 
maifon  d'Autriche  ,  qui  avant  Rodolfe  n'étoit  ni  fort  riche  3 
ni  fort  puiffante  ,  s'aggrandit  depuis  en  Allemagne  ;  ôc  que 
par  cette  heureufe  alliance  elle  jetta  les  fondemens  d'une  puif- 
fance,  qui  eft  depuis  devenue  formidable  à  toute  la  terre. 

Quand  Cefar  dit  que  les  Belges  font  les  plus  courageux  ôc 
les  plus  forts  d'entre  lès  Gaulois,  il  en  apporte  cette  raifon  :  Qu'ils 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U .  L  I  V.  XL.  i^p 

font  les  plus  éloignez  du  luxe  ôc  de  la  politefie  de  la  Province  Ro-  . 

maine;que  les  marchands  vont  rarement  dans  leur  payis.ôc  qu'on  (]  ^  ^^  j^  l  £ 
ne  leur  porte  point  les  chofes,  qui  fervent  à  amollir  les  hom-       jy 
mes.  Cette  raifon  n'a  plus  lieu  aujourd'hui  j  car  il  n'y  a  point  de     i  ç  5  5 
Provinces,  où  il  fe  faffe  un  plus  grand  commerce  5  point  de  peu- 
ples qui  entreprennent  des  voyages  fur  mer  de  plus  long  cours.ôc 
qui  travaillent  avec  plus  d'art  aux  ouvrages  qui  fervent  au  luxe. 
Mais  comme  ils  ont  retenu  au  milieu  de  l'abondance  le  même 
efprit  qu'ils  avoient  dans  leur  ancienne  difette  ,  ils  ont  tou- 
jours le  même  courage  >  ôc   la  nature  leur  a  confervé  un  fi 
grand  amour  pour  la  liberté  &  une  fi  grande  crainte  de  la  per- 
dre, que  les  moindres  bruits  à  ce  fujet  les  mettent  en  mou- 
vement. Pour  le  faire  voir  clairement ,  je  prendrai  les  chofes 
de  plus  haut ,  &  j'expoferai  en  peu  de  mots  les  troubles  qui  fe 
font  excitez  de  tems  en  tems  dans  ces  Provinces. 

Il  eft  confiant  que  les  comtes  de  Flandre  depuis  Loderick  jro'îlbiT"? 
&  Baudouin  Bras-de-fer  ,  ont  rendu  hommage  aux  Rois  de  la  Flandre. 
France  jufqu'à  François  I.  qui  renonça  par  un  traité  aux  droits 
de  la  France  fur  la  Flandre.  En  vertu  de  ces  droits ,  Ferdinand  "^  "  ou  Ferrand. 
ayant  refufé  de  venir  à  l'alTemblée  indiquée  à  SoifTons ,  pour 
délibérer  fur  la  guerre  qu'on    devoit  faire  aux  Anglois ,  il  y 
a  plus  de  3  ^'o  ans  j  Philippe  Augufte  juftement  irrité  entra 
dans  la  Flandre  avec  une  armée,  pour  le  malheur  du  comte, 
&  le  défit  dans  une  bataille  donnée  près  de  Bovines ,  malgré 
les  puiiïans  fecours  des  Anglois ,  des  Allemands  ,  &  d'Othon 
IV.  qui  étoit  lui-même  prefent.  La  bataille  fut  des  plus  fan- 
glantes  ^  ôc  des  plus  mémorables  ;  Ferdinand  fut  pris  &  rete- 
nu prifonnier ,  jufqu'à  ce  qu'onze  ans  après  il  jura  folemnelle- 
ment  une  paix,  dont  on  a  depuis  fi  fouvent  renouvelle  la  mé- 
moire dans  les  traitez  qui  ont  été  faits. 

Gui  deDampierre  n'ayant  pas  voulu  obferver  les  conditions 
du  traité ,  ôc  refufant  de  rendre  hommage ,  s'attira  de  très-fâ- 
cheufes  guerres  ,  dont  la  fin  fut  d'être  contraint  en  1300,  pour 
réparer  fa  faute,  d'abandonner  fa  perfonne  ôc  fes  Etats  à  la  dif- 
cretion  du  Roi  de  France.  Depuis  ce  tems  là  les  Flamans 
ont  été  pendant  plus  de  200  ans  dans  une  révolte  prefque 
continuelle,  ou  contre  la  France,  ou  contre  leurs  Princes.  En 
effet  l'année  d'après,  il  y  eut  une  émeute  à  Bruges  excitée  par  un 

I  Traité  de  Madrid. 


200  HISTOIRE 

I  »  nommé  Pierre  le  Roi  de  la  lie  du  peuple ,  à  roccafion  d'une 
Char  LE  inipofition  pour  payer  les  frais  que  le  Roi  avoir  faits  pour 
IX,  les  guerres  précédentes.  A  leur  exemple  ceux  de  Gandferé- 
1^66,  volterent  l'année  fuivante  j  6c  la  fureur  du  peuple  porta  les  cho- 
fes  au  point ,  que  Philipe  Augufte  fut  obligé  de  donner  bataille 
auprès  de  Courtrai,  où  nos  affaires  furent  tellement  ruinées 
par  la  témérité  de  Robert  d'Arras,  &  de  Raoul  de  Nelle  ,  que 
nous  penfàmes  perdre  entièrement  cette  autorité ,  qui  avoit  été 
blelTée  par  la  rébellion  du  peuple,  ôc  que  nous  allions  venger. 
On  fît  encore  quatre  campagnes  en  Flandre ,  &  il  n'y  en  eut 
qu'une  dont  le  fuccès  fut  allez  heureux.  La  joie  qu'elle  caufa 
fut  bien-tôt  troublée  par  la  perte  de  la  bataille  deMons  en  Pue- 
le  ,  dans  laquelle  le  Roi  courut  rifque  de  perdre  la  vie.  Enfin  la 
guerre  fut  plutôt  différée  qu'éteinte,  par  le  traité  de  paix  qui  fut 
fait  aubout  de  cinq  ans  à  l'Ille.  Six  ans  après  Pierre  le  Roi 
ayant ramaffé  de  nouvelles  forces,  nous  fumes  contrains  d'a- 
cheter une  nouvelle  paix ,  en  adoucilTant  les  conditions  de 
la  première.  On  prit  pourtant  Douay ,  ôci'Ifle  ,  ôc  le  Roi  de 
France  y  mit  garnifon,  jufqu'à  ce  que  le  comte  de  Flandre 
l'eût  pleinement  rembourfécîes frais  delà  guerre.  Ainfi  le  Com- 
te fut  mis  en  liberté  :  mais  depuis  fe  plaignant  qu'on  ne  lui  te- 
noit  pas  les  promefTes  faites  parEnguerrandeMarigni,  il  cor- 
feilla  aux  Flamans  de  reprendre  les  armes. 

Sous  Louis  Hutin  ôc  fous  Philippe  le  Long,  la  Flandre  fut 
agitée  par  une  longue  fuite  de  rebellions  ;  ôc  pendant  ce  tems 
là  ceux  de  Gand,  qui  ne  lailfoientéchaper  aucune  occafion  de 
remuer ,  excitèrent  des  troubles  au  dedans,  comme  s'ils  euffent 
été  parfaitement  tranquilles  au  dehors.  Enfin  l'an  1520  on  fît 
une  trêve,  qu'on  confirma,  fuivant  l'ufage^  par  des  mariages. 
Mais  trois  ans  après,  ceux  de  Bruges  fe  révoltèrent,  parce  que 
le  comte  de  Namur  avoit  pris  l^Eclufe.  Le  Roi  ayant  encore 
accommodé  cette  affaire  avec  beaucoup  de  modération  ôc  de 
douceur ,  l'année  fuivante  le  peuple  irrité  contre  la  Nobleffe  ,  à 
qui  il  donnoit  le  nom  odieux  de  Porte-lis ,  parce  qu'elle  vou- 
loir la  paix,  ôc  prenoit  les  intérêts  de  la  France,  fe  fouleva  avec 
beaucoup  d'infolence.  Louis  comte  de  Courtrai,  qui  voulut, 
quand  il  n'en  étoit  plus  tems,  réprimer  ce  peuple  féroce  par 
la  févérité,  fut  en  grand  danger  de  fa  vie.  Il  fut  afîîégé  dans 
Courtrai ,  ôc  vjt  tuer  fous  fes  yeux  la  plus  grande  partie  de  la 

Nobleffe 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XL.  soi 

Noblefle  ;  il  eût  bien  de  la  peine  à  fe  fauver;  ôc  ce  fut  un  grand 
bonheur  pour  lui ,  qu'on  le  mît  en  prifon  ,  ce  qui  empêcha  que  ~Z 
ces  furieux  ne  le  miflent  en  pièces.  -r  -y^ 

Ceux  de  Bcuges  n'étant  pas  contens  d'un  crime,  6c  ayant  Rat- 
ger  à  leur  tête ,  déclarèrent  la  guerre  à  ceux  de  Gand  ôc  d'Au-  ^  ^ 
denarde,  qui  tenoientpour  le  Prince.  Mais  ayant  été  défaits  ôc 
perdu  neuf  cens  hommes,  leur  courage  fe  raiientit  j  6c  prefTez 
par  les  cenfures  du  Pape,  ils  furent  obligez  d'aller  comme  des 
fupplians  trouver  un  Prince ,  dont  ils  avoient  peu  auparavant 
rejette  les  prières.  Ainfion  fit  un  traité  qui  fut  appelle  ia  paix 
d'Arles.  Mais  à  peine  l'année  fut-elle  finie ,  que  ceux  de  Bru- 
ges la  violèrent ,  dès  qu'ils  eurent  appris  la  mort  de  Charle  le 
Bel ,  comme  s'ils  n'avoient  plus  rien  à  craindre.  Mais  Philip- 
pe de  Valois  le  plus  proche  parent  S  6c  par  conféquent  Thé- 
ritier  de  Charle,  ne  pouvant  fouffrirau  commencement  de  fon 
règne  une  fi  grande  injure,  qui  pouvoir  le  perdre  de  réputation 
6c  ruiner  fes  affaires ,  mena  une  armée  en  Flandre  5  6c  après 
une  bataille ,  dont  le  fuccès  fut  long-tems  douteux,  il  défit  auprès 
de  CaiTel  ôc  tailla  en  pièces  neuf  mille  rebelles.  Peudetems 
après ,  Siger  Jaffone  ,  qui  avoit  excité  les  troubles ,  ayant  voulu 
recommencer  la  guerre  avec  les  reftes  des  troupes  échapées  de 
Ja  bataille  de  Caffel ,  fut  pris ,  6c  rigoureufement  puni ,  comme 
il  le  meritoit. 

Malgré  tout  cela  ,  les  Fîamans  ne  furent  pas  long-tems  en 
repos.  Quoique  le  Pape,  qui  les  avoit  fait  venir  à  Avignon, 
les  eût  engagez  peu  detems  auparavant,  à  prêter  ferment  de 
fidélité  à  Philippe,  ils  ne  laiflerent  pas,  à  l'inftigation  de  Jac- 
que  Artevelde  marchand  Braffeur  de  bière  ^  de  fe  foulevec 
avec  plus  de  fureur  que  jam.ais  contre  la  NoblefTe  qui  étoit  pour 
le  Roi  h  furie  bruit  qu'ils  firent  malicieufement  ccurir ,  que  les 
Anglois  défendroient  le  commerce  de  la  laine ,  qui  efl  la  prin- 
cipale reffource  du  peuple  de  Flandre,  s'ils  ne  quittoient  le  parti 
de  la  France.  Nous  n'avons  jamais  eu  de  guerre  avec  les  An- 
glois plus  funef-e  que  celle-là  ,  6c  il  n'y  en  eut  point  de  plus 
fatale  aux  Flamans.  Suivant  la  légèreté  naturelle  à  ce  peuple, 
ils  s'ennuyèrent  dArtevelde,  qu'ils  avoient  d'abord  fuivi  avec 


I  Fils  du  comte  de  Valois  frère  de 
Philippe  le  Bel ,  6c  par  confe'quent 
coufin  germain  des  trois  derniers  Rois 
frères ,  Louis  Hutin ,  Philippe  le  Long, 


ôc  Charle  le  Bel ,  fils  de  Philippe  le  Bel. 
z  C'e'toit  un  homme  d'un  vrai  mé- 
rite ,  qui  avoit  e'poufé  la  veuve  d'un 
Braffeur  de  bière  de  Gand. 


Tom.  V,  Ce 


202 


HISTOIRE 


TssaKEKsgs 


Charle 
IX. 

f  5  56". 


tint  d'ardeur:  il  s'éleva  une  fédition  à  Gand  ,  où  Artevelde 
ayant  eu  l'extravagance  de  propofer  qu'on  dépouillât  le  Prin- 
ce du  comté  de  Flandre  ^  il  fut  pris  ôc  puni,  l'an  15^5'jdixans 
après  le  commencement  de  la  fédition. 

AufTi-tôt  après ,  fous  le  comte  Louis  ,  dit  de  Malle ,  il  y  eut 
encore  une  émeute  pour  le  même  fujet,  quoique  le  chef  de 
la  fédition  eût  été  exécuté.  Comme  le  nouveau  Prince  ne  vou- 
lut pas  quitter  le  pard  du  Roi ,  que  la  Fortune  femblcit  avoir 
abandonné ,  ni  pafTer  dans  celui  des  Anglois  j  il  fut  conti  aint 
de  fortir  de  fon  payis  :  mais  lorfqu'il  y  fut  revenu ,  il  punit  en 
diverfes  façon  les  Tiflerands  de  Bruges ,  gens  naturellement 
portez  à  la  fédition  ,  6c  il  traita  avec  les  Anglo  s  à  Dunquer- 
que.  Les  Tifferands  de  Gand,  Ôc  les  habitans  d'Ypres  ne  fu- 
rent point  épouvantez  par  l'exemple  qu'on  venoit  de  faire  fur 
ceux  de  Bruges?  niais  ils  furent  bien-tôt  punis  :  on  fit  mourir  les 
uns ,  ôc  on  bannit  les  autres. 

Quelque  tems  après  Louis  ^  de  Malle  ,  ayant  époufé  la 
fille  de  Charle  V ,  il  n'y  eut  perfonne  qui  ne  crût  qu'après 
une  telle  alliance,  la  Flandre  alloit  jouir  d'une  parfaite  tran- 
quillité. Ce  fut  néanmoins  alors  que  parut  la  fadion ,  ou  la 
bande  des  chapperons  blancs ,  qui  s'éleva  fous  prétexte  des  impo- 
fitions  exceiïives  cju'on  voulut  lever ,  pour  rétablir  les  finan-^ 
ces  épuifées  par  les  liberalitez  fans  bornes  qu'on  avoit  faites; 
Cette  fa6iion  fut  aufiTi-tct  fuivie  du  règne  de  Philippe  Arte- 
velde ^ ,  dont  on  vit  le  commencement  ôc  la  fin  dans  l'efpa- 
ee  de  deux  ans.  Sous  ce  prétendu  règne  on  prit  Bruges  ;  de 
Malle  y  fut  fait  prifonnier,  ôc  il  y  eût  trois  mille  hommes  tail- 
lez en  pièces.  Charle  VI.  vengea  dans  la  fuite  cette  injure  par 
la  défaite  de  vingt  mille  Flamans  qui  furent  taillez  en  pièces 
dans  la  bataille  de  Roosbecque  ,  ou  Rofcbec ,  ôc  par  la  mort 
d' Artevelde  qui  tranchoir  du  fouverain.  De  Malle  mourut,  ôc 
laifia  Marguerite  unique  héritière  d'un  domaine  fi  étendu?  elle 
fut  mariée  à  Philippe  de  Bourgogne  oncle  du  Roi  K 

Après  ce  mariage ,  le  Roi  venant  en  Flandre  ,  pour  faire 
rentrer  les  rebelles  dans  leur  devoir ,  on  fit  un  traité  avec  le 
nouveau  comte  de  Flandre.  Tout  le  monde  fe  perfuada  que 


1  Louis  m. 

1  Fils  dejacque  Arrevelde  ;  il  n'a- 
voit  pas  les  grandes  qualicez  de  fon 


père  ;  il  fie  néanmoins  une  figure  plus 
brillante. 
3  Charle  VI. 


DE   J.   A.   DE   THOU,Lrv.  XL.  20J 

les  Flamans  ,  tout  féroces  qu'ils  étoient ,  le  refpederoient  plus    1  '  ■ 

que  fes  prédecefTeurs ,  en  confideration  de  la  France  avec  la-  C  h  a  r  l  e 
quelle  il  étoit  fi  intimement  uni.   Mais  on  fut  trompé:  car  on        ix. 
ne  put  jamais  les  obliger  à  fe  jetter  aux  pieds  de  Philippe ,  pour     1  z  6  6. 
lui  demander  pardon  de  ce  qui  s'étoit  pafle ,  &  la  Princeife 
Marguerite  fut  contrainte  ,  pour  ôter  à  fon  mari  tout  prétexte 
de  reprendre  les  armes  j  d'intercéder  publiquement  en  leur  fa- 
veur.  Sous  Philippe  duc  de  Bourgogne  ,  &  fous  Jean  fon  fils, 
les  Flamans  furent  aiTez  tranquilles  pendant  vingt-fix  ans ,  ôc 
femblerent  fe  contenter  d'être  les  fpedateurs  de  nos  calamitez. 
Il  arriva  feulement  que  le  Parlement  de  Paris  ayant  envoyé 
des  Hiiilfiers  pour  ajourner  ceux  de  Gand,  ils  les  chaflerent 
outrageufement:  c'étoit  ce  femble  pour  ne  pas  laiifer  prefcrire , 
par  le  laps  d'un  fi  long  tems  le  droit  de  faire  du  bruit ,  6c  d'ex- 
citer des  troubles. 

Enfuite  arrivèrent  ces  tems  fi  fâcheux  pour  la  France ,  où 
nos  malheurs  fufpendirent  les  troubles  domeftiques  de  la  Flan- 
dre. Les  Flamans  prirent  alors  les  armes  pour  une  caufe  en  ap- 
parence plus  jufte ,  puifque  c'étoit  pour  leur  Prince  i  mais  en 
effet  très-injuftement ,  puifqu'ils  les  tournèrent  contre  la  Fran- 
ce,  dont  ils  étoient  les  valîaux  ,&  firent  la  guerre  au  Roi  leur 
premier  Seigneur.  Le  traité  d'Arras ,  fi  humiliant  pour  la  Fran- 
ce, par  les  conditions  honteufes  aufquelles  elle  fe  vit  obligée  de 
fe  foumettre  ,  pour  expier  la  mort  du  duc  Jean^  &  le  mauvais 
fuccès  du  fiége  de  Calais,  firent  reprendre  aux  Flamans  leur 
premier  efprit  de  fédition  &  de  révolte.  Ceux  de  Bruges  &  de 
Gand ,  qui  font  les  deux  plus  puiflantes  villes  de  toute  la  Flan- 
dre ,  fe  révoltèrent  contre  Philippe  leur  duc ,  &  tuèrent  Jean 
de  Villiers  Tlfle-Adam  ,  lorfqu'il  entroit  à  Bruges  avec  le  Prin- 
ce Pan  1457.  Il  étoit  maréchal  de  France,  &  il  s'étoit  rendu 
fameux  pour  avoir  pris  &  repris  la  ville  de  Paris. 

On  punit  ceux  de  Bruges  par  la  fuppreiTion  d'une  partie  de 
leurs  immunitez.  Mais  cet  exemple  ne  fit  point  changer  ceux 
de  Gand.  Douze  ans  après  ils  chafierent  les  principaux  de  leur 
ville  ,  &  ayant  pris  les  armes ,  quatre  défaites  ne  furent  pas  ca- 
pables d'atfoiblir  leur  courage.  Enfin  lorfqu'ils  en  furent  venus 
aux  mains  avec  toutes  leurs  forces,  fe  trouvant  dans  un  très- 
grand  danger  auprès  de  Gavre  ,  ils  éprouvèrent  dans  Philippe , 
un  Prince  aufii  clément  &  aufii  généreux  après  fa  vidoire ,  qu'il 
Tome  V,  C  c  ij  * 


204  HISTOIRE 

'   '       "**•  avoit  été  févere  avant  leur  révolte.  On  leur  ota  cependant  les 

C  H  A  R  L  E  enfcignes  militaires ,  dont  ils  fe  fervoient ,  pour  exciter  les  peu* 

I X.       pies  à  la  fédition  j  &  de  l'avis  du  Prince  même  3  on  donna  une 

,1^66,    meilleure  forme  aux  réglemens  ,  qu'il  avoir  faits  pour  le  bon 

gouvernement  &  la  police  de  ces  Provinces. 

Sous  le  duc  de  Bourgogne  Charle  le  Hardi ,  ceux  de  Gand 
foûlevez  ,  comme  portent  leurs  annales ,  par  le  roi  de  France  , 
excitèrent  encore  des  troubles  :  mais  cette  révolte  flit  appaifée 
dès  fa  naiflance  j  ôc  les  Fîamans  demeurèrent  neuf  ans  entiers 
en  repos.  Sous  Maximilien  d'Autriche,  qui  avoir  époufé  Marie 
fille  unique  &  héritière  de  Charle  le  Hardi ,  comme  les  villes 
de  Flandre  fe  plaignoient  qu'on  avoir  diminué  leurs  privilèges 
par  le  traité  de  Caflant  (  i  )  fait  l'année  1 48  j .  les  révoltes  recom- 
mencèrent ;  &  dans  une  fédition  élevée  à  Bruges,  Maximilien 
fut  pris  &  conduit  en  prifon  ,  pour  renouveller  en  quelque  forte 
<5c  perpétuer  le  fouvenir  d'un  pareil  attentat,  commis  autrefois 
contre  le  comte  de  Flandre ,  (2)  Louis  de  Malle.  Depuis  ce 
tems-îà  les  peuples  parurent  avoir  dépofé  le  penchant  naturel 
qu'ils  avoient  à  la  fédition ,  &  la  Flandre  demeura  tranquille 
pendant  cinquante-trois  ans.  Il  fembloit  que  l'efprit  de  rébel- 
lion &  d'indépendance  qui  autrefois ,  au  plus  petit  bruit  &  au 
premier  vent,  excitoitfi  facilement  tant  d'horribles  tempêtes, 
étoit  entièrement  éteint  jlorfque  ceux  de  Gand  fe  voyant  foulez, 
par  le  gouvernement  dur  de  Marie  reine  de  Hongrie ,  ou  pouf- 
fez par  leur  propre  efprit ,  parurent  tels  qu'ils  étoient  auparavant,. 
&  recommencèrent  en  1 5*  3  8.  à  fe  révolter,  avec  le  malheureux 
fuccès  dont  nous  avons  déjà  parlé. 
Nouveaux        Lcs  Flamaus  étant  de  ctx.it  humeur ,  &  ayant  devant  les  yeux 
troubles  eau-  \q^  exemples  de  leurs  ancêtres ,  animez  d'ailleurs  par  le  zèle  de 
c"imJ  de      î^  Rehgion ,  qui  a  tant  de  force  pour  émouvoir  les  efprits  &  les- 
rinquifuion,    cœurs  ,  &  enorgueillis  par  d'immenfes  richefles ,  &  par  le  luxe: 
qui  regnoit  chez  eux ,  il  n'eft  pas  furprenant  qu'ils  ayent  en- 
core reprisles armes,  pour  ne  les  pas  quitter  aifément.  La  crain- 
te de  voir  étabhr  chez  eux  flnquifition  d'Efpagne,  qui  avoir 
troublé  vingt  ans  auparavant  le  royaume  de  Naples,  (3)  &  qui 
avoir  depuis  peu  jette  des  foupcons  &  des  défiances  dans  l'efprit 
des  François ,  fut  la  caufe  de  cette  guerre.  Les  Grands  s'étoient 

(i)ou  CaJfant.  I        (3)  Sous  le  viccroiPierrc  dcTokde, 


(i}LouU  III 


I 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.         50; 

'déjà  plaints  plufieursfois,  que  par  les  nouveaux  Evêchez",  que  — 


Paul  IV.  érigeoit  en  difïerens  lieux  ,  on  introduifoit  infenfi-  Charle 
blement  cet  odieux  tribunal  dans  leur  payis  ,  ôc  qu'on  don-  j^ 
noit  atteinte  à  leur  liberté  ^  à  leurs  immunirez  ôc  à  leurs  privi-  1^66, 
leges.  D'ailleurs  ils  n'avoient  pas  encore  oublié  ,  que  Philip- 
pe '  quittant  la  Flandre ,  y  avoir  voulu  pour  ce  fait  lailTer  des 
Efpagnols  en  garnifon.  Quoique  ce  Prince ,  à  la  foUicitation  & 
aux  prières  des  Grands  ,  eût  abandonné  ce  deflein ,  néanmoins 
comme  il  laifTa  dans  les  Payis-bas  le  cardinal  Granvelle,  avec  or- 
dre à  la  duchefle  de  Parme  de  fuivre  fes  avis  pour  le  gouverne- 
ment 3  il  parût  aux  Flamans  que  c'étoit  là  pour  une  Nation  libre, 
un  joug  plus  pefant  ôc  plus  infuportable  que  toute  forte  de  gar- 
nifons.  Car  ils  haïflbient  ce  Cardinal  plus  qu'on  ne  peut  l'ex- 
primer j  ôc  ils  difoient ,  que  comme  il  étoit  d'une  balle  extrac- 
tion ,  6c  par  conféquent  ennemi  de  la  Nobleffe ,  il  leur  drefToit 
fans  cefTe  des  pièges  pour  opprimer  leur  liberté,  ôc  que  pour 
faire  fa  cour  aux  Efpagnols ,  il  chargeoit  les  Flamans  de  ca- 
lomnies. 

Dans  l'établiflcment  des  nouveaux  Evêchez ,  Granvelle  ayant 
été  fait  archevêque  de  Malines ,  prit  le  titre  de  Primat  ôc  de 
grand  Inquifiteur  par  toute  la  Flandre.  Il  dépouilla  les  arche- 
vêques de  Rheims ,  de  Trêves  ôc  de  Cologne  de  la  Jurifdiêtion 
qu'ils  avoient  en  Flandre  i  ôc  il  diminua  confiderablement  celle 
des  évêques  de  Munfter  ôc  de  Liège.  Il  fe  fervoit  dans  toutes 
ces  entreprifes  du  doêleur  François  Sonnius ,  qui  avoit  été  nom- 
mé évêque  d'Anvers.  De-là  s'élevèrent  un  grand  nombre  de 
plaintes ,  non-feulement  de  la  part  des  Grands  ^  mais  encore  de 
la  part  des  Chapitres  ôc  des  Jvîoines  ,  qui  étoient  fâchez  de  fe 
voir  enlever  leurs  bénéfices  ôc  leurs  biens ,  pour  la  fubfiftance 
des  nouveaux  Evêques ,  à  qui  l'on  n'avoir  point  aflTigné  d'autres 
fonds.  Cependant  la  Gouvernante  ôc  le  Confeil  jugèrent  à 
propos  d'envoyer  Floris  de  Montmorenci ,  baron  de  Monti- 
gni  i  chevalier  de  la  Toifon  d'or  ,  à  Philippe  roi  d'Efpagne  ,, 
pour  l'informer  pleinement  ^  ôc  avec  plus  de  certitude ,  de  l'état 
des  Provinces,  ôc  du  danger  qui  les  menaçoit.  Arrivé  à  Madrid, 
on  le  congédia  avec  une  réponfe  ambiguë  ,  ôc  néanmoins  en 
lui  faifant  efperer  qu'on  yeilleroit  aux  repos  ôc  à  la  tranquilité 
des  Payis-bas. 

1  Philippe  II. 

C  c  iij 


2o^  HISTOIRE 

I  I   ■!■      Les  villes  s'oppofoient  de  toutes  leurs  forces  aux  entreprifes 

C  H  A  R  L  E  ^^  Cardinal ,  ôc  particulièrement  celle  d'Anvers ,  qui  prévoyoit 
IX  4^^  rinquifidon  empêcheroit  le  commerce  &  la  liberté  ^  qui  y 
1^66  entretiennent  une  efpéce  de  Foire  perpétuelle ,  la  plus  célè- 
bre de  tout  l'Univers.  Elle  députa  donc  vers  Philippe  Gode- 
froi  Sterck  '  Maire  de  la  ville ,  Urfelle  Echevin ,  &  Jacque  de 
Wefenbeek  penfionnaire.  Le  roi  d'Efpagne  leur  accorda  une 
audience  le  ii  de  Juinj  mais  il  ne  leur  donna  qu'au  mois  de 
Décembre  cette  réponfe  vague  ôc  équivoque  :  que  ceux  d'An- 
vers ne  recevroient  aucune  incommodité  de  l'Inquifition.  Un 
des  Députez  étant  venu  rapporter  cette  réponfe  ,  le  Confeii 
conféra  avec  tous  les  Négocians  5  6c  ils  ne  purent  croire  que 
les  réponfes  &  les  promeffes  d'Efpagne  fuiïent  finceres  ,  fi 
SonniuS:,  qui  étoit  le  principal  auteur  ôc  promoteur  de  i'établif- 
fement  des  nouveaux  Evêchez  ,  étoit  reçu  évêque  d'Anvers. 
Les  Députez  obdnrent  à  la  fin  du  roi  d'Efpagne  le  trois  d'Août 
1  ^(53  ,  qu'il  ne  feroit  plus  parlé  pour  le  préfent  des  nouveaux 
Evêchez. 

Cependant  l'affaire  de  la  Religion  s'échauffoit  de  plus  en 
plus  à  Anvers  ;  ôc  comme  on  faifoit  mourir  plufieurs  perfonnes 
pour  crime  d'héréfie ,  on  entendoit  de  tous  cotez  les  plaintes 
ôc  les  murmures  du  peuple.  On  en  étoit  déjà  venu  des  paro- 
les ,  aux  voies  de  fait.  Lorfqu'on  mena  Chriftophle  Fabry  ,  au- 
trefois Carme ,  au  lieu  du  fupplice ,  il  s'éleva  une  fédition  gé- 
nérale i  ôc  une  grêle  de  pierres ,  dont  le  boureau  fut  accablé  ; 
îe  força  de  laiffer  le  corps  du  patient  à  demi  brûlé.  Comme  on 
n'ofoit  plus  exécuter  publiquement  les  condamnez  ,  on  inventa 
un  nouveau  genre  de  fupplice  5  on  lioit  ces  malheureux  la  tête 
avec  les  genoux  ,  ôc  on  les  jettoit  dans  une  cuve  pleine  d'eau  ; 
où  ils  étoient  fuifoquez  peu  à  peu.  Cependant  on  ne  le  put 
faire  fi  fecrétement ,  que  le  peuple  n'en  eût  connoiffance,  ôc 
ne  fe  mît  en  mouvement.  Il  s'échauffa  jufqu'au  point  d'aflîé- 
ger  les  prifons  ,  de  rompre  les  barreaux  des  fenêtres  j  de  don- 
ner des  cordes  aux  prifonniers ,  Ôc  de  les  aider  à  fe  fauver. 

On  ne  put  jamais  perfuader  aux  habitans  de  Lewarden  ÔC 

de  Groningue  dans  la  Frife  ,  ni  à  ceux  de  Ruremonde  ôc  de 

Deventer  dans  la  Gueldre,  de  recevoir  les  nouveaux  Evêques.' 

Ceux  qui  étoient  déjà  en  poffefTion  des  autres  Eglifes^  plaidoient 

ï  C'eli  le  Prévôt  ou  principal  Officier. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  207 

d'une  manière  indécente  >  &  prefque  fans  pudeur  ,  contre  leurs 
Chapitres.  Le  Concile  de  Trente,  qu'on  avoit  recommencé  Charle 
deux  ans.  auparavant ,  étant  fini ,  le  cardinal  Granvelle  fut  d'à-       J  X. 
vis  de  ne  plus  parler  de  l'établifTement  de  Tlnquifition  ,  qui     i  ^  ^  5, 
étoit  fi  odieufe  à  tous  les  Ordres  de  FEtat  5  mais  feulement  de 
faire  publier  le  Concile  de  Trente,  auquel  toutes  les  perfon- 
nés  fages  ôc  bien  intentionnées  pour  la  Religion  ,  croyoient 
ne  pouvoir  refufer  de  fe  foûmettre.  Sous  ce  prétexte  on  pu- 
blia des  Décrets  ,  qu'on  fit  exécuter  avec  la  même  rigueur 
dont  on  ufoit  auparavant  5  ôc  l'on  nourfuivit  par  tout  avec  beau- 
coup plus  de  vivacité  tous  ceux  qui  étoient  fufpe£ls  d'héréfie , 
comme  déjà  convaincus  6c  condamnez  par  le  Concile. 

Ces  pourfuites  donnèrent  lieu  à  de  plus  grandes  plaintes.      le  cardinal 
Les  grands  fe  joignirent  au  peuple  5  Ôc  enfin  la  haine  contre  le  Granvciie  le 

,*-•       1  •       1    /    1  1  T  •  i>r^  1  ^"^^^  detclter 

Cardmal  éclata  de  toutes  parts.  Le  prmce  d  Orange ,  le  comte  par  fes  perfe- 
d'Egmond,  ôc  le  comte  de  Horn ,  écrivirent  à  Philippe  de  leur  cuuons. 
propre  main  ,  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  moyen  de  pacifier 
la  Flandre  ,  que  d'éloigner  du  miniîlére  un  Cardinal ,  dont  le 
nom  étoit  fi  odieux  a  tout  le  peuple.  En  effet ,  pour  marquer 
l'horreur  qu'on  avoit  pour  lui  ,  ôc  pour  l'outrager  ,  on  faifoit 
porter  aux  valets  fur  leurs  mandilles  ,  des  capuchons  rouges  en 
Droderie  ,  comme  en  portoient  les  foux.  Mais  comme  il  étoit 
aifé  de  juger  que  par  cette  efpéce  de  capuchon ,  l'on  avoit 
voulu  marquer  l'habillement  de  tête  du  Cardinal ,  on  mit  auffi- 
tôt  à  la  place"  du  capuchon  un  faifceau  de  flèches  bien  liées  en- 
femble  ,  pour  figurer  ôc  faire  fentir  l'union  intime  de  tous  les 
coeurs  pour  l'obéïffance  ôc  le  fervice  du  Roi.  Mais  le  Cardi- 
nal prit  cela  pour  un  fymbole  de  la  Conjuration  que  les  Grands 
avoient  formée  contre  lui.  Voyant  donc  que  c'étoit  à  lui  per- 
•fonnellement  qu'on  en  vouloit,  il  prit  ^  en  homme  d'efprit  ôc 
prudent  ,  qui  prévoyoit  l'horrible  tempête  dont  les  Payis-bas 
étoient  menacés ,  le  parti  démettre  fa  vie  en  fureté,  en  fe  retirant 
dans  la  Franche- Comté  5  ôc  il  demeura  quelque  tcms  à  Befan- 
<;on ,  d'où  il  étoit ,  pour  y  attendre  fans  danger  le  fuccès  de  fes 
entreprifes ,  ôc  pour  donner  de  loin  plus  ftirement,  ôc  fans  foup- 
çon  ,  des  confeils  à  fes  émiflaires. 

La  retraite  de  Granvelle  fit  fur  tout  beaucoup  de  plaifir  à  la 
Gouvernante  des  Payis-bas,  qui  ne  pouvoir  plus  fouffrir  fon 
fkfte  ôc  fon  arrogance ,  ôc  qui  fe  croyoit  délivrée  par  fon  abfcnce 


I 


2û8  HISTOIRE 

■  d'une  grande  inquiétude.    Mais  elle  n'eut  pas  long- teilislieii 

Charle  ^^  ^^  réjouir.  Car  les  Cardinaliftes,  ou  Efpagnoliftes  (c'eftie 
Y)ç  nom  qu'on  donnoit  aux  cmilTaires  du  Cardinal ,  ôc  aux  créatu- 
-  ^  ^  res  d'Efpagne  )  lui  firent  bien-tôt  fentir  que  celui  qu'elle  croyoit 
abfent,  étoit  comme  préfent,  ôc  affiftoit  en  quelque  forte  aux 
Confeils.  Philippe ,  en  quittant  la  Flandre  ,  avoir  établi  trois 
Confeils  Souverains  ,  dont  relevoient  les  Jurifdi£lions ,  les  Siè- 
ges, ôc  les  Confeils  des  Provinces.  Le  premier,  pour  les  affai- 
res d'Etat ,  étoit  compofé  de  la  ducheife  de  Parme  Gouver- 
nante, des  Chevaliers  de  la  Toifon  d'or,  des  Gouverneurs  des 
Provinces ,  ôc  d'un  nombre  de  Seigneurs  choilis  j  ôc  ce  Con- 
feil  aimoit  fincérement  la  paix  ôc  la  tranquilité  publique.  VU 
rie  Viglius  de  Ayta  de  S^ichem  préfidoit  au  fécond ,  qu'on 
appeiloit  Confeil  fecret  ou  privé  3  Ôc  Charle  comte  de  Berlay- 
mont  étoit  Chef  du  troiiiéme  ,  qui  concernoit  les  Finances. 
Ceux  qui  compofoient  ces  deux  derniers  Confeils ,  étoient  pref- 
que  tous  de  la  fadion  du  Cardinal ,  ôc  quelques-uns  étoient 
aulll  du  Confeil  d'Etat  ;  ce  qui  fut  caufe  de  quelques  diffen- 
tions  qui  s'élevèrent  entr'eux.  Car  les  Efpagnoliftes  ne  fouf- 
froient  qu'avec  peine  la  grande  autorité  du  Confeil  d'Etat  ;  ôc 
fe  plaignoient  qu'on  en  abufoit,  pour  chercher  les  occafions 
de  les  blâmer  ,  ôc  de  leur  faire  des  affaires  auprès  du  Roi ,  fur 
ce  qui  regardoit  la  Jufdce  ôc  les  Finances  :  ôc  de  leur  côté,  ils 
étoient  très  attentifs  à  ne  perdre  aucune  occafion  de  décrier 
le  Confeil  d'Etat,  Ôc  d'accufer  la  Gouvernante  de  nourrir  les 
troubles  ôc  les  fèditions  par  fa  diffimulation  ôc  par  fa  trop  gran- 
de douceur. 

Pour  fermer  la  bouche  aux  calomniateurs  ,  le  Confeil  d'E- 
tat fut  d'avis  d'envoyer  en  Efpagne  Lamoral  comte  d'Egmond , 
Seigneur  d'une  probité  connue  ,  ôc  que  l'on  croyoit  agréable 
à  Philippe ,  par  les  nouveaux  fervices  qu'il  lui  avoit  rendus. 
Le  Comte paffa  par  la  France,  pour  aller  en  Efpagne;  ôc  plein 
de  la  confiance  que  lui  infpîroient  fes  fervices ,  il  parla  au  Roi 
fon  maître  avec  une  généreufe  liberté ,  ôc  lui  remontra  que  la 
publication  de  tant  d'Edits  rigoureux ,  ne  pouvoir  caufer  que 
des  troubles  ôc  des  fèditions  dans  les  Payis-bas  :  Que  le  feul  nom 
de  rinquifitionfaifoit  horreur  à  tout  le  monde  :  Que  les  Grands 
ôc  la  Nobleffe  murmuroient  ôc  fe  plaignoient  hautement  des 
atteintes  3  qu'on  donnoit  peu  à  peu  à  l'ancienne  liberté  :  Que 

les 


DE   J.   A.   DE  THOU  Liv.  XL.         2o> 

les  peuples  des  vilies,  des  bourgs  ôc  des  villages,  étoient  per-  -- 
fuadez  que  cela  faifoit  tort  au  commerce  :  Que  le  Clergé  mê-  C  harle 
me  étoit  mécontent  de  voir  les  biens  Ecciéiiaftiques  aban-       jx. 
donnez  à  la  difcretion  de  quelques  perfonnes  fufpedes ,  qui     i  ^  c  6, 
fuivant  leurs  fantaifies  ,  en  dépoùilloient  les  uns  ,  pour  enri- 
chir les  autres  ;  que  c'eft  ce  qui  arrivoit  dans  l'affaire  des  nou- 
veaux Evêchez  ,  dont  l'éredion  utile  à  un  très  petit  nombre  > 
caufoit  un  grand  tort  au  public  :  Qu'on  ne  pouvoit  remédier  à 
tous  ces  maux  ,  qu'en  révoquant  entièrement,  ou  au  moins  en 
modérant  les  Edits  ôc  les  Ordonnances  concernant  la  Reli- 
gion ,  en  abolilTant  les  nouveaux  Evéchez  ;,  ôc  en  rétabliffant 
'ancienne  liberté. 

Le  comte  d'Egmond  fut  reçu ,  écouté ,  Ôc  congédié  en  appa- 
rence avec  toutes  les  marques  de  bienveillance  ôc  d'honneur , 
qu'on  pouvoit  fouhaiter  ;  ôc  on  lui  fit  efperer  de  fatisfaire  au 
premier  jour  à  une  partie  de  fes  demandes.  Ainfi  il  revint  dans 
fon  payis  avec  cette  réponfe  Ôc  de  grandes  promeffes.  Com- 
ptant fur  les  paroles  qu'on  lui  avoit  données  en  Efpagne  ,  il 
exhorta  les  Flamands  à  bien  efperer  de  la  bonté  du  Roi.  On. 
le  chargea  auffi  d'affembler  trois  Evêques,  autant  de  Docteurs 
en  Théologie  ,  Ôc  des  perfonnes  habiles ,  verfées  dans  le  droit 
divin  ôc  humain  ?  ôc  de  leur  propofer  de  la  part  du  Roi ,  de  dé- 
cider une  affaire  de  cette  importance.  Ceux  que  le  comte  d'Eg- 
mond fit  affembler  ,  furent  Martin  Rithove  évêque  d'Ypres , 
Antoine  Thavet  évêque  d'Arras,  Joffe  Raveflin,  de  Ticit  en 
Flandres ,  ôc  Vilmar  Bernarts. 

C'eft  ainfi  qu'on  amufoit  publiquement  le  Comte,  qui  ne  fça- 
voit  rien  de  ce  que  l'on  tramoit  fecretement  ,  tandis  qu'on 
écrivoit  à  la  ducheffe  de  Parme  d'ordonner  aux  Evêques  ,  c]ui 
favorifoient  l'Inquifition  ,  de  ne  rien  relâcher  de  leur  première 
févérité.  En  effet ,  foit  que  Philippe  eût  d'abord  ufé  de  diffi- 
mulation ,  foit  qu'il  eût  changé  de  fentiment,  on  fit  tout  le  con- 
traire de  ce  qu'on  avoit  promis  au  Comte.  Ce  Prince  perfua- 
dé  par  fes  Miniftres ,  ôc  confirmé  dans  fes  fentimens  par  les  let- 
tres du  Cardinal,  ôc  de  ceux  de  fa  faction,  refolut  d'ufer  de  ri- 
gueur envers  les  Flamands ,  ôc  de  purger  entièrement  ces  Pro- 
vinces du  venin  de  fhéréfie,  en  y  établiffant  l'Inquifition  d'Ef- 
pagnej  ôc  au  cas  qu'elles  refufaffent  de  recevoir  ce  tribunal, 
de  fe  faire  décharger  par  le  Pape  du  ferment  qu'il  avoit  fait  > 

Tome  K  D  d  • 


2IO  HISTOIRE 

III         d'obtenir  de  ce  Pontife  la  pernuirion  de  faire  entrer  des  trou- 
Ch  aRLE  P^^  Efpagnoles  ôc  étrangères ,  pour  les  dompter  j  de  les  trai^ 
IX        ^^^'  ^^^^  comme  des  Provinces  héréditaires ,  mais  comme  un 
\  <  6  6     P'^y^^  nouvellement  conquis  ôc  fubjugué  par  la  force  i  d'y  éta- 
blir une  domination  defpotique ,  d'y  faire  de  nouvelles  loix  à 
la  difcretion  du  vainqueur  5  ôc  après  avoir  exterminé  les  Grands, 
Ôc  les  perfonnes  les  plus  confiderables  du  payis,  de  ramener  les 
autres,  par  la  crainte  du  châtiment,  à  ce  qu'on  appelle  une  par- 
faite ôc  aveugle  obéïflance. 

Une  refolucion  fi  cruelle,  fi  pernicieufe  pour  la  Flandre,  ôc 
qui  fut  dans  la  fuite  fi  funefte  à  Philippe  même  ,  hâta  les  nou- 
veaux troubles.  Ils  furent  néanmoins  fufpendus  pendant  un  an; 
ôc  davantage  ;  parce  qu'on  étoit  alors  occupé  à  terminer  un 
différend ,  qui  s'étoit  élevé  entre  lesAnglois  ôc  les  Flamands. 
Les  Anglois,  fous  prétexte  delà  crainte  qu'ils  avoient  de  l'In- 
quifition ,  tâchoient  de  tranfporter  ailleurs  le  commerce  ;  ôc 
pour  cela  ils  avoient  augmenté  les  impôts  de  plus  de  moitié. 
Le  prix  du  tranfport  des  draps  étoit  aufïi  confiderablement 
rehauffé  :  en  forte  qu'ils  avoient  adroitement  enlevé  aux  Fla- 
mands le  commerce  du  drap  ,  ôc  s'en  étoient  rendus  maîtres. 
Non  contens  de  cela ,  les  Anglois  avoient  encore  défendu  par 
des  Ordonnances  publiques,  de  tranfporter  chez  eux  un  grand 
nombre  d'ouvrages  des  Manufactures  de  Flandre.  Les  Fla- 
mands de  leur  côté  défendirent  par  une  Ordonnance  du  2  de 
Décembre  i^^^,  le  tranfport  des  marchandifes  de  Flandre  per- 
mifes  '  en  Angleterre.  Comme  ils  fe  faifoient  beaucoup  de  tort 
les  uns  aux  autres^  ôc  que  les  Anglois  transferoient  peu  à  peu 
le  commerce  de  Flandre  à  Embden ,  ville  très  marchande  de  la 
Frife  orientale  ,  enfin  ils  traitèrent  enfemble  ,  pour  ne  pas  rom- 
pre leur  ancienne  amitié  5  ôc  par  l'entremife  de  Dom  Diego  Guf- 
man  de  Silva,  Philippe  fit  quelques  jours  après  un  traité  avec 
les  Anglois ,  qui  fut  auifi-tôt  publié  en  Angleterre  ôc  en  Flandre. 
On  indiqua  l'année  fuivante  une  aflemblé  à  Bruges  vers  la 
fête  de  Pâques.  Antoine  Bro^^n  vicomte  de  Montagut ,  cheva- 
lier de  la  Jarretière ,  Nicolas  Wotton ,  doyen  de  Cantorbery,  ôc 
"Walter  Haddon  Jurifconfulte  ,  y  vinrent  de  la  part  de  la  reine 


I  II  y  a  dans  le  texte  un  non  oublié. 
Il  faut  lire  non  interdiBaritm ,  fans  quoi 
il  ne  paroît  pas  qu'il  yaitdefens.  Car 
comment  les  Flamands ,  pour  fe  venger 


des  Anglois,  auroient-ils  défendu  le 
tranfport  des  marchandifes  en  Flandre 
interdites  en  Angleterre. 


DE   J.   A.  DE   THOU,.Liv.  XL.        211 

d'Angleterre.  Le  roi  d'Efpagne  y  envoya  Floris  de  Montmo-      m 
rend,  baron  de  Montigni,  qui  étant abfent,  fut  reprefenté  par  (^^j^  ^Lg 
Philippe  de  Montmorenci ,  feigneur  de  Hachicourt ,  Chrifto-       j^^ 
phled'Afibnviile,  &  Joachim  Gilles.  Comme  après  de  longs     i  r  <$  5-, 
débats  on  ne  put  rien  terminer ,  l'afTembiée  fut  interrompue  au 
mois  de  Septembre ,  ôc  l'affaire  remife  au  25  de  Mars  de  l'année 
fuivante,  qui  fut  celle  de  la  naiflance  des  troubles.  Les  Députez 
travaillèrent  encore  inutilement  à  accommoder  les  différends 
des  deux  Nations ,  jufqu'au  2 1  de  Juin  ;  &  comme  le  bruit  cou- 
rut ,  que  Philippe  alloit  bien-tôt  venir  en  Flandre ,  on  fufpendit 
Paffembléej  jufqu'à  ce  qu'on  pût  propofer  l'affaire  au  Roi  mê- 
me ,  lorfqu'il  feroit  arrivé. 

Cependant  fur  la  fin  de  1^6^  ,  Marguerite  ducheffe  de  Par- 
me, Gouvernante  des  Payis-bas  ,  reçut  de  Philippe  des  ordres  Philippe  en- 
exprès,  pour  faire  exaÊtement  obferver  les  anciennes  6c  nou-  voyedesor-^ 
velles  Ordonnances  fur  la  Religion  j  faites  par  fon  père  ôc  par  la  dûcheflTe  de 
lui  :  étant,  difoit-il  ^  perfuadé  qu'une  trop  grande  douceur  étoit  Parme 
caufe,  que  le  mal  avoit  fait  de  fi  grands  progrès ,  il  ordonnoit 
en  cas  que  quelques  Juges  fiffent  difficulté  d'exécuter  fes  or- 
dres ,  par  la  crainte  d'exciter  des  féditions  ^  de  leur  déclarer 
qu'on  en  mettroit  d'autres  en  leur  place ,  qui  auroient  plus  de 
courage  Ôc  de  fermeté  ;  ôc  qu'il  fe  trouveroit  dans  les  Payis-bas 
un  grand  nombre  de  perfonnes ,  qui  travailleroient  de  toutes 
leurs  forces  à  maintenir  l'ancienne  Religion  ,  &  l'obéiÏÏance 
dûë  à  l'autorité  Royale.  Quant  à  ce  qui  concernoit  l'Inquifi- 
tion  ,  on  avoit  ajouté  dans  les  lettres  du  Roi ,  que  Sa  Majefté 
vouloir  que  tous  fes  fujets ,  en  général  ôc  en  parnculier ,  don- 
naffent  aux  préfidens  du  faim  Office  tous  les  fecours  neceffai- 
res  pour  fexercice  de  leur  charge,  ôc  pour  les  mettre  en  état 
de  faire  exécuter  ce  qu'ils  auroient  ordonné,  comme  ils  avoient 
fait  jufqu'alors  ,  ôc  comme  ils  y  étoient  autorifez  par  les  loix 
divines  ôc  humaines  :  qu'au  refte  ce  n'étoit  pas  une  chofe  nou- 
velle, puifqu'elle  avoit  été  pratiquée  du  tems  de  fon  père. 

Ainfi  on  enjoignoit  à  la  duchelTe  de  Parme ,  de  ne  plus  per- 
mettre qu'on  délibérât  fur  une  chofe  fi  neceffaire  ;  mais  de  la 
mettre  promptement  à  exécution.  On  lui  mandoit  auffi  défaire 
recevoir  le  Concile  de  Trente ,  ôc  obferver  religieufement  fes 
Décrets ,  l'affurant  qu'elle  ne  pouvoit  rien  faire  de  plus  agréa- 
ble au  Roi.  La  Gouvernante  envoya  aulTi-tôt  dans  les  Provinces 

D  d  ij 


112  HISTOIRE 

■»  des  copies  de  ces  lettres ,  &  elle  y  joignit  les  fiennes  y  pour  oir- 
Charle  ^"^"^"^^^  à  ^'^^^  ^"  général  6c  en  particulier  ,  d'obéir  aux  vq- 
jy         lontez  du  Roi  :  oc  afin  que  cela  fe  fit  plus  commodément ,  elle 
ç  K  <      enjoignit  aux  villes  de  choifir  un  de  leurs  Confeillers ,  pour  être 
pendant  fix  mois  comme  AfTefTeurs  des  Inquifiteurs  dans  l'e- 
xercice de  leur  charge  i  Ôc  à  chaque  lixiéme  mois  de  le  chan- 
ger y  ôc  d'en  mettre  un  autre  en  fa  place  ^  pour  faire  obfervec 
exactement  les  Décrets  du  Concile  de  Trente  :  de  donner  foi- 
gneufement  avis  de  ce  qui  concernoit  cette  affaire  ,  afin  qu'au 
moins  de  trois  mois  en  trois  mois  ^  on  pût  fçavoir  en  quel  état 
ctoit  la  Religion  dans  les  Payis-bas  y  ôc  que  s'il  s'élevoit  quel- 
ques difficultez ,  Son  Altefle  pût  envoyer  des  Députez  pour  les 
terminer. 

Les  nouveaux  Evcques  tinrent  des  Conciles  provinciaux  ; 
Conciles      conformément  aux  Décrets  du  Concile  de  Trente.  Il  fut  ordon- 
teniiieaFlan-  i^^  dans  CCS  Concilcs  ,  que  les  Curez  reroient  un  denombre- 
*ife-  ment  des  familles  de  leurs  Paroifles  :  Que  les  nouveaux  habitans 

apporteroient  des  certificats  de  leur  Curé  .pour  attefler  qu'ils 
étoient  Catholiques  Romains  ,  ôc  qu'ils  avoient  été  mariez  en 
teltems,  ôc  en  tel  lieu  :  Qu'outre  cela  le  Curé  écriroit  les  noms  ^ 
furnoms  ôc  domiciles  de  fes  Paroifliens  5  ôc  qu'il  tiendroit  re- 
giftre  desenfans  qui  feroient  bâtifez ,  ôc  de  leurs  Parains  :  Qu'on 
ne  recevroit  aucun  Maître  d'école  ,  de  la  foi  duquel  on  ne  fû£ 
bien  afluré  j  ôc  qu'on  lui  prefcriroit  les  livres  qu'il  devoit  faire 
lire  à  la  jeunelTe  :  Qu'on  obferveroit  avec  foin  fi  les  pauvres  , 
qui  vivoient"  d'aumônes .  étoient  Catholiques  Romains  :  Qu'on 
leur  prefcriroit  de  fe  confeffer  ôc  de  communier  ;  ôc  que  s'ils 
ne  le  faifoient  pas .  ils  feroient  privez  des  aumônes. 
Us  caufent  Tous  CCS  articles  ayant  été  publiez  ,  on  ne  fçauroit  dire  com- 
tes troubles,  bien  ils  foûleverent  ôc  émurent  les  efprits.  Les  Etats  de  Bra- 
bant  furent  les  premiers  à  s'oppofer  à  l'exécution  de  ces  Or- 
donnances,  qui  ne  pouvoient,  difoient-ils  ,  fe  conciher  avec 
le  ferment  que  le  Roi  ôc  le  Confeil  avoient  fait ,  de  conferver 
les  privilèges  de  la  Province.  Ils  fupplierent  qu'on  voulût  bien 
révoquer  des  reglemens  fi  févéres  h  déclarant  que ,  fi  on  ne  le 
faifoit,ils  en  porteroient  leurs  plaintes  aux  Etats  généraux  de 
Flandre^  ôc  qu'ils  imploreroient  leur  appiii.  Les  Conciles  pro- 
vinciaux des  Evêques  foûtenoient  au  contraire  ,  qu'il  n'y  avoit 
rien  en  tout  cela  de  nouveau  :  que  l'Inquifition  ,  l'ardcle  qui 


DE  J.  A.  DE  THOU.  L  i  v.  XL,  213 

leur  faifoit  le  pius  de  peine ,  avoit  déjà  été  exercée  dans  les  ..   n        '  ^* 
Payis-bas ,  &  même  en  France,  ôc  qu'on  avoit  eu  la  précau-  Char  LE 
tion  de  déclarer ,  que  la  ville  d'Anvers  ne  feroit  foûmife  ni  à  ce        jx. 
Tribunal  ,  ni  à  la  jurifdi£lion  de  i'Evêque  :  que  pour  ce  qui     j  ^  ^  ^^ 
étoit  du  Concile  de  Trente,  on  exigeoit  feulement  qu'il  fût  re- 
çu avec  des  modifications,  6c  conformément  aux  Ordonnances 
qui  avoient  été  faites  à  ce  fujet,  ôc  qu'on  devoit  publier. 

Les  Etats  continuant  leur  oppofition^  ôc  perfiftant  dans  leur 
refus,  ôc  la  duchelTe  de  Parme  d'un  autre  côté  preflant  l'obfer- 
vation  des  articles  de  l'Ordonnance  >  ceux  qui  étoient  fecréte- 
ment  attachés  à  la  Do61;rine  reçue  en  Allemagne  ôc  en  Suiiïe  , 
firent  courir  des  Libelles  :,  des  Vers  Ôc  des  Satyres ,  qu'on  affi- 
cha aux  portes  des  Eglifes  ,  de  la  Cour  ,  ôc  du  Palais.  Ils  fi- 
rent même  tomber  entre  les  mains  de  la  Gouvernante  un  Li- 
belle j  dans  lequel  ils  faifoient  connoître  de  quelle  manière  les 
Etats  de  Flandre  dévoient  refifter  aux  ordres  de  la  Cour ,  à  l'In- 
quifition  ;,  ôc  aux  Décrets  des  Evêques.  On  y  découvroit  les 
artifices ,  les  rufes  ôc  les  intrigues  fecretes  des  émiflaires  du  car- 
dinal Granvelle  ^  ôc  on  y  ajoûtoit  des  menaces  contre  ceux  qui 
étoient  allez  perfides,  pour  donner  atteinte  à  la  liberté  de  leur 
patrie  ,  ôc  contre  ceux  qui  par  lâcheté  ou  par  foiblelîe  aban- 
donnoient  la  caufe  publique ,  ôc  les  intérêts  communs  de  toute 
la  Nation. 

La  duchefie  de  Parme  prévoyant  que  ces  premières  démar- 
ches conduiroient  infailliblement  à  la  fédition,  ôc  de  la  fédition 
à  une  révolte ,  tint  Confeil,  ôc  pubha  à  Bruxelles  le  24  de  Mars 
un  écrit,  qui  contenoit  en  fubftance  :  Que  comme  on  avoit  re- 
connu qu'il  n'y  avoit  point  eu  d'Inquifition  dans  le  Erabant,  de- 
puisl'an  1 5"  ^o,  l'intention  de  S.  M.  CathoHque  n'étoit  pas  d'ap- 
pefantir  le  joug  des  peuples  de  ces  Provinces  j  mais  de  confer- 
ver  ôc  maintenir  leurs  libertez  ôc  leurs  immunitez  i  ôc  que  pour  le 
Concile  de  Trente ,  on  ne  les  obligeoitpas  de  le  recevoir  autre- 
ment )  qu'avec  les  modifications  qu'exigeoient  leurs  privilèges.'- 

Le  peuple  fe  rejoiiit  fort  de  cette  déclaration  3  mais  les  Etats 
qui  n'avoient  encore  qu'une  partie  de  ce  qu'ils  fouhaittoient^ 
allèrent  plus  loin  ,  ôc  demandèrent  à  la  Gouvernante,  que  la- 
déclaration  qui  avoit  été  faite  ,  fût  confirmée  par  le  Roi ,  ôc 
fcellée  de  fon  fceau  i  ôc  qu'on  leur  donnât  des  aflurances  en 
bonne  forme  ,  que  jamais  on  n'introduiroit  dans  le  Brabant 

D  d  iij 


21^  HISTOIRE 

"'■" """  aucune  forte  d'Inquifition  ;  ni  i'Eccléfiaftique ,  qui  s*exerce  fous 

Ch  ARLE  le  nom  du  Pape  ?  ni  la  Civile  ou  Séculière,  qui  s'exerce  au  nom 
I X.       du  Prince  ;  que  le  Juge  ordinaire  connoîtroit  de  tous  les  ciri- 
i  $  66.     mes ,  même  de  celui  d'héréfie  ?  ôc  que  les  Ordonnances  du  Roi, 
fur  la  Religion ,  feroient  adoucies.  La  duchefle  de  Parme  ré- 
pondit qu'elle  délibéreroit  fur  tout  cela  avec  les  Chevaliers  de 
la  Toifon  d'or ,  &c  les  autres  Confeillers  du  Confeii  Souverain. 
En  effet  on  parla  dans  ce  Confeii  d'envoyer  au  roi  d'Efpagne 
un  projet  de  modération  &  d'adouciffement  des  Ordonnan- 
ces, fans  préjudicier  néanmoins  à  la  Religion  Romaine,  ôc  à 
l'autorité  Royale. 
Confédéra-       Cependant  le  peuple  murmuroit,  &  s'emportoitpar  desécrits 
tion  delaNo-  contre  la  NoblelTe  ,  qui  demeuroit  à  la  campagne  j  6c  qui  pou- 
voit  aifément  devenir  la  vi£l:ime  d'une  multitude  furieufe  ■>  ils 
i'avertilToient  fans  ceffe,  ôc  lui  reprefentoient  qu'il  étoit  de  fon 
devoir  d'être  les  médiateurs  entre  le  Roi  ôc  le  peuple  j  parce 
que  le  Roi  accorderoit  plus  volontiers,  en  conlidération  de  la 
Nobleffe,  ce  qu'on  lui  demandoit,  qu'il  neferoit  fans  cela.  Ain- 
fi  les  Gentilshommes  fenfibles  au  danger  qui  les  menaçoit ,  ôc 
foUicités  par  ceux  qui  favorifoient  fecretement  le  parti  des  Pro- 
teftans ,  s'ailemblerent  à  Sainte  Gertrude,  près  d'Anvers,  Ôc  fi- 
rent une  confédération  pour  le  maintien  de  la  liberté  de  leur 
patrie.   «  Puifque  des  étrangers ,  difoient-ils ,  qui  ne  travaillent 
w  ni  pour  la  gloire  de  Dieu ,  ni  pour  l'intérêt  du  Roi ,  ni  pour 
M  le  bien  du  payis  ,  mais  pour  fatisfaire  leur  avarice  ôc  leur  am- 
"  bition  ,  fe  font  fervis  du  prétexte  fpécieux  de  la  Religion  ôc 
"  de  la  tranquilité  publique  ,  au  grand  défavantage  du  Roi  ÔC 
«  de  fes  fujets ,  pour  obtenir  de  Sa  Majefté  ,  non  feulement 
^'  qu'elle  ne  modéreroit  pas  la  rigueur  des  reglemens  touchant 
«  la  Religion,  comme  Sa,  Alajefté l'avoit  promis ,  mais  qu'elle 
3'  prelTeroit  l'établiffement  de  l'Inquifition  ,  qui  eft  également 
»  odieufc  ôc  formidable  à  tous  les  Ordres  de  l'Etat;  ôc  d'où  il 
»  ne  faut  point  douter  qu'on  ne  voie  fuivre  en  peu  de  tems  la 
w  perte  totale  des  Payis-bas,  le  renverfement  de  l'autorité  Roya- 
oy  le ,  l'anéantiflement  de  la  liberté  Ôc  des  privilèges  de  la  Pro- 
»  vince  :  Nous  prenons  Dieu  à  témoin ,  que  pour  détourner 
»  ces  maux,  nous  avons  fait  enfemble  une  confédération ,  pour 
o>  maintenir  l'obéiflance  que  nous  devons  à  la  Majefté  Royale, 
»  pour  le  bien  de  la  patrie ,  ôc  pour  la  liberté  commune.  Nous 


•J 


a» 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XL.  21^  : 

nous  obligeons  par  ferment  d'empêcher  que  rinquifition  ne  _ 

s'introduiie  ,  fous  prétexte  d'Ordonnances ,  ou  de  quelques  rju  »  j^t  £  i 

autres  Décrets  que  ce  puiffe  être.  Nous  déclarons  publique-       j  y  ! 

o>  ment,  qu'en  cela  nous  ne  prétendons  rien  faire  ,  ou  entre-     i  ^  /^  < 

w  prendre  ,  qui  foit  contraire  à  la  gloire  de  Dieu,  ôc  qui  puifle        ^       '  ; 

J5  donner  la  moindre  atteinte  à  l'autorité  du  Roi  ôc  des  Etats  , 

oî  mais  que  nous  ne  fouhaitons  autre  chofe  ,  que  d'employer  ! 

»>  pour  leur  fureté  nos  confeils ,  nos  vies  ôc  nos  biçns  3  ôc  d'em-  j 

a>  pêcher ,  par  tous  les  moyens  pofTibles  ,  toutes  fortes  de  com-  i 

»  plots ,  de  féditions  ôc  de  troubles.  =>  ! 

On  propofa  auflî  dans  l'aflemblée ,  de  députer  à  l'Empereur  \ 

Maximilien  coufinduRoid'Efpagne ,  pour  le  fupplier  d'interpo-  j 

fer  fa  médiation  auprès  de  fa  Majefté  Catholique,  afin  d'en  ob-  j 

tenir  la  modération  des  ordonnances  rigou  ■  eufes ,  qui  étoient  le  \ 

fujet  de  leurs  plaintes.  On  dreffa  enfuite  d'un  commun  accord  j 

une  requête  3  qui  devoit  être  prefentée  en  un  certain  jour  à  la  \ 

duchefTe  de  Parme ,  au  nom  des  Etats  de  Flandre.  Les  princi-  i 

paux  de  l'aflemblée  de  faint  Gertrude  étoient  Henri  de  Brede-  « 

rode,  de  l'illuftre  maifon  des  comtes  de  Flandre ,  Louis  de  \ 

Naflau  frère  du  prince  d'Orange ,  Floris  de  Pallant  comte  de  ] 

Culembourg ,  le  comte  de  Bergh  ,  ôc  plufieurs  autres.  S'étant  ] 

rendus  à  Bruxelles  au  nombre  de  plus  de  quatre  cens ,  ils  de-  \ 

mandèrent  audience  à  la  Gouvernantes  ôc  le  y  d'Avril  ils  par-  i 

tirent  de  l'hôtel  du  comte  de  Culembourg,  allèrent  au  Palais  ': 

cinq  à  cinq  ,  ôc  quatre  à  quatre,  avec  un  grand  filence,  tous  ! 

vêtus  d'habits  gris,  ayant  de  petites  écuelles  de  bois  attachées  i 

à  leurs  chapeaux ,  ôc  une  médaille  d'or  au  cou  ,  fur  un  côté 

de  laquelle  étoit  le  portrait  du  Roi ,  ôc  au  revers  une  beface 

fufpenduë  par  deux  mains  entrelaflfées  en  ligne  de  foi,  avec  ces 

paroles  :  Fidèles  jufqu'à  la  beface.  Ce  furent  là  comme  les  ar-  j 

mes  ôc  la  devife  de  la  faêtion  des  Confédérez.  ! 

Ayant  été  admis  à  l'audience  de  la  Gouvernante,  Bredero<    Requête  des  ] 

de  portant  la  parole  pour  tous ,  dit ,  qu'ils  étoient  venus  pour  Confédérez. ,  \ 

prefenter  à  fon  Altefle,avec  tout  le  refpeêt  Ôc  la  fou  million  i 

poffible  J  leur  requête.  Il  fe  plaignit  enfuite  de  ce  qu'on  accu-  i 

foit  fauffemcnt  fes  aflociez  ôc  lui-même  de  fédition,  de  révol-  i 

te  ôc  de  perfidie:  il  demanda  qu'on  nommât  les  accufateurs,  ; 

ôc  qu'on  les  obligeât  de  comparoître  j  afin  qu'après  avoir  en-  * 

teuciu  les  accufateurs  ôc  les  accufez ,  on  pût  juger  lefquels  étoient  j 


^x6  HISTOIRE 

^  les  coupables.  La  duchefle  de  Parme  reçût  la  requête,  pro- 

Charle  ^^'^^^  ^^  ^^  ^^^^'  ^  ^'y  ^^^"^^  auflTi-tôt  réponfe ,&  les  congédia: 
i\r         Lorfqu'ils  fortoient  y  le  comte  de  Berlaymont,  qui  n'e'toit  pas  de 
^  \      leurs  amis ,  dit  par  mépris  à  la  Gouvernante,  qu'il  n'y  avoit  rien 
'    à  craindre  de  ces  coquins-là,  puifqu'ilsétoient  tous,  ou  en  effet, 
ou  par  la  couleur  de  leur  habit ,  de  vrais  mendians ,  que  les  lan- 
gues Wallonne  ôc  Françoife  appellent  des  Gueux  \  Depuis  cette 
raillericl'ufage  a  été  dans  le  Payis-bas  de  nommer  Gueux  ceux  à 
qui  l'on  a  donné  le  nom  de  Huguenots  en  France.  Pour  nous; 
nous  leur  donnerons  dans  la  fuite  le  même  nom  de  Protejîans, 
que  nous  donnons  dans  cette  hiftoire  à  ceux  d'entre  nous,  qui 
profeffent  la  Religion  reformée. 

Le  lendemain  la  Duchefle  ayant  convoqué  un  Confeii  plus 
nombreux ,  y  fit  lire  la  requête  des  Confcdérez ,  qui  contenoit 
en  fubftance  :  Que  l'obéiflance  due  au  Roi,  ôc  l'amour  de  la 
patrie  avoient  engagé  les  Confederez  à  s'expofer  au  danger 
d'être  blâmez,  plutôt  que  de  manquer  à  leur  devoir  :  Qu'ils 
s'étoient  aflfemblez  .  6c  qu'ils  avoient  dreffé leur  requête,  pour 
prévenir  les  troubles  dont  la  Flandre  étoit  menacée  :  Qu'ils 
fupplioient  donc  inftamment  le  Roi,  de  ne  point  impofer  à  des 
peuples  libres  le  joug  infuportable  de  Tlnquifition  jde  fuppri- 
mer  les  nouveaux  Evêques ,  qui  n'avoient  été  inftituez  que  pour 
rétablir,  d'adoucir  les  ordonnances  trop  févéres,  qui  avoient 
été  faites ,  d'en  différer  l'exécunon ,  ôc  de  laiffer  à  chacun  la 
liberté  de  confcience  :  Que  ce  qui  les  engageoit  à  demander 
cette  grâce,  étoit  le  danger  qui  menaçoit  les  particuliers,  comme 
l'Etat  :  Qu'ils  fçavoient  très-certainement  que  le  peuple  ôc  les 
payifans  ne  fouffriroient  jamais  l'Inquifition ,  Ôc  que  les  Con- 
federez ,  qui  demeuroient  dans  leurs  terres  à  la  campagne ,  fe- 
roient  les  premiers  expofez  à  leur  fureur  :  Que  cependant  ils 
prenoient  Dieu  à  témoin  de  leur  foumiflîon  ôc  de  leur  fidélité: 
Que  fi  le  Prince  ne  fe  rendoit  pas  aux  prières  Ôc  aux  inftances 
du  public ,  ôc  n'avoit  aucun  égard  à  leur  oppofition ,  on  ne 
pourroit  au  moins  leur  attribuer  les  troubles  ôc  les  féditions , 
qui  ne  manqueroient  pas  d'arriver ,  ôc  dont  ils  feroient  parfaite^ 
ment  innocens. 

Après  la  le£lure  de  la  requête,  les  avis  fe  trouvèrent  parta- 
gez. Philippe  de  Montmorenci  comte  de  Home  dit,  qu'il  falloit 
}  en  Wallon  Glmifett, 

appaifer 


DE  J.  A.DE  THOU,  Lrv.  XL.         217 

appaifer  le  peuple,  à  quelque  prix  que  ce  fût;  parce  que  fans  » 

cela  l'Etat  étoit  menacé  de  troubles  &  de  féditions,  &  que  fi  Char  LE 
en  ne  cedoit  au  tems  ,  la  NoblefTe  &  la  Gouvernante  elle-        jy^ 
même ,  ne  pourroient  être  à  l'abri  de  la  fureur  d'une  populace     1^55. 
mutinée.  Mais  les  créatures  d'Efpagne  rejetterent  cet  avis  du 
comte  de  Horne,  qui  n'avoit  en  vue  que  la  tranquillité  publique^ 
6c  voulurent  le  faire  palTer  pour  une  menace  qu'il  faifoit  à  la 
DuchefTe ,  afin  de  la  forcer  à  entériner  la  requête  des  Confé- 
dérez ,  qu'ils  traitoient  d'incivile. 

Elle  y  répondit  néanmoins  d'une  manière  à  faire  connoître  Béponfe  àt 
la  bonne  volonté  qu'elle  avoit  pour  les  Confédérez.  Elle  dit  '^  ^^«"^«r- 
qu'elle  fouhaitoitrincerement  pouvoir  leur  accorder  toutes  leurs 
demandes  j  mais  qu'elles  étoient  dételle  nature,  qu'elle  ne  pou- 
voir rien  décider  à  ce  fujet  de  fa  propre  autorité  :  Qu'elle  avoit 
les  mains  liées  par  les  ordres  exprès  du  Roi ,  à  qui  elle  croyoit 
qu'il  falloir  faire  une  dépuration,  6c  qu'elle  tâcheroit  de  leur 
rendre  favorable  autant  qu'elle  pourroit ,  par  fes  lettres  ôc  par 
fesprieres:  Qu'en  attendant  elle  les  conjuroit  6c  leur  enjoignoit 
de  veiller  eux-mêmes ,  6c  de  travailler  de  toutes  leurs  forces, 
pour  empêcher  que  la  tranquillité  publique  ne  fût  troublée  :  Que 
pour  elle ,  elle  auroit  une  Ci  grande  attention ,  pour  contenir  les 
Inquifiteurs  dans  les  bornes  de  la  prudence  6c  de  la  modéra- 
tion ,  que  chacun  lui  en  fçauroit  gré  6c  la  remerciroit  :  enfin 
qu'elle  efperoit  obtenir  par  fon  entremife  auprès  du  Roi,  que 
ces  Provinces  feroient  délivrées  de  rinquifition. 

Deux  jours  après  les  Confederez  revinrent  au  Palais  de  la  Gou- 
vernante, 6c  la  remercièrent  d'une  réponfefi  favorable.  Mais 
ils  demandèrent  en  même-tems ,  qu'on  en  fit  une  plus  ample  dé- 
claration j  ils  promirent  de  fe  foumettre  à  tout  ce  qui  feroit  or- 
donné par  le  Roi  6c  par  les  Etats  de  Flandre  ,  6c  de  fe  compor- 
ter à  l'avenir  de  manière,  qu'on  ne  pourroit  les  blâmer  avec 
raifon.Ilsajoûterent,qu'ayant  appris  que  leurs  ad  verfairesavoient 
réfolu  de  faire  imprimer  leur  requête  j  ils  prioient  qu'elle  fut 
imprimée  de  bonne  foi ,  fans  y  rien  augmenter,  6c  fans  en  rieix 
retrancher.  La  Gouvernante  ayant  loué  leur  bonne  volonté, 
les  pria  auiïi  de  fe  tenir  dans  les  bornes  de  la  modération ,  6c 
de  ne  point  faire  d'aiîemblées  clandeftines,  pour  fefaireun  plus 
grand  nombre  de  partifans.  Les  Confédérez  remercièrent  en- 
core une  fois  la  Gouvernante  ,  6c  la  prefTerent  de  déclarer 
Tome  y,  E  e 


2i8  HISTOIRE 

devant  toute  fa  Cour ,  que  ce  qu'ils  avoient  fait  n'avoit  point  été 

Charle  entrepris  avec  une  mauvaife  intention.  A  quoi  elle  répondit 
IX  feulement ,  qu'elle  le  croyoit  ainfi.  Les  Confédérezs'étant  re- 
6  6  ^^^^^  ^^^  murmurant ,  on  leur  envoya,  fuivant  le  confeil  de  Chrif- 
tophle  d'AlTonviile ,  Philippe  de  Lallain  comte  de  Hoochltrate> 
avec  Berty  fecretaire ,  pour  leur  déclarer  dans  leur  affemblée, 
ôc  leur  donner  parole  au  nom  de  la  DuchefTe  ,  que  la  Cour  n'or- 
donneroit  rien  au  fujet  de  la  Religion  j  qu'elle  n'eût  reçu  la 
réponfe  du  Roi. 

On  envoya  en  Efpagne  Montmorenci  de  Montigny,  ôc  le 
comte  de  Bergh,  Chevaliers  de  la  Toifon  d'or,  pour  deman- 
der la  modération  des  ordonnances,  ôc  des  décrets  concer- 
nant la  Religion.  Ces   Seigneurs  furent  reçus  bien  différem- 
ment de  ce  qu'ils  avoient  penfé ,  ôc  même  bien  maltraités  dans 
la  fuite  ,  comme  nous  le  dirons.  On  les  amufa  d'abord  ,  par  des 
réponfes  ambiguës  ôc  captieufes  j  ce  qui  augmenta  fort  les  foup- 
çons  ôcles  défiances  desFlamans  :  ôc  cependant  on  publia  une 
formule  de  modération  des  ordonnances ,  qui  excita  l'indigna- 
tion de  plufieurs,  ôc  fit  rire  en  général  tout  le  monde.  Caroa 
y  accordoit  comme  une  très-grande  grâce  aux  Proteftans,  aux 
Miniftres ,  à  leurs  hôtes  ,  ôc  à  ceux  qui  cauferoient  quelque  fcan- 
dale ,  celle  de  n'être  point  brûlez ,  mais  feulement  pendus  :  on 
y  déclaroit  que  ceux  en  général  qui  changeroient  de  fentimens, 
feroient  punis  par  le  glaive ,  ôc  ie  petit  peuple  qui  tomberoit 
dans  l'erreur  par  le  banniffement.  La  Cour  envoya  cette  for- 
mule aux  Etats  de  chaque  Province ,  pour  y  être  ratifiée.  Ceux 
d'Artois,  du  Hainault,  ôc  du  comté  deNamur  y  foufcrivirent. 
Elle  fut  enfuite  pubhée  dans  la  Flandre  ôc  dans  le  Brabant, 
fans  y  appeiier  ceux  de  Hollande,  de  Zelande ,  de  Frife ,  ni 
les  autres?  parce  qu'on  croyoit  qu'appuyez  fur  leurs  privilèges 
ôc  leurs  immunitez,  ilsnevoudroient  jamais  confentir  à  la  vé- 
rification de  la  formule.  Au  refte  tout  ceci  fut  fait  fecretement, 
ôc  à  l'infçû  des  peuples ,  qui  fuivoient  prefque  tous  la  dodrine 
des  Proteftans. 
Troubles  &       Cependant  on  fit  courir  le  bruit  de  la  mauvaife  réception 
qu'en°tour^"  dcs  Députez  en  Efpagne,  de  la  colère  ôc  de  l'indignation  du 
Ueux.  Roi  contre  les  hérétiques  ôc   leurs  fauteurs  ,  de  f  équipement 

d'une  flotte ,  pour  tranfporter  le  Roi  en  Flandre  ,  des  levées 
qu'Eric  de  Brunfwich  ,  qui  étoit  au  fervice  de  fa  Majefté 


DE  J.  A.  DE  THOU>  L  !  v.  XL,  2ii> 

Catholique ,  avoit  faites  en  Allemagne ,  pour  être  prêt  à  toute 

occafîon  de  fecourir  à  main  armée  les  Inquifiteurs  ôc  les  nou~  Ch  arle 
veaux  Evêques.   On  ajoûtoit  que  la  douceur ,  dont  on  ufoit  en-       jy 
vers  les  Députez  n'étoit  pas  (Incere,  mais  apparente  ôcfimu-  /^ 

lée  ,  pour  donner  au  Roi  le  rems  d'amafler  de  l'argent  &  de 
lever  des  gens  de  guerre ,  afin  de  venir  en  Flandre  lorfqu'on 
y  penferoit  le  moins  5  que  le  cardinal  Granvelle  y  viendroit 
aulîî  ,  6c  que  la  réfoludon  étoit  prife  de  punir  rigoureufe- 
ment  ceux  de  la  Noblefle  5  qui  avoient  eu  la  témérité  crimi- 
nelle de  quitter  la  Religion  ôc  le  parti  du  Roi.  Le  peuple 
échauffé  ôc  irrité  par  ces  bruits,  ôc  n'efperant  rien  de  bon  de  l'Ef- 
pagne,  eut  la hardiefle  d'aller  publiquement  aux  prêches,  pour 
infpirer,  par  cette  liberté,  du  courage  à  ceux  de  fon  parti,  ôc 
pour  intimider  fes  ennemis ,  en  leur  faifant  voir  que  le  nombre 
des  Confédérez  s'augmentoit  de  jour  en  jour.  Ainfi  après  avoir 
commencé  à  Ypres,  on  fît  des  affemblées  publiques  dans  la 
Flandre  ,  dans  le  Brabant,  dans  la  Gueldres,  ôc  dans  la  Frife, 
ôc  ces  affemblées  fe  tenoient  en  pleine  campagne,  ôc  dans  tous 
les  autres  lieux  qui  paroiffoient  les  plus  commodes.  Le  peuple 
y  accourut  de  toutes  parts,  d'abord  fans  armes,  enfuite  avec 
des  épées,  pour  fe  défendre  H  on  les  attaquoit,  ôc  enfin  avec 
des  arquebufes  -,  ôc  fur  le  commencement  de  Juin  on  fit  des 
prêches  en  Allemand  ôc  en  François,  dans  un  champ  nommé 
Tlaer  ,  fitué  près  de  Borgherhout ,  affez  proche  d'Anvers. 

Cela  fut  caufe  que  le  Confeil  d'Anvers ,  quicraignoit  une  fé- 
dition,  écrivit  à  la  Gouvernante,  ôc  la  fupplia  de  vouloir  bien 
venir  à  la  ville ,  ôc  y  faire  fon  féjour,  pour  appaifer  les  trou- 
bles. La  DuchelTe  ayant  demandé  du  tems  pour  délibérer  là 
deffus ,  fit  cependant  publier  le  26  de  Juin  une  ordonnance 
fort  rigoureufe  contre  ceux  qui  tenoient  des  «ffemblées  :  mais 
cette  ordonnance  ne  fut  d'aucune  utilité.  Les  Proteflans  ,  dont 
l'audace  croiffoit  avec  le  nombre,  prefenterent  le  3  de  Juillet 
une  requête  au  Confeil,  dans  laquelle  ils  tâchoient  de  prouver 
par  plufieurs  raifons ,  que  les  prêches  qui  fe  faifoient  auparavant 
en  fecret,  dévoient  alors  fe  faire  publiquement,  à  caufe  du  grand 
nombre  des  auditeurs;  ôc  ils  demandoient  que  ,  pour  éviter  le 
bruit  ôc  la  confufion,  on  leur  affignàt  un  lieu  dans  la  ville.  Ils 
fe  fervoient  des  propres  termes  de  leurs  privilèges ,  pour  prou- 
ver que  le  Magiltrat  étoit  en  droit  de  leur  accorder  ce  qu'ils 

Ee  ij 


^2o  HISTOIRE 

'i, demandoient,  &  ils  citoient  des  exemples ,  pour  faire  voir  qu^^on 

^  pouvoit  fans  aucun  danger  admettre  deux  Religions  dans  un 

jy         Etat.  Le  Confeil  envoya  auiTi-tôt  cette  requête  à  la  Gouvernant 

>  jj      te ,  ôc  réitéra  fes  prières ,  pour  l'engager  à  venir  demeurer  à  An- 

^       '     vers  :  mais  elle  le  refufa,  à  moins  qu'on  ne  voulût  recevoir  dans 

la  ville  une  garnifon  î  ce  que  les  habitans  avoient  en  horreur. 

Comme  li  onavoit  appréhendé  que  les  fujets  de  troubles  ne 
manquaffent ,  Brederode,  6c  Charle  de  Brimeu  comte  de  Me- 
gen  vinrent  dans  le  même  tems  à  la  ville  ^  fans  en  avoir  deman- 
dé l'agrément  :  tous  les  deux  étoient  fufpe£ls  aux  bourgeois 
pour  des  raifons  bien  différentes 3  le  premier^  parce  qu'il  étoit 
regardé  comme  le  chef  des  Proteftans  dans  les  Payis-bas ,  ÔC 
le  fécond  ,  parce  qu'on  croyoit  qu'il vouloit  ufer  d'artifice,  pour 
faire  entrer  dans  la  ville  les  troupes  qu'il  avoir  aux  environs 
dans  la  Campine  Brabançonne.  Ile  peuple  étant  déjà  échauffe, 
Brimeu  fut  obligé  de  fortir  de  la  ville.  La  Gouvernante  y  en- 
voya auffi-tôt  Guillaume  de  Naflau  prince  d'Orange  ,  avec  de 
pleins  pouvoirs.  Lorfqu'il  étoit  fur  le  point  d'y  entrer  le  1 3  de 
Juillet,  le  Confeil  vint  au-devant  de  lui,  avec  Brederode  ôc 
d'autres  Gentilshommes ,  &  comme  il  paffoit  dans  la  ville  à  che- 
val,  le  peuple  cria  :  Vivent  les  Gueuw  Le  Prince  les  en  reprit, 
&  leur  prédit  qu'ils  fe  repentiroient  quelque  jour  de  cette  accla- 
mation téméraire.  Puis  ayant  aflemblé  le  Confeil ,  il  expofa 
les  ordres  qu'il  avoir  de  la  Gouvernante ,  ôc  il  conféra  avec 
tous  les  Corps  de  la  ville,  fur  les  moyens  déterminer  tous  les 
différends,  d'ôter  les  foupçons  ôc  les  défiances,  ôc  de  rétablir 
la  paix  Ôc  la  tranquillité. 

Ces  conférences  lui  firent  connoître  que  le  Confeil  ne  fe  fioit 
pas  fort  aux  bourgeois  ôc  aux  marchands  étrangers  ,  quoiqu'ils 
luffent  attachez  à  la  doctrine  des  Proteftans  ;  que  les  bourgeois 
6c  les  autres  habitans  d'Anvers  craignoient  les  miniftres  delà 
Cour ,  ôc  fe  défioient  du  Confeil  i  qu'ils  foupçonnoîent  de  vou- 
loir faire  entrer  des  foldats  dans  la  ville  5  enfin  que  les  Protef* 
tans  craignoient  généralement  tout ,  ôc  qu'ils  n'étoient  pas  mê- 
me bien  d'accord  entre  eux ,  ôc  que  le  Confeil  entretenoit  cette- 
mefintelligence  fecrette,  en  favorifant  fourdement  les  Protef- 
tans de  la  confeflion  d'Aufl^ourg  contre  les  Calviniftes  :  mais 
que  les  uns  ôc  les  autres  joints  enfemble,  étoient  les  plus  forts 
aans  la  ville ^  ôc  pourroient  la  réduire,  en  leur  pouvoir  ,  quand 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  s^r 

ils  le  voudroient.  Le  prince  d  Orange  jugea  donc  qu'il  n'y  -^ 

avoir  pas  de  fureté  à  vouloir  les  foumettre  par  la  force  ,  mais  ^ 
qu'il  falloir  les  exhorter  avec  douceur ,  Ôc  les  engager  à  quit-      ^-A^ 
ter  les  armes ,  ôc  à  les  mettre  entre  les  mains  des  bourgeois.  ^* 

On  convint  donc  que  les  bourgeois  feroient  la  garde ,  ôc  qu'a-     ^  S  ^  ^' 
près  avoir  donné  les  furetez  néceflaires ,  on  engageroit  douce- 
ment les  Proteftans  à  mettre  les  armes  bas  ,  &  à  interrompre 
leurs  prêches  Juiqii'à  ce  que  tout  fût  décidé  ôc  réglé  fuivant  l'a- 
vis des  Etats  de  Flandre. 

Déjà  le  bruit  s'étoit  répandu  ^  que  Brunfwich  avoir  levé  des 
troupes ,  ôc  qu  elles  couroient  avec  licence  dans  toute  la  Fri- 
fè,  ôc  le  Prévôt  des  maréchaux  ,  ou  le  Bailli ,  qu'on  nomme  en 
Flamand  Drojfan ,  allant  à  cheval  dans  le  Brabant  avec  des  ar- 
chers en  armes,  pour  arrêter  des  criminels,  avoir  fait  foupçon- 
ner  qu'il  vouloit  empêcher  les  affemblées  qui  fe  faifoient  à  la 
campagne  :  ce  qui  augmentoit  ces  foupçons ,  eft  qu'on  avoit 
vu  en  même-tems  à  Malines  des  chariots  remplis  d'armes ,  ôc 
des  batteaux  chargez  de  canon.  Les  Proteftans  ne  gardèrent 
plus  de  mefures ,  ôc  ils  affederent  de  marcher ,  non  pas  com- 
me des  gens  qui  font  en  paix,  mais  comme  des  gens  de  guerre, 
en  armes  ôc  en  bataille  :  ce  qui  donna  beaucoup  d'inquiétude 
à  tout  le  monde,  dans  la  jufte  crainte  des  fuites  :  à  peine  le 
prince  d'Orange  pouvoit-il  les  contenir  par  fa  préfence ,  ôcpar 
les  menaces  qu'il  mêloit  quelquefois  aux  exhortations  ôc  aux 
prières. 

Les  Confédérez  voyant  que  les  Courtifans ,  par  leurs  artifi-     AFembr 
ces,  avoient  fait  évanouir  l'efperance  qu'on  leur  avoit  don-  &plaintesdc« 
née,  d'affembler  les  Etats  de  Flandre,  qu'ils  avoient  regardez  Confédérez. 
comme  leur  dernière  reffource  ,  s'aiïemblerent  à  faint  Tru- 
den^  château  appartenant  à  l'Evcque  de  Liège  ■>  delà  ils  alle- 
tentà  Arfchot,  ôc  enfuite  à  DufFele.  La  Gouvernante  leur  en- 
voya le  prince  d'Orange  ôc  le  comte  d'Egmond,  pour  traiter 
avec  eux  ,  pour  leur  demander  ce  qu'ils  prétendoient  faire  dans 
leur  alTemblées ,  ôc  de  quoi  ils  fe  plaignoient?  pour  leur  dire 
qu'à  leur  confideration  on  avoit  envoyé  en  Efpagne  le  ba- 
ron de  Montigny  Ôc  le  comte  de  Bergh ,  deux  Seigneurs  d'un 
grand  crédit ,  ôc  en  qui  ils  dévoient  avoir  une  parfaite  con- 
fiance, ôc  pour  les  exhorter  (  puifque  depuis  leur  requête  on 
n  avoit  rien  fait  de  nouveau  touchant  l'Inquifition  ôc  l'exécution- 

Ee.  iij. 


222  HISTOIRE 

,,,„,„,.,._,^  des  ordonnances  )  à  ne  pas  donner  de  juftes  fujets  de  mécori- 
'Z  tentenient ,  ôc  de  colère  au  Roi,  qui  étoit  dans  la  difporition 

T^^^  de  faire  publier  une  amniftie  pour  tout  le  pafféi  à  perfeverer 
dans  l'obeiflance,  à  reprimer  i'infolence  ôc  la  méchanceté  des 
I  J  6  o.  5e£^aires ,  qui  fe  vantoient  d'être  prêts  à  faire  éclater ,  à  l'inftiga- 
tiondes  Françoisja  rébellion  qu'ils  tramoient  depuis  long-tems; 
ôc  à  empêcher,  autant  qu'ils  pourroient  les  prêches ,  parce  que 
ceux  qui  follicitoient  le  peuple  à  cesaffemblées ,  ou  qui  y  con- 
nivoient^  violoient  honteuiement  le  traité ,  ôc  agifToient  con- 
tre les  termes  même  de  la  requête. 

Les  Confédérez  répondirent  par  écrit  :  Qu'ils  remercioient 
fon  AltciTe  des  ordres  qu'elle  avoir  eu  la  bonté  d'envoyer  aux 
Gouverneurs  j  mais  qu'ils  n'avoient  pas  été  obfervez  comme  il 
falloir:  Qu'on  n'y  avoitprefque  point  eu  d'égard  à  Tournay ,  à 
rifle ,  à  Mons  en  Hainault ,  à  Aire ,  à  Ath ,  6c  à  Bruxelles ,  plu- 
lîeurs  y  ayant  été  emprifonnez  pour  caufe  de  Religion  :  Qu'ils 
avoient  fait  tous  leurs  efforts  pour  empêcher  les  prêches  &  les 
autres  alfembiées  5  mais  qu'ils  n'avoient  pii  rien  obtenir  du  peu- 
ple, dont  les  foupçons  étoient  confidérablement  augmentez, 
parce  que  la  réponfe,  que  la  Gouvernante  avoit  promife  avant 
deux  mois,  n'étoit  point  encore  arrivée  d'Efpagne ,  ôc  qu'on 
ne  parloir  plus  de  l'affemblée  des  Etats  généraux ,  qu'on  leur 
avoit  fait  efperer  :  Que  quant  à  ce  qu'on  difoit,  que  les  François 
avoient  part  à  ces  troubles ,  les  Confédérez  pouvoient  affû- 
rer  qu'ils  n'en  avoient  aucune  connoiffance ,  &  qu'ils  étoient 
prêts ,  s'il  écoit  néceffaire ,  de  monter  à  cheval,  Ôc  de  s'oppofer 
de  toutes  leurs  forces  aux  entreprifes  des  étrangers  j  mais  que 
dans  la  fituation  prefente  des  affaires  il  ne  leur  fembloit  pas 
qu'il  fut  à  propos  d'attaquer  les  fujets  du  Roi  de  France  :  Que 
puifqu'on  cherchoit  aies  calomnier,  comme  s'ils  avoient  porté 
le  peuple  à  faire  des  affemblées ,  ils  ne  refufoient  pas  de  fe  jus- 
tifier de  cette  calomnie ,  ôc  du  crime  de  rébellion  qu'on  leuc 
imputoit  faulTement  :  Que  quoiqu'ils  euffent  pour  la  plupart 
embralTé  la  do£lrine  Proteftante ,  la  diverfité  de  Religion  ne 
les  empêcheroit  jamais  d'avoir  pour  le  Roi  la  fidélité  ôc  l'obéïf^ 
fance  qu'on  lui  devoit  :  Qu'ils  ne  fe  défioient  point  de  la  clé- 
mence de  fa  Majefté  y  mais  que  leur  confcience  ne  leur  re- 
prochant aucun  crime ,  ils  ne  croyoient  pas  avoir  befoin  de 
cet  oubli  du  paflé,  que  la  Gouvernante  leur  faifoit  efperer  > 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  223' 
qu'ei\  un  mot  ils  n  avoient  rien  fait  qui  eût  befoin  de  pardon 
Gu  de  grâce. 

Les  Confcdérez  ajoutèrent  à  ces  réponfes  des  plaintes ,  de 
ce  qu'on  fe  dcchaînoit  contr'eux  dans  les  converfations ,  com- 
me contre  des  gens  atteints  ôc  convaincus  du  crime  de  leze 
majeftéjqueles  Chevaliers  de  la Toifon  d'or,  les  Grands  ,Ôc  au- 
tres évitoient  leur  compagnie.  Ils  parloienr  du  bruit  qu'on  avoir 
répandu, que  le  Roi  viendroit  au  premier  jour ,  &  qu'il  les  feroit 
punir ,  qu'il  avoit  déjà  demandé  le  paffage  par  la  France ,  que 
le  duc  de  Savoye  lui  avoit  pour  cela  offert  fes  bons  offices  ^ 
Ôc  que  le  Clergé  devoir  donner  au  Roi  beaucoup  d'argent ,  pour 
les  frais  de  la  guerre.  Ils  avoùoient,  quepuifqu'on  ne  vouloit 
pas  pourvoir  à  leur  fureté  ,  ils  avoient  eu  la  précaution  ,  pour 
leur  propre  défenfe ,  de  fe  faire  des  amis  en  Allemagne  ,  dont 
ils  employeroient  les  fecours  ,  s'ils  en  avoient  befoin  5  mais 
qu'ils  n'avoient  abfolument  fait  aucune  démarche  du  côté  des 
François ,  ôc  n'avoient  pris  avec  eux  aucunes  mefures.  Enfin  ils 
demandoient  que  la  Gouvernante  leur  donnât  toutes  les  fure- 
tez neceffaires  :  déclarant  néanmoins  qu'ils  feroient  contens ,  Ci 
Son  Alteffe  faifoit  entrer  dans  fes  Confeils  le  prince  d'Oran- 
ge ,  le  comte  d'Egmond  ôc  le  comte  de  Horne ,  trois'Seigneurs 
fi  diftinguez  par  leur  mérite  ôc  leur  fidélité  ;  ôc  fi  elle  vouloit 
bien  ne  rien  ordonner  dans  cette  grande  affaire  :,  fans  les  avoir 
appeliez. 

Ils  lui  préfentérent  fur  cela  une  requête  drellée  depuis  peu 
à  S.  TronS  dans  le  payis  des  anciens  Centrons  S  par  laquelle 
ils  promettoient  de  mettre  bas  les  armes  ,  ôc  d'obéïr  à  toutes 
les  délibérations  des  Etats  généraux  de  la  Flandre  ;  mais  à  con- 
dition que  la  Gouvernante  obligeroit  la  Nobleffe  à  pourvoir  à 
leur  fureté  ,  en  cas  que  des  efprits  brouillons  fifTent  quelqu'en- 
treprife  contr'eux.  Ils  demandoient  outre  cela ,  qu'elle  établît' 
dans  chaque  Province  quelques  perfonnes  du  nombre  des  Con- 
fédérez,  pour  examiner  ce  qui  fe  feroit  dans  cette  affaire,  ôc 
veiller  à  leurs  intérêts.  Ils  finiifoient ,  en  avertiffant  la  ducheffe 
de  Parme  ,  que  fi  on  n'appaifoit  de  bonne  heure  les  troubles 
déjà  excitez ,  il  pourroit  bien  arriver  que  les  François ,  ennemis 

ï  S.  Tron ,  ville  8c  Abbaye  du  payis    j    Commentaires ,  qui  habitoicnt  ce  can- 
de  Liège.  i    ton  du  payis  de  Liège. 

^Peuples  dont  parle  Cefar  dans  fes    J 


>i24  HISTOIRE 

^^^^^^^^^^^^^^^^^^  perpétuels  des  Flamans  ,  profireroientde  ces  diflentlons  intefti-« 
~  nés,  pour  entrer  dans  les  Payis-bas. 

^T^v  ^  ^       Cette  réponfe  des  Confcdérez  nuifit  beaucoup  aux  comtes 
de  Home  &  d'Egmondjcar  en  déclarant  qu'ils  fe  fioient  àLur 
■^  ^      ^*     équité,  ils  rendirent  leur  fidélité  fufpecle  au  roi  dEfpagne,  6c 
à  fes  créatures  :  auiîi  les  plus  fages  ont  jugé  que  c'eft  ce  qui 
hâta  leur  perte.    Ce  qu'ils  avoient  ajouté  dans  leur  dernier  mé- 
moire, touchant  le  roi  de  France,  caufa  de  la  crainte  ôc  de  l'in- 
quiétude à  la  Gouvernante  :  de  forte  qu'elle  chercha  les  moyens 
de  donner  quelque  fatisfadion  aux  Confédérez  ,  en  attendant 
Licence  &   qu'elle  eiàt  reçu  du  Roi  une  réponfe  plus  claire.   Mais  fur  cqs 
profanauoii     entrefaites  elle  reçût  des  nouvelles  de  tous  \qs  cotez  ,  que  \qs 
tans.         "     peuples  en  furie  avoient  pillé  les  Temples  ,  renverfé  les  Au- 
tels ,  &  brifé  les  Images.   Car  après  que  le  comte  d'Egmond, 
gouverneur  de  la  Flandre,  fût  forti  de  cette  Province,  &  que 
la  ducheffe  de  Parme  l'eût  fait  venir  à  Bruxelles ,  le  peuple  com- 
mença à  faire  grand  bruit  ;  ôc,  comme  il  arrive  ordinairement, 
les  fcelerats  &  les  débauchez,  avec  les  filles  de  mauvaife  vie  , 
fe  mirent  de  la  partie.    Le  défordre  commença  aux  environs 
d'Ypres  dans  le  mois  d'Août;  &  il  s'étendit  avec  tant  de  rapidité 
&  de  confufion  dans  les  autres  villes  ôc  bourgs,  que  les  Egli- 
£es  &  les  Chapelles  fe  trouvèrent  pillées  ,  les  Autels  renveriez, 
&  les  Images  brifées ,  fans  qu'on  pût  fçavoir  par  qui  le  mal  avoit 
commencé. 

On  fit  la  même  cliofe  à  Bailleul  en  Hainaut  :  comme  le  mal 
gagnoit,  6c  fe  répandoit  de  toutes  parts,  quelques-uns  voulu- 
rent en  faire  autant  à  Bruges  ;  mais  le  Penfionnaire  Dogme  fit 
fermer  les  portes ,  ôc  les  empêcha.  Dans  la  Gueldre ,  dont  le 
comte  de  Megen  étoit  Gouverneur  >  la  veille  mêmedel'Af- 
fomption  de  la  Sainte  Vierge ,  les  Principaux  de  Nimégue,  of- 
fenfez  de  la  hardieffe  d'un  certain  Louis,  Moine  défroqué,  qui 
avoit  embraffé  la  Dodrine  de  Calvin  ,  &  qui  avoit  fait  quel- 
ques Prêches  dans  la  ville  au  cimetière  des  Juifs ,  s'aflemblerent 
au  Couvent  de  S.  Jean  ,  pour  délibérer  s'ils  le  chafl'eroienr  de 
la  ville  j  mais  le  plus  grand  nombre  s'y  étant  oppofé,  onfe  fépa^ 
ra  fans  rien  faire. 

La  guerre  déclarée  aux  Images  n'éclata  nulle  part  avec  tant 
de  fureur  qu'à  Anvers.  Le  lendemain  que  le  prince  d'Orange 
fut  parti  pour  Bruxelles,  où  la  Gouvernante  l'avoit  rappelle ,  il 

y 


DE   J.    A.    DE   THOU,  Lîv.  XL.        22;  ! 

y  eut  une  Procefîion  dans  laquelle  on  porta  une  grande  Ima-  .«.«,..,,«^ 

ge  de  la  Sainte  Vierge ,  avec  beaucoup  de  pompe  &  de  fo-  ^ 

lemnité  :  l'Image  fut  enfuite  remife  dans  fa  Chapelle;  6c  il  n'y        J"^  \ 

avoit  plus  alors ,  à  ce  qu'il  fembloit ,  rien  à  craindre  de  la  fu-  * 

reur  des  ennemis  des  Images.  Mais  quelques  jeunes  gens,  qui     ^  ^      * 

jouoient  à  l'entrée  de  FEglife ,  commencèrent  à  faire  des  rail-  i 

leries  fur  cette  cérémonie  ;  ôc  l'un  d'entr'eux  dit,  qu'il  étoit  fur-  ! 

pris  que  cette  idole  fiit  fi-tot  rentrée  dans  fa  niche ,  comme  li 

elle  avoit  eu  peur.  En  même  tems  de  l'autre  côté  del'Eglife,  | 

qui  eft  très-grande  ,  d'autres  jeunes  faineans  commencèrent  à  ! 

contrefaire  les  Prédicateurs ,  ôc  à  s'en  mocquer.  Il  y  en  eut  un  ■ 

plus  âgé  que  les  autres,  qui  monta  dans  la  chaire ,  ôc  fit  un  fer-  ■ 

mon  ridicule  à  fes  compagnons;  ceux-ci  lui  jettoientde  petites  ! 

pierres  ôc  de  la  poufFiere ,  ôc  lui  de  fon  côté  repouffoit  les  affail-  j 

lansavec  de  longs  bâtons  :  enfin  comme  ce  jeu  impie  s'échauf-  ^ 

foitjun  Marinier ,  fcandalifé  ôc  indigné  de  leur  infolence ,  vint 

de  l'autre  côté  de  la  chaire,  ôc  en  fit  fortir  de  force  celui  qui  y  ] 

étoit.  En  même  tems  les  autres  attaquèrent  vivement  le  Mari-  i 

nier ,  qui  eut  bien  de  la  peine  à  fe  fauver ,  après  avoir  été  blefle 

à  la  cuilfe. 

On  le  mena  au  Magiftrat ,  à  qui  il  raconta  tout  ce  qui  s' étoit  1 

paiïé.  La  garde  accourut  aufli-tôt  à  l'Eglife ,  en  fît  fortir  le  peu-  ^ 

pie  ,  ôc  ferma  les  portes  le  jour  d'après ,  qui  étoit  le  20  d'Août.  \ 

Quelques  autres  jeunes  libertins  ,  ayant  mené  avec  eux  des         •  : 

enfans  à  l'Eglife ,  à  l'heure  de  Vêpres ,  leur  firent  dire  bien  des 
chofes  injurieufes  contre  l'Image  de  la  SainteVierge.  Une  vieille  ', 

femme ,  qui  vendoit  des  bougies  à  la  porte  de  l'Eglife ,  offenfée  \ 

de  ces  difcours  ,  leur  jetta  d'abord  des  ordures ,  ôc  enfuite  les 
maltraita ,  ce  qui  caufa  du  trouble.  Jean  d'Immerfelle  Marcgra- 
ve  y  accourut  aufii-tôt  avec  des  archers,  pour  l'appaifer,  ôc  fit  ; 

fermer  les  portes  de  l'Eglife ,  à  la  refcrve  d'une.  Mais  la  crainte 
qu  il  eut  pour  lui-même,  l'ayant  fait  retirer  ,  le  peuple  qui  avoit  , 

commencé  le  jour  précédent  à  fe  battre  par  jeu ,  commença  ce  \ 

jour-là  à  fe  battre  très-ferie-ufement.  Ainfi  s'excitant  les  uns  les  i 

autres  ,  des  que  les  enfans  eurent  crié,  Privent  les  Gueux ,  com-  [ 

me  fi  ces  paroles  eufient  été  le  fignal  du  combat ,  ils  en  vin- 
rent aux  voies  de  fait  ,  ôc  continuèrent  leurs  violences  avec  1 
tant  de  fureur,  qu'avant  minuit  toutes  les  Sacrifties  furent  en- 
foncées ôc  pillées,  les  Autels  renverfez,  les  Images  brifécs  ou 
Tome  y.                                                ,              F  f 


126  HISTOIRE 

!■■.  emportées ,  &  les  portes  de  la  grande  Eglife  rompues.  Enfuite 

Charle  ^^^  Icelerats  ayant  grofÏÏ  la  troupe,  on  courut  aux  autres  Egli- 

ly^        fes,  &  on  pilla  avec  la  même  fureur  des  CoDvents  d hommes 

1X66.     ^^^  femmes ,  où  ils  portèrent  des  flambeaux  allumez ,  afin  que 

rien  ne  pût  fe  dérober  à  leurs  yeux.  Tout  fut  fait  avant  le  lever 

du  foleil  j  ôc  malgré  la  confufion  inféparable  de  la  multitude , 

il  y  eut  tant  d'ordre  &  de  concert  entr'eux ,  qu'il  n'y  eut  pas  la 

moindre  difpute  pour  le  partage  du  butin  ;  &  ce  qu'on  aura 

peine  à  croire ,  il  n'y  eut  perfonne  de  blefTé  par  les  pierres  fans 

nombre,  qui  tombèrent  pendant  qu'on  renverfoit  les  Autels, 

ôc  qu'on  brifoit  les  Images. 

Cependant  les  Magiftrats  &  les  bourgeois ,  ceux  même  qui 
étoient  attachez  aux  Proteftans ,  mais  qui  n'approuvoient  pas 
que  cela  eût  été  fait  par  une  fédition  ,  &  delà  propre  autorité 
des  particuliers  ,  furent  effrayés ,  ôc  mirent  des  gardes  dans  les 
rues  :  ôc  comme  ils  n'avoient  pu  arrêter  la  fureur  du  peuple  i  ôc 
qu'ils  voyoient  les  Eglifes  ruinées  3  ils  craignoient  avec  raifon 
que  cette  canaille  ,  animée  par  l'appas  du  butin ,  ne  paffât  du 
-  pillage  des  Eghfes  à  celui  des  maifons  particulières.  Pour  pré- 
venir ce  danger,  ils  firent  fermer  toutes  les  portes  de  la  ville, 
ôc  ils  n'en  laifferent  qu'une  ouverte.  Les  nouveaux  Iconoclaftes 
étant  fortis  le  matin  par  cette  porte ,  allèrent  d'abord  au  Mo- 
naftere  de  S.  Bernard ,  à  un  mille  ôc  demi  de  la  ville  ,  ôc  ils  le 
pillèrent  auffi  bien  que  toutes  les  Eglifes  ôc  Chapelles  voifineSa 
dont  ils  abattirent  les  Autels  ôc  les  Images.  C'eft  ce  qui  fit  de- 
puis reprocher  aux  bourgeois  d'Anvers ,  qu'ils  avoient  préfé- 
ré leur  fureté  ôc  leurs  intérêts  particuliers  à  ce  que  les  Eglifes 
avoient  de  plus  faint.  Ce  jour-là  ôc  les  deuxfuivans,  on  con- 
tinua dans  la  ville  le  pillage  des  Eglifes^  fans  que  perfonne  ofâr 
s'y  oppofer.  Enfin  comme  l'on  tâchoit  avec  des  cordes  d'en- 
traîner ôc  de  faire  tomber  le  grand  Crucifix ,  qui  étoit  bien  do- 
ré, il  tomba  fur  les  armes  d'un  Chevalier  de  la  Toifon  d'or^ 
qu'on  avoir  placées  depuis  peu  fur  les  fiéges  du  Choeur ,  ôc  les 
■  brifa.  Les  Magiftrats  ôc  la  plupart  des  habitans ,  fâchez  de  ces 
excès  ,  prirent  les  armes  ;  ôc  leur  patience  s'étant  changée 
en  une  jufte  indignation ,  ils  chargèrent  ôc  repoufferent  la  po- 
pulace ^  qui  exerçoit  ces  violences.  On  en  prit  quelques-uns , 
dont  une  partie  furent  pendus  pour  l'exemple,  ôc  les  autrçs  ban-^ 
iiis  ou  condamnez  à  d  autres  peines.. 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  XL.  227 

On  tâcha  enfuite  d'empêcher  les  Prêches ,  qu'on  n'avoit  per-  m.— ■■.■■■■^■.■« 
mis ,  que  pour  prévenir  de  plus  grands  troubles.  On  ordonna  fur  r  h  a  r  l  E 
peine  de  la  vie ,  de  cefler  la  profanation  des  Images ,  de  repré-        t  y 
fenter  tout  ce  qui  a  voit  été  pris  ôc  enlevé  ,  ôc  de  le  rapporter  /^ 

dans  vingt-quatre  heures  aux  Echevins ,  Ôc  aux  Quarteniers  de  la 
ville  :  l'Ordonnance  fut  fignifiée  auxProteftanspar  JacqueWe- 
fembeck.  On  rendit  bien  des  chofes,  qui  furent  portées  à  la  mai- 
fon  de  Ville.  Les  corps  des  métiers,  ôc  les  autres  bourgeois  > 
firent  en  cette  occafion  tous  leurs  efforts  ,  pour  retirer  par  ca- 
refles  des  mains  de  la  populace  ^  ôc  fauver  les  excellens  tableaux  ' 

qu'ils  avoient  enlevez.  Les  Proteftans  ,  qui  voyoient  bien  que 
cette  fédition  les  rendroit  odieux  ,  allèrent  d'abord  trouver  le 
Bourgmeftre  Jacque  Heiden  5  puis  ils  publièrent  le  25  d'Août 
im  écrit,  pour  fe  juftifier,  dans  lequel  ils  déclaroient  que  c'étoit 
à  leur  infçù ,  Ôc  malgré  eux,  qu^on  avoir  fait  la  guerre  aux  Lia- 
ges 5  que  quoi  qu'ils  en  euffent  toujours  fouhaité  l'abolition  , 
parce  qu'il  étoit  de  la  gloire  de  Dieu  d'abolir  de  pareils  abus ,  ôc 
de  ne  pas  fouffrir  de  femblables  fuperftitions ,  ils  défaprouvoient 
néanmoins  ce  qui  avoir  été  fait  fans  la  participation  Ôc  l'auto- 
rité du  Magiftrat  5  qu'ils  déteftoient  le  vol ,  le  pillage,  ôc  toutes 
fortes  de  violences  5  ôc  qu'ils  feroient  ordonner  aux  gens  de  leur 
Religion  par  leurs  Payeurs  ,  de  rendre  tout  ce  qu'ils  avoient 
pris  ,  ôc  de  le  remettre  entre  les  mains  des  Magiftrats  j  que  c'é- 
toit Dieu  lui  même ,  qui  avoit  établi  le  Magiftrat ,  qu'ils  fça- 
voient  bien  que  ,  fuivant  le  commandement  de  Dieu ,  il  falloit 
lui  obéïr,  ôc  payer  le  tribut;  ôc  qu'ils  étoient  prêts ,  fi  on  le  leur 
ordonnoit,  derenouveller  leur  ferment  de  fidélité  ôc  d'obéiÏÏan- 
ce.  Enfuite  ils  demandoient  un  lieu  pour  s'affembler,  ôc  ils 
prioient  qu'on  les  excufât ,  fi  en  attendant  ils  fe  fervoient  de 
quelques  Eglifes ,  pour  y  tenir  leurs  alTemblées.  Enfin  ils  fup- 
plioient  qu'on  defîendît  par  une  Ordonnance ,  de  fe  maltrai- 
ter les  uns  les  autres,  par  paroles  ou  par  adions  ,  pour  caufede 
Religion.  Le  Magiftrat  leur  accorda ,  pour  mettre  les  Eglifes 
à  couvert ,  la  permiftion  de  faire  leurs  affemblées  dans  la  Ville- 
neuve. Il  permit  aufTi  à  un  Miniftre  du  fauxbourg  du  Kiel ,  qui 
profeffoit  la  ConfefTion  d'Ausbourg  ,  de  prêcher  dans  l'égli- 
fe  de  S.  George. 

Cependant  le  Magiftrat  ne  ceftbit  d'écrire  au  prince  d'O- 
range, pour  le  prier  de  venir  à  Anvers  j  mais  foit  qu'il  aimât 

Ffi; 


22g  HISTOIRE 

_    -  mieux  que  tout  cela  fe  fît  en  fon  abfence  i  folt  qu'il  eût  deiïeirf 

P  «  A  D  T  p  de  réduire  les  bourg^eois  par  la  necelTité  de  leurs  affaires ,  il  ne 

V^  H  A  RLE  .  p  r.  .  v,      ,   ,  i  • 

I X  voulut  y  venir ,  qu  a  condition  qu  ils  s  abandonneroient  entie- 
i  r  < ^  rement  à  lui,  ôc  qu'ils  le  rendroient  maître  abfolu  de  leurs  per- 
fonnes ,  de  leurs  biens ,  ôc  du  gouvernement  de  la  ville  h  ce  qu'ils 
avoient  jufqu'alors  conftamment  rcfufc.  On  fit  donc  afTembler 
le  Confeil  de  la  ville  à  ce  fujet  i  ôc  il  fut  réfolu  que  les  bourgeois 
rendroient  obéïffance  au  prince  d'Orange ,  ôc  qu'il  gouverne- 
roit  la  ville  avec  un  plein  pouvoir ,  fous  Marguerite  ducheflfe  de 
Parme  j  qu'il  difpoferoit  des  gardes  ôc  des  gamifons  3  qu'il  fe- 
roit  des  loix  telles  qu'il  le  jugeroit  à  propos  pour  le  bien  com- 
mun ,  ôc  pour  la  tranquilité  publique  j  pourvu  que  par  là  il  ne 
donnât  aucune  atteinte  aux  privilèges  ôc  aux  anciennes  coutu- 
mes de  la  ville.  A  ces  conditions  le  prince  d'Orange  retourna 
à  Anvers  le  26  d'Août.  Les  troubles  étoient  appaifez,  ôc  la  paix 
regnoit  alors  dans  la  ville  :  mais  l'exemple  avoir  palfé  jufqu'aux 
autres  villes  ôc  bourgs. 

Des  hommes  turbulens  Ôc  féditieux  avoient  eu  la  liardieffe 
d'entreprendre  à  Malines  ce  qui  avoir  été  fait  à  Anvers  i  mais  le 
Magiftrat  les  arrêta.  A  Lire ,  le  Magiftrat  ne  pouvant  refifter  à  la 
multitude ,  promit  de  faire  ôter  des  Eglifes  les  Images^  ôc  tout  ce 
qui  pouvoir  être  un  fujet  de  fcandale.  11  exécuta  fidèlement  ce 
qu'il  avoir  promis  5  ôcil  fit  enlever  des  Eglifes  tout  ce  qui  pou- 
voit  exciter  au  pillage  les  chefs  des  nouveaux  Iconoclaftes.  La 
populace  fit  librement  tout  ce  qu'elle  voulut  à  Breda,  à  Berg-op- 
Zom  y  ôc  à  Bofleduc  en  Brabant  5  à  G  and,  à  Ypres  y  à  Tenermon- 
de  y  à  Aloft,  à  Oudenarde ,  à  Tournay  ,  ôc  à  Valenciennes  en 
Flandre.  On  fit  la  même  chofe  à  Mae^richt,  à  Dordrecht ,  à 
Amfterdam ,  à  Delft ,  à  la  Haye  ,  à  Harlem  3  à  la  Brille,  ôc  à  Ley- 
den  :  dans  les  Ifles  de  la  Zelande,  à  Camp-veer ,  ôc  à  Fleiïingue  : 
dans  laFrife ,  à  Groningue ,  à  Leuvardin  ,  ôc  en  plufieurs  autres 
lieux  de  la  Province  j  à  Campen ,  à  S^cot,  ôc  à  Deventer ,  villes 
du  payis  d'Over-Iffel  j  à  Arnheim  3  à  Venlo ,  à  Harder^ich,  à 
Ruremonde,  ôc  à  Nimégue ,  dans  la  Gueldre.  A  Middeibourg  , 
la  populace  ayant  été  long-tems  arrêtée  par  le  Confeil ,  ôc  par 
la  compagnie  des  Archers  3  fut  enfin  la  plus  forte  j  ôc  ne  fe  con- 
tentant pas  d'avoir  renverfé  les  Autels ,  ôc  brifé  les  Images  ,  elle 
contraignit  le  Magiftrat  ôc  l'Evêqne ,  à  lui  remettre  entre  les 
mains  ceux  qu'on  avoit  emprifonnez  pour  oaufe  de  Religion. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XL.         22^ 

Vingt-deux  furent  élargis  j  ôc  afin  que  le  mal  ne  paffâtpas  plus  ^ ■■■■■■ 

avant ,  le  Magiftrat  permit  aux  nouveaux  Miniftres  de  tenir  leurs  C  h  a  R  l  E 
Prêches  dans  les  Eglifes.  j  -v^ 

Comme  ces  ennemis  des  Images  faifoient  des  courfes  dans  1  <-  k  <■ 
les  Payis-bas  ,  la  Gouvernante  commença  à  craindre  non-feu- 
lement pour  l'Etat ,  mais  pour  fa  propre  perfonne.  D'abord  elle 
forma  le  deffein  de  quitter  Bruxelles  ,  ôc  de  fc  retirer  à  Mons 
en  Hainaut ,  oi^i  elle  devoit  fe  faire  conduire  par  les  gouver- 
neurs des  Provinces  avec  une  bonne  efcorte.  Mais  le  préfident 
yiglius  de  Swichem  lui  ayant  donné  avis ,  que  les  habitans 
avoient  refolu  de  fermer  les  portes  de  la  ville ,  6c  de  l'empê- 
cher d'en  fortir  ,  elle  changea  de  fentiment ,  ôc  elle  confia  la 
garde  de  Bruxelles  à  Pierre  Erneft  ccmte  de  Mansfcld.  Ce 
Seigneur  convoqua  le  Confeil  de  la  ville  dans  le  Palais  j  où  fe 
trouvèrent  le  prince  d'Orange  ,  avant  qu'il  retournât  à  Anvers , 
ôc  les  comtes  d'Egmond  ôc  d'Hoochftrate.  Ils  dirent  à  ralTem- 
blée,que  la  duchefie  de  Parme  avoit  refolu  de  demeurer  dans 
la  ville  fur  leur  parole  ;  mais  à  condition  qu'ils  donneroient  de 
fi  bons  ordres,  qu'on  n'y  tiendroit  point  de  Prêches,  ôc  qu'on 
ne  toucheroit  point  aux  Eglifes.  Ils  ajoutèrent ,  que  la  Gouver- 
nante les  prioit  ôc  leur  ordonnoit  d'obéir  en  tout  au  comte  de 
Mansfeld  ',  ce  que  les  habitans  promirent  de  faire ,  ôc  ils  s'y  en- 
gagèrent par  ferment.  La  DucheiTe  fe  trouva  par-là  délivrée 
d'une  grande  peur  j  mais  peu  de  tems  après  elle  en  eut  une  bien 
plus  grande,  caufée  par  un  avis  qu'on  lui  donna  fecretement,  que 
les  fadieux  avoient  refolu  de  brifer  la  nuit  fuivante  les  Images  ^ 
de  tuer  Jean  de  Ligne  prince  de  Barbançon,  comte  d'Arem- 
berg ,  avec  le  comte  de  Barlaymont,  ôc  de  l'enlever  elle-même; 
Ce  fut  une  terreur  panique,  adroitement  répandue  par  les  amis 
des  Proteftans ,  afin  d'obliger  la  duchelfe  de  Parme  à  traiter  avec 
eux ,  ôc  à  leur  accorder  des  conditions  avantageules.  Ils  ne  fui- 
rent pas  trompez  dans  leur  ^efnerance  5  car  la  Gouvernante  ap- 
préhendant une  révolte  générale  ,  crut  qu'il  falloit  s'accommo- 
der au  tems  5  ôc  de  l'avis  des  Grands  ôc  de  fon  Confeil ,  elle 
confentit  qu'on  tînt  des  Prêches  ,  dans  les  mêmes  lieux  où  I'oîî 
en  avoit  tenu  jufqu  à  ce  jour  ,  qui  étoit  le  23  d'Août.  Mais  elle 
ne  le  permit,  qu'à  condition  qu!on mettroit  les  armes  bas  5  ôc 
que  cela  n'auroit  lieu  que  jufqu'à  ce  que  le  îloi  en  eût  autre- 
ment ordonné  j  de  l'avis  des  Etats.  Ceft  ce  qu'elle  confirma 

Ffiij 


230  HISTOIRE 

,1  par  un  écrit  figné  de  fa  main ,  qu'elle  donna  aux  Confédérez 

/^  o  ^  t>  T 17  qui  traitoient  de  la  paix. 

TV  Le  prince  d  Orange  ,  les  comtes  d  hgmond ,  de  Horne ,  de 

1^66      Montmorenci  d'Achicourt,  ôc  d'AfTonville,  avoient  eu  ordre 
Traité  entre  de  traiter  avec  les  Confédérezj  ôc  les  Confédérez  de  leur  coté 

laGouvcrnan-  avoicnt  nommé  pour  traiter  avec  eux  ,  Louis  de  NafTaw ,  Euf- 

fédérée.  °"'  tache  de  Fiennes ,  George  de  Montigni  de  Noyelles, de  Môn- 
tigni  de  Villers  ,  ôc  plulieurs  autres.  Enfin  après  plufieurs  con- 
férences, on  étoit  convenu  que  la  duchefle  de  Parme  feroit  une 
cfpéce  de  traité  avec  les  Confédérez,  par  un  écrit  figné  de  fa 
main  ,  qu'elle  feroit  publier.  Il  fut  en  effet  publié  le  23  d'Août. 
Par  cet  écrit  3  la  Gouvernante  déclaroit  que  jufqu'à  ce  qu'elle 
eût  reçu  du  Roi  une  réponfe  plus  certaine  ,  elle  confentoit 
que  i'Inquifition  ,  dont  on  s'étoit  plaint ,  ceflat ,  ôc  qu'on  fît 
une  nouvelle  Ordonnance  :  mais  que  le  Roi  n'avoit  pas  encore 
déterminé  fi  cette  grâce  feroit  pour  tous  les  Etats  de  la  Flan- 
dre. Puis ,  afin  d'ôter  tout  lieu  de  foupçon  Ôc  de  défiance  à 
ceux  qui  craignoient  que  l'affaire  n'eût  été  rapportée  au  Roi  de 
mauvaifc  foi ,  la  Gouvernante  promettoit  au  nom  de  S.  M.  l'ou- 
bli de  tout  le  pafifé  ^  ôc  proteftoit  qu'elle  étoit  prête  de  leur  en 
donner  des  affurances  publiques  ôc  autentiques  ,  en  telle  for- 
me qu'ils  voudroient,  pourvu  que  de  leur  côté  ils  s'engageafiTent 
par  ferment  à  ne  rien  entreprendre  à  l'avenir  ,  ou  par  eux-mê- 
mes 3  ou  par  d'autres  ,  contre  l'autorité  du  Roi  ,  ôc  contre  la 
tranquilité  publique  j  mais  au  contraire  à  faire  tous  leurs  efforts 
pour  ramener  chacun  à  fon  devoir  i  pour  appaifer  les  troubles 
ôc  les  féditions  5  pour  réprimer  les  fadieux  j  pour  empêcher  le 
pillage  ôc  la  profanation  des  Eglifes ,  des  Couvents ,  ôc  des  lieux 
Saints  5  ôc  pour  faire  punir  ,  fuivant  toute  la  rigueur  des  loix , 
ceux  qui  avoient  confeillé  ou  commis  ces  facrileges ,  ces  vio- 
lences y  ÔC  ces  crimes  déteftables.  On  éxigeoit  encore  des  Con- 
fédérez ,  dans  cet  écrit  de  la  Duchefle  ,  qu'ils  prilfent  garde 
qu'on  ne  fit  aucune  injure  ôc  aucune  violence  au  Clergé  ,  aux 
Miniftres  de  la  Juftice ,  à  la  Nobleflfe ,  ni  à  aucun  des  fujets 
de  Sa  Majefté  Catholique  î  qu'on  ne  tînt  des  Affemblées  dans 
les  lieux  où  il  n'y  en  avoit  point  encore  eu  î  ôc  qu'on  ne  vînt 
en  armes  à  celles  qu'il  étoit  permis  de  tenir  5  qu'ils  filfent 
chaflfer  des  Payis-bas  tous  les  étrangers,  qui  avoient  pris  part  à  ces 
troubles  5  enfin  qu'ils  employafifent  tout  le  crédit  ôc  le  pouvoir 


DE   J.   A.   DE  THOU.Liv.  XL.        231 

qu'iFs  avoient  fur  le  peuple ,  pour  l'engager  à  mettre  bas  les  __     

armes,  ôc  à  promettre  une  foûmiiTion  entière,  ôc  une  parfaite  Cî-TarTe 
obéïflance  aux  délibérations  &  aux  ordonnances ,  qui  fe  fcroient        y  y 
par  le  Roi  ôc  par  les  Etats  généraux  de  Flandre ,  touchant  la     1  ^  <]< 
Religion  &  la  Police  ,  pour  établir,  conferver  ôc  maintenir  la 
tranquilité  publique. 

On  drerfa  deux  jours  après  un  a6i:e  d'aflTurance  ôc  de  garan-  suites  de 
tic ,  par  lequel  la  Gouvernante  donnoit  fa  parole  ,  ôc  promet-  ce  Traité, 
toit  avec  ferment  ,  que  le  Roi  ôc  elle  n'imputeroient  jamais  à 
la  Noblelfe  confédérée,  ni  leur  réquête,  ni  leur  confédération^ 
ni  rien  de  tout  ce  qu'ils  avoient  pu  faire  ou  dire  jufqu'à  ce  jour,, 
déclarant  que  telle  étoit  fa  volonté  ôc  celle  du  Roi  i  ôc  ordon- 
nant aux  Gouverneurs  ,  aux  Chevaliers  de  la  Toifon  d'or  ,  au 
Préfident  du  Confeil  d'Etat, au  Confeil  Privé,  ôc  àtous  les  Chefs 
de  Juftice^  de  tenir  la  main  à  l'exécution  de  la  parole  ôc  des  af- 
furances  données  aux  Confédérezj  ôc  de  les  faire  jouir  de  toute 
la  fureté  qui  leur  étoit  promife ,  fans  y  apporter,  ou  fouifrir  qu'on 
y  apportât  aucun  obftacle.  Le  même  jour  les  Confédérez  ayant 
reçu  récrit  de  la  Gouvernante  j  s'obligèrent  encore  par  écrit 
d'obferver  de  bonne  foi  les  conditions  qu'elle  leur  avoir  pref- 
erites.  Enfuite  la  Duchelfe  écrivit  à  toutes  les  Provinces ,  Ôc  h^ 
tous  les  Juges  ,  pour  leur  notifier  que  le  Roi  vouloir  ôc  entcn- 
doit  :  Que  l'ancienne  ôc  véritable  Religion  Catholique  fût  main- 
tenue :  Que  les  Gouverneurs  ôc  Magiftrats  prifTent  garde  que- 
l'Etat  ne  reçut  aucun  préjudice ,  en  attendant  que  le  Roi  vint 
lui-même ,  ôc  ordonnât  en  perfonne  de  toutes  chofes  :  Que  ce- 
pendant on  appaifât  les  troubles  ,  ôc  qu'on  réprimât  les  fédi- 
tieux.  En  même  tems  on  permit  par  tout  de  tenir  des  Prêches , 
dans  les  lieux  ou  l'on  en  tenoiî  publiquement  îe  25*  d'Août,  ôc 
auparavant.  L'on  pourvut  aulTi  d'un  com.mun  confentement  à  la 
fureté  de  tous  en  général ,  ôc  de  chacun  en  particulier,  quoi  que' 
de  Religion  différente  ;  mais  on  ajouta  cette  claufe  :  Jufqu'à  ce. 
qu'il  en  eût  été  autrement  ordonné  par  le  Roi,  par  fon  Confeil  ^ 
ou  par  les  Etats  généraux  de  la  Flandre. 

Les  affaires  de  la  Religion  paroiffant  accommodées  dans  les- 
Payis-ba3,le3  Proteftans,  qui  ne  craignoient  rien  de  la  part  des 
Catholiques ,  commencèrent  aulfi-rot  à  s'y  faire  la  guerre  les 
uns  autres.  Ceux  de  la  Confeffiond'Ausbourg  avoient  fait  venir 


Z' 


1  "^  "? 


HISTOIRE 


mmammm^mk  Mathias  Fkcius  IllyricLis',  auteur  des  Centuries  Eccléfiafli- 
Charle  quesj  Dominique  Spangenberg  ,  Jean  Vorftius  ,  Louis  Hamel- 
JX,        man  ^  &  d'autres.  Il  en  étoit  aufli  venu  plufieurs  ,  qu'on  avoit 
1^66.     niandez  de  Genève  ôc  d'Angleterre ,  qui  fuivoient  la  ConfefTion 
de  foi  de  Suiffc.  Après  quelques  difputes,  ceux  de  la  ConfefTion 
de  Suiffe  l'emportèrent  fur  ceux  de  la  ConfefTion  d'Ausbourg, 
parle  crédit  &  l'entremife  de  Marc  Ferez,  Commiiîionnaire  Ef- 
pagnol ,  très  riche ,  qui  les  favorifoit.  Cependant  le  prince  d'O- 
range permit  l'exercice  de  Tune  ôc  de  l'autre  Religion  dans  la  vil- 
le d'Anvers.  Les  nobles  Confcdérez  ayant  obtenu  ce  qu'ils  de- 
niandoient,  partirent  de  Bruxelles  ^ôc  s'en  allèrent  chez  eux: 
la  Gouvernante  congédia  aufTi  les  Gouverneurs ,  qui  s'en  re- 
tournèrent chacun  dans  leur  Province  ,  pour  y  exécuter  fes  oi?- 
dres. 

Le  comte  d'Egmond  fe  rendit  dans  la  province  de  Flan- 
dre ,  qu'il  gouverna  avec  beaucoup  de  fagelTe  &  d'équité  ;  il  y 
permit  les  Prêches,  comme  il  étoit  porté  dans  l'Edit  de  la  du- 
chefTe  de  Parme  :  mais  il  diminua  peu  à  peu  le  nombre  des  lieux 
Gii  Ton  en  tenoit ,  ôc  il  lit  punir  promptemcnt  les  Iconoclaftes» 
Les  Confédérez  ne  le  trouvèrent  pas  mauvais  >  parce  qu'ils 
vouloient  fe  décharger  de  la  haine  ôc  du  blâme  ,  que  ces  vio- 
lences leur  avoient  attiré.  Jean  Cafembroot,  un  des  Confédé- 
rez ,  ayant  rencontré  quelques-uns  de  ces  fa£lieux  en  fon  che- 
min ,  auprès  de  Grammont  en  Flandre ,  les  défit ,  ôc  il  en  prit 
trente ,  dont  il  en  fit  pendre  vingt  fur  le  champ.  Le  comte  d'A- 
remberg  alla  dans  rOver-IffeL  dont  il  étoit  Gouverneur.  Il  y 
trouva  de  grands  troubles,  ôc  tout  en  défordre  ôc  en  confufion  , 
au  fujct  de  la  Religion  5  mais  il  s'y  conduifit  avec  tant  de  fa- 
geffe ,  qu'en  très  peu  de  tems  il  rendit  cette  Province  la  plus 
tranquille  des  Payis-bas  ,  quoique  le  voifmage  d'Allemagne 
la  rendît  ordinairement  la  Province  la  plus  agitée  Ôc  la  plus  fu- 
jette  aux  troubles. 

Le  prince  d'Orange  revenu  à  Anvers,  aux  conditions  que 
nous  avons  rapportées,  enjoignit  aux  Proteftans  dechoifir  qua- 
tre hommes  de  chaque  langue  ,  avec  lefquels  il  pût  conférer. 


I  Mathias  Trancowits  ou  Franco wirs, 
rf'lllyrie  eu  Efclavonie ,  un  des  auteurs 
ds  rhiftoire  Eccléliaftique  faite  pat  les 


Proteflans,  connue  fous  le  nom  de  Cen- 
turi  s  de  Magdcbourg.  Il  en  a  e'te' parlé 
dans  les  livres  precedens. 

On 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Liv.  XL;  25^ 

On  choifit ,  pour  les  Allemands ,  Marc  Perez^  quoi  qu'il  fût  Ef- 
pagnol  5  Charle  de  Bombergues ,  Herman  de  Meére  ,  ôc  Cor-  /^  g 

neille  de  Bombergues  :  pour  les  Flamans,  François  ou  Walons  ',  jy- 
François  Godin ,  Nicolas  du  Vivier ,  Jean  du  Carlier ,  Ôc  Nico-  ,  ^  5  '<^ 
las  Selin:  pour  ceux  de  la  ConfefiTion  d'Ausbourg  ,  Gille  de 
Grève  ,  Henri  de  Broecke  ,  Giile  de  Branderien  ,  ôc  Thomas 
de  Gheere.  Le  prince  d'Orange  convint  avec  eux ,  qu'il  leur 
feroit  permis  de  tenir  des  Prêches  en  certains  lieux  ,  mais  fans 
port  d'armes  ;  ôc  pour  les  maintenir  dans  la  liberté  qu'on  leur 
avoir  accordée  fur  tout  le  refte  ,  il  leur  permit,  parce  que  l'hy- 
ver  approchoit ,  de  bâtir  des  Temples  ,  ou  d'autres  lieux  pro- 
pres pour  y  tenir  leurs  AfTemblées.  On  en  éleva  d'abord  deux 
magnifiques  ,  avec  une  diligence  incroyable;  chacun  y  contri- 
buant de  fon  argent  ou  de  fon  travail,  avec  une  ardeur  extraor- 
dinaire ;  l'un  des  deux ,  qui  ctoit  rond ,  échut  aux  Flamans  Fran* 
cois  ou  Walons  :  mais  toutes  ces  permiflTions  ne  dévoient  avoir 
lieu  ,  que  jufqu'à  ce  qu'il  en  fût  autrement  ordonné  parle  Roi 
ôc  par  les  Etats  généraux  de  la  Flandre. 

D'Anvers  le  prince  d'Orange  alla  en  Hollande  j  en  Zelandc 
ôc  en  Frife,  dont  il  avoit  le  gouvernement.  Il  trouva  quelques 
troubles  dans  ces  Provinces  ,  caufez  par  les  troupes  qu'Eric  de 
Brunfwic ,  d'ailleurs  fufpe£l  aux  Proteftans ,  y  levoit. 

Lorfque  le  Prince  partit  d'Anvers,  on  mit  en  fa  place  Philip- 
pe deLallain  comte  d'Hoocftrate  ,  gouverneur  de  Malines.  Se- 
condé par  les  bourgeois  ,  qui  lui  donnèrent  des  fecours ,  non- 
feulement  il  repoulTa  les  feditieux,  qui  vouloient  abattre  les  Ima- 
ges ,  qu'on  avoit  remifes  dans  la  grande  Eglife  depuis  le  pre- 
mier pillage  ,mais  il  arrêta  les  principaux  auteurs  des  troubles  ; 
ôc  pour  infpirer  de  la  crainte  aux  autres ,  il  en  fit  pendre  fix  le 
1 8  d'Odobre.  Il  fit  auffi  punir  du  dernier  fupplice  à  Aloft  un 
miniftre ,  qui  tenoit  un  Prêche  dans  un  lieu  où  il  n'étoit  pas  per- 
mis d'en  tenir.  Les  Proteftans  voyant  que  tant  de  profanations 
ôc  de  pillages  d'Eglifes ,  ôc  tant  de  féditions ,  dont  on  étoit  con- 
traint de  punir  les  auteurs ,  les  rendoient  odieux  ,  publièrent  un 
écrit ,  qu'ils  préfenterent  au  comte  d'Hoocftrate  le  27  d'Oc- 
tobre ,  où  ,  après  avoir  tâché  de  rejetter  toute  la  faute  fur  le 
Bourgmeftre ,  ôc  fur  les  Echevins,  ils  s'excufoient  fur  le  paffé  , 


T  L'auteur  appelle  les  Wallons  Galli, 


France.  Il  ruitre'timologiedeleur  nom. 


9uoi  qu'ils  ncfufTent  pas  alors  fournis  à  la       U  les  appelle  aufli  quelquefois  GaUpnes. 

Tome  f^,  G  g 


234:  HISTOIRE 

ôc  particulièrement  fur  ce  qu'ils  avoient  été  en  armes  à  leurs  aî^ 
C  H  A  R  L  E  ^^^'^^^^^^'  "  Nous  ne  l'avons  pas  fait ,  difoient-ils  ,  pour  atta- 
IX  "  cjuer  ,  mais  pour  nous  défendre  :  l'exemple  du  maflacre  de 
i  <^  66  "  VaflTi ,  arrivé  depuis  peu  en  France  j  nous  a  effrayez  j  étant  dans 
»  la  même  fituation  ,  nous  avons  appréhendé  le  même  fort  5  ôc 
«  on  ne  doit  pas  être  furprisque  nous  ayons  porté  des  armes, 
3'  pour  repouffer  la  force  par  la  force.  «  Enfuite  ils  faifoient 
voir  par  un  long  difcours  ,  que  la  Religion  s'infinue  dans  l'ef- 
prit  ôc  dans  le  cœur,  par  un  don  particulier  de  Dieu ,  ôc  non  pat 
des  commandemens  humains.  Ils  fupplioient  le  Comte  de  vou- 
loir bien  fuivre  le  fage  confeil  de  Gamaliel ,  de  peur  qu'une 
trop  grande  violence ,  &  une  exceiTive  févérité  dans  le  Alagif- 
trat ,  ne  portât  les  peuples  à  embrafler  les  opinions  impies  des 
libertins ,  ôc  de  ceux  qui  ont  de  mauvais  fentimens  fur  la  Divi- 
nité. Ce  qui  pourroit  bien  arriver ,  Ci  on  défendoit  le  culte  qu'ils 
avoient  embrailé,  ôc  qu'ils  jugeoient  le  meilleur  ,  ôc  qu'on  leur 
impofàt  la  neceffité  de  faire  profelTion  de  celui  dont  ils  avoient 
horreur.  Ils  déclaroient,  qu'ils  admettoient  tous  les  ardcles  fon- 
damentaux^ renfermez  dans  le  Symbole,  ôc  dans  les  quatre  Con- 
ciles œcuméniques  5  ôc  qu'ils  ne  refufoient  pas  defe  foùmettre 
fmcérement  à  la  Confelîion  de  foi  reçue  en  Allemagne  ,  en 
France  ôc  en  Angleterre.  Ils  demandoient  inftamment  qu'on 
leur  accordât  la  même  liberté,  proteftant  du  refte  qu'ils  étoient 
prêts  de  renouveller  leur  ferment  de  fidélité,  Ôc  de  s'engager  de 
nouveau  a  payer  éxadement  les  impôts  ôc  les  tributs.  Ils  of- 
froient  pour  obtenir  cette  grâce  300000  florins,  qu'ils  payeroient 
à  certains  termes ,  pour  aider  Sa  Majeflé  Catholique  à  retirer 
fes  domaines  dans  les  Payis-bas ,  qui  avoient  été  engagez. 

Ils  remontroient  qu'une  pareille  conduite  ne  manquoit  pas 
d'exemples  ,  que  les  Empereurs  chrétiens  avoient  autrefois  ac- 
cordé la  même  grâce  aux  Ariens  ôc  aux  Novatiens  j  que  le  Pa- 
pe lui-même  foufre  ,  ôc  nourrit  prefque  dans  fonfein  les  Juifs, 
ennemis  déclarez  du  nom  Chrétien  5  que  l'Empereur  Charle 
d'heureufe  mémoire ,  père  du  Roi ,  avoir  accordé  la  même  cho- 
fe  aux  Allemands  5  qu'enfin  les  François  leurs  voifins  jbûifToient 
de  la  même  liberté  par  la  bonté  de  leur  Roi  ;  qu'il  n'y  avoir  pas 
lieu  de  craindre ,  qu'ils  fifient  quelques  entreprifes  contre  l'auto- 
rité Royale  dans  des  affemblces  de  Religion ,  où  il  ne  fe  tra- 
moit  point  d'intrigues  fecretes,  où  tout  fe  faifoit publiquement , 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L I  V.  XL,  i^^ 

Se  où  les  Magiftrats  ^  ôc  tous  ceux  qui  le  fouhaiteroient,  pour-  »^ 

roient  aiïifter.  ^  .     ^  Charle 

Le  comte  d'Hoocftrate  envoya  ce  mémoire  à  la  Gouvernan-       j  x. 
tej-ôc  lui  manda  qu'il  auguroit  très  mal  des  affaires  desPayis-     i  ^  c  6, 
bas  ,  fi  le  Roi  touché  des  prières  de  Son  Altefle>  ne  moderoit 
pas  la  rigueur  de  fes  Ordonnances  ,  ôc  ne  donnoit  pas  quelque 
latisfadion  à  fes  peuples. 

Sur  ces  entrefaites  ,  la  DuchefTe  avoir  reçu  quantité  de  let- 
tres d'Efpagne  ,  qui  lui  apprenoient  que  le  Roi  étoit  fort  irrité 
des  troubles  qui  s'étoient  élevez ,  de  la  profanation  ôc  du  pilla- 
ge des  Eglifes  5  qu'il  ne  vouloir  point  d'autre  Religion  dans 
les  Payis-bas ,  que  la  Catholique  Romaine  >  qu'il  avoir  deffein 
d'extirper  toutes  les  femences  de  rébellion  ,  que  les  Se6laires 
avoientjcttées  j  qu'il  avoitrefolu  pour  cela  d'employer  une  puif- 
fante  armée ,  ôc  de  tourner  de  ce  côté-là  toutes  Tes  forces ,  parce 
que  l'exemple  des  Payis-bas  pourroit  entraîner  les  autres  Pro- 
vinces de  fon  obéiflance.  Philippe  ne  laiffoit  pas  cependant  de 
flater  l'efperance  des  Grands  par  des  lettres  ambiguës  j  il  en 
avoir  entr'autres  écrit  quelques-unes  de  fa  main  au  prince  d'O- 
range ,  datées  de  Segovie  ,  pleines  d'affurances  de  bienveil- 
lance ôc  d'affedion  ,  ôc  qui  furent  depuis  publiées.  Ces  lettres 
furent  caufe  que  la  plus  grande  partie  de  la  Nobleffe  fe  fepara 
peu  à  peu  des  Confédérez  ,  ôc  aima  mieux  fe  confier  à  la  clé- 
mence du  Roi  j  que  d'en  venir  aux  dernières  extrémitez.  La 
Gouvernante  voyant  que  cette  féparation  avoit  affoibli  le  parti 
des  Confédérez,  leva  des  troupes,  fous  prétexte  de  punir  ceux 
qui  abattoient  les  Images ,  donna  peu  à  peu  atteinte  à  la  Hberté 
de  tenir  les  ailemblées ,  forma  des  difficukez  fur  les  Heux  où  \ 

l'on  pouvoir  en  tenir ,  fit  informer  contre  quelques  Miniftres , 
comme  s'ils  euflcnt  porté  les  peuples  à  la  fédition ,  en  fit  punir 
quelques-uns ,  interpréta  en  différentes  façons  les  lettres  d'aiïii' 
rance,  qu'on  avoit  données  aux  Confédérez ,  ôc  commença  en- 
fin à  dire  ouvertement ,  qu'il  y  avoit  bien  des  chofes  qu'elle  n'a- 
voit  accordées  que  par  force. 

D'un  autre  côté,  le  prince  d'Orange ,  les  comtes  d'Egmond, 
de  Home  ,  d'Hoocflrate  ,  ôc  Louis  de  Naffau ,  s'affemblerent 
le  j  d'Odobre  à  Tenermonde  i  ôc  ayant  produit  les  lettres  du 
baron  de  Montigni  ôc  du  comte  de  Bergh ,  qu'on  retenoit  en- 
core en  Efpagne ,  par  lefquelles  ils  mandoient  que  le  Roi  étoit 

Ggij 


23<^  HISTOIRE 

fort  irrité  des  troubles  des  Payis-bas ,  ils.confulterent  enfem* 
ChaPvLE  ^^^  furcequ'ily  avoit  à  faire.  Le  prince  d'Orange  montra auiTî 
IX.        ^^^  lettres  de  François  d'Alava  ambaffadcur  de  Philippe  auprès 
i  r  ^^      du  roi  de  France  ,  qu'il  avoit  interceptées  5  par  lefquelles  le  Mi- 
niftre  avertiflbit  la  Gouvernante  de  donner  au  dehors  bien  des 
marques  d'amitié  au  prince  d'Orange,  ôc  aux  comtes  d'Egmond 
&  de  Horne ,  qu'il  difoit  être  les  auteurs  ôc  les  promoteurs  de 
tous  les  maux  de  la  Frandre.  Il  alTuroit  que  le  Roi  Catholique 
en  ufoit  de  la  même  façon  à  l'égard  de  Montigni,  de  Bergh  ôc 
de  Renard  ,  qui  étoient  en  Efpagne  ,  jufqu'à  ce  qu'ayant  fait 
tous  les  préparatifs  néceflaires ,  il  pût  faire  connoître  fes  véri- 
tables fentimens ,  ôc  prendre  fon  tems  pour  les  punir. 

Après  la  le£ture  de  ces  lettres ,  le  prince  d'Orange ,  homme 
prudent  ôc  prévoyant ,  prella  les  aflbciez  de  prendre  tous  en- 
femble  de  juftes  mefures  pour  aller  de  bonne  heure  au-devant 
du  danger  :  il  leur  dit  qu'il  connoifToit  parfaitement  le  génie  des 
Efpagnols ,  qui  aimoient  mieux  les  révoltes  ôc  les  féditions,  que 
l'obéilTance ,  ôc  la  tranquilité  publique  ;  parce  qu'ils  en  pren- 
droient  occafion  de  faire  la  guerre ,  ôc  d'abandonner  les  Payis- 
bas  à  la  licence  ôc  au  pillage  du  foldat  :  qu'ils  ne  manqueroient 
pas  de  perfuader  au  Roi  de  fubjuguer  des  Provinces  ,  liéres  de 
leurs  privilèges  ôc  de  leurs  immunitez ,  qui  ne  cefleroient  ja- 
mais d'être  en  mouvement ,  tant  qu'on  les  en  laiileroit  jouir  : 
qu'ils  avoient  donc  befoin  de  fe  tenir  parfaitement  unis  ,  pour 
prévenir  les  maux  dont  ils  étoient  menacez.  Le  comte  d'Eg- 
mond ,  qui  comptoit  trop  fur  les  fervices  qu'il  avoit  rendus  à 
i'Efpagne ,  ôc  qui  fe  flattoit  mal-à-propos  d'être  trop  bien  au- 
près du  Roi ,  pour  avoir  rien  à  craindre  ,  fut  d'un  fentiment  con- 
traire à  celui  du  prince  d'Orange.  Ainfi  on  ne  put  rien  con- 
clure alorf',  ôc  l'affaire  fut  remife  à  un  autre  tems. 

Cependant  la  Gouvernante ,  dont  les  troupes  nouvellement 
affemblées  avoient  relevé  le  courage ,  manda  aux  habitans  de  Va- 
lenciennes  de  recevoir  dans  leur  ville  en  garnifon  les  foldats 
de  Philippe  de  Sainte  Aldegonde  baron  de  Norkermes  ,  qui 
commandoit  dans  la  Province  ,  en  l'abfence  du  marquis  de 
Bergh.  Le  prétexte  dont  on  fe  fervit  pour  les  y  engager  ,  fut 
que  les  Proteftans  étoient  les  plus  forts  dans  cette  ville ,  ôc  qu'il 
y  avoit  lieu  de  craindre  que  la  proximité  de  la  France  n'enga- 
geât ceux  de  cette  Nation,  qui  profefToient  la  même  Religion; 


T>E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  257 

à  s'yglifTer,  à  s'emparer  d'une  ville  ,  qui  après  Mons  étoit  la 
plus  confidérablejla  plus  grande,  la  plus  peuplée,  la  plus  avan-  T^T 
tageufement  fituée ,  &  la  mieux  fortifiée  de  tout  le  Hainaut.        t  y 
Mais  comme  les  habitans  alléguèrent  leurs  privilèges  pours'ex-  /^ 

cufer  de  recevoir  aucune  garnifon,  Norkermes  vint  à  Valen- 
ciennes  le  20  d'0£lobre,  ôcil  leur  promit  qu'onles  exempteroit 
de  garnifon,  pourvu  qu'ils  tinllent  leurs  aiTemblées  hors  la  vil- 
le. Ils  acceptèrent  la  propoiition  ,  mais  à  condition  que  le  Ba- 
ron viendroit  en  perfonne  à  Valenciennes  >  qu'il  ratifieroit  cet- 
te convention ,  ôc  qu'il  défigneroit  un  lieu  pour  tenir  leurs  af- 
femblées. 

Un  mois  après  il  y  vint ,  mais  fans  avoir  auparavant  convo- 
qué le  Confeil.  Ainfi  les  bourgeois  ne  s'étant  pas  rendus  affez 
tôt ,  il  en  prit  occafion  de  changer  de  fentimenti  il  forrit  en  colc- 
le  de  la  ville ,  &  il  la  menaça,  auflî  bien  que  S.  Amand ,  de  beau- 
coup de  maux.  La  GouvernantcauflTi  indignée  contre  les  habitans 
de  Valenciennes  que  le  Baron,  leur  fit  un  fécond  commande- 
ment de  recevoir  garnifon.  Ils  perfifterent  dans  leur  refus ,  ti- 
rèrent leur  canon  fur  les  troupes  royales  qui  alloient  vers  l'ab- 
baye de  S.  Sauve,  ôc  pillèrent  la  Chartreufe  ôc  l'abbaye  de  S. 
Vaaft.  Les  bourgeois  de  Valenciennes  furent  déclarez  crimi- 
nels de  leze-majefté  le  14.  de  Décembre  ;  ôc  peu  de  jours  après 
Norkermes  vint  les  affiéger.  Alors  les  Prêches  furent  interrom- 
pus en  plufieurs  endroits  de  la  Flandre ,  foit  par  crainte,  foit  à 
caufe  de  la  rigueur  de  l'hyver  ;  mais  ils  continuèrent  long-tems 
après  à  Amfterdam  ,  à  Maeftricht,  à  Utrecht, à  Anvers,  ôc  à 
Gand. 

En  Ecoiïe ,  le  Roi  ayant  été  relégué ,  David  Riz  fut  aufTi-tôt  Affaires  d'E- 
tiré de  fon  état  d'obfcurité  5  ôc  la  Reine  ,  pour  lui  donner  tous  <^^'^^' 
les  honneurs  ,  qu'il  pouvoir  avoir  dans  fon  Palais ,  l'admit  à 
manger  tous  les  jours  à  fa  table.  Afin  de  lui  préparer  cette  fa- 
veur ,  elle  introduifit  quelques  mois  auparavant  la  coutume  de 
faire  manger  quelques-uns  a  fa  table ,  îbus  prétexte  de  fe  ren- 
dre populaire  ;  ôc  elle  en  augmenta  le  nombre,  afin  que  Riz 
fût  moins  envié.  Prefqu'aufli-tôt  elle  le  diminua;  ôc  après  avoir 
accoutumé  les  yeux  à  un  fpedacle  fi  nouveau ,  il  y  mangeoii 
ordinairement  avec  une  perfonne  ou  deux.  Mais  croyant  faire 
cefier  l'envie ,  en  choififtant  pour  manger  un  lieu  plus  petit  ôc 
plus  fecret  (  car  elle  mangeoit  bien  fouvent ,  ou  dans  fon  cabinet , 

G  giij 


^3^  HISTOIRE 

ou  même  chez  Riz  )  elle  ne  fit  qu'augmenter  les  foupçons , 
C  H  A  R  L  E  ^  ^^  haine  qu'on  avoit  pour  lui.  Déjà  les  Grands  du  Royaume 
j^y^        murmuroient  de  voir  un  étranger  de  baffe  naiffance ,  pardître 
i  t'  ^  ^^     infiniment  au-deffus  de  fa  condition  ,  6c  l'emporter  fur  le  Roi 
même,  par  la  magnificence  de  fes  habits,  de  fes  meubles,  ôc 
de  fon  train  j  lorfque,  par  un  emportement  de  femme ,  la  Reine 
fe  mit  en  tête  de  lui  donner  droit  de  voix  ôc  de  fuffrage  dans 
le  Confeil ,  s'imaginant  que  fi  elle  en  venoit  à  bout ,  elle  me- 
neroit  le  Confeil  à  fa  fantaifie.  Il  falloit  donc  pour  cela  des 
richeffes  ôc  des  titres ,  afin  qu'il  ne  parût  pas  qu'un  gueux  ÔC 
on  mercenaire  ,  eût  été  tiré  tout-à-coup  de  la  pouffiere  ,  pour 
être  élevé  à  la  dignité  de  Confeiller  d'Etat.  Mais  la  Reine  ne 
put  lui  en  procurer.  Les  anciens  propriétaires  des  terres  titrées 
ne  furent  point  touchez  de  fes  prières  ;  ils  le  furent  encore  moins 
de  fes  menaces  ;  ôc  ils  ne  purent  fe  refoudre  à  fe  dépouiller; 
pour  enrichir  ôc  illuflrer  un  étranger ,  fans  biens  ôc  fans  no- 
bleffe.  La  Reine  fe  mit  dans  une  plus  grande  colère,  ôc  le  peu- 
ple d'une  autre  part  en  conçut  plus  d'indignation.  Les  vieil- 
lards fe  fouvinrent  à  ce  fujet  du  tems  où  le  frère  de  leur  Roi 
ayant  été  tué  par  un  horrible  crime  ,  Rockeran  qui  de  tailleur 
de  pierres  fut  fait  comte  de  Marre  ,  excita  une  guerre  civile , 
qui  n'avoit  pu  être  éteinte  que  par  la  mort  du  Roi  même ,  ôc 
par  la  ruine  prefque  totale  du  Royaume. 
Retour  du        Quoique  le  Roi ,  qui  étoit  revenu  ,  fût  fort  offenfé  de  ces 
Roi.  David     bruits ,  néanmoins  comme  il  avoit  réfolu  de  ne  croire  perfon- 
fine  chez  la  '  "^  '  ^""^^^  d'cxaminçr  la  chofe  par  lui-même  ,  lorfqu'il  eut  apris 
Reine.  que  Riz  étoit  entré  dans  la  chambre  de  la  Reine  ,  il  vint  à  une 

petite  porte ,  dont  il  avoit  la  clef,  Ôc  la  trouva  fermée  au  ve- 
roûil  contre  la  coutume.  Il  frappa,  Ôc  perfonne  ne  répondit.  Il 
en  conçut  tant  de  reffentiment  ,  qu'il  paffa  toute  la  nuit  fans 
dormir ,  ôc  que  le  lendemain  il  déhbéra  fecrétement  avec  fes 
confidens ,  de  fe  défaire  de  Riz.  La  Reine  ,  qui  avoit  fouvent 
furpris  le  Roi  avec  fon  Confeil  fecret ,  fe  douta  de  quelque  cho- 
fe ,  ôc  lui  parla  avec  beaucoup  d'aigreur,  menaça  les  officiers 
de  fa  Maifon  ,  ôc  leur  dit  que  c'étoit  en  vain  qu'ils  tenoient 
Confeil ,  qu'elle  fçavoit  tous  leurs  complots  ,  ôc  qu'elle  fçau- 
roit  bien  y  remédier  quand  il  feroit  tems.  Ces  menaces ,  bien 
loin  d'intimider  le  Roi  ,  ne  firent  que  le  porter  à  hâter  l'exé- 
cution de  fon  deffein.  Il  le  communiqua  à  Mathieu  comte  dç 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  239 

Lenox  fon  père  >  &  ils  convinrent  enfemble  qu'il  n'y  avoit  *— ■  »»„ 

qu'un  feul  moyen  défaire  finir  tous  les  maux  ^  qui  étoitdefe  Char  le 
réconcilier  avec  cette  partie  de  la  Noblefle  qui  etoità  la  Cour,        jx. 
&  de  faire  revenir  l'autre  j  car  le  Roi  pour  contenter  la  Rei-     i  <:  6  6^ 
ne  avoit  également  mécontenté  tous  les  Nobles.  Mais  il  falloir 
pour  réudir,  ufer  d'une  grande  diligence ,  parce  que  le  jour  de 
l'aflemblée ,  011  la  Reine  avoit  réfolu  de  profcrire  tous  les  Sei- 
gneurs abfens ,  approchoit.  Riz  follicitoit  fortement  tous  ceux 
qui  dévoient  être  de  cette  affemblée  5  il  les  fondoit,  il  tâchoit 
de  pénétrer  ce  qu'ils  répondroient^lorfqu'on  leur  demanderoit 
leur  avis  5  il  prioit  6c  il  menaçoit,  félon  qu'il  croyoit  que  cha- 
cun étoit  fufceptible  de  crainte  ou  d'efperance. 

Le  Roi,  fuivant  le  confeil  de  fon  père  ,  crut  qu'il  n'y  avoit 
pasdetems  à  perdre ,  ôc  manda  Jacque  Duglas  comte  de  Mor- 
ton,  &  Patrice  baron  de  Lendfey  fes  parens.  L'un  &  l'autre 
en  conférèrent  avec  Patrice  Rethuen  (  ou  Reuven)  homme  de 
réfolution  &  de  main  ,  mais  qui  étoit  alors  extrêmement  affoi- 
bli  d'une  longue  maladie.  Tous  reprefenterent  au  Roi  la  fau- 
te qu'il  avoit  commife  en  chaffant  la  principale  Nobleffe  de 
fon  Royaume  ,  pour  plaire  à  un  fcélerat,  ôc  en  élevant  fi  haut 
un  homme  du  néant  :  que  Sa  Majefté  elle-même  éprouvoit 
fa  fierté  ôc  fes  mépris.  Le  Roi  avoua  qu'il  avoit  eu  tort ,  ôc 
jura  de  ne  rien  faire  à  l'avenir  que  de  l'avis  ôc  du  confente- 
ment  de  la  Noblefie.  Mais  comme  ils  craignoient  que  ce  jeu- 
ne Prince  naturellement  foible,  ôc  qui  avoit  été  jufqu'alors  gou- 
verné par  fa  femme  ,  ne  fe  laiffàt  encore  gagner  par  fes  careffes , 
ôcneles  perdit  tous  ;  en  défavouant  les  mefures  qu'on  avoit  jugé 
à  propos  de  prendre,  ils  lui  prefenterent  par  écrit  les  articles 
dont  il  étoit  convenu.  Ces  articles  étoient,  d'établir  la  Religion, 
comme  on  l'avoit  réglé  à  l'arrivée  de  la  Reine  en  Ecofle ,  de 
faire  revenir  ceux  qu'on  avoit  reléguez  ,  ôc  de  tuer  David  Riz, 
parce  que  tant  qu'il  vivroit ,  le  Roi  ne  pourroit  conferver  fa  di- 
gnité, ôc  que  la  Noblefle  ne  feroit  pas  en  affurance.  Le  Roi 
figna  tous  ces  articles  avec  une  parfaite  liberté,  ôc  avec  une 
grande  joie ,  ôc  déclara  hautement  qu'il  vouloir  être  regardé 
comme  auteur  du  meurtre  de  Riz;  chacun  les  figna  après  lui. 
Mais  pour  prévenir  la  condamnation  à^s  Seigneurs  abfens,  Ôc 
de  peur  qu'un  plus  long  retardement  ne  fît  découvrit  le  com- 
plot, on  réfolut  de  l'exécuter  furie  champ. 


240  HISTOIRE 

La  Reine  foupoit  dans  un  petit  cabinet,  6c  Riz  étoît  à  Ijt 
Ch  A  R  L  E  table ,  à  l'ordinaire ,  avec  la  femme  du  comte  d'Argathel  5  lorf- 
IX.       cjue  le  Roi,  dont  la  chambre  étoit  au  deiïbus  de  celle  delà 
1^66,     Reine,  y  monta  par  un  petit  efcalier  dérobé,  qui  ne  fervoit 
qu'à  lui.  Patrice  Rethuen  le  fuivoit  avec  cinq  perfonnes  au 
plusi  le  comte  de  Morton  fe  promenoir  dans  l'anti-chambre 
avec  un  grand  nombre  de  fes  amis  y  ôc  avoir  mis  des  perfon- 
nes de  confiance  dans  la  cour,  pour  être  prêts  à  tout  ^  en  cas 
qu'il  y  eut  du  bruit.  Lorfqu'on  vit  entrer  le  Roi,  ôc  après  lui 
Rethuen,  mal  propre,  défait,  pâle,  comme  un  homme  qui  fortoit 
d'une  longue  maladie,  Ôc  néanmoins  armé  5  on  s'imagina  que  ce-» 
lui-ci  avoir  un  tranfport  caufé  parla  fièvre.  LaReine,  plus  éton- 
née ôc  plus  troublée  que  les  autres  de  le  voir ,  ayant  demandé  ce 
que  c'étoit,  Rethuen adreffa  la  parole  à  Riz ,  ôc  lui  commanda 
de  fe  lever  Ôc  de  fortir ,  n'étant  pas  digne  d'être  afîis  à  cette  table. 
La  Reine  l'ayant  entendu ,  ôc  fe  doutant  bien  de  ce  qui  en  étoit, 
fe  leva  auiïi-tôt,  Ôc  fe  mit  entre  Riz,  ôc  ceux  qui  venoient  à 
lui.  Le  Roi  l'embrafla ,  ôc  lui  dit  qu'elle  ne  devoit  rien  craindre, 
ôc  qu'il  ne  s'agiflbit  que  de  fe  défaire  d'un  homme  de  néant. 
Alors  David  fut  enlevé  par  les  conjurez ,  premièrement  dans 
la  chambre  voifme  ,  ôc  delà  dans  une  autre  chambre,  où  il  fut 
percé  de  plufieurs  coups  par  ceux  qui  étoient  avec  le  comte  de 
Morton,  contre  le  fentiment  des  chefs  qui  étoient  d'avis  de  le 
faire  pendre  dans  la  place  publique ,  pour  donner  au  peuple 
un  fpe£lacle ,  qui  l'auroit  réjoui.  George  Duglas  fils  naturel  du 
comte  d'Angufe  lui  donna  le  premier  coup ,  ôc  vérifia  la  pré- 
didion  d'un  Aftrologue ,  qui  l'avoir  averti  qu'il  étoit  menacé 
d'un  grand  danger  de  la  part  d'un  bâtard.  David ,  qui  crut  que 
l'Aftronome  parloir  du  comte  de  Murray>  frère  naturel  de  la 
Reine ,  répondit  que  tant  qu'il  vivroit ,  ce  bâtard  n'auroit  ja- 
mais ailez  de  puiflance  pour  fe  faire  craindre.  Après  Duglas; 
celui  qui  fe  trouva  le  plus  proche,  frappa  le  premier,  ôcainlî 
tous  les  autres  de  fuite,  félon  qu'ils  étoient  placez;  car  tous 
voulurent  avoir  quelque  part  au  meurtre  de  Riz ,  ou  pour  fatis- 
faire  leurs  reflentimens  particuliers  ,  ou  pour  venger  lePubHCj 
à  qui  ce  miferable  avoir  tant  fait  de  mal. 

Les  comtes  de  Huntley ,  d'Athol ,  ôc  de  Both^el  qui  fou- 
poient  dans  un  autre  appartement  du  palais,  ayant  entendu  le 
bruit  que  fît  cette  expédition  ^  voulurent  fortir  5  mais  on  les  en 

empêçhsi 


DE   J.   A.   DE   THOU  Liv.  XL.  241  \ 

empêcha ,  fans  néanmoins  leur  faire  de  mal.  Après  cette  a£lion  -  : 

Ja  Reine  étant  venue  de  fon  cabinet  dans  fa  chambre ,  Rethuen,  C  h  a  R  L  E  i 

homme  d'une  liberté,  qui  alloit  jufqu'à  la  rufticité,  entra  dans       j^  \ 

la  chambre  de  la  Reine,  s'alTit ,  &  demanda  à  boire.  LaRei-     j  ^  ^  ^^ 

ne,  pénétrée  d'une  vive  douleur  de  ce  qui  venoit  d'arriver,  \ 

regarda  cette  démarche  de  Rethuen  ,  comme  une  nouvelle  ' 

injure  :  elle  s'emporta  contre  lui^  le  traita  de  perfide  ôc  de  trai-  1 

tre,  &  lui  reprocha  foninfolence  de  lui  parier  affis, tandis  qu'elle  j 

étoit  debout.  Rethuen  répondit,  que  ce  n'étoit  point  par  un  dé-  ] 

faut  de  refpeâ:  qu'il  en  ufoitainii  ;  que  c'étoit  uniquement  par-  | 

ce  qu'il  n'avoir  pas  la  force  de  fe  tenir  debout.  Enfuite  il  ex-  1 

horta  la  Reine  à  fe  fervir ,  pour  le  gouvernement  du  Royaume,  l 

de  la  Noblefle  ,  qui  avoit  intérêt  que  les  affaires  fuffent  bien  \ 

conduites  ,  ôcnon  pas  d'avanturiers ,  de  fripons ,  ôc  de  gens  de 

néant,  qui  ne  pouvoient  donner  aucun  gage  de  leur  fidélité,  ; 

parce  qu'ils  n'avoientni  bien  ni  honneur  à  perdre.  Il  ajouta  que  j 

le  gouvernement  d'Ecofle  étoit  fondé  fur  des  Loix  j  que  ce  ^ 

Royaume  n'avoit  pas  coutume  d'être  gouverné  fuivant  le  ca-  j 

priée  ôc  la  fantaifie  d'une  feule  perfonne ,  mais  fuivant  les  loix,  , 

Ôc  de  l'avis  ôc  du  confentement  de  la  Noblefle  ;  que  tous  ceux  l 

qui  avoient  donné  atteinte  à  ces  loix,  avoient  reçu  la  juftepei-  \ 

ne  de  leur  témérité ,  6c  qu'enfin  les  Ecoflbis  n'avoient  pas  telle-  1 

ment  dégénéré  de  la  vertu  de  leurs  ancêtres ,  qu'ils  puflent  fup- 

porter ,  non  la  domination,  mais  le  defpotifme  ôc  la  tyrannie  d'un  j 

étranger ,  qu'ils  auroient  pu  à  peine  prendre  honnêtement  pour  i 

leur  valet.  La  Reine  fut  extrêmement  irritée  de  ce  difcours.  \ 

Cependant  on  mit  des  gardes  dans  tous  les  lieux  convenables,  j 

pour  empêcher  de  plus  grands  mouvemens,ôc  les  conjurez  fe  j 

retirèrent.  Le  peuple  étant  accouru  de  toutes  parts ,  au  bruit  qui  : 

s'étoit  fait  dans  le  Palais,  le  Roi  leur  dit  parla  fenêtre  ,  que  la  , 

Reine  ôc  lui  étoient  en  parfaite  famé  5  qu'il  n'y  avoit  aucun  fu-  ; 

jet  de  faire  du  bruit  i  qu'on  n'avoit  rien  fait  que  par  fon  ordre;  i 

qu'ils  fçauroient  ce  qui  s'étoit  pafle ,  quand  il  en  feroit  tems  >  ôc 

qu'ainfi  il  les  exhoitoit  à  fe  retirer  chacun  chez  foi.  \ 

Le  lendemain  les  Grands,  qui  étoient  venus  d'Angleterre  fur  ^  ^^^°^^'  «^^s 
les  avis  que  le  Roi  leur  avoit  donnez,  fe  prefenterent  devant  les  ''^  ^  '  ' 
juges  pour  fe  défendre  contre  leurs  accufateurs  j  ôc  comme  per- 
fonne ne  comparut ,  ils  protefterent  publiquement  qu'il  n'avoit  ! 
Tome  F,                                                        H  h  ! 


242  .HISTOIRE 

^^^^^  pas  tenu  à  eux  qu'on  ne  jugeât  leur  procès,  puifqu'ils  s'étoient 

-.  ?  fournis  à  la  juftice  h  ils  fe  retirèrent  enfuite  dans  leurs  maifons. 

•C  H  A  RLE  La  Reine  j  pour  tromper  les  gardes  qu'on  avoir  placez ,  fit  ve- 
nir  le  comte  de  Murray  fon  frère  ,  qui  étoit  revenu  en  EcofTe 
^  S  ^  ^'  après  la  mort  de  Riz,  comme  s'il  avoit  été  rappelle  d'un  exil  -, 
elle  s'entretint  quelque  tenis  avec  lui ,  Ôc  lui  fit  efperer  qu'à 
l'avenir  elle  fe  laifTeroit  conduire  par  les  avis  des  Grands  du 
Royaume.  Les  gardes  s'étant  un  peu  relâchez,  elle  fortit  du 
Palais  la  nuit  par  une  porte  de  derrière ,  avec  George  Seton, 
qui  avoit  amené  deux  cens  cavaliers.  Elle  fe  retira  d'abord  dans 
fon  château ,  ôc  enfuite  à  Dumbar ,  où  elle  amena  le  Roi ,  qu'el- 
le fit  menacer  de  mort  j  s'il  ne  la  fuivoit.  Là ,  feignant  de  s'être 
reconciliée  avec  les  bannis,  elle  tourna  toute  fa  fureur  contre 
les  meurtriers  de  Riz.  Pour  exercer  contre  eux  avec  plus  de 
liberté  toute  la  rigueur  desloix,  elle  avoit  fait  publier  par  un 
cricur  (  ôc  c'eft  ce  qu'on  ne  put  entendre,  fans  en  faire  bien 
des  railleries  )  que  perfonne  n'eût  la  hardieffe  de  dire  que  le 
Roi  avoit  eu  connoiflance ,  ou  qu'il  avoit  été  compUce  du  meur- 
tre de  Riz.  On  procéda  enfuite  dans  cette  affaire  avec  tant  de 
rigueur ,  que  plufieurs ,  dont  la  plupart  étoient  irinocens  ,  fu- 
rent condamnez  àdiverfes  peines,  ôc  quelques-uns  mêmes  pu- 
nis de  mort.  Ce  qui  augmenta  findignation  publique^  fut  la  paf- 
fion  indécente  que  la  Reine  fit  paroître  après  la  mort  de  Riz. 
Non  contente  d'avoir  élevé  à  de  fi  grands  honneurs  un  hom- 
me, qui  n'étoit  confiderable  ni  par  fa  naifîance,  ni  par  aucunes 
belles  qualitez,ni  par  aucuns  fervices  rendus  à  l'Etat^  elle  oublia 
le  péril  oii  elle  avoit  été  >  ôc  comme  fi  tout  eût  été  tranquille, 
elle  fit  tranfporter  la  nuit  le  corps  de  Riz ,  qu'on  avoit  enterré 
devant  la  porte  de  l'Eglife  la  plus  proche ,  ôc  le  fit  mettre  dans 
le  tombeau  du  Roi  fon  père,  ôc  des  Princes  fes  enfans , auprès 
du  corps  de  la  Reine  Madeleine  ,  fille  de  François  I. 

La  Reine  ac-  Les  affaires  étant  en  quelque  forte  accommodées,  ôc  les 
couche  d'un  comtcs  d'Argathel  ôc  de  Alurray  étant  rentrez  en  grâce;  la 
*'  Reine,  dont  la  groffelfe  avançoit,  revint  iiir  la  fin  d'Avril  au 

château  d'Edimbourg,  où  elle  accoucha  d'un  fils  le  19  de  Juin, 
un  peu  après  neuf  heures  du  foir.  Elle  en  donna  aufil-tôt  avis 
à  Elizabeth  Reine  d'Angleterre  i  par  Jacque  Melvin  ,  ôc 
Elizabeth  envoya  au(li-tôt  en  Ecoffe  Henri  Kilgrey  ,  pour 


DE   J.  A.    DE  T  H  O  U ,  L  I  V.  XL.         245 

complimenter  fa  fœur  '  fur  fon  heureux  accouchement ,  &  fur  la 
naiffancê  de  fon  dis.  Elle  la  fit  prier  en  même-tems  de  ne  plus  ~Z  ~ 

entretenir,parles  fecours  qu'elle  fourniffoitfecretement  les  trou-      ^1%- 
bles,que  Schan-o-neal  excitoiten  Irlande 5  de  ne  point  favo-  * 

rifer  contre  les  traitez  le  transfuge  Chriftophle  Rokeibey ,  ôcde  ^  ^  ^  ' 
faire  punir  févérement  les  brigands  qui  couroientfur  la  fron- 
tière. Elizabeth  alla  enfuite  pour  fe  divertir  à  Oxfort  ôc  à  Cam- 
bridge ,  les  deux  villes  d'Angleterre  les  plus  fameufes  par  les  fça- 
vantes  Univerfirez  qui  y  font  établies.  Elle  s'y  délaila  quelque 
tems  de  fes  grandes  occupations,  dans  la  compagnie  des  fça- 
vans  qu'elle  y  trouva  en  grand  nombre  j  elle  y  paffa  les  nuits 
dans  les  fpedlacles  j  ôc  les  jours  dans  les  difputes  publiques.  En- 
fuite  ,  après  les  difcours  de  remerciement  faits  de  part  ôc  d'au- 
tre, elle  revint  à  Londres  le  premier  jour  de  Novembre,  où 
elle  fut  reçue  aux  acclamations  d'un  peuple  très-nombreux, 
qui  accourut  au-devant  d'elle.  Auiïi-tôt  après  on  parla  des  dif- 
putes publiques  i  les  fentimens  fe  trouvant  partagez  à  caufe  de 
la  diveriité  de  Religions ,  &  chacun  tâchant  de  ménager  (^qs  in- 
térêts ,  ôc  de  pourvoir  à  la  fureté  de  la  Religion  qu'il  profeffoit. 

Belle  ôc  Monfon ,  grands  Jurifconfultes ,  Dulton  ôc  d'autres  OnpreflTeîa 
parloient  hautement,  ôc  difoient  que  les  Rois  étoient  obligiez  de  ?T^  ^r^^" 
le  deiigner  un  lucceileur.  Les  comtes  de  rembrok  ôc  de  Ley-  maner. 
ceftre  appuyoient  cette  opinion ,  Ôc  ce  fut  à  leur  inftigation  que 
Nicolas  Bacon ,  garde  du  grand  fceau  ,  fit  un  long  difcours  à 
Ehzabeth ,  pour  lui  perfuader  qu'il  étoit  de  l'intérêt  de  l'Etat 
qu'elle  fe  mariât  bien-tôt.  Mais  la  Reine  perfuadée  par  Huick 
fon  médecin ,  que  le  mariage  lui  feroit  pernicieux ,  à  caufe  d'un 
empêchement  naturel  qu'elle  avoir,  n'en  voulut  point  entendre 
parler  j  Guillaume  Cecil,  quicherchoità  plaire  à  la  Reine,  fa- 
vorifoit  fecretement  cet  avis.  Elizabeth  employa  donc  toutes 
lesraifons  qu'elle  pouvoir  imaginer ,  pour  éluder  les  demandes 
importunes  de  ceux  qui  l'approchoient  ;  leur  promettant  d'a- 
voir pour  le  Royaume  non  feulement  les  foins  d'une  Reine, 
mais  toute  la  tendreffe  d'une  mère.  Thornton  do£teur  en  Droit 
au  collège  de  Lincoln  ôc  profeffeur  à  Londres,  étoit  un  de  ceux 
quifaifoient  le  plus  d'inftances.  Comme  en  difputant  fur  lefuc- 
cefleur  à  la  Couronne  d'Angleterre ,  il  avoir  révoqué  en  doute 

I  C'eft  le  nom  qu'elles  fe  donnoient  mutuellement,  depuis  qu'elles  e'toient  l'une 
&  l'autre  en  bonne  intelligence. 

Hhij 


544  HISTOIRE 

le  droit  de  Marie  reine  d'EcofTe  ^  il  fut  mis  eriprifoiii  à  la  fol- 
licitation  de  Meîvin  j  les  comtes  de  Pembroch  &  de  Leycef- 
tre  furent  quelque  tems  interdits  de  l'entrée  de  la  chambre  de 
la  Reine ,  ôc  Bacon  fut  à  peine  remis  en  grâce.  Les  Etats  du 
Royaume  ayant  impofé  d'eux-mêmes  unefomme  d'argent  très- 
confiderable,  dont  la  plus  grande  partie  étoit  déjà  levée,  ils  la 
prefenterent  à  Elizabeth  pour  l'engager  à  fe  marier  :  mais  la  Rei- 
ne  la  refufagénéreufement,  difant  qu'elle  aimoit  mieux  le  cœur 
que  l'argent  de  fes  fujets. 
Conduite  de  Cependant  le  Roi  d'Ecofle  étant  entièrement  exclus  du  Gou- 
coire!^"^  ^  ^'  vernement ,  Jacque  Hebburn  comte  de  Bothwel  avoitfeul  tout 
le  crédit  ôcl'adminiftration  des  affaires  de  l'Etat.  La  Reine  qui 
ne  vouloit  pas  que  perfonne  doutât  de  l'extrême  inclination 
qu'elle  avoit  pour  lui;  fit  entendre  aflez  clairement  à  tout  le 
monde  ,  qu'on  ne  pouvoitrien  obtenir  d'elle  que  parfon  canal. 
Le  Roi  étoit  regardé  comme  un  importun  &  un  fâcheux  j  ôc 
s'il  arrivoit  quelquefois  qu'il  vînt  pour  voir  la  Reine,  elle  & 
fes  femmes  compofoient  tellement  leurs  vifages,  leurs  difcours 
&  leurs  manières ,  qu'il  paroiffoit  vifiblement  qu'elles  n'avoient 
rien  plus  à  cœur  que  de  faire  comprendre  au  Roi,  que  la  Rei- 
ne le  méprifoit  beaucoup ,  ôc  que  fa  préfence  les  ennuyoit  &  leur 
étoit  fort  à  charge.  Le  Prince  fe  voyant  abandonné  de  tout  le 
monde,  ôc  las  d'ailleurs  des  outrages  qu'il  recevoir  tous  les  jours 
de  Bothwel ,  s'en  alla  à  Sterlin. 
Batéme  du  Peu  de  tems  avant  l'hyver  il  vint  des  Amb'^ffadeurs  de  Fran- 
coire.  ce  ôc  d'Angleterre,  pour  tenir  le  Prince  fur  les  fonts  de  Baté- 

me. La  cérémonie  en  fut  faite  à  Sterlin  le  1 8  de  Décembre. 
Les  parains  furent  Charle  roi  de  France  ,  ôc  Emanuel  Phili- 
bert duc  de  Savoye  5  Elizabeth  reine  d'Angleterre  fut  la  ma- 
reine ,  ôc  l'enfant  fut  nommé  Charle  Jacque  j  mais  depuis  il  ne 
porta  plus  le  premier  nom.  Le  comte  de  Betfort  affiftaà  cette 
cérémonie  au  nom  d'Eiizabeth ,  ôc  apporta  une  cuve  d'or  maf- 
fif,  dont  il  fit  préfent  à  l'enfant.  Ce  comte  étoit  chargé  de  fol- 
liciter  auprès  de  Marie  la  ratification  du  traité  d'Edimbourg  : 
elle  lerefufapour  lors,  difant  qu'il  y  avoit  quelque  claufe  dans 
ce  traité,  qui  dérogeoit  aux  droits  qu'elle  ôc  fes  enfans  avoient 
fur  le  Royaume  d'Angleterre  5  que  néanmoins  elle  envoye- 
roit  au  premier  jourà  fafoeur  des  Ambaffadeurs  pour  confirmer 
ce  traité ,  après  y  avoir  fait  quelque  changemens.  Cependant 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  24/ 

on  convint  dès  lors  de  ces  conditions  qui  furent  :  Que  Ma-        ■ 
rie  ôc  fes  enfans  ne  prendroient  point  les  titres  ôc  les  armes  ^  ~ 

d'Angleterre ,  pendant  la  vie  d'Elizabeth  ;  ôc  qu  Elizabeth  ne  ^J"^  ^  ^ 
feroit  rien  qui  préjudiciât  à  Marie  dans  fon  droit  à  la  fuccef- 
fion  d'Angleterre.  Betfort  ayante  félon  les  ordres  qu'il  avoir,  ^  5  ^  *^* 
parlé  d'accommoder  le  différend  qui  étoit  entre  la  Reine  d'E- 
cofle  ôc  fon  mari  ;  ôc  ayant  témoigné  qu'EIizabeth  fa  maîtreffe 
fouhaitoit  ardemment  cette  reconciliation  ;  Marie  dit ,  qu'el- 
le étoit  bien  obligée  à  Elizabeth  de  fa  bonne  volonté  3  ôc 
elle  rejetta  la  faute  de  cette  mefintelligence  fur  quelques  Sei- 
gneurs brouillons  ,  qui  abufant  de  la  facilité  ôc  de  la  crédulité 
de  fon  mari ,  lui  avoient  fait  un  outrage  qu'on  ne  pouvoir  par- 
donner :  comme  elle  étoit  alors  malade,  elle  écrivit  à  Eliza- 
beth, pour  lui  recommander  fon  fils,  ôc  la  prier  de  le  prendre 
fous  fa  proteftion. 

Le  Roi  qu'on  avoir  mandé  pour  la  cérémonie  du  batême      -^^  ^^oî  cfl 
de  fon  fils,  comme  pour  en  faire  le  parallèle  avec  Bothwel ,  très-mal  à\m 
avoit  pris  fon  parti ,  Ôc  s'étoit  réfolu  à  tout  fouffirir  ôc  à  tout  fai-  po'^*^"- 
re,  afin  de  regagner  les  bonnes  grâces  de  la  Reine,  qui  lui 
avoit  ôté  toutes  les  marques  extérieures  de  la  royauté.  Etant  allé 
à  Glafcow  pour  y  voir  fon  père,  à  peine  étoit-il  à  un  mille  de 
Sterlin ,  qu'il  fentit  dans  toutes  les  parties  de  fon  corps  une  dou- 
leur aiguë  ,  ôc  que  peu  après  il  lui  fortit  de  tous  cotez  des  taches 
ôc  despuftules  livides  avec  tant  de  violence,  qu'il  n'y  avoit  point 
d'apparence  qu'il  pût  en  échapper.  Jacque  Aberneth ,  très- 
habile  médecin  ,  confuîté  fur  le  genre  de  cette  maladie,  répon- 
dit qu'elle  venoit  d'unpoifon,  que  le  Roi  avoit  heureufement 
furmonté  par  la  force  defajeunefre,ôc  de  fon  temperamment.  =»«««««^il— ■ 

Cependant  la  Reine,  pour  écarter  tous  les  foupçons^  réfo-     i  r  (S  j 
lut  d'aller  à  Glafcow  ;  mais  elle  fit  auparavant  mener  fon  fils 
à  Edimbourg,  malgré  la  rigueur  de  l'hyverj  parce  que  félon  dansuncefpeî 
elle  la  maifon  ,  où  cet  enfant ^toit nourri ,  étoit  incommode  ôc  ^^'^^  priions 
mal  faine,  ôc  que  les  fluxions  étoient  à  craindre  pour  lui  dans  TnL^^^  ^^^^ 
un  lieu  froid  ôc  humide.  S'étant  donc  déchargée  fur  le  comte 
de  Bothwel  du  foin  de  toutes  les  affaires ,  elle  prit  les  Hamil- 
tons  pour  l'accompagner  dans  fon  voyage ,  ôc  vint  trouver  le 
Roi ,  quin'étoitpas  encorebien  guéri.  Après  beaucoup  de  plain- 
tes,  de  reproches,  ôc  de  gémiflemens,  de  part  ôc  d'autre,  en- 
fin le  Roi  ôc  la  Rein^  fe  réconcilièrent.  De-là  on  fit  porter  le 

H  h  iij 


2^6  HISTOIRE 

,  Roi  en  iiîiere  à  Edimbourg,  où  il  fut  logé  dans  une  maifon  que 

P  Both\(^el  lui  avoit  fait  préparer ,  ôcqui  n'avoit  point  été  habitée 

T^        depuis  plufieurs  années.  Située  près  des  murailles  de  la  ville, 

y       entre  les  ruines  de  deux  Eglifes ,  on  ne  pouvoit  entendre  d'au- 

'    ^  cune  part  ce  qui  s'y  paflbit.  On  y  mit  avec  lui  un  très-petit 

nombre  de  domeftiques,  qui  ne  lui  furent  donnez  que  pour  ob- 

ferver  fes  paroles  Ôc  fes  aillions  j  mais  la  plupart  prévoyant,  ou 

fçachantle  péril  prochain ,  dont  il  étoit  menace  ,  le  quitterentj 

ceux  qui  relièrent ,  ne  purent  jamais  tirer  les  clefs  de  la  maifon 

des  mains  des  maréchaux  des  logis. 

Alors  on  forma  le  deifein  de  tuer  le  Roi,  ôc  l'on  commu- 
niqua cetteréfolution  à  quelques  Gentilshommes,  qui  craignant 
pour  leur  Religion,  qui  leur  paroifloit  être  en  danger  ,  à  caufe 
de  l'union  qui  étoit  entre  le  Roi  &  les  Proteftans  ,  promirent 
volontiers  leurs  fervices  pour  l'exécution  de  cette  attentât.  Ils 
y  étoient  encore  excitez  par  les  lettres  du  Pape  5  on  ajoûtoit 
même  par  celles  du  cardinal  de  Lorraine.  En  effet  s'étant  adref- 
fez  à  lui,  pour  demander  au  Pape  l'argent  dont  ils  avoient  befoin, 
afin  de  rétablir  la  Religion,  de  leurs  ancêtres,  on  leur  fit  réponfe 
qu'ils  travailleroient  en  vain  ,  s'ils  ne  commençoientpar  fe  défai- 
re de  ceux  qui  étoient  un  obftacle  à  ce  rétabliîTementi  on  les  nom- 
moit  en  particulier,  &  on  mettoit  entre  les  autres  Jacque  frère 
naturel  de  la  Reine ,  comte  de  Murray  ,  ôc  Jacque  Duglas  com- 
te de  Morton.  Le  Pvoi,  fimple  ôc  crédule,  fe  croyoitbien  affu- 
ré  de  l'affedion  de  la  Reine  ;  cependant  ceux  qui  vouloient 
hâter  fa  perte ,  firent  courir  le  bruit  qu'il  penfoit  à  fe  retirer 
en  France,  ou  en  Efpagne ,  ôc  qu'il  avoit  déjà  concerté  fa  fuite 
avec  les  Anglois  ,  qui  avoient  un  vaiffeau  à  l'embouchure  du 
Cluyd.  On  choifit  donc  la  nuit  fuivante  pour  l'exécution  du 
crime,  qu'on  avoit  projette  j  ôc  Bothwel  prit  toutes  les  mefu- 
res  (  parce  que  le  meurtre  devoir  fe  faire  dans  un  lieu ,  où  il 
y  avoit  beaucoup  de  monde,  )  pour  le  faire  imputer  ,  s'il  étoit 
polTible  ,  à  d'autres  qu'à  ceux  qui  en  feroient  les  vrais  auteurs. 
L'affaire  ne  fe  traitoit  pas  avec  tant  de  fecretôc  de  précau- 
tion,  que  plufieurs  perfonnes  ne  fe  doutaffent  du  complot,  ôc 
n'auguraffent  mal  de  la  prétendue  réconciliation  qui  venoit  d'ê- 
tre faite.  Cependant  le  Roi,  plus  attaché  à  fa  femme  qu'on  ne 
peut  le  dire ,  ne  voyoit  ôc  ne  foupçonnoit  rien  de  ce  qui  fe 
îramoit  contre  lui,  ôc  perfonne  n'ofoit  l'avertir  du  danger  dont 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.         247 

il  étoit  menacé  ;  parce  que  pour  gagner  les  bonnes  grâces  de 
la  Reine  il  avoir  coutume  de  lui  rapporter  tout  ce  qu'on  lui  ~ 


difoit.  En  même  tems  Robert ^  frère  du  comte  de  Àlurray,  ^harle 
ayant  horreur  de  l'attentat  énorme  qu'on  méditoit ,  ou  touché 
de  compaflTion  pour  ce  jeune  Prince ,  lui  donna  avis  de  la  conf-  '5^7- 
piration  formée  contre  fa  peffonne  j  cette  déclaration  penfa  lui 
coûter  la  vie.  Car  le  Roi,  fuivant  fa  coutume,  ne  manqua 
pas  de  le  dire  à  la  Reine.  S'étant  donnez  à  ce  fujet  l'un  à  l'au- 
tre un  démenti  en  prefence  de  la  Reine ,  ils  portèrent  de  part 
ôc  d'autre  la  main  à  l'épée,  ôc  le  comte  de  Murray  eut  bien 
de  la  peine  à  appaifer  la  querelle.  Tous  les  autres ,  épouvan- 
tez par  cet  exemple ,  voyoient  bien  le  péril  3  mais  ils  n'ofoient 
en  avertir  le  Roi.  La  Reine  voulant  empêcher  qu'on  ne  la  foup- 
çonnât,  pour  donner  d'ailleurs  des  marques  de  l'amour  qu'elle 
avoir  pour  fon  mari ,  6c  faire  croire  qu'elle  avoit  fincerement 
pardonné  Ôc  oublié  tout  le  pafTé ,  fît  apporter  fon  lit  du  Palais,  le 
fit  drelfer  dans  la  chambre  qui  étoit  au-deffous  de  celle  du  Roi, 
ôc  y  coucha  quelques  nuits  :  avant  de  fe  coucher  elle  avoit  tou- 
jours de  longs  entretiens  avec  le  Roi. 

Quoiqu'on  fouhaitât  fur  toutes  chofes  que  le  projet  ne  pût 
être  découvert ,  cependant  par  une  extrême  imprudence,  on  ôta 
le  lit  de  la  chambre  ,  ôc  on  en  mit  un  autre  de  moindre  prix.  Plu- 
fieurs  perfonnes  furent  furprifes  de  ce  ménagement  fordide^dans 
une  affaire  où  l'on  prodiguoit  l'honneur  avec  tant  d'excès.  Après 
avoir  pris  cette  précaution  ,  on  mit  de  la  poudre  fous  la  mai- 
fon.  Quand  la  nuit  fut  venue ,  ôc  que  la  Reine  fe  fût  entre- 
tenue affez  long-tems  avec  le  Roi,  elle  feignit  d'avoir  oublié 
qu'un  Muficicn  nommé  Sebaftien ,  s'étant  marié  ce  jour  là , 
elle  devoit  mettre  la  nouvelle  mariée  au  lit.  Sous  ce  prétexte 
elle  fc  leva  promptement  ôc  s'en  alla  au  Palais ,  ou  après  s'être 
aflez  long-tems  entretenue  avec  Bothwel ,  elle  le  congédia.  Bo- 
thwcl  ayant  aulTi-tôt  changé  ci'habit ,  ôc  s'étant  revêtu  d'un  ha- 
billement de  guerre,  revint  dans  la  ville ,  ôc  paffa  au  travers 
de  la  garde.  En  même-tems  deux  bandes  de  conjurez  vinrent 
à  la  maifon ,  où  étoit  le  Roi ,  entrèrent  dans  fa  chambre  (  car 
ils  avoient  toutes  les  clefs ,  )  Ôc  l'ayant  trouvé  endormi ,  ils  l'é- 
toufferent,  en  lui  ferrant  la  gorge  avec  les  mains.  Ils  en  firent 
autant  à  un  valet  de  chambre,  ôc  ils  les  portèrent  tous  deux 
dans  un  jardin  au-deffous ,  fans  leur  avoir  fait  autre  chofe.  En- 


r248  HISTOIRE 

.  fuite  lis  mli-ent  le  feu  à  la  poudre  :  la  mailbii  fut  renverfée  de 
r-rr  »  t>  T  c  foi^d  en  comble  avec  un  li  grand  fracas,  que  lesmaifons  voi- 
jy        lines  en  turent  ébranlées  ,  oc  que  ceux  qui  en  ctoient  les  plus 
.  -  j^  _      éloignez ,  furent  réveillez. 

La  Reine  faifant  femblant  de  n'avoir  rien  f<çû ,  6c  d'avoir 
été  réveillée  par  le  bruit ,  envoya  voir  ce  que  c'étoit.  Le  peu- 
ple eifrayé  accourut  en  foule.  La  Reine  fit  apporter  au  Pa- 
lais le  corps  du  Roi  par  des  porteurs,  étendu  fur  un  bancren- 
verfé.  On  dit  que,  fans  donner  aucune  marque  de  douleur, 
ou  de  joie ,  elle  regarda  long-tems,  ôc  avec  une  très-grande 
attention ,  le  corps  de  ce  Prince ,  qui  étoit  le  plus  bel  homme 
de  fon  tems.  Cette  aftion  fe  p alfa  le  lo  de  Février,  quoique 
les  Grands  du  Royaume,  qui  étoientpréfens/uffent  d'avis  de  lui 
faire  de  magnifiques  funérailles ,  elle  donna  ordre  que  le  corps 
fût  enterré  de  nuit ,  fans  aucune  pompe  ,  auprès  de  celui  de  Da- 
vid Riz  ,  par  les  mêmes  qui  Favoient  apporté  au  Palais,  On  fit 
en  même  tems  courir  le  bruit  à  la  Cour ,  que  les  comtes  de 
Murray  ôc  de  Morton  étoient  les  vrais  auteurs  du  meurtre  du 
Roi.  Ce  bruit  paffa  jufqu'en  Angleterre  5  ôc  voici  les  raifons 
qui  donnèrent  lieu  de  le  croire,  en  prenant  la  choie  de  plus 
loin. 
Syftcme  dif-       On  difoit  Quc  fcpt  ans  auparavant ,  la  Reine  étant  prête  de 
^'"'^"'/"r  ^t  P^^er  de  France  en  Ecolfe ,  le  comte  de  Murray  avoit  con- 
feilléàElizabeth  reine  d'Angleterre,  des'oppofer  à  fon  paffage, 
ôc  que  la  haine  du  frère  contre  fa  fœur  venoit  de  ce  que  n'ayant 
point  d'autre  titre  que  celui  de  Prieur  de  faint  André,  ôc  en 
ayant  demandé  un  autre  plus  relevé ,  la  Reine  le  lui  avoit  refufé 
par  le  confeil  de  fes  oncles  :  Que  la  Reine  étant  arrivée  dans 
le  Royaume,  fon  frère  l'avoit  fouvent  preifée,  en  cas  qu'elle 
mourût  fans  laiffer  d'enfans,  de  fubftituer  la  couronne  à  qua- 
tre perfonnes  de  la  maifon  de  Stuart,  àl'exclulion  des  HamiK 
tons,  ajoutant  la  claufe,fans  diftindion  de  légitimes  ou  illégi- 
times ,  efperant  par  ce  moyen  fe  faire  comprendre  dans  le  nom- 
bre des  quatre  :  Que  la  Reine  ayant  aifément  apperçû ,  par  fa 
pénétration  naturelle ,  le  but  oûtendoit  ce  confeil,  s'étoit  po- 
liment excufée  de  le  fuivrej  ôc  que  pour  contenter  cet  ambi- 
tieux ,  elle  lui  avoit  donné  le  titre  de  comte  de  Marre ,  ôc  puis 
de  Murray  ,  avec  de  très-grands  biens  :  Qu'élevé  par  les  bon- 
tez  de  fa  focur  à  ces  honneurs,  ôc  ayant  beaucoup  de  crédit 

ôc 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  Lï7.   XL.         549 

&  de  pouvoir,  il  avoit  ruiné  la  maifon  des  Gordons,  qui  étoit  

auparavant  une  des  plus  puiiïantes  du  Royaume  :  Qu'il  avoit  ^ 
chaflc  de  la  Cour  le  duc  de  Chatelleraud,  chef  de  la  maifon       jy 
des  Hamiltons  Ôc  fait  mettre  en  prifon  le  comte  d'Arran  fon 
fils  :  Qu'il  avoit  fait  reléguer  en  Angleterre  Jacque  Hepburne  :        ^ 
Qu'il  avoit  tenu  la  Reine  comme  pnfonniere  3  ôc  que  pour  em- 
pêcher qu'elle  ne  fe  mariât  avec  Ferdinand,&  enfuite  avec  Char- 
le  frère  de  l'Empereur  Maximilien,ii  avoit  fait  enfortede  lui  faire 
cpoufer  Henri  d'Arley  '  fon  parent  :  Que  s'érant  auffi-tôt  repenti 
d'avoir  fait  cette  propcfition,  parce  qu'il  croyoit  ce  Seigneur 
contraire  à  la  doiStrine  des  Proteftans ,  il  avoit  prié  Elizabeth 
d'empêcher  ce  maiiage:Que  néanmoins  ayant  été  conclu  jl  avoit 
lié  une  étroite  amitié  avec  Jacque  Duglas  comte  de  Morton, 
homme  ruféjôc  prêt  à  tout  faire  j  à  qu'ayantdélibeié  enfemble,ils 
étoient  convenusjque  puifqu'on  ne  pouvoit  rompre  le  mariage,  il 
falloit  au  moins  s'eîforcer  par  des  intrigues  fecretes  d'y  niettre  la 
divifion  :  Que  Morton,  habile  dans  l'art  de  broùiiler,  avoit  ai- 
fement  perfuadé  au  nouveau  Roi  de  prendre ,  pour  fe  venger 
du  mépris  que  fa  femme  faifoit  de  lui,  toutes  les  marques  de 
la  royauté  j  lui  difant  que  l'ordre  établi  par  la  nature  étoit  que 
les  femmes  obéiffent,  ôc  que  les  mariscommandafTent  :  Qu'en- 
fuite  il  avoit  rempli  de  foupçons  i'efprit  crédule  de  ce  jeune 
Prince  5  ôc  que  pour  l'aliéner  entièrement  de  la  Reine  ,  par  une 
injurefignalée,  il  l'avoit  porté  au  meurtre  de  David  Riz  :  Que 
quoique  le  comte  de  Morton  fe  fut  retiré  en  Angleterre  après 
cet  aflafîinat  (  parce  que  le  Roi  fe  repentoit  d'y  avoir  trem- 
pé )  Ôc  que  le  comte  de  Murray  fe  fût  par  là  rendu  odieux  à 
tout  le  monde  ,  la  Reine  avoit  néanmoins  eu  la  bonté  de  le  re- 
mettre en  grâce  auprès  du  Roi  :  Que  le  comte  de  Murray 
craignant  toujours  pour  lui  ,  ôc  voulant  rendre  le  mal  pour 
le  bien ,  n'avoit  pas  ceffé ,  par  des  vues  d'ambition ,  de  femer 
la  difcorde  entre  le  Roi  ôc  la  Reine  :  Qu'ayant  éré  reconci- 
lié avec  Bothwel,  par  l'entremife  de  la  Reine,  après  des  ini- 
mitiez mortelles ,  il  lui  avoit  fait  efperer  de  lui  faire  époufcr  la 
Reine  fa  fœur  après  la  mort  de  fon  mari  j  lui  offrant  pour  cela 
fes  fervices ,  ôc  ceux  de  Morton ,  qui  avoit  été  rappelle  de  fon 
exil  à  la  Cour  :  Qu'ainfi  Both\7el ,  qui  étoit  encore  le  plus 
en  faveur  ôc  en  crédit  auprès  de  la  Reine  ,  avoit  entrepris 
ji  Ou  Stuart  :  ce^  celui  qu'elle  e'poufa,  ôc  dont  on  vient  de  voir  la  mort  funefie. 

Tom.  V,  li 


570  HISTOIRE 

d'afTaflinei:  le  Roi ,  ôc  que  tous  les  conjurez  s'y  étolent  enga-^ 

ru  A  n  T  p  sez  par  écrit  5  mais  que  dans  le  tems  de  l'exécution ,  le  comte 
jv         deMurray  setoit  ablente  exprès,  pour  écarter  de  lui  tous  les 
(5*T     Soupçons,  ôc  les  faire  tomber  fur  la  Reine j  ôc  pour  être  à  por- 
tée de  fecourir  les  conjurez,  s'il  arrivoit  quelque  chofe  qu'on 
-  n'eût  pas  prévu  :  Qu'après  le  meurtre  du  Roi,  il  avoir  confeillé 
à  la  Reine  d'époui'er  Bothwel,  illuftre  ôcrecommandable  par 
la  grandeur  de  fa  Maifon,  ôcpar  les  grands  fervices  qu'il  avoit 
rendus  à  la  Reine  ôcà  fa  mère  5  mais  qu'en  cela  même  JVlurray 
ôc  Morton  n'avoient  eu  en  vue  que  de  charger  de  la  haine  publi- 
que une  Princeiïe  fnnple  ôc  crédule  ,  que  ce  mariage  ne  man- 
queroit  pas  de  rendre  fufpededu  parricide  de  fonmarij  defa- 
tisfaire  la  haine  particulière  qu'ils  avoient  pour  Bothwel  ,  de 
foulever  la  NoblefTe  contre  la  P\.eine ,  ôc  contre  lui,  ôc  défaire 
enfin  paffer  dans  leurs  mains  le  timon  de  l'Etat  :  Mais  que  pour 
prévenir  les  mauvais  deifeins  de  ces  deux  Comtes,  George  Gor- 
don comte  deHuntley^ôc  Gilefpic  Cambell  comte  d'Argathel, 
qui  avoient  une  parfaite  connoiflance  de  toute  l'affaire ,  avoient 
publié  d'eux-mêmes  un  écrit,pour  attefter^quc  le  comte  de  Mur- 
ray  ôc  le  fecretaire  Lidington  leur  avoient  déclaré  ,  lorfque  la 
Reine  étoità  Gragmilar,  que  Morton ,  Lindfey,  Ôc  Pattice  Re- 
thuen,n'a  voient  formé  ledeflein  de  tuer  Riz,  que  pour  fau  ver  le 
comte  de  Murray  qu'on  devoir  bien-tôt  profcru'ei  ôcque  pour 
marquer  leur  reconnoiffance  à  ces  conjurez ,  Murray  ôc  Lidin- 
gton fouhaitoient  que  Morton  ôcfes  complices  fuffent  rappeliez 
de  leur  exil  :  Que  le  comte  de  Murray  avoit  auffi  flaté  le  comte 
de  Huntley  ,  de  le  faire  rétabHr  dans  les  biens  de  fes  ancêtres > 
ajoutant  néanmoins  que  cela  ne  pouvoit  fe  faire ,  qu'en  trou- 
vant le  moyen  de  caufer  le  divorce  de  la  Reine  avec  fon  mari  : 
Qu'on  avoit  fait  part  à  Bothwel  de  ce  deffein  5  qu'enfuite  on 
avoit  été  trouver  la  Reine  ,  ôc  que  Lidington  en  avoit  ob- 
tenu le  rappel  de  Morton,  de  Lindfey,  de  Rethuen,  ôc  des 
autres  complices  :  Qu'alors  Lidington  avoit  extrêmement  exa- 
géré les  prétendus  mauvais  traitemens  que  la  Reine  avoit  re- 
'   ^ûs  du  Roi  ;  qu'il  avoit  fait  voir  que  ces  injures  mettoient  fa 
perfonne  ôc  fon  Royaume  dans  un  très-grand  danger ,  ôc  qu'en- 
iin  il  lui  avoit  confeillé  de  fe  féparer  de  fon  mari  :  Que  la  Rei- 
ne avoit  répondu ,  qu'elle  aimoit  mieux  fe  retirer  en  France  pour 
un  tems,  jufqu'à  ce  que  fon  mari  fût  revenu  àlui-même,  que  de 


DE  J.   A.   DE   THOU,Lîv.  XL.       sfi 

rien  faire  qui  pût  être  contraire  aux  intérêts  de  fon  fils,  ôcà  fon  - 


propre  honneur  5  ôc  qu'ainfi  ils  priffent  garde  de  rien  entrepren-  C  H  a  R  L  E 
dre  en  fa  confideration ,  qui  tournât  à  fon  défavantage  :  Que  Li-       j  X. 
dington  avoit  pris  6c  le  danger  ôc  le  fuccès  fur  lui  ôc  fur  fes  amis,     1  c  ^  7, 
qui  n'avoient  en  vue  que  le  bien  de  la  Reine  5  l'affurant  qu'on 
ne  feroit  rien  qui  ne  fût  approuvé  par  le  Sénat  :  Que  tels  fu- 
rent les  commencemens  de  la  conjuration,  qui  fut  formée  à 
rinfçû  de  la  Reine  ,  ôc  que  le  meurtre  du  Roi  en  fut  la  fin. 
C'eft  ainfi  qu'on  expofoit  l'affaire  à  la  Cour  d'Angleterre  ,  furie 
témoignage  des  comtes  de  Huntley  &  d'Argathel. 

Comme  on  parloir  par  tout  fort  diverfement  de  cet  horrible 
affaffinat^Ôcquefuivant  les  différentes  conje£lures,ceux-ci  en  ac- 
cufoient  certaines  perfonnes ,  ôc  ceux-là  d'autres  ?  quelques-uns 
imputèrent  ce  crime  à  Jean  Hamikon  archevêque  de  faint  An- 
dré, &  ils  fondoient  leurs  foupçons  fur  la  haine  mortelle  qu'on 
avoit  eue  pour  fon  père,  ôc  fur  fa  reconciliation  toute  récente, 
avec  la  Reine ,  lorfqu'il  l'avoit  accompagnée  à  Glafcow.  Il  y 
avoit  auiîi  d'autres  indices  tirez  du  paffé  &  du  prefent,  que 
chacun  recueilloit  fuivant  fes  préjugez  6c  fapaffion,  6c  qui  don- 
noient  lieu  à  divers  jugemens.  La  nouvelle  s'en  répandit  en 
France ,  ôc  on  y  attribua  la  conjuration  aux  Grands  du  Royau- 
me, qui  étoient  attachez  à  l'ancienne  Religion  ,  6c  quiavoient, 
dit-on ,  formé  ce  projet ,  dans  la  crainte  que  la  Religion  de  leurs 
pères  ne  fût  entièrement  renverfée  par  un  Roi,  qui  penchoit 
du  côté  des  Proteftans.  Le  comte  de  Murray ,  qui  avoit  eu  bien 
de  la  peine,  la  veille  du  meurtre ,  à  obtenir  de  la  Reine  la  per- 
mifiion  d'aller  voir  fa  femme  qui  fe  mouroit  ,  revint  fur  le 
champ  au  bruit  de  ce  qui  s'étoit  paffé  j  il  courut  alors  rifque  de 
fa  vie  î  car  Bothwel,qui  apprehendoit  un  concurrent,  que  la 
Reine  6c  lui  ne  pouvoient  fouffrir ,  s'étoit  chargé  de  lui  ôter 
la  vie. 

Peu  de  tems  auparavant  Pie  V.  avoit  envoyé  à  Marie  reine 
d'Ecoffe  Vincent Lauro,archevêque  de  Monreai  en  Sicile, Pvé- 
îat  recommandable ,  non  feulement  par  fa  rare  érudition ,  mais 
encore  par  fon  habileté ,  ôc  par  fon  expérience  dans  les  aflfai- 
reà.  Il  étoit  chargé  d'une  lettre  écrite  de  la  propre  main  du 
Pape ,  par  laquelle  il  affûroit  cette  Princeffe  de  Faffedion  vraie- 
ment  paternelle,  qu'il  avoit  pour  elle  6c  pour  fon  Royaume, 
ôc  du  defir  ardent  qu'il  avoit  d'y  maintenir  6c  affermir  l'ancienne 

li  ij 


2^2  HISTOIRE 

Religion.  Lorfque  ce  Nonce  fut  arrivé  à  Paris  ,  l'archevcque 
Charle  ^^  Glafcow ,  ambaiïadeur  d'Ecofle  à  la  Cour  de  France^  lui 
j  X.        remit  une  lettre  de  la  Reine ,  par  laquelle  cette  Princeffe ,  après 
i  $  6 1,     ^^^  avoir  marqué  qu'elle  fouhaitoit  ardemment  de  le  voir  arri- 
ver en  EcofTe,  le  prioit  néanmoins  de  différer  encore  un  pea 
de  tems,  jufqu'à  ce  que  les  reftes  des  derniers  troubles  fulfent 
entièrement  éteints  ,  afin  qu'il  nût  alors  faire  fon  entrée  dans 
le  Royaume  avec  plus  de  fùreré  ôc  de  dignité.   Laurodefoii 
côté  récrivit  à  la  Reine ,  pour  l'exhorter  &  la  preOer  par  les  plus 
fortes  raifons  quil  put  imaginer ,  de  rétablir  la  Religion  en  Ecof- 
fe.  Il  lui  envoya  pour  cet  effet  Edouard  Hay  Jefuite ,  pour 
lui  parler  en  fecrct,  ôc  pour  fîater  fes  efperances,  en  lui  faifant 
entendre  que  la  Reine  Elizabeth  étant  déchue  de  fon  droit  à 
la  couronne,  comme  prolcrite  ôc  excommuniée^  il  ne  fcroit 
pas  impoffible  de  mettre  fa  Majefté  en  polTeffion  du  Royau- 
me d'Angleterre  ,  qui  luiappartenoit  déjà  comme  à  la  plus  prO' 
che  héritière.  Trois  mois  s'érant  écoulez  de  cette  façon ,  Lauro 
jugea  qu'il  ne  convenoitni  à  fa  perfonne  ,  ni  à  fa  dignité,  de 
refter  Çi  long-tems  à  Paris  j  ôc  perfuadé  qu'un  plus  long  délai  la 
rendroit  méprifable  aux  uns ,  ôc  fufpeél  aux  autres ,  il  envoya 
l'évcque  de  Dublin  à  la  Reine,  pour  la  prefler  de  lui  donner  au 
plutôt  le  moyen  de  palier  en  EcolTe. 

La  Reine  propofa  deux  chofes  à  l'afTemblée  des  Etats  :  QuQ 
le  batême  du  Prince  fon  fils  fe  fit  avec  les  anciennes  cérémo- 
nies, ôc  que  le  Nonce  du  Pape  fut  reçu  dans  le  Royaume 
avec  tous  les  honneurs  qui  lui  étoient  dûs.  La  première  de 
cespropofitions  fut  agréée  du  confentement  unanim.e  de  tous 
les  Ordres  ;  ôc  on  remit  à  un  autre  tems  à  délibérer  fur  la  fé- 
conde. Vincent  Lauro  réfolu  de  paffer  en  Ecoife ,  étoit  déjà 
arrivé  à  Anvers  (  car  le  paffage  par  Calais  n  étoit  pas  fur  à 
caufe  de  la  proximité  de  l'Angleterre  )  lorfqu'on  reçût  la  nou- 
velle du  meurtre  du  Roi ,  ôc  des  troubles  que  cette  attion  dé- 
teftable  avoit  eau  fez  en  Ecoffe.  Ainfi  s'évanouit  l'efperance 
qu'on  avoit  conçue  du  rétablilTement  de  la  Religion  en  ce 
Royaume  j  le  Pape  rappella  Lauro,  Ôc  ce  Prélat  retourna  en 
Sicile  pour  avoir  foin  de  fon  troupeau 
La  Reine  ne  Quoique  la  Reine  eût  d'abord  réfolu  d'appaifer  le  peuple 
carde  aucune  par  une  affeûation  de  triftefle ,  elle  fe  lailTa  d'abord  entraîner 
aienfcance.     ^  ^^^  penchant ,  ÔC  par  une  impatience  de  femme  elle  ne  voulut 


t^mamBemàieS^- 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.XL.        is^ 

pas  s'aiïujettir  à  Pancienne  coutume,  félon  laquelle  les  Reines 

doivent ,  pendant  quarante  jours  après  la  mort  de  leurs  maris,  Gharle 
non  feulement  ne  pas  paroître  en  public,  mais  ne  pas  voir       j-^ 
le  jour.  Elle  fit  auln-tôt  ouvrir  les  fenêtres ^  &  le  douzième  jour  ^' 

de  fon  deuil ,  fans  Te  foucier  de  tout  ce  qu'on  en  pouvoir  dire, 
elle  alla  à  Seton  à  fcpt  milles  d'Edimbourg  ,  ayant  toujours  à 
fes  cotez  Borhwel ,  qui  étoit  particulièrement  accufé  du  meur- 
tre du  Roi.  Du  Croc  ,  qui  étoit  chargé  des  affaires  du  Roi  de 
France  en  Ecoffe ,  eut  bien  de  la  peine  à  l'engager  à  reve- 
nir à  Edimbourg ,  en  lui  remontrant  qu'une  telie  conduite  la 
perdroit  dhonneur  chez  tous  les  étrangers.  De  retour  dans 
cette  capitale.  Ion  premier  foin  fut  de  faire  déclarer  Bothwel 
mnocent  du  meurtre  du  RoL  Le  juge  criminel  commença  la 
procédure  chez  le  comte  d'Argathel,  ôc  les  témoins  furent  pro- 
duits. Mais  comme  ils  varioient ,  ôc  que  les  domefliques,  in* 
terrogez  fur  l'entrée  des  affalfins  dans  la  maifon ,  répondirent 
qu'ils  n'avoient  pas  les  clefs  ,  mais  qu'elles  étoient  entre  les 
mains  de  la  Reine ,  on  diifera  la  procédure  ,  ôc  enfin  on  n'en 
parla  plus.  Toutefois  pour  faire  croire  qu'on  ne  l'avoir  pas  en- 
tièrement abandonnée,  on  pubhaun  édit,  par  lequel  on  promet- 
toit  une  fomme  d'argent  à  ceux  qui  en  découvriroient  les  cir- 
confiances. 

Cependant  le  peuple  murmuroit  hautement:  on  répandoit 
des  libelles,  on  expofoit  des  tableaux,  ôc  on  faifoitla  nuit  des 
cris ,  qui  faifoient  fentir  aux  coupables  que  leurs  fecrets  avcient 
tranfpiré  jufqu'au  peuple.  La  Reine ^  extraordinairemenr  irri- 
tée ,  fit  faire  de  très  exades  informations,  pour  découvrir  les  au- 
teurs des  libelles  j  ôc  elle  déclara  par  un  édit,  qu'on  traiteroit 
comme  criminels ,  non  feulement  ceux  qui  les  auroient  publiez, 
mais  même  ceux  qui  les  auroient  lus.  Au  lieu  de  fermer  la 
bouche  du  peuple  par  ces  rigoureufes  ordonnances ,  comme  les 
affaffins  du  Roi  l'avoient  efperé  ,  on  ne  fit  qu'augmenter  fon 
reffentiment  ôcfon  indignation  ,ôc  on  y  mit  le  comble  par  une 
adion  qui  a  peu  d'exemples  :  ce  fut  la  diflribution  qu'on  fit  fans 
pudeur,  des  armes,  des  chevaux,  ôc  des  meubles  du  feu  Roi , 
entre  les  ennemis  de  fon  père ,  ôc  ceux  qui  étoient  le  plus  foup- 
çonnez  d'avoir  trempé  dans  ce  parricide  ;  de  forte  qu'un  tailleur, 
qui  racommodoit  un  habit  du  feu  Roi  pour  l'ufage  de  Bothwelj 
eut  la  hardi  elfe  de  dire  ^  qu'il   voyoit  bien  qu'on  obfervoit 

1  i  iij 


2>4  HISTOIRE 

•■  religieufemcnt  le  droit  ôc  la  coutume  reçue ,  félon  laquelle  la 

C  H  A  R  L  E  ci^po^iills  du  mort  appartient  au  bourreau. 

JX.  I-a  Reine  perfuadée  que  le  château  d'Edimbourg  lui  étoit 

4  c  (^  7.  neceflaire  ,  pour  contenir  le  peuple  qui  ctoit  en  mouvement , 
traita  avec  Jean  Areskin  comte  de  Marre,  qui  éroit  malade  à 
Sterlin  5  ôc  pour  le  déterminer  à  lui  remettre  le  château  entre  les 
mains,  elle  lui  fit  efperer  de  lui  donner  fon  fils  à  garder^  comme 
un  gage  de  fa  fidélité  à  obferver  le  traité.  Les  foupçons  &  les  dé- 
fiances de  part  6c  d'autre  retardèrent  affez  long-tems  la  conclu- 
fion  de  ce  traité ,  qui  fut  enfin  figné.  Comme  le  jour  de  Taflem- 
blée ,  qui  avoit  été  indiquée  au  1 3  d'Avril,  approchoit,  on  vou- 
Vains  efforts  ^"^  ^^  prévenir  par  le  jugement  précipité  de  Bothwel.  La  cou- 
peur juftifier  tume  dans  de  pareilles  caufes  eft  de  citer  les  accufateurs  >  la 
iLthweî  ^^  femme  ^  le  père ,  la  mère ,  l'enfant ,  afin  qu'ils  comparoilfent  par 
eux  mêmes ,  ou  par  Procureur  dans  le  tems  porté  par  les  loix , 
c'eft-à-dire  dans  quarante  jours.  Mathieu  duc  de  Lenox,  père 
du  feu  Roi  y  eut  ordre  de  comparoître  ,  fans  être  alFifté  de  fes 
amis ,  avec  fa  feule  maifon ,  que  la  pauvreté  avoit  réduite  à  un 
très  petit  nombre  de  domeftiques.  Mais  il  aima  mieux,  par  hon- 
te ou  par  crainte ,  ne  pas  fe  préfenter.  Ainfi  fon  Procureur  l'ayant 
excufé,  les  Juges,  menacez  d'être  traitez  comme  des  criminels  de 
ieze-majefté ,  furent  contraints  de  prononcer,  qu'ils  ne  voyoient 
pas  de  fujet  pour  condamner  Bothwel  :  ajoutant  néanmoins  que 
leur  Sentence  ne  pourroit  préjudiciel  à  quiconque  voudroit 
dans  la  fuite  intenter  une  accufation  contre  lui ,  dans  toutes  les 
formes  prefcrites  par  le  droit.  Bothwel  ,  plutôt  renvoyé  hors 
de  Cour  que  déchargé ,  entreprit  de  fe  juftiiier ,  ôc  de  faire  con- 
noître  fon  innocence ,  en  faifant  aflBcher  dans  la  place  publi- 
que un  cartel  de  défi,  par  lequel  il  déclaroit,  qu'il  étoit  prêt  de 
combattre  avec  tout  homme  de  famille  honnête  &  de  bonne 
réputation ,  qui  l'accuferoit  du  meurtre  du  Pvoi.  Il  y  eut  d'au- 
tres affiches  en  réponfe ,  par  lefquelles  on  acceptoit  le  défi ,  pour- 
vu qu'on  défignât  un  heu  pour  le  combat,  où  l'on  pût  fe  faire 
connoître  fans  danger. 
Son  mariage  Cependant  Bothwel  ,  qui  afpiroit  ouvertement  à  l'honneur 
avec  a  ezne.  ^'^pQjjfgj.  [^  Reine ,  cxtorqua  des  Seigneurs,  qui  étoient  fes  amis, 
un  confentement  figné  de  leur  propre-main.  Il  obtint  la  même 
chofe  des  Evêques  qui  étoient  à  Edimbourg.  Après  cela,  la 
Reine  étant  allée  à  Sterlin  voir  fon  fils ,  Bothwel ,  de  concert 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  ^^^ 

avec  elle,  fe  trouva  fur  le  chemin,  au  pont  d' Ain-ion,  fîtfem- 
blant  de  l'enlever ,  ôc  la  mena  à  Dumbar.  Mais  il  y  avoir  un  Char  le 
autre  obftacle  à  ce  mariage ,  qu'on  jugea  à  propos  de  lever,  \y^ 
tandis  que  la  Reine  étoit  à  Dumbar ,  avec  fon  ravilTeur.  Bothwel  i  ç  5  7, 
avoit  époufé  une  Hlle  de  la  maifon  de  Gordon  j  ôc  pour  faire 
ce  mariage  ,  il  s'étoit  fcparé  de  la  femme  qu'il  avoit ,  laquelle 
étoit  encore  vivante  :  de  forte  que  c'étoit  moins  un  mariage  > 
qu'un  adultère.  On  obligea  donc  la  première  femme  à  intenter 
une  adion  en  caffation  de  mariage  devant  les  Juges  Royaux, 
&  devant  les  Juges  Ecclcfiaftiques.  Dans  l'un  ôc  dar^  l'autre 
tribunal,  Bothwel  e'toit  accufé  d'adultéré  ;  c'étoit  pour  les  Ju- 
ges royaux  une  raifon  fudifante  de  caiïer  le  mariage  ,  &  d'or- 
donner  le  divorce.  Pour  engager  le  Juge  Eccléfiaftique  à  pronon- 
cer de  la  même  façon,  on  ajouta  qu'avant  le  mariage  Bothwel 
avoit  été  en  commerce  avec  une  proche  parente  de  fa  femme. 
Le  procès  fut  intenté,  plaidé  ôc  jugé  dans  l'efpace  de  dix  jours. 
L'archevêque  de  S.  André  ,  qui  étoit  un  des  Juges ,  fe  préta. 
d'autant  plus  volontiers  à  ce  que  la  Reine  fa  parente  fouhaitoit 
dans  cette  affaire ,  que  la  voyant  fe  précipiter  elle-mcme  ,  & 
courir  à  fa  perte ,  il  efperoit  que  l'adminiilration  des  affaires  re- 
viendroit  bien-tôt  aux  Hamiltons j  fes  proches  parens  ôc  héritiers 
du  Royaume. 

Cette  première  difficulté  étant  levée ,  il  en  reftoit  encore  deux 
autres  5  c'efi:  que  la  Reine  étant  à  Dumbar  ,  comme  prifonnie- 
re  ,  entre  les  mains  de  Bothwel ,  (  car  on  le  difoit  ainfi  )  on  ne 
pouvoit  légitimement  la  fiancer  i  ni  publier  fes  bans  par  trois 
Dimanches.  C'eft  pourquoi  afin  de  la  mettre  en  liberté  de  con- 
trader ,  ôc  d'obferver  toutes  les  cérémonies  de  l'Eglife  ,  on  la 
ramena  à  Edimbourg,  où  ayant  déclaré  ôc  affirmé  devant  les 
Juges ,  qu'elle  étoit  libre  ôc  maîtrefle  de  fa  perfonne  ,  le  Prédi- 
cateur requis  par  les  Diacres  ôc  les  anciens,  qui  n'avoient  ofé 
refifter  ,  publia  les  promeflfes  du  futur  mariage  entre  Jacque 
Hepburne ,  créé  depuis  peu  duc  des  Orcades ,  Ôc  Marie  Stuart, 
L'évêque  des  Orcades  appuya  ce  mariage  de  toute  fon  autori- 
té, tandis  que  prefque  tout  le  monde  crioit,  ôc  difoit  haute- 
ment J  qu'on  ne  pouvoit,  félon  lesloix,  marier  un  homme  qui 
avoit,  difoit-on,  deux  femmes  vivantes ,  ôc  qui  avoit  depuis  peu 
de  tems  fait  un  aveu  honteux  de  fon  infaiiie  adultère  ,  pour 
fe  féparer  d'une  troifiéme. 


s;5  HISTOIRE 

Le  mariage  ayant  été  célébré  dans  l'Eglife ,  très  peu  de  per- 

Charle  ^'^"^^^^'  ^ors  les  amis  Ôc  les  parens  de  Bothwel,  fe  trouvèrent 
j  -^  au  feftin ,  ôc  tous  les  autres  fe  retirèrent  chez  eux  pleins  d'in- 
j  ^  ^  *  dignation  ,  difant  que  la  Reine  en  époufant  Bothwel ,  n'avoit 
pas  fait  un  vrai  mariage  ,  ôc  s'étoit  reconnue  publiquement 
complice  du  meurtre  du  Roi  ,  dont  Bothwel  étoit  atteint  ôc 
convaincu  dans  l'efprit  de  tous  les  gens  de  bien.  Du  Croc  mê- 
me chargé  des  affaires  de  France ,  quoi  qu'attaché  aux  Guifes, 
refufa  conflamment  d'y  venir,  perfuadé  qu'il  n'étoit  pas  de  la 
dignité  de  fon  miniftere  d'y  alTiiter  :  ôc  quelques  raifons  qu'on 
pût  lui  apporter ,  jamais  on  ne  put  le  déterminer  à  honorer  de 
ia  préfence  des  noces  ,  que  le  peuple  chargeoit  de  maledidions 
Ôc  d'exécrations ,  que  les  parens  de  la  Reine  défaprouvoient , 
ôc  qu'il  fçavoit  en  particulier  être  en  horreur  à  la  maifon  de 
Guife.  La  Reine  voyant  que  quand  elle  marchoit  dans  la  ville 
avec  fon  nouveau  mari, le  peuple  ne  faifoit  plus  les  acclama- 
tions ordinaires,  ôc  recevant  de  toutes  parts  des  nouvelles, qui 
lui  apprenoient  que  ce  mariage  l'avoir  déshonorée  dans  toutes 
les  Cours  étrangères,  elle  reconnût  enfin ,  mais  trop  tard,  que 
c'étoit  là  une  de  ces  fautes,  qu'il  efl  plus  aifé  de  commettre, 
que  d'excufer. 

Ainfi  ayant  tenu  Confeil,  pour  délibérer  fur  les  moyens  de 
maintenir  fa  puiiïance  au  dedans,  ôc  de  conferver  fa  réputation 
au  dehors ,  dans  la  trifte  fituation  où  étoient  fes  affaires ,  elle  re- 
folut  fur  toutes  chofes  d'envoyer  quelqu'un  de  fa  part  en  Fran- 
ce, au  Roi ,  à  la  Reine-mere  ?  ôc  à  fes  oncles.  Elle  choifit  pour 
cette  ambaffade  Guillaume  évêque  de  Dumblan  ,  à  qui  elle 
donna  des  inflrutlions  dreffées  par  elle-même.  Elle  s'excufoit 
d'abord,  de  ce  que  les  bruits  publics  leur  avoient  appris  l'ac- 
compliffement  oe  fon  mariage ,  avant  qu'elle  leur  eût  fait  fça- 
voir  fes  intentions  ôc  fes  deffeins.  Elle  relevoit  enfuite  les  ver- 
tus de  Bothwel ,  ôc  les  grands  ôc  importans  fervices  qu'il  avoit 
Tendus  à  fEcoffe  du  vivant  de  fa  mère,  ôc  à  elle-même  depuis 
fon  fécond  mariage.  Elle  ajoûtoit ,  que  par  ces  fervices  Bothwel 
avoit  fait  voir  à  tout  le  monde  fon  obéïlfance  ôc  fa  fidélité  pour 
la  majefté  Royale  j  mais  qu'en  fervant  bien  l'état,  il  s'étoit  atti- 
ré la  haine  de  plusieurs  perfonnes  ,  qu'il  n'avoit  jamais  offen« 
fées  en  particulier  j  ce  qui  n'étoit  pas  étonnant  dans  un  Royau- 
nie  aufïï  fujet  aux  troubles  ôc  aux  rebellions.  Qu'après  la  mort 

de 


»«B«miji.i»*i»«i 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  .  L I V.  XL.         257 

de  fon  dernier  mari ,  Bothwel  étoit  devenu  très  hardi ,  fans  néan- 

moins  rien  diminuer  de  fon  zèle  ôc  de  fes  foins  pour  ie  bien  de  /^ 
l'Etat.  Enfin  qu'il  en  étoit  venu  à  ce  point  d'arrogance,  de  lui        j  w 
dire  à  elle  même,  qu'elle  n'avoir  point  d'autre  moyen  de  recon- 
noître  fes  fervices,  que  de  fe  donner  à  lui  :  qu'une  pareille  pro-       ^      '* 
polition  avoit  paru  à  la  Reine  bien  nouvelle  ôc  bien  fâcheufe; 
mais  que  le  Royaume  étant  tout  en  combuftion,  on  avoit  jugé 
qu'elle  devoit  dilTimuier  fon  chagrin  :  Que  fon  ambition  le  por- 
tant à  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand,  il  avoit  profité  de  la  famiHa- 
r Jté  qu'il  s'étoit  acquife  par  fes  fervices  continuels ,  pour  per- 
fuader  à  la  Noblefle  ,  que  fi  elle  vouloir  bien  confentir  à  fon 
mariage  avec  la  Reine,  fa  Majefté  ne  s'en  éloigneroit  pas  :  Qu'a- 
près avoir  obtenu  ce  confentement,  il  avoit  eu  affez  de  hardief- 
fe }  pour  joindre  la  violence  aux  prières  3  ôc  qu'il  avoit  eu  l'au- 
dace de  l'enlever  en  chemin  ,  lorfqu'elle  revenoit  de  voir  fon 
fils,  ôc  de  l'emmener  avec  lui  à  Dumbar  :  Que  la  Reine  ayant 
vu  avec  furprife  un  confentement  figné  des  Grands ,  auquel 
elle  ne  fe  feroit  jamais  attendue  ,  ayant  fait  de  ferieufes  refle- 
xions fur  les  fervices  de  Bothwel ,  prévoyant  d'ailleurs  que  les 
EcofTois  ne  foufFriroient  pas  long-tems  une  Reine  fans  mari , 
elle  s'étoit  enfin  rendue  à  ces  raifons ,  avoit  cédé  à  la  force  ôc 
à  la  neceffité  ,  ôc  lui  avoit  promis  de  l'époufer  :  Que  Bothwel 
ayant  commencé  par  une  attion  hardie ,  ôc  étant  parvenu  au 
premier  degré ,  n'avoir  point  eu  de  patience  qu'il  ne  fût  arrivé 
au  dernier  •>  qu'il  n'avoir  ceffé  de  la  preiïer  Ôc  de  l'importuner , 
en  ajoutant  des  raifons  aux  prières  ,  jufqu'à  ce  qu'il  eûr  obte- 
nu d'elle  f  fans  force  ôc  fans  violence ,  que  le  mariage  promis 
s'exécuteroit  fans  différer  davantage  :  Que  la  Reine  ne  pouvoit 
dilTîmuler,  qu'ill'avoit  traitée  autrement  qu'elle  n'auroit  voulu  , 
ôc  qu'elle  ne  l'avoit  mérité  :  Que  Bothwel  avoit  plus  fongé  à 
fatisfaire  fa  paffion,  qu'à  faire  plaifir  à  la  Reine  -,  ôc  qu'il  n'avoit 
pas  eu  afiez  d'égard  aux  bienléances ,  que  devoit  obferver  une 
Princefie  élevée  dan<  l'ancienne  Religion ,  dont  elle  déclaroit 
enpafiantque  ni  lui  ni  aucun  autre,  ne  pourroient  jamais  la  dé- 
tacher :  Qu'elle  reconnoifl!bit  fincerement  qu'elle  avoit  fait  en 
cela  une  faute  5  mais  qu'elle  prioit  le  Roi ,  la  Reine  ,  fes  on- 
cles, ôc  fes  amis,  de  ne  la  lui  pas  reprocher  ,  ôc  de  n'en  pas 
faire  un  crime  à  Bothwel  •.  Qu'étant  impofliblc  que  ce  qui  eftfait 
ne  le  foit  pas ,  elle  étoit  refoluë  de  le  prendre  dans  la  meilleure 
Tome  V»  K  k 


2;8  HISTOIRE 

part  ,  &  de  lui  donner  l'interprétation  la  plus  favorable  qu'el- 
Ch  \p  LE       pourvoit  :  Que  Bothwel  étant  véritablement  fon  mari,  elle 
I  x'       vouloir  Teflimer  ,  l'aimer  6c  le  refpe£ler  :  Que  ceux  qui  fai- 
j  ^  ^'       foient  profelTion  d'être  amis  de  la  Reine,  dévoient  auffi  fc dé- 
clarer les  amis  de  celui  qui  lui  étoit  uni  par  des  liens  indiflb- 
lubles  :  Qu'elle  fouhaitoit  donc  que  le  Roi,  la  Reine-mere  »  fes 
oncles ,  ôc  fes  amis ,  n'euffentpas  moins  d'amitié  pourBothwel  ^ 
quoi  qu'il  eût  agi  avec  elle  trop  librement ,  Ôc  peut-être  avec 
trop  de  hardielTe  &  de  témérité  (  ce  qu'elle  attribuoit  à  la  vio- 
lence de  fon  amour)  que  fi  tout  jufqu'à  ce  jour  avoit  été  fait 
de  leur  confentement  ôc  à  leur  gré. 
Ligues  pour       Voilà  les  remèdes  qu'on  employa  ^  contre  la  mauvaife  repu- 
&  contre  la     tation  quc  Alarie  s'étoit  acquife  au  dehors.  Mais  pour  le  dedans 
mari.  ^    "     du  Royaume  ,  elle  ne  penfa  qu'à  fe  concilier,  ôc  s'affurer  par  des 
préfens ,  ou  par  des  promefTes ,  les  auteurs  ôc  les  complices  de 
la  mort  du  Roi  :  elle  méprifa  tous  les  autres.  Elle  agifîbit  avec 
d'autant  plus  de  fécurité  ,  qu'elle  s'imaginoit  pouvoir  s'en  dé- 
faire fans  peine ,  s'ils  s'opiniâtroienf  à  lui  refifter.  Elle  apprit  de- 
puis, que  quelques  Seignelirs  s'étoient ligués,  fous  prétexte  de 
veiller  à  la  confervation  du  petit  Prince  ,  qu'ils  difoient  que  la 
Reine  vouloir  mettre  entre  les  mains  de  fon  beau-pere.  Pour 
juftifier  leur  confédération^  ces  Seigneurs  difoient ,  que  Bothwel 
vouloit  perdre  cet  enfant ,  ôc  qu'il  paroifïoit  qu'il  s'en  déferoit  à 
la  première  occafion  j  afin  qu'il  ne  reftât  perfonne  pour  venger  la 
mort  de  fon  père ,  ou  pour  précéder  dans  l'ordre  de  la  fuccef- 
fion  à  la  couronne  les  enfans  que  Bothwel  pourroit  avoir  de  la 
Reine.  Les  chefs  de  la  confédération  étoient  Gilepfic  de  Cam- 
bell  comte  d'Argathel ,  Jacque  Duglas  comte  de  Morton ,  Jean 
Areskin  comte  de  Marre  ,  Jean  Stuart  comte  d'Athol ,  Ale- 
xandre de  Cunnigham  comte  de  Glencarn ,  Patrice  Lindfey  , 
ôc  Robert  Boid.  Mais  bien-tôt  après  le  repentir  détacha  de  la 
confédération ,  ôc  fit  paffer  dans  le  parti  contraire  le  comte 
d'Argathel  ôc  Boid. 

La  Reine  par  une  extrême  imprudence  tâcha  de  faire  une 
ligue  contraire  à  celle-là  j  s'imaginant  faulTement  que  la  puifTan- 
ce  légitime  pouvoit  s'aflTermir  par  les  fa6lions ,  plutôt  que  pat: 
la  bonne  conduite  5  ôc  ne  penfant  pas  que  ,  comme  l'autori- 
té s'acquiert  par  les  bonnes  manières,  elle  fe  perd  par  \qs  mau- 
vaifes  >  ôc  que  la  majeftc  deftituée  de  la  vertu  ne  tarde  pas  à 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XL.  2;p 

s'évanouir.  Les  articles  de  cette  ligue,  fur  lefquels  on  força  les  «^—i-ui^ii»  ' 

complices,  &  la  plus  grande  partie  de  la  Noblelle  à  faire  fer-  C H  ah  le  1 

ment ,  croient  de  défendre  en  toutes  chofes  la  Reine  ôc  Bothwel        j  x  1 

fon  mari,  ôc  d'appuyer  de  toutes  leurs  forces  tout  ce  qu'ils  juge-      i  <;  C.  ' 

roient  à  propos  de  faire.  La  Reine  ôc  Bothwel  s'engageoienc  ] 

de  l'autre  part  à  protéger  les  Confédérez ,  à  veiller  ôc  à  pour-  i 

voir  ,  autant  qu'ils  pourroient ,  à  leur  confervation  ôc  à  leurs  i 

intérêts.  On  manda  le  comte  de  Murray ,  pour  lui  faire  ligner  I 

cette  ligue  avec  les  autres  ;  mais  il  le  refufa  conftamment ,  &  ' 

on  ne  put  l'y  engager  ni  par  prières,  ni  par  menaces  :  il  répon- 
dit toûjoiirs ,  qu'il  ne  pouvoit  ni  juftement ,  ni  honnêtement  faire 
une  ligue  avec  fa  Souveraine  ,  à  qui  il  étoit  obligé  d'obéir  en  -I 

tout  j  que  par  foûmiffion  à  fes  ordres  il  s'étoit  reconcilié  avec 
Bothwel  j  qu'il  garderoit  exactement  tout  ce  qu'il  avoit  alors 
promis  j  mais  qu'il  étoit  perfuadé ,  qu'il  étoit  de  la  juftice ,  ôc  du 
bien  de  l'Etat,  de  ne  faire  aucune  ligue^  ni  aucune  confédération, 
foitavec  lui,  foit  avec  quelqu'autre  que  ce  pût  être.  Dans  tou- 
tes les  converfations  que  le  Comte  eut  avec  Bothwel,  il  éluda  par 
fa  modération  ôc  par  fa  retenue  toutes  les  occafions  de  querelle, 
que  Bothwel  cherchoit ,  ôc  il  perfifta  courageufement  dans  fon 
refus.  La  Reine,  qui  appréhendoit  que  fa  fermeté  ne  devînt  un 
exemple  ,  que  bien  d'autres  pourroient  fuivre ,  ôc  qui  ne  vouloit 
pas  qu'il  fe  retirât  à  Murray  ,  lui  permit  d'aller  en  France ,  en 
Allemagne,  ou  en  quelqu'autre  lieu  qu'il  voudroit. 

Cependant  les  Confédérez  s'imaginant  que  le  peuple  favo-      Guerre  en- 
riferoit  leurs  entreprifes  ,  levèrent  deux  mille  hommes  fi  fecré-  ^jV^?>'^^'''r' 
tement,  qu  Alexandre  de  Humes  vint  a  leur  tête  allieger  liorth-  aérez. 
wich  ,  oi^i  étoit  la  Reine  avec  Bothwel,  avant  que  l'un  ôc  l'au- 
tre en  euflent  rien  fçû.  Aîais  comme  une  partie  des  Confédé- 
rez n'étoient  pas  venus  au  tems  marqué ,  par  le  retardement  ) 
du  comte  d'Athol ,  qui  les  retint  à  Sterlin  ,  ôc  que  de  Humes  I 
n'avoit  pas  affez  de  monde  pour  fermer  toutes  les  avenues, 
Bothweh  ôc  la  Reine  fous  un  habit  d'homme  ,  fe  fauverent, 
&  allèrent  droit  à  Dumbar.  Les  Confédérez  ayant  perdu  cette  : 
occafion  ,  ôc  ne  voulant  pas  relier  fans  rien  faire  ,  marchèrent                               \ 
vers  Edimbourg  ,  pour  s'en  rendre  les  maîtres.  Jacque  Balfour                               i 
étoit  dans  le  château  où  Bothwel  l'avoit  mis  î  on  croyoit  qu'il                               ! 
étoit  fon  confident ,  ôc  par  conféquent  complice  du  meurtre 
du  Roi.  Mais  foit  qu'on  ne  lui  tînt  pas  les  promefies  qu'on  lui 

Kkij 


s,6o  HISTOIRE 

^  avoit  faites  ,  foit  que  Both\(^el  eût  voulu  lui  ôter  le  gouverne- 

C  H  A  R  L  E  ^^^^  ^"  château ,  &  que  cela  lui  eût  fait  abandonner  fon  parti  ; 
j^  il  avoit  promis  aux  Confédcrez  de  mettre  cette  place  entre 
j  -  jj*  leurs  mains.  Ils  vinrent  donc  pour  cet  effet  à  Edimbourg,  où 
étoient  l'archevêque  de  S.  André,  George  Gordon  comte  de 
Huntley ,  &  Jean  Lefley  évêque  de  Rofle,  du  parti  de  la  Rei- 
ne. Ceux-ci  voyant  que  les  habitans  avoient  reçu  les  Conjurez 
dans  la  ville  ,  fe  rendirent  dans  la  place  publique ,  pour  offrir 
au  peuple  de  fe  mettre  à  leur  tête  :  mais  perfonne  ne  venant  à 
eux ,  ils  fe  retirèrent  dans  le  château  >  où  Balfour  les  reçut  ,  & 
ies  Ht  bien-tôt  fortir  par  une  porte  de  derrière ,  fans  leur  faire 
aucun  mal  j  parce  que  n'ayant  pas  encore  conclu  fon  traité 
avec  les  Confédérez ,  il  ne  vouloir  pas  fe  fermer,  du  côté  de  la 
Cour,  toute  efpérance  de  rentrer  en  grâce. 

Les  Confédérez  s'étant  rendus  maîtres  d'Edimbourg ,  &  te- 
nant la  Reine  &  Bothwel  comme  affiégez   dans  Dumbar , 
ils  fe  croyo.ient  au  comble  de  leurs  vœux  ,  lorfque  ,  contre 
toute  efpérance  ,  les  chofes  changèrent  tout-à-coup  de  face. 
Non-feulement  ceux  qui  étoient  impliquez  dans  le  meurtre 
du  Roi ,  mais  un  grand  nombre  d'autres,  touchés  decompaf- 
fhDn  à  la  vûë  du  trifte  fort  de  la  Reine  ,  accoururent  à  fon 
fecours.  Les  Confédérez  au  contraire  fe  trouvoient  réduits  à 
de  grandes  extrêmitez  :  peu  de  gens  les  venoient  joindre  :  l'ar- 
deur du  peuple  fe  rallentiffoit  ;  &  ils  n'avoient  pas  ce  qui  étoit 
neceffaire  pour  former  des  fiéges.  Tandis  qu'ils  étoient  dans 
l'inquiétude,  ôc  qu'ils  délibéroient  fur  ce  qu'ils  avoient  à  fau-e, 
la  Reine ,  ou  féduite  par  de  mauvais  confeils ,  ou  animée  par 
de  vaines  efpérances  ,  refolut  d'aller  à  Lyth  ,  s'imaginant  qu'à 
fon  arrivée  il  viendroit  un  plus  grand  nombre  de  gens  fe  join- 
dre à  elle  5  6c  que  fa  préfence  ne  manqueroit  pas  d'infpirer  du 
courage  à  fes  amis  ,  6c  de  la  terreur  à  les  ennemis.   Ceux  qui 
étoient  auprès  de  cette  Princeffe  ,  nourriffoient  cette  fauffe 
confiance  par  leurs  lâches  flatteries  ',  ôc  ils  l'affuroient  que  fon 
courage  6c  fa  vertu  ne  trouveroient  rien  de  difficile.  Cepen- 
dant ii  elle  eût  feulement  demeuré  encore  trois  jours  dans  le 
château  de  Dumbar ,  les  Confédérez  qui  n'avoient  point  de 
groffe  artillerie  ,  auroient  été  contraints  de  retourner  chacun 
chez  eux.  La  Reine  étant  donc  venue  à  Seton  dans  un  jour, 
ôc  ayant  diilribué  fes  troupes  dans  les  villages  voifins,  on  vir-t 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XL.          2^1  \ 

sufli-tôt  en  donner  avis  aux  Confédcrez.  Ils  fortirent  la  nuit  «^^^-j^ga^^s^^g^  ■ 
d'Edimbourg,  ôc  allèrent  en  bataille  à  MufTilbourg,  afin  de  pafTer  C  h  a  R  L  E  i 
l'Esk ,  avant  qu'on  le  fût  emparé  du  pont  ôc  des  gués  j  ôc  d  em-  I X.                 | 
pêcher  le  paflage  de  la  Reine ,  qui  s'étoit  arrêtée  à  Prefton.  \  $  6j.              \ 
Déjà  les  deux  armées  étoient  en  préfence ,  ôc  n'avoient  en-  1 
tr'elles  qu'une  colUne,  dont  la  Reine  s'étoit  emparée.  Com- 
me elle  étoit  fi  efcarpée  ,  qu'on  ne  pouvoir  y  arriver  fans  pé- 
ril ^  les  Confédérez  fe  détournèrent  un  peu  vers  la  droite,  pour  ' 
avoir  le  foleil  à  dos ,  monter  plus  facilement ,  ôc  combattre  en  ■ 
un  lieu  moins  défavantageux.  La  Reine  interprétant  cette  dé-  I 
marche  d'une  autre  façon ,  ôc  croyant  que  les  ennemis  médi-  ; 
toient  une  retraite ,  ôc  prenoient  le  chemin  de  Dalkeyth,  ville  ; 
appartenante  au  comte  de  Morton ,  elle  commença  à  fe  tenir  ^ 
moins  fur  fes  gardes ,  ôc  à  prendre  moins  de  précautions.  Voyant  propofinonj           1 
enfuite  que  les  Confédérez ,  après  s'être  rendus  dans  une  plaine^  d'accommo-  ! 
fe  mettoient  en  bataille ,  elle  leur  envoya  du  Croc  ,  pour  leur  réponfe.'  | 
promettre  le  pardon  ôc  l'oubli  du  palfé  ,  ôc  les  exhorter  à  met-  ^     .1 
tre  les  armes  bas.  Morton,  qui  commandoit  l'avant- garde,  avec  ; 
Alexandre  de  Humes  ,  fit  réponfe  à  du  Croc  par  un  truche- 
ment ,  au  nom  des  Confédérez ,  qu'ils  n'avoient  pas  pris  les  ar-  j 
mes  contre  la  Reine  ,  mais  contre  le  meurtrier  du  Roi  :  queii  1 
la  Reine  vouloir  le  faire  punir  ,  ou  l'éloigner  de  fa  perfonne  s  \ 
elle  reconnoîtroit  au(îi-tôt  que  les  Confédérez  ôc  lui  n'avoient  \ 
point  de  plus  forte  paiïion  ,  que  de  demeurer  inviolablement  | 
dans  la  fidélité  Ôc  l'obéïffance  qu'ils  dévoient  à  Sa  Majefté  3 
qu'autrement  il  étoit  impoffible  de  trouver  aucune  voie  d'ac- 
commodement.. I 
Quoi  qu'on  n'eût  pu  rien  obtenir  des  Confédérez  par  l'en-  ' 
tremife  de  du  Croc  ,  la  Reine  ne  laifTa  pas  de  demeurer  dans 
fon  camp.  Bothwel  s'étant  alors  avancé  fur  un  beau  cheval  hors  | 
des  retranchemens  ,  fit  demander  par  un  herault ,  s'il  y  avoir  ! 
quelqu'un  qui  voulût  fe  battre  avec  lui.  Jacque  comte  de  Mur-  ■ 
ray  s'étoit  quelque  tems  auparavant  offert  à  ce  combat,  par  un  1 
cartel  qui  fut  alors  afiiché,  mais  fans  fe  nommer.  Guillaume  ; 
comte  de  Tilbarn  ,  frère  aîné  de  Jacque ,  accepta  ce  défi.  Maid 
Bothwel  ayant  répondu  que  ces  deux  hommes  n'étoient  pas  j 
d'une  condition  à  tirer  lepée  contre  lui ,  Patrice  de  Lindfey  de  j 
la  première  Noblefi^e  fe  préfcnta  ,  ôc  comme  il  y  eut  encore, 
de  la  conteftation  fur  la  condition  ôc  la  dignité  des  perlbnnes- ,  ! 

Kk  iij 


B 


2.62  HISTOIRE 

la  Reine  interpofa  fon  autorité,  ôc  empêcha  le  combat,  endé- 
C  HA  RLE  fsriciarit  3.  Bothwel  de  fe  battre.  Dans  l'armée  de  la  Reine  ou 
j;)^        étoit  partagé  :  Tes  amis  &  fes  parens  vouloient  qu'on  donnât  le 
I  ç  d  7.     combat  fur  le  champ  :  le  peuple  au  contraire ,  dont  le  nombre 
étoit  le  plus  grand ,  ne  vouloir  point  qu'on  en  vînt  aux  mains , 
difant  qu'il  étoit  plus  jufte  que  Bothwel  défendît  lui-même  fa 
caufe  par  fes  propres  armes  ,  que  de  hazarder  la  vie  de  tant  de 
Noblefle  ,  ôc  principalement  celle  de  la  Reine  :  que  les  Hamil- 
tons ,  qui  venoient ,  difoit-on ,  avec  cinq  cens  cavaliers  j  étoient 
proche  î  ôc  que  quand  ils  feroient  arrivez,  on  pourroit,s'il  le 
falloit,  combattre  avec  plus  de  fureté  ôc  d'avantage.  La  Reine, 
impatiente  de  donner  combat,  verfa  des  larmes  de  colère  ,  fe 
fâcha  contre  les  Grands  '■>  ôc  ne  pouvant  faire  autre  cliofe    elle 
envoya  un  herault  à  l'armée  ennemie  demander  qu'on  lui  dépu- 
tât Guillaume  Kircadey  baron  de  Grangy ,  pour  conférer  avec 
lui  fur  les  moyens  de  faire  la  paix  ,  tandis  que  les  deux  armées 
demeureroient  en  bataille. 
Fuite  de  Dans  le  tems  qu'on  fe  difpofoit  au  pourparler ,  Bothwel  dé- 

ochwei.  La    fefperant  du  fuccès ,  quitta  le  camp  de  la  Reine,  pour  appaifer 
da^iii'i'ecaiTip    l^îs  Confédérez ,  &  marcha  vers  Dumbar  avec  deux  hommes 
desCoiifédé-   feulement,  qu'il  renvoya  aulÏÏ-tôt.  La  Reine  qui  étoit  conve- 
tenuë^  &  con'-  ^^'^^  ^^^^  Kircadey  ,  que  le  refte  de  l'armée  fe  retireroit  en  fù- 
diiite  en  pri-   rcté ,  vint  avcc  lui  trouver  les  Seigneurs  ,  vêtue  d'une  efpece 
de  cafaquin  de  peu  de  valeur ,  6c  prefqu'ufé ,  qui  lui  defcen- 
doit  un  peu  au-deflous  des  genoux.  Elle  fut  reçue  d'abord  avec 
quelques  marques  de  l'ancien  refpe£l  qu'on  avoir  pour  elle. 
Mais  ayant  demandé  qu'on  la  laiffât  aller ,  pour  conférer  avec 
les  Hamiltons  ,  promettant  de  revenir ,  elle  ne  put  l'obtenir. 
Alors  s'étant  mis  en  colère ,  elle  leur  parla  avec  beaucoup  d'ai- 
greur ,  ôc  leur  reprocha  en  face  les  bienfaits  qu'ils  avoient  re- 
çus d'elle.  On  l'écouta  en  filence  :  mais  s'étant  avancée  juf- 
qu'au  corps  de  bataille  ,  commandé  par  les  comtes  de  Glenkar- 
ne  i  de  Marre,  ôc  d'Athol ,  elle  y  fut  reçue  de  tous  cotez  avec 
des  injures  ,  des  owtrages ,  ôc  des  reproches  fanglans.  Ce  qui 
mit  le  comble  à  l'indignité  de  la  réception,  fut  que  de  quelque 
côté  qu'elle  fe  tournât,  on  lui  mettoit  toujours  devant  les  yeux 
un  drapeau  fufpendu  entre  deux  picques ,  fur  lequel  on  voyoit 
prefenté  le  cadavre  du  feu  Roi  Henri ,  ôc  auprès  de  lui  fon  en- 
fant ,  qui  ayant  les  mains  étendues  vers  le  ciel  »  demandoit  à 


fon-i 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I  V.  XL,  -263 

Dieu  la  vengence  de  cet  exécrable  parricide.  A  cet  afpecl ,  Ma- 

rie  s'évanouit,  ôc  on  fut  obligé  de  la  foûtenir,  de  peur  qu'elle  r  harle 
ne  tombât  de  cheval.  Enfin  fur  le  foir  elle  entra  dans  Edim-       t  v 
bourg  ,  où  tout  le  peuple  accourut  au-devant  d'elle  ,  pour  la     1  <;  /-r 
voir.  Elle  avoir  le  vifage  fi  couvert  de  larmes  ôc  de  poufTie- 
re  ,  qu'il  fembloit  qu'on  lui  avoit  jette  de  la  boue.  On  portoit 
toujours  devant  elle  le  drapeau  dont  nous  avons  parlé. 

Cette  Pnncefle  ,  d'un  courage  héroïque  ,  malgré  le  change- 
ment de  fa  fortune ,  ne  changea  point  de  fentiment  :  elle  ne 
voulut  rien  donner  à  la  neceilité  des  circonftances  fâcheufes  où, 
elle  fe  trou  voit  ;  elle  reflentit  néanmoins ,  comme  elle  devoit , 
un  Cl  indigne  traitement.  Arrivée  au  logis  qu'on  lui  avoit  defti- 
né,  elle  fe  mit  à  une  fenêtre  ,  d'où  elle  parla  au  peuple  ,  ôc  lui 
dit,  après  bien  d'autres  menaces,  qu'elle  feroit  mettre  le  feu 
à  la  ville,  ôc  qu'elle  i'éteindroit  avec  le  fang  de  fes  perfides  fu- 
jets.  Mais  bien-tôt  après ,  par  ordre  des  Grands ,  elle  fut  con- 
duite avec  une  bonne  efcorte  dans  uneforterefre,qui  efl:  furie 
Lac  Levin.  On  lui  donna ,  pour  lui  faire  compagnie  ,  la  mère 
du  comte  de  Murray ,  autrefois  maîtreffe  de  Jacque  V ,  qui 
par  une  fotte  arrogance,  infulta ,  dit-on,  au  malheur  de  Ma- 
rie ,  fe  vantant  d'avoir  été  la  véritable  époufe  du  Roi  Jacque  V, 
ôc  foutenant  que  fon  fils  étoit  légitime.  C'eft  au  moins  le  bruit 
qu'on  répandoit  alors  j  pour  rendre  le  comte  de  Murray  odieux. 
Cependant  on  crut  qu'il  avoit  été  également  éloigné  de  corps , 
d'efprit  ôc  de  cœur  ,  foit  du  parricide ,  foit  des  troubles ,  (bit 
du  mariage  de  Bothwei  qui  en  furent  les  fuites. 

Tout  cela  fe  paffa  un  peu  avant  que  l'évêque  de  Dumblaii 
fut  venu  à  la  Cour  de  France.  Lorfqu'il  y  arriva,  on  avoit  dé- 
jà reçu  des  lettres  de  du  Croc ,  ôc  de  Ninien  Cocborne ,  qui 
avoit  fervi  quelque  tems  en  France  en  qualité  de  Meftre  de 
camp  de  cavalerie  ,  par  lefquelles  on  avoir  appris  tout  ce  qui 
s'étoit  paffé  en  Ecofïe.  L'Evêque,  qui  ne  fçavoit  rien  de  tout 
cela,  ayant  été  conduit  à  faudience  du  Roi,  commença  un  long 
difcours  préparé  ,  dans  lequel  il  relevoit,  par  des  louanges  ex- 
ceffives  ôc  contraires  à  la  vérité ,  les  vertus  de  Bothwel.  La 
Reine-mere  l'interrompit ,  ô-:  lui  montra  les  lettres  qu'on  avoit 
reçues  d'Ecofle.  On  fe  mocqua  beaucoup  ,  ôc  du  difcours  de 
l'Ambaffadeur,  ôc  de  l'inutilité  de  fon  ambaflade. 

Cependant  Bothwel,  réfolu  de  prendre  la  fuite ,  envoya  un 


264  HISTOIRE 

■  homme  de  confiance  au  château  d'Edimbourg ,  poiii*  lui  appor- 

Charle  ^^'^  ""  peut  coffre  d'argent,  fur  lequel  il  y  avoir  de  tous  cotez 

IX.        ^^^  chiffres  ,  qui  marquoient  qu'il  avoir  autrefois  appartenu  à 

j  -  ^_  François  II,  premier  époux  de  la  Reine  dEcoffe.  Il  étoir  rem- 
pli de  lettres  qu'on  a  vues  depuis ,  qui  parloient  clairement  du 
meurtre  du  Roi ,  ôc  de  tout  ce  qui  s'en  étoit  enfuivi  j  ôc  il  étoit 
recommandé  prefque  dans  toutes  ,  qu'on  les  brûlât  dès  qu'on 
les  auroit  lues.  Balfour,  qui  commandoit  encore  dans  le  châ- 
teau, ôc  qui  favorifoit  fecrettement  les  Confédérez  ,  donna  le 
petit  coffre  à  l'envoyé  de  Bothweh  mais  en  même  tems  il  leur 
en  donna  avis.  Le  coffre  fur  faifi ,  ôc  les  Confédérez  parurent 
y  avoir  trouvé  une  convidion  entière  de  toute  l'affaire ,  fur  la- 
quelle on  avoir  jufqu'alors  répandu  des  doutes.  Bothwel  voyant 
que  fes  affaires  alloient  très-mal  de  tous  cotez  ,  perdit  toute  ef- 
perance  de  les  voir  rétablies  ,  ôc  s'enfuît  dans  les  Orcades, 
ôc  de-là  aux  ifles  de  Schetlandt  ,  où  fe  trouvant  réduit  aune 
extrême  necelïîté  ,  il  commença  à  faire  le  métier  de  Pirate. 
Pour  la  Reine  ,  quoique  le  plus  grand  nombre  la  fuppliât  de 
vouloir  bien  féparer  fa  caufe  de  celle  de  Bothwel  ,  elle  ne 
voulut  jamais  y  confentir.  Plus  irritée  que  vaincue  par  les 
maux  qui  Faccabloient ,  elle  répondit  avec  force ,  qu'elle  aimoit 
mieux  vivre  avec  Bothwel,  dans  toutes  les  extrêmitez  où  fa 
mauvaife  fortune  l'avoit  réduit ,  que  de  vivre  fans  lui  dans  les 
déhces  de  la  Royauté. 

LaKeineeft  La  haine  qu'on  avoit  conçue  pour  la  Reine,  s'adoucit  avec 
obligée  d'à  b-   \q  tems  :  les  Confédérez  virent,  contre  leur  attente,  que  lafu- 

*'   "*  reur  de  plufieurs  fe  changeoit  en  compaffion.  D'ailleurs  la  fac- 

tion de  ceux  qui  étoient  complices  de  la  mort  du  Roi ,  ou  qui 
avoient  depuis  foufcrit  à  la  ligue  de  la  Reine  ,  commençoit  à 
prendre  le  deffus.  Les  Confédérez  tentèrent  inutilement  de  les 
réunir  avec  eux ,  pour  délibérer  de  concert  fur  ce  qu'il  y  avoit 
à  faire  î  ils  ne  purent  l'obtenir.  Cependant  ils  reduifirent  la 
Reine,  qui  n'avoit  plus  aucune  efperance, à  renoncer  à  la  cou- 
ronne, fous  le  prétexte  de  fa  mauvaife  fanté,  ou  de  telle  autre 
raifon  qu'elle  voudroit  alléguer ,  ôc  à  donner  la  tutelle  de  fon 
fils ,  ôc  l'adminiftration  du  Royaume,  à  celui  d'entre  les  Grands > 
qu'elle  voudroit  choifir.  Ainfi  malgré  elle,  ôc  après  avoir  fait, 
fuivant  le  confeilde  Trockmorton ,  les  proteftations  ufitées  en 
pareil  cas ,  Marie  nomma  Jacque  comte  de  Murray  fon  frère 

naturel  j 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Liv.  XL.         ti6^ 

naturel  (  fuppofé  qu'il  voulût  bien  accepter  cette  charge  lorf- 
qu'il  feroit  de  retour)  Jacque  Hamilton  duc  de  Chatellerault,  Char  LE 
Mathieu  Stuart  duc  de  Lenox  ,  Gilepfic  de  Cambell  comte        jx. 
d'ArgatheL  Jean  Stuart  comte ^d'Athol,  Jacque  Duglas  comte     1^57, 
de  Morton ,  Alexandre  Cunnigham  comte  de  Glencarn  ,  ôc 
Jean  Areskin  comte  de  Marre.  On  envoya  enfuite  des  perfon- 
nés  chargées  de  procuration  ,  pour  mettre  le  jeune  Prince  en 
poireiTion  du  Royaume  ,  en  le  plaçant  furie  tlirône  à  Sterîin ,  ou 
en  tel  autre  lieu,  qui  fembleroit  le  plus  commode.  Cette  cérémo- 
nie fe  fît  le  25*  de  Juillet.&le  vingtième  jour  d'après  l'avènement 
du  Roi  au  thrône.  Jacque  de  Murray  ,  à  qui  fes  amis  avoient 
donné  avis  de  tout  ce  qui  s'étoit  pafTé  t  arriva  de  France  en 
EcofTe.  Il  y  fut  reçu  par  les  Confédérez  avec  beaucoup  de  joie ,      iç  jointe 
6c  chacun  le  prefla  vivement  de  prendre  le  gouvernement  du  de  Mmiay  cft 
Royaume  pendant  la  minorité  du  Roi ,  fils  de  fa  fœur ,  en  lui  RoV^&^Re" 
remontrant  qu'il  étoit  le  feu  1  qui  pût  rempUr  cette  place  ,  fans  gentduRoy- 
attirer  l'envie  ou  la  jaloufie  3  parce  que  fa  vertu  avoit  été  éprou-  ^^^^' 
vée  par  une  infinité  de  dangers  ;  qu'il  avoit  mérité  cet  honneur 
par  les  importans  fervices  »  6c  que  la  Reine  le  demandoit.  I 

Le  Comte  pria  qu'on  lui  donnât  quelques  jours  pour  déli-  1 

berer,  pendant  lefquels  il  écrivit  aux  Grands  du  parti  contrai-  I 

re,  6c  principalemenr  au  comte  d'Argathel,  pour  qui  il  avoit  I 

beaucoup  de  déférence.  Enfin  n'ayant  pu  obtenir  ni  une  con-  " 

'  férence  avec  la  fadion  oppofée,  ni  un  plus  long  délai  de  la  part  ; 

des  Confédérez ,  qui  voyoient  que  l'afl^aire  preflbit ,  il  fut  dé-  f 

claré  Régent ,  par  les  fufFrages  unanimes  de  tous  ceux  qui  étoient  ^ 

préfens.  Le  troifiéiiie  jour  après  fon  arrivée ,  il  fut  prefenté  avec 
quelques  autres  perfonnes  à  la  Reine.  Cette  Princeffe  l'ayant 
prié  de  fe  charger  de  l'adminiftration  du  Royaume  ,  6c  de  la  \ 

tutele  de  fon  fils  ,  Ôc  de  vouloir  bien  pourvoir  à  la  conferva-  ; 

tion  de  fa  vie  6c  de  fon  honneur,  il  parut  àplufieurs  n'être  pas 
affez  reconnoiflant  de  l'honneur  qu'elle  lui  faifoit  de  fi  bonne 
grâce  3  ôc  on  l'accufa  d'avoir  moins  penlé  à  confoler  une  Reine  j 

prifonniere ,  qu'à  infulter  à  fes  malheurs.    En  effet  ,  comme  '• 

il  étoit  d'une  humeur  auftére  ,  il  lui  confeilla  durement  de 
faire  pénitence  ,  6c   d'implorer  la  divine  mifericorde ,  com-  \ 

me  on  exhorteroitune  perfonne  à  l'extrémité.  La  Reine  témoi-  ! 

gna  la  douleur  qu'elle  avoit  de  fes  fautes  paffées  ,  en  avoua  inge-  ^ 

nuement  quelques-unes  ,  tacha  d'en  excufcr  quelques-autres ,  "  \ 

Tome  F.  h\  ^ 


^66  HISTOIRE 

en  les  attribuant  à  la  fragilité  humaine  ,  ôc  nia  abfolument  un 
C HA  RLE  g'^^^"^^  nombre  de  celles  qui  lui  étoient imputées.  Le  comte  de 
j  ^        Murray  lui  répondit ,  que  c'étoit  aux  Etats  à  lui  accorder  la  gra- 
i  (-  ^j      ce  qu'elle  demandoit  :  qu'au  refte  il  elle  vouloit  conferver  fa 
vie  &  fon  honneur,  elle  devoit  fur  toutes  chofes  prendre  gar- 
de à  ne  jamais  troubler  le  repos  du  Royaume  ôc  du  Roi ,  en 
fe  fauvant  de  prifon ,  ou  en  follicitant  le  Roi  de  France  ôc  la 
Reine  d'Angleterre  à  exciter  dans  l'EcoiTeuneguerre  ou  étran- 
gère ou  civile  :  qu'elle  ne  devoit  à  l'avenir  avoir  aucun  com- 
merce avec  Bothwelj  nifongeràfe  venger  de  fes  ennemis. 

Le  comte  de  Murray  s'obligea  enfuitepar  écrit ,  à  ne  rien 
faire  qui  concernât  le  Roi ,  ôc  fon  mariage,  ou  la  liberté  delà 
R.eine  ,  fans  le  confentement  des  Confédérez.  Il  chargea  Li- 
dingthon  d'avertir  Trockmorton  de  ne  plus  faire  de  protefta- 
tions  ôc  d'oppolitions  au  nom  de  la  Reine  j  parce  que  les 
Confédérez  ÔC  lui  étoient  prêts  de  tout  foufïrir  plutôt  que  de 
permettre  que  la  Reine  rétablie  dans  fa  première  liberté  j  re- 
tînt auprès  d'elle  le  parricide  Bothwel ,  qu'elle  mît  le  Roi  fon 
fils  en  danger,  qu'elle  excitât  des  troubles  dans  le  Royaume, 
Ôc  qu'elle  profcrivît  les  Confédérez.  Quoiqu'il  ne  fût  pas  des 
amis  delà  France,  il  ne  laiffa  pas  d'infmuer  aux  Anglois  ce 
qu'ils  avoient  à  craindre  de  ce  côté  là  ;  parce  que  les  François 
n'abandonneroient  jamais  les  EcofTois ,  qui  étoient  leurs  anciens 
alliez. 

Dans  le  même  tems  Philbert  le  Voyer  de  Lignerol  étant 
venu  ,  après  Villeroy ,  de  la  part  du  Roi  de  France ,  pour  voir 
la  Reine  ,  on  lui  refufa  l'entrée  de  la  prifon ,  comme  on  avoit 
^fait  aux  autres.  Auiïi-tôt  après ,  on  arrêta  Jean  Hepburne ,  Pa- 
ris ,  François  de  nation,  Dagiish,  ôc  d'autres  de  la  fuite  de  Bo- 
thwel ,  convaincus  d'avoir  été  prefens  au  meurtre  du  Roi.  Ils 
déclarèrent  à  la  queftion  qu'ils  avoient  entendu  dire  à  Bothwel 
leur  maître  ,  que  les  comtes  de  Murray  ôc  de  Morton  étoient 
les  auteurs  du  meurtre  du  Roi  >  ôc  ils  déchargerentlaReine,  en 
difant  qu'elle  n'avoit  eu  aucune  connoiffance  de  l'action  qu'on 
projettoit.  Mais  comme  ils  difoient  avoir  appris  cela  de  la  bou- 
che de  Bothwel ,  on  y  ajouta  alors  peu  de  foi.  Quelques  an- 
nées après  ,  lorfque  Morton  fut  exécuté  ,  il  varia  tellement, 
qu'il  donna  lieu  de  le  croire  ,  ou  de  ne  le  pas  croire,  ainfî  que 
nous  le  dirons  dans  fon  tems.  Comme   on  ne  pouvoit  rien 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XL.         2(^7 

obtenir  en  faveur  de  la  Reine,  foit  du  Régent,  foit  des  Confc-  -     . 

dérez;  le  Roi  de  France  à  la  prière  des  Guifesj  envoya  Paf-  C H  ah  le 
quieres  Gentilhomme  du  Dauphiné,  à  la  Reine  Elizaberh  ,        ly^ 
pour  la  prier  inftamment  d©  joindre  fes  forces  à  celles  de  la      i  r  (^7 
France,  afin  de  remettre  Marie  fa  fœur  en  liberté,  ôc  fur  le 
thrône.  Mais  les  Anglois,  qui  n'aimoient  pas  à  fe  lier  avec  nous, 
lors  même  que  la  caufe  étoit  commune  entre  les  deux  nations, 
prièrent  le  Roi  de  les  difpenfer  d'en  venir  à  une  guerre  ouverte> 
&  confentirent  feulement  qu'on  interdît  aux  Ecoflbis  tout  com- 
merce avec  la  France  ôc  l'Angleterre ,  jufqu'à  ce  qu'ils  euilent 
remis  leur  Reine  en  liberté  :  efperant  que  fans  prendre  les  ar- 
mes ,  cette  feule  défenfe  fuffiroit  pour  détacher  le  peuple  des 
Confederez  j  ôc  qu'alors  les  amis  de  la  Reine ,  qui  jufques-là 
avoient  été  les  plus  foibles ,  deviendroient  les  plus  forts. 

Cependant  le  2p  de  Juillet,  après  un  difcours  prononcé  par    ^ 
Jean  Cnox ,  Jacque  VI.  fut  mis  en  poiTeiïion  du  Royaume.  Jac-  ment  du  ic- 
queDuglas  ôc  Alexandre  de  Humes  jurèrent  pour  lui  qu'il  ob-  g"«^  ^^  h^- 
ferveroit  les  loix  ;  qu'il  embrafferoit  la  dodrine  ôc  la  Religion  '^"^ 
qu'on  enfeignoit  alors  publiquement ,  ôcqu'il  combattroit  tous 
les  ufages  contraires.  Les  Grands  de  l'autre  parti,  qui  étoit  la 
faclion  des  Hamiltons,  ayant  appris  ce  qui  s'étoit  paffé,  furent 
très-indignez,  ôc  murmurèrent  hautement  de  voir  qu'un  petit 
nombre  de  Seigneurs,  qui  n'étoient  pas  les  plus  puiflans,s'é- 
toient  emparez  du  gouvernement,  ôc  qu'ils  difpofoient  de  tout 
fans  leur  participation  ôc  leur  confentement ,  à  quoi  ils  ne  s'é- 
toient  jamais  attendus.  Mais  Jacque  de  Murray  ayant  donné      AfTcmbiéc 
une  entière  fatisfa£lion  au  comte  d'Argathel ,  ôc  aux  autres  de  des  Etats. 
la  même  faâion,  qui  étoient  venus  le  trouver  à  Edimbourg, 
il  obtint  que  tous  fe  réuniroient  dans  l'afTemblée  générale  des 
Etats.  Elle  fut  très-nombreufe ,  ôc  fe  tint  le  2;  d'Août.  On  y 
confirma  avant  toutes  chofesla  nomination  du  Régent,  avec 
tous  les  pouvoirs  ôc  toute  l'autorité  attachez  à  cette  charge. 

Sur  ce  qui  concernoit  la  Reine  ,  les  avis  furent  partagez. 
Lindfey ,  ôc  peu  d'autres  furent  d'avis ,  par  refpc£l  pour  la  Ma- 
jeflé  royale,  de  la  rétablir  dans  fa  première  dignité  ;  mais  à  con- 
dition qu'on  feroit  le  procès  aux  parricides,  fuivant  la  rigueur 
des  loix  5  qu'on  établiroit  avant  toutes  chofes  la  Religion  ;  qu'on 
pourvoiroit  à  la  confcrvation  du  Roi ,  ôc  que  la  Reine  feroit 
féparéc  de  Bothwel.  Le  comte  d'Athol,  ôc  ceux  qui  étoient 

Llij 


26B  HISTOIRE 

I    ,  I.  avec  lui ,  opinèrent  que  la  Reine  fiit  reléguée  pouf  jamais  en 
Ch  ARLE  ï^^^"c^  °^  ^^  Angleterre  j  pourvu  que  le  Roi  de  France  6c 
TV         Elizabeth  l'empêchaflent  de  rien  entreprendre  contre  fon  fils 
-  /_      dans  le  Royaume.  D'autres  conclurent  à  la  faire  comparoître 
en  juftice,  ôc  après  l'avoir  convaincue  du  parricide,  à  la  con- 
damner à  une  prifon  perpétuelle.  Quelques-uns  même  vou- 
loient  lui  faire  perdre  la  couronne  ôc  la  vie,  comme  étant  dé- 
jà atteinte  ôc  convaincue  par  les  lettres  qu'on  avoit  entre  les 
mains. 

Trockmorton  parlant  de  la  part  d'Elizabeth  ,  qui  avoit  été 
dans  la  même  fituation,  ôc  qui  avoit  appréhendé  le  même  fort 
que  Marie  ,  fit  voir  par  l'autorité  des  faintes  Ecritures ,  que 
la  majefté  fainte  ôc  facrée  des  Rois  n'étoit  foumife  qu'à  la 
feule  juftice  du  Souverain  juge  qui  eft  dans  le  ciel  :  ôc  qu'il 
n'y  avoit  aucun  tribunal  fur  la  terre  où  l'on  pût  les  citer  : 
qu'il  n'y  avoit  en  Ecofle  aucun  Magiftrat,  qui  ne  dépen- 
dît de  la  Reine  ,  ou  qu'elle  n'eût  commis  à  l'exercice  de 
fa  charge.  D'un  autre  côté  ,  on  oppofoit  le  droit  particulier 
du  Royaume  d'Ecoffe  ,  qui  ne  regardoit  pas  comme  une 
puiflTance  libre  Ôc  légitime,  celle  quis'élevoit  au-deffus  des  loix. 
L'avis  qui  gardoitle  milieu ,  l'emporta  enfin,  ôc  il  fut  réfolu  que 
la  Reine  dcmeureroit  en  prifon.  Les  chofes  étant  ainfi  en  quel- 
que façon  réglées ,  il  y  eut  une  apparence  de  paix  ,  ôc  on  mit 
bas  les  armes  j  mais  il  étoit  aifé  de  juger  qu'une  paix  fi  mal  affer- 
mie ,  jointe  à  l'indignation  qui  paroifiToit  affez  clairement  dans 
quelques  efprits  encore  agitez ,  enfanteroit  de  triftes  évenemens 
dans  le  tems  qu'on  y  penferoit  le  moins. 

Nos  Ambaffadeurs  ôc  ceux  d'Angleterre  eurent  audience; 
mais  Une  fut  permis  ni  aux  uns  ni  aux  autres  de  voir  la  Rei- 
ne ,  qu'on  gardoit  en  prifon.  Du  Croc  ôc  Nicolas  de  Neuf- 
ville  de  ViUerdy ,  que  le  Roi  avoit  envoyés  extraordinairement 
au  premier  bruit  des  troubles  qui  agitoient  l'Ecoffe ,  deman- 
dèrent avec  inftance  à  voir  la  Reine  5  on  les  refufa.  Lindfey 
répondit  avec  hauteur  à  Nicolas  Trockmorton,  quidemandoit 
la  même  chofe  de  la  part  d'Elizabeth  ,  qu'on  ne  lui  accorde- 
roit  pas  ce  qu'on  avoit  refufé  au  roi  de  France.  On  avertit 
aufiTifAmbafladeur,  que  la  Reine  fa  maîtreffe  marquât  plus  de 
reconnoiffance  ôc  de  libéralité  envers  ceux,  qui  étoient  atta- 
chez à  fon  parti  :  car  elle  en  avoit  affez  mal  ufé  à  l'égatd  de  ceux 


\eaammmmii 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XL.  a^p 

qui  étant  perfécutez  au  fujet  du  meurtre  de  David  Riz ,  s'étoient 
retirez  en  Angleterre,  ôcpour  ainfi  dire,  jettez  entre  fesbras:  Char  le 
on  lui  fit  même  entendre ,  que  fi  elle  n'en  agiflbit  mieux  à  l'ave-       jx. 
nir ,  les  Ecoflbis  fe  voyant  fans  efperance  de  fon  côté ,  aban-     j  -  ^  „^ 
donneroient  les  Anglois ,  ôc  s'attacheroient  au  parti  des  Fran- 
çois, pour  lequel  ils  avoient  beaucoup  de  penchant. 

Cependant  on  équipa  une  flotte,  non  aux  dépens  du  public,  Mifcrablefin 
(  caries  finances  étoient  épuifées  )  mais  aux  dépens  du  comte  de  <ie  Bothwei. 
Morton,  ôc  on  l'envoya  fous  la  conduite  de  Kirkade,  pour 
prendre  Bothwel ,  qui ,  comme  on  l'a  dit ,  faifoit  le  métier  de 
Pirate,  vers  les  Orcades  &  les  ifles  les  plus  éloignées.  Kirkade 
fit  une  fi  grande  diligence,  qu'il  penfa  prendre  Bothwel,  qui 
fe  croyoit  fort  en  fureté.  Une  partie  de  fçs  gens  furent  pris  î 
pour  lui  il  fe  fauva  par  le  derrière  de  l'ifle ,  où  les  grands  vaif- 
îeaux  ne  pouvoient  le  fuivre  ;  ôc  il  s'enfuit  avec  un  très  petit 
nombre  de  compagnons  par  de  petits  détroits ,  qu'on  pouvoir 
prefque  pafl^er  à  gué.  De-là  la  tempête  le  jetta  fur  les  côtes  de 
Dannemarck  :  mais  comme  il  ne  répondit  pas  nettement  aux 
queftions  qu'on  lui  fit ,  d'où  il  venoit ,  ôc  où  il  alloit ,  on  le  mit 
d'abord  aux  arrêts  :  ôc  ayant  été  reconnu  par  des  marchands ,  il 
fut  mis  dans  une  étroite  prifon  à  Dracholm.  Là  il  fut  accufé 
parles  amis  d'une  fille  de  condition  de  Norvège,  qu'il  avoit 
violée  plufieurs  années  auparavant ,  fous  prdteiefie  de  mariage, 
Ôc  qu'il  avoit  abandonnée  pour  en  prendre  une  autre.  Enfin  dix 
ans  après ,  la  folie  s'étant  jointe  àfes  autres  mifercs,  il  eut  une 
fin  digne  de  la  vie  qu'il  avoit  menée. 

En  cette  année  finit  en  Llande  la  plus  forte  rébellion  ,  qui  Mouvemens 
ait  troublé  ce  Royaume,  après  celle  du  comte  de  Tir-Oen. 
Il  me  femble  qu'il  eft  à  propos  de  remonter  plus  loin ,  pour 
en  découvrir  lescommencemens,  parce  qu'on  croit  qu'elle  fut 
la  caufe  de  celle  qui  s'éleva  quelques  années  après.  Vers  l'an 
145*2,  lorfque  la  guerre  étoit  allumée  entre  les  maifons  de  Lan- 
caftre  ôc  d' Yorck ,  Richard  duc  d'Yorck ,  dont  les  ancêtres,  fur- 
nommez  Mortimers  ôc  de  Bourck ,  avoient  pofiedé  à  titre  de 
comté  ,  ôc  par  droit  héréditaire,  la  province  d'Ulfter  (  qui  eft  la 
partie  la  plus  feptentrionale  de  l'Irlande  )  en  fit  venir ,  pour 
fortifier  fon  parti  ,  des  troupes  Angloifes ,  qui  y  étoient  en 
garnifon.  Les  Seigneurs  de  la  maifon  d'O-neal,  qui  tire  fon 
origine  des  anciens  rois  d'Ulfter,  profitèrent  de  cette  occafion 

L  1  lij 


en  Irlande. 


i 


±10  HISTOIRE 

-'  ôc  s'emparèrent  de  cette  Province ,  comme  d'un  héritage  aban-* 

C  H  A  R  T.  E  donné.  Cone-o-neal ,  furnommé  Bacco ,  c'eft-à-dire  le  boiteux; 
I X.        ^s  plus  confiderable  de  cette  maifoii  en  puiffance  ôc  en  richef- 
i  c  57.     ^'^s,  vint  en  Angleterre  l'an  15" 44-  fous  le  règne  de  Henri  VIII, 
après  que  les  Etats  d'Irlande  eurent  donné  à  lui  ôc  à  fes  fuc- 
cefTeurs  le  nom  de  Rois  d'Irlande ,  au  lieu  du  nom  de  Seigneurs 
ou  Defpotes  de  l'Ifle  ,  qu'avoient  porté  fes  prédecefleurs.  Henri 
le  créa  comte  de  Tir-Oen ,  &  afTûra  cette  dignité  à  Mathieu 
fon  fils  aîné  ,  qu'on  appelloit  alors  le  baron  de  Dunganon ,  ôc 
aux  héritiers  mâles  de  Mathieu ,  qui  feroient  iiïlis  d'un  légiti- 
me mariage.  Jean  II.  fils  de  Cone^  quelesirlandois  nommoient 
Shan,  ne  put  fouffrir  cette  élévation  de  Mathieu,  qu'il difoit 
être  batard,prérendant  qu'il  étoit  fils  d'un  ouvrier  en  fer  de  la  ville 
de  Dundalk  j  dont  Cône  fon  père  avoit  pafTionnément  aimé  la 
femme.  Il  fouleva  donc  contre  Mathieu  les  autres  Seigneurs 
de  la  maifond'O-neal  ;  ôc  enfin  il  le  tua  en  trahifon  à  la  chaffe.  Il 
drefla  auffides  embûches  à  fon  père,  qui  mourut  quelque  tems 
après ,  ou  de  peur  d'être  tué  par  fon  fils ,  ou  du  chagrin  qu'il 
conçut  du  meurtre  de  Matthieu. 

De  Mathieu  naquit  Hugue ,  qui  excita  depuis  de  fi  grands 
troubles  en  Irlande.  Mais  comme  011  ne  le  craignoit  pas  alors 
beaucoup  ,  à  caufe  de  la  foiblefïe  de  fon  âge ,  Jean  perfuadé 
que  fon  frère  aylllt  été  tué,  ôc  fon  père  étant  mort,  il  n'avoit 
plus  rien  à  defirer,  s'empara  de  toute  lafuccefifion  defonpere; 
ôc  fe  faifant  appeller  O-neal ,  il  fe  rendit  maître  de  la  provin- 
d'Ulfter,  ôc  obligea  les  grands  ôc  le  peuple ,  par  carefTes  ou  par 
menaces ,  à  lui  rendre  hommage.  Il  défit  fouvent  les  Ecoflbis, 
qui  des  ifles  Hébrides  étoient  paflez  dans  ce  payis  pour  le  pil- 
ler 5  ôc  enfin  il  fe  révolta  contre  la  Reine  d'Angleterre. 

Henri  Sydney,  qui  étoit  alors  Viceroi  d'Irlande,  appréhendant 
la  férocité  de  Jean ,  réfolut  d'agir  avec  lui  fuivant  toutes  les  rè- 
gles de  la' juftice  ,  ôc  il  lui  demanda  quelle  raifon  il  avoit  d'ex- 
clure Hugue  de  la  fuccefiTion  de  fon  père  ?  Jean  répondit  que 
le  père  d' Hugue  étoit  ou  fils  d'un  artifan ,  ou  bâtard  adultérin 
de  Cône,  ôc  que  pour  lui  il  étoit  né  en  légitime  mariage  :  Que 
Cône  fon  père  n'avoit  pu  fe  donner  un  héritier ,  fans  le  con- 
fentement  des  Grands  ,  ôc  du  peuple  d'Ulf^er  :  Que  par  con- 
féquent ,  fuivant  les  lettres  de  Henri  VIII.  fcellées  du  grand 
feau  d'Angleterre ,  Cône  avoit  envain  inftitué  Mathieu  fon 


DE  J.  A.  DE  ÏHOU,  Liv.  XL.  271 

héritier,  ôc  que  Mathieu  n'avoit  pas  été  reconnu  ôc  confirmé  — 
héritier  de  fon  père  parle  ferment  de  douze  hommes  :  Que  Charle 
quand  Mathieu  auroit  été  légitime,  néanmoins  félon  la  loi  d'Ir-       J  X 
lande,  nommée  Tanishienne,  on  avoir  dû  préférer  un  homme     1^57. 
fait,  ôc  le  plus  proche  parent ,  à  un  enfant  de  onze  ans,  dont 
le  père  étoit  mort  avant  l'ayeul  5  ôc  qu'enfin  il  avoit  été  pro- 
clamé du  confentement  unanime  de  tous  les  peuples,  O-neal, 
c'eft-à-dire  ,  Prince  d'Ulfter  ,  ôc  revêtu  de  toute  l'autorité  fou- 
veraine ,  fans  avoir  befoin  de  la  confirmation  de  la  Reine  d'An- 
gleterre. 

Sydney  lui  ayant  dit  qu'il  en  écriroit  à  la  Reine ,  ôc  l'ayant 
exhorté  en  attendant  à  le  contenir  dans  fon  devoir  ,  Jean  le 
promit  d'abord.  Mais  aufïî-tôt  finconftant  Irlandois  man- 
qua à  fa  parole,  fe  fit  fervir  comme  Roi  d'Ulfter,  ôc  fe  for- 
ma une  compagnie  de  fept  cens  gardes  du  corps.  Il  fit  enfuite 
des  levées  dans  la  province  5  ôc  ayant  trouvé  qu'il  pouvoit  avoir 
environ  mille  hommes  de  cavalerie ,  ôc  quatre  mille  d'infante- 
rie i  plein  de  courage  ôc  de  confiance ,  il  pilla  ôc  fit  le  dé- 
gât par  tout  aux  environs  ,  ôc  fe  moqua  de  ceux  qu'on  lui 
avoit  envoyez  pour  traiter  de  la  paix.  Il  eut  même  la  té- 
mérité de  faire  le  fiége  de  Dundalck ,  où  il  y  avoit  garnifon 
Angloifej  mais  ayant  été  repoufféavec  perte,  il  fut  contraint 
de  fe  retirer.  Le  Vice-roi  leva  une  armée  pour  arrêter  fes 
conquêtes ,  ôc  par  un  trait  de  prudence  digne  d'un  grand  Gé- 
jiéral  ,  il  fit  embarquer  le  colonel  Edouard  Randolfe  avec 
fept  cens  vieux  foldats  ,  Ôc  l'envoya  de  l'autre  côté  de  l'Ul- 
fter,  pour  furprendre  Jean  ôc  l'attaquer  par  derrière.  Randol- 
phe  s'étant  campé  à  Derwe  ,  petite  ville  Epifcopale  près  de  , 

Laugh-foyl,  au  payis  fcptentrional  d'Ulfter,  il  obligea  Shan  à 
ceiïer  de  piller  ,  pour  venir  de  ce  côté  là  5  ôc  ayant  été  au-de- 
vant de  lui ,  il  lui  donna  bataille ,  ôc  le  défit.  Il  y  eut  un  grand 
nombre  de  tuez  dans  l'armée  de  Jean  ,  ôc  très  peu  du  côté  des 
Anglois.  La  mort  de  Randolfe ,  qui  périt  en  combattant  cou- 
rageufement  dans  les  premiers  rangs ,  troubla  la  joie  de  cette 
vidoire.  Le  Viceroi  mit  en  fa  place  Edouard  de  Saint  Lo , 
qui  ayant  autant  de  courage  ôc  de  valeur  ,  ne  donna  pas  moins 
d'exercice  aux  rebelles,  pendant  trois  ans  qu'il  eut  en  ce  lieu 
un  Fort  :  mais  ce  Fort  ayant  été  brûlé  par  un  accident ,  avec  les 
vivres ,  les  munitions ,  ôc  tout  l'attirail  de  guerre ,  Saint  Lo 


^12  HISTOIRE 

fit  embarquer  fon  infanterie  fur  quelques  petits  vaifTeaux,  qui 

Char  LE  ^^^  étoient  reliez  $  pour  lui  s'étant  mis  à  la  tête  de  la  cavaîc- 

IX.       ^^^  >  ^^  marcha  durant  quatre  jours  au  milieu  des  ennemis ,  ôc 

I  j  (5  7.    contre  toute  efperance  il  s'échapa ,  ôc  vint  trouver  le  Viceroi 

fans  avoir  perdu  aucun  de  fes  gens. 

Ces  fuccès  rabattirent  extrêmement  la  fierté  de  Shan.  Com- 
me la  plupart  étoient  déjà  las  delà  duretédefon  gouvernement, 
&  des  incommoditez  de  la  guerre  ,  le  Viceroi  n'eut  pas  plutôt 
mis  le  pié  dans  l'Ulfter ,  que  la  plus  grande  partie  de  la  Provin- 
ce vint  lui  rendre  hommage.  Le  dernier  effort  de  la  folie  de 
Jean,  fut  de  tenter  encore  une  fois  le  fiége  de  Dundalck, qu'il 
fut  contraint  de  lever  avec  une  grande  perte  j  enfin  fe  voyant; 
abandonné  de  fes  gens  ;  il  perdit  entièrement  courage  ,  ôc  for- 
ma le  deffein  de  venir  ,  la  corde  au  cou,  fe  jetter  aux  pies  du 
Viceroi.  Ses  partifans  l'empêchèrent  de  faire  une  attion  fi  hon- 
teufe  j  mais  ils  lui  confeillerent  en  même  tems  de  prendre  une 
refoludon,  qui  ne  lui  fut  pas  plus  falutaire.  Ce  fut  d'implorer  le 
fecours  des  Pyrates  des  Hébrides ,  qui  étoient  à  Clandeboye. 
Car  quand  il  auroit  été  affuré  de  leur  bonne  foi,  il  auroit  dû  au- 
moins  appréhender  qu'ils  ne  fe  fouvinffent  de  l'injure  qu'il  leur 
avoir  faite.  Il  vint  donc  avec  l'élite  de  fes  gens,  ôc  avec  la  fem- 
me d'O-donei,  qu'il  avoit  enlevée  de  force  à  fon  mari,  fe  livrer 
imprudemment  à  d'anciens  ennemis,  avec  qui  il  s'étoit  recon- 
cilié. Il  fut  d'abord  bien  reçu  en  apparence  par  Guillaume  Bufck, 
ôc  par  Alexandre  Oge^  chefs  des  Pyrates  Ecoffois.  Mais  comme 
ils  cherchoient  une  occafion  de  fe  venger,  un  jour  qu'ils  man- 
geoient  enfemble  ,  ils  en  vinrent  exprès  aux  réproches  ôc  aux 
injures  jils  fe  jettererrt  enfuite  fur  Shan,  ôc  le  tuèrent  avec  fes 
gens  au  commencement  de  Juin ,  cinq  ans  après  qu  il  fe  fut  ré- 
volté. Cette  mort  ne  rendit  pas  la  paix  à  cette  Province  épui- 
fée  par  la  guerre  :  elle  ne  fit  qu'infpirer  un  nouveau  courage  à 
Hugue  fon  neveu.  En  effet  voyant  fon  oncle  mort ,  il  entre- 
prit de  faire  valoir  fes  anciennes  prétentions.  Dans  l'efperance 
de  fe  mettre  en  polTefiion  des  biens ,  dont  on  l'avoit  dépouillé,  il 
excita  de  nouveaux  troubles  ;  ôc  pour  faire  de  la  peine  aux  An- 
glois,  il  fit  venir  des  Efpagnols  dans  l'ifle. 

Tin  du  quarantiémç  Livre, 

HISTOIRE 


^7^ 


,"<*, 


»^ 


HISTOIRE 


D  E 


JACQUE      AUGUSTE 

DE     TH  O  U. 


LIVRE  QV ARANT E-V N lE ME. 

jS^â3g^:^Eé^gé^  Alenciennes  étant  aOlégée , le ba-  ^. , 

^  ij)  (J)  (J)  (J)  (^  Q>^ron  de  Norkeniies,  qui  cominandoit  ^ 
^  cs  GC5>S^C5QC5G^^5)(S^  yS;  P  l'armée  du  Roi  d'Efpagne  ,  compofée        ,  ^ 
~  de  dix  enleignes  d  inranterie ,  &  de  mil- 

le chevaux,  prit  avec  lui  Jean  de  RafTe- 
§  *3  ^  gem  gouverneur  de  Lille  ,  de  Douay     ^"'^^  ^'^^ 


LE 


^ 

^ 


§*. 


V*§       ^  le  chevaux,  prit  avec  lui  Jean  de  RalTe-        ^     '* 
*^  *3  ^  gem  gouverneur  de  Lille  ,  de  Douay     ^V?^  j'^* 

*^)  '  ¥■    *    *    xv^    -.    ?fS>  n       i>A      1  •  •  •      V    /-  1     •'     troubles  des 

8^  c3bcS(^c5^c53(^S  ^  ^  <Sc  dOrchies  ,  qui  avoit  a  les  ordres  Payxs  bas. 


^  {J^  (J>  (^  (^  (^  ^  trois  cens  arquebuHers ,  ôc  cent  cava- 
liers. Lepremier  jour  de  Janvier  il  com- 
battit avec  fuccès  les  Confédérez ,  qui 
avoient  été  joints  par  les  Proteftans  de  Tournay  fous  la  con- 
duite du  capitaine  Jean  Sereau.  Le  Baron  ayant  raflemblé  tou- 
tes fes  forces  pendant  la  nuit,  les  attaqua  dès  le  grand  matin  , 
lorfqu'ils  étoient  débandez  ôc  difperfez  de  côté  &  d'autre,  en- 
tre "Waterloo  ôc  Lanoy  :  il  les  mit  en  fuite  j  le  capitaine  Sereau 
fut  blelTé ,  ôc  eut  bien  de  la  peine  à  fe  fauver.  Comme  ils  s'étoient 
Tome  y.  Mm 


a74  HISTOIRE 

retirez  à  Tournay ,  Norkermes ,  pour  profiter  de  îa  vicloire ,  y 
accourut  fur  le  champ  avec  neuf  enfeignes  j  &  fomma  la  ville 
de  le  recevoir.  Les  Proteftans,  qui  fe  voyoient  abandonnez  en 
même  tems ,  6c  de  la  fortune  ,  ôc  de  leurs  amis ,  n'eurent  pas 
le  courage  de  refifter  ;  on  ouvrit  les  portes  au  Baron,  qui  ayant 
pris  pofleflion  de  la  ville  ,  lit  exécuter  quelques  Miniftres,  ôc 
quelques-uns  de  ceux  qui  étoient  attachez  à  leur  doctrine. 

Cependant  le  baron  de  Buederode  qui  étoit  à  la  tère  des 
Confédérez  ,  cherchant  tous  les  moyens  de  faire  la  paix  ,  écri- 
vit au  nom  de  fes  affociez  à  la  ducheffe  de  Parme  ^  gouvernan- 
te des  Payis-bas ,  ôc  lui  demanda permifTion  de  venir  à  la  Cour. 
Il  fe  plaignit  en  même  tems ,  de  ce  qu'on  n'avoit  point  eu  d'é- 
gard aux  alTurances  qui  leur  avoient  été  données.  La  Gouver- 
nante ,  qui  attribuoit  tous  les  troubles  excitez  dans  les  Payis-bas 
à  l'audience  qu'elle  avoir  donnée  aux  Confédérez  le  $.  d'A- 
vril de  l'année  précédente ,  leur  défendit  expreflement  de  venir, 
ôc  mit  garnifon  dans  Bruxelles ,  pour  empêcher  la  Nobleffe  d'y 
entrer.  Le  baron  de  Brederode  écrivit  de  nouveau  d'Anvers  à 
îa  Ducheffe  le  8  de  Février  ;  il  faifoit  voir  dans  fa  lettre,  que  les 
troublez  excitez  depuis  peu  ne  venoient  pas  de  la  requête  qu'ils 
avoient  préfentée  l'année  dernière  ,  mais  du  pernicieux  confeiî 
que  le  cardinal  Granvelle  ôc  les  créatures  d'Efpagne  avoient 
donné  ,  d'introduire  l'Inquifition  ,  que  des  peuples  nés  libres 
regardoient  comme  un  joug  odieux  Ôc  infuportable,  ôc  de  ce 
qu'on  avoit  répondu  fi  tard  ôc  fi  peu  favorablement  à  leur  re- 
quête. Il  afiuroit  la  Gouvernante,  que  ni  lui  ni  les  Confédérez 
ne  refufoient  pas  de  fe  foûmettre  à  des  conditions  juftes  &  rai- 
fonnables  j  que  c'étoit  uniquement  pour  cela  qu'ils  lui  avoient 
demandé  la  permifTion  de  venir  à  la  Cour  :  Que  puifqu'elle 
avoit  jugé  à  propos  de  la  leur  refufer,  ils  la  fupphoient  au  moins 
de  recevoir  avec  bonté  ^  la  nouvelle  requête  qu'ils  avoient  refo- 
lu  de  lui  adreffer. 

Dans  cette  requête ,  les  Confédérez  rappelloient  tout  ce  qui 
s'étoit  pafTé  l'année  précédente  5  ils  reprefentoient  que  tous 
avoient  concouru  de  bonne  grâce  ôc  unanimement  au  traité 
de  pacification  conclu  au  mois  d'Août  :  Que  les  Gouverneurs 
avoient  tout  réglé  dans  les  Provinces,  félon  les  articles  du  trai- 
té ,  ôc  les  ordres  de  Son  Alteffe  :  Que  fi  dans  quelques  lieux 
leurs  foins  n  avoient  pas  également  réiiffi  j  il  ne  falloit  pas  s'ea 


DEJ.  A.  DETHOU,  L  i  v.  XLL        27^ 

prendre  aux  Confédérez  ,  mais  à  quelques  efprits  remuans ,  qui  _«_—,— 
ne  cherchoient  pas  aflez  à  maintenir  la  tranquilité  de  l'Etat.  Ils  1^  I 

fe  plaignoientenfuite,  de  ce  qu'on  avoit  défendu  les  aflemblées  j-y  . 
publiques  de  Religion  dans  des  endroits  où  elles  avoient  été 
accordées  :  Que  les  Confédérez  avoient  été  traitez  indigne-  ^ 
ment,  contre  les  paroles  qui  leur  avoient  été  données  :  Qu'on 
avoit  défendu  aux  Grands  d'avoir  aucun  commerce  avec  eux, 
s'ils  ne  vouloient  être  traitez  comme  coupables  des  mêmes  cri- 
mes ,  qui  leur  étoient  fauilement  ôc  calomnieufement  imputez: 
Et  qu'enfin  on  les  regardoit  comme  criminels  d'Etat  déjà  con- 
damnez fur  de  fimples  préjugez  fans  fondement ,  fans  les  avoir 
entendus  ni  convaincus. 

Ils  ajoûtoient,  que  jufqu'alors  ils  avoient  diiïimulé  tous  ces 
fujets  de  plaintes  j  mais  quefçachant  qu'on  levoit  des  troupes  par 
tout ,  pour  leur  faire  la  guerre  ,  ils  ne  pouvoient  demeurer  tran- 
quilles :  Qu'ils  fupplioient  donc  Son  Altefle ,  de  vouloir  bien 
déclarer  nettement ,  fi  elle  étoit  refoluë  de  garder  inviolable- 
ment,  ou  de  rompre  les  traitez  qu'elle  avoit  faits:  Qu'ils  ne  le 
lui  demandoient,  que  pour  fçavoir  à  quoi  ils  dévoient  s'en  te- 
nir ,  ôc  s'ils  pouvoient  en  fureté  compter  fur  la  foi  publique, 
fur  les  paroles  données,  &  fur  les  grâces  accordées  par  les  Edits  : 
Que  fi  on  vouloit  faire  obferver  les  ordonnances  dans  toute 
leur  force ,  comme  ils  l'efperoient ,  ils  prioient  qu'on  congé- 
diât les  troupes  ;  qu'on  levât  le  fiége  de  Valenciennes  >  qu'on 
ne  perfécutât  plus  les  Proteftans ,  ôc  que  la  Gouvernante  ré- 
voquât ôc  annullât  de  fon  autorité  les  ordonnances  contraires , 
dont  on  fe  fervoit  pour  les  tourmenter  :  Que  fi  on  refufoit  de 
le  faire  ,  ils  proteftoient  publiquement  devant  Dieu  ôc  devant 
la  Gouvernante,  qu'ils  étoient  innocens  des  maux  publics,  ôc 
de  tous  les  troubles  qui  avoient  été, ou  qui  feroient  déformais 
excitez.  Les  Confédérez  écrivirent  la  même  chofe  à  la  No- 
blefle. 

La  Gouvernante  répondit  le  12  de  Février,  qu'elle  ne  fça- 
voit  pas  quels  étoient  ceux  de  la  Nobleiïe  qui  avoient  dreflfé 
cette  requête  ,  puifque  la  plus  grande  partie  de  ceux  qui  lui 
avoient  prefenté  celle  du  cinq  d'Avril  de  l'année  précédente , 
avoùoient  que  le  Roi  leur  avoit  donné  une  pleine  fatisfaclion  fur 
l'article  de  i'Inquifition  :  Que  quels  qu'ils  fuiTent,  il6  avoient 
mal  entendu  fes  paroles,  s'ils  prétendoient  qu'en  accordant  li 

M  m  i ; 


216  HISTOIRE 

--^»^»».  permifTîon  de  tenir  des  aflemblées  de  Religion  ,  fans  fcandaîe 
Ckarle  ^  ^^^^  trouble  ,  elle  avoir  eu  intention  d'accorder  l'étabiifTe- 
j^^      ment  des  Confiftoires ,  les  quêtes  ,  les  levées  d'argent  :,  Ôcl'ad- 
j  -  ^        miniftration  publique  des  Sacremens  (  toutes  chofes  capables 
d'exciter  de  grands  troubles  dans  le  gouvernement  de  l'Eglife 
ôc  de  l'Etat  )  ôc  fur  tout  la  célébration  du  mariage  conformé- 
ment à  Tufage  nouveau  ,  qui  pouvoit  caufer  tant  d'embarras 
dans  les  familles  ,  par  rapport  aux  fucceffions  :  Que  toutes  ces 
chofes  étoient  trop  contraires  au  maintien  de  l'autorité  Roya- 
le,  ôc  à  la  jurifdidion  des  Magiftrats ,  pour  avoir  pu  être  accor- 
dées :  Que  comme  tout  le  monde  en  convenoit^,  elle  ne  pouvoit 
allez  s'étonner  qu'ils  euffent  l'audace  de  reclamer  la  foi  publi- 
que. Aux  plaintes ,  touchant  la  garantie  qu'on  leur  avoir  accor- 
dée fur  leur  requête^  elle  répondoit  qu'on  n'y  avoit  jamais  donné 
atteinte.  Par  rapport  à  celles  qui  concernoient  la  liberté  de  Re- 
ligion ,  elle  déclaroit  qu'elle  n'avoit  pas  eu  intention  de  la  leur 
accorder.  La  Gouvernante  ajoûtoit  à  cette  réponfe  des  plain- 
tes contre  les  Ccnfédérez  ,  ôc  faifoit  entendre  qu'ils  avoient 
voulu  foùlever  le  peuple  contre  le  Roi,  contre  le  Clergé  ,  ôc 
contre  l'Etat  5  <5c  qu'elle  étoit  refoluë  de  prévenir  tous  ces  maux. 
Enfin  elle  leur  confeilloit  de  fe  retirer  chacun  chez  foi  >  Ôc  de 
fe  conduire  de  telle  façon  ^  qu'ils  pûflent  juftifier  leurs  adions 
ôc  leurs  paroles  aux  yeux  du  Roi ,  lorfqu'il  viendroit  dans  hs 
Payis-bas  i  les  menaçant ,  s'ils  n'obéïflbient ,  d'y  apporter  un 
prompt  remède. 

Une  réponfe  fi  dure  ,  bien  loin  d'appaifer  les  Confédé- 
rez  ,  ne  fit  que  les  irriter  d'avantage.  Ils  ne  penférent  donc 
plus  à  d'autre  moyen  ,  qu'à  celui  de  la  force  ôc  des  armes.  Ils 
levèrent  des  troupes ,  Brederode  t  aux  environs  de  Vianen ,  Jean 
de  Touloufe  ,  aux  environs  d'Anvers ,  ôc  les  autres  en  diffe- 
rens  lieux  de  la  Flandre.  Vianen  eft  une  ville  de  Hollande  fur 
le  Leck,  (qui  fait  un  bras  du  Rhin,  )  près  d'Utrecht.  Cette 
ville  appartenoit  au  baron  de  Brederode  j  ôc  c'eft  ce  qu'on  ne 
lui  conteftoit  pas.  Mais  il  prétendoit  en  être  tellement  le  Sei- 
gneur ,  qu'il  ne  relevoit  de  perfonne  î  ôc  que  par  conféquent 
il  ne  devoir  ni  foi  ni  hommage  à  qui  que  ce  fût.  Il  fondoit 
fes  prétentions  fur  ce  qu'il  étoit  iflu  des  comtes  de  Hollande  j 
ôc  que  fes  ancêtres  avoient  reçu  d'eux  ce  domaine  par  fuccef- 
fipn ,  ou  par  donation  ,  ôc  qu'ils  l'avoient  pofledé  à  titre  de 


DE  X  A.  DE  THOU,  Liv.  XLL        577 

Principauté.  Comme  on  lui  avoit  intenté  fur  cela  un  procès  à  , 

la  Cour  de  Malines,  à  la  diligence  du  procureur  général  du  Char  le 
Fifc,  &  qu'il  ne  pouvoit  en  voir  la  fin  ;  ce  Seigneur,  naturel-        i^ 
lement  haut ,  en  fut  Ci  indigné ,  que  le  procès  étant  encore  pen-     1  ^  ^  ^ 
dant ,  il  s'arrogeoit  dans  Vianen  tous  les  droits  de  la  Souve-  '  " 

raineté  ,  y  tenoit  fouvent  des  Confeils  fecrets^  ôc  y  recevoir  les 
Confédérez,qui  venoientà  lui  de  toutes  parts,  pour  délibérer 
enfemble  fur  leurs  affaires.  Aullî-tôt  après  qu'on  eut  prefenté 
à  la  Gouvernante  la  requête  du  5  d'Avril,  Brederode  avoit  fait 
battre  une  médaille  de  cuivre  ,  avec  les  armes  de  Bourgogne. 
Il  y  avoit  d'un  côté  ces  paroles  :  Per  tela  ,  per  ignés  (  au  milieu 
des  traits  &  des  feux  )  ôc  fur  le  revers  :  tnfigne  Vianenfe ,  (  dé- 
vife  de  Vianen.  )  En  même  tems  il  leva  des  troupes ,  ôc  forti- 
fia à  la  hâte  cette  ville. 

D'un  autre  côté  le  capitaine  Antoine  Bomberg  vint  dans  le 
mois  de  Février  à  Bofleduc  ,  &  ayant  foûlevé  le  peuple,  il  fit 
mettre  en  prifon  Merode  de  Peterfem ,  ôc  Jean  Cheyf  chance- 
lier deBrabant,  que  la  ducheffe  de  Parme  avoit  envoyez  pour 
retenir  les  peuples  dans  leur  devoir.  Le  comte  de  Meghen  , 
qui  les  fuivoit  avec  des  troupes ,  attendoit  à  quelque  diftance 
de  la  ville,  qu'ils  euffent  fini  leur  négociation,  comptant  qu'on 
lui  ouvriroit  les  portes ,  ôc  qu'on  le  recevroit.  Mais  ayant  ap- 
pris ce  qui  leur  étoit  arrivé ,  il  fit  approcher  fes  troupes ,  fui- 
vant  les  ordres  qu'il  avoit  reçus  de  la  Ducheffe  ,  ôc  voulut  em- 
porter par  la  force  ce  qu'il  n'avoit  pu  obtenir  par  la  douceur. 

Bofleduc  eft  une  des  quatre  places  les  plus  confiderables 
du  Brabant.  Forte  par  fa  fituation  ôc  par  fes  bons  murs ,  en- 
fermée d'un  côté  par  la  rivière  de  Duefe,  qui  prend  fa  fource 
dans  le  payis  de  Liège  ,  ôc  qui  arrofe  la  ville  en  coulant  vers 
le  Nord  5  il  ne  paroiffoit  pas  aifé  d'en  faire  le  fiége,  ôc  de  s'en 
rendre  maître  avec  un  fi  petit  nombre  de  foldats.  Mais  les 
bourgeois ,  qui  y  étoient  en  grand  nombre  >  belUqueux  ôc  ri- 
ches ,  ne  s'accordoient  pas  fur  le  fait  de  la  Religion  '■>  ôc  pen- 
dant que  le  comte  de  Meghen  faifoit  élever  des  Forts  à  toutes 
les  avenues  ,  pour  boucher  tous  les  paffages  des  vivres,  ils  dif- 
putoient  entr'eux  fur  ce  qu'ils  dévoient  faire  pour  le  bien  de 
leur  ville.  Une  partie  difoit  qu'il  falloit  obéïr  à  la  Gouvernan- 
te, ôc  recevoir  le  comte  de  Meghen  j  qu'il  étoit  encore  tems 
d'obtenir  le  pardon  i  Ôc  qu'il  ne  falloit  pas  attendre  que  le 

M  m  iij  ^ 


S78  HISTOIRE 

^...^■^■■■■—i  commerce,qui  faifoit  feul  fubfifter  une  fi  grande  ville,fût  entière- 
r^,r  .  Ty  r  T7  ment  uiterrompujparce  qu'aloi'S  ïls  auroient  inutilement  recours 
TV        a  des  prières  taraives,qui  ne  leroient  pomt  écoutées.  Les  autres 
^  *      difoient  au  contraire,  qu'il  falloir  défendre  par  les  armes  une  li- 
berté ,  qu'ils  ne  pouvoient  plus  maintenir  à  l'abri  des  loix  5  qu'il 
ne  reftoit  plus  rien  à  un  peuple  qui  avoit  perdu  fa  liberté  ;  que 
par  conféquent  il  falloit  confacrer  leurs  vies, leurs  biens ,  &  tout 
ce  qu'ils  pofledoient ,  pour  conferver  cet  avantage  tel  qu'ils  l'a- 
voient  reçu  de  leurs  ancêtres  ;  6c  qu'il  falloit  bien  fe  garder, 
pour  conferver  la  vie ,  de  perdre  un  bien  fans  lequel  on  ne 
peut  vivre. 

La  difpute  s'échauffa  à  un  point ,  que  les  bourgeois  penfe- 
rent  en  venir  aux  mains.  Le  comte  de  Meghen  l'ayant  fçii,  trai- 
ta fecrettement  avec  ceux  qui  étoient  d'avis  de  le  recevoir ,  ôc 
après  leur  avoit  fait  de  magnifiques  promefles ,  il  convint  avec 
eux  que  la  nuit  fuivante  il  attaqueroit  la  ville,  par  le  côté  qui 
étoit  confié  à  leur  garde  j  qu'ils  y  accoureroient  aulîî-tôt ,  com- 
me pour  fe  défendre  5  qu'ils  ouvriroient  leurs  portes ,  &  qu'ils 
joindroient  leurs  forces  aux  fiennes  :  ce  qui  fut  exécuté.  Le 
Comte  étant  entré  dans  Bofleduc  »  punit  fevérement  les  fédi- 
tieux  î  il  condamna  le  plus  grand  nombre  au  dernier  fupplice  j 
ôc  il  chaffa  les  autres  de  la  ville.  Bomberg ,  qui  avoit  prévu  le 
danger  ,  s'en  étoit  tiré  à  propos  î  il  s'étoit  fait  payer  une  fomme 
pour  fes  foldats ,  ôc  en  fortant  de  Bofleduc,  il  avoit  obtenu  non- 
feulement  pour  fes  troupes  ,  mais  pour  les  bourgeois  qui  vou- 
droient  en  fortir  ,  affez  de  tems  ,  pour  pouvoir  fe  retirer  en 
fureté. 

Le  comte  de  Meglien  ,  perfuadé  qu'il  falloit  profiter  de  ces 
premiers  fuccès ,  marcha  promptement  vers  la  Hollande  ,  où 
les  Confédérez  avoient  formé  de  plus  grands  deiïeins  :  fon 
arrivée,  à  laquelle  on  ne  s'attendoit  point,  fit  échouer  une  gran- 
de partie  de  leurs  projets.  Cependant  Jean  de  Touloufe,  que 
Pierre  Haeck  de  Mildebourg  avoit  prié  devenir,  vouloir  avec 
la  Nobleffe  choifie^dont  il  étoit  accompagné,  prendre  Flef- 
finguc  ,  ville  fituée  dans  le  Walcheren ,  la  plus  confiderable  des 
Ifles  de  la  Zelande.  On  avoit  fait  venir  pour  cela  quelques 
vaifieaux  d'Anvers  j  mais  il  n'y  en  avoit  pas  affez  pour  une  (î 
grande  entreprife.  Les  habitans  ,  avertis  par  les  vaiffeaux  qui 
àoient  arrivez  trop  tôt,  doublèrent  les  gardes,  ôc  par  là  firent 


K3JMt.taBfciafflMat 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLL        ^i^ 

échouer  les  projets  de  Touloufe.  N'ayant  plus  d'eiperance  de 
ce  côté-là,  il  vint  dans  l'Oofterweele,  proche  d'Anvers  ,  pour  Char  le 
encourager  par  fa  préfence  ceux  de  fa  faction  ,  ôc  pour  être  en       j  v 
état  de  fecourir  fes  amis  dans  toutes  les  occafions  quipouroient     »  r-  /j  7 
fe  préfenter. 

On  renouvelloit  alors  dans  Anvers  la  difpute  qui  s'étoit  éle- 
vée l'année  précédente:,  entre  les  Calviniftes  ôc  les  Luthériens > 
le  Confeil  de  la  ville  protegeoit  les  derniers ,  parce  que  leur 
do£lrine  étoit  reçue  dans  l'Empire ,  dont  Anvers  étoit  membre 
par  fon  marquifat.  Mathias  Flacius ,  homme  violent  ,  ôc  qui 
caufoit  de  grands  troubles  par  tout  où  il  mettoit  le  pié  ,  n'a- 
voit  pas  laifle  échaper  une  fi  belle  occafion ,  pour  fortifier  fon 
parti.  Au  contraire  ,  les  Grands  qui  étoient  attachez  aux  nou- 
veautez ,  favorifoient  en  fecret  les  Calviniftes ,  dont  les  Egli- 
fes  de  France  fuivoient  la  Dodrine.  Jean  de  Touloul'e ,  pour 
être  à  portée  de  les  afiifter ,  s'étoit  campé  fur  les  coteaux  efcar- 
pez ,  qui  bordent  l'Efcaut ,  dans  un  lieu  où  il  fe  croyoit  en  fu- 
reté. La  duchefle  de  Parme  y  envoya  aufii-tôt  de  Bruxelles 
Philippe  de  Lanoy ,  Mandeville  >  ôc  *Gilles  Villen  ,  de  Na- 
mur ,  avec  une  compagnie  de  quatre  cens  gardes  ,  aufquels 
s'étoient  joints  Valentin  de  Pardieu ,  de  la  Mote  maréchal  de 
camp ,  avec  les  troupes  du  comte  d'Egmond,  qui  étoit  à  Axel 
dans  la  Flandre  5  ôc  Jean  de  Grève  ,  grand  Prévôt  de  Bra- 
bant.  Tous  s'étant  afiemblez  le  1 3  de  Mars  de  grand  matin  )  à 
un  lieu  marqué ,  chargèrent  les  troupes  de  Touloufe  ,  qui  ne 
s'attendoient  à  rien  moins  :,  ôc  les  défirent.  On  en  tua  une  par- 
tie i  un  grand  nombre  tombèrent  de  deflus  les  hauteurs  dans  la 
rivière  ,  ôc  Touloufe  ,  qui  s'étoit  enfermé  dans  une  maifon ,  re- 
folu  de  s'y  défendre  jufqu'à  la  dernière  extrémité ,  y  fut  brûlé 
avec  la  maifon. 

Les  habitans  d'Anvers  confternez  de  cet  échec  ,  couru- 
rent auiïi-tôt  aux  armes ,  quoi  qu'ils  ne  fuffent  pas  bien  d'ac- 
cord entr'eux,  ôc  qu'ils  ne  fe  fiaflent  pas  beaucoup  les  uns  aux 
autres.  La  Gouvernante  y  envoya  auffi-tôt  le  prince  d'Oran- 
ge, ôc  le  comte  d'Hoocftrate.  Ils  furent  d'abord  afiez  mal  reçus, 
il  y  en  eut  même  un  affez  hardi ,  pour  préfenter  fon  épée  nue  au 
prince  d'Orange.  Mais  ce  Prince,  habile  dans  l'art  d'appaifcr 
les  féditions  populaires  :,  vint  à  bout  par  fa  patience  de  cal- 
mer cet  orage.  11  fit  aflembler  dans  la  place  publique ,  près  de 


ft^o  HISTOIRE 

l'hôtel  des  monnoyes,  les  Catholiques  6c  les  Luthériens  (  car  ik 
avoient  moins  d'oppoiition  les  uns  aux  autres  ;)  ôc  ils  s'y  trouvè- 
rent au  nombre  de  quatre  cens  à  cheval.  D'un  autre  côté,  les 
marchands  ou  conimiflionnaires  Itahens ,  Efpagnols  &  Portu- 
guais ,  appréhendant  d'être  attaquez  par  les  fadicux  ,  s'étoient 
affemblez  en  armes  dans  le  quartier  près  du  port.  Les  Calvi- 
niftes  étoient  en  plus  petit  nombre,  mais  ils  avoient  plus  d'ar- 
mes &  de  canons  i  ôc  ils  s'étoient  fortifiez  fur  le  pont  du  Meer. 
Deux  jours  fe  pafTerent  à  aller  6c  venir  de  part  ôc  d'autre.  En- 
fin le  Prince  par  fa  prudence  ,  ôcpar  l'entremife  de  Jean  Stra- 
len  Bourgmeftre  ,  qui  s'étoit  rendu  agréable  à  tous  les  par- 
tis ,  appaifa  les  habitans  j  Ôc  comme  tous  avoient  également 
horreur  de  s'égorger,  chacun,  après  avoir  re(;u  fes  furetez,  fe 
retira  tranquillement  chez  foi.  Comme  la  Gouvernante  réùf- 
fîdoit  dans  toutes  fes  entreprifes ,  ôc  qu'ils  ne  pouvoient  d'ail- 
leurs efperer  de  fecours ,  ils  envoyèrent  peu  de  tems  après  des 
députez  à  Bruxelles,  qui  firent  leur  accommodement  à  ces  con- 
ditons  :  Que  les  Proteftans  cefTeroient  leurs  Prêches  :  Qu'on 
rétabliroit  les  Prédicateurs  Catholiques  :  Qu'on  répareroit  les 
Eglifes  :  Qu'on  exécuteroit  les  anciens  Edits  :  Que  perfonne 
ne  feroit  puni  pour  le  pafle  ,  ni  dans  fon  corps  ,  ni  dans  fes 
biens  :  Que  ces  conventions  fubfifteroient,  jufqu'à  ce  que  le  Roi 
en  eût  autrement  ordonné ,  de  l'avis  des  Etats.  On  exclut  for- 
mellement du  traité  les  profanateurs  des  Eglifes  ôc  des  Ima- 
ges, ôc  autres  femblables  criminels  i  mais  la  Gouvernante  pro- 
mit d'écrire  au  Roi  en  leur  faveur.  Les  habitans  d'Anvers  ac- 
ceptèrent ces  conditions,  ôc  confentirent  que  la  Duchelfevînt 
dans  leur  ville ,  ôc  y  mît  garnifon.  Suivant  ce  traité,  on  ren- 
voya tous  les  miniftres  Calviniftes  ôc  Luthériens ,  qui  après 
avoir  demandé  des  pafleporis  au  Confeil  ôc  aux  Magiftrats,  di- 
rent adieu  aux  habitans  :  ils  leur  reprochèrent  durement  leur 
ingratitude ,  ôc  les  menacèrent  de  la  punition  de  Dieu ,  pour 
avoir  rejette  fes  grâces ,  ôc  facrifié  fa  gloire  à  leurs  intérêts. 
Retraite  du  Peu  de  tems  après  ,  le  prince  d'Orange  ,  qui  avoir  déjà  quel- 
prince  d'O-  quefois  conféré  à  Hellegate  ôc  à  Villebrouck ,  avec  les  com- 
""^^'  tes  d'Egmond  ôc  de  Horne ,  eut  une  dernière  conférence  avec 

e^:x  ,  pour  les  avertir  du  danger  qu'il  prévoyoit.  Il  les  exhorta 
à  prendre  fortement  la  défenfe  de  l'Etat ,  ôc  à  faire  une  confé- 
dération avec  tous  Içs  Seigneurs ,  pour  fermer  aux  Efpagnols 

l'entrée 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  Lî  V.   XLI        281 

rentrée  des  Payis-bas,  Mais  le  comte  d'Egmond^  dont  le  com- 
te de  Horne  fuivoit  prefqi^e  toujours  les  fenrimens,  ne  goûta  r"     " 
point  l'avis  du  prince  d'Orange.  Soit  par  attachement  à  fa  fli-  ^^ar^ 
mille  ,  qu'il  auroit  peut-être  été  contraint  d'abandonner  j  foit        ^  ^' 
par  crainte  d'être  dépouillé  des  grands  biens,  dont  un  homme     ^  S  ^'^' 
aulTi  vain  &  auiTi faftueux  qu'il  étoit,  ne  pouvoit  fe  pafTer  ;  foit 
par  la  trop  grande  confiance  que  lui  infpiroient  les  importans 
fervices  ,  qu'il  avoir  rendus  au  roi  d'Efpagne  ;  jamais  on  ne 
put  le  déterminer  à  prévenir  la  perte  de  fa  patrie  ^  &  la  fienne 
propre.  Quelque  chofe  que  le  Prince  lui  pût  dire  ,  il  n'avoir 
qu'une  feule  réponfe  :  «  J'efpere,  difoit-il ,  ôc  je  fuis  perfuadé 
»'  que  les  Prêches  étant  abolis ,  ôc  les  profanateurs  des  Eglifes 
3'  punis  ,  le  Roi  fera  fatisfait,  &  n'impolera  aucune  autre  pei- 
"  ne.  3>  Le  prince  d'Orange  continuant  de  lui  montrer,  pour 
ainfi  dire,  au  doigt,  les  malheurs  dont  ils  étoient  menacez  ,  rien 
ne  fut  capable  de  l'ébranler.  «  J'aurai ,  reprit  alors  le  prince 
a»  d'Orange,  la  confolation  dans  nos  malheurs  ,  d'avoir  voulu 
»  fervir  mes  amis  Ôc  ma  patrie,  ôc  de  leur  avoir  offert  mes  con- 
«>  feils  ôc  mon  bras.  Puifque  par  un  fecret  jugement  de  Dieu  ,  ÔC 
»  par  un  aveuglement  déplorable  de  votre  part,  je  ne  puis  me  faire 
«  écouter ,  Comte ,  je  n'ai  plus  qu'une  chofe  à  vous  dire  ;  c'eft 
«  que  fi  vous  perfiftez  dans  votre  opiniâtreté,  vous  vous  précipi- 
3'  tez  vous  même  .  ôc  vous  précipitez  tous  les  Seigneurs  de  ces 
M  Provinces  dans  un  danç^er  inévitable  :  oui  nous  courons  tous  à 
«  une  perte  certaine.  Je  prévois  de  plus  que  nos  ennemis  fe 
j'  ferviront  de  vous  ;  comme  d'un  pont  pour  faire  leur  defcen- 
3'  te ,  ôc  mettre  pié  à  terre  ;  ôc  que  votre  tête  fcparée  de  votre 
a>  corps  leur  tiendra  lieu  de  trophée.  ^' 

Ainfi  parla  le  prince  d'Orange  ,  foit  qu'il  prévît  en  effet  ce 
qui  devoir  arriver,  foit  qu'il  voulût  frapper  le  comte  d  Egmond, 
&  le  faire  changer  de  fentiment,  en  lui  mettant  devant  les  yeux 
le  danger  oii  il  s'expofoit.  Mais  il  ne  put  rien  gagner  5  ils  s'em- 
bralTerent  l'un  l'autre  les  larmes  aux  yeux  ,  ôc  fe  féparerent.  Peu 
detems  après  ,  le  prince  d'Orange  ayant  pris  congé  de  la  du- 
chelfe  de  Parme  ,  alla  d'Angers  à  Breda  ,  ôc  de-là  en  Alle- 
î-nagne  ,  fous  prétexte  de  mettre  ordre  à  fes  affaires  :  la  plupart 
de  fes  amis  ,  qu'il  fit  fecrettement  avertir  ,  le  fuivirent.  Le 
plus  grand  nombre  de  la  Nobleffe ,  comptant  fur  les  fervices 
ôc  fur  le  crédit  du  comte  d'Egmond ,  demeura  avec  lui ,  ôc 
Tome  V*  Nn 


Char  le 


2S2  HISTOIRE 

à  fon    exemple  fe  détacha  des  Confcdcrez. 

Cependant  on  interdit  tous  les  Prêches  à  Audenarde  ;  & 


A  R  LE  pour  empêcher  les  Proteftans  de  Bruges  de  s'affembler ,  on  en- 
1  A.       voya  au  lieu  de  l'aflemblée  iommer  le  Miniftre  de  comparoî- 
^5^7'    tre  le  lendemain  devant  le  Magiftrat ,  pour  y  prêter  ferment 
.   de  fidélité  au  Roi ,  fuivant  les  traitez.  Mais  le  Miniflrcperfua- 
dé  qu'il  n'y  avoit  pas  de  fureté  pour  lui  à  fe  prefenter ,  prit  le 
parti  de  fe  retirer.  Peu  de  tems  après  les  Proteftans  ayant  fait 
venir  un  autre  Miniftre,  il  fut  arrêté  à  la  porte  de  la  ville  ^  & 
mis  en  prifon  ,  pour  avoir  prêché  après  midi  contre  la  défenfe 
du  Franc  ,  c'eft-à-dire  du  Magiftrat,  qui  a  la  fouveraine  auto- 
rité à  Bruges.  Cet  emprifonnement  infpira  aux  Proteftans  un& 
fi  grande  frayeur,  qu'ils  n'oferent  plus  faire  depuis  aucune  af- 
femblée  publique  ni  particulière. 

Le  baron  de  Norkermes  preffoit  le  fiége  de  Valenciennes. 
Les  bourgeois  avoient  d'abord  efperé  qu'ils  recevroient  quel- 
ques fecours ,  que  le  prince  de  Porcien  devoir  leur  envoyer 
de  France  ;  mais  il  mourut  dans  ce  tems-là.  Les  habitans  d'An- 
vers leur  avoient  aulTi  donné  quelques  efperances  ;  &  c'eft 
ee  qui  les  avoit  encouragez  à  une  fi  longue  refiftance.  Voyant 
toutes  leurs  efperances  évanouies,  ils  préfenterent  un  mémoi- 
re aux  Chevaliers  de  l'Ordre  de  la  Toifon  d'or ,  pour  fe  laver 
du  crime  de  leze-majefté  ,  dont  la  ducheffe  de  Parme  les  ac- 
cufoit.  Pour  ce  qui  conceinoit  les  Prêches ,  ils  faifoient  voir 
qu'ils  n'avoient  rien  fait  en  cela  contre  les  ordres  de  la  Gou- 
vernante, &  qu'ils  avoient  été  autorifez  parles  Chevaliers  de 
l'Ordre.  Ainfi  ils  fupplioient  qu'on  les  épargnât ,  &  qu'on  ne 
fît  aucune  entreprife  contre  la  liberté  de  confcience,  qui  leur 
avoit  été  accordée  ,  contre  leurs  vies  ,  ni  contre  leurs  biens. 
Cette  requête  ,  bien  loin  de  leur  fervir  ,  ne  fit  qu'irriter  da- 
vantage la  Ducheffe  ,  qui  fe  perfuada  qu'on  donnoit  atteinte 
à  fon  autorité  ,  ôc  qui  ne  pût  fouffrir  que  les  Flamans ,  au  lieu 
de  s'adrelfer  à  elle  ,  préfentaflent  leurs  requêtes  aux  Chevaliers 
de  la  Toifon  d'or.  Ainfi  elle  manda  au  Baron  de  hâter  la  prife 
de  Valenciennes.  Cependant  elle  envoya  Philippe  de  Croy 
duc  d' Arfchot ,  &  le  comte  d'Egmond  ,  pour  tâcher  de  faire 
rentrer  les  alTiégez  dans  leur  devoir ,  &  leur  propofer  ces  con- 
ditions, qui  paroifToient  honnêtes  :  Qu'il  feroit  permis  aux  Mi- 
iiiftres  de  fortir ,  en  demandant  les  paffeports  necelTaires ,  ôc 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XLI        2S5 

-qu^on  accorderolt  aux  habirans  le  pardon  de  tout  le  paiïé.  Les  ,1,.,, , , 

bourgeois  ne  jugèrent  pas  à  propos  d'accepter  ces  conditions.  7^ 
Alors  Norkermes  fit  battre  la  ville  par  vingt-quatre  canons,       jy 
entre  la  porte  de  Mons  &  la  porte  Cordon.  Ce  ne  fut  pas  nean-  J 

moins  le  feu  de  cette  batterie  qui  les  découragea,  ce  fut  la  dé-  ^ 
faite  de  Jean  de  Touloufe  dans  FOftervel  ,  &  la  redudion 
d'Anvers.  Ces  deux  événemens  répandirent  la  contiernation 
&  la  terreur  dans  Valenciennes  :  ils  perdirent  entièrement  cou- 
rage ;  Ôc  n'ayant  plus  aucune  efperance  d'être  fecourus  ,  ils  fc 
rendirent  enfin  à  difcretion  le  24  de  Mars  au  foir. 

Norkermes  étant  entré  dans  la  ville  ,  en  fit  promptement 
fermer  toutes  les  portes.  Il  fit  au(Ii-tôt  mettre  en  prifon  Mi- 
chel Herlin,  le  premier  ôc  le  plus  confiderable  des  bourgeois, 
qu'on  croyoit  être  l'auteur  des  troubles ,  avec  fon  fils  ,  ôcilleur 
fit  trancher  la  tête.  Il  fit  pendre  Gui  de  Brès,  ôc  Peregrin  de 
la  Grange,  minières.  Plufieurs  autres  furent  exécutez ,  &  quel- 
ques auteurs  ont  écrit  qu'il  y  eut  en  diverfes  fois  plus  de  deux 
cens  perfonnes  condamnées  à  mort.  Norkermes  s'étant  enfuite 
emparé  de  S.  Amand ,  fit  avancer  fes  troupes  vers  Câteau-Cam- 
brefis }  petite  ville  appartenant  à  l'évêque  de  Cambray  ,  qui 
avoir  jufqu'alors  été  ouverte  aux  Proteftans,  ôc  d'où  ils  faifoient 
ÔQS  courfes  prefque  continuelles  dans  le  payis.  Les  bourgeois 
ayant  appris  la  reddition  de  Valenciennes,  fortirent  de  ia  pla- 
ce ,  que  Norkermes  abandonna  au  pillage.  On  y  prit  le  miniftre 
Philippe  f  qu'on  condamna  à  avoir  la  main  coupée  j  ôc  à  être 
pendu. 

On  fit  en  même  tems  répandre  par  tout ,  que  l'exercice  de 
la  Religion  Proteftante  étant  aboli ,  ôc  celui  de  l'ancienne  Re- 
ligion rétabli  en  tous  lieux ,  la  Gouvernante  avoit  appaifé  la 
colère  du  Roi,  ôc  que  Sa  Majefté  ayant  changé  de  refolution, 
ne  penfoit  plus  à  envoyer  une  armée  dans  les  Payis-bas.  Sur 
ce  bruit ,  les  Seigneurs  s'étudièrent  à  Fenvi  à  donner  au  Roi 
une  entière  fatisfatlion.  On  défendit  prefque  par  tout  les  Prê- 
ches j  on  repara  les  Eglifes,  ôc  les  Flamans  firent  paroinre  dans 
les  fêtes  de  Pâques  plus  d'ardeur  à  rétablir  les  Images ,  que  les 
Hérétiques  n'en  avoient  eu  à  les  renverfer.  On  courut  en  foule 
abattre  les  Temples  que  les  Proteftans  venoicnt  de  bâtir  à 
Ypres ,  à  Bai  lieu  l  ôc  à  Armentieres.  On  en  fit  autant  â  Comi- 
ncs  '>  ôc  par  les  ordres  du  duc  d'Arfchot ,  on  fe  fervit  de  la 

N  n  ij 


2U  HISTOIRE 

wr^^u^aggara  cliarpetite  clu  Temple  pour  faire  des  potences ,  aufqueîles  on 

Charle  psi^dit  un  grand  nombre  de  coupables  ,   ôc  particulièrement 

IX.        ceux  qui  furent  convaincus  d'avoir  pillé  les  Eglifes ,  ôc  brife 

1  j"  d  7.     ^^s  images.  Le  Temple  élevé  à  Gand  futabatu  par  les  foldats 

du  Roi,  &  renverfé  de  fond  en  comble  dans  l'efpace  d'une 

heure.  Delà  on  alla  en  Hollande,  où  la  doclrine  des  Protef- 

tans  avoit  jette  de  plus  profondes  racines. 

Le  baron  deBrederode,qui  s'éroit  retiré  à  AmfLerdamavec 
fes  troupes,  tandis  qu'on fortiiioit  Vianen, reçut  ordre  de  la  du- 
chefTe  de  Parme  de  fortir  de  cette  place.  Ilrefufa  d'abord  d'o- 
béir ,  ôc  fit  même  emprifonner  le  fecretaire  de  la  Torre ,  qui  lui 
avoit  apporté  les  ordres.  Mais  voyant  que  toute  la  NoblefTo 
des  Payis-bas,  &  tout  le  peuple  des  villes  &  des  campagnes 
avoient  été  réduits  par  force  ou  par  crainte  ,  ilfortit  de  la  ville 
6c  laifla  Vianen  fans  g.arniibn.  Cette  ville  ne  tarda  pas  à  fe  fou- 
mettre  aux  comtes  de  Meghen  &  d'Aremberg ,  qui  pourfui- 
voient  les  reftes  des  Proteftans.  Le  Baron  dit  adieu  aux  Con- 
tédérez  ,  ôc  s'étant  embarqué  avec  fa  maifon ,  ôc  tout  ce  qu'il 
put  emporter  de  meubles ,  il  alla  à  Conden ,  d'où  il  paiïa  en 
'  Allemagne,  où  peu  de tems  après  il  mourut  de  chagrin.  Sa  veu- 
ve,  qui  étoit  de  la  maifon  des  comtes  de  Meurs,  Dame  d'un 
grand  courage  ,.  époufa  l'Elecleur  Frédéric  Palann. 

Dans  le  même  tems  ceux  d'Utrecht,  après  avoir  exercé  leur 
fureur  contre  les  Eglifes  Ôc  contre  les  images,  fe  ralentirent, 
envoyèrent  des  Députez  à  Bruxelles ,  ôc  pour  appaifer  la  Gou- 
vernante ,  ils  reçurent  garnifon.  A  leur  exemple  ceux  de  Ma- 
feck  qui  font  delà  domination  de  l'évêque  de  Liège,  Ôc  ceux 
d'AlTelt,  qui  avoientmarché  fur  les  traces  de  leurs  voifins ,  ôc 
pillé  les  Eglifes,  rentrèrent  dans  leur  devoir.  Ceux  d'AlTelt  foû- 
tinrent  long-tems  le  fiégei  mais  leurs  murs  étant  abatus, n'ayant 
plus  de  fecours  à  cfperer,  ôc  les  Confédérez  fe,  trouvant  affoi- 
bhs  ôc  difperfez  ,  ils  fe  rendirent  enfin  à  Gérard  Groefbeck 
îeurévêque  ôc  leur  prince,  à  ces  condidon  qui  leur  furent  pref- 
crites  :  Qu'ils  feroient  rétablir  ôc  réparer  les  Eglifes  à  leurs  dé- 
pens :  Qu'ils  rembourferoient  les  frais  de  la  guerre  :  Qu'ils  fe- 
roient profelFion  de  la  Religion  Catholique  Romaine,  ôcre- 
jetteroient  toutes  les  autres  ;  ôc  qu'ils  recevroient  garnifon.. 

Peu  de  tems  après ,  environ  cinq  cens  Proteftans  étant  for- 
tis  de  Ruremonde  enGueldres  pour  aller  au  prêche ,  lorfqu'ils 


E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLI.  285' 

voulurent  rentrer  dans  la  ville  ,  les  Magiftrats  les  en  empêchè- 
rent. La  ville  même  de  Cologne  ne  fut  pas  exempte  de  trou-  Char.  LE 
blés.  Un  rainiftre  Calvinifte  ayant  prêché  à  quelque  diftance       j  x. 
de  la  ville:,  attira  tant  de  monde,  qu'il  y  eut  lieu  d'appréhen-     ,  r  (jy. 
der  que  cela  ne  causât  quelque  fédition  parmi  les  bourgeois  6c 
ne  troublât  la  tranquillité  publique.  Le  Bourgmsftre  Confîantin 
Liskirchen  diffipa  bien-tôt  cette  crainte,  par  la  fage  ôc  prudente 
défenfe  qu'il  fit  aux  bourgeois  de  fortir  de  la  ville  pour  aller 
entendre  le  fermon.  LeAliniftre  n'ayaiit  plus  d'auditeurs^  s'en- 
nuya ôc  fe  retira, 

La  Gouvernante  après  avoir  traité  avec  ceux  d'Anvers,  en- 
voya devant  elle  Charlefils  de  Pierre  Erneft  comte  de  Mans- 
feldt  J  qui  entra  dans  la  ville  avec  l'air  d'un  ennemi ,  à  la  tête 
de  feize  enfeignes  de  François  :  la  Duchefi'e  le  fuivit  deux  jours 
après  avec  cinq  cens  chevaux.  AuiH-tôt  on  ordonna  des  lita- 
nies &  des  procelïîons  publiques  ,  où  affifterent  un  grand  nom- 
bre de  Chevaliers  de  laToifon  d'or  ,'  on  p*it  la  plupart  de  ceux 
quiétoient  accufez  d'avoir  caufé  les  troubles,  ôc  quelques-uns 
furent  pendus  :  on  rétablit  les  Eglifes  i  on  renouvella  les  an- 
ciennes ordonnances  touchant  la  Religion;  on  rebatifa  les  en- 
fans  ,  que  les  Proteftans  avoient  batifez  j  on  abatit  les  temples 
qu'ils  avoient  fait  bâtir  avec  autant  de  magnificence  qu'ils  avoient 
pu  dans  le  peu  de  tems  qu'on  leur  avoir  donné,  ôc  après  une 
exade  perquifition  ,  on  fit  un  fidèle  inventaire  de  toutes  les  ar- 
mes  qui  fe  trouvèrent  dans  les  maifons. 

Cependant  les  troupes  de  la  noblefTe  Confédérée  ,  qu'elle 
avoir  congédiées  fans  les  payer ,  fe  répandirent  licentieufement 
dans  lepayis,  au  nombre  de  cinq  mille  ou  environ  ,  ôc  pillè- 
rent l'Abbaye  d'Egmond,  fans  que  le  comte  de  Meghen  qui 
les  pourfuivoit  pût  s'y  oppofer.  Enfin  la  plus  grande  partie  palTa 
la  Meufe,  &  fe  retira  dans  le  duché  de  Cleves  :  les  autres  fe- 
difperferent  en  d'autres  endroits.  Mais  quelques-uns  des  chefs 
s'étant  féparez  des  autres ,  ôc  pafTant  le  Zuiderfée  furent  trahis 
par  les  mariniers ,  qui  firent  échouer  le  vaiiTeau  fur  un  banc. 
Là  ils  furent  environnés  ôcpris  par  le  capitaine  Mulhart,  qui 
commandoit  les  troupes  du  comted'Aremberg,  &  le  y  de  Mai 
ils  furent  mis  dans  la  prifon  d  Harlinghen  en  Frife.  C'étoient 
entr'autres,  les  deux  frères  de  Battembourg,  Herman  Galama 
ôc  SicurtBeyma  Gentilshommes  de  Frife ,  avec  quelqu'autres. 

Nu  iij 


2^6  HISTOIRE 

Quelques-uns  d*eux  furent  transferez  à  Vilvoorde ,  ôc  les  au- 
C  H  A  R  L  E  ^^^^  ailleurs ,  fuivant  les  ordres  de  la  Gouvernante ,  qui  les  fit 
j  ^        punir  de  différente  manière. 
j  <  6  7         Pendant  tous  ces  troubles  des  Payis-bas  y  Philippe  ,  qui  en 
.  _  *    étoit  extrêmement  fâché  ,  tenoit  à  Madrid  de  fréquens  Con- 
pa^ne°fe  dé-  ^^^^^  ^^^^  ^^^  Miniftres  ôc  fes  confidens  fur  les  moyens  de  les 
tennineàufer  appaifer.  Il  en  tint  enfin  un  à  Segovie.  Les  plus  fages,ôc  ceux 
fnverf"ks      quï  penfoient  le  mieux,  étoient  d'avis  d'employer  la  douceur 
JFlamans.        plutôt  que  la  févérité.  Ruy  Gomez  de  Sylva  fut  le  premier 
qui  propofa  cet  avis  ,  s'offrant  d'aller  dans  les  Payis  -  bas ,  ÔC 
d'y  terminer  tous  les  différends  par  la  clémence  ôc  la  dou- 
ceur. Suarez  Figueroa  duc  de  Feria,  &  Frefneda  confelfeur 
du  Roi,  furent  de  ce  fendment  :  mais  Ferdinand  Alvarez  de 
Tolède  duc  d'Albe ,  le  malheureux  auteur  du  parti  rigoureux, 
que  Charle  père  de  Philippe  avoir  pris  autrefois  contre  les 
Allemands ,  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs ,  fut  d'un  avis  con- 
traire, ÔC  foutint  qu'il  n'y  avoit  ni  repentir  ni  fatisfa£lion  qui 
pût  expier  fimpieté  ôc  la  rébellion  des  Flamans ,  à  moins  qu'ils 
ne  commençalfent  par  faire  un  aveu  public  de  leur  crime,  ôc 
par  abandonner ,  fans  réferve  ôc  fans  aucune  condition, leurs 
biens  Ôc  leurs  vies  à  la  difcretion  de  leur  Souverain.  Com- 
me il   y  avoit  bien  de  l'apparence  que  des  peuples  fi  fiers 
ôc  fi  opiniâtres  ne  voudroient  pas  fefoumettre  à  cette  condi- 
tion, le  Duc  ajouta  que  le  Roi  manqueroit  àce  qu'il  devoit  à 
Dieu ,  ôc  à  ce  qu'il  fe  devoit  à  lui  même ,  s'il  n'ufoit  pas  en- 
^vers  ces  criminels  d'Etat  d'une  févérité  capable  de  fervir  éter- 
nellement d'exemple,  ôc  d'apprendre  à  tous  les  autres  fujets  à 
.être  plus  fages  :  qu'il  devoit  donner  toute  fon  application  j  Ôc 
employer  toutes  les  forces  de  la  monarchie  Efpagnole  pour 
une  expédition ,  qui  intereffoit  la  gloire  de  Dieu  ôc  celle  de 
fa  majefté  Catholique. 

Ce  dernier  avis  fut  appuyé  du  crédit  ôc  de  l'autorité  du  car- 
dinal de  Granvelle,  qui  avoit  confeillé  la  violence  ôc  les  ri- 
gueurs, dont  on  avoit  ufé  fi  mal  à  propos  envers  les  Allemands, 
Se  qui  avoit  d'ailleurs  une  haine  particulière  pour  les  peuples 
des  Payis-bas.  Philippe  qui  étoit  naturellement  vindicatif,  ôc 
qui  n'oublioit  pas  aifément  les  injures  ,  fe  rendit  au  defir 
.ambitieux  que  les  Efpagnols  avoient  de  porter  la  guerre  en 
Flandre,  ôc  lliivitle  fentiment  du  duc  d'Albe.  Le  duc  de  Feria 


DE    J.  A.  BË  THOU,  Liv.  XLI.         2S7 

changea  auiTi- tôt  defentiment;  Efpinofa  ôc  le  grand  Inquifiteur 
furent  du  même  avis ,  ôc  dirent  que  non  feulement  il  étoit  du 
devoir  du  Roi ^  de  reprimer  les  nouveaux  mouvemens  exci-  ^harle 
tez  par  le  peuple  Flaman  j  mais  qu'il  étoit  encore  néceflaire  pour  ^^* 

fa  réputation,de  punir  févérement  ceux  qui  en  étoient  les  auteurs  ^5^7- 
6c  les  complices.  Ce  n'étoit  pas  feulement  les  anciens  ennemis 
des  Flamans  qui  infpiroient  au  Roi  ces  fentimens:  il  y  étoit 
confirmé  parles  lettres  qu'il  recevoit  chaque  jour  de  la  duchefle 
de  Parme ,  qui  rafTuroit  que  l'autorité  Royale  reprenoit  infen- 
fiblement  le  defius,  &  que  les  féditieux  ou  fe  diflipoient  peu 
à  peu ,  ou  étoient  obligez  ,  foit  par  la  force ,  foit  par  la  crainte, 
de  rentrer  dans  leur  devoir.  C'eftce  qui  fit  croire  au  Roi  d'Ef- 
pagne  qu'il  étoit  tems  de  profiter  de  l'occafion  favorable  qui 
fe  prefentoit  à  lui ,  de  faire  une  punition  exemplaire  des  coupa- 
bles, (Se  de  venger  la  majefté  Royale  blellée  par  les  attentats  de 
ces  rebelles. 

On  commença  l'exécution  de  ces  violentes  réfolutions  par 
les  députez  des  Payis-bas,  qui  étoient  venus  en  Efpagne  dès  l'an- 
née précédente.  On  les  amufa  long-tems  par  ces  lenteurs  qui 
font  ordinaires  aux  Efpagnois ,  ôc  enfin  on  les  mit  en  prifon.  Le 
marquis  deBergh, indigné  de  voir  fes  fervicesfi  mal  payez^y  mou- 
rut de  chagrin,  ôc  l'on  crut  qu'il  avoir  été  empoifonné.  Comme  il 
mourut  fans  enfans ,  fes  biens  furent  confifquez  au  profit  du  Roi  : 
mais  comme  il  fut  depuis  flipulé  dans  le  traité  de  Pacification 
fait  à  Gand,  que  chacun  rentreroit  dans  fes  biens,  la  fille  de 
Peterfem  ôc  delà  fœur  du  marquis  de  Bergh  ,  qui  avoir  époufé 
le  feigneur  de  Berzele,  recueillit  la  fuccefllon  de  fon  oncle. 
Floris  de  Montmorenci  baron  de  Montigni ,  homme  fage  ôc 
d'un  grand  cœur,  quifaifoit  les  délices  de  fa  patrie,  fut  trans- 
féré à  Médina,  où  il  eut  la  tête  tranchée  avec  pîufieurs  au- 
tres. Cependant  le  baron  de  Montigni  ôc  le  marquis  deBergh 
étoient  Catholiques.  La  Reine,  les  Grands  du  Royaume,  ôc 
leurs  amis  folliciterent  fortement  en  leur  faveur  5  le  Marquis  mê- 
me ,  pour  plus  grande  preuve  de  fa  foi ,  avoit  écrit  de  fa  pri- 
fon à  fa  femme  ,  de  faire  rebatifer  tous  les  enfans  de  fes  terres, 
qui  avoient  été  batifez  dans  les  afi^emblées  des  Protellans  j  ce 
qu'elle  fit.  Les  biens  de  Montigni  furent  confifquez ,  comme 
ceux  du  Marquis,  ôc  otez  à  fa  fille  fon  unique  heridere  ,  née 
d'Helenede  Melun,  fille  d'Hugue  prince  d'Elpinoy,  qu'il  avoit- 


2SS  HISTOIRE 

époufée  depuis  peu.  Aiors  Philippe  déclara  qu'il  partiroit  au 

C  H  /^  R  L  E  P^'^"^^^^^^  prochain ,  pour  aller  dans  les  Payis-bas.  Il  y  avoir  lorlg- 

T  v"        tems  que  la  Gouvernante  le  pubiioit,  foit  qu'elle  voulût  le  faire 

j  ç,  ^*       croire  aux  Flamans ,  pour  les  contenir  par  la  crainte ,  ou  par  l'ef- 

perance,  tandis  qu'on  faifoittous  les  préparatifs  de  guerre  5  foit 

que  le  Roi  eut  en  effet  pris  d'abord  cette  réfolution. 

Quand  le  voyage  eut  été  réfolu  ,  on  propofa  à  Phihppe  trois 
routes  différentes  pour  fe  rendre  en  Flandre.  La  première  par 
rOcean  :  mais  il  n'y  avoit  ni  honneur  nifùreté  pour  un  grand  Roi 
à  prendre  ce  chemin  avec  un  petit  nombre  de  vaiffeaux  '■>  ôc  pour 
faire  cette  route  avec  une  flotte  nombreufe  &  convenable  à 
fa  dignité,  il  falloir  trop  de  tems:  il  y  avoir  même  du  danger, 
car  il  falloir  aborder  par  la  Zelande  ou  la  Hollande,  qui  croient 
les  deux  Provinces  ou  la  Religion  nouvelle  avoit  caufé  le  plus 
de  troubles ,  ôc  dont  la  fidélité  étoit  devenue  plus  fufpccte  ,  à 
caufe  du  prince  d'Orange  qui  en  étoit  Gouverneur,  ôcà  qui 
la  Coi^r  ne  fe  fioit  point.  La  deuxième  route  étoit  par  la  Mé- 
diterranée ,  par  l'Italie ,  ôc  par  f  Allemagne  j  mais  elle  parut  trop 
longue  ,  d'une  trop  grande  dépenfe ,  &  même  très-périlleufe  s 
parce  qu'il  falloir  paifer  avec  une  nombreufe  armée  fur  les  ter- 
res de  plulieurs  princes  Proteftans.  Il  en  reitoit  une  troifiéme 
par  l'Italie j  parla  Savoye,  parla  Breffe,  par  la  Franché-comré, 
ôc  par  la  Lorraine.  Cette  route  avoit  fes  incommoditez  ;  elle 
parut  néanmoins  plus  fûre  &  plus  courte  que  les  deux  autres. 
Mais  comme  les  perfonnes  habiles  &  expérimentées  crai- 
gnoient  que  la  faifon  commençant  à  n'être  plus  favorable,  l'ar- 
mée n'eût  beaucoup  de  peine  à  paffer  par  les  montagnes  de 
la  Savoye,  &que  la  cavalerie  Ôc  l'infanterie  n'euffent  beaucoup 
à  fouffrir  des  neiges ,  Philippe  fit  demander  au  Roi  de  France 
la  permiffion  de  paffer  par  la  Provence  &  par  le  Lionnois, 
deux  Provinces  dont  le  climat  eft  fort  doux ,  afin  de  gagner 
la  Franche-comté.  Mais  pour  n'avoir  pas  la  peine  de  tranfpor- 
ter  les  troupes  jufqu'à  Gènes  ,  il  le  fit  prier  en  même-tems  de 
vouloir  bien  qu'on  les  débarquât  à  Frejus  en  Provence.  Le 
Roi  s'en  excufa ,  ôc  fit  dire  au  Roi  Catholique ,  que  dans  la  fi- 
tuation  prefente  des  affaires ,  l'arrivée  des  Efpagnols  dans  des 
Provinces  où  il  y  avoit  un  très-grand  nombre  de  Proteftans, 
feroit  naître  trop  de  foupeons  ôc  de  défiances;  que  les  troupes 
qui  pafferoiçnt  ne  fçroient  pas  en  fureté  ,  ôc  que  lui-même 

n'étoit 


DE   J.    A.    DE    THOU,  Liv.  XLl.      :2Sp 
h'étoit  pas  en  état  de  le  garantir  des  infultes  qu'en  pourroit 


leur  faire.  ^^ 

V_/  H  A  R  I  E 

Enfin  on  fe  détermina  à  pafTer  par  la  Savoye  5  mais  comme       t  y 
Philippe  n'ignoroit  pas  que  cette  Province  ne  pourroit  lui  four-  '^' 

nir  des  vjvres  ,  il  envoya  Jean  dAcuna  de  Vêla  à  Emanuel  ^ 
Philibert  duc  de  Savoye  ,  fon  allié  ,  &  qui  lui  étoit  entièrement 
dévoué  ,  pour  lui  demander  le  païïage  par  fes  Etats.  Il  lit  partir 
avec  lui  François  dl barra  intendant  des  vivres ,  afin  de  faire 
tranfporter  dan.N  un  payis  fterile  les  provifions  nécelTaires  pour 
le  pafiage  de  l'armce.  11  envoya  aufîi  Antoine  de  Mendofe  à 
Charle  duc  de  Lorraine  i  ces  deux Pnnces  accordèrent  tout  ce 
qu'on  leur  demandoit. 

Tout  étant  prêt  pour  le  voyage,  PhiHppe  déclara  qu'il  ne    Leduc d'Al- 
partiroit  point,  parce  que  fes  affaires  ne  le  permettoient  pas;  ^"^  "^^^^  '^"^'^ 
mais  qu  il  y  envoyero^t  un  Lieutenant,  avec  une  armée  oc  de  danUeiPayis* 
pleins  pouvoirs.  Granvelie  &  le  Grand  Inquifiteur  firent  tom-  ^^^^- 
ber  le  choix  fur  le  ducd'Albe,  auteur  de  l'avis  rigoureux  qu'on 
avoir  fuivi  ?  bien  perfuadés  que  perfonne  n'étoit  plus  propre  à 
exécuter  dans  toute  la  rigueur  les  réfolutions  violentes  qu'ils 
avoient  infpirées.  Gomez  de  Sylva ,  quoiqu'il  eût  été  d'abord 
d'un  avis  contraire  ,  ne  s'oppofa  point  à  ce  choix,  ravi  de  voir 
fon  rival  éloigné  de  la  Cour.  D'ailleurs  il  ne  doutoit  pas  que 
le  Roi  ne  fe  repentît  bien-tôt  d'avoir  fuivi  un  li  mauvais  con- 
feil,  ôc  n'en  fçût  fort  mauvais  gré  à  ceux  qui  le  lui  avoient  donné. 

On  fit  venir  les  vieilles  bandes  Efpagnoles ,  qui  étoient  dans 
les  Royaumes  de  Naples ,  de  Sicile  ôc  de  Sardaigne ,  pour  fer- 
vir  fous  le  duc  d'Aibe  3  on  augmenta  la  cavalerie  légère  en 
Gompofant  les  compagnies  de  cent  hommes ,  au  lieu  de  cin- 
quante ,  ôc  en  ajoutant  deux  compagnies  d'Efpagnols  comman- 
dées par  Lopez  de  Zapata,  ôc  Sancho  d'Avila  gouverneur  de 
îa  citadelle  dePavie.  On  y  joignit  deux  compagnies  deMouf- 
quetaircs  à  cheval ,  qui  avoient  été  levées  par  Pierre  de  Monte 
gouverneur  de  la  citadelle  de  Navarre,  ôc  par  Gonfalve  de 
Montero.  Alberic  de  Lodron  qui  avoir  eu  ordre  de  lever  de 
l'infjnterie  Allemande  dans  laSouabe  ôc  dansle  Tirol, amena 
douze  enfeignes  de  trois  cens  hommes  chacune.  Cependant 
le  duc  d'A  be  ayant  pris  congé  du  Roi ,  vint  à  Carthagene ,  ou 
Jean  André  Doria  avoir  eu  ordre  de  fe  rendre  avec  trente-fcpc 
galères  pour  tranfporter  l'armée.  Le  duc  d'Albe  emmena  avec 
Tome  y,  O  o 


fi^o  HISTOIRE 

tm^i^^mm  lui  quinze  Compagnies  de  nouvelles  levées ,  pour  être  diftrî- 
C  H  A  R  L  E  ^^^^^  ^  ^^  place  des  vieilles  troupes  dans  les  Royaumes  de  Na- 
I  y        pies ,  de  Sicile  ôc  de  Sardaigne ,  ôc  dans  le  Milanez  :  prefqu  aufÏÏ-, 
j  ^  (clj      tôt  il  en  arriva  deux  autres  à  Tarragone. 

Enfin  le  duc  d'Albe  partit  le  lo  de  Mai.  Ayant  été  alors  at- 
taqué d'une  fièvre  ^  avec  la  goûte  à  laquelle  il  étoit  fujet  ,  il 
envoya  devant  le  refte  de  la  flotte ,  ôc  il  fut  contraint  de  s'ar- 
rêter à  Nice  avec  quatre  galères.  Après  s*y  être  un  peu  repo- 
fé,  il  en  partit  ,  ôc  arriva  à  Gènes  le  fepticme  jour  après  fou 
départ  d'Efpagne.  Entre  les  dix-fept  compagnies  de  nouvel- 
les troupes  qu'il  avoir  amenées ,  il  en  choifit  quatre  ,  qu'il  joi- 
gnit aux  vieilles  troupes  deftinées  pour  les  Payis-bas.  De  Ge- 
îies  il  alla  par  terre  à  Alexandrie  de  la  Paille  ,  où  il  trouva  Ga- 
briel de  la  Cueva  duc  d'Albuquerque  ,  gouverneur  du  Mila- 
nez, qui  étoit  venu  au-devant  de  lui.  De-là  il  envoya  Bernar- 
din de  Mendoze  au  Pape  ,  pour  reprendre  les  négociations  , 
qui  j  à  fon  inftigation  ,  avoient  été  commencées  à  Bayonne 
avec  la  reine  Catherine  de  Medicis ,  ôc  pour  délibérer  fur  ce 
qu'il  y  avoir  à  faire. 

Ibarra  avoit  fait  de  grands  magafîns  de  vivres  à  S.  Ambroi- 
fe,  petite  ville  du  Piémonr,  au  pié  des  Alpes,  près  du  mont 
Cénis.  C'efl:  là  que  toute  l'armée  devoir  s'afTembler  j  pour  en 
faire  la  revue.  On  y  trouva  dix-neuf  enfeignes  du  régiment  de 
Naples  ,  fous  la  conduite  d'Alfonfe  de  Ulloa ,  dix  de  Sicile  , 
fous  les  ordres  de  Julien  Rcanero  ,  dix  du  Milanez,  comman- 
dées par  Sancho  de  Londofio,  ôc  dix  de  Sardaigne ,  y  compris 
Jes  quatre  de  nouvelles  troupes,  que  Gonfalve  de  Bracamonte 
commandoitj  en  tout  quarante-neuf  compagnies  dmfanterie  > 
qui  faifoient  huit  mille  fept  cens  quatre-vingt  hommes.  A  la  tê- 
te de  chaque  compagnie  il  y  avoit  quinze  carabiniers  ,  dont 
l'expérience  a  fait  fentir  l'utilité  dans  les  combats.  La  cavale- 
rie confiftoit  en  cinq  compagnies  de  cavalerie  légère  d'Efpa- 
gnols ,  deux  d'Italiens ,  deux  d'Albanois,  ôc  deux  de  moufque- 
taires  à  cheval  Efpagnols  ^  qui  faifoient  en  tout  douze  cens 
chevaux. 

La  revue  étant  faite  ,  le  duc  d'Albe  alla  le  quinze  de  Juin 
à  Aft,  après  s'être  un  peu  remis  de  fa  fièvre  tierce,  ôc  de  là  il 
fut  à  Poërino  ,  où  il  conféra  avec  le  duc  de  Savoye  ,  enfin  il 
vint  à  S.  Ambroife,  ou  toutes  les  troupes  s'étoient  aflemblées. 


DE  J.  A. DE  THOU;Liv.  XLL        2^1 

Il  fépara  l'armée  en  trois  corps ,  Ôc  lui  fit  pafler  les  Alpes ,  par  , 

le  mont  Cénis.  Il  étoit  à  la  tête  de  Pavant-garde ,  compofée  du  p  u  a  c  r  n 
régiment  d' Alfonfe  de  Ulloa  y  avec  trois  compagnies  de  cava-       t v 
ierie  légère  Italienne ,  &  deux  de  moufquetaires  Efpagnols  à  ^*_ 

cheval.  Le  corps  de  bataille  étoit  commandé  par  Ferdinand  de 
Tolède ,  fils  naturel  du  duc  d'Albe,  général  de  la  cavalerie, 
qui  avoit  à  fes  ordres  le  régiment  de  Londofio  j  trois  compa- 
gnies de  cavalerie  légère  Efpagnole ,  l'artillerie  6c  les  bagages, 
Chiappino  Vitelli  marquis  de  Cetona  ,  grand  Capitaine ,  com- 
mandoit  l'arriere-garde:,  où  étoient  les  regimens  de  Sicile  ôc  de 
Sardaigne  ,  &  les  deux  compagnies  de  cavalerie  Albanoife. 
L'armée  marchant  en  cet  ordre ,  arriva  le  quatorzième  jour  à 
Montfleur,  fur  les  frontières  de  Franche-Comté,  par  un  che- 
min très-difficile,  par  des  montagnes  efcarpèes ,  Ôc  par  des  val- 
lées étroites  i  entrecoupées  par  la  rivière  d'Arche  ,  qui  coulant 
fur  un  lit  de  cailloux  très-incgal ,  qu'on  peut  pafTer  prefque  par 
tout  à  gué  ,  fe  mêle  enfuite  avec  l'Izere  ,  ôc  qu'il  faut  paffer 
alors  fur  un  pont.  Il  y  avoit  encore  un  autre  embarras  caufè  pat 
la  nature  des  lieux  ,  Ôc  la  fterilitè  de  cette  année  5  c'eft  que  s'il 
fe  fut  trouvé  quelque  difficulté  dans  le  chemin ,  qui  eût  obli- 
gé l'armée  à  refter  plus  d'un  jour  dans  chaque  logement ,  elle 
auroit  été  en  danger  de  périr  de  faim. 

Le  paflage  de  l'armée  Efpagnole  par  la  Savoye ,  fit  appréhen- 
der aux  Suiifes  ôc  aux  Genevois  que  le  duc  d'Albe  ne  fit  quel- 
que entreprife  contr'eux.  Le  duc  de  Savoye  crut  qu'il  devoit 
faifir  une  fi  belle  occafion.  Ayant  fait  fonder  les  difpofitions  du 
Canton  de  Berne ,  il  renouvella  une  ancienne  querelle ,  ôc  il 
tranfigea  avec  eux  fur  quelques  domaines  enlevez  à  fes  ancê- 
tres. Voici  ce  que  notre  hiflorien  Philippe  de  Comines  nous 
apprend  fur  l'origine  de  cette  querelle.  Charle ,  furnommé  le 
Guerrier  \  dernier  duc  de  Bourgogne ,  de  la  Maifon  de  Fran-» 
ce,  ne  mettant  point  de  bornes  à  ("es  defirs  ambitieux  ,  ôc  vou- 
lant toujours  pouffer  plus  loin  fes  conquêtes,  s'étoit  rendu  maî- 
tre de  la  perfonne  dlolande ,  fœur  de  Louis  XI.  ôc  veuve  d'A- 
mcdèe  VIII.  duc  de  Savoye  j  ôc  il  abufoit  de  fes  domaines 
qu'il  retenoit ,  pour  contenter  la  paffion  infatiable  qu'il  avoit 


1  II  fut  aufli  furnommé  le  Kardî,  8c 
le  téméraire,  il  e'coit  fils  de  Philippe  III. 
dit  le  Bon.  II  ne  laifla  qu'une  fille  nora- 


me'e  Marie  de  Bourgogne  ,  mariée  à 
Maximilieii  d'Autriche  ayeul  de  l'Em- 
pereur Charle  V. 

O  o  ij 


'i^i  HISTOIRE 

ri  I   iM..^u^  d'étendre  fes  Etats.  II  arriva  dans  ce  tems-là ,  par  la  temerîtédé 
Char  LE  J^^^"^  ^^  Savoye  ,  comte  de  Romont ,  un  incident^  dontle:^ 
j  y        Suiffes  furent  extrêment  irritez.  Le  fujet  éroit  très  léger  ,  mais 
i  f  (^*7     ^^^  ^^'^^  pouvoir  être  avec  gens  qui  fe  faifoient  gloire  d'une 
noble  pauvreté.  Il  ne  s'agifToit  que  d'une  charretée  de  peaux  de 
mouton ,  que  les  gens  du  comte  de  Romont  avoicnr  enlevée  à 
un  SuifTe.  Les  SuiflTes  en  portèrent  plulieurs  fois  leurs  plaintes 
par  leurs  envoyez  au  Comte ,  qui  ne  fe  mit  pas  fort  en  peine 
de  leur  donner  fatisfa£tion.  Il  n'en  fallut  pas  d'avantage  ,  pour 
engager  un  peuple  né  libre  ,  ôc  qui  ne  fouffroit  pas  volontiers 
les  injures ,  à  prendre  les  armes.  C'eft  ce  que  firent  les  Suiffes , 
&  ils  s'emparèrent  du  bailliage  de  Vaut ,  ôc  de  quelques  autres  , 
aux  environs  de  Genève. 

Le  duc  de  Bourgogne  qui  auroit  acheté  bi-en  cher  une  pa- 
reille occafion ,  ne  la  laiffa  pas  échaper  :  il  refolut  de  faire  la 
guerre  aux  Suiffes  ;  ôc  quelques  conditions  que  cette  Nation 
pût  lui  offrir ,  ils  ne  purent  jamais  le  détourner  de  fa  rgfolu- 
tion.  Il  n'eut  pas  plus  d'égard  aux  prières  de  Louis  XI.  qui 
s'entremit  dans  cette  affaire ,  ôc  qui  lui  envoya  des  Ambaffa* 
deurs,  pour  lui  faire  voir  par  bien  des  raifons  que  cette  guerre, 
qui  lui  coûteroit  beaucoup ,  ne  lui  feroit  d'aucune  utilité ,  quand 
même  il  en  fortiroit  vidorieux.  Mais  peu  s'en  fallut  que  le  duc 
de  Bôurgx)gne  ne  fût  très  févérementpuni  de  fon  obflination  > 
car  dans  l'efpace  de  vingt  jours  il  fit  deux  pertes  confiderables ^ 
la  première  à  Granfon  ,  oi^t  il  fut  mis  en  fuite ,  après  avoir  per- 
du toute  fa  vaiffelle  d'argent ,  ôc  l'autre  à  Morat ,  où  ayant  eu 
huit  mille  hommes  tuez ,-  ôc  n'ayant  plus  aucune  efperance 
de  remettre  fon  armée  fur  pié  ,  il  fe  retira  dans  la  Franche- 
Comté  ,  chargé  de  honte  ôc  de  confuflon,  l'an  i^']6\  Cefuc- 
eès  releva  extrêmement  le  courage  des  Suiffes.  Depuis  ce  tems- 
là  ils  avoient  confervé  les  baillages  conquis  fur  la  Savoye,  com-^ 
me  des  monumens  de  leur  valeur ,  ôc  des  fruits  de  la  victoire 
qu'ils  avoient  remportée  fur  un  Prince  fi  puiffant. 

La  crainte  qu'ils  eurent  que  l'armée  Efpagnole ,  qui  pafToit , 
-n'aidât  au  duc  de  Savoye  à  reprendre  ces  baillages,  fit  qu'ils  con^ 
vinrent  de  lui  rendre  les  trois  baillages  les  plus  proches  de  Gène» 
Te  j  mais  à  condition  qu'il  laifferoit  aux  peuples  de  ces  baillâ- 
mes une  entière  liberté  de  confcience ,  ôc  le  libre  exercice  de  la 
>&.  L'aanée  fuivânte  il  perdit  une  bataille  près  de  Nanci  ^  Se  y  fut  tué. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLL      apj 

Religion  qu'ils  avoienr  enibraflée  ;  &  que  fi  le  duc  deSavoye  leur  .  lj; 

faiiuir  quelques  violences, ils  pourroient  paiTer  chez  les  Suifles,&  C  H  A  R  L  E 
implorer  leur  protection,  lans  être  cenfez  violer  le  traité  de  paix.       j  ^ 

Les  Genevois  avoient  d'autres  raifons  de  craindre  i  nous  an-  ^  ^ 
rons  lieu  ailleurs  de  parler  plus  amplement  de  leurs  différends 
avec  le  duc  de  Savoye.  Lorfque  l'armée  Efpagnole  étoit  fuc 
le  point  de  pafler  ,  la  crainte  les  porta  à  députer  vers  les  SuifTes, 
qui  appréhendoient  aflez  déjà  pour  eux-mêmes.  Ils  envoyèrent 
en  mçme  tems  au  prince  de  Condé ,  qui  étoit  à  Autun  avec 
d'Andelot  ,  pour  l'exhorter  à  prendre  les  armes  à  la  vue  du 
danger  commun  où  ils  fe  trouvoient  expofez,  ôc  peur  lui  de- 
mander du  fecours.  Mais  comme  le  duc  d'Aibe  pafTa  très  ra- 
pidement ,  la  crainte  fut  bien  tôt  diflipée.  Ce  Duc  ne  s'arrêta 
point  jufqu'à  fon  arrivée  en  Flandre.  Mais  en  paffant  parla  Sa- 
voye Ôc  par  la  Breffe  ,  il  confeilla  à  la  Reine-mere  de  prendre 
des  Suiifes  à  fa  folde,  &  de  faire  des  levées  dans  le  Royaume, 
afin  d'accabler  en  même  tems  ks  Sedaires  de  France  &  des 
Payis-bas.  On  fuivit  avec  ardeur  cet  avis,  on  enrolla  fix  mille 
Suiffes  ,  ôc  on  fit  des  levées  dans  la  Champagne  ôc  dans  la  Pi- 
cardie. On  donna  aufii  des  ordres  aux  Gouverneurs  des  villes» 
qui  fe  trouvoient  limitrophes  ,  de  fe  mettre  en  campagne  avec 
de  la  cavalerie  ,  fous  prétexte  de  garder  la  frontière  ^  ôc  de  co« 
toyer  l'armée  Efpagnole  dans  fon  palîage. 

Les  Proteftans  de  France ,  qui  virent  bien  que  tous  ces  mon- 
vemens  fe  faifoient  contr'eux  ,  fe  preflerent  de  prendre  les  ar- 
mes, ôc  ils  penferent  furprendre  le  Roi  ôc  toute  fa  Cour,  qui 
croient  à  Monceaux  près  de  Meaux»  Le  duc  d'Albe  prit  ea 
Franche- Comté  quatre  compagnies  de  cavalerie ,  que  Philippe, 
y  avoir  fait  lever ,  commandées  par  Vergi  gouverneur  de  1» 
Province  ,  par  le  baron  de  Chevreaux  ,  par  Montmartin  ôc  pac 
Clervaux,  quatre  Seigneurs  de  la  première  noblelfe  du  payis.  Il  y 
prit  auffi  cent  arquebuliers  à  cheval.  Au  bout  de  douze  jours  il 
arriva  à  Fontcnay  fur  les  frontières  de  la  Lorraine  5  de-là  il  vint  en 
douze  jours  à  Thionville,  petite  ville  du  duché  de  Luxembourg. 
Il  y  trouva  Charle  comte  de  Berlaymont ,  ôc  le  baron  de  Nor- 
kermès  ,  que  la  ducheffe  de  Parme  avoir  envoyées  pour  le  fa- 
iuer>^  ôc  il  leur  montra  les  ordres  du  Roi ,  qu'ils  lui  demandè- 
rent à  voir  au  nom  de  la  Gouvernante.  Ces  ordres  donnoient  aa 
éuLQ  d'Aibe  le  commandement  général  des  armées  dans  toute  Î3> 

O  o  iiji 


a^4  HISTOIRE 

_  Flandre.  Mais  comme  il  apprit  que  tout  y  étoît  tfanquille ,  i! 

Ch  AR  L  E  ^^^ê'^'^^^  >  pour  diminuer  la  dépenfe  ,  la  cavalerie  Allemande 

jy        qu'on  venoit  de  lever,  ôc  qui  Tattendoit  fur  la  frontière,  ôc  il 

j  -  ^_      ne  garda  que  le  régiment  d'Alberic  comte  de  Lodron  ,  qu'il 

envoya  devant  lui  de  Thionville  à  Anvers ,  avec  ordre  à  feize 

enfeignes  Flamandes  ,  qui  étoient  dans  la  ville  ,  d'en  fortir. 

Pour  lui  il  marcha  avec  le  refte  de  l'armce  vers  Bruxelles; 
Il  envoya  devant  lui  François  Ibarra ,  pour  rendre  fcs  devoirs 
àladuchelTe  de  Parme,  ôc  lui  apprendre  fon  arrivée.  Enfin  il 
arriva  en  Flandre  le  22  d'Août,  ayant  retenu  auprès  de  lui  le 
régiment  de  Sicile ,  auquel  il  lit  donner  des  logemens  dans 
Bruxelles  par  les  maréchaux  des  logis.  Il  envoya  celui  de  Na- 
ples  à  Gand ,  celui  de  Sardaigne  à  Anghien ,  Ôc  celui  de  Lom- 
hardie,  ou  du  Milanez ,  commandé  par  Sancho  de  Londofio,' 
à  Lire  ,  ville  du  Brabant,  pour  y  être  en  garnifon.  En  même 
tems  il  donna  ordre  à  Ferdinand  de  Tolède  de  demeurer  à 
Dieft  en  Brabant  ,  avec  le  plus  de  cavalerie  qu'il  pourroit. 
Comme  la  ducheffe  de  Parme  occupoit  le  Palais ,  le  duc  d'Al- 
be  fe  logea  dans  l'hôtel  du  comte  de  Culembourg.  De-là  il 
vint  en  grand  cortège  faluer  la  Ducheffe  ,  ôc  lui  fit  voir  des 
ordres  ôc  des  pouvoirs  très  étendus  ,  qu'il  avoir  reçus  du  Roi. 
Outre  le  commandement  général  des  armes  ,  on  lui  attribuoit 
la  connoiffance  de  tout  ce  qui  concernoit  la  Religion ,  avec 
pouvoir  de  punir  les  Magiilrats  ,  de  les  dépofer ,  d'en  mettre 
d'autres  en  leur  place  ,  Ôc  d'accorder  les  Lettres  de  rémiffion: 
mais  tout  le  refte  de  l'adminiftration  ôc  du  gouvernement  civil 
étoit  confervé  à  la  Gouvernante.  Comme  il  auroit  pu  s'élever 
quelque  conteftation  fur  ce  qui  regardoit  les  armes  ôc  la  Re- 
ligion, parce  que  cela  fembloit  appartenir  au  Gouvernement 
Civil ,  on  avoir  ajoiité  dans  la  commiffion  du  duc  d'Albe  , 
qu'il  auroit  feul  le  droit  de  prononcer  fur  ces  conteftations ,  Ôc 
de  décider  fouverainement  ce  qui  étoit  de  fon  reffort,  ôc  ce 
qui  étoit  de  celui  de  la  Ducheffe.  Il  donna  enfuite  à  la  Du- 
cheffe la  lettre  du  roi  d'Efpagne  ,  qu'il  lui  avoit  écrite  de  fa 
main ,  dans  laquelle  ce  Prince  lui  mandoit ,  qu'il  avoit  confié 
au  duc  d'Albe  l'exécution  de  certains  ordres ,  qu'il  lui  feroit 
fçavoir  dans  le  tems.  La  Gouvernante  ayant  demandé  au  duc 
d'Albe  quels  étoient  ces  ordres, il  lui  répondit  fièrement, com- 
me pour  fe  mocquer  d'elle ,  que  fa  mémoire  ne  les  lui  fourniffoit 


DE  J.  A.  DE  THOU,Lïv.  XLL       ap^ 

pas  pour  le  préfent,  qu'il  pourroit  s'en  fouvenir  dans  la  fuite  ^  i^m^auttMMj^ 

&  qu'il  ne  manqueroit  pas  de  les  lui  faire  connoître.       ^  C  h  a  R  LE  i 

La  duchefife  de  Parme  ,  extrêmement  picquée  de  TafFront      j  ^^^  \ 

qu'on  lui  faiibit ,  eut  néanmoins  la  prudence  de  diflimuler  fon     j  r  (5  y.  ^ 

reflentiment ,  jufqu  a  ce  qu'elle  trouvât  l'occafion  favorable  de 
demander  au  Roi  la  permiflion  de  fe  retirer  ,  ôc  de  fortir  hon- 
nêtement d'une  Province ,  qu'elle  avoit  gouvernée  avec  tout  le  ! 
zèle  ôc  l'équité  qu'on  pouvoir  defirer.  Cette  Princeffe  étoit  | 
bien  perfuadée  que  fon  abfence  la  feroit  extrêmement  regret-  | 
ter  de  tous  les  Flamans,  ôc  que  la  feule  comparaifon  qu'on  fe-  ; 
roit  de  fon  gouvernement  ,  avec  celui  d'un  pareil  fuccelTeur,  [ 
fuffiroit  pour  détruire  les  calomnies  dont  on  l'avoit  voulu  noir-  \ 
cir  auprès  du  Roi,  comme  fi  par  trop  d'indulgence  elle  avoit  j 
nourri  ôc  entretenu  les  troubles  des  Payis-bas. 

AufTi-tôt  que  le  duc  d'Albe  fut  arrivé  à  Bruxelles ,  Ôc  qu'il     sévùrhé  da  ! 

eut  mis  fes  troupes  autour  de  lui  en  quartiers  dans  le  Brabanr,  <iiicd'A:bc.,  | 

il  fit  publier  un  mémoire  pour  repondre  au  nom  du  Roi  à  la  -j 

requête  qui  avoit  été  prefentée  l'année  précédente.  Il  y  rap-  \ 

pelloit  tous  les  Edits  de  Charle  Quint ,  ôc  de  Philippe  II,  con-  | 

cernant  la  Religion  ôc  l'Inquifition  5  Ôc  il  ôtoit  toute  efperance  j 

de  les  voir  modérer,  ôc  d'avoir  une  affemblée  des  Etats.  En-  i 

fuite  il  envoya  fes  Lettres  de  créance  à  toutes  les  Provinces,  \ 

pour  leur  faire  connoître  les  ordres  qu'il  avoit  re^us.  Il  exhor-  ] 

ta  tous  les  Flamans  à  la  foûmiffion  ôc  à  l'obéiÏÏance,  à  mettre 
les  armes  bas ,  ôc  à  faire  profeflion  de  la  Religion  de  leurs  an- 
cêtres. Afin  que  perfonne  ne  doutât  du  pouvoir  imracnfe  que  ; 
le  Roi  lui  avoit  donné  ,  il  fit  imprimer  les  Lettres  patentes  de  : 
fa  commilTion. 

Le  premier  des  ordres  fecrets  que  Philippe  avoit  donnez  au  ^ 

duc  d'Albe ,  étoit  de  s'affurer  de  tous  les  Grands  qui  étoient  j 

fufpe£ts.  Le  comte  d'Egmond  éta'nt  venu  au-devant  de  lui  juf- 
qu'à  Tilcmont ,  on  dit  que  le  Duc  le  voyant  venir  ,  adreffa  la 
parole  à  fes  gens  ,  ôc  leur  dit  affez  haut  ,  afin  que  le  Comte  ' 

pût  ï entendre  :  P^otd  un  grand  Hérétique  :  que  le  Comte  parut  j 

embaraffé  d'un  pareil  difcours  ;  mais  que  le  Duc  prit  un  air  rianr^  j 

6i  l'cmbraffa  ;  Ôc  que  lui  ayant  déclaré  qu'il  ne  l'avoit  dit  que 
pour  rire  ,  le  Comte  ne  s'en  ofî'ença  point.  Le  comte  d'Hor- 
ne  vint  enfuite  le  trouver  à  Louvain  :  après  en  avoir  été  bien 
jre^u ,  il  en  obtint  la  penniflion  d'aller  chez  lui  pendant  quelque 


sp^  HISTOIRE 

■  tems.  On  croît  que  c'eft  ce  qui  empêcha  le  Duc  de  s'aiïufet 

Charle  ^'^^^^'^  -^^  comte  d'Egmond , parce  qu'ayant  refolu  de  les  faire 
IX        ^^^^  arrêter  enfemble,  il  craignoit  que  s'il  en  faifoit  emprifon- 
j  -  ^*       ner  quelqu'un  en  particulier^  tous  les  autres  ne  priflent  la  fuite. 
Ainli  il  différa  cette  expédition  jufqu'au  jour ,  où  les  ayant  tous 
mandez  à  Bruxelles  ,  fou;^  le  prétexte  de  tenir  une  aflfemblée 
générale  de  tous  les  Grands ,  il  pût  les  faire  arrêter  tous  à  la 
fois.  Comme  le  roi  d'Efpagne  avoir  connu  parles  lettres  de  la 
duchelTe  de  Parme ,  qu'elle  n'approuvoit  pas  cette  refolution , 
ce  fut  un  des  ordres  qu'il  voulut  lui  cacher.  Le  ducd'Albe  lui- 
même  reconnut  quels  étoient  fur  cela  les  fentimcns  de  la  Gou- 
vernante, parce  que  dans  une  converfation  qu'il  eut  auec  elle; 
elle  l'aflura  que  non -feulement  les  comtes  d'Egmond  ôc  de 
Horne ,  mais  le  prince  d'Orange  lui-même  ,  &  toutes  les  au- 
tres, fe  contiendroient  dans  le  devoir,  fi  on  vouloit  les  traiter 
avec  douceur  &  avec  bonté  j  qu'au  contraire  fi  on  les  traitoit 
avec  févérité  ,  elle  appréhendoit  bien  que  le  Roi  n'eût  pas  tout 
le  fuccès  qu'il  deiiroit  5  qu'elle  connoiflbit  parfaitement  le  gé- 
nie ôc  l'humeur  des  Flamans  ;  qu'il  n'y  avoit  rien  qu'ils  n'ofaf- 
fent  entreprendre  pour  la  confervation  de  leur  liberté  ;  qu'au- 
tant qu'ils  étoient  fujets  à  exciter  des  troubles  à  chaque  nou^ 
veauté  qu'on  vouloit  introduire  dans  leur  payis ,  autant  ils  étoient 
faciles  à  être  ramenez  à  leur  devoir  par  la  clémence  de  leurs 
Princes; mais  que  fi  on  leur  otoit  l'efperance  de  conferverleur 
liberté  ,  il  n'y  avoit  point  d'extrémité  où  le  defefpoir  ne  pût 
les  porter  ;  que  ceux  qui  avoient  d'autres  fentimens  ,  fe  trom- 
poient  très  grofiierement ,  ôc  que  les  délibérations  fur  la  ma- 
nière d'appaifer  les  troubles  des  Pay  is-bas ,  prifes  dans  un  Royau- 
me il  éloigné ,  ôc  dont  les  mœurs  ôc  les  inclinations  étoient  (i 
différentes ,  pouvoient  tromper  le  Roi ,  l'induire  en  erreur ,  ôc 
lui  faire  commettre  de  grandes  fautes.  Le  Duc,  qui  connoiffoit 
ces  fentimens  de  la  Gouvernante ,  prit  grand  foin  de  lui  cachçc 
fes  deffeins. 

Les  habitans  de  Gand  animez  de  l'efprit  de  leurs  pères ,  mal- 
gré l'état  où  la  Flandre  étoit  alors ,  reprirent  leur  ancien  cou- 
rage. Ne  pouvant  fouffrir  la  garnifon  qu'on  avoit  mife  dans  leur 
ville  ,  ils  prièrent  le  comte  d'Egmond  gouverneur  de  la  Flan- 
dre ,  de  parler  au  duc  d'Albe  en  leur  faveur.  Le  Comte  le  leur 
promit.  Ainfiiorfqu'il  partit  pour  Bruxelles ,  ils  envoyèrent  avec 

lui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLI.         5^7 

ïui  des  Députez ,  qui  ne  recurent  point  d'autre  réponfe  du  Duc  >  ,  >. 

finon  qu'il  auroit  foin  de  faire  tout  ce  qui  étoit  du  fervicj  ôc  p„ 
des  intérêts  du  Roi.   Enfin  tout  étant  prêt  pour  l'exécution  Je       j  y 
fon  grand  deffein  ,  il  fit  venir  à  Bruxelles  les  comtes  d'hi  mo  -d  ^  ' 

éc  de  Horne,  fous  prétexte  de  les  confulter  fur  desafîaiiesd  u- 
ne  extrême  importance  :  il  les  appella  le  10  de  Septembre  au 
Confeil,  à  midi.  Dans  le  même  tems  il  donna  ordre  à  Andro 
de  Salazar  gouverneur  de  la  citadelle  de  Palerme  en  Sicile ,  ôc 
à  Jean  d'Efpuches  ,  d'obferver  Jean  Cafcmbroot  feigneur  de 
Backerfeel  ^  qui  étoit  alors  à  Bruxelles.  Il  envoya  aufii  le  comte 
de  Lodron  ,  Ôc  Sancho  de  Londoiio  à  Anvers ,  pour  arrêter 
Antoine  Stralen  ,  homme  riche  ôc  en  grand  crédit  parmi  fes 
concitoyens.  Ils  exécutèrent  leur  conimiflion  ,  Ôc  Farrêterenc 
dans  le  chemin  ,  entre  Anvers  ôc  Malines  :  aufîi-tôt  ils  firent 
faire  l'inventaire  de  fes  biens  à  Anvers,  ôc  mettre  le  fcellé  chez 
lui.  Pendant  ce  tems-là  le  duc  d'Albe  amufoit  le  Confeil,  fur  la 
citadelle  qu'il  vouloit  faire  conftruire  dans  cette  ville  ,  ôc  dont 
il  leur  montra  le  plan  ?  il  fit  fi  bien  qu'il  le  fit  durer  jufqu'au 
foir,  ôc  jufqu'au  moment  qu'il  fût  afluré  qu'on  avoit  arrêté  Stra- 
len ôc  Cafembroot.  Aufii-tôt  qu'il  fçut  qu'ils  étoient  arrêtez, 
il  congédia  le  Confeil ,  ôc  donna  en  même  tems  ordre  à  San- 
cho d'Avila,  capitaine  de  fes  gardes,  d'arrêter  le  comte  d'Eg- 
mond  ,  ôc  à  Jérôme  de  Salines,  gouverneur  de  Portercole  en 
Tofcane,  de  fe  faifir  du  comte  de  Horne.  Ces  deux  Officiers 
faifant  femblant  de  reconduire  par  honneur  les  deux  Comtes, 
les  firent  pafler  par  deux  différentes  portes,  afin  de  les  arrêter 
féparement,  Ôc  avec  moins  de  bruit.  D'Avila  ayant  demandé 
^u  comte  d'Egmond  fon  épée  de  la  part  du  Roi ,  ce  grand 
homme  lui  dit ,  que  c'étoit  à  regret  qu'il  quittoit  une  épée ,  qu'il 
avoit  tirée  tant  de  fois,  ôc  avec  tant  de fuccès  pour  fon  Roi  ôc 
pour  fa  patrie.  Pendant  qu'on  arrêtoit  le  comte  d'Horne  ,  il 
demanda  où  étoit  le  comte.  d'Egmond  ;  mais  ceux  qui  l'en- 
vironnoient  ne  lui  répondant  point  -,  il  leva  les  yeux  au  ciel , 
poufi^a  un  grand  foupir  ,  ôc  dit  :  «  Il  étoit  bien  jufle  que  je 
p'  fuffe  le  compagnon  de  fortune  de  celui  dont  j'ai  toujours 
95  fuivi  les  confeils.  «  Il  fe  reprocha  à  lui-même  fa  crédulité 
jôc  fa  fimplicité ,  d'avoir  préféré  l'amitié  du  Comte  ,  aux  fa- 
ges  ôc  falutaires  avis  du  prince  d'Orange  ,  ôc  de  n'avoir  pas 
ajouté  foi  aux  prédictions  qu'il  leur  avoit  faites  à  l'un  ôc  à 
Tome  V,  Pp 


ipS  HISTOIRE 

f.  l'autre,  dans  la  dernière  conférence  qu'ils  avoîent  eue  à  Ville-» 

Char  LE  ^'^^^^\- 

jy  Après  cette  expédition,  le  duc  d'Albe  envoya Berlaymont 

^*       6c  Pierre  Erneft  de  Mansfeldt ,  à  la  duchefle  de  Parme ,  pour 
^  lui  apprendre  ce  qui  venoit  d'être  fait ,  ajoutant  que  c'étoitcet 

article  fur  lequel  il  avoit  plu  au  Roi  de  s'expliquer  obfcure- 
ment  dans  ces  lettres ,  &  ce  qu'il  avoit  eu  ordre  de  lui  cacher 
pour  un  tems  5  que  c'étoit  par  confideration  pour  elle  qu'il  en 
avoit  ufé  de  cette  manière ,  afin  de  prendre  fur  lui  feul  toute  la 
haine  de  cette  action  ,  ôc  tout  le  danger  auquel  il  pourroit  fc 
trouver  expofé ,  ii  cette  expédition  étoit  fuivie  de  quelques  trou- 
bles 5  &  afin  que  la  Duchefle  pût  conferver  l'amour  des  peu- 
ples, dont  le  gouvernement  lui  étoit  confié.  La  Gouvernante 
reçût  très  mal  cette  excufe ,  qu'elle  regarda  comme  une  nou- 
velle injure.  Elle  faifoit  voir  à  cette  PrincefTe  que  le  Duc  n'a- 
'  voit  aucune  confiance  en  elle  j  ôc  qu'après  l'avoir  mife  dans  la 
neceflité  de  demander  à  fortir  des  Payis-bas ,  il  ne  laiflbit  pas 
de  la  traiter  encore  par  dérifion  de  Gouvernante  de  la  Provin- 
ce. Le  comte  d'Hoocftrate  ,  mandé  par  le  duc  d'Albe  j  s'étoit 
mis  en  chemin  :  mais  fous  le  prétexte  d'une  maladie  vraie  ou 
feinte  ,  il  ne  vint  pas  jufqu'à  Bruxelles  j  &  par  là  il  fçut  fe  ga- 
rentir  du  danger.  On  arrêta  encore  plufieurs  autres  perfonnes 
moins  confiderables. 

La  nuit  qui  fuivit  Pemprifonnement  de  ces  Seigneurs  ,  le 
duc  d'Albe  demanda  au  comte  d'Egmond ,  le  mot  du  guet  de 
la  citadelle  de  Gand  ,  dont  il  étoit  Gouverneur  ,  afin  que  le  re- 
préfentant  à  Trouïlhere  ,  qui  y  commandoit  en  fon  abfence, 
il  livrât  la  citadelle,  ou  à  lui  (duc  d'Albe,  )  ou  à  celui  à  qui  il 
en  donneroit  le  commandement.  La  citadelle  fut  donc  livrée , 
ôc  le  commandement  donné  à  Alfonfe  de  Ulloa  ,  qui  étoit  déjà 
dans  la  ville  avec  fon  régiment  j  auffi-tôt  les  comtes  d'Eg- 
mond Ôc  de  Horne  y  furent  mis  en  prifon.  Les  autres  Seigneurs 
arrêtez  furent  partie  transferez  à  Vilvoorde  ^  ôc  partie  gardez  à 
Bruxelles.  Pierre  Erneft  de  Mansfeldt ,  qui  étoit  prefent  lorf- 
qu'on  les  arrêta ,  fit  figne  à  Charle  fon  fils ,  qui  étoit  aufli  pre- 
fent ,  de  fe  retirer  ,  parce  qu'il  craignoit  qu'on  ne  l'arrêtât , 
pour  avoir  afîifté  aux  premières  conférences  des  Confédérez  > 
ôc  qu'il  ne  comptoit  ni  fur  la  faveur  ôc  le  crédit,  que  fa  fidé- 
lité ôc  fes  fervices  avoient  méritez ,  ni  fur  l'amitié  d'un  hmmc? 


DE  J.  A.  DE  THOU,  t  iv.  XLL        2^^ 

feuffi  févére  6c  aufîî  implacable ,  qu'étoit  le  duc  d^Albe.  Le  fils  ^ 


fuivit  le  fage  confeil  de  fon  perej  il  fe  fauva  promptement ,  &  Ch  arle 
fe  retira  en  France  ,  où  il  fut  reçu  avec  beaucoup  de  marques        jv 
de  diftin6lion.  Il  y  demeura  long-tems ,  s'y  maria  deux  fois  j     ^     ^ 
ôc  étant  retourné  dans  les  Payis-bas,  il  reconnut  bien  mal  dans 
les  dernières  guerres,  les  obligations  qu'il  avoit  à  nos  Rois,  ôc 
à  ce  Royaume. 

Cependant  comme  on  envoyoit  par  tout  des  CommifTai- 
res ,  pour  informer  contre  les  auteurs  de  la  fédition  i  la  ter- 
reur fe  repandit  dans  toute  la  Flandre.  Plufieurs  ne  croyant  pas 
que  leur  innocence  pût  les  mettre  à  l'abri  de  la  rigueur  excef- 
five  des  Efpagnols ,  prirent  le  parti  de  s'enfuïr  ,  les  uns  en  An- 
gleterre, ôc  dans  les  villes  maritimes  de  la  Flandres  les  autres 
en  Allemagne  ôc  en  France.  Alors  s'évanouit  entièrement  la 
lueur  d'efpérance  que  les  Provinces  avoient  conçue ,  de  voir 
FalTemblée  des  Etats  de  Flandre  5  ôc  en  leur  place  on  établit  un 
Confeil  de  Sept ,  auquel  le  duc  d'Albe  devoit  préfider.  On 
nomma  d'abord  ,  pour  la  forme  feulement ,  les  comtes  d'A- 
remberg  ôc  de  Berlaymont  5  car  ils  n'alTifterent  jamais  à  ce 
Confeil  :  ôc  l'on  mit  pour  remplir  leur  place.le  baron  de  Norker- 
mes.  Les  principaux ,  dont  ce  Confeil  fut  compofé ,  furent  Jean 
de  Vargas ,  ôc  Louis  Delrio  Jurifconfultes  Efpagnols  j  Adrien 
Nicolaï,  chancelier  du  Confeil  de  Gueldres  ;  Jean  Porta  ,  Jac- 
que  Helfelt,  Jean  de  Blafere  du  Bois,  procureur  général,  ôc 
Jacque  de  la  Torre  fécretaire.  Le  duc  d'Albe  étendit  dans  la 
fuite  la  jurifdidion  de  ce  Confeil  ,  contre  les  privilèges  des 
Provinces ,  contre  l'autorité  des  Cours ,  ôc  principalement  du 
Confeil  fouverain  des  Payis~bas  >  il  régla  qu'on  ne  pourroit  ap- 
peller  des  Sentences  de  ce  Tribunal ,  ôc  il  lui  attribua,  avec  un 
plein  pouvoir  ,  la  connoiffance  de  toutes  les  caufes  qui  con- 
cernoicnt  la  Religion  ôc  le  crime  d'Etat.  Suivant  les  décrets 
de  rinquifition  d'Efpagne,  fa  jurifditlion  fut  encore  étendue 
au-delà  de  fes  bornes  ,  ôc  excelîivement  augmentée.  Aufîî-tôt 
une  infinité  de  perfonnes  furent  emprifonnées  à  Tournay ,  à 
Malines ,  à  Gand  ^  à  Anvers,  ôc  ailleurs,  dont  plufieurs  furent 
exécutez.  Ce  qui  rendit  ce  Tribunal  fi  odieux  ,  qu'on  lui  don- 
na le  nom  de  Confeil,  non  de  Paix  ôc  de  Juftice  ;  mais  de  dif- 
corde  Ôc  de  fang  :  ce  qui  fut  exprimé  en  langue  vulgaire  pacui^ 
mot  fait  exprès. 


^'ùo  HISTOIRE 

■      Le  duc  d'Albe  vint  peu  de  tems  après  à  Anvers ,  où  l'ori 
Charle  ^voit  commencé  à  bâtir  une  vafte  citadelle  dans  le  fauxbourg 
l^        du  Kiel  i  au  midi.   On  avoit  pour  cela  rempli  le  fofle  de  ce  cô* 
15*^7.     ^^'^^  *  ^  <^n  avoit  abattu  la  porte  de  Croonenbourg  ,  ôc  une 
tour  ,  que  fon  antiquité  auroit  dû  faire  refpeder.   L'ouvrage 
de  cette  citadelle  fut   conduit  par  Paciotto  ,  architecte  Sa- 
voyard, qui  avoit  bâti  celle  qu'Emanuel  Philibert  duc  de  Sa- 
voye  avoit  depuis  peu  fait  coniiruire  à  Turin.    Paciotto  fui-* 
vit  les  deffeins  &  les  confeils  de  Chiappmo  Vitelli,  ôc  du  com^ 
te  de  Serbellon  grand  prieur  de  Hongrie ,  qu'on  y  avoit  en- 
voyez.  On  lui  donna  une  forme  quinquangulaire  ,  ou  à  cinq 
faces  î  ôc  à  chaque  côté  on  éleva  des  dcfenfes  larges  ôc  avan- 
cées, dont  quatre  ,  par  une  vanité  jufqu'alors  inconnue  aux  Ef- 
pagnols  mêmes ,  portèrent  le  nom  du  fcul  duc  d' Albe.   Le  pre- 
mier de  ces  Forts  s'appelloit ,  le  Dy.c ,  le  fécond ,  ^  Albe ,  le  troi- 
iiéme  ,  Ferdinand  ^  ôc  le  quatrième  ,  de  Tolède,  qui  étoit  le  nom 
de  famille  du  Duc.  Pour  le  cinquième,  on  lui  donna  le  nom 
de  rArchite£le.  Le  Duc  prefla  extrêmement  les  travaux  5  ôc 
pour  achever  promptement  ce  grand  ouvrage,  il  y  Ht  travail- 
ler deux  mille  hommes.  Les  habirans  d'Anvers  payèrent  pour 
les  frais  de  la  confl:ru£tion  de  cette  citadelle  400c co  florms; 
qu'ils  dévoient  reprendre  fur  les  importions  du  centième  & 
du  dixième  denier  ,  ils  y  confenrirent  d'autant  plus  volontiers; 
qu'ils  efperoient  par  là  s'exempter  d'avoir  garnifon  dans  leur 
ville.  Mais  ils  furent  trompez.  Car  quoique  le  gouvernement 
de  la  citadelle  fût  d'abord  donné  à  Gabriel  Serbellon  Milanois, 
grand  homme  de  guerre,  dont  nous  avons  déjà  parlé  ,  ôc  en- 
fuite  à  Sancho  d'Avila  ,  qui  de  fimple  foldat  étoit  parvenu  à 
tous  les  honneurs  militaires,  ôc  qu'on  y  eût  en  même  tems  mis 
une  garnifon  convenable  ,  le  comte  de  Lodron  refla  néan- 
moins en  garnifon  dans  la  ville  >  avec  quelques  compagnies 
d'Allemans. 

La  citadelle  d'Anvers  étoit  déjà  en  état  de  dèfenfe,  lorfque 
par  un  funefte  accident  farfenal  de  Malines  fut  brûlé.  Vingt 
ans  auparavant,  le  tonnerre  étoit  tombé  fur  la  tour  où  l'on  gar- 
doit  la  poudre  ;  quelques  auteurs  ont  écrit  qu'il  y  périt  plus  de 
cinq  cens  hommes  ;  les  uns  accablez  fous  les  ruines ,  les  autres 
étouffez  Ôc  morts  de  faim  dans  des  fouterrains.  Jean  Sleidan, 
qui  a  fait  dans  le  dix-feptiéme  livre  de  fon  hiltoire,  un  ample? 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLI.        301 

détail  de  cet  accident:,  dit  que  la  ville  en  fut  très  endomma- 
gée ,  que  les  arbres  furent  déracinez,  que  plus  de  deux  cens  Ch  «  ^  LE 
hommes  y  périrent  en  diverfes  façons ,  lans  compter  ceux  qui  JX, 
furent  bltlTez  &  mutilez  ,  &  ceux  qui  furent  comme  le  joiiet  \  ^  $  -j, 
de  la  fortune ,  rSc  qui  penferent  perdre  la  vie ,  ayant  été  tirez  de 
dcifous  terre  trois  ou  quatre  jours  après,  ôc  s'étant  dérobez  à 
la  mort  à  la  faveur  de  quelques  provifions  qui  s'y  trouvèrent. 
Il  ajoure  qu'un  grand  nombre  de  chevaux  ,  de  beftiaux  ,  ôc  de 
troupeaux  ,  furent  confumez  avec  les  écuries  ôc  les  érables  où 
ils  étoient  renfermez  iôc  que  le  mur  du  côté  de  la  tour  qui  fut 
brûlée  ,  fut  renverfé  jufqu'aux  fondemens  ,  ôc  les  pierres  jet- 
tées  de  côré  ôc  d'autre  à  plus  de  deux  cens  pas.  On  vit  cette 
année  prefque  tous  les  mêmt^s  effets  dans  1  incendie  dont  nous 
parlons  :  cet  accident  rappella  le  duc  d'Albe  à  Bruxelles,  plii- 
tôt  qu'il  n'y  devoit  retourner  ;  voulant  fe  trouver  à  cette  ville  ; 
pour  être  à  portée  de  donner  i'es  ordres  >  en  cas  qu'il  arrivât 
quelque  chofe  de  nouveau. 

Comme  le  feu  delà  guerre  civile  s'étoit  rallumé  peu  aupa-    -    ,     ,,„., 

j  II-  lo-r-  1  •/rr•^      Le  duc  d'Aï- 

tavant  dans  la  l^rance,  le  Koi  ,  luivant  le  traite  lecret  rait  a  beenvoycdu 
Bayonne  ,  demanda  du  fecours  au  duc  d'Albe.  Le  Duc  ,  non-  accours  en 
feulement  accorda  de  bonne  grâce  ce  qu'on  lui  demandoit  i 
mais  croyant  que  tout  étoit  pacifié  ôc  tranquille  dans  lesPayis- 
bas ,  il  offrit  fa  perionne  ÔC  fes  fervices.  Une  offre  fi  obligeante 
parut  fufpe£le  à  la  Reine,  ôc  aux  principaux  membres  du  Con- 
feil  :  appréhendant  que  11  le  Duc  venoit  en  France,  ils  n'euffent 
dans  le  fein  du  Royaume ,  au  lieu  d'un  ami  fecourable ,  un  dan- 
gereux efpion ,  ils  le  remercièrent ,  ôc  lui  firent  entendre  qu'il 
feroit  ôc  plus  fur  ôc  plus  avantageux  pour  les  deux  Rois ,  qu'il 
demeurât  dans  les  Payis-bas ,  ôc  qu'il  envoyât  un  autre  Général 
à  la  tête  des  troupes  auxiliaires,  qui  entreroient  en  France.  Le 
Duc  jetta  les  ^eux  fur  Jean  de  Lignes  prince  de  Barbançon, 
comte  d'Aremberg ,  qu  il  envoya  au  Roi  avec  quinze  cens  che- 
vaux tirez  des  armées  de  Flandre  ,  ôc  du  comté  dvr  Bourgogne? 
mille  fantaffins  Efpagnols,  ôc  autant  de  Flamans  qui  craignant 
la  févérité  ou  plutôt  la  cruauté  du  duc  d'Albe,  s'enrollerent 
volontiers,  pour  être  un  peu  plus  élo'gnez  du  danger. 

Le  duc  d'Albe  ayant  pris  les  devants  ,  ôc  ayant  mis  ordre 
aux  affaires  de  Flandre  ,  Philippe  pouvoit  y  venir  en  toute  fu- 
reté, ôc  y  être  reçu  avec  tous  les  honneurs  dus  à  un  grand  Roi  y 

4fc  P  p  iij 


«iHi 


502  HISTOIRE 

.         &  c'eft  ce  qui  avoit  d'abord  été  réfolu.    Mais  Bernardin  de 
TT  Mendofe  nous  apprend  que  plufieurs  chofes  le  retinrent  en  Ef- 

TV        pagne  j  entr  autres  1  empnlonnement  de  ion  fils  ,  qui  fut  luivi 
'       prefque  immédiatement  de  fa  mort,  ôc  de  celle  de  la  Reine 
^     '*    Elizabeth  fon  époufe  ;  ôc  les  troubles  funeftes  que  les  Maures 
excitèrent  dans  le  royaume  de  Grenade ,  &  qui  mirent  toute 
l'Efpagne  en  mouvement.    Nous  parlerons  en  particulier  de 
ces  évcnemens.  PalTons  maintenant  des  Payis-bas  en  Allema' 
gne  )  ôc  dans  les  payis  feptentrionaux. 
Suite  de  la       La  guerre  allumée  par  la  témérité  d'Eric ,  entre  la  Suéde  d*u- 
Nord^  '^*"^^*^  ne  part ,  le  Dannemarck  ôc  la  Pologne  de  l'autre  »  n'étoit  pas 
encore  finie.  Comme  elle  pouvoit  troubler  toute  l'AIlemagn-e, 
l'Empereur  Maximilien  j  prince  très  fage  Ôc  très  prudent ,  avoit 
fait  tous  fes  efforts  les  années  précédentes  pour  la  terminer  ;  ôc 
il  ne  ceffa  d'y  travailler  encore  cette  année.  Il  indiqua  pour 
cela  au  mois  de  Mars  une  affemblée  àStralfund,  ôc  y  envoya 
i'Eledeur  Frédéric  Palatin ,  ôc  les  ducs  de  Pomeranie,  Henri 
de  Ranzau ,  vicaire  de  Holftein ,  y  vint  de  la  part  de  Frédé- 
ric roi  de  Dannemarck ,  ôc  affura  les  Députez  ou  Commiffaires 
Impériaux  ,  que  fon  père  étoit  difpofé  à  fe  foûmettre  à  leur  ju- 
gement. Mais  le  roi  de  Suéde  ayant  écrit  qu'il  ne  pouvoit  pas 
y  envoyer  des  Plénipotentiaires ,  Ranzau  prit  congé  des  Corn- 
miflaires  de  l'Empereur,  ôc  s'en  retourna  en  Dannemarck  fans 
avoir  rien  fait. 

Le  mois  fuivant,  Eric  vint  avec  une  armée  à  Anflo  en  Nor- 
vège ,  ôc  attaqua  fans  fuccès  Aggershaufen.  Le  commandant  de 
cette  fortereffe  ayant  mis  le  feu  à  la  petite  ville  d'Anflo ,  pour 
incommoder  les  aiïiégeans  j  ôc  le  roi  de  Dannemarck  ayant  eu 
le  tems  d'envoyer  des  troupes  de  Coppenhague  ^  les  Suédois 
furent  repouffés  ôc  obligés  de  lever  le  fiége.  Enfuite  comme  (î 
îe  roi  de  Suéde  n'avoit  pas  eu  affez  d'ennemis  au  dehors,  il  en 
trouva  ,  ou  s'en  fit  au  dedans  de  fes  Etats.  En  effet  j  devenu 
comme  furieux  ,  il  conçut  des  foupçons  ôc  des  défiances  con- 
tre fes  principaux  Conleillers  j  il  les  accufa  de  crime  de  leze- 
majefté ,  ôc  à  rinftigation  de  Pierre ,  fécretaire  d'Etat ,  homme 
turbulent ,  ôc  qui  ne  s'appliquoit  qu'à  aigrir  l'efprit  du  Roi ,  il 
fit  mourir  à  Upfal  Suanton  comte  de  Stur ,  avec  fes  deux  fils 
Nicolas  ôc  Eric,  Abraham  fils  de  Guftave,  Ivare  fils  d'Ivare; 
ôc  pour  joindre  l'impiété  au  meurtre  ,  il  condamna  au  mcme 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I V.  XLI.        50^ 

genre  de  mort  Denis  Burgius  fon  précepteur.  Tous  furent  exé- 
cutez fans  être  entendus,  comme  s'ils  avoient  été  atteints  &  Charle 
convaincus  d'une  confpiration  formée  contre  leur  Prince.  jv 

Après  cet  horrible  maffacre ,  Eric  couvert  de  honte ,  &  tour-  i  ç  ^  7, 
mente  par  les  remords  de  fa  confcience ,  pour  effacer  en  quel- 
que forte  fon  crime,  voulut  faire  un  acte  de  Juftice.  11  mit  en 
liberté  fon  frère  Jean,  qu'il  retenoit  depuis  quelques  années  en 
prifon  avec  fa  femme  :  mais  il  femble  que  ce  fut  pour  fufciter 
un  vengeur  de  tant  d'innocens ,  qu'il  avoit  fait  cruellement  mou- 
rir, pour  le  renverfer  de  fon  thrône,  &  pour  le  mettre  à  foiî 
tour  dans  les  fers.  Avant  que  cette  révolution  arrivât,  le  roi  de 
Suéde  effuya  cette  année  un  grand  nombre  de  pertes.  Nico- 
las Kurfel  ayant  furpris  la  garnifon  ,  que  Sigifmond  Augufte 
avoit  mife  à  Lemfal,  dans  la  Livonie,  Nicolas  Tolivenski  gé- 
néral Polonois  ,  pour  reparer  cette  perte  par  quelque  a£lion 
éclatante ,  vint  fur  la  frontière  de  la  province  de  Wiekke  :  il 
y  trouva  les  Suédois  tout  glorieux  de  leur  fuccès  ,  ôc  qui  (e 
croyoient  en  fureté  j  il  les  attaqua ,  ôc  remporta  une  célèbre 
vidoire  :  quelques  auteurs  ont  écrit  qu'il  y  eut  deux  mille  Sué- 
dois tuez  ,  ôc  un  plus  grand  nombre  de  prifonniers ,  ôc  que 
les  Polonois  prirent  les  drapeaux  de  Revel.  D'un  autre  côté  , 
Daniel  de  Ranzau  général  Danois,  entra  le  mois  de  Septem- 
bre dans  la  Suéde ,  par  des  défilez  fi  étroits  ,  qu'on  les  appelle 
communément  des  trous  ;  ôc  après  y  avoir  impunément  brûlé 
ôc  pillé  le  payis  pendant  quelques  mois ,  il  pénétra  jufqu'à  Wadf- 
tena.  Eric  efîirayé  de  ces  progrès ,  fut  forcé,  pour  les  arrêter,  ÔC 
pour  prévenir  le  danger  dont  il  étoit  menacé  ,  de  mettre  lui- 
même  le  feu  à  plufieurs  places,  ou  villes  de  fes  Etats,  ne  trou- 
vant que  ce  trille  ôc  déplorable  moyen  pour  prévenir  de  plus 
grandes  pertes.  Ranzau ,  après  avoir  fait  un  riche  butin  ,  ÔC 
avoir  répandu  la  terreur  dans  une  grande  étendue  de  payis ,  re- 
vint en  Dannemarck  fans  avoir  fait  aucune  perte. 

Prefque  dans  le  même  rems  ,  il  y  eut  le  17  de  Septembre 
un  combat  entre  les  Polonois  ôc  les  Mofcovites ,  auprès  du  lac 
de  Stin.  Les  Polonois  fortis  de  Witepfck ,  tuèrent  environ  trois 
cens  Mofcovites ,  prirent  cent  vingt  pièces  de  canon  ,  avec  une 
grande  quantité  de  poudre  ôc  de  baies ,  ôc  firent  outre  cela  un 
très-riche  butin.  Le  12  de  Décembre,  l'infanterie  qui  étoit  en 
garnifon  à  \7itepfck  ,  ayant  fait  encore  une  fortie ,  combatiit 


^04  HISTOIRE 

avec  beaucoup  de  fuccès  les  Mofcovites  proche  de'Welifckî 

Ch  AR.LE  ^"^  partie  fut  taillée  en  pièces ,  l'autre  mife  en  fuite,  &  plu- 

IX.        fieurs  fe  noyèrent  dans  la  Ouina.  Alexis  Simiskowf ,  ôc  Bogdan 

i  ^  ^  j^     Reory ,  de  la  première  noblefle  de  RuiTie  ,  y  furent  faits  pri- 

fonniers. 
Différend        Pendant  qu'on  y  faifoit  la  guerre  de  tous  cotez  Jes  Députez 
au  fiyet  â\x     gui  s'ctoicnt  aiTemblcz  à  Odenfée,  dans  Tifle  de  Funen ,  éxami- 

duché  de  Slef-     ^  ijrr  j        •>/./.       ,  ,         -j-m  i 

^ict.  nercnt  le  dinerend  qui  s  etoit  eievc  entre  le  roi  de  Dannemarck  ; 

&  les  ducs  d'Holftein  fes  parens ,  touchant  le  duché  de  Slefwick. 
Les  Ducs  avoiioient  que  leurs  ancêtres  avoientreçuôcpolTedé 
ie  duché  de  Slefwick,  comme  feudataires  des  rois  de  Danne- 
marck. Ainfi  ils  ne  refufoient  pas  de  rendre  l'hommage,  dont 
ils  étoient  convenus  à  Coldingen  avec  Chriftierne  III  20  ans 
auparavant:  mais  ils  prétendoicnt  que  c'étoitun  fief  héréditai- 
re ôc  libre,  qui  n'étoit  point  fujet  au  fervice ,  ôc  qui  pouvoir  être 
tenu  ôc  pofTedé  par  les  femmes,  comme  par  les  hommes  ;  &  ils 
le  prouvoient  par  les  ades  ou  les  lettres  des  Rois  prédécefTeurs 
de  Frédéric  y  qu'ils  produifoient ,  ôc  par  le  droit  commun  de 
Dannemarck  obfervé  dans  le  duché  de  Slefwick.  C'eft  ainfi  que 
îe  Roi  Voldemar  avoir  donné  en  i  5 2(5  la  principauté  du  Sud- 
Jutland ,  avec  le  domaine  utile  ôc  dire£t ,  à  Gérard  comte  de 
Holftein ,  Ôc  à  fes  héritiers  j  ne  fe  refervant  que  les  droits  de 
Seigneur  fouverain  ou  dominant ,  ôc  le  droit  d'inveftiture.  Ainfi 
le  roi  Chriflophle  avoit  donné  deux  ans  après  le  Nord-Judand 
à  Jean  comte  de  Holftein ,  ôc  à  fes  héritiers  hoirs,  tant  mâles  que 
femelles,  à  titre  de  fiefj  ôc  cette  donation  avoit  été  confirmée 
douze  après  par  Voldemar  IV.  Ainfi  cent  ans  après  ,  Chrifto- 
phlc  m  avoit  voulu  que  le  duc  Adolphe  jouît  de  ce  Duché 
de  la  même  façon  que  les  Rois  ou  Reines,  qui  l'avoient  précé- 
dé ,  en  avoient  joui  ^  librement  Ôc  fans  aucune  condition.  Ainfi 
Adolphe  ,  dernier  duc  de  Slefwick ,  étant  mort  fans  enfans  Fan 
1450 ,  ce  fief  n'avoit  point  été  rciini  à  la  Couronne  par  droit  de 
reverfion  ;  mais  Chriftierne  I.  roi  de  Dannemarck  en  avoit 
hérité  comme  fils  de  la  fœur  d'Adolphe.  Les  Rois  fesfuccef- 
feurs  l'avoient  pofi^edé  au  même  titre  d'hérédité  ?  ôc  Frédéric  L 
avoit  de  plus  déclaré  Pan  1424,  que  les  habitans  de  Slefwick 
n'étoient  point  obligez  de  fuivre ,  ni  de  fervir  qui  que  ce  fût  à  la 
guerre,  hors  les  limites  du  Duché  j  à  moins  qu  ils  ne  fe  fufi^ent 
.volontairemeint  engagez ,  ou  qu'ils  ne  reçuffent  la  foldc. 

Ceux: 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XLI.        ^of 

Ceux  qui  parloient  pour  le  roi  de  Dannemarck  j  difoient  qu'on 

ne  pouvoir  produire  aucun  acle  public ,  fait  dans  ie  Royaume  .  p  u    r  t  »  ^ 

qui  exemptât  formellement^  &  en  termes  exprès, les  feudatai-        -ry  ■ 

res  du  fervice  3  que  dans  la  conceffion  des  fiefs  ,  qui  font  d'un  ^*_  '' 

droit  étroit  ôc  rigoureux ,  il  en  falloir  faire  une  mention  expref- 
fe  j  ôc  que  dans  le  doute  ,  on  devoit  toujours  prononcer  en  | 

faveur  du  Seigneur  contre  le  fujet  ;  que  fans  remonter  plus  haut ,  1 

il  étoit  confiant  que  par  la  Sentence  de  l'Empereur  Sigifmond ,  \ 

entre  les  mains  duquel  les  deux  Parties  avoient  paffé  un  com- 
promis ,  les  lettres  de  Voldemar  avoient  été  annullées ,  ôc  le  du-  I 
ché  de  Slefwick  ôté  aux  Ducs,  ôc  adjugé  au  Roi  5  qu'enfuite                               ; 
à  la  mort  d'Adolphe  dernier  Duc,  le  Duché  avoir  été  réuni  à 
la  Couronner  que  tous  les  titres  antérieurs  avoient  été  éteints;  ' 
ôc  qu'il  n'étoit  pas  certain  qu'on  eût  fait  depuis  une  nouvelle  \ 
concefîion  ;  que  ce  Duché  ayant  d'abord  été  donné  aux  ducs  I 
de  Hoiftein ,  on  devoit  penfer  qu'il  n'avoit  été  accordé  que  pour                               ' 
les  mâles,  feuls  capables  de  pofTeder  un  fief,  qui  doit  le  fervi- 
ce des  armes  :  Que  par  cette  raifon  la  fœur  d'Adolphe  n'avoit                               j 
pu  le  polfeder ,  ôc  que  les  Princes  d'aujourd'hui  n'étoient  pas  les 
légitimes  héritiers.  La  matière  ayant  été  difcutée ,  ôc  mife  en                               ^ 
déUberation  pendant  quelques  jours ,  il  fut  décidé  que  la  caufe 
feroit  plaidée  devant  Augufle  éle£leur  de  Saxe ,  Ulric  duc  de  \ 
Meckelbourgj  ôc  Guillaume  Landgrave  deHefle  5  ôc  que  ces                               i 
Princes,  en  qualité  de  CommilTaires  ou  d'arbitres  choifis,  l'ac-  ' 
commoderoient  à  l'amiable.  La  difcuiïion  de  cette  affaire  dura                              . 
pendant  dix  ans  entiers,  Ôc  ne  finit  qu'en  15" 80. 

Le  nom  de  Guillaume  Landgrave  de  Hefîe  nous  avertit  de     ^^''^  ^^ 
parler  pour  la  dernière  fois  du  Landgrave  Philippe  fon  père.  Il  landgravs 
ctoit  de  la  plus  illuftre  Ôc  de  la  plus  ancienne  maifon  de  FEm-  de  Hesse 
pire ,  puifqu'il  tiroit  fon  origine  de  nos  Rois  Carlovingiens  ,  ôc  j 

des  enfans  fugitifs  de  Charle  ',  dernier  Prince  de  cette  race  ,  qui  ; 

mourut  en  prifon  à  Orléans.  Philippe  naquit  en  i<)0^  près  du 
camp  de  Guillaume  fon  père,  qui  afiiégeoit  Chamb,  ville  du  Pa- 
latinat  j  ôc  ce  fut  une  efpece  de  préfage  de  la  vie  guerrière  qu'il  | 

devoit  mener.  La  différence  des  Religions  ayant  troublé  ôc  j 

divifé  l'Allemagne ,  il  fe  déclara  zélé  défenfeur  de  la  caufe  des 
Froteftans  ,  ôc  de  la  liberté  Germanique.    Il  foufcrivit  à  la  I 

1  Charle  de  Lorraine  ,  frère  de  Lothaire,  ôc  oncle  de  Louis  V.  dit  le  fainean^  .  ' 

4;rnier  Roi  de  la  race  Carlovingienne.  I 

Tome  y,  Q^ 


'^««im«ransKXS!!K%» 


306  HISTOIRE 

Confédcraiion  ou  ligue  de  Smalcade,  ôc  quoique  la  fortune 
Char  LE  ^^^  ^^^  ^^^  contraire,  fon  courage  invincible  lui  fit  toujours  te^ 
jY        nir  ferme  contre  l'Empereur  Charle-Quint.  Mais  après  la  dé- 
,'       faite  de  Jean  Frédéric  éledeur  de  Saxej  ayant  à  la  perfuafioii 
■^  de  Maurice  fon  gendre  traité  avec  l'Empereur,  il  fut  honteu- 

fement  trompé  par  une  petite  rufede  Granvelle,  qui  avoir  mis 
dans  un  des  articles  du  traité  une  lettre  pour  une  autre  ;  ce  qui 
en  changeoit  entièrement  le  fensj  on  l'arrêta,  ôc  il  fut  forcé 
pendant  cinq  années  de  fuivre  par  tout  fon  vainqueur ,  en 
campagne,  à  la  guerre  &  à  la  Cour,  comme  prifonnier ,  juf- 
qu'à  ce  que  Maurice  ayant  quitté  le  parti  de  l'Empereur ,  il  fut 
mis  en  liberté  avec  1  EIe6leur  de  Saxe.  Depuis  ce  tems  là,  en- 
nuyé d'une  vie  Ci  agitée  ,  fi  inquiète  Ôc  fi  pénible  ,  après  tant  de 
travaux  ôc  de  fangues  il  ne  fit  plus  rien  de  mémorable ,  fi  ce 
n'eft  qu'en  1^62  il  envoya  des  troupes  auxiliaires  en  France, 
à  la  follicitation  du  prince  de  Condé ,  qui  les  lui  demanda  au 
nom  de  la  Pleine  mère.  Philippe  étoit  un  Prince  d'un  très-grand 
courage  ,  fage ,  prudent ,  ôc  d'un  bon  confeil ,  mais  qui  comp- 
toit  moins  fur  fa  prudence  ,  que  fur  fa  valeur  &  fa  fortune.  Après 
avoir  cefiTé  de  faire  la  guerre ,  il  cultiva  les  fciences  &  les  bel- 
les lettres,  6c  il  fonda  à  Marpourg  une  célèbre  Univerfité,  à 
qui  il  donna  de  très-grands  privilèges ,  ôc  de  fort  gros  revenus. 
Il  enrichit  aufii  confiderablement  les  hôpitaux  établis  à  Heyne, 
à  Merckhaufen,  à  Braubach  ôc  à  Hocheym.  J'ajouterai  une 
chofe  que  plufieurs  ont  regardée  comme  une  plaifanterie,  ôc  que 
je  n'ai  pas  crû  devoir  omettre  :  c'eft  que  ce  Prince  avoir  un 
tempérament  très-inépuifable  pour  les  plaifirs  de  l'amour  ;  en- 
forte  qu'étant  d'ailleurs  très-chafte,  n'ayant  point  de  maîtrefies, 
ôc  ne  voyant  que  fon  époufe ,  qui  ne  pouvoir  le  foufirir  Ci  fou- 
vent  ,  il  conféra  fur  cela  avec  fes  miniftres  ou  pafteurs  j  qui  con- 
fendrent ,  avec  la  permilfion  de  la  Princeffe,  qu'il  prît  une  fé- 
conde femme  ou  concubine,  dont  la  fréquentation  le  mît  en 
état  d'en  ufer  plus  modérément  avec  fon  époufe.  Enfin  cette 
année  qui  étoit  fon  année  climaterique  »  il  mourut  le  lendemain 
de  Pâques.  Les  Médecins  ayant  fait  l'ouverture  de  fon  corps 
lui  trouvèrent  trois  tefticules. 
D'Ernest  Erneft  duc  de  Brunfwick,  qui  avoit  toujours  été  très-uni  à 
yfiç]^^  ~  Philippe,  le  fuivit de  près.  Ses  fujetslui  donnerentles  furnoms 
de  Pieux,  de  Confiant  ôc  de  Courageux  j  il  mourut  le  fécond  jour 
d'Avril ,  ôc  fut  inhumé  à  Olterrode. 


DEJ.  A.  DE    THOUiLiv,  XLL        507 

Dans  la  même  année,  Antoine  de  Croy  prince  dePorcien, 


jeune  homme  d  un  grand  courage  ôc  d  un  eipriteleve ,  fur  pris  r^  „  ,  „  .  „ 
dune  nevre  ardente  a  rar;s,  ôc  mourut  le  5*  de  (Vlai ,  ayant  a       jy 
peine  pafle  fa  vine:t-rixiéme  année.  Francoife  d' Amboife  de  Se-        ^  ^  * 
nigan  la  mère  etoit  morte  quelque  mois  auparavant.  Le  <^on- 
nétable  Anne  de  Montmorenci ,  fous  prétexte  de  la  fuite  du  pf^V^^ciEN^ 
duc  d'Arfchot  fon  parent,,  avoit  intenté  un  fâcheux  procès  à  et  de  same- 
cette  Dame,  ôc  l'avoit'fait  honteufementemprifonner.  Le  Cou-  ^^- 
nêtable  ayant  été  pris  à  Saint  Quentin  ôc  conduit  prifonniers  en 
Flandre,lesGuifes  par  haine  pour  leur  rivab  plutôt  que  par  affec- 
tion pour  la  dame  de  Senigan ,  profitèrent  de  cette  occafion 
pour  la  confoler,ôc  la  foulager  dans  fes  malheurs.   Cependant 
la  Cour  ôc  toute  la  France  ayant  depuis  été  déchirées  par  des 
fa£lions ,  le  prince  d^  Porcien  fon  fils  embraffa  la  dodrine  des 
Proteftans ,  ôc  prit  le  parti  du  Connétable  Ôc  des  Colignis.  Deux 
ans  auparavant ,  lorfque  le  maréchal  de  Montmorenci  marcha 
contre  le  cardinal  de  Lorraine ,  le  Prince  vint  à  Paris  avec  fes 
troupes,  pour  être  à  portée  de  féconder  le  Maréchal.  L'auteur 
de  la  vie  de  Claude ,  fils  naturel  de  Claude  de  Guife ,  abbé  de 
Cluni ,  rapporte  que  cet  Abbé  fit  donner  au  prince  de  Porcien, 
par  Saint  Barthelemi  fon  émiffaire,  un  bouillon,  qui  lui  fit  per- 
dre la  raifon  ,  Ôc  le  rendit  furieux ,  pour  le  punir  de  fon  ingra- 
titude envers  une  famille ,  à  qui  il  avoit  de  fi  grandes  obligations. 
Je  m'en  rapporte  à  ce  quienefl,  ôc  je  me  contente  d'indiquer 
mon  auteur,  qu'on  dit  être  Dagoneau  de  Vaux  bailli  de  Cluni. 

La  mort  enleva  cette  même  année  à  Jene  dans  la  Thurin-    DeStifels 
ge  Michel  Stifels  d'Eflingen ,  âgé  de  quatre-vingts  ans ,  ôc  qui 
avoit  long-tems  profeffé  dans  la  Saxe  ôc  dans  la  Pruffe.  Ses  li- 
vres fur  l'algèbre  font  eftimez  des  fçavans ,  comme  ils  méri- 
tent de  l'être. 

Après  lui,  mourut  à  Sweinits  dans  la  Silefie  \q  26  Août  Jean  De  Lang. 
Lang ,  âgé  de  foixante-quatre  ans  ôc  plus.  Il  étoit  né  à  Freif- 
tadt ,  ville  du  duché  de  TefTchen  en  Silefie.  Il  s'efl:  rendu  re- 
commandable  à  lapofterité  parla  tradu6lion  fidèle  de  l'hiftoire 
Eccléfiaftique  deNicephore,  qu'il  fit  par  ordre  de  l'Empereur 
Ferdinand ,  fur  un  manufcrit  ancien ,  très-beau ,  ôc  le  feul  qui 
fut  en  Europe.  J'ai  enfin  obtenu  long-tems  après  par  mes  foins, 
qu'on  me  le  prêtât,  ôc  afin  qu'il  ne  puiffe  périr,  on  le  fera 
imprimer  ea  France  dans  fa  langue  naturelle. 


R 


308  H  I  S  T  O  I  r.  ii 

__  François  Robortellonc  à  Udine,  mourut  en  Italie  le  18  de 

C  H  A  R  L  E  •^'^^^^  ^^"^  ^^  cinquante-unième  année.  Il  profefTa  avec  beaucoup 

T  y        d'éclat  à  Boulogne  &  à  Padouë.  Ses  difFerens  écrits  donnèrent 

^  ^  '       de  lui  une  haute  idée  ,  à  laquelle  il  ne  répondit  point.  Il  dif- 

puta  très-fouvent,  mais  à  forces  bien  inégales  ^  avec  Charle  Si- 

OBOR-  gQj^iijg  ^  ^  çQ^  conteftations  furent  plus  vives  &  plus  aigres  qu'il 


T£LLO. 


De  Panta- 

GATi. 


De   Léo- 


pard. 


ne  convient  à  des  gens  de  lettres.  Les  Allemands  qui  avoient 
toujours  pris  fon  parti  dans  ces  difputes,  lui  firent  de  grands 
honneurs  après  fa  mort. 

Elle  fut  fuivie  de  celle  d'06lavien  Pantagate ,  qui  voulut  être 
appelle  Pacatus.  Il  étoit  de  Brefce.  Il  entra  dans  l'ordre  des 
ServiteSjôc  ilfe  diftingua  par  fa  grande  probité,  ôc  par  la  pro- 
fonde connoilîluice  qu'il  eut  de  l'antiquité  ôc  des  belles  let- 
tres. Tous  ceux  qui  faifoient  profeiïion  de  littérature  à  Rome 
venoient  le  trouver  en  foule ,  &  il  répondoit  dans  fa  maifon  à 
tous  ceux  qui  venoient  le  confulter  fur  les  belles  Lettres  ,  com- 
me les  anciens  Jurifconfultes  répondoient  dans  des  places  pu- 
bliques à  ceux  qui  venoient  les  confulter  fur  le  droit;  ôc  tous 
fortoient  d'avec  lui  plus  inftruits  qu'ils  n'étoient  en  y  entrant. 
Onuphre  Panvini ,  Amoine  Auguftin ,  ôc  Fulvius  Urfinus ,  trois 
des  plus  fçavans  hommes  de  leurs  tems ,  furent  fes  principaux 
admirateurs,  ils  ont  avoué  fincerement  qu'ils  avoient  beaucoup 
appris  d'un  fi  grand  maître  >  ôc  qu'ils  avoient  donné  au  public 
bien  des  chofes ,  dont  il  avoit  eu  la  bonté  de  leur  faire  part.  Ou- 
tre la  réputation  qu'il  s'acquit  par  les  belles  lettres  y  il  fe  fit  tant 
d'amis  par  les  fervices  qu'il  rendoit  à  tout  le  monde ,  que  les 
Romains  lui  donnèrent  le  refpedable  furnom  de  Père,  Enfin 
le  30  de  Décembre  de  cette  année,  il  rendit  à  Dieu  fon  ame 
bienfaifante ,  qui  avoit  obligé  tant  de  perfonnes.  11  avoit  un 
peu  plus  de  foixante  ôc  treize  ans ,  ôc  il  fut  enterré  à  Rome  dans 
le  Couvent  des  Servites, 

Avant  Pantagate ,  mourut  le  3  de  Juin  dans  fa  cinquante- 
feptiéme  année  Paul  Léopard  ,  né  à  Ifemberg  en  Flandre.  Il 
étoit  fçavant  dans  les  langues  Greque  ôc  Latine ,  ôc  il  les  en- 
richit aflez  confiderablement  pour  le  tems  y  par  fon  ouvrage  des 
Corredionsqui  parut  après  fa  mort.  La  première  décade  de  cet 
ouvrage  fut  imprimée  au(îî-tôt  ■■>  la  deuxième  ayant  été  long-tems 
fupprimée ,  a  été  publiée  depuis  peu  de  tems  par  Jean  Gruter. 
Au  relie  Léopard  étoit  un  homme  fans  ambition ,  qui  aima 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XLl.  50^ 

mieux  demeurer  caché  ôc  inconnu  dans  un  petit  collège,  à  «»««=«^ 


Bergues-Saint-Vinox  près  de  Dunquerquc;  que  de  recevoir  Qharle 
dans  le  grand  monde  les  honneurs  6c  les  dignitez ,  aufquelles       j  )^ 
il  pouvoir  afpirer.  ^  i  ç  (5-?. 

Dès  le  p  de  Février,  Jean  de Leyen  archevêque  ôc  Elec- 
teur de  Trêves  étoit  mort  à  Coblents.  Il  avoir  toujours  traité  J^f.^^'^^^" 
avec  beaucoup  de  févérite  les  peuples  de  i  rêves  ôc  de  Coblents,  Tkeve. 
qui  vouloient  changer  de  Religion.  Après  beaucoup  de  con- 
teftations  entre  ceux  de  Trêves  ôc  le  Chapitre ,  on  élut  enfin 
à  Coblents  le  7  d'Avril  Jacque  de  Eltz^ôi  quoiqu'il  fut  très- 
attaché  à  la  Religion  de  fes  pères ,  fes  fujets  trouvèrent  en  lui 
beaucoup  plus  de  douceur  que  dans  celui  qui  l'avoir  précédé. 

L'événement  le  plus  mémorable  de  l'année  1 5"  6j  fut  la  guerre  Guene  ds 
de  Gotha  en  Allemagne,  qui  fut  recommencée  par  un  décret  °^  * 
de  l'Empire ,  ôc  achevée  dans  l'efpace  d'un  an.  Voici  quelle  en 
fut  l'origine.  Guillaume  Grumbach  ayant  ramaffé  les  reftcs  de 
de  l'armée  d'Albert  marquis  de  Brandebourg,  qui  avoit  été  mis 
au  ban  de  l'Empire,  ne  fe  contenta  pas  d'avoir  aflalTiné  l'E- 
vêque  de  Virtzbourg  par  une  horrible  trahifon ,  ôc  d'avoir  par 
une  entreprife  auffi  étonnante  que  téméraire  pris  ôc  pillé  la  ville 
Epifcopale  ;  il  foHicita  ouvertement  la  Noblefle  à  fe  foulever 
contre  ÏQS  loix  de  FEmpire,  ôc  pour  fortifier  fon  parti,  ôc  fe 
ménager  un  lieu  de  retraite,  à  lui  ôc  à  fes  complices ,  que  FEm- 
pereur  avoit  profcrits ,  il  alla  trouver  en  fecret  Jean  Frédéric 
ôc  Jean  Guillaume  princes  de  Saxe ,  fils  de  Jean  Frédéric  ,  au- 
trefois Ele£teur  :  il  les  pria ,  les  conjura,  ôcles  prefla  fortement 
d'avoir  pitié  d'une  Noblefle  >  quigemiflbit  fous  la  tirannie  des 
Evêques  ôc  des  autres  Princes,  ôc  quimettoit  en  eux  toutes  fes 
efperances,  comme  dans  les  feuls  défenfeurs  ôc  vengeurs  de  la 
liberté  Germanique. 

Il  difoit  à  ces  Princes, que  s'ils n'étoient  pas  toucliez  de  la 
trifte  fituation  des  autres,  ils  dévoient  craindre  pour  eux-mê- 
mes ,  ôc  prévenir  le  danger  dont  ils  étoient  menacez  :  Qu'on 
avoit  en  vue  de  réduire  d'abord  la  Noblefle ,  pour  les  oppri- 
mer enfuite  eux-mêmes ,  lorfqu'ils  n'auroient  plus  de  fecours 
à  efperer  :  Qu'on  n'étoitpas  content  d'avoir  par  une  injuftice 
criante  dépouillé  leur  père  de  l'Eleâiorat  :  Qu'on  avoit  regar- 
dé ce  premier  crime  ,  comme  un  degré  pour  parvenir  à  ce  que 
l'on  méditoit  6c  projettoit  depuis  fi  long-tems.  Il  les  exhortoit  à 

Q  q  iij 


310  HISTOIRE 

prendre  enfin  des  fentimens  &  des  réfolutions  dignes  de  îeuH 

Charle  ^^^^^'^^'^^^ >  ^  ^  ^'^^  P^^  donner  lieu  par  une  patience  exceflive 
TV  aux  nouvelles  injures  qu'on  avoir  deflein  de  leur  faire.  «Vous 
^  *  ï'  n'avez  ,  ajoûtoit  Grunibach  ,  qu'à  vouloir  5  vous  ne  man- 
»'  querez  pas  de  gens,  qui  fe  feront  un  plaifir  de  vous  fervir; 
»j  ôc  de  combattre  fous  vos  aufpices  :  une  pareille  entreprife 
»»  fera  également  glorieufe  ôc  utile  à  la  maifon  de  Saxe  :  par 
»  là  vous  maintiendrez  ôc  conferverez  la  liberté  delà  Nobleffe; 
»»  vous  reprendrez  par  une  jufte  guerre  ce  que  l'on  vous  a  in- 
ce  Juftementravi  ;  ôc  vous  rentrerez  dans  l'ancienne  dignité  atta-^ 
«  chée  à  v-otre  illuftre  Maifon. 

Jean  Guillaume  de  Saxe  ne  put  écouter  un  homme  fi  pref- 
fant  j  ôc  qui  avoit  l'infolence  de  joindre  les  menaces  aux  pro- 
méfies  :  il  lui  répondit  qu'il  perfevereroit  conftamment  dans  la 
fidélité  qu'il  devoit  à  l'Empire  ,  ôc  il  le  chafla  d'auprès  de  lui. 
Il  n'en  fut  pas  de  même  de  Jean  Frédéric  fon  frère  :  comme 
il  étoit  très-crédule,  plein  de  vanité  ôc  d'ambition,  ôc  qu'il  ne 
pouvoir  pardonner  l'affront  fignalé  qu'on  avoit  fait  à  fon  père, 
les  paroles  de  Grumbach  le  pénétrèrent  jufqu'au  fond  du  cœur  : 
perfuadé  qu'il  ne  devoit  pas  laifler  échapper  l'occafion  favora- 
ble qui  s'ofiroit  ,  il  n'examina  pas  afiez  s'il  avoit  les  moyens 
nécefi^aires  pour  réufiîr  :  il  ne  fit  aucune  réflexion  fur  les  vues 
ôc  les  defifeins  qui  faifoient  agir  Grumbach  dans  cette  affaire, 
ôc  il  fe  livra  tout  entier  aux  confeils  ôc  aux  caprices  d'un  mé- 
chant homme,  qui  étant  ruiné,  ôc  perdu  de  réputation  ^  n'avoic 
rien  à  rifquer. 

Grumbach  fe  voyant  alTuré  d'un  patron  ôc  d'un  appui  fi  puif- 
fant,  conçut  les  plus  folles  efperances ,  ôc  crut  avoir  trouvé  l'oc- 
»  cafion  favorable  de  réuffir  dans  les  projets  extravagans  qu'il  avoit 

formez.  Pour  animer  de  plus  en  plus  ce  Prince,  ôc  pour  fe  l'at- 
tacher plus  fortement,  il  commença  par  jetter  dans  fon  cœur  des 
femences  d'averfion  ôc  de  haine  pour  un  frère  qui  ne  penfoit 
pas  comme  lui ,  ôc  il  n^omit  rien  pour  les  brouiller  :  mais  afin 
qu'il  ne  pût  pas  rompre  fes  engagemens,  il  voulut  le  lier  à  fa 
caufe  par  un  crime  éclatant.  Il  aigrit  de  plus  en  plus  fon  ef- 
prit  contre  Augufte,  revêtu  de  la  dignité  Eledorale,  qu*on 
avoit  enlevée  à  fon  père  ;  il  le  porta  enfin  à  conjurer  contre  fa 
vie ,  ôc  à  fuborner  des  miferables  pour  rairafi[îner. 

Dans  la  Diète  tenue  trois  ans  auparavant  à  Worms ,  qui  fut 


Giijtïsiiiiivia*» 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XLI.         311 

la  dernière  de  TEmpire  de  Ferdinand  ,  on  avoir  réfolu  pour 

maintenir  la  tranquilîite'publique,d'entreLenir  quinze  cens  hom-  p 
mes  de  cavalerie.dont  mille  feroient fous  les  ordres  de  l'EIedeur        j  y 
Augufte,  &  cinq  cens  fous  ceux  de  Guillaume  de  Cleves  duc  de  ^  '„ 

Juliers.  L'Electeur  voyant  que  l'audace  des  conjurez augmen-  ''' 

toit  de  jour  en  jour,  écrivit  ôc  députa  à  Jean  Frédéric  de  Saxe 
fon  coufin  germain,  pour  l'engager  à  éloigner  de  lui  le  chef 
de  la  fadion  6c  toute  fa  fuite,  ôc  à  ne  prendre  aucune  part  aux 
defleins  violens  d'un  homme  turbulent  ôc  féditieux  ,  à  moins 
qu'il  ne  voulût  fe  perdre  >  lui  ôc  les  Tiens  :  il  lui  rappelJa  en  mê- 
me tems  le  traité  fait  entre  tous  les  Princes  de  la  maifon  de 
Saxe ,  par  lequel  ils  s'étoient  engagez  les  uns  les  autres  de  ne 
donner  ni  retraite ,  ni  protection  aux  ennemis  publics  ôc  parti- 
culiers ,  ni  en  général  à  tous  ceux  qui  auroient  été  mis  au  ban 
de  l'Empire. 

Frédéric  Ele£leur  Palatin  ,  ôc  Philippe  Landgrave  de  HcÏÏe 
rendirent  le  même  bon  office  à  Jean  Frédéric  de  Saxe,  ôc  le" 
Palatin  vint  en  perfonne  dans  la  Thuringe^  delà  il  alla  avec 
Jean  Guillaume  à  Lipfick  trouver  lEledeur  Augufte  ,  pour 
oter ,  s'il  étoit  poffiblcjtoutfujet  de  diiïention  ,  ôc  pour  recon- 
cilier les  deux  frères  fes  gendres,  entr'eux,  ôc  avec  l'Eledeur 
Augufte  leur  coufm. 

Dans  la  nouvelle  Diète  de  l'Empire  tenue  à  Aufbourg ,  qui  fut 
la  première  fous  Maximilien,on  renouvella  ôc  on  confirma  la  fen- 
tence  de  banôcde  profcription  déjà  prononcée  contre  Grum- 
bach  ôc  fes  complices ,  ôc  on  l'étendit  à  ceux  qui  leur  donne- 
roient  retraite  ,  ou  leur  fourniroient  quelque  fecours.  On  la  pu- 
blia enfuite  à  fon  de  trompe ,  ôc  avec  toutes  les  formalitez  ac- 
coutumées ;  ôc  on  chargea  l'Eledeur  de  Saxe  de  la  faire  exécu- 
ter. On  réfolut  auffi  dans  la  Diète  de  députer  à  Jean  Frédéric 
de  Saxe  pour  le  fommer  de  livrer  les  profcrits  entre  les  mains 
de  l'Empereur ,  ou  de  les  faire  emprifonner ,  fous  peine,  s'il  n'o- 
béifToit,  d'être  traité  comme  ceux  qui  leur  donneroient  retraite. 

Peu  de  tems  après  on  découvrit  la  confpiration  formée  con- 
tre FEleCleur  Augufte,  par  Grumbach,  fous  le  nom  de  Jean 
Frédéric,  de  la  confiance,  ôc  de  la  facilité  duquel  il  abufoit. 
La  Befme  qui  fut  pris  près  de  Drefde,  révéla  ce  complot,  ôc 
avoua  fon  crime  à  la  queftion.  Philippe  PlaiTen ,  fameux  afTafiin, 
déclara  que  Grumbach  l'avoit  engagé  à  prix  d'argent  à  tuer 


3T2  HISTOIRE 

,  ,      rEle£leuL*  de  Saxe.  L'Ele£leur  lui-même  en  avoit  d'aîiîeurs  des 

^_  preuves  certaines  5  Gontier  comte  de  Schwartzbourg ,  ôc  Chrif- 

e.H  ARLE  fQpj^ig  Zebitz  lui  avoient  rapporté  ce  qu'on  avoit  entendu  de 

la  bouche  de  Grumbach.  Mais  comme  il  croit  trcs-fage  Ôc  trcs- 

^  ^     '^*     politique,  il  diffimula  habilement  ce  qu'il  avoit  appris,  jufqu'à 

ce  qu'il  eût  fait  tous  les  préparatifs  de  guerre.  Cependant  il  écri- 

voit  fouvent  à  fon  coufm,  Tavertiflant  en  bon  ami  de  rentrer 

dans  fon  devoir.  Les  réponfes  de  Jean  étoient  orgueilleufes 

ôc  infolentes  j  il  faifoit  néanmoins  efperer  que  par  égard  pour 

l'Empereur  ôc  pour  l'Empire,  qui  l'ordonnoient  ainli,  il  ren^ 

voyeroit  les  profcrits. 

Cela  fe  paffa  dans  le  tems  de  la  prife  de  Zighet  ôc  de  Giula 
par  les  Turcs.  Ainfi  les  conjurez  qui  voyoient  que  ces  pertes 
avoient  mis  le  trouble  ôc  la  confternation  dans  l'Empire,  étoient 
au  comble  de  leur  joie ,  ôc  montroient  à  découvert  tous  leurs 
pernicieux  defleins ,  follicitantla  NoblefTe  à  abandonner  le  parti 
de  l'Empereur,  ôc  empêchant  qu'on  ne  lui  fournît  les  fecours 
qu'on  étoit  convenu  de  lui  donner  pour  foûtenir  la  guerre  con- 
tre les  Infidèles.  Ce  procédé  outroit  l'Empereur  ;  ôc  l'Eleâeur 
Augufle ,  qui  avoit  beaucoup  de  crédit  fur  fa  Majefté  Impéria- 
le, ne  ceffoit  de  l'animer.  L'Eledeur  Palatin,  le  Landgrave 
de  HcfTe,  ôc  le  duc  de  Cleves  offrirent  leur  médiation  i  ôc  ils 
n'épargnèrent  ni  foins  ni  travaux,  ni  dépenfcs,  pour  faire  ren- 
trer Jean  Frédéric  dans  fon  devoir,  ôc  pour  terminer  à  l'amia- 
ble tous  les  différends  qui  étoient  entre  l'Eledeurfon  coufinôc' 
lui.  L'Empereur  même  paroiffoit  ne  s'y  pas  oppofer ,  proteftant 
.  qu'il  ne  déteftoitrien  tant  que  les  guerres  civiles,  ôc  il  le  fit  bien 
voir  par  plufieurs  exemples  qu'il  donna  d'une  patience  qu'on 
pourroit  nommer  excefTive  :  il  demandoit  feulement  que  fi  on 
faifoit  un  accommodement,  ce  fut  fans  préjudicier  à  fa  dignité 
de  chef  de  l'Empire,  car  le  ban  étoit  moins  l'affaire  de  l'Em- 
pereur ,  que  celle  de  l'Empire 

Commejean  ne  vouloir  entendre  à  aucunes  propofitio.jas,quoî- 
quejufles  ôc  honnêtes,  enfin  l'Eleûeur  Augufte  reçut  un  man- 
dement de  l'Empereur, qui  lui  ordonnoitde  mettre  le  plus  prom- 
tement  qu'il  feroit  polTible  à  exécution  le  décret  de  l'Empire,' 
L'Ele6leur  accompagné  d'Othon ,  comte  d'Eberftein  ,de  Fa- 
bien Schcneych,  ôc  de  Chriftophle  Carolov^iz,  tous  Cheva- 
liers, que  l'Empereur  lui  avoit  donnez  pour  adjoints,  exécuta 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XLI.  51^ 

fa  commifTîon  avec  autant  de  fecret,  que' de  diligence  :  ôc  pour  « 


furprendre  les  Conjurez,  il  fit  marcher  fes  troupes  au  milieu  p       _T 
de  i'hy ver.  Elles  arrivèrent  devant  la  ville  de  Gotha  i  avant       t  y 
que  les  profcrits ,  euflent  pu  rien  découvrir  de  la  rcfolution  que  S 

l'Empereur  avoit  prife.  Ils  apperçurent  enfin  les  Impériaux  la        ^ 
veille  de  Noël  de  l'année  précédente  \<;66 ,  dans  le  tems  qu'ils 
fe  réjouiflbient  des  pertes  que  l'Empereur  avoit  faites  en  Hon- 
grie ,  &  qu'ils  fe  croyoient  parfaitement  en  fureté. 

Auffi-tôtunherault  publia  le  mandement  Impérial,  qui  décla- 
roit  Jean  Frédéric  de  Saxe  déchu  de  fa  dignité ,  à  caufe  du 
crime  de  leze-Majefté  Impériale,  difpenfoitfesfujets  de  lafi* 
délité  qu'ils  lui  dévoient  auparavant ,  comme  à  leur  légitime 
Seigneur  j  &  leur  ordonnoit  de  l'abandonner ,  ôc  de  prêter  fer- 
ment à  Jean  Guillaume  de  Saxe  fon  frère.  On  afliégea  la  ville  > 
mais  comme  il  n'y  avoit  pas  encore  aflez  de  troupes  venues 
pour  pouvoir  entièrement  Tin veftir,  on  ne  put  empêcher  l'en- 
trée des  fecours  &  des  vivres.  Quelques  foldats  du  voifinage, 
la  plupart  peu  aguerris ,  furent  donc  conduits  par  force  dans  la 
ville  )  avec  des  vivres  tirez  des  environs ,  qu'on  pilla ,  mais 
en  petite  quantité ,  ôc  feulement  pour  quelques  jours. 

Bien-tôt  après  toute  l'armée  arriva,  &  quelques  jours  fe  paffe- 
rent  fans  rien  faire.  Le  quatorzième  jour  après  le  commencement 
du  fiége  l'Ele£leur  Augufte  vint  au  camp.  Ayant  réglé  avec  Jean 
Guillaume  fon  coufin  l'ordre  &  la  difpofition  des  troupes ,  ôc  les 
ayant  placées  aflez  près  de  la  ville ,  pour  l'inveftir  entièrement ,  il 
envoya ,  fuivant  les  loix  de  la  guerre ,  fommer  la  ville  de  fe  ren- 
dre ;  ce  qu'elle  refu fa.  Alors  il  donna  de  fi  bons  ordres  pour  faire 
travailler  jour  ôc  nuit,  ôc  les  pionniers  le  fervirent  fi  bien  ,ôc 
avec  tant  de  diligence,  qu'en  peu  de  jours  toute  la  ville  fe 
trouva  entourée  de  foflez ,  de  parapets  ôc  de  forts.  Malgré  le 
feu  prefque  continuel  des  canons  ae  la  ville ,  la  tranchée  fut 
pouflce  fi  près  des  murs ,  que  les  afliégeans  Ôc  les  aflîégez  pou- 
voient  fe  parler.  Cependant  les  déferteurs  ôc  des  lettres  inter- 
ceptées découvrirent  plus  clairement  les  defl^sins  également  per- 
nicieux ôc  extravagans  des  profcrits.  Ils  s'étoient  propofé  fi  le 
fuccès  avoit  répondu  à  leurs  vœux,  de  lever  au  commencement 
du  printems  huit  mille  hommes  de  cavalerie ,  ôc  quatre  regi- 
mens  d'infanterie  ,  dont  deux  dévoient  être  poftez  dans  la 
">J^eftfalie  jufqu'au  Rhin  ,  ôc  les  deux  autres  dans  le  payis 
Tom,  V*  Rr 


■  3H  HISTOIRE 

•  Vandalique,  avec  ordre  à  ceux  qui  feroient  datts  la  Weflfa- 

Ch  A  R  I  F  1^^  >  ^^  piller  &  ravager  les  Evêchez  ,  la  Franconie  &  la  Thu- 

T  y        ringe,  &  de  faire  contribuer  les  villes  de  Mulhaufein  ,  de  Nord- 

^'       haufen,  &  d'ErfFord ,  appartenants  à  l'Eledeur  de  Saxe  i  ôcaux 

regimens  qui  feroient  dans  le  payis  Vandalique ,  de  faire  la 

même  choîe,  ôc  de  piller  tout  FEledlorat  de  Saxe. 

Les  rebelles  dévoient  après  cela  s'aflembler  à  "Wittemberg 
en  Saxe,  pour  y  déclarer  Jean  Frédéric  Electeur  j  puis  aflem- 
bler  leurs  troupes ,  ôc  le  faire  proclamer  Empereur  par  l'armée  , 
comme  on  faiîbit  autrefois  chez  les  Romains  >  forcer  les  Princes 
de  l'Empire  à  le  reconnoître ,  fe  défaire  de  tous  ceux  qui  refufe- 
roient  d'obéir ,  tirer  la  Nobleffe  Allemande  de  la  fervitude ,  où 
les  Princes  la  tenoient  -,  lui  rendre  fon  ancienne  liberté ,  enforte 
qu'elle  fut  indépendante  de  tout  autre  que  de  l'Empereur  ;  ôc 
enfin  de  donner  à  l'Empire  une  forme  toute  nouvelle.  Tout 
ce  que  les  déferteurs  déclarèrent  fut  confirmé  dans  la  fuite  ^  ôc 

.    '  par  les  aveux  des  prifonniers  j  ôc  pat  les  papiers  qu'on  trouva 

dans  le  château  de  Gotha. 

Il  y  avoit  entr'autresun  écrit,  par  lequel  on  déclaroit  queMa- 
ximilien  en  renouvellant  la  publication  duban  contre  les  prof- 
crits,  avoit  manqué  à  fa  parole,  ôc  violé  fon  ferment.  Que  par 
cet  infigne  parjure  il  s'étoit  rendu  indigne  ôc  privé  lui  même 
de  la  dignité  Impériale ,  ôc  que  par  conféquent  il  étoit  déchu 
de  tous  les  droits  attachez  à  l'Empire.  On  trouva  auiïi  dans 
ces  papiers  une  déclaration  de  guerre  à  tous  les  membres  de 
l'Empire,  à  laquelle  Jean  Frédéric  avoit  ajouté  des  notes  ôc  des 
j  corrections  de  fa  propre  main.  Il  y  avoit  encore  des  mémoi- 

res ,  ou  il  avoit  réglé  les  appointemens  qu'il  donneroit  aux  chefs 
de  fon  armée  fur  fes  biens,  ôcles  recompenfes  qu'il  donneroit 
au  foldat  victorieux ,  fur  le  butin  qu'on  feroit,  ôc  fur  les  terres 
dont  on  s'empareroit  5  des  traitez  faits  ou  à  faire  avec  desPrin-  * 
ces  étrangers ,  Ôc  fur-tout  avec  Eric  roi  de  Suéde  ,  dont  le  gé- 
nie turbulent  paroifToit  aux  conjurez  très-propre  à  troubler  le 
.  repos  de  l'Allemagne  >  des  lettres  écrites  au  Roi  de  France  j 
remnlies  de  plaintes  ôc  d'invedives  contre  l'Empereur  ôc  lesPrin- 
ces  de  l'Empire ,  par  lefquelles  on  luidemandoit  des  fecours; 
enfin  les  alfûrances  que  Grumbach  donnoit  à  Jean  Frédéric  de 
lui  procurer  l'amitié,  ôc  les  fecours  d'Elizabeth  reine  d'An- 
gleterre. Quoique  Jean  Frédéric  eut  époufé  Agnès ,  fille  du 


DE   J.  A.    DE   T  H  O  U,Liv.  XLI.        51^- 

Landgrave  de  Hefle ,  6c  veuve  de  Maurice,  qui  avoit  dépouil-  > 

lé  de  Ion  Ekdorat  le  père  de  Jean,  Grumbach  n'eut  pas  de  Ch  \rle 
peine  à  perfuader  à  ce  Prince  qu'il  pouvoit  la  répudier,  pour       j-v 
époufer  la  Reine  Elizabeth.  Le  Prince  fut  aflez  infenfé  pour     ,  ^  ^* 
Vouloir  la  répudier  en  enet,  oc  pour  ne  pas  écouter  i^s  lages 
avis  de  fon  beau-pere,  qui  ne  ceflbit  de  lui  prédire  les  fuites  .; 

funeftes  qu'auroient  tant  de  folles  entreprifes. 

Les  Conjurez,  afin  d'achever  de  leféduire,  avoient  fuppofé 
des  lettres  en  chiffres  >  qu'Elizabeth  lui  écrivoit ,  pour  lui  mar- 
quer l'amour  extrême  dont  elle  brûloir  pour  lui,  ce  que  la  re- 
nommée lui  avoit  appris  de  fa  vertu ,  6c  de  celle  de  fon  père, 
ôc  le  delir  ardent  qu'elle  avoit  de  l'entretenir.  On  dit  que  Grum- 
bach ,  pour  faire  croire  au  Prince  des  chofes  fi  peu  croyables, 
avoit  fuborné  dès  l'année  précédente,  avec  autant  d'impruden- 
ce que  de  hardielïe,  une  femme  abandonnée,  qu'il  avoit  inf- 
truitc  de  ce  qu'elle  devoit  dire  6c  faire ,  qui  vint  avec  un  mau- 
vais habit  à  Erfford  :  que  le  Prince  y  vint  en  même  tems ,  l'ef- 
prit  tout  rempli,  des  vaines  promeifes  dont  on  l'avoit  leurré: 
que  cette  femme  qu'il  prenoit  pour  Elizabeth ,  lui  dit  que  l'ai- 
mant éperduement ,  elle  avoit  feint  une  maladie,  ôc  étoit  ve- 
nue avec  toute  la  diligence  poflible ,  pour  avoir  le  plaifir  de  le 
voir,  6c  de  lui  parler  :  que  Jean  Frédéric  s'étoit  long-tems  en- 
tretenu avec  elle;  6c  qu'après  les  plus  tendres  embraffemens, 
elle  avoit  pris  congé  de  lui ,  6c  lui  avoit  donné  les  plus  fortes 
alFûrances  de  lui  envoyer  des  fecours  6c  de  l'époufer. 

Grumbach ,  pour  mettre  tout  en  ufage ,  ajouta  l'art  magique 
à  l'impofture*  Il  fit  venir  des  Aftrologues  auprès  de  Jean  Fré- 
déric :  ce  Prince  fuperftitieux  ôc  crédule  les  confultoit  en  fe- 
cret ,  pour  leur  demander  quelles  étoient  les  réponfes  des  An- 
glois5  pour  fçavoir  quelle  feroit  lefuccès  de  la  guerre  Ôc  des 
négociations  ;  quand  arriveroit  la  mort  de  Maximihen  ôc  de 
TEledeur  de  Saxe,  où  il  faudroit  fouiller  pour  trouver  des  tré- 
fbrs  :  il  leur  faifoit  quantité  d'autres  quellions.  Comme  les  mi- 
niftres  blâmoient  publiquement  ces  impietez  ,  les  Conjurez  les 
menacèrent  des  plus  grands  fupplices ,  s'ils  ne  fe  taifoicnt,  C'eft 
par  ces  criminels  artifices ,  que  Grumbach  s'étoit  tellement  ren- 
du maître  del'efprit  de  Jean  Frédéric,  qu'il  en  faifoit  tout  ce 
<qu'il  vouloit.  Pour  amufer  le  peuple ,  ôc  le  retenir  attaché  au 
parti  des  rebelles,  il  l'aflembla,  ôc  dans  un  difcours  public  qu'il 

Rr  ij 


■^i6  HISTOIRE 

^^  leur  fit ,  il  déclara  qu'on  ne  leur  faifoit  la  guerre  que  pour  reii- 


7^  _  ~  verfer  ôc  abolir  leur  Religion  ,  fuivant  le  complot  fait  entre 
jy  l'Empereur,  l'Eledeur  de  Saxe,  ôc  les  Evêques  d'Allemagne, 
,'  Cependant  ce  peuple  n^ayant  aucun  fecours  à  efperer ,  man- 
quant  de  vivres,  fans  habits ,  ôc  fans  avoir  dequoi  en  faire,  ôc 
informé  d'ailleurs  que  les  finances  du  Prince  étoient  entière- 
ment épuifées ,  étoit  dans  de  cruelles  inquiétudes ,  qui  aug- 
mentoient  à  mefure  qu'il  voyoit  abattre  les  maifonsde  la  ville, 
pour  faire  des  retranchemens  ôc  des  forts.  Ce  qui  acheva  de 
répandre  l'allarme  ôc  la  défolation ,  ce  fut  un  bruit  vrai  ou  faux, 
que  les  partifans  de  l'Empereur  firent  courir ,  que  le  duc  de  Go- 
tha ôc  les  autres  chefs  avoient  réfolu  de  fe  retirer  dans  le  châ- 
teau avec  un  certain  nombre  de  foldats  choifis ,  ôc  de  mettre  le 
feu  à  la  ville. 

Réduits  à  de  fi  fàcheufes  extrêmitez ,  ils  virent  bien  qu'ils 
n  avoient  point  d'autre  reflburce  pour  fe  dérober  à  une  ruine 
«ntiere  ôc  inévitable ,  que  de  livrer  les  profcrits ,  comme  l'Em- 
pereur les  avoir  fommez  de  le  faire,  ôc  de  fe  foumettre  à  une 
puififance  légitime.  D'ailleurs  la  garnifon ,  qui  s'étoit  engagée 
au  fervice  de  Jean  Frédéric  pour  trois  mois ,  ne  voulut  plus , 
ce  tems  étant  écoulé,  s'engager  de  nouveau?  foit  qu'ils  trou- 
vaflent  que  fa  caufe  n'étoit  pas  bonne,  foit  qu'ils  prévifiîentuii 
mauvais  fuccès.  En  effet  les  affiégez  n'avoient  plus  dans  la  ville 
de  parapets  ni  de  boulevards  aflfez  hauts ,  pour  fe  mettre  à  l'a- 
bri du  feu  des  afiiégeans  :  les  Impériaux  par  leurs  forts  ôc  leurs 
cavaliers  voyoient  dans  toute  la  ville ,  ôc  ils  paroiffoient  avoir 
fait  tous  les  préparatifs  néceffaires  pour  livrer  un  aflaut  général, 
Ainfi  à  la  réferve  de  ceux  qui  avoient  figné  la  Conjuration ,  les 
principaux  des  habitans  de  tous  les  ordres ,  Nobles ,  Sénateurs, 
gens  de  la  Cour  du  Prince,  s'afiTemblerent  avec  le  peuple,  ôc 
réfolurent  unanimement  ,  que  puifque  les  gens  de  Grum- 
bach  leur  avoient  fermé  tout  accès  ,  ôc  qu'ils  ne  pouvoient  par- 
ler au  Prince,  ils  lui  écriroient  pour  le  fupplier  très-humble- 
ment de  vouloir  bien  ne  fe  pas  perdre,  lui  ôcfes  fujets,  pour 
une  auffi  mauvaife  caufe  que  celle  des  Profcrits  s  de  ne  pas  per- 
dre fon  honneur  ôc  foname,  en  foutenant  une  injufte  guerre 
contre  l'autorité  légitime,  ôc  de  fe  tirer  par  un  prompt  repen- 
tir d'un  fi  affreux  danger.  Mais  on  ne  répondit  à  leur  requête, 
que  par  des  menaces.  Pendant  que  les  bourgeois,  les  payifans^ 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Liv.XLI.        517 

6c  les  foldats  de  la  garnifoii  déliberoient  en  fecret  fur  ce  qu'ils  , 

avoient  à  faire  ,  il  arriva  un  accident  qui  révolta  les  efprits ,  &  p 
qui  fit  changer  leurs  timides  ôcfecretes  délibérations  en  un  fou-        j^ 
levement  ouvert  ôc  déclaré.  ' 

Il  y  avoir  dans  la  ville  de  Gotha  un  ndmmé  Jean  Hoffman,     '  ^      '* 
homme  d'un  grand  crédit,  diftingué  dans  la  bourgeoificplein  de 
courage  ôc  de  valeur ,  ôc  que  les  bourgeois  avoient  choifi  pour 
îeur  Commandant.  Le  règlement  fait  entre  la  garnifon  ôc  les 
habitans  portoit,  que  ceux-là  défendroient  le  château  ,  ôc  ceux- 
ci  la  ville,  ôc  que  pour  les  travaux  les  uns  fe  fuccederoient  aux 
autres.  La  veille  de  Pâques  ,  contre  les  termes  de  cette  con- 
vention ,  on  obligea  Hoffman  d'attaquer  un  fort  que  les  aflié- 
geans  avoient  élevé,  ôc  qui  incommodoit  extrêmement  lesaf- 
fiégez.  Ce  bon  citoyen  marcha  bravemenr  à  l'ennemi ,  mais 
n'ayant  point  été  fecouru ,  il  fut  tué  avec  quelques  foldats.  Les 
bourgeois ,  perfuadez  que  les  Conjurez  l'avoient  fait  de  deffein 
prémédité ,  coururent  en  foule  dans  la  ville ,  s'exhortant  les  uns 
les  autres  à  tourner  leurs  armes  contre  les  profcrits.  Ce  fut  com- 
me un  fignal  qui  mit  les  foldats  de  la  garnifon  en  mouvement. 
Jérôme  Brandenftein ,  un  des  commandans  ,  les  preffoit  dans 
ce  moment  là  de  s'engager  de  nouveau  ,  ôc  il  les  avoir  pour  cet 
effet  affemblés  dans  la  place  du  château.  Comme  ils  le  refufoient 
conftamment,malgré  les  menaces  que  Brandenftein  ôc  Jean  Fré- 
déric lui-même  joignoient  à  leurs  prières  ,  ils  entendirent  les 
cris  des  Bourgeois.  Ils  fe  rendirent  auffi-tôt  maîtres  des  portes 
du  château ,  ôc  les  habitans  y  étant  accourus  ,  ils  fe  joignirent 
à  eux,  ôc  commencèrent  par  fe  faifir  du  colonel  Brandenftein ,  ÔC 
demandèrent  enfuite  les  autres  Profcrits.  Ceux-ci  au  bruit  qu'ils 
avoient  entendu,  s'étoient  échappez  de  côté  ôc  d'autre, ôc  cachez 
dans  le  château.  On  fit  une  fi  exade  perquifition  ,  qu'ils  furent 
bien-tôt  découverts,  ôc  tirez  de  leurs  retraites ,  fçavoir  Grum- 
bach,  chef  de  toute  la  fadion,  Guillaume  Steinfonaffocié  ôc  fon 
confident  ;  Chriftian  Bruch,  chancelier  du  Prince,  ôc  Jean  Beyer^ 
qui  étant  directeur  de  la  Monnoie  de  l'Electeur  Augufte ,  ôc 
fe  trouvant  infolvable,  avoit  quitté  fon  maître,  ôc  s'étoit  joint 
aux  conjurez.  Zebitz  qui  s'étoit  glorifié  d'avoir  tué  l'Evêque 
de  Wirtzbourg  avec  Pithius  de  Lunebourg ,  s'échappa  fur  le 
foir ,  ainil  que  quelques  autres ,  ôc  fortit  le  lendemain  du  château 

Rr  iij 


5iS  HISTOIRE 

.  dès  le  matin.  Puis  ayant  trompé  les  gardes,  ôc  ayant  franchi 
Charle  "^^  foiïeaflez  petit,  fur  un  cheval  qu'il  pouffa  à  toute  bride,  il 
j^  -      s*évada. 

^  J  Ceux  qui  furent  pris,  furent  aufli-tôt  conduits  au  Palais  dans 

la  ville,  ôc  mis  en  différentes  prifons.  Après  cela  les  habitans 
tinrent  Confeil,  &  réfolurent  d'écrire  une  lettre  commune  à 
rEle£leur  Augufte,  adreffées  à  Jean  Guillaume  de  Saxe  ôc  aux 
Commiffaircs  de  l'Empereur,  pour  leur  apprendre  ce  que  les 
Nobles ,  les  gens  de  la  Cour ,  les  Officiers  de  la  ville ,  ôc  le 
Sénat  avoient  fait  5  ôc  du  confentement  de  Jean  Frédéric ,  ils 
les  prièrent  de  vouloir  bien  prendre  un  jour,pour  dreffer  un  trai- 
té d'accommodement  5  proteflant  au  furplus  qu'ils  étoient  prêts 
de  livrer  les  profcrits,ôc  la  ville  même,  dès  qu'ils  le  pourroient 
faire  à  des  conditions  raifonnables.  Jean  Frédéric  joignit  à  la 
lettre  commune  les  lettres  qu'il  écrivoit  en  particuUer  ôc  fépa- 
rément ,  non  pas  aux  Princes ,  mais  aux  Commiffaircs  de  TEm- 
pereur ,  par  lefquelles  ,  comme  s'il  eût  encore  été  maître  de  la 
ville ,  ôc  qu'il  eût  pu  obtenir  des  conditions  auffi  avantageu- 
fes  qu'il  auroit  pu  faire  autrefois ,  il  avoit  la  folie  de  deman- 
der qu'on  fît  venir  l'Eleâeur  Palatin  ,  Guillaume  duc  de  Cle- 
ves  ,  ôc  le  Landgrave  Philippe  de  Heffe  fon  beau-pere  (  car  il 
ne  fçavoit  pas  qu'il  étoit  mort  depuis  peu  de  jours)  pour  con- 
férer tous  enfemble  fur  les  moyens  de  faire  la  paix. 

L'Eledeur  Augufle  n'étoit  pas  alors  dans  le  camp  :  il  étoit 
allé  avec  le  duc  Jean  Guillaume  à  Calfel,  pour  affilier  auxfu^ 
nerailles  du  Landgrave.  Cependant  les  Commiffaircs  de  l'Em- 
pereur firent  réponfe  aux  affiégez ,  ôc  les  exhortèrent  à  efperer 
beaucoup  de  la  bonté  de  l'Eledeur  ,  qui  devoir  revenir  au  pre- 
mier jour ,  pourvu  qu'ils  gardaffent  avec  foin  les  Profcrits  qu'ils 
avoient  mis  en  prifon.  Auflî-tôt  que  fEledeur  Augufte  fut  re- 
venu dans  le  camp  ,  il  accorda  aux  habitans  de  Gotha  ce  qu'ils 
La  ville  de  demandoientj  mais  on  ne  fit  aucune  réponfe  à  Jean  Frédéric. 

Gotha  fc        Au  jour  marqué  pour  la  conférence  on  propofa  des  conditions, 
rend.  j         1   r       ht         r-     j     •  •    '        •       1  •     a         • 

dans  leiquelles  Jean  rredenc,  qui  n  avoir  plus  ni  tête  ni  con- 
feil j  eut  la  vanité ,  ou  la  ftupidité ,  (  on  ne  fqait  lequel  des  deux  ) 
de  fouffrir  qu'on  le  comprît.  On  convint  que  ce  Prince  met- 
troit  fa  perfonne ,  fa  ville ,  fon  château  ,  avec  toutes  les  muni- 
tions de  guerre  ôc  tous  les  vivres ,  ôc  enfin  tous  i^^  domaines 


DEJ.  A.  DETHOU,L  fv.  XLL        51^ 

entre  les  mains  de  l'Empereur ,  fans  aucune  condition  :  Que  1 
les  profcrits  ôc  les  fujets  de  PEIefteur  Augufte ,  qui  avoient  por-  C  H  a  r  L  E 
té  les  armes  contre  ce  Prince,  fans  avoir  été  difpenfez  du  fer«  jx 
ment  qu'ils  lui  avoient  fait  comme  à  leur  Seigneur,  lui  feroient  t  <-  <;j  7 
remis  :  Que  les  gens  de  guerre  fortiroient  dans  quatre  heures 
de  la  ville  ôc  du  château ,  fans  tambour ,  après  avoir  remis  leurs 
enfeignes  toutes  pliées  :  Que  l'on  conferveroit  aux  habitans  de 
Gotha  leurs  vies ,  leurs  biens  ,  ôc  leurs  privilèges  fans  y  donner 
atteinte  :  Qu'ils  ouvriroient  leurs  portes ,  ôc  recevroient  garni- 
fon  dans  la  ville  ôc  dans  le  château  :  Qu'on  en  donneroit  les 
clefs  à  l'Electeur  :  Que  les  prifonniers  feroient  rendus  de  part 
ôc  d'autre ,  fans  rançon  :  Que  les  fujets  du  duc  de  Saxe-Gotha 
députeroient  huit  d'entre  eux ,  pour  rendre  hommage  à  l'Em- 
pereur, ou  en  fa  place  à  l'EIedeurde  Saxe,  ôc  jurer  que  ni  les 
îbldats ,  ni  les  habitans  ne  porteroient  jamais  les  armes  con- 
tre l'Empereur,  contre  l'Empire^  ni  contre  l'Eledeur  :  Qu'ils 
prêteroient  ferment  de  fidélité  à  Jean  Guillaume  de  Saxe,  ôc 
que  Jean  Frédéric  fon  frère ,  ôc  fes  enfans ,  demeureroient  ex- 
clus de  tous  droits  au  duché  de  Saxe-Gotha  :  Que  s'il  arrivoit 
que  Jean  Guillaume  mourût  fans  enfans  mâles ,  la  fuccefïîon 
feroit  dévolue  à  l'Electeur  de  Saxe  ôc  à  fes  enfans  ^  ôc  à  leur 
défaut  au  Landgrave  de  HefTe. 

Lorfque  la  capitulation  eut  été  fignée  de  part  Ôc  d'autre ,  PE- 
ledeur  ayant  à  fes  cotez  Jean  Guillaume  fon  coufin ,  ôc  Adolfe 
de  Holftein ,  entra  dans  la  ville  ôc  puis  dans  le  château  fur  le 
foir  i  précédé  d'une  grande  partie  de  fa  cavalerie ,  ôc  accom- 
pagné d'un  grand  nombre  de  Seigneurs.  Cela  arriva  le  13  d'A- 
vril, jour  auquel  Melchior  Zobel  évêque  de  Wirtzbourg  avoit 
été  aflalFiné  par  les  émifiaires  de  Grumbach,  Exemple  mémo- 
rable de  la  jufte  vengence  de  Dieu,  qui  permit  que  le  même 
jour  où  l'Evêque  avoit  perdu  la  vie,  fut  huit  ans  après ,  celui 
où  Grumbach  fon  meurtrier  fut  livré  entre  les  mains  de  l'Em- 
pereur ,  pour  expier  par  fa  mort  un  fi  grand  crime.  On  remar- 
qua encore  que  ce  jour  tomba  cette  année  au  Dimanche,  qui 
dans  le  calendrier  Ecclefiaftique  prend  fon  nom  du  Pfeaume  : 
MifericordiâDomini  '.Le  même  Dimanche,vingt  ans  auparavant^ 

I  L'introit  delà  MefTe du  deuxième  [    Down»"  JM^t«-w«w,  commeil  y  a  dans 

Dimanche   après   Pâques  commence  le  texte  de  l'auteur,  d^'f.  C'eft  ce  deu- 

par  ces  mots  :  MifcricordiâDomimple-  xie'me  Dimanche  d'après  Pâques  que 

«a  eji ,  ^c.  &  non  pas  :  mifericordias  M.  de  Thou  veut  dcfîgner. 


S2d  HISTOIRE 

•  fe  trou  voit  être  le  24  d'Avril  i  6c  prefque  à  la  même  heure ,  Jean 


Ch  A  R  L  E  ï^^^^^'^ic  Eledeur  de  Saxe ,  père  de  Jean  Frédéric,  dont  nous 
j  yç        parlons ,  avoit  été  battu  ôc  fait  prifonnier  par  Charle-Quint,  au- 
I  r  67     P''^^  ^^  Mulberg.  C'eft  pourquoi  Jean  Frédéric ,  Prince fuper- 
ftitieux ,  regardoit  ôc  déploroit  ce  Dimanche,  comme  un  jour 
malheureux?  ôc  il  avoit  coutume  dans  la  fuite  de  dire  que  les 
malignes  influences  des  aftres  lui  avoient  donné  un  fort  aufli 
funefte  que  celui  de  fon  père  :  comme  s'il  ne  s'étoit  pas  lui-mê- 
me engagé  dans  ce  labyrinthe  de  malheurs ,  pour  s'être  laifle 
tromper  par  fa  vanité  ,  par  fa  crédulité ,  par  les  pernicieux  con- 
feils  de  fcélerats  qui  n'avoient  plus  rien  à  perdre ,  ôc  parles  vai- 
nes ôcfaufles  réponfes  des  devins  qu'il  confultoit. 
Supplices  des      On  arrêta  ce  Prince,  ôc  on  lui  donna  des  gardes.  Le  len- 
rocrus.       demain  il  fe  mit  entre  les  mains  d'Othon  comte  d'Eberftein, 
de  Fabien Scheneych,  ôc  de  Chriftophle  Caroîowizj  Commif- 
faires  de  l'Empereur  j  ôc  il  demanda  qu'on  ne  le  conduifit  point 
en  Autriche,  mais  que  l'Eledeur  de  Saxe  le  gardât  auprès  de 
lui.  On  le  mena  cependant  trois  jours  après  à  Vienne,  ôc  on 
donna  à  la  Duchefle  fon  époufe  la  permiffion  d'aller  où  elle 
voudroit ,  ôc  d'emporter  fes  meubles  les  plus  prétieux.  Il  fut 
enfuite  queftion  des  Profcrits  ôc  des  prifonniers.  On  appliqua 
d'abord  Grumbach  à  la  queflionî  ôc  comme  luiôc  fes  compli- 
ces confefTerent  leurs  crimes ,  dont  nous  avons  parlé ,  on  les 
condamna  à  mort,  ôc  ils  furent  exécutés  le  18  d'Avril.  Grum- 
bach ôc  Bruch  furent  écartelez  :  Stein  fut  traité  avec  moins  de 
rigueur,  parce  que  Grumbach  l'avoir  excufé ,  en  avouant  qu'il 
l'avoitleduiti  on  lui  coupa  d'abord  la  tête ,  ôc  enfuite  on  le  cou- 
pa en  quatre  :  on  traita  de  la  même  manière  Jérôme  Bran- 
denftein,  commandant  du  château,  qui  dans  l'expédition  de 
"Wirtzbourg  s'étoit  conduit,  non-feulement  en  homme  méchant 
ôc  fcélerat ,  mais  même  en  bête  féroce ,  Ôc  qui  avoit  tellement 
maltraité  les  habitans  de  Gotha  pçndant  le  tems  du  fiége  de 
cette  ville  ,  que  fi  les  Juges  ne  l'avoient  pas  condamné  au  fup- 
phce  ,  il  n'auroit  pu  fe  dérober  à  la  fureur  du  peuple.  Jean 
Beyer  fut  pendu  ôc  étranglé  ;  David  Bongartener  un  des  prin- 
cipaux Gentilhommes  de  Suabe,  né  à  Aufbourg,  eut  la  tête 
tranchée.  Il  auroit  pu  fe  tirer  du  danger,  s'il  avoit  pris  un  mau- 
vais habit ,  ôc  s'il  fe  fut  mêlé  avec  les  (impies  foldats  :  mais  il 
gima  miçux  par  une  fotte  yanité  fe  faire  diftinguçr  ^  en  montant 

fur 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLL        ^it  \ 

îur  un  beau  cheval  fuperbement  équipé,  &  en  fe  parant  d'ai-  »           j 

gretesfort  brillantes.  Ce  Seigneur , obligé  de  s'enfuir  à  caufe  Charle           i 

de  fes  dettes  ,  s'étoit  aflbcié  avec  Grumbach ,  6c  éroit  entré  dans  j  x.                 ' 

le  pernicieux  complot  que  ce  factieux  avoit  formé  de  rendre  la  j  c  (j  7,             ; 

Nobleffe  indépendante  ,  ôc  de  fecouer  le  joug  des  Princes.  Un  ,\ 

i?nagicien ,  qui  confeJTa  tout  ce  que  nous  avons  rapporté  ci-  ' 
defTusj  fut  pendu. 

On  fit  après  cela  le  partage  de  rartillerie,  qui  confiftoiten 

centfoixante  pièces  de  canon.  L'Ele£leur  Augufte  par  le  droit  ! 

de  Commandant  général  prit  d'abord  les  neuf  plus  groflfes ,  ôc  ; 

partagea  le  refte  également  avec  le  Prince  Jean  Guillaume.après  1 
en  avoir  mis  à  part  huit  grofles  pièces  ,  dont  ils  firent  prefent  à 
j'Empereur.  Enfuite  la  Diète  de  Ratifbonne  ordonna  par  un 

décret  folemnel  la  démolition  du  château  de  Gotha  .«pour  avoir  ■ 
fervi  d'afile  à  des  féditieux  ,  ôc  à  des  criminels  de  leze-Majellé. 
On  frappa  des  médailles  d'argent  pour  conferver  la  mémoire 
d'une  victoire  fî  conliderable ,  avec  cette  infcription  :  Tandem 

bona  caufa  mumphat  :  (  A  la  fin  la  bonne  caufe  triomphe.  )  ! 

L'Eledeur  de  Saxe  avoir  déjà  un  très-grand  crédit  dans  le 

corps   des  Princes  de  l'Empire  i  mais  depuis  qu'il  eut  fi  heu-  \ 

reufemenr  terminé  la  guerre  de  Gotha,  ôc  qu'il  eut  par  cette  ; 

victoire  affermi  l'Eledorat  dans  fa  maifon,  ôc  affùré  la  tranquil-  \ 

lité  dans  l'Empire,  il  devint  l'arbitre  ôc  le  Prince  le  plus  puif-  j 

fentde  toute  l'Allemagne.  Marchant  fur  les  traces  des  Empe-.  i 

reurs  Othons,dont  il  étoit  iffujil  apprit  la  langue  Latine  dans  \ 

un  âge  affez  avancé.  Il  employa  le  refte  de  fa  vie  à  fes  affaires,  \ 

Ôc  à  amafler  les  richeiTes  immenfes  qu'il  laiffa.  1 

Cependant  Jean  Frédéric  fut  ignominieufement  conduit  à  Entrée  igno- 

Vienne  ,  où  il  entra  le  22  de  Juin.  Malgré  la  pluie,  qui  tom-  j"'^''/^"  „  p"c^            i 

boit  en  abondance ,  le  peuple  accourut  en  foule  à  un  fpedacle  fi  dcnc  vie  saxe            j 

nouveau.  Cinquante  cavaliers  Bavarois  marchoient  devant ,  ^^^'^^  Vicimc.             , 

fuivis  d'autant  de  Saxons  j  huit  autres  marchoient  enfuite ,  por-  I 
tant  leurs  enfeignes  baififées,  ôc  environ  cinq  cens  hommes  de 

pié  environnoient  un  char  découvert ,  où  ce  malheureux  Prin-  : 

ce  étoit  afiis,  portant  un  chapeau  de  paille  fur  fa  tête.  En  cet  i 

équipage  on  lui  fit  faire  plufieurs  tours  dans  les  places  les  plus  ! 

confiderables  de  la  ville,  afin  de  contenter  la  curiofité  de  tous  I 

ceux  qui  vouloient  le  voir.  De  Vienne  on  le  transféra  à  Naples,  ^                        i 
avec  une  efcorte  de  cinquante  foldats ,  ôc  un  très- petit  nombre 
Tome  F^                                                      Si 


522  HISTOIRE 

M'" .i..!.*—  de  domeftiques.  Maximilien  lui  accorda  néanmoins  dans  la  fui- 

Charle  ^^  "^^^  maifon  plus  nombreufe. 

IX  Quelque  tems  après  l'Ele^leur  dcMayence,  toute  la  mai- 

j  -^y^  fon  de  Bavière  ôc  du  Palatin,  TEledeur  de  Brandebourg,  le 
duc  de  Virtcinberg,  Guillaume  Landgrave  de  Hefle  ,  l'Elec- 
teur de  Trêves ,  le  duc  de  Cleves,  le  marquis  de  Bade^,  ôc  le 
comte  d'Henneberg  députèrent  à  l'Empereur ,  pour  le  prier  de 
vouloir  bien  rappeller  fa  clémence  ôc  fa  douceur ,  ôc  pardon- 
ner au  Prince  qu'il  tenoit  en  prifon^  parce  qu'il  avoir  moins  pé- 
ché par  le  cœur  que  par  l'efprit ,  ôc  qu'on  devoit  principale- 
ment attribuer  fes  égaremens  ôc  fa  chute  à  la  malignité  de  ceux 
qui  l'avoient  féduit.  Enfin  ils  le  fupplioient  d'accorder  cette 
grâce ,  pour  l'honneur  de  toute  la  maifon  de  Saxe  ,  ôc  à  la  confi- 
deration  de  tous  les  Princes  qui  la  lui  demandoient.  Comme 
cette  recommandation  fe  fit  par  écrit,  Maximihen  y  répondit 
de  même  :  ce  Prince  s'excufa  de  ne  pouvoir  faire  alors  ce  qu'ils 
lui  demandoient,  parce  que  ce  n'étoit  pas  fa  caufe  perfonnelle, 
mais  celle  de  tout  l'Empire  j  ôc  que  comme  on  apprenoit  chaque 
jour  qu'il  fe  tramoit  de  nouvelles  confpirations,  ilétoit  del'inte- 
ïêtde  tout  le  corps  Germanique  de  tenir  en  fa  puiffance  ceux 
qui  pourroient  exciter  des  mouvemens,  au  moins  pendant  quel- 
que tems,  jufqu'àce  que  les  efprits  fulTent  calmez,  ôc  qu'il  n'y 
eût  plus  lieu  de  craindre  quelque  guerre  civile.  Les  députez  fu- 
rent renvoyez  avec  cette  réponfe ,  ôc  cependant  ils  obtinrent 
un  peu  plus  de  liberté  pour  le  prifonnier. 
L'Empereur      La  guetre  avec  le  Turc  ayant  été  déclarée  ,  la  diète  de  Ra- 

tenir  k^E-^  tifbonne  avoit  ordonné  que  l'argent  perçu  dans  l'efpacede  trois 

tats  ans  feroit  payé  en  une  année,  à  condition  néanmoins  que  cette 

fomme  ne  feroit  donnée  à  l'Empereur,  qu'au  cas  qu'il  y  eût 
réellement  guerre.  On  avoit  réfolu  la  même  chofe  à  Erford 
dans  le  mois  d'Août.  On  tint  fur  le  même  fujet  une  affemblée 
à  Prague  :  on  ordonna  une  levée  confiderable  de  deniers  dans 
tout  le  Royaume  de  Bohême,  ôc  par  une  réfolution  des  Etats, 
tous  les  Ordres  furent  obligez  de  payer  les  fommes  aufquelles 
ilsétoient  impofez.  Comme  tout  cela  fe  fit  très-promptement, 
l'Empereur  vint  à  Vienne  ,  ôc  alla  auffi-tôt  à  Prefbourg ,  en 
Hongrie ,  où  il  tint  les  Etats  ,  après  avoir  reçu  les  plaintes  du 
peuple,  qui  fe  plaignoit  de  l'infolence  des  foldats  Allemands. 
On  réfolut  de  donner  cette  année  cent  cinquante  mille  écus>pour 


DE  J.  A.  DE  THOU»  Lrv.  XLI.        52J 

foûtenîr  la  guerre  contre  les  Turcs;  ôc  on  obligea  tous  les  payi-  ^ 


fans,  à  douze  jours  de  travail,  pour  les  fortificationsque  l'on  Charle 
faifoit  fur  la  frontière.  j  y^^ 

Les  Hongrois  demandoient  que  l'Empereur  envoyât  des  deux  1^57. 
cotez  du  Danube  des  CommilTaires,  partie  Hongrois ,  partie  Al- 
lemands ,  pour  juger  les  conteftations  fur  les  domames  qui 
avoient  été  injuftement  enlevés  à  leurs  anciens  propriétaires , 
pour  punir  les  brigands  ôc  ceux  qui  fe  trouveroient  coupables 
depeculat,  ôc  pour  abolir  les  nouvelles  impofitionsÔc  les  nou- 
veaux droits  de  péage.  lis  demandoient  encore  qu'il  leur  fut 
permis  de  racheter  les  villes  ôc  les  places  que  les  Rois  de  Hon- 
grie avoient  engagées  '■>  qu'on  donnât  à  la  Hongrie  des  Evêques 
capables  ôc  tirés  de  la  nation ,  ôc  qu'il  fut  libre  à  ceux  qui  le  vou- 
droient ,  d'embraffer  la  confelîîon  d'Ausbourg.  On  avoit  déjà 
démandé  la  même  chofe  dans  les  deux  précédentes  aflemblées 
des  Etats.  Dans  celle-ci  Maximilien  ne  voulut  point  l'accorder. 
L'afFemblée  de  Presbourg  étant  finie  >  il  revint  à  Vienne  le  ^ 
du  mois  d'Août. 

Sur  la  fin  de  l'année  précédente,  Lazare  Schwendi  avoit  fait  Suite  de  U 
lefiégede  Zathmar  ville  très-forte,  qui  appartenoità  ce  Geor-  Hongrie!" 
ge  Bebeck,  qui  entretenoit  ôc  fomenroit  la  haine  Ôc  la  divi- 
iion  entre  l'Empereur  ôc  le  Prince  deTranfylvanie.  Bebeck,dans 
la  crainte  d'un  mauvais  fuccès ,  étoit  forti  fecretement  de  la  pla- 
ce ,  efperant  que  la  garnifon  ne  laiiTeroit  pas  de  faire  une  vi- 
goureufe  défenfe.  En  effet  ils  foutinrent  pendant  quelque  tems 
le  fiége  avec  d'autant  plus  de  fermeté,  que  les  canons  ne  pou- 
voient  rien  contre  eux,  ni  contre  la  place.  Schwcndi,  général 
a6lif  ôc  vigilant ,  examinant  les  dehors  de  la  ville ,  pour  trouver 
quelque  moyen  de  la  réduire ,  fut  reconnu  des  alTiégez  à  fa 
taille,  qui  étoit  des  plus  grandes.  Comme  on  tira  fur  lui ,  il  re- 
çut dans  l'épaule  un  coup  de  feu,  qui  brûla  fon  habit ,  fouré  de 
peaux  à  caufe  de  l'hiver.  Il  trouva  enfin  un  endroit  plus  com- 
mode pour  placer  fes  batteries?  ôc  comme  il  n'y  avoit  point 
de  commandant  qui  fçût  mieux  fe  faire  obéir  du  foldat ,  il  y 
fit  tranfporter  fes  canons  avec  un  travail  ôc  des  peines  qu'on 
ne  peut  exprimer.  Ces  nouvelles  batteries  réduilirent  bien-tôt 
la  garnifon  à  la  dernière  extrémité.  La  place  fe  rendit,  vie  ôc  ba- 
gues fauves.  Schwendila  réduifit  le  4  de  Janvier  de  cette  an- 
née :  il  y  fit  un  riche  butin,  donna  à  la  femme  de  Eebeckune 

Sfij 


524  HISTOIRE 

—  pleine  &  entière  liberté  de  fe  retirer  en  toute  aiTurance  avec^ 


Ch  arle  ^^^^^  ^^^  meubles,  ôc  ne  réferva  pour  lui  que  les  canons. 
IX.  •^^^.  de  tems  après  Schwendi ,  lans  avoir  égard  au  froid 

,  -  j^_  rigoureux  de  Ihiver,  affiégeaavec  autant  de  fuccès  Munkacz,. 
ville  bien  fortifiée ,  ôc  fituée  très-avantageufement  pour  faire  la 
guerre  dans  le  payis.  Le  1 7  de  Février  ,  quatrième  jour  du  fiége, 
la  garnifon  fe  rendit  ,à  condition  d'avoir  vie  ôc  bagues  fauves. 
Si  elle  ne  fe  fut  pas  rendue  ce  jour  là^  la  pluie  qui  tomba  le 
lendemain  avec  une  abondance,  dont  on  avoit  peu  d'exem- 
ples, auroit  infailliblement  entraîné  &  perdu  tout  l'attirail  de 
guerre,  ôc  le foldat  auroit  été  comme  fubmergédans  fon  camp. 
Ce  ne  furent  pas  les  feules  pertes  que  fit  le  Prince  de  Tranfyl- 
vanie  ;  l'argent  qu'il  envoyoit  pour  payer  fes  troupes  fut  pris 
par  les  Impériaux. 

Ce  Prince  extrêmement  touché  de  la  perte  de  Munkacz  ; 
rélolut  de  la  reprendre  à  quelque  prix  que  ce  fût.  La  prife  de 
cette  place  lui  fermoir  le  chemin  de  la  Pologne  ôc  de  la  Ruf- 
fie,  ôc  il  ne  pouvoir  plus  recevoir  de  troupes  auxiliaires  du  Roi 
de  Pologne  fon  ami  que  par  la  Moldavie,  en  leur  faifant  faire 
de  grands  détours  par  des  routes  très-difficiles.  Après  la  prife 
de  Munkacz  ,  Schwendi  invertit  auffi-tôt  la  ville  d'Huft.  Mais 
le  Bâcha  de  Bude  ayant- envoyé  desprefens,  ôc  entr'autres  deux 
chevaux  d'une  rare  beauté  à  Maximiiien,  pour  le  prier  de  ne  pas 
permettre  que  les  progrès  de  Schwendi  fuffent  un  obftacleaux 
négociations  qu'on  faifoit  pour  la  paix  3  ce  Général,  ou  parles 
ordres  qu'il  reçut  de  l'Empereur ,  ou  par  la  difficulté  qu'il  trou- 
voit,  leva  le  blocus ,  ôc  retourna  à  Caffovie ,  fur  le  ferment  que 
e  Bâcha  réitéra  plufieurs  foi> ,  de  faire  empaler  tous  ceux  qu'il 
çauroit  avoir  fait  quelque  courfe  ,  ôc  caufé  quelque  dommage 
dans  les  terres  de  lEmpereur. 

Cependant  à  peine  Schwendi  fut-il  décampé,  que  le  Prin- 
ce de  Tranfylvanie  vint  avec  le  Bâcha  Haffan  affiéger  Dedes 
place  appartenant  à  Gabriel  Perenni.  La  garnifon  après  quel- 
ques jours  de  fiége,  fe  voyant  deftituée  de  tout  fecours,  fortit 
fecretement  pendant  la.nuit,  ôc  fe  fauva  par  des  chemins  incon- 
nus. Les  ennemis,  qui  s'étoient  rendus  maîtres  de  la  place  fans 
aucune  peine  ,  firent  des  courfes  dans  tous  les  environs ,  rava- 
gèrent ôc  mirent  tout  à  feu  ôc  à  fang.  Delà  ayant  ramafie  leurs 
.forces  ;  ils  attaquèrent  ôc  prirent  Rifwar ,  dans  le  tems  qu  on  ne 


DE   J.   À.   DE  THQU.Liv.  XLÏ.         32; 

s'attendoit  à  rien  moins.  Ils  s'emparèrent  anfli  des  Thermes, 
qu'on  appelle  communément  les  ruifîeaux  des  Dames.  Mais  Charle 
Ruber  lieutenant  de  Schwendi  ne  tarda  pas  à  reprendre  ces       JX.j 
places.  11  força  Rifwar ,  &c  pafla  la  garnifon  au  fil  de  l'épée.      1567, 
Pour  les  Tiiermes ,  ce  fut  un  accident  qui  l'en  rendit  le  maî- 
tre. Le  feu  prit  aux  poudres ,  ôc  le  château  commençant  à  brû^ 
îer,  il  ne  fallut  prefque  point  de  combat  pour  réduire  ceux  qui 
le  défendoient. 

Pendant  que  de  part  Ôc  d'autre  on  s'amufoit  à  de  légères  efcar- 
niouches  en  divers  lieux ,  Edouard  Cernovich ,  que  l'Empereur 
avoir  envoyé  à  Conftantinople  pour  negotier  la  paix,  en  revint, 
ôcaiTura  que  Sehm  affembloit  de  nouvelles  troupes  pour  les  en- 
voyer au  premier  jour  en  Hongrie  ^  6c  qu'il  en  deftinoit  une 
partie  à  faire  le  fiége  de  Canifa  j  mais  que  fi  on  envoyoitprom- 
tement  des  ambaffadeurs  pour  traiter  d'un  accommodement, 
les  Turcs  fufpendroient  leurs  entreprifes.  L'Empereur  y  en- 
voya donc  en  cette  qualité  Antoine  Verantz  évêque  d'Agria, 
qui  avoit  eu  cinq  ans  auparavant  la  même  commidîon ,  ôc  Chrif- 
tophle  Tiejfïenbach.  Ils  partirent  de  Vienne  fur  la  fin  du  mois 
de  Juin  pour  fe  rendre  à  Conftantinople  ,  où  ils  arrivèrent  le 
ai  d'Août.  Après  avoir  falué  les  Bâchas  de  la  Porte,  ôc  avoir 
été  régalés  dans  un  feftin  public,  fuivant  l'ufage  de  lananon,, 
ils  furent  introduits  à  l'audience  du  Grand  Seigneur  :  la  nego- 
tiation  traîna  cependant  en  longueur,  ôc  dura  jufqu'à  l'année 
fuivante.  Selim  ayant  pailé  tout  ce  tems-là  à  Andrinople,  les 
Plénipotentiaires  de  FEmpereur  l'y  fuivirent,  ôc  ne  le  quittèrent 
point  que  l'afl^aire  ne  fut  entièrement  finie  >  comme  nous  le  di- 
rons dans  la  fuite. 

Pendant  cette  année  la  paix  régna  en  Italie.  Elle  fut  néan-    Aftaires  d'î- 
moins  un  peu  troublée  par  quelques  légers  mouvemens.  Une  "  ^^' 
affaire ,  qui  regardoit  des  particuliers ,  devint  à  Gènes  parla  vi- 
vacité des  parties  une  affaire  publique,  ôc  dégénéra  prefque  en 
fédition.  Jean-Batifte  Lercaro ,  homme  riche  ôc  puiftant ,  avoit 
gouverné  cette  Republique  avec  une  grande  réputation  de  pro- 
bité ôc  de  juftice.  Mais  parce  qu'on  le  croyoit  un  peu  trop 
porté  pour  les  Efpagnols ,  lorfque  le  tems  de  fon  adminiftra-- 
tion  fut  fini,  il  ne  put   obtenir  (ce  qui  avoit  été  accordé  à- 
prefque  tous  les  autres  Doges)  d'avoir  pour  toute  fa  vie  la  char- 
ge ôc  la  dignité  de  Procurateur.  Comme  on  fçut  qu'Auguftiiv 

S  f  iij. 


52^  HISTOIRE 

^  Pineîii,  Ôc  Luc  Spinoia ,  Sénateurs  qui  exerçoient  alors  la  charge 
Charlf  ^^  Cenfeursj  avoient  empêché  le  Sénat  d'accorder  cet  hon- 
jxT-         neur  à  Lercaro  î  Jean-Etienne  fon  fils  ne  pouvant  fouffrir  ÔC 
,*       laifler  impunie  l'injure  faite  à  fon  père  &  à  lui  ,  s'abandonna 
•^  à  toute  l'ardeur  qu'infpire  une  bouillante  jcuneiTe,  animée  par 

ledelir  delà  vengence.  Ainfi  un  jour  furie  foir  il  appoftades 
afiallins ,  pour  fe  défaire  de  ces  deux  Sénateurs ,  lorfqu'ils  forti- 
roient  du  Palais.  Pinelh  fut  tué  d'un  coup  de  piftolet,  ôc  Spi- 
noia dangereufement  blelfé.  On  apprit  par  un  des  affafTms  qui 
fut  pris,  que  Jean-Etienne  étoit  l'auteur  de  ce  meurtre,  ôc  oa 
le  mit  en  prifon  ,  avec  fon  père  î  mais  comme  il  déclara  à  la 
queftion,  que  fon  père  en  étoit  très-innocent,  on  le  mit  en  liber- 
té. Pour  lui  il  fut  condamné  à  mort. 

Garfias  de  Tolède  général  des  galères  d'Efpagne  ,  qui  avoît 
autrefois  logé  chez  Lercaro  ,  ôc  qui  fe  trouvoit  alors  à  Gènes 
pour  préparer  ce  qui  étoit  néceffaire  au  tranfport  des  troupes 
du  duc  d'Albe,  employa  inutilement  fa  recommandation,  fes 
follicitations  ôc  fes  prières.  La  haine  qu'on  avoir  pour  les  Ef- 
pagnols,  qui  s'intereffoient  en  fa  faveur,  ôc  Ténormité  du  cri- 
me l'emportèrent  fur  les  fervices  ôc  le  mérite  du  père,  ôc  le 
fils  fut  exécuté.  A  cette  occafionles  Génois,  qui  n'étoientpas 
bien  d'accord  entr'eux,  fe  diviferent  en  differens  partis  :  mai$ 
l'heureux  fuccès  de  la  guerre  de  Corfe  appaifa  bien-tôt  l'émeu' 
te  ,  ôc  empêcha  qu'on  n'en  vînt  à  une  fédition  ouverte.  Nous 
croyons  devoir  reprendre  la  chofe  de  plus  loin,  ôc  remontée 
jufqu'à  l'origine  de  cette  guerre. 
Guerre  dans  Sanpietro ,  de  Baftilica  dans  l'ifle  de  Corfe  ,  dont  nous  avons 
^^i  e  de  Cor-  ^^j^  fouvent  parlé,  capitaine  expérimenté,  intrépide,  ôc  dont 
rien  n'étoit  capable  d'abattre  le  courage ,  avoir  époufé  il  y 
avoit  vingt  ans  Vannina ,  fille  ôc  unique  héritière  de  François 
Ornano,  un  des  plus  riches  Seigneurs  de  l'ifle,  où  il  pofle- 
doit  un  très-grand  nombre  de  terres.  S'étant  mis  en  tête  de 
s'affranchir ,  lui  Ôc  fa  patrie  ,  de  la  domination  des  Génois,  il 
leur  déclara  une  guerre  qui  leur  donna  bien  de  la  peine ,  ôc  les 
irrita  extrêmement.  La  paix  ayant  été  depuis  faite  entre  les 
Rois  de  France  ôc  d'Efpagne,  Sanpietro  ne  put  renoncer  à  la 
haine  qu'il  avoit  conçue  contre  les  Génois  ,  perfuadé  d'ailleurs 
que  CQS  Républicains  ne  pourroient  jamais  lui  pardonner  l'in- 
jure, que  leur  avoit  fait  un  homme  qu'ils  avoient  banni.  Il  n'omit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLL  527 

donc  rien  pour  fe  procurer  des  fecours  qu'il  ne  pouvoir  plus 
efperer  de  la  part  des  François.  Il  s'adrefla  d'abord  à  Corne  Charle 
duc  de  Florence  ,  &  comme  il  le  refufa  ,  il  tenta  les  Turcs,        j  y^ 
pour  fçavoir  s'ils  voudroient  profiter  de  cette  guerre ,  &  en-     1  r  ^  2. 
voyer  encore  une  flotte  dans  la  mer  de  Tofcane.  Pour  cela  il 
alla  à  Conftantinople. 

Tandis  qu'il  y  étoit ,  les  Génois  ne  négligèrent  rien ,  pour 
faire  de  la  peine  à  un  ennemi  fi  déclaré  ,  ôc  pour  lui  faire  aban- 
donner les  pernicieux  defleins  qu'il  avoit  formez  contre  leur 
République.  Dans  cette  vue  ils  firent  enforte  de  fe  rendre  maî- 
tres de  fa  femme  &  de  fes  enfans.  Pour  cet  effet  ils  gagnèrent 
les  domeftiques  de  fa  femme,  ôc  entr'autres  Auguftin  Bazzica 
Lupo  ,  qui  alloit  fouvent  de  Marfeille  à  Gènes,  ôc  Michel  Prê- 
tre, à  qui  Sanpietro  avoit  en  partant  confié  lefoin  d'Alfonfe 
ôc  d'Antoine-François ,  fes  deux  fils.  Pouffez  par  les  Génois  j 
ils  confeillerent  à  Vannina  de  quitter  fon  mari  coupable  de 
crime  d'Etat,  d'abandonner  famaifon ,  ôc  de  fe  rendre  avec  fes 
enfans  à  Gènes,  auprès  de  fes  légitimes  maîtres  :  ils  lui  perfua- 
derent  que  c'étoit  le  feul  moyen  de  recouvrer,  pour  elle  ôc 
pour  fes  enfans,  les  biens,  que  le  crime  de  fon  mari  leur  avoit 
fait  perdre ,  ôc  d'obtenir  enfin  de  la  clémence  delà  République 
ia  grâce  du  rebelle  Sanpietro.  On  n'eut  pas  de  peine  àféduire 
une  femme  légère  ôc  volage,  qui  haïflbit  un  mari  fombre ,  fâ- 
cheux, ôc  de  mauvaife  humeur ,  ôc  qui  afpiroit  au  plaifir  déme- 
ner une  vie  plus  libre.  Ainfi  ayant  envoyé  devant  elle  fes  meu- 
bles les  plus  prétieux,  elle  fe  déroba  à  tous  fes  amis,  ôc  partit 
de  Marfeille  iur  une  petite  barque,  accompagnée  d'Antoine- 
François  fon  fils  ôc  du  Prêtre  Michel ,  qui  étoit  chargé  de  la 
conduire.  Antoine  de  Saint  Florent ,  ami  ôc  confident  de  San- 
pietro ,  en  ayant  eu  avis ,  monta  fur  un  brigantin ,  ôc  fit  tant  de 
diligence  ,  qu'il  la  joignit  proche  d'Antibes ,  la  retira  de  fa  bar- 
que, ôc  la  mit  entre  les  mains  du  Seigneur  du  heu  :  celui-ci  la 
fit  conduire  avec  fon  fils  à  Aix ,  011  efl  le  Parlement  de  Pro- 
vence. 

Sanpietro  revenant  de  Confïantinople  étoit  déjà  defcendu 
furies  côtes  de  Barbarie.  Il  revenoitde  là  à  Marfeille,  lorfqu'il 
apprit  ce  qui  étoit  arrivé  à  fa  femme  :  il  en  fut  fi  troublé,  qu'a- 
veuglé par  fa  fureur,  il  tua  Pierre- Jean  Calvefe  fon  dome(lique> 
parce  que  ,  comme  ils  s'entretenoient  de  cette  affaire  ,  il  eut 


32S  HISTOIRE 

l'imprudence  de  dire  à  Sanpietro  ,  qu'il  l'avoithieii  fçûë  aupa- 
Charle  ^'^^"'^^  ^™s  qu'il  n'avoir  pas  voulu  lui  en  parler,  de  peur  qui! 
j^  n'eût  le  fort  de  Flore  de  Corte,que  fa  femme  fit  étrangler  par 
I  c  5  7  ^^^  efclaves  Turcs.  Sanpietro  étant  abordé  à  Marfeille,  vint 
■*  la  nuit  à  Aix  dans  la  maifon  oùfon  époufe  étoit  gardée.  Il  de- 
manda qu'on  la  lui  remît  entre  les  mains.  Le  Parlement  s'y  op- 
pofa.  Mais  Vannina ,  qui  avoit  un  courage  au-deiïus  de  fon  lexe, 
•  quoiqu'elle  fe  doutât  bien  du  funefte  fort  qu'on  lui  préparoit> 
déclara  qu'elle  vouloir  bien  retourner  avec  fon  mari.  Ils  vin-, 
rent  donc  enfemble  dans  la  maifon  qu'ils  avoient  à  Marfeille. 
A  la  \ué  des  murailles  nues  de  la  maifon ,  (  car  elle  avoit  fait 
enlever  les  meubles)  le  reffentiment  de  Sanpietro  fe  renouvella. 
Gomme  il  étoit  de  baffe  extradion,  ôc  qu'il  ne  s'étoit  élevé 
que  par  fes  belles  a£lions  militaires,  ôc  que  Vannina  au  con- 
traire étoit  d'uneiliuftrenaiffance,  il  s'étoit  accoutumé  à  lui  par- 
ler toijjours  avec  refpe6l.  Il  lui  parla  cette  dernière  fois  de  la 
même  manière  3il  lui  reprocha  fa  perfidie,  &:  lui  dit  que  la  faute 
qu'elle  avoit  commife  ne  pouvoit  s'expier  que  par  la  mort. 
Puis  ôtant  fon  chapeau ,  il  lui  annonça  qu'elle  devoit  fe  dif- 
pofer  à  mourir.  Comme  il  penfoit  à  faire  venir  des  efclaves 
Turcs ,  pour  faire  cette  expédition  ,  Vannma  ne  le  pria  pas 
de  lui  accorder  la  vie  ;  mais  elle  lui  demanda  en  grâce  &  avec 
Inftance,  que  puifqu'il  lui  falloir  mourir  ,  elle  eûr  la  confola- 
tion  de  rendre  fon  ame  à  Dieu ,  non  pas  entre  les  mains  de 
vils  efclaves ,  mais  dans  celles  de  l'homme  qu'elle  n'avoit  choifi 
pour  fon  mari ,  qu'à  caufe  de  fa  valeur  &  de  fon  courage.  San- 
pietro s'imaginant  que  Vannina  lui  difoit  cela  férieufement ,  ôc 
n'étant  pas  plus  touché  pour  cela  de  compaffion ,  fit  comme 
un  boureau  qui  exécuteroit  la  fentence  d'un  juge  :  il  deman- 
da humblement  pardon  à  fa  Dame  (  c'eft  ainfi  qu'il  appelloit 
toujours  fa  femme  )  enfuite  il  lui  mit  un  mouchoir  au  cou  ôC 
il  l'étrangla. 

Après  cette  expédition  il  vintenpofteàlaCour  de  France,pouc 
prévenir  les  accufations,ôc  pour  fe  juftifieren  perfonne  de  forx 
crime.  Le  bruit  s'en  étoit  déjà  répandu  ,  ôcla  plupart  avoient  été 
faifis  d'indignation  ôc  d'horreur.  Les  femmes  fur-tour ,  qui  ap- 
prehendoientles  fuites  d'un  fi  pernicieux  exemple  ,  déteftoient 
ce  cruel  mari.  La  Reine  mère  ne  voulut  pas  fouifrir  la  viië  d'un 
il  méchant  homme  ^  dont  les  mains  étoient  teintes  du  fang  d'une 

a 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L I V.  XLI.       32^ 

fiilluftre  époufe.  Sanpietro  découvrit  fa  poitrine,  Ôc  fit  voir 

les  cicatrices  des  bleiîures  qu'il  avoit  reçues  au  fervice  de  la  Char  le 
France.  Qu'importe ,  difoit-il ,  qu'importe  au  Roi  6c  à  la  Fran-        j  y^ 
ce ,  de  fçavoir  fi  Sanpietro  à  bien  ou  mal  vécu ,  ôc  comment  il      i  c-  ^  7. 
s'efl:  comporté  avec  fa  femme?  Ces  paroles  prononcées  par  un 
homme  féroce ,  mais  qui  avoit  rendu  de  très-grands  fervices  au 
Roi ,  adoucirent  un  peu  les  Courtifans  ,  que  cette  a£lion  avoit 
indignés,  ôc  il  obtint  par  ce  moyen  qu'on  ne  lui  fit  point  fon 
procès. 

Sanpietro  plus  irrité  que  jamais  contre  les  Génois  quiétoient 
la  cauîe  de  la  perte  de  fa  femme ,  remua  ciel  6c  terre ,  pour 
exécuter  fes  anciens  projets,  ôc  leur  fufciter  de  nouveaux  em- 
barras dans  rifle  de  Corfe.  Il  écrivit  à  Aurele  Fregofe ,  qui  étoit 
entré  au  fervice  de  Côme,  pour  mettre  cette  homme  ambi- 
tieux dans  fes  intérêts,  ôc  rengager  à  partager  avec  lui  la  gloi- 
re 6c  le  profit  des  entreprifes  qu'il  méditoit. 

Il  envoya  Antoine  ôc  Paris  de  Saint  Florent  pour  mefurer 
fecretement  la  hauteur  des  murs  deBonifacio.  Il  follicita  aufifi 
fes  anciens  amis  de  l'ifle ,  ôc  tous  les  complices  de  fa  fadion, 
ôcil  fit  tous  les  préparatifs  pour  l'expédition  qu'il  avoit  entête. 
Il  s'écoula  néanmoins  trois  ans  avant  qu'il  pafTât  dans  l'ifle.  En- 
fin lorfque  les  Génois  s'y  attendoient  le  moins ,  le  i  2  de  Juin 
•  ï  ^(^^il  y  fit  une  defcente  avec  Antoine  Saint-Florent ,  Achille 
Compocafi^b,  Pierre-Jean  Ornano ,  Brufchino  d'Orezza,  Bâtifte 
de  Pietra,  ôc  quelques  François,  ôc  il  fe  rendit  maître  d'Iftria  qu'il 
trouva  fans  garnifon.  Il  y  fit  la  guerre  pendant  trois  ans  ôc  plus, 
par  le  feul  fecours  des  exilés  ôc  des  payifans ,  qui  haïfiîbient  la 
domination  des  Génois.  Les  fuccès  de  i^QS  entreprifes  furent 
très-variez ,  mais  plus  fou  vent  mauvais  que  bons  ôc  heurcux.En- 
fuite  les  differens  partis  s'échaufl^erent  ;  on  renouvella  les  noms 
prefque  oubliez  des  fadions  noire  ôc  rouge,  ôc  on  ufa  de  rigueur, 
6c  même  de  cruauté  envers  les  prifonniers  de  part  ôc  d'autre. 
Enfin  leslnfulaires  s'ennuyèrent  d'une  longue  guerre  ,  ôc  fe  dé- 
goûtèrent de  Sanpietro.  Comme  ils  penfoient  à  l'abandonner, 
il  fortit  de  Vico  ,  ôc  s'en  alla  vers  Cauro ,  avec  Alfonfe  fon  fils, 
André  de  Brando ,  Antoine-Pierre  de  Corte ,  ôc  Bâtifte  de  Pie- 
tra. 11  envoya  devai>t  Vitoli ,  qui  avoit  déjà  formé  le  defi^ein 
de  le  tuer,  avec  Hercole  de  Iftria,  Ambroife  de  Baftelica  ôc 
d'autres.  11  rencontra  en  chemin  des  foldats  Génois ,  qui  étoient 
Tome  V,  Tt 


330  HISTOIRE 

^_  fortis  fous  la  conduite  de  Raphaël  Juftiniano  de  la  ville  d^Alaz^ 

/^„  .  T,  T  r.  zo.  dont  François  Fornari  étoit  £[ouverneur.  Il  nrouva  aulTi.  les^ 
jy  fieres  Michel  Ange  ,  Jean- Antoine  ôc  Jean-François  Ornano» 
/  Il  combatit  d'abord  affez  long-tems  contre  Jeaii- Antoine  feul, 
comme  fi  ç'avoit  été  un  duel.  Mais  une  troupe  de  moufque- 
taires  Génois  étant  furvenuë  ,  Vitoli  le  perça  par  derrière 
d'un  coup  de  piftolet  qui  le  fit  tomber  de  Ion  cheval.  Aufli- 
tôt  Michel  Ange,  ôc  Jean-François  mirent  pie  à  terre,  ôc  le  per- 
cèrent de  mille  coups  de  poignard,  Ils  coupèrent  enfuite  fa 
tête  j  ôc  la  portèrent  à  Fornari. 

Il  y  eut  quelque  tems  après  une  vive  conteflation  entre  ces  af- 
falTins ,  fur  le  prix  auquel  les  Génois  avoient  mis  la  tête  de  San»- 
pietro.  Les  foldats,  qui  étoient  fortis  avec  Raphaël  Juftiniano,. 
prétendoient  qu'il  leur  étoit  dû ,  parce  que  Sanpictro  avoit  été 
bleffé^ôc  renverfé  de  fon  cheval  par  une  de  leurs  baies.  D'un  au- 
tre côté  les  frères  Ornano  foutenoient  qu'il  n'étoit  pas  mort 
d'une  baie,  mais  des  coups  d'épée  ou  de  poignard,  qu'ils  lui 
avoient  donnez.  Ils  convinrent  enfin  après  bien  des  difputes  que 
le  prix  feroit  partagé  entr'eux  :  on  donna  deux  mille  écus  aux  frè- 
res Ornano  ,  ôc  deux  mille  à  Raphaël  Juftiniana  Alfonfe  fils  de 
Sanpietro,après  la  mort  de  fon  pere/ut  nommé  Général  des  Cor* 
fes,  par  les  foins  ôc  les  mouvemens  que  fe  donna  Léonard  de 
Corte.  Mais  les  fecours  que  la  France  lui  fourniffoit  en  argent. 
ôc  en  hommes ,  devenant  très-modiques,  tous  les  voyages  qu'An- 
toine Padoano  faifoit  au-dedans  ôc  au  dehors,  n'étant  d'aucune 
utilité,  ôc  la  plupart  des  Seigneurs  de  Fille  l'abandonnant ,  il 
fut  obligé  deux  ans  après  de  faire  un  accommodement  avec 
George  Doria,  ôc  Jérôme  Léon  Anconitano  évêque  deSago- 
ne.  Par  ce  traité  il  obtint  qu'on  lui  conferveroit  la  vie  avec  tous 
fes  effets,  ôc  que  fes  biens  Ôc  domaines  feroient  aulTi  confervez,  à 
lui  ôc  à  fes  enfans ,  pendant  huit  années.  Le  traité  étant  conclu^ 
il  s'embarqua  ôc  fortit  de  l'ifle  de  Corfe  le  premier  jour  d'Avril 
de  cette  année  i56'7. 
Affaires  de       La  Tofcane  fut  auflî  agitée  de  troubles  ôc  de  divifions. 
Gôme ,  qui  avoit  toujours  fermé  les  oreilles  aux  promeffes , 
aux  prières  ,  ôc  aux  vives  inftances  de  Sanpietro  ,  prit  hau- 
tement fous  fa  protedion  les  marquis  Malafpini  ,  Seigneurs 
de  la  Lunegiane ,  ôc  s'engagea  à  les  affranchir  du  paffage  des 
troupes  Efpagnoles.  Les  Princes  voifms ,  envieux  ou  jaloux  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XLL         5^1 

•Côme,  en  furent  picquez,  6c  le  Roi  d'Efpagne  lui-même  fut  , 

fâché  de  voir  une  nouvelle  puiflfance  s'accroître  infenfiblement  p 
aux  dépens  de  la  fienne.  D'ailleurs  Jean-François  Orfino  '  étant       tv 
mort,  le  procès  fur  le  comté  de  Petigliano  ôc  de  Sorano  fe  ^* 

renouvella  entre  le  fils  Nicolas  ,  dont  nous  avons  déjà  tant  de 
fois  parlé,  ôc  Orfo.  François  prince  de  Florence  vouloit  main- 
tenir Orfo  dans  la  pofleiïion  des  biens  de  fon  père,  que  Côme 
avoir  pris  fous  fa  protedion.  Les  Farnefes  prenoient  le  parti 
de  Nicolas  ,  dans  fefperance  de  pouvoir  acquérir  le  comté  de 
Petigliano ,  fi  Nicolas  en  étoit  le  maître. 

Orfino  le  père  étant  prêt  de  mourir ,  avoir  pardonné  à  Ni- 
colas tous  les  fujets  de  mécontentement  qu'il  lui  avoit  donnez, 
&  il  avoit  fait  un  fécond  teftament,  par  lequel  il  le  déclaroit 
fon  héritier  comme  fon  aîné,  &  revoquoitle  premier,  par  le- 
quel il  l'avoir  déshérité ,  comme  un  enfant  ingrat. 

Cela  arriva  précifément  dans  le  temsqueles  efprrts  fetrou^ 
vant  échauffez  au  Bourg-Saint  Sépulcre,  parles  factions  des  Pi- 
chi  ôc  desGraziani,  les  plus  fages  appréhendèrent  que  cet  exem- 
ple ne  fît  imprefiion ,  ôc  qu'on  ne  vît  les  anciennes  jaloufies  de 
partis  fe  reveiller  dans  toute  la  Tofcane,  Ôc  dans  chacune  de 
fes  villes.  Lucjacomini  commandoitdans  ville  du  Bourg-Saint 
Sépulcre.  Les  Pichi  ôc  les  Rigi ,  contre  le  refped  dû  à  ce  Gou- 
verneur, profitèrent  d'une  occafion  favorable  qui  fe  prefenta  : 
ils  tuèrent  Scipion  Goracci ,  le  principal  chef  de  la  fadion  con- 
traire des  Graziani ,  ôc  bleflerent  dangereufement  Laurent  Go- 
racci :  après  cela  ils  fe  retirèrent  dans  une  tour  bien  fortifiée. 
Othon  Monauti ,  qui  n'étoit  pas  éloigné  ,  le  comte  de  Mon- 
tedolio  ,  ôc  Nicolas  Tornabon  ^  évêque  du  lieu ,  vinrent  prom- 
tement  interpofer  leur  médiation:  leurs  foins  ne  purent  entière- 
ment appaifer  le  trouble,  ni  empêcher  que  Sylveftre  Goracci, 
frère  de  celui  qui  avoit  été  tué  ,  n'entrât  dans  la  ville  avec  les 
bannis ,  ne  mît  en  liberté  ceux  de  fa  fa6lion ,  qu'on  y  tenoit  pri- 
fonniers,  ne  courût  impunément,ôc  ne  fît  fentir  dans  toute  la  ville 
les  effets  de  fon  reffentiment  ôc  de  fa  haine.  Comme  on  ne  pou- 
voit  réprimer  la  faftion  des  Graziani  par  la  force  ,  Pierre  comte 
de  Carpegne  entreprit  d'en  venir  à  bout  par  la  rufe  ôc  la  fineffe, 
ôc  il  nefe  fouciapas  ,  pour  faire  plaifir  au  Prince^  de  fe  perdre 
d'honneur ,  ôc  depaffer  pour  un  homme  fans  parole.  Il  engagea 

I  ou  des  Uriîns.  t  ou  Tornabuoni. 

Tt  ij 


^S2  HISTOIRE 

m  les  Graziani  à  ne  plus  faire  de  mal  aux  habitans  du  Bourg , 
Charle  ^  ^  cefler  de  venger  les  injures  qu'ils  avoient  reçues  de  leurs 
j  ^       ennemis  particuliers  fur  un  peuple  innocent  :  Ôc  il  leur  offrit 
j  -  (j -^    obligemment  Bafcio,  place  de  fa  dépendance ,  très-commode 
pour  leur  fervir  de  retraite.  Ils  s'y  croyoient  en  fureté,  lorfqu'il 
arriva  la  nuit  un  détachement  de  gens  armez,  qui  les  furprirent, 
&  les  invertirent  de  toutes  parts.  Comme  on  eût  mis  le  feu  à 
la  place,  ôc  qu'elle  comménçoit  à  brûler ,  Fabio  de  Carpegne 
ayant  horreur  de  la  perfidie  de  fon  oncle  qui  les  avoir  trom- 
pez, s'entremit  pourles  aHiiégez^  ôcSylveftre  avec  douze  affo-- 
ciez ,  ayant  fait  promettre  qu'on  ne  les  traiteroit  point  fuivant 
la  rigueur  des  loix ,  fe  rendit.  Le  Prince  n'eut  aucun  égard  à 
ces  promedes  :  il  les  fit  conduire  dans  les  prifons  de  Florence, 
6c  pour  infpirer  de  la  terreur  à  tous  les  autres ,  il  les  fit  fur  le 
champ  exécuter  ,  fur  la  fin  de  Juillet. 

Afin  qu'on  pût  dire  que  toute  l'Italie  avoir  été  en  combuf- 
tion,  il  y  eut  dans  le  même  tems  quelques  légères  brouilleries 
dans  la  maifon  de  Gonzague,  mais  qui  n'eurent  pas  de  fuites, 
Louis  de  Gonzague  entra  en  Italie^  ôc  fit  courir  le  bruit  que 
c'étoit  pour  vifiter  Ôc  faire  fortifier  les  villes  du  marquifat  de 
Saluflfes,  dont  il  étoit  gouverneur  pour  le  Roi  de  France,  avec 
une  pleine  autorité,  mais  en  efl^et  c'étoit  dans  le  deffein  d'y 
lever  des  troupes  pour  la  guerre  j  qu'on  fe  difpofoit  fecretemene 
de  faire  aux  Proteftans  du  Royaume,  comme  l'événement  le 
fit  depuis  connoître.  Guillaume  duc  de  Mantouë,  frère  de  Louis, 
avec  lequel  il  n'étoitpas  en  très-bonne  intelligence,  entra  dans 
quelque  défiance  de  ce  voyage,ôc  craignit  que  fous  prétexte  des 
aflfaires  du  Roi  de  France ,  il  ne  fût  venu  pour  s'emparer  du  du-^ 
ché  de  Montferrat,  dont  il  prétendoit  avoir  fa  part.  Ainfi  il  fc 
crut  obligé  de  prendre  promptement  des  mefures,  de  peuif 
qu'à  la  faveur  du  duc  de  Savoye,  voifin  quin'étoit  pas  defes 
amis,  ôc  à  l'occafion  de  l'arrivée  de  fon  frère,  les  exilez  ou 
bannis  de  Cafal  ne  fiflent  fur  cette  place  quelque  entreprife  con- 
traire à  fes  droits. 
Affaire  de  Cafal  communément  appelle  Saint  Vaz,  étoit  autrefois  une 
ville  municipale  très-peuplée  ,  ôc  que  fa  fituation  commode  fur 
le  Pd  rendoit  très-riche  ,  quoiqu'elle  n'eût  point  alors  de  mu- 
railles. Les  Empereurs  lui  accordèrent  depuis  de  grands  privi- 
lèges. Frédéric  lui  accorda  laJurifdi£liondes  villes  Impériales 


DE  J.   A.    DE   THOU,  Xiv.  XLI.  335 

pure  &  mixte,  (i)  Henri  lui  confirma  ceïte  grâce  1 27  ans  après.  ■ 

Mais  les  habitans  de  Cafal  ayant  oublié  tant  de  bienfaits ,  &  C  h  a  r  l  e 
ayant  confpiré  contre  Henri  lui-même ,  avec  Pavie ,  Albe ,  Ver-       i  x. 
ceil  &  Valence ,  toutes  ces  villes  furent  privées  des  privilèges ,     1557, 
grâces  &  exemptions,  que  les  Empereurs  leur  avoient  accordées. 
On  décerna  même  contre  elles  une  efpece  de  Ban ,  (  c'eft  ainfi 
qu  Alberic  de  Rofata  de  Bergame  Jurifconfulte  de  ce  tems-là 
en  parle  )  c'eft-à-dire ,  qu'elles  furent  profcrites  par  un  décret 
Jmpcrial.comme  coupables  ducrime  de  Icze-Majefté  Impériale. 

Les  habitans  de  Cafal  appréhendant  l'exécution  rigoureufe 
de  ce  décret ,  fe  mirent  fous  la  protection  d' Andronic  Paléolo- 
gue  Empereur  d'Orient,  dont  le  fils  nommé  Théodore  polie- 
doit  le  M  ontferrat,  petite  Province,  avec  titre  de  Duché,  fituée 
entre  Alexandrie  de  la  Paille  &  le  comté  d' Aft ,  qui  a  le  Mila- 
nezaumidi,&  lePôau  Nord.  A  Théodore  fucceda  fon  fils 
Jean  ;  à  Jean ,  Guillaume  5  à  Guillaume ,  Jacque ,  dont  le  fils 
Guillaume  II.  entoura  Cafal  de  murailles,  accorda  à  fes  habitans 
le  droit  de  bourgeoifie ,  &  obtint  de  Sixte  I  V.  en  1474  qu'elle 
fut  érigée  en  ville  Epifcopale.  Depuis  ce  tems  là  Cafal ,  qui 
étoit  redevable  aux  Paléologues  de  fa  fureté  ,  de  fes  richeflès 
&  de  fon  élévation ,  demeura  fous  leur  domination  ,  depuis 
qu'elle  fut  profcrite  parles  Empereurs  d'Occident ,  jufqu  à  Jean 
George ,  qui  fucceda  à  Bonifàce  fils  de  fon  frère ,  lequel  avoit 
été  miferablement  tué  en  jouant.  Jean  George  étant  mort  peu 
de  tems  après ,  l'an  i  J  3  ^  ^  comme  il  ne  reftoit  plus  d'hoirs  ma- 
les  de  l'illuftre  maifon  des  Paléologues ,  la  fucceffion  fut  con- 
tefl:ée  entre  le  duc  de  Savoye ,  le  marquis  de  SalulFes ,  &  Fré- 
déric de  Gonzague  duc  de  Mantouë,  qui  avoit  époufé  Margue- 
rite fœur  de  Boniface  II.  Lacaufefut  plaidée  devant  l'empe- 
reur Charle-Quint ,  &  vivement  follicitée ,  comme  une  affaire 
de  très-grande  conféquence. 

Dès  ce  rems  là  les  habitans  de  Cafal  prétendirent  avoir  un 
droit  particulier,  &  que  leur  ville  ne  devoir  point  être  con- 
fondue a\  ec  le  duché  de  Montferrat.  Il  alleguoient  en  leur 
faveur  les  droits  anciens  ,  &  les  privilèges  qu'ils  avoient  reçus 
des  Empereurs,  Ibûtenant  qu'au  défaut  de  mâles  dans  la  maifon 

(i)  Meriacmixti  Imperiijitrifdiâio.W  j  re.  II  y  en  a  d'autres  qui  relèvent  d« 
7  a  des  vill.s  Iiiucriaics  c  Lrrment  I  lEmpireScdc  quelques  autres  Piiiffan- 
iibrcs  .  qui  p'-  reicveiit  tjue  de  l'Empi-     1    ces. 

Tome  K  T  t  iij  *  / 


354  HISTOIRE 

■'  '(  :  des  ducs  de  Montferrat ,  le  fief  de  CafaI  éroît  dévolu  à  l'Em- 

Char  LE  pi^e.  Mais  ils  ne  furent  point  alous  écoutez  ,&  Charle  qui  vou- 
IX.  loit  obliger  Frédéric  de  Gonzague ,  pour  l'empêcher  de  pren- 
I  c  ($■  7.  ^^^  1^  P'^^*'^^  ^^  ^^  France  ,  accorda  aux  femmes  le  droit  de  fuc- 
ceder  à  ce  fief ,  &  prononça  ainfi  en  faveur  de  Gonzague ,  au- 
quel il  adjugea  Cafal ,  avec  le  duché  de  Montferrat.  Quoique 
le  duc  de  Savoye  ne  fit  pas  éclater  fon  reilentiment ,  il  eil  cer- 
tain que  ce  jugement  ne  lui  plut  point. 

Depuis  ce  tems  là  Guillaume  fils  de  Frédéric  ayant  deman- 
dé à  l'Empereur  Ferdinand  la  confirmation  de  ce  droit ,  il  ne 
l'obtint  pas  d'abord  ;  ceux  qui  étoient  auprès  de  l'Empereur  pré^ 
tendant  qu'on  avoit  furpris  à  Charle  V.  fon  frère  le  décret  qu'il 
avoit  donné  en  faveur  des  Gonzagues.  Cette  difficulté  releva 
le  courage  &  les  efperances  des  citoyens  de  Cafal.  Conrad 
Mola  &  Olivier  Capello  Jurifconfultes  ,  qui  avoient  le  plus 
de  crédit  &  de  pouvoir  dans  la  ville ,  fe  fiatant  de  recouvrer 
leur  ancienne  liberté ,  attirèrent  à  leur  parti  un  grand  nombre 
de  bourgeois ,  &  à  leur  perfuafion ,  la  ville  réfolut  en  corps ,  de 
folliciter  aux  frais  du  public  la  confirmation  de  leurs  anciens 
privilèges  auprès  de  l'Empereur  Maximilien ,  qui  avoit  fuccedé 
à  Ferdinand  fon  père.  On  députa ,  pour  négocier  cette  affaire  à 
la  Cour  Impériale ,  ceux  même  qui  avoient  été  les  auteurs  de 
la  dehberation. 

Guillaume  duc  de  Mantoûe ,  pour  foûienir  fes  droits  contre 
ceux  de  Cafal ,  députa  de  fon  côté  Paul  Emile  Bardelone ,  à 
qui  il  donna  des  ordres  &  des  inftrudions  très-amples.  Cet  en- 
voyé foûtint  que  ceux  de  Cafal  ne  pou  voient  s'appuyer  de  leurs 
anciens  privilèges;  parce  que  s'en  étant  rendus  indignes  par 
leur  faute ,  en  manquant  de  fidélité  pour  Henri  leur  bien-fai- 
teur ,  ces  privilèges  avoient  été  révoqués ,  fupprimés  &  annul- 
lés.  Il  ajouta  que  l'an  1504  Jean  Paléologue  avoit  rendu  hom- 
mage à  l'Empereur  Charles  IV.  en  qualité  de  marquis  de  Mont- 
ferrat &  de  Cafal  j  &  que  ceux  de  Cafal  lui  avoient  prêté  fer- 
ment de  fidélité ,  &  payé  un  tribut  annuel  en  cette  qualité , 
conformément  au  décret  Impérial.  Maximilien  frappé  de  ces 
raifons ,  jugea  qu'il  ne  devoit  rien  innover  dans  cette  affaire  > 
&  il  adjugea  Cafal ,  avec  le  duché  de  Montferrat ,  aux  ducs  de 
Alantouë. 

Molaôc  Capello  fruflrés  de  leurs  efperances,  &  craignant 


'     DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLI         555^ 

îe  refTentiment  du  Duc ,  abandonnèrent  leurs  maifons  ôc  leur 
payis  ,  &  s'en  allèrent  chacun  de  leur  côté.  Ils  ne  laifTerent  pas  Char  le 
cependant  d'exhorter  leurs  concitoyens,  s'il  fe  prefenroit  quel-        j^ 
que  occafion  favorable  ,  à  ne  pas  manquer  à  ce  qu'ils  fe  de-      ^  ^  ^  j^ 
voient  à  eux-mêmes  ',  ôc  à  défendre- par  la  force  ôc  par  les  ar- 
mes les   droits  légitimes^  dont  la  faveur  &  le  crédit  despuif- 
fances  les  avoient  injuftement  dépouillés.  Capello ,  qui  n'étoit 
pas    moins  homme  de  main  qu'homme  d'efprit  ôc  de  tête  , 
s'étoit  mis  au  fcrvice  du  duc  de  Savoye  ,  qui  avoit  des  préten- 
tions fur  Cafal  ôc  fur  le  Mont  ferrât  j  ôc  c'eftcequi  donna  lieu 
de  craindre  que  Capello  appuyé  de  la  protection  du  Duc ,  n'en- 
tretînt ôc  ne  fomentât  une  fa£lion  dans  la  ville.   Guillaume  de 
Gonzague  duc  de  Mantouë  ,  qui  crut  en  être  bien  certain ,  ôc 
par  beaucoup  d'indices ,  ôc  par  les  nouvelles  qui  fe  répandoient, 
ôc  furtout  par  les  lettres  de  l'évêque  d'Alexandrie  de  la  Paille , 
vint  à  Cafal  avec  fa  maifon,  ôc  amena  avec  lui  Vefpafien  de 
Gonzague  fon  parent ,  afin  de  prévenir  les  Bannis ,  qui  avoient 
deifein  de  s'emparer  de  la  ville  par  furprife  ôc  par  traiiifon.  S'é- 
tant  logé  dans  la  citadelle  ^  il  fit  tirer  deux  coups  de  canon  , 
qui  étoient  le  fignal  dont  on  étoit  convenu ,  pour  avertir  les 
payifans  voifins  d'entrer  en  armes  dans  Cafal.  Ainfi  des  le  ma- 
tin ly  compagnies  entrèrent  dans  la  ville.  Guillaume  raffuré 
par  ce  renfort  ,  ôc  ayant  déconcerté  les  projets  de  Capello  , 
qui  devoir  j  difoit-on,  entrer  dans  Cafal  avec  12000  hommes 
d'infanterie,  s'en  alla,  ôc  laiiTa  dans  la  ville  Vefpafien  de  Gon- 
zague,  pour  y  commander. 

Vefpafien  n'ayant  plus  rien  à  craindre,  prit  fon  temps  pour 
faire  le  procès  à  ceux  qui  étoient  fufpeéls ,  ôc  il  fit  exécuter 
ceux  qu'il  trouva  coupables.  Flaminio ,  bâtard  de  filluftre  mai- 
fon des  Paléologues,  convaincu  d'avoir  eu  part  à  la  dernière 
confpiration  ,  fut  condamné  à  une  prifon  perpétuelle  ,  au  lieu 
de  la  mort  qu'il  avoit  méritée.  Il  mourut  peu  de  tems  après  de 
chagrin  dans  Goïto  ,  où  il  étoit  enfermé.  Cette  place  eft  fituée 
fur  le  Mincio.  Guillaume  y  fit  conftruire^  avec  autant  de  foins 
que  de  dépenfes  ,  une  citadelle ,  qui  ne  fe  fait  pas  moins  admi- 
rer par  la  beauté  du  bâtiment ,  que  par  la  bonté  de  fes  forti- 
fications. 

Le  roi  de  France  fit  cette  année  une  Ordonnance  ,  ée:ale-   ,^^!^^'^^^  ^^ 

....  O  uC     1T3I1CC. 

ment  utile  ôc  jufte,  qui  en  confervant  la  fplendcur  ôc  l'éclat  Edit  du  Koi 


n^  HISTOIRE 

■  des   familles  nobles  ,  pourvoyoit  en  mcme-tems  avec  beau- 
Charle  coup  de  fagefle  à  la  confolation  des  veuves.  Suivant  le  Sena- 
I X.       tus-Confulre  ,  appelle Tertyllien ,  fait  fous  l'empereur  Hadrien, 
i  ^  6j,     ^^^  mères  hériroient  de  leurs  enfans  j  ôc  cette  difpofition  ne 
fur  la  fuccef-  faifoit  aucuue  diftindion  entre  les  difîerens  biens ,  dont  i'iié- 
mer  *^"        ritage  étoit  compofé.  Par  là  les  biens  paternels  qui  venoient 
des  ancêtres,  paifoient  dans  d'autres  familles  ?  on  arrachoit  ' , 
pour  ainfi  dire,  ce  qui  pouvoir  conferver  le  fouvenir  des  an- 
ciennes maifons  ,  ôc  les  parens  qui  croient  du  côté  du  père, 
même  les  plus  proches,  dépouillés  ainfi  de  leurs  biens,  étoient 
réduits  à  une  extrême  pauvreté.  Cette  loi  avoit  lieu  dans  fes 
Provinces  du  Royaume  ,  où  l'on  fuit  le  droit  Romain,  comme 
dans  la  Guyenne ,  le  Languedoc  ,  la  Provence  ôc  le  Dauphi- 
né,  ôc  même  dans  les  bailliages  d'Auvergne  ,  du  Forez  ,  du 
Lyonnois ,  ôc  du  Mâconnois  i  quoiqu'ils  foient  du  reflbrt  du 
Parlement  de  Paris  :  c'étoit  un  mal ,  auquel  on  remédia  par  l'Or- 
donnance de  cette  année.  Elle  donne  à  la  mère  ^  pour  la  con^ 
foler  de  la  perte  de  fes  enfans ,  les  biens  meubles  i  les  immeu- 
bles ,  qui  viennent  d'ailleurs  ,  que  du  père  ôc  de  la  ligne  pa- 
ternelle ;  ôc  l'ufufruit ,  fa  vie  durant ,  de  la  moitié  des  biens 
paternels  ,  dont  la  propriété  après  fa  mort  retourne  aux  plus 
proches  parens  du  père. 

Cette  Ordonnance  fut  accordée  aux  inftances  de  Jean  de 
Monduc  évêque  de  Valence.  Pierre  de  Monduc  fon neveu, 
fils  aîné  de  Blaife  ,  ôc  qu'il  avoit  inftitué  fon  héritier,  ayant  été 
tué  deux  ans  auparavant  à  Madère ,  le  Prélat  appréhendoit,  que 
fi  le  feul  enfant  qui  reftoit  de  Pierre  venoit  à  mourir  ,  fa  veu- 
ve n'emportât  tous  les  biens  de  la  maifon  de  Montluc  ,  au 
préjudice  des  autres  enfans  de  Blaife.  L'Edit  fut  donné  au  mois 
de  May  dans  le  château  de  S.  Maur-les-FofTez  -,  ôc  il  fut  véri- 
fié ôc  enregiftré  au  Parlement  de  Paris,  à  la  requête  du  Procu- 
reur du  Roi,  le  29  de  Juillet,  ôc  reçu  avec  de  grands  applau- 
diffemens  du  public.  Cependant  les  autres  Parlemens  du  royau- 
me ,  que  cet  Edit  regardoit  plus  particulièrement ,  le  rejette- 
ront ,  comme  ayant  été  brigué  ôc  donné  par  faveur  i  malgré  les 


I  Imagimbusvelutïrevulfis.  Pour  mar- 
quer la  noblefTe ,  les  Romains  faifoient 
mettre  fur  leurs  portes  les  portraits,  ou 
au  moins  les  armes  &  les  marques 
de  dignité  ôc  de  noblefîe  de  leurs  an- 


cêtres :  ne  pas  laifler  à  des  familles  de 
quoi  foûtenir  la  noblefTe  de  leurs  aa- 
cêtres  ,  c'eft  ce  que  M.  de  Thou  appel- 
le imagines  revsllere, 

lettre 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLI.        3,^7 
lettres  de  juflîon  réitérées  ,  on  ne  put  les  engager  à  l'enre- 

^^^^^^-  .   ,    .  Charle 

Pendant  que  le  Roi  étoit  encore  à  S.  Maur,  dans  le  mois       i^ 

d'Avril ,  Thomas  Smith  ,  accompagné  de  Henri  Norris  Ambaf-  ^  -  ^*  • 
fadeur  d'Angleterre  en  France ,  vint  à  la  Cour  de  la  part  d'E-  Le  Roi  re- 
lifabeth  fa  maîtrefle  ,  pour  traiter  de  la  reftitution  de  Calais,  f^f^ç  de  rendre 
Un  des  articles  du  traité  de  Câteau-Cambrefis^  étoit  que  Calais,  Angiois!"'' 
avec  tout  fon  territoire  feroit  rendu  aux  Anglois  huit  ans  après; 
que  de  riches  marchands  étrangers  ,  ôc  non  fujets  de  la  Fran- 
ce y  feroient  caution  ,  ôc  s'engageroient ,  en  cas  qu'on,  ne  fit 
pas  la  reftitution,  au  payement  de  500000  écus  ;  6c  que  ce- 
pendant le  Roi  donneroit  des  otages.  Ceux  que  le  Roi  donna 
furent  Frédéric  de  Foix  de  Candale,  Louis  de  Sainte-Maure 
marquis  de  Nèfle  &  comte  de  Laval ,  Gafton  de  Foix  mar- 
quis de  Trans  ,  &  Antoine  du  Prat  feigneur  de  Nantoûillet. 
On  avoir  ajouté  cette  claufe  :  Que  s'il  arrivoit  que  la  guerre 
fe  renouvellât  par  la  faute  d'une  des  deux  parties  ,  celle  qui  fe- 
roit caufe  de  la  guerre ,  feroit  déchue  de  tous  les  droits ,  que 
le  traité  lui  donnoit  ;  ôc  que  l'autre  ne  feroit  plus  obligée  à  en 
tenir  les  conditions.  Après  ce  Traité,  les  Anglois  avoient  en- 
voyé des  troupes  auxiliaires  à  Rouen,  &  ils  s'étoient  emparés 
du  Havre  de  Grâce,  que  le  Roi  n'avoir  pu  recouvrer  que  par 
la  force  des  armes ,  Elifabeth  ayant  refufé  de  le  rendre ,  lorf- 
qu  on  le  lui  redemanda.  Cependant  les  Anglois  faifoient  beau- 
coup d'inftance  pour  la  reftitution  de  Calais ,  conformément 
au  Traité.  Le  Roi  répondit  d'abord ,  que  la  demande  qu'on  lui 
faifoit  lui  paroifToit  nouvelle  &  extraordinaire  :  jugeant  néan- 
moins qu'après  les  grandes  affaires,  qu'il  avoir  terminées  de- 
puis le  Traité,  il  ne  lui  reftoitplus  qu'à  établir  une  paix  folide 
ôc  durable  entre  la  France  ôc  l'Angleterre  ,  il  renvoya  cette 
affaire  à  fon  confeil ,  ôc  les  Ambaffadcurs  Anglois  y  furent  en- 
tendus. 

Ils  fe  fondoient  particulièrement  fur  les  termes  formels  du 
Traité,  ôc  prétendoient  qu'il  n'éroit  rien  arrivé  depuis  ,  qui 
dût  en  empêcher  fexécution  :  Que  les  François  avoient  les 
premiers  fait  connoître  la  difpofition  où  ils  étoient,  de  faire  la 
guerre  aux  Anglois  :  Que  Marie  reine  d'Ecoffe  n'avoir  pris  les 
armes  d'Angleterre,  que  parce  qu'elle  fe  fentoit  appuyée  de 
la  France  :  Qu'on  avoir  appris  par  des  lettres  interceptées ,  que 
Tome  V^  Vu 


338  HISTOIRE 

■Il  ■  II.  les  troupes  Fran^oifes^  qui  étoient  au  fervice  de TEcofTe ,  n'é- 

C  H  A  R  L  E  ^^^^^"^^  P^s  ^^"f  po'-^'^  ^"^  défenfe  de  la  reine  Marie ,  que  pour  atta- 
j^  quer  l'A  ngletcrre.  Michel  de  l'Hôpital  chancelier  répondit  avec 
j  -  ^*_  beaucoup  de  folidité.  Il  dit ,  qu'à  s'en  tenir  aux  termes  du  Trai- 
té ^  les  Anglois  étoient  déchus  de  leur  prétendu  droit  fur  Ca- 
lais j  puifquil  étoit  formellement  llipulé  ,  qu'une  des  deux  par- 
ties qui  feroit  attaquée  par  l'autre ,  ne  feroit  plus  tenue  à  la  ref- 
titution  de  ce  qu'elle  pourroit  devoir  :  Qu'on  avoir  tort  d'ob- 
jeder  au  roi  de  France  ,  que  Marie  reine  d'Ecoffe  eût  pris  les 
armes  &  les  marques  de  la  Royauté  d'Angleterre  5  puifque 
cela  ne  regardoit  en  aucune  façon  le  Roi  î  ôc  que  fi  les  Anglois 
regardoient  cela  comme  une  injure ,  ils  pouvoient  s'adrefTer 
à  Marie  elle-même ,  pour  lui  en  faire  leurs  plaintes  :  Qu'en 
fourniflant  à  Marie  des  fecours ,  les  François  n'avoient  fait  que 
ce  qu'ils  dévoient ,  pour  maintenir  fur  fon  throne  une  Reine  lé- 
gitime contre  des  fujets  rebelles  :  mais  que  les  Anglois  :,  en 
s'oppofant  fur  mer  &  fur  terreau  paiTage  des  François,  ôc  en 
les  tenant  comme  aiTiégés  dans  Lith ,  a  voient  les  premiers  rom- 
pu la  paix  ,  ôc  perdu  par  ce  feul  fait  tout  le  droit  qu'ils  pré- 
tendoient  avoir  à  la  reftitution  de  Calais  :  Que  ce  qu'ils  alle- 
guoient  fur  la  foi  des  lettres  interceptées,  n'étoit  que  des  con- 
jedures ,  ôc  non  des  vérités  :  Qu'au  refte  la  guerre  étant  une 
fois  allumée ,  on  pouvoit  tout  tenter  ôc  tout  entreprendre,  par- 
ce qu'on  agiiïoit  alors  en  ennemi 

Il  fut  queftion  enfuite  de  l'expédition  de  Defic  contre  l'E- 
eoffe.  Jean  de  Montiuc  évêque  de  Valence,  qui  avoit  ctépre- 
fent  à  cette  guerre  ,  ayant  reçu  ordre  du  Roi  de  parler,  dit  que 
les  Anglois  avoient  alors  fait  plufieurs  tentatives  fur  le  royau- 
me d'Ecoffe,  injurieufes  au  roi  de  France  ^  ,  à  qui  ce  Royau- 
me appartenoit  alors  :  Qu'ils  avoient  allumé  le  feu  de  la  ré- 
bellion dans  le  cœur  des  Ecoffois  :  Qu'ils  les  avoient  empê- 
chez de  rentrer  dans  leur  devoir  ;  ôc  qu'ainfi  ils  avoient  encore 
en  cela  violé  la  foi  des  Traités.  Smith  ,  fans  répondre  à  ces 
objedions ,  revenoit  toujours  aux  termes  du  Traité,  ôc  préten- 
doitquele  Roine  pouvoit,  fans  y  manquer  ,  fe  difpenfer  de 
rendre  Calais  :  Que  bien-loin  de  reprocher  aux  Anglois  les  fe- 
cours donnez  à  Rouen  ôc  au  Havre,  il  falloir  plutôt  les  louer 
&  les  remercier  :  Qu'ils  ne  l'avoient  fait  que  comme  de  bons 
1  François  II.  qui  avoit  cpoufé  la  reine  Marie. 


DE  J.  A.  DE  THOir,  Lrv.  XLI.        55^ 

voifins  &  de  bons  amis  :  Que  la  Reine  fa  maîtrefle  avoit  en  ■ 

cela  rendu  un  bon  office  à  un  Roi  mineur  ,  afin  d'empêcher  Char  LE 
qu'au  milieu  des  troubles  ôc  des  guerres  ,  dont  fon  Royau-        I  X. 
me  étoit  agité  ,  il  n'arrivât  quelque  chofe  de  pire  à  une  place ,     i  ç  57, 
comme  le  Havre,  Ci  voifine  de  l'Angleterre  i  ôc  qu'elle  avoit 
dès-lors  proteflé  dans  un  mémoire  qu'elle  publia ,  que  fa  Ma- 
jefté  ne  prenoit  pcfTeffion  de  cette  place  ,  que  pour  un  lemS;, 
pour  Ja  conferver  au  Roi,  ôc  la  lui  remettre. 

Le. Chancelier  reprit  la  parole,  Ôc  dit ,  que  les  adions  de  la 
fcre'niffime  reine  d'Angleterre  n'avoient  pas  répondu  à  fes  pa- 
roles ',  puifque  la  paix  ayant  été  faite  ,  ôc  le  Roi  lui  ayant  rede- 
mandé cette  ville,  non-feulement  elle  n'avoit  pas  fatisfaitàfa 
jufte  demande ,  mais  qu'elle  en  avoit  aufTi-tôt  chaifé  tous  les 
François ,  ôc  y  avoit  mis  une  très-forte  garnifon  ;  enforte  qu'il 
avoit  paru  à  tout  le  monde  qu'elle  ne  fe  bornoit  pas  à  vouloir  dé- 
fendre cette  place  ,  mais  à  faire  de  nouvelles  conquêtes  dans 
la  Normandie  :  Que  ce  n'étoitdonc  qu'à  la  dernière  extrémité, 
que  le  Roi  s'étoit  déterminé  à  en  faire  le  fiége  :  ôc  qu'en  con- 
fidération  de  la  Reine ,  à  qui  le  Roi  cherchoit  à  faire  plaifir 
en  tout ,  le  Connétable  Anne  de  Montmorenci ,  qui  comman- 
doit  l'armée  royale ,  avoit  eu  de  très-bonnes  manières  avec  les 
Anglois.LeChancelier  conclut  de  tout  cela,  que  la  Reine  n'étoit 
pas  fondée  enraifon,  pour  redemander  au  Roi  la  ville  de  Calais, 
qui  lui  avoit  été  rendue  ,  moins  par  le  droit  de  la  guerre  ,  que 
comme  un  héritage  qu'on  reftituoit  à  Tes  anciens  maîtres  :  Que 
les  Anglois  féparés  de  toute  la  terre  ,  par  les  bornes  que  la  na- 
ture leur  a  prefcrites  ,  dévoient  fe  contenter  de  ce  qu'ils  pof- 
fedoient  ,  ôc  ne  pas  prendre  ce  qui  appartenoit  aux  autres  :  ôc 
que  les  François  de  leur  coté  ayant  recouvré  un  ancien  domai- 
ne, dévoient  dans  la  fuite  vivre  en  paix  ôc  en  amitié  avec  les 
Anglois.  On  ajouta  des  plaintes ,  lur  ce  que  dans  le  tems  de 
la  guerre  ,  la  reine  d'Angleterre  avoit  donné  retraite  aux  trans- 
fuges Françoise  ôc  qu'elle  avoit  refufé,  contre  la  difpofition  des 
Traités ,  de  les  rendre  au  Roi ,  lorfqu'il  les  avoit  fait  demander 
par  fes  Ambalfadeurs.  On  fe  fit  enfuite  de  part  ôc  d'autre  quel- 
ques reproches,  mais  plus  obligeans,  qu'injurieux.  On  dit  aux 
Anglois  qu'ils  étoient  plus  prudens  ôc  plus  circonfpe£ls  que  les 
François  dans  les  Traités qu  ils  faifoient  5  Ôc  ïU  répliquèrent,  que 
c'étoit  à  nous  qu'il  falloit  donner  cette  louange  ,  puifque  les 

Vui; 


340  HISTOIRE 

François  étoient  plus  fins  que  les  Anglois.  Ce  fut  pour  ces 
Charle  ^^^^°"^  ^  P^^'^  plufieurs  autres  ,  que  le  Roi  s'excufa  de  rendre 
jy         Calais.  Au  refte  hs  Ambafladeurs  Anglois  furent  congédiés 
j  -  J^      avec  de  grandes  marques  de  confidération  ôc  de  bienveillance. 
On  piopo-       Cependant  l'Empereur  envoya  le  comte  de  Stolberg  en  An- 
feie  ma;ijgc  gleterre ,  pour  propofer  le  mariage  de  la  reine  Elifabeth  ,  non 
Cha^^avlr  P^^s  avcc  Ferdinand,  mais  avec  l'Archiduc  Charle.  UAmbalTa- 
la  reine  EUfa-  deur  fut  reçu  avccune grande  magnificence  ,  ôc  avec  de  grands 
témoignages  d'amitié.  Elifabeth  de  fon  côté  envoya  le  comte  de 
Sufiex  à  l'Empereur  ,  après  l'avoir  honoré  du  Cordon  de  l'Or- 
dre de  la  Jarretière.  Ce  Comte ,  foit  par  jaloufie  contre  le  comte 
de  Leyceftre,  qui  afpiroit  à  l'honneur  d'époufer  la  Reine,  foit 
pour  la  gloire  ôc  l'honneur  de  la  nation  Angloife  ,  qu'un  ma- 
riage fi  diiproportionné  auroit  deshonoré ,  n'omit  rien  pour  en- 
gager la  Reine  à  fe  marier  avec  un  Prince  étranger.  Il  fit  fon 
voyage  avec  un  magnifique  cortège?  il  pafla  par  Anvers,  par 
Cologne  >  par  Mayence  3  par  Wormes  ^  par  Spire ,  par  Ulm , 
ôc  par  Aufbourg  ,  ôc  il  demeura  quelques  jours  à  la  cour  de 
Vienne.  Le  comte  de  Leyceftre  lui  donna  le  Baron  du  North, 
moins  pour  lui  faire  compagnie  dans  fon  AmbafTade ,  que  pour 
être  fon  efpion  ,  ôc  afin  de  rompre  par  fon  adrefle  les  meîures 
que  fon  zélé  lui  faifoit  prendre,  pour  faire  réùfiir  le  mariage 
qu'il  defiroit.  Le  Comte  convint  bien-tôt  des  articles  du  ma- 
riage ,  qui  regardoient  les  titres  ou  qualités ,  la  fuccefiîon  des 
enfans  de  fun  ôc  de  l'autre  côté ,  Ôc  autres  matières  3  parce 
qu'on  avoir  prefqu'encore  fous  les  yeux  les  articles  du  mariage 
entre  Philippe  roi  d'Efpagne ,  ôc  Marie  reine  d'Angleterre.  On 
trouva  plus  de  difiicultez  fur  le  fait  de  la  religion.  L'Empereur 
demandoit  pour  fon  frère  une  Eglife  publique ,  dans  laquelle 
lui  ôc  les  fiens  eufi^ent  le  libre  exercice  de  la  religion  Catholi- 
que, fuivant  l'ancien  ufage.  Les  Anglois  difoient  au  contraire  > 
qu'une  pareille  conceffion  blefieroit  la  confcience  de  la  Reine  j 
l'expofant  au  danger  de  perdre  la  couronne  ,  peut-être  même  la 
vie.  L'Empereur  fit  entendre  que  l'Archiduc  fon  frère  pourroit 
fe  contenter  d'une  Chapelle  particulière,  qui  feroit  dans  fonPa- 
lais,  pourvu  qu'on  ne  fît  pas  une  recherche  trop  exacte  de 
ceux  qui  voudroient  y  être  admis  :  Il  ne  put  obtenir  cet  ar- 
ticle ;  on  fe  contenta  de  lui  répondre ,  que  fi  Charle  vouloir  ve- 
nir en  Angleterre ,  pour  traiter  en  perfomie  avec  Elifabeth ,  ils 


MBMMBa 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  XLÎ,      341 

autolent  certainement  l'un  &  l'autre  tout  lieu  d'être  contens  de 

ce  voyage.  Le  comte  de  Suflex  pafTa  de  Vienne  à  Gratz ,  à  r^  „  ,  t,  t  r- 

■T    ^     -^    s     i>  A      ^  •  1        •Il      1  V   - 1   r  ,      ,     '       ^^  H  A  R  L  E 

la  Cour  de  1  Archiduc  Cnarie ,  ou  il  tut  reçu  avec  tous  les  hon-       j  -^ 
neurs  poiTibles.  Il  y  attendit  envain  une  réponfe  plus  favorable     1  ^  6*7 
de  la  Reine  j  enfin  il  demanda  fon  audience  de  congé  ,  ôcil       ^ 


i 


levint  en  Angleterre.  Depuis  cette  Ambaflade ,  l'Empereur  ôc 

la  reine  d'Angleterre  fe  donnèrent  mutuellement  de  fréquentes  ' 

marques  d'amitié  ;  ôc  Maximilien  eut  tant  de  confidération  ôc  j 

d'affedion  pour  Elifabeth ,  qu'il  retarda  ou  empêcha  autant  qu'il  ; 

put  l'exécution  de  la  mauvaife  volonté  du  Pape,  &  les  entre-  ] 

prifes  de  Philippe  fon  coufin,  contr'elle.  i 

Dans  le  même  tems  la  Reine  d'Angleterre  reçut  une  ma-  j^^TT"-*^^ 
gnifîque  ôc  folemnelle  ambaflade  de  Jean  fils  de  Bafile  Grand  dans  la^Mof-  i 
Duc  ou  Czar  de  Ruflîe ,  avec  des  prefens ,  qui  confiftoient  fur-  <^0Yie.  ; 
tout  en  peaux  de  Martres  zibeHnes.pour  renouveller  leur  ancien-  < 
ne  alliance  avec  lesAnglois.  Les  Ambafladeurs  étoientEtien-  ! 
ne  Tuwerdick  Ôc  Théodore  Pogorella ,  qui  firent  à  la  Reine  j 
ôc  aux  Anglois  les  offres  les  plus  obligeantes  de  fervices.  L'an 
15^3  André  Judde ,  George  Barnes  ôc  Antoine  Hufey ,  riches  ) 
negocians  de  Londres  ,  qui  cherchoient  un  chemin  par  la  mer 
Glaciale:,  pour  aller  au  Cathay  S  entreprirent  cette  navigation , 
fous  la  conduite  d'Hugue  baron  de  Willoughbey.  Ce  capital-  \ 
ne  étant  mort  de  froid  ^  Richard  Chancelier  fon  lieutenant  con-  j 
tinua  fâ  route ,  ôc  arriva  à  l'embouchure  de  la  Duina  au  foixan-  ! 
te-troifiéme  degré  de  latitude  feptentrionale.  Il  trouva  le  mo-  ] 
naftere  de  faint  Nicolas ,  que  la  dévotion  ôc  le  concours  des  .] 
peuples  a  rendu  très-céiébre.  Delà  il  fe  rendit  fur  des  traîneaux, 
fuivant  l'ufage  du  payis,  à  Mofcou  capitale  de  cet  Empire.  Jean 
Bafilides  le  reçut  très-gratieufement ,  &  promit  qu'il  accorde- 
toit  aux  Anglois  de  grands  privilèges,  s'ils  pouvoienr  faire  tranf-  | 
porter  par  mer  dans  fes  Etats  les  marchandifes  qu'il  avoir  tant  j 
de  peine  à  faire  venir  par  la  Pologne ,  avec  laquelle  il  étoit  en  j 
guerre.  Chancelier  de  retour  en  Angleterre,  fous  le  règne  de                   ^        I 
Marie ,  rendit  compte  à  cette  Princefle  ôc  à  fon  Confeil  du  j 
fuccès  de  fon  voyage  ,   ôc  leur  fit  connoître  que  les  draps  i 
d'Angleterre   étoient    très  -  recherchez  des   Mofcovites  ,  qui  \ 
les  achetoient  fort  cher  >  ôc  qu'au  contraire  le  lin  ,  le  chanvre,  ' 
la  cire ,  ôc  les  pelleteries  les  plus  préneufes  étoient  en  cepayis- 

1  ou  à  la  Chine                                              ,                            .  ■ 

Vuiij  j 


542  HISTOIRE 

^^m^^i^^  h  à  très-vil  prix.  Ainfi  on  jugea  qu'il  étoit  de  l'intérêt  de  l'E- 

r^tr  *  OT  tr  tat  d'établir  à  Londres  une  compagnie,  qui  fut  appel!  ée  de  Mof- 

TV         covie.  Elle  fit  des  profits  UTimenles  j  parce  que  lous  le  règne 

/       d'ElizabethJes  Anglois  eurent  feulsla  permifTion  de  faire  palTer 

dans  la  Mofcovie  toutes  les  marchandifes  des  payis  étrangers. 

Ce  privilège  encouragea  les  Anglois  à  vifiter  avec  plus  de  foin 

toutes  les  Provinces  de  ce  vafte  Empire.  Ainliils  apprirent  qu'en 

remontant  la  Duina  fur  des  canots,  on  pouvoittranfporter les 

marchandifes  jufqu'au  Wologda,  ôc  delà  par  terre  enfept  jours 

jufqu'à  Jareflaw ,  d'où  l'on  defcend  par  le  Volga ,  en  trente  jours 

ôc  autant  de  nuits,  à  Aftracan. 

Les  Anglois,  encouragez  par  de  fi  heureux  fuccès ,  firent  con- 
ftruireun  vaifleau,  pour  entrer  dans  la  mer  Cafpienne,  qu'ils 
trouvèrent  pleine  de  bafi"es.  L'ayant  pafTée ,  ils  pénétrèrent  dans 
les  vafies  déferts  du  Mazandoran ,  ôc  du  Chorazan,  jufqu'au 
fond  de  la  Medie  ,  à  Tauris  ôc  à  Cafbin.  De  fi  beaux  commen- 
cemens  leur  firent  efperer  qu'ils  pourroient  trouver  le  chemin 
du  Cathay.  Mais  la  guerre  ,  qui  s'éleva  entre  les  Turcs  ôc  les 
Perfes,  les  empêcha  d'aller  plus  loin^  ôc  fit  évanouir  toutes  leurs 
«fperances. 


Fm  du  quarante-unième  Livre» 


54? 


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HISTOIRE 

D  E 


JACQUE     AUGUSTE 

D  £     TH  O  U. 


LIVRE  QVARANTE-DEVXIEME, 

^J^fff^l^r^^l^P^J^  E  s  nouveaux  troubles  de  la  Fran- 


O^O^C^^âSf^ 


ce  fuivirent  de  bien  près  ceux  des  Charle 
f'p^'i  Nw.  tw«i5>«''«.«'"'-ip  v-/  r^"%  Payis-bas.  Voici  à  peu  près  les  caufes       J  X. 
^^       5^  yx?       W(  de  part  &  d  autre  aulquelles  on  les      \  <  6  y. 

^^ '"^  %    I        èi  ^^^^^^^  attribua.  Les  Proteftans,  dont  la  pa-      Nouveaux 
^2 ^-^  ?^    ■    ^  ,^^t  J-MN*  [g^  tience  le  trouva  epunee  par  les  lup-  tioubics  en 
^  ^^^  Et,\f,:J;„4  O^  PJices,  les  bannifTemens Jes  ignomi-  p,';;,^f,:,  jes 
^1  rA  r-'i  >^.'i  ^''1  r^  fyi  *■•  N^^  nieSjôc  les  pertes  de  biens,  qu'on  leur  Proteftans. 
^=^în'"^^mrT^=7^r^,^^  "f  loultnr  pendant  un  allez    ong- 
s^K£^^:::JKi^^fii2j%.si^h2J^^dJ  tems  ;  raliemblerent  enlin  tous  leurs 
lu  jets  de  plauites ,  ôc  confulterent  enir'eux  fur  \ç,s  melures  qu  ils 
dévoient  prendre  dans  la  trille  fituation  de  leurs  affaires.  Leur 
principal  grief  étoitl'inobfervation  des  c'dits  donnez  en  leur  fa- 
veur.dont  oncludoitlesdifporitions,foit  par  de  nouvelles  décla- 
rations,foitpar  la  mauvaife  volonté  des  Juges  ôc  des  Gouverneurs 


344  HISTOIRE 

,. de  Provinces.  Un  autre  grief  étoit,  que  tout  le  mal  qu'on  leur  fai- 

TT"  foit,  même  le  meurtre  de  plufieurs  perfonnes  de  leur  parti,  de- 

TXT-         meuroit  impuni,  &  qu'on  entendoit  par  tout  dire  que  lesPro- 

-  ^*       teftans  ,  qui  marchoient  maintenant  tête  levée,  feroient  bien-tôt 

^  dépouillez  de  la  prétendue  liberté,  ou  plutôt  delà  licence  qu'ils 

s'étoient  arrogée^  ou  qu'ils  avoient  extorquée  du  Roi.  ^  Abattre 

95  les  murailles  des  places, dont  ils  s'étoient  rendus  maîtres,  &  y 

95  bâtir  des  citadelles  jufque  danslefein  du  Royaume,  n'étoit- 

33  ce  pas,  difoient-ils,  découvrir  clairement  la  haine  dont  on 

3>  étoit  animé  contre  eux ,  &  le  delTein  qu'on  avoir  formé  de  ti- 

«  rer  de  tout  le  parti  en  général  la  vengence,  qu'il  feroit  impof- 

w  fible  de  tirer  de  chacun  en  particulier  f  « 

C'eftpour  cela  qu'on  avoit  depuis  peu  enrollé  fix  mille  SuifTes 
&  qu'on  faifoit  actuellement  des  levées  dans  tout  le  Royaume. 
Ce  n'étoitpas  certainement  pour  faire  la  guerre  au  duc  d'Albe 
ôc  aux  Efpagnols  ,  avec  qui  l'on  étoit  en  fi  bonne  intelligence, 
fur-tout  depuis  Fentrevûë,  ôc  les  conférences  de  Bayonne.  Les 
Efpagnols ,  les  Proteftans ,  tous  les  gens  fages  ôc  expérimentez, 
les  Courtifans  eux-mêmes ,  fi  on  les  interrogeoit  ,nepouvoient 
en  difconvenir.  C'eft  encore  à  cela  que  tendoient  les  fréquens 
confeils  que  l'on  tenoit  entre  le  Pape ,  ou  fes  miniftres  ,  ôc  ceux 
»  Pie  V.  ^^^  ^^^^  ^^^^  •  confeils, où  le  Pontife^ ne  travailloit  qu'à  en- 
tretenir ôc  augmenter  la  haine  de  ces  deux  Princes ,  contre  les 
Proteftans  de  France  ôc  des  Payis-bas,  ôc  à  faire  allumer  dans 
le  même-tems  le  feu  de  la  guerre  par  Philippe  en  Flandre,  ôc 
par  Charle  dans  fon  Royaume. 

Toutes  ces  raifons  déterminèrent  les  chefs  des  Proteftans  à  s'aJP- 
fembler  auprès  du  Prince  de  Condé,  de  l'amiral  deColigni,ôc 
de  fon  frère  Dandelot ,  d'abord  à  Valéry,  ôc  enfuite  à  Châtil- 
lon  fur  Loin.  Après  bien  des  conteftations  on  convint  unani- 
mement, qu'il  falloit  commencer  par  employer  tous  les  moyens 
poftibles  pour  fe  procurer  la  paix ,  avant  que  d'en  venir  au  grand 
remède ,  c'eft-à-dire  à  la  prife  d'armes.  Ç'avoit  été  le  fentiment 
de  Cologni,  qui  craignoit  de  rentrer  dans  une  guerre,  qui 
ne  manqueroit  pas  de  les  rendre  odieux.  Mais  comme  le  Roi 
differoit  toujours  de  renvoyer  les  Suiftfes  (  quoiqu'on  l'en  fup- 
pliât  très-inftamment,  ôc  qu'on  lui  remontrât  que  ces  troupes 
n'étoient  plus  néceflaires  depuis  que  le  duc  d'Albe  étoit  arrivé 
dans  Içs  Payis-bas  )  ces  délais  afFedez  augmentèrent  infiniment 

les 


DE  J.  A.   DE   THOU,  Liv.   XLIL         545» 

les  foupçons  &  les  défiances.  Le  prince  de  Condé  apprit  mêiric  ——«_»« 
parles  lettres  d'un  grand  Seigneur  de  la  Cour ^  qui  favorifoic  ^  '■ 

îes  Proteftans,  qu'on  a  voit  réfolu  fecretement  de  l'arrêter,  lui  jy  ^ 
ôc  l'Amiral,  de  le  mettre  dans  une  étroite  prifon,  ôc  de  fe  dé- 
faire de  Coligni  :  de  faire  entrer  en  même  tems  deux  mille 
Suifles  dans  Paris ,  autant  à  Orléans ,  ôc  deux  mille  autres  à 
Poitiers  :  de  révoquer  auffi-tôt  l'édit  en  faveur  des  Proteftans, 
d'en  publier  de  contraires,  ôc  d'achever  la  ruine  entière  de  leur 
parti.  Les  défiances,  que  faifoit  naturellement  naître  la  marche 
des  Suifles,  qui  s'avançoient  à  mefure  que  le  prince  de  Condé 
employoit  fes  amis  à  foliiciter  la  Cour  de  les  renvoyer ,  join- 
tes à  ces  nouvelles,  animèrent  tellement  les  chefs  du  parti  Pro- 
teftant  qui  étoient  aflemblez,  que  ce  ne  fut  plus  un  Confeil  tran- 
quille, où  chacun  propofoit  fon  avis  à  fon  tour,  ôc  de  fang 
froid  ,  mais  une  aflemblée  tumultueufe  ,  où  l'on  n'entendoit 
qu'un  bruit  confus  de  voix  plaintives,  qui  difoient  :  «  Jufqu'à 
='  quand  fouffrirons-nous  qu'on  abufe  de  notre  patience?  At- 
='  tendrons-nous  qu'on  nous  mené  pies  ôc  mains  liez  à  Paris , 
»  qu'on  nous  traîne  enfuite  au  lieu  du  fupplice,  ôc  que  nos  en- 
=»  nemis  fe  repaifl!ent  de  notre  fang,  pour  afl^buvir  leur  cruauté? 
»'  Pourquoi  differons-nous  ?  Nous  avons  déjà  des  troupes  étran- 
»'  gères,  ôc  par  conféquent  des  ennemis  dans  le  fein  du  royaume 
a'  qui  viennent  pour  nous  attaquer.  Les  Suifles  fe  fouviennent 
»  de  la  perte  qu'ils  ont  faite  à  la  bataille  de  Dreux ,  ôc  ils  vien- 
»  nent  pour  venger  fur  nous  le  mal  que  nous  avons  été  forcez 
»  de  leur  faire  ,  ainfi  qu'à  nos  ennemis ,  lorfque  nous  avons  été 
»>  contrains  de  combattre  pour  notre  jufte  défenfe.  Avons-nous 
35  oublié  la  perte  de  tant  de  milliers  d'hommes,  qu'on  a  fait  pé- 
05  rir  en  tant  de  façons  différentes  depuis  fédit  de  pacification  ? 
»  Nous  avons  eu  beau  nous  en  plaindre  :  la  malice  ôc  les  arti- 
oi  ficesde  nos  ennemis  font  emporté  fur  nos  plaintes.  Nousn'a- 
»  vons  reçu  que  des  paroles  vagues,  que  des  réponfes  illufoi- 
35  res,  que  des  remifes  ôc  des  délais  ,  pour  éluder  nos  prières, 
35  ôc  fruftrer  toutes  nos  efperances.  Si  nous  pouvions  croire  que 
»  tout  cela  fe  fit  par  les  ordres  du  Roi ,  à  qui  nous  devons  l'o- 
sijbéiffance,  peut-être  ferions-nous  obligez  de  nous  foumettre. 
35  Mais  puifque  perfonne  n'ignore  que  tour  cela  fe  fait  ou  malgré 
y  lui,  ou  à  fon  infçii,  par  des  gens  qui  fe  couvrent  de  fon  nom, 
p  6c  qui  empêchent  nos  juftes  plaintes  de  parvenir  jufqu'à  fon 
Tome  V,  Xx 


S^6  HISTOIRE 

I  »  thrône  j  puifque  deftituez  de  tout  fecours  ]  nous  fommes  en 

Cu  A  B  T  c  "  proie  à  nos  ennemis^  nous  nous  devons  à  nous-mêmes  de 
TV         »  ne  les  pas  engagera  nous  taire  de  nouvelles  mjures,  en  du- 

J  <  6  7  "'  fiiîiulantpluslong-tems  celles  qu'ils  nous  ont  déjà  faites.  Nos 
»  pères ,  difperfez  de  coté  &  d'autre  ^  ont  profefle  la  vraie  Reli- 
ai gion  en  fecret  depuis  plus  de  quarante  ans ,  ôc  ils  ont  enduré, 
«  avec  une  patience  à  l'épreuve ,  toute  forte  d'injures  ,  d'af- 
3'  frons  ôc  de  fupplices.  A  prefent  que  par  une  grâce  fignalée  de 
♦5  Dieu,  il  y  a  non  feulement  des  familles,  des  villages,  6c  de 
M  petites  places  ;  mais  de  grandes  villes  entières ,  qui  appuyées- 
9»  de  l'autorité  Royale  font  profeflion  publique  de  la  véritable 
«  foi  en  Jefus-Chrift,  nous  tomberions  dans  uneapoflafie  indi- 
»  gne  du  nom  Chrétien  que  nous  portons  ,  fi  par  un  honteux  fi- 
as lence  6c  une  modération  à  contre-tems  )  nous  trahiffions  une  11 
w  jufte  caufej  fi  oubliant  cette  nobleffe.dont  nousfaifons  une  vai- 
!»  ne  parade  en  toute  autre  chofe,  nous  manquions  dans  la  cau- 
a>  fe  de  Dieu  à  ce  que  nous  devons  à  ce  titre  glorieux  ;  6c  fî 
05  en  perdant  nos  âmes  j  nous  entraînions  la  perte  de  tant  d'au- 
«  très.  Ainfi  nous  vous  fupplions ,  vous ,  MeflTieurs  ,  à  qui  nous 
M  avons  confié  le  foin  de  nos  affaires,  d'employer  votre  cré- 
»  dit ,  votre  autorité ,  ôc  vos  forces,  pour  nous  fauver  ^  en  fau- 
aï  vant  la  Religion.  3j 

Leurs  déli-  On  ne  fçauroit  exprimer  la  vive  imprefïîon  que  ces  paroles 
aérations.  firent  fur  tous  les  cœurs.  Alais  ne  fçachant  quelles  mefures  pren- 
dre ,  leurs  fentimens  étoient  partagez.  Il  n'y  avoit  perfonne  qui 
ne  vît  bien  le  danger  dont  ils  étoient  menacez  ;  mais  on  étoir 
en  balance  fur  les  moyens  de  le  prévenir.  «  Si  nous  avons 
»  recours  aux  plaintes ,  difoient  plufieurs  d'entr'eux  ,  nous  ne 
m  ferons  qu'irriter  ceux  avec  qui  nous  avons  nécefl^airement  af- 
w  faire.  Si  au  contraire  nous  prenons  les  armes  ,  à  quelles  ca- 
»  lomnies  ,  à  quels  reproches ,  à  quelles  maledi£tions  ne  nous 
»  expofons-nous  pas  ?  On  nous  imputera  tous  les  maux  ,  qui 
05  font  les  fuites  funeftes  6c  inféparables  de  la  guerre ,  6c  par 
»  tout  on  nous  accufera  d'être  d'injuftes  6c  de  criminels  ag- 
»  grefleurs.  Si  on  ne  peut  fe  venger  fur  nous,  parce  que  nous 
M  ferons  à  l'abri ,  ayant  les  armes  à  la  main ,  on  pourra  impuné- 
»>  ment  (  6c  les  méchans  croiront  que  ce  fera  jultement  &  avec 
35  raifon)fe  venger  fur  nos  femmes  6c  fur  nos  enfans  ,  que  nous 
0»  aurons  abandonnez,  11  femble  donc  plus  avantageux  6c  plus  à 


DEJ.  A.  DE     THOU,  Liv.  XLÎI.        547 

«  propos  de  marcher  fur  les  traces  de  nos  pères  ,  &  defouffrir 
3>  comme  innocens  tout  le  mal  qu'on  voudra  nous  faire  ,  que  Cu  arl£ 
M  de  nous  rendre  coupables,  en  rendant  le  mal  pour  le  mal ,  6c  j  v 
«  &  de  violer,  en  défendant  mal  une  bonne caufe ,  la  juftice  6c  i  ^  ^'j^ 
s»  l'équité ,  qui  feules  ont  jufqu'à  prefent  combattu  pour  nous.  « 
Pendant  que  les  principaux  chefs  du  parti  Proteftantparloient 
de  cette  forte^  6c  queles  autres  leur  applaudiflbient ,  d'Ande- 
lot,  qui  avoit  un  grand  pouvoir  fur  les  efprits  des  Seigneurs, 
6c  dont  la  parfaite  probité  étoit  connue  de  tout  le  monde,  prit 
la  parole  6c  dit  :  :.'  Je  ne  difconviendrai  pas  ,  Meffieurs ,  que 
«  votre  fentiment  ne  foit  clairement  appuyé  fur  les  règles  de 
»»  la  juftice  6c  de  la  prudence.  Mais  pour  guérir  les  maux  in- 
»  veterez  dont  la  France  eft  depuis  long-tems  attaquée ,  il  faut 
»»  abfolument  des  remèdes  plus  puiflans  :  l'importance  de  nos 
»  affaires  exige  de  grands  fentimens ,  un  courage  invincible , 
3>  6c  une  fermeté  à  l'épreuve.  Car,  permettez-moi  de  vous  le 
9>  demander,  fi  vous  attendez  que  nous  foyons  reléguez  dans 
»  les  payis  étrangers ,  ou  que  nous  foyons  emprifonnez ,  ou  que 
»>  chaffez  de  nos  maifons ,  nous  foyons  errans  dans  les  forêts  ôc 
»  dans  les  déferts,  expofez  à  la  barbarie  d'un  peuple  en  fureur, 
t>->  méprifez  par  les  gens  de  guerre  ,  condamnez  d'avance  par  les 
»  Grands  ',  de  quoi  nousfervira  notre  patience  6c  notre  douceur? 
0'  Quelle  reffource  trouverons-nous  dans  notre  innocence  ?  A 
«  qui  porterons-nous  nos  juftes  plaintes  ?  Qui  eft-ce  qui  voudra 
»  nous  regarder,  nous  parler,  nous  écouter  ?  Il  eft  tems,  Mef- 
»  fleurs,  de  fortir  de  l'erreur  dans  laquelle  nous  avons  fi  long- 
aï  tems  été ,  au  grand  préjudice  delà  Religion  6c  de  la  tranquil- 
aî  lité  publique.  Il  eft  tems  d'ouvrir  les  yeux ,  6c  de  recommencer 
»  une  guerre  également  jufte  6c  néceffaire.  Défendons  nous  con- 
M  tre  les  violentes  attaques  de  ceux  qui  nous  perfécutent^  6c  met- 
Bî  tons-nous  peu  en  peine  de  ce  que  nos  ennemis  6c  des  hom- 
3>  mes  pervers  pourront  dire  de  nous,  en  nous  reprochant  d*a- 
«  voir  les  premiers  donné  lieu  à  la  guerre.  Ce  font  eux  ,  qui 
B»  violant  les  droits  divins  6c  humains  les  plus  facrez,  ont  tant 
«  de  fois  manqué  à  leurs  fermens ,  6c  à  l'obfervation  des  trai- 
3>  tez  qu'ils  ont  faits  avec  nous;  ce  font  eux,  qui  ont  troublé 
a'  en  tant  de  différentes  manières  le  repos  du  Royaume  :  ce  font 
»  eux ,  qui  en  faifant  venir  jufque  dans  le  fein  delà  France  tant 
•>  de  troupes  étrangères,  nous  ont  déjà  en  quelque  façon  déclaré 

Xx  ij 


348  HISTOIRE 

^'  la  guerre.    Si  nous  perdons  le  tems  à  délibérer,  fi  par  notre  né- 
~Z  33  «[licence  nous  leurlaiflbns  le  tems  ôc  l'avantage  de  nous  atta- 

TV        "  4"^"^  »  avant  que  noua  foyons  en  état  de  nous  défendre ,  c'eft 
^  *       S'  fait  de  nos  biens ,  de  nos  vies ,  &  de  notre  Religion  i  tout  eft 
^      ''     3'  perdu  fans  reffource.  » 
Ils  rcpren-      ^^  difcours  d'Andelot  produifitun  grand  changement  dans 
nent  les  ar-   les  efprirs  >  ôc  tous  unanimement  furent  d'avis  de  repoufier  par 
*""*  la  force  une  violence ,  qui  entraîneroit ,  fi  on  ne  s'y  oppofoit 

pas ,  la  perte  inévitable  de  leur  parti.  Mais  il  fe  trouvoit  des 
difficultez  prefque  infurmontables  dans  le  choix  des  moyens , 
pour  bien  faire  la  guerre.  Les  uns  penfoient  qu'il  falloit  d'a- 
bord agir  avec  modération  j  qu'il  feroit  à  propos  que  les  chefs 
des  Proteftans  fe  rendifl'ent  maîtres  d'Orléans  par  la  voye  de 
la  douceurs  &  qu'après  cette  expédition ,  ils  envoyaffent  au 
Roi  une  requête  en  forme  de  mémoire ,  pour  juftifier  leur  con- 
duite ,  en  arturant  fa  Majefté  qu'ils  ne  l'avoient  pas  fait  pour 
exciter  des  troubles  ,  mais  pour  fe  précautionner  contre  les 
troupes  auxiliaires  des  Suiffes  ,  dont  l'arrivée  en  France  les 
inquiétoit  ,  ôc  leur  caufoit  des  défiances  :  &  que  s'il  plai- 
foit  au  Roi  de  les  renvoyer,  comme  ils  l'en  avoient  déjà  tant 
de  fois  fupphé,  fa  Majefté  les  trouveroit  difpofez  à  fe  retirer 
chacun  chez  foi ,  fans  bruit  ôc  fans  trouble.  Mais  ceux  qui 
étoient  d'un  avis  contraire,  ayant  repréfenté  le  danger  ou  les 
Proteftans  feroient  expofez  dans  une  ville,  dont  la  citadelle 
étoit  occupée  parles  troupes  du  Roi,  qui  pourroient  par  là 
fe  procurer  une  libre  entrée  dans  la  ville ,  ce  fentiment  fut 
rejette. 

D'autres  vouloient  qu'on  commençât  par  fe  rendre  maîtres 
de  tout  ce  qu'on  pourroit  de  places  fortes ,  de  villes  ôc  de 
bourgs,  dans  toutes  les  Provinces  du  Royaume  ;  Ôc  qu'on  fe 

Ï)réparât  à  les  bien  défendre ,  lorfqu'on  les  auroit  prifes.  Mais 
es  plus  prudens  ne  penfoient  pas  de  même  j  ôc  remontroient 
que  dans  la  première  guerre  ils  avoient  pris  plus  de  loo  villes, 
ôc  qu'ils  les  avoient  perdues  en  un  moment  î  parce  qu'ils  n'a- 
voient  ni  les  troupes  ni  les  forces  néceffaires  pour  les  fecouric 
à  tems. 

Enfin  Coligny,  qui  étoit  revenu  au  fentiment  de  fon  frère ,  fit 
prendre  la  réfolution  de  faire  ouvertement  la  guerre ,  de  ne  pren- 
dre que  peu  de  places ,  mais  de  choifir  les  plus  importantes  j 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIL       349 

de  former  au  plutôt  une  bonne  armée  ,  qui  ne  fût  prefque  . 

qu'un  camp  volant  ;  de  commencer  par  attaquer  les  Suif-  pu  a  ri  e 
fes,  qui  faifoient  la  principale  force  de  leurs  ennemis  ,  dansle       j  y 
tems  qu'ils  y  penferoient  le  moins  j  ôc  de  les  tailler  en  pièces  j     i  r  <  -7 
enfin  d'enlever  de  la  Cour  le  cardinal  Charle  de  Lorraine  , 
auteur  de  tous  les  troubles  de  la  France ,  ôc  l'ennemi  le  plus 
capital  des  Proteftans. 

On  oppofoit  à  cet  avis  ^  que  le  Cardinal  e'toit  toujours  au- 
près du  Roi  j  que  les  Suilfes  étoient  à  fes  cotez  pour  le  gar- 
der 5  que  s'ils  les  attaquoient  dans  de  pareilles  conjonâures  , 
on  les  accuferoit  d'en  avoir  voulu  au  Roi  lui-même,  &  non 
au  Cardinal  ôc  aux  SuifTes  j  qu'une  telle  entreprife  les  rendroit 
extrêmement  odieux  à  tout  le  monde  ,  ôt  leur  attireroit  une 
haine  irréconciliable  de  la  part  du  Roi ,  dont  il  étoit  impor- 
tant de  fe  ménager  la  bienveillance ,  ôc  de  gagner  l'afFeêlion. 
D'Andelot,  toujours  auteur  des  réfolutionsles  plus  hardies,  ré- 
pliquoit  que  l'événement  feroit  voir  quelles  avoient  été  les  in- 
tentions des  Proteftans  5  comme  Charle  VIL  encore  Dauphin 
avoir  autrefois  prouvé  à  toute  la  terre  par  l'événement ,  que 
ce  n'étoit  pas  contre  le  Roi  fon  père  ,  ni  contre  le  Royaume 
qu'il  avoir  pris  les  armes  :  que  perfonne  ne  pourroit  fe  perfua- 
der  que  tant  de  François  fe  fuflent  réunis  pour  confpirer  con- 
tre leur  Roi ,  ôc  le  perdre  :  qu'on  avoir  bien  vu  des  conjura- 
tions de  quelques  particuliers,  mais  jamais  de  tous enfemble : 
quefi  la  Fortune  donnoit  au  parti  d'heureux  commencemens, 
ce  feroit  le  moyen  de  finir  promptement  la  guerre  ,  d'éteindre 
le  feu  de  la  divifion  ,  d'éloigner  du  miniftere  les  ennemis  de 
la  tranquillité  publique  ,  d'obtenir  du  Roi  ,  plus  inftruit  ôc 
mieux  confeillé,  la  confirmation  des  édits ,  ôc  d'établir  dans  le 
Royaume  une  paix  folide  ôc  durable.  Tout  le  monde  revint 
à  ce  fentiment  ;  on  réfolut  de  faire  tous  les  préparatifs  nécef- 
faires  pour  l'heureux  fucccs  de  ces  entreprifes ,  ôc  chacun  fe 
difpofa  à  la  guerre. 

Les  Proteftans  avoient  réfolu  de  s'emparer  de  Lyon  ,  de 
Touloufe  ôc  de  Troyes,  trois  villes  des  plus  confidérables  du 
Royaume  :  mais  foit  par  la  faute  des  chefs  ,  foit  par  des  revers 
de  fortune,  tous  leurs  efforts  furent  inutiles  ,  ôc  ils  virent  é- 
choùer  la  plupart  des  projets  ,  qu'ils  avoient  formés  dans  leurs 
alfemblées  :  au  contraire  bien  des  chofes  qu'ils  n'avoient  pas 

X  X  iij 


yers  Mcaiix. 


55:0  HISTOIRE 

prévues,  leur  réùflirent  contre  toute  efpcrance  ;  Dieu  le  per-* 

C  H  A  RL  E  ^^"^-'^^  ^infi  ,  pour  faire  clairement  connoître  que  les  hommes 
j  -^  les  plus  prudens  ,  ôc  les  plus  confommés  dans  les  affaires,  con- 
j  ^  fultent  ,  délibèrent,  fe  déterminent,  6c  entreprennent  ,  mais 
fouvent  fans  fuccès  j  &  qu'il  n'appartient  qu'à  Dieu  de  régler 
les  évenemens  ,  Ôc  de  conduire  les  deftins  ôc  les  entreprifes 
des  hommes  ,  en  leur  donnant,  félon  fa  volonté,  de  bons  ou 
de  mauvais  fuccès. 

Iismarciient  Le  prince  de  Condé  avoit  indiqué  pour  la  fin  de  Septem- 
bre l'alfemblée  qui  fe  devoir  tenir  à  Rozay  en  Brie.  La  plus 
grande  partie  de  la  Nobleffe  des  environs  s'y  rendit.  Le  Prin- 
ce avoit  avec  lui  l'Amiral  Coligny ,  d'Andelot  frère  de  l'Ami- 
ral ,  ôc  François  comte  de  la  Koche-Foucauld.  Ils  partirent 
enfemble  de  Valéry,  ils  pafferent  la  Marne  à  Trillebaidou  ; 
prirent  leur  route  par  Lagny ,  ôc  fe  rendirent  aifément  maîtres 
de  Rozay.  La  Nobleffe  des  Provinces  les  plus  éloignées ,  vint 
les  y  trouver  ;  ôc  pour  tromper  plus  facilement  la  Cour ,  ils  ar- 
rivoient  prefque  un  à  un.  Il  y  avoit  déjà  bien  400  hommes 
de  cavalerie  affemblés  ,  lorfque  la  Reine  apprit  quelque  chofe 
de  ce  qui  avoit  été  jufqu'alors  tenu  fecret.  Elle  avoit  quitte 
Monceaux  ,  ôc  étoit  à  Meaux  avec  le  Roi.  Pour  obliger  les 
Proteftans  à  ne  rien  entreprendre,  jufqu'à  ce  que  les  Suiffes; 
qui  étoient  proche,  fuffent  arrivés  auprès  du  Roi,  ôc  que  la 
Cour  fût  en  fureté  ,  la  Reine  envoya  le  maréchal  François  de 
Montmorenci  au  prince  de  Condé,  pour  lui  demander  ce  que 
fignifioit  ce  concours  fubit  ôc  inopiné  de  tant  de  gens  de  guer- 
re ?  Le  Maréchal  trouva  les  confédérez  en  bataille  à  Torcy  ; 
près  de  Lagny ,  ôc  il  les  amufa  par  fes  conférences  ,  jufqu'à 
ce  que  les  Suifes,  que  le  Prince  de  Condé  vouloir  attaquer  en 
chemin,  fuflent  arrivez  à  Meaux  ,  comme  ils  arrivèrent  en  ef- 
fet dans  le  tems  de  la  conférence.  Voici  en  fubflance  ce  qui 
s'y  paffa. 

Montmorenci  demanda  d'où  venoit  cette  nouveauté,  ôcil 
blâma  les  Confédérez.  ^  Si  vous  avez  ,  leur  difoit-il ,  quelque 
»  chofe  à  demander  au  Roi,  pourquoi  ne  venez-vous  pas  trou- 
ai ver  fa  Majefté ,  comme  des  fujets  dociles  ôc  amis  de  la  paix; 
a'  pourquoi  y  venez-vous  armez  ?  Où  font  vos  paroles  ,  vos 
m  promelfes  >  vos  fermens  ?  Où  eft  votre  obéïlîance  f  Vous 
»  Monfieur ,  qui  êtes  prince  du  Sang ,  combien  ne  vous 


DE  J.  A.  DE  THOU;  Liv.  XLII.  5^1 

»  fendez-vous  pas  odieux  par  le  confeil  que  vous  donnez  à  tant  ,.,,.,, -— . 

s>  de  Seigneurs  3  que  vous  éloignez  par  votre  exemple  de  l'o-  ~ 
i^^béïÏÏance  dûë  au  Roi,  de  venir  en  armes  fommer  fa  Majefté       J"^^ 
OD  de  vous  accorder  ce  que  vous  lui  demandez  ?  Pourquoi  , 
»  MefTieurs,  avez- vous  pris  le  parti  de  forcer  le  Roi  par  les     ^  5  "  7* 
»  armes,  plutôt  que  de  le  fléchir  par  vos  prières,  comme  doi- 
«  vent  faire  de  bons  &  de  fidèles  fujets  f  Quittez  les  armes  ,  ôc 
w  venez  comme  Aqs  fupplians  prefenter  au  Roi  vos  très-hum- 
M  blés  remontrances.  «  A  ce  difcours  ,  que  le  Maréchal  avoit 
paru  faire  en  ami,  les  Confédérez  répliquèrent,  que  les  beaux 
noms  de  fidélité  ôc  d'obéïflance  n'étoient  plus,  que  des  termes 
fpécieux  ôc  frivoles  ;  ôc  que  ceux  qui  en  faifoient  parade  ôc 
qui  les  leur  objedoient  fans  ceffe  ,  en  avoient  eux-même  très- 
fouvent  profané  la  fainteté  ,  en  faifant  paffer  pour  ennemis  du 
Roi  ceux  qui  vouloient  mettre  un  frein  à  leur  ambition,  ôc 
en  les  jettant  malgré  eux  dans  la  trifce  nécefiité  de  prendre  les 
armes  pour  défendre  la  juftice  de  leur  caufe  :  qu'au  refte  s'ils 
réuffiflbient ,  l'événement  feroit  connoître  la  droiture  ôc  la  pu- 
reté de  leurs  intentions  î  ôc  qu'en  donnant  des  bornes  à  l'am- 
bition de  leurs  ennemis,  ils  mettroient  bien-tôt  fin  à  la  guerre 
qu'ils  étoient  forcés  de  recommencer. 

Pendant  la  conférence ,  on  apprit  que  les  SuifTes  appro- 
choient,  ôc  marchoient  fans  s'arrêter.  Le  maréchal  de  Mont- 
inorenci  retourna  auffi-tôt  à  la  Cour ,  ôc  le  prince  de  Condé 
continua  fa  marche,  pour  furprendre  ces  troupes  auxiliaires» 
Mais  il  vint  trop  tard  ,  ôc  les  Suifles  étoient  déjà  arrivés  au- 
près du  Roi.  Le  Maréchal  ayant  prefenté  le  mémoire  que  les 
Proteftans  lui  avoient  donné ,  ôc  rendu  compte  de  ce  qu'il 
avoit  fait  ôc  de  ce  qu'il  avoit  vu  ,  on  tint  confeil  dans  lamai- 
fon  du  Connétable  ,  pour  délibérer  fur  ce  qu'il  y  avoit  à  faire. 
Ce  Seigneur  ,  qui  étoit  fort  au-delTus  de  tous  les  autres  par  fa  di- 
gnité ,  par  fon  expérience,  par  fa  fidélité  envers  le  Roi ,  ôc  par 
fon  ardent  amour  pour  fa  patrie,  fut  d'avis  que  la  Cour  de- 
meurât à  Meaux  ,  ville  forte  par  elle-même ,  ôc  que  l'arrivée 
des  Suifles ,  ôc  des  troupes  qui  alloient  y  venir  de  jour  en  jour, 
rendroit  imprenable.  Il  ajouta  que  le  Roi  nepouvoit  fe  met- 
tre en  chemin  ,  fans  courir  les  rifques  d'un  combat  :  «  Qui 
•»  peut ,  ajoûtoit-il ,  répondre  du  fuccès  f  Un  Roi  bien  confeillé 
^  doit  mettre  tout  en  ufage  pour  éviter  une  bataille  ,  où  il  lui 


3^2  HISTOIRE 

ferok  honteux  d'être  vaincu ,  ôc  fort  trifte  d'être  le  vainqueur/ 

Char  LE  ''  ^^  ^^  convient  pas  à  fa  Majefté  de  paroître  fuir  ;  ii  n'y  a 

j  -^        o>  point  encore  eu  d'hoftilitez  :  on  eft  encore  en  quelque  fa- 

i  <:  6  7      "  ^>^^^  ^^^^  ^^^  bornes  du  devoir  :  fi  une  fois  les  armées  etoient 

»5  en  prefence  ,  quoiqu'on  n'en  vint  pas  aux  mains  ,  le  Roi  ne 

M  pardonneroit  jamais  l'injure  qu'il  prétendroit  avoir  reçue. 

35  D'un  autre  côté  les  Proteftans,  qui  appréhenderoient  le  reffen- 

»>  timent  ôc  la  vengence  d'un  Prince  qu'ils  auroient  fi  fort  of- 

y^  fenfé,  ne  mettroient  jamais  les  armes  bas.  Ainfi  à  propor- 

♦>  tion  du  véritable  zélé  que  l'on  a  pour  la  gloire  du  Roi ,  ôc 

"  pour   la  tranquillité  publique  ,  on   doit  fouhaiter  avec  ar- 

«  deur  ôc  tâcher  d'éteindre  le  feu  d'une  guerre  civile.  Tant 

«  qu'il  y  aura  lieu  d'efperer  une  réconciliation  ,  il  faut  re- 

»  trancher  tous  les  fujets  de  mécontentement  ôc  de  plainte  ; 

3'  autant  qu'il  eft  pofîible  ,  fans  préjudicier  néanmoins  à  lama- 

a>  jefté  royale  :  enfin  le  parti  qui  me  paroît  le  plus  fur  pour  le 

^  Roi ,  eft  d'attendre  tranquillement  la  fin  de  ces  troubles  dans 

»la  ville,  où  fa  Majefté  fe  trouve  a£luellement.  » 

La  Reine  parut  d'abord  applaudir  au  Connétable ,  foit  qu'el- 
le fût  touchée  du  difcours  d'un  homme  d'un  fi  grand  poids  ; 
foit  qu'elle  penfât  aulfi  que  c'étoit  le  parti  le  plus  fage.  Mais 
elle  changea  aufii-tot ,  foit  par  la  légèreté  naturelle  à  fonfexe, 
foit ,  comme  on  le  difoit  alors,  qu'elle  eût  été  gagnée  par  le 
cardinal  de  Lorraine.  Ce  Cardinal  regardoir  les  troubles  com- 
me favorables  à  fes  deileins  ambitieux  ;  il  vouloir  faire  connoî- 
tre  aux  fils  du  duc  fon  frère  le  pouvoir  qu'il  avoir  fur  l'efprit 
du  peuple  de  Paris ,  ôc  montrer  en  même-tems  à  ce  peuple  ces 
enfans  ,  qui  avançoient  en  âge ,  ôc  renouveller  par  là  ou  entre- 
tenir fes  anciennes  fadions.  C'eft  pourquoi  ,  comme  s'il  y 
avoir  eu  matière  à  de  nouvelles  délibérations,  à  l'occafion  de 
quelques  bruits  qu'on  répandit  j  la  Reine  fit  le  même  jour  af- 
fembler  lesGrands  danslamaifon  du  duc  deNemours ,  tout  dé- 
voué aux  Guifes  ,  ôc  que  la  goutte  retenoit  alors  au  lit.  Onfup- 
pofa  dans  ce  Confeil  que  le  nombre  des  confédérez  augmentant 
d'heure  en  heure ,  il  y  avoir  lieu  de  craindre  que  le  Roi ,  mal- 
gré les  troupes  qui  l'environnoient ,  ne  fe  trouvât  aflîégé  dans 
une  fi  petite  ville.Enfin  la  fa£lion  des  Guifes  fit  conclurre,  que  le 
Roi  fortiroit  de  Meaux  lanuitfuivante  ,  pour  aller  à  Paris.  Le 
Chancelier  Michel  de  l'Hôpital  ,  fommant  la  Reine   de  fa 

parole 


ARLE 


DE  J.  A.  DE  THOU>  Liv.  XLII.        sn 

parole ,  remontra  envain  que  c'étoit  expofer  le  Roi  à  un  dan-  - 
ger  évident,  trahir  l'Etat,  fermer  toutes  les  voyes  de  réconcilia-  7^ 
tion  3  réduire  le  royaume  à  la  trifte  néceflité  de  foûtenir  une  j  v^ 
guerre  fatale  ;  qu'enfin  ces  confeils  venoient  de  gens  ennemis  du 
repos  &  de  la  tranquillité  publique,  ôc  qu'il  falloit  punir  de  mort  ^ 
les  auteurs  des  faux  bruits.  Ce  digne  magiftrat  ,  à  qui  l'Etat 
avoit  tant  d'obligations,  devint ,  pour  avoir  parlé  de  la  forte ,  û' 
odieux  aux  grands  ôc  au  peuple ,  qui  fe  précipitoient  aveuglé- 
jnent  dans  les  plus  grands  malheurs  ,  que  ne  pouvant  plus 
foûtenir  leurs  indignes  procédez ,  il  fe  trouva  contraint  l'an- 
née d'après  de  quitter  cette  première  charge  de  la  robe,  ôc  d'a- 
bandonner la  Cour. 

La  réfolution  étant  prife ,  on  donna  ordre  aux  Sulfles  d'être 
fous  les  armes  à  minuit.  A  peine  fe  furent-ils  repofez  pendant 
trois  heures  ,  qu'ils  fe  levèrent ,  ôc  vinrent  avec  joye  fe  ranger 
autour  du  Roi ,  marchant  par  troupes ,  enfeignes  déployées.  Le 
Roi  étoit  accompagné  d'environ  900  Gentilshommes  à  che- 
val ,  mais  prefque  fans  armes.  Sa  Majefté  ayant  fait  quatre 
lieues,  rencontra  à  la  pointe  du  jour  la  petite  troupe  du  prince 
de  Condé ,  qui  n'étoit  que  de  400  hommes  à  cheval,  mais  très- 
bien  équipés.  Quand  ils  fe  furent  approchez,  il  y  eut  entre 
eux  quelques  légères  efcarmouches  ,  car  il  parut  également 
dangereux  ôc  fatal  aux  deux  partis  d'en  venir  à  une  bataille. 
Les  Suilfes  firent  paroître  beaucoup  de  fang  froid  ôc  un  ar- 
dent defir  de  combattre  ;  ils  mirent  même  leurs  boucliers  à 
terre,  comme  ils  ont  coutume  de  faire  ,  lorfqu'ils  font  fur  le 
point  de  combattre.  Le  Connétable ,  qui  appréhendoit  qu'on 
ne  s'échauffât  de  part  ôc  d'autre ,  ôc  que  contre  l'intention  des 
deux  partis  on  n'en  vînt  à  une  bataille ,  confeilla  au  Roi  ôc  à 
la  Reine  de  prendre  une  a'Jtre  route ,  avec  un  détachement 
de  200  cavaliers  compofé  de  la  Noblefle  de  la  Courj  dont 
les  principaux  chefs  étoicnt  Claude  de  Lorraine  duc  d'Au- 
male  ,  le  maréchal  de  Vieille-ville  ,  MauvoiHiniere  ,  ôc  de 
Fonfeca  baron  de  Surgeres  j  ôc  d'aller  droit  à  Paris.  Pour  lui 
il  continua  de  marcher  avec  les  Suifies  ôc  le  refte  de  la  No- 
blefle en  bon  ordre,  faifant  tête  detems  en  tems  aux  ennemis, 
ôc  il  arriva  fans  beaucoup  de  perte  ni  de  part  ni  d'autre  au 
Bourguet.  Le  Roi  avec  la  Reine  ôc  fa  Cour ,  fe  rendit  fans  au- 
cun accident  à  Paris  le  2^  de  Septembre  avant  la  nuit.  La 
Tome  V^  Y  y 


Ch 


5;4  HISTOIRE 

néceflltc  où  il  fe  trouva  alors  de  fuir  ,  lui  infpira  une  haine  mor- 
i  A  R  L  E  ^^^^^  contre  les  Proteftans  5  6c  cette  haine  furieufe  ne  put  être  fa- 
I X.  tisfaite,  comme  les  plus  fages  l'avoient  pre'vû  ^  que  par  Thorrible 
j  ^  ^  ^^  maflacre  de  ceux  de  ce  parti ,  c'eft-à-dire  par  la  honte  éternelle 
du  nom  François. 

D'un  autre  côté  le  cardinal  de  Lorraine ,  ravi  d'avoir  allumé 
le  feu  de  la  guerre  >  s'en  alla  en  diligence  à  Rheims.  Il  penfa 
être  pris  près  de  Château-Thierry  par  les  troupes  des  confé- 
dérez  qui  venoientde  Champagne.  Un  excellent  cheval  d'Ef- 
pagne  qu'il  montoit,  le  tira  à  peine  du  péril ,  &  il  y  perdit  fa 
vaiffelle  d'argent  ôc  tout  fon  bagage.  Les  Confédérez  vinrent 
enfuite  à  Claye,  où  ils  refterent  cinq  jours  ,  en  attendant  la  ré- 
ponfe  à  la  requête  qu'ils  avoient  donnée  au  maréchal  de  Mont- 
morenci.  Comme  ils  prévirent  bien  que  l'accommodement 
feroit  difficile ,  ôc  qu'on  ne  leur  accorderoir  pas  la  fatisfaêtion 
qu'ils  demandoient,  ils  envoyèrent  en  Guyenne  des  exprès, 
qui  paflerent  par  le  Poitou  ôc  par  l'Angoumois  ,  pour  faire 
promptement  marcher  tous  les  troupes ,  qui  avoient  pris  les 
armes  prefque  dans  le  même  moment  partout  le  Royaume. 

Ils  envoyèrent  auffi  dans  le  Dauphiné  ,  dans  l'Auvergne  , 
ôc  dans  le  Languedoc  :>  pour  prefler  les  levées  qu'on  y  faifoit. 
Après  avoir  pris  cqs  fages  précautions  pour  l'avenir,  ils  réfo- 
iurent  d'inveftir  tellement  la  ville  de  Paris ,  qu'on  en  fermât 
toutes  les  avenues ,  ôc  qu'on  empêchât  le  pafTage  ôc  l'entrée 
des  vivres.  Ils  commencèrent  par  envoyer  une  garnifon  à  Mon- 
tereau-Faut- Yonne ,  d'où  l'on  apporte  à  Paris  une  grande  partie 
des  vivres  ,  qui  viennent  de  Champagne  ôc  de  Bourgogne  > 
éc  dans  une  même  nuit  ils  brûlèrent  tous  les  moulins  à  vent, 
qui  étoient  entre  la  porte  du  Temple  ôc  celle  de  Saint  Ho- 
noré. Ils  firent  par  là  plus  de  peur  que  de  mal  aux  Parifiens, 
qui  furent  extrêmement  frapés  d'une  adion  fi  extraordinaire. 
Le  Roi  fut  aufii  très-irrité  de  l'affront  fignalé  qui  lui  étoit  fait, 
par  des  fujets  qui  avoient  l'infolence  d'attaquer  la  capitale  de 
îon  Royaume,  Ôc  d'employer  le  fer  ôc  le  feu  contre  le  lieu  où 
,fa  Majeflé  faifoit  fa  réfidence. 

La  ville  de  Paris  eft  fimée  au  milieu  d'une  campagne  de« 
plus  fertiles  ôc  des  plus  abondantes ,  ôc  partagée  prefqu'éga- 
lement  en  deux  parties  par  la  Seine.  Cette  rivière  qui  prend 
fa  fource  en  Bourgogne  ,  paffe  par  Troyes,  reçoit  l'Aube  à 


DE  J.  A,  DE  THOU.  Liv.XLIL       ^st 

Pont,  Ôc  le  Loin  proche  Moret ,  arrofe  Melun  ôc  Corbeil ,  ôc  . 

reçoit  à  Confiant ,  au-deffous  du  Pont  de  Charenton ,  la  Marne  çp 
appellée  la  petite  nourrice  de  Paris  ,  à  caufe  de  la  grande      t  y 
quantité  de  vivres  qu'elle  y  apporte.  Au-delTous  de  Paris  la  ^' 

Seine  fait  tant  de  tours  ôc  de  détours ,  que  jufqu'à  PoifTy ,  où 
à  peine  il  y  a  fix  lieues  de  chemin  par  terre ,  on  en  compte  2.6 
par  eau.  Vous  diriez  que  ce  Fleuve  a  peine  à  quitter  la  capi- 
tale du  Royaume^  tant  il  ferpente  ,  ôc  coule  doucement  le  long 
des  villages  voifins  ,  qu'il  femble  n'arrofer  que  pour  y  pren- 
dre les  vivres  j  dont  une  ville  fi  peuplée  à  befoin.  L'Oyfe ,  qui 
fe  décharge  dans  la  Seine  à  Confiant  -  Sainte  -  Honorine ,  eft 
une  autre  mère  nourrice  de  Paris.  Cette  rivière  prend  fa  four- 
ce  dans  le  Tierache  ,  paffe  par  la  Fere  ôc  par  Noyon  :  groffie 
par  la  Velle ,  qui  vient  de  Rheims  ,  ôc  par  l'Aifne  qui  vient 
de  SoilTons  ,  elle  arrofe  Compiegne,  ôc  tranfporte  à  Paris  les 
provifions  ôc  les  vivres  qu'elle  ramafîe  dans  ces  fertiles  Provin- 
ces. Le  cours  de  la  Seine  eft  fi  doux ,  qu'on  peut  y  faire  re- 
monter aifément  les  plus  gros  batteaux?  ce  qui  fait  que  Paris 
reçoit  tout  ce  qui  eft  apporté  dans  la  Seine  parles  rivières  qui  s'y 
déchargent  au-deflusôcau-deffous  de  Rouen,  ôc  que  la  naviga- 
tion depuis  Rouen  jufqu'à  Paris  eftauffi  facile  que  commode. 
Ce  font  toutes  ces  commodités  qui  ont  fait  que  Paris ,  ville 
d'abord  affez  petite,  s'eft  tellement  augmentée,  qu'elle  peut 
être  mife  en  parallèle  avec  les  plus  grandes  villes  du  monde. 
Mais  fi  on  venoit  à  fermer  tous  ces  pafTages,  ôc  à  boucher  les 
entrées  des  vivres,  il  eft  conftant  que  cette  capitale tomberoit 
aufli-tôt  en  défaillance  ôc  périroit  ,  comme  un  grand  corps 
fort  ôc  robufte ,  dont  on  auroit  coupé  les  veines.  C'étoit  une 
entreprife  hardie  ôc  difficile  :  c'eft  néanmoins  à  quoi  les  Pro- 
teftans  fe  déterminèrent  fur  le  champ ,  perfuadés  qu'en  blo- 
quant cette  ville ,  avant  qu'elle  eût  eu  le  tems  de  faire  les  pro-t 
vifions  néceiïaires  pour  fubfifter  pendant  le  fiége  ,  elle  feroit 
bien-tôt  réduite  à  de  grandes  extrémités  ;  ôc  qu'avant  l'arrivée 
des  troupes  du  Roi ,  ils  pourroient  obtenir  une  paix  avanta- 
geufe,en  dépit  de  ceux  qu'ils  appelloient  les  ennemis  delà 
tranquillité  publique. 

La  Reine  cependant  travailloit  à  un  accommodement.  Elle 
lenvoyaverslesConfédérezle  Chancelier  de  l'Hôpital ,  Vieille- 

Yyi; 


5;^  HISTOIRE 

Ville,  &  Jean  de  Morvilliers,  trois  hommes  d'un  grand  poiéi 

Charle  ^  cl'une  grande  fagefle.  Ils  dirent  aux  Confédérez  qu'il  avoit 

I  X.       P^'-^  ^^  -^^^  *  comme  à  tout  le  monde ,  trèi>  finguliec  que  des- 

i  K  6j,     perfonnes  ^à  qui  on  n^avoit  fait  aucun  tort ,  enflent  pris  les  ar* 

La  reine     nies  dans  le  tems  qu'on  s'yattendoit  le  moins  i  que  leurcon- 

Mere  travail-  duite  étoit  d'un  très-mauvais  exemple  :  qu'ils  avoient  manqué 

commode-  '    à  la  fidélité  &  à  robéiflance  qu'ils  dévoient  à  leur  Souverain  : 

nieut.  que  les  Princes  étrangers  n'auroient  jamais  fait  ce  qu'ils  avoient 

ofé  faire,  en  prenant  les  armes,  fans  avoir  auparavant  déclaré 

la  guerre  :  ôc  qu'ils  avoient  eu  d'autant  moins  de  raifon.  d'en 

ufer  ainfi ,  qu'ils  n'avoient  pu  faire  cette  démarche  fans  fe  ren-^ 

dre  coupables  du  crime  de  leze-majefté. 

Le  prince  de  Condé  répondit,  que  ni  lui ,  ni  aucun  de  ceu)s 
de  fon  parti,  n*avoit  jamais  penfé  à  prendre  les  armes  contre 
le  Roi ,  ou  contre  la  patrie  ;  mais  qu'ils  avoient  été  forcés  à^ 
fe  préparer  à  une  jufte  &  légitime  défenfe,  par  l'extrême  dan-^ 
ger  où  ils  étoient  expofez  ,  ôc  par  la  trifte  néceffité  de  préve- 
nir la  ruine  &  la  perte  inévitable  de  leur  parti  :  qu'ainfi  il 
fupplioit  faMajefté  de  vouloir  bien  écouter  favorablement  les 
trop  juftes  plaintes,  qu'ils  avoient  renfermées  dans  leur  requê- 
te. En  même-tems  il  la  donna  aux  députez  ,.  pour  la  prefenter 
au  Roi.  Les  Confédérez  dans  ce  mémoire  tachoient  de  jufti- 
fier  leur  conduite ,  d'en  rejetter  tome  la  faute  fur  Tambition' 
de  ceux  qui  avoient  tant  de  fois  empêché  le  Roi  d'écouter 
leurs  remontrances  ,  &  de  faire  voir  que  ce  n'avoit  été  qu'à 
la  dernière  extrémité,  &  lors  qu'ils  n'avoicnt  pu  faire  autre- 
ment ,  qu'ils  s'étoient  déterminés  à  un  remède  (i  violent  ôc  fi- 
contraire  à  leurs  inclinations ,.  n'en  ayant  plus  aucun  autre 
pour  mettre  à  couvert  leurs  biens  &  leurs  vies. 

La  fuite  du  mémoire  étoit  une  forte  inventive  contre  les- 
Guifes  ,  dont  ils  cenfliroient  vivement  Tefprit  inquiet  ,  re- 
muant ,  brouillon  ôc  ambitieux,  &  à  qui  ils  reprochoient,  i**», 
D'avoir  autrefois  prétendu  par  droit  d'hérédité  au  duché  d'An- 
jou &  au  comté  de  Provence.  2°.  Après  avoir  été  déboutés 
de  ces  injuftes  prétentions ,  de  s'être  uniquement  appliqués  à 
brouiller  le  Royaume  par  de  nouvelles  entreprifes  ,  d'avoiï 
rempli  par  leurs  menfonges ,  leurs  artifices ,  ôcleurs  calomnies, 
J'efprit  du  Roi  &  de  la  Reine ,  de  foupc^ons  ôc  de  défiances 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.    XLIL      ^sf 

contre  les  Pi-oreftans  î  &  de  leur  avoir  fait  croire  fauflement 

qu'il  avoient  conjuré  la  perte  de  leurs  Majeftés  &  duRoyau-  Charlr 

me.  »  On  ne  peut ,  ajoûtoient-ils  /  nous  reprocher  d'autre  cri-       Jx, 

»'  me ,  que  de  nous  être  oppofés  à  leurs  projets  ambitieux  :     j  -  ^  -^ 

•»  c'eft  eontr'eux  feuJs ,  &  non  pas  contre  la  majefté  Royale , 

»  que  nous  avons  été  forcés  de  prendre  les  armes  j  c'eft  contra 

»  leurs  injuftes  violences  que  nous  avons  été  contraints  de  re-» 

»»  courir  à  une  défenfe  jufte  ôc  autorifée  par  toutes  les  loix.  Ils 

•»  l'ont  néanmoins  emporté  dans  l'efprit  du  Roi  j  ils  ont  abufé 

•  de  fa  trop  grande  confiance  j  &  ils  lui  ont  perfuadé  par  leurs 

»  pernicieux  confeils ,  de  lever  des  troupes  dans  les  payis  étraa- 

»»  gers ,  fous  d'autres  prétextes  :  voilà  ce  qui  a  mis  dans  la. 

»  trifte  néceflité  de  prendre  les  armes ,  des  hommes  inno- 

»  censj,  qui  n'afpirent  qu'au  bonheur  de  vivre  dans  la  fidélité  , 

»  dans  Fobfervation  des  loix ,  ôc  dans  l'obéiflànce  due  à  leur 

»  Souverain.  « 

Ils  fupplioient  enfuite  très-humSIement  &  très-inftamment 
leR:oi,  de  vouloir  bien  faire  informer  fur  ce  qui  leur  étoit  ca- 
lomnieufement  imputé  y  de  faire  punir  ceux  qui  feroient  con- 
vaincus d'en  être  les  auteurs  ,  fuivant  l'énormité  de  la  calom- 
nie i  &  d'ordonner  la  peine  du  Talion  contre  ceux  qui  étant 
coupables  du  crime  de  leze-majefté  ,  par  leurs  fecrettes  intri- 
gues &  leur  commerce  avec  les  princes  étrangers,  au  grand; 
préjudice  de  l'Etat  j  accuilbient  de  ce  crime  des  perfonnes  qui 
s'étoient  diftinguées  par  leur  inviolable  fidélité  pour  leur  Prin- 
ce ,  &  par  leur  tendre  amour  pour  la  patrie.  Ils  difoient  enco- 
re que  ks  Proteftans  n'ignoroient  pas  les  confeils  que  le  Car- 
dinal avoir  donnés  à  la  Reine  ,  à  Marchez  ,  ôc  depuis  peu  à 
Monceaux  ,  d«  faire  arrêter  le  prince  de  Gondé,  l'Amiral  de 
Coligny  ,  d'Andelot  ,  &  d'autres  Seigneurs  :  Que  dans- 
les  conférences  tenues  à  Rayonne  avec  le  duc  d'Albe  j  on. 
avoit  perfuadé  à  la  Reine  de  leur  faire  la  guerre  :  Que  c'eft 
ce  qui  les  avoit  obligés ,  n'ayant  point  d'autre  voye  pour  fe  ga- 
rantir ,  de  prendre  les  armes  :  Qu'ils  éroient  prêts  de  les  met- 
tre bas ,  aufli^tôt  qu'on  leur  auroit  donné  toutes  les  fûretés 
convenables ,  ôc  qu'on  auroit  conclu  une  paix  à  des  condi- 
tions juftesôc  raifonnahles. 

Les  envoyez  delà  Reine  étant  partis,  avec  le  mémoire  qu'on 
Jeuc  avoit  donné,  le  prince  de  Gondé  vint  avec  les  Confédérée 

Yyn;      • 


4j3  HISTOIRE 

le  fécond  jour  d'Odobre  à  Saint  Denis ,  fitué  à  deux  lieueà 

Charle  ^^  ^^^'^s  >  pour  fermer  le  pafTage  aux  vivres  de  ce  côté-là  ; 
ly  comme  il  avoit  été  réfolu.  Il  rencontra  en  chemin  Evrard  de 
-  ç,  >r*  S.  Sulpice  avec  des  lettres  de  créance  du  Roi,  pour  lui  don-î 
ner,  à  lui  &.  à  tous  ceux  de  fon  parti  de  la  part  de  fa  Majefté ,' 
toute  forte  d'afîiirances  3  ôc  lui  faire  tout  efperer  de  fa  bonté. 
Il  lui  promit  qu'elle  leur  envoyeroit  dans  peu  des  députez  ; 
&  qu'elle  donneroit  les  ordres  néceffaires  pour  veiller  Ôcpour-^ 
voir  à  leur  fureté.  Le  lendemain  le  Chancelier  de  l'Hôpitah 
Sebaftien  de  Laubefpine  évêque  de  Limoges  ,  ôc  Saint  Sulpi- 
ce ,  vinrent  trouver  le  prince  de  Condé.  Après  beaucoup  de 
difcours  de  part  ôc  d'autre  fur  les  fâcheufes  conjonctures  où 
l'on  étoit  j  le  Chancelier  aflura  le  Prince ,  que  l'intention  da 
Roi  étoit  de  dillîper  entièrement  des  deux  cotez  les  foupçons 
ôc  les  défiances,  qui  avoient  donné  lieu  à  ces  nouveaux  troubles; 
d'établir  dans  tout  le  Royaume  une  paix  folide,  fondée  fur  l'é-» 
quité  ôc  laraifon  ,  ôc  de  donner  pour  cela  un  Edit  portant  abo- 
lition ôc  oubli  de  tout  le  paffé.  On  en  fit  la  le£lure  en  préfen- 
ce  de  tous  les  Confédérez.  Le  Prince  ayant  déclaré  enfuite  , 
que  ni  lui ,  ni  ceux  de  fon  parti ,  n'en  étoient  contens  ,1e  Chan- 
celier le  pria  de  vouloir  bien  leur  dire  ce  qu'ils  fouhaitoient 
de  plus  de  fa  Majefté.  La  réponfe  fut  qu'ils  s'expliqueroient 
par  écrit ,  ôc  on  fe  fépara.  Le  Roi  envoya  dès  le  lendemain 
Ligncrolles  ,  pour  recevoir  de  leurs  mains  la  réponfe  qu'ils 
avoient  promis  dé  faire ,  ôc  l'apporter  à  fa  Majefté. 
Demandes  j^j^  répoufc  des  Confédércz  renfermoit  ces  demandes  :  Que 
4tans.  '  "^  "  le  Roi,  pour  difiiper  toutes  les  défiances  des  Proteftans  ,  ôc 
pour  convaincre  le  public  qu'il  ne  confervoit  dans  fon  cœur 
aucun  refte  de  relTentiment ,  congédiât  au  plutôt  toutes  les  trou- 
pes étrangères  :  Qu'il  permît  au  prince  de  Condé,  ôc  aux  Sei- 
gneurs qui  étoient  avec  lui ,  de  fe  rendre ,  après  avoir  mis  les 
armes  bas ,  auprès  de  fa  Majefté  j  ôc  qu'il  eut  la  bonté  d'écou- 
ter favorablement  leurs  plaintes  :  Qu'il  punît  févérement  les 
calomniateurs  :  Qu'il  confirmât  dans  toute  leur  étendue ,  ôc 
maintînt  dans  toute  leur  force  les  Edits  donnez  en  faveur  des 
Proteftans ,  qui  avoient  été  altérés  ,  énervés  ,  ôc  prefqu'entie- 
rement  abolis  par  les  interprétations  ôc  les  déclarations  pu- 
bliées depuis;  ôc  qu'en  donnant  àfes  fujets,  la  liberté  decon- 
fcieuce ,  il  rendît  la  paix  à  fon  Royaume  :  Que  cette  gracQ 


DE  X  A.  DE  T  HOU,  Lrv.  XLII.       s^c, 

Î)foduîroit  en  France  d'auffi  bons  effets  ,  Ôc  une  paix  auïïi  fo-  ^ 
ide  ,  que  produifit  en  Allemagne  la  grâce  que  Charle-Quint  ^  * 

accorda  à  tous  les  membres  de  l'Empire  ,  lorfqu'il  eut  vaincu       txt- 
6c  réduit  fous  fa  puifTance  les  chefs  des  Proteftans  :  Que  le  Roi  ^'  ' 

partageât  également^  fans  aucune  diftin£lionde  religion  ^  les  di-        ^ 
gnitez ,  les  honneurs  ôc  les  magiftratures  j  &  en  revêtit  tous  ; 

ceux  qui  s'en  trouveroient  dignes  :  Qu'il  foûlageât  i^QS  peu-  i 

pies ,  en  diminuant  les  impôts  que  les  Italiens  ôc  ceux  qui  \ 

avoienttrop  de  crédit  à  la  Cour,  avoient  fait  excefîivement 
augmenter,  à  leur  profit  ôc  au  grand  préjudice  de  la  Noblef-  1 

fe  :    Enfin  que  pour  rétablir  la  tranquillité   publique  par  les  i 

moyens  les  plus  propres ,  on  tînt  incefTamment,  fui  vaut  l'an-  ■ 

cien  ufage ,  une  aflemblce  parfaitement  libre  des  Etats  du  i 

Royaume.  i 

Pignerolîes  ayant  apporté  cet  écrit  à  la  Cour ,  la  Reine  ac-     ^^  j^^;  j^^  \ 

coûtumée  à  des  dépenfes  fans  bornes ,  ôc  à  qui  il  falloit  cha-  f^it  fommcr  i 

que  jour  de  nouveaux  impôts  pour  les  foûtenir,  en  fut  extrê-  amièTbaV^* 
mement  picquée.  Elle  regarda  comme  une  injure  perfonnelle  j 

ce  qui  étoit  dit  des  Italiens.  Elle  s'imagina  que  les  Proteftans  i 

ne  demandoient  l'affemblée  des  Etats ,  que  parce  qu'ils  étoient 
las  de  fon  adminiftration ,  qu'ils  vouloient  fécoùer  le  joug  de  \ 

fon  gouvernement,  fe  mettre  en  liberté,  ôc  la  refferrer  elle-  j 

mcme  dans  des  bornes  qu'elle  appréhendoit.   Elle  crut  avoit  ' 

trouvé  l'occafion  favorable  de  faire  éclater  toute  la  haine  qu'el- 
le avoir  depuis  long-tems  conçue  ;  ôc  s'abandonnant  aux  mou-  , 
vemens  de  la  plus  vive  colère  ,  elle  entreprit  (  ce  qui  ne  lui  fut                               j 
pas  difficile  ,  )  d'animer  contre  les  Proteftans  toute  la  Cour  ^  ; 
dont  elle  difpofoit  à  fon  gré.  Elle  en  vint  à  bout  avec  d'autant 
moins  de  peine,  que  dans  le  même  tems  on  rapporta  au  Roi,  ! 
que  les  Confédérez  avoient  fait  afficher  à  Montereau-Faut- 
Yonne  des  placards  au  nom  du  prince  de  Condé  ,  dans  lefquels 
ils  declaroient  qu'ils  n'avoient  pris  les  armes  que  pour  obtenir 
le  foûlagement  du  peuple  par  la  diminution  des  impôts   in-                               ^ 
ventés  nouvellement  par  les  Italiens  5  qui  comme  des  fanfuës                               , 
tiroient  le  fang  du  peuple ,  à  la  ruine  de  l'Etat ,  fans  qu'il  en  re- 
vînt aucun  avantage  à  fa  Majefté,ôcau  grand  préjudice  delà                               I 
Noblefle   :  enfin   pour  rétablir  l'ancienne  liberté,  ôc  pouraf-               ~                 ; 
fermir  la  paix  accordée  par  les  Edita  du  Roi ,  contre  les  ef- 
forts des  féditieux. 


iSCj, 


5^0  HISTOIRE 

■■  On  cefTa  donc  de  traiter  avec  les  Confédérez ,  ôc  lalflant 

pT"  TTT  là  les  conférences  &  les  négotiations  ,  on  ne  fit  aucune  répon- 
j  y  fe  à  leur  écrit  j  mais  on  envoya  le  7  d'Odobre  un  herault  à 
Saint  Denis,  avec  des  ordres  du  Roi ,  fignés  par  Claude  de  Lau* 
befpinCj  ôc  Floiimond  Robertel  Secrétaires  d'Erat,  qui  con- 
tenoient  en  fubftance  :  Qu'il  n'étoit  permis  à  qui  que  ce  fût , 
qu'au  Roi ,  d'indiquer  des  aflemblées  dans  le  Royaume ,  de 
faire  des  levées  d'hommes  &  d'argent ,  ôc  d'afficher  des  pla- 
cards :  Que  c'étoient  des  droits  tellement  attachez  à  la  Royau- 
té, qu'ils  ne  pouvoient  être  communiquez  à  aucun  autre,  de 
quelque  qualité  ôc  condition  qu'il  fût  :  Que  c'étoient  des  loix 
aufquelles  tous  dévoient  fe  foumettre  5  ôc  principalement  ceux 
qui  par  les  prérogatives  de  leur  naiflance ,  ou  par  le  devoir  de 
leurs  charges ,  étoient  obligez  d'être  plus  intimement  attachez 
au  Roi  :  Que  néanmoins  fa  Majefté  étoit  informée  que  plufieurs 
s'étoient  aflembiez  en  armes  à  faint  Denis ,  fans  fes  ordres,  ayant 
à  leur  tête  le  prince  de  Condé,  les  frères  Coligni,  Odet  car- 
dinal de  Châtillon ,  Gafpard  Amiral ,  ôc  François  d'Andelot, 
François  comte  de  la  Rochefoucauld  ,  François  d'Hangefl  de 
Genlis,  George  de  Glermont  d' A  mboife,  François  comte  de 
Sault  ,  François  Barbançon  de  Cany  ,  Jacque  de  Boucard  ; 
Bayencour  de  Bouchavanes  ,  Dailly  de  Pequigni ,  Jacque  de 
Brouillard  comte  de  Montmorenci,  Raguier  d'Efiernay ,  Ga- 
briel comte  de  Montmorenci,  ôc  Jean  de  Ferrieres  Vidame 
de  Chartres  :  Que  pour  cela  le  Roi  avoir  mandé  à  un  de  fes 
heraults  >  de  leur  faire  commandement  à  tous ,  de  quelque  qua-^! 
lité  ou  condition  qu'ils  fuffent ,  que  puifqu'ils  s'étoient  aflem- 
biez en  armes  fans  fes  ordres,  ils  euflent  à  les  mettre  bas,  ôc 
à  fe  prefenter  inceflamment  devant  fa  Majefté ,  pour  lui  ren- 
dre ,  comme  à  leur  légitime  fouverain  établi  de  Dieu  au-def- 
fus  d'eux ,  i'obéïflance  qu'ils  lui  dévoient ,  fuivantla  loi  de  Dieu; 
(înon  qu'ils  déclaraffent  qu'ils  approuvoient ,  ratifioient  ôc  con- 
firmoient  les  aflemblées  défendues ,  ôc  la  prife  d'armes  qu'ils 
avoient  faite ,  au  grand  préjudice  du  peuple ,  ôc  au  mépris  de 
l'autorité  Royale  i  afin  que  fur  cette  déclaration  fa  Majefté  prît 
les  réfolutions  qui  feroient  convenables,  t 

La  publication  de  cet  ordre  du  Roi  déconcerta  un  peu  \q% 
Seigneurs  Confédérez.  Le  plus  grand  nombre  fut  d'avis  qu'il 
failoit  adoucir  ôc  modérer  leurs  demandes,  parce  que  fi  leur 

premier 


Nouvelle  rc 
quête    des 
Proceâaas. 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLIL       5(^1 

premier  mémoire  venoit  à  la  connoiflance  des  Princes  étran-  __ 

^ers,il  ne  manqueroit  pas  de  les  indifpofer  contre  leur  parti  :  Que  p  ^ 

fila  guerre  venoit  à  s'allumer,  leur  principale  reflburce  étoit       t y 
dans  les  troupes  auxiliaires  qu'ils  efperoient  de  l'Allemagne;  >.* 

mais  que  Ci  les  Princes  de  l'Empire  apprenoient ,  qu'il  ne  s'agif-  ^ 
foit  pas  feulement  de  la  Religion  dans  cette  guerre  ,  ôc  qu'on 
y  attaquoit  l'autorité  Royale  ôl  le  gouvernement  civil ,  ils  per- 
droient  beaucoup  du  zèle  ôc  de  l'ardeur  qu'ils  avoient  témoi- 
gné jufqu'alors  pour  les  fecourir  :  Qu'ils  étoient  affurez  que  Lan- 
lac  nommé  parle  Roi,  pour  aller  vers  les  Princes  d'Allemagne, 
&  empêcher  les  levées  quife  faifoient  en  faveur  des  Protellans, 
€toit  principalement  chargé  dans  fes  inftru£lions  de  leur  faire 
voir ,  qu'il  ne  s'agilToit  plus  dans  cette  guerre  de  foiitenir  les 
intérêts  de  la  Religion,  mais  de  borner  l'autorité  du  Roi 5  ôc 
que  cette  révolte  pouvoit  être  d'une  très-dangereufeconféquen- 
ce ,  non  feulement  pour  le  Roi  en  particulier ,  mais  générale- 
ment pour  tous  les  autres  Souverains.  On  prit  donc  la  réfolu- 
tion  de  changer  le  mémoire  des  demandes ,  ôc  on  drefla  une 
nouvelle  requête ,  dans  laquelle  on  fupplioit  très-humblement 
là  Majefté  d'accorder  à  tous  fes  fujets ,  par  tout  ôc  fans  aucu- 
ne diftindion  de  perfonnesni  de  lieux,  une  pleine  ôc  entière 
liberté  de  Religion  ôc  de  confcience ,  ôc  de  vouloir  bien  fu- 
primer  toutes  les  interpi;étations ,  que  fa  Majefté  ou  fes  Parle- 
mens  avoient  ajoutées  aux  édits.  Ils  s'excufoient  d'avoir  parlé 
dans  leur  premier  écrit  du  foulagement  du  peuple  ôcderaflem- 
blée  des  Etats  :  ils  dirent  qu'ils  l'avoient  fait  avec  une  bonne 
intention  ,  non  pour  donner  aucune  atteinte  à  l'autorité  Roya- 
le ,  à  laquelle  ils  avoient  toujours  été  difpofez  de  rendre  une 
parfaite  obéiflfance ,  ni  pour  prendre  la  liberté  de  borner  fapuif- 
fance  j  mais  feulement  pour  donner  à  fa  Majefté  des  preuves 
de  leur  fidélité,  en  l'avertiflant ,  comme  ils  y  étoient  obligez, 
ôc  en  le  fuppliant  très-humblement  de  regarder  quelquefois  un 
peuple  malheureux  ôc  défolé,  avec  cette  bonté  qui  lui  étoit  na- 
turelle, ôc  d'arrêter  le  cours  des  calamitez  publiques  par  tous  les 
moyens  que  fa  prudence  lui  infpireroit.  Enfin  ils  prioient  ôc 
conjuroient  fa  Majefté,  de  vouloir  bien  prendre  en  bonne  part 
une  démarche  prefcrite  par  le  devoir, ôc  par  leur  refpcdueux  atta- 
chement pour  fa  perfonne  j  de  fermer  les  oreilles  aux  faufles  Ôc 
calomnieufes  imputations  de  leurs  ennemis  ,  Ôc  de  ne  pas 
Tome  V,  Z  z 


5^2  HISTOIRE 

^,  oublier  fa  clémence  ôc  fa  bonté,  pour  fuivre  leurs  impreffions'. 

Char  LE       ^^  mémoire  ayant  été  apporté  à  la  Cour  ,  fit  un  très-grand 
j^        changement  dans  les  efprits  î  ôc  les  perfonnes  prudentes  ne  déf- 
I  -  ^_      efpérerent  plus  qu'on  ne  pût  enfin  en  venir  à  un  accommo- 
dement ,  puifque  tout  fe  réduifoit  à  la  caufe  de  la  Religion. 

auffi^înunie^    La  Reine  mère  s'y  oppofa  d'abord  :  car  voyant  que  la  mort 

quciesprécé-  du  duc  de  Guifc  avoit  diminué  la  puiflanced'uneMaifon  ,  qui 
avoit  commencé  à  lui  caufer  des  défiances  par  fon  trop  grand  cré- 
dit, &  ë^^^^^  ^^^  les  flatteries  du  cardinal  de  Lorraine,  elle 
paroiflbit  toute  occupée  du  foin  de  divifer  par  une  guerre  les 
Montmorencis  ôc  les  Colignis^  que  la  paix  avoit  réunis ,  ôc 
dont  la  bonne  intelligence  lui  étoit  devenue  fufpe£le.  Mais  le 
Connétable  l'emporta  ;  il  fut  réfolu  de  renouer  les  conférences, 
ôc  la  Reine  fut  comme  forcée  de  confentir  que  ce  Seigneur 
fût  chargé  de  la  négociation.  Il  vint  donc  à  la  Chapelle,  entre 
Paris  ôc  S.  Denis ,  avec  François  de  Montmorenci  fon  fils ,  ôc 
avec  Artu.s  de  Coflé  de  Gonnor ,  qui  venoit  d'être  fait  maréchal 
de  France  j  après  la  mort  de  Bourdillon.  Ils  étoient  accom- 
pagnez d'Armand  Gontault  de  Biron,  ôc  de  Claude  de  Laubef- 
pine  fecretaires  d'Etat,  Le  Prince  de  Condé  s'y  rendit  aufli- 
tôt  avec  les  frères  Coligni ,  le  Vidam  e  de  Chartres ,  le  comte 
de  Sault  ôî:  le  fieur  de  Cani. 

Les  Proteftans  ayant  demandé  avartt  toutes  chofes  la  tole- 
lence  de  leur  Religion,  ôc  la  liberté  de  l'exercer  dans  tout  le 
Royaume,  fans  aucune  diftindion  de  Heux  ôc  de  perfonnes,  le 
Connétable,  tout  zélé  qu'il  étoit  pour  la  paix  ôc  la  tranquillité 
publique,  déclara  hautement  que  le  Roi  n'y  confentiroit  ja- 
mais :  Que  les  édits  faits  en  faveur  des  Proteftans  n'étoientpas 
pour  toujours ,  ôc  que  le  dernier  fur-tout  donné  à  Orléans ,  n'é- 
toit  que  pour  un  tems  :  Que  le  deffein  du  Roi  n'étoit  pas  de 
tolérer  deux  Religions  dans  le  Royaume  î  mais  plutôt  d'em- 
ployer tous  les  moyens  poflibles  pou^r  conferver  ôc  affermir 
l'ancienne  :  Et  que  fa  Majefté  ainieroic  mieux  être  en  guerre 
avec  fes  fujets,  que  de  fe  rendre  fufped^ou  odieux  aux  Prin- 
ces fes  voifins  pour  une  telle  caufe.  Ainfi  on  fe  jfépara  de  part 
ôc  d'autre  fans  rien  conclure.  Les  conférences  étanc  âinfi  rom- 
pues ,  on  perdit  toute  efpérance  de  paix ,  ôc  on  ne  p.en.Ca  plus 
des  deux  cotez  qu'à  la  guerre. 

Alors  du  Bec  de  Bourry  amena  aux  Proteftans  huit  enfei^^peç 


'uerre. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLII.         s'^S 
du  payis  de  Caux.  Les  capitaines  Paris,  Helie  ,  Pré,  &  Ne-  ■ 

gués  levèrent  quelques  regimens  ,  fuivant  les   ordres   d'An-  Chaule, 
delot  Colonel  général  de  l'infanterie  Françoife.  Mafconis  fit        jy 
un  détachement  de  cent  vingt  hommes  de  la  garnifon  de  Metz,  / 

aufquels  fe  joignirent  trois  cens  hommes  de  Champagne,  ôc  tous 
arrivèrent  fans  aucun  accident  à  faint  Denis.  Peu  de  tems  après  p^-jr^"  k^àiC- 
Claude  Antoine  de  Vienne  de  Clervant ,  Ambure ,  de  Saint  pofent  à  u 
Chaumas  commandant  de  la  garnifon  de  Metz ,  à  l'infcû  de  §^ 
Jacque  de  Monberon  d'Auzance^  amenèrent  à  l'armée  qui  étoit 
à  Montereau ,  huit  enfeignes  d'infanterie ,  ôc  quatre  compagnies 
de  cavalerie  ,  commandées  par  Duilly  gendre  de  François  de 
Scepeaux  maréchal  de  France.  D'un  autre  côté  le  vidame  de 
Chartres,  le  comte  de  Montgommery ,  delà  Noue,  doritnous 
aurons  fouvent  lieu  de  parler  dans  la  fuite ,  Nicolas  de  Cham- 
pagne comte  de  laSufe,  Charlede  Beaumanoir  deLavardin, 
&  d'autres  levaient  de  la  cavalerie  ôc  de  l'infanterie  dans  l'An- 
jou, dans  la  Bretagne,  dans  la  baffe  Normandie^  dans  le  Per- 
che ,  dans  le  payis  Chartrain  ,  ôc  dans  la  BeaulTe.Tous  s'aflem- 
blerent  au  commencement  d'Odobre  à  Thoury ,  au  nombre 
de  mille  chevaux,  oii  environ,  Ôc  de  trois  mille  hommes  de 
pié. 

Janville  ouvrit  fes  portes  au  vidame  de  Chartres ,  qui  l'a- 
voit  fommée  de  fe  rendre.  Enfuite  on  partagea  l'armée  j  Mont- 
gommery commandoitl'avant-garde,  ôc  le  Vidame  l'arriere- 
garde.  La  ville  d'Etampes  ayant  refufé  de  fe  rendre  lorfqu'elle 
fut  fommée,  le  capitaine  Saint  Jean,  frère  de  Montgommery, 
la  prit  par  efcalade.  Auffi-tôt  le  château  fe  rendit.  Le  vain- 
queur y  mit  garnifon  ,  pour  être  maître  de  toute  la  campagne 
des  environs ,  plus  abondante  en  vivres  qu'aucune  autre.  D'E- 
tampes on  alla  àDourdan  :  Jean  de  l'Hôpital  comte  de  Choify, 
qui  en  étoit  commandant ,  la  rendit  au  Vidame  j  ôc  gagné  par 
ce  Seigneur ,  qui  le  prefenta  au  prince  de  Condé ,  il  s'attacha 
au  parti  Protellant. 

Comme  les  ponts,  les  partages,  ôcles  ports  des  environs  de 
Paris  étoient  occupez  par  les  troupes  du  Roi  ,  les  Confédé- 
rez  en  vinrent  aux  mains  avec  celles  qui  étoient  à  faint  Cloud. 
Ils  paflerent  enfuite  la  Seine  fur  des  batteaux  qu'ils  avoient 
préparez  pour  cela,  le  2^  d'Ottobre.  Les  troupes  qui  gar- 
doient  cette  petite  place  fous  les  ordres  de  Guicour ,  l'ayant 

Zz  ij 


3^4  HISTOIRE 

^__       _  abandonnée,  ôc  s'étant  retirées  dans  une  tour  à  l'entrée  du  pont, 
CharijË  S^'^^^^  eurent  le  tems  de  fortifier  d'un  bon  foffé  ;  les  troupes 
TV         des  Proteftans  qui  avoient  pafle  la  rivière  ,  arrivèrent  fans  ac- 
J        cident  à  faint  Ouën  ,  où  l'amiral  de  Coligni  les  attendoit.  Alors 
tout  ce  qu'il  y  avoit  de  troupes  dans  l'armée  du  prince  de  Con- 
dé  montoit  à  deux  mille  hommes  de  cavalerie,  ôc  quatre  mille 
d'infanterie ,  ôc  il  y  en  arrivoit  encore  tous  les  jours.  Les  Con- 
fédérez  tinrent  là  un  grand  Confeil  i  Ôc  pour  pouvoire  dire  qu'ils 
n'avoient  rien  omis  de  tout  ce  qui  dépendoit  d'eux ,  afin  de  par- 
venir à  un  accommodement  3  ils  réfolurent  avant  tout  d'en- 
voyer Teligny  pour  traiter  avec  la  Reine  mère. 

On  diftribua  enfuite l'armée.  Une  partie  demeura  à  faint  De- 
nis avec  le  Prince  de  Condé ,  les  Vidâmes  de  Chartres  ôc  d'A- 
miens ,  François  Barbançon  de  Cany ,  François  comte  de  Sault^ 
Nicolas  de  Champagne  comte  de  la  Sufe ,  ôc  autres  capitai- 
nes. Une  partie  s'avança  à  faint  Ouën ,  village  fur  la  Seine , 
qui  eft  fur  la  droite  en  allant  à  Paris ,  avec  l'amiral  de  CoU- 
gny,  d'Andelot  fon  frère,  Clermont  d'Amboife  ôc  de  Renty* 
François  d'Angeft  de  Genlis,  Nicolas  (du  Bec  de  Vardes,  Ôc 
d'autres  prirent  leurs  logemens  à  la  gauche  au  village  d'Auber- 
villiers.  Par  cette  diftribution  de  quartiers ,  les  deux  villages 
etoient  comme  les  deux  ailes  de  l'armée  des  Proteftans  ,  ôc 
faint  Denis  étoit  comme  le  centre  où  étoit  le  corps  de  bataille^ 
On  envoya  plus  loin  Montgommery  pour  occuper  le  Bour- 
get,  qui  eft  fur  le  chemin  de  Senhs  ôc  de  Clermont.  Tous  les 
chemins  pour  faire  entrer  des  vivres  dans  Paris  par  terre  ayant 
été  fermez,  Clermont  d'Amboife  fut  commandé  pour  mener 
fa  troupe  à  Charenton,  village  fur  la  Marne,  qui  a  un  pont 
fortifié  d'une  tour  y  au-defifus  de  Confiant.  Celui  qui  comman* 
doit  dans  la  Tour ,  attendit  à  peine  l'ennemi  pour  fe  rendre, 
ôc  il  eut  pour  cela  quelque  tems  après  la  tête  tranchée  à  Paris, 
Clermont  abandonna  enfuite  Charenton ,  parce  que  Lagny, 
qui  eft  au-deffus  ôc  fitué  auffi  fur  la  Marne ,  étant  gardé  par  les 
Proteftans ,  l'entrée  des  vivres  par  cette  rivière  étoit  entière- 
ment fermée.  Dans  le  même  tems  d'Andelot  partit  pour  Poif- 
fy ,  avec  cinq  cens  chevaux  ôc  un  détachement  d'infanterie.  On 
envoya  devant  Montgommery  pour  s'emparer  de  Pontoifè  ^ 
afin  que  les  ponts  qui  (ont  furl'Oife  ôc  fur  la  Seine,  étant  oc- 
cupez parles  Proteftans,  Paris  fe  trouvât  réduit  à  une  extrême 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLII.  5^5 

nécefTité  :  mais  cette  entreprife  fut  inutile ,  ôc  même  préjudi-  — ' 

ciableaux  Confédérez,  car  Montgommery  trouva  que  la  pla-  Char  le 
ce  avoit  une  trop  forte  garnifon  pour  pouvoir  être  forcée  en       I  X. 
peu  de  tems.  Philippe  Strozzi ,  fils  de  Pierre  Strozzi  maréchal     i  5  (^  7. 
de  France  ,  tué  à  Thionville  ,y  avoit  laiffé  en  paflantune  partie 
du  régiment  de  Picardie ,  qu'il  commandoit ,  ôc  il  étoit  venu 
avec  le  refte  à  Paris  par  un  chemin  différent  de  celui  que  les 
Proteftans  avoient  crû  qu'il  prendroit.  Pendant  que  d'Andelot 
s'arrêtoit  à  Poiffy  ,  les  troupes  du  Roi  lui  fermèrent  le  paffage, 
ôc  il  ne  put  rejoindre  affez  tôt  Parmée  des  Confédérez ,  pour 
fe  trouver  à  la  bataille  qui  fut  donnée. 

Déjà  un  grand  nombre  de  troupes  étoient  venues  de  tou- 
tes parts  fe  rendre  auprès  du  Roi.  La  charge  de  Colonel  gé- 
néral de  l'infanterie ,  que  d'Andelot  poffedoit,  fut  partagée  en 
deux  charges.  Le  Roi  donna  l'une  à  Strozzi ,  ôc  l'autre  à  Ti- 
moleon  de  ColTé  fils  du  maréchal  de  Briffac ,  jeune  homme 
d'un  très-grand  courage.  Les  compagnies  ordinaires  de  la  ca- 
valerie Françoife  j  qui  font  la  principale  force  du  Royaume, 
étoient  aufîi  venues  en  grand  nombre.  Outre  le  domaine  da 
Roi ,  &  les  tributs  immenfes  que  paye  le  Royaume ,  Charle 
VIL  dont  le  règne  avoit  été  agité  de  plufieurs  guerres  civiles, 
faifant  réflexion  qu'une  grande  puiffance  ne  peut  fubfifter  long- 
tems  fans  effuyer  bien  des  troubles ,  inventa  avec  beaucoup 
de  prudence  une  impofition  particulière  ,  qui  fufiifoit  pour 
l'entretien  de  cinquante  mille  hommes  de  pié  ,  ôc  une  au- 
tre qui  étoit  deftinée  pour  la  fubfiftance  de  la  cavalerie  or- 
dinaire. C'eft  ainfi  que  nos  Rois  ,  au  milieu  des  guerres  les 
plus  confidérables  qu'ils  ont  eues  avec  nos  voifins ,  ont  long>- 
tems  confervé  leurs  armées  dans  une  difcipline  ,  qui  leur  fai- 
foit  honneur,  ôc  qui  n'étoit  point  à  charge  au  peuple.  Mais  le 
grand  nombre  de  guerres  civiles,  ôc  la  fordide  avarice  de  ceux 
qui  ont  été  en  faveur  auprès  de  nos  Rois  beaucoup  plus  qu'ils 
ne  le  méritoient^  ayant  épuifé  les  finances,  ces  anciens  im- 
pôts ont  été  confondus  avec  les  autres  :  d'où  il  eft  arrivé  que 
la  difcipline  s'eft  énervée  ;  que  les  mœurs  fe  font  corrompues  5 
que  les  troupes  fe  font  trouvées  dans  le  befoin  i  que  les  peu- 
ples ont  été  furchargez  de  nouvelles  impolitions  i  ôc  que  le  fol- 
dat,qui  n^étoit  pas  payé, s'eft  licentié,  jufqu'à faire  descourfes.. 
ôc  à  tourmenter  les  peuples  par  fes  vols,  ôc  par  Tes  brigandages 

Zz  iij. 


B6S  histoire 

jiiiiMii— —■     Cependant Tanaquil  du  Bouchet  de  Puy-Greffier  raiïemblôit 
Ch  ARLE  ^^^  troupes  Proteftantes  dans  toute  la  Guyenne  :  il  leur  avoit 
I X.      donné  rendez-vous  à  un  jour  marquera  Gonflant  en  Angoumois, 
j  ç.  ^  _      &  on  avoit  nommé  François  de  la  Rochefoucault,avec  Artus  de 
_^.      ^     Vauldray  de  Moûy ,  pour  les  recevoir  &  les  amener.  On  avoit 
ces  de  part  &  en  même  tems  envoyé  la  Noue,  officier  aufl]  recommandable 
d'autre.         par  fon  exa£te  probité ,  que  par  fes  vertus  militaires,  à  Orléans, 
dont  la  plupart  des  habitans  étoient  attachez  au  parti  du  prin- 
ce de  Condé ,  avec  ordre  de  s'en  rendre  maître,mais  moins  par 
la  force ,  qu'on  n'avoir  pas  le  tems  d'employer ,  que  par  la  rufe 
Ôc  l'artifice  ;  ce  qu'il  exécuta  avec  autant  d'habileté  que  de  bon- 
heur. Ce  capitaine  arriva  à  Orléans  avec  peu  de  foldats  ;  les 
habitans  qui  étoient  d'intelligence,  l'aidèrent  à  y  entrer  &  à  s'en 
rendre  le  maître ,  fans  faire  de  mal  à  qui  que  ce  fût.  Ceux  qui 
lui  étoient  contraires  fe  retirèrent  dans  la  porte  Bannier,  qui , 
eft  comme  une  efpece  de  château  qui  domine  fur  la  ville,  & 
qui  étoit  défendue  par  une  garnifon  fous  les  ordres  du  capitai- 
ne Caban.  La  Noue ,  également  a6lif  ôc  brave ,  l'ayant  aufri-tôt 
attaqué.  Caban  fit  faire  plufieurs  décharges  de  fon  canon  con- 
tre les  maifons  de  la  ville  qui  étoient  vis-à-vis  la  porte.  Mais 
voyant  que  l'ennemi  avoit  poulTé  la  tranchée  bien  près  de  la 
porte,  Ôc  qu'il  étoit deftitué  de  tour  fecours,  il  fe  rendit.  C'eft 
ainfî  que  la  Noue  fe  mit  en  pleine  pofTefïîon  d'Orléans ,  qui 
fut  un  entrepôt  également  commode  ôc  fur  pour  les  trou- 
pes qui  venoient  de  Guienne ,  afin  de  joindre  le  prince  de 
Condé. 

D'un  autre  côté  ce  Prince  envoya  du  Bec  de  Bourry  pour 
s'emparer  d' Argenteûil ,  place  fituée  au  bord  de  la  Seine  au- 
deffous  de  faint  Denis  j  elle  n'avoit  que  de  foibles  murs ,  &  étoit 
prefque  fans  foflez.  Bourry  ayant  tout  préparé  pendant  la  nuit, 
s'approcha  au  point  du  jour,  dans  le  tems  qu'on  changeoit  les 
gardes,  ôc  s'en  rendit  maître  fans  aucune  peine.  Affez  près 
d'Argenteùil ,  de  l'autre  côté  de  la  Seine ,  eft  le  château  de 
Buzenval  ^  qui  appartient  aux  Chouarts.  Le  concierge ,  en  l'ab- 
fence  de  fon  maître  qui  étoit  à  Paris ,  vint  trouver  le  prince  de 
Condé,  après  la  prife  d'Argenteùil ,  pour  lui  demander  une  fau- 
ve-garde. Le  Prince  lui  accorda  avec  beaucoup  de  bonté  ce 
qu'il  lui  demandoit.  Mais  comme  le  lieu  étoit très-avantageu- 
fement  fitué ,  il  crut  devoir  profiter  de  l'occafion  favorable 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLII.        5^7 

qui  fe  prefentoit  de  s'en  emparer.  Non  feulement  il  accorda  » 

au  Concierge  des  lettres  de  fauve-garde ,  mais  il  lui  donna  quel-  C  H  a  R  L  E 
ques  Gentilshommes  pour  le  défendre,  difant  que  les  lettres  n'é-  j  ^^ 
toient  pas  d'une  grande  utilité ,  à  moins  qu'il  n'y  eût  quelqu'un  1^67, 
pour  les  appuyer  j  ôc  les  faire  exécuter.  Ces  Gentilshommes 
après  avoir  vifité  les  lieux ,  jugèrent  que  ce  pofte  étoit  très- 
avantageux  pour  faire  des  courfes  ;  ôc  ne  fe  contentant  pas  de 
Je  garder ,  ils  demandèrent  au  Prince  une  garnifon  de  cinquante 
foldats,  avec  lefquels  ils  ravagèrent  le  payis ,  ôc  rendirent  im- 
praticables les  chemins  d'Anjou,  du  Maine,  du  Perche,  du 
payis  Chartrain,  ôc  celui  de  la  Normandie  même,  par  où  l'on 
portoit  bien  des  vivres  à  Paris.  Car  ils  fermèrent  le  chemin  de 
Normandie  par  le  pont  de  Neuilly,  avec  des  pontons  ôc  des 
bateaux  qu'ils  firent  venir  de  faint  Ouen.  Ayant  pris  Buzenval, 
ils  avancèrent,  ôc  prirent  faint  Porcien,  maifon  des  Celeftins 
près  Paris ,  qui  n'eft  pas  éloignée  de  Verfailles.  Delà  ils  s'avan- 
cèrent vers  Trappe  î  ôc  comme  il  reftoit  à  ceux  qui  condui- 
foient  des  beftiaux  à  Paris  un  pafTage  pour  arriver  du  payis  Char- 
train  ôc  de  Normandie ,  ils  fe  rendirent  maîtres  de  Dampierre 
dans  le  duché  de  Chevreufe ,  qui  étoit  la  maifon  de  plaifan- 
ce  du  cardinal  de  Lorraine.  C'eft  ainfi  qu'ils  invertirent  Paris, 
qu'ils  fermèrent  tous  les  paflages  des  vivres  ,  ôc  que  par  leurs 
courfes  ils  empêchèrent  que  rien  ne  pût  entrer  dans  cette  ville. 
Les  provifions  commen(^ant  à  y  manquer,  le  peuple  fe  mit 
à  murmurer,  ôc  fi  le  Roi  n'avoir  pas  été  dans  la  ville,  il  fe  fe- 
roit  porté  à  la  fédition.  On  commença  à  charger  le  Conné- 
table de  reproches  ôc  d'injures  :  fes  ennemis  le  décrioient  fous 
main,  ôc  animoient  le  peuple  à  crier  hautement  contre  lui,  à 
caufe  de  fon  alliance  avec  les  Cohgnis.  Il  fut  arrêté  qu'on  re- 
prendroittous  les  portes  ,  dont  les  Confédérez  s'étoient  empa- 
rez ,  ôc  par  lefquels  ils  tenoient  Paris  bloqué.  Les  chefs  de  l'ar- 
mée Royale  réfolurent  de  commencer  par  rompre  tous  les  pon- 
tons, que  les  ennemis  avoient  conftruits  ,  afin  d'empêcher  la 
communication  ôc  le  pafi^age  des  fecours  que  le  prince  de  Con- 
dé  voudroit  envoyer  à  tous  les  lieux  des  environs,  dont  ils'é- 
toit  emparé  ;  Ôc  voici  comment  on  s'y  prit. 

On  fit  conrtruire  un  longbateau,  tel  qu'on  en  voit  fouvent 
fur  la  Seine,  ôc  on  le  couvrit  de  planches  de  trois  pouces  d'é- 
paiffeur ,  pour  mettre  les  foldats  à  l'abri  des  coups  d'arquebufes. 


S6B  HISTOIRE 

f >  '"  — ■'"' ""^  On  mit  dedans  un  détachement  de  cinquante  foldats ,  6c  plu- 

C  H  A  RL  E  ^^^^^^^  charpentiers  avec  un  grand  nombre  de  haches  ôc  de  tar- 
1^^  rieres.  Ils  partirent  le  4  de  Novembre  pendant  la  nuit:  étant 
1^57.  arrivez,  ils  trouvèrent  peu  de  gardes,  à  demi  endormis.  Ainli 
ils  n'eurent  pas  beaucoup  de  peme  à  fe  rendre  maîtres  des  pon- 
tons ,  qu'ils  amenèrent  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Les  ouvriers 
defcendirent  fur  le  champ  ,  les  percèrent  d'une  infinité  de  trous, 
éc  les  firent  couler  à  fond.  Après  quoi  ils  remontèrent  la  ri- 
vière à  force  de  rames ,  ôc  revinrent  à  Paris  fans  aucun  acci- 
dent, ayant  ôté  aux  ennemis  le  fecours  qu'ils  tiroient  de  ces 
pontons.  Alors  les  chefs  de  l'armée  Royale  ,  aflurez  que  le 
prince  de  Condé  ne  pouvoir  plus  envoyer  de  fecours ,  com- 
mandèrent un  détachement  pour  reprendre  Buzenval,OLiBre- 
chinville  venoit  depuis  peu  d'être  mis  ,  à  la  place  d'Amanzay 
lieutenant  d'Andelot,  qui  y  commandoit  auparavant.  Les  prin- 
cipaux officiels  du  détachement  étoient  Eleonor  d'Orléans  duc 
de  Longuevule,  Guillaume  de  Montmorenci  de  Thoré,  Ti- 
moleon  de  CofTé  comte  de  Briffac,  Jean  Bloflet  de  Torcy, 
qui  commandoient  quinze  cens  cavaliers  bien  équipez,  ôc  trois 
mille  hommes  de  pié.  C'étoit  plus  de  monde  qu'il  n'enfalloit 
pour  l'expédition  qu'on  vouloit  faire  :  mais  il  n'y  en  auroit 
pas  eu  trop,  fi  d'Andelot,  qui  étoit  à  PoiiTy,  avoit  pu  y  venir 
affez  tôt.  Claude  de  Lorraine  duc  d'Aumale  commandoit  cet- 
te petite  armée.  Etant  arrivé  devant  le  château  i  il  fit  fommer 
Brechinville  de  fe  rendre  5  fur  fon  refus  il  fit  approcher  le  ca- 
non. Après  environ  une  centaine  de  coups,  Brechinville  n'ayant 
aucune  efperance  de  fecours,  confeilla  à  fa  garnifon  de  capi- 
tuler. Ayant  obtenu  vies  ôc  bagues  fauves ,  il  rendit  la  place 
au  duc  d'Aumale ,  ôc  on  le  conduifit  avec  les  fiens  à  S.  Ouën. 
On  reprit  aufll-tôt  faint  Porcien  ôc  Dampierre ,  Ôc  on  rouvrit 
tous  les  chemins ,  pour  faire  librement  ôc  fûrement  palfer  les 
vivres. 
l^^îainelî"^  Le  peuple  de  Paris  ne  cefTapas  pour  cela  de  murmurer:  il 
.faia:  jpcfiis.  difoit  que  ce  n'étoit  pas  affez  de  remettre  l'abondance  dans 
la  ville  ,  fi  on  ne  chafi!bit  entièrement  l'ennemi ,  qui  faifoit  tous 
les  jours  des  courfes  jufqu'aux  portes  de  Paris.  Ces  plaintes  ôc 
ces  murmures  tomboient  fur  le  Connétable.  La  haute  pruden- 
ce de  ce  grand  homme  lui  fit  d'abord  méprifer  tous  ces  repror 
ches ,  ne  croyant  pas  qu'il  dût  préférer  (a  réputation  ôc  là  gloire 


DE  J.   A.  DE  THOU  ,  Lîy.  XLII.        36^ 

à  laconfervation  6c  au  bien  de  l'Etat.  Mais  enfin  ou  déterminé  ■ 

parToccafion  qui  feprefentoit,  ou  ne  pouvant  plus  fuporterles  C  h  arl  E 
reproches  injurieux  dont  on  Taccabloit  ^  voyant  d'ailleurs  que        j  X. 
les  troupes    arrivant  de  tous  cotez  ,  il  y  avoit  de  quoi  for-     i  ^  Ci, 
•nier  une  armée   afTez  cônfidérable  ,   il  jugea  qu'on  pouvoit 
Tenter  quelque  entreprife  :  car  Pierre  de  Lomagne  de  Terri- 
de  ,  6c  Louis  de  Laftic  grand  Prieur  d'Auvergneavoient  quel-   • 
que  tems  auparavant  amené  au  Roi  des  troupes  de  la  Guyenne 
éc  du  Languedoc  j  6c  l'armée  Royale  avoit  déjà  avancé  fes 
portes  jufqu'à  la  Chapelle,  qui  eft  à  la  moitié  du  chemin  de 
Paris  à  faim  Denis.  Celle  du  prince  de  Condé  les  avoit  aulïi 
avancez  jufqu'à  un  lieu  appelle  le  Landit ,  allez  près  de  la  Cha- 
pelle ,  enforte  qu'il  y  avoit  tous  les  jours  entre  deux  armées 
Il  voifines  quelques  légères  efcarmouches.  Enfin  le  Connéta- 
ble crut  qu'il  falloit  profiter  de  l'abfence  de  d'Andelot ,  6c  me- 
ner fon  armée  contre  les  ennemis ,  non  dans  le  deffein  d'en 
venir  à  une  a£lion  générale  6c  décifive,  (car  il  ne  penfoitpas 
que  le  prince  de  Condé  ofât  la  rifquer,  )  mais  au  moins  pour 
les  chafler  avec  perte  des  villages  de  S.Ouën  6c  d  Aubervilliers , 
6c  forcer  même  le  Prince  à  abandonnera  ville  de  S.Denis. 

Avant  que  d'exécuter  ce  projet  ,  la  veille  du  jour  de  la  ba- 
taille ,  le  Connétable  détacha  cinq  cens  cavaliers  choifis ,  qui 
s'étant  avancez  jufqu'au  camp  des  ennemis  ,  les  forcèrent  de 
demeurer  fous  les  armes  tout  le  jour  6c  toute  la  nuit ,  6c  les  fa- 
tiguèrent fans  cefle  par  de  légères  efcarmouches  ,  ou  Dam- 
pierre  ,  Enfeigne  de  la  compagnie  d'Andelot ,  fut  tué.  Le  Con- 
nétable ayant  appris ,  par  le  rapport  de  ces  cavaliers,  le  nombre 
ôc  les  forces  des  ennemis ,  prit  le  lendemain  congé  du  Roi ,  lui 
donna  de  grandes  efpérances  d'un  heureux  fuccès ,  6c  fit  mar- 
cher toute  l'armée.  En  fortant  de  Paris  :  «  Ce  jour ,  dit- il,  me 
«  juftifiera  6c  contre  les  reproches  de  mes  ennemis ,  6c  contre 
«  la  haine  du  peuple;  car  ou  il  me  verra  en  vie  6c  triomphant, 
«  ou  il  pleurera  ma  mort,  lorfque  j'aurai  défait  les  ennemis ,  6c 
r>  porté  la  confternation  dans  leur  parti.  «  Ces  paroles  furent 
comme  un  préfage  de  ce  qui  devoir  lui  arriver. 

Les  Confédérez  tinrent  Confeil  fur  ce  qu'ils  avoient  à  faire. 

Les  uns  étoient  d'avis  d'abandonner  S.  Ouen  6c  Aubervilliers, 

qu'il  ne  leur  paroiffoitpas  poiïible  de  conferver,  fans  s'cxpofer 

à  un  trop  grand  danger  j  de  renfermer  toutes  les  troupes  dans 

Tome  /^.  A  a  a 


370  HISTOIRE 

^^^^^^^^^^^^^^  S.  Denis, &  d'y  relier  jufqu'à  ce  que  toutes  celles  qui  étoicnt 
~  '  difperfées  fufTent  réunies.  Les  autres  avoùoient  qu'il  y  avoit 
rt/"^^  du  danger  à  garder  ces  deux  villages  :  mais  ils  foûrenoient 
qu'en  les  abandonnant,  ils  perdoient  une  réputation  ^  qu'il 
^  S  ^7'  eft  il  important  de  s'affurer^  fur-tout  au  commencement  de  la 
guerre.  Ils  penfoient  donc  que  le  parti  le  plus  fage  étoit ,  que 
les  tïoupes  qui  occupoient  ces  villages  fe  miiTent  en  bataille, 
fe  fiiïent  voir  aux  ennemis  dans  la  difpoiition  de  combattre, 
&  qu'après  cela  elles  fe  retiraflent  peu  à  peu  pourfe  réunir  aux 
autres.  Le  prince  deCondé  difoitau  contraire,  qu'il  nes'agif- 
foit  pas  feulement  de  l'honneur  &  delà  réputation,  mais  qu'il 
y  avoit  un  très-grand  danger  à  abandonner  ces  deux  villages^ 
parce  que  les  ennemis,  enflez  de  ce  fuccès,  ne  manqueroient 
pas  d'inveftir  toute  l'armée ,  qui  fe  feroit  enfermée  dans  faint 
Denis  j  que  les  Proteftans ,  d'agrefleurs  qu'ils  étoicnt ,  fe  trou- 
veroient  attaquez  ,  Ôc  ferrez  très  étroitement  ;  que  tandis  qu'ils 
perdroient  courage  en  fe  voyant  aiïiégez ,  les  ennemis  d'un 
autre  côté  s'animeroient,  Ôc  deviendroient  plus  hardis  ôc  plus 
entreprenans  :  que  d'ailleurs  il  leur  laifToit  à  penfer  quel  parti 
prendroient  les  troupes  auxiliaires  Allemandes ,  qui  étoient  dé- 
jà fous  les  armes,  &  qu'on  attendoit  au  premier  jour,  lorf- 
qu'elles  apprendroient  une  fitrifte  nouvelle  :  Qu'ils  étoient  trop 
éclairez  pour  ignorer  que  tout  le  monde  abandonne  volontiers 
le  parti  des  affligez  ôc  des  malheureux  i  &  que  les  hommes  fe 
tournent  ordinairement  du  côté  que  la  Fortune  femble  favo- 
rifer  :  Qu'il  n'y  avoit  pas  moins  de  rifque  à  fuivre  l'avis  quipa- 
roiffoit  tenir  le  milieu  5  parce  que  fi  après  avoir  une  fois  paru  en 
bataille ,  les  troupes  fe  retiroient  à  la  vue  de  l'ennemi ,  elles  s'ex- 
pofoient  manifeftemeutà  une  perte  irréparable.  Car,  ajoûta-t-il, 
c'eftun  principe  reçu  de  toutes  les  perfonnes  habiles  ôc  expéri- 
mentées dans  le  métier  de  la  guerre,  que  quand  deux  armées  font 
en  préfence  ,  celle  qui  fe  retire  la  première,  cède  toujours  la 
vi£loire  à  l'autre.  Le  Prince  conclut ,  que  puifqu'il  étoit  honteux 
d'abandonner  des  poftes  qu'on  avoit  pris,  ôc  très-dangereux 
de  fe  retirer  à  la  vue  des  ennemis,  il  ne  reftoit  plus  qu'un  parti 
à  prendre  ,  qui  étoit ,  puifqu'on  fe  trouvoit  dans  la  nécefîité  de 
combattre  ,  de  délibérer  fur  la  manière  de  le  faire  avec  avan- 
tage :  Qu'il  ne  falloir  pas  défefperer  du  fuccès  i  que  plus  les  en- 
nemis étoient  fuperieurs  en  nombre,  plus  ils  fe négligeroienti 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  Liv.  XLIL      371 

ôc  comme  ils  ne  s'imaginoient  pas  que  les  Confédérez  vouluf-  ,,„.„.,..,^ 
fent  en  venir  aux  mains ,  il  fe  pourroit  bien  faire  que  les  voyant  ^ 
accepter  le  combat ,  la  furprife  pourroit  répandre  la  terreur  par-        ,  ^ 
mi  leurs  troupes,  ôc  caufer  leur  défaite  :  Que  fi  la  chofe  tournoit 
autrement ,  il  falloir  prendre  de  fi  bonnes  mefures,  que  l'on  pût        ^     '  * 
combattre  fans  perdre  beaucoup  de  monde  :  Que  bien  des  rai- 
fons  pouvoient  faire  efperer  que  cela  feroit  ainfi  ;  parce  qu'ils 
étoient  dans  une  faifon  où  les  jours  font  nébuleux  ôc  courts  ;  que 
des  troupes,  difperfées  ça  ôc  là  dans  une  fi  grande  ville,  ne  pour- 
roient  enfortir  que  tard  :  qu'on  ne  fort  pas  d'une  villeoiil'on  vit 
dans  le  luxe  Ôc  la  moicfle  ,  pour  venir  au  combat ,  comme  d'un 
camp  oui  l'on  garde  une  exa£le  difcipline:qu'on  ne  peut  pas  non 
plus  difpoferfi  aifément  ôc  faire  marcher  fi  vite  l'artillerie  :  qu'en- 
fin ils  avoient  affaire  à  un  Général  très-prudent  6c  très-vieux , 
qui  voyant  l'ennemi  préparé  à  le  bien  recevoir ,  contre  fon 
attente  ,  prendroit  des  mefures  pour  ne  rien  entreprendre  té- 
mérairement, &  pourrifquer  le  moins  qu'il  pourroit  :  que  par 
conféquent  on  n'en  viendroit  aux  mains  que  fur  le  foir ,  &  qu'il 
arriveroit ,  comme  on  fa  prefque  toujours  vu,  que  le  courage 
&  la  valeur,  que  le  petit  nombre  feroit  paroîrre  au  commence- 
ment du  combat ,  les  égaleroit  pendant  quelque  tems  au  plus 
grand  nombres  &  que  quand  l'armée  la  plus  nombreufecom- 
menceroit  à  prendre  le  deflus  ,  la  nuit  termineroit  le  combat, 
&  donneroit  lieu  de  faire  une  retraite  affurée  ôc  honorable  : 
que  les  ténèbres  envelopperoient  également  la  vi£loire  des  uns 
ôc  la  défaite  des  autres  :  qu'ainfi  les  Confédérez  conferveroient 
leur  réputation  auprès  des  étrangers  i  qu'ils  éviteroientles  dai> 
gers  d'un  fiége  ruineux  ,  ôc  qu'ils  préviendroient,  avec  autant 
de  fageffe  que  d'honneur  ,  une  perte  qui  paroiffoit  inévitable. 
Cet  avis  du  prince  de  Condé  l'emporta:  les  Seigneurs Protef- 
tans  y  applaudirent ,  ôc  tous  fe  difpoferent  au  combat, 

Iln'y  avoit  dans  l'armée  Proteftante  que  quinze  cens  cava- 
liers au  plus,  fous  dix-huit  étendards  de  Gentilshommes,  équi- 
pez ôc  armez  à  la  hâte,  ôc  par  conféquent  aflez  mal ,  ôc  douze 
cens  hommes  de  pié  ,  fans  enfeignes,  ôc  levez  indifféremment 
de  tous  les  cotez.  L'armée  du  Roi  au  contraire  étoit  compo- 
fée  de  quatre-vingts  enfeignes,  qui  faifoient  feize  mille  hommes 
de  pié;  de  vieilles  troupes,  de  Suiffes,  ôc  de  nouvelles  levées, 
de  trois  mille  chevaux  des  anciennes  compagnies  du  Royaume, 
bien  équipez  ôc  bievi  armez.  A  a  a  ij 


57^  HISTOIRE 

■  Entre  Paris  ôc  S.  Denis  efl:  une  vafte  plaine  partage'eparuii 

C  HA  RLE  chemin  pavé,  qui  eft  entre  S.  Oùen  fur  le  bord  de  la  Seine  à 
IX.  gauche,  &  Aubervilliers  qui  efl:  à  droite.  Le  Connétable 
1  ç  61.  <iyâ"t  fait  marcher  foii  infanterie  ^  laifTa  une  bonne  garnifon 
à  la  Chapelle  5  puis  s'étant  avancé  vers  la  Villettc,  il  mitfon 
armée  en  bataille  dans  la  plaine.  Il  plaça  les  Suiffes  à  la  droite 
&  mit  à  leurs  cotez  un  bon  nombre  d'arquebullers  François,, 
pour  garder  quatorze  pièces  de  canon  braquées  contre  Au- 
bervilliers. Pour  lui  il  fe  mit  à  la  gauche  des  Suiffes,  avec  un 
corps  de  cavalerie  ,  ôc  il  fe  couvrit  d'un  grand  nonibre  de 
cavaliers ,  commandez  par  François  de  Montmorenci  fon  fils 
aîné.  A  la  gauche  de  Montmorenci ,  étoient  les  efcadrons  de 
cavalerie ,  compofez  des  compagnies  de  Jacque  de  Savoye 
duc  de  Nemours  ,  d'Eleonor  d'Orléans  duc  de  Longueville  , 
de  François  le  Roi  de  Chavigny  ,  de  Guillaume  de  Thoré- 
Montmorenci ,  de  Louis  de  S.  Gelais  de  Lanfac  ,  du  duc  de 
Retz,  ôc  autres  ;  ôc  ils  étoient  couverts  par  des  compagnies  d'ar- 
quebufiers.Au-deffous ,  du  côté  de  la  Chapelle ,  éroit  l'infante- 
rie ,  dont  les  armes  dorées  ôc  luifantes  formoient  un  beau  fpe- 
6table,  Les  regimens  de  Strozzi  ôc  de  Briffac  couvroient  le 
côté  droit  des  Suiffes ,  ôc  au-deffus  d'eux  vers  Aubervilliers ^ 
étoient  quelques  efcadrons  de  cavalerie  ,  commandés  par  Artus 
de  Coffé  maréchal  de  France,  Armand  Gontault  de  Biron ma- 
réchal de  Camp,  Euftache  de  Confiant  vicomte  d'Auxy,  Har- 
doùin  de  Villiers  ,  ôc  autres.  Claude  de  Ijorraine  duc  d'Au- 
male  ,  Ôc  Henri  de  Montmorenci  duc  de  Damvilie  étoient 
reftésun  peu  au-deffous  delà  Vilette,  couverts  de  deux  efca- 
drons de  cavalerie  ,  pour  venir  en  cas  de  befoin  au  fecours 
des  Suiffes  ôc  de  l'infanterie  Françoife. 
Rîtaille  de  Le  prince  de  Condé  divifa  en  trois  corps  fon  armée ,  qui 
S.  Ucms.  avoir  été  jufqu'alors  logée  dans  trois  lieux  differens.  Le  pre- 
mier commandé  par  l'AmiraJ  de  Coligny,  avec  George  de 
Clermont  d' Amboife  marquis  de  Galerande  ,  fes  fils ,  Ranty 
ôc  autres  ,  étoit  au-deffous  de  S.  Ouën,  avec  lix  compaf^nies 
de  cavalerie  ,  ôc  400  moufquetaires  à  cheval,  fous  les  ordres 
de  Dominique  de  Provanes  Valfenieres  ,  pour  couvrir  le  vil- 
lage ôc  faire  tête  à  ceux  qui  couvroient  le  Connétable.  Fran- 
çois d'Hangeft  de  Genlisôc  Charle  de  Beaumanoir  deLavar^ 
din ,  avec  du  Bec  de  Vaxdes ,  Breffauk  de  Peffancour ,  fix 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLII.        375 

compagnies  de  cavalerie ,  ôc  environ  400   hommes  de  pie      mâsajoesm*/^ 
fuivoient  par  derrière  &  formoient  une  autre  aile  ,  pour  foûte-    q  ^  ^  j^  r.  ^ 
nir  l'attaque.  Ils  s'étendoient  vers  Aubervilliers,  où  ilparoii-        j  y^^ 
foit  que  devoir  être  le  fort  du  combat ,  vis-à-vis  les  troupes     ^  -  ^5  -7. 
de  Biron.  Ils  rirent  un  retranchement  depuis  Aubervilliersuf- 
qu'à  un  moulin  à  vent, entre  ce  village  ôc  celui  de  la  Vileite, 
tournant  un  peu  à  droite  ,  ôc  ils  mirent  dans  ce  moulin  un  dé- 
tachement d'arquebufiers.  Le  prince  de  Condé  étoit  au  mi- 
lieu dans  le  corps  de  bataille  ,  où  étoient  aufli  Odet  cardinal 
de  Châtillon ,  de  Poix  de  Séchelles  ,  lieutenant  de  Henri  duc 
d'Anghien  rils  du  prince  de  Condé ,  François  de  Barbançon 
de  Cany ,  Jean  de  Ferrieres  Vidame  de  Chartres ,  &  Charlo 
d'Ailly  de  Pecquigny  Vidame  d'Amiens,  le  rils  de  Pecquigny  , 
les  comtes  de  Sault  ôc  de  la  Sufe  ,  Jean  Raguier  d'Efternays 
ôc  Bouchavane  ,  avec  fix  compagnies  de  cavalerie  ôc  400 
arqueburiers.  Robert  Stuart ,  avec  les  Ecoiïbis,  s'étendoit  vis- 
à-vis  de  S.  Denis  jufqu'à  la  Chapelle  du  Landir. 

Les  deux  armées  étant  ainri  rangées  en  bataille ,  le  combat 
commença  par  une  décharge  des  canons  de  l'armée  du  Roi  ', 
car  les  Confédérezn'en  avoient  aucun.  Après  trois  ou  quatre 
décharges  ,  qui  ne  rirent  pas  beaucoup  de  mal  ,  ôc  quelques 
légères  efcarmouches  entre  les  coureurs,  Genlis,  qui  craignoit 
que  tout  l'effort  de  l'armée  du  Roi  ne  tombât  de  fon  côté  , 
fe  prépara ,  fuivant  les  ordres  qu'il  avoit  reçus  du  Prince ,  à  don- 
ner fur  les  troupes  qui  étoient  vis-à-vis.  De  Vardes  ne  pou- 
vant, plus  fupporter  les  volées  de  canon,  avoit  déjà  pris  les  de- 
vants, ôc  pour  dérober  fa  troupe  à  un  ri  grand  feu  ,  il  couroit  à 
Tennemi.  Genlis  qui  le  fuivoit  ,  attaqua  deux  fois.  Le  nombre 
dès  troupes  du  Roi  augmentant  fans  ceffe  ,  le  combat  devint 
très  meurtrier  ,  ôc  il  fut  obligé  de  fe  retirer  5  mais  fa  retraite 
favorifée  par  le  feu  des  arqueburiers,  qnigardoient  le  retran- 
chement dont  nous  avons  parlé  ,  caufa  beaucoup  de  perte  aux- 
ennemis.  L'amiral  de  Coligny  fuivit  Genlis  ôc  de  Vardes  , 
après  en  avoir  donné  avis  au  Prince  ,  ôc  s'avançant  pour  fe- 
courir  Genlis  ,  ôc  le  tirer  du  danger  où  fa  troupe  beaucoup 
inférieure  en  nombre  étoit  expoféeril  attaqua  fi  vivement  les 
toupes  qu'il  rencontra,  qu'il  culbuta  ks  premiers  rangs  fur 
ceux  qui  étoient  derrière,  ôc  qu'il  mit  en  fuite  le  régiment  de 
Paris.  Le  Prmce  de  Condé  fuivit  auHi.-tôt  l'Amiral,  ôc  il 

A  a  a  n'i 


574-  HISTOIRE 

courut  avec  tant  d'ardeui* ,  que  les  moufquetaires  j  qui  étoicnç 
à  fes  côtés ,  ne  purent  l'atteindre  aflez  tôt.  Le  maréchal  de 
JVIontmorenci  combattoit  au-devant  de  Ton  père.  Le  prince 
de  Condé,qui  ne  fongeoit  qu'à  joindre  l'Amiral  ,  ôc  à  atta- 
^  quer  le  Connétable  ,  fit  inutilement  tous  fes  efforts  pour  éviter 

la  rencontre  du  Maréchal.  Celui-ci  attendit  le  Prince  &  foû- 
tint  fon  attaque  avec  tant  de  fermeté  ,  qu'il  l'obligea  à  parta- 
ger fa  troupe ,  à  en  abandonner  une  partie  ,  ôc  à  s'éloigner 
avec  l'autre.  Alors  l'affaire  parut  avoir  deux  faces  toutes  diffé- 
rentes. Tandis  queJe  fils  vitlorieux  tailloit  en  pièces  tous  les 
Confédérez  ,  le  père  repouffé  par  Coligny  ,  fe  vit  attaqué  fi 
vivement  par  le  Prince  ,  par  le  cardinal  de  Châtillon  ,  par  le 
vidame  de  Chartres  ,  ôc  par  d'autres  chefs  ,  qu'il  fut  miférable- 
ment  abandonné  par  fes  troupes,  qui  fe  débandèrent  6c  pri- 
rent honteufement  la  fuite  ;  enforte  que  l'armée  du  Roi  fe 
trouvoit  en  méme-tems  ôc  vi£lorieufe  Ôc  vaincue. 
Le  Connê-  Anne  de  Montmorencij  ce  vieillard  rcfpeclable  ,  quiavoic 
table eftbieiré  blanchi  à  la  p'Jcrre,  après  avoir  remph  dans  un  âge  ii  avan- 
'  ce  tous  les  devoirs  non  -  feulement  d'un  Connétable  ,  mais 
d'un  fimple  foldat ,  éprouva  alors  le  fort  de  la  guerre  ,  ôc  fut 
bleffé  au  vifage.  Environné  de  toutes  parts ,  ôc  preffé  par  Ro- 
bert Stuart  de  fe  rendre  ,  il  lui  donna  un  fi  grand  coup  de  la 
garde  de  fon  épée  fur  la  jouë ,  qu'il  lui  fit  fauter  trois  dents. 
Irrité  par  la  douleur  que  lui  caufa  ce  coup ,  Stuart  lui-même  , 
ou  quelqu'autre,  lui  tira  un  coup  de  piftolct  par  derrières  ôc 
comme  fa  cuiraffe  n'étoit  pas  afîés  forte  ,  il  fut  percé  Ôc  bleffé 
mortellement.  Cependant  le  maréchal  de  Coffé  avertit  les  ducs 
d'Aumale  ôc  de  Damville  de  doubler  le  pas  •■>  ce  qu'ils  firent 
fi  à  propos  i  qu'ils  rallièrent  les  troupes  qui  avoient  plié  ,  ôc^fes 
ramenèrent  au  combat.  Chavigny  ayant  attaqué  Clermont , 
le  bleffa  dangereufement,  ôc  culbuta  fa  troupe. 

Enfin  après  un  combat  très-fanglant  ôc  très-opiniâtré  de  trois 
quarts  d'heure ,  les  troupes  du  Roi  accoururent  vers  le  Con- 
nétable ,  bleffé  à  mort  ,  ôc  lâchement  abandonné.  Pour  les 
Confédérez  ,  ils  fe  raffemblerent  auprès  du  prince  de  Condé, 
qui  avoir  eu  un  cheval  tué  fous  lui  d'un  coup  de  lance  ,  ôc 
la  nuit  qui  s'approchoit  termina  le  combat.  Les  moufque- 
taires  ôc  les  arquebufiers  y  eurent  peu  départ ,  ôc  ne  purent  fe 
battre  que  foiblement  ôc  de  loin  ;  mais  la  cavalerie  fervit 


DEJ.  A.  DE    TROU,  Liv.XLII.       57; 

beaucoup  ,  Ôc  fit  paroître  une  très  -  grande  valeur. 

Le  prince  cie  Condé  ayant  monté  un  autre  cheval,  remit  Char]  E  \ 
fon  armée  en  bataille  ,  &  fe  retira  en  très-bon  ordre  à  Saint        ]  X.  ! 
Denis.  François  de  Montmorenci ,  dont  les  vertus  militaires      1  5  67.  1 
parurent  avec  éclat  dans  cette  journée ,  la  pourfuivit  avec  quel-                      ^       1 
ques-uns  des  Tiens.  On  emporta  le  Connétable  à  demi  mort  | 
de  fîx  bleflures ,  &  l'armée  royale  rentra  dans  Paris.  Elle  per- 
dit dans  cette  adion  le  comte  de  Chaulnes  ,  Jérôme  de  Turin , 
plufieurs  des  principaux  ofRcierSj.40  Gentilshommes  ôc  300  \ 
hommes  de  pié.  Claude  de  Bafternay  baron  d'Anton,  jeune  j 
homme  d'un  très-grand  courage  ,  Ôc  l'unique  efpérance  de  la  ' 
maifon  des  comtes  du  Bouchage  ,  combattant  avec  beaucoup  i 
de  valeur  auprès  du  Connétable  fon  oncle  maternel ,  fut  per-  i 
ce  de  coups ,  dont  il  mourut  peu  de  tems  après,  extrêmement  l 
regreté  de  François,  ôc  d'Ifabelle  deSavoye,  fes  père  Ôc  mère.  i 
La  perte  des  Confédérez  fut  plus  grande  5  car  il  refta  fur  la  l 
place  plus  de  ^o  Gentilshommes  de  la  haute  Nobleiïe  jôc  cn- 
tr'autres  François  comte  de  Sault  ôc  S.  André  fon  frère  5  Ni-  | 
colas   de  Champagne  comte  de  la  Sufe  j  Charle  dAilly  de       ~  ! 
Pecquigny  vidame  d'Amiens  ôc  fon  fils.(  Leur  fuccefTion  ht  , 
dans  la  fuite  la  matière  d'un  procès  :  comme  il  s'agiffoit  de               ^  | 
fçavoir  lequel  des  deux  étoit  mort  U  premier  ,  le  Parlement  , 
qui  ne  put  le  fçavoir  ,  jugea  qu'il  ne  devoir  point  renverfcr  i 
l'ordre  de  la  nature  ,  ôc  fuivant  la  règle  étabhe  par  le  droit, 
prononça  en  faveur  de  ceux  qui  prétendoient  que  la  fuccef- 
fion  avoit  paffé  du  père  au  fils ,  ôc  qu'étant  les  héritiers  légiti- 
mes du  fils  ,  elle  leur  appartenoit.  )  De  Garennes  fut  auiïi  tué 
dans  ce  combat,  ôc  François  de  Barbançon  de  Cany  fut  empor- 
té ôc  mis  en  pièces  d'un  boulet  de  canon  j  quelque  recherche  i 
qu'on  en  fit,  on  ne  put  jamais  trouver  fon  corps  :  quelques-  j 
uns  ont  cru  qu'il  fut  pris  ôc  tué  hors  du  champ  de  bataille.  i 

L'amiral  de  Coligny  courut  un  extrême  danger;  car  étant 

monté  fur  un  cheval  Turc  ,  qui  avoit  la  bouche  forte  ôc  dure ,  l 

ôc  fes  rênes  ayant  été  coupées ,  il  fut  emporté  par  fon  cheval.  : 

Ne  pouvant  l'arrêter ,  malgré  tous  fes  eflx3rts,  il  fc  trouva  quel-  i 

que-tems  mêlé  parmi  les  fuyards  de  l'armée  du  Roi,  ôc  n'y  fut  j 

point  reconnu.  AulTi-tôt  le  bruit  fe  répandit  qu'il  avoit  été  pris  j 

ôc  mené  à  Paris,  où  il  étoit  gardé  dans  un  lieu  inconnu.  La  j 

Reine  le  fit  foigneufement  chercher  dans  Thûtel  des  Urfins  î  1 


37^  HISTOIRE 

,    II-  foupçonnant  Chriftophle  de  la  Chapelle  aux  Urfins,  allié  aux 
f"  TT  *  T,  T  r^  Coiienis  &  aux  Montmorencis ,  de  l'avoir  redré  &  caché  dans 

V^  H  AR  L  E    „         o 

jY        la  maiion. 
^*  Comme  les  deux  armées  fe  retirèrent  avant  que  le  combat 

fût  entièrement  fini,  on  mit  en  doute  lequel  des  deux  partis 
avoit  remporté  la  vidoire.  Mais  François  de  la  Noue  ,  bon 
connoiflfeur  &  juge  intégrera  prononcé  en  faveur  de  l'armée 
royale  i  parce  qu'elle  refta  maîrrefle  du  champ  de  bataille ,  6c 
eut  toute  la  nuit  les  morts  à  fa  difpofition.  En  effet ,  comme 
ils  étoient  fuperieurs  en  nombre  ,  en  artillerie,  &  en  piquiers, 
&  qu'ils  avoient  par-deflus  cela  l'avantage  d'être  mieux  cam- 
pés ,  on  ne  peut  douter  qu'ils  n'eufftnt  remporté  une  pleine 
ôc  entière  vidoire  ,  iî  la  nuit  n'eût  pas  fépare  les  combattans. 
Cette  aâion  fe  palTa  le  lo  de  Novembre. 
Mort  du  Le  lendemain  le  Connétable  qui  avoir  rendu  de  Ci  grands 

Son  éîoge.^*  fcrvices  à  la  France ,  expira  âgé  d'un  peu  moins  de  quatre- 
vingts  ans  ,  illuftre  par  fa  naiiîance  ,  plus  iilultre  par  les  gran- 
des charges  qu'il  avoir  remplies  ,  par  fon  habileté  dans  la  guer- 
re ,  par  fa  prudence  &  par  fon  expérience  ,  qui  le  mettoient 
fort  au-deffus  des  autres ,  récommandable  fijr-tout  par  le  ten- 
dre amour  qu'il  avoir  pour  fa  patrie  ôc  par  fon  zélé  ardent  pour 
la  gloire  du  nom  François.  Après  avoir  long-rems  combartu 
contre  l'envie  ôc  la  jaloufie  de  fes  ennemis,  dont  les  artifices 
étoient  venus  à  bout  de  foûlever  le  peuple  contre  lui ,  il  trou- 
^;a  enfin  le  moven  d'en  triompher  ,  &  il  confirma,  par  une  mort 
glorieufe  ôc  mémorable  ,  la  vérité  de  l'oracle  qu'il  avoit  lui- 
même  prononcé.  Il  s'étoit  trouvé  à  huit  batailles ,  dans  quatre 
defquelles  il  avoit  commandé  en  chef;  toujours  avec  beau- 
coup de  gloire  ,  mais  fouventavec  peu  defuccès  :  la  Fortune 
qui  lui  fut  prefque  toujours  contraire,  ne  lelaifia  pas  furvivre 
à  celle  qu'il  venoit  d'acquérir  dans  cette  dernière  adion.  On 
crut  que  la  reine  Mère,  qui  afpiroit  à  un  pouvoir  fans  bornes, 
regarda  la  mort  du  Connétable ,  comme  un  grand  bonheur 
pour  elle  :  ellefevoyoit  délivrée  d'un  homme  qui  gouvernoit 
îbuverainement  la  Cour  ,  où  il  rempliffoit  depuis  tant  d'années 
la  première  place,  ôc  qui  fembloit  lui  reprocher  tout  le  bien 
qu'on  faifoit  à  d'autres.  Elle  eut  néanmoins  le  foin  de  cacher 
Ù  joye  ,  &  de  paroître  prendre  part  au  deuil  public.  Ellecou^ 
roana  tous  les  titres  glorieux ,  dont  ce  grand  homme  avoit 

cte 


DE  J.  A.DE  THOU,I.iv.  XLIL       577 

été  revêtu,  par  de  magnifiques  funérailles  qu'elle  lui  fit  faire  ' 

dans  la  capitale  du  Royaume.  On  y  porta  fon  effigie ,  honneur  C  h  a  R  L  E 
qu'on  ne  rend  qu'aux  Rois  ôc  aux  enfans  des  Rois.  j  ^ 

Cependant,  comme  fi  c'eût  été  un  deuil  public  de  toute  la     i  ^  6j, 
France,  il  y  eut  une  efpece  de  fufpenfion  d'armes  ,  ôc  pen-     Suitesdcla 
dant  qu'on  déliberoit  fur  le  choix  d'un  nouveau  Connétable ,  ^^^"•'jj''  ^^  '^ 
on  ne  penfa  point  à  profiter  de  la  victoire.  Le  jour  même  de 
la  bataille  le  prince  de  Condé  avoir  envoyé  un  exprès  à  d'An- 
delot  pour  hâter  fon  retour.  D'Andelot  la  nuit  fuivante  pafTa 
la  Seine  avec  fes  troupes  ,  fur  les  pontons  que  les  troupes  roya- 
les avoient  coulez  à  fonds  à  S.  Oiien  j  mais  que  le  capitaine 
la  M,ofibniere  avoit  trouvé  le  fecret  de  tirer  de  l'eau  ,  ôc  dont 
il  avoit  fait  boucher  les  trous  avec  de  la  mouffe,  des  étoupes 
ôc  de  la  poix.  Après  avoir  réjoint  le  Prince  à  S.  Denis  ,  ils 
tintent  confeil  ,  ôc  réfolurent,  pour  difputer  à  l'armée  du  Roi 
l'honneur  de  la  vidoire,  ôc  pour  foûtenir  leur  réputation ,  tant 
parmi  les  François ,  que  parmi  les  troupes  auxiliaires  qui  leur 
venoient  d'Allemagne  ,  que  d'Andelot  fortiroit  dès  le  matin 
de  S.  Denis  avec  fes  troupes  en  bataille  ;  ôc  qu'il  fe  feroit  voir 
dans  la  plaine ,  comme  s'il  attendoit  les  ennemis ,  dans  la  réfo- 
lution  de  leur  livrer  un  fécond  combat.  D'Andelot  s'acquitta 
parfaitement  de  cette  commillion  ;  il  s'avança  jufqu'aux  faux- 
bourgs  de  Paris ,  ôc  il  brûla  quelques  moulins  à  vent.  Il  s'en 
trouva  un  qui  n'étoit  pas  de  bois  ^  comme  la  plupart  des  au- 
tres ,  mais  de  pierre ,  ôc  l'armée  royale  l'avoir  ailés  bien  fortifié 
par  un  fofic  ôc  une  palifiade.  Le  capitaine  Guerry  étoit  de- 
dans avec  un  petit  détachement ,  réfolu  de  fe  bien  défendre. 
D'Andelot  fâché  de  voir  la  réfiftance  d'un  mounn,  tandis  que 
tout  cedoit  à  fes  armes  ,  prit  le  parti  de  le  forcer,  ôc  il  en  don- 
na le  foin  au  brave  Valfeniere ,  qui  avoit  la  veille  commandé 
les  volontaires.   Ce  capitaine  accompagné  de  Beauregard  ôC 
d'autres,  après  pluficurs  attaques  ,  fut  enfin  repouffé  par  Guer- 
ry :  ils  fe  retirèrent  l'un  ôc  l'autre  au  fon  des  trompettes.  Quoi- 
que cette  affaire  ne  fût  en  elle-même  qu'une  bagatelle,  elle  fit 
beaucoup  d'honneur  à  Guerry  j  le   moulin  porta  depuis  fon 
nom  :  il  fut  élevé  à  des  emplois    confidérables  ,  ôc  fut  fait 
colonel. 

La  mort  du  Connétable  caufa  dans  Paris  une  efpece  d'ina-     1.3  charge 
£lion.    On  ne  fut  pas  long-tems  à  chercher  un  fuccefieur  :  on  d^  Connéu* 
Tome  V.  B  b  b 


37^  HISTOIRE 

,  réfolut  de  fupprimer  pour  un  tems  une  charge  ,  qui  étant  la 

Charle  P"^^^^^^^^^  '^^  Royaume  ,  ôc  donnant  tant  de  prérogatives  ôc 

TXT-        d'honneurs  à  celui  qui  en  étoit  revêtu  ,  fembloit  ne  devoir  être 

^  '      confiée  à  qui  que  ce  fut  dans  des  tems  Ci  fâcheux.  Le  Roi  don- 

blcdippiimce  ^^  ^^  Commandement  général  des  armes  à  Henri  duc  d'Anjou 

poui  ciueiciiie-  fon  frère ,  à  la  foliicitation  de  la  reine  Mcre  ,  qui  l'aimoit  cper- 

*'^'"^*  duëment.   Comme  il  étoit  encore  enfant ,  il  n'en  eut  que  le 

titre  ;  toute  l'autorité  réfidoit  dans  les  Chefs  6c  les  Seigneurs 

qu'elle  mit  auprès  de  lui. 

LesConfédérezj  qui  s'étoientvûs  forcés  de  donner  bataille; 
^  ôc  qui  avoient  perdu  beaucoup  de  monde  ,  étant  d'ailleurs 
bien  inférieurs  aux  troupes  du  Roi  ^  craignirent  que  les  nou- 
velles troupes  qui  arrivoient  chaque  jour  au  duc  d'Anjou  j  ne 
mifient  l'armée  du  Roi  en  état ,  ou  de  les  affiéger  dans  S.  De-^ 
-nis,  ou  d'empêcher  la  jonction  des  troupes  qu'ils  attendoient  : 
ainfi  ils  abandonnèrent  cette  place,  ôc  marchèrent  vers  Mon- 
tereau  ,  pour  aller  au-devant  des  troupes  auxiliaires  Alleman- 
des,  qui  étoient  déjà  arrivées  en  Lorraine,  commandées  par 
Jean  Cazimir,  fils  de  l'élefteur  Palatin  :  ils  donnèrent  en  mê- 
me-tems  avis  à  ceux  de  leur  parti ,  qui  accouroient  de  toutes 
les  parties  du  Royaume  ,  de  fe  trouver  au  lieu  ôc  au  joue 
marqués. 
Les  Piotcf-  Les  Proteftans ,  qui  étoient  les  plus  forts  dans  le  Poitou  , 
tans  fe  ren-  (jans  l'Angoumois ,  ÔC  daus  la  Saintonge  ,  y  faifoient  partout 
delaRo^helk.  ^^^  levées  ,  ôc  épioient  l'occafion  de  prendre  la  Rochelle. 
Cette  ville  efl:  fituée  dans  la  Saintonge ,  dans  un  payis  gras  ôc 
fur  le  bord  de  la  mer.  Riche  depuis  long-tems  par  la  commo- 
dité de  fon  port ,  par  fon  grand  commerce  marinme  ,  ôc  par 
les  grands  privilèges  que  nos  Rois  lui  ont  accordés, on  peur 
dire  qu'elle  s'eft  élevée  au  point  d'opulence  oii  nous  la  voyons, 
par  les  guerres  civiles ,  qui  ont  défolé ,  ôc  prefque  ruiné  les  au- 
tres villes.  Par  le  Traité  de  Bretigny  fait  en  i  ^60  après  que 
le  roi  Jean  eut  été  fait  prifonnier,  on  céda  aux  Anglois  la  Ro- 
chelle avec  le  Poitou,  le  Limoufin  ,  la  Saintonge  ôc  l'Angou- 
mois. Mais  douze  ans  après  les  Rochellois  firent  bien  voir,  que 
c'étoit  malgré  eux  qu'on  les  avoit  affujettis  à  des  étrangers  5 
ils  fe  foûleverent  ,  chafTerent  les  Anglois  ,  prêtèrent  de  nou- 
veau ferment  au  Roi ,  ôc  en  reçurent  avec  de  nouveaux  privi- 
vileges  la  confirmation  des  anciens.    Depuis  ce  tems -là,  la 


DE  J.  A.   DE   THOU,  Liv.  XLÏI.      57^ 
Rochelle  eft  toujours  demeurée  rotunife  &  fidèle  à  nos  Rois.  . 

Elle  fut  néanmoins  pendant  quelque-tems  foûmife,  avec  toute  Charle 
la  Guyenne,  à  Charle  frère  de  Louis  XL  Cette  ville  eftgou-       jv 
vernée  par  100  hommes,  qu'on  appelle  Pairs  ou  Echevins.     ^  .  ^„^ 
Chaque  année  après  Pâques  on  choifit  un  des  cent  pour  être 
Maire.  C'eft  après  le  Gouverneur  &  le  Lieutenant  de  Roi ,  le 
premier  Magidrat ,  fon  autorité  eft  très-grande  dans  la  ville , 
ôc  c'eft  ce  qui  fait  que  les  anciens  reglemens  portent ,  qu'il  ne 
pourra  être  dans  cette  place  plus  d'un  an.  La  coutume  eft  d'en 
choifir  trois  fur  les  cent ,  &  d'en  préfenter  les  noms  au  Gou- 
verneur ou  au  Roi ,  qui  nomme  celui  des  trois   qu'il  juge  à 
propos ,  ôc  ordonne  qu'il  fera  élevé  à  cette  dignité  ,  pour  Tan- 
née fuivante.  G'étoit  alors  Guy  Chabot  de  Jarnac  ,  lieutenant 
pour  le  Roi  en  Saintonge  ,  qui  polTedoit  le  gouvernement  de 
la  Rochelle  ,  par  droit  d'hérédité  ,  Seigneur  audi  illuftrepar  fes 
vertus  i  que  par  l'éclat  de  fa  naiffance.  Amateur  Blandin  Juge- 
royal  ,  qui  étoit  Maire  ,  avoir  donné  avis   au  Roi ,  que   s'il 
vouloir  conferver  la  Rochelle ,  il  fe  gardât  de   donner  fon 
agrément  à  Trucharcs  qui  briguoit  cette  dignité  y  parce  au'il 
étoit  attaché  au  parti  Calvinifte,  ôc  que  les  liaifons  qu'il  avoit 
avec  Saint-Ermine  ,  qui  étoit  attaché  au  prince  de  Condé,  le 
rendoienttrès-fufpecl.  Il  arriva  cependant  que  Truchares  par 
fes  intrigues ,  ôc  à  la  recommandation  de  Jarnac  ôc  d'autres 
Seigneurs ,  fut  élu  entre  les  cent ,  avec  deux  autres  ,  nommé 
enfuite  par  le  Roi  ,  ôc  inftallé  par  Blandin  fon  prédécefleur. 
Peu   de  tems  après  il  prit  fecrcttement  des  mefures  avec  le 
prince  de  Condé,  ôc  Saint-Ermine  étant  venu  à  la  Rochelle 
par  ordre  du  Prince  >  dont  il  fe  difoit  Lieutenant ,  Truchares 
lui  livra  la  ville ,  dont  la  plupart  des  habitans  étoient  Calvi- 
niftes,  le  1 1  de  Février  de  l'année  fuivante   \$6%.  Alors  les 
Rochellois  prêtèrent  ferment  entre  les  mains  de  Saint-Ermine  j 
ôc  promirent  qu'ils  confacreroient  volontiers  leurs  biens  ,  leurs 
forces  ,  ôc  leurs  vies  pour  le  maintien  de  leur  religion.  Depuis 
ce  tems-là  la  Rochelle  eft  reftée  foûmife  au  prince  de  Condé 
ôc  aux  Proteftans,  fans  garnifon  ôc  fans  citadelle,  ôc  ellea  toii- 
jours  été  leur  plus  fur  azile  ^ 

Lorfque  le  prince  de  Condé  marchoitavec  fes  troupes  vers 

I  Jufqu  en  l'année  i^zS  fous  îe  règne  de  Louis  XIII.  qu'elle  fut  afliege'e  par  l'ar- 
me royale ,  &  prife  après  un  long  fiég  e. 

B  b  b  Ij 


,3So  HISTOIRE 

Montereau,  Francoife  d'Ofleans  fa  fœur,  femme  du  duc  de 


Ch  ARLE  Lo^"'gueville,vint  au-devant  de  lui,  accompagnée  de  Charlotte 

j^         de  Laval,  femme  de  Coligni.  Le  Prince  les  renvoya  à  Or- 

,  -  ^*       leans,  6c  il  arriva  à  Montereau  ,  où  il  laifla  Renty  avec  fept 

enfeignes  d'infanterie,  afin  de  garder  une  place  11  commode 

pour  le  paflage  des  troupes.  De  Montereau  le  Prince  continua 

fa  route  vers  la  Lorraine,  pour  y  recevoir  les  troupes  auxiliaires 

d'Allemagne.  La  Cour  y  avoit  auffi  envoyé  le  duc  d'Aumaîe, 

pour  emmener  trois  mille  hommes  de  cavalerie,  quiavoient 

été  levées  en  Allemagne  au  nom  du  Roi,  par  Jean-Guillaume 

de  Saxe,  ôc  Charle  marquis  de  Bade. 

Amba/Tudes       Louis  de  Saint  Gelais  deLanfac  fut  aufîî  envoyé  à  Frede- 

gnc,  ^'"^'  ^'^^  électeur  Palatin^  pour  le  faire  fouvenir  defon  ancienne  al- 
liance avec  la  France ,  ôc  pour  le  prier  d'empêcher  fon  fils  Jean 
Cafimir  de  donner  des  fecours  au  Prince  de  Condé.  Lanfac 
lui  dit ,  qu'il  ne  s'agiiToit  plus  de  la  Religion ,  que  les  Protef- 
tans  joùiiïbient  en  France  d'une  pleine  liberté,  qu'on  ne  gê- 
noit  point  leurs  confciences,  6c  qu'on  les  laiflbit  dans  la  pof- 
feflion  tranquille  de  leurs  biens  ,  de  leurs  dignitez ,  6c  de  tout 
ce  qui  leur  appartenoit5  qu'il  s'agiiToit  maintenant  de  toute  au- 
tre chofe  5  que  fous  un  faux  prétexte  de  Religion  ,  ils  atta- 
quoient  l'autorité  Royale  j  que  perfonne  n'étoit  plus  inte- 
reilé  à  maintenir  la  puiffance  Souveraine  que  les  Princes  d'Al- 
lemagne qui  aimoient  fincerement  la  Religion ,  de  peur  que 
leurs  fujets  ne  fuiviffent  un  pareil  exemple  ,  6c  n'entreprif- 
fent  de  leur  faire  la  loi.  Les  ordres  6c  les  inftrudions  données 
à  Lanfac  étoient  entièrement  conformes  à  celles  qui  avoient 
déjà  été  données  à  Bernard  Bochetel  évêque  de  Rennes.  Ce 
Prélat  avoit  facilement  perfuadé  la  même  chofe  à  Guillaume 
Landgrave  de  HelTe,  6c  parle  canal  de  ce  Prince,  à  Augufte 
électeur  de  Saxe ,  6c  à  Joachim  éle6leur  de  Brandebourg  ;  il  en 
avoit  même  obtenu  qu'ils  permirent  à  Guillaume  de  Saxe,  ôc 
au  marquis  de  Bade  de  faire  pour  le  Roi  les  levées  dont  nous 
avons  parlé. 

Cette  ambalTade  de  Lanfac  embaraffa  pendant  quelque  tems 
î'efprit  de  l'élefteur  Palatin  ;  enforte  qu'il  avoit  de  la  peine  à 
croire  ce  que  lui  difoient  Honoré  Prevoft,  du  Chatelier  Por- 
tant ,  ôc  Gervais  Barbier  Francour ,  qui  le  preffoient  au  nom 
du  prince  de  Condé  d'envoyer  les  fecours  dont  on  étoit  convenu. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lir.  Y.LIL         381 
Il  fufpendit  même  h  marche  de  fon  fiis  jufqu'à  ce  qu'il  eut  été  «»^^^«»»» 
pleinement  informé  de  l'état  des  chofes.  Pour  cela  il  envoya  (^^arle 
Venceflas  Zuleger ,  un  de  fes  Miniftres ,  à  la  Cour  de  France,       |  ^ 
avec  Lanfac  ,  fur  la  parole  que  Lanfac  lui  donna  de  le  rame-     ^    ^^\ 
ner  lui  même  en  fureté.  Zuleger  ayant  appris  ,  tant  à  la  Cour^ 
qu'à  l'armée  du  prince  de  Condé,par  où  il  pafTa  en  revenant, 
que  les  chofes  étoienr  bien  différentes  de  ce  que  les  ambaiïa- 
deurs  publioient  j  ilconfeilla  à  l'Electeur  fon  maître  de  neplus 
différer  d'envoyer  les fecours  promis,  6c  de  donner  à  Cafimir 
fon  fils  la  permiffion  de  partir.  Mais  afin  que  les  Eledeurs  de 
Saxe  ôc  de  Brandebourg ,  &  le  Landgrave  de  Heffe  ne  fuffent 
pas  choquez  de  la  conduite  de  Féledleur  Palatin ,  Zuleger  fut 
chargé  de  les  aller  trouver  ,  pour  les  convaincre  de  la  vérité , 
dont  il  avoir  été  témoin  oculaire  dans  fon  voyage  de  France, 
Lanfac  qui  accompagnoit  Zuleger  dans  fon  retour ,  fuivant 
les  ordres  du  Palatin ^  fut  pris,  lorfqu'il  le  menoit   au  camp 
des  Confédérez.    Mais  heureufement  celui    qui    portoit  fon 
porte-feuille  avec  fes  lettres ,  fes  papiers,  fes  ordres  6c  fesinf- 
trudions,  ayant  pris  un  autre  chemin,  ne  fut  pas  arrêté:  ainfî 
le  prince  de  Condé,  à  qui  Lanfac  fut  mené  auffi-tot ,  ne  put 
rien  découvrir  de  fes  fecrets.  Lanfac  fut  mis  en  liberté,  fans 
avoir  payé  aucune  rançon ,  parce  qu'il  fe  plaignit  d'avoir  été 
arrêté  contre  le  droit  des  gens ,  dans  le  tems  qu'il  conduifoit 
Zuleger  au  Prince. 

Cependant  les  troupes  de  la  Guyenne  étoient  arrivées.  La     Divers  fuc- 
cavalerie  confiftoit  en  quatorze  compagnies  commandées  par  ^"^^^^^j""" 
Puy-Grefiier  de  Saint  Cyr,par  Soubife,  par  Languilliers,  par  Provinces. 
CharleRouaut  de  Landereau ,  par  Puiviauît,  6c  par  Saint  Mac- 
tin  de  la  Coudre.  L'infanterie  fut  diftribuée  en  trois  regimens 
dans  chacun  defquels  il  y  avoir  neuf  enfeignes,  fous  les  ordres 
de Pardaillan, d'Armand  de  Ciermont  de  Piles  6c  de  Campai- 
gnac  ,  qui  avoir  été  moine.  Ayant  pris  à  Confiant  en  Limoufin 
quelques  pièces  de  campagne,  de  la  poudre,  6c  d'autres  armes, 
ils  attaquèrent  Dorât,  que  Campaignac  força.  Etant  enfuite  en- 
trez dans  le  Poitou ,  ils  fe  rendirent  maîtres,  fans  coup  férir, 
de  Lufignan  ,  place  très-forte ,  que  du  Vigean  qui  y  comman- 
doit  leur  rendit.  Ils  conçurent  quelque  efperance  de  pouvoir 
s'emparer  de  Poitiers  capitale  de  la  Province  ,  par  le  moyen 
des  Calvinifles  qui  y  étoient  :  ils  s'y  arrêtèrent  inutilement 

Bbbiij 


582  HISTOIRE 

pendant  quelques  jours  ;  Guy  de  Daillon  comte  de  Lude,  quî 
ru  K  ^  T  c  y  etoit  accouru  avec  la  première  NoblefTe  de  la  Province, 
j^  ht  échouer  leurs  projets.  JJela  ils  le  mirent  en  chemin ^  ôc  ne 
,  -  ^  _  s'arrêtèrent  point  qu'ils  ne  fuflent  arrivez  à  Orléans.  Ils  y  pri- 
rent deux  gros  canons ,  une  couievrine ,  de  la  poudre ,  ôc  les 
autres  munitions  nécelTaires  ,  ôc  marchèrent  vers  Pont-fur-Yon- 
ne  ,  qui  étoit  défendu  par  Saint  Martin  ôc  Saint  Loup  avec 
trois  enfeignes.  Il  y  avoir  avec  eux  dans  la  place  plufieurs  ha- 
bitans ,  batehers,  gens  forts  ôc  obftinez.  Sommez  de  fe  ren- 
dre, ils  le  refuferent.  Les  Proteftans  firent  approcher  leur  ca- 
non ,  ôc  drefîerent  une  batterie  fur  une  petite  couline  couver- 
te de  vignes ,  qui  domine  fur  la  place.  Comme  les  murs  étoient 
nouvellement  bâtis  ôc  foiblesj  après  qu'on  eût  tiré  quelques 
coups, il  y  eut  une  grande  brèche.  Campaignac,  qui  vit  qu'il 
n^avoit  point  defofléau-deflbus,  ou  qu'il  étoit  très-petit,  mon- 
ta aufîî-tôt  fur  la  brcche;  Monferrand ,  Lanjoran  ôc  de  Piles  le 
fuivirent  de  près  ;  la  place  fut  forcée ,  ôc  on  tua  tous  ceux  qu'on 
y  trouva.  Ceux  qui  s'étoient  retirez  dans  une  Eglife  voiline 
furent  aufli  tuez  à  coups  d'arquebufes  :  plufieurs  qui  avoient  ga- 
gné le  pont  en  fuyant ,  ôc  qui  entroient  en  foule  dans  les  ba- 
teaux, eurent  le  même  fort  5  ceux  qui  échaperent  fe  retirèrent 
à  Sens  ;  d'autres  qui  s'étoient  réfugiez  dans  le  château ,  eurent 
la  vie  fauve ,  ôc  fortirent  de  la  ville. 

Après  la  prife  de  Pont,  Coligni  qui  commandoit  Tavant- 
garde,y  vint  au-devant  de  ces  troupes,  ôc  s' étant  joints,  ils 
marchèrent  à  Sens,  dans  le  deffein  ,  non  de  prendre  la  place, 
mais  d'amufer  les  troupes  du  Roi ,  qui  en  craignoient  lefiége, 
ôc  de  donner  ainfi  à  l'armée  des  Confédérez  tout  le  tems  né- 
ceflfaire  pour  palier  la  Seine.  La  chofe  arriva,  comme  ils  l'a- 
voient  concertée.  Henri  de  Lorraine  duc  de  Guife ,  encore 
très  jeune,  mais  quiavoit  déjà  donné  de  très-grandes  efperan- 
ces  dans  la  guerre  de  Hongrie ,  fit  venir  auprès  de  lui  toutes 
les  troupes  qui  étoient  à  Troyes ,  pour  fe  mettre  en  état  defoû- 
tenir  le  fiége.  Aulîi-tôt  Coligni  tourna  du  côté  de  Bray-fur- 
Seine,  place,  dont  les  murs  étoient  foibles,  qui  n^avoit  rien 
de  fortifié  que  fon  Pont ,  ôc  qui  n'avoit  qu'une  très-petite  gar- 
nifon,  fous  les  ordres  de  Gombauld.  Cet  ofiicier  fervoit  alors 
fous  le  duc  de  Nemours.  Depuis  ce  tems  là  il  fut  en  faveur  au- 
près de  nos  Rois  ,  ôc  fe  vit  dans  la  fuite  élevé  à  de  très-grands 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lîv.XLII.        ^è^ 

Iionneurs.  C'eft  là  que  les  Proteftans  exécutèrent  leur  projet  -- 

enaflTurance.  Ik  drefîerent  leur  batterie  contre  l'endroit  le  plus  7-. 
fort,  &  ils  firent  brèche.  Mais  iifalloit  pour  y  monter  pafTer  ^^f^^^ 
unfofTé  profond  ôc  plein  de  l'eau  que  la  rivière  y  portoit:  en- 
forte  que  le  foldat  mouillé,  ôc  obligé  de  grimper  par  des  endroits  ^  ^  ^' 
gliffans,  ou  tomboit,  ou  étoit  facilement  culbuté  parlagarnifon 
qui  étoit  fur  les  remparts.  Genlis  s'étoit  chargé  de  cette  expé- 
dition :  ayant  renverfé  la  Tour  ôc  le  mur  qui  étoit  au-deflbus^ 
il  commanda  Courboufon  frère  de  Montgommery ,  pour  don- 
ner l'affaut.  Mais  la  brèche  n'étoit  pas  affez  grande ,  ôc  l'in- 
commodité, dont  nous  avons  parlé,  caufa  beaucoup  de  perte 
aux  affiégeans.  Courboufon  y  fut  bleffé  ôc  repoulfé ,  avec  per- 
te d'environ  cent  vingt  des  liens.  Comme  on  croyoit  que  les 
Proteftans  irritez  de  cet  échec  ne  manqueroienc  pas  de  reve- 
nir à  la  charge  avec  de  plus  grandes  forces ,  Gombauld  qui  n'a- 
voit  point  de  fecours  à  efperer,  fe  rendit  à  dts  conditions  ho- 
norables y  les  habitans  payèrent  deux  miile  écus  ,  qui  furent  em- 
ployez à  rembourfer  les  frais  du  fiége  ,  Ôc  à  panfer  les  bleffez  i  ôé' 
on  y  mit  la  compagnie  de  cavalerie  de  Genlis  en  garnifon. 

Delà  on  marcha  à  Nogent-fur-Seine ,  qui  n'en  eft  éloigné 
que  de  quatre  lieues.  La  place  ouvrit  fur  le  champ  fes  portes 
à  d'Andelotjôc  lui  paya  deux  mille  écus.  On  y  mit  de  Mo- 
nins  Ôc  Payet,  tous  deux  capitaines  aux  Gardes.  Ces  places 
étant  ainfi  fortifiées,  le  prince  de  Condé  rappella  Renti,  qu'il 
avoit  laiffé  à  Montereau ,  ôc  lui  donna  ordre  de  couper  les 
ponts ,  ôc  de  venir  le  joindre.  Ce  Prince  paffa  la  Seine  à  Bray^ 
avec  la  meilleure  partie  de  l'armée  5  ôc  Coligni ,  qui  comman- 
doit  l'avant-garde ,  la  paffa  à  Nogent.  On  abandonna  cette  der- 
nière place ,  ôc  on  laiffa  à  Bray  une  partie  de  la  garnifon  juf- 
qu'àce  que  l'armée  fut  avancée  plus  loin.  Les  Conf.'dérez  tour- 
nèrent enfuite  à  gauclic,  ôc  furent  à  Epcrnay  fur  la  Marne,  oii 
ils  demeurèrent  trois  jours  ,  en  attendant  que  les  foldats,  qu'ils 
avoient  laiffcz  à  Bray  ,  fuflent  venus  les  joindre,  ôc  ils  y  déli- 
bérèrent fur  les  propofitions  de  paix  qui  avoient  été  faites  de- 
puis peu. 

On  crut  que  la  Reine  mère  l'avoit  fait  exprès ,  pour  retar- 
der la  marche  des  Proteftans,  qui  alloient  à  grandes  journées 
en  Lorraine,  ôc  donner  le  tems  au  duc  d'Anjou,  qui  les  fui- 
voit  avec  fon  armée,  de  les  attendre,  ôc  de  les  obliger  aune 


'3^  HISTOIRE 

i .,  bataille  décifivè.  La  Reine  leur  avoit  envoyé  pour  cet  effet 

Charle  Gonibauld.  Ils  tinrent  confeil  j  la  plupart  ennuyez  déjà  d'une 
IX.       guerre^  dont  les  commencemens  ne  répondoient  pas  à  leurs 
i  r  (^j^    efpérances  ,  pleins  d'amour  pour  leur  patrie,  ôcfaifis  d  hor- 
reur, par  l'idée  des  maux  dont  elle  étoit  menacée,  furent  d'avis 
d'entrer  dans  une  negotiation,  qui  put  les  conduire  à  la  paix. 
Mais  Jean  de  Ferrieres  vidame  de  Chartres  fe  récria  contre 
cet  avis,ôc  foùtint  que  leur  ennemis  ne  cherchoientpas  à  faire 
la  paix ,  mais  à  déconcerter  les  projets  des  Confédérez,  ôc  faire 
échouer  leurs  entreprifes  ,  à  retarder  l'exécution  de  leurs  pro- 
jets, à  mettre  la  divifion  parmi  eux,  à  les  détacher  les  uns  des 
autres,  aies  brouiller  avec  Iqs  étrangers ,  Ôc  enfin  à  les  réduire 
à  la  néceflîté  de  combattre  avec  beaucoup   de  défavantage; 
D'où  il  conclut  qu'il  ne  falloit  entendre  à  aucunes  propofirions, 
jufqu'à  ce  que  leur  jondion  avec  les  Allemands  étant  faire ,  Ôc 
ayant  reçu  toutes  les  troupes  du  dedans,  qu'ils  attendoient, 
ils  fufTent  en  état  ou  de  rifquer  une  bataille  décifivè ,  ou  de 
faire  un  traité  à  des  conditions  juftes  ôc  glorieufes.  Tel  fut  le 
fendment  du  Vidame.   Cependant  le  prince  de  Condé,  qui 
craignoitde  fe  rendre  odieux  ^  s'il  paroifTbit  s'éloigner  d'un  ac- 
commodement, marqua  un  grand  penchant  pour  la  paix,  ÔC 
il  renvoya  Gombauld  plein  de  confiance  que  fa  negotiation 
réufiTiroit.  Le  Prince  le  fuivit  de  près ,  ôc  retourna  à  Montereau  > 
oii  Gombauld  avoit  affuréque  le  Roi  envoyeroit  des  députez. 
Mais  comme  il  n'en  parut  aucun ,  il  retourna  promptement  à 
fon  armée. 

On  y  tint  encore  un  Confeil ,  pour  déhberer  fur  ce  qu'il  con- 
venoit  de  faire,  n'y  ayant  plus  aucune  efperance d'accommo- 
dement. Coligni  fut  d'avis  qu'on  refiât  où  ils  étoient  î  parce  que 
tout  le  monde  regarderoit  leur  départ ,  ou  comme  une  fuite  ^ 
ou  au  moins  comme  unehonteufe  retraite  de  gens  quiavoient 
peur  ;  qu'il  étoit  extrêmement  important  pour  leur  réputation 
de  ne  pas  donner  lieu  à  une  telle  idée  ,  ôc  qu'il  ne  falloit  pas 
craindre  ,que  s'ils  demeuroient  où  ils  étoient ,  le  prince  Cafi^ 
mir  tardât  devenir  les  joindre,  fur-tout  lorfqu'il  auroit  appris 
qu'ils  n'croient  refcez  en  chemin  que  dans  laréfolution  de  com- 
battre, fi  l'ennemi  venoit.  Ainfi  favis  de  PAmiral  fut  d'envoyer 
à  Cafimir  une  dépuration  de  la  principale  Noblefi^e,  pour  lui 
expofer  les  motifs  du  parti  qu'ils  avoient  pris  ,  pour  s'excufer 

de 


DE  J.  A.  13 E   THOU,  Liv.XLIL        ^Sy 

^e  ce  qu'ils  n'alloient  pas  au-devant  de  lui ,  ôc  pour  lui  faire  . 

entendre  qu'ils  étoient  reftez  afin  de  garder  les  pafîagesdes  ri-  Ch  arle 
vieres  j  enfin  pour  le  prier  de  venir ,   ôc  d'être  bien  perfua-       T  X 
de  qu  on  lui compteroit  a  Ion  arrivée  1  argent  qu  on  lui  avoit    i  <  67, 
promis. 

Le  vidame  de  Chartres  foûtenoit  au  contraire ,  qu'on  ne  pou- 
voit  pas  donner  le  nom  de  fuite  à  une  marche ,  qui  ne  fe  fai- 
foit  avec  tant  de  diligence ,  que  pour  fe  joindre  plutôt  à  des 
troupes  alhées  qu'on  alloit  recevoir  :  qu'à  la  guerre  une  réfo- 
îution  paflbit  pour  glorieufe ,  ôc  faifoit  honn^eur ,  lorfquelle  étoit 
utile  ôc  néceiJaire  :  qu'il  étoit  certain  que  fi  on  n'alloit  pas  au- 
devant  de  Cafimir  ,  on  lui  donneroit  lieu  de  fe  plaindre^  com- 
me d'un  mépris  qu'on  faifoit  de  lui  :  Que  parles  intrigues  des 
ducs  de  Guife  ôc  d'Aumale ,  il  pourroit  bien  changer  de  fen- 
timent,  ôc  ne  pas  venir,  ou  qu'on  pourroit  lui  fermer  les  paffa- 
ges,Ôc  Tempêcher  d'arriver  :  Que  quand  même  aucun  de  ces  in- 
conveniens  ne  feroit  à  craindre,  il  fe  pourroit  bien  faire  que 
des  hommes,  qui  feconduiroient  moins  par  amitié  que  par  in- 
térêt, retourneroient  fur  leurs  pas ,  fi  on  manquoit  de  leur  don- 
ner à  tems  l'argent  qu'on  leur  avoit  promis  :  Et  qu'ainfi  \qs 
Confédérez  feroient  fruftrez  de  l'efperance  qu'ils  avoient  fon- 
dée fur  un  fecours  également  prompt  ôcnécefl^aire  :  Que  s'ils 
avoient  une  fois  perdu  cette  reffource ,  à  qui  auroient-ils  recours, 
en  qui  mettroient-ils  leur  confiance  ? 

Cet  avis  prévalut,  mais  les  opinions  furent  encore  partagées  fur 
la  manière  d'exécuter  cette  réfolution.  La  plupart  croyoient, 
que  pour  pouvoir  revenir  plus  promptement,  il  ne  falloit  faire 
marcher  que  la  cavalerie ,  ôc  laifler  l'infanterie  en  garnifon  à 
Nogent ,  à  Bray  ôc  à  Pont-fur-Seine  j  que  par  là  on  feroit  le 
voyage  avec  beaucoup  plus  de  diligence,  ce  qui  étoit  très  im- 
portant, ôc  qu'on  épargneroit  à  l'infanterie  les  fatigues  infépara- 
blés  d'un  long  voyage,  dans  une  faifon  fi  avancée  ôc  fi  fâcheu- 
fe.  L'amiral  de  Coligny  s'éleva  contre  cet  avis ,  ôc  dit  qu'on  ne 
pouvoir  laiflTer  là  l'infanterie ,  fans  l'expofer  à  un  danger  évident, 
parce  que  ces  places  étant  fi  foibles  ôc  de  fi  peu  de  défenfe , 
les  garnirons  qu'on  y  mettoit  feroient  obligées  de  fe  rendre  à 
l'arrivée  de  l'ennemi ,  ou  que  fi  elles  réfiftoient ,  elles  feroient 
forcées  ôc  taillées  en  pièces  :  que  puifqu'il  falloit  aller  en  Lor- 
raine ,  toute  l'armée  devoit  marcher  enfemble  ,  mais  à  petites 
Tome  y,  Ccc 


S^é  HISTOIRE 

.  journées ,  comme  on  a  coutume  de  mener  ufte  armée  ordU 
C  H  R  I  F  "^^^'^  •  9"^  ^^  cette  façon  on  conferveroit  toutes  les  troupes; 
7X7-  ôc  on  viendroit  heureufementà  bout  de  ce  que  Ton  fe  promet- 
,  -  ^*  toit  :  Que  cette  réfolution  pouvoit  encore  produire  un  grancl 
bien ,  parce  que  l'armée  du  Roi  voyant  les  Conféderezen  mar- 
che, pourroit  bien  être  tentée  de  les  fuivre ,  dans  leiperance  de 
les  atteindre  ôc  de  les  combattre  ,  ôc  abandonneroit  ainfi  le 
defTein  qu'elle  avoir  pris  d'alFiéger  Orléans,  ville  où  il  y  avoit 
plus  de  femmes  que  d'hommes  ôc  de  foldats  '  :  Que  pendant 
ce  tems  là  les  troupes  qu'on  atrendoit  du  Languedoc  ôc  de  la 
Guyenne  arriveroient  ôc  ferviroient  à  fortifier  lagarnifon  d'Or- 
léans, ôc  à  augmenter  l'armée.  D'autres  opinèrent  à  mener  l'in- 
fanterie ,  mais  à  marcher  le  plus  vite  qu'il  feroit  polTible ,  de 
peurqueCafimirne  prit  un  plus  long  retardement  comme  une 
marque  de  mépris  ,  ou  ne  le  fervit  de  ce  prétexte  pour  jufti-* 
fier  fon  retour ,  en  difant  qu'il  y  auroit  été  forcé ,  par  le  défaut  du 
payement  promis  à  fes  troupes.  C'eft  enfin  à  quoi  le  Confeilfe 
détermina  :  on  fixa  le  jour  du  départ ,  alÏÏi  que  toute  l'armée  fût 
prête  à  marcher.  Voici  quel  fut  l'ordre  de  la  marche.  Le 
prince  de  Condé  étoit  à  la  tête  du  corps  de  bataille:  il  éroit 
fuivi  de  l'amiral  de  Coligni  qui  commandoit  l'avant- garde; 
d'Andelot  fut  chargé  de  courir  de  côté  ôc  d'autre,  avec  un  dé-» 
tachementdemoufquetaires,  à  qui  on  donna  des  chevaux.  Ar-« 
tus  de  Vaudray  de  Mouy  formoit  i'arriere-garde  avec  la  cava*^ 
ierie  légère. 

On  faifoit  par  ordre  du  prince  de  Condé  des  levées  dans  le 
Dauphiné ,  la  Provence  ôc  le  Languedoc.  Jacque  de  Cruflbl 
feigneur  deDacier,qui  en  étoit  chargé,  étoit  allé  dans  le  Ma-»' 
connois,  le  Bourbonnois ,  l'Auvergne  ôc  le  Vivarez,  pour  ex-« 
horter  toutes  ces  troupes  à  fe  ranger  en  un  certain  jour  fous 
leurs  enfeignes.  René  de  Savoye  fils  du  comte  de  Tende ,  com- 
munément appelle  Sipierre ,  levoit  des  foldats  en  Provence  ^ 
près  de  Sifteron,  dont  Paul  de  Richiend  de  Mouvans  s'étoit 
rendu  maître  par  fon  ordre.  Louis  du  Puy  de  Monbrun  faifoit 
des  levées  en  Dauphiné ,  ôc  déjà  les  Dauphinois  Ôc  les  Pro-" 
vencaux  s'étoient  aifemblez ,  dans  le  deflein  de  venir  le  plus 
promptement  qu'il  feroit  poffible  trouver  le  prince  de  Condé, 

I  II  y  a  dans  le  texte  ac  mulîo  milite  firmati  j  ce  qui  ne  forme  aucun  fens  :  iî 
faut  lire  nëcwukoj  ôcc. 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I V.  XLIL         5S7 

'Mais  à  la  prière  de  Dacier,  qui  avoitréfolu  de  s'emparer  des 

citadelles  de  Nifmes  ôc  de  Montpellier^  villes  gardées  par  les  Cu  ^d  i  n 
feuls  bourgeois  ,  Sipierre  ,  Mou  vans,  Senasj  le  baron  de  Bar,  t  v; 
,Cerefl:e ,  &  d'autres  s'y  rendirent  avec  deux  mille  hommes  t  ^  (^  ^ 
d'infanterie  ,  aufquels  Monbrun  fe  joignit ,  avec  fept  cens  hom- 
mes du  Dauphiné.  A  leur  arrivée  la  citadelle  de  Nifmes  ou- 
vrit fes  portes.  Ils  eurent  plus  de  peine  à  fe  rendre  maîtres  de 
celle  de  Montpellier ,  bâtie  dans  la  Place  de  l'Eglife  de  faint 
Pierre ,  proche  celle  des  Carmes.  Il  y  avoit  dedans  une  gar- 
nifon  de  trois  cens  hommes ,  qui  firent  une  vigoureufe  réfiftan- 
ce ,  dans  l'efperance  qu'ils  feroient  promptement  fecourus  par 
Guillaume  de  Joyeufe  ,  lieutenant  de  Henri  de  Montmorenci 
duc  de  Damville  gouverneur  de  la  Province.  Mais  les  Pro- 
teftans  ayant  fait  un  retranchement,  où  ils  étoient  à  couvert 
d'un  côté,  du  feu  de  la  citadelle  ,  ôcde  i  autre,  des  attaques  des 
troupes  auxiliaires  ,  Joyeufe  vint  inutilement  au  fecours ,  ôc  les 
affiégezaprèsun  grand  nombre  depetits  combats,  furent  con- 
trains de  fe  rendre.  Après  s'être  entièrement  rendu  maître  de 
la  ville  6c  de  la  citadelle  de  Montpellier,  Sipierre  retourna  fur 
fes  pas  ,  vers  Sifteron;  parce  qu'il  apprit  que  Bertrand  de  Si- 
miane  de  Gordes  ôc  Louis  de  Maugiron  étoient  en  ces  quar- 
tiers là  avec  des  troupes. 

Cependant  les  comtes  de  Bourniquer,ôc  de  Monclar,  Poulin, 
deCaumont,  Serignan,  Rapin  ,  ôc  de  Montagut  faifoientdes 
levées  dans  le  Rouergue,  le  Quercy ,  ôc  jufqu'aux  Pyrénées, 
dans  le  comté  de  Foix  ,  dans  l'Albigeois  ^  ôc  le  Lauraguez. 
Après  avoir  affemblé  fept  mille  hommes  ,  ils  allèrent  droit  à 
faint  Fronton  ,  qui  étoit  occupé  par  les  troupes  du  Roi ,  àc 
dont  la  garnifon  défoloit  tout  le  payis  voifin.  N'ayant  point 
de  canons,  ils  fappérentles  murs,  aidez  parles  payifans,  qui 
accouroient  de  toutes  parts  pour  fe  venger  de  tous  les  maux 
qu'ils  avoient  reçus  de  la  garnifon.  Les  affiégeans  forcèrent  la 
place ,  ôc  firent  un  grand  carnage  des  foldats  qui  y  étoient. 
On  exerça  fur  eux  toute  la  fureur  qu'infpirent  les  haines  parti- 
culières, jointes  à  la  licence  effrénée.  Ces  troupes  vidorieufes 
fe  joignirent  à  Cruflbl  Dacier.  Les  Dauphinois  le  prièrent  à 
leur  tour  de  vouloir  bien  les. fecourir.  A  cet  effet  il  marcha 
avec  toute  fon  armée  vers  faint  Marcellin ,  dont  de  Gordes  ôc 
Maugiron  avoient  fait  le  ficgc ,  ô:  il  prit  fa  route  par  le  Pont- 

Ccc  ij 


588  HISTOIRE 

Saint  Efprit ,  où  il  avoitréfolu  de  pafler  le  Rhône.  Mais  corn- 
C  H  A  R  L  E  n'ie  quelques  troupes  forties  d'Avignon  s'étoient  portées  dans 
I  X.  la  Tour  du  pont,  ôc  qu'avec  deux  vailTeaux  armez  ils  s'oppo- 
1  <  61.  foient  au  palTage^  les  Confëdérez  furent  obligez  de  s'arrêter; 
jufqu'à  ce  qu'ils  euflent  chafle  les  foldats  d'Avignon  de  ce  Fort 
qu'ils  occupoient.  Ces  foldats  tâchèrent  d'abord  de  faire  fau- 
ter avec  de  la  poudre  une  arche  du  pont  î  mais  n'ayant  pu  en 
venir  à  bout ,  ils  remontèrent  fur  leur  vaiffeaux,  ôc  fe  retirèrent  à 
Avignon.  Les  Confëdérez  pendant  ce  tems  là  attaquèrent  faint 
Marcel,  place  peu  éloignée  du  Pont-Saint  Efprit.  Le  malheur 
du  fils  de  Senas ,  qui  fut  tué  à  la  première  approche ,  anima  tel- 
lement les  afliégeans ,  ôc  ils  attaquèrent  la  place  avec  tant  de 
fureur ,  qu'elle  fut  bien-tôt  forcée.  Deux  cens  hommes ,  qui  s  y 
trouvèrent ,  furent  paffez  au  fil  de  l'épée.  Delà  ils  entrèrent  dans 
le  Dauphiné  pour  faire  lever  le  fiége  de  faint  Marcellin.  De 
Gordes  Ôc  de  Maugiron  ayant  appris  qu'ils  venoient ,  fe  reti- 
rèrent auffi-tôt,  parce  qu'ils  étoient  inférieurs  en  nombre,  ôc 
allèrent  à  Grenoble.  Dans  le  Bourbonnois ,  dans  l'Auvergne, 
le  Forez,  le  Mâconnois ,  ôc  le  Beaujollois,  Poncenac  ôc  Ver- 
belay  avoient  déjà  engagé  au  fervice  du  prince  de  Condé 
trois  mille  hommes  de  pié  ,  ôc  cinq  cens  hommes  de  cava- 
lerie ,  ôc  ils  leur  avoient  donné  ordre  de  s'afîembler  dans  le  mois 
d'Octobre  à  la  Pacaudiere. 

Ces  troupes  étant  arrivées,  on  tint  Confeil ,  pour  délibérer 
fi  on  iroit  droit  trouver  le  prince  de  Condé,  ou  fi  on  attendroit 
la  jon£lion  de  celles  qui  venoient  de  la  Provence  ,  du  Lan- 
guedoc ôc  de  la  Guyenne.  Ce  dernier  avis  femporta ,  ôc  on 
réfolut  de  les  attendre,  pour  marcher  avec  plus  de  fureté.  Ce- 
pendant pour  ne  pas  laifler  dans  l'inadion  celles  qui  étoient 
arrivées ,  ôc  les  empêcher  de  fe  débander  pendant  ce  retarde- 
ment, on  prit  le  parti  delesconduire  dans  le  Mâconnois,  dans 
la  principauté  de  Dombes ,  ôc  dans  le  payis  des  environs.  On 
fut  d'abord  à  Cluny  :  cette  Abbaye  fe  racheta  du  pillage  par  une 
fomme  d'argent  5  les  Proteftans  qui  y  étoient  en  prifon  furent 
élargis,  ôc  fe  joignirent  aux  Confédérez.  On  alla  en  fuite  atta- 
quer Saint  Jean,  qui  étoit  défendu  par  Charongereaux.  Les 
habitans  firent  une  vigoureufe  réfillance ,  ôc  fe  laifferent  forcer. 
L'ennemi  s'approcha  des  murs ,  mit  le  feu  aux  portes ,  plan- 
ta les  échelles  en  divers  endroits  5  enfin  la  place  fut  prife  ôc 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I  V.  XLII.        3?^ 

pillée  ,  ôc  ce  ne  fut  pas  fans  répandre  beaucoup  de  fang. 

Après  cette  expédition ,  Poncenac  étant  retourné  à  la  Pacau-  ^ 
diere ,  on  tint  Confeil  pour  réfoudre  où  l'on  iroit.  Poncenac  in-      ^J\r 
fifta  pour  retourner  en  Dauphiné,  6c  fe  joindre  à  l'armée  de 
Dacier  ;  fon  avis  fut  fuivi  comme  le  plus  fïir.  Mais  Lovefe ,  qui        ^     '  * 
s'étoit  rendu  maître   de  Mâcon  ,  ôc  qui  faifoit  dans  le  payis 
voiiin  des  courfes  fort  lucratives  ,  ne  voulut  pas  fuivre  les  au- 
tres ,  quoique  Poncenac  lui  fit  voir  clairement  que  fa  perte 
étoit  inévitable,  dès  que  le  duc  de  Nevers  feroit  arrivé  avec 
fes  troupes.  Il  ne  fe  trompa  pas  dans  fa  conjedure ,  mais  il  ne 
put  lui-même  éviter  le  malheur  qu'il  avoit  annoncé  à  Lovefè. 
Lorfqu'il  paflbit  par  le  Forez,  Verbelay  formoit  l'avam-garde 
avec  trois  cens  cavaliers  ôc  fix  cens  arquebufiers  ,  ôc  Poncenac 
le  fuivoitavec  feptcens  hommes  de  pie  ôc  cent  cavaliers.  Alors 
Montaré,  heutenant  du  duc  de  Nemours  dans  le  gouvernement 
du  Bourbonnois,  ôclc  marquis  de  la  Chambre  ^  prièrent  inftam- 
ment  les  troupes  delà  Guyenne,  qui  paffoient  parla  pour  aller 
joindre  l'armée  Royale  ,  fous  les  ordres  de  Terride ,  de  la  Va- 
lete  ôc  de  Montfalez ,  de  ne  pas  laiffer  échapper  une  fi  belle 
occafion  de  pourfuivre  Poncenac  ôc  Verbelay ,  qui  n'étoient 
pas  loin  ,  ôc  qui  marchoient  comme  des  fuyards  ,  plutôt  que 
comme  des  gens  qui  euflent  envie  de  combattre.  Pour  les  mieux 
perfuader ,  ils  ajoutèrent  que  s'ils  venoient  les  atteindre ,  la  feu- 
le vûë  des  troupes  Royales  répandroit  la  terreur  dans  leur  pe- 
tite armée  ,  ôc  qu'elle  feroit  bien-tôt  dilFipée  fans  combat  :  Que 
les  Provinces  plus  éloignées  feroient  intimidées ,  ôc  que  cet  évé- 
nement retarderoit  au  moins  la  jonction  des  troupes  des  Con- 
fédérez ,  ôc  les  empêcheroit  de  fe  donner  mutuellement  les  fe- 
cours  dont  elles  avoient  befoin.  Les  chefs  de  ces  troupes  fe 
rendirent  à  ces  inftances,  ôc  retournèrent  fur  leurs  pas.  Supé- 
rieurs en  nombre,  ils  atteignirent  Poncenac  (car  Verbelay  étoit 
déjà  plus  loin)  à  Champoùilly  près  deFeurs,  ôc  ils  le  défirent 
avant   qu'il  eût  pu  fe  mettre  en  défenfe.  Le  capitaine  Ville- 
noife  fut  tué ,  avec  environ  trois  cens  arquebullers ,  ôc  on  prit 
prefque  tous  les  drapeaux.  Ce  qui  reftoit  de  l'infanterie  s'étant 
enfermé  dans  un  enclos ,  capitula ,  à  condition  d'avoir  la  vie  fau- 
ve 5  ils  s'engagèrent  à  ne  plus  fervir,  ôc  on  les  laifla  aller.  Pon- 
cenac^ qui  eut  bien  de  la  peine  à  fe  fauver ,  alla  joindre  Ver- 
beray  ^  qui  venoit  j  mais  trop  tard  ^  à  fcn  fecours.  Alors  ik 

Ccc  iij 


5pd  HISTOIRE 

^^^^^  jugèrent  à  propos  de  changer  l'ordre  de  leur  marche  ;  iîs  'e 
^  partagèrent  en  petits  pelotons,  pour  n'être  pas  furpris ,  ôc  ils  fe 

T\f  ^  mirent  en  chemin.  Cette  rcfolution  qui  paroiffoit  fage  &  pru- 
dente,leur  fut  pernicieure5car  un  grand  nombre  en  prit  occafion 
'  ^  '^'  de  déferter .  ôc  toutes  ces  troupes  fc  trouvèrent  à  la  fin  réduites  à 
1200  cavaliers.  Poncenac  &  Verbelay  leur  ayant  fait  promet- 
tre qu'ils  ne  quitteroient  point  le  fervice,  les  menèrent  à  faint 
Amand  en  Auvergne  5  de  là  ils  les  firent  pafier  dans  le  Vivarez 
par  des  chemins  détournez ,  ôc  ils  arrivèrent  enfin  à  Valence 
en  Dauphiné. 

Le  duc  de  Nevers ,  après  avoir  reçu  l'argent  du  Pape .,  &  les 
troupes  qu'il  amenoit  du  Piémont,  avoir  déjà  pafie  les  Alpes, 
ôc  étoit  arrivé  à  Grenoble  j  il  ne  tarda  pas  à  vérifier  la  prédic- 
tion de  Poncenac.  Son  armée  étoit  compofée  de  fix  enfeignes 
d  Italiens,  commandées  par  Alexandre  Purpurato ,  Camille, 
Artilleria ,  Jean  Pierre  Navarre ,  de  Dreux  de  Rian ,  ôc  Marc 
Antoine  RofTo.  Il  s'y  joignit  deux  compagnies  des  Gardes  Fran- 
çoifes ,  fous  la  conduite  de  Gruchy ,  deux  enfeignes  de  Fran- 
çois, fous  les  ordres  de  Beauregard,  ôc  trois  autres  de  vieilles 
troupes,commandées  par  Courbon,Tillaretôc  le  vieux  de  rifle. 
Il  y  avoit  outre  cela  les  Compagnies  de  cavalerie  du  duc  de 
Nevers,  de  Charle  de  Birague,  ôc  de  Juîe  Centurione,  auf- 
quelles  fe  réunirent  les  regimens  de  François  de  Beaumont  ba- 
ron des  Adrets ,  qui  avoit  quitté  les  Proteftans ,  pour  prendre 
îe  parti  de  la  Cour.  Il  y  avoit  encore  les  compagnies  de  Maugi- 
ron,  de  quelques  autres,  ôc  7000  Suifles  qu'on  avoit  levez  depuis 
peu  :  toutes  ces  troupes  montoient  enfembleà  1 3000  hommes. 
Le  duc  de  Nevers  étant  arrivé  à  Lyon ,  prit  avec  lui  quel- 
ques canons,  ôc  réfolut  de  fe  rendre  maître  de  Mâcon,  dont 
la  garnifonincommodoit  beaucoup  tout  le  Lyonnois.  Le  jeu- 
ne la  Clayette  ôc  plufieurs  Gentilshommes  étoient  venus  trouver 
Lovefe,  ôc  comptant  fur  Ja  bravoure  de  ce  Gouverneur,  ils 
avoient  mieux  aimé  s'enfermer  avec  lui  dans  Mâcon  ,  que  d'al- 
ler trouver  le  prince  de  Condé ,  comme  ils  en  avoient  reçu 
l'ordre.  Mâcon  ell  fur  la  Saône ,  qu'on  y  pafle  fur  un  pont  ^  pour 
aller  en  Brefie.  Cette  rivière  borne  la  ville  au  midi,  ôc  au  le- 
vant ;  elle  eft  entourée  au  couchant  ôc  au  nord  de  coteaux 
plantez  de  vignes,  fur  lefquels  on  pofta  les  SuifTes.    Le   duc 
de  Nevers  avoit  fait  dreffer  fes  batteries  contre  la  parde  de  la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLII.      5pi 

ville,  qui  eft  entre  la  Saône  ôc  la  tour  des  Porchers.  Mais  la  ■— »-    

plus  forte  attaque  fut  de  l'autre  côté  de  la  rivière  ,  dans  le  faux-  Qj,  a  r  l  =■ 
bourg  faint  Laurent,  oii  étoit  Chambery.  Claude  de  Saux  de       jy 
Venloux  lieutenant  du  gouverneur  de  la  Province  fe  logea  vis-     .  ^  /- 
à-vis  la  porte  faint  Antoine.  Quand  la  porte  de  BrelTe  eiit  été 
ruinée,  la  poudre  manquant;,  Lovefe  après  quelques  jours  de 
fiége  rendit  la  ville  au  duc  de  Nevers  le  4  de  Décembre  ,  con- 
tre l'avis  du  plus  grand  nombre  de  la  Noblefle  qui  étoit  avec 
lui. 

Le  duc  alla  enfuite  en  Champagne  ,  ôc  remit  les  troupes 
au  duc  d'Anjou.  Ayant  appris  peu  detems  après  que  Henriette 
de  Cleves  fon  époufe  étoit  dangereufement  malade  d'une 
couche,  il  partit  avec  plus  d'empreffement  que  de  précau- 
tion ,  pour  aller  la  voir  ,  avec  un  détachement  de  60  hom- 
mes. Arrivé  près  de  Donzy  ,  place  qui  lui  appartenoit ,  il  ren- 
contra la  garnifon  d'Antrain ,  place  dont  le  prince  de  Condé 
avoir  donné  le  gouvernement  à  Beaumont.  Bourgoin,  qui  étoit 
à  la  tête  ,  fut  d'abord  enfoncé.  Mais  Beaumont  étant  arrivé 
avec  60  cavaliers ,  ou  environ,  le  combat  recommença  ?  les  Pro- 
teftans  furent  encore  vaincus  :  le  duc  de  Nevers  fut  fort  bleffé 
au  genoûil.  Il  s'en  fentit  toute  fa  vie  ;  ôc  il  n'oublia  jamais  l'in- 
fulteque  fes  vafTaux  lui  avoient  faite.  Cela  arriva  au  mois  de 
Février  de  l'année  1558. 

Cependant  on  amufoit  les  Proteftans  par  des  proportions 
de  paix  j  ôc  on  envoyoit  de  part  ôc  d'autre  des  députez  ,  dans 
î'efperance  que  le  duc  d'Anjou  avoir  de  retarder  leur  marche  > 
de  les  atteindre  ,  Ôc  de  les  forcer  à  une  bataille  générale.  Alors 
il  arriva  un  accident  fâcheux  pour  les  Proteftans  ,  mais  qui 
leur  fauva  une  plus  grande  perte.  François  de  la  Noue  a  écrit 
que  ce  fut  pendant  une  fufpenfion  d  armes  de  quatre  jours  , 
dont  on  étoit  convenu  pour  une  conférence.  De  Boifly,  au 
BlofTet  ôc  de  Ciere  s'étoient  logez  proche  de  Châlons^  dans 
la  ville  de  Sarry.  Pendant  qu'ils  difputoient  entr'eux  à  qui  gar- 
deroit  le  château ,  ou  le  village ,  ayant  négligé  de  mettre  un 
affcz  grand  nombre  de  fentineiles ,  le  comte  de  Briflac  fur- 
vintavec  de  Tinfanterie^ôc  un  détachement  de  chevaux,&  s'em- 
para des  deux  avenues  quialloient  au  château.  DeBoifiyavec 
fon  maréchal  de  Logis  fit  une  vigoureufe  réfiflance  5  mais 
ayant  eu  la  main  percée  d'un  coup  de  piftoiet ,  abandonné 


5P2  HISTOIRE 

.  des  fiens  ,  &  inverti  de  toutes  parts ,  il  s'e'chappa  par  un  efca- 

Ch  ARL  E  ^^^^  dérobé,  de  Clere  &  plufieurs  autres  furent  pris.  De  BoifTy 
j  ^  bleffé ,  6c  Bloflet ,  avec  i  $ .  cavaliers  au  plus,  couverts  de  honte, 
I  ç  ^  -  n'oferent  aller  joindre  l'armée  des  Proteftans  ;  &  en  effet ,  de 
quelle  utilité  pouvoir  être  leur  jondion  après  une  (ï  grande 
perte?  Ils  allèrent  à  Auxerre  ,  dont  les  habitans  n'avoient  pas 
beaucoup  d'attention  pour  Defbordes ,  qui  en  étoit  le  gou- 
verneur. Ils  fe  fortifièrent  dans  cette  ville  ,  ôc  ils  la  conferve- 
rent  jufqu'à  la  paix. 

Cet  accident  ouvrit  les  yeux  des  Confédérez ,  6c  leur  fit 
connoître  leur  faute.  Ils  fe  mirent  promptement  en  marche  > 
ils  laifferent  Châlons  6c  la  Marne  à  leur  droite  ,  6c  ils  arrivè- 
rent à  S.  Michel ,  au-delTous  de  Verdun.  Ayant  pafifé  la  Meufe, 
ilsfe  dérobèrent  au  danger  d'une  bataille  générale  6c  décifive, 
qu'ils  n'auroient  pu  éviter  ,  fi  un  plus  long  retardement  avoit 
donné  le  tems  à  l'armée  du  Roi  d'arriver  j  ce  fut  ainfi  qu'un 
léger  accident  leur  fit  prévenir  un  bien  plus  grand  malheur. 
Car  pendant  ce  tems-là  le  duc  d'Anjou  ,  à  qui  on  avoit  don- 
né pour  confeil  les  ducs  de  Nemours  6c  deLongueville,  Ar- 
tus  de  Coffé  maréchal  de  France,  Gafpard  deSaulx  comte  de 
Tavanes,Sebaftien  de  Luxembourg  de  Martigues ,  Carnavalet 
gouverneur  du  Prince,  6c  Jean  de  LofTes ,  marchoit  à  grandes 
journées  >  bien  réfolu  de  livrer  combat  à  l'ennemi  ,  s'il  pou- 
voit  l'atteindre.  Mais  Briffac,  foitparune  trop  grande  ardeur 
de  combattre  ,  foit  par  vanité ,  6c  pour  ne  partager  avec  per- 
fonne  la  gloire  qu'il  fe  flattoit  d'acquérir ,  fit  échouer  le  pro- 
jet qu'on  avoir  formée  de  furprendre  l'ennemi. 

Dans  le  même  tems  Jean  comte  d'Aremberg ,  Général  d'une 
grande  réputation,  envoyé  par  le  duc  d'Albe,  arriva  au  camp 
du  duc  d'Anjou  avec  quinze  cens  cavaliers,  6c  un  cortège  aufïi 
brillant  que  nombreux.  Ce  renfort  augmenta  confiderablement 
l'armée  au  Roi.  Cependant  on  ne  ceffa  point  de  negotier.  Te- 
ligny  ,  jeune  homme  d'unefprir  6c  d'une  prudence  fort  au-def- 
fus  de  fon  âge ,  6c  que  Coligni  dans  la  fuite  choifit  pour  fon 
gendre  à  caufe  de  fes  rares  qualitez,  alloit  fanscefTe  de  l'un  6c 
de  l'autre  côté.  On  avoit  envoyé  dès  le  20  de  Décembre  Ro- 
bert de  Combaud,  avec  un  écrit?  où  pour  le  conciher  plus 
aifément  fur  les  differens  articles  qui  avoient  été  propofez ,  le 
Roi  confentoit  que  le  prince  de  Condé  traitât  avec  S.  M.  par 

le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLII.         395 

le  miniftere  du  cardinal  de  Châtillon ,  du  comte  de  la  Roche-  _____^__ 
foucault  ôc  de  Bouchavanes,  &  leur  accordoit  toutes  les  fû-  C  h  a  RLE 
retez  néceflaires,  pour  fe  rendre  à  la  Cour.  Sur  cela  le  cardi-       j  ^ 
nal  de  Châtillon  ,  accompagné  de  quelques  Gentilhommes  ,     1^57. 
(  car  on  voulut  bien  que  la  Rochefoucault  ôc  Bouchavanes  de- 
meuraflent  à  l'armée,  )  vint  à  Bar,  ôc  de  là  à  Châlons. 

La  Reine  mère  s'y  rendit  le  lendemain  avec  les  cardinaux 
de  Bourbon ,  de  Lorraine  ôc  de  Guifc.  Le  cardinal  de  Châ- 
tillon dit  que  les  Confédérez  étoient  difpofez  à  accepter  les 
conditions  ,  que  le  Roi  leur  avoit  offertes  :  Qu'ils  demandoient 
feulement  qu'il  plût  à  fa  Majefté  d'expliquer  plus  clairement 
quelques  termes  obfcurs  ôc  équivoques  ,  ôc  d'ufer  de  diligen- 
ce>  parce  que  la  guerre  ayant  donné  lieu  à  lalicence ,  aux  meur- 
tres ôc  aux  pillages,  il  n'y  avoit  point  de  jour  qui  ne  coûtât  au 
Royaume  plus  de  cent  mille  écus  :  Qu'au  refte  les  exphcations 
qu'il  demandoit  au  nom  du  prince  de  Condé  étoient  une  affai- 
re d'une  demi-heure.  La  Reine  répondit  que  la  matière  étant 
d'une  très-grande  importance,  il  falloir  que  le  Roi,  qui  étoit 
majeur,  en  prît  connoiffance,  ôc  qu'il  ne  décidât  rien  que  de 
Favis  de  fon  Confeil  :  Qu'ainfi  l'affaire  ne  pouvoir  être  traitée 
qu'en  fa  préfence ,  ôc  que  lui  feul  pouvoir  la  iinir.  Elle  dit  donc 
au  Cardinal  de  venir  au  château  de  Vincennes  -,  ôc  elle  lui 
promit  toutes  les  fûrerez  qu'il  pouvoir  exiger  :  elle  ordonna  4^ 
Bloffel  deTorcy ,  chevalier  de  la  Toifon  d'or,  de  l'y  conduire 
fûrement  avec  vingt  gardes  du  Roi. 

Dès  que  le  cardinal  de  Châtillon  fut  venu  au  lieu  marque 
avec  Jacque  de  Brouillard  de  Lizy  fon  proche  parent,  Fran- 
çois Rafin  dit  Pothon>  fénéchal  d'Agenois  ,lui  défendit  delà 
part  du  Roi  de  parler  à  quelque  Parifien  que  ce  pût  être.  La 
Reine  cependant  étoit  allée  à  Paris  par  un  autre  chemin ,  ôc  les 
cardinaux  de  Lorraine  ôc  de  Guife  s'étoient  rendus  de  Châ- 
lons à  Rheims.  Trois  jours  après  on  envoya  Jean  de  Morvil- 
liers  ôc  Louis  de  Saint-Gelais  de  Lanfac,  pour  traiter  avec  le 
cardinal  de  Châtillon.  Il  témoigna  d'abord  beaucoup  de  ré- 
pugnance, ôc  il  dit  hautement  qu'il  ne  traiteroit  qu'en  pré- 
fence du  Roi,  ôcque  la  Reine  mère  l'avoir  ainfi  réglé  à  Châ- 
lons. Morvilliers  prefTa  le  Cardinal  de  commencer  la  négotia- 
tion,  en  lui  faifanteiperer^  que  quand  on  auroit  commencé. 
Tome  F,  Ddd 


5P4  HISTOIRE 

.  &  que  tout  feroit  applani ,  alors  l'afFaire  feroit  terminée  en  pré* 

Charle  ^^^^^  ^^  ^^  Majefté. 

I  X  ^^^  convint  donc  d'abord  que  l'édit  d'Orléans ,  auquel  on 

T  r  /<■  s  avoit  donné  plufieurs  atteintes ,  feroit  rétabli  dans  fon  entier  : 
v^ue  IQS  articles  de  cet  edit ,  qui  n  avoient  point  encore  cte 
exécutez  le  feroient,  &  qu'on  ré voqueroit  pour  le  préfent  ôc  pour 
l'avenir  tous  les  changemens  qu'on  y  avoit  faits.  On  convint 
encore  pour  plus  grande  fureté  ^  que  l'édit  feroit  publié  &  enre- 
giftré  dans  tous  les  Parlemens  du  Royaume ,  à  la  requête  des 
Procureurs  du  Roi^  ôc  qu'il  auroit  lieu,  jufqu'à  ce  que  l'affai- 
re fut  décidée  par  un  Concile  univerfel  y  libre  6c  canonique. 
Après  être  convenu  de  ces  chefs  ,  il  s'agiffoit  de  l'interpré- 
tation de  quelques  articles  de  cet  édit  5  ce  que  le  cardinal  de 
Châtillon  croyoit  devoir  fe  faire  en  préfence  du  Roi.  Le  len- 
demain ,  on  lui  envoya  Chriftophle  de  Thou  ^  premier  Préfi- 
dent  du  parlement  de  Paris ,  auquel  on  joignit  René  Baillet 
préfidentdu  même  Parlement,  homme  de  probité,  qui  n'étoit 
pas  défagréable  aux  Colignis  ,  &  qui  leur  étoit  même  un  peu 
parent.  Le  Cardinal ,  qui  crut  qu'on  ne  changeoit  ainfi  de  né- 
gociateurs, que  pour  traîner  l'affaire  en  longueur,  ôc  ne  rien 
finir,  refufa  de  traiter  5  ôc  on  ne  fit  rien  pendant  trois  jours. 

Enfin  la  Reine  ayant  fait  venir  le  Cardinal  au  couvent  des 
Minimes  %  qui  n'eft  pas  éloigné  de  Paris,  elle  s'y  rendit  avec 
le  cardinal  de  Bourbon.  Cette  Princeffe  dit  que  ce  n'étoit  pas 
affez  de  traiter  de  la  paix ,  fi  on  ne  convenoit  des  moyens  d'em- 
pêcher que  le  feu  de  la  guerre,  qui  auroit  été  éteint,  nefe  ral- 
lumât ;  ÔC  elle  pria  le  cardinal  de  Châtillon  de  lui  donner  fur 
cela  fon  avis.  Celui-ci  répondit  fur  le  champ  :  «  Puifque  la 
»'  crainte,  les  exils  ôc  les  differcns  fupplices  n'ont  rien  gagné 
»>  jufqu'à  prefent  fur  les  Proteftans  5  qu'au  contraire  la  per- 
»'  fécution  n'a  fait  qu'augmenter  leur  nombre  ôc  les  fortifier, 
"  ôc  que  les  deux  partis  fe  trouvant  ennuyez  de  la  guerre,  il 
»  a  fallu  en  venir  à  un  accommodement  5  il  me  femble  qu'il 
.  »  n'y  a  point  de  meilleur  moyen  de  l'affermir,  que  de  faire  un 
»  traité ,  qui  contienne  de  part  ôc  d'autre  tous  les  fujets  de  fa 
»  Majefté ,  en  leur  rendant  également  juftice ,  fans  faire  aucune 

1  Père  de  l'auteur.  z  Ce  font  les  Minimes  du  bois  de  Vincennes. 


DE   J.  A.   DE  THOU>  Liv.  XLÎL        59; 

s>  diftindion  de  Religion  j  ôc  que  le  Roi ,  fuivant  les  mou-  . 

«  vemens  de  la  bonté  qui  lui  eft  naturelle >  partage  entr'eux  Ch  arle 
0»  les  dignitez ,  les  honneurs  ,  les  grâces  ,  &  les  magiftratures  ;        |  y 
»  enforte  qu'il  ne  paroifTe  faire  que  ce  qu'il  lui  plaît ,  mais  ce-     t  r  (jg 
3>  pendant  avec  raifon ,  avec  juftice ,  avec  équité.  « 

Le  Cardinal  ajouta,  que  pour  lever  tous  les  foupçons  Ôc  ôter 
les  défiances,  il  falloit  congédier  toutes  les  troupes  étrangè- 
res t  Ôc  toutes  les  nouvelles  levées ,  puifque  c'étoit  la  crainte 
feule  de  ces  troupes,  qui  avoit  caufé  cette  dernière  guerre, 
Ôc  forcé  \qs  Proteftans  de  prendre  les  armes ,  n'ayant  point  d'au- 
tres moyens  pour  mettre  à  couvert  leurs  biens  ôc  leurs  vies. 
«  Voilà  ,  ajoûtoit-il,  le  vrai  ôc  le  feul  moyen  d'établir  une  paix 
3>  folide.  Qui  que  ce  foit,  Gentilhomme ,  ou  autre,  nefortira  ja- 
»  mais  de  fa  rriaifon,  lorfqu'il  croira  que  fa  confcience,  fa  li- 
3>  berté,  fa  vie,  fa  fortune ,  fa  charge,  ôc  fon  emploi  feront  en 
»  aiïûrance.  Il  eft  aifé  de  prouver  cette  vérité  par  l'exemple 
M  d'une  multitude  innombrable  de  gens ,  que  ce  feul  motif  fait 
»>  tous  les  jours  venir  en  foule  auprès  du  prince  de  Condé , 
»  dont  ils  connoiflent  à  peine  le  nom,  qui. n'ont  jamais  reçu 
»  de  lui  aucun  bien-fait,  ôc  qui  n'en  efperent  aucun  3  bien  ré- 
»  folus  de  retourner  chacun  chez  foi ,  dès  que  le  Roi  aura  eu 
»>  la  bonté  de  les  maintenir  fans  crainte  dans  la  palfible  pofTef- 
"  fion  de  ce  qu'ils  ne  peuvent  s'aifùrer  par  les  armes  ,  qu'en 
»'  rifquant  beaucoup.  »  Florimont  Robertet  fecretaire  d'Etat 
ayant  mis  par  écrit  ce  difcours  du  Cardinal,  la  Reine  mère  lui 
promit  d'en  parler  au  Roi,  ôc  s'en  alla. 

Le  lendemain,  20  de  Janvier,  Morvilliers  vint  trouver  le 
cardinal  de  Châtillon  ,avec  une  réponfe  du  Roi  par  écrit,  qui 
contenoit  en  fubftance  :  Que  les  moyens  propofez  par  les  Pro- 
teftans, pour  établir  une  paix  véritable,  fmcere  ôc  folide,  ne 
paroiffoient  pas  certains  i  parce  que  ces  moyens  dépendoient 
de  la  bonne  foi  de  gens  qui  en  avoient  déjà  manqué  plufieurs 
fois  en  prenant  les  armes,  ôc  en  faifant  entrer  des  troupes  étran- 
gères d^ns  le  Royaume  de  leur  propre  autorité»  contre  les  dif- 
pofitions  de  l'édit  d'Orléans  :  Que  le  Roi  étoit  étonné  que  les 
Proteftans  n'euffent  pas  renvoyé  les  troupes  auxiliaires  d'Al- 
lemagne ,  auffi-tôt  qu'ils  avoient  reçu  les  conditions  que  Com-  . 
bauld  leur  avoit  préfentéesipuifqu'ils  avoùoient  qu'ils  en  étoient 
contens ,  Ôc  que  par  ces  conditions  on  leur  avoit  donné  une 

Ddd  ij 


3P5  HISTOIRE 

bonne  garantie  :  Que  fa  Majefté  ne  pouvoir  oublier  la  peine  que 

C  HARLE  ^^  ^"^  s'etoitpafiTc  à  Meaux  lui  avoir  caufée ,  ôc  qu'il  ne  pou  voit 

IX        regarder  cet  attentat  que  comme  une  confpiration  des  Pro- 

j     ^*g      teftans  contre  fa  propre  perfonne  :  Que  fa  Majeftc  vouloit  Ôc 

ordonnoit  que  les  Proteftans  commençafTent  par  lui  faire  fatis- 

fadion  fur  ce  grief  ôc  fur  pluffeurs  autres. 

Le  cardinal  de  Châtillon  répondit  par  un  écrit ,  qui  fut  de- 
puis publié.  Cet  écrit  portoit  :  Que  le  prince  de  Condé  ôc  les 
Confédérez  n'avoient  pris  les  armes  que  dans  une  extrême  né- 
ce/Tité  y  ôc  pour  leur  jufte  défenfe  :  Que  s'ils  ne  l'eufTent  pas 
fait,  leurs  ennemis  auroient  impunément  achevé  de  les  perdre, 
ôc  de  bouleverfer  le  Royaume  :  Qu'ainfi  ils  ne  pouvoient  con- 
gédier les  troupes  auxiliaires ,  qu'ils  avoient  été  obligez  défaire 
venir ,  pour  les  oppofer  à  tant  de  troupes  étrangères ,  que  leurs 
ennemis  avoient  levées ,  en  Italie  ,  en  Suifle ,  ôc  dans  le  Payis- 
bas,fans  expofer  leurs  vies,  ou  fans  fe  voir  réduits  à  abandon- 
ner le  Royaume  :  Qu'ils  ne  refufoient  pas  néanmoins  de  met- 
tre bas  les  armes,  dès  qu'on  auroit  remis  les  chofes  dans  leur 
premier  état  5  pourvu  que  fa  Majefté  renvoyât  aufli  les  Italiens, 
les  Suifles ,  ôc  les  troupes  nouvellement  envoyées  par  le  Roi 
d'Efpagne,  qu'on  n'avoir  fait  venir  que  pour  les  exterminer. 
Pour  ce  qui  regardoit  l'affaire  de  Meaux ,  le  Cardinal  protef- 
toit  au  nom  du  prince  de  Condé  ôc  de  tous  les  Confédérez, 
qu'ils  n'avoient  jamais  penfé  à  former  une  conjuration  ni  con- 
tre fa  Majefté,  ni  contre  faMaifon,  ôc  qu'ils  aimeroient  mieux 
mourir  mille  fois,  que  d'avoir  une  pareille  penfée;  Qu'ils  étoient 
venus  à  Meaux  uniquement  pour  fe  jetter  aux  genoux  de  fa 
Majefté  i  ôc  pour  la  fupplier  avec  toute  l'humilité  ôc  la  foumif- 
fion  poflibles,  de  vouloir  bien  révoquer  l'arrêt  que  leurs  enne- 
mis l'avoient  forcé  de  prononcer,  ôc  qui  étoit  fur  le  point  d'ê- 
tre exécuté  contre  eux ,  ôc  contre  tous  ceux  qui  proteftoient 
n'avoir  point  d'autre  vue,  que  de  réformer  ôc  corriger  les  abus 
qui  s'étoient  gliflez  dans  la  Religion  :  Que  c'étoit  contre  ces 
ennemis  feulei^jent,  ôc  non  contre  l'autorité  ôc  la  majeflé^du  Roi, 
qu'ils  avoient  pris  les  armes  j  ce  qu'ils  étoient  prêts  de  foutenic 
à  main  armée  contre  ceux  qui  oferoient  dire  le  contraire  :  Que 
pour  cela  il  fupplioit  fa  Majefté  de  vouloir  bien  rendre  fes  bon- 
nes grâces  au  prince  de  Condé  ôc  à  tous  {qs  partifans  ,  de  les 
regarder  comme  de  très-bons,  très-foûmis ,  Ôc  très-lideles  fujets^ 


DE   J.   A.   DE   THOU.Liv.  XLÎI.        5^7 

de  leur  accorder  une  pleine  ôc  entière  liberté  de  confcience^ 

ôc  de  les  maintenir  dans  le  libre  exercice  de  leur  Religion,  c^arle 
&  dans  la  paiiible  &  tranquille  joùifTance  de  leurs  vies  3  de       i^ç^ 
leurs  biens,  ôc  de  leurs  dignitez  :  Proteftant  qu'ils  étoient  dif-     j  ^  5  g,, 
pofez  à  fe  laifTer  réduire  à  la  dernière  extrémité ,  6c  à  fouffrir 
tout  ce  qu'il  plairoit  à  Dieu  de  permettre  ou  d'ordonner,  plutôt 
que  de  fe  livrer  entre  les  mains  de  leurs  ennemis ,  qui  étoient 
ceux  du  Roi  ôc  de  l'Etat ,  ôc  d'être  abandonnés  à  leur  difcretion. 

Ainfi  finit  la  négotiation  de  paix,  ôc  on  renonça  au  defleinde 
pourfuivre  l'armée  des  Proteftans.  On  ne  manqua  pas  à  ce  fu- 
jet  de  faire  des  reproches  à  ceux  qui  compofoient  le  Confeil 
du  duc  d'Anjou  ,  comme  s'ils  euiïenr  favorifé  en  fecret  le  paiti 
des  Confédérez.  C'eft  au  moins  ce  que  dirent  alors  leurs  en- 
vieux. On  en  vouloit  principalement  au  maréchal  de  CofTé ,  ôc  à 
François  de  Carnavalet,  l'homme  le  plus  recommandablepar  fa 
fidélité j  fa  modération,  la  pureté  ôc  l'intégrité  de  fes  moeurs  : 
mais  que  ceux  qui  lui  ont  depuis  fuccedé  dans  fon  emploi , 
ôc  d'autres,  commençoient  déjà  à  le  calomnier,  pour  le  met- 
tre mal  dans  l'efprit  du  Prince ,  ôc  le  faire  éloigner  de  fa  per- 
fonne.  ^ 

Les  Confédérez  étant  arrivez  en  Lorraine,  ôc  ne  vo^nt  Suite  de  i» 
point  paroître  Calimir,  qu'ils  avoient  crû  trouver  arrivé  avec  ^^ 
fes  troupes  auxiliaires,  commencèrent  à  murmurer,  ôc  à  dire 
tout  ce  que  la  colère  ôc  une  efpece  de  défefpoir  leur  infpiroit. 
On  ne  manqua  pas  de  murmurer  aufîi  contre  les  chefs  j  mais 
d'une  part ,  les  plaifanteries  du  prince  de  Condé ,  qui  étoit  natu- 
rellement gai  ôc  de  bonne  humeur,  ôc  de  l'autre ,  les  férieufes 
réprimandes  de  Coligni  firent  bien-tôt  ceffer  les  plaintes.  Il  ne 
fe  paflii  que  cinq  jours  depuis  l'arrivée  de  l'armée  des  Confédé- 
rez ,  jufqu'à  la  nouvelle  qu'on  reçut  que  Calimir  étoit  proche.  La 
trifteffe  fit  auffi-tôt  place  à  la  joie ,  ôc  le  defir  de  combattre  fuc- 
ceda  au  défefpoir.  Prefque  dans  le  même  moment  on  retomba 
dans  la  triflcffe  ôc  dans  l'abattement.  Les  agens  du  prince  de 
Condé  s'étoient  obligez  de  faire  compter  cent  mille  écus  aux 
Allemands,  fl-tôt  qu'ils  auroient  joint  l'armée  Proteftante i  ôc 
cependant  le  Prince  ôc  les  autres  Confédérez  avoient  à  peine  de 
quoi  fournir  aux  dépenfes  journalières  de  leurs  maifons.  Le 
Prince  ôc  l'Amiral  fe  trouvant  dans  une  li  fàcheufe  extrémité, 
employèrent  tout   ce  qu'ils  avoient  de  crédit  ,  d'éloquence 

Ddd  iij 


'lierre. 


5p8  HISTOIRE 

.  ôc  d'induftne ,  pour  perfuader  aux  Confédérez  de  contribuer 

Ch  ARL  E  chacun,  autant  qu'il  pourroit,  pour  une  chofe  fi  néceiTaire,  dont 
I X         dépendoit  la  confervation  du  parti.  Ils  engagèrent  par  leur 
1X63      exemple  les  Seigneurs  à  donner  pour  cet  effet  leur  vaifTelle  d'ar- 
gent y  leurs  bijoux  ,  ôc  leurs  meubles  les  plus  précieux. 

La  plus  grande  ditïiculté  fut  de  faire  contribuer  ceux  qui , 
accoutumez  à  vivre  de  pillage,  aimoient  mieux  prendre  que 
donner.  Cependant  picquez  d'honneur ,  ôc  animez  par  les  vi- 
ves exhortations  de  leurs  Miniftres  ,  ils  confentirent  à  une 
contribution;  ôc  l'exemple,  faifant  impreflion  fur  les  autres, 
les  foldats  même  ôc  les  valets  d'armée,  foit  par  émulation,  foit 
par  vanité,  donnèrent  àl'envi,  avec  joie  ôc  avecprofufion,  plus 
d'argent  qu'on  ne  fçauroit  croire  ;  enforte  qu'on  tira  de  cette 
efpece  de  collede  environ  trente  mille  écus ,  fomme ,  qui  toute 
modique  qu'elle  étoit,  appaifa  pour  un  tems  les  troupes  Alle- 
mandes ,  qui  eurent  plus  d'égard  à  la  bonne  volonté  qu'à  l'effet. 
On  en  eut  la  principale  obligation  à  Cafimir.  Ce  Prince 
écrivit  de  Pont-à-Mouifon,OLiilpa(falaMofelle,  au  Roi:  Qu'il 
n'étoitpas  venu  en  France  pour  i^es  propres  intérêts,  mais  pour 
la  défenfe  de  ceux  qui  profefToient  la  même  Religion  que  lui, 
ôc  qu'il  étoit  prêt  de  retourner  fur  fes  pas  avec  fes  troupes,  (i 
fa  Majefté  avoir  la  bonté  de  leur  accorder  la  liberté  de  con- 
fcience,  l'exercice  public  de  leur  Religion  ,  ôc  une  alTurance 
de  les  laifler  jouir  tranquillement  de  leurs  vies,  deleurs  biens 
ôc  de  leurs  dignitez.  Cafimir  avoir  emmené  avec  lui  les  deux 
frères  Wolfang  ôc  George,  comtes  de  Barby ,  le  conite  de  Ho- 
len  ,  Jean  Bleichard  Landfchad  lieutenant  de  Cafimir ,  Wol- 
fang  Falkenrod  maréchal  de  camp ,  Chriftophle  "WolftendorfF 
capitaine  des  gardes  à  cheval ,  Thierry  de  Vcfenbuch  lieute- 
nant colonel  de  fix  compagnies  de  cavalerie ,  Chriftophle  de 
Malspergk ,  ôcTheodoric  de  Schomberg,  qui  avoient  chacun  à 
leurs  ordres  quinze  cens  hommes  de  cavalerie.  Jean  Sebalde 
Siglinger  commandoit  finfanterie.  Il  y  avoir  dans  l'armée  de 
Cafimir  fix  mille  cinq  cens  chevaux,  trois  mille  hommes  de 
pié,  quatre  moyennes  pièces  de  canon  ^  avec  leurs  afîuts. 

Le  Prince  de  Condé  ayant  reçu  ce  renfort,  réfolut  d'aller 
à  Paris,  ôc  d'en  faire  le  théâtre  de  la  guerre,  pour  fatiguer  l'ar- 
mée du  Roi,  ôc  forcer  la  Cour,  déjà  ennuyée  de  la  guerre, 
à  faire  plus  promptement  la  paix.  Mais  l'armée  avoir  peu  de 


DE  J.  A,  DE  THOU,  Liv.  XLTI.        ^pp 

bagages  ;  elle  manquoit  d'argent  j  elle  n'avoir  prefque  aucunes  —  » 

provifions,  ni  aucunes  voitures  pour  tranfporrer  les  vivres:  il  Charle 
falloir  d'ailleurs  pafler  par  des  villes  Ôc  des  places  ennemies,  Ôcla  IX. 
faifon  rendoit  les  chemins  fort  mauvais.  L'habileté  des  Chefs  1568. 
&.  la  neceffité  trouverenr  le  moyen  de  furmonter  ces  difficul- 
tez.  La  précaution  admirable  de  Coligni ,  un  des  plus  prudens 
généraux  de  fonfiécle,  fit  que  les  particuliers  prêtèrent  leurs 
chariots  pour  apporter  les  provifions  5  que  dans  chaque  com- 
pagnie de  cavalerie,  dont  le  nombre  étoit  de  quarante,  il  y 
avoir  deux  boulangers ,  &  deux  chevaux  de  charges  ;  que  cha- 
que jour  en  arrivant  au  logement ,  les  boulangers  cuifoient 
du  pain,  qui  étoit  auiïi-tôt  diftribué  aux  foldatsj  qu'on faifoit 
des  magafins  dans  les  villes >  dont  lesProteftans  s'etoient  ren- 
dus maîtres ,  ôc  qui  avoient  alors  des  vivres  en  abondance  j  que 
les  villes  ôc  les  places  fansgarnifon ,  pour  fe  rednner  du  pillage 
&  du  feu  ,  donnoient  d'elles-mêmes  des  vivres  ôc  des  provi- 
fions ,  qui  étoient  mifes  entre  les  mains  des  Commiflaires  char- 
gez de  ce  détail  pour  l'ufage  de  l'armée.  Le  pillage  fournifToit 
aux  petits  befoins  particuliers  du  foldat.  Car  c'étoit  le  fentiment 
de  Coligni 3  &  il  avoit  coutume  de  dire,  que  pour  former 
ce  monftre  (  c'eft  ainfi  qu'il  appelloit  une  armée  deflinée  à  une 
guerre  civile)  il  falloir  commencer  par  le  ventre. 

Il  n'y  avoit  pas  moins  de  difficuhés ,  par  rapport  à  la  marche 
&  aux  canipemens.  Pour  les  furmonter  ,  on  étendoit  les  loge- 
mens  contre  les  règles  de  la  difcipline  militaire  î  afin  que  le 
foldat  pût  trouver  de  quoi  vivre,  ôc  des  maifons  pour  fe  mettre  à 
l'abri  des  injures  du  tems ,  dans  une  faifon  fi  rude.  On  féparoit 
l'infanterie  en  deux;  on  en  mettoitune  partie  dans  la  première 
ligne,  &  l'autre  dans  la  féconde?  &  la  cavalerie  étoit  diftribuée 
dans  les  villages  voifins  5  afin  que  s'il  arrivoir  quelque  chofe,  tous 
puffent  promprement  accourir  au  quartier  des  chefs,  &  que  fi  on 
attaquoit  quelqu'un  des  logemens ,  ils  fulTent  à  portée  de  venir 
au  fecours.  Entre  les  efcadrons  de  cavalerie  légère ,  on  met- 
toit  des  arquebufiers  à  cheval.  On  fortifioit  chaque  logement 
d'un  retranchement,  ôc  de  quelques  ouvrages  faits  à  la  hâte, 
pour  pouvoir  en  cas  d'attaque  ,  faire  quelque  réfiflance  ,  &  a- 
voir  le  tems  d'être  fccouru.  On  les  faifoit  marcher,  comme 
on  les  logeoit ,  par  troupes ,  ôc  on  marquoit  à  tous  Iheure  ôc 
le  lieu  ou  Us  dévoient  être  campez.  On  avoit  placé  à  l'avant- 


400  HISTOIRE 

_  garde  la  cavalerie  légère^  compofée  de  fix  cens  cavaliers  choifis, 

r^  TT  A  n  T  c-  &  d'autant  de  moufqaetaires  à  cheval,  avec  très-peu  de  bagage. 
T  y  Comme  ils  marchoient  en  cet  ordre  entre  J  omville  ôc  Chau- 

(5*8  niont ,  les  garnifons  de  ces  deux  places  fortirent ,  Ôc  les  harce- 
lèrent. Ils  pafTerentla  Marne  près  deLangres,  ôc  prenant  leur 
chemin  par  la  Bourgogne  ,  ils  vinrent  à  la  fource  de  la  Seine. 
Les  Italiens  que  Louis  de  Gongazue  duc  de  Nevers  comman- 
doit ,  ôc  qu'il  avoit  poftez  dans  le  voifinage ,  pour  empêcher  ou 
pour  retarder  le  paflage  de  l'armée  Proteftante,  s'aviferent  de  ce 
ftratagcme.  Ils  jetterent  fecretement  dans  la  rivière  des  poin- 
tes de  fer  ôc  des  clous,  afin  que  les  chevaux  fe  bleflant  tombaf- 
fent  ôc  fiflent  tomber  leurs  cavaliers ,  ôc  que  les  chargeant  alors 
ils  puiTent  les  tuer  ôcles  défaire  fans  peine.  Cette  rufe  fut  fans 
fuccès  ;  car  les  premiers  qui  fondèrent  le  gué ,  ayant  connu  le 
ftratagéme  à  leurs  dépens,  en  garentirent  les  autres.  Ils  eurent 
foin  de  nettoyer  avec  des  râteaux  le  lit  de  la  rivière  j  ôc  l'armée 
qui  étoit  plus  nombreufe  que  l'armée  ennemie,  la  pafTa  ,  malgré 
le  corps  d'Italiens  qui  firent  en  vain  leurs  efforts  pour  s'y  oppo- 
fer.  Le  prince  de  Condé  qui  étoit  à  Ancy-le-franc ,  un  des 
plus  beaux  châteaux  du  Royaume,  appartenant  aux  Clermont- 
Tallart ,  détacha  Théodoric  de  Schomberg  avec  fon  régiment, 
pour  fuivre  ces  Italiens.  Schomberg  les  attaqua ,  tailla  en  pie- 
ces  le  plus  grand  nombre,  mit  les  autres  en  fuite,  ôc  rapporta 
deux  drapeaux  au  prince  de  Condé.  Le  Prince ,  en  conlidera- 
tion  de  ce  fervice ,  lui  fit  préfent  d'un  collier  pefant  deux  cens 
écus  d'or. 

Delà  les  Proteftans  marchèrent  vers  Auxerre ,  dont  des  Bor- 
des étoit  gouverneur.  Comme  il  avoit  fait  bien  des  chofes ,  qui 
avoient  extrêmement  mécomenté  les  habitans ,  le  prince  de 
Condé,  à  leur  prière,  luiôta  ce  gouvernement,  ôc  le  donna 
à  Antoine  Marrafin  de  Guerchy.  Des  Bordes  eut  néanmoins 
affez  de  crédit  auprès  du  Prince  ,  pour  l'engager  à  mener  fon 
armée  à  Crevant,  place  fur  l'Yonne,  riche  par  elle-même,  ôc 
où  plufieurs  perfonness'étoient retirées  -.ilTaffura  que  le  pillage 
de  cette  place  fourniroit  à  la  dépenfe  de  l'armée.  Pendant 
qu'on  en  faifoit  le  fiége ,  ôc  que  les  habirans  fe  défendoient 
avec  beaucoup  de  vigueur,  le  Prince  apprit  que  l'enfeigne  de 
fa  compagnie  avoit  été  tué  à  Francy ,  place  au-delTous  de  Cre- 
vant,qu'il  avoit  deftinée  pour  fon  logement.  Ily  envoyaBourry 

avec 


D  E  J.   A.   DE   THOU,Liv.   XLIL        401 

avec  fon  régiment ,  pour  punir  les  bourgeois  de  leur  témérité.  , 

Mais  comme  ils  firent  une  vigoureufe  réfiftance  ,  ôc  qu'après  p  „  *  d  t  p 
ieparti  qu'ils  avoient  pris,  ils  s'étoient  préparez  à  tout  évene-        Ty 
inent ,  il  fallut  employer  plus  de  forces.   On  laifla  donc  le  fiége  ^  o 

de  Crevant  j  on  en  emmena  les  canons ,  oc  on  les  mit  en  bat-  ^ 
terie  contre  Irancy.  Ayant  fait  brèche ,  les  troupes  de  Bourry 
donnèrent  i'affaut  :  elles  furent  fuivies  par  un  détachement  de 
Gafcons,  qu'Armand  de  Clermont  de  Piles  avoit  emmenés.  La 
place  fut  prife  &  mife  à  feu  ôc  à  fang,  avec  tant  de  fureur  ôc 
de  cruauté ,  que  le  fang  couloit  de  tout  côtés ,  ôc  qu'ofi  douta 
lequel  des  deux  i'avoit  emporté ,  ou  la  témérité  des  affiégez,  ou 
rinhumanité  des  alTiégeans.  Après  avoir  pafle  l'Yonne  ôc  la  Cu- 
re à  quelque  diftance  d'Irancy^  on  marcha  à  Bleneau  ,  àChâ- 
tillon,  ôc  à  Montargis,  où  l'armée  paffa  la  rivière  de  Loin.  De- 
là les  troupes  s'étendirent ,  ôc  allèrent  dans  laBeaufle.  Le  prin- 
ce de  Condé  devoit  aller  de-là  à  Orléans,  pour  y  recevoir  les 
troupes  qui  y  étoient  arrivées  du  Languedoc  ,  du  Dauphiné,  ôc 
de  la  Guyenne,  ôc  pour  y  prendre  du  canon,  ôc  d'autres  mu- 
nitions de  guerre.  Mais  avant  que  nous  allions  plus  loin ,  il  faut 
entrer  dans  quelque  détail  de  ce  qui  fe  pafla  dans  les  Provinces. 

Lorfcjue  les  troupes  du  Roi  commencèrent  à  faire  des  cour- 
fes  dans  le  Poitou,  Cacodiere  leur  fit  tète  au  nom  des  Con- 
fédérez,  ôc  ayantfurpris  deux  capitaines  qui  levoient  des  trou- 
pes par  les  ordres  de  Guy  de  Daillon  comte  du  Lude,illes 
tua.  Il  y  avoit  déjà  cinq  cens  cavaliers  affemblez  à  Marûeil, 
ville  fituée  fur  le  Loy  ,  forte  par  fa  fituation  ôc  par  fon  château  : 
ils  dévoient  au  premier  jour  fe  mettre  en  marche  pour  aller  trou- 
ver le  prince  de  Condé.  Le  comte  du  Lude  gouverneur  de  la 
Province  l'ayant  appris  ,  crut  qu'il  ètoit  de  fon  devoir  de  s'op- 
pofer  à  ces  commencemens ,  ôc  d'attaquer  ces  nouvelles  XQ-^iz^^ 
avant  qu'elles  fuflTent  en  plus  grand  nombre.  Il  réfolut  donc 
de  venir  à  Mareiiilavec  fix  compagnies  de  cavalerie,  ôc  un  ré- 
giment d'infanterie,  après  avoir  poftédans  les  villages  voifins; 
qui  ont  des  murs,  ôc  qu'on  appelle  bourgs,  des  officiers  pour 
garder  lespaflages,  ôc  incommoder  les  Proteftans.  Il  fit  pren*' 
.dre  les  devants  à  fa  compagnie  de  cavalerie,  fous  les  ordres 
de  la  Marcoufle  fon  lieutenant,  ôc  de  Philippe  Frefeaude  la 
Frefeliere  fon  enfeigne. 

Pour  lui,  étant  arrivé  à  Sainte  Hermine,  à  deux  lieues  de 
Tome  F,  Eee 


402  HISTOIRE 

Hi,,,.^. nm  Mareiiil,  il  envoya  une  compagnie  de  cavalerie, commandce 

r^  u  ,  T,  T  r  pai'  Albergement  bâtard  de  la  maifon  de  Volvire  de  RufFec , 
I  X  pouriomnier  ceux  qui  etoient  en  armes  de  les  mettre  bas,  oc 
I  c  6  8  ^^  fe  retirer  dans  leurs  maifons,  &  pour  examiner  en  même 
tems  s'il  y  avoir  une  occadon  favorable  de  faire  quelque  en- 
treprife  contre  l'ennemi.  Cacodiere  ,  qui  commandoit  en  Tab- 
fence  du  Gouverneur,  n'attendit  pas  qu'il  fût  averti  de  ce  qui 
fe  paiToit.  Jugeant  bien  que  ce  lieu  étoit  trop  petit ,  pour  con- 
tenir tant  de  monde ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  perfuader  à  fes  gens 
qu'il  falloir  prévenir  le  danger,  ôc  fe  retirer.  Ainfi  il^  partirent 
la  nuit  fui  vante  ,  ôc  fe  rendirent  en  diligence  à  Talmond,  lieu 
environné  de  marais,  proche  la  mer,  &  par  conféquent  d'un 
très  -  difficile  accès.  Mais  bien  -  tôt  la  fatigue  leur  lit  per- 
dre courage ,  ôc  n'étant  pas  encore  bien  revenus  de  la  peur  que 
la  nécefTité  de  fuir  leur  avoir  caufée,  ils  mirent  les  armes  bas,, 
ôc  fe  difperferent. 

Une  partie  fe  retira  à  la  Rochelle ,  dont  les  Proteftans  ve- 
noient  de  fe  rendre  les  maîtres.  Fabius  de  faint  Ermine  y  com- 
mandoit au  nom  du  prince  de  Condé,  Ôc  plufieurs  y  accou- 
roient,  comme  à  unlieu  fur,  tranquille j  ôc  favorable  au  com- 
merce. Alors  on  commença  à  fortifier  la  ville  ;ôc  les  Protef- 
tans s'emparèrent  des  places  voifines ,  de l'ifîe  de  Ré,  de  la  pe- 
ninfule  de  Marans ,  ôc  de  plufieurs  villes  ôc  châteaux  fur  la  merj 
ce  qui  leur  fut  aifé  dans  un  payis  où  tout  le  monde  avoir  du 
penchant  pour  leur  Religion.  Après  ces  expéditions,  voyant  que 
la  ville  ne  trouveroit  pas  de  quoi  faire  fubfiftertant  d'habitans, 
s'ils  n'avoient  des  troupes  pour  préferver  les  villages  d'alentour 
des  courfes  que  faifoit  le  comte  du  Lude,  ils  levèrent  quatre 
enfeignes  de  cavalerie ,  ôc  quelques  compagnies  d'arquebu fiers, 
pour  fortifier  le  château  de  Marans  fitué  dans  le  bas  Poitou^ 
ôc  pour  pouvoir  delà  defcendre  vers  Luçon  ôc  Sainte  Gemme,, 
places  de  tout  le  payis  les  mieux  pourvues  de  tout  ce  qui  efl: 
néceffaire  à  la  vie. 

Luçon  ôc  Maillezais  étoient  autrefois  deux  riches  Abbayes,, 
que  Jean  XXII ,  du  tems  de  Philippe  de  Valois,  érigea  en  Evê- 
ché.  Luçon  avoir  alors  de  bons  murs  ôc  un  bon  foffé  ,  qu'on 
rafa  depuis,  dans  le  tems  de  la  guerre  avec  les  Anglois  , 
ôc  il  n'y  refta  de  fort  qu'une  Eglife,  qui  difputeen  beauté  ôc 
en  magnificence  avec  les  plus  belles  Èglifes  de  la  Province. 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLII.        403 

Tout  le  peuple  s'y  éroit  réfugié  j  il  y  avoit  aufîî  quelques  fol-  - 

dats  du  Roi  commandez  par  Chantecier  Prêtre ,  qui  arrêtèrent  ^  ^ 

pendant  quelque  tems  les  Proteftans,  ôc  en  tuèrent  quelques-  ^^ 
uns.  BoilTeau  ôc  Sauvage,  les  deux  principaux  chefs  des  Protef- 
tans  ,  irritez  de  cette  réfiftance,  redoublèrent  leurs  efforts ,  en-  ^  ^  ^ 
foncèrent  les  portes  de  l'Eglife ,  ôc  égorgèrent  tout  ce  qui  s'offrit 
à  eux.  Chantecier,  qui  avoit  eu  la  main  gauche  emportée  d'un 
coup  de  canon,  étoit  fi  adroit  de  Tautre  main,  qu'il  ne  man- 
quoit  jamais  de  tuer  tous  ceux  qu'il  tiroit ,  pourvu  qu'il  pût  les 
voir.  On  le  prit  enfin ,  on  l'étrangla  ,  6c  ajoutant  finfulte  à  l'in- 
humanité ,  on  le  traita  très-ignominieufement  devant  ôc  après 
fa  mort. 

Luçon  ayant  été  pris  ôc  pillé ,  le  capitaine  la  Belle ,  dit  Rouf- 
feau  ,  marcha  avec  un  détachement  de  vingt  hommes  à  Sainte 
Gemme.  Comme  il  marchoit  fans  ordre,  plus  occupé  du  foin 
de  piller  que  de  conferver  fa  troupe,  Sogré  ôc  quelqu'autres 
envoyez  par  le  comte  du  Lude,  ôc  quis'étoient  avancez  juf- 
qu'àla  Popeliniere,  fans  être  apperçus  des  fentinelles ,  le  furpri- 
rent5  une  crainte  fubite  fucceda  alors  à  l'air  triomphant,  avec 
lequel  il  marchoit,  ôc  il  fe  rendit  honteufemenr.  11  avoit  déjà 
donné  fa  parole ,  lorfque  la  garnifon  de  la  Rochelle  vint  à  fon 
fecoursj  ainfi  il  ne  put  réparer  fa  faute.  Les  Proteftans  enlevè- 
rent leur  butin  ôcfe  retirèrent ,  après  avoir  mis  le  capitaine  Sau- 
vage dans  le  château  de  Marans.  Le  même  jour,  le  comte 
du  Lude  vint  à  Sainte  Hermine ,  ôc  mit  fes  troupes  en  quar- 
tier à  Fontenay ,  à  JNiort ,  à  Mareùil ,  à  Luçon  ,  ôc  à  Sainte 
Hermine.  Ces  troupes  fans  difcipline,  ôc  abandonnées  à  la  li- 
cence, exercèrent  inhumainement  contre  les  payifans  tout  ce 
qu'on  peut  imaginer  de  cruauté. 

Dans  la  Guyenne  ,Blaife  de  Montluc  gouverneur  de  la  Pro- 
vince n'eût  pas  plutôt  appris  le  tumulte  de  Meaux  ,  qu'il  fe  ren- 
dit maître  de  Lecloure  ,  une  des  plus  confiderables  villes  de 
la  Gafcogne,  ôc  capitale  du  comté  d'Armagnac.  Il  en  ota  Af- 
tarac  de  Fontrailles  qui  commandoit  dans  le  châceau ,  ôc  que 
fon  attachement  pour  la  nouvelle  Rehgion  rendoit  fufpe6l,ôc 
il  mit  à  fa  place  la  Caffagne.  Il  affembla  avec  la  même  di- 
ligence les  Seigneurs  de  la  Province  ,  ôc  les  exhorta  d'affifter 
le  Roi  ôc  la  Reine  dans  la  peine  où  ils  fe  trouvoient,  ôc  de 
rendre  tous  les  fervices qu'ils pourroient  à  leur  patrie,  dans  les 

Eee  ïj 


404  HISTOIRE 

_  rems  fâcheux  ôc  le  danger  preflant  où  elle  étoit.  II  n'y  avoit 

C  H  A.  RLE  ^"  ^^^^  ^^^  quatre  enieignes  de  cavalerie,  commandées  pat 

jyr         Hedor  de  Pardaillan  de  Gondrin  ,  Jean  de  Nogaret  de  la  Va- 

1  c  68      ^^^^^  y  ^^  Maiïez  ,  ôcBazourdan, huit  compagnies  de  moufque- 

taires  à  cheval ,  ôc  quarante  d'infanterie ,  fous  la  conduite  de 

Saint  Orens  ,  ôc  de  Fabien  fils  de  Montluc  ,  Chevalier  de 

Malte. 

A  peine  s'étoit-il  écoule  vingt-neuf  jours  après  la  prife  de 
Lectoure,  que  non  feulement  toutes  les  troupes  s'aflemblerent 
au  bruit  dn  danger  oii  étoit  le  Roi ,  mais  qu'elles  s'avancèrent 
jufqu'à  Limoges.  Montluc  le  pcre  les  y  îuivit  en  diligence, 
pour  les  conjurer  de  partir  fans  aucun  délai.  Il  leur  donna  pour 
général  Lomagne  de  Terride  ,  le  plus  ancien  des  officiers  ;ôc 
il  mit  fous  lui  Gondrin.  Jacque  de  Balaguer  de  Monfalez, 
homme  d'un  grand  courage ,  mais  fort  ambitieux  ,  fut  très-mé- 
content de  ce  choix  ,  ôc  on  eut  bien  de  la  peine  à  l'appaifer,  en 
lui  donnant  le  commandement  de  lavant-garde.  Montluc  fut 
bien  mal  recompenfé  de  fa  diligence  ôc  de  fes  bons  fervices; 
car  à  la  recommandation  d'Anne  de  Montmorenci ,  on  don- 
na à  Henri  de  Foix  de  Candale  fon  gendre  le  gouvernement 
de  Bordeaux  ôc  du  Bordelois,  avec  une  pleine  autorité  h  ôc  cela 
fous  les  yeux  de  Montluc ,  à  qui  on  ôtapar  là  la  plus  noble  par- 
tie du  gouvernement  général  delà  Guyenne  qu'il  avoit.  Mont- 
luc fe  retira  à  Agen ,  d'où  il  écrivit  plufieurs  lettres  à  la  Rei- 
ne, pour  fe  plaindre  de  l'injuftice  qui  lui  avoit  été  faite.  Il  y 
relia  jufqu'à  ce  que  le  Connétable  étant  mort ,  la  Reine  lui 
manda  qu'elle  ne  pouvoit  honnêtement  retirer  à  Candale  ce 
qu'on  lui- avoit  accordé  -,  mais  que  pour  leconfoler  en  quelque 
façon  de  la  perte  qu'il  avoit  faite  d'une  partie  de  fon  gouver- 
nement, elle  lechargeoit  du  foin  défaire  la  guerre  en  Sainton- 
ge  >  ôc  le  fiége  de  la  Rochelle. 

Quoique  Montluc  n'eût  pas  l'argent  néceffaire  pour  cette 
expédition ,  parce  qu'il  falloir  le  tirer  de  Bordeaux,  de  Tou- 
loufe,  ôc  d'autres  lieux  éloignez,  ôc  quoi  qu^on  n'eût  pas  en- 
core amené  les  canons  qu'on  devoir  envoyer  de  Nantes,  néan- 
moins pour  n'être  pas  oifif,  il  vint  à  Saint  Macaire ,  où  il  eut 
une  conférence  avec  Gabriel  Caumont  de  Laufun  un  des  plus 
grands  Seigneurs  du  payis.  Il  exhorta  toute  la  Nobleffe  à  ne  pas 
manquer  à  ce  qu'ils  fe  dévoient  à  eux-mêmes  dans  une  pareille. 


DE  J.  A,  DE  THOU  .  Liv.  XLîI.         40; 

occarion>  6c  il  fit  prendre  les  devants  à  Madaillan  enfeigne  de  * 

îacompaffnie  de  Laufun,  avec  la  cavalerie  ^  à  laquelle  il  ioienit  o       t,    r. 
une  cornette  a  arquebuiiers  a  cheval ,  lous  la  conduite  de  V  er-        i  y 
duran  gouverneur  de  Bazas.  Il  lui  donna  encore  les  compa-  ^ô 

gnies  de  Mabrun ,  de  Thodias ,  &  de  la  Motte  Mongauzy,  ^, 
Cependant  il  donna  ordre  à  Roger  de  Saint  ^pilry  de  Belle- 
garde  de  veiller  avec  foin  pendant  fon  abfence ,  à  Cominges, 
àTarbes,  dans  le  Bearn,  ôc  aux  environs ,  pour  empêcher  que 
l'ennemi ,  qu'ils  laiflbient  derrière ,  ne  fit  aucune  enrreprife.  Il 
chargea  Negrepellifle  de  garder  les  Baillages  ou  jugeries  de 
Verdun  '  &  de  Rivière.  Il  donna  le  commandement  dans  le 
Rouergue  à  la  Valette  de  Cornuflbn  l'aîné  ,  ôc  il  envoya  dans 
le  Quercy  quatre  regimens  d'infanterie  ,  pour  s'oppofer  aux 
yicomtesj  s'ils  faifoient  quelques  tentatives. 

Montluc  avoir  donné  ordre  à  Madaillan  d'aller  le  plus  vire 
qu'il  pourroit  à  Saintes,  fans  interrompre  fa  marche,  fi  ceux 
de  Marans  croient  encore  à  Saint  Severin  ,  de  les  attaquer  fuu 
le  champ,  &  s'il ctoit  vainqueur,  de  les  tailler  tous  en  pièces, 
fans  faire  aucun  quartier  :  bien  perfuadé  que  cet  exemple  ré- 
pandroit  la  terreur  parmi  tous  les  autres  payifans,  &  les  obli- 
geroit  à  mettre  les  armes  bas  ;  &  que  la  frayeur  ôc  l'épouvante 
des  fuyards  s'étendroit  jufqu'aux  Rochellois.  Madaillan  s'ac- 
quitta parfaitement  de  fa  commiflion  5  il  trouva  ceux  de  Ma- 
rans à  Saint  Severin ,  ôc  il  n'eut  pas  de  peine  à  les  tailler  en 
pièces  5  il  leur  enleva  trois  drapeaux. 

Le  fixiéme  jour  d'après,  Montluc  vint  à  Marennes ,  avec 
la  compagnie  de  cavalerie  de  Jacque  Defcars  de  Morville, 
&  une  partie  de  celle  de  Jarnac;  car  le  relie,  attaché  au  parti 
ÛQS  Proteftans,  étoit  allé  trouver  le  prince  de  Condé.  Monduc 
trouva  à  Marennes  Antoine  de  Pons  ,  lieutenant  de  Roi  dans 
la  Saintonge ,  Ôc  Seigneur  de  ces  ides.  Lcberon  parent  de 
Montluc  commandoit  finfanterie  ,  ôc  Verduran  faifoit  les 
fondions  de  maréchal  de  camp.  Le  comte  du  Lude  vint  en 
même-tems  à  faint  Jean  ,  Ôc  conféra  avec  Monduc  fur  la  ma- 
nière dont  ils  feroient  la  guerre ,  tandis  que  de  Pons  fe  ren- 
droit  maître  des  ifles  d'Oleron  ôc  d'Alvert  ,  fon  ancien  pa-  ' 

trimoine,  dont  les  peuples  furent  fort  intimidez  par  l'arrivée: 
de  Montluc. 

L  Ville  de  la  Gafcogne, 

Eee  n;, 


40^  HISTOIRE 

,^^,^,^„„,^^,       Il  reftoit  encore  à  prendre  Tlfle  de  Rc,  où  îes  habîtâns 
~  avoient  élevé  un  grand  nombre  de  forts  autour  de  l'Eglife  ,  ôc 

TV  fur  le  bord  de  la  mer.  On  détacha  pour  s'en  rendre  maîtres 
*  500  arquebufiers  choifis  de  toute  l'armée  fous  la  conduite  de 
*  ^  '  Lcberon.  Ils  partirent  du  Broùage  ayant  le  vent  contraire ,  con- 
tre lequel  il^î^iterent  le  jour  &  la  nuir.  RepouiTcs  ôc  par  le 
vent  6c  par  les  dards ,  qu'on  leur  lançoit  de  deffus  le  rivage  ; 
Ôc  ne  pouvant  faire  leur  defcente  ,  Leberon  fit  mettre  les  fol- 
dats ,  qu'il  avoir  amenés  fur  des  bâtimens  de  charge ,  dans  un 
vaififeau  ;  il  fit  le  tour  de  fille,  &:  fit  fa  defcente  par  des  ro- 
chers efcarpés.  Au(li-tôt  il  marcha  vers  la  grande  fortification, 
proche  de  l'Eglife  ,  qui  n'étoit  éloignée  du  lieu  011  il  avoit 
abordé  ,  que  d'une  heure  de  chemin  j  il  l'attaqua  à  l'impro- 
vide  par  diffcrens  cotez  ;  la  prit ,  ôc  mafiacra  fans  quartier  tous 
ceux  qui  s'y  trouvèrent  ,  fuivant  les  ordres  qu'il  en  avoit  re-", 
eus  de  Montluc.  Le  relie  des  infulaires  failis  de  crainte  aban- 
donnèrent  les  autres  fortifications ,  montèrent  en  foule  fur  ce 
qu'ils  trouvèrent  de  vaiffeaux  &  de  bâtimens ,  &  s'en  allèrent 
à  la  Rochelle.  Voilà  en  abrégé  ce  que  Montluc  fit  dans  la 
Saintonge  ;  il  en  auroit  fans  doute  fait  d'avantage,  fi  l'argent,  qui 
ell  le  nerf  de  la  guerre  ,  ne  lui  avoit  pas  manqué;  ou  fi  la  paix 
qui  fut  faite  ,  n'avoit  pas  arrêté  le  cours  de  fes  vi£loires. 

Pendant  que  les  armes  du  Roi  avoient  de  fi  heureux  fuccès 
en  Guyenne  ,  Poncenac  ôc  Verbelay,  avec  les  reftes  de  la  dé- 
faite de  Champoùi'ly  ,  fe  retirèrent  par  de  chemins  écartez 
auorès  du  fieur  Dacier.  Poncenac  prefibit  tous  les  Confédé- 
rez  de  partir  tous  enfemble ,  fans  difterer  ,  &  d'aller  joindre. 
le  prince  de  Condé.  Mais  Dacier  touché  par  les  prières  des 
peuples,  qui  le  conjuroient  de  ne  les  point  abandonner  ,  ne 
voulut  pas  fe  mettre  en  chemin ,  difant  qu'il  étoit  d'une  très- 
grande  conféquence  pour  le  prince  de  Condé,  de  ne  pas  bif- 
fer ces  Provinces  fans  troupes.  Ainfi  avant  que  de  fortir  du 
Dauphiné  ,  pour  s'oppofer  aux  enrreprifes  que  les  troupes  du 
Roi  pourroient  faire  pendant  fon  abfence  ,  il  fit  entrer  dans  S. 
André,  place  peu  éloignée  de  Vienne,  le  capitaine  Pipetavec 
300  arquebufiers,  prévoyant  bien  que  les  ennemis  ne  man- 
queroient  pas  de  faire  des  courfes  de  ce  côté-là. 

La  chofe  arriva  comme  il  favoit  prévu  ;  le  baron  des  Adrets 
ayant  amafTé   de  toutes  parts  2000  hommes  de  pied ,  avec 


DEJ.  A.  DETHOU^Liv.  XLII.         407 

quelque  cavalerie  légère  y  y  accourut  auffi-tot.    Il  fit  appro-  , 

cher  le  canon ,  &  battre  continuellement  la  place.  Lorfan'il  r^ 
y  eut  une  granae  orecne  ,  ripet  dépourvu  de  tout  iecoursprit        -r  y 
une  réfolution  extrême  ,  parce  qu'il  connoiffoit  le  génie  du  ^  ô 

Baron  ,  &  qu'il  fe  doutoit  bien  qu'il  en  ufcroit  envers  les  Pro- 
teftanSj  comme  il  en  ufoit  auparavant  envers  les  troupes  du 
Roi.  Ainfi  ayant  pris  avec  lui  ia  garnifon  ,  &  quelques  bour- 
geois ,  il  fortit  la  nuit ,  fe  fit  un  paflage  au  travers  des  aJTié- 
geans ,  en  tua  un  grand  nombre  ,  &  s'étant  échappé  des  mains 
d'un  cruel  vainqueur  y  il  fe  retira  avec  très-peu  de  perte  aupre- 
mier  endroit ,  011  il  trouva  garnifon. 

Pendant  cetems-là  les  Vicomtes ,  dont  nous  avons  parlé  ci- 
deffus  ,  de  Mouvans  ,  Rapin  ,  ôc  Poncenac  entreprirent  avec 
la  permifiîon  du  fieur  Dacier  ,  de  conduire  des  troupes  au 
prince  de  Condc.  Elles  étoient  d'abord  composées  de  6'oco 
hommes  ,  prefque  tous  d'infanterie.  Mais  les  Gafcons,  &  fur- 
tout  ceux  qui  étant  accoutumez  à  vivre  de  brigandages  &  de 
vols  dans  les  Pyrénées ,  aimoient  mieux  piller  que  faire  la 
guerre  j  ayant  deferté  ,  elles  fe  trouvèrent  enfin  réduites  à  4000 
hommes.  Après  avoir  paffé  la  Loire  au  Pont  S.  Rambert  , 
elles  traverferent  le  Forez  ,  &  arrivèrent  à  Ganat ,  fur  les  con- 
fins de  l'Auvergne.  Ayant  enfuite  continué  leur  route,  ôc  Pon- 
cenac ayant  laiflfé  une  garnifon  au  Pont  de  Vichy  fur  l'Allier, 
lorfqu'elles  furent  dans  la  plaine  qui  efl  au-deflfous,  proche  la 
forêt  de  Randan,  aifez  près  du  village  de  Cognac ,  on  vit  pa- 
roître  les  troupes  du  Roi  qui  confiftoient  prefque  toutes  en 
cavalerie ,  Ôc  qui  avoient  à  leur  tête  de  Saint  Heran  gouver- 
neur d'Auvergne  ,  de  Saint  Chaumont ,  de  Cordes  ,  d'Urfé , 
i'évêque  du  Puy^  Haute-feuille  ,  Brefiieu  ,  Ôc  plufieurs  autres 
de  la  première  noblefle. 

Les  Vicomtes  ayant  apperçu  cette  armée  >  mirent  leurs  trou- 
pes en  bataille  ,  ôc  firent  rompre  le  pont  de  Vichy  ;  afin  que 
le  foldat  n'ayant  aucune  efpérance  de  retraite  ,  ne  pût  comp- 
ter que  fur  fon  courage.  Ils  crurent  même  qu'il  falloit  prompte- 
ment  le  mettre  aux  mains  avec  l'ennemi,  afin  de  ne  paslaif- 
fer  rallentir  fon  ardeur  -,  ôc  de  crainte  que  les  vivres  ne  leur 
manquafient,  s'ils  fe  laiflbient  d'avantage  refferrer  dans  cette  val- 
lée. Ils  partagèrent  leur  armée  en  trois  ;  cnforte  que  le  corps 
(de  bataille  commandé  par  Monclar  ôc  Mouvans ,  couvroit  le- 


4o8  HISTOIRE 

■  I  .  I  iiiiM  ,  village  j  les  troupes  de  Foix  étoient  à  la  gauche  j  Poncenac 
Charle  ^^^*'"  ^  coté,  niais  plus  en  arrière  avec  une  partie  delacava- 
j^  lerie ,  &  Bourniquet  avec  le  refte  de  la  cavalerie  ,  étoit  à  la 
I  c  5  8  ^i^oifs-  L'armée  du  Roi  avoir  moins  d'infanterie ,  mais  plus 
'de  cavalerie.  On.  la  partagea  en  deux  ;  la  tête  étoit  compofée 
de  800  hommes  de  cheval  ou  environ  ,  &  l'infanterie  étoit 
derrière.  On  fit  marcher  devant  200  arquebufiers  à  cheval  , 
avec  quelques  cavaliers  ,  pour  attirer  les  ennemis  au  combat. 
Mouvans  ayant  pris  avec  lui  20  hommes  choifis  de  fon  régi- 
ment j  &L  quelques  volontaires  du  comté  de  Foix ,  fe  couvrit 
d'un  petit  buiflbn,  ôf.  les  reçut  avec  tant  de  fermeté,  que  les 
principaux  ayant  été  tués  à  la  première  attaque  ,  les  autres  fu- 
rent obligez  de  fe  retirer.  Les  chefs  de  l'armée  royale  recon- 
noilTant  leur  faute ,  tâchèrent  de  la  réparer  en  quittant  le  lieu 
incommode  ou  ils  étoient,  pour  s'avancer  dans  la  plaine.  Les 
Proteftans  en  firent  autant  iur  le  champ ,  animés  par  le  petit 
fuccès  qu'ils  venoient  d'avoir ,  &  par  la  confiance  qu'ils  avoient 
en  leurs  forces.  Poncenac  pourluivit  les  fuyards ,  &  continua 
de  faire  marcher  fes  troupes,  quoique  le  terrain  ne  Kn  pas 
avantageux  à  l'infanterie,  jufqu'à  ce  qu'il  eût  occupé  un  en- 
droit marécageux ,  qui  étoit  au  milieu  de  la  plaine.  Après  y 
avoir  pofté  environ  100  arquebufiers  pour  en  garder  le  pafTa- 
ge,  ôc  pour  recevoir  ceux  qui  pourroient  être  obligés  de  fe 
retirer ,  les  Confédérez  s'avancèrent  &  rangèrent  leur  armée  en 
bataille.  Cinquantevolontaires  furent  placés  à  la  tête,  &  la  cava- 
lerie fut  mifc  aux  cotez,  pour  couvrir  l'infanterie,  qui  étoit  au 
milieu.  Alors  S.  Heran  commanda  Haute-feuille  &  Breilieu  , 
avec  un  détachement  de  cavalerie ,  bien  équippé ,  6c  quatre 
enfeignes  d'infanterie,  pour  les  charger. 

Pendant  qu'on  combattoit  de  part  ôc  d*autre  avec  beaucoup 
d'ardeur,  Bourniquet  vint  à  grands  pas  ôc  donna  très -vive- 
ment fur  ceux  que  les  volontaires  avoient  déjà  rompus  ?  ÔC 
Haute- feuille  y  fut  blefic  mortellement.  D'un  autre  côté  , 
Brefiicu  combattait  contre  Poncenac  ôc  Yolet  d'Auvergne  > 
ôc  il  ne  fut  pas  plus  heureux ,  ayant  été  tué  après  un  combat 
très-opiniâtré  ,  dans  lequel  il  perdit  100  hommes,  ôc  toute  fon 
infanterie  fut  difperfée.  On  firprifonnier  Laforeft  de  Beullon; 
ôc  parce  qu'il  avoir  eu  l'imprudence  de  fe  vanter  d'avoir  violé 
^Utes  les  fçpinaes  Protefontes,  cjui  çtoiçnt  tombées  entre  fes 

mains 


D  E  J.  A.  D  E  T  HO  U,  Liv.  XLII.      40P 

mains  »  on  le  traita  très-indignement ,  &  on  le  maiTacra.  ,    i,.. 

Un  accident  fâcheux  empêcha  que  la  joye  des  Protcftans  ne  p„ 
fut  complette  ,  ôc  changea  leur  triomphe  en  deùil.    Retour-        w 
nant  la  nuit  vidorieux  à  Cognac,  où  ils  avoientlailTé leurs  ba-       ^  ^*o 
gages,  leurs  en  feignes ,  qui  étoicnt  blanches  ,  ne  furent  point 
reconnues  par  leurs  gensi  il  s'éleva  entr'eux  une  querelle  ^  Ôc 
il  y  eut  quelques  coups  tirés.  Sudaret,  prévôt  de  Forez  ;  fut 
bleiïe ,  &  peu  de  tems  après  il  mourut  de  fa  bleffure.  Ponce- 
nac  fut  malheureufement  tué  ,  ôc  fon  corps  porté  dans  le  châ- 
teau de  Changy ,  où  il  fut  enterré.  Mais  S.  Chaumont  ôc  d  Ur- 
fé  pafTant  par  là  quelque-rems  après ,  le  foldat  infolent  déterra 
fon  corps  ,  lui  fit  mille  infultes ,  enfin  le  mit  cruellement  en 
pièces:  de  l'Eclufe  ne  put  les  retenir,  ni  parles  réprimandes, 
ni  par  les  coups.  La  nuit  d  après  le  combat ,  l'armée  royale  plia 
bagage,  ôc  fe  retira >  laifTant  aux  Confédérez  le  paffage  libre. 
Leur  malheur  leur  fit  perdre  TaffeÊlion  des  peuples;  ôc  on  leur 
refufa  honteufement  l'entrée  des  villes  de  Riom,  de  Clermont 
de  Monferrand,  ôc  d'Aigue-perfe  ;  ce  qui  les  obligea  de  fe 
détourner  dans  des  villages ,  ôc  de  marcher  prefque  un  à  un. 
Dans  plufieurs  endroits  on  les  arrêtoit ,  dans  d'autres  on  les 
dépoûilloit  ,  ôc  on  les  tuoit  dans  quelques-uns  ;  enforre  que 
de  leur  propre  aveu ,  ils  perdirent  plus  de  monde  dans  leur 
retraite  ,  que  dans  la  bataille  de  Cognac. 

Les  Confédérez  ayant  ramaffé  leurs  troupes,  ôc  ne  trouvant 
rien  qui  les  pût  troubler  dansleur  marche,  entrèrent  dans  leBer- 
xy  ,  où  ils  reçurent  des  lettres  de  Françoife  d'Orléans ,  feniine 
du  prince  de  Condé  ,  qui  les  preflbit  de  hâter  leur  arrivée  ,  ôc 
leur  mandoit  que  Sarra  comte  de  Miartinengue ,  Antoine  du 
PleiTis  de  Richelieu  ,  ôc  d'autres  ,  étoient  dans  le  voifinage 
d'Orléans  :  qu'il  n'y  avoir  dans  la  ville  qu'un  grand  nombre 
de  femmes  incapables  de  la  défendre  :  que  peu  de  tenif:  au- 
paravant la  ville  avoir  penfc  être  furprife,  faute  d'avoir  un  corps 
de  garde  afifez  nombreux  à  la  porte  Bannier  :  ôc  qu'on  ne  s'é- 
toit  tiré   de  ce  danger ,  qu'avec  beaucoup  de  peine  ,  par  la 
valeur  du  capitaine  Hamon ,  ôc  du  capitaine  Befle ,  qui  y  avoit 
été  tué.  Après  la  le£ture  de  ces  lettres  ,  les  Proteftans  fe  ren- 
dirent en  diligence  à  Orléans ,  où  ils  furent  reçus  avec  bien 
de  la  joye  Ôc  des  complimens  de  la  part  de  la  princelTe  de 
Tome  V,  Fff 


410  ei  S  TOI  RE 

Condé,  ôcdes  autres  Seigneurs.  MartinengueferetkaàBeau- 

Ch  ARLE  §^"^y  ^ de  là  à  Blois. 

T  X7-  L'armée  Proteftante  sVtant  un  peu  remife  de  fes  fatigues  > 

^  o      crut  qu'elle  devoit  faire  quelque  entreprife.  Peu  de  tems  après 

'       '     fon  arrivée  »  elle  fe  mit  en  campagne ,  ôc  marcha  à  Beaugency. 
Il  y  avoit  5*000  hommes  de  pied  ,  400  chevaux  ,  deux  greffes 
pièces  de  batterie  ,  ôc  deux  couîevrines.  La  ville  ayant  auflî- 
tôt  ouvert  fes  portes^  on  fut  à  Blois,  011  Richelieu  s'étoit  en- 
fermé ,  avec  Innocent  Tripier  de  Monterud  ,  ci-devant  gou- 
verneur pour  le  Roi  de  la  ville  d'Orléans,  &  Soocombattans. 
Dès  la  première  attaque ,  les  Gafcons  6c  les  Provençaux  em- 
portèrent \cs  fauxbourgs  de  la  porte  de  Chartres.  Ayant  enfuite 
fait  proche  de  cette  porte  une  brèche  large  de  1 8  pas  ,  on 
lomma  Richelieu  de  fe  rendre.  L'ayant  refufé  ,  on  envoya  la 
nuit  reconnoître  la  brèche  ,  ôc  on  rapporta  qu'il  étoit  affez 
aifé  d'en  approcher  par  dehors  ,  mais  que  la  defcente  en  de- 
dans étoit  très-difficile  6c  très-dangereufe.    On  réfolut  donc 
de  l'abandonner  ,  ôc  de  tranfporter  les  batteries  du  côté  de  la 
porte  de  Tours.  On  y  fit  une  brèche  plus  large  que  la  pre- 
mière. Richelieu  demanda  à  capituler  5  ôc  après  de  longues 
conteftations  on  convint  que  la  ville  feroit  rendue^  mais  qu'el- 
le ne  feroit  point  pillée ,  que  la  garnifon  auroit  la  vie  fauve  5 
Ôc  qu'elle  fortiroit  avec  armes  &  bagages.  Malgré  cette  con- 
vention plufieurs  furent  dépouillez  y  fans  que  les  chefs  ,  qui 
avoient  envie  de  garder  leur  parole,  pûffent  l'empêcher 5  tant 
il  eft  vrai  que  dans  des  guerres  civiles  il  n'y  a  prefque  point 
de  difcipîine  parmi  les  troupes ,  ni  d'autorité  dans  les  chefs. 
Après  avoir  pris  Blois ,  ôc  y  avoir  mis  Hamon  avec  trois 
enfeignes  d'infanterie,  les Conféderez marchèrent  à  Mont-Ri- 
chard fur  le  Cher,  près  de  Chenonceaux.  Mais  étant  fur  le  point 
de  forcer  la  place,le  prince  de  Condé,qui  étoit  venu  en  Beauffe, 
pour  faire  le  fiége  de  Chartres  ,  leur  donna  ordre  de  venir 
en  diligence  fe  joindre  à  lui.  Chartres  eft  la  capitale   de  la 
Beauffe  :  fituée  dans  une  plaine  très-vafte ,  elle  s'élève  d'un  côté 
Ôc  s'abaiffe  de  l'autre  dans  une  profonde  vallée  î  elle  eft  par- 
tagée par  la  rivière  d'Eure  ,  qui  tombant  de  Courville  reçoit 
au-deffous  de  la  ville ,  près  de  Cerify ,  la  rivière  de  Blaife ,  paffe 
par  Dreux  6c  par  Anet ,  ôc  enfin  va  fe  jetter  dans  la  Seine  au 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XLII.        411 

Pont  de  l'Arche  un  peu  au-deffus  de  Roûen.Le  lit  de  l'Eure  étoit 
autrefois  un  peu  plus  éloigné  de  Chartres  j  mais  les  habitans 
l'ont  détourné  pour  faire  pafler  la  rivière  dans  leur  ville,  ôc  y 
placer  leurs  moulins. 

Peu  avant  l'arrivée  du  prince  de  Condé ,  le  Roi  avoit  en- 
voyé à  Chartres  Jean  de  Bourdeilles  d'Ardelles,  de  l'illufti-e 
maifon  des  vicomtes  de  Bourdeilles  dans  le  Perigord  ,  avec 
dix  enfeignes  de  Gafcons  &  de  Perigordins.  Les  bourgeois 
craignant  l'infolence  de  ces  troupes  accoutumées  à  la  licence 
&  au  pillage  j  avoient  refufé  de  les  recevoir ,  &  les  avoienc 
même  honteufement  repoufTées.  Fontaine  la  Guion  étoit  aupa- 
ravant Gouverneur  de  la  ville  ;  mais  on  mit  en  fa  place  An- 
toine Ligneres  chevalier  de  l'Ordre ,  ôc  capitaine  de  cinquante 
hommes  d'armes  d'ordonnance  ,  officier  de  grande  réputa- 
tion. Il  vint  à  Chartres  avec  deux  cornettes  de  cavalerie ,  com^ 
mandées  par  Charny  ôc  Rence,  ôc  cinq  enfeignes  d'infante-* 
rie.  Ces  troupes  ne  furent  reçues  dans  la  ville  ,  que  fur  le  bruit 
qui  courut ,  qu'elle  alloit  être  afliégée  ,  ôc  cinq  jours  feulement 
avant  l'approche  des  ennemis.  Les  habitans,  un  peu  adoucis 
par  la  crainte  du  danger  dont  ils  étoient  menacés  ,  reçurent 
auffi  en  même-tems  d' Ardelles  ;  mais  après  lui  avoir  fait  pro^ 
mettre  avec  ferment,  que  ni  lui,  ni  fes  foldats  ne  fe  venge^ 
roient  point  du  paflé  ,  ôc  qu'ils  traiteroient  les  bourgeois  avec 
beaucoup  de  modération  &  de  douceur. 

Enfin  le  prince  de  Condé ,  pour  furprendre  la  ville  ,  mar-     siége  de 
cha  les  23  ôc  24  de  Février  fans  s'arrêter,  lit  en  ces  deux  jours  Cha^-tres  par 

r  ^  r       ■  •        V   ou  Q    V         a-       les  Proteftans. 

avec  toute  Ion  armée  20  lieues ,  arriva  a  Chartres  ôc  1  invelht. 
Il  n'y  eut  d'abord  que  de  légères  efcarmouches  dans  les  for- 
ties  que  firent  les  aiïiégez.  Les  afTiégeans  prirent  par  force  les 
fauxbourgs  des  portes  Guillaume  ôc  S.  Marate  ,  ôc  on  y  logea 
les  troupes  de  France.  De  Tlfle  avec  fes  troupes  prit  fon  lo- 
gement dans  les  fauxbourgs  des  portes  S.  Jean  ôc  de  Dreux. 
De  Mouvans  ôc  les  Vicomtes ,  avec  les  troupes  du  Dauphiné, 
de  Provence  ôc  de  Gafcogne  ,  occupèrent  les  fauxbourgs  des  i 

portes  des  Efpars  ôc  de  Saint  Michel  :  on  plaça  les  Allemands  ; 

dans  rAbbaye  de  Jofaphat.  On  dreffa  de  ce  côté-là  dans  un  \ 

couvent  de religicufes une  batterie  de.cjuatre  canons,  pour  bat-* 
tre  la  porte  de  Dreux ,  ôc  la  muraille  qui  eft  proche.  La  ca-  j 

vakrie  fut  mife  en  quartier  dans  les  villages  voiiins ,  ôc  diftribuce  i 

Fffij  i 


412  HISTOIRE 

J  de  la  manière  qui  parut  la  plus  commode.    Lîgneres  veil- 

Ch  ARLE  ^^^^  ^^"s  ceiïe  ,  &  étoir  toujours  en  action.  Ayant  convoqué 
IX.  "i'^c  afTemblée  des  principaux  bourgeois,  illeur  fit  un  difcours 
i  <  6  B,  pathétique  ,  pour  les  exhorter  à  ne  manquer,  dans  une  occafion 
fi  importante  ,  à  rien  de  ce  qu  ils  dévoient  au  Roi  ôc  à  eux- 
mêmes,  à  perféverer  dans  la  fidélité,  &  à  vivre  en  bonne  in- 
telligence. Il  pria  ceux  qui  avoient  du  courage  ,  de  prendre 
les  armes  ,  ôc  de  contribuer  aux  travaux  j  &  ceux  qui  ne  pou- 
voient  ni  l'un  ni  l'autre ,  de  contribuer  au  moins  par  leurs  biens 
aux  befoins  publics.  Il  fit  enfuite  la  vifite  de  la  ville  ,  ôc  en 
fortifia  les  endroits  foibles,  par  une  tranchée  qu'il  fit  faire  en- 
dedans;  il  éleva  un  Fort  à  la  porte  de  Dreux  ;  il  fit  auffi  faire  fix 
mouhns  à  bras^  pour  fuppléeraux  moulins  à  eau,  en  cas  qu'on 
détournât  la  rivière  ,  comme  il  arriva  dans  la  fuite  ;  il  avoit 
commencé  par  diftribuer  les  quartiers  de  la  ville  entre  les  of- 
ficiers généraux  :  Rence  fut  choifi  pour  avoir  en  fécond  le 
commandement  général. 

Les  Conféderez  s'étoient  emparez  des  maîfons  qui  étoient 
proche  le  foffé  ,  où  étant  à  couvert  ilstiroient  fur  les  affiégés; 
qui  ne  l'étoient  pas ,  &  les  incommodoient  fort.  Pour  remé- 
dier à  cet  inconvénient ,  Ligneres  fit  tendre  des  toiles ,  afîa 
que  les  ennemis  ne  pufTent  pas  appercevoir  ceux  qui  alloient 
&  venoient.  L'ennemi  dreiïa  enfuite  une  batterie  contre  la 
porte  de  Dreux  ,  qui  brifa  les  chaînes  du  pont-levis  ,  ôc  ne  fit 
point  d'autre  mal.  Les  affiégés  de  leur  côté  faifoient  de  fré- 
quentes forties  5  ôc  comme  la  ville  fe  trouva  afliégée  plutôt 
qu'ils  n'avoient  cru  ,  ils  firent  dans  ces  forties  ce  qu'ils  n'a~ 
voient  pu  faire  auparavant  ,  ôc  mirent  le  feu  aux  édifices  voi- 
fins,  qui  les  incommodoient.  Le  couvent  des  Cordeliers ,  ôc 
l'églife  de  S.  Jean  ,  qui  étoient  hors  la  ville,  furent  brûlez.  La 
première  batterie  ne  faifant  point  de  progrès ,  on  la  tranfporta, 
ôc  on  battit  ,1e  mur  au-defTous  de  la  Tour  ôc  delà  porte  Guil- 
.    laume  avec  tant  de  furie,  que  les  défenfes  furent  en  peu  de 
rems  renverfées ,  ôc  qu'on  fit  une  brèche  large  de  1 5  pas  ou; 
environ.  Mais  comme  elle  étoit  défendue  par  le  Fort  qu'on 
avoit  élevé  devant  la  porte  de  Dreux  ,  ôc  qu'on  avoit  fait  de 
ee  côté-là  en-dedans  un  retranchement  très  élevé ,  on  fut  d'a- 
vis de  commencer  par  fe  rendre  maître  du  Fort.  On  y  en- 
voya pour  cet  eiFetBordet,avec  un  détachement  de^o  hommes. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIL       415 

jpartie  fantafllns  :,  partie  pionniers ,  mais  tandis  qu'il  s'efforçoit      im  ■ 

de  le  faire  fapper,  il  fut  tué  d'un  coup  d'arquebufe.  Onnelaifla  Charl'' 
pas  de  prendre  le  Fort ,  &  d'y  faire  un  logement.  x  y 

Ce  fut  un  accident  fâcheux  pour  les  alîîégez,  mais  qui  fut  >j*o 

aufli-tôt  reparé  par  la  valeur  ou  par  la  rufe  du  capitaine  Floïat. 
Etant  forti  par  la  porte  de  Dreux ,  avec  un  détachement  de 
60  hommes ,  qui  portoient  les  drapeaux  &  les  armes  des  Pro- 
teflans  ,il  arriva  le  long  du  folTé  en  dehors  jufqu'au  Fort  >  fans 
qu'on  reconnût  l'artifice  >  il  attaqua  ceux  qu'on  y  avoit  mis  dans  . 
le  tems  qu'ils  ne  s'y  attendoient  pas  5  il  reprit  le  Fort,  &  le 
conferva  toujours  jufqu'à  la  fin.  Alors  les  Confédérez  fe  réfo- 
iurent  à  donner  l'afTaut.  Andelot  envoya  pour  cela  le  capi- 
taine Norman ,  pour  reconnoître  la  brèche.  Il  la  vifita  avec 
foin,  ôc  il  rapporta  que  le  foîdat  ne  pouvoit  encore  y  mon- 
ter ,  fans  un  grand  danger.  Andelot  lui  donna ,  pour  ré- 
compenfe  une  chaîne  d'or.  Sur  fon  rapport  on  prit  le  parti 
de  recommencer  la  batterie  ,  pour  applanir  la  brèche  i  6c 
dans  le  même -tems  Ligneres,  qui  étoit  attentif  à  tout ,  &: 
préparé  à  tout  événement,  fit  élever  un  cavalier  entre  la  porte 
de  Dreux  ôc  le  couvent  des  Dominicains  5  il  mit  defTus  une 
pièce  de  canon ,  ^ue  les  Proteftans  avoient  enterrée  après  la 
bataille  de  Dreux  ,  ôc  qui  fut  par  cette  raifon  appellée  la  Hugue- 
note. Comme  les  coups  de  ce  canon  portoient  fur  la  brèche  ^^ 
il  empêchoit  les  alliégeans  d'en  approcher.  Ligneres  pofta  en- 
core des  foldats  dans  la  boucherie  ,  qui  étoit  près  du  boule- 
vart ,  pour  y  faire  fentinelle  jour  ôc  nuit  j  avec  ordre  aux  bour- 
geois de  porter  aux  fentinelles  les  vivres  dont  ils  avoient  be- 
foin. 

Cependant  les  Confédérez  arrêtèrent  le  cours  de  la  rivière 
d'Eure ,  au-deffus  de  Chartres ,  la  détournèrent  dans  fon  an- 
cien lit ,  ôc  rendirent  ainfi  inutiles  les  moulins  à  eau ,  dont  la 
ville  fe  fervoit  :  s'ils  l'avoient  fait  plutôt,  ils  eufient  réduit  les 
afTiégés  à  une  extrême  néceflTité  ;  car  n'ayant  pas  dans  la  ville 
toutes  les  provifions  nécefiaires  pour  foûtenir  un  fiége  ,  ôc  y 
étant  depuis  entré  une  garnifon  de  4000  hommes,  il  auroit  été 
difficile  ,  fans  le  fecours  des  moulins  ,  de  fournir  à  lafubfiftan- 
ce  de  tant  de  monde.  D'un  autre  côté,  les  affiégésfaifoient  de 
firéquentes  forties  5  tantôt  par  la  porte  S>  Michel ,  ôc  tantôt  par 
lîeile  de  S.  Jean  :,  ôc  ils  prirent  entr'autres  deux  drapeaux  des 

Fffiii 


414*  HISTOIRE 

■  ■  Vicomtes ,  qui  furent  fufpendus  dans  la  grande  Eglife." 
C  H  A  RLE  Le  prince  de  Condé.  toujours  vigilant  ôc  a6tif,  apprit  que 
I  X.  Jean  de  Nogaret  de  la  Valette  lieutenant  de  la  cavalerie  le- 
I  î  5  S.  S^^e  fous  le  duc  de  Nemours  ,  étoit  déjà  venu  à  Oudan  avec 
j  8  cornettes  de  cavalerie  Françoife  &  quelques  compagnies 
détachées  d'Italiens,  dans  le  defiein  de  fecourir  les  a/ïiégés, 
de  furprendre  ceux  des  afiîégeans ,  qui  occupoient  les  poftes 
les  plus  éloignés ,  d'empêcher  les  fourageurs  de  s'étendre ,  ôc 
de  s'emparer  des  convois.  Il  y  envoya  auiïi-tôt  l'amiral  de  Co- 
ligny  a\'ec  Artus  de  Vauldray  de  Mouy  ,  ôc  d'autres  officiers 
à  la  tête  de  huit  cornettes  de  cavalerie  Françoife  ôc  fix  d'Al- 
lemands ,  qui  faifoient  en  tout  5^00  chevaux.  Coligny  entra 
de  force  dans  Oudan ,  oii  quelques  Italiens  lui  firent  tête  5  pen- 
dant que  la  Valette  qui  avoit  déjà  plié  bagage  ,  prefloit  très- 
fort  la  retraite.  Le  plus  grand  nombre  fut  tué  j  d'autres  furent 
faits  prifonniers  5  on  prit  quatre  drapeaux  ,  les  bagages  ôc  les 
chevaux  j  ôc  les  Confédérez  revinrent  aulïi-tôt  au  camp ,  avec 
un  riche  butin.  La  Valette  ayant  ramaffé  15*00  chevaux,  lit 
fouvent  face  à  ceux  qui  le  pourfuivoient,  marcha  toujours  en 
bon  ordre ,  fe  tira  avec  beaucoup  de  gloire  d'un  fi  grand  dan- 
ger ,  ôc  revint  joindre  le  duc  d'Anjou ,  qui  étoit  campé  des 
deux  cotez  de  la  Seine. 
Fin  de  la  Cependant  on  avoit  renoué  les  négociations  pour  parvenic 
Guerre.  à  un  traité  de  paix  ',  ôc  le  cardinal  de  Chatillon  étoit  en  con- 
férence à  Long-jumeau  avec  Armand  de  Gontault  de  Biron 
maréchal  de  Camp ,  ôc  Henri  de  Memme  de  MalafFife  maître 
des  Requêtes.  L'affaire  fut  afîez  long-tems  agitée  de  part  ôc 
d'autre.  On  fit  intervenir  dans  la  négociation ,  pour  concilier 
\qs  parties ,  Thomas  Sacvill  baron  de  Buckhurfl ,  de  la  part  de 
la  reine  d'Angleterre  ,  ôc  Guy  Cavalcanti ,  d'une  famille  no- 
ble de  Florence.  Le  prince  de  Condé  ,  foit  par  cette  bonté 
de  cœur  qui  lui  étoit  naturelle  y  foit  qu'il  crût  n'avoir  plus  à 
craindre  le  danger  qui  l'avoir  déterminé  à  réprendre  les  armes , 
penchoitvers  la  paix.  Mais  Coligny,  dontlesvûës  étoient  beau- 
coup plus  étendues ,  penfoit  bien  différemment ,  ôc  il  ne  cef- 
foit  de  dire  que  la  Cour  ne  faifoit  ces  propofitions  de  paix , 
que  pour  divifer  ôc  defunir  les  Proteftans,  dont  elle  ne  pou- 
voit  venir  à  bout ,  tant  qu'ils  étoient  unis  ôc  fous  les  armes  ; 
pour  les  defarmer  ôc  leur  faire  rendre  les  places  qui  leur  fer  voient 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  î  V.  XLII.        41,- 
d'azile  ;  pour  les  aflbiblir  ôc  leur  ôter  toutes  les  forces ,  pour 
les  furprendre  chacun  en  particulier  j  pour  les  punir  deraf-  Char  le 
front  que  le  Roi  croyoit  lui  avoir  été  fait  à  Meaux  ,  ôc  dont       jx 
le  reflentiment  ne  faifoit  que  croître  de  jour  en  jour  j  &  fur-     1  ^  6  S 
tout  pour  les  empêcher  a£l:uellement  de  fe  rendre  maîtres  de 
Chartres  ,  dont  la  prife  étoit  inévitable,  &  qui  feroit  dans  les 
mains  des  Proteftans ,  comme  une  forte  citadelle,  capable  de 
commander  &  d'incommoder  extrêmement  la  ville  de  Paris. 
Le  Prince,  qui  étoit  bien  perfuadé  de  tout  cela ,  ne  laiiïoitpas 
de  faire  comme  s'il  eût  fouhaité  la  paix ,  dans  la  penfée  qu'ii 
avoit  toujours  eue  ,  qu'on  ne  pouvoit  la  refufer  honnêtement , 
éc  fans  fe  rendre  odieux. 

A  dire  le  vrai ,  l'un  &c  l'autre  fe  trouvoient  comme  forcez 
d'en  venir  à  un  accommodement.  Déjà  une  parde  des  trou- 
pes de  la  Saintonge  &  du  Poitou  s'en  étoient  allées,  fans  pren- 
dre congé  du  prince  de  Condé  ,  ôc  un  grand  nombre  d'autres 
le  menaçoient  d'en  faire  autant  j  de  forte  qu'il  y  avoit  tout  Heu 
de  craindre  que  le  mauvais  exemple  n'entraînât  les  autres,  ôc 
que  toutes  ne  quittalTent  le  fervice.  D'ailleurs  on  murmuroit 
aflez  hautement  5  ôc  l'on  difoit  que  puifqu'on  n'avoit  pris  les  ar- 
mes, que  pour  en  venir  à  une  paix,  ôc  que  la  Cour  le  de- 
mandoit,  il  n'y  avoit  plus  autre  chofe  à  faire ,  qu'à  terminer 
uneguerrefifuneile  ôc  ii  ruineufe  :  Que  le  foldat  ne  pouvoit 
tirer  fon  prêt ,  ôc  que  fou  vent  on  le  laifToit  manquer  de  vi- 
vres :  Que  la  Noblefle  éloignée  de  fon  payis  fouffroit  beau- 
coup :  Que  leurs  maifons  étoient  en  proie  à  leurs  ennemis  : 
Qu'ils  ne  pouvoient  plus  ni  fouffrir  une  fi  longue  abfence ,  ni 
négliger  un  fi  grand  danger:  Qu  ainfi  ils  fupplioientles  feigneurs 
Confédérez  d'avoir  égard  à  leurs  remontrances ,  ôc  de  ne  pas 
pouffer  à  bout  la  patience  de  leurs  partifans,  par  unefaufle  pru- 
dence ,  ou  plutôt  par  une  vraie  obftination. 

Avant  que  d'en  venir  à  la  dernière  extrémité ,  on  tenta  tou- 
tes fortes  de  moyens  pour  retenir  quelques  troupes  après  que 
la  Nobleffe  fe  feroit  retirée  ,  non  dans  le  deflein  de  faire  aucu- 
ne entreprife ,  mais  feulement  pour  pouvoir  fe  foûtenir  avec 
quelque  honneur ,  ôc  fe  précautionner  contre  les  fuites  d'une 
paix  qui  feroit  peut-être  mal  obfervée.  Car  pour  les  trou- 
pes auxiliaires  Allemandes  que  pouvoit-onen  faire?  Les  dif- 
tribuer  dans  de  bons  quartiers ,  c'étoit  leur  donner  lieu  de  fe 


^i6  HISTOIRE 

■Il       I     »  confumer  elles  même*;  peu  h  peu.  Les  retenir  dans  un  camp, 
C  H  ARLE  c'étoitunechofeimpoifible,  étant  environnez  comme  ils  étoient 
IX         ^^  places  ennemies  ,  &  n'ayant  pas  de  provifions.  Enfin  ceux 
1  <:  6  S      ^^^  étoient  le  plus  oppofez  à  la  paix ,  furent  contrains  d'y  don- 
ner les  mains.  Elle  fut  donc  conclue  &  publiée  dans  le  camp 
le  25  de  Mars,  ôc  aulîi-tôt  on  leva  le  fiége  de  Chartres. 

Les  aflTiégez  y  perdirent  deux  cens  cinquante  hommes,  ÔC 
entr'autre  Caumon  lieutenant  de  Ligneres,  qui  fut  enterré  dans 
i'Eglife  des  Dominicains ,  &  d'Ardeîles  capitaine  de  dix  en- 
feignes  de  Gafcons,  homme  diftingué  par  fa  bonne  mine,  ÔC 
par  fa  valeur.  Il  eut  la  tête  caifce  d'un  coup  de  moufquet  3  tan- 
dis qu'il  étoit  de  garde  fur  la  brèche.  Il  fut  extrêmement  re- 
greté  de  tout  le  monde.  De  Ligneres  voulant  par  honneur  le 
^  faire  enterrer  dans  la  grande  Eghfe ,  les  Chanoines  s'y  oppo- 

ferent ,  &  reprefenterent  que ,  fuivant  l'ancien  ufage ,  ôc  les  fta^ 
tuts  dreffez  par  leurs  prédecelTeurs ,  il  étoit  défendu  d'inhumet 
qui  que  ce  fut  dans  un  Heu  fi  fpecialement  confacré  à  la  Vierge  : 
Que  d'ailleurs  la  ftrufture  de  leur  Eglife  ne  permetroit  pas  d'ou- 
vrir la  terre,  puifqu'elle  étoit  toute  voûtée  en  defifous.  Le  Roi 
néanmoins  ordonna  qu'on  éleveroitdans  I'Eglife  un  tombeau,ÔC 
que  d'Ardeîles  y  feroit  mis.  Le  Chapitre  fitfemblant  d'y  con- 
fentir,  en  faveur  des  grands  fervices  que  ce  Capitaine  avoit ren- 
dus à  la  ville,  mais  pour  conferver  la  profonde  vénération  ÔC 
îe  religieux  refpe£l  qu'on  avoit  toujours  eu  pour  ce  lieu  faint, 
ils  firent  fecretement  enlever  la  nuit  le  corps  du  défunt,  qui 
fut  transféré  dans  une  Eglife  voifine.  Les  Proteftans  perdirent 
à  ce  fiége  environ  trois  cens  hommes,  tant  Allemands  que 
François. 
Edit  de  Par  l'Edit  qui  fut  vérifié  ôc  enregiftré  au  Parlement  le  27 
aci  cation.  ^^  Mars ,  le  Roi  confirmoit  l'édit  donné  cinq  ans  auparavant, 
dans  toute  fon  étendue ,  fupprimant ,  révoquant ,  ôc  annullant 
toutes  exceptions ,  reftriclions ,  interprétations  ,  ôc  déclarations 
données  depuis  :  Sa  JVlajefté  accordoit  l'abolition  ôc  l'oubli  des 
derniers  troubles ,  avec  cette  claufe ,  [  jufqu'à  ce  que  par  la  mi- 
fericorde  de  Dieu  tous  les  fujets  du  Roi  fe  trouvafijnt  réunis 
dans  la  profeffion  d'une  feule  ôc  même  Religion.  ]  Suivant  ce 
traité,  oti  -envoya  les  Allemands  j  qui  s'en  retournèrent  avec 
Jean  Cafimir  par  le  même  chemin  en  Lorraine ,  ôc  de  Lor- 
raine en  Allemagne.   Cafimir  revint  auprès  de  fon  père  à 

Heidelberg 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIL        417 

Heidelberg ,  oii  Guillaume  de  NafTau  d'Orange  ,  qui  avoit  de- 
puis long-tems  quitté  les  Payis-bas,  l'attendoit ,  pour  lui  deman-     ] 
der  des  fecours  contre  les  violences  du  duc  d'Albe,  Ôc  com-  ^^_^le 
me  ille  difoit ,  pour  la  défenfe  de  la  Religion. 

Apres  cela  on  rendit  les  villes  ôc  les  places  qu'on  avoit  pri-  15^^» 
fes  pendant  la  guerre,  SoifTons^  Auxerre,  Orléans,  Blois  &c 
la  Charité.  Les  Proteftans  ne  purent  obtenir  pour  garantie  que 
ia  parole  du  Roi  &  de  la  Reine ,  qu'ils  avoient  Ci  fort  ofFenfez, 
&  qui  reflentoient  très-vivement  la  dernière  injure  ,  qu'ils 
croyoient  avoir  reçue,  La  plupart  des  Proteftans  en  furent  in- 
dignez ,  ôc  jugèrent  que  cette  paix  n'étoit  qu'apparente  ,  ôc 
qu'elle  cachoit  quelque  piège  qui  leur  étoit  tendu.  L'événe- 
ment vérifia  bien-tôt  ce  prefTentiment. 

Le  Roi  envoya  àTouloufe  Rapin,  un  des  Gendlshommes  Conduite 
du  prince  de  Condé  ,  qui  s'étoit  extrêmement  diftingué  dans  ^"  TollSr 
le  Languedoc  pendant  les  dernières  guerres  j  ôc  qui  étoit  par 
là  devenu  odieux  aux  Touloufains.  Il  étoit  chargé  des  ordres 
de  fa  Majefté  pour  prefler  l'enregiftrement  de  l'Edit.  Le  Par- 
lement le  fît  arrêter ,  le  condamna  pour  un  autre  fujet ,  à  ce 
qu'ils  difoient ,  ôc  lui  fit  couper  la  tête.  Le  prince  de  Condé 
iiidigné,en  porta  fes  plaintes  au  Roi,  qui  parut  entrer  dans 
fes  fentimens.  D'ailleurs  les  juges  les  plus  équitables  trouve-* 
rent  que  les  raifons  alléguées  par  le  parlement  de  Touloufe  > 
pour  fa  juftification,  n'étoient  pas  bonnes.  Mais  on  tomba  peu 
après  dans  des  tems ,  qui  délivrèrent  les  Touloufains  de  l'em- 
barras où  ils  étoient  pour  s'excufer  auprès  du  Roi  ôc  du  Prin- 
ce de  Condé,  ôc  l'on  eut  alors  bien  de  la  peine  aies  obliger  > 
;2près  quatre  lettres  de  Juffion ,  à  enregiftrer  l'Edit.  Ils  l'enre- 
giftrerent  enfin  ;  mais  avec  des  modifications  ôc  des  reftric- 
tions  qu'ils  eurent  foin  d'inférer  fecretement  dans  les  regiftres 
de  la  Cour. 

Fin  (iu  quarante-deuxième  Livre, 


Tome  F,  Ggg 


HISTOIRE 

D  E 

JACQUE      AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 

LIVRE    QVARANTE'TROISIEME. 

mM^Ê^m^mM^  o  u  r  nous  délafler  un  peu  du  trifte  dé- 

Charle  N  *  *  *  *  ^  ^  M  ^^^  ^^  "^os  malheureufes  affaires,  il  eft 

IX.       Il  ^  g^^^tJ^i  ^^  i  à  propos  de  jetter  les  yeux  fur  celles 

î  $  6S.    l4i  ^  M  T^    N  ^  l4  ^^^  étrangers.  Le  fils  de  Marie  ayant 

•Affaires d'£-  S  «î*  1  J        P  «  ^  P"^  poffefTion  du  thrône  d'Ecoffe^ôc 

GoiFe.  <:i5  ^  I^W^^-^è-i^l  A  0  ^^  puilfance  de  Jacque  comte  de  Mur- 

i  1  Zf!f^f  Z  II  ray  Régent  du  Royaume  fe  trouvant 

É  É  bien  établie  par  l'emprifonnement   de 

ivs^.;^./;«'?//;NV/;^/;„^î>;^;>;x*?^s*?.x??;.N*u^  j^  Renie ,  il  reftoit  encore  à  aflurer  la 

paix ,  qui  devoir  être  le  fruit  de  ces  changemens  par  un  gou- 
vernement équitable  ôc  fondé  fur  les  loix.  Pour  cela  le  Ré- 
gent réfolut  de  parcourir ,  au  commencement  du  printems,  tout 
le  Royaume  ,  pour  y  faire  des  affemblées  des  differens  Or- 
dres ,  &  réparer  les  brèches  faites  à  l'autorité  par  les  trou- 
bles ,  dont  l'Ecolfe  avoit  été  agitée  jufqu'alors.  Mais  com- 
me les  efprits  ôc  les  coeurs  des  Grands  n'étoient  pas  encore 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  XLIII.        ^i^ 

bien  réunis ,  plufieurs  accoutumez  à  la  licence  des  guerres  ci-  ______ 

viles  appréhendoient  le  repos  &  la  tranquillité  de  l'Etat:  d'au-  ' 

très  fepromettoient,  en  donnant  la  liberté  àla  Reine,  des  hon-  Charle 
neurs  Ôc  des  recompenfes  :  les  autres  enfin  fe  faifoient  un  agréa-       ^^' 
ble  fpe£lacle  des  troubles  &  des  divifions^qu'ils  fe  reprefentoient     15^8. 
comme  un  moyen  de  s'élever. 

De  ce  nombre  étoient  Guillaume  Metellan  6c  Jacque  Bai- 
four.  Tandis  que  Both>x'el  étoit  en  place,  ils  avoient  toujours 
marqué  une  haine  extrême  pour  lui,  ôc  quoi  qu'on  fût  perfua- 
dé  qu'ils  n'avoient  pas  ignoré  le  complot  fait  pour  tuerie  Roi, 
ils  avoient  depuis  ce  tems  là  paru  fort  oppofez  à  la  Reine. 
Mais  voyantBothwel  culbuté,  ilspenferentàla  remettre  en  li- 
berté ,  efperant  par  ce  fervjce  obtenir  plus  aifément  l'impu- 
nité de  leur  crime.  Les  Hamiltons  avoient  formé  le  même  def- 
fein,penfant  que  la  Reine  étant  remontée  fur  le  thrône.  Une 
feroit  pas  difficile  de  fe  défaire  d'un  enfant ,  dont  l'ombre  avoit 
fervi  à  l'en  faire  defcendre  i  que  par  ce  premier  pas,  ils  fe  trou- 
veroient  d'un  degré  plus  proche  de  la  royautés  qu'après  cela 
il  n  y  auroit  plus  ni  peine  ni  danger  à  faire  périr  une  Reine ,  qui 
feroit,  comme  ils  s'imaginoient,  en  horreur  à  tout  le  Royaume , 
qui  fe  conduiroit  en  tyran,  &  qui  s'abandonneroit  à  fon  hu- 
meur naturellement  cruelle.  George  Gordon  comte  de  Huntley, 
ArgatheLôc  Guillaume  Murray  Tilibourdin,fe  joignirent  à  eux. 

D'un  autre  côté  leRegenr,bien  loin  de  perdre  courage,  s'ar- 
moit  d'une  fermeté  inébranlable,  ôc  comme  il  n'ignoroit  aucu- 
ne des  conjurations  qu'on  tramoit  contre  lui ,  il  fe  confoloit, 
en  fe  difant  à  lui-même,  que  puifqu'il  lui  falloit  un  jour  per- 
dre la  vie  ,  il  ne  pouvoir  la  perdre  plus  glorieufement ,  qu'au 
milieu  des  peines  qu'il  fe  donnoit  pour  procurer  la  paix,  ÔC 
la  tranquillité  de  TEtat.  On  convoqua  une  affemblée  à  Glafco  w. 
Pendant  que  les  Etats  s'affembloient ,  on  gagna  les  gardes  de 
la  Reine,  qui  étoit  enfermée  dans  le  château  du  Lac  Levin, 
ôc  on  la  mit  en  liberté.  George  Duglas  frère  utérin  du  Régent, 
avoit  préparé  toutes  les  choies  nécelTaires  à  fon  évafion.  C'é- 
toit  un  jeune  homme  d'un  efprit  très-doux,  ôc  qui  pouvoir  bien 
à  fon  âge  fe  laifler  gagner  par  des  carefTes.  Auili  le  Régent  par 
précaution  l'avoir  éloigné.  Les  officiers  du  château  étoient  à  .  ^^,  ^^'"^ 
tabie,lorlqu  on  leur  vint  dire  que  la  Reine  s  etoit  fauvee  lur  un 
petit  vaiflfeau.  Ils  firent  inutilement  bien  du  bruit  ;  on  avoit  eà 

Ggg  ij 


420  HISTOIRE 

la  précaution  de  tirer  routes  les  petites  barques  à  terre,  ôcde 


"~  ~  boucher  tous  les  trous  par  où  l'on  pafie  les  rames  ,  enforte  qu'il 

^^^^^  ne  fut  pas  poffible  de  la  pourfuivre. 

La  Reine  trouva  à  l'autre  bord  du  lac  des  chevaux.  Elle  fut 
^  conduite  dans  les  maifons  de  ceux  qui  avoient  procure  fon  éva- 

fion  ,  &  le  lendemain ,  qui  e'toit  le  5  de  Mai ,  elle  arriva  à  Ha- 
milton ,  à  cinq  milles  de  Glafcow.  Là  ayant  pris  les  témoi- 
gnages de  Robert  Melvin  ôc  autres  ,  ôc  ayant  produit  la  pro- 
teftarion  qu'elle  avoir  faite ,  fuivant  le  confeil  de  Nicolas  de 
Trochmorton  ambalTadeur  d'Angleterre  j  les  Seigneurs  &  les 
Gentilshommes  qui  s'y  trouvèrent,  déclarèrent  unanimement 
que  la  cefTion  du  Royaume  faite  par  la  Reine ,  en  prifon ,  pro- 
venant d'une  crainte  j  qui  peut  faire  imprelTionfur  l'homme  le 
plus  ferme ,  étoit  vaine ,  6c  de  nul  effet.  On  en  dreffa  un  a6te 
.  public  ôc  folemnel  j  qui  fut  confirmé  par  le  ferment  de  la  Rei- 
ne. Ce  changement  dans  les  affaires  en  apporta  beaucoup  dans 
les  efprits.  Un  grand  nombre  prenant  de  nouveaux  fentimens, 
ou  manifeftant  ceux  qu'ils  tenoient cachez,  abandonnèrent  le 
parti  du  Régent  ôc  du  Roi  mineur.  On  remarqua  entre  les  au- 
tres Robert  Eoyd  d'une  ancienne  maifon,  mais  né  avec  une 
fortune  très-mediocre^  qui  paffoit  pour  un  homme  ferme  ôc 
habile,  ôc  qui  par  un  changement  étonnant  s'étant  rangé  du  cô- 
té delà  Reine ,  auiïi-tôt  qu'elle  fut  mife  en  liberté,  entraîna  avec 
lui  Gilepfic  Cambell  comte  d'Argathel.  Il  écrivit  cependant 
à  Morton  pour  juftifier  fa  conduite,  ôc  lui  manda  qu'il  nefe- 
roit  peut  -être  pas  moins  utile  au  Roi,  que  s'il  avoit  relié  dans 
fon  parti. 

On  délibéra  enfuite  dans  le  Confeil ,  qui  fe  tenoit  chez  le 
Régent,  fi  on  devoit  demeurer  à  Glafcow,  ou  s'il  falloir  aller 
trouver  le  Roi  à  Sterlin.  Plufieurs  étoient  de  ce  dernier  avis: 
ils  prétendoient  qu'il  n'y  avoit  pas  de  fureté  à  demeurera  Glaf- 
cow,  àcaufede  la  proximité  d'Hamilton,  ôc  dans  une  conjonc- 
ture où  tant  de  perfonnes  fe  rangeoient  de  l'autre  côté.  Le  com- 
te de  Murray  foûtenoit  au  contraire  que  tout  dépendoit  des 
commencemens  ■>  qu'un  départ  fi  femblable  à  une  fiiite  les  des- 
honoroit ,  qu'ils  ne  dévoient  rien  éviter  avec  plus  de  foin,  que 
d'être  foupçonnez  d'avoir  peur,  afin  de  ne  pas  décourager  ceux 
qui  demeuroient  dans  leur  parti ,  en  infpirant  un  nouveau  cou- 
rage à  leurs  ennemis  j  qu'il  leur  reftoit  encore  dans  le  voifinage 


D  E  J.  A.  DE   THOU,Liv.   XLIIL        421 

alTez  demaifons  riches  &puiiïantes,  capables  de  les  foûtenir,  __!? 

jufqu'à  ce  qu'il  leur  vînt  des  fecours  de  plus  loin.  Cet  avisl'em-  C  harlE 
porta.  Cependant  l'ambafTadeur  de  France  alloitfanscefTe  de       jx. 
côté  &  d'autre  pour  concilier  les  deux  partis.  1  c  5  8. 

La  Reine  avoit  déjà  plus  de  fix  mille  cinq  cens  hommes 
fous  les  armes  ;  le  Régent  en  avoit  à  peine  quatre  mille.  Ceux- 
là  ne  faifoient  qu'augmenter  ôc  fe  fortifier,  ôc.  ceux-ci  dimi- 
nuoient ,  ôc  s'affoibliiToient  chaque  jour.  Les  chefs  du  parti  de 
la  Reine  avoient  réfolu  de  la  laifler  à  Dunbritton ,  d'aller  par 
delà  Glafcow  ,  de  faire  la  guerre ,  ôc  de  conduire  l'armée  à 
leur  fantaifie.  Le  Régent  mit  promptementfes  troupes  en  cam- 
pagne, ôc  ayant  appris  que  la  Reine  marchoit  de  l'autre  côté 
de  la  rivière  ,  il  fit  pafler  fon  infanterie  deflus  le  pont ,  ôc  la 
cavalerie  i  par  des  guez  que  la  mer  forme  en  fe  retirant  dans 
le  tems  de  fon  reflux,  ôc  il  leur  donna  ordre  de  gagner  en  di- 
ligence le  village  de  Lofid  fitué  fur  la  rivière  de  Catcarth  au 
pied  d'une  colline.  Lachofe  réuflit,  ôc  l'armée  du  Régent  s'em- 
para de  la  colline ,  que  l'armée  de  la  Reine  vouloir  gagner  la 
première,  où  elle  nepût  arriver  a  OTez-tôt,  parce  que  le  comte 
d'Argathel  étant  tombé  malade  ne  put  marcher  afîez  vite. 

L'armée  de  la  Reine  fe  voyant  prévenue  par  l'armée  du  Ré- 
gent, s'empara  d'une  petite  colline  qui  étoit  vis-à-vis,  ôc  fe  par- 
tagea en  deux  corps.  On  mit  dans  le  premier  les  principales 
forces  ,  afin  que  s'il  ébranloit  ôc  rcnverfoit  le  corps  des  enne- 
mis ,  qui  lui  feroit  oppofé ,  il  pût  répandre  la  terreur  Ôc  la  conf- 
ternation  dans  le  refte  de  l'armée  ,  ôc  la  défaire  fans  peine  ôc  fans 
combat.  Le  Régent  mit  fon  armée  fur  deux  ailes ,  Jacque  Du- 
glas  de  Morton^  Robert  Sempill,  Alexandre  de  Humes,  ôc 
Patrice  baron  de  Lindfey  ,  chacun  avec  fes  vafiaux ,  étoient 
à  la  droite.  Jean  comte  de  Marre  ,  Alexandre  comte  de  Glen- 
carn ,  Guillaume  comte  de  Terck  étoient  à  la  tête  de  l'aîle 
gauche.  Les  arquebufiers  étoient  dans  le  village  au-deffous  de 
la  colline ,  ôc  dans  les  jardins  le  long  du  grand  chemin. 

L'artillerie  de  la  Reine  fut  d'abord  démontée  par  celle  du 
Roi  i  mais  d'un  autre  côté  la  cavalerie  du  Roi,  qui  étoit  de 
la  moitié  moins  nombreufe ,  fut  enfoncée  par  celle  de  la  Reine. 
Ces  cavaliers  ayant  fini  leur  combat  avec  la  cavalerie  duRoi , 
voulurent,  pour  rompre  aufli  l'infanterie ,  monter  fur  la  colline: 
mais  les  archers  du  Roi ,  ôc  une  partie  des  cavaliers ,  cjui  après 


422  HISTOIRE 

avoir  fuï  étoîent  venus  fe  rejoindre  à  leur  corps,  les  repoufîe- 
Char  LE  ^^^^'  Pendant  ce  rems-là  l'aîle  gauche  marchant  par  le  grand 
IX.       chemin  ,  qui  par  une  pente  douce  conduit  de  la  colline  à  la 
i  c  (S  s.     vallée ,  malgré  le  feu  des  arquebufiers  de  la  Reine  fortit  en- 
fin de  ce  deftlé,  &  fe  mit  en  bataille. 

Alors  les  deux  infanteries  ayant  formé  de  part  &  d'au- 
tre une  efpece  de  pallifTade  avec  leurs  piques ,  combattirent 
fans  plier  pendant  une  demi-heure  ,  avec  tant  d'acharnement 
&  d'opiniâtreté ,  que  ceux  dont  les  hallebardes  furent  rompues , 
jettoient  à  la  tête  de  leurs  ennemis  leurs  dagues  ou  poignards, 
des  pierres ,  les  morceaux  de  leurs  lances  ,  ôc  tout  ce  qu'ils 
pouvoient  trouver  fous  leurs  mains. 
La  Reine  Dans  les  derniers  rangs  de  l'armée  du  Régent,  les  foldats 
parkRe"ent  commençoient  à  fuir  ,  foitpar  crainte,  foit  pour  quelqu'autre  ^ 
raifon  5  ôc  Ci  les  rangs  du  milieu ,  qui  étoient  très-ferrés  ,  n'a- 
voient  pas  empêché  que  ce  mouvement  ne  fe  fit  fentir  aux 
premiers,  tous  fe  feroient  fans  doute  débandez.  Mais  la  fe- 
conde  ligne  venant  à  la  charge ,  ôc  fe  joignant  à  la  première, 
renouvella  le  combat  avec  tant  de  violence  ,  que  la  ligne  op- 
pofée  de  l'armée  de  la  Reine  ne  pouvant  y  refifter ,  fut  mife  en 
déroute,  ôc  obligée  de  prendre  la  fuite.  Cependant  le  Régent 
fît  cefler  le  carnage  ;  foit  par  un  fentiment  d'humanité  ôc  de 
douceur  ;  foit  qu'il  appréhendât  qu'en  pourfuivant  les  fuyards  , 
fes  troupes  ne  rompiffent  leurs  rangs ,  ôc  que  s'il  y  avoir  en- 
core quelque  corps  de  troupes  fraîches  dans  l'armée  ennemie, 
il  ne  vînt  fondre  fur  elles ,  ôc  leur  arracher  la  vidoire  des  mains. 
Il  y  eut  dans  l'armée  de  la  Reine  environ  300  hommes  de 
tués  ,  ôc  un  plus  grand  nombre  de  prifonniers. 

La  Reine ,  qui  étoit  affez  proche  pour  voir  ce  qui  fe  pafToit, 
perdit  toute  efpérance  ,  ôc  réfolut  de  fe  retirer  en  Angleterre. 
Elle  fit  ce  jour-là  environ  60  milles  de  chemin  î  ôc  marchant 
enfuite  pendant  plufieurs  nuits ,  elle  arriva  chez  le  baron  de 
Heris.  De  là  elle  envoya  fans  différer  Jean  de  Béton  à  la  rei- 
ne d'Angleterre  ,  pour  lui  apprendre  le  trifte  état  de  Ces  affai- 
res ,  ôc  pour  mettre  fa  perfonne  ôc  fon  Royaume  fous  fa  gar- 
de ôc  fa  protection. 

C'eft  ainfi  qu'une  armée  plus  nombreufe  fut  vaincue  par^ 
celle  que  fon  petit  nombre  lui  rendoit  méprifable  :  Exemple 
qui  doit  apprendre  aux  gens  de  guerre  à  refpcder  ôc  craindre 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIIL      425 

leurs  ennemis ,  ôc  à  ne  pas  perdre  par  trop  de  confiance  les  —■■»»■■■■-  : 

faveurs  de  la  Fortune.  Cette  vidoire  fut  remportée  lei3de(]|_j^j^LE  ^ 
Mai.  Le  Régent  s'avança  le  lendemain  dans  la  vallée  de  Cli-       j  ^ 

defdale  ,  ôc  s'empara  d'Hamilton ,  &  de  Draffen  ,  deux  pla-     1  ^  ^  3  ] 

ces  entièrement  dégarnies.  Il  convoqua  enfuite  l'aflemblée  des  i 

Etats  à  Edimbourg.  Pour  empêcher  cette  affemblée  t  le  comte  > 

d'Argathel  j  accompagné  d'environ  600  de  fesparens  ôc  de  fes  ' 

vafTaux  ,  s'avança  jufqu'à  Glafcow  ?  ôc  Huntley  avec   1000  i 
hommes  de  pied  vint  jufqu'à  Berth.  On  fit  auffi  courir  le  bruit 

que  Sebaftien  de  Luxembourg  de  Martigues  alloitau  premier  ] 

jour  pafler  en  Ecoffe-,  avec  des  troupes  auxiliaires  de  France,  i 

comme  cela  étoit  autrefois  arrivé.  j 

Marie,  un  peu  remife  de  fa  première  frayeur  ,  prit  contre   la  Reine  fe 

l'avis  de  £es  Partifans  la  réfolution  de  partir  ,  avant  que  Béton  '^^"'«^  ^''  ^"'  ] 

fut  revenu.  Elle  monta  fur  une  Barque^  ôc  prit  pour  compa-  '^    ^^^^'  \ 

gnons  de  fon  voyage  le  comte  de  Heris ,  chez  qui  elle  logeoit,  i 

ôc  le  comte  de  Fleming.  Elle  aborda  à  Wirkinton  en  Cum-  \ 

berland ,  à  l'embouchure  du  Derwent  Me  18  de  Mai.  Le  mê-  - 

me  jour  elle  écrivit  de  fa  main  à  Elifabeth  une  lettre,  dans  la-  \ 
quelle  reprenant  fes  anciennes  plaintes  fur  les  entreprifes  de  fes 

fu}ets  rebelles  ,  elle  lui  racontoit  comment  elle  avoit  été  for-  j 

cée  de  fe  démettre  de  la  Royauté  i  de  quelle  manière  Dieu  \ 

i'avoit  tirée  de  prifon ,  ôc  comment  fon  armée  ayant  été  bat-  ] 
tue  par  les  rebelles  fur  le  chemin  de  Dunbritton  ,  elle  s'étoit 

retirée  chez  le  baron  de  Heris.  Enfin  elle  la  prioit  de  vouloir  i 

bien  la  recevoir  dans  fes  Etats ,  ôc  lui  faciliter  les  moyens  de  ] 

l'aller  trouver  î  afin  qu'elle  pût  expofer  fes  malheurs  à  une  Rei-  i 

ne,  qu'elle  avoit  toujours  regardée  comme  fa  prote£lrice  ,  ôc  I 
en  qui  elle  avoit  mis  fon  efpérance ,  ôc  prendre  avec  elle  des 

mefures  pour  recouvrer  fa  couronne.  j 

Dès  qu'Elifabeth  eut  reçu  la  lettre  de  Marie  ,  elle  lui  envoya  j,S^"[5^"/jJ*^  v  ' 
par  François  Knollesune  réponfe  ,  dans  laquelle  elle  tâchoitde  l'égard  de  h  \ 
la  confoler,ôc lui  promettoitf^  bons  offices,pour  la  remettre  fur  ^'^j.'^^  •^'•^-  | 
le  trône.  Mais  elle  lui  refufoit  la  permiiïion  de  venir  à  la  Cour,  '  ' 
ôc  elle  ordonnoit  àLouder  gouverneur  de  Carlile  ,  de  la  con-  | 
duire  dans  cette  ville  ,  afin  qu'elle  fût  plus  à  l'abri  des  courfes  ' 
de  fes  ennemis.  Marie  ne  laifTa  pas  defolliciter  vivement  une  i 
entrevue  avec  Elifabeth  ,  par  le  baron  de  Heris  :  mais  ne  pou- 
vant l'obtenir ,  elle  demanda  au  moins  qu'il  lui  fût  permis  de  • 

I  ou  Berwen.  ! 


424  HISTOIRE 

j  fe  retirer  où  elle  voudroit  ;  afin  qu'il  ne  paTÛt  pas  qu'une  Rei- 

Cha  RLE  ^"^^  '  ^  ^^^  ^^^^  avoir  eu  recours  dans  fon  affli£lion,  la  retenoit 
JX.  à  Carliîe  ,  comme  dans  une  prifon  ,  contre  la  parole  qu'elle 
I  S*  5  8.  ^"^  avoit  donnée.  Cela  fit  naître  des  foupçons  &  des  défian- 
ces entre  les  deux  Reines  j  l'une  regardant  comme  une  injure 
le  refus  qu'on  faifoit  de  la  recevoir  i  ôc  l'autre  difant  que  l'An- 
gleterre n'étoit  pas  encore  aflfez  paifible ,  pour  qu'elle  pût  fû- 
renient  recevoir  à  la  Cour  une  Reine,  fa  parente  ôc  héritière 
de  fon  Royaume. 

Puifqu'Elifabeth  ne  vouloit  pas  recevoir  Marie,  il  fembloit 
qu'elle  n'avoit  point  d'autre  parti  à  prendre  que  celui  de  la 
renvoyer  honnêtement.  Mais  ce  parti  avoit  aulTi  fes  dangers^  car 
il  étoit  à  craindre  que  la  reine  d'Ecofle,  piquée  de  ce  renvoi , 
ôc  ayant  d'ailleurs  le  talent  de  perfuader ,  ne  regagnât  les  cœurs 
de  plufieurs  de  fes  fujets,  Ôcne  rendît  fenfibles  à  fes  malheurs, 
non-feulement  les  EcolTois ,  mais  même  ceux  des  Anglois  qui 
pourroient  être  ébranlez  par  des  motifs  de  Religion.  Ainfi  , 
comme  il  y  avoit  du  danger  à  laifler  échapper  une  Princefle, 
que  la  Fortune  avoit  mife  entre  fes  mains  ,  ôc  qu'elle  ne  pouvoit 
la  retenir,  fans  fe  rendre  extrêmement  odieufe  ;  Elifabeth  prit 
un  milieu  ,  par  lequel  elle  crut  pouvoir  en  même-tems  ménager 
toutes  les  têtes  couronnées ,  intereffées  dans  la  caufe  de  la  rei- 
ne d'Ecoffe ,  6c  profiter  de  la  bonne  fortune  qui  fe  préfentoit 
à  elle ,  ôc  qui  la  rendoit  maîtreffe  de  la  perfonne  d'une  Reine  , 
à  qui  fes  malheurs  donnoient  lieu  ou  impofoient  lanécelîitéde 
demeurer  honnêtement  dans  fes  Etats. 

Elifabeth  écrivit  donc  au  Régent ,  pour  le  prier  de  différer 
raffemblée  des  Etats  ,  ôc  de  ne  point  précipiter  le  jugement 
ôc  la  condamnation  de  fes  ennemis  ;  mais  d'attendre  qu'elle 
fût  informée  de  tout  ce  qui  s'étoit  paffé  :  pa):ce  qu'elle  ne  pou- 
voit fe  difpenfer  honnêtement  d'écouter  une  Reine,  fa  voifine 
ôc  fa  proche  parente ,  qui  fe  plaignoit  d'un  affront  fignalé  , 
qu'elle  difoit  avoir  reçu  de  fes  fujets.  On  tint  néanmoins  les 
Etats ,  dans  lefquels  Guillaume  Metellan  ,  dont  l'attachement 
pour  le  parti  contraire  n'étoit  pas  douteux  ,  fut  d'avis  d'en  con- 
damner un  petit  nombre  ,  pour  faire  trembler  tous  les  autres  ; 
ôc  de  faire  efperer  le  pardon  ôc  la  grâce  à  ceux  qui  voudroient 
fe  repentir  ôc  rentrer  dans  leur  devoir.  Cet  avis  entrain  a  la  plu- 
ralité des  fuffrages ,  malgré  les  murmures  ôc  les  plaintes  de 

plufieurg 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIII.     425' 

plufieurs ,  qui  prévoyoient  que  cette  conduite  ne  ferviroit  qu*à 
rendre  leurs  ennemis  &  plus  opiniâtres  &  plus  puiflans.  Le  Re-  Charli 
gent  pafTa  de  là  dans  l'Annandale,  dans  le  Nithefdale ,  &  dans        IX. 
le  bas  Galloùay  ,  où  il  fe  rendit  maître  de  toutes  les  places  ,     i  5  (5  8. 
punifTant  ou  recevant  en  grâce  les  Seigneurs.  Il  en  fut  rappelle 
par  les  lettres  d'Elifabeth ,  qui  lui  furent  rendues  par  Walter 
Mildmor.  Cette  Princefle  fe  plaignoit ,  non-feulement  de  l'in- 
jure faite  à  la  reine  d'EcofTe  fa  parente ,  mais  encore  de  l'af- 
front qui  en  réjailliroit  fur  tous  les  Souverains  >  fi  la  Majefté  roya- 
le étoit  impunément  expofée  à  la  fureur  des  féditieux.  Elle  ajoû- 
toit  que  l'affaire  de  la  reine  d'Ecoffe  étoit  l'affaire  de  tous  les 
Princes  ;  ôc  qu'il  étoit  de  leur  intérêt  d'empêcher  les  fuites ,  que 
pouvoir  avoir  l'exemple  pernicieux  d'un  fi  énorme  attentat.  Elle 
fîniffoiten  priant  le  Régent,  de  lui  envoyer  des  perfonnes  en  état 
de  lui  apprendre  tout  ce  qui  s'étoitpaffé,  ôc  de  répondre  à  tout 
ce  qu'on  répandoit  contre  lui  de  vrai  ou  de  faux. 

Le  Régent  fut  très-fâché,  ôc  regarda  comme  une  chofe 
peu  honorable  pour  lui ,  de  rendre  compte  à  une  Puiffance 
étrangère  de  ce  qui  s'étoit  fait  en  Ecoffe.  Cependant ,  com- 
me il  appréhendoit  que  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  étoit  très- 
puififant,  ôc  qui  promettoit  à  la  reine  Marie  de  l'appuyer  ^^de 
toutes  les  forces  de  la  France,  n'attirât  dans  le  parti  de  la  Rei- 
ne un  grand  nombre  d'Ecoffois  ^  ôc  qu'il  voyoit  d'ailleurs 
qu'en  choquant  la  reine  d'Angleterre,  il  n'auroit  plus  de  ref- 
fources  contre  les  difîicultez  qu'il  avoit  à  furmonter ,  il  fe  ren- 
dit enfin ,  quoiqu'à  regret.  On  réfolut  donc  d'envoyer  à  Eli- 
fabeth  une  magnifique  ambaffade  :  comme  on  étoit  embar- 
raffé  furie  choix  des  Ambaffadcurs,les  plus  grands  Seigneurs 
s'excufant  d'y  aller  ,  le  Régent  dit  qu'il  iroit  lui-même  ,  ÔC 
il  prit  pour  l'accompagner  le  comte  Guillaume  Metellan  , 
(qui  lui  étoit  à  la  vérité  très-fufpeâ ,  mais  qu'il  croyoit  plus  dan- 
gereux de  laiffer  chez  lui  dans  destems  fi  fâcheux  )  les  comtes 
Jacque  Douglas  ,  ôc  Patrice  Lindfey  ,  pour  les  Seigneurs  : 
pour  l'état  Eccléfiaftique,  Adam  évêque  d'Orkney ,  ôc  Robert 
abbé  de  Dumfermiling:  ôc  pour  le  Tiers  état,  Jacque  Mac- 
Gilly  ,  ôc  George  Buchanan ,  qui  a  écrit  l'Hiftoire  d'Ecoffe. 
Le  Régent  fe  mit  en  chemin  avec  eux  ,  ôc  le  4  de  Novem- 
bre ,  jour  deftiné  à  l'alTemblée ,  il  entra  dans  la  ville  d'Yorck.  ^  ^'=/<^6f"c 
Le  même  jour  ôc  preiqu  a  la  même  heure ,  Thomas  Howard  giccerre. 
Tome  V^  Hhh 


4î(?  HISTOIRE 

duc  de  Nofthfolk  y  arriva  auflij  avec  Thomas  Ratellff  comte 

Char  LE  ^^  SufTex^ôc  le  Chevalier  Rodolfe  Sadleir.  Dès  ce  rems-là  le 
j  ^        duc  de  Northfolck  ,  ayant  perdu  fa  femme  j  traitoit ,  mais  fe- 
XK  6^.     cretement ,  de  fon  mariage  avec  la  reine  d'Ecoffe ,  ôc  le  comte 
de  Suffex  entroit  dans  le  fecret  de  cette  négociation. 

On  donna  en  même-tems  audience  aux  ambaffadeurs  de 
Marie,  qui  étoient  Jean  de  Lefley  évêque  de  Roffe;  Guil- 
laume baron  de  Levingfton ,  Robert  Boyd ,  Gauvin  abbé  de 
Kilewening,  Jean  Gordon  ,  ôc  Jacque  Cocborne  ,  qui  de- 
mandèrent que  les  Anglois  donnaflent  des  fecours  à  la  Reine 
pour  réduire  les  Rebelles ,  ôc  remonter  fur  le  Trône.  Le  Ré- 
gent prétendit  au  contraire  qu'on  n'avoir  rien  fait  que  fuivant 
les  règles  de  la  juftice  ôc  les  anciens  Décrets  ,  ôc  infifta  fur  l'ob- 
fervation  de  ce  quiavoitété  ordonné  par  les  Etats.  Lescom- 
miffaires  Anglois  dirent  qu'il  ne  leurfuffifoit  pas,  pour  bien  ju- 
ger la  caufe ,  d'avoir  les  décrets  de  la  nation  ,  dont  on  leur 
avoir  donné  copie  ,  fi  l'on  ne  leur  faifoir  voir  les  raifons  qui 
avoient  déterminé  les  Seigneurs  Ecoffois  à  prononcer  un  ju' 
gement  fi  rigoureux  contre  leur  Reine.  Le  Régent  s'en  ex- 
cufa  3  pour  n'être  pas  obligé  d'être  Taccufateur  de  fa  fœur  ôc 
de.  fa  «Reine ,  Ôc  de  découvrir  fes  crimes  à  des  étrangers  ,  qui 
les  écoûteroient  avec  plaifir.  En  un  mot,  il  déclara  qu'il  n'en 
feroit  rien  ,  que  la  reine  Elifabeth  n'eût  promis  qu'elle  pren- 
droit  le  jeuneRoi  fous  fa  prote£tion,  ôc  qu'elle  deviendroit  com- 
me fa  tutrice ,  au  cas  qu'on  lui  fît  voir  que  Marie  étoit  complice 
de  la  mort  du  Roi ,  qui  avoit  été  tué  par  fes  confeils.  Les 
Anglois  répondirent  qu'ils  n'avoient  pas  les  pouvoirs  néceflai- 
res  pour  prendre  cet  engagement ,  mais  qu'ils  en  écriroient 
à  la  Reine.  Elifabeth  manda  que  les  Ecoflbis  du  parti  du  Roi 
lui  envoyaflent  un  ou  plufieurs  députés. 

Le  Régent  députa  Guillaume  Metellan  5  ôc  comme  il  s'en 
défioit  ,  ôc  qu'il  le  regardoit  moins  comme  fon  partifan ,  que 
comme  fon  efpion ,  qui  étoit  en  commerce  avec  le  duc  de 
Northfolck ,  il  lui  donna  pour  adjoint  le  Jurifconfulte  Mac- 
Gilly.  Ils  vinrent  à  Londres  :  mais  comme  ils  n'expliquoient 
pas  aflez  clairement  l'affaire  ,  on  fouhaita  que  le  Régent  lui- 
même  y  vînt ,  ôc  qu'il  s'expliquât  en  prefence  d'Elifabeth  fur 
les  articles  ,  dont  il  étoit  queftion.  Il  y  alla  donc  ,  mais  avec 
une  très -petite  fuite  j  ôc  ayant  été  admis  à  l'audience  de  la 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I  V.  XLIII.      427 

Reine ,  il  y  déclara,  comme  il  avoit  fait  dans  l'afTcmblée  d'York^  . 

qu'il  ne  fe  porteroit  pour  accufateur  de  la  Reine   dEcofle  ,  Charle 
qu'aux  conditions  qu'il  avoir  piopofées.  Pendant  ce  tems-là       IX. 
il  s'éleva  des  troubles  en  EcofTe,  excitez  principalement  par    i  r  ^  $, 
Jacque  Balfour ,  qui  Ht  courir  le  bruit  que  le  Régent  avoit 
promis  aux  Anglois  de  les  rendre  maîtres  du  royaume  ,  de 
leur  en  livrer  les  plus  fortes  places,  &  de  leur  donner  même 
le  Roi  en  otage. 

Le  Régent  fe  vit  alors  réduit  à  de  fâcheufes  extrêmitez. 
D'un  côté  il  étoit  obligé  de  retourner  promptement  enEcoffe 
pour  éteindre  le  feu  naiifant  d'une  guerre  civile  :  il  voyoit  de 
Tautre,  que  s'il  fe  féparoit  mal  d'avec  la  reine  d'Angleterre  , 
cela  nuiroit  extrêmement  aux  affaires  du  Roi.  Dans  ce  dan- 
ger qui  lui  fembloit  inévitable  de  l'une  ou  de  l'autre  part ,  il 
crut  devoir  intenter  auprès  d'Elifabeth  une  accufation  dans  les 
formes  contre  Marie,  dans  un  Confeil  où  étoient  le  duc  de 
Northfolck,  les  comtes  d'Arondel,  de  Suffex,  &  de  Leicef- 
tre,  E.  Clinthon  ,  Amiral ,  Guillaume  Cecil  baron  de  Bur- 
ghley  ,  ôc  Rodolphe  Sadieir.  Il  protefta  que  c'étoit  malgré 
lui  ,  ôc  par  les  importunitez  de  fes  ennemis  ,  qu'il  accufoit  fa 
Reine  6c  fa  fœur  ,  auprès  d'une  princeffe  étrangère ,  du  crime 
le  plus  énorme  :  Qu'il  ne  l'accufoit  point  par  pafiion ,  ôc  pour  fe 
fatisfaire  mais  uniquement  par  la  nécefîité  où  il  fe  trouvoit  de 
fe  juftiHer  :  Que  c'étoit  enfin  par  force  ôc  à  regret  qu'il  décou- 
vriroit  des  chofes ,  qu'il  auroit  voulu  enfevelir  dans  un  éternel 
oubli. 

Après  cette  proteftation,  le  Régent  raconta  par  ordre,  com- 
ment tout  s'étoit  paffé  >  il  produifit  les  depofitions  des  com- 
plices de  la  mort  du  Roi ,  telles  qu'ils  les  avoient  faites  avant 
leur  mort ,  ôc  les  décrets  des  aflemblées  des  Etats  ,  foufcrits 
par  la  plupart  de  ceux  qui  fuivoient  alors  la  Reine,  ôc  quifac- 
cufoient(  lui  Régent)  d'avpir  eu  part  à  l'aflaflinat  du  Roi.  En- 
fin il  fît  apporter  le  petit  coffre  d'argent  dont  nous  avons  parlé, 
que  la  Reine  Marie  avoit  reçu  de  François  II.  roi  de  France 
fon  premier  mari ,  qu'elle  avoit  donné  à  Bothwel ,  ôc  dans  le- 
quel on  trouva  des  lettres  qu'elle  lui  avoit  écrites  de  fa  pro- 
pre main  en  François ,  avec  des  vers  en  cette  langue  ,  compo- 
lez  par  cette  Princeffe.  Ceux  qui  ont  écrit  ces  faits  ,  ajoutent 
que  le  Régent  fit  voir  trois  contrats  de  mariage;  le  premier 

Hhhij 


428  HISTOIRE 

««^«-^  écrit  de  la  main  de  la  Reine  avant  la  mort  du  Roi  >  par  lequel 

Char  LE  ^^^^  s'obligeoit  ôc  promettoità  Bothwel  del'époufer,  auffi-tôt 

I X        qu'elle  feroit  libre  ôc  maîtrefle  de  fes  volontez  j  le  fécond 

j  -  ^  0     écrit  de  la  main  de  Gordon  de  Huntley  ,  avant  le  divorce  de 

Both\(^el  avec  fa  première  femme  ?  Ôc  le  troifiéme  paffé  publi-, 

quement  dans  le  tems  de  la  célébration  du  mariage. 

Comme  les  lettres  ôc  les  vers  ,  qui  paroiflbient  écrits  de  la 
propre  main  de  Marie  ,  étoient  fans  (ignature  ôc  fans  date  , 
on  objedoit  qu'il  arrivoit  fouvent ,  que  fuivant  une  mauvaife 
coutume  ,  les  Princes  avoient  auprès  d'eux  des  hommes  fi  ha- 
biles à  contrefaire  les  écritures ,  que  fouvent  on  ne  pouvoit  dif- 
tinguer  l'original  d'avec  la  copie  ,  Ôc  le  vrai  d'avec  le  faux.' 
En  effet  le  Secrétaire  Lidington  difoit  partout  à  l'oreille^  que 
très-fouvent  il  avoit  contrefait  en  cachette  l'écriture  de  la  Rei- 
ne. Malgré  cette  difficulté,  Elifabeth  parut  être  convaincue 
par  toutes  ces  preuves ,  elle  étoit  néanmoins  dans  une  efpece 
d'embarras ,  ôc  ne  fçavoit  quel  parti  prendre.  D'un  côté  elle 
trouvoit  l'occafion  de  fatisfaire  la  haine  qui  regnoit  depuis 
long-tems  dans  foncœur  à  fégard  de  Marie  qu'elle  n'avoir  ja- 
mais aimée ,  ôc  étoit  en  même-tems  frappée  du  crime  énorme 
dont  cette  Princefle  fembloit  atteinte  Ôc  convaincue.  D'un  au- 
tre côté  ,  elle  ne  pouvoit  s'empêcher  de  plaindre  le  fort  de  la 
Reine  d'Ecoffe  réduite  à  un  fi  déplorable  état,  ôc  dont  la  for- 
tune étoit  fi  changée.  Ce  qui  faifoit  plus  d'imprefiion  fur  fon 
efprit ,  étoit  le  titre  augufte  de  Reine ,  dont  Marie  étoit  revê- 
tue ,  ôc  la  crainte  d'autorifer  par  cet  exemple  l'ufage  de  dépo- 
fer  les  Souverains  5  ufage  qui  par  là  pouvoit  s'introduire  dans 
les  autres  Royaumes.  Quoique  l'ambafTadeur  du  roi  d'Efpa- 
gne  eût  promis  d'employer  fes  bons  offices  pour  Marie  ,  il 
ne  parut  point  dans  cette  affaire.  Mais  les  Ambaffadeurs  de 
France  firent  les  inftances  les  plus  vives ,  en  faveur  d'une  Prin- 
ceffe  déjfoûillée  de  fes  états  3  ôc  c'eft  principalement  ce  qui  dé- 
termina Elifabeth  à  donner  une  réponfe  ambiguë ,  ôc  à  diffé- 
rer de  prononcer  un  jugement ,  jufqu'à  ce  qu'elle  vît  quel  fe- 
roit le  fuccès  d'un  fi  grand  événement.  En  attendant  ;,  outre 
ceux,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  qui  compofoient  le  con- 
feil  le  jour  de  l'accufation  ,  elle  fit  difiribuer  des  copies  de 
la  procédure,  qui  contenoit  les  crimes  dont  on  accufoic  la  reine 
d'Ecoffe,  aux  comtes  de  Northumberland,  de  Weftmorland, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lîv.XLlII.       42^ 

de  Shropp,  de  Worchefter  i  de  Hungtingdon,  &  de  Warwick  :  --——---. 
elle  leur  ordonna  de  garder  un  profond  filence,  ôc  donna  au  Charl" 
Régent  lapermiflTion  de  s'en  retourner.  j  y 

Le  Régent  demanda,  que  fi  les  accufateurs  avoient  quelque  j  ^  <k 
chofe  à  lui  reprocher  ,  ils  comparufTent  avant  fon  départ,  afin 
qu'ils  ne  profitaffent  pas  de  fon  abfence  pour  le  calomnier. 
Oi\  fit  venir  les  Agents  chargez  de  la  procuradon  de  la  reine 
d'EcofiTe,  Ôc  on  leur  ordonna  de  déclarer  s'ils  avoient  quelque 
chofe  à  dire  contre  lui ,  ôc  contre  ceux  de  fon  parti.  Ils  ré- 
pondirent d'abord  qu'ils  ne  diroient  rien ,  qu'après  en  avoir 
reçu  des  ordres  exprès  de  la  Reine  leur  maîtrefle  ,  ôc  qu'elle 
auroit  été  elle-même  entendue  :  enfin  après  avoir  long-tems 
tergiverfé  ,  ils  furent  obligez  d'avouer  à  leur  confufion  qu'ils 
n'avoient  aucune  raifon  particulière  de  penfer  que  le  comte 
de  Murray  Ôc  fes  partifans  fulTent  complices  de  la  mort  du  Roi, 
Ainfi  fe  termina  l'afifemblée. 

Le  Régent  étoit  fur  le  point  de  partir ,  avec  les  autres  dé- 
putés, lorfque  Jacque  Hamilton  duc  de  Châtelleraud  ,  c-de- 
vant  Viceroi  3  arriva.  Ce  Duc,  rebuté  ôc  ennuyé  de  latriftefi- 
tuation  de  fes  affaires  ,  avoit  quitté  l'Ecofl^e  pour  paifer  en 
France.  Les  princes  de  Lorraine  ayant  appris  IWemblée  de 
Londre  ,  lui  avoient  donné  une  fomme  affés  modique  ,  ôc 
l'avoient  engagé  à  s'y  rendre  ,  pour  difputer  le  gouvernement  . 
du  Royaume  au  comte  de  Murray.  La  caufe  fut  plaidée  de- 
vant la  Reine  avec  beaucoup  de  chaleur.  Hamihon  préten- 
doit  que  fuivantles  loixdeprefque  toutes  les  Nations  ,ôc  prin- 
cipalement fuivant  les  ufages  du  royaume  d'Ecofile  ,  la  Ré- 
gence lui  appartenoit  comme  au  plus  proche  parent ,  ôc  à  l'hé- 
ritier préfomptif  de  la  couronne  3  ôc  il  appuyoit  fa  prétention 
fur  plufieurs  ej«emples  tirés  de  Phiftoire  d'Ecoffe.  Il  alleguoit 
encore  qu'il  avoit  été  exclu  de  la  Régence  ,  non  par  les  fuf- 
frages  d'une  afiemblée  légitime  j  mais  par  l'injuftice  ôc  la  vio- 
lence d'une  troupe  de  rebelles  :  ôc  ce  qui  étoit  encore  plus 
indigne  ,  qu'au  mépris  du  fang  ôc  de  la  parenté,  on  avoit  mis 
un  bâtard  en  fa  place.  Il  demandoit  donc  qu'on  lui  rendît  une 
dignité  qui  lui  étoit  dûëj  Ôc  il  affuroit  que  ce  feroit  le  moyen 
d'appaifer  en  peu  de  tems  tous  les  troubles  du  Royaume ,  ôc  de 
remettre  fans  peine   ôc  fans  violence  la  Reine  fur  le  trône. 

Les  ^mbaffadeurs  du  roi  d'Ecoffe  répliquèrent  qu'Hamilton 

Hhhiij 


Charle 

IX. 

I  ;  (5  8. 

43Ô  HISTOIRE 

demandoit  une  chofe  non-feulement  contraire  aux  loix  6c  aux. 
coutumes  anciennes  î  mais  encore  très-injufte  :  ôc  ils  firent 
voir  par  des  exemples  contr:'ives ,  que  l'adminidration  duroyau* 
me  avoit  toujours  été  confiée  ,  non  aux  plus  proches  pa- 
reils ,  mais  à  ceux  que  raflemblée  des  EratS  choili  Joit  comme 
les  plus  dignes  ôc  les  plus  propres  à  bien  gouverner.  Ils  dé- 
montroient  encore  Pinjuftice  de  cette  prétention  par  le  dan- 
ger des  fuites.  En  effet ,  y  a-t'il  rien  de  plus  injufte  ôc  déplus 
dangereux ,  difoient-ils ,  que  de  confier  la  tutelle  ôc  la  vie  d'un 
jeune  Roi  à  celui  qui  attend  ôc  qui  eft  intereffé  à  fouhaiter  la 
mort  de  fon  pupille  h  à  un  homme  que  la  foif  de  régner  peut 
rendre  cruel  ôc  inhumain  à  chaque  inftant ,  ôc  à  qui  le  dépôt 
de  l'autorité  facilite  les  moyens  de  rompre  la  foible  barrière 
qui  eft  entre  lui  ôcle  thrône  où  il  afpire,  ôc  de  franchir  un  ob^ 
ftacle  qui  ne  confifte  que  dans  la  vie  d'un  enfant. 

Ils  prouvèrent  la  vérité  de  ces  maximes  par  des  exemples 
étrangers  ;  ôc  ils  ajoutèrent  ,  qu'on  avoit  d'autant  plus  lieu 
de  l'appréhender  dans  cette  conjondure ,  qu'il  s'agifloit  d'une 
Maifon ,  qui  ne  s'étant  pas  contentée  d'avoir  afTaiïiné  le  bi- 
faveul  du  Roi  leur  maître  ,  s'étoit  efforcée  de  perdre  fou 
ayeul  maternel ,  ôc  avoit  tramé  contre  lui  des  complots  pen- 
dant toute  fa  vie  >  qui  ne  pouvant  pas  faire  mourir  fon  ayeul 
paterneh  l'avoit  enfin  déthrôné;  qui  avoit  facrifié  fon  père, 
ôc  qui  ne  pouvant  s'emparer  du  Royaume ,  avoit  vendu  fa 
mère  ôc  fa  couronne  à  des  étrangers.  Les  Ambaffadeurs  n'ajou- 
tèrent cette  dernière  circonftance,  que  pour  rendre  les  Fran- 
çois odieux ,  Ôc  pour  fe  faire  mieux  écouter  de  la  Reine  Eli- 
zabeth.  En  effet  dès  qu'elle  les  eût  entendus ,  elle  fit  dire  à 
Haniilton  par  i'aflemblée ,  que  fa  demande  étoit  injufte,  ôc  qu'il 
ne  devoit  attendre  aucun  appui  de  fa  part  :  que  les  ambaffa- 
deurs du  Roi  d'Ecoffe  l'avoient  priée  de  le  retenir  ,  jufqu'à  ce 
qu'ils  euffent  obtenu  la  permifTion  de  s'en  aller  5  parce  que  c'é- 
toit  uniquement  fa  prefence  qui  faifoit  toutes  les  efperances  de 
ceux  qui  tramoient  une  confpiration  en  Ecolfe  :  que  cette  de- 
mandelui  avoit  paru  jufte ;  Xju'elle  leleuravoit  promis  iqu'ainfî 
elle  lui  défendoit  de  fortir  de  fes  Etats  avant  leur  départ. 

Le  Régent  regardant  cette  réponfe  de  la  Reine  d'Angle- 
terre comme  une  déclaration  publique  de  fa  bonne  volonté 
pour  lui^réfolut  pour  mettre  Marie  encore  plus  mal  dans  fon 


DE   J.    A.    DE    T  H  O  U ,  Lrv.  XLIÎI.  451 

efprit,  de  lui  faire  voir  les  lettres  interceptées,  par  lefquelles  ^"■"^""  '^^  1 

cette  Princefife  fe  plaignoit  amèrement  qu'Elizabeth  l'avoit  trai-  C  h  a  r  l  e  : 

vée  indignement  contre  les  paroles  qu'elle  lui  avoit  données ,       IX,  ; 

&  faifoit  efperer  aux  Ecoffois  de  fon  parti  d'autres  fecours  que     i  j  5  8,  i 

ceux  dont  elle  s'étoit  flattée  de  la  part  de  l'Angleterre.  Eliza-  '     "  \ 

beth  fe  voyant  accufée  d'infidélité  &  de  manque  de  parole  ,  &  j 

trouvant  encore  d'autres  chofes  dans  ces  lettres ,  qui  pouvoient  i 

faire  craindre  de  nouveaux  troubles ,  réfolut  d'être  plus  fur  fes  j 

gardes  à  l'avenir ,  &  de  ne  pas  négliger  fes  propres  affaires  en  ; 

travaillant  à  celles  des  autres.  Le  Régent  prit  congé  de  cette  j 

Princefle ,  &  s'en  retourna  avec  les  autres  députez  en  Ecofle 
vers  la  fin  d^  l'année.  j 

Dans  cette  même  année ,  Colman ,  Button ,  Hallingham ,  Bei>    ori^ir.c  de* 
fon ,  &  d'autres  Anglois ,  qui  penfoient  de  la  même  façon ,  fe  per-  Paruaius,  , 

(uaderent ,  ou  au  moins  voulurent  faire  croire  qu'ils  avoient  des  ■ 

fentimens  plus  purs  &  plus  finceres  en  matière  de  Religion  &  de  i 

dodrine.  Ils  commencèrent  donc  à  attaquer  la  difcipline  reçue  : 

dans  l'Eglife  Anglicane ,  la  liturgie  &  l'autorité  des  Evêques.  ] 

Ils  prétendirent  qu'en  tous  ces  points  l'églife  d'Angleterre  étoit,  ■ 

au  moins  en  apparence ,  trop  conforme  aux  rits  &  ufages  de 
celle  de  Rome  ,  &  qu'il  falloit  ramener  toutes  fes  cérémonies  ■ 

&  tous  fes  ufages  à  la  difcipline  prefcrite  par  l'églife  de  Genè- 
ve. Quoique  la  Reine  les  fit  fur  le  champ  arrêter ,  ils  ne  laiife-  ,  i 
rcnt  pas  de  fe  faire  un  grand  nombre  de  fedateurs.  Quelques  j 
Evêques  donnèrent  dans  leurs  fentimens.  Une  grande  partie  j 
de  la  Nobleffe  s'y  attacha  ,  dans  l'efperance  de  s'enrichir  des  j 
biens  d'Eglife  ,  dont  ils  étoient  avides  ^  &  le  peuple  les  fuivit ,  i 
par  amour  pour  les  nouveautez ,  &  par  oppofition  pour  le  Pa-  , 
pe.  On  donna  dès  le  commencement  à  cette  fede  le  nom  de.  ; 
Puritains  :  elle  fit  depuis  de  grands  progrès  dans  toute  l'ide  ; 
elle  domine  maintenant  en  Ecolle ,  6c  elle  elt  fort  nombreufe 
en  Angleterre. 

Pendant  que  ceci  fe  paffoit  dans  la  grande  Bretagne  ,  la  mê-  Affaires  des 
me  année ,  vers  le  commencement ,  le  ducd' Albe  dans  les  Payis-  Payis-Bas. 
Bas  fit  citer  par  un  placard  affiché  publiquement  le  19  de  Jan-, 
vier  f  Guillaume  de  Naflau  prince  d'Orange ,  &  Antoine  Lal-^ 
lain,  comte  de  Hoocftrate.  Les  crimes  imputez  au  Prince  étoient,. 
qu'ayant  été  comblé  de  biens  &  d'honneurs  par  l'Empereur, 
Chaile  V.  honoré  de  l'ordre  de  la  Toifon  ,-fait  confcillcr 
Tonjf  F.  H  h  h  iiij  "" 


45^  HISTOIRE 

—■■■■■■■  I-  d'Etat  j  gratifié  du  Gouvernement  du  comte  de  Bourgogne ,  & 
Charle  de  ceux  de  Hollande ,  de  Zelande  &  d'Wtrecht,  il  n'avoit  eu 
IX.        ^"^  d^  l'ingratitude  pour  Philippe  fon  Roi  ^  fils  de  Charle 
X  ç  6S,     ^^"  bienfaiteur:  que  trahiflant  fon  honneur,  fon  ferment,  ôc 
fa  foi ,  il  avoir  conjuré  contre  fon  Prince  ,  &  penfé  à  fe  ren- 
dte  maître  des  Payis-bas  :  Qu'il  avoir  fait  des  courfes  en  Bra-^ 
bant  :  Qu'il  avoitfoUicité  les  peuples  à  la  révolte ,  en  leur  inf- 
pirant  une  terreur  panique  de  rinquifition  d'Efpagne  :  Qu'il 
avoittenu  à  Bruxelles  &  à  Breda  des  alîemblées  fecrettes  :  Qu'il 
avoit  engagé  Brederode ,  le  chef  <3c  le  flambeau  de  la  rébellion , 
à  fortifier  Vianen ,  &  qu'ayant  été  envoyé  à  Anvers ,  pour  ap- 
paifer  les  troubles ,  il  avoit  foulevé  le  peuple  en  faveur  des  hé^ 
réfiques. 

Le  comte  d'Hoocfirate  étoit  accufé  d'avoir  manqué  de  re- 
connoiflance ,  &  de  fidélité  pour  fon  Prince ,  après  en  avoir 
été  comblé  d'honneurs  5  d'être  entré  dans  tous  les  complots  du 
prince  d'Orange  -,  d'avoir  favorifé  toutes  les  entreprifes  des  re- 
belles, coupables  du  crime  de  leze-Majeftéj  d'avoir  fait  pu- 
bliera Malines,  contre  la  volonté  &  à  l'infcû  de  la  ducheile 
de  Parme  ,  une  ordonnance  en  faveur  des  féditieux  ;  &  de  s'ê- 
tre enfin  uni  avec  les  Conjurez  à  Dendermonde.  Cette  procé- 
dure fe  fit  à  rinftigation  &  à  la  requifition  de  Bofe  avocat  du 
Roi.  On  cita  encore  Louis  de  NalTau ,  les  comtes  de  Cuîem- 
bourg  &  de  Bergnes ,  Henri  de  Brederode  &  autres. 

Le  prince  d'Orange  &  le  comte  d'Hoccfirate  répondirent 
à  la  citation ,  par  un  long  mémoire  publié  à  Diilembourg  le  i  j 
d'Avril.  Après  s'être  juftifiés  fur  tous  les  chefs  de  la  citation, 
iljrejettoient  tous  les  maux  &  tous  les  troubles  des  Payis-bas 
fur  l'Inquifition  d'Efpagne ,  &  ils  faifoient  voir  par  bien  des  rai- 
fons ,  que  tout  cela  étoit  une  fuite  de  la  rufe  &  de  la  tyrannie 
des  Efpagnols ,  qui  fous  prétexte  de  Religion  en  vouloient  à 
la  liberté  de  leur  patrie ,  6c  tendoient  à  abolir  les  privilèges , 
les  exemptions  &  les  .anciens  droits  de  la  Flandre ,  &  à  rédui- 
re ce  payis  ci  un  trifte  &  miferable  efclavage.  îîs  s'élevoient 
enfui  te  avec  force  contre  l'éreâion  àes  nouveaux  Evcchez, 
contre  la  publication  du  concile  de  Trente ,  &  contre  l'ambi- 
tion démefurée  du  cardinal  Granvelle.  Enfin  ils  foûtenoient 
qu'ils  n'a  voient  rien  fait  que  dans  la  viië  de  conferver  leur  liber- 
té 3  &  d'alTurer  la  tranquillité  publiquel.' 

Cependant 


DEJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XLIII.       43^ 

Cependant  le  ducd'Albe  envoya  à  Louvain  arrêter  Philippe  _____^_ 
Guillaume  de  Naffaw ,  comte  de  Buren,  fils  du  prince  d'O-  Cu^i^le 
fange ,  qui  étudioit  dans  l'Univerfité  de  cette  ville.  On  le  con-       j  y 
duifit  d'abord  à  Anvers ,  enfuite  le  Duc  l'envoya  en  Efpagne,     »  ^  <<*  g 
011  il  fut  long-tems  retenu  comme  en  arrêt,  cependant  avec 
beaucoup  de  liberté.  Aufll-tôt  après  le  Duc  mit  une  forte  gar- 
nifon  Eipagnole  dans  Breda,  château  appartenant  au  prince 
d'Orange. 

Vers  le  même  tems  on  reçut  la  nouvelle  de  Pemprifonne-  y^  ^^°  r '^rlosi 
ment  de  Charle ,  plus  connu  fous  le  nom  de  Dom  Carlos,  prin- 
ce d'Efpagne ,  que  Philippe  fon  père  fit  arrêter.  On  dit  bien 
des  chofes  de  ce  Prince,  qui  fe  réduifent  à  faire  croire  qu'é- 
tant jeune  ,  vif,  violent,  d'une  ambition  démefurée ,  ôc  aimant 
à  dominer ,  fon  père  ombrageux  ôc  défiant  avoit  appréhen- 
dé qu'il  n'excitât  quelques  troubles.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'eft 
que  les  EmifTaires  de  Philippe  lui  ayant  rapporté  ce  qu'il  avoit 
dit  des  Flamans ,  dont  les  malheurs  l'avoient  touché  ,  ôc  dont  il 
avoit  déploré  le  trifte  fort ,  Philippe  s'imagina  que  fon  fils  pen- 
foit  à  s'échaper  d'Efpagne  pour  paffer  dans  les  Payis-bas.  Dom 
Carlos  avoit  auffi  marqué  une  haine  déclarée  contre  le  duc 
d' Albe ,  contre  Ruy  Gomez  de  Sylva ,  ôc  contre  Dom  Juan 
d'Autriche  fils  naturel  de  Charle  V,  qui  étoit  le  plus  en  faveur 
à  la  Cour.  Philippe  s'étoit  encore  mis  en  tête  que  fon  fils  avoit 
confpiré  fa  perte  ,  Ôc  il  croyoit  en  avoir  plufieurs  indices? 
entr' autres  de  ce  qu'il  portoit  continuellement  dans  fes  culo- 
tes,  quifuivantl'ufagede  la  nation,  étoient  très-amples,  deux 
piftolets  faits  avec  beaucoup  d'art.  C'eft  ce  que  Philippe  apprit 
de  Louis  de  Foix. 

Ce  célèbre  ingénieur,  natif  de  Paris ,  fut  rarchite£le  du  palais 
de  rEfcurial,ôc  du  Monaftere  que  Philippe  fi  tbâtir  avec  une  ma- 
gnificence vrayement  Royale,  llfut  aufli  l'inventeur  de  la  machi- 
ne admirable  avec  laquelle  on  élevé  l'eau  du  Tage  jufqu'à  la  plus 
haute  partie  de  la  ville  de  Tolède.  Dom  Carlos  le  chargea  de 
lui  faire  un  livre  alTez  pefant,  pour  tuer  un  homme  d'un  feul 
coup.  De  Foix  lui  en  fit  un,  compofé  de  douze  tablettes ,  d'une 
pierre  bleue ,  long  de  fix  pouces ,  ôc  large  de  quatre ,  couvert 
de  lames  d'acier  :  mais  par  deflfus  de  lames  d'or  ,  qui  pefoit  plus 
de  quatorze  livres:  mais  auflitôt  de  Foix  vint  le  dire  à  Philippe. 
Cet  Ingénieur  de  retour  en  France ,  où  il  a  fignalé  fon  adrelTe 
Tome  V,  lii 


434  HISTOIRE 

,  ôcfon  habileté  ,  en  creufant  un  nouveau  port  à  Bayonne,  & 
Charle  ^"  bâtiflant  le  Fanal  :,  communément  appelle  la  Tour  de  Cor^ 
jy  doiian  à  l'embouchure  de  la  Garonne,  m'a  rapporté  queDom 
j  ^  (^  g  Carlos  avoit  fouhaité  un  livre  de  cette  façon ,  parce  qu'il  avoit 
lu  dans  les  annales  d'Efpagne ,  qu'un  certain  Evêque  prifon- 
Jiier  avoit  fait  couvrir  de  cuir  une  brique  de  la  grandeur  d'un 
bréviaire  y  qu'il  en  tua  celui  qui  le  gardoit,  ôc  qu'il  s'étoit  fau- 
ve par  ce  moyen. 

Comme  ce  Prince  vouloir  être  feul  dans  fa  chambre  la  nuitj 
fans  aucun  domeftique  5  il  fe  fit  faire  auffi  par  de  Foix  une  ma- 
chine, avec  laquelle,  par  le  moyen  de  quelques  poulies^  il 
pouvoir  étant  couché  dansfon  lit  ouvrir  ôc  fermer  fa  porte.  Ce 
Prince  inquiet  ne  dormoit  point ,  qu'il  n'eût  fous  fon  chevet 
deuxépées  nues  ôc  deux  piltolets  chargez.  Il  avoit  encore  dans 
fa  garde-robe  deux  arquebufes  avec  de  la  poudre  ôc  des  bal- 
les ,  toujours  prêtes  à  tirer.  Toutes  ces  armes  juftifioient  les 
foupçons  Ôc  les  défiances  du  père  3  il  avoit  néanmoins  jufqu'alors 
dilFimulé  fon  chagrin  contre  fon  fils.  Enfin  la  veille  de  Noël, 
Dom  Carlos  faifant  fa  confeffion  à  un  Prêtre ,  déclara  qu'il 
avoit  réfolu  de  tuer  un  homme.  Le  Confefieur  l'ayant  entendu, 
lui  dit  qu'il  ne  pouvoit  Pabfoudre.  Le  Prince  infilia ,  ôc  deman- 
da ,  que  s'il  neparticipoit  pas  à  la  table  facrée  des  fidèles,  ii  lui 
donnât  au  moins  devant  le  peuple  un  pain  non  confacré^pour 
éviter  le  fcandale.  Le  Confefieur  n'y  voulut  point  confentir,  ÔC 
alla  fur  le  champ  rapporter  au  Roi  ce  qui  s'étoit  pafi^e,  comme 
il  luiavoitétéordonné.Philippe  s'écria  aufiitôt,  qu'il  étoit  l'hom- 
me que  fon  fils  vouloir  tuer  h  mais  qu'il  alloit  prendre  de  bon- 
ne mefures  pour  le  prévenir. 

On  entendit  auffi  très-fouvent  ce  jeune  Prince,  lorfqu'il  for- 
toit  de  la  chambre  de  la  Reine  EHzabeth  ' ,  avec  qui  il  avoit 
de  longs  ôc  fréquens  entretiens ,  fe  plaindre  ôc  marquer  fa  co- 
lère ôc  fon  indignation,  de  ce  que  fon  père  la  lui  avoit  enle- 
vée. Il  parloir  ainfi,  parce  que  dans  la  dernière  negotiation, 
pour  faire  la  paix  entre  les  Rois  de  France  ôc  d'Efpagne ,  avant 
la  mort  de  Marie  reine  d'Angleterre  époufe  de  Philippe,  les 
Ambafladeurs  avoient  traité  du  mariage  d'Elizabeth  de  France 
avec  Charle  prince  des  Efpagnes ,  fils  de  Philippe  3  mais  M a- 
ÙQ  étant  morte  dans  ce  tems-là,  la  negotiation  changea  de 

1  Filk  de  Henri  II.  ôc  femme  de  Philippe  II. 


DE   J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  I  V.  XLIII.       43T 

face,  &  le  père  prit  pour  lui  la  Princefie  deftinée  à  fon  fils.  » 

Philippe ,  déjà  très-prévenu  par  ces  indices ,  étoit  de  jour  en  C  h  a  R  L  E 
jour  confirmé  dans  fon  fentiment,  par  les  nouvelles  ôc  les  té-       XX. 
moignages  qu'il  recevoir.  Comme  par  fuperftition ,  ou  par     i  j  ^  8. 
une  pieté  affe£lée,  ce  Prince  également  impérieux  ôc   dé- 
fiant ne  faifoit  rien  de  conféquence  fans  confulter  le  tribunal 
de  rinquifition ,  qu'on  appelle  communément  le  Saint  Office, 
il  lui  communiqua  cette  affaire,  àc  prit  larefolution  de  prévenir 
fon  fils  ôc  de  s'alTûrer  de  fa  perfonne.  L'arrêter  pendant  le  jour, 
c'éroit  faire  à  ce  Prince  un  affront  trop  fignalé ,  ôc  il  y  avoit  trop 
de  danger  j  parce  qu'il  étoit  naturellement  féroce ,  qu'il  étoit  tou- 
jours environné  de  gens  qui  lui  reffembloient ,  ôc  qu'on  le  foup- 
çonnoit  de  porter  toujours  des  piftolets  chargez.  On  réfolut  donc 
de  prendre  le  tems  de  la  nuit ,  ôc  voici  comme  on  s'y  prit. 

De  Foix,  fuivant  les  ordres  qu'il  en  avoit  reçus,  arrêta  avec 
tant  d'art  les  poulies,  quifervoient  à  fermer  en  dedans  la  porte 
de  la  chambre  du  Prince ,  qu'il  ne  s'en  apperçut  point.  Ainfi 
croyant  avoir  fermé  à  fon  ordinaire  les  verrouils ,  il  s'imagina 
qu'on  ne  pouvoir  ouvrir  fa  porte  qu'avec  violence  ôc  qu'avec 
un  grand  bruit.  Il  y  avoit  encore  à  craindre ,  que  le  Prince  ré- 
veillé par  le  bruit  que  fon  père  feroit  en  entrant ,  ne  le  tuât  avec 
les  épées  ôc  les  armes  à  feu  qu'il  avoit  fous  fon  chevet ,  ôc  dont 
il  avoit  appris  à  fe  fervir  dans  une  perfedion  ,  qui  le  mettoit 
au-deffus  de  tous  les  jeunes  Seigneurs  de  la  Cour.  C'eft  pour- 
quoi le  comte  de  Lerme  eut  ordre  d'entrer  le  premier  dans  fa 
chambre  j  ce  qu'il  exécuta  fans  faire  aucun  bruit  :  il  enleva  fe- 
cretement  toutes  les  armes  que  le  Prince  avoit  fous  fon  che- 
vet 5  après  quoi  il  fe  rendit  maître  de  la  garde-robe ,  oui  l'on 
fçavoit  qu'il  avoit  toujours  plufieurs  arquebufes  toutes  prêtes 
à  tirer. 

Philippe  entra  après  ,  précédé  de  Ruy  Gomez  de  Sylva, 
du  duc  de  Feria  ,  du  grand  Commandeur ,  ôc  de  Diego  de 
Cordouë.  Jamais  le  malheureux  Prince  ne  dormit  fi  profon- 
dement •>  le  bruit  que  faifoit  tant  de  monde  ne  l'éveilla  point, 
ôc  il  fallut  pour  le  tirer  de  fon  fommeil ,  que  Gomez  le  poufsât 
quelque  tems  avec  le  coude.  Réveillé  enfin ,  dès  qu'il  fe  vit 
pris  i  ôc  que  fon  père  étoit  dans  fa  chambre ,  il  s'écria  qu'il  étoit 
mort,  ôc  il  conjura  ceux  qui  étoient  prefens ,  avec  des  gémif- 
femens^  des  larmes,  ôc  des  hurlemens  qui  faifoient  pitié,  de  le 

In  i; 


43<^  HISTOIRE 

tuer.  Je  ne  ibis  pas  venu  ,  lui  dit  Philippe ,  pour  vous  faire  tuer; 
Ch  ARLE  ^"'^^^  P^"*^  ^'0"S  châtier  en  père,  ôc  vous  faire  rentrer  dans  vo- 
JX.  tre  devoir.  Il  lui  fit  cnfuite  une  ferieufe  réprimande,  lefitle- 
1558.  ^^^'  lui  ôta tous  fesdomeftiques,  ôclui  donna  des  gardes.  Ceux- 
ci  le  revêtirent  d'habits  lugubres,  lui  donnèrent  un  chapeau 
noir,  ôterent  de  fa  chambre  les  tapifferies  ôc  le  lit  magnifique 
qui  y  étoit,  &  n^  laifTerent  qu'un  petit  lit  roulant,  ôc  un  ma- 
telas. 

Le  Prince  fe  voyant  en  cet  état ,  s'abandonna  audéfefpoir, 
ôc  à  la  fureur.  Comme  il  avoir  peu  de  gardes ,  il  alluma  un 
très-grand  feu ,  fous  prétexte  du  froid  rigoureux  de  Thyver  ,  ôc 
il  fe  jetta  dedans  :  fon  habit  ôc  fa  chemife  furent  brûlés.  Les 
gardes  accoururent,  ôc  le  retirèrent  par  force  ôc  avec  peine» 
Cette  première  tentative  ne  lui  ayant  pas  réulTi ,  il  en  fit  une  au- 
tre. Ayant  pafTé  deux  jours  fans  boire,  il  but  le  troifiéme  jour 
une  fi  grande  quantité  d'eau  froide ,  qu'il  s'en  fallut  peu  qu'il  ne 
mourut.  Une  autre  fois,  après  avoir  fait  diète  pendant  quelques 
jours,  il  mangea  tant  de  pâtez  farcis  de  viande  difficile  à  digé- 
rer ,  qu'il  penfa  étouffer. 

Voilà  ce  que  de  Foix  m'en  a  appris.  Pierre  Giuftiniani ,  no- 
ble Vénitien,  ajoute  que  Charle  voulut  s'étrangler  avec  un 
diamant  qu'il  mit  dans  fa  bouche  5  mais  que  fes  gens  vinrent 
aflez-tôt  pour  l'en  empêcher.  Philippe  voyant  donc  que  fon 
fils  étoit  d'un  cara£lere,  que  ni  la  raifon,  ni  les  châtimens  ne 
pouvoient  changer  ou  adoucir ,  en  conféra  encore  une  fois 
avec  le  Saint  Office  ',  ôc  jugea  à  propos  pour  prévenir  la 
mort  qu'il  vouloit  fe  donner  à  lui-même,  de  le  faire  condam- 
ner  par  un,  juge  légitime.  Mais  afin  de  fauvcr  l'honneur 
du  fang  Royal,  l'arrêt  fut  exécuté  en  fecret,  ôc  on  lui  fit  ava- 
ler un  bouillon  empoifonné ,  dont  il  mourut  quelques  heures 
après ,  au  commencement  de  fa  vingt-troifiéme  année. 

Philippe ,  avant  la  mort  de  fon  fils ,  écrivit  de  fa  propre  main 
au  Pape  le  2 1  de  Janvier.  Après  avoir  commencé  fa  lettre  par 
un  long  difcours  fur  fa  foumiffion,  ôc  fon  obéifl^ance  pour  le 
Pontife,  il  lui  apprenoit  qu'il  avoit  été  obligé  pour  de  bonnes 
laifons  d'emprifonner  fon  fils,  ôc  il  lui  promectoit  de  ne  rien 
omettre  dans  cette  affaire,  de  tout  ce  qu'on  peut  fouhaiter  d'un 
père  ôc  d'un  Roi  également  jufte  ôc  prudent.  Plufieurs  ont  écrit: 
<pe  Dom  Carlos  étoit  mort  dans  le  mois  de  Juillet ,  ôc  d'autres 


Beine  d'Ef- 
pagne. 


DE  J.  A.  DE  T HOU,  Liv.  XLIIL        437 

dans  le  mois  cl'0£lobre.  Pour  moi  je  crois  ,  ôc  de  Foix  m'a  ^^^^^^^'^^^^ 

dit.  qu'il  étoit  mort  bien  plutôt  j  mais  qu'on  avoit  caché  fa  mort  ^ 

j  1  •/    o         '         '         '       J-    1  „     Charlf. 

pendant  quelques  mois,  ôc  quon  nen  répandit  la  nouvelle       jy 

qu'après  la  vi6t:oire  que  le  duc  d'Albe  remporta  à  Gemmingen,  ^\ 

dont  nous  parlerons  dans  la  fuite.  *  ^ 

Elifabeth  reine  d'Efpagne  ,  âgée  de  25  ans  j  &  enceinte  ,  ^^o«  ^^  ^^ 
fuivit  de  près  fon  beau-iils.  Elle  mourut  quelques  mois  après  : 
Quelques  -  uns  foupçonnerent  Philippe  de  l'avoir  fait  em- 
poifonner  ,  parce  qu'il  lui  avoit  fait  un  crime  de  la  trop  gran- 
de familiarité  qu'elle  avoit  avec  Dom  Carlos.  Il  eft  néan- 
moins facile  de  fe  convaincre  du  contraire ,  par  la  grande  & 
lîncére  douleur  que  fa  mort  caufa  ,  tant  à  la  Cour  que  dans 
toute  i'Efpagne  j  le  Roi  la  pleura  ,  comme  une  femme  qu'il 
aimoit  très-tendrement ,  ôc  les  peuples  la  regreterent ,  comme 
fi  le  lien  qui  réûniflbit  \qs  deux  Rois  avoit  été  entièrement 
rompu  :  pour  cette  raifon  on  lui  avoit  donné  le  nom  d'Irène  ^ 

Cet  exemple  d'une  févérité,  ou  comme  plufieurs  le  difoient 
hautement ,  d'une  cruauté  fî  inoûie  ,  répandit  la  terreur  dans 
les  efprits  de  tous  les  fujets  de  Philippe ,  ôc  principalement 
des  Flamands  ,  qui  fe  fentoient  coupables  d'une  fédition  ou- 
verte ,  ôc  qui  ne  pouvoient  efpérer  aucune  grâce  d'un  Prince 
qui  n'avoir  pas  pardonné  à  fon  propre  fils,  ôc  àquiPieV.  avoit 
donné  pour  cela  de  très-grandes  louanges.  C'efi  ce  qui  rédui- 
fit  les  Grands  ôc  les  peuples  des  Payis-bas  à  la  trifle  nécef- 
firé  d'en  venir  aux  dernières  extrêmitez  ;  d'autant  plus  qu'ils 
avoient  entendu  dire,  que  le  Tribunal  du  faint  Office  avoit  pro- 
noncé fur  leur  caufe  avec  autant  de  févérité  que  fur  celle  de 
Dom  Carlos. 

Le  bruit  qui  s'en  étoit  répandu  ,  n' étoit  que  trop  vrai  :  car     ^^-^^^  ^^^ 
\qs  Inquifiteurs  de  Madrid ,  confultez  par  Philippe  fur  l'affaire  troubles  des 
des  Payis-bas,  délibérèrent  ôc  prononcèrent  le  1 5  de  Février,  i^^x^^'^^s. 
qu'en  général  ôc  en  particulier  tous  les  peuples  des  Payis-bas 
&  tous  les  Ordres  ôc  Etats  de  la  Flandre,  (  à  la  referve  feule- 
ment de  ceux  qui  étoient  nommément  ôc  diftin£lement  mar- 
qués dans  les  informations  )  étoient  apoftats  ,  hérétiques  ôc  cri- 
minels de  leze-majefté  :  ôc  non- feulement  ceux  qui  s'étoient 
ouvertement  féparés  de  Dieu  ,  de  la  fainte  Eglife  ,  ôc  de  l'o- 
béïffance  due  au  Roi  5  mais  auffi  ceux  qui  fe  difant  Catholiques 

J  Icene  en  Grec  fignifie  Paix. 

Iiilij 


J 
^ 


43S  HISTOIRE 

M  avoient  manqué  à  leur  devoir  ,  ôc  par  une  faufTe  prudence 

Charle  ^^  s'étoient  pas  d'abord  oppofez  aux  entreprifes  des  fé6lai- 
j-N^  res  &  des  fédideux,  pour  les  réprimer  ,  comme  il  auroit  été 
1  <  63  très-facile  au  commencement.  Ils  déclarèrent  de  plus ,  que  les 
Nobles,  qui  avoient  préfenté  ôc  publié  au  nom  du  Prince  des 
requêtes  ôc  des  plaintes  contre  la  fainte  Inquifition  ,  ôc  qui 
avoient  par  là  malicieufemeat  excité  à  la  fédition  les  apoftats, 
les  hérétiques  ôc  les  rebelles ,  étoient  tous  tombés  dans  le  cri- 
me de  leze-majefté  divine  ôc  humaine. 

Suivant  ce  jugement  de  l'Inquifition ,  Philippe  envoya  le 
2j  de  Février  des  ordres  au  duc  d'Albe  ,  de  fe  conformer  aux 
décrets  des  Inquifiteurs  ,  ôc  de  faire  dans  toutes  les  formes  ôc 
dans  toute  la  rigueur  des  loix  le  procès  aux  rebelles^  aux  hé- 
rénquesj  ôc  aux  criminels  d'Etat.  Conformément  à  ces  ordres, 
le  Confeil  établi  par  le  duc  d'Albe  ,  communément  appelle  le 
Confeil  de  Sang  ,  drefla  des  reglemens  pour  rous  les  Com- 
miflaires,  afin  qu'il  n'y  eût  dans  leurs  procédures  ,  dans  leurs 
fentences  ,  ôc  dans  l'application  des  peines^  aucun  doute ,  au- 
cune incertitude,  aucune  variation. 

Comme  ces  Juges  enveloppoient  dans  leurs  procédures 
les  perfonnes  les  plus  innocentes  ,  ôc  qu'aucun  ne  pouvoir 
fe  fouftraire  à  des  reglemens  fi  généraux ,  on  ne  peut  expri- 
mer les  mouvemens  ôc  les  troubles  qui  agitèrent  les  Grands 
Ôc  les  riches ,  qui  crûrent  que  c'étoit  à  eux  qu'on  en  vouloir. 
Voyant  qu'en  vertu  de  ces  Edits  pleins  de  fureur  ,  on  exerçoit 
d'horribles  châtimens  fur  les  perfonnes  les  plus  groffieres  ,  ôc 
fur  les  payfans  ,  que  dans  les  villes  on  condamnoit  les  préfens 
à  des  amendes  ,  à  des  baniffemens ,  ôc  à  des  fupplices  ,  ôc 
qu'on  agiffoit  contre  les  abfens  par  la  faifie  ,  la  confifcation  > 
ôc  la  vente  de  leurs  biens  j  plufieurs ,  furtout  dans  la  Flandre 
Occidentale,  devinrent  furieux  ,  exerçant  leur  vengence  fur 
les  Prêtres  Ôc  les  Moines  ,  dépouillant  ceux  qu'ils  rencon- 
troient  j  ôc  par  une  efpece  de  rage  inoûie  jufqu'alors,  leur 
coupant  le  nez  ôc  les  oreilles. 

Cependant  Margueritte  ducheiïe  de  Parme  j  qui  ne  pouvoir 
plus  relier  avec  honneur  dans  un  gouvernement ,  dont  toute 
l'autorité  lui  avoit  été  enlevée ,  pour  en  revêtir  un  homme  fu- 
perbe ,  qui  travailloit  tous  les  jours  à  décrier  fa  conduite  auprès 
de  Philippe  ,  réfolut  ,  avec  l'agrément  de  fon  frère  3  de  fe 


DE  J.  A-  DE  THOU^Liv.XLlII.         435? 

retirer  en  Italie.  Dès  la  fia  de  l'année  précédente ,  elle  avoit  . 

rendu  publique  une  lettre  ,  par  laquelle  elle  afiuroit  les  Etats  7^ 
de  Flandre,  qu'elle  auroit  fouhaité  de  faire  dans  leur  aflem-  r4f  ^ 
blée  la  démifïion  d'un  gouvernement,  dont  elle  s'étoit  char- 
gée à  Gand  ,  il  y  avoit  neuf  ans  5  mais  que  ne  le  pouvant ,  ^ 
à  caufe  des  troubles,  elle  leur  difoit  adieu  par  écrit.  Elle  les 
prioit  Ôc  conjuroit ,  de  perféverer  conftament  dans  la  Religion 
de  leurs  ancêtres  ,  ôc  dans  l'obéifTance  ôc  la  fidélité  qu'ils  dé- 
voient au  Roi  ,  ôc  d'employer  tous  leurs  foins  ôc  toutes  leurs 
forces  pour  procurer  le  bien  public.  Elle  ajoûtoit ,  que  par  fon 
zélé,  ôc  fes  travaux ,  elle  avoit  avant  le  mois  d'Avril  dernier  ra- 
mené toutes  les  villes  ôc  toutes  les  provinces  à  l'obéifTance  due 
au  Souverain  i  ôc  qu'elle  avoit  mis  de  bonnes  garnifons  dans 
les  villes  qui  en  avoient  befoin  :  enforte  qu'il  ne  reftoitplus 
qu'à  punir  les  coupables,  ôc  à  établir  la  paix  ôc  la  tranquillité 
publique  ,  par  les  moyens  que  le  Roi  jugeroit  les  plus  pro- 
pres. 

La  gouvernante  ajouta  ce  dernier  article  ,  pour  rendre 
odieux  le  duc  d'Albe ,  ôc  pour  faire  voir  qu'avant  fon  arrivée 
dans  les  Payis-bas ,  elle  avoit  pris  de  bonne  heure  de  juftes 
mefures ,  pour  rétablir  la  tranquillité  publique  dans  ces  Pro- 
vinces. Marguerite  ne  partit  pas  fi-tôt ,  parce  qu'elle  attendit 
îong-tems  la  réponfe  de  Philippe  fon  frère.  Elle  re^ut  enfin 
d'Efpagne  une  lettre  pleine  d'amitié  ôc  de  tendreffe ,  telle  qu'on 
a  coutume  d'écrire  à  une  perfonne  qu'on  remercie  après  l'a- 
voir dépouillée  de  fa  dignité.  Elle  fortit  de  Bruxelles  le  10 
d'Avril  accompagnée  du  duc  d'Albe,  qui  la  conduifit  jufqu'à 
une  très-petite  diftance  de  la  ville.  Elle  prit  fa  route  par  le  Na- 
murrois ,  par  le  Hainault  ôc  le  duché  de  Luxembourg.  Delà 
elle  paffa  par  l'Allemagne  ,  pour  fe  rendre  en  Italie  auprès 
d'Ottave  duc  de  Parme  fon  mari,  laiffant  en  Flandre  le  doux 
ôc  agréable  fouvenir  d'une  Gouvernante ,  que  les  peuples  com- 
bloient  de  louanges  ôc  de  béne£lions. 

Pendant  ce  tems-là  ,  le  prince  d'Orange  faifoit  des  levées 
en  Allemagne ,  ôc  fe  difpofoit  à  attaquer  la  Flandre  dans  le 
mois  de  Mai ,  par  les  frontières  de  Gueldres  ôc  de  Frifc  ,  par 
Maeftricht ,  ôc  par  nos  frontières.  Il  devoir  employer  à  cela  les 
troupes  auxiliaires  d'Allemagne,  qui  avoient  fervi  fous  le  prin- 
ce de  Condé ,  ôc  qui  retournèrent  dans  leur  payis  après  le 


440  HISTOIRE 

■  traité  de  Pacification.  Les  Confédérez  levoient  aufll  des  trou- 

Char  LE  pcsdans  le  payis  de  Liège.   Le  duc  d'Albe  ayant  appris  par 

j  X.        rambaffadeur  d'Efpagne  à  la  Cour  de  France  ,  que  les  Aile- 

I  ç  5  8.     "i^nds ,  qui  avoient  été  au  fervice  du  prince  de  Condé,  avoient 

réfolu  d'entrer  dans  les  Payis-bas,  fit  avancer  les  troupes  Efpa- 

gnôles  ôcltaliennes  fur  la  firontiere  , vers  le  pays  de  Liège.  Il 

y  envoya  aufli  le  baron  d'Hierges  ,  fils  du  Comte  de  Ber- 

.  laymont  ^  avec  2000  Flamands ,  &  il  fit  engager  au  fervice 

du  roi  d'Efpagne  les  Italiens  qui  avoient  été  à  celui  du  roi  de 

France  ,  ôc  qu'on  venoit  de  congédier. 

On  découvrit  en  même  -  tems  une  conjuration  ,  tramée 
pour  prendre  ou  pour  tuer  le  duc  d'Albe.  Ryfoire,qui  étoit 
à  la  tête  ,  s'étoit  chargé  de  faire  pafTer  au  fil  de  l'épée  les 
dix  enfeignes  qui  étoient  en  garnifon  à  Bruxelles.  Ryfoire  ôc 
de  Carloo  fon  frère  ,  de  la  maifon  de  Vander-noot ,  dreffe- 
rent  une  embufcade  pour  furprendre  le  duc  d'Albe  ,  qui  de- 
voir aller  par  dévotion  au  monaftere  de  Groenendale  ,  dans 
le  bois  de  Soenien.  Ils  avoient  avec  eux  au  jour  marqué  plus 
de  ^000  cavaliers  armés  près  de  la  maifon  d'Ohein ,  ôc  envi- 
ron ^00  hommes  de  pié  à  Bruxelles.  De  Carloo  s'étoit  caché 
dans  le  monaftere  fous  l'habit  de  Moine,  dans  l'appréhenfion, 
difoit-il  ,  du  duc  d'Albe.  De  Likes  découvrit  la  confpiration 
6c  en  avertit  le  Duc  ;  il  eut  néanmoins,  aflez  de  peine  à  le 
^  détourner  du  voyage ,  pour  lequel  tout  étoit  prêt.  On  prit  un 
des  conjurez  ôc  on  T'appliqua  à  la  queftion  ,  où  ayant  avoué  tou- 
tes les  circonftances  du  complot,  il  expia  par  un  horrible  fup- 
plice   un  projet  criminel ,  qui  n'eut  aucun  fuccès. 

Le  duc  d'Albe  ayant  appris  que  les  Confédérez  avoient  déjà 
de  nombreufes  troupes  au-delà  de  la  Meufe  ,  crut  qu'il  devoir 
les  prévenir.  Il  envoya  donc ,  avant  qu'elles  fuffent  afifemblées, 
Sancho  de  Londono  à  Namur ,  avec  cinq  enfeignes  de  fon 
Régiment ,  commandées  par  François  de  Valdés ,  Diego  de 
Carvajal,  Antoine  Muxica,  ôc  François  deVargas;  ôc  il  char- 
gea Ferdinand  ,  fils  naturel  de  Prieur ,  de  faire  marcher  Lopez 
de  Acuna  avec  la  cavalerie  qui  étoit  dans  le  Tournefis.  On 
donna  aufll  ordre  à  Sancho  d'Àvilà  capitaine  des  Gardes  du 


I  Une  médaille  frappe'e  en  1176. 
prouve  que  le  vrai  nom  de  ce  Seigneur 
eft  Barlaymom.  C'eft  ainfî  qu'on  l'ap- 
pellera dans  la  fuite  de  cette  Traduc 


tien  ,  8c  non  pas  Barlemout,  comme  oa 
le  trouve  dans  plufieurs  Hiftoires  ou 
Mémoires. 

duc 


c 

H  ARL  E 

IX. 

1558. 

DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIII.        441 

duc  d'AIbe,  à  Nicolas  Bafta  qui  comm^ndoit  la  cavalerie  Al- 
banoife ,  &  à  Pierre  de  Monte  commandant  des  moufquetai-  r^ 
res  à  cheval  ,  de  fe  joindre  à  Londono. 

Ces  troupes  fe  détournant  de  la  route  qu'elles  avoientprife, 
fuivantles  ordres  du  duc  d'AIbe,  marchèrent  à  Maeftricht;  ou 
après  avoir  fait  repofer  le  foldat  fatigué  du  voyage ,  &  avoir 
pris  quatre  enfeignes  d'Allemands  du  régiment  du  comte  d'E- 
berliein  ,  elles  s'avancèrent  vers  Ruremonde  ,  place  forte  ÔC 
avantageufement  fituée  au  confluent  du  Roër  ôc  de  la  Meufe 
fur  les  confins  des  duchés  de  Gueldres  ôc  de  Cleves.  Les  Con- 
fédérez  avoient  tenté  peu  de  tems  auparavant  de  s'en  rendre 
maîtres ,  d'abord  par  rufe ,  ôc  enfuite  par  force  ,  mais  inu- 
tilement :  car  Londono  étant  prêt  d'arriver ,  ils  furent  obligés 
de  fe  retirer  après  avoir  pillé  le  fauxboutg ,  abattu  les  images 
de  l'Eglife ,  &  brûlé  le  pont  de  bois ,  qui  étoit  fur  le  Roër. 
lis  prirent  enfuite  leur  chemin  par  Waffemberg  ,  &  s'en  allè- 
rent à  Erkelens  dans  le  duché  de  Cleves  ,  mais  appartenant 
au  duché  de  Gueldres. 

D'Avila  les  ayant  atteints  entre  Erkelens  ôc  Dalem  ,  avec  ^  ^^^^^ 
fa  cavalerie,  en  donna  avis  à  Londono  ;  ôc  il  le  pria  de  le  fui-  aérez  font 
vre  promptement  avec  fon  infanterie.  Les  Confédérez  obli-  battus. 
gez  de  s'arrêter  en  cet  endroit  3  fe  mirent  en  bataille  :  mais  ne 
pouvant  foûtenir  le  choc  de  la  cavalerie  de  d'Aviia  ,  ôc  leur  in- 
fanterie commençant  à  plier,  ils  fe  retirèrent  avec  perte  à  Da- 
lem. Ils  perdirent  ce  jour-là  deux  enfeignes ,  ôc  en  conferverent 
fept ,  qui  entrèrent  dans  une  place  voifine ,  où  elles  fe  forti- 
fièrent par  un  retranchement  ôc  un  foffé ,  ôc  mirent  leurs  ca- 
nons en  batterie  fur  le  pont.  Londono  étant  arrivé  avec  fon 
infanterie  ,  les  attaqua  ,  força  leur  retranchement,  ôc  les  tailla 
prefque  tous  en  pièces  :  on  enleva  aux  Confédérez  fept  dra- 
peaux ,  ôc  ils  eurent  1 000  hommes  de  tués.  Les  Efpagnols  ont 
écrit  qu'ils  n'en  perdirent  pas  plus  de  vingt.  François  deVar- 
guas,  qui  fe  diftingua  beaucoup  dans  ce  combat ,  y  fut  dan- 
gereufement  bleffé.  La  bataille  fe  donna  le  2j  d'Avril.  Les 
prifonniers  furent  conduits  à  Bruxelles ,  condamnez  ôc  exécu- 
tez fur  le  champ. 

Londono  ayant  ainfî  fait  perdre  aux  Confédérez  l'efpérance 
de  s'emparer  de  Ruremonde  >  il  y  entra  lui-même  avec  cinq 
enfeignes,  ôc  y  mena  quelques  prifonniers,  qu'il  fit  pendre. 
Tome  y,  Kkk 


442  HISTOIRE 

.  La  pefte  qui  ' défoloit  cette  ville  ,  l'ayant  obligé  d'en  fortir ,  il 
Ch  ARL  E  d^^'^ib'J^  ^^s  troupes  à  Venlo  ôc  à  Grave  ,  &  mit  dans  les  pla- 
I  X         ^^^  voifines  cinq  autres  enfeignes  qui  étoient  arrivées  depuis 
I  c  ^  8.     P^*^  ^^  Tournay  ôc  de  Vilvoord.  Peu  de  tems  après  il  mar- 
cha avec  ces  dix  enfeignes  à  Maeftricht. 

Le  duc  d'Albe  ayant  appris  que  de  nouvelles  troupes  s*af- 
fembloient  dans  le  duché  de  Gueldres ,  à  Boxemer ,  comman- 
da le  comte  de  Meghen  gouverneur  de  la  Province  avec  un  dé- 
tachement ,  pour  aller  de  ce  côté-là  5  ôc  il  lui  donna ,  pour  lac- 
,  compagner  ,  André  de  Salazar  gouverneur  de  Palerme  en  Si- 
cile. Il  commanda  en  même-tems  Gonzalez  de  Bracamonte 
avec  huit  enfeignes  de  fon  régiment,  qui  étoit  en  garnifon  à 
Bofleduc,  ôc  les  autres,  qui  étoient  à  Audenardc  ,  pour  al'er 
joindre  le  comte  de  Meghen.  Ferdinand  Prieur  donna  aullï 
ordre  à  Cefar  d'Avalos  frère  du  marquis  de  Pefcaire ,  colonel 
de  cavalerie  ,  de  prendre  avec  lui  les  compagnies  de  RuyLo- 
pez  d'Avalos,  de  la  Court  de  Martinengh  ,  ôc  la  fienne  ,  d'al- 
ler à  Grave  ,  ôc  de  fe  joindre  avec  le  comte  de  Meghen. 

Ce  Comte  y  étant  arrivé  ,  trouva  que  les  Confédérez  ayant 
abandonné  Boxemer  ,  étoient  allés  fur  des  vaifleaux  à  Grave ;, 
place  fur  la  Meufe  ,  fur  les  frontières  des  duchezde  Gueldres 
ôc  de  Cieves  ,  ôc  qu'ils  avoient  pris  la  ville  ôc  les  deux  cita- 
delles. II  manda  donc  à  Bracamonte  de  pafler  promptement 
avec  fes  gens  la  Meufe  ,  ôc  le  Vahal ,  qui  eft  un  bras  du  Rhin  3 
de  venir  le  joindre  ,  pour  faire  le  fiége  de  Grave  ,  ôc  de  fe  pofter 
du  côté  qui  regarde  le  Brabant.  On  fit  venir  les  canons  deNime- 
gue  ,  ôc  le  comte  de  Meghen  fe  plaça  de  l'autre  côté.  Mais  la 
garnifon,  effrayée  de  l'arrivée  de  Céfar  d'Avalos ,  quitta  Grave, 
ôc  fe  retira  confufément  ôc  en  petits  pelotons  de  côté  ôc  d'au- 
tre. On  mit  dans  la  place,  fuivant  les  ordres  du  duc  d'Albe, 
une  enfcigne  du  régiment  de  Bracamonte  :  on  diftribua  les  au- 
tres dans  ies  lieux  circonvoiiins  ,  Ôc  on  renvoya  Céfar  d'Avalos 
à  Bofleduc. 

Cependant  Coqueville,  Vaillant,  ôc  le  capitaine  S.  Amand,' 
tous  braves  officiers  venus  de  Normandie,  s'affemblerent  fur  la 
frontière  ,  ôc  on  ne  douta  pas  que  ce  ne  fut  par  les  ordres  du  prin- 
ce de  Condé,  Ayant  levé  des  troupes  en  Artois,  en  Flandre  ôc 
en  Angleterre  ,  ils  faifoient  des  courfes  dans  les  Payis-bas ,  pour 
faire  une  diverfion  en  faveur  du  prince  d'Orange.  Le  duc  d'Albe 


DE  J.  A:  DE  THOU,  Liv.  XLIIL      445 

îmté  de  ce  procédé  en  fit  porter  des  plaintes  au  roi  de  France        ' 

par  l'ambaffadeur  d'Efpagne.  Le  Roi  écrivit  aufli-tôt  au  prin-  Z^  ~ 

t^^  A    r^     A'  ■  •    j     r-      1         •       «.  1   •  j       Charle 

ce  de  Conde  ^  avec  qui  on  venoit  de  taire  la  paix  ,  &  lui  de-       j  ^ 

manda  fi  c'étoit  par  fes  ordres  que  Coqueville  ,quiavoit  été  ' 

à  fon  fervice  ,  en  ufoit  ainfi  ?  Le  Prince  nia  que  ce  fût  par  fes        ^ 
ordres,  ôc  manda  qu'il  fe  mettoit  peu  en  peine  de  ce  que  fai- 
foit  Coqueville. 

Le  Roi  donna  donc  ordre  au  maréchal  Artus  de  CofTé  de 
prendre  avec  lui  les  garnifons  de  Picardie ,  ôc  de  donner  la 
chafie  à  des  coureurs ,  qui  defoloient  le  payis  par  leurs  brigan- 
dages. Le  Maréchal  pourfuivit  Coqueville  jufqu'à  Saint  Valle- 
ry  ,  à  l'embouchure  de  la  Somme  ,  ôc  l'ayant  forcé  de  fe  re- 
tirer dans  cette  place  avec  600  hommes  de  pié  ôc  200  che- 
vaux ,  il  l'inveftir.  Ayant  aufli-tot  fait  approcher  le  canon  ôc 
abattu  le  mur ,  tandis  que  Coqueville  ôc  Saint  Amand  s'effor- 
çoient  de  faire  reparer  la  brèche  ,  on  introduifit  dans  la  place 
les  troupes  du  maréchal  de  Coflé  ,  à  certaines  conditions.  Co- 
queville fe  retira  dans  une  maifon  voifine,  où  il  fut  pris  avec 
S.  Amand  ôc  Vaillant ,  après  qu'on  eut  fait  un  grand  carnage 
de  leurs  gens.  Tous  les  Flamands  furent  tués  ,  ôc  Cofle  ne 
conferva  que  les  François.  Les  chefs  qui  avoient  été  pris  fu- 
rent conduits  à  Paris  fous  bonne  efcorte ,  ôc  furent  condam- 
nés à  mort ,  comme  gens  qui  avoient  pafîé  au  fervice  des 
ennemis. 

Cependanr  il  arriva  bien  des  chofes  ,  qui  firent  de  la  peine 
au  duc  d  Albe.  L'életleur  Palatin  ayant  appris,  que  fous  le  fpe- 
cieux  prétexte  de  la  liberté  du  commerce ,  les  négocians  Ita- 
liens faifoient  defcendre  fur  le  Rhin  une  grande  quantité  de 
monnoyes  défendues ,  fit  arrêter  le  1 8  de  Février  à  Manheim , 
lieu  où  l'on  paye  les  droits,  le  vaifieau  qui  les  portoit ,  ôc  fit 
tranfporter  à  Heidelberg  toutes  les  marchandifes  ôc  tout  l'ar- 
gent qui  étoit  deffus.  On  en  fit  Tinventaire,  qui,  à  ce  que  pu- 
blièrent les  Efpagnols  ,  montoit  à  150000  Ducats.  Le  duc 
d'Albe  en  fit  aufli-tôt  de  grandes  plaintes  au  nom  du  roid'Ef- 
pagne.  Jean  ôc  Jean-Antoine  Grimaldi  en  demandoient  la 
reftitution  ,  aufii  bien  que  Chriftophle  Centurione,  au  nom  de 
Lucien  fon  frère ,  d'Auguftin  Spinola  ,  ôc  de  Thomas  de  Fief- 
que ,  tous  Génois  ,  appuyez  de  la  récommendation  d'Emanuel 
duc  de  Savoye.  Le  Palatin  leur  oppofale  décret  de  l'Empire 

Kkkij 


444r  HISTOIRE 

_________  de  l'an  15'5'p  ,  portant  défenfe  de  tranfporter  la  monnoye  ,  & 

^  foûtenoit  que  ce  qu'il  avoit  fait  n'ctoit  qu'une  julle  punition 

-j^  décernée  contre  ceux  qui  avoient  voulu  frauder  fes  droits:  il 
renvoya  les  marcliands  &  les  mariniers ,  avec  un  procès  ver- 
^  '  bal  autentiquede  la  manière  dont  la  chofe  s'étoit  paffée.  En- 
fin après  de  long  débats,  malgré  l'entremife  du  duc  d'Albe  ^ 
qui  employoit  les  prières ,  ôc  quelquefois  les  menaces ,  les  Gé- 
nois fe  trouvèrent  contraints  de  tranlîger  avec  l'éleâeur  Pala- 
tin à  des  conditions ,  qui  faifoient  bien  connoître  qu'ils  n'a- 
voient  pas  été  exempts  de  faute.' 

La  perte  que  le  duc  d'Albe  efluya  en  Frife  ^fut  beaucoup 
plus  confidérable.  Louis  de  Naffaw  ayant  raflemblé  environ 
7000  hommes  de  pied  ,  Ôc  quelque  cavalerie  y  étoit  entré  en 
Frife ,  après  avoir  déclaré  qu'il  n'avoir  pris  les  armes ,  que  pour 
la  défenfe  de  la  liberté  de  la  patrie  ôc  des  confciences  5  ce  qu'il 
marquoit  clairement  dans  fes  drapeaux  ,  dont  la  devife  étoit 
aut  reciperare  aut  mori ,  (  ou  recouvrer  la  liberté  ,  ou  mourir.  ) 
Ayant  parcouru  cette  Province ,  il  avoit  alFiégé  ôc  pris  Wed- 
den  ,  château  du  comte  d'Aremberg  ,  par  011  l'on  entre  de  la 
Frife  Orientale  dans  la  feigneurie  de  Groningue  ;  ôc  il  étoit  oc- 
cupé à  fortifier  Delfziel ,  village  qui  n'en  eft  pas  éloigné ,  com- 
mode par  fon  port ,  ôc  fitué  au-deifous  de  l'embouchure  de  la 
rivière  d'Eems.  Il  s'étoit  aufli  rendu  maître  de  Dam  ,  place  éga^ 
lement  éloignée  de  Groningue  ôc  de  Delfziel. 

Audi  tôt  que  le  duc  d'Albe  l'eût  appris,  il  donna  ordre  au 
comte  d'Aremberg,  gouverneur  de  P'rife  ,  qui  étoit  revenu  de- 
puis peu  de  France  ,  où  il  avoit  mené  les  troupes  auxiliaires ,, 
de  marcher  vers  ce  payis-là  avec  cinq  enfeignes  de  fon  régi- 
ment, pour  donner  la  chaffe  aux  troupes  de  Nafîaw ,  lesdifÏÏ* 
per  ôc  les  faire  fortir  de  cette  Province.  Il  ordonna  à  Braca- 
monte  ,  avec  les  dix  compagnies  du  régiment  de  Sardaigne, 
qu'il  commandoit ,  ôc  au  comte  de  Meghen ,  avec  les  qua- 
tre enfeignes  d'Allemands ,  ôc  trois  compagnies  de  cavalerie- 
legére ,  qui  étoient  à  Bofleduc  ,  de  fe  joindre  au  comte  d'A- 
remberg. Ce  Comte  ayant  reçu  ces  ordres ,  prit  avec  lui  fix  pe- 
tits canons ,  ôc  étant  forti  de  Groningue ,  afin  de  pourfuivre  Naf- 
faw  ,  avant  qu'il  eût  reçu  un  plus  grand  nombre  de  troupes,. 
il  marcha  vers  Dam ,  où  les  Confédérez  s'étoient  affemblés. 
Comme  i!  y  avoit  envoyé  de  l'infanterie  Efpagnole  ,  il  y  eut 


D  E  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XUII.       445- 

d'abord  de  légères  efcarmouches ,  avec  quelque  perte  du  côté  ^— ...«éi..^ 
de  l'armée  de  NafTaw,  qui  fut  obligé  à  la  fin  de  quitter  ce  Char  LE 
village  j  quoique  le  pofte  fut  avantageux  ;  parce  qu'il  n'y  avoir  jy 
point  de  murailles,  ôc  qu'il n'avoit  pas  letemsdele  fortifier:  ^  r  (5*8, 
il  alla  camper  à  trois  lieuës  de  cette  place  ,  dans  une  Ab- 
baye de  Prémontrés  ,  (nuée  dans  le  territoire  de  Gemmin- 
gem.  La  fituation  de  ce  Monafiere  lui  a  fait  donner  le  nom 
d'Heyligherlée  ;  parce  qu'étant  inacceflible  à  caufe  des  marais, 
dont  il  efl  environné  ,  il  a  fallu  apporter  de  loin  une  terre 
féche  ôc  ferme ,  dont  on  a  fait  un  tertre  ,  fur  lequel  le  mo- 
naftere  a  été  bâti.  Il  y  a  fur  ce  tertre  un  bois  ,  où  les  Confédé- 
fez  s'étoientpoftez.  Le  même  jour  que  les  deux  armées  avoient 
eu  une  légère  efcarmourche  à  Dam  ,  le  comte  d'Aremberg 
pourfuivit  celle  de  Naflfaw ,  comme  il  auroit  pourfuivi  des 
fuyards  ,  foit  qu'il  comptât  fur  une  vidoire  certaine  ,  foit  qu'il 
fût  picqué  de  l'injure  perfonnelle  qui  lui  avoit  été  faire  dans  la 
prife  &le  pillage  de  fon  château  de  Wedden  :  il  réfolut ,  pour 
le  venger  du  chagrin  qu'ils  lui  avoient  caufé ,  de  les  combat^ 
tre  au  plutôt ,  &  de  ne  pas  attendre  l'arrivée  du  comte  de 
Meghen  ,  qui  marchoit  le  plus  vite  qu'il  lui  étoit  poffible.  Ainli 
le  lendemain  de  l'avantage  qu'il  avoit  remporté  fur  l'armée  de 
NafTaw  >  qui  étoit  le  23  de  Mai  ,  le  comte  d'Aremberg  fit 
iTiarcner  fes  troupes  vers  l'Abbaye  d'Heyligherlée  ,  oùNalTa^c 
s'étoit  fortifié. 

Celui-ci  ayant  appris  l'arrivée  du  Comte  ,  mit  fon  armée  en 
bataille  >  il  forma  un  gros  bataillon  quatre  au-devant  du  bois, 
au  pied  duquel  étoit  un  marais ,  &  en  forma  un  autre  à  la  gau- 
che fur  la  croupe  du  tertre,  compofé  d'environ  trois  mille  ar- 
quebufiers  :  il  plaça  fa  cavalerie  à  la  droite,  ôc  il  mit  fur  le  pen- 
chant du  tertre  ,  devant  le  corps  de  bataille  ,  une  troupe  d'en- 
fans  perdus.  Toutes  les  avenues  étant  ainfi  fermées,  il  ne  ref- 
toit  qu'un  chemin  étroit ,  qui  s'étendoit  au  travers  des  Marais, 
le  long  du  bois  jufqu'au  tertre ,  par  où  l'on  alloit  à  l'Abbaye. 
Le  comte  d'Aremberg  y  étant  arrivé,  fit  auffitôt  amener  fon 
artillerie,  ôc  donna  ordre  aux  Efpagnols  de  s'avancer  en  dili- 
gence, pour  attaquer  les  enfans  perdus.  Mais  les  Confédérez 
avoient  un  petit  coteau  qui  les  mettoit  à  l'abri  du  canon.  On 
changea  donc  les  batteries ,  ôc  tandis  qu'on  tranfportoit  les  ca- 
nons ,  les  ennemis  parurent  reculer  peu  à  peu.   Le  comte 

Kkkiij 


44<^  HISTOIRE 

^  d'Arembei'g,  qui  s'imaginaqu'iîs  vouloient  fuir  ^  s'avança aved 


^  trop  d'ardeur  à  larcte  de  trois  cens  chevaux  de  Martinengh  (car 

j\^  il  n'enavoltpas  davantage  avec  lui,  avant  l'arrivée  du  comte 
de  Meghen  )  &  il  fe  précipita  malheureufement  dans  les  marais. 
^  '  Tout  ce  terrain  eft  compofé  d'une  terre  légère  &  friable ,  que 
les  peuples  employentà allumer  le  feu,  après  l'avoir  tirée,  cou- 
pée en  morceaux,  &  fait  fécher.Les  eaux,  dont  ce  payis  eft  rem- 
pli couvrent  aufli-tôt  les  endroits  qui  ont  été  creufez,  pour  en 
tirer  la  terre  :  mais  comme  il  y  croit  de  l'herbe,on  s'imagine  aifé- 
ment  que  tout  le  terrain  eft  folide,  enforte  que  fi  ceux  qui  paf- 
fent  par  là  n'ont  pas  de  bons  guides ,  ils  tombent,  avant  que  de 
pouvoir  connoître  le  péril ,  dans  des  précipices  dont  ils  peuvent 
à  peine  fe  tirer.  Comme  le  comte  d'Aremberg  connoifToitla 
nature  du  terrain  ,  on  fut  très-furpris  de  fa  démarche ,  ôc  on  de- 
manda pourquoi  il  s'étoit  jette  lui  ôc  les  fiens  dans  un  fi  grand 
danger  f  On  a  dit  communément,  &  c'eft  cequiparoit  le  plus 
certain,  que  les  murmures  ôc  les  calomnies  des  Efpagnols fu- 
rent la  feule  caufe  d'une  conduite  fi  imprudente  5  parce  que 
voyant  que  ce  Comte  differoit  de  combattre  >  ils  i'accuferent 
hautement  d'être  d'intelligence  avec  l'ennemi ,  ôc  de  vouloir 
lui  donner  le  tems  de  fe  retirer.  Le  Comte  plein  de  courage 
ôc  d'honneur,  ne  pouvant  fupporter  des  plaintes  fi  injurieufes, 
ni  fouffrir  qu'on  eût  le  moindre  doute  fur  fa  fidélité  ,  n'envifa- 
gea  plus  le  danger,  ôc  marcha  aux  Confédérez  avec  d'autant 
plus  d'imprudence ,  que  fa  perte  fembloit  inévitable. 
Défaite  des  Ainfiles  Efpagnols  attaquant  l'ennemi  fans  ordre,  ôc  lemé- 
Efpagaols.  prifant  extrêmement  (ce  qui  a  toujours  été  très-pernicieux) 
ils  fe  précipitèrent  dans  les  marais,  Ôc  la  plupart,  qui  étoient 
chargez  de  longues  picques,  furent  prefque  engloutis.  Tatidis 
que  la  première  ligne  des  Confédérez  ccmbattoit  avec  les  Ef- 
pagnols, ôc  que  ceux  qui  étoient  dans  le  marais  s'efforçoient 
d'en fortir, les  ennemis,  qui  étoient  (ur  le  derrière,  vinrent  par 
un  chemin  détourné  charger  en  flanc  les  troupes  du  Roi  d'Ef- 
pagne.  Le  comte  d'Aremberg  foutint  long-tems  tous  les  efforts 
de  leur  cavalerie  avec  une  extrême  valeur.  Les  Efpagnols  ont 
écrit  qu'il  tua  de  fa  main  Adolfe  de  Naflaw ,  le  plus  jeune  des 
frères  du  prince  d'Orange  ;  d'autres  difent  qu'il  fût  tué  d'un  bou- 
let de  canon.  Quoiqu'il  en  foit ,  le  Comte  ayant  eu  un  cheval 
tué  fous  lui,  ôc  en  ayant  aufli-tôt  montç  un  autre j  il  revint  à 


D  E  J.   A.   DE   THOU,Liv.   XLIII.        447 

îa  charge  ^  où  il  fe  trouva  accablé  par  le  grand  nombre  des  en- 
nemis qui  l'environnoient.   Enfin  après  un  combat  très-opi-  n  u  *  rle 
niâtre,  il  fut  tué  par  Antoine  de  Soele  de  Hontein,  qui  cher-        t  y 
choit  à  venger  la  mort  de  fon  frère ,  Chevalier  de  Malte ,  qui     i  ^  5  3^ 
venoit  d'être  tué  fous  fes  yeux.  Les  Efpagnols  perdirent  en 
cette  occafion  plufieurs  officiers  d'un  grand  nom  ,  Alvarez  Ofo- 
rio,  Jean  Ferez  de  Sotomayor ,  Pierre  de  Cabrera ,  fept  capi- 
taines ,  &  plus  de  cinq  cens  foidats.  On  leur  prit  fix  canons, 
tout  leur  attirail  de  guerre ,  &  tous  leurs  bagages.  L'infanterie 
Allemande  fe  voyant  environnée  déroutes  parts ,  mit  les  armes 
bas,  fuivant  fa  coutume,  fe  rendit,  &  promit  de  ne  fervir  de 
fix  mois  dans  l'armée  de  Philippe. 

On  lit  dans  Thiftoire  que  trente-deux  ans  auparavant ,  Geor-* 
ge  baron  de  Schenck  avoit  remporté  dans  le  même  lieu  une 
célèbre  vi£loire,  faifant  le  fiége  de  Dam.  Deux  femmes  épri- 
fes  de  fa  bonne  mine,  ôc  craignant  qu'il  ne  périt,  l'avertirent 
qu'il  arrivoit  du  fecours  î  alors  le  Baron  u^a  de  ce  ftratageme  : 
il  laifla  les  tentes ,  l'attirail ,  &  les  bagages  dans  le  camp ,  &  il  y 
fit  allumer  des  feux  partout,  comme  s'il  y  avoit  été.  Enfuite 
il  fe  retira  fans  bruit ,  6c  fans  que  les  aiïiégez  s'en  apperçuffenr, 
vers  Heyligherlée.  S'étant  rendu  maître  de  toutes  les  routes, 
par  où  les  troupes  auxiliaires  dévoient  pafTer  ;  il  les  attaqua  à 
leur  arrivée  dans  le  tems  qu'ils  y  penfoient  le  moins  ,  &  les  ayant 
précipitez  dans  les  marais ,  il  remporta  fur  eux  une  pleine  vie- 
toire  )  ôc  revint  enfuite  continuer  le  fiége.  Les  aihégez  ayant 
appris  ce  qui  s'étoit  palfé ,  ôc  n'ayant  point  d'efperance  d'ê- 
tre fecourus ,  fe  rendirent.  C'eft  ainfi  que  Schenck  qui  com- 
mandoit  les  troupes  de  Charle  V.  contre  le  duc  de  Guel- 
dres ,  prit  Dam,  6c  le  fournit  à  l'Empereur ^  qui  ordonna  d'ea 
rafer  les  murailles. 

Pendant  que  Naflaw  pourfuivoir  l'armée  du  Roi  d'Efpagne,' 
qu'il  avoit  dilïipée  ,  6c  forcée  de  prendre  la  fuite,  il  rencontra 
dans  ion  chemin  André  Salazar  ,  que  le  comte  de  Meghen  avoit 
envoyé  devant  lui,  6c  qu'il  luivoit.  Salazar  foûtint  bravement 
les  efforts  du  vainqueur ,  &  ramaffa  les  débris  de  l'armée  vain- 
cue. Le  corps  du  comte  dAremberg  fut  enterré  dans  le  mo- 
naOere  voifm  Tel  fut  le  fuccès  de  la  bataille  donnée  entre 
Winfchoten  6c  Heyligherlée ,  dans  les  campagnes  que  Tacite 


443  HISTOIRE 

..   ,   I—  a  appelle  Trompeufes  \  qui  font  arrofées  par  l'Ems  ôc  la  Lîp- 

Charle  P^'  ^^  bataille  fut  prefque  aufTifunefte  aux  vainqueurs  qu'aux 
TV-  vaincus,  par  la  mort  de  tant  de  grands  hommes,  que  le  duc 
^'g  d'Albe  fit  exécuter ,  pour  fe  venger  de  la  défaite  de  fon  armée, 
comme  nous  le  dirons  bien-tôt.  Encouragez  par  l'arrivée  du 
comte  de  Meghen,  les  Efpagnols  fe  raflemblerent  auprès  de 
Martinengh ,  ôc  ils  campèrent  à  Zuytbrouk ,  affez  près  des  en- 
nemis. Le  comte  de  Meghen  craignant  que  la  perte  qu'ils  ve- 
noient  de  faire ,  n'achevât  de  mettre  le  trouble  dans  la  îeigneu- 
rie  de  Groningue ,  fit  entrer  dans  cette  ville ,  où  il  n'y  avoit  que 
quatre  enfeignes  commandées  par  Jean  Baceau,  quatre  autres 
enfeignes  du  régiment  d'Aremberg,  &  autant  d'Allemands. 
Nafiaw  après  favidoire  marcha  vers  Groningue,  prit  une  Ab- 
baye qui  en  eft  proche ,  &  y  mit  garnifon. 

Comme  il  y  avoit  fouvent  de  petits  combats  entre  les  deux 
armées ,  Charle  de  Brimes  comte  de  Meghen  reçut  un  coup 
d'arquebufe  au  cou,  ôc  mourut  peu  de  tems  après  de  fa  blef- 
fure.  Ses  gens  ne  tardèrent  pas  à  venger  fa  mort  :  ils  prirent 
l'Abbaye,  ôc  maflacrerent  deux  cens  hommes  qui  y  étoient 
en  garnifon.   Curtio  de  Martinengh  courut  aulTi  un  très-grand 
danger,  ayant  eu  un  cheval  tué  fous  lui.  Le  duc  d'Albe  ayant 
appris  la  défaite  du  comte  d'Aremberg,  envoya  prefque  tous 
les  Efpagnols  à  Namur,ôc  deux  mille  hommes  depié,  avec 
cinq  cens  cavaliers,  à  Maeftricht.  Il  envoya  en  même  tems  Ma- 
ximilien  comte  de  Boffut  Gouverneur  de  Hollande,  pour  for- 
tifier les  autres  villes.  On  publia  aulïl-tôt  une  ordonnance  ,  qui 
enjoignoit  à  tous  ceux  qui  avoient  quitté  les  Payis-bas  pour 
caufe  de  Religion  d'y  revenir ,  fous  peine  ,  s'ils  n'obéilfoient, 
d'être  punis  par  la  confifcation  de  leurs  biens ,  ôc  par  un  bannif- 
fement  perpétuel. 
Le  duc  d'Aï-       Comme  perfonne  n'obéiffoit  à  cet  édit  ^  dans  la  crainte  d'une 
teVun^arand  P^^s  grande  peine?  qu'on  recevoir  tous  les  jours  des  nouvel- 
nombre  ^de     les  de   nouveaux  troubles   ;  qu'on  en  apprehendoit  encore 
Seigneurs  &  (j'auttes  5  Quc  l'on  répandoit  des  mémoires  ou  libelles  ,  & 

de  Gentils-  ,,         j\  .,         .  r  i-  j      p  i 

hommes  Fia-  quc  1  on  ailtriDuoit  en  divers  lieux  de  1  argent  pour  gagner  les 

wans.  peuples  5  le  duc  d'Albe  réfolut  enfin  d'exécuter  ce  qu'il  médi- 

toit  depuis  long-tems ,  ôc  de  faire  éclater  la  haine  implacable 

I  In  camps  fallacibiis, 

qu'il 


D  E  J.  A.  D  E   T  H  O  U  ,  L  r  V.  XLIII.       44^ 

u'il  avoit  conçue  contre  les  feigneurs  &  la  noblefle  de  Flan- 

re ,  qu'il  accufoit  d'avoir  caufé  les  troubles  dont  ce  payis  étoit  C  h  a  r  l  E 

agité.  .......  IX. 

Il  fit  donc  venir  les  prifonniers  ^  qu'il  avoit  fait  condamner  ,  -  /» 
comme  coupables  du  crime  de  leze-Majefté ,  ôc  il  les  fit  exécu- 
ter publiquement  à  Bruxelles  le  premier  jour  de  Juin.  Les  pre- 
miers exécutez  furent  Gibert  6c  Theodoric  de  Battembourg  frè- 
res, qui  avoient  été  pris  l'année  précédente,  en  paffantlc  détroit 
qui  répare  la  Hollande  ôc  la  Frife  ;  Pierre  Andelot,  Philippe 
de  Winghen ,  Maximilien  Cock ,  Philippe  Triefl  de  Gand , 
Jean  de  Bois  deTreflong,  Barthélémy  de  Val ,  Herman  Gala- 
nia,  Artus  Batfon,  Sicurt  Beyma,  natif  de  Frife,  Jacque  de  Pen- 
tane,  Firmin  Pelletier,  Conftantin  de  Bruxelles,  Jean  de  Rumau 
ôc  Louis  du  Carlier  natif  de  Cambray,  Pierre  Ôc  Philippe  Wa- 
terleys ,  autrement  Daelts^  frères.  Le  lendemain  on  mena  publi- 
quement au  fupplice  Jean  de  Montigny  Villiers  ôc  du  Dhuy, 
de  la  plus  ancienne  noblefle  de  Flandre  ,  qui  avoient  aufîi  été 
pris  à  Dalem  ;  Quintin  Benoifl  bailli  d'Anghien ,  &  Corneille 
Nieem  orateur ,  qui  s'étoit  acquis  parmi  eux  une  grande  répu- 
tation. On  fit  venir  par  le  coche  de  Gand ,  où  ils  étoient  en 
prifon ,  Lamoral  comte  d'Egmond ,  ôc  Philippe  de  Montmo- 
renci  comte  de  Horn,  conduits  par  dixenfeignes  d'Efpagnols, 
ôc  par  une  troupe  de  cavalerie  ;  ôc  lorfqu'ils  furent  arrivez  à 
Bruxelles,  on  les  remit  en  prifon  vis-à-vis  la  place  publique. 
Alors  on  prononça  leur  fentence  de  mort,  portée  parle  duc 
d'AIbe ,  juge  fouverain  du  Confeil  criminel.  C'eft  le  titre 
qu'il  prenoit. 

On  accufoit  le  comte  d'Egmond ,  comme  il  étoit  porté  dans 
la  fentence ,  de  s'être  immifcé  dans  les  troubles ,  contre  la  fi- 
délité ôc  l'obéiflance  dues  au  Roi ,  ôc  de  s'être  rendu  coupa- 
ble de  parjure  Ôc  de  fédition  j  d'avoir  figné  la  déteftable  con- 
fédération du  prince  d'Orange,  ôc  de  fes  aflfociez  pour  la  li- 
berté des  Payis-bas ,  contre Tlnquifition  d'Efpagne ,  c'eft-à-dire 
contre  l'autorité  ôc  la  majefté  du  Roi  5  d'avoir  pris  la  Noblefle 
fous  fa  protection,  ôc  d'avoir  au  préjudice  de  la  Religion  Catho- 
lique, fouffertôcauthoriféparune  lâche  condefcendence  lesCé- 
ditions,ôc  les  horribles  effets  de  l'audace  effrénée  des  Proteflans, 
u'il  auroit  du  reprimer  en  qualité  de  Gouverneur  de  la  province 
e  Flandre ,  que  le  Roi  avoit  confiée  à  fes  feins.  On  reprochoit 
Tome  V.  LU 


I 


45*0  HISTOIRE 

prefque  les  mêmes  chofes  au  comte  de  Horn. 


Charle      ^^  haine  déclarée  du  duc  d'Albepour  tous  les  étrangers, 
IX        ^  lur-tout  pour  le  comte  d'Egmond  ,  qui  par  fa  dignité^  fou 
I  c  5  's     ^"^^''^if^^  ^  ^es  fervices  ne  cedoit  à  perfonne ,  peut-être  pas  même 
au  duc  d'Albe^fut  la  vraie  caufe  de  la  mort  de  ces  deux  Comtes. 
d'Eg"  on'n^  On  croit  que  ce  qui  hâta  leur  perte  fut  la  nécelTité  où  le  duc 
de  Horn  con-  d'Albc  fc  trouva  d'aller  lui-même  ^  avec  toutes  les  troupes  du 
eSutez^     Roi  en  Frife ,  pour  venger  la  défaite  du  comte  d'Aremberg  : 
il  craignoit  que  s'il  laiflbit  derrière  lui  ce  nombre  de  feigneurs 
&  degentilshommesj  quoique  prifonniers,  ils  n'excitaflent  quel- 
ques nouveaux  troubles  pendant  fon  abfence.  Ainfi  pour  fe 
délivrer  de  cette  apprehenfion ,  pour  répandre  la  terreur  dans 
tous  les  efprits  par  le  fupplice  des  principaux  de  laNoblefle, 
pour  avoir  l'efprit  plus  libre,  ôc  pour  fe  rendre  plus  terrible  à 
l'ennemi ,  qu'il  alloit  combattre  ,  le  Duc  ordonna  l'exécution 
de  la  fentence. 

Lorfqu'on  en  eut  fait  la  le£lure  au  comte  d'Egmond ,  il  dit 
qu'il  ne  croyoit  pas  que  fa  vie  paffée  eût  fi  fort  ofFenfé  le  Roi, 
qu'il  dut  être  puni  'ii  févérement  :  Que  néanmoins  il  demandoiî 
en  grâce ,  que  s'il  avoir  fait  quelque  faute  quelle  quelle  fût ,  on 
fe  contentât  de  la  lui  faire  expier  par  la  perte  de  fa  vie  ôc  de 
fes  biens ,  ôc  qu'on  n'étendît  pas  la  peine  jufqu'à  deshonorer 
une  11  illuftre  Maifon ,  ôc  à  perdre  fa  femme  ôc  fes  enfans  :  Qu'au 
refte  il  étoit  difpofé,  puifque  c'étoit  la  volonté  de  Dieu  ôc  du 
Roij  à  fouffrir  patiemment  la  mort.  Alors  il  demanda  une  plu- 
me, ôc  écrivit  au  Roi  d'Efpagne  en  François  :  Que  fa  con- 
fcience  ne  luireprochoit  pas  d'avoir  jamais  rien  entrepris  con- 
tre la  fidélité  qu'il  devoit  à  fon  Souverain  ,  ou  qui  pût  caufer 
le  moindre  préjudice  à  la  Religion  Catholique  :  Qu'il  n'avoit 
rien  fait  que  ce  qu'il  avoit  crû  être  utile ,  ôc  même  néceffaire 
pour  le  fervice  de  fa  Majefté  »  ôc  pour  le  bien  public  :  Qu'il 
le  fupplioit  donc,  s'il  avoit  en  cela  commis  quelque  faute,  de 
vouloir  bien  la  lui  pardonner,  ôc  d'ufer  de  cette  bonté,  qui 
lui  étoit  naturelle ,  envers  une  femme ,  des  enfans ,  ôc  des  do- 
meftiques ,  qui  étoient  entièrement  innocens.  Il  donna  fa  lettre 
cachetée  à  l'évêque  d'Ypres,  qui  l'alTiftoitau  fupplice ,  le  priant 
de  l'envoyer  au  Roi  5  ce  que  le  Prélat  lui  promit.  Il  ne  s'appli- 
qua plus  après  cela  qu'à  la  prière  i  il  fit  fa  confeflion  à  l'évêque 
d'Ypres ,  il  en  reçut  l'abfolution,  ôc  il  fe  prépara  à  la  mort. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIII.       45-1 

Le  comte  de  Horn  dit  d'abord ,  qu'il  feroit  fa  confefTion  à  . 

Dieu  ,  &  refufa  de  s'entretenir  avec  l'évêque  d'Ypres  :  mais  en-  p  «  *  i>  1  g 
fin  il  fut  obligé  de  faire  ce  que  le  comte  d'Egmondavoit  fait,        Ty 
Ôc  h  nuit  fepaffa  dans  ces  exercices.  Le  lendemain,  veille  de  .-'g 

la  Pentecôte  j  de  Juin ,  le  comte  d'Egmond  demanda  pour 
toute  grâce ,  qu'on  ne  différât  pas  l'exécution  plus  long-tems, 
craignant  que  fon  ame ,  troublée  par  une  penfée  trop  vive  de  la 
mort ,  nefe  livrât  à  quelques  fentimens  de  defefpoir.  Ainfi  on  le 
conduifit  fur  le  midi  dans  la  place  publique ,  oi^i  l'on  avoit  dreffé 
un  échaffaut  couvert  de  drap  noir,  &  dont  toutes  les  avenues 
ctoient  occupées  par  des  foldats ,  foit  pour  l'apareil ,  foit  pour 
empêcher  qu'il  ne  s'élevât  quelque  émeute. 

Le  Comte  étoit  accompagné  de  Julien  Romero  maréchal 
de  camp ,  de  François  Saline ,  ôc  de  l'évêque  d'Ypres.  Lorf- 
qu'on  lui  eiat  tranché  la  tête,  on  jetta  un  drap  noir  fur  fon  corps, 
&  on  amena  le  comte  de  Horn.  Ce  Seigneur  confeffa  qu'il 
étoit  coupable  devant  Dieu  de  bien  des  péchez  i  il  fouhaita 
mille  profperitez  à  tous  ceux  qui  étoient  préfens ,  il  les  pria  de 
joindre  leurs  prières  aux  fiennes  :  mais  on  eut  beau  le  preffer 
de  reconnoître  qu'il  avoit  offenfé  le  Roi ,  de  la  manière  dont 
on  cherchoit  à  le  lui  faire  avoiier  par  les  queftions  qu'on  lui 
faifoit ,  il  le  refufa  toujours  conftamment.  Enlin  s'étant  dépouil- 
lé ,  il  fe  mit  à  genoux  fur  un  carreau ,  ôc  ayant  recommandé 
fon  ame  à  Dieu  ,  le  boureau  lui  coupa  la  tête.  Les  têtes  de  ces 
deux  Comtes  furent  attachées  à  des  poteaux  de  fer ,  ôc  demeu- 
rèrent expofées  deux  heures  à  la  vûë  du  peuple.  Leurs  corps 
furent  mis  dans  des  cercueils  de  plomb,  ôc  dépofez  dans  l'E- 
glife  de  fainte  Claire  qui  étoit  près  de  là.  Celui  du  comte  d'Eg- 
mond fut  enfuite  enterré  à  Sottinghem ,  ville  de  Flandre  qui 
lui  appartenoit ,  ôc  celui  du  comte  de  Horn  à  Campine ,  dans 
le  Brabant. 

Telle  fut  la  fin  du  comte  d'Egmond,  âgé  de  quarante  fix  ans, 
un  des  plus  illuftres  Seigneurs  de  fon  tems ,  ôc  par  fa  naiffan- 
ce ,  ôc  par  fes  vertus  militaires.  Il  avoit  rendu  de  très-grands 
fervices  à  Philippe ,  ôc  fur-tout  dans  les  batailles  de  Saint  Quen- 
tin ôc  de  Gravelines,  dont  on  lui  attribua  unanimement  ôc  avec 
juftice  toute  la  gloire.  On  n'eut  alors  aucun  égard  à  tant  d'ex- 
ploits, à  tant  de  fuccès,  ni  à  des  fervices  fi  importans.  L'hor- 
seur  qu'on  avoit  connue  pour  les  Proteftans,  aufquels  on  croyoit 

LU  ij 


4;^  HISTOIRE 

I  que  le  Comte  avoit  été  favorable  ^  ou  plutôt  la  haine,  la  jaîou- 
C  H  A  R  L  E  ^^^'  ^  l'envie  du  duc  d^Albe ,  qui  faifoit  un  abus  manifefte  de  la 
j  ^^       puifTance  qui  lui  étoit  confiée ,  l'emportèrent  furies  égards  dus 
j  ^  ^  g      au  mérite  &  aux  fervices  du  Comte.  Ce  qui  lui  fit  plus  de  pei- 
ne, fut  de  laiffer  en  mourant  dans  une  extrême  pauvreté  Sabi- 
ne de  Bavière  fon  époufe ,  trois  fils  ôc  huit  filles.  Le  comte  de 
Horn  mourut  fans  enfans. 

Auflî-tot  après  cette  exécution  ,  Antoine  de  Stralen  Bourg- 
meftre  d'Anvers  ,  &  Jean  Cafembroot  de  Backerfel  fecre- 
taire  du  comte  d'Egmond  furent  appliquez  à  une  ^très-cruel- 
le  queftion  à  Vilvoorde.  Tant  de  llipplices  jetterent  alors  une 
grande  terreur  dans  les  efprits  i  mais  elle  fe  changea  enfuite 
en  haine,  &  en  horreur  pour  le  nom  Efpagnol ,  ôc  dégénéra 
enfin  en  un  défefpoir,  qui  caufa  la  révolte  de  tous  les  Payis- 
bas.  Trente  ans  entiers  fe  paiïerent  à  répandre  le  fang  de  part 
&  d'autre,  ôc  cette  guerre  cruelle  fe  termina  enfin  par  la  perte 
que  la  Maifon  d'Autriche  fit  d'un  de  Ces  Etats  héréditaires. 

Peu  de  tems  auparavant ,  le  28  de  Mai ,  par  fentence  du  Con- 
feil  de  fang ,  la  maifon  de  Floris  de  Pallant  comte  de  Culem- 
bourg,  à  Bruxelles,  oiile  duc  d'Albe  avoir  demeuré  jufqu'au  dé- 
part delà  duchefle  de  Parme,  fut  rafée  3  la  place  fut  pavée,  ôc  on 
y  érigea  une  pyramide  de  marbre ,  avec  une  infcription  aux 
quatre  cotez ,  en  quatre  langues  j  qui  contenoit  en  fubftance  : 
que  la  maifon  avoit  été  détruite  de  fond  en  comble,  pour  con- 
ferver  la  mémoire  de  la  déteftable  conjuration  qui  y  avoit  été 
faite  deux  fois  contre  la  Religion  CathoUque  Romaine,  con~ 
tre  l'autorité  Royale ,  ôc  contre  les  provinces  des  Payis-bas. 

Cependant  le  duc  d'Albe  ayant  appris  la  perte  de  la  bataille 
en  Frife,  ôc  la  mort  du  comte  d'Aremberg,  envoya  aufli-tôt 
à  Groningue  pour  le  remplacer ,  Chiappino  Vitelli ,  grand  Ma- 
réchal ,  avec  fix  compagnies  d'Allemands  du  régiment  de  Me- 
ghen,  quatre  du  régiment  de  Jean  Buech,  ôc  ifoo  chevaux 
Allemands  commandez  par  Eric  de  Brunfwich,  qui  avoient  re^ 
çû  ordre  de  s'aflembler  à  Deventer  dans  l'Over-yfi^el.  On 
commanda  aufii  à  l'infanterie ,  que  le  baron  d'Hiergues  levoit 
dans  TArtois,  ôc  dans  les  châtellenies  d'Ypres ,  de  Furne  ôc 
de  Dixmude ,  ôc  à  fix  cornettes  de  cavalerie ,  fous  les  ordres 
de  Gafpard  de  Robles  de  Billy ,  de  fe  joindre  au  prince  de 
Brunfwich.  Louis  deNaifaw,  enflé  de  la  victoire  ^  avoit  mené 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XLIIL        45S 

fes  troupes  vers  Groningue ,  ôc  s'étoit  campé  ôc  fortifié  à  trois  s> 


milles  de  la  ville ,  après  s'être  rendu  maître  des  lieux  circon-  Char  le 
voifins,  ôc  fur-tout  d'un  Couvent  de  filles,  où  il  avoit  mis  jx. 
garnifon  j  de  forte  qu'il  avoit  derrière  lui  Emden  ,  l'évêché  j  r  5  g, 
de  Munfter  Ôc  la  Weftphalie  ,  dont  il  tiroit  une  grande  quan- 
tité de  vivres.  Ayant  occupé  tous  les  paffages  ,  qui  étoient 
devant  lui ,  il  fembloit  qu'il  allcit  inveftir  ôc  ferrer  de  près 
la  ville.  Tel  eft  le  terrein  de  ce  payis  -  là  ,  que  les  eaux  ve- 
nant à  remplir  les  foffes  creufées ,  pour  les  raifons  que  nous 
avons  rapportées  j  fi  on  s'écarte  des  chemins  que  l'art  a  mé- 
nagez y  on  tombe  dans  des  abîmes  marécageux  ,  dont  il  efi: 
très-difficile  de  fe  tirer ,  ôc  dans  lefquels  on  eft  prefqu'afTuré 
de  périr.  Ainfi  lorfque  Vitelli  vint  à  Groningue,  on  applanit 
tous  les  chemins  qui  conduifoient  à  la  ville  ,  afin  qu'on  pût 
voir  l'ennemi  de  plus  loin ,  ôc  que  la  cavalerie  trouvant  un 
terrein  uni,  pût  combattre  plus  aifément.  Les  deux  armées  du 
Roi  ôc  des  Confédérez  étant  fi  près  l'une  de  l'autre  ,  il  y  avoit 
fouvent  de  petits  combats ,  prefque  toujours  defavantageux  aux 
-XDonfédérez.  Les  troupes  de  la  ville  étant  forties  pour  s'empa- 
rer d'un  pofte  avantageux  .  fitué  entre  le  couvent  ôc  la  ville  ,  iî 
y  eut  un  combat  dans  lequel  les  Confédérez  perdirent  150  de 
leurs  gens ,  tandis  que  ceux  de  la  ville  en  perdirent  à  peine 
dix.  Ce  qui  continua  de  la  même  fa(^on  jufqu'à  l'arrivée  du 
duc  d'Albe. 

Ce  Duc  ayant  réfoîu  de  partir  pour  la  Frife,  fit  venir  dix- 
fept  enfeignes  du  régiment  deNaples  ,  qui  étoit  en  garnifon 
à  Gand  ,  ôc  il  en  laifi!a  deux  dans  la  citadelle.  Il  en  prit  dix  du 
régiment  de  Lombardie ,  qui  étoit  à  Maeftricht  ,  ôc  autant 
du  régiment  de  Sicile,  qui  étoit  à  Bruxelles,  ôc  il  les  fit  tou- 
tes marcher  à  Bolleduc.  Il  commanda  à  la  CrefiToniere  gouver- 
neur de  Bruxelles ,  de  faire  amener  dix- fept  canons  de  Mali- 
nes  i  à  Sainte  Aldegonde  baron  de  Norkermes ,  de  fe  mettre 
à  la  tête  de  la  cavalerie  légère,  ôc  de  lever  1000  cavaliers  en 
Franche- Comté  3  ôc  à  Jean  de  Croy  comte  du  Reux,  de  le- 
ver de  l'infanterie  dans  l'Artois  ôc  le  Hainault.  Ayant  mis  une 
garnifon  convenable  dans  Valenciennes ,  il  s'avança  jufqu  à 
Bos-le-Duc  ,  oii  il  obligea  tous  les  Confeillers  du  Roi  de  ffi 
rendre  ,  pour  défiberer  fur  ce  qu'il  conviendro.it  de  faire,  lî 
fit  courir  le  bruit  qu'il  ne  s'agiroit  que  des  fecours  »  qu'il  falloix: 

L  1  l  iij 


^S3  HISTOIRE 

envoyer  en  Frife  :  car  il  vouloit  faire  croire  à  tout  le  monde  » 
^         ~~  que  plufieurs  raifons  rempêchoient  d'y  aller  en  perfonne. 

j  ^  Etant  donc  parti  de  Bruxelles  le  2  j  de  Juin ,  il  arriva  à  Ma- 

lines  le  mcme  jour  ,  ôc  le  lendemain  à  Anvers.  Il  mit  dans  la 

^  *  citadelle  Gabriel  Serbellon,  avec  deux  enfcignes  d'Allemands 
du  Régiment  d'Alberic  ,  comte  de  Lodron,  ôc  il  en  deftina 
fix  autres  du  même  régiment  pour  la  garde  de  la  ville.  Il  alla 
enfuite  avec  toute  l'armée  à  Bos-le-Duc.  Là  ayant  appris  que  le 
comte  de  Bredemberg,  beau-freredu  prince  d'Orange ,  s'étoit 
emparé  de  Berchem ,  ôc  que  cette  ville  étant  prife^  on  ne  pour- 
voit plus  tranfporter  des  vivres  du  Brabant  en  Frife  ;  il  y  en- 
voya fur  le  champ  Sancho  de  Londoiïo ,  avec  fon  régiment 
qui  étoit  logé  à  Trenel  6c  à  Grave.  Londoiïo  prit  avec  lui 
la  compagnie  de  cavalerie  de  Nicolas  Bafta  Albanois,  une 
compagnie  d'ordonnance  ,  ôc  fix  pièces  de  canon.  Aufîi-tôt 
qu'il  fut  arrivé,  il  s'approcha  de  la  ville  ,  pour  la  vifiter,  avec 
un  très-petit  nombre  de  gens.  Mais  la  garnifon  qui  ne  comp- 
toir pas  beaucoup  fur  les  fortifications  de  la  ville  ,  en  fortit 
la  nuit  fuivante  ,  ôc  y  lailTa  neuf  canons.  S'étant  difperfcs  çà  ôc 
îà  ,  les  troupes  du  Roi  les  furprirent  ôc  en  tuèrent  la  meilleure 
partie. 

On  avoit  envoyé  devant  à  Deventer  François  de  Barra  , 
pour  avoir  foin  des  vivres  :  ôc  on  avoit  préparé  des  batteaux> 
afin  que  l'infanterie  pût  pafler  en  même-tems  ôc  en  fiireté  i'IiTel, 
la  Meufe  .  le  Vahal ,  ôc  le  bras  fuperieur  du  Rhin  :  ce  qui  fut 
exécuté  avec  autant  de  diligence ,  que  de  bonheur,  quoique 
les  pluyes  fréquentes  eulTent  extrêmement  fait  groiïir  ces  riviè- 
res. Enfin  le  duc  d'Albe  arriva  à  Deventer  le  10  de  Juillet  , 
Ôc  il  y  trouva  Jean  Bernard  ,  qui  conduifoit  300  cavaliers  Al- 
lemands. Auffi-tôt  il  donna  des  commiflaires  à  Jean-Baptifte 
de  Monte  ,  à  Aurelio  Palermo ,  ôc  à  George  Machuca  ,  pour 
engager  chacun  une  compagnie  de  cavalerie  des  Italiens  Ôc 
des  Albanois ,  qui  avoient  depuis  peu  fervi  en  France ,  ôc  qu'on 
avoit  renvoyez.  Il  en  donna  aulTi  une  à  Lopez  d'Acuna,  pour 
lever  une  compagnie  de  cavalerie  légère  Efpagnole. 

Le  lendemain ,  le  duc  d'Albe  partit  de  Deventer  avec  fes 
troupes  j  ôc  à  la  tête  d'une  compagnie  d'arquebufiers  à  cheval, 
commandée  par  Montero ,  il  vint  à  Ommen.  Le  jour  fuivant  il 
iarriva  à  Coevorden ,  ville  fameufe  par  la  bataille  célèbre  qui  y 


DE   J.   A.   DE  THOU.Liv.  XLIIL       45^^ 

fat  donnée  le  28  de  Juillet  1227,  dans  laquelle  Othon  évêque  _, 

d'Utrecht  (que  d'autres  appellent  Bernard  )  fut  furpris  &  tué  Charle 
avec  5" 00  des  principaux  de  fon  armée,  par  Rodolphe  deFrife        j  y 
entre  le  marais  &  la  ville  :  Gérard  duc  de  Gueldres ,  ôc  Gife-      »  r-  5  g 
bert  Arneftel  Hoilandois  qui  commandoient  l'armée  fous  FE- 
véque  furent  faits  prifonniers. 

De  Coevorden  ,  le  duc  a  Albe  alla  le  lendemain  à  Rolde , 
qui  en  eft  éloigné  de  deux  milles  5  il  y  trouva  Chiappino  Vitelli , 
avec  la  cavalerie  de  Brunfwich.  Là  il  apprit  que  l'ennemi  at- 
tendoit  de  jour  en  jour  un  renfort  de  600  cavaliers  Allemands, 
&  de  15*00  hommes  de  pied ,  que  le  comte  d'Hoocftrate  avoit 
levés  en  France ,  en  Flandre  6c  dans  la  Lorraine  5  ôc  qu'il  fe 
difpofoit  à  attaquer  un  Fort  élevé  par  les  Royaliftes ,  dans  le- 
quel on  avoit  mis  trois  compagnies  du  régiment  de  Buech  : 
ce  qui  fit  qu'il  continua  fa  route,  6c  partit  de  grand  matin  3. 
faifant  marcher  à  la  tête  de  fon  armée  300  arquebufiers,  com- 
mandez par  Montefdoca  ,  par  Diego  de  Bracamonte ,  6c  par 
Laurent  Perea,  avec  des  charettes  chargées  de  vivres.  Le' 
comte  de  Meghen  vint  le  recevoir  en  chemin,  avec  fa  cava- 
lerie ôc  fon  infanterie  ;  ôc  enfin  il  arriva  fans  aucun  accident 
à  Groningue.  Ayant  pafle  au  travers  de  la  ville ,  il  alla  loger 
près  de  la  porte  de  la  rivière.  Il  y  tînt  confëil  avec  Ferdinand 
fils  de  Prieur  ,  Vitelli  Norkermes ,  ôc  Londoîio.  Suivant  ce 
qui  y  fut  réglé ,  après  avoir  bien  fait  examiner  le  camp  des 
ennemis ,  il  envoya  devant  lui  Cefar  d'Avalos,  Ôc  CurtioMar- 
tinengh  ,  avec  la  cavalerie  légère  ôc  des  arquebufiers  à  cheval  ^ 
pour  applanir  les  avenues ,  ôc  fortifier  infenfiblement  quelque 
logement  auprès  des  ennemis. 

Louis  de  Naiïaw  avoit  déjà  abandonné  le  monaftere  ôc  les 
autres  poftes  qui  étoient  devant^  ôc  il  s'étoit  retiré  dans  fort 
camp  ,  où  il  s'étoit  fortifié  5  enforte  qu'il  étoit  couvert  d'un 
côté  par  la  rivière  ,  ôc  de  l'autre ,  par  un  fofle  très-profond. 
Il  avoit  auffi  fait  conftruiré  deux  ponts  fur  la  rivière ,  ôc  forti- 
fier deux  maifons  à  l'autre  bord.  Il  y  avoit  fait  faire  des  cano- 
nieres ,  y  avoit  mis  garnifon ,  ôc  y  avoit  fait  porter  des  torches  5 
afin  que  s'il  en  étoit  befoin  ,  on  pût  aifement  mettre  le  feu  à 
ces  maifons,  ôc  que  l'armée  du  Roi  ne  pût  pas  s'enfervir.  Il 
avoit  encore  fortifié  à  fa  gauche  Maifon- rouge,  lieu  allés 
proche  du  camp. 


4y<?  HISTOIRE 

Le  duc  d'AIbe  y  envoya  d'abord  Gafpard  deRobles,  avec 

Charle  200  arquebufiers ,  commandez  par  Ganteau  ôc  Germigny. 
I X.  Après  un  combat  long  &  opiniâtre,  ils  s'en  rendirent  enfin  les 
i  ^  6B.  maîtres  :  alors  ils  donnèrent  avis  au  duc  d'AIbe,  que  l'enne- 
mi  fongeoit  à  fe  retirer,  ôc  qu'il  ctoit  à  propos  de  l'attaquer 
par  cet  endroit ,  qui  étoit  le  moins  fort.  En  effet,  il  n'y  avoir 
que  le  fofle  ;  6c  pour  le  forcer  il  n'y  avoir  ni  rivière  ni  ruiffeau 
à  paflfer.  Le  duc  envoya  aufll-tôt  200  arquebufiers  du  régi- 
ment deSardaigne  ,  fous  les  ordres  de  François  deBeaumont , 
&  ordonna  que  dès  qu'on  verroit  l'ennemi  abandonner  fes 
retranchemens  on  l'attaquât  de  ce  côté-là.  On  avoit  auffi  pré- 
paré des  batteaux ,  afin  que  fi  l'ennemi  demeuroit  plus  long- 
tems  dans  fon  camp ,  l'armée  du  Roi  pût  le  lendemain  paner 
la  rivière  &c  l'attaquer  de  l'autre  côté. 

Louis  de  Naffaw  reçut  cependant ,  par  les  derrières  de  fon 
camp  )  un  renfort  de  fix  enfeignes  d'Allemands ,  &  de  feize  de 
François,  commandés  par  George  Lallain  baron  de  Ville,  frère 
du  comte  d'Hoocftrate  qui  étoit  dans  le  parti  du  prince  d'O- 
range. Il  étoit  midi,  lorfquele  duc  d'AIbe  apprit  par  fes  ef- 
pions  que  l'ennemi  penfoit  à  décamper.  Il  chargea  auffi-tôt  Al- 
fonfe  Ulloa  de  fe  mettre  à  la  tête  d'un  détachement  de  40.0 
arquebufiers  Efpagnols  fous  les  ordres  de  Diego  Henriquès , 
d'Innigo  de  Medinilla,  de  Ferdinand  d'Anafco,  d'André  de 
Salazar  gouverneur  de  la  citadelle  de  Palerme  en  Sicile ,  6c 
de  Jean  d'Efpuche,  Caftelan  de  Piombino  en  Tofcane ,  6c  d'at- 
taquer le  retranchement  des  ennemis.  Il  commanda  en  même- 
tems  à  Nicolas  Bafta  6c  à  Montero  ,  que  fi  l'ennemi  ne  fe  re- 
tiroit  pas  ce  jour-là ,  ils  l'attaquaffent  avec  la  cavalerie  par  la 
droite  ,  où  Vitelli  avoit  fait  applanir  les  chemins  :  non  qu'il 
efperât  de  le  forcer  (  car  la  fituation  naturelle  du  terrain  en  ren- 
doit  l'accès  très  -  difiicile  )  mais  pourl'empêcher  de  s'en  aller  ^ 
6c  l'amufer  jufqu'au  point  du  jour  ;  afin  qu'on  eût  le  tems  de 
l'inveftir  de  tous  les  cotez ,  6c  de  le  forcer  à  une  bataille.  Louis 
de  Naflaw  étant  déjà  fur  le  point  de  partir  ,  6c  ayant  fait  pren- 
dre les  devants  à  une  partie  du  bagage  ,  les  troupes  du  Roi 
l'attaquèrent  avec  tant  de  vigueur  ,  qu'ayant  franchi  le  fofle  , 
ils  pouffèrent  l'ennemi  jufque  dans  l'intérieur  de  fon  camp ,  6c 
pafferent  les  ponts  dont  nous  avons  parlé  :  mais  le  feu  qui  fut 
^lis  aux  maifons  par  les  fuyards,  empêcha  les  Efpagnols  de  les 

pourfuivre 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLIÎI.       4;? 

jpourfuivre.  Il  y  eut  300  hommes  de  NafTaNS^  tués,  on  prit  trois 
pièces  de  campagne  ôc  un  drapeau.  Diego  Henriques ,  Alfonfe  C  h  a  R  l  E 
de  Vargas ,  Anafo  &  MediniDa  combattirent  avec  une  extrême        IX. 
valeur  ;  &  l'ardeur  des  Royaliftes  fut  telle ,  que  plulleurs  de  la     1568. 
cavalerie  légère  defcendirent  de  cheval  pour  pafler  la  rivière 
à  la  nage  .tenant  d'une  main  la  queue  de  leur  cheval,  Ôc  une 
picque  de  l'autre.  Le  combat  durajufqu'au  foir.  Le  duc  d'Aï- 
be  ayant  alors  fait  battre  la  retraite  ,  revint  à  Groningue. 

Il  y  lailTa  JeanBucch  pour  garder  la  ville  ,  avec  quatre  en- 
feignes  d'Allemands  ,  ôc  la  cavalerie  de  Brunfwich  ,  parce 
qu'on  ne  pouvoir  en  faire  aucun  ufage  dans  ces  lieux.  Enfuite 
il  envoya  Chiappino  Vitclh  avec  2000  hommes  de  pie ,  pour 
pourfuivre  les  ennemis  dans  leur  fuite,  ôc  lui  donna  une  com- 
pagnie de  cavalerie  Allemande  ,  fous  la  conduite  de  Jean  Ber- 
nard. Le  duc  le  fuivitavec  deux  cornettes  de  cavalerie  legerej 
ôc  ayant  appris  que  Naflaw  avoir  tiré  deux  enfeignes  d'infan- 
terie de  Dam ,  pour  renforcer  fon  armée  ,  ôc  qu'il  marchoit 
avec  toutes  fes  troupes  à  Sutebourg  j  il  y  envoya  Cefar  d'A- 
valos  avec  joo  des  arquebufiers  de  Vitelli   ôc  fa  compagnie 
de  cavalerie.  Pour  lui>  il  alla  à  Veden  ,  château  appartenant 
à  la  maifon  d'Aremberg ,  ôc  de  là  à  Reiden,  village  del'évê- 
ché  de  Munfter  ,  où  ^y  a  un  pont  de  bois  fur  l'Ems.  Il  le  fit 
fur  le  champ  fortifier  par  un  Foc t  qu'il  fit  conftruire  à  l'autre 
bord ,  ôc  il  y  mit  garnifon.  Bernardin   Mendofe  reproche  à 
Louis  de  Nafl^aw  j  comme  une  très-grande  faute  ,  de  ne  s'être 
pas  rendu  maître  de  ce  pont  j  parce  que  l'ayant  une  fois  pris 
ôc  transféré  fon  camp  de  l'autre  côté  de  la  rivière  ,  il  auroitpû , 
fans  courir  aucun  danger,  attendre  les  fecours  que  le  prince 
d'Orange  fon  frère  lui  amenoit  d'Allemagne  ,  ayant  entre  les 
troupes  du  Roi  ôc  fon  armée, TEms  qu'il  n'étoit  pas  poffible 
de  paffer  à  gué. 

Tandis  que  le  duc  d'Albe  étoit  à  Reiden ,  fes  efpions  vin- 
rent lui  dire  que  Naflaw  s'itoit  campé  à  deux  milles  de  ce  vil- 
lage ,  à  Gemmingen  ,  autre  village  du  comté  d'Emdcn ,  fitué 
à  l'embouchure  de  l'Ems.  11  en  partit  donc  le  21  de  Juillet 
dans  le  defllein  de  livrer  combat  à  NafiTaw  ,  qui  ne  pouvoit  l'é- 
viter ,  ayant  l'ennemi  de  front  ôc  la  rivière  à  dos.  Le  duc  fe 
mit  en  chemin  de  très-grand  matin  pendant  un  broiiillardfort 
cpais.  Mais  le  foleil  l'ayant  difTipc,  après  qu'il  eût  fait  un  mille 
Tom,  V.  M  m  m 


4^8  HISTOIRE 

&  demi,  il  fît  faire  alte  à  fa  cavalerie  dans  nnlieu  avantageux. En- 
C^H  A  R  L  E  ^^^^^  ^^  confia  la  garde  du  pont  àFerdinandPrieur,  pour  n'y  laiiTer 
jy         paffer  qui  que  ce  fût  fans  un  ordre  exprès.  Puis  prenant  avec  lui 
V  r-  /-  c       Norkermes  ôc  Vitelli ,  il  envoya  devant  Sancho  d'Aviîa ,  pour 
reconnojtre  les  ennemis  a  un  autre  cote.  11  s  avança  un  peu  ôc 
miîndaà  Prieur  de  lui  envoyer  Cefar  d'Avalos,  avec  une  com- 
pagnie de  cavalerie  ,  ôc  200  arquebufiers  du  régiment  deLom- 
bardie  ,  fous  les  ordres  de  Diego  de  Carvajal.  Il  leur  fit  faire  alte 
dans  cet  endroit ,  ôc  leur  ordonna  de  garder  le  pafTage.  Après 
s'être  avancé  ,  ne  pouvant  rien  apprendre  de  certain  de  l'en- 
nemi, les  uns  lui  difant  qu'il  s'arrêtoit  à  Gemmingen  ,  ôc  hs 
autres,  qu'il  plioit  bagage  pour  fe  retirer  5  il  fit  marcher  Julien 
Romero  ôc  Sancho  de  Londoiîo  ,  chacun  avec  yoo  hommes 
des  regimens  d'Efpagne  ,  commandes  par  les  capitaines  Fran- 
çois de  Vaides  ,  Ferdinand  de  Tolède ,  Lopez  de  Figueroa  , 
Jean  Oforio  Ulloa,  Marc  de  Tolède  ,  Louis  de  Reynofo ,  An- 
toine  de  Tolède  ,  Laurent  Perea  ,  Ferdinand  de   Saavedra  , 
Ruiz  de  Zapata ,  Diego  de  Carvajal,  Ferdinand  de  Medinilla, 
Diego  Kenriques ,  ôc  Pierre  Gonfalve  de  Mendofe  :  Alfonfe 
Ulloa  ôc  Gonfalve  de  Bracamonte  ,  eurent  ordre  de  relier.  Il 
fit  fuivre  ce  détachement  par  Cefar  d'Avalos  ôc  Curtio  Mar- 
tinengh,  avec  la  cavalerie.  Voici  coiii|||e  il  avoit  difpofé  l'or- 
dre de  bataille.  Les  Efpagnols  étoient  à  la  tête  ,  Ôc  derrière 
eux'les  Allemands 3  puis  quinze enfeignes de  Flamands,  com- 
mandez parle  baron  d'Hierges  ôc  Gafpard  de  Robles  deBilîy. 
L'arriere-garde  étoit  compofée  de  300  cavaliers  fuivis  de  Jean 
Bernard ,  avec  fa  compagnie  de  cavalerie.  Tous  marchoient 
en  bataillons  quarrés  ,  fe  fuivantles  uns  les  autres  par  pelotons  , 
parce  que  les  levées  étoient  étroites,  ôc  que  les  champs  qui 
font  au-deffous  ,  quoique  verds  en  apparence  ,  étoient  inac- 
cefTibles  par  les  goufres  marécageux  dont  ils  étoient  remplis , 
ôc  qu'ainfi  il  n'étoit  pas  pofTible  à  une  armée  de  s'étendre  d'a- 


vantage. 


Bataille  de       Sancho  d'Avila,  Salazar,  Alfonfe  de  Vargas  ,  Bernardin 
Gemmingem  jvîendofe  ,  ÔC  quelques  autres  Gentilshommes,  coururent  pour 

gai^nee  lur  les     ,  ,,        i         i        .   ,      .    _  i      j  i  r    ' 

Confédérez.  S  emparer  d  un  pont  qui  etoit  lut  un  canal ,  dont  les  eaux  le  jet- 
tent dans  l'Ems.  Mais  les  ennemis  y  étoient  déjà  venus  en  grand 
nombre  ,  pour  abattre  ôc  démolir  les  levées  ôc  les  digues,  inon- 
der la  campagne ,  rendre  impraticables  tous  les  chemins  ^  ôc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIIL         4^9 

incommoder  l'armée  royale  dans  fon  camp.  Les  ennemis  fu- 
rent répoulîez  ,  ÔC  on  les  empêcha  de  continuer  leur  ouvrage.  T^,    "TTT 
Cependant  avant  qu  on  eut  rebouche  {ç.s  canaux ,  qu  ils  avoient        1  y 
ouverts,  il  fe  répandit  dans  la  campagne  une  fi  grande  quan-  ^'0 

tité  d'eau,  que  le  foldat  en  certains  endroits  en  avoir  jufqu'à 
la  moitié  du  corps  :  ôc  s'ils  euiïent  commencé  leur  travail  de 
grand  madn,  ils  auroient  fans  doute  contraint  le  duc  d'Albe 
de  reculer.  Mais  ayant  commencé  trop  tard  >  &  ayant  été  trop 
tôt  repouflez,  ce  fut  un  ouvrage  commencé  fans  pouuoirêtrc 
achevé  ,  dont  ils  ne  tirèrent  pas  grande  utihté. 

Cette  féconde  faute  de  Naffaw  fut  plus  confidérable  que  la 
première  ,  qu'il  avoir  faite  en  ne  fe  rendant  pas  maître  du  pont 
de  Reiden.  Le  defir  de  la  reparer  lui  fit  envoyer  4000  arque? 
buiiers,  pour  reprendre  ce  pont.  Ils  combattirent  avec  beau- 
coup de  bravoure,  mais  avec  peu  de  fuccès.  Car  les  troupes 
du  Roi  s'étant  défendues  long-tems,  quoiqu'en  petit  nombre, 
il  leur  vint  un  renfort  d'infanterie,  qui  ranima  leur  courage; 
enfin  ils  mirent  en  fuite"  avec  beaucoup  de  perte  les  arquebu- 
fiers  deNafiaw,  qui  trouvant  fans  cefi'e  des  trous  ,  ne  pou- 
voient  prefqu'avancer,  &  avoient  peine  à  fe  réjoindre  à  leurs 
gens.  Gabriel  Manriques  fils  du  comte  Oforio  fut  tué  dans  ce 
combat.    Julien  Romero ôc  Sancho  deLondono,  qui  étoient 
dans  la  première  ligne  t  vinrent  remplacer  ceux  qui  étoient 
déjà  fatigués  du  combat ,  s'approchèrent  de  l'ennemi,  &  l'en- 
gagèrent de  nouveau  à  combattre  :  ils  furent  fuivis  par  Ruiz 
de  Zapata,  ôc  par  Diego  de  Carvajal  ,  avec  1200  arquebu- 
fiers.    Louis  deNaffaw,  pour  fe  mettre  en  bataille  devant  le 
village  de  Gemmingem,  avoit  partagé  fon  armée  en  deux  gros 
corps.  Le  front  étoit  tourné  du  côté  de  l'ennemi  •■>  la  cavalerie 
étoit  à  la  droite ,  la  gauche  étoit  couverte  par  la  rivière  d  Ems , 
ôc  les  canons  étoient  devant  le  corps  de  bataille.  Comme  les 
troupes  du  Roi  fe  trouvèrent  fort  incommodées  de  ce  canon  ; 
elles  s'avancèrent  pour  en  venir  aux  mains.    Celles  de  Naflaw 
les  méprifant  à  caufe  de  leur  petit  nombre,  fortirent  de  leurs 
retranchcmens,  Ôc  defcendirent  dans  la  prairie  ,  qui  étoit  au- 
defix)us  ;  enfeignes  déployées.  Mais  Lopez  de  Figucroa  lesre- 
poufi[a ,  les  mit  en  fuite  ,  jetta  dans  leurs  efprits  une  terreur 
qu'ils  communiquèrent  aux  autres  j  ôc  en  fe  retirant  en  defor- 
dre  i  ils  rompirent  leur  propre  cavalerie.  D'Avalos  venant 

Mm  m  ij 


^6o  HISTOIRE 

____„__  auffi-tôt  à  la  char2:e  avec  de  la  cavalerie  j  ôc  Pierre  Gonfaîvé 

p  de  Mendofe,  avec  Medinilla  ,  accompagnez  d'arqiiebufiers , 

jx^         entrant  par  force  dans  les  maifons  voifines,  le  duc  d'Albe  ar- 

'       riva  avec  toute  l'armée,  ôc  acheva  la  défaite  des  ennemis  ,qui 

^       '     étoient  déjà  en  defordre  ôc  débandés. 

Ils  éprouvèrent  dans  le  même  tems ,  ôc  prefque  dans  le  mê- 
me lieu  ,  deux  malheurs  bien  differens  :  car  une  partie  furent 
brûlez  avec  les  maifons  où  l'on  avoit  mis  le  feu ,  ôc  les  autres 
furent  noyez  dans  la  rivière  ,  qui  étoit  au-deflbus  du  champ  de 
bataille:  les  bonnets  ou  chapeaux  de  ces  derniers,  poulies  pac 
la  marée  qui  montoit  alors  ,  portèrent  à  Groningue  les  nou- 
velles d'une  bataille  ,  qu'on  n'avoit  encore  pu  apprendre 
d'ailleurs.  Le  carnage  continua  depuis  midi  jufqu'au  foir,  ôc 
ne  cefTa  point  depuis  le  commencement  de  la  nuit  jufqu'au 
jour  fuivant.  Les  chemins  étoient  fi  couverts  de  cadavres  , 
de  cuirafles ,  de  cafques ,  d'épées  ,  d'armes ,  qu'on  ne  fçavoit  ou 
mettre  le  pied.  Quelques  Allemands  s'étant  réfugiez  dans  une 
Ifle  à  l'embouchure  de  la  rivière  d'Ems  ,  le  duc  d'Albe  y  en- 
voya dès  le  matin  Lopez  de  Figueroa  ,  d'Hiergesôc  Billy  ^ 
qui  les  taillèrent  en  pièces  ,  fans  qu'il  en  échapât  un  feul,  D'A" 
valos  ôc  Martinengh  pourfuivirent  les  relies  de  l'armée  défaite 
jufqu'à  quatre  milles  d'Allemagne ,  ce  qui  n'eft  prefque  jamais 
arrivé. 

Les  Confédérez  perdirent  plus  de  7000  hommes  :  on  prit 
vingt  drapeaux ,  les  autres  furent  jettes  dans  la  rivière  ;  l'armée 
royale  s'empara  de  16  pièces  de  canon,  ôc  de  tous  les  baga- 
ges ,  même  de  ceux  du  Comte  d'Hoocftrate  ;  qui  avoit  quitté 
l'armée  peu  de  tems  auparavant.  Henri  de  Sigen  ,  lieutenant 
de  NaffaWjfut  fait  prifonnier.  Jamais  fi  grande  vidtoire  ne 
coûta  fi  peu  de  fang  aux  vainqueurs  î  car  il  n'y  eut  pas  dans 
l'armée  royale  plus  de  huit  perfonnes  tuées.  Louis  de  Naf- 
faw  ôc  Jufte  comte  de  Schaumbourg,  après  avoir  fait  des  pro- 
diges de  valeur,  eurent  bien  de  la  peine  à  gagner  à  la  nage 
l'autre  bord  de  la  rivière ,  où  ils  montèrent  fur  une  petite  barv 
que  ,  Ôc  fe  retirèrent  à  Emden.  On  a  dit  que  la  caufe  d'une  fi 
grande  défaite  fut  un  foûlevement  excité  parmi  les  troupes,  à 
l'occafion  d'un  payement  qu'on  leur  avoit  promis  ,  ôc  qu'on  ne 
fit  pas  dans  le  tems.  C'eft  ce  qui  fit  qu'ils  ne  gardèrent  pas 
leurs  poftes ,  ôc  qu'ils  n'obéirent  point  à  la  voix  de  leurs  chefs? 


DE  J.  A.  DE  THOU3L1V.  XLIIL      46*1 

'6c  que  prefles  par  rennemi  ,  ils  ne  firent  prefqu'aucune  rcfif- 
tance.    Tel  fut  le  fuccès  delà  bataille  donnée  à  Gemmingem  rpi^RLE 
le  21  de  Juillet,  dont  le  duc  d'Albe  envoya  aulTi-tôtla  nou-       j^ 
velie  à  Philippe  par  André  de  Salazar ,  ôc  au  Pape  par  Carriilo     1^58. 
de  Merlo.  Il  écrivit  en  mênie-tems  à  Jean  de  Hoye  évêque 
de  Munfter  ,  pour  lui  faire  part  de  la  vi£loire  qu'il  venoit  de 
remporter,  ôcpour  fe  plaindre  à  lui,  de  ce  que  le  comte  d'Em- 
den  avoit  fourni  des  vivres  ôc  des  munitions  à   l'armée  de 
NafTaw.    Le  Duc  avoit  même  quelque  envie  de  le  traiter  en 
ennemi  :  mais  les  obftacles  qui  s'offrirent ,  &  les  affaires  qui 
i'appelloient  ailleurs ,  lui  firent  changer  de  fentiment. 

Ayant  demeuré  deux  jours  à  Gemmingem,  il  en  partir  pour 
Dam.  Les  Goujats  ôc  les  valets  d'armée  brûlèrent  prefque 
tous  les  villages  qui  fe  trouvèrent  fur  le  chemin ,  pour  ven- 
ger la  mort  de  leurs  maîtres  qui  avoient  été  tués  dans  la  dé- 
faite du  comte  d'Aremberg.  Lespayifans  irritez  de  cette  cruau- 
té ,  en  prirent  quelques-uns  ,  qu'ils  amenèrent  au  prince  de 
NafTaw.  Le  Prince  fît  grâce  aux  Italiens  ôc  aux  Flamands  ; 
mais  il  traita  les  Efpagnols  fuivant  les  loix  rigoureufes  de  la 
guerre.  Ce  qui  fit  tant  de  peine  à  ceux  de  cette  nation ,  que 
le  régiment  de  Sardaigne  Efpagnol  ,  fans  écouter  la  voix 
de  leurs  chefs,  ôc  fans  le  foucier  de  leurs  ordres,  fe  répandi- 
rent çà  ôc  là  dans  tout  le  payis  ,  ôc  y  mirent  le  feu  ,  fans 
épargner  qui  que  ce  flit.  Le  duc  d'Albe,  pour  punir  un  pro- 
cédé Il  indigne,  ôc  pour  fe  laver  lui-même  de  la  honte  d'une 
telle  adion  ,  cafTa  le  régiment,  à  la  referve  de  Martin  Diaz 
ôc  de  joo  foldats  qui  n'y  avoient  point  eu  de  part. 

De  Dam ,  le  duc  vint  à  Delfziel ,  village  confidérable  par 
fon  port  qui  eft  très-commode  ôc  très -propre  pour  le  tranfport 
des  vivres  ôc  des  munitions  ,  il  y  laiffa  une  garnifon  convena- 
ble ôc  revint  à  Groningue.  De  là  il  envoya  Alfonfe  Ulloa  , 
pour  fe  rendre  maître  d'Oulf ,  château  appartenant  au  comte 
de  Battembourg,  fort  par  fa  fituation  ,  ôc  par  un  foffé  profond. 
Il  y  vint  avec  dix-fept  enfeignes  de  fon  régiment ,  ôcles  com- 
pagnies de  cavalerie  de  Jean  Velcz  de  Gucvara,  ôc  d'Aurelio 
Paiermo  ,  douze  gros  canons  ôc  deux  coulevrines.  Il  fit  ap- 
procher le  canon  ôc  battit  la  place  pendant  deux  jours.  Lors- 
qu'il fe  difpofoit  à  donner  l'affaut,  la  garnifon  quitta  le  châ- 
teau ,  ôc  fe  aifperfa  la  nuit  de  côté  ôc  d'autre.    Ulloa  y  lallTa 

M  m  m  iij 


^62  HISTOIRE 

,  yo  foldats  ôc  retourna  à  Bos-le-Duc.    Le  duc  d'AIbe  ,  après 
Char  LE  ^^^^^  réglé  toutes  fes  affaires  ci  Groningue,  &  avoir  fait  con^ 
j  y         ftruire  une  forte  citadelle ,  pour  retenir  dans  le  devoir  une  ville 
/g      fi  peuplée  ,  ôc  à  laquelle  il  ne  fe  fioit  pas,  alla  par  Amflerdam 
à  Utrecht ,  où  Frédéric  fon  fils  vint  au  -  devant  de  lui  avec 
2  5'oo  hommes  d'infanterie  Efpagnole  ,  &  de  l'argent  ^  plus  qu'il 
n'en  falloit ,  pour  payer  (on  armée  pendant  plulieurs  mois.  Son 
père  le  déclara  fur  le  champ  Général  de  l'infanterie  ,  ôc  ayant 
fait  la  revue  de  toutes  fes  troupes ,  il  trouva  7000  chevaux , 
ôc  50000  hommes  de  pié.    Pour  infpirer  la  terreur  aux  peu- 
ples de  ce  payis,  il  fit  couper  la  tête  à  une  vieille  femme  d'Am- 
fterdam  fort  riche  ^  âgée  de  80  ans  ;  parce  qu'elle  avoit  reçu 
un  miniftre  dans  fa  maifon. 
Vains  efforts       Dans  le  même-tems  une  grande  quantité  d'hommes  qui 
de  1  Eaipe-      n'étoient  pas  encore  armés ,  mais  qui  s'étoient  aflemblés  pour 

reur  auprès        ,  r        •     r  -r    n        ^       t^  i     tt-ii-  r  r 

de  Philippe  s  engager  a  lervir  tous  Juite  de  Soëte  de  Villiers,  turent  lur- 
pour  l'adou-  pj-jg  p^j-  \q^  Efpagnols  dans  le  duché  de  Julliers  près  de  Dalem  ; 
une  partie  fut  taillée  en  pièces ,  ôc  l'autre  fut  diflipée.  Cepen- 
dant le  prince  d'Orange  levoit  en  Allemagne  le  plus  de  trou- 
pes qu'il  pouvoir  ,  ôc  follicitoit  tous  fes  amis  à  le  fecourir. 
Il  avoit  envoyé  des  députés  à  l'Empereur ,  pour  juftifier  les 
levées  que  la  nécefiité  l'avoir  contraint  de  faire  dans  l'Em- 
pire ;  pour  le  fupplier ,  comme  le  chef  de  la  maifon  d'Autri- 
che en  Allemagne  ,  d'avoir  compaiTion  des  payis-bas ,  dont 
fes  illuftres  ancêtres  tiroient  leur  origine  j  ôc  pour  lui  remon- 
trer que  les  Efpagnols  tourmentoient  cruellement  ces  Provin- 
ces ,  autrefois  fi  florifiantes  ,  ôc  que  la  fageife  ôc  la  prudence 
des  Seigneurs  ôc  des  Etats  avoient  trouvé  le  moyen  de  paci- 
fier :  qu'ils  avoient  tiré  contre  les  grands  ôc  les  riches  ,  le 
glaive  terrible  ôc  odieux  de  Tlnquifition ,  qu'on  devoit  plutôt 
employer  contre  les  Maures  :  qu'on  ne  pouvoir  exprimer  leur 
rapacité  ôc  leur  barbarie  i  que  les  Flamands  en  avoient  fou» 
vent  porté  leurs  plaintes,  au  Roi ,  ôc  lui  avoient  député  les  prin- 
cipaux de  la  Noblefle  ,  qui  n'en  avoient  reçu  qu'un  traitement 
bien  indigne  desfervices  importans  qu'ils  avoient  rendus:  que 
ces  miferables  peuples  au  defefpoir  de  n'être  pas  écoutez  de 
leur  prince,  qui  s'étoit  laifle  prévenir  par  les  calomnies  de  leurs 
ennemis ,  avoient  été  forcés  de  recourir  aux  armes ,  comme 
au  feul  moyen  de  remédiera  leurs  maux , prêts  à  les  quitter  ii-tôt 


DEJ.  A.  DE   THOU,Liv.  XLIII.       4(^3 
qu'ils  feroient  délivrés  de  la  crainte  du  joug  barbare  ôc  tvran-  __ 
nique ,  fous  lequel  les  étrangers  qui  les  gouvernoient  les  fai-  p 
foient  gémir  :  qu'ainii  ils  fuppiioient  très-humblement  fa  majeflé        t  ^t-     ' 
Impériale  d'interpofer  fon  autorité  auprès  du  roi  d'Efpapne  fon  '^'^ 

coulin,  oc  de  lui  taire  voir  qu  il  n  y  avoit  point  d  autre  moyen  de  -^ 
rétablir  la  paix  dans  les  payis-bas,  que  d'en  retirer  les  garnifons 
étrangères,  d'ôter  aux  peuples  tout  Heu  de  craindre  l'Inquifition, 
de  leur  rendre  ôc  de  leur  conferver  leurs  privilèges ,  leurs  libér- 
iez ôc  leurs  franchifesi  de  rendre  jufticeà  tous  également,  ôc 
de  chercher  dans  une  aiïembîée  générale  des  Seigneurs  ôcdes 
Etats ,  les  moyens  de  procurer  ôc  d'affermir  la  tranquilHté  pu- 
blique. 

L'Empereur  Maximilien  ne  rejetta  pas  les  follicitations  ôc 
les  prières  du  prince  d'Orange.  Alais  comme  il  étoit  d'un  ca- 
ractère doux  ôc  prudent ,  il  crut  qu'il  ne  s'agiffoit  pas  feule- 
ment des  intérêts  des  Payis-bas ,  dont  une  grande  partie  rele- 
voit  de  l'Empire  ,  mais  que  cette  affaire  regardoit  TEmpirc 
même.  Il  appréhenda  que  l'Allemagne  fe  fouvenant  encore 
de  la  guerre  ,  que  les  Eipagnols  y  avoient  récemment  allu- 
mée ,  ne  fe  foûlevât  ,  ôc  il  jugea  qu'il  devoit.au  plutôt  trai- 
ter de  cette  importante  affaire  avec  Philippe.  Pour  donner  plus 
de  poids  à  fes  raifons  ,  ôc  pour  faire  une  plus  vive  impreflion 
fur  i'efprit  de  fon  coufin  ,  il  perfuada  à  Charle  fon  frère  ^ 
Prince  qui  aimoit  beaucoup  la  paix,  d'aller  en  Efpagne,*tanc 
pour  d'autres  raifons  qui  le  regardoient  en  particulier ,  que  pour 
fe  mettre  à  la  tête  d'une  négociation  ,  dont  dépendoit  non- 
feulement  la  tranquillité  des  Payis-bas,  mais  la  paix  de  l'Em- 
pire. Le  prince  Charle  y  confentit  d'autant  plus  volontiers  , 
qu'il  prévoyoit ,  que  fi  le  feu  de  la  guerre  étoit  une  fois  bien  al- 
lumé en  Flandre,  il  ne  feroit  pas  aifé  de  l'éteindre 5  que  par 
une  fuite  néceiïaire  les  forces  du  roi  d'Efpagne  fon  coufin ,  qui 
feroient  bien  mieux  employées  contre  le  Turc  ^  ennemi  dé- 
claré de  la  maifon  d'Autriche,  ôcfon  ennemi  particulier  à  caufe 
du  voifmagc  ,  feroient  tranfportées  ailleurs  ;  ôc  que  les  fron- 
tières de  l'Allemagne  n'en  pourroient  tirer  aucun  fecours. 

Charle  prit  donc  fa  route  par  l'Italie ,  vint  à  Gènes  ,  011  il 
trouva  une  ûote  ,  qui  le  tranfi  orta  en  Efpagne.  Il  fit  toutes  les 
initances  poffibles  auprès  de  Philippe.  Mais  il  étoit  trop  tard  ; 
le  fort  en  étoit  jette  :  il  n'y  avoir  plus  ni  honneur  ni  fureté  k 


4^4  HISTOIRE 

■  ■  I     I  Mil»  rappeller  en  Efpagne  l'armée  ôc  le  duc  d'Albe  ,"  qu'on  avoit 
ChaRLE  envoyés  en  Flandre,  ôc  le  Roi  étoit  même  peifuadé  qu'il  ter- 
j^^       niroit  fa  réputation, s'il  paroiiToit  li-tôt  fe  repentir  d'une  réfo- 
i  ?  6  8.     l'J'^ic)n  qu'il  avoit  prife>  malgré  \qs  remontrances  ôc  les  oppo- 
fitions  de  tous  les  Princes  fes  alliés  :  ôc  quoiqu'il  n'ignorât  pas 
que  cette  expédition  lui  auiroit  la  haine  de  tous  les  Ordres 
de  l'Empire,  il  publia  l'année  fuivante  un  mémoire  en  langue 
Allemande ,  pour  fe  juftilier ,  dans  lequel  il  s'efForçoit ,  en  exa- 
gérant le  crime  des  Flamands  ,  ôc  en  les  faifant  pafler  pour  cou- 
pables de  leze-majeflé ,  de  faire  voir  que  fa  conduite  étoit  fon- 
dée fur  la  juftice. 

Déjà  le  prince  d'Orange,  auprès  duquel  Louis  de  Naflaw 
fon  frère  s'étoit  retiré  après  la  défaite  de  Gemmingem ,  avoit 
raffemblé  une  nombreufe  armée ,  dans  laquelle  il  y  avoit  qua- 
rante-quatre enfeignes  d'infanterie  Allemande  ,  commandée 
par  Nicolas  Hadftad  (  gentilhomme  d'Alface ,  ôc  pour  cela 
profcrit  par  Ferdinand  d'Autriche  )  par  Veyt  Schooner  ,  ôc 
parBalthafar  Volffj  3000  hommes  de  pied  Flamands  Ôc  Fran- 
çois :  ycoo  chevaux  fous  les  ordres  de  Frédéric  de  Roltzhaufen 
maréchal  de  Hefle  (  qui  s'étoit  diftingué  par  une  expédition  en 
Franceentreprife  fix  ans  auparavant  )  de  Theodoric  de  Schom- 
berg  ,  de  Jutte  comte  de  Schoumbourg ,  d'Albert  comte  de 
Nafiaw ,  de  Bouchard  comte  de  Barby,d'OthondeMal{bourg, 
d'Herman  Rydefal ,  ôc  d'Adam  de  Vers.  Cette  armée  avoir 
(ix  pièces  de  canipagne  ,  ôc  quatre  gros  canons.  Les  princi- 
paux d'entre  les  Flamands  étoient  le  comte  d'Hoocftrate,  ôc 
l'aîné  de  Bottembourg  (car  le  duc  d'Albe  avoit  fait  exécuter 
fes  deux  frères  )  Waroux  de  Ryfoire ,  Charle  Hamets  de  Box- 
tel,  de  Louverval,  ôc  autres.  lisavoient  cette  devife  fur  leurs 
drapeaux  :  Pro  lege  ,grege ,  &  Rege. 

Toutes  les  troupes  du  prince  d'Orange  étant  réunies ,  il  pu- 
blia le  28  de  Juillet  un  mémoire  ,  dans  lequel  il  rendoit  comp- 
te des  raifons  qui  l'avoient  déterminé  à  prendre  les  armes  pour 
la  gloire  de  Dieu ,  pour  le  bien  du  Roi ,  pour  les  intérêts  de 
fa  majefté  Impériale  ôc  de  fes  fils  ,  héritiers  du  roi  d'Efpagne, 
contre  la  cruelle  tyrannie  du  furieux  duc  d'Albe.  11  y  rappel- 
loit  le  fouvenir  de  tout  ce  qui  avoit  précédé  i  ôc  ilimploroit, 
pour  pouvoir  réûdir  dans  une  entreprife  dont  dépendoit  le  fa- 
lut  de  tant  de  peuples ,  les  fecours ,  la  faveur ,  ôc  les  bons  offices 

de 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLIII.        ^6^ 

de  tout  le  monde.  Etant  arrivé  à  RomerftroflF  dans  l'évêché  , 

de  Trêves  au  commencementdeSeptembre,il  y  fitla  revue  Char  le 
générale  de  fon  armée ,  6t  ayant  paffé  le  Rhin,  il  vint  à  S.  Vite,       j  ^ 
village  de  fon  domaine.  Ayant  enfuite  demandé  au  duc  de     x  ç  5  g. 
Cleves  la  permifiion  de  faire  pafiTer  fon  armée  fur  fes  terres , 
Louis  de  NafTaw  fon  frère  prit  Aremberg  de  force,  ôc  paffa 
la  garnifon  Efpagnole  au  fil  de  l'épée.  Il  fe  rendit  aufli  maître 
de  Kerpenôc  d'Eppin,  entre  Cologne  Ôc  Duren^d'Hornefonôc 
de  Witten,  maifon  du  comte  deCulembourg.il  tira  une  grande 
fomme  d'argent  d'Aix-la-Chapelle.  Puis  il  prit  fur  le  Rhin  18 
vaifleaux  chargés  de  marchandifesd'ItaUe,  que  les  marchands 
rachetèrent  à  grand  prix.  Il  défit  aufiî  quelques  compagnies  de 
l'armée  du  Roi  près  de  Noyteim. 

Comme  le  prince  d'Orange  s'arrêta  afTez  îong-tems  en  cet 
endroit ,  le  duc  d'Albe  étoit  incertain  s'il  marcheroit  vers  le 
Luxembourg  &  la  Flandre,  ou  du  côté  des  frontières  de  Fran- 
ce .  Ainfi  comme  il  craignoitpour  la  Franche- Comté ,  quoique 
les  Suifles  fufient  obligez  par  leurs  traitez  avec  l'Efpagne  de  la 
défendre ,  il  envoya  à  Vergy  baron  de  Chamlite  gouverneur 
de  cette  Province ,  une  fomme  confiderable ,  que  des  Banquiers 
lui  prêtèrent  à  de  gros  intérêts.  Il  chargea  auiîi  Norkermes ,  le 
comte  du  Reux ,  ôc  Chriftophle  de  Mondragon  gouverneur  de 
Danvilliers ,  de  lever  de  la  cavalerie  ôc  de  l'infanterie ,  ôc  de  le 
fecourir  en  cas  de  befoin.  Il  envoya  furie  champ  deRobles 
avec  fon  régiment  dans  ce  payis ,  avec  ordre  de  faire  entrer 
dans  Limbourg  Antoine  de  Berrio  enfeignede  Diego  de  Car- 
vajal  ,  avec  un  détachement  de  cinquante  Efpagnols.  Pour 
lui ,  comme  il  avoit  beaucoup  de  prudence  ôc  d'habileté,ôc  qu'il 
prévoyoit  que  la  bonne  intelligence  ôc  la  fubordination  ne 
fubfifteroient  pas  Iong-tems  entre  tant  de  nations  qui  compo- 
foient  l'armée  ennemie ,  ôc  qui  étoient  fans  engagement ,  ÔC 
fans  folde ,  il  fe  difpofa  à  fe  tenir  fur  la  défenfive.  Il  employa  du 
tems  à  ramafler  fes  forces^jugeant  prudemment  que,  quand  on  a 
afiaire  à  une  armée  plus  nombreufe  ôc  plus  forte  ,  il  vaut  mieux 
temporifer ,  ôc  fe  battre  en  retraite  que  d'attaquer.  Cependant 
pour  ne  pas  abandonner  fes  gens  dans  le  danger ,  il  vint  à  Maef- 
tricht  avec  quatre  regimens  Allemands ,  commandez  par  Al- 
beric  comte  de  Lodron  ôc  Philippe  d'Erbcftein ,  ôc  ayant  joint 
le  refte  de  l'armée,  il  y  paflfa  la  M.eufe,  fortifia  fon  camp,  ôc 
Tome  V,  Nnn 


^6Ô  HISTOIRE 

,,^,.  M..iin.»  fît  conftruire  un  pont  de  batteaux.afin  de  faciliter  les  courfes  qu'il 
C  H  A  R  L  E  vouloit  faire  dans  le  payis,  pour  faire  le  dégât  dans  tous  les  lieux 
I X       P'^'-*  ^"  l'ennemi  devoit  paffer,  ôc  pour  lui  ôter  la  commodité  des 
I  ç  ^  T      paflages ,  &  les  moyens  d'avoir  des  vivres  ôc  des  provifions. 
'*      II  eut  foin  auffi  de  faire  femer  une  grande  quantité  de  pointes 
de  fer  &  de  clous  dans  les  endroits  de  la  Meufe  qu'on  pou- 
voit  pafTer  à  gué,  afin  de  rendre  le  paffage  également  dangereux, 
pour  les  hommes  &  les  chevaux.  Il  y  avoir  dans  l'armée  du  duc 
d'Albe  feize  mille  hommes  de  pié,  fçavoir  quarante  enfeignes 
d'Efpagnols ,  feize  de  vieilles  troupes  Flamandes  ^  tirées  des  gar- 
nifons  voifines,fix  commandées  par  Philippe  deLanoy  de  Beau- 
vais, cinq  par  Charle  d'Arfilles  gouverneur  deLandrecy,  & 
cinq  par  Jacquede  Briacgouverneur  deMariembourg,  dix  du 
baron  d'Hierges ,  cinq  de  Gafpard  de  Robles  ,  qui  s'étoir  char- 
gé de  défendre  Ruremondedansle  duché  de  Gueldres,  vingt 
d'Allemands  fous  les  ordres  d'Alberic  de  Lodron  &  du  comte 
d'Erbeftein. 

Cependant  il  s'éleva  dans  l'armée  du  prince  d'Orange  une 
fédition  militaire ,  comme  le  duc  d'Albe  l'avoit  prévu  i  &  tan- 
dis que  le  prince  travailloit  à  l'appaifer,  il  penfa  être  tué  d'un 
coup  de  piftolet ,  qui  frappa  la  garde  de  fon  épée.  Les  foldats 
furieux  tuèrent  Malfpergh  ,  Ôc  quelques  autres  qui  étoient 
avec  lui.  Cette  émeute  étant  un  peu  appaifée ,  le  Prince  fit  plier 
bagage ,  ôc  alla  dans  le  payis  de  Liège ,  après  avoir  fait  une  ten- 
tative inutile  fur  la  ville  de  Liège,  qu'il  avoir  crû  pouvoir  fur- 
prendre ,  Ôc  il  arriva  fur  le  bord  de  la  Meufe.  Il  y  fit  fans  cefTe 
différentes  marches  au-deffus  ôc  au-deffous,  pour  tenir  le  duc 
d'Albe  en  fufpens ,  ôc  pour  l'empêcher  de  découvrir  Tendroit 
où  il  avoir  réfolu  de  paffer  cette  rivière. 

Enfin  le  7  d'0£i;obre  il  s'approcha  d'un  gué  de  la  Meufe , 
auquel  on  n'avoir  pas  penfé ,  allez  près  deStockem  proche  Ma- 
feyck.  Il  envoya  auffi-tôt  quelques  cavaliers  pour  fonder  ôc 
nettoyer  le  gué  >  ôc  il  les  fit  fuivre  de  la  plus  grande  partie  de  fa 
cavalerie,  à  qui  il  donna  ordre  de  ferrer  leurs  rangs,  ôc  defe 
ranger  en  haye  dans  la  rivière  depuis  un  bord  jufqu'à  l'autre. 
Par  ce  moyen  on  arrêta  un  peu  le  cours  rapide  du  fleuve.  Ainfi 
le  prince  d'Orange  fit  paffer  la  Meufe  à  fon  armée  ,  fans  au- 
cun danger  ,  au  grand  étonnement  du  duc  d'Albe  ,  qui  le 
vit  d'un  lieu  élevé,  l'admira,  ôc  en  fut  effrayé.  Plulieurs  ont  cru 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIII.      ^67 

que  fi  le  Prince  avoit  marché  droit  vers  l'armée  du  Roi ,  il  Tau- : 

roit  furprife  ôc  diflipée  fans  peine  j  comme  on  fe  fouvenoit  en-  r  u  4  o  t  p  ; 
core  qu'il  étoit  arrive  ,  lorfque  l'Empereur  Charle  V.  ayant  pafle  j  v  i 
l'Elbe  à  Mulberg ,  délit  Jean  Frédéric  éle£l:eur  de  Saxe.  Mais  1  ^  <'s  ^ 
le  Prince  crut  avoir  aflez  fait  de  ramafîer  toutes  i^es  troupes  en-  *  ' 
core  fatiguées  6c  toutes  trempées ,  ôc  de  les  retenir  dans  un  | 
camp  bien  fortifié.  j 
Cependant  le  Roi  de  France  écrivit  au  duc  d'Albe ,  pour  le  : 
remercier  de  fes  fervices  :  il  lui  offrit  un  fecours  de  deux  mille  \ 
chevaux ,  qu'il  devoir  lui  envoyer  ,  commandez  par  Claude  î 
de  Lorraine  duc  d'Aumale,  &  par  Artus  de  Coffé  maréchal 
de  France,  qui  avoient  ordre  de  difliper  entièrement  avant  ■ 
qu'elles  fuffent  affemblées,  les  troupes  des  Proteftans ,  qu'il  avoit  1 
appris  qu'on  levoit  fur  la  frontière.  Le  Duc  remercia  le  Roi, 
&  accepta  fes  offres.  Puis  il  envoya  Charle-Philippe  de  Croy  i 
marquis  d'Havre,  frère  du  duc  d'Arfchot,  pour  les  recevoir  ôc  | 
les  lui  amener.  Mais  nos  François  n'ayant  point  paru  fur  la  fron-  ] 
tiere  au  jour  marqué ,  le  Marquis  revint  trouver  le  duc  d'Aï-  I 
be,  qui  s'étoit  retranché  proche  Maeftricht  dans  un  lieu,  que 
les  habitans  appellent  communément  le  camp  de  l'Empereur. 
Pendant  qu'il  y  étoit,  ce  Général  ombrageux  &  défiant  fit  pen-  ] 
dre  un  Trompette,que  le  prince  d'Orange  avoit  envoyé  à  Maef-  ■ 
tricht  5  foit  pour  intimider  les  autres ,  foit  qu'il  appréhendât  que  j 
ce  Trompette  ne  pratiquât  quelque  fecrette  intelligence  avec 
les  bourgeois.  Tandis  que  le  Duc  fe  tenoit  enfermé  dans  fon 
camp ,  il  y  eut  quelques  légères  efcarmouches  entre  les  deux  i 
armées ,  celle  du  Roi  évitant  avec  foin  d'en  venir  à  une  ba- 
taille générale.  Elle  avoit  abondamment  toutes  les  provifions  j 
néceffaires ,  ôc  celle  du  Prince  n'avoir  au  contraire  des  vivres  ; 
que  pour  peu  de  jours.  C'eft  ce  qui  l'obligea  d'abord  à  marcher  I 
vers  Spa  *  ville  du  payis  de  Liège ,  puis  à  retourner  fur  fes  pas  à  *  ou  Tongres:  i 
Sainte  Gertrudc,  vers  Saint  Truden?  le  duc  d'Albe  le  fuivant  ; 
toujours ,  ôc  harcelant  fon  arriere-garde.  Là  les  troupes  du  j 
Roi  ayant  drefle  des  embûches  à  celles  du  Prince,  il  y  eut  un  1 
combat  fort  vif,  où  Marc  de  Tolède  donna  des  marques  figna-  j 
lées  de  fa  valeur.  Le  Prince ,  qui  manquoit  de  vivres ,  fe  ré-  ] 
pandit  dans  le  Brabant ,  Ôc  pénétra  jufqu'à  Virmont  à  trois  mil-  ] 
les  de  Louvain,  où  le  baron  d'Hierges ,  que  le  duc  d'Albe  ] 
avoit  envoyé  devant ,  s'étoit  enfermé.  Dans  la  marche  le  Prince                      -      j 

Nnn  ij  j 


4(^8  HISTOIRE 

^^•^^•n!^  attaquoit  fans  ceïïe  le  DuCj  ôc  n'omettoit  rien  pour  l'enga- 
C  H  A  R  L  E  ë^^  ^  ^^^  bataille.  Le  Duc  qui  s'étoit  retranché  dans  fon  camp, 
jy  aflez  près  de  Tienen ,  ayant  appris  que  le  Prince  vouloir  faire 
1  c  5*8  P^^er  le  Geet  à  fon  armée  ,  commanda  Frédéric  fon  fils 
&  Chiappino  Vitelli  ^  avec  quatre  enfeignes  d'Efpagnols ,  quel- 
ques compagnies  de  François  ôc  de  Flamans  ,  ôc  quelques  cor- 
nettes de  cavalerie,  pour  s'emparer  d'un  chemin  étroit  envi- 
ronné de  bois  de  tous  cotez ,  par  où  l'ennemi  devoir  pafTer. 
On  mit  dans  ces  défilez  Montesdoça  ôc  Salinas  avec  cinq  cens 
arquebufiers.  Le  prince  d'Orange  n'ayant  paru  avec  toute  fon 
armée  que  vers  le  coucher  du  foleil,  on  ne  fit  rien  ce  jour  là, 
quoique  le  comte  d'Hoocftrate  fut  d'avis  ôc  prefsât  [le  Prin- 
ce de  donner  le  combat.  L'affaire  fut  remife  au  lendemain  > 
à  caufe  de  la  nuit  qui  approchoit,  ôc  que  les  deux  armées  paf- 
ferent  fous  les  armes ,  n'ayant  entre  elles  qu'une  petite  colli- 
ne. Le  lendemain  l'armée  du  Prince  s'étant  mis  en  marche, 
quoiqu'on  ne  fçût  pas  quelle  route  il  avoit  envie  de  prendre, 
le  duc  d' Albe  mit  la  fienne  en  bataille  dès  le  grand  matin  en 
cet  ordre  :  la  cavalerie  légère  étoit  à  la  tête  >  Frédéric  de  To- 
lède fuivoit  avec  toute  l'infanterie ,  ôc  fix  cornettes  de  cavale- 
rie Allemande  fermoient  la  marche. 
Le  prinee        Aufïi-tôt  la  Cavalerie  légère  du  Duc  commença  le  combat 

d'Orange  eft         \         •  •  r  •  o       »  i     i  *        ii*  j'    n 

vaincu  par  le  tres-vivement ,  prit  une  enleigne ,  ôc  s  empara  de  la  collme,  d  ou 
ducd'Albc.  l'armée  découvroit  aifément  ce  quife  paffoit  dans  celle  des  en- 
nemis. Le  refte  de  l'armée  étant  en  marche,  ôc  quatre  cor- 
nettes de  cavalerie  Allemande  s'étant  avancées  ,  Alvarez 
Cabrai  qui  commandoit  les  moufquetaires  à  cheval ,  preffa 
fortement  le  duc  d'Albe  de  charger  l'arriere-garde  des  en- 
nemis ,  quoique  l'infanterie  ne  fut  pas  encore  arrivée.  L'oc- 
cafion  étoit  d'autant  plus  favorable  ,  que  l'avant-garde  avoit 
déjà  paffé  le  Geet ,  ôc  qu'il  fembloit  qu'on  pouvoit  plus  fure- 
ment  vaincre  une  partie  de  l'armée  ennemie ,  qui  fe  trouvoit 
réparée  de  l'autre  par  une  rivière.  Mais  le  Duc ,  qui  ne  con- 
noiffoit  pas  bien  les  Ueux,  ne  voulut  pas  le  permettre  j  ôc  tan- 
dis qu'il  envoyoit  unpayifan,  pour  les  examiner ,  il  penfa  per- 
dre une  belle  occafion  de  remporter  un  grand  avantage.  11 
ne  laiffa  pas  d'envoyer  Sancho  d'Avila  ôc  Gonfalve  de  Bra- 
camonte ,  chacun  avec  un  détachement  de  fix  cens  hommes, 
pour  s'emparer  des  défilez  ,  dont  nous  avons  parlé  :  Gafpard 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XLIII.       ^6^ 

de  Robles  fut  chargé  avec  fon  régiment  d'attaquer  îes  enne-  _^ 
mis.  Le  combat  fut  encoretrès-vif:  les  troupes  du  Roi,  quoi-  r-u    p 
qu'en  plus  petit  nombre,  animées  de  l'efperance  d'être  foute-       tv 
nuësparlerefte  de  l'armée,  qui  étoitfurle  point  d'arriver,  com-  /n 

battirent  avec  tant  de  valeur ,  que  les  Confédérez,  quoiqu'en 
plus  grand  nombre ,  perdirent  courage  :  fe  trouvant  fans  aucu- 
ne efperance  de  fecours ,  parce  qu'une  grande  partie  de  l'armée 
étoit  déjà  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  ils  furent  enfin  rompus, 
difiipezj  &  entièrement  défaits.  Plus  de  deux  mille  furent  tuez 
par  la  grefle  demoufqueterie,  que  tirèrent  les  troupes  du  Roi, 
qui  n'eurent  pas  plus  de  vingt  hommes  tuez  ,  ôc  environ 
cinquante  blelTez.  Le  comte  d'Hoocftrate  ayant  reçu  un 
coup  d'arquebufe  au  pié ,  en  mourut  quelques  jours  après.  Eve- 
rard  de  ^  Vele  de  Louverval  commandant  de  l'infanterie  Fla- 
mande fut  fait  prifonnier.  Le  duc  d'Albe  lui  fit  couper  la  tête  ' 
à  Bruxelles ,  où  Diego  de  Tolède  fils  du  Connétable  de  Na- 
varre vint  le  trouver. 

Après  cette  défaite ,  le  prince  d'Orange  reçut  à  Judoigne  les 
troupes  auxiliaires  de  France,  qui  confiftoient  en  deux  mille 
hommes  d'infanterie ,  ôc  cinq  cens  de  cavalerie ,  commandez 
par  François  d'Hangeft  de  Genlis^accompagné  de  Louis  deLa- 
iioy  de  Morvilliers,  Renty,  de  Mouï,  d'Anglure  Autricour, 
Jean  Raguier  d'Efternay  ,  ôc  de  Poyet  commandant  de  l'in- 
fanterie. Ces  troupes  étoient  venues  par  le  Luxembourg,  avoient 
pafTé  entre  Dinan  ôc  Charlemont ,  ôc  avoient  pillé  en  paffant  S» 
Hubert  ôc  faint  Jangay,  dans  la  forêt  d  Ardenne.  Puis  ayant 
mis  le  feu  à  l'Abbaye  de  faint  Hubert ,  qui  efl:  en  très-grande 
vénération  dans  ces  lieux ,  elles  vinrent  jufqu'à  Tienen.  Ce  ne 
fut  pas  tant  ce  renfort,  que  la  difette  des  vivres,  qui  obligea 
!e  prince  d'Orange  à  courir 'de  côté  ôc  d'autre  dans  un  payis, 
oi^iilne  trouvoit  prefqueque  des  villes  ennemies.  Ilchangeoit 
très-fouvent de  camp,  ôc  cherchoit  fans  cefTe  l'occafiond  en- 
gager le  duc  d'Albe  à  une  bataille  générale.  Le  Duc  au  con- 
traire fuivoit  toujours  l'ennemi  5  mais  il  eut  foin  de  fe  camper 
fi  avantageufement,  ôc  de  fortifier  fi  bienfon  camp,  qu'on  ne 
put  le  forcer  à  combattre  malgré  lui. 

L'armée  du  Prince  vint  de  Judoigne  à  Heylefem ,  prez  de 

Tilemont,  où  le  baron  d'Hierges  s'étcit  enfermé,  refoluè  d'y 

^  1  D'autres  difent  que  fon  vrai  no;ii  étoit  Philippe  de  Morbaix  ficur  de  LouveryaL 

N  u  n  iij 


470  HISTOIRE 

«._,.i.  paffer  la  Meufc ,  fi  la  faifon  l'eût  permis.  Mais  les  pluies  de 
7^    _TT  l'hiver  ayant confidérablement  groflTi  la  rivière,  6c  ne  pouvant 
T  y-        trouver  le  gué  ,  il  tournèrent  à  gauche.  Le  duc  d'Albe ,  qui  étoit 
/r,      à  Louvain ,  prit  avec  lui  le  régiment  de  Mondragon ,  les  com- 
'     pagnies  de  cavalerie  des  comtes  Jean  Bâtifte  del  Monte ,  de 
Sanfecondo  ôc  de  Nugorala ,  celle  de  George  Machuca ,  &  la 
compagnie  des  moufquetaires  à  cheval  de  Montero.  Il  fuivit  les 
ennemis ,  atteignit  leur  arriere-garde  fur  le  chemin  de  fainte 
Marie ,  &  leur  tua  cinq  cens  hommes.  Il  logea  la  nuitfuivante 
à  Bavais ,  ôc  il  envoya  Frideric  fon  fils  à  Huy  dans  le  payis  de 
Liège  ,  où  il  y  avoit  un  pont  de  pierre  fur  la  Meufe ,  pour  y 
mettre  un  corps-de-garde ,  ôc  empêcher  l'ennemi  d'en  profiter. 
Le  Prince  avoit  envoyé  à  Liège  demander  la  liberté  d'y  palier, 
promettant  de  ne  faire  aucun  tort ,  ôc  offrant  des  otages.  L'Evê- 
que  (  c'étoit  Gérard  Groeibeck  )  ôc  le  Chapitre  entièrement 
dévouez  aux  Efpagnols  ,  l'ayant  refufé ,  le  Prince  fit  tirer  quel- 
ques coups  de  canon  contre  la  ville  ,  prit  fa  route  à  la  droite, 
ôc  defcendit  dans  le  Hainault ,  où  les  campagnes  étoient  plus 
fpatieufes ,  ôc  où  l'on  pouvoit  efperer  de  trouver  des  vivres  en 
plus  grande  abondance. 
Avantage         Etant  arrivé  au  Quefnoy  ,  ôc  marchant  vers  le  Cambrefis , 
k'vm'^^'d'o'^  enfin  il  trouva  ce  qu'il  cherchoit  depuis  fi  long-tems.  Ayant 
ranâc        '  rencontré  l'armée  du  duc  d'Albe,  il  défit  dix  enfeignes  Alle- 
mandes ,  huit  Efpagnoles ,  ôc  trois  compagnies  de  cavalerie 
légère  :  ainfi  il  eut  en  quelque  façon  fa  revanche  de  la  derniè- 
re perte  qu'il  avoit  faite.  Sancho  d'Avila ,  François  de  Tolède 
Ôc  Ruy  de  Lopez  furent  bleffez  dans  ce  combat,  ôc  d'Avalos 
y  fut  tué.  De  là  le  Prince  alla  affiéger  Gâteau  Cambrefis  j  Mol- 
leyn ,  malgré  la  frayeur  dont  les  habitans  étoient  faifis ,  le  défen- 
dit avec  un  extrême  courage  ôc  une  très-grande  prefence  d'ef- 
prit.  Là  le  Prince  fe  trouvant  réduit  à  une  extrême  nécelTité, 
fe  laiffa  perfuader  par  Genlis  ôc  par  les  autres  officiers  Fran- 
çois qu'il  avoit  auprès  de  lui,  de  pafler  en  France ,  où  la  guerre 
civile  avoit  recommencé. 
Il  vient  en       Quoique  le  Roi  eût  envoyé  le  maréchal  de  CofTé  fur  la 
frontière ,  avec  deux  mille  hommes  d'infanterie,  ôc  quelques  cor- 
nettes de  cavalerie ,  pour  l'empêcher  d'entrer  dans  le  Royaume, 

I  L'exprefllon  latine  eft  équivoque,    j    vêque  qui  fit  tirer  quelques  coups  de 
Strada  dit  formellement  que  ce  fut  TE-   |    canon  fur  l'armée  du  prince  d'Orange. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLIII.        471 

il  ne  laifTa  pas  de  pafTer  la  Somme  au-defTus  de  Saint  Quen-  «___^ 

tin ,  ôc  de  venir  julqu'à  Soiflbns.  Gafpard  de  Schomberg  vint  ~^ 

Ty  trouver  de  la  part  du  Roi ,  pour  lui  dire  que  fa  Majefté  étoit      "^^  ^  ^ 

extrêmement  étonnée  de  le  voir  entrer  en  France,  avec  une 

armée  fi  nombreufe ,  fans  lui  en  avoir  fait  fçavoir  les  raifons,     ^  ^ 

Ôc  fans  avoir  fait ,  fuivant  une  ancienne  &  louable  coutume 

obfervée  entre  les  Princes ,  une  déclaration  de  guerre  :  que 

s'il  demandoit  la  liberté  de  pafTer  en  Allemagne,  comme  le 

Roi  l'avoit  entendu  dire,  fa  Majefté  ne  la  lui  refuferoit  pas,  à 

condition  que  le  Prince  promettroit  de  ne  faire  dans  tout  lepaf- 

fage  aucun  a6le  d'hoftilité. 

Le  prince  d'Orange  répondit  le  cinq  de  Décembre,  qu'il 
avoit  fait  fçavoir  au  Roifes  intentions  :  Qu'il  n'étoit  pas  affez  ftu- 
pide,  pour  entreprendre  avec  fi  peu  de  forces  de  faire  la  guerre 
à  un  Prince  fi  puiflant  j  mais  qu'il  n'avoit  pu  fe  refufer  à  la  com- 
pafiionque  lui  caufoit  l'extrême  danger  où  fe  trouvoient  réduits 
ceux  qui  profefibient  la  vraie  Pveligion  ,  Ôc  dont  plufieurs 
étoient  menacez  d'une  perte  qui  fembloit  inévitable  :  Qu'il 
fupplioit  donc  le  Roi ,  par  la  bonté  qui  lui  étoit  naturelle ,  de  re- 
garder en  pitié  des  fujets,  qui  ne  le  propofoient  que  de  pro- 
curer l'honneur  ôc  la  gloire  de  Dieu  ,  de  mettre  leurs  vies  en 
fureté ,  ôc  de  fervir  fidèlement  leur  Roi ,  ôc  de  vouloir  bien  fai- 
re obferverexadement  les  édirs  donnez  en  leur  faveur.  Schom- 
berg pendant  ce  tems  là  fonda  les  penfées  du  Prince,  ôclui 
fit  efperer  qu'on  payeroit  fes  foldats ,  s'il  vouloit  bien  fortir  de 
Ja  France  fans  y  faire  aucun  tort.  Puis  fe  fervant  de  fon  efprit  ôc 
de  fon  habileté ,  il  eflaya  de  gagner  les  officiers  Ôc  les  chefs  de 
fa  connoiiïance ,  ôc  en  leurreprefentant  l'heureufe  fituation  des 
affaires  de  la  France,  le  trifte  état  de  celles  des  Confédérez , 
ôc  la  difficulté  de  réuffir  dans  leurs  entreprifes ,  il  tâcha  de  les 
engager  à  quitter  le  parti  qu'ils  avoient  embrafTé. 

Auffi-tot  on  entendit  de  toutes  parts  dans  le  camp  \qs  murmu- 
res des  foldats ,  qui  fe  plaignoient  de  ce  que  leurs  chefs,  contre 
la  parole  qu'ilsleur  avoient  donnée,  les  expofoient  à  une  perte 
inévitable,dans  une  faifon  fâcheufe.Ôc  dans  un  payis  où  ils  étoienc 
traitez  comme  ennemis,  ôc  qui  appartenoità  un  Prince,  qui 
ne  leur  avoit  fait  aucun  mal  :  ils  fe  plaignoient  auffi  de  ce  qu'on 
ne  leur  avoit  pas  encore  payé  l'argent  qui  leur  avoit  été  promis. 
Le  Prince  faifant  toutes  les  inftances  polfibles ,  pour  les  engagev 


472  HISTOIRE 

à  marcher  à  grandes  journées  vers  le  prince  de  Condé,  ils  le 
Charle  fcfi-^ferent  ablolument ,  difanr  qu'on  ne  les  avoir  pas  engagez 

I  X  pour  faire  la  guerre  au  roi  de  France,  mais  feulement  au  duc 
I  Ç  58.  <^'Albe  :  que  la  paye  de  tant  de  mois  leur  étant  due ,  ôc  ne 
voyant  aucun  lieu  d'en  efperer  lepayemenr^nipour  le  prefent, 
ni  pour  l'avenir  ,  c'étoit  les  conduire  à  une  mort  certaine  :  en 
un  mot ,  qu'on  les  ramenât  dans  leur  payis ,  tandis  que  le  roi 
de  France  vouloir  bien  leur  permettre  d'y  retourner  ,  ôc  qu'ils 
n'avoient  rien  à  craindre.  Schomberg ,  après  avoir  ainfi  femé 
la  divifion  dans  le  camp  ,  s'en  retourna,  ôc  revint  à  la  Cour. 
Le  prince  d'Orange ,  qui  prévoyoit  bien  que  plus  il  avan- 
ceroit  ,  plus  il  fe  formeroit  de  peines  ôc  d'embarras  ,  prit  le 
parti ,  pour  ne  pas  paroître  y  être  forcé  ,  de  fe  rendre  aux  rai- 
fons  de  Schomberg ,  ôc  de  confentir  à  ce  que  le  Roi  fouhai- 
toit.  Ainfi  il  tourna  du  côté  de  l'Allemagne  ,  ôc  il  alla  à  Straf- 
bourg.  Là  il  congédia  fes  troupes  ôc  il  vendit  fa  vaiffelle  d'ar- 
gent 5  afin  que  s'il  ne  pouvoit  pas  entièrement  fatisfaire  fes 
officiers ,  il  pût  au  moins  par  cette  marque  de  libéralité  ôc  de 
générofité  les  appaifer ,  ôc  conferver  leur  bonne  volonté  pour 
un  tems  plus  favorable.  Il  donna  de  cet  argent  trois  mois  de 
paye  à  fa  cavalerie ,  ôc  il  s'obligea  de  leur  payer  le  refte  dans 
telpace  de  douze  ans,  engageant  pour  fureté  de  ce  payement 
fa  Seigneurie  de  Monfort ,  fa  principauté  d'Orange  ôc  fes  au- 
tres biens.  Puis  il  fe  joignit  à  Volfang  de  Bavière  duc  de  Deux- 
ponts,  qui  fe  difpofoit  à  partir  pour  la  France. 

Le  duc  d'Albe  n'ayant  plus  rien  à  craindre  ,  après  avoir 
chafie  l'armée  des  Confédérez  des  Payis-bas ,  mit  i^s  troupes 
en  quartier  d'hiver  ;  le  régiment  de  Sancho  de  Londofio  à 
Utrecht  ,  à  Worckum ,  ôc  à  Bommel  j  celui  de  Julien  Ro- 
mero  à  Bruxelles  ôc  àMalines  ;  celui  d'Alfonfe  Ulloa  ,  à  Maef- 
tricht  ,  à  Bos-le-Duc  ,  à  Berti  ôc  à  Grave  j  les  compagnies  de 
BiUy  ,  à  Groningue  j  celles  de  Mondragon  à  Deventer,  ôc 
celles  d'Alberic  de  Lodron  ,  à  Valenciennes  ôc  à  Anvers. 

Affaires  ^^  ^^  ^^  P^^^  prcfquc  rien  de  confidérable  en  Allemagne 

d'Allemagne,  pendant  l'année  i5'58.  au  moins  pour  ce  qui  concerne  les  af- 
faires générales  de  l'Empire  :  ôc  il  y  eut  peu  de  faits  pardcu- 
liers ,  dignes  d'être  tranimis  à  la  pofterité.  Le  20  de  Mars  , 
fête  de  S.  Cuthbert  mourut  Albert  de  Brandebourg  ci-devant 
grand-Maître  de  l'Ordre  Teutonique.  Ce  Prince  ne  trouvant 

point 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIII.     47^ 

point  d'autre  moyen  de  terminer  la  guerre ,  qu'il  avoit  avec  « 

Sigifmondroi  de  Pologne  fon  oncle ^  abandonna  cette  qualité,  C  H  a  R  LE 
viola  le  ferment  qu'il  avoit  fait  à  l'Empire  ,  ôc  fut  créé  duc        jx. 
de  PrufTe  l'an  1 5'2  5* ,  à  condition  ,  qu'il  céderoit  à  la  Pologne     i  ç  5  8. 
en  propriété  Danzick  ,  Thorn,  Marienbourg  ,  ôc  Elbing  ,  ôc      Mort  d'Al- 
qu'il  tiendroit  la  PrufTe  en  fief  ,  dont  il  feroit  hommage  à  la  J^l"^  ^®  ^'^p' 
couronne  de  Pologne.  Il  fe  maria  enfuite  ?  ôc  ayant  embraffé  je  PruSe.  ^'^ 
îa  confefTion  d'Aufbourg  ,  il  établit  une  célèbre  Univerlité  à 
Konifb,erg,à  laquelle  il  donna  de  gros  revenus.  L'Ofiandrif- 
me  y  caufa  pendant  quelque-tems   du  trouble  :  mais  Albert 
ayant  depuis  renoncé  à  cette  erreur ,  l'Univerfité  recouvra  fon 
ancienne  tranquillité.  Albert  étant  vieux  ,  donna  tant  de  cré- 
dit à  fes  minifîres ,  en  qui  il  avoit  trop  de  confiance  ,  qu'ils 
troublèrent  toute  la  PrufTe,  tant  dans  le  fpirituel ,  que  dans  le 
temporel.  SigifmondAugufte,  qui  voyoitavec  peine  ce  renver- 
fement  de  l'Eglife  ôc  de  l'Etat ,  fut  obligé  d'y  apporter  un  re- 
mède convenable  ,  en  faifant  punir  févérement  les  auteurs  des 
troubles ,  ou  par  le  dernier  fupplice ,  ou  par  de  grofTes  amendes. 

Le  duc  de  PrufTe  mourut  enfin  à  Tapiaw ,  âgé  prefque  de 
80  ans,  après  avoir  gouverné  la  PrufTe  pendant  5*0  années.  Par 
un  bonheur  peu  ordinaire  ,  Anne -Marie  de  Brunf\vich  fa  fc- 
conde  femme  ,  dont  il  avoit  eu  Albert  Frédéric,  qui  fut  fon 
héritier  pour  le  duché  de  PrufTe ,  mourut  le  même  jour  que  lui. 
La  more  ne  fépara  point  deux  perfonnes  qui  avoient  toujours 
vécu  dans  une  parfaite  union,  ôc  parut  ne  les  enlever  dans  le 
même  moment ,  que  pour  épargner  à  l'une  des  deux  la  dou- 
leur de  furvivre  à  l'autre.  Le  roi  de  Pologne  donna  des  tuteurs 
à  Albert  Frédéric  ,  qui  n'avoit  que  quinze  ans.  Lorfqu'il  fut 
déclaré  majeur,  il  reçut  l'inveititure  du  duché  de  PrufTe,  avec 
les  mêmes  cérémonies  ôc  la  même  folennité  qui  furent  obfer- 
vées  pour  fon  père  ,  dans  TafTemblée  des  Etats  tenus  àLubHn, 
en  préfence  de  Joachim  électeur  de  Brandebourg ,  ôc  des  Prin- 
ces Albert  Frédéric ,  ôc  Georges  Frédéric  de  la  même  mai- 
fon  ;  ôc  il  reçut  ce  duché  en  fief  du  roi  de  Pologne  ,  qui  le 
fit  chevalier  ôc  lui  donna  le  drapeau. 

Henry  de  Brunfwich  ,  prefqu'aufTi  âgé  qu'Albert ,  le  fuivir      ^ort  de 
d'affez  près.  Il  mourut  le  onzième  de  Juin  dans  fon  château  ^<^"'>  <^^ 
de  Wolfenbutel.  Ce  Prince  avoit  pafTé  toute  fa  vie  dans  les    ^^"  ^'^  ' 
guerres  civiles  ou  étrangères.  Il  accompagna  George  de  Saxe 
Tome  V,  O  o  o 


474  HISTOIRE 

^^^^^^^,^  dans  fon  expédition  contre  les  Frifons.  Il  donna  des  fecours 
~  à  Eric  de  Brunf\^ich  fon  parent  ,  dans  la  guerre  qu'il  eut  avec 

^  v^  ^^  l'évêque  d'Hildesheim.  Il  le  lignala  dans  la  guerre  des  payifans, 
&  il  aida  puifTamment  Charle  V.  dans  les  guerres  contre  la 
1500.  prance  ,  foit  dans  le  Milanez  ,  foit  dans  le  royaume  de  Na- 
pies.  De  retour  chez  lui  ,  ce  Prince  ennemi  du  repos  , 
à  la  foUicitation  de  l'Empereur  ,  déclara  aux  Confédérez  de 
Smalcalde ,  &C  aux  villes  de  Gofllar  ôc  de  Brunfwich  une  guerre 
dont  le  fuccès  fut  très-funeftc  &  pour  lui  ôc  pour  toute  l'Alle- 
magne ,  puifqu'elle  occafionna  la  guerre  dans  tout  l'Empire. 
Henri  fut  fait  prifonnier  par  Philippe  Landgrave  de  Hefle  : 
conduit  à  CafTel ,  il  ne  fut  plus  que  fpeclateur  de  la  guerre  qu'il 
avoit  allumée.  Tiré  de  prifon  dans  le  tems  qu'il  s'y  attendoit 
le  moins ,  il  déclara  une  féconde  fois  la  guerre  à  la  ville  de  Brunf- 
\f'ich,  l'an  ly^o.  Cette  guerre  étant  terminée  par  les  ordres 
de  l'Empereur,  il  fe  plongea  dans  une  autre,  qui  ne  fut  pas 
moins  fatale  ;  ôc  après  avoir  affiégé  Magdebourg ,  il  attira  à  lui 
les  troupes  de  Volrad  de  Mansfeld  ,  qui  s'étoient  foulevées  , 
faute  de  payement ,  ôc  fit  une  guerre  particulière  aux  évêques 
de  Minden  ôc  de  Munfter ,  ôc  à  Eric  fon  parent.  Il  fit  enfuite 
avec  Maurice  éleâ:eur  de  Saxe  ,  contre  Albert  de  Brande- 
bourg ,  une  ligue  qui  entraîna  la  perte  de  fa  maifon.  Car  dans  ce 
fameux  combat,  qui  fut  donné  entre  ces  Princes  auprès  de 
Sivershaufen  ,  le  10  de  Juillet  15*  5"  3,  il  perdit  Charle  Vi£lor  ôc 
Philippe  Magnus ,  deux  de  fes  fils  ,  qui  donnoient  de  gran- 
des efpérances ,  ôc  Maurice  étant  mort  prefque  en  même-tems, 
il  fe  trouva  chargé  de  conduire  la  guerre ,  que  les  villes  ôc  les 
Evêques  avoient  entreprife  contre  Albert  de  Brandebourg  , 
qui  avoit  porté  le  feu  ôc  le  fer  dans  prefque  toute  l'Allema- 
gne. Henri  de  Brunfwich  acheva  de  le  réduire ,  ôc  de  lui  en- 
lever le  peu  de  forces  qui  lui  reftoit  j  il  vengea  la  mort  de  fes 
fils  j  il  rentra  dans  fes  Etats  ,  ôc  ayant  rendu  la  paix  à  l'Alle- 
magne, il  s'appliqua  à  la  conduite  de  fes  propres  affaires  ,  ôc 
à  reparer  les  pertes  quêtant  de  guerres  lui  avoient  caufées.  Il 
rétablit  le  château  de  Wolfenbutel ,  le  plus  fort  de  toute  l'Al- 
lemagne ,  ôc  remit  en  bon  état  la  ville ,  qui  avoit  été  ou  brû- 
lée ou  renverfée.  Il  paya  les  dettes  qu'il  avoit  contrariées,  ôc 
ne  travailla  le  refte  de  fa  vie  qu'au  rétabliffement  de  fes  finan- 
ces ,  que  fa  négligence  ôc  fes  guerres  avoient  dérangées  ôc 


D  E  J.  A.  DE   THOU,Liv.   XLIIL        47^ 

prefqu'entierement  épuifées.  Enfin  ce  Prince  qui  avoit  cent  ■ 

fois  fouhaité  ôc  efpéré  de  mourir  à  la  tête  defes  troupes,  dans  Ch  a  RLE 
un  combat,  ou  dans  un  fiége  ,  mourut  tranquillement  chez       j)^^ 
lui.  Il  lailTa  de  Marie  de  Wirtemberg  fon  époufe ,  un  fils  ap-     i  ç  ^  8. 
pelle  Jule  ,  qu'il  avoit  deftiné  à  l'Eglife  ,  tant  que  Vi£tor  ôc 
Philippe   avoient  vécu.  A   peine   Henri   R\t  -  il  mort  ,  que 
Jule  abandonna  la  Rehgion  de  fes  ancêtres.  En  prenant  le 
gouvernement  de  fon  duché ,  il  embrafla  la  confeiïion  d'Auf- 
bourg ,  ôc  la  fit  prêcher  dans  fes  Etats  par  Jacque  Andréa  de 
Tubinge,  6c  par  Martin  Chemnitius  ,  qu'il  fit  venir.  Il  confeilla 
à  Jean  Loerbeer  abbé  de  Rittershaufen  à  un  mille  de  Brunf- 
wich ,  d'embrafier  la  même  religion  5  Loerbeer  le  fit ,  y  éta- 
blit un  Collège  ,fe  maria,  6c  ne  laifTa  pas  de  conferver  l'Ab- 
baye le  refte  de  fes  jours.  A  fon  exemple  Everard  Hollc  évê- 
que  de  Verden  abolit  dans  tout  fon  évêché  la  religion  de  fes 
Pères  6c  y  fit  recevoir  la  confeflion  d'Aufbourg. 

Sur  la  fin  de  l'année  Chriftophle  duc  de  Wirtemberg  paya  Mort  de 
aufli  le  tribut  à  la  nature.  Il  mourut  à  StutP^ard  a^ré  de  n  ans.  Çhnitophie 
C  etoitun  Prince  habile  dans  les  langues  ,  d'un  efprit  fort  orné  berg. 
ôc  protedeur  zélé  des  fçavans.  11  éprouva  du  vivant  d'Ulric 
fon  père  l'inconftance  de  la  Fortune  ;  mais  dans  l'adverfi- 
té  ,  comme  dans  la  profperité,  il  conferva  les  mêmes  fen- 
timens ,  ôc  fon  grand  courage  fut  toujours  invincible.  Avant 
qu'il  fuccedât  au  duché  de  Wirtemberg ,  il  fervit  très-utile- 
ment François  I.  dans  les  guerres  du  Piémont  j  il  fignala  fon 
habileté  dans  le  métier  de  la  guerre  ,  6c  dès  l'âge  de  vingt- 
deux  ans,  on  le  mit  à  la  tête  de  trente-trois  enfeignes.  Au  refte 
il  fut  un  des  plus  zélés  partifans  de  la  confeiïion  d'Aufbourg , 
qu'il  avoit  entrepris  de  défendre  à  Trente  par  fes  Ambaffadeurs 
ôc  par  les  écrits  de  {es  Théologiens.  La  paix  ayant  été  réta- 
blie dans  l'Empire ,  le  duc  de  Wirtemberg  fe  livra  tout  entier 
aux  exercices  convenables  à  un  tems  de  tranquillité  6c  de  paix  î 
ôc  après  l'expédition  d'Elwanger  dont  nous  avons  parlé  ,  il  de- 
meura paifible  dans  fon  château ,  oii  il  pafla  agréablement  fes 
dernières  années  dans  la  le£lure  des  livres  facrés.  Louis  fon 
fils  lui  fucceda  ;  car  tous  les  autres ,  qu'il  eut  en  aflez  grand 
nombre  d'Anne  Marie  de  Brandebourg,  moururent  avant  lui. 

Il  y  eut  cette  année  là  une  guerre  en  Allemagne  ,  qui  fut    Guerre  de 
éteinte  dès  fon  commencement.  La  caufe  de  cette  guerre  fut  i^^^^*- 

Oooij 


ifeiigjatjga 


47<^  HISTOIRE 

que  les  archevêques  de  Trêves  prétendoieiit  être  les  fouverains 
Char  LE  ^^^^^^"^^'^i^fs  ôc  abfolus  de  leur  viile  5  y  exercer  une  pleine  au- 
j  y  torité  j  l'obliger  à  leur  prêter  le  ferment  h  y  impofer  des  droits 
i  f  d's  ^  ^^^  tributs,  y  établir  un  Sénat; s'en  faire  apporter  les  clefs  > 
avoir  le  droit  de  faire  exécuter  les  fentences ,  &  de  juger 
les  caulcs  criminelles.  Les  habitans  au  contraire  prétendoient 
•  que  tout  cela  leur  appartenoit ,  ôc  ils  alléguoient  pour  foûte- 
lîir  leur  prétention,  ou  la  coutume j  ou  la  prefcription  fondée 
fur  une  ancienne  pofTeffion.  Jacque  d'Elts  étoit  alors  arche- 
vêque de  Trêves.  Pour  venger  le  tort  qu'il  prétendoit  avoir 
été  fait  en  tout  cela  à  fon  prédécefTeur  ,  il  fit  fecretement  tranf- 
porter  par  la  Mofelle  de  gros  canons  de  fon  château  de  Her- 
meftein  dans  fon  palais.  Puis  fe  fervant  des  cavaliers  Allemands 
que  Philippe  comte  du  Rhin  avoit  levés  pour  le  (ervice  du  Roi, 
commandés  par  Antoine  d'Elts  fon  coufin  germain,  il  fit  enle- 
ver les  troupeaux  ôc  les  beftiaux  de  habitans ,  qui  ne  s'atten- 
doient  à  rien  de  femblable ,  ôc  il  invertit  la  ville  de  Tréves> 
de  forte  qu'on  ne  pouvoir  plus  y  faire  entrer  des  vivres.  Quoi- 
que les  habitans  euffcnt  obtenu  un  mandement  de  la  Chambre 
Impériale ,  qui  ordonnoit  à  l'Archevêque  de  lever  le  fiége ,  il 
ne  laiiTa  pas  de  le  continuer  depuis  le  10  de  Juin  jufqu'au  1 1 
de  Juillet. 

Ce  jour-là  à  huit  heures  du  foir,  le  ciel  étant  fort  ferein  , 
après  le  coucher  du  foleil,  Cyprien  Leowitz,  très-célébre  As- 
trologue^ vit  trois  Lunes,  ôc  les  obferva  pendant  trois  quarts 
d'heure.  La  vraie  Lune  étoit  au  milieu ,  brillante  de  fa  lumière 
naturelle ,  c'eft-à-dire ,  de  celle  qu'elle  emprunte  du  Soleil. 
Les  deux  autres ,  qui  tournoient  autour  d'elle  ,  étoient  rougeâ- 
tres  ôc  comme  couvertes  de  fang  3  leur  bord  étoit  partie  blanc 
ôc  partie  bleu,  ôc  le  fond  paroiffoit  enfanglanté.  L'Empe- 
reur ôc  les  Electeurs  du  Rhin  conjecturèrent  de  ce  Phénomè- 
ne, qui  fut  publié  partout ,  ôc  de  la  guerre  allumée  par  l'arche- 
vêque de  Trêves ,  que  l'Empire  alloit  être  affligé  de  grands 
maux  ,  ôc  c'eft  ce  qui  les  détermina  à  envoyer  promptement 
leurs  députés  ,-  entre  lefquels  Herman  Eppingen  envoyé  de 
l'éledeur  Palatin ,  fit  éclater  fa  diligence  ôc  fon  habileté.  Ils 
négotierent  entre  le  Prélat  ôc  les  habitans  ,  qui  après  bien  des 
allées  ôc  des  venues,  ôc  de  longs  débats  ^  acceptèrent  enfin 
l'entremife  ôc  la  méditation   des  princes  de  l'Empire  ,  ôc 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.XLIII.       477 

tranfigerent  à  ces  conditions  :  Que  l'archevêque  de  Trêves  », 

donneroit  caution ,  qu'il  ne  feroit  fait  aucun  tort  aux  habitans  :  C  h  a  r  i  e 
Qu'il  feroit  admis  dans  la  ville  avec  des  gens  de  guerre,  qui        jy 
prêteroient  ferment  entre  les  mains  du  commiiTaire  de  TEm-        ^  ^'g 
pereur:  Et  que  les  habitans  de  leur  côté  en  uferoient  envers 
l'Archevêque  de  manière  qu'il  ne  feroit  pas  dans  la  néceffité 
de  demeurer  plus  long-tems  dans  la  ville  :  Que  les  diiferends 
Ôc  les  droits  conteftez  entre  les  parties  feroient  difcutez  ,  jugez  - 
&  terminez,  fuivant  la  forme   du  droit  établi  dans  l'Empire. 
C'eft  ainfii  que  la  prudence  de  l'Empereur  ôc  des  Princes  ar- 
rêta le  progrés  d'une  guerre,  qui  auroit  été  d'autant  plus  per- 
nicieufe ,  que  la  Flandre  &  la  France  étoient  en  feu.  L'ac- 
commodement fut  honorable  à  l'Archevêque  ^  ôc  un  peu  à 
charge  aux  habitans. 

Il  s'éleva  cette  année  de  bien  plus  grands  troubles  en  Suéde, 
qui  furent  aulii  bien-tot  ailoupis  ,  &  qui  cauferent  un  grand  suede.  Eue 
changement  dans  l'Empire.  Eric  roi  de  Suéde,  felaiflant  aller  eft  déthioaé. 
à  de  mauvais  confeils  ,  avoit  exercé  bien  des  cruautez  &  fait 
quantité  d'entreprifes  très-imprudentes,  qui  lui  avoient  attiré 
la  haine  de  tout  le  monde.  Il  voulut,  pour  achever  de  fe des- 
honorer, célébrer  folennellement  à  Stokolm  ,  comme  il  fit  le 
4  de  Juillet,  fon  mariage  avec  Catherine,  de  très-baffe  naiffan- 
ce  ,  dont  il  avoit  eu  deux  enfans,  ôc  il  la  lit  couronner  avec 
lesfolennités  ordinaire^. 

Magnus  duc  de  Saxe,  qui  époufale  lendemain  Sophie  fœur 
d'Eric  ,  fut  obligé  malgré  lui  d'affifter  à  cette  cérémonie.  Jean 
duc  de  Finlande,  qui  comme  nous  avons  dit,  étoit  forti  de 
prifon  l'année  précédente  »  ôc  Charle  duc  de  Sudermanie  ^ 

avoient  quitté  la  Cour  quelques-jours  auparavant ,  pour  ne  fe 
pas  trouver  à  des  noces  qui  deshonoroient  leur  maifon.  S'é- 
tant  rendus  maîtres  de"Wadftena  ,  ils  fe  liguèrent  avec  Stenon 
leur  oncle  ,  Turon  ,  ôc  un  grand  nombre  de  Seigneurs  du 
Royaume  ,  ôc  ils  folliciterent  la  Nobleffe  à  quitter  le  parti  d'E- 
ric, écrivant  à  chacun  d'eux  une  lettre  ,  dans  laquelle  ils  ex- 
pofoient  l'ordre ,  le  détail ,  ôc  les  raifons  du  projet  qu'ils  avoient 
formé. 

Eric  n'eût  pas  plutôt  appris  cette  conjuration  ,  qu'il  leva 
des  troupes  à  la  hâte ,  ôc  les  envoya  contre  fes  frères.  Mais  dès 
qu'elles  furent  en  prefence ,  elles  pafi'erent  de  leur  côté  le  2^ 

O  o  o  iij 


47^  HISTOIRE 

.  d'Août.  Quelques  jours  après  la  veuve  de  Guftave,  quiavoît 
Char  LE  ^po"^*^^^  5  ^^  juillet  Magnus  de  Saxe,  ayant  reçu  le  matin  le 
IX  ^*  ^^^^^9^^  ^^s  Chrétiens,  avec  fes  fœurs  ,  demanda  un- pa{^ 
ï  <  68  Report  à  Eric,  comme  pour  s'aller  promener  ôc  faire  unepar- 
tie  de  plaifir.  Elles  fortirent  dans  une  barque  furie  Mêler,  Ôc 
s'étant  avancées  à  looo  pas  de  la  ville  ,  JVCgnus,  quiavoitété 
envoyé  avec  40  chevaux  pour  examiner  la  marche  des  enne- 
mis ,  vint  les  recevoir  à  l'autre  bord  du  lac  ;  &  pafTa  avec  elles 
du  côté  de  Jean  ôc  de  Charle.  Auffi-tôtles  cavahers  qui  avoient 
été  mis  en  fentinelle  devant  la  porte  de  la  ville,  paflerent  dans 
le  camp  des  Confédérez.  Enfin  les  deux  frères  s'étant  appro- 
chez de  Stockholm  avec  une  armée ,  le  1 8  de  Septembre  ; 
l'aiïiégerent.  Ils  envoyèrent  devant  eux  un  Trompette ,  pour 
demander  à  Eric  qu'il  leur  livrât  George ,  fils  de  Pierre  ,  fon 
Secrétaire ,  ôc  le  principal  miniftre  de  fes  paffions  ôc  de  fes 
crimes.  Le  Roi  qui  voyoit  que  tout  le  monde  l'abandonnoit, 
ôc  qui  fentoit  bien  qu'il  n'avoit  pas  moins  à  craindre  de  la 
part  de  fes  domeftiques ,  que  de  fes  ennemis ,  s'imagina  qu'il 
pourroit  appaifer  fes  frères  en  leur  livrant  George  j  ainfi  il  le 
fit  conduire  par  quelques  foldats  de  la  garnifon  à  l'armée  de 
fes  frères,  avec  fa  mère  qui  étoit  complice  de  tous  fes  crimes. 
On. le  fit  traîner  dans  tout  le  camp  fur  deux  roues  ,  après  lui 
avoir  coupé  les  oreilles ,  qu'on  attacha  à  un  poteau.  On  le 
donna  enfuite  en  fpedacle  à  toute  l'armée  pendu  à  un  gibet , 
,  où  il  relia  une  heure  en  vie.    On  lui  rompit  les  bras  ôc  les 

jambes  fur  une  des  roues ,  ôc  enfin  on  coupa  fon  corps  en 
quatre  parties. 

Cependant  Jean  fit  publier  un  mémoire ,  dans  lequel  ilex- 
pofoit  les  raifons  qui  l'avoient  déterminé  à  faire  la  guerre  au 
Roi  Eric.  Il  lui  reprochoit  entr'autres  crimes ,  d'avoir  au  com- 
mencement de  fon  règne  méprifé  les  fages  confeils  des  vieil- 
lards, ôc  d'avoir  mis  dans  le  miniftere  de  jeunes  gens  très- 
ignorans,  dont  les  mauvais  confeils  l'avoient  précipité  dans 
une  guerre  aufli  téméraire  qu'injufte  contre  les  Rois  ôc  les  vil- 
les voifines  ^  guerre  dont  les  fuites  avoient  été  très-funeftes  à 
fon  Royaume  :  D'avoir  conçu  fans  aucune  raifon  une  haine  in- 
jufle  contre  fes  parens  i  de  l'avoir  lui-même  furpris  avec  laPrin- 
cefTe  fon  époufe  dans  fon  château  d'Abone ,  ôc  de  l'avoir  re- 
tenu pendant  quatre  ans  dans  une  étroite  prifon:  D'avoir  enlevé 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  XLIII.      47^ 

àSiglfmond  Augufte  roi  de  Pologne,  fans  aucun  fondement,      i. 
"Wittenftein  ,  Parnaw ,  ôc  Karcks ,  dans  lefquelles  il  avoit  mis  r  u  ar  le 
garnifon  :  D'avoir  défolé  fes  voifins  ôc  fes  fujets  ,  par  une  guerre       j  y 
de  huit  années ,  malgré  les  follicitations  de  l'Empereur  ,  qui  ^'g 

avoit  offert  fa  médiation  :  D'avoir  malicieufement  retenu  un 
an  entier  les  envoyez  des  villes  maritimes ,  ôc  de  les  avoir  en- 
fin renvoyez  fans  leur  faire  aucune  réponfe  :  D'avoir  par  fes 
pirateries  ôc  fes  brigandages  rendu  la  mer  impraticable  j  non- 
leulement  à  fes  voifins ,  mais  encore  aux   nations  éloignées  , 
même  à  Philippe  roi  d'Efpagne  :  De  ne  s'être  pas  contenté  de 
Favoir  cruellement  vexé  par  les  ennuis  d'une  prifon  de  quatre 
ans  ,  ôc  par  l'enlèvement  de  fes  biens  5   d'avoir  encore  par 
un  horrible  parricide  attenté  à  fa  vie  ,  ayant  donné  ordre  à 
George ,  dans  le  tems  de  l'affreux  maffacre ,  qui  fut  fait  l'an- 
née précédente  à  Upfal ,  de  le  tuer  avec  fon  fils ,  ôc  de  livrer 
fon  époufe  au  tyran  de  la  Ruffie  ,  ennemi  déclaré  du  nom  ôc 
des  héritiers  de  Chriftierne ,  qui  avoit  pour  cela  envoyé  en 
Suéde  fes  Ambaffadeurs  ,  avec  un  affez  grand  nombre  de  gens 
armez  i  en  attendant  le  fuccès  de  cette  entreprife  :  D'avoir  re- 
jette tous  les  moyens  de  faire  une  paix  auffi  utile,  que  glorieufe 
avec  les  rois  de  Dannemarck  Ôc  de  Pologne  :  D'avoir  penfé, 
après  l'horrible  carnage  des  Grands  fait  à  Upfal,  à  quitter  fon 
Royaume  ,  ôc  à  s'enfuir  en  Ruffie  ,  ne  pouvant  plus  foûtenir 
les  remords  d'une  confcience  qui  lui  reprochoit  fans  ceffe  un 
fi  grand  crime  :  De  n'avoir  pas  tenu  la  parole  qu'il  avoit  donnée, 
lorfque  touché  de  repentir ,  il  avoit  promis ,  en  recevant  le  fa- 
cré  Viatique  des  Chrétiens ,  de  livrer  George  l'auteur  de  tous 
ces  maux  j  d'avoir  au  contraire  rétabli  ce  monftre  dans  fon  an- 
cienne dignité  5  ôc  d'avoir  chaffétous  fes  autres  confeillers  ;  D'a- 
voir par  une  légèreté  ôc  une  imprudence  inoùies,  pris  pour  fa 
femme ,  contre  toute  pudeur  ôc  toute  bienféance  ,  la  fille  d'un 
Huiffier,  dont  il  avoit  d'abord  fait  fa  concubine,  ôc  de  l'avoir 
affociée  au  trône ,  après  avoir  rejette  par  mépris  les  alliances 
qu'il  auroit  pu ,  ôc  qu'il  avoit  même  commencé  de  négotier 
avec  les  Rois  6c  les  Princes  fes  voifins  :  D'avoir  fauffement  im- 
puté aux  Grands  ôc  aux  plus  fideiles  minifires  du  Royaume  des 
crimes  5  de  les  avoir  condamnez  fans  les  entendre  j  de  les  avoir 
punis  en  différentes  manières ,  ôc  d'avoir  partagé  leurs  biens 


48o  H  I  S  T  O  I  Pv  E 

tu«...^«,-u— —  entre  lui  ôc  George  fon  infâme  miniftre  :  D'avoir  ôté  îa  vie  à 
Charle  P'*^^  ^^  ^°°  payians  de  Gorhie  par  un  certain  brigand  nom- 
j  X  ^'^^  Odolfe  ,  lun  des  plus  grands  fcélérats  du  monde  ,  accoû- 
I  C  d's-  tumédès  l'enfance  à  répandre  le  fang  :  D'avoir  inventé  de  nou- 
veaux genres  de  fupplices  Ôc  de  tortures ,  pour  forcer  ces  mi- 
ferables  à  confefler  des  crimes,  aufquels  ils  n'avoient  pas  mê- 
me penfé:  D'avoir  accablé  d'impofitions  nouvelles  6c  intolé- 
rables tous  les  Etats  du  Royaume,  6c  principalement  IcsEc- 
cléiiaftiques  :  D'avoir  par  fes  horribles  rapines  épuifé  les  reve- 
nus des  Hôpitaux  6c  des  Univerfitez  ,  6c  d'avoir  à  la  façon*  des 
Barbares  enrolié  malgré  elle  dans  la  milice  une  jeunefTe,  qui 
auroit  pu  dans  d'autres  conditions  fervir  utilement  l'Eglife  6c 
l'Etat  :  Enfin  d'avoir  très-mal  gouverné  le  Royaume ,  d'avoir 
fouillé  le  thrône ,  6c  d'avoir  deshonoré  la  majefté  Royale  par 
fes  actions  criminelles  6c  infâmes  ^  6c  de  s'erre  par  là  rendu 
indigne  de  la  couronne  qu'il  portoit.  Jean  terminoit  fon  mé- 
moire en  déclarant  que  telles  étoient  les  raifons  qui  les  avoient 
déterminés  Charle  à:  lui ,  à  déclarer  la  guerre  à  Eric  roi  de 
Suéde  leur  frère. 

La  fin  de  cette  guerre  fut,  que  la  ville  de  Stockholm  fe  trou- 
vant réduite  à  la  dernière  extrémité  ,  n'ayant  plus  aucune  efpe- 
rance  d'être  fecouruë  ,  6c  d'ailleurs  tous  les  efprits  étant  cho- 
quez 6c  indignez  du  mariage  honteux  que  le  Roi  venoit  de 
contrarier  ,  fe  rendit  le  2p  jour  de  Septembre  ,  fête  de  faint 
Michel.  Dans  le  tems  qu'elle  fut  rendue,  Eric  parut  oubHer  le 
danger  preflant  oii  il  étoit,  pour  ne  fe  fouvenir  que  de  fa  fé- 
rocité naturelle.  Pour  mettre  le  comble  à  la  mefiire  de  fes 
crimes,  6c  qu'on  put  dire  qu'il  n'y  en  avoir  aucun  qu'il  n'eût 
commis  j  il  fuborna  un  foldat ,  qui  frappa  rudement  par  der- 
rière d'un  coup  de  hache  Stenon  fon  oncle ,  qui  lui  tendoit 
la  main  dans  la  place  publique ,  6c  qui  en  mourut  peu  de  jours 
après. 

Charle  de  Sudermanie  ôc  Magnus  duc  de  Saxe  entrèrent 
dans  la  ville  ,  reçurent  la  citadelle  qui  fe  rendit  à  eux,  6c  y  mi- 
rent une  garnifon  de  deux  compagnies.  Enfin  le  30  de  Sep- 
tembre, Jean  le  plus  âgé  des  frères  d'Eric,  entra  comme  eu 
triomphe  dans  la  ville,  avec  dix-fept  cens  chevaux,  ôc  quel- 
ques enfeignes  d'infanterie  j  6c  après  avoir  fait  déclarer  Eric 

déchu 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XLIIL       481 

déchu  de  la  couronne,  &  l'avoir  mis  fous  une  bonne  garde,  '       '" 

avec  Catherine  fa  femme  j  il  fut  déclaré  Roi  de  Suéde,  du  Cha?vLE 
confentement  unanime  de  tous  les  Erats,  ôc  avecTapplaudifre-       i  X. 
ment  de  tous  les  Grands  du  Royaume.  Exemple  qui  doit  ap-     1^68, 
prendre  à  tous  les  Rois  à  ne  pas  croire  que  tout  leur  eft  per- 
mis j  à  ne  pas  abufer  de  la  puiffance  que  Dieu  leur  a  don- 
née fur  leurs  peuples,  pour   fatisfaire    leurs  pallions  ,  pour 
affouvir  leur  cruauté  j  leur  avarice ,  leur  infanable  cupidité  j  à 
ne  fe  pas  livrer  à  leurs  mauvaifes  inclinations ,  ni  aux  confeils 
pernicieux  des  méchans  qui  les  environnent  ;  mais  à  refpe£ler 
&  à  craindre  un  Dieu  vengeur ,  qui  ne  laifTe  point  le  crime 
impuni. 

Avant  que  Jean  eût  déclaré  publiquement  la  guerre  à  Eric; 
il  avoir  déjà  envoyé  George  Guldenftein  ôc  Turon  Bielki  aa 
Roi  de  Danemarck  à  Rofchildt ,  pour  traiter  de  la  paix  h  ôc 
ils  étoient  convenus  d'un  accommodement  ,  dont  on  avoir 
drefle  un  a£le  folemnel  ôc  autentique  à  ces  conditions  :  Que 
les  Suédois  rendroient  Walberg ,  qu'ils  avoient  pris  fur  les  Da- 
nois ,  ôc  que  les  Danois  rendroient  aux  Suédois  Elfebourg.  Jean 
ayant  fini  la  guerre ,  s'étant  rendu  maître  de  Stockolm ,  ôc  ayant 
mis  ordre  à  toutes  fes  affaires  plus  promptement  Ôc  plus  heu- 
reufement  qu'il  n'avoit  efperé ,  fe  repentit  du  traité  qu'il  avoit 
conclu.  La  guerre  recommença  l'année  d'après,  ôc  les  Danois 
prirent  au  commencement  de  Novembre  Warberg  (  ou  Ward- 
bourg)  place  forte  fituée  fur  la  côtedeHalland  en  Suéde.  Mais 
ia  joie  du  fuccès  fut  troublée  par  la  douleur  d'avoir  perdu  Fran- 
çois Brokhaufenôc  Daniel  Ranzau.  Les  Danois  s'avancerenr, 
ÔC  comme  on  n'obfervoit  point  les  conditions  du  traité,  ils 
mirent  cruellement  à  feu  ôc  à  fang  tous  les  endroits  par  où  ils 
paflerent. 

La  guerre  entre  lesMofcovites  ÔclesPolonois  fubfiftoit  toù-  '  Affaires  de 
jours.  Sigifmond  ayant  levé  une  armée  de  cent  mille  hommes,  l^^^os"^- 
s'avança  à  Rodoskowiz  ,  à  vingt-quatre  milles  par  delà  Vilna. 
Cependant  il  revint  fans  rien  faire  à  Grodno,  congédia  une 
grande  partie  de  fes  troupes,  ôc  fe  contenta  d'envoyer  avec 
du  canon  lesfoldats  qui  faifoient  leur  tems  de  fervice ,  pour 
alïiéger  Ula ,  place  forte ,  appartenant  aux  Mofcovites,  ôc  il 
en  donna  le  commandement  à  Kolekiewiz  gouverneur  de  ia 
Tome  Vp  ï'  P  R 


Charle 
IX. 

•15(5  8. 


4S2  HISTOIRE 

Samogltie,  quiavoit  autrefois  été  au  fervice  de  Charle-Quînt  f 
mais  Tentreprife  neréuflit  point.  Cette  place,  qu'on  ne  put  alors 
forcer/utfurprife  le  28  de  Septembre  par  Romain  Sanguskow^ 
qui  la  prit  &  la  brûla.  La  plus  grande  partie  de  la  garnifon  fut 
tuée,quelques-uns  furent  noyez  dans  la  Dwina  6c  dans  l'Ula,ri- 
vieres  qui  paffent  le  long  de  cette  ville,  ôc  très-peu  furent  faits 
prifonniers.  Le  refte  de  l'année  fe  paiTa  en  courfes,  que  les  Polo- 
nois  firent  fur  les  terres  des  Mofcovites  :  la  garnifon  de  Vitebsk 
ayant  défolé  les  Mofcovites,  ceux-ci  vinrent  à  leur  tour  le  29 
de  Septembre  avec  fept  mille  Tartares  de  la  Horde  Nohaicen- 
recommandez  par  Seremieti,par  Bafile  Buturlin  ,  &  par  So- 
borow  :  ils  mirent  le  feu  à  Vitebsk ,  6c  fe  vengèrent  ainfi  des 
pertes  qu'ils  avoient  reçi\ës. 

Tandis  qu'on  faifoit  la  guerre  en  Suéde,  on  travailloit  en 
Saxe  à  trouver  les  moyens,  qu'on  avoir  fouvent  cherché  inuti- 
lement,  d'établir  la  paix  parmi  les  Proteftans.  Le  20  d  Octo- 
bre commencèrent  enfin  à  Altembourg  les  conférences  entre 
les  Théologiens  de  l'élecleur  Augufle  ,  6c  ceux  de  Jean  Guil- 
laume de  Saxe ,  après  que  les  parties  eurent  réglé  de  concert 
l'ordre  6c  la  forme,  qu'elles  dévoient  obferver.  Le  but  de  ces 
conférences  éroir  d'établir  une  paix  folide  6c  durable  entre  les 
Ecoles ,  les  Eglifes ,  les  Prédicateurs  6c  les  Théologiens  qui 
faifoient  profelïion  de  fuivre  la  même  Religion ,  6c  d'être  atta- 
chez à  la  Confelîion  d'Aufbourg. 
Mort  d'E-       Vers  le  même-tems  ,  mourut  le  2^  de  Novembre  Erafiiie^ 
QUE  DE       delà  Maifon  des  comtes  de  Limpurg,  évêquedeStrasbourg^ 
.  SiKASBouKG.  homme  recommandable  par  fa  pieté  6c  fon  érudition.  Etant 
jeune,  il  étudia  en  mathématique  à  Tubinge,  fous  Jean  Sto- 
fler  ;  en  droit ,  fous  Conrad  Braun  ,  6c  fous  Jean  Marguard  5 
ôc  à  Paris  fous  Jean  Sturm,  qu'il  fit  depuis  venir  à  Strasbourg, 
Ôc  mit  à  la  tête  de  l'Univerfité.  Tant  que  ce  Prélat  vécut ,  il 
aima  6c  entretint  foigneufement  la  paix,  6c  il  crut  que  pour 
la  maintenir  dans  lEglife ,  il  falloit  s'attacher  inviolablementà 
l'aurorité  des  Pères  6c  rejetter  tout  ce  quis'y  étoit  gliflfé  d'abus. 
De  Jean         Ce  que  nous  venons  de  dire  de  ce  grand  homme,  m'aver- 
Opokin.         jif  (je  garantir  de  l'oubli ,  autant  qu'il  eft  en  moi ,  les  autres  fa- 
vans  ,  qui  font  morts  dans  le  cours  de  cette  année.  Le  pre- 
niier  qui  fe  prefente  eft  Jean  Oporin  de  Bâle:  à  l'exemple  des 


ÏDE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XLIIL         485 
Froben  S  il  n'épargna  rien,  ôc  il  rendit  de  très-grands  fervi-  « 


ces  à  la  République  des  lettres  par  fon  habileté  &  fes  foins^  p  „    ~  ^ 
en  donnant  en  très-beaux  cara6teres  un  grand  nombre  d'où-       jy 
vrages  anciens  ôc  modernes.  Son  fiécle  &  les  fuivans  lui  ont  /r> 

d'autant  plus  d'obligation ,  qu'en  fe  confervant  tout  entier 
au  bien  public  ^  il  négligea  fes  propres  affaires  ^  ôcles  laiffa  dans 
un  étrange  dérangement  ^  fongeant  moins  à  laiflerun  riche  hé- 
ritage, qu'à  acquérir  une  gloire  immortelle.  Il  mourut  le  7  de 
Juillet,  âgé  de  foixante  ans  ôc  plus.  L'Univerfitc  prit  foin  de 
fon  convoi ,  Ôc  les  Do£teurs  le  portèrent  dans  la  grande  Egli- 
fe  de  fa  ville  natale,  où  il  fut  enterré  proche  les  tombeaux 
du  célèbre  Didier  Erafme,  de  Simon  Grynée,  de  Jean  (Eco- 
lampade,ôc  de  Sebaftien  Munfter. 

Le  fécond  dont  je  dois  parler ,  eft  Onuphre  Panvini  de  Ve-  d'Okuphrb 
rone  religieux  de  l'ordre  de  faint  Auguftin ,  homme  qui  fem-  Panvini. 
bloitnépour  tirer  des  ténèbres  toutes  les  antiquités  Romaine 
ôc  Eccléfiaftiques ,  comme  le  prouvent  les  beaux  Ôc  éternels 
monumens  qu'il  a  laiflez.  Ayant  fuivi  en  Sicile  fon  principal 
protedeur,  le  cardinal  Alexandre  de  Farnefe,  il  mourut  à  Pa- 
lerme ,  dans  la  circonflance  de  tems  la  plus  fâcheufe  pour  lui  ôc 
pour  le  public ,  dans  le  tems  qu'il  travailloit  à  une  hiftoire  de 
î'Eglife,  le  1  C>  de  Mars,  âgé  de  trente-neuf  ans.  Ses  amis ,  pour 
reconnoitre  les  fervices  qu'il  leur  avoir  rendus ,  aind  qu'à  tous  les 
gens  de  lettres ,  lui  élevèrent  à  Rome  dans  I'Eglife  de  faint  Au- 
guftin un  maufolée  de  marbre ,  orné  de  fon  bufte  en  bronze. 

Quelques  jours  auparavant,  mourut  François  Luitfino,  né  DeFratsçois 
dans  le  payis  de  Robortello ,  c'eft-à-dire  à  Udine  dans  le  Friouh  ^""sino. 
homme  auffi  illuftre  par  (on  amour  pour  les  belles  lettres ,  que 
pour  la  pureté  de  fes  mœurs.  11  étoit  fecretairedu  duc  de  Par- 
me j  ôc  on  fe  promettoit  beaucoup  de  la  fécondité  de  fon  ef- 
prit,  lorfqu'une  mort  prématurée  l'enleva  le  7  de  Mars  dans  fa 
quarante-cinquième  année.  Ses  frères  le  firent  enterrer  ho- 
norablement dans  la  grande  Eglife  de  Parme. 

Guillaume  de  Gratarole  natif  de  Bcrgame,  Médecin  celé-    deGrata- 
bre ,  qui  a  enrichi  fa  profeflion  par  fes  do£tes  écrits ,  mourut  rôle. 
à  Baie  le   16  d'Avril. 

Sur  la  fin  de  l'année  Roger  Afchani  de  Kirckbywith  dans    d'Ascham. 

I  Fameux  Imprimeurs  de  Bâlç, 

Ppp  ij 


'^^4  HISTOIRE 

^  la  provîticë  d'York  mourut  à  Londres  le  50  de  Decembfe, 

r'rr .  n  T  r-  âgc  dc  cinquaute  trois  ans.  Il  fut  lié  d'une  étroite  amitié  avec 

V-'HARLE    -P    .  ^T    •         T  Ti/r        1      «      T  o  T  •       T-'i- 

jy         Jérôme  Oforio,  Jean  Metel,  &  Jean  Sturme.LaremerLliza- 
1  f  68      ^^^^  ^^  choifit  pour  être  fon  fecretaire  dans  la  langue  Latine. 
Edouard  Granta  Rt  fon  oraifon  funèbre ,  ôc  fit  imprimer  fes  Içt-i 
très  qui  font  très-bien  écrites. 

Fin  dti  quarante 'troiftéme  Livre, 


3  >3   .3   ^3   ^3  «.3  «3    .B.3_  »^.%<9-^^. «^^«^_iL 3   «3   .3   >3   .3   . 


i^^t^   m^  m^  "^^^  ^^  ^i^  ^^  SÈ^ 

HISTOIRE 

D  E 

JACQUE     AUGUSTE 

DE    THOU. 


LIVRE  QVARENTE-QVATRIEME. 


'ii'tk.^^^.^i^'klk'k  E  .fix  de  Juin  de  cette  année  i  ;  58  Do-  = 


"ê^  ^ eytî'^^— n  ^  niinique  Gourgue  arriva  en  France^  C  ha  RLE             i 

^  Y"^^'^""  li    ^  d'un  voyage  qu  il  avoit  fait  à  la  Flori-  I X.                j 

^    H  |^«^«^«^|  H    g$  ^ie  dans  l'Amérique  occidentale.  Mais  i  ;  5  0.              j 

S    ^.  S     T         i  ^  ^  ^^'^""^  ^^    P^'^^'    ^^  ^^"^  expedidon  ,.  Découverte                I 

^  (^§     *    '  ètâ  ?^  i^  crois  qu'il  eft  à  propos  de  rappor-  de  la  Floride. 

^    Il  Sc/5S/3î/3C/^  Il    ^  '^ei^  fuccintement  les  voyages  que  nos  ^ 

'^  0=:+)2:2^^=0  ^François  ont  faits  aux  Indes ^  depuis 

'^'V'Vi/Wii^'Mu'Mvj:si:^^  celui  de  Nicolas  Durand  de  Villega-  .! 

^^^^  &  4.  ^:§^^^  g„^^^_  Les  Hiftoriens  ne  font  pas  d'ac^  | 

cord  fur  le  premier  qui  a  découvert  la  Floride.  Les  Efpagnols,  : 

qui  j  à  la  refer ve  de  ce  qui  regarde  la  première  découverte  de  , 

Chriftophle  Colombe,  s'attribuent  celle  de  toutes  les  Indes  oc-  j 

cidentales  ,  prétendent  que  Ponce  natif  de  Léon  eft  le  premier  \ 

P  p  p  iij  - 


4$^  HISTOIRE 

.  qui  ait  abor3c  dans  la  Floride  î  que  ce  fut  un  Dimanche  des 
r»  u  »  T,  T  n  Rameaux ,  appelle  en  Efpagne ,  comme  en  France  ,  Pâque  flcu- 
T  y        ne ,  ôc  que  pour  cette  railon  il  donna  le  nom  de  r  loride  a  cette 
^*g      contrée.  Mais  la  plupart  des  auteurs  avec  plus  de  vrai-fem- 
blance  font  honneur  de  cette  découverte  à  Sebaftien  Gabot , 
patron  d'un  navire  Vénitien ,  ôc  allez  bon  aftronome.  Ils  di- 
fent  qu'excité  par  la  gloire,  que  Chriftophle  Colombe  s'étoit 
acquile  depuis  peu,  il  entreprit  ce  voyage  fous  les  aufpices  de 
Henri  Vil ,  ôc  qu'il  aborda  à  la  Floride  dès  l'année  1 49  (J ,  avant 
que  les  Efpagnols  fongeaflent  à  y  envoyer.  Quoiqu'il  en  foit, 
leur  Ponce  de  Léon  y  ayant  été  maflacré  avec  tous  fes  gens, 
le  bruit  qui  fe  repandit  de  la  férocité  ôc  de  la  barbarie  des 
habitans  du  payis ,  ôta  tellement  Tenvie  d'y  retourner ,  que  per^ 
fonne  n'ofa  s'y  hazarder  jufqu'en  1J34,  que  Ferdinand  Sotoj 
le  plus  cruel,  ôc  en  même-tems  le  plus  avare  de  tous  les  hom- 
mes, y  fut  envoyé  avec  quelques  vaifleaux,  fur  lefquels  ilavoit 
^  embarqué  cinq  cens  hommes  ,  dont  la  plupart  étoient  de  vieux 

foldats.  Il  tourmenta  ôc  accabla  durant  cinq  années  ces  mal- 
heureux Sauvages ,  en  les  contraignant  de  travailler  à  des  mi- 
nes ,  dont  il  efperoit  tirer  des  richelTes  immenfes.  Mais  au  dé- 
fefpoir  de  voir  que  le  fuccès  ne  répondoit  pas  à  fes  efperan- 
ces,  il  tomba  malade  de  chagrin,  ôc  mourut  au  milieu  des 
plus  cruelles  douleurs.  On  y  envoya  depuis  (  c'eft- à-dire  en 
l'année  15" 44  )  Julien  Summanoôc  Pierre  Ahumada,  que  le 
fort  malheureux  de  Soto  n'avoit  point  découragez  5  mais  leur 
entreprife  fut  fans  fuccès.  Charle  V.  voyant  qu'on  ne  pouvoit 
réuflir  en  ce  payis-là  par  la  force ,  voulut  y  employer  les  moyens 
de  la  Religion ,  ôc  y  envoya  des  Religieux  pour  prêcher  la  foi: 
ils  ne  furent  pas  plus  heureux  que  ceux  qui  les  avoient  précé- 
dez. Ces  mirtionnaires  étoient  Louis  Cancello  Dominicain, 
6c  quatre  autres  du  même  Ordre.  Cancello  effaya  de  gagner 
ces  peuples  par  des  difcours  infinuans  ôc  pleins  de  douceur; 
mais  comme  il  ne  pouvoit  fe  faire  entendre  de  ces  Barbares, 
6c  que  fon  difcours  éloquent  étoit  pour  eux  vuide  de  fens,  ils 
fe  jetterent  fur  lui  ôc  fur  deux  de  fes  compagnons,  ôc  les  mirent 
en  pièces  à  la  vue  des  autres. 

La  partie  la  plus  avancée  de  la  Floride  reflemble  fort  à  une 
manche  ,  dont  le  bout  s'avance  affez  loin  dans  la  mer.  Sa  lon- 
gueur ell  d'environ  quarante  lieues  ,  ôc  fa  largeur  de  vingt. 


iUC. 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U ,  L  i  v.  XLIV.        487 

L'extrémité  du  cap  eft  fous  le  vingt-cinquième  degré  de  lati- 
tude feptentrionale,  ôc  il  s'étend  enfuite  infenfiblement  vers  le  Charle 
couchant  d'été.  Aux  environs  de  cette  pointe -ce  ne  font  que       j  x 
àGS  baiïes  6c  des  bancs  fout  dangereux  ,  au  milieu  defquels  font     i  r  ^  s 
ce  qu'on  appelle  les  rochers  des  Martyrs,  ôc  un  peu  plus  loin 
les  illes  des  Tortues. 

Les  François  ont  aulTi  abordé  à  la  Floride.  L'amiral  de  Coli-  Voyage  des 
gny,  également  zélé  ôc  pour  la  gloire  de  fa  patrie  &  pour  la  tioiiv  ^^  ^ 
propagation  de  fa  Religion,  voyant  Villegagnon  de  retour, 
&  fâché  qu'il  ne  lui  eût  pas  tenu  la  parole  fecrette  qu'il  lui 
a>  oit  donnée,fit  un  nouvel  armement  pour  ce  payis-!à,&  en  don- 
na le  commandement  à  Jean  Ribaud  de  Dieppe  ,  homme  très- 
habile  dans  la  m?rine ,  fort  brave,  &  ce  qui  étoit  pour  Cohgny  le 
point  capital  j  Proteflant  zélé.  Cette  petite  flotte  étoit  très-bien- 
iburnie  de  tout  ce  qui  étoit  néceffaire  pour  ce  voyage  :  elle  étoit 
montée  de  beaucoup  de  Nobleffe  choifie,  ôc  d'un  affez  bon- 
nombre  de  vieux  foldats.  Ribaud  ,  muni  d'une  commiiïion  du 
Roi ,  mit  à  la  voile  au  mois  de  h  evrier  i  y  (52 ,  &  ayant  pris  une 
route  différente  de  celle  que  tiennenr  les  Efpagnols,  au  bout 
de  deux  mois  il  aborda  aux  côtes  de  l'Amérique ,  dans  un  lieu 
couvert  de  hautes  forêts,  ôc  où  il  n'y  avoir  aucun  port.  C'étoic 
un  cap  fitué  à  trente  degrez  en  deçà  de  la  Ligne:  il  le  nom- 
ma le  Cap  François,  afin  que  ce  fût  un  monument  de  fa  na- 
vigation. Delà  rafant  la  côte  ,  ôc  tirant  au  Nord,  il  entra  dans 
un  beau  fleuve,  qu'il  nomma  le  fleuve  Dauphin,  parce  qu'il 
y  vit  quantité  de  dauphins.  S'étant  enfuite  embarqué  ftir  fes 
chaloupes,  il  remonta  la  rivière  de  Mai,  à  laquelle  il  donna 
ce  nom ,  à  caufe  du  mois  où  il  y  étoit  entré.  Il  parut  fur  la  côte 
un  petit  prince  avec  lequel  il  s'aboucha.  Après  avoir  examiné 
cet  endroit^ôc  avoir  admiré  des  forêts  de  meuriersnoirs.ôc  blancs 
fur  lefquels  on  voyoit  une  multitude  de  vers  à  foye,  quinaif* 
foicnt  fur  ces  arbres ,  ôc  y  faifoient  leurs  foyes,  il  s'avança  le 
long  de  la  côte,  &  ayant  trouvé  une  rivière  à  quatorze  lieues 
de  celle  de  Mai ,  il  la  nomma  la  Seine  :  à  deux  lieues  de  là  il 
en  trouva  une  autre ,  qu'il  nomma  la  Loire ,  ôC  tout  de  fuite  cinq 
autres,  qu'il  nomma  la  Charante,  la  Garonne,  la  Gironde, 
la  Belle  ôc  la  Grande.  En  cet  endroit  nos  François  ayant  plié 
leurs  voiles,  jctterent  l'ancre  à  dix  brafles  d'eau,  &  étant  en- 
trez dans  le  détroit  de  fainte  Hélène ,  ils  remarquèrent  que  fo2i> 


^85  HISTOIRE 

-  embouchure,  large  de  trois  lieues  de  France/aifoit  une  fourche, 

Charle  ^^  rentrant  dans  les  terres ,  ôc  qu'un  des  bras  tournoit  vers  le 
IX  Nord,&  l'autre  vers  le  couchant.  Ils  appellerent  cet  endroit 
ï  ç  5  8  ^^  ^^P  ^^  Loup  ,  parce  qu'ils  y  vivent  une  troupe  d'Indiens  qui 
faifoient  rôtir  un  petit  loup  cervier.  Lorfqu'ils  furent  avancez 
dans  cette  embouchure,  ils  arborèrent,  dans  un  lieu  agréable 
entouré  de  cèdres  6c  de  limonniers,  les  armes  de  France  qu'ils 
avoient  apporté  bien  gravées  fur  une  pierre,  Ôc  ils  nommèrent 
cet  endroit  l'ifle  des  Cèdres.  Entre  cette  embouchure  &  le 
Port-royal,  Ribaud ,  de  l'avis  de  René  Laudoniere  ,  ôc  d'un 
nommé  Sale  qui  entendoit  allez  bien  les  fortifications,  com- 
mença à  bâtir  un  Fort  de  bois  &  de  terre  ,  de  forme  triangulai- 
re ,  qu'il  nomma  la  Caroline ,  du  nom  de  Charle  IX.  Il  y  laiiïa 
fes  canons  &  fes  provifions ,  avec  une  partie  du  monde  qu'il 
avoit  amené.  Mais  avant  de  partir,  il  exhorta  cette  garnifon  à 
montrer  autant  de  courage  pour  défendre  ce  Fort ,  qu'elle  en 
avoit  fait  paroître  en  le  fuivantdans  des  payis  11  éloignez.  «  Sou- 
K>  venez-vous,  leur  dit-il,  que  vous  êtes  François  >  foutenez  la 
"gloire  de  votre  patrie,  ôc  celle  que  vous  avez  déjàacquife. 
S'  Ne  doutez  pas  que  vous  ne  foyez  recompenfez  de  vos  tra- 
«  vaux  ,  ôc  que  le  Roi  ne  vous  envoyé  bien-tôt  des  fecours 
M  capables  de  maintenir  cet  établiflfement.  Je  vais  lui  rendre 
»  compte  de  l'heureux  fuccès  de  notre  entreprife,  ôc  je  revien-> 
»  drai  au  plutôt  vous  joindre.  » 

Il  établit  pour  commander  en  fon  abfence  un  nommé  Al- 
bert, (^'ilexhorta,ainfi  que  les  foldats,à  bien  faire  fon  devoir.  S'é- 
tant  enfuite  embarqué  avec  Laudoniere,ôc  le  refte  de  fes  gens,il 
fit  voile  d'abord  vers  le  Nord.  Après  avoir  cherchéenvain  l'em- 
bouchure du  fieuve  appelle  Jourdain  S  il  fit  route  vers  l'Orient, 
ôc  arriva  heureufement  à  Dieppe  le  20  de  Juillet  de  la  même  an- 
née.Comme  la  guerre  civile  étoit  allumée  dans  toutes  les  pro- 
vinces de  France,  ilfutimpolTible  d'envoyer  affez  tôt  à  la  Flo- 
ride les  fecours  que  Ribaud  avoit  promis.  Cependant  les  Fran- 
çois qu'il  y  avoit  laifTez  travaillant  jour  ôc  nuit  fans  relâche; 
mirent  leur  Fort  en  étatde  défenfcj  ôc  ayant  enfuite  fait  ami- 
tié,  d'abord  avec  un  petit  Prince  de  ces  cantons  nommé  Au- 
doufta ,  ôc  enfuite  avec  quatre  autres  nommez  Maion,  Hoia^ 

I  Je  ne  trouve  ce  nom  ni  dans  les  Geographies,  ni  fur  les  cartes:  il  fuut  que  fa  dé- 
nomination ait  été  changée. 

Touppa 


DEJ.  A.  DE   THOU,Liv.  XLIV.       48^ 

Touppa,  Ôc  StalamCs  ils  en  reçurent  quelques  fecours  de  vi-  1— i^— ^ 
vres.  Ces  petits  Princes  s'étant  bien-tôt  laflez  de  les  aflifter ,  r;  h  a'r  l  E 
ils  eurent  recours  à  deux  frères  >  qui  étoient  les  pluspuiflans       jv 
de  tout  le  payis,  6c  dont  l'Etat  étoit  à  25*  lieues  du  Fort  :  l'un     ^  x  6  S. 
s'appelloit  Ovadé,  &  l'autre  Convexis.   Ces  Princes  leur  firent 
des  prefens  de  perles ,  de  cryftal ,  &  de  pailles  d'argent ,  ôc  leur 
donnèrent  outre  cela  une  aflez  grande  quantité  de  mil ,  de  fè- 
ves ,  6c  de  farine.  Nos  François  étant  revenus  à  leur  Fort  très 
contens  de  leur  voyage ,  il  arriva  un  incendie   qui  confuma 
leur  principale  maifon  :  mais  ce  malheur  fut  bien-tôt  reparé 
par  la  libéralité  généreufe  d'Andoufta  ,  6c  d'un  autre  petit  roi 
nommé  Maccou. 

Sur  ces  entrefaites  y  la  garnifon  n'ayant  point  à  craindre 
d'ennemis  au  dehors ,  travailla  elle-même  à  fa  perte.  Les  foldats 
conjurèrent  contre  Aubert ,  6c  le  tuèrent,  foit  à  caufe  de  fa 
févérité  outrée ,  foit  parce  que  ce  nouveau  gouvernement ,  dans 
un  payis  éloigné ,  lui  avoit  infpiré  un  orgueil  infupportable. 
Ils  mirent  à  fa  place  Nicolas  Barrois  ,  homme  doux,  prudent 
ôc  équitable  ,  qui  rétablit  en  peu  de  tems  la  difcipline  ,  ôc  fit 
rentrer  les  mutins  dans  leur  devoir  :  mais  comme  le  fecours 
ne  venoit  point ,  ôc  que  les  vivres  commençoient  à  manquer, 
ils  réfolurent  unanimement  de  retourner  en  France  le  plutôt 
qu'ils  pourroient.  Ils  bâtirent  pour  cela  un  vaiffeau  j  ôc  An- 
doufta  leur  ayant  fourni  les  cordages  néceflTaires ,  ils  embar- 
quèrent leur  canon ,  ôc  ce  qui  leur  reftoit  de  provifions.  Enfin 
après  avoir  remercié  les  Princes  voifins  des  fecours  qu'ils  leur 
avoient  donnez  ,  ôc  leur  avoir  promis  de  revenir^  ils  mirent  à 
îa  voile.  A  peine  avoient-ils  fait  le  tiers  du  voyage,  qu'il  fur- 
vint  un  calme  qui  dura  vingt  jours  ,  fans  qu'ils  pûfTent  faire 
avancer  le  vaiffeau.  Leurs  vivres  étant  entièrement  confumez, 
ils  fe  virent  réduits  à  une  (i  grande  extrémité ,  qu'ils  n'avoient 
d'autre  boifTon  que  de  l'eau  de  mer,  ou  leur  urine?  ni  d'autre 
aliment  que  leurs  fouliers  ,  ôc  les  autres  cuirs  qu'ils  pouvoient 
avoir  :  lorfque  tout  cela  fut  épuifé  ,  la  mifere  les  reduifit  à  la 
chair  humaine.  Ils  avoient  fur  leur  vaiflëau  un  nommé  Lache- 
ry  ,  méchant  homme  ,  qu'Aubert  avoit  chaffé  pour  i^cs  crimes, 
6c  enfermé  dans  un  lieu  écarté  ,  où.  on  lui  donnoit  fi  peu  à 
manger  ,  qu'il  y  étoit  prefque  mort  de  faim  ;  comme  il  étoit  ma- 
lade ôc  languilïant,  fes  compagnons  le  tuèrent  ôc  partagèrent 
Tom,  V^  Q  4  S 


4Po  HISTOIRE 

fon  corps  entr'eux.  Ils  jugèrent  qu'il  valoit  encore  mieux 
fauver  tout  l'équipage  par  la  mort  d'un  mauvais  fujet ,  que  de 
laifler  périr  tant  d'hommes  en  épargnant  celui-là.  Cela  les  fit 
vivre  encore  quelques  jours  :  mais  ils  retombèrent  bien  -  tôt 
dans  les  mêmes  extrêmitez.  Une  frégate  Angloife  qui  les  ren- 
contra ,  les  tira  enfin  du  péril  où  ils  étoient.  Les  Anglois  les  trai- 
tèrent avec  beaucoup  d'humanité ,  leur  donnèrent  des  vivres, 
les  menèrent  en  Angleterre  ,  ôc  les  préfenterent  à  la  reine  Eli- 
fabeth ,  qui  fongeoit  à  envoyer  une  flotte  dans  le  payis  d'où 
ils  ven oient. 
Second  Dans  cet  intervalle  la  paix  ayant  été  faite  en  France,  &  la 
François  à\i  nouvcllc  du  malheur  de  nos  François  n'étant  pas  encore  ar- 
Flondc  rivée,  Coligny,  qui  avoir  fait  fon  accommodement,  prefla  H 
fort  le  Roi  d'envoyer  une  féconde  flotte  à  la  Floride  ,  qu'il 
l'obtint  î  ôc  à  fa  recommandation  ,  on  en  donna  le  comman- 
dement à  Laudoniere,  qui  avoir  accompagné  Ribaud  dans  le 
premier  voyage.  Ce  nouveau  Commandant  n'étoit  pas  moins 
attaché  au  parti  Proteftant  que  Ribaud  :  il  avoit  d'ailleurs  de 
grandes  connoiffances  ,  mais  il  étoit  plus  homme  de  mer  que 
de  guerre.  On  lui  afTigna  cent  mille  francs  par  an  pour  payer 
les  troupes ,  ôc  pour  les  autres  frais  du  voyage.  Il  équipa  trois 
bâtimens  au  Havre ,  l'un  de  fix  vingts  tonneaux ,  l'autre  de  cent 
ôc  le  troifiéme  de  foixante.  Ayant  embarqué  delTus  toute  forte 
d'ouvriers  en  grand  nombre,  il  mit  à  la  voile  le  22  d'Avril  de 
l'année  i^6^',&c  ayant  paffé  par  les  Canaries  comme  Villega- 
gnon,  ôc  enfuite  par  les  Antilles,  il  aborda  le  22  de  Juin  à 
la  nouvelle  France  ,  vers  l'embouchure  de  la  rivière  de  Mai. 
Il  fe  trouva  fur  la  côte  un  Prince  du  payis ,  nommé  Satou- 
riona.  Laudoniere  ayant  pris  terre  en  cet  endroit ,  alla  trou- 
ver ce  Prince  avec  Ottigny  fon  lieutenant,  ôc  d'Arlacfon  en- 
feigne ,  ôc  ils  allèrent  tous  enfemble  au  lieu  où  Ton  avoit  ar- 
boré deux  ans  auparavant  les  armes  de  France  gravées  fur  une 
pierre.  Les  Indiens ,  pour  marquer  le  refpeû  infini  qu'ils  avoient 
pour  le  Roi ,  ôc  leur  amitié  pour  la  nation  Françoife ,  avoient 
orné  le  haut  de  la  pierre  de  couronnes  de  laurier ,  Ôc  rangé  en 
bas  tout  autour  des  corbeilles  pleines  de  fleurs.  Satouriona 
avoit  un  fils  nommé  Atorée,  qui  étoit  parfaitement  beau,ÔC 
qui  ayant  époufé  fa  mère  ,  comme  il  efl  permis  parmi  eux  , 
en  avoit  eu  des  enfans  très-beaux  ôc  très-bien  faits.  Depuis  ce 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XLIV.        4pi 

mariage  fi  contraire  aux  loix  de  la  nature ,  Satouriona  par  bien-  ■ 

féance  n'avoit  plus  eu  de  commerce  avec  leur  mère.  Les  hom-  C  h  a  r  l  E 
mes  vivent  long-tems  dans  ces  payis-là.  Le  trifayeul  de  Satou-       j  x 
riona,  qui  vivoit  encore  alors  ,  voyoit  fa  pofterité  jufqu'à  la      i  r  5  8 
cinquième  génération  j  il  falloit  qu'il  eût  au  moins  cent-cin- 
quante ans. 

Nos  François  ayant  long-tems  fuivi  la  côte  en  tirant  vers  le 
Nord,  ôc  ne  jugeant  pas  à  propos  de  s'établir  au  Port-royal  > 
comme  on  avoir  fait  au  dernier  voyage,  defcendirent  plus  bas 
vers  l'embouchure  de  la  rivière  de  Mai.  La  fituation  du  lieu 
leur  ayant  paru  plus  avantageufe  que  celle  de  l'ancien  Fort , 
ils  y  en  bâtirent  un  nouveau,  qu'ils  nommèrent  encore  La 
Caroline.  Laudoniere  voulant  connoître  la  difpofition  des 
Princes  de  cette  contrée ,  ôc  fçavoir  s'il  y  avoir  des  mines 
d'or  ôc  d'argent ,  ôc  fi  l'on  pouvoit  efperer  d'en  retirer  des  ri- 
chefles  (  ce  qui  étoit  le  but  principal  de  leur  voyage)  détacha 
Ottigny  ,  avec  Thomas  le  Vaffeur  6c  François  la  Caille,  pour 
aller  à  la  découverte.  Ottigny  ayant  pénétré  jufqu'aux  Etats 
d'Olata  Outina  ,  qui  avoit  neuf  Rois  pour  tributaires ,  lui  pro- 
mit du  fecours  contre  Satouriona  fon  ennemi  mortel  ,  6c 
dans  fon  retour  il  en  promit  à  Satouriona  contre  lui.  Il  revint 
enfijite  trouver  Laudoniere  ,  ôc  peu  de  tems  après  ,  c'eft-à- 
dire  le  28  Juillet  ^  les  vaifleaux ,  qui  les  avoient  amenez ,  mirent 
à  la  voile  pour  retourner  en  France. 

Sur  ces  entrefaites ,  Satouriona  étant  fur  le  point  de  marcher 
contre  Timogoa  ,  fomma  Laudoniere  de  lui  envoyer  le  fe- 
cours qu  il  lui  avoit  promis.  Celui-ci  bien  informe  que  Sa- 
touriona ne  pouvoit  différer  fa  marche ,  s'excufa  fur  ce  qu'on 
l'avoir  averti  trop  tard  ,  ôc  fetira  d'affaire  en  lui  promettant  du 
fecours  dans  deux  mois.  Satouriona  ayant  adoré  le  Soleil  fui- 
vant  les  céiémonies  du  payis,  afin  de  le  rendre  favorable  à  fon 
entreprife  ,  marcha  contre  l'ennemi  avec  dix  Princes  fes  tri- 
buraires  :  ôc  ayant  tué  un  petit  nombre  d'ennemis  >  ôc  fait  quel- 
ques prifonniers  ,  il  retourna  dans  fes  Etats.  Laudoniere  vou- 
loir bien  vivre  avec  Satouriona  ;  mais  il  vouloir  en  même- 
tems  erre  ami  d'Outina,  pour  avoir  la  liberté  de  pénétrer  jus- 
qu'aux lieux  où  il  s'imaginoit  qu'il  y  avoit  dequoi  s'enrichir. 
Dans  cette  vue  il  demanda  à  Satouriona  les  prifonniers  qu'il 
avoit  faits  fur  Outina  :  l'Lidien  les  ayant  refufez  ,  Laudoniere 

Q  q  q  ii 


4P3  HISTOIRE 

.,,.,.,,..„_.^  le  força  de  Tes  lui  remettre.  Aufli-tôt  il  les  renvoya  à  Outlna  , 

'Zy  ôc  il  y  joignit  quelques  prefens  avee  le  portrait  du  roi  de  Fran- 

^^        ce.  S'étant  depuis  mis  en  tête  de  raccommoder  ces  deux  petits 

Rois,  il  en  parla  à  Satouriona,  qui  parut  allez  content  des 

^^       '     propolltions  qu'il  lui  fit. 

1.  Pendant  que  cela  fe  paflToit ,  il  furvint  un  orage  épouvanta- 
ble ,  qui  dura  trois  jours  ;  tout  le  payis  des  environs  fut  frap- 
pé ôc  brûlé  par  le  tonnerre  h  on  ne  voyoit  que  maifons  en  feu; 
l'air  étoitenflaméde  toutes  parts  ;  l'eau  boûilloit  dans  les  rivie^ 
res  j  les  poiffons  y  moururent  en  fi  grande  quantité  i  que  l'air 
en  fut  infedé ,  6c  caufa  la  pefte.  Les  Indiens  s'imaginant  qus 
c'étoient  nos  canons  qui  avoient  fait  tout  ce  fracas,  nous  crai- 
gnirent ôc  nou5  refpeclerent  encore  plus  qu'ils  nefaifoientau-< 
paravant  :  mais  les  dilTentions  domeiliques  ruinèrent  bien-tôt 
cet  établifferaent.- 

Un  certain  La  Roquette  de  Perîgord  ayant  fait  accroire  à 
fes  compagnons  qu'il  fçavoit  la  magie  j  les  affura  qu'en  rémon- 
tant la  rivière  ,  on  trouveroit  des  mines  d'or  ôc  d'argent^  ca- 
pables non-feulement  de  les  enrichir  tous  ,  mais  encore  do 
produire  au  Roi  des  fommes  confidérables.  Dans  cette  idée 
ils  s'attroupent ,  ôc  font  demander  par  le  capitaine  la  Caille 
la  permifllon  d'aller  chercher  ces  mines.  Notre  général ,  di- 
foient-ils  ,  n'eft  qu'un  lâche ,  qui  nous  fait  perdre  le  tems  j  dan3 
peu  de  jours  nous  allons  refter  fans  vivres  ôcfans  argent.  Lau- 
doniere  étonné  de  les  voir  dans  ces  difpofitions  fait  ce  qu'il 
peut  pour  les  appaifer,  ôc  il  leur  donne  parole  qu'il  fera  en> 
forte  que  les  vivres  ne  manquent  point.  C'eft  ce  qui  lui  a  faij 
dire  dans  fa  Relation ,  que  fes  gens  lui  avoient  fouvent  drelfvS 
des  embûches. 

Elles  avoient  été  jufqu'alors  fans  effet  :  mais  il  n'en  fut  pas 
de  même,  en  cette  occafion  :  les  mutins  ayant  à  leur  tête  un 
nommé  Desfourneaux  >  homme  extrêmement  avare  ,  Etienna 
le  Genevois  ' ,  La  Croix  ,  ôc  un  certain  Signori  Gafcon ,  en^ 
trerent  de  force  dans  la  maifon  de.  Laudoniere,  qui  étoit  dans 
fon  lit  mabde,  Ôcle  lièrent  avec  Ottigny  ôc  d'Arlac.  La  Cailk 
trouva  moyen  de  s'échapper  dans  le  tumulte.  Ils  forcèrent 
enfuite  Laudoniere  à  figner  un  ordre  qu'ils  avoient  drelTé  ,  pas 

1  Le  Latin  dit  Genmnjts  qui  fignifîe  Génois;  mais  ks  relation?  Françoife? 
rappellent  le  Genevois . 


DE  J.  A,  DE  T  HOU,  Liv.  XLIV.      ^93 

lequel ,  attendu  la  difette  où  ils  étoient,  il  leur  permettoit  d'al-  __..„ 
1er  chercher  des  vivres  dans  la  nouvelle  Efpagne.    Auffi-rôt  1^ 
ils  équippent  à  la  hâte  deux  bâtimens  i  ils  donnent  le  comman-      ^-r^ 
dément  de  l'un  à  Michel  VafTor  ,  &  celui  de  l'autre  à  un  nom-  ' 

mé  ïrenchant ,  &  ils  mettent  à  la  voile  le  huit  de  Décembre,     *  ^ 

Cependant  Rocheferriere,  qui  avoit  été  envoyé  quelque- 
tems  auparavant  vers  Outina,  étoit  arrivé  dansfes  Etats,  Com- 
me il  trouva  ce  Prince  bien  difpofé  à  notre  égard ,  à  caufe 
des  prifonnierrs  que  nous  lui  avions  fait  rendre  :,  il  donna  à 
notre  envoyé  de  grands  éclairciiîemens  fur  les  Monts  d'Apa- 
îatey  S  où  il  y  a  quantité  de  mines  d'or  ôc  d'argent.  Au  bout 
de  quelques  mois  Rocheferriere  revint  au  Fort  delà  Caroline^ 
avec  des  prefens  que  ce  Prince  lui  avoit  faits. 

Nos  voyageurs  rebelles  à  leurs  chefs ,  fe  féparerent  dès  la  for-- 
tie  de  l'embouchure  de  la  rivière  ,  ôc  ne  fe  réjoignirent  que 
plufieurs  jours  après  >  ôc  avec  beaucoup  de  peine.  Ils  pafte- 
rent  au  -  dslà.  de  l'ille  de  Cuba  en  pillant  partout  fur  leur  route  i 
&  ayant  rencontré  dans  cette  mer  un  bâtiment  Efpagnol  ri^ 
ehement  chargé,  ils  le  prirent.  Le  gouverneur  de  la  Havane j. 
qui  eft  le  port  de  Flfle  de  Cuba  ,  étoit  deflus  avec  trois  de 
fes  enfans  :  pour  fe  tirer  des  mains  des  François ,  il  leur  pro- 
mit une  grolfe  rançon  ,  ôc  ayant  écrit  à  fa  femme  de  payer  la 
fomme  qu'il  avoit  promife^ii  leur  montra  la  lettre  3  &  les  pria 
de  trouver  bon  qu'un  de  fes  hls  en  fut  le  porteur^  afin  que  la 
chofe  ne  fouffrît  point  de  difficulté.  Ils  furent  allez  dépourvus 
de  jugement  pour  y  confentir.  Le  fils  porta  la  lettre  à  fa  mère., 
ôc  commença  par  lui  dire  ,  fuivant  l'ordre  fecret  que  fon 
père  lui  avoit  donné  >  qu'elle  fe  gardât  bien  d'exécuter  ce 
qui  étoit  dans  la  lettre  5  qu'au  contraire  elle  fit  monter  des 
gens  à  cheval,  ôc  qu'elle  envoyât  par  toute  l'ifle  ramalTer  du 
fecours.  La  femme  exécuta  les  ordres  de  fon  mari  avec  tant 
de  diligence  ,  que  le  lendemain  au  point  du  jour  nos  pirates^ 
qui  étoient  tout  fiers  de  leur  butin  ,  furent  très-furpris  de  fe  voir 
entre  deux  gros  vaifleaux  bien  fournis  d'artillerie,  ôc  d'un  autre 
grand  navire  à  éperon.  Vingt-cinq  de  leur  bande  fe  jettercnt 
au  plus  vite  dans  une  corvette  qui  étoit  auprès ,  ôc  ayant  coupé 
le  cable  de  l'ancre  :,  ils  s'ouvrirent  en  combattant  un  paflage 
au  travers  des  ennemis  ;  tous  les  autres  furent  faits  prifonniers, 

l' AU'  Nord  de  la  Floride, . 

Qqqiij; 


4P4  HISTOIRE 

,«  ôc  ayant  été  menez  à  terre,  les  uns  y  fu  rent  vendus,  &  les  au- 


p  très  furent  menez  en  Efpagne  ôc  en  Portugal. 

lY  Voilà  le  premier  a£le  d'hoftilité  qui  fut  fait  témérairement 

de  notre  part  contre  les  Efpagnols  ,  qui  fçurent  s'en  venger 
*  promptement  :  mais  Laudoniere  le  fit  aulTi  de  Ton  côté  :  car 
Desfourneaux  ôc  Etienne  le  Genevois ,  qui  étoient  du  nombre 
des  vmgt-cinq  qui  s'étoient  fauvez  ,  n'ayant  pas  voulu  croire  le 
capitaine  Trenchant ,  qui  éroit  d'avis  de  retourner  au  Fort , 
parce  qu'ils  n'a  voient  point  de  vivres,  furent  bien  tôt  forcez  à 
rentrer  dans  la  rivière ,  malgré  la  crainte  qu'ils  avoient  que  Lau- 
doniere ne  fe  vengeât  de  l'nifulte  qu'ils  lui  avoient  faite.  Ils 
comptoient  qu'ils  pourroient  tirer  quelques  vivres  des  Indiens 
de  leur  connoiflance,  ôc  fe  remettre  enfuite  en  mer,  fans  que 
ceux  du  Fort  s'en  apperçuflent  :  mais  ils  furent  furpris  ôc  arrê- 
tez par  la  Caille  ,  que  Laudoniere  envoya  avec  vingt-cinq 
arquebufiers  vers  l'embouchure  ,  fur  l'avis  qu'il  reçut  des  In- 
diens ,  que  les  mutins  étoient  rentrez  dans  la  rivière.  Les  Chefs 
furent  pafTez  par  les  armes ,  à  la  prière  des  foldats,qui  deman- 
dèrent qu'on  leur  épargnât  l'infamie  du  gibet.  On  fit  grâce  aux 
autres. 

Cependant  la  difette  augmentoit  de  jour  en  jourdans  le  Fort, 
ôc  les  Indiens  qui  en  étoient  inftruits  par  le  bruit  commun  ,  n'y 
portoient  des  vivres  qu'en  petite  quantité.  Dans  cet  état,  comme 
les  fecours  qu'on  attendoit  de  France  ne  venoient  point ,  on 
réfolut  unanimement  de  fe  préparer  au  retour.  On  commen- 
ça donc  à  conftruire  des  vaifTeaux,  qui  ne  purent  erre  achevez 
qu'au  mois  d'Août ,  ôc  l'on  n'étoit  encore  qu'au  commence- 
ment de  Mai  de  l'année  1 7^5'.  Dans  cet  intervale  on  travailla 
à  recueillir  des  vivres.  Mais  comme  on  en  trouvoit  peu  ôc 
qu'ils  coûtoient  fort  cher,  nos  François  preiïez  par  la  néceflité 
engagèrent  Laudoniere  à  former  une  entreprife  fur  la  perfonne 
d'Outina,  avec  qui  il  avoir  lié  une  amitié  particulière,  ôc  dont 
il  avoir  tiré  de  grands  avantages.  Laudoniere  y  confenrit,  &fe 
faifit  en  effet  de  la  perfonne  de  ce  Prince  î  mais  les  Indiens 
ne  lui  donnèrent  pas  plus  de  vivres  pour  cela  :  ils  comptèrent 
pour  mort  le  Prince  qui  étoit  prifonnier  ,  ôc  fongerent  à  fe 
choifir  un  nouveau  Roi.  Ainfi  cette  entreprife  ne  fervit  qu'à 
rendre  les  François  plus  odieux  dans  le  payis. 

Dans  cette  extrémité,  il  arriva  quatre  bâtimens  Anglois , 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLIV.       49; 

commandez  par  Jean  Hawkins  j  il  fécourut  nos  François  avec  _ 
une  bonré  &  une  libéralité  qui  furpafla  leur  efperance:  car  il  Cvi  ^R 
poufTa  l'humanité  jufqu'à  leur  vendre  à  un  prix  fort  raifonna-        t  y 
ble  un  de  {es  vaifleaux  ,  celui  que  nos  gens  avoient  conftruit     ,     ^  ô 
ne  paroifTant  pas  en  état  de  pouvoir  furement  reporter  les  trou- 
pes  en  France.  Tout  étoit  prêt  pour  le  départ  j  on  avoit  dit 
adieu  aux  princes  Indiens ,  aufquels  on  promettoit  de  revenir 
bien-tôt ,  Ôc  l'on  alloit  mettre  à  la  voile  ,  lorfqu'on  apperçut 
fept  navires  à  l'embouchure  de  la  rivière.    C'étoitla  flotte  de 
JeanRibaud  envoyée  à  leur  fecours:  elle  étoit  partie  de  Dieppe 
dès  le  mois  de  May  j  mais  ayant  étérejettée  à  l'Ifle  de  Wigt^ 
qui  appartient  à  l'Angleterre,  ils  ne  purent  arrivera  laFlori- 
ride  que  le  14-  d'Août.  Ribaud  fut  reçu  le  30  parLaudoniere 
avec  de  grandes  démonftrations  de  joye  ,  mais  peu  finceres  : 
car  au  fond  il  étoit  très -fâché  qu'on  lui  eût  envoyé  un  fuc- 
ceiTeur. 

Sept  jours  après  leur  arrivée,  huit  bâtimens  Efpagnols  ayant 
paru  à  l'entrée  de  la  rivière ,  obligèrent  les  nôtres ,  qui  étoient  à 
l'anchre,  de  couper  leurs  cables,  ôc  de  prendre  le  large.  La 
flotte  Efpagnole  les  fuivit  quelque-tems  >  mais  n'ayant  pu  les 
joindre  ,  elle  entra  dans  le  fleuve  que  nous  avons  nommé 
Dauphin  ,  dont  l'embouchure  efl:  éloignée  de  huit  lieues  de 
celle  de  la  rivière  de  May.  Ils  y  mirent  leurs  troupes  à  terre 
avec  du  canon  ,  &  commencèrent  à  s'y  retrancher ,  employant 
à  ce  travail  un  grand  nombre  de  Nègres  qu'ils  avoient  amenez. 

Ribaud  en  ayant  été  informé  par  le  capitaine  Coufette,  ôc 
ayant  fait  affembler  le  confeil  chez  Laudoniere,qui  étoit  au 
lit  malade  de  la  fièvre ,  il  demanda  l'avis  de  tous  les  capitai- 
nes. La  Grange,  Ottigny,  Sainte-Marie,  Vefty  ôc  Jonville^ 
qui  étoient  les  principaux,  furent  tous  de  l'avis  de  Laudoniere 
qui  parla  le  premier,  ôc  convinrent  :  Qu'il  falloit  fortifier  le 
plus  promptement  que  l'on  pourroit  leFort  de  laCaroline;  Qu'on 
ne  devoir  pas  rifquer  la  flotte  à  la  mer  dans  une  faifon  où  il 
regnoit  fur  cette  côte  des  vents  impétueux ,  ôc  d'afllreux  tour- 
billons j  que  l'on  fçavoit  bien  quand  on  partoit,  mais  que  l'on 
nefçavoitpas  quand  on  reviendroit ,  ôc  que  dans  l'intervalle  le 
Fortferoit  en  danger  ,  ayant  l'ennemi  fiprès.  Ribaud  au  con- 
traire vouloir  qu'on  marchât  droit  à  l'ennemi ,  avant  qu'il  pût 
raffembler  fes  forces ,  ôc  avoir  le  tems  de  conllruire  un  Fort 


49^  HISTOIRE 

„,,.— ,^.«„.—  aux  environs  :  Que  dans  la  guerre  les  premiers  fuccès  font  dé- 

C  HARLE  ^^^^^^  •  Q*^^  ^^^  -^^^^  Indiens  ,  qui  en  haine  des  Efpagnols  , 
j^  avoient  jufqu'alors  favorifé  rétabliflement  des  François  ^  al- 
I  ç  6  8  Soient  les  abandonner ,  s'ils  voyoient  qu'à  l'arrivée  des  Efpa- 
gnols ils  allaifent  fe  cacher  ôc  fe  renfermer  dans  leur  Fort. 
Pour  appuyer  fon  avis ,  il  leur  montra  une  lettre  de  l'Amiral 
qui  s'expliquoit  ainfi.  =^  En  fermant  ma  lettre  j'apprends  que 
"  Pierre  de  Melandez  eft  parti  pour  la  nouvelle  France.  Son- 
3'  gez  à  empêcher  que  les  Efpagnols  ne  puiffent  rien  entré- 
es prendre  contre  nous ,  comme  il  eft  jufte  que  nous  n'entre- 
3vp  renions  rien  contr'eux.  =j 

Après  la  le£lure  de  cette  lettre  ^  fans  avoir  égard  au  premier 
avis  y  il  fait  embarquer  fon  monde ,  &  ayant  pris  entre  \qs  gens 
de  Laudoniere,  Ottigny  ,  Ôc  d'Arlac  fon  enfeigne,  il  monte 
dir  fon  vaiiTeau  le  8  Septembre.  Il  demeura  deux  jours  en  ra- 
de ,  pour  attendre  la  Grange  ,  qui  n'approuvoit  pas  ce  deiTein. 
Dès  qu'il  fut  arrivé,  il  mit  à  la  voile  ;  mais  ayant  été  battu  dès 
Is  jour  même  d'une  horrible  tempête ,  qui  dura  jufqu'au  pre- 
mier d'0£lobre,  il  fut  obligé  d'amener  fes  voiles  :  tous  les 
vaifTeaux  furent  jettez  fur  les  rochers  ,  ôc  brifez  à  plus  de  yo 
lieues  du  Fort.  Mais  tout  le  monde  fe  fauva  ,  excepté  la 
Grange  un  des  Çentilshommes  de  Coligny ,  qui  s'étant  mis 
fur  un  morceau  du  mats  de  fon  vaiiTeau,  fut  englouti  par  les  va- 
gues. Les  bâtimens  Efpagnols  ne  fouffrirent  pas  moins  que 
les  nôtres  de  cette  tempête  :  le  vaiffeau  la  Trinité ,  que  mon- 
toit  le  commandant ,  ayant  été  feparé  du  refte  de  la  flote  ,  fut 
pourfuivi  par  Ribaud  ôc  périt  le  premiei  dans  ces  rochers. 

Pendant  ce  tems-là ,  les  Efpagnols  qui  étoient  defcendus  à 
terre  eurent  le  tems  de  s'avancer  jufqu'à  notre  Fort,  ôc  d'ac- 
cabler la  garnifon  qui  étoit  foible  ôc  découragée  par  la  perte 
de  notre  flotte  :  car  il  n'y  avoir  que  deux  cens  quarante  hom- 
mes ,  ôc  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  brave  avoir  fuivi  Ribaud  : 
d'ailleurs  Laudoniere,  quicroyoit  être  en  fureté  du  côté  delà 
terre ,  n'étoit  point  fur  fes  gardes.  Les  Efpagnols  ,  guidez  par 
un  des  nôtres ,  qu'ils  avoient  gagné  en  lui  donnant  de  l'ar- 
gent, Ôc  commandez  par  Pierre  de  Melandez  ,pafrerent  avec 
une  diligence  incroyable  les  étangs,  les  bois  ôc  les  rivières  qui 
•étoient  entr'eux  ôc  nous ,  ôc  parurent  le  20  de  Septembre  à 
rla  vûë  de  notre  Fort  un  peu  avant  le  Soleil  levé,  le  ciel  étant 

fort 


DE  J.  A.  DE  THOU3  Liv.  XLIV.        4^7 

fort  couvert.  La  garde  étoit  déjà  levée ,  &  la  Vigne,  qui  con-  ■ 

niandoit ,  avoit  permis  aux  foldats  fatiguez  du  travail  de  la  nuit  C  H  a  r  L  E 
d'aller  fe  repofer  j  mais  ayant  apperc^û  les  Efpagnols  qui  def-       JX. 
cendoient  un  coteau ,  enfeignes  déployées,  il  donna  l'allarme:     1  c  5  8. 
les  nôtres  qui  étoient  encore  dans  leurs  lits ,  fi  fatiguez  qu'ils 
ne  pouvoient  prefque  fe  remuer ,  furent  accablez  de  tous  co- 
tez. L'ennemi ,  après  un  combat  de  peu  de  durée ,  fe  rendit 
maître  du  Fort,  &.  planta  fes  drapeaux  fur  le  rempart.  Le  carna- 
ge fut  affreux  :  foldats,  femmes,  enfans  ,  vieillards,  malades, 
tout  fut  palfé  au  fil  de  l'épée. 

Ceux  qui  purent  échaper  à  la  première  fureur  des  Efpagnols, 
ne  perdirent  point  courage  ;  Laudoniere  ,  à  qui  fa  maladie 
avoit  laiflé  beaucoup  de  foibleiïe  ,  fe  retjra  avec  quelques  autres 
en  petit  nombre  par  des  marais ,  qui  étoient  derrière  le  Fort ,  ôc 
gagna  les  vaifleaux  de  Ribaud,  qui  étoient  au  bord  du  Fleu- 
ve. Il  y  eut  de  nos  gens ,  qui  à  l'arrivée  des  Efpagnols  fau- 
tèrent en  bas  du  rempart,  &  d'autres  qui  fe  fauverent  dans  les 
bois,  Ôc  fur  une  hauteur,  d'où  l'on  voyoit  ce  carnage  ,  entr'au- 
très  Nicolas  Chalus ,  ôc  Jacque  de  Morgue ,  qui  en  ont  fait 
une  relation.  Les  gémiflemens ,  ôc  les  cris  furent  le  fignal  au- 
quel le  refle  de  ces  malheureux  fe  rafîembla.  On  délibéra  fur 
ce  qu'il  y  avoit  à  faire  5  les  uns  étoient  d'av:s  d  implorer  la  pi- 
tié du  vainqueur.   Car  que  faire  ?  il  ne  pouvoir  venir  de  fe- 
cours  d'aucun  endroit  j  on  ne  voyoit  rien  à  efperer  :  le  ciel, 
la  terre,  la  mer ,  les  bois,  les  hommes,  tout  étoit  contre  eux  : 
qui  pourroit  f<çavoir  ce  que  feroient  les  Efpagnols ,  fi  l'on  fe 
remettoit  à  leur  difcretion  f  Peut-être,  difoicnt-ils ,  qu'ils  nous 
donneront  lavie,ôc  s'ils  ne  nous  la  donnent  pas,  une  prompte 
mort  fera  la  fin  de  nos  miferes.  Ne  vaut-il  pas  mieux  fe  ren- 
dre à  des  hommes  que  d'être  dévorez  par  des  bêtes  féroces  dans 
les  bois ,  ou  d'y  mourir  miferablcment  de  faim^aprcs  avoir  langui 
long-tems  ?  Les  autres,  ôc  en  particulier  Chalus,  n'approu- 
voient  pas  cet  avis  :  il  vaur  mieux,  difoit-il ,  s'abandonner  à  la 
mifericorde  de  Dieu  qu'à  celle  des  hommes.   Tout  le  monde 
connoît  l'orgueil  ôc  la  cruauté  des  Efpagnols  •■>  mais  s'ils  font 
cruels  envers  tous  les  hommes,  ils  le  font  bien  davantage  en- 
vers ceux  qui  font  profeffion  de  fuivre  le  pur  Evangile  '.  Je  me 

I  C'eft-à-dire  envers  les  Proteftans. 

Tome  V,  Rrr 


4PÎt  HISTOIRE 

fierois  plus  a  la  pitié  des  bêtes  féroces ,  qu'à  celle  de  cette  tià- 

Charle  ^^^"  barbare. 

j  ^  Malgré  ces  raifons  il  y  en  eut  fix  ,  qui  n'ayant  pas  le  cou- 

j  -  ^g^  rage  de  refifter  à  tant  de  maux,  allèrent  fe rendre  aux  ennemis, 
qui  les  maflacrerent  fur  le  champ.  Leurs  compagnons,  qui  vi- 
rent cette  inhumanité  ,  jugèrent  bien  qu'il  falloir  chercher  d'au- 
tres moyens  de  fauver  leur  vie.  Laudoniere  demeura  caché 
toute  la  nuit  dans  les  joncs  6c  les  herbes  d'un  marais,  ayant  de 
l'eau  jufqu'au  nombril.  Le  lendemain  de  grand  matin  étant  fou- 
tenus  par  quelques-uns  de  fesgens,  il  fe  traîna  avec  beaucoup 
de  peine  jufqu'aux  navires  François ,  qui  étoient  fur  la  rivière: 
l'attention  ôcThumanité  extrême  de  nos  matelots  fauvatoutce 
qui  refta  du  débris  de  la  colonie.  Par  tout  où  ils  entendoient  des 
cris  j  ils  y  couroient  avec  des  canots  ou  des  chaloupes,  ôc  les 
menoient  à  leurs  vaifTeaux.  Quand  tout  y  fut  raflemblé ,  on  dé- 
libéra fur  le  retour  en  France. 

Après  l'horrible  cruauté  dont  j'ai  parlé,  les  Efpagnols  eurent 
l'impudence  d'envoyer  un  trompette  aux  François  qui  reftoienr, 
pour  leur  perfuader  de  fe  rendre  à  certaines  conditions,  qu'ils 
promettoient  d'obferver  ^  comme  fi  ceux  à  qui  ils  faifoient  ces 
offres,  euffent  ignoré  ce  qui  venoit  d'arriver.  Leurs  propofi-- 
tions  ayant  été  rejettées ,  ils  entrent  en  fureur ,  ôc  ne  pouvant 
en  faire  fentir  les  effets  aux  vivans,ils  l'exercèrent  fur  les  morts. 
Leur  ayant  arraché  les  yeux ,  &  les  portant  au  bout  de  leurs 
épées,ils  les  jettoient  du  côté  de  la  rivière  où  nos  gens  étoient,en 
leur  infultant  avec  un  ris  barbare.  JeanRibaud,  qui  avoir  écha- 
pé  à  la  fureur  des  flots,  ne  put  échaper  à  celle  des  hommes: 
comme  il  ignoroit  la  prife  du  Fort,  il  vouloit  qu'on  y  envoyât 
quelqu'un  pour  demander  du  fecours  ;  mais  nos  François  à  de- 
mi morts  de  faim,  ayant  apperçu  de  loin  un  corps  d'EfpagnoIs 
qui  marchoient  du  côté  du  Fort,  ôc  fe  voyant  fans  aucune  ef- 
perance  d'être  fecourus ,  détachent  quelques-uns  d'entre  eux 
pour  aller  trouver  le  Commandant,  ôc  luioffirir  de  fe  rendre  à 
condition  d'avoir  la  vie  fauve. 
Perfidie  &       Il  y  avoit  une  rivière  entre  eux  ôc  les  ennemis.  Valrnont> 

Erpaem)ls."  ^^^  conduifoit  ce  corps, reçût  les  députez  avec  une  bonté  ap- 
parente :  il  leur  dit  que  les  Efpagnols  dans  leur  vidoire  fe  fai- 
foient une  loi  inviolable  de  trai^-er  avec  humanité  les  ennemis 
qui  mettoient  bas  les  armes ,  Ôc  fur-tout  les  François  :  Qu'il 


DE  J.  A,  DE  THOU,  Liv.  XLIV.      ^99 

Fulvroit  fur  ce  point  la  maxime  de  fon  payis ,  &  qu'il  fe  don-  . 

neroit  bien  de  garde  de  rien  faire  contre  eux,  qui  pût  exciter  p 
entre  les  deux  nations  des  haines  cruelles  ,  ôc  attirer  des  ca-       t  y 
iamitez  publiques:  Qu'ils  pouvoient  donc  venir  fans  rien  crain-  ' 

dre.  En  même  tems  il  fait  mettre  du  monde  dans  une  barque  ' 
pour  les  aller  prendre.  Ribaud  y  entre  le  premier,fuivi  de  trente 
de  fes  gens.  Quand  il  fut  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  Valmont 
les  reçut  d'abord  avec  beaucoup  d'honnêtetés  ce  qui  trompa  les 
autres.  Mais  un  moment  après  on  fépara  fes  gens ,  ôc  on  les  atta- 
cha deux  à  deux,  les  mains  liées  derrière  le  dos.  Ribaud  ôc  Otti- 
gny  commencerenr  à  augurer  quelque  chofe  de  funefte,  &  fom- 
merent  Valmont  de  tenir  fa  promefle  :  il  continua  à  diflTimuler, 
leur  renouvella  la  parole  qu'il  leur  avoir  donnécôc  jura  qu'il  n'a- 
voit  fait  attacher  ainfi  les  François ,  que  pour  pouvoir  les  con- 
duire fùrement  au  Fort.  Mais  dans  la  vérité  il  n'agiflbit  ainfi, 
que  parce  qu'il  n'avoit  pas  encore  fait  le  choix  de  ceux  qu'il 
vouloit  garder,  qui  étoient  les  artifans,  les  canoniers,  les  ma- 
telots, ôc  les  pilotes.  Lorfqu'il  fut  près  de  fon  Fort ,  il  deman- 
da, qui  étoient  ceux  d'entre  eux  qui  pourroient  remplir  ces 
fondions  :  il  s'en  trouva  trente  ,  qu'il  mit  à  l'écart.  Ayant 
alors  joint  une  compagnie  ,  qui  de  concert  avec  lui  étoit  for- 
tie  du  Fort ,  ôc  venoit  à  fa  rencontre ,  il  fit  figne  d'exécuter 
l'ordre  qu'il  leur  avoit  donné.  Aufii-tôt  cette  troupe  fe  jettant 
fur  nos  François,  qui  étoient  fans  armes ,  ôc  qui  marchoient  à 
quelque  diftance  des  foldats  de  Valmont,  les  pafTe  tous  cruel- 
lement au  fil  de  l'épée.  En  vain  Ribaud  ôc  Ottigny  prirent 
Dieu  à  témoin ,  ôc  réclamèrent  la  foi  qu'on  leur  avoit  donnée  : 
Valmont  leur  tourna  le  dos,  fans  les  écouter,  ôc  àl'inftantils 
furent  poignardez  par  fes  foldats.  Il  périt  environ  fix  cens  Fran- 
çois dans  cette  occafion.  Melandés  fit  élever  un  grand  bûcher, 
ôc  brûler  les  corps  de  ces  malheureux.  Après  quoi  il  fit  rafec 
Ribaud,  mit  fa  barbe  dans  une  lettre  cachetée,  ôc  par  une 
vanité  ridicule  ,  il  l'envoya  à  Seville ,  comme  un  grand  tro- 
phée. Ayant  enfuite  fait  couper  fon  corps  en  quatre,  il  fit  pla- 
cer les  quartiers  dans  l'endroit  le  plus  élevé  de  fon  Fort ,  pour 
être  un  monument  de  cette  belle  action. 

Les  nôtres  apprirent  cet  horrible  maflacre  ,  par  un  matelot 
qui  échapa  de  cette  boucherie  ,  comme  par  miracle  ;  car  trois 
de  fes  camarades  étant  tombez  fur  lui  pendant  ce  mafiacre,  il  fe 

Rrr  i; 


;oo  HISTOIRE 

trouva  tout  baigné  de  fang  ôc  pafla  pour  mort.  La  peur  l'ayant 
Char  LE  ^'^^^^^^^^  ^^  nuit,  il  reprit  peu  à  peu  fes  efprits,  ôc  s'étant  en- 
Ty         fuite  fouvenu  qu'il  avoir  un  couteau  dans  une  gaine  de  bois, 
1  c  6  S      ^^  ^^  remua  du  mieux  qu'il  put,  ôc  étant  venu  à  bout  de  tirer 
*     fon  couteau,  il  coupa  les  cordes  dont  il  étoit  lié,  ôc  s'enfuit.  H 
demeura  long-tems  caché  chez  les  Indiens ,  ôc  retomba  une  fé- 
conde fois  entre  les  mains  des  Efpagnols  ;  mais  leur  fureuc 
étant  ra(enrie,ils  le  garderent,avec  un  nommé  Pompier, qui  avoit 
été  pris  à  la  Havane ,  ôc  ils  le  deftinerent  à  fervir  comme  ef- 
clave  fur  leurs  vaiffeaux.  Celui  fur lequelil  étoit, ayant  été  pris 
dans  la  fuite  parles  François ,  il  recouvra  fa  hberté  ôc  raconta 
à  de  Morgue  tout  ce  qu'il  avoit  vu. 

Cependant  ceux  qui  s'étoient  fauvez  du  Fort ,  fous  la  con- 
duite de  Jacque  Ribaud  ôc  de  Laudoniere,  quittèrent  ce  fu- 
nefte  payis  le  25*  de  Septembre,  ôc  après  un  mois  de  naviga- 
tion ils  arrivèrent  à  la  vue  des  Açores.  Etant  heureufement 
entrez  le  10  de  Décembre  dans  le  canal  de  faint  George,  ils 
furent  portez  en  Angleterre  ,  ôc  abordèrent  au  port  de  Soua- 
vezes.  Laudoniere  y  ayant  reçu  quelque  argent  d'un  marchand 
de  faint  Malo ,  s'en  alla  par  terre  à  Briftol ,  ôc  de  là  à  Londres, 
-  où  Paul  de  Foix  ,  homme  d'un  très-grand  mérite ,  étoit  alors 
ambafladeur  du  Roi.  Laudoniere  ayant  encore  emprunté  de 
lui  de  l'argent ,  paffa  à  Calais ,  ôc  arriva  enfin  à  Paris.  Il  y  ap- 
prit que  le  Roi  étoit  à  Moulins,  où  il  tenoit  les  Etats  5  il  s'y 
rendit,  ôc  ayant  fait  le  récit  de  tout  ce  qui  étoit  arrivé,  il  ne 
fut  pas  trop  bien  reçu. 

Ceux  qui  ont  examiné  avec  le  plus  d'exa£litude  la  conduite 
de  Ribaud ,  l'ont  blâmé  de  ce  qu'étant  arrivé  à  la  Floride  le  14. 
du  mois  d'Août ,  il  avoit  perdu  plus  de  quinze  jours  à  parcourir 
la  côte  :  il  devoit ,  félon  eux  ,  employer  ce  tems  à  débarquer  fon 
canon ,  à  fe  fortifier  dans  quelque  endroit ,  ôc  à  renvoyer  Lau- 
doniere en  France  :  par  ce  moyen  il  n'auroit  point  été  obli- 
gé de  marcher  contre  l'ennemi.  L'ayant  d'ailleurs  fait  trop  tard, 
6c  contre  l'avis  des  officiers,  il  avoit  hâté  fa  ruine  ôc  celle  des 
François  qui  étoient  avec  lui.  Il  feroit  néanmoins  bien  plus 
jufte ,  ce  me  femble ,  d'en  rejetter  la  faute  fur  ces  hommes  per- 
fides, qui  tenant  les  premières  places  dans  le  Confeil  du  Roi, 
avoient  foin  d  inftruire  les  Efpagnols  de  ce  qui  fe  pafibit  chez 
nous.  Car  peut-on  douter  que  Melandez  n'eut  fçu  le  deffein 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.XLÎV.        ;ci 

deRlbaud,  ôcle  tems  précis  de  fon  voyage,  lorfqu'on  le  voit  « 

marcher  en  quelque  forte  fur  fes  pas ,  ôc  arriver  à  la  Floride  Char  le 
prefque  aulîi-tôt  ?  j  -^ 

A  cette  perte  que  la  cruauté  Efpagnole  nous  caufaja  Fortune  i  r  5  s 
en  ajouta  une  féconde,  par  la  mort  de  Pierre  de  Montluc  , 
d'abord  appelle  Bertrand ,  fils  du  fameux  Biaife  de  Montluc.  Bertrand'^ae" 
Il  avoit  eu  du  commandement  dans  lapremiere  guerre  civile,  ôc  Momiuc. 
il  y  avoit  acquis  de  la  réputation.  Ennuie  du  repos  il  fit  le  pro- 
jet d'une  grande  entreprife,  avec  Fabien  fon  cadet,  Pompa- 
dour ,  ôc  beaucoup  de  Noblefle  choifie ,  peu  de  tems  après  l'en- 
trevûë  que  la  Reine  Catherine  de  Medicis  eut  à  Bayonne  avec 
Elizabeth  fa  fille.  Il  partit  de  Bordeaux ,  avec  trois  grands 
vaiffeaux  bien  fournis  de  matelots,  de  rameurs,  &  de  provi- 
fions  de  guerre  ;  il  avoit  outre  cela  douze  cens  foldars ,  ôc  il 
fe  flatoit  de  faire  un  coup  d'éclat.  Son  deffein  étoit  d'aller  en 
Guinée,  de  vifiter  les  royaumes  de  Manicongo,  de  Mofambi- 
que,  de  Quiloo  ôc  deMelinde;  d'y  faire  alliance  avec  quel- 
qu'un des  Princes  du  payis ,  ôc  d'obtenir  enfuite  de  lui  par  pro- 
mefles  ou  par  force  la  permiiïion  de  bâtir  une  fortereffe  fur  fes 
terres,  dans  quelque  endroit  avantageux  ;  afin  que  les  marchands 
François  pufient  y  venir  en  fiireté  fous  la  prote£tion  du  Roi, 
Ôc  faire  le  commerce  de  l'Afrique  ôc  de  l'Afie ,  fans  pafler , 
comme  auparavant,  par  les  mains  des  Portugais.  Dans  ce  def- 
fein il  avoit  amené  quelque  bannis  de  Portugal ,  qui  connoif- 
foient  les  lieux  ôc  les  tems  où  l'on  peut  commercer  5  ôc  il  avoit 
promis  avec  ferment  à  fon  père ,  qu'il  feroit  enforte  que  tous 
les  avantages  que  les  Efpagnols  ôc  les  Portugais  tiroient  du  com- 
merce, tourneroient  à  la  gloire  de  la  nation  Françoife,  ôc  au 
profit  du  Roi  :  qu'au  refte  il  ne  feroit  jamais  le  premier  agref- 
feur  à  regard  de  qui  que  ce  fat;  mais  que  fi  on  l'attaquoit,. 
on  ne  le  feroit  pas  impunément,  ôc  qu'il  fçauroit  bien  fe  dé- 
fendre. 

Il  partit  dans  cette  réfolution ,  ôc  ayant  long-tems  lutté  con- 
tre une  tempête  ,  il  arriva  enfin  aux  Canaries,  ôc  s'approcha 
de  Madère.  Cette  ifle,  qui  eil  la  première  des  Canaries,  la 
plus  agréable  ôc  la  mieux  fournie  de  toutes  les  commoditez  de" 
la  vie ,  eft  de  figure  triangulaire,  Ôc  à  environ  vingt-deux  lieues- 
de  tour.  Montluc  ayant  envoyé  à  terre  quelques-uns  de  fe& 
gens  pour  faire  de  l'eau,  on  tira  le  canon,  ôc  les  infulaires; 

Rrr  iii 


J02  HISTOIRE 

„«„«..„,«.  étant  en  même  tems  fortis  en  armes ,  fe  mirent  à  pourfuivre 
InTTTZTZ  nos  gens.  Montluc  qui  ne  s'atrendoit  point  àceshcftilitez,  dans 

Charle  &  V   1         1     ^    T»     •      '  ^1  •        ,1  r 

jy  un  tems  ou  les  deux  Kois  etoient  en  bonne  nitelligence,  rut 
-  ^'o  vivement  picqué  de  leur  procédé.  Il  débarqua  fes  troupes  ,  Ôc 
ayant  reconnu  le  terram,  il  chercha  a  amuler  1  ennemi  par  un 
combat  léger.  En  même  tems  il  ordonna  à  fon  frère  de  mar- 
cher par  derrière  ,  de  prendre  un  chemin  plus  long,  ôc  de  s'a- 
vancer le  plus  promptemcnt  qu'il  pourroit  vers  la  ville  :  les 
ennemis  fe  trouvant  entre  les  deux  frères  ,  fans  pouvoir  être  fe- 
courus  par  ceux  de  la  ville  ,  furent  taillez  en  pièces  j  &  il  n'en 
échapa  aucun. 

AuflTi-tôt  Montluc  marche  droit  à  la  place ,  fait  avancer  fon 
canon ,  6c  l'attaque  :  les  habitans  confternez  par  la  perte  qu'ils 
venoient  d'elfuyer ,  firent  peu  de  réfiftance  :  la  place  fut  empor- 
tée ôc  pillée.  Il  ne  reftoit  que  la  grande  Eglife,  où  quelques 
foldats  s'étoient  retranchez.  Montluc  la  fait  attaquer  :  mais  il 
reçut  en  ce  moment  une  grande  blefTure  à  la  cuiflfe ,  dont  il 
mourut  peu  de  jours  après,  extrêmement  regretté  de  fes  troupes. 
Sa  mort  rendit  inutile  fon  entreprife ,  dont  il  y  avoit  lieu  d'efpe- 
rer  un  grand  fuccès.  Il  fut  enterré  honorablement  dans  l'E- 
glife  des  Cordeliers  de  cette  ifle.  Le  Roi  de  Portugal  ayant  fait 
faire  des  plaintes  à  ce  fujet ,  parles  Ambafladeursqu'il  avoit 
à  la  Cour  de  France,  l'affaire  fut  agitée  dans  le  Confeil. 
L'Amiral  entreprit  de  juftifier  cette  expédition  :  il  montra 
clairement  que  nos  gens  ne  pouvoient  être  blâmez ,  d'avoir  ven- 
gé avec  tant  de  courage  toutes  les  injures  ,  que  Villegagnon, 
envoyé  du  Roi,  avoit  reçues  autrefois  des  Portugais,  dans  une 
expédition  dont  il  s'étoit  chargé  j  en  un  mot  il  plaida  avec 
tant  de  force  la  caufe  des  compagnons  de  Montluc ,  que  la 
crainte  avoit  obligez  de  fe  difperfer  ôc  de  fe  cacher,  qu'ils  fu- 
rent tous  abfous  des  accufations ,  que  l'on  avoit  intentées  con- 
tre eux.  Cependant  ce  qui  étoit  arrive  dans  la  Floride  ôc  à 
Madère  fit  peu  d'impreffion  fur  la  Cour  partagée  alors  en 
différentes  fadions.  Elle  y  fut  pour  ainfi  dire  inlcnfible ,  ou  du 
moins,  à  la  honte  du  nom  François  ,  elle  affedla  de  le  paroî- 
tre,  foit  paraveifion  pour  la  Religion  Proteftante,  queprofef- 
foient  prefque  tous  ceux  qui  avoicntpafié  à  la  Floride  avecRi- 
baud  ôc  Laudoniere,  foit  en  haine  de  Coligni  lui-même  ,  qui 
ctoit  le  principal  auteur  de  cette  expédition. 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  ï  V.  XLIV.        505 

Mais  pendant  que  la  Cour  demeuroit  dans  l'inadion  ,  un  - 

particulier  ienfible  à  l'injure  qu'il  avoit  reçue  lui-même,  ôcà  CharlE 
celles  qui  avoient  été  faites  à  i'a  patrie,  entreprit  de  tirer  ven-       I^- 
gence  de  l'orgueil ,  ôc  de  la  cruauté  déteftable  des  Efpagnols.     1^63, 
Ce  fut  Dominique  Gourgues,  né  au  Mont  de  Marfan  en  Gaf-     Voyage  & 
cogne  ,  homme  de  tête  &  demain»  Après  avoir  fervi  avec  dif-  ^^''pedition de 
tinction  en  lolcane,  il  rut  pris  par  les  hlpagnols  &  mis  aux 
galères.  Ayant  depuis  été  mis  en  liberté  par  Mathurin  de  l'Ef- 
cure  de  Romegas  Chevalier  de  Malte,  il  conçut  une  fi  gran- 
de haine  contre  les  Efpagnols,  qu'il  fit  un  ferment  folemnel 
qu'à  la  première  occaiion  il  fe  vengeroit  par  quelque  coup  d'é- 
clat de  l'outrage  qu'ils  lui  avoient  fait.  La  dernière  injure  faite 
à  la  nation  Françoife  ayant  encore  allumé  fa  colère ,  il  ne  fon- 
gea  plus  qu'à  fatisfaire  fon  reffentiment.  Il  vendit  une  partie 
defon  bien  pour  faire  de  l'argent  j  il  emprunta   de  fes  amisî 
&  des  fommes  qu'il  put  ramaffer,  il  équipa  trois  petits  bàti- 
mens  ,  fur  lefquels  il  embarqua  deux  cens  foldats  d'élite  j  ôc 
environ  quatre-vingt  matelots.  11  prit  avec  lui  Cafeneuve  qu'il 
fit  fiDn  lieutenant,  ôc  François  de  Bordeaux,  à  qui  il  donna 
le  commandement  d'un  des  bâtimens  de  fa  petite  flotte. 

Tout  étant  ainfi  préparé,  il  mit  à  la  voile  le  21  d'Août,  fans 
dire  à  perfonnefon  defîein.  Il  feignit  d'aller  au  Brezil ,  ou  dans 
la  mer  du  Nord  ,  où  il  avoit  déjà  fait  quelques  voyages.  Après 
avoir  efluiéau  commencement  quelques  tempêtes  affezfacheu- 
fes  ,  il  arriva  enfin  au  Cap  faint  Antoine  dans  l'ifle  de  Cuba» 
Ce  fut  là  qu'il  découvrit  à  fes  compagnons  fon  deffein  ,  qu'il 
avoit  tenu  caché  jufqu'alorsi  il  les  conjura  de  ne  le  pas  abandon- 
ner ,  dans  une  occafion  où  il  s'agiffoir  de  la  gloire  du  nom  Fran- 
çois. Ils  le  promirent  avec  ferment.  P  e  ns  d'une  noble  ardeur 
ils  pafient  heureufement  le  détroit  de  Bahama ,  dans  une  fai- 
fon  où  ce  paflage  eft  fort  dangereux  5  &  fans  attendre  la  plei- 
ne lune,  ou  pour  l'ordinaire  il  y  a  moins  de  péril,  ils  décou- 
vrent les  côtes  de  la  Floride  ,  &  arrivent  enfin  à  l'embouchure     Arrivée  de 
de  la  rivière  de  Mai.  Les  Efpagnols  ne  doutant  point  que  ce  p^cV^j^j^  ^ 
ne  fût  des  bâtimens  de  leur  nation ,  les  faluertnr  de  quelque 
coups  de  canon  Gourgues  ne  voulut  pas  les  defabufer,  &  leur 
rendit  le  falut.   Après  quoi  feignant  d'aller  ailleurs  ,il  s'é'oigna 
jufqu'à  ce  qu'ils  l'eufient  perdu  de  vûë ,  &  alla  faire  fa  defcente 
à  l'embouchure  de  la  Seine  j  éloignée  de  quinze  lieuëi>  de  celle 
de  la  rivière  de  Mai. 


^04  HISTOIRE 

'^^      Dès  qu'il  parut  ^  les  Indiens  s'avancèrent  en  grand  nombre 


riona. 


Char  LE  armez  d'arcs  &  de  flèches.  Gourgues  éleva  Tes  en  feignes  en 
IX.       figne  de  paix,  &  leur  fit  dire  par  un  trompette,  qu'il  venoit 
1^68,     delà  part  du  Roi  de  France,  pour  leur  offrir  l'amitié  &  la  pro- 
tection de  ce  Monarque ,  contre  ceux  qui  les  oppiimoient.  Il 
y  eut  une  grande  joie  de  part  6c  d'autre ,  ôc  l'on  s'en  donna 
réciproquement  les  témoignages  les  plus  vifs.  Les  Indiens  re- 
tourneient  chez  eux  avec  emprelfement.  Le  lendemain  Sa- 
touriona  revint  à  la  côte  avec  fesenfans,  ôc  deux  Princes  fcs 
tributaires,  dontfun  s'appelloit  Molona  ôc  l'autre  Almacand. 
Toute  leur  fuite  ayant  mis  les  armes  bas  ,  les  nôtres  quiterent 
auifi  leurs  moufquets ,  ôc  allèrent  au-devant  d'eux  avec  l'épée 
feulement ,  ayant  Gourgues  à  leur  tête.   Le  Prince  Indien  le 
fit  affeoir  à  coté  de  lui  fur  un  ilége  élevé  ,  fait  de  lentifque,  ôc 
Entrevue     garni  de  moufle.  Toute  leur  fuite  ayant  arraché  les  ronces  qui 

avec  acou-  ^tQJgi-jj.  aux  environs  ,  s'aflit  en  cercle  autour  d'eux.  Satouriona, 
par  le  moyen  d'un  interprète  ,  fit  en  la  prefence  de  Gour- 
gues de  grandes  plaintes  contre  les  Efpagnols,  lui  fit  le  dé- 
tail de  tous  les  outrages ,  que  lui,  fes  femmes  ,ôc  fes  enfans  en 
avoient  reçus,  fur- tout  depuis  le  malheur  arrivé  à  nos  gens. 
Il  dit  à  Gourgues  qu'il  feroit  ravi  de  fe  liguer  avec  les  Fran- 
çois, pour  venger  fes  injures  ôc  les  leurs.  La  propofition  ayant 
été  acceptée,  Ôc  le  traité  conclu,  Gourgues  offrit  quelques  petits 
prefens  au  Prince  Indien  ,  c'étoient  des  fabres ,  des  couteaux, 
des  javelots ,  des  bagues,  des  hallebardes ,  des  fonnetes  ,  ôc  au- 
tres bagatelles  pareilles.  Les  Princes  Indiens  lui  donnèrent  en 
revanche  une  petite  chaîne  d'argent,avec  des  peaux  de  cerf  très- 
bien  préparées ,  ôc  ils  le  prièrent  de  leur  donnera  chacun  une 
chemife,  qui  ferviroit  pour  les  parer  aux  jours  de  fête,  ôc  pour  les 
enfevelir  après  leur  mort.  Pierre  Dubré,  quis'étoit  échapé  du 
maflfacre  que  les  Efpagnols  avoient  fait  de  nos  gens ,  étoit  de- 
puis ce  tems  là  demeuré  caché  chez  Satouriona  :  on  fe  fervit 
de  lui  pour  reconnoître  l'état  des  ennemis ,  Ôc  on  envoya  des 
gens  habiles  Ôc  expérimentez  pour  examiner  leurt  Fort. 

Oiotocara  parent  de  Satouriona  n'oublioit  rien  de  tout  ce 
qui  pouvoit  contribuer  au  fuccès  de  l'entreprife.  On  convint 
d'un  jour  où  les  Princes  Indiens  viendroient  avec  leurs  troupes 
armées  à  leur  manière.  Satouriona  donna  en  otage  un  de  fes 
fils,  ôc  celle  de  routes  iss  femmes  qu'il  aimoit  le  plusj  c'étoit  une 

jeune 


D  E  J.   A,  DE    THOU,Liv,   XLIV.        yoy 

5eune  perfonne  de  dix-huit  ans.    Jamais  fidélité  ne  fut  plus  — — ■ 
grande ,  ni  fecret  mieux  gardé.  Outre  la  Caroline  que  les  Ef-  r;  u  ar  l  E 
pagnols  avoient  reparée  après  la  défaite  de  Ribaud ,  ils  avoient      t  y 
déplus  fur  la  rivière  de  Mai,  mais  plus  près  de  la  mer ,  deux     ^  ^  ^'g 
autres  Forts,  où  il  y  avoit  cinquante  hommes  de  garnifon,  ôc 
quelques  canons  de  ceux  qu'ils  nous  avoient  pris  :  les  garni- 
rons de  ces  Forts  montoient  à  quatre  cens  hommes  d'élite.  Tou- 
tes nos  troupes,  tant  Indiens  que  François,  s'étant  raffemblées 
fur  la  Somme  ,  les  Indiens  burent  d'une  Hqueur  qu'ils  nomment 
Cajfme  :  ils  la  compofent  du  jus  de  quelques  herbes  ,  6c  ils  ont 
coutume  d'en  boire ,  lorfqu'ils  vont  à  quelque  entreprife  péril- 
leufe,  perfuadés  qu'elle  enflame  leur  courage ,  ôc  qu'elle  les  met 
en  état  de  fouffrir  affez  long-tems  la  faim  ôc  la  foif  Gourgues 
fit  mine  d'en  boire  comme  eux,  après  quoi  on  femiten  mar- 
che fous  la  conduite  d'Olotocara^  qui  tenoit  fa  hache  à  la  main^ 
ôc  avoit  un  grand  defir  d'acquérir  de  la  gloire. 

Malgré  le  rems  pluvieux  ôc  les  marécages ,  on  arriva  fur  les  P^î^e  des 
bords  de  la  rivière  de  Sanavahia  ^.  La  barque,qui  portoit  leurs  tfpagnôîs. 
vivres  au  travers  de  ces  lieux  déferts,  n'étant  pas  encore  arrivée, 
ils  fouffrirent  beaucoup  de  la  faim  ;  mais  leur  courage  furmonta  *  *"*  ^'"''■'^"''  **• 
toutes  ces  incommoditez.  Ils  palTerent  enfuite  une  autre  ri- 
vière à  gué,  après  que  la  marée  fe  fut  retirée,  ayant  leur  four- 
niment attaché  à  leurs  cafques  :  de  grandes  huitres  que  le  flux 
avoit  amenées  dans  la  rivière  les  incommodèrent  fort  dans  ce 
paffage.  Enfin  ils  arrivèrent  à  la  vûë  du  Fort,  que  les  Efpa- 
gnols  avoient  bâti  près  de  l'embouchure  du  Mai,  fur  la  rive 
droite  de  ce  fleuve.  Après  quelques  coups  de  canon  ,  Oloto- 
cara ,  qui  ne  fçavoit  ce  que  c'étoit  que  de  garder  des  rangs, 
étant  monté  le  premier  fur  le  rempart ,  ôc  ayant  tué  un  cano- 
nier  des  ennemis  d'un  coup  de  pertuifane ,  ôc  Gourgues  l'ayant 
fuivi  avec  fes  gens ,  la  place  fut  emportée.  Gourgues  prend  un 
bateau  fur  le  champ,  pafTe  de  l'autre  côté  de  la  rivière  avec 
quatre-vingt  moufquetaires,  attaque  l'autre  Fort  que  les  enne- 
mis y  avoient ,  ôc  s'en  rend  maître  fans  peine.  Ceux  de  la  gar- 
nifon  ,qui  voulurent  fe  fauver,  furent  pris  par  les  Indiens ,  qui 
étoient  embufquéesdans  le  bois.  Il  y  eutfix  vingts  Efpagnols 
tuez ,  ôc  l'on  en  referva  trente  pour  le  fupplice. 

Aufli-tôt  ils  préparent  des  échelles ,  ôi  marchent  à  la  Ca- 
roline ,  qui  n*étoit  qu'à  deux  lieues  de  là ,  guidez  par  un  colonel 
Tome  F,  ■  Sï£ 


X 


yo^  HISTOIRE 

Efpagnol  qu'ils  avoient  fait  prifonnier.  Gourgues ,  bien  infoi'-^ 
p  mé  pau  cet  officier  de  la  fituation  &  de  la  force  de  la  place , 

^^^,         de  la  profondeur  du  foffé^  &  du  nombre  des  foldats  dont  la 
^/ô      garnifon  étoit  compofée ,  marche  toute  la  nuit,  &  arrive  le  ma- 
^  ^    '     tin  à  la  vue  du  Fort.  On  lui  tira  pîuiieurs  volées  de  canon ,  mais 
cela  ne  l'empêcha  pas  de  tout  préparer  pour  l'attaque.  Il  com- 
mença par  placer  fes  Indiens  dans  les  bois  des  environs ,  pour 
arrêter  ceux  qui  voudroient  fe  fauver  :  il  réfolut  enfuite  d'at- 
taquerle  Fort  par  l'endroit  où  le  foffé  étoit  le  moins  profond. 
Le  Commandant  ayant  détaché  foixante  hommes  pour  recon- 
noitre  nos  gens ,  Cafeneuve  les  coupa  i  ôc  Gourgues  les  char- 
gea, ôc  les  tailla  en  pièces,  fans  qu'il  en  échapât  un  feul.  Le 
Commandant  effi:ayé  fort  du  Fort  avec  ce  qui  lui  reftoit  de 
monde  ,  ôc  veut  fe  fauver  dans  les  bois  >  mais  les  Indiens  que 
Gourgues  y  avoir  placez,  l'arrêtèrent  ôc  le  tuèrent  avec  tous  fes 
gens.  Quelques  uns  d'entre  eux ,  qui  craignoient  la  fureur  des 
Indiens  offeniëz ,  avoient  été  d'avis  de  fe  remettre  plutôt  à  la 
difcretion  des  François  ;  mais  on  ne  les  écouta  point.  Ainfi  fut: 
pris  le  Fort  de  laCaroHne:  on  y  trouva  cinq  grofles  coulevri- 
nés ,  quatre  petites ,  dix-huit  barils  de  poudre ,  ôc  toutes  fortes 
de  pro vidons  en  abondance. 

Gourgues  ayant  ainfi  exécuté  fonentreprife,  Ôcne  fongeant 
plus  qu'à  retourner  en  France ,  fît  embarquer  une  partie  de 
fes  provillons,  échapées  au  feu  qui  y  prit  par  l'imprudence  de 
quelqu'un  des  nôtres.  A  l'égard  des  prifonniers  ,  Gourgues 
leur  ayant  reproché  leur  perfidie,  ôc  la  cruauté  avec  laquelle 
ils  avoient  traité  les  François  trois  ans  auparavant ,  contre  la 
foi  du  traité  qu'ils  avoient  fait  avec  eux  >  les  fît  pendre  à  des 
arbres  qui  étoient  autour  de  la  place,  ôc  y  fit  mettre  une  inf- 
cription  qui  portoiti  que  ce  n'étoit  pas  comme  Efpagnols  qu'on 
les  avoit  ainfî  traitez,  mais  comme  des  traitres,  desbrigandsj 
ôc  des  aflafïins.  Il  en  ufade  la  forte,  parce  que  Melandez  ayant 
fait  maifacrer  nos  François ,  avoit  fait  dreffer  une  infcription 
quiportoir;  que  ce  n'étoit  pas  comme  François,  mais  comme 
Luthériens ,  qu'il  les  avoit  fait  mourir, 

Lorfque  tout  cela  fut  exécutée  Gourgues  dit  aux  Indiens- j 
que  s'ils  vouloient  conferver  leur  liberté,  il  falloit  rafer  tous  ces 
Forts  j  ce  qui  fut  fait  en  un  jour  ,  tous  les  Indiens  des  environs 
y  étant  accourus  à  l'envi.  Il  détacha  enfuite  Cafeneuve ,  avec 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.         J07 

fon  canon  j  pourfe  rendre  par  mer  àleur  flotte  ^  qu'ils  avoient                 ■  s 

laiflee  à  l'embouchure  de  la  Seine  ^  pour  lui  il  fe  mit  en  che-  p  u    p  t  p  •' 

min  par  terre  avec  quatre-vingts  moufquetaires  ,  pour  fe  ren-       jv^  | 

dre  au  même  lieu.                                                                                /j  i  l 

La  vengence ,  qu'il  avoir  tirce  des  Efpagnols ,  Ôc  la  Floride               '  1 

qu'il  venoit  de  mettre  en  liberté,  lui  acquirent  beaucoup  de  ' 

gloire,  &  fa  marche  fut  une  efpece  de  triomphe.  Les  Indiens  ] 

accouroient  de  toutes  parts  fur  fon  paffage ,  pour  le  féliciter  fur  ] 
ce  fuccès  ,&  pour  le  remercier  du  grand  fervice  qu'il  leur  avoit 

rendu.  Il  fe  trouva  parmi  eux  une  vieille  femme  ,  qui  affura  ; 
qu'elle  mourroit  déformais  fans  regret ,  puifqu'elle  avoit  vu  les 
Efpagnols  chaffez  du  payis ,  ôc  les  François  victorieux.  Gour- 

gues  ayant  tout  difpofé  pour  fon  retour^  prit  congé  des  Rois  i 
Indiens,  les  exhorta  à  garder  fidèlement  le  traité  qu'ils  avoient                         '     i 

fait  avec  le  Roi  de  France  ,  ôc  leur  fit  efperer  que  dans  douze  ; 

Lunes  (c'eft  ainfi  qu'ils  comptent  les  mois)  le  Roi  leur  envoyé-  j 

roit  de  nouveaux  fecours.  La  féparation  ne  fe  fit  pas  fans  que  ' 

les  Indiens  verfa'flent  beaucoup  de  larmes.  Gourgues  eut  beau-  j 

coup  de  peine  à  s'arracher  d'entre  leurs  bras  :  celui  qui  lui  mar-  | 

qua  le  plus  de  tendreffe  ce  fiit  Olotocara ,  qui  avoit  fervi  avec  i 
tant  de  courage,  Ôc  de  fidélité  dans  l'attaque  des  trois  Forts. 

Gourgues  ayant  rendu  grâces  à  Dieu  de  l'heureux  fuccès  de  -»  i 

fon  voyage  ,  partit  des  côtes  de  la  Floride  le  3  de  Mai ,  ôc  par  | 

un  bonheur  extraordinaire,  ayant  fait  onze  cens  lieues  en  dix-      Retour  de  j 

fept  jours,  il  arriva  en  parfaite  fanté  à  la  Rochelle,  le  i  5  de  Goiugiics.  j 

Juin,  n'ayant  perdu  qu'un  de  fes  bâtimens  ,  huit  foldats,  ôc  j 

quelques  Gentilshommes ,  qui  furent  tuez  à  l'attaque  des  Forts.  ; 

Les  Efpagnols  j  qui  l'avoient  fuivi ,  tant  en  allant  qu'en  rêve-  " 

nant ,  parurent  encore  au  Cap  de  Baye ,  un  peu  au-deffus  de  j 

la  Rochelle,  mais  ils  arrivèrent  trop  tard  :  Gourgues  étoit  déjà  ; 
dans  le  port.  Il  fut  reçu  avec  de  grands  honneurs  par  les  Ro- 

chelois  3  ôc  peu  de  tems  après  s'étant  rendu  à  Bordeaux ,  il  mit  *i 

à  l'Hôtel  de  ville  les  canons  qu'il  avoit  pris  aux  Efpagnols ,  ôc  i 

s'en  alla  en  pofte  joindre  Blaife  de  Montluc  gouverneur  de  \ 

Guienne ,  qui  l'envoya  au  Roi.  A  fon  arrivée  à  Paris ,  il  fut  foit  1 

étonné  de  voir,qu'au  lieu  d'une  recompenfe  qu'il  devoir  atren-  i 

dre,  il  fe  trouvoit  dans  un  grand  péril  :  car  le  Roi  d'Efpagne  j 

avoit  mis  fa  tête  à  prix,  ôc  fon  AmbafTadeur  s'étoit  plaint  par  j 

fon  ordre  de  ce  qui  venoit  d'airiver  à  la  Floride.  Gourgues  1 

Sffii  ; 


yo8  HISTOIRE 

I  ne  trouva  aucune  prote£lion  j  l'Amiral  étant  alors  éloigné  de 

Charle  ^^  Cour,  ôc  les  Lorrains ,  dont  la  Reine  avoir  befoin  ,  y  étant 
j  y  les  maîtres.  Le  Roi  traita  Gourgues  de  perturbateur  du  repos 
I  ç  5  8  public ,  ôc  lui  défendit  de  paroître  devant  lui.  Il  vit  bien  qu'il 
falloit  céder ,  le  parti  d'Efpagne  dominant  alors  à  la  Cour  ;  ainlî 
il  prit  le  parti  de  fe  cacher  pour  quelque  tems  chez  fes  amis. 
Trêve  entre  Sur  la  fin  du  mois  de  Mai;  les  envoyez  de  l'Empereur,  qui, 
IfaximïiTèn  Commc  uous  avous  dit,  étoient  depuis  un  an  allez  à  Conftantino' 
&  ks  Turcs,  pic ,  pour  renouveller  la  trêve  avec  le  Sultan ,  revinrent  à  Vien- 
ne le  30  d'Avril ,  avec  Ibrahim  que  le  Grand  Seigneur  envoyoit 
en  ambaflade  pour  d'autres  affaires.  La  dernière  trêve ,  dans 
laquelle  avoir  été  compris  le  Vaivodejean,  ôcles  Vénitiens 
avoit  été  faite  à  condition  que  chacun  garderoit  ce  qu'il  avoit 
pris  dans  la  dernière  guerre.  L'Empereur  y  trouva  un  grand 
avantage  :  car  Schwendi  avoit  étendu  fes  frontières  en  deçà 
ôc  au-delà  de  laTeyfTe^dela  longueur  de  quarante  milles  d'Al- 
lemagne, ôc  il  fe  trouvoit  dans  cet  efpace  quantité  de  places  ôc 
déports,  ou  pris  furies  ennemis,  ou  bâtis,  ou'du  moins  com- 
mencez par  Schwendi.  Ce  fut  aufli  ce  Général  qui  donna  l'a- 
vis d'établir  une  caiffe  militaire  en  Hongrie 5  ce  qui  fut  depuis 
d'un  grand  fecours  pour  les  affaires  pubhques.  Ce  fut  lui  qui 
diftribua  les  troupes  Allemandes  dans  les  places  fort«s ,  ôc  qui 
par  cette  fage  prévoyance  afiura  la  frontière  de  la  Hongrie  ôc 
de  la  Stirie.  On.  jugea  diverfement  des  raifons  qui  avoient  en- 
gagé Selim  à  fe  porter  de  fi  bonne  grâce  à  faire  la  paix  avec 
Maximilien.  La  principale,  à  ce  qu'on  croit ^ fut  la  révolte  de 
l'Arabie.  Selim  qui  avoit  tourné  iès  penfées  du  côté  de  l'O- 
rient, ôc  qui  avoit  équipé  pour  cela  une  puifiante  flotte  ,  ne 
vouloit  point  laifTer  d'ennemis  derrière  lui. 

Peu  de  tems  après,  Maximilien  fe  rendant  enfin  aux  priè- 
res de  fes  peuples,  accorda  aux  Princes  d'Allemagne,  ôc  à  la 
Nobleffe  d'Autriche  ,  la  liberté  de  prêcher  la  doctrine  de  la  Con- 
felTion  d'Aufbourg  dans  leurs  places  de  guerre ,  dans  les  villes 
ôc  dans  les  bourgades  >  ce  qu'il  avoit  refufé  jufqu'alors  :  mais 
ce  fut  à  condition  qu'ils  fe  conformeroient  aux  anciennes  Egli- 
fes  de  cette  ConfeiFion ,  à  l'égard  des  rites.  Cette  claufe  fut 
ajoutée  fur  les  remontrances  de  Thomas  Perrenot  de  Chan- 
tonay  ambaiïadeur  de  Phihppe  II  ,  afin  d'empêcher  que  cet 
exemple  ne  fut  pernicieux  pour  la  Flandj:e  i  ce  qui  fufpendit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.      Jcp 

quelque  tems ,  Ôc  rendit  prefque  inutile  la  grâce  de  l'Empereur. 

Les  Turcs  coururent  cette  année  fur  les  côtes  d'Italie  h  mais  c  h  a  r  l  E 
ils  ne  firent  qu'y  répandre  la  terreur.   Le  prince  Piombino  ,       j  y^ 
Généial  des  galères  de  Florence,  voyant  Selim  embaraffé  dans     i  ^  c  'è 
la  guerre  contre  les  Arabes ,  forma  le  deiTein  de  furprendre     .  ,, .     ,, 
Bone  fur  la  côte  de  Barbarie:  il  fe  flattoit  d'y  faire  beaucoup  talie.'^^^^ 
d'efclaves,  ôc  d'en  rapporter  un  grand  butin,  6c  comptoit  d'y 
réufTir  par  le  moyen  d'un  renégat,  qui  alloitôc  venoit  del'une 
à  l'autre  côte.  Il  paiTa  d'abord  en  Sardaigne  3  mais  lorfqu'il  fut 
à  la  vue  de  l'Afrique,  ôc  de  la  ville  même  de  Bone,  il  fut 
battu  durant  trois  jours  d'une  tempête  qui  le  contraignit  à  re- 
lâcher d'abord  à  Cagliari,  &  enfuiteà  Livourne,  d'où  il  étoic 
parti.  A  peine  ^qs  gens  s'étoient-ils  refaits  des  fatigues  de  la 
mer,  ôc  du  mal  qu'elle  leur  avoir  caufé,  qu'il  apprit  que  Ca- 
ragial,  fameux  Corfaire  ,  étoit  forti  du  port  d'Alger  avec  quel- 
ques frégates ,  ôc  qu'il  inquietoit  toute  la  côte  voilîne.    Sur 
cet  avis  étant  forti  du  port  de  Livourne  pour  le  chercher ,  il 
le  joignit  près  de  l'ifle  de  Corfe.  Le  combat  fut  rude  ôc  opi- 
niâtre j  mais  enfin  les  Turcs  fe  retirèrent  avec  perte  d'une  de 
leurs  galères,  qui  futprife  par  les  Chrétiens,  à  qui  la  victoire 
coûta  cher.  François  Ruccellai  Chevalier  de  Malte  y  fut  dan- 
gereufement  bleffé ,  6c  le  Général  lui-même  y  eut  la  cuifTe  per- 
cée d'unefleche  5  enforte  que  quand  il  rentra  dans  le  port  avec 
fes  vaiffeaux  pleins  de  morts  6c  de  bleffez ,  fa  flotte  reffem- 
bloit  plutôt  à  une  armée  battue,  qu'aune  armée  viêtorieufe. 

Mutahar  étoit  en  ce  tems  là  maître  de  l'Arabie  heureu- 
fe  ;  il  defcendoit  des  Princes  Mahometans  qui  avoient  régné 
en  Afie,  avant  que  les  Turcs  euflent  étendu  leurs  conquêtes 
jufques-là.  Ce  Prince  avoir  une  table  frugale  i  mais  dans  tout 
le  refte,  &c  fur-tout  dans  fes  équipages  de  chevaux,  il  étoit 
magnifique  :  il  avoit  le  corps  6c  l'efprit  fort  fains ,  quoiqu'il  fût 
dans  fa  quatre-vingt-quinzième  année.  Ennuyé  de  la  domi- 
jiation  Ottomane  ,  il  ne  faifoit  pas  toujours  tout  ce  que  les  Bâ- 
chas des  environs  fouhaitoient.  Ils  traitèrent  cela  de  révolte? 
ôc  comme  ils  ne  cherchoient  qu'un  prétexte  pour  l'attaquer  j 
ils  perfuaderent  à  Sehm  de  lui  déclarer  la  guerre,  Muftapha 
fut  d'abord  envoyé  contre  lui  j  mais  il  fit  peu  de  progrès.  On 
envoya  Sinan  à  fa  place?  celui-ci  après  quelques  combats  affez 
légers,  tels  qu'ils  fe  donnent  entre  des  Arabes,  vint  à  bout  par 

Sffiij 


5'io  HISTOIRE 

— «■«u^.j.u,».  force  ou  par  furprife,  d'obliger  Mutahar  à  donner  au  Sultatï 

Charlb  des  otages,  qui  lui  rcpondiffent  de  fa  lidelitépour  l'avenir.  Il 

I  X.        donna  Omar  fon  fils  ôc  Haidar  fon  neveu,  fils  de  fon  frère. 

1  ç  6"  8      Après  cela  Sinan  s'en  retourna  comme  en  triomphe  à  Conf^ 

tantinople  >  cet  heureux  fuccès  fervit  comme  de  degré  à  cet 

homme  fuperbe  ôc  ambitieux ,  pour  s'élever  dans  la  fuite  à  tout 

ce  qu'il  y  avoit  de  plus  grand. 

Dift-eiend fur       Le  différend  qui  croit  depuis  îong-tems  entre  les  ducs  de 

îa  préféance    p^Q-are  '  ôcdc  Floreuce  ^  pour  la  préiéance^  fe  renouvella  dans 

entre  les  ducs  iv     x       r)  r  •      '  •         i  ■  rr 

de  Ferrare  &  ce  tems  la.  JLc  râpe  vouloir  s  en  attirer  la  connoiliance  ;  mais 
de  Florence.  |g  J,jc  de  Fctrare  n'y  voulut  point  confentir  î  on  eut  beau  le 
citer  à  Rome ,  il  ne  voulut  jamais  y  envoyer  de  procureur, 
prétendant  que  c'étoit  à  l'Empereur  à  juger  le  procès.  Co- 
rne de  Medicis  ne  pouvant  pas  refuler  ce  juge  ,  ôc  d'un  au- 
tre côté  ne  voulant  pas  déplaire  au  Pape ,  fit  fi  bien  ,  que 
le  S.  Père  confentir  que  Maximilien  fut  le  juge  de  ce  différend; 
mais  à  condition  qu'il agiroit  comme  arbitre,  &  non  comme 
Empereur  j  ôc  que  dans  un  certain  tems  limité  il  prendroit 
connoilTance  de  f  affaire,  &  la  termineroit  juridiquement.  Cô- 
me  envoya  pour  cela  à  la  Cour  de  Vienne  Louis  Antinori, 
qui  fut  depuis  fait  évêque  de  Volterra  ^  à  fa  recommandation. 
Maximilien  ,  qui  ne  vouloir  rien  relâcher  de  i^s  droits ,  ôc  qui 
dans  le  jugement  qu'il  devoir  rendre  entre  ces  deux  Princes, 
vouloir  tâcher  de  ne  mécontenter  ni  l'un  ni  1  autre,fut  vivement 
picqué  des  lettres  que  le  Pape  lui  écrivit  fur  cette  affaire,  par 
îefquelles  il  lui  prefcrivoit  le  tems  ôc  les  conditions  de  ce  ju- 
gement, &  le  privoit,  comme  Empereur,  du  droit  de  connoître 
d'une  affaire  qui  leregardoit  véritablement ,  ôc  qui  ne  pouvoit 
être  légitimemenr  portée  à  un  autre  tribunal.  Comme  il  étoit 
jufte  6c  prudent,  il  tiroir  autant  quïl  pouvoit  la  chofe  en  lon- 
gueur ;  èc  s'il  étoit  obligé  de  juger ,  il  vouloir  que  ce  fut  de 
concert  avec  les  parties. 

Come ,  qui  vouloit  foûtenir  les  prérogatives  anciennes  de  îa 
république  de  Florence ,  qu'il  avoit  encore  augmentée  des 
Etats  de  Sienne  ôc  de  Pife ,  ne  vouloit  rien  relâcher  de  Ces 


I  Alfonfe  II.  fils  d'Hercule ,  &  de 
Renée  de  France;  il  avoit  époufé  d'a- 
bord Lucrèce  de  Medicis ,  puis  Barbe 
d'Autriche. 

z  Côme  de  Medicis  I.  du  nom  dé- 


clare' Grand   Duc   de  Tofcane  ,  pat 
Pie  V. 

3  Viîîo  de  l'Etat  de  Florence  entre 
Sienne  oc  Livourne» 


B  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  XLIV.        5-11 

droits ,  &  demandoit  que  la  chofe  fat  décidée  en  rigueur.  De  , 

l'autre  côté,  la  balance  avoit  penché  long-tems  pour  le  duc  de  p  ' 

Ferrare,  par  le  crédit  du  duc  de  Guife  '  fon  beau-frere ,  qui  avoit        j  v 
gouverné  le  Royaume  fous  François  II.  Alais  comme  la  guerre  ^ô 

venoit  de  recommencer  contre  le  prince  de  Condé,  Corne, 
à  qui  la  Reine  demandoit  de  grands  fecours  d'argent  ,  char- 
gea Pandolfe  Petrucci,fon  Miniftre  à  la  Cour  de  France,  de 
profiter  de  cette  occafion  pour  lui  faire  rendre  la  juilice  qui 
lui  étoit  due.  Catherine  de  Medicis  y  étoit  allez  portée  d'elle- 
même  ,  perfuadée  qu'il  s'agifToit  de  l'honneur  de  fa  famille  ;  ôc 
elle  faifoit  afTez  connoître  qu'il  n'y  avoit  rien  qu'elle  ne  vou- 
lût faire  ,  pour  obliger  la  maifon  de  Aîedicis  :  cependant  elle 
ne  croyoit  pas  qu'il  convînt  d'adjuger  la  préféance  au  duc  de 
Florence,  contre  une  décifion  rendue  par  la  cour  de  France  , 
fous  le  feu  Roi;  à  la  requête  du  cardinal  de  Lorraine,  dont  le  cré- 
dit étoit  alors  très-puiffant  :  elle  penfoit  qu'il  fuffifoit  pour  le  pre- 
fent  que  Côme  difputât  la  préféance  à  Alfonfe  ;  que  le  procès 
qu'il  lui  intentoit  là-deffus ,  tenoit  en  fufpens  le  droit  que  la  fen- 
tence  rendue  fous  François  II.  avoit  acquis  au  duc  deFerrare  , 
&  qu'on  pourroit  enfuite  peu  à  peu  l'en  dépouiller  tout-à-fait; 
ce  qui  arriva  en  effet  :  car  la  nouvelle  de  la  mort  de  Charle 
Infant  d'Efpagne  étant  venue  à  la  Cour  ,  le  miniftre  de  Fer- 
rare  prit  place  immédiatement  au-delfous  de  FambafTadeur  de 
Venife  au  fervice  folennel ,  qui  fut  fait  pour  ce  Prince  dans 
î'Eglife  de  Notre-Dame  de  Paris.  Mais  Petrucci ,  miniftre  de 
Côme, étant  furvenu  ,  fuivi  d'un  grand  cortège  de  Floren- 
tins, dont  la  "Cour  étoit  pleine  ,  ôc  d'un  grand  nombre  même 
de  François  ,  qui  en  haine  des  Guifes  étoient  ravis  de  morti- 
fier le  duc  de  Ferrare  ,  ôc  fe  fentant  d'ailleurs  appuyé  du  cré- 
dit de  la  Reine ,  quoiqu'elle  affe£lât  de  paroître  neutre ,  il  de- 
manda d'être  placé  entre  les  miniftres  de  Venife  ôc  de  Ferrare. 
Ils  alloient  en  venir  aux  mains  3  mais  le  duc  d'Anjou  qui  étoit 
là  prefent  avec  le  duc  d'Alençon  ,  le  cardinal  de  Bourbon  . 
6c  les  princes  Lorrains  ,  pouflé  fecretement  par  la  Reine  , 
faifit  l'occafion,  ôc  leur  ordonna  à  tous  deux  defortir  de  I'E- 
glife pour  éviter  le  fcandale,  ôc  fans  préjudice  de  leurs  droits. 
C'efI:  ainfi  que  la  poireATion  où  étoit  le  duc  de  Ferrare ,  fut 

1  Ce  duc  de  Guife  cft  François  duc  de  Guife  tue'  par  Poltroten  i  j'Cjj.  il  avoit 
è'poufé  Anne  d'Eft  ,fœur  d' Alfonfe  II. 


JI2  HISTOIRE 

^,  interrompue.  Mais  quelques  années  après  la  Reine  fit  fi  bien  j 

P^  que  le  Roi  prononça  formellement  en  faveur  du  ducdeFIo- 

't^        rence ,  qui  dans  l'intervalle  avoit  été  créé  grand  Duc  de  Tof- 

^'o  cane  par  Pie  V. 
^  '  Ce  fut  vers  ce  tems-là ,  que  ce  Pape  qui  cherchoit  à  aug- 
Ln  Biiiic  /«  menter  les  privilèges  du  Clergé  ,  au  préjudice  des  Souverains, 
voulut  exempter  les  Ecclcfiaftiques  de  toute  la  Chrétienté  des 
tributs,  des  impôts,  ôc  généralement  de  toutes  les  contribu- 
tions que  les  fujets  doivent  à  leurs  Souverains.  Dans  cette 
vue  il  publia  la  Bulle  in  Cœna  Domim  remplie  de  menaces  ter- 
ribles contre  tous  les  Princes  ôc  contre  toutes  les  Républi^ 
ques ,  qui  obligeroient  les  Eccléfiaftiques  de  leurs  terres  à  four- 
nir ces  contributions  deftinées  au  foûtien  de  l'Etat ,  les  décla- 
rant excommuniez  Ôc  incapables  d'être  abfous  au  tribunal  de 
la  pénitence.  Tous  les  princes  d'Italie  y  furtout  le  Roi  Phi- 
lippe ,  ôc  la  République  de  Venife  >  trouvèrent  cette  Bulle 
très-extraordinaire  ôc  très-préjudiciable  à  leurs  intérêts.  Le 
Pape  ne  laifTa  pas  d'ordonner  qu'elle  feroit  publiée  par-tout, 
par  les  Evêques  ou  leurs  grands  Vicaires ,  ôc  par  les  Curez  ; 
fans  aucun  égard  pour  les  Souverains.  Philippe  indigné  de 
ce  procédé  défendit  à  tous  les  évêques  d'Efpagne  ôc  d'Itahe  > 
fous  les  peines  les  plus  rigourcufes ,  d'exécuter  les  ordres  du 
Pape  :  il  déclara  qu'il  ne  fouffriroit  pas  qu'on  lui  pût  repro- 
cher ,  d'avoir  laiffé  diminuer ,  par  une  lâche  condefcendance; 
la  dignité  de  la  couronne  qu'il  tenoit  de  fes  ancêtres ,  ôc  les 
fonds  du  tréfor  de  fes  Etats.  Il  ajouta  qu'il  ne  portoit  point 
envie  aux  permiffions  que  le  Pape  accordoit  au  roi  de  France, 
dont  le  P^oyaume  étoit  plein  d'hérétiques,  de  tirer  des  fub- 
fides  du  Clergé  François ,  tandis  que  lui ,  qui  avoit  fçu  preferver 
fes  Etats  de  cette  peile  ,  fevoyoit  dépouillé  du  pouvoir  de  le- 
ver furies  Eccléfiaftiques  des  payis  de  fon  obéïflance,  des  droits 
qu'ils  avoient  payés  de  tout  tems.  Les  Vénitiens  ne  paroif- 
foient  pas  plus  difpofez  à  fouffrir  ce  nouveau  joug  :  ils  pré- 
tendoient  qu'on  ne  pouvoit  diminuer  le  tréfor  du  Prince  fans 
ébranler  l'Etat ,  dans  le  falut  duquel  celui  de  tous  les  corps , 
Ôcdes  Religieux  mêmes,  étoit  renfermé:  cette  affaire  fut  débat- 
tue pendant  plufieurs  mois  avec  beaucoup  de  vivacité  départ 
^  ôc  d'autre.  Enfin  la  guerre  pour  la  religion  s'étant  allumée  en 
France  ôc  dans  les  Payis-bas,  le  zèle  du  Pape  fe  refroidit  , 

fis 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLIV.       ^15 

&  au  lieu  de  foulager  le  Clergé,  comme  il  en  avoit  eu  le 

deflein  ,  il  (ouffrit  qu'aux  anciennes  charges  on  en  ajoutât  de  Char  LE 

nouvelles,  qui  achevèrent  de  l'accabler.  IX. 

En  France  tout  tendoit  à  la  guerre  ,  &  les  deux  partis  co-  i  5"  5  8. 
loroient  de  raifons  fpecieufes  les  préparatifs  qu'ils  faifoient.  Affaires  de 
Celui  de  la  Reine  rappelioit  fans  cefTe  la  mémoire  encore  ré- 
cente du  foûlevement  de  Meaux.  Ils  difoient  que  les  Hugue- 
nots n'étoient  jamais  contens  :  Qu'après  avoir  obtenu  de  la 
bonté  du  Roi  un  Edit  de  pacification  ,  pour  prix  des  maux 
qu'ils  avoient  caufez  ,  ils  travailloient  fans  cefTe  ou  à  l'é- 
tendre à  leur  profit  ,  ou  à  l'afFoiblir  au  préjudice  du  Roi  : 
Qu'ils  retenoient  toujours  les  places,  qui  lui  dévoient  être  ren- 
dues par  le  traité  qu'il  avoit  bien  voulu  faire  avec  eux ,  com- 
me Montauban ,  Sancerre  ,  Ôc  la  plupart  des  places  fortes  ,  ôc 
des  villes  du  Languedoc ,  du  Quercy ,  du  Roûergue  ôc  du  Dau- 
phiné,  comme  Caftre,  Cahors  ,  Millaud,  Vezelai  en  Bour- 
gogne ôc  la  Rochelle  en  Saintonge  :  Que  cette  dernière  ville 
non-feulement  refufoit  de  recevoir  Jarnac  fon  gouverneur  ôc 
les  troupes  qu'il  y  menoit  en  garnifon ,  mais  qu'elle  continuoit 
avec  une  ardeur  extrême  les  fortifications  qu'elle  avoit  com- 
mencées pendant  les  troubles  :  Qu'elle  ne  vouloir  pas  fouffrir 
que  les  officiers  du  Roi  j  qu'elle  avoit  chafTez  dans  la  dernière 
guerre ,  rentraflent  dans  la  ville  5  qu'elle  conftruifoit  des  vaif- 
feaux  de  fon  autorité  particulière  ;  qu'elle  ne  vouloit  point 
fournir  les  fommes  que  le  Roi  lui  avoit  demandées  :  Que  tout 
cela  donnoit  à  fa  Majefté  de  juftes  foupçons ,  que  les  Protef- 
tans  penfoient  à  renouveller  la  guerre  :  Que  le  Roi  d'ailleurs 
trouvoit  fort  mauvais  qu'il  fortît  tant  de  monde  de  fon  royau- 
me fans  fa  permiffion  ,  pour  aller  fervir  le  prince  d'Orange 
contre  le  duc  d'Albe  ,  Général  des  troupes  de  Philippe  fon 
allié.  On  leur  reprochoit  encore  l'adion  de  Coqueville ,  qui 
n'auroit  pii ,  difoit-on  ,  aflembler  un  fi  grand  nombre  de  fol- 
dats  ,  s'il  n'avoit  eu  des  ordres  du  prince  de  Condé:  on  ajoû- 
toit  à  cela  les  intelligences  fecretes  qu'ils  avoient  avec  le  prin- 
ce d'Orange  ,  ôc  avec  les  princes  Proteftans  d'Allemagne  , 
les  traitez  qu'ils  avoient  faits  avec  eux  ,  ôc  les  couriersquial- 
loient  ôc  venoient  fans  cefTe  fous  prétexte  d'ambaffades. 

Les  Proteflans  de  leur  côté  difoient,  qu'ils  avoient  pris  les 
armes  pour  la  religion  ôc  pour  la  liberté  de  confcience,  qu'on 
Tome  V,  T 1 1 


S14:  HISTOIRE 

.  leur  laifToit  en  apparence  par  unEdit,  mais  qu'on  leur  ôtoit 

Charle  ^^  effet i  puifqu'en  plufieurs  endroits  on  iesempêchoit  des'af- 
IX.  fembler,lur  des  ordres  qui  avoient  été  mendiez  par  des  gens 
I  T  6  8  ambitieux  &  ennemis  delà  tranquillité  publique  :  Qu'on avoit 
écrit  à  Saint  -  Heran  gouverneur  d'Auvergne  ,  que  la  volonté 
du  Roi  étoit  que  les  places  fortes  ,  ôc  les  villes  qui  apparte- 
noient  à  fa  mère,  à  fes  frères ^  &  au  duc  de  Monpenfier,  ne 
fuffent  point  fujettes  à  ces  affemblées  ;  en  un  mot  que  le  but 
de  la  dernière  pacification  n'étoit  pas  de  rétablir  la  tranquil- 
lité dans  le  Royaume  ,  mais  de  defarmer,  fous  prétexte  de  paix^ 
les  Religionnaircs  qui  avoient  alors  un  grand  nombre  de  trou- 
pes Françoifes  Ôc  étrangères ,  afin  de  les  accabler  fans  peine  : 
Que  c'étoit  pour  cela  que  la  Cour  continuoit  détenir  à  fa  fol- 
de  les  Suiffes ,  que  l'on  étoit  convenu  de  renvoyer ,  &  que  l'on 
avoit  gardé  quelques  cornettes  Italiennes  :  Qu'au  lieu  de  li- 
centier  les  troupes  Françoifes ,  on  les  avoit  diftribuces  dans  les 
places ,  pour  les  affembler  après  la  moiffon  :  Qu'on  ne  faifoit 
point  revenir  dans  les  villes  ceux  qui  en  avoient  été  chaflez , 
&  qu'on  ne  leur  rendoit  point  les  biens  dont  on  les  avoit  dé- 
pouillez :  Qu'ils  étoientallarmez  des  bruits  qui  couroient ,  que 
le  Roi  envoyoit  des  Ambafîadeurs  au  Pape  ,  pour  lui  deman- 
der la  permiflion  d'aliéner  pour  cinquante  mille  écus  d'or  de 
rente  des  biens  eccléfiaftiques.  Car  à  quelle  fin  peut- on  de- 
mander ce  fecours ,  difoient-ils  ,  &  comment  fe  peut-on  flater 
de  l'obtenir,  fi  cet  argent  n'eftdeftiné  pour  les  frais  de  la  guerre 
contre  les  Proteftans  ?  Et  pourquoi  ces  ambaffades  envoyées 
en  Allemagne,  fi  ce  n'eft  pour  aliéner  du  prince  de  Condé,  ôc 
du  parti  qu'il  fou  tient,  les  ptinces  de  l'Empire  qui  font  fes  amis, 
ôc  qui  lui  font  unis  pour  la  caufe  de  la  religion  ?  Que  peuvent 
penfer  les  Proteftans  de  la  publication  du  Concile  de  Trente , 
que  tous  les  Parlemens  du  Royaume  ont  rejettée ,  mais  que 
des  hommes  fa6lieux  ôc  féditieux  follicitent  avec  tant  d'em- 
prefifement  j  fi  ce  n'eft  qu'on  veut  les  faire  declarefiiirétiques 
par  tous  les  Ordres  du  Royaume,  afin  de  leur  déclarer  enfuite 
une  guerre  générale  ,  comme  à  des  ennemis  de  l'Etat  ?  C'eft 
en  effet  de  cela ,  ajoûtoient-ils ,  qu'il  a  été  queftion  dans  les 
conférences  qui  fe  font  tenues  en  Lorraine  ,  à  Bayonne,  ôc 
fur  la  frontière  de  Picardie.  Pour  répandre  la  terreur ,  ils  fai- 
foienr  valoir  l'exemple    de  i'Inquifition  d'Efpagne    établie 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLÎV.         ;ij 

dans  les  Payis  -  bas ,  ôc  les  bruits  qui  couroient ,  que  la  rei-  _ 
ne  d'Ecofle  avoit  cédé  au  roi  Philippe  le  droit  quelle  avoit  C  harle 
fur  l'Angleterre  :  Qu'il  fe  faifoit  des  affociations  dans  les  vil-       jv 
les  entre  la  bourgeoifie ,  par  une  autorité  privée,  &  fous  pré-    1^53 
texte  de  religion ,  mais  en  effet  pour  fe  liguer  contr'eux.  Ils 
ajoûtoient  qu'ils  fçavoient  bien  que  le  cardinal  de  Lorraine 
avoit  confeillé  au  Roi  de  fe  faifir  de  tous  les  Grands  &  du 
prince  de  Condé  même  ,  à  quelque  prix  que  ce  fût  ,  ôc  de 
décider  enfuite  de  leur  fort ,  de  la  manière  qu'il  jugeroit  à  pro- 
pos :  Que  ce  projet  lui  avoit  été  fuggeré  par  le  duc  d'Albe, 
de  qui  l'on  citoit  une  maxime  Efpagnole  ,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  :  Ot^e  la  tête  d'un  Saumon  vaut  mtCMX  que  celle  de  cin~ 
quame  Grenouilles  :  Qu'en  conféquence  de  ce  confeil,Goas 
avoit  été  envoyé  en  Bourgogne  avec  fon  régiment ,   quatre 
compagnies  du  régiment  de  BrifTac ,  ôc  quatorze  cornettes  de 
cuiraffiers,  pour  prendre  ce  Prince  ôc  l'Amiral  :  Qu'à  l'égard 
de  ce  qu'on  difoit  de  Coqueville  ôc  du  prince  d'Orange  ,  rien 
n*étoit  plus  propre  à  montrer  la  malice  de  leurs  ennemis,  qui 
n'ayant  aucun  crime  véritable  à  leur  reprocher,  imputoientà 
des  innocens  le  crime  des  autres. 

Telles  étoient  à  peu  près  les  raifons  de  part  ôc  d'autre.  Com- 
me les  Rochelois  perfiftoient  à  refufer  abfolument  de  recevoir 
Jarnac ,  on  y  envoya  le  maréchal  de  la  Vieuville  y  avec  un 
plein  pouvoir  de  régler  les  affaires  de  la  ville,  de  rétablir  les 
officiers  du  Roi  dans  leurs  biens  ôc  dans  leurs  emplois,  de  con- 
fier la  garde  de  la  tour,  où  l'on  attache  la  chaîne  qui  ferme  le 
port  ,  à  celui  que  fa  Majefté  avoit  nommé  pour  cet  emploi , 
ôc  d'y  mettre  une  garnifon  capable  de  maintenir  l'autorité  du 
Roi. 

En  attendant  que  la  Vieuville  fût  en  état  de  partir,  on  en- 
voya des  gens  pour  fonder  les  Rochelois.  Pour  lui  il  s'arrêta 
à  fa  belle  maifon  de  Duretalen  Anjou  '  ,  d'où  il  s'avança  juf- 
qu'à  Poitiers.  Les  Rochelois  s'excuferent  de  le  recevoir,  al- 
léguant leurs  privilèges  (caria  bonté  de  nos  rois  leur  en  a 
accordé  de  très-grands  )  Ôc  demandèrent  inftamment  qu'on 
ne  les  forçât  point  à  recevoir  les  conditions  qu'on  leur  pro- 
pofoit  de  la  part  du  Roi.  Tandis  qu'on  négocioit,  ôc  que  les 

I  Entre  la  Flèche  6c  Angers. 

T  1 1  ij 


yi5  HISTOIRE 

courriers  alloient  &  venoient ,  il  s'ccoula  tant  de  tems ,  qu'on 

p,  reprit  les  armes. 

,^  Cependant  il  arriva  de  tous  cotez  des  plaintes  au  fujet  des 

violences  commifes ,  ôc  des  entreprifes  qu'on  avoir  faites  au 

Pla^nrcsd     "^^P^^^  ^^  l'Edit.  On  fe  plaignoit  que  l'on  avoit  empêché  le 

Proteftans.  prince  de  Condé  d'aller  à  fon  gouvernement  de  Picardie,  ÔC 
que  Scnarpont  fon  Lieutenant  avoit  été  dépouillé  de  fon  em- 
ploi j  à  caufe  de  fa  religion  :  Qu'à  Lyon  ,  au  lieu  de  donner 
aux  Proteftans,  fuivant  l'Edit,  un  lieu  hors  des  murspours'af- 
fembler  ,  parce  qu'il  ne  leur  étoit  pas  permis  de  le  faire  dans 
la  ville ,  on  avoit  tant  formé  de  difficultez  &  de  chicanes  fur 
l'endroit  qu'on  leur  donneroit ,  qu'enfin  on  leur  avoit  entiè- 
rement ôté  le  moyen  de  s'aflembler  :  Qu'à  Paris  les  Prédica- 
teurs fe  déchaînoient  avec  tant  de  rage  contr'eux  ,  qu'il  pa- 
roiflbit  qu'il  s'agiflfoit  bien  moins  de  rejetter  leur  dodrine  ,  que 
de  les  livrer  au  premier  jour  à  la  fureur  du  peuple  :  Qu'on  de- 
voit  remarquer  furtout  les  principes  de  certains  Théologiens 
nouveaux ,  qui  fe  donnoient  le  nom  de  J  efuites  :  Sçavoir,  qu'on 
ne  doit  point  faire  de  paix  avec  les  hérétiques  ;  qu'on  ne  peut 
avoir  d'union  avec  eux,  qu'on  n'eft  point  obligé  de  leur  gar- 
der la  foi  qu'on  leur  a  donnée;  que  c' étoit  une  adion  de  pieté 
&  utile  pour  le  falut ,  que  de  les  tuer;  que  tous  les  Chrétiens 
dévoient  prendre  les  armes  pour  exterminer  cette  pefte  :  Qu'au 
décret  du  Concile  de  Conftance ,  qui  permet  de  ne  pas  gar- 
der la  foi  aux  hérétiques ,  ils  joignoient  l'Ecriture  pour  prou- 
ver la  même  chofe  :  Qu'ils  citoient  pour  exemple  ceux  que  les 
Lévites  tuèrent  par  ordre  de  Moyfe,  ceux  qui  avoient  adoré 
le  Veau  d'or  ,  les  Prêtres  de  Baal ,  que  Jehu  enferma  par  une 
fupercherie  dans  le  temple  de  leur  Dieu ,  ôc  qu'il  fit  tous  maf- 
facrer  '  :  Qu'on  entendoit  de  toutes  parts  les  difcours  ôc  les 
menaces  des  fa£lieux ,  qui  difoient  hautement  que  les  Hugue- 
nots n'avoient  plus  que  trois  mois  à  vivre  ;  que  dès  que  la 
moilTon  ôc  les  vendanges  feroient  achevées  ,  on  feroit  main 
bafle  fur  eux  3  que  le  Roi  même  ne  le  pourroit  pas  empêcher 
quand  il  le  voudroit,  ôc  que  s'il  le  vouloir,  on  l'enfermeroit 


I  En  faifant  femblant  d'embraffer  le 
culte  de  Baal ,  Ôc  lui  faifanc  même  of- 
frir un  facrifice  folennel.  Voyez  le 
quatrième  livre  des  Rois  ch.  1 0.  L'ac- 


tion de  Jehu  eft  loue'e  dans  ce  même 
chapitre  ;  mais  quant  àl'efFet,  non 
quant  à  la  manière  qui  etoit  trèscii- 
minelle. 


DE  J.   A.  DE  THOU  ,  Liv.  XLIV.        517 

dans  un  couvent ,  ôc  qu'on  en  mettroit  un  autre  fur  le  thrône.  ___^_ 
Ils  ajoûtoient,  que  peu  de  tems  après  la  publication  de  l'Edit  C  H  a  r  L  E 
il  s'excita  une  fédition  à  Amiens  ,  qui  eft  la  ville  la  plus  con-  j  x 
fidérable  de  toute  la  Picardie  ,  Ôc  il  y  avoit  eu  plus  de  cent  per-  i  ç  5  s. 
fonnes  maflacrées  par  la  populace  :  Que  la  ville  d'Auxerre  , 
dont  les  Proteftans  avoient  été  maîtres  dans  la  dernière  guer- 
re, ayant  été  rendue,  ceux  qui  en  avoient  été  bannis  n'étoient 
pas  plutôt  rentrez  dans  la  ville ,  qu'ayant  conjuré  contre  ceux 
qui  leur  étoient  fufpecls,  ils  en  avoient  fait  périr  en  diverfes 
manières  environ  cent-cinquante,  dont  ils  avoient  traîné  inhu- 
mainement les  corps  dans  les  cloaques  ,  ou  dans  la  rivière  : 
Qu'à  Rouen, à  Bourges  ,  à  IfToudun,  à  Antrain,  à  Troye,  à 
S.  Léonard  ,  à  Orléans ,  à  Blois  ,  on  les  avoit  infultez ,  lorf- 
qu'ils  alloient  aux  prêches,  ôc  qu'il  y  en  avoit  même  eu  quel- 
ques-uns de  tuez  :  Qu'à  Ligny  en  Barrois,  la  populace  irritée 
pourfuivant  un  Huguenot  ,  il  fe  fauva  dans  la  maifon  du  pre- 
mier magiftrat  de  la  ville ,  croyant  y  trouver  un  azile  contre 
la  fureur  populaire  ;  mais  que  les  fadieux  étant  entrez  de  for- 
ce dans  cette  maifon,  malgré  la  réfiftance  du  maître,  ils  en 
avoient  arraché  ce  malheureux  ôc  l'avoient  maflacré  :  Qu'à 
Clermont  en  Auvergne,  un  jour  qu'on  faifoit  avec  beaucoup 
de  folennité  la  proceffion  du  Saint-Sacrement ,  un  Proteftant 
n'ayant  pas  marqué  affez  de  refpe61:  dans  la  rue ,  ôc  n'ayant 
point  tapifle  fa  porte  ,  la  populace  étoit  entrée  dans  fa  maifon, 
l'avoit  pillée ,  ôc  ayant  traîné  ce  malheureux  dans  la  place  publi- 
que ,  y  avoit  drelTé  un  bûcher  du  bois  qu'on  avoit  apporté  de 
chez  lui ,  ôc  l'avoit  brûlé  vif,  fans  vouloir  l'entendre ,  ôc  fans  que 
le  magiftrat  donnât  aucune  marque  qu'il  defapprouvoit  cette 
a6lion. 

Mais  ce  qui  indigna  le  plus  le  prince  de  Condé  ôc  ceux  de 
fon  parti  ,  ce  fut  le  meurtre  de  René  de  Savoye  comte  de 
Cipierre  ,  fils  de  Claude  de  Savoye  comte  de  Tende  :  ce  Sei- 
gneur ne  futaifalTmé,  que  parce  qu'il  favorifoit  le  parti  pro^ 
teftant  i  on  dit  même  que  fon  frère  avoit  eu  part  à  cette  hor- 
rible adion.  Comme  il  revenoit  de  Nice,  où  il  étoit  allé  voir 
le  duc  de  Savoye  fon  parent,  lorfqu'ilfut  près  de  Frejus  ,  on 
l'avertit  qu'il  y  avoit  des  gensembuiquez  dans  le  bois, qui  l'at- 
tendoient.  Sur  cet  avis ,  il  tourna  bride  vers  la  ville  avec  toute 
fa  fuite ,  qui  étoit  de  trente-cinq  perfonnes ,  ôc  il  fe  hâta  d'y 

T  t  t  iij 


5ig  HISTOIRE 

arriver,  ne  doutant  point  qu'il  n'y  fût  en  fureté.   Comme  il  y 

r  H  4  Tî  I  V  entroit ,  les  trois  cens  hommes  dont  fembufcade  étoit  compo- 
IX.  ^^^  >  ^  ^"^  lavoient  pourluivi  dans  la  hiite  ^  y  entrent  avec 
j  -  (^g^  lui  :  Gafpard  de  Villeneuve  feigneur  des  Arcs,  qui  les  con- 
duifoit ,  fait  à  l'inftant  fonner  les  cloches ,  ôc  ayant  foûlevé  tout 
le  peuple ,  il  marche  à  la  tête  de  cette  populace  ,  à  la  maifon 
où  Cipierre  s'étoit  enfermé.  Les  Confuls ,  qui  craignoient  pour 
fa  vie  ,  firent  ce  qu'ils  purent  pour  arrêter  le  defordre  :  enfin 
on  obtint  parleur  entremife  que  cette  populace  fe  retireroit, 
à  condition  que  Cipierre  ôc  fes  gens  rendroient  leurs  armes. 
Cela  ayant  été  exécuté  ,  6c  le  peuple  s'étant  retiré,  des  Arcs, 
qui  crut  avoir  fatisfait  à  fa  parole  ,  revint  avec  fa  troupe,  atta- 
que la  maifon ,  s'en  rend  maître  ,  ôc  tue  tous  \qs  gens  de  Ci- 
pierre. Mais  ne  voyant  point  parmi  les  morts  le  corps  de  ce 
jeune  Seigneur ,  que  les  Confuls  avoient  fait  évader  ,  il  fit 
femblant  d'être  inquiet  pour  fa  vie ,  ôc  il  pria  inftamment  les 
Confuls  de  le  remettre  entre  fes  mains  ,  s'ils  vouloient  le  fau- 
ver  ,  parce  qu'autrement  il  feroit  infailliblement  maffacré  par 
la  populace.  Comme  ils  nepouvoient  s'imaginer  que  des  Arcs 
les  trompât,  ôc  qu'ils  craignoient  d'ailleurs  qu'on  ne  leur  ar- 
rachât par  force  ce  Seigneur  ,  ou  qu'on  ne  l'égorgeât  entre 
leurs  mains,  ils  le  prefenterent  à  des  Arcs  :  aufli-tôt  fesgensle 
poignardèrent,  lui  donnèrent  cent  coups  après  fa  mort,  Ôc  dé- 
figurèrent entièrement  fon  cadavre.  Bien  des  gens  crurent  que 
cela  ne  s'étoit  pas  fait  fans  quelque  ordre  fecret  de  la  Cour  j 
ôc  ce  qui  rend  cette  opinion  très-vraifemblable ,  eft  qu'un  des 
gens  de  Cipierre ,  qui  faifoit  fes  affaires  à  Paris,  fut  dans  le  mê- 
me tcms  affafliné  auprès  du  Louvre,  fans  qu'on  ait  pu  enf^a- 
voir  la  raifon  ,  à  moins  que  ce  ne  fût  pour  fe  faifir  des  lettres 
ôc  des  ordres  fecrets  qu'il  pouvoit  avoir  pour  fon  maître. 

Prefque  dans  le  même-tems  d'Amanzay  ,  homme  de  mé- 
rite ,  également  récommendable  par  fes  grandes  qualitez ,  ôc 
par  une  modeftie  admirable  ,  tenant  à  fa  porte  fa  petite  fille 
par  la  main  ,  fut  tué  cruellement  par  des  afiafïins ,  qu'on  ne 
connoiflbit  point.  Ceux  des  Proteilans ,  qui  calculèrent  avec 
le  plus  d'exaditude  tous  ces  meurtres ,  prétendirent  qu'en  trois 
mois  on  avoir  par  ces  moyens  exécrables  fait  périr  plus  de 
dix  mille  perfonnes.  Mais  je  crois  qu'ils  exageroient  j  car  la 
dernière  guerre  en  fix  mois  n'en  avoir  fait  périr  au  plus  que 
:inq  cens. 


çi 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLIV.        51^ 

Le  prince  de  Condé  étoit  alors  à  Noyers  en  Bourgogne  ^ 


petite  place  forte  ,  qu'il  avoir  eûë  de  fa  femme  Françoife  d'Or-  Ch  a  r  l  E 
leans  '.  Gafpard  de  Saulx  comte  de  Tavanes ,  lieutenant  du  j  x. 
duc  d'Aumaîe ,  Gouverneur  de  la  Province  ,  avoir  déjà  effayé  i  ç  5  g. 
de  la  furprendre.  Mais  ayant  manqué  fon  coup ,  il  raflembloit 
des  troupes  de  tous  cotez  pour  la  prendre  de  force.  Le  Prin- 
ce en  étant  informé  :,  écrit  à  tout  ce  qu'il  avoit  d'amis  dans 
le  Royaume  ,  leur  reprefente  la  grandeur  du  péril  où  il  fe 
trouve  3  les  prie  de  le  fecourir  ,  &  de  prendre  les  armes  , 
dès  qu'il  fera  néceffaire.  Pendant  que  cela  fe  pafToit^  il  arri- 
va des  lettres  du  Roi ,  qui  ordonnoient  d'exiger  des  Fluguenots 
une  fomme  de  trois  cens  mille  écus  d'or  ^  que  le  Roi  avoit 
avancée  pour  payer  les  Allemands  qui  avoient  été  au  iervice 
du  prince  de  Condé.  Ce  Prince  &  tous  les  Seigneurs  de  fon 
parti  étoient  cautions  du  payement.  Les  lettres  du  Roi  por- 
toient  y  que  l'intention  de  fa  Majefté  n'étoit  pas  qu'on  levât 
cette  fomme  fur  tous  les  Huguenots  indiftindement,  mais  feu- 
lement fur  ceux  qui  avoient  porté  les  armes  pour  le  prince  de 
Condé.  Il  venoit  lettre  fur  lettre  pour  la  faire  payer  fur  le 
champ  ,  afin  que  plus  ce  payement  feroit  à  charge  &  difficile  , 
plus  ceux  qui  s'en  étoient  rendus  cautions  fe  dégoûtaffent  du 
parti  du  Prince  ,  èc  que  leur  embarras  rendît  les  autres  moins 
difpofez  à  l'embraffer. 

Le  prince  de  Condé,  perfuadé  que  c'étoit  un  artifice  de  fes 
ennemis j  écrivit  au  Roi  pour  s'en  plaindre,  ôc  pour  le  prier 
d'avoir  pitié  du  Royaume  épuifé  par  les  guerres  civiles.  Co- 
ligny  écrivit  dans  les  mêmes  vues  à  la  ducheffe  de  Savoye  , 
qu'il  fçavoit  avoir  beaucoup  de  crédit  auprès  de  la  Reine  mère, 
ôc  la  pria  inftamment  de  ménager  un  accord  entre  les  deux 
partis  ,  &  d'empêcher  la  guerre  civile.  On  prit  dans  cetems- 
là  un  foldat,  qui  mefuroit  la  profondeur  des  foffez  de  Noyers , 
à  deffein  de  furprendre  la  place ,  ôc  de  fe  rendre  maître  de 
la  perfonne  du  Prince  ôc  de  toute  fa  famille  :  il  y  avoit  été 
envoyé  par  Coqueret  enfcigne  de  la  Verniere  ,  comme  il  l'a- 
voua depuis.  Le  Prince  envoya  Teligny  à  la  Cour,  pour  fe 
plaindre  du  tort  que  lui  faifoient  les  lettres  du  Roi ,  dont  je 
viens  de  parler ,  ôc  pour  prier  fa  Majefté  d'ordonner  qu'on 


I  Elle  ëtoit  fille  de  François  d'Or- 
léans marquis  de  Rothelin  :  c'ctoit  la 


troifie'me  femme  de  ce  Prince  ;  il  l'e- 
poufa  à  Vendôme  en  1^6^. 


po  HISTOIRE 

^,^,g„„^,„^^  publiât  des  monitoires ,  afin  qu'on  pût  être  inflruit ,  tant  de 
Z^  l'entreptife  de  Coqueret ,  que  des  meurtres  ,  des  complots  , 

jy^        des  embûches,  des  aflemblées  clandeftines ,  &  des  excès  énor- 
mes, où  fe  portoient  les  prédicateurs  par  leurs  déclamations 
■^       '     pleines  de  fureur ,  6c  de  donner  ordre  aux  Gouverneurs  des 
Provinces   ôc  aux  Magiftrats  ,  d'obferver  religieufement  les 
Edits  de  pacification. 
Le  Chance-       Le  jeune  Roi,  touché  de  ces  remontrances ,  conjura  la  Reine 
lier  de  l'Hô-  ^q  prendre  des  mefures  ,  pour  empêcher  que  la  guerre  ne 
ne  d'être  Jio"  recommençât  ;  &  pour  faire  enforte  que  les  Edits  fuflent  ob- 
teiluK.  fervez,  fans  quoi  l'Etat  feroit  en  grand  péril.   Mais  Catherine 

perfuadée  que  cela  lui  étoit  fuggeré  par  le  Chancelier  de  l'Hô- 
pital ,  qui  étoit  un  homme  de  bien ,  reprefenta  au  Roi  fon 
fils  la  rébellion  des  Rochelois  ,  ôc  lui  fit  entendre  qu'il  étoit 
à  craindre  que  les  autres  villes  ne  fuiviflent  cet  exemple  ,  ôc , 
que  l'amour  de  la  liberté  ne  les  engageât  dans  une  révolte 
pareille.  Comme  elle  fçavoit  que  le  Chancelier  étoit  ennemi 
des  troubles ,  ôc  qu'il  pouvoir  beaucoup  fur  l'efprit  du  Roi  , 
elle  entreprit  de  ruiner  fon  crédit  par  des  délations  fecretes. 
Elle  difoit  qu'il  favorifoit  dans  le  cœur  le  parti  des  Huguenots; 
ôc  que  fans  la  charge  importante  dont  il  étoit  revêtu  ,  ilfe  de- 
clareroit ouvertement  en  leur  faveur  :  Que  fa  fille  ,  fa  femme, 
fon  gendre  ,  fes  petits  fils,  ôc  toute  fa  mai  fon ,  étant  de  cette 
religion  ,  on  ne  pouvoit  prefque  pas  douter ,  qu'il  n'en  fût  lui- 
même  en  fecret. 

Il  arriva  même  une  chofe ,  qui  donna  occafion  à  fes  ennemis 
de  le  rendre  encore  plus  fufpe£i:.  Le  Pape  accorda  au  Roi 
une  bulle  qui  lui  permettoit  d'ahener  des  biens  de  l'Eglife  ,  juf- 
qu'à  la  fomme  de  cinquante  mille  écus  de  rente,  à  condition 
que  cette  fomme  feroit  employée  à  faire  la  guerre  aux  héré- 
tiques ,  afin  de  les  exterminer  entièrement  ,  ou  de  les  forcer 
à  fe  foûmettre  à  l'Eglife  Romaine.  Les  fentimens  du  Confeil 
fe  trouvèrent  partagez.  Comme  la  Bulle  attaquoit  les  Edits 
précédens ,  ôc  qu'elle  renfermoit  le  motif  barbare  de  tuer  ôc 
d'exterminer  tous  les  hérétiques  ,  plufieurs  membres  du  Con- 
feil ,  le  Chancelier  à  la  tête  ,  foûtinrent  qu'il  n'étoit  pas  à  pro- 
pos de  publier  cette  Bulle,  qui  feroit  voir  à  tout  le  monde, 
qu'il  y  avoit  long-tems  que  l'on  fe  préparoit  à  la  guerre  ,  ôc 
qui  découvriroit  entièrement  la  ligue  que  l'on  avoit  cachée 

avec 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XLIV.       5-21 

avec  tant  de  foin  jufqu'alors  :  ainfiron  fut  d'avis  de  demander  , 

une  autre  buile  au  Pape :,  ôc  qu'en  attendant  on  feroit  ufaee  ~r77777Z 
e  celle  ci  pour  le  beloin  preienr.  jy 

Cette  aîfaire  attira  beaucoup  d'ennemis  au  Chancelier,  ôc        ^^ô 
la  Reine  ne  perdant  aucune  occaiion  de  rendre  fufpeds  les  '  I 

con.eiis  de  ceAlagiftrat,  trop  zélé  pour  fa  patrie,  le  jeune  j 

PvOi  commença  à  iè  refroidir  pour  lui,  &  à  ne  le  plus  rece-  i 

voir  avec  un  vilage  ouvert,  comme  il  faifoit  auparavant.  L'Hô- 
pital qui  avoir  famé  grande ,  ôc  qui  n'étoit  pas  iiomme  à  efTuyer 
de  mauvais  trai^ernens,  commença  à  fonger  à  la  retraite.  Il     Retraite  Ja 
s'en  alla  donc  à  Vignay  ,  maifon  qu'il  avoir  fait  bâtir  auprès  l'Hôpitii.'^  ^^  ! 

d'Eflampes.  la  Reine  y  envoya  Pierre  Brulard,  fecretaire  de  i 

fes  commandcmens,  pour  l'exhorter  de  la  part  du  Roi  à  fe  re-  ] 

pofer ,  &  pour  lui  demander  les  Sceaux  5  il  \qc  remit  fur  le  champ,  : 

&  ils  furent  donnez  à  Jean  de  Morvilliers ,  en  attendant  que  le  , 

Roi  en  eut  diCpoic.  ] 

La  Reine  délivrée  du  Chancelier,  Ôc  n'ayant  plus  perfonne  î 

qui  s'oppofât  à  fes  volontez  ,  ne  fongea  plus  qu'à  brouiller  les  ' 

affaires.  La  refolution  étant  prife  de  faire  la  guerre  aux  Pro-  i 

teftans,  elle  voulut  les  défunir  pour  les  ruiner  plus  aifément. 
Pour  cet  effet  elle  envoya  à  tous  [qs  Gouverneurs  de  Provinces,  serment  pro- .  "■ 

une  f^armule  de  ferment  que  Ton  feroit  prêter  à  tout  le  mon-  ?ofé  par  h 
de.  Elle  portoit  qu'on  prenoit  Dieu  à  témoin ,  ôc  qu'on  ju-  ^^^"^* 
roit  en  fon  nom ,  qu'on  reconnoiffoit  Charle  IX.  pour  fon  Prin- 
ce Ôc  pour  fon  Souverain  naturel ,  ôc  qu'on   étoit  difpofé  à  ! 
lui  rendre  toute  forte  d'honneur,  d'obéiffance  ôc  de  foumiffion  :                               i 
Qu'on  ne  prendroit  jamais  les  armes  fans  fon  ordre  exprès,  ôc                             I 
qu'on  n'alTifleroiten  aucune  manière  ceux  qui  les  auroient  prifes                             j 
contre  lui  :  Qu'on  ne  feroit  aucune  contribution  d'argent ,  fous                              ] 
quelque  prétexte  que  ce  pût  être,  fans  fa  permilTion  :  Qu'on 
ne  s'engageroit  dans  aucune  entreprife  fecrete ,  ni  dans  au-                              I 
cun  traité  lans  fon  aveu  :  Qu'on  n'y  entreroit  en  aucune  ma-                             i 
niere  ,  ôc  que  Ci  Ton apprenoit  qu'il  s'en  fît  de  cette  nature,  on                              | 
en  donneroit  de  bonne  foi  avis  au  Roi ,  ou  aux  Gouverneurs                              i 
établis  de  fa  part  :  Que  Ton  fupplioit  très-humblement  fa  Ma-                             ^ 
jefté  d'ufer  envers  ceux  qui  prctoient  ce  ferment  de  fa  cle-                               i 
mence  ôc  de  fa  bonté  naturelle,  de  les  tenir  pour  fes  bons  ôc 
fidèles  fuje' s ,  ôc  de  les  prendre  fous  fa  protection ,  proteflant 
qu'ils  vuieroicnt  Dieu  continuellement  pour  fa  fanté  ôc  pour 
Tome  V,                                                     V  u  u 


S12  HISTOIRE 

-      fa  confervation  ,  &  pour  celle  de  fa  mère,  &  de  Îqs  frefês,  & 

Charle  qu'ils  fe  foumettoient  volontairement  à  tous  les  fupplices  les 

IX.       P^*^^  rigoureux ,  fi  par  leur  faute  il  s'élevoit  des  troubles  dans  la 

I  f  5  8.     ^'^^^^  de . .  .  (on  devoir  marquer  le  nom  de  la  ville  )  pour  la  dé- 

fenfe  de  laquelle  ils  promettoient  de  facrifier  leurs  biens  ôc  leurs 

vies ,  ôc  d'entretenir  une  amitié  fincere  ôc  véritable  avec  les 

Catholiques. 

Le  prince  de  Condé  ne  doutant  pas  que  ce  formulaire  n'eut 
été  inventé  pour  le  perdre ,  ôc  pour  deshonorer  les  Proteftans, 
apporta  quelque  tempérament  à  cet  ordre ,  tantôt  en  s'excu- 
fant  de  le  faire  exécuter,  ôc  tantôt  en  y  joignant  des  inter- 
prétations qui  l'adouciflbient.  Mais  étant  informé  de  jour  en 
jour  des  defTeins  que  l'on  tramoit  contre  lui  ôc  contre  fes  amis, 
ilendonnaavis  à  l'amiral  deColigni,  quiétoit  allé,  avec  toute 
fa  famille,  de  Châtillon  àTanlay  ,  place  fortifiée,  qui  appar- 
tenoit  à  d'Andelot  fon  frère  ,  ôc  qui  n'étoitpas  loin  de  Noyers. 
Après  quoi  le  Prince  fongeaà  fortir  de  ce  lieu,  pour  prévenir 
les  defi^eins  de  fes  ennemis  :  car  on  faifoit  venir  en  Bourgo- 
gne quatorze  compagnies  de  cavalerie ,  ôc  autant  d'infanterie^, 
qu'on  difoit  auparavant  deftinées  pour  le  fiége  de  la  Rochelle. 
D'ailleurs  le  retour  de  Teligny  de  la  Cour  ne  lui  préfageoit 
rien  de  bon  ',  quoique  les  lettres  qu'il  en  avoir  rapportées,  fuf- 
fent  remplies  de  belles  paroles ,  ôc  de  proteftations  d'amitié. 

Dans  cet  état ,  ne  fçachant  à  quoi  fe  déterminer,  il  pria  Jean- 
ne de  Rohan  marquife  de  Rothehnfabelle-mere,  d'aller  trou- 
ver le  Roi,  ôc  de  le  conjurer  de  ne  pas  foufirir  qu'on  donnât 
atteinte  à  des  promeflTes  que  fa  Majefté  avoir  confirmées  par 
ferment ,  &  par  un  édit ,  ni  que  \qs  ennemis  de  la  tranqui- 
îité  publique  abufafilent  de  fon  nom  ôc  de  fon  autorité ,  pour 
exécuter  leurs  pernicieux  projets.  La  marquife  l'avoir  à  peine 
quitté ,  qu'il  reçut  courier  fur  courier  pour  l'avertir  de  fe  mettre 
en  fureté  5  que  s'il  tardoit  un  moment,  il  s'en  repentiroit,  mais 
trop  tard  :  qu'il  venoit  des  troupes  de  tous  cotez  ;  qu'il  y  en 
avoit  déjà  de  poftées  aux  environs  de  Noyers ,  ôc  qu'il  ne  pou- 
voir plus  fe  retirer  fans  courir  grand  rifque  d'crre  pris.  Le  Prin- 
ce s'étant  abouché  avec  Coligny,  ôc  voyant  qu'il  n'y  avoit  plus 
à  délibérer ,  après  avoir  recommandé  l'événement  à  Dieu ,  réfo- 
lutde  fe  retirer  au  plutôt.  Sur  le  point  de  partir,  il  écrivit  au  Roi 
le  23  du  mois  d'Août,  ôc  rejetta  laçaufede  tous  les  troubles 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Li^f.  XLIV.       ^^3 

furie  cardinal  de  Lorraine.  Il  difoit  dans  fa  lettre ,  que  cet  ef- 

prit  inquiet  ôc  remuant  étoit  caufe  qu'une  infinité  de  gens  de  ~p, 

bien  abandonnoient  leurs  maifons  pour  mettre  leur  vie  à  cou-  ^^^^^^  i 

vert  î  errans  ça  ôc  là  ,  ôc  fuyans  de  maifon  en  maifon ,  avec         ^' 

leurs  femmes  ôc  leurs  enfans,  qu'ils  portoient  entre  leurs  bras.     ^  ^       * 

Il  joignit  à  cette  lettre  une  longue  requête,  quia  été  publiée 

depuis,  ôc  dont  voici  la  fubftance. 

Il  commençoit  par  dire,  qu'il  ne  doutoit  point  de  la  bienveil-  Requête  du 
lance  du  Roi  pour  les  Proteftans,  ni  de  fa  fidélité  à  obferver  P"""  '^^ 
fes  édits  j  il  venoit  enfuite  aux  anciens  griefs,  ôc  fur-tout  au  Roi» 
traité  fecret  fait  à  Bayonne  pour  exterminer  tous  les  Religon- 
naires  à  la  fois,  tant  en  France  qu'aux Payis-bas.  Il  fe  plaignoit 
auflî  qu'on  eût  fait  des  levées  de  Suiffes  par  le  confeil  du  duc 
d'Albe  ,  quoiqu'on  feignit  de  lès  faire  contre  les  Efpagnols  qui 
venoient  en  Flandre.  Il  parloir  des  conférences  fecretes  te- 
nues à  Monceaux ,  ôc  à  Alarchais ,  dans  la  maifon  du  même 
Cardinal ,  Ôc  des  mefures  que  l'on  y  avoit  prifes ,  pour  arrêter 
le  prince  de  Condé  ôc  l'Amiral ,  s'ils  approchoient  de  Vin- 
cennes.  Il  rappelloit  enfuite  l'ambaffade  du  cardinal  de  Sain- 
te-Croix, ôclesdifcours  piquans,  que  la  Reine  ôc  le  Connéta- 
ble de  Alontmorenci  avoient  tenus  à  Chantilli  à  l'amiral  de 
Châtillon  :  Que  depuis  la  paix  il  y  avoit  eu  beaucoup  de  pa- 
roles données ,  ôc  nul  effet  :  Qu'il  n'y  avoit  pas  une  ville  où 
l'édit  eût  été  exécuté  :  Qu'on  n'y  avoit  eu  aucun  égard  à  Lyon,  "* 

au  Puy ,  à  Bourges  ,  à  Dijon  ,  à  Beaune  :  Que  Rapin  ,  qui  avoit 
très-bien  fervi  en  Languedoc  pour  le  prince  de  Condé,  étant 
venu  à  Touloufe  par  ordre  de  ce  Prince ,  avec  des  lettres  du 
Roi ,  ôc  fous  la  foi  publique ,  pour  fignifier  au  Parlement  »  de 
la  part  du  Roi ,  qu'il  eût  à  publier  l'édit  que  fa  Majefté  ve- 
noit d'accorder  aux  Proteftans ,  il  y  avoit  été  arrêté  ôc  condam- 
né à  mort  le  1 3  d'Avril  dernier  :  Que  cela  avoit  été  fuivi  de 
meurtres  ôc  de  maflacres,  commis  en  une  infinité  d'endroits, 
à  Amiens,  à  Auxerre,  à  Bourges  ôc  à  Blois  :  Que  la  violence  des 
princes  Lorrains  avoit  empêché  qu'on  ne  fit  en  cette  occafion 
les  informations  néceffaires  :  Que  la  prote£lion  que  le  cardi- 
nal de  Guife  donnoit  ouvertement  aux  aflaflins  de  Sipierre 
montroit  bien  qu'il  étoit  auteur ,  ou  du  moins  complice  de  ce 
meurtre  :  Que  depuis  on  avoit  fait  un  édit  ,  qui  ordonnoit  à 
tous  ceux  de  la  Religion  reformée  ,  de  fe  défaire  dans  un 

Vuu  ij 


5-24  HISTOIRE 

^____^^,_^^^,^^__^  certain  tems  de  leurs  emplois,  ôc  de  leurs  charges,  &  qui  defen--» 
~  doit  qu'à  l'avenir  ils  ypuffent  être  admis  :  Qu'en  cunféquen- 

Char  LE  ^^  ^^  ^^^-^^  ^^^  ^  Gafpard  de  Coligni  la  charge  d'Amiral ,  ôc 

à  d'Andelot  fon frère  celle  de  colonel  générai  de  linfanterie^ 
^  •  à  Bayencour  de  Bouchavanes  le  gouvernement  de  Laon  ,  à 
Louis  Lanoi  de  MorviJIiers  celui  de  Boulogne  )  ôc  à  Scnar- 
pont  celui  de  Picardie  j  ôc  que  pour  tenir  tant  de  malheureux, 
comme  affiégcz  de  toutes  parts,  on  avoit  mis  en  pleine  paix 
des  corps-de-garde  dans  tous  les  ports ,  fur  tous  les  ponts ,  ÔC 
à  tous  les  pafTages,  ce  qui  ne  s'éroit  jamais  vu  :  Qu'on  avoit 
formé  des  aflbciations  en  plufieurs  endroits  ,  fous  prétexte  de 
ReHgion  3  fur-tout  à  Dijon  ,  où  Jean  Begat  confeiller  au  Par- 
lement j  auteur  d'un  libelle  fait  contre  ledit  de  pacification, 
avec  Raimond  Fiot ,  la  Malleraye ,  ôc  les  deux  fils  de  Tava- 
nes ,  avoit  mis  tout  en  œuvre  pour  irriter  les  efprits  du  petit  peu- 
ple, ôc  troubler  la  tranquillité  publique  :  Que  Touarçay ,  Vaffé 
ôc  Sourches  en  avoient  fait  autant  dans  le  Maine. 

Il  paflbit  enfuite  aux  anciens  projets,  ou  pour  mieux  dire., 
aux  chimères  des  princes  Lorrains,  qui  fe  vantoient  de  defcen- 
dre  de  la  première  race  des  Rois  de  France ,  ôc  qui  préten- 
dant avoir  des  droits  fur  la  Provence  Ôc  fur  l'Anjou ,  ne  me- 
nageoient  rien  pour  les  faire  valoir.  «  S'il  fe  trouve,  difoit-il, 
«  des  gens  qui  s'oppofentà  leurs  defleins,il  n'y  a  point  de  ca- 
M  lomnies  qu'ils  n'inventent  pour  les  perdre:  ils  les  traitent  de 
»  politiques,  nom  qu'ils  ont  inventé,  pour  défigner  leurs  enne- 
3'  mis  :  CQS  politiques  ,  fi  on  les  en  croit,  font  plus  dangereux 
'>'  Ôc  plus  pernicieux  que  les  hérétiques  même.  Ils  comprennent 
w  fous  ce  nom  les  Catholiques,  qui  font  ennemis  des  trou- 
»  blés  ôc  des  fa£lions ,  ôc  par  conféquent  peu  favorables  à  leur 
=«  parti ,  comme  le  cardinal  Charle  de  Bourbon ,  le  chancelier 
=>'  de  l'Hôpital^  ôc  les  maréchaux  de  Montmorenci.  » 

(  G'eft  ici  le  premier  endroit  de  notre  hiftoire  où  je  vois  le 
nom  de  Politiques  pris  en  mauvaife  part  :  il  eft  vrai  que  les  pré- 
dicateurs fe  font  déchainez  depuis  avec  fureur  contre  ce  nom> 
fous  lequel  ils  déchiroient  les  perfonnes  les  plus  confiderables 
de  l'Etat,  qui  aimoient  la  paix,  fans  laquelle  il  n'y  a  plus  ni  re- 
ligion ni  fureté.  ) 

Le  Prince  ajoûtoit  à  la  fin  de  fa  requête ,  que  l'Empereur 
Maximilien  avoit  écrit  au  Roi ,  que  les  cardinaux  de  Lorraine 


DE  l  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.        pj 

<&  de  Granvelle  étoienrcaufe  de  toutes  les  guerres,  &  de  tou-  __ 

tes  les  divHujns  qui  re2:noient  dans  la  Chrétienté.  Il  proteftoit  r^ 
ennn,  tant  en  Ion  nom,  qu  au  nomces  oeigneurs  oc  Gentils-       jy 
hommes  de  la  Religion  proteftante  ,  que  pour  prévenir  les  ,'« 

maux  qui  menaçoient  le  Royaume ,  ils  avoient  tous  réfolu  d'un 
commun  accord  de  faire  la  guerre  au  feul  cardinal  de  Lorrai- 
ne, à  qui  ilsdonnoient  le  nom  injurieux  de  Prêtre  infâme,  de 
tygre ,  ôc  de  tyran ,  déclarant  qu'ils  pourfuivroient  toujours  fes 
ininiftres  &  fes  partifans ,  comme  des  parjures ,  des  brigands , 
des  violateurs  de  la  foi  publique,  en  un  mot  comme  les  enne- 
mis de  la  paix ,  &  de  la  tranquillité  de  l'Etat. 

Le  Prince  ayant  envoyé  fa  lettre  &  fa  requête  au  Rolj  fit 
courir  le  bruit  qu'il  en  attendroit  la  réponfe  à  Noyers  î  mais  it 
en  partit  fur  le  champ  dans  un  état  digne  de  compaflTion  :ilétoit 
accompagné  de  fa  femme  &  de  tous  (es  enfans,  dont  trois étoient 
encore  au  berceau.  Coligni  le  fuivoit  avec  fa  famille  ,  compo- 
fée  d'une  fille  nubile^  ôc  d'enfans  en  bas  âge  ,  dont  quelques- 
uns  étoient  portez  par  leurs  nourices.  La  femme  de  d'Ande- 
lot  y  étoit  auffi  avec  un  enfant  âgé  de  deux  ans  ;  ils  n'avoient 
que  cent  cinquante  foldats  d'efcorte ,  &  ils  faifoient  les  plus 
grandes  journées  qu'ils  pouvoient^pouréchaper  aux  embûches 
qu'on  leur  avoir  dreffées.  Comme  {^es  ennemis  ne  penfoient 
gueres  qu  il  dût  fe  mettre  en  marche  avec  fi  peu  de  monde, 
ils  négligèrent  de  le  pourfuivre.  Ainfi  il  arriva  fans  accident  aux 
bords  de  la  Loire.  Quoique  cette  rivière  foit  navigable  depuis 
Rouanne  jufqu'à  la  mer ,  cependant  comme  elle  eft  fort  fa- 
blonneufe,  il  y  a  bien  des  endroits  où  on  la  paffe  à  gué.  Con- 
dé en  ayant  trouvé  un  auprès  de  Sancerre,  la  pafia  :  Bois,  qui 
marchoit  après  lui ,  ayant  ramaffé  de  côté  &  d'autre  environ, 
deux  cens  chevaux,  fe  logea  dans  Bony ,  afin  d'affurer  ce  paffa- 
ge  à  la  NobieiTe  qui  accouroit  de  tous  côtés  pour  joindre  le 
Prince.  Mais  comme  fes  corps-de-garde  étoient  trop  éloignez 
les  uns  des  autres ,  Sarra  Martinengue ,  &  le  capitaine  Ca- 
ban étant  furvenus  routa  coup,  furprirent  la  place,  &  fe  ren- 
dirent maitres  des  chevaux  Ôc  des  bagages  avec  tant  de  dili- 
gence ,  que  la  garnifon  eut  à  peine  le  tems  de  fe  fauver  dans 
le  château,  qu'ellerendit  même  peu  après,  à  condition  qu'elle 
auroit  la  vie  fauve ,  mais  qu'elle  n'emporteroit  ni  armes  ni  ba- 
gages. 

Vuu  iij 


y2(^  HISTOIRE 

-     •  A  peine  le  Prince  avoit-il  paflé  le  gué,  que  les  troupes  qiû 

Char  LE  avoient  eu  ordre  de  quitter  le  fiége  de  la  Rochelle  ^  pour  fe 
IX.  rendre  en  Bourgogne,  parurent  de  l'autre  côté  de  la  rivière  à  S. 
1  ^  6  S.  Godon.  Le  lendemain  la  Loire  grolTit  tellement  par  un  débor- 
dement foudain  ,  qu'on  ne  pouvoir  la  paifer  en  bateau  fans  dan- 
ger. Le  prince  de  Condé  ôc  la  fuite  regardèrent  cet  accident, 
comme  un  bienfait  fingulier  de  la  Providence,  auquel  ils  étoient 
redevables  de  leur  falut.  BiofTet ,  Boucard  &  Jean  d'Hangeft 
feigneur  d'Ivoy ,  l'étant  venu  joindre  avec  bon  nombre  de 
Gentilshommes ,  il  traverfa  le  Poitou ,  ôc  vint  dans  l'Angou- 
mois  ,  d'où  il  lit  dire  au  maréchal  de  Scepeaux ,  qui  étoit  venu 
jufqu'à  Poitiers,  qu'il  avoir  réfolu  pour  fa  fureté  de  s'en  aller 
à  Vertueil  chez  le  comte  de  la  Rochefoucault ,  ôc  d'y  atten- 
dre la  réponfe  du  Roi. 

Blaife  de  Montluc,  gouverneur  de  Guienne,  Guitinieres, 
ôc  François  d'Efcars ,  Gouverneurs ,  l'un  de  Perigord ,  l'autre 
du  Limoufin,  étoient  déjà  en  campagne,  pour  s'oppofer  aux 
entreprifes  du  prince  de  Condé,  ôc  des  autres  Proteftans,  qui 
ne  laifTerent  pas  de  venir  en  grand  nombre  joindre  ce  Prin- 
ce fous  la  conduite  de  Soubize  ;  de  Languiîlier,  de  Puygre- 
fier ,  de  Saint-Gyr ,  ôc  de  Pluviaut.  Avec  ce  renfort  il  fe  ren- 
dit à  la  Rochelle  le  1 8  de  Septembre,  Ôc  il  y  fut  reçu  parles 
habitans  avec  de  grandes  démonftrations  de  joie.  Il  y  laifla 
comme  en  dépôt  fa  famille  ôc  tous  fes  bagages  ,  ôc  après  les 
avoir  conjurez  d'en  prendre  foin,  il  leur  fit  un  difcoursjdans 
lequel  il  commença  par  déplorer  la  captivité  malheureufe  du 
Roi ,  qui  étant  en  quelque  forte  affervi  à  de  mauvais  confeil- 
1ers ,  n'avoir  pas  le  pouvoir  de  faire  obferver  les  édits  qu'il  avoit 
faits  pour  la  paix,  quelque  defir  qu'il  en  eût.  Il  déclara  enfuite 
qu'il  avoit  été  forcé  de  prendre  les  armes  pour  le  maintien  de 
Fautorité  du  Roi ,  ôc  pour  la  confervation  de  l'Etat  :  qu'il  les 
prioit  de  vouloir  bien  fe  joindre  à  lui  pour  une  fi  jufte  caufe.  Sur 
ce  plan  ils  drefferent  une  formule  de  ferment,  que  le  Prince 
prêta  le  premier,  ôc  enfuite  tous  les  autres.  Le  cardinal  de  Lor- 
raine y  étoit  nommé  expreilément  ;  ôc  ils  déclaroient  tous  hau- 
tement ,  qu'ils  n'en  vouloient  qu'à  lui ,  ôc  à  fa  fadion. 

Cependant  la  licence  augmentant  de  jour  en  jour  ,  ôc  les 
inimitîez  particulières  fe  montrant  à  découvert ,  on  n'enten- 
doit  parler  que  des  crimes  énormes,  que  l'avarice,  la  cruauté 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XL IV.       527 

'êc  les  autres  pafTions  faifoient  commettre  en  tous  lieux.  Pour  «^«^.««m..».» 
arrêter  ce  débordement  )  les  chefs  jugèrent  à  propos  de  drefier  C  h  a  r  l  E 
des  règles  de  difcipline  ,  qu'on  faifoit  lire  toutes  les  femaines        I  X. 
dans  le  camp  à  haute  voix  :,  afin  que  perfonne  n'en  prétendît     1  c  5  S. 
caufe  d'ignorance.  Mais  peut-on  fe  flatter  que  la  piétés,  la  foi, 
îa  difcipline,  feront obfervées  dans  une  guerre auiïi  impie  que 
i'efl  communément  la  guerre  civile  f  Cependant  la  règle  fe  fou- 
tint  pendant  quelque  tems  parmi  eux  :  mais  cette  régularité 
fe  relâcha  bien-tôt.  Comme  on  ne  payoit  point  les  foldats , 
les  chefs  les  laiflbient  piller,  la  nobleffe  fe  corrompit,  6c tout 
dégénéra  enfin  en  une  licence  pernicieufe. 

Ce  fut  verscetems-là,  que  Jeanne  d'Albret  Reine  deNa-      Arrivée  ic 
varre  vint  à  la  Rochelle,  avec  Henri  prince  de  Bearn  fonfils,  bm"ala  Ro^ 
&  Catherine  fa  fille  ,  accompagnée  d'un  corps  confiderable  de  chelle. 
troupes.  Car  Armand  de  Clermont  feigneur  de  Piles  avoit  le- 
vé dans  le  Perigord ,  l'Auvergne,  ôc  le  Quercy  vingt-trois  com- 
pagnies d'infanteries  le  vicomte  de  Montamar  frère  de  Fon- 
trailles  en  avoit  dix,ôc  Saint  Aiegrin  neuf?  ce  qui  faifoit qua- 
rante-deux compagnies,  dont  ils  a  voient  formé  trois  regimens. 
AfTerac  de  Fontrailles  fénéchal  d'Armagnac  commandoit  l'in- 
fanterie légère.  Ils  vinrent  de  Nerac  à  Bergerac,  ôc  de  là  à 
Muiïidan  S  où  ils  rencontrèrent  Briquemaut  :  enfuite  ayant  laifle 
Aubeterre  ôc  Barbefieux  à  leur  gauche ,  ils  vinrent  à  Archiac. 
Le  prince  de  Condé  qui  s'étoit  arrêté  quelque  tems  devant 
Cognac,  parce  qu'on  avoit  refufé  d'abord  de  lui  en  ouvrir  les  ^. 

portes ,  les  joignit  en  cet  endroit. 

La  Reine  de  Navarre  ayant  écrit  au  Roi,  à  la  Reine,  au  Lettres  de 
duc  d'Anjou  ôc  au  cardinal  de  Bourbon  ,  pour  juftifier  fesdé-  ^.ctte  Princef- 
marches,  leur  envoya  fes  lettres  par  Bertrand  deSalignac.  Elle 
y  marquoit  que  l'obéififancc  qu'elle  devoitau  Roi,  ôc  la  parenté 
proche  qui  étoit  entre  elle  ôc  Condé,  ne  lui  permettoientpas 
d'abandonner  ce  Prince  dans  une  caufe  de  Religion  qui  leur 
ctoit  commune  i  elle  rejettoit  toute  la  caufe  des  troubles  fur 
les  confeils  fanguinaires  de  la  fatlion  des  Guifes  ,  ôc  parti- 
culièrement fur  l'ambition  du  cardinal  dcLorraine  j  elle  con- 
juroit  inftamment  le  duc  d'Anjou  de  rompre  avec  lui,  ôc  de 
ne  le  pas  féconder  dans  la  volonté  détcilable  qu'il  avoit  d'ex- 
terminer la  maifon  Royale  j  elle  faifoit  fouvenir  le  cardinal  de 

I  Ville  du  haut  Perigord, 


5'2S  HISTOIRE 

■  Bourbon  du  péril  ou  i)  s'expofoit  lui-même,  6c  lui  faifoit  ace 

Cha;-  le  ^^'i^^  '^"^  remontrance  fort  vive. 

IX.  '' Jufquà  quand,  lui  difoit-elle,  ferez  vous  livré  au  cardi- 

I  5"  <5  8.  "  dinal  de  Lorraine  f  Avez-vous  déjà  oublié  qu'il  a  attenté  à 
«  votre  vie  ?  Qu'eft  devenue  cette  inquiecudc  qu'il  vous  caufa, 
«  6c  qui  vous  empêcha  quelque  detems  de  dormir  ?  Le  faux  fer- 
3>  ment  qu'il  vousafair,  qu'il  n'y  a  jamais  penfé,  l'a  entièrement 
»  diiTîpée,  ôc  vous  avez  mieux  aimé  en  croire  les  proteftations 
=>  de  ce  fourbe ,  que  de  travailler  à  mettre  votre  Maifon  à  cou- 
»  vert  du  péril  qui  la  menace.  «  Il  avoit  couru  en  effet  quel- 
que tems  auparavant  un  bruit  afîez  bien  fondé,  que  dans  une 
grande  maladie  de  la  Reine  on  avoit  fuborné  des  gens,  pour 
affaliiner  le  cardinal  de  Bourbon,  François  de  Montmorencî, 
6c  le  chancelier  de  l'Hôpital  ;  parce  qu'on  craignoit  que  fi  la 
Reine  venoit  à  mourir,  6c  il  ces  trois  hommes  étoient  alors 
en  vie ,  le  Roi  n'écoutât  plus  aifément  les  confeils  violens 
d^s  factieux. 

Le  cardinal  de  Châtillon ,  qui  fçavoit  qu'on  en  vouloit  à 
fa  perfonne  ,  ayant  appris  ces  mouvemens  ,  abandonna  le  châ- 
teau de  Brelé  ,  qui  étoit  fa  maifon  de  plaifance  près  de  Beau- 
Le  cardinal  vais,  6c  s'cnfuit^  ayant  I^iffé  dans  ce  lieu  la  plus  grande  partie 
de  cbàciiioii  de  fes  meubles.   Comme  il  ne  lui  étoit  pas  pofîible  d'aller  join- 
AnSctene?     ^^'^  ''^  p^ince  de  Condé  ni  fes  frères,  qui  étoient  trop  éloignez 
de  lui ,  il  s'embarqua  en  Normandie ,  ôc  ayant  échapé  avec 
aflcz  de  peine  à  la  pourfuite  de  fes  ennemis,  il  arriva  heûreu- 
fement  en  Angleterre. 
Les  Protef.      D'Andclot  étoit  en  Bretagne,  oij  il  avoit  de  grands  biens 
Went^^lkT     ^^  ^^^^  ^^  Claude  de  Rieux  comteffe  de  Laval  fa  première 
tïoiipcs.         femme  :  car  il  étoit  alors  remarié  en  féconde  noces  \  Sur  les 
lettres  qu'il  y  reçut  de  l'amiral  de  Châtillon  fon  frère  6c  du 
prince  de  Condé,  il  avoit  aflemblé  bien  des  troupes,  tant  de 
la  Province  où  il  étoit,  que  de  celles  de  Normandie  ,  du  Mai- 
ne, 6c  de  TAnjou.  Il  leur  avoit  donné  rendez-vous  à  Beau- 
fort  ^  fitué  en  Anjou  dans  une  vallée  très-fertile.  Jean  de  Per- 
rière vidame  de  Chartre,  ôc  Antoine  de  la  Rochefoucault- 
Chaumont  frère  de  Barbefieux  l'y  vinrent  joindre  avec  tout 

I  Avec  Anne  de  Salra  d'une  famille  !    en  Vallée  :  elle  eft  environ  à  cinq  lieuea 
de  Lorraine.  d'Angers  ,  ôc  à  une  lieue  de  la  Loire» 


i  On  appelle  cette  ville  Bcaufort 


le  LUT 


D  E  J.  A.  D  E    ï  H  O  U  ,  L I  V.  XLIV.       pp 

leur  monde.  Charle  de  Beaumanoir  de  Lavardin  ,  avec  quatre 
compagnies  de  cavalerie ,  ôc  deux  de  moufquetaires  ,  ôc  le  com-  Charle 
te  de  Mongommeii  avec  trois  compagnies  ôc  cinq  d'infante-  j  v 
rie  ,  allèrent  fe  loger  à  faint  Mathurin  fur  la  levée  de  la  Loire.  ,  ç  (^  g. 
François  de  la  Noue  avec  quatre  cornettes  de  cavalerie  t  ôc 
cinq  cens  hommes  de  pie ,  eut  ordre  de  fe  faifir  du  pafTage 
de  faint  Martin  ôc  des  Rofieres ,  ôc  de  fonder  le  gué  en  cet 
endroit.  Montejan  du  BrofTay,  Saintgravé  Cognée,  François 
d'Angennes ,  du  Coudray  ,  Rabodange  ,  de  Sey ,  BrefTauIt ,  ôc 
quelques  autres  l'y  joignirent.  D'Andelot  fe  logea  à  faint  Ma- 
thurin ,  ôc  y  mit  engarnifon  les  compagnies  de  la  Minguetiere 
ôc  de  BrofTay  ;  Montejan  ôc  BrefTauIt  furent  envoyez  avec  deux 
compagnies  de  fantafîins ,  ôc  ce  qu'ils  avoient  de  cavalerie  pour 
garder  laDagueniere ,  ôc  empêcher  les  troupes,  qui  viendroient 
d'Angers,  de  pafTerla  rivière.  Leur  camp  étant  auifi  défendu 
par  la  rivière  du  côté  du  midi,  parle  pofle  de  la  Dagueniere 
du  côté  du  couchant,  ôc  par  celui  de  S.  Martin  du  côté  du  levant, 
il  n'y  avoit  que  le  côté  du  Nord  à  garder;  mais  il  y  avoit  de  ce 
côté  là  une  vallée  (ituée  au-defTous  de  la  levée  de  la  Loire, 
ôc  couverte  d'un  bois  fi  épais,  qu'on  ne  croyoit  pas  que  l'en- 
nemi pût  y  entrer  :  d'ailleurs  le  vidame  de  Chartre,  qui  s'é- 
toit  pofté  avec  fa  troupe  à  Beaufort,  n'en  étoit  pas  éloigné, 
ôc  il  étoit  à  portée  de  donner  du  fecours ,  fi  Ton  étoit  attaqué 
par  là. 

Pendant  que  la  Minguetiere  fonde  le  gué,  ôcque  d'Ande- 
îot  fonge  à  diner,  Boifvert  maréchal  de  camp  vient  les  avertir 
que  l'ennemi  approche.  Le  duc  de  Montpenfier  étoit  arrivé  à 
Saumur  avec  François  le  Roifieur  de  Chavigny,ôc  il  avoit  en- 
voyé ordre  à  Sebaftien  de  Luxembourg  feigneur  de  Martigues 
de  le  venir  joindre  avec  ce  qu'il  avoit  de  troupes ,  afin  de  met- 
tre en  défordre  les  Proteflans  difperfez ,  ôc  de  les  empêcher 
de  fe  rafTembler  ôc  de  pafTer  la  Loire.  Martigues  étant  en 
marche  fut  rappelle  par  leâ  Nantois,  qui  ne  fe  croyoient  pas 
en  fureté,  ayant  d'Andelot  dans  le  voifinagc.  Le  tems  que  ce  re- 
tardement lui  fit  perdre  >  donna  moyen  aux  Proteflans  de  ren- 
forcer leurs  troupes.  Etant  enfin  revenu  à  Angers ,  ôc  fe  voyant 
prefTé  par  les  lettres  que  Montpenfier  lui  écrivoit  coup  fur  coup, 
il  fe  met  en  marche  le  lendemain ,  fans  avoir  des  nouvelles 
fûtes  des  ennemis.  11  avoit  neuf  cornettes  de  cavalerie,  quelques 
Tome  V.  X  x  x 


Sso  HISTOIRE 

■»-«»'"^  ■  moufquetaires  à  cheval ,  qu^on  avoir  tirez  des  gardes  depuis 

C  H  A  R  L  E  ^^"§  ^^""^s  »  ^^^  enfeignes  de  gens  de  pié ,  &  beaucoup  de  No- 

j  ^        bielle  de  la  Province.  Il  pafia  l'Authion  au-defllis  de  Sorge, 

I  c  5  8.     ^  ^^  ^'^^^^^^  ^^  ^^  ^^^^  ^^  ^^  levée  :  il  détacha  vingt  Gensd'armes 
armés  de  toutes  pièces  pour  prendre  les  devans,  fit  mettre  à  pié 
les  moufquetaires  ,  ôc  ayant  joint  à   cette  troupe  deux  cens 
hommes  d'élite ,  qu'il  fit  marcher  devant ,  il  les  fuivit  avec  fa 
compagnie  de  cavalerie.  Son  arriere-garde  étoit  compofée  de 
l'infanterie    commandée  par  Jean  de  Leomont  feigneur  de 
Puigaillard. 
Combat  en-      j]  niarcha  en  cet  ordre  à  la  Dagueniere.  N'y  ayant  point 
liques  &  les  trouve  les  troupes  a  qui  1  on  en  avoit  donne  la  garde ,  û  s  a- 
Pioteftans.      vança  jufqu'à  la  Chapelle ,  où  il  rencontra  Boifvert  :  là  il  y  eut 
un  combat  :  Plan  capitaine  des  gardes  de  Martigues  fut  tué 
au  premier  choc.  Mais  comme  toutes  les  troupes,  qui  étoient 
dans  le  camp  des  Proteftans,  étoient  compofées  de  foldats  nou- 
vellement levez  j  &  fans  expérience ,  elles  plièrent  dès  que  l'in- 
fanterie de  Martigues  parut.  Les  Proteftans  y  perdirent  envi- 
ron vingt  hommes  &  trois  capitaines  :  la  Minguetiere  y  fut 
pris.  Martigues  ayant  appris  de  lui ,  que  d'Andelot  n'étoit  pas 
loin ,  eut  d'abord  de  la  peine  à  le  croire ,  parce  qu'il  ne  s'y  atten- 
doit  pas  j  mais  ne  pouvant  plus  en  douter ,  il  fe  repentit  de 
l'entreprife  téméraire  oi^i  il  s'étoit  engagé.  Enfin  il  réfolut  de 
fe  tirer  de  ce  péril  par  fon  courage ,  ôc  de  pouffer  vivement 
les  ennemis  qui  avoient  pris  l'épouvante. 

Dans  ce  deffein  il  détacha  Lourcheavec  vingt- cinq  Gen- 
d'armes,  pour  attaquer  faint  Mathurin.  Les  chofes  étoient 
en  cet  état ,  lorfque  Boifvert  vint  au  lieu  où  étoit  d'Andelot, 
6c  lui  apprit  ce  qui  venoit  d'arriver.  D'Andelot  :,  un  peu  trou- 
blé de  cet  accident  imprévu ,  eut  à  peine  le  tems  de  monter 
à  cheval  avec  une  douzaine  de  gentilshommes  des  premières 
maifons  du  Royaume,  pour  choifir  un  endroit  où  ils  pulfcnt 
combattre  avec  avantage.  Il  y  foutint  deux  fois  les  efforts  de 
Lourches  ,  &  fe  vit  réduit  à  en  venir  aux  mains  ,  avec  un  af- 
fez  grand  péril.  Boifvert  tira  alors  un  coup  de  moufquet  à 
Lourches  ,  qui  ordonnoit  déjà  à  d'Andelot  de  fe  rendre,  ôc 
le  jetta  par  terre,  mais  après  avoir  fauve  d'Andelot  du  péril  où 
il  étoit,ilne  put  l'éviter  lui-même  :  car  ayant  été  enveloppé  fur  le 
champ  par  un  grand  nombre  de  foldats ,  il  fut  tué  fur  la  place. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XL^\^         ^i 
D^Andelot  fe  retira  infenfiblement  vers  la  vallée,  où  fes  gens  . 


fe  raffembloient  de  toutes  parts.  ^T"    ~~T 

Martigues  content  de  s'être  ouvert  le  paflage  ,  &  d'avoir  j  y 
chafle  de  fon  pofte  un  auffi  grand  capitaine  que  d'Andelot,  ^  ^o 
oc  craignant  que  s  il  s  amuloit  a  attaquer  les  ennemis  ^  ils  n  eul- 
fent  letems  de  renforcer  leurs  troupes ,  6c  de  lui  fermer  les  paf-  remporté  %r 
fagesparoù  il  pouvoir  joindre  Montpenfier ,  fait  fonner  la  re-  l'armée  Ca- 
traite ,  ôc  condnue  fa  marche  du  côté  de  faint  Martin  ôc  des  ^^oW"«* 
Rofieres ,  dans  le  même  ordre  qu'il  étoit  venu  :  mais  ayant  ap- 
perçu  les  troupes  de  la  Noue  en  bataille  dans  la  vallée,  qui 
étoit  au-deffous  de  la  levée  ^  ilfentit  qu'il  étoit  enveloppé  de 
toutes  parts,  ôc  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  moyen  defe  tirer 
de  ce  mauvais  pas,  qu'en  montrant  une  hardiefle  plus  grande 
encore  que  la  témérité  de  fon  entreprife.  Ainfi  ayant  fait  dire 
à  Puigaillard  qui  lui  demandoit  du  fecours  contre  d'Andelot. 
lequel  faifoit  avancer  fon  arriere-garde ,  de  fe  fauver  comme 
il  pourroit  i  fans  fe  troubler ,  il  prit  fon  parti  fur  le  champ ,  Ôc  or- 
donna à  fes  troupes  qui  n'étoient  prefque  compofées  que  d'an- 
ciens foldats,  ôc  qui  marchoient  très-vite  fur  la  levée,  de  char- 
ger les  ennemis.  Ils  le  firent  avec  tant  de  courage  qu'ils  en- 
foncèrent les  troupes  des  Proteftans,  qui  n'étoient  compofées 
que  de  nouvelles  levées ,  ôc  leur  prirent  même  un  drapeau. 
S'étant  ainfi  ouvert  le  paflage  >  ils  marchèrent  en  vainqueurs 
du  côté  de  Saumur,  ôc  rencontrèrent  fur  le  chemin  Riche- 
lieu qui  venoit  à  leur  rencontre.  Unhazard,  qui  jetta  d'An- 
delot dans  Terreur,  contribua  beaucoup  au  fuccès  du  defi^ein 
de  Martigues,  Quelques  payifans  étant  venus  dire  à  d'Ande- 
lot, que  Martigues  fe  retiroit  ôc  regagnoit  Angers  ,  il  les  crut 
trop  légèrement  j  fans  cela  il  lui  étoit  aifé  d'enfermer  Marti- 
gues entre  la  Noue  ôc  lui,  ôcde  le  tailler  en  pièces.  Le  bruit 
de  cet  avantage  fe  répandit  de  toutes  parts^ôc  ceux  qui  y  avoient 
intérêt  le  grolTirentiîfort,  qu'on  crut  que  c'étoitfait  de  d'An- 
delot, ôcde  fes  troupes.  Là  nouvelle  en  étant  venue  jufqu'au 
Roi ,  d'Andelot  crut  qu'il  étoit  à  propos  de  rabaiffer  un  peu 
la  gloire  de  Martigues ,  qui  étoit  redevable  à  la  Fortune  beau- 
coup plus  qu'à  fa  valeur  du  fuccès  qu'il  avoit  eu ,  ôc  qu'il  fal- 
loit  tenir  confeil ,  pour  voir  ce  qu'il  y  auroit  à  faire  en  cette 
conjoncture. 

Comme  on  étoit  vers  la  fin  de  Septembre  ;  Ôc  qu'il  y  avoit 

Xxx  ij 


L'armée  Prc- 
teltante  palîe 
la  Loire. 


552     -  HISTOIRE 

peu  d^efperance  de  trouver  des  guez  dans  cette  faifon  ;  on 
délibéra  de  quel  côté  on  tourneroit.  La  plupart  étoient  d'avis 
de  retourner  en  Bretagne,  ôc  de  fefaifir  des  paflages  de  la  Sar- 
te  ,  de  la  Mayenne  &du  Loir,  afin  qu'on  pût  faire  pafler  tou- 
tes les  troupes  à  la  fois^  étant  de  la  dernière  importance  de 
ne  les  point  féparer  dans  la  conjon£lure  prefente.  Les  autres 
difoient ,  que  puifque  la  Loire  n'étoit  pas  guéable ,  il  falloit  em- 
porter de  force  le  pont  de  Ce  ;  ce  qui  étoit,  félon  eux,  une 
affaire  de  peu  de  jours  :  mais  on  ne  jugea  pas  qu'il  fut  prudent 
d'entreprendre  le  fiége  d'une  place,  quelque  foible  qu'elle  fût, 
ayant  les  ennemis  fi  près  de  foi,  ôc  dans  le  tems  qu'on  venoit 
de  recevoir  un  échec.  La  Noue  ayant  en  fon  particulier  de- 
mandé à  d'Andelot  ce  qu'il comptoit  faire,  fi  l'on  ne  trouvoit 
point  de  gué  ;  ce  Seigneur ,  qui  étoit  intrépide ,  répondit  fur 
le  champ  ,  ôc  fans  délibérer  :  ce  Que  pouvons-nous  faire  de 
o>  mieux  que  de  prendre  un  parti  extrême ,  ôc  de  mourir  enbra- 
«  ve  gens,  ou  de  nous  tirer  au  moins  avec  honneur  des  mains 
«  de  nos  ennemis.  Mon  avis  efl:  donc,  qu'il  faut  que  nous  nous 
«  retirions  tous  enfemble  à  fept  ou  huit  lieues  d'ici  3  que  nous 
y  choififiions  une  belle  plaine  pour  y  camper ,  que  nous  faffions 
»  adroitement  courir  le  bruit,  que  nous  nous  retirons  à  la  dé- 
=5  bandade,  pour  chercher  un  azile ,  011  nous  puiffions  nous  met- 
»  tre  à  couvert.  Lorfque  ce  bruit  fera  parvenu  aux  oreilles  de 
»  Martigues  ôc  de  Montpenfier  ,  ils  n'auront  pas  grande  pei- 
3'  ne  aie  croire.  Pendant  ce  tems  là  nous  exhorterons  nos  trou- 
05  pes  à  combattre  avec  courage  ;  ôc  fi  nos  ennemis  nous  arta- 
5'  quent  dans  notre  retraite,  comme  il  n'y  a  pas  à  douter  qu'ils 
3'  n'accourent  (  plutôt  à  la  vérité  pour  faire  du  butin  que  pour 
M  combattre  )  alors  nous  les  recevrons  de  bonne  grâce,  ôc  nous 
»  les  vaincrons  infailliblement ,  pourvu  que  nous  combattions 
'^  avec  tout  le  courage  ôc  toute  la  vigueur  que  nous  devons. 
»>  Après  quoi  il  n'y  aura  perfonne  dans  le  Royaume  qui  ofe  nous 
»'  attaquer  d'un  mois ,  ôc  notre  victoire  nous  donnera  le  moyen," 
»  ou  d'aller  chercher  desfecours  en  Allemagne ,  ou  de  remon- 
»  ter  vers  les  fources  des  rivieres,pour  nous  joindre  à  nos  amis.  » 
Dans  cette  diverfité  d'avis  Mongommery,  qui  vouloir  qu'on 
pafiat  la  Loire ,  furvint ,  ôc  aflfura  qu'il  avoir  trouvé  un  gué  com- 
mode. On  détacha  un  vieux  capitaine  nommé  la  Garde ,  avec 
quelques  nioufquetaiues  pour  le  fonder,  ôc  quoiqu'il  y  eût 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLIV.        sss 

bien  des  gens  ennuyez  de  la  guerre  ,  &  qui  eulTent  mieux  ai- 
mé retourner  chez  eux  que  de  pafier  la  Loire,  cependant  la  Char  le 
vûë  du  péril  qu'ils  couroient ,  s'ils  fe  féparoient  des  autres  /       jv 
les  retint,  &  tout  pafla  avec  unevitefle  &  une  ardeur  incroya-      i  ç  6$  ' 
ble  ,  les  hommes ,  les  équipages,  &  les  munitions  de  guerre.                '  ; 
Montpenfier  ne  fe  prefenta  point  de  l'autre  côté  delà  rivière,  i 
&  n'inquiéta  point  l'arriere-garde  commandée  par  la  Noue.  ' 
Cette  nouvelle  étant  venue  à  la  Cour,  où  Puiguillard  fut  en- 
voyé pour  juftifier  les  Généraux ,  la  réputation  ,  que  les  trou-  \ 
pes  du  Roi  s'étoient  acquife  par  le  dernier  fuccès,  diminua  ] 
beaucoup.  On  étoit  furpris  que  des  gens  qui  avoient  pu  met-  I 
tre  en  fuite  toutes  les  troupes  de  d'Andeîot,  n'euffent  pu  l'em-  i 
pêcher  de  pafier  la  Loire  ;  ce  qui  étoit  bien  plus  aifé. 

Dès  le  commencement  de  la  guerre  ,  le  Roi  avoir  déclaré  .  Editssufu-  , 
le  duc  d'Anjou  fon  frère  Générahfiime  de  fes  armées,   &  il  lelbns, 

avoit  envoyé  des  lettres  dans  tout  le  Royaume,  par  lefquelles  j 

il  prenoit  fous  fa  protcdion  tous  fes  fujets  ,  tant  Protcftans  que  ; 
Catholiques,  pourvu  qu'ils  demeuraflent   en  paix  dans  leurs 

maifons  j  6c  en  cas  qu'on  leur  fit  quelque  injuftice,  il  leur  per-  j 

mettoit  d'en  porter  leurs  plaintes.  On  avoit  donné  à  ce  fujet  ) 

à  tous  les  Gouverneurs  des  ordres  également  fpecieux  &  pref-  i 

fans.  La  Reine  ôc  le  cardinal  de  Lorraine  s'apperçurent  bien-  . 

tôt ,  que  ces  lettres  n'avoient  pas  fait  beaucoup  d'impreflion  fur  ! 

îaNoblefie  ôc  fur  les  gens  de  guerre,  qui  voyoient  bien  qu'on  I 

ne  cherchoit  qu'à  lesamufer,  &  à  les  divifer  afindeles  acca-  { 

bler  enfuite  plus  aifément  :  auffi  aux  premiers  ordres  du  prin-  ! 
ce  de  Condé ,  on  les  vit  venir  de  toutes  parts  en  armes  pour 

le  joindre.  Cela  fut  caufe  que  fur  la  fin  de  Septembre  on  donna  i 

un  édit  d'un  genre  bien  différent.  Le  Roi,  après  avoir  loué  la  .{ 

clémence  ,  la  pieté  ,  ôc  le  zèle  des  Rois  fes  prédeceflcurs ,  de  j 

fon  frère  j  de  fon  père  ôc  de  fon  ayeul ,  diîbit  que  l'édit  du  i 
mois  de  Janvier,  quil  avoit  fait  en  faveur   des  Proteftans  au 

commencement  de  fon  règne  ,  n'étoit  que  pour   un  tems  ^  ] 
ôc  en  attendant  qu'il  fut  majeur  :  Que  cet  édit  avoit  été  fuivi 
d'une  guerre  très- cruel  le  ;  mais  que  la  paix  s'étant  faite  deux 

ans  après ,  ill'avoit  confirmé  de  nouveau  après  l'avoir  interpre-  i 

té,  ôc  y  avoir  mis  quelques  adouciflemens  :  Que  les  Protef-  : 

tans  abufant  de  fa  bonté ,  ôc  fe  couvrant  du  prétexte  de  la  Re-  i 

ligion ,  l'avoient  violé  de  nouveau ,  ayant  recommencé  la  guerre  ] 

Xxx  iij 


SSi  HISTOIRE 

.  avant  même  de  la  déclarer  >  qu'il  leur  a  voit  encore  pardomié 

C  H  A  R  L  E  cet  attemât ,  ôc  que  l'amour  qu'il  avoir  pour  la  paix  l'avoit  por- 

IX.        t:é  à  la  leur  accorder  à  des  conditions  raifonnables  :  Que  voyant 

I  y  5  8.  qu'ils  ne  l'obfervoient  pas  mieux  que  la  précédente,  &  qu'ils 
retenoient,  contre  le  traité  ôc  malgré  lui  ^  la  Rochelle  ,  Mon- 
tauban ,  Caftres ,  ôc  d'autres  villes  i  ôc  qu'au  lieu  de  les  ren- 
dre,  comme  ilsl'avoient  promis,  ils  y  avoient  mis  garnifon^  il 
étoit  obligé  d'en  venir  aux  derniers  remèdes  iQu'ainfi  par  cet 
édit  perpétuel  ôc  irrévocable,  il  défendoit  dans  toute  l'étendue 
de  fon  Royaume  à  toutes  perfonnes  ,  de  quelque  condinon 
qu'elles  fuflent  ,  fous  peine  de  perdre  la  vie  ôc  leurs  biens , 
l'exercice  de  toute  autre  Religion  que  de  la  Catholique  Ro- 
maine ,  qui  étoit  celle  de  fes  ancêtres  ,  ôc  la  Tienne ,  ôc  qu'il 
ordonnoit  à  tous  les  Miniftres  de  la  Religion  nouvelle  ,  de  for- 
tir  du  Royaume  ,  quinze  jours  après  la  publication  de  cet  éditî 
avec  cette  claufe  cependant,  que  l'intention  de  fa  Majefté  n'étoit 
pas  qu'on  perfécutât,  ni  qu'on  inquiétât  la  confcience  de  ceux 
qui  avoient  fait  jufqu'alors  profelTion  de  la  Religion  qu'on  ap- 
pelloit  Reformée ,  pourvu  qu'à  l'avenir  ils  n'en  profellairent 
point  d'autre  que  la  Catholique  Romaine. 

Ce  fécond  edit  fut  bien-tôt  fuivi  d'un  troifiéme,  qui  ordon- 
noit à  tous  ceux  qui  faifoient  profelîlon  de  la  Religion  réfor- 
mée ,  de  fe  démettre  de  leurs  charges  ,  de  leurs  magiftratu- 
res,  ôc  de  tous  les  emplois  publics.  Ces  édits,  qui  étoient 
comme  les  préludes  d'une  guerre  fanglante  ,  par  les  fenti- 
mens  de  haine  ôc  de  défefpoir  qu'ils  mettoient  dans  le  cœur 
des  Proteftans  ,  furent  vérifiez  au  Parlement  avec  d'aufli 
grands  éloges ,  que  fi  après  les  malheurs  d'une  longue  ôc  per- 
nicieufe  guerre,  ils  fuflent  venus  apporter  au  peuple  l'agréa- 
ble nouvelle  d'une  paix  prochaine.  Le  Parlement  en  ordon- 
nant la  publication  de  ces  édits,  ajouta  une  chofe,  qui  étoit 
fans  exemples  c'eft  qu'à  l'avenir  tous  ceux  qui  entreroient  dans 
les  charges  ôc  dans  les  emplois  publics ,  feroient  obligez  de 
promettre  avec  ferment  de  vivre  ôc  mourir  dans  la  Religion 
Catholique  Romaines  ôc  que  s'ils  l'abandonnoient,  ils  confen- 
toient  d'être  privez  de  la  magiftrature  ,  ôc  de  toute  autre  digni- 
té,  comme  en  étant  indignes.  Cet  édit,  qui  ne  fut  fait  que  pour 
deshonorer  ôc  détruire  la  Religion  Proteftante ,  n'a  jamais  pu 
être  révoqué  ,  quoique  par  des  édits  pofterieurs ,  les  Proteftanfi 


1  La  mère  de  d'Andelot  étoit  fœur 
du  Connétable. 
z  Louis  III ,  c'eft  en  fa  faveur  que 


la  vicomte'  de  Thouars  fut  e'rîge'e  en 
Duché  par  Charle  IX.  en  i  yôj. 


1  ;()  8, 


D  E  J.   A.   DE   THOU,Liv.   XLIV.        S3S 

ayant  été  déclarez  capables  de  pofleder  des  dignitez.  Ce  ne     n  i  i 

fut  qu'avec  beaucoup  de  peine  ,  &  après  de  grands  débats ,  que  C  H  a  R  L  E 
trente  ans  après  on  en  abolit  l'ufage  pour  le  bien  de  la  paix.       jy 

Tout  cela  fe  pafla  après  que  le  chancelier  de  l'Hôpital  eut 
été  relégué  dans  fa  maifon.  Ce  digne  Magiftrat  voyant  que 
déformais fes  bons  avis  ne  ferviroient  de  rien, que  l'efprit  du 
Roi  étoit  prévenu  par  l'artifice  des  factieux ,  ôc  que  la  Reine 
penchoit  pour  ce  parti  là,  défefperant  d'ailleurs  du  falut  de 
l'Etat,  6c  ennuyé  d'une  vie  tumultueufe^avoit  pris  le  parti  de 
la  retraite  ôc  du  repos.  On  reconnut  depuis  par  expérience  ,  que 
ces  édits,  qu'on  n'avoit  faits  que  pour  ruiner  le  parti  Proteftant, 
avoient  produit  un  effet  tout  contraire  à  l'intention  de  ceux  qui 
les  avoient  fabriquez  j  car  ils  eurent  le  déplaifir  de  voir  que  les 
Religionnaires  également  infenfibles  à  l'efperance  ôc  à  la  crain- 
te, ôc  ne  fe  fouciant  ni  des  promeffes  dont  on  tâchoitde  les 
leurer ,  ni  des  peines  qu'on  décernoit  contre  eux  ,  abandon- 
noient  avec  une  ardeur  ôc  une  joie  incroyable,  leurs  femmes, 
leurs  enfans ,  leurs  maifons,  ôc  venoient  de  jour  en  jour  fe 
rendre  auprès  du  Prince  de  Condé,  dont  on  avoit  prétendu  les 
détacher  par  ces  édits. 

D' Andelot  ayant  paffé  la  Loire,  marcha  droit  à  Thouars ,  pla- 
ce  importante ,  appartenant  à  la  maifon  de  la  Trimouille.  Les 
portes  lui  en  furent  ouvertes  ,ôc  il  y  fut  très-bien  reçu  par  Jean- 
ne de  Montmorenci  fa  coufine  germaine  ',  fille  du  Connéta- 
ble Anne  de  Montmorenci ,  ôc  femme  de  Louis  de  la  Tri- 
mouille ^.  Il  détacha  la  Colombiere ,  qui  furprit  Claude  de 
Goufier  duc  de  Roanez  dans  fa  magnifique  maifon  d'Oiron, 
On  l'envoya  fous  une  bonne  efcorte  à  la  Rochelle ,  ôc  on  lui 
demanda  une  grofie  rançon  :  mais  après  avoir  long-tems  dif- 
féré de  la  payer ,  il  donna  enfin  fa  parole  au  prince  de  Condé, 
Ôc  on  le  laiila  aller.  Dans  la  fuite  lorfque  le  prince  de  Con- 
dé fut  mort ,  Goufier  prétendit  qu'il  n'étoit  plus  engagé  à  per- 
fonne ,  ôc  qu'il  étoit  quitte.  La  chofe  fut  agitée  long-tems  j  mais 
il  ne  paya  rien  ,  ôc  il  fe  moqua  de  la  Colombiere,  qui  avoit 
grande  envie  d'avoir  cette  proie. 


r3<^  HISTOIRE 

j^  ,      De  Thoviars ,  d'Andelot  marcha  à  Parthenay,  ôc  fe  rendit 

C  H  A  R  L  E  ^"^^^^"^^  ^^  ^'^  ville.  Malo ,  qui  en  étoit  gouverneur ,  s'érant  obftiné 
TV  à  défendre  le  château  ,  &  ayant  été  forcé,  fut  pendu  en  pu- 
I  c  5  8  ^ition  de  fa  témérité,  pour  avoir  voulu  tenir  contre  une  armée 
dans  un  lieu  qui  n'étoit  pas  de  défenfe.  Delà  ayant  joint  fes 
troupes  avec  celles  de  Coligny  fon  frère,  ils  marchèrent  en- 
femble  àNyort  :c'efl  une  ville  forte  ôc  fameufe  par  fes  foires, 
cil  l'on  vient  de  toutes  les  parties  du  Royaumes  elle  eftfituée 
fur  la  Seure ,  qui  commence  en  cet  endroit  à  porter  bateau, 
traverfe  enfuite  le  payis  d'Aunis,  Ôc  va  fe  jetter  dans  la  mec 
au-dcffus  de  Marans  :  elle  eft  différente  d'une  autre  rivière  du 
même  nom  * ,  fur  laquelle  il  y  a  un  pont  à  la  Pommeraye  :  celle- 
ci  prend  fa  fource  dans  les  marets  de  Gatine,  traverfe  la  fo- 
rêt voifme ,  pafle  à  Mortagne ,  ôc  à  Cliffon ,  ôc  vient  tomber 
dans  la  Loire  auprès  de  Nantes, 
P^o^eitans*^^^  Gui  de  DaiUon  comte  du  Lude,  gouverneur  de  Poitou ,  a  voit 
mis  dans  Nyort  la  Marcoufle,  avec  un  régiment  d'infanterie, 
ôc  beaucoup  de  Noblefle  d'élite.  On  le  fomma  de  rendre  la 
place  5  mais  fe  fiant  à  fes  troupes,  il  le  refufa.  On  fît  venir  de 
la  Rochelle  trois  pièces  de  canon  :  dès  qu'elles  furent  en  ba- 
terie  ,  il  capitula ,  à  condition  de  fortir  vie  ôc  bagues  fauves.' 
On  prit  tout  de  fuite  Melle ,  où  le  capitaine  Louis  étoit  en  gar- 
nifon  avec  quarante  hommes  >  il  déclara  qu'il  ne  fe  rendroit 
point  qu'il  ne  vit  du  canon  :  lorfqu'on  en  eut  amené ,  il  fe  ren- 
dit à  difcretion  ,  ôcl'on  fît  main  baffe  fur  ce  qui  étoit  dans  la  pla- 
ce. Tous  les  foins  que  Coligny  fe  donna  pour  l'empêcher 
furent  inutiles  j  il  eut  beau  vouloir  toucher  le  foldat,  ôc  pro- 
tefter  que  c'étoit  violer  les  droits  de  la  guerre ,  ôc  la  foi  publi- 
que, ouvrir  la  porte  aux  meurtres  réciproques,  ôc  aux  ven- 
gences  particulières  ;  on  ne  fécouta  point.  On  envoya  enfuite 
Pluviaut  avec  une  partie  de  l'armée  à  Fontenai-le-comte,  qui 
eft  fitué  fur  la  Vandée  5  il  fe  rendit  maître  de  la  ville.  Haute- 
combe  fe  jetta  dans  le  château  avec  fept  bourgeois  feulement, 
ôc  s'y  défendit  quelques  jours  :  quand  il  vit  néanmoins  qu'on 
dreffoit  des  échelles ,  ôc  qu'on  mettoit  le  feu  aux  portes ,  il  fe 
rendit ,  à  condition  que  lui  Ôc  fes  gens  auroient  la  vie  fauve; 
niais  on  ne  leur  tint  point  parole  :  il  fut  conduit  à  la  Rochelle; 

I  On  l'appelle  la  Seure  Nantoife  \  l'autre  s'appelle  la  Seure  Nyortoifç. 

OU 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.      ^57 

où  on  le  fit  mourir.  Saint  Maixant  s'étant  rendu  peu  de  tems 

après  fans  combat ,  on  obligea  la  bourgeoifie  à  payer  une  fom-  ""'  - 

me  pour  les  frais  de  la  guerre.  Char  LE 

Pluviaut  avoir  ordre  de  fe  faifir  aufll  de  Lufignanj  mais  le  ^  ■^• 
maréchal  de  la  Vieuville  S  quiétoit  à  Poitiers  ,  ôc  Jean  de  la  i  î  ^  S» 
Haye  y  ayant  envoyé  de  bonne  heure  des  troupes ,  &  tout 
ce  qui  étoit  néceffaire  pour  foûtenir  un  fiége  ,  ils  fauverent  la 
place.  Cependant  le  Roi  donna  ordre  à  Jacque  Goyon  Sei- 
gneur de  Matignon ,  lieutenant  de  Roi  de  la  bafle  Norman- 
die ^  à  Jean  Grogner  de  Vafîe,  Gouverneur  du  payis  du  Mai- 
ne, ôc  à  Claude  de  la  Châtre ,  Gouverneur  de  la  Touraine  ôc 
du  Bcrry ,  d'aller  joindre  le  duc  de  Monpenfier  j  on  lui  en- 
voya aulfi  Timoleon  de  Coffé  comte  de  BrifTac  avec  de  l'in- 
fanterie, ôc  Henri  de  Lorraine  duc  de  Guife,  avec  quelques  . 
efcadrons  de  Gend' armes.  Ce  jeune  Prince,  qui  avoir  pour 
la  gloire  une  ardeur  au-deflus  de  fon  âge  j  s'étoit  déjà  acquis 
de  la  réputation  en  Hongrie:  fe  trouvant  d'ailleurs  foûtenu  du 
nom  de  fon  père ,  il  donnoit  de  grandes  efperances  pour  l'a- 
venir. Les  Confédérez  étant  maîtres  du  Poitou ,  defcendirent 
dans  l'Angoumois.  Mongommery  avoir  pris  les  devants  avec 
huit  compagnies  de  cavalerie  3  ils  avoient  deflein  d'inveflir 
Angoulême,  avant  que  Monluc  y  pût  faire  entrer  du  fe* 
cours. 

Cette  ville  eft  fituée  près  de  la  Charante  fur  une  mon- 
tagne efcarpée  de  tous  cotez  ,  excepté  du  côté  du  chemin  ^^Ji^e  p^"' 
qui  va  à  Limoge  :  mais  elle  étoit  fortifiée  de  ce  côté-là  de  trois  les  Confcdé- 
murailles ,  ôc  d'un  foffé  très-profond.  Nicolas  d'Anjou  mar-   """ 
quis  de  Mezieres  commandoit  dans  la  place  avec  quatre  cens 
hommes.  Il  avoir  avec  lui  Vivonne  ,  Seigneur  de  la  Châtai- 
gneraie, d'Argence,  le  bâtard  de  RuflTec  ,  ôc  beaucoup  d'au- 
tres gentilshommes  des  plus  confidérables  de  la  Province.  On 
commen(ja  par  battre  l'ouvrage  qui  éroit  au  -  deflbus  du  châ- 
teau :  dès  qu'il  y  eut  brèche ,  Mongommery  monta  à  l'aflaut  ; 
mais  il  fut  repouflTé  avec  perte  i  Pierre  Buffier  de  GenifTac  y 
fut  tué.  Les  Confédérez  jugeant  que  l'entreprife  étoit  difficile 
ôc  que  le  fiége  pourroit  être  long ,  ôc  d'un  évenemenr  dou- 
teux ,  délibérèrent  s'il  ne  valoit  pas  mieux  lever  le  ficge ,  ôc  aller 
au-devant  des  troupes  qui  leur  venoient  de  Languedoc  ôc  de 

i  François  de  Scepeaux  fait  maréchal  de  Frgnce  en  ij5z. 

Tome  V,  Y  y  y 


rcz. 


;38  HISTOIRE 

*  Gafcogne  ,  que  de  refter  là  d'avantage.    Pendant  qu'ils  déli- 
Charle  beroient,  un  des  habitans  leur  vint  dire  que  la  garnifon  per- 
I X.       doit  courage  ,  &  qu'elle  fe  rendroit ,  fi  l'on  tentoit  un  fécond 
I  y  (5  8.    aflaut.  Sur  cet  avis  ils  tranfportent  leur  canon  à  Sainte  Claire> 
&  commencent  à  battre  la  place  de  ce  côté-là.  Ils  connurent 
bien- tôt  qu'on  leur  avoit  dit  vraii  car  d'Argence  ,  que  Mezie- 
res  avoit  déjà  envoyé  plufieurs  fois  dans  le  camp  des  afTiégcans, 
fous  prétexte  de  leur  faire  des  propofitions,  n'ayant  re(^u  au- 
cune nouvelle  ni  du  Roi  ni  de  fes  Généraux ,  depuis  que  la 
place  étoit  inveftie  i  commença  à  entrer  ferieufement  en  né- 
Prifed'An   gociatiou.  La  Capitulation  fut  réglée  à  ces  conditions  :  Que 
gouiéme.       les  Scigueurs  fortiroient  en  pleine  liberté  avec  armes  ôc  ba- 
gages ,  les  Gentilshommes  avec  leurs  chevaux  ,  &  les  foldats 
avec  leur  épée  :  ces  articles  furent  fidèlement  obfervez.  Plu- 
viaut ,  qui  avoit  fequeftré  quelques  chevaux  des  Gentilshom- 
mes, les  rendit,  forcé  par  Coligny,  à  qui  ce  procédé  déplut 
fort  :  il  lui  en  fit  une  rude  réprimande  )  6c  le  prince  de  Cou- 
dé eut  beaucoup  de  peine  à  empêcher  qu'il  ne  le  frapât.  C'eft 
ainfi  que  cette  ville  >  qui  à  caufe  de  fa  fituation  avoit  pafTé  juf- 
que-là  pour  imprenable,  ôc  qui  en  effet  n'avoit  jamais  étéprife 
par  force ,  tomba  entre  les  mains  des  Religionaires.  Condé 
en  donna  le  gouvernement  à  René  de  l'Hôpital ,  feigneur  de 
Sainte  Mefme  ,  ôc  y  mit  garnifon.  Le  bâtard  de  RufFec  y  fut 
tué  dans  une  querelle,  qu'on  lui  fit  exprès  pour  quelque  inimi- 
tié particulière  :  fa  mort  coûta  cher  aux  Proteftans,  &  fut  ven- 
gée par  celle  de  plufieurs  innocens. 
Prife  de  On  marcha  de  là  à  Pons  en  Saintonge.  Antoine  de  Pons 

^°"^*  Seigneur  d'une  très-ancienne  nobleffe  étoit  dans  la  place  ,  ôc 
il  y  avoit  été  joint  par  les  troupes  de  Vivonne  ,  feigneur  de 
la  Châtaigneraie ,  qui  ayant  appris  le  fiége  d'Angoulême  ,  étoit 
ford  de  Saint-Jean-d'Angely  ,  où  il  commandoit  pour  fecou- 
rir  cette  place.  A  peine  étoit-ii  forti ,  que  la  ville  d'Angou- 
lême ouvrit  les  portes  au  prince  de  Condé  :  les  habitans  n'ayant 
pas  voulu  recevoir  les  troupes  qu'il  leur  menoit,  il  \ts  envoya 
à  Pons.  Les  ennemis  en  arrivant  devant  cette  place  ,  prirent 
les  fauxbourgs  d'emblée ,  ôc  commencèrent  à  battre  la  porte 
de  Saintes  :  ayant  enfuite  tranfporté  leur  canon  dans  un  au- 
tre endroit  ,  Ôc  ayant  fait  brèche ,  Armand  de  Clermont  fei- 
gneur de  Pile  , ,  donna  l'afiaut,  ôc  fe  rendit  maître  de  la  ville. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.         nP 

Antoine  de  Pons  s'étant  retiré  dans  le  château  avec  fa  garni-  m.». ■»«.«.■— 
fon,  fut  bien-tôt  obligé  de  fe  rendre.  On  l'envoya  à  la  Ro-  Charle 
chelle  fous  bonne  efcorte ,  ôc  on  laifTa  Boeffe  avec  quelques       I X. 
troupes  dans  le  château.  Les  Religionaires  étoient  déjà  mai-     i  j  5  8. 
très  de  Saintes  y  de  Saint  Jean  d'Angely  ^  ôc  de  Tailiebourg. 
Ce  château  ^  quieft  fur  la  Charante,  appartient  à  la  maifon  de 
la  Trimoùille  :  Romegou  frère  de  Bourdeille ,  qui  fut  tué  au 
fiége  de  Chartre ,  s'en  étoit  emparé  il  y  avoit  long-tems.  La 
paix  ayant  été  faite  depuis ,  on  n'avoit  jamais  pu ,  ni  par  négo- 
ciation ni  par  menaces ,  l'obliger  à  la  rendre.  Voilà  pourquoi 
il  étoit  entre  les  mains  des  Proteftans.  Ils  furprirent  dans  ce     p^jf^  ^c 
même  tems  la  ville  de  Blaye  fituée  à  l'embouchure  de  la  Ga-     Biayc. 
ronne,  place  très-forte  &  d'une  grande  importance:  on  y  mit 
Pardaillan  avec  une  bonne  garnifon.  Par  ce  moyen  les  Pro- 
teftans étoient  prefque  entièrement  maîtres  de  la  Saintonge  ,  de 
l'Angoumois  Ôc  du  Poitou ,  ôc  après  s'être  vus  peu  de  tems  au- 
paravant dans  un  très-grand  péril ,  ils  fe  trouvoient  tout  d'un 
coup  au  comble  de  la  profperité.  Ils  avoient  fouvent  à  la  bou- 
che un  mot  que  Themiftocle  difoit  pendant  fon  exil  3  pour  fa 
confolation  ôc  pour  celle  des  gens  qui  étoient  avec  lui  :  jefe- 
rois  -perdu  i  fi  je  n'avois  été  perdu.  Mais  ils  firent  une  faute,  qui 
troubla  le  cours  de  leurs  profperitez.  Les  troupes  que  le  fieur 
de  Mouvans  leur  amenoit ,  n'ayant  pas  fait  affez  de  diligence , 
furent  taillées  en  pièces  par  celles  du  Roi.  C'eft  ce  que  je  vais 
raconter ,  en  reprenant  les  chofes  de  plus  haut. 

Condé  en  partant  de  Noyers  avoit  écrit  en  Dauphiné,  en 
Provence ,  en  Languedoc ,  ôc  en  Gafcogne  ,  à  ce  qu'ils  ap- 
pelloient leurs Eglifes.  Illeur  expofoit  la  grandeur  du  péril  où 
il  fe  trouvoit  ,  ôc  les  prioit  de  faire  les  derniers  efforts  pour  le 
fecourir.  Afin  de  preffer  cts  fecours ,  il  envoya  Saint  George 
fleur  de  Verac ,  Ôc  plufieurs  autres  couriers  dans  la  fuite.  Ces 
lettres  eurent  leur  effet  :  les  levées  fe  firent  avec  une  ardeur 
infinie,  ôc  les  chefs  y  travaillèrent  à  fenvi;  les  peuples  aban- 
donnoient  tout ,  leurs  maifons ,  leurs  femmes  ,  leurs  enfans. 
Mais  fi  la  difficulté  fut  grande  pour  faire  des  foldats,  elle  le 
fut  bien  d'avantage  pour  les  raflembler  dans  un  même  lieu  : 
enfin  lorfque  cela  fut  fait ,  on  en  donna  le  commandement  gé- 
néral à  Jacque  de  Cruffol,  feigneur  d'Acier  \  Le  Dauphiné 

1  II  quitta  depuis  le  parti  des  Protef-    j    ne  de  CrufToI,  premier  duc  d'Ufez, 
ans,  après  la  more  de  fon  frère  Antoi-    )    dont  il  étoit  héritier. 

Yyyij 


540  HISTOIRE 

I-  fournit  trois  cornettes  de  cavalerie  ôc  fept  regimens  d 'infan- 

Ch  AR  I  F  ^^^^^'  -^^^  Colonels  étoient  Louis  Dupuy  de  Monbrun  ,  An- 
jy        cône   de  Saint  Romain,  Virieu,  de  Blacons ,  Mirabel,  de 
u  ç  /a      Chelar ,  &  d'Oroze  ?  tout  cela  faifoit  foixante-quinze  compa- 
^       *    gnies.    Paul  Richien  lieur  de  Mouvans  amenoit  de  Provence 
dix  compagnies  d'infanterie ,  &  deux  cornettes  de  cavalerie 
commandées  par  Valavoire  &  par  Pafquiers.  On  leva  en  Lan- 
guedoc trente-cinq  compagnies ,  dont  on  fît  quatre  regimens 
commandez  par  Baudiné  frère  de  d'Acier.  Il  y  avoir  outre 
cela  les  quatre  cornettes  des  fieurs  d'Acier  ,  ôc  de  Boûillar- 
gues ,  du  chevalier  d'Ambre  ,  &  de  Spondillan  ,  Ôc  deux  re- 
gimens faifant  dix-huit  compagnies  ,  levez  dans  le  Vivarez  ôc 
dans  le  Roûergue  ,  ôc  commandez  par  Pierre  de  Gourgues  ^ 
ôc  par  le  vicomte  de  Panât ,  avec  cent  hommes  de  cavalerie 
•   légère  ,  commandez  par  Thoiras  :  tout  cela  enfemble  formoit 
^23000  hommes. 

Sur  le  bruit  de  leur  marche ,  Bertrand  de  Simiane  de  Cor- 
des ,  gouverneur  du  Dauphiné  ,  vint  à  Montelimar  ,  pour  les 
empêcher  de  pafler  le  Rhône  :  il  avoit  équippé  quelques  pe- 
tits bâtimens ,  qui  alloient  de  côté  ôc  d'autre  fur  ce  Heuve  ,. 
pour  inquiéter  les  troupes  qui  s'aflembloient  fur  fes  bords. 
Pour  remédier  ,  à  cela  les  chefs  des  Proteflans  furent  d'avis  de 
prendre  ou  de  fortifier  deux  endroits  ,  dont  la  fituation  fût 
avantageufe ,  d'y  donner  rendez-vous  à  toutes  leurs  troupes  , 
ôc  de  pafTer  ce  fleuve  avec  des  pontons.  Pour  cet  effet,  Chan- 
gy  fe  faifit  d'abord  du  château  Pyrauld ,  qui  eft  dans  le  Vi- 
varez, un  peu  au-deffous  de  Vienne.  De  Cordes  ordonna  au 
Gouverneur  de  Lyon  d'y  marcher  avec  du  canon.  Sur  les  inf- 
tances  de  Changy,  Saint  Romain  fe  hâta  d'arriver ,  accourut 
avec  fa  troupe  ,  ôc  paffa  heureufement ,  avant  que  le  canon  fiît 
arrivé.  Du  Pont  ôc  Des-Oulieres  fe  faifirent  d'une  petite  pla- 
ce nommée  Bais ,  fituée  un  peu  au-deffous  fur  la  rivière  de 
Bais.  Toutes  les  troupes ,  qui  venoient  de  Valence  ,  de  Gap 
ôc  de  Die  ,  pafferent  en  cet  endroit  fans  obftacle.  Mouvans  ar- 
riva un  peu  plus  tard  :  ce  qui  le  retarda  fut  un  certain  Senas , 
ôc  un  miniftre  de  Merindol ,  qui  lui  jetterent  quelques  fcru- 
pules  dansl'efprit,  foûtenantque  cette  guerre  ne  fe  faifoit  point 
pour  la  religion  ,  mais  pour  des  inimitiez  ôc  des  querelles  parti- 
culières.Enfin  il  arriva  au  bord  du  Rhône,  ôc  ayant  eu  une  légère 
efcarmouche  avec  les  petits  bâtimens  qui  alloient  ôc  venoiemfur 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLIV.        541 

ce  fleuve,  il  fit  élever  à  la  hâte  un  Fort  à  trois  angles,  aflez  grand 
pour  contenir  mille  hommes  5  il  étoit  flanqué  de  fept  petits  Ch  arle 
baftions.  Les  foldats  y  travaillant  jour  ôc  nuit,  &  combattant       j  x 
d'une  main,  pendant  qu'ils  travailloient  de  l'autre,  le  Fort  fut     i  ^  (5  8, 
bien-tôt  en  état  de  défenfe.  Le  régiment  de  Provence,  Mira- 
bel ,  Blacons ,  Ancone  ,   Monbrun  6c  d'Orofe  paflerent  le 
Rhône  fans  péril ,  parce  que  de  Gordes ,  qui  craignoit  pour 
Creft,  Dio  ôc  Loriol,  qu'il  avoir  laiflez  derrière  lui,  avoir  pris 
le  parti  de  retourner  en  Provence.  Les  Confédérez  n'atten- 
doient  plus  que  la  Coche  ,  qui  amenoit  environ  fept  cens  mouf- 
quetaires  ,  qu'il  avoir  levez  dans  les  montagnes  :  mais  comme 
il  n'arriva  point,  foit  qu'on  l'eût  averti  trop  tard  ,   foit  pour 
quelqu'autre  raifon,  Chelar,qui  étoit  refté  le  dernier  dans  le 
Fort,  y  étant  encore  demeuré  un  jour  ôc  une  nuit ,  l'abandon- 
na ôc  paflli  de  l'autre  côté  :  c'eft  ce  qu'on  a  depuis  appelle  le 
Fort  de  Mouvans. 

Cependant  Virieu  ôc  Changy  ,  qui  avoient  pafle  le  Rhône 
les  premiers  à  Pyrauld ,  s'emparèrent  d'Annonay  ,  dont  nous 
avons  fouvent  parlé  dans  la  première  guerre  civile  5  ôc  ils  y 
reçurent  tout  ce  qui  venoit  du  Forets  ôc  des  environs.  De  là 
ils  marchèrent  à  Aubenas ,  entrèrent  dans  les  Cevenes  ,  ôc  arri- 
vèrent à  Alais.  Saint  Romain,  qui  avoir  amené  jufques-là 
les  troupes  du  Dauphiné>  fe  démit  du  commandement,  ôc  le 
remit  entre  les  mains  de  Virieu.  Toutes  les  troupes  s'étant  af- 
femblées  en  cet  endroit ,  elles  fe  mirent  en  marche  vers  le 
Roùergue  ,  ôc  arrivèrent  en  cinq  jours  de  marche  à  Millau  , 
où  Antoine  du  Pleix  feigneur  de  Gremian  s'étoit  rendu  par 
ordre  de  d'Acier ,  pour  tacher  d'engager  la  ville  à  fe  joindre 
aux  Confédérez.  D'Arpajon,  Thoiras ,  Panât,  ôc  ATontaigu, 
ayant  paflé  le  Tarn  fur  un  pont,  y  vinrent  joindre  d'Acier.  On 
tint  confeil  fur  ce  qu'il  y  avoit  à  faire  :  mais  les  quatre  vi- 
comtes ne  paroiflantpas  difpofez^à  fortir  du  Quercy ,  ÔcMon- 
clar  d'ailleurs  ayant  afl^uré  que  le  prince  de  Condé  lui  avoit 
écrit ,  qu'il  étoit  dans  la  réfolution  de  les  venir  trouver ,  ils  al- 
lèrent pafler  le  Lot  à  Cadenac. 

On  détacha  Moreau  maréchal  de  Camp ,  pour  aller  fonder 
le  gué  de  Soiiillac  :  mais  il  fut  pris  par  Galeot  de  la  Tour  vi- 
comte de  Limeuil  auprès  de  Gramat,  où  MonlucMonfalez, 
ôc  Defcars  s'étoient  rendus.  Ayant  été  mené  à  Monluc  ,  ii 

Y  y  y  ii  j 


542  HISTOIRE 

m.uj^.««ja-M»  ]ui  dit  que  d'Acier  appi'ochoit ,  &  ce  qu'il  avoit  de  troupes. 

Charle  •^o"^'^^  voyant,  parce  que  lui  difoit  Moreau^que  tout  ce 
T  X        *î^^  Joyeufe   ôc   les  autres  chefs  des  Catholiques  lui  avoient 
/n      dit  fur  le  nombre  de  ces  troupes,  étoit  faux,  ôc  qu'il  n'auroit 
*     point  affaire,  comme  on  le  lui  avoit  fait  entendre,  à  fix mille 
foldats  de  nouvelles  levées,  ôc  à  des  troupes  de  femmes,  d'en- 
fans  ôc  de  Goujats ,  réfolut  de  les  combattre  au  partage  de  la 
Dordogne ,  dans  quelque  endroit  qui  pouvoit  leur  être  defa- 
vantageux.  Il  prit  là-deffus  les  avis  d'Heâor  de  Pardaillande 
Gondrin ,  de  Lomagne  Terride  ,  de  Jean  de  Nogaret  la  Va- 
lette )  d'Armand  de  Gontaud    de  Biron  maréchal  de  Camp , 
de  Sainte  Colom.be ,  de  Limeuil ,  de  Maffei ,  de  Defcars  mê- 
me ,  ôc  de  ?vionfalez.  Celui-ci  s'y  oppoioit  fortement ,  foûte- 
nant  qu'il  falloit  exécuter  fur  le  champ  l'ordre  du  Roi  ,  qui 
portoit  que  les  troupes  de  Guienne  allaffent  fans  délai  joindre 
le  duc  de  Monpenfier. 

Les  autres  chefs  n'obéïrent  pas  d'abord  à  ces  ordres.  Mais 
Monfalez  ,  qui  afpiroit  à  l'honneur  de  conduire  ce  fecours  , 
ayant  trouvé  le  moyen  de  faire  venir  un  fécond  ordre  de  la 
Cour,  Monluc  lui  remit  les  troupes,  comme  il  le  dit  lui-mê- 
me dans  fes  Commentaires  ,  ôc  piqué  de  ce  qui  venoit  d'ar- 
river ,  il  donna  fon  infanterie  à  Fabien  fon  iiis  Chevalier  de 
Malte  ,  ôc  fe  retira  à  Gourdon.  Pendant  ce  tems-là  les  Ccn- 
fédérez  avançoient  toujours ,  ôc  faifoient  chercher  des  guez , 
afin  de  pafler  la  Dordogne.  Comme  les  troupes  du  Roi  s'é- 
toient  retirées ,  ils  la  palîerent  fans  oppofition  le  quatorzième 
jour  d'Odobre,  ôc  vinrent  à  Soùillac,  de  là  à  Benac  ôc  à 
S.  Châtier  en  Perigord  ,  fans  être  attaquez  ,  ôc  ils  y  pafferent 
la  rivière  de  l'Ifle. 

Le  duc  de  Monpenfier  étoit  déjà  arrivé  à  Perigueux  ,  fitué 
fur  cette  rivière,  après  avoir  fait  la  revue  de  fon  armée  à  Châ- 
teileraud  en  Poitou ,  où  étoit  le  rendez-vous  général  de  tou- 
tes fes  troupes.  Martigues  ,  Guife  Ôc  Briflac  menoient  l'avant- 
garde  j  Monpenfier  étoit  au  corps  de  bataille  ôc  marchoit  le 
long  de  la  Vienne.  Quelques  troupes  des  Confédérez  com- 
mandées par  Puy-Vidal  ,  s'étant  logées  à  Confolans  ,  ôc  ne 
faifant  pas  bonne  garde,  y  furent  furprifes  ôc  taillées  en  pièces 
par  Briffac  :  mais  il  y  perdit  Engaravaques  ,  jeune  homme 
d'une  grande  valeur.  Monpenfier  étant  arrivé  à  Perigueux  ^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liy.  XLIV.         h? 

ôc  ayant  mis  fes  troupes  en  des  quartiers  voifms  de  la  place  * 

fit  des  détachemens, pour  apprendre  des  nouvelles  des  enne-  Pharle 

mis  :  on  lui  rapporta  que  d'Acier  n'étoit  qu'à  deux  lieues  de       ]  v 

lui ,  qu'il  étoit  arrivé  avec  Ion  armée  à  Saint  Châtier,  ôc  qu'il     ,  ^  /-  o 

avoit  poite  les  troupes  aux  environs,  de  manière,  qu  il  y  avoit 

deux  regimens  en  chaque  quartier;  que  Mouvans  ,  qui  étoit 

haut  &  fier ,  ne  pouvant  s'accommoder  avec  Baudiné  frère 

de  d'Acier,  &  général  de  l'infanterie  ,  s'étoit  campé  avec  Pier- 

regourde  auprès  de  Mefignac ,  affez  loin  du  refte  de  l'armée. 

On  prit  des  mefures  pour  l'y  enlever  :  pour  cela  il  fut  réfolu 

qu'on  iroit  droit  à  Saint  Châtier  ,  ôc  que  l'on  engageroit  le 

combat  avec  d'Acier  ,  pour  l'amufer  pendant  que  la  cavalerie 

tomberoit  fur  Mouvans  Ôc  fur  Pierregourde,  afin  que  d'Acier 

occupé  lui-même  à  fe  défendre,  ôc  coupé  par  les  troupes  du 

Roi ,  ne  pût  leur  donner  defecours. 

On  chargea  Briflac  de  cette  expédition.  II  parut  la  nuit 
avec  douze  censGensd'armes  ôc  autant  de  fantafiins  d'élite  ^ 
ôc  arriva  au  point  du  jour  auprès  de  Mefignac.  L'ardeur  d'en 
venir  aux  mains  penfa  lui  faire  perdre  l'occafion.  Car  Pierre- 
gourde  ayant  apperçu  les  ennemis,  donna  l'allarme  au  camp, 
ôc  fe  retrancha  dans  le  village ,  au  grand  regret  de  Mouvans, 
qui  vouloit  qu'on  allât  fur  le  champ  à  l'ennemi.  Dans  lemê- 
me-tems  Monpenfier  attaqua  vivement  d'Acier.  Celui-ci,  qui 
comprit  le  defifein  des  ennemis  ,  fe  défendit  vigoureufement  3 
ôc  envoya  d'Orofe  pour  dire  à  Mouvans  de  ne  point  fortir  de 
fon  pofte  ,  ôc  de  ne  point  engager  le  combat  ;  que  c'étoit  le 
moyen  défaire  échouer  le  delfein  de  Monpenfier  ;  que  les  en- 
nemis ,  fatiguez  du  combat  de  la  journée  ,  feroient  obligez  de 
fe  retirer  fur  le  foir  ;  Ôc  que  la  nuit  il  iroit  lui-même  à  fon  fe- 
cours ,  ou  y  envoyeroit  quelqu'un  avec  un  renfort  confidéra- 
ble.  Ce  confeil,  qui  étoit  fort  fage ,  fut  approuvé  par  Pierre- 
gourde,  ôc  Mouvans  s'y  étant  rendu  avec  beaucoup  de  peine, 
retint  quelque-tems  fes  troupes. 

BrifiTac  jugeant  qu'il  n'y  avoit  rien  à  faire ,  tant  que  les  en- 
nemis fe  tiendroient  dans  leur  pofte  ,  tacha  de  reparer  par  une 
rufe  la  faute  que  trop  de  précipitation  lui  avoit  fait  faire.  Sur 
le  midi  il  fait  fonner  la  retraite ,  comme  pour  s'en  retourner  ; 
ôc  ayant  tourné  tout  court  à  droite  ,  il  fe  pofta  derrière  une 
colline  ,  qui  le  déroboit  à  la  vue  des  ennemis.  Alouvans,qui 


Î44  HISTOIRE 

■  ctoit  l'homme  du  monde  le  plus  préfomptueux ,  jugeant  que 
C  H  A  R  L  E  ^^^  troupes  du  Roi  s'étoient  retirées ,  fait  fonner  la  marche  ôc 
I  X.  ^^  ^^^^  ^^  chemin  enfeignes  déployées ,  pour  aller  à  Riberac, 
1 5*  (î  8.  i'^'ialgré  les  remontrances  de  Pierregourde ,  qui  vouloir  qu'on 
attendît  jufqu'au  foir.  Mouvans  marchoit  à  la  tête  ,  Pierre- 
gourde  à  la  queue.  Ils  s'avancèrent  en  cet  ordre  juCqu'à  une 
forêt  voifine ,  à  l'abri  de  laquelle  ils  comptoient  marcher  dé- 
formais en  fureté  :  mais  lorfqu'ils  furent  éloignez  du  pofte  qu'ils 
venoient  de  quitter ,  ils  tombèrent  dans  l'embufcade  que  Brif- 
fac  leur  avoir  dreffée. 
Dctaitedes  Mouvans  reçut  d'abord  les  Royaliftes  de  fort  bonne  grâce, 
tiouj)cs  des  ôc  leur  tua  beaucoup  de  monde,  à  lafaveur  d'un  détachement 
?j!-"Briirac!  ^"^  Pierregourde  envoya  à  fon  fecours  j  mais  la  cavalerie  du 
Roi  s'étant  feparée  en  deux  corps  ,  ôc  ayant  chargé  en  flanc 
l'arriere-garde  qui  étoit  découverte  ,  les  Religionaires  fe  mi- 
tent en  defordre  j  ôc  malgré  les  efforts  des  chefs  qui  fe  défen^ 
dirent  avec  une  valeur  extrême,  ils  furent  taillez  en  pièces 
avec  un  grand  carnage.  Ceux  qui  purent  échapper  fe  fauve- 
rent  dans  le  village  ou  dans  la  forêt  voifine.  Mouvans  fut  tué  : 
ce  fut  la  jufte  récompenfe  de  fa  témérité ,  ôc  Pierregourde  , 
dont  les  fages  confeils  meritoient  un  plus  heureux  fort  ,  eut 
la  même  deftinée.  Il  y  eut  plus  de  mille  hommes  tuez  du 
côté  des  Confédérez ,  ôc  dix-fept  drapeaux  pris.  Du  côté  de 
Briffac  il  y  eut  peu  de  morts  :  Jacque  de  la  Châtre  de  Sillac 
frère  de  Claude  de  la  Châtre ,  dont  j'ai  fi  fouvent  parlé,  y  fut 
tué  :  la  mort  de  cet  homme  feul  pouvoir  être  regardée  comme 
une  grande  perte.  Ce  jeune  homme,  qui  avoir  un  efprit  culti- 
vé par  les  lettres  »  Ôc  une  valeur  qui  eft  héréditaire  à  fa  maifon, 
étoit  capitaine  des  gardes  du  duc  d'Anjou  :  il  fe  trouva  à  ce 
combat  à  la  tête  de  quelques-uns  de  ces  gardes.  Les  enne- 
mis commençant  à  plier  ,  il  les  chargea  avec  un  peu  trop  d'ar- 
deur, ôc  comme  ils  s'étoient  couverts  d'une  haye  ,  il  la  fit  fau- 
ter à  fon  cheval:,  qui  étoit  vigoureux.  Mais  n'étant  fuivi  de 
perfonne  Ôc  fon  cheval  ayant  été  tué  fous  lui ,  il  reçut  un  coup 
de  lance  au  travers  du  corps ,  dont  il  fut  tué. 

Briffac  ayant  heureufement  exécuté  cette  entreprife ,  fe  ren- 
dit fur  le  foir  au  camp  du  duc  de  Monpenlier  ,  qui  lui  donna 
de  grands  éloges.  L'armée  refta  encore  trois  jours  à  Perigueux, 
pour  fe  refaire.  D'Acier  arriva  le  lendemain  à  Riberac ,  où  il 
^  fut 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XLIV.        ^45- 
fut  joint  par  environ  mille  foldats  qui  étoient  échappez  de  la  de-  «^ 


faite  de  Mouvans.  On  tint  confeil  fur  ce  qu'il  y  avoir  à  faire.  Char  LE 
Quelques-uns ,  par  un  fentiment  peut-être  trop   humain,  vou        j^ 
loient  qu'on  y  reftât  jufqu'a  ce  qu'on  pût  raffembler  tous  ceux     1  ^  <5  s. 
qui  croient  échappez  du  dernier  combat  ,  &  qui  alloient  être 
expofez  à  la  cruauté  des  payifans ,  dès  que  l'armée  feroit  éloi- 
gnée :  mais  on  s'en  tint  au  parti  le  plus  fur,  qui  étoitde  gagner 
su  plus  vite  Aubeterre  ,  pour  joindre  l'armée  de  Condé.  Ce 
Prince  y  joignit  d'Acier  le  premier  de  Novembre  ,  &  fon  armée 
étant  alors  la  plus  forte  ,  ce  fut  à  Monpcnfier  à  reculer  ,  &  aux 
Confédérez  à  le  pourfuivre  à  leur  tour  i  ils  le  firent  très-vive- 
ment. 

Monpenfier  gagna  Monmorillon  en  fix  jours  de  marche  , 
èc  après  y  avoir  féjourné  deux  jours ,  il  détacha  la  Valette  avec 
un  corps  de  troupes  armées  à  la  légère  ,  afin  d'arrêter  Coligny 
par  des  efcarmouches:  pour  lui  il  gagna  Chatelieraud.  Cepen- 
dant Coligny  alFiégea  Chauvigny  fur  la  Vienne  i  la  ville  étant 
prife,  Paffat  rendit  le  Château ,  à  condition  d'avoir  la  vie  fauve. 
Coligny  y  fit  mettre  le  feu  ,  afin  que  les  Catholiques  ne  puf- 
fent  s'en  fervir ,  ôc  il  fe  retira.  Le  duc  d'Anjou  étoit  arrivé 
avec  une  armée  de  12000  hommes  de  pié  ,  Ôc  de  4000  che- 
vaux, fans  compter  les  SuiiTes,  qui  menoient  avec  eux  un  grand 
train  d'artillerie.  Monpenfier  l'ayant  joint,  ôc  Boucard  d'un 
autre  côté  ayant  joint  les  Confédérez  avec  un  corps  d'infan- 
terie qu'il  amenoit  de  Pons  ,  Condé ,  dont  l'armée  étoit  forte  de 
iSooQ  faïuaflins ,  ôc  de  3000  chevaux ,  réfolut  d'aller  à  la  ren- 
contre du  duc  d'Anjou. 

11  arriva  que  les  deux  avant-sjardes  marchant  du   côté  de  ,^^^,^''°"r^^ 

T      r  '       j  /  1  /    1  j      r^  ,     .  du    Roi    lont 

l^ungnan  ,  précédées  par  les  maréchaux  de  Camp  ,  voul'jient  battues  pai  le 
toutes  deux  occuper  le  même  pofte.  Les  détachemens  de  l'ar-  priii^e  de 
mce  du  Koi  étant  arrivez  les  premiers  a  ramprou  ,  a  cinq 
lieues  au-deflbus  de  Poitiers ,  ceux  de  l'armée  des  Confédérez 
y  arrivèrent  prefque  aufiTi-tôt  :  il  y  eut  quelques  efcarmouches 
de  part  ôc  d'autre.  Mais  Coligny  ôc  d'Andelot  fon  frère  étant 
furvenus  ,  Martigues ,  qui  commandoit  la  première  ligne  de 
l'armée  fous  Monpenfier  ,  fe  retira  ,  ôc  fe  mit  en  bataille  dans 
la  plaine  qui  eft  au-deflbus  ,  ayant  jette  des  moufquetaires 
dans  un  bois  voifin  pour  prendre  les  Confédérez  en  fianc  ,  ôc 
faire  feu  fur  eux.  Ceux-ci  voulant  les  chaffer  de  ce  pofte. 
Tome  F.  Z  z  z 


S^6  HISTOIRE 

prennent  quatre  cens  volontaires  du  régiment  de  Montgom- 
7^  mery  ,  ôc  les  y  envoyent  fur  les  trois  heures  après  midi.  Le 

jy         combat  fut  rude:  les  troupes  du  Roi  fouffrirent  le  plus,  ôc  il 
,*o      y  eut  environ  cinquante  hommes  de  tuez  de  leur  côté?  mais 

^  '  le  nombre  des  bleffez  fut  beaucoup  plus  grand.  Enfin  la  nuit 
féparales  combatans.  La  Noue  écrit ,  que  l'armée  du  Roi  per- 
dit là  une  belle  occafîon  de  remporter  un  avantage  confidéra- 
ble  ,  en  ce  qu'ils  crurent  trop  légèrement  que  toute  l'armée 
du  prince  de  Condé  étoit  à  Pamprou  ;  de  forte  que  le  com- 
bat ayant  été  engagé  par  la  témérité  de  celui  qui  comman- 
doit  les  moufquetaires  à  cheval,  d'Andelot  ôc  Coligny  furent 
très  -  embarraiïez  ,  &  fe  trouvèrent  même  de  fentiment  con- 
traire :  le  premier  étoit  d'avis  de  faire  retraite  >  &c  le  fécond 
de  faire  ferme.  Si  dans  ce  moment  l'armée  catholique  eut  char- 
gé avec  toutes  fes  forces  les  ennemis ,  elle  auroit  taillé  en  pie- 
ces  toute  leur  avant-garde. 

Martigues  trouvant  fon  pofte  defavantageux ,  fongea  à  fe 
retirer  à  la  faveur  de  la  nuit ,  ôc  pour  le  faire  avec  plus  de  fu- 
reté ,  ôc  tromper  les  ennemis  ,  il  ordonna  à  tous  les  tambours 
de  battre  la  marche  des  Suiifes ,  pour  faire  croire  à  l'ennemi 
que  ceux  de  cette  nation  ,  qui  étoient  demeurez  à  Jafeneùil 
avec  le  duc  d'Anjou,  venoient  d'arriver:  il  fit  dans  la  même 
vi^ië  attacher  des  mèches  allumées  aux  hayes  ôc  aux  arbres  épars 
ça  ôc  là  ,  ôc  allumer  des  feux  de  tous  cotez.  Tout  étant  ainlî 
difpofé,  il  décampa  iluis  bruit,  ôc  réjoignit  le  duc  d'Anjou  , 
fans  autre  perte  que  celle  de  quelques  bagages.  A  fon  arri- 
vée il  envoya  une  partie  de  fes  troupes  à  Sanzay ,  qui  n'eft  éloi- 
gné de  Jafeneùil  que  d'une  lieuë.  Condé ,  qui  ignoroit  la  re- 
traite des  troupes  du  Roi ,  paffa  la  nuit  dans  une  grande  in- 
quiétude. Ayant  fçû  au  point  du  jour  qu'ils  étoient  décampez, 
il  réfolut  de  les  fuivre  ôc  de  hazarder  un  combat  à  quelque 
prix  que  ce  fût.  Il  fit  manger  fes  troupes  ôc  fe  mit  en  marche. 
Il  y  avoir  deux  chemins ,  fun  qui  alloit  à  Jafeneiïil ,  ôc  l'au- 
tre à  Sanzay.  Cela  joint  à  un  brouillard  épais ,  qui  ne  fedif- 
fipa  que  vers  le  midi  ,  fut  caufe  qu'ils  s'égarèrent.  Coligny 
ayant  été  détaché  avec  un  corps  d'élite  pour  gagner  Sanzay, 
Condé  ,  qui  devoit  le  fuivre  avec  toute  l'armée  ,  prit  maiheu- 
reufement  l'autre  chemin  ,  ôc  ne  reconnut  fon  erreur  ,  que 
lorfqu'ii  fut  près  de  Jafeneiiil.    Comme  il  n'étoit  ni  honorable 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.       5-47 

ni  fur  de  fe  retirer  en  préfence  de  l'armée  ennemie,  il  mit  en  , 

bataille  toute  fon  infanterie ,  qui  faifoit  environ  1 2000  hommes,  c  h  a  r  i  f 

ôc  commença  le  combat ,  ayant  envoyé  ordre  à  Coiigny  de  TV 

le  venir  joindre  au  plutôt.  i  c  5  8 

Le  duc  d'Anjou  de  fon  côtéfemet  en  bataille,  ôc  fait  pla-  Combat en- 

cer  fon  canon  de  manière  qu'il  incommodoit  extrêmement  ^[^  ^^  ^"c 

15  ^      j       Tt  '  •/•  /         -x-        r-i^  V  .    d'Anjou  &  le 

armce  du  rrmce,  qui  etoit  rangée  vis-a-vis.  Coiigny^  ,  qui  p,,nce  de 

n'avoit  pas  encore  vu  ceux  que  le  prince  de  Condé  lui  avoir  Condé. 
envoyez  pour  le  faire  venir  ,  jugea,  par  le  bruit  du  canon,  de 
ce  qui  étoit  arrivé ,  ôc  laiffant  les  troupes  royales  qui  étoient 
à  Sanzay  ,  ôc  qu'il alloit  tailler  en  pièces,  il  marcha  en  diligen- 
ce au  fecours  du  Prince  ôc   le  joignit  à  l'entrée  de  la  nuit. 
Toute  la  journée  s'étoit  paffée  en  efcarmouches  ,  tantôt  entre 
des  moufquetaires  des  deux   partis ,  qui  s'attaquoient  tour  à 
tour  au  milieu  des  buiflbns  ôc  des  ronces ,  tantôt  entre  de  gros 
pelotons  d  infanterie ,  qui  marchoient  à  découvert  :  pendant 
ce  tems-là  le  canon  ne  ceffoitde  tirer,  lentement  à  la  vérité, 
mais  prefque  toujours  à  coup  fur.  Guife  fe  prefenta  plufieurs 
fois  avec  de  la  cavalerie  î  mais  perfonne  ne  paroifTant  de  l'au- 
tre côté  ,  il  n'entreprit  rien,  Monfalez  s'avança  auffi  avec  cin- 
quante gens-d'armes.  Maisd'Andelot  ayant  envoyé  contre  lui 
la  Perrière  avec  une  troupe  de  moufquetaires  à  cheval ,  qui 
dévoient  être  foûtenus  par  Montgommery  ,  il  ne  jugea  pas  à        ^ 
propos  de  les  attendre.  L'infanterie  feule  combattit  5  il  y  eut 
beaucoup  de  monde  tué  de  part  ôc  d'autre ,  ôc  encore  plus  de 
bleffez  :  la  perte  ôc  le  péril  furent  affez  égaux  ,  ôc  aucun  des 
partis  n'eut  lieu  de  s'attribuer  la  vi6toire. 

A  mefure  que  les  troupes  du  Prince  s'étoient  avancées ,  les     les  Cou- 
bagages  en  avoient  fait  autant.  Les  valets  ôc  les  goujats  s'ar-  jf^^j*.  'donnent 
rcterent  dans  les  bois  ,  ôc  y  allumèrent  des  feux,  fans  fe  mettre  deux  armées, 
en  peine  de  leurs  maîtres ,  qui  étant  extrêmement  fatiguez  de 
tous  les  mouvemens  qu'il  avoitfalu  faire  depuis  plufieurs  jours, 
furent  obligez  de  fe  paffer  cette  nuit-là  de  leurs  bagages  ,  ôc 
les  comptèrent  même  perdus.  Au  milieu  de  la  nuit  Condé  dé- 
tacha quatre  efcadrons,  pour  en  apprendre  des  nouvelles.  Lorf- 
qu'ils  virent  tous  ces  feux  qui  étoient  allumez  dans  le  bois  , 
ils  crurent  que  c'étoit  le  duc  d'Anjou  qui  décampoit  i  ce  qui 
les  obligea  de  s'arrêter.  Les  troupes  du  Roi  de  leur  côté  ne 
doutant  pas  que  ce  ne  fût  l'armée  du  Prince,  qui  étoit  venu 

Z  zz  ij 


3-4^  HISTOIRE 

■  cavnper  anprè5  d'eux ,  furent  toute  la  nuit  fous  îe^  armes.  Ce> 
Charle  p£ri^^i"it  ce  n'étoit  que  des  valets  ôc  des  goujats,  qui  s'érant 
j^         poftez  entre  les  deux  armées  ,  paflfoient  la  nuit  à  boire  Ôc  à 
i  r  ^  S.     fe  divertir.  Les  quatre  efcadrons  détachez  par  Condé,  ayant  en- 
tendu leurs  difcours  ôc  le  bruit  qu'ils  failbient  ,   fe  doutèrent 
de  ce  que  c'étoit,ôc  s'approchèrent.  Ces  goujats  ,  qui  ne  les 
connoiflbient  point  ,  les  faluerent  à  coups  d'arquebufe.  On 
leur  cria  de  refpeder  leurs  maîtres  j  alors  effrayez  du  péril  où 
ils  fe  trouvoient ,  ils  plièrent  bagage  fans  bruit,  ôcs'en  allèrent 
au  camp.  Les  Généraux  rirent  beaucoup  de  cette  avanture. 

Le  lendemain  les  deux  armées  décampèrent.  Le  duc  d'An- 
jou prit  la  route  de  Poitiers  avec  fes  bleffez  ,  qui  moururent 
prefque  tous  en  chemin  ,  ce  qui  fit  croire  aux  troupes  du  Roi 
que  les  ennemis  avoient  empoifonné  leurs  balles.  Le  régi- 
ment de  Briffac  étcit  logé  à  Aufence  ,  dont  le  château  appar- 
tenoit  au  Gouverneur  de  Metz.  Les  foldats  fe  promenant  fans 
précaution  dans  le  bourg  y  furent  furpris  par  Coligny ,  qui  en 
tua  environ  deux  cens ,  le  refte  fe  fauva  dans  le  château ,  oii 
ils  auroient  été  pris,  fans  le  fecours  qui  leur  vint  de  Poitiers» 
^  Le  prince  de  Condé  ayant  décampé  ,  s'empara  de  Mirebeau, 
petite  ville  du  baillage  de  Saumur,  Ôc  de  la  province  d'An- 
jou. Portail,  Tréforier  de  France  ,  qui  avoit  été  quelque-tems 
auparavant  emprifonnc  à  Paris  pour  la  religion ,  ôc  mis  en  li- 
berté depuis ,  y  vint  trouver  ce  Prince,  ôc  l'exhorta  à  la  paix 
au  nom  du  Roi  ôc  delà  Reine  ,  lui  infinuant  que  c'étoit  à  lui  à 
faire  les  premières  démarches.  Condé  lui  fit  réponfe  ,  devant 
tous  les  Seigneurs  de  fa  fuite  ,  qu'on  l'avoit  forcé  à  prendre  les 
armes  ,  ôc  que  ce  n'étoit  point  contre  le  Roi  qu'il  les  avoit  pri- 
fcs ,  mais  contre  fes  ennemis,  ôc  en  particulier  contre  le  car- 
dinal de  Lorraine,  auteur  de  tous  les  troubles  :  Que  ce  n'étoit 
pas  même  pour  l'attaquer ,  mais  uniquement  pour  fe  défendre  : 
Que  voyant  avec  une  extrême  douleur ,  que  le  Roi  étoit  tou- 
jours invefti  de  ces  méchans  hommes ,  il  avoit  réfolu  avec 
l'aide  de  Dieu  ,  d'aller  jufqu'à  lui ,  ôc  d'expofer  à  fa  Majeftéce 
quil  vouloir  lui  demander.  C'efI:  ainfi qu'il  congédia  Portail: 
en  même-tems  il  le  chargea  de  rendre  au  Roi  une  lettre  pleine 
d'inve£lives  contre  les  Guifes,  ôc  d'affurer  le  Roi  Ôcla  Reine, 
que  fi  on  vouloir  prendre  des  mefures  juftes  pour  aflurer  la 
liberté  de  confcience ,  lui  ôc  tout  fon  parti ,  quelque  puiffaiit 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLIV.       Hp 

■qu'il  fût ,  étoient  difpofez  à  fe  foûmettre  aux  conditions  de        i  i 

paix  qu'il  plairoit  au  Roi  de  leur  impofer.  CharlE  ■ 

Il  longea  enfuite  à  fe  rendre  maître  d'un  porte  fur  la  Loire,        j  v  ! 

qui  partage  pour  ainfi  dire  le  Royaume  en  deux  5  fa  vûë  en     j  r  58,  1 

cela  étoit  d'avoir  la  liberté  de  palTer,  quand  il  voudroit,  de  lun  '  \ 

ou  de  l'autre  côté  de  cette  rivière.  Dans  ce  deffeiu,  iltraver-  1 
fa  les  terres  des  environs  de  Thouars ,  &  vint  camper  auprès 
de  Champigny ,  qui  étoit  le  principal  château  du  duc  de  Mont- 
penfier  :  l'ayant  forcé,  il  y  prit  un  Cordelier  nommé  Babelor, 

qu'il  fit  pendre  >  parce  que  c'étoit  lui  qui  avoit  exhorté  la  gar-  i 

nifon  à  fe  défendre,  Montpenfier  en  fut  vivement  piqué,   ôc  | 

ifvengea  fa  mort  par  celle  de  beaucoup  de  Proteftans  j  qui  tom-  j 

berent  entre  fcs  mains.  i 

Condé  prit  de  là  fa  route  vers  Saumur  :  le  duc  d'Anjou  au 
contraire  ayant  été  renforcé  par  les  troupes  de  Guillaume  comte 

de  Joyeufe  lieutenant  de  Henri  de  Montmorenci  Damville ,  : 

tira  du  côté  de  Loudun  ,  dont  les  Proteftans  étoient  maîtres,  i 
à  deflein  de  couper  les  vivres  à  leur  armée.  Pour  faire  croire 
qu'il  en  vouloit  faire  le  fiege ,  il  commença  par  fonimer  la  gar- 

nifon  de  fe  rendre,  mais  en  même  temsil  détacha  les  comtes  . 

du  Lude  &  de  Briffac  avec  un  corps  de  fept  mille  hommes  pour  i 
reprendre  Mirebeau.  Les  murs  &  les  foflez  de  la  place  ne  va- 
loient  rien  :  le  Prince  y  avoit  mis  la  Borde  avec  quatre  cens 

hommes  des  troupes  du  Languedoc  ôc  du  Dauphiné.  Mais  il  i 

y  avoit  à  un  coin  de  la  ville  ,  fur  une  hauteur  qui  a  une  gran-  j 

de  étendue ,  un  château  très-fort  par  fon  affiette ,  où  il  y  avoit  j 

une  bonne  garnifon  ,  commandée  par  Pierre  de  Chuppes.  La  î 

Borde  ayant  refufé  de  fe  rendre ,  on  fit  venir  le  canon ,  qui  eut  | 

bien-tôt  fait  plufieurs  brèches.  L'alTaut  ayant  été  donné  en  plu-  ' 

fleurs  endroits  tout  à  la  fois,  la  garnifon,  après  avoir  perdu  en-  j 

viron  fix  vingts  hommes,  fe  fauva  dans  le  château.  On  le  fit  bat-    Mmlicres  Sâ  i 

tre  auffi-tôt  très-vivement ,  &  après  quelques  jours  de  fiége,  de  «^'^"^"^^^^«^e  ! 
Chuppes  capitula  avec  le  comte  du  Lude  a  des  conditions  tie. 

honnêtes,qui  furent  très-mal  obfervées.  Les  troupes  du  Roi  vou-  ! 

lurent  venger  alors  l'injure  qu'on  leur  avoit  faite  peu  de  tems  au-  i 

ravant  à  Meilej  ôc  la  vûë  de  la  Borde,  qu'ils  difoient  avoir  été  .  " 

prefent  au  carnage  des  Catholiques  fait  au  fac  de   cette  pia-  ] 

ce  ,  leur  en  rafraichilfant  la  mémoire  ,  ils  firent  main  baffe  fur  ' 
les  Proteftans ,  fans  aucun  égard  pour  la  capitulation.  La  Borde 

Zzz  iij 


Sso  HISTOIRE 

^  ayant  été  gardé  pour  le  lendemain ,  on  le  fît  mourir  très-cruel- 

C  H  A  R  L  E  ^^^^"'^^"'^  '  ^  ^'^^'^  i^^^^  enfuite  fon  cadavre  dans  la  rue ,  afin  qu'il 

j  Y         ^Lit  mangé  des  chiens.   On  mit  dans  le  château  de  Mirebeau 

^  g      la  Marche  de  Guitiniere  avec  unegarnifon  :  peu  de  tems  après 

on  lui   fubflitua  Guillaume  de  Hautemer  feigneur  de  Ferva- 

quesi  mais  il  n'y  demeura  pas  long- tems ,  &  Ton  mit  Villaine 

à  fa  place. 

Pendant  ce  tems-là  ^  Condé  étant  venu  camper  auprès  de 
Saumur,  ou  commandoit  Saint  Senar,  d'Andelot  fe  chargea 
de  fe  rendre  maître  du  monaftere  de  faint  Florent ,  qui  eft  au- 
près de  la  ville.  Le  lieu  eft  fort  par  fon  afîiete  3  ôc  il  y  avoit 
deux  cens  hommes  pour  le  défendre.  Après  quelques  jours  de 
fiégCj  la  Haye  ,  qui  y  commandoit,  s'étant  rendu  à  difcretion, 
fut  égorgé  avec  tous  fes  foldats,  pour  venger  le  carnage  tout 
récent  de  la  garnifon  de  Mirebeau.  Cependant  lesRoyaliftes 
prétendoient  juftifier  ce  malTacre  y  difant  que  les  Huguenots 
avoient  commencé  les  premiers,  à  violer  le  droit  des  gens  par  le 
fac  de  Melle. 

Le  duc  d'Anjou  s*avançant  vers  Loudun,avoit  pafle  à  Thouars 
&  à  Montreuil-Beliay ,  ou  il  trouva  des  vivres  en  abondance, 
A  l'approche  de  l'armée  Catholique  ,  d'Acier  fe  jetta  dans  la 
place  avec  fon  régiment.  Condé,  inquiet  du  péril  où  il  fetrou- 
voit,  ôc  d'ailleurs  bien  aife  de  trouver  l'occafionde  combattre* 
prend  la  route  de  Loudun,  ôc  fepofte  avec  toute  fes  troupes 
dans  les  fliuxbourgs.  Les  deux  armées  fe  trouvèrent  ainfi  en 
prefence,  ôc  elles  demeurèrent  quatre  jours  entiers  en  batail- 
les ,  à  la  portée  du  canon  ,  fans  qu'il  y  eût  entre  elles  ni  ruif- 
feau  ni  folié ,  ni  autres  bornes  qui  les  féparaflent ,  que  celles 
que  Ton  plante  pour  diftinguer  les  differens  héritages  de  la  cam- 
pagne :  mais  l'hiver  étoit  il  violent,  ôc  le  terrain  fi  couvert  de 
glace ,  que  les  chevaux  ôc  les  hommes  ne  pouvoient  ni  mar- 
cher, ni  fe  foutenir,  ôc  qu'il  y  en  avoit  plus  de  blefTez  par 
les  chutes  qu'ils  faifoient  i  que  par  les  coups  que  leurtiroient 
les  ennemis  :  d'ailleurs  quelque  animé  que  l'on  fût  de  part  ôc 
d'autre,  ôc  par  la  haine  ,  ôc  par  l'amour  de  la  gloire ,  quand  les 
membres  font  engourdis  parle  froid,  on  n'eft  guère  en  état 
de  combattre.  Il  n'y  avoit  même  que  la  prefence  des  Chefs, 
qui  pût  retenir  le  foldat  en  campagne  dans  une  faifon  fi  ri- 
goureufe.  Amfi  quoique  les  deux  armées  fuflent  fort  proches. 


D  E  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLIV.         5p 

il  ne  fe  fit  rien  de  mémorable ,  ôc  tout  aboutit  de  part  &  d'au-  ___ 

tre  à  quelques  volées  de  canon.  Ch  '\rle 

Leducd'Anjou  j  quiétoit  obligé  d'eflTuyer  la  rigueur  de  l'air  j^ 
dans  fon  camp ,  recevoit  tous  les  jours  des  lettres  de  fa  mère,  j  r  ^  g, 
qui  l'exhortoit  à  ne  point  bazarder  un  combat  général ,  &  à 
fe  contenter  de  tirer  la  guerre  en  longueur  ,  pour  fatiguer  l'en- 
nemi qui  n'avoit  ni  vivres  ni  argent.  Il  fe  retira  donc  le  pre- 
mier ,  Ôc  ayant  mis  une  petite  rivière  entre  lui  ôc  l'armée  des 
Confédérez ,  il  dillribua  fes  troupes  dans  des  quartiers  alTez 
étendus  pour  qu'elles  pufTent  s'y  refaire.  Dans  fa  retraite  une 
compagnie  de  fes  Suiifes  fut  taillée  en  pièces,  ôc  deux  compa- 
gnies Françoifes,  qui  s'étoient  amufées  à  boire  dans  un  village,  y 
furent  enlevées.  Les  troupes  du  Prince  fouffrirent  moins  ;  car 
comme  elles  étoient  logées  dans  les  fauxbourgs ,  elles  y  furent 
du  moins  à  l'abri  des  injures  de  l'air.  Coligny  croyant  qu'il 
pourroit  faire  quelque  entreprife  contre  les  Royaliftes,  qui 
étoient  dans  des  quartiers  éloignez  les  uns  des  autres ,  ôc  peu 
fur  leurs  gardes ,  partit  avec  douze  mille  hommes  de  pié ,  douze 
cens  chevaux,  ôc  quatre  petites  pièces  de  campagne,  ôc  alla 
droit  au  quartier  du  duc  d'Anjou  :  il  comptoit  que  le  ruifleau 
qui  féparoit  les  deux  armées,  ôc  dont  il  avoit  fait  fonder  les 
guez,  ne  feroit  pas  difficile  à  pafler^  il  fe  flattoit  d'ailleurs  que 
les  ennemis  n'y  feroient  pas  une  garde  bien  régulière.  Mais 
il  fe  trompa;  il  trouva  des  gens  qui  lui  difputerent  vigoureu- 
fement  le  paiTage,  qu'il  tenta  deux  fois ,  fans  fuccès.  Le  canon 
ayant  commencé  à  tirer  contre  lui ,  les  troupes  ennemies,  qui 
étoient  difperfées  ,  fe  rafTemblerent  au  bruit,  ôc  arrivèrent  aiïez 
àtemspour  rendre  fon  delTein  inutile.  En  même  tems  Bri (lac, 
qui  avoit  toute  la  faveur  du  duc  d'Anjou^  Ôc  qui  aimoit  les 
entreprifes  hazardeufes,  forma  ledeflein  d'enlever  d'Andelot 
ôcColigny,  qui  étoient  campez  à  Montreuil-Bellay.  La  Noue 
dans  fes  Commentaires  détaille  afiez  au  long  les  mefures  qu'il 
avoit  prifes  pour  cela  ;  mais  comme  il  manqua  fon  coup,  je 
ne  m'étendrai  pas  fur  les  circonftances. 

Cependant  les  deux  armées  murmurant  hautement,  difoienf 
que  ce  n'étoit  pas  contre  des  hommes  qu'on  leur  faifoit  faire 
la  guerre ,  mais  contre  la  nature  ôc  contre  le  ciel  même.  Les 
Généraux  jugeant  leurs  plaintes  raifonnables  les  mirent  en  quar- 
tier d'hiver.  Lç  duc  d'Anjou  mena  la  fienne  à  Chinon  fur  la 


'^S^  HISTOIRE 

."■ -  Vienne  >  &  lui  donna  des  quartiers  aux  environs.  Le  prince 

Char  LE  de  Condé  mit  Yvoi  dans  Loudun  avec  une  bonne  garnifon, 
IX.  &  fe  rerira  dans  le  Poitou.  Il  eft  aifc  de  juger  combien  les 
I  S"  (5  8.  ^^^^  armées  avoient  fouffert,  ôc  par  la  difette  ôc  parla  rigueur 
de  laHùfon,  puifqu'après  qu'on  les  eutféparéeSj  il  mourut  dans 
un  mois  de  part  &  d'autre  plus  de  huit  mille  hommes  >  les  uns 
de  maladies  violentes  ,  les  autres  de  langueur. 
Lettre  de  Pendant  que  Condé  &  ceux  de  fon  parti  agiiïbient  avec 
bretTi/R^'"  ^^"^  ^^  vivacité  ,  la  Pveine  de  Navarre  '  crut  ne  devoir  pas  de- 
ne  Ehzabeth.  meurer  oifive  h  ôc  comme  elle  connoifToit  le  befoin  qu'ils  avoient 
Effet  de  cette  d'argent  j  elle  fongea  à  leur  en  procurer.  EUeécrivit  pour  cela, 
avant  le  I  y  d'OdobrC:,  à  la  Reine  d'Angleterre,  ôc  elle  chargea 
Chatelier  gentilhomme  de  fa  maifon ,  de  lui  porter  la  lettre. 
Elle  y  rendoit  compte  des  caufes  de  la  guerre ,  des  mefures , 
ôc  des  delTeins  des  Confédérezj  ôc  comme  ce  n'étoit  point 
contre  le  Roi  qu'ils  avoient  pris  les  armes ,  elle  prioit  cette 
PrinceflTe  de  vouloir  bien  les  aider  dans  une  caufequi  iateret- 
foit  tous  les  Proteftans ,  ôc  de  lui  accorder  à  l'avenir  fa  pro- 
tection ,  pour  fes  enfans  ôc  pour  elle  :  fes  prières  foutenuës  par 
la  prefence  du  cardinal  de  Châtillon,  qui  étoit  en  grand  cré- 
dit auprès  d'Elizabeth  ,  firent  tout  l'effet  qu'elle  pouvoit 
fouhaiter  ;  car  elle  lui  envoya  auflTi  tôt  cent  mille  pièces  d'or, 
qu'on  appelle  des  Angelots  ^,ôc  lix  pièces  de  canon  en  bon  état, 
avec  toutes  fortes  de  munitions  de  guerre.  D'ailleurs  elle  re- 
çut avec  bonté  tous  les  exilez  François,  qui  étant  obligez  pour 
la  Religion  de  fortir  de  la  Normandie,  ôc  des  provinces  d'en 
deçà  de  la  Loire  ,  s'étoient  réfugiez  en  Angleterre.  Elle  ne 
fe  contenta  pas  de  les  aiïifter  elle-même,  elle  fit  faire  la  mê- 
me chofe  à  fes  peuples,  qui  ne  font  pas  naturellement  difpo-. 
fez  à  bien  traiter  les  étrangers  S  ôc  fur-tout  les  François,  à  cau- 
fe  des  haines  qui  ont  été  autrefois  entre  les  deux  nations.  Les 
Rochelois  prêtèrent  vingt  mille  écus  d'or.  Par  l'ordre  des  Prin- 
ces (  c'eftle  nom  qu'ils  dormoient  aux  chefs  du  parti  Proteftant) 
on  mit  en  vente  les  biens  Eccléfiaftiques  ,  ôc  comme  tous  ces 
payis  étoient  aux  pouvoir  des  Religionnaires ,  il  fe  trouva  des 


1  Jeanne  d'Albret  mère  de  Henri  IV. 
belle-fcpur  du  prince  de  Condé. 

2  Angelot,  monnoie  d'Angleterre, 
battue  du  tems  de  Henri  VI.  ainfi nom- 
tise,  {jarce  g.u'ily  avait  fur  cette  mon- 


noie une  figure  d'Ange,  qui  portoit  les 
écufTons  de  France  8c  d'Angleterre. 

l  C'eft  un  ancien  pre'juge'  contre  ces 
Infulaires.  Horace  dit  :  Ftfam  Britan" 
nos  hofpitibus  feros% 

achetcurso 


DE   J.  A.  DE  T  H  OU,Liv:  XLIV.      SS3 

acheteurs  ,  qui  ne  balancèrent  point  de  faire  leurs  offres.  

Le  Roi  de  fon  côté  avoit  envoyé  à  Rome ,  il  y  avoit  déjà  C  h  a  r  l  E 
du  tems,  Bâtifte  Alamanni  évêque  de  Mâcon,  &  Annibal  jy 
Ruccellai,  à  Venife,  à  Ferrare,  à  Mantoue,  &  à  Florence,  i  f  58 
pour  emprunter  de  l'argent  ôc  des  troupes.  Sa  Majefté  envoya 
aufîi  à  Vienne  Antoine  Fumée  de  Blandy  maître  desRequê-  méeeiîvoydà 
tes ,  pour  fe  plaindre  à  l'Empereur  de  l'infolence  de  fes  fujets,  vienne. 
qui  avoient  repris  les  armes  contre  lui ,  &  pour  prier  fa  Ma- 
jefté Impériale  d'empêcher  qu'il  ne  vînt  d'Allemagne  des  corps 
de  cavalerie  ou  d'infanterie  au  fecours  du  prince  de  Condé. 
L'envoyé  du  Roi  fut  admis  à  l'audience  le  1 6  ci'0£l;obrej&  voici 
la  réponfe  que  lui  fit  l'Empereur.  Il  lui  dit  :  Qu'il  étoit  bien  fâché  Réponfc  de 
que  le  Roi  de  France  fe  trouvât  forcé,  par  la  rébellion  &  par  ^^^P^^*^"^' 
la  témérité  du  prince  de  Condé  &  de  fes  partifans ,  à  prendre 
les  armes  contre  eux ,  dans  la  vue  de  les  chaffer  tous  du  Royau- 
me, ôc  de  n'y  fouffrir  point  d'autre  Religion  que  la  Catholi- 
que :  Que  ce  qu'il  fouhaitoit  fur  toutes  chofes ,  étoir  que  l'union 
ôcla  tranquilité  fût  rétablie  entre  les  Princes  3  que  l'on  épargnât 
le  fang  Chrétien ,  Ôc  que  l'on  eût  une  horreur  extrême  des  guer- 
res civiles,  qui  achevoient  de  ruiner  les  forces  de  la  Chrétienté, 
déjà  fort  affoibhes  par  les  armes  des  Infidèles  :  Qu'il  faudroit 
chercher  les  moyens  de  ne  point  répandre  le  fang  Chrétien  > 
&  de  rétablir  entre  le  Souverain  &  les  fujets  une  paix  folide 
&  fincere  :  Que  fans  cela  le  Roi  ôc  fon  floriffant  Royaume 
alloient  tomber  dans  une  infinité  d'embarras  ôc  de  malheurs; 
d'autant  plus  qu'en  Allemagne  ôc  en  Angleterre  il  couroit  des 
bruits  fur  le  Roi  ôc  fur  les  principaux  de  fon  Confeil ,  qui  ne 
laiffoient  aucun  lieu  de  douter  que  plufieurs  grands  Princes  , 
amis  de  Condé  ôc  de  fon  parti ,  ôc  zelez  pour  la  caufe  qu'il 
foutenoit ,  ne  lui  fournîfTent  de  grands  fecours  d'argent  ôc  de 
troupes  :  Qu'à  l'égard  des  levées  qu'on  faifoit  en  Allemagne 
pour  ce  Prince ,  il  lui  étoit  bien  difficile  de  les  empêcher  :  Que 
Cl  dans  la  guerre  précédente ,  qui  étoit  bien  plus  favorable  que 
celle-ci  (  parce  qu'il  ne  s'y  agiffoit  point  de  Religion ,  mais  feu- 
lement de  défendre  la  perionne  du  Roi ,  ôc  de  maintenir  Con. 
autorité  contre  des  fujets  rebelles)  iln'avoit  pas  pu  empêcher 
ces  levées ,  quelques  mefures  qu'il  eut  prifes  pour  le  faire ,  il 
n'y  avoit  pas  heu  d'efperer  qu'il  pût  en  venir  à  bout  ,  lorfqu'il 
s'agiffoit  d'une  guerre  bien  moins  favorable,  entreprife  pour  une 
Tome  V.  .  Aaaa 


JJ4  HISTOIRE 

caufe,  qui  étoît  commune  aux  princes  d'Allemagne  &  aux  fujets 

r  H    R  I  E  ^^  "^^^  Très-Chrétien. 

jy  Fumée  ayant  reçu  cette  réponfe  ,  alla  trouver  à  Altembourg 

'q     Jean  Guillaume  duc  de  Saxe ,  qui  s'y  étoit  rendu  ,  pour  afTif- 
ter  à  des  conférences  fur  la  Religion.  Il  y  renouvella  les  plain- 
tes qu'il  avoit  faites  à  Vienne  ,  ôc  demanda  à  ce  Prince  le  fe- 
cours  qu'il  s'étoit  engagé  de  fournir  par  un  traité.  Voici  la  ré- 
Réponfedu  por^f^   qu'il  lui   fit  le  vingt- feptiéme  de   Novembre  :  Qu'il 

duc  de  Saxe,  étoit  bien  fâché  que  la  guerre,  qui  ne  venoit  que  de  finir  en 
France,  s'y  fût  fi-tôt  rallumée  j  d'autant  plus  qu'un  des  partis  en 
rejettoit  la  caufefur  la  révolte,  &  l'autre  fur  la  Religion:  Que 
fuivant  les  commandemens  de  Dieu ,  il  falloit  bien  diftinguer 
les  chofes  divines  d'avec  les  humaines  :  Que  c'étoit  ce  qu'a- 
voient  fait  avec  grand  foin  les  Empereurs  Chrétiens  ,  Conf- 
tantin ,  Theodofe,  Marcien,  Juftinien,  Charlemagne,  Louis 
le  Débonnaire  ,  ôc  depuis  peu  Jean  Frédéric  fon  père  :  Qu'il 
ctoit  donc  de  la  fagefle  ôc  delà  pieté  du  Roi^  de  ne  pas  fouf- 
frir  que  l'on  tourmentât  fes  fujets  pour  la  Religion  :  Que  la 
véritable  Religion  ne  caufoit  jamais  de  féditions  î  que  c'étoit 
elle  au  contraire  qui  foutenoit  la  difcipline  ôc  l'obéifîance  par- 
mi les  peuples  :  Que  les  princes  de  l'Empire  étoient  fort  mé- 
contens  des  bruits  qui  couroient  d'un  traité  fait  entre  le  Pa- 
pe ôc  le  Roi  d'Efpagne  contre  les  Princes  de  la  Confef- 
fion  d'Aufl3ourg  ;  &  qu'on  difoit  que  le  Roi ,  pouffé  par  de 
mauvais  confeils ,  y  étoit  entré  :  Qu'on  le  lui  avoit  affûté  à  lui- 
même  ,  lorfqu'il  pafTa  à  Fulde  \  en  revenant  de  la  campagne 
qu'il  avoit  faite  en  France  :  Que  le  Roi  devroit  y  réfléchir  fé- 
rieufement  :  Que  pour  lui ,  il  ne  manqueroit  jamais  de  rendre 
fervice  à  fa  Majefié,  à  l'exemple  de  fes  ancêtres ,  autant  que  fa 
confcience  ôc  fa  Religion  le  pourroient  permettre.  Fumée 
s'en  revint  en  France ,  fans  avoir  rien  obtenu  ni  d'un  côté  ni  de 
l'autre. 

Le  Roi  fur  la  fin  de  l'année  fit  lever  en  Allanagne  cinq 
mille  fix  cens  chevaux.  Philibert  marquis  de  Bade  les  comman- 
doit  en  chef,  ôc  avoit  fous  lui  les  deux  Dietzen  de  HefTe-Vef- 
terbourg,  ôc  Leninghen  bâtard  de  la  maifon  de  Hefife,  les 
comtes  Rheingraves,  ôc  Chriflophle  de  BafTompierre  :  ccxorps 

1  Abbaye  &  ville  célèbre  dans  le  territoire  de  Buchow  près  du  payis  de  HefTc, 
&  fur  la  rivière  de  Fulde. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.        ^;; 

pafTa  le  Rhin  à  Mayence ,  pour  venir  ioindre  le  duc  d'Au-  --5-«««»-. 
maie,  qui  l'attendoit  en  Lorraine,  oh  il  avoir  été  envoyé  par  le  7^ 

T,.^  j  j  ir  •'r,      ,L.HARLE 

Kol,  avec  trois  compagnies  de  gendarmes,  lalienne,  celle  de  jv 
Jean  de  Luxembourg  comte  de  Brienne,  &  celle  du  maré- 
chal de  la  Vieuville  '  »  fix  efcadrons  de  cavalerie  légère  ,  ôc  >  o^ 
dix  compagnies  d'infanterie.  D' Aumale  ayant  appris  que  la  Co- 
che, qui  étoit  du  Dauphiné,  perfuadé  qu'il  lui  étoit  impofli- 
ble  d'aller  joindre  le  Prince  de  Condé,  étoit  paffe  avec  ce 
qu'il  avoit  de  troupes  dans  le  territoire  de  Genève ,  &  qu'il 
ravageoit  la  Franche-Comté ,  l'Alface,  la  principauté  de  Salm> 
6c  toutes  les  terres  de  l'évêque  de  Strafbourg ,  le  met  en  mar- 
che avec  huit  mille  hommes,  &  va  droit  à  Neubourg.  Y  ayant 
trouvé  la  Coche  ,  qui  faifoit  des  courfes  de  tous  cotez,  àladé- 
bandade,avec  quinze  cens  hommes,tant  cavalerie  qu'infanterie, 
il  l'obligea  malgré  lui  d'en  venir  à  un  combat  le  12  de  No- 
vembre. Il  avoit  avant  cela  détaché  Gohas  avec  fon  régiment, 
pour  chafler  les  Proteftans  de  Neubourg ,  &  s'emparer  de  la 
place  j  ce  qu'il  fit.  Quoique  la  Coche  fût  beaucoup  plus  foi- 
ble  que  le  duc  d'Aumale,  il  ne  perdit  point  courage  ,Ôc  s'étant 
mis  en  bataille ,  autant  que  l'embarras  où  il  fe  trouvoit ,  ôc  le  peu 
de  tems  qu'il  avoit,  le  purent  permettre,  ilfitunedéfenfe  vigou-  Vidoiredu 
i'eufe,ôc  tua  bien  du  monde  au  duc  d'Aumale:enfin  ayant  été  en-  ^c'^  dAuma- 
y  elopé  par  le  grand  nombre ,  il  en  fut  accablé  plutôt  que  vaincu» 
Il  avoit  avec  luiDofTenville  prévôt  deLorrainejJacqueChartier, 
qui  avoit  une  compagnie  de  moufquetaires  à  chevahClaude- An- 
toine de  Vienne  de  Clairvant ,  qui  commandoit  une  compagnie  s 
SuifTe  de  Neufchatel  :  il  avoit  aulTi  beaucoup  de  Seigneurs ,  en 
tr'autres  Antoine  de  Clermont  marquisdeRenel,  laCarde,Ba- 
con ,  Duilly  y  &  Raguier  de  Sternay.  Ceux-ci ,  qui  avoient  pris 
les  devans  ,  s'ouvrirent  de  force  un  pafTage  pour  gagner  fainte 
Marie,  malgré  les  payifans  qui  s'étoient  aflemblez  pour  l'em- 
pêcher ;&  ils  joignirent  heureufement  le  prince  d'Orange  qui 
étoit  à  Strafbourg.  Quand  à  ceux  qui  fe  trouvèrent  au  com- 
bat, il  y  en  eut  environ  fix  vingt  tuez  :  la  Coche  fut  pris 
avec  Vaflar ,  la  Sauge, quelques  colonels,  &  quelques  capi- 
taines ,  ôc  fut  conduit  à  Metz  :  quelques  jours  après  comme  on 
e  menoit  hors  de  la  ville ,  fous  prétexte  de  l'échanger  contre 
1  François  de  Sepeaux, 

Aaaa  ij 


^{6  HISTOIRE 

d'autres  prlfonniers,  il  fut  afTafTiné  par  des  gens  qu'on  avoir  ap- 
Char  LE  P^^^z 

IX  ^^  ^"^  ^^^^  ^^  même  tems ,  que  Noyers  petite  ville  de  Bour- 

i  <  6S,  E^S"^'  ^'^^  ^^  prince  de  Condé  s'étoit  fauve  avec  Coligny, 
fut  afÏÏegé  par  Charle  de  la  Rochefoucault  comte  de  Barbe- 
freux  Gouverneur  de  Champagne.  La  garnifon,  qui  étoitfoi- 
ble,  fe  défendit  long-tems  avec  beaucoup  de  courage  ;  enfin 
elle  fe  rendit  à  ces  conditions  :  Qu'on  laifferoit  aller  les  fol- 
dats  fans  leur  faire  aucun  mal,  ôc  qu'on  feroit  un  inventaire 
des  meubles  magnifiques  ,  que  le  prince  de  Condé  avoir  dans 
îe  château ,  ôc  que  Barbefieux  s'en  rendroir  garant.  Mais  les 
portes  ne  furent  pas  plutôt  ouvertes ,  que  fans  égard  pour  la 
capitulation,  lesfoldats  de  Barbefieux  infulterent  ôc  maltraitè- 
rent cruellement  ceux  de  la  garnifon.  Il  y  en  eut  un  petit  nom- 
bre, qui  après  avoir  été  dépouillez,  fe  fauverenti  le  refte  fut 
emmené  à  Troyes.  On  crut  que  Barbefieux  en  avoir  ufé  ainfi, 
pour  pouvoir  s'excufer  du  pillage  des  meubles  du  Prince,  dont  il 
avoir  grande  envie  de  s'emparer. 

Condé  ne  fut  pas  plutôt  à  la  Rochelle,  que  pour  ne  rien  ou- 
blier de  tout  ce  quipouvoit  contribuera  fortifier  fon  partie  ôc 
à  lui  donner  du  relief,  il  fongea  à  armer  une  flotte  5  ce  qu'il 
n'avoit  pas  fait  dans  les  guerres  précédentes  :  la  ville  où  il  étoit 
lui  facihtoit  l'exécution  decedefifein.  Sa  flotte  fut  bien-rôt  en 
état  5  elle  étoit  compofée  de  neuf  vaifleaux,  bien  équipez,  ôc 
de  quelques  bâtimens  légers,  fur  lefquels  il  fir  embarquer  mille 
hommes  d'équipage j  tant  foldats  que  matelots,  Ôc  quantité  de 
munitions  de  guerre.  La  Tour ,  frère  cadet  de  Chatelier-Por- 
taut,  en  ayant  été  nommé  Commandant,  fortit  du  port  delà 
Rochelle  le  10  d'06tobre  ,  ôc  ayant  rencontré  un  bon  nombre 
de  navires  deFlandre^  de  Bretagne^  ôc  de  Normandie,  chargez 
de  marchandifes  ,  ôc  de  toutes  fortes  de  meubles ,  il  s'en  rendit 
maître.  Ayantenfuite  pafTéà  la  vue  du  Conquet',  où  l'on  étoit 
accouru  de  toutes  parts  en  armes,  fur  l'avis  qu'il  y  a  voit  une 
flotte  de  corlàires  en  mer ,  il  alla  relâcher  à  Plimouth  fur  la 
cote  d'Angleterre.  Il  y  prit  la  pofte  avec  quelques  gentilshom- 
mes,  ôc  s'en  alla  trouver  la  Reine,  qui  étoit  à  Hamptoncourj 
êc  par  le  moyen  du  cardinal  de  Châtillon ,  qui  avoir  beaucoup 
1  Port  de  Bretagne  à  quatre  ou  cinq  lieues  de  Brefl^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLIV.        557 

de  crédit  en  cette  Cour ,  il  obtint  de  cette  Princeffe  la  per-  » 

mifTion   d'ufer  ,  fous  l'autorité  de  ce  Prélat,  des  droits    de  r^.  «,  g 
la  guerre  contre  les  Flamans ,  ôc  les  François  fes  ennemis  3       j  y 
Gue  les  vaiffeaux  &  les  hommes ,  qui  feroient  pris  de  l'aveu     ,  -,  5  g 
au  Cardinal ,  feroient  déclarez  de  bonne  prife  i  &  que  l'argent       ^ 
qu'on  en  tireroit  feroit  employé  pour  les  frais  de  la  guerre, 
&  pour  les  intérêts  de  la  caufe  qu'il  foûtenoit. 


Tin  du  qt/iarante-quatriémc  Livre, 


A  a  a  a  ii  j 


,*!r. 


**************   *r*-'^*****'3 

********************* 
(Ti****^***********^***        -^ 


01.' 


HISTOIRE 

D  E 

JACQUE      AUGUSTE 

D  £     T  H  O  U. 


Chaule 
IX. 

I  ;  (5  8. 

Siège  de 
S.  Michel    en 
rHerme. 


LIVRE  QVARANTE-CINQVIEME. 


s 


§^ 


U  R  la  fin  de  l'année  les  Rochelois  , 
avec  l'agrément  du  prince  de  Con- 
dé  ,  ailiégerent  pour  la  troifiéme  fois 
Saint  Michel  en  l'Hermc ,  fitué  fur 
le  bord  de  la  mer  en  Poitou.  Com- 
me la  garnifon  faifoit  fouvent  des 
courfes  fur  leurs  terres  ,  ils  l'avoient 
déjà  attaqué  deux  fois ,  mais  inutile- 
ment. On  croit  qu'autrefois  tout  le 
terrain  qui  s'étend  depuis  Luçon  juf- 
qu  à  la  Rochelle  étoit  inondé  ;  mais  que  la  mer  s'étant  reti- 
rée peu  à  peu ,  les  terres  avoient  commencé  de  paroître ,  & 
que  depuis ,  la  fituation  avantageufe  du  lieu  ,  &  la  fertilité  de 
la  terre  avoient  invité  les  habitans  du  voifinage  à  deffecher  les 
marais  ^  à  les  cultiver,  &  à  y  faire  des  habitations.  On  y  bâtit 


§3  ^  C5:Q&^03K5(SS  <3 


DE  J.  A.'DE  THOU  ,  Liv.  XLV.         SS9 

d'abord  une  Chapelle ,  qui  fut  bien-tôt  célèbre  parla  pieté  des 
peuples  3  ôc  par  les  pèlerinages  qu'on  y  faifoit  ,  mais  qui  eft  Charl  E 
devenue  depuis  un  très-grand  ôc  très-riche  monaftere  ,  qui  a  j  x 
pourtant  toujours  confervé  le  nom  d'Herme ,  ou  d'Hermitage ,  i  j  (î  8. 
foit  que  fa  fituation ,  ou  fon  origine  en  foit  caufe.  Le  châ- 
teau eft  quarré,  très-élevé>  &.  entouré  d'un  bon  mur,  où  l'on 
ètoit  autrefois  à  couvert  des  flèches  ôc  des  baliftes ,  machines 
qui  ne  font  plus  aujourd'hui  en  ufage  :  mais  depuis  quelques 
années  on  l'a  fortifié  de  baftions  à  angles  faillants ,  ôc  d'un 
foffé  très-profond  ,  pour  affurer  cette  côte  contre  les  Anglois. 
La  Noblefle  l'ayant  fait  battre  avec  deux  pièces  de  canon  ,  y 
fit  donner  l'alTaut.  Jacque  de  Billy  de  Prunay ,  Abbé  du  lieu  , 
homme  illuftre  par  fa  pieté  ôc  par  fa  rare  érudition ,  n'y  étoit 
pas  alors.  Un  Religieux  nommé  Châteaupers,  homme  de  tête, 
qui  commandoit  en  fon  abfence ,  non-feulement  foûtint  les  ef- 
forts des  afTiègeans  ,  mais  il  les  repoulTa  vigoureufement  ôc  les 
obligea  de  lever  le  fiége  ,  après  y  avoir  perdu  fix- vingts 
hommes. 

Ils  y  revinrent  quelque  -  tems  après  fous  la  conduite  de 
Champagnac ,  qui  ayant  d'abord  été  Moine,  ôc  enfuite  foldat , 
affuroit  hardiment  qu'il  fçauroit  bien  triompher  des  Moines. 
Il  arriva  devant  la  place  avec  cinq  cens  moufquetaires  d'élite , 
ôc  quelque  cavalerie  de  la  province.  Il  parut  au  commence- 
ment que  la  Fortune  vouloit  le  favorifer  ,  la  garnifon  ayant  été 
obligée  de  fe  retirer  dans  le  Fort  avec  perte  :  mais  il  fut  peu 
de  tems  après  bleffé  à  la  tête  par  un  Moine  ,  ôc  le  coup  fut  fi 
terrible  qu'il  tomba  mort ,  ôc  le  fiége  fut  encore  levé.  Ils  y  re- 
vinrent pour  la  troifiéme  fois  ,  fe  fouciant  moins  de  prendre 
ce  pofte,  que  de  venger  l'afîront  qu'ils  avoientreçu.  La  Gou- 
lene  fe  chargea  de  l'entreprife ,  on  lui  donna  fept  compagnies, 
ôc  deux  groffes  pièces  de  canon.  La  Garde,  qu'il  envoya  de- 
vant, s'étant  rendu  maître  du  bourg,  qui  eft  au-deffous  du  mo- 
naftere ,  la  garnifon  fe  trouva  fort  refferrée  par  la  cavalerie  en- 
nemie, qui  couroit  à  droite  ôc  à  gauche  :  cela  ne  les  empê- 
cha pourtant  pas  de  faire  des  forties ,  ôc  d'incommoder  beau- 
coup les  aflîégeans ,  fur  lefquels  ils  tiroient  prefque  à  coup  fur. 

Le  château  eft  baigné  d'un  côté  par  la  mer ,  ôc  de  l'autre  il 
eft  entouré  de  vignes  ,  de  prairies  ^  ôc  d'un  terrain  fabloneux; 
&  l'endroit  où  il  eft  bâd  eft  fi  bas ,  que  lorfque  la  mer  eft  agitée. 


S^o  HISTOIRE 

.  ou  qu*elle  s'enfle  beaucoup  (  comme  dans  le  tems  des  équi- 
Ch  a  rl  e  ^^^^^  ^"  printems  &  de  l'automne  )  tout  ce  terrain  eft  en  grand 
j  ^        danger  d'être  fubmergé  :  quand  cela  arrive ,  la  terre  qui  fe  trou- 
i  ^  6*8.     ve imbibée  d'eau  falée  ,  eft  fterile  durant  plufieurs  années ^  quel- 
que foin  que  l'on  prenne  de  la  cultiver.  Le  feul  remède  qu'on 
y  a  trouvé  ,  eft  de  faire  des  canaux  dans  les  campagnes  avec 
des  ponts  ôc  des  arches ,  &  de  fermer  ces  canaux  par  des  éclu- 
fes  pour  laiffer  entrer  la  marée ,  quand  elle  n'eft  pas  trop  haute, 
ou  pour  la  repouflfer  ou  rompre  fon  impétuofité,  quand  elle 
eft  trop  violente.  Les  affiégez  ayant  ouvert  en  quelques  en- 
droits ces  éclufes ,  ôc  les  ayant  fermées  en  d'autres  ,  inondè- 
rent tellement  ce  payis ,  déjà  fort  marécageux  par  lui-même , 
ôc  prefque  inacceflible  en  hy  ver ,  qu'ils  comptèrent  qu'il  ne 
feroit  pas  poiïible  d'y  mener  du  canon  par  terre.  Goulene  , 
qui  le  croyoit  comme  eux  y  en  fit  venir  par  mer ,  le  fit  dé- 
barquer dans  une  eau  tournante,  qui  fe  trouve  entre  le  port 
ôc  le  château  lorfque  la  marée  fe  retire ,  ôc  le  fit  mettre  fur 
des  batteaux  plats ,  avec  Taide  de  Scipion  Vergano  Ligenieur 
très-habile  ^  ôc  de  quelques  canoniers  Anglois. 
^^^,^^„^,^,,^       On  commença  le  premier  Janvier  à  battre  la  porte  de  Lu- 
çon  :  la  brèche  étant  faite  ,  en  tenta  l'affaut  ,  mais  en  vain  ; 
^  S  ^ 9'     parce  qu'on  avoit  fait  un  foffé  derrière ,  ôc  des  retranchemens 
aux  deux  cotez ,  d'où  l'on  tiroit  fur  les  aflaillans.  Gaufl^eville 
ayant  voulu  reconnoître  l'endroit ,  y  fut  tué.  On  changea  donc 
la  batterie  j  Ôc  on  la  drefla  dans  un  lieu  qu'un  deferteur  mon- 
tra. Après  quelques  volées  de  canon  ^  il  y  eut  une  brèche  fuf- 
fifante  :  mais  les  affiégez  ne  parlèrent  point  de  fe  rendre  ,  foit 
qu'un  fecours  de  trente  foldats,que  le  comte  du  Lude  leur 
envoya  fous  la  conduite  du  capitaine  Vaquay ,  eût  ranimé  leur 
courage  î  foit  qu'ils  comptafiTent  que  la  rigueur  de  l'hy  ver  for- 
ceroit  enfin  les  affiégeans  à  fe  retirer  j  foit  qu'ils  ajoûtafientfoi 
à  une  vieille  prédiSion  ,  à  laquelle  la  fuperftition  des  Anglois 
avoit  donné  cours ,  ôc  qui  afluroit  que  la  chapelle ,  qui  étoit  fous 
la  prote£lion  de  S.  Michel ,  ne  tomberoit  jamais  au  pouvoir 
des  ennemis,  ôc  que  tous   ceux  qui  viendroient  l'attaquer  , 
quand  même  il  n'y  auroit  perfonne  pour  la  défendre  ,  tom- 
beroient  morts  fur  la  place,  le  vifage  tourné  du  côté  du  dos.  On 
ne  fçait  fi  ce  conte  étoit  une  pure  invention  des  premiers  reli- 
gieux de  la  maifon  j  ou  fi  en  effet  ils  ajoûtoient  foi  à  une 

pareille 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.         s^i 

pareille  rêverie.  Quoiqu'il  en  foit ,  cela  ne  laiflbit  pas  d'en-  m 
courager  la  garnifon ,  au  point  qu'il  n'y  avoir  point  a  extrêmi-  C  h  a  rl  E 

tez  qu'ils  ne  fuflent  prcts  de  foufFrir  ,  dans  la  perfuafion  on  jx                  ' 

ils  croient,  que  les  ennemis  ne  pouvoient  réûffir.  i  ç  5o,              ' 

Cependant  la  brèche  étant  large ,  l'aiTaut  fut  donné  ,  &  les  i 

affiég^eans  envoyant  fans  cefTe  des  hommes  frais ,  à  la  place  de  P|i^f  ^^  S.            \ 

°        .,.■'(,    .                f             j.                  (^            A           J11       Michel.  i 

ceux  qui  etoient  fatiguez  ,  le  rendirenr  enhn  maures  aelapla-  cruauté  I 
ce:  Châteaupers  fe  fauva  par  une  porte  de  derrière  :  mais  il  fut  des  vaia- 

pris  depuis.  On  tua  tout  ce  qu'on  rencontra  i  fans  diftindion  'l"^""'  j 

d'âge  ni  de  fexe  :  les  galeries  ,  les  caves,  les  citernes,   tout  \ 
étoit  plein  de  corps  morts,  ôc  regorgeoit  de  fang.  Un  nom- 
mé Forteau  fe  diftingua  par-deffus  les  autres ,  en  fe  faifant  un 

divertiflement  de  plonger  fon  bras  jufqu'au  coude  dans  le  fang  ] 

de  ces  malheureux  ,  &  il  en  fît  referver  plufieurs  pour  le  len-  j 

demain  ôc  le  jour  fuivant ,  afin  d'avoir  le  plaifir  de  les  tuer  de  ] 

fa  propre  main,  &  de  fang  froid.  Le  butin  fut  grand,  parce  ;; 

que  les  payifans  àQ?>  environs ,  ôc  la  NoblefTe  même,  y  a  voient  i 
porté  tout  ce  qu'ils  avoient  de  plus  précieux  ,  comme  dans  un 

afile,  que  la  fainteté  du  lieu  ,  fon  alTiete  naturelle,  ôc  fes  fortifî-  ] 

cations  leur  faifoient  regarder  comme  très  -  fur.    Château-  \ 

pers  étant  convenu  de  fa   rançon  ,  à  condition  qu'il  feroit  I 

conduit  à  la  Rochelle ,  ôc  qu'il  y  demeureroit  prifonnier  juf-  i 
qu'à  ce  qu'il  eût  payé   le  prix  dont  on  étoit  convenu  i  on 

trouva  quelques  lettres   de  lui  ou  vraies  ou  fuppofées ,  rem-  i 

phes  d'injures  atroces  ,  ôc  de  confeils  déteftables^  contre  les  \ 

chefs  du  parti  Proteftant.   Ce  fut  un  prétexte  pour  révoquer  la  .j 
grâce  qu'on  lui  avoir  accordée,  à  la  prière  de  quelques  amis  -> 

ôc  il  fut  tué  avec  les  autres.  On  affure  qu'il  périt  plus  de  400  1 

hommes  dans  cette  horrible  boucherie.  Forteau  eut  le  com-  ■ 

mandement  de  la  place,  ôc  on  le  chargea  d'en  ruiner  les  for-  ' 

tifications  ,  l'Eglife  même  ,  ôc  le  Monaftere  ,  afin  qu'il  ne  pût  1 
plus  fervir  de  retraite  aux  Royaliftes  pour  faire  des  courfes 
dans  le  payis.  Il  s'acquittaparfaitement  de  cette  commiiïîon, 

à  quoi  il  employa  un  mois  entier.  Peu  de  tems  après  ce  mé-  | 

chant  homme ,  fouillé  de  tant  de  meurtres,  périt  d'une  manière  i 

miferable.  «             j 

Ainfi  fut  ruiné  de  fond  en  comble  le  monaflere  de  S.  Mi-  1 
chel  en  l'Herme,  qu'on  avoir  autrefois  fortifié  pour  la  fureté 
de  cette  côte  :  ce  que  la  France  en  paix  avoit  fagement  fait 

Tomç  V.                                                     B  b  b  b  •             ; 


'$62  HISTOIRE 

2!î5i^-«««»«  pour  repoiîfTer  l'ennemi  étranger  ,  fut  alors  regardé  comme' 
Char  LE  contraire  à  la  tranquillité  publique,  parce  que  les  guerres  ci* 
I X.       ^^^^s  avoient  renverfé  l'efprit ,  &  gâté  le  jugement  de  prefaue 

1  <  6  g  ^^^^  ^^  monde.  Peut-être  verra-t-on  un  jour  lanéceffité  de  lô 
rebâtir ,  Ci  nos  François  deviennent  afiez  fages ,  pour  aimer 
mieux  faire  la  guerre  à  leurs  ennemis  qu'à  leurs  compatriotes. 

Entreprifc  D'un  autrc  côté,  les  troupes  du  Roi  s'approchèrent  de  Saii- 
fur  Sanccrre.  ccrre,  mais  inutilement.  Après  la  dernière  paix,  qui  fut  faite 
au  mois  de  Mars ,  le  Roi  avoir  réfolu  de  fe  rendre  maître  de 
cette  ville,  ou  delà  ruiner.  Tous  les  Gouverneurs  voifins  l'en 
follicitoient;  parce  qu'étant  remplie  de  Proteftans,  quiétoient 
nez  dans  lepayis,  ou  qui  s'y  étoient  réfugiez,  ôc  étant  (ituée 
fur  les  frontières  de  la  Sologne  6c  du  Berry ,  elle  étoit  re* 
doutable  à  ces  deux  provinces  par  fon  avantageufe  fituation  > 
étant  bâtie  fur  un  roc ,  qui  n'eft  acceiïible  que  du  côté  du  che- 
min de  Bourges  j  ôc  du  côté  de  l'Orient,  dominant  fur  la  Loire 
qui  pafTe  au-deilous.  On  ordonna  donc  aux  habitans  de  re-^ 
cevoir  garnifon  :  ils  s'en  excuferent  (ur  leur  pauvreté,  ôc  fur 
ce  qu'étant  éloignez  des  grands  chemins,  ôc  fans  commerce,  ils 
n'avoient  pas  befoin  de  troupes  pour  les  garder.  La  chofe  ayant 
été  agitée  dans  le  Confeil  du  Roi,  on  leur  propofa  une  fécon- 
de condition ,  qui  étoit  de  rafer  leurs  fortifications  :  les  habi- 
tans qui  vouloient  fe  délivrer  d'une  garnifon  dont  on  les  me- 
naçoit ,  ôc  qui  prévoyoient  bien  que  la  paix  ne  dureroit  p.^s 
iong-tems,  y  confentirent ,  pourvu  que  les  comtes  deBueiî, 
feigneurs  de  Sancerre  ,  y  donnaffent  leur  confentement.  L'af- 
faire ayant  traîné  en  longueur,  on  reprit  les  armes  de  routes  partsi 
ôc  les  habitans,  au  lieu  de  démanteler  cette  ville  àéjk  très-forte 
par  fa  fituarion  ,  travaillèrent  avec  ardeur  à  y  ajourer  de  nou- 
velles fortifications. 

Siège  de  Sarra  Martinengo ,  qui  avoit  une  bonne  garnifon  à  Gien  , 
Sancerre.  éloigné  d'une  journée  de  Sancerre ,  François  de  Balzac  d'En- 
trague  gouverneur  d'Orléans,  ôc  Claude  de  la  Châtie  gouver- 
neur de  Berry ,  s'étant  abouchez ,  ÔC  voulant  profiter  de  i'ab- 
fence  d'Avantigny ,  Gentilhomme  du  voifinage  ,  habile  capi- 
taine, en  qui  les  habitans  de  Sancerre  avoient  grande  con- 
fiance ,  joignirent  ce  qu'ils  avoient  de  troupes,  ôc  marchèrent 
à  Sancerre  ,  avec  un  corps  de  3000  fantaffins  ,  ôc  quelque  ca- 
valerie compofée  des  Gentishommes  du  voifinagc.  Ils  avoient 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.      $6^ 
huit  pièces  de  canon ,  dont  ils  commencèrent  à  battie  la  porte  -^  -> 

de  Bourges.  Il  y  eut  bien-tôt  une  large  brèche  5  mais  le  fofl'é  Ci^  \rj  p 
que  Ton  avoir  creufé  derrière ,  ôc  les  retranchemens  que  l'on       j  v- 
avoit  faits  aux  deux  cotez,  rendoient  l'approche  très- difficile.  / 

Vieupont,  feigneur  d'HacqucvilIe^  fils  du  feigneur  de  Neuf- 
bourg,  jeune  homme  hardi  &  intrépide,  fe  chargea  d'y  don- 
ner l'afifaut.  Il  le  fit  avec  toute  la  vigueur  poflible  :  mais  les 
habitans  tirant  fans  ceffefurles  aflfaillans  ,  dont  le  flanc  écoit 
découvert,  il  fut  obligé  de  fe  retirer  avec  perte.  On  changea 
la  batterie  ,  &  on  la  dreffa  du  coté  de  S.  Saturnin  ,  où  les  chefs 
avoient  appris  qu'ils  trouveroient  moins  de  difficultez.  On  y 
eut  bien-tôt  fait  une  brèche  plus  grande  que  la  première.  D'Hac- 
queviile  monta  encore  à  l'alfaut  :  mais  la  garnifon  ,  à  qui  le  pre- 
mier fuccès  avoit  enflé  le  courage ,  le  repoufla  avec  tant  de 
yigueur,  que  lui  ôc  un  grand  nombre  de  ceux  qu'il  commandoit 
demeurèrent  fur  la  place,  Ôc  beaucoup  d^autres  y  furent  dan- 
gereufement  bleiTez.  Depuis  ce  tems-ià  les  afliégez ,  qui  étoienc 
commandez  par  Joaneau  juge  du  lieu ,  ôc  par  deux  capitaines , 
l'un  nommé  la  Fleur ,  ôc  l'autre  Laurent ,  ne  fe  tinrent  plus  fur 
la  dcfenfive  >  ils  attaquèrent  nos  troupes ,  ôc  les  fatiguèrent  ex- 
trêm.ement  par  les  forties  fréquentes  qu'ils  firent. 

Sur  ces  entrefaites,  Jacque  deSavoye  duc  de  Nemours  fe  ren- 
dît au  fiége ,  avec  un  corps  de  troupes  qu'il  avoit  levées  dans  le 
Lyonnois  ,  Ôc  dans  les  provinces  voifines  :  il  étoit  accompagné 
de  François  de  Beaumont  baron  des  A  drets,  qui  après  avoir  fcrvi 
le  parti  Proteftant  dans  les  guerres  précédentes ,  fervoit  le  Roi 
dâîis  celle-ci,  avec  un  corps  confidérable  de  troupes  qu'il  avoit  à 
fes  ordres.  Des  Adrets  alloit  en  Lorraine  joindre  le  duc  d'Au- 
maîe  ,par  ordre  exprès  du  Roi,  quife  difpofoit  à  marcher  en 
perfonne  de  ce  côté-là.  La  Châtre  le  folUcita  envain  de  refter 
quelques  jours  avec  eux,  jufqu'à  ce  qu'avec  fon  fecours  ilseuf- 
fent  forcé  Sancerre  :  comme  il  jugea  que  le  fiége  feroit  long, 
ôc  qu'il  étoit  d'ailleurs  prefl(é  par  le  duc  d' Aumale  ,  qui  lui  écri- 
voit  lettre  fur  lettre  ,  non-feulement  il  ne  voulut  pas  refter  , 
mais  il  leur  confeilla  de  lever  le  fiége  :  ils  le  firent  en  efi^et  au 
commencement  de  Février ,  après  avoir  demeuré  plus  de  cinq  j^^^^  »cgccit 
femaines  devant  cette  place  ,  ôc  y  avoir  perdu  plus  de  cinq 
cens  hommes.  Nemours  tira  vers  la  Lorraine  j  les  autres  s'en 
retournèrent  avec  leur  canon  chacun  dans  leur  gouverne- 
ment. B  b  b  b  ij 


y(?4  HISTOIRE 

_  Les  habîtatts  enflez  Ôc  enhardis  par  ce  fuccès ,  fortifièrent  Si 

^  Thibaud  ,  fitué  fur  la  Loire  au-deffous  de  Sancerre ,  ôc  y  mirent 

T  y         une  bonne  garnifon ,  qui  non-feulement  faifoit  des  courfes  dans 

y       le  payis  voifin,  mais  qui  ruinoit  le  commerce,  en  faifant  payer 

^     ^'     de  gros  droits  à  tous  les  navires  qui  paiïbient  fur  la  Loire.  Les 

S.  Thibaud  bourgeois  de  Nevers  ôc  de  la  Charité ,  qui  ont  des  ponts  fur 

fortifié  par  les  cette  rivierc ,  imaginèrent  ce  ftratageme.  Ils  conftruilirent  de 

sLSre.  ^      longs  batteaux ,  percez  aux  endroits  néceffaires  pour  leur  dcf- 

fein,  ôc  recouverts  de  planches.  Ils  les  remplirent  de  foldats  ; 

ôc  mirent  delTus  des  marchandifes  qui  empêchoient  qu'on  ne 

vît  les  troupes ,  En  même  tems  ils  pofterent  de  la  cavalerie  en 

embufcade  dans  le  voillnage.  Lorfque  ces  navires  furent  arrivez 

à  S.  Thibaud ,  la  garnifon  croyant  que  c'étoit  des  marchands , 

leur  ordonne  de  s'arrêter  j  ôc  accourt  à  l'inftant  pour  recevoir  les 

droits.  Les  foldats  qui  étoient  cachez  dans  les  batteaux ,  ôc  la 

cavalerie  qui  écoit  embufquée  aux  environs,  fe  joignent ,  ôc  les 

enveloppent  de  tous  cotez.  Il  y  en  eut  bien  cinquante  tuez; 

les  autres  ayant  pris  la  fuite,  grimpèrent,  comme  ils  purent; 

au  travers  des  vignes,  rentrèrent  enfin  dans  la  ville,  qui  eftfort 

élevée  de  côté  là,  ôc  portèrent  avec  effroi  à  leurs  compagnons  la. 

nouvelle  de  leur  défaite» 

Pendant  ce  tems-là ,  les  Vicomtes  de  Borniquet,  de  Monclar^ 
de  Paulin  ôc  de  Gordon,  qui  n'avoient  pas  voulu  fe  joindre  à 
d'Acier,  qui  traverfoit  la  Guyenne  avec  fon  armée  (parce  qu'ils 
ne  croyoient  pas  qu'il  fut  à  propos  de  lailTer  derrière  eux  cette 
Province  dénuée  de  troupes  )  fe  tenoient  aux  environs  deMon- 
tauban,  de  Caftres,  de  Millaud,  ôc  dePuylaurens  ^  qui  étoient 
leurs  lieux  de  retraite ,  ôc  courans  çà  ôc  là  avec  fix  mille  hom- 
mes d'infanterie,  ôc  un  bon  corps  de  cavalerie,  ils  ravageoient 
tout  le  payis  jufqu'aux  portes  de  Touloufe.  Lorfque  d'Acier  fut 
allé  plus  loin ,  Montluc ,  pour  empêcher  ces  courfes ,  mit  trois 
compagnies  d'infanterie  à  Caftillon  fur  la  Dordogne,  ôc  autant 
àfainteFoi,  fous  les  ordres  de  Levron ,  ôc  il  envoya  Saintorens 
à  Libourne ,  avec  une  compagnie  de  cavalerie  ôc  trois  d'infan- 
terie pour  garder  cette  place ,  qui  eft  fituée  au  confluent  de  la 
Dordogne  ôc  de  Flfle ,  ôc  qui  eft  d'une  grande  importance  pour 
toute  la  Province.  Il  ordonna  en  même  tems  à  Fabien  de  Mont- 
luc fon  fils ,  d'occuper  avec  de  l'infanterie  les  poftes  les  plus 
avantageux  du  Quercy  ôc  de  l'Agenois» 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.         s^s 

De  PitCj  que  le  prince  de  Condé  avoit  envoyé  de  ce  côté  » 

là ,  pour  y  lever  le  plus  de  troupes  qu'il  pourroit ,  ayant  fait  un  Charle 
corps  de  douze  cens  moufquetaires,  ôc  de  deux  cens  chevaux,       \y^^ 
fe  rend  maître  de  Bergerac  ôc  de  fainte  Foi  5  ôc  ayant  laifTé  fon     ^  r  ^  9,,' 
infanterie ,  il  parcourt  tout  le  Périgord  avec  fa  cavalerie ,  ôc  met 
le  feu  à  tous  les  villages  fufpeds  d'avoir  eu  quelque  part  au  car- 
nage de  Mouvans  :  après  quoi  il  raflembla  fes  troupes ,  ôc  mar- 
cha du  côté  de  Saintes. 

Dans  ce  même  tems ,  la  compagnie  de  cavalerie  de  Bref- 
fault,  qui  étoit  à  Thoùars  ,  fut  furprife  ôc  taillée  en  pièces  par 
un  détachement  de  Royaliftes  fortis  de  Saumur.  Le  Capitai- 
ne, avec  un  petit  nombre  de  Ïqs  gens,  fe  fauva  en  habit  de 
valet. 

Ce  fut  vers  le  tems  que  Caffillac,  Seigneur  de  Ceiïai ,  Lieu- 
tenant de  la  compagnie  de  Guife  cavalerie,  fut  envoyé  par  le 
Roi  au  duc  d'Anjou  fon  frère,  qui  étoit  à  Vertueil  en  Angou^ 
mois.  11  lui  portoit  des  ordres  fecrets.  Comme  ilcouroitla  pof- 
te,  pour  faire  plus  de  diligence,  il  fut  arrêté  à  Coùé,  par  Vc- 
rac  qui  occupoit  les  chemins  avec  quelques  foldats ,  ôc  il  fut 
mené  à  la  Rochelle i  mais  lorfqu'il  fut  attaqué,  il  avoit  eu  la 
précaution  de  cacher  fi  bien  fon  paquet  ^  qu'on  ne  put  le  trou- 
vera ôc  lorfque  Verac  fe  fut  éloigné  ,  on  le  porta  au  duc 
d'Anjou. 

D'un  autre  côté,  BrifTac  étant  forti  de  Lufignan,  ôc  ayant  Briflac fur- 
fait  une  marche  dérobée,  furnrit  Monpommeri  à  S.  Eloi,  lui  P'^"'^^»'^»"- 
tua  environ  vingt  hommes,  ôc  1  obhgea  de  le  retirer  dans  le 
Château.  Il  pilla  la  ville,  ôc  fit  prifonniers  quelques  Capitaines, 
entr'autres  l'Abbé  de  S  .Jean  frère  de  Mongommcri  3  après  quoi 
craignant  d'être  enveloppé ,  il  fe  retira  à  fon  pofte.  A  quelque 
tems  de-là,  les  Proteftans  formèrent  le  deflfein  de  furprendre 
la  ville  de  Lufignan.  Mais  ayant  manqué  leur  coup,  ils  tour- 
nèrent du  côté  du  Château ,  où  Guron  commandoit  :  ils  îra-  r>    r  •  -,•  « 

ri-  •  •     j     1         V  1        1       ^i      Confpiranon 

gnerent  Ion  Lieutenant,  qui  promit  de  leur  hvrer  la  place  le  des  Proteftans 
17  de  Février  :  il  choifit  ce  jour-là  ,  parce  qu'il  fe  devo.t  alors  ^""^^^^  ^"^" 
donner  un  grand  repas  dans  la  ville,  ou  les  principaux  Om-  quéc. 
eiers  de  la  garnifon  étoient  invitez  :  ôc  les  Proteftans  dévoient 
fe  rendre  auprès  des  portes.  Le  jour  venu,  le  Lieutenant  vieni 
dans  le  Château,  avec  fept  de  fes  complices,  ôc  ayant  maffa- 
cré  le  corps  de  garde,  ou  il  y  avoit  peu  de  monde,  il  va  droit 

Bbbbiij 


^66  HISTOIRE 

à  Guron,  qui  fortoit  au  bruit  qu'il  venoit  d'entendre  ,  6c  lui 
ç>  porte  un  coup,  qui  l'eut  tué.  Il  fa  femme  s'e'tant  jettée  entre  deux 

I Y  n'eût  reçu  le  coup ,  qui  la  tua.  Le  Lieutenant  n'ayant  pu  tuer  le 
/  Commandant  ,  ne  put  fe  rendre  maître  de  la  place.  Gurou 
échappé  de  fes  mains,  fe  fauva  dans  le  donjon  du  château ,  ôc 
à  force  de  crier,  il  réveilla  enfin  fes  compagnons  qui  étoient  à 
boire  :  ils  vinrent  promptement  à  fon  fecours,  &  montant  par 
delTus  les  murs  ,  parce  que  les  Conjurez  étoient  maîtres  des 
portes ,  ils  tuèrent  le  Lieutenant  &  fes  complices ,  avec  tous  ceux 
qui  étoient  entrez  dans  le  château ,  ôc  confervercnt  ainfi  cettg 
place  au  Roi.  ' 

Autre conf-  ^"  découvrït  vcrs  le  même  teras  une  autre  conjuration ,  que 
piration  man-  CateviUc  avoït  tramée  avec  quelques  Gentilshommes  de  Nor^ 
îê"deDkppl"  n^andie ,  pour  furprendre  Dieppe.  La  NoblefTe  du  payis  étoit 
fâchée  de  voir  que  les  Edits  du  Roi  étoien':  fi  mal  obfervez  j  Ôc 
ne  pouvant  plus  foufFrir  l'injuftice  &  la  dureté  des  Gouverneurs, 
elle  cherchoit  à  fe  procurer  un  afile  pour  elle ,  ôc  pour  tous  ceux 
qui  faifoient  profelïioa  de  la  même  Religion.  Cateville  com- 
muniqua fon  deiïein  à  un  Officier,  qui  avoir  fous  lui  quelques 
foldats,en  qui  il  avoit  grande  confiance.  Cet  Officier,  ou  ef- 
frayé du  péril ,  ou  ayant  horreur  du  projet ,  le  découvrit  à  Ci- 
cogne  gouverneur  de  la  place  ,  qui  en  donna  auffi-tôt  avis  à 
Jean  de  Moùy  feigneur  de  la  Meilleraye.  Cateville  fut  arrêté 
par  fon  ordre  ,  &  ayant  été  interrogé  ,  il  avoua  qu'il  avoit  fait 
part  de  fon  deflein  à  Lignebœuf,  qui  étoit  un  Gentilhomme 
des  plus  confiderables  du  payis  de  Caux ,  6c  fort  ami  de  la 
Meilleraye.  Lignebœuf  fut  mandé  :  quoi  qu'il  fçût  que  Cate- 
ville étoit  arrêté,  il  comptoit  tellement  fur  l'amitié  de  la  Meille- 
raye, qu'il  ne  fit  aucune  difficulté  de  venir.  Ayant  été  inter- 
rogé, il  avoiia  que  Cateville  lui  avoit  parlé  de  fon  projet:  mais 
il  affura  en  même  tems  qu'il  s'y  étoit  fortement  oppofé ,  &  avoit 
fait  fon  poffible  pour  l'en  détourner  i  Cateville  lui-même  en 
convenoit.  Cependant  comme  il  n'avoit  point  découvert  la 
conjuration ,  le  parlement  de  Rouen  le  condamna  à  mort ,  aufli 
bien  que  Cateville,  L'a£lion  de  la  Meilleraye  fut  interprétée 
différemment  :  bien  des  gens  condamnèrent  fa  féverité ,  com- 
me outrée  5  mais  le  plus  grand  nombre  le  loiia,  d'avoir  eu  affez 
de  vertu,  pour  facrifier  un  ami  particulier  aux  intérêts  de  la  Ré- 
publique. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.       $6i 

Les  Proteftans  firent  dans  le  même  tems  une  pareille  tenta- 


tive fur  le  Havre  ,  ou  Sarlaboz  commandoit  avec  quatre  com-  Ch  a rl E' 
pagnies  d'infanterie.  Ils  avoient  un  vaifTeau  à  l'ancre ,  qui  étoit,        \y^^ 
difoient-ils ,  chargé  de  cuirs  de  Barbarie.  On  le  fît  entrer  dans     1^60, 
îe  Port  avec  la  permifîion  du  Commandant  :  ce  bâtiment  ctoit     Autre  en- 
plein  de  foldats  cachez.  Lorfque  la  nuit  fut  venue ,  ils  en  forti-  If'^i^'^îf  '•^ 

*  -  ,  /i/-i^ii-  •/•  1  rroteltans  fur 

rent,  &  ayant  donne  le  lignai  aux  habitans,  quietoient  du  com-  le  Havre, fans 
plot,  ils  coururent  en  foule  à  la  place  5  6c  après  avoir  fait  main-  ^^^'^'^• 
bafTe  fur  îe  corps  de  garde ,  ils  remplirent  la  ville  de  tumulte  Ôc 
d'épouvante.  Sarlaboz  ne  f(^achant  quel  parti  prendre  au  milieu 
des  ténèbres  de  la  nuit,  ne  put  faire  autre  chofe ,  que  d'envoyer 
des  gens  pour  faire  la  garde  aux  portes ,  &  d'autres  pour  faire 
la  ronde  autour  des  murailles.  Enfin  le  jour  ayant  paru ,  le  dé- 
fordre  celTa  ,  le  nombre  des  Conjurez  s'étant  trouvé  plus  petit 
qu'on  ne  penfoit ,  ôc  incapable  de  tenir  tête  à  la  garnifon.  La 
plupart  regagnèrent  leur  vailTeau ,  &  s'enfuirent,  les  autres  ayant  ] 

été  pris  ôc  convaincus,  par  une  information  exaâe  que  fit  faire  i 

Mantaigu  confeiller  au  parlement  de  Rouen  ,  furent  condam- 
nez à  mort.  i 
L'hy ver  commençant  à  devenir  plus  fupportable ,  les  armées  les  srmces  ' 
fortirent  de  leurs  quartiers.  Le  duc  d'Anjou  ayant  prisfamar-  Te  mettent  »n  , 
che  par  le  Poitou  ,  le  Limoufm  ôc  l' Angoumois ,  cotoyoit  la  ri-  ^^^'"P^S"^'  i 
viere  de  Charante ,  comme  s'il  eût  eu  quelque  deffein  fur  ChaT  | 
teamieuf ,  afin  de  fe  mettre  entre  le  prince  de  Condé  ôc  de  Pi-  \ 
le ,  qui  lui  amenoit  un  renfort  confîderabîe,  ôc  d'empêcher  leur 
jon6lion.  Le  Prince ,  pour  le  prévenir ,  paffa  la  Charante  à  Co- 
gnac ,  ôc  marcha  droit  à  Châteauneuf ,  oii  il  y  avoit  un  com-- 
mandant  EcofTois.  Il  fembloit  que  le  Prince  cherchoit  uneba» 
taille,  ôc  le  duc  d'Anjou,  dont  l'armée  avoit  été  renforcée ,  ne 
paroiffoit  pas  la  vouloir  éviter.  Cîayde  de  Savoye  comte  de 
Tende,  qui  avoit  fuivi  le  duc  de  Nemours  jufqu  à  Sancerre, 
fe  fepara  de  lui  en  cet  endroit ,  ôc  fe  rendit  à  l'armée  du  duc 
d'Anjou ,  avec  trois  mille  hommes  de  pié ,  Ôc  une  très  belle  ca- 
valerie. Outre  cela  le  Rhingrave  Philippe,  ôc  Chriftophle  de 
Baffompierre  lui  avoient  amené  deux  mille  chevaux  Allemands^ 
ayant  laifTé  en  Lorraine  le  duc  d'Aumale  Nemours,  ôc  le  ba- 
ron des  Adrets ,  pour  s'oppofcr  au  palfage  des  troupes  Aile-  i 
mandes  qui  marchoient  au  fecours  de  Condé.  Le  duc  d'An- 
jou étant  arrivé  à  Confolans  en  Limoufm  ,  ôc  y  ayant  païïe  la 


tfmKmmmumoHB 


5<^S  HISTOIRE 

•  Vienne ,  prit  la  route  de  Vertueil.  Il  y  apprit  que  le  deHeln  des 


nrj  A  D  r  n  Confedcrez  ,  etoit  daller  au-devant  des  troupes  que  de  Pile 
jy  leur  amenoit  j  &  que  c  etoit  dans  cette  vue  qu  ils  marciioient 
j  ^  ^'  du  côté  de  Cognac  pour  y  pafler  la  Charante ,  afin  de  recevoir 
"  '  les  troupes  que  les  Vicomtes  leurs  envoyoient ,  &  qui  venoicnt 
lentement ,  parce  que  leurs  marches  étoient  difficiles  ôc  dan- 
gereufes  ;  que  leur  deiïein  étoit  ^  lorfque  toutes  hurs  forces  fe- 
roient  jointes,  de  marcher  du  côté  de  la  Loire,  pour  y  atten- 
dre Wolfang  de  Bavière  duc  des  Deux -Ponts  ,  qui  venoit 
les  joindre  avec  une  armée  d'Allemands.  Sur  cet  avis,  le  duc 
d'Anjou  refolut  de  les  prévenir.  Pour  cet  effet ,  il  détache  Har- 
douin  de  Villiers  feigneur  de  Rivière  ,  avec  un  corps  de  bon- 
nes troupes ,  pour  fe  failir  de  Jarnac.  Jl  n'en  fut  pas  plutôt  maî- 
tre ,  que  Coligni  étant  furvenu,  l'y  attaqua.  Villiers  voyant  qu'il 
ne  pouvoit  pas  tenir  dans  la  ville,  fe  retira  dans  le  château.  On 
y  amena  du  canon  5  il  fe  défendit  encore  quelques  jours.  Mais 
voyant  que  le  fecours  n'arrivoit  pas  auffi-tôt  qu'on  le  lui  avoit 
fait  efperer,il  promit  de  fe  rendre,  à  condition  qu'il  auroit  la 
vie  fauve ,  &  qu'il  pourroit  emporter  fes  effets.  La  capitulation 
étant  acceptée ,  il  rendit  la  place  à  Briquemault ,  à  qui  Coligny 
avoit  laiffé  la  conduite  du  fiége.  On  y  mit  en  garnifon  le  vi^ 
comte  de  Montamar  avec  fon  régiment. 

Le  duc  d'Anjou  ne  pouvant  plus  paffer  la  Charante  fur  le 
pont  de  Jarnac ,  comme  il  l'avoit  efperé  ,  alla  paffer  cette  ri- 
vière au-deffus  d'Angoulême  ,  &  ayant  pris  Ruffec  enpaffant, 
il  paffa  la  garnifon  au  fil  de  l'épée  3  ôc  la  ville  de  Melle  en  Poi- 
tou ayant  été  prife  dans  le  même  tems,  la  garnifon  eut  le  mê- 
me fort.  De-là  le  duc  d'Anjou  marcha  du  côté  de  Château- 
neuf  Cette  ville  fituée  fur  la  Charante  ,  entre  Angoulême  & 
Jarnac ,  ou  il  n'y  avoit  que  foixante  hommes  de  garnifon,  avoit 
été  prife  par  de  Piie^  dans  le  tems  qu'on  afhégeoit  Angoulê- 
me ,  6c  les  Confédérez  y  av oient  mis  une  forte  garnifon.  Elle 
ouvrit  peu  de  tems  après  les  portes  aux  troupes  du  Roi,  l'Ecof- 
fois  qui  y  commandoit  ayant  eu  permiffion  d'en  fortir  vie  &  ba- 
gues fauves.  On  fit  à  l'inftant  rétablir  le  pont  que  les  Prote- 
flans  avoient  rompu ,  ôc  l'on  donna  ordre  d'en  faire  un  autre 
de  bateaux  :  ce  fut  Armand  de  Gontaud  de  Biron  qui  fut  char- 
gé de  ce  foin.  L'armée  du  Roi  marcha  enfuite  vers  Cognac  > 
pour  faire  croire  aux  ennemis  qu'on  ne  penfoit  plus  à  paffer  la 

Charante 


DE  J.  A.  DE   THOU^Liv.XLV.        y^p 

Charanteà  Châteauneuf  :  mais  auiïi-tôt  elle  revint  fur  fes  pas.  » 

Coligny  qui  menoit  l'avant-garde  ,  voulant  reconnoître  les  /-^ 
ennemis  de  plus  prés ,  fortit  de  Jarnac  avec  huit  cens  chevaux ,        jv 
&  autant  de  moufquetaires ,  ôc  marcha  à  leur  rencontre ,  la  ri-  ^* 

viere  entre  deux.  Quelques  détachement  de  l'armée  du  Roi 
ayant  pafle  la  rivière  en  bateau ,  on  efcarmoucha  pendant  quel- 
que tems. 

Coligny  croyant  qu'il  y  alloit  de  fon  honneur ,  d'empêcher 
que  les  ennemis  ne  s'avançaflent  plus  loin  fans  combat ,  va 
camper  plus  près  d'eux  ,  pofte  deux  regimens  d'infanterie  à  un 
quart  de  lieue  de  leur  camp  ,  ôc  huit  cens  chevaux  derrière , 
pour  foûtenir  cette  infanterie,  fi  elle  étoit  attaquée,  ôc  leur  or- 
donne s'il  arrivoit  quelque  chofe  ,  d'en  avertir  promptement 
les  Généraux.  Ces  ordres  ainfi  donnez,  il  va  à  Bafîac  ',  qui  étoit 
entre  Jarnac  ôc  le  camp  du  duc  d'Anjou  :  mais  l'infanterie  ôc 
la  cavalerie  qu'il  avoir  poftée ,  comme  je  viens  de  le  dire ,  mur- 
murant contre  les  fouriers  de  l'armée  qui  les  avoient  mis  dans 
un  pofte  fi  incommode,  l'abandonnèrent,  ôc  allèrent  dans  un 
autre  endroit.  Ce  fut  une  grande  faute ,  ôc  qui  fut  très  funefte 
à  leur  parti  j  car  cela  fut  caufe  que  les  troupes  qu'on  avoit  pla- 
cées ,  pour  empêcher  les  ennemis  de  pafler ,  fe  trouvèrent  trop 
foibles  pour  les  attaquer ,  ou  pour  les  repoufler  vigoureufement , 
ou  du  moins  pour  leur  faire  craindre  que  toute  l'armée  du  prin- 
ce de  Condé  ne  fût  là  5  ce  qui  étoit  précifement  l'intention  que 
Coligny  avoit  eue  dans  la  difpofition  qu'il  avoit  faite. 

Biron  ayant  achevé  fon  pont  avec  une  extrême  diligence, 
l'armée  du  Roi  commença  à  pafler  vers  minuit  en  grand  filen- 
ee  y  il  n'y  eut  qu'environ  cinquante  cavaliers  des  ennemis  qui 
s'en  apperçurent  vers  le  point  du  jour  :  mais  il  étoit  trop  tard  j 
^  tout  ce  que  put  faire  Coligny ,  à  qui  ils  en  donnèrent  avis ,  fut 
d'envoyer  l'ordre  à  tous  ces  petits  corps  difperfez  çà  ôc  là ,  aflez 
loin  les  uns  des  autres ,  de  fe  rendre  tous  à  Baflac ,  où  il  étoit , 
afin  de  pouvoir  faire  une  retraite  honorable  à  la  vue  de  l'ar- 
mée du  Roi  :  en  même  tems  il  envoya  devant  l'infanterie  avec 
les  bagages.  Si  cet  ordre  avoit  été  exécuté  auffi  promptement 
qu'il  pouvoit  l'être  ,  Coligny  fe  feroit  retiré  fans  perte.  Mais 
il  fe  pafla  trois  heures  avant  que  Montgommeri  ôc  Pluviaut  euf- 
lent  raflcmblé  leurs  gens  h  ôc  d'Acier,  qui  avoit  pris  une  autre 

1  Abbaïe  de  S.  Benoît ,  fur  la  rive  droite  de  la  Charante ,  près  de  Jarnac. 

Tome  V,  Ce  ce 


Sio  HISTOIRE 

I.  route  i  marcha  du  côté  d'Angoulême  :  ainfi  il  étoit  trois  heu- 
Charle  "-^^  après  midi  lorfque  tout  cela  fut  rafTemblé,  &  alors  prefque 
j^        toute  l'armée  du  Roi  étoit  pafTée  ,  Ôc  attaquoit  déjà  vivement 
j  ^  ^  Q^    l'arriere-garde  conduite  par  la  Noue. 

^Condé  qui  menoit  le  corps  de  bataille,  ôc  qui  faifoit  fa  re- 
traite ,  ayant  appris  ce  qui  fe  pafToit ,  fait  faire  alte  à  fes  trou- 
pes. La  Noue  avoit  à  peine  fait  une  demi-lieuë  de  chemin, 
qu'il  fut  pouffé  vigoureufement ,  par  un  gros  des  troupes  du 
<Roi.  D'Andelot  qui  fe  trouva  près  de-là  ,  les  ayant  reçus  de 
même  ,  la  perte  ne  fut  pas  grande.  A  peine  s'étoient-ils  remis 
en  marche,  qu'un  plus  gros  corps  commandé  par  le  duc  de 
Guife,  par  Martigucs,  par  Jean  de  Sourches  feigneur  de  Ma- 
hcorne,  ôc  par  le  jeune  Briffac,  vint  de  nouveau  tomber  fur 
l'arriere-garde.  La  Noue  foûtint  cette  attaque  avec  une  valeur 
extrême  5  mais  ayant  été  renverfé  de  deffus  fon  cheval ,  il  fut  fait 
prifonnier  avec  la  Loue  :  fes  troupes  furent  renverfées  fur  d'An- 
delot  ,  qui  non-feulement  foûtint  tout  l'effort  des  ennemis ,  mais 
repoufTa  même  BrifTac  avec  perte.  Dans  ce  choc  les  Catholi- 
ques perdirent  Jacque  de  Balaguier  feigneur  de  Monfalez  , 
Jean  de  Billy  feigneur  dePrunay,  &  quelques  autres.  Ayant 
reçu  un  nouveau  renfort  de  Moufquetaires  ,  ils  fe  rendirent 
maîtres  de  BafTac  :,  ôcs'y  fortifièrent  fî  bien  qu'il  fut  impofhble 
de  les  en  chaffer. 
Bataille  de  Coligny  en  ayant  été  informé  par  d'Andelot ,  en  donna  avis 
Jarnar.  au  prince  de  Condé  ,  ôc  lui  fit  dire  qu'il  étoit  important  qu'il 

fit  marcher  fur  le  champ  tout  ce  qui  lui  refloit  de  troupes  de  fon 
avant- garde  j  ce  qu'il  exécuta  avec  beaucoup  de  diligence  ,  ôc 
il  les  rangea  en  bataille  à  la  gauche  au  -  deffous  d'une  petite 
colline.  Coligny  chargea  le  premier ,  ayant  fait  marcher  de- 
vant lui  la  Tour  du  Châteher ,  qui  venoit  de  joindre  Condé  , 
après  avoir  ramené  fa  flotte  à  la  Rochelle.  Comme  la  Tour  étoit 
à  la  tête  ,  ôc  qu'il  exhortoitles  troupes  à  bien  faire  en  leur  mon- 
trant l'exemple,  fon  cheval  ayant  été  tué  fous  lui^  il  fut  ren- 
verfé ôc  pris  :  par  malheur  on  reconnut  que  c'étoit  lui ,  qui  cinq 
ans  auparavant  avoit  tué  Charry  à  Paris  j  ainfi  il  fut  tué  au  mo- 
ment même. 

Prefque  toute  l'armée  du  Roi  étoit  pafTée  ,  ôc  elle  commen- 
^oità  s'étendre  beaucoup  fur  la  gauche,  où  Soubife^  l'Anguil- 
lier,  Piuviaut,  Claveau  ôc  quelques  autres  Seigneurs  du  Poitou 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.       f-ji 

commandoient  :  le  combat  y  fut  rude  ,  les  Confédérez,  qui  

fe  trouvèrent  enfermez   entre   les  Royaliftes  6c  la  rivière  >  Chaple 
ôc  qui  d'ailleurs  étoient  fort  inférieurs  en  nombre,  y  fouffri-       jy' 
rent  beaucoup.   Soubife  6c  Languillier  furent  pris  :  mais  lèpre-     j  ^  ^' 
niier  s'échappa  des  mains  de  ceux  qui  le  gardoient.  Mefan- 
chere,  ôc  laBrandonniere  furent  tuez  dans  la  chaleur  du  com- 
bat. Il  y  avoir  encore  la  chauffée  de  l'étang,  où  les  Confédé- 
rez  fe  défendoient  ;  mais  y  ayant  été  attaquez  par  un  gros  de 
cavalerie  Allemande,  ils  furent  obligez  de  plier  j  puis  ils  fe 
mirent  à  fuir  à  la  débandade.  Condé  au  delefpoir  s'étant  ap- 
proché d'eux  avec  trois  cens  chevaux ,  leur  parla  ainfi  :  «  Voici,     Harangue 
«mes amis,  ce  que  vous  aviez  fouhaité  inutilement  jufqu'ici.  ^onj^"â\o^ 
M  Non-feulement  vous  pouvez  combattre  votre  ennemi ,  mais  armce. 
»>  vous  y  êtes  forcez  :   tout  ce  que   vous  pouviez   attendre 
«  de  la  prudence  ôc  de  l'habileté  de  vos  Généraux  ,  pour  vo- 
»  tre  fureté  6c  pour  la  leur  ,  ils  l'ont  fait  pleinement  :  c'eft  à 
»>  nous  à  vaincre  à  prefent  par  notre  courage  toutes  les  diffi- 
9'  cultez  du  lieu  Ôc  du  tems  ,  6c  toutes  celles  qui  fe  prefentent 
»>  dans  la  fituation  où  la  fortune  de  la  guerre  nous  a  mis.  Vous 
"  venez  de  voir  le  corps  de  bataille  des  ennemis  repouffé  par 
'!»  d'Andelot  :  Coligny  vient  de  l'ébranler  tout  de  nouveau  > 
w  nous  le  renverferons  entièrement  avec   l'aide  de  Dieu  ,  fi 
»>  nous  l'attaquons  avec  toute  la  bravoure  qu'on  doit  attendre 
»  de  nous.  Notre  Dieu  efl  le  Dieu  des  armées  :  il  aime  à  être 
0'  ainfî  nommé  :  il  fe  déclare  toujours  pour  la  bonne  caufe  h  il 
»  ne  manque  jamais  defecourir  ceux  qui  le  fervent  i  6c  il  nous 
»  protégera  infailhblement ,  fi  après  avoir  pris  les  armes  pour 
»  la  liberté  de  nos  confciences ,  nous  mettons  toute  notre  ef- 
»'  perance  en  lui  :  ne  craignons  point  la  multitude  de  nosen- 
0'  nemis  j  c'eft  fa  caufe  que  nous  défendons ,  il  va  les  difTiper 
f»  de  fon  foufHe.  Mais  il  s'agit  de  combattre ,  ôc  non  de  déli- 
»  bérer.  Ne  longeons  à  la  retraite  ,  qu'après   que  nos  enne- 
»  mis  feront  défaits.  Quel  que  puiffe  être  l'événement  ,  mes 
"  amis  ,  je  prie  de  tout  mon  cœur  nôtre  Dieu  ,  arbitre  de 
«  la  guerre  Ôc  de  la  victoire ,  que  fi  le  combat  tourne  à  no- 
35  tre   avantage  ,  ce  foit  pour  fa  gloire  ,  ôc  que  fi  le   con- 
3>  traire  arrive  ,  le  malheur  de  cette  journée  retombe  fur  moi 
S'  feul.  " 

AufTi-tôt  il  s'avance  avec  un  air  intrépide,  ôc  charge  avec 

C  c  c  c  ij 


n^  HISTOIRE 

,  tant  de  vigueur,  que  tout  plie  devant  lui.  Mais  le  duc  d'Anjou 
r>  rr  .  ,, ,  r,  amvant  dans  le  moment  avec  le  refte  de  l'armée  ,  il  fut  en- 
j  ^  veloppé  de  toutes  parts  :  après  un  combat  opiniâtre  ,  qu'il 
*  rétablit  plufieurs  fois ,  fe  trouvant  toujours  à  la  tête,  faifant  en 
Le  prince  nicmc-tcms  le  devoir  de  capitaine  ôc  de  foldat,  6c  allant  de 
de  Condc  e(i  rang  en  rang  ,  pour  ranimer  fes  troupes  par  fes  difcours  ôc  par 
défait ,  pns  ç^^^  exemple ,  il  fe  vit  enfin  abandonné,  &  accablé  par  fon  che- 
val ,  qui ,  percé  de  coups ,  fe  renverfa  fur  lui.  Dans  cet  état  il 
reconnut  un  officier  des  ennemis  nommé  Tifon  d'Argence  j 
ôc  un  autre  nommé  S.  Jean.  Ayant  levé  la  vifiere  de  fon  caf- 
que ,  il  fe  fit  connoître  ôc  fe  rendit.  Ils  lui  donnèrent  leur  pa- 
role de  lui  fauver  la  vie.  Mais  Montefquiou,  capitaine  des 
Gardes  du  duc  d'Anjou ,  étant  furvenu  avec  des  ordres  fecrets, 
à  ce  qu'on  croit ,  les  mit  hors  d'état  de  tenir  leur  parole  j  car 
s'étant  approché ,  dans  le  tems  que  le  Prince  leur  parloir ,  ii 
lui  tira  un  coup  de  piftolet  par  derrière  Ôc  le  tua. 
5on  éloge.  Ainfi  mourut  Louis  de  Bourbon  Condc,  prince  du  Sang 
Royal ,  bien  plus  illuftre  par  fon  courage  guerrier  ,  ôc  par  fes 
hautes  vertus,  que  par  la  grandeur  de  fa  nailTance.  La  valeur, 
la  conftance  ,  l'efprit ,  l'adrefTe ,  lafagacité,  l'expérience,  la  po- 
litefTe ,  l'éloquence  Ôc  la  libéralité  fe  trouvèrent  réunies  en  lui" 
dans  un  degré  éminent:il  y  eut  peu  de  Seigneurs  de  fon  tems 
qui  l'égalaffent  dans  toutes  ces  vertus  j  mais  de  l'aveu  même 
de  fes  ennemis ,  il  ne  s'en  eft  pas  trouvé  un  feul  qui  l'ait  fur- 
paflfé.  Sa  mort  fut  fuivie  de  celle  de  plufieurs  grands  perfon- 
nages  ,  ôc  de  tant  de  malheurs  ,  que  l'on  crut  le  parti  Protef- 
tant  entièrement  ruiné  :  mais  la  conftance  ôc  la  bonne  con- 
duite de  Coligny  le  releva  bien-tôt,  contre  l'opinion  de  tout  le 
monde  ,  ôc  les  chofes  tournèrent  de  manière ,  qu'on  fut  obligé 
de  terminer  par  un  Traité  de  paix  une  guerre,  quifembloit  ter- 
minée par  la  vidoire  du  duc  d'Anjou.  Les  Proteftans  y  per- 
dirent ,  outre  ceux  que  j'ai  dit ,  Chriftophle  de  Rochechouart 
feigneur  de  Chandenier  ,  Jule  de  Beaumont  de  Rieux ,  Bef- 
fon  l'aîné ,  Tabatière  le  jeune ,  Barette  ,  la  Meilleraie  ,  ôc  en- 
viron cinquante  autres  gentilshommes  du  Poitou  j  ôc  outre 
cela  Montejan ,  Duglas  Ôc  Corneille ,  gentilshommes  EcofTois , 
ôc  Auger  de  la  Moriniere  officier  d'infanterie  :  mais  comme 
ce  ne  fut  prefque  qu'un  combat  de  cavalerie,  ôc  qu'excepté 
le  régiment  de  Pluviaut ,  il  y  eut  très-peu  de  gens  de  pré  qui 


DE  J.  A.  DE   THOU.  Liv.XLV.       575 

combatifTent^  l'infanterie  des  Proteftans  perdit  peu  de  monde.  ,. 

Robert  Stuart  Ecoflbis ,  qu'on  accufoir  d'avoir  tué  deux  ans  Ch-\rî  e 
auparavant  le  connétable  de  Montmorenci  à  la  journée  de  S.        |  ^ 
Denys,  fut  pris  dans  ce  combat  ôc  tué  enfuite  à  coups  de  poi-     j  r-  5  g 
gnard.  Courboufon  frère  de  Montgommery  ,  &  Guerchy  , 
qui  étoit  dangereufement  bleffé  ,  tombèrent  entre  les  mains 
des  Royaliftes.  La  Noue  fut  échangé  avec  Sefiacj  Courbou- 
fon qui  avoir  demandé  d'être  échangé  contre  lui,  piqué  qu'on 
lui  eût  préféré  la  Noue ,  quitta  l'armée  y  ôc  fe  tint  chez  lui.  On 
compte  que  les  Proteftans  perdirent  dans  ce  combat  quatre 
cens  hommes  ,  ôc  les  Catholiques  la  moitié  moins.  Les  prin- 
cipaux de  ceux  qui  furent  tuez  du  côté  àcs  derniers ,  furent 
Monfalez  jPrunay  j  Ingrande  ,  Pic  comte  delà  Mirandole,  le 
comte   de  Moret ,  Moncanvre  ,  Lignere  qui  avoir  défendu 
Chartres  un  an  auparavant ,  ôc  quelques  autres. 

Coligny  ôc  d'Andelot  ayant  fçû  la  mort  du  prince  de  Con- 
dé,  ôc  voyant  qu'il  n'y  avoit  pas  moyen  de  raflbrer  les  fuyards 
ni  de  les  arrêter  y  fe  retirèrent  avec  quelques  gentilshommes 
fort  braves ,  ôc  prenant  un  autre  chemin  fur  la  droite ,  ils  ga- 
gnèrent Saint  Jean  d' Angely.  L'infanterie ,  à  qui  le  prince  de 
Condé  avoit  fait  prendre  les  devants.perfuadée  qu'on  ne  pou  voit 
prefque  pas  éviter  d'en  venir  à  un  combat^  avoit  repris  la  route 
de  Jarnac  ,  pour  fecourir  fon  parti  ;  mais  elle  apprit  en  arrivant 
que  les  Confédérez  avoient  été  battus ,  ôc  peu  s'en  fallut  qu'elle 
ne  fut  furprife  par  les  troupes  du  Roi ,  qui  pourfuivoient  les 
fuyards.  Ayant  eu  le  tems  de  pafTer  la  rivière,  elle  rompit  les 
ponts  avec  tant  de  diligence  ,  que  les  vainqueurs  ne  purent  la 
joindre.  Ce  fut  le  cinq  de  Mars  que  ce  combat  fut  donné.  Le 
duc  d'Anjou  arriva  le  même  jour  à  Jarnac  ,  ôc  le  corps  du 
prince  de  Condé ,  mis  par  dérifion  fur  une  ânefl'e ,  y  fut  apporté 
le  même  jour.  On  le  rendit  au  prince  de  Bearn  ,  qui  le  fit  en- 
terrer à  Vendôme  dans  le  tombeau  de  fcs  ancêtres. 

Le  duc  d'Anjou  goûta  en  jeune  homme  le  plaifir  de  la  vic- 
toire qu'il  venoit  de  remporter.  Après  avoir  rendu  publique- 
ment à  Dieu  des  adions  de  grâces ,  il  eut  envie  de  bâtir  une 
chapelle  dans  l'endroit ,  où  le  prince  de  Condé  avoit  été  tué> 
Claude  de  Saintes  fameux  prédicateur,  ôc  depuis  évêque  d'E- 
vreux,  lui  avoit  infpiré  cette  idée.  Il  changea  depuis  de  fenti- 
ment^par  un  confeil  beaucoup  plus  fage  que  lui  donna  Fran(^ois 

C  c  c  c  iij 


5'74  HISTOIRE 

r:=r:i-~.=:rr  dc  Camavaîet ,  qui  lui  fit  entendre  que  c  e'roit  le  moyen  de 
Charle  perfuader  à  tout  le  monde  ,  qu'il   avoit  fait   tuer  le  prin- 
IX.        ce  de  Condé  ,  comme  le  bruit  en  couroit  déjà.  Ainfi  il  fe 
I  5  (^p.     contenta  de  dépêcher  un  courier  au  Roi,  pour  lui  porter  en 
diligence  la  nouvelle  de  ce  grand  fucccs.  Le  Roi  s'étoit  avan- 
cé jufqu'à  Metz  pour  foûtenir  le  duc  d'Aumale  ,  qu'il   avoit 
envoyé  avec  un  corps  d'armée, pour  s'oppofer  aux  Allemands 
quialloient  joindre  le  prince  de  Condé  ,  ôc  les  empêcher  d'en- 
trer en  France.  Le  courier  étant  arrivé  à  minuit  ,  le  Roi    fe 
leva  &L  fe  rendit  auiïi-tôt  avec  toute  la  Cour  à  l'Eglife  Mer 
tropolitaine  ,  pour  y  faire   chanter  le  TeDeum^  eniuite  il  en- 
voya ordre  par  tout  le  Royaume  d'eu  rendre  grâces  à  Dieu 
par  des  prières  publiques. 

Ceux  qui  fe  fauverent  de  la  déroute ,  gagnèrent  Cognac  , 
où  ils  arrivèrent  à  l'entrée  de  la  nuit.  D'Acier  s'y  rendit  aufîl 
avec  cent  enfeignes  de  gens  de  pié ,  qui  ne  s'étoient  point  trou- 
vez au  combat:  il  avoit  avec  luiBaudiné,  Ton  frère  Blacons  , 
du  Chelar  ,  Mirabel,6c  quelques  autres  Seigneurs.  Entre  les 
officiers  de  cavalerie  ,  Montgommery  ,  la  Rochefoucauld , 
Chaumont,6c  quelques  autres  vinrent  l'y  joindre.  La  reine  de 
Navarre  ,  qui  avoit  un  grand  cœur  ôc  un  efprit  mâle ,  y  étant 
accourue  fur  le  champ  ,  fit  à  tous  ces  Seigneurs  ,  ôc  aux  trou- 
pes qui  formoient  un  cercle  autour  d'elle,  un  difcours  propre 
à  leur  relever  le  courage.  Elle  loua  d'abord  le  feu  prince  de 
Condé  ,  fon  beaufrere  ,  qui  avoit  montré,  dit-elle,  jufqu'à  fa 
mort  autant  de  fidélité  que  de  valeur,  pour  foûtenir  la  caufe 
jufte  dont  il  avoit  entrepris  la  défenfe  :  elle  les  exhorta  à  imiter 
fon  courage  ôc  fa  fermeté ,  ôc  à  prendre,  à  fon  exemple  ,  une 
ferme  réfolution  de  combattre  pour  la  défenfe  de  la  vérité 
Ôc  de  la  liberté  de  la  patrie  ,  qui  étoit  en  bute  aux  efforts  im- 
pies de  quelques  méchans  hommes.  Qu'il  ne  falloir  pas  croire 
qu'une  fi  bonne  caufe  fût  éteinte  avec  ce  grand  Prince  ; 
Que  le  malheur  qui  lui  étoit  arrivé,  ne  devoit  pas  jetter  dans 
le  defefpoir  des  hommes  aufll  remplis  de  pieté  qu'ils  fétoient: 
Que  Dieu,  dont  il  foûtenoit  la  caufe,  avoit  pourvu  à  fa  dé^ 
fenfe  :  Qu'il  lui  avoit  afibcié  pendant  fa  vie  des  hommes  ,  qui 
étoient  en  état  de  remédier  promptement  ôc  facilement  aux 
maux  que  fa  mort  pourroit  caufer  :  Qu'ils  voyoient  devant 
eux  le  prince  de  Bearn  ,  ôc  le  fils  du  grand  Condé,  qui  n  étoit 


D  E  J.   A.   DE    THOU,Liv.   XLV.        H) 

pas  moins  héritier  de  fa  valeur  ,  que  de  fon  nom  :  Qu'elle  ne 
doutoit  pas  que  ces  deux  jeunes  Princes,  aidez  de  tous  les  Charle 
Grands  quiétoient  dans  cette  aflemblée  ,  ne  fuflent  un  jour       j  x. 
en  état  de  foûtenir  une  caufe  fi  louable.  Voilà  à  peu  près  ce     i  c  c  o. 
qu'elle  dit  en  préfence  des  Seigneurs  ôc  de  l'armée.  Mais  elle 
dit  en  particulier  à  fon  fils  tout  ce  qu'elle  jugea  capable  d'en- 
flamer  fon  jeune  cœur.  Elle  retourna  enfuite  à  la  Rochelle   , 
pour  procurer  à  fon  parti  de  nouveaux  fecours. 

Les  Généraux  tinrent  confeil  fur  ce  qu'il  y  avoir  à  faire  dans 
la  conjondure  prefente.  Un  des  points  les  plus  importans 
qu'on  y  agita  ,  fut  de  fçavoir  en  quel  endroit  on  mettroit  les 
Princes  :  c'eft  ainfi  qu'ils  appelloicnt  le  prince  de  Bearn  ,  & 
le  jeune  prince  deCondé,  fous  lesaufpices  defquelsla  guerre 
fe  continua  depuis.  Plufieurs  étoient  d'avis  qu'ils  fifient  leur 
féjour  à  Angoulême  ,  ville  bien  fortifiée  &  par  l'art  &  par 
la  nature  ,  &  qui  ne  pouvoir  être  afiiégée.  D'autres  difoient 
qu'il  valoir  mieux  qu'ils  demeurafi'ent  à  Cognac  auprès  d'eux , 
de  peur  que  leur  éloignement  n'achevât  d'abattre  le  courage 
des  troupes  ,  confternées  par  la  dernière  défaite  ,  &  que  le 
defefpoir  ne  les  portât  à  abandonner  Cognac,  &  à  fe  retirer. 
Enfin  on  prit  le  parti  de  les  mener  à  Saintes ,  oii  Coligny  ôc 
d'Andelot  furent  obligez  de  fe  rendre  ,  pour  y  prendre  les  der- 
nières réfolutions:  on  jugea  qu'il  falloit  laifi^er  à  Cognac  quel- 
ques-uns des  principaux  officiers  ^  pour  défendre  la  place  j  fi 
par  hazard  on  en  formoit  le  ficge. 

Les  Princes  fe  rendirent  donc  à  Saintes ,  &  les  deux  Co- 
lignis  y  arrivèrent  prefqu'aufii-tôt  qu'eux.  Sur  leur  avis,  onré- 
folut  de  refter  dans  cette  ville  jufqu'à  ce  que  fon  fçût  à  quoi 
s'en  tenir  j  fur  les  fiéges  d'Angoulême  ôc  de  Cognac  ,  que  l'ar- 
mée du  Roi  avoir  deflein  de  former  ,  fi  Ton  en  croyoit  les 
bruits  publics  :  Qu'enfuite  on  iroit  au-devant  des  fecours  qui 
leur  venoient  d'Allemagne,  ôc  qu'on  leur  manderoit  en  atten- 
dant ,  de  fe  faifir,  de  gré  ou  de  force  ,  de  quelque  paflage  fur 
Ja  Loire.  Quelque  tcms  après  les  Colignis  menèrent  les  deux 
Princes  à  S.Jean  d'AngeJy  ,  oii  ils  crurent  qu'ils  feroientplus 
en  fûrcté,  ôc  ils  y  mirent  une  forte  garnifon  fous  le  comman- 
dement de  Chelar.  De  Piles  refta  à  Saintes  avec  fes  troupes. 
Mais  il  eut  depuis  ordre  d'aller  à  Pons ,  ôc  l'on  mit  à  Saintes 
Blacons ,  avec  fon  régiment.    Monrgommcry   fut   envoyé  à 


57^  HISTOIRE 

^^^^^^^^  Angoulême  avec  quatorze  efcadrons  de  cavalerie  j  mais  com- 
me  ils  refterent  long-tems  devant  la  place  à  attendre  le  refte 

Chaule  ^^  ^^^^  monde  ,  BrifTac ,  qui  les  avoit  luivis  ,  les  mit  en  déroute 
^■^'       ôc  les  culbuta  dans  les  fbnez.  Chaumont,  un  de  leurs  offi- 
^  5  ^  ^'     ciers  généraux  ,  y  fut  pris  avec  deux  cornettes. 

Pendant  ce  tems-là  le  duc  d'Anjou  marchoit  vers  Cognac 
avec  un  train  d'artillerie.  Martigue  ôc  Briflacnes'imaginoient 
pas  depuis  la  dernière  vi6toire  ,  qu'il  y  eût  rien  d'impofTible 
pour  eux.  Cependant  Blacons  ayant  fait  ouvrir  le  mur  de  la 
première  enceinte  ,  fit  une  fortie  fur  eux  ,  dans  le  tems  qu'ils 
ne  s'y  attendoient  pas,  &  leur  tua  plus  de  cent  hommes.  Il  y 
avoit  dans  la  place  7000  hommes  d'infanterie  nouvellement 
levez ,  qui  ne  connoiOToient  que  par  la  renommée  la  défaite 
de  Jarnac,  ôc  qui  n'en  étoient  point  effrayez  :  ils  faifoient  des 
forries fréquentes ,  qui fatiguoient  beaucoup  les  troupes  du  Roi, 
ôc  ils  leur  tuèrent  près  de  trois  cens  hommes.  Cette  refillance  les 
obligea  à  lever  lefiége.  Le  duc  d'Anjou  s'avança  plus  loin, 
ôc  tenant  en  quelque  forte  toutes  les  forces  des  Confédére2; 
renfermées  dans  un  efpace  affez  petit ,  il  fit  invertir  Montai- 
gu  ' ,  place  qui  appartient  à  la  maifon  de  la  Trimoùille.  Pui- 
gaillard  ôc  Gouillé  gouverneur  de  Nantes  ôc  d'Angers  eurent 
ordre  de  l'afFiéger  avec  3000  hommes  d'infanterie  qu'on  ve- 
noit  de  lever  en  Poitou.  DuplefTis ,  homme  avare  ,  ôc  qui  ne 
fe  tenoit  point  fur  fss  gardes  ,  commandoit  4aris  ce  pofle. 
Celui  qui  prefîbit  le  duc  d'Anjou  de  s'en  faifir  étoit  C.  Rou- 
haud  feigneur  de  Landereau  :  il  affuroit  que  la  prife  de  cette 
place  rendroit  les  Proteftans  plus  timides  ,  ôc  arrcteroit  leurs 
courfes.  On  fit  venir  du  canon  de  Nantes,  ôc  on  conduifitla 
tranchée  vers  un  moulin  qui  regarde  la  porte  de  cette  ville. 
Deux  jours  après  DuplefTis  mourut  ;  on  ne  fçait  fi  ce  fut  de  fiè- 
vre ou  de  chagrin  dei^Q  voir  deshonoré.  Après  fa  mort  laBrof- 
fe  prit  le  commandement  :  il  n'avoit  avec  lui  que  cinquante 
hommes ,  qui  s'étant  fauvez  quelque-tems  auparavant  de  Nyort 
ctoient  venus  en  cet  endroit  chercher  un  afile  :  il  fe  défendit 
avec  vigueur,  ôc  lit  même  des  forties  ,  où  il  tua  du  monde 
aux  affiégeans.  Dans  le  mcme-tems  Landereau  marcha  à  Tif- 
fauge  bourg  ^ ,   qui  appartenoit  au  vidame  de  Chartres  ,   ôc 

1  Petite  ville  du  Poitou,  fur  un  ruif-  2  Bourg  de  Poitou  fur  la  Seure  Nan- 

feau  qui  va  tomber  dans  la  Seure  Nan-       toife.  Il  touche  à  l'extrémité'  de  TAn- 
tçfife.  jpu. 

qui 


DE  X  A.  DE  THOU,  Liv.  5CLV.       ^77 

qui étoit autrefois  aflez  peuplée,  mais  qui  eft  aujourd'hui  comme  _„«_ 
deferte  -,  le  château  qui  eft  très-fort ,  eft  fermé  d'un  côté  par  la  " 

Seure  j  de  l'autre  ^par  un  étang  ,  &  de  tous  les  autres  cotez  ^^^^^^^ 
par  un  rocher  efcarpé  ôc  prefque  inacceiïlble.  Il  y  a  outre  cela 
un  bon  mur  ,  &  une  tour  bien  bâtie  ,  ôc  qui  eft  en  fureté  con-     '  5  °  ^* 
tre  les  afTauts.  Le  jeune  Moterie  Cafau  y  commandoit  avec  40 
foldats  j  mais  s'étant  brouillé  avec  Griffon  Intendant  du  Vi- 
dâmes la  garnifon  ne  fut  plus  payée,  les  vivres  manquèrent ,     ' 
ôc  les  foldats  fe  débandèrent.  Priou,  que  le  Vidamey  envoya, 
n'ayant  ni  foldats  ni  munitions ,  fut  obhgé  de  fe  rendre ,  d'au- 
tant plus  que  Landereau  rafTurcit,  quoique  fauflement  ,  que 
Montaigu  ,  qui  n'en  en  eft  éloigné  que  de  trois  lieues  ,  étoit 
pris.  LaGuioniere,  qu'on  avoir  fait  commandant  de  la  place, 
mit  le  feu  au  château  ôcle  ruina  entièrement,  afin  qu'il  ne  pût 
plus  fervir  aux  Proteftans.   Quelques  jours  après ,  la  Creftbn- 
niere  prit  Foreft  fur  la  Seure  î  c'eft  un  château  très-fort  :  il  y 
perdit  du  monde  ,  ôc  entre  autres  la  Moterie. 

Landereau  étant  retourné  devant  Montaigu  ,  ôc  voyant  que 
le  liège  n  étoit  pas  plus  avancé  ,  que  lorsqu'il  en  étoit  parti  , 
fit  retirer  le  canon ,  ôc  dreffer  la  batterie  du  côté  de  l'étang. 
La  brèche  fut  bien-tôt  li  grande  ,  qu'il  étoit  impoftible  à  une 
garnifon  qui  n'étoit  que  de  cinquante  hommes ,  de  la  défendre: 
On  donna  avec  une  clochete  le  fignal  aux  troupes  de  fe  fauver 
dans  le  château:  on  abandonna  la  ville  à  Puygaillard,  ôc  le 
foldat  furieux  la  faccagea.  On  fomma  enfuite  le  château  de 
fe  rendre  :  on  dit  à  ceux  qui  le  défendoient ,  que  depuis  la 
déroute  de  Jarnac ,  ils  n^avoient  plus  de  reffource.  La  Brofte , 
fatigué  par  les  cris  ôc  les  lamentations  d'un  peuple  qui  ne  lui 
étoit  d'aucun  fecours ,  promit  de  fe  rendre ,  à  condition  qu'il  au- 
roit  la  vie  ôc  la  liberté,  ôc  que  chacun  pourroit  emporter  ce 
qui  étoit  à  lui.  Ces  conditions  furent  accordées  ' ,  mais  très- 
mal  obfervées.  On  dépouilla  la  plupart  de  ceux  qui  fortiretït 
de  la  place  :  quelques-uns  furent  faits  prifonniers ,  ôc  ne  furent 
mis  enhberté  qu'en  payant  leur  rançon. 

Le  duc  d'Anjou  ayant  levé  le  fiége  de  Cognac ,  ravagea 
tout  le  pays  jufqu'à  Saint  Jean  d'Angely  ,  ôc  prit  enfuite  la 
route  d'Angoulème.  Quelques  officiers,  qui  étoient  dans  la 
place  ,  lui  avoient  fait  efperer  ,  qu'il  pourroit  la  furprendre. 

I   Du  parti  Proteftanc, 

Tome  V,  D  d  d  d 


57S 


HISTOIRE 


Mais  Coligny  qui  en  avoit  eu  vent ,  y  envoya  Montgommsry 
Char  LE  ^  Sainte  Même  qui  en  ctoit  Gouverneur  y  ôc  qui  y  mena  les 
IX.  regimens  de  Mombrun  ôc  de  Mirabel.  Ils  firent  abattre  le 
\  %  6  Q.  retranchement ,  qui  empêchoit  qu'on  ne  pût  faire  la  ronde  au- 
tour du  rempart ,  Ôc  ils  prévinrent  par  ce  moyen  les  entrepri- 
fes  fecretes  ôc  les  trahifons.  Le  duc  d'Anjou  voyant  fon  coup 
manqué  ,  s'en  retourna  le  12  d'Avril,  ôc  prit  en  chemin  fai- 
fant ,  ôc  après  quelques  jours  de  lîége,  le  château  d'Aubeterre , 
qui  eft  très-fort.  De  là  il  entra  en  Perigord  j  ôc  détacha  Briflac 
pour  fe  failirde  Mucidan,  qui  appartient  à  la  maifonde  Gram- 
mont.  Il  y  avoit  longtems  que  Montluc  Ôc  François  d'Efcars 
l'afîiégeoient ,  fans  le  pouvoir  prendre.  La  garnifon  ayant  dé- 
fendu long-tems  la  ville,  y  mit  le  feu  ,  ôc  fe  retira  dans  le  châ- 
teau. On  le  battit  pendant  plufieurs  jours  avec  beaucoup  de 
violence  ,  Ôc  lorfque  la  brèche  fut  faite ,  on  y  donna  plufieurs 
affauts»  qui  furent  vaillamment  foûtenus  par  les  afiTiégez.  Pom- 
padour,  de  la  première  nobleflfe  duLimoufin,  y  fut  tué.  Brif- 
fac  ,  fenfiblement  touché  de  cette  perte ,  voulut  aller  lui-même 
reconnoître  la  brèche,  ôc  la  profondeur  du  foffé^  Ôc  pour  cela 
s'étant  avancé  hors  de  la  tranchée  ,  couvert  de  fon  bouclier  ôc 
de  fon  cafque,  ôc  ayant  eu  l'imprudence  de  fe  découvrir  le 
vifage,il  reçut  un  coup  d'arquebufe  '  à  la  tête,  dont  il  mou- 
rut fur  le  champ ,  fort  regreté  de  toute  l'armée  ,  qui  ne  put 
s'empêcher  de  pleurer  ce  jeune  homme ^  fils  d'un  père  fi  illùC- 
tre  ,  ôc  qui  étant  deftiné  aux  plus  grands  honneurs  ôc  aux  plus 
grandes  dignitez  du  Royaume  ,  perifibit  ainfi  à  la  fieur  de  fon 
âge  :  car  il  n'avoit  pas  encore  vingt-fept  ans.  Après  cela  le 
château  ne  tint  que  peu  de  tems  ;  le  commandant  le  rendit, 
à  condition  que  fa  garnifon  ôc  lui  auroient  la  vie  fauve ,  ôc  la 
liberté  d'emporter  leurs  effets.  Mais  le  regret  qu'on  avoit  de 
la  perte  de  Brifi^ac  fut  caufe  qu'on  ne  leur  tint  point  parole  : 
auffi-tôt  que  la  garnifon  eut  perdu  la  place  de  vue,  elle  fut 
paifée  au  fil  de  l'épée  par  les  foldats  furieux.  Du  côté  des  affié- 
geans  deux  gentilshommes  Florentins  furent  tuez,  Baptifte  Car- 
nefechi  ôc  Louis  Alamanni. 

C'efl  à  peu  près  dans  ce  tems  -  là  que  le  prince  de  Bearn 


Mort  de 

Briliac. 


I  Brantôme  dit  que  ce  futunnom- 
fhé  Carbcnniere  qui  le  tua  ;  que  c  c- 
toit  le  meilleur  tireur  qu'on  eût  jamais 


vu  ,  qui  ne  manquoit  pas  un  coup  ,  Se 
qu'il  le  connoiiToit,  parce  qu'il  avoit: 
été  dans  fa  compagnie. 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLV.        nP 

accepta  le  commandement  général  de  l'armée  des  Proteftans 
confédérez  ,  &  qu'il  fit  prêter  ferment  à  tous  les  Seigneurs  qui  Ch  a  R  L  E  j 
y  avoient  des  emplois.  D'Andelot  ayant  fait  la  revue  des  dé-       i^  I 
bris  de  leur  armée,  trouva  qu'ils  avoient  encore  quatre  mille     i  <;  6  9. 
chevaux.  Comme  ils  avoient  le  tems  de  fe  rétablir ,  il  marcha  i 
vers  le  Poitou  avec  un  corps  d'élite,  afin  d'amaffer  des  fonds  i 
pour  la  guerre,  en  tirant  de  l'argent  de  tous  cotez,  ôc  fur-tout  .1 
des  revenus  du  Clergé  5  &  afin  de  tacher  de  rétablir  en  ce  j 
payis-là  les  affaires  des  Proteflans ,  qui  y  alloient  fort  mal.  Il  j 
avoit  avec  lui  Mirebeau  ôc  la  Café  fon  frère ,  de  l'illuftre  fa- 
mille de  Pons ,  ôc  François  d'Angennes  ,  avec  deux  compa-  ' 
gnies  de  cavalerie  ,  ôc  les  trois  regimens  de  Saint-Megrin  ,  \ 
de  Lamouffon  ,  ôc  de  Montamar.  Il  voulut  le  premier  de  Mai  ] 
furprendre  Landereau  :  ce  capitaine  lui  échapa  y  ôc  fe  retira 
en  diligence  à  Montaigu  ,  qu'il  avoit  pris  fans  beaucoup  de  \ 
peine.   D'Andelot  le  pourfuivit  jufques-là  :  mais  il  ne  put  en-  ] 
lever  cette  place  à  un  homme  auffi  brave.  On  tenta  avec  audi  \ 
peu  de  fuccès  de  fe  faifir  de  Clilfon  :  cette  place  eft  fituée  fur  ! 
la  Seure  affés  près  de  l'endroit,  où  elle  fe  jette  dans  la  Loire»  ! 
elle  appartenoit  à  Odet  d'Avaugour  bâtard   de  la  maifon  de  ■ 
Bretagne,  qui  la  gardoit  au  nom  du  Roi  avec  deux  compa- 
gnies d'infanterie. 

D'Andelot  s'en  retourna  de  là  à  Saintes,  fans  avoir  tiré  d'au-     -^^^^^  ^^  \ 
tre  avantage  de  fes  forces,  que  d'en  avoir  fait  montre  dans  ces  d'Anddot.  | 
Provinces.  Il  y  fut  alors  attaqué  d'une  fièvre  ardente  ôc  pefti-  j 
lentielîe^  Ôcl'on  foupçonna  qu'il  avoit  été  empoifonné  :  quoi-  i 
qu'il  en  foit  ^  il  y  mourut  le  27  de  Mai.  C'étoit  un  des  pre-  j 
miers  hommes  du  royaume  par  rapport  à  fa  haute  prudence,                        .   ■ 
à  fa  droiture,  ôc  à  fon  habileté  dans  fart  de  la  guerre.  On  fit 
à  fa  mort  le  même  jugement  qu'on  avoit  fait  à  celle  du  prince 
de  Condé  ;  on  crut  le  parti  Proteftant  ruiné.   Mais  Coligny  fon  | 
frère  ,  qui  fe  trouva  feul  chargé  de  tout  le  fais  de  cette  guerre ,  I 
foûtint  ôc  rétablit  tout  pat  fon  courage  :  la  mort  d'un  grand  1 
Prince,  ôc  la  perte  d'un  frère,  avec  qui  il  fut  toujours  très-uni,  I 
ne  furent  point  capables  de  l'abattre  ,  ôc  il  fit  voir  à  toute  la 
France  (  ôc  fes  ennemis  même  en  convinrent)  qu'il  étoit  ca- 
pable defoûtenir  lui  feul  tout  le  partiProteftant,  dont  on  croyoit  i 
auparavant,  qu'il  ne  foûtenoit  qu'une  partie.  D'Andelot  avoit  ' 
époufé  Claude  de  Rieux,  héritière  des  maifons  de  Laval  ôc  \ 

Ddddij  i 


5-80  HISTOIR   E 

»w  de  Rieux,  qui  font  les  deux  plus  grandes  ,  &  les  deux  plus  lî^-' 


Charle  ^^^^  maifons  de  Bretagne  jc'cft  de  lui  qu'eft  defcendu  le  comte 
T'Y        de  Laval  ^  d'aujourd'hui ,  qui  a  quitté  le  nom  de  Tes  ancêtres^ 
1  c<5q      pour  prendre  celui  de  cette  illuftre  famille. 
Mort  de         Quelquc-tems  après  la  mort  de  ce  grand  homme  ,  Jacque 

Jacque  de  de  Boucard ,  Grand-maître  de  l'artillerie  ,  homme  d'une  haute 
réputation  ôc  dans  la  paix ,  &  dans  la  guerre  ,  mourut  dans  la 
même  ville.  Sa  charge  fut  donnée  à  Jean  d'Hangeft  feigneur 
d'Ivoy  fon  gendre  :  François  d'Hangeft  de  Genlis  frère  aîné  de 
H  Jean  étoit  mort  à  Strafbourg  quelque-tems  auparavant.  On  pré- 
tend qu'il  mourut  de  chagrin  ,  de  ce  qu'on  lui  préfera  Louis 
de  Lanjy  de  Morvilliers  pour  commander  en  chef  les  trou- 
pes Françoifes  >  qui  fe  joignirent  aux  troupes  auxiliaires  d'Al- 
lemagne. Comme  il  ne  laifibit  point  d'enfms  d'Ifabelle  des 
Urfins  fa  femme,  il  inftitua  fon  frère  héritier  de  tous  fes  biens 
ôc  du  titre  principal  de  cette  illuftre  Maifon  :  ainfi  nous  l'appel- 
lerons à  l'avenir  Genlis.  La  charge  de  Colonel  général  de  fin- 
fanterie  que  Henri  IL  avoir  donnée  à  d'Andelot ,  pour  récom- 
penfe  de  fes  fervices,  fut  donnée  pour  lors ,  au  nom  des  princes 
de  Bearn  &  de  Condé ,  à  Jacque  de  Cruflbl  d'Acier.  Le  Roi 
de  fon  côté  l'avoit  deftinée  à  Brilfac  :  mais  comme  il  étoit 
mort ,  fa  Majefté  la  donna  à  Philippe  Strozzi  proche  parent 
de  la  Reine  y  fils  de  Pierre  Strozzi  ,  un  des  grands  capitai- 
nes de  fon  tems  j  &  il  y  joignit  la  charge  de  Général  de  l'in- 
fanterie Piémontoife,  dont  Briffac  étoit  revêtu. 
Exiles  eft        C'eft  dans  ce  tems- là  qu'on  reçut  la  nouvelle  j  qu'Exiles  avolt 

pris  par  Co-  ^^  furpris  au  mois  d'Avril  par  les  Proteftans ,  fous  le  comman- 
dement de  Coîombel,  de  Grenoble,  capitaine  brave  ôc  en- 
treprenant. Exiles  eft  un  château  très-fort  iltuéendeçà  deSuze 
aux  piez  des  Alpes  Cottiennes.  Il  n'y  avoir  dedans  que  vingt 
hommes  commandez  par  Jean  de  Gaye.  Colombel ,  qui  fçavoit 
que  ce  pofte  étoit  mal  gardé,  y  arriva  de  grand  marin  ôc  s'em- 
para fans  peine  d'une  place ,  qui  auroit  pu  arrêter  long-tems  une 
armée  nombreufe  ,  ôc  foûtenir  un  fiége  en  forme.  Mais  fi  fa 
conquête  ne  lui  coûta  guéres  ,  fa  conduite  ne  lui  fit  pas  beau- 
coup d  honneur.  Lorfqu'il  eut  pris  la  place  ,  il  y  commit  \qs 
plus  grands  excès,  ôc  fongea  bien  plus  à  piller  les  Eglifes ,  ôc  à 

I  Celui  dont  parle  ici  M.  de  Thou  efl  apparemment  Gui  XX.  qui  fut  tué  en  Hon- 
grie en  I  (Soj. 


D  E  J.  A.  DE  THOU^Liv.  XLV.         ySi 

brlferles  images ,  qu'à  fortifier  ce  poûe  important ,  ôc  à  le  pour- 
voir de  munitions  de  guerre  &  de   bouche.  Cette  conquête  CH^ri 
ayant  jette  la  terreur  dans  tout  le  payis ,  du  Rouflci  &  de  la  Ca-        i  y' 
fetre,  qui  étoient  à  Briancon  ,  château  très- fort  dans  le  voifina-  ^* 

ge,  lèvent  à  la  hâte  des  troupes,  &  vont  invertir  Exiles,  Ils  s'em-  ^ 

parent  d'abord  de  la  bafle  ville,  qui  eft  fur  la  Doriaj  &  ayant 
reçu  des  troupes  de  tous  cotez ,  non-feulement  des  payis  qui 
appartenoientau  Roi  j  mais  même  de  ceux  du  duc  de  Savoye, 
ils  tentent  plufieurs  attaques, mais  toujours  inutilement.  Cepen- 
dant les  artiégez ,  qui  n'avoient  pas  beaucoup  à  craindre  d'eux, 
commencèrent  au  bout  d'un  mois  à  craindre ,  &  même  à  fen- 
tir  la  famine ,  e'tant  réduits  à  une  extrême  difette.  Louis  de 
Birague  lieutenant  du  duc  de  Nevers  envoya  vers  eux  le  capi- 
taine Fremige  ,  qui  penchoit  un  peu  du  côté  du  Calvinifme; 
&  ce  fut  une  des  raifons  pour  lefquelles  on  le  choifit  pour  pro- 
pofer  à  Colombel  de  fe  rendre.  Comme  fes  foldats  mouroicnr  de 
faim ,  il  écouta  Fremige,  &  rendit  la  place  :  à  condition  que  lui 
&  fes  gens  auroient  vie  ôc  bagues  fauves.  Mais  la  capitulation 
ne  fut  gardée  que  pour  lui  feul  5  tous  les  autres  furent  maffa- 
crez  à  la  fortie  du  Fort.  Colombel  ayant  été  retenu  d'abord, 
puis  mis  en  liberté ,  fe  retira  à  Genève. 

Vers  ce  même  tems  de  Piles  fut  détaché  avec  deux  mille 
hommes  depié,  pour  s'emparer  del'ifie  de  Medoc,  qui  s'étend 
le  long  des  côtes  de  la  Saintonge ,  entre  la  Rochelle  ôc  Bor- 
deaux. Il  s'acquita  de  cette  commifîion  avec  beaucoup  décou- 
rage ,  ôc  il  y  fit  un  grand  butin.  De  là  il  marcha  à  Bourg  fur" 
la  Dordogne,  à  defîein  de  furprendre  cette  place ,  qui  étoit  fort- 
importante  pour  alTurer  leurs  convois.  Il  détacha  pour  cela  So- 
re ,  habile  dans  la  marine,  ôc  Rouvrais  qui  ayant  été  chafTés  de 
Normandie  pour  la  Religion  ,  Ôc  étant  paffés  en  Angleterre, 
étoient  revenus  depuis  peu  à  la  Rochelle.  Mais  la  place  s'é- 
tant  bien  défendue,  par  le  moyen  du  fecours  que  Monduc  y 
envoya  fort  à  propos,  le  coup  fut  manqué,  ôc  de  Piles  rappelle 
par  les  Princes  leva  le  fiége  pour  aller  les  joindre.  Il  y  per- 
dit Dominique  de  Provane  de  Valfenieres  colonel  d'une  gran- 
de valeur ,  qui  fut  tué  par  fes  propres  foldats  dans  une  forrie, 
parce  que  n'ayant  pas  l'habit  uniforme  du  régiment ,  ils  le  pri- 
rent  pour  un  ennemi 

Volfang  de  Bavière  duc  des  Deux-Ponrs,  qui  avoit  levé  une 

D  d  d  d  ii; 


y82  HISTOIRE 

I  -  armée  >  fur  ia  prière  que  le  prince  deCondé  lui  en  avoir  fait 
Charle  f^îi^s,  par  François  Barbier  de  Francour ,  en  fut  déclaré  Gé- 
I  X.       néraiiffime  par  Frédéric  éleveur  Palatin  fon  parecit.  Il  fedif- 
i  c  6  Q,     P^^f'i  aulfi-tôt  à  aller  au  fecours  des  Confédérez ,  dont  les  affai- 
res alloient  de   mal   en  pis.  Mais  comme  il   fentit  bien  que 
Djiuîponts  ^  fon  entreprife  feroit  blâmée ,  non  feulement  par  le  Roi  de  Fran- 
vient  au  fe-    qq    niais  même  par  la  plupart  des  Princes  étrangers ,  il  foncjea 

cours  des  ,   ,     .    n-r  i        J        J>  a  l  ^     /-^  ■  ' 

Protcihns,      a  la  juitiner.  Le  duc  a  Aumale ,  que  la  Cour  avoit  envoyé  pour 
s'oppofer  à  fon  pafTage,  lui  ayant  écrit  là  deflus,  il  ne  lui  Ht  point 
de  réponfe.  Mais  il  envoya  le  2 1  de  Février  une  longue  lettre  au 
Roi,  dans  laquelle  il  expofoitlanéceffité  où  il  s'étoit  trouvé  de 
lever  une  armée,  tant  pour  mettre  à  couvert  fon  payis,  qui  avoit 
été  ruiné  les  années  précédentes  par  des  paflages  continuels  de 
troupes  j  que  pour  aiïifter  les  princes  deBearn  ôc  de  Condé,  ôc 
ceux  qui  profefToient  la  même  Religion, qui  tous  lui  avoient  por- 
té leurs  plaintes  des  traitemens  indignes  :,  ôc  des  outrages  qu'on 
leur  faifoit  :  Qu'on  les  dépouilloit  de  leurs  biens  &  de  leurs 
emplois,  ôc  ce  qui  étoit  encore  plus  cruel,  qu'on  vouloir  leur 
ôter  la  liberté  de  confcience ,  contre  la  foi  du  dernier  éditj 
qui  la  leur  avoit  laiffée  :  Qu'on  avoit  fait  entrer  dans  le  Royau- 
me des  troupes  étrangères  pour  les  exterminer,  ôc  que  dans 
cette  extrémité  ils  avoient  imploré  fon  fecours  :  Qu'il  ne  pou- 
voir ,  ni  ne  devoit  le  leur  refufer  dans  une  caufe  fi  jufte  >  puif- 
que  ce  n'étoit  point  contre  le  Roi  qu'ils  avoient  pris  les  ar- 
mes, mais  contre  les  ennemis  de  la  tranquillité  publiques  ni 
en  vûë  de  troubler  le  repos  de  la  France ,  mais  au  contraire 
pour  l'affermir,  ôc  pourvoir  en  même  tems  à  leur  propre  falut  : 
Qu'en  fon  particulier  il  étoit  trop  perfuadé  delà  bonté  ôc  de 
lajuftice  de  leur  caufe  ,  ôc  que  tout  ce  qu'on  difoit  contre  eux 
n'étoit  que  de  pures  calomnies  :  Qu'il  fe  fouvenoit  que  dans 
^      la  dernière  guerre  ,  on  avoit  infinuéau  prince  Jean  Cafimir  fon 
cou(in  les  mêmes  menfonges  contre  euxi  mais  que  rien  ne  fai- 
foit mieux  voir  la  faulTeté  de  ces  imputations,  que  le  dernier  édit 
du  Roi  ,  puifque  fa  Majefté  par  cet  édit  approuvoit  tout  ce 
qu'ils  avoient  fait,  comme  entrepris  parfes  ordres,  ôc  pour  le 
bien  du  Royaume  :  Qu'il  proteftoit  qu'il  entroit  en  France  avec 
des  troupes  auxiliaires ,  pour  défendre  non  feulement  les  Prin- 
ces deBearn  ôc  de  Condé,  mais  en  général  tous  ceux  qui  fui- 
Vi^ienr  la  même  Religion ,  fuffeat-ils  de  la  condition  la  plus 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Liv.  XLV.        yg^ 

médiocre ,  comme  la  charité  Chrétienne  l'exigeoit  de  lui  :  Aîais 
qu'il  donnoit  fa  parole^  que  s'il  s'appercevoit  qu'ils  euflent  d'au-  C  H  a  r  l  E 
très  vues  que  de  fe  maintenir  dans  leur  Religion ,  &  dans  la        1  X. 
liberté  de  confcience,  il  les  abandonneroit  fur  le  champ,  ôc     i  c  (5o 
iroit  offrir  fes  troupes  &  fes  fervices  au  Roi j  à  qu  i  il  fouhaitoit  lin- 
cerement  toutes  fortes  de  profperitez,&que  fans  aller  plus  loin, 
il  ctoit  prêt  à  s'en  retourner ,  fi  l'on  vouloir  accorder  aux  Protef- 
tans  de  France  une  liberté  entière  de  confcience  ,  avec  joùif- 
fance  libre  de  leurs  biens  &  de  leurs  emplois,  &•  leur  donner 
par  rapport  à  cet  article  des  furetez  fuffifanres  :  Que  pour  fai- 
re voir  que  ce  n'étoit  point  l'intérêt  qui  l'amenoit  en  France, 
quoiqu'il  eut  dépenfé  plus  décent  mille  écus  d'or  pour  la  levée 
des  troupes  qu'il  avoir  ^  il  ne  demanderoit  aucun  dédommage- 
ment par  rapporta  ces  frais  :  Que  fi  on  ne  vouioit  pas  écouter 
ces  propofitionsj  cet  écrit  feroit  connoître  à  tout  le  monde  la 
pureté  de  fes  intentions ,  ôc  le  difculperoit  lui  &  fon  armée  de 
tous  les  malheurs  que  cette  guerre  cauferoit  infailliblement  à 
la  France.  Cette  lettre  ayant  été  rendue  au  Roi,  quelaues  ef- 
prits  fa£tieux,qui  la  traduifirent  en  François^ y  inférèrent  plu- 
lieurs  chofes  dures  ôc  très-offenfantes,  contre  le  Roi,  ôc  con- 
tre le  duc  d'Anjou  fon  frère ,  au  fujet  du  meurtre  du  prince  de 
Condé  :  mais  peu  de  tems  après  le  duc  des  Deux-Ponts ,  prin- 
ce très-fage  ôc  très-mefuré  dans  fes  paroles ,  les  défavoua,  com- 
me desfauffetez  très-éioignées  de  fon  caractère ,  de  fa  politefTe,. 
ôc  du  refped  qu'il  avoir  pour  le  Roi. 

Il  n'eut  pas  plutôt  envoyé  fa  lettre ,  que  dès  le  lende- 
main il  fit  paffer  le  Rhin  à  une  partie  de  fes  troupes.  Pour 
lui  il  partit  de  Saverne ,  ville  de  fon  domaine  ,  ôc  arriva  le  der- 
nier jour  de  Février  à  Hochfeld ,  bourg  du  baillage  d'Ha- 
guenau ,  où  il  avoit  réfolu  de  faire  la  revûë  de  fa  cavalerie, 
ôc  y  féjourna  jufqu'au  15'  de  Mars.  Il  fe  trouva  à  cette  revue, 
fuivantles  rollesquien  ont  été  faits,  fept  mille  cinq  cens  qua- 
tre-vingt-feize  cavaliers  ,  ôc  outre  cela  beaucoup  de  chariots, 
ôcde  chevaux  de  bagages.  Les  principaux  chefs  étoient  Fran- 
çois de  Harocourt,  Gille  de  Sonnenberg,  Guillaume  d'Hei- 
deck,  Balthazar  de  Dierbach,  Reinard  de  Cracou,  Jean  de 
Buech  ,  Jean  de  Ders,  Henri  deStein,  Ludolf  de  Heimbruch, 
qui  conduifoit  deux  cens  foixante  ôc  dix  neuf  chevaux  au  nom 
du  comte  d^Schombourg,  de  Charle  de  Mansfeld,  ôc  de  Thierri. 


584  HISTOIRE 

-  de  Schomberg.   Il  y  avoit  fix  mille  hommes  d'une  très-belle 

C  H  \  R  T  F  i'^^'^'^^^'^i^  ^  diftiibuée  en  vingt-fix  compagnies  fous  deux  géné- 
T  y  raux ,  dont  l'un  ctoit  Quirin  de  Gangoif  baron  de  Hohenghe- 
<*o  rolfeck  lieutenant  du  duc  des  Deux-Ponts  ,.&  l'autre  Jean-Jac- 
que  de  Granvillars ,  qui  avoit  fervi  pourl'Efpagne  contre  nous 
dans  les  dernières  guerres  de  Flandre.  Meinard  Schomberg 
étoit  maréchal  de  camp  général  de  l'armée ,  &  le  duc  des  Deux- 
Ponts  qui  en  étoit  GénéraliiTîme  ,  nomma  pour  fon  lieutenant 
général  Wolrad  de  Mansfeld  frère  de  Charle. 

Il  fe  joignit  à  ces  troupes  grand  nombre  de  François  ôc  de  Fla- 
mans ,  entr'autres  Guillaume  de  NalTau  prince  d'Orange ,  avec 
Louis  ôc  Henri  fes  frères  ,  à  la  tête  de  quelques  efcadrons  de  ca- 
valerie, ôc  beaucoup  d'autres  dont  j'ai  déjà  parlé ,  comme  Mor- 
villierSjJean  de  Hangeft  de  Genlis,  Antoine  de  Clermont  mar- 
quis de  Renel,  Claude- Antoine  de  Vienne  de  Clairvant,  Def- 
fonville,  Dully  Artus  de  Vaudray  feigneurde  Mouy  ,  d'Eller- 
nai,  de  Feuquiere,  de  Briquemaut  d'Autricour,  de  Lanti,  ôc 
grand  nombre  d'autres  ,  jufqu'au  nombre  de  fix  cens  chevaux 
commandez  par  MorviUiers.  Le  jeune  Briquemaut  le  joignit 
aufli  avec  huit  cens  moufquetaires  :  toutes  ces  troupes  traver- 
ferent  l' Aface.  L'évêque  de  Strafbourg ,  qui  avoit  maltraité  de- 
puis peu  quelques  troupes  du  Prince  de  Condé,  craignant  que 
le  duc  des  Deux-Ponts  n'en  tirât  vengence ,  le  reçut  avec  de 
grandes  marques  d'amitié ,  ôc  fit  donner  à  fes  troupes  tou- 
tes fortes  de  provifions  ôc  de  rafraichifiemens. 

D'Aumale  fe  fentant  trop  foible  ,  pour  difputer  à  cette  ar- 
mée l'entrée  du  Royaume ,  pafla  dans  la  Franche-Comté,  ôc 
pourfuivit  jufqu'à  Cîteaux  un  corps  d'Allemands  ,  qui  avoient 
pafTé  la  Saône  auprès  de  Montreuil..  Il  y  eut  un  combat  fort  ru- 
de auprès  de  Gilly  >  ou  la  perte  fut  égale  î  car  chaque  parti  y 
perdit  environ  deux  cens  hommes.  Les  Allemands  arrivèrent 
à  Beaune  le  25-  de  Mars ,  ôc  ils  y  féjournerent  deux  jours  pour 
attendre  leurs  bagages  :  dès  qu'ils  furent  arrivez  ils  marchèrent 
du  côté  de  Vezelay.  Le  duc  d'Aumale  voyant  qu'il  ne  pou- 
voir plus  les  empêcher  d'avancer ,  cefTa  de  les  pourfuivre,  tra- 
verfal'Auxerrois,  ôc  s'en  vint  fur  la  Loire  pour  fe  joindre  au 
duc  d'Anjou  qui  marchoit  du  même  côté  avec  fonarméç,  ôc 
difputer  au  duc  des  Deux-Ponts  le  paiTage  de  cette  rivière.  Le 
duc  d'Anjou ,  qui  étoit  déjà  arrivé  à  Gien ,  avoit  outre  les 

troupes 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv:  XLV.  ^85- 

troupesFrançoifes  fix  mille  chevaiixAllemands  commandez  par  _„_. 
Philbert  marquis  de  Bade,  parles  deux  bâtards  de  HefTe-Vef-  p  T 

ferbourg,  ôc  Leintinghen,  ôc  par  les  deux  frères  Rhingraves.       jv 

Le  duc  des  Deux-Ponts  trouvaun  gué  auprès  de  Pouilly^  '    , 

dans  le  Nivernois  3   celui  qui  le  lui  montra  fut  Antoine  Ma- 
ratin  de  Guerchy  cornette  de  Coligny^qui  ayant  e'té  pris  au  t-»^^ '^t"/ '^^ 

U       J      T  •      /    '  ^    u     ^1    •  1      J         J'A         Deux- Ponts 

combat  de  Jarnac ,  avoir  ete  renvoyé  chez  lui  par  le  duc  d  An-  airiéoe  la 
jou.  Dès  qu'une  partie  de  fes  troupes  eut  pafle  la  Loire,  il  for-  Chante  &  la 
ma  le  deffein  de  fe  rendre  maître  de  la  Charité ,  dont  la  fitua- 
tion  avantageufe  le  mettoit  en  état  de  faire  pafler  fon  armée 
fans  péril  fur  l'un  ou  l'autre  bord  de  cette  rivière ,  quand  il 
îe  jugeroit  à  propos.  La  Charité  eft  dans  une  plaine  fur  le 
bord  d'en  deçà  de  la  Loire  5  la  ville  eft  quarrée  ,  ôc  entourée 
d'une  affez  mauvaife  muraille ,  ôc  de  quelques  tours  en  petits 
nombre  >  mais  on  y  a  fuppléé  par  un  fofTé  très-large  ôc  très-pro- 
fond, qui  va  en  diminuant  du  coté  qui  regarde  la  rivière  ,  ôc  fe 
confond  enfin  avec  la  plaine  :  il  y  a  un  très-beau  pont  de  pierre, 
au-delà  duquel  eft  un  faubourg  entouré  de  jardins  Ôc  de  ver- 
gers remplis  de  toute  forte  d'arbres  fruitiers ,  qui  font  un  afpc£l 
très-agréable.  Ce  fut  de  ce  côté  là  qu'on  l'attaqua  :  on  y  drefla 
une  batterie  de  trois  coulevrines  fous  les  ordres  du  feigneur 
de  Mouy ,  ôc  l'on  commença  à  battre  le  mur  qui  étoit  vis-à- 
vis  ,  ôc  les  tours  qui  le  flanquoient,  afin  d'empêcher  la  garni- 
fon  de  défendre  le  murqui  étoit  entre  deux.  Le  duc  des  Deux- 
Ponts  fit  faire  une  autre  batterie  contre  la  tour  de  Nevers ,  ôc 
contre  le  mur  qui  s'étendoit  jufqu'à  la  porte  faint  Pierre.  La 
brèche  étant  faite ,  le  Commandant,  par  une  lâcheté  auffiper- 
nicicufe  qu'infâme,  s'enfuit  fecretement  la  nuit ,  fous  prétexte 
d'aller  demander  du  fecours  au  duc  d'Anjou;  mais  en  effet 
pour  fe  tirer  du  danger  oi^i  il  fe  voyoit.  Les  habitans  troublez  par 
fa  retraite ,  ôc  preflezpar  l'ennemi  demandèrent  un  pour  parler. 
Pendant  qu'on  négocie  ,  quelques  bourgeois  Proteftans  ca- 
chez ,  defcendirent  à  un  certain  fignal  une  corde,  ôc  firent 
monter  les  ennemis  les  uns  après  les  autres  avec  beaucoup  de 
peine  j  mais  en  fi  grand  nombre  qu'ils  (e  rendirent  maîtres  de 
la  ville^  concernée  par  la  fuite  du  Commandant.  Ce  fut  le  20 
de  Mai  que  cela  arriva  :  les  Officiers  François  empêchèrent 
leurs  troupes  de  piller^  ôc  firent  donner  le  butin  de  la  ville  aux 
,  iPetite  ville  entre  Sancerre  ôc  la  Charité, 

Toms  y,  Eeee 


SÎ<$  HISTOIRE 

■  Allemands,  pour  leur  tenir  lieu  d'un  mois  de  folde  qu^onïeur 

Z^  avoir  promis,  ôc  qu'on  ne  leur  avoir  point  paye.   Du  Paz  de 

HARLE  Peuquiçj-e  excellent  officier,  &  qui  entendoit  parfaitement  les 
"^*  fiéges ,  y  fut  tué.  Du  Chateletde  Dully,  gendre  de  François 
'■  S  ^  P*  (je  Scepeaux  maréchal  de  France ,  ôc  gentilhomme  d'une  des 
premières  familles  de  Lorraine  ,  mourut  dans  le  camp  de  ma- 
ladie. On  donna  le  commandement  de  cette  place  à  Guerchy 
avec  deux  compagnies  d'infanterie,  ôc  quelque  cavalerie.  Les 
Généraux  y  laiflerent  leurs  mortiers  &  leurs  coulevrines ,  ôc  fe 
mirent  en  marche  avec  le  refte  de  leur  artillerie  qui  étoit  en 
bon  état. 

La  Reine  mère ,  accompagnée  des  cardinaux  de  Bourbon  & 
de  Lorraine,  étoit  arrivée  quelques  jours  auparavant  à  Limoges, 
oii  étoit  le  duc  d'Anjou  fon  fils.  L'armée  alla  de  là  au  Blanc  en 
Berry,  où  il  fe  tint  un  confeil  entre  les  Généraux,  en  prefcnce 
de  cette  PrincefTe,  fur  le  parti  qu'il  y  avoit  à  prendre  depuis 
l'arrivée  du  duc  des  Deux-Ponts.  Après  qu'on  eut  bien  pefé  ce 
que  les  ennemis  pouvoient  faire,  on  jugea  que  le  duc  des  Deux- 
Ponts  avoit  deffein  d'aller  en  Guyenne  >  pour  joindre  fes  forces 
à  celles  du  prince  de  Bearn ,  ôc  rendre  les  Confédérez  très-puif- 
fans  en  cette  Province.  La  vue  de  la  Reine  de  Navarre, qui 
prefToit  cette  jonction,  étoit,  difoit-on,  ou  de  fe  faire  rétablir 
par  force  dans  la  pofTefTion  du  Bearn ,  dont  elle  étoit  prefque 
entièrement  dépouillée  j  ou  q'ue  ces  Princes,  après  avoir  réuni 
leurs  forces ,  laifTafTent  autant  de  troupes  qu'il  en  falloir  pour 
mettre  h  Guyenne  à  couvert  ;  ôc  qu'ayant  repaffé  la  Loire  à 
la  Charité,  ils  marchaffent  enfuite  vers  la  Bourgogne,  pour  y 
recevoir  les  troupes  nouvelles  qu'on  publioit  que  Jean  Cafi- 
mir  leur  amenoit,  afin  qu'avec  ce  nouveau  renfort  ils  puiTent 
hazarder  une  bataille,  ou  fi  l'armée  royale  Tévitoit,  marcher 
tout  droit  à  Paris ,  ôc  forcer  le  Roi  à  leur  offrir  la  paix  à  des 
conditions  aufli  avantageufes  pour  eux ,  que  honteufes  pour  lui. 
Pour  déconcerter  leurs  projets,  on  décida  qu'il  falloir  que  le 
Roi  raOcmblât  le  plus  de  troupes  qu'ilpourroiti  qu'il  envoyât  des 
couriers,  pour  hâter  la  marche  de  celles  qui  venoient  d'Italie?  Ôc 
qu'après  cela  on  fuivît^  ôc  on  harcelât  fans  celle  l'armée  Protef- 
tante,qui  auroit  contre  elle  non  feulement  toutes  les  villes  ôc  tou- 
tes les  places  fortes,  mais  les  bourgades  mêmes  ôc  les  villagesjen 
unmotqu'on  leur  fît  la  guerre,  comme  le  duc  d'Albe  i'avoit 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLV.       587 

faîte  dans  les  Payis-bas  ,  ou  fans  en  venir  à  un  combat  général ,  il  , 

avoir  tellement  fatigué  le  prince  d'Orange^  qui  étoit  à  la  tête  pu  a  ri  e 
d'une  armée  d'Allemands ,  qu'il  favoit  chaffé  entièrement  de       j  v 
ces  provinces.  Mais  en  prenant  ce  parti ,  il  leur  reftoit  une  (-' 

inquiétude  j  ils  craignoient  que  tandis  que  l'armée  des  Princes 
marcheroit  du  côté  de  Paris ,  Coligny  ne  refiât  du  côté  de  la 
Guyenne ,  ôc  ne  facilitât  aux  Anglois  fes  alliez  le  moyen  de 
s'emparer  de  ces  provinces,  qui  demeureroient  fans  défenfe, 
loffque  l'armée  du  Roi  s'en  feroit  éloignée.  Sur  cela ,  plufieurs 
croient  d'avis  qu'on  bazardât  une  bataille,  fi  l'occafion  s'en  pre- 
fentoit ,  ôc  que  le  Roi  rifqueroit  beaucoup  ,  11  l'on  differoit  de 
le  faire.  Les  autres  foutenoient  qu'il  étoit  très-dangereux  de  rif- 
quer  un  combat.  Car  où  en  feroit-on,  difoient-ils,  fi  les  Alle- 
mands de  l'armée  du  Roi  venoient  à  refufer  de  combattre  con- 
tre ceux  de  l'armée  des  Princes?  Ce  feroit  encore  bien  pis, 
fî  ceux  de  l'armée  des  Princes  prenoient  le  même  parti , 
&  vouloient  n'être  que  fpedateurs  du  combat  :  car  fi  cela 
arrivoit  ,  &  qu'il  n'y  eût  que  les  François  des  deux  partis 
qui  en  vinifent  aux  mains ,  de  quelque  côté  que  la  vidoire 
fe  déclarât ,  il  étoit  impoiïible  que  le  vainqueur  ne  fe  trouvât 
extrêmement  affoibli ,  ôc  ne  fût  par  conféquent  à  la  merci  des 
Allemands,  qui  n'auroient  rien  perdu.  Ainfi  on  en  revint  au 
premier  avis,  qui  étoit  de  harceler  fans  cefle  l'ennemi^  fans  rien 
rifquer,  ôc  d'empêcher  (i  l'on  pouvoit  que  le  duc  des  Deux- 
Ponts  ne  joignît  les  Confédérez. 

Pour  cet  effet  le  duc  d'Anjou  avoitpoftéun  corps  auprès 
de  Limoges,  pourdifputer  le  paffage  de  la  Vienne.  Mais  Mouy 
&  d'Autricour,  qui  avoient  été  envoyez  devant,  pour  cher- 
cher un  gué^  ayant  taillé  en  pièces  ce  petit  corps,  le  duc  des 
Deux-Ponts  n'eut  plus  rien  qui  fempêchât  de  joindre  les  Con- 
fédérez y  d'autant  plus  que  fur  la  nouvelle  de  la  prife  de  la  Cha- 
rité, Coligny  s'étoit  mis  en  marche  avec  ce  qu'il  avoit  de  trou- 
pes ,  pour  recevoir  avec  tous  les  honneurs  polfibles  ce  Prin- 
ce, à  qui  il  avoit  tant  d'obligation  ,  6c  joindre  i<^s  forces  aux 
fiennes.  Il  laiffa  la  Noue  pour  donner  ordre  aux  affaires  de  la 
Guyenne,  ôc  s'étant  mis  en  marche^  à  deffein  de  traverfer  le 
Perigord  ôc  FAngoumois ,  il  détacha  Antoine  de  la  Roche- 
foucault-Chaumont  avec  un  bon  corps  d'infanterie  ,  pour  fe  fai- 
fir  de  Nantron,  place  appartenant  à  la  Reine  de  Navarre,  où 

Eeee  ij 


5S§  'HISTOIRE 

les  ennemis  avoient  quatre-vingts  hommes  en  garnifon.   Il 
Chari  e  ^'^'^''po'^^^  d'emblce  le  7  de  Juin,  ôc  pafTa  la  garnifon  au  fil  de 
j  y  '     répée  j  après  quoi  ils  continuèrent  leur  marche.  Il  envoya  en- 
i  <  60      ^^^^^  Monrgommery  pour  commander  en  chef  l'arméQ  des 
Vicomtes  qui  ne  pouvoient  s'accorder  enfemble  ,  &  pour  ar- 
rêter les  progrès  que  Montluc  ôc  Jean  de  Lomagne  de  Ter- 
ride  faifoient  dans  le  Bearn. 

Dans  le  même  tems  la  nouvelle  étant  venue  à  l'armée  des 
Confédérez  ,  que  le  pafTage  de  la  Vienne  étoit  ouvert,  ce  fut 
une  grande  joie  pour  les  troupes  Allemandes  :  mais  elle  ne 
Mort  du  duc  dura  gueres.  La  maladie  de  leur  Général  ôc  fa  mort,  qui  la 
des  Deux-      fuivit  bien-tôt  après ,  les  plongea  dans  la  trifteffe.  Ce  Prince, 
qui  étoit  pefant ,  avoit  eu  long-tems  la  fièvre  quarte  :  les  fati- 
gues de  fa  marche  ayant  augmenté  confiderablement  fon  maî, 
il  mourut  le  1 1  de  Juin  àNeflbn,  à  trois  lieues  de  Limoges, 
entre  les  bras  du  prince  Louis  de  NafTau.  Il  n'avoir  que  qua- 
rante-trois ans.  Avant  fa  mort  il  exhorta  fes  amis  à  continuer 
avec  vigueur  une  guerre,  qu'ils  avoient  entreprife  pourlacaufe 
commune ,  &  pour  la  liberté  des  deux  Princes  qui  étoicnt  leurs 
aUiez ,  ôc  qui  penfoient  comme  eux  fur  la  Religion.  Enfuite 
il  nomma  pour  généraliffime  de  fon  armée  Volrad  de  Mans- 
feîd ,  qui  avoit  été  fon  lieutenant  jufqu'alors.  Son  corps  ^  dont 
onôta  les  entrailles  j  fut  d'abord  porté  avec  de  grands  honneurs 
à  Angoulême ,  ôc  enfuite  en  fon  payis ,  où  il  fut  mis  dans  le 
tombeau  de  fes  ancêtres. 

Quatre  jours  après,  les  deux  armées  fe  joignirent.  Si  la  joie 
fut  grande,  l'étonnement  ne  le  fut  pas  moins ,  lorfqu'ils  firent 
réflexion  à  combien  de  périls  ils  avoient  été  expofez,  ôc  fur- 
tout  les  Allemands,  qui  étant  partis  des  bords  du  Rhin,  avoient 
traverfé  tant  de  payis  ;  ôc  qui  toujours  fuivis  ôc  harcelez  par 
une  armée ,  ôc  ayant  tant  de  rivières  à  pafTer  ,  étoient  enfin 
arrivez  jufqu'au  milieu  de  la  Guyenne  fans  faire  aucune  per- 
te. Après  que  les  deux  Princes  eurent  remercié  l'armée ,  oh 
renouvella  l'alliance  ,  ôc  l'on  frappa  une  médaille  d'or  ,  où 
l'on  voyoit  d'un  côté  la  Reine  de  Navarre  ôc  fon  fils  Henri, 
avec  leurs  noms  ;  ôc  fur  les  revêts  étoient  ces  mots  :  Pax  cer- 
ta  i  vi6îona  intégra  y  mors  honefta.  (  Patx  ajfurée  iVÎBoire  entière, 
mort  glorieufe.  )  mais  l'événement  ne  répondit  pas  à  cette  inP 
cription. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.        589 

Le  26  de  Mai,  ils  repaflTerent  une  féconde  fois  la  Vienne 


tousenfemble  auprès  d'Êfle,  place  qui  appartient  à  la  maifon  Ckarle 
d'Efcars.  Ils  avoient  envoyé  devant  la  Loue  &  Rouvrai  avec       JX. 
quelques  compagnies  de  moufquetaires ,  pourchafTer  les  trou-     1  c  6  9. 
pesduRoi.quife  difpofoientàleur  difputerlepaffageielles  atta- 
quèrent en  effet  les  Confédérez  avec  beaucoup  de  vigueur ,  ôc 
les  repouflerent  d'abord  >  mais  ceux-ci  étant  revenus  à  la  char- 
ge ,  repoufferent  à  leur  tour  les  Royaliftes ,  ôc  les  mirent  en 
fuite  3  après  leur  avoir  tué  plus  de  cent  hommes.  L'armée  des 
Princes  y  campa,  &  y  fit  un  féjour  affez  long  pour  donner  le 
tems  aux  Allemands  de  fe  rétablir  des  fatigues  d'une  fi  longue 
marche.  On  s'avança  de  là  jufqu'à  faint  Irier  en  Limoulin, 
où  l'on  paya  un  mois  de  folde  aux  troupes  Allemandes,  ôc 
où  l'on  fit  la  revue  de  l'armée. 

Leduc  d'Anjou  vint  camper  le  23  de  Juin  à  Roche- abeil- 
le, à  un  quart  de  lieuë  des  ennemis.  Mais  comme  il  étoit  im- 
pollible  que  tant  de  troupes  pulTent  fubfifter  dans  un  endroit 
Il  flerile  (  car  l'armée  des  Catholiques  étoit  de  trente  mille  hom- 
mes ,  Ôc  celle  des  Proteftans  de  vingt-cinq  mille  )  les  premiers 
furent  enfin  obligez  d'étendre  leurs  quartiers,  pour  avoir  des 
vivres. 

Quelque  tems  auparavant ,  ils  avoient  reçu  à  faint  Jean  de 
Livron  un  corps  de  troupes  auxiliaires  du  Pape  Pie  V.  Il  étoit 
de^ooo  hommes  d'Lrifanterie,ôc  de  800  chevaux, commandé 
par  Sforce  comte  de  Santafiore,  homme  d'une  grande  expé- 
rience dans  la  guerre  5  ôc  c'eft  pour  cette  raifon  que  le  faint 
Père,  qui  ne  donnoit  rien  à  la  faveur,  lui  avoir  confié  le  com- 
mandement général  de  ces  troupes  :  il  y  vint  outre  cela  mille 
hommes  de  pié  fous  la  conduite  de  Fabien  de  Monte,  fils  de 
Baudouin  frère  de  Jule  III ,  Ôc  deux  cens  chevaux  comman- 
dez par  François  de  Somme  de  Crémone,  ôc  par  Albert  Pioj 
ces  douze  cens  hommes  avoient  été  levez  par  Corne  duc  de 
Florence  à  la  prière  du  Pape.  Il  y  avoir  dans  ces  troupes  un  frère 
de  JacqueCorbinclli,  que  nous  avons  connu  ôc  chéri,  dans 
le  tems  qu'il  étoit  à  Paris,  où  la  beauté  de  fon  cfprit,  autant 
que  fa  profonde  érudition  ,  le  fit  généralement  eflimer.  Ce- 
lui-ci.  qui  s'appelloit  Bernard,  étoit  un  bon  ofîicier,  ôc  fort  bra- 
ve :  mais  parce  qu'il  paffoit  pour  avoir  trempé  dans  la  conjiv 
ration  de  Pandoife  Pucci ,  onl'avoit  voulu  faire  affairmer  trois 

Eeee  iij 


^po  HISTOIRE 

-  ans  auparavant  à  Moulins  en  Bourbonnois^parunnommé  Au-i 

Char  LE  relio-Santi  :  rafiafTin  ayant  été  pris  &  convaincu  ,  fut  puni  de 
IX.  mort.  Bernard  Corbinellifut  tué  vers  ce  tems-ci,  auprès  de  la 
i  <  6 g,  PalilTe  fur  le  chemin  de  Lyon,  dans  le  tems  qu'il  alloit  avec 
François  Gincomini  joindre  les  troupes  du  comte  de  Santafiore. 
Les  afiTaiïins,  qui  croient  Leonel  comte  d'Oddi,  dePeroufe, 
&  un  certain  Conftannno,  ayant  coupé  la  tête  à  Bernard ,  ils 
la  mirent  dans  un  fac,  ôc  étant  retournés  en  diligence  à  Lyon, 
ils  prirent  la  polie  pour  l'Italie,  &  portèrent  cette  tête  à  Flo- 
rence. 

Les  Italiens  ne  furent  pas  plutôt  arrivez  au  camp  du  duc 
d'Anjou,  que  pour  faire  montre  de  leur  bravoure,  ils  alloient 
tous  les  jours  efcarmoucher  contre  les  Proteftans.  Le  camp  des 
Catholiques  étoit  dans  une  plaine ,  ôc  fur  un  coteau  en  pente 
douce  ,  qui  aboutilToit  à  des  vallées  ;  ôc  il  étoit  fortifié  d'un  bon 
foffé  paliftadé ,  excepté  du  côté  qui  regardoit  faint  Irier ,  où  il 
Y  avoit  un  vallon  profond ,  ôc  au-deiïus  une  colline  ,  fur  la- 
quelle on  avoir  placé  le  canon ,  dont  on  avoit  donné  la  gar- 
de aux  Suiffes.  Au  pié  de  la  colline,  il  y  avoit  un  ruiffeau  ôc 
quantité  de  fources,  qui  formoient  un  étang  :  au-delà  de  la 
chauffée  de  l'étang  le  duc  d'Anjou  avoit  mis  un  bon  corps-de- 
garde  ,  compofé  de  deux  regimens ,  commandez  par  la  Barte 
ôc  Goas,  qui  éroient  encore  en  dueil  pour  la  mort  du  jeune 
Briffac ,  général  de  l'infanterie  >  ôc  en  cas  d'accident  ils  avoient 
près  d'eux  des  hayes ,  ôc  des  bois  de  châtaigniers,  oia  ils  pou- 
voient  fe  renreri  ôc  derrière  il  y  avoit  de  l'infanterie,  ôc  un 
bon  corps  de  cavalerie  pour  les  foutenir. 

Coligny  inftruit  de  cette  difpofition  .  ôc  perfuadé  qu'il  y  alloit 
de  fon  honneur  ôc  de  fes  intérêts  de  prévenir  les  deffeins  du 
duc  d'Anjou,  qui  avançoit  toujours  ,  marcha  de  ce  côté  là 
avec  toute  fon  armée,  il  menoitl'avant-garde ,  ôc  avoit  avec 
lui  Jean  de  Soubize,la  Fin  feigneur  de  Beauvais,  François 
de  Briquemaut,  la  Loue  ,  Teligny,  ôc  Louis  de  Naffau  avec 
un  corps  de  troupes  Allemandes.  Le  corps  de  bataille  oii' 
étoient  les  deux  Princes  de  Bearn  ôc  de  Condé,  le  Prince  d'O- 
range ,  Henri  de  Naffau  fon  frère  ,  ôc  Volrad  de  Mansfcld, 
étoit  conduit  par  François  de  la  Rochefoucault.  Baudiné  ôc 
de  Piles  avec  leurs  regimens  couvroient  le  flanc  droit  i  Rou- 
.vrai  ôc  Pouilly  couvroient  le  gauche ,  ôc  il  y  avoit  derrière  un 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  XLV.        S9^ 

Cofps  de  cavalerie  pour  les  foûrenir.  L'infanterie  Allemande  

marchoit  lur  les  aîles  avec  toute  raitillerie.  Char  LE 

Quoique  ies  deux  camps  funent  li  près  l'un  de  l'autre,  l'ar-        JX 
mée  du  kui  éroit  dans  une  fi  grande  lécurité  ,  qu'elle  n'apprit     j  ^  ^ g 
l'arrivée  des  ennemis ,  qui  marchoient  avec  toutes  leurs  trou-    ^ 

■  r      ^  •  5-1  1  Combat  en- 

pes,  que  par  un  pnlonnier,  qu  ils  renvoyèrent  peu  de  tems  treks  Roya- 
avant  que  de  fe  mettre  en  marche.  On  cria  aux  armes  de  toutes  ^1^^^\^  ,^" 
parts ,  Ôc  avec  beaucoup  de  défordre ,  comme  il  arrive  ordi-  °  '^  "*^^' 
nairement ,  quand  on  eft  furpris.  Auiïi-tot  on  fit  fortir  les  mouf- 
Guetaires  de  leurs  retranchemens ,  pour  foutenir  les  corps-de- 
gardes  qui  croient  fur  la  levée.  De  Piles  commença  le  com- 
bat, ôc  ceux  de  fes  foldats  qui  s'avancèrent  le  plus  furent  re- 
pcuffez  par  un  gros  des  troupes  du  Roi  5  mais  comme  ils  fe 
trouvèrent  foutenus  par  d'autres  qui  les  fuivcient ,  les  Roya- 
îiftes  furent  obligez  de  rentrer  dans  leurs  retranchemens ,  d'où 
étant  couverts  par  les  paliiïades  ,  &  par  les  châtaigniers ,  ils  ti- 
rèrent fans  ceffefur  les  Confédérez,  6c  leur  tuerenc  beaucoup 
de  monde.  Ils  combattirent  ainfi  pendant  un  tems  allez  con- 
fidérable  :  mais  enfin  vaincus  par  le  nombre  y  (  car  toute  l'ar- 
mée ennemie  étoit  arrivée  )  ils  commencèrent  à  fonger  à  la  re- 
traite ,  mais  trop  tard. 

Les  chofes  étant  en  cet  état ,  ôcles  officiers  généraux,  qui 
étoient  le  plus  près  de  la  mêlée,  ayant  bien  de  la  peine  à  re- 
tenir les  foldats,  en  les  aflurant  que  le  fecours  étoit  proche; 
on  voit  arriver  tout  d'un  coup  Philippe  Strozzi ,  qui  avoir  fuc- 
cedé  à  BrifTac  dans  la  charge  de  Colonel  général  de  l'infante- 
rie Françoife.  Il  avoit  avec  lui  trois  cens  hommes  choifis,  parmi' 
îefquels  on  comptoit  des  colonels  Ôc  des  capitaines  d'une  gran- 
de réputation.  Animé  parcelle  de  fon  père,  par  fon  propre 
courage ,  par  l'émulation  que  lui  donnoit  la  gloire  de  BrifTac, 
qu'il  voyoit  avec  quelque  forte  de  jaloufie  regreté  de  tous  les 
foldats  j  il  exhorte  tous  ceux  qu'il  rencontre,  il  les  appelle  par 
leur  nom  , il  fe  met  à  leur  tête,  ôc  fait  fi  bien,  qu'il  rétablit  le 
combat.  11  montra  ce  jour  là  tant  de  bravoure  ,  que  les  foldats 
furent  confolez  de  la  perte  de  Brifl"ac.  Les  Cathohques  encou- 
ragez par  fa  fermeté  chargèrent  ôc  firent  plier  les  troupes  du 
feigneur  de  Piles  j  ôc  Somma  étant  venu  à  la  charge,  avec  fa 
compagnie  de  cavalerie ,  leur  paffa  fur  le  ventre ,  ôc  les  fit  fuir 
àladebandadeice  qui'renditle  combat  douteux  ;  de  Piles  même 


■BfJBM 


5P2  HISTOIRE 

m  abandonné  de  fes  foldats,  ôc  enveloppé  par  un  petit  nombre 


Char  LE  d'G^"^riGi"^''is ,  fut  en  grand  danger  de  perdre  la  vie 

IX  Coligny  s'étant  apperçu  de  ce  defordre ,  envoya  des  trou- 

1  c  (5  0      P^^  fraîches   pour  foutenir   celles   qui  étoient  fatiguées  ,  ôc 
qui  commençoient  à  prendre  la  fuite  :  ôc  comme  on  n'avoit 
lifks  foifS-  jufque  là  combattu  que  de  front ,  il  ordonna  qu'on  fît  le  tour 
tus.  du  village ,  ôc  qu'on  attaquât  ce  retranchement  par  le  flanc  : 

il  donna  cette  commifïîon  à  la  Ramiere,  officier  d'une  grande 
bravoure,  ôc  lui  donna  pour  le  féconder  RouvraiÔcPouilly.  Ils 
marchèrent  tous  trois  avec  leur  détachement  le  long  des  bords 
de  l'étang ,  ôc  vinrent  prendre  les  Catholiques  en  flanc  ôc  en 
queue.  Alors  la  face  du  combat  changea  entièrement  :  les  fol- 
dats  de  Strozzi  furent  envelopez  de  toutes  parts  5  ne  pou- 
vant plus  foutenir  les  efforts  des  ennemis,  ôc  prefles  d'ailleurs 
par  un  corps  de  cavalerie  qui  vint  fondre  fur  eux  ,  fous  la  con- 
duite de  Joachim  le  Vaffeur  feigneur  de  Cognée,  ôc  de  François 
d'Angennes  feigneur  du  Coudrai,  ils  furent  tellement  mis  en 
déroute ,  qu'i*!  fut  impoiTibîe  de  les  rallier. 

Les  Catholiques  perdirent  deux  oflîciers  généraux  très-efti- 
mez  j  l'un  étoit  faint  Loup  lieutenant  de  Strozzi  ,  ôc  l'autre 
Roquelaure.  Strozzi  lui-même,  après  avoir  fait  le  devoir  d'un 
grand  Général  pendant  que  fes  troupes  conferverent  leurs  rangs, 
ôc  celui  d'un  bon  foldat  lorfqu'elles  furent  en  déroute  ,  eut 
bien  de  la  peine  à  éviter  la  fureur  des  Proteftans,  qui  ce  jour 
là  tranfportez  décolère,  ôc  ne  fe  fouciant  point  du  butin,  ne 
firent  prefque  point  de  quartier.  A  la  fin  pourtant  ayant  été  pris 
ôc  reconnu ,  il  fut  mené  à  Coligny.  L'armée  du  Roi  perdit 
en  cette  occafion  plus  de  quatre  cens  hommes,  entre  lefqucls 
il  y  en  avoit  bien  cinquante,  tant  colonels  que  capitaines.  Du 
côté  des  Proteflans  il  n'y  eut  que  cinquante  hommes  tuez , 
du  nombre  defqueîs  furent  Irememond  ôc  la  Fontaine,  capi- 
taines d'infanterie.  Le  carnage  auroit  été  plus  grand  fi  l'on 
eût  pourfuivi  les  fuyards  j  mais  la  pluie  continuelle  empêcha 
la  cavalerie  de  le  faire,  ôc  l'infanterie  le  put  encore  moins  3 ou- 
tre qu'elle  étoit  fatiguée  du  combat  ôc  de  la  pluie  ,  ôc  que  les 
armes  à  feu  étoient  mouillées  Ôc  hors  d'état  de  fervir:  de  for- 
te que  les  vaincus,  qui  s'étoient  difperfez  dans  leur  fuite;  eurent 
le  loifir  de  fe  retirer  dans  leur  camp  ,  n'étant  pourfuivis  de 
perfcnniî. 

Le 


DE  J.   A.  DE  THOU3  Liv.  XLV.      S93 
Le  lendemain,  le  duc  de  Nemours  voulant  faire  fentiraux  _ 
ennemis ,  que  leur  avantage  de  la  veille  n'étoit  pas  fort  confi-  Ch  a  r  le 
dérable  ,  réfolut  d'infulter  leur  camp  avec  quatre  cens  Italiens       jx. 
&  quelques  troupes  armées  à  la  légère  5  il  s'imagina  que  fin-     1  ç  5  p. 
commodité  du  lieu  ôc  la  difette  des  vivres  les  obligeroient  d'en 
fortir:  mais  les  ayant  trouvez  difpofez  à  le  bien  recevoir  ,  il 
fe  retira  avec  perte  :  ces  deux  adions  fe  pafTerent  le  quinze  Ôc 
le  feize  de  Juin. 

Les  Confédérez  ayant  enfin  réuni  toutes  leurs  forces,  &  vou- 
lant juftifier  au  Roi  leur  innocence ,  ôc  la  juftice  de  leur  caufe  ,  Requête  des 
prirent  alors  la  réfolution  de  lui  adreffer  une  requête  ,  oii  rap-  au°Roi/^^^ 
pellant  le  fouvenir  des  guerres  précédentes  ,  &  en  rejettant  la 
caufe  fur  les  Guifes  ôc  furies  autres  ennemis  d-^la  tranquillité 
publique,  ils  proteftoient  qu'ils  avoient  été  forcez  de  prendre 
les  armes,  pour  défendre  leur  religion,  leurs  vies  ôc  leurs  biens 
aufquels  les  Guifes  en  vouloient  :  Que  s'il  plaifoit  à  faMajefté 
de  permettre  à  tous  les  Proteftans  de  fon  Royaume,  de  s'af- 
fembler  librement,  de  vivre  dans  le  repos,  d'exercer  tranquil- 
lement leurs  emplois ,  ôc  de  jouir  paifiblement  de  leurs  biens, 
ôc  de  leur  donner  une  garantie  fuffifante  pour  leur  ôter  toute 
inquiétude  fur  tous  ces  points ,  ils  mettroient  fur  le  champ  les 
armes  bas.  L'Eftrange  ayant  été  choifi  pour  porter  cette  requête 
au  Roi ,  demanda  un  paffeport  au  duc  d'Anjou  5  ce  Prince  ré- 
pondit qu'il  en  écriroit  au  Roi  :  il  le  fit  en  effet ,  ôc  faMajefté 
îui  ayant  permis  de  faire  fur  cela  ce  qu'il  jugeroit  à  propos , 
il  ne  chercha  qu'à  amufer  les  Proteftans ,  en  différant  de  joue 
en  jour  de  leur  donner  une  réponfe  pofitive. 

Sur  cela  Coligni  fut  d'avis  d'envoyer  la  requête  à  François 
de  Montmorenci  maréchal  de  France ,  homme  d'une  vertu 
digne  de  fantiquité  ,  ôc  qui  aimoit  fincerement  fa  patrie.  11 
ctoit  alors  à  la  Cour  ;  mais  comme  il  étoit  proche  parent  du 
prince  de  Condé  ôc  des  Colignis ,  il  y  étoit  un  peu  fufped. 
Le  Maréchal  répondit  à  Coligni  par  une  lettre  datée  d'Or- 
léans ôc  du  20  de  Juillet ,  que  le  Roi  ne  recevroit  point  les  re-  i 
quêtes  des  Proteftans ,  ôc  n'écoûteroit  point  leurs  propofitions,  ] 
qu'ils  n*euffent  auparavant  obtenu  leur  grâce  ,  en  fe  foumet-  , 
tant  ôc  en  rentrant  dans  leur  devoir.  Six  jours  après  Coligni 
lui  envoya  ,  par  Montreuil  Bonin  ,une  féconde  lettre,  dans  la- 
quelle il  proteftoit  au  nom  des  Princes  Ôc  de  leurs  Confédérez;  i 
Tome  F,                                                   F  f  f  f 


yP4:  HISTOIRE 

^„,,„,..„;,.  contre  l'injure  qui  leur  étoit  faite  par  les  ennemis  du  repos  pu- 
pi  blic  y  qui  empêchoient  qu'on  n'écoutât  leurs  raifons  ;  il  pre- 

X  ^  noit  Dieu  &  tous  les  princes  Chrétiens  à  témoins  des  démar- 
ches qu'il  avoit  faites,  ôc  il  declaroit  qu'on  ne  pouvoitluiim- 
'  ^*  puter  les  malheurs  que  cette  guerre  entraîneroit  :  qu'au  refte 
lui  Ôc  les  Confédérez  >  feroient  toujours  tous  leurs  efforts 
pour  aflurer  le  bonheur  de  l'Etat  en  général ,  ôc  celui  des  par- 
ticuliers. 

Dans  ce  même  tems  les  officiers  généraux  de  l'armée  du 
duc  d'Anjou  tinrent  un  grand  confeil ,  fur  ce  qu'il  y  auroit  à 
faire  pour  rétablir  leurs  troupes.  On  fut  d'avis  de  les  diftribuer 
pour  un  tems  dans  les  places  :  que  pendant  ce  tems-là  les  gen. 
tilshommes  qui  fervoient  dans  Farmée ,  pourroient  aller  chez 
eux  fe  répofer  ôc  ramaffer  de  l'argent  ,  pour  revenir  enfuite  à 
l'armée  ,  où  ils  feroient  plus  en  état  de  fervir.  Cela  fut  ainfi 
arrêté,  ôc  on  leur  donna  à  tous  rendez-vous  au  Camp  pour  le 
quinzième  du  mois  d'Août. 

Pour  les  Confédérez  ,  ils  réfolurent  de  refier  en  campagne, 

foit  qu'il  ne  leur  fut  pas  aifé  de  retourner  dans  leurs  maifons, 

foit  qu'ils  vouluffent  occuper  les  troupes  Allemandes ,  qui  fe 

mutinent  aifément  dans  le  repos ,  afin  de  les  tenir  dans  le  de- 

Expédition  ^^q\^^  Ainfî  pour  profiter  s'ils  pouvoient  de  l'inadion  des  Ca- 

des  Contede-    -     ,.  .f  ^  ,  i     r»     •         j        o      '  •  ^ 

rez.  thohques,  ils  entrèrent  dans  le  rerigord  ,  ôc  étant  arrivez  a 

Tivierele  vingt-huit  de  Juillet ,  ils  prirent  parcompofitionla 
ville  de  Brantôme ,  où  il  y  a  une  Abbaye  célèbre  5  ôc  par  force  , 
deux  fortereffes ,  dont  Tune  étoit  le  château  de  l'évêque  dePe- 
rigueux,  ôc  l'autre  fe  nommoit  la  Chapelle.  Il  y  avoit  dans 
cette  dernière  place  deux  cens ,  tant  foldats  ,  que  payifans  , 
qui  furent  tuez.  Au  commencement  du  mois  d'Août  ils  paffe- 
rent  la  Vienne  à  Confolans ,  ôc  marchèrent  droit  à  Chabanez , 
place  qui  appartenoitau  vidame  de  Chartres.  La  Planche,  que 
Montluc  y  avoit  mis  avec  une  compagnie  d'infanterie ,  fut  fom- 
mé  de  fe  rendre.  Comme  il  fe  flatoit  d'être  bien-tôt  fecouru 

Ear  Montluc  ,  il  le  refulk.  On  fit  approcher  le  canon ,  qui  eut 
ien-tôt  renverfé  la  plus  gtande  tour.  Le  Commandant ,  dont 
la  garnifon  n'étoit  pas  allez  nombreufe  pour  défendre  toute 
l'enceinte  delà  place,  mit  le  feu  à  la  partie  la  plus  foible.  Pen- 
dant qu'on  montoit  à  l'affaut ,  le  vent  augmenta  l'embrafe- 
ment ,  ôc  pouffa  la  fumée  dans  les  yeux  des  ^ITiégez  3  enforte 


DE  J.  A.  DE  THOU.   Liv.  XLV.        yp; 

qu'ils  furent  forcez ,  ayant  le  vent  contr'eux ,  &  étant  d'ailleurs  *— ^"'^'^^ 
accablez  par  le  grand  nombre  des  ennemis.  Le  château  fut  Char  LE 
pris  enfuite  &  la  garnifon  pafTée  au  fil  de  l'épée.  La  Planche  ,        I X. 
pour  fe  racheter ,  promit  une  grofle  rançon ,  &  outre  cela  qu'il     156p. 
feroit  rendre  la  liberté  à  Pierre  Viret  y  que  Montluc  avoit  pris 
dans  le  Bearn.   Ce  fut  dans  ce  tems-là  que  Louis  de  Lanoy 
de  Morvilliers  ,  qui  avoit  été  préféré  à  Genlis  ,  pour  la  char- 
ge de  Général  de  la  cavalerie  Françoife  >  mourut  de  maladie 
à  Angoulême  ;  Ôc  ce  fut  peu  de  tems  après  que  Mouy  reprit 
par  compofition  la  ville  de  Saint  Gênez ,  qui  paya  dix  mille 
livres  pour  fe  racheter  du  pillage. 

Le  duc  d'Anjou  étant  forti  de  Perigueux  ,  traverfa  le  Li- 
moufin  ,  ôc  étant  arrivé  à  Loche  en  Touraine ,  il  congédia  fes 
troupes ,  &  leur  ordonna  de  fe  retrouver  fous  leurs  drapeaux  le 
premier  d'Octobre,  ayant  prorogé  defix  femaines  le  tems  qu'on 
leur  avoit  donné  d'abord. 

Pendant  que  tout  cela  fe  paflbit  du  côté  du  Limoufin ,  & 
du  PerigordjGui  de  Daillon  comte  du  Lude,  qui  comman- 
doit  en  Poitou ,  n'étoit  pas  dans  l'ina£lion.  11  fe  mit  en  cam- 
pagne avec  cinq  mille  hommes  de  pié  ,  parmi  lefquels  il  y 
avoit  quatre  compagnies  commandées  par  d'Onoux  ;  il  me- 
noit  avec  lui  quatre  greffes  pièces  de  canon  ,  pour  des  fiéges 
&  quelques  coulevrines.  Il  prit  en  chemin  faifant  les  châteaux 
de  Chevreux  &  de  Magnée  qui  appartenoient  à  Saint  Gelais, 
&  fit  tuer  ou  noyer  les  garnifons  malgré  les  capitulations  :  au 
moins  on  le  publia  ainfi  ,  peut-être  pour  le  rendre  odieux. 
Il  arriva  devant  Nyort  le  vingtième  de  Juin  ,  ayant  avec  lui 
Landereau  ,  les  Granges  ,  Maronieres  ,  &  beaucoup  de  gen- 
tilshommes delà  meilleure  Noblefle  du  Poitou.  Puigaillard  gou- 
verneur d'Angers  eutordre  de  l'aller  joindre  avec  ce  qu'il  avoit 
de  troupes.  La  Noue  ayant  été  informé  de  leur  deffein  envoya 
au  fecours  de  la  place  Pluviaut,  avec  fix  compagnies  d'infan- 
terie ,  fa  compagnie  de  cavalerie ,  &  quelques  moufquetaires  à 
cheval.  Pluviaut  donna  rendez-vous  à  fes  troupes  à  Fontenai- 
l'Abbatu  qui  appartient  à  la  maifon  de  Rohan  :  mais  ayant  feu 
que  Daillon  étoir  porté  fur  fa  route ,  ôc  qu'il  avoit  mis  des  trou- 
pes à  Fors ,  où  il  falloir  qu'il  paflat ,  il  ordonna  au  capitaine  Bois 
de  prendre  les  devans:  pour  lui  il  s'écarta  du  chemin  ordinaire,  & 
arriva  fans  aucune  perte  à  Fontenai.  Il  y  laifTa  fes  bagages ,  afin 

Ffffij 


'S9^  HISTOIRE 

^  d'avoir  moins  d'embarras  dans  fa  marche,  &  voici  l'ordre  qu'il 
Charle  y  g^'^ds»  Il  marchoit  à  la  tête, accompagné  de  douze  gens- 
I X.       d'armes  armez  de  toutes  pièces.  L'infanterie  venoit  enfuire  > 
a  S  6p.     couverte  fur  les  flancs  par  les  moufquetaires  à  cheval ,  ôc  quel- 
ques cuiraffiers  étoient  à  la  queue   de  l'arriere-garde.  Tout 
cela  ne  faifant  qu'un  gros ,  trompa  l'ennemi ,  ôc  lui  fit  croire 
qu'il  y  avoir  plus  de  troupes  qu'il  n'y  en  avoir  en  effet. 

Lorfqu'il  fut  affez  près  de  la  ville  pour  voir  les  deux  tours 
plfcoursde  ^g  la  grande  Efflife  ,  il  dit  à  fes  foldats  :  -  Voilà  les  dra- 

Pliiviaut  a  fcs  °  ^       i  i  ^  r  ■ 

foldats,  «  peaux  que  vous  devez  regarder  ,  que  vous  devez  luivre  , 

«  &  auprès  defquels  il  faut  vous  rendre  aujourd'hui  i  c'eft  là 
»  qu'il  faut  grimper  des  pieds  ôc  des  mains  j  perdons  plutôt  la 
»  vue  du  folcil ,  que  la  vùë  de  ces  tours  :  quand  l'honneur  ôc 
»  la  gloire  ne  feroient  pas  des  motifs  affez  puiffans  pour  nous 
«>  faire  agir ,  le  péril  où  font  nos  amis  fuffiroit  pour  nous  enga- 
='  ger  à  ne  leur  pas  manquer  au  befoin.  S'ils  n  étoient  expofez 
J5  qu'aux  évenemens  ordinaires  de  la  guerre ,  ces  braves  hom- 
«  mes  s'en  mettroient  peu  en  peine  j  mais  ils  font  expofez  à 
«  la  haine  ôc  aux  vengences  particulières  d'ennemis  impitoya- 
0'  blés  i  ôc  cette  penfée  étant  capable  de  faire  frémir  fhomme 
=>  le  plus  brave ,  ce  feroit  un  crime  à  nous ,  ôc  une  véritable 
35  impiété  de  les  abandonner  dans  un  fi  affreux  péril.  Allons  , 
*»  compagnons ,  notre  entreprife  ne  peut  manquer  d'être  heu- 
3)  reufe  5  allons,  ou  chercher  une  mort  glorieufe ,  ou  délivrer 
»  nos  amis  d'un  malheur  inévitable.  » 

Aulîî-tôt  il  fe  met  en  bataille  ,  donne  la  gauche  à  conduire 
à  la  Roche  de  la  maifon  de  la  Louviere  î  il  fe  met  à  la  droite* 
&  laiffe  l'Etang  fon  lieutenant  pour  conduire  le  corps  de  re- 
ferve.  Sur  ces  entrefaites  il  fortit  fept  efcadrons  d'un  hameau 
voifm  ,  qui   vinrent  les  charger.   Pluviaut  ,  qui  n'étoit   pas 
venu  là  pour  combattre ,  mais  pour  fe  jetter  dans  la  place  , 
continua  toujours  de  marcher  en  combattant ,  ôc  entra  dans 
la  ville  avec  la  meilleure  partie  de  fon  monde.  Comme  fon 
infanterie  ne  put  marcher  fi  vite  que  lui ,  il  perdit  un  drapeau 
ôc  eut  environ  cent  hommes   tuez  5  le  refte  fe  difperfa  dans 
les  vignes,  ôc  fefauva  comme  il  put. 
Siège  de        Le  même  jour  on  battit  avec  deux  pièces  de  canon  la  porte 
Nyort  par      du  pont  ÔC  les  deux  tours  voifines.  Celui  qui  commandoit  dans 
tudeT    "    '^  place ,  fut  bleffc  d'un  coup  d'arquebufe  ?  il  y  eut  outre  cela 


DE  J.  A.  DE   THOU,Liv.  XLV.       5-5)7 

■quelques  habitansbleffez.  La  brèche  ayant  été  reparée  le  mieux  > 

qu'on  put  pendant  la  nuit ,  on  braqua  le  canon  contre  la  Tour  c  u  *  o  t  » 
d'Efpingalle ,  011  commandoit  le  capitaine  Gargouillaud.  Cette  jy 
batterie  ayant  tiré  fans  relâche  deux  jours  durant ,  6c  Gargouil-  ,  r-  /r' 
laud  ayant  été  blelTé  ,  les  ennemis  montèrent  à  la  brèche  ,  ôc  ^  - 
plantèrent  en  même-tems  des  échelles  de  l'autre  côté  de  la  ville. 
Le  combat  fut  meurtrier  aux  deux  attaques  pendant  une  de- 
mie heure.  Les  afiiégez  y  perdirent  Membrole  lieutenant  du 
Gouverneur  Ôc  vingt-cinq  foldatsj  mais  la  perte  des  alfiégeans 
fut  beaucoup  plus  grande  :  cependant  les  enfans ,  les  femmes 
&les  filles  ayant  travaillé  à  l'envi  à  réparer  la  brèche,  les  trou- 
pes du  Roi  recommencèrent  le  lendemain  à  battre  la  Tour 
pour  achever  de  la  renverfer.  Les  aiïiégeans  étoient  maîtres 
d'une  partie,  ôc  les  alfiégez  de  l'autre  :  mais  il  arriva  une  chofe 
qui  fit  un  grand  tort  aux  derniers,  ôc  quipenfa  êtrecaufe  de 
leur  ruine.  Pendant  que  Pluviaut  couroit  de  côté  ôc  d'autre  > 
pour  donner  fes  ordres  partout,  il  fut  frapé  fi  vivement  d'un 
éclat  de  pierre  que  le  canon  fit  fauter  ,  qu'il  penfa  en  être  ac- 
cablé. On  le  crut  mort  pendant  quelques  momens  5  mais  on 
n'en  dit  rien ,  de  peur  de  décourager  la  garnifon.  Au  refte  fa 
blefîure  fut  fi  confidérable  ,  qu'il  fut  dix  mois  entiers  au  lit  fans 
pouvoir  agir.  Le  combat  ayant  recommencé ,  \qs  Royaliftes 
attaquèrent  vigoureufement,  mais  ils  furent  reçus  de  même  ôc 
contraints  enfin  de  fe  retirer. 

On  battit  enfuite  quatre  jours  durant  la  Tour  de  Pellet  ; 
mais  avec  moins  de  violence  ,  parce  que  la  poudre  commen- 
çoit  à  manquer ,  ôc  que  celle  qu'on  devoit  leur  apporter  des 
lieux  voifms  n'arrivoit  point.  D'ailleurs  les  afTiégez,  qui  corn- 
mençoient  à  avoir  quelque  efperance  de  faire  lever  le  fiége  , 
travailloient  jour  ôc  nuit  à  reparer  les  brèches ,  encouragez  par 
les  vives  ôc  fréquentes  exhortations  que  Pluviaut  leur  faiîbit 
de  fon  lit,  ôc  par  les  alTurances  qu'il  leur  donnoit  de  jour  en 
jour  que  la  Noue  viendroit  bien-tôt  les  fecourir.  Tout  cela  fe 
pafla  dans  le  tems  de  la  défaite  de  Strozzi ,  dont  j'ai  parlé  ci- 
delTusî  ôc  la  Noue  avoir  alors  fort  peu  de  troupes.  Cependant, 
comme  il  ne  vouloit  point  abandonner  fes  amis  ,  ôc  qu'il  étoit 
d'ailleurs  vivement  follicité  par  François  du  Vigean  ,  il  fe  mit 
en  marche  avec  quatre  cens  chevaux  ôc  deux  compagnies  d'in- 
fanterie, deftinez  pour  garder  la  Rochelle  ,  ôc  avec  le  régiment 

Ffffiij 


;p8  HISTOIRE 

.  de  Saint  Megrin ,  mort  depuis  peu  dans  cette  ville.  Son  def- 

r  «  A  T?  T  r  fein  étoit  d'entrer  de  très-grand  matin  dans  Nyort  fans  au- 

Lj  H  A  RLE  ,  Ç»    ,  .        ,         .-' 

l^  cun  ordre  démarche  :  mais  les  mauvais  chemins  ayant  em- 
1  f  5  Q.  péché  fon  infanterie  d'arriver  au  tems  marqué  ,  pour  ne  pas 
perdre  fon  tems  ,  il  alla  à  Fontenai  ,  où  les  compagnies  de  ca- 
valerie de  Landereau  ,  de  Richelieu ,  &  de  Dantes  s'étoient  re- 
tranchées :  il  força  le  retranchement ,  ôc  l'ayant  fait  attaquer 
par  divers  endroits  en  même-tems,  illeur  tua  environ  deux  cens 
cinquante  hommes  ,  ôc  prit  prefque  tous  leurs  bagages  :  puis 
ayant  été  averti ,  que  Daillon  leur  envoyoit  du  fecours  ,  il  fe 
retira  avec  le  butin  qu'il  avoit  fait ,  marcha  fans  difcontinuer, 
&  fe  rendit  enfin  à  Mofé. 

Ce  fuccès  encouragea  les  afliégez  î  ôc  fur  l'avis  qu'ils  eurent 
que  les  afîiégeans  dévoient  les  attaquer  le  lendemain  avec  tou- 
tes leurs  forces  ,  ils  fe  préparèrent  de  leur  côté  à  les  recevoir  de 
bonne  grâce  ,  fe  flatant  que  la  Noue  ne  manqueroit  pas  d'ac- 
courir promptement  à  leur  fecours  avec  de  nouvelles  forces. 
La  brèche  étoit  grande  en  deux  endroits  j  cependant  Daillon 
fe  méfiant  du  fuccès ,  ôc  croyant  que  les  affiégez  pourroient 
confentir  à  fe  rendre  à  des  conditions  avantageufes ,  il  leur 
envoya  trois  capitaines  pour  les  inviter  à  un  pour-parler.  Le 
Gouverneur  répondit  fièrement  aux  propofitions  de  Daillon  ; 
qu'ayant  reçu  ce  gouvernement  du  prince  de  Bearn  gouver- 
neur de  la  Guienne  ,  dont  le  Poitou  dépendoit^  il  ne  pouvoir 
écouter  aucune  propofition  fans  fon  ordre  ;  qu'ainfi  il  deman- 
doit  du  tems  pour  en  écrire  aux  Princes  ,  &  que  cependant 
on  pourroit  faire  une  trêve.  Les  députez  n'ayant  rien  obtenu," 
retournèrent  trouver  Daillon ,  qui  voyant  qu'il  n'y  avoit  rien 
à  gagner  par  la  négociation,  fit  mettre  £qs  troupes  en  bataille 
après  midi,  ôc  les  fit  monter  à  la  brèche  au  bruit  des  tambours 
Ôc  des  trompettes. 

La  nuit  d'auparavant  les  affiégez  avoient  arrêté  les  eaux  de  la 
Seure ,  par  des  bâtardeaux  qu'ils  avoient  faits,  ôc  ils  l'avoient  fait 
regorger  de  telle  forte  dans  le  fofle,  par  oiiil  falloir  que  lesaiïié- 
geaiis  pafiafTent ,  que  les  foldats  en  avoient  jufqu'au  nombril  5  en- 
forte  qu'il  leur  fut  impoflible  de  garder  leurs  rangs, ôc  qu'ils  for- 
tirent  de  là  en  defordre ,  ôc  peu  en  état  d'afiaillir  vigoureufement. 
Ils  ne  laiflerent  pas  de  combattre  avec  beaucoup  de  bravoure  : 
mais  Fenfeigne  de  la  compagnie  du  Général  ayant  été  tué  ,  ils 


D  E  J.   A.   DE   THOU,Liv.   XLV.        5^^ 

perdirent  courage,  &  fe  voyant  accablez  de  feux  d'artifice,  d'hui-  ■ 

le ,  d'eau  bouillante ,  ôc  d'une  grêle  de  pierres  ,  ils  commence-  c  h  a  r  L  E 
rent  à  lâcher  pie ,  après  avoir  perdu  beaucoup  de  monde.  Lorf-        j  v 
qu'ils  eurent  repafie  ce  foiïe  plein  d'eau ,  leurs  capitaines  leur     i  <-  (^  n 
firent  tant  de  reproches  ,  qu'il  fe  trouvèrent  difpofez  à  retour- 
ner à  l'attaque  :  mais  il  s'en  trouva  peu  qui  ofafTent  rentrer  une 
féconde  fois  dans  lefoffé ,  Ôc  tous  ceux  qui  l'entreprirent  furent 
tuez.   Le  drapeau  du  général ,  qui  avoir  été  pris  ,  fut  porté 
dans  la  ville  en  grande  pompe,  &  y  caufa  une  grande  joye. 

Le  lendemain  les  aiïiégeans  tinrent  confeil ,  pour  délibérer 
fi  l'on  continueroit  lefiége,  ou  fi  on  le  leveroit  :  le  plus  grand 
nombre  étoit  d'avis  de  le  lever ,  les  foldats  étant  rebutez,  après 
avoir  été  tant  de  fois  repoulfez.  D'ailleurs  Daillon  avoit  été 
informé  pas  fes  efpions  ,  que  Teligny  étoit  en  chemin  pour  fe- 
courir  la  place ,  qu'il  étoit  accompagné  de  Charle  de  Mans- 
feld  frère  de  Volrad ,  qui  avoit  quatre  compagnies  de  cava- 
lerie Allemande  ,  avec  le  régiment  de  Briquemaut ,  ôc  un 
corps  de  bonne  cavalerie.  Malgré  tout  cela  Puygaillard ,  qui 
étoit  arrivé  nouvellement  d'Angers  ,  ôc  qui  comptoit  fur  la 
valeur  de  fes  troupes,  qui  étoient  toutes  fraiches  ,  fut  d'avis 
de  tenter  encore  un  aflaut ,  avant  que  le  fecours  arrivât.  Cepen- 
dant les  affiégez  étoient  animez  par  tous  les  avantages  qu'ils 
avoient  remportez ,  ôc  par  l'efperance  d'un  fecours  prochain  5 
au  lieu  que  la  vigueur  des  affiégeans  étoit  extrêmement  ralen- 
tie :  de  forte  que  les  troupes  de  Puygaillard ,  toutes  fraiches 
qu'elles  étoient ,  fe  reflentirent  du  découragement  de  leurs 
compagnons,  ôc  qu'au  lieu  de  combattre  avec  cette  bravoure 
qu'on  en  attendoit ,  elles  fe  retirèrent  bien-tôt,  ôcprefque  avec 
ignominie.  Les  Royaliftes  perdirent  plus  de  quatre  cens  hom- 
mes à  ce  fiége  :  du  côté  de  la  ville  on  n'en  perdit  qu'environ 
cinquante. 

Daillon  fit  plier  bagage  le  troifiéme  de  Juillet ,  ôc  craignant 
d'être  attaqué  dans  fa  retraite ,  ou  par  la  garnifon  ,  on  par  Te- 
ligny ,  qui  venoit  au  fecours  de  la  ville,  il  marcha  en  bataille 
ôc  arriva  le  même  jour  à  Cherveux  ,  ôc  le  lendemain  à  Saint 
Maixant.  D'Onoux  y  reftaavecfon  régiment  ôc  avec  deux  gref- 
fes pièces  de  canon  ôc  deux  coulevrines.  Du  Lude  pafla  de 
là  à  Lufignan  ,  où  il  mit  fix  canons  ,  ôc  ayant  confié  à  Guron 
&  à  Defciufeaux  fon  frère  la  garde  de  ce  château ,  qui  eft  le 


6oô  HISTOIRE         X 

■  plus  fort  du  payisj  il  y  laifTa  la  Paillerie  avec  quatre  Compa- 

^  ■  giiies  de  fantallins  ,  ôc  s'en  retourna  à  Poitiers.  Teligny  n'ar- 

fv^^^  riva  à  Nyort  qu'après  la  levée  du  fiége  j  il  alla  voir  Pluviaut 

qui  gardoit  encore  le  lit,  &  après  l'avoir  confolé  ,  ôc  fait  de 

•^     ^'     grands  éloges  du  courage  6c  de  la  fermeté  de  la  garnifon  ÔC 

des  habitans  ,  il  s'en  retourna. 

Coligni  ayant  été  informé  dans  le  même  tems  qu'il  y  avoir 
dans  Châteileraud  beaucoup  de  gens ,  qui  favorifoient  en  fe- 
cret  le  parti  Proteftant ,  il  y  envoya  la  Loue  ,  avec  un  petit 
corps  de  troupes  choides.  Son  arrivée  ayant  jette  le  trouble 
dans  toute  la  ville ,  le  Gouverneur ,  nommé  Villiers ,  traita  avec 
lui,  ôc  promit  de  lui  remettre  la  place  pour  le  prince  de  Na- 
varre, à  certaines  conditions.  La  chofe  s'exécuta  le  quatre  de 
Juillet .  ôc  tandis  que  Villiers  fortoit  par  une  porte ,  la  Loue 
entra  par  l'autre.  C'efl:  à  peu  près  de  la  même  manière  que 
Coligni  prit  Lufignan  d'emblée  :  il  fit  femblant  de  vouloir 
aîTiéger  Saint  Maixant  j  mais  ayant  paffé  au-delà  >  il  marcha 
droit  à  Lufignan  ,  qui  eft  à  cinq  lieues  de  Poitiers  ,  ôc  s'en 
rendit  maître.  Guron  fe  retira  dans  le  château  avec  £qs  gens 
ôc  emporta  avec  lui  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  meilleur  dans  h 
ville. 

Le  château  de  Lufignan  eft  fitué  fur  un  roc  efcarpé  ôc  fort  lar- 
ge :  du  côté  qui  regarde  la  campagne ,  il  eft  entouré  de  deux 
murailles  fi  fortes  Ôc  fi  épaifles ,  qu'elles  font  prefque  à  l'épreu- 
ve du  canon  ,  ôc  le  folfé  eft  li  profond  ,  que  quoiqu'il  foit  com- 
mandé par  les  hauteurs  voifines  ,  il  eft  cependant  très  -  difficile 
d'en  approcher.  Du  côté  de  la  ville ,  il  y  a  trois  murailles  ôc 
deux  follez.  La  plupart  des  gentilshommes  ôcdes  habitans  du 
voifinage  ,  ayant  toujours  regardé  cette  forterefle  comme  im- 
prenable, s'y  étoient  retirez  avec  leurs  enfans  ôc  tout  ce  qu'ils 
avoient  de  plus  précieux  ,  ôc  s'y  croyoient  beaucoup  plus  en 
fureté  qu'à  Poitiers.  Mais  par  malheur  cette  place  ,  qui  étoit 
très-bien  fournie  de  canon  ôc  de  toutes  fortes  de  muninons  , 
manquoit  d'hommes  ,  ôc  quoiqu'on  y  eut  mis  quatre  compa- 
gnies pour  la  garder,  à  peine  s'y  trouva-t'il  cent  foldats. 

Dans  cet  état,  un  Vendredi  feptiéme  de  Juillet,  Coligni 
^^^^^  ^.    ayant  fait  venir  de  Taillebourg  ôc  de  la  Rochelle  deux  grof- 

pnle  du  cha-    y       .  j  o  i    *^  •  j  ^ 

teau  de  Lufi-  les  pieccs  de  canon  ,  oc  quelques  pièces  de  cr..;npagne ,  lem- 
gnan,  blablcs  à  celles  que  les  Allemands  mènent  avec  eux,  fit  faire 

unQ 


DEJ.  A.  DE   THOU,Lrv.  XLV.        6oi 

tme  batterie  fur  une  hauteur  qui  coramandoit  la  place ,  ôc  qui  . 

étoit  toute  couverte  de  taillis  >  au  milieu  defquels  on  plaça  des  Charle 
moufquetaires ,  qui  faifoient  un  feu  continuel  fur  le  château.  La  j  x 
brèche  étant  grande  ,  on  réfolut  d'y  donner  l'aflaut.  L'entre-  j  j  5'g, 
prife  étoit  perilleufe,  parce  qu'on  n'y  pouvoit  monter  qu'à  dé- 
couvert. De  Piles  fe  chargea  de  l'attaquer  avec  fon  régiment  : 
Briquemaut  6c  Gui  Philippe  de  la  Fin  feigneur  de  la  Nocle , 
eurent  ordre  de  le  foûtenir  avec  leurs  compagnies  de  cava- 
lerie. Coligni  donna  ordre  à  du  Breùil  ôc  à  Rouvrai  de  fe 
couvrir  de  leurs  boucliers  ,  ôc  d'approcher  le  plus  près  qu'ils 
pourroient  ,  pour  reconnoître  fi  le  mur  étoit  bien  rafé.  Du 
Brùeil  fut  accablé  fous  des  ruines,  qu'un  coup  de  canon  tiré 
imprudemment  par  les  afîiégeans  fit  ébouler  fur  lui.  Rouvrai 
dangereufement  blefi^é  ,  retourna  dire  à  Coligni,  que  le  mur 
n'étoit  pas  affez  rafé  5  ainfi  les  canonades  recommencèrent.  En- 
fin la  garnifon  étant  accablée  par  une  grêle  de  moufqueterie, 
&  tellement  effrayée  qu'elle  n'ofoit  plus  paroître  à  la  brèche, 
ôc  d'ailleurs  la  Paillerie  ayant  été  emporté  Ôc  mis  en  pièces  par 
un  coup  de  canon,  l'effroi  ôc  le  defefpoir  de  la  garnifon  fu- 
rent fi  grands,  qu'ils  capitulèrent  le  21  de  Juillet,  ôc  rendi- 
rent à  Coligni  cette  fortereffe,  qui  avoir  été  regardée  jufqu'a- 
lofs  comme  imprenable,  ôc  que  les  Anglois  avoient  autrefois 
attaquée  inutilement.  Quatre  jours  après ,  la  garnifon  Ôc  les  ha- 
bitans  fortirent,ôc  la  capitulation  fut  gard-ée  très-exa£rement: 
cet  exemple  mit  fin  aux  vengences  particulières ,  ôc  aux  maf- 
facrcs  alternatifs  qui  s'étoient  faits  jufques-là.  On  mit  dans  cette 
fortereffe  François  de  Pont  de  Mirambeau ,  avec  deux  com- 
pagnies  d'infanterie. 

Pendant  que  la  guerre  fe  faifoit  ainfi  par  terre ,  on  ne  fe  tenoit 
pas  à  rien  faire  fur  la  mer.  La  Tour,  à  qui  le  prince  de  Condé 
avoir  donné  le  commandement  de  fa  flotte  ayant  été  tué  à  Jarnac, 
Jean  Sore ,  qui  lui  fucceda  dans  cet  emploi ,  alla  croifer  fur  les 
côtes  de  Bretagne  ,  ôc  prit,  après  un  rude  combat  donné  à  la 
vue  de  Breft  ,  quelques  navires  Portugais  :  les  ayant  menez  à 
la  Rochelle,  il  y  débarqua  environ  cinquante  Anglois  qu'il 
avoit  fur  fon  bord  ,  ôc  qui  étoient  très-habiles  pour  les  mines 
ôc  pour  tous  les  ouvrages  qui  fervent  aux  attaques ,  ôc  à  la 
défenfe  des  places  j  ce  qui  leur  fut  fort  uilc  dans  la  fuite. 
Ayant  depuis  équipé  vingt  bâtimcns  ,  il  donna  à  l'Amiral  le 
Tome  y.  Ggg§ 


(^02  HISTOIRE 

ti^^g^mmm  i"^oï^*^  àe  Prince  de  Condé  ^  &  fe  remit  en  mer  pour  faire  le  mé- 

C  H  A  rTe  ^^^^  ^^  Corfaire. 

IX  Cependant  la  guerre  étoit  allumée  dans  toutes  les  parties  du 

_  ^  A  Royaume.  Châtillon  fur  Loing  ,  dont  l'Amiral  Gafpard  de 
Coligni  portoit  le  nom  >  étoit  gardé  par  Gigon  au  nom  de  ce 
Seigneur.  Au  mois  de  Mai  précèdent ,  Sarra  Martinengo  s'en 
étant  approché  ,  à  la  prière  de  du  Tillet  Greffier  en  chef  du 
Parlement ,  avec  quelques  troupes  qu'il  avoit  tirées  de  la  Buf- 
iiere  ,  qui  eft  un  château  du  voifmage  ,  Gigon  mit  le  feu  à  la 
ville  :  le  vent  ayant  pouffé  la  flame  dans  le  château  ,  il  le  ren- 
dit à  condition  de  fortir  vie  &  bagues  fauves.  Il  fe  retira  en- 
fuite  avec  toute  fa  famille  à  Montargis ,  où  tous  les  Religio- 
naires  qui  vouloient  vivre  en  paix  ,  avoient  un  afile  alfuré  par 
la  protection  de  Renée  de  France  ^  ducheffe  de  Ferrare.  Il 
avoit  aufTi  tiré  parole  de  Martinengo  ,  que  f  on  conferveroit 
les  meubles  magnifiques  de  Châtillon ,  qui  étoient  en  grand 
nombre  ,  &  qu'on  les  lailferoit  dans  le  château  :  mais  malgré 
cette  parole  donnée  ,  on  les  enleva  le  mois  de  Juillet  fui- 
vant  pour  les  mener  à  Paria j  où  ils  furent  vendus  à  l'encan, 
Château-Renard  appartenant  au  même  Seigneur  fut  aulTi  pris 
par  compofition ,  parTriflan  de  Roftein,  que  le  Roi  y  envoya. 
Ce  pofte  étoit  entre  les  mains  d'un  Italien  nommé  Fretini  , 
qui  à  la  faveur  de  cette  retraite  pilloit  ôc  voloit  impunément 
fur  le  chemin  de  Lyon. 

Après  la  défaite  de  Strozzi,  Louis  de  Bloiïet ,  furnommé 
communemiCnt  le  Bègue  ,  étant  venu  à  Regeane  y  château  de 
i'évêque  d'Auxerre,  qu'il  avoit  furpris  depuis  peu,  il  s'y  trou- 
va tout  d'un  coup  afTiégé  par  les  garnifons  d'Auxerre  ,  de  Vil- 
leneuve ,  ôc  de  Joigny.  Comme  elles  ne  lui  donnèrent  pas  le 
tems  de  fe  fortifier ,  ni  de  fe  reconnoître,  il  fe  fauva,  non  fans 
peine,  avec  un  petit  nombre  de  fes  gens;  tous  les  autres  fu- 
rent ou  mafiacrez  fur  le  champ  ,  ou  refervez  pour  périr  par  de 
longs  &  cruels  fupplices.  Il  y  en  avoit  un  parmi  eux,  que  l'on 
appelloit  Cœur  de  Roi,  qui  étoit  très  haï  dans  le  payis,  àcaufe 
des  courfes  fréquentes  qu'il  y  faifoit  :  la  populace  le  mit  en 
pièces ,  lui  arracha  le  cœur  du  ventre ,  le  porta  dans  toutes 
les  places  de  la  ville ,  le  mit  à  l'enchère ,  &  enfuite  le  fit  griller 

I  Fiîlc  de  Louis  XII.  mariée  au  duc  de  Ferroie ,  ôc  qui  revint  en  France  lorf- 
qu  elle  fut  veuve. 


D  E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.       603  \ 

fur  les  charbons.  îl  y  en  eut  même  qui  poufTcrent  l'inhuma-  -■-  î 
nité  jufqu'à  en  manger.  Dans  le  même  tems  Matignon  '  lieu-  n  tt ar  i  e  ■ 
tenant  général  de  la  bafTe  Normandie  ,  fe  rendit  maître  de  jv  | 
LafTay  petite  place  du  Maine  ,  qui  appartenoit  à  Jean  de  Fer-  ^  ^  /q  ■ 
riere  vidame  de  Charrre.  Ce  fut  Lage  gouverneur  du  château  de  j 
Caën  ,  qui  lui  amena  du  canon  pour  ce  ficge.  Dès  qu'il  fut  i 
arrivé,  la  Proche  qui  commandoit  dans  LafTay  fe  rendit.  Mari-  j 
gnon  prit  enfuite  la  Ferté  au  Vidame  dans  le  Perche  ,  Ôc  y  mit  ] 
une  bonne  garnifon.  Cette  place  eft  fituée  au  miheu  d'un  ma- 
rais 6c  très- forte.                          *  ! 

Pendant  que  tout  cela  fe  paiToit  dans  le  Maine  ^  Louis  Pré-  .^^^.8^  ^^^^         | 

vôt  de  Sanfac  vint  par  ordre  du  duc  d'Anjou  fe  camper  le fix  leArouperdu 

de  Juillet  devant  la  Charité,  avec  7000  hommes  de  pié qu'il  Roi.                    | 

raffembla  des  garnifons  de  Nevers  ,  de  Bourges ,  de  Gien  ôc  i 
d'Orléans,  &  quelques  détachemens  de  cavalerie.  Cette  ville, 
dont  Guerchy  étoit  Gouverneur  ,  étoit  d'une  grande  confé^ 
quence  pour  les  Religionaires ,  à  caufe  du  pont  qu'elle  a  fur 

la  Loire.  Ainli  il  importoit  beaucoup  au  Roi  qu'on  la  leur  en-  ' 

levât ,  ôc  qu'on  leur  ôtât  le  moyen  de  paffer  de  la  Guyenne  l 

dans  les  provinces  qui  font  endeçà  de  la  Loire.  On  commença  1 

par  battre  la  porte  de  Paris  ,  ôc  on  y  eut  bien-tôt  fait  une  fort  j 

grande  brèche  :  mais  comme  il  étoit  très-difficile  d'y  aborder,  i 
on  fut  d'avis  de  tranfporter  la  batterie  d'un  autre  côté  ,  ôc  de 

battre  la  tour  de  Barby  ,  qui  eft  vis-à-vis  de  la  porte  de  Ne-  ^ 

vers,  ôc  de  l'autre  côté  de  la  ville.  On  eut  foin  auparavant  de  i 

jetter  une  partie  de  l'infanterie  dans  les  vignes ,  dont  les  cô-  i 

teaux  des  environs  font  couverts.  François   de  Balzac  d'En-  1 

tragues,  gouverneur  d'Orléans,  étoit  logé  dans  unfauxbourg  ' 

de  l'autre  côté  de  la  Loire  ,  fur  le  chemin  de  Bourges.  Il  avoir  '. 

là  quelques  pièces  de  canon  ,  qui  battoient  à  revers  l'endroit  \ 

que  Sanfac  faifoit  battre  en  brèche  de  1  autre  5  mais  il  le  chan-  '' 

gea  déplace  ,  ôc  il  le  pointa  fur  une  hauteur  au-defîus  du  mou-  4 
lin  ,  pour  tirer  dans  une  vallée  qui  eft  au-delà  de  la  Loire  , 
ôc  ruiner  la  tour  ,  qui  étoit  auprès  de  la  porte  de  Saint  Pierre. 

C'étoit  Renty  qui  défendoit  ce  côté-là  j  comme  la  batterie  l 
faifoit  peu  d'effet,  on  la  dreffa  contre  la  tour,  qui  eft  auprès 

de  la  porte  de  Nevers:  le  mur  fut  en  un  moment  renverfe  des  i 

deux  cotez  i  mais  la  Tour ,  qui  étoit  d'une  ftrudure  très-folide ,  i 

1  Jacque  Goyon.  G  g  g  g  ij 


do4  HISTOIRE 

■  ne  fut  point  endommagée.  Cependant  après  avoir  fait  recan" 
C  H  A  R  L  E  i^oifi^c  la  brèche,  l'aflaut  fut  réfolu  j  on  y  monta  avec  beaucoup 
I  X.       d'ardeur ,  &  l'on  y  combattit  vivement  de  part  &  d'autre  :  mais 
1  ç  5  Q.    comme  lesaflfiégez  avoientfaitun  fofle  derrière  la,  brèche  ;,  ôc 
qu'ils  avoient  des  retranchemens  des  deux  cotez  ,  d'où  ils  in- 
commodoient  fort  les  affailians,  Sanfac  fut  forcé  de  faire  retrai- 
te. Il  y  eut  dans  cette  a6lion  environ  loo  hommes  tuez  ,  tans 
d'un  côté  c]ue  de  l'autre.  Guerchy  tua  de  fa  main  Ravctot  au 
milieu  du  marché  ,  parce  qu'il  troubloit  la  difcipline  militaire. 
Les  troupes  du  Roi  avoient  déjà  perdu  plus  de  cinq  cens 
hommes. 

Il  leur  arriva  encore  un  autre  malheur ,  qui  les  confterna 
extrêmement.  Un.  foldat ,  qui  s'enfuyoit  ,  jetta  imprudemment- 
fa  mèche  allumée  dans  un  baril  de  poudre  :  le  feu  y  prit  au 
même  inftant ,  6c  s'étant  communiqué  aux  autres  barils  voifins , 
tout  fauta  en  l'air  avec  un  lî  épouventable  fracas ,  que  tous 
les  foldats  ,  qui  étoient  aux  environs  ,  s'enfuirent ,  les  uns  d'un 
côté  les  autres  de  l'autre  :  il  y  en  eut  même  qui  furent  jettes 
par  la  force  du  feu  de  l'autre  côté  de  la  rivière  ,  ôc  qu'on  y 
vit  avec  horreur  brûler  ôc  fe  confumer  dans  les  fables. 
Lcfiégecft  Sanfac  ayant  recommencé  à  battre  la  place,  pour  élargirli 
levé.  brèche ,  ôc  rafer  d'avantage  le  mur  ,  il  fe  répandit  tout  d'un 

coup  un  bruit  dans  l'armée ,  que  les  Proteftans  marchoient  au 
fecours  de  la  ville  ,  ôc  qu'ils  n'étoient  pas  éloignez.  L'émo- 
tion fut  11  grande  parmi  les  troupes  Cathohques ,  qu'il  fut  in> 
polîîble  aux  officiers  généraux  de  les  faire  refter.  D'Orbate 
même  ayant  voulu  montrer  plus  de  févérité  que  les  autres  , 
fut  tué  par  fes  propres  foldats.  Ainfi  le  fiége  fut  levé  avec  beau- 
coup de  defordre.  Quelque-tems  après  Bloffet  ôc  le  capitaine 
Bois  ,  vinrent  à  la  Charité  par  l'ordre  de  Coligni.  Guerchy 
fortifié  par  leur  arrivée  ,  fe  rendit  maître  de  Donzy,  qui  étoir 
un  pofte  avantageux  pour  faire  venir  des  vivres  dans  la  ville  y 
ôc  il  y  mit  Bois  avec  une  garnifon.  Il  fournit  tout  de  fuite 
Pouilly  ,  Saint  Léonard  ,  Antrain  t  ôc  tout  le  payis  des  envi- 
rons. Mais  Sanfac  étant  revenu  avec  de  nouvelles  troupes  ^ 
mit  le  fiége    evant  Vezelay. 

Cependant  Montgommery  ,  que  la  reine  de  Navarre  avoit 
envoyé  en  Guienne  avec  deux  cens  chevaux,  s'étant  joint  au:i 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLV.        6oi 

troupes  d-es  Vicomtes  faifoit  de  grands  progrès.  Des  qu'il  fût  ^^^-^-^-'^nr^ 
à  Caftres  ,  les  Religionaires  de  Gaillac,  de  Rabafteins ,  deS.  q^  ^rle 
Antoine  ,  de  Montauban  3  de  Caftelnaudary  &  de  Foix ,  qui  jv 
le  regardoient  comme  un  grand  capitaine  ,  fe  rendirent  en  t  c-  ^'o 
foule  auprès  de  lui  :  il  fut  encore  joint  par  le  vicomte  de  Cau- 
mont ,  qui  s'étant  emparé  l'annce  précédente  du  payis  de  Foix, 
ôc  en  ayant  été  depuis  chafTé  par  Maillet,  s'étoit  retiré  dans 
les  Pyrénées.  Outre  cela  Montamar ,  Gouverneur  de  Bearn 
pour  la  reine  de  Navarre,  lui  amena  cinquante  chevaux  d'é- 
lite ôc  autant  de  moufquetaires.  Il  (e  mit  en  marche  avec  tout 
ce  monde  fans  bagages  ;  ôc  comme  il  paffoit  à  Fuyîaurens ,  ii 
trouva  quelque  cavalerie  commandée  par  Negrepelifie  ,  qui 
voulut  s'oppofer  à  fa  marche.  Il  y  eut  un  combat  fort  vif  i 
mais  cela  ne  l'empêcha  pas  d'entrer  dans  le  comté  de  Foix  , 
de  pafTer  la  Garonne  à  S.  Gaudens,  ôc  enfuite  la  Riege,  d'oîi 
continuant  fa  marche  par  de  longs  détours  ôc  par  des  chemins 
très-embarraffez,  il  defcendit  dans  le  payis  de  Bigorre,  ôc  in- 
veftit  tout  d'un  coup  la  ville  de  Tarbes  ,  qui  efl  fituéeaux  pieds 
des  Pyrénées  ,  près  des  fources  de  l'Adour,  dans  un  lieu  fort 
agréable  ôc  arrofé  de  belles  eaux.  Malgré  la  réfiftancevigou- 
reufe  de  la  garnifon  ôc  des  payifans ,  qui  s'opiniâtrerent  à  atten- 
dre le  fecours  que  Montluc  leur  avoit  promis ,  il  la  prit  d'af- 
faut ,  ôc  la  faccagca.  Par  la  diligence  qu'il  fit ,  il  évita  Dan- 
ville,  Montluc  y  Bellegarde ,  Scipion  de  Vimercat,  ôc  Negre- 
pelifie ,  qui  venoient  contre  lui  avec  quatre  mille  fantafiins  ÔC 
huit  cens  chevaux  ,  ôc  tout  de  fuite  il  fit  une  irruption  dans  le 
Bearn,  que  Jean  Lomagne  de  Terride,  capitaine  de  grande 
réputation ,  avoit  prefque  entièrement  foumis.  Le  duc  d'An- 
jou l'avoit  chargé  de  cette  expédition  dans  le  rems  que  l'armée 
du  Roi  étoit  dans  le  Poitou  ôc  dans  la  Saintonge ,  ôc  il  lui  avoit 
donné  pour  cela  un  bon  corps  de  troupes  Gafcones  ,  perfuadé 
que  cela  feroit  une  grande  diverfion  ,  ôc  que  la  reine  de  Nar 
varre  ne  manqueroit  pas  d'envoyer  une  partie  de  fes  troupes 
pour  défendre  fon  propre  payis.  Lomagne  après  s'erre  rendu 
maître  d'Ortez  ôc  de  Pau  >  étoit  occupé  au  fiége  de  Navar- 
rins.  Les  Rois  de  la  famille  d'Albret  avoient  donné  à  cette 
place  le  nom  du  Royaume  qu'ils  avoient  perdu  >  ôc  Henri 
d'Albret,  père  delà  reine  de  Navarre  ,  avoit  eu  foin  de  lafos- 
uiier  avec  de  bons  baftions  à  la  moderne  ,  ôc  n'avoit  rica 

G  gg  g  iij 


■  ■  Il  i]i  mm 


^06  HISTOIRE 

épargné  pour  cela.  Il  y  avoit  déjà  deux  mois  que  îe  fiége  du- 
Charle  ^*^i^  '  ^  qu'on  batoit  la  place  avec  trois  pièces  de  canon,  que 
j^  Terride  avoit  fait  venir  de  Dacqs  &  de  Bayonne  ;  ôc  quoi- 
que BalTillon,  quiycommandoit  pour  la  Reine,  fe  défendît  très- 
ï  5*  <5  i?.  \y^Q^^  ^  1^  place  commençoit  à  ctre  fort  prefTée.  Mais  dès  que 
Terride  eut  appris  l'approche  de  Montgommery ,  il  fut  fi  éton- 
né ,  qu'il  fit  aufii-tôt  plier  bagage  ôc  fe  retira  en  hâte  à  Orrez 
avec  fon  canon  ,  accompagné  de  Sainte  Colombe  ,  gentil- 
homme des  plus  confidcrables  du  payis.  Montgommery  l'y 
pourfuivit  auffi  -  tôt.  C'étoit  au  commencement  du  mois 
d'Août  :  après  quelque  combat  ,  s'étant  rendu  maître  des 
fauxbourgs  ôc  de  la  ville ,  il  y  trouva  du  canon  ,  qu'il  fit  à 
l'inftant  braquer  contre  le  château  ,  afin  que  l'ennemi  fuyant 
ôc  effrayé  n'eût  pas  le  tems  de  fe  reconnoître.  En  effet  , 
Terride  fut  fort  étonné  de  voir  toute  la  ville  en  feu^  ôc  que 
îa  cour  du  château  commençoit  à  être  embrafée.  Serignac 
fon-  frère  ,  qui  fuivoit  le  parti  des  Proteflans  ,  étant  venu  le 
trouver  de  la  part  de  Montgommery ,  ôc  l'ayant  menacé  qu'on 
ne  feroit  aucun  quartier  s'il  ne  fe  rendoit  ,  il  commença 
à  capituler.  Sainte  Colombe ,  ôc  fix  autres  Chevaliers  de  l'or- 
dre du  Roi  ,  furent  compris  dans  les  articles  de  la  capitu- 
lation ,  ôc  on  leur  promit  la  vie  ,  fur  la  parole  que  donna  Ter- 
Tide,  que  le  frère  de  Alontgommery,  qui  avoit  été  pris  à  faint 
Eloy  ,  feroit  mis  en  liberté.  Caumont  fut  chargé  de  mener  en 
lieu  de  fureté  la  garnifon  ôc  les  ofîîciers.  Mais  on  retint  Sain- 
te Colombe,  Pourdeac,  Gohas  ôc  Favas  :  la  Reine  de  Na- 
varre les  fit  mourir ,  fous  prétexte  qu'étant  leur  Souveraine  (  car 
elle  prétendoit  l'être  de  Bearn  )  ils  étoient  coupables  de  rébel- 
lion. Mais  il  eft  certain  que  le  Bearn  a  fait  autrefois  partie  de 
la  France,  ôc  qu'on  l'a  compté  entre  les  Sénéchauffées  qui 
étoient  du  refix)rt  du  Parlement  de  Touloufe  :  il  efl:  vrai  que 
nos  Rois  ont  donné  ce  payis  en  toute  Souveraineté  aux  Prin- 
ces de  la  maifon  d'Albret,  pour  recompenfer  leur  fidélité  à  l'é- 
gard de  la  France  ,  ôc  les  confoler  de  la  perte  de  leur  royau- 
me de  Navarre ,  dont  les  rois  d' Arragon  fe  font  emparez  de 
notre  tems. 

Pendant  ce  tems-là  Montluc  s'étoit  avancé  jufqu'à  Aire; 
(ville  Epifcopale  qui  a  pris  le  nom  de  la  rivière,  fur  laquelle 
elle  eft  fituée  )  ôc  enfuite  jufqu'à  faint  Sever  pour  fecourisr 


DE  J.  A,  DE  THOU,  Liv.  5^LV.       (^07 

Terride?maisla  jaloufies'étantmireentreéux.&run  ne  voulant 
rien  céder  à  l'autre,  Terride  pendant  la  conteftation  perdit  les 
troupes,  6c  fut  pris  lui-même.  Pau  fut  abandonné  dans  le 
même  tems  par  Peré  qui  y  commandoit  pour  le  P^oi.  Cet 
homme  s'étoit  attiré  la  haine  de  tout  le  payis ,  pour  avoir  fait 
mourir  quelques  miniftres  Proteftans  ,  pour  avoir  menacé 
Pierre  Viret  d'un  pareil  traitement,  ôc  avoir  fait  pendre  un 
Préfident  ôc  un  Confeiiler  du  Parlement.  Buflillon  ,  qui  avoit 
il  bien  défendu  Navarrins ,  fe  croyant  mal  recompenfé ,  ou  ef- 
perant  que  le  Roi  luiferoit  un  meilleur  parti  que  la  Reine  de 
Navarre  ,  s'il  quittoit  le  fervice  de  cette  PrincelTe ,  fut  foup- 
çonné  d'avoir  quelque  intelligence  avec  Montluc  3  Ôc  là  deffus 
il  fut  tué  par  Marchaftel  ôc  parla  Motte  Pujol,  de  l'aveu  de 
Montgommery ,  Ôc  traîné  comme  traître  dans  toutes  les  rues 
par  les  goujats ,  ôc  par  les  valets  de  l'armée.  Montgommery 
mit  dans  Navarrins  Serignac  frère  de  Terjdde  avec  une  forte 
garnifon. 

Montluc  ne  voyant  plus  rien  à  faire  de  ce  côté  là,  fongea  à 
d'autres  projets  ,  Ôc  appella  en  Guyenne  Dam-ville  ,  à  qui  le 
Roi  avoit  donné  le  comimandement  général  de  fes  troupes, 
non-feulement  dans  le  Languedoc,  dont  Damville  étoit  gou- 
verneur, mais  en  Provence,  en  Dauphiné,  ôc  dans  la  Guyen- 
ne même.  Il  n'y  fut  pas  plutôt,  queMontluc  qui  ne  pouvoit  fouf- 
frir  de  compagnon  ,  ôc  bien  moins  encore  de  fuperieur ,  fe" 
brouilla  avec  lui ,  comptant  que  le  Roi  lui  ôtoit  tout  ce  qu'il 
donnoit  à  Damville.  Le  deffein  de  Montluc  étoit  de  porter 
la  guerre  au-delà  dePAdour,  ôc  celui  de  Damville,  de  retour- 
ner en  Languedoc,  où  le  Parlement  de  Touloufe  le  ptioit  de' 
revenir.  Ainfi  on  ne  fit  rien  de  confidérable.  Cependant  Mont- 
luc voulant  faire  quelque  chofe ,  pria  Damville  de  lui  prêter 
les  dix  compagnies  d'infanterie  que  commandoit  Savignac  j  ÔC 
ayant  pris  avec  lui  Gondrinfeigneur  de  Montefpan,  Tilladet, 
d'Arnay,  de  la  Bous  ,  la  Chapelle  Luzieres,  de  TEftang,  ôc 
Caftella ,  tous  officiers  de  remarque ,  il  forma  le  deflein  de  fe 
rendre  maître  du  Mont  de  Marfan ,  fituéfur  le  Midou\  où 
il  y  avoit  toute  forte  de  provifions  en  abondance  j  c'étoit 


Ch  ARLE 

IX. 


i  M.  deThou  dit  fitué,'wr  la  m'îmo 
rivière  ,  c  eft-à-dire  l'Adour  ,  dont  il 
venoit  de  parler  :  mas  il  fe  troinpe  j  il 


eft  vrai  que  le  Midcu  tombe  dans  l'A- 
dour  un  peu  au-defTous  du  Mont  d^ 
Marfan. 


C  H  A  R  L  E 


^og  HISTOIRE 

Faras  de  faint  Macaire,  qui  conimandoit  dans  la  place  poui:  là 
reine  de  Navarre. 

Montluc  étant  parti  de  faint  Maurice;  avec  Mathurin  de  l'Ef- 
cur  de  Romegas ,  Chevalier  fameux  par  fes  expéditions  dans 
^  ^*  Ja  mer  Orientale ,  &  s  étant  approché  de  la  ville ,  prit  d'abord 
les  fauxbourgs  par  cfcalade.  La  partie  de  la  ville  qui  eft  fituée 
jde  ce  côté  là,  6c  en  deçà  de  l'Âdour,  eft  fortifiée  d'une  très- 
bonne  muraille;  la  plus  confidérable  partie  de  la  ville  efl  au- 
delà  de  l'Adour,  ôciéparée ,  par  la  rivière  ,  de  la  première  par- 
tie dont  je  viens  de  parler.  Au-delà  de  la  féconde  eft  la  cita- 
delle ,  qui  fait  comme  une  troifiéme  ville.  Après  la  prife  des 
fauxbourgs  les  affiégeans  fe  portèrent  fur  le  pont,  ôc  firent  por- 
ter quantité  de  fafcines  pour  brûler  la  porte  de  la  ville.  Mais 
le  feu ,  qu'on  fit  fur  eux  d'une  tour  voifine,  les  incommoda  tel- 
lement ,  qu'ils  furent  obligez  de  fe  retirer  fans  rien  faire.  Alont- 
îuc  ayant  fait  ouvrir  quelques  maifons  qui  étoient  bâties  fur  le 
bord  de  la  rivière ,  ôc  ayant  trouvé  un  gué ,  envoya  des  fol- 
dats  d'élite  pour  pafler  de  l'autre  côté  du  fleuve,  avant  que  hs 
habitans  euflent  achevé  de  fe  retrancher  fur  l'autre  bord ,  & 
d'en  rendre  l'approche  impoflTible  aux  Catholiques,par  le  moyen 
de  tonneaux  pleins  de  terre  qu'ils  commençoient  déjà  à  ranger 
le  long  de  la  rivière  :  en  quoi  il  y  eut  plus  de  bonheur  que  de 
prudence.  Car  comme  il  y  avoit  aux  fenêtres  des  maifons,  qui 
étoient  en  deçà  ,  un  grand  nombre  de  nos  gens  qui  tiroient  fans 
cefle  fur  tout  ce  qui  paroifToit  de  l'autre  côté ,  ceux  que  Mont- 
lac  avoit  détachez  paflerent  fans  être  inquiétez  ,  ôc  étant  fui  vis 
par  d'autres,  qui  paflbient  continuellement.ils  fe  trouvèrent  en  II 
grand  nombre,  qu'ils  fe  rendirent  maîtres  de  cette  féconde  ville 
làifie  d'effroi ,  ôc  obligèrent  Favas  à  fe  retirer  dans  le  château 
avec  fa  garnifon.  Monduc  fit  aufii-tôt  pointer  l'artillerie  pour 
le  battre  :  le  Gouverneur  n'ayant  aucune  efperance  de  fecours, 
battit  la  chamade.  Dans  letems  qu'on  difputoit  fur  les  arti- 
cles de  la  capitulation ,  Montluc  fit  dire  aux  troupes  de  tenter 
de  furprendre  le  château ,  pour  venger  la  mort  de  tant  de  bra- 
ves gens,  que  les  Proteftans  avoient  cruellement  raaffacrez  dans 
le  Bearn ,  ôc  leur  ordonna  de  ne  point  faire  de  quartier.  Ils 
l'entreprirent  ,  ôc  la  chofe  réuffit  :  car  ayant  planté  des  échel- 
les du  côté  de  la  campagne,  ils  eurent  le  tems,  pendantqu'on 
difputoit  fur  les  conditions ,  d'eptrer  dans  le  château ,  ôc  de  s'en. 

rendre 


DEJ.  A.  DETHOU,  Ln .  XLV.       60^ 

rendre  maîtres.  Le  foldat  furieux  tua  tout  ce  qui  fe  trouva  de-  _ 
vaut  lui;  Savignac  le  jeune,  ôc  Montluc  eurent  bien  de  la  r^,^  ,  ^ ,  „ 
peine  a  lauver  raras  avec  un  petit  nombre  a  autres.  U  y  en       jy 
eut  qui  fe  jetterent  par  ks  fenêtres  pour  fe  fauver  3  mais  ils  fu-     j  ^  <'q 
rent  arrêtez  par  la  cavalerie. 

Après  la  prifc  de  cette  place ,  Damville  retira  les  troupes 
qu'il  avoir  prêtées  à  Montluc,  &  étant  retourné  en  Langue- 
doc, il  invertit  Mazeres ,  dont  le  fiége  fut  long  &  meurtrier. 
Pour  Montluc,  il  prit  fon  chemin  du  rôtc  de  Nogarol,  Ôc 
retourna  à  Leytoure ,  ayant  laifTé  Gondrin  à  Eufe  avec  fa  com- 
pagnie de  cavalerie  ,  ôc  un  régiment  d'infanterie  de  nouvel- 
les levées  ;  mais  dès  que  Montgommery  parut ,  il  abandon- 
na ce  pofte.  On  mit  aufïï  une  garnifon  à  Florence  en  Lan- 
guedoc. 

Pendant  ce  tems  là  le  capitaine  Arnay  faifoit  le  dégât  aux 
environs  de  Nerac.  Montluc  le  fit  avertir  de  fe  retirer  à  Aufch  j 
il  ne  fuivit  point  fon  confeil ,  &  s'en  trouva  mal  :  car  ayant 
été  furpris  par  le  vicomte  de  Caumont ,  il  fut  taillé  en  pièces 
avec  fon  arriere-garde  qu'il  conduifoit.  D'un  autre  côté  Cou- 
lant, qui  commandoit  pour  les  Princes  dans  les  montagnes  du 
Languedoc ,  furprit  dans  le  Vivarez  l'Abbaye  de  Bonnefoi , 
qui  efl:  très  forte  par  fon  afllete,  ôc  très-riche  jil  y  mit  cinquante 
hommes  en  garnifon  fous  les  ordres  de  Tialet  ôc  de  Charrie- 
res  :  mais  avant  qu'ils  euffent  eu  le  tems  de  s'y  fortifier  ,  Pierre 
de  Chateauneufde  Rochebonne ,  gouverneur  du  Velay  ,y  mar- 
cha à  la  hâte  avec  une  troupe  de  gens  ramaffez  ,  ôc  ayant 
inverti  la  place ,  il  s'en  rendit  maître  par  compofition.  Mal- 
gré le  traité,  il  fit  maffacrer  toute  la  garnifon, à  la  refervede 
Tialer. 

Ce  que  le  peuple  en  fureur  fit  contre  les  Relieionnaires  d'Or-     ^''",3"^^^ 

-  ^  ^  exerce  es  3 

leanseft  incomparablement  plus  inhumain.  Le  Lieutenant  gé-  Orléans  con- 
néral ,  fous  prétexte  de  pourvoir  à  la  fureté  de  la  ville,  les  fit  t^e les Pr^tef, 
tous  mettre  en  prifon  ,  hommes  ôc  femmes  fans  dirtin£lion.  Une  ""^' 
partie  fut  enfermée  dans  ce  qu'on  appelle  la  mailbn  quarrée 
des  quatre  coins  ,  ôc  le  refte  dans  la  tour  de  Marrinville.  Le 
21  d'Août  le  peuple,  excité  par  un  fanatique,  attaqua  cespri- 
fons ,  ôc  égorgea  tout  ce  qui  s'y  trouva  :  mais  n'ayanr  pu  en- 
trer dans  celle  de  la  Tour ,  ils  y  mirent  le  feu.  Une  grande  par- 
tie de  ceux  qui  étoient  dedans  furent  brûlez  j  les  autres  s'étant 
Tomer,  Hhhh 


5io  HISTOIRE 

._,,_„_^  jettez  par  les  fenêtres ,  ou  fe  tuèrent  en  tombant ,  ou  furent 
~  maflacrezà  coups  d'hallebardes  par  la  populace  ^  dont  la  tout 

^y^^     ctoit  invertie.  On  ne  fit  aucun  quartier  aux  femmes  ,  non 
^'        plus  qu'aux  hommes.  La  plupart  des  Proteftans ,  effrayez  de 
^     ^'     cet  accident,  fe  retirèrent  àMontargis,  pour  y  jouir  de  i'azi- 
le  que  la  duchelfe  de  Ferrare  leur  y  avoir  procuré.  Mais  quel- 
que tems  après ,  ils  eurent  ordre  du  Roi  d'en  fortir ,  malgré 
*  la  protection  de  cette  Princeffe  ,  qui  en  fut  vivement  piquée. 

Heureufement  pour  eux ,  du  Bec  feigneur  de  Bourry  ,  étant  ar- 
rivé dans  ces  quartiers  avec  cinq  cornettes  de  cavalerie  :,  les 
emmena ,  fans  qu'on  leur  fit  aucun  mal.  Une  partie  fe  retira 
à  Sancerre,  ôc  le  relie  à  la  Charité. 
Prife  d'O-  Quelque  tems  auparavant  Orillac,  ville  d'Auvergne  ,  avoit 
i^'"^.*^a^'^'^  ^^^  été  furpris  ;  voici  comme  cela  arriva.  La  Roque  &  Beffonniere 
ayant  remarque  que  leshabitans  avoientmurela  porte  qui  don- 
ne fur  la  rivière ,  ôc  qu'ils  n'avoient  laiffé  qu'un  guichet ,  qui  fe 
fermoir  en  dedans  &  en  dehors  par  deux  portes  de  bois,  ils 
percèrent  avec  une  tarriere  la  porte  qui  étoit  en  dehors ,  ôc  jet- 
terent  par  ce  trou  environ  cent  livres  de  poudre  entre  les  deux 
portes  de  bois  :  ayant  rebouché  le  trou  ,  &  fait  de  loin  une 
trainée  de  poudre  ,  ils  y  mirent  le  feu.  L'effet  en  fut  fi  ter- 
rible, que  non  feulement  les  portes  de  bois  fautèrent  en  l'air, 
mais  que  la  porte  même,  que  l'on  avoit  murée,  &  une  gran- 
de étendue  de  mur  en  fut  renverfée.  lis  fe  jetterent  dans  la 
place  par  cette  brèche  au  nombre  de  cent  cinquante  ,  ôc  ayant 
tué  environ  fix  vingts  bourgeois,  qui  réveillez  parce  bruit 
effroyable,  qu'on  avoir  entendu  au  miHeu  de  la  nuit ,  avoient 
pris  les  armes,  ôc  étoient  accourus  dans  les  rues,  ils  mirent 
le  refte  en  fuite ,  ôc  s'emparèrent  de  la  place.  Les  Eglifes ,  ôc 
fur-tout  le  monafteiC  de  faint  Pierre,  furent  ruinez  avec  une 
fureur  barbare,  comme  c'étoitla  coutume  alors.  Sur  l'avis  qu'en 
eut  faint  Heran  gouverneur  de  la  Province,  il  y  accourut  avec 
une  troupe  de  foldats  choifis ,  fe  flatant  que  lagarnifon,  qui  n'a- 
voir pas  eu  le  tems  de  fe  forrifier ,  fe  rendroit  dès  qu'il  pa- 
roîtroit  :  mais  quand  il  les  vit  réfolus  à  fe  défendre  ,  comme 
il  fe  fentoit  trop  foiblepour  \qs  forcer,  il  s'en  retourna  à  faint 
Flour,  fans  avoir  rien  entrepris. 

D'un  autre  côté  Coligni,  après  la   prife  de  Lufignan  ,  fît 
marcher  le  22  de  Juillet  fon  avant-garde  vers  Jafeneuil ,  ôc  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.         e^u  | 

lendemain  il  envoya  toute  fon  infanterie  à  Quin<;ay,à  une  bonne  j     '    ! 

iieuë  de  Poitiers.  Sur  ces  entrefaites,  Coùé,  quiavoit  été  fur-  Charle  i 

pris  parles  troupes  du  Roi ,  fut  repris  par  faint  George  de  Ve-  I X.              i 

rac  feigneur  de  Coùé.  Lagarnifon  ,  après  s'être  défendue  quel-  i  c  5p.           l 

que  tenis,  y  fut  brûlée  avec  le   château,  oii  le  feu  confu-  ^  ..,                 ^ 

•        ,                                      .  Couc  repris             ^ 

ma  tout  i  on  nefçait  s'il  y  prit  par  accident,  ou  fi  ce  fut  lagar-  par  les  Pro- 

nifon  qui  l'y  mit  par  defefpoir.  Sanzai ,  Vivonne  ,   Montreuil-  t^ftans.  j 
Bonin,  ôc  diverfes  autres  places  des  environs,  qui  étoient  avanta- 

geufes  pour  aflurer  les  convois,  furent  prifes  par  compofition:  J 

quatre  jours  après  Coligny  alla  camper  auprès  de  Poitiers.  Son  ! 

premier  deffein  avoir  été  de  fe  rendre  maître  de  Lufignan,  de  I 
faint  Maixent,  &  de  Mirebeau  ,  qui  efl:  du  baillage  de  Saumur, 
afin  que  devenu  maître  de  la  Province  parlaprile  de  ces  trois 

villes,  il  en  pût  tirer  de  mois  en  mois  des  fubfides  confiderables,  ! 

pour  faire  fubfifter  fon  armée  ,  ôc  pour  entretenir  de  bonnes  gar-  : 

nifons  dans  les  places  qu'il  avoit  conquifes.  Il  vouloit  enfuite  I 
aller  à  Saumur,  qui  n'eft fortifié  ni  par  l'art,  ni  par  la  nature, 
ôc  qui  eft  pourtant  d'une  grande  importance ,  à  caufe  du  pont 
qu'elle  a  fur  la  Loire.  Son  deffein  étoit  de  bien  fortifier  ce 

pont ,  afin  d'avoir  à  l'avenir  un  paffage  fur ,  pour  pénétrer  dans  j 

les  Provinces  voifines  de  Paris  Ôc  de  la  Cour.  Il  voyoit  que  ,| 

c'étoit  à  la  Cour ,  ôc  dans  la  capitale  du  Royaume ,  que  fe  for-  ■ 

moient  les  deffeins ,  ôc  où  l'on  trouvoit  les  fonds  néceffaires  | 

pour  continuer  la  guerre  j  qu'enfin  il  n'y  avoit  point  de  paix  à  ' 

attendre,  tandis  que  la  guerre  fe  fer  oit  loin  de  là  5  qu'il  falloir  ' 

donc  s'en  approcher,  pour  faire  défirer  la  paix  au  Roi ,  ôcau  j 

peuple  de  Paris  :  mais  la  prife  de  Lufignan ,  ôc  fix  pièces  de  | 

canon  qu'il  y  trouva,  le  firent  changer  de  réfolution.    Flaté  des  ; 

heureux  fuccès  de  fa  campagne ,  il  crut  qu'il  pourroit   fe  ren-  | 

dre  maître  de  Poitiers,  ôc  il  marcha  de  ce  coté  là,  contre  IV  j 

vis  de  plufieurs  de  fes  amis.  - 

Poitiers,  capitale  de  la  province,  eft  une  ville^  dont  l'enceinte  Siège  de           I 

eft  très- grande  ;  bâtie  fur  le  penchant  d'une  montagne,  elle  eft  en-  ^^i\onl  ^^^         j 

tourée  de  tous  cotez  de  coUines  efcarpées ,  qui  commandent  la  i 

ville,  Ôc  qui  n'en  font  fcparées  que  par  une  vallée  fort  étroite:  1 

enforte  que  des  moufquetaires  peuvent  tirer  à  couvert  fur  les  ■ 

troupes  de  la  ville ,  vers  un  endroit  qui  eft  fort  bas.  Il  eft  vrai  que  ; 

du  côté  de  la  porte  de  la  Tranchée,  cette  vallée  s'élargit,  Ôc  forme  . 

une  plaine  affez  étendue.  Le  Clain,  qui  vient  du  Limoufin,  J 

Hhhhij 


*  ou  de  S. 
Lazare. 


^M  HISTOIRE 

_^_,,„._^  baigne  le  pîé  de  la  montagne  entre  le  midi  &  le  levante  écpaf- 
"Z,  fant  à  la  droite  de  la  porte  de  la  Tranchée ,  il  fe  partage  en 

j^  plufieurs  canaux,  &  forme  quelques  ifles  également  agréables 
ôc  utiles  aux  habitans.  Ilfefepare  encore  en  deux  bras  au-def- 
^  ^'  fous  du  rampart  auprès  de  faint  Cyprien  :  l'un  des  bras  coule 
aux  piez  des  murs  j  l'autre  s'en  écarte,  &  vient  rejoindre  le 
premier  au  pont  Joubert,  ôctraverfant  enfuite  leprcdel'Ab- 
beflfe  ,  entre  le  fauxbourg  de  Rochereuil  &  le  château  triangu- 
laire, que  Jean  duc  deBerry  frère  de  Charle  V  bâtit  en  cet  en- 
droit, il  fort  de  Poitiers  ,  ôc  va  fe  jetterdans  la  Vienne  auprès  de 
Chatelleraud.  Au-delà  du  château ,  ôc  dans  l'endroit  le  plus  bas 
de  la  ville,  il  y  a  le  fauxbourg  faint  Ladre  *  qui  eft  fort  grand  :  de 
là  jufqu'à  l'Eglifede  faint  Hilaire^  qui  regarde  le  couchant 
&  le  Septentrion  ,  eft  la  bafle  ville  qui  n'eft  pas  moins  gran- 
de que  la  haute.  Au  pié  des  murs  de  ce  côté  là  ,  eft  l'étang 
de  faint  Hilaire,  coupé  en  deux  par  le  pont  Achard,  d'où  l'on 
peut  monter  par  un  chemin  fort  roide  à  la  porte  de  la  Tranchée, 
Le  comte  du  Lude  n'ayant  pu  prendre  Nyort,  étoit  revenu  à 
Poitiers  avec  fes  trois  frères,  René  abbé  des  Chateliers,François 
de  Sautré,  ôc  François  de  Briaçon  :  il  avoit  outre  cela  avec 
lui  Philippe  de  Volvire  feigneur  de  Ruffec,  Jean  le  Jay  fei- 
gneur  deBoiffequin,  Guillaume  de  Hautemer  feigneur  de  Fer- 
vaque,  d'Argence,  de  la  Beraudiere,  de  Rouet  lieutenant  de  la 
Trimouille,ôc  d'autres  Chevaliers  de  rOrdre,avec  quelques  C2b- 
pitaines  de  cavalerie  :  fes  officiers  d'infanterie  étoient  Paflac  ,  I2 
PradeJaVacherie,d'Arfach,duLys,Boifvertj  Bonneau,  Boiflan- 
de  ,  Jarrie  ,  ôc  quelques  autres j  ôc  déplus  fix  compagnies  delà 
bourgeoifie,  qui  avoient  chacun  leur  capitaine,  fous  les  ordres 
de  Jean  de  la  Haye  lieutenant  général  de  Poitiers ,  homme  a^lif, 
ôc  plus  ambitieux  qu'il  n.e  convenoit  à  fon  état  5  ce  qui  fut 
enfin  caufe  de  fa  ruine.  Il  fit  un  journal  du  fiége  qu'il  pubha 
fous  un  nom  emprunté  ^  Le  duc  d'Anjou  avoit  eu  foin  de 
pourvoir  à  la  fureté  de  la  place ,  en  y  envoyant  une  compa- 
gnie de  cavalerie  Allemande ,  deux  cens  chevaux  Italiens  fous 
la   conduite  d'Angelo  Cefi  ôc  de  Jean  des  Urfins,  ôc  trois 


1  II  a  fait  un  journal  du  fiege  de  Poi- 
tiers ,  où  i!  nous  apprend  qu'il  eft  gen- 
tilhomme ,  8c  que  d'agent  des  affaires 
deMadame  de  laRoufliere-Girard  étant 


devenu  fon  mari ,  elle  Tavoit  mis  en 
e'tat  d'acheter  la  lieutenance  ge'nérale 
de  la  Se'néchaufTe'e  du  Poitou.  Voilà  ce 
que  M.  de  Thou  appelle  ici  Pr(?îor, 


tiers,. 


DE   J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XLV.        €i^ 

cens  moufquetaires  à  cheval  commandez  par  Paul  Sforze  frère  , 

du  comte  de  Santafiorei  enforte  qu'il  y  avoir  dans  Poitiers  rju  ai^t  p 
douze  cens  chevaux.  Comme  le  château  n'étoit  pas  bien  fort,       t  y 
le  comte  du  Lude  y  fit  faire  un  nouveau  baftion,  afin  qu'il  fût  !^ 

hors  d'infulte,  &  qu'il  put  fe  défendre  pendant  quelque  tems. 
Il  y  avoir  un  corps  de  troupes  au  pont  Achard,  6c  l'on  forti- 
fia faint  Hilaire. 

Le  duc  d'Anjou  ayant  appris  que  Lufignan  étoit  alTiégé,     Le  duc  de 
envoya  le  duc  de  Guife  avec  le  marquis  de  Mayenne  fon  fre-  Guifè,  avec 
re.  Le  premier  étoit  déjà  au  rang  des  grands  capitaines ,  tant  gneurs,'fe  jet- 
par  fon  propre  mérite,  que  par  la  grande  réputation  de  fon  père,  te  dans  Poi- 
Comme  ils  apprirent  en  chemin  queLufignan  s'étoit  rendu,pour 
ne  pas  s'en  retourner  fans  rien  faire  3  ils  fe  jetterent  tous  deux 
dans  Poitiers  le  22  de  Juillet,  fuivis  de  Melchior  Defprez  de 
Monpefat,  deRené  de  RochechouartMortemar,dePauI  Cha- 
bot de  Clairvaux  ,  de  Philippe  de  Châteaubriant  feigneur  des 
Roches-Baritault,  du  jeune  Clermont,  ôc  de  plufieurs  autres  fei- 
gneurs  de  haute  naiffance.  Leur  arrivée  releva  extrêmement: 
le  courage  des  habitans  confternez  j  ôc  les  difpofa  à  foûtenir 
le  fiége  avec  vigueur. 

Les  deux  jours  fuivans  fe  paiïerent  en  efcarmouches  j  iî 
y  eut  quelques  habitans  qui  furent  mal  traitez  par  Lafin  6c 
par  de  Piles,  qui  les  pourfuivirent  jufqu'au  fauxbourg  faint 
Ladre  :  les  afTiégeans  de  leur  côté  furent  mis  en  déroute  dans  un 
combat  très-vif,  qui  fe  donna  fur  le  bord  de  l'étang  de  faint 
Hilaire ,  où  ils  étoient  fous  le  feu  de  deux  pièces  de  canon  de 
la  ville  qui  tiroient  fans  cefTe  fur  eux.  Le  lendemain  François 
de  CalTiIlac  de  Seffac  lieutenant  du  duc  de  Guife  s'étant  avan^ 
ce  jufqu'au  village  de  faint  Marve  ,  avec  un  détachement  de 
cavalerie ,  où  étoient  Goutinieres ,  Boisjourdan ,  6c  Jean  des 
Urfins,  ôc  ayant  furpris  les  ennemis  accablez  des  travaux  delà 
veille,  Ôc  filas  qu'ils  ne  pouvoient  prefque  fe  remuer  de  leurs 
lits, il  en  tua  un  grand  nombre:en  s'en  retournant  il  trouvafur  fon 
chemin  Briquemaut  ôc  Mandolf  lieutenant  de  Jean  de  Buechj 
il  les  mit  en  déroute,  ôc  Mandolfe  demeura  fur  la  place.  Cela 
ob  ligea  les  afiiégeans  à  tirer  un  £o([é  de  ce  côté  là ,  pour  eni- 
pêcher  les  forties  ,  ôc  Coligni  en  donna  la  garde  à  Blacons. 

Il  y  avoir  environ  fix  mille  combattans  dans  Poiriers ,  tant 
et  cangers  qu'habitans ,  nombre  bien  petit  pour  défendre  une 

Hhhhiij 


(ÎI4  HISTOIRE 

^->-«-^  ville  d'un  fi  grand  circuit ,  contre  une  armée  très-nombreufe  : 

C  H  \  R  L  E  '^^'^^^  ^'^^  ^^^  ^^^  P^"^^  grand ,  les  provifions  de  guerre  ôc  de  bou- 
j  V  che  auroient  bien-tôt  manqué  j  au  refte  l'événement  fit  voir  qu'il 
f  ô'q  ^^^^^  ^^^^  grand  pour  foûtenir  un  long  fiége.  Il  y  avoir  dans 
le  château  lix  grofîes  pièces  de  canon,  ôc  deux  petites ,  &  plu- 
fieurs  autres  pièces ,  dont  on  ne  faifoit  aucun  ufage  >  mais  dans 
cette  occafion  on  trouva  le  moyen  de  les  faire  fervir.  On  avoit 
outre  cela  quantité  de  feux  d'artifices,  de  pots  à  verfer  de  l'huile 
bouillante,  de  cercles  de  feu,  de  poix,  de  bitume,  ôc  d'autre  ma- 
tière inflammable;  de  chevaux  de  frife,ôc  de  chaufretrapes,pour 
jetter  dans  les  endroits  par  où  les  ennemis  pourroient  appro- 
cher. 

Le  premier  jour  d'Août  faifoit  trembler  les  habitans  fuper- 
ftitieux  j  parce  qu'il  y  avoit  fept  ans  qu'à  pareil  jour  la  ville  avoit 
été  prife  6c  faccagée  par  S.  André,  ayant  été  livrée  par  Pineau 
qui  commandoit  dans  la  citadelle.  Ce  jour  là  les  affiégez  dif- 
poferent  leurs  batteries  :  ils  en  drefferent  une  de  huit  groffes 
pièces  fur  la  hauteur  qui  regarde  le  pont  Joubert ,  d'oii  ils  ti- 
rèrent trois  jours  durant  fur  la  tour  du  pont.  C'étoit  Genlis 
qui  avoit  le  commandement  général  de  leur  artillerie.  Jufques- 
là  les  afïîégez  s'étoient  maintenus  dans  les  fauxbourgs ,  mais  ils 
jugèrent  à  propos  de  les  abandonner  d'eux-mêmes  ,  parce  qu'ils 
n'avoient  pas  aflfez  de  monde  pour  garder  un  fi  grand  terrain. 
La  Rochefoucault ,  qui  commandoit  fous  les  Princes ,  ôc  Vol- 
rad  de  Mansfeld  fe  portèrent  à  faint  Lazare ,  ôc  Briquemaut 
au  fauxbourg  de  Pierre-levée:  celui  de  Rochereuil  n'étant  bon 
à  rien ,  ôc  les  deux  partis  ne  fe  fouciant  pas  de  ce  pofle ,  il  de- 
meura aux  alTiégez.  Coligni  ôc  Lafin  fe  logèrent  à  faint  Be- 
noît. Il  fe  donnoit  fouvent  de  petits  combats  entre  les  deux 
partis  :  ceux  de  la  ville  firent  des  forties  fréquentes ,  où  ils  eu- 
rent beaucoup  de  monde  blefie  j  parce  qu'ils  combattoient  en 
bas,  ôc  qu'ils  fe  trouvoient  expofez  au  feu  des  ennemis  qui 
étoient  fur  les  hauteurs.  Mais  les  blefiez  étoient  parfaitement 
-bien  traitez  ,  par  les  foins  de  la  Haye  maire  de  la  ville  ;  outre 
les  Chirurgiens,  il  y  avoit  des  femmes  établies  exprès,  pour  four- 
nir aux  blefiez  tout  ce  qui  leur  étoit  néccfîaire,  pour  les  nourrir, 
&  pour  les  panfer. 

Le  5"  d'Août  il  y  eut  un  grand  combat.  Le  brave  la  Va- 
cherie pafîant  avec  fon  régiment  au  travers  d'une  vigne  entre 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XLV.         6is 

Rochereûil  ôc  le  château  ,  fut  tué  d'un  coup  d'arquebufe  qu'il  ' 

reçut  à  la  tête.  Il  fut  fort  regreté  du  duc  de  Guife  ôc  de  toute  Charle 
la  ville.  Le  lendemain  d'Onoux,  à  qui  le  comte  du  Lude  avoit  IX. 
donné  le  gouvernement  de  Saint  Maixent,  &  qui  étoit  venu  i  S  ^  9- 
à  la  prière  du  duc  de  Guife  pour  fe  jetter  dans  la  place,  y  en- 
tra fuivi  de  fa  troupe  ,  avec  autant  d'adreffe  que  de  bonheur  : 
il  étoit  accompagné  du  capitaine  Bourg  de  Calverac^ôc  de  Pru- 
nay.  Pour  exécuter  ce  deffein,  il  envoya  fes  bagages  ôc  les 
bouches  inutiles  à  Parthenay  ,  où  commandoit  le  capitaine  Al- 
lard  j  Ôc  il  marcha  avec  tant  de  diligence  ôc  de  fecret ,  que  les 
ennemis  n'en  eurent  aucune  connoilfance  :  car  après  avoir  en- 
cloué  fon  canon ,  diflribué  ce  qu'il  y  avoit  de  poudre  aux  fcl- 
dats,  ôc  ce  qu'il  y  avoit  de  vivres  aux  habitans,  ôc  fait  recon- 
noître  les  chemins ,  il  fe  mit  en  marche  à  l'entrée  de  la  nuit 
avec  cinq  cens  hommes ,  entre  lefquels  étoit  Donald  Macro- 
dore  Ecoffois  ,  le  Sénéchal ,  le  Procureur  ôc  l'Avocat  du  Roi. 
Il  fit  dix  lieues  en  quatre  heures,  ôc  ayant  pafie  la  Vonne  près 
de  Jafenueil,  fans  donner  de  foupçon  à  un  corps- de-garde  de 
trois  cens  hommes  que  les  ennemis  y  avoient ,  il  arriva  fans 
aucune  perte  à  la  porte  de  la  Tranchée  ,  qui  lui  fut  ouver- 
te fur  le  champ  par  la  Jarrie  qui  y  étoit  de  garde.  Le  duc  de 
Guife  le  félicita  beaucoup  fur  fon  arrivée  ,  ôc  toute  la  ville 
en  fut  dans  la  joie  j  mais  Coligni  en  fut  très  -  étonné  ôc  très- 
|)iqué. 

Trois  jours  après ,  la  garnifon  de  Chatelleraud  fortit  de  la 
ville,  fous  la  conduite  du  capitaine  Normand  avec  des  drapaux 
femblables  à  ceux  de  l'armée  du  Roi ,  ôc  ayant  trompé  par  là 
les  corps-de-gardes  qui  étoient  fur  leur  route  ,  ils  furprirent  dans 
leurs  logemens  Bonnivet  de  Crevecocur  ,  ôc  Virpont  fei- 
gneur  de  Neubourg,  ôc  père  de  celui  qui  fut  tué  à  Sancerre  : 
ils  tuèrent  quelques  foldats,  ôc  firent  prifonniers  Bonnivet,  avec 
le  marquis  de  Rangone  qui  fut  mené  à  Niort. 

Les  ennemis  ayant  jugé  à  propos  de  changer  leurs  batteries, 
ils  en  drefferent ,  une  de  trois  pièces  au-deffus  de  faint  Cyprien 
vis-à-vis  faint  Benoît,  &  ayant  battu  toute  la  journée  la  porte 
de  la  Tour  ,  ils  en  ruinèrent  entièrement  le  haut.  Mais  du 
Lys ,  qui  y  commandoit,  foutint  Ci  bien  le  bas  par  le  moyen 
des  tonneaux  dont  il  fe  couvrit,  que  malgré  le  feu  continuel 
que  les  ennemis  faifoient  fur  lui ,  il  fçut  par  fa  fermeté  admirable 


6i6  HISTOIRE 

■  conferver  ce  pofle  jufqu  à  la  fin  ,  ce  qui  lui  fit  beaucoup 

Charle  cl'honneur.  Tous  lesefforts  des afîicgcans  le  tournèrent  enfuite 
IX.  contre  le  mur  qui  ei\  au-delà  du  pré  de  l'Abbefle,  ôc  on  le 
j  -  ^  g^  battit  en  plufieurs  endroits  de  front  ôc  en  flanc.  Cette  attaque 
incommoda  extrêmement  les  aiïiégez ,  ôc  leur  fit  perdre  bien 
du  monde  ;  car  pour  défendre  cette  brèche  ils  étoient  obligez 
de  defcendre  par  des  coteaux  ,  où  ils  avoienttoutle  corps  dé- 
couvert &  expofé  au  feu  de  l'ennemi.  La  brèche  étant  très- 
grande  ,  les  afliégeans  firent  un  pont  de  tonneaux  &  de  plan- 
ches attachées  defTus  avec  des  cables  ,  ôc  le  jetterent  fur  le 
Clain ,  qui  paflbit  au  pied  de  la  brèche. 

Tout  étoit  prêt  pour  l'aflaut ,  ôc  toute  la  ville étoit  dans  lef- 
froi ,  6c  dans  la  confternation.  Le  confeil  de  guerre  s'étant  af- 
lemblé  à  cefujet^  bien  des  gens  étoient  d'avis  de  mettre  en 
fureté  le  duc  de  Guife  &  fon  frère  S  &  de  ne  pas  expofer  à  un 
péril  manifefte  ,  &  aux  infultes  de  leurs  ennemis  mortels,  deux 
Jeunes  gens  d'une  fi  grande  naifiance  ,  ôc  qui  étoient  le  plus 
ferme  appui  de  la  religion  Catholique  :  car  c'eft  ainfi  qu'on 
parloir  d'eux.  Mais  du  Lude ,  Rultec  ,  d'Onoux  ôc  de  Bourg 
furent  d'un  avis  contraire  ,  Ôc  foûtinrent  que  fi  tout  le  mon- 
de fe  prefentoit  avec  courage  ,  on  étoit  en  état  de  foûtenir 
cet  affaut ,  ôc  de  repouffer  les  ennemis  ,  qui  après  avoir  pafle 
îa  brèche  feroient  obligez  de  combattre  avec  defavantage  dans 
le  pré  où  ils  avoient  fait  un  folTé  5  parce  qu'ils  feroient  fous  Iq 
feu  des  afiiégez  qui  tireroient  d'en  haut  fur  eux  :  Que  l'on 
pourroit  même  y  combattre  avec  de  la  cavalerie  ,  le  lieu  ayant 
affez  d'étendue  pour  cela  5  ce  qui  feroit  très-avantageux  aux 
Catholiques  ;  puifque  leurs  ennemis  ne  pouvant  pas  monter 
à  l'alïaut  à  cheval ,  feroient  réduits  à  combattre  à  pié  contre 
la  cavalerie  des  afiiégez  :  Qu'il  falloir  pour  cela  que  les  deux 
Guifes  s'y  trouvalTent  ,  que  leur  préfence  rappelleroit  la  mé- 
moire de  leur  père  ,  &  de  la  défenfe  de  Metz  ,  contre  l'Em- 
pereur Charle  Quint  ,  fuivi  de  toutes  les  forces  de  l'Alle- 
magne ;  Que  s'ils  fe  retiroient  ,  cela  décourageroit  tout  le 
monde  '>  que  les  Habitans  fe  croiroient  perdus  ,  Ôc  n'agi- 
roient  plus  à  l'avenir  avec  ce  courage  qu'ils  avoient  montre 
jufqu  alors.  Le  duc  de  Guife ,  qui  tout  jeune  qu'il  étoit,  avoit 
une  ambition  fans  bornes,  ôc  une  envie  extrême  d'acquerii 

I  Charle  mar<iuis  de  Mayenne. 

de 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Liv.  XLV.         (^17 
de  la  gloire  ,  ne  voulut  pas  ,  même  au  péril  de  fa  vie ,  démen-  ■ 

tir  l'opinion  quele  peuple  ôc  une  grande  partie  de  la  Noblefle  Charle 
avoient  de  lui,  ni  qu-'on  pût  lui  reprocher  d'avoir  eu  plus  de       j  v 
foin  de  conferver  fa  vie ,  que  de  foûtenir  la  gloire  de  fa  maifon ,      1^5,, 
celle  de  fon  père  Ôc  la  fienne  propre ,  dans  une  occafion  déci- 
five.  Ainfi  il  fut  entièrement  de  l'avis  de  Daillon ,  6c  préfera 
un  péril  glorieux  à  des  confeils  timides.  Ayant  pris  ce  parti, 
il  pofta  des  troupes  pour  défendre  la  brèche,  Ôc  femit  en  ba- 
taille derrière  le  fofle  qu'on  avoit  fait  entre  le  mur  &  la  ville , 
à  la  vûë  des  ennemis  ,  qui  étoient  au-delà  du  Clain  ,  ôc  qui 
préparoient  tout  pour  l'aflaut  :  c'étoit  le  jour  de  la  fête  de  S. 
Laurent  10  d'Août. 

Voici  la  difpofition  de  Coligni  :  fept  cens  moufquetaires 
d'élite  dévoient  monter  les  premiers  à  la  brèche.  Ils  étoient 
fuivis  de  500  hommes  armez  de  cuirafles  ôc  de  boucliers  ,  ôc  de 
300  Allemands  armez  dépiques  ôc  de  hallebardes  :  mais  com- 
me le  pont  qu'il  avoit  fait  faire  à  la  hâte,  ne  lui  paroifToit  pas 
aifez  fort  pour  porter  tant  de  monde,  il  n'entreprit  rien  ce  jour- 
là.  La  nuit  fuivante  ,  pendant  que  quelques  moufquetaires  delà 
ville  amufoient  l'ennemi  par  des  efcarmouches  t  des  plongeurs 
Italiens  coupèrent  les  cables  qui  attachoient  les  planches ,  ôc 
ruinèrent  le  pont.  Les  affiégez  avoient  bâti  un  Fort  dans  le 
couvent  des  Carmélites ,  d'oui  ils  faifoient  un  feu  terrible  fur 
les  bateries  des  ennemis ,  ôc  l'on  perdoit  de  part  ôc  d'autre 
beaucoup  de  monde  :  ceux  de  la  ville  démontèrent  un  des  ca- 
nons des  aflTiégeans ,  mais  ils  perdirent  un  très-habile  Ingénieur, 
nommé  Antoine  Serafon  Romain  5  ôc  Calverac  capitaine  de 
réputation  fut  tué  dans  ces  efcarmouches. 

On  continua  de  battre  la  place  jufqu'au  ip  d'Août,  Ôcl'oii 
fît  de  grandes  brèches  en  plufieurs  endroits.  Les  ennemis  en 
attaquèrent  une  ôc  s'y  logèrent.  Billy  de  Prunay  ' ,  auflTi  illuftre 
par  fon  courage  que  par  fa  Nobleffe  ,  y  reçut  une  blelTure  ,  dont 
il  mourut  quelques  jours  après.  D'Onoux  y  fut  blefle  à  mort, 
une  nuit  qu'il  faifoit  la  ronde  autour  des  murs  :  il  avoit  avec 
lui  une  troupe  de  gens  d'élite,  ôc  fon  deflein  étoit  de  chafTer 
la  Noue,  ôc  fa  compagnie  de  cavalerie  d'une  tour  à  demi  rui- 
née, où  il  s'étoit  porté  :  mais  il  reçut  un  coup  de  moufquet, 
dont  la  balle  perça  fon  cafque  ôc  lui  entra  dans  la  tête  5  on 

I  Du  parti  Catholique. 

Tome  y,  liii 


^i8  HISTOIRE 

ut  tout  ce  qu'on  put  pour  le  fauver,  mais  inutilement 
C  H  A  R  L  E       ^"  pointa  enfuite  contre  la  tour ,  où  étoit  la  Noue  ,  les  ca- 
j^        nons  qui  étoient  dans  le  Fort  des  Carmes,  ôcl'ontua  lepre- 
1  7  (J  Q      ^"^"'^^^  capitaine  du  régiment  d'Ambre.  La  Noue  fut  bleffé  au 
bras  droit  ,  Conforgien  à  la  cuiiTe ,  &  d'autres  eurent  les  jam- 
bes caiïces.   Cependant  les  alTiégez  ctoient  réduits  à  des  extrê- 
mitez  facheufes  j  d'un  côté,  il  n'y  avoit  aucune  apparence  qu'ils 
pufTent  plus  long-tems  défendre  la  brèche  5  de  l'autre,  ils  étoient 
dans  une  grande  difette  de  vivres  :  leurs  moulins  ctoient  rui- 
nez ,  ôc  leurs  provifions  confommées  j  ils  n'avoient  que  des 
feuilles  d'arbres  ou  de  vignes ,  pour  nourrir  leurs  chevaux  , 
point  du  tout  de  foini  &  ce  qu'ils  avoient  d'orge  ôc  d'avoins 
étoit  refervé  pour  les  hommes  :  d'ailleurs  tout  étoit  exceflive- 
nient  cher.  Dans  cet  embarras  un  Echevinde  la  ville,  nommé 
la  Bedoliere,  capitaine  d'une  compagnie  bourgeoife  ,  propofa 
un  avis ,  qui  fut  fuivi  :  c'étoit  de  faire  déborder  le  Clain ,  ôc  d'i- 
nonder la  prairie.  Pour  en  venir  à  bout ,  on  enfonça  deux  rangs 
de  gros  pieux  dans  l'eau  à  travers  la  rivière  ,  ôc  l'on  remplit 
de  terre  l'intervalle  qui  étoit  entre  deux.  A  peine  cela  fut-il 
achevé,  que  la  rivière  fe  déborda  avec  tant  de  violence ,  qu'el- 
le pénétra  jufqu'au  pic  du  mur  intérieur  j  l'eau  y  étoit  fi  haute 
qu'on  ne  pouvoit  approcher  du  retranchement  fait  en-dedans 
que  par  le  moyen  d'un  pont  î  cela  releva  le  courage  des  af- 
fiégez.  D'ailleurs  le  duc  d'Anjou  leur  envoyoit  courier  fur 
Courier  ,  ôc  leur  donnoit  fa   parole  qu'ils  feroient  fecourus 
avant  uh  mois.    Cependant  les  habitans  ayant  jette  quelque 
loupçon  dans  l'efprit   du  duc  de  Guife  contre  des  perfonnes 
déjà  fufpedes  du  côté  de  la  Religion  ,  on  les  fit  tous  ve- 
nir à  l'Eglife  de  Saint  François ,    mais  fans  leur  faire  aucun 
mah  on  les  avertit  feulement  de  fe  tenir  chez  eux,  ôc  de  gar- 
der la  fidélité  qu'ils  dévoient  à  leurs  concitoyens ,  qui  s'expo- 
foient  à  toutes  fortes  de  dangers  pour  le  falut  de  la  ville  h  on 
fit  en  même-tems  fortir  toutes  les  bouches  inutiles  pour  mé- 
nager les  vivres  :  mais  les  afiiégeans  les  ayant  repouffez  dans 
les  fofifés  ,  où  ils  mouroient  de  faim ,  les  bourgeois  touchez  d(3 
compafiion  leur   permirent  de  revenir  dans  la  ville. 

Vers  ce  tems  là  les  afiiégeans  jetterent  un  nouveau  pont  fus 
le  Clain,  entre  le  pont  Joubert  ôc  l'Eglife  de  faint  Cyprien  , 
yis-à-vis  de  l'églife  de  faint  Saturnin  ,  afin  de  pafifer  delà  dans 


DE  J.  A.   DE   THOU,  Liv.  XLV.         €i$ 

îe  pré  de  i'Evcque,  vers  les  églifes  de  fainte  Radegonde  &  de  m 

faint  Sulpice.  Ce  pont  étoit  fait  de  tonneaux,  de  planches  &  ChaRLE 
de  clayes ,  ôc  il  ctoit  attaché  avec  des  cables  ôc  des  chaînes  à       ix. 
ào-s  pieux  qu'on  avoit  enfoncez  dans  la  rivière  :  il  paroifToit  fi    1^50, 
folide ,  qu'on  efperoit  pouvoir  faire   pafTer  du  canon  deflus. 
Quelques-jours  après ,  on  en  commença  un  tout  femblable  un 
peu  au-deflbus. 

Ce  fut  à  peu  près  dans  le  même-tems  que  Daillon  comte  de 
Briançon ,  frère  du  comte  du  Lude  ,  en  revenant  d'une  fortie 
dans  laquelle  il  avoit  eu  occafion  de  s'entretenir  avec  d'Acier, 
fut  tué  d'un  coup  de  canon  à  la  tête  ,  auprès  du  baftion  des 
Carmélites  ,  ou  il  fe  retiroit.  Ce  fut  une  grande  perte  pour 
cette  illuftre  famille,  &  il  fut  très-regreté  des  citoyens  ,  ôc  du 
duc  de  Guife.  Girard  de  la  RouflTiere  ,  6c  le  Cornette  de  la 
compagnie  du  comte  du  Lude  furent  dangereufement  blefîez 
dans  la  même  occafion. 

Enfin  le  vingt-quatrième  d'Août,  iour  de  faint  Bartbelemi; 
les  Proteftans  recommencèrent  à  battre  la  place  plus  forte- 
ment qu'ils  n'avoient  encore  fait ,  ôc  ils  tirèrent  ce  jour-là 
plus  de  huit  cens  coups.  Le  duc  de  Guife  ôc  le  comte  du  Lude 
ne  doutant  pas  qu'ils  ne  montaflent  bien-tôt  àralfaut,  fe  pré- 
paroient  à  les  bien  recevoir,  ôc  exhortoient  les  troupes  à  bien 
faire.  Dans  la  perfuafion  que  la  journée  ne  fe  pafleroit  pas  fans 
combat ,  on  enferma  les  femmes  des  principaux  officiers  ,  Ôc 
quelques  autres  dans  le  château ,  afin  que  s'il  arrivoit  un  mal- 
heur ,  comme  on  avoit  lieu  de  le  craindre  ,  elles  puflent  y  être 
à  couvert  de  la  première  fureur  du  foldat.  Coligni  fut  d'avis 
de  reconnoître  la  brèche ,  avant  que  de  l'attaquer ,  ôc  de  fon- 
der la  profondeur  de  l'inondation.  11  arriva  par  bonheur  qu'un 
officier  ,  nommé  Dominique,  qui  avoit  eu  l'infolence  de  tirer 
fon  poignard  en  la  prefencede  Coligni  ,  ôc  qui  ayant  été  pris 
fur  le  champ  ,  s'attendoit  à  être  puni  de  mort ,  fut  condamné 
par  les  Généraux  à  aller  faire  ces  deux  chofes ,  qui  lui  tien- 
droient  lieu  du  fupplice  qu'il  meritoit.  Il  alla  hardiment, cou- 
vert d'une  cuirafle  ôc  d'un  boxiclier  ,  ôc  étant  revenu  trouver 
Coligni ,  il  lui  dit  qu'à  la  vérité  la  brèche  étoit  en  état ,  mais 
que  l'inondation  étoit  fi  profonde  ,  que  les  foldats  auroient 
de  l'eau  jufqu  a  la  ceinture.  Sur  ce  rapport, Coligni  fit  revenir 

liii  i;* 


6io  HISTOIRE 

\qs  troupes  qui  étoient  commandées  pour  l'afTaiït ,  ôc  les  ren- 
Charle  voya  dans  leurs  quartiers. 

j  ^^  Il  nY  eut  ce  jour-là  que  de  petits  combats  peu  importansj 

I  c  5  0.     cependant  les  affiégez  y  perdirent  Guacour ,  qui  étoit  un  of- 
ficier de  grande  réputation.  On  employa  la  nuit  à  reparer  la 
brèche.  Le  duc  de  Guife  fe  mit  à  la  tête  des  travailleurs  ^  & 
à  fon  exemple  tout  le  monde  agit  avec  une  ardeur  extrême. 
Ainfi  non-feulement  la  brèche  fut  reparée ,  mais  cet  endroit  fc 
trouva  plus  fort  qu'il  n'étoit  avant  qu'on  y  eût  fait  brèche.  Le 
lendemain  les  aiïiégeans  changèrent  de  place  une  batterie  de 
trois  canons  j  &  ayant  redoublé  leur  feu,  ils  réfolurent  de  don- 
ner un  affaut  fur  le  minuit ,  fans  tambour  ni  trompeite  ,  afin  de 
furprendre  les  affiégez ,  qui  ne  s'attendroient  point  à  être  atta- 
quez à  cette  heure  :  mais  les  foldats  n'ayant  pas  été  aflcmblés 
afifez  tôt  j  on  n'entreprit  rien  ^  quoique  les  deux  Princes  fuffent 
venus  exprès  de  faint  Maixent  pour  être  témoins  de  cette  ac- 
tion :  après  avoir  rendu  vifite  aux  ofiRciers  Allemands ,  ôc  leur 
avoir  donné  un  grand  repas ^  ils  s'en  allèrent  à  Nyort. 

La  Reine  arriva  cependant  à  Amboife,  ôc  delàà  Tours  > 
fuivie  des  cardinaux  de  Bourbon  ôc  de  Lorraine.  Le  duc  d'An- 
jou ,  qui  étoit  à  Loches ,  fe  rendit  auprès  d'elle,  afin  de  tenir 
confeil  fur  les  moyens  de  fecourir  Poitiers.  On  détacha  de  là 
Fabien  deMontluc,  avec  cinq  cens  arquebufiers  d'élite.  Mais 
lorfqu'il  fut  arrivé  à  Rochepozai  S  il  ne  put  pafler  outre ,  parce 
qu'il  avoir  été  découvert  par  les  ennemis. 

Les  affiégeans  drefferent  une  batterie  de  trois  pièces  con- 
tre le  moulin  Tifon  ,  pour  ôter  aux  affiégez  le  moyen  d'avoir 
de  la  farine  ,  ôc  ils  jetterent  le  haut  du  moulin  à^bas  :  mais 
comme  l'inondation ,  qui  étoit  au-delà  de  la  muraille  de  la  ville^ 
les  incommodoit  extrêmement ,  ils  travaillèrent  de  toutes  leurs 
forces  à  faire  retirer  les  eaux.  Pendant  qu'ils  y  étoient  occupez , 
les  Italiens  firent  une  fortiepar  le  pont  Achard,  ôc  y  engagèrent 
un  aficz  long  combat.  Jean  de  Beaumanoir  Lavardin ,  jeune 
homme  plein  de  feu  ,  s'y  comporta  avec  beaucoup  de  valeur, 
ôc  tua  d'un  coup  de  piftolet  un  de  ces  Italiens  :  il  auroit  eu 
néanmoins  de  la  peine  à  fe  tirer  de  leurs  mains ,  fi  faint  Her- 
mine n'étoit  accouru  à  fon  fecours. 

1  Petite  ville  fur  la  Creufe  ,  fur  la  frontière  du  Berry, 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Li  V.  XLV.        621 

Depuis  ce  tems-là  les  plus  grands  efforts  fe  firent  du  côté 
du  fauxbourg  de  Rochereuil,  que  les  deux  partis  avoient  né-  Cu  «  ^  r  p 
gligé  jufqu'alors  :  les  afTiégeans  fe  perfuadoient,  que  s'ils  pou-       i  y 
voient  s'en  rendre  maîtres ,  il  leur  feroit  facile  de  rompre  les  ^' 

digues^  ôc  de  remettre  le  Claindans  fon  lit;  mais  les  coups  de 
canon  ne  faifoient  point  d'effet  contre  les  facs  à  laine,  dont  le 
mur  étoit  couvert.  Il  y  eut  grand  nombre  de  bleffez ,  tant  du 
côté  de  la  ville  ^  que  du  côté  des  affiégeans  ;  il  y  eut  encore 
plus  de  malades ,  ôc  les  maladies  étoint  très  -  dangcreufes.  Co- 
ligny  eut  la  dyffenterie ,  Ôc  fut  en  danger  d'en  mourir.  Le  comte 
de  la  Rochefoucault  fut  obligé  de  quitter  l'armée  pour  chan- 
ger d'air  :  les  Médecins  engagèrent  d'Acier  à  s'en  aller  à  Nyort, 
6c  Briquemault  à  Châtelleraud.  Jean  la  Fin  de  Beauvais  fe  re- 
tira pour  la  même  raifon  d'abord  à  Lufignan ,  ôc  enfuite  à  S. 
Maixent,  auffi-bien  que  la  Nocle  fon  frère  j  qui  avoit  déjà 
perdu  Bedeùil  fon  fils. 

Le  premier  jour  de  Septembre  on  recommença  à  tirer  con- 
tre le  fauxbourg  de  Rochereuilj  ôc  principalement  contre  la 
tour  du  pont.  Lorfqu'on  en  eut  renverfé  une  partie  ,  on  s'em- 
para de  la  hauteur  qui  avoit  été  11  long-tems  difputée ,  ôc  on 
la  fortifia  avec  des  gabions  à  l'ordinaire.  De  là  les  ennemis 
voyoient  à  découvert  tout  ce  qui  alloit  ôc  venoit  dans  le  faux- 
bourg  qui  étoit  en  bas,  ôc  faifoient  pluvoir  une  grêle  déballes 
qui  incommodoit  fort  les  affiégez.  Pourfe  garantir ,  ils  mirent 
pendant  la  nuit  de  grandes  barriques  des  deux  cotez  de  la  rue, 
ôc  les  couvrirent  de  planches  épaiffes ,  afin  de  pouvoir  aller 
ôc  venir  par  -  deffous  fans  danger  :  ils  attachèrent  même  des 
toiles  en  certains  endroits  ,  pour  ôter  aux  ennemis  la  viië  de  ce 
qui  fe  paiïoit. 

Le  deuxième  jour  de  Septembre  les  affiégez  firent  une  fortie 
au  fauxbourg  de  Rochereuil,  ôc  montèrent  fur  cette  hauteur 
couverte  de  vignes,  dont  les  ennemis  s'étoient rendus  maîtres  5 
ôc  après  avoir  renverfé  tousles  gabions  ,  qu'ils  avoient  rangez  de 
ce  côté-là ,  pour  fe  mettre  à  couvert  du  feu  du  château  ,  ils  ren- 
trèrent dans  la  ville  fans  avoir  fait  aucune  perte.  Le  lende- 
main le  mur  de  Rochereuil  ayant  été  renverfé  ,  après  avoir  re- 
fifté  pendant  plufieurs  jours  au  feu  continuel  d'une  batterie,  que 
les  ennemis  avoient  en  bas  fous  des  Noyers ,  Coligni  fit  don- 
ner l'affaut.  De  Piles  étoit  avec  fon  régiment ,  Saint  Audens 

liii  iij 


mKJUJiMua 


^22  HISTOIRE 

frère  de  Eriquemaut  marchoit  enfuite  à  la  tête  ai^ec  le  fien  > 
77  ôc  il  étoit  fuivi  d'un  régiment  Allemand  heriffé  de  piques.  Pen- 

r  y  dant  ce  tems-là  on  ne  ceflbit  de  tirer  contre  le  château.  PafTac, 
Nozieres^  Carbonniere,  ôc  Montai,  qui  étoient  à  la  brèche  , 
^  ^'  ayant  fait  tirer  fur  eux  des  canons  chargez  à  cartouches ,  le  régi- 
ment de  Piles  fut  très-mal  traité  ,  ôc  le  retira  avec  une  perte 
confidcrable ,  6c  de  Piles  lui-même  y  reçut  une  blelTuredan- 
gereufe  à  la  cuifTe.  Saint  Audens ,  fans  s'effrayer ,  le  foûtint 
avec  beaucoup  de  fermeté  j  mais  ayant  été  blelTé  dange- 
reufement  ,  ôc  fes  gens  faifant  mal  leur  devoir  ,  il  futaufiTi  obli- 
gé de  fe  retirer  ,  ôc  mourut  quelque-tems  après  de  fa  bleffu- 
re.  Les  Allemands  étonnez  de  ces  pertes,  mais  excitez  parleurs 
officiers  ,  firent  de  nouveaux  efforts  :  cependant  Coligni,  qui 
jugea  qu'ils  n'emporteroient  pas  l'endroit  attaqué,  leur  envoya 
ordre  de  revenir.  L'avantage  qu'eurent  les  affiégez  en  cette  oc- 
cafion  leur  coûta  cher.  Paffac  ,  qui  avoit  fuivi  les  Confédérez 
dans  la  dernière  guerre  ,  Montai ,  qui  avoit  accompagné  le 
duc  de  Guife  en  Hongrie,  la  Renaudie  ,  ôc  beaucoup  d'au- 
tres bons  officiers,  y  furent  tuez.  Coligni  ôc  de  Mouy  fe  jufti- 
fierent ,  en  difant  que  leur  intention  n'avoit  pas  été  de  faire  at- 
taquer cet  endroit,  mais  feulement  de  faire reconnoître  labre' 
che,  Ôc  que  la  Nobleffe  Françoife  ,  toujours  avide  de  gloire, 
avoit  imprudemment  engagé  les  troupes  à  aller  plus  loin  qu'il 
ne  falloit. 
te  fiége  La  nuit  fuivante  fe  paffa  dans  un  grand  filence  ,  les  afTié- 

t&  levé.  geans  étant  attriftez  de  la  perte  qu'ils  avoient  faite,  ôc  les  affié- 
gez n'ofant  fe  réjouir  de  leur  avantage.  Les  trois  jours  fuivans 
fe  pafferent  en  petits  combats,  dans  l'un  defquels  Chateau- 
briand feigneur  des  Roches-Baritaud  fut  bleffé. 

Cependant  le  bruit  couroit  que  le  duc  d'Anjou  approchoit 
avec  une  puiffanre  armée  ;  en  effet  il  vint  camper  auprès  de 
Châtelleraud.  Coligni,  qui  necherchoit  qu'un  prétexte  pourle- 
ver  le  fiége  ,  fit  plier  bagage ,  après  avoir  perdu ,  à  ce  qu'on  pré- 
tend ,  plus  de  deux  mille  hommes ,  ôc  fait  tirer  plus  de  quatre 
mille  coups  de  canon.  La  Haye  a  écrit  qu'il  n'y  périt  pas  plus 
de  cent  hommes  de  la  garnifon  ,  entre  lefquels  il  y  avoit 
vingt  gentilshommes  ,  dont  environ  douze  avoient  des  em- 
plois confidérables  dansFarmée.  On  ordonna  des  prières  pu- 
pliques  poui:  rendre  grâces  à  Dieu  >  le  duc  de  Guife  ayanç 


De  j.  a.  de  thou,  liv.  xlv.       6i^ 

îoiîé  beaucoup  la  confiance  ôc  le  courage  des  habitans,  les  af- 
fura  de  fon  amitic  ,  ôc  leur  promit  fa  prote£lion.  11  partit  -en-  Ch  arlB 
fuite  le  p  de  Septembre  pour  aller  joindre  le  Roi ,  qui  ctoit       j^^ 
à  Tours,  ôc  le  même  jour  le  comte  de  Sanzai  entra  dans  la     1^50, 
même  ville  avec  deux  cens  chevaux  ,  la  plupart  Italiens  com- 
mandez par  P.  Paut  Toiinghi.  Après  le  départ  du  duc  de  Guife  , 
les  habitans  de  Poitiers  raferenc  entièrement  l'Abbaye  de  S. 
Cyprien  ,  déjà  très-endommagée  :  ce  qui  les  porta  à  le  faire, 
fut  que  durant  le  fiége  cet  endroit  les  avoit  fort  incommodez. 

On  donna  dans  ce  même-tems  quelque  efperance  à  Coli- 
gnide  fe  rendre  maître  de  Nantes,  ville  opulente  Ôc  très-con- 
iidérable,  fituée  près  de  l'embouchure  delà  Loire.  On  chargea 
Pomenie  de  furprendre  le  château  où  commandoit  Sanzai  le 
pere,ôc  que  fîx  hommes, avec  qui  l'on  avoit  de  l'inteHigen- 
ce,  dévoient  livrer.  Teligny  eut  ordre  de  fe  rendre  aux  envi- 
rons ,  avec  cinq  cens  chevaux  Ôc  autant  de  moufquetaires  , 
pour  s'emparer  de  la  ville  dès  qu'on  feroit  maître  du  château. 
Mais  fur  le  point  d'exécuter  l'entreprife  ,  Pomenie ,  en  fe  la- 
vant les  mains  pour  aller  déjeuner  avec  les  officiers  de  garde, 
s'apperçut  que  la  pierre  de  fa  bague  s'étoit  caflee  d'elle-même  3 
fans  qu'il  eût  fait  aucun  effort  j  il  crut  fuperflitieufement  que 
cela  ctoit  de  mauvais  augure  pour  le  deffein  qu'il  avoit  formé, 
ôc  il  confeilla  à  fes  complices  d'y  renoncer  :  ainfi  le  voyage  de 
Teligny  ne  fervit  de  rien.  Cependant  comme  Sanzai  ôc  les  ha- 
bitans ne  fçurent  rien  de  la  conjuration ,  perfonne  ne  fut  in^^ 
quiété  à  ce  fujet. 

Leduc  d'Anjou,  qui  étoit  devant  Châtelleraud ,  avoit  déjà     Siège  de 
fait  ouvrir  la  tranchée  endeçà  de  la  Vienne  :  fon  armée  étoit  ^a^^Je^^^""*^ 
compofée  de  dix  mille  hommes  d'infanterie  ,  de  trois  mille  d'Anjou, 
chevaux  Allemands ,  de  mille  Italiens,  Ôc  de  deux  mille  hom- 
mes de  cavalerie  Françoife.  Dès  le  feptiéme  de  Septembre  le 
canon  ayant  fait  une  brèche  de  plus  de  cinquante  pies  à  la  porte 
de  fainte  Catherine ,  il  reçut  la  nouvelle  que  le  fiége  de  Poi- 
tiers étoit  levé ,  ôc  que  Coligni  marchoit  à  lui  avec  toute  fon 
armée.  Sur  cet  avis,  il  crut  devoir  tenter  d'emporter  la  place 
de  vive  force,  avant  que  ce  Général  arrivât.  Il  s'éleva  à  ce  fujet 
une  difpute  entre  les  François  ôc  les  Italiens  :  ces  derniers  di- 
foient  que  venant  de  fi  loin  fecourir  la  France ,  par  un  motif 
de  gloire  ôc  de  Religion ,  l'honneur  de  l'attaque  leur  devoit 


62^  HISTOIRE 

__  appartenir  ;  les  François  au  contraire  foûtenoient  que  perfon- 

r^  ~  ne  ne  devoit  leur  contefter  cet  honneur.  Pour  les  accommo- 

j  y        der  ,  on  remit  le  jugement  au  fort ,  qui  décida  en  faveur  des 
^*       Italiens.  Le  fignal  étant  donné,  ils  marchèrent  de  bonne gra- 
^     ^'     ce  à  l'aflaut  ,  pour  montrer  leur  courage  ôc  s'acquérir  de  la 
gloire.  La  Loue  maréchal  de  camp  commandoit  dans  la  ville. 
Ses  troupes  étoient  compofées  de  fa  compagnie  de  chevaux 
légers  ,  de  celles  de  Valavoire  ,  de  BroiTay  ,  de  la  Motte  > 
&  de  Roeiïes  ;  mais  elles  étoient  fort  diminuées  par  les  com- 
bats ,  où  elles  s'étoient  trouvées  :  il  avoit  outre  cela  fept  com- 
pagnies d'infanterie ,  ôc   quelques  moufquetaires  fous  la  con- 
duite du  capitaine  Normand.  La  ville  eft  fituée  dans  une  plai- 
ne j  ks  murs  font  mauvais ,  ôc  fon  folTé  n'eft  pas  aifés  profond  ; 
d'ailleurs  elle  n'a  point  de  rempart  du  côté  où  eft  fon  pont  fur 
la  Vienne.  Il  y  avoit  entre  les  murs  de  la  ville  ôc  les  maifons 
un  efpace  vuide  ,  principalement  du  côté  où  étoit  la  brèche. 
Les  alfiégez  avoient  élevé  à  la  hâte  quelques  retranchemens 
fur  les  flancs  ,  ôc  placé  des  moufquetaires  dans  les  maifons  ,  ôc 
fur- tout  dans  une ,  que  l'onnommoit  le  Châtelet,  pour  tirer  fans 
cefle  fur  ceux  qui  voudroient  entrer  dans  la  ville.  Car  il  n'y 
avoit  pas  moyen  de  fe  prefenter  pour  défendre  la  brèche,  à 
moins  d'y  vouloir  périr.  Les  Italiens  voyant  qu'elle  étoit  aban- 
donnée, envoyèrent  Ottaviode  Montacuto,  ôc  Scipion  Cor- 
binelli  pour  la  reconnoître  :  fans  attendre  leur  rapport  ,  ils 
y  montent  fur  le  champ  ,  ôc  plantent  leurs  drapeaux  fur  la  mu- 
raille. Mais  lorfqu'ils  fe  furent  un  peu  avancez  ,  ils  efluyerent 
un  feu  terrible  de  moufqueterie ,  de  front  ôc  en  flanc ,  ôc  fe  trou- 
vant d'ailleurs  prelfés  par  les  François ,  qui  marchoient  fous  la 
conduite  de  Cofleins  pour  les  foûtenir  ,  ôc  qui  n'étant  point 
incommodez  par  le  feu  des  ennemis  ,  demeuroient  en  place  , 
ôc  empêchoient  les  Italiens  de  reculer  -,  ceux-ci  dans  cette  ex- 
trémité ne  cherchèrent  plus  qu'à  périr  glorieufement.  Il  y  en 
eut  plus  de  deux  cens  tuez  ;  les  principaux  furent  Giuftiniani, 
&  Beneio.  Celui-ci  s'étant  envelopé  dans  fon  drapeau  ,Puif- 
3>  que  je  ne  fçaurois ,  dit-il ,  remporter  la  vi£toire  avec  ce  dra- 
3)  peau ,  mourons  du  moins  dedans.  Auffi-tôt  il  s'avança  vers  les 
ennemis  ,  au  milieu  d'une  grêle  de  moufquetades  ,  ôc  étant 
criblé  de  coups ,  il  perdit  la  vie  avec  fon  drapeau.  Les  autres 
qui  refterent  fur  la  place  furent  Ottavio  de  Montalte ,  Calloccio 

de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.        61^ 

de  Sienne  qui  commandoit  trois  compagnies  ,  &  Fabiano  de  , 

Monte,  fils  de  Baudouin  frère  du  Pape  Jule  III,  qui  étant  Char  le 
blefle  à  mort  &  abandonné  dans  le  fofle  par  fes  compagnons ,       j)^ 
fut  emporté  par  les  vainqueurs  dans  la  ville  où  il  mourut  peu     i  r  ^  n 
de  tems  après  de  fa  blefTur'e.  François  Gualteroti  ôc  Jçromc 
Ruccellai  y  furent  dangereufement  bleffés. 

La  nuit  fuivante  Coligni  arriva  à  un  fauxbourg,  où  il  pafTa  Levée  du 
la  Vienne  j  il  envoya  aux  aiTiégez  un  fecours  de  quatre  cens  ^^S"-'- 
jTioufquetaires,  fous  la  conduite  d'un  capitaine  Dauphinois 
nommé  Bernier:  ils  entrèrent  dans  la  ville  par  le  pont.  Le  len- 
demain le  duc  d'Anjou  retira  fon  canon  Ôc  le  renvoyai  après 
quoi  il  fe  mit  en  marche  ,  après  avoir  laiflé  un  corps  de  trou- 
pes, pour  couvrir  fa  retraite ,  contre  les  troupes  qui  fortiroient 
de  la  ville.  Il  arriva  en  cet  état  au  port  de  Pile ,  où  il  palTa 
la  rivière  en  bon  ordre.  Soubize ,  Beauvais  ôc  Briquemaut  ef- 
fayerent  en  vain  de  fe  rendre  maîtres  de  ce  port ,  ôc  d'en  chaf- 
fer  la  garnifon  que  le  duc  d'Anjou  y  avoir  laifTée  :  elle  ferma 
fi-bien  les  avenues,  ôc  fe  défendit  avec  tant  de  courage,  qu'elle 
contraignit  les  ennemis  à  fe  retirer  ;  après  quoi  ils  pafferent 
ia  Creufe  ,  ôc  réjoignirent  l'armée. 

Le  lendemain  Coligni  ayant  trouvé  un  bon  gué ,  entre  le 
port  de  Pile  ôc  la  Haye ,  pafia  la  Creufe ,  ôc  s'approcha  du 
camp  du  duc  d'Anjou  :  mais  comme  ce  Prince  étoit  bien  re- 
tranché ,  il  vit  qu'il  ne  pourroit  lattirer  au  combat.  Ainlî 
après  avoir  demeuré  deux  jours  en  préfence,  voyant  que  les 
vivres  commençoient  à  lui  manquer,  il  retourna  fur  fes  pas  , 
rep  fla  la  Creufe  ,  ôc  alla  à  Faye  la  Vineufe,  pour  y  rafraichir 
fon  armée  après  tant  de  fatigues.  Le  duc  d'Anjou  s'arrêta  à 
Celles  jufqu'au  quinzième  de  Septembre,  pour  yattendreles 
troupes  qui  lui  venoient  de  toutes  parts  j  ôc  de  là  il  marcha 
à  Chinon  fur  la  Vienne ,  où  il  mit  fon  armée  en  des  quartiers 
de  rafraichiffementafTez  éloignez  les  uns  des  autres. 

Telle  fut  l'ifTuë  des  deux  fiéges  de  Poitiers  ôc  de  Châtelle- 
raud  ,  où  les  deux  partis  perdirent  beaucoup  de  monde  :  le  fé- 
cond fut  caufe  de  la  levée  du  premier.  Coligni  ayant  recon- 
nu ,  mais  trop  tard,  qu'il  avoir  fait  une  faute,  fut  ravi  de  trou- 
ver un  prétexte  honnête  pour  le  lever.  Depuis  le  combat  de 
Jarnac  ,  la  Fortune  avoit  paru  jufques-làfe  jouer  entre  les  deux 
partis ,  ôc  leur  donner  tour  à  tour  dQS  avantages  égaux ,  fans 
Tome  /^,  K.  k  k  I5 


626  HISTOIRE 

fe  déclarer  :  mais  l'afFaire  de  Moncontour  ,  où  la  néceiïitc  les 
^  forqa  de  rifquer  un  combat  général ,  fit  pancher  la  balance 

Char  LE  ^^  ^5^^  j^^  Catholiques. 

Quelques  jours  auparavant  :,  c'étoitle  treizième  deSeptem- 

^  ^«    ?*    bre ,  le  Parlement  de  Paris  ,  à  la  requête  de    Gille  Bourdin 

Parlement  de  procureur  général,  ayant  fait  le  procès  à  Coligni  commère- 

Paris  qui  con-  belle  ôc  coupable  de  îeze-majefté  ,  le  condamna  à  mort  :,  ôc 

damne  a  mort  •        •        ^  -w       '  v        -^  •  \      v  •        • 

Coligni,  Jean  promit  cmquante  mille  ecus  dor  a  quiconque  le  livreroit  vi- 
de Ferncre&  vant.  Depuis,  c'eft- à-dire ^  le  vingt-huinéme  de  Septembre  , 
meryf^'"'  ^^"^  la  requête  du  même  Bourdin,  il  fut  ordonné  qu'afin  d'ôter 
toute  ambiguité  ,  on  donneroit  la  même  fomme  à  quiconque 
le  tueroit  ^  françois  ou  étranger  j  on  lui  promit  de  plus ,  que 
s'il  fe  trouvoit  coupable  du  même  crime  que  Coligni ,  il  au- 
roit  fa  grâce.  On  donna  un  pareil  arrêt  contre  Jean  de  Per- 
rière vidame  de  Chartre,  ôc  contre  le  comte  de  Alontgommery  5 
ôc  leurs  effigies  furent  ignominieufement  traînées  dans  un  tom- 
bereau ,  ôc  enfuite  attachées  à  une  potence.  L'arrêt  contre  Co- 
ligni flit  publié  partout  le  Royaume?  ôc  afin  que  les  étrangers 
en  fuflent  inftruits ,  les  Princes  Lorrains  eurent  foin  de  le  faire 
traduire  en  Latin  ,  en  Allemand,  en  Italien,  en  Efpagnol  Ôc 
en  Anglois ,  ôc  de  le  répandre  partout.  Coligni  ne  s'en  mit 
pas  beaucoup  en  peine  alors  ■>  mais  il  eut  dans  la  fuite  fon  exé- 
cution. 

Pendant  que  ce  Seigneur  étoit  à  Faye,  Dominique  d'AÎ- 
be ,  un  de  fes  valets  de  chambre ,  ayant  été  convaincu  detrahi- 
fon ,  ôc  d'avoir  voulu  empoifonner  fon  maître ,  fut  condamné 
à  être  pendu.  Cet  homme  avoit  été  envoyé  au  duc  des  Deux- 
Ponts  ,  avec  des  lettres  du  Prince  de  Navarre  ,  du  Prince  de 
Condé^  ôc  de  Coligni ,  dans  le  tems  que  ce  Duc  étoit  encore 
fur  nos  frontières.  Ayant  été  pris  à  Brifiac ,  par  la  Rivière  ca- 
pitaine des  Gardes  du  duc  d'Anjou ,  il  montra  les  lettres  dont 
il  étoit  chargé ,  ôc  fa  lettre  de  créance ,  à  la  Reine ,  au  duc  d'An- 
jou ôc  au  cardinal  de  Lorraine,  ôc  en  reçut  quelque  argent > 
ôc  des  promefles  d'une  fortune  plus  éclatante.  Lorfqu'il  eut  reçu 
les  réponfcs  du  duc  des  Deux-Ponts ,  il  porta  fes  lettres  à  la 
Rivière ,  ôc  lui  rendit  compte  de  tout  ce  qu'il  fçavoit  des  def- 
feins  des  Allemands.  La  Rivière  jugeant  qu'après  le  premier 
pas  que  cet  homme  avoit  fait,  on  le  meneroit  auffi  loin  que 
l'on  voudroir,  l'accable  de  promcfles ,  ôc  lui  fait  tout  efperer  j 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLV.        6l'^ 
s'il  veut  empoifonner  Coligni.  D'Albe  y  confent ,  donne  fa  ■ 

parole,  reçoit  de  l'argent ,  avec  une  poudre  empoifonnée  ,  ôc  Ch  arl  E 
revient  trouver  fon  maître  devant  Poitiers.  Coligni  foupçon-       \  y^ 
nant  quelque  chofe ,  à  caufe  de  la  longueur  du  tems   que  ce     i  ç  5  n. 
domeftique  avoir  mis  à  fon  voyage ,  donna  ordre  qu'on  l'arrê- 
tât, &  qu'on  l'interrogeât.  Ayant  tout  avoué,  il  fut  condamné  à 
mort  ôc  exécuté. 

Ce  fut  dans  ce  tems-là  que  le  prince  d'Orange  ne  voulant 
pas  paroître  avoir  abandonné  les  affaires  de  Flandre  ,  prit  con- 
gé des  Princes ,  ôc  de  Coligni ,  pour  aller  au  fecours  de  fon  parti 
Il  laifla  en  France  fes  deux  frères  Louis  ôc  Henri  avec  une  fuite 
convenable  j  ôc  s'étant  déguifé,  il  fe  mit  en  chemin  avec  un 
grand  fecret ,  paffa  la  Loire  à  Vezelai ,  ôc  arriva  heureufement 
fur  notre  frontière,  ôc  delà  en  Allemagne,  où  il  alla  lever  de 
nouvelles  troupes,  pourfoûtenir  les  Proteftans,  tant  enFrançe 
que  dans  les  Payis-bas. 


lin  dti  quarante-cinquième  Livre, 


Kkkkij 


HISTOIRE 


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HISTOIRE 


D  E 


JACQUE     AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 


ivn» 


LIVRE   Q^VARANTE-SIXIEME, 


Charle 
IX. 

I  s  5(?. 

Le  duc  d'An- 
jou palfc  la 
Vienne. 


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s>l|fSfs>l0fvG>lp^  E  duc  d'Anjou  ayant  fait  rafraîchir 

Ion  armée,  ôc  reçu  un  rentort  de 
vingt-cinq  compagnies  d'infanterie, 
avec  les  nouvelles  levées  que  le  Roi 
avoit  fait  faire  en  France,  fitconf- 
truire  des  ponts  fur  la  Vienne ,  qui 
étoit  extrêmement  groflie ,  &  l'ayant 
pafTée  le  26  de  Septembre  avec  de 
grandes  difficultez  ,  il  marcha  du 
côté  des  ennemis.  Monpenfier  me- 
noit  lavant-garde.  Pour  lui  il  alla  avec  le  corps  de  bataille  du 
côté  de  Loudun  ,  ou  les  ennemis  avoient  de  grands  magazins, 
afin  de  les  empêcher  d'en  faire  ufage  ,  ôc  il  s'avança  jufqu'à  Mi- 
rebeau  ,  pourfe  mettre  entre  eux,  ôc  \qs  provinces  de  Poitou  ôc 


^7^'\  f^'i    i^"<i    ^^'''i    ^"'i  ^^'i    i^'<    ^'i 

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DE  J.  A.  DE  THOU,tiv:  XLVI.       ^^^  i 

de  Guyenne ,  ôc  les  empêcher  d'y  rentrer  :  le  fuccès  juftifia  le  ^ 

parti  qu'il  avoir  pris.  Dans  fa  marche ,  Biron  maréchal  de  camp  C  H  a  R  L  E        i 

lui  vint  dire  ,  qu'il  avoir  rencontré  les  avant-coureurs  des  enne-        jx  ' 
mis ,  qui  marchoient  du  côté  de   Moncontour.    Cet  avis  fut     j  ^  ^  „^ 

caufe  que  la  bataille,  que  les  deux  partis  fouhaitoient  également,  ; 

fe  donna  plutôt  qu'on  ne  croyoit.  Les  troupes  de  Languedoc,  | 

de  Provence  &  de  Dauphiné,  éloignées  de  leurs  maifons,ôC  j 
accablées  des  fatigues  continuelles  de  cette  guerre  ,  commen-* 

<;oient  en  s'en  ennuier,  &  preflbient  Coligni  de  rifquer  une  j 
bataille.  Ses  Allemands  qui  n'étoient  point  payez  murmuroient 
tout  haut,  ôcparoiffoienttrès-difpofez  à  fe  mutiner,  fi  l'on  dif- 
feroit  un  combat  qu'ils  demandoient.  Ainfi  ce  Général  ,  en 

danger  de  fe  voir  abandonné  des  François,  ou  accablé  parla  1 

révohe  des  Allemands ,  peuple  très-féditieux ,  Ôc  le  danger  étant  j 

d'autant  plus  grand  que  l'ennemi  étoit  près  de  lui,  jugea  qu'il  i 

lui  étoit  impoiïible  d'éviter  une  bataille  j  mais  ne  voulant  pas  j 

qu'on  s'apperçût  qu'il  étoit  forcé  de  la  rifquer,  il  fit  femblant  j 

de  la  chercher.  \ 

A  l'égard  du  duc  d'Anjou ,  quoiqu'il  n'eût  pas  les  mêmes  rai-  j 
fons  de  combattre ,  ôc  qn'il  en  eût  au  contraire  de  très-fortes  -•  i 
de  ne  rien  hazarder,  puifqu'il  lui  étoit  avantageux  ôc  facile  de  \ 
tirer  la  guerre  en  longueur,  fon  camp  étant  plein  de  provifidns  i 
de  bouche  qu'on  y  portoit  de  toutes  les  villes  d'alentour  ,  ôc  i 
fes  troupes  très-bien  payées  ,  cependant  il  s'ennuyoit  de  la  du-  ' 
rée  de  la  guerte,  ôc  fouhaitoit  de  la  finir  par  une  bataille,  fur- 
tout  depuis  qu'il  avoit  fçû  que  le  prince  d'Orange  étoit  allé  en  , 
Allemagne,  ôc  queSchomberg,  qui  y  étoit  arrivé  devant  lui,  \ 
y  faifoit  des  levées  pour  les  Proteftans  :  il  voyoit  bien,  que  fi  i 
ces  nouveaux  fecours  pouvoient  entrer  en  France,  ce  feroit  \ 
le  commencement  d'une  nouvelle  guerre,  qui  ne  finiroit  que  i 
par  la  ruine  des  deux  partis  :  parce  que  le  Roi  en  ce  cas  \ 
leveroit  auffi  des  troupes  étrangères,  ôc  qu'au  moyen  de  cet-  ; 
te  multitude  d'étrangers  qui  ie  trouveroient  dans  les  deux  j 
armées ,  les  Généraux  n'y  feroient  plus  les  maîtres  ,  ôc  n'auroient  ! 
pas  moins  à  craindre  de  ces  corps  auxiliaires, que  de  leurs  en-  \ 
jiemis  mêmes.  ! 

Telles  furent  les  raifons  des  Généraux  qui  fervoient  fous  le  I 

duc  d'Anjou  ,  ôc  celles  même  du  Confeil  du  Roi ,  lorfqu'il  j 

^ut  queftion  de  prendre  un  parti  fur  la  manière  de  finir  la  guerre  ;  i 

Kkkk  u) 


6iù  HISTOIRE 

mais  ce  qui  acheva  de  déterminer  à  la  bataille ,  fut  la  nouvelle 
qu'on  requt  du  côté  des  Pyrénées,  que  Montgommery ,  après 
avoir  réduit  le  Bcarn ,  &  la  partie  de  la  Guyenne  qui  s'étend 
le  long  de  ces  montagnes  y  marchoit  en  diligence  avec  fon  ar- 
mée viclorieufe ,  qu'il  devoir  encore  renforcer  en  chemin  par 
les  troupes  des  Vicomtes ,  ôc  qu'il  feroit  dans  peu  au  camp  des 
Confédérez. 

Coligni  étant  arrivé  le  30  de  Septembre  au  village  de  faint 
Clair ,  qui  n'eft  éloigné  de  Moncontour  que  de  deux  lieues , 
mit  le  lendemain  matin  fon  armée  en  bataille  dans  la  plaine 
qui  eft  au-deflbus  du  village.  Elle  étoit  compofée  de  lix  mille 
chevaux,  tant  François  qu'Allemands ,  de  huit  mille  moufque- 
taires,  ôc  quatre  mille  Allemands,  armez  dépiques  6c  de  hal- 
lebardes. Lemoufquet  étoit  rare  parmi  eux,  ôc  même  inutile. 
Toute  fon  artillerie  ne  confiftoit  qu'en  trois  gros  canons, 
trois  petits  ,  6c  deux  coulevrines  i  le  refte  de  fon  canon  étoit 
à  Luiignan ,  où  il  l'avoit  envoyé  lorfqu'illeva  le  fiége  de  Poi- 
tiers. Louis  de  Naffau  commandoit  le  corps  de  bataille  ,  en 
l'abfence  du  comte  de  la Rochefoucault  qui  étoit  malade?  Co- 
lio:ni  étoit  à  la  tête  de  tout.  Mais  l'armée  du  Roi  ne  s'étant 
point  prefentée  pour  le  combat ,  il  n'y  eut  que  des  efcarmou- 
ches  entre  les  avant-coureurs  des  deux  armées. 
Choc  entre       Coligni  trompé  par  fes  efpions ,  qui  l'aiTurerent  que  le  duc 

" d'Anjou  étoit  encore  loin  ,  marcha  vers  Moncontour,  dont  la 

Noue,  la  Loue,  6c le  capitaine  Normand s'étoient  déjà  rendus 
maîtres  i  la  Loue  avec  cinq  compagnies  d'infanterie ,  6c  Nor- 
mand avec  fes  moufquetaires.  IllaifTa  deMouy  pour  conduire 
l'arriere-garde  avec  deux  cens  chevaux ,  6c  autant  de  moufque- 
taires. Pendant  qu'ils  étoient  en  marche,  Monpenfier,  qui  com- 
mandoit l'avant-garde  de  l'armée  du  Roi ,  informé  par  fes  cou- 
reurs que  les  ennemis  feretiroient ,  doubla  le  pas  6c  détacha 
quelques  compagnies  de  cavalerie  contre  l'arriere-garde  des 
ennemis.  Mouy  ,  qui  la  commandoit  fait  volte  face,  fans  s'é- 
tonner j  puis  il  continue  de  marcher,  ayant  mis  fes  deux  cens 
moufquetaires  à  la  queue.  Les  décharges  continuelles  qu'ils  fai- 
foient ,  arrêtèrent  pendant  quelque  tems  la  cavalerie  qui  les  har- 
celoit  :  mais  enfin  elle  chargea  fi  vivement ,  qu'ils  fe  mirent 
en  déroute  après  avoir  perdu  plus  de  cent  hommes.  Mouy  ne 
fe  déconcerta  point  i  il  fit  ferme  ,  6c  foutim  avec  beaucoup 


les   deux   ar 


D  E  J.   A.   DE    THOU,Liv.   XLVl.        631 

de  vigueur  tout  l'effort  des  ennemis  î  mais  cène  fut  pas  fans 
perte.   Dodencourt  fon  lieutenant,  homme  d'une  grande  va-  Ch^rle 
leur,  &  Monterrin ,  qui  combattoità  fes  cotez,  furent  tuez.        jx. 
Albert  Pape  de  Saint  Auban  fut  prisi  mais  il  trouva  moyen     i  <  6  9. 
de  s'échapper.  Pendant  qu'on  ctoit  aux  mains ,  le  corps  de  ba- 
taille ôc  l'avant-garde  des  Proteftans  paffa  par  des  marécages 
bourbeux,  ôc  gagna  avec  quelque  defordre  l'autre  côté  du  ruif« 
feau.  Lorfqu'ils  y  furent,  l'armée  du  Roi  s'arrêta  ^  ôc  leur  don- 
na le  loifir  de  fe  reconnoître.  La  Noue  avoue  qu'elle  eut  pu 
dès  ce  moment  remporter  une  victoire  pleine  ôc  entière,  fi  elle 
i/eut  point  donné  de  relâche  aux  ennemis  qui  fe  retiroient. 

L'armée  Cathohque  s'étant  arrêtée  ,  celle  des  Proteftans  en 
fît  de  même.  Coligni ,  qui  avoit  fait  la  faute  de  fe  retirer  en  pré- 
fencedes  ennemis,  qu'il  croyoit  éloignez  fur  le  rapport  de  fes 
coureurs  ,  voulut  la  reparer  :  il  exhorta  donc  fes  troupes  au 
combat,  parla  en  particulier  à  tous  les  officiers  généraux,  ôc 
leur  fît  de  grandes  careffes.  11  conjura  les  Allemands,  qui  ve- 
iioient  de  lui  prêter  ferment,  de  ne  point  fe  décourager  :  il 
s'excufa  de  la  faute  que  l'ignorance  du  lieu  où  étoit  le  duc 
d'Anjou  lui  avoit  fait  faire  :  il  leur  dit  que  le  pafTage  duruif- 
feau  l'avoit  tout-à-fait  réparée  5  que  l'occafion  de  combattre 
qu'ils  avoient  tant  déiîrée ,  ôc  qu'ils  avoient  même  demandée 
avec  un  peu  trop  de  vivacité  ,  ne  pouVoit  jamais  être  plus  bel- 
le p  qu'il  falloir  remercier  Dieu  de  ce  que  le  Général  des  enne- 
mis venoit  de  lui-même  leur  prefenter  la  bataille. 

Après  leur  avoir  parlé  de  la  forte  avec  beaucoup  de  pre- 
fence  d'efprit  ôc  de  fermeté,  pour  leur  perfuader  encore  plus 
qu'il  ne  diffimuloit  ôc  ne  craignoit  rien  ,  il  leur  donna  un 
confeil  très-hardi ,  ôc  que  plufieurs  jugèrent  téméraire ,  mais 
qui  dans  l'état  011  étoient  les  chofes ,  fembloit  être  d'une  né- 
ceiïité  abfoluë  :  ce  fut  de  rcpaffer  le  ruiffeau ,  ôc  d'aller  atta- 
quer les  troupes  du  Roi.  Il  fe  mit  lui-même  à  la  tête  avec  fa 
troupe  ,  ôc  un  détachement  de  la  cavalerie  de  d'Acier,  ôc  paffa 
fans  ordre  ,  comme  il  arrive  dans  tous  les  défilez  :  foutenu 
des  Allemands  qui  pafferent  de  même  à  la  débandade ,  il  char- 
gea les  ennemis  avec  tant  de  vigueur ,  qu'il  mit  en  fuite  tout 
ce  qu'il  rencontra ,  prit  deux  drapeaux ,  Ôc  leur  tua  environ 
vingt-cinq  hommes  :  mais  le  gros  de  l'armée  s'étantmisen  mou- 
vement pour  le  charger ,  il  fallut  à  fon  tour  reculer ,  Ôc  fes 


auv.  .a.»  uttf.miJJi^ 


6^2  HISTOIRE 

troupes  ne  cefTerent  point  de  le  faire  ,  qu'elles  n'eufTent  rejoint 

ChaRlë  ^^^'^  i^'^^^ofS"^  ^^^  s'ébranla  pour  les  fourenir.  Il  y  en  eut  qui 

ly^^       furent  jufqu'à  Parthenai  ,  ôc  les  autres  jufqu'à  Moncontouc 

i  r  ^  g      croyant  que  tout  étoit  perdu  î  la  Serrée  Ôc  la  Rivière  y  furent 

dangereufement  bleffez ,  ôc  le  dernier  mourut  quelque  tems 

après  de  fa  blefTure. 

Les  deux  armées  commençoient  à  fe  mettre  en  bataille ,  ôc 
à  fe  difpofer  au  combat,  lorfque  Biron  ayant  placé  fon  canon 
très-avantageufement  fur  des  hauteurs,  auprès  des  gorges  qui 
étoient  au  bout  de  la  plaine,  commença  à  tirer  fur  les  enne- 
mis. Coligni  avoir  pofté  l'infanterie  Françoife  au  pié  de  la  mon- 
tagne, pour  la  mettre  à  couvert  du  canon  :  mais  l'infanterie  Al- 
lemande, n'ayant  pas  aiïez  de  terrain  pour  s'y  placer ,  étoit  ex- 
pofée  au  feu  de  cette  batterie.  Il  eft  vrai  qu'ils  l'évitoient  en 
le  jettant  ventre  à  terre  :  mais  les  ennemis  ayant  mené  du  ca- 
non dans  un  autre  endroit ,  ôc  ayant  difpofé  la  féconde  batte- 
rie, de  manière  qu'elle  croifoit  la  première,  cela  incommoda 
extrêmement  la  cavalerie  Allemande,  qui  étoit  fort  reflerrée. 
Dès  la  première  décharge ,  Charle  de  Mansfeld  frère  de  Vol- 
rad  fut  tué  avec  trois  cavaliers.  La  cavalerie  Françoife  ibufîroit 
moins ,  parce  qu'elle  occupoit  un  plus  grand  front ,  Ôc  que  les 
rangs  n'étoient  pas  ferrez  en  ce  tems  là  comme  ils  le  font  au- 
jourd'hui» Alors  Volrad,  preffépar  les  murmures  de  fes  troupes, 
pria  Coligni  de  confiderer  l'état  fâcheux  oii  il  fe  trouvoit:  ce  Gé- 
néral ,  qui  n'avoit  aucun  moyen  d'y  remédier ,  trouva  au  moins 
de  belles  paroles  pour  les  encourager»  il  loua  extrêmement  la 
fidélité  ôc  le  courage  de  Volrad  ôc  des  troupes  Allemandes: 
il  les  appella  plufieurs  fois  les  défenfeurs  uniques  de  la  liberté 
Françoife,  ôc  par  conféquent  de  la  Religion  ,ôc  les  exhorta  à  la 
conftance  ôc  à  la  fermeté.  La  nuit  qui  furvint  empêcha  l'armée 
du  Roi  de  remporter  unevidoirecomplette,  ôc  fauva  les  Con- 
fédérez  d'une  entière  défaite ,  comme  il  leur  arriva  encore  à 
la  bataille  de  faint  Denis.  Laffez  enfin  ôc  abattus  par  ce  com- 
bat lent  ôc  meurtrier,  ils  fe  retirèrent  infenfiblement ,  ôc  fans 
avoir  fait  fonner  la  retraite ,  à  une  bonne  lieuë  du  champ  de 
bataille ,  ôc  paflTerent  la  nuit  entre  deux  rivières,  dont  rune,qu'on 
appelle  la  Dire,  paiïelelong  des  murs  deMoncontour  :  le  len- 
demain ils  partirent  avant  le  ;our  pour  s'y  rendre.  Les  Protef- 
tans  perdirent,  entre  ceux  dont  j'ai  déjà  parlé,  un  capitaine 

femeux 


t)  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  Liv.  XLVI.        ^3^ 

fameux  nommé  de  Tlfle  ,  fix  vingt  hommes  de  pié  ,  &  vingt  ca-  -1 

valiers.  Les  Catholiques  n'y  perdirent  que  trente  hommes  au  pu  ^rlb 

plus.  jy 

Le  duc  d'Anjou  s'étant avancé  jufqu'à  faint  Clair,  campa  ^*  ^ 

fur  le  champ  de  bataille,  pour  marque  de  fa  vidoire,  &  ayant  ^  * 
fait  le  lendemain  des  détachemens  pour  avoir  des  nouvelles 
des  ennemis ,  il  marcha  avec  toute  fon  armée  vers  Montcon- 
tour.  Sur  ce  que  fes  efpions  l'aiïurerent  que  les  ennemis 
s'étoient  portez  dans  des  plaines  fpacieufes  ,  qui  font  de  l'autre 
côté  de  la  Dive  ,  fur  le  champ  il  réfolut  de  les  forcer  au  com- 
bat j  mais  comme  il  falloit  pafler  la  rivière  >  il  remonta  vers  la 
fource  du  côté  de  la  Grimaudiere,  afin  de  la  palier  fans  expo- 
fer  fes  troupes.  Les  chofes  étant  en  cet  état ,  deux  hommes 
de  l'armée  du  duc  d'Anjou  vinrent  demander  un  pour-parlec 
aux  Confédérez  :  après  leur  avoir  témoigné  l'intérêt  qu'ils 
prenoient  au  falut  de  leurs  concitoyens ,  ils  firent  donner  avis 
à  Coligni  d'éviter  le  combat ,  ôc  de  fe  retirer  en  lieu  fur  i  que 
l'armée  du  Roi  étoit  fi  forte ,  ôc  les  troupes  fi  remplies  d'ar^ 
deur,  qu'ils  ne  croyoient  pas  que  celles  des  Princes  fuffenten 
état  de  leur  tenir  tête.  Coligni  ayant  affemblé  le  Confeil  de 
guerre,  on  fut  long-tems  embaraffé  fur  la  réfolurion  que  l'oa 
devoir  prendre  :  les  uns  foutenoient  qu'on  ne  devoit  pas  né- 
gliger des  avis  que  l'on  recevoir  de  fes  amis,  ôc  qu'il  falloit  pré- 
férer le  parti  le  plus  fur  à  celui  qui  paroifToit  le  plus  glorieux: 
les  autres  difoient  au  contraire ,  que  c'étoit  un  ftratageme  des 
ennemis ,  dont  les  confeils  doivent  toujours  être  fufpeds.  lis 
ajoùtoient,  que  les  retraites  que  l'on  fait  la  nuit,  ont  toujours 
quelque  chofe  de  deshonojrant ,  fans  compter  qu'elles  fe  font 
rarement  fans  defordre. 

Cet  avis  l'ayant  emporté ,  Coligni  qui  étoit  intérieurement 
pour  le  premier,  n'ofa  pas  fe  déclarer,  Ôc  difpofa  tout ,  com- 
me s'il  -eut  été  de  l'avis  qui  avoit  prévalu.  Mais  il  y  avoir 
d'autres  raifons  qui  engageoient  ce  Général ,  malgré  fa  répu- 
gnance, à  prendre  ce  parti.  On  n'entendoit  autre  chofe  dans  le 
camp  que  ces  fortes  de  difcours  :  «  Jufques  à  quand  les  Prin- 
»  ces  ,  ôcles  Généraux  abuferont-ils  de  notre  patience?  Nous 
M  fommes  depuis  un  an  entier  éloignez  de  nos  maifons  , 
w  fans  qu'on  nous  ait  donné  le  prêt.  Nous  avons  paffé  l'hi- 
0»  ver  au  milieu  des  glaces  ôcdes  neiges,  fans  tentes,  ôc  expo- 
a  fez  à  unfroid  fi  exgeffif ,  que  les  deux  années ,  quoi  qu'eu 
TomeF.  ~  L|U1 


^34  HISTOIRE 

■  "  prefence  n*ont  pu  en  venir  aux  mains ,  ôc  qu'également  anî- 

Charle  "  ^^^^^  P*^^'-  s'entre-détruire ,  elles  ont  manqué  de  force  pour 

I  X.       "  ^^  faire.  Aujourd'hui  nous  n'avons  pas  moins  àfoufFrir  de  la 

i  ç  ^  n     "  chaleur  :  nous  fommes  fans  celle  occupez  ,  ou  à  faire  des  fié- 

M  gQS  y  OU  à  pafler  d'un  camp  dans  un  autre,  toujours  au  mi- 

«î  lieu  des  périls  ,  ôc  dans  un  payisoii  tout  eft  contre  nous.  On 

3'  nous  attaque,  fans  qu'il  nous  foit  poffiblc  de  combattre.  Nous 

a»  l'avons  éprouvé  ces  jours  pafTez  ,  lorfque  les  boulets  pleu- 

■•  voient  fur  nous ,  ôc  que  nous  nous  voyons  emportez  les  uns 

»  après  les  autres ,  fans  pouvoir  tirer  un  coup  contre  ceux  qui 

»>  nous  foudroyoient.  Qu'on  finifle  enfin  nos  miferes.aux  dépens 

»  même  de  notre  vie  :  il  n'y  a  point  de  péril  qui  nous  éton- 

»  ne:  qu'on  nous  mené  à  l'ennemi^  ou  qu'on  nous  dégage  de 

w  notre  ferment.    C'efl:  une  grâce  que  de  faire  périr  prompte- 

»  ment  ceux  qui  font  condamnez  à  mourir.  » 

Coligni  poufifé ,  ou  pour  mieux  dire ,  forcé  par  toutes  ces  rai-f 
fons,  fe  réfolut  au  combat ,  ôc  ayant  renvoyé  fes  bagages  la  nuit, 
il  ordonna  qu*on  fut  prêt  à  partir  avant  le  foleil  levé,  ôc  qu'on 
marchât  du  côté  d'Ervault.  Si  tout  le  monde  avoit  été  prêt  à 
l'heure  qu'il  avoit  marquée ,  il  auroit  pu  éviter  le  combat.  Mais 
outre  que  la  plupart  des  troupes  ne  furent  pas  afifez-tôt  aiïem- 
blées  ,  il  arriva  un  incident  très-facheux.  L'infanterie  Alle- 
mande déclara  ,  qu'ils  ne  marcheroient  point  qu'on  ne  leur 
eût  donné  le  prêt  :  fur  leur  exemple  une  partie  de  la  cavale- 
rie commençant  aufll  à  fe  mutiner ,  il  falut  beaucoup  de  tems 
pour  les  appaifer.  Tout  cela  fit  que  le  duc  d'Anjou  ,  malgré 
les  détours  qu'il  fut  obligé  de  prendre,  arriva  avant  que  l'ar- 
mée des  Proteftans  fût  en  fureté ,  ôc  la  força  à  courir  le  rifquc 
d'une  bataille. 

Cependant  Coligni  jugeant  par  les  murmures  continuels  de 
fes  foldats,  qu'ils  ne  cherchoient  qu'une  occafion  pour  fe  re- 
tirer j  fit  venir  de  Parthenay  les  deux  Princes ,  afin  qu  e  leur  pre- 
fence les  retînt  :  d'ailleurs  il  comptoit  qu'ils  feroient  fuivis  d'un 
grand  nombre  de  troupes  fraiches,  ôc  fur-tout  de  beaucoup  de 
NoblefTe  de  Saintonge  ôc  de  Guyenne  :  mais  il  fe  trompa.  Ils 
n'amenèrent  avec  eux  que  cent  cinquante  chevaux  ,  avec  d'A- 
cier, quirelevoitde  maladie.  Après  qu'ils  eurent  falué  les  Gé- 
néraux Allemands ,  ôc  fait  beaucoup  de  careffes  à  la  NobleiTe 
Françoife ,  leur  prefence  ranima  dans  le  cœur  des  troupes  Id 
joie  qui  paroiflbit  éteinte. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLVL      €3^ 

L'armée  étant  partie  fort  tard  de  Montcontour.comme  je  l'ai 

(dit ,  &  tirant  du  côté  d'ErvauIt ,  rencontra  dans  la  plaine  d'Af-  r;  h  ar  l  E 
fay  le  duc  d'Anjou ,  qui  après  avoir  pafTé  la  Dive ,  marchoit       j  ^ 
en  hâte  pour  les  joindre.  Il  s'étoit  détourné  fur  la  gauche ,  pour     t  ç  5  a 
ôter  aux  ennemis  le  moyen  de  gagner  le  bas  Poitou  î  ôc  après 
avoir  détaché  Allard  pour  fe  faifir  du  pofte  d'Ervault ,  il  avoir 
envoyé  ordre  à  la  garnifon  de  Thouars  de  garder  foigneufe- 
ment  les  guez  de  Thoué. 

D'un  autre  côté  Coligni  envoya  d'Aubouiniere  des  Champs 
avec  un  corps  d'élite,  pour  fe  faifir  des  défilez  marécageux  qui 
font  fur  le  chemin  d'Ervault ,  afin  qu'en  cas  de  befoin  il  pût  faire 
fa  retraite  de  ce  côté  là.  Voici  comme  il  difpofa  fon  armée. 
Louis  de  Naflau.qui  commandoit  la  bataille^avoit  ordre  de  mar-  \ 

cher  fur  la  droite,  ôc  de  s'avancer  comme  s'il  eut  voulu  aller  à 
Ervault,  ôc  il  lui  avoit  donné  trois  pièces  de  canon  Ôc  une  coule- 
vrine.  Pour  lui  il  fe  mit  à  la  première  ligne  ,  ôc  s'avança  vers  la 
gauche,par  oh  l'armée  du  duc  d'Anjou  devoir  arriver.  De  Mouy  ■ 

lefuivoitavec  deux  pièces  de  gros  canon,  deux  coulevrines ,  ôC  ■' 

quelques  pièces  de  campagne ,  ôcil  avoit  avec  lui  Puygreffier,  J 

la  Noue,  Teligny  ôc  Volrad  de  Mansfeld  général  des  troupes  ! 

Allemandes.  Mais  Mansfeld  avoit  donné  une  partie  des  trou-  ' 

pes  de  fa  nation  à  Louis  de  Naffauj  ôc  une  partie  de  fon  in- 
fanterie à  Granvillars.  \ 

Tout  étant  ainfi  difpofé,  les  Allemands  fe  profternent,  ôc     _,.,,. .         I 

i_   -r        î  r  ■       ^  V   r  i      i  •      ^o  Bataille  de 

Dallent  la  terre,  iuivant  1  ulage  de  leur  payis ,  oc  promettent  Moncoutouu 

avec  ferment  de  faire  bien  leur  devoir.  Coligni,  félon  fa  cou-  ] 
tume,rangea  fes  troupes  de  manière,  que  les  gens  de  pié  puffent 

combattre  parmi  les  cavaliers.  Les  Allemands  étoient  à  la  tête  : 
de  tout,  ôc  formoient  un  gros  bataillon  fort  ferré.  Ils  étoient 

fous  les  ordres  de  Gerolzeck  ôc  de  Granvillars  :  fur  leurs  ailes  . 

à  droite  ôc  à  gauche  on  avoit  pofté  les  regimens  de  Piles,  de  ' 
Rouvrai ,  du  jeune  Briquemaut  ôc  de  du  Chelar,  ôc  on  y  avoit 

entre-mêlé  quatre  compagnies  de  cavalerie  Françoife  ôc  Aile-  j 

mande.  La  bataille  étoit  compofée  des  regimens  deBaudiné,  '. 

de  Monbrun ,  de  Blacons,  de  Mirabel ,  ôc  de  Virieu  ,  prefquc  : 

tous  moufquetaires ,  ôc  fort  peu  de  piquiersj  on  y  avoit  mêlé  j 

de  même  quelques  pelotons  de  cavalerie  pour  les  foutenir.  Les  1 

volontaires  étoient  placez  devant  la  première  ligne  ,  de  forte;  ] 

qu'ils  couvroient  les  deux  aîles,  i 

'    LlIIij 


Charle 
IX. 


ê3^  HISTOIRE 

Le  duc  d'Anjou  avoit  gardé  le  même  ordre  de  bataille. 
Monpenfier  commandoit  la  première  ligne;  compofée  de  qua- 
tre mille  Suitres,  qu'on  avoit  mis  àl'aîle  droite  avec  huit  pièces 
de  canon,  ôc  qui  croient  commandez  par  Clery  ;  de  cinq  re- 
gimens  François  de  la  Barre  ,  de  Sarlabous,  des  deux  del'Iflej 
ôc  d'Onoux.  Martigues  qui  commandoit  la  tête  de  la  cavalerie, 
avoit  ordre  de  charger  le  premier ,  après  les  troupes  armées 
à  la  légère, qu'on  placetoûjours  devant  toute  l'armée.  Il  étoit 
fuivi  de  François  de  Bourbon  fils  du  duc  de  Monpenfier ,  & 
de  François  le  Roi  feigneur  de  Chavigny  :  il  avoit  fur  fa 
droite  le  comte  de  Santafiore  avec  fes  deux  frères  Mario  Ôc 
Paul,  le  comte  de  SafiTatello,  Scipion  Picolomini,  Charle  de 
Birague,  ôc  toute  la  cavalerie  Italienne.  Derrière  eux  étoit  Mon- 
penfier ,  ayant  auprès  de  lui  la  cavalerie  Allemande  comman- 
dée par  les  deux  Dietzen  bâtards  de  Hefi!e,  par  les  deux  frères 
Rhingraves ,  par  le  comte  de  Vefterbourg ,  Ôc  par  Gafpar  de 
Schomberg;  tout  cela  compofoit  dix-huit  compagnies.  Le  duc 
de  Guife  ôc  Jean  de  Nogaret  de  la  Valette  eurent  ordre  de 
refter  avec  les  SuifTes ,  Ôc  de  fe  tenir  prêts  à  exécuter  tout  ce 
qu'on  leur  ordonneroit.  La  première  ligne  étoit  compofée  de 
cinq  mille  cinq  cens  chevaux.  Le  duc  d'Anjou  menoit  le  corps 
de  bataille >  ôc  avoit  avec  lui  les  ducs  d'Aumale  ôc  de  Lon- 
gueville  ,  Artus  de  Coffé  maréchal  de  France  j  Gafpard  de 
Saulx  de  Tavannes,  Honoré  de  Savoye  marquis  de  Villars, 
à  qui  le  Roi  avoit  donné  la  charge  d'Amiral  depuis  la  con- 
damnation de  Coligni,  la  Fayette^  Guillaume  de  Montmorenci 
Thoré  ,  François  de  Carnavalet ,  Jean  d'Efcars  de  la  Vauguion, 
René  de  Villequiers ,  Dupuy  Vatan  ,  Vefigny  ,  Mailly  gouver- 
neur de  Montreuil  ?  avec  trois  mille  gendarmes,  ôc  deux  mille 
chevaux  Allemands ,  fçavoir  mille  commandez  par  le  marquis 
de  Bade,  ôc  mille  autres  en  cinci  compagnies  ,  qui  étoient  fous 
les  ordres  de  Pierre  Erneft  dejVlansfeld,avec  quelques  com- 
pagnies de  gens  de  pié.  Le  corps  des  SuifTes  étoit  comman- 
dé par  Louis  Fiffer ,  ôc  il  avoit  devant  lui  Charle  de  Mont- 
morenci ',qui  étoit  leur  colonel  général.  Sur  les  deux  ailes  étoient 


1  Troifiéme  fils  du  Connétable  An- 
ne de  Montmorenci.  Il  y  a  une  faute 
dans  l'hiftoire  généalogique  du  Père 
Anfelme  donnée  par  Dufourny  :  car  il 


met  qu'il  fut  fait  Colonel  général  des 
SuifTes  après  1171  ,&  le  voilà  ici  dès 
Tannée  if6p; 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  L  1  V.  XLVÎ.      <?37 

lesEfpagnolsôc  les  Flamands,  que  Philippe  II  avoir  envoyez 

au  fecours  du  Roi.  Derrière  croient  les  regimens  de  Cofleins  ,  Chak  le 
de  Goas  ,  de  Fabien  de  Montluc  ,  6c  de  Rance,  quiavoient       \y^ 
devant  eux  fept  grofTes  pièces  de  canon  :   les  volontaires  de      t  c  6  o 
cette  armée  étoient  placez  comme  ceux  de  l'autre  à  la  tête  de 
tout.  Le  pofte  du  duc  d'Anjou  étoit  entre  le  marquis  de  Bade 
ôc  les  SuifTes  ,  ôc  ceux-ci  ctoient  couverts  d'un  coté  par  la  ca- 
valerie de  Mansfeld  ,  Ôc  de  l'autre  par  le  maréchal  de  CofTé  : 
Carnavalet  eut  ordre  de fe  tenir  devantleduc  d'Anjou,  avec 
fa  compagnie  de  cinquante  gensd'armes,  tous  gentilshommes 
des  meilleures  maifons  du  Royaume  ,  ôc  Biron  avec  les  ma- 
réchaux de  camp  de  fe  tenir  derrière  lui  ôc  à  fa  droite. 

Les  deux  armées  marchant  l'une  contre  l'autre  ,  Biron  ôc 
Tavanes,  en  qui  le  duc  d'Aniou  avoir  une  grande  confiance, 
montent  fur  une  hauteur  voifine  pour  exammer  mieux  la  con- 
tenance des  ennemis.  Tavanes  l'ayant  confidérée  avec  beau- 
coup d'attention  ,  vint  retrouver  le  duc  d'Anjou  avec  un  air 
de  gayeté ,  comme  fi  la  vi£toire  eut  été  certaine  j  ôc  ayant  af- 
furé  ce  prince  que  le  fucccs  du  combat  feroit  heureux ,  non- 
feulement  il  remplit  de  joye  les  troupes ,  mais  il  leur  donna 
une  ardeur  extrême  d'en  venir  aux  mains.  Le  duc  d'Aniou 
ayant  exhorté  fes  foldats  à  marcher,  non  pas  au  combat,  mais 
à  une  vidoire  alTurée,  s'avança  dans  l'ordre  que  je  viens  de 
dire  fur  les  huit  heures  du  matin.  Auiïi-tôt  le  canon  des  enne- 
mis commença  à  tirer  j  celui  des  Catholiques  y  répondit  avec 
un  bruit  fort  fuperieur  :  mais  quoique  leurs  coups  fuffent  plus 
fréquens ,  ils  faiîbient  moins  d'effet,  parce  qu'on  tiroit  trop  bas, 
ôc  que  le  coup  du  boulet  fe  rompoit  contre  la  terre. 

Dans  ce  moment  Tavanes  ayant  confeillé  au  duc  d'Anjou 
de  faire  tourner  fes  troupes  un  peu  fur  la  gauche ,  Coligni 
qui  vit  ce  mouvement ,  fit  avancer  les  fiennes  fur  la  droite  , 
pour  fe  ménager  une  retraite  du  côté  d'Ervault.  Le  premier 
choc  fut  contre  les  volontaires  des  Confédirez,  qui  furent  tail- 
lez en  pièces  ou  diflipez.  Alors  Monpenfier  ,  par  le  confeil 
de  Coffé ,  ouvrit  fes  rangs  pour  donner  paffage  au  duc  d'Anjou 
qui  s'avançoit.  Les  Princes  en  ce  moment  exhortèrent  leurs 
troupes  à  fefouvenir,  que  c'étoit  là  le  moment  décifif  du  falut 
ou  de  la  ruine  de  leur  parti ,  ôc  que  l'un  ôc  l'autre  dépendoit  de 
la  manière  dont  ils  combattroient  j  après  quoi  ils  retournèrent 

Lliliij 


63^  HISTOIRE 

I  à  leur  polie.  Coligni,quivitque  Monpenfiervenoit le  charger 
C  H  A  R I  F  ^^^^  toutes  fes  forces ,  envoya  prier  Louis  de  Naflau ,  qui  com- 

T  y  mandoit  fous  les  Princes^dclui  envoyer  quelciues  efcadrons  Al- 
^*       lemands.  Nailaujentrainé  par  le  defir  de combattre,fit  une  gran- 

"^  de  faute  :  car  au  lieu  d'envoyer  le  fecours  que   Coligni  de- 

mandoit,  il  quitta  fon  porte  &  le  mena  lui-même.  Au(Iî-tôt 
Monpenfier  détacha  Martigues,  qui  après  un  rude  combat 
fit  plier  de  Mouy  ,  ôc  le  culbuta  fur  fon  infanterie.  Après  quoi 
Monpenfier  chargea  vigoureufement  Coligni ,  &  fut  reçu  de 
même.  Le  combat  fut  meurtrier  ôc  long  -  tems  douteux  ,  en- 
forte  que  les  Proteftans  crièrent  plufieurs  fois  vidoire.  Mais 
Coligni  ayant  été  blefle  à  la  joue,  d'un  coup  de  piftolet  qu'on 
lui  tira  de  côté,  &  ayant  envain  taché  de  cacher  fa  bleffure, 
fut  enfin  contraint  de  fe  retirer  de  la  mêlée.  Il  le  fit  le  plus 
fecretement  qu'il  put.  D'Autricourt  qui  avoit  enfoncé  la  ligne 
qui  étoit  devant  lui,  ôc  qui  dans  la  chaleur  de  l'adion  étoit 
pafle  au-delà ,  y  fut  tué.  Le  duc  d'Anjou  ,  averti  par  Tavanes 
que  l'armée  du  Roi  phoit ,  s'avança  au-delà  des  SuifTes^  ôc  fe 
jettant  au  milieu  de  la  mêlée  rétablit  le  combat.  Mais  il  cou* 
rut  grand  rifque  j  car  au  premier  choc  le  marquis  de  Bade, 
qui  étoit  à  côté  de  lui  avec  fa  cavalerie  Allemande ,  y  fut  tué. 
Vi(fîoiiede       Le  maréchal  de  Coffé  ,  qui  étoit  à  la  gauche  des  Suifles ,  ôc 

l'aniiée  du  •       >  •  r  •  j  '  " 

Roi.  ^^^  n  avoit  encore  fait  aucun  mouvement,  attendant  toujours 

le  moment  d'agir  ,  vint  fort  à  propos  le  fecourir.  Sans  ce  fe- 
cours ,  perfonne  ne  doute  que  les  Proteftans  n'eufient  rem- 
porté la  vi6loire.  Comme  ils  étoient  fatiguez ,  ôc  inférieurs  en 
nombre ,  ces  troupes  toutes  fraiches  les  repouflerent ,  ôc  les 
firent  pHer.  Biron  ôc  les  maréchaux  de  Camp  arrivant  en  mê- 
me-tems  les  mirent  en  déroute.  La  cavalerie  Allemande  dans 
fa  fuite  paffa  fur  le  ventre  à  l'infanterie  de  la  même  nation , 
qui  avoit  été  déjà  fort  maltraitée  par  les  SuifTes  de  farmée  du 
Roi ,  après  un  combat  très-obftinéî  ce  qui  arrive  toujours  en- 
tre ces  deux  Nations  ,  par  la  jaloufie  qu'elles  ont  l'une  contre 
l'autre.  Cette  cavalerie  qui  fuyoit ,  paflant  au  milieu  d'eux  ; 
comme  par  une  brèche  ,  les  fepara  ,  ôc  donna  moyen  aux 
Suiffes  de  les  attaquer  de  toutes  parts ,  ôc  d'en  faire  un  horri- 
ble carnage.  Ils  eurent  beau  jetter  leurs  armes  ôc  deman- 
der quartier  j  ils  furent  tous  maflacrez  fans  pitié.  Trois  mille 
François ,  qui  étoient  à  côté  d'eux  ,  furent  envelopez  par  \ç% 


DE  J.  a:  de  THOU,  Liv.  XLVI.      €-^o 

Sulfles ,  Ôc  par  la  cavalerie  du  Roi.  Mais  le  duc  d'Anjou  or- ^ 

donna  qu'on  leur  fit  quartier;  il  y  en  eut  cependant  environ  Charle 
mille  tuez  :  le  relie  de  l'infanterie  Françoife  s'étoit  mife  en  IX. 
fureté  par  la  fuite.  De  quatre  mille  fantaflins  Allemands ,  il  i  5  <^i?« 
n'en  relia  que  deux  cens  j  qui  furent  fauvez  par  l'humanité  de 
quelques-uns  des  vainqueurs  ,  &  que  le  Roi  renvoya  dans  leur 
payis  avec  Hedor  Reilen  leur  commandant.  Les  débris  de 
l'armée  battue  fe  retirèrent ,  les  uns  à  Parthenay  ^  les  autres  à 
Nyort  ;  il  y  en  eut  à  qui  la  peur  donna  des  ailes  ,  ôc  qui  s'en- 
fuirent jufqu'à  la  Rochelle  ôc  jufqu'à  Angoulême.  Louis  de 
Naffau  ôc  Volrad  de  Mansfeld  fe  retirèrent  en  bon  ordre  du 
côté  d'Ervault ,  ôc  arrivèrent  bien  avant  dans  la  nuit  à  Parthenay. 
Le  duc  d'Aumale,  Biron,  Thoré  ôc  les  maréchaux  de  Camp 
les  pourfuivirent  affez  long-tems,  mais  envain.  NalTau, égale- 
ment brave  ôc  habile  dans  la  guerre,  fe  retira  devant  eux,  fans 
qu'ils  pulTent  l'entamer.  Le  foldat  qui  fe  fouvenoit  encore  de 
,  ce  qui  s'étoit  palTé  à  la  Roche- Abeille ,  ôc  à  Sainte  Colombe ,  ôc 
de  ceux  qu'on  avoit  malfacrez  en  Bearn  contre  la  foi  publi- 
que, fit  un  carnage  horrible.  Sans  compter  la  perte  des  Alle- 
mands dont  j'ai  parlée  il  y  périt  deux  mille  fantaflins  François 
ôc  bien  trois  cens  cavaHers.  Il  y  eut  grand  nombre  de  chevaux 
bleffez.  Ceux  qui  veulent  compter  les  valets  ,  les  goujats  ôc 
tous  ceux  de  cette  efpece ,  qui  périrent  ce  jour-là ,  font  le  nom- 
bre des  morts  bien  plus  grand.  L'artillerie  ôc  les  bagages  des 
Allemands ,  furent  pris ,  Ôc  prefque  tous  leurs  drapeaux  :  les 
troupes  Françoifes  ayant  envoyé  leurs  bagages  à  Nyort  ôc  à 
Parthenai  avant  le  combat,  les  fauverent  par  ce  moyen.  En- 
tre les  morts  illurtrcs  ,  on  compta  Tanneguy  du  Bouchet ,  fei- 
gneur  de  Puygreffier  ancien  officier  ,  d'Autricour,  le  frère 
de  Biron  j  ôc  Saint  Bonnet  :  entre  les  prifonniers  on  compta  la 
Noue ,  qu'on  eut  bien  de  la  peine  à  arracher  des  mains  du 
foldat  furieux  :  d'Acier  ^  fut  pris  par  Santafiore,  qui  lui  ayant 
fauve  la  vie,  contre  les  ordres  exprès  qu'il  avoit  de  Pie  V.* 
encourut  la  difgrace  de  ce  Pontife  :  cependant  fa  Sainteté  ren- 
voya depuis  d'Acier  fans  rançon  ^  pour  montrer  que  cen'é- 
toit  pas  pour  de  l'argent  que  fes  troupes  faifoient  la  guerre  , 


1  Jacque  de  CrufTol ,  qui  fut  depuis 
duc  d'Ufez. 

i  Si  Santafiore  lui  avoit  obéi ,  Jac- 


que de  CrufTol  ne  fe  feroit  pas  conver- 
ti ,  ëc  n'auroit  pas  laiife  une  fi  illuitre 
poftcritc. 


^4û  HISTOIRE 

.  n^ais  feulement  pour  exterminer  les  hérétiques  :  c'eft  ce  que 
/n  rr ,  „  T  r-  ^^^  Jérôme  Catena  dans  la  vie  de  ce  Pape. 

^HARLE         T>.  ^    ^    j        r>     u    \-  -i      '  * 

I X  ^^^^         Catholiques  il  n  y  eut  que  cinq  cens   cava-^ 

,'        lierstuez?  mais  il  y  périt  des  perfonnes  d'un  grand  nom,  en- 

^  ^'  tr'autres  l'aîné  des  Rhingraves  ,  Philbert  marquis  de  Bade ,  ÔC 
Clermont  de  Dauphiné,  François  Saflatello,  Francifquin  de 
Peroufe ,  ôc  Scipion  Picolomini  lieutenant  du  comte  de  Mon- 
tacuti.  Pierre  Erneft  de  Mansfeld  fut  blefle  dangereufement 
au  bras  5  le  jeune  Rhingrave  fut  auiïi  bleffé ,  ôc  le  duc  de 
Guife  reçut  au  pie  un  coup  ;  dont  il  fut  long-tems  boiteux- 
Gafpard  de  Schomberg  ,  quoique  blelTé  à  la  cuilTe ,  paffa  la 
nuit  fur  le  champ  de  bataille  avec  fes  Allemands,  pour  mar- 
quer qu'ils  étoient  victorieux  :  Mailly  ôc  Baffompierre  furenc 
pareillement  bleffez  :  mais  ils  guérirent  tous.  Ce  fut  le  troifié^ 
me  d'0£lobre  que  cette  bataille  fe  donna. 

Le  duc  d'Anjou,  qui  étoit arrivé  à  S.  Generoux  ^  fort  avanC 
dans  la  nuit,  envoya  de  là  Albert  de  Gondi  comte  de  Retz 
porter  la  nouvelle  de  cette  victoire  au  Roi,  qui  étoit  à  Tours. 
Le  bruit  s'en  répandit  bien-tôt  par  toute  la  France  ,  Ôc  de  là 
en  Italie  :  la  joye  en  fut  univerfelle ,  ôc  on  ne  douta  prefque 
pas  que  le  parti  Proteftant  ne  fut  ruiné  fans  refTource.  Les  Gé- 
néraux de  ce  parti  qui  s'étoient  difperfez  dans  la  déroute, fe 
ralTemblerent  à  Parthenai ,  ôc  y  ayant  tenu  confeil ,  ils  envoyè- 
rent des  députez  en  Angleterre  j  enEcoffcen  Dannemarck, 
d'où  Saint  Simon  étoit  arrivé  depuis  peu  ,  ôc  chez  les  SuifTes, 
avec  ordre  de  diminuer  le  plus  qu'ils  pourroient  la  perte  qu'ils 
venoient  de  faire ,  de  remontrer  à  toutes  ces  PuifTances  l'inté- 
rêt qu'elles  avoient  à  prendre  de  leur  défenfe ,  de  leur  réprefentec 
le  péril  commun ,  ôc  de  leur  demander  un  prompt  fecours.  Le 
cardinal  de  Châtillon  ôc  le  vidame  de  Chartres  ^ ,  qui  étoient 
enAngleterre,  foUiciterent  vivement  la  reine  Ehfabeth.  Cette 
Princefle  ne  fe  contentant  pas  d'entrer  par  elle-même  dans 
leurs  intérêts,  envoya  des  ambaffadeurs  à  tous  les  Princes Pro- 
teftans  fes  alliez,  pour  les  prefler  de  fournir  des  fecours  poui* 
une  caufe  qui  leur  étoit  commune. 

Cependant  les  Généraux,  avec  ce  qui  leur  reftoit  de  trou- 
pes ,  fortirent  de  Parthenai  fur  les  trois  heures  du  mann  j  après 

I  Sur  le  Thoué  ,  8ç  fur  le  chemin  de  Montçontow  4  Tbouars. 
f,  Jean  de  Ferrierç^ 

s'être 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Liv.  XLVI.      ^41 

S^êtte  rafraîchis,  autant  que  le  peu  de  tems  qu'ils  avoient  le  ; 

put  permettre  ,  ôc  prirent  la  route  deNyort,  où  ils  arrivèrent  Charle 
le   cinquième   d'0£tobre   :  le  même  jour  Henri  de  Chum-       I X. 
pernoun  arriva  dans  leur  camp  avec  cent  Anglois  très-bien      i$6g'. 
équipez.  La  reine  de  Navarre  ôc  les  Princes  lui  firent  un  ac- 
cueil très-honorable.  Il  avoir  fur  fon  étendard  ces  mots  pour 
devife  Det  mihi  virtus  Finem\ 

Les  Princes  ayant  donné  ordre  aux  affaires  ,  autant  que  la 
conjondture  le  permettoit  :,  laifferent  à  Nyort  de  Mouy  qui  étoit  ^ 

un  excellent  officier ,  avec  une  garnifon  affez  forte  pour  arrê- 
ter quelque-tems  l'armée  vi£lorieufe,  ôc  ils  fe  retirèrent  à  S. 
Jean  d'Angely  :  ils  y  trouvèrent  Armand  de  Clermont  de 
Piles ,  qui  travailloit  fans  relâche  à  fortifier  cette  place  5  outre 
ce  qu'il  avoit  déjà  de  troupes ,  on  lui  donna  cinq  cens  mouf- 
quetaires ,  avec  la  compagnie  de  cavalerie  de  la  Motte ,  Pujols 
&  les  moufquetaires  de  la  Mure.  Doriol ,  gentilhomme  de 
Saintonge  qui  commandoit  dans  la  ville :,  remit  de  lui-même 
le  commandement  à  de  Piles  j  on  envoya  auffi  quelques  trou- 
pes à  Angoulême.  Après  ces  précautions,  les  Princes  s'en  allè- 
rent à  la  Rochelle ,  la  feule  ville  où  ils  pufîent  demeurer  en 
fureté  après  une  fi  grande  perte,  ôc  qui,  au  jugement  même  de 
la  Noue,  ne  fervit  pas  moins  pour  lors  aux  Proteftans ,  qu'Or- 
léans leur  avoit  été  utile  dans  la  dernière  guerre.  Car  outre 
la  force  de  cette  place ,  ôc  l'avantage  de  fa  fituation  ,  on  ne 
f<çauroit  exprimer  combien  la  flotte,  qu'ils  y  avoient  con- 
flruite  ôc  équipée ,  leur  procura  de  fecours  pour  fubvenir  aux 
frais  de  la  guerre. 

Le  duc  d'Anjou  pendant  ce  tems-là  ne  demeuroit  pas  dans 
i'inadlion  :  perfuadé  par  l'avis  des  officiers  généraux  de  fon 
armée  ,  qu'il  falloit  pourfuivre  vivement  les  ennemis  ,  il  mar- 
cha d'abord  à  Parthenai  ,  où  il  ne  trouva  perfonne  :  de  là 
il  s'en  alla  à  Nyort.  A  fon  arrivée  de  Mouy ,  ayant  fait  une  Dc  Mouy 
fortie  vigoureufe  avec  fa  compagnie  de  cavalerie  ,  reçut  en  eft  airailinc. 
rentrant  dans  la  place  un  coup  de  piftolet  de  Louviers  More- 
vel ,  qui  après  une  trahifon  fi  déteftable  ,  fe  fauva  dans  le  camp 
du  duc  d'Anjou,  fur  un  cheval  excellent,  que  de  Mouy  lui  avoit 
donné  quelques  jours  auparavant.  Cet  afIalTin ,  qui  s'eft  rendu 

1  Ces  mots  peuvent  fîgnifier  :  c^ejî  par  la  vçrtu  que  je  veux  arriver  à  mon  but  ; 

pu  Puiffai-je  mourir  en  brave  homme. 

Tome  V,  Mm  m  m 


d0  HISTOIRE 

.  fameux  de  notre  tems ,  avoit  été  élevé  Page  dans  îa  maifori 
r^ry  s  T.  r  T^  dcs  PriHces  Lorrains  ,  ôc  il  y  avoit  donné  des  marques  de  fon 
T-v        mauvais  naturel  :  car  le  gouverneur  des  rages  1  ayant  un  jour 
A     fait  châtier  févérement  pour  une  faute  qui  le  meritoit ,  il  le  tua 
'en  traître;,  6c  pafTa  chez  les  ennemis  un  peu  avant  le  combat 
de  Renty.  Après  la  paix  faite  avec  l'Efpagne ,  ce  deferteur 
trouva  moyen  de  s'infmuer  de  nouveau  chez  les  Guifes.  Dès 
.  xjue  le  Parlement  eut  mis  la  tête  de  Coîigny  à  prix  ^  il  s'of- 
^  frit  pour  cette  exécution  ^ôc  ayarttreçude  l'argent  d'avance; 

il  pafla  dans  le  parti  des  Princes  ;  Ôc  fe  montra  très-zelé,  pour 
leur  religion,  qui  lui  paroifToit,  difoit-il  ,plus  pure  que  i'autreJ 
Pour  s'afTurer  encore  d'avantage  leur  confiance ,  il  inventa  cent 
menfonges  ,  ôc  aflura  que  les  Guifes  lui  avoient  fait  des  injus- 
tices atroces.   Après  avoir  tenté  plufieurs  fois,  mais  toujours 
envain,  d'exécuter  ce  qu'il  avoit  promis  ,  confidérant  d'un  côté 
le  péril  auquel  il  s'expofoit ,  ôc  ne  voyant  d'ailleurs  aucune 
apparence  de  réunir,  pour  ne  pas  s'en  retourner  fans  avoir  rien 
fait,  il  lia  avec  de  Mouy  une  amitié  très-étroite ,  ôc  vécut  allés 
long-tems  avec  lui  dans  la  plus  grande  union.  Enfin  voyant 
les  armées  fi  proche ,  il  fongea  à  profiter  de  l'occafion ,  ôc  il 
exécuta  contre  Mouy ,  qui  tenoit  le  premier  rang  après  Coli- 
gni  dans  le  parti  des  Confédérez ,  ce  qu'il  n'avoit  ofé  entre- 
prendre contre  Coligni  même.   C'eft  ce  meurtre  qui  le  fit  périr 
depuis  ,  comme  il  le  meritoit  ;  mais  la  vengence  qu'on   en 
tira  fut  funefte  à  Ces  auteurs ,  comme  nous  le  verrons  dans  la 
fuite.  Mouy  ne  mourut  pas  fur  le  champ  du  coup  qu'il  reçut; 
mais  il  fe  vit  hors  d'état  d'agir:  il  quitta  Nyort  par  le  confeil 
de  fes  amis  ,  ôc  s'en  alla  d'abord  à  Saintes  ,  ôc  enfuite  à  la  Ro-^ 
chelle  ,  où  il  mourut  peu  de  tems  après, 
le  "Roi  fe      Sa  retraite  découragea  la  garnifon  de  Nyort  :  la  Brofie  ; 
!ie"Nyort,'^de  ^^^  avoit  défcudu  Cette  place  contre  le  comte  de  Lude,  s'é- 
I.ufignan,  &  tant  retiré  avec  trois  cens  moufquetaires,  les  habitans  ouvrirent 
d^mres  pia-j  j^^j.^  ^^^^^^  ^^  ^^^  d'Anjou.  Le  Roi,  la  Reine,  ôc  lecardi- 

-nal  de  Lorraine  s'y  rendirent  prefque  auffi-tôt ,  afin  d'affermik' 
parleur  prefence  la  victoire  qu'on  venoit  de  remporter.  Les 
Confédérez  perdirent  encore  dans  le  même  tems  Lufignan  ^ 
qui  étoit  la  meilleure  fortereffe  de  toute  la  Province.  Pons  de 
Mirambeau,  qui  y  commandoit,  fatigué  des  murmures  conti-- 
auels  de  fcs  foldats  ^  Ôc  ne  voyant  aucune  efperance  de  fecours> 


D  E  J,  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L !^:  XLVL       '^41 

tprcs  plufieurs  fommations  qui  lui  furent  faites  par  Lanzac  fon  - 

proche  parent ,  fe  îaifla  enfin  perfuader  ,  ôc  rendit  cette  im-  ^  ' 

portante  place ,  à  condition  que  lui  &  fa  garnifon  auroient  vie  j^  ^ 
&  bagues  fauves  :  cela  ne  lui  fit  pas  honneur  ,  &  il  en  fut  de- 
puis blâmé.  Puviaut  de  Claveau  ,  qui  n'étoit  pas  encore  bien  ^  ^^ 
guéri  de  fa  blefTure  abandonna  aullî  Fontenai ,  fentant  bien 
qu'il  n'étoit  pas  en  état  d'y  foûtenir  un  fiége ,  &  il  fe  retira  à  Ma- 
rans ,  qu'il  fe  chargea  de  défendre,  moyennant  les  fecours  qu'on 
lui  envoya.  Lornay,  qui  étoità  Châtelleraud  avec  une  com- 
pagnie de  cavalerie,  6c  avec  les  moufquetaires  du  capitaine 
Morans,  fortit  de  la  place  fur  la  fimple  fommation  d'un  Héraut 
envoyé  par  le  duc  d'Anjou.  Les  garnifons  de  Chauvigni  fur 
îa  Vienne ,  de  Rochepozai ,  de  l'Angle ,  de  Prully  ,  ôc  de 
Clairvaut ,  vinrent  le  joindre ,  ôc  prirent  leur  chemin  par  le 
Blanc  en  Berry ,  pour  s'en  aller  à  Sancerre  ôc  à  la  Charité. 
Après  la  déroute  de  Montcontour  ,  Gornay  capitaine  fort 
brave  ,  avoit  en  fe  retirant  furpris  Bourg-dieu  ' ,  place  très- 
forte  par  fafituation.  Montluc,  Panfieres  ôc  duFauxj  étoient 
dedans  avec  beaucoup  d'autres  officiers  ;  mais  ils  trouvèrent 
moyen  de  fe  fauver  des  mains  des  Proteftans.  Au  bruit  de  cette 
prife  ,  la  garnifon  de  Châteauroux  ,  qui  n'en  eft  qu'à  une  por- 
tée demoufquet,  ôc  celles  des  autres  poftes  voifins,  y  accou- 
rurent en  fi  grand  nombre ,  que  Gornay  jugea  qu'il  lui  feroit 
impoffible  de  fe  défendre  contr'eux  :  mais  il  arriva  fort  à  pro- 
pos que  Lornai  vint  le  joindre  avec  les  troupes  qu'il  avoit  dans 
Châtelleraud.  Briquemaut  y  étoit  déjà  arrivé  avant  lui  ',  celui- 
ci  qui  fortoit  d'une  grande  maladie  ,  s'étant  mis  en  marche 
avec  fa  troupe ,  fut  attaqué  par  les  payifans ,  ôc  par  d'autres 
gens  qui  s'étoient  joints  à  eux  :  ayant  perdu  fes  bagages ,  ÔC 
une  partie  de  fon  monde  ,  il  arriva  enfin  à  Bourg  -  dieu  , 
mais  ce  ne  fut  pas  fans  peine.  Y  étant  retombé  malade  ,  il 
fut  forcé  de  s'y  arrêter  quelque-tems.  Ces  garnifons  fi  voifi- 
nes  étoient  tous  les  jours  aux  mains  ,  ôc  il  y  eut  plus  de  deux 
cens  hommes  tuez  de  part  ôc  d'autre  ,  la  Fortune  fe  décla- 
rant tantôt  pour  ceux-ci  ,  tantôt  pour  ceux-là.  Enfin  Clau- 
de de  la  Châtre  Gouverneur  du  Berry  ayant  aflfemblé  les  gar»- 
nifons  des  environs  ôc  fait  venir  des  troupes  de  tous  cotez, 

1  Petite  ville  du  Berry  fur  la  rivière  d'Indre. 

M  m  m  m  ïj 


^44  HISTOIRE 

,  invertit  le  Bourg- dieu  :,  &  il  n'y  a  pas  à  douter  qu'il  ne  l'eût 
Charle  foi^cé,fans  Guerchy,  qui  fortit  de  la  Charité  avec  un  corps 
IX.        ^^  troupes  d'élite ,  pafTa ,  je  ne  fçai  fi  je  dois  dire  hardiment  ou 
I  -  ^  g      témérairement ,  dans  une  faifon  très-defavantageufe  ,  toutes  les 
rivières  qui  ctoient  fur  fa  route,  ou  à  gué  ou  à  la  nage  ,  ôc  vint 
délivrer  la  garnifon  de  Bourg-dieu  ,   qu'il  conduilit  dans  un 
lieu  ,  OLi  elle  n'avoit  rien  à  craindre.  Peu  de  tems  après  la  mes- 
intelHgence  fe  mit  entre  Bois  ôc  Guerchy  ,  &  peu  s'en  fallut 
qu'elle  ne  ruinât  les  affaires  des  Proteftans  j  du  moins  elle  re- 
tarda beaucoup  leurs  progrès. 

Il  y  avoir  long-tems  que  les  troupes  du  Dauphiné  &  du  Lan- 
guedoc demandoient  la  permifîion  de  retourner  dans  leurs  mai- 
fons.  Coligni  les  avoir  toujours  amufées  par  de  belles  paroles  , 
ôc  fous  prétexte  d'un  combatprochain,  les  avoit retenues  dans 
fon  camp.  Ennuyées  de  la  guerre  ,  après  avoir  communiqué 
leur  deflein  à  Verbelet  ^  frère  de  l'évêque  du  Puy ,  elles  s'en 
allèrent  à  Angoulême  fans  demander  congé  ;  &  y  ayant  été 
jointes  par  beaucoup  d'autres  ,  il  s'y  trouva  quatre  cens  che- 
vaux &  quelques  moufquetaires.  Monbrun,  Mirabel ,  Quinteh 
Verbelet  ôc  Pontez  s'étant  mis  à  leur  tête  ,  le  14.  d'Odobre , 
traverferent  le  Perigord  ôc  arrivèrent  deux  jours  après  à  Soûil- 
lac  ^ ,  où  ils  comptoient  paffer  la  Dordogne  à  gué  :  mais  la  ri- 
vière étant  groflie^  il  ne  fut  pas  poffible  de  le  faire.  Le  tems 
qu'ils  perdirent  à  chercher  des  bateaux,  les  empêcha  de paffeu: 
aufïî  promptement  qu'il  étoit  néceffaire  pour  leur  fureté.  Ainii 
\qs  garnifons  des  poftes  voifins  s'étant  raffemblées  à  Sarlat , 
vinrent  fondre  tout  d'un  coup  fur  les  moufquetaires  ,  dont 
plufieurs  avoient  déjà  pafle  la  rivière  ,  ôc  les  ayant  mis  en  de- 
fordre  fans  beaucoup  de  peine  ,  elles  en  dépouillèrent  une 
partie  ,  ôc  noyèrent  les  autres.  Quintel  fut  fait  prifonnier 
avec  Mormoiron  ôc  Sarrai  :  mais  ce  dernier  fut  mis  en  liberté 
peu  de  tems  après.  Ceux  qui  avoient  pafle  la  rivière  étoient 
dans  une  grande  fécurité  :  mais  le  bruit  les  ayant  reveillez,  ils 
prirent  les  armes ,  &  s'étant  mis  en  bataille ,  ils  prévinrent  le  dan- 
ger dont  ils  étoient  menacez.  Car  ayant  abandonné  leurs  com- 
pagnons ,  ôc  traverfé  le  Quercy  )  jufqu'au  château  d'Acier ,  ils 
îe  rendirent  heureufement  à  Aurillac ,  ville  d'Auvergne,  dont  la 
Beffonniere  s'étoit  depuis  peu  rendu  maître  par  furprife* 
i  Petite  ville  du  Quercy. 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Lïv.  XLVI.       6^^ 

Après  l'arrivée  du  Roi  à  Nyort ,  on  tint  confeil  fur  ce  qu'il 


y  avoit  à  faire: les  uns  prétendoient  qu'il  falloit  pourfuivre  fans  r»  r,  .  n  »  r^ 

■'..11  .       i  .    P        .  1        ^  ^   ^  ...         LiHARLE 

relâche  les  ennemis  qui  ruyoïentj  queli  on  les  pouvoir  join-  -.y 
dre ,  on  les  déferoit  fans  peine?  que  s'ils  fe  jettoient  dans  des  ,  ^-/^  q 
places  ,  on  les  y  forceroit ,  &  qu'on  les  feroit  tous  prifonniers, 
Les  autres  foûtenoient  que  ce  projet  étoit  chimérique  ;  que  les 
ennemis  avoient  jette  toute  leur  infanterie  dans  les  places  ,  ôc 
qu'à  l'égard  de  leur  cavalerie ,  comme  elle  marchoit  fans  ba- 
gage,  il  netoit  pas  pofTible  de  la  fuivre:  que  le  fruit  de  cette 
grande  victoire  devoit  être  de  s'emparer  des  places  qui  étoient 
entre  les  mains  des  ennemis ,  qu'il  y  en  avoit  déjà  beaucoup 
qui  s'étoient  rendues ,  ôc  qu'avec  un  peu  de  diligence  6c  de  vi- 
gueur on  obligeroit  les  autres  à  fuivre  leur  exemple  ;  qu'il  fal- 
loit attaquer  leur  capitale  pour  les  chafTer  tout  à  fait  de  la 
Saintongeôc  du  Poitou?  que  fi  on  lailToit  derrière  foi  les  places 
dont  ils  étoient  en  pofTelïion ,  une  feule  fuffiroit  pour  les  ren- 
dre maîtres  de  toute  la  Province.  On  fuivit  ce  dernier  avis  j  ôc 
l'on  fit  en  cela  à  peu  près  la  même  faute,  que  Coligni  fit  lorfqu'il 
alla  mettre  le  fiége  devant  Poitiers  :  car  quoique  les  fuites  n'en 
ayent  pas  été  fi  funeftes,  le  fuccès  n'en  fut  pas  plus  heureux» 
La  réfolution  fut  donc  prife  de  s'emparer  avant  toutes  chofes 
de  Saint  Jean  d'Angely. 

Pendant  ce  tems  là  les  troupes  des  Confédérez  fe  déban- 
dant de  jour  en  jour,  les  deux  Princes,  de  l'avis  de  Coligni^ 
*  réfolurent  de  lailTer  le  comte  de  la  Rochefoucault  à  la  Ro- 
chelle ,  ôc  de  fe  retirer  d'abord  en  Guyenne  ôc  de  là  en  Lan- 
guedoc ,  foit  pour  détourner  le  duc  d'Anjou  d'afiiéger  Saint 
Jean  d'Angely  ,  ne  doutant  pas  qu'il  ne  les  pourfuivît ,  foit 
pour  y  lever  une  nouvelle  armée  ,  ôc  raffermir  par  leur  pré- 
ience  les  amis  qu'ils  avoient/  dans  ces  Provinces  :  ils  en- 
voyèrent pour  cela  des  ordres  à  Montgommery  de  les  atten- 
dre à  Montauban  ,  ôc  firent  dire  aux  Vicomtes  de  raflembler 
le  plus  de  troupes  qu'ils  pourroient  ;  qu'ils  arriveroient  incef- 
famment ,  ôc  qu'il  étoit  d'une  grande  importance  qu'ils  trou- 
vaflent  à  leur  arrivée  leurs  ordres  exécutez.  Ils  partirent  donc  de 
Saintes,  avec  ce  qu'ils  avoient  de  cavalerie  Françoife  ôc  Alle- 
mande, ôc  environ  trois  mille  hommes  de  pied  conduits  par 
Rouvrai ,  ôc  arrivèrent  le  vingt-cinq  d'0£lobre  à  Argental 
fur  la  Dordogne.  La  Beflbnniere ,  qui  venoit  de  furprendre 

M  m  m  m  iij 


lïi^p. 


6^â  HISTOIRE 

. ■_!_,  Aurillac  ;  s'y  étoit  aufîî rendu,  afin  de  tenir  des  batteaux prêts 

Charle  pourpafler  les  Princes  ôcleurs  troupes:  on  employa  huit  jours 
IX.      ^  ^^  paflage. 

Ils  fommerent  Bord  ^  petite  ville  d'Auvergne  î  mais  elle  re-; 
fufli  d'ouvrir  fes  portes  ,  ôc  pour  détourner  l'orage  ,  elle  don- 
na deux  mille  écus  d'or  aux 'Princes ,  6c  le  pafTage  libre  à  leurs 
troupes.  Après  avoir  jette  ainfi  l'épouvante  en  Auvergne,  com-^ 
me  11  le  fort  de  la  guerre  eût  du  tomber  fur  cette  Province  ; 
les  Princes  traverfercnt  le  Rouergue  ôc  le  Qucrcy ,  ôc  ayant 
pafTé  le  Lot  au-deflbus  de  Cadenat ,  ils  allèrent  à  Saint  Mar^» 
tin,  à  Cauiïade  ,  ôc  de  là  à  Montauban ,  où  Montgommery, 
qui  revenoit  vi^lorieux  de  Bearn  ,  avoit  reçu  ordre  de  les  at- 
tendre avec  fes  troupes  ôc  celles  des  Vicomtes.  Monbrun  ôc 
Mirabel  étoient  déjà  arrivez  à  Aurillac,  ôc  s'étoient  logez  à 
Arpajon  pour  y  rafraîchir  leurs  troupes.  Foulques  s'y  étoit  ren- 
du par  un  autre  côté,  avec  environ  foixante  cavaliers:  de  là 
pourfuivant  fa  marche  avec  Mirabel ,  il  rencontra  la  garnifon 
de  Roûillac  ,  qui  jointe  avec  les  payifans ,  s'étoit  poftée  fur 
le  fommet  des  montagnes,  ôc  avoit  bouché  tous  les  défilez.  lî 
entreprit  de  forcer  le  paffage  :  mais  il  fut  repoulTé  ôc  contraint 
de  retourner  à  Arpajon.  A  la  fin  cependant  ayant  palî'é  le  Lot 
ôc  traverfé  le  Rouergue  ôc  les  Cevenes  ,  ils  arrivèrent  tous 
heureufement  à  Privas  ,  ôc  de  là  à  Aubenas  dans  le  Vivarez. 
Monbrun  ^  refta  malade  à  Aurillac.  Les  Princes  avoient  don- 
né le  gouvernement  de  cette  place  ôc  de  toute  la  province  à 
.Verbelet  ,  avec  ordre  d'y  faire  des  troupes  :  il  y  leva  fept 
cens  moufquetaires  ôc  trois  cens  gens-d'armes,  ôc  il  fit  payer 
de  grandes  femmes  au  payis  pour  les  frais  de  ces  levées. 

Saint-Heran  gouverneur  d'Auvergne  avoit  ramaffé  à  la  hâte 
quelques  troupes  pour  reprendre  Aurillac.  Mais  l'arrivée  des 
Princes  lui  ayant  fait  abandonner  cette  entreprife  ,  il  attaqua 
le  château  de  Saint  Sulpice  ôc  le  prit.  Saillant  qui  en  étoit 
Gouverneur  ,  étant  malade ,  y  fut  tué.  Sa  femme  qui  avoit 
un  courage  mâle,  ôc  qui  avoit,  dit-on , blelTé  Saint-Heran  à 
cette  attaque ,  fut  emmenée  par  le  vainqueur  à  Saint  Flour. 
Après  que  les  troupes  du  Roi  eurent  levé  le  fiége  de  laCharité,| 

1  Vilîe  fur  la  Dordogne,  fur  la  fron-       neve.  Cependant  fans  ces  mots  il  n'y  a 
tiere  du  Limoufin  ôc  de  l'Auvergne.  point  de  fcns.  Je  l'ai  rétabli  fur  i'edvs 

2  Cela  n'eil  pas  dans  l'édition  de  Ge-       tion  de  Drouart, 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  tïv.  XLVI      i^4> 

Sanfac  refta  dans  le  payis  pour  tenir  les  peuples  dans  le  de-  -        ] 

Voir  3  mais  dès  qu'il  eut  appris  la  vitloire  de  Montcontour,  ^  ^         i 

il  crut  qu'il  failoit  profiter  de  l'occafion  pour  faire  des  conque-  tv  ' 
tes  dans  la  Bourgogne ,  ôc  dans  le  Nivernois.  Pour  cela  il  affem-  /  , 
ble  une  nouvelle  armée  compofe'e  de  huit  compagnies  de  ca-  ^  '  '-' 
yalerie  &  de  trente-deux  enfeignes  de  gens  de  pié,  comman-  i 
dez  par  Edouard  de  FoifTy,  ôc  ayant  pris  quatre  grofles  pièces  ; 
de  canon ,  ôc  deux  coulevrines ,  il  marcha  à  Donzy  pofte  corn-  \ 
mode  pour  les  convois  ^  mais  foible.  Le  capitaine  Bois  qui  y  \ 
commandoit ,  l'abandonna  à  fon  approche ,  ôc  fe  retira  avec 
fes  foldats  à  la  Charité.  De  là  Sanfac  marcha  à  Noyers  :  la  I 
garnifon  lui  rendit  la  place ,  à  condition  d'en  fortir  vie  ôc  ba-  i 
gués  fauves.  Mais  la  plupart  des  foldats  ,  malgré  la  capitula-  ; 
tion  ,  furent  menez  à  Troye  ,  où  le  peuple  furieux  les  maf- 
facra  inhumainement.  Vezelai  ^  qui  eft  une  des  meilleures  j 
places  de  Bourgogne,  avoit  été  furpris  dès  le  commencement  ; 
de  la  guerre  par  du  Tarot  j  aidé  de  quelques  Gentilshom-  i 
mes  Proteftans  du  voifinage.  Ils  efcaladerent  la  place  au  point  i 
du  jour  j  dans  le  tems  qu'on  changeoit  les  gardes  :  c'étoit  Sara-  ! 
îzin,  capitaine  brave  ôc  adif,  qui  y  commandoit  alors  avec  une  • 
compagnie  d'infanterie.  Guerchy  ayant  appris  que  Sanfac  fe  ^^^p  ^^  î 
préparoit  à  l'attaquer  ,  y  envoya  deux  autres  compagnies  :  sa^fac!  "  ' 
fur  le  bruit  qui  courut  de  ce  liége  3  BlolTet  Ribaupierre  ôc 
Befanfeu  fe  jetterent  dans  la  place ,  la  croyant  d'une  grande  \ 
importance  pour  tenir  la  province  dans  le  devoir.  Vezelay  ! 
eft  fitué  fur  une  montagne  fort  haute  ôc  efcarpée  de  tous  ; 
cotez  ,  excepté  d'un  côté  par  oii  l'on  y  aborde  aifcment  :  i!  j 
a  d'ailleurs  de  bonnes  murailles  ôc  de  bonnes  tours.  Le  fixié-  \ 
me  d'OiStobre Sanfac  reconnut  la  place,  ôc  s'alla  enfuite  pof-  1 
terà  Acquiens  ôcà  Saint  Père  qui  font  deux  villages  fituez  au  ! 
au  pied  de  la  montagne.  Deux  jours  après  il  envoya  trois  com-  : 
pagnies  pour  invertir  la  place  du  côté  de  la  porte  de  Barlequi 
touche  à  l'églife  de  Saint  Etienne.  La  garnifon  fit  fur  eux  une  \ 
vigoureufe  Ibrtie  ,  ôc  mit  en  fuite  deux  de  ces  compagnies  »  '■ 
tandis  que  la  troifiéme  fe  tenoit  dans  les  vignes  des  envi- 
ions. Le  dix  du  mois  d'Août  il  ouvrit  la  tranchée  ôc  com-  ^ 
mença  à  battre  la  porte  de  Barle  :  au  bout  de  deux  jours  un  ^  ^ 
pan  de  la  tour  tomba.  Deux  jours  après  il  fit  tranfporter  fon  i 
canon  vis-à-vis  la  porte  du  Guichet ,  ôc  y  pofta  huit  compagnies.  ' 


-^4S  HISTOIRE 

,„_,^^_,_^,^,^,_^  Lorfqu'il  y  eut  brèche  de  ce  côté  -  là ,  il  fit  attaquet  les  deux 
~    ~~~  brèches  tout  à  la  fois ,  ôc  en  même-tems  on  planta  les  échelles 
Char  LE  ^jj  côté  des  Cordeliers  ,  afin  de  diviferles  forces  desaffiégez. 
^'       On  y  combattit  avec  beaucoup  de  valeur  de  part  &  d'autre. 
l  S  ^ 9»     Lgs  habitans ,  qui  craignoient  d'être  pillez  ,  fécondèrent  lagar- 
nifon  avec  beaucoup  de  fidélité  ôc  de  courage ,  ôc  firent  fi  bien 
leur  devoir  j  que  la  place  ne  fut  pas  emportée.  Il  y  avoir  cepen- 
dant un  traître  dans  la  ville,nommé  Albert  de  la  Chafle^qui  écri- 
voit  à  Sanfac  tout  ce  qui  s'y  pafToit,  lui  faifoit  connoître  les  en- 
droits les  plus  foibles  ôc  les  plus  aifez  à  battre ,  ôc  lui  jettoit 
{qs  lettres  par  deffus  le  mur  avec  une  fronde  :  il  avoit  enga- 
gé un  maître  d'Ecole  de  la  ville  dans  fon  complot  ;  mais  il  fu- 
rent découverts ,  ôc  punis  de  mort  l'un  Ôc  l'autre.  Il  y  eut  beau- 
coup de  monde  tué  à  cet  afTaut ,  ôc  entr'autres  Sarrazin  gou- 
verneur de  la  place. 

Sanfac  changea  encore  fon  canon  de  place ,  ôc  le  pointa 
contre  l'Eglifedes  Cordeliers. Tous  ceschangemens  donnoient 
beaucoup  d'efperance  à  la  garnifon  déjà  encouragée  par  {^qs 
premiers  fuccèsj  de  forte  que  Sanfac  ayant  tenté  un  fécond 
aflaut  inutilement ,  prit  le  parti ,  quoi  qu'à  regret ,  de  lever  le 
fiége,  après  y  avoir  perdu  trois  cens  hommes  ,  refolu  ce- 
pendant d'y  revenir.  Comme  fon  canon  n'étoit  plus  en  état 
de  fervir,  il  alla  à  Avalon  pour  en  prendre  d'autre,  ôc  vint 
une  féconde  fois  attaquer  la  place.  Mais  ayant  trouvé  la  mê- 
me refiftance  que  la  première  fois  ,  il  eut  le  même  fuc- 
chs.  Ainfi  voyant  qu'il  ne  la  pouvoit  prendre  de  force,  il  re- 
folut  de  changer  le  fiége  en  blocus ,  afin  de  la  prendre  par  fa- 
mine h  ce  qui  ne  lui  réuffit  pas  mieux  que  le  refte.  Car  Bri- 
quemaut  ôc  Guerchy  y  firent  entrer  plufieurs  convois  ,  ôc 
ayant  forcé  les  poftes  des  afiiégeans  ,  entrèrent  dans  la  pla- 
ce ,  relevèrent  le  courage  de  la  garnifon ,  ôc  la  déterminè- 
rent à  fe  défendre  jufqu'à  la  dernière  extrémité.  Depuis  le  mois 
d'Octobre  jufqu'au  1 6  de  Décembre  que  Sanfac  leva  abfolu- 
ment  le  fiége,  il  perdit  plus  de  mille  cavaliers  ,  ôc  entr'autres 
Edouard  de  Foifiy  qui  commandoit  fon  infanterie,  outre  ce 
qu'il  avoit  perdu  au  premier  fiége. 

Prefque.dans  le  même  tems ,  les  Confédérez  s'emparèrent  de 
Nîmes  par  un  ftratageme  bien  conduit.  Cette  ville  eft  capi- 
tale de  la  Gaule  Narboçpife  5  mais  outre  {qs  richeiïes ,  ôc  \qs 

ouvrages 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.XLVL        €4^ 

ouvrages  modernes  dont  on  l'a  embellie ,  il  n'y  a  point  eu  de  „ 

ville  dans  tout  l'empire  Romain,  à  la  referve  de  Rome,  qui  /-^  ^ 

puifTe  lui  être  comparée,  par  rapport  à  ks  monumens  d'une       jy 
antiquité  refpettable  :  amphiteatre  ,  palais ,  temple  de  Vefta        ^  ^  ' 
nors  de  la  ville ,  de  tous  cotez  on  ne  voit  qu  anciennes  rui- 
nes ,  ôc  que  morceaux  d'une  beauté  admirable  ,  qui  dans  l'état 
déplorable  où  ils  font,  peuvent  le  difputer   encore  aux  Palais 
modernes  de  nos  rois.  On  y  voit  cette  fameufe  fontaine  dont 
les  anciens  ont  tant  parlé ,  nommée  comme  la  ville  *  ,  &  qui     *  ^ons  Kei 
lui  fut  dans  la  circonftance  dont  il  s'agit  très-fatale.  Les  Protef-  "^'"*-^"'' 
tans ,  dont  le  payis  eft  rempli ,  y  étoient  très  maltraités  :  les 
uns  avoient  été  bannis,  les  autres  dépouillez  de  leurs  biens 
&  de  leurs  charges  par  Saint  André  gouverneur  de  la  ville  > 
vieillard  colère  jufqu'à  la  férocité ,  comme  font  ordinairement 
les  Languedociens  ,  dont  l'amour  &  la  haine  vont  toujours 
jufqu'à  l'excès.  Ces  Proteftans  brûlant  de  l'envie  de  fe  ven- 
ger, ôc  de  retourner  dans  leur  patrie,  mettoient  tout  en  œu- 
vrer confeils,  exhortations  aux  amis  qu'ils  avoient  dans  la  vil- 
le, force,  rufe,  tout  étoit  employé  pour  recouvrer  leurliberté 
ôc  leurs  biens. 

Une  grande  partie  de  ces  bannis  s'étoit  retirée  à  faint  ^  Gê- 
niez ,  qui  n'en  eft  pas  éloigné ,  &  ils  avoient  fortifié  d'un  fofle 
&  d'un  rempart  ce  pofte  ,  que  les  Catholiques  avoient  déman- 
telé. Comme  ils  y  tenoient  confeil  fur  leurs  afFaires,un  Charpen^ 
tier  de  CauvifiTon  ^  nommé  Aladaron ,  à  qui  l'on  promit  une  re- 
compenfe,dit  qu'il  fçavoit  un  moyen  de  les  rétablir  dans  leur  pa- 
trie. La  fontaine  dont  je  viens  de  parler  eft  fi  abondante,  qu'elle 
fait  moudre  quantité  de  moulins  dans  la  ville ,  ôc  au  dehors  : 
elle  pafle  entre  le  château  6c  la  porte  des  Carmes,  &  entre 
dans  la  place  par  un  canal  fermé  d'une  grille  de  fer. 

Au-deflus,  &  tout  auprès  du  château,  où  commandoit  le 
capitaine  Aftoul ,  il  y  avoit  une  guérite,  où  l'on  mettoit  une 
fentinelle ,  qui  changeoità  toutes  les  heures  de  la  nuit.  Lorf- 
qu'elle  fortoit  de  fa£tion,  elle  fonnoit  la  cloche  du  château  > 
pour  avertir  le  foldat  qui  devoit  lui  fucceder  de  venir  prendre 
ù.  place  ;  or  il  fe  paflbit  toujours  quelque  tems  avant  qu'il  ar- 
rivât. Madaron  le  remarqua,  &  ayant  communiqué  fondeflein 
à  un  de  fes  amis  ,  qui  avoit  une  petite  maifon  attenant  la 
i  Bourg  du  diocefe  d'Uzez.       l    z  Petite  yjllc  entre  Nimes  &  Montpellieit» 

Tome  /^.  JvTnnn 


^<ô  HISTOIRE 

ri  _         ■  citadelle ,  êc  fort  près  du  foiïe  de  la  ville ,  il  entreprît  de  limer 
C  H  A  R  T  F  ^^^  barreaux  de  fer.  Voici  comme  il  s'y  prit  :  lorfqu'il  defcen- 
jy        doit  dans  le  foflé,  il  mettoit  autour  de  lui  une  corde  ,  que  fon 
^*       ami,  qui  ctoit  dans  ville  ,  lui  jettoit,  ôc  qu'il  tiroir  ou  lâchoit 
^  quand  la  fentinelle  s'en  alloit  ou  arrivoit,  pour  avertir  Madaroii 

de  reprendre  ou  de  ceflfer  fon  travail.  C'étoit  le  lignai  dont  ils 
étoient  convenus  entr'eux,  &  lorfque  le  jourapprochoitil  cou- 
vroit  les  endroits  limez  de  cire  &  de  boue,  &  s'en  alloit  fans  bruit. 
Il  eut  tout  limé  en  quinze  nuits,  mais  non  pas  de  fuite  j  il  choifiA 
foit  celles  où  il  y  avoit  le  moins  de  Lune,  &  où  le  ciel  étoit  le  plus 
couvert,  &  il  eut  la  confiance  de  demeurer  pendant  tout  ce  tems 
là  dans  la  boue  jufqu'aux  genoux,  ôc  defouffrirlapluieôc  toutes 
les  injures  de  l'air.  La  faifon  de  l'automne  ,  qui  dans  ce  payis  là 
eft  ordinairement  accompagnée  de  grands  vents,  &  le  bruit  de 
l'eau  qui  couloit  entre  les  barraux ,  fervirent  à  empêcher  qu'on 
n'entendît  le  bruit  de  la  lime:  &  lorfque  les  fentinelles  l'entendi- 
rent, il  ne  leur  vint  jamais  en  penfée ,  qu'on  limât  ces  barreaux;  ils 
crurent  plutôt  que  c'étoit,  ouïe  bruit  des  eaux  qui  entraînoient 
des  cailloux ,  ou  celui  de  quelques  chiens  qui  rongeoient  des  os. 
Mais  afin  que  la  chofe  demeurât  extrêmement  fecrette,  Madaron 
n'en  parla  aux  bannis  que  le  15  de  Novembre ,  lorfque  fon  ou- 
vrage fut  entièrement  achevé. 

L'entreprife  leur  parut  très-perilleufe  ;  mais  comme  leur  fa«^ 
lut  en  dépendoit,  on  fut  d'avis  delà  tenter.  Servas,  quicom- 
niandoit  dans  ce  canton  pour  les  Princes,  en  chargea  Saint  Cg- 
me,  capitaine  hardi  &  vigilant,  ôc  lui  donna  pour  cela  trois 
cens  hommes  d'élite  ,  tant  cavaliers  que  fantarfins.  Saint  Côr 
me  partit  fans  bruit ,  ôc  pofta  fes  gens  dans  des  plans  d'oliviers; 
qui  font  autour  de  la  ville.  UnMiniftre  qu'il  avoit  mené  avec 
lui ,  y  fit  la  prière  à  l'ordinaire ,  ôc  exhorta  enfuite  tout  le  mon- 
de par  des  raifons  prefTantes  ,  ôc  prifes  des  motifs  de  la  Religion; 
à  fe  comporter  vaillamment  dans  cette  entreprife  :  mais  pen- 
dant qu'il  les  prêchoit ,  il  arriva  une  chofe  qui  penfa  décon*- 
certer  tout  ce  monde  déjà  ébranlé  par  la  grandeur  du  pé-^ 
ril  où  ils  s'expofoient.  Il  parut  tout  à  coup  une  lumière  fou-* 
daine,  qu'on  n'avoit  jamais  vue  au  mois  de  Novembre  y 
l'éclat  en  étoit  fi  vif,  Ôc  dura  fi  long-tems,  qu'ils  ne  doutèrent 
point  que  les  fentinelles  ne  les  euflent  découverts  :  d'ailleurs- 
ces  gens  timides  ôc  fuperllitieux  crurent  que  ce  phenoiiiene 


DE  J.  A.  DE  THOU^Liv.  XLVL      t^t 

fignifioit  que  Dieu  condamnoit  leur  deflein.  Saint  Côme  au 

contraire,  appuyé  du  miniftre,  les  aflura  que  c'étoit  une  marque  (]  h  a  r  L  E 
que  Dieu  fe  déclaroit  pour  eux ,  ôc  qu'il  leur  donneroitun  heu-       j  -^ 
reuxfuccès ,  puifqu'il  fembloit  guider  par  cette  lumière  les  dé-     i  r  Kg 
fenfeurs  de  fa  gloire ,  contre  les  ennemis  de  la  vérité.  C'eft  ainfi 
qu'il  faifoit  valoir  fon  parn. 

Enfin  il  defcend  dans  le  fofîe ,  ôc  ayant  arraché  fans  peine 
les  barreaux  de  fer  ,  il  entre  dans  la  ville,  avec  trente  de  ceux 
fur  la  bravoure  defquels  il  comptoitle  plus.  Il  ordonna  en  mê- 
me tems  aux  valets  ôc  aux  goujats  de  monter  à  cheval  ôc  de 
courir  au  tour  de  la  ville ,  en  faifant  grand  bruit,  pour  faire  croi- 
re aux  habirans  que  c'étoit  un  corps  confiderable  de  cavale- 
rie ,  ôc  de  fe  rendre  enfuite  à  la  porte  de  la  Couronne,  par  où 
ils  entreroient,  ôc  fe  répandroient  enfuite  dans  toutes  les  rues. 
Pourfordfier  de  plus  en  plus  l'opinion  que  ceux  de  la  ville  au- 
roient  conçue  de  leur  nombre,  on  leur  joignit  quelques  trom^ 
pertes  pour  fonner  en  differens  quartiers ,  comme  fi  la  ville 
eût  été  prife. 

Sur  ce  bruit  les  fentinelles  ,  qui  étoientau-deflus  du  canal, 
s'enfuient  dans  le  château  ,  fonnent  la  cloche ,  ôc  crient  aux 
armes.  Paffan  ,  qui  avoir  fuivi  Saint  Côme ,  avec  80  hom- 
mes ,  fe  pofta  auprès  du  château ,  pour  empêcher  la  garnifon 
d'en  fordr ,  ôc  la  bourgeoifie  d'y  entrer.  Saint  Côme  s'étant 
avancé  jufqu'aux  Carmes,  fait  main  baffe  fur  un  corps-de-gar- 
de qu'il  trouve  en  chemin  :  ce  n'étoitprefque  que  des  Prêtres, 
qui  inquiets  pour  leur  vie  faifoient  eux-mêmes  la  garde ,  afin 
oe  fe  mettre  à  couvert  de  leurs  ennemis.  De  là  il  tire  à  la  porte 
de  la  Couronne  ,  où  ayant  trouvé  un  officier ,  il  lui  met  le  poi- 
gnard fur  la  gorge ,  ôc  lui  demande  le  mot  du  guet  :  des  qu'il 
lefçut,  il  le  dit  à  fes  gens,ôc  commença  à  fe  promener  librement 
partoute  la  ville.  Ayant  briféenmême-tems  la  porte  de  la  Cou- 
ronne, il  fit  entrer  fa  cavalerie  de  goujats,  qui  remplit  en  un 
moment  toutes  les  rues,  ôc  fit  cent  fois  plus  de  bruit  que  n'en 
auroient  fait  des  gens  de  guerre.  Toute  la  garnifon ,  ôc  les  qua- 
tre compagnies  de  milice  bourgeoife,  qui  étoient  toujours  fous 
les  armes ,  en  furent  fi  effrayées ,  que  la  plupart  n'oferent  for- 
tir  de  chez  eux  ,  ôc  que  les  autres  courant  çà  ôc  là ,  tremblans, 
ôc  fans  chefs ,  furent  pris  ôc  défarmez ,  ou  par  les  bourgeois, 
qui  étoient  de  la  confpiradon ,  ou  par  les  troupes  qui  étoient 
entrées  dans  la  ville.  "  N  n  n  n  ij 


^^5  HISTOIRE 

• Saint  André  fut  très-confterné  de  cet  accident  imprévu  t'ïl 

^-  -  avoit  quelques  foldats  avec  lui ,  ôc  il  efTaya  ,  mais  en  vain ,  de 

Charle  ramafler  ceux  qui  étoient difperfez.  Enfin  voyant  qu'il nepou- 
I-^'       voit  entrer  dans  le  château,  ôc  qu'il  n'avoit  aucun  quartier  à 
^  S  ^  9'     attendre  des  Proteftans  ,  il  fauta  témérairement  du  haut  des 
murs  dans  le  fofle  j  ôc  fe  cafTa  la  cuilTe  :  ce  malheureux  vieil- 
lard y  demeura  jufqu'au  jour,  abandonné  de  tout  le  monde. 
Pîufieurs  fe  fauverent  dans  l'amphithéâtre  ,  qu'on  appelle  les 
Arènes,  ôc  en  bouchèrent  les  portes  avec  des  pierres  qu'ils  trou- 
vèrent fous  leur  main  :  mais  ils  n'y  demeurèrent  que  jufqu'au 
lendemain  matin ,  qu'on  les  lalffa  fortir  par  la  porte  faint  An» 
dré.  Aftoul ,  qui  commandoit  dans  le  château  ,  ôc  qui  avoit  fon 
logement  dans  la  ville ,  s'empara  avec  vingt-cinq  hommes  de 
la  porte  des  Dominicains ,  ôcla  défendit  avec  beaucoup  de  cou- 
rage jufqu'au  lendemain  midi ,  qu'il  fortit  de  la  ville  par  le  gui- 
chet ,  ôc  rentra  dans  le  château. 
Prife  de  la      C'efl  ainfi  que  cette  ville  fut  prife  prefque  fans  combat.  Ce- 
Tiiic  &  du     pendant  les  vainqueurs ,  ennemis  de  touttems  des  vaincus,  ôc 

château  de       *     .  ,  '  •  \  i  /         j 

Mirmes.  irritez  par  des  outrages  recens  ,  commirent  a  leur  égard  tout  ce 
que  la  férocité  ôc  la  cruauté  peuvent  infpirer  de  plus  affreux  j 
ôc  maffacrerent ,  contre  les  loix  de  la  guerre/  plus  de  cent  cin- 
quante habitans.  Saint  André  ayant  été  rapporté  chez  lui ,  ÔC 
mis  dans  fon  lit,  y  fut  tué  à  coups  de  piftolet  par  le  peuple  fu- 
rieux. L'arrivée  de  Saint  Romain  ,  que  les  Princes  envoyèrent 
pour  commander  en  chef  dans  le  Languedoc,  reprima  la  fu- 
reur de  ce  peuple  ,  qui  croiffoit  de  jour  en  jour.  Foulques  y 
vint  quelque  tems  après ,  avec  les  troupes  qu'il  avoit  fous  fes 
ordres.  Cependant  le  château  n'étoit  pas  pris.  Aftoul  le  défen- 
dit opiniâtrement  pendant  trois  mois,  avec  cinquante  hommes, 
Ôc  quelque  fecours  qu'il  reçut  du  château  de  Marguerites ,  qui 
en  eft  éloigné  de  trois  lieues.  Mais  les  mines  que  l'on  fit  ayanî 
renverfé  une  partie  delà  tour,  quoique  les  afliégeans  n'enpuf- 
fent  pas  tirer  grand  avantage,  la  garnifon,  qui  ne  voyoitau* 
cune  efperance  de  fecours ,  capitula  ôc  fe  rendit. 

Pendant  que  cela  fe  paffoit  du  côté  du  Languedoc  ,1e  duc 
d'Anjou  vint  camper  auprès  de  faint  Jean  d'Angely.  Les  Prin» 
ces  y  avoient  envoyé  un  renfort  confiderable ,  avant  qu'ils  qui- 
laffent  la  Saintonge  pour  pafTer  dans  la  haute  Guyenne  ',  mais  dès 
qu'ils  furent  éloignez ,  perfonne  ne  fe  foucia  d'exécuter  leur§ 


t 


DE  J.  A.   DE  THOU>Liv.  "KLVJ.      (?yï 

'ordres ,  foit  qu'on  defefperât  du  fuccès,  foit  pour  d'autres  rai-  n* 

fons  inconnues.  Il  n'y  eut  que  François  la  Pcrfonne  ,  qui  eut  c  h  aRL fi- 
le courage  de  fe  jetter  dans  la  place  avec  trente  foldats ,  ôc       jx. 
trente  habitans  de  quelques  endroits  voifins ,  le  même  jour     i  t  6  Qt 
que  l'armée  du  Roi  y  arriva,  c'eft- à-dire  le  i5  d'Odobre.  Bi- 
ron  y  étoit  venu  quelque  tems  auparavant  par  ordre  du  Roi, 
&  avoir  fort  exhorté  les  habitans  de  fe  rendre ,  niais  inutile- 
ment. ^ 

Saint  Jean  d'Ang^ely  eil  fitué  dans  un  lieu  bas  fur  la  rivière      Siège  de  s. 

dr>  y^  •        j  '  -  -frii  /i  Jean  d'Ange- 

e  boutonne.  Ce  qui  a  donne  ce  nom  a  cette  Ville, elt un  mo-  ly  par  Tannée 

iiaftere  d'une  antiquité  refpeclable  \  où  il  y  a  une  Eglife  dédiée  <^^  ï^°^^ 
à  faint  Jean-Baptifte.  La  Boutonne  vient  du  côté  d'Angoulê- 
me ,  6c  pafTe  par  Chizay  ôc  par  Tonnay  ,  qu'on  appelle  Ton- 
nay-fur-Boutonne  ,  pour  lediftinguer  d'un  aucre  Tonnay  qu'on 
appelle  Tonnay- Charante>  parce  qu'il  eftfur  la  Charante.  Le 
lit  de  la  Boutonne  eft  étroit ,  mais  profond  >  elle  pafTe  dans 
une  grande  partie  des  foflez  de  la  ville,  ôc  en  fépare  le  faux- 
bourg  de  fainte  Croix.  Du  refte  la  ville  eft  forte,  ôc  elle  a  de 
bonnes  murailles ,  ôc  de  bonnes  tours.  De  Piles  »  qui  y  étoit: 
venu  après  la  perte  de  Nyort ,  l'avoir  encore  fortifiée  à  la  hâte 
autant  que  la  brièveté  du  tems  le  lui  avoit  permis,ôc  il  avoir  éle- 
vé de  nouveaux  baftions  au  château,à  la  porte  d'Aunis  qu'il  avoit 
fait  murer,ôc  dans  les  autres  endroits  qu'il  jugea  les  plus  foibles.Il 
avoit  avec  lui  la  Motte  Pujols,  la  Ramiere ,  Paluel ,  appelle  com- 
munément Fravo  Serido ,  des  Eiïars,  la  Garde ,  Montault  /  ôc  la 
Perfonne.  Dès  le  premier  jour  il  fit  faire  des  forties  par  les  portes 
de  Matas  ôc  de  Nyort ,  ôc  l'on  y  combatit  vivement,  tandis  que  le 
refte  de  la  garnifon  ruinoit  les  fauxbourgs ,  Ôc  coupoit  les  ar- 
bres des  environs ,  afin  que  les  afiiégez  pufTent  découvrir  de 
loin  :  de  ce  bois  on  fit  des  fafcines  pour  foûtenir  les  rem- 
parts. Le  cinquième  jour  du  fiége, Pujols  fit  une  fortie  avec 
deux  cens  hommes  ,  attaqua  vivement  les  troupes  qui  étoient 
dans  le  fauxbourg  d'Aunis ,  ôc  leur  prit  deux  drapeaux  -,  mais 
de  fon  côté  le  capitaine  Parafol  fut  tué ,  ôc  fon  frère  fait  pri- 
fonnier. 

Le  25  d'0£lobre  le  Roi  arriva  au  camp ,  ôc  y  fut  falué  par 
la  décharge  de  toute  l'artillerie ,  ôc  par  des  cris  de  toute  l'armée. 
On  fomma  la  garnifon  de  fe  rendrez  mais  elle  le  refiafa,  fous 

.1  Jl  fut  fondé  par  Pépin  dans  le  huitième  fiecle» 

N  n  n  n  ii; 


€^4^  HISTOIRE 

.  prétexte  qu'elle  gardoit  la  place ,  au  nom  &  par  les  ordres  du 

C  H  A  R  L  E  pî^ii^ce  de  Navarre ,  qui  avoir  le  gouvernement  de  Guyenne.  Le 
IX,  lendemain  on  dreffa  une  petite  batterie  fur  une  hauteur  couver- 
15  6  Q,  ^^  ^®  vignes  ,  pour  battre  la  porte  de  Nyort  ôc  celle  d'Aunis. 
Elle  fît  une  grande  brèche  dès  le  premier  jour ,  mais  qui  fut 
prefque  entièrement  reparée  la  nuit  ;  on  fit  outre  cela  un  fofle 
au-devant  3  &  l'on  éleva  des  retranchemens  des  deux  cotez,  où 
l'on  plaça  dç^  moufquetaires  pour  faire  un  feu  continuel  fur 
ceux  qui  monteroient  à  la  brèche ,  ôc  les  obliger  de  fe  reti- 
rer. Cependant  cette  batterie  incommodoit  beaucoup  la  gar- 
nifon,  6c  Ramiere  y  fut  blefle  en  deux  endroits  d'un  éclat  de 
poutre.  Mais  malgré  fa  bleflureja  crainte  qu'il  eut  que  les  alTié- 
geans  n'emportaflent  la  place ,  s'ils  montoient  fur  le  champ 
à  l'alTaut,  l'empêcha  de  fe  faire  porter  chez  lui  :  il  aima  mieux 
différer  de  fe  faire  panfer,  que  d'abandonner  fon  poftedans  un 
tems  où  fa  prefence  y  étoit  fi  nécellaire.  Elle  ferviten  efî'et 
beaucoup  :  car  les  troupes  du  Roi  voyant  la  garnifon  fai- 
re bonie  contenance  ,  ôc  prête  à  foûtenir  l'aflaut ,  ne  jugè- 
rent point  à  propos  de  le  donner  ce  jour  là.  Mais  fi  ce  retar- 
dement fauva  les  afliégez,  il  hâta  la  mort  de  Ramiere ,  qui  fe- 
roit  peut-être  guéri  de  fa  bleflure ,  fi  elle  avoit  été  panfée  fur  le 
champ.  L'agitation  violente  de  cette  journée  ayant  caufé  une 
inflammation  dans  fa  playe  ,  il  mourut  peu  de  tems  après ,  fort 
regretté  de  ceux  de  fon  parti. 

Les  jours  fuivans  on  dreffa  des  batteries  contre  d'autres  en- 
droits j  ôc  l'on  fit  une  large  brèche  au  baftion  d'Aunis  :  les  trou- 
pes y  montèrent  à  l'inftant,  fans  attendre  l'ordre  de  leurs  chefs, 
ôc  fans  avoir  leurs  drapeaux  j  aufli  le  fuccès  yïqw  fut-il  pas  heu- 
reux i  car  après  avoir  recommencé  deux  fois  le  combat,  elles 
furent  toujours  repouffées.  D'Arial  qui  défendoit  la  brèche  y 
fut  tué,  avec  fept  foldats  j  il  y  en  eut  encore  fept  autres  tuez 
au  baftion  d'Aunis  par  des  coulevrines  qui  y  tiroient  de  côté. 
Mais  la  perte  des  afiiégeans  fut  beaucoup  plus  grande.  Les 
Proteftans  étoient  perfuadez  que  la  ville  auroit  été  emportée 
ce  jour  làj  fi  l'armée  du  Roi  avoit  fait  tous  les  efforts  qu'elle 
pouvoir  faire  :  au  moins  eft-il  vrai ,  que  de  Piles  avoit  fait  faire 
une  ouverture  à  la  muraille  de  l'autre  côté,  pour  fe  retirer  par 
là  ,  tandis  que  le  foldat  vainqueur  feroit  occupé  au  pillage  de 
|a  ville. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLVI.      ^;/ 

Biron  recommença  à  parler  d'accommodement  5  ôc  il  exhorta  ■ 

de  Piles  à  fonger  à  lui ,  ôc  à  ne  pas  pouffer  à  bout  la  patience  du  C  H  a  R  i  E 
Roi  :  il  lui  fit  dire  que  Lufignan  ôc  Nyort  étoient  pris ,  que  j^ 
Saintes  ôc  Cognac  capituloient ,  ôc  que  les  Princes  ,  fur  l'or-  ^  ^  ^* 
dre  defquels  il  rejettoit  fa  défobéiffance  >  étoient  bien  loin^ 
ôc  avoient  paffé  la  Dordogne  j  qu'il  n'avoit  point  de  fe- 
cours  à  efperer  ;  que  tout  le  payis  d'alentour  étoit  contre  lui  ; 
qu'il  devoir  donc  ménager  fa  paix ,  que  le  Roi  y  étoit  porté, 
Ôc  qu'il  ne  devoir  pas  rejetter  des  conditions  honorables  ^ 
qu'on  étoit  prêt  de  lui  accorder.  Quoique  de  Piles  craignît 
ces  pour-parlers  ,  cependant  ce  nom  de  paix  l'engagea  à  écou- 
ter les  conditions  aufquelles  on  la  lui  offriroit.  On  donna  des 
otages  de  part  ôc  d'autre.  Goutiniere  alla  dans  la  ville  de  la  part 
du  Roi ,  tandis  que  la  Perfonne  alla  pour  les  afliégez  au  quar- 
tier du  Roi  qui  étoit  aux  Landes.  Il  fut  très-bien  reçu  par  les 
Maréchaux  de  France  qui  s'y  trouvèrent  :  mais  il  leur  dit,  qu'il 
n'avoit  aucun  ordre  de  parler  de  capitulation  i  que  tout  ce  qu'on 
lui  avoit  permis  étoit  d'écouter  les  conditions  que  l'on  propo- 
feroit  3  pour  faire  une  paix  générale ,  ôc  d'en  faire  le  rapport  à  Ces 
fuperieurs.  Les  Maréchaux  répondirent ,  qu'ils  fouhaitoient  aufli 
bien  que  lui  cette  paix  générale  ;  mais  qu'ils  ne  voyoient  pas 
comment  on  pourroit  terminer  une  affaire  de  cette  conféquen- 
ce  en  l'abfence  des  Princes  ;  que  ce  que  le  Roi  vouloir  pour  le 
prefent ,  étoit  qu'on  fît  une  trêve  de  dix  jours ,  pendant  lefquels 
de  Piles  envoyeroit  quelqu'un  aux  Princes,  pour  recevoir  leurs 
ordres  ;  ôc  que  fi  pendant  ce  tems  là  il  ne  lui  venoit  point  de 
fecours,  il  rendroit  la  place  au  Roi,  à  condition  que  les  chefs 
ôc  les  foldats  fortiroient  avec  chevaux,  armes  ôc  bagages ,  pour 
aller  où  ils  voudroient ,  ôc  qu'on  laifferoit  la  liberté  de  confcien- 
ce  à  ceux  qui  refteroient  dans  la  ville. 

De  Piles  figna  ces  conditions  ,  quoiqu'à  regret  :  on  envoya 
aux  Princes  la  Perfonne  avec  Barbefieres  Chemeraud.  En  paf- 
fant  par  Angoulême,  il  rendit  compte  à  Saint Memin  de  l'état 
OLi  étoient  les  affiégez ,  ôc  le  pria  de  fe  hâter  de  les  fecourir  - 
on  fit  tout  ce  qu'on  put  pour  cela  pendant  la  durée  de  la  trê- 
ve. Fonbedouere  fut  chargé  de  conduire  le  détachement ,  ôc 
de  lui  montrer  un  gué  fur  la  rivière?  ôc  Saint-Surin  étant  part* 
d' Angoulême  avec  quarante  cavaliers ,  parut  fur  les  foffez,ÔC 
entra  dans  la  ville  par  la  porte  de  Matas, 


^$6  HISTOIRE 

Au  bmit  de  cette  conférence ,  la  garnifon  de  Saintes  aban^ 

C  HARLE  donna  la  ville,  fans  attendre  que  l'armée  vi6lorieufe  vint  l'af- 

I  X.       ficger.  Le  duc  d'Anjou  y  envoya  une  greffe  garnifon ,  &  quel- 

I  S  6 Q»     ^^^  cavalerie,  pour  inquiéter  par  des  courfes  continuelles  les 

Proteftans  ,  qui  palloient  fans  cefle  de  Saint  Jean  d'Angely  à  la 

Rochelle. 

Enfin  le  i8   de  Novembre,  jour  auquel  la  trêve expiroit, 
Biron  envoya  un  Héraut  pour  fommer  la  ville  de  fe  rendre, 
comme  on  en  étoit  convenu.  De  Piles  qui  n'avoit  figné  qu'à 
regret ,  cherchant  à  gagner  du  tems  ,  répondit  qu'il  aimoit  cent 
fois  mieux  mourir  j  que  de  fe  livrer  lui  ôc  fa  garnifon  à  fes  en- 
nemis ,  pour  être  égorgez  comme  des  bcres  ;  qu^il  f(çavoit  bien 
que  c'étoit  là   ce  qu'il  avoit  à  attendre  ,  s'il  confentoit  à  ce 
qu'on  demandoit  de  lui.  Ainfi  le  canon  recommença  à  tirer  : 
quatre  jours  après  une  nouvelle  batterie  j  que  l'on  avoit  dreffée 
ayant  jette  à  bas  la  tour  du  bourreau ,  on  monta  à  l'afTaut.  Les 
affiégez  ne  s'oublièrent  pas  en  cette  occafîon  :  ils  defcendi- 
rent  dans  le  foffé,  ôc  s'étant  couverts  avec  des  mantelets ,  ils 
tirèrent  fans  cefTe  en  flanc  fur  les  troupes  qui  montoient  à  l'af- 
Mort  de     faut.  Ce  fut  là  que  Sebaflien  de  Luxembourg  comte  de  Mar.- 
slb^de^Lii-  ^^gues  ,  allant  continuellement  de  côté  ôc  d'autre,  pourpouf- 
xembom-g.      ferles  travaux  ,  ôc  placer  des  gabions  ,  reçut  un  coup  de  mouf^ 
quet  à  la  tête  ,  dont  il  mourut  prefque  fur  le  champ.  C'étoit  un 
grand  général ,  également  iiluflre  ôc  par  fa  valeur ,  ôc  par  l'é- 
clat de  fa  naiffance.  Le  gouvernement  de  Bretagne ,  qu'il  avoit 
eu  à  la  mort  de  Jean  de  BrofTes  duc  d'Eftampes  fon  oncle  ma- 
ternel ' ,  fut  donné  à  Louis  de  Bourbon  Montpenfier. 

Dans  le  même-tems  les  afTiégez  ,  conduits  par  Pujols  êc  S. 
Surin  ,  font  une  fortie  avec  quatre-vingts  chevaux  foûtenus  de 
trois  cens  moufquetaires.  Saint  Surin  attaqua  les  gendarmes 
de  Bernard  de  Saint  Severin  duc  de  Somme  dans  le  pofle  qu'ils 
gardoient ,  ôc  les  mit  en  déroute.  Pujols  pouffa  jufqu'aux  bat- 
teries ,  ôc  fut  pendant  quelque-tems  maître  du  canon  ôc  de  la 
poudre  :  mais  comme  il  ne  s'étoit  pas  attendu  à  un  fi  grand 
fuccès  ,  il  ne  s'étoit  point  muni  de  ce  qu'il  falloit  pour  encloûee 
le  canon ,  ôc  pour  mettre  le  feu  aux  poudres.  Il  reçut  une  gran-^ 
de  bleffure  dans  cette  aâ:ion. 

I  La  mère  de  M.  de  Martigues  e'toit  Charlotte  de  Broffes  fœur  de  Jean  de 
BrofTes. 

u 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XLVI.       é<;i 

Le  duc  d'Anjou  fit  battre  après  cela  le  baftion  de  la  porte 
d'Aunis,  avec  cinq  grofles  pièces  de  canon  qu'on  plaça  fur  Charle 
le  foiïe  5  enforte  qu'on  étoit  au-defTus  de  l'ouvrage  que  l'on  bat-       I X. 
toit ,  ôc  que  l'on  voyoit  tout  ce  qui  étoit  dedans ,  &  que  les     i  r  ^  o» 
afliégez  ne  pouvoient  y  venir ,  qu'ils  ne  fuiïent  tout  à  découvert. 
iTout  le  mur  extérieur  fut  rafé  depuis  ce  baftion  jufqu'au  châ- 
teau 5  &  le  retranchement  que  l'on  avoit  fait  en  dedans  fur  des 
pieux  ôc  des  poutres,  pour  ibutenirle  mur ,  ayant  pareillement 
€té  renverfé ,  les  afTiégez  furent  dans  un  grand  effroi  ;  mais  à 
force  de  travail  ils  vinrent  à  bout  de  reparer  la  brèche  '■>  toute 
la  bourgeoifie  Ôc  les  femmes  même  y  travaillèrent  :  cependant 
îe  canon  faifant  voler  de  côté  &  d'autre  la  terre  6c  le  gravier, 
que  l'on  avoit  employé  à  cette  réparation ,  tua  beaucoup  de 
monde  aux  aiïiégez. 

Sur  le  bruit  qui  fe  répandit  qu'il  venoit  du  fecours  d'An- 
goulême ,  fous  la  conduite  de  Saint  Auban  '  ,  de  Piles  y  envoya 
Fonbedouere  qui  les  conduifit  jufqu'à  Chifay  5  mais  ayant  été 
découverts  par  les  troupes  du  Roi ,  ils  furent  obligés  de  sqvl 
retourner.  Saint-Auban  s'étant  avancé  avec  un  petit  nombre 
de  gens  jufqu'au  pont  de  Saint  Julien ,  fut  auffi  découverte  il 
eifaya  de  fe  retirer  ,  mais  il  fut  pourfuivi  fi  vivement ,  qu'il 
fut  pris.  De  forte  que  les  afliégez  n'ayant  plus  aucune  eipe- 
rance  d'être  fecourus ,  on  reprit  la  voye  de  la  négociation ,  fur 
les  inftances  de  Biron  ôc  de  Charles  de  Montmorenci  ;  ôc  en- 
fin le  deuxième  de  Décembre  la  capitulation  fut  fignée  par 
Pujols,  à  ces  conditions  :  Que  les  généraux  ôc  X^s  foldats  for- 
tiroient  avec  leurs  bagages  ,  leurs  chevaux ,  leurs  armes  ôc  leurs 
drapeaux ,  mais  pliez  ,  ôc  que  Biron  ôc  Cofleins  les  efcorte- 
roient  jufqu'à  ce  qu'ils  fuffent  en  fureté  :  Qu'ils  ne  porteroient 
les  armes  de  quatre  mois  pour  le  parti  Proteftant.  La  garni- 
fon  conduite  par  Paluel ,  furnommé  Seride  ,  fortit  le  lendemain, 
compofée  de  huit  cens  hommes  depié  ôc  d'environ  cent  che- 
vaux. A  peine  furent-  ils  dans  lefauxbourg,  qu'ils  furent  enve- 
loppez par  les  troupes  du  Roi  i  foit  que  ce  fût  l'avidité  du  bu- 
tin qui  les  portât  à  violer  ainfi  la  capitulation,  ou  qu'elles  fuf- 
fent irritées  par  la  perte  de  Martigues,  qui  venoit  de  mourir. 
On  pouiTa  ces  malheureux  dans  les  quartiers  voifins ,  ôc  on 
leur  ota  tout  ce  qu'ils  avoient,  malgré  tout  ce  que  purent  faire 

ï  II  s'appelloit  Albert  Pape  de  Saint  Auban, 

Tome  y,  Oooo 


6s^  HISTOIRE 

i„i ,  pour  l'empêcher,  Biron  j  Cofieinsj  ôc  le  duc  d'Aumale  lieu- 

Ch  AP  L  E  ^^^'^'^"^  ^^  ^"^  d'Anjou  ,  qui  étoit  à  la  porte  de  Matas,  par  ou 
jK^        ils  fortoient. 
/  Biron  les  efcorta  jufqu'à  Sieche ,  d'où  ils  allèrent  à  Saint 

Cibardeau  &  de  là  à  Angoulême  ,  toujours  accompagnés  d'un 
Héraut  ôc  d'un  trompette  du  Roi.  Ils  écrivirent  au  duc  d' Au- 
maie ,  &  à  Biron ,  pour  fe  plaindre  de  l'injuftice  qu'on  leur 
avoir  faite  contre  la  foi  du  traité  :  mais  toute  la  fatisfadion 
qu'on  leur  donna  ne  confifla  qu'en  de  vaines  promefles.  De 
Piles  crut  que  le  manquement  de  parole  des  ennemis,  le  déga- 
geoit  de  la  Tienne  :  ainfi  fans  attendre  que  les  quatre  mois 
fuffent  paffez ,  il  reprit  les  armes,  &  ayant  pafle  la  Dordogne, 
avec  une  troupe  d'élite  ,  il  alla  joindre  les  Princes  ,  malgré  tous 
les  efforts  de  Jean  d'Efcars  de  la  Vauguyon  ,  qui  le  fuivit  inu- 
tilement avec  quatre  compagnies  de  cavalerie. 

La  garnifon  perdit  environ  cent  hommes  pendant  le  cours 
du  fiége  :  les  habitans  qui  travaillèrent  jour  ôc  nuit  à  repa- 
rer les  brèches  que  le  canon  faifoit ,  en  perdirent  prefque  au- 
tant. Du  côté  des  Catholiques  il  y  refta  plus  defix  mille  hom- 
mes, ou  tuez  par  les  ennemis,  ou  emportez  par  les  maladies 
qui  régnèrent  parmi  les  troupes  durant  cet  hyver  j  enforte 
que  l'événement  fit  voir  que  le  duc  d'Anjou^  en  s'amufant  à 
alTiéger  Saint  Jean  d'Angely ,  au  lieu  de  pourfuivre  les  enne- 
mis qui  étoient  en  defordre,  avoir  fait  la  même  faute  queCo- 
ligni ,  en  s'opiniâtrant  au  fiége  de  Poitiers  :  mais  les  généraux 
Catholiques  furent  d'autant  moins  excufables ,  que  l'exemple 
tout  récent  de  Coligni  devoit  les  inftruire  ,  ôc  les  empêcher 
de  faire  une  faute ,  qu'ils  avoient  tant  blâmée  dans  ce  vieux 
Général. 

Il  mourut  à  ce  fiége  deux  hommes  célèbres  ,  aulîi  unis  par 
l'amitié  ,  qu'ils  l'étoient  par  leur  profefllon ,  ôc  qui  avoient  pref- 
que toujours  demeuré  dans  une  même  maifon,  tant  à  l'armée 
qu'à  la  Cour.  Ce  furent  Jean  Chapelain,  ôc  Honoré  Caflelan 
premiers  Médecins  du  Roi  Ôc  de  la  Reine,  riches  l'un  ôc  l'au- 
tre ,  mais  par  la  libéralité  des  Princes  qu'ils  fervoient ,  ôc  non 
par  les  gains  fordides  qui  deshonorent  la  plupart  de  ceux  qui 
exercent  cette  profeffion.  Le  plus  riche  des  deux  étoit  Cha- 
pelain :  car  outre  les  bienfaits  du  Prince  ,  il  avoit  eu  de  grands 
biens  de  fonpere.  Tous  les  troubles  de  la  Courne  l'arrachèrent 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLVI.        ^yp 

Jamais  à  fes  livres  :  il  en  avoit  un  grand  nombre,  furlefquels 
il  avoit  fait  des  notes  très-fçavantes  ôc  très-judicieures  ;  il  les  CharlB 
laifla  en  mourant  dans  fa  magnifique  Bibliothèque  ;mais  ilsfc        JX. 
font  perdus  ou  dilTipez  pendant  les  troubles  de  Paris  :  vraie     j  c  6  o, 
perte  pour  les  lettres ,  ôc  pour  la  Republique  !  Comme  ces 
deux  illuftres  amis  avoient  toujours  vécu  enfemble  ,  ils  mou- 
rurent aulTi  en  même-tems  dans  la  même  maifon  ôc  delà  même 
maladie  ,  qui  avoit  quelque  chofe  de  contagieux,  ôc  qui  mal- 
gré les  remèdes  emporta  bien  du  monde.  __«^ 

Le  Roi  entra  dans  Saint  Jean  d'Angely  avec  la  Reine  ôc  

îe  cardinal  de  Lorraine.  II  y  mit  pour  gouverneur  Goutiniere     ^  5  7  o* 

avec  huit  compagnies  d'infanterie.  Le  Roi  étant  pafTé  de  là 

dans  le  Poitou  ,  ôc  enfuite  dans  l'Anjou  ,  arriva  à  Angers  vers 

îe  commencement  de  l'année  fuivante.  Les  députez  des  Piin- 

ces ,  chargez  de  négocier  la  paix ,  y  vinrent  trouver  fa  Ma- 

jefté  ôc  en  eurent  audience. 

Pendant  le  fiége  de  Saint  Jean  d'Angely  on  fit  deux  tenta- 
tives ,  qui  ne  réûlfirent  point  j  l'une  fur  Taillebourg ,  ôc  l'autre 
fur  Blaye,  où  Segur  de  Pardaillan  commandoit.  Le  troifiéme 
de  Novembre  Sanfac  le  vint  trouver  avec  des  lettres  du  Roi. 
Segur  protefta  dans  la  réponfe  qu'il  y  fit,  que  perfonnen'é- 
toit  plus  foumis  ni  plus  fidèle  au  Roi  que  lui  ;  mais  qu'il  s'a- 
giffoit  ici  d'une  guerre  entreprife  pour  la  religion,  contre  les 
infraÊleurs  des  édits  du  Roi ,  qui  avoient  forcé  fa  Majefté  à 
prendre  les  armes  malgré  elle  :  qu'ainfi  il  la  fupplioit  de  trou- 
ver bon  qu'il  gardât  Blaye  jufqu'à  ce  qu'on  eût  pris  desme- 
fures ,  capables  d'affurer  la  paix  ôc  la  tranquillité  publique. 

Pendant  ce  tems-là  on  envoya  en  Berry ,  Sanzay  ,  avec 
quelques  efcardons ,  ôc  Goas  avec  fon  régiment ,  pour  em-  fié^^é7&  "dé- 
pêcher lescourfes  de  la  garnifon  de  la  Charité.  Montaré  gou-  fendu  par  Ma- 
verneur  du  Bourbonnois  ,  avoit  auparavant  ,  c'eft-à-dire  fur  '^'^n^D^nîcX 
la  fin  d'Oâobre  ,  inverti  le  château  de  Benegon  ,  que  tenoit  ce  château. 
Marie  de  Barbancon  veuve  de  Jean  des  Barres  Seigneur  de 
Neuvy  ôc  fœur  de  Cany ,   qu'on  avoit  impliqué  dans  l'accufa- 
tion  intentée  contre  le  prince  de  Condé ,  ôc  qui  fut  tué  à  la 
journée  de  Saint  Denis,  comme  on  la  vu  ci-deflus.  Cette  Dame 
n'avoit  dans  fon  château  que  cinquante  hommes.  Le  prétexte 
pour  l'attaquer,  fut  qu'elle  donnoit  retraite  aux  Proteftans^  qui 
pilloient  le  Bourbonnois ,  le  Berry  ôc  tous  les  lieux  d'alentour, 

O  o  o  o  i; 


^6o  HISTOIRE* 

Montaré  amena  pour  ce  fiége  deux  mille  hommes ,  Compofez; 

Ch  A  R  I  F  d^P^yi^^i'is  ,  &  L-amafifez  de  côté 6c  d'autre  ,  avec  quelques  pie- 
jy  ces  de  canon.  On  battit  la  place  pendant  quinze  jours  ,  on  en 
j  ^  '  renverfa  les  murs  Ôc  les  tours ,  &  on  eut  bien  de  la  peine  à  la 
prendre  ,  après  un  liège  qui  fut  plus  long  qu'on  ne  Tavoit  cru.' 
Marie  la  défendit  avec  un  courage  extrême  5  elle  étoit  par  tout 
prefque  toujours  à  la  tête  des  foldats  ,  qu'elle  animoit  par  fa. 
prefence  ôc  par  fes  difcours ,  ôc  Alontaré  la  vit  fouvent  dans 
cette  fonction.  Enfin  la  poudre  ayant  manqué  au  foldat ,  fans 
que  le  courage  manquât  à  cette  Héroïne,  elle  rendit  fon  châ- 
teau ,  ôc  elle  demeura  prifonniere.  Mais  le  Roi  informé  do^ 
fa  valeur  extraordinaire  la  fit  mettre  en  liberté.  Le  château  fut 
pillé  ,  ôc  Montoré  l'ayant  jugé  inutile ,  l'abandonna  ;  les  Protef-* 
tans  le  réparèrent  fur  le  champ ,  ôc  il  leur  fervit  encore  de  re- 
traite pour  faire  des  courfes  dans  le  payis. 

Ils  s  étoient  emparez  de  beaucoup  d'autres  portes  dans  le  Ber- 
ry.  Belon  y  tenoit  Ligneres  avec  quatre  vingts  moufquetaires»  , 
Renty  ,  qui  faifoit  la  fondion  de  Aliniftre  ,  gardoit  Baugy , 
qu'ils  venoient  de  réprendre  :  le  capitaine  Chartrain  étoit  à  la 
Chapelle  d'Angeron  ,  pofte  avantageux,  fur  le  chemin  d'Or- 
léans 5  ôc  le  capitaine  Bois  ôc  Baudry  étoient  avec  leurs  garni- 
rons ,  le  premier  à  Montfaucon ,  ôc  le  fécond  à  Châteauneuf.. 
Claude  de  la  Châtre  ,  gouverneur  de  la  Province  ,  entreprit, 
de  leur  enlever  tous  ces  poftes.  Dans  cette  vîië  il  fe  mit  en. 
marche  avec  les  troupes  Allemandes  qu'il  avoir ,  environ  fepr 
cens  moufquetaires  ,  ôc  quelques  efcadrons  de  cavalerie.  II 
furprit  Menetou  fur  le  Cher,  où  il  y  avoitune  compagnie  de 
cavalerie  légère  en  garnifon  ,  fous  les  ordres  de  la  Pataudiere: 
les  officiers  étoient  fortis  de  la  place  pour  quelque  expédition^, 
La  Pataudiere,  qui  ne  s'attendoit  pas  à  l'arrivée  de  la  Châtre  5 
ayant  perdu  la  meilleure  partie  de  fes  gens ,  fe  retira  avec  ce 
qui  lui  reftoit  dans  une  maifon  fortifiée,  ôc  il  s'y  défendit  avec 
tant  d'opiniâtreté,  que  la  Châtre  fut  contraint  de  s'en  aller  fans 
avoir  pu  le  forcer.  Panfieres  voyant  que  Briquemaut,  dont  il 
étoit  lieutenant ,  ôc  qui  avoir  fous  fes  ordres  un  corps  de  quinze 
cens  moufquetaires  ôc  de  dix- neuf  cornettes  de  cavalerie^ 
ne  vouloir  pas  aller  au  fecours  de  la  Pataudiere  ,  qui  étoit. 
comme  affiégé  dans  Menetou  ,  le  quitta  de  dépit ,  ôc  ayant, 
avec  lui  une  troupe  de  braves  foldats  ,  traverfa  le  Poitou  Ôc 


.ilUH-VUkASJUJ 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Lîv.  XLVî.      6^r 

i'Angoumois  ,   pour  joindre  l'armée  des  Gonfédérez  :  mais 

ayant  été  enveloppé  par  la  Noblefle  de  ces  cantons,  è<i  ayant  Char  LE 

perdu  quarante  de  fes  gens  ,  comme  il  étoit  bien  munté ,  il       t  x. 

fe  fauva  avec  fon  frère ,  &  ayant  abandonné  tout  Ton  monde,     j  ^  j  q, 

dont  une  partie  fut  tuée  ôc  l'autre  dépouillée  &  laifTée  à  la  mer- 

ci  des  payifans ,  il  s'en  alla  joindre  les  Princes  dans  le  Quercy. 

De  Menetou  la  Châtre  marcha  à  Châteauneuf,  qui  eft  aufïï 
fur  le  Cher,  Baudry  étoit  dedans  avec  foixante  honimes  :  la 
ville  fut  prife  d'emblée ,  n'étant  pas  en  état  de  défenfe.  La  gar- 
nifon  s'étant  retirée  dans  le  château  ,  on  tenta  de  s'en  rendre 
maître  par  l'efcalade;  mais  la  chofe  n'ayant  pas  réùiïi ,  on  ea 
vint  à  la  fappe  ,  ôc  l'ouvrage  avançant,  la  garnifon  fe  retira 
dans  le  vieux  Fort.  Alors  on  mit  quelques  pièces  fur  la  voûte 
de  l'Eglife  du  château,  qui  commencèrent  à  foudroyer  cet 
endroit ,  ce  qui  obligea  la  garnifon  à  fe  rendre  vie  ôc  bagues 
fauves.  Mais  la  capitulation  ne  fut  point  obfervée  i  la  plupart 
des  foldats  delà  garnifon  furent  jettez  dans  la  rivière  par  ceux 
de  la  Châtre,  qui  s'y  oppofa  vainement. 

Il  ne  réùllit  pas  de  même  à  Lignieres.  Après  plufieurs  af- 
fauts ,  où  fes  troupes  furent  vigoureufement  repouffées  ,  il  fut 
obligé  de  fe  retirer  fans  prendre  cette  ville  ,  quoiqu'on  y  man- 
quât de  vivres ,  Ôc  que  Belon  ôc  fes  (oldars  euffent  été  réduits 
pendant  quelque-tems  à  manger  de  la  chair  de  cheval.  Le 
iiége  delà  Chapelle  d'Angeron  ne  fut  pas  plus  heureux 5  Bri- 
quemaut  étant  accouru  au  fecours  le  Ht  lever.  Sur  ces  entre- 
faites Sanzay  ôc  Goas  étant  arrivez  dans  le  Berry  ,  attaquèrent 
de  nouveau  Lignieres  ôc  le  prirent  par  compolirion,  ôc  à  co- 
dition  que  la  garnifon  auroit  vie  ôc  bagues  lauves  :  ce  qui  fut 
exécuté.  De  là  ils  allèrent  attaquer  Baugy  ,  qui  fe  défendit 
d'abord  fort  bien  Mais  le  commandant  ayant  été  tué  ,  ôc  les 
affiégeans  ayant  fait  attaquer  la  place  par  plufieurs  endroits  ^ 
tout  à  la  fois  ,  elle  fut  emportée  5  tout  ce  qui  fe  trouva  fous  la 
main  du  foldat  fut  paffé  au  fil  de  l'épée ,  à  peine  fe  fauva-t-il 
fept  hommes  j  Renty  qui  en  étoit  un ,  fut  fait  piifonnier  ôc  con- 
duit à  Bourges. 

Pendant  que  tout  cela  fe  paiToit  en  Berry  ,  Guy  Dailloii     p^-Q,  ^^ 
comte  du  Lude ,  gouverneur  de  Poitiers,  s'étant  joint  avec  Mataas^ 
Puygaillard  ,  qui  s'étoit  faili  de  Fontenay  ,  abandonné  par  \cs 
Piotcflans  après  la  bataille  de  Montcontour ,  forma  le  defleind^ 

O  0  o  o  lij 


^62  HISTOIRE 

,  fe  rendre  maître  de  Marans ,  qui  eft  à  quatre  lieuës  de  la  Ro- 

C  H  ARLE  chelle.  Ce  lieu  n'eft  fort  que  par  fa  fituation  :  car  il  n'a  point 
I  X.  ^^  muraille.  Le  château  ne  peut  gueres  être  pris  fans  canon  : 
i  î  7  G  ^^  place  eft  prefque  toute  entourée  de  marais  profonds  ôcfpa- 
cieux  ,  formez  par  les  eaux  qui  fe  débordent  pendant  l'hy  ver: 
du  côté  du  Nord  elle  eft  défendue  par  un  foffé  plein  d'eau  qu'on 
appelle  le  canal  ou  le  pafTage  de  Berauld.  On  y  va  du  côté  de 
Surgere  ôc  de  Saint  Jean ,  par  une  levée  garnie  de  caillouta- 
ge.  Le  capitaine  Sauvage  ,  qui  y  commandoit  pour  les  Con- 
fédérez  dans  les  guerres  précédentes ,  avoit  fait  une  ouverture 
à  cette  chauffée  ,  ôc  y  avoit  mis  un  pont  -  levis ,  dont  il  avoit 
fortifié  les  deux  bouts  par  des  ouvrages  de  gazon.  Puviaut  les 
avoit  agrandis  6c  élevez  plus  haut.  Puygaillard  ayant  inutile- 
ment attaqué  le  pont,  fut  averti  par  les  payifans  des  environs, 
de  remplir  de  fagots ,  de  joncs  ôc  de  paille  les  trous  des  ma- 
rais ,  que  les  pluies  n'avoient  pas  encore  inondez  j  afin  que  la 
terre  étant  affermie  par  ce  moyen  ,  fes  troupes  pûffent  mar- 
cher dans  le  marais  à  pié  fec ,  tourner  autour  du  Fort,  ôc  atta- 
quer Marans  par  derrière.  Mais  les  afliégez  ayant  découvert 
fon  deffein  ,  le  rendirent  inutile.  Ils  envoyèrent  du  monde 
pour  diffiper  les  corps-de-garde  ,  qu'il  avoit  déjà  poftez  fecre- 
tement  dans  les  endroits  du  marais  les  plus  propres  à  favorifer 
l'exécution  de  fon  entreprife. 

Sanzai  fe  rendit  au  même  endroit ,  mais  d'un  autre  côté  :  il 
venoit  de  prendre  Beauvoir  fur  mer  ^  que  tenoit  René  de 
Rohan  feigneur  de  Pontivy  ,  place  forte  ,  qui  faute  d'eau  ôc 
de  vivres ,  fut  forcée  de  fe  rendre  à  des  conditions  affez  ho- 
norables ,  mais  mal  obfervées.  Peu  de  tems  après  le  comte  du 
Lude ,  accompagné  de  Charle  de  Rouhault  de  Landereau,  vint 
auiïi  fe  camper  fur  le  paffage  de  Berauld.  Puviaut  fe  voyant  in- 
vefti  de  toutes  parts ,  contre  fon  attente ,  apprit  en  même  -  tems 
qu'on  attaquoit  la  Brune ,  qui  eft  un  Fort  fur  le  chemin  de  Ma- 
rans à  la  Rochelle ,  par  oii  il  ne  croyoit  pas  qu'on  dût  venir  à  lui , 
ôc  que  Jean  de  Chambes  de  Monforeau  s'étant  emparé  de  l'ifle 
d'Elle  au-deffus  de  Marans ,  fe  préparoit  à  l'attaquer  avec  des 
bateaux  armez.  Il  fe  retire  à  Charon  avec  deux  cens  chevaux  , 
fait  dire  à  tous  fes  gens  de  fy  venir  joindre  ,  ôc  ayant  en  mê- 
me-tems  formé  le  deffein  de  brûler  Marans  avant  que  le  comte, 
i  Cette  ville  eft  près  de  l'ifle  Boyn,  aux  confins  du  Poitou  6c  de  la  Bretagne, 


D  E  J.   A.  DE   THOU,Liv.   XLVI.        66^ 

du  Lude  en  fût  maître,  il  fait  apporter  quantité  de  paille  pour 

y  mettre  le  feu  :  mais  les  troupes  du  Roi  y  étant  arrivées  plu-  ~Z 

tôt  qu'il  n'avoit  crû  ,  il  courut  beaucoup  de  rifque  ,  ôc  eut       t  v^^^ 

afles  de  peine  à  arriver  fain  ôc  fauf  à  la  Rochelle. 

Le  gouvernement  de  Marans  fut  donné  à  Hardouin  de  Vil-  ^  S  7  ^* 
liers  de  la  Rivière,  qui  avoit  beaucoup  contribué  à  le  prendre. 
On  lui  dgnna  huit  compagnies  d'infanterie  ,  outre  le  régiment 
du  Lude  ,  pour  fe  rendre  maître  de  toute  la  côte  qui  s'étend 
depuis  S.  Michel  jufqu'à  la  Rochelle  y  ôc  pour  y  faire  con- 
tinuellement des  courfes.  Les  vainqueurs  allèrent  de  là  aux  Ifies 
de  Marennes  en  SaintongC:,  ôc  au-deflusde  la  Rochelle,  avec 
trente  compagnies  de  gens  de  pié  ,  ôc  huit  compagnies  de  ca- 
valerie, afin  de  bloquer  la  Rochelle  de  tous  cotez  ,  perfua- 
dez  que  cette  ville  étant  réduite  aux  dernières  extrêmitez  ,  ou 
feroit  obligée  de  fe  rendre  ,  ou  du  moins  ne  pourroit  plus  don- 
ner aux  Confédérez  tous  les  fecours  qu'elle  leur  avoit  fournis 
jufqu'alors.  Ci  on  pouvoir  lui  ôter  le  revenu  des  marais  falans,  qui 
font  très-grands  ôc  très-bons  en  ces  quartiers-là.  Le  capitaine 
Chenet,  avec  les  débris  de  l'infanterie  Allemande,  ôc  les  pay- 
fans  qu'il  raflembla  de  tous  cotez  ,  gardoit  les  avenues  des 
Ifles  de  Marennes  :  il  les  défendit  d'abord  avec  beaucoup  de 
courage;  mais  les  Catholiques  envoyant  fans  cefTe  des  gens 
frais  pour  relever  ceux  qui  étoient  fatiguez  ,  les  Proteftans  ac- 
cablez enfin  par  le  nombre  abandonnèrent  ce  polie,  ôc  fe 
retirant  çà  ôc  là  à  travers  une  multitude  de  canaux  ,  dont 
ces  marais  font  pleins ,  après  être  tombez  cent  fois  dans  des 
trous  ôc  des  gouffres  pleins  de  boue  j  ils  arrivèrent  enfin  à 
Broùage. 

Les  troupes  du  Roi  y  étant  arrivées  prefqueauHi-tôt  qu'eux, 
ils  n'eurent  pas  le  tems  de  fe  reconnoître  ôc  de  fe  délafler  : 
dans  la  confternation  où  les  jetta  cette  nouvelle  attaque  ,  ils 
prirent  la  fuite,  les  uns  d'un  côté,  les  autres  de  l'autre.  Il  en 
périt  une  partie  dans  les  marais;  les  autres,  qui  fe  difperferent 
çà  ôc  là  fur  la  côte  ,  furent  ou  tuez  par  les  ennemis  ,  ou  en- 
gloutis par  les  flots:  les  Allemands  fur-tout,  qui  ne  connoif- 
foient  point  le  payis,  furent  aflbmmez  par  tout  comme  des  bêres. 
Chenet,  Minguetiere  ,  ôc  Maifon- neuve  ,  ayant  abandonné 
leurs  foldats ,  eurent  à  peine  le  tems  de  s'embarquer  ,  ôc  de  fe 
fauver  à  laRochelle?  enibrte  que  de  ce  grand  corps  d'Alkmand.s, 


^<^^  H  I  S  T  O  I  R  E 

qui  étoit  venu  au  fecours  des  Princes ,  à  peine  refla-t-il  trois 
Charle  cens  hommes. 

I  X.  ^^^  ^^  ^^  ^^  Tannée  les  Confédérez  firent  une  tentavie  fur 

I  c  7  o.     Bourges.  L'Efpau,  la  Rofe  capitaine  d'une   compagnie  delà 

Entrcprife   gamifou  de  Sancerre  ,  &  la  Grange  un  des  Confeillers  de 

^esConfede-  JBour^es,  mais  qui  éroit  en  fuiteàcaule  de  la  reliorion  .  promi- 

icz  lur  Bour.  i-  -ii        /  j  v     tt    /-       r.    n  i-  °       i        ii  t      • 

ges.  rent  dix  mille  ecus  d  or  a  Uriin  rallu,  lieutenant  de  Mann 

gouverneur  de  la  Tour  ,  qui  efi:  comme  la  citadelle  de  Bour- 
ges, pour  l'engager  à  leur  livrer  cette  tour  :  il  le  leur  promit, 
^  c'étoit ,  leur  diloit-il ,  à  laperfuafion  de  Guillaume  fon  frè- 
re qui  demeuroit  à  Sancerre.  Mais  il  découvrit  tout  à  Marin, 
ôc  à  la  Châtre  gouverneur  de  Berry ,  qui  lui  ordonnèrent  d'à- 
inufer  toujours  Ion  frère  de  l'efperance  de  leur  livrer  cette  for- 
terede.  Le  jour  pour  afTembler  les  Conjurez  ayant  été  fixé  au 
vingt-deux  de  Décembre,  on  leur  drefiTa  des  embûches  dans 
îa  ville  avec  des  feux  d'artifice  ,  des  pots  pleins  d'huile  bouil- 
lante ,  des  grenades,  des  lits  de  poudre  que  l'on  femaendif- 
ferens  endroits  ,  &  du  canon  que  l'ondifpofa  décote  ôc  d'au- 
tre pour  s'en  fervir  au  befoin,  La  Chckre  3  pour  ôter  tout  foup- 
çon ,  pafla  à  des  courfes  de  bagues  toute  la  journée ,  qui  précé- 
da la  nuit  où  ils  dévoient  exécuter  leur  projet  5  ôc  fur  le  foir 
il  fit  fermer  les  portes  ,  ôc  mettre  tout  le  monde  fous  les  ar-«, 
mes  fans  bruit. 

Le  fignal  ayant  été  donné  par  Urfin,  (  ce  fignal  étoit  un 
flambeau  allumé  qu'on  éleva  en  l'air  deux  fois  de  fuite)  les 
Conjurez  dans  la  crainte  d'être  découverts  ,  comme  ils  l'é- 
toient  en  effet,  s'arrêtèrent  un  moment.  Urfin  va  au-devant 
d'eux  i  les  afiure  que  tout  eft  en  bon  état ,  qu'ils  n'avoient  qu'à 
•venir  Ôc  montrer  du  courage.  AulTi  -  tôt  il  entre  le  premier 
dans  la  Tour.  D'Efpau  l'y  fuit  avec  douze  hommes ,  Renty  avec 
vingt-cinq  ,  des  Elfars  avec  cinquante  >  tous  le  boucher  d'une 
main  Ôc  l'épée  nue  de  l'autre.  Briquemaut  s'étoit  approché  de 
la  ville ,  avec  douze  cens  moufquetaires  ôc  treize  compagnies 
de  cavalerie  ,  pour  voir  ce  que  cela  deviendroit.  Dès  que  fcs 
moufquetaires  furent  defcendus  dans  le  fofié  avec  des  échel- 
les pour  pafTer  par-deiïus  les  murs  ,  ils  s'apperçurent  bien-tôt 
qu'ils  étoient  trahis ,  tant  par  les  coups  de  canon  ,  qu'on  leur 
tira  ,  que  par  le  feu  que  l'on  mit  aux  poudres ,  dont  quelques- 
pns  d'entr'eux  furent  mis  en  pièces ,  d'autres  brûlez ,  6c  d'autres 

fort 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLVI.      66^ 

fort  bleflez  :  ceux  qui  ne  le  furent  point  n'ayant  aucun  moyen  ^ 

de  fe  fauver  :,  tombèrent  entre  les  mains  de  la  garnifon.  Les  p 
officiers  de  ville  vouloient  qu'on  les  fit  mourir ,  comme  des      -r  ^ 
traîtres  ôc  des  rebelles  ,  fur-tout  ceux  qui  étoient  de  la  ville  : 
mais  la  Châtre  ne  voulut  pas  le  permettre  ,  craignant  que  par       ^ 
reprefailles  on  ne  traitât  de  même  les  Catholiques  ,  qui  tom- 
beroient  entre  les  mains  des  Proteftans.  Le  Roi  même  ordon- 
na qu'à  l'avenir  on  traitât  les  prifonniers  fuivant  les  loix  de  la 
guerre.  AinfiRenty  d'Efpau  ,  laRofe  ôc  tous  les  autres  prifon- 
niers furent  parfaitement  bien  traitez  par  la  Châtre,  ôc  mis  en 
liberté,  après  qu'on  eut  payé  leur  rançon. 

Dans  ce  même  tems  ceux  des  Proteftans,qui  s'étoient  retirez 
dans  les  places  qu'ils  avoient  fur  la  Loire,  ne  fe  tenoientpas 
en  repos  :  ils  faifoient  des  courfes  non-feulement  dans  le  Berry 
ôc  dans  la  Sologne,  mais  de  l'autre  côté  même  de  la  Loire, 
&  jufques  dans  la  BeaufTe  ôc  dans  le  Gâtinois.  Entr'autres 
un  gentilhomme  du  voifinage  ,  fort  connu ,  nommé  le  che- 
valier du  Boulay,  avec  Boutteville  ôc  quelques  autres,  ayant 
appris  qu'il  y  avoir  une  grande  foire  à  Milly  ,  formèrent  le 
deflein  de  la  piller.  Milly  eft  une  petite  ville  entre  Etampes 
&  Fontainebleau  fur  la  route  de  Lyon ,  François  de  Vendô- 
me ,  celui  qui  périt  en  prifon,  l'avoit  donnée  à  Henri  de  Mon-» 
morenci  Damville ,  il  y  avoir  neuf  ans.  Du  Boulay  ,  Boutte- 
'Ville ,  ôc  les  autres  font  quarante  lieues  pour  s'y  rendre  ,  ôc 
ayant  furpris  les  marchands ,  ils  les  dépouillent  entièrement  ôc 
s'en  retournent  chargez  de  butin  :  mais  lorfque  leurs  chevaux 
furent  fatiguez  ,  comme  ils  étoient  fuivis  de  près  ,  ils  fe  trou- 
vèrent fort  embarrallés,  ne  fçachant  où  fe  réfugier.  Ils  fefai- 
firent  d'un  endroit  appelle  Ville-Maréchal  ,  château  apparte- 
nant à  Jean  Olivier  évêque  de  Lombez  :  s'y  étant  fortifiez 
ils  y  dépoferent  leur  butin  j  ôcfans  fe  foucier  de  reicurneraux 
lieux  d'où  ils  venoient ,  ils^  ite  fongerent  plus  qu'à  faire  de  nou- 
veaux brigandages.  Sur  ces  entrefaites  François  de  Balzac 
d'Entragues ,  gouverneur  de  la  province  ,  dont  tout  le  mon- 
de imploroit  le  fecours  ,  trouv-a  fort  à  propos  P.  Erneft  de 
Mansfeld  ,  qui  s'en  retournoit  en  Flandre  avec  les  troupes  que 
Philippe  II  avoir  envoyées  au  Roi  :  il  le  pria  de  les  lui  prêtée 
pour  quelques  jours.  Mansfeld  y  ayant  confenti ,  il  afliége  ce 
château  ôc  le  bat  avec  deux  pièces  de  canon ,  qu'il  avoit  faiç 
Tome  y.  î^  P  P  P. 


■66^  HISTOIRE 

-     I,  Il       I  venir  de  Paris  :  la  brèche  étant  faite ,  du  Boulai  exhorta  Tes 
Char  LE  compagnons  à  fe  bien  défendre  ,  ôc  leur  ayant  promis  de  leur 
IX.        amener  dans  peu  du  fecours ,  il  fortit  de  bon  matin,  s'enfuir, 
I  î  7  G.     ^  ^'^^^  ^^^^  rejoindre  fes  gens.  Bouteville ,  qui  avoir  fon  fils 
avec  lui ,  fe  voyant  abandonné  ,  la  brèche  très-grande  ^  &  trop 
peu  de  monde  pour  la  défendre, capitula,  à  condition  d'avoir 
vie  ôc  bagues  fauves ,  &  fe  rendit.  Mais  les  payifans ,  outrez 
de  tous  les  maux  qu'il  leur  avoir  faits,  maffacrerent  une  gran- 
de partie  de  fes  gens.  Bouteville  ôc  fon  fils  demeurèrent  prifon- 
niers  ,  ôc  malgré  les  inftances  de  Balzac ,  qui  vouloir  qu'on  gar- 
dât la  capitulation  faite  avec  eux  ,  le  Parlement  perfuadé  qu'on 
n'étoit  pas  obligé  de  fuivre  à  leur  égard  les  loix  de  la  guerre, 
ôc  qu'on  devoir  les  traiter  comme  des  voleurs  de  grand  che- 
min ,  les  fit  comparoître ,  ôc  les  condamna  à  être  pendus  t  com- 
me traitres  ôc  brigands  publics. 

Pendant  ce  tems  là  les  Princes  ayant  d'abord  paffc  la  Dordo- 
gne ,  puis  le  Lot  à  Cadenac  ,  étoient  arrivez  à  Montauban. 
De  là  ils  allèrent  affiéger  Aiguillon  ,  fitué  au  confluent  de  la 
Garonne  ôc  du  Lot.  La  Loue  fut  détaché  avec  quelques  trou- 
pes armées  à  la  légère,  pour  invefrir  la  place.  Leberon  qui  étoit 
dedans  la  rendit  d'abord  (c'étoit  le  17  de  Novembre  )  ôc  il  fe 
retira  avec  Montlucfon  oncle  maternel  à  fainte  Marie,  au-def- 
fous  d'Agen.  L'armée  des  Confédérez  y  arriva  le  lendemain, 
&  y  demeura  jufqu'au  to  de  Décembre,  que  le  corps  qui  for- 
moit  l'avant-garde  fe  retira,  pour  faire  place  aux  deux  Princes, 
qui  étoient  fur  le  point  d'arriver.  On  jugea  à  propos  d'y  faire 
un  pont  de  batteaux  :  on  enfonça  pour  cela  dans  la  rivière  14 
groiTes  poutres  garnies  de  fer,  ôc  par  deffus  en  travers  on  en 
pofa  d'autres  d'une  groffeur  médiocres  on  fit  enfuite  un  plan- 
cher deffus  avec  des  ais  bien  joints ,  ôc  on  le  couvrit  de  fu- 
mier, afin  que  les  chevaux  puffent  s'y  foutenir.  Pour  l'affer- 
mir ,  on  fit  venir  d'Aiguillon  d^  gros  cables  ôc  des  chaînes  de 
fer,  qui paffoient  d'un  côré  de  la  rivière  à  l'autre  :  il  y  avoir 
à  chaque  bout  du  pont  un  efpece  de  pont-levis  foutenu  fur  des 
roues, ôc  qui  s'abaiffoit,  afin  qu'on  put  y  entrer  ôc  en  fortir 
aifément.  Le  deffein  de  Coligni ,  en  faifant  faire  ce  pont  par 
la  Loue,  étoit  d'ypaffer  la  Garonne,  ôc  de  s'emparer  de  rout 
le  payis  qui  eft  au-delà  jufqu'à  Bazasôc  Langon  ,  ce  qui  étoit 
aifé ,  parce  qu'il  n'y  avoir  point  de  place  forte.    Cependant 


DE  J.  A.  DE  THOU>  Lïv.  XLV.        C.6-J 

Montgommery  s'étant  rendu  maître  de  tout  le  Bearn  ,  ôc  enfuite  it 

d'Eufe  "-y  qui  fe  trouva  fur  fa  route,  ôc  ayant  taillé  en  pièces  les  Char  le 
capitaines  Harbens  &  Arnay  ,  fe  rendit  à  Condom  ,  oià  il  de-         y^ 
meura  plus  d'un  mois  à  ne  rien  faire  ,  foit  que  fes  fuccès  Feuf-     ^  ^  _  ^_ 
fent  rendu  négligent ,  foit  qu'il  attendit  que  le  pont  de  la  Ga- 
ronne fut  achevé.  Quoiqu'il  en  foit ,  Montluc  prétend  qu'il  fit 
une  grande  faute.  Pendant  que  tout  le  monde  étoit  dans  TeiTroi, 
queDamvilleétoit  arrêté  à  Mazeres^,  ôc  que  Montluc  n'avoit 
aucune  forces  à  lui  oppofer ,  il   eft  indubitable  qu'il  pouvoir 
fe  rendre  maître  de  tout  le  payis. 

Le  pont  étant  achevé ,  Damville  entreprit  de  le  ruiner.  Dans 
cette  vûë  il  envoya  de  Touloufe  Paget  avec  deux  barques  ar- 
mées j  mais  fon  projet  ne  réulTit  point.  Montluc,  rival  de  la  gloi- 
re de  Damville ,  forma  le  même  deflein  ^  ôc  en  vint  à  bout  avec 
plus  de  bonheur  que  d'habileté,  par  le  moyen  d'un  Architede 
fans  nom.  Cet  homme  prétendoit  que  fi  l'on  détachoit  un  de 
ces  moulins,  qui  font  en  grand  nombre  fur  le  Lot,  &  fur  les 
autres  rivières  ,  ôc  qu'on  le  laifsât  aller  au  courant  de  l'eau  ,  qui 
eft  toujours  très-rapide,  mais  qui  l'étoit  beaucoup  plus  alors, 
parce  que  la  rivière  étoit  très-groHe  ,  ôc  débordée,  il  préten- 
doit ,  dis-je ,  que  la  violence  avec  laquelle  ce  moulin  tombe- 
roit  fur  le  pont,  le  romproit infailliblement.  Un  Ingénieur  ha- 
bile ,  nommé  Thodias,  penfoit  de  même  j  mais  aiin  de  rendre 
le  coup  du  moulin  encore  plus  violent ,  il  confeilla  de  le  char- 
ger de  grofies  pierres.  Montluc  fe  moqua  d'abord  de  ce  pro- 
jet ,  ôc  le  regarda ,  comme  une  chimère  5  il  confentit  néanmoins 
de  l'eflayer^  ôc  il  s'en  trouva  bien  :  car  le  moulin  étant  tombé 
la  nuit  fur  le  pont ,  non-feulement  brifa  les  cable ,  ôc  les  chaî- 
nes qui  le  tenoient ,  mais  emporta  même  les  batteaux  qui  le 
portoient ,  jufqu'à  faint  Macaire  ,  ôc  jufqu'à  Bordeaux.  Cet  ac- 
cident déconcerta  les  defTeins  de  Cohgni:  on  eut  bien  de  la 
peine  à  faire  pafler  fur  des  batteaux  ,  que  l'on  attacha  enfem- 
ble,  les  troupes  de  Montgommery  ',  ôc  la  partie  de  celles  des 


1  Bourg  du  comté  d'Armagnac  fur 
la  Gelife,  qui  fc  jette  dans  la  Garonne 
près  d'Aiguillon. 

2  Petite  ville  du  comte'  de  Foix  fur 
la  rivière  de  Lers  .Elle  n'eit  pas  loin  de 
Pamiers. 

3  Pour  entendre  cela  il  faut  fe  fou- 
venir  que  Montgommery  e'toità  Con- 
doiT)  au-delà  de  la  Garonne ,  &  Coli- 


gni  à  Aiguillon  en  deçà.  Coligni  vou- 
loitpafTtr  au-delà. oc  s'emparer  duCon- 
domois,  8c  duBazadois;  une  partie  de 
fcs  troupes  c'toitde'jà  paflee.  Mais  fou 
ponte'tiint  rompu,  il falut  faire repaf- 
fer  eq  deçà  8c  les  troupes  de  Montgom- 
mery ,  8c  la  partie  de  l'arme'e  de  Coli- 
gni, qui^voit  pafle  au-delà,  afin  d'aller 
enfemble  à  Montauban  fur  le  Tarn. 

Ppppij 


66^  HISTOIRE  é 

I  ^  Princes,  qui  avoit  pafTé  de  l'autre  côté  de  la  rivîere  dans  le 

C  H  A  RL  E  ^^""^^  4'^^  ^^  P^^'^'^  ^^'^^^  ^"^  ^^^^'  L'armée  retourna  à  Montauban, 
IX.       &^  l'on  y  prit  la  réfolution  de  marcher  vers  le  Languedoc. 
j  5-70.         Le  Roi  renvoya  en  ces  tems  là  toutes  les  troupes  Italien- 
nes i  à  la  referve  d'un  petit  corps ,  qui  rePca  fous  les  ordres  de 
Pierre-Paul  Tofinghi ,  &  qui  fervirent  en  Saintonge.  Sa  Ma- 
jefté  remercia  Santafiore  leur  Général ,  ôc  lui  ayant  donné  des 
marques  honorables  de  la  fatisfadion  qu'elle  avoit  de  fes  fer- 
vices  ,   lui  fit   prefent  des  drapeaux  qu'il  avoit  pris.  Elle  re- 
conipenfa  magnifiquement  tous  les  officiers  qui  s'en  retour- 
noient avec  lui ,  ôc  le  pria  de  faire  de  grands  remerciemens 
au  faint  Père.  Sa  Sainteté  eut  tant  de  joie  de  cette  heureufe 
expédition ,  qu'elle  voulut  en  conferver  la  mémoire  à  la  pof- 
teritéparun  monument  illuftre.  Pour  cela  elle  fit  porter  les  dra- 
peaux de  Santafiore  dans  faint  Jean  deLatran,  qui  efl:  la  pre- 
mière Eglife  de  Rome  ,  avec  une  infcviption  ,  qui  marquoit  que 
Santafiore  ,  Général  des  troupes  du  Pape ,  les  avoit  pris  fur  les 
fujets  rebelles  de  Charle  IX. 
Affaires dl-      Alfonfe  duc  de  Ferrare,  &  Côme  duc  de  Tofcane  ayant 
jalie.  gjj^  comme  nous  l'avons  dit,  une  difpute  fort  vive  fur  la  pré- 

féance ,  l'Empereur  ôc  le  Pape  prétendoient  l'un  ôc  l'autre  que 
le  jugement  leur  en  appartenoit  :  le  Pape  ,  qui  étoit  en  fecret 
pour  Côme,  termina  en  quelque  forte  cette  affaire  par  un  acte 
préliminaire ,  qui  tendoit  vifiblement  à  ruiner  les  prétentions 
d'Alfonfe  :  car  il  publia  le  27  d'Août  une  bulle  ,  par  laquelle 
"Côme  créé  il  Créa  Côme  Grand  Duc  de  Tofcane.  Il  parloir  dans  le  préam- 
Spic^v"^     bule  de  la  puiflance  que  Dieu  lui  avoit  donnée  ,  parce  qu'il 
étoit  afiis  fur  le  thrône  fublime  de  l'Eglife  militante  5  il  difoit 
qu'en  qualité  de  Pafteur  il  lui  appartenoit  d'examiner  qui  étoient 
ceux  qui  meritoient  des  honneurs  extraordinaires  par  leur  zèle 
pour  le  faint  Siège  :  Qu'il  n'avoit  vu  perfonne  qui  en  fut  plus 
digne  que  Côme ,  Prince  fouverain  de  Tofcane ,  parce  qu'il 
excelloit  fur  tous  les  Princes ,  par  fa  pieté  y  6c  par  fon  attache- 
ment inviolable  pour  l'Eglife  Romaine  :  Qu'il  avoit  libérale- 
ment fourni  à  Charle  roi  de  France  de  grands  fecours  pendant 
les  dernières  guerres  :  Qu'il  avoit  étabh  depuis  quelques  an- 
nées l'ordre  militaire  de  faint  Etienne^  pour  la  gloire  de  Dieu, 
ôc  pour  la  propagation  de  la  véritable  Religion  :  Qu'il  gou- 
vernoit  fes  peuples  avec  une  prudence  ôc  une  judice  toujours, 
égale  :  Qu'il  étoit  puiilant  en  argent  6c  en  troupes  :  Qu'il 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    XLVI        ^6c) 

pofTedoit  une  grande  étendue  de  payis  avec  un  pouvoir  fouve- 
rain,  &  fans  dépendre  de  perfonne ,  Ôc  entin  parce  qu'il  étoit  allié 
très-proche  de  lEmpereur  Maximilien  :  Il  ajoûtoit  qu'il  ne 
faifoit  en  cela  que  ce  qu'avoient  fait  de  leurs  tems  Alexandre 
III,  Innocent  III.  6c  Honoré  III,  en  créant  des  rois  de  Por- 
tugal,  des  Bulgares,  desValaques  ôc  d'Irlande,  ôc  en  accor- 
dant au  duc  de  Bohême  le  privilège  de  porter  le  nom  de  Roi.  Il 
lui  fit  outre  cela  prefent  d'une  couronne  d'or  d'un  goût  nou- 
veau ôc  délicat. 

Cette  entreprifed'un  Pape,  qui  faifoit  profeiïion  d'équité  ôc 
de  modération  ,  parut  extraordinaire  à  bien  des  gens ,  ôc  TEm- 
pereur  en  fut  très-piqué  :  il  la  regarda  comme  une  injure  faite 
à  l'Empire ,  ôc  à  lui-même.  Ainfi  Côme  étant  venu  à  Rome 
avec  un  train  de  Roi,  pour  y  être  facré  le 4  de  Mars ,  qui  étoit 
le  jour  marqué  pour  cette  cérémonie ,  les  ambafiadeurs  de  l'Em- 
pereur s'y  oppoferent ,  donnèrent  leur  proteftation  par  écrity 
&  menacèrent  d'en  tirer  raifon ,  fi  le  Pape  continuoit  d'entre- 
prendre fur  les  droits  de  l'Empire.  L'Avocat  de  la  chambre 
Apoftolique  ayant  refufé  de  recevoir  leur  proteftation ,  la  cé- 
rémonie fut  faite  :  mais  les  princes  de  l'Empire  ayant  pris  feu 
à  ce  fujet ,  la  chofe  alla  fi  loin  j  que  quoique  le  Pape,  naturel- 
lement opiniâtre ,  ne  changeât  gueres  de  fentiment ,  ôc  ne  fut 
pas  difpofé à  rendre  compte  de  les  allions  à  perfonne^  il  crut 
cependant  qu'il  devoit  entrer  en  négociation  avec  l'Empereur 
fur  celle-ci. 

Il  entreprit  donc  delà  juftifier  auprès  de  lui,  ôc  il  chargea 
de  cette  commiffion  le  cardinal  Commendon  *  :  voici  les  ^jean-Fr-n- 
raifons  ôc  les  exemples  que  l'on  citoit  pour  l'autorifer  :  Que 
c'étoit  le  Pape  qui  avoir  tranfporté  l'Empire  d'Orient  en  Occi- 
dent, ôc  qui  avoit  établi  les  Electeurs  :  Que  Zacharie  avoir  dé- 
gradé Childeric ,  ôc  fait  Pépin  roi  des  François  :  Que  Benoît 
IX.  avoit  créé  Cafimir  Roi  de  Pologne  ,  que  les  Allemands 
prétendent  être  une  dépendance  de  l'Empire  :  Que  Grégoire 
yil.  avoi-t  fait  Démetrius  roi  de  Croatie  ôc  de  Dalmatie,  qui 
font  des  dépendances  du  Royaume  de  Hongrie  ;  enfin  qu'Ale- 
xandre III.  avoit  créé  roi  de  Portugal  Alfonfe  ,  qui  n'avoit  que 
le  titre  de  Duc,  quoique  le  Portugal  fiit  alors  fournis  à  la  cou- 
ronne de  Caftillci  ôc  que  même  depuis  ce  tems  là  le  Portugal 
avoit  été  tributaire  du  faint  Siège ,  comme  il  étoit  aile  de  le 

Pppp  iij 


COiS, 


^70  HISTOIRE 

_,,_...^  montrer  par  les  explications  de  Luce  IL  ôc  de  Grégoire  VIL 
p  ~r  qui  aflure  que  le  royaume  d'Efpagne  eil  du  patrimoine  de  faint 

j  Y  Pierre  :  Qu'Innocent  III.  avoir  de  même  créé  Calo-Jean  roi 
des  Bulgares  ôc  des  Valaques ,  quoique  ces  provinces  fuflent 
^  '  membres  du  Royaume  de  Hongrie  :  Qu'Honoré  IIL  avoit 
par  la  même  raifon  pris  fous  fa  protection  le  roi  de  ThefTalo- 
nique ,  quoique  cette  ville  appartînt  à  l'Empereur  de  Conftan- 
tinople,  ôc  qu'il  avoit  même  donné  au  comte  d'Auxerre  le 
titre  d'Empereur  d'Orient  :  Que  Mindac  duc  de  Lithua-» 
nie  i  ôc  Daniel  duc  de  la  RufTie  méridionale  ,  avoient  été 
déclarez  Rois  par  l'autorité  du  faint  Siège  :  Que  c'étoiten  ver- 
tu de  cette  même  autorité ,  que  tous  ces  tyrans  ,  que  l'Empereur 
Louis  de  Bavière  avoit  établis  en  Italie ,  étoient  devenus  Prin- 
ces légitimes  :  Que  c'étoient  \qs  Papes  qui  avoient  donné  l'Ir- 
lande aux  rois  d'Angleterre ,  ôc  que  les  rois  d'Efpagne  ne  pof- 
fedoient  la  Navarre  qu'à  titre  de  donation  du  faint  Siège,  qui 
avoit  dépouillé  de  cette  couronne,  la  maifon  d'Albretôc  celle 
de  Bourbon,  qui  en  étoit  héritière,  pour  en  faire  prefent  aux 
rois  d'Arragon. 

A  ces  raifons  Côme  ajoûtoit  les  fiennes,  mais  toujours  par 
la  bouche  du  Pape  qui  l'avoit  pris  fous  fa  protedion  :  il  difoit 
que  la  République  de  Florence  étoit  tout-à-fait  indépendan- 
te ,  ôc  n'appartenoit  point  à  l'Empire  :  Que  fon  gouvernement 
avoit  été  réglé  par  Clément  VIL  de  concert  avec  l'Empereur 
Charle-Quint  :  Que  les  Medicis  avoient  pris  de  leur  autorité 
propre  le  titre  de  Ducs,  ôc  qu'il  ne  le  tenoient  point  des  Em- 
pereurs :  Que  Côme  y  qui  avoit  pris  ce  titre  ,  fans  en  de- 
mander permiiTion  à  l'Empereur,  pouvoir  bien  prendre  de  mê- 
me celui  de  Grand  Duc  ,  qui  lui  étoit  donné  par  le  Pontife 
Romain. 

Pie  V.  ne  fe  contenta  pas  de  négocier  avec  Maximilien  par 
le  moyen  du  cardinal  Commendon  ,  il  en  fit  parler  à  Philippe 
IL  par  Michel  Bonelli,  qu'on  appelloit  le  cardinal  Alexan- 
drin ,  pour  tâcher  d'accommoder  cette  affaire  jmais  il  chargea 
en  même-tems  le  cardinal  Sidco,  qu'on  appelloit  autrement,  le 
cardinal  d'Altemps ,  en  cas  que  l'Empereur  fe  rendît  trop  dif- 
ficile, de  lever  en  Allemagne  dix  mille  hommes  depié,  pour 
faire  voir  à  ce  Prince  que  le  Pape  étoit  aufïï  puifTant  que  lui , 
ôc  qu'il  ne  le  craignoit  pas.  Mais  nous  parlerons  de  cela  dans 
la  fuite. 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XLVI.        ^71 

Il  ne  fe  pafTa  rien  de  confidérable  cette  année  en  Allema- 

ene^fi  ce  n'elî:  que  la  conférence  fur  quelques  points  de  Re-  r^„  *  n  t  r^ 
Jigion,  quiavoit  ete  commencée  1  année  précédente  a  Altem-       jy 
bourg  le  20  d'Odobre  ;,  entre  les  The'ologiens  de  Mifne,  ôc     i  r  7*3 
ceux  de  Thuringe,  fut  rompue  fans  rien  terminer.  Après  avoir 
beaucoup  écrit  de  part  ôc  d'autre,  fur  un  ou  deux  points  con-  d'Allem7ene 
teftez ,  &  s'être  communiquez  réciproquement  leurs  écrits ,  ils 
fe  féparerent  enfin  le  p  de  Mars  ,  fans  la  permiflion  ni  le  con- 
fentement  de  l'Eledeur  Augufte,  ni  de  Jean  Guillaume  duc 
de  Saxe.  La  conférence  tourna  fi  mal,  qu'elle  a  plutôt  été  une 
fource  de  nouvelles  difputes,  qu'elle  n'a  terminé  les  ancien- 
nes j  &  elle  aigrit  tellement  les  efprits  de  part  ôc  d'autre,  que 
le  public  en  fut  très-choqué  ,  comme  tout  le  monde  l'a  pu 
voir  par  les  écrits  ,  que  les  deux  partis  publièrent  dans  le  tems. 

Viètorin  Strigel ,  Théologien  célèbre  dans  fon  parti,  qui  fe      -^^oî^t  de 

^        C  o  '  J     •  J  ViCTORJN 

trouva  a  cette  conférence ,  &  qu  on  regardoit  comme  un  des  Strigel  ,  de 
principaux  auteurs  des  divifions ,  mourut  à  Heidelberg  le  25*  Paul  Eeer 
de  Juin  âgé  de  quarante-cinq  ans.  Le  10  de  Décembre  fuivant  LoNictl!^^ 
PaulEber,  natif  de  Kitzingen  ,  ville  de  Franconie,  mourut  à 
"Wittemberg,  oii  il  avoir  long-rems  enfeigné  la  Théologie.  Jean 
Lonicer ,  natif  dOrthern  dans  le  comté  de  Mansfeld  ,  mourut 
quelque  tems  avant  lui.  Lonicer  aimoit  fort  l'étude  j  mais  après 
la  mort  de  fon  père ,  fon  beau-pere  ne  trouvant  pas  bon  qu'il 
s'adonnât  aux  lettres ,  il  s'enfuit  à  Eifleben ,  d'oiril  pafTa  en- 
fuite  à  Wittemberg  \  C'étoit  un  homme  laborieux ,  ôc  qui  avoir 
fait  de  fi grands  progrès  dans  l'étude  des  trois  langues,  &  dans 
la  Philofophie ,  que  les  princes  de  Hefle  l'attirèrent  à  Mar- 
pourg  avec  Jean  Cornaro  :  y  ayant  été  fait  profeffeur  en  Grec, 
il  eut  grand  nombre  d'auditeurs,  ôc  fit  d'excellens  élevés.  Mais 
fî  fa  fcience  le  rendit  illuftre ,  il  le  fut  encore  davantage  par 
fa  chaftetc,  par  famodeftie  ,  ôc  par  fa  tempérance.  Il  a  traduit 
en  Latin  beaucoup  d'auteurs  Grecs.  Il  mourut  le  20  de  Juil- 
let de  cette  même  année,  âgé  de  foixante  ôc  dix  ans.  Il  laiflTa 
un  fils  nommé  Adam  Lonicer  ,  qui  ayant  quitté  Marpourg 
vint  s'établir  à  Francfort  fur  le  Mein ,  où  il  pratiqua  la  mé- 
decine avec  beaucoup  de  réputation. 

Je  viens  aux  hommes  illuftres  d'Italie  :  le  premier  dont  je    De  Damiel 
parlerai  fera  Daniel  Barbaro ,  une  des  plus  grandes  lumières  de  Barbako. 

I  'Ville  de  l'EIej^orat  de  Saxe  avec  Univcrfité ,  elle  cfl  fituéc  fut  l'Elbe. 


^12  HISTOIRE 

la  Republique  de  Venife,  ôc  de  la  même  famille  qu'Hermo- 
Charle  ^^'■'^  Barbarus,  qui  fut  autrefois  reftaurateur  des  Letties  &  de 
j  \^  la  Philofop^hie  en  Italie.  Daniel  étoit  grand  Philofophe  &  grand 
j  _  Mathématicien, &  il  fut,aufîi-bien  qu'Hermolaus  ,  décoré  du 
titre  de  Patriarche  d'Aquilée  j  il  a  beaucoup  écrit ,  ôc  après 
Philandre ,  c'eftfans  contredit  le  plus  fçavant  de  tous  les  Com- 
mentateurs de  Vitruveiil  difoit  ordinairement^qùe  s'iln'avoit 
été  Chrétien  ,  il  auroit  juré  fur  toutes  les  paroles  d'Ariftote  > 
tant  il  admiroitla  pénétration  ôc  la  fubtilité  de  fon  efprit,  pour 
chercher  ôc  pour  découvrir  la  venté  dans  tous  les  myftcres 
de  la  nature  j  il  trouvoit  à  cet  Auteur  une  raifon  fi  droite  6c 
lîfùre,  qu'on  pouvoir  dire  ,  félon  lui ,  qu'elle  pafToit  les  bornes 
ordinaires  de  leiprit  humain.  Il  fe  livra  depuis  tout  entier  à 
l'étude  de  la  Théologie,  comme  ilconvenoit  à  un  Evêque,ôc 
il  traduifiten  Latin  piufieurs  ouvrages  des  pères  Grecs.  Il  y  en 
a  eu  quelques-uns  d'imprimezi  les  autres  font  entre  les  mains  de 
fes  héritiers  :  il  auroit  donné  un  bien  plus  grand  nombre  d'é- 
crits y  fi  une  mort  prématurée  ne  l'avoit  enlevé  à  la  République. 
Il  mourut  le  19  d'Avril  de  cette  année,  n'ayant  gueres  plus  de 
quarante  ans  :  fes  obfeques  furent  très-fimpîes,  comme  celles 
des  plus  pauvres.  Ce  Prélat  illuflre,  qui  n'avoitni  vanité^ ni 
ambition ,  l'avoit  ainfi  ordonné  par  fon  teftament.  Il  eft  inhumé 
dans  l'Eglife  de  faint  François  des  Vignes ,  fans  épitaphe. 
De  Sixte  Sa  mort  fut  fuivie  quelques  jours  après  de  celle  de  Sixte  de 
pz  SiENWE.  Sienne,  qui  mourut  à  Gènes  au  couvent  des  Dominicains,  n'é- 
tant pas  fort  âgé  :  il  difoit  que  Pie  V.  étant  Général  de  cet  Or- 
dre l'avoit  arraché  des  ténèbres  de  l'erreur,  ôc  l'avoit  pour  ainfi 
dire  tiré  de  Penfer.  Ce  fut  ce  qui  l'engagea  à  entrer  dans  le 
même  Ordre.  Audi  lui  a-t-il  témoigné  fa  reconnoilfance  par 
un  excellent  ouvrage  divifé  en  huit  livres  ,  où  il  fait  la  critique 
des  Livres  Saints  ,6c  donne  une  méthode  de  les  entendre,  6c 
de  les  mettre  en  quelque  forte  à  couvert  des  faufles  interpré- 
tations des  hérétiques  :  tout  cela  appuyé  des  paffages  des  Pè- 
res 6c  des  écrivains  de  l'antiquité. 
De  Curïon,  Le  dernier  dont  je  parlerai  fera  Ccelius  Secundus  Curion,Pro- 
teilant,  natif  de  San-Quirico  en  Piémont,homme  habile  en  tout 
genre  de  littérature ,  6c  qui  s'eft  fait  une  grande  réputation  à 
Milan  ,  à  Pavie  ,  ôc  depuis  à  Luque,  à  Turin,  6c  enfinà  Yvrée? 
piais  ayant  eu  beaucoup  à  fouffrir  dans  ces  endroits,  à  caufe  de 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  Li  V.  XLVI.        67^ 

fa  Religion  ,  il  prit  le  parti  de  fe  retirer  à  Baie  ,  où  il  enfeigna  . 

pendant  vingt-trois  ans  la  philofophie&laRhetorique.Ilymou-  Ch  a  rt  £ 
rut  le  24  de  Novembre  âgé  de  foixante-fept  ans.  Il  avoit  vu        jy 
mourir  quelques  années  auparavant  ^  contre  l'ordre  de  la  na-        c- 7*0 
ture  3  Auguftin  Curion  fon  fils ,  jeune  homme  de  grande  ef- 
perance ,  comme  on  en  peut  juger  par  quelques  ouvrages  de 
lui  qui  font  paflez  à  la  pofterité. 

La  France  vit  mourir  cette  année  Jean  du  Mefnil,  homme  De  Jean  du 
aulTi  recommandable  par  fon  équité,  par  fa  prudence  ôc  par  fon  cat^l^énérs^' 
efprit,que  par  fa  grande  érudition.  J'en  ai  déjà  parlé  avec  éloge  au  parlement 
par  rapport  à  cette  caufe  des  Jefuites  qui  fut  plaidée  au  Parle-  ^  ^^"^• 
ment  avec  tant  de  vivacité  cinq  ans  auparavant.  Il  ne  faifoit  que 
d'entrer  dans  la  cinquante-deuxième  année  de  fon  âge ,  6c  il 
méritoit  de  vivre  pluslong-tems,  fi  Dieu  avoit  voulu  donner 
la  paix  à  la  France ,  au  lieu  de  l'abandonner  à  de  nouveaux  trou- 
bles ,  &  aux  funeftes  fuites  des  confeils  de  quelques  méchans 
hommes.  Il  avoit  d'abord  été  Avocat  au  Parlement ,  &  y  avoit 
plaidé  pour  les  particuliers  avec  une  grande  réputation  d'ha- 
bileté ,  d'exa£titude ,  &  de  fidélité.  Le  Roi  l'ayant  tiré  de  fa  pro- 
fefiion  pour  le  faire  Avocat  général ,  il  s'acquitta  des  fonctions 
de  fa  charge  d'une  manière  qui  augmenta  beaucoup  fa  réputation 
ayant  toûjoursmontré  dans  cette  place.outre  une  érudition  pro- 
fonde &  une  grande  connoifi!ance  du  palais  j  une  fermeté  d'a- 
me  inébranlable  ,  un  efprit  élevé  fans  orgueil,  une  conduite 
fage  qui  ne  fe  démentit  jamais  ,  un  amour  confiant  de  la 
droiture,  &  un  zèle  admirable  pour  le  bien  public.  Il  avoit 
avec  tout  cela  un  efprit  fi  pénétrant  ôcfi  lumineux,  quelorf- 
qu'il  s'agifi"oit  de  juger  des  afl^aires  ,  il  débroùilloit  en  deux 
mots  ce  que  les  Avocats  des  parties  avoient  expliqué,  ou  plu- 
tôt embrouillé  par  de  longs  plaidoyers  :  &  tous  les  juges  étoient 
fi  perfuadez  de  fon  équité ,  que  l'arrêt  fe  formoit  toujours  fur 
fes  conclufions.  Il  fembloit ,  qu'il  di£toit  au  Préfident  ce  qu'il 
devoit  prononcer.  Ceux  qui  ontfuivi  cela  avec  quelque  curio- 
fité ,  ont  obfervé  que  le  Parleme/it  n'^a  prefque  jamais  décidé 
contre  fon  fentiment ,  ni  contre  fes  plaidoyers.  Ce  grand  hom- 
me plein  d'amour  pour  fa  patrie  ,  ôc  jaloux  de  la  gloire  du  nom 
François,  plus  même  que  fon  état  ne  le  comportoit,  voyant  que 
les  vices  de  ce  fiécle  fe  fortifioient  de  plus  en  plus  ,  ôc  que 
par  une  fureur,  ou  un  aveuglement,  ou  il  n'y  avoit  point  de 
Tome  l'^,  Q  9  ^  4 


i?74  HISTOIRE 

,.,,  ,„,  remède  ,  toutes  les  démarches  des  Grands  du  Ro3'anme  tcn- 

CrT  .  r>  T  i^  doient  manifeftement  à  la  ruine  de  l'Etat,  en  eut  tant  de  cha- 
J  X        S^^^  '  qu'A  tomba  malade  d'une  hydropifie  ,  qui  Femporta  le 
2  d'Août.  Il  avoit  choifi  avec  l'agrément  du  Roi ,  pour  fon  fuc- 

1  Ç   7  0  ^  .  ^ 

*  cefleur  dans  fa  charge  ,  &  pour  en  faire  les  fondions  pendant 
fa  maladie,  Auguftin  de  Thou ,  né  ,  difoit-il ,  d'une  famille  très- 
zelée  pour  le  bien  public,  &  frcre  d'ailleurs  de  Chriftophle 
de  Thou  premier  Préfident ,  pour  qui  il  avoit  toiàjours  eu  une 
amitié  ôc  une  vénération  finguliere.  On  lui  fît  des  funérailles, 
comme  on  les  fait  à  un  confeiller  du  Parlement  :  fon  corps  fut 
porté  à  faint  Jean  ,  oùileft  enterré  ;  la  pompe  fut  grande ,  mais 
la  trifteffe  que  fa  mort  caufaà  tous  les  Ordres  de  l'Etat  le  fut 
encore  davantage.  Le  chancelier  Michel  de  l'Hôpital,  avec 
qui  il  avoit  toujours  vécu  dans  une  amitié  aufTi  intime  j  que  l'é- 
toit  l'union  de  leurs  cœurs  ôc  de  leurs  fentimens  fur  les  affai- 
tes  publiques ,  ôc  qui  étoit  alors  relégué  dans  fa  maifon  ,  fit  des 
vers  très-élegans  pour  pleurer  fa  mort ,  ôc  lui  fit  une  très-belle 
épitaphe. 
Affaires  D  u  côté  de  la  Saxe ,  les  difputes  entre  la  ville  de  Brunfwick  ôC 

a* Allemagne,  j^g  Pi'inces  de  Cette  Maifon  ,  fe  terminèrent  enfin  à  l'amiable. 
Par  le  traité  ,  le  Sénat  de  la  ville  s'engagea  de  rendre  au  duc 
Julede  Brunfwick  le  Baillage  entier  d'Affembourg,  qui  efl:  aux 
environs  de  Wolfembutel ,  ôc  qui  avoit  été  engagé  pour  la  pre- 
mière fois  cent  foixante-huit  ans  auparavant  par  Bernard  ôc 
Henri  de  Brunfwick, pour  fe  mettre  en  état  de  venger l'aflaf- 
fmat  de  Frédéric  de  Brunfwick  '  leur  frère,  élti  Empereur.  Le 
Duc  de  fon  côté  promit  de  donner,à  titre  de  fief,  aux  deuxCon- 
fuls  de  la  Republique,  les  Baillage  d'Eich  ôc  de Wenthaufen, 
ôc  de  renoncer  pour  lui  ôc  pour  fes  héritiers  à  toute  prétention 
fur  le  fac  ôc  fur  la  vieille  rue,  qui  font  des  parties  de  la  ville  de 
Brunfwick,  que  Henri  de  Brunfwick  père  de  Jule avoit  tou- 
jours foûtenu  n'être  qu'engagées  j  au  lieu  que  le  Sénat  préten- 
^oit  qu'elles  lui  avoient  été  vendues. 

A  l'égard  de  la  Prufle  ,  Albert  Frédéric  de  Brandebourg  *, 


I  Frédéric  de  Brunfwick  frère 
de  Henri  &  de  Bernard,fut  e'iù  Empe- 
reur à  Francfort  l'an  1400  ,  à  la  place 
de  Wenceflas  qui  avoit  été  dépofé  com- 
me indigne  ;  mais  en  s'en  retournant  il  j  duc  de  Piufîe.  Idem.  lib.  z.  c,  8, 
fut  affaffiné  par  un  comte  de  .Waldeck 


à   rinftigation    de    l'Archevêque   de 
Mayence.  Inihoff: 

z   Fils   d'Albert    Grand- Maître  de 
l'Ordre Teutonique,  8cen  cette  qualité 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XLVI.      6'^^ 

nouveau  Duc,  ayant  été  folemnellement  reconnu  au  commen-  -» 

cernent  de  l'année ,  à  la  diète  de  Lublin  ,  Sigifmond  Augufte  Char  LE 
roi  de  Pologne  ajouta  à  cette  grâce  un  nouveau  bienfait  5  car       jx 
lui  ayant  promis  tant  en  fon  nom ,  qu'au  nom  de  fes  fuccefTeurs     1^70 
rois  de  Pologne  jqu'illaifTeroit  à  tous  les  peuples  dépendans  de     Affaires  de 
la  PrufTe,  la  liberté  de  fuivre  la  Confefïion  d'Auftoure:,  il  lui  ^'f"  ^  ^^ 
accorda  de  plus  par  une  ordonnance  qu'il  fit  publier  exprès , 
que  tant  qu'il  vivroit  il  ne  feroit  permis  à   aucun  Gennlhom- 
iTie  de  ce  Duché  d'appeller  du  Duc  au  Roi ,  à  moins  que  ce 
ne  fiit  pour  une  injuftice  criante  &  manifefte^  ou  pour  un  dé- 
ni  de  juftice  h  ôc  que  dans  les  procès  qui  regarderoient  le  fim- 
ple  peuple,  on n'écoûteroit  point  les  particuliers  qui  prefente- 
roient  des  requêtes  pour  demander  la  revifion  des  affaires^ ou 
qui  appelleroient  des  juges  du  Duc  à  la  Cour  des  Pairs.  Al- 
bert Frédéric  ayant  obtenu  tous  ces  avantages  ,  s'en  retour- 
na très-content  dans  fes  Etats, 

La  ville  de  Danzick  ne  fut  pas  fi-bien  traitée  :  lesdivifion$ 
du  Sénat  ôc  du  peuple  y  excitèrent  d'abord  des  troubles  ,  ôc 
lui  attirèrent  enfuite  de  grandes  calamitez:  car  quelques-uns, 
même  des  Magiftrats  ,  s'étant  plaints  au  Roi  que  le  Sénat 
s'approprioit  tous  les  revenus  ôc  tous  les  péages  de  la  ville , 
que  tout  s'y  décidoit  par  paffion  ',  que  le  Sénat  opprimoit  im- 
punément tous  les  citoyens  qui  lui  déplaifoient ,  Ôc  que  le 
peuple  ne  pouvoit  jamais  obtenir  aucune  juftice  contre  ceux 
qui  étoienten  crédit  j  Sigifmond  y  envoya  des  CommiiTaires, 
pour  examiner  l'état  de  la  ville ,  ôc  la  manière  d'adminiftrer  la 
juftice.  Le  Sénat  d'abord  refufadeles  recevoir  ,  ôc  quoiqu'il  les 
eût  reçus  dans  la  fuite ,  Sigifmond  piqué  de  l'affront  qu'il  lui 
avoir  fait  par  le  premier  refus ,  ne  lui  rendit  aucune  juftice. 
Les  Commiffaires  royaux  ayant  examiné  en  rigueur  les  comp- 
tes du  Sénat ,  ôc  cherchant  à  le  brouiller  de  plus  en  plus  avec 
le  peuple ,  accordèrent  au  nom  du  Roi  des  droits  ôc  des  prii- 
vileges  exorbiians  à  de  viles  communautez  ,  comme  à  des 
bralTeurs  ,  ôc  à  des  bouchers  ,  gens,  comme  on  fçait,  toujours 
prêts  à  exciter  des  féditions ,  ôc  ils  cafferent  toutes  les  tranfac- 
tions  qui  avoient  été  pafTées  auparavant ,  entre  le  Sénat  ôc  ces 
artifans.  Après  cela  voulant  tirer  leur  avantage  particulier  des 
divifions  publiques,  ils  doublèrent  le  péage,  que  la  ville  d'a- 
bord j  ô<.  enfuite  le  Sénat ,  avoient  dcftiné  pour  l'entretien  du 

Qqqqij 


eiô  HISTOIRE 

,  port  &  des  levées  de  la  Viftule  '■>  &  ils  ordonnèrent  que  la  moi- 
Th  r  t  F  ^^^  vi^oVi  au  profit  du  Roi.  D'un  autre  côté  ils  promirent  l'abo- 
Ty  lition  des  Pirates ,  ôc  la  diminution  ou  la  fupprefTion  entière 
de  toutes  les  autres  charges  ;  ôc  dirent  qu'il  n'y  avoit  point 
-  ^  '  d'autre  moyen  d'appaiferle  Roi,  &c  de  lui  donner  fatisfadion 
fur  l'injure  qu'on  lui  avoit  faite.  Ils  changèrent  outre  cela  en 
beaucoup  de  chofes  l'ordre  de  la  juftice ,  afFoiblirent  extrême- 
ment l'autorité  du  Sénat ,  ôc.  ébranlèrent  même  les  privilèges 
du  peuple  :  car  les  affaires  de  conféquence  ayant  été  jufque-là 
décidées  dans  l'affemblée  des  Etats  de  Prulfe ,  &  ne  pouvant 
être  jugées  ailleurs ,  fuivant  le  privilège  accordé  par  le  roi  Ca- 
fimir ,  ces  Commiffaires  firent  un  nouveau  règlement ,  par  le- 
quel cette  connoifi^ance  étoit  attribuée  au  Sénat  du  royaume 
de  Pologne.  Ainfi  les  Prufîiensj  qui  jufqu'alors  n'avoient  re- 
connu que  le  Roi  pour  fupericur ,  eurent  le  déplaifir  de  voir 
leur  liberté  &  leurs  privilèges  fournis  à  la  jurifdi£tion  du  Sé- 
nat de  Pologne. 

Pendant  ce  tems-là  les  corfaires  Polonois,  qui  avoientleur 
retraite  dans  le  port  de  Danzick  ,  fous  prétexte  d'obéir  au  Roi 
qui  étoit  en  guerre  avec  les  Suédois  &  les  Mofcovites,  enle- 
voient  tous  les  vaiffeaux  des  villes  de  Revel  &  de  Narva  , 
dont  la  première  appartenoit  aux  Suédois  ,  &  la  féconde  aux 
Mofcovites ,  ôc  ils  pilloient  même  de  tems  en  tems  les  vaif- 
feaux Danois.  Pour  fe  venger  de  cette  infulte  ,  Frédéric  roi  de 
Dannemarck  fit  arrêter  tous  les  bânmens  de  Danzick  ,  qui 
étoient  dans  fes  ports ,  fous  prétexte  que  les  corfaires  fe  reri- 
roient  dans  le  port  de  Danzick.  Le  peuple  affligé  eut  recours 
aux  commiffaires  du  Roi  ,  ôc  fupplia  qu'on  leur  tînt  parole, 
ôc  qu'on  exécutât  le  traité  qu'on  avoit  fait  avec  eux  à  des  con- 
ditions très-onereufes.  On  envoya  des  Ambaffadeurs  au  roi  de 
Dannemarc  qui  fit  rendre  les  vaiffeaux  :  mais  comme  toutpa- 
roiffoit  tendre  à  la  guerre  ,  on  convint  de  prendre  pour  arbi- 
tres rélecteur  de  Saxe  '  ôc  celui  de  Brandebourg  ,  mais  cela 
n'aboutit  à  rien.  Le  roi  de  Pologne  ^  étant  mort  peu  de  tems 
après ,  la  ville  de  Danzick  penfa  à  s'affurer  la  liberté  du  com- 
merce ,  traita ,  enfon  propre  ôc  privé  nom,  avec  la  couronne 
de  Dannemarc  ,  fans  s'être  adrefifée  au  Sénat  de  Pologne ,  ôc 
moyennant  cent  mille  Joachins  qu'elle  paya ,  elle  obtint  outre 

I  Augufte.  a  Sigifmond  Augufte. 


DEJ.  A.  DETHOU.  Liv.  XLVI.        6tj 
la  reftltution  des  vaifTeaux  ôc  des  marchandifes  que  les  Da-         i 
nois  lui  avoientprifes  ,  la  liberté  de  la  navigation  ôc  du  com-  Charle 
merce  dans  tous  les  ports  de  Dannemarc.  Ce  fuccès  leur  ayant        jy 
enflé  le  cœur,  ils  fe  figurèrent  qu'ils  ne  dépendoient  plus  de     t  ç  7  q 
perfonne  î  ce  qui  leur  attira  depuis  de  grands  malheurs  ,  com- 
me nous  le  dirons  en  fon  lieu. 

Pendant  qu'on  facroit  en  Suéde,  avec  une  affluence  ex-  Affaires  de 
traordinaire  des  Grands  &  du  peuple,  Jean  III,  fils  de  Gui-  ^"^'^^* 
tave,  à  la  place  d'Eric  qui  avoir  été  dépofé  ,  &  que  tout  le 
monde  étoit  dans  la  joye  ,  les  flotes  de  Dannemarc  6c  de  Lu- 
bec  s'étant  jointes  le  dix  de  Juillet,  &  ayant  attaqué  à  l'im- 
provifte  le  port  de  Revel ,  où  jufque-là  les  vaifleaux  avoient 
toujours  été  en  fureté, le  prirent,  le  pillèrent  ,ôc  emmenèrent 
environ  trente  navires  chargez  de  toutes  fortes  de  marchan- 
difes de  grand  prix.  La  flotte  Danoife  étant  retournée  dans 
fes  ports ,  le  Roi  fit  mettre  à  terre  ce  qu'il  y  avoit  de  troupes 
&  alla  attaquer  le  fort  de  Warberg,  dont  les  Suédois  s'étoient 
rendus  maîtres  :  il  y  perdit  les  deux  principaux  oflliciers  de 
fes  troupes  Daniel  Rantzau  ôc  Franc^ois  Brakenhoufen.  Mais  \ 

le  Fort  le  rendit  le  treizième  de  Novembre.  Pendant  que  les 
Danois  étoient  occupez  à  ce  Siège  ,  les  Suédois  firent  des 
courfes  dans  le  payis  deBleking,qui  eft  dans  la  province  de 
Schonen  ,  ôc  y  pillèrent  ôc  brûlèrent  grand  nombre  de  villes 
6c  de  villages. 

Du  côté  des  Payis-bas  i  le  duc  d'Albe  ayant  réûfîi  dans  tau-  Affaires  des 
tes  fes  entreprifes ,  retourna  à  Bruxelles  au  commencement  P^y^^-^^^, 
de  l'année ,  ôc  commença  à  penfer  aux  moyens  d'établir  de 
nouveaux  évêchez  en  Flandre  3  ôc  d'y  introduire  l'Inquifition 
contre  les  perfonnes  fufpettes  dans  la  foi.  Il  en  cita  grand 
nombre  à  l'afTemblée  appellée  Sanguinaire ,  ôc  il  jetta  dans  les 
efprits  tant  de  terreur,  que  la  plupart  abandonnèrent  le  payis, 
Quoiqu'il  n'y  ait  point  d'endroit  au  monde,  où  il  y  ait  tant 
d'ouvriers  que  dans  c^s  provinces ,  la  févérité  des  ordonnan- 
ces qu'il  publia  ,  en  fit  fuir  un  fi  grand  nombre ,  que  les  Payis- 
bas  ne  furent  plus  qu'une  vafte  ôc  trifte  folitude.  La  plupart 
fe  retirèrent  en  Angleterre,  àcaufe  du  voifinage  i  ils  y  portèrent 
la  fabrique  des  draps,  ôc.  apprirent  cet  art  aux  Anglois,  qui  avant 
ce  tems-là  ne  s'appliquoient  qu'à  l'agriculture  ôc  à  la  nourri- 
ture des  beftiaux  5  ce  qui  a  porté  un  préjudice  extrême  au 

Qqqqiij 


1^73  HISTOIRE 

commerce  des  Flamands  :  car  le  nombre  de  ceux  qui  allèrent 
chercher  un  azile  en  Angleterre  fut  Ci  grand,  qu'ils  rétabHrent 
Chari, E  plufieurs  villes  entièrement  dépeuplées,  entr'autrcs  Norwic, 
I-^'  Colchefter  ,  Maiftone  ,  Sandwick  ,  Hampton  ,  Ôc  quelques 
^  i"  7  o*  autres  j  ce  qui  mit  la  reine  Elizabeth  en  état  de  faire  bien 
delà  peine  au  duc  d'Albe.  Un  vaifleau  de  Bifcaye,  ôc  quatre 
autres  petits  batimens  chargez  de  deux  cens  mille  écus  d'or  , 
étant  pourfuivis  par  Jean  Sore  lieutenant  deColigni,  fefau- 
verent  dans  un  port  d'Angleterre.  L'Ambaffadeur  de  Philippe 
II  les  ayant  reclamez ,  la  Reine  donna  ordre  qu'on  les  relâ- 
chât :  mais  pendant  qu'ils  attendoient  ou  un  vent  propre  pouc 
s'en  aller ,  ou  un  ordre  du  duc  d'Albe  ,  la  Reine  foUicitée  par 
le  cardinal  de  Châtillon,  &  par  le  vidame  de  Chartre,  révo- 
qua l'ordre  qu'elle  avoir  donné ,  ôc  fit  mettre  à  terre  les  cin- 
quante caiffcs  où  étoit  l'argent.  Elle  allégua  que  cet  argent 
n'appaitenoit  point  au  roi  d'Efpagne  ,  mais  à  des  ncgocians 
particuliers  de  Gènes  ,  ôc  que  c'eft  un  droit  des  Souverains 
de  pouvoir  dans  le  befoin  fe  fervir  de  l'argent  qui  appartient 
aux  marchands  5  qu'ainfi  elle  étoit  réfoluë  d'emprunter  pour 
des  befoins  prefi'ans  cet  argent ,  qu'elle  avoir  fauve  des  mains 
des  Corfaires.  Elle  fit  publier  le  fixjéme  de  Janvier  un  manifcftç 
à  ce  fujet. 

Le  duc  d'Albe  ,  outré  de  cette  injure,  crut  qu'il  y  alloitde 
fon  honneur  d'en  tirer  vengence.  Sans  confulter  les  Etats 
du  payis ,  ni  faire  attention  au  péril  où  il  alloit  mettre  le  com- 
merce ,  qui  fait  toutes  les  forces  de  la  Flandre  ,  il  fait  arrêter 
à  Anvers  ôc  ailleurs  tous  les  marchands  Anglois  ,  les  fait  gar- 
der dans  leurs  maifons  ,  fait  faifir  leurs  effets  ,  ôc  les  fait  ven- 
dre à  l'encan.  La  Reine  de  fon  côté  permet  aux  Anglois  d'ar- 
rêter par  reprefailles  les  Flamands ,  de  mettre  leurs  biens  en 
fequellre ,  d'amener  dans  les  ports  les  vaiffeaux  qui  étoient  à 
la  rade,  ôc  de  les  garder  jufqu'à  ce  qu'on  leur  eût  donné  une 
pleine  ôc  entière  fatisfadion.  Chacun  ayant  ainfi  fatisfait  foi*^ 
refientiment ,  on  commença  à  parler  d'accommoder  cette  af- 
faire. Le  duc  d'Albe  avoit  reconnu,  quoiqu'un  peu  tard,  la 
faute  qu'il  avoit  faite,  ôc  que  les  Efpagnols  ôc  les  Flamands 
fouffroient  beaucoup  plus  de  l'interruption  du  commerce,  que 
les  Anglois  ;  parce  que  ceux-ci  fur  ces  entrefaites  avoient  en- 
voyé leurs  draps  à  Hambourg  ,  ôc  n'avoient  point  eu  d'autrp 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U,  L I V.  XLVI.         6-]^ 

hial  ,  que  de  tranfporter  la  place  de  leur  commerce  en  Aile-  ■ 

magne ,  au  lieu  qu'elle  étoit  en  Flandre.  Leduc  d'Albe  en-  c^arlE 
voya  donc  à  Londre  Chriftophle  d'Affonville  :  mais  comme  jy 
il  n'avoir  point  de  lettres  du  roi  d'Efpagne ,  la  Reine  lui  re- 
fufa  l'audience  ,  &  le  renvoya  avec  méprisa  fon  Confeil,pour 
y  propofer  ce  qu'il  avoir  à  dire  :  elle  dit  hautement  qu'elle 
regardoit  comme  un  outrage  inllgne  Tinfulte ,  que  le  duc  d'Al- 
be lui  avoit  faite  fans  raifon  &  fans  ménagement. 

Le  fier  Efpagnol ,  piqué  du  nouvel  affront  que  la  Reine  ve- 
noit  de  lui  faire ,  fit  publier  une  ordonnance  le  premier  d'A- 
vril j  pour  défendre  tout  commerce  avec  l'Angleterre  ,  fous 
peine  de  confifcation  contre  les  contrevenans ,  jufqu'à  ce  qu'il 
en  eût  été  autrement  ordonné  5  ôc  afin  que  fon  ne  pût  éluder 
fes  ordres  ,  il  propofa  en  même-tems  des  récompenfes  aux 
dénonciateurs  :  mais  à  la  referve  de  quelques  Anglois  ban- 
nis ,  il  ne  fe  trouva  pas  beaucoup  de  gens  qui  vouluffent  fe 
mêler  de  ce  métier  odieux.  Un  de  ces  bannis ,  nommé  Guil- 
laume Parcker  ,  avoit  fous  lui  un  Do£leur  ,  nommé  Jean 
Storie  ,  qui  avoit  étélnquifiteur  en  Angleterre,  fous  le  règne 
de  Marie.  Mais  dans  ce  tems  ,  foit  pauvreté  ,  foit  envie  de 
faire  du  mal  à  fes  compatriotes,  il  fe  mit  à  faire  le  métier  de 
délateur.  On  vint  dire  à  ce  vieillard  avide ,  qu'il  y  avoit  un 
bâtiment  nouvellement  arrivé  d'Angleterre  ,  qui  étoit  rempli 
de  marchandifes  de  grand  prix.  Il  y  court  tranfporté  de  joye 
&  entre  dedans  j  mais  à  l'inltant  il  y  efl:  enfermé  par  un  ma- 
telot nommé  Corneille  d'Eychen  ,  que  les  Anglois  avoient 
payé  pour  cela ,  ôc  fur  le  champ  le  vaiffeau  met  à  la  voile  , 
&  emmené  Storie  en  Angleterre  :  au  lieu  de  la  récompenfe 
qu'il  efperoit ,  comme  dénonciateur  de  ce  vaiffeau  de  contre- 
bande, il  fut  condamné  à  être  pendu  comme  traître,  ôc  com- 
me chef  des  bannis  conjurez  contre  la  Reine ,  titres  contenus 
dans  l'ignominieux  écriteau  qu'il  portoit  îorfqu'on  l'exécutao 

Le  commerce  ayant  ccffé  entièrement ,  ôc  les  peuples  des 
Payis-bas  en  murmurant  tout  haut ,  le  duc  d'Albe  envoya  en 
Angleterre  ChiappinoVitelli,  marquis  de  Cetone ,  étant  perfua- 
dé  qu'un  homme  de  cette  confidération  feroit  mieux  reçu  par  la 
Reine  :  il  avoit  avec  lui  le  docteur  Fonck ,  &  la  Tour  fecre- 
taire  du  Duc,  pour  l'aider  dans  fa  négociation.  Il  n'y  eut  rien 
t^u'il  ne  fit  pour  obtenir  que  l'argent  fût  reftitué  ,  ôc  que  les 


6^0  HISTOIRE 

I  hoftilitez  ceflaflent  à  l'avenir  i  mais  on  ne  lui  accorda  rien. 

C  H  A  R  L  E  Lorfqu'il  fut  retourné  en  Flandre ,  le  duc  d' Albe  publia  contre 
jy        les  Anglois  des  Ordonnances  encore  plus  terribles  que  toutes 
^  _         les  précédentes  j  ce  qui  porta  un  grand  préjudice  aux  négo- 
ciations publiques ,  ôc  un  plus  grand  encore  au  commerce  des 
Payis-bas. 

Cependant  le  duc  d'Albe,  qui  n'avoit  alors  aucune  autre 
affaire  que  celle  dont  je  viens  de  parler ,  employoit  toute  fon 
adrefle  à  amafler  de  l'argent.  Il  fit  à  ce  deiîein  aflembler  les 
Etats ,  ôc  leur  ayant  expofé  la  nécelTité  où  il  étoit  d'avoir  des 
fonds  pour  les  frais ,  tant  de  la  guerre  précédente ,  que  de 
celle  qu'il  feroit  obligé  de  faire  à  l'avenir  pour  ladéfenfedu 
payis ,  il  leur  propofa  de  faire  payer  un  droit  fur  tout  ce  qui 
fe  vendroit,  qui  feroit  d'un  dixième  fur  le  prix  des  meubles, 
&c  d'un  vingtième  fur  celui  des  immeubles  5  6c  outre  cela  le 
centième  de  tous  les  biens ,  tant  meubles  ,  qu'immeubles ,  que 
chacun  poffedoit.  Cette  propofition  déplût  extrêmement  :  car 
outre  que  cette  exaâion  étoit  énorme^  que  pouvoit-on  imaginer 
de  plus  fâcheux  ,  que  de  réduire  tous  les  particuliers  à  donner 
un  compte  rigoureux  de  tous  les  biens  qu'ils  pofTedoient  ?  Ainlî 
après  quelachofe  eut  été  beaucoup  debatuë  ,  quoiqu'ils  euffent 
enfin  confenti  au  dixième  ôc  au  vingtième,  ils  ne  laiflerent  pas 
dans  la  fuite  de  fe  plaindre  hautement  qu'on  leur  fît  payer  le 
dixième  du  pain  ôc  de  la  bière  qu'ils  confommoient.  Les  bou- 
langers ôc  les  braffeurs  deBruxelles  ayant  ceflè  pendant  quelques 
jours  de  travailler,  on  fut  enfin  contraint  defe  relâcher  fur  ce 
point.  Les  peuples  de  Frife  ôc  de  la  Gueldre  donnèrent  une 
fomme  pour  fe  racheter  du  centième  5  on  demanda  de  gran- 
des fommes  aux  autres  provinces  pour  avoir  la  même  exemp- 
tion. Cela  fit  naître  de  nouvelles  difficultez  fur  la  portion  que 
chaque  province  payeroit  de  la  fomme  totale  qui  étoit  deman- 
dée en  général  j  car  fuivant  les  anciens  reglemens  la  Flandre 
payoit  un  tiers  de  toute  l'impofition;  le  Brabant  un  quart,  la 
Hollande  le  quart  de  la  taxe  de  la  Flandres  l'Artois,  leHai- 
naut  ,  ôc  les  autres  provinces  payoient  chacune  un  fixiéme  : 
mais  les  Flamands  ôcles  peuples  du  Brabant  reclamoient  con- 
tre ce  règlement ,  ôc  prétendoient  qu'il  avoit  été  fait  pendant 
que  leurs  princes  étoient  en  guerre  avec  la  France  ,  afin  que 
les  provinces  qui  par  leur  voifinage  étoient  les  plus  expofées 

aux 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLVL       6ix 

aux  malheurs  de  la  guerre  ,  fuflent  les  moins  chargées  ;  mais  ,    > 

qu'étant  pour  lors  en  paix,  il  étoit  fâcheux  pour  les  habitans  ç^    „  .  „      i 

de  la  Flandre  &  du  Brabant,  de  payer  un  tiers  ,  ôcun  quart,        jy  ! 

pendant  que  les  payis  voifins  de  la  France  payoient  beaucoup     _  ^    *  ! 
moins  j  qu'il  feroit  bien  plus  raifonnable  de  rejetter  fur   ces        ^  '    *        i 

provinces  une  partie  de  la  charge  exceiïive  que  la  Flandre  ôc  ' 
le  Brabant  portoient.  Au  contraire  les  peuples  de  l'Artois  , 

du  Hainault ,  de  la  Châtellenie  de  flfle ,  d'Orchies ,  de  Douai,  j 

&  de  Namur ,  foûtenoient  qu'il  falloit  s'en  tenir  aux  anciens  '  i 

états.  Toutes  ces  difputes  rendirent  la  levée  de   ces  deniers  i 

très-difficile,  ôc  aliénèrent  tellement  les  efprits,  que  ce  fut  la  ' 

fource  des  nouveaux  troubles  qui   s'élevèrent  bien-tôt  après.  ] 

Pendant  que  cela  fe  paffoit  en  Flandre ,  Charle  Nicolaï  Na-  i 
politain  y  arriva  de  la  part  du  Pape  :  il  apportoit  au  ducd'Al-  j 
be  une  épée  dorée  y  &  un  chapeau  garni  de  diamans  ,  qui  i 
avoient  été  bénis  folennellement  à  Rome.  Nicolaï  les  lui  pre-  i 
fenta  avec  Xq'?,  cérémonies  les  plus  étudiées,  au  nom  du  Pape  \ 
ôc  des  Cardinaux  ,  comme  une  récompenfe  de  fon  zélé  extrê-  | 
me  pour  la  religion  Catholique,  ôc  des  fervices  qu'il  avoitren-                    -    \ 
dus  au  Saint  Siège.  Le  duc  d'Albe  l'ayant  remercié  de  ce  \ 
prefent ,  voulut  encore  donner  des  marques  publiques  de  fa  joye  | 
par  des  tournois ,  ôc  des  courfes  de  bagues  i  ôc  l'on  vit  dans 
cette  même  place ,  où  un  an  auparavant  on  avoit  fait  mourir 
tant  de  grands  Seigneurs  ,  les  Efpagnols ,  ôc  les  gentilshom-  i 
mes  des  plus  grandes  maifons ,  rompre  des  lances  les  uns  con- 
tre les  autres.  I 

Dans  ce  même-tems  on  travailîoit  en  diligence  à  achever      Monument      | 
dans  les  Payis-bas  un  grand  nombre  de  citadelles ,  qu'on  y  l^  duc'^d'Al-        ! 
avoit  commencées ,  ôc  fur  tout  celle  d'Anvers.    Lorfqu'elle  be. 
fut  prefque  achevée,  le  duc  d'Albe  voulut  en  travaillant  à  la 

fureté  de  la  province  ,  travailler  en  méme-tems  pour  fa  gloire  j 

particulière.  C'eft  dans  cette  vue  qu'il  s'y  fit  ériger  un  Monu-  ( 
ment  fuperbe  ,  mais  qui  le  fit  plus  haïr  qu'il  ne  lui  fut  glorieux. 

Pour  exécuter  ce  deffein  ,  il  fît  fondre  le  canon  qu'il  avoit  I 

pris  fur  Louis  de  Nafîau  à  la  bataille  de  Gemminghen ,  ôc  il  | 

en  forma  une  maffe  énorme  de  bronze.  Sur  un  pié  d'eflal  de  i 
cette  maffe  étoit  fa  ftatuë  ,  vêtue  d'une  cuiraflfe ,  le  bras  droit 

étendu  vers  la  ville  j   il  y  avoit  à  fes  pieds  deux  fîatuës  de  bron-  i 

ze  ,  profternées  dans  la  pofture  de  fupplians  ,  avec  plufieurs  j 

Tome  V^                                                        R  r  r  r  ' 


(^72  HISTOIRE 

bras  qui  tenoient  dans  leurs  mains  des  requêtes ,  des  hâcîie? 
Charle  t>nrées  ,  des   bourfes  ;  des  flambeaux  &  des  maillets  :  elles 
I  X.       reprefentoient  la  Noblefle  ôc  le  Peuple  terralTé ,  Ô£  le  Clergé 
1770.     ^  couvert  de  leur  violence.  Ces  malheureux  avoient  des  écuel- 
les  pendues  à  leurs  oreilles ,  ôc  des  befaces  de  gueux  à  leui* 
cou  ,  pour  fervir  à  rappeller  le  nom  de  gueux  que  l'on  avoit 
donné  aux  Proteftans  des  Payis-bas.    Du  pié  de  ces  ftatuës  il 
fortoit  des  ferpens  &  des  couleuvres  ,  avec  des   mafques  ôc 
d'autres  figures  épouvantables ,  qui  ctoient  des  fymboles  de  la 
faufleté ,  de  la  malice,  &  de  l'avarice  des  vaincus.  Sur  le  de- 
vant du  pié  d'eftal  il  y  avoit  un  marbre  d'azur  :,  avec  cette  inf- 
criprion  :  y^  la  gloire  de  Ferdînand  Alvarez  de  Taiede  ,   didc- 
d''Âlhe  ,   Gouverneur  général  de  la    Flandre   pour  Philippe    roi 
d'EJpagne  y  pour  avoir   éteint  les  /éditions  ,  chajfé  les  rebelles  y 
mis  en  fureté  la  religion  ,  fait  ohferver  la  juftice  <&  affernni  la 
paix  des  provinces  ,  ce  Monument  a  été  élevé  au  minière  le  plus 
fdele  du  meilleur  de  tous  les  Rois. 

Au  côté  droit  du  pié  d'eftal  on  voyoit  un  berger  qui  me- 
noit  paître  fes  brebis  :  les  loups  ôc  les  lions  fuyoient  de  tous 
cotez  ',  les  hiboux  ,  ôc  les  chauvefouris  s'envoloient  au  levée 
d'une  aurore ,  qui  dilïipoit  tous  ces  monftres  par  l'éclat  de  fa 
lumière,  avec  ces  deux  mots  grecs  ,  A^M^/k^zo^  H'^o5  3  P Aurore 
ehaffant  taus  les  maux, 

L'Infcription  du  côté  gauche  étoit  :  Au  Dieu  de  nos  Peres^ 
6c  un  peu  au-defl"ou5  étoit  La  Pieté  ,  avec  des  trophées  ôc 
les  autres  fymboles  de  la  victoire. 

Au-deflbus  de  fa  ftatuë  on  lifoit  ces  mots  *  Fondu  par  Jon^ 
geling  ^  du  hron'ze  pris  fur  P ennemi. 

Quoique  le  duc  d'Albe  fut  extrêmement  à  charge  aux  peu- 
ples des  Payis-bas  par  la  févérité  outrée  de  fes  jugemens  ,  par 
lexadion  des  impôts  nouveaux  j  qu'il  avoit  établis  à  la  place  des 
anciens,  qui  étoient  bien  moins  onéreux,  Ôc  par  le  renverfe- 
ment  total  des  privilèges ,  des  franchifes  ôc  des  immunitez  de 
ces  provinces ,  on  peut  dire  cependant  que  rien  ne  leur  ren- 
dit fbn  nom  ôc  celui  de&Efpagnols  fi  odieux  que  ce  Monu* 
ment.  Ce  fpeftacle ,  qui  étoit  toujours  devant  leurs  yeux ,  fem- 
bloit  leur  dire  fans  ceffe ,  non  qu'ils  avoient  été  une  fois  vain- 
cus i  Ôc  réduits  à  fe  foumettre  ,  mais  qu'ils  éroient  condam- 
nez à  uia  efclavage  éternel  ;  eniin  ils  s'imaginoient  fe  yoii; 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  XLVL      613 

enchaîner  ôc  mener  tous  les  jours  en  triomphe.  On  dit  que  Phi-  ^^_____ 
lippe  même  defapprouva  l'orgueil  de  cet  homme  ,  qui  pour-  Çpj^^^LE 
tant,  de  l'aveu  même  de  fes  ennemis,  étoit  un  des  plus  grands       ^y^. 
Généraux  de  fon  fiécle.  Quatre  ans  après   Louis  de  Reque-     i  r  n  q,  î 

fens ,  qui  fucceda  au  duc  d'Albe  dans  le  gouvernement  des  *  j 

Payis-bas  ,  eut  ordre  du  Roi  d'abattre  ce  Monument.  En  ef-  ^ 

fet,  dans  le  tems  que  j'étois  à  Anvers,  je  le  vis  dans  un  coin  \ 

de  la  citadelle  abandonné  Ôc  couché  à  terre  ;  &  j'avoue  que  j 

je  fus  également  frappé  de  la  beauté  admirable  de  cet  ouvra-  j 

ge ,  ôc  de  l'orgueil  infenfé  de  celui  qui  l'avoir  fait  faire.  \ 

Il  y  eut  cette  année  plufieurs  Phénomènes  en  differens  en-     Differens  j 

droits  :  à  Louvain  il  y  eut  un  tremblement  de  terre  qui  fut  PhcnomcT  j 

fuivi  d'une  tempête  extraordinaire  ,  la  terre  parut  plufieurs  fois  ^'^^'  1 

s'entr'ouvrir.  Les  quatorzième  ôc  dix-neuviéme  de  Mai  on  vit 
des  feux  voler  dans  l'air ,  le  tems  étant  très-ferein.  Le  huit  de 
Novembre  on  vit  à  PafTau  ôc  à  Saitzbourg  en  Bavière  une 
comète  livide,  dont  il  fortoit  des  rayons  enflâmez.  Elle  parut  à 
l'entrée  du  cinquième  degré  du  Capricorne ,  auprès  d'une  étoile 
brillante  qui  eft  dans  le  figne  du  Sagittaire  5  fa  queue  étoit  tour-  i 

née  du  côté  de  l'Orient ,  Ôc  fon  mouvement  la  portoit  vers  ( 

l'Occident  :  ce  fut  Benoît  Valere  Aftrologue  qui  l'obferva.  On  1 

prétendit  que  tous  ces  Phénomènes  étoient  des  avant-coureurs  ' 

de  nos  divifions.  \ 

11  y  eut  auiTi  en  Angleterre  différentes  fortes  de  troubles  :     y-   h 
Edmond  Boteler ,  frère  du  comte  d'Ormond,  remua  du  côté  en  idandc.. 
de  l'Irlande  ,  ôc  affifté  de  fon  frère  Pierre  ôc  de  fes  autres  frères, 
il  ravagea  long-tems  le  payis  de  Mounfter,  qui  étoit  dans  fon  | 

voifinage,  pillant  ou  brûlant  tout.  Pourfe  mettre  à  couvert  de  j 

la  punition  ,  il  le  ligua  avec  Jacque  Fitz-moris,  de  la  maifon 
de  Defmond  ,avec  Marc  Artimore  ,  Fitz-Edmond  Sénéchal 
d'Imokel ,  ôc  avec  quelques  autres ,  qui  vouloient  rétablir  dans 
ce  payis -là  l'ancienne  religion  de  leurs  pères:  le  Pape  même  I 

ôc  Philippe  II.  entrèrent  dans  la  confpiration ,  ôc  le  dernier  pro-  | 

mit  de  leur  envoyer  des  fecours  de  Flandre.  Ils  furent  decia-  j 

rez  rebelles  en  Angleterre  ,  ôc  l'on  envoya  contr'eux  Pierre  j 

Careu  l'aîné  ,  qui  leur  fit  la  guerre  avec  differens  fuccès ,  mais 
qui  du  moins  empêcha  leurs  courfes.    Ils  affiégerent  Kilken,  j 

ôc  demandèrent  qu'on  leur  livrât  la  femme  de  Warham  de  j 

Saint  Léger  :  mais  ayant  été  chaffez  de  devant  la  place  par  unq  \ 

R  r  r  r  ij 


574  HISTOIRE 

.  fortie  vigoureufe  que  la  garnifon  fit  fur  eux  ",  ils  fe  jetterent 


Charle  ^^^  lepayis  d'alentour ,  ôc  ils  y  firent  d'horribles  ravages.  Le 
j-^  duc  d'Albe  leur  envoya  fecrettement  Jean  deMendole,  pour 
*  les  animer  ôc  les  affermir  dans  leur  révolte  ;  mais  ce  feu  fut 
éteint  par  le  comte  d'Ormond  ,  qui  y  ayant  été  envoyé  d'An- 
gleterre ,  pcrfuada  à  fes  frères  rebelles  de  s'abandonner  à  la 
clémence  de  la  Reine:  ils  fe  rendirent  donc  prifonnierspour 
marque  de  leur  foumiiïion.  Le  crédit  que  leur  frère  avoit  au- 
près de  la  Reine  empêcha  qu'ils  ne  fuflent  mis  en  juftice.  Cette 
PrincefTe  d'ailleurs  fut  bien  aife  de  trouver  cette  occafion,  de 
donner  aux  mécontens  une  preuve  éclatante  de  fa  bonté  3  ôc 
de  gagner  par  ce  bienfait  une  grande  ôc  illuftre  Maifon  ,  qui 
lui  étoit  déjà  attachée  par  une  parenté  très-proche.  Le  Viceroi 
envoya  contre  le  refle  des  Rebelles  Hunfroy  Gilbert:,  qui  ache- 
va de  les  diiïiper. 

Il  y  eut  d'autres  troubles  dans  la  province  d'Ulfter ,  exci- 
tez par  Turlog  Leinig ,  homme  léger ,  livré  à  toutes  les  paf- 
fions  de  fes  gens  j  qui  lui  faifoient  faire  la  paix  ou  la  guerre  à 
leur  gré  :  ce  ne  fut  pas  tant  la  réfiftance  des  garnifons  qui  fit 
cefier  fes  ravages ,  que  \qs  courfes  continuelles  des  habitans  des 
Ifles  Hébrides.  Pendant  qu'il  étoit  occupé  à  faire  la  guerre  en 
Angleterre ,  ces  infulaires  fortoient  de  leur  payis ,  où  il  ne  croît 
rien  ,  entroient  dans  le  fien  qui  erttrès-fertiie,  ôc  y  ravageoicfit 
tout. 

Il  y  eut  beaucoup  plus  à  craindre  du  côté  de  l'Ecofie.  Jac- 

d'Ecoii"^^  que  de  Murray  feigneur  EcofTois^  qui  en  étoit  Viceroi  ,  y 
étant  retourné  d'Angleterre  ^  convoqua  à  Sterhn  tous  les  grands 
qui  étoient  dans  le  parti  du  Roi.  On  lut  dans  cette  affemblée 
le  traité  qu'on  venoit  de  faire  avec  Elizabeth ,  ôc  il  y  fut  gé- 
néralement apptouvé  ôc  applaudi.  Dans  le  même  tems  Jacque 
Hamilton ,  chef  de  fa  famille  ,  qui  avoit  été  adopté  pour  père 
par  la  Reine  ,  chofe  dont  on  n'avoit  jamais  vu  d'exemple  , 
fe  rendit  auili  en  Ecofie ,  en  qualité  de  lieutenant  général  du 
Royaume  pour  cette  Princefle.  Elle  fit  aufii-tôt  publier  des 
Edits,  qui  défendoient  à  tous  les  EcofTois  d'obéir  à  d'autres 
qu'à  ceux  qu'elle  avoit  mis  en  place.  Ceux  du  parti  du  Roi , 
ayant  ramaiiéquelquesfommes  d'argent,  foudoyerent  les  trou- 
pes ôc  fe  difpoferent  à  la  guerre  :  le  rendez-vous  fut  à  Glaf- 
cow,  où  l'on  s'y  rendit  en  grand  nombre  de  toutes  parts. 


DE  J.  A.  DE  T  H  ou,  Liv.  XLVI.        67; 
Hamilton  voyant  qu'il  fe  rangeoit  peu  de  monde  de  fon 


côté,  ôc  qu'il  s'étoit  trompé  dans  fon  elperance,  trouva  bon  Charle 
que  fes  amis  négociaflent  un  accommodement.  La  condition  j  x, 
fut  qu'il  reconnoîtroit  le  Roi  pour  fon  fouverain  ^  le  traité  fut  j  ^  -  q^ 
fait  fur  ce  pie  là.  Gilepfic  Cambell  comte  d'Argathel,  ôc  Geor- 
ge Gordon  comte  de  Huntley  refuferent  d'y  être  compris  , 
piquez  contre  Hamilton  de  ce  qu'il  s'étoit,  difoient-ils  Jlvré 
lui-même  à  fes  ennemis ,  au  lieu  qu'il  ne  favoit  fait  que  dans 
la  dernière  néceffité.  Comme  ils  efperoient  des  conditions 
plus  avantageufes,  par  la  crainte  que  leurs  ennemis  avoient 
de  leur  puiffance ,  ôc  qu'ils  étoient  encore  animez  par  les  let- 
tres de  la  reine  Marie  ,  qu'on  difoit  gardée  moins  étroitement 
que  par  le  paffé ,  ils  demandèrent  qu'on  rompît  l'aflemblée  , 
ôc  qu'on  la  remît  au  neuvième  du  mois  de  Mars.  Il  s'éleva  à 
ce  fujet  unedifputcj  ôc  Flamilton  ayant  avoué,  avec  plus  de 
fîncerité  que  de  prudence  ,  que  ce  n'étoit  que  par  force  qu'il 
avoir  confenti  au  dernier  traité ,  ôc  que  s'il  étoir  en  pleine  li- 
berté ,  il  n'approuveroit  rien  de  tout  ce  qui  s'étoit  fait ,  le 
Viceroi  le  fît  arrêter  fur  le  camp  avec  Maxwel  fon  principal 
confeiller  ,  ôc  les  fît  enfermer  tous  deux  dans  le  château  d'E- 
dimbourg. 

On  délibéra  enfuite  fur  les  comtes  d'Argathel  Ôc  de  Hunt- 
ley :  il  n'y  eut  pas  grande  difficulté  pour  le  premier  ;  par- 
ce que  quoiqu'il  eût  été  dans  le  parti  contraire  pendant  fab- 
fence  du  Viceroi ,  il  s'étoit  toujours  montré  fort  modéré,  ôc 
avoir  mené  fes  troupes  par-tout  le  Royaume  fans  faire  de  mal 
à  perfonne.  Ainii  à  fon  égard  ,  lorfqu'il  fut  à  Saint  André  ,  on 
fe  contenta  qu'il  fît  ferment  d'obéir ,  ôc  d'être  fidèle  au  Roi 
à  l'avenir  j  avec  la  claufe  que  s'il  manquoit  à  fa  parole  ,  il 
confentoit  non-feulement  d'être  foûmis  aux  peines  portées  par 
les  loix ,  mais  qu'il  vouloit  bien  paffer  pour  un  homme  fans 
probité  ôc  fans  honneur.  L'affaire  de  Huntley  ne  fut  pas  fi  aifée 
à  régler.  Sa  fidélité  toujours  chancelante  le  rendoit  fufpeêl  au 
parti  du  Roi  ;  ôc  la  mémoire  toute  récente  des  ravages  qu'il 
avoir  faits  dans  les  terres  de  fes  voifms ,  le  rendoit  odieux  à 
ceux  du  payis.  Mais  d'autres  difoient  que  le  meilleur  parti  qu'il 
y  eut  à  prendre  ,  étoit  de  guérir ,  s'il  fe  pouvoir ,  les  maux  pu- 
blics ,  fans  ruiner  perfonne,  ôcfans  verfer  de  fangi  qu'ainfi  ils 
étoient  d'avis  qu'on  fît  grâce  du  pafle  à  un  homme  puiffant  , 

R  r  r  r  iij 


iSjê  HISTOIRE 

foLitenu  pai'  de  grandes  alliances  &  par  un  grand  nombi'e  de 
C  H  A  R  L  E  vaflaux ,  ôc  qui  pourroit ,  Ci  on  le  mettoit  au  defefpoir ,  raflem-' 
IX.  bler  des  forces  redoutables.  D'autres  alléguoient  que  fonpere, 
1570.  Toûtenu  par  toutes  les  forces  de  fa  famille  floriffante  ,  avoitété 
très-aifement  abattu  j  que  le  fils ,  qui  s'étoit  trouvé  accablé  fous 
les  ruines  de  fon  père ,  ne  s'étoit  pas  encore  bien  relevé  ; 
qu'ainfi  on  ne  devoir  pas  appréhender  qu'en  le  pourfuivant , 
félon  les  loix  ,  il  en  pût  arriver  aucune  chofe  qui  troublât  la 
tranquillité  publique.  On  prit  un  milieu  j  on  ne  refufa  point 
au  comte  de  Huntely  le  pardon  de  fa  révolte  j  mais  on  ne 
voulut  pas  lui  remettre  fes  brigandages ,  ni  le  profit  qu'il  en 
avoit  tiré.  On  lui  permit  de  prendre  des  arbitres ,  &  de  tran- 
jfiger  à  l'amiable  avec  ceux  qu'il  avoit  dépouillés  de  leurs  biens. 
A  l'égard  de  ceux  qui  l'avoient  fuivi,  on  ne  fît  point  de  rè- 
gle générale  ,  on  fut  d'avis  de  les  juger  chacun  en  particulier. 
On  voulut  bien  cependant  que  fes  domeftiques  ne  flifTent  point 
mis  en  juftice  ,  ôc  on  lui  permit  de  décerner  lui-même  con- 
tr'eux  les  peines  qu'il  jugeroit  à  propos. 

La  paix  étant  ainfi  conclue  ,  quoique  d'une  manière  affés 
peu  folide  ,  le  Viceroi  marcha  avec  fes  troupes  vers  le  Nord 
d'Ecoffe  j  ôc  y  ayant  pacifié  tout  à  fon  gré,  contre  l'attente  de 
bien  des  gens  ,  il  s'en  revint  à  Perth  ,  oui  il  reçut  une  lettre  de 
Robert  Boydj  qui  lui  donnoit  avis  qu'on  avoit  découvert  une 
confpiration  contre  la  reine  Elifabeth  :  mais  Boyd  ajoûtoit  que 
cette  Princeffe  étoit  i\  puiflante  ôc  en  même-tems  fi  fage ,  que 
quand  on  auroit  réuni  contre  elle  toutes  les  forces  d'Angleterre 
il  ne  feroit  pas  aifé  de  lui  réfifter  :  voici  le  véritable  état  de 
cette  affaire. 
Confpira-  La  reine  Marie  ayant  mal  réuffi  dans  fon  payis  ,  pafla  en 
'^kterre.  '  Angleterre.  Elle  n'y  fut  pas  plutôt ,  qu'elle  fongea  à  y  exci- 
ter des  troubles,  ôc  la  chofe  ne  paroiffoit  pas  difficile  ,  dans  un 
tems  que  les  efprits  étoient  dans  un  grand  mouvement  ôc 
très-échauffez  ,  par  la  douleur  que  leur  caufoic  le  changement 
qu'on  venoit  de  faire  dans  la  Religion.  D'ailleurs  le  Pape  les 
aigriflbit  encore, ôc  leur faifoit valoir  le  mieux  qu'il  pouvoir  fes 
forces ,  ôc  celles  des  autres  Etats  Catholiques.  Les  François 
ôc  les  Efpagnols  y  contribuoient  auiTi ,  ôc  c'étoient  ceux  qui 
jétoient  le  plus  en  état  de  le  faire.  Mais  la  jaloufie  naturelle ,  qui 
;:es:noit  entre  les  deux  Monarques ,  ne  permettoit  ni  à  l'un  ni 


D  E  J.   A.   DE    THOU,Lrv.   XLVI       tnl 

\  l'autre ,  quelque  abbattu  ôc  quelque  épuifé  qu'il  fût  par  les 
guerres  paftees  ,  de  fouffrir  que  fon  rival  devînt  plus  puiflant  ^  ' 

&  fît  pancher  la  balance  de  fon  côté ,  en  fubjugant  l'Angle-  -rt?  ^ 
terre.  Leur  inaction  n'empêcha  pas  les  Anglois ,  fâchez  qu'on 
leur  interdit  la  religion  de  leurs  pères  ,  de  continuer  leurs  in-  *  5  7  ^« 
trigues.  Le  peuple ,  toujours  prêt  à  donner  dans  la  nouveauté, 
jettoit  les  yeux  lur  tous  les  Grands ,  pour  voir  s'il  n'en  trou- 
veroit  point  quelqu'un  ,  qui  fût  en  état  de  foûtenir  une  fi  bon- 
ne caufe  ,  ôc  qui  eût  afiez  de  vertu ,  pour  qu'il  pût  lui  confier 
fes  biens  ôc  fa  vie  :  ils  crurent  appercevoir  ce  caradere  dans 
Thomas  Ho^t'ard  duc  de  Norfolcic.  C'étoit  le  premier  hom- 
me du  Royaume ,  ôc  par  fa  naiffance  ôc  par  fes  biens  ,  ôc  par 
les  fervices  de  fon  père  y  quoique  payez  d'une  fin  honteufe: 
D'ailleurs  il  avoir  une  grande  réputation  de  prudence  parmi 
ceux  qui  le  connoifloient.  Comme  on  cherchoit  un  chef  pour 
ce  parti ,  ce  Seigneur  engagé  beaucoup  plus  par  les  appas  d'une 
fortune  qui  le  flattoit  >  que  par  fa  propre  inclination  ,  fe  joi- 
gnit plutôt  à  eux  par  imprudence  ,  qu'il  ne  fe  fit  leur  chef  par 
un  delfein  prémédité.  Il  avoir  eu  trois  femmes  qui  toutes  trois 
lui  avoient  apporté  de  grands  biens  :  mais  c'étoit  la  première  - 
qui  l'avoit  le  plus  enrichi.  Elle  étoit  fille  du  comte  Henri  d'A- 
rondel ,  un  des  premiers  Seigneurs  du  Royaume  :  elle  avoir 
une  focur  ^  mariée  au  baron  de  Lumley  3  qui  avoir  de  grands 
biens  dans  le  Nord  d'Angleterre.  Le  comte  d'Arondel  avoir 
été  vingt-fix  ans  auparavant  grand  Maréchal  fous  Henri  VIII  ^ 
dans  le  tems  que  ce  prince  mit  le  fiége  devant  Boulogne  , 
ôc  depuis  grand  Maître  de  la  Cour  :  mais  lorfqu'il  eut  per- 
du l'efperance  d'époufer  la  Reine ,  il  fe  démit  de  cette  char- 
ge ,  ôc  ne  fongea  plus  qu'à  mener  une  vie  tranquille.  Le 
troifiéme,  qui  le  joignit  à  eux,  fut  Guillaume  Herbert  comte 
de  Pembrock ,  qui  fous  Henri  VIII  avoir  été  grand  Cham- 
bellan ,  fous  Edouard  ,  grand  Ecuyer,  ôc  fous  Marie  ,  com- 
mandant des  troupes  contre  Viat ,  ôc  général  de  l'armée  auxi- 
liaire que  cette  princefie  envoya  au  ^\é.gç^  de  Saint  Quentin. 
Depuis  deux  ans  il  avoit  été  fait  grand  maître  de  la  Cour  à  la 
place  du  comte  d'Arondel.  Il  avoit  deux  fils  ,  l'un  de  la  fœur 
de  Guillaume  Parry  marquis  de  Nortampton,  l'autre  de  Cathe- 
line  ,  fixiéme  Ôc  dernière  femme  d'Henri  VIII.  L'aîné  époufa 
a  Elle  s'appelloit  Marie,  j    z  Jeanne  d'Arondel 


6l^  HISTOIRE 

_____^,^_,^__^  la  fille  de  George  Talbot  comte  de  Schrewibury  :  bien  des 
■~  gens  crurent  que  le  comte  Thomas  de  SufTex  entroit  aufli  dans 

^^^^^  cette  conjuration;  mais  ce  ne  fut  pas  fi  ouvertement ,  qu'il  ne 
le  pût  nier ,  lorfqu'elle  fut  découverte. 
'57  0»  Norfolck ,  qui  étoit  revêtu  de  la  plus  grande  dignité  du 
Royaume  après  la  Reine  i  dont  il  étoit  proche  parent ,  foû- 
tenu  par  de  grands  biens  ôc  par  un  grand  nombre  d'amis  ôc  de 
vaflaux  ,  étoit  en  droit  d'afpirer  à  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  plus 
élevé  ;  mais  ce  qui  l'animoit  le  plus  étoit  la  jaloufie  qu'il  avoit 
contre  Edouard  Seymer  comte  d'Herfort.  Il  étoit  au  defef- 
poir ,  lui  6c  tous  ceux  de  fon  parti,  que  ce  Seigneur  fût  appel- 
lé  à  la  fucceiïiondu  Royaume,  en  cas  que  la  Reine  n'eût  point 
d'enfans  ;  parce  qu'il  avoit  époufé  Catherine  fille  de  Henri  Grey 
&  de  Françoife  Brandon.  Cette  Brandon  étoit  fiile  de  Char- 
le  Brandon  duc  de  Suffolck,  &  de  la  princeffe  Marie  d'An- 
gleterre ,  féconde  foeur  de  Henri  VIH  ôc  féconde  femme  de 
Louis  Xn. 

Norfolck  ayant  trouvé  une  occafion  favorable,  vint  à  Lon- 
dres avec  le  comte  d'Arondel ,  Pembrock  ôc  Lumley ,  ôc  fup- 
pîia  très  -  humblement  la  Reine  ,  par  un  difcours  préparé  ,  de 
vouloir  bien  nommer  un  fucceffeur  à  la  couronne ,  en  cas  qu'el- 
le vînt  à  mourir  fans  enfans  :  il  ajouta  que  cela  étoit  d'une  ex- 
trême importance  pour  la  tranquillité  publique,  ôc  qu'il  y  al- 
loit  de  fa  gloire  de  prendre  des  mefures  pour  l'afTurer ,  même 
après  fa  mort  :  Que  foit  qu'elle  regardât  les  loix,  ou  les  vœux  de 
tous  fesfujets,  cène  pouvoit  être  que  le  prince  d'EcofTejque 
ce  droit  lui  appartenoit  comme  au  plus  proche  héritier ,  tant 
du  côté  paternel ,  que  du  côté  maternel  5  Que  fon  père  étoit 
petit-fils  de  Margueritte  d'Angleterre  fœur  aînée  de  HenriVUI, 
qui  avoit  été  mariée  en  premières  noces  à  Jacque  IV  roi  d'E- 
colfe,  ôc  qui  époufa  après  la  mort  de  ce  Prince  Archambaud 
de  Duglas  comte  d'Anguish,  dont  elle  eut  une  fille  nommée 
Margueritte,  qui  naquit  à  Harbet  dans  le  Northumberland , 
aux  confins  de  l'Angleterre,  ôc  qui  fut  auîTi  mariée  en  Angle- 
terre à  Mathieu  Stuart  compte  de  Lenox,  dont  elle  eut  Henri 
Stuart  père  de  Jacque  VI:  Qu'ainfi  illaprioit,qu'ilfût  defigné 
fon  fucceffeur;  parce  que  la  fucceflion  ne  pouvoit refterdou- 
teufe ,  fans  donner  occafion  à  de  nouveaux  troubles ,  qui  s'é- 
leveroient  peut-être  dès  fon  vivant ,  ôc  qui  au  moins  naîtroient 

infailliblement. 


D  E  J.  A.  D  E  T  HO  U,  Lïv.  XLVJ.       6n^ 

infailliblement  après  fa  mort,  ôc  que  Norfolck  ajouta   pour  - 

lui-même  de  très-humbles  prières  à  la  Reine ,  lui  demanda  per-  r;  h  a  R  L  E 
miffion  d'époufer  Marie  Stuart  reine  d'Ecoffe ,  avouant  que  fans  jx 
ion  agrément  il  ne  le  pourroit  ni  ne  le  voudroit  faire  :  Que  quoi-  1^70. 
qu'il  ne  fit  cette  demande  qu'en  fon  nom,  l'objet  principal 
de  fa  penfée  étoit, qu'il  ne  falloit  marier  cette  Princeffe  qu'à 
un  feigneurné  dans  l'ifle  de  la  Grande  Bretagne,  qui  n'ame- 
nât rien  d'étranger  dans  ce  Royaume,  ni  mœurs,  ni  proiets , 
ni  puiffance  :  Que  cela  étoit  de  la  dernière  importance  pour 
conferver  l'union  des  deux  couronnes  :  Qu'il  falloit  outre  cela 
un  homme  attaché  à  la  reine  d'Angleterre,  qui  étoit  en  effet 
très-digne  qu'on  s'attachât  à  elle  :  Un  homme  qui  travaillât  de 
toutes  fes  forces  à  éteindre  les  reftes  des  anciennes  haines  ,  à 
nourir  Ôc  entretenir  l'amitié  ôc  l'intelligence  entre  les  deux  na* 
tions ,  ôc  à  prendre  de  bonnes  mefures  pour  empêcher  qu'elle 
ne  fe  rompît  à  l'avenir:  Qu'il  fe  flatoit  que  la  Reine  avoitlieu 
d'attendre  tout  cela  de  lui. 

Il  y  avoit  dans  ce  difcours  bien  des  chofes  qu'il  étoit  diffi- 
cile que  la  Reine  prit  en  bonne  part.  Premièrement ,  elle  fe 
fouvenoit  que  dès  les  premières  années  de  fon  règne,  Marie 
repaffant  de  France  en  Angleterre,  lui  avoit  fait  faire  des  pro- 
pofitions  femblables  par  fes  Ambaifadeurs  ,  &  que  Norfolck 
n  ignoroit  pas  la  réponfe  qu'elle  lui  avoit  faite  ,  qui  marquoit 
affez  que  cette  demande  ne  lui  plaifoit  pas;  elle  voyoit  bien 
que  fi  elle  renouvelloit  la  même  propofition ,  ce  n'etoit  pas  afin 
d'aflurerpour  le  prefent&  pour  l'avenir  le  repos  du  Royaume, 
dont  elle  étoit  perfuadée  qu'elle  fe  foucioit  peu.  C'étoit  en  effet 
une  hardieffe  extrême  &  peu  fenfée  à  un  fujet,  de  prétendre  ob- 
tenir dans  un  tems  peu  favorable  ce  qui  avoit  été  expreflement 
refufé  àuneReine.  Elle  jugea  donc  que  le  defiein  de  Norfolck 
en  faifant  cette  demande  n  avoit  pas  été  de  l'obtenir ,  mais  d'a- 
voir par  un  refus  un  prétexte  defe  mettre  à  la  tête  d'une  fac- 
tion ,  qui  fe  formoit  dans  le  Royaume.  Ce  mariage  ,  que  Nor- 
folck propofoit,  la  bleflbit d'autant  plus,  qu'elle  jugeoit  bien 
qu'il  n'avoit  pas  fait  une  pareille  demande  fans  l'aveu  de  la  rei- 
ne d'Ecoffe.  Elle  voyoit  d'ailleurs  que  cette  Reine,  deux  fois 
veuve  ^  ôc  qu'on  difoit  encore  mariée  à  Bothwel  ,  n'étoitpas 
plutôt  entrée  dans  un  royaume  voifin, qu'elle  avoit  fongé  à  con- 
traûer  un  quatrième  mariage  avec  un  des  plus  grands  Seigneurs 
7 orne  y,  Sf  ff 


680  HISTOIRE 

de  ce  Royaume,  avant  même  que  d'être  déliée  du  troifiéme. 

Charle  Q*^^  fignifioit  tout  cela,  fmon  que  fous  prétexte  de  chercher 
l^        un  azile,  elle  cherchoit  à  femer  des  troubles  dans  un  royau- 
j  ^  j  Q^    me,  dont  elle  prétendoit  que  la  fuccenion  appartenoit  à  elle 
&  à  fes  enfans. 

Elizabeth  fe  fouvenoit  encore ,  que  dès  que  la  Reine  d'E- 
cofTe  eut  mis  le  pié  en  Angleterre ,  elle  étoit  allée  loger  chez 
Scrope  ,  qui  commandoit  fur  la  frontière  des  deux  Etats.  Or  ce 
Scrope  avoit  époufé  une  fœur  de  Norfolck  ;  ôc  il  y  avoit  beau- 
coup d'apparence  que  c'étoit  cette  fœur  qui  avoit  négocié  le 
projet  de  ce  mariage  entre  la  Reine  Marie  ôc  fçn  frère.  D'ail- 
leurs la  reine  d'Angleterre  n'ignoroit  pas  qu'il  y  avoit  desmou- 
vemens  dans  le  Royaume?  que  le  peuple murmuroit  tout  haut 
contre  le  changement  introduit  dans  la  Religion  ,  &  que  la 
Noblefle  même  étoit  mal  difpofée  en  bien  des  endroits  j  enfor- 
te  qu'il  étoit  comme  fur  qu'il  y  auroit  des  troubles ,  s'il  fe  trou- 
voit  un  chef. 

Cette  confidération  détermina  Elizabeth  à  faire  obferver  les 
niouvemens ,  les  intrigues ,  les  entreprifes  de  Marie.  Elle  char- 
gea de  ce  foin  George  Talbot  comte  de  Schrewfbury,  Edouard 
Hafling  comte  de  Huntington,  ôc  Henri  KnoUe  frère  du  Vice- 
chambellan.  A  l'égard  des  demandes  de  Norfolck  ôc  de  fes 
partifans,  elle  leur  fit  dire  par  le  chanceHer  Jean  Bacon  ,  par 
Guillaume  Cecil  fecretaire  d'Etat ,  par  François  Knolle  Vice- 
chambellan  ,  ôc  par  quelques-uns  des  principaux  de  fon  confeii, 
de  nepluspenfer  à  un  deflein  téméraire,  ôc  qui  leur  feroit  per- 
nicieux. Par  cette  réponfe  ambiguë  elle  fe  débarafTa  de  leurs 
demandes,  Ôc  leur  fit  afiez  entendre  que  leur  propofition  l'a- 
voit  indifpofée  contre  eux.  Leur  première  démarche  après  cela 
fut  d'aller  à  Nonfuch  chez  le  comte  d'Arondel ,  ôc  de  là  à  Wil- 
tone ,  où  Pembrock  demeuroit  ordinairement.  Cela  fit  juger 
à  la  Reine  qu'ils  vouloient  entreprendre  quelque  chofe,  à  l'ai- 
de deshabitans  de  ces  provinces  feptentrionales,  toujours  dif- 
pofez  à  exciter  des  féditions. 

La  Reine  crut  qu'il  y  auroit  de  l'imprudence  à  attendre  que 
le  parti  des  Conjurez  fe  fortifiât  :  c'eft  pourquoi  elle  fit  partir 
de  Londres  des  gens  de  confiance  pour  prévenir  leurs  defîeins. 
Ceux  qu'elle  chargea  de  cet  emploi  firent  tant  de  diligence, 
qu'ils  furpriïent  Norfolck ,  ôc  le  conduifirent  à  la  Reine  ,  qui 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  L  î  v.  XLVL        €$1 

ëtoit  à  Windfor  environ  à  huit  lieues  de  Londres  :  les  gardes 
du  corps  eurent  ordre  de  le  conduire  fur  le  champ  à  la  Tour  Char  le 
de  Londres ,  pour  y  demeurer  jufqu'à  ce  que  la  Reine  en  or-       jx 
donnât  autrement.  i  c  7  o, 

A  cette  nouvelle,  Thomas  Percy  comte  de  Northumber- 
land^ôc  Nicolas  de  Newal  comte  de  Weftmotland ,  foHicitez 
par  Nicolas  Mofton  prêtre  Anglois,  que  le  Pape  avoir  envoyé 
aux  Conjurez  ,  entreprirent  de  rétablir  l'ancienne  Religion 
que  quelques  fcelerats,  difoient-ils,  qui  étoient  auprès  de  la 
Reine,  a\'oient  prefque  entièrement  abolie.  Ils  commencè- 
rent par  publier  un  manifefte,  pour  rendre  raifon  de  leur  entre- 
prife  i  après  quoi  ils  fe  mirent  à  lever  des  foldats  fur  la  fron- 
tière du  côté  du  Nord.  Ils  demandoient  par  leur  écrit,  que 
la  Religion  fut  rétablie ,  que  la  Reine  chafsat  fix  de  fes  con- 
feillersj  qu'elle  rétablît  ceux  qu'elle  avoit  dépouillez  de  leurs 
charges  j  enfin  qu'elle  accordât  une  amniftie  générale.  Leur 
manifefte  fut  foufcrit  par  le  Chevalier  Chriftophie  Flanet,  par 
Richard  Norton  ,par  François  fon  fils,  ôc  par  quelques  autres. 
On  n'y  dit  pas  un  mot  du  mariage  de  la  Reine  d  Écofle  avec 
le  duc  de  Norfolck,  afin  que  le  prétexte  de  la  guerre  fût  plus 
fpecieux.  Ils  avoient  déjà  un  corps  d'environ  neuf  mille  hom- 
mes. Elizabeth ,  dont  les  forces  n'étoient  pas  encore  alîem- 
blées  ,  fit  en  attendant  publier  contre  eux  une  ordonnance 
le  24  de  Novembre,  par  laquelle  après  avoir  parlé  avec  force 
de  la  conjuration  des  comtes  de  Northumberland,  de  Weft- 
morland  ,  ôc  de  leurs  complices,  ôc  avoir  expliqué  tous  les 
moyens  qu'elle  avoit  employez  pour  empêcher  qu'ils  n'en  vinf- 
fent  à  une  révolte  ouverte,  elle  les  profcrivoit  comme  traî- 
tres ôc  rebelles ,  ôc  enjoignoit  à  Henri  comte  de  Suflex  ,  qui 
commandoit  fur  la  frontière  du  côté  du  Nord,  d'y  faire  pu- 
blier fon  ordonnance  royale,  ôcde  pourfuivre  les  rebelles  ôc 
leurs  partifans. 

Cependant  Elizabeth /difTimulant  fon  reflentiment  dans  la 
conjonélure  prefente  ,  écrivit  aux  Etats  d'Ecode  aflemblés  à 
Perth,  prefque  dans  le  même-tems  que  Marie  leur  écrivoir  de 
fon  côté.  Elizabeth  leur  propofa  trois  conditions  ;  la  première 
qu'ils  rétabliffent  la  Reine  dans  le  rang  ôc  dans  fautorité  qu'elle 
avoit  eue,  ôc  s'ils  ne  pouvoient  accorder  cet  article ,  qu'elle 
jouît  du  moins  ,  en  commun  avec  fon  fils,  des  honneurs  de  la 

Sfff  ij 


622  HISTOIRE 

^^____^  royauté,  ôc  qu^on  mît  fon  nom  dans  toutes  les  lettres  &  dans  tous 

"Z  les  ades  quiémaneroient  de  l'autoritéRoyale  ;  ôcau  cas  qu'on 

Charle  „„       14  j        •  1'        -1'  '  11      A  •       A* 

j^        ne  voulut  accorder  ml  un  ml  autre  ^  quelle  put  au  moins,  n 

elle  vouloit ,  mener  une  vie  privée  dans  fon  palais ,  où  elle  joùi- 
^  '  '  roit  de  tous  les  honneurs  qu'elle  pourroit  fouhaitter ,  à  la  refer- 
ve  de  ceux  de  la  royauté.  On  fentit  bien  qu'EIizabeth,  en  met- 
tant cette  troiliéme  condition  ,  abandonnoit  peu  à  peu  cette 
Reine  fon  alliée ,  qui  commençoit  à  lui  être  fufpeâe.  Ceux 
qui  tenoient  le  parti  du  Roi  confentirent  fans  peine  à  cette 
dernière  condition  :  mais  ils  rejetterent  opiniâtrement  les  deux 
autres. 

On  lut  enfuite  dans  PafTemblée  les  lettres  de  la  reine  d'E- 
cofle ,  par  lefquelles  elle  demandoit  qu'on  lui  donnât  des  ju- 
ges ,  pour  prendre  connoifTance  de  fon  mariage  avec  Bothweh 
&  que  fi  on  trouvoit  qu'il  fût  fait  contre  les  îoix,  on  la  déclarât 
libre.  Les  partifans  du  jeune  Roi  éludèrent  fa  demande,  par  une 
réponfe  infultante  :  ils  lui  confeilierent  d'écrire  au  roi  de  Dan- 
nemarck  ,  ôc  de  le  prier  de  mettre  Bothwel  en  juftice,  &  de 
le  faire  punir  comme  affafiTm  de  fon  fécond  mari  :  ils  lui  dirent 
que  par  ce  moyen  elle  feroit  dégagée  ,  &  maîtreffe  de  fe  ma- 
rier à  qui  elle  voudroit ,  fans  que  perfonne  pût  l'en  empêcher: 
Que  fi  elle  ne  goûtoit  pas  cet  expédient ,  on  avoitlieu  de  croire 
que  ce  n'étoit  pas  férieufement  qu'elle  parloit  de  faire  divorce 
avec  Bothwell  3  mais  que  ce  n'étoit  qu'une  feinte  ,  pour  faire 
un  nouveau  mariage  aufîi  peu  ftable  que  celui  qu'elle  avoit  con- 
trarié avec  lui. 

Le  jugement  de  l'afTemblée  ayant  été  porté  à  Elizabeth  ,  elle 
ne  fut  pas  trop  fâchée  ,  qu'on  eût  accepté  la  condition  qui  don- 
noit  le  moins  d'autorité  à  la  reine  d'Ecoffe  ,  dont  elle  com- 
mençoit  aie  défier,  ni  qu'on  eût  répondu  aux  lettres  de  cette 
Princeiïe  d'une  manière  qui  reculât  fon  nouveau  mariage,  dont 
les  Conjurez  hâtoient  tant  la  conclufion.  C'étoit  en  efîèt  au- 
tant de  tems  que  Ton  donnoità  la  reine  d'Angleterre,  pour  fe 
mettre  en  état  de  diiïiper  cette  grande  tempête.  Cependant 
comme  elle  ne  vouloir  pas  encore  fe  découvrir  à  la  reine  d'E- 
coffe, elle  répondit  aux  Etats,  pour  gagner  du  tems,  qu'elle 
n'étoit  pas  tout  à  fait  contente  du  jugement  qu'ils  avoient  ren- 
du i  &  ellefe  plaignit  qu'on  ne  lui  eût  pas  envoyé  un  homme 
qui  fût  d'un    caradere  à  finir  avec  lui  une  affaire  de  cette 


DEJ.  A.  DETHOa    Liv.  XLVI.       ^8^ 

importance.  Ainfi  de  concert  avec  le  Viceroi  ,  qui  cherchoit  ..n    . 

de  fon  côté  à  tirer  les  chofes  en  longueur,  elie  fit  enforte  ru  a  RLE 
qu'on  propofàt  encore  la  même  affaire  à  l'afTemblée  qui  fe  tint  j  y 
quelque  tems  après  à  Sterlin.  Les  demandes  de  Marie  y  furent 
d'abord  éludées  fous  differens  prétextes  très- frivoles  5  mais  dans 
la  fuite  elles  furent  nettement  ôc  ouvertement  rejettées  5  fur 
cette  grande  raifon ,  qu'étant  difficile  qu'il  y  ait  une  focieté 
fidèle  entre  deux  perfonnes  qui  partagent  la  royauté ,  on  ne 
pouvoir  guère  feflater ,  qu'une  femme  qui  étolt  à  la  fleur  de 
fon  âge,  &  qui  n'avoit  pas  voulu  partager  l'autorité  avec  un 
mari,  pût  fe  réfoudre  à  la  partager  avec  un  enfant  :  Que  fi 
par  deffus  cela,  elle  venoit  à  époufer  unhomme  puiffant, com- 
me elle  le  prétendoit,  ilétoit  à  craindre  que  les  forces  de  cette 
Princeffe  le  trouvant  alors  confidérablemenc  augmentées ,  les 
amis  du  jeune  Roi  ne  fe  refroidîffent ,  ôc  ne  préferaffent  une 
fortune  prefeme  qu'on  leur  offriroit,  à  une  efperance  aulTi  éloi" 
gnée  qu'incertaine^ôcque  parconféquentla  vie  ôcl'état  du  jeune 
Prince  ne  fuffent  en  grand  danger:  carpourroit-on  douter  qus 
celui  que  Marie  épouferoit ,  ôc  qu'elle  alTocieroit  au  thrône  ,  ne 
fît  tousfes  efforts  pourôter  i'obftacle,  qui  empêcheroitles  en- 
fans  qu'il  auroit  de  la  Reine  de  parvenir  à  la  couronne  f 

Voilà  ce  que  Robert  Petcarn  ;  feigneur  très-attaché  au  jeu- 
ne Roi,  reprefenta  à  la  reine  d'Angleterre,  dans  le  tems  que 
la  confpiration  de  Norfolck  fut  découverte  ,  ôc  tout- à-fait  dé- 
concertée par  la  défaite  des  troupes  des  comtes  de  Northum- 
berlandôc  deWeftmorland  j  car  on  fit  quantité  de  prifonniers, 
qui  furent  conduits  à  Norwick ,  où  ils  furent  condamnez  à  mort 
par  le  juge  royal,  ôc  par  l'avocat  du  Roi ,  ôc  exécutez  fur  le 
champ.  Les  principaux  étoient  Jean  Trockmorton  ,  George 
Redman,  Jean  Apleart,  Thomas  Brook,  Chtidophle  Piater, 
Briand  Hollandois ,  ôc  Edouard  Fifcher.  A  l'égard  de  Robert 
Flood,de  Jean  Hubert,  ôc  d'Edoaard  Smith ,  ils  furent  condam- 
nez à  une  prifon  perpétuelle.  Le  comte  de  Northumberland 
s'étant  fauve  en  Ecoffe,  y  fut  arrêté  ôc  mis  en  prifon  par  l'or- 
dre de  Jacque  comte  de  Murray,  qui  fut  ravi  de  faire  ce  plai- 
fir  à  la  reine  d'Angleterre,  dont  fa  fortune  dépendait  ablolu- 
ment.  Le  comte  de  Weflmorland  trouva  un  azile  chez  Carry 
baron  de  Fermi-Hurfl:,  ôc  chez  Gautier  Seft  baron  de  Buch- 
îuy.  De  là  il  fe  fauva  dans  les  Payis-bas,  oia  moyennant  une 

Sfffnj. 


IX. 

15  70- 


6H  HISTOIRE 

■■^^  petite  penfionque  l'Efpagne  donnoit  aux  bannis  d'Angleterre, 

C  ~  ^^  vécut  dans  une  pauvreté  extrême  jufqu'à  un  âge  fort  avancé. 

L'armée  des  Conjurez  ayant  été  entièrement  diflipée  ,  on 
crut  le  feu  de  la  guerre  éteint  ;  mais  Léonard  Dacré,  qui  étoit 
boflu ,  le  ralluma  du  côté  de  Nauworth  dans  le  Comberland, 
auprès  de  la  muraille  de  Severe  '  5  ôc  l'on  eut  tout  lieu  de  crain- 
dre qu'il  ne  s'étendît ,  &  qu'il  ne  troublât  la  tranquilité  du  Royau- 
me. Guillaume  Dacré ,  fils  du  frère  aîné  de  Léonard  ^  étoit  mort 
depuis  quelque  tems  par  un  accident  très-malheureux.  Corn- 
me  il  apprenoit  à  voltiger  ,  il  tomba,  ôc  le  cheval  de  bois  fur 
lequel  il  s'exerçoit  étant  tombé  fur  lui  le  frappa  fi  rudement, 
qu'il  en  mourut  :  comme  il  n'avoit  que  des  filles,  Léonard  ,  fâ- 
ché  qu'une  fi  grofle  {uccellion  pafsât  à  fes  petites  nièces,  leur 
intenta  un  procès  pour  les  en  dépouiller  :  mais  le  jugement  ne 
lui  ayant  pas  été  favorable ,  il  fe  mit  entête  d'exciter  des  trou- 
bles dans  l'Etat,  ôc  de  mettre  en  liberté  Marie  Stuart.  Elle 
venoit  d'être  tranfportéc,  par  les  comtes  deSolop  ôc  de  Hun- 
tington,  de  Tutburre  à  Coventry  ^  qui  eft  une  place  forte,  éloi- 
gnée de  la  frontière.  Pour  mieux  cacher  fon  deflein ,  il  alla  à 
la  Cour ,  où  Chiappino-Vitelli  avoit  été  envoyé  par  le  duc 
d'Albe  ,  fous  prétexte  d'y  conclure  un  traité  pour  le  commer- 
ce, mais  en  effet  pour  voir  fur  les  lieux  quel  feroit  le  fuccès 
de  la  conjuration  formée  contre  Elizabeth,  ôc  pour  fe  mettre 
à  la  tête  du  parti  de  Alarie ,  fi  les  chofes  prenoient  un  bon  train. 
Mais  le  parti  des  comtes  de  Northumberland  Ôc  de  Weftmor- 
landfut  bien-tôt  diffipé ,  dans  le  tems  même  que  Léonard  étoit 
à  Londres ,  ôc  on  le  foupçonna  d'avoir  trempé  dans  la  conf- 
piration.  Cependant  ayant  eu  permifÏÏon  de  voir  la  Reine ,  i\ 
obdnt  le  pardon  du  palfé,  ôc  il  lui  rendit  depuis  de  très-bons 
fervices ,  pour  achever  de  détruire  les  refies  de  ce  parti.   Cette 
Princeffe  pleine  de  bonté,l'ayant  renvoyé  bien-tôt  après  fur  cette 
frontière,  où  la  famille  des  Dacrés  efl  trcs-puiffante ,  il  fe  rengea 
de  nouveau  du  côté  des  rebelles  5  Ôc  comme  il  étoit  homme 
de  main ,  il  fe  chargea  de  tuer  Scrope ,  un  des  principaux  fei- 
gneurs  de  cette  province ,  ôc  i'évêque  de  Carlilc,  l'un  ôc  l'autre 


I  Cette  muraille  s'etendoit  depuis 
Neucallle  fu  1er  Tyn  jufqu'à  Carlile  fur 
l'Eden  ,  ôc  depuis  la  mer  Germanique 
jufqu'à  la  mer  d'Irlande  pour  empê- 


cher les  courfes  des  peuples  de  l'EcoiTe, 
z  Coventre,  ou  Coventry  eft  dans 
le  comté  de  Warvick. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLVI.      <î8y 

très-attachez  à  la  Reine.  N'ayant  pu  l'exécuter  ,  il  écrivit  aux  ta^r^ 
Ecoiïbis  en  faveur  des  comtes  deNorthumberland  &  de  Well-  p 
morland  ,  qui  étoient  toujours  errans  ^  fans  pouvoir  trouver  t  y 
de  retraite  fûre  3  ayant  enfin  tout  à  fait  levé  le  mafque  ,  il  fe 
faifit  du  château  de  Greyftach  ôcdes  autres  places  des  Dacrés, 
&  travailla  fans  relâche  à  fortifier  Nauworth  ,  qui  étoit  à  lui , 
6c  raniaffa  tous  les  brigands  qui  infeftoient  cette  frontière. 
La  Reine  ayant  envoyé  contr'cux  Hunsdon  ,  Léonard  rafTem- 
bla  toutes  fes  forces  ,  quitta  fes  places  ,  marcha  au-devant  de 
lui  ,  ôc  le  combattit  auprès  de  la  petite  rivière  de  Gelte.  L'ac- 
tion fut  très-vive;  Léonard  y  fit  tous  les  devoirs  d'un  grand 
Capitaine  ,  &  la  vicloire  coûta  cher  à  Hunsdon.  Dacré  le  fau- 
va  d'abord  en  Ecoffe ,  ôc  étant  pafTé  de  là  dans  les  Payis-bas, 
il  mourut  enfin  à  Louvain  dans  une  grande  mifere. 

Norfolck,  qui  étoit  toujours  gardé  dans  la  tour  de  Londres, 
voulant  fe  juflifier  du  crime  dont  on  l'accufoit,  fit  publier  le 
vingt- quatrième  de  Juillet  par  fes  amis ,  tant  à  la  Cour,  que 
dans  le  refte  du  Royaume  ,  qu'il  étoit  bien  fâché  d'avoir  prêté 
l'oreille  aux  propofitions  qu'on  lui  avoit  faites  ,  d'époufer  la 
reine  d'Ecofle  ,  &  de  s'être  attiré  la  jufte  indignation  de 
la  Reine  ;  qu'il  s'en  répentoit  ,  qu'il  en  demandoit  pardon  à 
fa  Majefté ,  ôc  qu'il  la  fupplioitj  après  cet  aveu ,  de  vouloir  bien 
lui  rendre  fes  bonnes  grâces  :  il  ajoûtoit  qu'il  étoit  prêt  de  fa- 
crifier  pour  fon  fervice  ,  fes  biens  ,  fon  fang  ôc  fa  vie  même  , 
aux  premiers  ordres  qu'elle  lui  donneroit  ;  qu'il  lui  engageoit 
fa  parole  ,  qu'il  ne  prendroit  à  l'avenir  aucune  réfolution ,  ni 
fur  ce  mariage,  ni  fur  toutes  les  affaires  qui  interelfoient  l'Etat, 
que  de  concert  avec  elle.  Elifabeth  touchée  de  cet  aveu  ,  qui 
paroiflbit  fincere,  ôc  n'ayant  jamais  voulu  de  mal  à  Norfolck, 
fe  rendit  à  fes  prières  ôc  à  celles  de  fes  amis ,  ôc  confentit  qu'il 
fût  élargi ,  ôc  allât  demeurer  dans  fa  maifon  auprès  des  Char- 
treux. 

Sur  ces  entrefaites  ,  Robert  Rodolfi  vint  en  Angleterre 
par  ordre  du  Pape ,  fous  prétexte  de  quelques  affaires  qu'il 
avoit  à  Londres  ;  mais  en  effet  pour  débaucher  les  Anglois , 
en  leur  failant  des  promefTes  magnifiques ,  tant  au  nom  de  fa 
Sainteté  ,  que  de  Philippe  II  :  c'étoit  l'agent  de  tous  ceux  qui 
étoient  auprès  de  la  Reine.  Sur  quelque  loupçon  que  l'on  con- 
c^ut  contre  lui ,  il  fut  mis  en  prifon  ?  mais  ayant  été  nais  en 


6^6  HISTOIRE 

liberté  ,  en  même-tems  que  Norfolck ,  il  repaiïa  en  Italie  : 
heureufement  pour  lui  il  ne  fe  trouva  pas  en  Angleterre,  lorf- 
que  le  détail  de  la  conjuration  tramée  contre  Elifabeth  fut 
découvert,  par  les  papiers  ôc  les  lettres  fecrettes  des  com- 
plices. 

Pendant  que  cela  Ce  paflbit  en  Angleterre ,  les  Partifans  que 
Marie  avoit  en  EcoiTe  faifoient  tout  leur  poffible  pour  trou- 
bler ce  Royaume:  comme  le  comte  de  Murray  étoit  celui  qui 
mettoit  le  plus  grand  obdacle  à  leurs  defleins  ,  ils  réfolurent 
de  s'en  défaire.  Guillaume  de  Metellan  paflbit  pour  être  le 
chef  de  ce  parti  :  Thomas  Craffort  l'ayant  accufé  d'avoir  eu 
part  à  la  mort  du  feu  Roi  ' ,  le  Viceroi  le  fit  arrêter  à  Sterlin 
où  il  étoit  ailé  depuis  peu  ,  ôc  le  fit  conduire  à  Edimbourg. 
Mais  le  baron  de  Hume  ôcGalatinKirkadey  ami  intime  du  Vi- 
ceroi ,  l'ayant  prié  inftamment  de  rendre  la  liberté  à  Metellan  ; 
il  le  fit  :  la  complaifance  qu'il  eut  alors  pour  eux  fut  depuis  la 
caufe  de  fa  ruine  :  car  Petcarn  étant  revenu  d'Angleterre  , 
après  y  avoir  exécuté  heureufement  tout  ce  qui  l'y  avoit  fait 
aller ,  affura  le  Viceroi  que  la  Reine  étoit  très-contente  de 
tout  ce  qu'il  avoit  fait  en  Ecoue  j  de  ce  qu'il  avoit  pacifié  la 
frontière  ,  fait  arrêter  le  comte  de  Northumberland ,  un  des 
principaux  conjurez  ;  de  ce  qu'il  le  tenoiten  prifon  ,  &  en  gé- 
néral de  ce  qu'il  travailloit  très -utilement  pour  l'intérêt  da 
jeune  Roi.  Il  ajouta  à  cela  les  promefTes  les  plus  flateufes  de 
la  part  d'Elifabeth.  Murray  croyant  n'avoir  plus  rien  à  crain- 
dre ,  négligea  les  bruits  qui  couroient  d'une  conjuration  for- 
mée contre  lui  ;  il  différa  l'afTemblée  des  Etats  ,  &  ayant  en- 
voyé le  comte  de  Northumberland  fous  bonne  garde  dans  un 
château  qui  eft  fur  le  lac  Levin  ,  il  partit  le  trente-un  de  Dé- 
cembre pour  fe  rendre  à  Sterlin. 
Confiiira-  -^^  Commencement  de  l'année  fuivante  il  arriva  de  grands 
tion  contre  le  changemeiis  en  Ecoffe.  La  mort  du  Viceroi  donna  la  liberté 
Murray  ^  *^^^  fatlions  qui  divifoient  le  Royaume ,  de  fe  montrer  à  dé- 
couvert :  mais  la  bonne  fortune  du  jeune  Roi  fit  que  tout  s'ac- 
commoda ,  fans  guerre  ,  ôc  même  fans  danger.  Murray  re- 
cevoir des  avis  de  toutes  parts  des  embûches  que  lui  drefToit 
la  faûion  de  Tes  ennemis  ,  qui  ne  pouvoient  réùffir  tant  qu'il 
rivroit ,  Ôc  qui  s'imaginoient  que  tout  leur  fcroit  ailé  dès  qu'il 

j  Henri  Stuart ,  fécond  mari  de  la  reine  d'EcoiTe, 

feroit 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XLVL      ^p7 

feroit  mort.  Mais  outre  ces  motifs  ils  étoient  vivement  folli-  n» 

citez  par  la  Reine  prifonniere,  qui  les  afluroit  que  dans  peu  CharlB 
ils  recevroient  des  fecours  de  France  &  d'Efpagne.  Soit  que  J  X. 
Je  Viceroi  méprifar  naturellement  ces  fortes  d'avis,  foit  qu'il  1^70* 
fe  crût  aflez  à  couvert  par  le  grand  nombre  de  Nobleffe  qu'il 
avoir  toujours  à  fa  fuite  ,  il  ne  prit  aucune  précaution  nouvelle. 
Les  Hamiltons  étoient  à  la  tête  des  Conjurez  :  ils  publioient 
que  Murray  en  vouloir  à  la  Royautés  que  c'étoit  lui  feul  qui 
empêchoit  que  la  Reine  ne  revînt  tenir  fon  rang  en  Ecofle  i 
que  fous  prétexte  de  défendre  le  jeune  prince  contre  fa  mère, 
il  prenoit  des  mefures  pour  fe  mettre  la  couronne  fur  la  tête , 
à  la  première  occafion  que  l'enfance  du  Roi  ne  manqueroit 
pas  de  lui  fournir  :  fur  cela  ils  firent  un  complot  de  fe  défaire 
de  lui.  On  a  cru  que  Guillaume  Kirkadey,  gouverneur  de  la 
citadelle  d'Edimbourg,  y  étoit  entré.  Jacque  Hamilton  fils  de 
la  fœur  de  l'archevêque  de  Saint  André  ,  s'offrit  pour  l'exécu- 
ter ,  &  il  n'attendoit  pour  le  faire  que  de  trouver  quelque  mo- 
ment favorable.  N'ayant  peu  en  venir  à  bout ,  ni  à  Glafco  j 
ni  depuis  à  Sterlin  ,  il  fe  flatta  de  réùflir  mieux  à  Lytko ,  par- 
ce que  cette  place  appartenoit  à  la  maifon  d'Hamilton. 

Cependant  on  vint  dire  au  Viceroi  qu'il  fe  tînt  fur  fes  gar-  n  eft  aflaf- 
àç,s> ,  Ôc  qu'il  y  avoir  un  affafl^in  logé  à  trois  ou  quatre  maifons  ^"^é. 
de  la  fienne.  Cet  avis  ne  fit  d'autre  effet  fur  lui  que  de  lui 
faire  prendre  la  réfolution  de  fortir  par  une  autre  porte  >  ôc  de 
s'en  aller  par  un  autre  chemin  :  mais  il  fe  trouva  un  grand 
nombre  de  cavaliers  qui  l'en  empêchèrent.  Dans  le  tems  qu'il 
pouffoit  fon  cheval  pour  fortir  vire  de  ce  lieu  fufpe6t ,  une 
foule  de  monde  l'ayant  arrêté  ,  fafiaflin  qui  étoit  fur  un  bal- 
con derrière  un  rideau  ,  lui  tira  un  coup  d'arquebufe ,  &  étant 
forti  à  finftant  par  une  porte  de  derrière  ,  fe  fauva  fur  un 
cheval  qu'on  lui  tenoit  tout  prêt.  Le  coup  perça  de  part  en 
part  un  peu  au-deffous  du  nombril:  Murrey  qui  avoir  un  grand 
courage  ,  defcendit  de  cheval  avec  autant  de  tranquillité  que 
s'il  n'eut  point  été  bleffé ,  ôc  s'en  retourna  à  pié  chez  lui.  Ce- 
pendant les  douleurs  qu'il  feniit ,  l'ayant  averti  qu'il  étoit  près 
de  fa  dernière  heure,  il  donna  les  ordres  qu'il  jugea ncceffai- 
res  ,  ôc  ayant  recommandé  le  Roi  aux  Seigneurs  qui  étoient 
prefens  ^  il  fe  difpofa  tranquillement  à  la  mort.  Ses  amis  fe 
flefefperoient ,  &  difoient  que  fa  bonté  excelTive  lui  avoit  attirç 
Tomç  F»  T 1 1 1 


^p8  H  I  s  T  O  I  R  E 

-  ce  malheur  î  parce  que  quelques  jours  auparavant  il  avoir  fait 

C  H    R  I  F  E^^^^  ^  ^^^  meurtrier^,  condamné  à  la  mort  pour  crime  de  haute 
T  Y         trahifon.  Murray   entendant  ces  difcours  leur  dit  :  Tout  ce 
que  vous  pourrez  dire  ,  ne  me  fera  jamais  repentir  de  ce  que 
'    j'ai  fait.  Il  mourut  fur  le  minuit  le  vingt-troifiéme  de  Janvier. 
Son  élo^c       Pendant  fa  vie ,  le  Royaume  s'ctant  trouvé  divifé   en   plu- 
fîeurs  faâions,  fes  envieux  le  déchirèrent  par  des  bruits  fâcheux 
qu'ils  faifoient  courir  contre  luL  Après  fa  mort  fes  ennemis 
même  ne  purent  lui  refufer  les  juftes  louanges  qu'il  meritoit. 
De  leur  aveu  jamais  homme  n'eut  l'efprit  plus  prefent  dans  les 
occafions  perilleufes,  ne  combattit  avec  plus  de  bonheur,  ne 
rendit  juftice  avec  plus  d'équité,  ne  fût  plus  fage ,  plus  libé- 
ral ,  plus  humain.  L'aflaffinat  de  Murray  fit  donner  à  Hamil- 
ton  le  furnom  d'afTailin.  On  ne  fçait  fi  ce  fut  l'archevêqae  de 
Saint  André  qui  l'engagea  à  faire  ce  coup  ,  ou  s'il  s'y  porta  de 
lui-même  pour  venger  fa  propre  querelle  :  quoiqu'il  en  foit, 
ne  fe  fentant  pas  en  fureté  en  EcofTe;  il  paifa  en  France  >  où 
comme  on  le  jugea  homme  d'expédition  ,  on  lui  fit  des  offres 
avantageufes  pour  entreprendre  contre  Coligni  ,  à  la  vie  du- 
quel on  en  vouloit  beaucoup  ,  ce   qu'il  avoit  exécuté  contre 
Murray  :  mais  il  répondit  féchement  qu'il  n'étoit  pas  ^enu  ea 
France  pour  y  faire  le  métier  d'afTafTin  :  que  ce  qu'il  avoir  fait 
en  Ecoffe  ,  il  l'avoir  fait  par  colère  &  par  un  juffe  reffentiment, 
&  qu'il  s'en  répentoit  i  mais  qu'il  n'y  avoit  ni  prière  ni  argent 
qui  fuflent  capables  de  l'engager  à  tuer  quelqu'un  pour  l'injure 
d'un  autre. 

La  mort  de  Murray  ayant  fufpendu  toutes  les  affaires  d'E- 
coffe,  le  Royaume,  qui  étoit  divifé  par  les  fattions  du  jeune 
Roi  &  de  la  Reine  fa  mère,  n'étoit  proprement  ni  en  paix  ni 
en  guerre  ,  &  il  fut  long-tems  dans  cet  état.  Elifabeth  fe  por- 
îoit  toujours  pour  arbitre  entre  les  deux  partis  5  mais  elle  ref- 
ferroit  de  jour  en  jour  pias  étroitement  fa  prifonniere.  Les 
Hamilrons  ne  pouvant  venir  à  bourde  troub'er  l'EcofTe,  ré- 
folurent  de  brouiller  les  Ecoffois  avec  les  Anglois,  qui  com- 
mençoient  à  fe  déclarer  pour  le  parti  du  Roi.  Ce  fur  à  leur 
infligarion  que  Gautier  Scot  baron  de  Buchluy  Ôc  Thomas 
Carry  baron  de  Fernihurfl ,  tous  deux  zélés  partifans  de  Marie, 
ôc  qui  étoient  fur  la  frontière  des  deux  Royaumes  j  entrèrent 
en  Angleterre,  ôc  mirent  tout  à  feu  ôc  à  fang,  avec  une  cruauté 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  I  V.  XLVI.       6s>9 
înoûie  ;  afin  que  s'ils  ne  pouvoient  par  des  voyes   ordinal-  ■         j 

res  engager  leurs  voifins  à  prendre  tes  armes,  ils  les  y  for-  CharlE         ' 
çaflTent  malgré  eux,  à  force  de  leur  faire  du  mal.  On  indiqua        in/  j 

vers  ce  tems-là  une  aflemblée,  pour  choiiir  un  Viceroi  du  nom-        r.  7  o  ^ 

bre  de  ceux  que  Marie  avoir  nommez  pour  tureurs  au  Roi  ; 

fon  fils,  pourvu  qu'il  ne  fût  point  pafle  dans  la  faûion  con-  j 

traire.   Mais  l'afiemblée  fut  remife  par  le  confeil  de  Guillau-  ; 

me  Meteilan  :  c  éroir  le  principal  auteur  des  troubles ,  ôc  il  ■ 

avoir  été  mis  en  prifon  dans  la  citadelle  à  ce  fujet.  Après  la  î 

mort  de   Murray  il  en   fortit ,  du  confentement  du  comte  ' 

d'Athol.  , 

Lorfque  les  Etats  furent  aflemblez  pour  Péîe£lion  du  Vice-  [ 

roi  ^  on  y  fit  entrer  Thomas  Randolfe ,  que  la  reine  d'Angleterre  j 

avoit  envoyé ,  pour  fe  plaindre  des  courfes  que  les  EcofTois  | 

rebelles  avoient  faites  fur  la  frontière  d'Angleterre  ,  &  pour  \ 

les  affurer  de  fon  affedion  pour  la  nation  EcofToife.  Comme  : 

il  n'y  avoit  point  encore  de  Viceroi  élu ,  on  fe  contenta  de  faire      ,  \ 

une  réponfe  polie ,  ôc  l'on  remit  après  l'éle£tion  à  donner  la  "         Z 

réponfe  pofitive.  A  la  fin  on  donna  audience  à  Robert  6c  à  i 

Guillaume  Duglas  frères  utérins  du  feu  comte  de  Murray.  Ils  \ 

demandèrent  qu'on  vengeât  la  mort  de  leur  frère ,  qui  n'avoit  l 

point  été  aflalTmé  pour  des  inimitiés  particulières ,  mais  pour  ' 

des  raifons  qui  intereffoient  TEtat.  Les  Seigneurs  fe  trouvè- 
rent partagez.  Les  uns  étoient  d'avis  de  renvoyer  cette  affaire 
à  une  autre  affemblée  :  les  autres  foûtenoient  qu'il  falioit  pren-  i 

dre  fur  le  champ  une  réfolution  contre  des  gens  qui  avoient  ' 

déjà  pris  les  armes ,  pour  foûtenir  par  la  force  le  crime  qu'ils  \ 

venoient  de  commettre.  Enfin  il  fut  réfolu  ,  fur  l'avis  des  com- 
tes d'Athol  &  de   Morton,  de  furfeoir  cette  affaire  jufqu'au  j 
premier  de  Mars,  qui  étoitle  jour  marqué  pour  fe  raffembler.  I 
Pendant  ce  tems-là  les  partifans  de  la  Reine  ,  Boyd ,  Argathel 
ôc  les  Hamiltons  fe  rendirent  à  Lytko  pour  délibérer  fur  ce                          i 
qu'ils  avoient  à  faire.  L'affemblée  n'ayant  rien  terminé.  Hum-                           j 
ney,  d'Athol ,  Crafort ,  Ogilby ,  de  Humes ,  Seton  ôc  Meteilan ,  ! 
qui  étoient  du  même  parti  ,  s'affemblerent  à  Edimbourg  le 
quatrième  de  Mars  :  mais  il  ne  fe  fit  prefque  rien  dans  cette 
affemblée  :  on  y  agita  feulement  la  queftion  du  droit  de  nom- 
mer un  Viceroi  ,   fçavoir  fi  les    Ecoffois  tiroient  ce   droit  j 
des  lettres  patentes  de  la  Reine  prifonniere  ,  ou  de  l'autorité                          I 

T  t  t  t  ij  ^ 


*jô6  HISTOIRE 

'— ■  de  l'alTemblée  générale  des  Grands  :  Comme  on  ne  put  s'ac-^ 
Ç  H  A  R  L  E  corder  ,  l'afTemblce  fe  fépara  fans  rien  faire.  Ceux  qui  cran 
I  X.  gnoientque  l'autorité  du  jeune  Roi  ,  foiitenu  par  les  Anglois, 
I  j-  7  o.  ne  s'affermît  de  plus  en  plus  pendant  que  la  Reine  étoit  pri- 
fonniere,  ne  voyant  point  d'autre  moyen  de  l'empêcher  que 
de  jetter  des  femences  de  guerre  avec  l'Angleterre  ,  envoyé-- 
rent  les  mêmes  mécontens  »  dont  nous  avons  déjà  parlé ,  ré-^ 
commencer  leurs  ravages  fur  la  frontière  de  ce  royaume ,  ôc  ils 
le  firent  avec  la  dernière  inhumanité.  Ils  déchiroient  en  mê- 
me-tems  la  reine  Elifabeth  par  les  difcours  les  plus  injurieux; 
calomnioient  les  grands  d'Ecoffe  ,  \qs  traitoient  de  vaffaux 
des  Anglois  ,  &  difoient  hautement  que  fi  leurs  ennemis 
faifoient  venir  des  fecours  d'Angleterre  ,  ils  en  feroient  venir 
de  France  ôc  d'Efpagne.  Ce  qui  les  encouragea ,  ôc  les  affer- 
mit dans  ces  fentimens,  fut  l'arrivée  de  Verac,  officier  de  la 
maifon  du  Roi  de  France  ,  qui  vint  à  Dumbritton  fur  la  côte 
d'Angleterre ,  ôc  qui  leur  fit  des  promeffes  magnifiques  de  la 
part  des  Guifes,  par  qui  il  étoit  envoyé.  Auffi-tôt  les  Hamil- 
tons  indiquèrent  une  affemblée  pour  le  treizième  d'Avril  ,  ÔC 
afin  que  le  lieu  donnât  à  l'affemblée  plus  de  relief  ôc  plus  d'au- 
torité ,  ils  la  transférèrent  à  Edimbourg.  Les  habitans  de  cette 
ville  n'étoient  pas  pour  eux  5  car  outre  qu'ils  étoient  très-atta- 
chez  au  jeune  Roi  ,  ils  craignoient  de  déplaire  à  Elifabeth  , 
dans  les  états  de  laquelle  ils  faifoient  leur  commerce  ;  mais  com- 
me Guillaume  Kirkadey  ,  qui  étoit  gouverneur  de  la  ville  ôc 
du  château ,  étoit  attaché  au  parti  de  la  reine  d'Ecoffe ,  cette 
confidération  les  ralfuroit  contre  la  mauvaife  volonté  des 
habitans. 

Pendant  que  tout  cela  fe  palToit ,  ôc  qu'ils  travailloient  fans 
fuccès  à  attirer  dans  leur  parti  ,  par  le  moyen  du  comte  d'A- 
thol ,  Jaque  de  Duglas  comte  de  Morton  ,  on  apprit  tout  d'un 
coup  que  l'armée  Angloife  étoit  arrivée  à  Warwic  fous  la  con- 
duite de  Thomas  Ratcliff  comte  de  SulTex^  ce  qui  déconcerta 
un  peu  leurs  projets  :  car  Alexandre  de  Hume  ôc  Jean  Maxwel, 
qui  ne  faifoient  que  de  fortir  de  prifon  ,  s'en  allèrent  en  hâte 
fur  la  frontière  pour  mettre  leurs  terres  à  couvert  :  Carri  ôc 
Scot,  qui  à  l'infligation  de  l'archevêque  de  S.  André  avoient 
donné  occafion  à  cette  guerre ,  qu'ils  croyoient  favorable  à 
leurs  deffeins ,  ne  fe  fentant  pas  en  état  de  la  foûtenir  Ôc  fe 


DEJ.  A.  DETHOU.  Liv.  XLVL       7ot 

Voyant  abandonnez  de  leurs  voifins,  envoyèrent  en  diligence 
demander  du  fecours  aux  Chefs  de  la  fa£lion  ,  &  les  prier ,  s'ils  r;  h  ar LE 
ne  jugeoient  pas  à  propos  de  leur  en  envoyer ,  de  s'avancer  y^ 
du  moms  jufqu'à  Lander  ,  place  de  leur  voifinage  ,  pour  faire  j  ^  7  q 
croire  aux  Anglois  qu'ils  avoient  deiïcin  de  leur  faire  la  guerre. 
Mais  ils  n'obtinrent  rien,  ôc  les  Hamilrons  au  lieu  de  les  fe- 
courir  ,  envoyèrent  des  députez  au  comte  de  SufTexpour  de- 
mander une  trêve  ^  pendant  laquelle  ils  envoyeroient  des  Am- 
baffadeurs  à  la  reine  d'Angleterre ,  pour  l'informer  de  l'état 
des  affaires  d'Ecoffe  ,  &  pour  fe  juftificr  des  courfes  que  l'on 
avoir  faites  fur  les  terres  de  fon  Royaume.  Mais  le  Comte  , 
qui  connoiffoit  leurs  artiftces ,  ne  voulut  jamais  confentir  à  une 
trêve  j  pendant  laquelle  il  faudroit  entretenir  fes  troupes  fans 
en  tirer  de  fervice.  N'ayant  donc  rien  gagné  de  ce  côré-là  > 
ils  revinrent  à  leurs  intrigues  ordinaires ,  ôc  ils  fe  fervirent  de 
rémiffaire  des  Guifes ,  chargé  des  ordres  du  Roi,  pour  faire 
courir  le  bruit  que  tout  étoit  tranquile  en  France  :  que  Coli- 
gni  ôc  ceux  de  fon  parti  avoient  été  réduits  à  promettre  de  for- 
tir  inceffamment  du  Royaume,  de  peur  que  leur  préfence  n'y 
excitât  de  nouveaux  troubles  :  que  le  Roi  avoir  levé  des  trou-  .. 
pes  qui  viendroient  dans  peu  à  leur  fecours.  Non-feulemenc 
leurs  envoyez  ne  furent  pas  écoutez  en  Angleterre  ,  mais  peu 
s'en  fallût  qu'on  ne  les  infultât  j  ôc  les  lettres  qu'on  écrivoic 
de  France  à  la  reine  d'Ecoffe ,  ayant  été  dans  ce  même  temg 
interceptées  par  les  Anglois,  tout  le  monde  connut  que  tous 
ces  fecours  promis  par  Verac  étoient  des  chimères ,  ainfi  on 
n'y  compta  plus. 

Le  tems  de  l'affemblée  indiquée  au  premier  Mai  approchoit , 
les  Hamiltons  fe  rendirent  à  Lytko  '  avec  les  Seigneurs  de  leur 
parti  :  ceux  du  parti  du  Roi  s'affemblerent  à  Edimbourg, mal- 
gré les  embûches  qu'on  leur  avoir  dreffées  fur  le  chemin ,  ôc 
dont  Jean  Areskin  comte  de  Marre  ,  eut  bien  de  la  peine  à  fe 
garantir.  Pendant  qu'ils  rejettent  les  uns  furies  autres  les  eau- 
les  des  troubles  ,  les  Royaliftes  déclarèrent  qu'il  n'y  avoit  point 
de  conditions  aufquellcs  ils  ne  vouluffent  bien  confentir  5  que 
fi  quelqu'un  fe  plaignoit  d'eux,  ils  étoient  prêts  à  lui  donner 
telle  fatisfaclion  que  des  gens  de  bien  jugeroient  convenable, 
pourvu  que  fans  bleffer  l'autorité  du  Roi  ,  on  voulût  bien  fe 

.1  Cette  place  appartenoit  à  leur  famille. 

T  1 1 1  iij 


702  HISTOIRE 

nmn .  I  ^^mMMmm  joindrc  à  eux,  pour  venger  le  meurtre  du  Roi  ,  6c  du  Vîce- 

Chari  F  ^^^'  "^^  P^""^^  '^^^  Hamiltons  ne  répondit  rien  ôc  indiqua  fon 

ïy        aflemblée  à  Lyd^o  pour  le  troifiéme  d'Août.    Les  Royaliftes 

envoyèrent  Robert  Petcarn  à  Eiifabeth ,  pour  prendre  avec 

*    elle  des  melures  contre  leurs  ennemis  communs ,  &  pour  l'af- 

furer  que  les  EcofTois  pleins  de  refpe£t  pour  elle  ne  choifi- 

roient  point  de  Viceroi  que  de  fon  agrément. 

Dans  le  inême-tems  Jacque  Hamilton  duc  de  Châtelleraud, 
Huntley  6c  Argathel  lieutenant  de  la  reine  d'Ecofle,  envoyè- 
rent avec  fa  permiiTion  George  Seton  au  duc  d'Albe  pour  les 
intérêts  de  cette  PrincefTe.  Seton  le  follicita  vivement  de  tra- 
vailler à  la  liberté  de  Marie ,  6c  d'interpofer  fon  crédit  auprès 
de  Philippe  II ,  pour  l'engager  à  la  fecourir.  Il  lui  repréfenta 
que  la  défenfe  de  cette  Reme  malheureufe  étoit  une  chofe 
digne  de  la  pieté  6c  de  la  juftice  d'un  prince  fi  puiflant  ;  qu'il 
mettroit  le  comble  à  fa  gloire ,  s'il  vouloit  bien  fe  déclarer  pour 
une  caufe  fi  jufte^  fi  fainte  ,  6c  fi  honorable?  qu'il  afFermiflbit 
par  ce  moyen  la  religion  de  fes  ancêtres ,  6c  que  ce  que  fon 
père  avoir  fait  fi  glorieufement  pour  le  duc  de  Florence  :,  ôc 
pour  le  Sultan  Mahomet,  il  le  feroit  avec  une  gloire  beau- 
coup plus  grande  pour  une  Reine  chrénenne ,  héritière  légi- 
time du  throne  d'Angleterre  :  qu'en  le  faifant  il  n'cbligeroit 
pas  feulement  la  France  :,  mais  le  Dannemarc  ,  la  Lorraine  6c 
toute  la  maifon  de  Guife.  Que  la  plus  grande  partie  de  la  No- 
bleffe  t  6c  tous  ceux  qui  avoient  confervé  la  religion  de  leurs 
ancêtres  étoient  pour  elle  j  que  les  ports  du  Royaume  étoient 
entre  fes  mains  :  Qu'on  ne  pouvoir  douter  que  le  Pape  ,  mal* 
gré  fon  éloignementj  n'entrât  dans  cette  ligue  facrée  ,  6c  ne  la 
foûtînt  de  toutes  fes  forces  :  Qu'il  demandoit  en  attendant 
qu'on  défendît  dans  les  Payis-bas  le  commerce  avec  l'Ecofl^e 
rebelle  ,  6c  qu'on  donnât  dix  mille  cous  d'or  à  la  Reine  prifon- 
niere  pour  fes  befoins  prefens. 

Le  duc  d'Albe  fit  réponfe  par  le  baron  de  Nortkermes  , 
qu'il  ne  manqueroit  pas  d'en  écrire  fortement  au  roi  d'Efpay 
gne  ;  mais  qu'il  ne  pouvoir  pas  interdire  aux  Flamans  le  com- 
merce avec  TEcoiTe  ,  parce  que  cela  étoit  contraire  à  leurs  pri- 
vilèges :  à  l'égard  de  l'argent  qu'on  demandoit ,  il  fut  payé 
fur  le  champ. 

Seton  ne  fe  contenta  pas  d'avoir  négocié  avec  le  duc  d'Albej 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XLVI.      705 

iî  fe  déguifa  en  gueux  ,  fe  rendit  au  camp  des  Efpagnols  ,  &  ■ 

y  parcourut  les  compagnies  de  foidats  à  deflein'de  débaucher  le  C  H  \  r  l  e 
Ecoflbis  ,  qui  étoient  au  fervice  de  rEfpagne.  Il  les  regaloit       |  v 
&  leur  offroit  de  l'argent  pour  les  engager  à  le  fuivre.  Ayant     i  r  7*0 
été  furpris  dans  cette  manœuvre,  il  fut  condamné  à  être  mis 
fur  un  canon  prêt  à  tirer  j  mais  il  trouva  moyen  de  fe  fauver 
auprès  du  duc  d'Albe  t  d'où  il  retourna  joindre  ceux  qui  l'a- 
voient  envoyée  emportant  avec  lui  fon  argent ,  ôc  chargé  ou-    >> 
tre  cela  de  beaucoup  de  belles  promefTes. 

Les  défiances ,  qui  avoient  paru  pendant  quelque-tems  com-  Buiiecfep- 
nie  affoupies  en  Angleterre,  s  y  renouvellerent  alors.  Pie  V,  qui  v.  contre  h 
n'avoit  employé  juique-là  contre  Elifabeth  que  la  rufeôcdes  ^^^Jj^^  ^^*^*" 
embûchesiecretes,  fit  afficher  à  Rome  le  25"  de  Février  une  Bul- 
le ,  par  laquelle  il  la  profcrivoit  comme  hérétique  ôc  fautrice 
d'Hérétiques ,  fur  ce  qu'elle  n'avoit  pas  voulu  permettre  au  Lé- 
gat du  Pape  d'entrer  en  Angleterre  jôc  qu'elle  avoit  mcprifé  les 
prières  ôcles  avis  pieux  des  princes  voifins.  En  conféquence  il  la 
retranchoit  ,elle  &  tous  lespartifans  de  fesimpietez,  de  l'unité 
du  corps  de  Jefus  -  Chrifl ,  comme  des  membres  gâtez  j  la 
privoit  de  tous  les  droits  qu'elle  avoit  fur  le  royaume  d'An- 
gleterre ,  &  délioit  tous  fes  fujets  du  ferment  de  fidélité  qu'ils 
lui  avoient  fait.  Après  cette  démarche  il  étoit  nécelTaire  qu'E- 
lifabeth ,  qui  n'avoit  été  ni  citée ,  ni  avertie,  connut  du  moins 
la  fentence  par  laquelle  elle  étoit  condamnée  ,  &  il  n'y  avoiî 
pas  de  fureté  à  la  lui  fignifier.  Jean  Felton  homme  d'une  har- 
diefTe  ,  ou  plutôt  d'une  témérité  extrême  ,  vainquit  cet  ob- 
ftacle  :  il  alla  au  mois  d'Août ,  accompagné  feulement  d'un 
ami ,  afficher  la  Bulle  du  Pape  à  la  porte  de  l'Evêque  de  Lon~ 
dre  fur  le  foir.  Elle  y  demeura  à  la  vue  de  tout  le  monde  juf- 
qu'à  huit  heures  du  matin  du  jour  fuivant.  L'ami  de  Felton  ré- 
folu  de  fe  fauver,  lui  confeilla  de  faire  de  même  :  celui-ci 
répondit ,  qu'il  étoit  difpofé  à  fouffrir  tous  les  maux  aufquels  on; 
pouvoit  le  condamner  pour  cette  action.  On  l'arrêta  fur  ua 
{impie  foupçon  ,  ôc  {ts  douze  jugfs  '  lui  ayant  demandé  par 
qui  la  Buiie  avoir  été  affichée:  Meffieurs ,  dit-il,  n'ayez  plus 
là-defFus  d'embarras  ,ni  d'inquiétude  5  c'eft  moi  qui  l'ai  affichée^ 
0\\  le  mena  à  i'inftant  même  au  fupplice  (  c'étoitle  8  d'Août) 

I  En  Aiifrleterre  on  eft  toûiours  ju-   ..   perfonnes  du  même  érat.  Ainiî  cha*- 
gédan&lssafîairei  criminelles  par  douze  I    cun  eit  jugé  par  fes  Pairs.. 


70^ 


HISTOIRE 


wm 


Ch  ARLE 

IX. 

1570. 


ôc  fur  ce  qu'on  lui  dit  de  reconnoître  fa  faute  ]  ôc  d'en  de- 
mander pardon  à  la  Reine ^  il  répondit  avec  intrépidité  qui! 
n'avoit  point  offenfé  fa  Majefté.  Cela  iointaux  dcpofitions  des 
conjurez  ,  ôc  de  leurs  complices  qui  avoient  été  condamnez , 
ne  laiffoit  pas  le  moindre  lieu  de  douter  que  la  conjuration  ne 
fût  réelle. 

La  Reine  ne  pouvant  plus  réfifter  aux  reprefentations  conti- 
nuelles de  fon  Confell,  renvoya  le  duc  deNorfolck  à  la  Tour. 
Elle  ne  montroit  pourtant  point  encore  ce  qu'elle  méditoit 


Les  Ambaf- 
fadeurs  de 
France  & 
d'Efpagnede- 

Sè^de'h^'  contre  la  Reine  prifonniere.  Contente  de  faire  obferver  par 
?eine  Marie,  des  perfonnes  affidées  toutes  fes  démarches ,  elle  la  tenoit  dans 
une  prifon  affez  libre.  Il  y  eut  quelque  négociation  de  la  part 
deCharle  IX.  pour  la  liberté  de  cette  Princeffe  •>  Paul  deFoix 
ambaflTadeur  ordinaire ,  Ôc  Jean  de  Montluc  évêque  de  Va- 
lence ambafladeur  extraordinaire  furent  chargez  de  négocier 
cette  affaire.  Ils  fe  plaignirent,  à  la  foUicitation  de l  évêque  de 
Rofle ,  qu'on  la  retenoit  dans  une  prifon  trop  étroite  ,  ôc  que 
fa  vie  même  n'étqit  pas  en  fureté ,  parce  que  Henri  Hafting 
comte  de  Huntington  qui  l'avoir  en  garde ,  ayant  des  préten- 
tions fur  la  couronne  d'Angleterre  ,traitoit  cctteP  rincefle  d'une 
manière  dure  ôc  inhumaine.  Philippe  IL  fit  demander  la  mê- 
me chofepar  fon  Ambafladeur.  Enzabeth  répondit  :  Qu'on  ne 
devoit  pas  s'étonner ,  qu'après  avoir  découvert  des  intrigues 
qui  reflembloient  fort  à  une  conjuration,  elle  fe  tînt  encore 
.plus  fur  fes  gardes  qu'elle  n'avoit  fait  jufqu'alors  :  Qu'il  n'y 
avoir  pas  d'apparence  qu'elle  mît  en  liberté  une  Princeffe  ,qui 
employoit  toute  forte  de  mauvais  moyens  pour  fe  mettre  fur 
la  tête  une  couronne  qui  ne  lui  appartenoit  pas:  Qu'elle  étoit 
l'objet  ôc  la  reflburce  de  tous  ceux  qui  conjuroient  contre  l'E- 
tat, ôc  qu'il  feroit  d'une  imprudence  extrême  de  mettre  fa  pro- 
pre vie  en  péril ,  pour  fauver  celle  d'un  autre  :  Qu'elle  fçavoit 
bien  que  Huntington  n'avoit  aucun  droit  à  la  couronne?  qu'elle 
ne  nioit  pourtant  pas  qu'il  ne  fût  fon  parent  j  mais  que  d'ail- 
leurs il  y  avoir  long-tems  qu'il  n'avoit  plus  la  garde  de  la  rei- 
ne d'Ecoffe;  que  c'étoit  le  comte  de  Schropp  qui  en  étoit  char- 
gé :  Qu'il  n'y  avoir  rien  qu'elle  n'eût  fait  pour  Marie  j  ôc  qu'elle 
feroit  encore  à  l'avenir  tout  ce  qu'on  pouvoit  attendre  d'une 
foeur  très-bien  intentionnée.  Qu'au  refte  le  roi  de  France  ôc 
gelui  d'Efpagne  ne  pouvoient  trouver  mauvais  que  fon  principal 

but 


i;7  0» 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XLVL     70^ 

but  dans  toutes  {^es  démarches  fut  d'affurer  le  falut  de  Ces  peu-  ■ 

pies  &  lefien.        ^  ^       r  ,      .     •    CharlE 

Pendant  qu'on  déliberoit  dans  cette  Cour  fur  ce  qu'on  feroit  jx. 
de  Marie,  fi  on  lamettroit  en  liberté,  ou  fi  on  la  ret'endroit 
en  pnfon,  l'armée  d'Angleterre  qui  étoit  fur  la  frontière  d'E- 
cofTe,  étant  entrée  dans  ïivedale,  pilla,  ôc  brûla  toutes"  les 
maifons  &  toutes  les  terres  des  Carrys  ôc  des  Scots ,  qui  a\  oient 
commencé  leshoftilitez  :  elle  prit  ôc  pilla  le  château  de  Humes, 
contre  l'attente  du  Baron  de  ce  nom,  qui  fçachantque  lecom- 
te  de  Suflex  ,  ôc  le  Chevalier  Guillaume  Drury  favorifoient 
en  fecret  la  fa6lion  de  Norfolck,  s'étoit  flatté  qu'il  n'avoitrien 
à  craindre  pour  fes  terres.  Scrope  d'un  autre  côté  étant  entré 
dans  le  payis  d'Annand  ravagea  toutes  les  terres  de  Jonfton, 
qui  étoir  un  de  ceux  qui  avoient  fait  des  courfes  fur  le  payis 
Anglois.  Drury  ayant  reçu  des  otages  des  EcofTois  royaliftes , 
marcha  avec  mille  hommes  de  pié  ôc  trois  cens  chevaux  con- 
tre les  Hamiltons  j  qui  afliégeoient  le  château  de  Glafco  à  def- 
fein  de  le  ruiner ,  de  peur  qu'il  ne  fervit  de  retraite  ôc  de  pla- 
ce de  guerre  à  Mathieu  StuartdeLevin,  revenu  nouvellement 
d'Angleterre.  Sur  le  bruit  de  fa  marche ,  Hamilton  ,  Argathel, 
Huntley  fe  retirèrent,  l'un  d'un  côté,  l'autre  de  l'autre  ,  ôc  les 
Ecoflfoisde  leur  parti  levèrent  le  liège  en  defordre.  Les  Anglois 
étant  allez  à  Glafco ,  font  le  dégât  dans  tout  le  payis  de  Clid, 
pillant  ôcfaccagant  toutes  les  terres  des  Hamiltons  ,  ôc  de  ceux 
qui  avoient  trempé  dans  le  meurtre  du  Viceroi,  ou  qui  avoient 
donné  retraite  aux  bannis  d'Angleterre  :  mais  du  refte  ils  ne 
firent  rien  d'important,par  la  mauvaife  manœuvre  de  Drury,  qui 
ayant,  dit-on ,  conteillé  à  fes  troupes ,  qui  n'étoient  pas  payées, 
de  fe  mutiner,  ht  avorter  toute  l'entreprife. 

Cependant  Petcarn  étant  revenu  d'Angleterre ,  raporta  au 
Confeii ,  que  la  Reine  fe  plaignoit  qu'il  fe  fût  paffé  quatre  mois 
depuis  le  meurtre  du  Viceroi ,  fans  qu'elle  eût  reçu  aucune  let- 
tres de  leur  part;  qu'après  un  fi  long  retardement,  elle  ne  fça- 
voit  plus  ce  qu'elle  pouvoit  efperer  d'eux  :  Que  fatiguée  par  les 
prières  des  rois  de  France  ôc  d'Efpagne ,  ôc  par  les  plaintes 
continuelles  de  la  reine  d'Ecolfe  ,  elle  lui  avoir  promis  une  au- 
dience à  certaines  conditions;  ce  qui  l'empêchoit  de  pouvoir 
entrer  dans  les  mefures  qu'ils  prendroient  pour  la  nomination 
fl'un  Viceroi  ,  de  peur  de  porter  quelque  préjudice  à  cette 
Tome  y\  V  u  u  u 


70^  HISTOIRE 

Reine,  avant  de  l'avoir  entendue.  Qu'elle  les  priolt  en  atten- 
C  H  A  R  L  E  ^^^^  *  ^^  ^^^^^  celTer  les  courfes  ôc  les  hoftilitez.  Voilà  ce  qui  fut 
IX.        dit  tout  haut  :  mais  en  particulier,  on  dit  tout  bas  aux  Grands 
I  ç  7  G.     ^^  l'afTemblée  ,  qu'ils  ne  pouvoient  rien  faire  de  plus  agréable 
à  la  Reine,  quedenommer  à  cette  dignité  le  comte  de  Lenox 
l^nox'nom^-^  ayeul  du  Roi.  AufTi  tôt  les  Seigneurs  du  parti  du  Roi  le  nom- 
mé interroi    mercnt  Interroi  :  comme  ils  n'étoient  pas  aflez  inftruits  des  in- 
a'Econe,  en-  i-gj-i^ons  d'Elizabctli  ,  ils  n'oferent  lui  donner  une  autorité  ab- 
'  foluë  ôc  perpétuelle ,  ôc  ils  fe  contentèrent  de  la  lui  déférer  juf- 
qu'au  1 2  de  Juillet  :  mais  dès  qu'ils  eurent  reçu  les  lettres ,  par 
Itfquelles  cette  Princeffe  leur  marquoit  qu'elle  ne  croyoit  pas 
qu'il  y  eût  perfonne  qui  put  être  préféré  à  Payeul  de  leur  Roi, 
il  déclarèrent  tout  d'une  voix  Lenox  Viceroi,  au  lieu  d'Interroi. 
Il  fit  fur  le  champ  prêter  le  ferment  ordinaires  après  quoi  il 
ordonna  que  tous  ceux  qui  étoient  en  âge  de  porter  les  armes, 
fe  trouvafl'ent  à  Lytko  le  lo  d'Août,  pour  empêcher  l'afTem- 
blée des  féditieux  ,  (  c'eft  le  nom  qu'il  donnoitaux  Hamiltons) 
ôc  il  remit  celle  des  Royaliftes  au  lo  d'0£tobre.  Il  fe  rendit 
au  jour  marqué  à  Lytko  avec  cinq  mille  hommes  ;  &  fur  l'a- 
vis qu'il  y  reçut,  que  Gordon  de  Huntley  avoit  poflé  à  Berkin 
quelques  troupes ,  qu'il  tenoit  à  fa  folde ,  qui  attaquoient  ôc 
dépoùilloient  indifféremment  les  gens  du  payis  ôc  tous  les  paf- 
fans ,  il  y  marcha  auffi-tôt ,  de  l'avis  de  fon  confeil ,  perfuadé 
qu'en  faifant  diligence  il  furprendroit  ces  milices,  Ôc  les  chefs 
même  du  parti,  qui  étoient  le  comte  de  Crafort,  Ogilby  ôC 
Balfour.  Il  fit  prendre  les  devant  à  Patris  Lindefey,  à  Guil- 
laume Raven ,  ôc  à  Jacque  Haliburton  gouverneur  de  Dun- 
dee )  avec  de  finfanterie  à  cheval.  Mais  quelque  diligence  qu'ils 
fiffent ,  ils  ne  purent  prévenir  le  bruit  de  leur  marche.  Ogilby 
ôc  Balfour  ayant  fçû  qu'ils  approchoient ,  fe  mirent  à  couvert 
dans  les  montagnes ,  après  avoir  exhorté  leurs  foldats  à  bien 
faire  leur  devoir,  ôc  les  avoir  affurez  d'un  prompt  fecours.  Dès 
que  ces  troupes  fe  virent  abandonnées  de  leurs  chefs  elles 
ne  fongerent  plus  qu'à  piller.  Les  uns  fe  faifirent  de  la  tour 
d'une  Eglife  voifine,  les  autres   fe  retirèrent  dans  la  maifon 
du  comte  de  Marre  j  maisMorton  étant  arrivé  avec  huit  cens 
chevaux,  Ôc  enfuite  le  Viceroi  avec  d'autres  troupes, la  garni- 
fon  fe  rendit.  On  fit  pendre  une  trentaine  de  foldats ,  ôc  on 
iaiffa  aller  tout  le  refte  ,  après  leur  avoir  ôté  leur  armes. 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XLVI.      70^ 
Après  cette  expédition ,  le  Viceroi  retourna  à  Edimbourg,  __, 

où  l'on  agiroit  depuis  quelque  tenis  l'affaire  du  meurtre  ducom-  7^ 

X    \ï^  \    Ti   ■      '       ■  ■■    V  r- ■     r  Char  LE 

te  de  Murray  :  mais  la  Renie  étant  intervenue ,  i  anaire  fut  ren-       t  y 

voyée  après^la  conférence  que  Ton  avoit  promife^pour  entendre 
les  raifons  de  la  reine  d'Ecofle ,  qui  étoit  alors  à  Ciaxlef^c^orth 
dans  le  territoire  de  Derby.  On  lui  dépêcha  Guillaume  Cecil ,  f^^tS^d''c"°"^ 
ôc  Gautier  Mildmay,  qui  fe  rendirent  aumoisd'Ottobre  auprès  part  d  F'i'zan 
d'elle  avec  beaucoup  de  peine  :  car  les  débordement  des  n-  ^^^^l,^  '^  ^^*" 
vieres  avoient  rendu  les  chemins  très-difïiciles.  Voici  les 
conditions  qu'ils  lui  propoferent  pour  finir  toutes  les  divi- 
fîons  d'Ecofle ,  ôc  pour  la  rétablir  fur  lethrône.  Que  le  trai- 
té d'Edimbourg,  fait  il  y  avoit  dix  ans  ,6c  qui  avoit  été  tant  de 
fois  remis  fur  le  tapis,  feroit  confirmé  :  Qu'elle renonceroir  à 
tous  fes  droits ,  6c  à  toutes  fes  prétentions  fur  la  couronne  d'An- 
gleterre, pendant  la  vied'Eiizabeth  ôcde  fes  enfans  légitimes, 
il  elle  en  laiifoit  à  fa  mort  :  Qu'elle  ne  pourroit  faire  de  traité 
avec  aucun  Prince  contre  l'Angleterre  :  Qu'elle  ne  feroit  entrer 
en  Ecofle aucunes  troupes  étrangères:  Qu'elle  n'entretiendroit 
aucune  liaifon  avec  les  Anglois  Ôc  les  Irlandois^que  de  concert 
avec  la  reine  d'Angleterre:Qu'elle  lui  feroit  rendre  de  bonne  foi 
les  Anglois  Ôc  les  Irlandois  fugitifs  :  Qu'elle  informeroit  avec 
toute  la  févéritépoflTible  des  meurtres  de  Henri  '  d'Arîey  ôc  du 
comte  de  Murray  .  Que  le  jeune  Roi  fon  fils  feroit  donné  pour 
otage  aux  Anglois,  ôc  mené  en  Angleterre  :  Qu'elle  ne  pourroit 
époufer  aucun  Anglois  fans  l'agrément  d'Elizabeth  ,  ni  au- 
cun autre  ,  fans  le  confentement  des  Etats  dEcoffe  :  Qu'el- 
le fe  chargeroit  d'empêcher  que  les  EcolTois  ne  palfafTcnt 
en  Irlande,  fans  le  confentement  de  la  reine  d  Angleterre  : 
Qu'elle  donneroit  des  otages  fuiHfans  pour  la  fureté  de  tous  ces 
articles  j  ôc  que  fi  elle  entreprenoit  quelque  chofe  contre  Eli- 
zabeth  ,  au  préjudice  de  ce  traité,  elle  feroit  déchue  de  toux  le 
droit  qu'elle  prétendoit;  avoir  fur  le  royaume  d'Angleterre. 
On  ajouta  pour  plus  grande  fureté  ,  que  les  Anglois  garde- 
roient  pendant  trois  ans  les  châteaux  de  Humes  ôc  de  Falf- 
caftle,  ôc  qu'on  leur  livreroit  outre  cela  quelques  forterefies 
du  côté  de  Galloway  ôc  de  Cantyre  ^  pour  empêcher  que  les 


I  II  s'appelloit  Henri  Stuart,  &  il 
étoic  coufin  germain  de  la  reine  d'E- 
cofle   qui  l'avoit  époufé.   Voyez  les 


livres  pre'cedens. 

2  Petites  provirces  au  Sudoucft  dc 
l'EcofTe ,  voifines  de  l'Irlande. 

V  U  U  U  ij 


7o8  HISTOIRE 

^^  Vi^Kifnnc  de  CCS  caiitons,  partie  Ecoflbis,  partie  Irîandois, ne 

Z  paflafTent  en  Irlande  :  Que  tous  ces  articles  feroient  confirmez 

j^        par  l'autorité  parlementaire  des  Etats  d'Ecofle. 

Marie  ayant  entendu  ces  propofitions,  commença  à  déplo- 
'  '    '    rer  fes  malheurs  ,  à  décrier  la  mémoire  du  comte  de  Murray, 
dont  on  vouloir  qu'elle  vengeât  la  mort,  à  excufer  Norfolck; 
&  à  protefter  qu'elle  mettoit  toute  fon  efperance  dans  la  bons 
té  d'Elizabeth.  Mais  comme  les  commifTaires  de  cette  Prin^ 
ceiTelapreflbient  de  donner  une  réponfe  pofitive,  elle  renvoya 
l'affaire  à  l'évêque  de  RofTe  fon  ambaiîadeur  en  Angleterre, 
*  Alex.  Gor-  à  l'évêque  de  Galloway  ^,  &  au  comte  de  Levingfton,  envoyez 
■     *  par  fes  lieutenans.  Mais  lorfqu'il  fallut  parler  net  j  elle  répon* 

dit  avant  toute  chofe,  que  l'alliance  qu'elle  avoir  avec  laFran^ 
ce  ayant  tant  coûté  à  l'EcofTe  3  elle  ne  pouvoit  y  renoncer> 
à  moins  que  les  Anglois  ne  voulufTent  indemnifer  pleinement 
fes  fujets  du  préjudice  que  cette  rupture  leur  cauferoit.  Sur 
d'autres  articles  elle  répondit^  que  fi  les  Anglois  vouioient pro- 
mettre de  leur  côté  ce  que  l'on  exigeoit  des  Ecoffois^,  elle 
ne  feroit  pas  difficulté  d'y  confentir  :  Qu'à  l'égard  des  meur- 
triers de  Henri  d'Arley  &  du  comte  de  Murray ,  elle  n'empê- 
choit  pas  qu'on  ne  les  pourfuivît  en  juftice  :  Q^^^^^^  ^^  jeune 
Roi  fon  fils ,  qu'elle  ne  pouvoit  pas  le  donner  en  otage ,  puif- 
qu'il  étoit  entre  les  mains  de  ceux  quife  fervoient  de  fon  nom 
pour  colorer  leur  révolte  contre  elle  :  Qu'au  refle  c'étoit  une 
chofe  fans  exemple  qu'une  Reine  libre  fût  obligée  pour  fe  ma- 
rier de  recevoirla  loi ,  ou  d'un  Prince  étranger ,  ou  de  fes  pro- 
pres fujets:  Qu'elle  vouloir  bien  donner  des  Ecoffois  pour  ôta^' 
ges ,  pourvu  que  l'on  convînt  des  perfonnes ,  ôc  que  l'on  ex- 
ceptât de  ce  nombre  le  duc  de  Chatelieraud ,  Huntley ,  Ar- 
■  gathel,  ôc  le  comte  d'Athol  :  Qu'elle  confentiroit  pareillement 
à  perdre  tout  le  droit  qu'elle  avoir  fur  l'Angleterre,  fi  elle  en- 
ireprenoit  quelque  chofe  contre  cette  couronne  >  au  préjudi- 
ce de  ce  traité ,  pourvu  qu'Elizabeth  promît  la  même  chofe 
de  fon  côté  :  Qu'à  l'égard  des  châteaux  de  Humes  &  de  Faft- 
caftle  que  l'on  demandoit,  ce  n'étoit  pas  à  elle  à  qui  il  falloir 
s'adrefler,  mais  au  maître  de  ces  châteaux:  Que  ceux  qui  de^ 
mandoient  qu'on  livrât  aux  Anglois  les  Forts  du  payis  de  Gaî- 
îoway  &  de  Cantyre  ,  n'infiïtoient  là-delTus  qu'à  deflein  de  rai-; 
îumer  le  feu  de  la  guerre  dans  toute  l'Ecoffe^ 


DE   J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLVI.      7cp' 
L'accord  ,  comme  on  le  voit^  n'étoit  pas  prêt  à  fe  faire  en- 


tre ces  deux  Princeffes.  Elizabeth  n'ignoroit  pas  qu'on  folli-  Charle 
citoit  vivement  les  fecours  du  Pape  ôc  du  duc  d'Albe  ;  mais  jy 
comme  elle  étoit  en  quelque  forte  maitreflTedu  gouvernement 
de  l'Ecofle,  elle  fit  prolonger  la  trêve,  ôc  différer  l'aflemblée  ^  '  * 
des  Etats  de  ce  Royaume.  L'évêque  de  Roffe ,  qui  étoit  très- 
actif  &  très-zelé  pour  les  intérêts  de  Marie  ,  envoya  en  diligen- 
ce au  Pape  ôc  au  roi  d'Efpagne  une  copie  des  demandes  que 
l'on  faifoit  à  cette  Princefle.  Il  déclara  que  fi  les  fecours  pro- 
mis n'arrivoient  dans  peu ,  elle  feroit  forcée  malgré  elle  de  faire 
fon  traité  avec  l'Angleterre ,  fans  la  participation  de  fes  amis 
ôc  de  fes  alliez;  ôc  que  dans  l'extrémité  facheufe,  où  elle  fe 
trouvoit  réduite ,  elle  feroit  obligée ,  pour  mettre  fa  perfonne 
en  fureté ,  d'accepter  toutes  les  conditions  qu'on  luipropofoit: 
Que  c'étoit  à  eux  de  voir,  quelle  occafion  ils  perdoient  de  ré- 
tablir la  Religion  dans  la  grande  Bretagne  ,  ôc  de  remettre  fur 
le  thrône  une  Reine  qui  en  avoir  été  chaffée  par  les  Héré- 
tiques. 

Pour  appuyer  l'avîs  del'Evêque ,  on  envoya  un  certain  Tho- 
mas Stucley,  homme  qui  s'étoit  deshonoré  par  une  vie  très-dére- 
glée,Ôc  dont  les  affaires  étoient  auffi  dérangées  que  la  conduite. 
Il  s'étoit  flatté  de  les  rétablir  par  le  moyen  d'une  charge  de  féné- 
chal  de  Wexford  en  Irlande ,  dont  on  lui  avoit  donné  quel- 
que efperance;  mais  la  chofe  ayant  manqué,  il  fe  déchaina 
contre  la  Reine  d'Angleterre  avec  la  dernière  ingratitude,  ôc 
vomit  contre  elle  tout  ce  qu'il  put  imaginer  de  plus  injurieux. 
Il  pafla  enfuite  en  Italie ,  ôc  alla  trouver  Pie  V ,  ôc  comme  ii 
étoit  grand  maître  dans  l'art  de  flater ,  il  perfuada  à  ce  vieil- 
lard crédule ,  qu'avec  trois  mille  Efpagnols  ,  il  chafieroit  fans 
peine  les  Anglois  d'Irlande,  ôc  brûleroit  la  flotte  d'Angleterre. 
Farces  belles  promefles  il  trouva  moyen  de  tirer  du  faintPere 
<le  grandes  fommes  d'argent ,  dont  tout  le  fruit  fut  une  ligue 
que  cet  extravagant  fit  faire  entre  le  Pape  ôc  le  roi  d'Efpagne 
pour  s'emparer  de  l'Irlande.  Mais  ce  beau  deflein,  que  les  Ef- 
pagnols n'ont  point  abandonné  pendant  un  grand  nombre  d'an- 
nées, ôc  qui  leur  a  coûté  des  fommes  immenfes,  ôc  un  grand 
nombre  d  hommes  ,  s'évanouit  enfin  à  la  mort  d'Elizabcth. 

Dans  ce  même  tems  Connober  Obrien ,  troifiéme  comte 
de  Twomond  ^  homme  accoutumé  à  vivre  de  pillage  ,  ne 

Vuuu  iij 


Charle 
IX. 


Mort 
©"Herbert 

COMTE   DE 
FfMBKOK. 


710  HISTOIRE 

pouvant  fouffrir  la  juftice  exa£le  ôc  févére  d'Edouard  Fitton 
qui  avoir  été  fait  féncchal  de  Connaught  ,  par  Henri  Sidney 
Viceroi  d'Irlande,  entreprit  de  fe  révolter  :  mais  après  quel- 
ques petits  combats ,  fe  voyant  abandonné  de  fes  foldats,  il  fe 
fauva  en  France  ;  depuis  étant  repaffé  en  Angleterre  ,  il  deman- 
da pardon  à  Ja  Reine,  &  cette  Princefle  remplie  de  bonté  lui 
fit  rendre  fes  biens  ôc  le  rétablit  dans  fes  emplois. 

Ce  fut  dans  le  même  tems  qu'Anne  d'Autriche  ,  fille  de 
l'Empereur  Maximilien,  ayant  été  mariée  à  Philippe  fon  on- 
cle maternel ,  alla  le  trouver  en  Efpagne  :  elle  mit  à  la  voile  en 
Zelande.  Elizabeth,  qui  durant  nos  troubles  s' attribuoit  Tem- 
piredelamer  Britannique,  envoya  Charle  Howard  avec  une 
efcadre  de  vaiffeaux  de  guerre,  ôc  beaucoup  de  NobîefTe  pour 
faire  honneur  à  cette  Princefle,  ôc  pour  l'efcorter  dans  toute 
l'étendue  de  cette  mer  :  l'inimitié  n'étoit  pas  encore  déclarée 
entre  elle  ôc  Philippe ,  ôc  elle  étoit  dans  un  commerce  conti- 
nuel de  politefleôc  d'amitié  avec  la  maifon  d'Autriche. 

Avant  de  quitter  l'Angleterre  ,  je  dois  dire  un  mot  des 
hommes  illuftres  qui  y  moururent  pendant  cette  année.  Je  mets 
à  la  tête  Guillaume  Herbert  comte  de  Pembrok  ,  fils  de  Ri- 
chard ,  bâtard  de  l'ancien  Herbert.  Cet  homme  avoit  l'ame 
grande ,  ôc  fa  haute  prudence  contribua  beaucoup  à  lui  procu- 
rer une  fortune  digne  de  fon  courage.  Henri  VIII.  ôc  lui ,  ayant 
époufé  les  deux  fœurs ,  filles  de  Guillaume  Parry  ,  il  eut  un  grand 
crédit  fous  le  règne  de  ce  Prince.  Après  la  mort  de  Henri, 
le  Royaume  fe  trouvant  divifé  en  deux  fa£l:ions  fous  Edouard 
VI,  il  s'attacha  à  la  plus  forte,  ce  qui  lui  fit  donner  l'ordre  de 
la  Jarretière,  ôc  la  dignité  de  comte  de  Pembrok.  Sous  le  règne 
de  Marie,  il  foutint  courageufementles  droits  du  Royaume,  ôc 
défit  l'armée  de  Wiat.  Ce  fut  lui  qui  commanda  le  fecours  que 
l'Angleterre  envoya  à  Philippe  IL  qui  afliégeoit  Saint  Quen- 
tin. Il  fut  enfuite  fait  Gouverneur  de  la  province  de  Galles,ôcde 
la  ville  de  Calais,  avant  que  nous  reulTions  reprife  :  enfin  il  eut 
fous  Elizabeth  la  chargedcgrand  Maître  de  la  Cour,  ôc  il  pafla 
dans  l'efprit  de  tout  le  monde,  pour  avoir  conduit  les  afl^aires 
du  Royaume  avec  autant  de  fidélité  que  de  i^digQÏ^Q.  La  feule 
chofe  dont  on  l'ait  blâmé ,  eft  d'avoir  confenti  que  Norfolck 
cpoufat  la  reine  d'Ecofle ,  quoiqu'on  foit  perfuadé  qu'il  le  fit 
dans  une  bonne  intention  :  cependant  cela  feul  lui  fit  perdre 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XLVI.       711 

le  fruit  de  tous  les  fervices  qu'il  avoit  rendus;  chofe  afTez  or-  ■  « 

dinaire  dans  les  cours  des  Princes.  Ce  procédé  le  rendit  fi  odieux  Ck  arle 
au  gouvernement,  qu'on  ne  doute  pas,  que  fi  fon  année  cli-       JX. 
materique  ne  fût  venue  terminer  fa  vie,  il  n'eût  couru  rifque     1^70. 
de  la  perdre  fous  d'autres  prétextes  ;  ôc  peu  s'en  fallut  même 
qu'on  ne  lui  fît  fon  procès  après  fa  mort. 

Henri  de  Cliffort  comte  de  Comberland  ôc  fils  d'un  autre  De  Henri 
Henri  le  fuivit  de  près  :  il  étoit  iffu  d'une  maifon  très-ancien-  deCuffokt. 
ne ,  ôc  il  fut  élevé  par  Henri  VIII.  aux  premières  dignitez  de 
l'Etat.  Les  grands  biens  des  Maifons  de  Vefcôc  de  Vieux-pont, 
qui  pafferent  dans  fa  famille  par  des  mariages^  la  rendirent  puif- 
famment  riche.  Pourluiilépoufa  Eleonor  fille  de  Charle  Bran- 
don duc  de  Suffolck  ôc  de  Marie  fœur  de  Henri  VIII ,  ôc  il 
en  eut  Marguerite ,  qui  fut  mariée  avec  une  magnificence  ex- 
traordinaire au  comte  de  Derby,  flaté  de  l'efperance  agréable  de 
recueillir  une  fi  riche  fuccefTion:  mais  cette  efperance  s'évanouit, 
par  un  fécond  mariage  que  le  comte  de  Comberland  contraria 
avec  une  fille  de  la  maifon  d'Acre,  dont  il  eut  deux  fils. 

Le  dernier  dont  je  parlerai  eft  Nicolas  Trocmorton,  fils  du  DeNicola« 
Chevalier  George  ôc  de  Catherine  de  Vaux.  Jamais  homme  Trocmor 
n'eut  l'efprit  plus  vif  ni  plus  actif:  il  avoit  fur-tout  un  talent  admi- 
rable pour  éclaircir  les  affaires  les  plus  embrouillées.  Sa  fortune 
commença  fous  le  règne  de  Marie.  Elizabeth  l'envoya  Ambaf- 
fadeuren  diverfes  Cours  de  l'Europe,  ôcil  s'acquit  par  tout  une 
grande  réputation  de  fageffe  :  cependant  il  n'eût  jamais  de  di- 
gnité plus  élevée  que  celle  de  premier  Echanfon,  ôc  de  Gar- 
de du  tréfor  royal.  Celui  qui  nuifit  le  plus  à  l'accroiffement  de 
fa  fortune  fut  Cecil,  contre  qui  il  s'étoit  déclaré  en  faveur  du 
comte  de  Leycefter  ,  qui  paya  fort  mal  fes  fervices  :  car  Troc- 
morton étant  allé  à  un  grand  fouper  qu'il  donnoit,  il  y  mourut 
fubitement;  ôc  on  ne  douta  prefque  pas  qu'il  n'y  eut  été  em- 
poifonné. 


fin  du  Cinquième  Volume, 


ION.  I 


RESTITUTIONS. 

DIFFERENTES    LEÇONS, 

b 

V  u 

VARIANTES, 

NOTES     ET     CORRECTIONS 

DU  CINQTJIE-ME  VOLUME. 

EXPLICATION    DES    MJRQVES 

dont  on  s^ejlfervi  pour  déjigner  les  endroits  d'où  font  p-ifes 
les  Rejlitutions  qmfuivent, 

V  *.  Signifie  que  le  pafTagereftitue'  e'toit  dans  l'e'dition  cïe  PatilTon ,  m  foJh 

MS.  Reg.      Veut  dire  que  le  pafTage  refticué  ou  la  variante  eft  dans  le  Manufcrit 
de  la  Bibliothèque  du  Roi ,  qui  eft  celui  de  l'Auteur  même. 

MS.  Samm.  Fait  entendre  la  même  chofe  du  Manufcrit  de  Meflieurs  de  Sainte- 
Marthe. 

P.  Défîgne  les  variantes  prifes  de  l'e'dition  de  Patiffon. 

D.  Dénote  les  variantes  prifes  de  Te'dition  des  Drouarts.  La  lettre  (f) 

marque  l'édition  des  Drouarts  in  folio ,  (o)  !a  même  in  oSîavo  , 
(d)  la  même  in  douze. 

Tilt.  Signifie  que  la  note  ,  ou  la  corredion  eft  de  Mefùeurs  Dupuy. 

Kig,  Que  la  note ,  ou  correction  eft  de  Rigault. 

C.  Que  la  note ,  ou  corre<Stion  eft  de  l'Editeur  Anglois. 

Edk.  Afigl.  Défigne  l'édition  d'Angleterre. 

Jy-d.  Tliuan.  L'index  des  noms  propres  qui  font  dans  l'Hiftoirede  M.  de  Thou, 
Tout  ce  qui  n'eft  précédé  ni  fuivi  d'aucune  marque ,  eft  de  nous. 


L  I  FRE     TRENTE-SEPTIEME. 

AGE  2.  ligne  ^,  Riz,  lifez  ici  &  partout  ailleurs ,  Ric-i 


P 


CIO. 

Pag.  3.1.  II.  A  Henry  Comte  de  Lcnox,  effacez  Comte  de 
Lenox  s  cefi  le  titre  du  père ,  &  non  pas  dujils.  Ici  &  ailleurs 
lifez  Jtmplement ^  Henry  Darnley. 
Tome  y,  Xxxx 


7i4  RESTITUTIONS, 

Pag.  3.1.  23.  D'une  vertu  digne  des  premiers  temps,  ajour. 
ne  pouvant  plus  foutenir  les  difcours  qui  fe  faifoient  fut 
les  converfations  fréquentes  «5c  fecrétes  de  la  Reine  avec 
fon  Favorv ,  prévint  ôcc.  D.  f.  &  MS.  Samm. 
<  ^  1.  26.  George  Gordon  ,  lif,  Jean  Gordon.  C. 
1.  27.  Un  autre  George,  effacez,  un  autre.  C. 
1.  SS'  ^^^  devoit ,  lif.  la  Reine  devoir.  D.f. 

Pag.  4. 1.  27.  Bedfort  &  Randolphe  Comte  de  Barwich  ,  /ijl 
Bedford  Gouverneur  de  Berwich  &  Randolph  Ambalià- 
deur  d'Angleterre  eii  Ecolîe.  C. 

Pag.  (^.  î.  I.  Sterlin  ,  on  Sterling. 

Pag.  7. 1.  20.  &  2  j.  Marie  ,  lif.  Elizabeth.  C. 

1.  27.  Mathieu,  nor.  Il  étoit  fils  de  ce  Jean  qui  fut  tue 
par  Jacques  Hamilton  dans  un  combat  donné  proche  le 
pont  de  Lythco  le  quatrième  de  Septembre  15: 2  6".  C. 

Pag.  7.  &  fuivantes ,  lif.  Janette  Beaton ,  ait  liett  de  3  Jenete  de 
Béton.  D' Argyle  ,  au  lieu  d'Argathel.  Glencairn ,  au  lieu 
àe  y  Glencarn.  Glafgov/,  au  lieu  de  y  Gl^^cow.  Dumfreis ,  ^^j; 
lieu  de ,  Dunfreys.  Harries  ou  Herries ,  au  lieu  de ,  Heris.  C. 

Pag.  1 1. 1.  ^.  Et  à  Tegue  fon  fils ,  lif  &  de  Baron  de  Valence. 
not.  Camden,d'où  cet  endroit  eft  tiré,dit  bien  que  Mac-carty 
fut  fait  Comte  de  Clancar,  ou  Clancarty ,  &  Baron  de  Va- 
lentia  ;  mais  il  ne  parle  point  de  Tegue  fon  fils.  Il  eft  vrai 
qu'en  Angleterre  les  fils  aînés  des  Comtes  joùifient  du  fé- 
cond titre  de  leurs  pères  quant  au  nom,  mais  non  pas  quant 
aux  droits  &  prérogadves  de  la  Pairie.  C. 

Pag.  1 8. 1.  27.  Le  vingt-neuf  de  Janvier,  lif  le  trente  de  Jan- 
vier. Edit.  Angl. 

1.3^.  De  Seuvre,  lif.  de  Seurre. 

Pag.  ip.l.  12.  Un  livre,  not.  Ce  livre  étoit  intitulé, le  Devl? 
des  marchands.  Put. 

Pag.  2 1. 1,  22.  Codure  ,  ou  Codur. 

Pag.  27. 1.  18.  D'Armach  ,  lif.  d'Armagh  en  Irlande. 

Pag.  3  4. 1.  6.  Marquery ,  not.  Cette  rivière  eft  ainfi  nommée 

'  par  la  Popehniere ,  1.  10.  p.  381.  mais  on  ne  la  connoît 
aujourd'hui  que  fous  le  nom  de  Bidafte ,  en  Efpagnol ,  Bi- 
dajfoa.  Edit.  Angl. 

1.  ip.  De  Nemours,  lif  de  Ne  vers. 

Pag.  38.1.  38.  D'Albeftroph,  ou  d'Alberftrof. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  ôca  rjil 

Pag.  40.1.  21.  'Le  Forez, ///^  la  Brefle.  C, 
Pag.  45.1.  12.  Cadbvie  ,  /if.  Cafchaii. 
1.  13.  Giiiiez,  /if.  Guncz. 
1.  17.  Kereftker,  /if  Kereftrer. 
Pag.  45*.  1.  28.  Cuvaua,  on  Kwar. 

1.25?.  Zenderec,  /if  Zendereu. 
1.33.  D'Iene,  /if  de  Jene. 
Pag.  4(?.  1.  27.  Le  quatrième  d'Août,  ///^  le  fixiéme  de  Juil- 
let. £^/>.  ^yjg/. 
Pag.  48.1.33.  Il  faifoit,  effacez  y  il.  j^ 

Pag.  5"  i.l.  30.  Afrique.  Ù  Editeur  Ang/ois  met  Barbarie,  quî 
eft  une  partie  de  l'Afrique ,  où  font  Alger ,  Tunis  &  Tri- 
poli. 
Pag.  5*3. 1.  12.  Metelin,  mt.  C'eft  le  nom  de  la  ville  Capitale 
de  l'ide  de  Lesbos  j  elle  donne  aulTi  fon  nom  à  toute  l'ide. 
.     Put,  L 


LITRE     TKENTE^HV  ITIEME. 

Pag.  J4. 1.  3.  Vers  le  iTiilieu  du  mois  de  May  ^  /if  le  treize  do 

May.  Put. 
Pag.  5-5. 1.  6.  Soixante.  Oufuivam  P édition  de  Dromrt ,  qua-^ 
rante. 

1.  j?.  Giannotto  Toreglias ,  /if  Gianneto  Torrellas. 
Pag.  6"i.l.  I.  Monferrata,  /if  Commandeur  de  Montferrar, 

1.  4.  Saragoufe ,  ou  Siracufe. 
Pag.  (58.1.  38.  Saphis,  /if  Spahis. 
Pag.  72. 1.  2j?.  Gow  i  /if  Giou. 

Pag.  73.1.  14.  Roderic  Cardine ,  ou  Rodrigue  de  Cardinez,^ 
Pag.  8 1. 1.  2.  Réparer ,  /if  reprendre. 

Pag.  83.1.  14.  Laurent  Guafconi,  /f  Vincent  Guafconi.  G; 
Pag.  8j.l.  3.  Favagnana,  /if  Favignana. 
Pag.  pj.  1.8.  De  Caftillon,  /if  de  Chailillon. 
Pag. 5)(5. 1.  3.  De  Chattes,  /if  de  Chaftes. 

1.  18.  Mourut  extrêmement  âgé,  wor.  Villebon movl- 
rut  à  Rouen  le  famedy  1 8.  Août  1 5  58.  C. 
Pag.  5)7. 1.  13.  lene  ,  /if  Jene. 

1.  14.  Weyfmar,  /if  Weymar. 

Xxxx  ij 


^jS  restitutions, 

Pag.  p7. 1.  24.  Nerrhaiifen  ,  lif.  Newhaiifen. 

Pag. p 8.1.  3 y.  De  Aies,  hf.  de  Aies,  ou  Haies. 

Pag.  100. 1.  37.  Climpont,  lif.  Pimpont. 
1.  dern.  Vergelio,  /if.  Vergetio. 

Pag.  102. 1.  2.  Profeflion  3  il,  /{/T  profeilîonj  &  qu'il  a  depuis 
&c. 

Pag.  107.1.  3  5'.  La  Pinmarck,  lif.  le  Finmarck. 

Uid.  Le  Siriefinlaiid ,  lif.  le  Scricfinland. 

Pag.  lop.l.  35.  L'Eld^  OH  Elde. 

Pag.  1 1 2.  L  3  3 .  Palphar ,  iif.  Plaffard. 

Pag.  r  18. 1.  II.  Sambie ,  ou  Sambien,  not.  L'Evêque  de  Sam- 
bien  a  fa  réfidence  à  Konigsberg  j  &  celui  de  Pomefan  à^ 
Marienwerder.  Put. 

Pag.  np.  1.  13.  Wisby,  lîf.  Wisbuy. 
'Pag.  120.1.3.  Sigifroy  Northauflen,  iif.  de  Northaufen. 

1,  1^.  Evêque  Meckelbourg ,  lij]  Evêque  de  Mee^ 
kelbourg. 

Pag.  12 1.1.5).  De  Hoye,  ou  Hoyen^ 

Pag.  124.1.  38.  Pelifïîer,  0»  Pellicier. 

pag.  126".  1.  10.  Conimbre,o^  Coïmbre. 


LIFRE    TRENTE-NEVriE'ME. 

Pag.  127.1.2.  Le  treize  de  Décembre,  lif.  le  huit.  Put, 
Pag.  128.1.7.  Ghifleri,  ou  Ghifilieri ,  cr  de  même  ailleurs^ 

1.  3  6.  Bofchi ,  ou  Bofco. 
Pag.  1 3  8. 1.  <^.  Javarin ,  ou  Raab. 
Pag.  13p.  1.  3  I.  Lodron,  ou  Lodrone. 
Pag.  140.1.  14.  Onolsbach,  ou  Anfpach. 
Pag.  141. 1.  21.  A  Final  Parthin,  hf.  à  Final,  Parthin  un  &c. 

1.  34.  Altembourg ,  ou  Oldenbourg ,  &  ainfi  ailleurs. 
Pag.  142.1.  ly.  La  Stormarie,  ou  le  Stormar. 
^^è-  14^1-22.  Des  deux  Ponts  5  lif.  de  Deux-Ponts. 
Pag.  14(^.1.  10.  Chantonay,o«  Chantonet. 
V^g'  147- 1-  18.  Qu'à  ces  conditions,  lif  que  quand  le  Roi 
auroit  accepté  &  accompli  ces  conditions ,  &  non  autre- 
ment, il  &c.  D.  d. 
Pag.  i^;).l.  32.  Sclavonie,  lif  Dalmatie. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  &:e.  -ji^ 

Pag.  \^o.\.  26.  Unghwar,  lif.  Ungnano. 
Pag.  1 5"  1 . 1.  16.  Aysnac ,  not,  C'eft  peut-être  Hamaski  qui  eil 
proche  d'Agria.  C 

1.  28.  Ungnad,  ou  Ugnad. 
1.  2p.  Schullembourg ,  lif.  Schulemberg. 
Pag.  15:5.1.  24.  Vcprin,  lif,  Vefprin. 
Pag.  15" 4.1.  17.  Howat,  lif  Houwat. 

Pag.  i$6.\.  18.  Au  camp,  ajout,  par  le  eonfeil  du  Cardina) 
fon  oncle.  D,  f.  * 

1.  24.  Thomas  Smith ,  lif  Jean  Smith.  C 
1.25".  Budshil,/?/^  Butshide. 
Pag.  157. 1.  6.  De  Norgaw ,  lif  du  Nortgaw. 

1.  32.  Gady  ,  lif  Gadg. 
Pag.  158.1.  2.  Sielowefch,  lif  Siclowefch. 

1.37.  Le  Save,o^  la  Save. 
Pag.  15p.  1.22.  Calambey , ///7  Catambeg. 
1.  24.  Ottorrn ,  lif  Ottow. 
1.  34.  Oroftan,  If  Oroflan. 
Pag.  162. 1.  38.  Roi  de  Memphis  ,  lif  Sultan  d'Egypte." 
Pag.  1(^4.1.22.  Qui  le  prendroit,  lif  qui  fe  faifiroit  de  fcri 

corps. 
Pag.  1^5.  L-ir.  Jurzniski,  lif  Juraniski. 
1.  38.  Machmet ,  ou  Mehemet. 
Pag.  i66.\.  34.  Principales,  lif  principalement. 
Pag.  170.1.  38.  Mangrefia,  noT.   C'eft  l'ancienne  Magnefîc , 

qu'on  appelle  aufli,  Manifla. 
Pag.  171.I.  4.  Bofphore,  ou  le  détroit  de  Conftantinople. 
Pag.  174.1.  6.  Le  Mure,  ou  Muer. 

1.  j?.  Oedenbourg,  nor,  fur  les  confins  de  la  Hongrie 
&  de  l'Autriche.  Put. 
Pag.  175. 1.  20.  Pabotta  ,  lif  Paîota. 

1.  3  j.  Cec,  lif  Ecc  ou  Eccio. 
Pag.  184.1.  dern.  &  185-.  1.  i.  L'Ambafladeur....  s'aflît  en  k 
place  du  Roi ,  lif  l' Ambafladeur  reprefentant  le  Roi  fon 
maître ,  fe  rendit  en  grande  pompe  à  Windfor  ,  &  y  pnt 
féance  parmi  les  Chevaliers  de  S.  Georges  >  enfuite  avec  la 
permiflion  &c.  C. 

1.  33.  Sureau  ,  lif  Sureau  natif  de  Rozoy  en  Tiè- 
rache,  dit  aulïï  du  Rozier.  C. 


7iS  R  E  S  T  I  T  U  T  I  O  N  Si 

Pag.  187.1.^.  Brabançon,  lif.  Barbançon. 
Pag.  18^.1.  12.  Rochebrune,  ou  Roquebrune. 

LIF  RE     QjyJRJNTIE'ME. 

Pag.  20^.1,6.  Ce  fait,  lif.  cet  effet. 

Pag.  210. 1.  2^.  i$6^.  C'eft  en  1^6^.  félon  Meteren.' 

Not.  au  bas  de  la  page  2.  col.  1.  2.  en  Flandre,  lif. 
de  Flandres. 

Pag.  2  ip.  1.  12.  Prêches,  not.  L*on  a  déjà  fait  remarquer ,  que 
c'eft  un  terme  odieux  dont  les  Catholiques  fe  font  fervis.  M. 
de  Thou  ne  l'a  jamais  employé ,  lorfqu'il  a  parlé  en  hifto- 
rien.  Conciones ,  eft  le  terme ,  dont  il  a  ufé.  On  doit  tou- 
jours l'expliquer  par  aflemblées  de  religion,  dont  le  but 
principal  étoit  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu.  Les 
autres  termes  ne  doivent  être  regardez,  que  comme  des 
expreillons  vulgaires  échapées  au  Tradudeur. 

Pag.  220. 1.  15.  Campine,  ou  paï's  de  Kempen. 
-Pag.  22  1.1.  25).  S.  Truden,  oh  S,  Truyen,  aliàs  S.  Tron  au 
paï's  de  Liège. 

Pag.  225. 1.  25.  Après  le  mot  portes  mettez  un  point.  Après 
Août ,  otez  le  point. 

Pag.  228. 1.  5  I.  Leuvardin ,  lif  Leewaerden  ou  Lewarden, 
1.32.  Swot,  lif.  Swol. 

Pag.  234. 1.  2(5".  300000.,  lif.  30000. florins,  not.  Trente  mille 
florins ,  quand  ils  feroient  d'or ,  paroiflent  ime  fomme  mo- 
dique pour  retirer  des  domaines  de  la  Couronne  aliénez.  Il 
y  a  peut-être  faute  dans  le  Latin  ;  nous  n'entreprenons  pas 
de  la  corriger  5  car  d'un  autre  côté  ce  font  les  feuls  Protef- 
tans  d'une  ville ,  qui  offrent  cette  fomme  5  &  alors  elle  ne 
paroît  plus  modique ,  mais  affez  conlidérable. 

1.27.  Ses  Domaines  dans  les  Païs-Bas,  lif.les  Do- 
maines de  Flandres. 

Pag.  238. 1.  20.  Rockeran,  lif  Cockran,  not.  Robert  Cockran 
favori  de  Jacques  IIL  Roi  d'Ecoffe.  C 

Pag.  23p.  1.  16.  Rethuen  ou  Reuven,  lif  le  Lord  Ruthuen, 

Pag.  2^2. 1.  j?.  Seton ,  ou  Seaton. 

\.^6.  D'un  fils,  ajout,  qui  fut  enfuite  appelle  Jac- 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  Sec.  71^ 

ques ,  &  qui  règne  aujourd'hui  heureufement  dans  la  Gran- 
de Bretagne.  D.  f.  0.  d. 
Pag.  2^2.1.  37.  Du  loir  3  lif.  du  matin.  C 

1.38.  Melvin , ///7  Melvil. 

1.  35).  Kilgrey,  ou  Killegrew. 
Pag.  243. 1.  1 6.  On  parla ,  ajout,  d'abord  dans  des  conférences 
particulières,  &  enfuite publiquement,  de  la  grande  affaire 
de  la  fucceffion  à  la  Couronne  >  il  s'éleva  même  fur  cette 
queftion  des  ôcc. 

1.  20.  Dulton,  lif.  Dutton. 
Pag.  244. 1.  10.  Cependant  le  Roi  d'Ecoffe  étant  entièrement 
exclus  du  gouvernement.  On  lit  en  place  dans  P édition  des 
Drouarts ,  depuis  la  mort  de  Riz  ou  Riccio.  D.  f.  0.  d. 

1.22.  Le  Prince  fe  voyant,  lif.  Le  Prince  n'ayant 
plus  aucune  part  dans  les  bonnes  grâces  de  fon  époufe, 
&  voyant  qu'après  bien  des  foins  &  des  complaifances  il 
n'avoit  pu  venir  à  bout  de  regagner  dans  fon  efprit  la  place 
qu'il  y  occupoit  auparavant ,  fe  retira  à  Sterlin.  MS.  Samm. 
Peu  de  jours  après  la  Reine  partit  pour  fe  rendre  à  Ged- 
burg.  D'un  autre  côté  le  Comte  de  Borhwel  ayant  entre- 
pris au  commencement  d'Odobre  une  expédition  en  Li^ 
dalie ,  fut  dangereufement  bleffé  par  un  voleur.  La  blef- 
fure  parut  d'abord  mortelle  ;  enforte  qu'on  fut  obligé  de 
le  tranfporter  dans  un  château  du  voifmage.  Aurfi-tôt  que 
Marie  en  eut  reçu  la  nouvelle,  la  difficulté  des  chemins, 
les  dangers  qu'elle  pouvoir  courir  dans  ce  voyage ,  rien  ne 
fut  capable  de  la  retenir.  Elle  fe  rendit  fur  le  champ  auprès 
du  Comte  avec  très-peu  de  fuite ,  &  dans  un  équipage  in^ 
digne  de  fon  rang ,  6c  le  fit  tranfporter  à  Gedburg.  Là  fans 
fe  mettre  en  peine  de  fa  réputation ,  elle  pouffa  le  foin 
qu'elle  prit  pour  la  guérifon  de  ce  Favori ,  jufqu'au  point 
de  rifquer  fa  propre  vie.  En  effet ,  à  force  de  veilles  Ôc 
de  fatigues  elle  tomba  dans  une  maladie,  qui  parut  d'a- 
bord fi  dangereufe  ,  qu'on  commença  prcfque  à  défefpe- 
rer  de  fes  jours.  Dès  que  le  Roi  en  fut  infîruit ,  il  paitic 
en  pofte ,  &  fe  rendit  à  Gedburg  pour  la  voir ,  [  dans  l'efpe- 
rance  de  regagner  par  cette  démarche  ce  qu'il  n'avoit  pu 
obtenir  par  tous  fes  foins  &  fcs  refpeccs ,  &  de  rentrer  dans 
les  bonnes  grâces  de  cette  Princeffe.  ]£>./*  On  bien  dans 


^20  RES  T  I  TUTÏ  G  N  S, 

refperance  que ,  fuivant  ce  qui  arrive  ordinairement,  la 
crainte  du  danger  préfent  feroit  naître  en  fon  cœur  un  re- 
pentir falutaire  du  paflTé ,  qu'elle  rentreroit  en  elle-même , 
&  prendroit  pour  la  fuite  des  rëfolutions  plus  convenables. 
MS.  Samm.  Mais  loin  de  lui  donner  aucune  marque  de 
réconciliation ,  elle  ordonna  que  perfonne  ne  fc  levât  à  fon 
arrivée ,  qu'on  ne  lui  fît  pas  l'homieur  de  le  faluer ,  &  qu'on 
ne  lui  donnât  pas  même  de  logement.  En  effet  ce  Prince 
qui  ne  fçavoit  où  loger  étoit  fur  le  point  de  remonter  à 
cheval ,  lorfqu'un  Gentilhomme  de  la  maifon  de  Humes 
•honteux  du  traitement  qu'on  faifoit  à  fon  Roi ,  prit  un  pré- 
texte pour  fe  retirer ,  &  céda  fon  appartement  à  Henri.  Mais 
Marie  ne  le  laiffa  pas  longtems  à  Gedburg ,  &  dès  le  lende- 
main elle  lui  fit  reprendre  la  route  de  Sterlin.  D.f,  *  Ce 
procédé  parut  d'autant  plus  indigne ,  que  dans  le  tems  mê- 
me que  la  Reine  éloignoit  de  fa  prefence  le  Roi  fon  époux  ; 
elle  faifoit  tranfporter  Bothwel  du  logis  oii  il  demeuroit 
dans  le  rien,à  la  vue  de  tout  le  peuple,  ce  qui  réveilla 
encore  les  mauvais  bruits  que  fon  voyage  avoir  fait  naî- 
tre. MS.  Samm.  Outre  cela  on  entendit  dire  à  cette  Prineef- 
fe,  qu'elle  ne  pouvoit  plus  vivre ,  fi  elle  n'étoit  défaite  du 
Roi  fon  époux ,  &  que  fi  elle  ne  pouvoit  s'en  délivrer  autre- 
ment ,  elle  fe  donneroit  la  mort  à  elle-même.  Elle  parla 
auffi  plufieurs  fois  d'un  divorce ,  dont  on  viendroit  aifé- 
iiient  à  bout ,  difoit-elle ,  en  faifant  cafler  la  difpenfe  que 
le  Pape  avoir  accordée.pour  leur  mariage.  D.f,*  non.  Tout 
cet  endroit  .efi  tiré  de  Phijîoire  de  Buchanan.  Q. 

•Pag.  244. 1.  27.  'Le  dix-huit  de  Décembre ,  lif.  le  quinze.  C. 

^2ig.  24  j.  1.  1 6.  Le  Roi ,  lif.  Ces  lettres  qui  fembloient  mettre 
le  Roi  en  parallèle  avec  Bothwel ,  achevèrent  également 
de  perdre  Marie  de  réputation,  &  de  lui  attirer  la  haine 
des  étrangers  comme  de  fes  Sujets.  En  effet,  on  ne  pou- 
voit voir  fans  indignation  que  cette  Princeffe  épuisât  fes 
tréfors  -pour  mettre  Bothwel  en  état  de  faire  des  dépen- 
des immenfes,  tandis  qu'au  contraire  elle  retranchoit  le  né- 
ceflaire  à  fon  époux ,  qu'elle  lui  défendoit  de  paroîrre  de- 
vant les  Miniftres  des  Cours  étrangères,  qu'elle  lui  ôtoit 
fes  Officiers ,  &  faifoit  défenfe  à  la  noblefle  du  Royaume 
4'a.Vûir^our  Jiu  aiicun  refped»  Après  avoir  fi  cxaellement 

;aialtraitp 


C  O  R  R  E  C  T  I  ON  S,  Sec.  '-jif 

maltraité  ce  Prince  ,  qui  de  Ton  côté  avoir  pris  le  parti 
de  tout  endurer,  &  même  de  fe  faire  l'efclave  de  toutes 
les  volontés  de  la  Reine,  pour  regagner  fes  bonnes  grâ- 
ces. Après  lui  avoir  fait  tant  d'affironts  ,  &  lui  avoir  fait 

'  enlever  la  vaiflelle  d'argent  dont  il  fe  fervoit  depuis  fon 
mariage  ,  pour  lui  en  donner  d'étain ,  Marie  voyant  ce 
Prince  réfolu  d'aller  à  Glafcow  pour  y  voir  fon  père,  le 
congédia  après  l'avoir  ^  dit-on,  empoifonné.  Mais  l'effet  du 
poifon  fe  fit  fentir  plutôt  que  ne  fe  l'étoient  promis  ceux 
qui  l'avoient  donné.  A  peine  le  Roi  étoit-il  à  un  mille  de 
Ôcc.  MS.  Samm. 

Pag.  2^6. 1.  24.  Morton,  ajout,  qui  étoient  les  principaux  Con-^ 
feillers  du  Roi.  MS.  Samm. 

1.25).  Cluyd,  lif.  Firth  de  Clyd. 

Pag.  248.1.  16.  Palais,  ajout.  Comme  fi  elle  eût  voulu  dans 
le  cours  de  l'année  appaifer  les  mânes  de  cet  infâme  Fa- 
vori par  la  mort  du  Roi  fon  époux.  Auffi-tôt  les  compli- 
ces de  ce  crime  firent  courir  le  bruit  que  6:c.  AIS.  Samm^ 
Put.  &  Rig. 

Pag.  2J0.1.  17.  Gilefpic  Cambell  Comte  d'Argathel, ///^  Ar-; 
chibald  Campbel  Comte  d'Argyle. 

Pag.  2^.1.  33.  Archevêque  de  Monreal  en  Sicile, ///7  Eve- 
que  de  Mondovy  en  Piémont. 

Pag.  252. 1.  21.  L'Evêque  de  Dublin,  lif.  l'Archevêque.  C. 
1.  3  6.  En  Sicile ,  lif.  en  Italie. 
1.38.  D'abord , ///7  bientôt. 

Pag.  254. 1.  ly.  Menacez,  ajout,  par  la  Reine.  D.  f.  0.  d.  * 
1.  35?.  La  Reine  étant  allée,  lif.  La  Reine  ,  dans  le 
delTein  de  faciliter  le  complot  que  Bothwel  avoit  formé  de 
l'enlever  fous  prétexte  de  vouloir  fe  rendre  maître  de  la 
perfonne  du  jeune  Roi,  fe  rendit  à  Sterlin,  ou  elle  mit 
tout  en  œuvre  pour  retirer  fon  fils  des  mains  d'Erskine.  La 
réfiftance  qu'elle  trouva  dans  ce  Seigneur  à  faire  ce  qu'elle 
fouhaitoit  dérangea  fon  projet,fans  pouvoir  l'obliger  à  aban- 
donner fes  premières  vues.  Comme  elle  ne  pouvoir  fatis- 
faire  en  même-tems  à  fa  paffion  &  à  fon. honneur,  qu'elle 
avoit  efperé  pouvoir  ménager  à  la  faveur  de  cet  artifice , 
elle  prit  le  parti  de  renoncer  à  l'un ,  pour  contenter  Tau- 
-tre.  Marie  pour  exécuter  fon  deffein ,  fefervitdu  m.inifterQ 
Tome  K  Y  y  y  y 


722  RESTITUTIONS, 

d'un  valet  de  Chambre  François,  nommé  Paris.  Ce  do- 
meftique  lui  étoit  tout  dévoué,  &  on  lui  avoit  déjà  fait  con- 
fidence de  cette  intrigue.  Paris  fe  rendit  auprès  de  Both- 
wel ,  l'inllruifit  des  intentions  de  la  Reine  au  fujet  de  l'en- 
lèvement ,  dont  ils  s'étoient  déjà  entretenus ,  &  lui  ordon- 
.na  de  la  part  de  cette  PrincelTe  de  fe  trouver  à  fa  ren- 

'  '  contre  vers  le  pont  d'Almond  avec  quelques  troupes ,  de 
fefailir  de  la  Reine j  comme  malgré  elle,  Ôc  de  l'enlever. 
Le  Comte  voyoit  toute  la  grandeur  du  crime  qu'il  alloit 
commettre  ,  quoiqu'il  n'appréhendât  pas  d'ailleurs  d'en 
être  jamais  puni.  Cependant  comme  il  n'imaginoit  que  ce 

,  feul  moyen  de  mettre  à  couvert  l'honneur  d'iuie  grande 
Princefle  qui  ne  fouhaitoit  rien  avec  plus  de  pafllon  que 
de  pouvoir  lui  donner  librement  des  marques  de  fon  in- 
clination pour  lui ,  il  obéit  ponduellement  à  fes  ordres  ; 
l'enleva ,  &  la  conduilit  à  Dunbar.  Il  fe  trouvoit  encore  un 
autre  obftacle  à  cette  honteufe  alhance,  &  tandis  que  la 

,  Reine  peu  en  peine  de  fa  réputation  &  de  fon  honneur 
reftoit  à  Dunbar  entre  les  bras  de  fon  ravifleur ,  on  trouva 
pour  lever  cette  nouvelle  difficulté  un  moyen,  quin'étoit 
pas  moins  infâme  que  le  mariage  même  que  l'on  projettoit. 
Bothwel  avoit  époufé  une  fille  ôcc.  D.  f.  * 

Pag.  2^6.1.  20.  Une  de  ces  fautes ,  iif.  un  de  ces  crimes.  D.f, 
1.  27.  Dumblan,  /i/7  Dunblain. 

Pag.  2^8. 1.  30.  Cunnigham  Comte  de  Glencarn,  Iif,  Cuning- 
ham  Comte  de  Glencairn. 

Pag.  26'i.l.  35".  Comte  de  Tilbarn,  Iif.  Sieur  de  Tillibardin, 

Pag.  2(52. 1.  1 5'.  Kircadey  Baron  de  Grangy ,  Iif  Kirkaldy  Sieur 
de  Grange  C. 

1.  3  3.  Elle  y  fut  reçue ,  Iif  d'une  manière  bien  diffé- 
rente ,  &  elle  n'entendit  de  toutes  parts  que  ce  cri  géné- 
ral :  Brûlez  cette  proflituée ,  brûlez  cette  parricide.  Ce  qui 
mit  le  comble,  &c.  AÏS.  Samm. 

Pag.  2^3.1.  25?.  Cocborne ,  iif  Cockburn. 

Pag.  2^4. 1.  j.  De  lettres,  ajoitt.  écrites  de  la  propre  inain  de 
la  Reine.  MS.  Samm. 

1.  8.  Auroit  lues ,  ajout.  Bothwel  qui  appréhendoit 

'  l'inconftance  naturelle  aux  femmes  [  l'inconflance  de  la 
Reine ,  MS.  Samm.  ]  dont  il  avoit  vu  en  peu  d'années  tant 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  5cc.  723 

d'exemples ,  les  avoit  confervées  ;  afin  que  s'il  avoit  jamais 
quelque  différend  avec  la  Reine ,  il  pût  faire  voir  par  ce 
témoignage  qu'il  n'étoit  pas  l'auteur ,  mais  feulement  le 
miniftre  ôc  le  complice  du  meurtre  du  Roi.  Balfour  Ôcc. 
D.f.  * 

Pag.  2(5'4. 1.  ir.  Parurent  avoir  trouvé ,  lif.  y  trouvèrent  une 
preuve  complette  de  toute  l'intrigue  dont  on  avoit  de  vio- 
lens  foupçons ,  mais  qui  n'étoit  pas  encore  bien  dévoilée  ; 
cette  découverte  domia  une  connoiflance  parfaite  de  tout 
le  crime.  D,f,  0.  d, 

Pag.  26"^.  1.  p.  Jaloufie  ,  ajout,  tant  par  fa  naiflance,  que  par-« 
ce  que  &c.  MS.  Samm. 

Pag.  270. 1.  28.  Les  ides  Hébrides ,  ///71es  ifles  Occidentales. 

Pag.  271. 1.  28.  Derwe,  /tf.  Derry. 

Pag.  272. 1.  24.  Guillaume  Bufck,  /rf.  Mac-Gillefpiç.  VEdi^ 
teur  Anglais  pour  appuyer  fa  correÛion  j  cite  Camden  j  dont 
ce  trait  d^hijîoire  efl  tiré. 


LI^RE   QV ARANTE^VNIEME. 

Pag.  277. 1.  28.  Duefe,  ou  Difer. 

Pag.  278.1.  33.  Mildebourgj  lif,  Middelburg. 

Pag.  281.1.  35-.  D'Angers,  ///7  d'Anvers. 

.  2.  Audenarde,  ou  Oudenarde, 

.  17.  Porcien,  lif  Porcean. 

.  ip.  Conden,///7  Embden. 

.33.  Navarre,  If.  Novarre. 

.  8.  Aflez  déjà,  lif  déjà  affez. 

.  3 ().  Envoyées,  lif  envoyés. 

.  37.  D'Horne,  lif  de  Horne;  &  ainft  par-tout, 

.  14.  Toutes,  lif  tous. 

.  6,  Le  dix  de  Septembre  ,  ou  fuivant  F  édition  dt. 

,  le  neuf 

.23.  Portercole,  ou  Porto-Ercole. 

.  20.  Son  père ,  lif  le  Roi  fon  maître. 

.33.  Le  dix-fept  de  Décembre  ,  ou  fuivant  féditiori 
de  Londres  j  le  feize. 
Pag.  30^.  1. 27.  Très-inépuifable,  effacez  très. 

Yyyy  ij 


Pag.  282. 


Pag.  284. 
Pag.  28p. 
Pag.  2p3. 

Pag.  2PJ. 
Pag.  2p6'. 
.Pag.  2P7. 
Londres 


Pag.  302 
Pag.  303 


724  R  EST  I  T  U  T  I  O  N  S, 

Pag.  507. 1.  p.  Prifonniers ,  lif.  prifonnier. 
1.  3  I.  Sweinits,  lif.  Schweidnitz. 
Pag.  3  12. 1.  3  8.  Scheneych ,  lif.  Schoeneych. 

Ibid.  Carolowiz ,  lif.  Carlewitz. 
Pag.  3  15".  1-  10.  Ce  que  ,  lif  fur  ce  que. 

1.25?.  Des  Anglois,  lif  des  Anges, 
Pag.  3  ip.  1.  dern.  Mifericordiâ ,  lif.  Alfericordias^ 
Pag.  550. 1.  I.  D'Alazzo  ,  lif  d'Aiazzo. 
Pag.  3 3  1. 1.  27.  Monauti ,  lif  Montauti. 
Pag.  332. 1.  I.  Du  Bourg,  ûjout.  Saint  Sépulcre. 

i.  4.  Bafcio ,  not.  de  P Editeur  Anglais.  C'eft  le  paVs 
de  Mathieu  de  Bafcio  Fondateur  des  Capucins.  M.  de 
Thou  dans  un  autre  endroit  de  fon  liifloire ,  prétend  que 
le  Fondateur  des  Capucins  étoit  d'une  maifon  noble  du 
Duché  de  Spolete.  Il  a  confondu  Bafcio  dans  le  Duché 
d'Urbin  (  dont  il  eft  queftion  ici  )  avec  Bûfchi  château  de 
rOmbrie  fur  le  bord  du  Tibre  à-  la  hauteur  d'Orvieto , 
qui  a  donné  fon  nom  à  une  maifon  qui  fubfille  encore 
dans  les  branches  du  Comte  de  Bafchi  à  Orvieto,  du  Com- 
te de  Bafchi  dans  la  haute  Provence ,  &  des  Marquis  d'An* 
baix  &  de  Pignan  dans  le  Languedoc.  C. 
Pag.  33^.  1.  24.  12000.  lif  2000. 

Pag.  340. 1.  15?.  Le  Baron  du  North ,  lif  le  Lord  North. 
Pag.  342. 1.  15.  Mer  Calpienne ,  not.  maintenant  Mer  de  Bac- 
chu  ou  de  Sala.  C. 

1.  I  ^.  Mazandoran  ,  not.  nommé  autrefois  Hircanie, 
à  préfent  Zagathay.  C. 

Ibid.  Chorafan ,  autrefois  Bachiane  ^  maintenant  Sir- 
van.  C. 

■         -  -  ■■■■      ■       -        -  - "       -  I  I  I  --  ■ 1  ^^U. 

LIFRE  QVJKANTE-DEVXIE'ME. 

Pag.  344. 1.  2C).  Dandelot,  lifz  ici  &  par-tout  ailleurs  ,  d'An- 
delot. 

ï*^g-  349- 1.  <^.  Le  plus  capital,  effacez  le  plus. 
Pag.  3  jo.l.  6.  Les  deftins,  lif.  les  deileins. 
ï'ag.  3S3''^'3^^  Bourguet ,  lif  Bourget. 

1.39.  Le  xingt-ncnf ,  ou  fiivant  P  édition  de  Londres  p 
le  vingt-huit. 


Pag.  5^p. 
Pag.  3  60. 
Pag.  5(^3. 
le  ving 
Pag.  3  66. 

Pag.  3(^8. 
Pag.  372. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  S ,  &c;  72  J 

.  ij.  Pignevolles ,  ///]  Ligneroles. 
.  5.  Robertel,  ///^  Robertet. 
.38.  Le  vingt-cinq ,  oufuivant  r édition  de  Londres ^ 
-quatre. 

.  I.  Tanaquil ,  eu  Tanneguy. 
.  3 .  Confiant ,  lif.  Çonfolant ,  &  ailleurs., 
.13.  Brechinville ,  lif.  Brechainville. 
.  ^j.  Ranty,  lif,  Renty. 

.  3 j?.  Brefîauit  de  Peflancour,  lif  BrefTaud  Angevin, 
de  Befiancour.  Ce  font  deux  perfonnes. 
Pag.  382. 1.  16.  Monferrand,  Lanjoran  ,  lif  Monferrand  de 
Langoiran. 

1.  37.  De  Gombauld ,  lif  de  Robert  de  Combauldr 
&"  ainfi  par-tout. 

1.  dern.  Attendre ,  lif.  atteindre. 
Pag.  385*.  1.  3(5.  Mettoit,  lif  mettroit. 
Pag.  3  8 (j.  1.  28.  De  Dacier ,  lif.  d'Acier  5  &  ainfi  dans  toute  la 

fuite. 
Pag.  3po.l.  15^.  Camille,  Artilleria.  Otez  la  virgule  ;  c^ejl  un 

feul  homme. 
,Pag.  ^^lA.  ^.  Venloux ,  lif  Ventoux. 

1,31.  De  BoilTy ,  lif  le  Capitaine  Boify ,  ou  Bois. 
•    1.32.  CIqyg  ,  lif  Clery. 
1.33.'  La  Ville ,  lif  le  Village. 
Pag.  3p2. 1.  7.  Desbordes ,  lif.  la  Borde  j  &  ainfi  dans  la  fuite, 
■Pag.  35)5.1.  24.  Bloiiel,///?  Blolleî. 
.Pag.  3P7. 1.  18.  A  le  calomnier,  lif  à  calomnier. 
Pag.  400.1.  38.  Francy ,  lif.  Irency. 

Pag.  401.1.  2j.  Marueil  fur  le  Loy ,  lif  Mareuil  fur  le  Lay, 
Pag.  402. 1.  2.  De  Volvire,  lifez.  ici  &  ailleurs  y  de  Voluire. 
1.  18.  Fabius  de  Saint  Hermine,  If.  du  Fa,  autre- 
ment S.  Hermine. 
*Pag.  405".  1.  3.  Verduran,  lif  Verduzan. 

1.  27.  Defcars  de  Morville,  lif  d'Efcars  de  Merville. 
Pag.  405).  1.  7.  Sudarer.  La  Popelinicre  P app e l le ySd.dur et. 
Pag.  41 1. 1.  30.  Et  S.  Marate  ,  lif  ik  de  Morat. 
Pag.  414. 1.  2p.  Sacviir  Baron  de  Buckurfi:,  <?«  Sackville  Lord 
Buckhurft. 


^26  RESTITUTIONS, 


LIFRE   QVJRANTE^TKOISIEME. 

Pag.  41  p.  1. 20.  Qui  feroit,  lif,  que  la  grandeur  de  fes  crimes i 
lendoit  odieux  ôcc.  D.f, 

1.  2  3 .  Murray  Tilibourdin  ,  lif,  de  Tillibardin. 
Pag. 420. 1.7.  A  cinq,  oufuivant  Sédition  de  Londres ^k  hmt 

milles. 
Pag.  421.1.  16,  Lofid,  lif.  Langfide.  Catcarth,  lîf,  Carthe. 

l.  26.  Sempill ,  lif,  Semple. 
Pag.  422. 1.  33.  Baron  de  Heris,  lif  Maxwel  Lord  Harries. 
Pag.  423. 1.  p.  Berth,  lif.  Perth. 

1. 1 6.  Le  Comte ,  lif  le  Baron. 
1. 2j.  Retirée,  ajout,  en  Angleterre.  C. 
Pag.  425.1.  3.  Nithefdale,  lif  Nithifdale. 
1.  6.  Mildmor ,  lif  Middlemore. 
1.35.  ^prés  Gilly,  ajout.  Henri  Balnaves. 
L  37.  Avec  eux ,  lif  Et  le  4.  Odobre  il  entra  dans 
la  ville  d'Yorck ,  lieu  deftiné  pour  la  conférence. 
Pag.  426".  1.  8.  Gauvin,  Kilcwening  ,  Cocborne ,  lif  Gawin, 

Kilwinning,  Cockburn. 
pag.  427.1.  38.  Par  cette  Princefîe ,  ajout,  qui  dévoilèrent  la 
palfion  criminelle  dont  elle  avoit  brûlé  pour  Bothwel ,  leurs 
projets ,  leurs  defleins ,  &  les  mefures  qu'ils  avoient  prifes 
enfemble  &  pour  le  meurtre  ^u.  Roi ,  ôc  pour  l'enlève- 
ment de  Marie.  On  produifit  aufli  trois  contrats  ôcc.  MS, 
Samm. 
Pag.  42_9. 1.  I.  Shropp  ,  lif.  Shrewsbury. 
Pag.  432.1. 22.  Bofe,  lif.  du  Bois  o«Bofch  Avocat  Eifcal  de 
Malines. 

1.  23.  Le  Comte,  lif  les  Comtes. 
Pag.  43(^.1.  32.  IVot.  La  lettre  de  Philippe  au  Pape  a  été  im-» 

primée  dans  la  vie  de  Pie  V.  par  G.  Jérôme  Catena.  Put. 
Pag. 438.1.  II.  Le  vingt-fept,  oufuivant  Meteren ,  le  vingt- 

fix  de  Février, 
Pag.  435).  1.28.  Le  Namurois,  ou  le  Comté  de  Naniur, 

1.31.  Ottave,  lif.  Odave. 
pag.  440. 1. 7.  D'Hierges ,  Ufez  par-tout ,  de  Hierges. 


C  0  RRE  CTI  0  N  S,âcc.  707 

Pag.  540. 1.  3  3.  Il  chargea,  ajout,  le  grand  Prieur  Perdlnand  foa 
fils  naturel ,  de  faire  marcher  &c. 

Note  au  bas  de  la  page.  Barlaymont,  lif.  Berlaymont. 
Pag.  4.41.1.  2.  De  Monte,  oh  del  Monte.  Mendofcu  P appelle ^ 
Montanes. 

1.23.  De  d'Avila,  effacez  de. 
1.  32.  Varguas,  lif.  Vargas. 
Pag.  442. 1.  4.  Vilvoord  ,  on  Vilvorde. 

1.  13.  Bosleduc,  ou  Bois-le-Duc. 
1.  14.  Ferdinand  Prieur,  hf,  le  Prieur  Ferdinand. 
Pag.  447. 1.3.  Soele,  lif.  Soete,  Sieur  de  Hontein.  Meterert 

F  appelle ,  de  Haultein. 
Pag.  448. 1.  7.  Zuytbrouk ,  ou  Zuytbroeck. 
1.  16.  De  Brimes,  lif.  de  Brimeu. 
Pag.  44p.  1.  8.  Le  détroit ,  not.  Ceft  ce  qu'on  appelle  le  Zuy^ 
der-mer,  ou  Zuyder-zée. 

1.  II.  De  Bois,  lif  de  Bloys. 
1.  12.  Batfon,  not.  Meteren  P appelle ,  Boudechon. 
Ibid.  Pentan  ,  ou  Pentane.   Meteren  met  ,  Elpen-' 
dani. 
Pag.  45  1. 1.  14.  Sahne ,  ou  de  Salinas. 

1.  30.  Campine  ,  ou  Kempen ,  not.  Jean  Petit  met 
à  S.  Guidule ,  &  depuis  porté  en  la  ville  de  Wert.  Put. 
Pag.  454.  Cottée  par  mégarde ,  453. 1.  p.  Bredemberg.  Meteren 
le  nomme ,  Vandenberghe. 

1.  10.  Berchem  ,  Meteren  met ,  le  château  de  Hee-« 
xenberghe. 

1.  13.  Tïcnel y  Mendo fa  met,  Venlo ,  au  lieu  de  Tre- 
nel.  Put. 

1.  22.  De  Barra,  lif  d'Ibarra. 
1.  30.  Des  Commiflaires,  lif  des  CommifTions. 
Pag.  45:^.1.  22.  Ferdinand  fils  de  Prieur  ,  lif,  le  Prieur  FeCi 

dinand  fon  fils. 
Pag.  4J7. 1.  3.  Anafo ,  lif.  Anafco. 

1.  18.  Sutebourg,  lif  Ziiyt-broeck: 
Pag.  45-  8. 1.  6.  A  Prieur ,  lif  au  Prieur. 
Pag.  45:5).  I.  21.  Manriques,  ou  Manriquez. 
Pag.  4^0. 1.  32.  Schaumbourg  ,  lif  Schouvvenbiu'g ,  &  atnft 
dans  la  fuite. 


'72$  R  E  s  Tî  T  U  T  I  O  N  S'T 

Pag.  ^d*!.!.  28.  Village,  îif.  place. 
1.52.  O\x\ï,0H  Ôlfen. 
1.  3  j .  Aurelio  Palermo  ,  ou  Aurelio  de  Palerme; 

Pag.  ^54..!.  24.  De  Vers,  Iif.  de  Wels  ou  Welfen. 

1.  28.  Waroux  de  Ryfoire,  Charles  Hamets  de  Eox- 
tel,  Iif  Waroux ,  Ryfoire ,  Carloo,  Hamets ,  Boxtol.  Ce  font 
autant  de  perfonnes. 

Pag.  4(5'y.  1.  8.  D'Eppin ,  ou  d'Eppen. 

1.  38.  D'Erbeftein,  Iif  d'Ehei:(\:em,&  ainft par-tout; 

Pag.  4<^^.  1.  II.  Lanoy  de  Beauvais,  Iif  de  Beauvois. 

Pag.  4^7.1.  37.  Virmont,  Iif  Tillemont  ou  Thienen. 

Pag.  ^6S.  1.  26.  Alvarez  Cabrai ,  iif.  le  Sieur  de  Câpres.  L^E" 
diteur  Anglois  traduit  le  Baron  de  Chevreaux  de  la  Maifon 
de  Vienne.  Mais  fon  croit  qu!il  fe  trompe. 

Pag.  4^p.l.  i<?.  Diego  de  Tolède  fils  du  Connétable,  Iif 
Diego  de  Tolède  fon  fils ,  (  du  Duc  d'Albe  )  Connêtabl-e  de 
de  Navarre ,  not.  Louis  de  Beaumont  (  dit  P Editeur  Anglois  ) 
ComtedeLerine  pofledoit  par  droit  d'hérédité  la  dignité  de 

'  Connétable  de  Navarre.  Son  fils  lui  fuccéda.  Ce  fils  étant 
mort  en  i5'3o.  laifTa  aulfi  à  fon  fils  cettte  dignié.  Celui-ci 
mourut  en  15'6'j.  ne  laiflant  que  trois  filles.  Briande  l'aînée 
cpoufa  la  même  année  Diego  de  Tolède  fils  du  Duc  d' Al- 
be ,  qui  du  chef  de  fa  femme  fuccéda  à  fon  beau-pere  ,  fut 
fait  Connétable  de  Navarrre,  &  a  tranfmis  cette  digmté 
à  fes  defcendans  jufqu'à  ce  jour.  Ç 

Pag.  470.1.  10.  Bavais,  ou  Bavay. 

Pag.  472. 1.  3  I.  Berti,  Iif  Weert. 

Pag.  47(5. 1.  12.  Hermeftein  ,  ou  Ehrenbreitftein  ,  qui  eft  1q 
vrai  nom ,  &  dont  le  premier  n'eft  que  l'abrégé.  Ç. 

Pag.  482. 1.2p.  Marguard  ,  Iif  Marquard. 

Pag.  483.1.  5.  Confervant,  Iif  confacrant. 


LIFRE  QV JKANTE-Qy ATKIEME. 

Pag.  48(5".  1.  5".  Gabot,  ou  Gavot  aliàs  Cavot. 
Pag.  487.1.  38.  Sainte  Hélène,  ajout,  qu'ils  appellerent  Port- 
Royal. 
Pag.  48^.  1.  y.  Convexis,  Iif  Couexis. 

Pag.  48  j?. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s  /Sec.  y^p 

Pag.^Sjj.l.  15.  Aubert,  lif.  Albert. 
1.  18.  Barrois,  lif.  Barre. 
1.  5  5" .  Lachery  ,  lif.  Lachere. 

Pag.  5:00.1.  18.  Souavezes,  lif,  Swanfey  dans  le  païs  de  Gla* 
morgan  en  South- Wales.  C. 

Pag.  yoi.l.  17.  Quiloo,  lif.  Qiiiloa. 

Pag.  yoj.l.  8.  De  l'Efcure,  lif.  de  l'Efcut. 

1.  ip.  De  Bordeaux,  ou  Bourdelois. 

Pag.  504. 1.  8.  Avec  emprefîement ,  lif  en  danHuit.  C. 

Pag.  508.1. 10.  Le  trente  d'Avril,  lif  le  trente  -  unième  de 
May. 

Pag.  5" 05).  1.  6.  Bone  ,  oh  Bonne ,  not.  c'eft  l'ancienne  Hypponc 
ville  Epifcopale ,  Sicge  de  S.  Auguftin. 

Pag.  5  12. 1.  2;).  Tandis  que  lui  ôcc.  If.  Mais  qu'il  ne  pouvoit 
foufifrir  qu'un  Prince  comme  lui,  qui  avoir  fçu  préferver 
fes  Etats  de  cette  perte ,  fut  dépouillé  &c. 

Pag.  5- 15. 1.  23.  De  la  Vieuville,  oh  Vieille-ville. 

1.33.  A  Poitiers  ,  ajout,  où  peu  de  tems  après  il 
mourut  d'apoplexie.  Ce  fut  un  des  Seigneurs  de  fon  tems 
des  plus  illuftres  par  fa  naiflance ,  fa  libéralité ,  fa  pruden- 
ce, fon  cfprit,fa  probité  &  fa  douceur.  Son  zélé  pour  fa 
gloire  &  pour  la  tranquilité  de  la  France  ,  dont  il  donna  des 
preuves  dans  tous  les  tems,  le  firent  également  regreter 
de  tous  les  gens  de  bien.  Les  Rochelois  ôcc.  MS.  Samm, 
Le  P.  Anfelme  dit  qu'il  mourut  de  poifon  en  fon  château 
de  Durerai  le  30,  Novembre  1 57 1.  H/ft.  Geneal.  de  France^ 
p.  544..  C. 

Pag.  520. 1.  34.  Le  motif  barbare ,  lif.  les  exprelTions  barbares 
de  &c. 

Pag.  y  2  1.1.  12.  Brulard,  lif  Brulart. 

Pag.  523.1.  16.  Marchais  ,  lif  Marchez. 

Pag.  524.1.  14.  La  Malleraye ,  lif  de  Maleroie. 

1.  17.  Sourches ,  lif.  Chourfes  j  &  ainfi  dans  toute  la 
fuite. 

Pag.  52(^.1.  20.  De  Puygrefïicr,  de  S.  Cyi:,. lif.  de  Puygref- 
fier,  dit  S.  Cyr. 

1.  21.  Pluviaut,  ou  Pluviault,  ou  Puviaut. 

Pag.  52^.1.  8.  Saintgravé  Cognée.  Alettez  une  virgule  entre  ces 
deux  mots  ^  ce  font  deux  perfonnes. 
Tome  /■<  Zzzz 


730  RESTITUTIONS, 

Pag.  5'3<5.1.  25:.  Dans  la  place,  not.  Les  Catholiques  par  droit 
de  reprefailles ,  paflerent  au  fil  de  l'épée  l'année  fuivante 
la  gamifon  de  Magné  ,  château  fitué  à  trois  lieues  de: 
Niort.  C. 

Pag.  537. 1.  34.  Bufïier,  lif.  Buffiere.. 

Pag.  538.1.  23.  Sainte  Mefme,  lif.  Sainte  Memme. 

Pag.  540. 1.  2.  Ancone  de  S.  Romain.  Mettez  une  virgule  en^ 
tre  ces  deux  noms  ;  ce  font  deux  perfonnes. 
l.'j.  Richien,  ou  BJchiend. 
1.  3  I.  Des  Oulieres,  lïf.  des  Olieres. 
1.  32.  Bais  fur  la  rivière  de  Bais,  not,  M.  de  Thou- 
a  pris  cet  endroit  de  la  Popeliniere  1.  15".  fol.  70.  mais  'i\ 
s'eft  trompé  j  il  n'y  a  point  de  rivière  h  mais  un  bourg  Ôc 
un  château  qui  domine  le  bourg.  C 

Pag.  54X.I.  S.  Dio,  lif.  Die. 

1.  25?.  Montaigu  ,  lif.  Montagut.  Et  toujours  de  même  y 
fait  pour  les  Seigneurs  de  ce  nom  jfoit  pour  la  petite  Ville  qui 
le  leur  a  donné.. 

Pag.  542.1.  12.  De  Mailei,  lif  de  du  Maflez., 

Pag.  543. 1.  18.  Mefignac  ,  ///.  Melllgnac. 

Pag.  554.1.  35.  Les  deux  Dietzen,  Uf  Les  deux  Comtes  de- 
Diez,  fils  naturels  de  Philippe  Landgrave  de  Hefle,  le  Com- 
te de  Wefterbourg  &  Leininghen ,  les  Comtes  Rheingra- 
ves  ôcc.  mt.  Philippe  furnommé  le  Magnanime  Landgra- 
ve de  Heffe  ayant  pris  pour  féconde  femme  du  confente- 
ment  de  fon  époufe  ,  &  par  l'avis  de  fes  Théologiens  Mar= 
guérite  de  Sala ,  il  en  eut  fix  enfans,  Maurice ,  Chriftophle , 
François ,  Philippe ,  Volrath ,  5c  Frideric.  Par  fon  ,teftament 
ce  Prince  leur  laifla  quelques  châteaux  &  quelques  gou- 
vernemens  j  &  pour  leur  donner  quelque  titre  honorable , 
il  ordonna  qu'ils  prendroient  le  nom  de  Hefle ,  &  la  qua- 
lité de  Comtes  de  Diez ,  &  de  Seigneurs  de  Lisberg  ôc 
de  Bickenbach.  Ils  moururent  tous  fans  s'être  mariez.  A- 
l'égard  de  la  maifon  de  Wefterbourg,  elle  tire  fon  nom  du 
château  de  Wefterbourg  fitué  dans  cette  partie  de  la  We- 
teravie  ,  que  les  Allemands  appellent  den  Weferzvald,  ôc 
defcend  des  Seigneurs  de  Runckel.  Outre  cela  le  Land- 
grave de  Hefie  Leninghen  étant  mort  fans  enfans  l'an  14^7. 
J^einhard  de  Weiterbourg,  c^ui  avoir  époufé  la  Princeffe. 


€  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  ôcc.  731 

Marguerite  fœur  du  Landgrave ,  s'empara  de  tous  fes  Etats , 
<&  prit  le  titre  de  Comte  deXeiningheii  &  de  Weftcrbourg, 
qui  pafla  à  fes  defcendans  jufqu'à  Reinhard  ion  petit  fils. 
Ceft  de  celui-ci  que  fortirent  les  deux  branches  de  Lei- 
.  ninghen  &  de  Wefterbourg.  P^.  fuppkm.  aux  Geneahg,  de 
Rîtterhus.  l.  4.  f.  7.  dr  /.  (5.  <r.  5).  C. 

^^g-  5'54-  ï-  3<^-  L€s  Comtes  Reingraves,  Uf,  les  Comtes  du 

Rhin.  Fut. 
l'ag.  ^yj-.l.  10.  Salm,  ou  Salms. 

1.  2^.  Dollenviile ,  Uf,  d'OITonville  \  &,  ainfi  dans 
toute  la  fuite, 

1.  28.  La  Carde ,  Uf.  de  Cardes. 

1.35.  Quand,  Uf  quant. 

i.  3  5".  Vaflar,  Uf  Vaflan. 
V3ig.  5';7.1.  7.  Qu'il  foutenoit,  ajout,  La  Reine  Llizabeth  eut 
une  autre  querelle  beaucoup  plus  vive  avec  le  Duc  d'Albe 
au  fujet  de  l'enlèvement  de  quelques  vaifleaux  Efpagnols, 
:&  de  l'argent  qui  avoir  été  pris  defius.  En  effet ,  il  arriva 
fur  ces  entrefaites  que  la  Tour  ayant  donné  la  chafle  à  un 
grand  navire  de  Bifcaye  &  à  quatre  petits ,  de  ceux  que  les 
Efpagnols  appellent  Affabras ,  fur  lefquels  il  y  avoir  deux 
cens  mille  écus ,  ils  allèrent  fe  réfugier  dans  un  port  d'An- 
gleterre. Geraldo  Spefeo  demanda  à  la  Reine  au  nom  du 
Roi  Philippe  fon  maître  un  pafleport  pour  pouvoir  tranf- 
porter  fùrement ,  foit  par  mer ,  foit  par  terre ,  la  charge  de 
-ces  vaifleaux  jufqu'à  Anvers  ,  &  EHzabeth  ne  paroiflbit  pas 
d'abord  fort  éloignée  d'accorder  ce  qu'on  fouhaitoit  j  mais 
comme  Spefeo  attendoit  une  réponfe  pofitive  du  Duc  d'Al- 
be ,  dans  cet  intervalle  le  Cardinal  de  Chatillon  donna  avis 
à  la  Reine,  que  l'argent  qui  étoit  fur  les  vaifleaux  Efpa- 
gnols n'appartenoit  point  à  Philippe  ;  qu'il  étoit  à  des  né- 
gocians  Italiens ,  &  que  dès  qu'il  feroit  rendu  en  Flandres , 
le  Duc  d'Albe  avoir  réfolu  de  s'en  rendre  maître  de  gré 
ou  de  force ,  &  de  l'employer  à  faire  la  guerre  aux  Pro- 
teftans.  En  même-tems  il  confeilloit  à  cette  Princefle^  pour 
priver  le  Duc  d'un  fi  puiflant  fecours ,  &  qui  entre  fes  mains 
ileviendroit  lî  pernicieux  à  la  caufe  commune ,  de  profi- 
ter d'une  fi  belle  occafion  que  la  fortune  lui  préfentoit ,  lui 
faifant  eiuendre  qu'elle  avoir  droit  de  retenir  cet  argent, 

Z  z  z  z  ij 


732  RESTITUTIONS, 

Le  confeil  du  Cardinal  fut  fuivi.  La  Cour  d'Angleterre 
prit  pour  prétexte  ,  que  ces  fommes  n'appartenant  point  au 
Roi  d'Efpagne  allié  de  S.  M.  B.  mais  à  quelques  particu- 
liers, rien  ne  pouvoir  empêcher  la  Reine  de  les  leur  em- 
prunter dans  le  befoin  prefiànt ,  où  elle  fe  trouvoit  réduite. 
Ainfi  on  fit  débarquer  tous  les  caiffons,  de  peur,  difoit- 
on ,  que  les  François  ne  s'en  rendiflent  maîtres  5  &  après 
avoir  fait  fes  billets  pour  la  fomme  qui  fe  trouva  fur  ces  vaif- 
feaux ,  Elizabeth  ordonna  que  cet  argent  fut  employé  à  fes 
iifages.  AuflTi-tôt  que  le  Duc  d'Albe  eut  été  inftruit  par 
Spefeo  de  ce  procédé,  il  ne  fongea  qu'à  tirer  raifon  de  cet 
outrage.  Sans  prendre  l'avis,  ni  des  Etats, ni  du  Confeil  Sou- 
verain des  Païs-Bas  5  fans  avoir  égard  à  l'alliance  qui  étoit 
entre  les  maifuns  d'Angleterre  &  de  Bourgogne ,  il  fit  ar- 
rêter fur  le  champ  à  Anvers  &  dans  toutes  les  autres  villes 
de  Flandres ,  tout  ce  qui  s'y  trouva  d' Anglois ,  ôc  les  retint 
prifonniers  dans  le  comptoir  de  cette  nation  ,  où  il  envoya 
des  troupes  pour  les  garder.  La  même  chofe  s'exécuta  à 
la  follicitation  du  Duc  dans  toute  l'Efpagne.  Elizabeth  de 
fon  côté  informée  de  cette  démarche  ,  fit  arrêter  fur  le 
champ  tous  les  marchands  Flamans  avec  tous  leurs  effets, 
qui  furent  mis  en  féqueftre  ;  &  pour  fervir  de  garantie  & 
d'indemnité  aux  Anglois ,  qui  étoient  entre  les  mains  des 
Efpagnols ,  elle  fit  entrer  dans  fes  ports  plufieurs  vaifleaux 
de  cette  nation  qui  étoient  en  mer ,  fans  que  ceux  qui  les 
montoient  fçufient  le  fujet  de  ce  nouvel  ordre.  Cependant 
le  Duc  d'Albe  voyant  le  grand  nombre  de  vailTea^ux, 
d'hommes  &  d'effets ,  que  les  Anglois  retenoient  à  la  na- 
tion Efpagnole  ,  fe  repentit  de  fa  précipitation.  Pour  la  répa- 
rer il  députa  fur  le  champ  Chriftophle  d' Aflbnville  à  la  Rei- 
ne j  mais  comme  il  n'étoit  envoyé  que  par  le  Duc  ,  &  qu'il 
n'avoir  aucuns  pouvoirs  de  Philippe ,  il  ne  put  obtenir  au- 
diance  de  cette  Princelle.  Elle  le  renvoya  à  fon  Confeil  > 
&  ce  Seigneur  ayant  refufé  de  fon  côté  d'entrer  en  né- 
gociation avec  les  Minifires  de  la  Cour  d'Angleterre,  re- 
paffa  en  Flandres  fans  avoir  rien  conclu.  En  même-tems 
Elizabeth  fit  déclarer  au  Duc,  que  malgré  la  grandeur  de 
l'outrage  qu'elle  avoir  reçu  ,  elle  étoit  réfoluë  à  ne  fe  porter 
à  aucune  hoftiliié ,  à  moins  que  lui-même  ne  fe  portât  à 


CORRECTIONS,  kc.  73  v 

de  plus  grandes  violences.  Elle  fit  fignifier  la  mcme  chofe 
à  Philippe ,  &  ne  manqua  pas  de  fe  plaindre  très-vivement 
de  la  conduite  précipitée  &  inconiiderée  du  Duc  d'Albe. 
Cependant  tandis  que  de  part  &  d'autre  on  fe  failiiToit 
de  tous  les  vailfeaux  &  de  tous  les  effets  qu'on  trouvoit 
à  fa  bienféance ,  afin  que  cette  méfintelligence  n'interrom- 
pît point  le  commerce ,  les  négocians  Anglois  firent  paf- 
fer  toutes  leurs  marchandifes  en  Allemagne,  ôc  établirent 
un  comptoir  à  Hambourg.  Le  Duc  d'Albe  à  fon  tour  au 
mois  d'Avril  fuivant ,  défendit  tout  commerce  entre  les 
Païs-Bas  &  l'Angleterre.  Cependant  il  ne  laiffa  pas  quel- 
que tems  après  de  députer  à  Elizabeth  Chiapin  Vitelliv 
Marquis  de  Cetona  avec  Fonde  &  le  Secrétaire  de  la  Torrc, 
pour  retirer  de  fes  mains  l'argent,  donc  elle  s'étoit  faifîî 
mais  après  des  ordonnances  fi  rigoureufes,  ils  arrivèrent 
trop  tard  pour  pouvoir  rien  obtenir  de  cette  fiere  Prin- 
cefie.  On  renouvella  donc  ces  défenfes  j  on  y  en  ajouta 
mcme  encore  de  plus  feveres.  C'efl  ce  qui  donna  occa- 
iion  à  des  animofitez  ,  qui  fans  qu'il  y  eût  d'ailleurs  de 
guerre  ouverte  entre  les  Anglois  &  les  Flamans,  mirent 
beaucoup  de  dérangement  dans  le  commerce ,  ôc  eurent 
des  fuites  fi  préjudiciables  aux  deux  nations.  A  peine  au 
bout  de  quatre  ans  ce  différend  put-il  être  terminé,  comme 
je  le  dirai  dans  la  fuite.  D.  f,  Tom,  II.  p.  ^5;.  Ôc  D.  c, 
Tom.  IV.  jtJ.  3  18. 


LIVB^E    QVJKÀNJE-  CINQVIEME. 

Pag.  ^6i,.\.  4.  Vicupont  ôcc.  lif.  De  vieux  Pont  d'Aigueville 

fils  du  Baron  de  Neufbourg. 
Pag.  554. 1.  22.  Borniquetj  lif.  Bourniquet. 

1.27.  Puylaurens,  lif,  Puy-Laurent, 

1.  33.  Levron  ,  lif  Leberon, 
Pag.  y  (^5".  1.  I.  De  Pire,  If.  De  Piles. 

1.  14.  De  CeUai,  lif  de  Seflac. 
Pag.  ^^■y.  1.  18.  Montaigu,  lif  Montagut. 

1.  ^6.  d'Aumale  Nemours.  Séparez  ces  deux  nom^par 
me  virgule  y  ce  font  deux  pcrfonnes. 


734  RESTITUTIONS, 

Pag.  5*70.1.  18,  Mais  repouiTa  même  Briflac  avec  perte,  lijl 
mais  qui  leur  fit  même  abandonner  le  pofte  de  BaÛac  avec 
perte.  U Editeur  Anglois  juge  qu^on  doit  faire  cette  correâlion 
dans  le  texte ^  Ù"  il  cite  la  Popelimere  liv,  ly..  pag.  85. 

Pag.  5*72. 1.  24.  Qui  l'ait  furpalTé ,  ajout.  Outre  cela  perfonne 
ne  fut  plus  zélé  obfervateur  que  lui  de  la  religion  qu'il  avoit 
embraliee  j  non  qu'il  cachât  fous  un  mafque  hypocrite  au- 
cuns projets  ambitieux  :  fon  génie  infiniment  élevé  le  met- 
toit  plus  en  état  d'en  former  que  qui  que  ce  foit  5  mais  en 
cela  le  goût  feul  d'une  piété  véritable  qui  lui  étoit  natu- 
relle le  faifoit  agir.  Sa  mort  &c.  MS.  Samm. 

Pag.  ^73.1.  14.  Moncanvre,  lif.  Moncanure. 
Ibid.  Lignere ,  lif.  Ligneris. 

Pag.  J74. 1.  17.  Baudiné,  fon  frère  Blacons,  lif.  Baudiné  fou 
firere,  Blacons. 

Pag.  J77.  N^ ayez  point  d^ égard  à  la  note,  Oeft  le  parti  Catho^ 
lique  qui  accorda  les  conditions  &  les  obferva  mal. 

Pag.  582. 1.  10.  Le  vingt -mi,  ou  fuivant  t  édition  de  Londres  ^ 
le  dix-neuf.  Voyez  la  Popeliniere  l.  16.  p.  ^2. 

Pag.  584. 1.  16.  Dully  Artus,  lif.  Duilly,  Artus.  Ce  font  deux 
perfonnes, 

1.  17.  De  Briquemaut  d' Autricour.  A/<£?ff f 2  une  virgule 
entre  ces  deux  noms  pour  les  dijlinguer  ;  ce  font  deux  perfonnes. 

^ag.  y  8  j .  1.  I .  Six  mille  ,  ou  fuivant  P édition  de  Londres ,  cinq 
mille. 

1.  2.  Par  les  deux  bâtards  de  Hefle ,  Wefterbourg  & 
Leininghen  ôc  par  les  deux  frères  Rhingraves ,  lif.  par  les 
Comtes  de  Diez  bâtards  de  Philippe  Landgrave  de  Hefle , 
les  Comtes  de  Wefi:erbourg  &  de  Leininghen  &  les  Rhin- 
graves.  Voyez  ci-dejfus  la  note  qui  a  été  faite  fur  le  même 
fujetpag.  554. 

Pag.  jSp.l.  3  I.  Somme  ,  lif.  Somma. 

Pag.  5<po.  1.  j.  Gincomini,  lif.  Giacominî. 

Pag.  J92. 1.  3  I.  Irememond,  lif  Trememond. 

Pag.  5" 5? 5.1.  24.  Chevreux,  lif.  Cherveux. 

1.34.  Fontenai-i'Abbatu ,  Uf  "Frontenay-rAbbatn. 

I^ag.  ^s>9'  1-  32.  Le  troificme ,  ou  plutôt  le  deuxième,  not.  La 

•'  Popeliniere  /.  17./?.  105-.  dit  formellement ,  que  le  Comte 
du  Ludc  leva  fon  camp  le  S.amedy  deuxième  de  Juillet.  C. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  &ci  7 j; 

Fag.  5"^^.  1.  dern.  Defclufeaux,  lif.  des  Clufeaux. 

Pag.  601. 1.  27.  De  Pont  de  Mirambeau ,  ///7  de  Pons  de  Mi- 

rembeau. 
Pag.  dey.  1.  3.  S.  Antoine,  lif,  S.  Antonin. 

1.  15-.  La  Riege,  ou  l'Ariege ,  ou  rAiiriege,' 
Pag.  6'o6'.  1.  3.  De  Dacqs,  lif.  d'Acqs. 
Pag.  60J.  l.  8.  BuOlllon  ,  ///:  Bafllllon. 
1.  13.  Pujol,  lif.  Pujols. 
1.  33.  De  la  Bous ,  lif,  de  Larbous^ 
Ibid.  Luzieres ,  lif  Lozieres. 
Pag.  (>o8.1.  I,  Paras,  lif  Favas. 

1.  3.  L'EfcLir,  lif  l'Efcut. 

1.30.  MontluG,  ajout,  donna  ordre  à  MonteftruC 
de  faire  pointer  l'artillerie  &c. 
Pag.  (5op.  1.  13.  Florence ,  ^'^^Tr^i  difent ,  Fleurance. 
Pag.  6\o.\.  13.  Orillac,  lif  Aurillac. 

Pag.  6^12.1.  2 j.  De  la  Beraudiere,  de  Rouet,  lif  de  la  Be-t 
raudiere  Sieur  Rouler.  Otez  la  virgule  j  c'ejl  une  même  per- 
fonne. 
Pag.  (j  1 3. 1.  I.  Sforze ,  ott  Sforce. 
Pag.  61^.  1.  1(5.  Les  affiégés,  lif  les  alTiégeans. 
Pag.  (>i5'.  1.  7.  Du  Capitaine  Bourg  &c.  lif  des  Capitaines 
Bourg,  de  Calverac,  &  de  Prunay.  Ce  font  trois  Officier  s.^ 
1.  2p.  Virpont  Seigneur  de ,  lif  Vieuxpont  Baron  de. 
Pag.  (^23. 1.  6.  Paut,  lif  Paul.  \ 

1.  13.  Pomenie ,  lif  Pomenic,  &  ainft  ailleurs, 
Pag.  ^24.  î.  25.  De  Montacuto  ,  lif  de  Montauti  ou  Mon- 
tauto. 

1.  53.  Giufuniano  6c  Beneio , ///7  Giuftiniano  Benci; 
Oejî  un  fui  homme. 

\.  dern.  De  Montalte ,  lif  Montaldo  qui  comman- 
doit  trois  compagnies,  Cailoccio  de  Sienne,  6c  Fabiano 
&c. 


LIF  RE     QyJKANTE^SlXIEME. 

Pag.  ^32. 1.  37.  La  Dire,  If.  la  Dive. 

Pag.  6^3^,1.  Kj.  Ervauk,  not,  C'eft  fans  doute  Air vault.  Aurea. 


73<?  RESTITUTIONS; 

fy'allis ,  Abbaye  à  dix  lieues  de  Poitiers  du  côté  du  cou- 
chant. 
Pag.  6^  6. 1.  3  4.  Fiffer  ,  ou  Phiffer. 
Pag.  (^40. 1.  i.  Francirquin,  lif.  Franciofino. 
Pag.  ^41.  L  3.  Chumpemoun ,  lif.  Champemoun. 

1.  I  j.  De  la  Motte  ,  Pujols.  Otez  la  virgule  ;  ce  rCefi 
qu'une  perfonne. 

1.  34.  Louviers  Morevel,.///)  de  Maurcvel. 
Pag.  C) 43.1.  16.  Gornay,  lif.  Goiunay. 
Pag.  (^44. 1.  kS".  Verbelet,  ou  Verbelay. 

1.  31.  Sarrai,  lif  Sarraz. 
Pag.  64-6.1.  10.  Cadenat,  lif  Cadenac. 
Pag.  (^47. 1.  30.  Saint  Père,  lif  Saint  Peré. 
Pag.  6'5'3.  l.  25".  La  Garde  ,  Montault.  L'Editeur  Anglois  veut 
que  ce  ne  f oit  qiH  une  feule  perfonne  ,  ainfi  il  faut  retrancher^ 
la  virgule. 
P.ag.  ^5:^.1,  33.  Saint  Memin,  lif.  de  Saint  Mefmes  ,  ou  de 

Sainte  NLQvaiWQ ,  fuivant  lUnd.  Thuan. 
Pag.  6^^.\.  II.  Goutiniere ,  lif  Guitinieres. 
Pag.  dd4. 1.  3.  Tentavie,  lif  tentative. 
1.  7.  Pallu ,  lif  Palus. 

1.  1 5 .  Le  vingt-deux ,  not.  La  Popelin.  1.  2 1 .  pag.  1^6, 
ditj  que  ce  fut  le  vingt-un  de  Décembre.  C. 
■Pag.  666. 1.  2 1.  Le  dix-fept ,  ou  fuivant  P édition  de  Londres ^  \o 

dix-huit. 
Pag.  66-].  1.  3.  Harbens ,  lif  l'Arboux. 

1.  12.  Paget.  Momluc  le  nomme  ^  Projet. 
Pag.  ^74.1.  22.  Baillage^  lif  Bailliage. 

1.  5c.  Sac,  lif  Sack. 
Pag.  6']'].  1.  20.  Le  treize,  ou  fuivant  Pédition  de  Londres,le  onze." 
.  Pag.  6jS.  h  p.  Dans  un  port,  lif.  dans  les  ports  de  Plimouth, 
de  Falmouth ,  ôc  de  Southampton.  C.  LEditeur  Anglois  cite 
là-deffus  Camden. 

Not.  Après  la  pag.  6^0.  il  y  a  une  erreur  dans  les  cliif. 
fres.  Le  Leâfeur  peut  aifément  y  fuppléer, 
Pag.  683. 1.2;.  Boteler,  ou  Buder. 

1.30.  Marc  Artimore,  lif.  Maccarty-More. 
1.  3  I.  Imokel,  lif  Imokelly. 
1.37.  Kilken,  lif.  Kilkenny, 

Pag.  6Z^, 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s  ,  5cc.  737 

Pag.  ^84. 1.  dern.  Où  l'on  s'y  rendit,  lif,  où  Ton  fc  rendit. 
Pag.  (58 5*.  1.  ip.  Camp,  lif.  Champ. 
Pag.  (fSS.l.  10.  Seymer,  lif.  Seymour. 

1.32.  D'Anguish,  If  d'Angus. 
1.  33.  Harbet,  If  Harbottle. 

Pag.  (5Sp.i.  I.  Après  fa  mort.  Mettez  un  point  ,  &  ajoutez  ? 
Après  avoir  ainfi  parlé  pour  les  intérêts  de  l'Etat,  Norfolch 
&c. 
Pag.  ô'pr.I.  17.  Flanet,  If.  Flanncr. 
Pag.  ô'^) 3. 1.  22.  Petcarn,  If  Pitcairn. 

1.  28,  Par  le  Juge  Royal ,  If  par  le  Chevalier  Ro- 
bert Cadin,  premier  Juge  du  Banc  du  Roi ,  &  par  Gilbert 
Gérard  Procureur  général ,  &  exécutez  &c. 
1.31.  Hollandois ,  If  Holland. 
1.  37.  Carry ,  If  Ker. 
1.38.  Seù:,lf  Scot  Sieur  de  Bucclugh. 
Pag.  ^^4.  l.  4.  Dacré ,  If  Dacres. 

1.  6.  Muraille  de  Severe.  JJEditeur  Anglois  remari 
que  qn'ofî  P appelle  communément  y  la  muraille  des  Pides.    • 
1.  17.  De  Soîop,  If  de  Shrcwsbury. 
1.  18.  Tutburre,  If  Tutbury. 
Note  au  bas  de  la  page  ligne  2.  Su  1er,  If  furie, 
Pag.  (jpj'.l.  y.  Greiftach,  If  Greiftoch. 

1.33.  Rodolphi ,  If  Ridolphi. 

1.  37.  De  tous  ceux ,  If  dont  fe  fervoit  la  Reine 
d'Ecofle.  Sur  quelque  foupçon  «Sec.  D.f.  0.  d. 
Vdg.  6^6.1.').  Pendant  que  cela  fe  pafloit  en  Angleterre. 
Effacez  ces  mots  &  tranfportez  ici  les  cinq  premières  lignes 
de  r alinéa  mi  fuit.  Cette  tranfpofition  rend  la  narration  plui 
claire  ^  ainji  que  Pa  obfervé  M.  Dupuy, 
Pag.  6^-].  1.  18.  Glafco ,  lif  Glafcow ,  ou  Glafgow. 

1.  ij?.  Lytko,  If  Linlithgow. 
Pag.  6ç)ç^,  l.  34.  Ogilby  ,  ou  Ogilvy. 

Pag. 70 7- 1-  ^'  Tivedale.  «o^ C'eiUe pais  de  Thuid,  vulgoUQ-i 
viotdale. 

1.  13.  Annand.  Ed.  Angl.  Annandale. 
1.  ij?.  De  Levin,  lif  de  Lenox. 
1.  23.  Païs  de  Clid,  lif  Clyddefdalc. 
Pag.  70(5.  l.  20.  Berkin,  lif  Brechin. 

Tom.  V^  Aaaaa 


738  RESTITUTIONS; 

Pag.  'J06, 1.  27.  Raven ,  lif.  Ruthven. 

Pag.  707. 1. 5*.  Claflefworth ,  lif.  Chattefworth. 

Pag.  705>.l.  58.  Connober  Obrien,  lif.  Conogher  O-brian. 

1.  dern.  Twomond ,  lif.  Thomond. 
Pag.  710.1.  24.  Parry,  lif  Parr. 
Pag.  71 1.  L  10.  Vefc  &  Vienxpont  j  lif  Vefcies  &  Vieponts,^ 


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