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BOSTON PUBLIC LIBRARY.
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HISTOIRE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU
TOME HUITIEME.
HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOIL
Depuis 1543. jufqu'en 1607.
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES,
TOME HUITIEME.
1578.
1582.
A LONDRES.
M. D C C. XXXIV.
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SOMMAIRES
DES LIVRES
CONTENUS DANS CE HUITIEME VOLUME.
578,
SOMMAIRE DU LIVRE LXVIL
AFfaires £ Orient. Origine de f 'Empire des Ver- — —
fans. Defcription de la Perfè. Ses forces. ^^
Mœurs defes habit ans. Dwifîon dans la famille Roya-
le , après la mort du roi Thamas , aufujet de la fuccef
fion à la Couronne. Mahomet Codabende monte fur le
trône. Origine de la guerre des Turcs contre les Ver-
fans. Muftapha déclaré Généralijfime des troupes Ot-
tomanes pour cette expédition. Ses préparatifs. Le
roi de Perfe envoyé une ambajfade au Grand Seigneur.
Entrée des Turcs en Perfe. Combat donné dans les
campagnes de Chielder entre les Turcs & les Perjans.
Description de la Géorgie , de l'Arménie & de la Me die.
Religion de leurs habitans. Prife de Tiflis par les
Turcs y qui fortifient cette ville. Défaite des Turcs
par les Perjans , qui font eux- mêmes enfuite battus
par Muftapha. Progrès dçs Turcs après cette victoire.
Tome y 111, %
| SOMMAIRES
Les petits princes de la Géorgie fe foumettent au Grand
Henri seigneur. Obfiacles que rencontre Muftapha dans J on
retour a Erreront.. Defcription du p dis habité par les
l57 * petits Tartares. Mœurs de ces peuples , ff) leur ori~
gine.. Origine de Tamerlan. Entrée des petits Tarta-
res en Per/è , & leurs exploits. Défaite de ces peu-
ples. Emir H am^e fils aîné du roi de Pet fe. Exploits
de ce Prince. Aj] affinât de S amahal prince Géorgien ,
par le bâcha O/man /on gendre. Préparatifs que fait
Amurath pour une nouvelle expédition en Perje. Le
prince Simon Géorgien y renonce au Chrifiiani/me 3 & Je
déclare pour le roi de Perje. Il fortifie Cars. Ha/fan
Bâcha commandé pour conduire du/ecours à Tiflis y e[i
attaqué par les Perfans fg) par le prince Simon. Il les
met en déroute ^) arrive heureufement. Retour de
Muftapha à Er^crom. Sinan Bâcha le décrie à la Por-
te y & le fait dépofer. Amurath envoyé demander fa
tête j jg) il fixait éluder cet ordre.
SOMMAIRE DU LIVRE LXVIIL
- £^ Vite des affaires de France. Etabli/fement de
1 ) 7 ? ' k j}_, tordre des Chevalier s Commandeurs du Saint E/Z
prit. Edit publié en conféquence des Etats de Blois9
Succès des Conférences de Nérac. Différend de M.
de Turenne avec les Duras. Mort de Jean de Mon-
luc évêque de Valence , fg) fon éloge. Suite des entre*
pri/es du maréchal de Belle garde. Mort du maréchal
de Monmorency , & fon éloge. Mort du maréchal de
Belle garde. Le roi de Navarre tient l'a/femblée des
Mgli/es Prote fiante s à Mazjres dans le comté de Poix.
SOMMAIRES. iij
Ce qui y efl réfolu. Retour du duc d'Alençon à la -■
Cour, Tenue des Grands Jours à, Poitiers. Le prin- fTNTRl
ce de Condé Ce rend maître de la F ère. Affemblée du
- I Ç *7 Q
Clergé tenue à Melun. Sédition dans Paris à focca- J ''
fon de ce qui s'y pajfe. Le Roi prend la <ville de Ge-
nève fous fa protection. Suite des guerres de Flan-
dre. Le duc Cafimir pajfe en Angleterre. Les Aile-
mans défaits ftf chaffés des Pais bas , par le prince de
Parme. 'Union dVtrecht. Réduction des provinces
Vallones a lobéifance du roi d'Efpagne. Sédition a,
Anvers fç) a Malines. Tentative inutile du comte
d'Egmondfur Bruxelles. Sédition à Bruges. Prifè
de Mafiricht par les Efpagnols. Congrès de Cambray.:
Nouvelle fé dit ion des Gantois , appaifée une féconde
fois par le prince d'Orange. Tentative des Efpagnols
fur la Brille. Prife de Menin par les troupes des
Etats. Entreprife des Efpagnols fur Courtray. Con~
tinuation de la guerre en Frife. Soulèvement des
p aï fans dans la province d'Over- TjfeL Affaires du
Nord. Affemblée des villes Anfeatiques à Lubeck^
Affaires de la Grande Bretagne. Le duc d' Anjou pajfe
€n Angleterre. Mouvemens en Ecojfe a toccafion de
£ arrivée du comte de Lenox dans ce royaume. Suite
de la révolte des Irlandois. Arrivée des Efpagnols
dans ce royaume. Defcription de l'Irlande. Mauvais
fuccès des rebelles. ) Morts illuflres , du chancelier Ba~
con, du cardinal Hj/zus 3 de Jean Hartung, d Erafme
Ofvvaldt , de Jean Stadius , de Louis le Roi ^) de
Jean-Baptifie Adriani*
Ïy SOMMAIRES,
■M79-
SOMMAIRE DU LIVRE LXIX.
AFfaires du Nord. Origine de ta guerre des Po~
lonois contre les Mofcovites. Soulèvement de la
Livonie en faveur de Magnus duc d'Holflein. Ambaf
fade du roi de Pologne au C\ar. Diète de Varfovie,
Tentative des Mof comités furVendcn.. Magnus pajfe
aufervice du roi de Pologne. Arrivée de ce Prince
a Leopol. Ambajfade du Grand Duc de Mofcovie..
Victoire remportée par les Polonais fur les Mofcovites
a Vend en. Préparatifs du roi de Pologne contre les
Mofcovites. Il déclare la guerre au Czar. Confeil
de guerre tenu a Suire. Siège de Poloczkp par les Po*
lonois. Defcription de cette ville. Campement de
l v armée Polonoife devant cette place. Reddition de
Poloczkp. Cruautés exercées par les Mofcovites pen-
dant ce fîége. Progrès du roi de Pologne en Livonie,
Diète de Varfovie. Plaintes contre le Roi, Difcourz
du chancelier Zamoyskj pour lajufïification de ce Prince.,
Il rend lui - même compte de fa conduite à la diète.
Suite des affaires de Portugal. Le rot Henri ajfemble
les Etats du royaume. Il nomme cinq Gouverneurs
pour être a la tête des affaires jufqua ce quon eut
décidé du droit des prêt endans a la Couronne y au cas
qu'il vînt à mourir auparavant. Le peuple Je déclare
pour D. Antoine prieur de Crato. On penfe a marier
le Roi. On envoyé à Rome à ce \ fuj et y pour demander
dif penfe au Pape. Conduite du roi d' Efpagne à cette
occafion. Droits de la reine Catherine de Me die i s à
la couronne de Portugal. Libelles publiés contre le
sommaires:
foi Henri. Examen des droits des prétendons a la Cou- -
ronne. Si la couronne de Portugal efl élective .<* Pré- A1! K l
paratifs du roi d Efpagne pour foutemrfe s prétentions..
Le roi Henri y à la perfuafion du féfuite Henrique^
/on Confejfeur , Je déclare en fecret en faveur de Phi-
lippe. Sentiment des Etats de Portugal à ce Jujetr
Mort du roi Henri. Le duc d'Albe déclaré Généra*
liffime de ï expédition du roi d Efpagne contre le Portu-
gal. Philippe II. fe rend à Guadalupe. Décifon des
Je fuit es çf) des Cor délier s de ÏVniverfité d Alcalaen
faveur des droits de ce Prince.
SOMMAIRE DU LIVRE LXX,
S Vite des affaires de Portugal. Etat de ce royau-
me a la mort du roi Henri. Ambajfade des Por- l 28°'
t^ais à Philippe ., jg) la réponfe de ce Prince. Mort
de Philibert Emmanuel duc de Savoy e , & fon carac-
tère. Préparatifs des Portugais contre l Efpagne. Ils
implorent inutilement le f cours du nouveau duc de
Savoy e , & du Pape. Le roi d Efpagne va a Badajo^
où il reçoit une nouvelle ambajfade des Portugais. Sa
réponfe. Revue de l'armée Efpagnole à Santillane*
D. Antoine proclamé roi de Portugal à Santarcn. En*
trée des EJpagnols dans le royaume , & leurs progrès,-
Entrée de D. Antoine a Lifbonne. Défordr es arrivés
dans cette ville , depuis que ce Prince en fut le maître,.
Les Gouverneurs de Portugal fe déclarent en faveur
de Philippe. Le duc de Bragance traite avec le roi
d Efpagne. Suite des progrès du duc d'Albe. Le
Pape envoyé un Légat à- Philippe, Succès de cette
a iij
vj SOMMAIRE S.
= députation. Prife de Cafcaès par les Efpagnols , q)
Henri £e fa frterejfe de Saint Julien, Défaite de D. An-
toine par le duc d'Albe. Réduction de Lijbonne A
1 * °* tobéiffance du roi d Ef pagne. Philippe II. proclamé
roi de Portugal. Dom Antoine fort de Portugal, &
pajfe en France. Sa tête eft mife à prix par le roi
d EJpagne. Les Adores fe déclarent en faveur de £>.
Antoine. Affaires d Angleterre. Suite des guerres
d'Irlande. Les Efpagnols abordent dans ce royaume.
Exploits de Pelham contre les rebelles. Milord Grey
nommé à la viceroyauté d'Irlande fe rend a Dublin.
Défaite des Efpagnols par le comte dOrmond. Prife
du fort des Efpagnols par le Viceroi. Suite de fes
exploits contre les rebelles. Le comte de Mort on efi
arrêté , & mis en prifon. Mort du comte d'Arondel.
Tremblement de terre arrivé en Angleterre. Edit
contre les Catholiques.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXI.
VOyage de François Dracl^ autour du monde.
Plaintes de lambajfadeur d EJpagne a ce fujet.
Reponfe des Anglois. Suite des guerres de Flandre.
Les Provinces - Vnies délibèrent de fe donner au duc
£ Anjou. Ecrit du prince d'Orange à cette oicafion.
Exploits du prince de Parme. Cambray fe donne au
duc £ Anjou y & reçoit garni/on Françoife. Ceux de
Bruxelles furprennent Nivelle. Les jeigneurs VaU
Ions furprennent Courtray. Prife de Ninove par
de la Noue. Malines prife £*f pillée par les Anglois.
la Noue affiége Engelmonjler, Il fait une tentative
SOMMAIRES. Vij
fur Lille. Le comte de Richebourg attaque fin camp
d'Engelmonfier. La Noue efl fut prifonnier ,& livré ïwM
aux Efpagnols. Tentative des Efpagnols fur Bruxel- '
les & fur Gand. Prife de Bouchain. Les Provinces-
Vnies fe donnent au duc £ Anjou. Médailles frappées
a ce fujet. Manifefte de l archiduc Mathias à cette
occafton. Réponfe des Etats. Tremblement de terre
dans les Pais -bas. Le comte de Renne bourg gouver-
neur de Frife , fonge a abandonner le parti des tEtats.
Le prince d'Orange tâche de le prévenir y en faifant
rafer les forterejfes de la Frife. Le comte de Renne-
bourg fe rend maître de Groningue , & fe déclare en
faveur des Efpagnols. Le comte de Hohenlo ajfége
Groningue. Défaite de ce Comte à Herdenbergpar le
général Martin Schenck? Divers exploits des comtes
de Hohenlo & de Rennebourg. Le roi d* Efpagne met
À prix la tête du prince d Orange. Origine de lafeSie
des Anabaptiftes , jg) leurs dogmes. Mort de Jean
Willelmi leur roi. Morts illuflrcs , de Gérard de
Groejberg évêque de Liège > du cardinal de Moron , de
Jérôme Volff, d Emmanuel Tremellius , de Jérôme Su-
rit a y£ Alvar GomeTj^ de Jérôme Oforio. Mariage de
1 archiduc Ferdinand , fils de l Empereur du même nom,
avec Anne - Catherine prince Jfe de Mantou'è fa méce.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIL
S Vite des affaires de France. Les P rot efl ans re-
prennent les armes. Prife de Cahors par le roi
de Navarre. Mende capitale du Gevaudan furprife
Cs» Jaccagée par le capitaine Merle,- Le prince de Condé
viij SOMMAIRES.
:. a fon retour d Allemagne efi arrêté fur la frontière
Henri fo Savoy e ., fans être reconnu. Il Je rend en Lan-
guedoc. Progrès des Protcflans dans cette Province.
1 * Exploits de M. de l Efdiguiéres en Duuphiné. Le duc
de Mayenne marche contre lui. Prife de la Mure par
r armée du Roi. Le Duc fe rend de la a Greno-
ble. Entrevue du Duc & de l Efdiguiéres. Expédi-
tion du ynaréchal de Biron en Guyenne. Le ficur de
Poyanne fe rend maître du mont de Marfan. Le ma-
réchal de Biron fait tirer fur Nérac , ou la reine Mar-
guerite s'était enfermée. Il fe cajfe la cuijje. Par
confîdèration pour lui y l armée met a fa tête Charle
fon fils y âvé feulement de quinze ans. La Réole re-
mife au Roi par d Vjfac. Expédition du maréchal de
Matignon en Picardie. Prife de la Père par l ar-
mée du Roi. Le duc d Anjou s entremet y pour faire
un accommodement. Conférences de Fleix. Editpu*»
blié en conféquence en confirmation des précédens. La
contagion ré?ne a Paris. Incendie de l'églife des Cor*
de lier s. Maladie nommée communément Coqueluche.
Sa nature. Différend entre les ducs de Monpenfier
fg) de Nevers. Arrêt du Parlement de Paris au Jujet
dune Bulle du Pape. Aff lires du N^rd Suite de
la guerre des Polonais contre les Mofc otites. Am~
bajfade du C%ar au Roi de Pologne. Le Pupe envoyé
à ce Prince une épée bénite. Revue de L'aimée Po-
lonoife. Exploits du chancelier Zamoyskj. Prife de
Lukj par le roi de Pologne. Déroute de l'armée M <f
covite. Prife de Neuve l par les P Aonois. Nouvelle
ambaffade du C^ir. Nouveaux exploits de Zimoyski,
Diète de Varfovie. Ambajjade des Turcs ^ & des Tan
tares au roi de Pologne,
SOMMAIRE
SOMMAIRES. ix
Henri
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIII.
S Vite des affaires d'Orient, Muftapha général
des armées Ottomanes contre la Perfè eft rappelle. ° ^\\
aman Bâcha part pour le remplacer. Ombrages du ~
roi de Perfè contre Abas Miri^e le dernier de f es fils.
Ce Prince envoyé Maxud-Can en ambaffade à la Porte.
Sinan fe rend a Er^rom , {g) de là à Cars. Affaffi-
nat du Grand Vifir Mehemet. Sinan eft nommé pour
le remplacer. Mort de Muftapha. Tiflis ravitaillé
par Sinan. Il reçoit les députés de Leventogli prince
Géorgien. Défaite des Turcs par les Perfans. Sinan
fe rend dans les campagnes de Chielder , ou il refte en
bataille pendant plufieurs jours. Il négocie avec un
envoyé du roi de Perfe. Retour de l'armée Turque fSEs?;
à Er^erom. Rappel de Sinan à Conftantinople. Mou- M^1*
vemens en Afrique. Révolte des Mores de Tunis.
Vlucciali renforce la garnifon de cette place. Suite
des affaires du Nord. Continuation de la guerre con-
tre les Mofcovites. Mort de Chriftophle Batthory
vaivode de Tranfylvanie , & frère du roi de Pologne.
Plaintes du Czjir contre ce Prince. Ru/es du C%ar.
Lettre piquante du roi de Pologne à ce Prince. Za-
moyskj déclaré Généraliffime de ï armée Polonoife. Le
roi de Suéde attaque la Livonie. Prife d'oftrovvpar
les Polonois. Defcription de Pleskpvv. Siège de
cette place. Exploits de Pontus de la Gardie gentiL
homme du Languedoc 3 Commandant de t armée Sue~
doife en Livonie. Le Père Poffevin Jéfuite travaille
À la paix entre la Mofcovie ^ la Pologne. Murmure
Tome V III. c
x SOMMAIRES.
— - des Polonois contre Zamoyskj. Le roi de Fologiie
?tt qmtte L'armée , pour Je rendre a la diète. Suite du,
s fîe£e ^e Pteskpvv. Conférences pour la paix entre les
ambajfadeurs Mofcovites jg) ceux de Pologne. Pu-
blication des Conférences entre férémie patriarche de
Conjiantinople gj les Théologiens de la confeffion d'Auf
bourg. Suite des affaires de Portugal. Philippe IL
tient les Etats à Tomar. Dejfein d abolir iVniver-
Jîté de Coimbre. Le Pape félicite Philippe fur fes
heureux Jùccès. Entrée de Philippe II. à Lifhonne»
Tentative des Efpaanols fur l'ifle de Tercere. Le
Tage rendu navigable jufquà Tolède.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXIV.
S Vite des guerres de Flandre. Siège de Steen-
wïck. Le prince d'Orange pajfe en Frife. Mort
du comte de Renncbourg. Défaite des Anglois par les
Ejpagnols. Troubles a Bruxelles. Deffein du prince
de Parme fur Flejfngue. Prije de Breda par les Ef
pagnols. Manifefle du duc d Anjou fur fon entrée
dans les Pais - bas. Ecrit du duc de Nevers , pour
juflifier les droits de fa femme fur ces Provinces. Le-
vée du Jîége de Cambray. Le date d Anjou y entre
en triomphe. Il paffe en Angleterre. Les Etats Gé-
néraux affemblés à la Haye , renoncent à lobéijfance
de Philippe. L archiduc Mathias fort des Pais-bas»
Prife de Tournay par le prince de Parme. Apologie
du prince cl Orange. Tentative des Ejpagnols Jur
Bergh-Op-Zom. Troubles £ Aix-la-Chapelle au fujet
de la Religion. Affaires d'Angleterre. Ambajfadeurs
SOMMAIRES. xj
envoyés de "France a Londres ypour négocier le mariage
du duc d! Anjou avec Elifabeth. Articles du Contrat, j j j
Ils font ratifiés par le duc d' Anjou. La Reine & lui r , 3 Y
fe donnent réciproquement leurs bagues. Rupture de
ce mariage. Raifons pour & contre. Libelle publié
à ce fujet par les Puritains. Edit févére contre cet
écrit. Punition de l Auteur. La Reine efl informée
par fes émijf aires de ce qui fe trame contre elle. Pu-
nition de Hanfey , ci r Edmond Campien, ^) de deux autres
jféfuites accufés d avoir confpiré contre la perfbnne de
cette Princejfe. Edit contre les Jéfuites. Apologies
publiées par les Catholiques. La Reine envoyé en
Ecojfe Thomas Randolph. Ses intrigues en faveur du
comte de Morton. Condamnation de ce Comte. Af-
femblée des villes Anfeatiques. Suite des affaires de
France. Mariage du duc de foyeufe. Concile pro-
vincial tenu à Rouen. Le maréchal de Matignon
Lieutenant général pour le Roi en Guyenne. Commif-
fion extraordinaire du Parlement de Paris envoyée
dans les provinces» Conduite du maréchal de Retx.
dans le marquifat de Saluées. Entreprife du duc de
Guife fur Strafbourg. Troubles de Malthe. Entre-
prife des Efpagnols contre le Grand Maître. Il efl
arrêté. Il en appelle au Pape , & va à Rome. Ro-
megas fon accufateur , s y rend après lui. Mort de
lun & de t autre. > Hugue Lope\ de Verdale efl élu
Grand Maître. Morts illuflres y de Jacque Billy de
Prunay, de Guillaume Poftel > de Hubert Langue 't ,
d'André Papius , &c.
c ij
xij SOMMAIRES.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXV.
S Vite des affaires de France. Mort du maréchal
le Cojfé. Le duc de Mayenne <va commander en
uuuphiné. Confirmation des Edits donnés en faveur
> des Protefians. Affemblée du Clergé tenue à Paris.
Elle députe au Roi. Ses demandes. Succès de cette
députation. Defcription des Açores. Dom Antoine
ote le gouvernement de lifle de Tercere à Figuéredo ,
pour le donner à Emmanuel de Sylva. Expédition de
la flot e Françoife , montée par D. Antoine çt) Philippe
StroT^i , aux Açores. Arrivée de Landereau k la,
Tercere. Difpute entre ce Seigneur & le nouveau^
Gouverneur. Combat entre les flotes de France q)
d EJ pagne. Défaite des François. Mort de StroTgj*
Cruauté du marquis de Santa Crux. amiral de la flote
Ejpagnole envers les François. Arrivée de la flote
des Indes a Lifbonne. Dom Antoine repajfe en France.
Mort de l'infant D. Diégue fils aîné du roi d Ej rpa-
gne. Mort du duc cl Albe -g) de D. S anche £ Avila.
Cruauté de Philippe II. contre le Clergé Portugais,
Suite des guerres de Flandre. Arrivée du duc d'An-*
jou en Zé lande. Il efl proclamé duc de Erabant. Son
entrée a, Anvers. Lens pris & repris. Les Etats de
Haynaut ^) éC Artois conj entent de recevoir des trou-
pes étrangères. Attentat a la vie du prince d Orange.
Punition de Jarreguy laffajfm , & du P. Timcrman
Jacobin. Mort de la prince ffe d'Orange. Prife dOu-
denarde par le prince de Parme. Prife £ Aloft parles
François > C^ de Gaejbergue par les EJpagnols. Combat
EN RI
SOMMAIRES. xiij
proche de Bergue-S aint-Vinox. Lire livrée aux Ef- 77
pagnols par les Ecojfois. Conjuration de Salfede. Ses j { j
déportions. Mort du Premier Préfident de Thou. Xc$lf
Le Roi nomme pour le remplacer Achille de Harlay
Jon gendre.
SOMMAIRE DU LIVRE LXXVL
S Vite des guerres de Flandre. Le duc d Anjou fe
rend a G and. Combat donné proche de cette ville,
Exploits des François jg) des Espagnols. Arrivée dun
envoyé du Grand Seigneur aux Pais-bas , aufujet du
commerce. Continuation de la guerre en Frifè. Prife
du général Schenck. Il quitte le parti des Efpagnols ,
& PaJfe au fewice des Etats. Tentative de Verdugo
fur Lochem. Il fur prend Steenvvic^. Suite des af-
faires de France. Mollejfe & indolence de Henri II I,
Troubles du royaume. Réforme du Calendrier. Sour-
ces de V erreur qui sy étoit glifée. HéleEleur de
Saxe empêche quil ne foit publié en Allemagne. Il
efl reçiï en France & dans les Pais-bas. Concile pro-
vincial de Bourde aux. Renouvellement de l alliance
de la France avec les Suijjes. Morts illu/ires y de
Jacques Pelletier , de Joberty de Buchanan. Origine
de la guerre de Cologne. Antiquités de cette ville \
Entreprifes de Gebbhard EleEleur de Cologne. Il fa-
vurife les Protefians. Il fe marie s & veut retenir
Jon Archevêché. Il envoyé des Députés à la diète
dAuJbourg. Le Pape lui écrit. Edit quil fait pu-
blier en Javeur de la liberté de confcience. ExtinSlion
de la famille des comtes de Hoie. Suite des affaires
_, ...
c uj
«*•■-*•
*iv SOMMAIRES.
!== du Nord. Continuation du Rêve de Pleskow. Paix
t y j entre la Pologne £sf la Mofcovie , conclue par l entre*
o mtfe du Jéfuite Poffcvin. Conteflation entre les rois
de Pologne ^) de Suéde fur la propriété de la, Livo-
nie. Ambaffade du fcam des petits Tartares au roi de
Pologne. Jankpla waivode de Valachie pris par les
Polonois y & puni de mort. Diète de Pologne. R^é-
glemens faits par cette aj] "emblée; Etabliffement dun
évéché a Wenden , au lieu de î archevêché de Riga >
qui étoit aboli. Armement des petits Tartares contre
la Pologne. Règlement des affaires de la Pruffe Royale.
Défaite de quelques troupes Turques en Hongrie.
Fin des Sommaires du huitième Volume,
HISTOIRE
HIST
IRE
D E
JAC QJJ E AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE SOIXANTE- SEPTIEME.
E fat cette même année qu'on vit s'allumer
entre les Perfes & les Turcs une guerre des -" E n r i
III.
1578.
plus longues & des plus fanglantes. Ainfije
crois qu'ileffcà propos que je rapporte ce qui
en fut l'occaiion , èc que je donne par conle-
Ujjjg| qUent quelque idée de la Perfe telle qu'elle effc
aujourd'hui , de Ion origine , de fa grandeur, & de l'hiftoire
des Princes qui l'ont gouvernée.
Il feroitinutile de vouloir rechercher quelle a été la pre-
mière origine des Perfes. Depuis que ce grand Empire eut
été détruit par Alexandre dans cette bataille mémorable
qui fe donna entre lui & Darius fous les murs d'Ajazzo proche
Tome VIII, A
Guerre dt
Pcrfe,
On'crînc des
Perfes,
■Bl»»l
i HISTOIRE
— du mont Amanus ( i ) , on vit infenfiblement les Parthes devCJ-
Henri nir fameux fous le régne des fucceiïèurs de ce conquérant,
III. Parmi cette nation les Arfacides fe rendirent redoutables aux
i c7s Romains même, & ils étendirent leur domination fur l'Ar-
ménie , la Medie , la Perfe , & les autres provinces qui font
fituées à l'Orient.Enfin on vit renaître le nom des Perles fous
l'empire d'Alexandre fils de Mammée. Artaban dernier roi
des Parthes , qui le premier voulut s'appeller le Grand Roi ,.
& qui portoit une double couronne , fut vaincu dans plufieurs
combats par Artaxerxes prince Perfan • & il y perdit enfitt
l'empire & la vie. Herodien fixe l'époque de cet événement à
la quatorzième & dernière année de l'empire d'Alexandre 5,
c'eit-à-direàl'an 126. de J.C.
Artaxerxes ayant ainfi éteint le nom des Parthes , ne vou-
lut pas voir fon Empire borné par le Tigre. Il entra fur les
terres de l'empire Romain , fit des courfes dans la Méfopota-
mie , menaça long-tcms la Syrie , & prétendit faire valoir fes
droits fur toute cette partie du Continent, que l'Archipel ôc
la mer de Marmora féparent de l'Europe , & qu'on appelle
l'Afie mineure, parce qu'il regardoitces païs comme l'ancien
héritage des Perles , dont il difoit que par conféquent la pof.
feffion lui étoit dévolue. Il fondoit fes prétentions fur ce que
depuis Cyrus , qui transféra l'empire des Medes aux Perfes ,
jufqu'à Darius , qui fut le dernier Roi de cette nation , les
Princes qui régnèrent fur la Perfe , envoyèrent toujours des
gouverneurs dans l'Ionie &; la Carie.
Ses SuccelTeurs tinrent la même conduite , &: confervérent
les mêmes prétentions jufqu'à Cofroës , qui époufa la prin-
ceiTe Marie , fille de l'empereur Maurice : c'eft au moins ce
que dît Guillaume archevêque de Tyr , dans fon excellente
hifloire des Croifades, le feul Hiftorien que je fçache qui parle
de ce fait. Cependant vers l'an 603. Maurice, après avoir ré-
gné trente ans, fut détrôné par Phocas, qui le fit mourir
avec le prince Pierre fon frère , fes fils, &: l'Impératrice fon
époufe , & qui fe fit enfuite abfoudre de ce parricide par
Boniface III. à qui il accorda le titre d'Evêque univerfel ,
que le Pape Grégoire , prédécefTeur de Boniface , venoit de
(1) Ajazzo ville d'Anatolie ; c'eft
l'ancien IiTus de la Cilicie. Aman ou
Amanus Montagne proche de cette
ville, maintenant appelléMonte-Negro,
DE J. A. DE THO U,Liv. LXVIL 3
condamner dans Jean patriarche de Conftantinople. Mais
tandis que cet uiurpateur travailloit au dedans à affermir fon Henri
autorité , il négligea cependant les foins du dehors • & Cof- III.
roës, fous prétexte de vouloir venger la mort de fon beau- 1 578.
père , prit cette occafion pour s'emparer de la Syrie. Ainfî
pendant fept ans que dura le régne de Phocas , le roi de Perfe
défola les frontières de l'Empire, jufqu'à ce qu'il fut défait
enfin par l'empereur Heraclius , qui remporta fur lui cette
victoire mémorable dont il eft fait mention dans l'hiftoire.
Ce fut fous l'empire de ce Prince , qui favorifa d 'ailleurs le
Monothélifme , que la fede impie de Mahomet prit naiiïance.
Ce fédudeur eut plufieurs fucceiTeurs , qui portèrent tous le
titre de Califes. Le quatrième fut Aly , coufin & gendre de
Mahomet. Aly de fon mariage avec Fatime, fille de ce faux
Prophète , eut deux fils qui remplirent la même place l'un
après l'autre. C'eft cet Aly qui a donné lieu au fchifme qui
divife encore aujourd'hui les Mahometans -y en forte que les
Turcs quife difent Mufulmans, c'eft-à-dire, vrais fidèles, ont
toujours regardé comme hérétiques les Perfes êclesMam-
melucs , tant que l'empire que ces derniers avoient fondé en
Afrique a duré. DeJà eft née entre ces nations une haine
mortelle , qui a donné fouvent occailon aux guerres les plus
fanglantes.
Mahomet, un des defcendans d'AIy Abbas , c'eft-à-dire,"
forti de la famille d'Abbas , Se d'Aboubeker beau-pére £c
fucceffeur du faux Prophète , fonda la ville de Bagdad fur les
ruines de l'ancienne Seleucie , proche du lieu où. étoit autre-
fois Babylone , & y fixa le fiége de fon empire. C'eftfa doc-
trine , & celle de fes fucceiTeurs que les Turcs fuivent au-
jourd'hui.
D'un autre côté Abdalla defcendu d'AIy I. étant forti de
la ville de Semelie vers l'an de l'Hegire 286. comme le rap-
porte Guillaume deTyr au livre dix-neuvième de fon hiftoire,
palfa en Afrique, dont il fit la conquête, &; prit le nom de
Mehedie , c'eft-à-dire , le Complanateur , voulant marquer
par-là qu'il étoit venu pour apporter la paix , & applanir les
voies aux vrais fidèles. Ce Prince mit en mer une puiflànte
flote , avec laquelle il fe rendit maître de la Sicile , & defola
une partie des côtes de la Calabre. Enfin il prit auflî le titre
Ai;
HISTOIRE
- de Calife en qualité de fuccefïèur , non pas de Mahomet 61$
Henri d'Abbas , qu'il déteftoit h mais d'Aly , ce faint &: excellent
III. Prophète , dont il Te glorifioit de tirer fon origine. Son petit-
i c7g# fils , nommé Abuthamin , après avoir conquis l'Egypte parle
miniftére de Joar général de fes armées , fit bâtir lur une des
rives du Nil proche de Memphis la ville , du Caire ; &: depuis
ce fut là que les Califes d'Afrique , rivaux de celui qui faifoic
faréfidence à Bagdad , tinrent leur cour & établirent le fiége
de leur Empire. Ces Princes qui réuniiîoient l'autorité fpiri-
tuêllc ôc temporelle, avoient fous eux des lieutenans ou vi-
caires appelles Soudans. C'étoit à ces miniftres qu'ils remet-
toientlefbin du gouvernement civil &militaire5poureux,con-
tens de s'attirer la vénération des peuples, en confervant le
titre de Chefs de la Religion , ils pafToient leur vie au milieu
des femmes , dans le luxe , &; dans la mollelle. Mais comme
la fidélité fe trouve rarement jointe dans un miniftre avec uis
pouvoir prefque fouverain , Saladin,fils de Négémédin, &
neveu de Siracon dernier Soudan d'Egypte, étant venu rendre
fes devoirs au Calife le premier jour qu'il entra en charge ,
l'abattit, dit-on, à fes pieds d'un coup de mafîuè* qu'il portoit,
& le fit égorger avec toute ià nombreufe famille Pan 1 173.
Telle fut la fin des Califes d'Egypte. Pour ce qui eft du Calife
de Bagdad , il périt environ cent ans après par les mains des
Tartares qui envahirent fori empire , & qui , pour le punir
de fon avarice par un fupplice convenable , le firent mou-
rir de faim au milieu des tréfors immenfes qu'il avoit amafïes*
Après l'extinction- de l'empire des Califes, leur doctrine ne
laifTa pas d'avoir encore fes féclateurs. Les Perles & les Mam-
melucs s'attachèrent àla Religion d'Aly, déteftant tout autre
culte , &; ne longeant qu'avec horreur aux trois premiers fuc-
cefïèurs de Mahomet qui l'avoient précédé. Auiîi finiflent-ils
toutes leurs prières par ces rnots,"Maudirs foientAboubeker,
» Omar, & Ofman -y & Dieu fafTe miféricorde à Aly , &: pren-
55 ne en lui fon plus grand plai/ir. « On voit encore aujour-
d'hui à Cufa ville voifîne de Bagdad , dont elle n'eft éloignée
que de deux milles , le tombeau de ce prétendu fàint , pour
lequel lesPerfàns ont une vénération finguliére. C'eft-làque
par un ancien ufage les rois de Perfe vont prendre pofTeiïion
de leurs Etats , & ceindre l'épée , avant que de monter ku le
trône>-
DE J. A. DE THOU, Lir. LXVII. J
Au relie ce furent les Tartares qui portèrent dans les royau- ' ■
mes d'Azemie ( car c'eft. ainfi qu'ils nomment la Perfe ) la Re- Henri
ligion de Mahomet, lorsqu'ils envahirent ce vafte empire. III.
Deux familles forties delà Mingrelie, au deflus de Trébi- i ^78.
fonde, lui donnèrent long-tems des maîtres j &: elles y for-
mèrent deux factions , que Nicolas Chalcondyle appelle les
Mauroprovates, 6c les Alproprovates, &: que les Perfàns nom-
ment les Acojonbegs,Sc les Caracojonbegs; c'eft ainfi qu'on a
vu en Ang-leterre les factions de la Rofe blanche, Se de laRofê
rouge. Or comme celles-ci fe réunirent enfin toutes deux dans
Henri VIL de même Schak-Ifmaël Sophy réunit dans fa
perfonne les deux factions qui divifoient la Perfe.
En effet Ufun-Chaflan , comme fils de Tachretin , defcen-
doit des Acojonbegs. Tachretin étoit forti deTachretinbeg ,
à qui Chalcondyle donne le nom d'Alexandre ; 6c il réunie
les Etats du prince Tartare fon père , dont la domination s'é-
tendoit fort loin fur ces païs qui font au deflus deTrébifonde,
&, ceux d'Eretin fbn oncle qui régnoit fur la haute Afie. Mais
ce Prince ayant perdu la vie par les intrigues de la Reine fon
époufe , fon fils fut aufîi privé de fa Couronne , de il ne rentra
en pofîèffion de fes Etats que parlefecours deTemyr, autre-
ment Tamerlan , qu'il fuivit dans fes conquêtes , & qui le
remit fur le trône.
D'un autre côté.Ifmaël tiroit fon origine des rois d'Armé-
nie. Ce Prince eut pour ayeul Tzuneit, de la famille des Bre-
bis noires , que l'hiftoire des Turcs dit avoir été détrônée fous
le régne d'Ofman ,un de leurs Saints , troifléme fucceflèur de
Mahomet. Tzuneit fe diftingua parmi Ces compatriotes par la
fainteté de fa vie ; 6c fon nom devint fi célèbre , que parmi les
Turcs , non feulement le peuple, mais les Seigneurs même,
fe faifoient un devoir de lui rendre les mêmes honneurs ôc
le même culte qu'à Ofman. Les Princes Ottomans eurent
eux-mêmes pour lui la même vénération & les mêmes égards
jufqu'à Mahomet IL qui négligea cette pieufe coutume de fes
prédéceflèurs. C'eft ce qui donna occafîon à la guerre qui s'al-
luma entre lui & Ufunchaflan , & qui ne rut terminée que par
une bataille fànglante , où le prince Perfan s'étant trouvé
dans un péril extrême de la vie, fit vœu, au cas qu'il pût fortir
de ce danger,de donner en mariage à Haidar, fils de Tzuneit^
Aiij
6 HISTOIRE
la Princeflè Marche fa fille, qu'il avoic eue de Catherine
Henui Comnene , fille delà Dame de Trébifonde. En efFec aufîitôt
III. après cette guerre il accomplit la promeflè qu'il avoit faite ,
1578, 5c réunit par cette alliance les deuxmaifons des Acojonbegs,
& des Caracojonbegs.
C'eft de ce mariage que fortit Ifmaël, qui le premier des
Rois de Perfe prit le nom de Sophy , c'eft-à-dire , faifànt pro-
fedion de la pure Religion. Ce Prince fuccéda à Imirze-Beg
fon.coufin germain , & petit-fils d'Ufunchallan , mais dont le
père n'efl: point connu -y & non feulement il rétablit en Perfe
la Religion d'Aly1, il y ajouta encore de nouvelles pratiques ,
& de nouvelles fuperftitions. Au refte quoiqu'Ufunchaflan
eût laiflè en mourant une poftérité fort nombreufe , cepen-
dant à l'avènement d'Ifmaël à la couronne, le royaume Ce
trouvoit fort délabré par les cruautés inoùies que le perfide
Jacupe avoit exercées. Le nouveau Roi lui rendit fon ancienne
Splendeur. Il l'augmenta même de l'Arménie majeure , de
PAiTyrie , de la Méfopotamïe,6c de la Chaldée,foumit tous ces
petits Princes qui régnoient dans la Mingrelie 6c la Géorgie,
le long de la mer Caïpienne ,& étendit les bornes de fon em-
pire du côté de l'Orient , 6c du Midy , jufqu'à l'Arménie mi-
neure. Mais comme Paul Jove a écrit fort au long tout ce qui
regarde le régne de ce Prince , 6c celui d'Ufunchaflan , je ne
crois pas qu'il foit à propos de m'arrêter ici plus long-tems à
en parler.
A Ifmaël Sophy fuccéda Tan 152.6. Schak Thamas fon
fils , dont nous avons parlé quelquefois dans cette hiftoire.
Ce Prince eut beaucoup à fouffrir des Turcs fous le régne de
Soliman , qui lui enleva toutes ces provinces que fon père
avoit conquifes , 6c même la ville de Tauris , où Ifmacl avoit
fixé le fiége de fon empire. Cependant Thamas reprit cette
place quelque tems après. Enfin après avoir eu bien de la peine
à obtenir la paix des Turcs , qui ne la lui accordèrent qu'à
des conditions très-dures, il mourut il y a deux ans le onziè-
me de Mai 1 576. D'autres difent que fa mort arriva un an
plutôt.
Defcription Dans le tems que cette cruelle guerre a commencé, la Perfe
de la Perfe. étoit bornée au Nord par la mer Cafpienne 6c la Mingrelie ,
£c à l'Occident par Chars 6c les montagnes deChielder, Là
DE J. A. DE THOU,Liv. LXVII. 7
élc fait un coude vers l'Orient , &c paffant au defTus du lac
d'Aetamar , fur lequel eft la ville de Van , que les Turcs ont Henr t.
enlevée aux Perfans, elle renferme les villes de Coy , de SaL III.
mas , & à droite, en tirant vers le Midi , celle de Sereful. En- 1578,
fin de ce côté-là elle s'étend jufqu'au golphe de Ralfora, où
l'Euphrateva fe jetter dans la mer de Perlé proche de cette
ville. Elle a pour bornes au Midi cette même mer avec les
monts de Techifnandan • à l'Orient la province d'Heri , & le
royaume de Candahar , ou le Peripanifb, lui fervent de fron-
tières j & retournant au Nord on y trouve la province de Co-
rafïbn , Se Sammarcant, qui confine à la Tartane par le Za-
gathay. Dans cette vafte étendue de païs font renfermées à
l'Occident la Géorgie , l'Arménie , &. une partie de l'Afïyriej
au Nord le Kilan & l'Adirbeitzan , où eft la ville de Tauris ■
à l'Orient PHyrcanie , ou le Tabareftan , la province d'Heri ,
ou le royaume de Candahar j enfin au milieu, la Parthieou
province d'Arak, la Carmanie deferte^ &: vers le Midi, la
Perfide, ou le royaume de Farlifkan , dont Syras eft. la ca-
pitale.
Ce vafte empire , malgré ce que les Turcs en avoient en-
levé^contenoit encore foixante & dix gou vernemens à la mort
de Thamas. Cependant il n'étoit pas pofîible d'y mettre fur
pied plus de quarante mille chevaux -y ce qui paroît furpre-
nant, fî on compare un fî petit nombre de troupes avec l'é-
tendue immenfe de païs que renferment ces provinces. Mais
il y en a une raifon fort naturelle. La Perfe eft pleine d'une
infinité de petits Seigneurs qui ne craignent pas de défobéïr
aux ordres du Prince. D'ailleurs les Grands du royaume font
beaucoup plus puifîans qu'en Turquie : & comme leurs biens
ne font pas des fiefs qu'ils tiennent du Sophy, ou des bienfaits
de la Cour $ mais que ce font des fonds qui paflent d'eux à
leurs enfans, ils vivent fplendidement , &; font moins difpofes
à prendre les armes au premier commandement du Souverain.
Le Roi entretient outre cela auprès de fa perfonne fix mille
Chourdes , qui font comme la nobleflè de Perfe. Ils ont plu-
sieurs Officiers, &; font commandés par un des premiers
Seigneurs de la Cour. Il a encore un autre corps fubalterne
compofé d'environ fept mille hommes, qu'on nomme Ezahulj
&; leur Commandant eft aulïï un des grands officiers de la
Couronne,
«" HISTOIRE
■■ Toutes les forces de la Perfe ne confident qu'en cavalerie.
Henri Aufîi les chevaux de ce païs font-ils excellens , légers à la
III. courfe , d'un grand travail , aifés à nourrir , vifs au combat ,
ï 578^ & f°rC d°ux d'ailleurs- c'efi ce qui les rend très-chers. La
plupart fe vendent jufqu'à mille ou douze cens Sequins , èc
même davantage. Pour l'infanterie, qui fert à fojûtenir, ou
former des fiéges,les Perfansne s'en ièrvent prefque point,
Comme ils n'ont point de places fortes, contens de défendre
leurs frontières en pleine campagne , ils ne fe foucient point
de renfermer des troupes dans leurs villes. Ils n'ont point non
plus l'ufage du canon , quoiqu'ils n'ignorent pas l'art de le
Fondre , & que la matière nécefTaire pour cela ne leur manque
point. Cette mauvaife coutume les a rendus plusieurs fois la
viftime de l'infanterie Turque. Cependant les pertes qu'ils
ont faites n'ont encore pu leur apprendre, à leurs dépens.,
quelle étoit leur erreur fur cet article 3 Se ils ont la vanité de
ne pas vouloir fe corriger. S'ils changeoient de conduite , ils
eraindroient que ce ne fut reconnoître , ou plus de bra-
voure dans leurs ennemis , ou leur fupérioricé dans l'art
militaire.
Les Perfans au relie font naturellement légers , fourbes ,
•toujours prêts à profiter de la moindre occalîon de brouiller
qui fe prefentera. Aufîi n'y a-t'il rien de plus commun parmi
pux que de voir éclater quelque conjuration contre la perion-
ne du Souverain. On ne trouve pas même d'union dans la fa-
mille royale. Lqs frères y font trahis par les frères , &; les pè-
res fouvent y deviennent la victime de l'ambition de leurs en-
fans. Du relie lorfqu'ils ne font point occupés à la guerre , ils
s'appliquent volontiers à l'étude des feiences. La Philofophie ,
Ja Médecine 9 les Mathématiques , font celles fur-tout qu'ils
aiment le plusj & on prétend qu'on trouve chez eux plusieurs
auteurs Grecs dont nous avons perdu les ouvrages, qu'ils con-
servent traduits en leur langue.
Pour ce qui eft des revenus du royaume , ils montoientfb.us
le régne de Thamas environ à douze ou quinze millions.
Mais après les pertes confidérables que la Perfe a faites de-
puis que le Turc lui a enlevé une partie de fes provinces , .&:
que les Seigneurs qui relèvent de cette Couronne fe font ren-
dus indépendans jufqu'à ne plus payer de tribut, à peine
entre-t'il
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 9
entre-t'il tous les ans dans le tréfor de Cafbin fix millions , g—1—
qui font abforbés 6c au-delà , par les dépenfes que la Cour eft Henri
néceiîairement obligée défaire. Ainiîileftimpoffible que le III.
Prince ne foie toujours fort à l'étroit. 1 57$,
Au refte Thamas laifla en mourant une nombreufe poflé-
ricé , outre la princefle Peria-Concona , qui étoic l'aînée de
fes enfans , il avoit encore onze fils , dont le troifiéme nom-
mé Haidar-Mirize lui fuccéda. Mais fbn régne ne dura que
peu de jours. Il avoit deux aînés , Mahomet-Hodabendes de
Ifmaél. Thamas s'étoit dégoûté de Hodabendes , qui avoit
embrafle l'état Religieux , 6c lui paroiffoit peu propre à por-
ter la couronne , &c il avoit nommé Ifmaél pour fon fuccef.
leur. Ce Prince étoit alors prifonnier dans la fortereiîe de
Cahaca , arTez près de Cafbin , où on l'avoic relégué à caufè
de fes violences , & parce qu'il ne cefloit de faire des courfes
fur le païs ennemi. Ce fut-là que les grands de l'Empire lui
députèrent , pour le prier de venir prendre pofTeffion d'un
trône que fon père lui avoit deftiné.
Ce Prince ie diipofoit à fe rendre dans la capitale , lorf-
qu'Haidar-Mirize , qui comptoit fur le crédit de la protection
de Peria-Concona , qui comme lui écoit fortie d'une fœur de
Sahamal prince de la Géorgie , monta fur le trône , fans pré-
voir les fuites que cette démarche alloit avoir. Déjà même
par un aveuglement infenfé , il commençoit à faire le maî-
tre , lorfqu'il reconnut , mais trop tard , qu'il avoit fait un
mauvais pas , 6c que fa fœur ne l'y avoit engagé que pour le
perdre. Toutes les troupes le foulevérent , le palais Kit aflîé-
gé en un inftant. Dans cette circonftance , ce malheureux
Prince qui avoit eu aflèz de hardieiTe 6c de témérité pour •
s'emparer de la couronne , manqua de courage , 6c alla cher-
cher lâchement un afile dans le fond de fon Sérail. Mais il
ne fut pas-là même en fureté. Sahamal fon oncle craignant
qu'Ifmacl n'étendît fa vengeance jufque fur lui , 6c voyant
que la retraite de l'Ufurpateur augmentoit encore la fureur
des féditieux , qui avoient Zalchan à leur tête , alla le cher-
cher jufqu'au milieu de fes femmes , où il le tua de fa propre
main. Après cette action, il jetta fa tête encore toute fanglante
au milieu des conjurés ; 6c par-là il appaifa la rage de ces fu-
rieux, qui çommençoient déjà à enfoncer les portes du palais.
Tome VIII. B
io HISTOIRE
Cependant après qu'on eut rendu à Thamas les derniers
Henri devoirs , félon î'uïage de la Nation , Ifmaël fit fon entrée
III. dans la capitale, 6c commença à régner , par faire mourir
jf-jg, huit de (es frères 3 coutume inhumaine qui eft aidez en ufage
parmi les Turcs , mais dont jufqu'alors on n'avoiteu en Perfe
aucun exemple. Ce Prince barbare n'en demeura pas-là. Il
donna ordre de chercher dans toute la ville les parens, les
alliés , ou amis des Princes infortunés , 6c les fit égorger à Ces
yeux. Ainfi commença à couler le fang des premières famil-
les du royaume , où cette cruauté répandit le deuil 6c la dé-
flation , 6c fut un préfage bien trifte pour l'avenir. D'un
autre côté , le peuple qui s'étoit laiile prévenir en faveur du
choix du feu Roi , 6c par les efpérances rlateufes , que le nom
d'iimaël que ce Prince portoit, comme fon ayeul , luiavoit
données , changea tout d'un coup l'affection qu'il avoit pour
lui en haine 6c en défefpoir. Cependant le nouveau Roi pour
montrer que c'étoit par principes 6c non par férocité qu'il
s'étoit porté à cette violence, 6c pour avoir des exemples dont
il pût s'autorifer , abandonna la Religion des Sophis , 6c em-
braiîà la fede des Turcs , déclarant qu'il déteftoit la doctri-
ne d'Aly , qu'il regardoit , difoit-il , comme abominable 6c
capable de porter les hommes aux plus grands excès.
Quelques-uns crurent que cette première démarche étoit
une adrefle du Prince pour engager les peuples de la Méfo-
potamie , de la Chaldée 6c de l'Aflyrie , qui ne reconnoiiïènt
point Aly. Mais foit que ce fût cette raifon qui l'engagea à
changer de Religion, foit qu'il cherchât dans un autre des
exemples pour autorifer fon parricide , il eft certain , que rien
ne lui fît perdre davantage l'affection des Perfans que cette
apoftafie , qui les indifpoïà beaucoup plus contre lui , que
toutes les cruautés qu'il avoit exercées. Ce qui acheva de le
rendre odieux, ce fut la conduite qu'il tint à l'égard du ca-
life de Cafbin. C'eft le nom que portent encore aujour-
d'hui en Perfe les docteurs de la loi Mahométane , qui ont
confervé l'ancien titre des premiers fondateurs de cette Secte
impie. Ils ont au-deffus d'eux un iouverain Pontife qu'ils
appellent Muftaed-Dini-, c'eft-à-dire , Frince de la Loi, qui
tient parmi eux le même rang que le Mufti chez les Turcs.
Ce Calife ayant donc ofé le premier s'oppofer aux entreprifes
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL ïi
d'Ifmaël , eut auffitôt les yeux crevés par fon ordre. En -'» mm}-1--
même tems il fe répandit un bruit , que ce Prince faifoit de Henri
grands préparatifs pour fe rendre à Bagdad , où à l'exemple III.
de Soliman empereur des Turcs , il vouloit aller faire la céré- 1578.
monie de fon couronnement.
Tant de violences ne pouvoient manquer de coûter à If-
maêl bien des remors , & de le tenir dans une défiance con-
tinuelle. Comme tout le monde le craignoit , il appréhen-
doit aufli tout le monde. Ainfi pour diflinguer Ces ennemis
de ceux qui lui étoient attachés , & tirer vengeance de ceux
qui avoient confeillé au roiThamas fon père de le faire arrê-
ter , & de le tenir éloigné de la Cour , il imagina un moyen
à peu près femblable à celui dont l'hiftoire d'Afrique rap-
porte que fe fervit Mariem fœur d'Abdala , 6c dont nous
avons parlé fous l'an 1 5 57. il fe retira dans l'endroit le plus
reculé de fon Palais, &c fit répandre le bruit de fa mort par
£es confidens , avec ordre d'examiner avec foin tous les vi-
fages des Seigneurs de fa Cour , & de remarquer exactement
les divers effets de joye ou de trifteffe que cette nouvelle
produiroit fur eux. Ceftratagême luiréùfîit, tous ceux qui
n'étoient pas affectionnés au gouvernement, fe trahirent eux-
mêmes , éc Ifmaël s'en défit auffitôt après. Ce fut lui aufli ,
qui donna origine à cette guerre funefte que je vais décrire,
en accordant une retraite dans tes Etats, contre la foi des
traités , à un Sangiac des Chourdes, qui s'étoit révolté con-
tre le Grand Seigneur. Ce fut une grande faute que fit le
nouveau Roi , contre le fentiment de tous les grands de Per-
fè, qui Jui confeilloient d'entretenir avec foin la paix avec
Amurath. Avis faluraire, dont la plupart des auteurs ne
.remportèrent que la mort pour récompenfe.
Une conduite fi fanguinaire Se fî infenfée fouleva toute
la Cour. Calil-Chan , Emir Chan , & Piry-Mahamet ju-
rèrent la perte du Tyran. Us mirent dans leurs intérêts
le bâcha des Chourdes, & de concert avec Peria-Conco-
na, ils s'en défirent au bout de fîx mois de régne. Quel-
ques-uns prétendirent qu'il fut empoifonné par fà propre
fœur. D'autres difent, qu'elle introduifit dans le Sérail les
conjurés déguîfés en femmes , qui furprirent ce Prince cruel ,
& l'étranglèrent au milieu de (es plaiûïs. Cette révolution
B ij
il HISTOIRE
! arriva le vingt- quatre de Novembre de Tannée précédente,
Henri En même tems Peria-Concona afïembla tous les grands
III. Seigneurs & les Bâchas , qui dans cette Cour portent le titre
i jy 8, de Clians ou de Sultans , pour prendre de concert des réfo-
lutions falutaires ^ &; elle les exhorta à mettre fur le trône
celui qu'ils jugeroient le plus capable de loûtenir dignement
la majefté de l'Empire, àc de rétablir la tranquillité dans
l'Etat, en arrêtant le cours des divifions domeftiques. Il ne
reftoit plus de la nombreufe poftérité du roi Thamas que Mu-
hemet, furnommé Hoddbendes, c'eft-à-dire, ferrviteur ae Dieu.
Mais il étoit fort éloigné delà capitale , &c à caufe de la foi-
blefîe de fa vue &, de fon peu de goût pour les affaires, fon père
Tavoit relégué à une des extrémités du royaume, dans la pro-
vince d'Heri , dont il avoit le gouvernement. Hodabendes
avoit plufîeurs fils, un aîné entr'autres, nommé Hameth,jeune
Prince d'un génie grand & élevé , qui confeilla à fon père
de foûtenir contre les Turcs la guerre à laquelle Ifmaèl avoit
donné occafîon par fon imprudence , & qui y commanda
l'armée Perfanne. Le premier de Sultans Mirize Salmas pen-
foit à en faire fon gendre. Dans cette vue , il étoit d'avis ,
qu'on députât à fon père pour le prier de le leur envoyer.
D'autres propofoient d'autres fils de Hodabendes , félon
qu'ils efpéroient plus ou moins d'avoir part à la faveur &
aux bienfaits du Prince qui feroit élu.
Il y avoit alors à la Cour un Seigneur nommé Emir-Chan ,
qui étoit fort avant dans les bonnes grâces de Peria-Con-
cona. Cet homme , qui ne mettoit point de bornes à fon am-
bition, au lieu de penfer comme les autres, à fe donner un
maître , avec qui il pût efpérer de partager l'autorité fouve-
raine , travailloit à fe l'approprier toute entière à lui-même.
La Princefle , qui après avoir trempé {es mains dans le fang
de deux de fes frères , foit pas haine , loit par la peur de quel-
que funefbe retour , ne prenoit plus aucun intérêt à ce qui
refloit de fa famille , appuyoit de tout fon pouvoir les préten-
tions. Les circonftances même ne pouvoient être plus favo-
rables à fes defîeins. Tout le monde étoit dans l'attente de
quelque révolution. Les Perfans s'étoient dégoûtés de
leurs anciens maîtres , & foit à caufe de Thorreur que leur
avoient donnée les cruautés du dernier roi Ifmaèl , foie
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 15
dans l'efpérance de tirer avantage des troubles de PEtat , ils ■■■«■m;
ne fouhaitoient rien tant que de voir parler l'Empire en d'au- Henri
très mains. III.
Cependant Hodabendes informé par Mirize-Salmas des 1578.
defTeins de Peria-Concona , s'avançoit à grandes journées Avénemenc
vers Cafbin. Ce Prince étoit outré des attentats de la fœur , de Muhemec
qui après avoir fait d'un de (es frères un Roi de théâtre , & ^couronne
l'avoir conduit elle-même à fa perte par la complaifance dcPcrfe.
qu'elle avoit eue malignement pour fes projets , non con-
tente d'avoir porté le poignard dans le fein de l'autre , fon-
geoit à faire pafïèr la Couronne fur la tête d'une famille
étrangère. Aufîî ne voulut -il pas monter fur un trône qui
étoit encore fouillé du fang de (es frères avant que de les
avoir vengés. Ainfi il manda à Mirize,pour qui il avoit
beaucoup de confiance, de faire arrêter la PrincefTe, delà
facrifler aux mânes de (es frères , & de conferver fa tête juf-
qu'à fon arrivée , afin qu'il pût repaître (es yeux & ceux de
tous fes fujets , d'un fpe&acle fî agréable. Ses ordres furent
exécutés , & Mirize étant allé le recevoir hors de la capitale ,
pour faire fa cour à ce Prince , lui préfenta au bout d'une
lance cette tête à qui on avoit laillé les cheveux épars , afin
d'infpirer plus d'horreur , Se qui par (es regards farouches
fembloit même après la mort conferver encore quelque
chofe d'effrayant.
Hodabendes fit fon entrée à Cafbin , & donna lieu d'a-
bord d'efpérer qu'on jouiroit fous lui d'un régne paifible.
Mais il fe livra trop à la paffion de fon Miniftre , & au lieu de
fonger à rétablir la tranquillité publique , qui ne pouvoit
être fondée que fur un entier oubli du paiTé , il eut l'impru-
dence de vouloir pourfuivre la vengeance de (es frères. C'é-
toit la plus grande faute que ce Prince pût faire à fon avè-
nement à la Couronne. Par cette conduite , non-feulement
il indifpofa contre lui plu fleurs de ces petits Seigneurs , qui
étoient répandus dans les provinces ^ mais il les jetta même
dans le déîefpoir , & les obligea de prendre parti ailleurs. En
effet Sahamal, ce prince de Géorgie, qui étoit oncle de Peria- .
Concona, n'eut pas plutôt appris la mort de cette malheu-
reufe Princefîe , qu'il appréhenda qu'on ne vînt jufqu'à lui 5
& comme il ne croyoit pas avoir aucune grâce à efperer , il
B iij
i4 HISTOIRE
■■ '. alla chercher un afile dans les montagnes. Il futfuivî au/Mtôt
Henri après par un autre prince Géorgien nommé Leventogli ,
1 1 1. dont je parlerai plus au long dans la fuite , 6c par leur retraite
i f 7 8. ou ^eiir Wte de la Cour , ils répandirent la terreur parmi les
peuples de la Médie Atropacienne , qui iont voiiins du Turc ,
& qui n'étoient pas trop attachés à la Perfè.
Hufreves ou Ûftreff bâcha de Van , place forte , fituée fur
le lac Aclamar , 6c qui n'eft pas éloignée de Cafbin , avoit
déjà informé Amurath de tout ce qui s'étoit pailè à la cour
de Perfe, depuis la mort du roi Thamas. Amurath , qui ou-
tre la paflîon qui femble être née avec tous les princes Otto-
mans , d'étendre les bornes de leur Empire , s'y fentoit en-
core porté par une inclination particulière , étoit très-atten-
tif depuis Ion avènement à la Couronne, pour ïaiflr tous les
événemens qui pourroient favorifer l'ardeur qu'il avoit pour
la gloire. Auffi regarda- t'il ces mouvemens de Perfe comme
une occafion que le ciel fembloit lui offrir d'attaquer le feul
Empire qui pût lui faire ombrage. Il ne s'étoit foûtenu juf-
qu'alors , que par l'union qui y avoit régné , 6c le Sultan
s'imagina qu'il lui feroit aifé de profiter de ces troubles
domef tiques pour le détruire entièrement , ou . du moins
pour enlever les plus belles provinces , &; en aggrandir fes
Etats.
Origine de Un Prince ne manque jamais de prétexte , lorfqu'il a ré-
la guene des £Qy je déclarer ja guerre à un ennemi. Du vivant de Selim
Turcs contre o r »
u Perfe. un certain Chourde nomme Abdala , gouverneur d un can-
ton de la Chaldée , avoit eu ordre fur quelques foupçons de
fe rendre à la Porte. Leunclavius prétend que ces Chourdes
font les anciens Chaldéens, 6c que cette province qui porte
fur nos Cartes le nom de Curdiltan , n'eft autre choie que la
Chaldée. Cependant il eft fiir que la Chaldée eft fituée en
deçà de l'Euphrate , au-defîous de Babylone , au lieu que ces
peuples habitent ces provinces qui s'étendent au-delà de ce
rleuve jufqu'aux frontières de l'Arménie , que Strabon dit
avoir été le pais des Curtiens , des Cadufiens , des Tapires 6c
. des Amardes , qui faifoient leur demeure dans des montagnes
très -froides 6c très-efearpées. Je laifTe à ceux qui font cu-
rieux de ces connoiiîànces 6c qui ont plus de loiiir, à examiner,
ii nos Chourdes d'aujourd'hui ne font point les defeendans
DE J..A. DE THOU, Liv. LXVII. rj
de ces anciens peuples , dont ils femblent encore retenir le —
nom. Henri
Il y a grande différence entre les gouverneurs de la Chai- III.
dée, de Carahemid & de la Méfopotamie , ôc ceux des au- 1578.
teurs provinces foumifes à la domination des princes Otto-
mans. Dans tout le refte de la Turquie, c'en: la Porte qui
nomme les Gouverneurs , & qui les révoque à Ton gré. Il en
eft au contraire des Commandemens de ces frontières , com-
me des Principautés de Valachie , & de Moldavie &; de Tran-
fylvanie. Ce font des emplois héréditaires dans la famille de
ces Chourdes ou Chaldéens. Ils parlent à leurs enfans , &: s'ils
meurent fans laifier de poftérité , ce font leurs plus proches
parens ou alliés qui leur fuccédent. Cependant ils font com-
me tous les autres Gouverneurs fournis à l'empire abfolu du
Grand Seigneur.
Abdaîa ayant donc été mandé à la Porte, fans pouvoir
pénétrer la raifon pour laquelle on le faifoit venir , fe rendit
à Andrinople où Selim étoit alors, 6c il n'y fut pas plutôt arri-
vé, que le Capigi-Bachi reçut ordre de s'en afTiirer &de le
mettre prifonnier. Le Chourde étoit bien accompagné. Ainfi
pour l'arrêter plus fûrement , l'officier Turc crut devoir
prendre le moment qu'il affifteroit à la prière publique , èc
le rendit avec fa fuite à la Mofquée qu'Amurath II. a fait
bâtir dans cette ville. Abdala fut furpris , lorfqu'il vit qu'on
en vouloit à lui , mais il ne fut point déconcerté. Il fe mit en
défenfe , & fè battant courageufement contre ceux qui vou-
loient l'arrêter, il tua le Capigi-Bachi, ôc bleflà ou parla au
fil de l'épée tous les Chiaous qui l'avoient fuivi. Après cela
Selim irrité de fon audace lui fit couper la tête , fans vouloir
l'entendre.
Abdala étant mort , fon neveu lui fuccéda. Cependant
un autre , qui fe difoit parent du défunt , étant paffé à la
Porte, gagna les Miniftres à force de prefens, ce qui n'en:
pas rare dans cette Cour, &. obtint le gouvernement. AufTi-
tôt on envoya ordre au Gouverneur de venir rendre raifon
de fa conduite ^ mais il ne fe preflà pas d'obéir. Il fçavoic ce
qu'il en avoit coûté à fon oncle pour avoir été trop fournis ,
&: il appréhenda que malgré fon innocence, Une fe vîtex-
pofé au même danger. Ainfi comme il n'attendoit aucun
i* HISTOIRE
- ménagement de la part des Turcs, il alla fejetter entre les
Henri bras d'Ifmaël , qui régnoit alors. Ce Prince le reçut fort
III. bien , & eut même l'imprudence de lui foire efpérer, qu'il
1578. Ie rétabliroit dans l'héritage de fes pères. D'un autre côté ,
on le redemanda à la Porte, comme un transfuge à qui on
ne pouvoit donner aille , fans aller directement contre les trai-
tés paffés entre les deux Nations , 6c furie refus que les Per-
fans firent de le rendre , les hoftilités commencèrent de part
&; d'autre par quelques courfes.
Une autre raifon qui porta les Turcs à déclarer la guerre
aux Perfans , ce fut la haine invétérée qui eft entre ces deux
Nations. Elle eft devenue fi outrée , que les Turcs 6c tous les
autres peuples qui fuivent leur Se&e , foit en Tartarie ou en
Afrique , conformément à la décifion de leur Mufti , tiennent
pour confiant qu'il eft plus méritoire & plus agréable à Dieu
de tuer un Perfan ou Azeme pour caufe de Religion , tout
Mahométan qu'il eft , que de donner la mort à foixante 6c
dix Chrétiens, quoiqu'ils fafTent profeffion d'une Religion
tout- à-fait oppofée. Je fçai que quelques nouveaux Théo-
logiens ont olè de nos jours foûtenir une opinion toute fem -
blable , 6c qu'ils n'ont pas craint d'avancer , contre le fen-
timent unanime de tous les Chrétiens , qu'il feroit plus
avantageux pour la gloire de Dieu , que les princes Chré-
tiens réunifient leurs armes pour faire la guerre aux héréti-
ques qui font parmi nous , que pour exterminer les Mahomet
tans. Or je laifTe à ces gens qui font chargés de la confeience
des autres , à examiner eux-mêmes devant Dieu , fî de tels
principes font bien conformes à la piété 6c à la charité Chré-
tienne. En revanche les Perfans , fidèles obfervateurs de la
doctrine d'Aly , quatrième fuccefTeur de Mahomet dont
Haidar 6c Tzuneit père 6c ayeul d'Ifmaël Sophy , renouvel-
lérent les dogmes , détellent toutes les autres ieâes Maho-
métanes , brûlent leurs livres par-tout où ils les rencontrent,
6c pourfuivent cruellement tous ceux qui y font attachés.
Quelques-uns mettent encore les fonges de la partie , &
comme ces peuples font afïèz fuperftitieux pour y ajouter
beaucoup de foi , ils veulent qu'un rêve d'Amurath ait aufli
contribué à ce grand événement. Ils prétendent que ce
Prince s'imagina pendant fon fommeil , qu'il étoit au milieu
du
DE J. A. DE T HOU, Liv. LXVII. 17
du monde , fous un arbre fort grand qui portoic au loin deux — — — *^
de fes branches , donc l'une s'etendoit jufqu'aux extrémités Henri
de l'Orient , 6c l'autre jufqu'aux provinces de l'Occident les III.
plus éloignées 3 qu'il crut voirenluite un Serpent d'une gran- j ^78,
deurprodigieufè , venu de l'Orient , qui fe rouloit à fes pieds ,
èc qu'il étrangloit de fes propres mains. Ils ajoutent, que le
Sultan ayant confulté les do&eurs de la loi, pour apprendre
quelle étoit l'interprétation de ce fonge 3 ils lui dirent,
que le milieu du monde lignifîoit le fiége même de l'empire
d'Amurath, c'eft-à-dire , Conftantinople 3 que ce grand ar-
bre avec fes deux branches marquoit l'étendue de la do-
mination des Sultans • enfin que par ce Serpent venu de l'O-
rient , on devoit entendre le roi de Perfe , 6c que c'étoit à lui
qu'il étoit réfervé de le vaincre, 6c de le tuer, pour joindre
enfuite fes Etats à l'empire Ottoman.
Telle fut l'origine de cette guerre, où la fortune même
fembla favorifer les defTeins du Grand Seigneur , par les
mouvemens qui s'élevèrent en Perfe pendant ion régne , tan-
dis qu'au contraire l'union & la concorde régnoient parmi
les Turcs. Quatre ans s'étoient donc déjà écoulés depuis la
conquête de l'iile de Chypre, 6claprife de laGoulette,que
Selim avoit fait rafer 3 6c pendant tout ce tems-là l'empire
Ottoman avoit joui d'une paix profonde. La trêve qu'on
avoit faite avec le roi de Hongrie, car c'eft le feul titre que
prenne l'Empereur lorfqu'il traite avec laPorte,duroit encore.
Philippe IL roi d'Efpagne venoit d'en conclure une nouvelle
de trois ans avec le Grand Seigneur. Dans ces circonflances
Amurath n'eut pas befoin de délibérer long-tems avec fes
miniltres, pourfçavoir de quel côté il tourneroit l'effort de
fes armes.
En effet l'avis de Mehemet, grand Vifîr , & gendre de Se-
lim , à qui fon grand âge, joint à une expérience confommée ,
donnoit beaucoup de crédit dans le Divan , fut , qu'il étoit
beaucoup plus ailé de faire la guerre aux Perfans , qui n'ont
gueres pour armes que l'arc & le fabre , chez qui les armes à
feu ne font prefque point en ufàge , 6c dont toutes les places
font fans défenfe, que contre les Latins, c'eft à-dire, les
Chrétiens , que le fer 6c le feu environnent , 6c qui avec leur
nombreufe artillerie feavent , ou défendre leurs villes ,
Tome VIII, C
i5 HISTOIRE
; lorfqu'on les attaque, ou foudroyer celles de leurs ennemis 3 ôc
Henri il ajouta , qu'on pouvoit fe promettre une victoire beaucoup
III. plus certaine des peuples de l'Aile, amollis par les délices
i f 78. d'une vie lâche 6c oifive, que des Européens, dont les corps
forts 6c robuftes font accoutumés à réfiiter au chaud,au froid,
6c à la faim.
Tel fut , dit-on , le fentiment de Mehemet. Cependant
Leunclavius prétend au contraire , fur la foi de je ne fçai quel
auteur , que ce Vifir difïuada le Grand Seigneur de déclarer
la guerre à la Perfe 3 6c il rapporte , qu'après plufîeurs raifons
dont il fe fervit pour l'en détourner , il cita ce fameux pro-
verbe, qui eft fort en ufage chez les Grecs , èc parmi les
Turcs:»Qu'il ne faut pas marcher fur la queue du Serpent qui
» dort , de peur qu'en s'éveillant il ne lève la tête , 6c ne falfe
« fentir fa morfure.
La guerre de Perfe fut doncréfoluë 3 mais il s'y prefentoit
deuxobftaclesconfidérables } le premier étoit l'éloignement
6c la difficulté de faire paffer des troupes dans le païs ennemi
par des chemins rudes , embarraiTés de bois 6c de montagnes ,
où il étoit aifé détendre des embufeades. Outre cela cette
guerre demandoit beaucoup plus de dépenfe qu'aucune autre.
En effet , Sinan Bâcha reprefentoit que pour conferver les con-
quêtes qu'on feroit fur la Perfe , il faudroit élever des cita-
delles, fortifier des villes, 6c y mettre des garnifons nom-
breufes 3 6c il ajoûtoit , que la paye que le Grand Seigneur
donne ordinairement aux troupes , n'étoitpas fuffifante pour
fubvenir à tout cela 3 àc qu'on feroit obligé de faire aux foldats
des gratifications extraordinaires, afin de les engager à fe ren-
dre affidus aux travaux , à garder exactement leurs poftes , à
défendre avec vigueur les places qui leur feroient confiées ,
&c à fupporter courageufement toutes les incommodités
d'une guerre qui alloit les retenir long- tems éloignés de leur
patrie.
Pour ce qui eft de la dépenfe , Amurath , qui trouvoit
hs raifons de Sinan pleines de fageflè 6c de bon fens en fit fon
affaire , 6c promit que l'argent ne manqueroit point pour cette
expédition. Mais il n'étoit pas aufli aifé de lever le premier
obftacle 3 6c les fentimens furent fort partagés à ce fujet. Les
uns vouloient qu'on fit pafTer une armée en Perfe par Bagdat ,
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXVII. 19
& que de-là on marchât droit à Syras, qu'on dit être l'ancien- r^^^m
ne Perfépolis j 6c ils appuyoient leur avis, fur ce qu'il paroît Henri
par l'hiftoire , que c'eft-là le chemin que prit Alexandre pour III.
entrer dans ce pais. D'autres prétendoient au contraire , qu'il 1578.
falloit commencer par s'aflïlrer de Tauris , &; fortifier cette
grande ville, avec toutes les places des environs. Quelques-
uns enfin propoférent un troifiéme avis qui fembloit appro-
cher des autres. Ceux-ci croyoient que le parti le plus avan-
tageux étoit de partager l'armée, & d'attaqueren même-tems
l'ennemi des deux côtés , prétendant que par-là on l'oblige-
roit de divifer Tes forces, & qu'on le mettroit ainfi hors d'é-
tat de faire tête de côté , ni d'autre. Mais Amurath ne fut pas
de cefcntiment 3 6c comme on ne pouvoit s'empêcher de faire
paner l'armée par la Géorgie 6c l'Arménie , où elle devoit
être jointe par les Tartares qui habitent au defïus du Pont
aux environs de la mer Cafpienne , 6c fur lefquels on comptoit
beaucoup pour cette guerre , il jugea qu'il ne feroit pas fur de
s'engager dans une route fî dangéreufe 6c fi difficile avec des
rorces partagées.
Les Miniftres prirent donc leurs arrangemens pour une
marche fi longue , 6c remplie de tant de difficultés. Après cela
on fut curieux deconnoîtreà qui le Grand Seigneur confieroic
le foin de cette entreprife. En effet , il avoit déjà déclaré
qu'il n'y commanderoit point en^perfonnej èc Sinan n'avoir
•pu s'empêcher de faire paroître fonétonnement à cette occa-
sion , parce qu'on ne voyoit point dans toute l'hiftoire de
l'Empire, qu'aucun prince Ottoman fe fût jamais fervi de
Lieutenant pour une guerre auffi confîdérable , èc nefefût
pas rendu lui-même à la tête de fes armées. Mais Amurath
avoit fes raifons pour ne pas être de cette expédition : il ap-
portait pour prétexte lesbefoins de l'Empire , 6c il difoit que
les affaires de l'Empire ne lui permettoient pas une abfence
de fes Etats fi longue 6c fi dang-ereufc dans un tems où il étoit
menacé du côté de l'Occident par tant de Princes puinans.
Dans le fond quelques-uns croyent qu'une des raifons princi-
pales qui l'empêchèrent de faire ce voyage, fut qu'il étoit
lujet à certaines attaques d'épilépfie qui revenoient aftez fou-
lent, 6c qu'il appréhenda que les fatigues de la guerre ne les
rendiflent encore plus fréquentes 3 que cette incommodité ,
Cij
io HISTOIRE
- qu'il fçavoit cacher dans les murs de fon Sérail , ne devînt pn-
Henri blique au milieu d'un camp , 6c ne le rendît méprifable a tes
III. troupes. Ainfi il pafîà pour confiant , que le Sultan n'affifteroit
i 57 S. point en perfonne à cette guerre. Après cela il n'y eut aucun
des Grands de la Porte, que la faveur ou leur réputation ren-
doit les plus confîdérables auprès du Prince , qui ne briguât
un emploi de cette conféquence. Sinan, & Muftapha, qui ve-
noient de fe rendre fameux, le premier par la prife de la Gou^
lette , &: l'autre par la conquête de 1'ifle de Cliypre , fem-
bloient y avoir plus de droit que perfonne. Mais il ne parut
point alors qu'Amurath eût encore pris fa réfolution là-delTus.
Seulement on envoya ordre aux Bâchas d'Erzerum , de Van ,
6c de Bagdad , d'entrer fur les terres de Perfè , 6c d'y faire le
dégât.
Enfin cette année Muftapha fut déclaré général de l'ar-
mée Ottomane. Il fortit de Conftantinople le 5. d'Avril,
fuivi d'un grand cortège, qui l'accompagna pour lui faire
honneur ^ 6c ayant paffé le détroit pour fe rendre à Scutari ,
il prit de-là fa route par Toccat 6c par Sivas , ( 1 ) 6c fe rendit
au commencement d'Août à Erzerum , qu'on croit être l'an-
cienne Simbra, dont parle Ptolomée, fi tuée fur les frontières
de la Cappadoce 6c de l'Arménie , où étoit le rendez- vous
de l'armée. Là il fit une revûë générale , félon la coutume ; &
pour avoir un état ,. certain^ de toutes fes forces , il fépara les
malades de ceux qui étoient en fanté ^ les troupes qui paroif-
foientenbonétat, de celles qui étoient mal équippées j enfin
les foldats d'une taille 6c d'un air avantageux , de ceux qu'on
jugea d'une compléxion foible , 6c peu propre à fupporter les
travaux de la guerre.
Les premiers qui fe prefentérent furent ceux de Mefopo-
tamie ou Diarbequir , au nombre d'environ douze mille,
n'ayant guéres pour armes que l'arc 6c le cimeterre j 6c Mufta-
pha fit une vive réprimande au gouverneur de cette province,
de ce qu'il avoit amené fi peu de troupes. Us étoient fuivis de
quatorze mille AfTyriens 6c Chaldéens peuples habitans
furies bords de l'Euphrate 6c duTigre.(2)Ilss'étoient afîèm-
blés àBalfara, armés de la même manière. Enfuite marchoient
( 1 ) Ce font les anciennes villes
d'Amafie, & de Sébafle,
(2) Ces deux fleuves s'appellent au-
jourd'hui le Frat & le Tegil.
DE J. A. DE THOU, L i v. LXVII. n
deux mille Syriens ouSoriens, habillés, plutôt qu'armés , !
magnifiquement j aufïï cette nation ne Te bat - elle que par Henri
efcarmouches , & en efcadronnant. On voyoit paroîtrc après III.
eux en bel équipage douze mille hommes levés à Ma- 1578.
gnefie ou Manifla dans la Bithynie ou le Befangial ^ à An-
cyra ou Angori -y dans la Lydie ou Carafie ; dans la Phrygie
& le Pont provinces de l'A fie mineure, qu'on nomme aujour-
d'hui l'Anatolie. On avoit joint avec eux mille enfans perdus
de ces peuples de Judée de de la Palefkine , que leur pauvreté
force à vivre de brigandage , de quatre mille Caramans , na-
tion barbare de l'ancinne Cilicie , accoutumée au vol , de ne
refpirant que le fang. Les troupes delaMorée, de la Grèce,
de la Macédoine , de de laThrace , qui faifoient la principale
force de cette armée, formoient enfuite un corps féparé,
compofé de dix mille hommes , tous bons arquebufiers. On
compta aufll trois mille JanniiTaires.EnfinBeyran Bâcha d'Er-
zerum avoit amené au camp quatre mille hommes levés dans
la Cappadoce de l'Arménie, tous gens aguerris par les courfes
continuelles qu'ils faifoient dans le païs ennemi. Toutes ces
troupes étoient à la folde du Grand Seigneur. Pour ce qui eiî
des avanturiers , ou volontaires, ils étoient encore en aufîî
grand nombre. On ne tira cette année aucunes troupes de la
côte de Barbarie , de la Hongrie, de l'Egypte, ni de l'Arabie
heureufe, maintenant nommée l'Hyemen, de on réferva pour
quelque occafion plus confidérable lcsjanniiïàires,qui eurent
ordre de refter en garnifon à Damas.
Cette grande armée étoit fuivie de cinq cens pièces de cam-
pagne , que Muitapba deflinoit à mettre dans les places qu'on
jugeroit à propos de fortifier. Il avoit auffi apporté beaucoup
d'argent ^ de le Grand Seigneur lui avoit outre cela permis de
prendre les revenus d'Alep,& des autres villes frontières ,
pour fubvenir aux frais delà guerre. Le général Turc avoit
encore penfé à pourvoir fes troupes de vivres. Toute la fron-
tière avoit eu ordre d'apporter au camp la dîme des denrées
qu'on y recueilloit , & d'y amener des chameaux pour porter
les provisions & le bagage. On avoit levé de toutes parts grand
nombre de pionniers de de mineurs. Enfin on avoit embarqué
beaucoup de bled à Conftantinople ïur la flote Turque , com-
mandée par Ulucciali, qui prit la route par la mer Noire , de
2* HISTOIRE
■l_ - ■? vint aborder à Trébifonde, place éloignée feulement d'Erze-
Henri rum de quatre journées de chemin.
III. Après avoir ainfi fait tous Ces préparatifs , le général Turc
i 57 S. partit à la tête de fon armée, & en huit jours de marche il
Emrée <ks arriva a Chars , place qui avoit été détruite , conformément
des Turcs en à un des articles du dernier traité de paix fait avec Soliman ,
& où il trouva des provifîons en abondance. Là les Turcs
furent furpris d'une pluie violente mêlée d'un ouragan fu-
rieux , qui renverfoit toutes les tentes , & qui les incom-
moda considérablement. Ainfi ils furent obligés de refter
trois jours dans cet endroit , où ils eurent beaucoup à fouffrir,
&; où ils laiilerent erand nombre de malades. Ils en décam-
pérent , 6c fe difpofèrent à palier les montagnes de Chielder.
Muftapha , pour éviter toute furprife , avoit tellement arran-
gé l'ordre de fa marche , qu'il étoit au centre dans la plaine,
tandis que le Bâcha d'Erzerum , &Dervis Bâcha de Carahe-
mid dans la Méfopotamie, où le Diarbekir s'avançoient par
les montagnes -y le premier à droit , & l'autre à gauche. Ils
étoient foûtenus par les bâchas Ofman, Mahamet, Muftapha,
& par les commandans des Avanturiers , 6c les chefs des trou-
pes que les Tributaires du Grand Seigneur font obligés de
lui fournir.Cette avant-garde formoitune efpéce decroiflànt
qui couvroit le corps de bataille , & qui étoit comme enfenti-
neile pour découvrir de loin l'arrivée des ennemis.
D'un autre côté , tandis que les Turcs fe difpofoient à en-
trer en Perlé, Hodabendes qui étoit informé de tous leurs
deflèins , fe voyant dans la néceffité de foûtenir une guerre
que l'imprudence de fon frère lui avoit attirée , crut qu'il de-
voit feindre avec la Porte , afin d'avoir le tems de le mieux
préparer. Ce Prince venoit à peine de monter fur le trône y
Se il avoit trouvé à fon avènement à la couronne les affaires
fort dérangées par la conduite barbare du dernier roi Ifmaël.
L'imprudence qu'il avoit eue lui-même d'abord , de fe livrer
aux confeils de fon premier Miniftre , n'avoit pas contribué à
rétablir la tranquillité dans fon royaume. Dans ces circon-
ftances il jugea qu'il étoit à propos de fe conduire avec une
grande apparence de modération. Il parut être mortifié de
ce qui s'étoit paiTé j & comme fi fon intention eut été de réta-
blir l'union entre les deux nations, il envoya une ambaflàde
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVI'I. 25
au Grand Seigneur , moins dans l'efpérance d'arrêter les pro-
jets qu'il méditoit , que pour gagner du tems. En effet foit Henri
qu'Amurath fût entêté des promettes magnifiques que tes III.
Dodeurs lui avoient faites au fujet de fon fonge ; foit qu'il ne r , -g
pût digérer le refus du roi de Perlé, de lui remettre le Chour--
de, qui s'étoit retiré dans fcs Etats, il voulut à peine donner
audienceà ces AmbafTadeurs, & les renvoya fièrement avec
menaces.
Cependant Hodabendes penfa à mettre dans fes intérêts
les princes de Géorgie, dont il étoit important de s'afTurer ,
parce que c'étoitpar leurs terres que l'armée Turque devoit
parler pour entrer en Perfe. Il leur écrivit 5 il leur députa
même , pour les exhorter à ne pas abandonner la défenfe
d'une Couronne dont ils étoient feudataires. Il fît aufli parler
à Sahamal , ôc à Leventogli par quelques Seigneurs de leurs
amis , qui travaillèrent à difliper les foupçons que le pafTé
avoit pu donner à ces Princes. Outre cela il traita avec l'em-
pereur des Tartares , le plus puiffant Prince de cette nation ,
qu'on appelle communément le Kitai , & il l'engagea à fe
joindre à lui pour faire la guerre au Grand Seigneur. Il prie
pour cela le moment que les Tartares étoient mécontens d'A-
murath , foit que la trop grande puiflance du Sultan leur fît
ombrage ; foit qu'ils crufïent avoir quelques raifons particu-
lières de fe plaindre de lui : car du refte les Tartares <k les
Perfans avoient jufqu'alors été toujours ennemis 5 de quoique
ces deux peuples faffent également profefîion de la Religion
Mahometane ^ ils différent cependant en plufîeurs points,
Enfin le roi de Perfe attira même dans fon parti plufîeurs Sei-
gneurs Turcs , gens de crédit de d'autorité , qui ne penfoienc
pas comme le refte de la nation Ottomane au fujet de la Reli-
gion , de qui avoient quelque penchant à embraflèr la fecte des
Sophys.
Les circonftances ne permettoient guéres à Hodabendes
de prendre d'autres mefures. Après cela ce Prince envoya
ordre aux Gouverneurs des provinces d'afîembler leurs trou-
pes , de de fe rendre inceffamment auprès de lui. Ils firent
d'abord quelque difficulté. Cependant la vûë du danger qui
les menaçoit tous également j l'ennemi , qui étoit à leurs por-
tes 3 un peu de compafïïon pour le nouveau Roi , & pour l'état
24 HISTOIRE
; déplorable où l'Empire alloit être réduit , tout cela les tou-
Henri cha enfin. Ils obéirent, èc amenèrent vingt mille hommes
III. tous bien armés. Hodabendes mit «à leur tête Tocmafes Sul-
1578. tan Chan , 6c gouverneur d'Arménie, capitaine expérimenté ,
qui avoit donné des preuves de fon habileté au maniement
des affaires dans plu/leurs ambafïades dont il avoit été chargé
à la Porte -, 6c il eut ordre de marcher fur le champ vers la
frontière.
Ce général prit là route par Tauris & par Genge ; 6c il ar-
riva à Chars peu de tems après que l'armée Ottomane, qui
avoit efluyé cet orage furieux dont j'ai parlé, avoit quitté ce
poftepour s'avancer vers les montagnes de Chielder. De-là
il continua fa marche. Cependant les coureurs qu'il avoit
envoyés devant pour reconnoîsre l'ennemi, ayant apperçû.
les Bâchas d'Erzerum 6c de Carahemid,qui campoient fur les
montagnes oppofées avec afTez peu de troupes , &: ne pouvant
voir le gros de leur armée , qui étoit dans la plaine couvert
par les collines , revinrent à toutes jambes donner avis à Toc-
mafes , qu'ils avojent découvert quelques avant-coureurs de
l'armée Turque qu'il feroit aifé de défaire ^ pourvu qu'on ne
tardât pas aies attaquer,
b t de ^e ^aux raPPort ^e ces coureurs,que l'apparence avoit trom-
chicider en- pés , fit donner leur général dans le piège -y il marcha aux
tre les Turcs ennemis s qui de leur côté ayant découvert de loin les troupes
du roi de Perfe, defcendoient de leurs montagnes pour les at-
taquer 3 6c ils en vinrent aux mains plutôt que Muftapha ne
l'avoit efpéré. Le deiïein de ce général étoit de cacher fa
marche , 6c de ne fe montrer que lorfque fon avant-garde au-
roit commencé à rompre les Perfans , pour tomber alors fur
eux, 6c achever de les mettre en défordre. Dans cette vue il
fit faire alte au corps de bataille, £c ferra les rangs : mais il fe
paffa bien du tems avant qu'il pût fe remettre en mouvement •
6c les ennemis en profitèrent , pour tailler en pièces fes trou-
pes avancées , avant qu'il fût à portée de leur donner du
fecours.
En effet, le combat avoit déjà duré depuis midi, pendant
trois heures entières, lorfque Muftapha parut enfin avec le
gros de l'armée Ottomane. Alors Tocmafes fentit tout le pé-
ril où il s'étoit engagé. Mais il n'étoit plus tems d'y apporter
remède ,
DE ). A. DE THOU, Liv. LXVÏI. 15
teméde , Se il étoit trop avancé pour reculer. Ainfî il prit le ■■■■"■—-
feul parti qui lui reliât , ce fut de faire tête à l'orage. Il rallia Henri:
fes troupes du mieux qu'il put, foûtint bravement jufqu'au III.
foir tout l'effort de cette grande armée , Se fit fa retraite à la 1578,
faveur de la nuit, laiilant fur la place cinq mille morts, Se
deux mille prifonniers. Muftapha defoncôténe jugea pas à
propos de le pourfuivre dans les ténèbres. Il avoit eu dans
cette a&ion quinze mille hommes de tués , parmi lefquels on
comptoit fept gouverneurs de province. Mais quelque cha-
grin qu'il rellentît de ià défaite, il n'en témoigna rien. Au
contraire il informa Amurath d'une manière avantageufe du
fuccès de cette journée 3 Se pour diminuer l'idée qu'on auroit
pu avoir de la perte qu'il avoit faite aux dépens de fon enne-
mi, il imagina un ftratagême inoiii & barbare. Les Turcs
ayant fuivant leur coutume coupé la tête à ces cinq mille
hommes qui étoient reftés fur le champ de bataille , ce Gé-
néral fe les fit apporter le lendemain. Enfuite après qu'on fe
fut afïuré à leur teint Se à leurs mouftaches , que* c'étoient
véritablement des têtes de Perfans, il commanda qu'on
amenât devant lui tous les prifonniers , qui furent lur le
champ égorgés par fes ordres , Se de toutes ces têtes rangées
les unes fur les autres, il fit élever une tour dans la plaine, pour
être un monument de la vidoirefanglante qu'il avoit rem-
portée fur les ennemis , Se fervir à répandre la terreur de fou
nom dans tous les environs.
Florus rapporte un événement à peu près femblable , ar-
rivé en Efpagne , Se qui fit horreur aux Barbares mêmes. Il
dit , qu'après cette fanglante bataille que Jule Cefar gagna
à Monda contre le parti de Pompée, les malheureux reffces
de cette défaite s'étant jettes dans cette ville , ce Général
alla aufïïtôt les y afliéger, Se qu'il ne voulut fè fervir pour
tout retranchement , que des cadavres de ceux qui avoient
péri dans cette a&ion , que les dars Se les javelots tenoient
attachés enfemble , Se dont ilsformoientune efpéce de rem-
part. Spedacle hideux, inventé par ce Dictateur pour jetter
la terreur parmi fes ennemis , Se à qui la nécefîité de faire le
iiége de cette place peut en quelque forte fervir d'exeufe.
Cependant les couriers de Tocmafes avoient déjà porté
à Cafbin la nouvelle du dernier combat , Se avoient inflrjaic
Tome V1IJ% D
16 HISTOIRE
■ le roi de Perfe des forces & des deflèins du Turc. En même
Henri rems ce Général demandoic qu'on lui envoyât du fecours.
III. Hodabendes ne fut pas fore affligé du fuccès de cette bataiL
jrng# le. Il penfa feulement à en prévenir inceflamment les fuites ,
& il travailla fans relâche à lever de nouvelles troupes.
D'un autre côté , tandis que Muftapha fongeoit à faire
exécuter le projet plein d'horreur qu'il avoit formé , des
Députés vinrent l'informer de l'arrivée prochaine de Mauc-
chiar. C'étoit un des fils d'une veuve princefïe de Géorgie,
nommée Dedefmit. Cette nouvelle parut faire un plaifir in-
fini au Bâcha. Il ordonna auffitôt à tous les grands Officiers
de fon armée d'aller recevoir le Prince à la tête du camp , où
il entra au bruit des-tymbales , des trompettes , êc du canon.
De là , il fut conduit en cérémonie à latente du Général,
après qu'on lui eut donné à deffein le funefte fpeclacle de ces
têtes arrangées. Le prince Géorgien comprit à cette vue ce
qu'on vouloit lui faire entendre. Après les premiers compli-
mens , pour faire fa cour au général Turc , il lui demanda des
nouvelles du dernier combat , &: voulut bien paroître per-
iuadé de la relation qu'il lui en donna. Enfuite il lui fît offre
de fes fervices , &: lui marqua qu'il contribueroit volontiers
de tout {on pouvoir au fuccès de cette guerre. Muftapha
reçut anez froidement les avances du Prince étranger 3 ic fe
tournant fièrement vers fon camp , & du côté de ce monu-
ment barbare, qu'il avoit fait élever pour fervir de preuve
de fa victoire prétendue : » Tout ce que vous voyez ( dit-il 5
33 en lui montrant l'armée Turque fous les armes ) font au-
33 tant de prefens dont la main libérale du Tout-puilîànt a>
33 gratifié avec profufion les princes de la famille Ottomane ,
33 pour en faire les maîtres du monde , & les rendre l'objet de
53 fon admiration & de fon étonnement. Vous avez pris certaL
33 nement le parti le plus fage, en venant reconnoître l'empire
33 d'un auiîi puiMant Prince que celui que je fers 3 il feroit feu-
33 lement à fouhaiter, que vous n'euffiez pas tardé fî long-
33 tems à lui rendre ces juftes hommages. J'accepte avec joye
33 l'offre que vous me faites de partager avec moi les travaux
33 de cette guerre. Soyez le bien venu , èc comptez que vous
33 trouverez réciproquement dans moi tout ce que vous pou-
n vez attendre d'un véritable ami. h Après avoir tenu ce
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 17
difcours , Se reçu le prefent du jeune Prince , il lui fit donner le ! 1 lm
prefent ordinaire confirmant en un habit de brocard d'or, Henri
avec une lance 6c un bouclier très-bien travaillés 6c fort ma- III.
gnifiques • Se il mit auprès de lui quelques-uns de Tes gardes 1^78.
pour avoir Pceil fur fa perfonne , Se veiller fur toutes tes dé-
marches.
Avant que d'aller plus loin , je crois qu'il eft. à propos que
je donne ici au Ledeur quelque connoifîance de ces princes
de la Géorgie, 6e des provinces qu'ils polTédent, auffi-bien que
de l'Arménie & de la Médie , qui font voifines de leurs Etats ,
puifque ces païs furent le théâtre des principaux événemens
de cette guerre.
Les Géorgiens habitent aujourd'hui l'ancienne Iberie.
C'en: un païs où il a beaucoup de bois 6e de montagnes , qui
renferment auffi plufieurs plaines. Il confine du côté de l'Oc-
cident à la Colchide , aujourd'hui la Mingrelie j du côté du
Midi , à l'Arménie ouTurcomanie , dont une partie appar-
tient auffi aux Souverains de cet Etat 3 du côté d'Orient , à la
Médie Atropatie ou mineure , que nous appelions le Schir^
van 5 6e du côté du Nord , à l'ancienne Albanie , qui porte
aujourd'hui le nom de Zuirie. On y trouve en abondance
toutes fortes de grains 6e de fruits , de la foye , des bêtes fau-
ves 6c des faucons en quantité.
La Géorgie eft arrofée par plufieurs fleuves , dont quel- Defcrîptioo
ques-uns font fort grands. Le principal efl l'Araxe , qui <*c la Géorgie.
fort du mont Taurus , Se courant vers l'Orient , pafTe à To-
menis. Enfuite tournant au Nord, 6c à l'Occident, il va
recevoir le fleuve Chiur ou Ser , qui prend lui-même fa four-
ce du côté du Septentrion dans le mont Taurus , Se qui coule
dans la plaine, où. plufieurs petites rivières vont s'y jetter,
J'Alazon , le Sandobane , le Rethace 6c le Chane. Dans ce
coude que fait l'Araxe ^ il fait une prefqu'ifle de Sechi , dans
la campagne d'Erex. Cette ville , fuivant la defeription que
Strabon nous en donne, eft peut-être l'ancienne Artaxate ;
cependant ce Géographe place auffi dans ce même endroit
la ville de Seumara. De là l'Araxe coule à quelques lieues
de la ville d'Erivan fameufe dans la guerre dont nous par-
lons , 6c fe répandant enfuite dans la plaine de Calderan ,
célèbre par la bataille qui fe donna dans ce lieu entre le Sultan
D H
iS HISTOIRE
! ■ Selim & le Sophi Ifmaèl , il va fe jetter dans la mer Cafpienne;
Henri Ce fleuve reçoit aufll dans fa courfe , au-defTus de la riche
IIL ville d'Eres, le Canach que Leunclavius appelle Ares, ou
1578. Cara-fu, c'efl- à-dire , la rivière noire. Strabon écrit au livre
onzième de fa Géographie , que ce fut par cette peninfule
que forment dans leur jonction le Kur &: l'Araxe ( car c'eft
ainfl qu'on doit lire dans cet endroit, & non pas l'Arage) que
le Grand Pompée, & après lui Canidius B afïu s , entrèrent
de l'Arménie dans l'Iberie.
Au refte tous ces fleuves prennent leur fource dans le
montTaurus. Cette chaîne de montagnes , à qui les Géo-
graphes ont donné ce nom , eft allez peu de chofe dans la
Carie & la Lycie. Elle commence d'abord à s'élever fur les
côtes de la Pamphylie, àprefent Sarmanie , proche du cap
de Chelidonie , êc traverfe ainfî toute la Cilicie. De là elle
le fépare en deux branches , dont celle qui eft à droite s'ap-
pelle le mont Amanus ou de Scanderona, & courant au Sud-
Eft , elle s'étend fans interruption jufqu'à l'Euphrate. Au
delà de ce fleuve, elle prend le nom de monts Gordiens, &;
enfuite celui de mont Mafius,au-defïus de Nifibe ou Nifbin ,
& de Tigranocerte ou Sultania j là elle commence à devenir
beaucoup plus haute. C'efl alors le Niphates, qui dans fon
étendue fépare la Médie de la Chaldée , fous le nom de
mont Zagrius. On trouve enfuite au-deiîus de la Chaldée
les montagnes de la haute Perle , dite Elymaïs , avec celles
des Parœtaceniens ou du Turqueflan , & celles des CofTéens
au-deflus de la Médie.
C'eft dans le mont Niphates que le trouve la fource du
Tigre , allez peu éloignée de celle de l'Euphrate , puifque
Strabon ne compte que deux milie cinq cens ftades de dif-
tance entre l'une & l'autre. Mais ces deux fleuves s'éloignent
beaucoup dans la fuite. L'Euphrate s'étendant fort au loin ,
arrofe dans fa courfe irréguliere des pais immenfes. Au con-
traire le cours du Tigre eft droit &; rapide. Enfuite il fê perd
fous terre & difparoît pendant un allez long efpace de temsi
Enfin on le voit renaître fort loin delà toujours le même, &
le réunifiant delà à l'Euphrate au- defîous de Sereful, ils cou-
lent enfemble le long de la Méfopotamie , & vont fe jetcer
dans le golphe Perflque,
DE J. A. DE THOU, Lit. LXVII. 19
La partie du mont Taurus qui eft à gauche, s*étend vers ' '
le Septentrion fous le nom d'Ankaurus , fépare l'Arménie de Henri
la Cappadoce et de la Comagene , & Te divife encore elle- 1 1 L
même en plufieurs branches au-delà de l'Euphrate, tirant 1 5.7 S,
vers le Nord. Ici c'eft le mont Poliarrès ou Poliadrès , &c
Cydisès à l'Occident. Là , ce font les monts Mofchiques s
dans un autre, elle porte le nom de monts Tîbareniens, & for-
me ainfî une longue chaîne jufqu'au Caucafe. D'autres mon-»
tagnes, qui font auffi partie du mont Taurus, s'élèvent du
côté de l'Orient ôc environnent tout ce païs qui eft depuis la
mer Cafpienne jufqu'à la Médie. Le mont Parachoater en eft
encore une branche , èc va jufqu'aux portes Cafpies , s'éten-
dant au loin du côté de l'Orient vers la province d'Elire.
Ainfi la Médie Se l'Arménie fe trouvent renfermées au milieu
du mont Taurus , &: ce païs tout chargé de montagnes efcar-
pées , entrecoupées feulement par quelques vallons , qui fur-
tout du côté du midi, où l'Araxe fe précipite au travers de
ces défèrts , font remplis de torrens &: couverts de forêts im-
praticables , eft habité par un nombre infini de peuples difre-
rens , qui dès le tems de Strabon ne fubfiftoient que de bri-
gandages.
Il y a deux grands lacs dans l'Arménie, le lac de Van
dont j'ai parlé, qui eft prefqu'auiTi grand que la mer de Za>
bâche , &: qui s'étend jufqu'à la Médie mineure j on y re-
cueille du fel j & Je lac appelle par les anciens Thomitis ou
Arzen , qui conferve encore aujourd'hui ce nom. Les eaux
de celui-ci font remplies de nitre , 6c plus propres que tout
l'art des dégraifTeurs à ôter les taches qui fe rencontrent fur
les étoffes. Aufîi ne font-elles pas bonnes à boire. Le Tigre
parle au travers avec rapidité fans s'y mêler. Il femble que
Thomas Minadoi de Rovigo, le feul Auteur qui nous ait don-
né l'hiftoire de cette guerre , tout exacl: qu'il eft , fe foit trom-
pé au fujet de ce lac , èc qu'il l'ait confondu avec celui que
Strabon appelle le lac Spanta , quoique ce Géographe place
cependant ce dernier dans la Médie Atropatienne ou le Sir-
van, & le diftingue expreflement de ces deux lacs, dont je
viens de parler , en marquant leur fîtuation dans l'Arménie.
Pour moi, je ferois fort porté à croire , que le lac Spanta eft
le même que celui qui eft marqué dans la carte qu'on a mife
D iij
30 HISTOIRE
à ia tête de i'ouvrage de Minadoi , fous le nom de lac Giol,
Henri fïtué au Nord de Lori.
III. C'étoit au milieu de ces barrières élevées par la nature
i j y g . elle-même pour fermer l'entrée de ces vaftes Etats i que Dieu
fembloit par fa providence avoir mis à couvert quelque refte
de ChrifHanifme au milieu de l'impie Mahométifme, qui
s'étoit répandu de tous les côtés. Les peuples qui les habi-
tent,devenus inacceflibles par la fîtuation de leur païs, avoienc
aufîi été regardés pendant long-tems comme invincibles ,
tant que l'union avoit duré parmi eux. L'avarice 6c l'ambi-
tion furent la fource de leur perte. Les petits Rois & les Na-
tions de ces contrées qui faifoient profeflion du rit Grec ,
commencèrent à fe trouver trop relTerrés dans ces bornes,
qui leur paroiflbient étroites , 6c voulurent chercher au de-
hors ce qu'ils pouvoient rencontrer dans leur patrie. La
Perfe étalloit àfes yeux fes richefles 6c fa magnificence. C'é-
toit de ce côté-là qu'ils fe voyoient le plus expofés, Tauris
alors la capitale de ce grand Empire , étoit à leurs portes. Ce
fut par-là qu'ils commencèrent à fe laifler entamer. Ils firent
d'abord alliance avec les monarques Perfans, ils fe mirent à
leur fervice , 6c l'or de la Perfe répandit jnfenfiblement parmi
eux lepoifon du Mahométifme. Ce fut pour eux la pomme
de difcorde. Les troubles domeftiques qu'on vit naître de cette
malheureufe divifion attirèrent les Perfans dans leur païs j
6c cette Nation ne fe trouvant pas dans la fuite en état de
faire tête aux Turcs , abandonna ces belles provinces en
proye à ces fiers Ottomans.
Les Princes qui régnoient en Géorgie , Se dans cette par-
tie de l'Arménie qui étoit occupée par des Chrétiens, étoient
alors Dedefmit , cette vieille PrincefTe veuve qui avoit deux
fils Maucchiar 6c Alexandre ; David èc Simon , fils de Lavaf-
fap j Alexandre furnommé le Grand , fils de Leventogli • Jo»
feph fils de Gori ; Sahamal dont je viens de parler , oncle de
Peria-Concona6cdu prince Haider ; 6c BafTacchiuc.
Sahamal pofTédoit cette partie de la Géorgie appellée le
Carthuel , qui confine au Sirvan , en tirant vers l'Albanie ou
Zuine
ce qui
y avoit
Perfans,
DE J. A. DE THO U,Liv. LXVII. 31
Les Etats de Jofeph fils de Gori étoient dans l'ancienne
Iberie , qu'on nomme à prefent le Caket , ayant pour bornes Henri
à l'Orient la ville de Derbent , & à l'Occident le lac d'Eflec- III.
chia. Ce Prince réduit aux dernières extrémités par Ofman, 1578.
renonça enfin à la religion Chrétienne, & embrailà le Mako-
metifme.
Les Etats de la princefïè Dedefmit avoient plus d'étendue
que ceux de tous ces Princes. Ils étoicnt bornés à l'Occident
par la ville de Chars , & à l'Orient par ceux des princes Da-
vid & Simon. Cette PrincefTe après avoir envoyé Maucchiar
l'un de Tes fils en otage à Mufrapha , avoit remis le gouver-
nement entre les mains de l'aîné nommé Alexandre. Mais
il fut dans la fuite indignement détrôné par ion frére,queles
Turcs appuyèrent dans cette entreprife. Le lieu de la réfî-
dencede ces Princes étoit Altun-Chala, c'eil-à-dire , Châ-
teau d'or , place forte par fa fituation , environnée de toutes
parts de forêts impraticables , & fituée au pied du mont Pe~
riardo du côté de Chars & de Tiflis.
De-là en tirant à l'Eft du côté de l'Arménie , on trouvoic
le royaume de Lavaflap , qui étoit auffi fort étendu. Ce Prince
avoit nommé en mourant Simon , l'aîné de fes fils pour lui
fîiccéder j mais David fon cadet ne lui permit pas d'être long-
tems tranquille fur le trône. Il fe mit à la tête d'une troupe de
brigands, & donna tant d'affaires au nouveau Roi , qu'il fut
obligé d'implorer le fecours de fes voifins. Thamas régnoic
alors en Perfe. Ce fut à lui que Simon s'adrefla • &; ce Prince
n'eut garde de manquer une fi belle occafion d'unir à fa cou-
ronne un Etat fi confidérable, ou de pouvoir du moins en
difpofer à fon gré. Il fit au fiitôt entrer des troupes en Armé-
nie , &il mit à la tête un Seigneur de confiance , avec des or-
dres fecrets de s'afiTirer de David , de lui propofer de fe faire
Mahometan , de le faire palier à la Cour , au cas qu'il refufât
d'y fouferire , & s'il acceptoit le parti , de le mettre en poflef-
fion de tous les Etats du Roi lbn frère. Cependant il étok
chargé de faire auparavant les mêmes proportions à Simon ,
6c de lui promettre au nom de Thamas , ou Tecmafes , qu'il
le rendroit paifible poflefleur du royaume de fes ancêtres, à
condition qu'il le tiendroit à foi éc hommage des Rois de
Perfe, & qu'il embraflèroit le Mahometifme, s'engageant
j* HISTOIRE
!5= pour plus grande fureté à lui remettre entre les mains David
Henri lui-môme , qui oioit lui contefter fon droit. Le général Per-
I 1 1. fan exécuta les ordres du Roi avec la dernière exactitude. Il
£ fe rendit maître de David , qui fans balancer accorda auffitôt
tout ce qu'on voulut. Simon au contraire refufa conftamment
d'y entendre ; il préféra courageufement fon falut éternel au
trône, & à tous les avantages temporels qui font ordinairement
l'objet de la cupidité des hommes -y et il fut relégué dans la
fbrtereffe de Cahaca , où il fè confola avec le Prince Ifmaêl,
fils de Tecmafes , de la dure captivité ou on le retenoit , par
l'étude dçs fciences , &. fur-tout de la Philofophie , qu'il avoit
toujours fort cultivée. Pour David, après qu'il eut renoncé
à la foi, on le circoncit, fui vant l'ufage obferyé chez les Ma-
hometans • & il fut fait Chan de Tiflis. Les principales villes
de ce royaume fontTifhsJieu de laréfidence des Rois de cette
partie de la Géorgie , qui y ont aufli leurs tombeaux 5 Lori y
Çheres , &t Chiurgi-.cala , ou la ville de Cyrus , avec quelques
autres petites places. .
En s'éloignant de la grande route , &: tirant vers le Nord ,
au defTus du lac d'EfTecchia , on trouve la ville de Baflàcchiue,
qui donne fon nom au Prince de ce petit Etat. La fîtuation
avantageufe de fon pais , qui n'efr, rempli que de montagnes
& de déferts , le rendit fimple fpeclateur de cette guerre -y &; il
ne fut point expofé à en efluyer les malheurs. Mais il n'en au-
roit pas été quitte à fi bon marché , fi les Tartares euflent tenu
aux Turcs la promeffe , qu'ils leur avoient faite , parce qu'ils
n'auroient pas manqué de pafler par cette contrée pour entrer
en Medie et en Arménie.
On trouve encore en Arménie la principauté d'Alexandre,
fils de Leventogli, et frère du Prince IfTe. Elle eft fituée entre
Tiflis &: Erivan j àt par-là elle eft également expofée aux en-
prifes desTurcs et des Perfans, Ceux-ci avoient d'abord tenté
de l'enlever à ce Prince , en tenant envers lui la même con-
duite dont ils avoient ufé à l'égard de Simon. Dans cette vue
ilsfoulevérent contre lui IfTe fon frère, qui avoit embraffé
leur Religion. Mais leur artifice ne réùfht point. Alexandre
défendit courageufement fes droits ^ & voyant que les Turcs
devenoient fort puiflans de ce côté-là, comme il étoit très-
ikhe , il acheta la paix des miniftres de la Porte à force de
prefens j
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. J.f
prefens , & confervafon Etat enfe foumettant au Grand Sei-
gneur. Depuis ce tems-là ce Prince, qui avoic été fort attaché H e n m
à la Perfe , ne pritplus d'autre parti que celui de Te ranger du III.
côté du plus fort. Sa rélîdence eft à Zaghen fur le Canach , 1578.
qui , comme je l'ai dit , vafe jetter dansl'Araxe au deflus de la
ville d'Eres.
Tel eft donc aujourd'hui l'état de la Géorgie. Or comme
il falloit nécelîàirement palier par ce païs pour arriver à Tau-
ris, où l'armée Ottomane avoit deiïein de fè rendre, foit
qu'elle prît fa route par le Nord , foit qu'elle voulût entrer
du côté de l'Occident, il étoit également important aux
Turcs &: aux Perfans , de mettre les princes Géorgiens dans
leurs intérêts.
En fortant de la Géorgie on entre dans le Schirvan. Ce
païs qui fait aujourd'hui une des provinces de la Perfe, fut
conquis par Haider Sophy, & Ifmaél, qui l'enlevèrent au
Prince légitime. Sa capitale eft Scamachie , fîtuée fur la mer
Cafpienne , entre la ville de Derbent , au liège de laquelle le
roi Haider fut tué , ôc celle d'Eres , célèbre par fes manufac-
tures de foie. Strabon croit que c'eft l'ancienne Symbace,&:
il rapporte que les Arméniens s'en étant rendus maîtres, les
habitans les en chalTérenc avec l'aide des Romains , qu'ils ap~
pellérent à leur fecours.
Après le Schirvan ou la Medie mineure on trouve la Me-
die propre , ou majeure, dont la capitale eft Tauris , où les
rois de Perfe tenoient il n'y a pas long-tems le liège de leur
empire $ elle eft fituée au pied du mont Oronte , qui eft une
branche du mont Taurus. Au refte Minadoi , qui d'ailleurs
eft allez peu exa & dans la recherche de ces noms anciens,
qu'il confond fouvent , démontre fort bien que cette ville eft
la fameufe Ecbatane. Cependant Leunclavius croit ce fait af-
fez incertain , & il apporte , pour en douter , l'autorité de
Hayton , qui place cette ville dans la Perfarmenie , c'eft-à-
dire , dans l'Arménie majeure. Mais cet habile homme n'a
pas fait réflexion , que ce que nous appelions l'Arménie n'eft
pas aujourd'hui borné feulement à la province qui portoit
autrefois ce nom ^ qu'elle renferme encore la Mçdie , avec
qui,fuivant le témoignage même de Strabon, elle a tou-
jours eu beaucoup de reftemblance , foit pour le climat , foie
J'orne FUI. E
34 HISTOIRE
■ . pour le caractère des peuples qui l'habitent 3 Se que c'eftpour
H£N ri cette raifon que les Arméniens, qui étoient très-celébres du
III. tems de Hay ton , comme ils le font encore de nos jours, après
1578. avoir aboli le nom des Medes , ont placé cette fameufe ville
dans leur pais. Car du reffce il eft certain que tout ce que les
auteurs anciens difent d'Ecbatane 6c de fa fituation , convient
parfaitement à Tauris , comme Minadoi le prouve fort au
long dans la diflertation qu'il a compofée exprès fur ce fujet
adreflèe à Mario Corrado.
On peut encore prendre deux autres routes pour arriver à
Tauris. La première par Erivan , en tirant à l'Orient , & paf-
fant par Nallïvan 6c Chiulfal , elle eft de huit ou neuf jours de
marche 3 5c ce fut celle que choifit le bâcha Ferhat, qui for-
tifia Erivan. L'autre route n'eft aufli que de neuf jours de che-
min , en prenant par la ville de Van , 6c le lac d' Actamar , 6c
de-là par Coy , Marant, êcSoffian. Ce fut par celle-là qu'Of-
man Pacha conduifit l'armée Turque. Enfin en forçant de
Tauris , 6c tirant vers le Midi on trouve Salmas * 6c un peu à
l'Eft Perfépolis , ou Syras 3 Cafbin, où les rois de Perfefont
leur réfîdence , depuis que les Turcs leur ont enlevé Tauris -
enfuite Cafîan, 6c plus loin Hifpahan , où Tonne peut arriver
de Tauris qu'en quatorze jours 3 enfin la ville d'Heri dans la
province qui porte ce nom. Après cette digreffion je vais re-
prendre le fil de mon hiftoire.
Après la réception magnifique que Muftapha avoit faite au
prince Maucchiar,ce général fe difpofoit à marcher versTirîis,
îorfqu'ilfut arrêté par une tempête plus violente encore que
la première 3 Elle étoit mêlée de pluie , de vents furieux , 6c
d'éclairs , de elle dura fi long-tems , qu'elle l'obligea de refter
encore quatre jours dans fon camp. Pendant ce tems-là la
corruption fe mit dans cette tour , que le Bâcha avoit fait éle-
ver des têtes des Perfans 3 6c cet amas confus de cadavres , de
chameaux , 6c de mulets morts , dont la plaine étoit couverte,
répandit une infedion qui empefta tout l'air des environs.
Enfin le tems iè remit au beau 3 l'armée décampa 6c alla cou-
cher le même jour fur les bords du lacGiol. L'orage avoit telle-
ment rompu les chemins, que les chameaux deftinés à porter
le bagage , 6c les chevaux qui traînoient l'artillerie ne pou-
voient prefque avancer,Le lendemain on arriva àArchicheler5
par les Turcs.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 35
petite place qui avoit appartenu aux princes de Géorgie , ■ t
de dont les Turcs étoient alors les maîtres , depuis qu'elle Henri
avoit été prife par Soliman dans les dernières guerres contre III.
la Perfe. Là, comme on étoit en païs d'amis, on féjourna i C78.
pour donner aux foldats un peu de repos. Pendant ce tems-
îà Muftapha fit la revue de Ton armée , de il fe trouva que de-
puis fon départ d'Erzerum il avoit perdu quarante mille
hommes qui avoient été tués dans le combat , ou que les ma-
ladies de la défertion lui avoient enlevés.
De-là les Turcs fe rendirent en deux jours de marche à Prife deTUUi
Triala. On voyoit encore dans ce lieu pluiîeurs Chapelles de
Eglifes appartenantes aux chrétiens Latins , qui s'y étoient
confèrvés jufqu'alors depuis le tems de ces fameufes Croifades
qui rendirent nos pères plus célèbres en Afie , 6c fur-tout dans
la Syrie de la Paleftine,qu'elles ne furent avantageufes à la Re-
ligion. Enfortant de Triala , l'armée eut à palfer une haute
montagne fort rude , de alla camper fous une fortereiTe qui
appartenoit aux princes de Géorgie. Enfin le lendemain elle
arriva à la vue de Tiflis , que David-Chan , à qui elle appar-
tenoit, de les habitans avoient abandonnée pour fe retirer dans
les montagnes.
Dans toute cette marche les Turcs furent fort harcelles par
les princes Géorgiens qui étoient attachés à la Perfe , comme
David-Chan , Jofeph, de à ce qu'on croit,Alexandre lui-mê-
me , fils de Dedefmit , de frère de Maucchiar , qui étoit à la
fuite de Muftapha. Comme ils connoilïbientie terrain , de que
les ennemis l'ig-noroient , il leur étoit aifé de leur tendre des
embufeades à chaque pas. Aufîî n'y manquoient-ils point , de
des qu'ils appercevoient quelques pelotons fe détacher du
gros pour aller au fourage,ils tomboient fur eux,aufîi bien que
iùr tous les traîneurs , que quelque incommodité empêchoit
de fuivre l'armée , de les enlevoient ou les tailloient en pièces.
Tiflis parut à Muftapha une place qui méritoit d'être for-
tifiée. Dans cette vue il fit relever les murs de cette ville , y
bâtit une fortereiTe , de mit dedans cent pièces de canon. Il en
donna enfuite le gouvernement à Mahamet Pacha, un des
commandans des avanturiers , qu'il laifîà dans la place avec
une garnifon de fix mille hommes, compofée en partie de
troupes qui étoient à la folde du Grand Seigneur , de en partie
EiJ
36 HISTOIRE
tssssszszs des volontaires que cec officier commandoit. Telles furent les
Henri expéditions du mois de Septembre.
III. De-là le général Turc marcha vers la Medie. Cependant
j ^73# l'armée diminuoit infenfiblement. Les troupes rebutées des
travaux continuels de cette guerre fe retiroient fans prendre
congé. Les Syriens fur-tout , qui étoient venus d'Alep pour
apporter des vivres au camp defertoient par bandes. Un corps
de quinze cens hommes de cette nation , commandé par
Naflardin Chielebe, fut attaqué dans fa retraite par les Géor-
v giens , qui le taillèrent en pièces après un combat obftiné. Il
n'en échapa que très peu , que la bonté de leurs chevaux
fauva. De ce nombre fut le Commandant , qui de-là fe rendit
à Alep.
Cependant Muftapha , après avoir pafTé le fleuve qui coule
le long des murs de Tirlis 6c les montagnes , dont cette ville
eft. commandée , alla camper au pied dans une plaine maréca-
geufe. Ce fut là que les députés d'Alexandre , fils de Leven-
togli vinrent l'informer de l'arrivée prochaine de leur maître.
En effet ilfe rendit auffitôt après au camp des Turcs , où il
fut reçu avec les mêmes apparences de joie , 6c les mêmes
honneurs que Maucchiarl'avoit été. Il fit enfuite {qs prefens
au Général , qui lui donna auffi le Calaat j & après que ce
Prince l'eut ailùré de fa foumûTion aux ordres du Grand SeL
gneur , on le congédia , 6c on le chargea de préparer dçs pro-
vifions pour le retour de l'armée.
De-là Muftapha , après une marche de douze jours , qu'il
fit prefque toujours dans un rerrein humide , arriva fur les
bords du Canach, dont j'ai déjà parlé, 6c campa en deçà,
réfolu de donner quelque relâche à fes troupes. Dans cet en-
droit il reçut une députation de la ville de Sechi îltuée fur la
frontière du Schirvan , 6c de la Medie. Elle étoit compofée
des principaux habicans de cette place, qui venoientlui en
apporter les clefs , & fe remettre à fa diferetion. Le Bâcha les
loiia de la fageréïolution qu'ils a voient prife , leur fit donner
à chacun une velte de ioie , 6c les congédia , après les avoir
afTùrés de fa protection.
L'armée avoit véritablement grand befoin de quelque re-
pos. Outre la fatigue d'une fi longue marche, il y avoit peu
de provisions au camp. Les foldats mouroient de faim , 6c
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 37
ëtoient prefque réduits au defefpoir. Il falloic donc trouver as
moyen de réparer leurs forces , 6c de ranimer leur courage. Henri
Dans ces circonftances on prit quelques efpions Perfans , que III.
les ennemis a voient peut-être lâchés à defîein de faire donner 157 g,
les Turcs dans le piège. Ils les informèrent qu'il y avoit des
vivres en abondance au-delà du fleuve 5 & fur cet avis le Gé-
néral ne fut pas le maître de retenir Ces troupes ; elles com-
mençoient déjà à murmurer , 6c il y avoit à craindre qu'elles
nefe mutinaflent. Ain fî pour prévenir la fédition , Mufta-
pha donna une permilîion générale d'aller au fourrage, après
avoir averti fes foldats de prendre garde à eux , 6c de ne pas
donner imprudemment dans quelque embufeade.
A peine cette permifîion fut-elle donnée , que dix mille Rencontre
hommes , compofés la plupart des valets de l'armée, fortirent des perfans.
iuivis d'un grand nombre de chevaux & de chameaux deftinés
à porter le fourrage. Ils s'avancèrent jufqu'au confluent du
Canach 6c de l'Araxe , qui n'étoit pas éloigné j 2c après avoir
fait leurs provisions , ils fe di/pofoient à retourner au camp ,
lorfqu'ils fe virent chargés par Alyculi - Chan , Emanguli-
Chan , Serap-Chan , 6c quelques autres Seigneurs qui s'é-
toient trouvés au dernier combat qui s'étoit donné le mois
d'Août précédent dans la plaine de Chielder. Ils étoient de-là
retournes à la Cour , d'où ils avoient eu ordre de fe rendre
auprès du général de l'armée Perfanne. Ces troupes enve-
lopérent les Turcs , &: les taillèrent tous en pièces.
Le bruit de cette défaite mit l'allarme au camp , où on ne
douta pas un moment du malheur qui étoit arrivé. AuiTitôt
Muftapha rangea fes troupes en bataille , 6c marcha en dili-
gence au fecours de [es gens. S'il arriva trop tard pour les fau-
ver,il fut du moins encore allez à tems pour venger leur mort.
Les Perfans ne penfoient qu'à ramalîer le butin que les en-
nemis avoient fait , lorfque le Bâcha tomba fur eux avecim-
pétuofité. Dervis conduifoit l'aîle gauche le long de l'Araxe -,
Beyran cbmmandoit à l'aîle droite , & s'étoit faifî des bords
du Canach. Pour Muitapha, il étoit au centre. A cet afpect les
Perfans perdirent contenance , & ne tardèrent pas à fe repen-
tir de s'être arrêtés fi long-tems au butin. Ils voyoient de-
vant leurs yeux ces mêmes ennemis , qui les avoient vaincus
peu de tems auparavant venir à eux avec fureur , impatiens
Eiij
3 8 HISTOIRE
j" de tirer vengeance du fang de leurs camarades , qui fumoît
Henri encore. Ils etoient beaucoup inférieurs en nombre ; envi-
III. ronnés d'un côté par l'Araxe , & de l'autre par le Canach,
1578. ils ne voyoient aucun moyen de reculer , ni aucune efpérance
de pouvoir penfer à la retraite. Dans cette trifte foliation , les
chefs eux-mêmes ne fçavoient quel parti prendre. Les uns ne
comptant que fur leur bravoure, &: ne penfant plus qu'à mou,
rir généreufement les armes à la main , fe difpoioient à fe
battre jufqu'à la dernière extrémité. D'autres au contraire ,
moinsfènfiblesà l'honneur qu'au bien du royaume , préten-
doient qu'on ne devoit pas rifquer auffi imprudemment le fa-
lutde l'Etat, dont ce combat alloit décider. Dans cette di-
verfîté d'avis ils furent chargés par les Turcs , 6c cette bruf-
que attaque ne leur donnant pas le tems de fe déterminera
aucune réfolution dont tout le monde pût profiter , chacun
penfa à fe fauver du mieux qu'il put. Tocmafes lui-même fe
jetta le premier dans le Canach, fuivi d'Emir-Chan, 6c de tous
les Seigneurs 6c principaux Officiers de l'armée 3 £c comme ils
montoient des chevaux vigoureux , ils abordèrent à la nage
de l'autre côté du fleuve. Une infinité d'autres fuivirent leur
exemple , 6c n'eurent pas le même bonheur. Comme ils n'é-
toient pas fi bien montés , les forces manquèrent à leurs che-
vaux, 6c ils périrent dans le fleuve. Ce funeffce fuccès décou-
ragea ceux qui étoient prêts , comme eux , de tenter le même
fort ^ 6c ils jugèrent qu'il valoit encore mieux pour eux fe
faire tuer les armes à la main , que de fe noyer. Dans cette ré-
folution ils tinrent ferme , 6c le defefpoir leur donnant de
nouvelles forces, ils combattirent encore afîez long -tems
avec beaucoup de vigueur. Enfin accablés par le nombre , ils
furent tous , ou paffes au fil de l'épée , ou faits prifonniers par
les Turcs , après avoir vu ce petit coin de terre teint d'abord
du. fang de leurs ennemis , 6c couvert enfuite du leur 6c de
celui de leurs camarades. Il eft certain qu'il y eut ce jour-là
plus de vingt-cinq mille hommes de tués. Le nombre de ceux
qui périrent dans le Canach fut encore fort grand. Les Turcs,
outre les dix mille hommes qu'ils avoient envoyés au fourrage,
perdirent de leur côté trois mille foldats dans cette dernière
action.
Jocmafes écrivit aufïïtôt après àHodabendes la nouvelle
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 39
de ce mauvais fuccès , de façon cependant à diminuer l'idée »
de la perte qu'il avoit faite , en exaggérant celle de l'ennemi, Henri
Il mandoit au Roi , qu'à la vérité il avoit été vaincu par le III.
nombre -, mais que l'armée Turque étoit fi fort affoiblie , qu'il 1 c 7 8
l'avoit mife hors d'état de rien entreprendre davantage }
qu'elle étoit accablée de fatigues, de langueurs, &. de miféres 5
qu'il n'y avoit pas dedans , un feul homme qui ne fût chargé
de bleflùres , & que fi on lui envoyoit à tems de nouveaux le-
cours , il comptoit encore la défaire, avant qu'elle pût fonger
àfe rapprocher de Ion païs. Enfuite il fè retira dans fon gou-
vernement d'Erivan. Quelques autres Seigneurs fuivirent fon
exemple , de en attendant de nouveaux ordres de la Cour ,
Emanguli-Chan retourna à Genge, & Serap-Chan à Naffivan.
D'un autre coté , Muftapha réfolu de ne perdre aucun des
avantages que ce dernier fuccès pouvoit lui faire efpérer,mar-
cha fur le champ vers le Canach -, & il fit publier ordre à tou-
tes (es troupes de fe tenir prêtes a palier ce fleuve le lende-
main. Cette nouvelle réfolution du général Turc excita un
murmure univerfel j toute l'armée s'afîembJa autour de fa
tente , prête d'en venir contre lui aux plus facheufes extré-
mités. Ce contre-tems ne déconcerta point le Bâcha j il fe
prefenta à fes troupes , les encouragea , leur reprocha leur lâ-
cheté j leur remontra : Qu'il n'y avoit point d'homme de cœur
qui ne dût préférer la gloire à fa propre confêrvation , & que
ce n'étoit point en paflànt fa vie dans la mollefle & les délices
qu'on y arrivoit , mais en s'expofant aux plus grands travaux,
éc en bravant tous les dangers : Qu'au refbe il n'étoit que le
miniitredes ordres de leur maître,aufquels elles étoient obli-
gées de fe foumettre -y qu'ainfiil étoit réfolu , quoiqu'il en pût
arriver, de tenter le pafîàge du fleuve le lendemain , & que
s'il avoit le malheur de périr dans cette entreprife , il les
prioit de retirer fon corps du milieu des flots, & de le faire
paffer fur le rivage oppoîé, afin qu'on pût dire qu'il étoit venu
à bout, du moins après fa mort , de ce qu'il ne lui avoit pas
été poffible d'exécuter pendant fa vie j & pour apprendre par-
là à tous ceux , qui , comme lui , fe trouveroient à la tête des
armées Ottomanes, à ne pointménager leurs jours lorfqu'il
s'agit de procurer la gloire de l'Empire , Se d'obéïr aux ordres
du Souverain,
4o HISTOIRE
Muftapha congédia Tes foldats avec cette réponfe j Se dès
Henri le lendemain il le jetta le premier dans le fleuve à la tête de
III. tous les Bâchas , 6c des principaux Officiers , fuivis des valets
1578, 6c des efclaves. Cette première troupe pafla fans accident.
Tout le refte de l'armée imita aufïïtôt l'exemple de fon Géné-
ral. Mais le pafïage fe fit avec fi peu d'ordre , comme il ne
pouvoir guéres manquer d'arriver dans une fi grande multi-
tude, qu'il y périt près de huit mille hommes. Leunclavius
fait monter jufqu'à dix-fept mille le nombre de ceux qui fu-
rent emportés par les flots, fans compter les chevaux, les
chameaux 6c les mulets. Ainfi comme lesTurcs ne pouvoient fe
prévaloir , d'avoir eu fur terre quelques jours auparavant au-
cun avantage fur leurs ennemis , leur perte égala encore ce
jour là fur les flots celle que les Perfansy avoient faite alors.
La nuit qui furvint obligea de laifTer le bagage , l'argent 6c
l'artillerie de l'autre côté du fleuve. Tout cela pafîa le len-
demain avec le refte des troupes j 6c il n'arriva alors aucun
malheur , parce que les Turcs s'étoient allures du pafTage aux
dépens de leurs camarades.
Les Turcs après avoir ainfî traverfé le Canach , féjour-
lièrent au-delà , afin de prendre un peu de repos. Enfuite l'ar-
mée fe remit en marche , 6c entra d'abord dans un païs fté-
rile 6c dénué de tout. Cestriftes objets rejettérent les troupes
dans le defefpoir. Elles fe plaignoient hautement de ce qu'on
ne fe contentoit pas de les expofer au fer de leurs ennemis 5
qu'elles fe voyoient encore obligées de courir tous les jours de
nouveaux dangers , 6c qu'elles avoient un Général impitoya-
ble , qui fembloit prendre à tâche de les faire mourir de mi-
fére6c de faim. Mais dès le lendemain toutes ces plaintes s'é-
vanouyrent , lorfque de cet affreux défert elles païlerent dans
des campagnes fertiles , couvertes de toutes fortes d'arbres &c
de fruits. Cette vue réjouît le foldat, 6c ranima toutes Tes
efpérances.
De-là Muftapha vint à Eres , qui eft la première ville du
Schirvan , que l'on trouve en fortant de la Géorgie. La plus
grande partie des habitans l'avoit abandonnée pour fuivre
Samir-Chan , qui en étoit gouverneur. Ce Seigneur, aufîitôt
qu'il avoit été informé de l'approche des Turcs , avoit fait
raire le dégât dans tous les environs , &s'étoit retiré dans les
montagnes
DE J. A. DE THOU, LiV. LXVIÏ. 41
montagnes voifines avec Ares-Chan gouverneur de Scama- - ■
chie , & tous les autres grands Officiers de cette province , H e n &i
réfolus d'attendre des événemens quelque occafïon qui les III*
mît en état de prendre leur parti. Ainfi les Turcs n'eurent pas 157^,
befoin de mettre la force en ufage pour fe rendre maîtres de
cette ville 5 & le foldat ne s'y enrichit pas beaucoup, parce
que long-tems auparavant les habitans avoient eu la précau-
tion de mettre à couvert ce qu'ils avoient de plus précieux.
L'armée féjourna dans cette place pendant vingt-deux jours,
que Muftapha employa à la faire fortifier , &; à y élever une
forterefTe, dont il confia le commandement au bâcha Caïtas ,
un des commandans des Avanturiers , avec une garnifon de
deux cens Arquebufiers , & de cinq mille hommes. Enfuite il
nomma gouverneur général du Schirvan le bâcha Ofman ,
qui commandoit aufli les Avanturiers , & il le déclara Vifîr de
la Porte j dignité que ceux qui font à la tête des armées Otto-
manes ont droit de conférer pendant tout le tems que dure
leur expédition. Il le chargea en même tems de fe rendre maî-
tre de Scamachie capitale de la province , qui n'effc pas fort
éloignée d'Eres. Le Général lui donna dix mille hommes de
troupes pour exécuter ce projet , avec ordre de marcher en-
fuite contre Derbent.
Cette ville fltuée fur la mer Cafpienne portoit autrefois ,
félon quelques-uns , le nom d'Alexandrie. Aujourd'hui elle
s'appelle encore Temircapi, c'cft-à-dire, les portes de fer,
parce qu'elle efb bâtie au milieu de ces défilés , que les Prin-
ces voifins fermoient autrefois avec des portes , & où ils met-
toient garnifon pour arrêter les courfes des Scythes qui fe
répandoient par-là dans tout l'Orient. Ofman eut ordre d'y
attendre l'arrivée des Tartares qu'Amurath avoit mandés , éc
qui probablement dévoient alors être en marche pourjoiiv
dre l'armée Turque. A l'approche d'Ofman le peu d'habi-
tans qui étoit refté dans Scamachie lui en ouvrit les portes.
Le Bâcha d'un autre côté les traita avec beaucoup de dou-
ceur , &c empêcha qu'on ne leur fît aucune violence , perfuadé
que cette conduite engageroit peut-être quelques autres vil-
les à les imiter. Ses efpérances ne furent point trompées. Peu
de tems après , ceux de Derbent , qui , quoique fournis aux
Perfans , étoient cependant d'une Religion différente ,
Tome VIII. F
«iue,
4« HISTOIRE
réfolurent de fuivre l'exemple de leurs voiflns • Se gagnés par
Henri la clémence donc Ofman avoir ufé à leur égard, ils lui en»
III. voyérent des députés pour lui marquer qu'ils fe foumettoient
jf r7g. à fes ordres. Sur ces nouvelles Muftapha, après avoir mis en
état la nouvelle forterefîé qu'il faifoit élever à Eres , 6c qui
étoit déjà avancée , 6c avoir laiilè dans cette place une bonne
garnifon , fe rendit enfin aux prières des Jannifîaires 6c des
troupes de la Grèce. L'hyver approchoit -y ainfi il rélolut de
retourner à Erzerum , 6c de prendre fa route par le païs du
prince Alexandre, fils de Leventogli , comme ils en etoienc
convenus.
Retour de Le oremier jour de fa marche il alla camper au pied d'une
montagne fort rude. De-là il envoya devant des charpen-
tiers 6c des pionniers pour faire un pont fur le Canac , afin
que fon armée put paifer ce fleuve commodément 6c fans
danger. Enfuite il fit fçavoir fon arrivée à Sahamal. Sur cet
avis ce Prince defeendit auffitot de fes montagnes , 6c vint fe
rendre auprès du général Turc. Il le complimenta d'abord
fur fes fuccès, après quoi il lui marqua qu'il remettoit fes Etats
fous la protection du Grand Seigneur. Le Bâcha lui fit enfuite
donner le Calaat , èc le congédia..
Comme la nuit étoit fort fereine , Muftapha continua fa
marche , 6c s'apperçut le matin qu'il étoit entré dans le païs
du prince Alexandre , fils de Leventogli , par l'abondance des
rafraîchifîemens qui vinrent à fon armée. De fon côté il dé-
fendit à fes troupes de faire aucun dégât dans la campagne.
Sur fa route il reçut des députés du Prince, qui lui apportè-
rent des prefens de la part de leur maître , 6c le prièrent de
l'excufer s'il ne fe rendoit pas en perfonne auprès de lui , parce
qu'il étoit incommodé , Paffiirant d'ailleurs de fon parfait
dévouement. Le général Turc parut fe contenter de cette
exeufe , 6c laifïant fur fa gauche Zaghen , lieu de la réfidence
de ce Prince, il fe rendit à Tiflis. Là il trouva la garnifon
dans un état pitoyable. Les foldats mouroient de faim , 6c
étoient réduits à la dernière extrémité, obligés démanger
les chats , les chiens, 6c jufqu a des peaux de brebis , pour fe
foûtenir. Ils n'aceufoient de leur mifère que leur Gouverneur,
qui par une févérité outrée ne vouloit pas leur permettre de
fortir de la place pour aller au fourrage ? fous prétexte qu'il y
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 43
âvoit à craindre qu'ils ne donnaflent dans quelque embufca- ^^55^5
de. Dans le fond il n'étoit II rigide,que parce qu'il appréhen- Henri
doit qu'ils ne confumaflent les Fruits des environs , qu'il avoit III-
cependant grand foin de recueillir 6c de ferrer dans fes ma- 1 cy 8«
gafîns. Muftapha les confola , il leur fit donner des rafraî-
chiflèmens , 6c leur promit qu'ils feroient mieux traités dans
la fuite.
Après avoir paffé deux jours à Tirlis , les Turcs en parti-
rent , & traverférent la plaine quieftau-deffous de cette ville,
où ils mirent tout à feu 6c à fang. Ils épargnèrent feulement
les tombeaux des ancêtres de Simon , proche defquels ils
allèrent camper. Le lendemain l'armée marcha par des che-
mins inaccefîi blés , remplis de montagnes 6c dévalions im-
praticables. Outre les autres incommodités du voyage, les
troupes avoient beaucoup à fouffrir delà neige qui tomboit
en abondance , 6c que le vent leur jettoit au nez -y en forte
que pendant trois jours on perdit beaucoup de chameaux ,
de chevaux , 6c de mulets , fans parler des hommes. Car la
faifon étoit fî rude, que plufîeurs , fans fe mettre en peine du
danger qu'ils couroient de donner dans quelque parti enne-
mi , alloient chercher une retraite loin du camp. Les Géor-
giens prirent cette occafion pour les attaquer au moment
qu'ils y penfoient le moins. Comme ils connoifïbient parfai-
tement tout le païs , ils allèrent déloger Hailàn Bâcha dont
ils tuèrent les domeftiques , 6c ils enlevèrent tout fon baga-
ge, qui étoit d'un prix très-confîdérable j à peine lui-même
le feroit-il fauve , s'il n'eût été promptement îècouru par Ha-
la commandant des Spahis , qui le retira de leurs mains , Ôc
le conduifit à la tente de Beyran Bâcha , où il fut en fureté.
De-là les Turcs allèrent camper à Chiurcala , 6c on en-
voya au fourrage prefque tous les valets de l'armée. Enfuite
Muftapha reçut des députés d'un certain prince de Géorgie
parent de Simon , qui lui demandèrent de la part de leur maî-
tre la permifïïon de le venir faluer. Il la leur accorda : mais
perfonne ne parut , àc la fuite fit connoître que ces députés
étoient de véritables efpions , qui ne s'étoient rendus au camp
que pour fçavoir ce qui s'y pafToit.Ils allèrent informer les en-
nemis de la marche de ceux qu'on avoit envoyés au fourrage,
Se ils furent tous taillés en pièces. Ainfi depuis ce jour la
F ï)
44 HISTOIRE
difette fut grande dans les troupes , parce que les ennemis
Henri étoient les maîtres de tout le païs qu'elles traverférent , juf.
III. qu'à ce qu'elles arrivaient fur les frontières des Etats de la
i Î78. princellè Dedefmit. Là il fallut encore camper > ôcpaflèr la
nuit dans des défilés coupés par l'Araxe , qui dans cet endroit
fait mille replis fur lui-même , &: roule les eaux avec fracas
fur ces rochers. Le lendemain on fut obligé de traverfer des
précipices affreux , &c de marcher le long des bords de ce
fleuve , qui étoient tout glacés , en forte que plufleurs cha-
meaux , chevaux , & mulets s'y précipitèrent.
Enfin on arriva à Altuncala , lieu de la réfîdence des Prin-
ces de ce petit Etat -, &: les troupes , après avoir effuyé pen-
dant fîx jours toutes les fatigues d'une route pénible jointes
aux incommodités de la difette , trouvèrent de quoi fe dé-
dommager dans cette place , où Dedefmit leur avoit prépa-
ré des vivres en abondance. Cette Princefîè y vint faluer Mu.
ftapha , à qui elle préfenta Alexandre fon fils aîné. Ce Gé-
néral rit beaucoup d'honnêtetés à cette Princellè , &il vou-
lut qu'elle fut affilé à côté de lui dans toute cette entrevue ,
pendant laquelle il fit venir Maucchiar qui rendit compte à
ià mère des bontés que le Bâcha avoit eues pour lui dans
tout ce voyage. De là Muftapha , après avoir fait beaucoup
de carefîès à Alexandre , prit occafion de prier la Princefîè
de le lui laifîèr , en lui faifant entendre que fon deflèin étoit
de l'envoyer à Conffantinople avec fon frère , & des lettres
par lefquelles il informeroit le Grand-Seigneur de l'attache-
ment que la mère 6c les fils avoient pour les intérêts de l'Em-
pire , & en l'aiTurant que le Sultan feroit certainement beau-
coup d'accueil aux deux jeunes Princes. Quelque peine que
cette proposition fît à Dedefmit , cette Princeffe fage & cou-
rageufe fçut cependant fe contenir. Elle fit réflexion que ,
quoique née libre, la démarche qu'elle faifoit en faveur de ce
Barbare , étoit le premier a&e qui marquoit fon efclavage &
la perte de fa liberté ; que d'ailleurs un de Ces fils étoit déjà
entre les mains des Turcs. Ainfî elle fe compofa & répondit
avec une feinte joïe que le Grand-Seigneur étoit le maître
de difpofer de tout ce qu'elle avoit. Elle finit par prier le Bâ-
cha de prendre fes deux fils fous fa prote&ion. C'étoit le feul
fervice qu'elle fût encore en état de leur rendre.
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXVII. 45
Après avoir ainfi congédié cette PrincefTe , &c donné dans -
ce lieu deux jours de repos à (es troupes , Muftapha leur fit Henri
prendre la route de Chars. Comme il n'y avoit plus d'enne- III.
mis à craindre , elles ne gardoient plus tant d'ordre , &c mê^ x -_ g
me pour la commodité des logemens , elles marchoient par
pelotons. Le premier jour elle campèrent à Clifca , petite
place qui dépendoit encore de Dedeïmit.Cependant les Turcs
n'ayant plus la faim ni d'ennemis à combattre, eurent beau-
coup à iouffrir de la rigueur du froid , qui en fît périr plu»
fîeurs dans cette marche. Enfin ils fortirent des terres de
Géorgie , de fe rendirent en deux jours à Bucardachan , où.
ils célébrèrent avec leurs cérémonies ordinaires la (ète du
Ramadan , qu'ils avoient été obligés de différer. De là en
quatre jours de marche ils arrivèrent avec beaucoup de joie
à Erzerum , où les troupes furent licentiées.
De cette ville Muftapha écrivit à Amurath pour lui rendre
compte de fes fuccès , dont il tâchoit de lui donner une fort
grande idée 3 il lui marquoit : Qu'il s'étoit rendu maître de
Tiflis qu'il avoit la vanité de comparer à Damas : Qu'il avoit
remporté deux grandes vidoires fur les Perfans , fournis tou-
te la Géorgie à l'empire Ottoman , arrêté avec le plus grand
bonheur du monde la mutinerie desJannifTaires ôtdes troupes
de la Grèce , fortifié Eres dont il avoit confié la garde à Caï-
tas Bâcha , 6c réduit à l'obéiflance de Sa Hautefle les villes
de Derbent &: de Scamachie , dont il avoit donné le gouver-
nement à Ofman. Il ajoûtoit , qu'il jugeoit à propos de for-
tifier Chars , parce qu'on trouvoit dans cette place des pro-
vifïons en abondance , & que fa fltuation étoit fort avanta-
geufe pour faire entrer des troupes en Perfe , par l'Arménie
& la Géorgie. En même tems il envoya à la Porte Alexandre
& Maucchiar , qu'il recommanda au Sultan , enfaifant l'élo-
ge de leur attachement & de celui de Dedefmit leur mère ,
aux intérêts de l'Empire. Cependant il avertiflbit aufîî le
Grand- Seigneur d'avoir plus d'attention pour Maucchiar , &
de le mettre fur le trône préférablement à fon frère r parce
qu'il paroilFoit mieux difpofé , qu'il s'étoit offert de lui-même
dès fon entrée dans le pais , à fervir fous lui , & qu'on avoit
de jufles raifons de croire qu'Alexandre étoit de concert avec
ceux qui avoient taillé en pièces les dernières troupes qu'on
ne.
4.6 HISTOIRE
avoir envoyées au fourrage. La nouvelle de ces fuccès fît beau-
Henri coup de plaifîr à Amurath , & lui donna de grandes efpéran-
III. ces pour l'avenir. Ain fi il eut foin qu'on travaillât en diligcn-
o ce à faire tous les préparatifs nécefîaires pour la continuation
de cette guerre , remettant à donner quelques avis au Gé-
néral , lorfqu'il les jugeroit convenables.
Cependant depuis le départ de Muftapha , Ofman atten-
doit l'arrivée des Tartares qui dévoient venir le joindre. Je
crois qu'on ne me fçaura pas mauvais gré , avant que de con-
tinuer ma narration , de donner à cette occafîon une idée de
l'origine de ces peuples , de leurs mœurs , & de leurs ufàges ,
tant dans la paix que dans la guerre.
Defcription Les Tartares habitent ces vaftes déferts qui s'étendent
Je la Tatca- dans la Scythie , au Nord de l'Afîe & de l'Europe. Ces peu-
ples n'avoient autrefois qu'un feul Chan ou Seigneur • mais
aujourd'hui cet Empire eft fort partagé , & ils reconnoiflent
plufieurs maîtres. Les plus voifins de la Pologne, qui fe voit
fans cefTe expofée à leurs courfes continuelles , font les Tar-
tares d'Europe , dits communément les Tartares de Precops,
ou petits Tartares. Ceux-ci habitent le Nieller & les mon-
tagnes de la BefTarabie, ou de la bafle Valachie , fur les bords
du lac Vidovo & de la mer Noire , où ils font maîtres de
Bialogrod • èc s'étendant enfuite dans ces vaftes plaines qui
font au delà du Niefter , entre ce fleuve ÔC le Bog , ils poûe-
dent la célèbre ville de la forterefïe d'Oczakow , à qui Pline
ScPtolomée donnoient anciennement le nom d'Olbiopolis ,
&; qui eft fituée à l'embouchure du Nieper , un des fleuves
du monde le plus large & le plus rapide , qui va fe jetter dans
le golphe de Negropoli. A quatre milles au defïus d'Ocza-
kow , le Nieper reçoit le Bog , que Martin Bronovius croit
être l'ancien Hypanis ; auquel cas il faudroit corriger les car-
tes de Ptolomée qui place ce fleuve vers l'Orient au delà du
Nieper , puifque le Bog fe jette dans ce fleuve du côté de
l'Occident. Dans ces folitudes affreufes on trouve les plaines
de Sauran &. des CircafTes , & au delà du Nieper , les Tarta-
res d'Ofïbw , ainfi appelles de la ville &; citadelle qui portent
ce nom , &: qui font fltuées à l'endroit où le Tanaïs , qu'on
appelle aujourd'hui le Don , vafe jetter dans les Palus Méo-
tides , maintenant nommés la mer de Zabacche. De là
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 47
jufqu'à la prefqu'Ifle de Fridonifi , que forment le Nieper & le
golphe de Negropoli > 6c que les anciens nommoient le Cours Henri
ci7 Achille , on compte trente milles de pais , où l'on ne voit III.
que des chaumières 6c des cabanes habitées par les Tartares. i 5 7 g 4
Ces provinces confinent à la prefqu'Ifle de Crimée. Ce
païs , qui eft un peu moins grand que la Morée , & que les
anciens appelloient la Cherïonefe Taurique , fut longtems
habité par des peuples qui s'étoient rendus l'horreur du genre
humain , par la coutume barbare qu'ils avoient de maflàcrer
6c de facrifier à leurs Dieux , les étrangers qui abordoient
dans cette contrée. On trouve en y entrant Precopski , d'où
les Tartares Précopites ont tiré leur nom , 6c qui lèlon quel-
ques-uns porta autrefois , d'abord celui d'Heracleotide , 6c
enfuite ceux d'Eupatorie 6c de Pompeïopolis. Cette ville a
un Gouverneur perpétuel , qui parmi ces peuples porte le
titre de Beg , 6c qui eft nommé par le Chan des Tartares ,
pour garder les pafTages du Nieper &: du Don. Elle eft aufîî
défendue par une bonne garnifon , 6c fortifiée d'un foffé fou-
tenu de dix-fept tours , bâties autrefois fous le régne de Sa-
chinbgier-Chan , roi de cette prefqu'Ifle , qui remporta une
vidoire mémorable proche de Precopski , fur les Tartares
Nohaycenfes ou de Nogaïs , habitans des bords du Don du
côté de l'Afie , qui ne vouloient pas le reconnoître.
C'eft Là qu'eft le rendez-vous des troupes , lorfque le Chan
ou Kan des Tartares fe difpofe à marcher à quelque expé-
dition. Au refte il faut remarquer que ces Princes ne peuvent
entreprendre aucune guerre que de l'aveu 6c avec la permit-
£011 du Grand-Seigneur , fi ce n'eft contre les Mofcovites.
C'eft une loi qui leur fut impofée par le Sultan Selim , lorfl
qu'il fit la conquête de ce païs , 6c fournit fes Souverains à
l'obéïfTance de l'empire Ottoman. On trouve encore dans
cette prefqu'Ifle , outre Precopski , Beccafaraï qui en eft com-
me la Capitale , 6c le lieu de la demeure du Prince : Salade
ne fait prefque qu'une même ville avec elle , 6c à quelque du
fiance de là on voit un village nommé SortafTe , qui eft de-
venu célèbre depuis que les ambafladeurs de Pologne , de
Moldavie 6c de Mofcovie , y font leur réfidence. La plupart
des habitans de cet endroit font Chrétiens , ôc Génois d'ori-
gine , ôc ils y ont une Eglife où ils font encore l' Office divin.
48 HISTOIRE
il i La forterefTe de Crym n'eft. pas non plus fort éloignée de
Henri cette Capitale. C'eft le feul endroit dupais où on batte mon-
III. noyé , encore n'y fait-on que des pièces d'argent j car par le
- ç_g traité que Selim paifa avec cette nation après l'avoir iubju-
guée , tout l'or qui fe trouve dans cette contrée appartient
au Grand-Seigneur. C'eft dans cette forterefTe que le Sar ,
ou Prince du pais , fait enfermer {es femmes loriqu'il part
pour quelque expédition.
Outre ces villes qui font bâties dans les terres , la Crimée
a encore plufieurs places lur la côte. Une des principales eft.
Caria , à qui les anciens donnèrent le nom de Théodofie , 6c
qui eft une colonie des Génois. Sa rade & fon commerce l'ont
rendue célèbre , & les Turcs en partagent le gouvernement
avec lesTartares. On voyoit encore de nos jours dans une
des Eglifes de cette ville une bibliothèque nombreufe, corn-
pofée de plufieurs anciens livres très-curieux -, mais l'avarice
ou le dérèglement des Eccléfiaftiques du rit Latin, qui la
deflervoient , les en a fait chafïèr , de elle a été donnée aux
Arméniens. On trouve encore fur la côte les villes de Suda-
gra qui eft défendue de trois forterefïès , de Jamboli , d'In-
germen , &; de Corfune qu'on appelloit aufli autrefois la ville
de Cherfonefe.
Cette dernière place étoit anciennement fort célèbre pour
la beauté de fes édifices , pour les monumens de marbre dont
elle étoit ornée , & la magnificence de fes Eglifes. Aujour-
d'hui ce n eft plus qu'un amas confus de ruines & de décom-
bres , depuis que les Turcs èc les autres nations, fous la do-
mination defquelles elleapanefuccelîîvement, en ont enlevé
ce qu'il y avoit de plus beau , foit en marbre ou en airain de
Corinthe. Il y a encore quelque refte de Chrétiens , qui fur la
foi d'une ancienne tradition , tiennent pour un fait certain ,
qu'Ulodimir roi de la petite Rufîie fit tranfporter à Kiovie
deux portes 6c deux ftatuës d'airain de Corinthe , qui étoient
dans l'églife du Monaftére de cette ville , tk. qu'elles furent
transférées à Gnefne , où ils difent qu'on les voit encore au-
jourd'hui à la porte de la Cathédrale , par Boleflas II. roi de
Pologne : Que ce roi Ulodimir avoit conquis cette place fur
Jean Zimifca empereur de Confhmtinople : Que dans la fuite
il époufa la princeflè Anne , feeur des empereurs Baille Se
» Conftantin ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 49'
Conftantin , de fe convertit à la religion Chrétienne , de
qu'ayant reçu le Baptême à la manière des Grecs dans ce me- Henki
me Monaftére , par les mains d'un patriarche de Conftanti- III-
nople , qu'ils ne nomment point , il réunit cette place à l'Em- 1578»
pire. Devant cette ville on trouve le cap Roîàphar , que
Strabon appelle cap Parrhenien • enfuite la ville de Mancup ,
de enfin Coilovie , en tirant vers le golphe de Negropoli,
La vigne produit dans ce païs-là du raifîn en abondance, Caractère dea
naturellement de fans être cultivée , de la terre n'attend point {^[TaÇi
le foin du laboureur pour porter des fruits. Les pâturages y
font très-gras & couverts d'une infinité de beftiaux. Ce font
d-e vaftes prairies toujours vertes , même au milieu de l'hiver,
qui ne produit dans ces contrées ni neiges , ni glaçons , ni
frimats , en forte que le climat contribue beaucoup à la fer-
tilité de la terre. Cependant au milieu de cette abondance ,
ces peuples portent la tempérance jufqu'à l'excès , de confer-
vent par leur frugalité une fanté forte et robufte. On ne con-
noît chez eux ni le luxe, ni la délicatefTe. L'yvrognerie eft
parmi eux un grand crime , & on y punit de mort l'adultère ,
qui eft une d.Qs fuites ordinaires de la débauche.
Ils fuivent dans le gouvernement ces deux grands princi-
pes qui font le fondement de la juftice , fçavoir ; de ne faire
de mal à perfonne , de de travailler au bien de la fociété. Ce
qu'il y a de plus étonnant , c'eft que le vol eft inconnu au mi-
lieu de cette nation féroce de barbare , accoutumée à ne vivre
que de guerre de de brigandages. On ne perd jamais rien par-
mi eux , de on voyage avec plus de fureté au milieu de ces dé-
ferts , que dans les provinces de les villes les plus peuplées,
auflî les armes font elles défendues chez eux. Ceux qui en
portent font traités comme aflaflïns , de ils ont des régies fixes
pour le châtiment des autres crimes , qu'ils puniilçnc très-
iëvérement.
Les Prêtres delà fede Mahométanefont chez eux les dé-
positaires &; les interprètes des loix. Une des principales fon-
dions de leur Kan ou Sar , eft de rendre la juftice , de il s'y
rend fort aflîdu. Il eft alors affilié du Généralifîime de Ces ar-
mées , qui porte chez ces peuples le titre de Galga , de qui eft
aflis à fa droite : c'eft toujours celui des frères du Prince qui
eft le plus âgé. A la gauche il a fes enfans appelles Soudans ,
Tome VIII. G
5o HISTOIRE
g qui prennent féance avec lui dès qu'ils font en âge , Se queL
Henri ques-autres Confeillers à qui cette nation donne le nom àï'APa*
III. les. Le Prince ne prononce qu'après avoir pris les avis de
1578, l'affemblée , & perfonne n'ofe fortir de là que l'affaire ne foie
finie. Les Nobles qu'ils appellent Murées , ont encore dans
les villes un tribunal particulier dont les juges portent le nom
à'Haionats j ces Magiftrats font admis à la table du Prince,.,
&; cet honneur qui eft une récompenfe de la bravoure , ne fe
prodigue point aux perfonnes d'un mérite médiocre.
Au refte , ceux qui parmi eux ont le plus d'eiclavcs , fbnc
les plus confîdérés. A la mort tous leurs enfans héritent1.
Le fils aîné prend les plus belles armes 6c le meilleur cheval
de fon père -y c'eft tout l'avantage qu'il a : le refte eft partagé
également. Pour ce qui eft de la tutelle , elle eft dévolue aux
oncles. On choifit parmi les frères du Prince , celui qui a le
plus de réputation de bravoure , pour en faire fon héritier
préfomptif. On lui donne le titre de Galga , & à la mort du
Kan , c'eft lui qui lui fuccéde à la couronne : à fon défaut,
c'eft le fils aîné du Roi qui hérite.
Le Prince n'a point chez ces peuples de domaine particiv
lier , & les tailles , ni les impôts ne groffifTent point Ïqs reve-
nus : feulement chaque puits que l'on creufe lui doit un che-
val. Outre cela il partage avec les Turcs les droits qui fe lé-
vent dans fes ports fur les marchandifes étrangères. Tous les
métaux lui appartiennent ,à l'exception de l'or , qui par les
traités doit être réfervé pour le Grand- Seigneur. Il a auffi la
dixme de tous les fruits qui fe recueillent fur fes terres. Il tire
encore un droit fur tous les prifonniers , qui eft de trois fè-
quins pour chaque prifonnier de marque , & un fequin par
tête pour les autres. D'ailleurs la nation eft obligée d'entre-
tenir fa maifon Se de lui faire fon équipage lorfqu'il va à la
guerre. Enfin comme fon fils eft toujours en otage à la Porte ?
les Turcs à leur tour lui payent cinq mille cinq cens écus d'or
par an.
Avec des revenus fi peu confîdérables , il eft étonnant com-
bien ce Prince peut mettre de troupes fur pied. Elles paflenc
les armées Chrétiennes les plus nombreufès. Lorfqu'il veut
aller à la <ruerre,il fait fçavoir fes intentions. Aufîitôt tout le
monde monte à cheval 3 on ne laiflè dans chaque cabane
■«minam-jiawai
DE J. A. DE THOU, Lrv. LXVII. 51
qu'un feul homme pour garder la maifon , & le Prince fe voit
en un inflanc à la tête de cent cinquante mille chevaux. Lorf. H e n iu
que les Tartares Circailes èc ceux d'Aftracan fe joignent à III.
cette armée, ce qui arrive allez fouvent j toutes ces troupes 1 57S,
réunies forment deux cens mille hommes. Au refte il y va de
la tête à ne pas fe trouver au rendez-vous.
Dans leurs expéditions ils mènent chacun plufieurs che-
vaux, &: entrent d'abord furies terres ennemies , pour ne pas
ctre obliges de ravager eux-mêmes leur propre païs. Chaque
foldat porte avec lui des vivres pour trois mois. Ils confident
en viandes fumées , en ail , en fromages , &; en certaines ra-
cines qui leur tiennent lieu d'aromates , &: que nos François
appellent ordinairement, pour cette raifon, racines Tartares.
Ceux qui font à leur aife font des provifions un peu plus am-
ples. Pour le pain 6c le vin ils s'en mettent peu en peine , toute
eau leur eft bonne , & ils croient que la plus mauvaife ne fçau-
roit incommoder, pourvu qu'on ait la précaution de pren-
dre un peu d'ail auparavant. Un cheval porte leurs provi-
ens avec quelques bâtons qu'ils dreflent dans Poccafîon en
forme de pavillon. Ils les couvrent enfuite de paille , d'her-
be , ou de gazon. Dans le befoin ils dorment fort bien la tête
cachée fous la felle de leurs chevaux &: le refte du corps à
Pair. Ils ont d'autres chevaux pour porter leur arc & leurs
flèches j pour eux , ils montent d'abord les plus mauvais.
Lorfqu'ils font fatigués ils mangent de l'ail Se de ces racines ,
dont je viens de parler , cela fuffit pour les délafTer &: les for-
tifier. Au lieu de vin , ils boivent du fang &c quelquefois aufîi
du lait de cavalle , c'en: leur grand régal -, ils trouvent qu'il
appaifela faim , défaltére & rafraîchit. Ils n'ont pour dra-
peaux* que des queues de cheval attachées au bout d'une
lance j excepté cependant l'étendart du Prince que le Grand-
Seigneur lui envoie , & qui eft de brocard. Au refte ils n'ont
point de marches réglées ni d'ordre de bataille. Ils forment
un gros au milieu duquel le Prince eft enfermé , & campent
dans les-endroits où ils trouvent du fourrage.
Il n'y a point de fleuves , quelque larges & rapides qu'ils
foient , qui foient capables de les arrêter , tant ils font bons
nageurs , eux & leurs chevaux. Lorfqu'ils ont à palier quel-
que rivière large Se profonde , ils mettent leur fèlle & leur
G ij
ji HISTOIRE
- équipage fur un lie de jonc 5c de rofeaux , qu'ils attachent à
Henri la queue de leur cheval. Enfuite fe prenant d'une main à fea
III. crins , de l'autre ils prennent une baguette qui leur fert conu
i c -y 3 1 me de gouvernail pour le diriger vers le rivage où ils veulent:
aborder , ou bien ils le laiiïènt aller au courant. Dans les en-
droits où l'eau cil bafle ils remontent fur leurs chevaux , &
s'arrêtent un moment pour leur lairTèr reprendre haleine.
Pour le Prince , ils le mettent fur un fiége de jonc attaché à
la queue de plu fleurs chevaux. Ont-ils quelque bras de mer
à traverfer ? ils tuent leurs chevaux les plus mauvais , les écor-
chent , retournent leur peau qu'ils enduiient de graiiïe , en-
fuite la coulent avec les crins , & font en peu de tems une
barque dont le corps n'en: formé que des côtes même des
chevaux tués , capable de tenir huit perfonnes , qui mènent
encore à côté chacun leur cheval par la bride. Pour parler
leurs chariots ils en ôtent les roués , les mettent lur pluiieurs
paquets de jonc , & les lient enfuite à la queue de leurs che-
vaux , qu'ils font conduire par quelque habile nageur , tan-
dis qu'ils font au/fi tranquilles fur cette machine flotante que
dans le meilleur vaifleau. Que s'ils trouvent quelque mauvais
pas , ils marquent cet endroit avec de l'herbe, afin d'avertir
ceux qui les fuivent de l'éviter. Ils fe fervent aufïï de ces fi-
gnaux fur terre pendant le jour. La nuit ils font comme fur
la mer , ils règlent leur marche fur l'étoile polaire,
Les armes les plus en ufage parmi eux font l'arc &; le cime-
terre. Ils portent encore à la guerre une malîè d'armes &; un
boulet de fer pendu à une corde longue de plufieurs aulnes.
Pour la lance , ils ne s'en fervent guéres , non plus que de nos
arquebufes , qui , difent-ils , coûtent plus à entretenir qu'elles
ne valent 3 auffi les réfervent-ils pour la chafïe. Lorfqu'ils font
en pais ennemi , autant d'hommes qu'ils rencontrent ils les
maffacrent , de peur qu'ils ne découvrent leur marche. Du
refte ils ne maltraitent ni les femmes ni les enfans. Ils ne pen-
fent point non plus à piller , ni à faire de priionniers , q.ue lor£
qu'ils font fur leur retour 3 mais li on ne fait des conventions
avec eux, ils mettent tout à feu &; à fang.
Ces peuples ne rifquent pas témérairement une bataille $
&.ils confultent beaucoup pour cela les jours heureux & mal-
heureux. Ils en viennent aufii fort rarement à une a&ion
E J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 53
générale. Ce ne font pouf l'ordinaire que quelques détache-
mens qui fe battent en voltigeant , & qu'ils Contiennent par Henri
de nouvelles troupes lorfqu'ils les voient ferrés de près. Mais III.
lorfqu'ils font obligés d'en venir aux mains , ils vont à la 1 57$,
charge avec de grands cris , & donnent tous enfemble fur
l'ennemi .
A la fia d'une expédition , avant que de fe féparer , les
troupes s'arrêtent fur la frontière. Là on examine la perte
que chacun a pu faire dans cette guerre , le Prince régie les
dédommagemens , & ce qu'il ordonne eft pris fur la malle
commune du butin que l'on a fait , le refte eft: partagé éga-
lement entr'eux. Il y va de la vie à vouloir rien cacher de ce
qui a été pris fur l'ennemi 3 auifi fe battent-ils plutôt pour
vaincre que pour s'enrichir.
Au refte , autant que ces peuples font à charge à leurs voL
fins &; redoutables à leurs ennemis , autant font-ils paifibles
entr'eux. La vie qu'ils mènent dans leur païs eft en effet très-
innocente. L'hy ver, pour fe mettre à couvert de la rigueur du
froid 6c des injures de l'air , ils habitent dans des cabanes
bâties de rofeaux f qu'ils enduifent &: couvrent de boue ou
de limon , ou même des excrémens de leurs troupeaux &c
des autres animaux. Ces cabanes font répandues ça ôc là
dans ces vaftes plaines dont j'ai parlé. Dès le commence-
ment d'Avril ils fe remettent en marche avec leurs femmes ,
leurs enfans , & toute leur famille , menant avec eux leurs ef.
claves &: leurs troupeaux , & campent pendant tout l'Eté
dans des pavillons ronds , portés fur deux roues qui peuvent
à peine contenir cinq perfonnes , en forte qu'on diroit qu'ils
demeurent dans des chariots , ce qui leur avoit fait donner
parles anciens le nom d'Hamaxobiens.
C'eft de cette nation que fortit Tamerlan , ce fameux
vainqueur de l'Orient ^ qui mérita le titre de fléau de Dieu ,
qu'Attila roi des Huns s'attira par fes ravages. C'étoit un
homme fort laid , boiteux , &c qui n'avoit pas d'ailleurs la
tête bien faine. Dans le tems qu'il faifoit (qs études dans la
Caramanie , qui eft l'ancienne Cilicie , (qs camarades inven-
tèrent un jeu où. l'on avoit befoin d'un Roi , ôc le fort tomba
fur Tamerlan. Chacun fe moquoit de cette royauté préten-
due qui n'étoic qu'un jeu d'enfant. Mais ce badinage devine
G iij
54 HISTOIRE
bien férieux dans la fuite. Tamerlan devenu plus grand , prît
Henri un véritable empire fur les compagnons. L'amour de l'indé-
III. pendance lui amena enfuite de nouveaux fujets. Plufîeurs
z s 7 g, roême des foldats de Bajazeth défèrtoient pour venir s'enrô,.
1er fous les étendarts de ce roi de théâtre. Bientôt il fe vit à la
tête d'une armée nombreufe. Alors il attaqua lui-même Ba-
jazeth qui avoit eu l'imprudence de négliger ces premiers
commencemens , lui livra bataille , le vainquit , le fit pri-
fonnier , & le réduifît pendant le refte de ks jours au plus
honteux eiclavage. Or parce que cette nouvelle monarchie
qui fournit l'A fie , femblable en cela à celle que les Chérifs
qui régnent aujourd'hui en Mauritanie , établirent depuis en
Afrique , comme je l'ai rapporté ailleurs , avoit pris naiflance
dans une école j on ajouta au nom Turc de Thamer , que
portoit fon fondateur , le mot de Lan , qui dans cette langue
îïgnirîe un lieu d'étude , & il s'appella Thamerlan , c'eft-â-
dire , Le Roi de l'école. D'autres prétendent qu'il s'appelloit
Timur, de qu'on ajouta à ce nom le furnom de Bec parce
qu'il étoit boiteux.
Pour ce qui efr. des Tartares , ils commencèrent à fe rendre
fameux vers l'an 1 i 1 S. que deux grandes armées de ces ban.
bares lé rendirent en même tems dans l'Europe & dans l'Afîe.
Ceux qui fe jettérent en Afie ravagèrent d'abord la Géorgie
& la haute Arménie , èc paiférent jufqu'à Cogni , autrefois
Jconium , qui étoit alors le fiége de l'empire Ottoman. L'au-
tre armée commandée par Bathus , alla défoler les provinces
de Sufdal êc de Smolenzko , qui appartiennent à la Mofcovie,
ruina de fond en comble Kiovie capitale de la Ruffie , entra
enfuite en Pologne & en Hongrie , s'empara de Sandomir &
de Cracovie , que Boleflas furnommé le chafie , avoit aban-
données , prit Breflau , &; tailla en pièces à Lignitz , l'armée
de Henri le Pieux duc de Siléiîe <k fils de fainte Hedwige
qui perdit la vie dans cette action. De là traverfans la Mo-
ravie , ils fe jettérent dans la Hongrie avec toutes leurs for-
ces , défirent Tan 1 141 . Bêla IV. réitèrent deux ans dans ce
Royaume , &; reprirent enfin le chemin de leur païs par la
Valachie , &c la Podolie. Ce fut dans ce tems-là que le pape
Innocent IV. qui étoit alors au Concile de Lyon , envoya des
AmbafTadeurs au prince Bathus , pour l'engager à fe faire
DE J. A. DETHOU, Liv. LXVIL n
Chrétien. Mais cette députation eut peu d'effet • Bathus ac-
corda aux Chrétiens une trêve de deux ans. Du refte il em- Henri
brafla le Mahometifme à la follicitation des princes Sarafins, 1 1 1.
6c il en fit profeffion toute fa vie. # *£?.&
Ces peuples delà Scythien'étoient d'abord divifés qu'en
fept Hordes ou Tribus. Leurs noms étoient Tatar , Tangur ,
Cimat , Tâtair , Sonich , Mo'agli , & Tebet. Ils habitoient un
coin de l'Afie que les rois de Géorgie leur avoient donné en-
tre les monts Riphées & la mer Cafpienne , & qui étoit bien
étroit pour contenir une fî grande multitude 3 lorfqu'un vieil-
lard de la Tribu de Tatar, nommé Changy , qui s'étoit ac-
quis parmi eux une grande réputation de prudence 6c de
iainteté , follkita fa nation à fe tirer de l'efclavage , 6c s'offrit:
à lui fervir de guide dans cette entreprife. Ils fortirent de
leur retraite , ik. ayant étendu leur domination bien avant
dans l'Afie par une longue fuite de victoires , ils prirent tous
le nom de la Tribu de ce conquérant , & s'appellérent Tar-
tares. D'autres auteurs , du nombre defquels eu: Leunclavius
qui a fait une recherche fort exacte de l'origine de ces peu»
pies , prétendent que leur nom vient du rleuve Tatar , fur les
bords duquel habitent les Tartares Sumogli. Quelques-uns
enfin croient que le nom des Tartares eft. Syriaque , & qu'il
lignifie les r eft es -, voulant inférer de là que cette nation def-
cend des anciens Hébreux. Ils appuyentleur fentiment fur
ce que la Circoncifion étoit en ufage parmi eux , longtems
avant l'origine du Mahometifme , de veulent que , par consé-
quent , ils n'ayent pu la recevoir que des Juifs. Je reviens pré-
fentement à ma narration.
Les petits Tartares étant partis de la Crimée , au nombre Entrée <ks
de vingt mille hommes , parlèrent la mer de Zabacche , tra- Iarrrtares en
verférent la Mîngrelie , 6c côtoyans les montagnes du Cau-
cafe , qui étoient alors toutes couvertes de glaces , arrivèrent
enfin fur la frontière du Schirvan. Ils avoient à leur tête un
jeune Commandant bien fait 6c d'une taille avantageufè 5
nommé Abdilchirai. Il députa de là fecretement par deux
fois à Ofman , pour fçavoir fes intentions. Par malheur quel-
ques-uns de fes gens tombèrent entre les mains d'Aref-Chan 5
ci-devant gouverneur de Scamachie -, ils furent mis auiîitot à
la queftion , 6c ils déclarèrent l'arrivée des Tartares 5 6c le
Y6 HISTOIRE
»
i nombre de troupes qu'ils avoient amené. Ares-Chan brûloir.
Henri du déiîr de fe venger , & il ne pouvoit fouhaiter une plus belle
III. occafion de fervir l'on Prince &c d'acquérir de l'honneur. Mais
1578, il fe contenta de défaire quelques partis Turcs qu'Omian
avoit envoyés au fourrage , & fe retira vers le Canaçh , pour
fe mettre à couvert du premier feu des Tartares.
Cependant fa retraite ne fut pas encore allez prompte. Ab-
dilchirai avoit eu une entrevue à Scamachie avec Olman , ÔC
conformément à ce dont ils étoient convenus , il partit fuivi
de fes troupes , avec cette rapidité qui efî: naturelle à cette na-
tion , & parut fur les bords du Canacli au moment qu'Ares-
Chan l'attendoit le moins. Les Perfans furent furpris dans
leurs tentes , & les Tartares en firent un carnage affreux
avant qu'ils pufïent feulement fe mettre en défcnfe. Ares-
Chan lui-même fut pris 6c envoyé à Ofman , qui le fît pendre
auffitôt à la porte du Divan de Scamachie dont il avoit été
Gouverneur
De là les Tartares parlèrent le fleuve , 6c prévenant eux-
mêmes le bruit de leur arrivée , ils allèrent tomber avec la
même impétuofité fur Emanguli-Çhan , gouverneur de Gen-
ge , qui etoit alors forti de cette yille avec fqn époufe , fa
maifon 6c les principaux Seigneurs du lieu , pour prendre le
plaifîr de la chafle du fanglier, firent la femme de ce Seigneur
prifonniére avec fes domeftiques & la plus grande partie de
fa fuite , mirent le refte en déroute , en même rems s'empa-
rèrent de Genge qu'ils pillèrent , §c où ils exercèrent toute
leur rage 6c leur brutalité , repayèrent enfuite le Canach avec
la même diligence , pafTérent à la vue d'Eres , 6ç allèrent
camper dans la plaine qui effc au défions de cette ville , envi-
ronnée de montagnes de tous côtés. Là ils s'arrêtèrent pour
donner quelque relâche à leurs chevaux , 6c fe refaire eux-
mêmes après une courfe fî fatiguante , 6c fe livrèrent tran-
quillement au repos , n'imaginant feulement pas qu'on pût
venir les attaquer.
Cette entrée des Tartares en Perfe arriva à peu près dans le
tems que Hodabendes,qui avoit été informé de te us les événe-
fnens de la dernière campagne , voyant que les foins du dedans
ne luipermettoient pas de Te mettre lui-même à la tête de fes
croupes, venoit de nommer Emirhamze, l'aîné de fes fils, pour
aller
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVI1. 57
aller avec douze mille hommes le venger de la témérité des
Turcs , reprendre les villes dont ils s'étoient rendus maîtres Henri
fur la frontière, Se châtier celles qui s'étoient livrées elles- III.
mêmes à l'ennemi. Ce Prince étoit forti de Cafbin accom- 1578.
pagné de Mirize Salmas , lorfqu'il fut informé de l'arrivée
des Tartares par Ares-Chan , quelque tems avant la prife de
ce Seigneur. Cette nouvelle le fit balancer d'abord fur le
parti qu'il devoit prendre. Mais enfin l'ardeur de la vengean-
ce ôc l'amour de la gloire l'emportèrent dans le cœur de ce
jeune prince ^ il le roidit contre tout ce qu'il y avoit à crain-
dre , & crut qu'il lui fléroit bien d'ofer. Dans cette réfolu-
tion il continua fa marche , & fe rendit devant Eres beaucoup
plutôt que le Roi fon père ne l'auroit efpéré , & que les
Turcs ne l'auroient cru. Il arriva fi à propos , qu'il furprit le
bâcha Caïtas à qui Muftapha avoit donné le commande-
ment de cette place , &; qui étoit forti de la fortereiTe pour
aller mettre les environs à contribution. Après quelque ré-
fiftance le prince de Perfe le tailla en pièces avec toutes Ces
troupes , fe rendit maître de la fortereiTe , & prit fur les
Turcs deux cens carabines, qu'il envoya à Cafbin pour être
prefentées au Roi fon père.
Ce premier fuccès fut un appas que la fortune fembloit Défaite des
offrir à ce jeune Prince pour l'excitera faire quelque entre- ^^^J"
prife plus confidérable. Il laiïïa dans Eres la princelfe Béguin
fa mère qui l'avoit fuivi , continua fa marche 6c arriva au fom-
met de ces montagnes dont le camp des Tartares étoit envi-
ronné. De là il jetta fes regards fur cette multitude répandue
dans ies tentes , & douta encore 11 avec le peu de troupes qu'il
avoit, il rifqueroit d'attaquer des ennemis fi nombreux , ou
s'il ne devoit pas plutôt reculer. Enfin l'amour de la gloire
fut le vainqueur. Emir-Hamze après avoir ranimé le coura-
ge de Cqs troupes , qu'iltrouva difpofées à fervir fesdeflèins ,
piqua droit à l'ennemi , tailla en pièces après quelque re-
fifbance la première & la féconde garde , & tomba avec fu-
reur fur ces barbares enfevelis dans la fatigue & le fommeil ,
loin de leurs chevaux , qu'ils avoient lâchés pour paître dans
la plaine , il les paffa tous au fil de Pépée , les mit en dérou-
te , ou les prit prifonniers. De ce dernier nombre fut Abdil-
chirai 3 que le Prince envoya à Cafbin fous bonne garde.
Tome V III. H
58 HISTOIRE
vuj^mmMvmm j>e là le prince de P erfe marcha droit fans s'arrêter à
Henri Scamachie ,. qu'il fomma de lui ouvrir fes portes , promet-
III. tant à Olman Bâcha s'il fe rendoit , de lui laifïèr vies de ba~
i n8( gues fâuves, & le menaça au contraire de tout le poids de fa
vengeance , s'il s'obftinoit à le laiilèr forcer. Le Gouverneur
Turc qui ignoroit la défaite des Tartares , accepta la propo-
rtion , èc demanda feulement trois jours pour iè difpofer à.
fon départ , dans l'efpérance qu'avant que ce terme fût ex-
piré , les Tartares viendroient à fon fecours , &; obligeroient
les Perfans de fe retirer. Le Prince de fon coté qui comptoit
fur la parole du Bâcha , ne fit aucune autre hoftilité. Enfin
Olman , qui y à quelque prix que ce fut , ne vouloit point
tomber entre les mains des Perfans , voyant qu'au bout de
deux jours il n'avoit aucune nouvelle des Tartares , fe douta
de ce qui leur étoit arrivé , &; comme il ne comptoit par fur
la fidélité des habitans de Scamachie , il s'enfuit pendant la
nuit , &: fe retira au travers des montagnes voifines à Der-
bent, emportant avec lui tout ce qu'il avoit de plus précieux.
Le lendemain matin les portes de Scamachie furent ouvertes
à £mir-Hamze ; & ce Prince qui dès ion départ de Cafbin
étoit anime contre les habitans de cette ville, qui avoient eu
la lâcheté de fe livrer eux-mêmes aux Turcs, outré de noiu
veau de la perfidie avec laquelle ils lui avoient caché la re-
traite d'Oïman , leur fit fentir le poids de fa vengeance. Il
traita ces malheureux avec la dernière rigueur , Se rafa les
anciennes &: les nouvelles murailles de la place , dont il fie
une efpécede folitude.
On tint enfuite confeil de guerre, pour fçavoir fi on mar-
cheroit de là droit à Derbent , ou fi on retournerait fur fes
pas. Mais l'avis général fut, qu'on devoit licencier l'armée.
L'hyver commencoit à devenir très - rude , les troupes
étoient fatiguées , <k il étoit dangereux dans ces circonftan-
ces d'aller avtaquer une place de cette coniéquence. Le
prince de Perfe fe diipofa donc au retour. Il prit fa route
par les viiles d'Eres Se de Sechi , dont il traita les habitans
avec encore plus de iévérité que ceux de Scamachie, parce
qu'ils s'étoient rendus aux Turcs j &: il arriva enfin triom-
phant à Cafbin avec fa mère & fon armée.
Il y avoit déjà quelque tems, qu'Abdilchirai avoit été
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL j9
amené dans cette capitale , où on lui avoit donné le palais __ ■
pour prifon. Déjà même fa valeur, fa bonne mine , & l'idée Henri
qu'on avoit de là naiflance , lui avoient attiré les bonnes gra- III.
ces de Hodabendes. En effet il fe difoit frère du Kan des l c-j$t
petits Tartares. Ainfi il s'entretenoit familièrement avec le
Prince , &c vivoit fort librement avec lui.
Cette familiarité augmenta encore depuis le retour du
Prince, qui ramena fa mère à la Cour. Cette PrincefTe fut
épriie , dit- on , de la bonne grâce du jeune Tartare. Elle ne
pouvoit s'empêcher de parler ians celle de ion mérite au
Roi fon époux j elle ménageoit avec lui des tête à tête , &c
commençoit déjà à être fort libre avec lui. Cependant cette
intrigue étoit devenue' publique dans la capitale où on en
parloit aiLz mal , & l'inclination de la Princelfe pour cet
Etranger commençoit à le rendre odieux aux Grands delà
Cour. Dans ces circonftances Hodabendes qui étoit infor-
mé de tout ce qui fe pallbit , & qui n'aimoit pas naturelle-
ment à chagriner fon époufe, prit un parti qu'il jugea propre
à rétablir Ion honneur, de qui lui fut infpiré par la Reine
même, qui crut par là pouvoir plus facilement couviir fa
pafTion. Ce fut de mettre en liberté le jeune Tartare , & de
lui faire époufer une de fes filles. Par-là le roi de Perle ef-
péroit contracta une alliance fort étroite avec les petite Tar-
tares , enlever au Grand Seigneur le fecours qu'il tiroit de
cette Nation guerrière , 6c s'en faire un rempart contre les
entreprifes des Turcs.
Mais quelque pafîion que ce Prince eût pour ce mariage ,
il ne put jamais , queiqu'effort qu'il Cit , engager Ces Minif-
tres à l'approuver, foit par l'intérêt qu'ils prenoLmt à l'hon-
neur de la famille royale, foit par averfion pour les projets
ambitieux de cet Etranger, ils s'oppofoient avec fermjté à
cette alliance, & mettoient tout en ufage pour en détour-
ner le Roi. Cependant comme les Grands le virent déter-
miné à fuivre fa première réfolution , ils appréhendèrent , Ci
ce mariage fe faifoit malgré eux, que cet Etranger qu'ils
croyoient Ci puiflant , ne prît par-là à la Cour le crédit 6c
l'autorité que cette alliance lui donn?roit ■ & qui ne pouvoit
manquer de devenir funefte à l'Etat ôt à la famille royale,
ils résolurent généralement de le perdre. Ils fe rendu ent au
Hij
6o
HISTOIRE
^^^..■uj.aug palais où ils trouvèrent' Abdilchirai qu'ils poignardèrent (1)
Henri après s'être vengés fur lui du commerce infâme dont on le
III. foupçonnoit , de la manière la plus cruelle &: la plus honteu-
1578. fe. On croit que la PrincefTe fut tuée aufli dans ce mouve-
ment. Ce qu'il y a de certain , c'efl: qu'elle ne parut plus de-
puis , foit que le Roi l'eût fait mourir après avoir eu des
preuves certaines de fon crime 3 car il arrive ordinairement
que les maris font les derniers à être instruits du défordre
de leurs femmes , foit que les grands de leur propre autorité
eulTent eux-mêmes trempé leurs mains dans fon fang, pour
ne pas voir la Couronne palier dans une famille étrangère.
Quoi qu'il en foit , ce coup eut de terribles fuites , 6c il caufa à
la cour de Perfe des refTèntimens de des haines qui ne finirent
que par la ruine totale de bien des familles. Cependant pour
arrêter le cours de ces divifions , Hodabendes ne parloit que
de l'invafîon des Turcs , afin que la crainte du danger dont
tout le monde étoit également menacé , réunît les efprits 6i
les engageât à rentrer dans leur devoir. De fon côté ce Prin-
ce faiioit tous les préparatifs néceffaires pour cette guerre -,
& il prenoit au dehors &: au dedans toutes les mefures que
la prudence pouvoit fuggérer pour en faciliter le fuccès.
D'un autre coté , Ofinan qui en abandonnant Scamachie
étoit allé chercher un afile à Derbent , travailloit à affermir
en Perfe fon autorité. Dans cette vue il chercha à mettre
dans fes intérêts Sahamal, un des princes de Géorgie, qu'il
fçavoit avoir le plus de crédit fur tous les peuples des envi-
rons 5 & pour cimenter cette union avec lui , il époufa fa fille.
Dans la fuite il foupçonna ce Prince , qui n'avoit quitté la
cour de Perfe qu'à regret, de chercher à regagner les bon-
nes grâces de Hodabendes par quelque fervice important j
ce qui lui auroit été aifé , en enlevant aux Turcs , foit par
rufe ou autrement , la ville de Derbent qui de ce côté-là
étoit la clef, non-feulement du Schirvan ,mais de tout l'Em-
pire. Cependant Ofman , malgré fes foupeons , ne remar-
quoit aucun changement dans fon beau-pére , qui lui don-
noit au contraire chaque jour de nouvelles preuves d'un
(1) M. de Thou dit : Abcijfts pins
genitalibus , & âeformi utique (peBaculo
ad os œppltcatis. Notre langue û'a point
de termes pour exprimer un pareil fup-
plice.
DE J. A. DE THOU,Liv. LXVII. 6t
attachement fincére , & d'un parfait dévouement. Mais le
Turc qui étoit naturellement défiant , de qui fe trouvoit fort H e n iu
reffèrré depuis que le prince de Perle avoit reconquis fur III.
lui toute la province à l'exception de Derbent, ne crut pas T ç-g-
devoir donner dans ce piège. Il fçut diflimuler avec la même
habileté, de par les complaifances de fès carefTes il engagea
fon époufe à fonder les defTeins de fon père, de à l'en infor-
mer. Par ce canal il fut inftruit de l'intelligence que Saha-
mal entretenoit à la cour de Perfe. Mais il n'en témoigna
aucun mécontentement à fon époufe. Il lui dit feulement
qu'il efpéroit que fon beau-pére feroit un jour plus d'atten-
tion à fes véritables intérêts , de qu'il changeroit de conduite.
Cependant comme il n'avoit en tête que fa vengeance, il
redoubla (es carefTes pour elle , de il l'engagea à prier fon père
de vouloir bien être d'une fête que le Bâcha donnoit. Cette
femme , qui ne pouvoit prévoir ce qui alloit arriver , fît tout
ce qu'il voulut. Sahamal fe rendit à Derbent j mais à peine
y fut-il entré , que les miniffcres d'Ofman le poignardèrent
avec toute fa fuite, au moment qu'il defeendoit de cheval.
Après cette exécution , le Bâcha fit entrer les troupes de fa
garnifon dans les Etats de ce Prince, avec ordre d'y mettre
tout à feu de à fang , de de tâcher de lui amener fon fils.
Ofman fe fervit du prétexte que j'ai dit , pour diminuer
l'horreur de fon parricide , de fçut fî bien tromper fon époufe ,
qu'il l'engagea à devenir malgré elle complice de la mort de
fon père. Mais Leunclavius rapporte ce fait autrement. Il
dit , qu'après que le prince de Perfe fut forti du Schirvan f
Ofman fçut par fon adrefïè s'infînuer dans les bonnes grâces
de Schemahil 3 car c'eft le nom qu'il donne au beau-pére du
Bâcha ^ que ce Seigneur étoit Tartare de nation, Souverain
de Derbent , attaché au Grand Seigneur , de ennemi juré
des Perfans 3 qu'Ofman époufa fà fille , de qu'il l'engagea en-
fuite à empoifonner fon père , que le Turc eut deux vues en
commettant ce parricide , que d'abord il vouloit fe mettre
l'efprit en repos du côté de Schemahil qui , à ce qu'il
eroyoit, pouvoit fonger dans la fuite à le faire aflaffiner , de
qu'il efpéroit en fécond lieu que s'il fe rendoit maître de Der-
bent ,& de tout le pais que fon beau-pére pofîedoit , le Grand
Seigneur lui en fer oie un prefent. Il ajoute , que les efpérances
H iij
6i HISTOIRE
— d'Ofman ne furent pas trompées 3 & qu'ayant informé la
Henri Porte par la voye de Caffa du fuccès de fon entreprilè ,
III. Amurach le déclara Seigneur abfolu de tout le païs qui avoit
1 578. appartenu à fon beau-pere , dont il rcfta maître paifible.
Mais cette relation contient plufieurs faufTetés 3 car pre-
mièrement il efb confiant que Sahamal étoit Géorgien, &: non
point Tartare 3 que lui ou les ancêtres avoient été Chrétiens ,
èc que c'étoit à la cour de Perle qu'ils avoient fuccé d'abord
le poifon du Mahometifme 3 en forte qu'il n'en: pas vraisem-
blable , que ce Prince fût fî fort ennemi des Perlans , à caufe
de leur Religion. Outre cela il paroît que Leunclavius a
ignoré abfolument l'alliance qui etoit entre Sahamal èc la
famille des rois dont nous avons parlé plus haut , fur le té-
moignage de Minadoi , en rapportant la raifon qui engagea
ce Prince à quitter brufquement cette Cour. Quoi qu'il en
foit, Amurath fut ravi d'apprendre la mort de Sahamal,
parce qu'Ofman fçut lui faire entendre que ce coup lui alfu-
roit Derbent, que fans cela il auroit été en danger de perdre.
L'intérêt que ce Bâcha fembloit prendre dans ces provinces
éloignées à la gloire de l'empire Ottoman , dont il procuroit
l'avantage aux dépens du fang de fon propre beau-pére , le fit
regarder du Sultan , comme un homme à qui on pouvoit don-
ner fa confiance. Ainfi non- feulement il eut foin qu'on lui
envoyât tout ce qui lui étoit néceffaire pour continuer cette
guerre 3 il fit encore partir pour l'aller joindre quarante mille
Tartares , commandés par les deux frères d'un Prince de
cette Nation , que ce Turc traita dans la fuite comme il avoic
fait fon beau-pére.
Sur ces entrefaites , Ulucciali amiral de la flote Ottoma-
ne, qui avoit été chargé de faire pafîèr à Trebizonde parla
mer Noire les provifions qu'on avoit deftinées pour l'armée,
revint à Conftantinople 3 & pour fe faire aufîi valoir , il amufa
Amurath d'une relation magnifique de fon voyage. Il rap-
porta qu'il étoit entré dans la Mingrelie , où il avoit fait éle-
ver une fortereflè à FafTo , place qui porte le nom du fleuve
fur lequel elle eft bâtie , & qu'elle conferve encore aujour-
d'hui 3 &: que par~là il avoit ouvert un paiTage en Géorgie.
Tels furent les événemens de cette première campagne
des Turcs contre les Perfans , où. ils perdirent plus de foixante
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 63
Se dix mille hommes , par les maladies , par la dïfette , ou '
par le fer des ennemis. Cependant Amurath ne regardoit Henri
toutes les expéditions de cette année, que comme une fîm- III.
pie déclaration de guerre , parce qu'on n'en avoit tiré aucun 1*79,
avantage , ôc que les Perfans avoient repris auffitôt , Scpref.
que fans tirer l'épée , toutes ces places qui avoient coûté
tant de fang à fes troupes. Ainfî comme il étoit déterminé
à pourfuivre cette guerre, il ne penlàplus qu'à chercher les
moyens les plus propres d'y réiiflir.
Quelques- uns de fes Miniftres lui confeilloient au lieu
d'attaquer les Perfans du côté du Schirvan, qui étoit couvert
par la Géorgie , &; ou par conféquent il n'étoit pas aifé de
pénétrer, &: de pouffer bien loin fes conquêtes 3 défaire en-
trer une armée en Médie par les provinces foûmifes à la do-
mination de l'Empire 3 de s'emparer enfuite d'abord de Tau-
ris , dont il ne feroit pas difficile de fe rendre maître avec des
troupes nombreufes , &: de fortifier cette place 3 aflurant que
par-là on couperoit la communication aux Perfans avec tou-
tes ces petites places , qui font entre Tauris 6c Erzerum ,^8c
que comme elles n'étoient d'ailleurs d'aucune défenfe , on
les obligeroit à fe rendre de gré , ou de force.
D'autres étoient d'un fentiment tout différent. Ils pré-
tendoient qu'il y alloit de l'honneur de l'Empire à ne pas
abandonner des places qu'on avoit une fois foûmifes 3 que
cette réfolution , quelque fage qu'elle pût être , pafleroitpour
un aveu qu'ils feroient eux-mêmes de leur foiblefle 3 que d'ail-
leurs , il n'étoit pas fur d'abandonner une armée au milieu
de ces vaffces païs , habités par une nation guerrière , &: qu'on
ne pourroit y faire pafïer des troupes , fans les expofer à de-
venir la victime de la fureur des peuples de Géorgie, &; du
reffentiment des Perfans , qui les tiendroient envelopés
comme dans une filet , fans qu'elles euflènt aucune retraite.
On prit donc le parti qui paroifToit le plus fûr& le plus
propre à conferver la réputation des armes Ottomanes.
Muftapha reçut ordre de lever vingt-mille pionniers & ma-
nœuvres, dans les territoires de Damas, d'Alep , de Cara-
hemid , & dans toute la Syrie & la Mefopotamie. Le Grand
Seigneur écrivit en même tems à tous les Gouverneurs de
province , qui s'étoient trouvés l'année dernière à l'armée ,
64 HISTOIRE
■■ ■" '.■.. de fe rendre au commencement du Printems prochain â Er-
Hinui zerum avec toutes leurs troupes , &: d'exécuter ce que Mufta-
III. pha leur ordonneroit. 11 manda la même chofe au bâcha
1579. d'Egypte , dont on ne s'étoit point fervi l'année précédente.
Enfin comme dans cette première expédition l'armée avoit
beaucoup louffert faute d'argent 6c de vivres , le Sultan eut
foin qu'on fît beaucoup plus de proviflons , 6c fournit abon-
damment tout l'argent qui pouvoit être néceffaire.
Amurath penfa enfuite à régler le fort des deux princes
Géorgiens que Muftapha lui avoit envoyés. On avoit propo-
fé d'abord à Maucchiar , qui étoit le cadet , de lui donner
tous les Etats de la Reine fa mère , dont fon frère étoit l'hé-
ritier légitime, à condition qu'il le feroit Mahométan,6c il
avoit auifitôt accepté le parti. On fit enfuite entendre à Ale-
xandre qu'il n'avoit que ce feul moyen de conferver le trône ,
dont fa mère l'avoit déjà mis en poffeffion. Mais ce Prince
rejetta cette propofition avec la même fermeté que Simon ,
dont j'ai parlé, l'avoit fait d'abord, & quelque peine qu'il
eût à fe voir dépouiller du bien de fes pères , il céda au plus
fort , s'accommoda au tems , 6c demanda feulement en
grâce que , puifque la volonté du Sultan étoit de lui préfé-
rer fon frère , il lui fût permis d'aller pafTèr le reffce de {es
jours dans fa patrie, & de mêler fes cendres avec celles de
les ancêtres. Le Grand Seigneur lui accorda ce qu'il fouhai-
toit , malgré les oppofitions de Maucchiar , qui ne vouloit
pas avoir fi près de lui un homme qui pouvoit fe venger un
jour de l'injumce qu'il lui faifoit. On procéda enfuite à la
cérémonie de la circoncifion de ce Prince , qui facrifia ainfi
malheureufement fon falut éternel à fon ambition ; & cette
fête fut célébrée par des réjouiffances publiques qu'on fit
dans toute la ville 6c dans le Sérail. Il prit alors le nom de
Muftapha ^ après quoi Amurath le congédia avec le titre de
viceroi d'Altuncala èc des autres païs , qui étoient fous la
domination de la Reine fa mère 3 6c remit entre fes mains
fon frère Alexandre.
D'un autre côté, on fe préparoit à Cafbin, non-feulement à
s'oppofer aux nouveaux progrès que lesTurcs fè promettoient
de faire en Perfe,mais même à porter la guerre juf que dans leur
païs, fi l'occalion s'en prefentoit. Emanguli-Chan, gouverneur
de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 65
àe Genge , paroiflbit un des plus animés contr'eux. De-
puis la perce qu'il avoit faite à la dernière incurfion des Tar- Henri
rares , il ne refpiroit que la vengeance. Ainfi il alla offrir Tes III.
fer vices à Hodabendes , promettant fur fa tête de conferver 1579.
le Schirvan contre tous les efforts d'Ofman Pacha, & d'ar-
rêter le progrès des fortifications que les Turcs avoient com-
mencé d'élever dans cette province. Il fut donc déclaré
gouverneur général du Schirvan , avec ordre à Serap-Chan
gouverneur de Niffivan , à Emir-Chan gouverneur de Tau-
ris , & à Tocmafes gouverneur d'Erivan , de lui donner tous
les fècours dont il auroit befoin. Cependant ce Général fol-
licita auffi le fils de Sahamal , qui depuis que fon père avoit
été afîàfliné , s'étoit mis en poiîèiTion de fcs Etats , de fe join-
dre à lui. Mais ce Prince plus fenflble à fa propre conferva-
tion , qu'au reffentiment qu'il devoir avoir de cet attentat,
ferma l'oreille à toutes fes proportions , & comme il appré-
hendoit l'événement , quelques inftances que pût faire au-
près de lui ce Seigneur , qui avoit les mêmes intérêts que lui ,
il refufa de fe déclarer pour aucun des deux partis.
Cependant Hodabendes qui appréhendoit particulière-
ment pour Tiflis , parce qu'il étoit perfuadé que Muftapha
s'attacheroit d'abord à cette place , penfoit aux moyens de
la fecourir furement. Simon le tira de cet embarras. Ce
Prince qui avoit beaucoup d'amis à la Cour , &: qui étoit in-
formé par ce canal de tous les defTeins du Roi , vint lui offrir
fes fervices dans ces circonflances. Son intention étoit de
s'infînuer par-là dans les bonnes grâces du Monarque, de
rentrer dans les Etats que Lavaflàp fon père avoit polTedés,
& que fon frère venoit d'abandonner aux Turcs , &: de s'en
conferver la pofTeffion fous la prote&ion du Roi de Perfe.
Simon , comme je l'ai dit plus haut , avoit d'abord refufé
conftamment d'accepter le parti queThamas lui propofoit
d'embrafTer le Mahométifme, à l'exemple de fon frère Da-
vid ; 6c il avoit mieux aimé fe réfoudre à vivre en (impie
particulier, &: même à palier le refte de Ces jours dans les
fers, que de s expofer à des remords continuels, & de fa-
cririer fon falut éternel pour conferver fa liberté &: fa cou-
ronne. Mais ayant été renfermé dans le même lieu où If-
maêl avoit été reLégué par fon père , la reflemblance de leurs
Tome VI IL I
66 HISTOIRE
' malheurs forma entr'eux une union très-étroite. L'ennui de la
Henri prifon , ou Penvie de plaire à un Prince qu'il aimoit tendre-
III. ment , 2c dont il étoit fur d'être aimé de même , acheva le
j ._- refbe. Il fit pour fon ami ce qu'il n'avoit pas voulu tenter
pour fe conferver un Royaume ,il renonça au Chriftianifme.
Par malheur pour lui, le régne d'Ifmaél fut fi court, qu'il ne
lui permit pas de jouir des avantages aufquels il avoit droit
de prétendre -, 2c ce Prince ayant été affafiiné prefqu'en mon-
tant fur le trône, n'eut pas le tems de marquer à ce tendre
ami combien il étoit fenfible à fon changement.
Depuis ce tems-là Simon , quoiqu'il eût été mis en liber»
té , étoit toujours à la Cour , cherchant quelqu'occafion de
s'infinuer dans les bonnes grâces de Hodabendes fuccefTeur
d'Ifmaél. Elle fe prefenta, & il en profita habilement. Ho-
dabendes accepta les offres de fervice qu'il lui fit , le rétablit
fur ce même trône où il avoit fait d'abord profeïïion du
Chriftianifme $ le chargea depaffer en Géorgie avec Alyculi-
Chan pour s'oppofer aux progrès des Turcs , & lui donna
pour cette expédition cinq mille chevaux tirés des garni-
ions voifines, avec quelques canons, quiavoient été trouvés
dans la forterefle d'Eres lorfqu'elle fut prife fur les Turcs.
Il rentra dans fon pais à la tête de ces forces , & fut reçu avec
joye de tous fes fujets. Néanmoins parmi ceux qui étoient
Chrétiens, il y en avoit plufieurs qui malgré leur affection
pour lui , déteftoient la foiblefle qu'il avoit eue. Ce Prince
de fon côté apportoit mille prétextes frivoles pour fe jufti-
fier 5 &. il vouloit qu'on crût que malgré fon changement ,
il favorifoit encore fous-main la religion Chrétienne,
les Turcs Cependant dès que le Printems fut arrivé , on vit les trou-
icntrem en es T/urques fe rendre de toutes parts à Erzerum. L'artille-
rie , les munitions de guerre , l'argent, les vivres 2c les four-
rages étoient en abondance dans le camp. Les troupes qui
venoient d'Egypte arrivèrent les dernières , à caufe des in-
commodités qu'elles avoient eues à fouffrir au pafiage des
déferts qui font entre ce Royaume 2c la Syrie. Outre cela la
pefte s'étoit mife parmi elles , 2c elles l'avoient portée à Alep
en parlant par cette ville. Ainfi elles étoient diminuées de
plus de la moitié lorfqu'elles joignirent l'armée. Enfin le Gé-
néral fit publier le jour du départ -y toute l'armée fe mit en
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 67
marche , 6c prenant fa route par la forterefTe d'Haffan , elle ^sssëssë
arriva à Chars en douze jours. Henri
Muftapha avoit été d'avis de fortifier cette place , 6c ayant III.
reçu fur cela les ordres du Grand Seigneur , il y fit aufîltôt 1570,
travailler fans relâche. Mais comme il voulut y employer aufïï
les troupes , & entr'autres les Jannifïàires , on fut fur le point
de voir une fédition dans le camp. Ceux-ci reprefentérent ,
qu'ils n'étoient au fervice du Grand Seigneur que pour tirer
l'épée & défendre l'Empire les armes à la main 3 que c'étoit
pour cela qu'ils recevoient la paye de fa HautefTe , &; non pas
pour être employés à des miniftéres vils , tel que celui de re-
muer la terre. Mais quoi qu'ils pufïènt dire , Muftapha qui
étoit naturellement impérieux ,ne relâcha rien de fes ordres,
3c il les réduifît à travailler comme les autres , fans leur faire
aucune gratification , parce qu'il fçavoit que ces mutins ne
demandoient que cela. Enfin les travaux furent pouffes avec
tant d'ardeur , qu'en vingt jours les fortifications fe trouvè-
rent portées à une hauteur raifonnable , 6c la place en état
de défenfe , avec un fofle profond , dans lequel on avoit fait
pafler un bras de l'Euphrate , des tours , des murs garnis d'ar-
tillerie de diftance en diftance , 6c des bains dont les Turcs
font un grand ufage pour la fanté , à la confervation de la-
quelle la propreté contribue infiniment , 6c qui leur font mê-
me nécefîaires pour certaines pratiques que leur Religion
leur prefcrit. Cependant lorfque l'on étoit au plus fort de
l'ouvrage, il arriva un accident fort extraordinaire pour le
climat &: la faifon , &: qui auroit pu le retarder s'il n'eût pas
été aufîi avancé. C'eft que le 2 5. d'Août il tomba tant de
neige 6c la rigueur du froid fut fi grande , que les travailleurs
pouvoient à peine remuer leurs outils , 6c n'avoient pas la
force de porter ce qui étoit nécefîaire.
Enfin on mit la dernière main à cette entreprife , Se on
penfa enfuite à fecourir Tiflis. C'étoit une affaire qui embar-
rafîoit extrêmement Muftapha. S'il marchoit lui-même vers
cette place avec toute l'armée , il craignoit de pafTer pour un
impofteur dans l'efprit d'Amurath à qui il avoit perfuadé
qu'il avoit fournis toute la Géorgie l'année précédente. Il
pouvoit , il eft vrai , y envoyer un de fes Lieutenans à la tête
d'un détachement 1 mais fi cet Officier ne réulîlilbit pas , il
68 HISTOIRE
■ fçavoit que le Grand Seigneur ne s'en vengeroît que fur lui-
H en ri même.
j j j Enfin pour foûtenir ce qu'il avoit ofé avancer de Tes grands
progrès dans la Géorgie , il jetta les yeux fur HafTan bâcha
*'"• ^e Damas, fils de ce Mehemet qui avoic exercé à la Porte
fâic ravitail- pendant tant d'années la charge de Grand Vifir , & qui dans
kr Tifîis. cet emploi s'étoit acquis l'amitié de Tes Maîtres , 6c la réputa-
tion d'un des plus habiles Miniftres. Comme il connoifToit
l'habileté 5c la bravoure de cet Officier , il lui propofa cette
expédition èc l'engagea à s'en charger à Tes propres périls.
Halîàn partit du camp à la tête de vingt mille hommes de
bonnes troupes , portant avec lui de la farine , du ris , 6c d'au-
tres provisions en abondance avec douze mille fequins. Muf-
tapha l'avoit aufïï fait accompagner par Refvan Pacha. Arri-
vé aux défilés de Tomanis , il quitta la grande route , pour
ne pas s'engager dans les bois 6c dans un chemin entrecoupé
de précipices , dont la vue feule infpiroit de l'horreur , 6c il
réfolut de traverfer la forêt.
Mais à peine y fut-il entré qu'il fe vit envelopé par Aly-
culi-Chan àc par le prince Simon , qui outre les troupes que
le roi de Perfe lui avoit données , avoit encore levé trois mil-
le chevaux dans les environs. Comme les Perfans connoif.
foient le terrain y les Turcs les avoient à tout moment fur
les bras. Ils les prenoient tantôt en queue , tantôt en flanc ,
quelquefois ils les attaquoient de front, 6c les harceloient
continuellement. Ils enlevèrent même l'étendart de Mufla-
pha gouverneur de Cefarée en Cilicie , maintenant Caifar
dans la Caramanie , avec tout fon bagage & fa maifon. Enfin
après avoir palTé les défilés , Hafîan qui vouloit avoir fa re-
vanche , fit alte , au lieu de marcher droit à Tirlis , comme fi
la crainte des ennemis l'eût retenu. C'etoit un piège qu'il
leur tendoit pour les attirer encore au combat. En même
tems il mit quelques troupes delà Grèce , commandées par
Refuan Pacha , en embufeade dans les gorges de ces monta-
gnes. Il avoit refté deux jours dans ce pofte , 6c au troifiéme
les Turcs fe difpofoicnt à fe remettre en marche pour fe ren-
dre à Tirlis , lorfque les Perfans vinrent les prendre en flanc.
Haflan les laifTa avancer jufqu'à ce qu'il les eût mis entre Re -
fuan 6c lui. Alors il les chargea 6c il en fit un grand carnage,
nombre fut Alyculi-Chan, que fon courage emporta Henri
: dans la mêlée, qu'il pénétra jufqu'à HaiTan. Il fut pris III.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVII. 69
La plupart prirent la fuite, êc il y eut peu de prifonniers.
De ce
fi avant
avec tous (es gardes. ryn
Après cette vidoire, le Général Turc alla pafîer l'Araxe
& entra dans Tiflis après onze jours de marche. Son arrivée
rendit la vie aux foldats de la garnifon , qui depuis long-tems
luttoient avec la faim , 6c dont la plupart étoient ou morts de
mifére , ou malades & hors d'état de faire le fervice. Haflan
leur fit part des rafraîchifïemens qu'il avoit apportés , les
exhorta à prendre patience, tira de cette place Mahamet
quin'étoitpas aimé des troupes , à qui il donna Achmetpour
les commander , & alla enfuite reparler l'Araxe. Maislorf-
qu'il fut arrivé aux défilés , il fe trouva fort embarrafTé-, parce
que les ennemis y avoient tiré un retranchement qu'ils avoient
garni de canon. Or il ne connoifïbit point d'autre route , de
il fentoit bien qu'il feroit dangereux de vouloir forcer ces
lignes.
Alyculi-Chan le fervit admirablement dans cette extré-
mité. Il s'engagea à le tirer de ce mauvais pas , à condition
qu'il lui donneroit la liberté. Le Bâcha accepta ce parti 3 &c
le Perfan fit parler les Turcs par des routes inconnues , qui
les conduisent en lieu de fureté. Mais Hafîàn le récompen-
fa mai d'un fervice fi important • &; il fe défendit de lui tenir
la parole qu'il lui avoit donnée fur ce mauvais prétexte , qu'il
n'étoit pas en fon pouvoir de mettre en liberté un homme
qui avoit été pris les armes à la main par les foldats du Grand
Seigneur. En même tems il lui donna de nouveau fa parole
d'employer fon crédit auprès de Muftapha &: d'Amurath lui-
même pour le faire relâcher. Après avoir ainfi évité le piège
que Simon lui tendoit , il continua fa marche. D'un autre
côté , le prince Géorgien indigné de ce que les Turcs lui
avoient échapé , de n'ignorant pas celui à qui ils en étoient
redevables, brûloit du defir de fe venger. Il fe jetta fur
leur arriére garde qu'il mit en défordre , de où il fît un grand
carnage. Ses troupes enlevèrent même le tréfor de Maha-
met qui fortoit du gouvenement de Tiflis , avec tout le baga-
ge de HafTan. Cependant le Prince couroit de rang en rang
au travers des ennemis , cherchant Alyculi-Chan , qu'il avoit
T ...
I îij
7o HISTOIRE
^^■f^^ deilein de tirer de leurs mains. Mais il étoit déjà bien éloi-
Henri gné , 6c on l'avoit fait palier à l'avant, garde où il étoit bien
III. efeorté.
iryo( Enfin Haflan arriva au camp de Chars huit jours après fon
départ de Tiflis , 6c reçut les complimens de Muftapha fur
l'heureux fuccès de fon expédition. Enfuite il prefenta Aly-
culi-Chan à ce Général , 6c foit que ce fut de concert , foit
qu'il eût véritablement deflein de dégager fa parole , il le
pria inflamment de lui rendre la liberté. Mais il n'y eut pas
moyen de rien obtenir de cet homme inexorable. Leprifon-
nier fut conduit dans la fortereflè d'Erzerum , 6c de là à Con£
tantinople , où on le refïèrra fort étroitement.
Retour de Cependant comme Phy ver avançoit , 6c que la terre étoit
Muftapha & j » • couverte je neÎ2;e de toutes parts , les troupes commen-
ta diigrace. ,J o ..rr • r • * k n_
cerent a murmurer. Elles haiiloient louverainementMuita-
plia , à caufe de fon avarice infatiable de de fa négligence ex-
trême à faire venir des vivres, 6c à procurer au lbldat fes
petites commodités. Ainfî ce Général appréhendant quel-
que fédition , de Cachant qu'on avoit déjà parlé dans le camp
de fe défaire de lui , il reprit la route d'Erzerum 6c licencia
l'armée auffitôt qu'il y fut arrivé , fans attendre l'ordre du
Grand Seigneur. Enfuite il écrivit au Sultan pour l'informer
du fuccès de cette campagne , 6c il fit en même tems l'éloge
de Haflan , qui avoit fecouru fi à propos la garnifon de Tiflis.
Ce Bâcha fut récompenfé dans la fuite par les honneurs dont
Amurath le combla , 6c lui envoya le Calaat.
Au refte comme Muftapha étoit bien inftruit qu'il n'étoit
point aimé de fes troupes , de qu'il n'avoir pas moins d'enne-
mis à la Porte , il fe juftifîa avec foin auprès d'Amurath , de
ce qu'on avoit eu tant de peine à faire paffer du fecours à
Tiflis. Il lui reprefenta que ce qu'il lui avoit mandé l'année
dernière , que la Géorgie étoit tranquille 6c foûmife à l'o-
béïflance de l'empire Ottoman , n'en étoit cependant pas
moins vrai -y qu'en effet les obftacles qu'on avoit rencontrés
Êi'étoient point venus des Géorgiens, mais de Simon-Chan
5c d'Alyculi-Chan , qui s'étoient jettes dans le pais à la tête
des troupes du roi de Perfe.
Ces raifons avoient quelque fondement , mais elles n'en
furent pas mieux reçues. Muftapha étoit éloigné , 6c il avoit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIL 7r
à la Porte un rival puifTant qui travaillent fans relâche à le ' .■■
décrier. C'étoit Sinan Pacha , courtifan adroit , qui toutes Henri
les fois qu'on recevoit quelque mauvaife nouvelle de l'armée , III.
ne manquoit pas pour faire fa cour, de dire fièrement, que 1579,
fi on vouloitlui confier le foin de cette guerre , il iroit jufque
dans le palais de Caïbin prendre le roi de Perfe prifonnier,
& qu'il l'ameneroit au Grand Seigneur.
Quoiqu'il n'y eût dans ces diïcours que beaucoup déjà-
loufie &c de vanité , cependant Amurath qui aimoit àfefla-
ter , les regardoit comme un préfage de ce qui devoit lui ar-
river. Ainfi il lui ordonna de le diipofer à faire le voyage de
Perfe où il vouloit l'envoyer en qualité de GénéralûTime. Il
lui fit même efpérer fur les recommandations de la Sultane
Reine , qui avoit un pouvoir infini fur l'efprit du Grand Sei-
gneur, de le faire Grand Vifir, au cas qu'il accomplît ce
qu'il avoit promis fi iouvent.
On penfà donc à rappeller Muftapha qui étoit refté à Er-
zerum , malgré les ordres que le Grand Seigneur lui avoit
envoyés, d'aller palier l'hyver à Toccat *. Il fut mandé * C'efH'an-
par deux fois à la Porte. Mais comme il avoit pardevers lui ^'eane Am**
des preuves non équivoques du mécontentement du Sultan
&: de la haine des foldats, il chercha à £ao;nerdu tems \\
fentoit bien outre cela , qu'on pouvoit lui faire de la peine au
fujet des charges militaires qu'il avoit vendues. Car c'en:
un droit qu'ont chez les Turcs ceux qui font à la tête des ar-
mées de pouvoir difpofer de tous les emplois , grands &
petits , en faveur de qui bon leur femble.
Toutes ces raifons empêchant Muftapha de paroître à la
Porte, où il craignoit qu'on ne lui fît un mauvais parti, le
Capigilar Kihaïa ou Capitaine des gardes de la Porte > reçut
ordre de prendre quinze de (es gens 6c de fe rendre au camp.
A fon départ Amurath lui remit trois lettres , toutes trois
d'un ftile différent , dont cet Officier devoit faire l'ufage
que la prudence lui dicteroit eu égard aux circonftances. La
première étoit écrite de manière qu'en la rendant à Mufta-
pha, on devoit auflîtôt l'étrangler, La féconde contenoic
une défenfe du Grand Seigneur de troubler en aucune façon
ceux qu'il envoyoit , dans l'exécution des ordres qu'il leur
avoit données, Et la troifiéme ne renfermoit rien de tout
7* HISTOIRE
=5 cela. Le Capigilar Kiaïa chargé de ces expéditions arriva
Henri au camp , qui étoit triple j en forte qu'il fut obligé de palier
III. par le premier & par le fécond , avant que d'entrer dans le
i <-]q. troifi éme. Cependant il refta quelque tems fans pouvoir par-
ler au Général , qui trouvoit chaque jour de nouveaux pré-
textes pour différer cette entrevue. Enfin comme il faifoit
inftance pour l'obtenir , Muftapha qui vit bien qu'il n'y avoit
plus moyen de s'en défendre , lui donna audience. Mais
comme il fe douta du fujet de l'ambafïade , il eut la précau-
tion de faire tirer autour de lui un grand cercle , avec défen-
fe fur peine de la vie de le palier , &c reçut de loin l'envoyé
du Sultan , ayant autour de lui à quelque diftance , tous fes
gardes le cimeterre à la main. Le Capigilar Kiaïa vit bien
par là, qu'il n'y avoit pas moyen de fe fervir des deux pre-
miers ordres dont il étoit porteur. Ainfî il ne préfenta que le
troi/iéme. C'étoit un commandement d'Amurath de lui li-
vrer fon Chancelier & fon Tréforier , qui chez les Turcs ont
chacun leur nom particulier ( i ). Muftapha fit d'abord quel-
que difficulté, & voulut chercher encore des prétextes pour
éluder cet ordre. Enfin fur les inftances réitérées de l'En-
voyé, il confentit à lui remettre ces deux Officiers , mais à
condition qu'on lui répondroit de leur vie. Le Capigilar
Kiaïa l'accepta , tous deux furent livrés , conduits de là à
Conftantinople, & enfermés enfuite dans le château des fept
Tours , où elf le tréfor du Grand Seigneur, & où on ne dou-
toit pas que ces malheureux ne fuflènt appliqués à la queftion
la plus rude , pour tirer d'eux des lumières fur la conduite
de leur maître,
(;) C'cft le Nifchanzim 8c le Defterdar.
Fin du Livre foixfflU & fefticwe.
HISTOIRE
73'
(M* * + * + •» + * + * + -fr + -fr+-fr + *4'*4"fr'i"fr +ô
HISTOIRE
D E
JAC QJJE AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE SOIXANTE-HVITIEME.
TAndis que la guerre faifoit ainfî de l'Orient le théâtre
de Tes ravages , Henri s'occupoit en France de projets Henri
tout difFérens.L'Ordre des Chevaliers de Saint Michel établi *■ * *•
par les Rois fes prédécefleurs commençoit à être fort avili, i 579.
L'honneur d'y être admis , qui fembloit devoir être réfervé Affaires de
pour la Noblefîe , &les Officiers qui fe feroient diftingués au Fr^ce«
ïèrvice , avoit étéproftitué à toutes fortes de gens fans mérite
& fans nom. Dans ces circonftances ce Prince naturellement
ennemi des coutumes anciennes, de qui ne trouvoit de l'at-
trait que dans ce qui avoit quelque air de nouveauté, fôngea
à fonder un autre Ordre militaire fous le nom du S. Efpritj Erabîiflcmene
&il fit la première cérémonie de ce nouvel établilTement le j^™ fa™1*
dernier jour deDécembre. s. Efpw.
Il étoit compofé de cent Chevaliers , y compris le Roi ,
Grand Maître de l'Ordre, quatre Cardinaux, quatre Prélats,
le Grand Aumônier de France 7 le Chancelier, le Prévôt,
Tome FUI, K
74 HISTOIRE
ou Maître des cérémonies, le Grand Tréforier, îe Greffier ,.
Henri le Hérault , 6c l'Huiiïier de l'Ordre. Les Chevaliers furent ap-
III. pelles Commandeurs , parce que le delTein de S. M. avoit été
1 579' d'abord de dépouiller les plus riches Abbayes de ces grands
revenus qu'elles poflèdent, pour les mettre en Commande 5
ain fi qu'il fe pratique en Efpagne. C'ctoitle fruit des con-
feils du cardinal de Lorraine. Ce Prélat, qui tenoit de la libé-
ralité de nos Rois les plus beaux bénéfices de France , avoic
infpiré ce projeta Henri quatre ans auparavant , à fon avène-
ment à la Couronne , dans l'efpérance , dit-on , de perpétuer
par-là dans fa famille ces gros revenus Ecciéfiaftiques , fous
le titre de Commanderies 3 cela lui fut reproché par le Clergé
quelque tems avant qu'il mourût j fes amis même le lui écri-
virent alors. Après la mort du Cardinal, le Roi lit agir fes
AmbafTadeurs à la Cour de Rome, pour engager le Pape à ac-
corder la permiffion de faire cette réunion. On lui réprefenta
que cet ordre étoit fur-tout inftitué pour la propagation de la
Religion Catholique , Apoftolique , 6c Romaine , 6c l'extir-
pation de l'héréfîe, 6c que c'étoit un des principaux articles
contenus au ferment que prêtoient les Chevaliers le jour de
leur réception. Mais le Clergé s'oppofa aux prétentions de la
Cour , 6c on ne put rien obtenir de S. S. Cependant le nom en
demeura à ceux qui furent revêtus de ce nouveau titre de di£-
îin&ion 5 6c dans les ftatuts de l'Ordre , qui furent publiés au
mois de Décembre fuivant , ils prirent le nom de Chevaliers
Commandeurs de l'Ordre du S. Efprit. La poftérité verra
par-là quelles avoient d'abord été les vues de la Cour , en
faifant ce nouvel établiiTement j 6c ce fera pour nos defeen-
dans un avertiiîèment de prendre garde que ce que le Prince
tenta alors inutilement, ne réuffille un jour fous fes fuc-
ceiîèurs.
Tout le monde attendoit cependant avec impatience queî
feroit le fruit des Etats tenus à Blois deux ans auparavant ,
lorfque la Cour envoya au Parlement un Edit daté de Paris
du mois de Mai , contenant trois cens foixante 6c trois ar-
ticles, par lequel S. M. faifoit fçavoir fes intentions au fujec
des demandes faites par lesEtats généraux duRoyaume.Auffi-
tôt toutes les Chambres s'afïemblérent pour l'examiner, 6£
continuèrent foir & matin pendant long-tems , jufqu'à ce
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL 75
qu'enfin il fut enregistré Je 1 5. de Janvier de l'année fui vante. ■■■
Cet Edit renfermoit plusieurs réglemens très-fages , aufquels Henri
on fe conforma pour Ja plupart dans les différens tribunaux III.
du Royaume. Le malheur des tems empêcha que les autres 1570.
n'euffent leur effet.
La Cour remédia en même tems à un abus qui s'étoit in,
troduit à Paris dans lapafïàtlon des Contrats , où il fuffiibit
de la Signature de deux Notaires pour en conffcater la vali-
dité. On fit attention que dans une ville auffî peuplée que
cette capitale , où on fe rendoit de toutes les provinces du
Royaume , il étoit aifé à des gens de mauvaife foi de faire de
faillies fuppofîtions. Ainfi comme on avoit déjà des exem-
ples de pareilles friponneries , pour prévenir les fauflètés qui
pourroient fe faire à ce fujet , Barnabe BrifTon Avocat général
prefenta fon réquificoire à la Cour, par lequel il demanda
qu'il fût ordonné , que dans la fuite la Signature des parties
contractantes feroit néceSTaire pour la validité des contradsj
èc que fî après avoir été interpellées , elles déclaroient ne fça-
voir ligner , les Notaires feraient obligés d'en faire mention
dans l'Acte. Sur quoi intervint le 29. de Janvier un Arrêt de
la Cour conforme à (es conclusions.
Cependant la Reine mère , qui s'étoit rendue auprès du Conférence
roi de Navarre , pour recevoir les plaintes des Réformés de c NcMC*
ces provinces éloignées , &; pacifier s'il étoit poffible , les trou-
bles de la Guienne , négocioit avec les députés des Eglifes
Proteftantes. Ladifputefut vive de part & d'autre , &: dura
long-tems. Enfin le dernier de Février on convint à Nerac de
vingt - fept articles , tendans tous, ou à interpréter , ou à
expliquer plus amplement les termes du dernier Edit , donné
deux ans auparavant. Ils furent foufcrits au nom du Roi par
la Reine mère, Armand Gontault de Biron , Guillaume de
Joyeufe , Louis de Saint-Gelais Sieur de Lanfac , Bertrand de
Salîgnac de la Motte Fenelon , & Gui du Faur fleur de Pi-
brac. S. M. ratifia enfuite cet accommodement à Paris le 19-
de MarSj( 1 ) mais on ne jugea pas à propos de le rendre public
dans les circonfl:ances,6c il ne le devint qu'au bout de deux ans,
après la conférence de Fleix, comme je le dirai dans la fuite.
(1) Il y a dans M. de Tîiou XIX
K*L Apnl. C'eft une faute fenfîble ,
nous avons lu XIV. Kal. ApriL
Kïj
ff*
HISTOIRE
*579'
, Sur ces entrefaites la Reine pafTa à Agen , où fe renouvelïa
Henri plus vivement que jamais une ancienne querelle qu'il y avoit
III. entre Henri de la Tour Vicomte de Turenne , qui étoit pro-
che parent de la Reine , 6c Lieutenant général du roi de Na-
varre ,6c les Duras. L'arraire devint férieufe, & penfa coûter
la vie au Vicomte. Il y avoit trois ans qu'on avoit ôté le gou-
vernement de Caftel-jaloux , petite place de la principauté
d'Albret , àSavillan, pour le donner à Durfort de Rofans.
Ce nouveau gouverneur crut avoir raifon d'appréhender que
Savillan ne penfat à rentrer en pofTefTion de la place ; 6c pour
prévenir toute furprife , il ordonna en partant y à Garennes
Sergent Major denelaifTer entrer dans la ville aucune per-
fonne de marque. Cependant le Vicomte de Turenne le pré-
senta devant la place 5 6c en vertu du pouvoir qu'il tenoit du
roi de Navarre, il fit demander par de Reniez qu'on lui en
ouvrît les portes j mais Garennes s'en exeufa fur l'ordre qu'il
avoit reçu. Le Vicomte fut piqué de ce refus 3 6c ayant ren-
contré depuis de Rofans proche d'Agen, il le fomma de lui
en faire raifon. Cette affaire traîna pourtant jufqu a cette an-
née , que Duras étant venu faluer la Reine mère à Agen , où.
de Rofans fon frère le fuivit auffitôt après , il fit appeller en
duel le vicomte de Turenne : ce fut le 17. de Mars dès le
grand matin. Ce Seigneur fortit de la ville, 6c fe rendit au
gravier fur le bord de la Garonne , menant avec lui Salignac.
Les Duras arrivèrent un moment après, 6c on fe battit 5, le
Vicomte contre de Rofans , 6>c Duras contre Salignac. Mais
l'événement fut fi malheureux pour le Vicomte, qu'il refta
comme mort fur la place , percé de plufîeurs coups qu'il avoit
reçus dans le dos, 6c dans les côtés. Turenne fît grand bruit
de ce combat , 6c prétendit qu'il y avoit eu de la furprife 3 que
de Rofans portoit une cotte de maille fous fon habit, quoi-
qu'il eût aflùré le contraire , 6c que des gens apoftés l'avoient
pris en traîtres. C'efl ce qu'il publia dans un écrit qui parut à
cette occafîon. Sur-quoi on voulut fçavoir le fentiment de
Henri de Monmorency oncle de Turenne, (1) qui setoit
rendu à Agde$ &; ce Seigneur, après avoir pris l'avis des
(1) François de la Tour, père du
Vicomte dont il s'agit ici , avoit e'poufe'
Eleonore £tlle ainée du Connétable de
Monmorency , fœur de Henry duc
de Monmorency, qui par conféquent
étoit oncle du vicomte de Turenne.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 77
Gentilshommes 6c Officiers qui étoient à fa fuite , décida le -
2 3 . de Mai , que puilque les Duras en av oient ufé fi indigne- Henri
ment à l'égard du Vicomte , il lui étoit permis de chercher IIL
à tirer vengeance de cet aflaffinat par toute autre voie que 1 579,
celle du duel, qui eft en ufage entre Gentilshommes. La Reine
mère fut outrée de cet attentat , & vouloit faire informer
contre les deux frères , qui cependant s'étoient mis en fureté.
Mais le vicomte de Turenne la pria de n'y pas fonger , &; ar-
rêta toutes les pourfuites.
D'Agen la Reine mère parla à Touloufe , lieu de la ré fi-
dence du Parlement de Languedoc , où Jean de Monluc
évêque de Valence vint la faluer. Ce Prélat avoit eu ordre
de la Cour l'année précédente de paffer dans cette province ,
pour y préparer les efprits à quelque accommodement j & il
s'étoit rendu auprès de la Reine pour l'informer plus parti-
culièrement par lui-même du fuccès de fa négociation. Ce
fut-là qu'il tomba malade, accablé, ou de vieillerie , ou des Mort Je Jean
travaux qu'il avoit effuyésdans tant d'affaires dont il avoit été évêauTck
chargé j &il mourut peu de jours après. J'ai fî fouvent parlé Valence*
avec éloge de ce grand homme , que je croirois me rendre
ennuyeux fi je répétois ici ce que j'en ai déjà dit. Il fufïïra
qu'on fçache qu'il étoit également eftimable par (es talens na-
turels , &fon érudition ^ &: qu'il n'eut jamais rien plus à cœur
que de voir la paix rétablie dans l'Eglife. Deftiné dès fa jeu-
nefïèà l'état Eccléfiaftique, à peine il parut à la Cour, qu'on le
regarda comme capable des plus grandes affaires. Ce fut par-
là qu'il s'introduifit dans les bonnes grâces du cardinal de
Lorraine , qui fe faifoit alors un plaifîr de protéger à la Cour
les gens d'eiprit, &c qui le fit employer dans pluïieurs ambaf-
fades , dont il s'acquitta avec beaucoup d'habileté & de bon-
heur. Je ne parle point de celle d'Ecofle, ni de quelques au-
tres. Il eft certain qu'il réuffit admirablement dans celles de
Conftantinople & de Pologne ,où contre l'efpérance de tout
le monde , malgré les brigues de tant de Princes prétendans à
ce grand &; piaffant royaume , qui par la mort de Sigifmond
Augufte , décédé fansenfans , dépendoit du choix de la na-
tion , il fçut écarter tous ces concurrens , & réunir tous les
fufFrages en faveur de Henri , alors duc d'Anjou. Mais ce
Prince > qui auroit préféré les délices de la cour de France à
Kiij
7$ HISTOIRE
— — toutes les couronnes du monde,reconnut fort mal un fî grand
Henri fervice. Il regarda cette éle&ion , qui le combloit de gloire ,
III. comme un exil honorable que Tes ennemis lui impofoient pour
1 579» l'éloigner ^ & depuis ce tems -là il ne put voir de bon œil celui
à qui il en étoit redevable. Monluc d'un autre côté, qui fe
voyoit déjà dans un âge avancé , oc pour qui fa difgrace fem-
bloit être un averuifement du Ciel , qui l'exhortoit à penfer à
la retraite , eut l'imprudence de ne pas profiter à tems de cette
occaflon -y &: il eut la douleur de fe voir dans un âge décrépie
mourir méprifé dans le commerce des Dames de la Cour ,
candis qu'il auroit pu fe flater de jotiir tranquillement le refle
de {es jours d'un repos honorable dans fondiocéfe.
La Reine mère, pendant le féjour qu'elle fit à Touloufè ,
travailla à arranger les affaires de la province. Sur-tout elle
avertit le Parlement d'ufer à l'avenir de moins de rigueur , de
de fe montrer plus favorable dans l'interprétation du dernier
Editfait en faveur des Proteftans. De-là elle prit fa route par
CarcafTonejôc après avoir appaifé les troubles qui renaiffoient
chaque jour dans le bas Languedoc, elle fe rendit en Dau-
phiné , où les efprits étoient beaucoup plus en mouvement.
Henri de Monmorenci duc de Damville avoit accompagné
jtfette PrincefTe à fon départ du Languedoc, dont il étoit Gou-
verneur , jufqu'à Grenoble. Ce fut là qu'Emmanuel-Philibert
duc de Savoie vint la faluer. Le fujet du voyage de ce Prince,
qui favorifoit fous main les defTeins de Bellegarde , étoit d'ob-
tenir une audience de la Reine pour la préparer à la jufHfïca-
tion que ce Maréchal vouloit faire de ce qui venoit de fe
pafler dans le Marquifat de Saluces.
■Suite des Bellegarde étoit piqué contre la Cour par les raifons que
projets du ;>ai rapportées , en parlant des événemens de l'année précé-
Maréchai de ', fcr\i • * • • i j- j *
Bellegarde. dente. Il avoit eu encore , comme je vais le dire , de nouveaux
fujets de mécontentement , &; il ne cherchoit qu'une occafîon
de s'en venger. Dans cette vue il avoit ménagé avant la mort
de de Gordes une conférence au Buys avec lui &; le fîeur de
l'Efdiguieres. Cependant il ne s'y étoit point rendu, &; s'é-
toit retiré à Villeneuve vis-à-vis d'Avignon. Là cet hom-
me inquiet , &; qui ne cherchoit qu'à brouiller , ne fe tint
pas long-tems en repos. Il forma le projet de furprendre cette
fiche ville , dont il étoit fi proche 3 il le communiqua à Pierre
E J. A. DE THOU, Liv. LXVÏII. 79
F angier fîeur d'Anfelme , à Gaut , à BefTerie , & à quelques - m. '"" V
autres déterminés comme eux, qui nyavoient rien à ménager • Henri
& foit qu'il ne regardât dans cette entreprife que Ton intérêt III.
particulier- foit qu'il voulût par-là gagner entièrement la 1579,
confiance des Proteftans , qui pouvoient le fervir beaucoup
dans l'exécution des defleins qu'il méditoit , peu s'en fallut
qu'il neréùfsît. En effet en attaquant le Pape fi ouvertement i
il ne pouvoit manquer de fe brouiller avec la Cour ; après
quoi il ne lui refloit plus que d'aller fe jetter entre les bras des
Réformés , & du roi de Navarre , &: d'implorer leur protec-
tion contre de Ci puiflans ennemis. Mais le complot fut dé-
couvert j on arrêta quelques-uns des complices à Avignon i
où ils furent punis j <k Pirrho Malvezzi , que le Pape envoya
fur ces entrefaites avec de nouvelles troupes,s'étant jette dans
cette ville, rendit inutile le projet de Bellegarde, Cependant
il tira un avantage de cette tentative^ car comme il pafla de-là
par le Dauphiné pour fe rendre en Piémont , ce fut pour lui
une occafion de lier une amitié plus étroite avec l'Efdiguieres,
dontleiecours lui fervoit beaucoup pour l'exécution de ce
qu'il avoit alors en tête.
En effet la conduite que la Cour avoit tenue depuis avec
lui , n'avoit fervi qu'à l'aigrir encore davantage. J'ai dit qu'a-
vant le dernier Edit de pacification , êc dans le tems que la
Cour faifoit encore la guerre aux Proteftans , depuis que le
duc de Damville avoit abandonné leur parti , le Roi l'avoir
mis à la tête d'une armée qu'il devoit partager avec le maré-
chal de Bellegarde. En même-tems S. M. avoit fait faire an
Duc des propofitions qui lui étoient glorieufes en apparence «,
&; avantageufes ; mais qui dans le fond ne dévoient avoir au-
cun fuccès. Le but de la Cour étoit uniquement de tromper
également par là le Duc & le Maréchal. Or la Reine mère
avoit confeillé au Roi de fe fervir pour cette négociation du
miniftére de Bellegarde. S. M. ofFroit donc à Damville de lui
céder fes droits fur le Marquifat de Saluces , qu'il tiendroic
d'elle à foi & hommage, à condition qu'il fe démettroit du
gouvernement du Languedoc , qui feroit partagé entre le
maréchal de Bellegarde,& Guillaume de Joyeufe Lieutenant
du Duc , en forte qu'on donneroit à ce Seigneur le gouverne-
ment du haut Languedoc , & que le Maréchal auroic celui dvj
tô HISTOIRE
bas, qui eft beaucoup plus confldérable. Or en faveur de ce
Henri changement Bellegarde dévoie remettre au Duc toutes les
j j j villes & places fortes du Marquifat.
Damville , qui fentit auflitôt quel étoit le deffein de la Cour,
*'*' ne douta point de la fupercheriejmais il ne fit aucun femblant
de s'enappercevoir. Au contraire , il fit entendre à Bellegarde
qu'il étoit prêt d'accepter le parti dès que la guerre feroit ter-
minée -y 6c le Maréchal defon côté entretint le Roi dans cette
efpérance. Cependant la paix fe fit ^ 6c on mit cette affaire en
négociation. On tint des conférences fecrétes , où l'onn'agif-
foit que par députés j mais il fe prefentoit beaucoup d'obfta-
cles à l'exécution de ce derTein. Le Duc, qui ne cherchoit
qu'un prétexte honnête pour manquer à la parole qu'il avoit
donnée fans bleffer le reipecl: qu'il devoit au Roi , reprefen-
toit fur-tout à Bellegarde, qui prefToit vivement la conclufion,
que les loix du Royaume ne permettoient pas à nos Rois d'a-
liéner le domaine de la Couronne ^ & il demandoit en confé-
quence , qu'avant toutes chofes , cette échange , ou cette cef-
fionque S. M. vouloit lui faire , fût autorifée du confente-
ment des Etats généraux, 6c que l'ade même de cette con-
cefïïon fût enregiitré folennellement au Parlement de Paris ,
ôcà celui de Grenoble. La Reine mère defon côté, qui n'a-
voit point du tout intention d'en venir là , difoit que ce que
demandoit le Duc ne pouvoit manquer de faire beaucoup
de bruit ; qu'ainfi il étoit beaucoup plus à propos de com-
mencer par exécuter le projet qu'on avoit formé ^ après
quoi il feroit beaucoup plus aifé d'obtenir, 6c le confentemenc
des Etats , 6c l'enregiftrement dans les parlements du Royau-
me. Elle ajoûtoit , que pour éviter un éclat fâcheux , il feroit
même bon de n'en venir à cette exécution qu'avec de gran-
des précautions 5 qu'ainfi, au lieu de délivrer d'abord les pla-
ces du Marquifat à Damville , il conviendroit que le maré-
chal de Bellegarde les mît d'abord en fequeftre entre les mains
de celui que le Roi nommeroit à cet effet , qui les rendroit en-
fuite au Duc, aufîitôt qu'on auroit obtenu le confentemenc
des Etats , 6c l'enregiftrement que l'on fouhaitoit. Par- là elle
efpéroit dépouiller en même tems Damville 6c Bellegarde du
Marquifat de Saluces, 6c du gouvernement de Languedoc -y
après quoi le Roi feroit le maître d'en difpofer en faveur de
«jui bon lui fembleroit; Anne
DE J. A. DE THO U,Liv. LXVIII. 8%
Anne de Joyenfè demandoit pour Ton père le gouverne- ' »
ment tout entier du Languedoc. Bernard de Nogaret de la Henri
Valette , frère de Jean-Louis de Nogaret , briguoit de Ton III.
côté celui du Marquifat de Saluces. Cependant au milieu 1579»
de tout cela le Maréchal , que Ton ambition avoit aveuglé,
ne fe doutoit point encore du piège qu'on lui tend oit , 6c dont
le Duc s'étoit apperçi. Au contraire, comme il fouhaitoit
avec pafïïon de voir cette affaire terminée , il permit fans dif-
ficulté à Charle de Birague , frère du cardinal René de Bira-
gue , que le Roi avoit nommé pour tenir le Marquifat en fè-
queftre , de fe mettre en poiTeffion de la ville & du château de
Saluces. Mais lorfqu'on voulut faire la même chofe en Lan-
guedoc , DamviJle s'y oppofa , &; voulut s'afliirer auparavant
duconfentement des Etats,&: de l'approbation des Parlemens
du royaume.
Ce fut alors que Bellegarde s'apperçut qu'il étoit la dupe
des deux partis, que lui-même avoit defïèin de tromper. Cette
découverte ne fervit qu'à l'outrer davantage j& il prit dès-lors
la réfolution de fe venger à force ouverte de Tinjuftice qu'on
lui faifbit. Il négocia avec rEfdiguieres -y fe ligua avec lui $ de
parlant les Alpes, il marcha à Carmngnol qu'il fit aufîitôt
fortifier , fans attendre pour cela permiffion de la Cour. En
même-tems on travailloit auffi par ihs ordres à mettre Ravel ,
Dragoniero, Cental,6c Demont en état de défenfe. Enfin
voyant qu'il s'étoit trop avancé pour pouvoir fe flatter d'un
retour fincére du côté de la Cour , il fe livra abfolument aux
confeils du duc de Savoye -y & fous ombre de vouloir prendre
le parti des Proteftans , il commença férieufement à traiter
avec les ennemis de la France.Ce que je rapporte ici, je le tiens
aurefte delà propre bouche de Mathurin Chartier. C'étoit
un homme fans probité & fans honneur , qui après avoir
été quelque tems fécretaire du duc de Damville, fut employé
par le Maréchal de Bellegarde dans l'affaire dont je parle , &:
mourut enfin comme il avoit vécu ■ & ce fut lui-même qui me
raconta toutes ces circonftances dans un voyage que nousfî-
mes eniemble en Languedoc.
Pour mieux cacher fon deffein , le Maréchal leva des trou-
pes dans la Vallée d'Angrogne , de Pragelas, & de Queras
ou Chierafco , qui font prefque toutes Proteflantes. Outre
Tome VIII. L
82 HISTOIRE
._ cela l'Efdiguieres lui envoya douze cens hommes de pîed , &
Henri trois cens chevaux commandés par la Tour Gouvernée Enfin
III. il tira encore des levées , qui avoient fervi fous lui deux ans
1579* auparavant au fiége de Nîme, ce qu'il y avoit de meilleurs
foldats , donc il donna le commandement à d'Anfelme , à
Gaut , à BefFerie. Balthafar Flote comte de la Roche fe ren-
dit même auprès de lui -y en forte qu'il forma une petite ar-
mée compofée d'environ fix mille hommes de pied , &; cinq
cens chevaux.
A la tête de ces troupes le Maréchal fortitde Carmagnol ,
fuivi de douze pièces d'artillerie , &: marcha droit à Saluées ,
où commandoit Charle de Birague. A ion approche ce Gou-
verneurabandonna la ville , & ïe retira dans le château, mais
il n'y tint pas. Il fe rendit des qu'il vit le canon 3 de repafla
auffitot en France. Après fon départ , Bellegarde rentra aifé-
ment en poiFeffion de toutes les autres places du Marquifat-
En même-tems , pour garder toujours les mêmes dehors, il
écrivit à la Cour le premier jour d'Août , pour juftifler fa con-
duite j apportant pour prétexte de cette violence les infultes
perfonnelles qu'il avoit reçues , difoit-il , de la maifon de
Birague 3 & prétendant qu'il y alloit de la gloire du Roi & de
fbn honneur, de ne pas foufFrir qu'un homme comme lui , que
S. M. avoit honoré de la dignité éclatante dont il étoit re-
vêtu , devint le jouet de quelques étrangers r dont la fidélité
pouvoit juftement être fuïpecle à la France.
Tout cela avoit précédé l'arrivée de la Reine en Dauphiné 5
& c'en: ce qui empêcha Bellegarde de fe rendre auprès d'elle à
Grenoble. Mais le duc de Savoye y fuppléa , & fervit parfai-
tement fon ami en fon abfence , fous prétexte d'être venu
uniquement pour rendre vifite à cette PrincefTe, il fonda fes
fèntimens à l'égard du Maréchal. Il lui reprefenta , qu'elle ne
devoit pas lui faire un crime de ce qu'il n'avoit pas obéï à l'or-
dre qu'il avoit reçu de fe rendre auprès d'elle 3 que c'étoit un
efFet de la crainte qu'il avoit de ne pouvoir rentrer dans fes
bonnes grâces , & dans celles du Roi; que cette défiance étoit
pardonnable , puifqu'elle étoit fondée fur tout ce qui s'étoit
parle 3 qu'au refte elle s'efFaceroit à la première entrevue' que
S. M. voudrait bien lui accorder- mais qu'il fouhaitoit d'avoir
toutes fes fûretés 3 qu'ainû au cas qu'elle eut pour agréable
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 83
que le Maréchal vint la trouver à Monluel en Breflè , place ,-i
appartenante au Duc , il s'engageoit à le lui amener. Henri
La Reine mère avoit déjà eu quelque vent des defTeins per*. III.
nicieux que formoit le Maréchal. D'ailleurs elle appréhen- x -7
doit tout du caractère de cet homme ambitieux. Ainfi comme
elle vit qu'il falloitfè réfoudre à traiter tête-à-tête avec lui,
elle accepta le parti avec d'autant moins de peine , qu'ayant
deflein de fe rendre à Lyon , elle ne feroit pas là fort éloignée
de Monluel. On prit donc jour pour cette entrevue 5 après
quoi le Duc partit pour aller rendre compte à Bellegarde du
fuccès de fa négociation. Avant que de quitter la Reine , ce
Prince lui jettaaufïi quelques mots de fes droits fur le Mar-
quifat de Saluces. Il y avoit quatre ans que le Roi lui avoit
rendu Pignerol &; Savillan. Ce fut pour lui comme un degré
dont il fe fervit pour former de plus grandes prétentions. Il
demandoit alors le Marquifat même , & c'étoit un prétexte
qu'il cherchoit pour faire une querelle à la France , ou pour
juftifier les troubles que cette difputc ne manqua pas de faire
naître peu de tems après.
Aufîïtôt que la Reine mère fut arrivée à Lyon , Charle
de Birague, Mario & Louis de Birague les coufîns , vin-
rent l'y laluer. Ils étoient fuivis de ces familles d'Italie , qui
pour avoir autrefois pris le parti de la France,avoient été obli-
gées d'abandonner leurs biens & leurs maifons , & avoient
trouvé dans le Marquifat de Saluces un nouvel établiïlèment ,
qui depuis long^temsleur tenoitlieu de patrie. Tous ces Ita-
liens, que Bellegarde venoit de chafTer honteufementdu Mar-
quifat , firent de grandes plaintes contre lui. Ils l'acculèrent
déformer , de concert avec le duc de Savoye , &: par confé-
quent avec la cour d'Efpagne, des projets fecrets contre
l'Etat ^ aflîirant que l'intelligence qu'il vouloit paroître en-
tretenir avec les Proteftans n'étoit qu'une pure feinte dont il
les amufoit , eux , &: la France , tandis qu'il ne penfoit qu'à
livrer la frontière aux Efpagnols.
Comme cesaccufations venoient de gens aigris perfonnel-
lement contre le Maréchal , elles ne furent pas fort écoutées ,
ôc elles n'empêchèrent pas la Reine, lorfque le jour marqué
pour l'entrevue fut arrivé , de partir pour Monluel avec une
grande fuite. Outre ceux dont j'ai déjà parlé , elle étoit
Lij
$4 HISTOIRE
accompagnée de Charle de Lorraine duc de Mayenne , de
Henri François Mandelot gouverneur du Lyonnois , de Laurent de
III- Maugiron , 6c de Jean de Belliévre premier Préfident du Par-
i J72. lement de Grenoble. Le duc de Savoyes'y rendit le dernier ,
amenant avec lui Bcllegarde, comme on en étoit convenu.
Ce Maréchal , pour cacher fous cette apparence de liaifon
qu'il fembloit avoir avec les Réformés des deffeins beaucoup
plus criminels, avoit exprès fait venir avec lui les députés des
Eglifes Protefbntes du Dauphiné. Il eut d'abord une au-
dience particulière de la Reine mère , dans laquelle il tra-
vailla à fe jufHfïer auprès d'elle des projets dont on l'accufoit,
& ii crut y avoir réùfli. Cette PrincefTe d'un autre côté, qui
fe voyoit obligée de fe contenter de fes excufes , quelles qu'el-
les fuilènt , parut goûter fes raifons 3 6c on penfa enfuite aux
moyens de faire exécuter le dernier Edit dans la Province.
Les Proteftans commencèrent par faire de grandes plain-
tes de ce qu'on n'y avoit aucun égard , 6c qu'on le violoit par-
tout impunément. D'un autre côté , Bellegarde qui fembloit
ne fouhaiter que la paix, vouloit paroître prendre leurs inté-
rêts fort à cœur. Enfin après bien des difputes , où on rît pa-
roître beaucoup d'animofité , on n'arrêta rien. On remit à
une autre occafion la décifion de cette affaire 3 6c on convint
feulement qu'en attendant on ne feroit aucune innovation ;
& que , fauf le droit des parties , les chofes refteroient fur le
même pied , jufqu'à ce que S. M. bien informée en eût au-
trement ordonné. Tout le monde fe fépara enfuite , plus dif-
pofé à la vengeance qu'à la paix.
Mort <k 5ur ces entrefaites, on reçut la nouvelle de la mort de
Maréchal de . . r,7 . -, , -r 1 •
Monmo- François de Monmorency. C etoit de tous les coumfans celui
ruicy. qUi méritoit le plus la confiance du Roi. Sa Religion , fon at-
tachement pour le bien public , fa grandeur d'ame , fa libéra-
lité , fon courage, fon génie, fon érudition même, talent
bien rare dans les perfonnes de cette condition , fà fermeté ,
fa droiture inébranlable -y tant de belles qualités ne laiffoient
à défirer pour lui, que des tems plus heureux, des maîtres plus
fenfîbles au vrai mérite , 6c une plus longue vie. L'ancienne
inimitié qui régnoit entre famaifon 6c celle des princes Lor-
rains , 6c qui jointe au danger où la Religion fe trouvoit alors,
donna , dit-on , naifTance à nos guerres civiles , l'engagea
DE J. A. DE THOU, Li v. LXVIII. 8 y
d'abord à employer toute cette prudence ôc cette grandeur _
d'ame qui lui étoient naturelles pour déconcerter leurs def- Henri
feins , aufquels il s'oppofa avec la dernière vigueur.Obligé de III.
foûtenir les intérêts de fon rang contre de fi puiflans adver- i C70
faires , il méprifa également la haine , &: la faveur du peuple ,
qui n'eft guéres recherchée que par des facfieux , &c prie hau-
tement le parti du prince de Condé , & de les coufins. Par-là
il fe fit beaucoup d'ennemis , parce que bien des gens s'imagi-
nèrent qu'il favorifoit les Proteftans. Du refle il fut toujours
le défendeur zélé de l'autorité royale,comme il le montra bien
à la Saint Barthélémy , lorfqu'il obligea le cardinal de Lor-
raine ,èt Henri de Guife, de fortir de Paris, parce qu'il les
avoit trouvés faifis d'armes défendues. Il fembloit que les
Princes de cette maifon n'oublieroient jamais cet affront; ce-
pendant ils fe réconcilièrent avec lui après fa fortie de la Baf.
tille -, & il parut que c'étoit fincérement. En effet quelques
mois avant fa mort , le Maréchal ayant été attaqué d'Apo-
plexie dans le Louvre môme , où il avoit fon appartement , le
duc de Guife pafla toute la nuit au chevet de fon lit, &: lui ren-
dit tous les fervices qu'on peut attendre d'un véritable ami. Il
alla auffi très-fouvent le voir à Chantilly , où on le transporta,
des que fa fanté fut un peu rétablie j & quoiqu'il n'y eût plus
rien à en efpérer , il lui donna tous les témoignages pofîibles
d'un attachement vraiment fincére. Enfin dès qu'il fut de
retour des Etats de Normandie , oi; le Roi l'avoit envoyé ,
parce qu'on craignoit quelque foulevement dans cette pro-
vince, il eutuneieconde attaque dans fon château d'Ecoùan
le 6. de Mai , àc ce grand homme mourut, à peine âgé de cin-
quante ans , emportant avec lui le titre glorieux de dernier
des François. Ceux qui lui étoient le moins affè&ionnés pen-
dant fa vie, pleurèrent fa perte 3 6c le Roi le regretta encore
long-tems après dans ces tems malheureux , qui marquèrent
les dernières années de fonrégne.
On donna à cet excellent homme un fucceflèur bien diffé-
rent de lui. Ce fut Villequier, qui fur ces entrefaites fe ren-
dit auprès de la Reine-mére. Il étoit chargé d'ordres fecrets
pour cette PrincefTe j ôc ce fut pour lui une occafion de venir
partager les libéralités que le duc de Savoye faifoit aux dé-
pens de l'argent de Philippe , dont il fe fervoit habilement ?
Liij
86 HISTOIRE
» pour mettre dans fes intérêts la plupart des Seigneurs de la
Henri Cour & des Minières. En même tems , le duc de Mayenne
III. tranfigea avec ce Prince pour le comté de Tende , dont Ton
i c-jq, époufè venoit d'hériter par la mort de fon péreHonoré deSa-
voye , marquis de Villars , amiral de France. Ce fut une pré-
varication manifefte de la part de la Reine de permettre
qu'on tranfportât à un Prince étranger qui penfoit dès-lors
à s'enrichir de nos dépouilles , un domaine fi confidérable
fitué fur nos frontières , &; très-propre à les étendre. Mais
elle ne put refufer cette complaifance aux follicitations d'An-
ne d'En: femme de Jacque de Savoye duc de Nemours , dont
elle avoit deux fils , & mère du duc de Mayenne , qui vouloit
par là faire plaifir au duc de Savoye , quoi qu'il en pût coû-
ter au Royaume. D'un autre côté le duc de Mayenne con-
fentit volontiers à ce tranfport. Il formoit dès-lors de vaft.es
projets , &: il fut bien aife de trouver cette occalion d'obli-
ger ce Prince qui étoit l'émifTaire de Philippe , & de fè l'at-
tacher par un fervice fi important.
Après le départ de la Reine mère de Monluel , le duc de
Savoye reprit aufli la route de fes Etats. Pour le maréchal de
/ Bellegarde , il voulut paiTer d'abord par le Dauphiné , afin
de conférer avec l'Efdiguiéres, & lui confirmer de bouche la
parole qu'il avoit donnée aux Proteflans. Il lui repréfenta
que tout le difpofoit à la guerre , lui promit de ne point l'aban-
donner , &; fit fî bien qu'il l'engagea à députer conjointe-
ment au roi de Navarre , pour le prier , au cas que les fervices
du Maréchal lui fuiTent agréables , de lui envoyer un plein
pouvoir pour faire la guerre en Dauphiné , en Provence , àC
dans le Lyonnois. Bellegarde chargea de cette commilîion
Montberault, que les Proteflans firent accompagner par Ca-
lignon. Montberault fut très-bien reçu du roi de Navarre ,
à qui Calignon avoit ordre de l'Efdiguiéres de confeiller dyQn.
ufer ainfi j & ce Prince lui accorda le pouvoir qu'on deman-
doit, pour fervir au Maréchal au cas qu'on fût obligé d'en
venir aux armes j enfuite on le congédia. Pour Calignon, il
refta auprès du roi de Navarre.
Cependant Bellegarde avoit repafTé les Alpes dès la fin de
Septembre , &: s'étoit rendu à Carmagnol. Déjà fa fuite
commençait à devenir plus nombreufe , Se approchoit de celle
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 87
d'un petit Souverain. Il recevoitincefïamment des couriers de
Milan , & d'autres endroits fufpects. Toutes ces circonftances Henri
firent conjé&urer à ceux des Proteftans qui avoient quelque III.
expérience , que le Maréchal avoit en tête des deffeins tout 1579.
dirFérensdeceux qu'il faifoit paroître. L'Efdiguieres, qu'on ne
pouvoit tromper long-terns, informa même le roi de Navarre
qu'on découvroit chaque jour de nouvelles preuves , qui con-
fîrmoient qu'on ne devoit point fe fier à Bellegarde. Mais le
décès imprévu de ce Maréchal qui arriva fur la fin de l'an-
née, les délivra de l'inquiétude qu'il leur donnait. La débau-
che le perdit 3 6c la mort en terminant fes jours arrêta le cours
de ces vaftes projets qu'il méditoic contre la France.
En même-temsleroi de Navarre convoqua uneafTemblée ^es E^HfoC
des Eglifes Proteftantes à Mazere dans le Comté de Foix. Le protcftanres
duc de Damville , à qui nous donnerons dorefnavant le nom * Mazere.
de Monmorency , s'y rendit le 9. de Novembre , fuivi de Ni-
colas d'Angennes de Rambouillet , 6c de Jean-Baptifte Gua-
dagne, que la Reine mère avoit nommes pour l'accompa-
gner, avec Odet de Foix comte de Carmain , François de la
la Vallete de Cornuflè , 6c plufieurs autres. Le defîèin de Ton
voyage étoit de porter au Prince les plaintes des Etats de Lan-
guedoc qu'il venoit de tenir à Carcaflbne. En effet quelque
tems auparavant les Proteftans s'étoient emparés de la plu-
part des petites places qui font autour de Pezenas , d'où ils
faifoient des courfes dans tous les environs , 6c exerçoient une
infinité de brigandages. Ainfi il demandoit d'abord qu'il lui
fut permis de châtier ces perturbateurs du repos public , fans
que le Prince le trouvât mauvais , ni que pour cela il pût être
cenfé contrevenir au dernier Edit. Il ajouta un autre article,
ôc demanda enfuite que les Proteftans remifîent les villes 6c
places de fureté , qui ne leur avoient été accordées que pour
un tems, au bout de ce terme expiré.
Ces proportions louffrirent bien des difficultés ^ enfin on
accorda le premier article avec beaucoup de peine. Pour ce
qui eft du fécond , qui regardoit la reftitution des places , on
lerefufa nettement ^ 6c on s'en remit à la decifion de S. M. à
qui le roi de Navarre dit qu'il avoit envoyé des députés.
Après cela Monmorency, qui pendant cette négociation avoit
logé à Beaupuy , en partit le 2 1 . de Novembre , 6c reprit la
8 3 HISTOIRE
■' route du Languedoc. Pour le roi de Navarre, il reftaà Mar
Henri zere,où il reçue les remontrances des députés desEglifes Pro-
III. teftantes , qui fe plaign oient que dans la plupart des provinces
j c-ja. on négligeoit d'obferver , ou même qu'on violoit ouverte-
ment le dernier Edir. Ces plaintes partagèrent les avis de
l'aflemblée. Les uns vouloient qu'on prît aufîitôt les armes,
D'autres prétendoient qu'il ne falloit pas fe prefîer de faire un
éclat qui ne feroit pas avantageux au parti , 6c dont le fuccès
étoit incertain -y 6c qu'on ne devoit en venir là qu'à la dernière
extrémité. Enfin on convint, que puif qu'on n'avoit tiré aucun
avantage de l'entrevue de Monluel , puifque les Gouverneurs
ni les Parlemens du Royaume ne fe metroient pas en peine
d'obferver les articles arrêtés dans la conférence qui venoic
de fe tenir à Nerac , 6c qu'on négligeoit de mettre le dernier
Edit à exécution, on fe prépareroit à la guerre -y que cependant
on attendroit à fe déclarer , qu'on eût envoyé encore de nou-
veaux députés à la Cour , pour s'augurer des dernières inten-
tions de S. M. afin de tenter tous les moyens de s'accommo-
der à l'amiable -} 6c que fi toutes ces démarches ne réufîiffoient
point , on commenceroit alors les hoftilités au tems Se au
jour que le roi de Navarre marqueroit.
On fit un arrêté de cette réfolution , qui fut tenue fecrette.
Enfuite le roi de Navarre prit en particulier Antoine de Pleix
fieur de Lecques , député desEglifes du Languedoc , &c Ca-
lignon député du Dauphiné ^ caffa en leur prefence deux
écus d'or , dont il retint deux moitiés 3 6c leur donna les deux
autres , avec ordre de les rendre , l'une à François de Châtil-
lon fils de l'Amiral de Coligny , l'autre à l'Efdiguieres , Se de
leur dire que qui que ce fût qui leur portât dans la fuite les
deux moitiés , qu'il confervoit , ils eufTent à recevoir de lui
l'ordre pour le jour, 6c la manière de commencer la guerre.
Il ajouta, qu'en prenantainfienmême-tems les armes de tou-
tes parts , ilsfe rendroient formidables à leurs ennemis ; que
cela leurfaciliteroit la prife de quelques villes ^ 6c qu'ils ne fe
déclareroient de la fferte que par une action d'éclat , qui in-
flueroit fur toute la fuite de la guerre. Après cela ce Prince
congédia les Députés, qui reprirent le chemin de leurs pro-
vinces avec encore un refte d'efpérance de voir quelque ac~
commodément ^ mais du refte bien réfolus de ne rien négliger
pour
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 89
pour fe préparer à la guerre. En effet elle fè ralluma au mois -
d'Avril de Tannée fuivante , à l'occafîon que je rapporterai Henri
en parlant de cet événement. 1 1 1*
Cependant la Reine mère étoit déjà à la Cour, où elle 1 579.
avoit été précédée du duc d'Anjou. En effet,ce Prince s'y étoit Retour ju
rendu en porte le 1 6. de Mars , contre l'avis de la plus grande duc d'Anjou
partie de ceux qui lui étoient affe&ionnés j & Ton arrivée fut a la Cour'
fi imprévue , que quoiqu'il eût paffé la nuit au Louvre lorf-
que cette nouvelle fe répandit le lendemain matin , comme
on fçavoit que le Duc n'étoit pas bien avec le Roi Ton frère ,
elle parut 11 peu probable , qu'on fit pour & contre des paris
très-confidérables. Ce retour , qui marquoit allez que le
Prince étoit fans défiance , fit beaucoup de plaifirà Henri,
qui ne penfoit plus qu'à s'abandonner à la molleffe , & qui
pour acheter ion repos à quelque prix que ce fût ,auroit dans
le moment accordé à fon frère tout ce qu'il auroit voulu,pour-
vû qu'il lui eût promis de ne plus troubler le Royaume. En
effet , cette dernière démarche du Prince avoit effacé dans le
cœur du Roi tout le reffentiment du paffé , & dilïipé pour le
prefent tous les ombrages qu'il avoit pu avoir.
D'un autre côté le duc d'Anjou, qui ne manquoitpas
d'habileté , & qui n'étoit pas fâché qu'on le fçût , profita de
l'occafîon. Il fûpplia le Roi de lui être favorable dans la
recherche qu'il faifoit de la Reine Elifabeth , & de ne point
s'oppofer aux levées qu'il avoit deffein de faire dans le Royau-
me pour pafTer en Flandre. La Reine mère, qui ne rouloit
que de varies deffeins , joignit {qs inftances à celles du Prince ,
éc'û obtint tout ce qu'il voulut. Ainfî il partit de la Cour au
mois d'Août avec allez peu de fuite ,&: pana en Angleterre ,
où il fut fort bien reçu de la Reine Elifabeth , qui lui fit efpé-
rer de l'époufer. C'eft fur ce fondement que l'année fuivante
le Roi envoya une célèbre ambaflade à cette Princeffe , ôc les
articles du contrat de mariage furent même drefïes.
Tandis que le Prince étoit encore à la Cour , il montra au
Roi en badinant, des lettres que lui écrivoit Louis de Cler-
mont d'Amboife fieur de Bufîy. Comme ce Seigneur étoit
fort familier avec fon jeune maître , il lui mandoit qu'il
avoit tendu des rets à la bêre du Grand-Veneur, èc qu'il la
tenoit dans fes filets. Or cette bête du Grand-Veneur étoit
Tome FI IL M
9o HISTOIRE
la femme de Charie de Chambes comte de Monforeau , à
Henri qui le duc d'Anjou avoic donné cette charge à larecomman-
III. dation de BufTy. Le Roi avoit gardé ces lettres , 6c comme
i 579. U F avoic déjà long-tems qu'il en vouloit à Bufïy , dont il ne
pouvoit fupporter la fierté & la pétulance , il réfolut de fai-
iir cette occafion pour fatisfaire ion rellentiment. En efFet
pendant que BuiTy étoit à la Cour, il infultoit hardiment
tout ce qu'il y avoit de Dames 6c de Seigneurs , comptant fur
une certaine réputation de bravoure qui le faifoit redouter.
-.11 n'étoit pas plus aimé dans la Province. Depuis qu'il s'étoit
mis à la fuite du duc d'Anjou &; qu'il avoit obtenu de ce Prin-
ce le gouvernement du château d'Angers , une des plus fortes
places de toute la contrée , 6c qui fert de boulevard à cette
grande ville , il s'étoit rendu odieux aux Bourgeois , 6c même
aux habitans de tout le pais , par fes exa&ions 6c par les im-
pôts qu'il levoit de fa propre autorité , 6c fouvent fans en
parler au Prince.
Le Roi tira donc un jour en particulier le comte de Mon-
foreau , qui fe trouvoit alors par hafard à la Cour , & après
lui avoir montré les lettres de Bufïy , il lui dit qu'il s'intéref-
foit trop à l'honneur de fa maifon 6c à fa propre gloire , pour
vouloir lui faire myftére d'un affront aufïi fanglant j qu'au
reffce il ne croyoit pas néceflaire de l'avertir du parti qu'il lui
convenoit de prendre en pareille occafion japrès quoi il le con-
gédia. Le Comte fortit de cette converfàtion animé du de-
iîr de fe venger , non-feulement par le refïèntiment de l'ou-
trage qu'il avoit reçu ; mais encore parce que le Roi fembloit
lui faire entendre qu'on le regarderoit comme un lâche , s'il
ne fçavoit pas en tirer raifon. Il fe rendit chez lui en diligen-
ce , àc il obligea fa femme d'écrire à Bufïy pour lui donner un
rendez-vous à Couftanciere. C'étoit un château de plaifance
très-avantageufement fitué pour la chaffe. BufTy s'y étoit
rendu le 19. d'Août fuivi du feul Colladon fon confident,
lorfqu'il fe vit attaqué par le comte de Monforeau lui-même
à la tête de quelques autres , tous couverts de cottes démail-
les. Il ne fe déconcerta cependant point , 6c quoique feul
contre plufîeurs , il pouffa d'abord très- vivement ces afîàf-
fins. Enfin accablé par le nombre 6c ne trouvant plus de réf.
fource dans ïes forces épuifées par un long combat , il voulut
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 91
fe jetter dans le fofTé par une fenêtre j 6c dans ce moment-là —
il fut tué par derrière. Henr,i
Cet aflaffinat fut la fource d'une inimitié mortelle entre 1 1 ï.
les BufTy 6c le Comte , & elle pafTa jufqu'à Jean de Monluc, 1579.
furnommé Balagny , fils naturel de l'évêque de Valence ,
dont j'ai fou vent parlé , qui en époufant la fœur de BufTy qui
venoit d'être tué , fe chargea aulii de le venger. Sa haine fer-
vie par celle de fa femme dont le courage étoitfort au-def-
fus de fon fexe , ne donna pendant neuf ans aucun relâ-
che à fon ennemi ^ 6c au bout de ce tems-là , ce ne fut encore»
qu'avec beaucoup de peine que le Roi l'obligea d'accepter les
conditions que Monforeau lui ofFroit pour fe mettre à cou-
vert de fon reflèntiment.
Toute la province fut charmée de la mort de BufTy , 6c le
duc d'Anjou lui-même ne fut pas trop fâché d'en être dé-
fait. Il commençoit à lui devenir à charge. Il donna le gou-
vernement de la ville & du château d'Angers à Jean de Simié.
C'étoit un homme adroit 6c rufé, qui avoit fuivi le Prince en
Angleterre avec Guillaume de Haultemer baron de Ferva-
ques , & qui étoit alors le plus avant dans fa faveur. Mais il
ne la conferva pas long-tems , 6c dès l'année fuivante déchu,
honteufement du rang qu'il occupoit auprès du duc d'Anjou ,
il courut même rifque delà vie.
Ce fut auiîi pendant le mois d'Août que le Parlement de
Paris nomma quelques Confeillers pour aller fuivant l'an-
cien ufage , tenir les Grands Jours à Poitiers, 6c dans les
provinces qui leur furent affignées. Ils avoient à leur tête le
président Achille de Harlay , connu par une érudition pro-
fonde, une expérience confommée , une prudence admira-
ble , une gravité refpectable àc une probité à l'épreuve. Cette
Chambre ne devoit durer que jufqu'à la fàint Martin j mais la
Cour donna un Arrêt pour la proroger jufqu'à Noël. On y fit
plufieurs exemples de fevcrité , entr'autres contre André de
Beauveau (leur de Pimpeam. C'étoit un homme denaifîàn-
ce, mais dérangé , àc il avoit été un des principaux Mi mitres
dont BiuTy s'étoit fervi pour piller la province. Il fut con-
vaincu d'avoir afïaffiné un Servent, 6c on le condamna à
mort.
Tandis qu'on tenoit les Grands Jours à Poitiers , Henri de
M ij
£ a HISTOIRE
'. " '""- Bourbon prince de Condé, piqué de fe voir 11 long-tems le
Henri jouet de la Cour au fujet du gouvernement de Picardie , for-
III. tic de Saint Jean d'Angely en habit déguifé , 6c arriva en
j ^yo. cette ville. De là il fe rendit en pofte à la Ferté fur Oyie,
place forte fur cette frontière 6c appartenant au roi de Na-
varre , 6c il alla fe loger avec un détachement de gens tous
choifîs dans une métairie voifine de la ville , où plusieurs
Gentilshommes de la province qui étoient du complot, vin-
rent fe rendre fecrétement auprès de lui.
% Michel de Gouy iîeur d'Arfy commandoit dans la place ,
&; étoit alors abfent. Le Prince ayant donc été informé
qu'on faifoit la garde allez négligemment aux portes , fit
marcher de ce côté-là un nomme Gennes , brave homme ,
avec trois ou quatre autres. Celui-ci fous prétexte de deman-
der le chemin , lia converfation avec un de ceux qui étoient
de garde à la porte , 6c il l'amufa jufqu'à ce que Ces camarades
fe fuiîènt approchés • alors ayant laillé tomber par terre un
écu d'or , tandis que tout le corps-de- garde s'empreiïbit pour
le ramalîer , il tira un coup d'arquebufe. C'etoit le lignai
dont il étoit convenu avec les troupes. Elles accoururent
auffitôt , fe rendirent maîtreiTes de la porte , 6c bien-tôt après
de la ville même, où elles crioient aux habitans de ne rien
appréhender • que le prince de Condé gouverneur de la pro-
vince étoit arrivé , 6c qu'il venoit avec la permiflion du Roi
en prendre poiïeiTion. En effet pour montrer qu'elles étoient
lincéres , les troupes ne firent aucune violence dans laplace.
Le lendemain qui étoit le dernier jour de Novembre , le
Prince écrivit au Roi pour PaiTurer de fon attachement , de
l'informer de fon arrivée en Picardie. En même tems S. M.
ayant reçu des lettres de Gouy , qui l'inftruifoient des rai-
fons qui l'avoient obligé de s'abfenter de fa place 3 elle manda
à ce Gouverneur de le rendre incelîàmment auprès du Prin-
ce, 6c de lui obéir en tout, comme au Gouverneur de la
province. Enfuite elle écrivit au prince de Condé lui-même,
pour lui marquer , qu'elle étoit furprife , qu'il eût pafîè de
Saintonge en Picardie, fans la faluer , 6c qu'elle feroit bien-
aife d'apprendre de lui-même le fujet de fon arrivée , èc le
motif d'un départ 11 précipité. Après cela on s'envoya cou-
riers fur couriers , on fe plaignit de part 6c d'autre , 6c on ne
life*
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 93
conclut rien. Cependant Henri que l'avenir inquiétoit , for- =*=
moit déjà le projet d'aller faire le fiége de cette place , tan- H e n ' r. ï
dis que le Prince fe difpofoit de fon côté à la défendre juf- III.
qua la dernière extrémité. 1 579-
Pendant ce tems-là l'arTemblée du Clergé fe tenoità Me- Afrcmblc'e
lun avec l'agrément du Roi. On y reçut de toutes parts des du clergé.
plaintes qui partoient de différens motifs , au fujet des abus
qui s'étoient introduits dans l'Eglife de France 3 & les Pré-
lats réfolurent fur cela de faire leurs remontrances à S. M.
Arnaud de Pontac évêque de Bazasfut choiflpar l'arTemblée
pour s'acquitter de cette commiflïon. Ce Prélat fit au Roi le
trois de Juillet un difcours fort libre , dans lequel il propofa
deux moyens propres à arrêter cedéfordre j fçavoir ,1e ré-
tabliilèment de la difcipline , &c une plus grande attention
dans le choix des fujets qui remplillbient les Prélatures. A
l'égard du premier article , il dit : Que pour rétablir la difci-
pline en- France , il n'y avoit point de moyen plus fur que
d'introduire la réforme fur le modèle du Concile de Trente ,
&: que c'étoit ce qui portoit rAilemblée.àfupplier très-hum-
blement S. M. d'en ordonner la publication dans tout le
Royaume. Il ajouta que les abus qui s'étoient introduits
dans le choix qu'on faifoit des fujets qui dévoient remplir les
Bénéfices , n'étoient ni moins réels , ni moins dangereux , de
qu'on étoit fâché de voir que le Roi lui-même y donnât oc-
cafion : Qu'on comptoit actuellement dans le Royaume vingt-
huit Evêchés vaquans , dont des Laïques touchoicntles re-
venus , Se où le culte divin étoit abfolument négligé -y qu'il y
en avoit plufîeurs en Guienne & en Languedoc où les Evê-
ques qui les poflcdoient ne réfldoient point : Qu'on voyoit
avec douleur la plus grande partie des Abbayes entre les
mains de ces fortes de gens qui en épuifoient les revenus au
grand fcandale des gens de bien : Que dans certains Tribu-
naux , on n'entendoit parler que de procès entre des laï-
ques , au fujet de quelque Bénéfice : Que déjà on comptoit
dans les familles les biens Ecclefîaftiques au nombre des ef-
fets dont on compofoit fon héritage: Qu'enfin il ne pouvoit
le dire fans frémir , mais qu'il étoit cependant vrai , que dans
le Confeil même du Roi on avoit adjugé un Evêché à une
femme de distinction, comme 11 c'étoit un bien dont il fut
M iij
94 HISTOIRE
permis de faire commerce : Que le défordre ailoïc cepen-
Henri dant plus loin , qu'on voyoic des gens après avoir affranchi
III. toutes les bornes de la pudeur , ofer travailler à rendre juftes
1570. & légitimes des ufurpations qu'on a voit foin auparavant de
tenir fecrettes , qu'on couvroit alors de tous les beaux de-
hors que l'artifice peut inventer , & que les loix ne man~
quoient pas de punir lorfqu'elles étoient découvertes j que
fi Dieu n'y mettoit la main, on alloit bientôt voîr les Laï-
ques èc les gens d'épée parés du titre de Commandeurs ,
s'emparer du patrimoine de i'Eglife, &: que cette mal heu-
reufe invention ne pouvoit manquer d'entraîner après foi la
ruine entière de la Religion.
Le Roi commençoit à fe repentir de la permiffion qu'il
avoit accordée au Clergé de s'afTembler. Cependant il ré-
pondit à ce difeours avec beaucoup de modération : Qu'à
l'égard de la publication du Concile de Trente, il en déli-
béreroit à loifir ; que du refte il auroit foin que les Bénéfices
ne fiuTent remplis dans la fuite , que par des fujets capables
par leur efprit &: leur piété de les remplir dignement -y &
qu'il veilleroit en même tems à réformer les abus donc on
étoit feandalifé.
Le Clergé qui crut avoir beaucoup d'avantage fur le Roi
par cette première démarche, n'en devint que plus hardi à
pouller plus loin [es prétentions. Il venoit de jetter comme
la première pierre fur laquelle il réfolut de bâtir le refte de
l'édifice. Aînii on députa de nouveau à S. M. Nicolas l'An-
gelier évêque de faint Brieu en Bretagne. Ce Prélat eut au-
dience du Roi le 3. d'Octobre, ôcinlifta principalement fur
la publication du concile de Trente , qu'il difoit néceffaire
pour l'extirpation de l'heréûe &. le retabliiTement de la difei-
pline dans le Royaume. En fuite il fupplia S. M. de renoncer
au Concordat parle entre François 1. ôc Léon X. &: de rendre
aux Chapitres le droit d'élire eux-mêmes leurs Abbés ôc
leurs Evèques. Il s'étendit beaucoup fur ce dernier article,
mêlant même les menaces aux prières, & il finit en ajou-
tant : Que fuivant la prédiction de Clovis , le Royaume ne
fubfiiteroit qu'autant que la religion Catholique y feroit
floriilante , & qu'elle ne pouvoit s'y maintenir que par l'é.
tabliflèmenc de l'un & la deftrudion de l'autre ; c'eft-à-dire ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL 95
par la publication du Concile & l'abolition du Concordat,
Le Roi regarda comme un outrage , qu'on lui parlât .d'à- Henri
bolir le Concordat , & perdit patience à ce difcours. Perfua- III.
dé que c'étoit fa trop grande bonté quiinfpiroit tant d'au- x <7o#
dace à ces gens d'ailleurs naturellement timides , il s'échaur-
fa contre ion ordinaire , & s'adreflant avec un air de colère"
à quelques Evêques qui étoient à la fuite de l'Angelier, il. leur
demanda au cas que les Chapitres euflèntété les maîtres des
élections , s'ils ofoient le flatter qu'ils auroient été Evêques ?
Enfuite il les exhorta à montrer plus de modération 6c à fe
fouvenir que c'étoit à fa libéralité feule qu'ils étoient rede-
vables de la dignité dont ils fe voyoient revêtus 3 ajoutant,
qu'ils avoient tort de trouver mauvais qu'il fît part à d'au-
tres d'un éclat qu'ils ne tenoient que de lui , £c que quoi qu'ils
puflènt dire au contraire , il étoit certain que les Rois Très-
Chrétiens avoient joui de ce droit dès les premiers fiécles de
la Monarchie.
Les Députés ayant été congédiés avec cette réponfe , £c
ne pouvant rien obtenir de plus , on délibéra fur un autre arti-
cle , qui étoit le motif principal pour lequel on a voit deman-
dé à s'aflembler. Il regardoit le payement des décimes, 6c
la liquidation des contrats pafTés à Poiiïy l'an 1 561. 6c fîx
ans après à Paris , entre le Clergé 6c les Bourgeois de cette
capitale. On mit les comptes au net , &: l'avis général de PAC
femblée fut enfin, que le Clergé avoitfurrîfammentfatisfait
aux obligations portées par ces contrats, 6c qu'ils ne les enga-
goient plus. L'Acte de cette réfolution fut drefle le 1 5.
d'Octobre , 6c l'AfTemblée le rit lignifier par -un Huiiîier l'onze
de Décembre au Prévôt des Marchands &c aux Echevins.
Le Roi auroit fort fouhaité que TAlIemblée n'eût point
pris ce parti , 6c il n'avoit jamais crû qu'elle en vînt-là. Mais
ce fut toute autre chofe , lorfque cette nouvelle fut répandue
dans Paris. Elle y cau/a une révolution étonnante. Il n'y
avoit perfonne qui ne frémit de rage de voir le Clergé qui
doit donner l'exemple par fa droiture , fa bonne foi , fa cha-
rité , conlentir non-feulement à fe deshonorer par une.per-
fidie èc une inhumanité fî marquée 3 mais à porter même
d'un féal coup le poignard dans le fein de tant de veuves , de
tant d'orphelins , de tant de pauvres 6c de miférables , qu'on
96
HISTOIRE
Henri
III.
*579-
alloit réduire à mourir de faim. » Après cela que penfèront
3 les Protefbans ? ( difoit-on ) Ces dettes immenfes qui mon-
5 tent à plus de quatre cens mille écus de rente , n'ont-elles
s pas été contractées pour fournir aux frais de la guerre
5 qu'on vouloit faire aux hérétiques ? Et comment l'a-t'on
s entreprife ? N'eft-ce pas par l'avis du Clergé, à fa follici-
3 tation , & parce qu'il s'en étoit en quelque forte rendu cau-
» tion ï Aujourd'hui , après avoir mis dans la néceffité de
o pourfuivre cette guerre ceux mêmes qui y avoient le moins
a d'inclination , effc-il permis qu'on le voye l'abandonner
j auflî lâchement qu'il avoit eu de témérité à l'entrepren-
3 dre ? et Cependant au milieu de ces murmures, le peuple
courok par les rues , comme iî l'ennemi eût été aux portes
de cetee capitale 5 on ferma les boutiques, &; quelques-uns
mêmes vouloient qu'on prît les armes.
Enfin on étoit menacé d'une fédition prochaine, lorfque
Claude Daubray , alors Prévôt des Marchands , accompagné
des Echevins , fe rendit au Parlement , où il expofa le fait à la
Compagnie. AuiTitôt , quoique le jour fût déjà fort avancé ,
coûtes les Chambres s'airemblérent, & à la requête d'Au-
guftin deThou portant la parole pour le Procureur Géné-
ral , la Cour donna un Arrêt par lequel elle ordonnoit , que
les Evêques qui fe trouvoient hors du reffort du Parlement ,
feroient arrêtés dans le lieu même où cet ordre leur feroit
fignifié j mais comme ils avoient fini leur AfTemblée , que
cous avoient quitté Melun & s'étoient rendus à Paris -y la
Cour défendoit par le même Arrêt à ceux qui étoient ac-
tuellement dans la capitale, de mettre le pied hors de la
ville, &: leur enjoignoit à tous de comparoitre en perfonne
pour répondre fur les demandes du Procureur Général. Le
Parlement fit fur le champ cet ade de févérité pourappaifer
îe peuple , & de peur qu'on ne l'accufât d'être peu fenfîble
au danger dont le public étoit menacé. D'un autre côté , le
Cierge fe plaignit de cet Arrêt comme d'un outrage fan-
glant. Enfin le Roi prit connoiliance de l'affaire , & obligea
les députés du Clergé à confentir de continuer encore pen-
dant dix ans le payement des décimes. Par-là il appaifa le
murmure du peuple , & prévint la fédition. Ce fut par ce
tempérament qu'on calma prefque dans fans naiflance cette
émotion
DE J. A. DE THOU, Lrv. LXVIIL 97
émotion qui pouvoic avoir de très-fâcheufes fuites. Le feu 555
ne fut cependant pasabfolument éteint , & on le vit fe rallu- Henki
mer dans la fuite, lorfque le Clergé renouvella mal-à-propos III.
fa proteftation avant que le terme qu'on lui avoit donné fût 1579.
expiré , comme je le dirai dans la fuite.
On reprit auiîî cette année la négociation au fujet de la Le Roi
protection de la ville de Genève , que le Roi accepta enfin. J^fous fa
Il y avoit déjà quelque terns que S. M. avoit envoyé ordre protection*
à Belliévre de Hautefort , alors ambailadeur en Suifle , de
traiter de cette affaire avec les Cantons. Ceux de Berne ôc
de Soleurre reprefèntoient au nom de tous les autres , que
pour ferrer encore plus étroitement les nœuds de l'ancienne
alliance qui avoit été de tout tems entre la France &: les Can-
tons , il étoit néceflaire que nos Rois prifîènt auiTI fous leur
protection les villes voifînes alliées de la Suifle j que Genève
méritoit fur -tout que la France s'intéreifât à fa conferva-
tion , parce que outre qu'elle eft comme la clef & le boule-
vard non-feulement du Canton de Berne , mais même de tout
le pais , ce feroit encore pour les François un pafTage tou-
jours ouvert pour entrer chez eux. En effet on eft maître
du Pas de la Clufe dès qu'on eft fur de Genève. Ainfî ils in-
fiftoient à ce que cette ville , qui par elle-même & avec les
forces n'étoit pas en état de fe foûtenir contre tant de Pui£
fànces voifînes qui menaçoient fa liberté , fût comprife dans
l'alliance générale , &; que conjointement avec eux le Roi
par un traité particulier s'engageât à la protéger.
Enfin Hautefort , de Nicolas de Harlay de Sancy qui
étoit alors ambafladeur de France en Suifle , conclurent ce
traité à Soleurre le 8. de Mai, de on convint : Que le Roi s'en-
gageroit à prendre la défenfe des domaines cédés à ceux de
Berne par le dernier traité qu'ils avoient parfé avec le duc
de Savoye, également comme s'ils étoient compris nommé-
ment dans l'ancienne alliance que les Prédécefîèurs avoient
faite avec la Suifle : Qu'en confidération de ceux de Berne de
de Soleurre , S. M. confentiroit que Genève jouît du même
privilège , à condition cependant que par rapport au com-
merce , les habitans de cette ville n'auroient point d'autre
droit en France que les François mêmes : Que il l'on jugeoic
à propos pour l'intérêt des Alliés de mettre garnifon dans
Tome VIII. N
*fl HISTOIRE
cette place , ce qui pourroit être décidé par les Cantons , fans
Henri en communiquer avec l'ambafladeur de France , qui auroic
III. fa voix dans cette délibération , le Roi entretiendroit pour
1579. cela à (es dépens cinq compagnies Suiflès , compofées chacu-
ne de trois cens hommes , & mettroit à cet effet en dépôt à
Soleurre treize mille écus d'or , argent comptant : Qu'au cas
que cette ville fût attaquée ,6c que les Suiflès , tant ceux de
Berne & de Soleurre, que d'autres Cantons qui voudront être
compris dans ce nouveau traité , fe viflent obligés de lever
une armée pour marcher à fon fecours, S. M. leur feroic
compter quinze mille écus d'or par mois , tant que la guerre
dureroit , en comprenant dans cette fomme l'entretien des
cinq compagnies Suiflès : Que 11 quelques François vouloient
fervir dans cette guerre , S. M. n'y mettroit aucun obftacle %
Que fî quelque Puiilance étrangère en vue de ce nouveau
traité qui regardoit la protedion de Genève , déclaroit la
guerre à la France ou aux Cantons confédérés, les Suiflès
ièroient obligés d'entretenir par mois fix mille hommes de
pied , de que S. M. s'engageroit de même à leur payer dix mil-
le écus d'or : Qu'en confidération de ces avantages, la ville
de Genève s'obligeroit de fon côté à ouvrir fes portes & don-
ner un libre pafïage aux troupes du Roi, lorfque le befoin le
requereroit , foit qu'elles vouluflènt fe rendre au-delà des
Alpes , foit qu'elles rentrafïènt en France, à condition qu'el-
les ne feroient aucun tort aux habitans , & que cette ville
auroit pour S. M. T. C. tout le refped, Se tous les égards que
méritoit une fi glorieufe protedion.
Avant que de conclure ce traité , le Confeil du Roi y avofe
penfé plus d'une fois • &: on avoit long- tems délibéré fî on l'ac-
cepteroit , parce qu'on ne doutoit pas que d'un côté cette dé-
marche ne chagrinât le Pape & les autres Puifîànces étran-
gères , & que de l'autre ce ne fût pour les fadieux une occa-
iion de décrier le gouvernement dans le Royaume. Mais
ceux de Soleurre qui étoient Catholiques , & par conféquenc
moins fufpeds , firent fi bien comprendre que fi le duc de
Savoye ou les Efpagnols fe rendoient maîtres de Genève , ils
fermeroient le paflàge aux fecours qu'on voudroit faire en-
trer en France par le Pas de la Clufe, &: rendroient ainfi
inutile l'ancienne alliance que nos Rois avoient fi fouvenc
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 99
renouvellée & avec tant de foin avec les Cantons , 8c qui
étoit fi avantageufe aux deux Etats , qu'on prit le parti de les Henri
contenter. Il eft vrai que le Roi, qui ne fe déterminoit pas III.
aifément dans ces conjonctures délicates , & qui croyoit en- 1579,
tendre déjà à fes oreilles les Prédicateurs de la Ligue fe dé-
chaîner contre lui à cette occafion , comme ils ne manquè-
rent pas de le faire dans la fuite avec toute la malignité pof-
fible , balança pendant quelque tems. Cependant comme il
fe vit dans la nécefîité ou d'accepter les proportions qu'on
lui faifoit , ou de renoncer à tirer aucun fecours des Suilîès ,
fur Iefquels il comptoit infiniment dans ces troubles dont le
Royaume étoit agité, il fe rendit enfin aux confeils de la Reine
mère & des Seigneurs de faCour,& ratifia le traité de Soleurre.
Sur la fin de l'année, on publia au Parlement le 16, de
Novembre une Déclaration du Roi , qui érigeoiten Duché
la ville ôc territoire de Loudun en faveur de Françoife de
Rohan , qui avoit autrefois plaidé contre Jacque de Savoye
duc de Nemours, pour l'obliger à l'époufer. Le Roi lui ac-
corda cette grâce à la confîdération d'Anne d'Eu: mère des
Guifes», qui avoit époufé ce Duc depuis la mort de fon pre-
mier mari , & à condition qu'elle déchireroit toutes les pro-
mefîes de mariage qu'elle pouvoit avoir du duc de Nemours ,
qu'elle renonceroit à toutes fes prétentions fur fa perfonne ,
& que ni elle , ni Henri fon fils n'attaqueroient jamais l'état
des enfans fortis du dernier mariage du Duc. Mais on n'exé-
cuta cet accord ni de part ni d'autre , & tous ces projets n'eu~
lent aucune fuite.
Cette même année, Jean d'Aumont d'une naifTance illuflre,
mais plus illuftxeencore par fa valeur & fon attachement pour
fon Prince , fut fait maréchal de France. Ce grand homme
fut moins redevable de cette éclatante dignité à fon mérite,
qu'à la recommandation d'Anne de Joyeufe , qui la brigua
pour lui auprès du Roi , & à qui ce Prince facile ne put la re-
fufer. Il eft certain que parmi tant de gens que Henri com-
bla de fes bienfaits pendant fon régne , & dont plu fleurs en
etoient tout-à-fait indignes , perfonne ne mérita mieux d'a-
voir part à fes grâces que le maréchal d'Aumont , qui dans
nos derniers troubles , tandis que tous les autres tournoient
le dos au Souverain pour courir après la fortune , fut prefque
N ij
ioo HISTOIRE
le feul à la Cour qui demeura fidèle à Ton maître. Il lui fat
Henri toujours attaché jufqu'à fa mort , £c n'abandonna jamais là
III. defenfe , ni celle de l'Etat.
j cjat Cependant la guerre continuoit dans les Païs-bas. Depuis
Affaires des clue ^e prmce d'Orange eut appaifé les troubles de Gand , le
fais bas. prince Caiimir qui s'étoit rendu dans cette ville , 6c qui voyoic
à regret la fin de ces divifions qu'il croyoit éteintes , ne jugea
pas à propos d'y refter. Il partit , 6c paiïa avec toute fa mai-
ion en Angleterre où Elifàbeth le reçut magnifiquement. Il
fit fon entrée dans Londres aux flambeaux , 6c tut conduit
au Palais par le Parlement 6c les Bourgeois de cette Capi-
tale. Pendant le féjour qu'il y fit ce ne furent que fêtes , que
Tournois , que fpedacles , que feftins , 6c la Reine n'omit rien
pour marquer la joye qu'elle avoit de poiiéder un fi grand
Prince , jufqu'à lui attacher elle-même l'Ordre de la jarre-
tière. Ils parlèrent enfuite d'affaires j 6c comme cette Prin-
celle étoit fort libre avec lui , elle lui demanda un jour pour-
quoi cette grande armée des Etats s'étoit difiipée d'elle-mê-
me , fans avoir rien fait de mémorable. Sur quoi le Palatin
lui répondit , qu'il falloit en aceufer les François qui avoient
toujours été d'intelligence avec D. Juan , 6c qui étoient en-
trés en Flandre , moins pour fecourir ces peuples affligés , que
pour achever de défoler les Païs-bas de concert avec les Ef-
pagnols.
Il repetoit fouvent la même chofe en s'emportant vivement
contre nos troupes , fans qu'il y eût là perfonne qui pût pren-
dre notre parti , lorfqu'on apprit fort à propos la nouvelle
du traité honteux que les Aliemans avoient fait avec les Ef-
pagnols , depuis que Cafimir avoit quitté la Flandre. Après
qu'O&ave de Gonzague eut emporté Carpen l'épée à la
main le 8. de Janvier , 6c fait un exemple terrible de févé-
tité fur la garnifon de cette place , l'armée Efpagnole parla
la Meufe , 6c retourna à Ruremonde. De là elle alla s'em-
parer de Helmont èc de Veert , où tous les foldats de la
garnifon furent encore pendus avec la même rigueur. Enfuite
les Efpagnols marchèrent vers Tournhout , Ranft. , 6c Ein-
doven.
Cependant celui qui commandoit les Reîtres dans l'abfen-
ce du prince Cafimir , avoit mis des coureurs en campagne
DE J. A. DE THOU, Lîv. LXVIII. toi
pour reconnoître l'ennemi. Par malheur ils lui rirent un faux -
rapport. Il crut n'avoir affaire qu'à quatre cens cuirailiers Henri
qui s'étoient détachés de l'armée Efpagnole. Dans cette idée III.
il le contenta de tirer quarante hommes par compagnie , de îr9g
ièize qu'il avoir dans Arfchot , 6c alla fe mettre en bataille
fous Eindoven. Il ne tarda pas à reconnoître ion erreur 6c le
danger auquel il s'étoic expofé -, mais il étoit trop tard pour
reculer. Ainfi il prit le parti de fortir de ce mauvais pas par
fa bravoure , 6c marcha droit à l'ennemi. Camille Scafigna
de Milan le reçut à la tête d'environ trente gendarmes , 6c fut
tué dans ce choc avec quelques-uns de fes gens. La perte fut
plus grande du côté des Allemans qui fe difpofoient enfuite
à fe recirer en efcadronnant félon leur coutume , lorfque le
prince de Parme détacha contr'eux quatre cens arquebuiiers^
avec ordre de les amufer par quelques légères efcarmouches,
jufqu'à ce qu'il eût rangé fes troupes en bataille. Après cela
il tomba fur eux à la tête de toute fon armée. Les Allemans
ne purent foûtenir le choc , ils plièrent & fe retirèrent ce-
pendant en bon ordre vers un petit bois voifin , laiflant fur la
place cent de leurs gens , 6c cinquante prifonniers.
De là les Allemans retournèrent à Arfchot , plièrent ba-
gage 6c parlèrent en Flandre. Ainfi le prince de Parme qui
étoit parti au milieu de la nuit pour les pourfuivre , efpérant
de les attraper vers Arfchot, fit un voyage inutile. Mais le
lendemain ils lui envoyèrent des députés à Arfchot même,
pour lui repréfenter que leur fortie des Païs-bas feroit fort
avantageuie aux Efpagnols j qu'ainfi ils étoient prêts de re~
palier en Allemagne , pourvu qu'on leur payât une montre
de ièpt mois , moyennant quoi ils s'engageroient à ne point
porter les armes contre Philippe , pendant un certain terns
dont on conviendroit.
Le prince de Parme trouva cette propofition infenfée , &
il y répondit fur le champ en ces termes : » Meilleurs les Al-
« lemans , qui vous faites un plaifir de troubler le repos de la
» Chrétienté , 6c qui ne cherchez qu'à vous enrichir des dé-
îj pouilles des malheureux qui ne vous ont jamais attaqués ,
»j apprenez que vous avez arraire à des hommes dont vous
« avez déjà éprouvé les armes vi&orieuies , 6c qui avec l'aide
u de Dieu protecteur de la iufUce , vous feront fentir toute la
N iij
roi HISTOIRE
g^^^-^^; » grandeur du -malheur auquel vous vous êtes expofés par
HoRi » votre faute. Ne vous attendez pas de trouver parmi nous
III. » cette humanité dont les François ulënt envers leurs enne-
mi Î79. " m*s# Sçachez 4ue ce n'e^ Pas en France que vous faites au-
w jourd'hui la guerre , 6c que nous n'avons pas réfolu de fer-
>j vir aufli mal notre maître qu'ils font le leur. Vous nous de~
>j mandez de l'argent pour fortir de Flandre , 6c nous au con-
>a traire nous demandons que vous nous en donniez , fi vous
r> voulez obtenir la liberté de vous retirer fains 8c fauves.
53 Ainfi préparez-vous au plutôt à combattre , car le courrier
55 eft déjà tout prêt pour porter en Efpagne la lifte des morts
53 qui vont tomber fous nos coups. « Les Allcmans voyant
par cette réponfe qu'on fe moquoit de leurs prétentions , Se
qu'il n'y avoit pas lieu d'efpérer de pouvoir fe fauver en corps,
prirent chacun leur parti. Enfin ils obtinrent un pafTeport 8c
fe débandèrent , emmenant avec eux le régiment de Lazare
Muller , 8c prenant chacun la route qui leur convenoit. Ainfi
ils fortirent des Païs^bas avec plus de honte 8c d'ignominie ,
qu'ils n'avoient acquis de gloire en y entrant.
Elifabeth ayant donc appris cette nouvelle dans le tems
que le Palatin traitoit fi mal les François : » Mais , mon cou-
35 fin, ( lui dit-elle en foûriant, ) je vois bien que vos troupes
55 que vous me vantez fî fort , ne veulent point de mon argent,
55 puisqu'elles aiment mieux en recevoir du prince de Parme
55 6c des Efpagnols , 6c qu'elles ont eu la mauvaife adrefTe de
35 tenir fecret l'accord que nous avons pafTé enfemble. Du re-
S5 fte je vous plains , 6c je vous offre , pour vous confolcr de
55 cet accident, tous les fecours que vous pouvez 6c que vous
55 devez attendre d'une Reine qui fait profefîîon d'être votre
>5 amie.
Le Palatin qui étoit naturellement fier , fut piqué de ce
difeours auquel il n'y avoit point de réponfe ^ il eut même de
la peine à cacher fon chagrin. Cependant cela ne l'empêcha
pas d'accepter la penfion que la Reine lui donna j après quoi
il fortit d'Angleterre à la mi-Février , 6c fe rendit à Flefîin-
gue fur les vaiiîeaux de cette PrincefTe. De là il partit plein
d'indignation , fans voir , ni l'Archiduc , ni aucun des Sei-
gneurs des Etats, èc il arriva en Allemagne où il penfa en venir
aux mains avec les Officiers de fes troupes, à qui il reprochoit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIÏÎ. 103-
raccord honteux qu'ils a voient fait avec les Espagnols , tan- ■■" ium**
dis qu'ils fe plaignoient de leur côté de ce qu'il s'étoit ap- Henri
proprié l'argent qu'il avoit reçu de la reine d'Angleterre. III.
Cependant le prince de Parme qui n'appréhendoit plus les 1579,
Reîtres , marcha vers Anvers , après avoir détaché Jean-Bap-
tifte del Monte , avec ordre de iè rendre maître de toutes les
petites places de forts qui font aux environs de cette ville , ce
qu'il exécuta. Cet Officier defeendoit de cette famille d'Ita-
lie , qui porte ce nom qu'elle prétend avoir tiré aufïî bien que
{qs armes de la maifon de Bourbon , à qui la famille Royale
a fuccédé en France. Enfuite l'armée Efpagnole arriva à
Borgerhout, qui eft un village ou un faubourg à un mille &:
demi d'Anvers où l'armée des Etats campoit dans de bons
retranchemens , commandée par François de la Noue , Jean
d'Hangeft fieur d'Argenlieu , Ifaac de Vauldrey fleur de
Mouy , àc le colonel Noritz. Il y eut là une action peu confia
dérable , &; les Flamans fentant qu'ils avoient trop peu de
cavalerie pour riiquer une bataille générale, firent leurre-
traite infenfiblement jufque fous les murs de la ville. L'armée
Efpagnole mit auffitôt le feu à leur camp , & rit mine enfuite
de vouloir aller à eux , mais elle fut repoufTée par l'artillerie
de la place qui la foudroyoit. On compta ce jour là environ
quatre cens morts tant de part que d'autre. Cependant la
plus grande perte fut du côté des Efpagnols. Cette aclion fe
paiïà le fécond de Mars.
De là le prince de Parme voyant que fes troupes man»
quoient de vivres , marcha vers Maftricht réfolu de s'en ren-
dre maître à quelque prix que ce fût , parce qu'en enlevant
cette place aux Etats , il fortifîoit beaucoup fon parti , èc fer-
moit le pafïàge aux fecours que les ennemis auroient pu faire
venir d'Allemagne. Chemin faifant ilttira quelques volées de
canon contre le château de Grobbendonc appartenant à Gaf.
pard Schets , qui fe rendit , & où il mit le feu auffitôt après.
Les troupes Françoifes qui étoient dans la place , furent fau-
vées à la considération du capitaine de la Serre François , qui
fervoit dans l'armée Efpagnole. Pour les Flamans , ils furent
tous pendus comme des traîtres. Enfuite les Espagnols mar-
chèrent vers Herentals , où la Noue s'étoit rendu quelque
tems auparavant à la tête d'un détachement , pour obferver
ro4 HISTOIRE
-j — les dciTeins des ennemis. Enfin le i 2. de Mars , ils arrivèrent:
Henri devant Maftricht dont ils formèrent le fiége. La Noue tenta
III. aiuTi d'y faire entrer quelque fecours 3 mais il ne put en venir
1 579. à bout.
Union d'U- D'tm autre côté les Etats voyant que les Seigneurs des pro-
trccht. vinces Wallones fongeoient à abandonner le parti , pour ci-
menter de plus en plus la paix qu'ils avoient donnée à la Re-
ligion , firent de concert avec le prince d'Orange une nou-
velle Union à Utrecht , le 23. de Janvier, après avoir pro-
cédé qu'ils ne prétendoient point par là déroger en rien à la
pacification de Gand. Ce traité d'Union contenant vingt-fix
articles fut figné d'abord par Jean de Naflau , gouverneur de
la Gueldre &: de Zutphen , <k par les députés de ces provin-
ces j enfuite par ceux des provinces de Hollande , de Zélan-
de , d'Utrecht , & des lieux circonvoifins , &c de la Frifè en-
tre les rivières d'Ems tk. de Lawer. Le treizième article étoit
une explication favorable de ce qui ayoit été réglé au fujet
de la Religion. On déclaroit qu'on ne prétendoit point ex-
clure de cette Union les villes ôc les provinces qui rie faifoient
profeiîion que de la Religion Catholique Romaine 3 qu'au
contraire on les exhortoit à y entrer , pourvu qu'elles fe fbû-
miilènt à tout le refle , & qu'elles fe montraient véritable-
ment zélées pour le falut de la patrie. Outre cela le quinziè-
me contenoit un règlement au fujet de l'entretien de ceux ,
qui après avoir fait profefîîon dans quelque maifon religieu-
fe , avoient enfuite renoncé à leur vocation , 6c par rapport
au droit qu'ils pouvoient avoir de fuccéder ■ il portoit qu'au
cas que ces fortes de gens intentaient quelque action pour
fait de donation ou d'héritage , on attendît à faire droit fur
leur inftance , que les Etats Généraux en eufTent décidé au-
trement , après avoir pris connoiflance de cette affaire. Les
Gantois fignérent enfuite l'Union le 4. de Février • le prince
d'Orange l'accepta le 3. de May j &; elle fut reçue de même
à Anvers , à Bruges , où il y eut cependant quelque émotion
à ce fujet , comme je le dirai bientôt , à Ipres , à Breda , £c
dans toutes les villes voifines. Enfin George de Lalain comte
de Rennebourg , gouverneur de Frife , de Groningue , &
d'Over-Yffel , y fouferivit le onze de Juin.
Polduc en JBrabant n'accepta point l'Union , parce que le
parti
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 105
fârtl contraire y étoit le plus puilïànt , & que les habitans en
riirent détournés par l'abbé de Sainte-Gertrude , qui étant
Henri
for le point de partir pour fè rendre à l'arîemblée de Colo- III.
gne , promit de leur procurer la paix à quelque prix que ce 1579.
fut , pourvu qu'ils ne fiiîènt aucun changement. L'Archiduc
& les Etats y envoyèrent donc Jean de Horne baron de Box-
tel , avec ordre de changer le Magiftrat , & de difpofer les
bourgeois à fe foûmettre. Ses incommodités ne lui permirent
pas d'y refter longtems. Il laiiïa à fa place ion fils Maximi-
lien , & l'Union fut enfin reçue auffi dans cette ville. En même
tems on y établit une Académie de gladiateurs , prefque tou-
te compofée de la jeuneflè de la ville , qui étoit allée fervir
fous le prince d'Orange , tandis que les Èfpagnols étoient les
maîtres de cette place. Ce fut une nouvelle fource de divi-
sons , qui mirent encore cette place à deux doigts de fà
perte.
Cependant les Etats , de concert avec le prince d'Orange ,
députèrent aux villes des provinces Wallones pour les enga-
ger à accéder au traité par lequel ils avoient permis la liberté
deconfeience dans tous les Païs-bas. Mais elles s'en défen-
dirent , apportant plufîeurs raifons pour montrer que dans
toute leur conduite elles n'avoient rien fait qui pût préjudi-
ciel* à la tranquillité publique : Qu'on devoit imputer tout
le trouble aux Gantois & à ceux qui prenoient leur défenfe ,
qui vouloient priver les autres delà liberté dont ils étoient
les premiers àabufer , &; qui violoient impunément la pacifi-
cation de Gand dont ils étoient les auteurs , 6c à laquelle par
conféquent , ils étoient plus obligés que perfonne de fe con-
former. Elles ajoûtoient que par le zélé qu'elles avoient pour
le bien de la Patrie , elles étoient difpoiées à employer tous
les moyens qu'on leur propoferoit pour rétablir entr'eux la
concorde , & par conféquent de fouferire à toute union qui
tendroit à mettre une égalité parfaite entre les provinces :
Qu'au reffce elles ne pouvoient diffimuler ni cacher aux Etats y
qu'elles avoient reçu des lettres de Madrid en date du 7. de
Février , par lefquelles il paroiflfoit que la cour d'Efpagne
étoit dans la difpofition d'y contribuer d'une manière qui
n'étoit point à rejetter : Que par ces lettres S. M. C. après
avoir lotie leur zèle pour la confervation de la Religion
Tome VUL O
neaiA.meggs
106 HISTOIRE
Catholique de de l'obéïflànce due à leur légitime Souverain ,
Henri après avoir approuvé tout ce qu'ils avoient fait pour ce f ujet ,
III. leur marquoit qu'elle ne fouhaitoit rien davantage que de
1 579* rendre îa tranquillité à la Flandre , en fe conformant à la pa-
cification de Gand : Qu'elles prioient donc les Etats de ne
pas perdre une fi belle occasion de rétablir l'union entre les
Flamans , fur-tout puifqu'en leur offrant la paix à ces condi-
tions , on ne leur laiilbit plus aucun prétexte légitime de con-
tinuer la guerre : Qu'elles demandoient en conféquence ,
que les Etats leur fiiTent fçavoir leurs intentions là-deiTus-
avant le i 6. de Mars , de declaraffent nettement s'ils étoient
réfolus de s'en tenir aux articles de la pacification de Gand ,
iî- non qu'elles prendroient leur lilence pour un refus , de fe
dé ter miner oient au parti qui leur paroîtroit le plus jufle de
le plus convenable. Elles joignirent à cette réponfe une co-
pie de la lettre , que S. M. C. leur avoit écrite , de des pou-
voirs qu'elle avoit envoyés à i'évêque d'Arras , au baron de
Selles, au Seigneur de Valhuon &à quelques autres, pour
traiter avec les Seigneurs de provinces de Flandre , confor-
mément à la pacification de Gand.
Les Etats publièrent le trois de Mars une réplique à cette
réponfe , par laquelle ils difoient : Qu'ils étoient prêts à fe
conformer en tout à la pacification de Gand ^ de que leur in-
tention n'a voit jamais été de s'en départir : Que pour ce qui
étoit de l'Union qu'on, devoit fouhaiter de voir régner entre
les provinces partagées au fujet de la Religion , tout le mon-
de feavoit que c'étoit D.Juan quil'avoit troublée le premier:
Qu'ils ne pouvoient l'ignorer eux-mêmes j qu'ainfi ils fe don-
neroient bien de garde de fe laifïèr leurrer par les promeflès
de la cour d'Efpagne dont ils avoient éprouvé tant de fois le
peu de folidité , de peur qu'on ne pût les aceufer d'avoir eux-
mêmes travaillé plutôt à femer la difeorde dans leur patrie ,
comme d'Efcovedes le fouhaitoit de l'avoit prédit , qu a con-
ferver l'union entre leurs compatriotes : Qu'au refte les me-
fures qu'ils avoient prifes avec les provinces de Hollande de
de Zélande , n'étoient contraires en aucune forte à la pacifi-
cation de Gand , de que par cette conduite ils n'avoient eu en
vue que d'empêcher que la différence de Religion ne fervîc
de nouveau à les défunir : Qu'ainfî , puifqu'ils étoient fi zélés
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL Ï07
pour la confervation de la Religion Catholique , ils dévoient 55
bien prendre garde qu'ils ne contribuaflent eux-mêmes a la Henri
détruire , en entretenant la difcorde parmi la nation : Que la j j j
paix étoit le fondement le plus folide de la Religion , 6c qu'on
ne pouvoic donner atteinte à l'une en favorifant la divifion , I 579'
fans porter à l'autre des coups mortels : Qu'ils dévoient donc
s'attacher principalement à entretenir la concorde , 6c don-
ner leur confiance à leurs compatriotes , bien plutôt qu'à
des étrangers.
Ces raifons expliquées plus au long dans l'écrit qui fut pu-
blié à Anvers , firent beaucoup d'impreffion fur les efprits
prévenus auparavant par la crainte du péril où ilscroyoknt
la Religion expofée. Ainfi ceux de Bruxelles leur ayant fait
enfuite une députation honorable , non feulement ils refu-
férent de donner audience aux députés -y mais même Odart
de Câpres gouverneur d'Arras , de le vicomte de Gand gou-
verneur de la province , les traitèrent comme des féditieux ,
les chargèrent d'injures , de les renvoyèrent ainfi honteufe-
ment fans daigner leur répondre.
Dès l'année précédente , Valentin de Pardieu fleur de la
Motte avoit renoncé à l'obéïiîance des Etats , de depuis ce
tems-là il négocioit avec Emmanuel de Lalain baron de Mon-
tigny , pour l'attirer au parti des Efpagnols , en lui faifant
efpérer que pour l'entretien des fix mille hommes de pied de
des quatre cens chevaux qu'il avoit à fon fervice , on lui don-
neroit deux cens cinq mille florins qui lui feroient payés à
certains termes. Enfin le fix d'Avril les mécontens fe liguè-
rent enfemble pour la défenfe de la religion Catholique, de
de l'obéiiTànce due au Roi , aufli bien qu'à celui qu'il auroit
nommé pour gouverner les Païs-bas. Ils ajoutèrent cepen-
dant cette reftridion , que fi S. M. C. n'accomplifîoit pas la
promeilè qu'elle avoit faite , de retirer de Flandre les Efpa-
gnols , les Italiens , les Albanois , les Comtois , 6c les autres
troupes qui étoient défagréables à la nation , eux de leur
côté feroient cenfés libres des engagemens qu'ils prenoient
par ce traité. L'a&e de cette union fut pafîé au mont S. Eloy,
abbaye voifine d'Arras , 6c publié le lendemain dans une af.
femblée générale des Etats d'Artois èc des députés de Douai,
de Lille, de d'Orchies. En même tems le fieur de la Motte
Oij
ioS HISTOIRE
■ prit pofîèiîion de Saint-Omer. Peu de tems auparavant la.
Henri Noue s'étant mis en campagne à la tête d'un détachement ,.
I H. pour faire la guerre aux Mécontens , avoit taillé en pièces
i ï7o proche de Dunquerque quelques troupes Wallones , 6c Ifaac
de Vauldrey fieur de Mouy fut dangéreufement blefiè eu
cette occafion. Enfuite les Confédérés écrivirent au com-
mencement d'Avril aux Etats , pour juftifier cette dernière
démarche , procédant qu'ils n'avoient en vue que la tran-
quillité de la nation , la confervation de la Religion , 6c de
l'obéilïance due" au Roi , 6c l'éloignement des Elpagnols 6c
des troupes étrangères.
Les Etats répondirent à ces lettres dans le même mois r
6c après avoir lotie le zèle des provinces NY^allones , ils di-
foient : Qu'au refte ils ne voyoient pas où étoit leur pruden-
ce , d'ofer encore compter fur les promelles du baron de Sel-
les , après avoir été fi fouvent trompés par les Elpagnols -?
qu'en effet tout le monde fçavoit les funeftes projets que le
duc d'Albe , 6c après lui de Roda £c les autres miniftres de la
cour d'Efpagne avoient médité d'exécuter contr'eux : Que
D. Juan marchant fur leurs traces , 6c guidé par d'Efcove-
des , n'avoit pas craint tout récemment de violer ouverte-
ment la. pacification de Gand , après l'avoir folemneilement
acceptée : Qu'aujourd'hui enfin les Elpagnols , difciples fi-
dèles d'Efcovedes , 6c fedateurs de fes idées , ne travailloient
qu'à mettre la divifîon parmi les Flamans , afin de les détrui-
re plus certainement en les attaquant ainfi défunis : Que pour
s'en convaincre , il ne falloit que jetter les yeux fur Maftricht,
que leurs ennemis tenoient affiégé , tandis qu'eux-mêmes
s'amufoient à nourrir leurs difîenfions domeftiques , &c qu'ils
ne pouvoient manquer de s'en rendre les maîtres , à moins
que le voile qui les aveugloit , ne vînt à tomber , &c leur iaif-
fât voir à découvert la perfidie desEfpagnols :. Qu'ils prioient
le Seigneur de leur faire cette grâce , de de rétablir la con-
corde parmi la nation , en arrêtant la fource de leurs haines
6c de leurs défiances : Qu'au refte ils étoient réfolus d'en-
voyer leurs députés à Cologne , 6c qu'ils les prioient d'en fai-
re de même. A cet écrit les Etats joignirent une médaille
qu'ils firent frapper à cette occafion. Elle repréientoit les têtes
des comtes d'Egmond 6c de Horne , plantées fur deux pieux j
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 109
& au revers on voyoic un combat de deux cavaliers 6c de ■
deux fantaffins , avec une exergue Latine dont le fens ëtoit Henri
* Qu'il valoit mieux faire la guerre pour la défenfe de la pa- III-
trie , que de fe laifïèr amufer par une vaine ombre de paix. 1 570.
Tandis que les deux partis traitoient ainfi réciproquement,
le prince d'Orange écrivoit de ion côté à ceux qui lui étoient
affectionnés , pour les avertir de prendre bien garde à quoi
ils s'expoferoient en entrant dans la ligue des Mécontens. Il
donna fur-tout les mêmes avis aux peuples du Hainault ,
aufïï furent-ils les derniers à foufcrire à cette confédération,
Philippe comte de Lalain gouverneur de cette province ,
qui avoit tant de vénération pour le prince d'Orange , qu'il
l'appelloit ordinairement fonpére, ré lifta d'abord à toutes
les lollicitations. Cependant il céda à la fin aux inftances de
Pierre Erneft comte de Mansfeldt , 6c de Charle de Lignes
comte d'Arembergh , 2c même du baron de Montigny , fes
parens 6c amis -y 6c il ligna la ligue le 2 3 . de May.
Cette démarche fut fuivie du retour général des Wal- Retour des
Ions à l'obéïiïance du roi d'Efpagne. Le traité de réunion , ,p,r/7iinces ,
1 • -i cb rr> i> ' * i,a ' Wallones a
contenant vingt-huit articles , fut paile entre 1 eveque d Ar. robéïtfance
ras , le baron de Selles , 6c le feigneur de Valhuon au nom de du roi d'Ef"
S. M. C. & du prince de Parme ; &c les Etats èc Seigneurs Fas"e'
d'Artois, du Hainault, de Lille , de Douai, 6c d'Orchies.
Le vicomte de Gand créé depuis peu marquis de Riche-
bourg ,. le comte de Lalain & le ièigneur de Willerval ,.
l'acceptèrent auffi en qualité de gouverneurs de province :
le prince de Parme le ratifia le 29. de Juin , 6c il fut enfin pu-
blié au mois de Septembre fuivant. Il portoit : Que le prince
de Parme garderoit encore pendant iïx mois le gouverne-
ment des Païs-bas , en attendant que la Cour lui eût donné
un fuccefTeur : Que cependant les Wallons fupplieroient
S. M. C. de nommer pour cela l'archiduc Matthias , qui fe-
roit obligé de fe remettre auffitôt après à leur tête : Et qu'on
renvoyeroit en Flandre le comte de Buren, après lui avoir
fait jurer d'obferver la pacification de Gand,
La ville de Tournay ni le Tournefis , qui à l'exemple de
Lille , de Douai , & d'Orchies , avoient demandé dans la fé-
paration d'être mis au nombre des provinces de Flandre , ne
* Prsjlat pttgnare fro patrid , quant fimuleit* pace decifi.
O iij
no HISTOIRE
prirent point de part à cette réunion 3 6c on en fut redevable
Henri à Pierre de Melun prince d'Epinoy , frère du vicomte de
III. Gand , qui s'y oppoia , 6c qui refta toujours également atta-
x ,jat chéàla Religion Catholique, & au parti des Etats. Charle
de Gaure baron d'Inchy fçut aufTi leur conferver Cambray ,
quoiqu'il fût fort éloigné des provinces qui reconnoiiïbient
leur authorité. Enfin Julie de Soéte fieur de Villers, ennemi
mortel des Efpagnols , dont il prévit que cette divifion alloit
de beaucoup relever la puifTance , retint aufîi , autant qu'il
put , la petite ville de Bouchain dans le devoir.
Pour ce qui eft de Boleduc , quoique cette ville fût , pour
ainfi dire, enclavée dans les païs fournis à l'obéïiTance des
Etats, 6c fituée fur les frontières de la Hollande & du Bra-
bant 3 6c quelques efforts que fît l'Académie de Gladiateurs
qu'on y avoit établie depuis peu , de concert avec les Ma-
giftrats , pour engager les bourgeois à ne point remuer , on ne
put en venir à bout -y l'union d'Utrecht n'y avoit été reçue
que malgré la faction Espagnole. Elle reprit courage à cette
occafion ; on en vint aux mains , 6c il y eut plus de deux cens
hommes de tués ou de blefiés de part 6c d'autre. Enfin comme
les troupes Angloifes ,Françoifes 6c Econoifes qu'on avoit en-
voyées au fecours, ne purent entrer dans la place, celles qu'on
avoit mandées delà Brille, étant elles-mêmes arrivées trop
tard , ou obligées de relier hors de la ville , le parti qui tenoic
pour les Etats , 6c qui fe voyoit le moins nombreux 6c le moins
puilTant commença à trembler. Le païs voifin fournis aux
Etats lui ofFroit à deux pas un afyle 5 la fa&ion contraire fçut
adroitement augmenter {qs défiances -y ainfi il quitta la par-
tie , 6c le diffipa. Après cela cette ville refla pendant quelques
jours fans fe déclarer. Enfin ayant reçu les articles qui furent
drefïés dans les conférences de Cologne, elle céda aux folli-
citations du parti d'Efpagne, 6c le prince de Parme fit l'ac-
commodement de Boleduc avec S. M. C. Ce changement
cxpofa ceux de cette ville à tout le refTentiment de l'Archi-
duc 6c des Etats,qui ne les traitèrent plus que comme des traî-
tres 6c des deferteurs , 6c qui donnèrent à leurs troupes toute
liberté de les défoler.
- Amersfort, qui eft de la dépendance d'Utrecht , Mon-
fort,6c Zutphen , dont les habitans étoient prefque tous
mmit.n>< a»
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. ur
Catholiques , refufoient d'abord d'entrer dans l'union d'U- '
trecht.Ainfionréfolutd'ufer de force pourles réduire.Comme Henri
Amersfort étoit de toutes ces places la plus voifine d'Utrecht, III.
&; qu'on l'accufoit d'avoir été favorable au parti contraire, t -lq
d'avoir refufé de fournir aux contributions , d'avoir fermé Ces
portes aux troupes que les Etats y avoient envoyées , d'avoir
chaiîeles Miniftres Proteftans , Si d'avoir entretenu des cor-
refpondances fecretes avec les ennemis , elle fut la première
attaquée. L'armée des Etats en forma le fiége le 7. de Mars ;
mais elle fe fournit auffitôt , reçut garnifon , & donna par- là
l'exemple aux autres.
Cependant on travailloit fortement à Anvers à amafTer de
l'argent pour lever des troupes, lorfque Pobitination des Ca-
tholiques y mit tous les efprits en mouvement. Fiers de la pro-
tection de l'Archiduc, &: des Seigneurs Flamans , ils résolu-
rent de faire une proceflion folemnelle dans toutes les rues de
la ville , malgré les remontrances du Magiffrat , qui leur con-
feilla d'abandonner cette réfolution , &: de ne pas fortir de
l'enceinte de leur Eglile. Mais à peine fe furent-ils mis en
marche, que la garde les arrêta. Le peuple courut enfuite aux
armes , tomba fur eux, en tua quelques-uns , & obligea les au-
tres à reprendre en tumulte le chemin de leur Eglile avec tant
de confuflon , qu'il y en eut plufieurs de renveriés & d'écra-
lés dans ce défordre. A peine le prince d'Orange , qui furvint
avec fa garde, put empêcher cette populace mutinée de fe
porter aux dernières extrémités. Enfin il obtint de ces furieux
une trêve de trois heures , pour donner le tems au Confeil &
aux Seigneurs devoir quel parti on devoit prendre dans cette
occafîon. Mais à peine ce terme fut-il expiré que le trouble
recommença. Ces féditieux demandèrent la permiflion de
chafTer de la ville tout le Clergé j &; furie refus que leur rirent
les Magiftrats & le prince d'Orange de leur accorder cette
liberté, eux-mêmes de leur propre autorité fe faifirent de
deux cens Eccleiiaftiques qu'ils firent fortir par le Qiiay , ap-
pelle Bierhooft , & les arrêtèrent à deux miiles de la ville , en
attendant la réiolution du Confeil. Cependant l'Archiduc
outré de cette infolence,(e plaignoit hautement de cet atten-
tat , comme d'un affront qui rejailliflbit jufque fur lui , & me-
naçait d'abandonner Anvers,(l on n'y faifoit rentrer le Clergé.
m HISTOIRE
■■. . Ainfi le Confeil lui remit , conjointement avec le prince
Henri d'Orange , la connoiflance de ce différend j & on convint en-
III. fin le i 2. de Juin, qu'on accorderoit dans cette ville une ef-
i î 7 9 • péce de liberté de confidence , en forte que le Clergé y auroit
quelques Eglifes j mais à condition que les Moines 6c les Cha-
pitres feroient exceptés , 6c n'atiroient point de part à cette
grâce.
L-exemple d'Anvers fut pour les féditieux une occafion de
fe foulever aufîi à Malines. Cependant comme dès l'année
précédente le peuple en fureur avoit brifé, ou renverfé les fta-
tuè's 6c les images à Utrecht 6c à Leeuwarden , on ne fçauroit
croire combien ce fanatiime indigna les provinces Wallones.
Elles en profitèrent pour groffir leur parti , àc fai firent ce mo-
ment pour mettre entr'autres dans leurs intérêts Philippe
comte d'Egmond, Charle de Gaure feigneur de Frefin , 6c
Pons de Noyelles fieur de Bours.
Le comte d'Egmond étoit alors à Bruxelles , où il amaflbit
des troupes pour aller au fecours de Maftricht. Il avoit avec
lui un petit corps de cavalerie qui faifoit tous les jours quel-
que courfe fur le païs ennemi. Il le fit entrer dans la place fous
prétexte d'avoir en tête quelque projet qu'il vouloit tenir fe-
cret $ 6c s'étant mis en marche dès le matin , comme s'il eût
eu defièin de fortir de la ville , il alla droit à la porte d'An-
vers , mit en fuite le corps de garde , qui n'étoit compofé que
de bourgeois , 6c s'en rendit maître. De-làil marcha vers la
place du marché, où il fe cantonna ^ 6c détacha de-là quatre-
vingt hommes pour aller s'aflurer du Palais , qui efi: dans la
haute ville ^ mais ils furent arrêtés par Olivier deTempel ,
gouverneur de Bruxelles. Quoiqu'il eût été furpris, qu'il
n'eût avec lui que trente hommes feulement , 6c que les bour-
geois qui étoient du complot fe fuflent aflurés des troupes qui
logeoient chez eux,6c qui étoient difperfées, il ne laifia pas de
repoufïerle Comte avec beaucoup de vigueur. Il parcourut
auffitôt toutes le rues de la ville , pour animer par lbn exem-
ple le relie des habitans à prendre les armes. Enfuite il mar-
cha vers la porte dont l'ennemi s'étoit emparé , 6c il reprit un
bafiuon dont elle étoit défendue par le moyen d'un bourgeois
nommé Bets , qui tenoit l'Hôtellerie de Saflèn.
Il nereftoitplus qu'à fe rendre maître de la porte j de voici
comme
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 113
comme il en vint à bouc. Il fîtpafïèr deflous trois chariots at- *
tachés enfemble , & tellement remplis de foin , qu'il traînoit Henri
jufqu'à terre de toutes parts , afin que ceux qui les pouiïbient III,.
fufïent à couvert. On y mitenfuite le feu, & il en forticune 1 <7o.
fumée fi noire & fi épaiflè que les ennemis en furent étouffés.
Après avoir repris la porte de la ville par ce ftratagême , les
liabitans la fermèrent , de peur *me les troupes NS^allonesne
vinfîent au fecours du Comte , 6c ne s'introduifiiTent par-là
dans la place. Enfuite ils tournèrent contre lui tout leur effort;
&; comme on avoit barricadé toutes les avenues des rués , où.
l'on avoit même tiré des tranchées , & élevé des retranche-
mens , pour l'empêcher de leur échapper , ils le pouffèrent
jufque dans la place du marché , où ils le tinrent ailîégé penj-
dant toute la nuit. Enfin comme il apprit qu'on faifoit venir
de Malines de nouvelles troupes , &; que d'un autre côté les
habitansn'appréhendoient pas moins ce fecours, quoiqu'il
fut deftiné pour eux, on convint de part & d'autre, que le
Comte fortiroit le lendemain de la ville avec fa fuite fans
qu'on lui fît aucune violence. Tel fut le premier fruit que
tira de fon changement le comte d'Egmond, après avoir
pafTé une nuit entière fous les armes dans la même place , où
à pareil jour fon père , onze ans auparavant , devenu la victi-
me de la haine du duc d'Albe , de de la cruauté des Efpagnols
avoit foufFert une mort honteufe , après avoir rendu mille
fervices à fa nation. On dit que comme ceux de Bruxelles ,
pour l'infulter dans une fituation qui lui faifoit fî peu d'hon-
neur, prenoient plaifîr à lui enrappeller la mémoire , le fou-
venir de cet événement funefte , que les circonftances du tems
ce du lieu lui rendoient auffi prefent que s'il y eut aflifté dans
le moment même , lui tira des larmes en abondance ; mais la
fource en fut bientôt tarie par cette légèreté naturelle dont il
donnoit des preuves en toute occafion.
En même-tems il s'éleva à Bruges une fédition qui pouvoit
avoir des fuites bien plus fâcheufes. Le 27. de Juin les Gan-
tois , joints aux habitans d'Ipres , propoférentaux bourgeois
de cette ville d'entrer avec eux dans l'union d'Utrecht. Bien
loin de vouloir accepter le parti ,1e Clergé & les Catholiques
étoient fort difpofes à s'unir aux provinces V^allones. Les
Magiftrats du Franc appuyoient les prétentions du Clergé,
Tome VIII, P
n4 HISTOIRE
parce que les terres èc les autres domaines qu'ils pofTédoient
Henri étoient tous les jours expofés fans défenfè au ravage des
III. troupes de ces Confédérés. Dans la chaleur des mouvemens
j ryo, que caufa cette diverfîté de lèntimens, comme les Catholi-
ques animés par un prédicateur difciple zélé du Frère Cor-
neille Cordelicr , dont j'ai parlé ailleurs , demandoient per-
million de le nommer un Commandant } le Magiftrat de
Bruges, qui tenoit le parti des Etats, & George deBrakel
fieur de Hauterive , qui étoit cette anné Bourgmaître de cette
ville , eurent la foibleile de céder à leurs menaces , & de leur
accorder ce qu'ils fouhaitoient.
Ce fut dans eux une grande imprudence. En effet les Catho-
liques nommèrent aufîitôt Jérôme de Mol , qui, dès qu'il fut
entré en charge, commença par abufer de fon autorité. Il cailà
les troupes que le Magiftrat de Bruges avoit enrollées , en
leva de nouvelles , maltraita les Proteftans • & s'étant tranf-
porté à la maifon du Mi niftre François qui étoit en cette vil-
le , dans le deilein de le faire aflaffiner ^ comme il ne l'y
trouva point , il traita fa femme avec la dernière indignité ,
la frappa , la renverfa par terre , & la foula aux pieds.
Cette conduite violente fit enfin connoître au Bourgmaître
la faute qu'il avoit commife ^ & quoiqu'il fût un peu tard , il
penfa à la réparer. Il ralTembla fes troupes , détacha Jean
Uleyfch pour aller fe rendre maître de la porte d'Efel ,
chargea Renier Winckelman de fortifier le pont qui conduit
à cette porte $ commanda Rémi d'Artriick pour s'emparer
des environs de la boucherie, de de la place aux pierres 3 6c
AntoineOuterman,pour s'aflûrerdu pontd'Eyckhout dans la
rue nommée Wolle-Strate. Il fe mit par-là en état de di/po-
fer de ces trois poftes , qui conduifent droit à la place du mar-
ché. En même-tems il fut joint par quelques autres troupes
qui lui apportèrent les clefs delà porte d'Eïe-.D'un autre coté,
de Mol , qui à la faveur des magiftrats du Franc s'étoit déjà
rendu maître du château , travailla à fortifier les deux ponts
de Marie , & de Gruythuyfe. Ces deux partis relièrent ainil
fous les armes jufqu'au foir, qu'on commença à parler d'ac-
commodement. On attendoit du fecours de part & d'autre.
Le fîenr de la Motte qui venoit au fecours des Catholiques ,
s'étoit avancé jufqu'à Rouflèlart5a un mille ôc demi delà
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 115
ville j mais le Bourgmaître le prévint. Le lendemain dès trois
heures du matin il fît entrer par la porte d'Efel fept compa- Henri
gnies d'Ecofibis , & cent cinquante chevaux de l'armée des III.
Etats qui étoient arrivés à Tournhout , & avec ces troupes il 1579;
iè rendit maître du marché èc du château , après avoir diffipé
ceux que la faction contraire avoit mis pour les garder. De
Mol lui-même abandonnant fon pofte , s'enfuit 6c alla fe ca-
cher dans l'eau , où il s'enfonça julqu'au cou. Cependant il y
fut pris 6t conduit au Bourgmaître. On fit aiuTi prifonniers
tous les Magiftrats dti Franc , à l'exception de Noël de Caron
fieur de Schoonewalle, 6c le Docteur Nanfius.Ce dernier étoit
un fort habile homme , qui trois ans auparavant m'avoit fait
beaucoup d'honnêtetés à Bruges , où je me trouvai dans le
tems que le feu de la divifion étoit le plus animé. On arrêta
outre celaplufieurs bourgeois qui étoient fufpe&s , & on les
envoya prifonniers dans le château de Sluys ou de l'Eclufe.
Pour ce qui eft des troupes du fieur de la Motte qui étoient
arrivées trop tard , elles fe retirèrent après s'être vengées
du peu de fuccès de leur voyage fur RoiuTelart , qu'elles ré-
duifirent en cendres.
Les bourgeois de Bruges prirent de-là occafion de deman-
der qu'on abolît la chambre du Franc, qui eft le quatrième
membre de Flandre ,6c qu'on réunît fa jurifdi&ion à celle de
la ville. Les Gantois d'un autre côté , & ceux d'Iprcs ne s'y
oppofoient point , parce que comme le ilége de ce tribunal
étoit dans leur reflbrt , ils efpéroient qu'on le réiiniroit à leur
jurifdidion : mais le fieur de Schoonewalle 6c Nanflus défen-
dirent les droits de leur corps avec beaucoup de fermeté. Ils
prièrent ceux de Bruges de ne le pas rendre refponfable des
tauflès démarches de quelques particuliers 3 ils leurreprefen-
térent qu'il ne leur reviendroit aucun avantage de cette fup-
prefTion, &c qu'il n'y auroit que leurs voiiîns qui enprofite-
roient 3 enfin ils follicitérent fi vivement de avec tant de con_
{tance à la Cour & parmi leurs concitoyens , que le Confeii
du Franc ne perdit rien de (es anciens droits, 6c conferva toute
fon autorité.
Cependant le prince de Parme étoit occupé au fiégc de Pn'k ^e
Maitricht. Cette ville eft fituée fur la Meufe , qui pafle au mi- ]£SaEf!,aVi:otr
lieu , 6c la divife en haute 6c balle. La partie qui eft en-deçà de
pij
n6 HISTOIRE
cette rivière eft de la dépendance du Brabant 5 l'autre , qu'on
Henri appelle le bourg de \Y^ick, eft fbumife à la jurifdi&ion de l'E-
III. vêque de Liège. En général elle eft fort peuplée -y les maifons
i S 7 9 . Y f°nc belles , ôc elle ef r. défendue par un folié, Se des murailles
flanquées de plufieurs battions. La Noue avoit d'abord en-
trepris de la défendre. Mais le prince d'Orange , qui voyoic
toute la Flandre en combuftion, & qui par conféquentn'é-
toit pas fur qu'on pût fecourir cette place , ne voulut pas ex-
pofer imprudemment un fî grand homme, &il le rappella j il
y envoya donc un Eïpagnol nommé de* Moncade, en qui il
avoit beaucoup de confiance 3 &: un François nommé Sebaf-
tien Tapin ,tous deux braves & expérimentés • &.il leur don-
na ordre d'agir tous deux de concert avec le fîeur de Schour-
bourg feigneur de Herle , gentilhomme du voifinage , qui en
étoit gouverneur. La garnifonétoiteompofée d'environ mille
hommes, partie François, Anglois, Ecolïbis, ou Flamans 5
&labourgeoiiîe fournilFoit encore douze cens hommes, tous
bien armés.
D'abord les afïiégés firent différentes forties. D'un autre
côté dès que le prince de Parme fe fut rendu au camp , il fît
drelîèr deux ponts pour faciliter la communication des quar-
tiers. En même-tems il donna ordre à Mondragon de palier
de l'autre côté de la rivière avec une partie de l'artillerie , &C
de l'armée, pour former une attaque du côté du bourg de
Wick. Enfuite l'artillerie, compofée de 54 canons de toutes
grandeurs,dont la plus grande partie venoit deLiége,commen-
ça à foudroyer la place. La plupart des fortifications furent
ruinées. Cependant on doutoit encore de quel côté on feroit
la principale attaque. Enfin on réfolut de drefïèr deux batte-
ries , l'une contre la porte de Bruxelles , qui regarde la ville
dont elle n'en: éloignée que de quatre milles ^ &; l'autre contre
la haute porte, au pied de laquelle coule la rivière , & que
Mondragon fe chargea de battre auffi à revers.
Mais à peine le canon eut fait brèche à la muraille , qu'on
apperçut derrière un retranchement que Tapin avoit fait
élever, revêtu de fes mantelets & d'un fofFé. On recommença
donc le feu de l'artillerie pour le ruiner ^ 6c le 9. d'Avril fut
marqué pour donner un aflaut général à la place. On com-
manda pour marcher contre la porte de Bruxelles un vieux
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 117
corps Efpagnol , appelle ordinairement le régiment des Croi-
fés , parce qu'il avoit fervi dans la croifade contre les Turcs 3 Henri
&; il devoit être ïoûtenu par quelques compagnies Alieman- III.
des & Wallones. En même - tems le régiment deLombar- 1 579,
die , fuivi auiïï de quelques troupes Allemandes &c Flamandes
devoit agir de l'autre côté 3 6c c'étoit Fabio Farnefe , parent
du prince de Parme , qui conduifoit cette ieconde attaque.
L'artillerie tira d'abord depuis le matin jufqu'àune heure
après midi, que cet Officier commença l'allàut à la tête d'un
corps de NoblelTe 3 6c à Ton exemple les Efpagnols marchè-
rent en même-tems de l'autre côté à l'ennemi. Pendant toute
cette action les uns 6c les autres furent fort incommodés d'une
vieille tour à demi ruinée , qui femblôit avoir été abandonnée
par les afïïégés , 6c où ils avoient fait porter grand nombre de
boulets , & quelques petites pièces de canon , qu'ils char-
geoient avec des clous 6c des chaînes , 6c qui tiroient conti-
nuellement furies afîaillans. En revanche ceux-ci firent jouer
une mine qu'ils avoient réiërvée pour cette occafîon • mais
elle eut peu d'effet. Ain(i ils eurent recours cala rufè. Lorfque
leurs troupes furent à unediftance allez raifonnable des murs
de la ville , pour être entendues de ceux qui la défendoient ,
un cavalier vint à toute bride, criant viétoire , 6c faint Jacque,
qui eft le cri de guerre des Espagnols , comme il le régiment
de Lombardie eût déjà été maître de la place. Mais les affié-
gés , que Moncade avoit prévenus de cet artifice , allez or-
dinaire à fa nation , n'en furent point ébranlés. Au contraire
animés par l'exemple de Tapin , qui le comporta dans cette
adion avec la dernière bravoure, ils n'en devinrent que plus
acharnés au combat j 6c malgré toute la valeur des Efpagnols,
ils les repoulTérentavec encore plus de vigueur. Les auaillans
eurent beaucoup de monde de tué à cette attaque , fans parler
des blettes , dont le nombre fut très-grand, 6c qui , lorfqu'il
falloit les retirer de la mêlée , au travers des folles tortueux
de la ville , rempliffoient de douleur les troupes qu'on en-
voyoit pour les remplacer , par le ipé&acle pitoyable qu'ils
leur donnoient.
Il arriva en même-tems un accident qui caufa beaucoup de
frayeur aux deux partis , 6c qui fit un grand ravage. Comme
la poudre manqua aux foldats , 6c qu'ils accouroient en foule
piij
1 1 S HISTOIRE
pour en avoir avec leurs mèches allumées , le feu prit par ha-
Henri iàrd à quelques tonneaux qui en étoient pleins. L'effet en fut
III. fi violent, qu'il brûla ou mit en pièces la plus grande partie
i C79. de ces troupes. Enfin la nuit termina ce combat, qui coûta
cher aux Eipagnols. Ils y perdirent FabioFarnefe,D.Pedre de
Gufman , Jean Mauriques, D. Pedre Pacheco , Vafco de
Acuiia , Jean Grimaldi , Marc-Antoine Simoncet , Gui comte
de Saint George , Corrado marquis de Malafpina , le comte
Pierre. Onuphre Montedoglio , Augufbin Scafigna , Marc-
Antoine de Terni , Vincent Macchiavelli , &: pluiïeurs autres.
Antoine de Zunica, D. Carlos d'Africa, D. Bernardin de
Mendoza, Jean Inigo de Palença, D. Sanche de Leyva,
Fulvio Albertini , Mandricardo Pallavicino , François Ante-
nori , Ambroife de Landria , Louis Vifcomti , Antoine Mon-
tauto , Coriolan Serena, & Antoine Caftello y furent dangé-
reufement blelîés. Plus de quatre cens foldats qui avoient
échappé à Pépée des ennemis furent tranfportés couverts de
bleiïuresdans un hôpital qu'on avoit préparé pour cet ufage,
ôda plupart y moururent. Quelques-uns furent guéris en ré-
citant feulement fur eux quelques paroles myftérieufes h fe-
cret que f ai déjà remarqué qu'on avoit mis en ufage au fiége
de la Rochelle. La perte fut grande auiTi du côté des aflîégés;
de ils eurent entr'autres beaucoup de pionniers & de mineurs
de tués.
Après une échec il confîdérable , le prince de Parme fut
quelque tems fans faire aucune attaque. Les affiégeans fe con-
tentèrent feulement d'élever un cavalier de gafon vis-à-vis de
la porte de Bruxelles , fur lequel ils drellèrent une batterie de
canon, pour empêcher ceux qui étoient dans la ville de ré-
parer leurs brèches. Mais leurs efforts furent inutiles • £c
les affiégés , fans craindre le danger auquel ils s'expofoient,
pafloient les jours & les nuits à porter des décombres, des
pierres , &: de la terre. Ils avoient oppofé au canon des enne-
mis une contre-batterie placée fur un boulevard, fortifié d'un
bon retranchement & d'un large forfé , & qui étoit tout vis-à-
vis du cavalier que les Efpagnols avoient élevé. De-là ilsin-
commodoient fort les afliégeans. Pendant cinq femaines en-
riéres on fit de-là un feu continuel , & il ne fe pafîoit point de
jour qu'il n'y périt au moins vingt hommes de part 6c d'autre.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 119
Le prince de Parme fit tout l'imaginable pour détruire ce
boulevard. Enfin les Espagnols s'en étant rendus maîtres, Henri
après l'avoir fàppé prefque tout entier , de avoir donné bien III.
des combats pour l'enlever aux ennemis, s'attachèrent au 1 579,
corps de la place. Ils en étoient 11 proches , que les deux par-
tis pouvoient aifément fe donner la main. Ils y attachèrent
enluite le mineur 3 de vingt-deux mines qui jouèrent en même-
tems rirent fauter une grande partie des murs de la place , de
avec eux cent hommes de la garnifon.
Vis-à-vis de la place il y avoit une ifle dont le prince de Par-
me forma le dcfîein de fe rendre maître, dans la vue de la for-
tifier. Gille d'Hierges , Grand Maître de l'Artillerie , qui de-
puis la mort de Ion père , arrivée fur ces entrefaites , avoit
pris le titre de comte de Barlaymont , s'étoit chargé de l'exé-
cution de ce projet. Il fe difpofoit à l'attaquer lorfqueceux
qui la défendoient rirent un fi grand feu qu'il fut tué lui-mê-
me dans cette occafion. C'étoit un homme d'un o-rand cou-
rage, de qui dans ces guerres de Flandre s'étoit fort difh'ngué
par fa valeur. On fit enluite venir de Liège quatre mille pion-
niers , de d'autres mineurs , parce que c'eft dans cette ville
que fe prennent les plus habiles. Gérard de Groefbecque, qui
en étoit alors Evêque , avoit même prêté du canon aux Efpa-
gnols , de contribuoit de tout fon pouvoir à faire réiïffir leurs
defTeins fur la place afîîégée , dont une partie étoit de fa dé-
pendance. Au refte les Etats étoient perfuadés qu'il s'y inté-
refïoit fî fort, moins par envie de faire plaifîr à Philippe,
que par un refte de l'ancienne animofïté que les Liégeois con-
iervoient contre les Flamans. Comme ils n'avoient pas encore
oublié les mauvais traitemens qu'ils avoient autrefois reçus
des ducs de Bourgogne , ils étoient ravis de trouver cette oc-
cafion d'en témoigner leur refîéntiment.
Cependant les travaux du fiégeavançoientafîez lentement
depuis que les Efpagnols s'étoient rendus maîtres du Boule-
vard dont j'ai parlé. Le prince de Parme attendoit tranquil-
lement de nouvelles troupes , content de faire travailler à fap-
per de à miner la place , de de fatiguer les afTiegés en les tenant
toujours alertes par les fréquens afTauts qu'il leur donnoit.
Ceux-ci avoient eu beau envoyer aux Etats, tandis qu'ils
pouvoient encore fortir librement de leur ville 3 de élever
no HISTOIRE
■ ■■■■— depuis des feux Se des fîgnaux pour les avertir de l'extrémité
Henri où ils étoient réduits,il n'avoit pas été poffible de leur envoyer
III. du fecours. Les Gantois avoient commencé fur ces entrefaites
1579. àfe foulever -, les provinces Wallones s'étoient enfuite répa-
rées du refte de la Flandre 3 enfin le comte d'Egmond & le
fieur de Bours , après avoir levé dans la Gueldre quatre mille
chevaux qui dévoient encore être joints par quelques compa-
gnies d'infanterie, avoient abandonné le parti des Etats ; &
toutes ces circonftances avoient mis l'Archiduc & le prince
d'Orange hors d'état de penfer à fecourir cette place.
Il ne reftoit donc plus d'efpérance aux afïïégés que dans
l'aflemblée de Cologne.En effet les députés des Etats avoient
demandé , que tandis que les conférences pour la paix dure-
roient , on fuipendît les travaux du fîége , ou du moins qu'on
mît la place en fequeflre entre les mains de quelqu'un qui ne
fût attaché à aucun des deux partis. Mais Charle d'Arragon
duc deTerranova , député de S. M. C. répondit feulement à
ces propositions : Qu'il n'étoit chargé que de traiter de la
paix 3 que la guerre regardoit le prince de Parme, &; qu'il y
auroitde la folie à lui , & même de la témérité , tandis qu'il
ctoit fur d'emporter cette ville , d'interrompre les travaux du
fîége fur l'efpérance d'un accommodement qui pouvoit ne
pas réiuTir.
Cependant les croupes de la garnifon étoient épuifées par
les travaux, les veilles, les blellùres, &: les maladies. Leur
nombre étoit même 11 diminué, que de mille foldats qui
étoient dans la place au commencement du fîége , il en reftoit
à peine quatre cens en état de porter les armes. Enfin ils corn-
mençoient à manquer de poudre 3 Payant perdu l'efpérance
d'être fecourus , ils perdirent courage infenfiblement. La lon-
gueur du fîége , & leur petit nombre les obligeoient donc à
des gardes continuelles , qui les fatiguoient infiniment , & qui
ne leur permettoient pas de prendre leur repos , ni d'aller
manger ailleurs que fur la brèche. Ce fut la caufe de leur
perte. Sur la fin de Juin , le jour même de la faine Pierre, ceux
qui étoient de garde fur le boulevard , informèrent le prince
de Parme , que toutes les fcntinelles des ennemis étoient en-
dormies , & qu'il feroit aifé de les furprendre. Le Prince pro-
fita de cet avis 3 il commanda auffitDt toutes les troupes pour
donner
DE J. A. DE THOU,Liv. LXVIIÏ. ut
donner un afTaut général à la ville j &; il réuflît. Les habitans — ;
ne s'abandonnèrent point eux-mêmes dans cette extrémité y Henkjl
les Efpagnols trouvèrent dans plufieurs endroits une réfi- III.
fiance vigoureufe • les femmes mêmes prenoient en cette oc- i $79.
cafion la place de leurs maris , & fe battoient en défefpérêes,
Mais enfin il fallut céder. Après quatre mois de fiége la baffe
ville fut emportée l'épée à la main , &; les afliégés fe retiré-
rent par le pont dans la haute avec un fi grand défordre , que
les femmes oc les enfans fe trouvant trop ferrés à ce paiïàge
pour pouvoir entrer affez promptement , devinrent la vi&ime
des Efpagnols , qui les précipitoient des deux côtés du pont
dans la rivière. Ceux qui s'étoient retirés dans la haute ville
n'y tinrent pas long-tems • &: comme ils n'y trouvèrent au-
cunes proviîîons, ils fe rendirent auflitôt après à diferétion.
Pendant trois heures les vainqueurs parlèrent au fil de l'épée
tout ce qui fe prefenta , fans épargner même ces femmes gé-
néreufes qui s'étoient défendues fi courageufement. On cher-
cha enfuite Moncade , 6c il fut pendu. Pour Tapin , qui s'é-
toit fur-tout diffcingué à ce fiége , il eut un fort différent. Les
Efpagnols le traitèrent avec beaucoup de douceur, & le prince
de Parme lui fit même des offres fort avantageufes pour l'en-
gager à parler au fervice de Philippe. En même-tems comme
il etoit dangéreufement blelTé , il lui donna des chirurgiens
pour le penier , & leur recommanda extrêmement d'en avoir
grand foin. Cependant il fut tué dans la fuite à fa fenêtre
d'un coup d'arquebufe , foit que ce fût par un pur accident ,
foit qu'on eût eu defTein de s'en défaire , parce qu'il refufoit
d'accepter le parti qu'on lui propofoit. La ville fut mife en-
fuite au pillage -y & après avoir été fi long tems une des plus
peuplées des Pais-bas, depuis cet accident elle devint fi dé-
îèrte , qu'on y comptoit à peine trois cens habitans. Ils n'y
reftérentpas même long-tems -, ils l'abandonnèrent, Scelle
le remplit depuis infenfiblement de Liégeois, &; des payfans
des environs, qui fe logèrent dans les maifons qui avoient
perdu leurs anciens maîtres. Cependant la garnifon , faute
de bois , en ruina la plus grande partie , & s'en fervit à fe
chauffer.
L'armée Efpagnole étoit trop épuifée pour pouvoir rien
entreprendre après un fiége fi long & fi fatiguant , ôc le prince
Tome FIJI. <X
i%2 HISTOIRE
de Parme y avoic contracté lui-même une maladiequi fut très-
Henri dangereule. D'un autre côté Martin Schenck , Seigneur de
III. Tautenbourg en Gueldre, connu par fa bravoure, &. qui après
I S 7 9' avo*r ®té au Service du prince d'Orange , avoit depuis changé
de parti , s'empara du château de Blyenbecque iltué iur la
Meule au defïus de Grave , & porta de-làle ravage dans tous
les environs. Il avoit même furpris au mois de Juillet dernier
Doetecom , & commençait déjà à former de plus grands pro-
jets , lorfqu'il fut enveloppé par les troupes du comte Phi-
lippe de Hohenlo , tk fait prifonnier avec quelques-uns de fes
Officiers. Peu de tems après le baron de Curtfbach en Siléiie
s'intérellà pour fa liberté ; & on le relâcha.
Conférences Cependant on avoit fait l'ouverture des conférences indi-
de Cologne. qL1ées à Cologne l'année précédente. Les Députés qui y af-
filièrent étoient pour l'Empereur, les Eledeurs de Cologne
& de Trêves , avec Jule évêque de Wirtzbourg -y \^erner
fleur deGimmich, & Othon comte de Schwartzbourg , pour
le duc de Cieves ; le duc de Terranova , Maximilien de Lon-
gueval fieur de Vaux , Jean Fonck , 6c Chriflophle d'Aflbn-
ville conleillers d'Etat , avec le fecretaire d'Etat Urbain Sca-
remberg , pour S. M. C. Jean-Baptifte Caftagna , archevêque
de RoiGa.no , pour le Pape $ & Philippe de Crouy duc d'Arf-
chot , les Abbés de Sainte Gertrude <k de Marolles , Bucho-
Ay ta prévôt de Saint Bavon, Gafpard Schets, àc Adolphe de
Meetkerke , chevaliers , confeillers des Etats , en leur nom ,
& pour l'Archiduc : enfin les Etats de la province de Hollande
y avoient aufli député Bernard de Merode baron de Rumey,
& Adolfe de Goer chevaliers , avec Adrien Vander-Mile , éc
Aggée de Albada do&eurs en droit.
Les députés de l'Empereur avoient demandé d'abord, que
pour difpofer les efprits à fe prêter à un accommodement , &
pour adoucir le reilèntiment du parle , les hoftilités cefïafîent
départ de d'autre, tant que les conférences dureroient. Ils
approuvoient fort auffi la propofition que faifoient les Etats ,
de mettre Maitricht en féqueffcre entre les mains de l'Empe-
reur : mais le duc de Terranova ne voulut jamais confentir
qu%n fufpendît le fiege 3 & la ruine de cette malheureufe
ville , qui fut le fruit de cette réfolution , indifpofa beaucoup
les efprits , qu*on auroit dû plutôt tâcher de ramener par les
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. X25
i*rôyes de la clémence ôc de la douceur.
Enfin chaque parti ayant donné fes prétentions par écrit , Henri
les députés de l'Empereur , après y avoir fait quelque chan- II I.
gement , en compoférent un projet d'accord , qu'ils remirent 1 5 7 f .
aux députés des Etats dix jours après , c'effc-à-dire , le 1 8. de
Juillet ; ôc ils leur confeillérent fortement de l'accepter , les
afTûrant qu'ils n'avoient pu rien obtenir de plus du duc de Ter-
ranova. Il contenoit : Que la pacification de Gand , qui avoit
été faite le 8. de Novembre, trois ans auparavant le traité
d'Union paffè à Bruxelles le 9. de Janvier de cette année , de
i'Edit perpétuel donné au mois de Février fuivant, feroient
obfervés inviolablement , tels qu'ils avoient été confirmés
par S. M. C. Qu'elle accorderoit une amniffcie générale pour
tout le pafTé, ôc rendroit fes bonnes grâces aux Flamans,
qu'elle reconnoîtroit pour fes bons ôc fidèles fujets ^ qu'elle les
confirmerait tous, tant en général, qu'en particulier, dans
leurs anciens droits , libertés , immunités , Ôc privilèges :
Qu'elle retireroit fur le champ des Païs-bas toutes les troupes
étrangères , Efpagnoles , Italiennes , Allemandes , Angloifes ,
ôc EcofToifes : Qu'elle aboliroit tous les nouveaux impôts :
Que tous , tant Eccléfiaftiques , qu'autres , feroient rétablis
dans tous leurs biens , meubles , ôc immeubles 3 que tous fem-
blablement rentreraient dans toutes les charges ôc dignités ,
dont ils avoient été privés à l'occafîon de cette guerre ; èc
que même les gouvernemens des villes , les magiftratures , &c
les autres emplois publics , ne pourroient être exercés que
par les naturels du païs : Que tous les prifonniers feroient mis
en liberté fans rançon , à moins cependant qu'on n'en eût déjà
traité avant cet accommodement j que le comte de Buren fe-
rait relâché dans trois mois , à compter du jour qu'on auroit
achevé detraiteravec le prince d'Orange: Que le Roi rati-
fierait tous les actes émanés de l'Archiduc, 6c des Etats , en
tant cependant qu'il ne s'y trouveroit rien, qui fut direcT;e-
ment contraire , ou à l'autorité de Philippe, ou aux droits èc
libertés de la nation : Que S. M. C. ferait reconnue pour feule
maîtrefle fouveraine 6c abfoluë des Païs-bas , en forte que
chacun feroit obligé de fe foûmettre à fon obéïflance^ qu'elle
ferait libre d'y nommer tel Gouverneur qu'elle jugeroit à
propos , à condition qu'il ne donnerait aucune atteinte aux
124 HISTOIRE
? droits de la nation , & qu'il fe conformeroit à {es loix 6c à fes
Henri ufages , en particulier à la pacification de Gand , 6c à ce der-
III. nier traité , auffi bien qu'à la formule propofée avant tous ces
1 579- troubles par l'empereur Charle V. & le roi Philippe : Que les
Flamans lui remettroient incefTamment les châteaux , villes
6c citadelles , dont ils étoient en pofTeiTion , avec toute l'ar-
tillerie , les vaifTeaux qui appartenoient à S. M. 6c toutes les
munitions de guerre : Que perfonne ne pourroit être recher-
ché , ou inquiété , pour avoir détourné à Ton profit pendant
cette guerre les droits 6c revenus de S. M. Que du jour de l'exé-
cution de ce traité , les Etats renonceraient à toutes ligues 6c
alliances qu'ils auroient pu faire avec les Princes étrangers à
Toccafion de cette guerre : Enfin que la reine d'Angleterre
6c le duc d'Anjou feroient cenfés compris dans cet accom-
modement.
Après avoir drefFé ce projet, les députés de l'Empereur
infiftérent de nouveau , pour obtenir du duc de Terranova
une trêve , afin de donner le tems aux Flamans de délibérer
fur ces articles • &i n'ayant pu en venir à bout, ils écrivirent
aux Etats , 6c les prelFérent vivement d'accepter ces propor-
tions. Cependant comme la néceffité où ils étoient de pren-
dre là-dellus l'avis des villes de Flandre , empêchoit leur re~
ponfe d'arriver aufiîtôt que les Efpagnols l'auroient fouhaité ,
ceux-ci infiftérent auprès des miniftres de l'Empereur, pour
les engager à faire part de leur propre autorité aux peuples 6c
à la Noblefle des Païs-bas de ce qui avoit été rélblu -y 6c le
duc de Terranova leur écrivit à ce fujet conjointement avec
eux. Ce coup fortifia beaucoup le parti de Philippe en Flan-
dre j mais comme ils n'en avoient rien communiqué aux dé-
putés des Etats , il ne fervit qu'à les empêcher d'accepter , 6c
même de prendre en bonne part les propofitions faites par les
députés de l'Empereur. Ils juftifiérent leur refus , fur ce que ,
diioient-ils , elles ne remédioient pas fufhTamment aux de-
fordres que la diverfité de Religion avoit introduits en Flan-
dre , 6c qu'on ne leur donnoit par là aucune efpérance d'ob-
tenir quelque adoucifîèment aux ordres de la cour d'Efpa-
gne. En effet, à l'exception de la Hollande , de la Zélande ,
6c de Bommel, à qui on permettoit de fuivre les difpofitions
de la pacification de Gand , Philippe avoit abfolument refolu
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 125
de ne fbufFrir dans tous les païs fournis à fon obéïflànce , que »
la feule Religion Catholique Romaine, à i'exclufion de toute Henri
autre. III.
Les actes de ce traité furent auflîtôt rendus publics à Colo- 1579.
gne par les miniftres de l'Empereur & de la cour d'Efpagne^ 6c
Adolphe de Meetkercke,qui avoit aflifté à ces conférences,en
fit un recueil qu'il publia l'année fuivante à Leyde & à Anvers,
avec des Notes qui tendoient pour la plupart àjuftifîer la con-
duite desProteftans de Flandre 6c des Etats. Il mit une préface
à la tête , dans laquelle il s'attache à démontrer que la révolte
desPaïs-bas,dont il accufe le duc d'Albe,& les autres miniftres
d'Efpagne , d'avoir été la caufe , n'eft point une raifon fuffi-
fantepour traiter les Flamans de traîtres à Dieu , 6c au Roi.
Il travaille fur- tout à les juftifîer du reproche qu'on leur fai-
foit, de n'avoir pas empêché, comme ilslepouvoient, la ruine
&la profanation des Eglifes ; 6c il dit : Qu'à la vérité les plus
fàges du parti n'avoient jamais approuvé ces excès j 6c qu'ils
auraient fouhaité de tout leur cœur , qu'on n'eût jamais penfé
à en venir jufque là : Que fi cependant on vouloit pénétrer
plus avant, & fonder la profondeur des jugemens de Dieu,
autant que la portée de notre efprit borné peut nous le per-
mettre , on feroit obligé d'avouer , que la providence n'a-
voit permis ces fcandales, que pour apprendre aux Etats , à
la Nation , & au Roi lui-même , que h les Efpagnols regar-
dent comme un facrilége d'abattre 6c de mettre en pièces des
images 6c des ftatuës de pierre ou de bois $ c'eft encore un bien
plus grand crime devant Dieu d'avoir cruellement perfécuté
pendant tant d'années , par le feu , le fer , ôcl'éxil , fans 'dis-
tinction d'âge, ni de fexe, tant de malheureux, qui avoient
l'honneur déporter le titre de Chrétiens , 6c qu'il regardoit
comme fes images vivantes. On voit que le defTein de cet Au-
teur étoit de travailler par-là à confirmer dans le parti des
Etats ceux des Flamans qui penfoient à fe fouftraire de leur
obéïflànce. Cela n'empêcha cependant pas, que depuis ce
tems-là plufîeurs perfonnes, fur-tout parmi les Seigneurs, ne
les abandonnaient. Le duc d' A rfchot lui-même, & les Abbés
de Sainte Gertrude, 6c de Marolles, avec Gafpard Schets,
reftérent à Cologne , lorfque leurs Collègues reprirent la
route d'Anvers , èi firent enfuite leur accommodement avec
Philippe, QJij
(•and
ia<S HISTOIRE
•-- Cependant comme ceux de Gand , qui jufqu'alors avoient
Henri été les auteurs de la plupart des troubles qu'on avoit vus en
III. Flandre , continuoient dans leur extravagance , l'Archiduc &:
i 579. les Etats prièrent le prince d'Orange de s'y rendre encore
Nouveaux une fois pour tâcher de les faire rentrer dans le devoir. Jean
troubles à d'Imbyfe, dont j'ai déjà parlé , étoit l'auteur du défordre.
Comme les troupes Wallones faifoient continuellement des
courfes dans le territoire de Gand, cet homme brouillon
perfuada aux Gantois, que dans ces circonftances ils n'é-
toient point obligés de s'en tenir à l'accommodement que
le prince d'Orange avoit ménagé l'année précédente, &c
qu'ils pouvoient ulèr de repréfailles. La choie s'exécuta le
9. de Mars. Ils déclarèrent une guerre ouverte aux Catho-
liques , dépouillèrent les Ecclefiaiïiques de ce qu'ils pouvoient
pofTeder , pillèrent les Eglifes , &; abandonnèrent les Mona-
ftéres au pillage des foldats. Cependant comme ce change*
ment n'etoit point autorifé par l'aveu des PuifTances légiti-
mes , &: que pour cette raifon la plupart des Proteftans le
défapprouvoient, fur cefeul prétexte ils furent chafles hon^
teuïèment de la ville par d'Imbyfe , Se coururent même rifque
de la vie dans cette occafion. La Noue lui-même, qui s'ex,
pofoit tous les jours avec tant d'ardeur , pour défendre leurs
biens ôcleur liberté contre les entreprifes des provinces Wal-
lones , ne fut pas à couvert de fa mau vaife humeur 3 & comme
il voulut fe mêler de lui donner quelques avis &. l'exhorter à
avoir plus de modération, ce féditieux eutl'infolence de l'obli-
ger à fortir de la ville au milieu de la nuit.En même temsHenri
Gouffier de Bonnivet , que le duc d'Anjou envoyoit aux
Etats après avoir traverfé l'Artois, étant arrivé à Gand , &
comptant d'y refter deux jours, tant pour faire aux Magiftrats
les complimens de fon Maître, que pour exhorter les habitans
à la paix &; à la concorde , il fut contraint lui-même d'en fortir
au plus vite , & quoiqu'il eût fes pafleports , il penfa être
alfailiné par quelques fcélérats que d'Imbyfe avoit , dit-on ,
apoftés pour le tuer. Sa fuite le tira de leurs mains , mais il
eut auparavant la douleur de voir deux de les domeftiques
égorgés à fes yeux. Enfin ce furieux ayant conçu une ini-
mitié perfonnellepour quelques habitans du canton d'Axele,
il les fit arrêter par jacque de Myegen fon Lieutenant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 117
colonel,fous prétexte qu'ils favorifoient leparti desEfpagnokj —5
tira d'eux tout l'argent qu'il voulut, & qu'ils payèrent vo- Henri
lontiers pour fe racheter des ennuis d'une longue prifon , III.
dont il les menaçoit -y & les fit égorger à Saint Amand où ils 1579.
furent "enterrés par iès ordres fous le gibet. Dans la fuite de
Myegen fut pourfùivi en Juftice pour cet aflafîînat -y mais
s'étant excufè fur l'ordre qu'il avoit reçu d'Imbyfè, on
commua fa peine , & il fut feulement condamné au bannif-
fèment.
Après cela , foie que tant d'attentats le rendifTent plus
liardi , foit qu'ils lui fiifént appréhender quelque funefte re-
tour , le 1 9. de Juillet il fait entrer dans Gand de l'infante-
rie èc de la cavalerie , fans ordre ni permiifion des Magiftrats 5
les dépofe , fans garder aucune formalité , contre tous les
droits & privilèges dont ils jouiffoient de tems immémorial ,
pour mettre à leur place des gens à fa dévotion 3 fe déclare
lui-même de fon autorité privée Chef du Confeil de cette
ville ^ & commence enfuite à maltraiter ceux même des
Proteftans qui fouhaitoient qu'on fe tint tranquilles , fous
prétexte de différens crimes , qu'il inventoit pour avoir droit
de les perfécuter. En même tems les lettres que le prince
d'Orange écrivoit aux Gantois , pour les informer de fon
arrivée prochaine , leur ayant été rendues (1) le jour même
delà faint Jean-Baptifte j d'Imbyfè proteffca contre , & publia
un libelle injurieux au Prince, où il apportoitpiufîeurs rai-
fons qui dévoient félon lui empêcher les Gantois de le rece-
voir dans leur ville , & avoit l'infolence &; la folie de le dé-
crier. Entr'autres chofes , il lui reprochoit de favorifer les
François , de ne chercher à chafîcr les Efpagnols des Païs-
bas, que pour les foûmettre au duc d'Anjou & à la France ,
& d'être incapable de conduire une armée , puifqu'on ne le
voyoit jamais à la tête des. troupes , quoiqu'il en eût de fort
nombreufes.
Mais l'imprudence de cet efprit féditieux ne fît cependant
aucun tort au Prince. Ryhove dévoila l'atrocité de fçs
(1) Ce fait étant poftérieur à tout
ce qui a précédé , & ayant cependant
une date antérieure à celle qui la pré-
cède ; nous avons crû qu'il y a de
l'erreur dans la première , qui eft plus
fujette à une faute d'impreffion , & qu'il
faut lire ci-deflus xiV.Kal. Vtil.le 18.
de Juin , au lieu de XIV. K>al. VltiU 19.
de Juillet,
ri8 HISTOIRE
calomnies , & comme la réputation qu'il avoit d'être prudent
Henri 6c modéré , lui donnoit beaucoup de crédit parmi les com-
III. patriotes , on arrêta conformément à Ton avis , que le Prince
I579* fer°ic reçu dans Gand à certaines conditions, qui furent:
Qu'il ne feroit ou laiiîèroit entrer dans cette ville aucune gar-
nifon , fous quelque prétexte que ce fut : Qu'il n'entrepren-
droit rien qui pût donner la moindre atteinte à leurs privilè-
ges &c libertés , aufli-bien qu'au droit de fouveraineté , qui
venoit de leur être dévolu : Qu'il accorderoit aux Proteftans
toutes fortes de fûretés , 6c qu'il ne feroit aucune innovation
à leur égard , non pas même par rapport à l'ufage qu'ils fai-
fbient des revenus du Clergé : Enfin qu'il ne permettroit
point qu'on inquiétât perfonne au fujet du paiïé j 6c qu'avant
que d'entrer dans leur ville , il jureroit d'obferver ces articles
religieusement.
Avant tout cela les Gantois avoient aufîî publié un Manf-
fefte , par lequel ils prétendoient devoir être difpenfés de
fournir les contributions ordinaires. Ils reprefentoient par
cet écrit,que depuis le î 6. dejuillet ( i ) de l'année précédente,
jufqu'au 6. du mois de Juin dernier , ils avoient débourfé de
compte fait, pour la caufe commune,quatre cens vingt-quatre
mille cinquante-fix livres tournois , ou florins , chaque florin
de quarante gros de Flandre , quoiqu'ils ne fùTent que la qua-
trième partie de la province , fans compter le dommage qu'ils
avoient reçu pendant huit mois , par les courfes continuelles
desWallons mutinés fur leur territoire,qu'ils eftimoient enco-
re à plus de trois cens mille florins 5 que fi les autres membres
de la Flandre avoient depuis ce tems-là contribué à propor-
tion , on auroit du retirer de toute cette province plus de
trois millions de florins 5 6c que fî chaque province des Païs-
bas avoit de même fourni fon contingent à proportion, comme
l'équité le demandoit , toute cette fomme monteroit à plus
de neuf millions de florins. Orilsdemandoient à quel ufage
on avoit pu employer tant d'argent j 6c remontroient que fi
les autres provinces n'avoient pas fatisfait à leurs payemens ,
il n'étoit pas jufte d'en rendre les Gantois refponfables.
Ils ajoûtoient enfin, qu'il leur en avoit encore coûté deux
(i) Le texte porte XVIII. Ksi. viril, c'eft fans contredit une faute ; il faut
lire xvu.
cçns
DE J. A. DE THOU/Liv. LXVIII. 129
cens quatre - vingt mille florins pour fortifier leur ville. ■
D'un autre cote , la plus grande partie des autres villes de Henri
Flandre , au lieu de fçavoir gré aux Gantois de ces dépenfes III.
immenfes qu'ils faifoient tant valoir , fe ièrvoient de cet aveu 1579.
même pour condamner leur conduite 3 prétendant montrer
qu'ils n'avoient dépenfé tant d'argent que pour leurs propres
intérêts Se leur fatisfa&ion particulière, 6c nullement à l'a-
vantage de la caufe commune ; que cesïbmmes avoient été
prodiguées inutilement & mal-à-propos à l'entretien des trou-
pes qu'ils avoient levées de leur propre mouvement &: mal-
gré la défenfe des Etats , pour attaquer les Wallons , qui
n'étoient déjà auparavant que trop animés : Que néanmoins
ils n'avoient refpedé ni les fages avis , ni les ordres de la
Noue" , &: qu'on ne les avoit pas vu faire la moindre dépenfe
pour les troupes qui veilloient à leur fureté & combattoient
pour leur défenfe : Qu'au contraire uniquement occupés à
taire dans leur ville la guerre aux Eccléfîàftiques , aux Moines
ôc aux Religieufes , ils avoient diffipé le bien du peuple par
leur peu d'attention & leur dérangement, croyant avoir allez
fait , lorfque par une ostentation mal placée ils avoient mon-
tré également autant de haine pour les François que pour les
Efpagnols : Que cependant cette conduite avoit non-feule-
ment beaucoup affoibli le parti des Etats, qu'elle avoit mê-
me donné lieu aux Efpagnols, qui étoient charmés de voir
que ces mutins eufïent tant d'éloignement pour la France ,
de faire fur eux de plus grandes entreprifes èc de fe flater d'y
pouvoir réùflir.
Enfin le prince d'Orange partit au mois d'Août , pour iê
rendre à Gand. Sur cette nouvelle , d'Imbyfe fous prétexte
d'aller vifiter le port &; de vouloir le fortifier, fortit delà
ville y mais il revint auffitôt après , fur l'afTûrance que fes
amis lui donnèrent que le Prince ne lui feroit aucun mauvais
traitement. Il arriva enfin , commença par cafler les Magif-
trats qui étoient en charge , Se qui avoient été créés contre
les loix , ôc à leur place il en établit de nouveaux. Pour ce
qui regardoit les Seigneurs qui avoient été arrêtés , cette af-
faire lui donna d'autant moins de peine , que la plupart
avoient fçû corrompre leurs gardes , &; s'étoient fauves dès
le mois de Juin , entr'autres les fieurs de Raflinghem , de
Tome VIII. R
i3o HISTOIRE
■ ■■ Swevegen & Erpe bailli de Courcray. Le fieur de Champi-
Henri gny étoit aufli du nombre de ceux qui s'étoient enfuis , & il
III. avoit été repris. Mais à l'arrivée du prince d'Orange il fuc
j î79# aufîîtôt relâche. En même tems d'Imbyfe, qui appréhendoic
qu'on ne fongeât à lui faire rendre compte , prit la fuite èc
alla chercher un afile en Allemagne auprès du prince Jean
Cafîmir , avec Pierre Dathenus , aux pernicieux confeils de
qui on attribuoit tous les attentats de ce méchant homme.
Cependant les feigneurs Wallons tentèrent de furprendre
Gand. Pour exécuter leur projet, plufieurs d'entr'eux fous
prétexte de vouloir faire leur cour au prince d'Orange ,
avoient demandé qu'on leur accordât des logemens dans
cette ville. Ils l'obtinrent , mais ils s'y rendirent enfuite en
fî grand nombre , &: ils étoient fi bien fuivis , que fi le prince
d'Orange n'eût eu la précaution de faire fermer les portes
de bonne heure , il étoit perdu , & Gand auroit été pris in-
failliblement. De là il parla à Bruges, où il donna fes or-
dres, & après y avoir établi des Magiftrats , il retourna à
Anvers.
D'un autre côté, les feigneurs Wallons pour ne pas per-
dre abfolument leur peine, furprirent Aloft 3 &le comte de
Lalain s'y rendit au mois d'Août , faifant paroître même en-
core alors beaucoup de difpofîtion à ne point vouloir d'une
paix dont quelqu'un des partis pourroit fe plaindre. De là ils
allèrent fe jetter fur un village très-peuplé , nommé Roufè ,
dont ils parlèrent tous les habitans au fil de l'épée. Enfuite
ayant rencontré proche de Baefrode, village peu éloigné
d'Aloft, deux compagnies de Gantois, ils les taillèrent en
pièces , pillèrent le village ôc y mirent le feu.
Au milieu de ces mouvemens , le prince de Parme malgré
fa maladie , ne négligeoit rien de tout ce qui pouvoit fervir à
avancer (es progrès 8c fortifier ion parti. On étoit affèz gé-
néralement perfuadé qu'il avoit formé le projet d'affiéger
Bruxelles. Mais fon armée avoit été fî maltraitée au fîége
de M afl rie ht, qu'il fut obligé d'en remettre l'exécution à un
autre tems. Cependant il faifoit fonderies villes de Lille , de
Douay & d'Orchies, pour fçavoir fî elles étoient fàtisfaites
de leur union avec les Seigneurs Wallons , & des articles
arrêtés à Cologne, & fi elles ne fongeoient point à rentrer
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL 131
fous Pobéïfïànce de S. M. C. En même tems pour les y en- *.
gager plus efficacement , il retira toutes les troupes étran- Henri
gères qui étoienten garnifon dans les villes & châteaux des III.
provinces Wallones 3 & en exécutant ainfi les promeuves qu'il
avoit faites , il mit beaucoup de Seigneurs dans fes inté-
rets. Pontus de Noyelles fieur de Bours entr'autres , gou-
verneur de Malines , grofîit le nombre de ceux qui y étoient
déjà , & cette ville abandonna auflî-bien que lui le parti des
Etats.
Aufïïtôt que ce Prince en eut reçu, la nouvelle , il envoya
les troupes qu'il venoit de tirer des places Wallones , &: quel-
ques compagnies de cavalerie Albanoife, afin de mettre les
Bourgeois à couvert de toute infulte. Enfuite il alla lui-mê-
me fe mettre à leur tête , courut & ravagea tous les envi-
rons d'Aloft, d'Herentals & de Dermonde } prit le fort de
Willebroeck , folié à la tête du canal de Bruxelles , ôc fe ren-
dit maître des éclufes , qui fervent à retenir ou lâcher les
eaux , félon qu'on en a befoin. Avant leur conftruètion , les
bourgeois de Bruxelles étoient obligés de pafler par Malines
pour fe rendre à Anvers ; & ce fut pour fe ibuftraire à l'efpé-
ce de dépendance où ils étoient de cette ville voifine , &:
qu'ils regardoient comme un véritable joug , qu'ils firent creu-
fer ce canal &; bâtir ces éclufes , qui leur coûtèrent des fom-
mes immenfes ; en forte qu'ils furent obligés de s'endetter
beaucoup pour perfectionner cette entreprilè. Elle ne man-
qua pas de chagriner ceux de Malines. Ils la regardèrent
comme une très- grande infulte, que ceux de Bruxelles leur
faifoient. Mais ils s'en crurent bien vengés , lorfqu'ils virent
les Efpagnols s'en rendre les maîtres. D'un autre côté, les
Etats fongérent aufïïtôt à les empêcher , mais les troupes
qu'ils y envoyèrent furent battues. Cependant comme ils
rendoient l'accès de ce pofte fi difficile , qu'on pouvoit à
peine y faire encrer quelques provifions , les Efpagnols & les
Allemans , à qui on en avoit confié la défenfe , voyant que
les vivres leur manquoient , & appréhendant que la Noue
ne vînt encore les y afïïéger , furent obligés de l'abandonner,
après avoir encloué tout le canon qui y étoit,depeur que
l'ennemi n'en profitât. L'Archiduc s'y rendit peu de tems
après avec la Noue , & ayant rendu la navigation libre
R. ij
ii3 HISTOIRE
■ depuis Bruxelles jufqu a Anvers , il prit la réfolution de forti-
Henri fier ce poftc. Ainfi la joye que les habitans de Malines avoienc
III. eue de fe voir fi bien vengés de ceux de Bruxelles, dura
1 579- Peu > ^ ^s *c trouv^rent bientôt aufli ferrés. qu'auparavant.
On fie encore alors une tentative fur la Brille , ville ma-
ritime des plus confidérables de la Hollande , & ce fut le
Gouverneur de la place lui-même , qui en fuggéra le delfein
aux Ligués de l'Artois & du Hainault , dans la vue de les
tromper. Il leur promit, qu'au cas qu'ils vouluilent s'en ap-
procher avec une rîote , comme s'ils étoient envoyés par le
prince d'Orange , il la leur livreroit. Les Wallons donnè-
rent dans le piège , & le complot s'exécuta. Mais ils parurent
à peine à la vue* de la place , qu'ils fe virent attaques par les
Hollandois à qui le Gouverneur avoit fait part de ion projet ,
&; qui coulèrent à fond une partie de leurs vauTeaux. Les
autres périrent dans une tempête violente qu'ils eiïuyérent à
leur retour.
En même tems les Etats reprirent Meenen ou Menin ,
village fur la Lis , dont la fituation en: fort avantageufe , &;
que le baron de Montigny avoit fortifié l'année précédente 5
après s'en être rendu maître. Voici à quelle occafïon ils fojx*
gèrent à l'attaquer. Un Brailèur , nommé Vercruyifen , qui
demeuroit dans ce village , étant fort perfécuté par les "Wal-
lons à caufe de fa Religion , jufque-là qu'ils le firent aceufer
d*un crime où il y alioit de fa vie, fe rendit au corps-de-garde
déguifé en païfan , arracha avec autant d'adrefîe que de
courage à un des foldats qui y étoient en lentinelle , la hache
qu'il avoit , en tua encore deux autres avec le même infini-
ment , & enfuite il s'échapa. De là il fe rendit à Bruges, où
il s'adrella d'abord au Bourgmaître, nomme JacqueBronc-
iàux , &: lui expliqua tous les moyens de prendre Menin. On
n'écouta pas d'abord un homme qu'on crut que le defir de
la vengeance aveugloit. Cependant comme il redoubloit
fes inftances , le Bourgmaître communiqua fon projeta l'Ar-
chiduc tk. aux Etats, &: ils le chargèrent lui-même défaire
provision d'échelles , de prendre avec lui les EcofTois dont le
quartier n'étoit pas éloigné de-là , èc de fe difpofer à cette
tentative. Ces ordres furent exécutés. Broncfàux eut une
entrevue fecrete avec Jacque de Balfour colonel des EcofTois,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 133
ils prirent jour enfemble pour l'exécution de cedeilein, & -
lorfqu'il fut arrivé , le Colonel & le Bourgmaître , avec Henri
Pierre 6c Jolie Tes deux fils 3 fe rendirent dès le grand matin III.
dans un endroit du grand chemin pavé , qui mène i RoufTe- 1579.
lart. Quatre compagnies Flamandes qu'on avoit embar-
quees a Courtray , abordèrent en même tems dans cet en-
droit, Regardèrent un parfait filence. Enfuite des qu'ils en-
tendirent fonner quatre heures, ils marchèrent vers la pla-
ce , qu'ils attaquèrent en même tems par deux endroits , dif.
fipérent la garde , que cette brufque attaque avoit déconcer-
tée, 6c fe rendirent maîtres de ce pofte fans avoir reçu la moin-
dre bleiïîire. Les foldats s'enrichirent au pillage de cette
place, où ceux de nos François, qui après avoir été congé-
diés l'année précédente par le duc d'Anjou , étoient paifés
au fervice des Wallons , avoient raflèmblé tout le butin qu'ils
avoient fait.
Une entreprife toute femblable , que les ennemis avoient
faite , contribua au fuccès de celle-ci , 6c fut caufe que les
Flamans trouvèrent fi peu de troupes dans ce pofte. En effet ,
ce fut au même jour oc à la même heure que les Wallons fi-
rent une tentative fur Courtray. Le fieur d'Erpe avoit été
l'auteur de ce projet , 6c le fieur d'Allens en prit la conduite.
Il tira pour l'exécution de ce defTein les troupes qui etoient
dans Waftene,Weruiicke6c Comines , aufquelles il joignit la
garnifon de Meenen , 6c fe rendit fous les murs de la place. Il
y faifoit fonder le fofTé avec des perches , lorfque Pottelfberg
Grand-bailli de Courtray , qui du haut d'une tour attendoit
le fuccès de l'expédition de Meenen , &c ne croyoit pas avoir
l'ennemi à fes portes , demanda d'une voix haute à la fenti-
neile , s'il fçavoit d'efà. venoit le bruit. Ces paroles firent croire
à d'Allens qu'il étoit découvert. Il fe retira vers (es troupes ,
afin de fçavoir leur avis fur le parti qu'ils dévoient prendre.
Ils délibéroient encore , lorfqu'ils entendirent du côté de
Meenen un grand bruit , avec le fon des trompettes 6c des
tambours. D'Allens fe douta auflitôt du malheur qui étoit
arrivé , 6c comme il s'imaginoit que les ennemis ne manque-
roient pas de commencer par le pillage, il marcha en dili-
gence de ce côté-là, afin de les furprendre dans cette occu-
pation , 6c dans l'efpérance de pouvoir encore reprendre la
R iij
i34 HISTOIRE
- place. Mais l'air étoit fî obfcur qu'il s'égara , &c fur ces entre-
Henri faites ayant entendu des fanfares , il s'imagina qu'il étoit arri-
III. vé de la cavalerie à Meenen , ce qui le détermina à retour-
i ejy. ner porter à V^eruiicke la honte & la douleur d'avoir fait une
tentative inutile. Cela arriva le i 2. d'O&obre.
La nouvelle de la prife de Meenen donna beaucoup de joye
au prince d'Orange. Perfuadé qu'il falloit profiter de ce pre-
mier fuccès , il retira de Willebroeck , pour lequel il n'appré-
hendoit plus tant , les troupes Françoifes & Angloifes qu'il y
avoit fait entrer -y les groffit de quelques autres troupes Fla-
mandes j & leur donna ordre de marcher vers Meenen , de
joindre la Noue , & d'aller fous lui recueillir les fruits de cette
vi&oire.
A la tête de ces troupes ce Général fe rendit le 1 4. de
Novembre au point du jour devant \yeruiicke. Il n'y avoit
en tout dans cette place que quatre compagnies Flamandes }
deux s'étoient retranchées dans 1' Egliie , les deux autres
étoient r.eftées dans le château , fitué au-delà de la Lis , 6c
le pont qui étoit dans cet endroit fur cette rivière fervoit de
communication à ces deux quartiers , qui pouvoient fans
danger fe fecourir par-là réciproquement. Les François in-
vertirent d'abord PEglifè, quoiqu'ils fuflent fort expofés à
être infultés des fenêtres de l'Eglife même , 6c des maifons
du village , qui commandoient ce pofte. D'un autre côté , les
afhégés paroifîbient d'abord bien réfolus defe défendre dans
l'efpérance qu'il leur viendroit du fecours. Mais ceux d'Hal-
lewin , qui s'étoient déjà mis en marche dans cette inten-
tion , ayant été rencontrés par la garnifon de Meenen , ils
reçurent ordre de ne pas aller plus loin , &c de revenir fur
leurs pas. Aufîitôt que la Noué" l'eut appris , il fit appliquer
les échelles à l'Eglife, & elle fut emportée le même jour à
quatre heures après midi. Quarante hommes furent paflés
au fil de l'épée dans le premier feu ,6c on fit cent cinquante
prifonniers , du nombre defquels fut Carondelet lieutenant
du comte d'Egmond. Après cette perte , ceux qui étoient
dans le château ne penférent pas à tenir. Comme ils fen-
toient leur foibleile & qu'ils comptoient peu d'être fecourus ,
ils mirent fur le foir le feu à la place qu'ils abandonnèrent , 6c
fe retirèrent à Comines.
DEJ. A. DETHOU,Liv. LXVIII. 135
De là , paflànt la Lis à la tête de trois cens chevaux , &:
de quatre cens hommes d'infanterie , tous François , &: mar- Henri
chant contre Hallewin , la Noue alla donner dans les corn- III.
pagnies de cavalerie du duc d'Arfchot de du comte de La- 1579.
lain , qui avoient été joints par quelques nouvelles levées. Il
les attaqua, les rompit & les tailla en pièces , fans qu'il en
reftât prefqu'un feul homme , comme on le fçut des cava-
liers que Seton commandant des EcoUbis , ôt Mornan condui-
sirent à Meenen. Au bruit de cette défaite , la garnifon
d'Hallewin mit le feu à Cqs logemens & les abandonna. Ceux
qui étoient dans Becelare àc dans Waftene , fuivirent fon
exemple.
Ces fuccès réitérés avoient donné tant de courage aux
François que la Noue commandoit, fes exemples avoient fi
bien icâ leur infpirer l'amour de la véritable gloire qu'on
peut acquérir par les armes , qu'ils ne fongeoient ni à s'enri-
chir par le pillage , ni même à leur propre paye , uniquement
attentifs à obéir aux ordres de leur Chef, nul obltacle n'é-
toit capable de les arrêter, et quoi qu'il pût exiger d'eux ,
il les trouvoit toujours difpofés à le fuivre. On vint les aver-
tir que leur montres étoient arrivées à Meenen ^ ils répon-
dirent , qu'ils ne pouvoient s'amufer à compter de l'argent ,
qu'ils n'avoient que le tems de vaincre. Il eft certain que la
France fut infiniment redevable à ce grand homme , qui
tandis que la plupart de nos Seigneurs &. de nos Généraux
gâtés par ks vices du fiécle ou de la Cour , rendoient la Na-
tion méprifable par le défordre de leur conduite, fçut lui
feul foûtenir parmi nous &: chez les étrangers , la gloire an-
cienne du nom François , par fa probité , fa valeur, fa pru-
dence & fa févérité à faire obferver la difeipline militaire 5
qualités , qui dans lui n'étoient mêlées d'aucun vice , & qu'il
pofTédoit dans le degré le plus éminent.
Cependant la guerre fe Faifoit auïïi fentir dans la Frife , que Guerre en
l'ancienne inimitié qui régnoit entre quelques peuples de Frife-
cette province , & la nouvelle union qui venoit de fe faire à
Utrecht , rejettérenr dans de nouveaux troubles. En erîèt
les Ommelandes ayant accepté le traité d'Utrecht, ce fut
une raifon pour ceux de Groningue , qui en cela n'avoient
en vue que de les contrarier , de refufer de s'y foûmettre.
Hé HISTOIRE
■ George de Lalain comte de Rennebourg gouverneur de la
Henri province , reçue donc ordre des Etats de contenir ces mutins
III. dans le devoir , & de prendre des moyens pour rétablir la
1 579- concorde parmi ces deux peuples. En conféquence le Comte
convoqua les Etats de la province à Vifchuliet > & ceux de
Groningue s'étant exeufés d'obéir à la fommation qu'il leur
fit d'y comparoître , fous prétexte de leurs privilèges , il prit
ce refus pour une rébellion manifefte , Ôt leva des troupes.
Eux de leur côté donnèrent ordre à Winckenberg qui étoit
à la tête de leurs milices , d'en faire de même. Mais ce Gé-
néral ayant été pris fur ces entrefaites à Archem , avant qu'il
eut eu le tems de fe mettre en campagne , le comte de Ren-
nebourg leur écrivit de Nieoort le 5. de May -, èc après s'être
juftifié de ce qu'il avoit convoqué les Etats à Vifchuliet plu-
tôt qu'à Groningue , fur ce que dans les derniers Etats tenus
dans leur ville , ils avoient allez peu refpeclé fa préfence ,
pour arrêter fous fes yeux les députés des Ommelandes , il
demanda que pour rétablir entr'eux la concorde , ils lui ac-
cordaient de deux chofes l'une , ou de recevoir garnifon dans
leur place, ou de lui donner des otages. En même tems il
interdit la Chambre du Roi. Enfuite , conformément aux
ordres qu'il avoit reçus des Etats , il penfa à fortifier Delfziel
& Winfum • & il chargea de cette commilîion le capitaine
Jean de Cornput. Il fit auiTi élever quelques retranchemens
avec un folié autour de Dam. Cette place avoit d'abord été
fortifiée par Meinard de Hain & Bernard Hacfort , qui y
commandoient au nom de Charle d'Egmond duc de Guel-
dre. Mais ces deux capitaines ayant depuis été trahis par
leurs foldats , qui les livrèrent eux-mêmes à George Schenck,
celui-ci en râla les fortifications l'an 1535. & depuis elle
étoit toujours reliée fans défenfe.
« t j r. Cependant comme la révolte de ceux de Gronino-ue étoit
ningue par le manifefte , le comte de Rennebourg rélolut aulîi de leur faire
comte de une gLierre ouverte j & le 1 1. de May, les troupes comman-
dées parles capitaines Collet , d'Olthof, d'Entens, de Rinf.
woude , de Cornput , de Hottinga , d'Efcheda , de Weda ,
& de Schao;hen , allèrent mettre le fiége devant leur ville.
Groningue , qui l'an 1 1 1 o. n'avoit d'abord été entourée que
d'une fimple muraille , avoit été fortifiée longtems après
d'un
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 157
d'un bon retranchement flanqué de quelques battions. Elle »
eil fîtuée dans un terrein fertile en bled & en pâturages , ar- Henr i
rofée par deux rivières qui fortent du marais de Drenthe. III.
L'une va fe joindre à l'Ems à Delfziel , l'autre prenant ion 1 C70,
cours vers le Lawer , va fe jetter dans la mer au-delà de la
Marne. Cette ville qui eft aujourd'hui fort grande & fort
peuplée , & où l'on trouve des bourgeois fort riches , étoit
autrefois de la dépendance des évêques d'Utrecht. Depuis
elle fecoiia leur joug , &: devint aflez puifïante pour s'attrL
buer une efpece de domination fur tout le refte de la Frife
Occidentale , à l'exception de Franicker. Cependant elle
eut tour-à-tour plufîeurs maîtres , comme le comte d'Em-
dem qui y fît bâtir une forterefîe , &. le duc de Gueldres. En-
fin l'an 1535. elle fe donna, comme je l'ai dit , à l'empereur
Charle V. èc ce prince en prit poileffion folemnellement le 7,
de Juin. •
Les hoftilités commencèrent le premier de Juin , que les
troupes du comte de Rennebourg fe répandirent dans tous
les environs & enlevèrent tous les troupeaux. Ceux de Gro-
ningue fortirent de leur ville pour donner fur ces maraudeurs }
mais quoiqu'ils eufîènt avec eux un grand nombre de païfans,
ils furent taillés en pièces par une poignée de foldats. Ils fi-
rent eniuite une fortie générale,dont les femmes elles-mêmes
voulurent partager la gloire. Mais après avoir tenté deux
fois la même chofe fans fuccè.s , ayant au contraire toujours
été battus , ils perdirent enfin courage àc demandèrent à par-
lementer. Le comte de Rennebourg appréhendoit que le
prince de Parme après la prife de Mâftricht , ne tournât fes
armes de ce côté là. Ainfi il entra volontiers en négociation ,
&: la ville fe rendit à ces conditions : Que ceux de Gronin-
gue feroient ferment d'obéïfTance à l'Archiduc , au prince
d'Orange , aux Etats , 3c au Comte : Qu'ils recevroient gar-
nifon dans leur ville, fî on lejugeoit à propos: Qu'ils accé-
deroient au traité d'Union paiTé à Utrecht,& qu'ils fe foumet-
troient au jugement des arbitres , qui feroient nommés pour
accommoder à l'amiable leurs différends avec les Ommelan-
des &: les peuples des environs, Pour fureté , ils donnèrent fix
Otages au choix du Comte , qui ne manqua pas de les pren-
dre dans les familles qu'on foupçonnoit de favorifer le part}
Tome VllL S
i53 HISTOIRE
• des Efpagnols. Après cela le comte de Rennebourg fie fou
Henri entrée à Groningue le jour même de la tête de S. Jean-
III. Baptifte.
1 579' Quelque tems auparavant , ceux du petit païs deDrente
avoient chaflë de leur territoire quatre compagnies que le
comte y avoit fait entrer , ïous prétexte des violences qu'elles
y exerçoient. Ainfî pour les ranger au devoir , le gouverneur
iuivi de quelques troupes 6c de trois petites pièces de campa-
gne , partit le premier de Juillet , 6c marcha par la Drente à
Coëvorden , dont les Magistrats étoient pour la plupart
grands partifans des Efpagnols. A fon approche ils prirent la
fuite , èc aulîitôt après les bourgeois fe fournirent à lui. Il
n'y eut quOldenzéel & Linghen , que l'exemple de Gronin-
gue ne put rendre fages 3 elles prièrent avec beaucoup de fou-
miffion qu'on ne leur donnât point de garnifon , 6c elles n'omû
rent rien pour s'exeufer d'en recevoir. Le Comte menaça j
mais il s'en tint aux menaces & n'en vint point à l'exécution ,
ce qui augmenta les foupçons qu'on avoit déjà contre lui }
car on croyoit fon accommodement fait avec l'Efpagne , 6c
on s'attendoit à le voir au premier jour abandonner le parti
des Etats.
Comme la fituation de Coëvorden étoit avantageufe pour
palier de la Frife 6c du païs des Ommelandes en Allemagne ,
6c que le Gouverneur ne comptoit pas beaucoup d'ailleurs
fur Oldenzéel 6c Linghen , il jugea à propos de bien fortifier
cette première place. Il en chargea le capitaine Cornput ,
qui y traça d'abord le plan d'une citadelle flanquée de cinq
baftions, avec fes mantelets 6c un fofTé. Mais il furvint tant
d'obftacles , que l'ouvrage refta imparfait. Il y avoit quelque
tems que Théodore Sonoy avoit commencé à fortifier cette
place à caufe de fa fituation avantageufe j car elle eft placée
comme au centre de toutes les autres villes , n'étant éloignée
de Linghen que de cinq milles , d'autant d'Oldenzéel , de
neuf de Deventer , de cinq de Swol , de fix de Steenwick ,
6c de fept de Groningue. Coëvorden avoit été autrefois le
fujet de bien des difputes , auiïî fut-elle fouvent prifè 6c re-
prife , fouvent ruinée , puis rebâtie. Enfin l'an 1536. Solbach
Gueldrois , qui en étoit Gouverneur, la remit entre les mains
de George baron de Schcnck , 6c dans la fuite S. M. C. la fie
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL r39
fafer , parce qu'il vouloic que Linghen fut frontière de ce
côté là. Depuis ce tems-là Sonoy y avoit fait travailler de Henri
nouveau l'année précédente , de Bertei Encens avoic arrêté III.
les travaux. Enfin fur les fqndemens que Cornput avoit jet- j cjq,
ces , on a bâti une citadelle grande , vafte } de digne de la
magnificence d'un Roi puifïant.
La province d'Over-Y$L4 voiiine de la Frife Occidentale , Tmub'es
ou Weftfrife , n'étoit pas plus tranquille. La licence des trou- dansIn rr°-
/ . r J > > • loi* i vince J'Ovcr-
pes y etoit h grande qu on n y voyoït que vols de brigandages. Yflci.
Elles avoient mis tout le pais à feu de à fang , de réduit les
païfans au défefpoir. Ceux dont ils eurent le plus à foufFrir ,
Furent les Allemans qui venoient d'abandonner le Brabanc.
Ils écoienc commandés par le baron de Kurtfbach , de il fè
vengea de ce qu'on ne les avoit point payés , en exerçant fur
ces malheureux les violences les plus inouïes pour en tirer de
l'argent. Mais enfin le feu ayant pris par hafard à la poudre ,
ce baron périt miférablement. Les ibldacs même de Bertei
Encens ne fe moncrérenc pas moins impicoyables envers leurs
compacrioces , de les mirenc à bouc. Les païfans prirenc les
armes , les pourfuivirenc , eux de deux compagnies de cava-
lerie , jufqu'à Coëvorden , de enlevérenc dans leur fureur ,
leurs équipages , leurs chevaux , de leurs chariots. Mais eux-
mêmes tombèrent à leur tour encre les mains de Bertei En-
cens qui les mie en fuice , en cua un grand nombre , de exigea
même du pais de Drence , dix-huic mille florins qu'il obligea
les habitans de lui payer , en porcanc la défolacion dans leurs
campagnes.
Tant de violences les obligèrent d'en porter leurs plainces
au Gouverneur , de elles furenc fi vives de fî fouvenc réïté-
rées , que le comee de Rennebourg ne pue fe difpenfer enfin
d'apporter quelque remède à ces défordres. Ainfi comme on
croit qu'il penfoit déjà à changer de parti , il leur permit de
courir fus a main armée à tous foldats , même de fon régi-
ment , qui ne leur feroienc pas apparoîcre d'un ordre ligné
de fa main. Ceux de Frife , après les malheurs qu'ils avoienc
efluyés , ne proficérenc poinc de cecce permiiîion. Mais les
habicans de POver-Yiîèl compeanc davancage fur leurs for-
ces , fe préparérenc à fe bien défendre. Il s'éleva parmi eux
à cecce occafion un parti qu'ils appellérent la faction des
S i\
i4o HISTOIRE
imnuummumimm Défefpérés: leurs drapeaux avoient quelque chofe de fort ex-
Henri craordinaire , &: de bien digne de païfans • mais qui ne con-
1 1 1. venoic cependant pas mal au fujet. Ils portoient peinte une
i s^q. épéenuë avec la moitié d'un œuf, dont le jaune paroifToit
répandu 3 voulant faire entendre par là , que c'étoit la nécef
fité feule qui pouvoit les engager à en venir à cette extrémité^
& que n'ayant pas voulu prendre les armes pour fe rendre
maîtres de l'œuf, ils étoient obligés de fe battre pour avoir
la coque. Le prince d'Orange qui ne pouvoit s'empêcher de
reconnoître qu'ils n'avoient pas abfolument tort , mais qui
craignoit que cette démarche ne fût de mauvais exemple
pour d'autres , leur envoya le comte de Hohenlo , avec or-
dre d'arrêter ce défordre. Le Comte leur fit d'abord quel-
ques proportions 5 6c voyant qu'ils étoient déterminés à n'en-
tendre à aucun accommodement , il voulut en venir à la
force. Il penfa lui en coûter la vie. Ils l'enveloppèrent , 6c
comme ils étoient beaucoup plus forts en nombre que lui ,
il fe vit dans un très-grand danger. Mais il prit mieux fes
mefures ; & les ayant attaqués au monaftére de Sion , 6c au
village de Rolle , il en fit un grand carnage , leur ayant tué
plus de mille hommes dans ces deux aérions. Enfin il tira
d'eux de l'argent , 6c les obligea encore à mettre les armes
bas.
Cependant le mauvais fuccès des conférences de Cologne
avoit jette les Etats dans un embarras des plus grands. Faute
d'argent , ils n'étoient pas en état de lever des troupes -y ôc
faute de troupes, il ne leur étoit pas pofïïble de foûtenir long-
tems les efforts de leurs ennemis. D'ailleurs la plupart des
provinces de Flandre abandonnoient leur parti. De fi triftes
circonstances leur donnoient lieu de tout appréhender pour
l'avenir , 6c les firent fonger à implorer la protection de queL
que Prince puifïànt^ mais ils voulurent avoir auparavant l'avis
du prince d'Orange. Il étoit encore à Gand : ce fut là qu'ils
lui députèrent pour avoir fon fentiment fur les moyens de pa-
cifier la Flandre , d'avoir de l'argent , 6c de traiter avec le
duc d'Anjou. Ce Prince fatisfit les Provinces-unies fur ces
trois articles , 6c il eut foin que fa réponfe fût rendue pu-
blique.
Cette année les villes Anféatiques tinrent leur afTemblée
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 14*
à Lubeck , où il ne fe trouva que fort peu de députés. Ce-
pendant on ne laifla pas de parler de renouveller la Hanfe Henri
ou alliance Teutonique ^ & après avoir relu deux &: trois fois III.
le projet qui avoit été drefîé à ce fujet dans la dernière aflèm- 1579.
blée tenue fept ans auparavant , par Hermand Vecheld doc-
teur en Droit & Conful de cette ville , il fut enfin approuvé, N*rj*ircî
Il n'y eut que les députés de la ville de Cologne qui protefté-
rent qu'ils s'en tenoient au traité de l'an 1557. alltirant qu'il
n'étoit pas en leur pouvoir d'accepter le nouveau projet >
iâns avoir préalablement obtenu le confentement des villes
de leur diocéfe ; 6c qu'on ne pouvoir pas non plus les obliger
à fe reflraindre fi fort dans la pourfuite de leurs droits.
L'affaire qui regardoit le commerce avec l'Angleterre fut
plus épineufe , 6c demanda une plus longue délibération.
Comme les marchands Anglois avoient obtenu à certaines
conditions , d'avoir pendant dix ans un Comptoir à Ham-
bourg , &: que ce terme expiroit -, la reine d'Angleterre avoit
demandé que le Sénat de cette ville renouvelait les privilè-
ges qu'il avoit donnés à fes fujets , de qu'il leur en accordât la
prorogation. Mais ceux de Hambourg avoient renvoyé la
connoifïance de cette affaire à l'aflemblée générale des villes
confédérées , prétendant que pour la conlervation des droits
de la fociété , ils étoient obligés de prendre leur avis , avant
que de rien ftatuer là-deffus. En conféquence , Eliïabeth re-
çut une députarion des villes Vandaliques , qui en appelloient
au traité pailé àUtrecht l'an 1474. entre Edouard IV. &: les
villes confédérées , demandant qu'on s'en tînt aux articles
qui y étoient contenus , &: fuppliant au refte S. M. de vouloir
bien confirmer leurs privilèges.
Ce refus chagrina cette Princeïîè, Se elle déclara qu'elle
n'accorderoit rien , qu'on n'eût confirmé les ïujets dans la li-
berté de tenir leur Comptoir à Hambourg , &: dans la jouif-
fance de tous les privilèges qu'ils avoient eus jufqu 'alors j &:
qu'on ne pouvoit le leur refufer fans faire un affront à la na-
tion Angloife , puifque de la chailèr de cette ville , c'étoit né-
cessairement donner à entendre, que par la conduite qu'elle
avoit tenue , elle s'étoit rendue indigne de la grâce qu'on lui
avoit faite. En même tems elle fit publier un Edit par lequel
elle déelaroie, que Ci dans le 25. de Mars le Conful delà
Suj
i4i HISTOIRE
■ fociété établie à Londres ne lui donnoit pas des furètes rai-
Henri fonnables , comme les marchands Anglois auroient à Ham-
III. bourg 6c dans les autres villes Anféatiques , la même liberté
l <jqt de tenir des Comptoirs & de faire leur commerce , qu'on ac-
cordoit à Londres aux marchands de cette fociété , ce terme
expiré, S. M. B. révoqueroit auffi l'ancien privilège qu'ils
avoient de s'établir en Angleterre , 6c qu'ils ne feroient plus
dorefnavant regardés dans le Royaume , que fur le pied des
autres marchands étrangers. L'exécution de cet Edit fut fuC
pendue* jufqu'au premier de Mai , à la prière du Sénat de
Lubeck , qui demanda cette prorogation à la Reine , pour
donner le tems aux villes confédérées de délibérer de cette
affaire dans Taflemblee générale , 6c de faire fçavoir leur ré-
ponfe à la Reine. Au relie cette Princeflè déclara qu'en at-
tendant , on ne permettroit à perfonne de tranfporter hors
du Royaume , ou d'y faire tranfporter aucuns effets apparte-
nans à la fociété , qu'après avoir donné caution de payer l'ex-
cédent des droits , jufqu'à la concurrence de ce qui le levoit
fur tous les autres marchands étrangers , au cas que l'affem-
blée des villes confédérées ne répondît pas aux intentions
de la Reine , &t ne lui donnât pas une entière fatisfadion.
Enfin l'affemblée des villes Anféatiques députa à la Reine,
pour lui faire fçavoir leur réfolution ^ 6c après avoir protefté
de leur attachement pour la nation Angloife , 6c du défir
iincére qu'elles avoient , de vivre toujours en bonne union
avec le royaume d'Angleterre , elles repréfentérent à S. M.
Qu'elles avoient reconnu , non feulement à leurs propres dé-
pens 6c par les pertes confidérables qu'avoient faites plufieurs
de leurs particuliers , mais encore par le dommage général
que tous leurs voifins avoient fouffert , &c auquel elles étoient
obligées de remédier : qu'elles ne pouvoient continuer aux
fujets de S. M. la joiiiflance de la permifTion qui leur avoit
été accordée dix ans auparavant , d'avoir chez elles des
Comptoirs , fans faire tort au négoce de pluileurs de leurs
marchands , fans s'expofer aux plaintes de toutes les villes de
la confédération , 6c introduire parmi elles la jaloufie 6c la
difcorde : Qu'elles fupplioient donc S. M. de ne pas trouver
mauvaife la réfolution qu'elles avoient prife , de s'en tenir
aux anciens traités dont l'obfervation avoit toujours fait tant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL 143
d'honneur , 6c apporté tant d'avantage au commerce des
deux nations , 6c de ne point s'expofer aux rifques 6c aux dan- Henri
gers inféparables des nouveaux étabiifîèmens. Les députés III.
crurent par cette réponfe s'être parfaitement acquités de leur j 5^9,
devoir , & avoir donné une entière fatisfa&ion à la Reine.
Mais bien loin de s'en contenter , Eiifabeth fit arrêter
tous les vaifTeaux de Hambourg qui fe trouvèrent dans Ces
ports , & par cette démarche elle le fit avec les villes confé-
dérées une affaire qui eut des fuites très - fàcheufes 6c très-
défagréables.
On parla aufîi dans cette afTemblée de la dépenfe que cou-
toit l'entretien du Comptoir établi àBenghen en Norvège 5
6c on propofa de le transférer en Livonie , où il étoit aupa-
ravant • d'abolir le droit qui fe levoit depuis quelque tems
fur le commerce du Sund , ôc qui caufoit aux villes confédé-
rées un tort dont elles ne fe releveroient jamais, 6c enfin des
contributions que chacune devoit fournir.
La ville d'Emden fîtuée avantageufement pour le com-
merce dans la Frife Orientale, ou l'Ooft-Frife , à l'embou-
chure de la rivière d'Ems , fit en même tems propofer par
Onnon Tibaren un de fes confeillers , le défir qu'elle avoic
d'entrer dans la fociété de la Hanfe Teutonique. On deman-
da à ce député s'il avoir un plein pouvoir du Sénat de cette
ville , de traiter de cette Union, 6c fi les comtes d'Emden n'y
mettroient pas oppofition. Sur quoi Tibaren ayant répondu
qu'ils en feroient charmés , les députés lui déclarèrent à leur
tour qu'ils étoient ravis de leur côté d'apprendre que les
comtes 8>c la ville d'Emden fufTent dans ces difpofitions. Au
xefte , comme ce n'efr, point l'ufage de faire ces fortes d'Unions
avant qu'elles ayent été autorifées par le Sénat de Lubeck
6c les villes confédérées , on traita bien pour le préfent des
conditions aufquelles Emden pouvoit entrer dans la fociété j
mais on remit à conclure cette affaire lorf que les députés au-
roient été pleinement informés des intentions des comtes
d'Emden , 6c qu'ils auroient reçu le confentement du Sénat
de Lubeck 6c des villes Anféatiques. Cependant cette négo-
ciation ne réuffit point. Les Anglois ayant été chaiTés de
Hambourg l'année fuivante , 6c ceux d'Emden leur ayant , à
la follicitation d'Elifabeth , accordé un établiflement dans
T44 HISTOIRE
■ ■■ leur ville , la fociété en fut piquée, croyant qu'on devoit avoir
Henri pour elle plus d'égard & de ménagement , & elle ôta de ion
III. côté à cette ville toute efpérance de pouvoir obtenir ce qu'el-
j -__ le fouhaitoit.
Il y avoit cependant déjà fix ans entiers que le roi de Dan-
nemarck avoît fermé les ports du Dannemarck, de la Nor-
vège & de l'Iflande aux vaiileaux de Hambourg -y ce qui cau-
foit un tort confidérable aux négocians de cette ville. Elle
envoya donc fes députés à Fleniberg h & ils convinrent avec
ce Prince , à peu près des conditions iuivantes ; Que S. M.
Danoife relâcheroit leurs vaiffeaux qu'elle avoit fait arrêter 5
qu'elle les exemteroit pour l'avenir du nouvel impôt établi
fur le fel 5 qu'elle leur rendroit fes bonnes grâces , en forte
qu'ils joiiiroient dorefnavant dans tous fes Etats de la même
liberté pour leur commerce , qui leur avoit été accordée par
le premier traité de l'an 1562. Enfin qu'en confidération ,
difoit-on , de ces avantages que S. M. leur faifoit , ils lui paye,
roient dans Je terme de cinq années cinquante mille Joachims.
Aurefte ce furent l'électeur Augufte de Saxe, &: Ulric duc de
Mekelbourg , qui ménagèrent cet accommodement.
Il reftoit à régler le différend qui s'étoit élevé au fiijet de
la liberté du commerce fur l'Elbe, Mais on remit la décifion
de cette affaire à l'aiTemblée qui devoit fe tenir l'année fui-
vante à Kyel , & où les autres Princes du Holftein furent in-
vités de fe trouver cour défendre leurs droits. En attendant
il fut arrêté que les parties jouïroient également de leurs
droits fur cette rivière , fans qu'il fût permis aux uns ni aux
autres , d'en venir aux voies de fait. Cela fe palîa le feptiéme
de Juillet.
Affpires Enfin après avoir parlé de la Flandre & du Nord , je viens
d'Angleterre, aux affaires de la Grande-Bretagne. Au milieu des foins im-
portans dont Elifabeth étoit fans celle occupée , cette Prin-
ceffe ne laiffoit pas de donner fes attendons à Jean de Simié
que le duc d'Anjou fon maître avoit envoyé vers elle , pour
la preffer de fe déterminer au fujet de leur mariage , <k. qui ne
la quittoit prefque point. Cette familiarité faifoit murmurer
les Grands de la cour d'Angleterre j 6c ils ne voyoient pas
fans jaloufie , que la Reine etk tant de bontés pour un étran-
ger. Il arriva même au'un des gardes de cette Princeile fut
accule
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 14?
accufé d'avoir été gagné par le comte de Leycefter , pour ■■
tuer Simié. C'eft ce qui donna lieu à un Edit qu'Elifabeth fit Henri
publier , par lequel S. M. défendoit fous de grandes peines, III.
d'infulter de paroles ou de fait , ni Simié lui-même , ni fes 1^79.
domeftiques ôt fa fuite. Un accident arrivé quelque teins
après augmenta encore ces premiers foupçons. Elifabeths'é-
toit embarquée fur la Tamifè pour aller à Greenwich , &
elle étoit accompagnée de Simié , du comte de Lincoln & de
Hatton. Dans le voyage il arriva qu'un jeune honfhie dé-
chargea fon arquebuie fi imprudemment , que le coup alla
blefler dangereufement au bras un des rameurs du vaiflèau
de la Reine. Sur le champ l'auteur de cette a&ion fut con-
duit au fupplice j mais comme il parut évidemment qu'il ne
l'avoit point faite à deffein , de Simié demanda fa grâce , &;
la Reine l'accorda de tout fon ccçur. En effet cette Princeflè
ne croyoit pas aifément fes fujets capables d'une mauvaife
action , ôc fur-tout de la trahir -y auiïï avoit-elle pour maxi-
me : Qu'un Prince ne doit pas croire de fes peuples , ce qu'un
père ne croiroit pas de fes enfans. Peu de tems après , le duc
d'Anjou lui-même prévenu des bonnes diipofitions où la
Reine étoit à fon égard , fe rendit à Londres avec très-peu de
fuite , afin de n'être pas reconnu. Là il eut quelques confé-
rences fècretes avec Elifabeth , qu'il acheva de réfoudre fur
leur mariage j & Cecill , les comtes de SufTex & de Leycefter,
eurent ordre enfin d'en dreflèr les articles , de concert avec
de Simié.
Les Anglois qui n'aimoient pas le duc d'Anjou , pour éloi- Eratdei'E-
gner ce mariage , apportaient pour prétexte le danger au- coflc-
quel il expoferoit la Religion -y tandis que l'arrivée d'un au-
tre François , qu'on fçavoit ne pas penfer comme les Pro-
teftans , mettoit pour cette raifon l'Ecoffe dans la même pei-
ne. Il eft certain qu'Elifabeth elle-même s'imagina qu'il n'a-
voit pafTé la mer qu'à la follicitation du Pape 6c des Guifes ,
pour exciter quelque révolution , non feulement en Ecofle ,
mais en Angleterre même, à la faveur d'un changement dans
la Religion. Cet homme fi redouté étoit Eme Stuart , fils de
Jean d'Aubigny , 6c arriére petit-fils de ce feigneur d'Aubi-
gny , qui fe diftingua fi fort par fa valeur dans les guerres que
nos François rirent au Royaume de Naples , fous le régne de
Tome VIII. T
j46 HISTOIRE
s Charle VIII. Il y avoit huit ans qu'il avoit époufé Catherine
H e n r. i de Balfac fœur d'Entragues , un des Seigneurs des plus diftin-
III. gués de France par fa naiflànce , &: des plus attachés à la
ïjyo, maifon de Guife. Comme Stuart étoit proche parent du jeu-
ne Roi , il reçut auffi de lui toutes les marques de faveur qu'il
pouvoit fouhaiter. Aufîitôt après fon arrivée , on lui donna
des revenus confidérables , on le fit entrer dans le Confeil ^
il fut fait fucceffivement & en peu de tems , grand Chambel-
lan d'Etoile , gouverneur deDombritonune des plus impor-
tantes forterelfes du Royaume -, & enfin comte , puis duc de
Lenox.
Tant d'honneurs & de bienfaits accumulés fur une feule
tête , lui attirèrent bientôt la haine des Seigneurs Ecofîois. Il
l'augmenta ens'attachant d'abord aux ennemis du comte de
Morton , & en propoiant de rappeller de fon exil Thomas
Carry baron de Fernîhufk , qui avoit toujours tenu conflam-
ment le parti de la reine d'Ecoflè. C'étoit en effet aller di-
rectement contre le fentiment de Morton , qui en perfécutant
la maifon d'Hamilton , croyoit rendre fervice au Roi & à
l'Etat. Ce Seigneur vcnoit de reprendre le château d'Hamil-
ton, &; DafFran, qui lui avoient été livrés par quelques Gen-
tilshommes Ecoflbis , qui avoient été condamnés comme
coupables de l'affaffinat commis en la perfonne du comte de
Murray , & du viceroi Matthieu. Mais ils fe réfugièrent en
Angleterre , & ils y trouvèrent un afyle afluré dans la clé-
mence d'Elifabeth , qui s'étoit réfervé la connoifîànce de
cette affaire.
Troubles Cependant rien ne donna cette année plus d'inquiétude à
d'Irlande. ]a reine d'Angleterre , que les troubles d'Irlande. Jacque
Fitz-Moritz , qui deux ans auparavant avoit été obligé d'im-
plorer la clémence de Perot gouverneur du Mounfter , &
qui dans cette occasion avoit juré une fidélité inviolable à la
Reine, penfa caufer une révolution dans cette Ifle. En effet
il ne tint pas longtems la parole qu'il avoit donnée. A peine
réconcilié avec Elifabeth il pafla en France , & fit entendre
au Roi de aux Guîfes , que fï on vouloit lui donner des trou-
pes , il répondroit de foûmettre l'Irlande à la Couronne , &:
d'y rétablir la Religion Catholique. Enfuite voyant qu'on fe
moquoit à la cour de France de la vanité de fes promeflès ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 147
confus de n'avoir pas réùflî de ce côté- là , il fe rendit en Ef-
pagne , ou il trouva plus de penchant à le croire dans le Roi Henri
8c dans les Miniftres. On lui donna quelqu'argent > 6c de-là III.
on le fit palier à Rome , où ayant été introduit par deux prê- 1579.
très nommés Nicolas Sander , 6c Alan Irlandois , il obtint ai-
fément tout ce qu'il voulut. En effet Sander fut fait fecréte-
ment Légat du Pape -y 6c Fitz-Moritz ayant reçu lui-même un
étendart béni des propres mains de S. S. il reparla fur le champ
en Efpagne avec des lettres de recommandation de la Cour
de Rome , obtint de Philippe fept compagnies Bafques , & fe
rendit en Irlande avec ces troupes , où il aborda vers le com-
mencement de Juillet au bourg de Sainte Marie , fitué dans la
prefqu'ifle de Kerrey. Là il fit bénir par les Prêtres de fa
iuite un emplacement où il éleva un fort, fous lequel il mit
fès vaifieaux à couvert. Mais ils furent auflitôt attaqués par
Thomas de Courtenay , qui avoit fon quartier aflèz voifin de
cet endroit , 6c qui s'en étant rendu maître , ferma par ce
moyen à Fitz-Moritz le chemin de la mer.
L'Irlande, que les Grecs appelloient Iërne , eftfituéeau Defcriptkm
Nord-Oueft de l'Angleterre, 6c a trois cens milles de Ion- dciidandc.
gueur , & de largeur cent cinquante. Ce fut au milieu des di-
vifions , dont cette ifle fut autrefois déchirée, que le comte
de Pembrok y entra à main armée, 6c s'en rendit maître au
nom de Henri II. roi d'Angleterre l'an 1 1 7 1 . comme le rap-
porte SilveftreGiraldus dupais de Cornouaille,contemporain
de Henri , qui le fit même palier en Irlande avec le prince
Jean fon fils. Au refte tout ce Royaume eft partagé en cinq
grandes Provinces, qui fedivifent elles-mêmes en plusieurs
Comtés. Le Mounfter fitué au Midi eft la partie du Comte
Defmond , qui , à la follîcitation du Pape 6c du roi d'Efpa-
gne, commença les hoftilités. On y trouve l'archevêché de
CafTel , qui a fous lui douze SufFragans. Le Linfter à l'Orient
renferme fix Comtés. Dublin eneftlacapitale,6ceften même-
tems le fiége de la réfidence du Viceroi , d'un Parlement , de
d'un Archevêque. L'Ulfter fitué au Nord eft la plus grande
de toutes ces Provinces, & n'étoit habité autrefois que par
des naturels dupaï's , gens barbares , qui commencent à s'hu-
manifer par le commerce qu'ils ont avec les colonies Angloi-
ies qu'on y a fait pafTer. Cette Province eft partagée en dix
Tij
HISTOIRE
Comtés. Armach y efb le fîége d'un Archevêque. C'eft-là
Henm auffi qu'on voie ce trou de Saint Patrice, fi fameux par les pro-
III d*"ges effrayants que l'on en raconte. La Connacie , ou le Con-
naught efb fitué à l'Occident , & a pour capitale Tuam. Enfin
1 $79' laMidié , ou Medie , maintenant appellée le païs du Miili ,
efb au milieu de ces Provinces. On y trouve l'ancienne ville
qui porta autrefois le nom de Laberus , &: qu'on appelle au-
jourd'hui Kill-lair , fituée , à ce qu'on croit , au centre même
de l'ifle avec celle de Trim.
Auflitôt que le bruit le fut répandu en Irlande de l'arrivée
du Général du Pape, car c'efb le titre que Fitz-Moritz fe
donna pour foule ver plus ailé ment ces peuples grofliers , Jean
& Jacque , frère* du comte de Defmond qui favorifoit fous
main cette expédition , allèrent à la tête de quelques Irlan-
dois fe joindre à ce nouveau chef, qui d'ailleurs étoit de leurs
parens. Pour le Comte, il ne fe déclara pas d'abord. Au con-
traire , il aflembla Ces vaflaux , comme s'il eût eu deffein de
s'oppofer aux projets des rebelles. Mais lorfqu'il vit le comte
de Clancarre marcher contr'eux avec de bonnes troupes ,
il trouva moyen de l'amufer , &; de l'obliger à porter [es ar-
mes ailleurs.
Cependant le Viceroi ayant appris ce qui fepaflbit, écrivit
au comte de Defmond , et à fes frères ; &. il leur envoya or-
dre par Henri Davili de joindre leurs forces , & d'aller de
concert attaquer le fort que les rebelles avoient élevé. Davili
fut aufli amuië par les trois frères , qui feurent adroitement
le retenir. Enfuite lorfqu'il les eut quittés , Jean courut après
lui}& l'ayant rencontré dans une auberge de la ville de Tralli
avec Artus Carter , maréchal du Mounfter , il alla l'attaquer
dans fon lit , où il dormoit profondément ^ &: fans écouter
les prières qu'il lui failoit de ne pas violer le droit des gens à
fon égard, fans fe laifler toucher par le nom de fils , dont il
l'appelloit , parle privilège que fon âge lui donnoit fur lui , ce
qui eft aflez ordinaire entre gens de guerre -y il le perça de
mille coups, & égorgea enfuite tous fes domeftiques. De-là
venant rejoindre les Efpagnols qui étoient avec Fitz-Moritz,
les mains encore teintes du fang qu'il avoit verfé, & faifànt
gloire de fon crime : » Voilà , leur dit- il , le gage que je vous
>j donne , & qui vous répondra , à vous , ôc à tout le parti , de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVÏIÎ. 149
m mon attachement, 6c de ma fidélité. « Sander qui étoit pre-
fent à ce difcours , donna de grands éloges à cette action, qu'il Henri
traitoit de facrifice agréable à Dieu. Fitz-Moritz de Ton côté III»
n'approuvoit point la manière dont on s'y étoit pris 3 6c il 1579,
auroit mieux aimé que Davili eût été tué dans une querelle ,
6c au milieu du chemin , que de fang 'froid , 6c dans une mai-
ion. Pour ce qui effcdu comte de Defmond fon frère , il dé-
tefta de tout fon cœur cet aflaffinat.
D'un autre côté les Efpagnols étoient dans la dernière dé-
folation. Au lieu de ces troupes nombreuiès, que les prêtres
Irlandois leur avoient promifès , ils ne voyoient de toutes
parts que la folitude la plus affreufe. On leur avoit enlevé
leurs vaifleaux 5 la mer ne pouvoit plus ïervir d'afyle ^ & la
terre ne leur offroit que des objets ennemis. Dans une fitua-
tion fi trifte ils crioient qu'ils étoient perdus , qu'on les avoit
trahis j ils fommoient les révoltés de tenir la parole qu'ils leur
avoient donnée ; & ils faifoient mille imprécations contre la
barbarie de ces infulaircs, dont ils appréhendoient de fe voir
la victime. Cependant Fitz-Moritz les encourageoit^ & après
leur avoir fait efpérer qu'il leur arriveroit bientôt du fecours ,
il leur dit qu'il avoit fait un vœu en Efpagne qu'il étoit obligé 0
d'accomplir. En effet il feignit départir , pour aller dans cette
vue à Sainte Croix de Typporre j mais dans le fond fon def-
fein étoit d'aller fôulever les payfans de l'Ufter 6c du Con-
naught. Il pafToit avec peu de fuite par les terres de Guillau-
me du Bourg fon parent , qui s'étoit révolté comme lui dans la
première conjuration • mais qui ayant fait depuis de plus fa- '
ges réflexions étoit rentré dans fon devoir , lorfque les che-
vaux venant à lui manquer , il ordonna à [es gens d'aller pren-
dre ceux qui étoient attelles dans la campagne à quelques
charues. Les payfans voulurent d'abord s'oppofer à cette vio-
lence ; êc ne pouvant en venir à bout , leurs cris apprirent à
tout le voifinage le befoin qu'ils avoient de fecours pour ravoir
ce qui leur appartenoit. Tous les payfans prirent les armes.
Les fils de du Bourg entr'autres , qui étoient jeunes 6c pleins
de feu , indignés qu'on leur fît cet outrage , montèrent à
cheval , 6c vinrent à toute bride venger les droits de leur mai-
fon. On fe fit d'abord beaucoup de reproches de part 6c d'au-
tre 5 enfin voyant que Fitz-Moritz refufoit conftamment de
Tiij
i5o HISTOIRE
rendre les chevaux , Theobalde , l'aîné de Tes frères , fe jetta
Henri fur lui la lance à la main. On fe mêla, Theobalde fut tué
III. avec un de fes frères , & quelques-uns de les gens 5 mais Fitz-
j Moritz reçut une balle dans la tête, qui le renverfa fur la
place , &: prefque toute fa fuite fut pallèe au fil de l'épée. Son
corps fut mis en pièces -, & on lui coupa la tête • qui fut plan-
tée au bout d'un pieu à la porte de Kilmaloc,où quelque tems
auparavant il avoit promis à Perot avec des fermens fi affreux,
& à la face des autels , de ne jamais retomber dans la révolte.
Elifabeth écrivit à Guillaume du Bourg des lettres très-gra-
cieufes , pour le confolcr de la mort de lès enfans ; &. lui don-
na le titr*.de Baron de Château- Conel, avec une penfion
dont elle le gratifia. Mais il nefurvécut pas long-temsàfes
deux fils,&; n'eut pas le tems de jouir des bienfaits delà Reine.
Cependant Drury Viceroi d'Irlande s'étoit avancé à la tête
de fes troupes jufqu'à Kilmaloc. De-là il envoya dire au comte
deDefmond,qui continuoit toujours à ne fe point déclarer,de
venir le trouver • &; après avoir tiré de lui promefle d'être fi-
dèle en cette occaflon , il le congédia , avec ordre de lever des
troupes. Mais il ne parut plus depuis- &; tout ce que l'on put
faire , ce fut d'obliger fonépoufe de donner fon fils unique en
otage. D'un autre côté Jean, l'un de fes frères, ayant été
mis par les fédkieux à leur tête à la place de Fitz-Moritz , fît
fon premier coup deffai contre Herbert &: Prifey , Officiers
Angiois , qu'il tailla en pièces après les avoir attirés dans une
embufcade. Lui-même fut blqlle légèrement au vifage dans
* cette aètion.
Le Viceroi venoit de fortifier fon armée des nouvelles le-
vées qu'il avoit faites dans le Devon , Perot étant arrivé
d'Angleterre avec une efcadre de fix vaifleaux défîmes à gar-
der la côte. Mais les -incommodités de Drury ne lui permi-
rent pas de pouffer plus loin cette guerre. Preffé par fa ma-
ladie , il fut obligé de fe retirer dans Waterford ^ &; il remit
fes troupes à Nicolas Malbey, vieux Capitaine, dont il con-
noifloit l'activité ,& qu'il fit Maréchal du Mounfler. Malbey
voulut avant toutes chofes s'afîurer des dîfpofîtions du comte
de Defmond. Pour cela il le fit avertir de fon devoir , & lui fie
dire de fe rendre auprès de lui. Mais le voyant réfolu à ne
point obéir, il fe mit fans perdre de tems à la tête de fon
DE J. A. DE THOU, L i v. LXVIfl. i$t
armée $ marcha par le Conile, qui eft un petit païs couvert de
bois } éc y ayant rencontré Jean de Defrnond , qui faifoit por- Henri
ter devant lui l'étendart du Pape déployé, il l'attaqua. Le III.
combat fut d'abord fort rude -y enfin les Irlandois &: les Efpa- n7Q
gnols plièrent devant les Anglois j ôc Jean lui-même mit fa
vie à couvert par la fuite , laiilant fes gens à la difcrétion du
vainqueur, qui en fit un grand carnage. On trouva parmi les
morts ce prêtre Alan, dont j'ay parlé , & qui avoit exhorté
les rebelles à en venir courageusement aux mains , en les aflu-
rant de la victoire.
La nuit fuivante, le comte de Defrnond, qui attendoit dans
le voiiinage le fuccès de cette action , ne voulant pas encore fe
découvrir , écrivit à Malbey pour le féliciter de fa vi&oire , ÔC
l'avertir de changer de camp. Le général Anglois lui renvoya
fur le champ fon courier,avec ordre de dire à fon maître,
qu'il le prioit de ne pas tarder davantage à fe rendre auprès de
lui , afin qu'ils puflént joindre leurs forces ^ parce qu'il ne
voyoit point de raifon d'abandonner le camp où il étoit. Il
l'attendit donc pendant quatre jours. Enfin voyant qu'il ne
venoit point, il marcha vers Requely petite place du comté
de Defrnond. Cefutalors que le Comte leva le mafque j ôc
fa révolution rendant les ennemis plus hardis , ils vinrent au
milieu de la nuit attaquer le camp des Anglois. Mais il étoit
fî bien défendu que leur projet échoua. Cependant on jugea
à propos de fortifier ce pofte, afin d'obliger par-là les re-
belles à partager leurs forces.
De-là Malbey s'avança vers Asketen. C'étoit un fort bâti
fur une éminence , 6c environné de toutes parts d'une rivière
qui porte le même nom. Le Comte s'y étoit renfermé avec
des troupes. Le général Anglois l'avertit encore une fois de
penfer à lui, 6c de ne pas deshonorer une famille auffi illuftre
par fon ancienneté que celle dont il fortok , &; la mémoire de
les ancêtres,en s'abandonnant à la révoltCjqu'il étoit encore
tems pour lui de recourir à la clémence de la Reine ; & qu'il
ne doutoit pas qu'il ne reçût plufieurs marques des bontés de
cette Princefïè , fi par fon exemple il contribuoit à retenir fon
frère Se les infulaires dans le devoir. Mais il eut beau faire ins-
tance auprès de lui , le Comte s'obftina de plus en plus dans
fa réfolution.
i52 HISTOIRE
■ Ce fut fur ces entrefaites que mourut Je Viceroî. Cetoit un
Henri homme qui s'étoit beaucoup diftingué par fes exploits en
III. France, en Ecofle , de en Irlande. A fa mort l'autorité de
i c 70. Malbey dans le Mounfter expira aufli^ c'eft pourquoi il fe re-
tira auiiitôt dans le Connaught , dont il étoit gouverneur.
Sa retraite rendit le courage aux rebelles. Jacque deDefmond
alla afîiéger Adar, où Guillaume Stanley de George Ca-
rew avoient leur logement. Mais il firent des forties fi fré-
quentes , qu'ils fatiguèrent bientôt l'ennemi , de l'obligèrent
à lever le liège. Après cela la garnifon qui manquoit de vivres
s'étant répandue dans la campagne,elle tomba entre les mains
des révoltés. Là on fe battit avec acharnement, de Jacque
lui-même fut blefïé très - dangéreufement dans cette ren-
contre.
Cependant on délibéroit à Dublin fur le gouvernement. Les
peuples, quine voyoient dans la province aucun chef à la tête
des armées , fe foulevoient de toutes parts, Ain fi il fut réfolu
qu'en attendant que S. M. eût nommé un Viceroi , Guillau-
me Pelham , grand juflicier du Royaume, fe çhargeroit aufli
des affaires de la guerre j de que le comte d'Ormondferoit
gouverneur du Mounfter. Ce Seigneur avoit déjà envoyé à
Dublin, fous bonne garde, le fils du comte deDefmond,
qui avoit été donné en ôtage,&: que Drury lui avoit mis entre
les mains.
Petham chargé de ce nouvel emploi palïa dans le Mounf-
ter , d'où il écrivit au Comte de venir fe rendre auprès de
lui. Mais il chargea fon époufe de faire fes exeufes au nou-
veau Général , de de le prier de l'en difpenfer. Ainfi il lui en-
voya le comte d'Ormond pour traiter avec lui. On lui pro-
poia donc de livrer aux Anglois Sander , qui étoit l'auteur
de cette guerre, de faire fortir du païs toutes les troupes
étrangères , de remettre à Pelham Carigo-Foyle de Aske-
ten , de fe foûmettre fans condition , 6c de tourner {es armes
contre fes frères de les autres rebelles. A ces conditions, on
lui faifoit efpérer d'oublier tout le parle j de au cas qu'il re-
fulat de les accepter , on menaçoit de le proferire. Enfin com-
me on vit qu'il ne cherchoit qu'à amufer par fes prétextes de
Ces remifes , on porta contre lui au commencement de No-
vembre un Arrêt terrible qui le déclaroit traître à la patrie
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIII. 153
Se criminel de leze-Majefté. Les motifs exprimés dans cette '
/èntence fi févére étoient , qu'il s'étoit entendu avec les Prin- Henri
ces étrangers pour les rendre maîtres de la patrie, qu'il III.
avoit donné du fècoursà Sander 6c à Fitz-Moritz, qu'il avoic 1570,
reçu les Efpagnols au fort Sainte- Marie , qu'il avoit fait mou-
rir honteufèment les fidèles fujets de S. M. & avoit enfin levé
1 etendart du Pape contre la Reine.
Après cela le comte d'Ormond eut ordre de continuer la
guerre. Ce Général entra d'abord dans le Conile , y fit le
dégât , enleva les beftiaux , 6c mit tout le païs au pillage.
De là il fe rendit à Yogal , qui avoit déjà été pillé par le
comte de Defmond. Et parce que le Gouverneur avoit re-
fufé de recevoir garnifon Angloife , pour en faire un exem-
ple de terreur , il voulut qu'il fut pendu aux portes de la ville ,
après quoi il y mit garnifon. Enfuite il alla afïïéger StrangL
cal que les Efpagnols défendoient. Mais à fon approche ils
abandonnèrent la place , ôc cherchèrent leur falut dans leur
fuite. Mais ils furent fi vivement pourfuivis par les Anglois ,
qu'il n'en refta pas un feul. Enfin dans tout le Mounfter on
donna la chaflè aux rebelles.
Tels furent en Irlande les événemens de cette année, qui
fut aulîî marquée par la mort de Nicolas Bacon, grand-
chancelier d'Angleterre, dont j'ai déjà fi fouvent parlé. Ce-
toit un homme d'une prudence confommée , d'une éloquence
admirable , d'une pénétration finguliére , & d'une mémoire
très-fûre -y enfin qui mérita d'être après Cecill , comme le
fécond appui du trône de fon maître. On lui donna pour
fucceflèur dans la charge de Chancelier Thomas Brumley.
Cette même année enleva Staniflas Hofius natif de Cra- Hofius,
covie. Il s'appliqua d'abord à l'étude de la Jurifprudenceà
Pavie , & enfuite à Boulogne , où en même tems Alexandre
Farnefe , Chriftophle Maclrucci&: Othon Truchfes, qui;tous
trois furent Cardinaux dans la fuite , étudioient les belles
jLettres j 2c il fe perfectionna enfin fous Hugue Buoncompa-
gnon , qui monta depuis fur la Chaire de laint Pierre , fous
le nom de Grégoire XIII. Il refta enfuite dans fa patrie , ou
Je roi Sigifmond-Augufte l'employa dans plu fieurs ambafia-
des d'importance vers les empereurs Charles V. 6c Ferdi-
nand, 6c le roi Philippe II. 6c dans toutes il mérita toujours
Tome FUI, V
Morts
illuftics.
Bacon.
*54
HISTOIRE
IJ79-
= Teloge d'un fujet fidèle èc d'un habile négociateur. Le roi
Henri Sigifmond l'a voie fait évêque de Warmie. Le pape Pie IV".
III. qui connoilloit fon érudition profonde , &: fon habileté dans
la Théologie , voulue aufli fe fervir de lui dans les négocia-
tions qui précédèrent le concile de Trente , dont il tut lui-
même dans la fuite un des Préfidens , & il le députa pour cela
à l'empereur Ferdinand, 6c à Maximilien roi de Bohême. Ce
fut à cette occafîon qu'il fut fait Cardinal -y dignité qui lui
avoit déjà été offerte par le pape Paul IV. 6c que ce grand
homme par une modeftie , dont on ne voit guéres d'exem-
ples dans notre fiécle , avoit eu la force de refufer. Il s'étoit
retiré à Caprarola , pour éviter les grandes chaleurs de Ro-
me , lorfqu'il y mourut enfin le 5. d'Août , dans fa foixante èc
feiziéme année. On peut ajouter aux belles qualités que j'ai
dit qu'il avoit , celles d'aimer la Religion , fa patrie 6c fes
amis. Son corps fut tranfporté à Rome , 6c inhumé dans l'E-
glife de Sainte Marie Tranftevére. Thomas Treter fon corn-,
patriote prononça fon oraiïon funèbre.
Je vais parler après lui de deux Sçavans illuftres. Le pre-
mier eft Jean Hartung natif de Miitenbourg fur le Mein en
Franconie : il profefîa avec beaucoup de fuccès la langue
Grecque , d'abord à Heidelberg , & enfuite à Fribourg en
Brifgaw j 6c il compofa même quelques ouvrages en cette lan-
gue. Le fécond eft Erafme OfVald né en Autriche , qui pro-
fefîa d'abord dans fa patrie, enfuite à Ingolftad, àLeipfîc,
à Baie, à Memmingen, 6c enfin à Fribourg. Il étoit égale-
ment eftimé pour fon habileté dans les Mathématiques ,
qu'il a enrichies de fes ouvrages ;6c par la grande connoilîance
qu'il avoit de la langue Hébraïque 3 en quoi il femble avoir
voulu fuivre l'exemple de Sebaftien Munfter fon précepteur.
Au refte comme il avoit toujours vécu dans une union fore
étroite avec Hartung , & qu'ils avoient prefque toujours de-
meuré dans le même lieu , la mort même ne voulut pas les
féparer • feulement Ofwald étoit plus jeune de fept ans que
fon ami lors de fon décès.
Peu de tems après mourut à Paris le dernier jour d'Odo-
bre Jean Stadius d'Anvers, Il étoit plus jeune que les deux
dont je viens de parler ^ car il n'avoit alors que cinquante-
quatre ans. C'étoit un des premiers hommes du monde pour
Hartung &
Stadius.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIIL 155
les Mathématiques , Se il a rendu fon nom célèbre dans tout
,.^-r • r r_. t-~\-' ' :.J~„ ~„>:i _ j..:
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mi nous la chaire de Ramus }'& comme tous les gens de Let-
tres étoient invités à venir difputer le prix honorable qui
étoit propofé au mérite , Stadius vint à Paris , & quoique ce
fût déjà un homme mur, il ne crut point fe deshonorer en
entrant en lice avec de jeunes gens. Le principal de ces con-
currens fut Maurice Breffius de Grenoble , & le fuccès de
cette difpute littéraire fut fi égal , que François de Foix de
Candale , un des plus Illuftres & des plus Sçavans hommes
que nous ayons eus , qui y avoit affilié , jugea que le prix de-
voit être partagé, 6c le partagea effectivement avec beau-
coup d'équité. Stadius ne foûtint cependant pas tout-à-faic
dans la fuite la gloire qu'il avoit acquife en cette occailon.
Pour plaire aux feigneurs & aux dames de la Cour , qui
n'étoient curieux alors que de ce qu'il y a de plus caché Se
de plus incertain , c'eft-à-dire, de l'avenir, il parut s'écarter un
peu de ces régies fi fûres & toujours infaillibles , fur lefquelles
eil fondée la icience qu'il profeiToit , & rendit de notre tems ,
comme de celui des Celàrs , le nom des Mathématiciens
odieux , 6c leur profelEon abominable.
J'ajouterai à ces fçavans hommes Louis le Roi de Cou- touis le Roi.
tance. Comme à une connoiflance parfaite qu'il avoit de la
langue Grecque & de la Latine, il joignoit beaucoup d'habi-
leté dans toutes les fciences , il confiera tous ces talens à
l'ornement & à la perfection de notre langue, 6c il apprit à
Platon &: à Ariftote à s'exprimer en François , par les belles
traductions qu'il donna deplufieurs de leurs ouvrages , qu'il
enrichit encore de notes très-curieufes. Enfin le caractère
de ce génie élevé , incapable des foins vils que demandent
les beïoins ordinaires , lui ayant fait négliger fes affaires do-
meftiques, cet homme ,qui jufqu'alors n'avoit vu perfonne
au-deiîus de lui , obligé de vivre aux dépens d'autrui dans là
vieilleffe , termina fa courfe par une mort digne des regrets
de tous les gens de Lettres , mais qui ne pouvoit lui être que
fort agréable.
L'Italie nous offre auffi un illuftre défunt dans la perfonne AdthaL
Vij
t56 HISTOIRE,k
- . de Jean-Baptifle Adriani noble Florentin ,mort dans cette
Henri ville le 27. de Juin à l'âge de foixante 6c huit ans. Il fut in-
III. humé dans l'Eglife de faint François hors de la ville. C'é-
1 579. tolt un homme d'un efprit très-cultivé , qui a continué avec
une exactitude fcrupuleufe l'hiftoire de François Guichar-
din , un des auteurs à mon avis qui après les anciens , mérite
le mieux notre eftime ^ c'eft-à-dire , que depuis l'an 1 506. il
nous a donné Fhiftoire de tout ce qui s'eft palTé en Italie , tirée
en grande partie , à ce qu'il paroît , des mémoires de Corne
de Médicis grand-duc de Tofcane , un des plus grands gé-
nies , & le prince le plus prudent que nous puiffions imagi-
ner. J'avoue ici naturellement, que pour former le corps de
cette hifboire , j'ai beaucoup puiié dans cet ouvrage , 6c plus
peut-être que dans aucun autre. En efFet j'ai cru trouver dans
cet auteur une juftefle dans les chofes dont il étoit inftruic ,
jointe à une bonne foi , une candeur 6c une îincérité bien
rares • c'eft ce qui fait que je ne puis m'empêcher d'être fur-
pris de voir que les Italiens ne l'eftiment pas autant qu'il
mérite.
Fin du Livre foixante ejr huitième.
157
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STOIRE
D E
JACQJJE AUGUSTE
DE THOU.
LIVRE SOIXANTE -NEVVIÈME,
LA guerre s'alluma cette année entre la Mofcovie êc la j_j £N R x
Pologne , & le fuccès en fut fi heureux pour Etienne Bat- j j j
thory , qu'il réunit par-là à fa couronne la Livonie , qui juf-
qu'alors avoit été en proyeaux invafions des Suédois , &. du I 579»
jVlofcovite. Ce Prince auffitôt qu'il fut monté fur le trône de N^aircs du
Pologne , avoit écrit, félon la coutume , à toutes les Couron-
nes étrangères , pour leur faire part de fon élection 5 les aflu-
rant d'ailleurs de fon attachement, &: du defir fincére qu'il
avoit de vivre avec elles en bonne intelligence. Il s'acquitta
fur-tout de ce devoir envers Jean fils de Bafile, alors Grand
Duc de Mofcovie. Il lui députa Etienne GrudecenskiPolo-
nois , & Léon Bucoviecz de Lithuanie, avec ordre d'aflûrer
de fa part S. M. Czarienne, qu'il étoità fon égard dans les
mêmes difpofitions , qu'à l'égard de tous les autres princes
Chrétiens ;■ & que fi fous le régne de leurs prédécefTeurs il s'é-
f oit ému quelques différens entre les deux nations,il fouhaitoit
Viij
ij* HISTOIRE
! ? qu'on prît des mefures pour les terminer à l'amiable. Le Mof-
Henri covite répondit à cette députation,que quoiqu'il eût été déjà
III. informé de l'élection de l'empereur Maximilien , il contri-
i <jq, bueroit volontiers à entretenir la bonne intelligence entre
les deux Couronnes • quainfiil étoit d'avis que, fuivant l'u-
fage établi entre leurs prédécefifeurs , ils s'envoyafTent réci-
proquement des AmbafTadeurs pour traiter de leurs pré-
tentions ; & que cependant on ne fît aucunes hoflilités de
part ni d'autre.
Commence- Sur cette réponfe le roi de Pologne ne croyant pas avoir
mène des hof- rien à appréhender de ce côté là, ne penfa plus qu'à châtier
iVMofcovi" la révolte de ceux de Dantzick , dont j'ai parlé plus haut.
& la roiogne. Dans cette yûë il convoqua la diète à Thorn 3 àc dans cette
aflemblée, de l'avis du Sénat, il fut réfolu qu'on enverroic
uneambaflade au Czar. Mais le Mofcovite n'attendit pas
l'arrivée des ambafTadeurs Polonois 3 èc il profita de l'occa-
lion de la guerre de Dantzick , pour faire entrer une armée
en Livonie. Il avoit mis à la tète Magnus duc d'Holffcein 3 &:
il fit publier que fi la Province vouloit fe donner à lui , il la cé-
deroit à ce Prince , pour la tenir de lui à foi &; hommage , à
l'exemple du duc de PrufTe 3 en forte que le Duc feroit le maî-
tre du gouvernement 3 & que pour lui il n'y conferveroit que
fon droit de fouveraineté. Cette déclaration eut fon efrét.
Les peuples de la Livonie, par dégoût peut-être pour une
domination étrangère, peut-être auffi par le défir de voir à
leur tète un Prince de leur nation , &: qui parlât la même lan-
gue qu'eux , follicités d'ailleurs par quelques Seigneurs qui
n'étoient pas favorables à la Pologne, commencèrent par
chafler prefque toutes les garnilons qui étoient dans les villes
&: places fortes de la Province. Enfuite ils envoyèrent leurs
députés à Wenden, où Magnus s'étoit rendu , & où après
l'avoir reconnu pour leur Souverain, ils lui prêtèrent ferment
de fidélité au nom de toute la nation.
Magnus defeendoit des rois de Dannemarck , &: poiledoit
en Livonie l'évêché de Curlandt &: d'Ofel. Le feu de la jeu-
neflè, àc les belles efpérances dont les Mofcovites l'avoient fla-
té , l'engagèrent dans la fuite à prendre le parti de ce Prince ,
qui lui fit même époufer la fille du prince André fon coufin,
qui , fous quelques foupçons , avoit été égorgé par fon ordre,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXVIÎÎ. 159
avec tous fes enfans mâles. Le duc d'Holftein faifoit le fiége
de Riga par ordre du Czar , dans le tems même que le roi de Henri
Pologne étoit devant Danczick. Mais cette entreprife ne lui III.
réùffitpas, Se il fut obligé de l'abandonner. Dans la fuite la 1 570,
plus grande partie des places de la province fe rendant d'elles-
mêmes au Duc , il en prit poflèflion en fon nom. Cette con-
duite irrita le Czar • il entra en Livonie à la tête d'une puif.
fan te armée , précédé de Magnus , qui lui frayoit lui-même le
chemin , prit les villes de Marienhaus ,'de Rofîtten , de Luc-
zen, de Dunebourg, <k Kockenhaus, qui le rendirent à fon
approche 3 & pour donner dans ces commencemens quelque
idée de fa clémence , il ne fit aucun défordre dans toutes ces
places.
Afcherod qui fe remit aufîi à fa diferetion , fut le théâtre
de fes premières violences. Grand nombre de perfonnes de
l'un & l'autre fexe , &: de toutes fortes de conditions , s'étoient
réfugiées dans cette ville , fur-tout ce qu'il y avoit de Dames
de diftincUon dans la province y étoient venues chercher un
afyle. Dès que le Czar s'en vit le maître , il fit pafTerau fil de
l'épéetous ceux qui étoient en état de porter les armes • de
abandonna toutes les femmes qui fe trouvoient dans la place
à la brutalité des Tartares. De-làil marcha contre \^enden,
qui à la nouvelle d'un traitement fî barbare lui ferma fes por-
tes. Magnus en fortit pour implorer fa clémence , de le prier
d'épargner cette place. Mais il eut beau fe jetter à fes genoux;
le Mofcovite , au lieu de l'écouter , le traita de la manière la
plus indigne , juf qu'à lui donner un foufflet. Après cette ten-
tative les habitans , perfuadés qu'ils n'avoient plus de fecours
à attendre de la protection du Duc , ni aucune grâce à efpé-
rer du Mofcovite , mirent fous leurs murs plusieurs barils de
poudre , qui en prenant feu , firent fauter une grande partie
delà ville , & enveloppèrent dans fes ruines la rieur de la no-
blefTe de Livonie.
Le Czar, maître des triftes relies deWenden, s'empara
fur le champ de Runebourg, qui commande cette place, de
qui fe rendit aufEtôt après. Par-là il fe vit en pofTerTîon de
toute la Livonie , à l'exception de Riga , de Revel , de de
quelques autres petites places des environs. Car peu de tems
après que Henri fut forti de Pologne , ce Prince avoit enlevé
160 HISTOIRE
- aux Suédois Pernaw , &: enfuitc Weiflènftein , un des forts
Henri des plus confidérables de la Province ; & il avoic repris fur
III. -l'évêque de Derpc , & les Chevaliers de l'Ordre Teutonique,
i cyo, Nerva, &. long-tems auparavant Derpt , Félin-, & Marien-
bourg. Telle fut donc l'origine des différens qui s'élevèrent
entre ces deux pui fiantes nations , & de la guerre qui en fut
la fuite. Il y eut de tems en tems quelques trêves. On fit en Li-
vonic & en Lithuanie quelques expéditions , dont l'avantage
fut allez peu confidérâble de part & d'autre,jufqu'à ce qu'en-
fin Batthory monta fur le trône de Pologne.
Cependant le Czaravoit repris la route de fes Etats , em-
menant prifonniers avec lui Alexandre Polubenski , Lieute-
nant de Chodkewitz , & tous les autres officiers Polonois
qu'on avoit mis dans les places de la Province. Dans fon re-
tour il écrivit au roi de Pologne des lettres fort fiéres , par
lefquelles il lui ordonnoit en maître , de ne point toucher à la
Livonie. Il eut même la fote vanité d'ajouter que fes an-
cêtres tiroient leur origine d'un certain Pruffus , frère d'Au-
gufte, qui avoit été maître de Montroyal, aujourd'hui ap-
pelle Konigfbsrg , de Marienbourg , &; de tout le refte delà
Pruflè , qui étendoitfon empire jusqu'aux confins de cet état.
Ces nouveaux fujets de mécontentement joints aux anciens
engagèrent Batthory à envoyer ordre à fes AmbafTadeurs ,
qui cependant étoient en chemin pour fe rendre en Mofco-
vie, de demander fatisfa&ion au Czar de ces hofkilités , auf-
quelles on avoit dû d'autant moins s'attendre , qu'il y avoit
une efpéce de trêve entre les deux nations. En même-tems il
députa à Rome Paul Sajonskowski , pour traiter avec S. S.
des moyens d'arrêter les progrès du Mofcovite -, & il convo-
qua la diète de Pologne à Varfovie. Cependant Boritz Save
éc Guillaume Plater reprirent Dunebourg. Sous prétexte de
vouloir faire une honnêteté aux Mofcovites , ils leur envoyè-
rent un prefent d'eau-de-vie j &; comme ils étoient periuadés
que la garnifon en boiroit jufqu'à s'enivrer, ce qui arriva en
effet , ils entrèrent la nuit dans la place , & les en chaiTérenc.
Wenden fut aufli repris par Matthieu Debinski & Jean Bu-
ringe , qui s'en rendirent maîtres par le moyen d'un Serrurier,
qui leur fit des clefs pour ouvrir les portes de la ville , fur le
modèle qu'on tira avec de la cire»
Enfin
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 161
Enfin la diece s'aflemblaà Varfovie au commencement de
l'année fuivante. On y fie d'abord de grandes plaintes au fu- Henri
jet des coudes des Cofaques Nifoviens qui ravageoient tous III.
les environs duNieper. Mais ce qui chagrina le plus le Roi , 1579.
ce fut la nouvelle qu'il apprit de l'entreprife audacieufe & té-
méraire de Jean Podikove. Cet homme natif de Valachie, 6c
que Leunclavius dit cependant avoir été Polonois , quoiqu'il
n'eût point denaiflance, s'étoit fait une efpéce de réputation
par fa force extraordinaire. Elle étoit fi grande , qu'il rom-
poit, dit-on, en deux un fer de cheval. Ce malheureux aiT. m-
bla une troupe de gens de néant comme lui ; entra à leur tête
en Valachie , attaqua le prince Pierre qui en étoit Vaivode ,
allié de Batthory, 6c qui ne s'attendoit à rien moins qu'à cette
Invafion -y 6c le dépouilla de (qs Etats avant qu'il eût eu feule-
ment le tems de penfer à fe mettre en défenfe. A la nouvelle de
cette révolution le roi de Pologne , qui fe fentoit piqué per-
fonnellement de cette entreprife, écrivit fur le champ à
Chriftophlefon frère , prince de Tranfilvanie , de donner du
fecours au Prince détrôné. Aufîitôtfes intentions furent exé-
cutées. Le Tranfilvain pafTa en Valachie • 6c ion armée grof-
/iflant de jour en jour par les troupes qui lui venoient de toutes
parts, Podikove obligé de chercher un afyle dans Nimirow,
place appartenante à la Pologne, fe rendit enfin à Nicolas
Sieniawski gouverneur de Kaminiek , 6c commandant des
milices de la RufTie , province frontière de la Valachie , à
condition qu'on lui laifTeroit la vie fauve. De-là il fut envoyé
à Batthory ,6c eut une fin déplorable, comme je le rapporterai
dans peu.
Cependant le Roi fit part à la diète des fujets de méconten-
tement que la nation avoit reçus des Mofcovites, èc des Tar-
tares , qui depuis le départ du roi Henri , avoient pendant l'in-
terrègne fait le dégât dans la Valachie. Ainfi il demanda
qu'on délibérât , s'il étoit à propos de déclarer la guerre à ces
deux Puifïànces ^ 6c au cas qu'on ne voulût pas avoir affaire à
toutes deux enfemble , de décider laquelle des deux on de-
voit attaquer d'abord. Tous les fuffrages fe réunirent pour la
guerre contre les Mofcovites. Pour ce qui eft desTartares,
on remarqua qu'il n'y avoit aucun avantage à efpérer d'un
ennemi pauvre 6c toujours vagabond j qu'en l'attaquant on
Tome VU h X
i6i HISTOIRE
s'attireroit même à dos les Turcs, qui prétendoient que le
Henri païs qu'ils habitoient relevoic du Grand Seigneur. Ainli on
III. remit à un autre tems à tirer raifon de leurs hoftilités. Au con-
i J79. traire plus la Mokovie étoit puilïante, plus il y auroit de
gloire à la vaincre -, plus la Pologne fe rendroit redoutable, fï
elle avoit le bonheur d'en triompher. D'ailleurs c'étoit un
païs riche , rempli de villes florillantes , 8c qui outre toutes les
autres utilités orlroit la commodité du commerce maritime.
Tant d'avantages, fruits certains de la vi&oire, détermi-
nèrent toutes les voix de ce côté-là.
Conformément à cette résolution, le Sénat nomma des
Commiflairespour régler le nombre de troupes dont on au-
xoit befoin , à les fouîmes qui feroientnéceflàires à leur en-
tretien. On mit enluite un impôt fur chaque arpent déterre ,
& fur la bière. Jamais de mémoire d'homme la nation n'a-
voitété chargée d'une aulïi grofîe taxe : cependant tout le
monde s'y fournit. Il n'y eut que les Palatins de Cracovie , de
Sandomir , &: de Siradie , qui s'excuférent d'y foufcrire , fous
prétexte qu'ils n'avoient pour cela aucun pouvoir.
On traita enfuite de l'adminiftration de la juftice. L'ancien
ufage du Royaume étoit, qu'on appellât des jugemens ren-
dus par les Seigneurs particuliers à l'afTemblée générale des
Palatinats,dans le reflort defquels chaque jurifdiclion fe trou-
voit ^ &; que de-là on allât droit au Roi , qui décidoit de ce's
appels dans une diète. Sous le régne deSigifmond Augufte on
avoit penié à abolir cette ancienne coutume. Comme la mau-
vaifè lanté de ce Prince ne lui permettoit pas de rendre la
juftice avec beaucoup d'afîiduké , la Nobleflè avoit deman-
dé qu'il lui fût permis de fe nommer des juges de fon corps,
Elle n'obtint pourtant pas alors ce qu'elle fouhaitoit. Mais
dans l'interrègne qui fuivit la mort de ce Prince , lorfqu'il
s'agit de l'élection de Henri , une des principales conditions
qu'on lui propofa pour monter fur le trône de Pologne , fut
d'accorder ce droit à la Nobleflè ; 6c il l'accepta. Cette in-
novation avoit de grands inconvcniens • &: Batthory ne les
ignoroit pas. Cependant comme il n'étoit point en état d'em-
pêcher ce qui étoit déjà fait , il crut que dans les circon-
stances fe parti le plus convenable étoit de trouver quelque
tempéramment pour réduire l'adminiftration de la juftice à
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 165
une certaine uniformité. Dans cette vue , au lieu qu'aupara- ' 1
vant chaque Palatinat avoit Ton Tribunal particulier , ce Henri
Prince ordonna que dans la fuite on tireroit tous les ans , tant III-
du corps du Sénat, que du refte delà Noblefîe, deuxper- 1 S79»
Tonnes dans chaque grand Palatinat, 6c une dans chaque
petit, pour rendre la juftice àlaNoblefle du Royaume -y 6c
que ces nouveaux Magiftrats tiendraient leur Tribunal à
Pietrkow pour la haute Pologne , depuis la faint Martin juf-
qu a Pâques • &c pour la balle , à Lublïn , depuis Pâques juf-
qu'à la moiffon. Ainfi ce nouveau règlement donnoit à la
Noble/Te le droit de décider de tous les differens qui nai£
ioient entre les particuliers , & laillbit le Roi en pofllffion de
connoître feul , comme auparavant , de toutes les affures
d'Etat , & de celles qui regardoient les droits de la Couronne
ôc les Finances.
Il reftoit à lever une difficulté , qui étoit entre le Clergé èc
les Laïques. Ceux-ci prétendoient que les Ecclefiaftiques dé-
voient être fournis à la même jurifdidion que le relie de la
Nobleiîè. Le Clergé foûtenoit au contraire , que comme ces
Tribunaux ne pouvoient manquer d'être compofés de gens de
Religion différente , il étoit en droit de les regarder comme
fufpeds , 6c de refuler de les reconnoître. Ainfi pour accom-
moder ce différend, de l'avis de JeanZamoyski, il fut ar-
rêté que , lorfqu'il s'agiroit de quelque affaire concernant
le Clergé, on nommeroit fix Juges Laïques, aufquels on
joindrait pareil nombre d'Ecclefiaftiques , qui auraient éga-
lement leurs voix pour la décifion j 6c que s'il arrivoit que
les avis fufîent partagés, la connoiflance en ferait dévolue à
S. M. qui prononcerait en dernier raifort à la prochaine
diète. Après ces réglemens faits, la Noblefîe qui vouloit avant
toutes chofes qu'on lui donnât fatisfa&ion fur cet article ,
fe fournit fans peine à payer le nouvel impôt.
Cependant les ambafladeurs Polonois étoient arrivés en
Mofcovie , où ils reçurent toutes fortes de mauvais traitemens
de la part du Czar , naturellement brutal , &: que fes derniers
fuccès rendoient encore plus fier 6c plus intraitable. En effet
comme c'eft un ufage reçu entre les deux Nations de défrayer
les Ambaffadeurs pendant leur fejour à la Cour , 6c de
ne point fouffrir qu'ils achètent rien de ce qui peut être
Xij
i^4 HISTOIRE
neceiTaire à leur entretien , ce qui leur feroit mêmeimpoiîîble
Henri en Mofcovie 5 ce Prince ne leur fit jamais fervir que ce qu'il y
III. avoit de plus commun. Enfin lorfqu'on fut convenu d'une
jryo, trêve de trois ans , il trouva encore moyen de les tromper.
Il fît faire un double traité j le premier , qu'on devoir prefên-
ter à ligner aux Polonois , étoit abfolu & fans condition -}
l'autre , qu'il avoit donné ordre de leur remettre , & qui étoit
fcellé de fon fceau , portoit cette claufe : Que le roi de Polo-
gne céderoit toute la Livonie avec la ville de RJga 6c le duché
de Curlande au Czar, qui n'en étoit point du tout le maî-
tre , aiuTi-bien que tout le païs qui s'étend jufqu'aux frontiè-
res de la Prude h & qu'il s'engageroit à ne point donner de
fecours , & à ne point accorder fa protection à aucun Sei-
gneur , ni à aucune ville de Livonie. Enfuite lorfqu'il fallut
ratifier le traité félon la coutume , au lieu de la copie fur la-
quelle les Polonois avoient d'abord fait ferment , il fuppofa
cette dernière, qu'il jura d'obfèrver, & congédia ainfi hon~
teufement les Ambafladeurs, fans vouloir depuis leur accor-
der aucune audience.
En même tems il envoya une nouvelle armée pour faire
lefiegs de Wenden. Mais Mathias Debinski vint à propos
au fecours , & fit échouer cette entreprife. Ce Général ne
pouvant d'abord obtenir de fes troupes qu'elles fe jettallent
dans la place aiTiégée, fe fervit d'un ftratagême pour les y faire
entrer. Il leur propofa de s'approcher des ennemis, pour
voir s'ils ne pourroient pas mettre l'allarme dans leur camp ,
& enlever leurs gardes avancées. Cette adrefTe lui réuflit.
Ses foldats s'étant offerts à le fuivre , il les conduifit en fîlen-
ce pendant la nuit jufque fous les murs de la ville , & lorfque
le îbleil vint à paroître de à leur faire remarquer cette armée
nombreufe , qui les voyoit eux-mêmes à découvert , Debinf-
ki leur reprefenta qu'il leur étoit aifé d'être enveloppés par
une fi grande multitude , & qu'ainfiils n'avoient point d'au-
tre parti à prendre que d'aller chercher un afile dans la ville,
& de s'en faire un rempart contre leurs ennemis , en la dé-
fendant courageufement. En effet lanécefîité leur fit accep-
ter la propofition. Entrés dans la place, ils la fortifièrent à
la hâte ^ & comme le printems approchoit , ils obligèrent les
Mofcovites à lever le fïége.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. i65
Peu de tems après, Magnns , outre tous les fujets de mé-
contentement qu'il avoit reçus du Czar, comme nous ve- Henri
nons de le voir, ayant encore appris depuis, que ce Prince III.
fongeoit à confifquer fes biens & à le reléguer en Tartarie , 1579.
penfi lui-même à prendre fes memres pour abandonner ion
parti. Dans cette vue , il commença à le tirer infenfiblement
des mains des Mofcovites , s'avança jufqu'à Lempfal & Riga,
& fur les frontières de la Pologne 5 & de là il fit fçavoir au
Roi fes difpofitions par le duc de Curlande. A cette nouvelle
Nicolas Radziwil palatin de Vilna reçut ordre de fe tranf-
porter auffitôt de ce côté-là , de voir quel avantage le Royau-
me pouvoit tirer de ce changement du duc d'Holftein , & de
traiter avec lui fur ce pied-là. En conféquence le Duc fe ren-
dit en Curlande , où il fe mit, lui & tous fes domaines , fous
la protection de la Pologne , ôc prêta ferment de fidélité au
Roi entre les mains de Radziwil.
Après que ce traité fut conclu , Batthory députa au Czar
George Haraburda , avec ordre de lui déclarer qu'il ne pre-
tendoit point obferver la dernière trêve , à moins que le Mof-
covite ne fe déiiftât de la clauie qu'il avoit inférée dans le trai-
té au fujet de la Livonie , Se qui n'avoit point en effet été ac-
ceptée par les ambaiîadeurs de Pologne. Mais au lieu de ré-
pondre précifément à cette déclaration , le Czar retint le
député du Roi à fa Cour , de renvoya une nouvelle am balla-
de en Pologne, pour demander que le traité de trêve fût
confirmé avec la claufe qu'il contenoit. En même tems il fit
palTer en Livonie une armée encore plus forte que la premiè-
re , pour faire une féconde fois le fiége de Wenden.
Enfin le roi de Pologne partit de Varfovie , 6c marcha vers
Leopol. Chemin faiiant, il aflèmbla les diètes particulières
des palatinats de Cracovie, de SandomirSc de Siradie , pour
les engager à fe foumettre au nouvel impôt créé dans la diète
générale , ce qu'ils n'avoient point encore fait , & il obtint ce
qu'il fouhaitoit. Enfuite il fe rendit à Leopold, fuivi d'un
Chiaous qu'Amurath venoit de lui envoyer. Là il donna
audience aux ambalTadeurs Tartares , qu'il aiTura de fes
bonnes intentions à l'égard de la Nation, éc de la difpofition
où il étoit d'entretenir avec eux une parfaite correfpon-
dance , conformément aux traités faits avec les Rois fes
X iij
iS6 HISTOIRE
prédéceflèurs • ajoutant, qu'il auroit foin de leur faire tou-
Henri cher les gratifications qu'ils avoient coutume de recevoir de
III. la Pologne.
i jy c). On prit aufîi des mefures pour arrêter les courfes des Co~
faques. Cette Nation ne forme point d'Etat particulier. Au
contraire elle habite les frontières de plufieurs Nations dif-
férentes vers l'embouchure du Nieper. C'eft là que tout ce
qu'ily a parmi les peuples voifins , Polonois , Lithuaniens , &:
autres , de malheureux , de fcélérats , de gens à qui la fitua-
tion prefente de leur fortune ne permet pas de refier dans
leur patrie , ou que l'efpérance d'un meilleur fort oblige d'en
fortir , fe rafTemble , pour porter le ravage dans tous les en-
virons , qui pour cette raifbn font incultes 6c déferts. Ainfi ,
comme ce n'eft. qu'un compofé de tout ce qu'il y a de plus vil
parmi plufieurs Nations qui ne font pas toujours d'accord
entr'elles , quelques efforts que les Princes voifins ayent fait
depuis tant de fiécles , il n'a pas encore été poiïïble de traiter
fûrement avec eux.
Cependant le fujet du voyage de l'envoyé du Grand-Sei-
gneur caufoit beaucoup de mouvement dans le Sénat. Il de-
mandoit de la part de fon Maître , qu'on lui fît fatisfa&ion de
l'entreprife de Podokove -, & que par conféquent on le lui
remît. D'un autre côté , la plus grande partie des Sénateurs
n'étoient point d'avis qu'on livrât un Chrétien , un brave
Officier , un homme qui fe diftinguoit par fa force extraordi-
naire , à un Prince infidèle & barbare , qui ne le redemandoic
que pour le faire mourir. Au contraire ils croyoient qu'il
falloit fatisfairedu mieux qu'on pourroit l'envoyé de la Por-
te , &: conferver cependant à quelque prix que ce fût un maL
heureux , qui ne s'etoit rendu à Varfovie que fur la parole du
Roi. Batthory repréfenta , que fi on lui avoit promis la vie
fauve , cen'étoit qu'à condition qu'il juftifieroit fa conduite j
que cependant , puifqu'il étoit confiant que par l'entreprife
dont Amurath feplaignoit , il avoit violé l'alliance qui étoit
entre les deux Nations , il n'étoit pas jufte qu'au mépris des
traités , un perturbateur du repos public comme lui , joiiîc
du privilège que le droit des gens a établi pour les fauf-con-
duits. Ainfi comme ce Prince qui fe trouvoit engagé dans
une guerre confidérable avec la Mofcovie , n'eftimoit pas
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 167
afïêz la vie de Podokove , pour vouloir la conferveraux dé-
pens de s'attirer à dos un ennemi auffi puiiïànt que le Grand- Henri
Seigneur, il lui fit trancher la tête en prefence de l'envoyé III.
même du Sultan. x 579-
Cependant Alexandre frère de Podokove, que les Cofa-
ques avoient mis à leur tête , venoit de détrôner une féconde
fois le prince Pierre. Les Turcs le remirent en poiTefîion de
fes Etats- ils prirent Alexandre prifonnier & l'empallérent,
&: envoyèrent aux galères tout autant de Cofaques qu'il leur
en tomba fous la main. Mais ce Prince lâche & de peu de
génie , ne jouit pas long-tems d'un trône où il avoit remon-
té tant de fois , d'autant plus indigne de le pofïèder , qu'il
avoit pu. fouvent en defeendre. Après la mort du Grand-
Vifîr Mehemet, Achmet fon fucceiïeur le dépouilla de fes
Etats , qu'il donna à un certain Jancola , qui pretendoit rron-
feulement être Valaque , mais même tirer Ion origine des
princes de Valachie , quoique dans le fond il defeendît de
ces anciens Saxons répandus dans la Tranfylvanie.
Le roi de Pologne après avoir fait quelques réglemens
dans la petite Ruflie, étoit enfin de retour à Cracovie,lorf-
que les ambafTadcurs Mofcovites arrivèrent. Ce Prince leur
ayant donné audience , ils eurent la vanité de déclarer d'a-
bord, qu'ils ne feroient aucune proposition à moins que le
Roi ne les reçût debout , tête découverte, & qu'il ne com-
mençât par s'informer de la fanté de leur Maître. C'efl un
ufage établi à la Cour de Mofcovie d'en ufer de la forte en-
vers tous les ambafïadeurs des Princes étrangers j 6c le Czar
étoit allez vain , pour vouloir obliger les autres Souverains
à s'y conformer à l'égard de ceux qu'il leur envoyoit. Mais
Batthory étoit trop fier lui-même pour s'abaiffer jufque-là.
Outre qu'il regardoit cette démarche comme tout-à-fait in-
digne de lui , il crut que dans les circonstances il ne lui con-
venoit pas d'augmenter encore la fierté d'un ennemi barba-
re , qui étoit devenu d'une hauteur infupportable , en fe
foumettant à ce qu'il exigeoit. Ainfi il refufà abfolument de
s'afïujettir à ce cérémonial ^ & comme les Mofcovites per-
fiftérent dans leurs prétentions , on les congédia fans vouloir
les entendre , &; on les reconduisit à petites journées dans
leur païs par la Lithuanie.
i£8 HISTOIRE
; Le Roi s'étant fait rendre compte du produit des contri-
Henri butions que la Nation après tant de difficultés s'étoit obligée
III. de fournir , trouva que non-feulement elles ne montoient pas
ijyo, à des fommes auffi coniidérables que quelques-uns l'avoient
prétendu -y mais qu'elles n'étoient pas même fuffifantes, pour
îubvenir aux frais de la guerre qu'on étoit fur le point d'en-
treprendre. Il y avoit , ce iemble , un moyen de réparer ce
défaut ; c'étoit de convoquer une nouvelle diète , de qui on
pouvoit eipérer d'obtenir de plus amples fubfides. Mais ce
fecours étoit bien lent , Se il étoit par conféquent difficile d'y
avoir recours. Ainfi le Roi prit le parti de députer à tous les
Princes voifins , & travailla â les mettre autant qu'il étoit
pofîible dans fes intérêts. Les électeurs Augufte de Saxe àc
Jean-George de Brandebourg l'exhortèrent à ne pas man-
quer d'entreprendre une guerre où l'honneur de l'Allemagne
éc de la Pologne étoit intérefTé , èc où il s'açriflbit de déli-
vrer la Livonie du joug d'un barbare ennemi. Celui de Bran-
debourg lui envoya même du canon pour cette expédition.
Pour ce qui eft de ceux que Batthory avoit députés à Conf-
tantinople , ils furent très-bien reçus du Grand-Vifir Me-
Iiemet. Ce fage Miniltre, qui depuis tant d'années avoic
gouverné avec tant de prudence fous difïèrens princes de
l'empire Ottoman , loita le deflèin du roi de Pologne , ôc
marqua qu'il fouhaitoit que les commencemens de cette
guerre fufîent heureux , & qu'elle eût un fuccès auffi favora-
ble que ce Prince le fouhaitoit. Il ajouta feulement que
l'entreprife au refte étoit de conféquence , 6c qu'après fon
Maître, il ne connoifToit point de Puilïance plus redoutable
que le Czar.
Défaite des Sur ces entrefaites , on apprit la nouvelle de la vi&oire
par IcTpoIo- remportée par les troupes de Pologne fous les murs de^en-
uois. den. Les Mofcovites faifoient le fiége de cette place avec une
armée beaucoup plus nombreufe que celle qui l'avoit attaquée
quelque tems auparavant. Elle étoit même commandée par
quatre Généraux des plus grands feigneurs de la Mofcovie ;
fcavoir, Pierre Tatow , Bafile Voroncz , Pierre Charoski
& André Skolkanowski. Mais la lenteur des affiégeans don-
na le tems aux Polonois d'afîembler leurs troupes , & de
mettre dans leurs intérêts George Boije, commandant des
milices
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. t69
milices Suédoifes dans cette province. Ils fe rendirent donc i
tous à Stropen , où étoient Buringe , André Sapieha com- Henri
mandant des troupes Polonoifes qui étoient en Livonie , 8c III.
Mathias Debinski. Outre Buringe , plufieurs autres fei- i 579,
gneurs Livoniens parurent au rendez-vous , entr'autres Ni-
colas CorfF Plater. Ces troupes furent jointes par quelques
efcadrons de cavalerie , & par les milices Suédoifes , fur les
bords du fleuve Govie ( 1 ) , à mi-chemin de Volmer 6c de
X^enden 3 & de-là on marcha droit à l'ennemi , qui campoit
vis-à-vis de cette dernière place.
L'a&ion fut des plus vives. D'un côté les Polonois, les
Lithuaniens &; les Suédois , ne refpiroient que la vengeance.
De l'autre, les Livoniens combattoient pour leur liberté.
Tous enfin animés du déflr d'acquérir de la gloire , rirent de
fi grands efforts , qu'ils mirent d'abord les Tartares en dé-
route , & obligèrent enfuite la cavalerie Mofcovice à pren-
dre la fuite. Les Généraux ennemis voulurent profiter de
la faveur de la nuit pour tâcher de rallier leurs troupes, ôc
de les retenir dans le devoir. Ils les conjurèrent de fe fou-
venir de la gloire de la Nation , êc du ferment qu'elles avoient
fait de combattre jufqu'à la mort pour la défenfe de leur pa-
trie j &ils les exhortèrent à s'expofer aux dernières extrémi-
tés , plutôt que de trahir lâchement la confiance de leur
Prince , en abandonnant en proye aux Polonois leur camp ,
avec toutes leurs munitions de guerre , qui avoient été con-
fiées à leurs foins. Mais l'obfcurité favorable, pour augmen-
ter la frayeur de ces troupes déjà ébranlées , & pour cacher la
honte de leur fuite, rendit toutes leurs exhortations inutiles.
Déjà il n'étoit plus poflible de contenir le foldat, lorfque
Charoski & Skolkanowski décampèrent avec précipitation,
fuivis de toute leur cavalerie. Pour ce qui eft des deux autres
Généraux qui commandoient l'artillerie , ils ne voulurent ja-
mais l'abandonner, èc ils aimèrent mieux fe laiflèr prendre
prifonniers par lesaffiégés, qui dès le matin firent une fortie
fur le camp , dont ils fe rendirent maîtres, auffi-bien que de
toutes les provifions de guerre & de trente pièces d'artil-
lerie qu'ils y trouvèrent. On admira fur-tout la fidélité des
( 1 ) Ce fleuve , dit le Gloffaire de | Carte : on y trouve feulement Podrov
M. de Thou , n'efl pas marqué fur la 1 & Treider, près de W'enden.
Terne FUI. Y
i7o HISTOIRE
- canoniers , qui en donnèrent une preuve bien fènfîble en cette
Henri occafîon. Après avoir enterre toute l'artillerie, ils tirèrent au-
1 1 1, deilbus un foiTé , & attachèrent enfuite une corde à la bouche
1 579' ^e c^a(lue canon , où ils fe pendirent.
Cette victoire rut regardée par les Polonois , comme le
prèfage d'un fuccès heureux pour toute la fuite de cette guer-
re. D'un autre côté , le Czar perfuadé que pour foûtenir
l'idée que l'on avoit de la grandeur de fa puiilance , il falloit
faire voir en cette occafîon que la fortune ne lui avoit rien
enlevé , qu'il ne fût en état de réparer avec avantage , mit
une autre armée fur pied 6c forma une nouvelle artillerie.
Cependant le roi de Pologne fit parler à Revel cent charges
de bled , dont on avoit grand befoin dans cette place. En
effet les courfes continuelles des Mofcovites avoient obligé
les habitans de fe tenir renfermés dans leur ville j leur com-
merce étoit interrompu ,il y avoit long-tems que leurs terres
n'a voient été cultivées , &; ils fe trouvoient réduits à une ex-
trême néceffité. Enfuite , comme les loix du Royaume ne
permettoient pas de nommer un Viceroi , Batthory déclara
que fî pendant qu'il feroit occupé à porter la guerre dans le
païs ennemi, il arrivoit quelqu'afFaire preffante , il en com-
muniqueroit avec les grands de l'Etat. Il fit aufli des régle-
mens très-févéres pour affûrer la tranquillité publique , fur-
tout à Cracovie , de peur que pendant fon abfence la diffé-
rence de Religion n'excitât dans le Royaume quelque mou-
vement , comme il étoit arrivé dans plufieurs autres occa-
iîons.
Il fallut fonger enfuite à mettre quelqu'un à la tête de l'ex-
pédition qu'on méditoit. Le Roi confulta le Sénat fur ce
choix -, & après avoir pris fon avis , il nomma à fon départ
de Cracovie pour Varfovie , Nicolas Mieleczki , palatin de
Podolie, Généraliffime des troupes de Pologne. Ce Sei-
gneur s'étoit acquis beaucoup de gloire par la belle retraite
qu'il avoit faite autrefois en préfence des deux armées Tur-
que & Valaque , qui avoient envelopé les Polonois. Il refufa.
d'abord l'honneur de cette expédition & s'excufa fur fon
peu de fanté. Cependant il accepta enfin le commande-
ment , à condition que ce feroit feulement pour cette fois.
De là Batthory fe rendit a Grodno -y & comme les revenus
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 171
de la Couronne n'é toient pas fuffi fans pour fubvenir aux frais <
de cette guerre, ce Prince emprunta de l'argent de toutes Henri
parts , & employa même celui qu'il avoit amafTé de Ces III.
propres épargnes. En même tems il ordonna qu'on fît des r 579.
levées dans toute la Pologne. Il écrivit aufïï à Chriftoplile
ion frère , prince de Tranfylvanie , de lui envoyer de Hon-
grie quelque corps de vieilles troupes , & quelques efcadrons
de cavalerie. Il donna les mêmes ordres pour l'Allemagne
à Chriflophle Rozdrazowski & à Ernefr, Wierzeiski. Enfin
laNobleffe de Lithuanie s'offrit d'elle-même à prendre part
à cette expédition. Chaque Seigneur déclara le nombre de
troupes qu'il vouloit amener au Roi 5 & toutes enfemble fe
trouvèrent monter à environ dix miile volontaires.
La Cour s'étant enfuite rendue ià Vilna , le Roi qui avoit
ôté à Jean Chodkiewitz le gouvernement de la Livonie , en
difpofà en faveur de Nicolas Radziwil , Palatin de cette
ville, qu'il en revêtit pour un tems. Il donna auflî à Chrifto-
phle fon fils , le commandement de l'armée qui avoit fervi
dans cette province. Ce jeune Seigneur ayant fait fur ces
entrefaites une courfe vers Derpt , furprit Kiremps qu'il rui-
na, ravagea tous les environs, & revint enfuite triomphant
à Vilna , faire part au Roi & à Ion père de ce nouveau fuccès.
Il y fut fuivi aufïitôt après de fes troupes, qui demandoient
à être payées, 6c on les appaifa en leur délivrant quelqu'ar-
gent. Batthory fit enfuite fondre du canon , & donna lui-
même pour cela une méthode , dont l'expérience lui avoit
fait reconnoître l'utilité. En même tems on bâtuToit par fon
ordre à Kowno un pont de bateaux , qu'il prévoyoit devoir
lui être d'un grand ufage pour la fuite de fes expéditions. Il
étoit conftruit de façon , que comme chaque bateau fe joi-
gnoit l'un à l'autre par un plancher, il étoit aifé aufiî de les
féparer dans le befoin 5 en forte qu'un chariot tiré par quatre
chevaux pouvoit tranfporter commodément chaque pièce
de ce pont par-tout où on voudroit aller. Cependant l'hyver
avoit été fi rude cette année , qu'au 2 5. de Juin on ne voyoit
pas encore d'herbe à la campagne. Ainfi le Roi s'occupa
quelque tems à rendre la juftice dans la Lithuanie, en atten-
dant le retour de la belle faifon.
Cependant ce Prince fit pafîèr en Mofcovîe Bafile
Yij
%ft HISTOIRE
'. Lopatinski , avec ordre de déclarer la guerre au Czar dans
Henri les formes. Les raifbns de cette dénonciation étoient , que
III. fous prétexte de vouloir vivre en bonne intelligence avec le
j jyn Roi de Pologne , le Mofcovite avoir abufé de la crédulité
le roi de Po- de ce Prince pour porter le fer &; le feu dans la Livonie j qu'a-
îogne déclare près avoir traité indignement les ambaffadeurs Polonois T
Gzar."16 3U 'd ^es av°ic encore trompés par le double traité de trêve qu'il
avoir fait faire ^ qu'en même tems une nouvelle armée étoic
entrée par (es ordres en Livonie , pour affiéger Wenden ^
enfin que par fon ambaffade il avoit ajouté l'infulte & le
mépris à tant de juftes fujets de mécontentement. Sur ces en-
trefaites le Czar congédia enfin Haraburda , fans lui donner
réponfe , finon qu'il feroit fçavoir dans peu Ces intentions à
fon Maître. Il arriva en effet de fa part un Député , qui de-
manda , qu'on s'en tînt au dernier traité de trêve , & qu'à
l'égard des prétentions des deux Couronnes fur la Livonie y
on en remît la déciflon au jugement de quelques arbitres ,
que l'on nommeroit de part &: d'autre. Mais le roi de Polo-
gne vît bien que par-là on ne cherchoit qu'àl'amufer , &. il
renvoya le Mofcovite fans réponfe.
Ce Prince donna auffi audience aux ambafladeurs du Kan
des Tartares. Ils venoient , conformément au traité qui les
oblige à fervir la Pologne contre tous Ces ennemis , quels
qu'ils foient, excepté uniquement le Grand-Seigneur, offrir
leurs fervices contre le Czar. Outre cela ils demandoient le
. prefent ordinaire , &: qu'on leur fît fatisfa&ion des Cofaques
qui ravageoient tout le pais, Le Roi leur répondit , qu'il
voyoit avec plaifir qu'ils fe mifTent en devoir d'acquiter
leurs obligations , en offrant de joindre leurs armes aux fîen-
nés contre le Mofcovite $ qu'il auroit foin de fon côté qu'ils
fufïènt contens au fujet de la gratification qu'on avoir coutu-
me de leur faire $ qu'à l'égard des Cofaques , il n'en étoic
pas le maître ; qu'il étoic de notoriété publique que c'étoit
un ramas de toutes fortes de Nations , & qu'on trouvoit par-
mi eux des Turcs & des Tartares -y que cependant on pren-
droit toutes les mefures poiTibles pour les réprimer. Enfuite
il leur fit donner quelque argentée un certain nombre d'ha-
bits. Malgré cela cependant, il ne tira d'eux aucun fecours
dans cette guerre , parce qu'Amurath les employa contre le
DE J. A. DE THOU, Liv, LXIX. 173
roi de Perfe, comme je l'ai die plus haut. Gotard Ketler,
duc de Curlande & de Semigalen , étoit auffi en chemin pour Henri
fe rendre à la Cour , où il venoic faire hommage au Roi en III.
qualité de variai delà Couronne. Mais ce Prince lui envoya j cyq.^
ordre de s'arrêter à Dzifna , jufqu'à ce qu'il eût pris à fon
fujet l'avis du Sénat.
Cependant l'infanterie Hongroife , que Batthory avoic
demandée au prince Chriftophle fon frère , étoit déjà arri-
vée. Mieleczki prefToit de fon côtelés levées en Pologne,
où l'armée ne fut aiTemblée qu'aidez tard i parce que les or-
dres n'étoient pas venus à tems. Enfin le dernier jour de
Juin le Roi partit de Vilna, &fe rendit à Suire. Là, il tint
confeil de guerre , pour régler les opérations de la campa-
gne, de voir de quel côté on tourneroit d'abord. Prefque
tous les officiers Lithuaniens étoient d'avis de traverfer la
Livonie , &: de marcher droit à Pleskow, Ils reprefentoient ,
que c'étoit une ville confidérable , dont la prife feroit grand
bruit, &C qui cependant n'étoit pas en état défaire beaucoup
de réfiflance 5 que fès murs étoient iî vieux qu'ils tomboient
en ruine , fans qu'on prît la peine de les réparer , parce que Ùl
lîtuation l'éloignoit des périls de la guerre , & fèmbloit feule
la mettre à couvert des entreprises de l'ennemi ; qu'ainfi il fe-
roit aifé de s'en rendre maître , &: que la prife de cette place
vaudroit bien la peine de s'y être attaché.
Le Roi étoit d'un fentiment tout contraire. On n 'avoir
en vue que d'enlever la Livonie aux Mofcovites. Ainfi il
remarquoit , que fi on vouloir traverfer cette province, com-
me elle avoit beaucoup fouffert dans les dernières guerres qui
l'avoient défolée & épuifée de vivres , l'armée auroit beau-
coup à fouffrir dans cette marche -y que cependant en la
laiflant fi loin derrière foi , auffi-bien que la Lithuanie , qui
eft le long du Nieper, elles feroient toutes deux expofées
au ravage des ennemis 3 & que s'il arrivoit quelque accident,
il ne feroit ni aifé de faire retraite , ni facile de faire venir des
fecours , dont on fe trouveroit fi éloigné : qu'au contraire ,
en attaquant Poloczko on retireroit deux grands avanta-
ges j que comme cette ville étoit îituéc fur la Duine , &: fron-
tière de la Livonie , on auroit par fa prife la clef de la Livo~
Die ôc de la Lithuanie , dont on fermeroit par-là en mêroc
Yiij
î74 HISTOIRE
tems l'entrée aux ennemis j qu'après cela on pourroit fîlre-
Henri ment pénétrer plus avant dans la Mofcovie $ & que comme
III. on ne s'eloigneroit jamais trop de la Lithuanie , on feroit
ï 579» toujours à portée de fecourir ces deux provinces contre les
courfes des Moicovites.
Batthory trou voit encore un autre avantage confidérable
dans la prife de cette place j c'eft que par là il iè rendoit maî-
tre du cours de la Duine , qui faifoit tout le commerce de
Riga , & par où il étoit aifé de tranfporter tout ce qu'on vou-
droit dans toute la Livonie , après le recouvrement de cette
province j c'en: ce que ce Prince fouhaitoit le plus. Or la fî-
tuation de cette ville étoit il avantageufe pour ce defïein ,
que les troupes qu'on y mettroit en garnifon , pourroient de
là empêcher la navigation fur une grande partie de cette ri-
vière , porter du fecours & des provisions aux lièges de Koc-
kenhaus &; des autres places de Livonie , dont les Moicovites
étoient en pofTeiîion , faire des courfes dans le pais ennemi ,
&: aflurer la liberté du commerce de Vilna &; de Riga. Ainfî
la prife de cette feule place fembloit mettre une grande par-
tie de la Lithuanie en fureté , 6c rendre à la Pologne prefque
toute la Livonie.
Mais ce parti foufFroit d'ailleurs beaucoup de difficultés :
on objectoit qu'on trouveroit bien des obftacles au liège de
Poloczko ^ que la place étoit en état de faire une vigoureufe
réfiftance ; êc qu'il étoit dangereux de commencer par une
entreprife auffi difficile • que la réputation d'une guerre dé-
pend infiniment des commencemens $ & que c'eft ordinaire-
ment ce qui détermine au choix de l'un ou de l'autre parti.
Mais le Roi perfuadé qu'il n'y a rien d'impoffible à la valeur ,
répondoit à cela , que plus l'entreprife avoit de difficultés ,
plus il feroit glorieux ôc même avantageux pour la fuite, d'en
venir à bout -, de au cas qu'il arrivât quelque accident , com-
me il ne iaiiloit derrière lui aucun pais ennemi , il efpéroit
qu'il lui feroit moins difficile d'y remédier. Dans cette réfo-
lution il publia le 12. de Juillet un manifefte par lequel,
après avoir expofé fort au long les fujets de plainte qu'il avoit
reçus du Czar -y après avoir marqué qu'il n'entendoit point
avoir pris à fon égard aucun engagement par le traité de
trêve frauduleux que ce Prince avoit fait avec lui , il déclaroiç
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 175
la guerre à Jean fils de Bafile grand - duc de Mofcovie.
Eniuite , pour montrer qu'il ne demandoic ni la ruine , ni le Henri
fang âcs lujecs de ce Prince , qu'il devoir, ménager comme III.
Chrétiens, il leur faifoit Ravoir, qu'autant qu'il feroït en lui, 1579.
il auroit loin que tous ceux qui ne iè trouveroient point dans
les garnifons , ou les armes à la main contre lui, nefe refTen-
tiflent point des malheurs de cette guerre. Enfin il exhortoit
fes troupes à fe comporter avec courage dans cette expédi-
tion , en leur propofant d'un côté , la gloire qu'il y avoit à
acquérir pour elles , & de l'autre , la faveur êcles récompen-
ses qu'elles dévoient attendre de fa part.
De là ce Prince détacha Nicolas Radziwil & Chriflophle
fon fils , avec les troupes de Livonie ( 1 ) , & la cavalerie Hon-
groife commandée par Gafpard Bekes , pour aller inveftir
Poloczko. Eniuite il décampa lui-même de Suire , fuivi de
Mieleczki qu'il avoit retenu auprès de lui , &: marcha vers
Dzifna. Comme il avoit à droite les forts de Kraine , de Su-
ià, &; de Turowla, où les Mofcovites tenoient garnifon , Mie-
leczki couvroit fa marche de ce côté là avec l'armée , dont
Pavant-garde étoit commandée par Jean Sbarafî , tandis que
le Prince tiroit fur la gauche. Arrivé à Dzifna , le Roi fit la
revue de l'armée Polonoife , & Mieleczki lui donna le plaifir
de la voir rangée en bataille faire fes évolutions. Ce Prince
fut charmé de ce fpe&acle , &. en tira un augure favorable
pour le fuccès de fon expédition. Cependant les troupes de
Lithuanie vinrent le joindre , aufïï bien que les levées que
Rofdrazowski &: Wierzeyski avoient faites en Allemagne
à la hâte , & fans en avoir reçu l'agrément. Enfuite le Roi fi-
nit l'affaire du duc de Curlande , quoique quelques-uns lui
confeillaflent de différer. Le Duc prêta ferment de fidélité
au Roi en qualité de fon Vaflal ^ &: à l'égard de la jurifdic-
tion qu'il avoit fur fes fujets^ il fut régie que de là ils pour-
roient en appeller au tribunal que Batthory avoit deflein
d'établir en Livonie , au cas qu'il rentrât en pollefhon du refte
de cette province.
Cependant le Czar étoit parti pour Pleskow , & avoit en-
voyé devant lui une partie de fon armée en Livonie. Ces trou-
pes ayant paiTé la Duine à la hâte à Kockenhaus, taillèrent
( 1 ) Il y a dans l'Original Lithnanicis copiis , on doit lire Livenicis topis,
i76 HISTOIRE
en pièces les gardes Polonoifes , ravagèrent le territoire de
Henri Seelborg qui appartenoit au duc de Curlande , & celui de
III. Birfon qui étoit à Chriftophle Radziwil j & reparlèrent avec
lc1<)t la même diligence au delà de cette rivière. Le roi de Polo-
gne de Ton côté donna ordre à Jean Talvozki gouverneur de
Samogitie, d'entrer en Livonie^ & à Philon Kmita gouver-
neur d'Orîa, de s'avancer vers le Nieper, pour arrêter les
courfes des ennemis,
p T de p D'un autre côté le palatin de Vilna avoit déjà pafTé la
ïoczko par Duine à Dzifna , fur le pont de bateaux conftruit à Kowno.
les Polonais. £)e là s'avançant dans le païs , il fut quelque tems arrêté
dans fa marche par les bois continuels qu'il rencontra , parce
que les païfans avoient eu la négligence de laiiTer croître des
arbres de toutes parts. Le Général Polonois y remédia en fe
faifant ouvrir un chemin â coups de hache au travers de ces
forêts , par l'infanterie Hongroife , & arriva enfin à la vue de
Poloczko.
Cette ville avoit été autrefois gouvernée par des Ducs ,
qui en étoient Souverains. Un d'eux nommé Rocwold , qui
vivoit vers l'an de J. C. 98 c. ou félon le calcul des Annales
de Ruffie , l'an du monde 648 8. ayant refufé de donner fa
fille Rocmede en mariage à Ulodimir le Grand , ce Prince
lui déclara la guerre , le dépouilla de Ces Etats , ôc le fit mou-
rir avec deux fils qu'il avoit. Depuis ce tems-là Poloczko fut
fous la domination des princes de Rufiie ; & lorfque leur race
vint à s'éteindre , cette ville , auffi-bien que quelques autres
places qui leur avoient appartenu , paifa au pouvoir des Li-
thuaniens. Enfin lorfque Jagellon monta fur le trône de Po-
logne , le prince André Ion frère s'en étant rendu maître ,
elle fut réunie à cette Couronne, à qui elle obéît jufqu a l'an
1563. qu'elle fut prife par Jean , Grand-Duc de Mofcovie.
Poloczko eft fituée dans un terrein également fertile &
agréable , arrofé de plufïeurs rivières , qui toutes portent
bateau. Telle eft la Duine , qui prend fafource en Mofcovie
proche deTauropecz , èc forme le port de Riga. Les plus
çonfidérables après celle-là font la DrifTa & PUfViata , qui
yiennçnt de la Mofcovie ^ la Dzifna &c l'Ula qui forcent de la
Lithuanie -t de la Kafpla qui a fa fource à Smolensko , & qui
routes vont fe jetter dans la Duine. L'étendue defon territoire
eft
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 177
eft de cinquante mille pas de longueur , & d'autant de Iar- s
geur. Avant que la place eût été prifc par tes Mofcovites , Henri
elle n'étoit compofée que d'une forterefîè , de la ville de Po- III.
loczko, ainii nommée d'une rivière du même nom fur la- 1*70
quelle elle eft. fituée , 6c d'un Château appelle Jeferifcia. Ce
Château bâti du côté delà Mofcovie , au milieu d'un lac d'où
fort le fleuve Obolia , n'a qu'une entrée fi étroite , qu a peine
un homme feul peut y palier. Mais depuis que le Czar fe fut
rendu maître de Poloczko , il y fit ajouter de côté & d'autre,
plufîeurs forts où il mit des troupes , en partie pour fortifier
les avenues de la place , & en partie pour aflurer la liberté de
la navigation. A ces forts Sigifmond Augufte en oppofà d'au-
tres , celui de Dzima bâti au confluent de la rivière qui porte
ce nom, 6c de la Duine5 Voronocz qu'il fit élever fur tes bords
de l'Ufacza 5 6c Lepel du côté de la Lithuanie, dans une Ifle
qui eft au milieu d'un lac, que forme le fleuve qui porte ce
nom.
Cette partie de la Lithuanie efl arrofée par deux rivières ,
qui toutes deux portent bateau, 6c qui, quoique leurs four-
ces ne foient pas à plus de cinq mille pas de diftance , vont
cependant fe rendre dans deux mers fort éloignées. La pre-
mière eft le Lepel , qui fe joignant à la rivière d'Ula , qui por-
te aufîî bateau , fe jette enfuite avec elle dans la Duine , ôc
va de là fe rendre à Riga dans la mer Baltique. L'autre s'ap-
pelle Bereznia , &L prenant un cours tout oppofé , elle va fe
jetter avec le Nieper dans la mer Noire. Ainfî comme ces
deux rivières font fi. voifînes , il n'y auroitrien de plus aifé ,
fi les pais par où elles pafTent étoient en bonne intelligence ,
que de tranfporter les marchandifes de l'une à l'autre. On.
pourroit même fans beaucoup de dépenfe en faire la jonction
6c réunir par là te commerce de tout l'Occident 6c du Nord ,
avec celui de l'Orient.
C'étoit dans le terrein qu'arrofent toutes ces rivières , que
le Czar avoit fait élever cinq forts $ Sokol fur le grand che-
min qui mène à Pleskow j Nifcierda fur le lac qui porte ce
nom , à trente mille pas de Zawolocze j Schitno fur le grand
chemin de Luki $ Kozian dans uneefpéce d'ifle que forme la
rivière d'Obolia vis-à-vis de celle d'Ula ^ 6c Ufviata fur la
rivière qui porte ce nom , oppofé à Witerpk 6c à Suras. Les
Tome VIJL Z
178 HISTOIRE
= Mofcovites avoient aufli bâti en deçà de la Duine Turowîa ,
Henri à la four ce de la rivière de ce nom -y &c Sufa , du côté de la
III. Lichuanie , dans le lac d'où fore la Turowla.
I en a, ilyavoicencoreun fore élevé par les Mofcovices , appelle
Krafne , que , fur le bruit de cette guerre , les Cofaques de Li~
thuanie ayant à leur tête François Suk , efealadérent une
nuit , & dont ils fe rendirent maîtres. Ils rirent une autre
couriè au moment que les ennemis s'y attendoient le moins ,
&; prirent avec le même fuccès Kozian , qu'ils raférent en-
suite. Sur ces entrefaites , les troupes de Lichuanie £c de Hon-
grie commandées par le palatin de Vilna , étant arrivées de-
vant Poloczco , quelques détachemens allèrent en parci fur
le chemin de Pleskov , 6c furprirent Schitno où. ils mirenc le
feu. Le Roi lui-même, qui dans fa marche avoit fur fa gau-
che le fort de Sokol , appréhendant que les Mofcovites n'y
fifîent pafîèr des troupes de Pleskow , 6c que de Là ils n'in-
commodafTent fon armée tandis qu'elle feroit occupée au fîé-
ge de Poloczko , avoit penfé à s'en rendre maître. Mais il
craignit que cette entreprife ne l'arrêtât plus longtems qu'il
n'étoit nécefîaire pour l'exécucion de fes projecs. Ainfiil aban-
donna ce defTein , 6c arriva devanc Poloczko trois jours après
ion départ de Dzifna.
A fon arrivée il eut un fpedacle barbare,bien capable d'in-
fpirer de l'horreur. Les Mofcovites' après avoir fait expirer
dans lestourmens les prifonniers Polonois qu'ils retenoienc
depuis longcems dans les fers , les avoient attachés à des pou-
tres qu'ils avoient jettées enfuite dans le courant de la Dui-
ne. Par là ils s'imaginoienc répandre la cerreur parmi leurs
ennemis. Mais il en arriva tout autrement , & cette vue" ne
Jiervit qu'à animer les Polonois à la vengeance. Auffitôt après
{on arrivée le Roi accompagné de Jean Zamoski 6c de Gaf-
pard Bekes , alla reconnoître la place , 6c délibéra enfuite de
quel côté il feroit fès approches.
Poloczko étoit compofé de deux citadelles $ l'une fîtuée
fur une hauteur , 6c qu'on nommoit la moyenne fortereflè j
l'autre , que les Mofcovites appelloient en leur langue , la
fortereflè de PArquebufe -y 6c de la ville nommée Sapolotta.
La Duine coulok au Midi de la place. La rivière de Polota
étoit à fon Nord , 6c prenant fon cours vers l'Orient , le long
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. i-j*>
des murs de la forterefTe de l'Arquebufe , enfui te retournant -
vers le Nord , & arrofant le pied de la colline fur laquelle on Henri
avoit bâti l'autre citadelle qu'elle féparoit de la ville , -elle al- III.
loit au Midi fe jetter un peu plus loin dans la Duine. Ainfl la 1^79.
moyenne forterefîè étoit bornée au Midi par la Duine , au
Nord & à l'Orient , par la rivière de Poloca & par la ville -t
&; à l'Occident , par l'autre citadelle. Elle contenoit tout le
terrein de la colline fur laquelle elle étoit bâtie, &: qui étoit
efcarpée de toutes parts. D'ailleurs elle étoit fortifiée de foiTés
profonds , d'un retranchement de murs & de battions corn,
pofés de plufieurs rangs de poutres fort groflès , liées forte-
ment enfemble. La forterelfe de l'Arquebufe , fituée dans
un terrein incliné , communiquoit avec celle-ci par un pont ,
6c au-defîbus de ces deux citadelles étoit la ville , de forme
triangulaire , défendue d'un côté par la Duine , de l'autre par
la rivière de Polota , quiia féparoit de la moyenne fortereflèj
ôc du troifiéme coté , par de bonnes tours & un fofTé profond.
Le Roi étoit d'avis d'attaquer d'abord la moyenne forte-
refTe , qui étoit le magafin des provifions & de toutes les mu-
nitions de guerre des ennemis , parce qu'il paroiffoit que
quand on en feroit une fois le maître , l'autre citadelle ni la
ville ne feroient pas en état de tenir longtems. D'un autre cô-
té , Bekes prétendoit qu'on devoit commencer les attaques
contre la ville, parce qu'on La rencontroit la première en fui-
vant la Duine , & que fa prife faciliteroit beaucoup le loge-
ment des troupes pour faire le fiége de, la citadelle. Tandis
qu'on délibéroit , les Allemans , fans attendre l'ordre , paf-
férent la rivière de la Polota , &; allèrent camper fur la Duine
contre la ville , ôc à l'oppofite des deux forterefTes. Cette dé-
marche termina le différend. Le Roi appréhenda que laja-
loufie ne fe mît entre les nations différentes dont fon armée
étoit compofée , èc n'y caufât quelque tumulte. Ainfi il per-
mit qu'on fît les attaques contre la ville.
Voici au refte l'ordre que l'armée Polonoife obferva pen-
dant ce fiége. Les troupes de Hongrie campoient le long de
la Duine du côté de Sapolotta , dans un lieu propre a rece-
voir toutes fortes de provifions , parce qu'on étoit maître du
bas de la rivière fur laquelle on avoit même jette un pont,
Au-defTous d'elles , Nicolas Radzbril , & Chriftophle fon
Z ij
ïSo HISTOIRE
im : fils , avec les troupes de Lichuanie , occupoîent tout le ter-
H £ nr i rein qui étoit en deçà de la Polota 3 6c au delà de cette ri-
III. viére , le Roi avoit choifi fon quartier entr'elle 6c un certain
1579, lac Le Sénat 6c tous les Grands de Pologne avoient là leurs
logemens plus ou moins éloignés du Prince , à proportion
qu'ils étoient plus ou moins élevés en puifTance 6c en dignité.
Ces trois camps particuliers étoient tous environnés d'artil-
lerie , &c formoient deux efpéces de grandes rues , éloignées
entr'elles d'une égale diftance. Elles avoient auflî deux en-
trées , & le camp deux portes , où on mettoit de bons corps-
de-çarde avec leurs fentinelles. Enfin l'enceinte extérieure du
camp général étoit fermée à la manière des Polonois , par
des chariots attachés enfemble avec des chaînes , 6c par un
retranchement qu'on avoit encore tiré pour plus grande fu-
reté. A l'égard des Allemans , ils avoient leur quartier au-
deffus du camp , dans le terrein qu'ils avoient occupé d'a-
bord , comme je l'ai dit , ils furent encore joints par cinq
cens hommes de troupes choifîes , que George Frideric duc
de Pruffe envoyoit à l'armée , 6c par Conftantin fils du duc
d'Oftrog, qui amena de la Podolie un corps de cavalerie.
Comme Bekes continuoit les attaques de la ville , les trou-
pes qui en avoient la garde défefpérant de pouvoir y tenir ,
après en avoir emporté tout ce qu'il y avoit de meilleurs ef-
fets , y mirent le feu , 6c fe retirèrent dans la moyenne for-
terefle. La ville étant donc prife ou abandonnée par les en-
nemis , l'armée Polonoife avança fes travaux , 6c elle fut en
cela admirablement fervie par les Hongrois , qui étant plus
accoutumés à la peine 6c à la fatigue , paflbient le jour 6c la
nuit dans la tranchée.
Bekes cependant battoit vivement la fortereflè j mais fon
artillerie faifoit peu d'effet contre la place. Comme toutes
fes défenfes étoient de bois , au lieu de les ruiner , le boulet
ne faifoit qu'un trou. Le Roi ordonna donc qu'on y mît le
feu , 6c voulut qu'on fe fervît pour cela de la même invention
qu'il avoit miiè en ufage pour brûler le fort maritime de
Dantzick. Mais le fuccès ne fut pas le même. Le camp des
afliégeans étant dans un terrein beaucoup plus bas que celui
de la fortere/Te , leur canon qui droit de bas en haut , ne
portoit que des coups inutiles , contre lefquels la colline
DE J. A. DE'THOU, Liv. LXIX. 181
mettoit le bas des remparts à couvert. Ainfî la plupart des
boulets rouges ne donnoient que dans la terre ; &t il n'y avoit Henri
que le haut des retranchemens qui y fut expofé. Outre cela Hl.
il fouffla un vent chaud qui amena des pluyes violentes 3 en i 579,
forte que l'incendie ne pouvoit pas faire de grands progrès.
La rivière de Polota que l'infanterie pafîoit auparavant par
tout à gué , étoit devenue" à peine guéable à la cavalerie j &*
les eaux s'étoient fi fort enflées, qu'elles avoient emporté
tous les ponts , à l'exception d'un fèul. C'étoit Jean Borne-
milla qui l'avoit fait faire à la hâte avec des poutres 6c des pi-
lotis qu'il avoit trouvés fur le lieu même , & il étoit au def.
fous d'un moulin qui le mettoit à couvert du canon de la for-*
tereilè.
Il fallut donc enfin en venir aux mains. Bekes que rien ne
rebutoit, propofa à fes troupes de grimper au haut de la col-
line pour brûler la citadelle , êc aller eux-mêmes porter le feu
jufque dans [es fondemens , puiique le canon ne pouvoit y
arriver. Ses ordres furent exécutés avec le plus grand coura-
ge. Les Polonois &; les Lithuaniens afTaillirent à l'envi la for-
terefïe j mais ils ne trouvèrent pas moins d'ardeur dans les
affiégés à défendre la place. On fe battit de part Se d'autre
avec la même vigueur & un égal acharnement j les uns s'opi-
niâtrant à mettre le feu aux retranchemens , tandis que les
autres faifoient les derniers efforts pour l'éteindre. La fàifon
qui étoit alors fort pluvieufe , favorifoit encore les Mofco-
vites , qui avoient la fuperftition de croire que c'étoit un ef-
fet de la protedion du ciel , qui s'intéreiïbit à leur conferva-
tion. Les Polonois perdirent à cette attaque un brave Officier
Hongrois , nommé Michel Vadafy.
Les pluyes au reffce n'étoient pas le feul obflacle qui arrê-
tât les progrès du fiége. La difette étoit dans l'armée Polo-
noife -y & comme on étoit. obligé de faire venir des vivres de
fort loin , il y avoit longtems qu'ils commençoient à man-
quer au camp. Les chemins étoient fi rompus , que les che-
vaux de charge ne pouvoient fe tirer des boues , & un grand
nombre mouroient à la peine. D'ailleurs les garnifons que
les Mofcovites tenoient dans les places voifines , couroienc
continuellement le païs , ôc empêchoient par conféquent ,
qu'on ne pût aller librement au fourrage. Auilï prefque tous
L îij
iSi HISTOIRE
■■' " ■ ■■ » les foldats étoient obligés de vivre de chair de cheval. Ce-
Henri pendant cette difette générale n 'avoit point rallenti l'ardeur
III. des troupes. Les Hongrois ^ur-tout animés par l'exemple de
i cjq. Bekes leur Général , iupportoient toutes ces incommodités
avec un courage admirable. Aufli , quoiqu'il fut naturelle-
ment délicat , on ne le voyoit jamais s'éloigner du plus grand
feu de l'attaque. C'étoit là qu'il prenoit fes repas & fon fom-
meil. Il étoit toujours dans l'endroit où le péril paroilîbit le
plus grand , èc toujours auiîi tranquille , que s'il n'y eût eu
rien à craindre.
Cependant le Roi ayant expofé au Confeil de guerre l'état
préfent du fiége , plufleurs etoient d'avis de mettre toute
l'armée fous les armes , d'environner la place , 8c d'y donner
un afîàut général de toutes parts. Mais ce Prince s'oppofa à
ce defTein. On le regardoit comme une dernière reûource ,
ôc il y avoit à craindre que s'il ne réuffiflbit pas , on ne fe crût
cpuifé , 8c qu'on ne penfàt plus qu'à la retraite. Ainfi perlua-
dé qu'il falloit tenter toute autre voie avant que d'en venir à
cette extrémité , il choifit tout ce qu'il avoit de plus brave
parmi Ces troupes , fur-tout les Hongrois • 6c il leur propofa
de retourner une féconde fois à l'attaque de la fortereflè , d'y
mettre le feu , 6c de ne point fe retirer que l'incendie ne fût
allumé. Il leur promit de grandes récompenfes pour les en-
gager à cette nouvelle tentative ; 6c il eut le plaifir de les per-
fuader. Ces troupes armées de torches 6c d'autres matières
propres à prendre feu , qu'on avoit préparées auparavant
pour l'exécution de ce defTein , s'avancèrent avec un nouveau
courage vers les murs de la place. Dans ce moment la for-
tune fembla abandonner le parti des ennemis , pour favori-
fer cette nouvelle entreprife des Polonois. La pluie cefla , 6c
dès qu'on eut mis le feu dans les fondemens du rempart , il
fe communiqua en un initant à toute la partie inférieure. De
là l'incendie s'étendit vers le refte du corps de la place , 6c
ayant duré tout ce jour-là , malgré tous les efforts que firent
les affiégés pour l'éteindre , ils s'imaginèrent qu'enfin le ciel
les avoit abandonnés , S^. penférent à fe rendre.
D'un autre côté le Roi voyant que l'incendie étoit deve-
nu allez grand pour porter au loin fa lumière , il appréhenda
que la lueur du feu ne fût un lignai pour les ennemis , qui
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 183
s'étoient avancés jufqu'à Pleskow avec de nombreufes trou-
pes , &c qu'ils ne penlàflènt à fecourir les affiégés. Cet acci- Henri
dent étoit d'autant plus à craindre, qu'ils avoient détaché III.
une partie de leur armée fous le commandement de Boritz 1 570
de Seyn , & de Théodore Seremet , qui s'étoit déjà rendue à
Sokol. Ainfîpour prévenir toute furprife, ce Prince rit met-
tre toutes Iqs troupes fous les armes , & l'armée alla camper
en bataille hors de fes retranchemens. Lui-même fuivi de
toute fa Cour pafla la Polota , & s'avança du côté de Sokol ,
ne lailTant dans le camp que le nombre de troupes qui étoit
néceflaire pour le garder.
Sur ces entrefaites , dix des affiégés fe laifTérent couler du
haut de leurs murs , pour venir traiter de leur capitulation
avec ce Prince. Mais les troupes Hongroifes qui partageoient
déjà par avance une 11 riche proie , appréhendant de perdre,
ii la place fe rendoit , le fruit de tant de travaux , les mafia-
crérent comme des déserteurs , afin de faire perdre aux au-
tres l'efpérance d'obtenir aucun quartier. En même tems ,
comme il paroiflbit dangereux de monter fur la brèche à
caufe du ravage que le feu avoit fait , on remit l'attaque au
lendemain. Mais les Hongrois attirés par l'efpérance du bu-
tin , n'étoient pas en état d'attendre ce terme. Sans fe mettre
en peine de prendre l'ordre de leurs Commandans , ils fe jet-
tent au travers des flammes , &; à demi-brûlés pénétrent juf-
que dans la fortereile. Là ils furent arrêtés par les Mofco«
vites , qui avoient tiré en dedans un retranchement dont les
flancs étoient bien garnis d'artillerie. Quelques Polonois ac-
coururent à leur fecours 5 1-e Roi lui-même le rendit dans ce
endroit , & courut en cette occafion rifque de la vie , auffi
bien, que Zamoski qui l'accompagnoit. Mais il fallut enfin
céder , Se les affiégeans furent obligés de fe retirer en défor-
dre , quelques efforts que fît le Roi , qui vouloit empêcher
que le mouvement excité parmi fes troupes par l'entreprife
téméraire des Hongrois , n'eût des fuites plus fâcheufes.
La préfence du Prince arrêta le défordre ; mais cet acci-
dent changea beaucoup la face des affaires. Les Mofcovites
qui ne penfoient auparavant qu'à fe rendre , reprirent coeur
à ce nouveau fuccès. Ils fortifièrent les endroits que le feu
avoit endommagés , réparèrent les flancs de leurs baillons ?
ïS4 HISTOIRE
l & fe difpoférent à faire de nouveau une vigoureufe réfï-
Henri fiance. Les Polonois au contraire s'amufoient à s'accufer les
III. uns les autres du malheur qui étoit arrivé , & paroiffoient plus
I|yo, difpofés à fe mutiner qu'à retourner encore une fois à la
charge.
Enfin la valeur des Hongrois répara le mauvais fuccès dont
ils avoient été la caufe. Ces braves gens ayant fait un nouvel
effort , emportèrent l'épée à la main un endroit de la colline,
fur lequel les Mofcovites avoient cependant fait un logementj
&. de-là ils pouffèrent leurs travaux le long de la hauteur. Ils
avoient à leur tête un noble Hongrois , nommé Pierre Raski.
Animés par fon exemple , ils allèrent une féconde fois por-
ter le feu au pied du baftion qu'ils avoient déjà attaqué. L'in-
cendie dura toute la nuit 5 & le matin non feulement ies fiâ-
mes avoient ruiné le flanc de cet ouvrage qu'on avoit réparé }
mais même le retranchement que les afîiégés avoient tiré en
dedans , étoit expofé à découvert au canon des Polonois , en
forte qu'il n'étoitpaspofîîble de le défendre. Ainfî la place fe
rendit enfin le 30. d'Août (1), à condition qu'on laifTeroit
la vie fauve à la garnifon , & que chaque foldat fortiroit avec
un habit.
Cyprien Evêque de cette ville, & les Commandans des
troupes Mofcovites , s'étoient d'abord oppofés à cette réfo-
lution , plutôt dans la crainte defe voir expofés à la colère du
Czar , que par aucune appréhenfion qu'ils eufTent de recevoir
quelque mauvais traitement des Polonois. Ils avoient même
pris une réfolution de défefpérés : c'étoit de mettre le feu aux
poudres , & de s'enfévelir , eux , & tous ceux qui étoient dans
la forterefTe , dans les ruines de la place. Mais la garnifon les
empêcha d'exécuter leur deffein. Enfin , comme ils s'obftiné-
rent à ne pas vouloir foufcrire à la capitulation , ils fe retirè-
rent dans Sainte Sophie , réfolus de n'en point fortir qu'on ne
vînt les en arracher. Le Roi retint les députés avec qui la ca-
pitulation avoit été conclue, &; envoya chercher l'Evêque
6c les Seigneurs Mofcovites. Ils parurent devant ce Prince ,
qu'ils faluérent à la mode de leurs pais , profternés le vifage
contre terre 3 & on en confia la garde à Laurent NVoine ,
(1) Pour concilier cette date avec
celles qui fuiyeRt , nous avons cru qu'il
falloit lire : III, Kal Vllbr. au lieu de
III. Kal. VUlbr.
Grand
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 185
Grand Tréforier de Lichuanie. Enfuite le Roi envoya un -J ■
détachement de Hongrois &; de Polonois, pour prendre Henri
pofTeflîon de la fortereflèj & il fe difpofoit, après avoir rendu à III.
Dieu de folemnelles actions de grâces , à y faire lui-même Ton 157a.
entrée le lendemain ; mais l'infection qui fortoit des cadavres
dont elle étoit remplie l'en empêcha , & il fallut la nétoyer
auparavant.
Heidenftein , qui nous a donné une relation fort exa&e de
cette guerre, rapporte qu'on y trouva le cadavre de deux
Allemans , que les ennemis avoient traités d'une manière bien
barbare. Les Mofcovites les avoient mis d'abord jufqu'aux
cuifïès dans une chaudière d'eau bouillante, & les avoient
ainfi brûlés à petit feu. Enfuite leur ayant paiïé une corde
dans les tendons des deux bras , ils leur avoient lié les mains
derrière le dos } 8c dans cet état ils avoient déchiqueté en
long , en forme de cuirafle , le ventre , & tout le refte du corps
-de ces malheureux.
Ce ipedacle remplit de rage les vainqueurs , qui à cette
vue ne refpiroient que la vengeance. Mais le Prince , perfuadé
que rien ne pouvoit le difpenfer de tenir la parole royale qu'il
avoit donnée , arrêta l'effet de leur relïèntiment -y ainfi il laiflà
la vie aux vaincus. Il leur donna même le choix, ou de palier
àfon fervice,ou de retourner en Mofcovie. Il leur afligna pour
cela deux endroits différens, où chacun devoit fe rendre, félon
le parti qu'il voudroit prendre -6c permit aux unsêcaux
autres de difpofer librement de leurs perfonnes èc de leurs
effets. Mais il fè trouva peu de perfonnes dans la garnifon qui
paflailentdu côté des Polonois ; 6c la plupart choiiirent de
retourner dans leur patrie,Sc de continuer à fervir leurPrince.
Preuve bien marquée de leur attachement pour l'un &
pour l'autre, puilqu'il n'y avoit perfonne parmi eux qui ne
fût perfuadé , que de repaffer en Mofcovie , c'étoit aller cher-
cher la mort la plus cruelle. Cependant , foit que le Czar fût
perfuadé qu'ils ne s'étoient rendus que parce qu'ils ne pou-
voient faire autrement, foit quePadverfité , en abaiflantfà
fierté , eût aufli adouci fa férocité naturelle , il ne leur fit au-
cun mauvais traitement. Seulement il les difperfa dans lesgar-
nifons voifines de Luki , deZawolocze, d'Ufwiata , ôc de
Newel , afin de leur donner occafion d'effacer par leur
Tome Fin, A a
i8<5 HISTOIRE
; bravoure la honte d'avoir rendu Poloczko.
Henri Le roi de Pologne fe fit en cette occafion beaucoup d'hon-
III. neur parmi les Mofcovites , par fa fidélité à garder fa parole,
j cyn, àc par la douceur & la clémence dont il ufa envers eux. Plus
ces vertus étoient inconnues à ces peuples , toujours fournis à
un efclavage rigoureux , plus elles leur paroiiîbient admira-
bles dans un Prince ennemi. Il ne fe trouva pas à beaucoup
près tant de richefTes qu'on le croyoit dans la forterefïè. Les
troupes profitèrent de prefque tout ce qu'il y avoit , à l'exce-
ption d'une bibliothèque très-remplie de livres Grecs , tra-
duits en Efclavon par Methodius & Conftantin , fi l'on en
croit les annales de Rufîie. La plupart étoient des ouvrages
des Pères de PEglife Grecque. L'ufage n'efr. point parmi eux,
que leurs Prêtres faflènt au peuple des inftructions de leur
propre invention. Ils fe contentent de reciter quelque homé-
lie des Pérès Grecs traduite en langue vulgaire ; foitque,
comme ils font fort ignorans , ils fe défient de leurs propres
lumières j foit qu'on leur ait preferit ces bornes , de peur
qu'emportés par la curiofité naturelle à l'efprit humain , en
voulant trouver du nouveau , ils ne s'éloignaflent de l'anti-
quité , & ne s'écartaflent par conféquent de la vérité. On dit
que c'eff. aufïi pour empêcher que les prédicateurs, s'il leur
étoit permis de faire des difeours à leur fantaifie, ne priflent
la liberté de parler contre le Prince & les Magiftrats , défor-
dre que le mauvais exemple n'a que trop autorifé parmi nous.
Après la prife de Poloczko, le Roi ,qui penfoità rétablir
l'ordre dans la Province , commença par la Religion. Il y
avoit dans la forterefïè une Eglife allez grande , bâtie de pier-
res de taille , 6c même magnifique pour le lieu. Elle étoit defl
fervie par des Chrétiens du rit Grec , dont le droit étoit fon-
dé fur une pofTefîion fort ancienne. Le Roi l'accorda à l'Eve-
que RufTien du même Rit , qui tenoit auparavant fon fiége à
Witcpsk,6c qui dès-lors prenoit le titre de cetteEglife.Un des
principaux motifs qui l'y engagérent,fut que comme il avoit
deflein de porter la guerre en Mofcovie , loin de la Pologne ,
ce Prince éclairé , qui fçavoit combien la Religion a de force
pour déterminer les efprits , appréhenda que l'attachement à
leur Religion n'empêchât les Mofcovites de fe rendre à lui,
s'ils pou voient s'imaginer qu'il les forceroità l'abandonner. Il
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 187
en fit Mtir une autre pour les Catholiques Romains, & lui . .
afiigna des revenu^, o fnrPnr 1p< : j^<«;*«0 ^»*ii «oi-«niapour H v n J^
ladefTervir. Ce Prince les protegoit fort 3 & il efpéroit que I II.
par le moyen de ces Pérès , on pourroit reformer beaucoup 1 C70,
d'abus qui s'étoient introduits parmi ces peuples mal inllruits
dans la croyance & dans les mœurs. Il avoit en vue fur-tout
d'arrêter la débauche des femmes , vice très-commun dans
le pais, même parmi les habitans de la campagne. Enfuite il
ordonna qu on rasât les travaux qu on avoit élevés pour le
fiége , qu'on comblât les tranchées , & qu'on réparât les forti-
fications de la place 3 &: il affigna certains revenus pour four-
nir à cette dépenfe. Enfuite il nomma des Commandans , ÔC
rétablit enfin un Palatinat à Poloczko, au lieu que quelque
tems avant que cette ville fût prife par les Mofcovites , elle
n'étoit gouvernée, comme Kiovie , que par des Lieutenans
pour le Roi.
Tel fut l'ordre que mit Batthory dans fa nouvelle con-
quête. Cependant à peine l'armée royale fe vit en état de refi-
pirer un moment , fans avoir pour lors d'ennemis étrangers à
combattre , qu'elle penfa tourner fes propres armes contr'elle-
même. La difeorde fe mit entre les Hongrois & les Polonois.
Ceux-ci fe plaignoient que les autres n'avoient pour eux que
du mépris 5 &c ils étoient furie point d'en venir aux mains ,
lorfque le Roi , par une gratification qu'il leur fit , appaiface
différend. Mais la divifion fe mit parmi les chefs mêmes 5 Ôc
cette affaire pouvoit avoir des fuites beaucoup plus fâcheuiés.
Mieleczki général des troupes de Pologne, quoiqu'il fut in-
time ami de Radziwil , qui étoit à la tête de celles de Lithua-
nie , ne le voyoit plus de fi bon œil depuis qu'il partageok
avec lui le commandement -y il avoit de même conçu une anL
mofité fecrette contre Zamoski, qui à fonavisnel'appuyoit
pas afTez dans l'exercice de fa charge • enfin il n'avoit pas
moins de jaloufie contre Bekes j &c il ne voyoit qu'à regret
cet étranger lui difputer la gloire que la dignité de Généra-
lifTime, qui lui avoit été confiée, fembloit devoir lui af-
flirer.
Bekes étoit né en Tranfylvanie , & avoit d'abord été élevé
dans lamaifon d'un Seigneur de cette Province, nommé Pe-
trovith. Danslafuiteil devint fi agréableà Jean Sigifmond,
Aaij
î&8 HISTOIRE
f^nia.110 y
; Prince deTranfilvanie , qu'étant mort fans laifTpr A'(***&
■•^^•^. >.t n t il ne »-i ctiv iiit pao Jvi i\- liv^iTTirv-io.' i-«/~>ii t- fî^r» i»T*-ceiieur.v^epencianc
III. Batthory lui rut préféré par les Etats de la province j & ce fut
j cnqt entr'eux l'origine d'une inimitié mortelle. Comme Bekes
cherchoit à brouiller dans l'Etat , Batthory l'avoit dépouillé
de quelques petites places qu'il poilédoit. Bekes outré avoic
eu recours a l'empereur Maximilien. Il avoit levé quelques
troupes dans l'Empire, 6c s'étoitmis en tête de détrôner fon
rival. Mais ayant été battu, il avoit été obligé d'aller une
féconde fois chercher un afyle en Allemagne. Dans la fuite
voyant que Batthory avoit été élu roi de Pologne , èc qu'il
avoit mérité par fa valeur de monter fur un trône qui le met-
toit au defllis de tous fes envieux , il mit bas toute jaloufie
6c toute animofîté -, Se comme il connoifToit la grandeur d'a-
me de ce Prince , il le choifit pour mettre en lui toute fa con-
fiance, 6c voulut ne tenir que de lui fa grandeur 6c fa fortune»
Dans cette efpérance il lui offrit Ces hommages de fes ièrvicesj
6c il ne fut pas trompé. Le roi de Pologne , qui connoiifoit de
fon côté tout le mérite de Bekes , non feulement oublia tous
lesfujets de mécontentement qu'il pouvoit lui avoir donnés 3
mais après l'avoir reçu avec bonté , il le combla de biens 6c
d'honneurs. Or c'en: ce qui chagrinoit les Polonois.
Procès des Le Roi , qui fentit que l'oiiîveté étoit la fource de leurs re-
poionoisen muemens , réfolut de les occuper pour les contenir dans le
devoir. Ainiiil les commanda pour aller reprendre les forts
bâtis aux environs de Poloczko , où Iqs ennemis avoient en-
core garnifon. Mieleczki partit à la tête de l'infanterie Polo-
noife 6c Allemande pour aller affiéger Sokol. Martin Kurtz
fuivi d'un corps de Cofaques, 6c de Conftantin Lucompzki D
étoit en marche pour le rendre devant Turowla , lorfque la
garnifon voyant l'incendie de Poloczko éteint , èc conje&u.
rant de-là que la fortereffe s'etoit rendue , abandonna la place
fans attendre l'ordre de ies Officiers. Pour Suià, on réfoluc
d'en remettre le fiége à une autre occafion. Cependant on con-
duifit l'artillerie par la Duinejufqu'â DriiTa, place bâtie fur la
rivière qui porte ce nom , d'où elle fut tranfportée par terre
devant Sokol. En même-tems les troupes commandées par
Mieleczki parlèrent la riviviére de Driflà fur un pont que Ni-
colas Urovecz avoir fait jetter deflus-
Lirooie,
DEJ, A, DE THOU, Liv. LXIX. 185,
Cependant Jean Sbarazi Palatin de Braflaw paffa la ri-
vière à la tête d'une partie de la cavalerie , & alla fè mettre Henri
en embufcade vers Pleskow , pour arrêter les courfes du Czar III.
de ce côté-là. Mais ce Prince fe contenta de faire montre de 1570.
fon armée , compofée de nations différences , comme des
peuples de Kazan 6c d'Aftracan , qu'il avoit fubjugués
depuis peu. Il les cita toutes avec emphafe les unes après les
autres , chacune par leur nom. Du refte il ne fe donna pas
même la peine de former un camp ; il dreffa feulement des
tentes , & toutes fes entreprifes fe bornèrent là.
Drobrofïblowski commandoit l'artillerie. Il fit tirer trois
boulets rouges dans la place , feulement pour éprouver quels
effets ils produiroient. Deux mirent le feu dans les endroits
où ils donnèrent, 6c furent éteints parles aiîiégés : mais le
troisième , qui donna dans le pied du retranchement , n'ayant
point étéapperçû, ces murs, qui n'étoient bâtis que de fa-
pin ôc de bois îqc , parurent en feu en un inflant. A cette vue
Mieleczki fît fonner la charge, comme s'il eût été prêt de
donner un affaut à la place. Ce fpe&acle jetta la confternation
parmi les Mofcovites. Frappés feulement du danger prefent.,
6c n'étant pas en état d'arrêter l'incendie, ils abandonné!
rent le fort avec précipitation , 6c fortirent de toutes parts.
Seremet ayant pris le chemin de Pleskow avec une partie de
la cavalerie , tomba dans l'embufcade que Sbarazi avoit ten-
due : d'un autre côté Boritz de Seyn alla donner dans les Al-
lemans. Ceux-ci, qui ne refpiroient que la vengeance, 6c que
le fouvenir du traitement barbare que leurs camarades
avoient éprouvé à Poloczko rendoit furieux , le maffacrérent
avec les Palatins André Paleczki , Michel Lyque , 6c Baille
Crivoborski. Ceux qui étoient refiés dans le fort deman-
doient quartier , lorfque les Allemans fe jettérent fur euxl'-é-
pée à la main,6c en firent un carnage horrible. A cette vue la
frayeur des Mofcovites fe tourna enMefefpoir^ ils abatirentla
herfe, 6c maflacrérent environ cinq cens Allemans qui étoient
entrés dans le fort, avant que Rozdrazowski 6c Wierzeyski
eufTentpû enfoncer la porte pour venir à leur fecours. Alors
leurs camarades devenus encore plus furieux qu'auparavant ,
donnèrent fur ces malheureux avec rage , 6c tuèrent fans
quartier tout ce qui fe prefenta devant eux. Plufieurs fe
Aaiij
r9o HISTOIRE
■."■"■— "■'■ jettérent au milieu des fiâmes , où ils furent confumés. La fu-
Henri reur des vainqueurs s'étendit jufque fur les morts j comme la
III. plupart étoient fort gras , les vivandières Allemandes les ou-
j clq vroient pour en tirer lagraiflè, & en faire un remède pour
guérir les playes , ce qu'elles rirent même au corps du général
Seyn. Audi le Czar ne manqua-t'il pas dans la fuite d'en faire
des reproches au roi de Pologne dans une lettre qu'il lui écri-
vit. On fit un grand butin dans cette place , &le loldat s'y en-
nchitjaprès quoi Mieleczki fuivi de l'armée vi&orieufe revint
trouver le Roi.
Ce Prince partit de Poloczko , ôc fe rendit à Dzifna. Là il
donna audience aux ambalîadeurs d'Adolfe duc d'Holffcein ,
& de Henri Grand Maître de l'Ordre Teutonique , qu'il ren-
voya attendre fa réponfe à Vilna. A fon avènement à la Cou-
ronne, Batthory avoit eu tant d'arraires , qu'il neparoifïbit pas
alors qu'elles lui permifîènt de fe mettre en campagne aflez à
tems pour empêcher le Czar de fe rendre abfolument le maî-
tre de la Livonie. Dans ces circonftances Radziwil Palatin
de Vilna , qui voyoit qu'on faifoit la guerre depuis tant d'an-
nées dans cette province , qu'elle coûtoit beaucoup à l'Etat ,
& qu'on n'en retiroit aucun fruit, avoit perfuadé à Adolfe
de demander au Roi , qu'il la lui cédât , à condition de la te-
nir de lui comme un fief de la Couronne , promettant de la
défendre à (qs frais contre tous les efforts du Mofcovite. A
l'exemple de Radziwil, Jean Chodkewitz,qui venoit de mou-
rir , avoit donné le même confeil à Henri. Dans la fuite Bat-
thory examina leurs raifons dans la dicte de Varfovie ; ôc leur
avant demandé , pour fournir aux frais de cette guerre , quel-
cu'argent à emprunter, qu'ils lui refuférent, il prit ce pré-
texte pour éluder leurs demandes.
Cependant ce Prince s'étant embarqué fur la Duine à Dzif-
na, defcendit cette rivière , dont la navigation lui parut fort
agréable, & vint à Drwka^ de-là il prit fa route par terre ,
pafla à Braflaw,&; fe rendit à Vilna en Lithuanie. Il y trouva
André Caligaro Nonce du Pape, 6c beaucoup de Noblefîe
qui y étoit venue pour le complimenter. Toute la ville fortit
au devant de lui pour le féliciter de fa victoire ; &. on fit des
prières publiques pour demander à Dieu , que comme il
avoit eu la bonté de les délivrer d'un grand fardeau par la
DE J. A. DE THOU,Liv, LXIX. 191
prife de Poloczko , il daignât encore achever d'aiîurer leur =
tranquillité , en enlevant Kockenhaus à leurs ennemis. Henri
D'un autre côté le Czar ayant appris la perte de Poloczko, III.
&. le carnage que les Polonois avoient fait de la garnifon de 1 C70
Sokol, quitta Pleskow, & fe retira dans le fond de la Mof-
covie. Avant ion départ il écrivit aux troupes qui étoient
dans Sufa , commandées par Pierre fils de Théodore Palatin
de Colicski , que puifque les ennemis s'étoient rendus maî-
tres de toutes les places voifines , &: que par conséquent elles
ne pouvoientplus être fecouruës, elles prifTent de bonne heure
leurs mefures • que cependant elles euiïèntfoin d'encloiierle
canon auparavant, & d'enterrer les images avec les vafes fa-
crés, de peur qu'ils ne fufïent expofés à la profanation des
barbares 3 car c'eft, le nom que ces Princes donnent à toutes
les autres nations. Comme il avoit envoyé plufîeurs exem-
plaires de cette lettre , il en tomba une copie entre les mains
de Mieleczki. Ce général ne laifTa pas échapper une il belle
occafîon. Il marcha auffitôt de ce côté là $ èc ayant fommé la
garnifon de fe rendre , elle obéît , &; lui livra la place avec
tout le canon qui étoit dedans le 6. d'Octobre, après avoir
ftipulé qu'on lui laiiïèroit la vie fauve , & un habit à chaque
foldat.
Après cela Mieleczki partagea fon armée en trois corps &
la mit en quartier d'hy ver. Cependant il chargea Constantin
duc d'Oftrog de faire des courfes avec (es troupes dans le pais
ennemi. Auffitôt leDuc,accompagné de Michel Wifnovecz,
pafTa le Nieper , courut toute la Severie , &c fit le dégât jus-
qu'aux portes de Starodub , &; dans tous les environs. En
même tems Philon Kmita, gouverneur d'Oria , après avoir
fait un grand butin , s'avança jufqu'à Smolensko , brûla deux
mille villages -y 6c ne laiiîà dans tout le païs que le fol qu'il ne
pouvoit enlever.
Cependant le Roi , qui penfoit à fè diipofer à la guerre pour
l'anné fuivante , fe trouvant à Braiîaw le 2 7. de Septembre ,
avoit convoqué la diète à Varfovie pour le 2 3 . de Novembre
fuivant. Ce fut -là qu'il partagea entre les Seigneurs delà
Cour les charges & les emplois, vacans par la mort de Jean
Chodkewitz , & parce que les Radziwils , qui étoient de Li-
thuanie , profitèrent le plus de cette dépouille , ce fut un
i;£ HISTOIRE
.■■■■■■ ■ ■■«■ fujet de mécontentement pour les Polonois,tant la jaloufie
H e n ri étoit encore forte entre ces deux Nations , quoique toutes
III, deux foûmifes au même empire. De Braflaw , le Prince fe
rendit par Vilna à Grodno , où il prit pendant quelque tems
*'"' le plailir de la chafiè. Ce divertiilèment 6c la joye des derniers
fuccès furent un peu troublés par la mort de Gafpard Bekes ,
dont je viens de parler, qui arriva, dans ce tems-là. Il laifïa
une femme 6c deux fils encore fort jeunes , qu'il recom-
manda en mourant au Roi 6c à Zamoski.
Enfin on fit l'ouverture de la diète , 6c comme le Roi ap-
prit qu'on parloit beaucoup de lui de façon à lui faire une
cfpéce de crime de bien des choies , il aima mieux entrepren-
dre de fe juflifier fur ce qu'on trouvoit à reprendre dans fa
conduite , que de lailîer fortifier ces bruits en les difiimulant
mal -à -propos. Il y avoit beaucoup de mécontens. Ceux
dont les plus grandes libéralités du Roi n'étoient pas capa-
bles de remplir l'avidité j d'autres , qui parce qu'ils avoient
donné leur voix à fon élection , croyoient que c'étoit leur
faire une injuftice , que de ne pas les élever aux dignités de
l'Etat j quelques-uns , qui trouvoient mauvais, qu'il n'y eût
d'emplois que pour Mieleczki , Zamoski 6c les Radziwils;
tous ces gens étoient de ce nombre, 6c comme ils vivoient
dans un Etat , où chacun a la liberté de dire tout ce qu'il
penfe , le Roi ne pouvoit dire un parole , ni faire aucune dé-
marche, qu'ils n'interprétalTent mal. Ainfi lorfque d'abord
ce Prince pafla à Leopol dans la Rufiie , ils firent courir le
bruit , qu'il étoit dégoûté de la Pologne , & qu'il emportoit
avec lui le tréfor du roi Sigifmond-Augufl:e,dans le dellein de
fe retirer enTranfylvanie. Quand enluite il marqua le ren-
dez-vous des troupes à Suire , ils publièrent qu'il ne penfoit
à rien moins qu'à faire la guerre -y qu'en efFet il en étoit inca-
pable , 6c qu'il ne fongeoit qu'à les amufer , pour avoir un pré-
texte d'amafTer de l'argent 6c de lever de nouveaux impôts.
Ils allèrent même plus loin. Ils fondèrent les fentimens de
la Reine , en lui faiïànt entendre que ce Prince la méprifoit
à caufe de fon âge , qu'il penfoit à s'en faire féparer , & que
c'étoit pour cela qu'il avoit député à Rome Pierre Volski
évêque de Plosko. Ils ajoûtoient , qu'il n'avoit point du tout
rempli les conditions qu'il avoit fait ferment d'exécuter
lorfqu'il
DE j. A. DE THOU, Li v. LXIX. 193
lorfqu' il étoit monté fur le trône j qu'il donnoit tous les em- -
plois à des étrangers , Se qu'il n'avoit point obfervéles for- Henri
malités prefcrites par les loix du Royaume , en recevant III.
l'hommage du duc de Curlande. Au refte toutes ces plaintes 1579.
ne tendoient qu a empêcher qu'on n'accordât aucun fub-
fîde au Roi , ôc à le mettre par-là hors d'état de continuer la
guerre.
Zamoski jugea donc , qu'il étoit à propos de prévenir d'a-
bord ces commencemens de troubles. Ainfi dès le premier
jour qu'on traita du gouvernement dans la diète , il fit un
difcours très-éloquent , où il repréfenta fous un point de vue
magnifique les avantages qu'on avoit remportés fur les enne-
mis dans la dernière campagne , êc prouva par des raifonne-
mens folides , la néceflité de continuer cette guerre, avant
que le Czar eût eu le tems de le reconnoître , & de réparer les
pertes qu'il avoit faites. Enfuite il exhorta tous les membres
de la diète , à prendre hautement en main dans une circonf-
tance fi délicate les intérêts de l'Etat -y en leur reprefentant ,
que s'ils tenoient cette conduite , ils trouveroient pour le prê-
tent leur confolation dans le témoignage de leur confeience
Se dans les bienfaits d'un Roi libéral , ôc que la gloire en fe-
roit le fruit dans la fuite. Enfin il ajouta que fous un Prince
aufli jufte que celui qui les gouvernoit , les récompenfes n'é-
toient que pour le mérite ôc les vrais fervices , &: qu'il n'y
avoit rien à efpérer pour les mécontens & les brouillons.
Tout le monde comprit, que Zamoski n'avoit parlé de la
forte , que de concert avec le Roi. Ain fi ce difcours fit
qu'on fut plus retenu dans la fuite , & on entendit moins
murmurer.
Cependant ce Prince voulut encore fejuftifier lui-même
au fujet des plaintes qu'il feavoit qu'on avoit répandues con-
tre lui dans le public. Le tems avoit déjà aflez réfuté tout ce
qu'on avoit ofé publier fur fon voyage à Leopol,furfes def-
leins en aflemblant l'armée à Suire , 6c fur plufieurs autres
fujets. On feavoit de même, qu'il avoit facrifié fes propres
revenus pour fubvenir aux frais de cette guerre , oc qu'il n'a-
voit point eu d'autres intérêts que ceux de l'Etat. Il s'ar-
rêta donc principalement à montrer Pinjuftice de ceux qui
Paccufoient d'avoir diminué le pouvoir & l'autorité du
Tome Vllh B b
î94 HISTOIRE
■ i Généraliflîme,& de n'avoir mis que des étrangers dans les
Henri emplois,parce qu'il vie bien que par-là on vouloic parler de ce
III. qu'il avoir fait pour Bekes. Il reprefenta donc à la diète : Que
i <-ja, lorfqu'il avoit mis ce brave homme à la tête des troupes de
Hongrie , il n'avoit point entendu par-là , qu'il pût rien entre-
prendre de fon chef : Qu'au contraire ion intention avoit
toujours été , qu'il fût fournis au Général Polonois , &: qu'il
ne lui avoit donné cet emploi que pour fervir à porter aux
Hongrois les ordres du Généraliflime : Qu'au reile il avoit
été néceflaire pour cette guerre de fe fervir des troupes
étrangères , & fur-tout de l'infanterie , parce que le Royau-
me qui pouvoit fournir une cavalerie des plus nombreufes de
tous les Etats de l'Europe , n'étoit pas également puifïant en
gens de pied : Qu'après avoir long-tems délibéré dans le Sé-
nat fur ce fujet , tous les avis s'etoient enfin réunis à dire ,
que rien n'empêchoit qu'on n'implorât le fecours des forces
étrangères : Qu'en effet il étoit du devoir d'un Prince fàge >
de ne pas s'obftiner à vouloir acheter au prix du fang de fes
fujets , ce qu'il pouvoit acquérir aux dépens des étrangers $
que c 'étoit par-là que les plus grands Empires s'étoîent for-
més, & que plu fieurs familles diftinguées s'etoient établies
dans le Royaume 3 par exemple, la famille des Tarnow , une
des plus illuftres de la Pologne y dont les premières fouches
étoient étrangères. Ces raiibns arrêtèrent les murmures , &
comme il n'y avoit perfonne qui ofât nier qu'on n'veût befoin
d'infanterie étrangère, on n'entendit plus de plaintes à ce
fujet. Ce Prince fit voir enfuite , qu'à l'égard du prince de
Curlande, il ne s'étoit écarté en rien desloix du Royaume
ôt des ufages reçus par Ces Prédéceileurs. Enfin il fejuftifia
publiquement des bruits défavantageux qu'on avoit fait cou-
rir au fujet de la députation de Pévêque de Plosko , & en
montra le peu de fondement. Ainfi tout d'une commune
voix il fut arrêté , qu'on continueroit au Roi le fubiide or-
dinaire. Seulement pour prévenir la prefeription , on ajouta ,
qu'il ne feroît la guerre que par fes Lieutenans. Mais ce Prin-
ce , dont le grand cœur s'indignoit des bornes qu'on lui pre-
ferivoit , prouva par bien des raifons qu'il étoit à propos
pour les intérêts de fa gloire , qu'il fe trouvât en perfonne à
la tête des armées 5 que fa préfence y étoit même néceflaire >
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX, 195
pour animer tant de Nations, arrêter les jaloufies qui pou- .
voient naître entr'elles , & entretenir l'union parmi les Gé- Henri
néraux qui les commandoient. III.
Sur la fin de la diète on apprit la nouvelle de laprifede j ry^.
Nifcerda , qui venoit d'être livrée aux Polonois par un paï-
fàn, nommé ColTbn. C'étoit un homme, qui à une force
extraordinaire joignoit un courage bien fupérieur à fa naif-
fance. Il avoit été d'abord traniporté en Mofcovie avec
les autres habitans de Poloczko, lorfque le Czar s'étoit
rendu maître de cette place. Dans la fuite , on crut que le
tems lui avoit fait oublier Ces anciens Maîtres , ôcon lui per-
mit de retourner dans fon pais avec £es fils. Ainiî lorfqu'il
apprit que le roi de Pologne avoit repris cette place , il fon-
gea à mériter par quelque fervice de rentrer fous les loix de
fon premier Souverain. Dans cette vue , il perfuada aux
Cofaques de Poloczko d'aller attaquer Nifcerda , les affû-
rant que la place n'étoit pas en état de faire réfiftance , parce
qu'on n'en avoit pas encore achevé les fortifications , & qu'ils
l'emporteroient aifément. L'événement juftifia [qs promef-
fcs. Cependant Coffon , qui ne laiffoit pas de vivre au milieu
des Mofcovites , parce qu'ils n'imaginoient pas que l'arrivée
des Cofaques fût fon ouvrage , voulut auffi les engager à fc
rendre maîtres de la même façon de Zawolocze. Mais fon
intrigue ayant été découverte , le fuccès de cette nouvelle
tentative fut différent, &: il fut puni lui-même d'être refté
trop long-tems au pouvoir des ennemis. Ils l'empallérent
avec deux de fes fils à la vue du fort.
Telle étoit la face des affaires de l'Orient & du Nord. Affaires de
Cependant l'Occident n'étoit pas plus tranquille j & le fort PortuSal-
de la couronne de Portugal , prête de paiTer dans une famille
étrangère , tenoit en fufpens l'Efpagne , & toutes les Nations
voifines.
L'ouverture des Etats fe fit le premier jour d'Avril , &c Etats de
Henri s'y rendit en habit de Cardinal , portant le feeptre , Lifbonnc
accompagné du duc de Bragance & iuivi d'un nombreux
cortège. Le Roi prit place fur un trône qui lui avoit été pré-
paré fous un dais. Enfuite le licencié Alfonfe de Caftelblan-
co ayant reçu ordre de fa Majefté de porter la parole aux
Etats j il fit un difeours, où il pouffa la flaterie jufqu'à fe
Bb ij
i$6 HISTOIRE
■ rendre ridicule, 6c même jufqu'à l'impiété. Car après avok
Henri déploré les malheurs paiîés , 6c fait l'éloge de la chanté, de la
III. juftice 6c de la clémence du Prince , qu'il compara au Roi des
j <nc%, Cieux , comme s'il ïè fût facrifîé lui-même pour lefalut de
{on peuple , il ofa mettre l'afTemblée des Etats en parallèle
avec les Conciles généraux , & eut l'impudence d'aflïirer ,
que par conféquent elle avoit la même infaillibilité. Il expo-
fa enfuite le fujet qui les raflembloit, &. il les exhorta à tra-
vailler de concert , fuivant la coutume de leurs ancêtres , à
procurer le bien de l'Etat.
Les avis furent d'abord partagés. Quelques-uns pour pré-
venir les troubles , dont on étoit menacé , prétendoient qu'il
falloit fans délai procéder incefTamment à régler ce qui
regardoit la fucceflïon à la Couronne. D'autres au contrai-
re étoient d'avis qu'on n'allât pas fi vîte dans une afFaire
de cette conféquence. Ils vouloient donc qu'on procédât
par les régies du Droit, qu'on citât d'abord les Prétendans,
qu'on écoutât leurs raifons , qu'on examinât mûrement fur
quoi ils fondoient leurs prétentions , 6t qu'on ne prononçât
qu'après avoir obfervé toutes les formalités nécellàires.
D'autres, qui voyoient bien qu'il faudroit beaucoup de tems
pour inftruire un procès de cette conféquence , 6c que cepen-
dant il pourroit arriver quelqu'accident au Roi , foûtenoient
qu'il n'y avoit point de moyen plus fur de pourvoir à la tran-
quillité de l'Etat, que dénommer dès-lors quelques perïon-
nes pour gouverner le Royaume , en cas que le Prince vînt
à manquer. Enfin il y en avoit qui n'aimoient que le trouble ,
6c qui pour cette raifon auroient été ravis qu'on n'eût pris
aucunes mefures ni aucun arrangement.
Entre ces difTérens avis , le Roi prit un milieu , ce fut de
ne rien décider pour lors au fujet de fon fuccefïeur , de citer
les Prétendans à comparoître , 6c d'écouter leurs raifons , &
cependant de nommer des Gouverneurs. Conformément à
cette réfolution , les Etats préfentérent à S. M. le nom de
quinze perfonnes, qu'ils croyoient capables de remplir cet
emploi. De ce nombre le Roi en choifit cinq , dont les noms
furent tenus fecrets , 6c mis dans une cailette , dont la gar-
de fut confiée au Magiftrat de Lifbonne. On difputa long-
tems fur cette dernière formalité -3 mais enfin l'affirmative
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 197
l'emporta. En-fuite on nomma vingt- deux autres perfonnes , -
du nombre defquelles Henri en choifit onze , pour prononcer Heniu
en dernier reffort du droit des Prétendans à la Couronne, III.
au cas que le Roi vînt à mourir avant que cette affaire fût 1579,
décidée.
Il n'y avoit rien de plus ridicule que cette précaution , puif
qu'il eft confiant que l'autorité des loix expire à la mort de
ceux qui les ont portées. On en avoit même un exemple
remarquable dans ce qui étoit arrivé au Royaume de CaftiL
le, la reine Ifabelle ay*ant fait certains réglemens , qu'elle
vouloit être obfervés , même après fa mort ^ ils n'eurent ce-
pendant point après elle lieu dans ce Royaume , par le dé-
faut d'autorité. Néanmoins le Roi obligea le duc deBragan-
ce 6c tous les feigneurs du Royaume , le Clergé 6c les autres
députés des Etats, de faire ferment d'obéir après fa mort
aux Gouverneurs qu'il avoit nommés , 6c de reconnoître
pour leur Maître légitime celui en faveur de qui prononce-
roient les Juges qu'il avoit choifis pour en décider. Dom
Antoine prieur de Crato , de qui on vouloit exiger le même
ferment, voulut d'abord s'en défendre , 6c demanda une au-
dience au Roi. Mais il ne put rien obtenir , & il fut contraint
lui-même de jurer fur les faints Evangiles l'obfervation de
tout ce que les autres avoient promis.
A cette occafîon un député du tiers Etat, qui étoit ab-
folument déclaré contre le parti de Philippe , fe leva , &C
après s'être moqué hautement du ferment de ces gens ven-
dus à la faveur, qui pour ménager leurs intérêts particu-
liers , trahiffoient lâchement l'honneur 6c la liberté de la
patrie , il requit l'aiTemblée defe réunir avec lui , 6c de join-
dre leurs forces pour maintenir la gloire de les droits de
l'Etat ; ajoutant avec la dernière infolence ce qui avoit déjà
été dit , que le peuple dont il étoit député fourniroit dans
le befoin quinze mille hommes tout prêts à réprimer les en-
treprifès des traîtres dont il parloit , 6c à porter le feu & le
ravage jufque dans leurs maifons. Cette démarche, toute
hardie qu'elle étoit , fut cependant diffimulée par les gens
fages qui connoiffant le génie du peuple, fçavoient qu'on
devoit exeufer fes violences, comme il n'y a nul fond à fai-
re fur fa légèreté. On penfa aufïï à marier le Roi , 6c on
Bb iij
/
i98 HISTOIRE
•esëhe—eeeï députa à Rome Edouard de Caftelblanco , pour en demander
Henri la difpenfe à fa Sainteté. Henri lui-même confulta plusieurs
III. fois les Médecins pour fçavoir , fi à fon âge & avec la ianté
i f~9. 4U ^ av°ic •> il pouvoir efpérer d'avoir des enfans j &; ce vieil-
lard après avoir palTé toute fa vie dans le célibat, penfoit en-
fin à prendre une femme, pour empêcher la Couronne de
tomber entre les mains d'un étranger.
Philippe informé de tout ce qui fe pafïbit par les Emiflaires
qu'il avoit à la cour de Portugal ,& fur-tout par Dom Chri-
ftophle de Mora , alors fon Ambifladeur auprès de cette
Couronne , écrivit fur le champ à fon Ambafladeur à Rome ,
de faire tous les efforts pour empêcher le Pape d'accorder la
difpenfe qu'on lui demandoit pour Henri. En même tems ,
il députa fecrétement à ce Prince un Dominiquain, nommé
Ferdinand de Caftello , pour travailler à le détourner de la
réfolution où il étoit de fe marier. II avoit ordre pour l'en
éloigner , de fe fervir principalement de cette raifon , qui
toute ridicule qu'elle étoit , lui paroiifoit devoir faire im-
preffion fur ce Prince fuperftitieux ^ que comme l'héréfie
étoit fort répandue , s'il fe marioit , lui qui étoit dans les or-
dres facrés , il étoit à craindre que ceux qui cherchoient à
féduire les peuples ne s'autorifafîènt de cet exemple. Mais
ce Député ne fut pas aufïï-bien reçu de Henri , que Philippe
fe l'étoit imaginé. Au contraire ce Prince congédia fur le
champ le Dominiquain avec des marques de mécontente-
ment , & cacha néanmoins le fujet de fon voyage.
Droit des Cependant les Prétendans à la Couronne ayant été cités ,
Prctendans^à j]s avoient déjà comparu par leurs Ambafïàdeurs. Ceux du
depTtugai. r°i d'Efpagne étoient Dom Pedre Gyron duc d'Oflbne,ôc
les autres que j'ai déjà nommés. Celui du duc de Savoye
étoit Charle de la Rovere j &; Ranuce Farnefe , fils d'Alexan-
dre Farnefe duc de Parme, étoit reprefenté par Ferdinand
Farnefe évêque de Parme, qui après avoir confulté cette
affaire à Padouë aux Dodeurs de cette célèbre Univerfîté ,
avoit publié leur avis , qui lui paroiifoit rendre le droit de fon
maître inconteftable.
Pour ce qui eft du duc de Savoye , il reconnoiffoit à la
vérité le droit de Philippe , comme forti d'Ifabelle , fille
aînée du roi Emmanuel. Il demandoit feulement qu'au cas
DE J. A. DE THO U,Liv. LXIX. 199
que le roi d'Efpagne vint à mourir avant le roi Henri leur on-
cle commun , on eût égard à la juftice de fes prétentions. Du Henri
refte il fe fervoit des mêmes raifons que Philippe , pour ex- III.
dure & le duc de Bragance, qui avoit époufé Catherine , 1579.
fille d'Edouard frère de Henri , 6c le Prince de Parme, petit-
fils d'Edouard , 6c forti de Marie fa fille aînée. En effet en
fuppofant que le droit de reprefentation n'avoit point de lieu ,
comme ils s'efforçoient de le prouver par plufieurs raifons ,
ils prétendoient tous deux devoir l'emporter fur leurs con-
currens, en qualité de plus proches parens mâles du Roi.
D'un autre côté, la ducheffe de Bragance 6c le duc de Par-
me infiftoient fur le droit de reprefentation dont le Duc fe
fervoit enfuite contre Catherine elle-même fa tante , préten-
dant qu'il devoit lui être préféré, comme forti de fon aînée.
Les D odeurs de l'Univerfité de Conimbre , qui fcavoient que
Henri favorifoit fecrétement le droit du duc de Bragance ,
avoient écrit en faveur de les prétentions , 6c ils publièrent
une confultation dans laquelle ils travailloient par plufieurs
raifonnemens à affoiblir d'abord le droit du roi d'Efpagne ,
& du duc de Savoye , 6c enfuite celui du prince de Parme.
Dom Antoine prieur de Crato ayant été cité comme les
autres Prétendans , parut aufli fur les rangs. Mais comme
tout le monde le reconnoilToit pour bâtard , & qu'on fçavoic
qu'il étoit forti à la vérité de Dom Louis ^ mais qu'il n'étoit
que le fruit du commerce qu'il avoit eu avec une femme qui
n'avoit jamais été fon époufe , il n'y avoit perfonne qui ne
l'exclût de la fuccefîion.
Quoique la reine Catherine mère de nos Rois n'eût point
été citée , elle ne laifîà pas de comparoître auffi par Urbain
de Saint-Gelais évêque de Comminges, bâtard de Louis de
Saint-Gelais fieur de Lanfâc. Ce Prélat eut d'abord beaucoup
de peine à obtenir de Henri de pouvoir intervenir au nom de
la Reine. Enfin ce Prince lui permit de comparoître par pro-
cureur , pour prouver le droit de cette Princefle. Dans le
fond , il paroiiloit que Henri ne cherchoit qu'à éloigner tous
les Prétendans en faveur du duc de Bragance , 6c qu'en mê-
me tems pour exclure le roi d'Efpagne, il ne demandoit pas
mieux, que de faciliter indifféremment à tous ceux qui fe
préfentoient la liberté de propofer leurs prétentions.
loo HISTOIRE
Catherine fond oit fon droit fur une généalogie qu'elle re-
Henri prenoit de fort loin , comme je l'ai déjà dit -y car elleremon-
III. toit jufqu'à Robert fils d'Alfonfe III. & de Machildecom-
1 579- te^ ^e Boulogne ï donc elle defcendoit. Pour ce qui eft des
autres enfans qu'Alfonfe avoit eus de Beatrix de Gufman ,
du vivant de Mathilde, elle prétendoit qu'ils n'étoient pas
légitimes. Par-là , non-feulement elle noircilloit la mémoire
de tous les rois de Portugal fuccelîeurs d'Alfonfe ; mais elle
fembloit même concerter à Henri fon droit à la Couronne.
Ainfî on avoit raifon de demander , comme plulîeurs le fai-
foienc, où écoic la prudence de la Reine & de fon Confeil ,
d'envoyer une pareille ambaflade ? En effec pouvoic-clle ef-
pérer quelque faveur d'un Prince qu'elle outrageoic il lenfî-
blement ? Pouvoit-elle fe promeccre de remporcer la victoire
fur cane de concurrens , qui fondoienc cous leur droic fur une
origine qu'ils ne faifoienc pas remoncer fore loin j &: qui par
conféquenc , fi celui de la Reine eue été admis , dévoient
être d'abord exclus, fans qu'il fût même néceflaire de les
entendre ? Auili comme l'ambafîadeur de France prévit que
ces raifons ne feroient pas trop bien reçues , il préfenta des
leccres du Roi adrelîëes à la Chambre de Lifbonne , par les-
quelles ce Prince offroic généreufemenc fes fervices à cous
les Ecats du Royaume , & exhortoit fortement les Portugais
à ne pas fe laifîer maîtrifer par ceux , qui ne vouloient faire
ufage de leur puirtance , que pour leur enlever leur liberté.
Mais le roi de Portugal ne permit pas que ces lettres fuflènc
rendues , ni qu'elles devinflène publiques. Les Efpagnols pré-
tendenc que ce fuc par jaloufie , que le roi de France en agic
ainfî ^ &; Ancoine d'Errera écrie, que ce Prince fie folliciter
par (bs AmbafTadeurs le Pape &; les aucres princes Chréciens ,
même le Grand-Seigneur &: le roi de Fez , d'incerpofer leur
aucorité pour empêcher que Philippe n'ajoûcâcàfa puifîànce
qui écoic déjà affez redoucable , un Eeac fî floriilanc.
Cependanc Philippe prenoic d'ailleurs couces fes mefures.
Auffi-côc après la more de Dom Sebaftien , il avoir envoyé à
Maroc Dom Pedre Vanegas de Cordouë, pour faire allian-
ce avec le nouveau Roi • 6c quoique la reine d'Anglecerre ,
qui fembloic prévoir dès-lors que le roi d'Efpagne ne carde-
roic pas à fe déclarer fon ennemi mortel , mîc couc en ufage
pour
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. ior
pour engager Mulei Hamet à ne pas attendre que ce voifin fi —
puifîant eut appaifé les troubles qui déchiroient alors fes Henri
Etats , & fè vît paifible en Efpagne , pour tourner enfuite Tes III.
armes contre l'Afrique • elle ne put rien obtenir. André GaC 1579.
pard Corfe, dont j'ai déjà parlé , fçutrepréfenter fi vivement
au prince More qu'il n'étoit pas de fes intérêts d'attaquer
de gayeté de cœur un Prince dont la puifîànce étoit fi redou-
table , tandis qu'il n'étoit pas encore lui-même bien affermi
fur le trône auquel il venoit d'être appelle , qu'il le perfuada.
D'un autre côté les Efpagnols grofMbient aux yeux des
Portugais les fujets de mécontentement que cette nation
pouvoit avoir reçus des François. Ils ne manquoient pas de
parler de la prife du vaifTeau de D. Pedre de Caflelblanco ,
quirevenoit des Indes chargé de tant de pierreries , que plu-
sieurs avoient reconnues , difoient-ils , aux doigts de Fran-
çois I. lui-même Ils n'oublioient pas non plus , ni le vol fait
fous Henri II. à D. François de Pereyra , alors ambafTàdeur
d'Efpagne à la cour de France , d'une partie confidérable de
pierreries , dont la Reine s'étoit emparée avec la dernière
injuftice , ni le fort malheureux des vaiiîeaux Portugais qui
revenoient de l'iile de S. Thomé & du Brefil , furpris par les
Proteftans de France , ajoutant qu'on n'avoit fait aucune
juftice de ces pirates , qu'on avoit vus enfuite briller à la
Cour , & que quelques plaintes que les Portugais euflènt fai-
tes au Roi , ils n'avoient pu. obtenir fatisfaction de cet outra-
ge. La cour d'Efpagne inventoit tous les jours mille bruits
pareils , faux ou vrai-femblables , qu'elle faifoit répandre en-
fuite par les Miniftres qu'elle tenoit en Portugal , pour ren-
dre les François odieux.
Philippe avoit joint aux AmbalTadeurs qu'il avoit fait paf-
fer l'année précédente dans ce Royaume , deux célèbres do-
cteurs en Droit , Rodrigue Vafquez & Louis de Molina. Pour
D. Juan de Silva, après avoir été fous le régne de D. Séba-
ftien ambafTàdeur d'Efpagne en cette Cour ; après s'être trou-
vé en perfonne au combat même où. ce Prince perdit mal-
heureufement la vie -y après y avoir reçu plufieurs blefTùres ,
&: avoir été fait prifonnier par les Mores , il fut depuis relâ-
ché par Muley Hamet , qui vouloit par là faire fa cour au
roi d'Efpagne. Ce Prince le retint auprès de fa perfonne -y ce
Tome VLIL Ce
ioj HISTOIRE
?5 qui donna % dit-on , beaucoup de jaloufie a tous les Miniftres
Henri de la cour d'Efpagne , & entr'autres à D. Chriftophle de Mo-
lli, ra , qui voyoit à regret qu'on fît honneur à un autre du fuc-
i cy n, ces d'une affaire qu'il avoit entamée. Ainfi de Mora , à la re-
commandation de la Cour , fut fait d'abord Chambellan du
Roi , & député enfuite en Portugal dans le tems dont je parle,,
en qualité d'Ambafladeur.
Les habiles Politiques croient que la plus lourde faute que
fit le roi D. Henri , dont le gouvernement avoit été d'ailleurs
ii pitoyable en tout le refle , fut de ne s'être pas relèrvé à lui
feul le droit & l'autorité fouveraine de fe nommer un fuccef-
feur • d'en avoir fait au contraire un problême , dont il étoit
permis de difputer fur les bancs -y enfin d'en avoir renvoyé la
connohTance aux juges , qui feroient choifis par les Etats du
Royaume , pour en décider. En effet il ne de voit pas ignorer
que ce ne font pas les opinions des Docteurs qui règlent le
fort des Royaumes • que la force les donne , & que c'eft cette
vertu-là feule , réglée fur des loix équitables , qui contribue
à les confcrver. Mais que devoit-on attendre autre chofe d'un
vieillard élevé dans la mollefTe , qui n'étoit pas né pour por-
ter une couronne ? Doué de toutes les vertus néceiïaires pour
faire un bon prêtre, ii n'avoit aucunes de celles qui contri-
buent à former un grand Roi , toujours guidé par les lumiè-
res d'autrui , & jamais capable de fe conduire par fon propre
génie , &; haïlFant conftamment tout ce qu'il avoit une fois
haï ; fans avoir jamais eu , même depuis qu'il fut monté fur
le trône , ni allez de grandeur d'ame pour perdre généreufe-
ment la mémoire y ni allez de force pour fè venger dignement
d'aucun outrage qu'il eût reçu. Auifi ne fut-il pas ménagé
lui-même j & comme on n'avoit pas pour fa perfbnne moins
de mépris que de haine , on ne craignit pas d'attaquer publi-
quement fa conduite. On l'accufoit de négliger le falut de
l'Etat ^ de vendre les charges j de perdre le tems à des ba-
gatelles 3 & de n'être pas en état d'entendre les affaires qui
méritoient fon attention , ou de ne fe pas foucier de s'y ap-
pliquer 3 de n'avoir pas fçû fe donnera lui-même un fuccef.
feur , fans prendre confeil de perfonne que de l'autorité fou-
veraine , dont il étoit revêtu ^ 6c d'avoir expofé le Royaume
à être déchiré par fes propres fujets , ou à fe voir la proye de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 203
*
Pétranger le plus puifïànt , en invitant lui-même tant de pré- - ' '"" :
tendans à la- Couronne , à difcuter leurs droits èc leurs pré- Hekr.i
tentions • enfin d'avoir mal pris Ton tems pour nommer des III.
Gouverneurs j et d'avoir par là fait naître une infinité de par- 1 579»
tis , qui mettoient le trouble dans l'Etat.
Ces murmures éclatèrent dans plulîeurs écrits anonymes
qui parurent dans le public. Le Roi lui-même en eut connoif .
fance $ et c'en: ce qui l'engagea à. preflèr vivement la conclu-
iion d'une affaire , qui auparavant avançoit affez lentement.
On le vit doncfemblable à un Roi de théâtre dont la fortu-
ne fait fon jouet , mettre fur la fcene la grande diipute du
droit des prétendans à la Couronne. Les ambafîadeurs de
Philippe joùoient le premier rôle dans cette comédie. Les
procureurs du duc de Savoye , de Ranuce Farnefe , & du duc
de Bragance , y faifbient enfuite leur perfonnage 3 &: ceux
qui défendoient le droit de D. Antoine étoient les derniers
de tous les acteurs. Ce Prince s'étoit rendu à Almada qui effc
de l'autre côté du Tage , à l'oppoiîte de Lifbonne j mais
Henri lui envova ordre de fe retirer à Crato , dans la crainte
que , s'il s'approchoit de la Capitale , l'inimitié qui étoit en-
tre lui &: le duc de Bragance , n'y fît naître quelque mouve-
ment. Le Roi ne l'aimoit point du tout, & il appréhendoit
qu'il ne fe fît quelque parti à la Cour , & fur-tout parmi le
peuple , qui par averfion pour tous les Princes étrangers qui
afpiroient à la Couronne , portoit hautement fes intérêts,
Ainfi quoiqu'il eût été cité au nombre des autres prétendans,
il ne put jamais obtenir du Roi la permiflion de le rendre à
Lifbonne, pour défendre fes droits en perfonne.
On commença d'abord par examiner le droit de la Reine
mère , qui , quoique fondé fur une prétention fort éloignée,
excluoit cependant. tous les autres. Pour le réfuter , les am-
bafTadeurs d'Efpagne difôient : Que comme ce droit étoit
prefcrit depuis lî longtems , cette PrinceiTe avoit tort de vou-
loir le faire revivre , fur-tout , puifque de tant de comtes de
Boulogne quiavoient fuccédé à Mathilde , il n'y en avoit pas
eu un feul qui eut penfé à inquiéter la famille régnante fur ce
fujet : Qu'en effet , à examiner le fond de cette affaire , on
trouveroit certainement que Mathilde n'avoit point eu d'en-
fans d'Alfonfe III. Que l'auteur qui avoit écrit que le jeune
Ce ii
ao4 HISTOIRE
fils de Mathilde étoic enterré à Lifbonne dans Féglife de S,
Henri Dominique , s'étoit trompé , &c avoir induit en erreur tous
III. ceux qui après lui avoient rapporté ce fait j que jamais cet en-
1 579' ^anr n'avo^c cxiftè ■> & clue quand même on fuppoferoit fa naif.
fance véritable , il paroilToit évidemment , & par l'âge & par
le lieu où il étoit mort, qu'il n'avoit point laiiîé depoftérité :
Qu'on pouvoir prouver d'ailleurs , que Mathilde n'avoit ja-
mais eu d'enfans du roi Alfonfe,tant par le teitament de cette
Princefîè , qui le trouvoit dans les archives publiques , èc où
elle ne fait aucune mention de Ces enfans , que par la requête
préfentée à Urbain V. par les Etats de Portugal après la more
de Mathilde , par laquelle ils fupplioient S. S. de lever l'in-
terdit qu'elle avoit jette fur le Royaume , & de déclarer les
enfans qu'Alfonfe avoit eus de la princeiTe Beatrix , héritiers
légitimes de la Couronne 3 ce qu'ils n'auroient certainement
pas demandé , fi Mathilde eût laifTé après elle quelques en-
fans : Qu'ainfi il s'enfuivoit delà , que ce Robert dontla Rei-
ne prétendoit tirer fon origine , n'étoit pas fils de Mathilde ,
mais de la princefîè Louife fa feeur.
Après avoir ainfi réfuté le droit de la Reine mère, il ne
reftoit plus qu'à détruire celui deD. Antoine, qui, s'il l'eût
prouvé , excluoit pareillement celui de tous les autres pré-
rendans. Henri obtint du Pape un Bref par lequel S. S. lui
permettoit de connoître de cette affaire j démarche dont
il fè repentit dans la fuite. D. Antoine produifit quatre té-
, moins qui affirmoient qu'il y avoit eu un vrai mariage entre
l'Infant D. Louis & la mère de ce Prince. Mais comme de
ces quatre témoins , deux avouèrent qu'ils avoient étéfubor-
nés par D. Antoine , &: qu'il les avoit engagés à force d'ar-
gent & de promefTes , à parler en fa faveur ^ & que les deux
autres étoient récufables , puifque la feeur de la mère en étoit,
& que fon rapport même n'étoit pas conforme à celui du troi-
lîéme témoin j comme d'ailleurs l'Infant D. Louis avoit re-
connu D. Antoine pour fon bâtard dans le teitament qu'il
avoit fait , Henri prononça enfin , &: déclara que D. An-
toine n'étoit pas légitime , lui défendant d'intenter jamais
aucune a&ion au fujet de fon état , & de la validité de ce ma-
riage prétendu , &: fe réfervant d'ailleurs à punir félon les
loix , & les faux témoins , & le Prince même qui les avoit fu-
• bornés.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 205
Cet arrêt n'empêcha cependant point encore les pourfui-
tes deD. Antoine. A la recommandation d'Alexandre For- Henri
mento Nonce du Pape , qui favorifoit fecretement Ton parti, 1 1 1.
il obtint de S. S. un nouveau Bref, par lequel ellerévoquoit 1579.
le premier , 6c ordonnoit au Roi , qu'elle f uppofbit avoir pafl
le Tes pouvoirs en prononçant fur cette affaire , d'envoyer à
Rome toutes les pièces du procès. Henri fut piqué au vif de
ce coup. Ce fut alors qu'il reconnut la faute qu'il avoit faite
d'avoir eu recours à l'autorité du Pape, pour décider de ce
fait , au lieu qu'il ne devoit fe fervir pour cela que du pouvoir
que le trône lui donnoit à lui-même. Aulîi lorfque ce nou-
veau Bref fut arrivé , 6c que ce Prince vit que le Pape ordon-
noit à fon Nonce & à George d'Almeyda archevêque de Lis-
bonne , de prendre de nouveau connoiflànce de cette affaire ,
il entra dans une fi grande colère , que le Nonce eut beau-
coup de peine àTappaifer. En même tems il cita D. Antoine
à comparoître devant lui comme criminel de leze-Majefté ->
6c comme ce Prince s'en défendoit le plus honnêtement qu'il
lui étoit poiîîble^ fur fon refus Henri donna ordre fur le champ
à Léonard de Caflelblanco grand Prévôt du Royaume , de
l'arrêter. Enfin voyant qu'on ne pouvoit s'en afîurer , il le
condamna comme contumax , 6c porta contre lui de fon au-
torité royale , & non pas comme délégué du Pape , un arrêt
fulminant par lequel il le déclaroit rebelle , défobéifîànt , &
perturbateur du repos public ; le privoit de fes biens , char-
ges , titres , 6c dignités , 6c le bannillbit du Royaume. D. An-
toine céda au reflèntiment de ce vieillard colère , pour ne pas
fe priver abfolument par une féconde defobéïfîance , du droit
de pourfuivre (es prétentions , 6c dans l'efpérance que fon ab-
fence ne ferviroit qu'à augmenter l'affection que le peuple
avoit déjà pour lui.
La conteftation ne rouloit donc plus qu'entre le roi d'Ef-
pagne , & les ducs de Savoie , de Parme , 6c de Bragance , qui
a force de vouloir rendre douteux le droit de leurs concur-
rens , faifoient qu'on ne voyoit pas trop.fi le leur à eux-mê-
mes étoit trop bien établi. Cependant comme après toutes
ces fcénes on ne décidoit rien , les uns 6c les autres prirent
le parti de drefTer des j unifications qu'ils envoyèrent au Pape5
6c aux autres princes Chrétiens,
Ce iij
M-l,l,lgll«U
20* HISTOIRE
Les Etats du Royaume , & fur- tout les habitans de Lif-
Henri bonne , profitèrent de cette occafion. Ils prétendirent que ,
III. puifqu'il ne reftoit plus aucun Prince de la famille royale ,
i S79. clin' Put accéder, 6c que le droit des prétendans étoit dou-
teux , ils fe trouvoient dans le cas , où de droit la Couronne
devient éle&ive ; & que par conféquent c'étoic à eux qu'il
appartenoit de fe choifir un maître. Ils ajoûtoient que c'étoit
ainfi qu'autrefois , loriqu'à la mort de Ferdinand le trône fe
trouva vacant faute d'héritiers légitimes , on vit la Cou-
ronne parler fur la tête de Jean le Bâtard , qui fut élu par les
Etats généraux du Royaume , &c qui étoit la louche de la fa-
mille régnante. Mais les Efpagnols répondoient que l'élec-
tion n'a point de lieu tant qu'il relie des héritiers légitimes j
que quand même on leur accorderoit que l'incertitude du
droit des parties rendît la fuccefîion vacante , il ne s'enfui-
vroit cependant pas que le droit de nommer un Roi leur ap-
partînt -j que cen'étoient pas les Portugais qui avoient fondé
les premiers le royaume de Portugal -y que c'étoit un démem-
brement de la Galice , que les rois d'Efpagne avoient fait en
faveur du comte Henri , &: que fes fuccelîeurs avoient depuis
aggrandi par leurs conquêtes j qu'ainfî , au cas qu'on voulût
foùtenir que le trône étoit vacant, il étoit jufte que le royau-
me de Portugal revînt à celui de Léon , eu égard à fon ori-
gine ; 6c qu'il y fût réuni , comme un membre qu'on en avoit
autrefois féparé.
Tel fut le premier a&e de cette comédie qui fut jolie allez
pafTablement. La fuite fut plus férieufe. Philippe qui avoit
réfolu de foùtenir fes prétentions par les voies de fait , ôc qui
comptoit beaucoup plus fur fa puifîance , que fur la juflice de
facaufe, de fur toutes les dédiions des docteurs , crut enfin
en avoir allez fait pour ménager la gloire de pour fauver fa
réputation. Perfuadé qu'il s'étoit allez prêté à la feene ridi-
cule que D. Henri avoit voulu jouer , il envoya ordre à fes
Ambafladeurs de lui demander audience ^ & le duc d'OlTone
portant la parole pour tous les autres , il le pria , puifque le
droit de fon maître étoit fi clair que ni S. M. ni perfonne ne
pouvoit plus en douter , de ne pas tarder plus longtems à le
déclarer fon fuccefleur , & d'obliger tous les Ordres du
Royaume à lui prêter ferment de fidélité. Il ajouta : Que
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 107
cette réunion alloit faire le bonheur du Portugal • que com-
me il faifoit partie de l'Efpagne , il ne convenoit à aucun Henri
Prince , fî bien qu'à celui qui portoit le titre de monarque de III.
ce grand Royaume : Que Philippe étoit Efpagnol de naifTan, 1579.
ce, &: par fa mère Portugais d'origine j qu'il avoit époufé
outre cela une princeiTe Portugailè j en forte qu'il étoit pro-
bable qu'il n'y avoit aucun de ces concurrens , dont les pré-
tentions n'étoient fondées que fur de foibles raifonnemens
tirés de leur droit à la fucceiîion , qui dût avoir à cœur plus
que lui le bien de cet Etat : Qu'autrefois l'Infant Michel for-
ti du roi Emmanuel & d'Ifabelle fille de Ferdinand d'Arra-
gon &: d'Ifabelle de Caftille , au défaut d'enfans mâles , avoit
été élevé dans l'efpérance de fuccéder un jour à tant d'EtatSj
&que dès-lors les Efpagnols s'étoient attachés à lui , & l'a-
voient refpe&é comme l'héritier préfomptif du Roi & de la
Reine fes ayeux : Qu'aujourd'hui , par un fortvcontraire ,
Philippe né d'une mère Portugaife, étant appelle de Dieu
à porter la couronne de Portugal dont il étoit l'héritier lé-
gitime , la nation ne dévoie pas à fon tour en recevoir aucun
mécontentement : Que le foin principal de tout prince Chré-
tien , èc fur-tout de S. M. qui dès fa plus tendre jeunefTe avoit
été élevée dans les exercices de piété , devoit être de rap-
porter toutes fes vues , tous fes vœux , èc fes defleins à la plus
grande gloire de Dieu , comme au feul but où dévoient ten-
dre tous ics defirs : Qu'il étoit confiant que la Chrétienté re-
tireroit beaucoup d'avantages de la réunion du Portugal
avec l'Efpagne ^ qu'elle faciliteroit à ces deux Royaumes ,
dont les forces feroient réunies , l'entrée des Indes Orienta-
les &: Occidentales , auffi bien que la conquête de l'Afrique,
dont ils occuperoient toute la côte , par tant de forts que les
Efpagnols & les Portugais y avoient autrefois élevés féparé-
ment , & qui par là deviendroient communs aux deux na-
tions $ qu'ils pourroient alors mieux que jamais porter le
nom de J. C. dans ces provinces éloigrîées, livrées aux té-
nèbres de l'erreur • repouffer avec vigueur les efforts àes In-
fidèles • arrêter leurs courtes , non ièulement fur l'Océan ,
mais même dans la Méditerranée 3 & portant la guerre juf-
que dans l'Afie, aller renverfer l'empire des Turcs , qui à
tous momens menacoient d'envahir l'Europe. Le Duc promit
io8
HISTOIRE
579
i— u l_ enfuite au nom de Ton maître , au cas qu'on voulût prendre
Henri les voies de la douceur , & le déclarer héritier préfomptif de
III. la Couronne fans l'obliger d'en venir aux armes , que ce Prin..
ce n'entreprendroit rien de contraire aux libertés , immu-
nités , & privilèges du Royaume , & de confirmer au con-
traire la nation dans tous lès droits } ajoutant que Philippe
n'auroit garde d'en ufer de la forte , & ne le pourroit pas me-
me, fi on le forçoit de fefervir des voies de fait. Il finit en fup-
pliant inftamment S. M. de faire attention aux intérêts de la
Religion , de l'Etat , & de la Patrie 5 de ne pas fe regarder
comme un juge établi pour décider entre des parties étran-
gères • mais comme un père qui veut régler lui-même le par-
tage de fes enfans -, & en cette qualité , de donner à Philippe
comme à l'aîné de fes fils , l'afTiirance d'un Royaume qui de-
voit lui revenir de droit , dès que le ciel auroit difpofé des
jours de S. M.
Après ce compliment qu'on pouvoit regarder comme une
honnête déclaration de guerre , Philippe fe difpofa réelle-
ment à faire tous les préparatifs néceflàires pour cela. Il écri-
vit à Inigo Lopez de Mendoça marquis de Mondejar, vice-
roi de Naples , &: à Marc Antoine Colonne viceroi de Sicile ,
de faire embarquer inceflàmment toutes les vieilles troupes
qui étoient en Italie , avec toutes les provifions nécefïaires ,
& de les envoyer fur les côtes de l'Andaloufie. Il envoya or-
dre aufîî au marquis d'Ayamonte gouverneur du Milanez,
de faire filer vers Gènes toutes les troupes qu'il avoit. En
même tems il pria Pierre de Medicis , frère de François de
Medicis Grand-Duc de Tofcane , de lui lever en Italie neuf-
mille hommes de pied , dont on donna le commandement a
Profper Colonne , Vincent CararFe, &, Charle Spinelli. Jérô-
me comte de Lodron reçut ordre de même de lever fix
mille Lanfquenets en Allemagne. Enfuite il commanda un
certain nombre d'Officiers pour aller par difFérens chemins
reconnoître toutes les avenues , par où l'on pouvoit entrer en
Portugal 3 les villes , places , forts , par où l'on feroit obligé
de paflèr -y leur fituation , la qualité du climat , les endroits
propres pour le tranfport des vivres , ou pour faire des cam-
pemens , afin d'en informer enfuite S. M. Ceux fur qui il jetta
les yeux pour cela , furent François de Valencia, Alfonfe de
Vargas,
Préparatifs
du roid'Ef-
pagne pour
porter la
guerre en
Portugal.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 10^
Vargas , Pierre Bermudes de Santis , Se Jean -Baptifte Anto- si
nelli, fameux pour les fortifications. Outre cela il manda à Henri
D. François d'Alaba , grand maître de l'Artillerie , de fe ren- III.
dre à Se ville, ôc d'y faire fa charge. Les Gouverneurs des i f 79,
places frontières eurent ordre de faire des magafins pour plu-
fîeurs moisj & Gabriel Nunno , D. Louis Enriquez , D. Fran-
çois de Valentia , D. Pedre d'Ayala, D. Martin d'Argote ,
Martin Moreno , 6c Rodrigue Zapata de Léon levèrent en
Caltille chacun un régiment. Enfin Philippe mettoit tout en
œuvre pour ne pas tomber dans la même faute qu'il avoit
faite dans la guerre de Grenade , 6c à la prife de la Goulette 5
c'eft-à-dire, pour ne pas fe laiffer prévenir^ ôd il aimoit mieux,
quoi qu'il pût lui en coûter , fe mettre en état de faire tête à
quelque événement que ce fût, que de manquer par épar-
gne la plus belle occafion qui pût fe prefenter de tout fon
régne.
Cependant il n'ignoroit pas que fa trop grande puiilance
donnoit de l'ombrage à toutes les Couronnes étrangères , &
qu'elles ne le verroient point fans jaloufie ajouter ce nouveau
Royaume dont il fe flatoit par avance, à tant d'Etats qu'il po£
fédoit déjà. Auffi cherchoit-il des prétextes pour cacher le
vrai motif de ces grands préparatifs. Il avoit fait publier qu'il
étoiten très-bonne intelligence avec le Cherif Mulei Hamecj
que leur defïèin étoit d'unir leurs forces pour attaquer Alger
de concert • 6c que pour l'intérêt public ils avoient réfolu
d'enlever cette place au Turc , afin d'affûrer la tranquillité
des côtes d'Efpagnc 6c de Barbarie. Ce Prince faifoit fur-tout
répandre avec grand foin ce bruit en Italie j 6c S. S. ayant de-
mandé plufïeurs fois à l'ambafïadeur d'Efpagne pourquoi
S. M. C. faifoit tant de préparatifs , ce Miniftre lui avoit tou-
jours répondu , que c'étoit pour chaflèr les Turcs de l'A-
frique.
Mais après le difeours du duc d'OiTone Henri ne pouvoir fe
diffimuler le defTein de tous ces préparatifs. Ce Prince étoit
extrêmement animé contre D. Antoine pour les raifons que
j'ai déjà rapportées. Il penchoit au contraire beaucoup pour
Catherine duchefTe de Bragance. Mais comme il la voyoit
hors d'état de faire tête à Philippe , il commença à s'ébran-
ler. Au refle ce ne fut point , dicton , à (qs Ambafîàdeurs , que
Tome VII h Dd
no HISTOIRE
_j le roi d'Efpagne'fut redevable de ce changement }& on afïure
Henri qu'il n'y eut que le Jefuite Léon Enriquez , confeireur de
III. Henri , qui lui rendit ce fervice. Ce père , en lui répe-
! cyo. tant fouvent qu'il alloit s'ouvrir le Royaume des Cieux, en
déclarant Philippe fon fuccefîeur pour la gloire de l'Eglife
Romaine 3 & lui reprefèntant vivement d'un autre côté tout
ce qu'il avoit à craindre , s'il refufoit de^Q rendre aux prières
d'un aufTi puijQant Prince, qui lui étoit d'ailleurs allié de fi
près, frappa l'efprit de ce vieillard également fuperftitieux ôc
timide , <k le détacha peu à peu des intérêts de la duchefle
de Bragance pour laquelle il étoit d'abord tout-à-rait porté.
Cependant comme il étoit encore en balance , ôc qu'il n'a-
voit pas abfolument pris fon parti y il ne voulut pas qu'on pût
croire qu'il eût été forcé à la démarche qu'on travailloit à
obtenir de lui ^ oc il réfolut de montrer du moins encore pen-
dant quelques jours qu'il étoit le maître. Ainfi fous prétexte
que D. Antoine intriguoit contre lui , & penfoit a troubler le
repos de l'Etat , il fit changer la garde du Palais , ne fe fiant
pas aux troupes que ceux de Lifbonne lui avoient offertes ,
parce qu'ils favorifoient le parti de ce Prince , & que par- là
ils lui étoient fufpe&s. Enfin follicité parle duc d'Ofïbne&:
D. Chriftophle de Mora , qui le prefîbient de déclarer Phi-
lippe fon fuccefîeur, il céda à leurs inftances. Mais il étoit
fort embarraiTé comment réparer la faute qu'il avoit faite , de
renvoyer à un autre tribunal que le fien la décifion d'une af-
faire , qui ne devoir dépendre que de lui feul. Ainfi pour évi-
ter un foulévement de la part du peuple , il voulut que le
traité qu'il fit avec les ambafiàdeurs d'Efpagne demeurât fè-
cret. Il y flipula qu'il y auroit certains offices de la Couronne ,
qui ne pourroient être remplis que par des Portugais natu-
rels ; & comme la pefte commençait à fe faire fentir à Lif-
bonne, il demanda du tems pour afTembler les Etats à Alme-
rin , afin d'y rendre publique la déclaration qu'il vouloit
faire.
Le traité fut aufïïtôt porté à Madrid , & Philippe en parut
afïèz content. Cependant il ne pouvoit approuver la réfolu-
tion de Henri , de ne vouloir le déclarer fon fuccefîeur que
dans une afïèmblée des Etats. Ce Prince connoifibit l'aver-
fion que la nation Portugaife avoit pour lui.Ainfi il prétendoit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. m
qu'il étoit inutile de demander Ton confentement, que ce-
lui du Roi feul fuffifoit j ou que s'il y avoir encore outre cela Henri
quelque chofe à défîrer , la dernière afïemblée des Etats y j j j
avoit pourvu j qu'ainfl c'étoit à Henri à faire ufage de fon au-
torité, & du droit qu'il avoit. Les ambaffadeurs d'Efpagne r *??'
étoicnt continuellement aux oreilles de Henri à lui répeter
ces raiïons. Mais ce vieillard inquiet n'étoit pas en état de les
entendre. Il perfifla dans fa réf blution , & convoqua les Etats
à Aimer in, perfuadé qu'en prenant chacun des députés en
particulier il viendroità bout de les engager à approuver Tes
intentions. En même-temsle Pape ordonna à Philippe Sega
fon Nonce à la cour d'Efpagne , de déclarer à Philippe , que
quoique S. S. fut perfuadée que les grands préparatifs qu'il
faifoit étoient deftinés à porter la guerre en Afrique ; cepen-
dant elle prévoyoit que la conteftation qui s'étoit élevée au
fujet de la fucceffion à la couronne de Portugal , pourroit faire
naître quelques brouilleries -y qu'ainfi elle avoit cru qu'il étoit
de fon devoir d'intervenir dans cette affaire, 6c qu'elle prioic
S. M. C. de remettre ce différend à fa décifion. Le roi d'Eu
pagne, par le confeil de D. ]uan de Silva, parut d'abord
prendre fort bien les foins que le Pape fe donnoit. Il amufa
le Nonce par différentes remifes jufqu'à ce qu'il eût con-
clu avec Henri. Mais lorfque l'affaire fut terminée , il leva le
mafque , & il déclara que fon droit étant aufïï manifefte , &
Henri appuyant fî clairement la juflice de fes prétentions, il
ne croyoit pas qu'il fut néceffaire que S. S. fe donnât la peine
de s'inquiéter de cette affaire • qu'au refte il lui étoit obligé de
ihs foins , 6c qu'il étoit très-difpofé à implorer fon fecours , au
cas qu'il arrivât quelque incident qui méritât qu'on eût re-
cours à fon autorité.
Philippe, qui ne vouloit point que les Princes étrangers en-
trafTent dans ce différend, n'étoit pas bienaife non plus que
le Pape fe mêlât de fes prétentions. Ce fage Prince étoit per-
fuadé , que d'accepter dans cette occafion la médiation de
S. S. c'étoit non feulement rendre douteufe dans les circon-
ftances la juftice de fes prétentions , mais même donner at-
teinte pour la fuite à l'autorité royale, 6c reconnoîtreen quel-
que forte le Pape pour le juge 6c l'arbitre des têtes couron-
nées. Ainfl comme il étoit fur de la décifion de Henri, 6c
Ddij
in HISTOIRE
" préparé à tout événement , il fe repofoit fur Tes forces , & at-
Henri tendoit tranquillement le iuccès des Etats , qu'il n'avoit pu
III. empêcher.
j^o, Cependant ceux qu'on avoit commandés pour aller recon-
noître le païs étoient de retour. Bermudes de Santis, qui
étoit entré en Portugal par la Galice , afluroit qu'on pou-
voit aifément faire pa-fler un armée jufqu'à Lifbonne par
Ciudad Rodrigo. De Vargas , qui avoit pris un chemin tout
oppofé , étoit d'avis que l'armée prît fa marche le long du
Tage , & entrât par (i) Badajoz. Valentia rapporta que de-
puis Ayamonte le chemin étoit aifé jufqu'à Lifbonne , en pre-
nant par les Algarves. Il ajouta que la rlote pourroit cepen-
dant remonter la Guadiana jufqu'à (2) Mertola, 6c qu'ainfî
l'armée navale quiporteroit les proviiîons, ne feroit jamais
éloignée de celle de terre que de neuf lieues. Enfin Antonelli
conleilla de prendre par Badajoz , & de marcher de-là à Se-
tubal , autrefois appellée Cetobrige , alliirant que la route
étoit aifée , &: fur-tout très-commode pour les voitures &
pour l'artillerie. D'autres vouloient qu'on fît entrer une ar-
mée par la Galice. Enfin comme les avis étoient partagés ,
on ré fol ut qu' Antonelli iroit viflter toute la frontière , & de-
puis la Galice jufqu'à Ayamonte, pour voir s'il y découvrir
roit quelqu'avenuë par où on pût entrer fûrement en Por-
tugal.
Sur ces entrefaites il arriva un incident qui fît connoître le
nom desGouverneurs nommés par Henri, qu'on avoit jufques
alors tenu fi fecret.Ce Prince ayant fait un voyage à Almerin
fur la fin de Novembre , il y tomba malade 3 & dans une foi-
bleflè qui lui prit, on crut fi bien qu'il n'en reviendroit point,
qu'on envoya furie champ chercher la cafTette qui avoit été
mile en dépôt dans la cathédrale de Lifbonne. On l'ouvrit, &:
on trouva que ceux qui avoientété choifispour Gouverneurs
pendant l'interrégne,étoient George d'Almeyda archevêque
de Liibonne, D. François de Saa Camarero Mayor , D. Juan
Tello , D. Juan de Mafcarennas , & D. Diegue Lopez de
Sofa,PréfidentduconfeiI de Juftice. On les obligea aufïïtôt
de faire ferment de gouverner l'Etat conformément aux
( 1 ) C'eft l'ancienne Pax Augnfta.
( * ) On prétend , dit M. de Thou ,
que cetre ville eft l'ancienne JhU»
Myrtilim*
DEJ. A. DETHOU,Liv. LXIX. 213
intentions du Roi. Cependant dès que ce Prince Fut revenu à ^^
lui, comme il étoit réfolu de nommer Philippe pour fon fuc- Henri
cefîèur , il lit partir pour Villaviciofa Paul Alfonfe , avec or- III.
dre de dire de fa part à la duchefïè de Bragance , que comme 1579.
il avoit trouvé que le droit de Philippe à la Couronne etoit
le mieux fondé , il avoit réfolu de le déclarer fon fuccefïèur 5
qu'il l'en avertilïoit , afin que là-defïus elle prît {es mefures , &
s'accommodât de bonne heure avec ce Prince.
Cependant le terme marqué pour la tenue des Etats ap-
prochoit ; & les fentimens étoient fort partagés au fujet d'un
fuccefïèur. D. Antoine avoit (es partifans. On étoit touché
de le voir devenu la vi&ime de la mauvaife humeur de fon
oncle. Après tout il étoit le feul rejetton qui reftât de la fa-
mille Royale 3 & quoiqu'il ne fût pas légitimé, c'etoit cepen-
dant une raifon de l'élever fur le trône , afin d'empêcher que
la Couronne ne paiïat à des étrangers. Il avoit pour lui, di-
foit-on , tout le Clergé &. tout le peuple ; &: il n'y avoit que
l'efpérance ou la crainte qui portaient la Nobleflèà s'oppo-
fer à les prétentions. Ainii pour l'engager à prendre fon parti ,
il n'y avoit qu'à lui ôter ces deux motifs. Or II feroit aifé d'en
venir à bout , Ci on étoit bien uni • de pour cela , ajoûtoit-on ,
il falloit feulement faire époufer à D. Antoine la fille de la
ducheflè de Brag-ance. Par-là on fatisferoit également ces
deuxprétendans,6c on mettrok à couvert la gloire du nom
Portugais , en aflurantla tranquillité publique. Mais- les gens
fages raifonnoient autrement. Comme ils ne mefuroient le
droit desprétendans que fur le plus ou le moins de puiflance
qu'ils avoient , ils étoient plus portés pour Philippe. La No-
blefle fur- tout , qurdans une révolution étoit la plusexpofée,
parce qu'elle avoit des biens &c des charges à perdre , inquiète
de l'événement , étoit abfolument déclarée pour lui. Enfin
on difputoit beaucoup pour & contre -y & comme dans les
converfations particulières il fe tenoit à ce fujet des difeours
qu'il n'auroit pas toujours été fur de communiquer de vive
voix à tout le monde , on faifoit part au public de les fenti-
mens par des libelles anonymes.
Outre leur droit , les Espagnols reprefentoient les grands
avantages que l'univers Chrétien , éc la nation Portugaise
en particulier, retireroient de la réunion du Portugal avec
Ddiij
2i4 HISTOIRE
- l'Efpagne. Au contraire ils grofîiflbient le danger qu'il y auroîc
Henri pour elle à s'y oppofer. Car qui pourroic , difoient-ils , réfiffer
III. à l'Efpagne , qui ne prenoic les armes que pour mettre la
j c 7 « France dans les fers , triompher de l'Empire , battre le Turc ,
délivrer Malte des efforts impuifians des infidèles ,6c dhTiper
fes ennemis • & cela dans le tems qu'elle étoit épuifée par la
guerre qu'elle foûtenoit depuis il long-tems en Flandre? Com-
ment donc , ajoûtoient-ils , le Portugal oferoit-il penfer qu'il
fût en état de lui faire tête ? Mais quand même il pourroit en
concevoir le defTein , quel en feroit le fuccès ? Les petits rois
des Indes proflteroient cependant de cette occafionpour ren-
trer en polîèffion des côtes de leurs Etats dont les Chrétiens
s'étoient rendus maîtres ^ les Mores leur enleveroient les pla-
ces qu'ils avoient en Barbarie -y les François &c les Angiois
s'empareroient des ifl.es j & l'on verroit cet Etat fi floriflant
devenu malheureufement la proie de toutes les Nations , qui
s'en approprieroient quelque lambeau , à la honte du nom
Chrétien,^: au grand dommage de toute laChrétienté. Outre
cela ils ne manquoient pas , félon leur coutume , de dire beau-
coup de mal des François^ car jamais les Efpagnols n'ont per-
du la moindre occafion de nous maltraiter.
On répondoit cependant à ces écrits par des libelles con-
traires. On faifoit voir qu'après tout les Efpagnols n'étoient
pas fi terribles ^ qu'ils étoient puhTansau dehors j qu'ils entre-
tenoient des garnifons nombreufes ; mais que chez-eux ils
n'étoient pas fi à craindre , que la ftérilité du païs ne leur per-
mettoit pas d'y entretenir une armée , & qu'il leur étoit im-
pofîible de la mettre aifément en marche , à caufe des che-
mins impraticables dont ce Royaume était rempli , qu'on en
avoit une preuve bien remarquable dans la dernière guerre
de Grenade, qu'elle avoit duré trois ans, quoique les Efpa-
gnols , appuyés de toutes les forces étrangères, qu'ils avoient
appelléesà leur fecours , n'eufïènt qu'une poignée d'ennemis
à combattre , & qu'au bout de ce tems-là même elle n'avoit
pu être terminée que parle moyen des traîtres qu'ils avoient
jfubornés pour fe défaire de leurs chefs. Que Philippe faifoit
montre de fes forces comme d'un épouvannail j mais que s'il
falloit en venir à l'exécution , ce Prince étoit trop fage pour
ne pas faire attention à ce qu'il auroit à craindre , tandis
DE T. A. DE THOU, Liv. LXIX. 215
./
qu'outre la guerre de Flandre il auroîc encore celle-ci fur les
bras , tant du coté des Mores , que de la France , de l'Angle- Henri
terre , & même de l'Italie , qui au bruit de ces mouvemens ne III.
manqueroit peut-être pas de le révolter. 1 f 79.
Voilà ce qui fe publioit de part & d'autre j & ce qu'il y a
d'étonnant , c'eft que dans cette diverfité de fentimens ,
les uns & les autres fembloient prendre un parti tout oppofe à
leurs intérêts. En efFet par la réunion des deux Royaumes il
paroifToit que la Noblefîe ne pouvoit manquer de perdre cette
ancienne fplendeur que lui donnoientles charges qu'elle rem-
pli Mbit , & d'être confondue avec la multitude. Cependant
l'incertitude du fuccès la faifoit pencher du côté de Philippe.
Le peuple au contraire , &: le Clergé , qui effc en grande par-
tie compofé du peuple , malgré tous les avantages confidéra-
blés qui dévoient fûrement leur revenir de ce changement ,
aveuglés par Paverfîon qu'ils avoient mal-à-propos pour une
domination étrangère , s'obitinoientmalheureufement àioû-
tenir le parti de D. Antoine.
Philippe cependant , qui fçavoit qu'il n'avoit affaire qu'à
un clerc, car c'eft le nom que D. Juan de Silva donnoit or-
dinairement au roi Henri, à un peuple cront la langue étoit
plus à craindre que tout le refte , &: à un Royaume fans places
fortes , fans préparatifs de guerre , & prefque fans argent de-
puis la malheureufe expédition d'Afrique,prefToit par Îqs Am-
bafîadeurs l'exécution de la promeflé fecrete que Henri leur
avoit faite. S'il l'obtenoit , il avoit ce qu'il fouhaicoit. Au con-
traire , au cas qu'on lui refufât, c'etoit pour lui un prétexte
légitime pour commencer une guerre à laquelle il s 'étoit fi
bien préparé.
Nous fommes enfin arrivés à l'année 1580. époque bien 1 ego,
mémorable par les grands événemens dont elle fut marquée,
mais fur-tout bien fatale au Portugal , non feulement à caufe
de la guerre funeftedontil fut le théâtre ^ mais encore à caufe
de la pefte , qui fit fentir {qs ravages principalement à Lif-
bonne. On en mouroit aiuTitôt que l'on en étoit attaqué, fans
qu'on eût d'abord aucun remède certain pour oppofer à la
contagion. Enfin on employa les lénitifs avec fuccès ; & plu-
sieurs perfonnesfe trouvèrent très-bien de s'être fervies de la-
corne de Licorne , & de la pierre de Bezoard. On ne voyoit
n6 HISTOIRE
: i i ' "' . dans la ville que des cadavres ; &; les cimetières en étoient
Henri fi remplis , qu'on écoic obligé d'aller les enterrer dans la cam-
III. pagne. Cependant la négligence des Magiftrats étoit extrê-
1580, me- Quoique la ville foit d'elle-même fort mal propre, ils
n'avoient loin , ni de faire nétoyer les rues , ni de marquer les
maifons fufpedes , ou de faire vuider celles qu'on fçavoit être
déjà infectées. Cette capitale devint deferte , & il n'y eut que
les pauvres & la plus vile populace qui y reftérent. Enfin la
contagion , qui avoit commencé dans le printems , & qui pen-
dant tout l'été avoit été très-violente , commença vers l'au-
tomne à devenir moins redoutable.
La ville de Lifbonne avoit nommé pour Ces députés aux
Etats D. Emmanuel de Portugal, & D. Diegue de Salerïa.
Mais Henri défendit qu'ils y parufient. Il les traita au con-
traire comme des féditieux , &; déclara qu'ils étoient indignes
de pofléder jamais aucunes charges. Ainfi on nomma en leur
place Febo Murïiz, & D. Emmanuel de Sofa Pacheco. Sa-
lerîa s'étoit attiré la haine du Roi par un feul mot. Comme il
demandoit à ce Prince pourquoi il avoit terminé l'affaire de la
fucceflion à la Couronne , fans confulter le peuple auparavant,
Henri lui ayant répondu que cela pafibit la portée du peuple :
>j Pourquoi donc, répliqua fièrement Salerîa , n'en jugiez-
» vous pas ainfi lorfqu'il vous éleva fur le trône ? « Or c'etoit
cette repartie, non feulement libre, mais même infolente ,
qui avoit piqué Henri. Durefte ce Prince fe défioit en géné-
ral de toute la maifon de Portugal. L'origine de fes foupçons
venoit de Jean de Portugal évêque de la Guarda. C'étoit un
homme très-haut , qui avant que Henri montât fur le trône
avoit plufieurs fois marqué pour lui beaucoup de mépris.
Convaincu parce Prince de mener une vie déréglée , il avoit
eu ordre de palier à Rome ; & dans fa route il s'étoit un peu
écarté pour aller faluer Philippe. Mais n'ayant pu obtenir
que ce Prince lui fit cet honneur , il conçut depuis une haine
mortelle contre les deux Rois. Ainfi n'ayant pu faire entrer
fon frère Al fonfe dans les projets qu'il avoit formés contre-
çux , il y engagea du moins François fon neveu comte de Vi-
miofo avec toute fa famille 3 èc il leur perfuada d'appuyer au
contraire le parti de D.Antoine, ce qui fut l'origine de fon
malheur.
Çnfîtî
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 117
Enfin le 9. de Janvier , Antoine Pineyro évêquede Ley-
ria fie l'ouverture des Etats par un difeours fort éloquent , Henri
dans lequel il leur expofa le lujet pour lequel S. M. les avoit III.
aflemblésj fçavoir pour prendre leurs avis au fujetdufuc- 1 c 80»
cefïeur qu'il étoit réfolu de fe donner. Dom Emmanuel de
Sofa Pacheco , portant la parole pour tous les Députés , re-
mercia S. M. de ce qu'elle vouloit bien confulter la Nation
fur une affaire de cette conféquence , après quoi on fe retira -t
& les Députés eurent ordre de pafïèr à Santaren { 1 ) , au-delà
du Tage. Là ils s'affembloient pour tenir leurs délibéra-
tions dans l'Eglife de faint François. Cependant le bruit s'é-
tant répandu , que Henri étoit difpofé à nommer Philippe
pour fon fuccefTeur , on ne fçauroit croire quelle révolution
cette nouvelle caufa dans tous les efprits, fur-tout à Conym-
bre, où on parloit ordinairement du droit que Dom Antoi-
ne avoit à la Couronne , avec beaucoup trop de liberté. Le
Roi y envoya Martin Correo de Silva pour arrêter ce défor-
dre, mais ce fut inutilement 3 & Arias Gonzalez de Macedo
fyndic de cette ville fut même mis en prifon à cette occafîon.
Cependant on le relâcha auflitôt après.
Au bout de quelques jours l'évêque de Leyria fe rendit
à l'aflèmblée du tiers Etat de la part du Roi, &. il leur fit
entendre , que Philippe avoit plusieurs fois prefîé S. M. de le
déclarer fon fuccefleur : Que cependant elle avoit toujours
différé de le faire jufqu a ce qu'elle fût parfaitement inftruite
du droit des Prétendans à la Couronne : Qu'en effet depuis
ce tems-là elle avoit donné tous Ces foins à éclaircir cette
affaire ; qu'après avoir pefé mûrement &; examiné les raifons
qu'on alléguoit de part &c d'autre, après avoir pris là-deflus
l'avis des gens les plus habiles , elle avoit trouvé enfin que
tout le différend rouioit entre le roi d'Efpagne 6c la ducheflè
de Bragance ^ & que comme il étoit dangereux pour plu-
sieurs raifons de vouloir prononcer entre ces deux concur-
rens , il ne reftoit qu'un parti à prendre, qui étoit , d'accom-
moder cette affaire à l'amiable : Qu'en conféquence S. M. les
prioit de délibérer entr'eux fur cette matière , afin qu'aidée
de leurs avis elle put terminer ce différend de la manière la
plus avantageufe pour la gloire de Dieu, & pour l'honneur
(1) Ceft la ville nommée par les anciens Scalabis , ou bien Julium pr&fidium-
Tome VIIU Ee
2i8 HISTOIRE
■5 6c la paix du Royaume. Cette nouvelle furprit d'autant plus
Henri les Députés , qu'ils s'y étoient moins attendus. En effet ils
III. s'étoient imaginés que le Roi n'avoit point encore pris deré-
1580. Solution , & qu'il s'agifloit feulement alors de fçayoir , s'ils au-
roient voix ou non , dans la décillon de cette affaire. Ainfi ils
députèrent fur le champ à S. M. Febo Muniz , pour la fup-
plier de vouloir bien les confulter fur le choix qu'elle vouloit
faire. Ce Député s'acquita de fa commiffion avec tant de
violence , & même de hauteur , que le Roi en fut indigné.
Il le reprit afîez vivement de fon peu de modération j mais
Muniz en avouant qu'il avoit tort, ajouta que fa vivacité
étoit cependant excufable , puifqu'elle n'étoit pas fans fonde-
ment : Qu'ils s'appercevoient que S. M. étoit réfoluë de nom.
mer pour fon fuccefîéur un Efpagnol , & non un Portugais :
Que c'étoit-là , ce qui non-feulement excitoit leur colère 3
mais même les jettoit dans le défefpoir : Qu'ils lui deman-
doient un Maître , quel qu'il fût 3 mais que puifqu'ils étoient
defHnés à obéir après fa mort à celui qu'elle nommeroit ,ils
fouhaitoient que ce fût un Portugais.
Mais un nouvel ordre qui leur vint peu de tems après,
acheva de les confondre. L'Evêque de Leyria fe rendit une
féconde fois à leur aflèmblée , & leur déclara delà part du
Roi , que s'ils ne terminoient pas au plutôt cette affaire par
un accommodement , S. M. étoit réfoluë de prononcer in-
ceffamment. Animés plus que jamais à cette nouvelle, ils fe
rendirent à l 'afïèmblée des autres Ordres , & requirent qu'ils
fe joignirent à eux , puifque l'intérêt dont il s'agifloit les
regardoit tous également. Enfin le Roi voyant qu'il y auroit
de l'imprudence à fe déclarer , tandis que les efprits ièroient
dans cette difpofition 3 & ne pouvant d'ailleurs ni perfuader
aux Députés de fonger à quelque accommodement , ni venir
à bout de réduire cette affaire à la décifion de quelques Com-
miflaires , comme il l'auroit fouhaité , fe rendit à la demande
du tiers Etat, de donna trois jours aux Députés pour pro-
duire les raifons pourquoi ils demandoientàavoir droit de
fuffrage dans le choix qu'il s'agifïbit de faire.
Mort du roi Ravis d'avoir obtenu ce point , parce qulls s'imaginoient 5
de Portugal, qUe par-là ils alloient être les maîtres de fe donner un Roi ,
les Députés vont trouver S. M. la remercient de la grâce
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. ir?
qu'elle leur avoir accordée, & la prient de leur permettre de ' "
tirer des extraits des regiftres publics , & de prolonger encore Henri
de deux jours le terme qu'elle leur avoit donné. Le premier III.
article fut accordé ; pour le fécond, Henri le leur refufa. i 580.
Cette conduite donna de nouvelles efpérances à Dom An-
toine & au duc de Bragance. Ils ranimèrent chacun leur
parti , & rirent fcavoir à ceux qui leur étoient attachés , qu'il
ne falloit pas encore fe défefpérer. Mais leur joïene fut pas
de longue durée. Le dernier jour de Janvier vers minuit, à
l'heure & au moment , que Henri avoit prédit , il tomba en
foibleiTe, en même tems que commençoitune éclipfe de Lune,
6c à la fin de l'éclipfè il mourut. Quelques curieux remar-
quèrent , qu'il étoit né à la même heure , il y avoit foixante
éc huit ans.
Ce Prince, que le malheur des tems avoit élevé fur un
trône , qu'il n'étoit pas en état de foûtenir , étoit devenu
autrefois méprifable , lorfque pendant la minorité du jeune
roi Dom Sebaftien , il avoit été Régent du Royaume 3 & il
fe rendit odieux aufîitôt qu'il fut Roi lui-même. Enfin après
dix-fept mois de régne , il laiiTa fa Couronne moins à celui des
Prétendans qu'on reconnoîtroit pour héritier légitime , qu'à
quiconque feroit allez puilfant pour s'en emparer.
A peine Henri avoit les yeux fermés , qu'on ouvrit fon
teftament , qu'il avoit fait huit mois auparavant. On y trou-
va , qu'il laiiToit la Couronne a celui des Prétendans qui ,
après un examen juridique de fes prétentions, en feroit dé-
claré l'héritier légitime, à moins que lui-même avec con-
noiflànce de caufe n'en eût déjà décidé avant fa mort. En-
fuite on lut l'article qui regardoit les Gouverneurs du Royau-
me. Ce Prince leur donnoit pendant l'interrègne le pouvoir
de créer des Ducs, des Comtes, des Marquis, de donner
l'inveftiture des Archevêchés &; des Evêchés, de nommer
aux Commanderies & aux autres Bénéfices qui auroient plus
de cent vingt-cinq ducats de revenu, & de diipofer des Fi-
nances , mais en cas de guerre feulement.
Cependant le tiers Etat députa aux Gouverneurs , pour
leur rendre fes devoirs. Celui qui fut chargé de cette commit
fion étoit Martin Gonçalez de la Gomara, que le roi Dom
Sebaftien avoit autrefois fait entrer dans le gouvernement ,
Ee ij
220 HISTOIRE
- mais à qui on avoic ôcé fa charge à caufe de fa févérîté 6c de
Henri fon inflexibilité naturelle. Du refte il étoit déclaré contre
III. le parti de Philippe , &; c'en étoit allez pour le rendre agréa-
158c. b-le au peuple. Ce Député demanda aux Gouverneurs au
nom du corps qui l'avoit envoyé : Qu'ils quittancent Almerin ,
&; paflàflent à Santaren : Que pour diminuer la dépenfe , ils
congédiaient les nouvelles troupes que Henri avoit levées
pour fa garde 1 Qu'ils fortifiaiTent les garnifons des places
frontières : Qu'ils envoyaient une ambailade au Pape , pour
fupplier fa. Sainteté d'interpofer fon autorité , pour empê-
cher Philippe de déclarer la guerre au Portugal : D'en en-
voyer une autre à ce Prince , pour le prier de n'en point venir
aux voyes de fait , & l'afTurer qu'on auroit égard à la juftice
de les prétentions : Enfin qu'ils puniflént févérement ceux
qu'on trouveroit faire des brigues , & chercher à corrompre
rintéerité des fufFrao-es.
Les Gouverneurs répondirent à cette requête : Qu'ils
av oient réfolu de fortir incefTamment d'Almerin ; mais qu'ils
n'avoient point encore pris de parti fur le lieu où ils fe reti-
reroient , 8c qu'il n'étoit pas encore à propos qu'on en fut
inftruit : Qu'au refte il ne leur étoit pas pofTible de congédier
les troupes levées par le roi Henri , parce qu'elles leur étoient
néceflaires pour leur propre fureté , Oc pour celle des Préten-
dans ; Qu'un de leurs premiers foins feroit de renforcer les
garnifons fur la frontière : Qu'ils avoient nommé pour aller
en ambaflàde vers Philippe Pévêque de Conymbre , ôc Dom
Emmanuel de Melo : Que pour ce qui étoit du Pape , ils ne
croyoient pas qu'il fût néceflaire pour le prefent de lui en^
voyer des AmbafTadeurs : Enfin qu'ils s'engageoient à punir
avec la dernière rigueur ceux qui feroient des brigues , ou qui
employeroient quelque mauvais artifice que ce fût , pour ga-
gner des fufFrages. FeboMuniz avoit aufîi demandé d'abord
qu'on révoquât trois des Gouverneurs qui lui paroiffoient
fufpe&s , 6c qu'on les remplaçât par d'autres. Mais le Dépu-
té s'y oppofa. Il reprefenta , que dans les circonftances il étoit
dangereux de vouloir faire aucun changement , 6c il fut ré-
10 lu de ne rien innover.
Le duc de Bragance& Pévêque de Parme, s'étoient déjà
r.endus auprès des Gouverneurs 3 6c chacun de leur côté x ils,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. ni
faifoient inftance pour obtenir une décifion. Les ambafla- r
deurs du roi d'Efpagne preffoient auiîi qu'on prononçât en Henri
faveur de leur Maître. Enfin Dom Antoine reparut aufïï fur III.
ces entrefaites 3 après s'être tenu quelque tems caché pour i <8o.
fe foufbraire à la colère de Henri , il s'étoit rendu fecrétement
à Lifbonne. Mais comme on difoit qu'il commençoit déjà à
fè faire beaucoup de partifans parmi le peuple , les Gouver-
neurs lui envoyèrent ordre de fortir inceiîamment de la ca-
pitale ■ & il fe retira à Almada. De là , il écrivit aux Gou-
verneurs 6c aux Etats , des lettres datées du Monaftére de
Belem , parlefquelles il fe juftifioit d'être entré dans la capi-
tale fur le defir qu'il avoit de rendre au Roi fon oncle les der-
niers devoirs. Enfuite il leur recommandoit très-fortement
fès intérêts, 6c leur offroit les très-humbles fervices, pour
travailler avec eux de concert à maintenir la tranquillité de
l'Etat.
Avant même la mort de Henri , Antonelli étoit déjà de Les Efpa-
retour à la Cour d'Efpagne , & il avoit été enfin réfolu de ?n°!s fe, dif*
faire entrer une armée en Portugal par Badajoz , & de mar- fr° r "^Por-
cher de là droit à Setubal , tandis que l'armée navale abor- tugaî-
deroit au port de Lifbonne. Comme c'étoit la capitale & la
place d'armes des Portugais, il falloit d'abord s'en afTûrer ,
après quoi onfèroit bientôt maître de toutes les autres places
du Royaume. Cependant l'artillerie & les chariots dévoient
fuivre par l'Eftramadure , païs fertile èc abondant 3 & les
Alcaides Tejada , 6c Valladares Sarmiento furent chargés de
les conduire. En même tems tous les Seigneurs qui avoient
quelque gouvernement fur la frontière de Portugal , reçu-
rent ordre de lever des troupes dans le païs qui leur étoit
fournis, 6c de fondre de toutes parts fur ce Royaume. Dom
Pedre de Cafhro comte de Lemos & Gafpard de Fonfeca
comte de Monterey , dévoient donner du côté de la Galice 3.
Dom Garcias Sarmiento 6c Ferdinand de Monténégro ,
avoient ordre de s'emparer de l'Ifle qui eft à l'embouchure du
Minho j Dom Juan de Pimentel comte de Benavente &
Dom Diegue de Tolède comte d'Albe , d'entrer par les mon-
tagnes 3 Beltran de fa Cueva duc d'Albuquerque 6c Fernand
Enriquez marquis de Villanova , de faire partir leurs trou-
pes de l'Eftramadure * Dom François de Çuïiiga duc de Bejar
Ee iij
222 HISTOIR.E
■ & Dom Alïbnfe de Gufman duc de Médina Sidonia,avec
Henri les marquis d'Ayamonte &c de Gibraleon , dévoient encrer
III. par Seville dans les Algarves j enfin Dom Juan de Pacheco,
1580. marquis de Ceralvo étoit chargé de marcher vers Beja ou
Vera , autrefois appellée , Pax Julia.
Cependant auilitôt que Philippe eut appris la mort de
Henri , il écrivit fur le champ aux Gouverneurs , aux Etats
6c à la Chambre de Lifbonne des lettres à peu près fembla-
bles , par lefquelles il leur demandoit , puifque ion droit étoic
manifeite , de le reconnoître inceflamment pour leur Roi ,
conformément aux intentions du roi Henri ion oncle j leur
déclarant, que s'ils obéïiïbient fans délai, il étoitprêtde
leur confirmer la poflèfTion des libertés & privilèges , dont ils
joùifïbient fous le régne du roi Emmanuel fon ayeul , &; de
leur en accorder même de nouveaux , s'il étoit befoin : que
ii au contraire ils refufoient de fe foûmettre , il étoit réfolu
de les y contraindre les armes à la main ; qu'ainfi c'étoit à eux
de fe confulter là-deflus , &: de prendre le parti qui leur con-
viendroit.
Les uns & les autres ne répondirent à ces lettres que par
des fupplications , & en priant S. M.C. de n'en point venir
auxvoyes de fait, &: de fufpendre l'exécution de fes defleins
jufqu'à ce qu'elle eût entendu les Ambafladeurs qu'ils lui en-
voyoient. Philippe Sega nonce du Pape voulut encore en
cette occafion intervenir au nom de fa Sainteté. Mais Phi-
lippe l'amufa comme la première fois , &; n'en devint que
plus vif à preiïer la conclufion de fes projets. Ainfi les trou-
pes , que Fabrice Colonne , qu'une maladie enleva fur ces en-
trefaites, & Dom Juan de Cardone lui amendent d'Italie,
étant déjà débarquées à Cadix , il leur afligna des logemens,
aux Efpagnols dans le territoire de Cordouë , aux Allemans
proche de Xeres , aux Italiens aux environs de Seville , &:
aux pionniers proche d'Alcala del Rio.
Il ne manquoit plus à une ii belle armée, qu'un bon Général.
Philippe après avoir long-tems balancé, fe détermina enfin
en faveur de Ferdinand Alvarez de Tolède duc d'Albe. Il
étoit encore à Uzeda , où le Roi l'avoit relégué pour les
raifons que j'ai rapportées ailleurs. Ce fut-là que Gabriel de
Zayas à Jean Delgado iècretaire de Philippe , allèrent lui
DE T. A. DE THOU, Liv. LXIX. 213
J c
annoncer de fe rendre au camp devant Erena dans l'Eftrama- ;
dure , & d'y attendre les ordres de S. M. Ce grand Capitaine Henri
célèbre par mille exploits fameux , étoit enfin devenu odieux III.
à Philippe h foie que ce Prince fût jaloux de la gloire du Duc , 1580.
prix ordinaire que les gens de mérite reçoivent de leurs vertus
à cette Cour h foit qu'il ne pût fupporter fon fafte &; fes hau-
teurs. Car pour ce qui eft de la faute que fon fils avoit com-
mife, de dont on le croyoit lui-même complice, c'étoit fi
peu de chofe , qu'une offenfe auffi légère ne pouvoit l'empor*
ter fur tant de fervices qu'il avoit rendus. Quoi qu'il en foit,
ce Duc fupportoit fort impatiemment fon exil, Le Pape, plu-
sieurs Princes étrangers , beaucoup de villes d'Efpagne , s'é-
toient intéreflèes pour lui , &; avoient demandé fà grâce inu-
tilement. Ainfi voyant que rien ne pouvoit fléchir la colère
de fon Maître , il fouhaitoit qu'il fe préfentât quelque grand
événement qui pût le tirer de fon exil, &; lui donner occa-
fîon d'ajouter encore à tant de vtdoires remportées quelque
fervice confidérable , capable de relTufciter fa gloire , qui
commençoit à s'enfévelir dans l'oubli , & de lui rendre les
bonnes grâces de fon Souverain. La mort du roi DomSebaf.
tien lui avoit paru un de ces coups favorables qu'il atten-
doit. Depuis qu'on en eut appris la nouvelle , il ne cefToit de
folliciter S. M. C. foit par fes lettres , foit par fes amis à la m
conquête de ce Royaume 5 6c lorfqu'il fut queftion de faire
en Efpagne les obféques de ce Prince malheureux , il dit
fort joliment , que S. M. C. devoit aller faire les obféques du
roiDom Sebaftien à Lifbonne. Il avoit même écrit plufieurs
fois au Roi , pour l'informer des raifons qui rendoient cette
guerre nécefïaire , &; pour l'inftruire de la manière dont il
faudroit s'y prendre pour y réunir. Comme il ne pouvoit pas
fe cacher à lui-même fon propre mérite, il efpéroit , que fi
Philippe entreprenoit une fois cette guerre , ce fage Prince ,
qui fentiroit le befoin qu'il auroit pour cela d'un grand Ca-
pitaine à qui il pût en confier la conduite, ne pourroit dans
toute l'Efpagne jetter les yeux que fur lui feul. L'événement
juftifia Ces efpérances. Cependant ayant demandé en grâ-
ce qu'en partant pour l'armée, S. M. voulût bien lui per-
mettre d'aller lui baifer la main , il ne lui fut pas pofiible
de l'obtenir de ce Maître rigoureux. Ainfi il fe rendit au
I j$o.
224 HISTOIRE
•
■ ; camp en diligence , comme Tes ordres le portoient.
Henri Philippe avoir d'abord réfolu d'afîifter lui-même en per-
III. Tonne à cette expédition. Déjà même Dom Fernand de Silva
comte de Cifuentes avoit eu ordre de ié rendre à la Cour
pour faire fa charge. En effet c'étoit à lui à porter l'étendart
Royal devant le Prince à fon départ pour l'armée. Mais le
Roi changea de fentiment , 6c il refolut de ne pas parler l'Ef-
tramadure , province frontière du Portugal. Ainfi après
avoir mis ordre à tout dans Madrid , où il laiflà pour gouver-
ner pendant fon abfence , le cardinal de Granvelle , il en
partit le 4. de Mars , accompagné de la Reine fon époufe ,
des deux Infantes 6c de l'infant Dom Diégue , à qui peu de
tems auparavant il avoit déjà fait prêter ferment de fidélité
par tous les Etats des différentes provinces d'Efpagne. Il prit
le chemin de Guadelupe , où il avoit deflein défaire célé-
brer les obféques du roi Henri fon oncle , 6c il y arriva le 2 2 .
du même mois.
Quelque tems auparavant ce Prince fur les prières réité-
rées de la duchefTe de Bragance fa coufîne , avoit obtenu de
Muley Hamet la liberté du jeune duc de Barcelos fon fils. Le
duc de Médina Sidonia fe rendit à Cadix pour l'y recevoir,
6c il le traita non-feulement très-poliment , mais même avec
beaucoup de magnificence. Au refte comme il a de ce côté-
là plufieurs places qui font de fa dépendance , il y retint le
jeune Duc pendant plufieurs jours , l'amufant fans cefïè de
fpedacles 6c de fêtes, dont il le régaloit continuellement.
Ce retardement devint fufpedauDuc 6c à la Duchefîè. Ils
appréhendèrent qu'il n'y eût du deflein dans toutes ces fêtes ,
6c que fous ombre d'hofpitalité , le duc de Médina Sidonia
ne retînt leur fils de concert avec Philippe jufqu'à l'arrivée
de ce Prince. Ainfi pour prévenir ce qu'ils craignoient , ils
firent dire à leur fils par quelques perfonnes de confiance de
fè rendre auprès d'eux fans retardement , 6c fans même faluer
le roi d'Efpagne, à qui il étoit fi redevable. Philippe leur
en fçut mauvais gré dans la fuite , comme d'une démar-
che, qui marquoit bien peu d'affe&ion pour fa perfonne.
Mais ils lui firent leurs excufes , 6c le prièrent de pardonner
un ordre fi fubit audefîr extrême qu'ils avoient de revoir leur
fils.
Philippe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX. 115
Philippe fe préparoit roue de bon à la guerre. Deux ar-
mées puillantes, l'une fur terre, l'autre fur mer , croient en Henri
marche pour exécuter [es projets. Cependant comme il n'i- III.
gnoroit pas les mauvais bruits qui couroient à ion fujet, 1 c8o.
non-feulement en Portugal , mais même dans toute l'Italie ,
il crut qu'il étoit encore à propos de donner quelque chofe
aux apparences. Maître dans l'art de difîîmuler , il fembla
vouloir examiner encore une fois, s'il n'engageoit point fa
confeienee par cette expédition -y comme fî après tant de
préparatifs il eût été encore tems de reculer. Mais le Pape
le iollicitoit d'un côté de lui abandonner la connoillance
de cette affaire 6c de fe foûmettre à ce qu'il en décideroit • de
l'autre , il fentoit bien ce qu'on pouvoit penfer dans le mon-
de j qu'on le regardoit comme un ufurpateur , qui foulant
aux pieds toutes les loix aufquelies Ces rivaux convaincus
de leur propre foibleiïe fè foûmettoient , employoit la vio-
lence pour envahir un Royaume qui ne lui appartenoit pas ,
dont il commençoit par mettre aux fers la liberté , 6c dont
les Etats fe plaignoient hautement qu'on ufurpoit leurs
droits , 6c fe juflifioient d'ailleurs fur le ferment qu'ils avoient
fait , 6c qui ne leur permettoit pas de pouvoir le reconnoître.
Pour fortir fans peine de cet embarras, il s'adrefïa à fes Casdeeon-
grands amis les Théologiens de l'Univerfité d'Alcala.aux (cicr?ce Pf?:
^ polé par Plii«
Jéfuites 6c aux Cordeliers; 6c tandis que de fon côté il alloit iippe aux
prefîer avec vigueur l'exécution de {qs projets , il voulut bien Théologiens
f , & , m /f r 1 1 ■•> de l'Univer-
leur donner une occupation dont il puflent amuler leur loiur. fué dAicaïa.
Il leur propofa donc , pour fe réjouir, ce cas de confeienee.
fçavoir : » Si étant intimement convaincu , que par la mort
» du roi Dom Henri le Royaume de Portugal lui étoit dé-
» volu de droit , il étoit obligé en confeienee de fe foûmettre
>j à quelque Tribunal , pour décider de fes prétentions , 6c
>j l'envoyer en poiTeffion de cet Etat ? Secondement , fi les
55 Portugais refufant de le reconnoître, jufqu'à ce que Cqs
55 droits èc les moyens de nullité que fes concurrens allé-
55 guoient contre lui ayant été examinés dans les formes , on
55 eût prononcé contradidoirement en fa faveur , il pouvoit
55 de la propre autorité fê- mettre lui-même en pofTelîionde
*5 la Couronne , 6c prendre les armes contre ceux qui s'oppo-
»> feroient à fes prétentions } en fuppofant qu'il n'avoit aucun
Tome VUh V£
îi6 HISTOIRE
» doute fur cette matière ? Et parce que les Gouverneurs &
Henri » les Etats de Portugal apportaient pourexcufe qu'ils étoient
III. « liés par le ferment qu'ils avoient fait , de ne reconnoître
1580, " pour Maître que celui qui auroit été juridiquement décla-
'3 ré héritier légitime de la Couronne, fur-tout les autres
» Prétendans s'oppofant à fès prétentions, &; offrant de lé
» foûmettre à toutes les formalités de la Juftice ^ il deman-
•» doit encore, fî ce prétendu ferment étoit une exeuferece-
» vable de capable de juftirler le refus qu'ils faifoient , de re-
>î connoître leur roi légitime ?
Les Théologiens ne manquèrent pas de répondre à cqs
queftions , comme Philippe le fouhaitoit. Ils aflùroient donc
d'abord : Que ce Prince n'étoit point obligé en confcicnce
de fe foûmettre à aucun Tribunal ni à aucune jurifdiclion
quelle qu'elle fût j puifqu'il étoit confiant , qu'il pouvoit de
fa propre autorité s'adjuger la Couronne Se s'en mettre en
poflefïion : Que cette afraire ne regardoit point le Pape,
puifqu'il s'agiiloit purement d'un bien temporel , &, qu'elle
n'étoit mêlée d'aucun incident , qui obligeât d'avoir recours
au Tribunal Ecclefiaftique : Qu'il n'y avoit aucune raifon qui
l'obligeât de fe foûmettre à la décifion des Etats de Portu-
gal j puifque le peuple en fe donnant un Roi , fe dépoùil-
loit pour lui 6c pour Çqs fuccefïcurs de tous les droits qu'il
avoir ^ en forte que toute l'autorité réiide dans leur perfbn-
ne , fans qu'ils puifTent être jugés par qui que ce foit : Qu'ain-
li puifqu'il étoit confiant que Philippe étoit le feul véritable
& légitime héritier de la couronne de Portugal, il étoit éga-
lement vrai de dire qu'il n'étoit point obligé de fe foûmettre
à aucun autre Tribunal que le fîen : Que les onze nommés
pour connoître de cette affaire n'avoient aucun droit d'en
décider ^ que par eux-mêmes ils n'avoient aucune autorité $
&: que celle dont ils avoient été revêtus, ils la tenoient du
Roi : Or qu'en fuppofant qu'ils enflent pu l'exercer du vi-
vant de ce Prince , il n'en étoit pas moins vrai qu'ils l'avoienc
perdue à fa mort : Que cette décifion étoit fondée fur la loi ,
qui dit, que les Rois ne peuvent porter leur autorité au-delà
du trépas : Enfin qu'à l'égard du troifiéme chef , les Portu-
gais n'étoient point liés par le ferment qu'ils avoient fait, &
que rien ne pouvoir les empêcher de reconnoître Philippe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXIX, 217
pour leur Roi légitime, puifque par tout ce qui vient d'être ==
dit, il étoit certain, que ce Prince quant à cet article, Henr.i
n'a voit perfonne qui fût au-defïùs de lui , & qui de droit ou III.
à raifon de fa qualité , pût décider de Tes prétentions. Cet 1580.
avis, ou fî l'on veut, ce décret des Théologiens fut enfuite
rendu public, & Philippe fut bien aife d'avoir cette pièce
pour autorifer [es armes , fur lefquelles il comptoit beaucoup
plus , que fur toutes ces décifions.
Comme le duc d'Albe avoit été déclaré Général de l'ar-
mée de terre, on nomma pour commander la rîote Dom
Alvar Baçan marquis de Santacruz , Général des galères
d'Efpagne , qui s'étoit beaucoup diftingué dans la dernière
guerre contre les Turcs. Cet Amiral étant venu mouiller
au port de Sainte- Marie , qu'on dit être l'ancien port de Me-
neftée, fe rendit de là auprès du duc d'Albe à Erena, afin
de prendre de concert des mefures pour la fuite de l'expédi-
tion. Ils eurent une conférence en préfence de Dom Louis
de Barrientos Provedidor général de l'armée } & ils con-
vinrent d'avoir une féconde entrevue à Setubal. Le marquis
de Santacruz retourna enfuite fur fesvaiiïèaux , emmenant
avec lui François de Valencia , Rodrigue Zapata , & Martin
d'Argote , qui étoient deftinés à fervir furlaflote. Pour ce
qui eft des autres Officiers , ils réitèrent à la fuite du duc
d'Albe.
Fin du Livre foixante rjr neuvième*
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HISTOIRE
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IRE
D E.
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U
LIVRE SOIXANTE-DIXIEME.
7j jHuirpE étoit déjà arrivé à Guadaloupe lorfque
y T T X l'évêque de Conimbre , & D. Emmanuel de Melo , dé-
putés parles Gouverneurs du royaume de Portugal, fe ren-
J5^°* dirent auprès de lui. Comme à la Cour on regardoit déjà
Affaires de les Portugais comme fujets du. roi d'Efpagne , on délibéra
Foitugai. d'abord fi on devoit recevoir leurs Députés en qualité d'am-
baflàdeurs. Enfin on leur donna audience 5 & ils fuppliérent
S. M. C. de ne point en venir aux voies de fait • & de per-
mettre que la grande queftion de la fucceffion à la Couronne
fût décidée par les Gouverneurs du Royaume , & par le tri-
bunal des onze Commiflaires que le roi Henri d'heureufe mé-
moire avoit établi pour cela j ils luireprefentérent qu'il y al-
ioit du repos & de la liberté de la Nation. On leur répondit
le 1 6. d'Avril : Que le droit de S. M. C. à la Couronne de
Portugal étoit confiant ; Qu'elle ne reconnoiiïbit point d'autre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 229
tribunal compétant , ni capable de prononcer fur cette _
matière : Que le ferment qu'ils avoient fait au préjudice de Henri
{es prétentions ne les obligeoit en aucune façon : Que par con- III.
féquent il falloit néceiTairement qu'ils choififlcnt l'un de ces j , g Ct
deux partis , ou d'avoir la guerre avec S. M. C. ou de fe réfou-
dre , comme elle le fouhaitoit pour leur intérêt , à fe foû-
mettre à fes ordres, & attendre de fa bonté la confirmation
de leurs libertés, immunités & privilèges qu'elle s'engageoit à
leur accorder auiTi amplement qu'ils pourroient la defirer,
Les Ambailàdeurs bien mortifiés de cette réponfe repri-
rent le chemin de Portugal. L'évêque de Conimbre paffoit R0yaumeà
pour avoir été gagné par le roi Henri , 6c on le croyoit dès- la mou du
lors dans les intérêts de Philippe. D.Ferdinand de Silva au roiHcnn*
contraire, alors ambaflàdeur de Portugal à la cour d'Efpa-
gne , avoit pris un parti tout oppofé. On n'avoit aucun égard
pour lui j 011 ne l'appelloit point dans les cérémonies publi-
ques , 6c il en avoit conçu le plus vif refïentiment. Cependant
comme le peuple travailloit de jour en jour à fe rendre le maî-
tre ,6c que le défordre commençoit à s'introduire dans l'Etat,
les Gouverneurs , pour mettre ordre au dérangement des af-
faires , demandèrent aux Etats qu'on augmentât leur auto-
rité , 6c fur leur refus ils caflerent cette aïfemblée. Ce coup
chagrina extrêmement D. Antoine prieur de Crato, l'évêque
de Parme, 6c le duc de Bragance. ( 1 ) Perfuadés qu'il n'y avoit
que les Etats qui pufîent retarder l'effet des prétentions du
roi d'Efpagne , parce que comme le parti du peuple y étoit le
plus fort , ils étoient absolument oppofés aux intérêts de Phi-
lippe , ils mirent tout en ufage pour retenir les Députés, juf-
qu'à offrir de fournir à toutes les dépenfes qu'ils feroient obli-
gés de faire. Mais ceux-ci fe voyant fans pouvoirs , jugèrent
que leur prefence feroit doréfnavant inutile -y 6c ils fe retirè-
rent, après avoir protefté contre l'ordre porté par les Gou-
verneurs.
Leur départ rendoit les Gouverneurs maîtres abfolus de
l'Etat. Ainfî ils fe crurent obligés de remplir, du moins en ap-
parence,, le devoir de leur charge 3 6c ils prirent quelques
(1) D. Antoine & le duc de Bra-
gance demandoient la couronne pour
eux ; l'évêque. de Parme la prétendoit
pour Rainuce fils d'Alexandre Farncf»
duc de Parme,
Ffiij.
2}o HISTOIRE
— ' mefures pour s'oppofer aux efforts de la cour d'Efpagne,moins
Henri dans l'efpérance de réiifîir , que pour arrêter la fureur d'une
III. populace mutinée, qui portoit l'aveuglement au dernier excès.
ic§0. Dans cette vue ils députèrent François Barreto à la cour de
France, pour obtenir de Henri quelque fecours d'infanterie.
Il eut ordre de palTer de-là en Italie, tk. de travailler à engager
auflï dans leurs intérêts le nouveau duc de Savoye , Charle
Emmanuel.
Mort Je Phi- Il y avoit déjà quelque tems que Philibert Emmanuel n'é-
libère Emma- toit pjus> En effet il mourut le *o. d'Août â>é de cinquante-
ruel duc de , L r>*-' ' * r» • i i -i r, ° r rr
Savoye. deux ans. C etoit un Prince habile de courageux , lucceileur
de Charle fon père , que François I. & Henri II. avoient dé-
pouillé de la plus grande partie de fes Etats. Il fçut par fa va-
leur , &par les fervices , rentrer en poflèffion de tout ce qu'il
avoit perdu par lapaix,quiiefitl'ani 5 5 9. entre Henri &; Phi-
lippe II. en époufant Marguerite de France fœur de Henri,
dont il eut Charle Emmanuel. Son zélé pour la cour de Rome
l'avoit d'abord engagé mal-à-propos à faire la guerre auxhabi-
tans des vallées d'An^rogne , de Péroufe Se de Pra<relas.Mais
la Ducheiîe fon époulè,une desPrincelles des plus accomplies,
de le comte de Raconis , leur ménagèrent enïuite auprès de
lui une efpéce d'accommodement ; & depuis ce tems-là il les
laifîa. en repos. Il fçut aufli profiter de l'arrivée de Henri III.
en France , lorfqu'à fon retour de Pologne il palTa par la Sa-
voye pour obtenir la reftitution de Pignerol &: de Savillan ,
places qui avoient autrefois appartenu à fon père , &: que nos
Rois avoient retenues pour s'aiïiirer de fa fidélité. Dans la
fuite il forma même de plus grands deffeins. Habile à tirer
avantage de nos malheurs, èc prévoyant les troubles dont le
défordre du gouvernement ne pouvoit manquer d'être la
fource , il prit dès-lors des réfolutions funeftes contre la
France. Il commença par faire paroître fes prétentions fur le
Marquifat de Saluces dans des circonftances qui ne nous
ctoient pas avantageufes. Il fouleva contre nous le Maréchal
de Bellegarde , 6c fe fervit de fon miniftére pour allumer la
guerre dans le Royaume. La mort de ce Maréchal , arrivée
iurla fin de l'année précédente, rompit alors toutes fes me-
fures j & Philibert lui-même ne lui furvécut pas long-tems.
La douleur qu'il avoit conçue de la perte d'un ami il
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 231
confidérable , jointe à une maladie mortelle, l'emporta. Com-
me il étoit adonné au plaifir jufqu'à l'excès , & qu'il ne trou- Henri
voit pas que fes forces epuiièes par l'âge & par la débauche III.
répondiilent à les defirs , il chercha une reiîource dans Pu* 1 58a*
fage fréquent des vins forts , & des mets plus propres à étein-
dre la chaleur naturelle, en y mettant le feu , qu'à l'entrete-
nir j & il contracta par-là une maladie qui l'enleva. La more
ne put cependant enlévelir fa haine avec lui. Quelque peu en
état qu'il fut alors de s'intéreller à rien, il fcmbla tranf mèt-
re à fon fils , en mourant , l'exécution des projets que fa mort
& celle de Bellegarde ne lui permettoient pas de conduire à
Leur perfection ^ & on vit dans la fuite le nouveau Duc , lorl-
qu'il crut avoir trouvé une occafion favorable pour fe décla-
rer,marcher fur les traces de fon père , 8c faire beaucoup plus
de mal à la France , qu'il ne fe fit de bien à lui-même.
Telles étoient les difpofitions de Charle Emmanuel , lorfl
que Barreto fe rendit à la cour de Savoye • ôc comme ce
Prince cherchoit à gagner les bonnes grâces de Philippe , qui
de fon coté travailloit déjà à le mettre dans fes intérêts , en
lui faifant efpérer de lui donner une de fes filles en mariage ,
ce député n'en reçut que des réponfes qui ne pouvoient le fa-
tisfaire. Le Duc apporta pour prétexte de ion refus la gran-
deur du roi d'Eïpagne , les obligations que fa famille avoit à
Philippe ; & comme depuis la mort du roi Henri , &: celle de
fon père , il voyoitbien qu'il n'avoit plus rien à prétendre à
la Couronne de Portugal, il congédia Barreto fans lui rien
accorder. De-là l'envoyé de Portugal pafTa à Rome, £c mit
tout en ufagepour engager le Pape à oppofer le glaive Spiri-
tuel de S. Pierre aux entreprifes de Philippe. Mais Grégoire * * XIII.
étoit d'un naturel trop doux 8c trop fage pour fe commettre
mal à propos. Quelque peine qu'il eût à manquer une fi belle
occafion , de à ne pas faire intervenir fon autorité dans cette
affaire ; cependant lorfqu'il avoit fait fonder là deflus les in-
tentions de Philippe , il l'avoit trouvé tellement difpofé à fer-
mer l'oreille à tous fes avertifiemens , qu'il appréhenda que
s'il vouloir fe fervir à contretems du glaive Apoftolique, il
n'eût la douleur de le voir perdre fon trenchant contre la
puiilànce formidable de ce Prince. Ainfiil ne voulutpoint fe
prêter aux initances du député 3 & il le renvoya avecuneré^-
ponfe ambiguë.
23 * HISTOIRE
^^^^^ On députa aufîi à l'Empereur Elifée de Portugal , pour
Henri fupplier S. M. Impériale de le faire leur médiateur auprès du
III. roi d'Efpagne. On traita enfin avec la reine d'Angleterre pour
158c. obtenir d'elle quelque fecours. On lui repreiénta que le mal-
heur dont le Portugal étoit alors menacé , devoit l'avertir de
ce qu'elle même avoit à craindre^ & on lui fît fentir que fi elle
fouffroit que Philippe joignît encore un il grand Royaume à
fès autres Etats , il étoit à appréhender qu'il ne peniâc quel-
que jour à tourner Tes forces contr'elle-même.
Préparatifs En même-tems les Gouverneurs prenoient au dedans du
pootfoûtfnir &ovaume desmefures pour s'oppofer aux deileins de la cour
h guerre con- d'EijDagne. Louis CefTar fut déclaré Provedidor général 3 &
trei'Efpagiie. on lui donna les pouvoirs les plus amples. D. Diégue de Me-
nesès fut chargé de garder la frontière du côté de l'Eftra-
madure. On confia la défenfe des places de Miranda de de
Béja àD. Juan de Vafconcellos. Emmanuel de Portugal eut
ordre de veiller à l'embouchure du Tage. D. George de Me-
nesès fut nommé Amiral de la flote j &; on fortifia les gar-
nifons des places frontières , fur-tout du fort de S. Julien.
Mais au milieu de ces préparatifs, on n'avoit pas de peine à
s'appercevoir que l'Etat n'avoit point de chef. La confufîon
régnoit par tout j rien n'avançoit , de on voyoit manifefte-
ment que Cefîar , qui étoit certainement dans les intérêts de
Philippe, ne cherchoit qu'à traîner en longueur jufqu'à Par-,
rivée des Efpagnols.
Enfin les Gouverneurs , pour montrer qu'ils vouloient faire
leur devoir , eurent recours au dernier remède. Ils publiè-
rent un Edit , par lequel il étoit enjoint à tous les Evêques ,
Curés de Prêtres , tant des villes que des bourgs de villages
dans toute l'étendue du Royaume , d'exhorter les peuples
dans leurs fermons , de dans toutes les aflèmblées publiques ,
à prendre en main la défenfe de la liberté 6c du falut de l'Etat.
Mais cette démarche caufa beaucoup de troubles , de fut la
fource de grands défordres. Comme le peuple de le Clergé,
qui n'eff. guéres compofé que du peuple , étoient déjà allez
animés , ils ne gardèrent plus de mefures lorfqu'ils fe virent
autorifés en quelque forte par le gouvernement. Il n'y eut
plus de fubordination^on mie bas toute crainte et toute honte.
Le Clergé fans retenue, le peuple fans foûmifîion , fè crurent
permis
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 233
permis de tout dire &; de tout faire , fans que ceux qui étoient
à la tête des affaires fufîent en état d'arrêter, ou même de Henki
modérer la fureur de cette multitude infènfèe, qui abufoit III.
contr'eux-mêmes du pouvoir qu'ils luiavoient donné. Déjà 1 580.
le meurtre , le vol & le brigandage marchoient de toutes parts
la tête levée ; ôc les Magiftrats ne pouvoient plus fonger à pu-
nir le crime fans fe voir expofésaux invectives cruelles des Ec-
cléiiaftiques & des Prédicateurs , qui foulevoientcontr'eux le
peuple dans les chaires Chrétiennes.
Une preuve bien fenfîble de ce défordre fut ce qui arriva
peu de tems après à Lifbonne. Un certain Antoine Suarès
avoit tué en pleine rue par ordre de D. Antoine prieur de
Crato , comme il le conreila depuis dans \qs tourmens , un
homme déconsidération de cette ville, nommé Ferdinand
de Pina. Condamné à mort, il étoit conduit au fupplice par
l'AlcaideDamien d'Aguiar , lorfqueles Chanoines de la Ca-
thédrale , précédés de la croix , fortirent en procefîîon de l'é-
giife de la Magdelaine, voifine de l'endroit où l'exécution
devoit fe faire , 6l fe mirent en devoir de l'empêcher , en ré-
citant publiquement mille malédictions contre les Archers
qui conduifoient ce malheureux. Des paroles on en vint aux
coups -, la potence fut renverfée. D'Aguiar cependant ne per-
dit point la tête , il prit le tems que les prêtres étoient occu-
pés à fe battre autour de la potence contre les archers , pour
enlever Suarès ^ 6c il le fit pendre au faîte de la maifon voifine.
Cette action déshonora le Clergé, & rendit méprifable Dom
Antoine , qui après avoir allouvi fa vengeance contre un
homme indigne de fa colère , n'eut pas le pouvoir de garantir
du fupplice un miférable , qui ne l'avoit 11 bien fervi , que fur
la prome0e qu'il lui avoit faite de l'impunité.
Ce Prince s'étoit rendu à Almerin , & avoit demandé aux
Gouverneurs , qu'on informât plus amplement fur Ion état.
Mais comme ils virent qu'il ne travailloit qu'à foulever le peu-
ple , èc à fe faire un parti dans le Royaume , ils ne voulurent
pas contribuer eux-mêmes à le rendre plus agréable à la mul-
titude , en le foiuTrant (1 proche de la capitale, ni qu'on pût
les accufer d'avoir favorifé par- là les troubles qui pourroient
naître à fonfujet. Ainil ils lui déclarèrent qu'il ne confenti-
roient à examiner fes prétentions b qu'à condition qu'il
Tome FUI, G g
*34 HISTOIRE
n... s'éloigneroît de la Cour , & qu'il n'en approcheroic pas plus
Henri près que de dix lieues. Il avoir parmi eux dans Ces intérêts
III. D. Juan Tello. Comme onétoit fort prefTé d'argent 3 que
1 s 80. ' d'un côté les troupes demandoient à être payées j que de
l'autre la pefte ravageoit Lifbonne 3 celui-ci avoit été d'avis
de vendre les pierreries de la Couronne. Mais D. Chrifto-
phle de Mora s'y oppofa. Ilreprefènta qu'elles appartenoienc
à Philippe, &; qu'on ne pouvoit s'en défaire fans Ion aveu,
Ain fi ce projet n'eut aucunes fuites.
Au milieu de ces embarras, ceux des Gouverneurs qui
étoient dans le parti de Philippe crurent qu'il feroit à propos
que les ambafladeurs d'Efpagne flflent publier les proportions
que ce Prince avoit fait faire aux cinq Gouverneurs , & qui
étoient contenues dans un écrit figné de la main même du
duc d'OlIbne. Selon eux elles étoient fort honorables , &
très-avantageufes à l'Etat. Ainfi ils efpéroient qu'en les ren-
dant publiques, ils obligeroient Philippe à tenir la parole qu'il
leur avoit donnée , & difpoferoient peut-être plus facilement
le peuple èc le clergé à la foûmiffion lorfqu'ils en auroient eu
connoilfance. Mais l'événement ne répondit pas à ce qu'on
devoit attendre d'une réfolution fi fage. Le roi d'Efpagne
voyant qu'on n'acceptoit point les conditions qu'il avoit of-
fertes , réitéra fa parole dans la fuite j & le mal , qui n'étoit
encore que dans fon origine , ne s'étoit pas fait fentir afîez
généralement pour qu'on pût calmer fi aifémentune popu-
lace aveugle & mutinée. Ainfi le duc d'Ofîbne laifTa en Por-
tugal de Mora avec les autres ambafTadeurs d'Efpagne, &il
fe rendit à la Cour pour prendre de nouveaux ordres de S. M.
De Guadelnpe le roi d'Efpagne s'étoit rendu à Merida , où
il céda enfin aux infiances des amis du duc d'Albe , & permit
qu'il vint le faluer. Il fut reçu de S. M. avec toutes fortes de
marques d'affe&ion. Philippe lui ordonna de fe couvrir , ce
qui eft le plus grand honneur qu'on puhTe recevoir dans cette
Cour ^ & comme il étoit incommodé de la goutte , ce Prince
le fit afîèoir auprès de lui. Le Duc eut enfuite avec lui quel-
ques conférences particulières j &c après avoir pris des ar-
rangemens pour cette expédition , il retourna au camp. D'un
autre côté Philippe partit pour Badajoz , où il arriva le 2 1.
de Mai. Là il reçut une nouvelle ambafïàde des Portugais,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 235
quivenoient pour l'informer qir'ils avoient rcfolu de Convo- s
quer les Etats à Setubal. Mais le Roi refufa de leur donner Henri
audience. Seulement il leur fit rendre un écrit , par lequel il III.
leur reprochoit leur opiniâtreté , les traitoit deiëditieux , & 1580,
les exhortoit à fonger enfin à le foûmettre. Il ajoûtoit qu'il
n'étoit point venu pour faire la guerre à la nation Portugaife,
pour qui il avoiteu de tout tems autant d'affection que pour
les Espagnols mêmes j que fon defîein étoit uniquement de le
mettre en pofîefîion d'un trône qui lui étoit acquis , &: de
donner à fès bons & fidèles fujets des marques de là bien-
veillance royale. Enfin tout ce difcours tendoità leur faire
connoître qu'il n'approuvoit point la réfolution qu'ils avoient
prife d'aflembler les Etats , dont le fecours étoit inutile , puif-
que le droit de l'héritier légitime étoit manifefte. Ainfi il les
exliortoit à abandonner ce deflèin , qui ne pouvoit être d'au-
cune utilité à l'Etat , & qui au contraire tourneroit infaillible-
ment à fon de/avantage , comme l'exemple de ceux qu'on
avoit tenus d'abord à Lifbonne, tk enfuite à Almerin, le m 011-
troit allez 3 à prendre un parti qui leur feroit beaucoup plus
avantageux , de à le reconnoître inceflamment pour leur Roi.
Illeurremontroit que par-là ils fe mettroient à couvert des
malheurs de la guerre dont ils étoient menacés , & épar-
gneroient le fang Efpagnol qu'il avoit réfolu , au cas qu'ils fe
foûmiflènt, d'employer l'année fuivante à l'exécution d'un
projet bien plus glorieux , qui étoit l'extirpation des ennemis
du nom Chrétien.
Les Gouverneurs voyant par cette réponfe qu'il falloit né*
ceflairement fe réfoudre à la guerre , ne furent pas peu em-
barraflés. Ils avoient d'un côté l'ennemi à leurs portes 3 de
l'autre D. Antoine foulevoit tout le peuple contr'eux. Dans
ces circonftances ils prirent le parti d'abandonner Almerin.
C'étoitune place fans murs 5c fans défenfe, infectée d'ailleurs
de la pefte qui depuis qu'on étoit dans l'été , y faifoit de
grands ravages. Ainfi ils réfolurent de paner à Setubal. C'é-
toitune ville murée, qui leur offroit outre cela la commodité
d'un bon port. Ceux qui favorifoient le parti de Philippe
avoient encore une autre raifon fecrete qui les portoit à la
choifir préférablement à toute autre , pour y faire leur féjour.
En effet ilss'approchoientpar-làde la rlote Espagnole , àcjui
13^ HISTOIRE
ils fe mettoîent en état d'ouvrir les ports du Royaume , Se de
Henri tendre les bras pour la recevoir à fon arrivée. Cependant ils
III. délibéroient encore s'ils prendroient ce parti , lorfque la
1580. mort de D. Juan Gonçalès de Camara comte de la Caliete ,
que la maladie contagieufe enleva , hâta leur départ. Ils le
mirent en chemin pour Sétubal, fuivis du duc de Bragance ,
& de l'évêque de Parme 3 &: pour leur fureté ils mirent des
corps-de-garde aux portes auffitôt qu'ils furent arrivés.
D'un autre côté le roi d'Efpagne réfolu d'exécuter fes def*
feins , voulut faire lui-même la revue de Ion armée qui étoit
déjà beaucoup diminuée par les maladies. On choifit pour
cela les plaines de Cantillane où on drefla un échaffaud. Le
Roi s'y rendit accompagné de la Reine fon époufe , de (qs
enfans , &; du cardinal Albert d'Autriche 3 & ce fut de là qu'il
vit palier devant lui toutes fes troupes , à la tête defquelles
étoit le duc d'Albe. Ce Général tout couvert de lauriers ,
jouifîbit encore dans un âge fort avancé d'une vieillerie verte
et robufte. On remarquoit dans fon port tout le feu d'un jeu-
ne homme , et lui feul fembloit par fon exemple y animer l'ar-
deur de ce grand corps qui marchoit à grands pas à la vic-
toire. Le Duc portoit par-defïus fa cotte d'armes une échar-
pe argent àt azur , et fon cafque étoit tout couvert de plu-
mes. Le Grand- Prieur Ferdinand fon fils , D. Pedre 6c D,
Ferdinand de Tolède {qs parens , D. Sanche d'Avila , 8t
Louis Donara que le Grand-Duc de Tofcane avoit envoyé a
Philippe , l'accompagnoient, Lorfqu'il pana devant l'échaf-
faud où S. M. étoit placée , elle l'appella & le fît afïêoir au-
defTous d'elle , afin que de cette place d'honneur il pût lui-
même étendre (es regards fur cette grande armée qui obéïf.
foit à fes ordres.
On délibéra alors fi le Roi devoir fe trouver en perfonne
à cette expédition. Bien des raifons fembloient y rendre la
préfence du Prince néceflaire. La grandeur de l'entreprife 3
car il s'agiiïbit d'un Royaume florifîant , voifin de l'Efpagne ,
&; dont la fituation avok une infinité d'avantages , à conqué-
rir. L'efpérance du fuccès , qui à ne confidérer les chofes
qu'humainement, fins parler du droit de Philippe fur lequel
les Efpagnols comptoient encore beaucoup , étoit certain &c
infaillible. D'ailleurs il ièmbloit qu'il n'y avoit que le Roi
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 137
qui pût conduire un fi grand projet à fa perfection. Ce n'étoit ^?==?
point en effet un ennemi qui cherchât à envahir une cou- Henri
xonne qui ne lui étoit point due. C'étoit un Prince légitime Hl-
qui alloit faire rentrer fes fujets dans le devoir. Ainfi il étoit 1 580.
vrai-femblable que Philippe par fa préfence feroit autant de
fujets fidèles de ceux qui lui étoient déjà afre&ionnés 5 qu'il
mettroit dans fon parti ceux qui faifoient gloire auparavant
d'être neutres -y &c qu'il réduiroit fes ennemis mêmes à ne fça-
voir en faveur de qui fe déclarer. Au contraire il y avoit lieu
d'appréhender que le duc d'Albe , tout grand guerrier qu'il
étoit , comme il étoit d'ailleurs odieux à la nation Portueaife
par bien des endroits , ne fût un obfcacle aux bonnes inten-
tions de ceux qui étoient dans les intérêts de l'Efpagne , & ne
les empêchât de fe déclarer j que ce ne fût un prétexte pour
Jes gens neutres de fe jetter dans le parti contraire , & une
raifon pour le parti contraire de ne prendre confeil que de
fon déféfpoir , 6c de s'opiniâtrer dans la révolte.
Ceux qui étoient d'un fentiment contraire repréfentoient :
Que l'armée étoit moins nombreufe de fix mille hommes
qu'on ne l'avoit crû -y qu'on trouveroit bien des obftacles a
faire tranfporter des vivres au travers d'un Royaume enne-
mi 3 èc que par conféquent le fuccès n'étoit pas aufîi infailli-
ble qu'on le prétendoit : Que S. M. ne devoit paroître à la
tête de (es armées , que lorfqu'il y auroit lieu d'efpérer que
fa feule préfence feroit plier devant lui tous l'es ennemis :
Qu'on n'avoit pas le tems d'attendre les vieilles troupes qui
dévoient arriver de Flandre : Que le moindre retardement,
la moindre négligence à palier le Tage , alloit faire remettre
l'expédition à une autre année : Que ce n'étoit donc point de
la préfence du Roi que dépendoit la victoire 3 mais d'une ba-
taille à laquelle on devoit avoir inceiïamment recours : or
qu'il n'y avoit point de perfonnes fages qui ne convinrent
qu'il étoit beaucoup plus fur que S. M. ne s'y trouvât point
en perfonne , mais feulement par fes Lieutenans.
Il fut donc réfolu que le Roi fe tiendroit loin du péril , Se
attendroit tranquillement en fureté le fuccès de cette entre-
prife. En même tems ce Prince publia un Manifefte au fujec
de la guerre qu'il alloit entreprendre $ où après avoir rap-
pelle le pafTé y il déclaroit qu'il n'avoit pris les armes que
G g iij
*3& HISTOIRE
s parce qu'il s'y étoit vu forcé par la néceffité , pour le bien
Henri général de toute la Chrétienté , & en particulier du royau-
III. me de Portugal , ajoutant qu'il n'avoit en vue , en fe met-
i S 80. tant en poflèflîon d'une Couronne qui lui appartenoit lé.
gitimement , que d'afïurer la tranquillité de fes fujets fidè-
les , èc d'obliger les rebelles à rentrer dans le devoir. En con-
féquence Philippe députa à D. Antoine, au duc de Bragan-
ce , & aux gouverneurs de l'Etat , Louis Molina , avec ordre
de protefter en leur préfence de tous les maux que cette
guerre pouvoit caufer au Royaume 6c à toute la Chrétienté.
Enfuite pour faire voir qu'on auroit véritablement tort de les
lui imputer, il fit publier le 15. de Juin dans fon armée un
règlement par lequel il défendoit fous peine de la vie , les ju-
remens , les impiétés , & les blafphémes 3 afldroit le refpecl:
dû aux chofes &; aux perfonnes fàcrées • mettoit à couvert
l'honneur du fexe ^ & établiffoit fur tout le refte la difeipline
la plus exa&e.
De là , tandis que fon armée marchoit vers le Portugal ,
le roi d'Efpagne fe retira vers Badajoz. Cependant ce Prince
faifoit parlera D. Antoine par des perfonnes qui étoientdans
fes intérêts. Il lui écrivit même des lettres qui lui furent re-
mifes par le duc d'OfTone , &c par lefquellesil lui propofoic
un accommodement à des conditions fort honorables. D.
Antoine prêtoit d'abord l'oreille à ces follicitations. Comme
il ne comptoit pas trop fur la juffcice de fes prétentions , 6c
qu'il prévoyoit que h* on renvoyoit l'aiFaire du droit à la fuc-
cefïion , à la décifîon du Tribunal établi par le feu Roi , le
duc de Bragance qu'il haïflbit mortellement , Pemporteroit
infailliblement fur lui 3 il paroifîbit allez difpofé à accepter
les propofitions de la cour d'Efpagne. Mais Pévêque de la
Guarda & tous les autres Seigneurs de la maifon de Portu.
gai , qui enflés du nom qu'ils portoient , haïïfoient naturel-
lement les Caftillans , s'intérefférent pour lui faire changer
de réfolution ; &: pour le malheur de ce Prince &: celui de
tout le Royaume , ils ne fçurent que trop bien réiiffir.
Les Gouverneurs firent auffi parler fous main à ceux de la
maifon de Portugal. Ils les exhortèrent à réfléchir fur leurs
véritables intérêts , & à ne pas avancer eux-mêmes leur pro-
pre perte &; celle de l'Etat , pour fatisfaire leur ambition 6c
DE J. A. DE THOU,Liv. LXX. 239
leurs animofîtés perfonnelles. En même tems on faifok de ■ !
grandes promeifes à D. Diégue & à D. George de Menesès, Henri
pour les engager à changer de parti. Mais il n'y eut pas III.
moyen d'en venir à bout. Ils avoient mis d'abord dans leur j jgût
tête que c'étoit à eux à foutenir la gloire de la nation Portu-
gaife 3 la confiance qu'ils avoient dans leurs propres forces
leur avoit fait efpérer depuis qu'ils pourroient y réufîîr. Ainfî
lorfque la fuite leur fit connoître la vanité de leurs projets en
revenant de leur aveuglement , ils perdirent aufîî l'efpérance
de rentrer jamais en grâce avec Philippe 3 & il ne fut pas pof-
iible à leurs amis de perfuader le contraire à ces hommes fiers,
qui préféroient la mort à la perte de leur honneur. Il y avoit
encore dans ce parti Léonard de Caffcro : c'étoit un jeune
homme brave ôc fort riche , qui après s'être épuifé par une
ambition infenfée de vouloir que le nouveau Roi lui fut re-
devable de fa couronne , réduit à une extrême pauvreté j
défefpérant de fe raccommoder avec l'Efpagne , &: n'ayant
plus pour tout bien que la vie qui lui reftoit , comptoit pour
rien de fe facrifier à la défenfe des droits de D. Antoine. Tels
furent ceux qui par leurs confeils êc leurs intrigues , empê-
chèrent ce malheureux Prince de prendre le feul parti qui lui
fut avantageux.
D'un autre côté la jaloufîe 6c la divifîon,malfunefte qui ne
manque jamais de s'infinuer entre les perfonnes qui fe trou-
vent dans le même rang, régnoient parmi les Gouverneurs.
Trois d'entr'eux étoient dans les intérêts de Philippe. Ce-
pendant comme ilsn'appréhendoient pas moins la violence
des Efpagnols , qu'ils deteiloicnt la fureur du peuple , ils fou-
haitoient bien de voir ce Prince fur le trône -y mais ils avoient
l'ambition infenfée de vouloir qu'il leur en fût redevable.
Les autres qui croyoient n'avoir plus rien à attendre de l'Ef-
pagne , incertains du parti qu'ils avoient à -prendre, paroif.
foient n'avoir en vue que d'attendre l'événement , & ils
croyoient qu'ils auroient beaucoup fait s'ils pouvoient feu-
lement venir à bout de foutenir les premiers efforts des Ef-
pagnols.
Ainfi comme on manquoit fur-tout d'argent , D. Juan
Tello mettoit tout en ufage pour en amafTer. D'un autre cô-
té Emmanuel de Portugal faifoit toute la diligence poflible
24o HISTOIRE
. pour fortifier l'embouchure du Tage. D. Diégue de Menesès
Henri avoit aufTi dellèin d'abord de mettre Eivas en état de défenfe -y
III. mais la difficulté de l'entreprife lui fit abandonner ce projet ,
i j 8 o, & il le contenta de mettre quelque ordre fur la frontière , au-
tant que les circonftances pouvoient le permettre. Cepen-
dant les Gouverneurs avoient convoqué les Etats à Sétubal j
mais D. Antoine & ceux de la maifon de Portugal arrêtè-
rent les députés &c les empêchèrent de s'y rendre. En même
tems comme ce Prince étoit maître de Santaren , l'évêque
de la Guarda, homme d'un caractère brouillon , lui confeilla
de s'y fortifier , ôc d'y faire bâtir une citadelle.
D. Antoine L'évêque de Parme s'étoit brouillé avec le duc de Bragan-
jprociamé roi ce , qui étoit refté à Sétubal avec les Gouverneurs -, ôc avoic
e Portugal. ^ujv« -q Antoine à Santaren. On prit cette occafion pour
former le projet mal concerté de faire monter ce Prince fur
le trône. L'évêque delà Guarda en fut l'auteur. Cet homme
inquiet pour qui il n'y avoit de reilburce que dans les troubles
de l'Etat , n'avoit rien plus à cœur que de voir toute la nation
engagée dans les mêmes périls & expofée aux mêmes mal-
heurs dont il étoit menacé lui-même. Dans cette vue il par-
la à D. Antoine , fur l?efprit duquel il avoit beaucoup d'af-
cendant } &: après lui avoir montré que de quelque côté que
le fort tournât , foit que le Portugal fe donnât au roi d'Efpa-
gne , foit qu'il reconnût pour maître le duc de Bragance , fa
perte étoit également infaillible , il lui perluada de profiter de
Poccafion que le hafard lui ofFroit , & de ne pas attendre la
décifion des Etats à laquelle Philippe lui-même refufoit de
fe foûmettre. Il lui repréfenta : Que puifque ce Prince , au
mépris des voies ordinaires de la juflice , appelloit à fon fe-
çours des forces étrangères pour s'emparer d'une Couronne
qui ne lui appartenoit point , c'étoit à lui par conféquent à
armer la nation même contre laquelle l'Espagnol ne pourroit
tenir, pour combattre fcs prétentions injufr.es, êc foûtenir
un trône dont il feroit lui-même en pofTèfîion 3 en un mot ,
qu'il falloit oppofer Roi à Roi : Que tout le peuple étoit dans
ies intérêts : Qu'il devoit profiter de fon attachement pour
lui , &. ne pas laiflèr échouer par (es délais le fruit qu'il en
devoit attendre : Que le Portugal avoit befoin d'un Roi de
la. nation pour rompre les projets de cette puiiïànce étrangère
oui
DE J. A. DE TKOU, Liv. LXX, 241
qui fe déclarent fon ennemie : Qu'à peine il ferok fur le '-.- [ ' ■■■■
trône , que toutes chofes changeroient de face : Qu'au lieu Henri
que l'incertitude de celui qu'ils dévoient avoir pour maître , 1 1 L
tenoit alors les Portugais divifés , on les verroit aufïïtôt 1580.
qu'il feroit élu , réunir toutes leurs forces pour aller fous Ces
ordres repoufler généreufement les efforts de l'ennemi com-
mun : Qu'on ne demandoit uniquement de lui , que d'ofer
&; de permettre , que ceux qui lui étoient affectionnés , le fif-
fent monter fur le trône.
Voici au refte comme ce projet s'exécuta. Après avoir ob-
tenu le confentement de D. Pedre Cotino Alcaide de San-
taren, des chefs de la Bourgeoise , àc de Pévêque de Parme
lui-même , qui ignoroit le defîein qu'on avoit formé , on
traça le plan de la nouvelle forterefle proche d'une Eglife.
Enfuite Pévêque de la Guarda y ayant célébré une Mefîè fo-
lemnelle , fit un difeours à la fin à tous les afîîftans qui s'é-
toient rendus en grand nombre à cette cérémonie. Après
s'être emporté fans ménagement contre les Gouverneurs ,
il invita fes auditeurs à prendre courageufement en main la
défenfè de la patrie , les exhortant à jetter les fondemens de
la nouvelle citadelle , dans Pefpérance que ce feroit un jour
le boulevard de l'Etat , 6c de la remettre à celui qui feroit le
plus capable de prendre en main le timon des affaires , & de
loûtenir glorieufèment le titre de Protecteur du Royaume.
Enfuite il leur fît voir que ces qualités ne convenoientà per-
sonne mieux qu'à D. Antoine -, foit qu'on regardât fa naif-
fance qui l'élevoit au defTus de tout ce qu'il y avoit en Portu-
gal -, foit qu'on eût égard à l'attachement qu'il avoit pour la
nation , dont par droit de fuccefïïon il prétendoit devoir être
reconnu le maître.
A ces mots D. Antoine , comme on en étoit convenu ,
s'étant préfenté à la porte de l'Eglife , deux Evêques allèrent
le recevoir , & lui ayant préfenté l'étole , ils marchèrent en-
femble vers la place que l'on devoit bénir. Tandis qu'on en
faifoit la cérémonie , le capitaine Antoine Baracho mit bruf.
quement l'épée à la main , éleva au bout un mouchoir en
guife d'étendart , et proclama D. Antoine , Roi de Portugal.
En même tems on vit tout d'un coup une infinité d'épées ti-
rées, les uns fon géant à leur fureté, d'autres n'ayant de defTein
Tome FUI. H h
i4* HISTOIRE
—5--= que de faire comme tout le monde. Cependant il s'éleva
Henri un murmure confus qui fembloit partir plutôt de méconten-
III. tement que de joie. De fon côté D. Antoine , foit par mo-
1580. deitie , foit par témérité , refufoit d'abord d'accepter le titre
de Roi , lorlque Cotirïo prit cette occafion pour défendre
qu'on criât ce nom davantage , ajoutant que telle étoit l'in-
tention du Prince. Mais Baracho , qui à la follicitation de
Pévêque de la Guarda , avoit comm'encé l'acclamation , cou-
cha en joue ce Magiftrat &: l'obligea de fe retirer. Alors les
acclamations recommencèrent ,-& D. Antoine montant à
cheval , & tenant une canne à la main en guife de fceptre,
marcha vers l'Eglife collégiale , accompagné de l'évêque de
la Guarda , de D. Emmanuel de Silva , de D. Louis de Por-
tugal , 6c de D. Emmanuel Pereyra , qui Panimoient -y &c pou-
vant encore à peine ajouter foi à tout ce qu'il voyoit. Il étoit
précédé par D. Emmanuel d'Acofta qui portoit devant lui
l'étendart , comme la marque de la Royauté. Dès le premier
pas le cheval qui portoit le Prince , broncha &c penïa le ren-
verfer , ce qui fut regardé comme un mauvais augure. Ce-
pendant on arriva en cet ordre à l'Egliié où D. Antoine fut
proclamé une féconde fois. De là il fe rendit à l'Hôtel de
ville , & en ayant trouvé les portes fermées , il les lit enfon-
cer , cherchant de toutes parts Cotino dont il vouloit fe ven-
ger , parce qu'il le regardoit comme fon ennemi ; mais il
avoit déjà pris la fuite. Enfuite le Prince, après avoir fait fer-
ment de maintenir * les droits &c privilèges de la Nation ,
écrivit à toutes les villes &: à tous les Gouverneurs du Royau-
me , de lever des troupes & de fe préparer à exécuter les or-
dres. Ses lettres étoient (ignées de par le Roi. En même tems
il en envoya d'autres aux Gouverneurs , au duc de Bragan-
ce , & au marquis de Villareal , pour les exhorter à le recon-
noître pour leur maître , & à fe joindre à lui pour repoufTer
les efforts des ennemis de l'Etat. Cette révolution arriva le
1 9. de Juin.
Entrée des Cependant le duc d'Albe s'étant avancé à la tête de fon ar-
Efpagnois en mée , chargea D. Pedre de Velafco de faire une tentative fur
ortuga. £]vaS) qui étoit la première ville frontière de ce côté-là, &
qui tire ion nom des Gaulois Elviens.il y avoit deux partis dans
*- C'eft ce qu'on appelle ordinairement, Los lueros de Fertng«l.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 143
cette place. D.Antoine de Melo qui y commandoit,étoit,com- — — .-
me la plus grande partie ^e la NoblefTe,ennemi des Efpagnols, Henri
&; les deux frères George & Jean Rodrigue PafTano , étoient 1 1 I-
à la tête de la faction contraire qui étoit la plus nombreufè. 1580,
Velafco avoit apporté des lettres pour le Gouverneur, pour
l'Evêque , & pour la Noblefle de la ville -, & on délibéra d'a-
bord lï on devoir les recevoir. Il y eut quelques contefta-
tions fur cet article. Enfin l'avis pafîà pour PaiErmative. On
lut les lettres 5 mais de Melo qui ne fe ièntoit pas le plus fort ,
chercha des prétextes pour en éluder l'exécution. Il s'ex-
cufa d'obéir fur ce qu'il étoit lié par fon ferment , &: deman-
da que puifque D. Diégue de Menesès & les Gouverneurs lui
avoient confié la garde de cette place , on lui donnât du tems
pour prendre leurs ordres. Velafco de fon côté montroit
qu'il n'y avoit point de tems à perdre , que les Efpagnols
étoient à leurs portes , & que fur le moindre retardement , il
y avoic à craindre qu'ils ne portaflent le ravage dans tous les
environs. En même tems , pour jetter la terreur parmi les
habitans qui commençoient déjà à fe mutiner, il ordonna à
fix cens cavaliers de faire quelques courfes aux environs de la
ville. A ce lignai les chefs de la fa&ion Efpagnole foulevé-
rent le peuple. Les PafTano afîiegérent l'Eglile où de Melo
étoit en délibération avec l'Evêque , &: ils étoient réfolus de
lui faire un mauvais parti lorfqu'il paroîtroit ; mais il fut
averti de ce qui fe trâmoit contre lui par fon petit fils , qui
portoit le même nom , &. l'Evêque l'engagea à confentir que
la ville fe rendît aux Efpagnols. Les chefs de la Bourgeoifîe
drefTérent eux-mêmes les articles , par lefquels ils deman-
doient que Philippe leur accordât de nouveaux droits & de
nouveaux privilèges , & ils les préfentérent à l'agent des Ef-
pagnols pour qu'il en jurât l'accompliflement. Velafco n'avoit
aucun pouvoir pour cela -y mais pour ne pas retarder l'effet
de la bonne volonté des bourgeois , il n'en fit rien connoîcre l
&: promit tout ce qu'on voulut. Cependant de Melo avoic
envoyé demander du fecours à D. Diégue de Menesès 5 mais
les troupes qu'on fit marcher de ce côté-là , arrivèrent trop
tard , &; D. Garcie de Cardenas avoit déjà pris pofTefrion de
la place au nom de Philippe.
De là Velafco eut ordre de fe rendre à Olivencia. Cette
Hh ij
244 HISTOIRE
- ville eft limée dans une plaine fur les bords de la Guadiana ,
Henri oc fortifiée d'une citadelle &; de quelques murs , mais cepen-
III. danc peu en état de faire réfiftance. Nurïo Alvarès fils du
1580, comte de Tentuguel commandoit dans la place , & l'avoit
abandonnée peu de tems auparavant , parce qu'il voyoit les
jhabitans fort difpofés à. prendre le parti de Philippe. Cette
ville étoit comme Elvas , divifée en deux fa&ions ; êc c'elt ce
qui penla faire échouer le deffein de Velafco qui n'en étoic
pas inftruit. Il alla fans le fçavoir , loger chez des gens oppo-
iés à la faction d'Efpagne $ il leur remit même les lettres de
S. M. C. &; c'en fut affez pour révolter contre lui le parti op-
pofé. Comme ceux dont il étoit compofé fe mettoient peu
en peine qui des deux concurrens l'emportât , pourvu que ce-
lui qu'ils auroient pour maître ne fut pas du choix de leurs
ennemis , ils commencèrent à traverièr la négociation de
l'agent d'Efpagne. Enfin Tratino de Marc Antoine Juftiniani,
tous deux Italiens , les appaiférent à force de prières &c de
menaces , 8c la ville fe rendit aux mêmes conditions que cel-
le d'Elvas.
En même tems Jérôme de Mendoza prit pofîeffion de
Campo-Mayor où il avoit eu ordre de fe rendre. Cet ensuit*
pie fut fuivi de ceux d'Aronchès , de Portalegre , de Mora ,
de Serpa , ôc des autres petites places des environs. Cepen-
dant le duc d'Albe ayant été informé par le capitaine Cifne-
ros qu'il n'y avoit qu'une très-foible garnifon dans le château
de Villaviciofa , la principale place que le duc de Bragance
poflédâten Portugal , mais qui d'elle-même étoit peu en état
de faire réfiftance ^ &c qu'il feroit aifé de s'en rendre maître,
détacha de ce côté-là cinq cens chevaux £c trois cens hom-
mes de pied. Ces troupes commandées par D. Sanche d'A-
vila , à qui fe joignirent D. Ferdinand & D. François de To-
lède, êc D. Garcie de Cardenas , ayant pris d'abord le chemin
d'Elvas , pour mieux cacher leur marche , fe rendirent pen-
dant-la nuit proche d'un champ planté d'oliviers, voilîn du
château , i'efealadérent • &: n'ayant trouvé aucuns corps-de-
garde , ils allèrent faire prifonnier jufque dans fon lit le Gou-
verneur D. Juan de Tovar , qui dormoit aufli tranquillement
que s'il eût été au milieu de la paix , 6c que la prifè de fa placé
avoit pu à peine éveiller .Tous les meubles du duc de Bragance
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 245
qui étoient très- nombreux &; fort riches , devinrent la proye "
du vainqueur , 8c on trouva entr'autres neuf cailles pleines de Henri
porcelaines de la Chine. Bien des gens étoient perfuadés que III.
le Gouverneur étoit de moitié avec Cifneros , &; qu'ils étoient 1580.
convenus fecrétement de partager entr'eux toutes les richef-
fesqui étoient dans le château ^ que cependant ils avoient
fait myftëre au duc d'Albe de cette intelligence, parce que
le capitaine étoit bien aile de fe faire honneur de la prife de
cette place , & que de Tovar aimoit beaucoup mieux qu'on
en attribuât la perte à fa négligence ou à fa lâcheté qu'à fa
perfidie. Mais li cela eft , d'Avila les joua admirablement
tous les deux fans le fçavoir , car il fît faire par ordre du duc
d'Albe , un inventaire exad de tout ce qui le trouva dans le
Château. On en confia la garde à Gafpard de G ornez , qui
y entra avec fîx-vingts hommes de garnifon, après quoi d'A-
vila alla rejoindre l'armée.
D'un autre côté les Gouverneurs qui avoient reçu les let-
tres de D. Antoine , ne pouvoient revenir de l'étonnement
plein d'indignation où l'entreprilè téméraire de ce Prince les
avoit jettes. Sur le champ ils écrivirent à D.Juan Tello qui
étoit alors à Belen , d'avoir l'œil à ce que ce nouvel incident
ne causât aucun mouvement dans la Capitale. Tello étoit
entièrement dans- les intérêts du Prince j mais il n'approu-
voit point qu'il eût pris le titre de Roi fans le confêntement
des Gouverneurs ôc des Etats. Ainli il manda à D. Pedre
d'Acurïa gouverneur de Lifbonne , de veiller à la fureté de
cette ville. En même tems il fit députer vers D. Antoine , D.
François de Menesès & D. Diégue de Sofa , avec ordre de
le prier de fa part de fe contenter du titre de Protedeur de
la couronne de Portugal , & de ne point prendre le nom de
Roi.
Mais ce Prince aveugle n'eut garde de fuivre les confeils de Entrée de D.
cet ami. Au contraire , à la follicitation de ceux de la mai- Antoine à
lbn de Portugal à qui il étoit livré , il prit la rélolution de le
rendre fur le champ à Lifbonne , où on lui faifoit entendre
que le peuple étoit 11 fort animé contre les Caftillans , qu'il
y feroit reçu infailliblement. L'événement juftifia ces pro-
melTes. D.Antoine partit de Santaren , accompagne des Dé-
putés que Tello lui avoit fait envoyer 3 & D. Emmanuel de
H h iij
246 HISTOIRE
— j Portugal qui avoir été chargé de garder l'embouchure du
Henri Tage lçut il bien prévenir le peuple en fa faveur , Teilo fut
III. fi lâche j & d'Acuna , qui prétendit fe juftifier aux dépens
1580. de celui-ci , fe montra fî négligent , que ce Prince entra dans
la Capitale le 24. de Juin , làns que perlonne fe prefentac
pour s'y oppofer. Auflitôt qu'il y fut arrivé , il alla d'abord
defeendre à la Cathédrale où il fit lés prières. Enfuite il fe
rendit de là au Palais, fuivi de tout le peuple qui s'étoit at-
troupé fur fon paiTage. Là il fut harangué par Emmanuel de
Fonfeca qui fit fon éloge , & dit : Qu 'après avoir éprouvé
tant de traverfes, après avoir eiluyé tant de dangers , victime
de la colère de Henri , comme il l'avoit été auparavant de
Ja haine de D. Sebaftien , enlevé enfin à la fureur des Mores,
c'étoit Dieu fans doute qui , comme il le defKnoit après tant
de revers à jouir du fort glorieux qu'il goûtoit, l'avoit lui-
même , par une providence particulière , réfervé pour fur-
vivre lui feul à toute la famille Royale de Portugal , afin
qu'il montât fur le trône que la Sagefle divine lui avoit pré-
paré. Ce difeours fut reçu du peuple avec un applaudifîe-
ment général. En même tems Fonfeca lui-même ayant fait
paroître l'étendart royal à une des fenêtres du Palais , toute
la ville retentit des cris de joie de cette populace infenfée,
qui marquoit par là fon contentement d'avoir le Prince pour
maître. Cependant l'ennemi étoit à fes portes , 6c elle igno-
roit que ces cris d'allegrefTe alloient bientôt fe changer en
cris de douleur à l'arrivée de Philippe.
D. Antoine écrivit enfuite une féconde fois au duc de Bra-
gance 6c au marquis de Monterey , 6c il leur offrit toutes for-
tes d'avantages pour les engager à le reconnoître ; mais ils
étoient trop fages pour prendre un fi mauvais parti. Il arriva
auffi à ce Prince lorfqu'il s'avançoit vers Lifbonne , un acci-
dent qu'on regarda comme un mauvais préfage pour lui. Il
pafloit proche de Sacabem , qui n'eft qu'à fix lieues de cette
Capitale, 6c il s'entretenoit avec D. François d'Almeyda,
pour qui il avoit beaucoup d'amitié 6c de confiance , lorfque
ce Seigneur fut tué d'un coup d'arquebufe , fans qu'on pût
fçavoir d'où il étoit parti. Le nouveau Roi prêta enfuite fo-
lemnellement le ferment ordinaire. Cependant les Magiftrats
ne fe rendoient prefque point au Palais 3 on y voyoit fort peu
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 247
de Seigneurs 3 prefque tous avoient pris la fuite , augurant
mal des fuites de ce nouveau gouvernement , ou fe tenoient Henri
cachés dans la ville. Cette folitude indigna Dom Antoine. III.
Il créa fur le champ de nouveaux Magiftrats • donna ces 1 580.
charges à des gens qui étoient à lui , mais quin'avoient pour
la plupart ni naifTance , ni mérite ^ diftribua entr'eux les Evê-
chés èc les Commanderies j donna un Edit par lequel il dé-
clarait Philippe ennemi de l'Etat ^ &; prolcrivoit , comme
traîtres , tous ceux qui fuivoient fon parti.
Tello étoit encore à Belem proche de Lifbonne , lorfqu'il
apprit la révolution qui venoit d'y arriver. Le nouveau Roi
lui écrivit même pour l'inviter à fe rendre auprès de lui, 8c
il lui fit efpérer.' Mais au lieu de lui tenir parole , il traita avec
Dom Diégue Lopez de Siqucira commandant de trois galè-
res qui étoient dans le port ^ prit avec lui quarante mille écus
d'or , qu'il avoit ramafTés de toutes parts , &; s'embarqua
pour fe rendre à Setubal auprès des Gouverneurs , avec l'é-
vêque de Leyria, Dom Antoine de Caftro feigneur de Caf-
caës , Dom Martin Gonzalez de la Camara, Dom Emma-
nuel Tellez Barretto , Dom François de Menefes , Dom
Edouard de Caftelblanco &; Louis CefTar. On lui ferma à
Setubal l'entrée du port , mais il ne fe rebuta point j il fît fa
defcente , fe rendit par terre auprès de fes collègues , & fe
juftifîa de ce qui venoit d'arriver à Lifbonne , en attribuant
cette révolution au foulévement du peuple , & à la négli-
gence du Gouverneur de cette Capitale , qui de fon coté en
rejettoit toute la faute fur la lâcheté de Tello , dont il rap-
portoit des preuves. AufTi ne put-il faire goûter fes excuies
aux Gouverneurs. Quoiqu'il offrit beaucoup d'argent pour
être confervé dans fa charge , il fut cafîe ^ &c depuis ce tems-
là , il n'eut plus de voix dans le Confeil , qu'en qualité de fim-
ple particulier , faifant partie du corps de la NoblefTe.
On remarqua que ce fut-là la feule occafion où les Gou-
verneurs firent ufage de cette autorité qui leur avoit été don-
née par le feu roi Henri. En effet jufque- là , foitpar timidité ,
foit par une indulgence mal entendue , qui a toujours des
fuites funeftes lorfque les befoins de l'Etat font prefTan s , ils
avoient fermé les yeux fur tout le refte. Mais dans cette
circoi.ftance même , ils prirent fort mal leur tems pour
148 HISTOIRE
— ' ? commencer à exercer un pouvoir ïbuverain qu'ils allouent
Henri bientôt perdre , &: dont eux-mêmes s'étoient rendus indignes
III. par le mauvais ufage qu'ils en avoient fait. On fit encore une
i ï8o ilucre obiërvation 3 c'eft que celui qui les dépouilla de l'au-
torité fouveraine dont ils étoient revêtus, n'en joliit pas
long-tems. Il réfufà d'accepter le parti avantageux que Phi-
lippe lui avoit fait offrir j <k il aima mieux s'expofer à n'être
rien dans la fuite , que de ne pas faire un léger eflai de la
Royauté , dont il ne goûta même qu'en idée.
Cependant le départ de Tello avoit mis le nouveau Roi
dans un grand embarras. Il avoit emporté beaucoup d'ar-
gent , &: ce Prince en avoit un très-grand befoin. Auffi mit-il
tout en ufage pour en tirer des marchands de Lifbonne , qu'il
obligeoit même malgré eux &: par force , à lui en donner. En
même temps il levoit des troupes de toutes parts &: fans choix.
On ouvrit les prifons èc tout ce qui s'y trouvoit de criminels &c
de fcélérats , on les engageoit à prendre parti par i'efpéran-
ce de l'impunité. On enlevoit même à leurs maîtres les ef-
claves Afriquains , Maures &; Nègres , dont on le fert beau-
coup dans cette capitale , pour les enrôler ^ 6c on alla jufqu'à
prendre par force de jeunes gens de famille , dont la plupart
n'avoient encore jamais porté les armes. Les Prêtres &: les
Moines étoient les miniftres de toutes ces violences, qu'ils
exerçoient effrontément à la honte de la Religion , &; ils ne
voyoient pas combien il y avoit peu de fond à faire fur des
troupes fans expérience , &: dont la fidélité devoit être fi fuf.
pecte. En effet la plus grande partie de ces criminels enrôlés
deferta , &: alla fe rendre au duc d' Albe. Mais l'efprit de ver-
tige s'étoit Ci bien emparé de tous les efprits , qu'enfin les
Prêtres &les Moines , après avoir excité les autres à prendre
les armes , s'enrôlèrent eux-mêmes , de voulurent aufli faire
leur perfonnage dans cette fanglante tragédie.
On envoya aufTitôt en Angleterre &: en France , pour por-
ter la nouvelle de l'élection de Dom Antoine , & demander
les fecours néceflaires pour le maintien du nouveau roi. On
remit dans cette vue de grofTes fommes à Pierre Dora conful
François , qui fait fa réfidence à Lifbonne. Cependant Dom
Antoine envoya ordre aux Gouverneurs de fe rendre auprès
de lui , & de venir le reconnoître pour leur Maître. En même
tems ,
DE J. A. DE THOU, Lu\ LXX. 249
tems , comme on ne comptoit pas trop fur la fidélité de Dom ".
George de Menesès , qu'ils avoient fait Généraliffîme des H e n r l
troupes de Portugal , on l'arrêta 3 & peu s'en fallut, qu'il ne III.
fût mis en pièces par le peuple , que les Moines avoient fou- 1580.
levé contre lui. Enfuite on nomma pour le remplacer, Dom
Diégue de Menesès, ce qui peu de tems après futlacaufè
de fa perte.
Jamais aveuglement ne fut égal à celui du nouveau Roi.
La confufion régnoit dans le gouvernement, les Prêtres ôc
les Moines livrés eux-mêmes à leurs fureurs , le peuple qui , à
leur exemple, ne reconnoiflbit plus d'autre régie que fa paf.
fion , aidoient encore à augmenter le défordre. La fource de
tout le mal venoit fur-tout des Docteurs de l'Univerfité de
Conimbre , qui fer voient à fourrier le feu de la révolte. Ain fi
il n'y avoit rien qu'on ne fe crut permis dans le parti , & à la
honte du Clergé , on n'y refpeéloit pas les droits les plus fa-
crés, pour venir à bout de fes defïèins. Tels étoientles ap-
puis fur lefquels comptoit Dom Antoine, qui enyvré de fi
fortune , couroit en aveugle à fa perte. Il avoit écrit aufîi à
Triftan Vaez de Vega, qui commandoit dans le fort Saint
Julien , fitué à l'embouchure du Tage , pour l'engager à lui
livrer cette place. Mais il s'en défendit , apportant pour pré-
texte de fon refus, & ie ferment qu'il avoit fait, & l'ordre
contraire qu'il avoit reçu des Gouverneurs. Ain/i quinze cens
hommes des milices levées dans Lifbonne fortirent en tu-
multe, commandés par des chefs fans expérience, &; mar-
chèrent de ce coté-là.
En même tems, comme les Gouverneurs ne paroifïbiene
pas fe difpofer à obéir , le Prince envoya vers eux Dom Fran-
çois de Portugal comte de Vimioib. Aufîitôt que le duc de
Bragance en eut la nouvelle , il prévit ce qui dévoie arriver.
Il quitta Sctubal , & alla fe réfugier dans Portel , place de fa
dépendance. Cependant le comte arriva , & n'ayant pu en-
gager les Gouverneurs à fe déclarer pour Dom Antoine , il
mit en ufage le feul appui de la fortune & du pouvoir de ce
Prince. Il iouleva le peuple par le moyen des Prêtres &des
Moines. On s'empara des portes de la ville, dont on chalîà les
corps-de-garde : les mutins s'écrièrent en tumulte , que \qs
Gouverneurs étoient des traîtres , de qu'il falloir s'en défaire.
Je me FUT, Ii
îjo HISTOIRE
£jj"i-J '■ Dans cette extrémité tout ce que ceux-ci purent faire,ce fut de
Henri fè cacher çà &. là chez quelques-uns de leurs amis, pour éviter
III. la fureur de la populace -, après quoi ils prirent leur tems pour
j)-So. descendre avec des cordes du haut des murs dans le fofTé.
C'étoit un fpe&acle véritablement trifbe , de voir ces mêmes
hommes , qui peu de tems auparavant gouvernoient l'Etat
avec une autorité abfoluë,expoiès alors à toutes les infultes du
premier venu qui fe feroit mis en tête de les outrager. Tello
& l'archevêque de Lifbonne, qui étoient dans les intérêts du
nouveau Roi , ne fe mirent pas en peine de prendre la fuite.
Pour Dom Saa , Dom Juan de Mafcarenas &: Dom Diégue
Lopez de Sofa , ils allèrent chercher une retraite jufque dans
Ayamonte, place de la dépendance du roi d'Efpagne. De là
après s'être un peu remis de leur frayeur , au lieu de fe rendre
auprès de ce Prince , comme on croyoit qu'ils le feroient , ils
prirent un parti qui étoit beaucoup plus convenable , 6c en
même-tems plus avantageux pour les intérêts de l'Efpagne.
Ils fe retirèrent à Caftro Marino , place des Algarves , appar-
tenante au Portugal. Là en vertu du pouvoir qu'ils avoient
eu jufqu'alors , ils publièrent un Edit, par lequel ils décla-
roient Philippe héritier légitime de la couronne de Portugal ,
& Dom Antoine ennemi de l'Etat & perturbateur du repos
public. Cette démarche des Gouverneurs détermina la plus
grande partie des villes du Royaume à fe déclarer, Scelles
le rendirent à la première fommation du duc d'Albe. Les
AmbafTadeurs étrangers qui étoient reftés à Sétubal , fur-tout
ceux d'Efpagne , furent eux-mêmes iur le point d'être mal-
traités , & ils auroient eu fans doute tout à craindre de la po-
pulace , qui courut en foule à leur hôtel , fi le comte de Vi-
miofo ne l'avoit arrêtée, &: ne les eût fait efcorter jufqu'à
ce qu'ils fufîent arrivés en lieu de fureté. Dom Antoine de
Caftro feigneur de Cafcaes , Dom Edouard de Caftelblanco ,
Dom Diégue Lopez de Siquéira , Louis Ceiïàr , Dom Ferdi-
nand de Norona , Dom Pedre de Menesès , avec plusieurs
autres Seigneurs, avoient accompagné les Gouverneurs dans
leur fuite , ôc ils fe rendirent auflitôt après auprès de Phi-
lippe.
Cet accident caufa beaucoup de révolutions. Comme il n'y
avoit que trois des Gouverneurs qui fe fuifent déclarés pour
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. z5i
le roi d'Efpagne , Triitan Vaez de Vega , qui avoic refufé de r^n^rr^^
livrer au nouveau Roi le fort de Saine Julien , tant que leurs Hen ri
pouvoirs avoient duré , les voyant difperfés , &. croyant par- III.
là qu'ils n'avoientplus d'autorité , traita avec le Prince , & lui wg 0i
remit le domaine de la place par les mains de Sebaftien de
Brito , moyennant quatre mille écus d'or qu'il reçut ( i ). Peu
de tems après Cafcaes , que l'époufe de Dom Antoine de
Caftro avoit abandonné aullitôt qu'elle apprit la fuite de fon
mari , fut auffi remis à Dom Antoine par Antoine Enriquez.
Enfuite ce Prince fe rendit à Sétubal , & trouvant que cette
place étoit très-forte par fa fituation, & qu'on pou voit en tirer
plus d'un avantage à caufe de la commodité de fon port, il
y mitgarnifon.
D'un autre côté , le duc de Bragance qui voyoit qu'au lieu Le duc de
des voyes juridiques , on en étoit venu enfin aux voyes de fait , Bragance
0 . J } i. ., r \ ' c\' \ r i • traite avec le
ce qui comptant inutilement lur la juitice de les prétentions , roi d'Efpa-
avoit jufque-là par complaifance pour fa femme , qui étoit gne.
d'un caractère fort impérieux , diffère de s'accommoder avec
le roi d'Efpagne , reconnut enfin la faute qu'il avoit faite ,
après la perte de Villaviciofa. Mais il étoit bien tard de pen-
fer à la réparer. Auffi ne put-il le faire d'une manière avan-
tageufe. Il députa à Philippe , pour lui reprefenter les raifons
qui jufqu'alors l'avoient empêché de traiter avec lui, &: lui
marquer qu'il étoit prêt de fe démettre de fes droits en fa
faveur à des conditions raifonnables. Cette proportion ne
fut pas trop bien reçue du roi d'Efpagne. Il blâma fort le
Duc d'avoir attendu fi tard à fe foûmettre. Il fe plaignit de
ce que par-là il l'avoit obligé d'entreprendre une guerre qui
lui étoit à charge par les depenfes extraordinaires qu'elle em-
portoit avec elle, et dont le fuccès ne pouvoit être que funeffce
au Portugal. Il fe moqua de la ceffion qu'il lui faifoit de Ces
droits , qu'il regardoit, difoit-il , comme inutile pour ap-
puyer fes prétentions. Cependant en confidération de l'af-
fection qu'il portoit à la DuchefTe fa parente , & de l'envie
qu'il avoit de faire du bien à fa maiion, il permit qu'on
(i) C'eft le fens qu'il a fallu donner
à ces paroles de l'Auteur : Locum in Se-
bajiiani Britonis manus tradidit , afin
que M. de Thou ne fe trouve pas en
contradiction avec lui-même ; & pour
faire entendre que Triftan en faifant
hommage de fa place à Dom Antoine,
n'a pas celfé d'en être le Gouverneur»
Ii ij
îf*. HISTOIRE
■ ■" ' ' encrât en négociation. Mais il fit des proportions qui paru-
Henri rent fi exhorbitantes , demandant avant toutes choies que
III. la ducheffe de Braçance reconnût Ton droit à la Couronne ,
i f S o, ^ue Pour l°rs on ne Put convenir de rien-
Cependant le duc d'Albe après avoir fait encore une fois
la revue de l'armée en prefence de Philippe ,pafTa la Caya ,.
petite rivière , qui de ce côté-là fépare la Caftille du Portu-
gal , 6c le mit en marche le 27. de Juin. De là , il arriva en
trois jours à Elvas , où il s'étoit fait précéder par Dom Pedre
Manrique de Padilla 6c Dom Pedre d'Ayala. Là, il donna
ordre à Dom Alvar de Lima de fe rendre à Eftremoz. Les
Landini qui avoient beaucoup de crédit dans cette ville, te-
noient le parti de Philippe , 6c ils engagèrent le refte des bour-
geois à fe rendre , à l'arrivée de l'agent d'Efpagne. Mais Dom
Juan d'Acevedo , fils de l'Amiral de Portugal, qui étoit en-
core fort jeune , fe retira dans le château avec la garnifon >
y fît entrer des vivres 6créfolut de le défendre jufqu'à ce que
les Gouverneurs, qui lui en avoient confié la garde , lui or-
donnancent de le remettre aux Efpagnols. Ce fut inutilement
que Dom Chriftophle de Mora 6c Dom Ferdinand de To-
lède le fommérent de fe rendre. Il fallut faire avancer l'ar-
tillerie -y 6c quelques foldats s'étant à cette vue laiffé couler le
long des murs du château , ce jeune homme fans expérience ,.
fans prendre de fauve-garde , ni demander d'otages , eut l'im-
prudence de faire entrer Jean Maldonat dans fa place, où
celui-ci fe rendit fous prétexte de traiter de la capitulation,
6c furprit d'Acevedo , qu'il fit prifonnier. Peu s'en fallut mê-
me qu'on ne le condamnât à une mort honteufe. Mais à la
prière de quelques Moines , £c même de Dom Chriftophle
de Mora , qui s'intérefTérent pour lui , le duc d'Albe lui fit
grâce en faveur de fa jeunefTe , 8c fe contenta de l'envoyer pri-
fonnier fous bonne garde dans Villaviciofa.
Peu de tems après Monte-Mayor ouvrit fes portes à l'armée
Efpagnole, qui s'y rendit le 6. de Juillet, lailîantfur la gauche
Ebora ( 1 ) , où la pefte faifoit de grands ravages. Cependant
on y envoya Dom Enrique de Gufman , pour faire prêter fer-
ment de fidélité aux habitans au nom de S. M. C. ce qu'ils
exécutèrent fur le champ. D. Diégue de Caftro gouverneur
(1) Cette ville , dit M. de Thou , s'appelloit autrefois Liber alitas Jnliat
E J. A. DE THOU, Liv. LXX. f$f
de la place , quitta même les fauxbourgs où il s'étoit retiré
avec tout ce qu'il y avoit de gens de qualité , pour éviter la Henri
contagion , 6c fe rendit à la Cathédrale , où il donna l'exem- III.
pie à tous les bourgeois. Enfuite on dreflà un acte de ce qui 1580,
s'étoit parle , 6c il fut figné par Conftantin de Brito fecretaire
de la ville»
Delà, le duc d'Albe arriva en quatre jours devant Sétu-
bal , & pendant cette marche Dom Louis d'Acofta fe rendit
maître d'Alcaçar Dofal , place forte par fa fituation. Ce-
pendant Dom Diégue de Menesès , dont le nom étoit d'ail-
leurs (1 fameux parmi les Portugais, 6c qui avoit refufé la
viceroyauté des Indes , que tous les feigneurs Portugais re-
cherchent extrêmement , pour fe confacrer à la défenfe du
Royaume , ne paroifïoit point s'oppofer aux progrès desEf-
pagnols. Mais il en rejettoit la faute fur les incertitudes des
Gouverneurs 6c fur le défaut d'argent, prétendant que c'é~
toit ce qui avoit été caufe , quefes troupes qui ne fçavoient
à quoi s'en tenir, n'obéïiTant point à fes ordres, il ne lui
avoit pas été poffible , ni de fortifier les places , 6c d'y met-
tre de bonnes garnifons , ni de s'oppofer aux entreprifes de
l'ennemi.
Dom Antoine de fon côté avoit quitté Sétubal 6c étoic
revenu à Lifbonne , où il fît pour la première fois fon entrée
en cérémonie. Il entra donc dans cette capitale comme en
triomphe , après s'être rendu maître de Sétubal , du fort
de Saint Julien , 6c des autres places voifines ^ & comme s'il
n'eût plus eu d'ennemis à combattre , ce Prince aveugle , que
la guerre èc la pefte environnoicnt de toutes parts , étoit en-
core allez infenfé pour s'amufer à faire des réjoùifTances,
Au milieu des fêtes dont il fut régalé en cette occafion , le
corps des Harangéres fe diftingua particulièrement. Elles
s'habillèrent toutes en Amazones , 6c celle qu'elles avoient
à leur tête , au lieu de javelot , portoità la main une pelle ,
rappellant par-là le fouvenir de la fameufe journée d'Algi-
barotta, où les Portugais remportèrent la victoire fur les Ef-
pagnols , & où l'on dit qu'une Boulangère tua fept Caftillans
avec fa pelle.
Au milieu de ces jeux & de ces fêtes , on apprit l'arrivée du
<luc d'Albe , 6c Dom Antoine qui craignoit pour Santaren , &
Ii iij
2 54 HISTOIRE
■ qui ne fçavoitpas juger de l'habileté de ce grand homme , y
Henri envoya des troupes , qui auroient été beaucoup plus nécef-
III. faires à Sétubal. Mais plus le danger devenoitpreiîànt, plus
i c g0f il y avoit de dérangement dans les affaires. L'évêque de la
Guarda , le comte de Vimiofo , Dom Emmanuel de Portu-
gal & Dom Diégue Botello le vieux , maîtres du gouverne-
ment , conduifoient tout avec le plus grand défordre. On
forçoit la Noblefîe , quelque réfiftance qu'elle pût faire , à
s'enrôler 5 on épuifoit ceux qui n'étoient pas en état de por-
ter les armes , tout ce qu'il y avoit dans le tréfor Royal fuc
vendu pièce à pièce j on fe défit entr'autres d'un harnois ,
qui ne lervoit que lorfque le Roi paroiiîoit à cheval dans les
grandes cérémonies, éc qui étoit d'un ouvrage exquis des
Indes , èc tout couvert de pierreries. On n'épargna pas ce
qu'il y avoit de plus facré j les Prêtres de les Moines ne fe
faifoient pas un fcrupule de trahir le dépôt qu'on leur avoit
confié , de l'argent de la veuve & de l'orphelin. Les Mini-
tres du nouveau Roi, que l'avarice rendoit aveugles , &: qui
fous un régne qu'ils voyoient bien ne pouvoir être de longue
durée , fe hâtoient de s'enrichir , faifoient toutes fortes de
mauvais traitemens aux Bourgeois , fous prétexte qu'ils
ctoient rebelles aux Edits. Tous les jours il en paroiiîoit de
nouveaux, la plupart à la charge du peuple, qui ne pouvant
pas remplir des obligations fi dures, étoit expofé aux mêmes
violences que s'il eût été réfra&aire aux ordres du Prince.
Au{îî cette conduite lui fit changer de difpofitions en un inf-
tant. On murmura hautement , &: on commença à regret-
ter le régne de Dom Sebaftien , & même celui du cardinal
Henri , qui tout odieux qu'il étoit devenu , paroifibit encore
plus tolérable.
Cependant le duc d'Albe étant arrivé à un bourg appelle
progresses ^^ua jiiya qUj n'eft qU'à trois lieues de Sétubal , détacha
Portugal. Dom Ferdinand de Tolède , Pierre de Medicis & Dom San-
che d'Avila avec les troupes qu'ils commandoient, Dom
Pedre Gonçalez de Mendoza avec onze compagnies du
Royaume de Naples , Dom Pedre de Soto-mayoravecfept
compagnies de la Sicile &:de la Lombardie, 6c Dom Louis
Enriquez avec fon régiment pour aller inveftir la place. Ils
partirent au milieu de la nuit , & à la faveur des ténèbres , ils
r-
DE J. A. DE THOU, Li v. LXX. 155
fe logèrent dans les jardins qui étoient hors de la ville, du
côté du Nord , fans trouver aucune réfiftance. Le duc d'AL Henr
be arriva lui-même le lendemain à la vue de la place avec le III.
relie de l'armée , ayant laifle ièulement quelques croupes 1 580.
dans le camp pour garder le bagage.
Dom François de Mafcarenas commandoit dans Sétubal
avec Dom Diegue Botello le jeune. La place étoit allez foi-
ble. Les habitans auffitôt qu'ils virent les Espagnols couper
les vignes dans tous les environs , & ouvrir les canaux qui lèr-
voienc auxfalines, parloient déjà de fe rendre. D'un autre
côté , le duc d'Albe fommoit la ville de lui ouvrir les portes ,
promettant de faire bonne composition , fî on obéïfToit $ ôc
menaçant au contraire de fe porter aux dernières extrémi-
tés , fi on s'opiniâtroit à tenir. Ces circonftances déterminè-
rent ces deux Commandans à ne pas attendre une féconde
fommation , & ils envoyèrent un foldat Angloisau Général
Efpagnol , pour capituler. Cependant la divifion fe mit par-
mi les foldats de la garnifon , êc Simon de Miranda faifoit
tous les efforts pour les engager à s'accommoder à l'amiable
avec le duc d'Albe , lorfque lui-même courut rifque de la
vie. Le peuple en fureur le jetta dans la rivière , de il ne fe
fauva qu'à la faveur d'une échelle , à laquelle il s'accrocha.
Enfin les chefs voyant l'artillerie des Efpagnols en état de
battre la place ,5c appréhendant le fuccès , profitèrent de la
nuit, pour chercher chacun leur falut dans la fuite. On ar-
rêta Botello &: Dom Diégue de Salefïa , qui étoit fort oppo-
fé au parti de Philippe , ck qui s'étant déguifé en Moine , de-
meura long-tems caché avant que d'être découvert. Pour
Mafcarenas , il eut le bonheur de s'enfuir , & il alla fe rendre
auprès de Dom Antoine. Après cela les Efpagnols mirent la
ville au pillage.
D'un autre côté , le marquis de Santacruz ayant mi à la
voile , étoit forti du port Sainte Marie le 8 . de Juillet ( 1 ) , ôc
étoit venu mouiller à Ayamonte. Lcà il tint Conieil de guerre
avec Alfonfe de Gufman duc de Médina Sidonia, le duc de
Paftrano, Dom Antoine de Caftro feigneur de Cafcaes , le
marquis de Gibraleon, Dom Edouard de Caftelblanco,&
plufieurs autres feigneurs Portugais , & il fut réfolu d'envoyer
(i) Ce qui fuit , fait voir qu'il faut lire ici , VUI, Eid. Vtil. & non pa« vit il.
*56 HISTOIRE
. " ■ . uneefcadre vers les Açorespourefcorter laflote, qui revenoic
Henri des Indes. Enfiike le marquis de Santacruz continua fa route
III. Se le rendit maître de toute la côte des Algarves , où Tavila ,
1580, Faro, Villanueva Se Lagos, petites places qu'on trouve en
allant depuis l'embouchure de la Guadiana jufqu'au cap
Saint Vincent , fe fournirent à fes ordres.
Apres la prife de Sétubal , il ne reffcoit plus qu'à fe rendre
maître d'une tour qui étoit élevée à l'entrée du port Se forti-
fiée à la moderne de trois bons battions. Outre cela fa fitua-
tion étoit fort efearpée , Se telle , que ceux qui en avoient la
garde, la croyoient inacceifible au canon. Mendo de la
Mota y commandoit , Se le duc d'Albe le fomma par deux
fois de fe rendre. Il lui écrivit même encore par fon coufîn ,
pour l'engager à fe foûmettre. Enfin comme il periiftoit dans
Ion refus, il fallut faire le fiége de la place dans les formes.
Contre toute apparence Jean-Baptifte Antonelli trouva le
moyen d'élever du canon fur une colline elearpée , peu éloi-
gnée du fort , Se auflkôt après les troupes de la Sicile Se de
la Lombardie , commandées par Profjper Colonne, fe logè-
rent fur une autre colline oppofée.
Au pied de la forterefîè , du côté de la mer , il y avoir, pour
la garde du port trois galères bien armées , commandées par
Ignace Rodriguez de Velofo. Une des trois , qui , outre l'é-
quipage , portoit encore quatre-vingt-dix foldats , trente ca-
nons de bronze , beaucoup de bjfçuit , de chairs falées Se de
vin, avec grand nombre de Nègres , à l'approche de la flore
Efpagnole , profita d'un vent favorable pour fortir du port ,
& malgré le feu du canon de laforterefTe qu'elle elïuya , elle
alla fort maltraitée fe rendre aux ennemis. Les deux autres
firivirent fon exemple à l'arrivée de la fiote , Se on trouva def-
fus quatre- vingt canons , dont: la plus grande partie étoienc
de bronze , avec cent trente foldats , à qui on fit grâce de la
vie , Se on fe contenta de leur ôter leurs armes Se leur équi-
page,
Cette perte découragea Mendo. Amfi voyant que contre
fon efpérance, l'artillerie des Efpagnolsé:oitenétat de fou-
droyer fa place 5 Se qu'il avoir l'ennemi à une portée de traie
du fort , il traita avec Profper Colonne , Se fe rendit , à con-
dition qu'il fortiroit vie Se bagues fauves avec toute fa
garmfonj
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 257
garnifon. Ces conditions ne plurent pas au duc d'Albe , 6c il
jugea que Mendo n'en méritoit pas de fî avantageufes , après Henri
avoir foufFert l'approche du canon. Cependant il les ratifia III.
à la confldération de Colonne, 6c confia la garde du fort à 1580.
Jean de Molina , qui commandoit auparavant dans le Pignon
de Vêlez. Enfuite le marquis de Santacruz étant venu mouil-
ler au port avec la flote , D. Juan de Cordouë, D. Antoine de
Lève , & D. Louis de Barrientos, allèrent à terre faluer le
duc d'Albe. Peu detemsaprès ceuxdePalmela, oùil y a un
Couvent fameux de l'Ordre de Saint Jacque de Portugal,
députèrent au Duc , 6c le fournirent.
D. Antoine , qui voyoit que les Efpagnols étoient déjà maî-
tres de toute cette partie de l'Andaloufie , qui eft au-de-là du
Tageducôté du Portugal ; que la plupart des villes d'entre
le Douro 5c le Minho , à l'exception de Conimbre , n'étoient
point dans fes intérêts y qu'il n'avoit pu encore foumettre
Porto j que les Seigneurs les plus diftingués Pabandonnoient
de jour en jour , pour aller fe ranger du parti de Philippe j
que le duc de Bragance étoit fur le point de s'accommoder
avec ce Prince j que le Marquis de Villareal , après tant de
lettres qu'il lui avoit écrites pour l'engagera fe rendre auprès
de lui ne paronToit point^que cependant la difeorde 6c le trou-
ble régnoient dans fon parti 5 que le peuple commençoit à
s'ébranler j que le Clergé , qui fembloit lui être fi attaché ,
fervoit plutôt à fcandaliler ceux qui étoient dans fes intérêts,
qu'à relever leur courage , que les fecours de France 6c d'An-
gleterre fur lefquels il comptoit, n'arrivoient point j qu'il
manquoit d'argent , qui eft le nerf de la guerre ^ 6c qu'il ne lui
reftoit d'autre reflburce pour en trouver,que d'epuifer le peu-
ple , 6c d'opprimer [qs fujets,reconnut enfin la faute qu'il avoit
faite, ôc commença , quoiqu'un peu tard , à fe repentir d'avoir
accepté le nom de Roi , au lieu de fe contenter de celui de
Protecteur de la Couronne. Mais comment remédier à un
mal qui étoit devenu incurable ? Elevé fur le trône par la fa-
veur d'un peuple toujours léger 6c inconftant , 6c par la fan-
taifie de quelques efprits infenfés , plutôt que par fon propre
choix , il fçavoit que la defeente en eft bordée de précipices -,
qu'une Couronne coûte beaucoup plus à perdre qu'à conqué-
rir j que les autres hommes changent de charges 6c d'emplois
Tome FUI. K k
158 ' HISTOIRE
wssl comme d'habits^que le Sceptre au contraire ne fe quitte qu'a-
Henri vec la vie 5 qu'on entre la tête la première fur le trône 3 mais
III. qu'on n'en peut fortir que les pieds devant.
1 580. Tous ceux qui Penvironnoient , au lieu de contribuera
calmer ion inquiétude , ne fervoient qu'aie précipiter dans le
défefpoir, en lui reprefentant qu'il n'y avoit plus de grâce à at-
tendre de la cour d'Efpagne. L'évêque de la Guarda princi-
palement avoit la vanité de vouloir que tout le monde fe fou-
rnît à fon avis, fans qu'il daignât jamais écouter les confeils
des autres. Il avoit porté la fierté jufqu'à la folie. Déjà le duc
d'Albe étoitaux portes de Lifbonne, que ce Prélat s'amu-
foit encore à mettre en mouvemens les Prêtres 6c les Moines.
On les voyoit courir dans les rues , le plus fouvent l'épée à la
main , 6c femblables à des furieux , exhorter , ou plutôt for-
cer tout le monde à prendre les armes. Les Eglifes mêmes , ôc
les chaires Chrétiennes étoient devenues le théâtre de leurs
paillons infenfées. C'étoit de-là qu'ils contoient au peuple
mille abfurdités au fujet des Efpagnols,6c qu'ils le repaiffoient
de mille chimères ridicules. Ils difoient : Que les Êfpagnols
n'étoient que des lâches 5 6c qu'ils ne méritoient pas d'être
comparés aux Portugais : Que dix Portugais déferoientaifé-
ment cent Caftillans : Qu'ils combattoient pour la conferva-
tion de la Religion , de l'Etat,de leurs femmes , 6c de leurs en-
fans : Que ceux qui fe foûmettroient n'avoient que l'efclavage
6c l'exil à attendre : Que la liberté au contraire feroitle fruit
que recueilleroient ceux qui réfîfteroient courageufement :
Que pour vaincre ils n'avoient qu'à vouloir 5 6c que la vic-
toire ne dépendoit que de leur union , 6c de leur bonne vo-
lonté.
Mais l'évêque de la Guarda faifoit à D. Antoine des contes
encore bien plus abfurdes. Il lui failoit entendre que Philippe
n'étoit pas dans le fond auffi redoutable qu'on le diioit:Que
la plus grande partie de fon armée n'étoit compofée que de
„ nouvelles levées , àc de foldats fans expérience : Qu'il avoit
fait refter les vieilles troupes en Italie , dans la crainte que
tandis qu'il feroit occupé à faire la guerre en Portugal , on ne
prît cette occafion pour remuer dans le royaume de Naples,
6c dans le Milanez : Qu'il avoit peu d'Italiens & d'Allemans
dans fon camp : Et que les chaleurs de lafaifon , jointes à la
DE J. A. DE THO U,Liv. LXX. i$$
contagion qui s'étoie répandue dans fon armée en avoient _ ■ ■ ;
fore diminué le nombre : Qu'outre cela , auflitôt qu'on fçau- Henri
roit Philippe embarrafTé à cette guerre, l'Italie , l'Arragon , III.
& la Navarre ne manqueroient pas de fe ibulever : Qu'en me- i ç 8 o.
me-tems le Turc fe jetteroitfur le royaume de Naples , 6c fur
la Sicile : Qu'il n'y avoit pas même lieu de douter que la Caf-
tille , qui étoit accablée d'impôts , ne fe révoltât à la nouvelle
de ces mouvemens : Que toute la France , l'Angleterre , 6c
l'Allemagne étoient en armes : Qu'auffitôt qu'elles fçauroient
que le Prince auroit été élii unanimement par toute lana-
tion , il les verroit toutes accourir à fon fecours , Se réunir tou-
tes leurs forces contre un Prince ambitieux , qui ne pouvoir
augmenter fa puiifance , en ajoutant à fes autres Etats un
Royaume fi fioriflant , fans qu'elles fe viiTent manifeftement
expofées àfubirle joug dont il les menaçoit. C'en: ainfî qu'on
endormoit ce Prince malheureux. Cependant Barreto , que
les Gouverneurs avoient député vers les Puiflances étrangè-
res , revint fur ces entrefaites , ne rapportant avec lui d'Italie
pour tout fruit de fon voyage que beaucoup d'exeufes 6c de
complimens. Seulement il donna occafion à l'ambafïade
que le Pape envoya enfuite à Philippe. Pour ce qui efl des
fommes dont on l'avoit chargé pour lever des troupes en
France , il avoit jugé plus à propos d'en faire fon profit , que
de les employer à pourfuivre une guerre qu'il regardoit com-
me inutile.
Au milieu de tous ces embarras, le comte de Vimiofo ne
fongeoit qu'aux moyens de fatisfaire l'ambition aveugle qui le
dévoroit. Peu en peine du falut de l'Etat, il revoit unique-
ment à trouver un chemin qui pût le conduire à la tête des
armées. Le nouveau Roi de fon côté fouhaitoit de pouvoir
contenter un homme dont la bonne volonté lui étoit deve-
nue à charge. Mais les Gouverneurs avoient nommé Dom
Diéguede Menesès généraliffime j le Prince lui-même l'avoit
confirmé dans cet emploi. Ainfî il ne voyoit pas comment
pouvoir en difpofer autrement fans faire un affront à un hom-
me à qui il avoit de grandes obligations , &c fans s'expofer lui-
même à être aceufé d'inconftance 6c de légèreté. Heureux fi
la fortune eûtfqu remédier aux befoins eflèntiels, aufquels
ce Roi , dont elle vouloit faire fon jouet , étoit réduit aufîî
Kkij
léo HISTOIRE
-? promptement qu'elle le tira de cet embarras j
Henri Le nouveau Roi écoit tout occupé de cette inquiétude, lorC
I II. qu'il furvint une allarme qui l'obligea de fonger à des befoins
i î 8o. P^us r^c^s- On nefçait fî ce fut un pur effet du hafard , ou fi
l'on voulut éprouver par-là ce qu'onavoità efpérer des habi-
tans de la capitale, au cas que le duc d'Albe s'en approchât.
Quoi qu'il en foit, le jour que Sétubal fe renditjes marchands
Efpagnols qui étoient dans Lifbonne s'y croyant en danger,
& prenant des mefurespour fe retirer , après avoir mis leurs
effets en fureté chez quelques-uns de leurs amis , comme on
les vit fur le loir fe donner quelque mouvement, le bruit le
répandit que l'ennemi étoit aux portes. Auflitôt toute la
ville fut fous les armes , & fe remplit en un inftant de toutes
fortes de perfonnes , de tout âge , &: de tout féxe. Les uns
demandoient des nouvelles de l'ennemi 3 les autres témoi-
gnoient leur frayeur par leurs cris j il y en avoic que la crainte
rendoit immobiles • d'autres,dont les ténèbres de la nuit aug-
mentoient la peur , couroient comme des infenfés 3 tous en-
fin s'embarralfoient les uns les autres dans les rues étroites de
cette capitale j & la confufïon fut fî grande, que fi les Efpa-
gnols étoient arrivés fur ces entrefaites, comme on n'avoit
pas eu foin de pofer des corps -de-garde dans cette grande
ville , il y a beaucoup d'apparence qu'ils s'en feroient rendus
maîtres affez facilement. Le jour venu cette frayeur fe diffipa,
Mais à cette terreur panique fuccéda une crainte très-bien
fondée, parce que cet accident avoit fait connoître à quoi
on devoit s'attendre au cas que le duc d'Albe s'approchât vé-
ritablement. Ainfl on fut bien aile de voir luire dans ces cir-
confiances quelqu'efpérance d'accommodement. D. Antoine
avoit un valet de chambre nommé Diégue de Cercamo ^ il
étoit Caflillan , &: s'étoit toujours montré fort attaché àfon
maître. Mais voyant la guerre déclarée , il craignit qu'on ne
lui fît un crime de fa réfidence auprès du Prince -y il lui de-
manda fon congé , & fe retira. Cependant il chercha à ména-
ger un accommodement entre les deux partis y il obtint de
Philippe même avant la prife de Sétubal la permiffion de
traiter avec D. Antoine 3 ci c'eft ce qui fit efpérer dans ces cir-
conftances que les deux Princes pourroient s'accorder.
Sur ces entrefaites le cardinal Alexandre Riario eut ordre
TDE J. A. DJi ihoU, Liv. LXX. 261
du Pape de partir en pofte, comme l'affaire étoitprefîante, :
&: de fe rendre inceffamment auprès de Philippe. Ons'ima- Henri
gïna que Philippe Sega , Nonce de S. S. à la cour d'Efpagne , III.
n'avoic pas allez de crédit auprès de S M. C. C'efi- pourquoi 1 c 80.
on jugea à propos de lui envoyer un Légat a Latcre. Ses inC
mictions portoient de faire tous les efforts pour eno-ager Phi- Le PaPe en°
X ^ L o# O VOVC 3U roi
lippe à mettre les armes bas , & à fe foumettre aujugement d'tfpagnc un
de S. S. & au cas qu'il ne pût pas en venir à bout, com- Lé^ « l*-
me tout ce qu'il y avoit d'habiles gens croyoit qu'il y avoit tere'
beaucoup d'apparence -, le Légat avoit ordre de déclarer
à ce Prince , qu'il étoit chargé de quelques ordres de S. S.
pour les Etats de Portugal. Car le Pape , qui fçavoit que Phi-
lippe avoit beaucoup d'égard pour le S. Siège , jugeoit que Ci
ce Prince ne fe rendoit pas à les inftances , du moins par ref-
ped pour le Légat , il ne porteroit point la guerre en Portugal
tant que le Cardinal y refteroitj que cependant l'été s'écou-
leroit j que la flote d'Efpagne, fur laquelle Philippe comptoit
le plus , ne pourroit plus tenir la mer fans s'expofer extrême -
ment y qu'on arrêteroit par-là cette année les progrès de ce
Prince -y 6c qu'on l'obligeroit à remettre fon expédition à la
fuivante. Or fî cela arrivoit , le Pape croyoit qu'il auroit beau-
coup gagné. En effet , par-là il auroit arrêté le cours des vic-
toires de Philippe 3 cependant l'hy ver donneroit autant de re-
lâche à D. Antoine 3 il profiteroit de cet intervalle pour ra-
nimer fon parti abbatu , prendre quelques arrangemens , trai-
ter avec les Princes voifins , que la jaloufle rendoit ennemis
de la puifïànce Efpagnole , aflembler des troupes , en un mot
mettre les chofes dans un certain équilibre , afin que Philippe,
qui fe fentant alors le plus fort , ne vouloit point entendre
parler d'accommodement , voyant fon rival en état de lui
faire tête , & appréhendant le fort d'une bataille , fut obligé
enfin d'avoir recours à la médiation de S. S.
C'eft ainfîque raifonnoient les politiques oiflfs de la cour
de Rome, entêtés de leur propre mérite 3 mais l'événement
fut contraire à toutes leurs vues. Aufîitôt que le Légat fut
arrivé à Badajoz , Philippe lui fît affigner un logement hors
de la ville à un monaftére voifin. De-là le Cardinal députa
à S. M. C. Trajan Mario Protonotaire Apoftolique , pour le
faluer de fa part. Mais ce Prince , qui jufqu'alors avoit fçu re-
Kkiij
2^2 HISTOIRE
- tarder Ja> marche du Légat , par les honneurs qu'il lui faifoic
Henri rendre dans toutes les villes où il pallbit , fefervit encore du
III. prétexte d'une maladie vraie , ou faulTe , pour éloigner l'au-
1580. dience que le Légat fouhaitoit fi fort , afin de donner au duc
d'Albele temsde terminer ce grand différend.
Aufîi les affaires étoient-elles bien fur un autre pied en Ef-
pagne, que le Pape ne fe l'étoit imaginé. Il étoit arrivé beau-
coup de changement. D. Antoine étoit monté furie Trône }
6c l'armée d'Efpagnefe voyoit déjà maîtrefTe de la moitié du
Portugal. Ainii le Légat avoit informé le Pape de ces nou-
velles circonftances , &c attendoit de nouveaux ordres. Ce-
pendant il preffoit S. M. C. de lui donner audience 5 et elle lui
Fut enfin accordée après bien des retard emens affe&és. Com-
me il n'avoit point encore fait fon entrée en cérémonie , le
duc d'OfTone, D. Diégue Fernandez de Cabrera , & Boba-
dilla comte de Chinchon allèrent fiir le fbir le prendre en
carroffe , & le menèrent à l'audience de Philippe qui étoit au
lit. Ce Prince reçut parfaitement bien le Légat , écouta le fu-
jet de fa commiiîion • s'excufa enfuite fur fa maladie , de ce
qu'il n'avoit pu aller en perfonne au devant de lui -y après
quoi il luiexpofa les raifons qui ne lui permettoientpas de fa-
tisfaire à ce que S. S. fouhaitoit de lui. Il lui dit : Que dès le
commencement il avoit fouhaité un accommodement à l'a-
miable 3 que cependant les affaires avoient changé de face$
que D. Antoine avoit ufurpé la Couronne ; que par cette dé-
marche contraire à toutes les loix , il avoit violé & foulé aux
pieds l'autorité des Etats de Portugal -, que par-là il l'avoit
mis dans la néceiTité d'en venir aux voies de fait^ qu'après cela
il n'étoit pas en fon pouvoir de prendre d'autres mefures -y
puifque de mettre bas les armes, ce feroit abandonner tous
fes avantages , pour donner gain de caufe à fon ennemi.
Le Légat comprit par ce difcours qu'il ne viendroit jamais
à bout de perfuaderà ce Prince habile rien qui fût contraire à
fes intérêts. Ainfî il eut recours à la féconde partie de fes
inftrudions , & fit fçavoir à S. M. C. l'ordre qu'il avoit reçu de
S. S. de paffer en Portugal. Mais Philippe lui confeilla en ami
de n'en rien faire. Il lui reprefenta qu'il y auroit peu d'hon-
neur pour lui à entrer dans un Royaume fans Roi légitime , 8c
même fans chef, où la voix du Souverain Pontife ne pourroit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 263
fe faire entendre au milieu du bruic des armes & des cris =
féditieux d'une populace mutinée, 6c où la dignité facrée Henri
dont il étoit revêtu feroit peu refpect.ee par des peuples qui H I.
n'étoient pas dignes qu'il s'abaiilat jufqu'à les rechercher. 1580.
Cette réponfe fit fentir au Cardinal que ce Prince fenfé , qui
comptoit beaucoup plus fur fa puiiîance que fur la juftice de
{es prétentions s étoit réfolu de pourfuivre (es droits par la
voye des armes. Ainfî défefpérant de pouvoir réuflîr auprès de
lui , il prétexta de nouveaux ordres qu'il difoit avoir reçus de
S. S. &: reprit le chemin de Rome.
Cependant le duc d'Albe , après la prife de Sétubal , fe Suite des
voyant prefque entièrement le maître de cette partie du îr°fi"?ecs
royaume de Portugal , qui eit au-de-la du T âge du cote de la Portugal.
Caftille, délibéroit fur les moyens de palier ce fleuve. Les uns
étoient d'avis de tenter le paflàge à Almerin & à Santaren , au
defîus de Liibonne D'autres aimoient mieux qu'on prît par
Cafcaes , au deflbusde cette Capitale. D'un autre côté Louis
Douarajugeoit à propos de faire venir la flote à Almada -y <k
reprefentoit que par ce moyen il feroit aifé de tranfporter
l'armée au-de-là du fleuve , fans s'expofer à aucun péril. Cha-
cun enfin propofoit le parti dont l'exécution lui paroifToit la
plus prompte , la plus aifée , &: la plus lûre. Mais le duc
d'Albe , qui croyoit que la vidoire confîftoit à ne pas perdre
un feul inftant , rejetta d'abord le projet de faire venir la flote
à Almada , ce qui auroit demandé trop de tems 3 & comme il
fe mettoit peu en peine de s'expofer à quelques dangers ,
pourvu, qu'il évitât le moindre retardement , il réfolut par le
confeil de D. Antoine deCaftro, Seigneur de Cafcaes, de
tenter l'entreprife de ce côté-là.
Plufîeurs trouvoient beaucoup de témérité dans ce projet,
&le Duc lui-même n'en difeonvenoit pas. Mais comme il
fçavoit qu'il n'a voit affaire qu'à des gens fans expérience , il
crut qu'il lui étoit permis en cette occafion de franchir les ré-
gies , & fçut par fa fermeté braver le péril auquel il s'expo-
foit. Ainfî la nuit du ( 1 ) 2 8. de Juillet toute l'armée s'embar-
qua fur la flote avec tous fes équipages & toutes les munitions
de guerre j pendant la nuit entière elle lutta contre le vent
( 1 ) Pour concilier cette date avec j au lieu de V. Kal. Vtih
les précédentes , on a lu V. Kal. Vltïl. J
164. HISTOIRE
-. contraire > & malgré les remontrances' du marquis de Santa-
ls E n r 1 cruz, quivouloic qu'on cedàt à la violence des Hors , le Duc
III. s'opiniâtra à faire voile vers le rivage oppofë. Enfin au point
I 5S0. du jour le vent tomba j & les troupes, après avoir cifuyé quel-
ques volées de canon des forts de Cafcaes , de Saint Antoine ,
6c de Saint Julien , prirent terre , 6c rirent leur descente , fans
qu'il parût aucun ennemi pour s'y oppofer. D. Diégue de Me-
nesès étoit cependant cache derrière une colline , vis-à-vis de
l'endroit ou elles firent leur defcente. Il avoit avec lui trois
cens chevaux , &. trois mille hommes de pied, compofes la
plupart de milices , &; de nouvelles levées. Il avoir même fait
placer du canon dans les rochers &c les broffailles , pour s'op-
pofer à la defcente des Efpagnols. Mais foit que ce ne fut pas
ce mêmeD. Diegue , donc le nom etoit fi fameux , 6c que la
réputation qu'il s'efroit acquife dans les Indes fût plutôt fon-
dée fur la libéralité que fur la bravoure j foit qu'il ie défiât de
fes foldats , il n'oia attaquer les ennemis , qui etoient encore
tout malades de la fatigue de la nuit précédente • 6c après une
légère action où tout le pafîa en elearmouches, il fe retira à
Caicaes.
Auffitôt que le duc d'Albe vit à terre Profper Colonne,
D. Sanche d'Avila,D Rodrigue Çapata,D. Pedre de Soto-
Mayor, 6c Antonelli , il rangea fes troupes en bataille de forte
qu'elles prélentoient d'abord à l'ennemi un front étroit , èc
s'élargifloient enfuite en forme de triangle. Dans cet ordre il
les fit marcher vers la colline , conduites par Çapata qui
commandoit l'avant- garde, S>c qui étoit foûtenu par un corps
de piquiers Allemans. La retraite de D. Diegue de Menesès
facilita le fuccès des Efpagnols j ils s'emparèrent de la coline,
6c fe rendirent maîtres du canon que les Portugais y avoient
lailTé, ce qui fît encore très-peu d'honneur à D. Diégue. Lor£.
que l'armée fut fur la hauteur, & qu'elle fe vit hors du dan.
ger qu'elle auroit eu à efîuyer dans là defcente , fi D. Diégue
avoit fçû profiter de l'occafion , D. Louis de Barrientos, vieil
Officier qui étoit fort familier avec le duc d'Albe, s'appro-
cha de lui , 6c lui demanda à l'oreille fi cette entreprife ne lui
paroiiloit pas tenir plutôt d'un jeune homme , que d'un Capi-
taine expérimenté? A quoi le Duc répondit fort à propos,en
fouriant: Qu'un Général habile devoicfçavoir être également
dans
DE J. A, DE THOU, Liv. LXX. 165
dans l'occafion , & bouillant comme un jeune homme , &
prudent comme un vieillard. De-là les Espagnols marché- Henri
rent contre Cafcaes , qu'ils fbmmérent de fe rendre -t & fur le II I.
refus que fit la garnifon , ils drefle rent contre la place une bat- 1580.
terie de deux gros canons , &: d'une petite pièce de campagne.
Peu de tems après les aftîégés arborèrent un drapeau blanc,
pour marquer qu'ils vouloient capituler. Mais comme Anto-
nelli étoit déjà le maître du fofTé , l'artillerie ne laifla pas de
tirer toujours j &; celui qui tenoit le drapeau ayant été tué
dans une décharge de la moufquéterie Efpagnole , les Portu-
gais en élevèrent un autre , & prirent mieux leurs précau-
tions. Cependant comme malgré cela le feu des affiégeans
continuoit toujours , la garnifon voyant les murs de la place
réduits en poudre , n'attendit pas qu'on capitulât, & ouvrit
fur le champ les portes à l'ennemi. La place fut pillée , contre
la promefTè que le duc d'Albe avoit faite au Seigneur de Caf-
caes j &; on y trouva D. Diégue de Menesès, qui s'y étoit
renfermé, &c qui, comme s'il n'eût eu rien à craindre, de-
manda avec beaucoup de confiance à parler à D. Antoine de
Caffcro, qu'il pria d'obtenir du duc d'Albe qu'on le traitât en
prifonnier de guerre , & qu'il lui fut prefenté. Mais le Duc
refufa de le voir. Cependant quoiqu'il fit dire à D. Diégue de
fe préparer à la mort , celui-ci , toujours perfuadé que Phi-
lippe avoit befoin de lui , ne perdit rien de fa première aflTuV
rance , jufqu'à ce qu'enfin le lendemain on fit drefTer un échaf-
faut,oùil eut la tête tranchée avecD. Enrique de Pereyra
Gouverneur de la place, &: quelques autres, qui fervirent
d'exemple.
Cette févérité , qui étoit particulière au duc d'Albe, &
dont il ufoit , pour rendre fon nom , ou celui de fon maître re-
doutable , avoit fait beaucoup de tort à Philippe dans les
Païs-bas. Elle attira au Duc Se à fon fils une réputation d'hom-
mes fanguinaires,qui ne s'efFaça jamais,& rendit les Efpagnols
fi odieux , que les Flamans , qui quoique mutins ont cepen-
dant toujours été attachés à leurs Princes , fe déterminèrent
enfin à changer de maître. Il efl certain, & plufieurs en con-
viennent , qu'on auroit pu en ufer avec plus de douceur envers
D. Diégue. C'étoit un homme d'une nahTance illuftre , forti
de ces hommes fameux que le Portugal regarde comme £çs
Tome VIII. Ll
i66 HISTOIRE
1 ' ' libérateurs , Se qui feryîrént autrefois à élever le roi Jean fur le
Henri trône. C'eft ce qui l'avoit animé à prendre en main la défenfe
III. du parti de D. Antoine. Ses ancêtres avoient donné un Roi
i s 80» au Portugal ^ il efperoità leur exemple, au défaut de la fa-
mille Royale , pouvoir mettre la Couronne fur la tête d'un
Prince qui lui en feroit redevable. On dit que le duc d'Albe ,
outre fa fcvérité naturelle , étoic encore piqué perfonnelle-
ment contre D. Diégue , à caufe de certains difcours qu'il
avoit tenus, 6c qui étoient outrageans pour le Duc. En ef-
fet il difoit ordinairement d'un air de mépris qu'il auroit bien
voulu mefurerfonépée-avec celle du Duc, ôc voir s'il lui fe-
roit auiîi aifé de manier les Portugais à fa fantaifie , comme il
avoit fait les Flamans.
Après la mort de D. Diégue de Menesès , il ne fallut pas
lui chercher bien loin un fuccefleur. Il y avoit déjà long teins
que D.François de Portugal comte de Vimiofo s'étoit deftiné
t cette place. Cependant comme les Magiftrats , ôc le peuple
même de Lifbonne commençaient à murmurer, ôc faifoient
entendre allez hautement que puifque le duc d'Albe étoit fî
proche, il étoit tems que le nouveau Roi fongeatà le com-
battre , ou à s'accommoder • D. Antoine , après avoir fait inu-
tilement tous {qs efForts , pour tirer quelqu'argenfc des Ma-
giflrats,s'avança enfin à Belen. Là on délibéra fur le parti qu'il
y avoit à prendre. La plus grande partie étoit d'avis de céder
à l'orage, d'éviter d'en venir aux mains,de gagner du tems , en
traînant la guerre en longueur, ôc de tâcher, s'il étoit po/Tible,
deconferver fes avantages jufqu'à Tannée fuivante. Mais le
comte de Vimiofo faifant le brave hors de faifon , protefta , en
•mettant la main fur la garde de (on épée, qu'il auroit la vie de
quiconque oferoit dorefnavant propofer de faire retraite.
D. Antoine n'avoit pas plus de huit mille hommes dans fon
armée -, encore n'étoient-ils compofés que de Nègres fans
cœur qu'il avoit ramafTés dansLifbonne, 6c de Payfàns. Du
refte il avoit très-peu d'Officiers quifçuflènt la guerre. Sur la
nouvelle de ces mouvemens , Sforce des LTrfins , jeune homme
qui avoit la réputation d'être brave, étoit venu d'Italie lui
ofFrir fes fervices. Mais c'étoit plutôt un homme de main que
de tête. Après avoir reflé trois jours à Belen , comme il ne ve-
noit aucunes troupes des difFérentes provinces du Royaume >
D£ J. A. DE THOU, Liv. LXX. 267
quoiqu'on eût envoyé plufieurs fois des ordres réitérés
de Fe rendre au camp, quelques-uns conFeillérent au Prince de Henri
fe retirer au fort de Saint Julien ; &; ils lui reprefentérent que III.
comme c'étoit la feule place forte qui lui refiât , il étoit de 1580*
fon intérêt delà défendre en perfonne, ajoutant, qu'il yFe-
roicplusen fureté que dans tout autre endroit. Mais des Ur-
fins Fut d'avis d'aller plutôt camper à ( 1 ) Alcantara, à caufe du
voifinage de Lifbonne ^ &. parce que le duc d'Albe , en fuivant
la route qu'il avoit priiè, ne pouvoit y arriver fanspafîèr un
ruifTeau , dont les bords étoient Fort hauts & Fort efcarpés 5
en Forte que le Prince auroit l'avantage de pouvoir aifément
contenir dans le devoir la capitale dont il ne feroit pas éloi-
gné , 6c de fe fervir du ruifTeau comme d'un retranchement
pour fe fortifier.
Cependant le duc d'Albe , après avoir fait reconnoîcrepar
D. Ferdinand Fon fils la Fortereffe de Saint Julien, où com-
mandoit Triftan Vaez de Vega avec quatre cens hommes de
garniFon , y alla mettre le fiége. Cette place eft voiFine de
CaFcaes , où la flote d'EFpagne avoic mouillé , fituée en deçà
du Tage , & accompagnée d'une ville. Le tertre Fur lequel
elle étoit bâtie , étoit Fortifié par quatre petits battions • & il y
avoit dedans trente pièces d'artillerie. Les EFpagnols Furent
d'abord Fort incommodés par le Feu de la flote de D. Antoine,
qui étoit a Belen : mais auffitôt qu'ils Fe Furent retranchés de-
vant la place , ils Fe virent à couvert de fcs coups , qui ne por-
toient que de loin • 6c ils ouvrirent la tranchée devant le Fore
le 10. d'Août. (1) Auffitôt que l'artillerie des EFpagnols com-
mença à Fe Faire entendre , D. Antoine accourut au Fecours.
Il y eut là une action qui dura quelques heures entre la cava-
lerie des deux partis , après laquelle le Prince Fe retira dans
Fon camp , qu'il s'appliquoit à Fortifier, l'ayant Fait environner
de murs Femblables à ceux qu'on bâcit en France,où l'on rem-
plit de troncs d'arbres & de Fagots deux rangs de maçonnerie.
Du refte le voifinage de l'ennemi l'inquiétoit beaucoup moins,
que ce qui Fe pafToit à Lifbonne , où l'on commençait à re-
marquer quelque reFroidifTement pour le parti du Prince.
(1) Quelques uns , dit M. de Thon,
croyent que c'eft l'ancienne Norba c&-
zarea.
(z) II faut encore lire IV. Eid. Vltil
au lieu de Vtil.
Llij
ié8 HISTOIRE
1 Ce changement écoit un effet de l'habileté de Philippe. Ce
Henri Prince , qui auroit bien voulu terminer cette guerre , dont le
III. fuccès lui paroiflbit toujours à craindre, fans répandre le
1580. &ng de Tes fujets , venoit de faire publier une déclaration dans
tout le Portugal , par laquelle il promettoit une abolition en-
tière du paffé à ceux qui rentreroient dans le devoir , & aban-
donneroient le parti de D. Antoine : il n'exceptoit de cette
grâce que le Prince,êcceux qui l'environnoient,& qui avoient
donné occafion aux troubles arrivés dans Lifbonne , à Sétu-
bal , & à Santaren. En même tems Philippe , pour fatisfaire
en quelque forte l'ambition des Portugais r qui fouhaitoient
un Roi de leur nation , n'avoit pris uniquement dans cet a&e
que les titres dont fè fervent les rois de Portugal. 11 n'avoit
mêmefîgné que le nom de Roi , au lieu que dans tous les a&es
* YoclRey. publics il flgnoit * moy le Roi. Enfin celui-ci étoit muni des
cinq fceaux qu'employoient les rois de Portugal , & qu'ils ap-
pellent les cinq climats , afin de montrer jufque dans les plus
petites chofes qu'il vouloir fuivre en tout les mœurs , les cou-
tumes , &; les ufages de la Nation.
C'étoit là ce qui faifoit que Dom Antoine comnaencoit à
craindre que la ville de Lifbonne ne fongât à l'abandonner.
Auffi fe montroit-il beaucoup plus difpofé à écouter les propo-
rtions de Diégue de Cercamo. Mais l'évêque de la Guarda ,
D. Emmanuel de Portugal , le comte de Vimiofo , D. Emma-
nuel de Silva , & Botello revenoient à la charge , 6c le repion-
geoientdans ion premier aveuglement. Cependant ce Prince
donna enfin un pouvoir à Cercamo de traiter en fon nom avec
Philippe. Ses lettres ne portoient que fon nom pour toute
ibufcription j & Cercamo étoit chargé, après qu'on feroit
convenu des articles de l'accommodement, de prier S. M. C.
pour rendre la chute du Prince moins honteute , de'fe con-
tenter de l'écrit , qu'il feroit rignifïer aux Etats du Royaume ,
par lequel il leur déclareroit, qu'il ne fe croyoit pas en état
défaire tête à la puhTance de S. M. & que par conféquent il
leur laiâfoit la liberté de prendre leurs rnefures.
Mais Philippe enflé de (es fuccès, ne vouloit plus enten-
dre parler d'accommodement. Ainfî il renvoya Cercamo au
duc d'Albe , qui après avoir long-tems amufé D. Antoine , ré-
duiflt enfin ce Prince infortuné à la funefte nécefîité d'en venir
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. i69
à une bataille. En effet le nouveau Roi ayant fait demander -
une entrevue au Duc , il ne fut pas poflîble de convenir du Henri
lieu où elle de voit fe tenir. Enfui te lorfqu'on |ut demeuré II I.
d'accord de fe voir dans une galère , le hafa/d fit naître de— -t 580.
nouveaux obftacles qui empêchèrent l'exécution de ce pro-
jet. Le duc d'Albe écrivant à D. Antoine y refufa de lui don-
ner le titre d'Excellence ; & le Prince qui j>renoit celui d'Al-
tefie parmi les Portugais , & qui ne fe fioit pas trop à la pa-
role du Duc , fe vengea de fes mépris par une réponfe pleine
de hauteur. Il lui fit dire que les Rois étoient toujours des
Rois , & que les Généraux d'armée n'étoient jamais que des
Généraux d'armée -y que du refte le Seigneur qui étoit infi-
niment au-deflus des uns & des autres , accordoitla victoire
à qui bon lui fembloit. Ainfi la négociation finit comme le
duc d'Albe le fouhaitoit , fans qu'on pût efpérer de venir ja-
mais à bout de s'accorder.
Cependant les Efpagnols avoîent déjà élevé contre le fort
de S. Julien , une batterie de dix canons aufquels ils en joi-
gnirent auffitôt après dix autres , qui commencèrent à tirer
contre la place. Le Gouverneur &; la garnifon penfbient de
leur côté à fe rendre, & le duc d'Albe, qui après avoir envoyé
aux afîiégés un Trompette qu'ils avoient refufé d'écouter 5
appréhendoit les fuites de ce fiége , cherchoit une occafion
de pouvoir entrer en négociation , lorfque le hafard la lui
offrit. Une veuve de la campagne , dont le gendre & le fils
étoient dans le fort , foit par amitié pour ces deux perfonnes
qui la touchoient de fi près , foit que ce fut de concert avec
le duc d'Albe , lui fit demander la permiffion d'entrer dans la
place , pour en retirer fon gendre & fon fils , &c pria que tan-
dis qu'elle y feroit, on fît ceffer les batteries. Le Duc lui ac-
corda tout ce qu'elle fouhaitoit j elle fe rendit dans la forte-
reffe , inftruifit * Triftan du fujet de fa venue , & le conjura
de la part du duc d'Albe , comme elle en avoit été chargée ,
de fonger à lui , & de ne pas fe perdre lui & toute fa garnifon
par fon opiniâtreté. Cet avis donna plus de joie au Gouverneur
*jTriftan tenoit d'abord S. Julien au ' cette place à D. Antoine , & il lui pré-
nom des Gouverneurs du Royaume , ' ta !e ferment entre les mains de Brito
qui lui en avoient donné le comman-
dement. Voyant enfuite le tribunal des
Gouverneurs aboli , il fit ^mn-ia^e de
Ce Prince lui en laiffa le gouverne-
ment , & enfin il fut force de la rendre
au duc d'Albe. Voyez la Note , page îj i .
Ll iij
i7o HISTOIRE
-— ■- -— qu'ii n'en fît paroîtrc. Il demanda une entrevue avec le
Henri Duc 8c l'obtint. Après avoir pris les fûretés il fe rendit au
III. camp 5 fit ion traite fecret avec le général Eipagnol , à des
i î 8 o. conditions aufîi avantageufes qu'il pouvoit en attendre de D.
Antoine 3 rentra enfuite dans la place , feignant d'être beau-
coup mieux inftruit du droit de S. M. C. qu'il ne l'avoitété
jufqu 'alors 3 & après avoir fait entendre à fa garnifon que
ion honneur ôc fa parole lui étoient plus chers que les avanta-
ges les plus confîdérables , & même que fa propre vie , il
l'engagea à reconnoître Philippe pour Roi légitime du Por-
tugal. Le duc d'Albe confia enfuite la garde de cette place à
Gabriel Nino , qui y entra avec fon régiment. Après la red-
dition de la forterelTè de S. Julien , Pierre Barba qui com-
mandoit dans un autre fort nommé Cabcca , fecay litué au-
delTous de cette place , ôc qui avoit d'abord refîne de fe ren-
dre à la fommation du duc d'Albe , crut auffi devoir prendre
fon parti. Après avoir donné avis de fon defïein au nouveau
Roi , il abandonna la place à l'approche de la flote Efpa-
gnole , emmenant avec lui ce qu'il pouvoit y avoir d'artille-
rie , & fe rendit au camp du Prince.
Sur ces entrefaites on apprit que la flote des Indes étoit
arrivée aux Açores , chargée de beaucoup de richelTes 3 &
comme les plus confîdérables negocians de Lifbonne au-
roient été ruinés , fi la flote d'Efpagne s'en fût rendue" maî-
trefîe , il n'y avoit perfonne qui ne fouhaitât que la fortune
décidât de ce différend par un combat , avant qu'elle fût
entrée dans la mer d'Efpagne. Ainfî les Magiftrats de Lif-
bonne prefTérent le Prince de pourvoir à fes intérêts tk. à ceux
de cette Capitale , & d'apporter enfin remède aux malheurs
aufquels on étoit expofé chaque jour. Ils lui repréfentérent
que l'armée d'Efpagne étoit à leurs portes 3 que Philippe n'é-
toit pas fort éloigné 3 qu'il falloit fe battre ou s'accorder 3 &c
qu'ils le prioient de choifîr incefîàmment celui des deux par-
tis qui lui conviendroit le plus. Mais ceux qui compofoient le
Confeil de ce Prince ne vouloient point entendre parler d'ac-
commodement. Les Moines eux-mêmes étoient plus furieux
que jamais. Ils ne fe contentoient plus comme auparavant ,
d'animer le peuple à la guerre dans le fecret de la Confefîion
6c dans leursSermonsjOn les voyoit fe mêler parmi les troupes,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 271
dans le camp , & fur la flote , avec un appareil ridicule $ »
foit que dans leurs habits ordinaires ils panifient le Crucifix Henri ~
à la main , ou portant quelques reliques j foit qu'armés à de- III.
mi ils fe donnaflent en fpe&acle , faifant la roue avec leur 1580.
épée , faifant de la Religion le prétexte de leurs fureurs , èc
mettant tout en ufage pour porter à tenir bon jufqu'à la der-
nière extrémité , des gens qui commençaient à fentir tout le
poids de leurs malheurs.
D. Antoine, qui d'un côté n'efpéroit plus de pouvoir ja-
mais s'accommoder avec l'Efpagne, 6c qui de l'autre fe voyoit
de toutes parts abandonné , fè trouvoit cependant dans l'em-
barras le plus funefte. Le trouble régnoit dans la Capitale,
la frayeur a voit faifi les troupes. Dans ces trift.es circonftan-
ces, incertain du parti qu'il avoit à prendre, victime de la
crainte , &; foupçonnant par conféquent tous ceux qui ap-
prochoient de lui , ce Prince malheureux qui fe croyoit à
toute heure fur le point d'être trahi , faifoit fentir fa mau-
vaife humeur également à fes créatures &: à ceux qu'il s'ima-
ginoit être fcs ennemis. Le feu ayant pris par hafard à quel-
ques maifons voifines du Palais , dans le quartier où logeoient
les Flamans , quoique cette nation dût être beaucoup moins
fulpecle que toute autre , cependant il s'imagina qu'ils avoient
excité cet incendie de concert avec les Efpagnols , & fur le
rapport d'Emmanuel Suarès , qui depuis peu avoit été nom-
mé Chancelier de la chambre de Lifbonne , il obligea ces
malheureux à changer de demeure -, ce qui leur caufa un pré-
judice confidérable , peu s'en fallut même que le peuple fu-
rieux ne mît leurs maifons au pillage.
Le duc d'Albe étoit informé de tout ce défordre 3 Se après
avoir ufé jufque-là d'une diligence incroyable , il reftoit tran-
quille dans fon camp, attendant patiemment que ce peuple
qui ne s'étoit attaché à D. Antoine que par fantaine , le
voyant malheureux, fe révoltât contre lui avec la même lé-
gèreté , & qu'il pût ainfi fe rendre le maître de fon fort , fans
être obligé d'en venir à une bataille. Cependant il faifoit
fonder la garnifon de Belen , & même les Officiers de la flote
Portugaife. Il y eut aufli pendant huit jours quelques actions
de peu de conféquence , à la tête defquelJes fe trouva Dom
Sanche d'Avila , &; où l'avantage fut affez peu confidérable
i?i HISTOUt
. de part & d'autre. Enfin D. Pedre de Bermudez que le duc
Hen 'a i d'Albe avoit laifle à Sétubal , étant arrivé avec quelque cava-
III. lerie , &: ce Général ayant faic reconnoître la tour de Belen ,
i 580. qu^ n'avoit pour toute défenfe qu'un baftion fort étroit 6c
un folle , on drefla contre ce fort une batterie de trois canons^
maïs ils commencèrent à peine à tirer, que la garnifon qui avoir
déjà fait fa capitulation avec les Efpagnols , leur remit cette
place. La tour de Caparica , quicouvroiten quelque forte la
tour de Belen , fe rendit de même auffitôt après. De là le
duc d'Albe alla prendre fon quartier au fameux monaftére
des Jéronimites , où le roi Emmanuel , par l'ordre duquel
il avoit été bâti , avoit fait des dépenfes infinies , 6c qu'il
avoit rendu célèbre , en le deftinant à être le lieu de fa fé-
pulture & de celle de (es fuccefTeurs. Ce Général voulut en-
fuite reconnoître en perfonne le camp de D. Antoine, il paflà
vis-à-vis en bataille , tira quelques volées de canon , & ren-
tra dans fon camp fans avoir rien tenté de plus confidérable j
mais après avoir remarqué cependant qu'il y avoit quelques
endroits foibles qu'il feroit aifé de forcer.
Cependant la rlote d'Efpagne avoit remonté le Tage , &
ne s'éloignoit point de l'armée. Elle étoit compofée de foi-
xante & fîx galères , de vingt-fîx vaiilèaux de charge , & de
quelques autres plus petits. On comptoit dans celle de Por-
tugal neuf grands vaifTeaux qui alloient à la rame , cinq ga-
lères , & trente- lîx vaifTeaux de charge. Toute la flote étoit
bien fournie d'artillerie & de munitions. Elle couvroit la vil-
• le & le camp , en forte que de ce côté-là il étoit difficile d'en
approcher fans danger. D'un autre côté l'armée Efpagnole
trouvoit en fon chemin la petite rivière d'Alcantara , dont
les bords étoient fort efearpés. Ainfi comme il étoit dange-
reux d'attaquer le camp par un féal endroit , il fut réfolu d'y
donner l'aflaut de toutes parts. On prit pour l'exécution de
ce deflein le 2 5 . d'Août , et la veille le duc d'Albe fit lui-mê-
me une courfe jufqu'aux retranchemens des Portugais. En
même tems dès minuit tout le camp des Efpagnols retentit
du bruit des tambours & des trompettes , afin de tenir fur
pied toute la nuit les troupes Portugaifès , & qu'elles fufTent
ainfi moins en état de fe battre le lendemain.
Alcantara eft un bourg qui donne fon nom à la petite
rivière
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 175
rivière qui l'arrofe , fkué dans l'angle même que forme . 1 .•
ce ruiiTeau en fe jettant dans le Tage qu'on paffe en cet en- Henri
droit fur un pont de pierre. Les Portugais y avoient mis 1 1 1.
des troupes pour le garder $ de la fituation de leur camp 1580.
ëtoit telle, qu'ils étoient couverts du côté du Midi parle _... ,
«t. o 1 n . ,/ . . m . ,# oJ^' Défaite des
Tage 6c par leur rlote qui n etoit pas éloignée -, oc du cote Portugais par
du Couchant par où le duc d'Albe venoit les attaquer , ils les Espagnol».
avoient pour rempart la rivière même. Cependant ils
avoient encore tiré en dedans un retranchement qui n'é-
toit pas d'ailleurs bien difficile à forcer. Du refte la fîtua-
tion du terrein étoit fort montueufe , & les deux bords du
ruifleau étoient couverts de collines , qui à la vérité n'é-
toient pas fort rudes à monter , mais qui étoient d'ailleurs
en très-grand nombre.
Le duc d'Albe étoit campé à la droite de cette rivière ^ 6c
il avoit recommandé à D. François d'Alava qui comman-
dent l'artillerie , de difpofer fi bien fes batteries dans les pof-
tes qu'on lui avoit marqués , qu'il foudroyât en même tems
le pont , la plaine où les Portugais étoient campés , de le re-
tranchement. En même tems il manda au marquis de Santa-
cruz , de mettre à la voile au fignal qu'il lui donneroit , en
élevant en l'air un drapeau blanc , 6c d'attaquer fur le champ
la flote Portugaife. Mais le vent contraire l'empêcha d'exé-
cuter à tems ce projet. Cependant le Duc partagea fon ar-
mée en trois corps , dont deux étoient tous compofés d'in-
fanterie , en forte que la cavalerie formoit le troifiéme. Du
refte ils n'étoient point rangés de file , mais marchoient pref- ■
que de front, autant que la petitefTe du terrein pouvoit le
permettre. Le Duc étoit au centre avec toute l'infanterie
Efpagnole 6c une partie des piquiers Allemans. Ce gros corn-
pofé de fix mille hommes , étoit encore divifé en quatre corps,
qu'il avoit aufîi rangés de front. Profper Colonne comman-
doit l'aile droite qui n'étoit pas moins nombreufè , 6c qui
marchoit dans le même ordre , compofée des troupes Ita-
liennes de Allemandes , 6c de quelques bataillons d'EfpagnoIs
qui refloient encore. Enfin D. Ferdinand bâtard du duc d'Al-
be , de Lieutenant général de fon père , étoit à la tête de l'aï-
le gauche , où il n'y avoit que de la cavalerie. Au refte le
Duc lui avoit déclaré expreffément aufîi bien qu'à tous les
Tome VIII. M m
274 HISTOIRE
- Officiers de l'armée , que s'ils vonloient faire plaifir à S. M.
Henri C. il falloic , au cas qu'ils enflent le bonheur de remporter la
III. victoire , qu'ils fi lient en forte d'empêcher le pillage de la Ca*
1580, pitale ^ ajoutant , pour les toucher davantage , que 11 le con-
traire devoir arriver , il fouhaitoit d'avoir la tête cariée du
premier coup d'arquebufe qui feroit tiré , plutôt que d'être
témoin d'un fi grand malheur. Enfin le duc d'Albe marqua
par écrit à tous les Officiers , non feulement l'ordre de la
marche , mais même le moment où ils dévoient donner , afin
de leur faire comprendre que la victoire dépendoit de leur
exactitude àfuivre ponctuellement f on projet.
D'un autre coté D. Antoine , qui n'avoit ni Officiers ni
foldats qui f çuflent la guerre , dont les troupes étoient épui-
fées par la fatigue du jour précèdent , 6c pour avoir pafTe tou-
te la nuit fous les armes , 6c qui fé voyoit même prefque aban-
dpnné , parce que la plupart de fcs foldats étoient retournés
à Lifbonne dont ils étoient fl peu éloignés , fe trouvoit dans
un étrange embarras 5 également inquiet, 6c pour la Capi-
tale , où il apprehendoit quelque révolte j 6c pour fon camp ,
qu'il voyoit prêt d'être attaqué par les Efpagnols. Dans ces
circonffances , il faifoit tout ce qui étoit en fon pouvoir , c'é-
toit déranger fon armée en bataille: encore ne fé prelîbit il
pas , perfuadé que le duc d'Albe ne fongcoit pas à venir l'at-
taquer dans fon camp , èc qu'il fe contenteroit feulement
d'efcarrnoucher comme le jour précédent. Enfin il écrivit à
l'évêque de la Guarda , afin qu'il obligeât tout le monde à
venir reprendre fon pofte. Tandis que ce Roi de théâtre étoit
dans un camp expofé à toutes les injures de l'air, ce Prélat
cependant au milieu de Lifbonne, recevoir tranquillement
fous le dais tous les honneurs de la royauté. Par fon ordre
toutes les cloches de Lifbonne n'avoient point cefTé de fon-
ner pendant la nuit entière , 6c avoient tenu les bourgeois
toujours éveillés. Dès le matin il fit battre le tambour dans
toute la ville , obligeant tout le monde , bon gré malgré ,
de pafîer au camp , comme autant de brebis qu'il envoyoit à
la boucherie. Mais la plupart défertérent en chemin , en
forte que cette refiburce ne fortifia pas de beaucoup l'armée.
Déjà le duc d'Albe étoit en marche , 6c voyant, que le
Prince n'avoit pas encore rangé fon armée en bataille ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 275
comme il fe l'étoic imaginé , il comprit de là que fon artillerie
ne feroit pas autant de mal aux ennemis qu'il l'a voit efpéré. Henri
Mais il prit fon parti fur le champ , & ayant fait avancer fon III.
armée , il réfolut d'en venir aux mains. Dans cette vue il don- 1 j 8 o.
na ordre à Profper Colonne qui commandoit l'aîle droite ,
de faire l'attaque du pont , & de poulTer de ce cote-là auili
loin qu'il pourroit aller. En môme tems il chargea D. San-
che d'Avila de tirer du centre deux mille arquebufiers des
plus braves , d'aller à leur tète paiTer le ruiiléau un peu plus
haut , où les bords étoient moins efearpés , &c de prendre en
flanc les Portugais. Enfin il chargea D. Ferdinand ion fils de
chercher un paiîàge dans un endroit plus éloigné , 6c de raire
en même tems au camp une troifîéme attaque oppojée aux
deux autres, afin d'attirer l'ennemi de ce cote-là. Mais foit
que d'Avila eût plus de chemin à faire , & qu'il rencontrât
plus d'obftacles ^ foit que les Italiens , pour oter aux Efpa-
gnols la gloire d'avoir marche les premiers à l'ennemi , euf-
iènt doublé le pas , Colonne précipita fon attaque 5 & com-
me les Portugais lui oppoférent la fleur de leur armée , il Kit
d'abord ailèz maltraite. Le duc d'Albe d'une hauteur où il
étoit afTis , etoit témoin de ce défordre , 6c blàmoit haute-
ment la témérité de Colonne. Enfin Louis Dovara marcha
à ion fecours à la tête de quelques cuiraiîiers Allemans , que
le comte de Lodron lui prêta. Avec ce renfort Colonne em-
porta le pont, 6c força les ennemis d'abandonner un moulin
voiiîn où ils avoient jette quelques troupes. Pour lui il ne
perdit que quelques foldats à cette attaque.
Cependant le duc d'Albe étoit fort inquiet , comm? il
connohToit d'Avila pour un homme naturellement prompt,
il appréhendoit que lorfqu'il f çauroit l'accident arrivé à Co-
lonne , au lieu de prendre l'ennemi en flanc , il n'allât l'atta*
quer de front. Mais d'Avila iùivit exactement l'ordre du Gé-
néral. Il chargea les Portugais avec vigueur, accompagné
de D. Rodrigue de Çapata, 6c de D. Pedre Gonçalez de
Mendoza ^ 6c ayant été ibûtenu à propos par la cavalerie de
D.Ferdinand, quoique D. Antoine, qui auparavant s'étoit
trouvé à l'attaque du pont , eût tourné toutes fes forces de
ce côté-là , il obligea les ennemis qui fçavoient que les Espa-
gnols étoient déjà maîtres du pont , 6c qu'ils attaquoient le
Mm ij
i76 HISTOIRE
» camp par les flancs , àfe recirer au centre. Alors d'Alaba fie
Henri encore fur eux quelques décharges qui leur tuèrent beau-
III. coup de monde. Cependant ils étoient enveloppés de toutes
1580. parts. Ils avoient l'ennemi en tête & en flanc , & D. Ferdi-
nand ayant envoyé une partie de la cavalerie pour leur cou-
per le retour vers la Capitale , ils fe voyoient encore pris en
queue. Ainfi ils fe débandèrent & commencèrent à fe mettre
en fuite. D. Antoine lui-même abandonnant le champ de
bataille , fe mêla avec les fuyards , & reprit le chemin de
Lifbonne , fuivi du comte de Vimiofo , de D. Emmanuel de
Portugal , de D. Diegue Botello le vieux , & de D. Edouard
de Caftro. Il reçut en chemin un coup de lance dans le vifa-
ge , & fut même prefque fait prifonnier par quelques volon-
taires Italiens. Enfin il arriva à la Capitale qu'il traversa , en-
trant par une porte &; fortant par une autre , & traînant après
foi \qs malheureux reftes de ion armée. En parlant il fit ou-
vrir les prifons , comme fî après une fi grande perte , l'Etat
eût pu efpérer encore quelque chofe du fecours de quelques
fcélérats. Il s'en trouva cependant parmi eux qui n 'avoient
d'autre crime que d'avoir foûtenu le parti de Philippe. Les
artifans 6cle refte du peuple mirent les armes bas , réitèrent
dans la ville , & ne cherchèrent point d'afyle ailleurs qu'au-
près de leurs femmes & de leurs enfans. Les étrangers fe ré-
fugièrent dans les Eglifes. Le carnage fut grand , &; cepen-
dant beaucoup moindre qu'on n'auroit dû l'attendre , va le
grand nombre des fuyards. En effet hs Portugais n'eurent
pas plus de quinze cens hommes de tués. Pour ce qui eft des
Efpagnols , ils ne perdirent guéres que cent hommes dans
cette aétion.
Il y avoit à Almada de l'autre côté du Tage un couvent de
Dominicains bâti fur une colline. François Foreyro de Lif-
bonne en étoit Prieur. C'étoit un Théologien fort habile,
célèbre non feulement par lès ouvrages , mais encore par la
part qu'il avoit eue au Concile de Trente où il s'étoit trouvé.
De cette hauteur ce Religieux qui étoit fort contraire aux in-
térêts de Philippe , regardoit avec inquiétude le combat des
deux armées , lorfque voyant les troupes Portugaifes taillées
en pièces ou mifes en défordre , il fut faifi d'une peur ou d'u-
ne douleur fi violente , qu'il tomba à la renverfe de deiTus la
DE J. A. DE THOU,Liv. LXX, 277
chaife ou il écoit afïïs ^ les yeux tournés vers le ciel 6c froid
comme un marbre , il mourut ainfï fans prononcer une feule Henki
parole , n'ayant guéres plus de foixante ans. 1 1 1.
Auffitôt après cette déroute , D. Ferdinand, conformé- 1580.
ment aux ordres de fon père , marcha vers Lifbonne pour „,, _
nii 1» * -11 1 1 • j Réduction de
empêcher les troupes d y entrer. Il eut la précaution de pu- Lifbonne à
blier chemin faifant avant que d'y arriver , qu'il y avoit en- l'obénï'ancc
core un gros d'ennemis à défaire , & que les vaincus faifoient «3»^.
mine de vouloir fe rallier , afin d'amufer le foldat. Enfin il fe
rendit dans la Capitale où il parla aux Magiftrats , & leur
promit feulement la vie fauve , laiiïànt le refte à la difpofi-
tion du vainqueur. Mais ce n'étoit que pour ne pas s'expofer
aux importunités des troupes qui l'environnoient. En effet il
fit defeendre avec des cordes pardeiïiis les murs de la ville ,
quelques-uns des principaux d'entr'eux , qui fe rendirent au-
près du duc d'Albe , de qui ils obtinrent des conditions plus
avantageufes. En conféquence il donna ordre à quelques-uns
des principaux Officiers de l'armée , de faire une efpéce de
garde à la porte de Sainte- Catherine , afin que par leur au-
torité ils arrêtafTent le premier feu du foldat. Ceux qu'il
chargea de cette commiflion furent le marquis de Cetona ,
D. Ferdinand de Tolède , D. Sanche d'Avila, Jule Spinola,
Ambroife Grimaldi , D. Garcie de Cardenas , D. Pedre de
Bermudez , François Landriano , Corne Centurione , D.
François &. D. Diégue de Tolède. Il fit aufîi entrer dans la
ville , Pierre de Medicis , D. Pedre de Tolède , & quelques
autres Seigneurs , afin d'empêcher par leur préfence que les
foldats ne fiffent aucun tort aux habitans , au cas qu'il s'y en
fût glifïë quelques-uns. D'un autre côté le marquis de San-
tacruz , & D. Alfonfe de Levé n'av oient pas été moins heu-
reux fur mer. Après avoir célébré la défaite des Portugais
par une décharge de toute leur artillerie , la flote ennemie qui
voyoit l'armée de D. Antoine en déroute, ayant mis à la voi-
le , ils s'en rendirent maîtres fans trouver prefque-la moindre
réfiffance. Cependant quelques-uns des gens de l'équipage
étant entrés dans Lifbonne , & voulant fe mettre à piller, on
arrêta leurs mauvaifes intentions , àc il y en eut de pendus
pour fervir d'exemple aux autres.
Les troupes ne pouvant donc pas pénétrer dans la ville r
Mm iij
27§ HISTOIRE
— — - elles s'en vengèrent fur le faubourg qui en fait la meilleure
Henri partie $ & elles le mirent au pillage pendant trois jours en-
III» tiers. Le butin qu'elles y firent fut immenfe y &. tout ce que
i j 80. l^s foldats enlevèrent , ils le vendirent enfuite à vil prix aux
marchands , comme il arrive ordinairement dans ces fortes
d'accidens. La conjoncture ne pouvoit être plus favorable ,
la flote etoit tout proche , £c c'etoit une belle occafion pour
tranfporter dans les païs étrangers tout ce qu'il y avoit de
plus précieux parmi le butin , &. l'y vendre fa jufte valeur. Au
reffece qui fut cauiè qu'on trouva dans ce faubourg beaucoup
plus de richeifes qu'on n'efpéroit , c'eft que la crainte de la
pefle avoit engagé la plus grande partie des marchands de
Liibonne à y tranfporter leurs effets les plus précieux. Doni
Alfonfe de Levé empêcha que la Doùanne ne fut piilee. Les
Italiens &. les Allemans ne touchèrent point non plus aux
Eglifes. Plufieurs perfonnes perfuadées que celle de S. Roch
qui appartient aux Jéiuites feroit fur-tout un fur alyle,avoient
mis en dépôt chez ces Pérès tout ce qu'elles avoient de plus
précieux. Mais les Efpagnols ayant chaffé de cet endroit les
Italiens , &: y étant entrés comme par amitié , &: fous pré-
texte qu'ils y étoient envoyés par leurs Officiers pour le
mettre hors d'infulte -y tout fut enlevé &: traniporté la nuit
fur la flote. Errera dit qu'on accorda auffi aux troupes le pil-
lage de quelques maifons bourgeoifes , parce qu'elles appar-
tenoient à des gens qu'on aceufoit d'avoir été contraires aux
intérêts de Philippe , &: d'avoir été caufe du foûlevement.
D'un autre coté , Dom Antoine après s'être tait panfer à
Sacabem , avoit marché droit à Santaren , où il fut iuivi par
l'évêque de la Guarda, le comte de Vimiofo de Simon de
Mafcarenas d'Evora , avec environ quarante cavaliers. Le
Prince ne fut reçu qu'avec peine dans cette place ^ encore ce
ne fut qu'à condition qu'il en fortiroit incefîamment. Exem-
ple bien trille & bien remarquable de l'inconftance des cho-
ies humaines ! Ce Prince qui deux mois auparavant avoit vu
tout le peuple de cette ville s'emprefier de fe rendre à fon
Couronnement , &; de marquer la joye qu'il refTentoit de
l'avoir pour maître, devenu fimple particulier, ne pouvoit
pas trouver dans cet endroit-là même un afyle contre fes
malheurs.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 2.79
Bien des gens trouvoient à redire, que leducd'Albe eût =55===
été fi lent à pourfuivre D. Antoine. Mais après un fuccès Henri
il complet , l'armée étant chargée de butin , il étoit difficile, III.
6c peut-être même dangereux de l'éloigner de la Capitale, 1 580.
où l'on prétendoit d'ailleurs , que ce Prince étoit caché. Auffî
fît-on par- tout des recherches fort exa&es &: jufque dans les
recoins les plus cachés des Monaftéres $ 6c fous ce prétexte,
il fe commit une infinité d'injuftices. Ces violences firent en-
core beaucoup de tort à laréputationduduc. Ce grand hom-
me ne manquoit pas d'ennemis , qui travailloient à détruire
l'idée avantageufe que Philippe auroit pu. avoir de fes fuccès ,
6c à groflir au contraire dans ion efprit la faute que ce Géné-
ral a voit faite, en laiifant échaper le nouveau Roi. Ils faifoienc
entendre à ce Prince , que tant de villes ou de fortereiîès ré-
duites à ion obéïfiance , tant d'ennemis défaits , 6c tout ré-
cemment mis en déroute à Alcantara, ne méritoient pas
après tout de il grands éloges 3 que tout cela s'étoit exécuté
prefque iàns réiiftance 3 que cette multitude fans choix de
Portugais , compofée prefque toute entière de gens enrôlés
par force, 6c d'une populace féduite dans le fecret de la con-
fefïïon , 6c par les fermons féditieux des Prêtres 6c des Moi-
nes, qu'on avoit vu eux-mêmes fe mettre à fa tête, pour la
conduire à la boucherie , ne méritoit pas le nom d'armée , 6c
qu'il n'y avoit pas beaucoup de gloire à tailler en pièces, ou
à mettre en déroute des troupes iî mifé râbles 3 qu'ainfl on ne
devoit attribuer ce fuccès qu'au bonheur de S. M. 6c non
point à l'habileté du Duc 3 mais que ce qu'on pouvoit lui
reprocher juftement, c'étoit d'avoir permis pendant trois
jours entiers le pillage d'une ville riche 6c rlorifïante , dont
la confervation auroit fait beaucoup d'honneur à S. M. lui
auroit gagné le cœur des Portugais , 6c lui auroit été même
d'une grande utilité pour l'exécution de (es deiîèins 3 que
c'étoit-là des tours ordinaires de ce rufe Général pour s'at-
tirer aux dépens du Prince l'affection des foldats, &. enrichir
{es parens 6c les créatures , qui avoient plus fatigué , difoit-
on , au pillage de Lifbonne , qu'à vaincre leurs ennemis 3 6c
qu'il n'avoit pas tenu d'autre conduite autrefois en Flandre.
Ces aceufations &. mille autres femblables, dont il n'auroitpas
été difficile au Duc de fe juftifier pleinement , fe répandoient
i8o HISTOIRE
— : — . — - à la Cour , pour obfcurcir la gloire de ce grand homme ^
Henri &; faire oublier Tes fervices ; 6c comme il n'y manquoit , ni
III. d'envieux , ni de rivaux , on les y écoutoic avec plaifir.
1580. H arriva fur ces entrefaites , que la rlote des Indes, qui
Philippe II. s'était arrêtée aux Adores , ignorant ce qui fe paflbit , vint
proclamé roi contre toute efpérance mouiller au port de Lifbonne- ce
de Portugal. qU»eije n'auroit peut-être pas fait > h elle eût été informée de
la nouvelle révolution. En effet elle avoit également à crain-
dre d'être pillée par les vainqueurs ôc par les vaincus. Son
arrivée donna beaucoup de joyeauxEfpagnols ^ mais elle fut
troublée par la nouvelle qu'on reçut en même tems de la ma-
ladie de Philippe. Elle fut fi dangereufe, que les Médecins
eux-mêmes en défefpéroient. Cet accident donna de terri-
bles inquiétudes non-feulement au duc d'Albe 3 mais en-
core à tous ceux dont la fortune dépendoit du maintien de
la puhTance Efpagnole. Les Infans d'Efpagne étoient encore
dans l'enfance -y la guerre étoit allumée dans les P aïs-bas , Se
le duc d'Anjou ne iongeoit en France , qu'à profiter de l'hu-
meur inquiète de la Nation , pour s'aggrandir aux dépens des
Efpagnols. Dans ces circonftances , iî Philippe fût venu à
mourir, il paroiilbit bien difficile que les Eipagnols fuflent
déjà allez maîtres du Portugal , pour ne fe pas voir en dan-
ger de le perdre , &: qu'il n'arrivât pas de grandes révolutions
dans ce vafte Empire. Pour ce quieft du duc d'Albe, au cas
qu'on fût expofé à ce malheur , il avoit déjaréfolu de faire
venir la reine & le prince d'Efpagne à Lifbonne. Autorifé par
leur prefence, &t appuyé du fecours des troupes qu'il avoit
alors avec lui , il efpéroit pouvoir venir à bout de contenir
dans le devoir tous les autres Etats fournis à la domination
Efpagnole. Cependant il afTembla l'onze de Septembre tous
les habitans de Lifbonne , & leur fit folemnellement prêter
ferment de fidélité au nom de Philippe. Toutes les cloches
de la ville fonnérent enfuite , &; les Magifbrats précédés de
l'étendart Royal , allèrent dans les rués de cette capitale
proclamer ce Prince roi de Portugal. Mais leur voix foible
& embarrafTée , marquoit plutôt de la trifteflè que de la joye,
& au milieu de ces cris d'allégrefïè , qu'on ne poufToit que par
force , on voyoit de tous côtés couler des larmes, Se on en-
tendoit encore des foupirs.
Dom
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. i8r
Dom Antoine ne fît quepafTer à Santaren , il fe rendit de ;
là à Conimbre. Mais voyant qu'il n'yavoitpas de fureté , ni Henri
pour lui , ni pour les habitans , quelque bien intentionnés III.
qu'ils fulTent à fon égard, à faire un long féjour en cette 1580.
ville ,'il en partit fur le champ pour aller à Monte-mayor. Là
on apprit qu'il levoit une nouvelle armée 5 & le duc d'Albe ,
qui ne vouloit pas partager fes forces , réfolut de faire mar-
cher D. Sanche d'Avila contre lui. Cependant la fanté de
Philippe commençoit à fe rétablir , lorfqu'il arriva un nouvel
accident , qui répandit le deuil dans toute la Cour , 6c retar-
da encore pour quelque tems l'exécution des projets, qu'on
méditoit. Ce fut la mort de la reine Anne époufe de S. M. C.
Atténuée de douleur 6c de veilles , depuis la maladie du Roi
fon époux , elle fut attaquée d'un mal , qui iè répandant
cette année dans tout l'Occident, fut comme l'avant-cou-
reur de la pefte , qu'on rellèntit en différens endroits , 6c qu'on
appella en Efpagne le catharre. Cette PrincefTe décéda le
27. d'Octobre , laifîant deux enfans D. Diégue 6c D. Philip-
pe, qui étoient à peine fortis du berceau.
Dom Antoine crut pouvoir profiter de cette occafion. Il
fit folliciter les habitans d'entre le Douro ôc le Minho de fe
déclarer pour lui ; 6c ayant rallié autour de lui quelques-uns
de ceux qui étoient dans les intérêts , il commença à former
une efpéce de nouvelle armée. La crainte de ces forces em-
pêcha pour quelque tems ceux de Conimbre , qui fongeoient
à l'abandonner 6c à fuivre la fortune , d'envoyer des Députés
au duc d'Albe , comme ils y étoient déterminés. Pour ce qui
eft de ceux de Santaren , ils avoient déjà exécuté cette réfo-
lution , aurlitôt qu'ils avoient vu le Prince hors de leur ville ,
&; ils s'étoient fournis au roi d'Efpagne. Cependant D. An-
toine le voyant déjà fort de neuf mille hommes, compofés
de toutes fortes de gens , marcha vers Avero , dont il fomma
les habitans de lui ouvrir les portes : fur leur refus , il ailié-
gea la place , èc fit paroîtreen cette circonstance plus de vi-
gueur, qu'il n'en avoit encore montré jufqu'alors en toute
autre occafion. Enfuite il y fit donner l'aflaut , 6c fut re_
poulie. Mais enfin ceux qui étoient dans fon parti engagè-
rent les habitans à le recevoir. Pantaleon de Saa étoit forti
de Porto , pour venir au fecours des aiîiégés 3 mais il arriva
Tome FUI. Nn
23* HISTOIRE
. ' ■ ■ trop tard. Le Prince fît arrêter plufieurs des habitans , qui
H £ n ri furent la victime de fon avarice 6c de fes violences 3 6c peu
III. s'en fallut même que la place ne fût mife au pillage. Ce iuc-
1 f 80. c^s jomc aux niauvaifes nouvelles qu'on recevoit de la ma-
ladie du roi d'Efpagne, enfla tellement le cœur aux païfans
qui étoient venus au fecours du Prince, armés de bâtons &
de hoyaux, qu'ils s'imaginoient que rien n'étoit capable de
leur réiifter , 6c qu'ils fe promettaient déjà de chalTer les Eu
pagnols deLifbonnc.
D'un autre côté, les Miniftres du roi d'Efpagne travail-
loient fans relâche à étendre 6c à aflurer leurs conquêtes.
Avant la maladie de ce Prince, ils avoient envoyé fur les
cotes de Barbarie & aux Canaries , pour obliger les Portu-
gais de ces contrées à reconnoître S. M.C. 6c prefque tous
s'étoient fournis. Apres cela, comme l'automne étoit fore
avancé , le duc d'Albe envoya les troupes Allemandes en
quartier d'hyver à Sétubal , 6c aiîigna des quartiers aux Ita-
liens ôc aux Efpagnols dans les fauxbourgs de Lifbonne. Ce-
pendant il donna ordre à D. Sanche d'Avila de fe mettre à 1 a
tête d'un détachement de quatre mille cinq cens hommes
d'infanterie , pour achever de ruiner le parti de D.Antoine.
Il fut fuivi de D. Emmanuel de Pacheco à la tête de deux
efeadrons de cavalerie & de quinze cens hommes de pied ,
commandés par D. Diégue de Cordouë 3 6c étant entré dans
Conimbre, il réduilit cette ville à l'obéïfTance du roi d'Ef-
pagne.
Cependant fur la nouvelle de l'arrivée d'Avila , Dom
Antoine quitta Avero,où il étoit alors, & marcha vers Porto,
où fon parti qui étoit le plus fort , le reçut avec beaucoup de
magnificence. Auflitôt qu'on apprit fon arrivée , Pantaleon
de Saa, D. Ferdinand Nurïez Barreto & Jean Rodrigue de
Saa, prirent la fuite 6c fe retirèrent dans la Galice. Enfuite
le Prince fit arrêter & mettre en prifon ceux qui n'étoient pas
dans fes intérêts , confifqua leurs biens , s'empara des vaif-
feaux chargés de fucre , qui étoient à la rade, & les envoya
en France -, fit mourir quelques-uns des habitans , 6c condam-
na enfin cette ville à lui payer cent mille écus d'or. Pour les
lever , il exerça toutes fortes de violences 5 6c ayant par-là
réduit les Bourgeois au défefpoir , il étoit fur le point de fe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 283
porter contr'eux aux dernières extrémités, lorsqu'il apprit ï
que d'Avila venoit de foûmettre les villes de Conimbre &de Henri
Monte-mayor , que D. Diégue Botello s'étoit chargé de dé- Hl>
fendre. Cette nouvelle fauva ceux de Porto. D. Antoine 1580.
occupé uniquement du foin de mettre là vie à couvert, ne
penfa plus à maltraiter ces malheureux. Il envoya à Viana
î'évêque de la Guarda , avec ordre de lever des troupes dans
toutes les campagnes des environs , de fe rendre maître du
pont de Lima , èc de fermer à l'ennemi le paflige du Douro ,
qui étoit entre lui èc les Efpagnols.
Pendant ce tems là le duc d'Albe étoit àLifbonne,où il cafïa
les Magiftrats que D. Antoine avoit nommés , èc en créa de
nouveaux. Il répara aufîi les fortifications du vieux château,
& y en ajouta de nouvelles , y rit tranfporter de l'artillerie 6c
des munitions , èc y mit en garnifon les troupes Efpagnoles ,
qui , tandis qu'elles gardoient les portes de la ville , avoient
donné occafion à plu fleurs querelles , qui s'étoient élevées
entre les Caftillans &les Portugais.
Cependant d'Avila s'avançoit vers Avero , lorfqu'il reçut
les Députés des habitans de la place , qui venoient fe foû-
mettre au roi d'Efpagne , èc lui offrir leurs fervices. D'Avila
donna là quelques jours de repos à fes troupes • après quoi
il penfa à paffer le Douro. Mais il fe prefentoit bien des ob-
stacles à cette entreprifè. Ce fleuve , qui eft d'ailleurs très-
rapide , n'étoit guéable en aucun endroit ; on y trouvoit fort
peu de bateaux ^ d'Avila en avoit fait porter à la vérité de
plians 3 mais en les faiiant fervir à tranfporter des chariots,
ils s'étoient entr'ouverts , èc ne pouvoient plus être d'aucun
ufage • enfin ce Général ayant détaché quelques troupes
pour en aller chercher le long du fleuve, elles furent atta-
quées par quelques barques armées, à qui D.Antoine avoic
donné ordre de courir de coté èc d'autre j èc ne purent par
conféqucnt ni reconnoître aucuns pailages , ni raflembler
aucuns bateaux. Mais ayant enfuite remonté vers la fource ,
par où le Prince n'avoit jamais imaginé que les Efpagnols
duflent venir à lui, elles en trouvèrent plufîeurs de différen-
tes figures 3 èc Antoine Serrano qui commandoit ce détache-
ment en furprit quelques-uns. Cependant après avoir trouvé
des bateaux , tous les Officiers reçardoient comme une
° -NT
Nn ij
i84 HISTOIRE
- témérité de vouloir exécuter une entreprife auffi difficile en
Henri prefence de l'ennemi 3 &i ils reprefentoient qu'on termine-
III. roit toujours allez tôt cette guerre , fi on venoit à bout de
1580. réûffir.
D'Avila foûtenoit le contraire, &; comme il vouloir pré-
venir Edouard de Lemos , Martin Lopez d' Azevedo , Antoi-
ne de Soufa Coutirïo , ôc les autres Officiers du parti deDom
Antoine, qui raiTembloient des troupes de toutes parts T il
jugeoit , qu'il ne pouvoit efpérer de réiiffir , qu'en ufant d'une
extrême diligence. Ainfi il fit un difcours aies troupes , pour
les animer à tout entreprendre. Il leur reprcfenta 3 que le
moindre retardement leur ieroit très - préjudiciable • que
l'hy ver approchoit • que pendant cette faiîon la flote ne pour-
roit plus tenir la rner 3 que Ion départ réduiroit les troupes
de terre à manquer de vivres , &; les mettroit par là hors
d'état de fubfifter 5 qu'il falloir donc prévenir ces malheurs,
&; obliger Dom Antoine, qui s'étoit retiré dans le fonds du
Portugal , non-feulement à abandonner ce Royaume avec
ies prétentions , mais encore à fortir de toute l'Eipagne •
qu'autrement, fi on lui donnoit le tems de fe reconnoître , il
profïteroit de l'hy ver pour appel 1er les étrangers à fon lë-
cours , pour faire durer la guerre , qu'on pouvoit aifément
terminer cette année , jufqu'à la fuivante , & même pendant
plufieurs autres , de rendre peut-être douteux l'événement^
qu'au refte des troupes qui afpiroient d'arriver à l'honneur
& à la véritable gloire par le chemin de la valeur , ne dé-
voient point fe laillèr épouvanter par les dangers 3 qu'il n'y
avoit aucune gloire à attendre à triompher d'un ennemi dé-
fait 3 que la valeur confiftoit à furmonter tous les obftacles ;
qu'il n'y avoit rien d'impoffibleà de braves gens 3 que cepen-
dant il n'étoit pas allez aveuglé par le defir d'acquérir un
vain nom , pour vouloir rifquer par fa témérité le fruit d'une
victoire qui leur avoit été fi avantageufe 3 qu'il vouloit feule-
ment les empêcher de perdre par une prudence déplacée, &c
hors de faifon , l'avantage qu'un fi grand fuccès leur avoit
afîiiré , & qu'ils ne pouvoient recueillir qu'au prix de leur ac-
tivité 3 qu'ils n'avoient qu'à vouloh-3 qu'ils avoient fait preuve
de leur valeur , & que la juftice de la caufe qu'ils foûtenoient
leur étoit connue 3 que c'étoit en cela qu'ils dévoient mettre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 185
leur confiance j que du refte il falloit qu'ils fe miflent bien
en tête, qu'ils avoient affaire à ces mêmes hommes , à qui , Henri
pendant le cours de cette année , ils avoient enlevé tant de III.
villes & tant de places, & fur lef quels ils venoient de rem- 1580,
porter à Alcantara une victoire mémorable j èc qu'ils fe per-
luadailènt qu'ils continueraient encore à les vaincre de mê-
me, pourvu que par des délais hors de faifon , ils n'arrêtaf-
fent pas eux-mêmes le cours de la victoire , qui s'étoit décla-
rée pour eux fiavantageufement.
Après avoir ranime le courage de les troupes par ce dif-
cours , & plus encore par la confiance qu'elles avoient dans
ion expérience, d'Avila commença à prendre Tes mefures
pour palier le fleuve. Il fit border de canon tout le rivage fur
lequel Avero étoit finie, afin d'empêcher les ennemis de pa-
raître de l'autre côté. En même tems il fit un détachement
d'un tiers de fon armée, à la tête duquel il fe mit lui-même, &
remonta vers Avynte , refolu de tenter le paiîage de ce côté-
là , avec les bateaux qu'il y avoit fait porter , afin de venir
prendre les Portugais en flanc. Il laifïà le commandement
du refte des troupes qui étoient campées à Piedra Salada, à
D. Rodrigue Çapata , avec ordre de palier le fleuve en pre-
fence de l'ennemi , &c d'attacher les chevaux par la bride aux
bateaux qui dévoient tranfporter l'armée de l'autre côté. En
même tems il lui avoit recommandé de ne fe mettre à l'eau,
que lorfqu'il verrait les troupes Efpagnoles , qui dévoient
paffer au-deffus de lui , prendre en flanc les Portugais. Le
paflàge du Douro ne coûta pas plus que celui du Tage. A
peine les troupes de D. Antoine iè virent attaquées en flanc
par les Efpagnols , qu'elles fe débandèrent fans faire la moin-
dre réfiftance, après avoir à peine perdu dix hommes , &
laifferent ainfi à l'armée d'Avila la liberté de faire à l'aile fa
defeente.
Aiîitot que D.Antoine apprit la nouvelle de ce paiîage , il
comprit qu'il n'y avoit plus pour lui de reflburce. Ainfi il
afîemblatous ceux qui étoient attachés à fon parti , moins
pour prendre leur avis fur l'état préfent de fes affaires , 6c fon-
der leurs difpofitions à fon égard , que pour les animer à lui
être fidèles, en leur expofant les raifons de fon départ, 6c
leur donnant de meilleures efpérances pour l'avenir. Ainii
Nn nj
i86 HISTOIRE
après s'être plaint amèrement de l'injuftice de Philippe, qui
Henri défefpérant de prouver la juftice de fes prétentions , avoit eu
III. recours à la force pour mettre les Portugais dans les fers , &
i 580, l'avoit honteufement dépouillé de la Couronne, malgré le
fuffrage des Etats , qui l'a voient élu pour gouverner le Royau-
me , & être le protecteur de la liberté publique • il leur dé-
clara qu'il étoit réfolu de céder pour un tems à l'orage , pour
ne pas courir manifeftement à fa perte , 6c les enveloper eux-
mêmes dans fon malheur , s'il vouloit s'opiniâtrer davanta-
ge à foûtenir dans ces circonftances la jultice de (qs préten-
tions. Il ajouta qu'il s'étoit vu fans aucuns préparatifs expo-
fé à tous les efforts d'un ennemi puiflant , 6c qui depuis long-
tems fe difpofoit à l'attaquer 3 que c'etoit à cette furpriie ,
qu'on devoit attribuer les pertes qu'il avoit faites, mais qu'il
efpéroit les réparer bientôt à l'aide de nouveaux fecours ,
pourvu qu'il pût compter fur leur fidélité j que pour lui , il
avoit réiolu de vivre 6c de mourir dans les mêmes fentimens 5
que les revers de la fortune ne feroient jamais capables
de le faire changer , ni de l'obliger à rechercher l'amitié du
tyran 6c de l'ennemi mortel de l'Etat , quelques avantages
qu'il pût lui propofer. Après ce difeours qui tira des larmes
de tous ceux qui étoient prefens , 6c que la crainte ou la dou-
leur fit accompagner d'un morne iilence , le Prince fortit de
l'aiîèmblée j 6c ayant pris le chemin du Monaftére d'Arouca ,
il fe détourna pour pafTer à Barcelos • 6c fe rendit enfin à
Viana, où il s'étoit fait précéder par l'évêque de la Guarda,
D. Antoine D'Avila étoit déjà arrivé à la vue de Porto, dont les ha-
fortduPor- Dicans \u[ avoient fermé les portes. Mais lorfqu'ils feurent
tugal & pafle , , _ A . r , . J>/r , !.. r A
en France, que les troupes de D. Antoine etoient diliipees , ils le loumi-
rent enfin , à condition qu'on leur laifTeroit la vie fauve , 6c
qu'on ne toucheroit point à leurs effets. D'Avila détacha
enfuite quelques efeadrons de cavalerie, pour courir après D,
Antoine. Ils étoient à la vue de Viana, lorfque ce Prince prit
enfin fon parti. Perfuadé qu'il valloit encore mieux pour lui
s'expofer à tous les dangers de la mer, que de tomber entre
les mains des Efpagnols , il s'embarqua. Il fut rejette à terre
par une tempête. Cependant quelque diligence que pufîcnt
faire les cavaliers Efpagnols qui avoient été envoyés pour
l'arrêter, 6c que les habitans avoient reçus dans la place , il
DE J. A. DE THO U,Liv. LXX. 187
fçut encore leur échaper.Tandis qu'on traitoit des conditions
aufquelles il fe remettroic entre leurs mains , il profita du Henri
tems , 6c s'étant fait couper la barbe , il fe déguifà en mari- III.
nier. Enfin après avoir distribué aux gens de là fuite le peu 1 c 80.
d'argent qui lui reftoit, il fe tira des mains de fes ennemis j
emportant avec lui ce qu'il avoit de plus précieux en pier-
reries. Cependant il fut obligé de laiiler quelques colliers
de perles 6c quelques ornemens de pierreries , qui étoient
trop lourds, pour qu'il pût s'en charger j 6c Philippe les acheta
depuis des foldats qui les avoient. Depuis ce tems-là ce mal-
heureux Prince refta caché dans le Royaume jufqu'au mois
de Mai fuivant , errant fans celle entre le Douro 6c le Minho ,
6c obligé de changer à chaque inftant de demeure , logeant
tantôt chez quelques Seigneurs de fes amis , 6c fouventdans
des Monaftéres d'hommes 6c de filles. Pendant tout ce tems-
là , l'affection èc l'attachement que ceux de fon parti avoient
pour lui , ou la haine qu'on portoit aux Efpagnols , fut fi gran-
de , que quelque récompenfe qu'il y eût à efpérer , il ne fuc
point trahi , 6c malgré les recherches exacte que les Efpa-
gnols firent de toutes parts , il ne leur fut pas poffible de le
découvrir. Il s'embarqua enfin 6c pafTa en France , où il arri-
va heureufement.
Philippe cependant étoit rétabli de fa maladie, 6c mal-
gré la douleur que la mort de fon époufe lui avoit caufée , il
ne laiiïbit pas de s'appliquer , comme auparavant, aux affai-
res de l'Etat. Il chargea d'abord le duc d'Offone de con-
duire le corps de la feue Reine à Saint Laurent le Royal. En
même tems il renvoya à Madrid le Prince fon fils , avec les
Princefïes fes filles , 6c donna ordre à D. François de Çapata
de Cifneros comte de Barajas , 6c à l'évêque de Cordouë , de
les accompagner. Enfuite il entra en Portugal , arriva à Elvas
le 5. de Décembre , 6c commença d'abord par proferire Dom
Antoine comme traître & perturbateur du repos public ,
promettant quatre-vingt mille ducats de récompenfe à ceux
qui le repréfenteroient mort ou vif. Cependant pour adou-
cir ce que cet Edit pouvoit avoir d'odieux &c d'inhumain , il
en donna un autre le même jour , par lequel en faveur de la
réunion des deux Etats , il aboliffoit les droits qui fe levoient
auparavant fur les marchandées qu'on tranfportoit de la
288 HISTOIRE
il— ! Caftille en Portugal, ou du Portugal dans la Caftille , pei%
Henri ïuadé que la Nation lui fçauroit gre de cette diminution.
III. Le roi d'Efpagne s'étoit rendu en Portugal avec fort peu
.i 5S0. ^e faite, n'ayant amené avec lui que le cardinal Albert , de
quelques - uns des principaux Seigneurs de fa Cour , afin de
donner un accès plus libre aux Portugais. Aulîitôt qu'il y fut
arrivé , le duc Jean de Bragance de Theodofè duc de Barcelos
ion fils vinrent le faluer 3 de il leur marqua beaucoup d'a-
mitié. Il les fit même entrer pendant la Meflè , où il aiîîftoit
derrière la courtine ou le voile , qui cache alors les rois d'Ef-
pagne au refte de leur Cour 3 ce qui eft une marque de diftinc-
tion , dont on n'honore que les personnes du plus haut rang.
Enfin il confirma le Duc dans la poilèffion où il étoit de la
charge de Connétable , qui fembloit être héréditaire dans
fa famille. On crut d'abord que ces marques de diftinèt-ion ,
qui dans le fond n'avoient rien de folide , n'étoient que le
gage des grâces dont Philippe vouloitrécompenfer la foûmif-
iion du Duc • mais il fe trouva enfin qu'il n'avoit point d'autre
fatisfaction à attendre de lui.
Le roi d'Efpagne convoqua enfuite les Etats du Royaume à
Tomar pour le 15. d'Avril de l'année fui vante. Cependant
dès la mort du feu roi Henri, ce Prince avoit écrit à D. Louis
d'AtaydeViceroi des Indes Orientales. C'étoitun Seigneur de
diftinftion , qui avoit parmi les Portugais la réputation d'être
fort habile dans l'art militaire. D. Sebaflien l'avoit d'abord
choifi pour lui confier la conduite de l'expédition d'Afrique.
Mais cet habile homme , qui connoiflbit le caractère bouil-
lant de téméraire de ce Prince , augurant mal du fuccés , s'ex-
eufa d'accepter cet emploi , afin qu'on ne pût pas lui imputer
d'avoir eu part aux deflèins de ce Roi aveugle qui couroit à fa
perte j de il préféra la Viceroyauté des Indes qu'on lui propo-
ibic en même-tems. Par ibs lettres Philippe l'inflruifoit de
fbn droit à la Couronne , & lui apportoit enfuite plufieurs
raifons mêlées adroitement de prières & de menaces , pour
l'engager à le reconnoître. D'Atayde regardoit plutôt à la
puiflance de Philippe , qu'à la juftice de ics prétentions • de il
étoit trop fige pour ne pas prendre le parti pour lequel la for-
tune fe déclaroit. Aufïï D. Antoine l'ayant fait folliciter en
même-tems d'entrer dans {qs intérêts, il ne fut pas écouté.
Cependant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX, 289
Cependant on fît auffi partir des couriers pour tous les Gou-
verneurs des places que les Portugais tenoient dans les Indes. Henri
On leur donnoit avis que S. M. C. venoit d'être reconnue III.
par tous les Etats , toutes les villes & les provinces du Royau- I,§0#
nie; 6c Philippe les prioit en maître d'imiter leur exemple.
Les miniftres d'Efpao-ne , ibit par la lenteur qui en: natu- _ Lcs Aç°rcï
-ii \ ^ \ 1 rr • r -rr '• r **. 'e déclarent
relie a cette Cour , ou les amures ne hniilent point , loit parce en favcur ^c
qu'ils n 'avoient pas prévu les fuites de leur négligence , firent d. Antoine.
une grande faute en cette occafion.Cefut de n'avoir pas fuivi
les confeils de ceux des Portugais , qui fe rendirent d'abord
auprès de S. M. C. & d'avoir attendu trop tard à envoyer aux
Açores. D. Antoine profita habilement de ce retardement, Il
mit dans fon parti toutes ces ifles , à l'exception de celle de
Saint Michel , qui eft la plus voiiïne de l'Efpagne , éloignée
des autres de cent mille pas , & que l'Evêque retint dans l'o-
béïfiance de S. M. C. 6c le comte de Vimiofo envoya un de
{qs gentilshommes , nommé Cyprien de Figueredo , pour
commander dans la Tercere , la mieux fituée 6c la plus fertile
de toutes ces ifles.
Cet Officier étoit fçavantSc habile dans le maniement des
affaires. Il fe rendit à Angra, capitale de l'ifle ; & par le fe-
cours des Cordeliers , qui étoient dans les intérêts du Prince,
il fçut fi bien fafeiner l'efprit de ces infulaires , naturellement
fuperftitieux 6c crédules jufqu'à la ftupidité , que quoiqu'il ne
leur contât que des abfurdités , qui fouvent mêmectoient
contradictoires , il n'y avoit perfonne qui fût plus déclaré
qu'eux contre Philippe. Tantôt il faifoit entendre par ies
émiflàires à ces peuples grofiîers,que D.Sebaltien n'étoit point
mort comme on le difoit,ou bien qu'il étoit reilufcite , 6c
qu'ils le verroient dans peu. Tantôt il les aflllroit que D. An-
toine avoit été élu roi de Portugal. En confequence ils avoient
députe à ce Prince Etienne Silvera, èc le père Melchior Cor-
delier,homme d'unefprit naturellement brouillon, pour le re-
connoître. Après cette démarche il étoit naturel qu'il ne leur
reftâtplus aucun doute fur la mort de D. Sebaflien. Cepen-
dant ces infulaires étoient il fimples 6c fi ailes à prévenir , ils
haïfibient fi fort les Efpagnols , ou leur attachement pour les
Portugais étoit fi grand , qu'ils fe laifierent periuader par
un artifan , que les Cordeliers avoient apofte pour faire le
Tome FUI, O o
290 HISTOIRE
l prophète, que ce Prince paroîtroit dans le io. du mois de
Henri Mars. Le père Melchioraidoic admirablement à les tromper.
III. Ce Religieux ayant appris au retour de fon ambafïade avec
i ï 8 o. Silvera, qu'on fçavoit déjà dans Tille la nouvelle de la vicfoire
remportée par les Espagnols à Alcantara,nefe démonta point.
S'il le trouvoitavec des gens un peu fenfes , il fçavoit habi-
lement donner un bon tour à cette affaire. Il leur faiïoit en-
tendre que la perte n'étoit pas fi confîdérable qu'on la difoit ^
que D. Antoine s'étoit retiré entre le Douro & le Minho , &;
qu'il fè voyoit déjà à la tête de trente mille hommes. Cepen-
dant il joiioitun autre rôle avec le peuple. Il raifoit répandre
certains bruits, quicontribuoientmerveilleufement à le con-
firmer dans l'opinion qu'il avoit conçue au fujet de D. Se-
bafh'en. En même tems un de fes émilfaires nommé Blaife
Camello , célébrant la mefTe , pria publiquement pour ce
Prince ,&: pour D. Antoine -, & quelques-uns de ces bonnes
gens lui avant demandé des nouvelles du roi D. SebafHen ,il
leur répondit qu'il étoit vivant , & qu'il feroit le 4. d'Août à
Angra.
Telle étoit la fituation des affaires de la Tercere. Le peu-
ple étoit fol j & ceux du parti de D. Antoine, fur-tout les
Cordeliers , contribuoientà augmenter fa folie, lorfqu'Am-
broifed'Aguiar, envové par Philippe, arriva enfin avec des
lettres de S. M. C. pa.r lefquelles elle leur accordoit l'aboli-
tion de tout le pafîè , à condition qu'ils fefoûrnettroient. La
plupart des habitans étoient d'abord d'avis de donner audien-
ce à l'agent d'Efpagne. Mais le peuple fe fouleva à fon arrivée,
èc déclara que fi on le recevoit dans l'iile , il falloit que ce fût
pour le mettre auflitôt en prifon. Ainfi les plus fages , qui ne
jugeoient pas qu'il convînt d'ajouter à la honte du refus l'af-
front de l'emprifonnement , 6c qui croyoient même que ce fe-
roit par-là violer le droit des gens,trouvérent plus à propos de
ne point accordera d'Aguiar l'entrée de l'ifle , &: le renvoyè-
rent fans réponfe.
Après fon départ un vaiffeau ayant paru en haute mer par
le travers de l'ifle, il s'éleva un cri par toute la ville, que Dom
Sebaftien promis par l'artifan étoit enfin arrivé. Aufîitôt tout
le peuple courut au port j & quoique le vaillèau s'éloignât de
leurs côtes , cependant ces infenfés 5 foit pour flater eux-
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 191
mêmes leur propre manie, foie parce qu'ils étoient féduits, -
alTûroient hardiment qu'à la vérité le vaiiîèau avoit fait voile Henri
loin de Pille , mais qu'auparavant on en avoit vu fortir trois III.
hommes qui étoient defeendus dans un efquif 3 qu'il avoient 1 < So.
abordé fur le foir , & étoient allé loger chez les Cordeliers 3
& que ces trois hommes étoient D. Sebaftien lui-même,
D. Chriftophle de Tavora, 6c le Cherif. En même-tems les
Cordeliers , pour confirmer le peuple dans cette idée , dès
qu'ils rencontroient quelqu'un de ces elprits crédules , s'ap-
prochoient de lui, ôc lui difoient à l'oreille, qu'il leur étoit
venu des hôtes de conféquence , qui ne vouloient pas fe faire
connoître. Cependant ils empruntoient de tous côtés pour
les recevoir , des tapiileries, des lits de brocard , de la vaii-
felle d'argent 3 ils tenoient leur couvent fermé avec plus de
foin qu'à l'ordinaire: enfin ils faifoient tout ce qu'il falloit pour
confirmer le bruit qui s'étoit répandu , qu'ils avoient chez
eux le Prince & fa fuite. Les Jéfuites, toujours zélés défen-
feurs de la gloire , 6c de la puillànce de l'Efpagne, voulurent
d'abord s'oppofer à ces impoftures des Cordeliers. Mais on
commença par leur défendre de courir la ville 3 après quoi on
les confina enfuite abfolument dans leur monaftére.Tout cela,
pour amufer toujours ce peuple infenfé de l'efpérance vaine
dont on le repaifloit , 6c empêcher par-là ces infulaires de fe
déclarer en faveur de Philippe. Ainii on penfa trop tard à y
envoyer d'Aguiar j 6c on ne retira aucun avantage de ce
voyage.
Ce revers inquiétoit Philippe , qui voyoit que la lenteur de
les Miniftres étoit caufe qu'après s'être rendu maître cette an-
née du Portugal entier , prefque fans aucune peine, il alloit
être obligé d'entreprendre hors de ce Royaume une nouvelle
guerre , où il n'étoit pas fur de réuifir. Cependant , foitpour
latisfaire aux plaintes qu'il recevoit de différens côtés , foit
pour fe rendre agréable aux Portugais , en affectant beaucoup
d'exactitude à punir tous les défordres , & rabattre en même
tems la fierté du duc d'Albe , que ce nouveau fuccès rendoit
encore plus vain 3 mais que Philippe haïllbit , 6c dont il ne s'é-
toit iervi dans cette guerre que malgré lui , 6c par nécefîité 3
ce Prince donna ordre à François de Villafarïa Confeiller du
Confeil fuprême de Caflille de fe rendre à Lifbonne , 6c à
Ooi:
292 HISTOIRE
— ? François Tetaldi Auditeur de l'audience de Galice de paflèr à
Henri l'armée d'Avila,6c de faire la recherche des excès & des
I II. violences commifès par les troupes pendant le cours de cette
1580. expédition.
Cette conduite piqua vivement les Généraux , qui compri-
rent fans peine que c'étoit à eux que l'on en vouloit. Cepen-
dant comme les troupes n'en paroifloient pas moins outrées,
le duc d'Albe 6cd'Avila diilimulérent habilement leur reflen-
timent , & lailTérent à l'armée le foin de les jufbirîer. On n'en-
tendit donc bientôt plus qu'un murmure univerfel dans le
camp : Que cette nouvelle efpéce de tribunal paroiiloit fort
extraordinaire •> que l'armée alloit donc devenir la partie de
fon Général, ou qu'on alloit voir l'ennemi devenir le dénon-
ciateur de l'armée -y que c'étoit un abus intolérable 3 qu'on ne
devoit point écouter les plaintes que les troupes pourroient
faire contre un Général à qui elles étoient fi redevables, 6c
qu'elles regardoient avec raifon comme leur père -, & qu'il
n'étoit pas plus permis d'admettre les accula rions qu'un enne-
mi vaincu pourroit intenter contre les troupes : Qu'autrement
l'ennemi alloit prendre la place du fujet fidèle , & qu'au con-
traire les fujets vainqueurs alloient être traités comme des
traîtres : Qu'on ne voyoit pas au refte ce qu'on pouvoit impu-
ter au duc d'Albe 3 ques'il étoit coupable , ce ne pouvoit être
qu'en qualité , ou de Général , ou d'Officier particulier-qu'en-
qualité de Général il n'avoit rien entrepris que par l'avis du
Confeil de guerre ; 6c que fi c'étoit en qualité de fîmple Of-
ficier qu'on vouloit lui faire fon procès , il falloit donc refor-
mer toutes les loix, 6c confondre le droit civil avec le code
&; les ordonnances militaires : Qu'on voyoit bien au refte que
cette entreprifè cachoit d'autres defTeins ^ que l'innocence 6c
les 1er vices du duc d'Albe le mettoienr allez à couvert 3 que
c'étoit à l'armée que l'on en vouloit , & qu'on cherchoit par-
là un prétexte pour la priver des recompenfes que les derniers
iuccès avoient méritées 3 qu'on reconnoiiloit là les artifices or-
dinaires des Miniitres , qui toujours à la fuite du Prince, au
milieu des plaifirs 6c des deiiees , ne voyent que de loin les
dangers que le foldat efl obligé d'efïuyer, 6c ne f bavent pas
juger des travaux d'une armée toujours expofée aux coups,
aux veilles, 6c aux chaleurs jqu'ils auroient bien du cependant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 195
faire un peu d'attention à ce que les troupes- avoient eu à
fourïHr de la famine , qu'elles avoient trouvée à leur arrivée Henri
d'Italie en Efpagne 5 des chaleurs brûlantes de l'Eftramadure, III.
de la pelle dont le Portugal étoit infecté , fur-tout de la fé- 1580.
vérité du duc d'Albe , qui ne leur étoit fî odieux , qu'à caufe
de Ion mérite , & fous qui les moindres fautes étoient punies
du dernier fupplice : Que c'étoit par-là que dans l'efpace de
cinquante-huit jours ils avoient conquis un Royaume entier ,
comme on gagne le Royaume des deux en jeûnant au pain 6c
à l'eau.
Ces derniers traits regardoient D. Pedre Gyron duc d'Of-
fone , àc D. Chriftophle de Mora , les deux grands rivaux du
duc d'Albe. On les accufoit d'envier aux autres les récom-
penfesqui étoient dues à leur valeur, & qu'ils achetaient au
prix de leur fang verié pour gagner des Royaumes à Philippe 5
tandis que ces deux Miniftres , éloignés du danger, cher-
choient à les leur enlever par leurs artifices & leurs calomnies.
En effet il s'étoit répandu tin bruit qu'on rappelloit D.Juan
de Mendoza pour donner la vice-royauté de Naples au duc
d'Oifone 5 que de Mora alloit être fait Grand d'Eipagne j &:
qu'au lieu de placer les Officiers, les autres charges ieroient
partagées entre les gens de lettres & les bacheliers de la Cour}
car c'eft. le nom que donnoient les foldats aux Conseillers d'E-
tat , à caufe de la vie tranquille qu'ils menoient. Villafana 6c
Tedaldi arrêtèrent ces commencemens de f édition 3 &appai-
férent ces plaintes, qui d'ailleurs n 'étoient pas fans fonde-
ment. Enfin l'un de l'autre fçut fe conduire avec tant d'ha-
bileté en cette occafion , que Philippe n'eut pas lieu de fe re-
pentir d'une démarche dans laquelle il s'étoit engage mal-à-
propos -y & que les troupes ne purent tirer avantage du grand
éclat qu'elles avoient fait , quelque raifon qu'elles euffent de
fe plaindre.
Ainli fut fournis le Royaume de Portugal, fans qu'on eût Affaires
befoin du fecours des troupes qu'on avoit mandées de Flan- d'AnS!eteri-'
dre &: d'Italie avant qu'on fût aifûré du fuccès , & qui arri-
vèrent trop tard. Cependant les Miniftres de la cour de Rome
profitèrent de cette conjoncture, pour infmuer à Philippe le
defîein de porter la guerre en Angleterre. Les Ançlois exilés
le iounaitoient tort. De fon coté S. S. s'ofFroit de publier une
Ooiij
294 HISTOIRE
- ■ croifade,& promettait également ce qui ne dépendoit pas d'el-
Henri le, comme ce qui étoic en ion pouvoir^ entr'autres elle s'enga-
III. geoic à remettre à S. M. C. un million d'Ecus , qu'elle préten-
1580» doit devoir lui revenir fur l'Archevêché de Tolède , tant que
feroit pendant le procès intenté contre Barthélemi de Ca-
rança , arrêté pour crime d'héréfie'. Mais ce Prince fage , qui
voyoit que le Pape nerifquoit rien du lien , & que lui-même
n'etoit pas encore trop bien affermi dans fa nouvellecon-
quête , crut avoir allez d'occupation chez lui , fans aller mal-
à-propos porter la guerre chez fes voiiins. Ainti il ne voulut
point entendre parler de cette expédition ^ èc après avoir
payé une partie de ce qui étoit dû aux troupes arrivées d'Ita-
lie, comme il n'avoit plus befoinde leur fervice pourlepre-
fent , il les congédia.
Guerre en La guerre avoit commencé en Irlande dès Tannée précé-
iriandc. dente -, mais elle n'avoit pas rétif!] au gré du Pape, qui étoic
l'auteur de ce projet. En effet la même année que les Portu-
gais furent fi malheureux en Afrique, les troupes que le Pape
avoit levées en Italie pour faire la guerre à Elilabeth , & dont
il avoit donné le commandement à Thomas Stucley, Marquis
Anglois, ayant abordé à Lifbonne, D. Sebaftien avoit fi bien
fait, comme je l'ai dit plus haut, que moitié de gré, moitié
de force , il les avoit engagées à le fuivre en Barbarie. Cepen-
dant Stucley avoit été tué à cette expédition ; mais comme
fes troupes avoienteu le bonheur de s'en tirer fans beaucoup
de perte , Sebaflien de Saint- Jofeph , Intendant de cette pe-
tie armée s'étoit trouvé chargé de leur conduite. Saint-Jo-
feph ne fçavoit ce que c'étoit que la guerre , &c étoit abfolu-
ment incapable de conduire cette entreprife. Cependant il
brigua avec ardeur le commandement ^ &il l'obtint aifémenc
du Pape , qui ne comptoit déjà plus fur fes troupes. En même-
tems S. S. traita avec l'ambafîadeur d'Efpagne , pour engager
Philippe à groifir cette armée de quelques Efpagnols. Mais la
lenteur ordinaire de cette Cour , jointe aux préparatifs que
S. M. C. commençoit à faire pour l'expédition de Portugal ,
fut caufe que toute l'année fuivante fe pafïà avant que rien fût
en état.
Enfin Saint-Jofeph ayant reçu un renfort de fept compa-
gnies du Régiment de Bifcaye , partit d'Eij^agne au mois de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 295
Septembre de cette année -, & faifant voile vers l'Irlande , —
fous les ordres du Pape, dont il portoit les armes dans Ton Henri
étendart , il aborda dans cette ille à l'embouchure du Shan- III.
non dans la province de Kezri. Ce fleuve eft le plus grand de 1 < 8 o.
tout ce Royaume. Il coule vers l'Occident, Stvafejetter
dans la mer d'Irlande , au deiïbus de Lymerik. Fitz-Moritz
nouveau Marquis de Leinfter, & Fitz-Girald Seigneur Ir-
landois, qui avoiteu le bonheur d'échaper au glaive des Mau-
res , lorfque l'armée Chrétienne périt en Afrique, avoient
d'abord faitefpérer à ceux qui étoient à la tête de cette entre-
priié , qu'auflitot que les troupes étrangères paroîtroient dans
rifle les habitans delà partie Occidentale, qui étoient pres-
que tous Catholiques, parce qu'ils étoient plus éloignés de
l'Angleterre , ne manqueroient pas de prendre les armes , &
de le joindre à elles. Le comte de Delmond avoit aflùré la
même chofe. Cependant le Marquis avoit été tué malheu-
reufement ^ Guillaume Drury Viceroi d'Irlande étoitmort à.
peu près dans le même tems ^ &. Pelham , à qui le Confeil
de rifle avoit remis le gouvernement , avoit partagé le foin
de pourfuivreles rebelles avec le comte d'Ormond.
Pelham avoit d'abord écrit au comte de Definond,pour le
faire fouvenir de ion devoir , & l'exhorter à abandonner fçs
frères , ou aies engager à mettre les armes bas. Mais au lieu
de profiter de fes avis , le Comte & (es frères lui rirent une ré-
ponfe générale , par laquelle ils lui déclaroient qu'ils avoient
pris en main la defenfe de la Religion Catholique , autorifés
par lefouverain Pontife , & fous la protedion du roid'Efpa-
gnej qu'ainfl ils l'exhortoient lui-même à fe joindre à eux,
pour le foûtien d'une caufe fîjufte, & qui devoit l'emporter
fur tous les autres devoirs. Pelham trouva le confeil fort plai-
fant. Cependant il entra fans perdre de tems dans le Mounfter,
convoqua la Noblefle de la' Province , qu'il arrêta enfuite, ôc
à qui il fit promettre qu'elle fe joindroit à lui &: au duc d'Or-
mond contre les Rebelles ; & avant que de la relâcher 5 il
l'obligea à lui donner des otages pour fureté de fa parole.
Après cela il força le feigneur de Lixnaw à fe rendre. En-
fuite il alla mettre le liéçe devant CanVo-Foil , où comman-
doit le capitaine Jule Italien , avec quelques Efpagnols 5 ruina
les murs de la place à coups de canon , & l'ayant emportée
i96 HISTOIRE
■ d'aiîaut, îl fît pendre le Gouverneur, 6c ceux delà garnifon
Henri qui échapérentà l'épee des Angiois , pour avoir ofé ie laiilèr
III. forcer dans cqzzq bicoque. Après qu'il eut par cette éxécu-
15-80. tion répandu la terreur parmi les Rebelles, la garnifon de
Ballilogh abandonna cette place, aufïïtôt qu'elle apprit que
les troupes Angloifesapprochoicnt , 6c y mit le feu. Les frères
du comte de Defmond fortirent aufîi d'Afqueten -y 6c le Géné-
ral Angiois y rit entrer Pierre Carew, 6c George Carew fon
frère , à qui il donna de nouvelles troupes pour le défendre.
Il defola avec le même fuccès toutes les terres de la dépen-
dance de Mac-Aule , pafla le mont Slewlonguer , entra dans
idfcCezry , où il enleva grand nombre de troupeaux , 6c d'où il
extermina prefque tous les Rebelles.
D'un autre côté Jacque frère du comte de Defmond alla
porterie ravage dans tout le territoire de Muskeroye, qui
avoit appartenu à fa famille j mais que Pelham avoic conhi-
qué , &c donné enfuite à Cormag Mag-Teg , pour récom-
penfe des fervices qu'il avoit rendus contre les révoltés. Mais
comme il marchoit fans précaution , il fut rencontré par Do-
nel, frère de Cormag,qui avoit pris les armes dans le deilein de
lui faire rendre le butin dont il étoit chargé. On en vint aux
mains ; Jacque reçut une bleiTure mortelle , 6c ayant été fait
prifonnier, Donel Je mit entre les mains de \YAram de Saint
Léger Maréchal du Momifier, 6c de W^alter Raleigh , qui
lui rirent fon procès. Il fut condamné à mort , comme crimi-
nel de leze- Majefté , 6c fa tête fut plantée fur la porte de
Carcagh , pourfervir de fpe&acleà tous les palîàns. le Comte
fon frère ne put faire tête à tant de malheurs. Il erra quelque
tems , changeant fans celle de demeure , pour ne pas tomber
entre les mains des Angiois. Enfin il envoya fon époufeà Pei-
nant , pour travailler à obtenir fa grâce 5 il traita avec \Vin-
ther , qui étoit avec une rlote dans le voifinage, pour s'oppo-
fex aux vaiiTeaux qu'on attendoit d'Efpagne , &c il en obtint
.qu'il le pafTeroit en Angleterre pour aller implorer la clé-
mence delà Reine.
Sur ces entrefaites Artus Grey,qu'Elifabeth avoit fait Vice-
roi d'Irlande, arriva dans cette ifle. Auffitôt que Pelham
fut informé de fon arrivée , il remit à George Bourchelier le
foin de la conduite de l'armée. Pour lui ? il ie rendit à petites
journées
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 197
journées à Dublin pour faluer le Viceroi , &; ils tinrent confeil
entr'eux. Sur la nouvelle que l'on eut des courfès que fai- Hen ri
foient dans le pais certains brigands qui avoient à leur tête III.
Fîtz-Euftat , & Pheog-Mag-Hugh , chef de la nombreufe ic8o.
famille des Obrins, & qui avoient pour retraite la fortereflè
de Glandilough , à vingt-cinq milles de Dublin , du côté du
Sud -y il fut réfolu que Grey , pour établir fa réputation à fou
entrée dans l'iile, avant que de procéder à la cérémonie de fa
réception , commencèrent par châtier ces fcélérats. Et il mar-
cha de ce côté-là à la tête des troupes qui venoient le joindre.
Au feul bruit de fa marche ces brigands fe mirent en fuite ,
&; allèrent chercher un afyle dans le lieu ordinaire de leur re-
traite. C'étoit une vallée remplie de pâturages , & très-propre
à engraiiler des beftiaux, prefque par-tout marécageufe , 6c
du refte environnée de toutes parts de rochers & de préci-
pices profonds &: couverts de forêts épaifTes,en forte qu'on
ne peut y arriver que par des fentiers étroits , à pe/ine connus
des habitans même. Lorfque l'armée fut arrivée dans cet en.
droit ,Cofbey , qui commandoit les gens de pied Irlandois,
qu'ils appellent Kermès , avertit Ces troupes de la grandeur
du danger auquel elles dévoient fe préparer. En même-tems
ilfejetta le premier dans les défilés avec une intrépidité fur-
prenante , accompagné feulement de ceux qui l'environ-
noient , & donna ordre au refte de Ces foldats de le fuivre.
Mais à peine eut-il pénétré dans la vallée, qu'il fe vit acca-
blé de toutes parts d'une grêle de coups d'arquebufes qui par-
toient d'entre les arbres. Comme ilavoit affaire à un ennemi
invifible, la plus grande partie de fes troupes reftafur la place.
Le refte grimpant au travers des rochers par des chemins em-
barrafTés fe rendit auprès du Viceroi , qui attendoit l'événe-
ment fur une colline oppofée. Il avoit avec lui le comte de
Kildard , &: Jacque Wingfeld , commandant de l'artillerie.
Ce Seigneur , qui connoiftbit le danger de cette attaque , n'a-
voit jamais voulu permettre à George Carew , un de Ces pe-
tits-fils , de s'y trouver. Pour fon jeune frère , Pierre Carew , il
périt dans ces défilés avec George More , Audley , & Cofbey
lui-même , qui perdit la vie en cette occafion.
Cependant le Viceroi apprit la nouvelle de l'arrivée de
Saint-Jofeph dans l'ifle^ce qui ne fit pas d'honneur à Winther,
Tome VIII. Pp
298 HISTOIRE
1 à qui on avoit donné une flote pour empêcher la defcen-
Henri ce des Efpagnols , 6c qui dès que l'équinoxe fut paSTé , fans
III. attendre les ennemis, mit à la voile pour retourner en An-
1580. gleterre. Auiîi ne pouvoit-il fe défendre , ou d'une négligence
extrême, ou d'une intelligence fecrete & criminelle avec les
révoltés. Au bruit de cette arrivée le comte d'Ormond eut
ordre de marcher de ce côté-là. Ce Général commença par
rafer un fort que ces troupes étrangères avoient commencé
d'élever à leur entrée dans l'ifle. Enfuite les ayant atteintes
dans le moment même qu'elles fe difpofoient à entrer dans la
vallée de Gravingel , il leur tua quelques foldats , 6c fit fur
eux quelques prisonniers , de qui il apprit qu'ils étoient débar-
qués au nombre de fept cens , 6c qu'ils avoient apporté avec
eux de quoi armer cinq mille hommes ^ qu'on attendait d'Ef-
pagne au premier jour des troupes beaucoup pLus nombreu-
ses 3 que le Pape de le roi d'Efpagne avoient réfolu de chaSTer
les Anglois d'Irlande , 6c qu'ils avoient envoyé pour exécuter
ce projet , des fommes d'argent considérables qui avoient été
remifes par Sanders Nonce de S. S. au comte de Defmond , 6c
à Jean Son frère.
Les Efpagnols cependant , qui ne fçavoient où ils alloient>
après avoir erré dans les ténèbres , fe traînèrent enfin julqu'à
la forterelTe queFitz-Moritz avoit commencé d'élever l'année
précédente. Sa Situation étoit avantageufe , elle étoit flan-
quée de bons baStions ^ 6c quoiqu'on n'y eut travaillé qu'à la
hâte , fes fortifications étoient déjà aSTez hautes pour pouvoir
tenir contre une grande armée. AufTitôt que Saînt-Jofeph y
fut entré , il fe chargea du foin de la défendre. Le comte
d'Ormond de fon côté , qui avoit toujours pourfuivi les enne-
mis dans leur fuite, invertit le fort. Mais comme il n'avoit
point tout ce qui lui étoit néceSTaire pour emporter cette
place , ilréfolut d'attendre l'arrivée du Viceroi.
En efïèt , il Se rendit au camp ( 1 ) le deux de Novembre ,
fuivi des capitaines Zouchey , Raleigh , Deny , Mac-W^orth,
Achin , 6c de plusieurs autres. D'abord il envoya un trompette
dans le fort , pour demander aux troupes qui le gardoient ce
qui les amenoit en Irlande , d<, de quel droit ils élevoient une
fortereSIe dans un pais qui étoit de la dépendance d'Elifabeth^
(1) Il faut lire IV, 6c non pas V. Non*
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 299
leur enjoignant en même- tems de lui livrer la place incef- ihl
famment. A cela les aiîîégés répondirent , qu'ils étoient Henri
envoyés , les uns par le Souverain Pontife , les autres par III.
S. M. C. à qui S. S. avoit donné l'Irlande, parce qu'Elifa- T ^o^
U -1 ' ' •' • J»L ' T 11 • M80*
betn ayant ete excommuniée pour crime d nereiie , elle avoit
perdu tous les droits qu'elle avoit auparavant fur cette ifle^
qu'ainil ils étoient réfolus , non feulement de défendre le ter-
rain qu'ils occupoient, mais même de poullèr plus loin leurs
conquêtes, fi Poccafîons'enpréfentoit.
Sur ces entrefaites tinter revint d'Angleterre , amenant
avec lui de la poudre , de l'artillerie , &: un nouveau renfort de
troupes. Après cela leViceroi ne manqua pas , fur l'avis de cet
Officier, de fe fortifier dans fon camp. Enfuite à l'aide des ma-
telots qui étoient fur la flote , il lit percer au milieu de la nuit
la digue qu'on avoit élevée fur le bord de la mer j tira des
vaiflèaux les coulevrines qu'on y avoit embarquées , & les
mit en batterie dans les endroits où il jugea qu'elles feroient
nécefïàires. D'un autre côté les foldats mettoient en même-
tems le gros canon en état. Pendant qu'ils étoient occupés à
ces travaux , les affiégés firent deux forties j mais il s furent
repoufïes avec perte. Les Anglois au contraire ne pedi-
rent dans ces deux actions que le feul Jean Chec. C'étoit
un jeune homme brave & bien fait , fils du fcavant Chevalier
Jean Chec. Après cela l'artillerie tira pendant quatre jours
de fuite. Ce grand feu étonna Saint- Jofeph , &c voyant que les
fecours que le comte de Defmond lui avoit fait efpérer ne pa-
roilïbient point , il commença de fonger à fe rendre.
Hercule de Pife, & les autres Capitaines de fes troupes,
s'oppoférent d'abord à fon deffein. Ils lui reprefentérent :
Qu'ils alloient fe déshonorer Se trahir les intérêts de la Re-
ligion , fi le premier coup de canon leur faifoit peur , & les
engageoit à rendre une place qui étoit fi bien fortifiée, ôc
pourvue abondamment de vivres & de munitions j que ceux
qui avoient embrafïe le même parti qu'eux, étoient déjà en
armes j & que pour peu qu'on voulût tenir , on les verroit
bientôt accourir à leur fecours j qu'après tout il feroit hon-
teux qu'ils tremblafTent à la feule vue de l'ennemi , eux qui
n'étoient venus que pour ranimer le courage des autres , &
fur-tout des infulaires 3 qu'ainfi il devoit prendre patience,
Ppij
300 HISTOIRE
1 ôc fe dilpofer à faire une réfïïtance vigoureufe.
Henki Saint-Joreph n'avoic point de bonnes raifons à oppofer à
III. une réfolution fi fage &; Ci glorieufe. Cependant afin qu'on
1580. ne pût pas imputer à fa lâcheté la faufle démarche qu'il mé-
ditoit de faire ; & pour qu'on crut qu'il n'avoit fuivi en cela
que les régies de la prudence , il fit parler fous main aux fol-
dats , dont la confervation lui étoit plus chère , diioit-il ,
que fa propre vie. On leur repréfenta : Que la témérité des
Officiers avoit amené les choies à un point , que s'ils n'oppo-
foient la violence à leur réfiftance opiniâtre , ils n'avoient
qu'à fe réfoudre à périr tous dans cette place : Que S. S. ne
l'avoit point chargé de cette expédition , ni mis à la tête
d'un corps de troupes lî confldérable , pour fe perdre en
aveugle , & les envelopper eux-mêmes dans fa ruine : Qu'ils
avoient reconnu le païs,&: mis les bonnes dilpofitions des ha-
bitans à l'épreuve ^ que c'en étoit affez pour les dédomma-
ger de leur voyage ; qu'aindils dévoient fe réferver pour un
tems plus favorable , & attendre l'occafion de remporter de
plus grands fuccès.
Ces difeours découragèrent abfolument des troupes qui
n'auroient pas manqué d'aflurance fous un Général plus bra-
ve & plus réfolu. Inquiets de leur fort , elles environnèrent
leurs Officiers , & menacèrent de leur faire un mauvais parti
s'ils ne confentoient pas à fe rendre. Ceux. ci ne purent te-
nir contre ces féditieux. On éleva donc un drapeau fur le
haut des murs de la forterefle -, & Grey jugeant à cette vue*
que les affiégés demandoient à parlementer , il leur envoya
un faufeonduit. Auffitôt un Officier fortit de la place , &: fur
ce qu'on lui demanda quel étoit leur Chef ôc de quelle auto-
rité ils avoient pris les armes , il s'appuya du nom du Pape ,
&: de l'autorité facrée de ce père commun de tous les Fidèles,
feul établi de Dieu fur la terre pour ramener dans le che-
min de la vérité par fçs inftructions falutaires , ceux qui ont
le malheur de marcher dans la voie de l'erreur, &; pour ré-
duire par la force & par les armes , les rebelles qui refufent
d'écouter fa voix. Cette réponfe indigna le Viceroi 3 il s'em-
porta avec excès contre le Pape qu'il traita de tyran impi-
toyable de la Chrétienté , qui fe fervoit des armes dont Dieu
lui a voit interdit l'ufage,pour envahir le bien d'autrui.Enfuite
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 301
il renvoya cet Officier dans fa place , après avoir rejette r^r-^^^^
avec hauteur toutes les propositions qu'il lui avoit faites , 6c Henri
lui avoir déclaré qu'ils ne dévoient attendre de lui aucun III.
quartier • s'ils ne fe rendoient à difcrétion. Les aïîiégés n'a- 1 j8o.
voient encore perdu aucun de leurs avantages , 6c ce mau-
vais fuccès de leur négociation auroit dû naturellement les
animer à faire une belle défenfe. Mais après la lâche réfo-
lution qu'ils avoient prife , ils fe trouvèrent 11 découragés ,
qu'il fut libre à Saint-Jofeph de conclure tout ce qu'il voulut
avec le Général Anglois.
Il fe rendit donc auprès de lui $ 6c comme le foin de fon
honneur lui étoit beaucoup moins cher que celui de fa con-
fervation , après avoir obtenu la vie pour lui 6c pour les Offi-
ciers de fes troupes , il abandonna à la difcrétion du vain-
queur ces mêmes foldats , dont il avoit voulu fe fervir pour
fe mettre lui-même dans la néceffité de fe rendre. Grey en
choifit vingt qu'il retint prifonniers ; le refte , à ce que rap-
portent les auteurs Italiens , fut paiïe au fil de l'épée , à l'ex-
ception de dix-fept que le Viceroi fit pendre pour fervir d'e-
xemple aux autres. On trouva dans la place les magafins
bien remplis , avec des provifions en abondance j 6c quatre
jours après on découvrit en mer quelques vailîèaux qu'on
crut être montés par les exilés d'Ecofïe , qui venoient au fe-
cours des afliégés 3 ce qui rendit la lâcheté de Saint-Jofeph
& de ceux qui penfoient comme lui , encore plus inexcu-
fable.
Quoique le droit de la guerre autorifât la manière dont le
Viceroi en avoit ufé avec les vaincus , cependant Elifabeth
fut fâchée d'apprendre qu'il les eût traités avec tant de ri-
gueur , ou plutôt d'inhumanité. Le comte de Suflèx qui
étoit fon rival , 6c qui ne perdoit pas la moindre occafion de
le décrier , n'eut garde de manquer celle-ci ^ 6c il repréfenta
à la Reine , que la cruauté du Viceroi , non feulement avoit
rendus les Anglois odieux à tous les Princes étrangers , mais
qu'elle fervoit encore de prétexte aux fujets de S. M. pour fè
révolter contr'elle. Il eft vrai qu'on apprit peu de tems après
que les O-Conores cherchoient à foûlever la province d'O-
phal. A cette nouvelle Grey marcha de ce côté-là , condam-
na à mort Hugue O-Moloy qui s'étoit rendu fameux par ks
Pp iij
302 HISTOIRE
brigandages &fes révoltes réitérées, &par ce coup d'auto-
Henri rite ayant répandu la terreur dans tous les environs , il réta-
III. blit le calme dans tout le pais des Magohiganores , & des O-
i s 8 o. earoles ^ & arrêta par le fupplice de quelques rebelles les fui-
tes d'une conjuration qui commençoit à devenir formidable.
En effet quelques Seigneurs des premières familles du Léni-
fier , dont la plupart étoient Anglois d'origine j foit par at-
tachement pour la Religion Catholique dont ils étoient fâ-
chés de voir le culte aboli -y foit par haine pour les Anglois ,
qui , comme s'ils n'eufîènt été qu'Irlandois , les privoient ,
contre l'intention de la loi , de toutes les charges &; de tous
\çs gouvernemens , avoient , difoit-on , réfolu entr'eux de
maiTacrer le Viceroi avec toute fa maifon , de fe rendre maî-
tres du château de Dublin où étoient toutes les munitions de
guerre , &£ d'exterminer les Anglois. Le plus célèbre de ces
Conjurés étoit Jean Nogent baron de Filch , qui , à ce que
prétendent les Irlandois , fut la victime des calomnies de fes
ennemis. Turlogh-Leinigh qu'on aceufoit d'avoir foûlevé
PUlfter , fut traité avec plus de douceur j car on lui accorda
le pardon du paile j & à fon exemple , les O-brins , les O-mo.
res , ôcles Cavenaghes qui s'étoient révoltés dans le L einfter,
obtinrent leur grâce en donnant des otages pour afïiirance
de leur fidélité.
Troubles en L'EcoHé donna auffi cette année quelques inquiétudes.
EcoiTe. La faction Angloife étoit fort affoiblie dans ce Royaume ,
depuis que le nouveau duc de Lenox s'étoit emparé de l'ef-
prit du jeune Roi. Jacque Stuart de la famille des Ochiltres ,
capitaine des gardes de S. M. avoit voulu d'abord s'oppofer
aux entreprifes de ce favori. Mais le Prince qui l'aimoit aufîî
avoit accommodé leurs différends, 6c leur avoit ordonné de
vivre bons amis. Ainfi les chefs de la faction contraire qui
les appréhendoient tous deux , prefférent Elifabeth de ne pas
fouffrir davantage leur intelligence , & d'avertir de bonne
heure le jeune Prince fon parent , du péril auquel fon amitié
pour le duc de Lenox expofoit fa perfonne , la Religion , &
fon Etat.
Ils lui firent entendre que le Duc étoit un émiflàire des
Princes de la maifon de Guife : Qu'il n'étoit paffé en Ecofle
que pour ébranler la Religion , mettre la Reine mère en
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 303
liberté , entretenir la diviiîon entre les deux Couronnes, op- ;
primer ceux des Ecoffois qui étoient attachés 'à l'Angleterre, Henri
fomenter la difcorde fur la frontière , & engager le Roi à le II 1.
marier à l'infçû de S. M. Britannique, foit en France , foit 1 580/
ailleurs : Qu'il ne tarderoit pas après cela à donner bien des
affaires au Royaume , que lorfqu'il feroit un peu plus âgé ,
on le verroit marchant fur les traces de fa mère , prendre ,
comme elle avoit fait , le titre de Roi d'Angleterre 3 &; que fî
cela arrivoit jamais , il feroit beaucoup plus à craindre que
fa mère ne l'avoit été , parce qu'étant regardé comme l'hé-
ritier préfomptif des deux Couronnes , il lui feroit bien plus
facile de trouver des adhérans j outre que les Ecoffois s'é-
toient aguerris dans les troubles du Royaume &: dans ceux
de Flandre j en forte qu'il n'y avoit point d'emplois dans l'ar-
mée qu'ils ne fufïent en état de remplir : Qu'on difoit que ce
Prince avoit mandé Balfour pour faire de la peine au comte
de Morton , parce que Balfour avoit entre les mains un écrit
figné de la main du Comte , qui fuffïfoit feul pour le convain-
cre d'avoir eu part au meurtre du Roi : Que c'étoit là le vé-
ritable motif qui lui avoit fait donner le gouvernement de
Dombriton , à caufe de la facilité qu'il avoit par là de faire
entrer des troupes étrangères dans le Royaume , ou de tranf.
porter le Roi en France : Qu'il étoit continuellement à fes
oreilles , à le prefler de rendre à fa mère un trône dont , par
un dangereux exemple , fes fujets l'avoient dépouillée au
mépris des droits qu'elle y avoit , l'affiliant que dès le mo-
ment d'après cette Princeffe l'y feroit remonter , en abdi-
quant légitimement la Couronne : Qu'après cela il feroit
fans contredit devenu Roi légitime , ôc qu'il verroit alors les
factions s'éteindre dans le Royaume , &; tous fes fujets fe réu-
nir pour le reconnoître : Qu'ainfî ils croyoient qu'il feroit à
propos de ruiner le crédit que le Duc avoit fur l'efprit du
Prince , 6c même de l'obliger à fortir inceilàmment du
Royaume.
Sur ces raifons la Reine députa fur le champ en Ecoffe Ro-
bert Bowes , tréforier de la garnifon de Barwich , avec des
inftru&ions très-amples , & un ordre exprès d'aceufer le Duc
de Lenox. Le Roi ayant donné audience à ce Député , il
demanda que le Duc fortît, parce qu'il avoit à parler contre
304 HISTOIRE
lui j mais il fut refufé , & on lui fie entendre qu'il étoit inoiii
Henri qu'on chafTât du Confèil aucun de ceux qui le compofoient ,
III. ians lui avoir fait fon procès auparavant. On difoit mê-
1580. me c^ans cette Cour que tout cela n'étoit qu'un artifice
des ennemis de ce favori , & que le Député n'avoit point re-
çu d'Eliiabeth aucun ordre à ce fujet. Dans cette idée on
demanda qu'il montrât Ces pouvoirs 5 mais il refufa d'en
donner communication à d'autres qu'au Roi même , & à un
de (bs Miniftres ; 6c comme il vit qu'on ne l'écoutoit point ,
il prit enfin congé de ce Prince au moment qu'il s'y atten-
doit le moins , après avoir fait de grandes plaintes de ce qu'il
refufoit d'écouter les avis falutaires de la Reine , à qui il étoit
li redevable.
Ce départ brufque étourdit tous ceux qui étoient autour
de la perfonne du Roi. Sur le champ ils envoyèrent en An-
gleterre Alexandre de Humes , qu'ils fçavoient n'être pas
défagréable à la Reine , avec ordre de faire des exeufes à
cette PrincefTe de ce qui s'étoit parlé , & de s'informer d'elle
quels étoient ces malheurs dont on étoit menacé , &: ces con-
feils falutaires dont elle fouhaitoit de faire part au jeune Mo-
narque. Mais au lieu de lui donner audience , Elifabeth le
renvoya à Cecill. Ce Miniftxe après lui avoir fait une répri-
mande douce , lui dit : Que fî la Reine avoit refufé de le voir,
ce n'étoit pas que fa perfonne fût ou fufpe&e ou odieufe à
S. M. qu'au contraire on ne pouvoit lui envoyer perfonne
dont elle connût mieux le zèle pour le fervice du Prince , &c
l'avancement de la Religion ; mais que cette PrincefTe étoit
piquée du mépris que le roi d'Ecoflè fembloit avoir fait d'elle,
dans la perfonne de fon Député , dont il avoit ofé révoquer
en doute la bonne foi : Que cependant ce Miniftre n'avoit
rien fait que par fon ordre 3 6c qu'elle étoit par conféquent
fort furprife qu'on eût demandé à voir fes inftructions 3 qu'elle
n'enaceufoit aurefle que les mauvais confeils qu'on donnoit
depuis peu au jeune Prince , qu'elle croyoit d'ailleurs fort
innocent de ce qui venoit d'arriver 3 qu'elle fouhaitoit feu-
lement que dans la fuite il fe montrât plus docile aux confeils
fages 6c falutaires d'une Princeflè qui avoit pour lui toute la
tendrefîè d'une mère j 6c qu'il ne la quittât pas pour donner
toute fa confiance à fon parent , qui étoit fujet de la France ,
zele
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 305
zélé défenfeur du parti François , 6c marié à une Françoife , _i____j
qui , quoiqu'il cachât de Ton mieux fa Religion , étoit cer- Henri
tainement Catholique , & qui jurement ne fouhaitoit que III.
l'éloignement de la maifon d'Hamilton , dans l'efpérance de j e g Qt
tenir lui-même enfuite le fécond rang dans l'Etat après la
perfonne du Roi : Que ce Prince devoir être perfuadé que
les hommes n'ont point de paffion plus violente que l'ambi-
tion.$ 6c qu'il pouvoit fe fou venir des troubles encore récens,
que les François avoient excités en Ecofle , qui auroient eu
des fuites plus funeit.es , fi la Reine ne fe fût fervie de toute
ià prudence & de toute fon autorité pour les prévenir.
Ce Miniftre qui étoit ennemi déclaré de la France , ajouta
exprès ces derniers traits pour rendre le comte de Lenox
fuipecl: au Confeil d'EcoiTe , 6c ranimer en même tems , s'il
étoit poflible , le crédit du comte de Morton , qui fe voyoit
fans autorité , expofé à toutes fortes d'outrages. Cela n'em-
pêcha cependant pas que peu de tems après il ne fût aceufé
de leze-Majefté par Jacque Stuart comte d'Arran -y car il
prenoit ces titres , depuis qu'il avoit été nommé curateur du
vrai comte d'Arran , qui étoit devenu imbecille. Morton fut
arrêté } 6c fe vit obligé de fe juftifier dans les fers.
Au commencement de cette année mourut dans un âge Mort <fo
fort avancé Henri comte d'Arondel , 6c en lui finit l'illuftre comte d'A.-
maifon des Fitz-Alan , qui tirant fon origine des anciens Au-
bains comtes d'Arondel 6c de SuiTex , avoit depuis le régne
d'Edouard l. été pendant l'efpace de trois cens ans très-fio-
riiîànte en Angleterre. Henri avoit été pendant fa vie com-
blé de charges 6c de dignités , Confeiller d'Etat de tous les
Rois , fous le régne defquels il vécut , gouverneur de Calais
fous Henri VIII. Général de l'armée Angloife à l'expédition
de Boulogne , 6c Grand-Chambellan du Royaume j il fut
choifî pour faire la charge de Grand-Maréchal d'Angleterre,
6c de Connétable du royaume , au couronnement d'Edouard
IV. 6c à celui de la reine Marie , qui le fit préfldent du Con-
feil , 6c Grand-Sénéchal de la Cour. Il penfa même à épou-
fer Elifàbeth , quoiqu'il commençât à être déjà fur l'âge ^ 6c
dans la fuite lorfqu'on parla du mariage de la reine Marie
avec le duc de Nortfolck,il eut la facilité d'y donner les mains,
comme bien d'autres. Au contraire il fut toujours fort oppoic
Tâme FUI, Qj\
3o6 HISTOIRE
.- au mariage du duc d'Anjou avec la reine Elifabeth , à caufe
Henri de la haine qu'il portoic ordinairement aux François , aufîl
III. difoit-il ordinairement qu'il avoit appris de fon père qui étoit
3 S 80. né dans le comté de Suflex voifln de la France , à ne pas Te
fier aux François. Il eut trois enfans qu'il enterra tous trois j
Henri , jeune homme d'un excellent naturel qui mourut à
Bruxelles • Jeanne , qui fut mariée à Lomley 3 èc Marie, qui
époufa Thomas Howart duc de Nortfolck : elle eut de ce
mariage Philippe comte d'Arondel , dont j'aurai occafion de
parler dans la fuite.
Tremble- U y eut au^ cette année un grand tremblement de terre
mens-de terre, dans ce Royaume,où ces accidens font cependant allez rares.
Il commença le fix d'Avril à fîx heures du foir , en deçà
d'Yorck , le ciel étant fort ferein. On en fentit auffi un au-
delà de la mer , en Flandre & jufqu'à 'Cologne. Il fut fl vio-
lent, qu'il faifoit fauter les pierres des édifices ^ les cloches
fonnoient d'elles-mêmes dans les clochers j et la mer , qui
auparavant étoit fort tranquille , s'enfla tout d'un coup extra-
ordinairement. Il recommença la nuit fuivante dans la pro-
vince de Kent , où l'on s'en apperçut encore le premier de
May.
Les Angloîs qui aiment afTez à raifonner fur ces fortes de
Phénomènes , prétendoient que cette agitation des vents
dans leurs cavernes foûterraines , étoit un pronoftic des
révolutions qui dévoient arriver dans cette Ifle. On y voyoit
déjà arriver en foule , & avec plus d'ardeur que jamais , du
Séminaire fondé à Rome parle Pape Grégoire XIII. de ce-
lui de Douai en Flandre , & de celui qu'on avoit établi en
France dans la ville de Rheims, des prêtres, qui non con-
tens d'exercer en fecret leur miniffcére pour la confolation
des âmes, fembloient être venus pour préparer les efprits à
la révolte. Ils difputoient déjà publiquement de la fuccefîîon
à la Couronne , de TobéïfTance due aux Magiflrats ^ Se au
lieu que ces Séminaires ne doivent fervir qu'à élever de jeu-
nes gens dans la piété , à en juger par leur conduite, on eût
dit au contraire que ces établiflemens n'avoient été faits que
pour préparer l'exécution de l'horrible décret porté par Pie
V. contre Elifabeth, par lequel ce Pape la privoit de fes Etats5
oc par conféquent pour entretenir des fédkieux 6c des aflafïlns.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXX. 307
toujours prêts à fouffler le feu de la révolte en Angleterre, s
Se à porter la mort dans le fein de cette PrincefTe. Henri
Ce qui confirma cette opinion , c'eft qu'un de ces prêtres III.
nommé Nelfon , ayant été arrêté pour avoir tenu quelques 1 ego.
difcours féditieux avec un autre particulier appelle Sher-
woud , de tous deux conduits devant les Magiftrats , ils fou- lcs c«hok-*
tinrent en leur préfence avec la dernière opiniâtreté , que la ques.
Reine étoit fchifmatique &; hérétique. Après cet aveu ils fu-
rent condamnés à mort. Cependant l'affaire ayant été por-
tée au Confeil d'Elifabeth , cette PrincefTe donna un Edit au
mois de Juin , par lequel elle ordonnoit à tous ceux de fes fu-
jets qui avoient des enfans , des pupilles , des parens , ou au-
tres , au-delà de la mer , de les déclarer aux Magiftrats dans
dix jours , à compter du jour de la publication de l'Edit , de
les rappeller dans le terme de quatre mois , ôcà leur retour
de fignifier auffi leur arrivée au Magiftrat, leur enjoignant,
au cas qu'ils ne voulufîent pas revenir dans le Royaume , de ne
leur envoyer aucun argent, ni par eux-mêmes , ni par d'au-
tres , & défendant à toutes perfonnes , quelles qu'elles fuiTent,
de loger chez elles , ni contribuer à entretenir les prêtres qui
ibrtoient de ces Séminaires , aufîî bien que les Jéfuites , à peine
contre les contrevenans d'être traités comme criminels de
leze-Majeflé.
Telles furent les mefures que cette PrincefTe jugea à propos Autres Ré-
de prendre dans les circonftances,pour le maintien de la tran- g^mens.
quillité publique. On renouvellaaufïï lesEdits contre le luxe,
qui devenoit plus grand de jour en jour. Enfin comme à force
de bâtir , Londres devenoit d'une étendue fans bornes , parce
qu'on y accouroit de toutes les provinces du Royaume , le
danger où l'on étoit de voir toutes les autres villes devenir dé-
fertes , joint à la crainte que l'on avoit que la pefte , dont cette
Capitale eft fouvent affligée , ne fût par là plus violente &c
plus dangéreufe , à caufe de la grande facilité que la conta-
gion auroit à fe communiquer , fit publier un Edit par lequel
il étoit défendu de bâtir plus près des portes de cette ville ,
que de trois milles • & ordonné que chaque maifon ne feroic
habitée que par une feule famille , à peine de prifon de de con-
fîfcation des matériaux.
Fin du Livre foixante & dixième.
3o8 HISTOIRE
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HISTOIRE
D E
JAC QTJE AUGUSTE
DE T H O U
LIVRE SOIXANTE-ONZIEME,
7Z 'Heureuse expédition des Anglois en Irlande fut
NRI I f pour comble de profperité fuivie du retour fortuné &
' glorieux du Chevalier François Drake , qui venoit de faire le
1580. tour du monde dans une navigation de trois ans. L'amour de
Voyage du ^a gloire , ou le défir de faire fortune lui ayant infpiré ce def-
chevaher fein , il partît du port dePlymouth le 13. Décembre 1577.
Drake. avec une efcacjre je cinq vaiiïèaux montés de cent foixante-
quatre hommes de débarquement. Au bout de dix-fept jours
il fe vit à la rade du Cap de Cantinen Barbarie. Ayant trouvé
l'ancrage fur au port de Pille Magador , il y bâtit un fixiéme
vaiflèaux du bois qu'il avoit apporté d'Angleterre, & fur la
fin du même mois il remit à la voile , &: doubla la Cap Blanc
le 1 7. Janvier. Cinq jours après il rencontra & prit un de ces
vaiiîeaux Portugais, qu'on nomme Caravelles, qui revenoît
del'ifle Verte chargé de fel. Ilaborda dans cette ifle le 28.
de Janvier, ôc il y trouva du raifin mûr 6c très-doux. Cette
circonftance , qui paroîtroit un prodige fous notre ciel , eft
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 309
©rdinaire en ces climats : car cette ifle étant fituée près du —
Tropique du Cancer 6c de la Ligne équinoctiale, elle eft. toû- Henri
jours échauffée parles rayons du foleil. Il y croît un arbre qui III.
n'a ni branches , ni feuilles , 6c qui porte à la cime une efpéce 1580.
de gerbe de la grofleur de la tête d'un homme ; le bout delà
coque de ce fruit eft, veiné 6c rayé : 6c quand on a percé la
coque on en tire un noyau doux 6c blanc , qui reflemble allez
à nos amandes ( 1 ). Les gens du païs en font grand cas,& le re-
gardent comme un manger délicieux. Le 3 1. Janvier Drake
ayant fait route vers l'ifle Saint Jacque , y prit un fécond vaif
feau Portugais • & la nuit fùivante il s'approcha d'une ifle
qu'on nomme communément l'ifle de Feu, 6c qui reilèmble
tout-à-fait aux iflesEoliennes ou de Lipari , qui font dans la
mer deSicile.Du refte elle eft fertile,& habitée par des Portu-
gais. On trouve près de-là l'ifle Brava,qui eft arrofée de quan-
tité de fources 6c de grands fleuves , qui fe déchargent dans
l'Océan, 6c qui font fî profonds vers leurs embouchures,
qu'on n'y trouve pas de fond pour lesVancres. Drake enfuite
erra lonç-tems fur la mer avec un vent tantôt favorable , 6c
tantôt contraire. Enfin il arriva au Brefîl fitué au trente-
troifiéme degré du Pôle Antardique , & il commença à en
appercevoir les côtes le cinq d'Avril ^ il y eiïiiya plusieurs tem-
pêtes qui difperférent fa ilote ; mais il la rafTembla heureufe-
ment au Cap de Joie. Cette côte eft couverte d'ifles , où l'on
trouve en abondance des Francolines , des Cerfs , & des
Loups marins , ce qui fit grand plaifir à lbn équipage.
Le 20. de Juin l'Efcadre Angloife étant entrée dans le port
Saint Julien , apperçut de loin comme un gibet , qui lui rap-
pella le fouvenir de Magellan -y parce que c'étoit le lieu où
l'on difoit que ce célèbre navigateur avoit fait pendre quel-
ques rebelles de fa fuite. Cet exemple fit fentirau Chevalier
Drake , qu'un chef ne peut réuffir dans une expédition telle
que la fienne , fans une vigoureufe difeipline , qui tienne tout
le monde dansl'obéïiTance : 6c conformément à cette maxi-
me,il fit fur le champ inftruire le procès de ThomasDoughtie
gentilhomme Anglois , qui après un examen fut condamné à
mort de l'avis de tous ceux qui commandoient ibus Ces ordres.
La feule grâce qu'on fit au criminel fut de lui permettre de
(0 On croit que ceft le Coco,
3io HISTOIRE
'— participer aux facremens , fuivant la manière des Atiglois ,
Henri avant que d'être conduit au ïùpplice.
III. Drake entra le 20. d'Août dans le détroit de Magellan.
1 j 8 o. Les fînuofités de cette côte rendent la navigation dangereufe ,
parce que les vents y changent de jour en jour , en forte qu'on
ne peut s'y fervir de les voiles. La terre des deux côtés de ce
détroit eft fi élevée, qu'elle prefente à la vue comme trois
rangs de gros nuages entaflès les uns fur les autres. Une partie
de ceux qui étoient fur la flote crurent qu'il n'y avoit de l'au-
tre côté que des ides j ôc il y en eut une à qui Drake donna le
nom d'Elifabeth. Elles font toutes entourées de rochers fi
hauts , qu'on les prendroit de loin pour nos Alpes couvertes
de neiges : &leur pofition étoit alors marquée fur les Cartes ,
de manière qu'il ne paroiilbit pas qu'il y eût au-delà aucune
terre Auftrale. On voyoît feulement quantité de feux dans
les ides d'alentour , qui formoient à la vue comme un conti-
nent j ce qui fut caufè qu'on donna à cet amas d'ides le nom
de terre de feu. L'Efcadre Angloife ayant été long-tems ba-
tuë fur cette côte , 6c rejettée vers le Midi , changea enfin de
route , tk. tourna vers le Nord. Et le 3 . d'Octobre elle rencon-
tra trois ides , dans l'une defquelles on obfèrva que le foleil
étoit éloigné de huit dégrés au moins du Tropique du Capri-
corne, 6c qu'il n'y avoit que deux heures de nuit. Drake ayanc
tourné au Nord , dans l'efpérance que cette route le condui-
roit heureufement au Pérou, il s'apperçut bientôt qu'il s'éga-
roit, &ilreconnut que les nouvelles Cartes géographiques,
fur lefquelles il fe régloit n'étoient pas fûres , 6c que l'erreur
étoit au moins de douze dégrés. Continuant fa navigation , il
trouva le i 9. de Novembre l'ide de Mocha , d'où il fit voile
au Chili : & en y abordant il prit un vaiffeau Ef pagnol qui étoit
à l'ancre aflez près de la ville de Saint Jacque. Après avoir
pillé cet endroit, il remit à la voile, 6c lit fouiller le vaifîeau
qu'il venoit de prendre , où il trouva la valeur de trente-fept
mille piftoles en lingots. Il parle enfuite à la vue deTauropaza,
aborde à Lima le 1 3. Février 1 579. 6c pille douze vaifîèaux
qui étoient dans le port. Ayant appris qu'il y avoit près de là
un brûlot qui s'étoitmisà couvert dans le havre de Païta, il
y court à toutes voiles ,&:le pourfuit jufqu'à Panama. Sur ia
route il prit un autre bâtiment Efpagnol, où il trouva dix-huit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 311
livres d'or, 6c un Crucifix d'or enrichi de perles 6c d'éme- ■
raudes d'un grand prix. Enfin il atteignit le brûlot auprès du Henri
Cap Saint François à cent cinquante lieues de Panama. Il y III.
trouva beaucoup de pierres prétieufes , beaucoup de grofles 1580.
perles , fur-tout treize caiTett.es d'argent mis en œuvre, 6c
quatre-vingts livres d'or très-pur.Cette riche dépouille donna
occafion à un bon mot d'un valet Efpagnol , qui dit en fe tour-
nant vers Drake : » Notre vaifleau ne va plus s'appellerym?
»fîu, mais jette argent ; car il vous en crache abondamment, ce
L'anglois continuant fa courfe à l'Oueft , fît rencontre d'un
vaifleau chargé de linge , d'étofres defoye , 6c de porcelaines
de la Chine, dont il prit ce qu'il voulut. Etant enfuite allé
defeendreà Guatulca , 6c y ayant trouvé le juge qui rendoit
lajuftice dans la place publique, il l'emmena avec quelques
autres , 6c fît fortir tous les habitans de ce bourg , jufqu'à ce
qu'il eût fourni fa flote d'eau douce. De-là faifant route vers
l'ide de Cockles , il prit un vaifleau qui alloit aux Philippines.
Il fallut longer au retour • 6c faifant réflexion qu'il n'y auroit
pas de fureté pour lui à reparler par le détroit de Magellan ,
après avoir fait tant de mal aux Efpagnols , il refolut de ga-
gner les Moluques , 6c de doubler le Cap de bonne Efpérance
pour revenir en Angleterre par la route que tiennent d'ordi-
naire les Portugais. Mais le calme l'obligea de faire route au
Nord , 6c il fit fix cens lieues depuis le 16. d'Avril jufqu'au
3 . de Juin pour chercher un vent propre à fon deflein. Deux
jours après il fe trouva au 42e degré de latitude Septentrio-
nale, oùilfentitun froid fi cuifant, qu'il fut obligé de relâ-
cher. Et après s'être remis en mer, il s'avança jufqu'au 2 8e
degré , 6c jetta l'ancre dans un lieu très-agréable. Les habi-
tans du païs lui firent un accueil favorable : 6c le Roi vêtu de
peaux de lapin vint lui-même en grande pompe trouver
Drake. Le Prince avoit pouf cortège un Officier qui portoit
fon feeptre , une grande troupe de gardes tous nuds, 6c qui
avoient le vifage peint de diverfes couleurs. Ils étoient fuivis
d'une foule de femmes vêtues de longues robes faites de jonc
cardé 6c travaillé à peu près comme notre chanvre, avec un
manteau de peau de cerf qui n'étoit point préparée , 6c qu'el-
les rejettoientfur leurs épaules. A la vûë des Anglois les unes
fe mirent à danfer au fon des tambours avec mille poftures
3ii HISTOIRE
'-' ridicules , pendant que les autres faifoient des* Contor/ïons
Henri avec la bouche , fe déchiroient les joiies , 6c fe lamentoient.
III. On prétend même qu'elles eurent recours à des enchante-
i ï 8 ©. niens , chofe ordinaire en ce païs , où le démon exerce fon
empire.
Drake avoit drelTé un pavillon au pied des montagnes , £c
y avoit rangé fon monde comme en ordre de bataille. Le Roi
s'étant approché avec Ton cortège pour le faluer , l'Anglois le
fit aileoir auprès de lui fur une efpéce de trône. Après leur
entretien , & la danfe finie , les barbares en foule s'approcher
rent de Drake , lui mirent une couronne fur la tête, & lui
rendirent leurs refpects comme s'il eût été leur Roi. Le Gé-
néral Anglois nomma cette ifle la nouvelle Albion , à caufe de
la blancheur de Ces côtes , 6c il le fit d'autant plus volontiers ,
que l'Angleterre fut autrefois ainfl nommée pour la même
raifon. Pour conferver la mémoire de fon arrivée à cette
côte , il éleva un monument d'argent maflif, fur lequel il grava
le nom de la reine d'Angleterre, le jour de fon arrivée, la
foûmiffion volontaire des habitans , 6c la royauté qu'on lui
avoit déférée. Vousnefçauriez prefque toucher en ce païs-là
une motte de terre qui ne fe trouve mêlée d'or ou d'argent.
Il leva l'ancre le i 3 . d'Octobre , 6c fit voile vers une ifle qui
eflau 8 e degré de latitude Septentrionale. Les habitans du
continent oppofé vinrent encore l'y trouver avec leurs canots.
Ils parurent fort extraordinaires à nos Européens : car outre
qu'ils font nuds , ils tortillent en rond le bas de leurs oreilles 3
y attachent diverfes pendeloques , & font croître les chairs
de cette partie le long des joués. Ils ont les ongles de la lon-
gueur d'un pouce , ce qu'ils trouvent d'une grande beauté. Un
autre agrément chez-eux , c'efl d'avoir les dents plus noires
que la poix, 6c ils ont des compofitions d'herbes qu'ils em-
ployent pour en venir à bout.
Drake ayant paile à la vue des ifles de Taguîada,de Zelon,1
ôc deZewara , qui appartiennent aux Portugais , arriva aux
Moluquesie 1 8. d'Octobre. Un Lieutenant du roi de Ter-
nate vint à fa rencontre pour l'engager à defeendre dans cette
ifle. Ce puiffant Prince , qui a dix-fèpt ifles fous fa domina-
tion, vint accompagné de fon fénat, 6c richement paré, voir le
Général de la flote Angloife , 6c il prit beaucoup de plaifir à
entendre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 313
entendre les Muficiens qu'il avoic fur fcs vaifTeaux. Les An- ■»
glois ayant fait provifîon de vivres en cet endroit , firent voile Henri
vers le Midi , côtoyèrent Celebes , & allèrent mouiller à une III.
autre ifle pleine d'arbres très-hauts & très-gros , dont la tête 1 c 8 g.
n'a aucune branche. Cette ifle eft remplie de vers luifansqui
voltigent toute la nuit , & qui fans être plus gros que des mou-
ches , répandent une lumière fi brillante qu'on les prendroit
pour autant de chandelles allumées. Il y a auffi quantité de
chauve-fburisde lagroffeur de nos poules , 6t desécrevifîes fî
grofîes , qu'une feule peut rafTafierla faim du plus grand man-
geur. Drake continuant fa route vers les Moluques, fut fur-
pris le 9. de Janvier d'une effroyable tempête, qui le jetta
fur des bancs de fable,&; le mit à deux doigts de fa perte. L'A-
miral donna contre un rocher, &; pour le remettre à flot on fut
obligé de jetter à la mer quantité de marchandifes , & huit
pièces de canon. Enfin le 8. de Février la flote arrivai l'ifle
de Barateve , où l'on trouve de l'or , de l'argent , du cuivre ,
du fouphre, des noix mufcades , du gingenvre, & du poi-
vre long en quantité. Drake en emporta le plus qu'il put,
&; fut fort content de l'accueil de ces Infulaires, qui excel-
lent dans l'art de féparer les métaux , & de les mettre en
œuvre.
Il alla enfuite aborder à la grande Java. Cette ifle eft envi-
ronnée de plufieurs autres , qui font gouvernées par cinq Rois
fort unisenfemble. Les armes ordinaires du païs fontl'épée,
le poignard , &. le bouclier • & le travail en eft trèslbeau. Les
maux vénériens y font communs , &: voici le remède qu'on y
apporte. Les malades demeurent expofés à l'ardeur du foleil
depuis dix heures du matin jufqu'à deux heures après midi,
afin de deffécher cette humeur corrompue , & de l'épuifer.
De l'ifle de Java la flote arriva heureufement au cap de bonne
Efpérance , qu'elle doubla non feulement fans danger , mais
même fans peine , malgré tout ce qu'en difent les Portugais ,
qui affectent d'éxaggerer les périls de ce pafîage, ou pour eau-
fer de l'admiration , ou pour détourner les autres nations d'y
aller : en un mot c'eft l'endroit de tout fon voyage où Drake
eut le vent le plus favorable. Il relâcha au cap des Aiguilles
pour faire de l'eau , & dès qu'il en eut fa provifîon , il mit à
la voile le 1 8. de Juin. Le 2 2. de Juillet il aborda à une ifle
Tome FUI. Rr
3i4 HISTOIRE
■■ qui eft vis-à-vis d'un Cap d'Afrique , fameux autrefois par le
Henri voyage d'Hannon , ( i ) fi l'on en croit les Portugais , &; qu'on
III. appelle aujourd'hui Serra- Lione.
1580. Enfin Drake après trois années de navigation arriva le 3.
de Novembre en Angleterre , où il reçut mille éloges flateurs
de la reine Elifabeth , qui le fît Chevalier. Et pour conferver
un monument de cette expédition , cette Princellè confacra
avec des cérémonies extraordinaires le vailîeau Amiral de fa
flote , & le mit dans fon Arfenal. Au milieu de tant d'hon-
neurs , & des acclamations du plus grand nombre des cour-
tifans, Drake eut un déplaifir fenfible de ce que quelques Sei-
gneurs des premiers de la Cour refuférent l'or & les autres
prefens qu'il leur offrit , fous prétexte que c'étoit le fruit de
îès pirateries. Mais en recompenfe la plupart trouvoient fon
entreprife digne de louanges &: d'admiration , &c préten-
doient que cette expédicion étoitauffi glorieufe à la nation ,
que s'il eût étendu les limites de l'empire.
Bernardin de Mendoze ambafïàdeur de Philippe II. en
Angleterre , Miniftre aufli confidéré de fon Maître par la
gloire qu'il s'étoit acqnife dans les guerres de Flandre, que
par le grand talent qu'il lui connoinoit pour troubler toutes
les Cours où il l'envoyoit, parla avec beaucoup de hauteur
fur ce voyage , & redemanda avec une extrême vivacité tout
ce que ce Corfaire avoit enlevé aux Efpagnols. C'étoit un
prétexte , ou du moins une excufe qu'il préparoit aux con-
jurations fecretes qu'il commençoit à tramer contre la Reine.
Sa plainte rouloit iur ce que les Anglois avoient ofénaviger
fur l'Océan Indien & ufurper un droit refervé aux Efpa-
gnols. On répondit à Mendoze que les Efpagnols s'étoient
attirés ces traitemens par leur perfidie & leur inhumanité en-
vers les Anglois , qu'ils vouloient exclure du commerce con-
tre le droit des gens : Que fî cependant on avoit de bonnes
preuves pour convaincre Drake d'avoir violé les loix de la
Juflice , il étoit prêt à rendre compte de fa conduite félon les
régies ordinaires : Qu'on avoit mis en fequeflre le butin trou-
vé fur la flote -j pour être en état de donner fatisfa&ion à
(1) Voflîus prétend q-uecet Hannon
eft celui qui commanda l'armée des Car-
thaginois en Sicile contre Agathocîe : il
entreprit de faire le tour de l'Afrique ,
;& il écrivit la relation de fon voyage en
Carthaginois : mais fon livre étoit rem-
pli de fables.
t r
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 315
l'Efpagne,en cas qu'on la lui dût ; mais que les fommes que »
Drake avoit apportées n'approchoienc pas de celles que la Henui
Reine avoic été obligée de dépenfer pour éteindre le feu de III.
la guerre inteftine que les Efpagnols avoient allumée contre 1580.
la roi publique en Angleterre & en Irlande : Qu'au refte la
Reine ne concevoit pas pourquoi les fujets & ceux des autres
Princes n'auroient pas la liberté de commercer aux Indes ,
& qu'elle ne pouvoit fë perfuader que le Pape eût pu donner
ce droit exclufïf à l'Efpagne. On demandent par quelle au-
torité le faint Père avoit été établi Juge entre les Anglois ôc
les Efpagnols ? Pourquoi n'avoit-on pas appelle les autres
Princes pour avoir leur confentement ? Quant à moi , ajoû-
toit Elifabeth , je ne reconnois dans le Pape aucune autorité ,
ni prérogative , quand il s'agit d'intérêts temporels : & fon
jugement ne peut obliger des Souverains qui ne lui rendent
& qui ne lui doivent aucune obéïfTance. Mais pourquoi a-t'il
donné ces vaftes pais aux Efpagnols , comme lî c'étoit des
fiefs qui lui appartinrent ? Eft-ce parce qu'ils y ont abor-
dé les premiers ^ qu'ils y ont bâti des cabanes j qu'ils ont
donné à quelque rivière , à quelque cap le nom de leur Com-
mandant , ou du jour de leur arrivée ? Cette donation d'un
bien qui n'appartient pas à celui qui le donne , étant tout-à-
fait frivole , ck ne pouvant conférer au fond qu'une propriété
imaginaire , ne doit pas empêcher les autres Princes de com-
mercer dans ces pais éloignés , d'y envoyer des colonies , de
faire des établiflèmens par-tout où les Efpagnols n'en ont pas
encore, fans qu'on puifle les aceufer de violer le droit des gens.
L'ufage de la mer aufîi-bien que celui de l'air étant commun
à tous les hommes , ils ont tous la liberté de naviger fur ce
vafte Océan : en un mot , quand il s'agit de nouvelles dé-
couvertes , la porTeflion feule forme le droit & fixe les bornes.
Malgré la folidité de ces raifons , Elifabeth qui ne vouloir
point de guerre avec les Efpagnols , crut devoir diflîmuler :
& quelque tems après on mit la plus grande partie du butin
que Drake avoit apporté , entre les mains d'un certain Efpa-
gnol nommé Sebura , qui fans avoir aucun pouvoir des Mar-
chands , follicitoit cette reititution , comme s'il avoit été leur
Procureur. Mais tout cet argent au lieu d'être rendu à ceux
à qui il avoit été pris , fut diftribué à la Reine d'EcofTe , & aux
Rr ij
3i6 HISTOIRE
■ . ' rebelles Anglois réfugiés en Flandre , comme Elifabeth. le
Henri reconnut depuis , mais trop tard.
III. Pendant ce tems-là , on délibéroit dans les Païs-bas fur la
1580. proportion qu'on avoit faite d'appeller le duc d'Anjou & de le
, reconnoître pour leur Prince. Car les affaires des Etats paroif-
A fraires des r • • - » 1 i» *r • '
Pais bas. ioient entièrement ruinées } leurs diviiions qui etoient entre-
tenues par la témérité des Gantois & la nonchalance des
Grands & desprovincesWallones leur ôtoient toute reffource
dans leurs propres forces. Si toutes les provinces avoient été
unies , elles auroient pu fe flater de faire leur paix avec leur
Souverain à des conditions raifonnables : au lieu que dans
l'état prefent de leurs affaires , il falloir nécefïàirement que
l'un des deux partis fût réduit , non pas à implorer le fecours
d'un Prince étranger comme autrefois , mais à fe foûmet-
tre abfolument à fa domination.
Le prince d'Orange étant encore à Gand au mois de Sep-
tembre précédent , avoit été confulté par les Etats fur les
moyens de rétablir la paix , fur les fubfides , fur le traité à
faire avec le duc d'Anjou, & fur le gouvernement général
des Provinces 3 àc voici la réponfe qu'il donna par écrit.
Pour fe juftifier d'abord fur le reproche odieux qu'on lui fai-
foit d'avoir empêché qu'on n'acceptât les conditions de paix
offertes par les Efpagnols , il dit : Qu'il n'avoit pu confentir
à une paix qui ôtoit aux Proteftans l'exercice libre de leur
Religion , en même tems qu'elle portoit un grand préju-
dice aux privilèges du païs. » Perfonne,ajoûtoit-il, ne doit
53 fouhaiter la paix plus que moi. On fçait allez les malheurs
35 ôc les pertes que la guerre m'a cauiés. Perfonne n'ignore
)3 que tous mes biens font au pouvoir de mes ennemis , fans
» qu'on m'ait donné aucun dédommagement ^ que j'ai perdu
« plufieurs de mes frères , dont le regret augmente de jour
55 en jour ^ qu'un fils tendrement aimé que je brûle d'envie
55 de revoir , de dont la féparation m'accable de chagrin , en:
s? détenu prifonnier en Efpagne contre toutes les loix , &c qu'il
»5 ne fera rendu qu'à la paix. Mais je puis dire que mon zélé
55 pour la Religion & pour la liberté de la patrie, Ta em-
55 porté fur toutes ces confédérations. Si ces deux articles
55 étoient à couvert , peut-on douter que l'amour du repos
» fl naturel à mon âge déjà fur le déclin , àc l'horreur d'une
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 317
05 guerre qui m'a été fi funefte , ne me fifTent accepter avec »
» joye une paix qui fe feroit à des conditions raifonnables ? A Henri
» l'égard des fubfides , c'eft une affaire qui regarde les Dé- III.
55 pûtes afTemblés à Utrecht. Quant au duc'd'Ajou , s'il n'y a 1580.
55 point d'efpérance d'obtenir une paix folide écfûre , ôc s'il
55 faut implorer le fècours d'un Prince étranger, je n'en vois
55 point en Europe qu'on doive lui préférer , (oit qu'on regar-
55 de fa puiiîance 8c fon voifinage , loit qu'on jette les yeux fur
55 fes qualités perfonnelles ôc lur la circonftance des tems.
55 D'ailleurs ce Prince eft très-bien avec la Reine d'Angle-
55 terre, qui ne cefle de le recommander ôepar fes lettres &c
55 par fes Ambafïàdeurs.
Sur le gouvernement des Provinces , il dit : Qu'avant tou-
tes choies il falloit remédier à un mal pernicieux, qui étoit
la défobéïiîance -, que le défaut de difeipline ôc de iubordina-
tion a été caufe que des armées très-floriiîàntes le font diffi-
pées fans rien faire , ou qu'elles ont plus fervi à ruiner le païs
qu'à le défendre contre fes ennemis , parce que les lommes
deitinées pour payer les troupes , avoient été employées à
d'autres uiages, ou retenues frauduieufement par ceux qui
les avoient entre les mains : Qu'il fçavoit bien que fes enne-
mis, ôc d'autres même qui ignoroient le véritable état des
choies , étoient allez injuffces pourrejetter fur lui la caufe de
ces malheurs j mais que quelque feniible que lui fût un re-
proche fî outrageant , l'amour qu'il avoit pour fa patrie le
lui avoit toujours fait dilîimuler: Qu'aujourd'hui, qu'on lui
offroit la charge de Lieutenant général de tous les Païs -bas ,
le ibuvenir de tout ce qui luiétoit arrivé jufqu'alorslui don-
noit de grandes inquiétudes , & qu'il aimeroit bien mieux
qu'ils vouluiTent peniér à quelqu'autre qui fût capable de
bien remplir une place ii importante , & qu'il les aideroit de
tout fon pouvoir à faire un bon choix : Que ii l'on vouloit ab-
solument qu'il 1 acceptât , ils pouvoient s'aiîiirer qu'il n'ou-
blieroit rien pour foûtenir la caufe de la Religion de de la
liberté publique : Mais qu'il fe croyoit obligé de commencer
par les avertir que le refus que quelques villes avoient fait de
recevoir garnifan, leur avoit attiré de grands maux, que
Malines , Aloft & Ath en étoient des exemples récens. •» On
55 en reçoit en quelques endroits, ajoûtoit-il, mais de fi foibles,
Rr iij
580.
3 i 8 HISTOIRE
œ^5= » que quand l'ennemi fait des courfes jufqu'aux portes de la
Henri » ville , & qu il ravage le plac païs , au lieu de le repoufTer on
III. » fe tient renfermé dans les murailles, & l'on perd dans une lâ-
w che oifiveté l'habitude de fe fervir de Tes armes. Les moindres
»j bicoques fe donnent la licence de ïuivre des exemples fi fu-
» nefbes, d'où il arrive que les gens de la campagne font expo-
» Ces tous les jours au pillage , fans que tant de troupes entre-
» tenues à grands frais , leur foient d'aucun fecours. Il faut
» donc mettre fur la frontière des garnifons capables d'empê-
» cher les ravages, &: d'afïurer la paix & la tranquillité de tout
>j le païsj il faut payer régulièrement les troupes,afin de main-
>j tenir la difeipline , èc de les contenir dans le devoir. Il
» faut me donner un pouvoir abfolu de régler ce qu'il y
»3 aura à faire fur la frontière , de mettre des garnifons dans
53 les places , & de les en retirer quand je le jugerai à propos,
îj Je crois de plus , que pour éviter les longueurs toujours nui-
33 libies dans les affaires qui demandent une prompte expé-
33 dition , il eft néceflaire que les Etats établirent un Confeil
33 pour décider à la pluralité des voix toutes les affaires qui
33 furviennent d'un jour à l'autre, excepté celles dont les Pro-
33 vinces fe feroient réfervées la connoiilance. Je demande
33 enfin que pour ne plus tomber dans la difette d'argent qui
3> a fait deferter les troupes auxiliaires , &c qui a rendu inutL
33 les celles du païs, on fafîè payer à la rigueur les contribu-
33 tions qui auroient été ordonnées par le confentement una-
33 nime des Etats , &: qu'il foit permis de pourfuivre fuivant
33 les loix ceux qui refuferoient de payer leur taxe , ou qui ne
33 la payeroient pas afTez promptement. « Le prince d'Orange
envoya ces articles pour être mis fur le bureau des Etats , qui
alloient fe tenir à Anvers 3 mais on ne prit aucune réfolution
fur tous ces chefs.
Dans cette confufîon générale , chacun droit à foi l'autori-
té -, en forte que les armées fe trouvoient fans chefs de les
Confeils fans pouvoir. Pour y remédier le Prince fit le 9. de
Janvier de nouvelles infbances auprès des Députés des Etats
pour l'éredion d'un Confeil : & il fit voir que fî on n'établif-
foit promptement une autorité capable démettre ordre aux
affaires , les malheurs paffés alloient être fuivis d'autres en-
core plus grands : Que la perte du Tournefis , de la Flandre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 319
Occidentale , de de Maftricht , n'étoienc que le prélude des
maux donc ils étaient menacés : Qu'il falloit pour les preve- Henri
nir , avoir une puiiîante armée fur pied , fans toucher aux III.
garnifons dont on ne pouvoit dégarnir les places fans beau- t cg0
coup de danger : Que cette armée devoit être au moins de
douze mille hommes de pie , de quatre mille chevaux , de
de deux mille , tant pionniers que mineurs : Qu'il falloit fai-
re ces levées en Allemagne $ qu'on pourroit cependant y mê-
ler des troupes d'autres nations : Et qu'il feroit bon de régler
la formule du ferment qu'on leur feroit prêter , afin qu'elles
ne puflènt pas dire dans la fuite qu'elles en avoient prêté un
autre au Roi.
Quatre jours après on agita une affaire bien plus impor- Mémoire
tante : il s'agiffoit de fe choiflr un nouveau Prince de de re- Pour Fouver
noncer à l'obéïflance de Philippe, qu'on prétendoit déchu fou'ftraire à la
de tout droit fur les Païs-bas , à caufe des injuflices de des domination
cruautés qu'il avoit exercées dans ces provinces , de qu'il y PaSnole-
exerçoit tous les jours. Voici les raifons qu'on alléguoit pour
montrer qu'on ne pouvoit fe difpenfer d'en venir à cette ex-
trémité. >j Les Païs-bas , difoient les auteurs de cette propo-
» îltion , font déchirés par diverfes fadions • il n'y a point
« d'union entre les Grands & le peuple ; tout ce qu'on peut
« donc faire dans ces circonftances , c'eft de fe tenir fur la
" défenfîve. Ainfl la guerre fera longue , de d'un fuccès au
>a moins douteux : nos finances pendant ce tems-là s'épuife-
53 ront • nous ne pourrons plus payer nos troupes , de nous fe-
» rons réduits à demander la paix. Ainfi il faudra rentrer
33 fous le joug d'Efpagne , & faire retomber les provinces dans
33 le précipice qu'elles veulent éviter 5 de c'eft. là en effet le
33 plan de la pacification de Cologne. Si nous voulons donc
33 fécoùer le joug d'un ennemi R terrible , fongeons à termi-
33 ner la guerre par la force ,^ de non pas à nous accommoder
33 par un traité de paix. Mais comme les Provinces Unies ne
33 font pas en état par elles-mêmes de pouffer la guerre avec
33 vigueur , il faut rechercher le fecours de quelque Prince
33 puiffant de bien intentionné pour les Etats. Prenons donc
33 notre parti pendant que les chofes font encore entières , de
33 peur que la longueur de nos délibérations ne donne à notre
»3 ennemi le tems de nous accabler. En temporifant il eh: à
320 HISTOIRE
? » craindre que nous ne puiffions , même en nous foûmettant
Henri » aux conditions les plus dures , trouver un Prince qui veuille
III. » prendre des engagemens avec nous.
1580. " De tous les Princes que nous pouvons appeller à notre
» fecours , le duc d'Anjou frère du roi de France , eft le plus
ici- le duc " en état de nous défendre ^ il eft aflez puifTant pour faire tête
d'Anjou. » à l'Efpagne -y il eft cher aux François , qui le regardent corn-
>j me l'héritier préfomptif de la Couronne. A l'égard de no-
53 tre Religion , de notre liberté , de nos privilèges , &c de nos
« franchifes , il n'y a point de Prince dont nous puiiiions plus
53 fiïrement en efpérer la confirmation. Sur quel fondement
33 attendrions -nous un femblable avantage des Efpagnols ?
33 Ne fçait-on pas que les intrigues de Valentin , de Pardieu ,
33 & de plufieurs autres , ont tramé une étroite confédération
33 entre cette Couronne & la plupart des gouverneurs des
33 provinces ? Ces traîtres déjà corrompus par l'argent des Ef-
33 pagnols , de avides de s'enrichir de plus en plus en fe dé-
33 vouant à leur ièrvice , feront toujours diipofes à vendre les
33 droits & la liberté de leur patrie , 6c même à perfécuter les
33 Protehrans. Faiïons réflexion qu'il faut du tems au duc d'An-
33 jou pour fe rendre auffi puiflànt dans le païs que l'eft Phi-
33 lippe ^ qu'ainfi il n'y a aucune apparence qu'il penfe à aflér-
33 vir nos provinces : Que Philippe au contraire , lur-tout de-
33 puis l'union du Portugal avec l'Efpagne , nous réduira fous
>3 le joug quand il voudra , à moins que nous n'ayons un pro-
33 teéteur capable de nous défendre. Mais pouvons^nous dou-
33 ter de fa mauvaife volonté , après tant de meurtres , de
33 proferiptions , Se de cruautés exercées par fon ordre contre
33 les Mores de Grenade 6c d'Andaloufie , dans les Indes Oc-
33 cidentales & en Italie ? Et fans chercher des exemples étran-
33 gers , le fang de nos compatriotes ne fume-t'il pas encore ?
33 Combien de Seigneurs <k de citoyens égorgés par l'épée
33 des Efpagnols ? Combien d'habitans de ces provinces livrés
33 aux tourmens les plus cruels par ces maîtres impitoyables ?
33 Mais s'ils en ont ufé ainfi avec nous avant que nous euiîions
35 pris les armes , à quoi devons-nous nous attendre depuis
33 que la néceflîté d'une jufte défenfe nous a forcés d'outrager
33 cette nation ? Le plus fage de tous les Monarques a eu gran-
33 de raifon de dire : Que la colère du Roi efU'avant-coureur
de
DE J. A. DE THOU, Lit. LXXI. 321
-*» de la mort : Qu'il n'arrive prefque jamais , ou du moins fort
>5 rarement , que des Rois puiflàns laiflent impunie une in- Henri
53 jure faite à leur autorité : Quelquefois ils dilfimulent une III.
» ofFenfè 3 mais jamais ils ne l'oublient. Nous en avons un 1 y 80.
>j exemple terrible dans la vie de Chriftierne roi de Danne-
•» marck. Ce Prince ayant été chaile du trône à caufe de fa
33 cruauté , Ôc rétabli enfuite à certaines conditions , gou-
>: verna pendant quelque tems avec aiTez de modération:
3> mais toujours occupé du defir de fe venger, il invita à un
îj feftin les Grands de ion Royaume , & les fit tous périr au
» milieu du repas par la main du bourreau. Non content en-
55 core de cette barbarie , il fit maiTacrer jufqu'à leurs enfans
» à l'âge de trois ou quatre ans. La Flandre nous en fournit
■>» un autre exemple. La ville de Bruges ayant offenfé mortel-
>9 lement Maximilien ( 1 ) ayeul de Charle V. ce Prince irrité
» traita avec les habitans par l'entremife des électeurs de
« l'Empire , 6c leur pardonna. On dreffa un acte public de la
35 grâce qu'il leur accordoit , 6c il le confirma par ferment.
35 Cependant dans la fuite il en tira une vengeance dont le
33 fimple récit frit horreur. Et pourquoi tout récemment
3s Charle IX. a-t'il facrifîé à fa colère l'amiral de Coligny 6c
33 les autres chefs du parti Proteflant ? Pourquoi a-t'il fait
35 périr tant d'innocens avec eux , fans qu'une paix de deux:
33 années , ni la reilitution que firent les Proteftans des for-
3ô tereffes Se des villes qu'ils tenoient , ni enfin le mariage de
30 Marguerite de Valois avec le roi de Navarre ayent pu em-
35 pêcher une vengeance fi honteufe au nom François ? C'eft
33 que ce Prince , malgré fa générofité naturelle , n'a jamais
33 oublié l'injure que Coligny lui avoit faite en l'obligeant à
3s fe fauver de Meaux. Les Efpagnols chez qui la vengeance
■» eltune vertu , la fatisferont d'autant plus volontiers , qu'en
»î ruinant toutes les places fortes des P aïs- bas , comme fit
» Charle V. en 1539. pour punir la révolte des Gantois,
33 ils compteront épargner des fommes immenfes que leur
)î coûte la garde de ces provinces.
33 Philippe , nous dit-on , engagera fa parole royale, ôc
33 fcellera fes promeffes de la manière la plus folemnelle 6c la
>3 plus forte. Mais peut-on douter qu'il ne trouve le Pape
( 1 ) On le tint prifonnier à Bruges deux mois & demi durant.
Tome y III. S f
312 HISTOIRE
===! » toujours prêt à le relever de Ton ferment , puifque c7eft. un:
Henri » principe de la cour de Rome , qu'on ne doit point garder
III. " la foi aux hérétiques , & que les Proteftans y font regardés
i j 80. " cornme tels ? Nous en avons la preuve dans l'écrit violent
" de celui , qui fous le nom de Cornélius Callidius Chryfo-
55 politanus , a répondu à la harangue que Sainte-Aldegon-
*Phiiippc de » de * fît dernièrement à la Diète de formes. Ce prin-
Maxnix. „ cjpe y Q[\- établi par-tout , & Jean Lenfeus , aufïï bien que
'j Cunerus évêque de Leuwaerden le répètent fans cefïe dans
55 tous leurs difcours. Mais quand même le roi d'Efpagne
55 voudroit tenir fa parole , il n'en feroit pas le maître. Le
55 Pape & l'Inquifkion repréfenteroient à ce Prince religieux
55 qu'il ne le peut en conférence , & ils l'engagcroient enfin
55 malgré lui , à faire la guerre aux Sectaires : C'eft ainfl que
53 malgré les plus folemnels fermens , Charle IX. ordonna le
55 mailacre affreux de Paris , qui s'étendit enfuite fur toute la
55 France : action déteftable , qui a caufé tant de remords au
55 Prince qui s'y étoit laiiîe engager. En effet un complot il
55 abominable n'eft pas dans le caractère de la nation Fran-
55 çoile ; cette horreur a été conçue en Italie , & perfection-
55 née en Efpagne , d'où elle a parle dans l'efprit du Roi irrité
55 depuis longtems d'une infulte faite à fa perfonne. Il n'y a
55 donc point de réconciliation fincere à efpérer de Philippe.
53 Car s'il a fuivi fon penchant dans les carnages , les exac-
35 tions , les profcriptions qui ont défolé les P aïs-bas , on fçait
33 que quelque effort qu'on faiTe pour chaiîer la nature , elle
33 revient toujours. Si ce n'eft qu'à l'inftigation des perlonnes
33 qui l'approchent, qu'il a fait tant de maux , peut-on douter
33 qu'il ne continue à écouter ces artificieux confeillers , qui
33 l'ont- porté à violer toutes les loix , & qu'à la follicitation
33 du Pape & des Inquisiteurs , il ne continué' à traiter les Fia-
33 mans avec la même inhumanité ?
33 A l'égard de fa puiflance , l'arrivée de Jean d'Autriche
33 aux Païs-bas fait voir combien elle eft redoutable : car II
» ce Général eût un peu mieux caché Ces deiTeins , & fi les
33 lettres interceptées ne les eurTent dévoilés , les gens fàges
33 font perfuadés qu'avec le grand nombre de places dont il
33 difpofoit , il lui étoit aiié de foûmettre tout le refte du païs,
33 de que Ci au lieu d'attaquer Malines?il eut été droit à Anvers,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 323
« il pouvoir s'emparer de la ville & de la ciradelle. Quant au '
» duc d'Anjou , nous lui trouvons bien des chofes à fouhaiter Henri
« dans un Prince donc on veut faire choix , & prefque rien III.
» qui puifTe donner à ce pais de juftes fujets de crainte. Com- 1580.
» me étranger , il n'a point d'ennemis particuliers parmi nous :
» il fera accueil à tout le monde , & il pourra éteindre le feu
» des divifions dont toutes les provinces font embrafées.
» D'ailleurs comme il n'y poflede ni places ni forterefîes , il
» travaillera plutôt à gagner les cœurs par les bienfaits , qu'à
55 enlever par force des villes qui feront difpofées d'elles-mê-
33 mes à venir fe foûmettre à fon obéïflance. Quand on a con-
» quis des provinces par les armes , il faut des places fortes
« pour les garder : mais quand un peuple fe foumet volon-
tairement comme nous nous foûmettons au duc d'Anjou,
» il n'a à craindre que des ennemis communs. D'ailleurs la
» proximité du fecours qu'on attend de lui, efb un point im-
» portant j 6c dès que le Roi fon frère n'eft pas oppofé à fes
» vues , on ne peut pas douter que la Noblelle Françoife qui
» haït autant le repos qu'elle aime la gloire , ne fe falîe un
» honneur de fervir fous lui. Quant à la Religion qui eft le
» capital , il eft confiant que ce Prince n'a point d'averfion
» pour les Proteftans , ou du moins que leur caufe ne lui eft
» pas fi odieufe , puifqu'il a au dedans &: au dehors du Royau-
» me beaucoup d'amis de cette Religion , & qu'il a eu hor-
« reur du maflacre de Paris. Nous avons donc lieu d'efpérer
» que ce Prince accoutumé fous le Roi fon frère à fupporter
îj les deux Religions , donnera aux Proteftans toutes les fiL
5>-retés nécefîaires pour maintenir la leur. Le caractère même
)3 du Roi femble en répondre : on parle beaucoup de fa mo-
>j dération & de fa clémence ; 6c toujours il a montré de Pé-
-» loignement pour les projets de guerre contre les Prote-
35 ftans j &; s'il y a pris part , il l'a fait de manière à prouver
33 qu'il avoit moins d'envie d'allumer la guerre , que d'ôter
53 tous les prétextes de la faire. En fuppoiant même qu'il ne
33 foit pas ami des Proteftans , il fera toujours obligé de les
33 foûtenir , ou par la néceffité de [qs affaires , ou par la crainte
33 de la faction d'Efpagne. Nous ne pouvons donc rien fiire
33 de mieux que de choifir le duc d'Anjou pour notre Prince.
»3 Par là nous ôtons aux Efpagnols le fecours de la France ,
Sf ij
3i4 HISTOIRE
» d'où il eft certain qu'ils ont tiré jufqu'ici leurs armes , leurs
Henri » vivres , 6c toutes leurs provifions de guerre 3 & certaine-
III. » ment ils auroient échoué au fiége de Maftricht , fi la France
1580, ,3 ne ^eur eût fourni tout ce qui étoit nécefïaire pour cette en-
« treprife. Ce choix d'ailleurs réunira vraifemblablement
» l'Artois & le Hainaut aux autres Provinces» Et comme
>3 nous ne devons pas craindre il nous l'appelions les premiers,
» qu'il nous préfère le Hainaut & l'Artois : aufïï ne devons-
53 nous pas elpérer qu'il ait beaucoup de coniidération pour
» nous , il nous nous laiflbns prévenir , & fi nous attendons
53 que ces peuples , qui fe font détachés de tous les autres, fè
33 foient mis fous la protection du Prince François.
33 On dira que le duc d'Anjou ne voudra peut-être pas fouC
33 crireàla pacification deGand,& que cependant la Flandre
>3 ne peut fe rlater d'être jamais bien avec la reine d'Angle-
33 terre , fi l'on donne atteinte au traité conclu entre la Mai-
33 fbn de Bourgogne 6c la Couronne d'Angleterre. Mais pour-
33 quoi le duc d'Anjou refuferoit-il defouferire à un traité qui
33 a été faic contre l'Efpagne ? Les ducs de Bourgogne , iiîus
33 de la mailbn de France , n'ont-ils pas religieufement obfervé
33 les traités de commerce avec les Anglois ? D'ailleurs on feais
33 quelareineElifabetheft bien intentionnéepourleduc d'An-
33 joujqu'il y a même eu du confentement du Roi,des propofl-
33 tions faites pour marier le Duc avec elle , 6c qu'en fuppo-
33 Tant que ce mariage n'ait pas lieu , les Seigneurs Anglois
33 préféreront toujours , par rapport à la Religion , le duc
30 d'Anjou au roi d'Efpagne, & ils penferont que ce Prince
33 François , occupé contre les Efpagnols , n'entreprendra rien,
33 ni contre-eux , ni contre leur Religion. D'ailleurs n'eft-il
33 pas ftatué par un décret des Etats , que quelque Prince
33 qu'on élife , on comprendra l'Angleterre dans le traité
33 qu'on fera avec lui ?
33 II eft vrai que quelques efprits foupçonneux parlent d'un
33 traité fecret entre le roi d'Efpagne 6c le duc d'Anjou, & qu'ils
33 prétendent que Philippe fe flate de recouvrer par lefecours ,
33 ou pour mieux dire,par la trahifon des François, la f ouverai-
33 neté des Païs-bas, qu'il a perdue. Mais peut-on rien imaginer
33 de plus extravagant 6c de plus éloigné de toute vraifemblan-
33-ce ? Outre que toutes les actions 6c toutes les paroles du duc
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 325
» d'Anjou prouvent le contraire, peut-on penfer que Philip- ==s
» pe voulût recevoir les Païs-bas d'un Prince François, qui Henri
î3 ne les lui remettroit f virement qu'à des conditions plus dures m.
» que celles que nous lui offrons ? 0
C'étoit fur ces motifs , que le prince d'Orange foûtenoit ,
que puifqu'il falloit nécessairement recourir à la protedion
d'une PuifTance étrangère , le bien public demandoit qu'on
donnât la préférence au duc d'Anjou , &: il vouloit qu'on mît
furie champ cette affaire en délibération.
Pendant que les Etats étoient occupés de cet objet impor- Exploits du
tant, Alexandre Farnefe Viceroi des Païs- bas afïïégeoit Viccroi.
Alortaigne en Hainaut avec le fecours des Provinces qui
avoient fait leur accommodement avec le roi d'Efpagne : la
place étoit défendue par trois compagnies compofées d'An-
glois &c d'Ecoffois. Farneie l'ayant priie de force , alla à Saint-
Amand , qui lui fut remife peu de tems après par le colonel
Morgan , qui demeura priïonnier avec les autres Officiers de
fagarnifon. L'armée marcha enfuite du côté de Tournai , de
ne rît point d'autre exploit que de ravager la campagne autour
de Lille , 6c de brûler les fauxbourgs , les moulins , le bourg
de Hoatfchoten , ôc quelques villages fort peuplés 3 les autres
craignant un pareil fort fe rachetèrent en payant de grandes
fommes. Farnefe s'avança du côté de Maftricht &: de Lim-
bourg , où il fit la revue de fon armée. Après quoi il congédia
les troupes du Hainaut &: de l'Artois, pour leur tenir la pa-
role qu'il leuravoit donnée, & gagner leur confiance.
Charle de Gaure baron d'Inchy commandoit alors dans
Cambray, la plus forte place de la frontière. Le baron de
Montigny,& la Motte l'avoient follicité de quitter le parti des
Etats : mais inutilement. Cependant comme il étoit fort éloi-
gné de tout fecours , &: qu'il craignoit avec raifon que tout le
poids de la guerre ne tombât fur lui , il traita avec le duc d'An-
jou , &; reçut dans fa place un corps de troupes Françoifes ,
tant de cavalerie que d'infanterie , qui répandirent bientôt
la terreur par les courfes qu'elles firent dans l'Artois , & par
les grandes fommes qu'elles exigèrent des villes voifines, pour
s'exempter d'être brûlées. Dans le même-tems les troupes de
Bruxelles prirent Nivelles par furprife , de emmenèrent pri-
sonnier de Glimas qui en étoit Gouverneur. Les peuples de la
Sfiij
3i<* HISTOIRE
-'■ — Gueldre , aidés de leurs voifins , firent une tentative fur la
Henri forterefTe de Bleïenboeck, où commandoit Martin Scke-
III. nok très-bon Officier , qui étant prefque toujours en campa-
1580. gnetroubloit fort la navigation de la Meufe & du Rhin , de
ruinoit le commerce du païs : mais un renfort que Farnefe lui
envoya a tems fit lever le fiége.
Les affaires fe brouillant dans la Frife & dans le voifînage
par les divifions inteftines , le prince d'Orange , qui craignoit
que ces divifions n'euflènt de mauvaises fuites, refblut d'y
aller pour y mettre ordre : il fe rendit d'abord a Breda , où il
fut reçu avec de grands honneurs. L'archiduc Mathias , qui
l'avoit accompagné jufque dans cette ville , étant retourné
de-là à Anvers par Bergue , le Prince alla à Dort Ôc à Campen
pour appaifer les troubles qui fe multiplioient dans tous ces
cantons. Caries payfans deDrenthe & du voifinage avoient
pris les armes pour fe défendre contre les violences des
troupes, &; fur - tout de la cavalerie de Cafimir : 6c en-
hardis par leur nombre & par leur force , ils refufoient
ouvertement de payer les contributions de l'Etat , &:
fembloient incliner pour le traité de Cologne. George de
Lalain comte de Rennebourg , Gouverneur de la Province,
menaçoit de mettre tout à feu 6c à fang dans les cantons de
Linghen &: d'Oldenzeel , s'ils ne recevoient le traité fait pour
la Religion. Bertel d'Entens faifoit dss courfes au-delà du
Rhin , &: vexoit cruellement les payfans des environs de Ber-
gue 6c de Munfter. Philippe de Hohenloë réduifît en même
tems par la force des armes ceux de Drenthe &; de l'Over-
Iflel , qui ne vouloient écouter aucunes conditions.
D'un autre côté ceux qui s'étoient nouvellement reconci-
liés avec le roi d'Efpagne , & qu'on appelloit communément
Politiques , ou mécontens d'Artois, ne fe tenoient pas à rien
faire , tant dans la Flandre que dans l'Artois. Ils réunirent
leurs forces avec celles du Viceroi , & prirent par rufe la
ville de Courtrai , fur laquelle ils avoient fait auparavant
quelques tentatives inutiles. Pottelfberg , qui en étoit Gou-
verneur , n'avoit que trois compagnies d'Ecofîois 5 Se comme
les habitans n'en vouloient pas recevoir davantage , il avoit
écrit fecretement aux Etats, de lui envoyer un renfort. Son
defTein étoit de le faire entrer dans la ville par un endroit où
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 327
l'on faifoit blanchir les toiles , &: qui touchoit à la citadelle. r
Mais fes lettres furent interceptées , & facilitèrent la prife de Henri
cette place. Car les troupes du Roi ayant changé d'habits & III.
de drapeaux ,fe rendirent la nuit au jour marqué dans l'en- 1580,
droit que fa lettre defignoit. On les prit pour ce renfort qu'on
attendoit, & ils furent introduits dans la ville par le Gouver-
neur même , qui s'apperçut trop tard que c'étoient des enne-
mis : car ils étoient déjà fi bien affermis dans la place , qu'il
n'étoit plus pofîible à la garnifon de les en chafler. Cepen-
dant les Ecolfois s'étant railemblés en peloton dans la place
publique , s'y défendirent pendant quatre heures avec beau-
coup de valeur : mais enfin accablés par le nombre , ils fu-
rent tous tués jufqu'au dernier , & avec eux une grande mul-
titude d'habitans. La ville fut enfuite abandonnée au pillage,
&Pony mit pour Gouverneur Pontus de Noyelles fieur de
Bours , avec une forte garnifon.
La fortune qui change fans celle adoucit par un liiccès heu- prife de nî-
reux la douleur qu'avoient les Etats de la perte de Courtrai. nove » * da
Il étoit arrivé à Dunkerque quelques troupes Françoifes que ™™d pa?"
la Noue refoîut d'employer : & ayant fçu que le comte Phi- la Ntmë.
lippe d'Egmond étoit fort tranquille à Ninove avec ia fem-
me , fa belle-mére , fon frère Charle , le fleur de Noyelles , ôc
quelques autres feigneurs , il forma le deiîein de furprendre
cette place qui efl entre Gheertiberg, & Aloft. Dans cette
vue il détacha les Heurs de Tourfy , & de Mortaigne avec
quelques compagnies d'infanterie , afin de fonder les endroits
du foffé où l'on pourroit palier à gué , & dès la nuit du 1^. au
20. de Mars il s'approcha delà ville. AufTitôt il plante des
échelles , parle par defTus les murailles, & fe rend maître d'une
porte qui donneentrée à la cavalerie , mêlée de quelques ef-
cadrons du prince d'Orange. Ses troupes alors rirent main-
bafTe fur tous ceux qu'on rencontra, ou qui voulurent redlter ;
le comte fut fait prifonnier , conduit à la citadelle de Gand,
&: de-là transféré dans le fort de Rammekens en Zélande. On
lui rendit enfin la liberté au bout de cinq ans. A l'égard de
Charle fon frère , du fleur de Noyelles , des femmes & de
leur fuite on les laiffa aller fur le champ.
Peu de tems après , Malines qui s'étoit détachée des Etats
l'année dernière , retomba fous leur puhTance, La difeorde
3*3 HISTOIRE
s'étantmife entre la crarnifon & les habitans , l'Archiduc & le
Henri prince d'Orange avoient jugé a propos de congédier cette
III. garnifon , d'y en mettre une autre aux choix des Etats , & d'o-
1580. bliger la ville à donner des otages pour garants de fa fidélité.
Cette garnifon arriva à Bruxelles dans le tems que le comte
d'Egmondfaifoitfes efforts pour s'en rendre le maître, & ce
fut par fon fecours qu'il en fut chafTé honteufement , &; même
avec quelque perte , comme nous l'avons dit en fon lieu. Mais
dans la fuite les habitans de Malines fe laifTant entraîner aux
mauvais confeils de Pierre le Loup Provincial des Carmes ,
oublièrent l'engagement pris avec les Etats : en forte qu'ils
ôtérent le gouvernement de leur ville à Alveringhe,fans avoir
égard aux prières & aux avertifTemens de Jean Carpreau , èc
du Doéteur NicaifeSilles, que l'Archiduc & les Etats leur
avoient envoyés,& fans vouloir écouter les députés d'Anvers
&: de Bruxelles leurs voiflns. Comme ils craignoient les fuites
de cette démarche , ils fe déterminèrent par les avis de ce
Religieux , à fe foûmettre au Viceroi , qui leur envoya auflitôt
de l'infanterie , & quelques compagnies de cavalerie Alba-
noife , qui firent d'horribles ravages dans tout le voifinage aux
environs d'AIoit , d'Herental & de Tenremonde.
D'un autre côté on força les retranchemens de Wille-
broeck : mais de Bours, qui avoit confenti à la révolte de
Malines , étoitfufpecl: aux Efpagnols , à caufe de fa légèreté :
car ce fut lui qui livra la citadelle d'Anvers aux Etats , & qui
pour recompenfe en eut le gouvernement de Malines : ainfî
le Viceroi le lui ôta pour le donner au fleur de Rofîignols.
Cependant pour ne pas paroître vouloir le laifïer fans emploi,
il lui confia Courtrai , qu'on venoit de prendre. Mais fon in-
conftancele rendant toujours fuiped, on le deflitua bientôt
avec ignominie,& on mit à fa place François d'Hallewin fleur
de Swevegem.
Les habitans de Malines , que les follicitations de Pierre le
Loup avoient fait changer de maître , feconduifoient fuivant
fes imprefïïons , dans les affaires de la guerre : & ce Moine
féditieux ne fe contentoit pas d'y exciter le peuple dans fes
fermons, il voulut encore être acteur lui-même : en forte
qu'oubliant fa profefTion, il remplit toutes les fonctions mili-
taires avec une activité étonnante. Malheureufement l'argent
» m an quoi t ;
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 319
manquoit.-mais ce Provincial fertile en expédiens , trouva des -
refTources , & il perïùada aux habitansde fondre toute Par- Henri
genterie des Eglifes , & de n'épargner pas plus les tréfors (à- III.
crésque les profanes pour une guerre fijufte. En conféquence 1580.
il alla prendre la magnifique chafîè de faint Rombaud,qui
étoit en grande vénération dans la ville , 6c qui avoit toujours
été refpeclée par les Efpagnols, 6c par le prince d'Orange
même. Et fur l'autorité de ce perfonnage la ville de Malines
crut pouvoir confentir à un facrilége.
Pendant que tout cela fe pafïbit dans Malines , avec la con- Prïfe de Ma-
fufion qu'il eft aifé d'imaginer, les Etats à l'inftigation des ijncs Par ics
habitans d'Anvers , prirent des mefures pour la furprendre :
& quoique les troupes du Roi d'Efpagne voltigeaflent conti-
nuellement aux environs, 6c qu'on n'ignorât pas qu'il y avoit
un efcadron de Neckerfpoel qui faifoit garde dans les faux-
bourgs , on ne laifla pas de faire venir les Anglois qui étoient
à Liére 3 & moyennant une folde qu'on leur paya , ils fe char-
gèrent del'entreprife fous la conduite de Jean Norritz , hom-
me de main , & qui depuis a fervi en France. Olivier Temple
gouverneur de Bruxelles,avec fa garnifon àc celle de Vilvoor-
de, &; Charle de Lievin fleur de Famarsavec fa compagnie de
cavalerie, fe joignirent aux Anglois , & arrivèrent le 9. d'A-
vril au point du jour devant la place. Apres qu'on eut tenu
confeii , 6c partagé les attaques, les Anglois commencèrent
par jetterde grands cris pour donner l'allarme, 6c attirer à
eux les défenfeurs de la place , pendant que Temple plantoit
des échelles à côté de la porte de Bruxelles, pour pénétrer
dans la ville. Il y eut là un rude combat à eiïuyer avant qu'on
pût ouvrir la porte à la cavalerie : mais enfin on lui fit paiîage ,
6c en avançant dans la ville , on trouva dans la grande place
une multitude d'habitans , de moines , &c de prêtres comman-
dés par le Carme , qui n'avoit point voulu de fecours étran-
ger. Tous ces gens , peu inftruits du métier de la guerre , après
avoir combattu quelque tems pour leur vie avec plus d'opi-
niâtreté que de force , furent prefque tous tués , 6c entr'autres
Pierre Loup leur Commandant. Ce moine qui attiroit fur lui
l'effort des afliegeans par l'éclat de fes armes , fe défendit
avec une hardieflè incroyable à la tête de la bourgeoise qu'il
animoit par fou exemple 6c par (es difecurs, Pendant que ces
tome FUI. Te
330 HISTOIRE
■ prêtres Se ces moines facrifioient leur vie pour arrêter les An-
Henri glois,Roiîignols gouverneur de la ville,&: quelques foldats des
III. troupes auxiliaires, avec l'efcadron d'Albanois, rompirent
i 584. les portes de la ville, &; fe fauvérent fans perdre un feul
homme.
Les Etats étoient convenus avec les Anglois , que fî on pre-
noit la ville , elle ne feroit point pillée , & qu'on leur payeroit
la folde de quelques mois : mais comme ils fe trouvoient les
plus forts , ( car ils étoient au nombre de huit cens , & tous
gens d'élite , ) ils n'eurent aucun égard au traité , & fe portè-
rent à des excès dont on n'avoit point encore vu d'exemple
dans toute cette guerre. Ce fac , qui fut le fécond qu'elïiiya
Malines , la reduifit prefque en folitude. Toutes les défenics
des Officiers ne purent fauver rien du pillage : Les Eglifes , les
maifons Religieufes , &c jufqu'aux tombeaux , rien ne fut épar-
gné. Pendant ce tems Norrits , Colonel des Anglois , eut
avecFamars nommé Gouverneur delà place,& OlivierTem-
ple , une difpute fi vive , qu'ils furent près de fe charger les
uns les autres : &; le feul moyen qu'on trouva pour l'empê-
cher, futdelaifïèr leurs foldats occupés au pillage j de cette
forte la ville fut non feulement faccagée , mais tout ce qu'il y
avoit de précieux fut enlevé par les Anglois , &: tranfporté
dans leur païs. Ils tirèrent encore de groilès fommes des pri-
fonniers : &c la divifion des chefs les laiffa pendant un mois
maîtres du lort des habitans. Enfin Famars arrêta ce brio-an-
dage par l'entremiie des habitans d'Anvers, &i par la publi-
cation d'un Edit qui ordonnoit , que les Anglois , Temple &:
fes gens fortiroient de la ville au fon d'une certaine cloche,
les uns par une porte , les autres par l'autre. Cela s'exécuta le
6. de Mai.
Défaite & On prétend que le défordre fut caufe d'une perte confidé-
fn*f ne. rable que firent les Etats peu de tems après , parce que le fol-
laNoue. *1 , - • . r . t 'r . 1
dat gorge de butin ne le mit pas beaucoup en peine de retour-
ner au camp , ni de fe rendre au drapeau. Voici comment la
chofe arriva. François de la Noue généraliffime des troupes
des Etats , ayant ralfcmblé un petit corps d'armée, auquel les
Anglois fortis deMalines avoient ordre de fe joindre,avoit in-
verti Engelmunfter. Cette ville fituée fur la Mandére avoit été
prife depuis peu par les Espagnols. La tranchée étant en bon
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 331
état, & les batteries commençant à tirer, la Noue laifïa le =?=?
foin du fiége au fleur de Marquette fbn Lieutenant : Ôc ayant Henri
pris avec lui un détachement d'infanterie & de cavalerie , il III.
marcha en diligence vers Lille , dans l'efpérance de fe rendre 1580»
maître de la place. Mais fur l'avis qu'il reçut que P. de Melun
Marquis de Richebourg, qu'on appelloit auparavant Vicomte
de Gand , étoit arrivé au fecours de cette ville avec quinze
efcadrons de cavalerie Albanoife fuivis de quelques compa-
gnies d'infanterie , il fe remit aufïïtôt en marche pour rega-
gner fon camp d'Engelmunfter. Après avoir pafTé le Lis , il
fut obligé de faire un long circuit le long de fes bords , par
les vallées où la Mandére fe jette dans cette rivière , 6c il ne
put arriver que vers le foir au bourg de Wackene, Richebourg
inftruic de fa marche alla parler le Lis à Courtrai , êc fe rendit
par un chemin plus court à Engelmunffcer. La Noue ayant fait
une grande diligence , arriva enfin à fon camp fort avant dans
la nuit : mais cette marche forcée avoit tellement fatigué Ces
troupes,qu'il en relia à Wackene une partie qui y pafTa la nuit.
Il ne fut pas plutôt arrivé, qu'il donna ordre à Marquette de
rompre au plus vite le pont qui étoit fur la Mandére. Mar-
quette , au lieu d'exécuter cet ordre par lui-même , en char-
gea d'autres , qui fans rompre le pont fe contentèrent d'y
mettre quelques troupes pour le garder. Richebourg les ayant
renverfés en arrivant , attaqua vigoureufement le camp. La
Noue extrêmement furpris que Richebourg eût fitôt paiïé la
rivière , parce qu'il croyoit que le pont avoit été rompu , (bu-
rine avec beaucoup de valeur le premier choc des ennemis,
quoiqu'il n'eût que fix efcadrons. Il efpéroit que les troupes
qu'il avoit Jaiffées à Wackene arriveroient d'un moment à
l'autre : ôc pour tenir plus longtems l'ennemi en échec , & ral-
lentir fon feu , il avoit ordonné aux EcofTois de ne pas faire
tous enfemble leur décharge. Malgré un ordre fî précis , ces
EcofTois fe hâtèrent de tirer leur coup , Ôc auffitôt ils lâchè-
rent pied : de forte qu'il nerefta auprès du Général que quel-
ques compagnies Françoifes de vieilles troupes, qui firent fer-
me. Mais il n'y avoit pas plus de dix ou douze hommes à cha-
que compagnie, lerefte étant demeuré à Wackene. Nonob-
stant ce petit nombre , 2c après un combat furieux, elles fe
retirèrent avec honneur & fans perteitout le refte fut difperfc
Ttij
332 HISTOIRE
■-. ou tué. La Noue voyant que tout étoit perdu, donna ordre
Henri à Teligni Ton fils de fonser à fe mettre en fureté : de en confé-
III.
i j8o.
quence Teligni fe mit à la tête de ces vieux foldats François,
de fe retira en bonne ordre. La Noue abandonné ainfî de tout
le monde , ne s'abandonna pas lui-même : il gagna le parc de
l'artillerie , dans l'intention de recommencer le combat fî les
troupes deWackene arrivoient. Il y combattit en defefpéré j
mais à la fin il fut pris , de avec lui le fleur Marquette , qui fut
caufe de cette déroute, pour n'avoir pas exécuté les ordres
defon Général. Il fut conduit en Hainaut v où il relia lon£-
temsprifonnier : Mais il trouva enfin le moyen de rompre là
prifon , de de s'échapper. La Noue ne fut pas fi heureux. Ri-
chebourg l'ayant mis entre les mains du Viceroi , il ne recou-
vra fa liberté que plusieurs années après, & les Espagnols ne
la lui rendirent qu'à des conditions très-dures. Ce traitement
rendit Richebourg odieux: car outre qu'il étokinéxcufable
d'avoir livré à une captivité malheureufe un homme auffi efti-
mable que la Noue, de qui étoit fon parent, c'eft qu'il prolon-
gea par ce moyen la captivité de plufïeurs Seigneurs iliuflres
qui étoient prifonniers des Etats , de dont la liberté dépendoit
abfolument de celle de la Noue.
Au refke cette perte arrivée le i o. de Mai y auroit été peu
importante aux Etats fans la prife de la Noue : car ils y eurent
peu des leurs de tués, de leur armée , que cet échec avoit dif-
perfée, nefutpaslong-tems à fe raffembler. Bientôt elle fut
renforcée par les garnifons d'Herental , de Bruxelles , de de
Malines , fous la conduite de la Garde colonel François , &
d'Alonfo colonel Efpagnol. Elle alla prendre Dieft , place fî-
tuée dans un fonds marécageux. Les troupes s'en étant appro-
chées le 8. de Juin de fort grand matin , on- planta des échel-
les , de l'on monta fur les murailles. Lorfqu'on fut entré dans
la ville on fit main-bafîè fur quelques foldats du corps-dc-
garde du côté de la porte de Sichem , de Alonfo y entra avec
delà cavalerie. Cependant le combat dura quelque tems,
par laréfîftancevigoureufe de deux compagnies Flamandes,
& de trois Allemandes , de fur tout de la compagnie de Lo-
dron , qui depuis 14 ans fervoit en Flandre à la folde du roi
d'Efpagne. Mais cette viefoire coûta cher aux Etats 3 il y eut
beaucoup d'Officiers tués fur la place , de beaucoup de blefTés;
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXXI. 333
Sichem 6c Arfchot fe rendirent aufîitôt , 6c la petite ville de _j
Halon fut abandonnée par les Espagnols • mais dès que Henri
l'armée des Etats s'en fut éloignée , ils la reprirent. 1 1 1,
Peu de jours après , c'étoit la nuit du 2 3. Juin , veille de 1 c 80
faint Jean , les Efpagnols ayant à l'inftigation de quelques
perfonnes formé le defTein de furprendre Bruxelles , parti-
rent du Hainaut pour fe rendre à la porte dont on étoit con-
venu. Othon Backer , Jacque le Court & Arnaud de Bruyn ,
qui étoient d'intelligence avec eux, avoient fait une emprein-
te de la forme des clefs de la ville , & l'avoient donnée à Em-
manuel comte de Lalain , au baron de Montigny de au mar-
quis de Richebourg. Mais le prince d'Orange , Sainte-Alde-
gonde 6c Olivier Temple gouverneur de la ville ayant été
avertis du complot, mirent des troupes en embufeade, & pla-
cèrent du canon pour bien recevoir les ennemis lorfqu'ils
arriveroient au rendez-vous. De plus , il tomba toute la nuit
une pluye fi horrible, que les. mèches des arquebufes étant
éteintes , les troupes percées par la pluye , 6c fatiguées par
la marche , on n'oîà rien entreprendre.
Dans ce même tems, le prince deCondé s'étant déguifé Prifede la
pour palier de Saintonge en (on gouvernement de Picardie , £erje condé.
prit la Fere en Vermandois. Après y avoir mis garnifon , il s.i retraite en
defeendit en Flandre , d'où il pafîa en Angleterre avec Sere- AnS!
gel envoyé de Jean Cafîmir frère del'élecleur Palatin, pour
engager la Reine à donner du fecours aux Etats. Après avoir
demeuré long-temsà Londres pour la réùiîite de leur deiTein,
ils repafTérent en Flandre 6c defeendirent au port del'Eclu-
fe, d'où ils vinrent à Gand le 1 3. Juillet. Richebourg inftruit
de leur arrivée , 6c enflé des fuccès précédens , forma le
defïèin de furprendre cette place pour avoir entre fes mains
un fi illuftre prifonnier. La ville n'étoit gardée que par les
habitans , 6c les fortifications en bien des endroits n'étant
pas encore achevées , il ne paroifïbitpasimpolTible de forcer
cet endroit par une attaque vigoureufe 6c imprévue. Dans
cette efpérance , il prit un détachement de bonnes troupes,
& fe rendit à petit bruit aune des portes de la ville. Sa mar-
che cependant ne fut pas fi fecrete que les habitans ne s'en
apperçuiTent , 6c dès qu'ils eurent découvert fes vues, il ne fut
pas difficile d'en empêcher l'exécution, Condé ayant reçu à
_ • • •
Tt nj
leterre.
334 HISTOIRE
■■■ a- Gand tons les honneurs qui lui étoient dus , fe rendit à An-
Henri vers : de là il paffa à Dort & de Dort en Allemagne. Dans
III. le même tems un détachement de Bruxelles mena à Nivelle
1580. un convoi , &, prit en s'en retournant environ trente Alba-
nois qui étoient venus les attaquer. Nivelle fut fur le champ
reprife par le Viceroi &c faccagée avec beaucoup de cruauté
par les troupes de Mansfeld.
Entreprife Dans le même tems les Efpagnols firent une tentative fur
des Efpagnols Boucliam ou commandoit Soë'te deVillers, qui s'étoit acquis
fur Boucham , ', , . ,. _ , ' lr f /l .
& leur dé- beaucoup de réputation a Nivelle. L entreprife fur Bouchain
faite. tourna mal : car les Efpagnols furent trahis par un Officier de
la garnifon, nommé Grobbendonck , qui étoit convenu de
leur livrer une porte 5 mais après avoir inftruit Villers du
complot & pris les mefures avec lui , il rit fçavoir aux Efpa-
gnols le tems & le lieu où ils dévoient fe rendre. Villers pour
mieux attirer les ennemis dans le piège , avoit envoyé hors de
la place une partie de fa garnifon de n'avoit gardé qu'un petit
nombre de bonnes troupes, qui étoient fuffiiantes pour fon
defîèin. Sur cette fortie d'une partie de la garnifon, les Efpa-
gnols ne doutant prefque plus du fuccès , fe pref entèrent à
la porte bien armés. On leur ouvrit comme on étoit conve-
nu , de on les laifla entrer • quand on jugea qu'il y en avoit
afTez , on abattit la herfe , de dans le moment les troupes que
Villers avoit difpofées vinrent fondre fur eux, en tuèrent
une partie de défarmérent le reffce. Ceux qui étoient à la por-
te ck: qui s'efforçoient d'entrer, furent repouffés vigoureufe-
ment avec Pépée , la pique & l'arquebufe , de ceux qui étoient
demeurés à quelque diftance de la place , fe trouvèrent en-
veloppés par ces troupes que Villers avoit fait fortir, de pouf
Ces jufqu'à la portée du canon de la ville. Beaucoup d'autres
qui croyoient la ville prife , y étant accourus , furent faits pri-
fonniers , de entr'autres Norkermes baron de Selles , gouver-
neur deSaintOmer,qui étoit nouvellement revenu d'Efpagne,
où il étoit allé négocier un accommodement entre laNoblefîe
des Païs-bas & le Roi. Il y eut encore quelques Gentils-
hommes de pris avec un grand nombre d'habitans deDouay,
Ôc des autres villes voifines qui y étoient accourus comme à
un butin allure. Villers qui ne faifoit pas grand fonds far la
place, Se qui craignoit que cette multitude de prifonniers ne
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 335
fît naître l'envie aux Efpagnols d'en former le fiége , les fit ., " m
conduire à Cambrai , où il n'étoit pas fi aifé de les prendre. Henri
Ceux dont on fe foucioit moins , furent échanges ou ren- III.
voyés , en payant leur rançon. Les Etats offrirent d'échan- 1580,
ger le baron de Selles , 6c les comte d'Egmond 6c de Cham-
pigni pour la Noue. Cet exemple d'humanité 6c de bonté
que les Provinces unies marquoient pour un étranger leur fait
beaucoup d'honneur j mais les témoignages qu'ils rendoient
au mérite 6c à la valeur de la Noue lui en font encore davan-
tage , 6c c'eft cette idée même qu'ils enavoient,qui fut caufe
que Philippe , fur l'avis à ce qu'on croit du cardinal de Gran-
velle, ne voulut point donner les mains à cet échange , ni
confentir à l'élargifTement d'un aufîi grand Général j mais
ce refus aigrit extrêmement la Noblefie de Flandre , qui
murmuroit hautement qu'on l'expofât tous les jours à des
périls qui lui laifïbient fort peu d'efpérance de fauver leur
vie, Se nulle de recouvrer leur liberté s'ils étoient pris. Cela
fut caufe qu'on envoya de Selles 6c le comte d'Egmond dans
le château de Rammeckens, ou on les tint dans uneprifon
fort étroite. Le premier y mourut de chagrin quatre ans
après , fe plaignant fans ceiTe dans faprifon de l'ingratitude
du roi d'Efpagne , à qui fon frère 6c lui avoient rendus de fi
grands fervices. A l'égard du comte d'Egmond , peu s'en
fallut que le défefpoir ne lui fit perdre Pefprit j mais enfin les
follicitations vives 6c continuelles de fes fecurs enlacèrent les
Etats à le transférer de Zélande en Hollande, ou peu de
tems après il fut échangé avec la Noué" , mais à des condi-
tions fort dures , comme nous le dirons en fon lieu.
Le malheureux fuccès de la tentative fur Bouchain attira Eouchaïn
toute l'armée des Efpagnols de ce côté-là , 6c ils voulurent Pns-
reprendre par la force ce qu'ils avoient manqué par la rufe.Ils
vinrent donc camper devant la place , 6c commencèrent à la
battre avec leur canon. Enfin le 7. de Septembre , Villers
rendit le château , fortit avec fes armes fuivant la capitula-
tion, 6c fe retira à Cambrai- mais comme les articles n'é-
toient pas allez clairement énoncés, &c qu'on n'avoit pas fpé~
cifié , que tout ce qui étoit dans la place y refteroit fans au-
cune fraude , Villers en y laiflant la poudre à canon , y ayoit
auiTi laifTé des mèches allumées à la difhmce qu'il falloit pour
33^ HISTOIRE
1 - que lui Se fa. garnifon fufTenten fureté lorfqu'ellesmettroient
Henri le feu aux poudres. La chofe ayant réufli comme il l'avoit
III. prévu , l'éclat de la poudre endommagea fort la ville , Se fit
i 5 3o. beaucoup de mal aux troupes. Les Efpagnols fe mirent aufîi-
tôt à le pourfuivre avec beaucoup d'envie de s'en venger ,
mais il étoit en lieu de fureté. Villers fe plaignit hautement
de ce qu'ils l'avoient ainfi pourfuivi contre la foi du traité ,
&: leur fit dire que puifqu'ils l'avoient violé les premiers , il ne
iè tenoit plus obligé de l'obiérver.
Le duc d'An- Enfin après bien des délibérations fur le choix d'un Prince
jou choifi par étranger, l'avis ôc l'autorité du prince d'Orange réunirent
leufprince1^ tous ^es m^ages en faveur du duc d'Anjou frère de Henri
III. & l'on fit au mois de Juin un décret qui lui déféroit le
commandement général de toutes les Provinces à certaines
conditions : en conféquence les Etats de Brabant, de Flan-
dre , de Hollande , de Zélande , de Malines , &c de Frife aiTem-,
blés à Anvers réfolurent le douzième d'Août de lui envoyer
une députation folemnelle , qui auroit un plein pouvoir pour
traiter avec lui. Ils nommèrent pour cela Philippe de Mar-
nix de Sainte-Aldegonde, Noëi de Caron bourgmeftre du
Franc ( 1 ) , Gafpard Voefberg , èc quelques autres. Les Dé-
putés étant venus en France allèrent trouver le duc d'Anjou ,
qui étoit au Plefîîs lez Tours , à une petite lieue de Tours. Ils
y arrivèrent le 29. Septembre, & firent leur traité avec ce
Prince fuivant les conditions dont ils étoient convenus ; mais
après la conférence deFleix (2) dont nous parlerons bientôt,
le traité fut ratifié à Bourdeauxavec quelques additions. En
mémoire de cet événement la province de Brabant qui a un
lion pour armes , fie frapper des médailles de bronze , où l'on
voyoit d'un côté un lion attaché avec un collier à un colonne
furmontée de la ftatuë d'un vainqueur, 6c un rat qui ron-
geoit le collier, avec cette infeription : Rajïs leonem loris mus
libérât. Le rat en ronçeant cette couroye délivre le lion. Sur le
revers on voyoit le Pape &: Philippe II. fort emprefTés à met-
tre un collier au lion , fous l'appas trompeur d'une paix in-
violable, avec ces mots : Liber revinciri leo pernegat. Le
lion qui sefi mis en liberté ne veut plus foujfrir de lien. On
(1) Contrée de Flandre , qui com- | quelques autres endroits,
prend Bruges, Oftende, Dixmude , &| (z) Petite ville du Perigord,
çn
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXL 337
en frappa d'autres à Gand , où l'on voyoic d'un côté deux -'-— " '""
mains jointes &; des anneaux attachés enfemble, avec ces H e n kî
mots: Pro Chrifio , lege agrège & patriâ. Pourjefus-Chrift, lll.
la loi , le troupeau y la patrie. Et furie revers, il y avoit une 1580.
couronne de chêne , avec cette infcription : Religione & Juf-
titia reduce , vocato ex Gallia pacata duce Andium , Eelgic.e
libertatis vindice. La Religion & l* Juftice rétablies , le duc
d'Anjou appelle de la France quil a pacifiée , pour être le
défenfcur de la liberté Belgique. Les Etats avoient toujours
eu grande attention aux intérêts des provinces de Zélande
&; de Hollande , dont le négoce fait preique toute la richeiTe ■>
de ils y avoient très - bien pourvu par les traités conclus à
cette occafion avecl'Efpagne & le Portugal au fujet de la na-
vigation Se du commerce. Ce fut par allufion à cet avantage
que la Zélande fit frapper des médailles en bronze qui avoient
d'un côté les armes des Provinces , fçavoir un lion élevé au-
delîus des eaux , avec cette légende : Vos terrx , at ego excubo
ponto. Vous gardez, la terre , c^ moi la mer. Au revers étoit
un homme qui plantoit de jeunes arbres , &; l'on voyoit der-
rière lui au bout d'une lance un chapeau , qui eft le fymbole
de la liberté , avec ces mots : Si non nobis , faltem pofteris*
Si ce ri eft pas pour nous , c'eft pour nos defeendans.
L'Archiduc fe voyoit abandonné delanoblefleWallone, Retraitede
qui l'avoit appelle d'abord. On netenoit aucun compte de l'Arçhidac
i -r • rr 1 ^ 1 Ti y r * -«. j Matluas.
la pacification de Gand. Il n avoit aucun lecours a attendre
ni de l'Empereur , ni de fes frères , ni des autres princes de
l'Allemagne 3 ce qui avoit mis les Etats dans la néceiFité de
fe jetter entre les bras d'un Prince étranger. Il avoit d'ail-
leurs inutilement averti l'Empereur &: les princes de l'Empi-
re , que s'ils ne prenoient les Provinces unies fous leur pro-
tection , elles feroient forcées d'implorer le fecours de quel-
que autre Puiflance : toutes ces confie! érations lui rirent enfin
prendre le parti de fe retirer avec honneur & de fe démettre
du gouvernement que les Etats lui avoient conféré. Dans
cette vue il avoit drefïè avant le 2 1. de Juin un manifeite,
qu'il fit remettre aux Etats par Pierre de Melun prince d'Ef-
pinoy. Il leur repréfentoit qu'il n'étoit venu que parce qu'on
l'avoit appelle -y que depuis qu'on lui avoit unanimement dé-
féré le gouvernement général , il avoit exactement rempli
Tome VIII. Vu
333 HISTOIRE
toutes les conditions aufquelles il l'avoit accepté : Qu'il s'é-
Henri toit conformé en tout à l'état prefent des affaires : Qu'il
III. avoit toujours été plein de zélé pour le bien 6c pour la tran-
iî8o quillité publique, jufqu'à oublier fès propres intérêts, 6c à
expofèr la vie même : Qu'il étoic bien fâché de n'avoir pu
détourner une tempête dont la violence étoit au-defTus des
forces qu'il y pouvoit oppofer. Au refte qu'il n'avoit rien
oublié pour ramener tous les efpiïts à l'union 6c à la concor-
de : Qu'ayant appris que les Etats 6c les Grands du pais
étoient affemblés pour délibérer fur le fort de la République,
il avoit jugé à propos de ne s'y point trouver , de peur qu'on
ne crût qu'il vouloit leur faire la loi : Qu'il avoit lèulement
un avis à leur donner , 6c une prière à leur faire ; c'étoit de
ne fe pas livrer témérairement à une domination étrangère,
de ne pas oublier l'alliance inviolable qui unit les Païs-bas à
l'Empire, &c de ne pas abandonner les intérêts del'augufte
maifon d'Autriche , dont il étoit membre , 6c à laquelle ils
avoient de fî grandes obligations : Qu'il les prioit depjus de
vouloir bien l'informer de la réfolution qu'ils auroient prife
par rapport à lui & à fa maifon , afin qu'il pût donner ordre
à fès affaires , 6c de fe fouvenir des grandes dépenles aufquel-
les il s'étoit vu obligé, de de lapenfïon qu'on lui avoit pro-
mise. Les Etats trouvant qu'il n'y avoit rien de plus jufte que
de renvoyer avec honneur ce Prince, qui leur avoit rendu
des fervices considérables , s'engagèrent non - feulement à
s'acquiter envers lui des promeHes qu'on lui avoit faites ,
mais même à payer les dettes qu'il avoit contractées. Outre
cela on lui affîgna une penfion proportionnée à fon rang ,
pour l'entretien de fa perfonne 6c de fes gens , au payement
de laquelle on deftina les revenus de l'évêché d'Utrechr.
Mais tout cela s'exécuta avec beaucoup de lenteur : 6c le dé»
part de l'Archiduc fut différé jufqu'à l'année fuivante.
Pendant ce tems-là le prince d'Orange voulant furpren-
dre Maftricht, avoit déjà fait porter des échelles 5 mais d'au-
tres affaires l'ayant rappelle, on abandonna Tentreprife à
laquelle il vouloit être préfènt. Celle que le prince d'Efpi-
noy gouverneur de Tournai fit fur Condé , fut d'abord plus
heureufe-, car il prit la ville par efealade le 2 5. d'Octobre
avec le fecours du fleur d'Eflelles : mais les Efpagnols y étant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 339
accourus avant qu'il eût eu le tems d'y mettre des troupes &: — -j
des vivres , il fut obligé de l'abandonner aufîitôt qu'il l'eut Henri
prite. III.
Dès le mois d'Août précédent Marguerite de Parme, 1580.
mère du prince de Parme gouverneur des Pais- bas , & qui Marguerite
en avoit été elle-même autrefois gouvernante , arriva en d'Autriche
Flandre pour exécuter au nom du Roi Ton frère ( 1 ) le traité ? « *
r> • • r • i r> • • > - e Parme
que ce Prince avoit raie avec quelques Provinces qui se- vient en Flan»
toient fournîtes. Comme fon gouvernement avoit été fort dre*
doux , & que fa mémoire étoit en grande vénération parmi
hs Flamans , Philippe la crut très-propre à une négociation
fi importante -, il ne douta pas que les Seigneurs ne priflent
une entière confiance en elle , &; n'entraflent volontiers dans
un accommodement qui te feroit fous l'autorité de cette
Princefîe. Dès qu'elle fut arrivée à Namur , Alexandre Far-
nefe fon fils vint lui rendre tes devoirs avec un équipage fu-
perbe & tout-à-fait guerrier $ mais leurs avis s'étant trouvés
différens fur les mefures qu'il falloit prendre pourréùfïïr, la
jaloufie te mit entre le fils & la mère. D'ailleurs le décret
des Etats furie choix d'un nouveau Prince fut publié fur ces
entrefaites -y & les chofes paroifïbient tendre bien plus à la
guerre qu'à la paix. Ces confidérations jointes aux follici-
tations de quelques Efpagnols qui n'étoient pas bien-aifes de
voir finir les troubles des P aïs-bas, engagèrent le roi d'Efpa-
gne à rappeller la mère , & à confirmer le fils dans le gouver-
nement fouverain de ces Provinces.
Entre les Grands qui avoient fait leur paix avec le Roi , G.deHow
Guillaume de Horn teigneur deHeze , jeune homme d'une Ju^ paaar .
maifon illufbre,mais dont l'orgueil étoit encore plus grand que les Efpagnols.'
la naifïance, avoit fait mettre en prifon quatre ans auparavant
tous les confeillers du Confeil royal de Bruxelles. Depuis ce
tems-là , il avoit fuivi tantôt un parti , tantôt l'autre , &; s'é-
toit fait par-là une efpéce de renommée plutôt grande que
bonne. Ce jeune homme qui voyoit que Montigni & la
Motte n'exécutoient point ce qu'ils avoient promis au nom
du roi d'Efpagne , te lailla aller à fa légèreté naturelle ^ folli-
cité d'ailleurs par les Etats &; par le duc d'Anjou, il commença
(1) Elle étoit bâtarde de Charle V. | Parme , petit -fils de Paul III.
8c elle époula Ottavio Farnefe duc de I
Vu ij
-540 HISTOIRE
• à négocier avec eux , s'aboucha avec Warroux de Thian >
Henri qui commandoic dans Caflel , & s'engagea à livrer quelques
III. places & quelques forts. Le complot ayant été découvert,
1580. Warroux fe fauva ^ mais de Horn plus hardi , ou pour mieux
dire , plus téméraire , n'ayant point voulu fe retirer , fut ar-
rêté par le marquis de Richebourg & par Montigni. Le prince
de Parme , qui cherchoit à brouiller les Grands avec les
Etats ,& à rendre , s'il ie pouvoit, leur réconciliation impofîi-
ble , ayant fait examiner cette affaire au Quenoi en Hainaut „
de Horn fut convaincu de trahifon , ôceut la tête tranchée
le 10. d'Octobre. Le baron d'Auxi qui fut foupeonné d'a-
voir eu part à la conjuration fe mita couvert en fe retirant
promptement dans fon château de Liedekercke auprès de
Bruxelles. Olivier Temple gouverneur de cette ville , qui
avoit époufé une feeur du fieur d'Auxi , confeilla à fon beau-
frére , pour fa fureté , de remettre fon château aux Etats , ce
qu'il fit. Mais comme fa femme qui étoit d'un efprit incons-
tant , le portoit fans ceflë à remuer -y les Etats prirent des
foupçons contre lui , & le rirent mettre en prifon. Ce ne fut
pas fans peine qu'ils accordèrent fa liberté aux prières du
fieur Temple qui leur avoit rendu de très - grands fervices.
D'Auxi vint peu de tems après s'établir en France.
Bien des gens ont cru que cette vicifîltude d'événemens
divers arrivés aux Païs-bas , &; ce changement de Souverain
après une longue révolte , avoient été prefagés par ce grand
tremblement de terre , dont j'ai parlé , qui ébranla tous ïçs
Païs-bas jufqu'à Cologne , & qui troubla tellement la mer,
qu'il éleva fes flots jufqu'à une hauteur prodigieufe , fans qu'il
lourla une haleine de vent. Et dans des endroits même fort
éloignés de la mer, ce tremblement qui reprit par deux fois,
fit un fi horrible fracas , qu'il fendit èc brifa les pierres de
quantité de tours, d'églifes &c de clochers.
Trahifon de La Frife , où commandoit George de Lalain comte de
Reanebourg. Rennebourg , &c les autres Provinces d'au-delà du Rhin ne
furent pas exemptes des troubles qui agitèrent le refle des
Païs-bas. Cornelie de Lalain fecurde Rennebourg, étant ve-
nue trouver fon frère vers le commencement de l'année avec
I ?* des proportions du prince de Parme , n'oublia rien pour l'ar-
racher au parti des Etats 3 exhortations , menaces, carefTes ,.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 34*
tout fut employé avec autant de force que d'adrefle. » Juf-
3 ques à quand , lui dit-elle , vous verrons-nous manquer à Henri
a la foi que vous devez à Dieu , 6c après Dieu à votre Souve- III.
3 rain.? Jufques à quand combattrez - vous pour des hère- 1580.
3 tiques ? Et deshonorerez-vous toujours votre famille en
3 fervant des Corroyeurs , des Tiiferans , des Savetiers , 6c
3 toute cette canaille de vils artifans ? N'avez-vous pas allez
3 travaillé pour cette faction , dont les armes paroilïbient
3 d'abord avoir quelque juflice , parce que la liberté en étoit
3 le prétexte ? Mais ce prétexte ne fubiifte plus : ce n'en: plus
9 pour la patrie que vous combattez 3 c'en: ici une guerre de
3 Religion j 6c vous fçavez que les fautes en ce genre font
3 fuivies de la perte de la réputation pour cette vie , 6c du fa-
3 lut éternel. Du côté du Roi , les honneurs , les richefles ,
3 les plus grands emplois peuvent flater votre efpérance.
3 Mais de cette vile populace, que pouvez- vous attendre
3 autre chofe qu'ignominie, qu'infultes,,qu'ingratitude ? Voilà
3 la récompenfe de vos fervices : Vous vous repentirez de les
avoir rendus -y mais il ne fera plus tems : Rendez- vous donc
3 à la raifon 6c fuivez l'exemple de tant de Seigneurs qui pen-
3 fent comme ils doivent fur la Religion, et Elle lui mit en-
fuite devant les yeux le vain appas du titre de Marquis ,
dont il feroit honoré par le Roi , ôc quelque efpérance d'é-
poufer Marie de Brimen comtefïè de Meghen qui avoit
perdu depuis peu Lancelot de Barlaymont fon mari.
Rennebourg ébranlé par ces raifons , fongea à quitter le
fervice des Etats 6c le parti des Proteftans 3 mais comme il
vouloit le faire d'une manière propre à lui attirer de la confi-
dération dans l'autre parti , il tint fon deffein fort caché.
Cependant le prince d'Orange qui avoit l'efprit pénétrant,
en eut quelque foupçon, èc il réfolut de palier en Frife poul-
ie traverfer , mais fous d'autres prétextes , de peur d'obliger
Rennebourg à précipiter le coup qu'il méditoit. Il fe fia toit
même d'y avoir trouvé un remède , 6c en même tems un
moyen de ramener Rennebourg ; c'étoit de donner une en-
tière liberté à tous les habitans des villes de la province de
Frife , de d'en rafer toutes les citadelles. Comme elles fervent
aux Gouverneurs pour tenir les villes en bride , 6c les tourner
comme il leur plaît , il jugea que la Province délivrée de ce
V u iij
54î HISTOIRE
.'■■" - """-' joug, de ravie d'avoir recouvre la liberté ,en feroicplus atta-
Henri chée aux Etats , de que Rennebourg ne prêteroit plus l'oreille
III. aux confeils de ceux qui entreprendroient de le débaucher.
1580. D'ailleurs le Prince penfoit qu'il étoit également important ,
de pour Tes intérêts de pour fa gloire, de contenir dans le
devoir un homme de grande naiffance , eltimable par fa pro-
bité de par fli bravoure, mais que fa jeunefïè expofoit à fe
laifïer gagner par des careiles de par l'appas d'une fortune
plus brillante. Le Comte en effet étoit d'un caractère à reve-
nir à fon devoir, pourvu qu'on pût retarder afîezfes projets
pour qu'il eût le tems de ie repentir. Le Prince jugea donc
qu'il falloit ménager adroitement cet efprit inconftant, 8c
le conduire par la douceur plutôt que par la force. Là-def-
fus il réfolut de ne point agir avec lui comme avec un enne-
mi déclaré , de de fe contenter de lui ôter les moyens de fe
féparer des Etats. On commença par démolir la citadelle
de Lewarden. Les colonels Bouwinga de Ferno l'invertirent
par dehors, de la Bourgeoifie par dedans, après avoir eu
foin de placer devant eux les Prêtres , les Religieux de les
femmes des foldats de la garnifon. Enfuite on ouvre la tran-
chée , on fait des retranchemens de on comble les folles.
Seuge qui commandoit dans la citadelle depuis la mort de
Matenefîè , fe voyant attaqué de tous côtés, de craignant d'ê-
tre forcé, fe rendit à condition qu'il auroit vie de bagues fauves,
de qu'on lui donneroit une penfîon. Les habitans fe voyant
maîtres de la citadelle plutôt qu'ils n'avoient crû , commen-
cèrent par rafer les murs de combler le folié du côté de la
ville , après quoi ils rejoignirent les murs de la citadelle avec
ceux de la ville.
Divers ex- Cette citadelle avoit été bâtie l'an 1499. aux dépens des
ploies cks habitans même , qui ayant été abandonnés par ceux de Gro-
deux partis nmgUe ) défaits par Villeboot de Schouwemberg Général
des troupes du duc Albert de Saxe , perdirent leur liberté ,
de furent contraints de fubir le joug du vainqueur. Après que
la citadelle eut été rafée , la foldatefque infolente chafîa
ignominieufèment les Francifcains,6c les conduifithors de la
ville au fon des flûtes de des tambours. Tout ceci fe pafïa au
commencement de Février,& le lendemain Benninck,Camin-
ga , de d'autres Officiers , marchèrent du côté d'Harlinghen
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 343
avec quatre compagnies d'infanterie , & fbmmérent la gar- "- — -— — ;
nifon de fe rendre. Comme elle fe mettoit en devoir de fe Henri
bien défendre , il arriva fort à propos que le comte de Ren- III.
nebonrg qui fe rlatoit toujours qu'on ignoroit fbn deflèin , 1580,
étonné des mouvemens qu'il voyoit dans la province , envoya
à Lewarden la Baille fur la fidélité duquel il comptoit ,
fous prétexte d'accommoder les affaires : cet homme ayant
étéarrêté,on lui trouva des blancs-fignés du Comte, de mu-
nis de Ton fceau dont on fe fervit pour tromper la garnifon
d'Harlinghen 3 car on menaça la Baille de le faire mourir
s'il n'écrivoit au Lieutenant d'Oyenbrug qui étoit alors à
Groningue , de rendre la citadelle fur le champ. Celui-ci
qui ne foupçonnoit point de fraude, obéît fans attendre un
fécond ordre , comme auroit fait un homme qui auroit eu
quelque expérience , 6c il remit la place le cinq de Février.
Elle avoit été bâtie dans le tems que les habitans de Gronin-
gue étoient maîtres de toute la Frifè. Les peuples de la pro-
vince l'ayant ruinée dans la fuite , le duc Albert de Saxe la
rebâtit en 1 500. Enfin les habitans la raférent cette an-
née du côté de la ville , comme avoient fait ceux de Le-
warden. De là Sonoyavec fes Officiers & quatre compa-
gnies d'infanterie , marche à Staveren & fe voit fur le champ
maître de la citadelle , qu'il a l'imprudence de laiffer rafer
par les habitans avant que la ville fût en état de défenfe.-ce qui
donna au comte de Rennebourg le moyen de s'en emparer ,
&: de l'abandonner au pillage. Cette citadelle avoit été bâtie
l'an 1 397. par Albert de Bavière comte de Hollande , puis
détruite l'an 1522. George Schenck la rebâtit par ordre de
Charle V.
Toutes ces démolitions donnoient de l'inquiétude au com-
te de Rennebourg 3 il voyoit bien qu'il ne tireroit pas de fa
diffimulation l'avantage qu'il en avoit cfpéré : néanmoins il
réfolut d'y perfifter. Il commença donc à fe plaindre haute-
ment qu'on violoit les traités 3 qu'on avoit fait révolter la
Frife 3 qu'on l'outrageoit 3 &: qu'on le traitoit comme un
traître. ■» Eft-ce là , difoit-il , la récompenfe de ce que j'ai
» fait à Malines , à Valenciennes , à Groningue , & à Cam-
» pen , pour le fervice des Etats , & pour la liberté de ma pa-
>j trie ? Peut-on payer d'une fi horrible ingratitude les fervices
344 HISTOIRE
• » que j'ai rendus ? ce Comme il paroifîoit très -affligé ,'
Henri Pompeïus Ufkens &: Jean Cornput , deux des principaux Of-
III. hxiers qui fervoient fous lui , & qui étoient fort attachés aux
jrj^o, Etats , fè mirent à le confoler ^ et après l'avoir exhorté à ne
fe pas décourager , ils lui confeillérent d'aller incefîamment
trouver le prince d'Orange à Utrecht , pour fe juftirîer des
foupeons qu'on pouvoit avoir contre lui. » Il ne faut pas , lui
>j difoient-ils , paroître fi fenfible à la démolition des cita-
55 délies : vous fçavez bien qu'il y a longtems que les peuples
» de cette province la fouhaitent ardemment > Il vous conti-
55 nuez à vous en plaindre , c'efr. le moyen d'augmenter les
55 foupeons qu'on a contre vous , & de faire croire à tout le
55 monde que vous êtes coupable. N'écoutez point les con-
55 fèils d'Oyenbrug ni de la Baille , ni d'autres fcélérats fem-
55 blables , & moins encore de votre feeur , qui tâchera de
53 vous engager à ajouter foi aux promefles des Efpagnols , Se
53 à préférer à des avantages allures , des efpérances très-in~
33 certaines. Que ces grands mots de la puilïànce & de la Re-
>3 ligion du roi d'Efpagne ne vous en impofent point. Philippe
53 <Sc Charle I X. avoient réfolu de concert d'exterminer les
35 Proteftans , & ils n'en font pas venus à bout. Les Efpagnols
53 ne font maîtres que des villes éloignées de la mer, &c bien-
35 tôt vous les verrez réduits aux dernières extrémités. Tous
55 les ports font entre les mains des Etats. Que les Efpagnols
55 ravagent tant qu'ils voudront le plat païs , l'empire de la
53 mer fournira toujours aux Etats de quoi payer leurs trou-
55 pes , & de quoi foûtenir leur commerce qui fait toute la ri-
55 cheiïè du païs. ce
Rennebourg parut d'abord prendre leurs avis en bonne
part , il lui échappa même quelques larmes , l'effet de fa co-
lère ou de fon repentir : & on le croyoit déjà ébranlé, lorfque
fa fœur qui étoit une femme impérieuie , revint à la charge ,
& l'affermit dans fon premier defTein. Elle lui remit devant
les yeux la foi qu'il avoit donnée au Yiceroi , & lui fît un
grand fcrupule de la penfée qu'il avoit eue de la violer. Ces
raifons l'cbranlérent • mais les infultes des peuples de l'or-
gueil avec lequel Bertel Entens refufa d'exécuter fes ordres ,
irritèrent tellement ce jeune homme plein de courage <5c de
fierté , qu'il n'eut aucun égard aux confeils de Cornput, Il
continua
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 345
continua pourtant de difïîmuler , en attendant l'occafîon de •
fe déclarer. Cornput ayant fçû démêler ce que Rennebourg Henri
tâchoit de cacher,avertit de bonne heure les habitans de Gro- III.
ningue Proteftans zélés, & fur-tout JacqueHildebrand leur 1 ego.
Bourgmeitre, de fe tenir en garde contre lui, parce qu'il
tramoit contre l'intérêt des Etats : mais l'autorité de ce pre-
mier Magiltrat ne fervit qu'à envelopper plus de monde dans
le malheur qui le menaçoit. Il étoit fort ami de Rennebourg,
èc comme il avoit le cœur droit , il ne fe défia point des ca-
rences de ce jeune Seigneur , ni de mille fermens qu'il lui fit
pour fe laver des foupçons qu'on avoit contre lui. Ils foupé-
rent enfemble la veille de la prife de la ville -y après fouper
Rennebourg lui ferra la main en le quittant , fans qu'Hilde-
brand eut le moindre foupçon du complot qui fe tramoit.
Rennebourg informé que le prince d'Orange arriveroit bien-
tôt, jugea qu'il étoit tems d'agir. Ainfiil rafïèmble tous les
partifans d'Efpagne j & leur ayant expofé ce qu'il vouloir
faire , il les exhorte à fè comporter en gens de cœur. Effrayés
de la grandeur du péril , & voyant que le fèul moyen de s'en
garantir étoit de le prévenir , ils prirent à Pinftant les armes
avec quelques foldats qui étoient cachés dans la ville ; &; des
le point du jour , lorfque les patrouilles & les corps-de-garde
vont prendre du repos , il forcirent de la maifon de Renne-
bourg avec une marque blanche au bras gauche, & s'empa-
rèrent de la place publique. Rennebourg à cheval & l'épée
à la main couroit de tous côtés , àc faifoit face à tout ce qui fe
prefentoit. Le malheureux Hildebrand ayant entendu ce
bruit , courut à la place avec fçs gens ^ mais en bien plus pe-
tit nombre qu'il ne croyoit. Comme il chargeoit une troupe
de conjurés , un valet de Rennebourg lui tira un coup d'ar-
quebufe &: le jetta par terre. Auflitôt tous Cqs gens s'enfuirent
dans leurs maifbns , 6c s'y défendirent quelques tems. On
arrêta environ deux cens de ceux qu'on fçavoit être le plus
déclarés contre l'Efpagne , qui furent enfuice renvoyés fans
rançon j & dès que le premier choc fut pafTé, il n'y eut plus de
fang verfé dans la ville. Rennebourg eut grand foin de l'em-
pêcher , afin que cet exemple d'humanité engageât les villes
voifmes à fe joindre à lui. Il changea feulement les Magi-
strats , U rit jurer aux habitans d obferver le traité qu'il avoit
Tome VIII. X x
'34^ HISTOIRE
- fait avec le Viceroi. En même tems il écrivit aux villes voi~
Henri fines d'être en garde contre les confeils turbulens 8c factieux
III. de Bertel Entens. C'eit. ainfi que Groningue fut prife par
1580. Rennebourg le 3. de Mars 3 & le même jour elle fut afîiégée
par Cornput. Car dès qu'on eut appris cette nouvelle par
ceux qui s'étoient fauves de la ville , les compagnies d'Ol-
thoff, de Dam , de Suidtlaren , de Vliet , de Schaghen , 8c
de Weda , y accoururent pour tâcher de fecourir leurs amis>
s'il en reiloit encore dans la place.
Rennebourg follicita enfuite inutilement les villes de la
province d'Over-IfTel. Ses lettres ayant été interceptées , 8c
fa trahifon connue , Sonoy mit promptement une bonne gar-
nifon dans Campen. Dans le défordre où tout étoit alors r
les habirans de Deventer ne le contentèrent pas de prendre
les armes 8c de fe fortifier , la haine qu'ils avoient pour les Ef-
pagnols les porta à faire la guerre aux ftatuës mêmes , aux
images 8c aux églifes • 8c leur exemple fut auffitot fuivi par
ceux de Zwoll 8c d'Utrecht , 8c par la plus grande partie de
la province de Frile. Il y avoit déjà plus d'un mois que ceux
de Drentlie avoient commencé à renverfer les images 8c ven-
dre les biens eccléfiaftiques -, 8c toute l'autorité du prince
d'Orange , qui craignoit que ces excès ne le rendirent odieux,
avoit eu bien de la peine aies contenir. Mais dès qu'ils fçu-
rent la prife de Groningue , ils ne gardèrent plus de mefures
8c ils fe livrèrent aux derniers emportemens. Oldenzeel 5
Steenwick 8c Haflèl , fuivirent d'abord le parti de Renne-
bourg : mais le comte de Hohenlo y ayant été envoyé par le
prince d'Orange avec une armée , reprit Oldenzeel le dix
d'Avril , & de là il marcha contre Linghen. En même tems
Sonoy eut ordre d'aller à Coevorden avec les compagnies de
Cornput 8c de Wingaerden, pour achever les ouvrages qu'on
y avoit commencés , 8c mettre la place en état de défenfe.
Bertel Entens s'y étoit déjà rendu pour en faire le fiége avec
treize compagnies d'infanterie 8c deux efcadrons de cavale-
rie qui fervoient auparavant feus les ordres de Rennebourg :
mais cet homme turbulent , 8c qui ne pouvoit fouffrir de col-
lègue , ne conduifant pas les chofes au gré du prince d'O-
range , les Etats y envoyèrent Hohenlo avec fept compagnies
du régiment de Chriftophle d'Ifelftein , & neuf de celui du
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 347
comte Louis de Nafîau , fils de Jean. Entens en fut choqué ■ ri
&c au fortir d'un grand repas où il le trouva avec eux ci Rolde , Henm
il fe rendit au camp. Le vin lui ayant échauffe la tête , il corn- III.
mença par infulter les Colonels 6c les Capitaines du corps 1580.
qu'il commandoit j 6c après les avoir traité d'ignorans dans
le métier de la guerre , il leur ordonna de le fuivre fur le
champ : qu'il fçavoit que les habitans de Groningue faifoient
paître librement leurs beftîaux dans les lignes de Schuyten-
diep 6c des environs-6c qu'il vouloit aller de ce pas ruiner tous
ces ouvrages. Cela dit, il prend le couvercle d'un pot à beur-
re, 6c fe met en marche vers Schuytendiep , fuivi de beaucoup
de monde. On eut beau lui repréfenter qu'on ne pouvoit en-
trer fans échelles , il fe moqua de cet avis , 6c fie attaquer la
place. Mais dans le tems qu'il regardoit fixement le combat
qui étoit affèz vif , 6c qu'il examinoit une canoniére par ou
les ennemis tiroient , il reçut à la tête un coup d'arquebufe ,
dont il tomba mort : on l'enterra à Middelftum , lieu de fa
naiilance. Cette mort caufa plus de joie au comte de Renne-
bourg , que de regret aux Etats qui fe trouvoient délivrés par
là d'un homme inîupportable à tout le monde par fa hauteur,
6c à charge à eux-mêmes , parce qu'il s'intriguoit dans leurs
affaires à tort 6c à travers , 6c fans attendre leurs ordres. La
joie que Rennebourg eut de fa mort fe changea bientôt en
inquiétude : il eft vrai qu'il haïfToit Entens • mais c'étoit un
homme fans conduite , 6c ceux qu'on mit à fa place étoient
gens de cœur 6c d'une grande expérience. Les habitans de
Groningue avoient perdu deux forts , èc ils ne pouvoient
plus mener paître leurs beftiaux : néanmoins leur courage ne
diminuoit pas , 6C le fecours que leViceroi leur promettoit
par fes lettres 6c par les couriers , les foûtenoit malgré les
échecs de leur parti. Car ils venoient de recevoir la nouvelle
de laprife de Malines 6c de Villebroeck , par les troupes des
Etats , 6c de la défaite des troupes auxiliaires que le Viceroi
avoit fait lever du côté-de Carpen. Car dans le tems qu'elles
fe difpofoient à paffer le Rhin avec quelque cavalerie qui les
avoit jointes , les Seigneurs des environs s'étant mis en cam-
pagne pour venger les ravages qu'elles avoient faits autour
de Nuits , les furprirent , en taillèrent en pièces une partie ,
mirent le refte en déroute , 6c les chaiîcrent du territoire de
Xx ij
343 HISTOIRE
"■"—"-—■ cette ville. Les peuples des comtés de Bergh Se de la Marck
Henri leur ayant enfuite coupé les paflages , elles fe jettérent fur
III. ^es terres de l'éledeur de Cologne , 6c ravagèrent tout le plat
pais 3 mais enfin le fix d'Avril ayant été rencontrées près de
)'s' Lins et d'Eindoven, elles furent battues en ces deux endroits.
Le relie fe jetta dans le comté de Manderfcheyd , où elles fe
rafïèmblérent , 6c reprirent de nouvelles forces par les foins
de Bucho-Ayta , Prévôt de S. Bavon de Gand , qui leur
fournit de l'argent pour fe remettre en équipage , 6c elles y
furent jointes par quatre compagnies Allemandes , aufquel-
les on donna le nom de régiment de Frifc , 6c l'on en confia
le commandement à Gafpar de Robles fleur de Billy ,
dont nous avons fi fouvent parlé, 6c en fon abfence à Mar-
tin Schenck. Les principaux capitaines de ce corps étoienc
Jean Mom , René de Kama , Loi de Liaukama , Camminga,
Arent Van-Gemen , Henri Snater , Evert de Ens , Wibo de
Gotum , NY^olf de Prenger , Etienne Heller , Samfon PefteL
Ils furent renforcés par la cavalerie de Schenck , avec la-
quelle fe trouvoit un fameux capitaine Albanois nommé Tho-
mas, ancien Officier , qui s'étoit fignalé dans fix combats,
où fon parti avoit remporté la victoire. Il y vint outre cela
quelques gendarmes , èc tous ces petits corps réunis qui pou-
voient faire enfemble trois mille hommes de pied 6c fix cens
chevaux , ayant reçu un mois de paye feulement , pafTérent
le Rhin 6c marchèrent vers Linghen. Hohenlo ayant eu or-
dre des Etats de Frife de s'oppofèr à leur pafîage , fe rendit à
Bocholt avec un détachement de l'armée qui afîiégeoit Gro-
ningue. Il laifla Guillaume de Nafïau èc Sonoy pour conti-
nuer le liège. Mais voyant que les ennemis étoient trop forts
pour qu'il pût les attaquer avec ce qu'il avoit de troupes , il
demanda un renfort d'infanterie. On réfolut de lui envoyer
le régiment d'Entens : mais comme les foldats accoutumés à
la licence fous Bertel qui avoit été tué depuis peu , avoient
d'abord refufé d'obéïr , ils arrivèrent- trop tard. Pendant ce
tems-îà Hohenlo s'éloigna d'Ulfen le feize de Juin pour s'ap-
procher de Coevorden , où après avoir fait rafraîchir ie&
txoupes , il réfolut de combattre les ennemis, d'autant plus
qu'Oldenzeel 6c Zwoll étoient en grand danger s'il ne le fai~
foit. Il y avoit déjà eu du tumulte à Zwol où les habitans
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 349
n'avoient point voulu recevoir de garnifon, & ceux qui étoient ■
du parti des Efpagnols ayant raflèmblé les païfans Catholi- Henri
ques , avoient fait dire à Schenck qui étoit en marche , de III.
venir les joindre. Mais les Protefbans le prévinrent , & ayant j ^ g 0#
pris tout d'un coup les armes fous la conduite d'UIger et de
quelques autres capitaines , ils s'emparèrent de la place pu-
blique , de l'églife de S. Michel , de la porte de Campen , èc
de la Tour rouge , 8c firent venir des troupes de Deventer &
de Campen. Dès qu'elles furent arrivées les partifans d'Ef-
pagne prirent la fuite , St à Pinftant leurs maiions furent pil-
lées par les autres habitans. On brûla en même tems les vil-
lages du Canton de Maflenbroeck , parce que les païfans s'é-
toient déclarés contre les Etats. Du côté de l'Over-IlIel ,
la citadelle de Geelmuyden , que Charle V. tranfporta au-
trefois à l'embouchure du NJ^echt dans un golfe de la mer
Germanique , futaufli brûlée &rafée.
Sur la nouvelle de ces fuccès , les Seigneurs qui avoient
confeillé à Hohenlo de rifquer un combat , lui confeillérent
alors de l'éviter 5 parce que les chemins & les vivres étant fer-
més aux ennemis, il fuffifoit de gagner quelque tems , pour
que la difette de provifîons & d'argent, la faim , la mutine-
rie des foldats , Ôt cent autres incommodités , les forçaifent
à ie retirer 3 qu'il y auroit au contraire du danger à les com-
battre , parce qu'on manquoit d'infanterie & de piquiers.
Malgré ce conieil , Hohenlo réfolu d'aller aux ennemis 5
marcha de Coevorden à Herdemberg pendant la chaleur du
jour par des plaines arides , St aux travers des bruyères.
Schenck qui y étoit arrivé trois heures avant lui , avoit don-
né le tems à fes troupes de fe repofer à l'entrée et de prendre
de la nourriture. Dès que Hohenlo eut apperçu l'ennemi ,
il rangea en bataille Ces troupes fatiguées de la marche qu'il
leur avoit fait faire. Il mit à l'aile droite la compagnie du
iieur de Wingaerden , avec une partie de celle de Cornput,
&; fept du régiment de Nalîau , fous le commandement de
Kunigam fon lieutenant : à la gauche £t derrière un bois ,
il pofta Ifelftein avec fept compagnies , & Zedenifca avec la
compagnie d'Oldezel. Il n'avoit en tout que dix-huit cens
hommes de pied , à la tête defquels il y avoit trois efeadrons
d'arquebufiers à cheval, très-leftes & très-bien équipés. A
Xx iij
350 HISTOIRE
une petite diflance de là étoient Hohenlo avec un corps de
Henri cavalerie 6c fept pièces de gros canon , 6c Hubert de Kemen,
III. avec trois cens chevaux. Toute cette cavalerie alloit à qua-
1580. torze cens hommes. Le village d'Herdemberg qui eft fur les
bords de la rivière de Wecht , n'eft qu'à un mille de Coe-
Défaite de yorden 6c à quatre de Zwol. Le combat commença fur le
Hohenlo par • j* n i i r rr j* • • */•••
schenck. midi. Schenck , par une ruie allez ordinaire 5 avoit fait en
forte d'avoir le Soleil derrière lui , 6c d'expofer à l'éclat de
fcs rayons les yeux de Ton ennemi , qui venoit du côté de l'O-
rient. Après la prière , les foldats des deux côtés ayant à
l'ordinaire jette leurs chapeaux en l'air , 6c le canon com-
mençant à tirer , les armées s'avancèrent l'une contre l'au-
tre. D'abord trois efcadrons du régiment de Frifè chargè-
rent vigoureufement deux efcadrons d'Albanois , les rompi-
rent 6c les pourfuivirent fi vivement dans leur déroute , que
l'infanterie Efpagnole commençoit à lâcher pied , &; que
Hohenlo crut la victoire gagnée. Mais fa cavalerie s'étant
débandée à la pourfuite des fuyards , la gendarmerie de
Schenck avec un gros de cavalerie légère , chargèrent l'in-
fanterie de Hohenlo , qui n'étoit point foûtenuë par la cava-
lerie, &c qui n'avoit pas allez de piquiers pour fe couvrir. Les
chofes alors changèrent de face , l'infanterie de Hohenlo
commença à plier 6c à fe retirer vers la plaine d'Herdemberg,
dont W'ingaerden avoit crû qu'il falloit fe failir,fans qu'on fît
attention à-cet avis. L'armée de Schenck prella 11 vivement
celle des Etats qui reculoit , qu'après un léger combat elle
s'enfuit à vauderoute 3 une partie fe fauva au-delà du Wecht,
l'autre gagna Coevorden au travers des marais. L'infante-
rie étant entièrement difperfée , la cavalerie prit aufli la fuite
6c elle fut pourfuivie avec beaucoup d'ardeur par celle de
Schenck. Les colonels Nivelt 6c Renoy furent faits prifon-
niers, \i^ingaerden qui avoit donné un confeil lalutaire , il le
Général l'eût écouté , fut tué en combattant vaillamment.
Pompée Ufkens s'enfuit en caroiïe -, mais la voiture ayant
verfé , il tomba entre les mains des ennemis qui le mafîacré-
rent. Les Etats perdirent près de quinze cens hommes à cette
action , qui n'en coûta pas cinquante aux Efpagnols. Sckenck
fe rendit maître du canon des ennemis ; mais il fit d'ailleurs
peu de butin j car ils avoient laifTé la plus grande partie de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 351
leur bagage à Coevorden. Hohenlo fe retira à Oldenzcel
"t>~&
pour fauver cette place. Ceux qui échappèrent du combat Henri
o-agnérent promptement Coevorden , non pour défendre la III.
place, en cas qu'on vînt l'attaquer, mais pour fauver leurs 1 ego.
chevaux & leurs bagages. Leur effroi étoit telquejamaLCorn-
put , Stenfel , & Narnflo ne purent les engager à refter , ni par
prières, ni par menaces, ni par l'efpérance qu'on leur donnoit
qu'ils feroient joints inceflamment par quatorze compagnies
qu'on faifoit revenir du fiége deGroningue.Ils^'en allèrent dès
la nuit même,fous prétexte que la place ne valoit rien^que les
canaux qui en pouvoient défendre l'entrée avoient été mis à
fec par les chaleurs de l'été 3 &, qu'il n'y avoit ni vivres , ni
poudre. Et ils allèrent avec Cornput joindre Hohenlo à
Oldenzeel.
Le lendemain Sehenck marcha à Coevorden,où il ne trou-
va ni troupes , ni habitans : ceux qui afîiégeoient Groningue
allumèrent des feux, tirèrent le canon, hc rirent toutes les
réjoùiilances qu'on a coutume de faire après le gain d'une ba-
taille , comptant que cette rufeengageroit les habitans affié-
gés depuis plus de trois mois , & réduits à de grandes extré-
mités , à rendre la place fur le champ : mais les troupes du fîé-
ge ayant fçû que Sehenck étoit arrivé à Coevorden , ne vou-
lurent écouter , ni les remontrances ", ni les prières du comte
de NaiTau , &de Sonoy , 6c fur le champ ayant mis le feu au
camp, & pris leurs drapeaux, elles marchèrent du côté de
Doccum , &c de Collum. Ils fortifièrent depuis Steenwiick ,
& ils commencèrent à rebâtir le château d'Opflach , qui ap-
partenoit à Wigboldtd'Ewfum. Billy l'avoit autrefois forti-
fié , pour tenir en bride les Proteftans , & depuis ce tems-là
Rennebourg l'avoit rafé.
Il ne fe fît plus des deux côtés que des entreprifes peu impor-
tantes. Sehenck entra triomphant dans Groningue. Renne-
bourg marcha à Pelfziel , qui efb fitué à l'embouchure du
canal par où l'Ems fe décharge dans la mer. Il avoit déjà
quelques compagnies dans la place 5 après y avoir fait faire
de bons retranchemens , il fe hâta d'inveftir Opflach , avant
qu'on eut achevé de le fortifier , &: qu'on l'eût pourvu de vi-
vres. Il rencontra en chemin les compagnies de RinfVouden
& d'Efchada que les Etats envoyoient au fecours de ce
35i HISTOIRE
— - — i château. Il les tailla en pièces , de fit RinfVouden prifonnien
Henri Opflach fe rendit peu de jours après. De-là il marcha à Col-
III. lum , réfolu de fè iaifîr de Doecum , qui effc fur le bord de la
1580. mer- La place eft forte par fa fituation naturelle • mais elle
étoit alors prefque toute ouverte 6c fans murailles. Car l'an
1 523. Jean Golftein gouverneur de Gueldre l'ayant remile
entre les mains de WafTenaer 6c de Schenck , on rafa les murs
6c le château. Hohenlo y avoitfait venir un corps confîdé-
rable de troupes pour la rétablir -y de il avoit rebâtiOitmahorn,
qui n'eft qu'à un mille de Doecum. A l'égard du canal de Ree-
diep , qui eft vis-à-vis de Collum , il en donna la garde à des
payfans arîe&ionnés au fervice des Etats , de il fortifia Doecu-
merziel d'un rempart ôc d'un bon folié.
Pendant ce tems-là Ents qui commandoit à Coevorden
fortifioit Meppel avec deux compagnies d'infanterie , de un
grand nombre de Payfans , 6c il releva auprès de-là les an-
ciennes murailles de Kinckhorft, qui avoient été détruites
en 1536. lorfque Magerhein livra ce pofte : mais les troupes
que les Etats envoyèrent de Campen troublèrent les ouvra-
ges , de reprirent Meppel, 6c Kinchorft.
Vers le même tems les Etats voulant empêcher les courfès
des ennemis, de fur-tout de ceux qui defeendoient le Rhin
pour venir à Groningue, équipèrent plusieurs vaifleaux de
dix canons chacun , de fe rendirent maîtres de ce fleuve en re-
montant jufqu'à Cologne : mais comme cela incommodoit les
Princes, dont les Etats font furie Rhin, 6c que leurs fujets
leur en portoient continuellement des plaintes , ils mirent de
leur côté une flote fur ce fleuve , qui obligea celles des Etats
de rapprocher de Groningue.
PrifedeDelf- Cependant la ville de Delfziel étoit de jour en jour plus
ziei par Ren- reflerrée , 6cfon port tellement inverti par les lignes des aflié-
geans , qu'il n'.y avoit plus moyen , ni d'y entrer , ni d'en for-
tir. Envain la Hollande envoya des vaifleaux pour couper les
convois aux ennemis 3 envain Hohenlo , trop foible pour les
attaquer dans les formes , les harcela fans ceflè pour leur faire
lever le fîége: la place fut obligée de fe rendre le 1 1 .dejuillet.
Hohenlo étant revenu à Doecum , s'empara à fon tour
d'Opflach 6c de Moninkerfiel , que Rennebourg venoit de
fortifier j& ayant été renforcé de vingt compagnies Angloifes
des
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 373
des troupes de Noritz , que les Etats avoient en Friic fous ■
le commandement du général Morgan , d'un efcadron deçà- Henri
valerie , tk du détachement de Michel Caulier , qui marchoit III.
à Delfziel avec fept compagnies Flamandes ôc quelques Aile- 1580.
mands , dans Pefpérance d'en faire lever le llége j ilrefolut
d'aller combattre Rennebourg , qui triomphoit d'avoir battu
quatre compagnies qu'il a voit trouvées fur fa route. Hohenlo
piqué de cette défaite , qui avoit fuivi de près celle d'Her-
demberg , marcha à lui en diligence , &; l'ayant joint auprès
du même lieu d'Herdemberg , il fe mit aufïïtôt en batail-
le. Rennebourg fe retira fagement de ce mauvais pas , &
s'en alla à Groningue. Hohenlo tint fur le champ cenfeîl ,
pour fçavoir s'il devoit Pafîiéger : mais l'entreprife ayant été
jugée périlleufe , &; d'un fuccès fort douteux , il alla camper
à Zuidlaren , 6c à Noortlaren , & fe faifit du paflage de Pon-
terbrug. Pendant que Cornput commençoit à rétablir le fort
de Weerdenbras , qu'Edzart comte d'Embden Général des
troupes du duc de Saxe avoit fait conftruire l'an 1505. pour
empêcher les tranfports de blé quife faifoient de Drentheà
Groningue, ôc qui fut ruiné en 1 5 1 6. par Everwyn comte de
Benthem , Lieutenant du même Prince. Hohenlo ayant mar-
ché de~lààCoervorden,Ifelftein pritîa ville d'emblée, 8c lagar-
nifon de la citadelle ayant été fommée defe rendre,demanda
quelque tems pour délibérer , ôc l'obtint 3 mais elle fit prefque
auffitôt fon traité avec Hohenlo. On y fit prifonnier ce
Bloemaert , qui huit ans auparavant avoit fervi de guide
à Mondragon lorfqu'il traverfa avec beaucoup de péril les
bafles de la mer pour aller fecourir la petite ville deTergaës
enZélande. Pendant le flége de Coervorden , Hohenlo ôc
Guillaume de Naflau s'étant avancés à cheval fur le foir juf-
qu'au pont de Groningue, ce dernier fut blefle au pied gau-
che d'un boulet de fix livres. On le mit furie champ dans une
litière , ôc on le porta d'abord à Zwol , ôcenfuiteàCampen,
où il ne guérit qu'avec beaucoup de peine, & de tems.
Enfin la faifon étant avancée , on fépara l'armée , ôc on la
mit en quartier d'hyver dans les places. Hohenlo , qui au-
roit bien voulu réparer les pertes qu'il avoit faites , ne laifla
pas de marcher du côté de Linghen,refolu d'en faire le fiége:
& ayant laifle devant la place un xégiment Anglois , il fe
Tome FUI. Y J
354 HISTOIRE
. rendit avec le refte de ies troupes devantWedden.il y trouva
Henri P^us de réfiftanpe qu'il n'avoit cru • ainfi il s'avança en hâte
III. vers Slochtcren , fe Hâtant que la prife de cette place le met-
itSo croit en état de reprendre Dclfziell Mais il fit une grande
faute de divifer ainfi les forces. Rennebourg qui en fut averti ,
marcha auflitôt à Opflach , place forte , mais qui n'avoit pour
garnifon que quelques compagnies de nouvelles levées. La
place fe rendit le premier de Septembre, contre l'attente de
Hohenlo, &c fut rafee fur le champ. De -là Rennebourg
étant allé en quatre jours à Slochteren , où étoit le régiment
de Caulier , 6c celui de Nalîàu , il les fit attaquer au point du
jour par un corps considérable de cavalerie légère , Se les mit
en déroute : peu s'en fallut que Caulier lui-même ne fût pris.
Il vint à bout néanmoins de rallier Ces gens, 6c il fit fi bien ,
tantôt en marchant, tantôt en combattant , qu'il arriva fans
avoir perdu beaucoup de monde à Heiligerlée, & de-là à
Winfchoten , où Hohenlo étoit avec un détachement de
troupes Allemandes. Ils paflerent enfemble à la vue de Wed-
den, & gagnèrent Bourtaigne, toujours pourfuivis par les
troupes de Rennebourg , qui les ayant encore chargés dans
cet endroit avec plus de vigueur qu'auparavant, les taillè-
rent en pièces , & leur prirent huit drapeaux, un étendart,
tout le canon , 6c tous Its bagages qu'ils avoient devant
Wedden.
Rennebourg enflé decefuccès attendoit tranquillement à
Auvaert les troupes du Prévôt d'Ens , & de Vrancwort 3 &:
pendant ce tems - là les fiennes ravageoient tout le païs avec
une licence effroyable : mais les garnifons de Collum 6c de
Doccum les furprirent le 8. de Septembre dans ce monaftére,
leur tuèrent quelque monde , firent trois cens prifonniers $ 6c
après avoir enlevé de ce lieu tout ce qu'ils pouvoient empor-
ter de vivres 8c de butin , ils brûlèrent tout le relie , &le mo-
naftére même. Rennebourg ayant reçu de nouvelles troupes,
alla attaquer Coervorden : dès qu'il eut fait écouler l'eau du
fofle , la place fe rendit , à condition que les foldats fortiroient
avec leurs épées & leurs bagages , c'étoit le zo. de Septem-
bre. De-là il alla à Oldenzeel , où il n'y avoit d'infanterie que
les deux compagnies de Sweghem , 6c de Wifcher d'Am-
flerdam , qui fajfoient environ deux cens hommes , & un
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 355
efcadron du régiment d'Elderborn. Cetre place, qui eft à cinq
milles de Coervorden , 6c à fix de Deventer , eft allez îpa- Henri
cieufe : Tes murailles font hautes , de garnies de tours éloienées III.
les unes des autres:elle eft. entourée de deux folles pleins d'eau, 1580.,
avec un rempart au milieu , ôc des éclufes pour faire entrer de
fortir l'eau quand on veut. Le côté qui regarde Benthem n'é-
tant prefque point fortifié , Rennebourg le fait attaquer , de
met le feu aux portes : mais il refta plus de trois cens de fès
ïbldats fur la place. Après une fî grande perte il ne fongeoit
plus qu'à fe retirer, lorfque la divifionfè mit dans la ville.
Ceux qui tenoient pour le Roi s'oppofant à tout ce que faifoit
la garnifon , rappellérent Rennebourg qui étoit déjà en mar-
che, 6c lui ouvrirent les portes à condition qu'il iaiilèroit for-
tir la garnifon vie 6c bagues fauves. Ce traite fut fait le 24. de
Septembre.Animé par tant de fucces , Rennebourg alla droit
à Zwoll , 6c avec tant de diligence , qu'il prévint Petîin Lieu-
tenant de Caulier , 6c le capitaine Crenonniere , qui mar-
choient de leur côté avec beaucoup de vîtefTe pour fejetter
dans la place, 6c les fît prifonniers. Mais defefpérant de pou-
voir emporter la ville, 6c prévoyant qu'Hohenlo ne tarde-
roit pas de venir au fècours , il réfolut avant toutes chofes de
renforcer les troupes d'un nouveau régiment qui devoit parler
le Rhin , de qui étoit compofé de fugitifs des provinces de
Gucldre, d'Utrecht, de de l'Over-IfTel : onl'appelloit le régi-
ment deGueldres. Celui qui le commandoit enchefétoitjean
Streuf d'Emmerick , qui a voit fous lui plusieurs Capitaines ,
entr'autresBattembourg,6cle fils d'Anholt.Ces deuxOfficiers
avec Schenck , qui tenoit en fon nom le fort de Bleyenbcck ,
ruinoient la navigation du Rhin 6c de la Meufe, de défo-
loient tous Iesnégocians. Depuis peu ils avoient pris un vaif-
feau richement chargé, qu'ils avoient partagé entre leurs
foldats : mais parce que le baron d'Anholt avoit pafTé du fer-
vice de la province de Gueldre qu'il fuivoit d'abord , dans
celui d'Efpagne , Hegeman étant forti de Nimegue avec quel-
ques troupes , attaque la petite ville d'Anholt, quoique fituée
fur les terres de l'Empire , la prend 6c la pille fans quartier ,
pour fe venger de la trahifon du Seigneur de ce lieu , de des
maux qu'il avoit faits à la province.
Rennebourg ayant été joint par le régiment de Gueldres
Yyij
35^ HISTOIRE
?^?^=? marcha droit à Dotekom , (i) ville peu fortifiée, & dontiî
Henri avoit compté la prife facile : mais les Anglois qui étoient dans
III. la place avec un détachement de la garnifon de Doefbourg ,
1580. &. le régiment de Caulier, fe défendant avec plus d'opiniâ-
treté qu'il n'avoit cru , pour ne pas perdre là fon tems , il
jetta quelques troupes dans Groll, 6c le 18. d'O&obre il
marcha vers Steenwick avec douze cens chevaux, & vingt-
huit compagnies d'infanterie , fcavoir , quatorze du régi-
ment de Friie , commandées par Jean-Bapiifte Taxis en qua-
lité de Lieutenant général, à la place de Bans-Mon , qui avoit
été tué dans une efcarmouche j neuf compagnies du nouveau
régiment de Gueldres , &; cinq de celui de Rennebourg, qui
eompofoient en tout fîx mille hommes d'infanterie. OlthofF
commandoit dans Steenwick, & la garnifon étoitcompofée
de fa compagnie, & de celle de Cornput} les habitans, qui
inclinoient pour l'Efpagne , avoient d'abord refufé de rece-
voir cette dernière : mais les Proteffcans les y ayant fait con-
fentir , Cornput ne voulut point entrer dans la place que tous,
les habitans n'euflent juré que perfonne ne parleroit de fe
rendre , qu'il n'en eût ouvert l'avis , ôc qu'il feroit permis de
tuer fur le champ quiconque contreviendroit à ce règlement.
Le ferment ayant été prêté la veille de l'ouverture du ïlége ,
on introduilit la compagnie de Cornput , qui étant avide de
gloire, fait auditôt une iortie par les deux portes , met le feu
aux maifonsdont le voifinage incommodoit la ville, & ra-
mené avec elle dss vivres & de la poudre. La place efl fituée
fur l'Aa , nom commun à tous les ruineaux qui coulent des
marais noirs de ce canton -y elle eft peu fpatieufe ,.ôc n'a au plus
que mille foixante pas de circuit en forme d'arc : Son foiTé efb
profond & large -y les murailles ont peu d'épaifl'eur 3 fes tours
font fort hautes, mais étroites. Elle a trois portes entre le
Levant & le Midi , qui font la porte d'Oofter , celle d'Omin-
ger,& celle de Gafthuys. Auprès de celle-ci on voit encore
aujourd'hui les ruines d'un ancien château bâti en 1513. par
George Schenck,&: qui fut démoli lorfque Charles Quint joi-
gnit rOver-IrTel aux Païs-bas. Au couchant effc la porte de
\V^alt , où abordent les vaiflèaux. Du côté du Septentrion ce
font des prairies féparées par une. chauffée , & de ce même
( 1 ) Dans le Comté de Z utpheru
DE J. A. DE THO U,Liv. LXXI. 357
côté , à une portée d'arquebufe de la ville , il y a un pont
fur la rivière. Il n'y avoit que fix cens foldats dans la place, Henri
avec environ trois cens habitans armés, mais qui ne fçavoient III.
fefervir de leurs armes j point du tout de cavalerie, ni de z,g0i
gros canon , ni de chefs d'une aflez grande autorité , pour
que le foldatn'ofit leur refufer l'obéïilànce. Ainfiles regle-
mens les plus utiles & les plus conformes à la bonne difcipline
y étoient mal obfervés, & prefque tout s'y faifoitavec confu-
fîon. Lorque Rennebourg eut achevé fes lignes, & qu'il eut
fortifié fon camp d'un rempart & d'un folfé , les affiégés
oublièrent leur ferment, &fè moquant de tout ce que leur
put dire Cornput, ils écrivirent le 24. d'Odobre aux Etats
une lettre qui portoit en fubftance , que fi on ne les iecou-
roitdans huit jours , ils fe rendroient. Les Etats leur répon-
dirent par une lettre très-gracieufe , & très-confolante : mais
comme ils ne ceflbient point d'écrire , & de fe plaindre, Corn-
put fit un écrit , oùilmontroit que la ville ne manquoit de
rien , & qu'elle avoit des provisions pour plus de fix mois :
qu'ainfi c'étoit fort maLà-propos qu'on fatiguoit les Etats par
des demandes inutiles..
Cependant les compagnies d'Efcheda &. de Raoul de Lan-
ghe, qui étoient à Kuynder aufli tranquilles que û on avoit été
en pleine paix , y furent furprifes la nuit & taillées en pièces
par Aert de Gemmen, Snater, &: d'autres Capitaines des trou-
pes du roi d'Efpagne : Efcheda lui-même y fut fait prifonnier.
De Langhe y perdit fon drapeau , & eut beaucoup de peine à
fauver fa vie par la fuite. Les ennemis mirent enfuite le feu à
la porte de Gafthuys avec un baril plein de poix fondue, èc
de ioufFre : mais un fbldat de la compagnie de Cornput nom-
mé Arnoul , vint de lui-même offrir fes iervîcesen cette occa-
fion, &par une action auffi digne de louange, qu'elle étoit
hardie , il délivra la ville du péril où elle étoit. Pour cela il fe
fit defcendre de deffus les murailles , paifa le fofïe à la nage ,
en tenant à fa bouche un feau de cuir , puifa de l'eau à loifir ,
éteignit le feu, Scretirale baril. Pendant qu'il y travailloitil
élevoit de tems en temsfà voix, pour infulter aux ennemis,
qu'il traitoit de fcélerats ôc de brigands , en leur criant de
toute fa force , qu'il étoit Arnoul deGroeninghc , fils d'un
braiTeur de biéxe. Enfin Rennebourg fe rendit à fon camp le
Yynj
353 HISTOIRE
"'■■■■—■■■■! 2 y. d'Octobre, avec ordre du Viceroi de ne point quitter
Henri qu'il n'eue pris la ville. Il la fomma dès le lendemain : mais
III. lur le refus de la garnifon il rît mettre trois pièces de canon en
1580. batterie. Cornput de ion côté n'oubliant rien pour le bien dé-
fendre , remontra aux habitans qu'il falloit faire de l'autre
côté du folTé un chemin couvert fous la contrefearpe ^ que
cela donneroit de l'étendue au folle, rendroit les forties plus
fures, 6cferoit très-commode pour rompre les glaces , fi l'eau
des foiTés venoit à geler : 6c que cet endroit étant plus bas
que la contrefearpe , les foldats qui y feroient à couvert
pourroient fans courir aucun rifque prendre les ennemis en
rlanc , lorfqu'ils viendroient attaquer la place. Mais comme il
étoit toujours contredit par un certain Coen Dirkfen , hom-
me turbulent 6c téméraire, dont le fentiment étoit fuivi par
Plaet , 6c par les autres Colonels 3 ion confeil ne fut point
fuivi.
Pendant ce tems-là les Etats envoyèrent quatre compa-
♦ scven-Woi- gnies à un endroit appelle les ièpt Forêts,* pour empêcher
den en Fia- ]es COurfes des troupes de Renneboure. Ce Général yen en-
mand. \ r * > • > -n j il
voya de ion cote qui etoient en meilleur ordre que celles
des Etats. Dès que ces dernières parurent, Botina fe retira
avec fa compagnie , 6c un détachement de la garnifon de
Bolfvaert , 6c abandonna Fernon , qui avoit avec lui une com-
pagnie d'infanterie, & quelques cavaliers. Fernon ayant été
attaqué par les troupes de Rennebourg , fe défendit vaillam-
ment : mais il fut enfin tué fur la place , 6c avec lui le plus jeune
de fes frères , & fa troupe fut taillée en pièce. De - là les
vainqueurs allèrent à Floten, qui leur ouvrit les portes • deux
compagnies qui y étoient en garnifon ayant pris la fuite à l'at-
rivée des ennemis. Lemmer s'étant rendu de même , ils allè-
rent à Staveren , &: rebâtirent la citadelle que les habitans
avoient eu l'imprudence de rafer avant que leur ville fût for-
tifiée. De-là ils prirent la route deX^orcunijOÙils bâtirent un
fort , d'où ils faifoient des courfes , 6c ravageoient le pais juf-
qu'aux portes de Harlinghen, de Franekére , 6c de BolfVaerr.
Cependant le fiége de Steenwick continuoit toujours: les
habitans s'étoient Matés qu'on pourroit , en inondant les plai-
nes, forcer les ennemis à fe retirer: mais le tems ayant tou-
jours été beau , 6c le vent contraire , cette reflburce leur
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 359
manqua. Au commencement de Novembre la garnifon fin
une f ortie vigoureufe par la porte de Gafthluys , où les aflié- Henri
geans a voient élevé un cavalier de gazon, fur lequel ils a voient III.
fait un parapet avec des gabions & des clayes. Le corps-de- 1580.
garde qui y étoit pofté fut mis en défordre, éc il y eut quelques
foldats de pris. Mais tout étoit en confufion dans la ville j
les avis que donnoit Cornput n'étoient point écoutés , 6c pour
comble de malheur , l'eau des folles étant celée 6c la glace
très-épaille, il étoit d'une nécefTitéabfoluë delà carier. Alors
tous les avis fe réunirent , mais trop tard , pour creufer fous
la contrefcarpe, &: faire un chemin couvert. Pendant ce
tems-là ils envoyoient lettres fur lettres & couriers 6c fur cou-
riers pour demander du fecours. Les Etats enfin envoyèrent
Stuper 6c fa compagnie à Swartefluys , & fix compagnies
d'Hegeman au Monaftére de Saint Jean près de Vollenhove.
Lesafliégeans ayant attaqué ces deux corps le 17. de Novem-
bre , les compagnies d'Hegeman fe défendirent avec beau-
coup de valeur j mais elles furent enfin entièrement défaites.
Les capitaines Jean de Viane , Gedeon Pameren 6c Jean
Michman furent faits prifonniers. Rennebourg qui com.
mençoit à manquer de poudre , en ayant pris beaucoup en
cette occafion , fit battre dès le lendemain la porte Gafthuys ,
& renverfa une fi grande étendue de muraille, qu'on voyoit
tout à découvert les maifons delà ville, qui étoient plei-
nes de paille &: de foin. Auffi-tôt il fit tirer defTus à bou-
lets rouges j le feu prit à l'inftant à quelques-unes 'de ces mai-
fons , 6c un vent d'Orient qui foufloitavec violence , Pétendit
avec tant de rapidité, que malgré toutes les peines que les ha-
bitans èc les foldats fe donnoient pour l'éteindre, il y eut une
douzième partie de la ville réduite en cendres. Ce mal fit
pourtant un bien 3 car la violence du vent ayant poufTé la
flamme jufqu'aux dehors, la glace s'y fondit en beaucoup
d'endroits, 6c les affiégeans qui fe préparoienta donner Pat
faut, furent eux-mêmes fi incommodés de la fumée 6c de
l'ardeur du feu qu'ils furent obligés d'abandonner la tran-
chée : ce qui donna le tems aux habitans d'éteindre le feu T
6c les fauva d'un afîaut, auquel on fe préparoit. Il y avoit
trois ans que les habitans de Dantzick s'ctoient fervis de
boulets rouges contre Etienne Bathory roi de Pologne. Et
3^0 HISTOIRE
~ dès l'an i 51 1. dans le même mois de Décembre, la ville de
Henri Steenwick elîuya un embrafement pareil. Les troupes de
III. Gueldre qui Pattaquoient alors , y ayant jette la nuit des
1580. dards enfiamés félon leur coutume, la prirent d'affaut 6c
la faccagérent avec une horrible cruauté. Tous ceux qui
entendent la guerre font perfuadés que fi Rennebourg avoic
employé ce moyen pendant la nuit , c'étoit fait de la ville.
Cette tentative n'ayant pas réiiffi , Rennebourg envoya
des trompettes offrir aux alfiégés des conditions très-avan-
tageufes 5 mais ils répondirent avec beaucoup de fermeté , &
fur-tout Plaec, qui cependant changea un moment après j
car tous les Officiers étant convenus que tant qu'il y auroit
des vivres , on ne parleront point de iè rendre j il s'éleva à
Pinftant une fédition , dans laquelle il entra. Là-delfus toute
la ville étant en rumeur , le brave Cornput s'avança dans la
place publique, accompagné de Berembroeck 6c de Lazare
d'Autriche lieutenant d'Oltholf , 6c ordonna à la populace
de fe retirer. Un Boucher réfifboit en criant fans celle : » Que
>3 deviendrons-nous , quand il n'y aura plus rien à manger ?
53 Nous n'en fommes pas encore-là , dit gravement Cornput 3
53 mais quand nous y ferons , nous commencerons parte man-
>3 ger , 6c tout ce qu'il y aura de coquins comme toi. ce Cette
fermeté ayant arrêté la fédition , on prit des mefures pour
éteindre le feu , fi les ennemis le remettoient à la ville. Pour
cet effet on ordonna aux femmes & aux enfans de faire le
guet jour 6c nuit dans les rues &l dans les maifons • 6c en cas
que les ennemis jettaflent quelque matière enflamée , de tirer
fur le champ avec des crocs de fer 6c d'emporter le boulet ou
la baie avec des efpéces degands d'étoffe imbibés d'eau • ce
qui fe pouvoit faire fans danger. Quelque tems après , la di-
fette d'argent fit enchérir les vivres dans la ville , ce qui cau-
fa un nouveau tumulte , mais que Pefpérance d'un prompt
fecours appaifa dans le moment.
L'affaire fut très-débatuë dans le Confeil des Etats : les
uns repréfentoient, queSteenwick n'étoit pas une place d'une
affez grande importance pour rifquer de tout perdre, com-
me il arrive fouvent quand on s'opiniâtre à faire lever des
fiéges : les autres foûtenoient au contraire , que cette ville
ctoit comme la clef de la Frife , de Vollenhove 6c de Drente ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. $61
& que fi une fois l'ennemi en étoit maître , comme il l'étoit
déjà des côtes maritimes,la Frife n'auroit plus de communica- Henui
tion avec les autres Provinces. Ce dernier avis ayant prévalu, III.
on envoya Noritz colonel Anglois avec vingt-quatre corn- i j8o.
pagnies , mais peu complètes. Ce Général marcha du côté
de Swartefluys , où il rencontra la compagnie d'Othon de
Sanche nouvellement levée , qu'il tailla en pièces $ & après
avoir brûlé le bourg où elle étoit, èc laifie trois compagnies
à Swartefluys ,il s'avança vers Meppel , y combattit une par-
tie des troupes de Rennebourg &les défit. Il en refta grand
nombre fur la place, &c la glace ayant fondu fous ceux qui
s'enfuyoient , la plupart furent noyés , entr'autres le capitai-
ne Arnoul de Gemcghen, bon Officier. On leur prit deux
enfeignes èc quantité d'armes , &: l'on fit entrer dans la place
un drapeau avec quarante hommes de troupes foudoyées,
chargés de facs de cuir , qui renfermoient fept cens cinquante
livres de poudre.
Pendant ce tems-là Plaet fut tué dans une fortie , 6c ce ne
fut pas une grande perte pour Steeiwickj car dès qu'il y avoit
quelque émotion dans la ville , on le voyoit toujours à la
tête. On mit à fa place Berenbroeck , qui avoit été aupara-
vant Lieutenant de la compagnie de Stuper. Outre le fè-
cours dont nous venons de parler, les Etats envoyèrent de
l'or pour payer les troupes qui étoient à leur folde. Enfin
le 3 1 . de Décembre , Noritz ayant attaqué un quartier des
afliégeans , qui étoit au-delà du marais , pendant que la gar-
nifon faifoit une fortie , l'ennemi fut mis en fuite de ce côté-
là , & leur canon encloué.
Vers le même tems , le comte de Rennebourg fit une ten-
tative fur Hattem , où il n'y avoit que quinze foldats : ce qui
étoit arrivé par la trahifon de Guillaume de Monfort , fils
du Gouverneur de la place. Ce jeune homme ayant fait ve-
nir du fort de Bliembeeck quarante hommes avec le capi-
taine Foucker , les introduifit la nuit dans le château de Hat-
tem , ôc enferma dans une chambre les foldats de la garni-
fon , qui étoient yvres. A Pinftant il defcend dans la ville ,
efcorté par ces quarante foldats qu'il avoit fait entrer dans
la place , y trouve Hegeman , qui y étoit venu loger en pa£
fant avec quelques autres du même parti -y il les arrête & les
Terne FUI. Z z
î&i HISTOIRE
l ' ' j conduit au château. Les Proteftans fe voyant les plus foibles,
Henri jugèrent à propos de diilimuler j mais les habitans de Zwoll ,
III. qui avoient à leur tête Jacob de Malines, ayant été joints par
1580. ies troupes de Deventer & d'Elbourg , allèrent au fecours de
Hattem , mirent en batterie fix pièces de canon de la ville ,
&: commencèrent à battre le château, qui fe rendit le 18.
Décembre par l'entremife du capitaine Hegeman, qui y étoic
prifonnier. La principale condition fut que la garnilbn au-
roit la vie fauve , mais que Louis de Monfort qui comman-
doit dans la ville &: Guillaume fon fils , qui y avoit intro-
duit les ennemis refteroient prifonniers. Quelque tems après
ils furent décapités l'un &; l'autre <k écartelés comme traî-
tres , par fentence des Etats de Gueldre. Cependant le liège
de Steenwick continua jufqu'au mois de Février, fans beau-
coup avancer.
Philippe Pendant cette année , Philippe refla fur les frontières de
proknc An- Portugal, et ayant enfin achevé de le réduire , il proferivit
toine roi de . .*-> . J . , , , „ . , ^ ' A, , r
Portugal, & Antoine qui avoit ete nomme Roi par les Grands de ion
leprinced'O- parti alîembles en forme d'Etats. Il envoya en même tems
range- ordre au prince de Parme de proferire le prince d'Orange
dans les Païs-bas. L'Acte en fut drefle à Maffcricht le 1 5. de
Mars , envoyé aux Gouverneurs & aux Bourgmeftres , avec
des lettres du Viceroi datées de Mons en Hainaut , et fut pu-
blié le 1 5. de Juin dans toutes les villes foûmifes «à PEfpagne.
Le Roi y reprochoit au prince d'Orange les bienfaits dont il
avoit été comblé par CharleV. fon père, 6c par lui :èt après
un détail injurieux de toutes les trahifons qu'il avoit tramées
contre lui , il le déclare rébelle , ennemi de l'Etat , hérétique ,
hypocrite , fans confeience , un fécond Caïn &; un Judas.
Enfin on le charge de malédictions comme une pefle de la
Chrétienté, &: comme ennemi du genre humain. Satêteeffc
mife à prix , fes biens donnés au pillage , & fi quelqu'un le
peut livrer mort ou vif, on lui promet à lui & à fes héritiers
une récompenfe de vingt mille écus d'or. Ses partifans , fes
fauteurs , ceux qui lui donnent retraite , font également profl
crits par cet ade.
Apologie du Le prince d'Orange y répondit par une longue Apologie
p. d'Orange. qU'jl fit imprimer, & qu'il préfenta le 13. de Décembre à
l'afTemblée de Delf. Il y rabauTe extrêmement les prétendus
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 3^3
bienfaits qu'il avoir reçus de Philippe & de fon père ; & après
avoir expofé les fervices que la famille 6c lui leur avoient Henri
rendus , il fe juftifie fort au long des trahifons qu'on lui III.
imputoit. Comme le Roi lui reprochoit le rroifiéme ma- 1580.
riage qu'il avoic contracté depuis fix ans avec Charlote de. *
Bourbon fille du duc de Monpenfier, le prince d'Orange en
prend occafion d'attaquer la réputation de Philippe avec
une aigreur qu'on ne fçauroit approuver. Il dit : Qu'avant
fon mariage avec l'infante de Portugal , il avoit époufé Ifa-
belle Oforia , dont il avoit eu des enfans , & que Ruy G ornez
de Sylva avoit été l'entremetteur de cet indigne mariage :
Que depuis , il avoit débauché DorïaEuphrafia , fous prétex-
te de Pépoufer , &c qu'auflitôt qu'il l'avoit vu grofTe , il l'avoit
mariée à Antoine de Levé prince d'Afcoli : Qu'il s'étoit dé-
fait d'Ifabelle de Valois fœur d'Henri III. fa légitime époufe :
Que les preuves de ce crime étoient entre les mains du Roi
Très-Chrétien. Et pourquoi s'étoit-il porté à une action fî
déteftable ? Afin de contracter un mariage inceftueux avec
Anne d'Autriche fille de l'Impératrice fa fœur , &c de fouiller
la fainteté du mariage , par une union digne de ce Jupiter du
Paganifme , qui époufa fa fœur Junon.
Quelque tems après, les Etats firent lire cette Apologie
dans leur afTemblée publique 3 &: quoique les perfonnes mo-
dérées la trouvafTent trop forte , ils y donnèrent une appro-
bation autentique. Le 4. de Février le prince d'Orange,
écrivit à tous les princes Chrétiens pour les prier de recevoir
en bonne part l'écrit qu'il avoit publié pour fa défenfe , de ne
point ajouter foi à tout ce que fes ennemis pourroient répan-
dre d'injurieux contre lui &: contre fa famille , èc de s'en rap-
porter fur ce qui le regardoit au témoignage des Etats , qui
ayant été témoins de toutes fes démarches , voudroient bien
être les garans de fa fidélité &de fon innocence.
Cette année fut mémorable par un exemple de la ven- AA<fniref!dc$
geance divine fur la fe&e fanatique des Anabatiftes. Leur '
premier apôtre fut , dit-on , Melchior Hofman , qui eut pour
afTociés & pour complices Baltazar Hutmoet , Jean Hutt ,
Louis Hetzer , Melchior Rinck , Jean Denk &: Thomas
Muncer. Hofman , qui fut le boutefeu de la guerre que
les païfans excitèrent en Allemagne , répandit d'abord
Zz ij
3^4 HISTOIRE
' à Embden les principes de fa doctrine empoifonnée. Enflé des
Henri premiers fuccès , il laiflà Trippmacker pour continuer ce qu'il
III- avoit commencé , &: il alla à Strafbourg pour y faire des pro-
1580. /élites, 6c y répandre le poifon de la fecle abominable.
Après fon départ d'Embden, le fecret qu'il avoit confié à
Trippmacker devint bientôt 11 public par le moyen des pré-
dicateurs , que ce Sectaire craignant pour fa vie , s'enfuit à
Amfterdam^ mais il y fut bientôt découvert èc conduit à la
Haye , où il fut puni de mort , comme il le méritoit. Cepen-
dant Hofman infirma fa doctrine avec beaucoup d'adreilè 6c
de fecret à Strafbourg 6c aux environs , & y fie beaucoup de
difciples 3 mais ayant été arrêté fur quelque foupçon Se mis
dans un cachot , il y périt miférablement , malgré les belles
efpérances qu'il avoit données à fes fe&ateurs que dans peu
il recouvreroit fa liberté par un coup extraordinaire du Ciel.
Il avoit même promis avec ferment qu'il paroîtroit comme
le véritable Elie avec cent quarante mille apôtres, 6c qu'il
rétabliroit la Jérufalem fpirituelle &; le régne de lajuftice.
C'en: encore de cette infâme fe&e que fortirent Léonard
Jocften &. fa femme Urfule , qui pleine d'un efprit de fana-
tifme fe donnoitpour Prophéteffe. Après eux Jean Mathias
boulanger d'Harlem étant dégoûté de fa femme déjà avan-
cée en âge , embraflà cette fe&e licentieufe , afin d'avoir la
liberté d'en époufer une jeune. Celui-ci fe difoit Enoch, &
il fit rebatifer tous fes difciples. C'étoit le deflèin d'Hof-
man j mais fa prifon l'avoit obligé d'en différer l'exécution,
à l'exemple, difoit-il, de Zorobabel 6c d'Aggée , quiavoient
ainfi différé la réédification du Temple.
C'eft de ce même Boulanger que Jean de Leyde, qui ex-
cita cette grande tragédie à Munfter en Weftphalie, avoit
reçu fa million. Ce fut auffi lui qui envoya Bernard Koth-
man en Allemagne, 6c enfin Gérard Boeckbinderen à Am-
sterdam pour y répandre le poifon de lès erreurs. On compte
encore parmi Ces {éclateurs Barthelemi Boeckbinderen frère
de Gérard, Théodore Cuper , Jean Sherder , Pierre Hant-
fager , Thierri Philippe , Jacque de Campen , Corneille de la
Brille , Nicolas d'Alckmaer , Meinard de Delf 6c Obbo Phi-
lippe , qui abjura depuis, & qui découvrit avec beaucoup de
franchiiè 6c d'ingénuité toutes les impoftures 6c les excès de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 3,65
ces fanatiques. Dans le tems que ce dernier étoic encore avec
eux , il avoir initié aux myftéres de cette fecte , David Geor- Henri
ge à Dclf , Thierri Philippe à Dam , èc Meno Simon à Gro- III.
ningue. j'ai rapporté fort au long dans les livres précédens 1580.
quelle fut la fin de David George. Thierri abjura par le
confeil d'Obbo. Pour Meno , il eut une mort digne de la vie
infâme qu'il menoit. Jean le Cordonnier, qui fut le Roi de
ces fanatiques après David , fut pendu à Bruxelles. Corneil-
le Apelman fon fuccefleur , fut condamné à mort Se exécuté
à Utrecht l'an 1 570.
Mais il s'éleva parmi eux un homme qui fe rendit plus re-
doutable que tous ceux dont je viens de parler • c'étoit Jean
de\>rillelmi , fécondé de Jacque fon frère. Il étoit de Ru-
remonde ville de Gueldre , & on le prétend fils d'un Prêtre,
nommé Théodore ^illelmi. Ce nouvel apôtre ayant ra-
malTé les débris du fanatifme deMunfbcr, aHùra que Dieu
lui avoit révélé que la doctrine des Anabatiftes étoit la plus
pure , &: qu'il l'avoit choifi pour la prêcher 6c pour l'établir
par-tout : Qu'il n'y avoit de Magiftrats légitimes que ceux
qui en faifoientprofeiîion : Que par conféquent on ne devoit
aucune obéïiïànce aux magiftrats Papilles , accoutumés à
févir contre des gens bien plus éclairés qu'eux : Qu'on ver-
roit dans peu le Royaume de la nouvelle Jérufalem rétabli:
Que le peuple & fes conducteurs illuminés de Dieu feroient
mis en pofTelîion des Etats & des biens de ceux qui avoient
des fentimens erronés fur la divinité , de même que les Ifraë-
lites avoient été mis en poiTeflion de ceux des Egyptiens &:
des Chananéens. Pour affermir fon autorité , il commença
comme Mahomet , par permettre la pluralité des femmes 5
&: comme fes fedateurs & lui étoient des miférables & des
gueux , il permit le vol de le brigandage , fous prétexte que
tous les biens de la terre appartenoient à Jéfus-Chrift ècàfes
difciples , & que comme les loix humaines les ont fort mal
partagés, la volonté de Dieu, qui l'envoyoit, étoit qu'il les
diflribuât entre les fidèles d'une manière plus équitable, en
ôtant aux riches ce qu'ils avoient de trop pour le donner aux
pauvres & aux perfonnes de mérite 5 c'eft-à-dire, à fes feda-
teurs. La permilîion du vol &; du brigandage fit fubfifler
quelque tems les fujets de ce nouveau Roi : ils prétendoienc.
Zz iij
$66 HISTOIRE
- . . qu'ayant entre les mains l'épée de Dieu & de Gedeon, ils
Henri pouvoient en fureté de conicience exercer la Juftice divine,
III. Sur ce fondement ils pilloient la nuit les châteaux de la No-
1*580. blefTe, les maifons des riches, & même ils tuoientles maî-
tres. Ces horribles ravages défolérent la Gueldre , èc les
duchés de Cleves &: dejuliersj paflerent même au-delà du
Rhin , & firent pendant cinq ans de grands maux dans tou-
tes ces Provinces ; mais enfin le fondateur de ce royaume
imaginaire , Willelmi , qui avoit déjà formé un corps de
trois cens brigands répandus dans les campagnes voiiines ,
fut arrêté 6c enfermé dans le château de Dinïlaken au pais
de Juliers , où il a vécu jufqu'à Tannée dernière avec beau-
coup de tranquillité , toujours dans l'opulence ,6c au milieu
d'une troupe de femmes corrompues qui ne le quittoient
point. Il ne fe contenta pas même d'avoir autorifé la poly-
gamie par fon exemple , il fit un livre exprès pour la juftifier.
Tout cela fe faifoit par la connivence de Ces gardes , qu'il
trouva moyen de corrompre à force de carefTesôc d'argent,
dont il ne manqua point. Enfin une jeune fille deWefel , nom-
mée Catherine, ayant découvert toutes ces abominations, on
arrêta une de Ces femmes , nommée Elsken , qui étant trop
vieille pour cet infâme Roi , lui avoit donné à fa place fa fille
Elifabeth, dans le tems même qu'il étoitprifonnier. On en
prit encore une autre âgée de foixante-dix ans,nommée Anne,
qui s'étoit fauvée pendant le fiége de Munfter. Après qu'elles
eurent tout avoué, on les fit mourir avec un certain Simon fils
de Pierre qui avoit été arrêté en même tems qu'elles. On feut
par leurs dépofitions que les femmes font communes entre
eux, furie principe que l'homme étant fait pour la généra-
tion , il en: non-feulement permis d'avoir plufieurs femmes 5
mais qu'on peut encore répudier celles qui font ftériles :
Qu'ils s'appellent tous frères Se fœurs pour marque de l'union
ôc de la charité qui régne dans la fociété : Que depuis la
mort d'Apelman , c'étoic Willelmi quiétoit leur chef, quoi-
qu'il fût en prifon : Qu'il avoit été appelle à ce rang par l'ef-
prit de Dieu même : Que l'exercice de fon pouvoir confiftoit à
punir les uns par des abftinences & des jeûnes, & les autres par
le glaive quand le cas le méritoit: Que c'étoit la volonté de
leur Roi qui décidoit, Ci une action étoit adultère ou non,parce
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 367
qu'il étoic permis d'ufer de quelque femme que ce fût, pourvu ,
que le Roi y confentît : Que le vol , le brigandage ôcl'homi- Henri
cide ne leur étoient défendus qu'à l'égard de leurs frères $ III.
mais qu'il leur étroit permis de les exercer contre les étran- 1 580.
gers. Voilà les dogmes capitaux de cette fecte exécrable.
Après l'exécution de ces fanatiques, il reftoit à punir les
autres femmes de ce prétendu Roi. Les Juges délégués par
Guillaume duc de Cleves pour l'examen de cette affaire leur
firent grâce de la vie j Se les ayant condamnées à faire péni-
tence , ils les renvoyèrent en Hollande &; en Frife , d'où elles
étoient venues. Enfin Willelmi ayant été amené devant les
Juges, nia avec autant d'opiniâtreté que d'impudence tous les
crimes dont on le chargeoit. Mais ayant été convaincu par les
dépolirions de fes complices, il fut condamné à être brûlé
vif. Dans le moment même de fon fupplice , loin de fe ré-
trader , ou de donner aucune marque de repentir , ou
de douleur 3 le feu ne fut pas plutôt allumé, qu'il s'y pré-
cipita.
Il parut encore d'autres fanatiques auffi feelerats &c aufîî
infeniès que ceux-là. Ils fe difoient ilTus de la famille de l'A-
mour , ou de la mai fon de la Charité , &: ils en prénoient le
nom. Ils perfuadoient à leurs difciples qu'il n'y avoit d'élus
& de fauves que ceux qui étoient aflociés à leur famille : Que
tout le refte des hommes étoit réprouvé & déjà damné par
avance : Que quand on les citoit devant un Magiftrat ou tout
autre homme, qui n'étoit pas de leur prétendue famille de
l'Amour , il leur étoit permis de nier avec ferment tout ce
qu'on vouloit leur faire avouer.
De la Hollande , féconde en monftres femblables , cette
pefte s'étoit répandue dans le Brabant , &; avoit infedé des
perfonnes considérables d'Anvers , dont je dois taire les noms
pour l'intérêt du public. De là elle étoit parlée en Angle-
terre par le moyen des traductions qu'on avoit faites en An-
glois de quelques livres Allemands où. cette doctrine étoit
contenue fous ces titres ou autres approchans • Evangile du
Royaume s Sentences , ou maximes inftruffives y Prophétie de
F E [prit d'amour \ Publication de+la pa:x fur la terre , & tou-
jours fans nom d'Auteur j mais avec ces deux lettres H. N.
qui rirent connoître que c'étoit l'ouvrage de Henri Nicolaï
3$8 HISTOIRE
■. — •' né à Leyde , qui difoit par un blafpheme horrible , qu'il par-
Henri ticipoic à la Divinité , & que Dieu participoic à fon huraa-
III. nité. Ces livres furent brûlés par ordre des Etats , & le Ma-
1580. giftrat féculier eut ordre de prêter main forte au Juge ec-
ciéiiaftique.
Mort du car- Le vingt-huit de Décembre , Gérard de Groefbeck évê-
dinaide Lie- que de Liège , qui avoit été fait Cardinal depuis peu , mou-
§e' rut d'une ancienne bleflîire qu'il avoit reçue à la chafTe d'un
coup d'arquebufe tiré imprudemment. Le duc d'Arfchot
l'étant venu voir , fut traité magnifiquement par le Prélat.
Mais l'excès de la table fit rouvrir fa plaie &: lui caufa la mort.
D'autres prétendent qu'il mourut de chagrin de ce qu'il n'a-
voir, pu fournir au roi Philippe , dont il étoit zélé partifan ,
les fommes qu'il lui avoit promifes pour les frais de la guerre
de Flandre, parce que les Liégeois fcs fujets, qui n'étoient
pas fi Efpagnols que leur Evêque , lui avoient refufé dure-
ment les contributions qu'il avoit demandées pour fatisfaire
à fcs promettes.
Après la mort de ce Prélat , il y eut de grandes contefta-
tions pour lui nommer un fuccefïèur. Le prince d'Orange ôc
les Etats , cherchant l'occafion de marquer leur reconnoif-
iance à l'Archiduc Mathias , qui s'étoit fait beaucoup d'en-
nemis en fe chargeant du Gouvernement général des Pro-
vinces-Unies , follicitoient vivement en fa faveur le Chapi-
tre de Liège, à qui le droit d'élire l'Evêque appartient. Com-
me ce Prince étoit fur le point de quitter les Païs-bas , c'étoit
lui ouvrir une porte honorable pour en fortir. Mais le crédit
de Philippe qui le haïfToit , & de l'Empereur même , qui en
cette occafion fe déclara contre fon frère , fit tomber l'éle-
EmeftdcBa- ètion fur Erneft de Bavière évêque de Frifingue , frère de
vicre nommé Guillaume duc de Bavière. Il fe rendit à Liège le vingt-qua-
Lieec^ e tre Janvier de l'année fui vante , & fept jours après il fut facré
avec une pompe magnifique , ôc avec de grands applaudiflè-
mens des peuples.
Mort du car- Le premier de Décembre , environ un mois avant la mort
dinai Moron. du cardinal de Liège , Jean Moron évêque d'Oftie 6c Doyen
du Sacré Collège , étoit mort à Rome dans un âge avancé 5
car il avoit plus de 7 1 ans. Il étoit fils de ce fameux Jérô-
me Moron dont il eft tant parlé dans l'hiftoire des régnes
précédens >
vans.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI. 569
précédens , 6c qui eut tant de part à la Ligue qui fe forma entre -!_ — . !..■■
François Sforce duc de Milan , & Clément VII. contre PEm- Henri
pereur Charle V. Le fils ne fut pas moins illuftre que le père, III.
par les négociations importantes dont il fut chargé durant 1580.
tout le cours de fa vie , & dont il s'acquita avec autant d'in-
tégrité que de prudence. Ce fut lui qui trouva le moyen d'ap-
paifer les troubles de Gènes 3 6c depuis deux ans , Grégoire
XIII. avoit réfolu de l'envoyer Légat en Flandre , pour tra-
vailler à la pacification des Païs-bas : ce qui auroit été exé-
cuté fi le roi d'Efpagne l'eût permis. Il avoit été fufpccl à
Paul IV. fur la Religion , ôc ce Pape l'avoit exclus du Sacré
Collège -, mais Pie IV. qui étoit Milanois comme lui , ayant
caflé ou laiiTé fans exécution preique tous les réglemens faits
par fon prédéceileur , Moron fut rétabli dans toutes lès Di-
gnités , 6c ce fut lui qui en qualité de Légat de ce Pape affilia
au Concile de Trente aiTemblé depuis tant d'années , ôc qui
eut la gloire de le terminer heureuîement.
Après avoir parlé de la mort du cardinal de Liège 6c du Mort des Sç*-
cardinal Moron , venons à celle de quelques Sçavans. Je
commencerai par Jérôme WolrFné à Oettingen au païs des
Grifons , qui pollèdoit parfaitement la Langue Greque.
Après avoir vilîté dans fa jeunefïè les Univerfites de France
& d'Italie , il fe retira à Aufbourg comme dans un port allu-
re où il pourroit cultiver les Lettres. Il faut avouer que fon
travail 6c fes écrits y ont répandu beaucoup de lumière. Il
tira de grands fecours des Fuggers , 6c c'elr. à leur libéralité
qu'on elt, redevable des éditions de Zonaras , de Nicetas , 6c
de Gregoras s qui tiennent le premier rang entre les Ecrivains
de l'hiftoire de Conflantinople. La traduction Latine dont
il a enrichi ces éditions, efl très-fidéle. Il fut pourvu d'une
chaire de Profeflèur en Grec dans le collège de fainte Anne ,
& il eut toujours à fes leçons un grand concours d'auditeurs.
Attaqué de la gravelle , maladie allez ordinaire aux gens de
lettres , il mourut le 9. d'Odobre à l'âge de foixante-quatre
ans : mort un peu prématurée pour lui , mais qui le fut bien
plus pour le public , à qui (qs veilles étoient 11 utiles. Les fîx
enfans de Jean-Baptifbe Huinzell lui rirent élever un tombeau
magnifique dans l'églife des Dominicains.
La mort de Wolfffuc fuivie de celle d'EmmanuelTremellius
Tome FIIL Aaa
37Q HISTOIRE
e de Ferrare , fils d'un Juif, &; très - fçavant dans la langue
Henri Hébraïque. Il patfa d'abord à Lucques avec Pierre Martir
III. de Vermiglio , éc quelques autres Sçavans qui étoient Prote-
i 5 80. ftans d'inclination. Il quitta depuis l'Italie, & paifa en Al-
lemagne avec Vermiglio &c quelques autres , comme nous
l'avons marqué dans le tems , £c il s'établit d'abord à Stras-
bourg , d'où il pafTa en Angleterre fous le régne d'Edouard
VI. Après la mort de ce Prince il revint en Allemagne , & il
enfeigna quelque tems dans l'école de Hornbach,fous la pro-
tection de Volfang duc des Deux-Ponts , qui mourut en
France. On le tira de là pour lui donner la chaire Hébraï-
que d'Heidelberg. C'eft. dans cette ville qu'il mit en Latin la
verfion Syriaque du Nouveau Tcftament. Après quoi il en-
treprit une nouvelle traduction de l'Ancien Teftament fur
l'original Hébreu , 6c il s'alFocia pour ce grand travail Fran-
çois du Jon de Bourges. Après la mort de Tremellius , du
Jon revit l'édition , &. il fe donna plus de liberté qu'il ne con-
venoit dans l'ouvrage d'un autre. Il y fit quantité d'additions
qui, au jugement des critiques, ont beaucoup groffi le livre
fans le rendre meilleur. Tremellius ayant depuis quitté Hei-
delberg , vint à Mets où il s'étoit marié un peu après qu'il
eut quitté l'Italie. De Mets il paiTa à Sedan pour profefler
l'Hébreu dans la nouvelle Académie du duc de Bouillon , &
il y mourut.
Le troifiéme de Novembre , Jérôme Surita Efpagnol très-
fçavant , & d'un efprit très-orné , mourut à SarragofTe fa
patrie, âgé de foixante 6c fept ans. Il a fait honneur à ion païs
&c a enrichi les lettres de deux ouvrages. Le plus eonfidéra-
ble eft l'hiftoire d'Arragon où il a travaillé longtems 5 le fé-
cond efb l'Itinéraire d'Antonin, fur lequel il a fait quelques
notes , qui font plutôt des variantes qu'un Commentaire.
André Schott a donné cet ouvrage au public après la mort
de Surita. Il y a une chofe qu'on trouve à redire, ou plutôt
à déplorer dans cet auteur , c'eft qu'il ait été fecretaire de
rinquifition. On efb fâché de voir qu'un des plus fçavans
hommes d'Efpagne, &i qui étoit né avec des qualités capa-
bles de lui attirer l'eftime & l'approbation de tout le monde,
fe foit chargé d'un emploi fi redoutable aux gens de lettres ,
de on ne fçauroit dire s'il le prit par fou propre choix pour fe
DE J. A. DE THOU,Liv. LXXI. 371
mettre à couvert de ce Tribunal , ou fi les préjugés de fa na- — — :
tion lui ont fait regarder cette place comme un moyen pro- Henr,i
pre à s'attirer de la considération. III.
Alvaro de Gomez né à Santa-Olala à fix milles de Tolède, 1 c 8 o.
mourut le 10. Septembre, fix femaines avant Surita , étant
dans fa foixante & fixiéme année. Tous ceux qui aiment les
lettres lui font redevables de la vie du cardinal Ximenez ,
écrite avec autant d'élégance que de fagefïè. On fçait ce que
l'Efpagne , ou pour mieux dire, toute la Chrétienté , doit à
ce grand Cardinal , pour cette magnifique édition de la Bi-
ble , qu'il fit faire à (qs dépens , dans un iîécle d'ignorance
6c de ténèbres.
Lorfque j'ai parlé des affaires de Portugal , j'ai prefque
oublié Jérôme Oforio : mais voici proprement le lieu d'en
parler. Il pafïa le tems de fa jeuneilè à faire fes études en Ita-
lie , après quoi il revint en Portugal avec Antoine Auguftin ,
6c un Jurifconfulte Comtois nommé Jean Mettel de Mettel-
laer : depuis il fut fait évêque de Silves dans le royaume des
Algarves. Ce Prélat a inftruit & édifié non feulement fa na-
tion , mais toute la Chrétienté , par un grand nombre de li-
vres fur différentes matières, écrits d'un llile élégant 6c fleuri,
qu'il a mis au jour durant fa vie ( 1 ) j 6c par la iàinteté de la
vie qu'il a toujours menée. Enfin après avoir rempli tous les
devoirs de l'Epifcopat avec une fidélité qui ne s'eft point dé-
mentie , il mourut en paix en cette année 1580. Mort d'au-
tant plus heureufe qu'étant arrivée dans l'année qui vit entrer
les Caftillans en Portugal , elle épargna à Oforio la douleur
de furvivre à la liberté de là patrie.
Cette même année au mois d'Avril , Ferdinand d'Autri- Ferdinand
che fils de l'empereur Ferdinand , époufa fa nièce Anne-Ca- <J'Autnche
1 • /-11 1 s-> -ii 1 1 i* o uri epoule Anne
tnerine fille de Guillaume duc de Mantouc , 6c dhleonore Catherine de
d'Autriche fa fœur , à l'exemple de Philippe II. chef de la Gomagucfa
Maifon d'Autriche , qui avoit époufé avec la difpenfe du
Pape , Anne fille de l'empereur Maximilien II. fon coufîn
germain , 6c de Marie d'Autriche fa fœur. Le jeune Ferdi-
nand avoit époufé longtems auparavant à l'infcû de fon père
Philippine de Velfernée à Aufbourg de famille de Sénateurs j
( 1 ) Ils ont été réimprimés à Rome après fa mort par les foins de Jérôme
Oforio fon neveu.
Aaa ij
nicce.
37* HISTOIRE
- fille de vingt -ans, d'un efprit excellent, £c parfaitement
Henri belle. Tant qu'elle vécut Ferdinand la regarda comme là
I II. femme légitime , & en eut des enfans : mais comme par
j r g 0# les loix de l'Empire , & fuivant la coutume d'Allemagne , où
le Commandement de Dieu fur l'honnêteté du mariage eft
obfervé plus religieufement qu'en aucun endroit du monde ,
un mariage contra&é fans le confentement des pères &. mè-
res , ou de ceux qui en tiennent lieu , n'eft pas regardé com-
me légitime ^ non feulement les Etats des grandes provinces
que pofledoit Ferdinand , ne reconnurent point Philippine
comme légitime époufe de Ferdinand j mais ils déclarèrent
les enfans qu'il avoit eus d'elle , incapables de lui fuccéder
dans fes Etats. C'en: pourquoi lorfque l'empereur Maximi-
iien II. frère amé de Ferdinand mourut , &: qu'il s'agit de
partager fa fucceflion entre fes enfans qui étoient en grand
nombre , les Etats ordonnèrent qu'on y comprendroit les
biens de Ferdinand , & dès-lors ils furent deftinés aux enfans
de fon frère , fur ce qu'il déclara qu'en confeienceil ne pou-
voir pas époufer une autre femme que Philippine. Comme
fon mariage avec elle avoit été déclaré contraire aux loix ,
il svenluivoit que les enfans qui en étoient nés , étoient inca-
pables de lui fuccéder. Ainfi ce Prince eut le déplaifir de voir
îès neveux partager fes biens de fon vivant j Se à peine put-il
obtenir des Etats qu'on détachât des grands domaines qu'il
pofïedoit , un petit château pour le donner à Charle fon fils
aîné avec le titre de Marquifat. ( ï ) Il n'eut pas tant de peine à
obtenir de Grégoire XIII. un chapeau de Cardinal pour An-
dré fon fécond fils qu'il avoit eu de Philippine , quoique cet
honneur ne s'accorde d'ordinaire qu'à des perfonnes nées en
légitime mariage -y mais celui de Ferdinand qui n'étoit regar-
dé en Allemagne que comme un concubinage , paflbit à Ro-
me pour légitime , parce qu'il avoit été célébré fuivant hs
formes de PEglife.
Ferdinand vivement piqué du procédé de /es neveux ,
tint fon chagrin caché tant que Philippine vécut • mais dès
qu'elle fut morte , il ne tarda guère à le faire éclater j &
quoiqu'il fut alors fur le déclin de l'âge , il fongea à fe rema-
rier , dans l'idée que s'il n'en droit pas tout l'avantage qu'il
( ï ) C'eft le Marquifat de Burgaw.
DE J. A. DE THOU, L i v. LXXI. 373
en pouvoir efpérer , qui étoit d'arracher à Tes neveux cette - —
fucceffion après laquelle ils foûpiroient , il leur ôteroit au Henri
moins cette efpéce de certitude qui les avoit fiâtes jufqu'a- Hl.
lors. Ce mariage ne changea rien à-ce qui avoit été réglé , & 1 5 S o.
n'ayant point laifîe d'enfans mâles de fa nièce , qu'il avoit
époufée en fécondes noces, fa mauvaifè volonté aboutit tout
au plus à troubler pour un tems les mefures que fa famille
avoit prifes pour le partage des biens de la maifon d'Autri-
che ; mais il ne put leur arracher , comme il le defiroit 3 ce
qu'ils attendoient de fa fucceffion,
Fin du Livre foixante & onzième.
Aaa iij
374 HISTOIRE
rt^....1^^^~»....^-TM-»->.,..«^>i^-JMM»-»Mn ^ .„/->, /f^fm^ff^ri* ^(r'.„..'^(r'...|l^n-.„|1'-Tli»J_..«TTJl„.^^ «ry
Vi n*t y£ ï*i y-i ï*£ s*ï >■"£ >"£ s-*'* y4 y^yi >"£ >*£ y^ y; y y/ y/ v" y/ y/- x*'*: y/ y/ v*/ y w»/ v*/ y w»/ w
IRE
DE
j a c q;ù e auguste
DE THOU.
LIVRE SOI XANTE-BOVZÏEME.
ON avoit crû en France que la conférence de Nerac
avoit entièrement calme les eiprits des Proteftans.
1 A L Mais comme on ne le prcfïoit pas d'exécuter ce qui y avoit
1580. été réglé , ou qu'on cherchoit même à l'éluder , du moins
Affa' d ^ ce *1U'^S croyoicnt 3 il fut réfolu , contre l'avis des plus fa-
France, ges , & à l'inftigation de ceux qui préféraient le trouble à la
paix , qu'on fe difpoferoit à la guerre , afin que fî l'on étoic
contraint de la faire , on ne fût pas accablé avant que d'y
être préparé. Cette réfolution prife , on envoya les moitiés
* Voyez pa^e des écus d'or * dont j'ai parlé fur l'année dernière, à Fran-
88. çois de Coligny Châtillon , & à Antoine du Pleix fieur de
Gremian , qui étoient en Languedoc 3 enfin à François de
Bonne Lefdiguieres , qui étoit en Dauphiné. Celui qui fe
chargea de les porter , fut Aramont bâtard de Gabriel d'A-
ramont , qui a été envoyé plufieurs fois en ambafTade à Con-
ftantinople.
Mais le Languedoc refufa d'entrer dans ce projet , foit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 375
parce qu'il fe voyoic éloigné du danger qui menaçoit la
Guienne , de PobhVeoit à courir proinptement aux armes : Henri
/-* r mJ* f TTT
foie parce que n'ayant fait aucuns préparants pour la guerre, x l ±-
il vouloir tâcher de fe maintenir dans le repos dont il jouuToit. 1580.
Du côté duDauphiné , LefUieuieres diipofoit tout pour le _
1 > • Pn. vj- r 1 • 5 > a m Guerre en
tems dont on etoit convenu , c elt-a-dire pour le mois d Avril. Guienne.
Cependant le roi de Navarre délibéroit par où il commen,
ceroit la guerre. On avoit donné en dot à Marguerite de Va-
lois femme de ce Prince, les SénéchauiTées du Quercy & de
PAgenois , quoique félon nos loix les filles de Rois ne fe do-
tent qu'en argent & jamais en fonds de terre. On avoit plus
fait -, car afin qu'elle poiîédât ces biens d'une manière plus
honorable , le Roi fon frère lui avoit abandonné par fes let-
tres particulières tous les droits régaliens qui font infépara-
bles de la Couronne -y jufqu'au pouvoir de nommer aux Evê-
chés & aux Abbaïes ^ &; cela pour acheter la paix à quelque
prix que ce fut , même aux dépens de l'autorité Royale. On
donna outre cela à cette PrincelTe un Chancelier particulier ,
qui fut Gui du Faur fieur de Pibrac , préfident au Parlement
de Paris , dont j'ai déjà parlé tant de fois , & toujours avec les
éloges qu'il mérite.
Les peuples du Quercy furent très-fâchés de ce démem-
brement. Comme ils étoient ennemis jurés des Proteflans ,
&; qu'ils en avoient donné de bonnes preuves dans les précé-
dentes guerres ^ au lieu de s'attacher au roi de Navarre , ils
n'en furent que plusindiipofés contre lui. D'ailleurs il y avoit
dans Cahors grand nombre de gens , qui ayant eu part au
maiîàcre qui s'étoit fait quelques années auparavant dans
cette ville , craignoient qu'on n'en tirât vengeance. Celui
qui commandoit dans la place étoit le Heur de Vezins dont
j'ai parlé ci-devant , homme de main &c qui avoit toujours
auprès de lui environ quinze cens habitans aguerris & bien
armés. Comme la reine de Navarre avoit fort envie d'entrer
dans Cahors , qui étoit une des villes de fa dot , le roi fon
mari fçut fi bien tourner les cfprits , qu'on réfolut de com-
mencer la guerre par le liège de cette place , d'autant plus
que la Princelîè , en fe vengeant des habitans , vengeoit en
même tems l'injure qu'ils avoient faite au Pvoi fon frère. D'ail-
leurs la prife d'une place fi importante rendoit le roi de
376 HISTOIRE
».. " " : Navarre fort puifîànt dans la Guienne.
Henri Cette Capitale du Quercy , qui félon quelques auteurs ,
1 1 1. s'appelloit anciennement Di^ona , eft fîtuée fur le Loth qui
1580. prend là fource dans le Gevaudan , pafTe par le Roiiergue,
ôcdefcend dans le Quercy , où il baigne les murs de Cahors
Cihois fur- 1 • ■ r *i — » 1 •' vn_l
pris pat le roi °-e trols cotcs s ain" u n Y a °lue *e quatrième ou elt la porte
de Navanc. de la Barre , qui foit abordable du côté de la terre. Il y a
trois ponts dans cette ville , le vieux , celui de Chelandre , fk.
le pont neuf, qui eft fermé par deux portes Tune fur l'autre
fans pont-levis -, mais l'intervalle entre ces deux portes eft
fortifié de deux baftions dont les cotés fe défendent l'un i'au-
cre. Ce fut par cet endroit qu'on commença l'attaque avec
des machines d'une nouvelle invention. C'étoit des vafes qui
pouvoient contenir quinze à vingt livres de poudre : on fai-
foit entrer l'embouchure de ces vafes dans de o-roffes barres
de fer croifées en fautoir : cette machine étant appliquée à
une porte ou à quelque clôture que ce foit , on y met le feu
avec une mèche allumée , à l'inftant la machine faute avec
un fracas épouvantable , brife &: renverfe tout ce qui eft aux
environs , &c fait voler de toutes parts de gros morceaux de
pierre & de bois , qui fouvent mettent en pièces les canon-
niers mêmes , quelque précaution qu'ils prennent : le bruit
que fait cette machine en crevant , lui a fait donner le nom
de pétard.
Voici quelle étoitla difpofition de l'armée des Proteftans.
Après l'artillerie , qui fait l'avant- garde dans ces fortes d'ex-
péditions , marchoit Jean de Gontauld fîeur de Biron , ba-
ron de Salignac, avec fa troupe 3 il étoit fuivi de Charle le
Clerc de Saint-Martin , capitaine des gardes du roi de Na-
varre j Antoine de Roquelaure à la tête de la Noblefle faifoit
l'arriére-garde : derrière lui à quelque diftance marchoit le
fîeur de Terride vicomte de Gourdon avec douze cens ar-
quebuflers. La première porte qui étoit à la tête du pont
ayant été brifée , le baron de Salignac paiîe avec ies gens &
met en défordre le corps^de-garde des deux baftions dont
j'ai parlé ci-defTus. Il s'avance enfuite à la féconde porte qui
tenoit aux murs de la ville , y met le pétard 6c la fait fauter
comme la première avec un bruit épouvantable , qui étant
encore augmenté par celui que faifoit le tonnerre, répandit
F l'effroi
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIL 377
l'effroi dans toute la ville ; les habirans étonnés courent j
auxarmes 5 Vezins n'ayant pas eu le tems de prendre les Hen&i
Tiennes Te joint à eux , de gagne le marché b Salignac y mar- III.
che à l'inftant, le combat fut furieux : Vezins qui n'avoit 1 580.
point d'armes défend ves , combattant toujours à la tête ,
& courant par-tout où le befoin l'appelloit, reçut un coup
d'arquebufe au travers du corps , dont il fut renverfé. Sa
chiite fit lâcher pied aux habitans , de on croit qu'ils étoient
perdus fans relTource , fi par malheur pour le roi de Na-
varre les afîîéçés n'avoient vu dans le même tems Salignac,
de Roquelaure mis hors de combat par des bleflures confî-
dérables, de Saint Martin qui avoit bravement combattu,
tué fur la place ^ cet accident ranima la bourgeoifie , de
abbattit tellement le courage des Navarrois , que malgré
l'arrivée de Gourdon avec de nouvelles troupes , ils fem-
bloient avoir perdu toute leur vigueur • 6c l'on ne doute pas
qu'ils n'euflent été repouflés dans le fécond choc , fî Pierre
de Chouppes ancien Officier, homme de tête & de main,
ne fût venu fort à. propos les ranimer avec quelques trou-
pes qu'il amenoit du Vicomte de Turenne. Comme il en-
troit dans la ville par le Pont neuf avec deux cens hommes
d'élite , il rencontra iix cens arquebuflers qui fe retran-
choient dans les rues avec des tonneaux : il les chargea f
les mit en déroute 6c les pourfuivit jufqu'à la maifbn de
ville, dont il fe rendit maître aufïï bien que de trois pièces de
canon , d'une coulevrine , &. de l'artillerie. Il laiila du monde
pour la garder, 6c ayant appris que les bourgeois fe raf-
iembloient auprès du Collège , 6c qu'ils étoient encore
maîtres de deux portes , il y courut auffi-tôt, fit faire un
retranchement à quarante pas de diftance , 6c s'empara des
maifons voifînes j mais ce ne fut pas fans combat , car les
afîiégés faifoient à tout rcvoment des forties fur fes troupes :
le roi de Navarre étoit lui-même au milieu du feu , 6c don-
noit l'exemple à fes foldats , les Officiers généraux étant
prefque tous, ou tués, ou blefTés dangéreufement. On fit
de part de d'autre un feu terrible depuis neuf heures du
matin jufqu'au foir ; de à l'entrée de la nuit on mit le feu
à la porte du Collège , 6c il y eut encore là un combat
fanglant.
Tome VIII, B b b
378 HISTOIRE
-■ Le lendemain le Roi ayant appris dès le point du jour
Henri qu'il venoit un renfort confidérable à la ville , 6c qu'il de-
III. voit entrer par la porte de la Barre , tint un confeil , où il
i 580. fut réfolu que de Chouppes 6c le brave Pidoux , qu'on ap-
pelloit le Capitaine Nelde , iroient audevant du fecours 6c
le combattrcient à quelque prix que ce fût, pendant que
le Roi continueroit le fîége. Ils partent fur le champ avec
cent arquebufiers 6c vingt Gentilshommes d'élite , 6c vont
droit au pont de Chelandre , où ils trouvent les ennemis y
les chargent à l'inftant , 6c les mettent en déroute après leur
avoir tué trente hommes : après cette victoire ils vont re-
joindre le roi de Navarre , èc ayant auffi-tôt efcaladé le
Collège par ion ordre ils s'en rendent maîtres 3 ceux qui
le défendoient étant rentrés dans la ville , fe retranchent
avec des tonneaux en quatorze endroits différens. Les afïié-
geans & les afliégés etoient également fatigués : mais le Roi
s'opiniâtrant dans fon deiîein , 6c de Chouppes ayant forcé
fix de ces barricades , à la fin les habitans fuccombérent ,
la ville fut prife 6c pillée avec beaucoup de cruauté. Le
fouvenir du carnage qui s'y étoit fait il y avoit environ
huit ans (1), 6c la douleur qu'on avoit de voir devant {qs
yeux tant de braves Officiers ou tués ou bleflës très-dan-
géreufement , irrita tellement les vainqueurs , qu'on n'épar-
gna pas même les Eglifes , 6c fur-tout le couvent des Char-
treux dont une partie fut pillée , 6c l'autre brûlée. Cette
a&ion fe palîà le 5. de Mai. La nouvelle en ayant été por-
tée à la Cour 3 6c le mal ayant été exagéré , comme c'effc
l'ordinaire pour tout ce qui vient de loin , le Roi àc la
Reine en furent fort irrités , d'autant plus que fur les avis
qu'on avoit reçus de divers endroits de la Guienne , que le
roi de Navarre fe difpofoit à la guerre , Henri III. avoit
écrit fortement à fa fœur de faire en forte de l'en détour-
ner j autrement qu'elle pouvoit compter qu'il feroit fentir à
l'un 6c à l'autre tout le poids de fon indignation : mais cette
Princefîe pour amufer fon frère lui écrivit qu'il ne devoit
avoir aucune inquiétude furies deileins de fon mari , 6c elle
(1) II y a dans le larin X X. annos : ] S. Barthélémy qu'il eft quefîiorijSç l'on
mais c'efl une faute de chifre , il faut jfçait qu'il arriva en 1572..
.VIII. annos t car c'eft du mafiacre de la|
DE J. A. DE THOU, Lxv. LXXIL 379
écrivit en même tems à Pibrac fon Chancelier de ne rien ■
oublier pour ôcer de l'efprit du Roi les chagrins que la Henri
crainte de la guerre pourroit lui donner, & pour cela de III.
le voir dès qu'il fe répandroit quelque bruit là-deiTus , 6c T cSr>
daliurer hardiment a S. M. quil ne devoit y ajourer au-
cune foi : qu'elle ecoit bien aife qu'il rendît ce fervice au
Roi , qui lui en fçauroit gré. Pibrac s'en acquitta avec tout
le zélé poffible , 6c il aifilra avec tant de fermeté qu'il
n'y avoit que des brouillons ou des gens peu fènfés qui
piuTent faire courir tous ces bruits, qu'après que la vérité
fut manifeftée , il y eut bien des gens qui crurent qu'il avoit
eu part à la tromperie : mais on peut dire qu'ils ne connoifl
foient guéres ni l'intégrité Se la candeur de Pibrac, ni l'ef-
prit fourbe & emporté de Marguerite de Valois.
Le Roi ne pouvant fe venger fur fa fœur , 6c fur le roi
de Navarre qui étoient bien loin de lui , déchargea toute
fa colère fur le malheureux Pibrac, qu'il envoya chercher,
6c à qui il fit en préfence de toute la Cour une réprimande
très-dure ; 6c la réputation , 6c la vie même de cet homme -
admirable auroient été dans un grand danger , fi le Roi
naturellement porté à la clémence n'eût eu plus d'égard à
la probité de Pibrac qu'il connoiiîbit depuis long-tems ,
qu'au refientiment qu'il avoit de ce qui venoit d'arriver ,
quelque vif 6c quelque jufte qu'il fût.
Dans le même tems les Proteftans prirent Montaigu en
Poitou , de d'autres châteaux en Saintonge , 6c fur la fin de
l'année précédente Mathieu de Merle avoit furpris Mende Mende fur.
capitale du Gevaudan la nuit même de Noël: le fon d'une p"0tc5:tans.S
cloche de la Cathédrale , qui étoit d'une grofleur énorme,
étoit renvoyé avec tant d'éclat par les échos des mon-
tagnes voi fines, qu'on n'entendit point le bruit des troupes
qui entroîent dans la ville; De Merle étant parti de Mar-
vejol avec un détachement de foldats choifis , vint planter
les échelles à l'heure que lui avoient marquée ceux qui
étoient d'intelligence avec lui. Les dix-fept premiers qui
entrèrent dans la ville fe faifirent aufii-tôt de la grande
place , 6c leurs compagnons arrivant à la file , avant que
les habitans , qui étoient dans les Eglifes , pufîent fe raf-
jfembler , formèrent une troupe : le Gouverneur de la ville
Bbbij
38o HISTOIRE
■ qui étoic accouru le premier , ayant éré tué d'abord , de
Henri Merle demeura maître de la place. Il y eut pourtant quel-
III . clucs f°ldats qui fe retirèrent dans une tour j mais ne voyant
o aucun fecours à efpérer ils fe rendirent : la ville fut facca-
* c gée , Se les Eglifes furent ruinées de la manière du monde
la plus barbare.
Quelques mois après, la plus grande partie de la no-
bielle du Gevaudan , du Velay, de l'Auvergne, du Vivarez,
6c des autres Provinces voifines , fatiguée par les courfes
continuelles des ennemis , s'ailemblalous les ordres du fleur
de la Tour fàint Vidal, 6c du baron d'Apcher , pour tâcher
de reprendre Mende. Ils vinrent d'abord à Chanac , qui
n'eft qu'à deux lieues de cette ville $ ils envoyèrent de-là un
Trompette fommer la place avec de grandes menaces , fi on
ne la rendoit fur le champ. De Merle après avoir bien fait
boire le Trompette le renvoye,6cleur fait dire qu'il ne craint
pas beaucoup leurs menaces , 6c qu'il a fort envie de voir
comment ils s'y prendront pour les effectuer : qu'au refle
ils pouvoient compter que s'ils ne venoient pas à lui , il
iroit bientôt à eux. Comme ils avoient beaucoup plus de
troupes que lui , ils rirent de cette bravade , 6c trouvèrent
quefès menaces étoient amTi dignes de mépris , que fa ré-
ponfe étoit arrogante.
Cependant comme ils ne parurent point devant la place
au jour marqué , de Merle pour leur tenir parole fortit de
Mende bien avant dans la nuit avec cent gendarmes 6c deux
cens arquebufiers à cheval , Se étant arrivé à Chanac , il
fit mettre pied à terre à fes arquebufiers 6c à quelques-
uns de {qs gendarmes , mit le pétard à la porte du fau-
bourg de Marvejol , 6c l'ayant jettée par terre 6c fait main-
balle fur le corps-de-garde , 6c fur un gros qui étoit pofté
dans la grande rue , il entre avec impétuofité dans la ville :
mais voyant que fes foldats couroient çà 6c là au riche bu-
tin qu'ils avoient devant les yeux , 6c qu'ils n'écoutoient
point l'avis qu'il leur donnoit de fufpendre le pillage , 6c
d'aller prendre \qs gens qui étoient couchés dans leur lit,
après quoi ils pourroient piller tant qu'ils voudroient avec
moins de péril 6c plus d'avantage j Se craignant qu'à la fin
le retardement ne lut funefte , il fit fonner la retraite , 6c
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 381
s'en retourna à Mende chargé de riches dépouilles , & em-
menant environ deux cens chevaux de bataille qu'il avoit Henri
pris , 6c rentra ainii victorieux , 6c triomphant dans la III.
ville. i58o.
Comme ce Capitaine & fes foldats enflés de quelques fuc-
cès heureux pouifoient la licence au de-là des bornes , Fran-
çois de Coligny Chatillon, jeune homme plein de courage,
à qui le roi de Navarre avoit donné le gouvernement du
Languedoc , 6c qui étoit dès-lors comme ion père rigide ob-
ier vateur de la difeipline militaire , avertit plus d°une rois
de Merle de mettre fin à ces pilleries , qui excitoient l'in-
dignation de toute la Nobleflè des environs : mais voyant
que les prières 6c fes menaces ne fervoient de rien , il lui
envoya ordre de le venir joindre avec la meilleure partie
de fa garnifon, Tous prétexte d'aûléger le château de Val-
fîege qui n'eft pas éloigné de Mende. De Merle s'y rendit,
6c la ville de Mende iè trouvant par ce moyen dégarnie
de troupes , Coligny s'en rendit maître , 6c y mit une autre
garnifon.
De Merle en fut outré : cet homme féroce 6c hardi prit
pour un outrage ce qu'il de voit regarder comme une cor-
rection , il diffimula néanmoins fon refîentiment , de dans
cet intervalle s'étant emparé du Château-du-Bois qui étoit
aux environs , il le fortifia pour fervir de retraite à fes fol-
dats accoutumés au pillage. Quelque tems après,Chatillon
s'étant éloigné avec les troupes , de Merle feignant de re-
venir d'une expédition militaire s'approcha de Mende , 6c
gagna quelques foldats de la garnifon , qui s'accommodoient
mieux de la licence que de la difeipline. Ces féditieux
s'étant mis à crier: Vive le Capitaine de Merle , 6c l'ayant
introduit dans la ville , il s'en empara une féconde fois , de
malgré tous les édits du Roi , qui lui ordonnoient de la
rendre, il ne le fit qu'après avoir forcé les habitans, qu'il
en avoit chaiTés , de la racheter à des conditions très-
dures.
Ce fut vers ce tems-là que le prince de Condéréfolut Condé patte
de revenir en France : il étoit pafle de la Fere au Païs. e"eAI ^"
bas,puis en Angleterre , 6c de-là en Allemagne pour folli- vient en Lau-
citer du fecours 5 mais il n'obtint rien alors. Ce Prince qui guedoc.
Bbbiij
38i HISTOIRE
avoic un grand courage fut prefque toujours traverfé par la
H e nr. i fortune dans tous les projets qu'il fit. Comme il pafîbit par la
III. Suifîè j & par le territoire de Genève fort mal habillé &
1580. avec peu de fuite pour aller joindre Lefdiguieres , il fut ar-
rêté fur la frontière de Savoye : mais comme on ne le re-
connut point , il ne fut que dépouillé , & il arriva fain &;
fauf chez Lefdiguieres qui lui fournit de l'argent , des
chevaux , & un équipage convenable à fon rang. De-là ce
Prince defcendit en Languedoc , où Chatillon, & les autres
chefs des Proteftans lui ayant déféré le gouvernement gé-
néral de cette Province , il l'accepta, Se dès-lors il fongea à
effacer par quelque entreprife importante le fouvenir defes
malheurs paifés. Là-defîus ayant tenu un confeil à Nîmes,
il chargea Gondin Colonel d'un régiment de huit compa-
gnies d'aller à Mende , pour y délibérer avec Porqueres, &:
le capitaine de Merle fur ce que l'on pourroit faire.
Exploits des Les troupes du Roi tenoient quantité de pofbes à l'ex-
Procefhns en trémité des Cevennes : ainii il étoit dangereux de pafîer les
montagnes , pour aller du Languedoc à Mende. Gondin
ayant rencontré Porqueres àc de Merle auprès de Molines,
leur avis fut qu'il marchât du côté d'Efpagniac , qui n'en
eft pas bien éloigné ; pendant que Porqueres &: de Merle
fe fépareroient pour lui aller chercher de l'artillerie 6c de
la poudre. De Merle avoit fait fondre deux gros canons,
&; un petit, de la cloche de Mende dont nous avons parlé.
Il trouva moyen au grand étonnement de tout le monde
de faire pafTer ces trois pièces par des chemins impratica-
bles • pour cela il fit attacher derrière ces canons vingt paires
de boeufs, pour empêcher que le poids ne les fît tomber dans
des précipices , &, les conduifit ainû devant Efpagniac , où
il les mit en batterie le foirmême auprès dufauxbourg de
Fiorac : le lendemain de grand matin il fit foudroyer les
murailles , & le même jour il fe logea dans une tour qui
flanquoit un angle de la ville , Se qui avoit été ruinée par
le canon, réfolu de recommencer des le lendemain , 2c de
donner l'afîaut , des qu'il y auroit une brèche afïez grande.
La garni fon effrayée de la vivacité avec laquelle on at-
taquoit la place, força Lambrade qui en étoit Gouverneur à
en fortir avec eux avant le jour & à s'enfuir. Ils pafièrenc
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 383
le Tarn à minuit , gagnèrent les hauteurs qui font vis-à-vis,
pour fe retirer du côté de Quéfàc j mais il y en eut grand Henri
nombre qui furent tués fur le chemin , entre autres le fieur III.
de Montoulons, &c beaucoup qui furent faits prifonniers 5 le 1580.
refte jetta fss armes & fe fauva.
Efpagniac pris , on marcha le lendemain à Quéfac , &:
après deux cens coups de canon tirés , les afïïégés iè fau-
vérent en foule la nuit par une ouverture qu'ils firent à
la citadelle , & ayant palië la rivière , ils fe réfugièrent à
faint Jeremie en Rouergue. De Merle ayant mis garnifon
dans les deux places , va quatre jours après mettre le liège
devant Bedoiie château fortifié de bonnes murailles 3 on ti-
ra plus de deux cens coups de canon, iàns que la garnifon
parlât de fe rendre , parce qu'elle efperoit que la faifon qui
étoit très-avancée , obligeroit les ennemis à fe retirer : en
effet le froid étoit très-rude , & les neiges déjà fort hautes :
cependant il fut ré fol u entre les chefs des Proteftans que
Gondin demeureroit au liège, & que Porqueres & de Merle
iroient chercher des vivres , des boulets , 2c de la poudre.
Dans cet intervalle, les affiégés appellérent à leur fecours
S. Vidal , qui leur amena un renfort de quinze cens hom-
mes d'infanterie &: de deux cens chevaux : mais Gondin le
tenant à couvert dans fes retranchemens &c dans les ruines
du faubourg pendant que les troupes du fecours étoient
expofées à un froid extrême , tout ce que S. Vidal put faire,
fut de jetter dans la citadelle vingt hommes choifls fous
le commandement de Stavere , après quoi il fe retira : la
garnifon fut fi concernée de fa retraite , que douze jours
après elle fe rendit de la manière du monde la plus im-
prudente , fans avoir aucune fureté pour leur vie , pas mê-
me la parole du Commandant des ennemis : aufli en fit-il
pendre plufieurs, &: les Eccléfïaftiques qui tombèrent entre
fes mains rachetèrent leur vie bien cher.
En Languedoc les Proteftans fe rendirent maîtres de
Caux , de Cabrieres , & de S. Laurent au Diocèfe de Be-
ziers, de Guyan en Lauraguez , de Montagnac , de S. Fé-
lix , de S. Sernin , de S, Sauveur, & de S Ubcry • de Cor-
navel , de Loupian , &; de quelques autres places , d'où ils
faifoient des courfes , qui ruinoient toute la Province.Dans
384 HISTOIRE
— ■ le même tems S. Lizier (i ) capitale du Conferans fut furprife
Henri par le capitaine Lermont Officier de réputation ^ mais toutes
III. ces places furent rendues par le traité de paix , que le duc
i ^ $o. d'Anjou rît avec le roi de Navare.
Guerre ea Cependant Lefdiguieres ne fe tenoit pas à rien faire dans
Dauphmé. le Dauphiné. Les payfans rebutes de l'infolence des Nobles
avoient pris les armes, & devenus à leur tour auiîi infolens
que ceux dont ils fe plaignoient, ils lé vengeoient lurtous
les états des outrages que leur avoit faits la Noblelîè. Le
Roi qui prévoyoit que ces premières démarches , que Ton
coloroit du fpécieux prétexte de défendre fa liberté, etoienc
en effet des préludes de révolte, ordonna à Maugiron gou-
verneur de Dauphiné , 6c à Mandelot gouverneur du Lyon-
nois, de marcher contre eux. Lefdiguieres qui n'avoit pas en-
core reçu l'ordre d'Aramont , mais qui ne cherchoit qu'une
occaflon favorable pour commencer la guerre , avoit envie
pour cela de fe joindre à ces payfans • il n'ofoit cependant
le faire fans l'ordre du roi de Navarre : mais Aramont ne lui
eut pas plutôt mis entre les mains la marque qui étoit le
lignai de la guerre , que quoique les payfans euilént été
défaits , d'abord à Valence , & enfuite à Romans , il crut
qu'il ne devoit pas abandonner ce projet, 6c il marcha avec
ce qu'il avoit de troupes, à deffein de fe joindre à ceux qui
s'étoient retirés du côté de Moyrens après leur dernière
défaite.
Dans ce defîein il palTa llfere audefïbus de Grenoble le
premier Avril : mais dans le tems qu'il étoit fur le point de
les joindre dans le Viennois , il apprend qu'ayant été en-
fermés dans Moyrens par les troupes du Roi , ils s'étoient
rendus à condition d'avoir vie &. bagues fauves : il ne laifla
pas de continuer fa marche , & ayant fait palier fes trou-
pes à S. Quentin , il y furprit quelques compagnies des
troupes du Roi , qui depuis leur victoire alioient de côté de
d'autre, fans être fur leurs gardes : il les pouffa dans Tullins,
£c ayant fait planter des échelles en plein midi , il les for-
ça 6c les tailla en pièces. Auffitôt il marche du côté des
montagnes & va droit à Briançon , dont il efpéroit de fe
rendre maître par le moyen de quelques habitans , qui
(i) Ville capitale du Conferans , qu'on appelle aufli Confc r,^j,comme le païs.
étoient
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 385
étoient d'intelligence avec lui. C'étoient les Confuls mêmes '
de la ville , qui ayant détourné les deniers publics pendant Henri
leur magiftrature étoient acculés de ce péculat , & qui pour III.
fe tirer des mains de lajuftice, avoient promis de s'em- 1580.
parer de la citadelle &: de la livrera Lefdiguieres. Le jour
étoit marqué au 1 5. d'Avril -, mais comme ils étoient prêts
d'être jugés , &: que leur affaire alloit mal , ils réfolurent
de prévenir ce jour, quelque témérité qu'il y eût à l'entre-
prendre. En effet ils ne furent pas plutôt maîtres de la ci-
tadelle qu'ils y furent afTiégés par ceux de la ville, &: par
les peuples du voifinage • &; comme ils avoient peu de vivres>
ils furent contraints de fe rendre avant que Lefdiguieres ar-
rivât. Il apprit fur la route qu'ils s'étoient rendus , Se qu'on
leur avoit fait couper la tête. A cette nouvelle il retourna
fur Ces pas, &fongea à fortifier la Mûre, qui étoit prefque
la feule place qu'il eût dans toute la Province.
Dès l'année précédente, le prince de Condé étoit venu
à la Fere en Vermandois , comme dans une ville de fon
gouvernement -y mais dont l'entrée pourtant lui avoit été
fermée jufqu'alors. Il avoit même été obligé de fe juftifier
auprès du Roi de cette démarche clandefline : mais comme
il jugeoit qu'en l'état où étoient fes affaires , il ne devoit pas
compter de pouvoir garder cette place autrement que parla
force, il y laifïa garniîon fous le commandement de François
de la Perfonne ; &; comme il fe doittoit qu'elle feroit bien-
tôt afliégée , il réfolut d'aller promptement chercher du
fecours en Allemagne , & de palier en Flandre. Son voyage
de Picardie avoit donné de l'inquiétude au Roi , fa fortïe
lui en donna bien davantage.Outre les troubles delaGuienne
&: du Dauphiné , S. M. craignoit d'avoir une guerre étran-
gère dans le cœur même du Royaume, fî l'Allemagne don -
noit des troupes au prince de Condé.
Pour prévenir ce malheur , le Roi mit en même tems trois
armées fur pied : la première deftinée pour la Guienne fut
donnée au maréchal de Biromla féconde au duc de Mayenne,
pour -agir en Dauphiné : &: la troifïéme au maréchal de
Matignon , pour faire le liège de la Fere. Ce dernier nefe
prefla pas beaucoup : Mayenne & Biron fe rendirent en di-
ligence aux lieux où ils avoient ordre d'aller. L'armée de
Tome FUI, Ccç
386 HISTOIRE
Çësbsszss Mayenne qui croit de fept mille fantaflins,de mille chevaux,
Hen'ri & de cinq cens pionniers ayant été joince par la cava-
III. lerie de la Province , &c ayant raiïèmblé dix-huit pièces de
1580. canon qui fe trouvèrent dans le païs , marcha au com-
mencement de Septembre du côté de la Mûre , où Lefdi-
guieres faifoit travailler en diligence ious les ordres des
iieurs de Villars ôtd'Apremont.
Cette ville eft fituée dans un terrain fort inégal. Il y a
au deflus un château que Leldiguieres avoit fortifié à la
hâte : le fofTé étoit profond , 6c au coin du côté du Midi il
y avoit un baftion fpacieux : mais comme il n'avoit pas en-
core toute fa hauteur , on drefîa une batterie pour le rui-
ner. Mayenne prit fon quartier vis-à-vis : de Poifieux fieur du
Paflàçe étoit au deflus avec les Suilles , &c Mandelot au
deiïbus. On battoit l'ouvrage de trois côtés. Clermont de
Montoifon , &: le comte de Monlaur commandoient cha-
cun une batterie de quatre pièces de canon , qui tiroient en
droite ligne j il y en avoit une de deux pièces entre le
quartier du duc de Mayenne & celui du fieur du Paflàge,
èc encore une autre aufli de deux pièces de l'autre côté de
la ville fur une colline efcarpée , qui incommodoit extrême-
ment les derrières de la garnifon , qui étoit outre cela at-
taquée de front par les troupes du Roi : elle foutenoit leurs
attaques derrière un foiTé plein de tours 6c de retours 5
qu'elle avoit fait en dedans de la place. Au deflus de la par-
tie de la ville oppofée à celle dont nous parlons , il y a des
collines fort hautes , où Birague , dit Sacremore , avoit fon
régiment 6c trois pièces de canon qui battoient le château
à revers , 6c Jean d'Arces fieur de Livarot étoit avec fon
régiment au deflus des Suifïès joignant le château , en forte
que la ville 6c la citadelle paroifloient inverties & ferrées
de toutes parts. Il y eut plus de trois mille coups de ca-
non tirés contre le baftion , & l'on y donna confécutive-
ment deux aflauts , où les affiégeans furent vigoureufement
repoufTés : ce qui leur fit prendre le parti de miner l'ouvrage.
La mine ayant renverfé une partie de la muraille, 6c Mayenne
ayant gagné du terrain , les afîiégés abandonnèrent le baf.
tion après avoir perdu fix-vingts hommes, 6c entre autres
Saint Jean fils d'une fceur de Lefdiguieres , qui défendoit cet
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 587
ouvrage -, ôc ils fe retirèrent derrière un retranchement qu'ils .
avoient fait à quelque difbance de~là. Henri
Le Duc étant maître du baftion , & y ayant arboré Tes III.
drapeaux , fut un peu étonné de voir qu'il falloit recom- 1 çg0
mencerun nouveau fiége. Comme l'automne étoit avancé ,
& que la faifon des neiges qui font terribles en ce païs-là ,
n'étoit pas éloignée , il fut prêt de décamper : mais un très-
habile ingénieur nommé Hercole Neçro , natif de Centai
ville du Marquifat de Saluffe en Piémont , lui ayant fait
donner avis par un goujat que s'il vouloit transporter une
batterie dans un lieu qu'il marquoit , les retranchemens que
les ennemis avoient faits en dedans du foilé, leur nuiroient
plus qu'ils ne leur ferviroient , il réfolut de continuer le
fiége : & en effet la batterie ne fut pas plutôt drelTée dans
l'endroit marqué par Negro , que les affiégés voyant bien
qu'ils ne pouvoient plus défendre la ville , l'abandonnèrent
& fe retirèrent dans le château. Il efl bâti fur la pente d'une
colline qui commande la place, àc fortifié de cinq de ces
ouvrages qu'on appelle tenailles , dont les côtés fe regar-
doient : il y avoit encore douze cens hommes de pied , 6c
environ cent chevaux qui s'y étoient jettes avec quelque
défordre : c'étoit trop de monde pour un lieu fi petit. £n
effet en fix jours ils eurent confomme toute l'eau des ci-
ternes j ce qui les força de capituler après avoir défendu
la place quarante jours &: foutenu deux ailauts , où ils re-
poufîerent les affiégeans. Il entra deux fois du fecours dans
la place pendant le fîége , cinquante hommes à chaque fois,
& ils avoient réduit les afïiégeans à des extrémités fi grandes,
qu'on ne doute prefque pas qu'ils n'euffent été obligés de
lever le fîége , fi la garnifon n'eût point manqué d'eau.
Mayenne leur accorda des conditions fort honorables.
Avant que le Duc pafîat en Dauphiné, le Roi voulant
ralentir les efforts des Proteftans , & jetter la divifion entre
eux, donna le troifiéme de Juin une déclaration par la-
quelle il rappelloit &; confirmoit tous les édits qui avoient
été faits en leur faveur : à condition qu'ils demeureroient
tranquilles dans leurs maifons : & il enjoignoit aux Magi£
trats de punir comme traîtres à la patrie , tous ceux qui
les maltraiteroient de parole ou d'effet, Il y en eut beaucoup
C c c ij
3S8 HISTOIRE
1 qui obéirent , Se qui demeurèrent chez eux en attendant
Henri l'événement des troubles 3 & fans y prendre de part. Enfin
III. Lefdiguieres employa fes exhortations ioutenuës des lettres
1 S 80. ^u r°i de Navarre pour les tirer de cette léthargie, leur
repréfentant que cet amour d'un repos trompeur leur fe-
roit à la fin funefte : que s'ils ne fe réunifiaient tous , on les
ruineroit Tans peine les uns après les autres : que lorfqu'il
n'y auroit plus de reflource , ils en feroient bien fâchés :
mais qu'il n'en feroit plus tems. Lefdiguieres avoit rai-
fon : mais la plus grande partie de la NoblefTe ne Pécouta
pas. Plufieurs avoient une fecrete jaloufie contre lui , & ne
pouvoient foufFrir que le roi de Navarre l'eût préféré à eux
pour le mettre à la tête de tout le parti après la mort de
Monbrun , qui avoit été puni de mort il y avoit fix ans.
Mayenne qui avoit un efprit fin Se pénétrant , s'étant ap-
perçû de ces jaloufies &. de ces piques fecretes entre Iqs
Seigneurs du parti Proteftant fçue bien en profiter : il Iqs
accabloit tous de carefTes & leur faifoit des promeuves magni-
fiques : en forte qu'étant allé à Grenoble après la prife de
Mûre , tout ce qu'il y avoit de Gentilshommes Proteftans fe
rendit auprès de lui , de on ne voyoit prefque qu'eux à fa
fuite. Par cette conduite il appaifa Ci bien en peu de tems
tous les troubles de cette Province, qu'on difoit hautement
dans le païs de même à la Cour , qu'il avoit fait par fa feule
prudence & par fa modération ce que d'autres auroient bien
eu de la peine à faire par plufieurs batailles , qui auroient
fait couler des rivières de fang. Tout le refte de l'an-
née fe pafia en fêtes , en feftins , en tournois 3 de ce Prince
fçut fi bien gagner tous les ordres par fes manières popu-
laires , qu'on le regardoit communément comme l'homme
du monde le plus vrai , le plus fincére , &: le plus ennemi
du déguifement. Lefdiguieres lui-même étant venu le trou-
ver avec un fauf-conduit , il en fut reçu avec de grands
honneurs , Se avec les marques d'eftime les plus diilinguées :
mais ce grand homme qui étoit fort au deifus de ce ma-
nège de Cour ? ayant averti envain ceux de fon parti de ne
s'y pas lailfer tromper, répondit à Mayenne, qui le preffoit
de faire fon traité, qu'il avoit des ordres contraires du roi
de Navarre } de là-deffus il fe retira à Serre avec ceux qui
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 3S9
penfoienc comme lui de qui étoient en petit nombre. Bri- i- -1 "t je
gueux vint l'y trouver de la part du roi de Navarre ,& lui Henri
apprit la nouvelle de la conférence qui devoit fe tenir à Fleix III.
en Perigord , de après avoir beaucoup lotie fon courage de 1580.
£a fermeté • il l'exhorta à perfévérer , l'aiïûrant que fi leur
parti ne fe défunifibit point , cette guerre auiïi périlleufe
que néceiïaire alloit bientôt être terminée par Pentremife
du duc d'Anjou beau-frére du roi de Navarre , de que ce fe-
roit à des conditions honorables de plus fûres que par le
pafTé.
Ce que Mayenne avoit fait dans le Dauphiné , Biron le Exploits de
fit dans la Guyenne : les affaires des Proteftans de du roi Guyenne.
de Navarre par conféquent y étoient en mauvais état. Cette
guerre que ce Prince avoit entreprife allez légèrement pour
les raifons que j'ai dites, les Rochelois de la Noue que l'on
confulta depuis l'avoient déteftée comme injufte. Après la
réduction de Cahors , Vivans qui étoit gouverneur de Pé-
rigueux, mit le fiége devant Montignac. La ville étoit fur
le point de fe rendre , lorfqu'une rencontre qu'il eut avec la
Nobleflè du paï's lui fit perdre tant de monde , qu'il fut
obligé de lever le fiége. Du côté des Catholiques, le jeune
de LofiTes y fut fi dangéreufement bielle , qu'il mourut peu
detems après de fes bleflures. Cependant Biron qui avoit le
commandement général dans toute la Guyenne , préparoit
tout à Bourdeaux pour faire la guerre avec vigueur j de étant
forti de la ville avec de l'artillerie, de un bon corps de trou-
pes , il obligea les ennemis de quitter la campagne, & de fe
retirer dans leurs places. Au commencement de Juillet il
alla camper devant Gontauld petite ville de l'Agénois , qui
a donné le nom à la famille de Biron. La brèche étant
faite, de les troupes du Roi prêtes à donner l'aHaut , l'Ardu
malie un des plus braves hommes de toute la noblefTe du
Perigord , fut mis en pièces par un coup de canon tiré par
les nôtres : Biron croyant que cela avoit été fait exprès fie
pendre le canonier : l'afiaut ayant été donné fur le champ,
la place fut emportée de faccagée avec beaucoup de cruauté:
on parla au fil de l'epée tout ce qui s'y rencontra j le feu
ayant été mis-aux maifons abandonnées réduifit en cendres
toute la ville , à la réferve de la maifon de Caucon ,
C c c iij
390 HISTOIRE
- — - qui fervoit dans l'armée du Roi : ce fut le treizième de
Henri Juillet.
III. Le vingt-fix du même mois, il fe donna près de Mon-
1580. crabeau y à deux lieues de Nerac, un combat qui fut fu-
nefte à une des plus illuflres familles de toute la Guyenne v
les comtes de Gurfon 6c de Fleix 6c leur frère chevalier de
Malte, tous trois fils de Gaflon de Foix marquis de Trans
y ayant été tués. Comme ils étoient fort proches parens
du roi de Navarre, ils fuivoient ion parti , quoiqu'ils rullènt
Catholiques. Ce fut He&or de Pardaillan , 6c Charle de
Montefan Ion fils , qui étant à la tête de leurs compagnies
de cavalerie , & d'un petit nombre d'arquebufiers choifis
les rencontrèrent 6c les chargèrent. Ceci fe pana un peu
avant la conférence de Fleix , & il arriva alors une chofe
qui penfa renverfer entièrement les projets de paix. Ber-
trand de Bailleux fleur de Poyanne , un des plus braves
gentilshommes de cette Province , 6c gouverneur d' Acqs,ob-
ièrvoit tous les mouvemens des Protcftans , 6c épioit toutes
les occafions de faire quelque chofe en Gafcogne. Plein de
surprife du cette penfée, il forma le defTein de furprendre le Mont de
Mont de Marfan , qui appartenoit au roi de Navarre, 6c qui étoit la
Marfan par nieiUeiire place du pais. Il communiqua la chofe au maré-
1 armée du , .r . r . i .
Roi. chai de Biron , qui etoit a Mont-realen Condomois a dix
lieues de là :fon defTein fut découvert par les ennemis, 6c
cependant ils ne purent en empêcher l'efFet. Celui qui corn-
mandoit la place étoit A. de Même , qui étoit le plus
confidérable des habitans. La veille du jour que les troupes
du Roi arrivèrent , de Même avoit fait fortir le capitaine
Caftagnol pour avoir des nouvelles de Poyanne. Caitagnol
prit dans fa courfe un foldat qui lui découvrit ce qui fe tra-
moit,à condition qu'on lui fauveroit la vie. Caftagnol court
donner cet avis à de Même , mais comme il en avoit fou-
vent eu de pareils fans fondement , il ne rit pas plus de cas
de celui-là que des autres. Poyanne réfolu de tenter l'en-
treprife gagna un meunier , & ayant pris jour avec lui pour
le dix-huit de Septembre, il fe mit fur la Bayfe , qui pafle
au milieu de Nerac, & qui va fe jetter dans l'Océan au-
près de Bayonne, 6c étant arrivé avant le jour avec trente
hommes , il entre dans le moulin avec une échelle. Lorfqu'on
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 391
vint a changer les gardes , les foldats , qui étoient accoû- »
tumés à aller prendre du vin à ce moulin , ayant par hazard Henri
ouvert la porte de la grande ville où eft le château , Poyanne III.
fuivi de tes trente hommes & d'environ deux cens autres, 1 580,
qui avoient pane la rivière à gué , court à la porte , y fait un
bruit fî effroyable , que la garniion ayant pris l'épouvante ,
il fe rend maître de la ville. Il n'y perdit que vingt-cinq
liommes,entre lefquels il n'y en avoit aucun de remarque :
pour lui il fut blefTé à la main droite ; mais le baron de la
Harie, un des premiers Officiers de la garnifon y reçut un
coup à la cuiffe,dont il eft demeuré eftropié. Du refte on
ne fit de mai à perfonne , &: quoique Poyanne fût irrité
contre eux, il ne fe vengea point. Refloit le château, où de
Même fe retira avec ce qui refboit de la garnifon , qui avoit
été fort affoiblie par la retraite de Poudens , qui s'enétok
allé quelques jours auparavant,parce qu'il nepouvoit s'accor-
der avec de Même. Quoique Poyanne fût maître de la ville,
la crainte qu'il eut que (i le fiége du château duroit quel-
que tems , de Même ne reconnût bientôt la foibleJfTe de ceux
qui l'affiégeoient , &; ne revînt de fa frayeur , l'obligea à en-
voyer demander du fecours à Biron , qui arriva au bout de
deux jours avec du canon. Dès qu'il fut en batterie, de
Même fe rendit à condition que lui , les Colonels , & tous
les cavaliers fortiroient avec tout leur bagage , &; l'infante-
rie avec l'épée èc Parquebufe feulement.
Quatre jours après, Biron marcha du côté de Nerac par
le païs d'Albret. Marguerite de Valois femme du roi de Na-
varre s'étoit enfermée dans la place avec toute l'élite de la
Nobleflè. Comme l'armée Catholique pafToit le long des
vignes le vingt-fept Septembre , Biron fit tirer contre la
ville trois coups de canon dont l'un donna dans la porte de
Mercadieu , où cette Princcfïe étoit venue pour voir l'ar-
mée du Roi. Comme Biron ne fbngcoit point à afîiéger la
place , & que par conséquent ces trois coups de canon n'é-
toient point néceflaires , 8c ne pouvoient lui être d'aucune
utilité , Marguerite qui étoit fiére s'en tint offenfée , & elle
dit que Biron avoit voulu l'infulter par cette fanfaronnade :
le rellentiment qu'elle en conçut ne s'éteignit que par la ven-
geance qu'elle en tira dans la fuite,
39* HISTOIRE
! ■ Le roi de Navarre fut de fon côté très-fenfible à la prffe
Henri du Mont de Marfan : il crut qu'en perdant cette place
III. il avoit perdu toute l'autorité qu'il avoit dans ce vafte
if 80. Pais« C'eft pourquoi il fie plufieurs tentatives pour la fur-
prendre , 6c malgré le mauvais iùccès qu'elles eurent, il
ne fe rebuta point. Enfin l'année fuivante ayant trouvé
moyen d'amuier fous prétexte d'une entrevue le maréchal
de Matignon nouvellement arrivé dans la Province , il re-
prit cette place fans errufion de fang , & il en ufa avec la
même modération qu'avoit fait Poyanne : il reprit enfuite
la plupart des villes & des châteaux que l'armée Catholique
avoit pris en paifant , ce qui augmenta beaucoup la réputa-
tion de Biron. (1)
Bîron a la Ce Général qui étoit en Languedoc s'approcha vers ce
par la chute tems-la de 1 nie Jourdain , place forte qui appartient aux
defoncheval. Proteftans , &c qui n'eft pas loin de Touloufe : mais fon che-
val étant tombé dans un lieu gliflant , il fe cafîa en deux
endroits la cuilTe , dont il étoit déjà boiteux. Quelque vif
de quelque actif qu'il fût , il ne lui fut pas pofîible de fe
mettre à la tête des troupes. Il fut queftion de choifir quel-
qu'un à fa place j ce qui caufa une grande conteftation
entre les Seigneurs &; les Officiers généraux -y les premiers
prétendant à cet honneur par leur dignité j les autres par
leurs fervices &; par leur âge. Comme ils ne paroiffoient pas
difpofés à fe céder les uns aux autres , Biron craignit que
ces conteftations n'aboutifTent à quelque chofe de fu-
nefte : & effet il étoit à craindre qu'ils n'en vinflent aux
mains , ou que l'armée ne fe débandât. C'eft pourquoi après
les avoir exhortés à vivre bien unis , il décida enfin que ce
feroit Charle de Biron fon fils qui feroit la fonction de Gé-
néral, en attendant qu'il fût guéri de fa chiite. Charle n'a-
voit alors que quinze ans : mais les fervices & la réputation de
fon père lui tenoient lieu de mérite. D'ailleurs aucun des pré-
tendans ne ie trouvoit deshonoré d'obéïr à un enfant , avec
qui on ne le comparoit point : mais d'obéïr à un homme
qu'on lui auroit préféré , cela étoit bien différent. Ce
choix du jeune Biron fut dès-lors regardé comme un préfage
(i) Parce que Matignon qui lui fucce'da Iaifla perdre toutes les conquêtes que
Biron avoit faites.
des
DE J. A. DETHOU, Liv. LXXII. 393
des grands emplois, où fbn propre mérite l'éleva dans la fuite. —
Depuis ce tems-là il ne fe fit rien de mémorable. La Henri
caufe de cette inaction, outre la blefiTure du Général , fut III.
une maladie populaire qui affligea fi fort les deux armées, i ç8o.
que les fonctions militaires ne s'y faifoient plus qu'avec beau-
coup de négligence , & d'autant plus qu'on ne connoifïbit
ni la caufe du mal , ni le remède. Il arriva encore pendant
cet été une chofe qui donna beaucoup d'inquiétude au roi
de Navarre. 11 y avoit trois ans que la Reole ( i ) petite ville
très-avantageufement fituéefur la Garonne, àc où il y avoit
une célèbre Abbaye, avoit été donnée aux Proteftans pour
fureté. Elle avoit pour gouverneur d'U (Tac, gentilhomme de
Périgord fort brave , 6c qui avoit déjà commandé dans
Bergerac. Comme il étoit zélé Proteftant, & fi inftruit
d'ailleurs, qu'on difoit qu'il avoit eu deilein de fe faire Mi-
niftre, le roi de Navarre avoit une extrême confiance en
lui. Cet homme cependant étant à Nerac , où fe trouvoient
le roi 6c la reine de Navarre , devint fi éperdûment amou-
reux d'une jeune fille de la fuite de la Reine , qu'il chan-
gea tout d'un coup, au grand étonnement de tout le monde,
6c prit fi bien fon tems, qu'il livra aux troupes du Roi la
ville & le château de la Reole. Le Roi lui en donna depuis
le gouvernement , 6c le collier de l'ordre de S. Michel , après
qu'il eut abjuré le Calvinifme, dont il avoit toujours fait
profefiion.
Pendant que ces chofes fe paffbient en Guyenne , le Roi,
à qui la perte de la Fere , furprife l'année précédente par
Condé, avoit donné de l'inquiétude , étoit d'autant plus
chagrin que les mefures qu'il avoit prifes par rapport à ce
Prince avoient échoué : car quoiqu'il lui eût fait dire par
la Reine fa mère qu'il trou voit bon qu'il demeurât à la Fere
avec le titre de Gouverneur général de la Province , pourvu
qu'il ne vexât point les peuples, & qu'il n'y commît aucune
hoftilité,il apprit bientôt que le Prince craignant qu'on ne fît
le fiége de cette place , 6c ne s'y trouvant pas en fureté ,
s'étoit d'abord retiré en Flandre,& enfuite enAllemagne,pour
demander du fecours aux princes de l'Empire. Loriqu'ii entra
Picardie , & qu'il s'y rendit maître de la Fere , il n'avoic
en
(0 A huit lieues de Bourdeaux ; l'Abbaye cft de l'ordre de S. Benoît.
Tome VUL V d d
394 HISTOIRE
■,. ! rien négligé pour la fortifier , &; il l'avoir, bien garnie de
Henri troupes &. de vivres ; de lorfqu'il prit le parti de fe retirer en
III. Flandre, il laillà pour la défendre François la Perfonne , &
if 80 Artur de Vaudrai fîeur de Mouy , ce qui fit craindre au
Roi qu'il n'eût defîèin de tranfporter la guerre de Guyenne
dans les Provinces voifînes de la Cour.
Le Prince fe juftifloit là-dellus , &e proteftoit qu'il n'avoit
eu d'autre vue en venant en Picardie, que de maintenir la
paix que le Roi avoit eu la bonté d'accorder aux Protef-
tans , d'obferver religieufement les édits de pacification , 8c
de défendre l'autorité Royale contre les confédérations de
les ligues fecretes des féditieux. Le Roi n'ignoroit pas qui
étoient ceux que le Prince défignoit par ce nom : car S. M.
étoit informée , que le duc d'Aumale à l'occafion de l'ar-
rivée de Condé renouvelloit la faction de la ligue dans la
Province , êeprenoit des mefures pernicieufes contre le Roi,
fous prétexte qu'il favorifoit fous main le roi de Navarre :
car c'efr. ce que les émiflaires des Guifes difoient haute-
ment par-tout Le Roi voyant que ces bruits le rendoient
odieux , de craignant d'ailleurs que fi la guerre s'allumoit
une fois entre le prince de Condé de le duc d'Aumale , elle
ne troublât les amufemens de fa vie voluptueufe , de ne don-
nât quelque atteinte à la majefté Royale 3 n'eut pas plutôt
reçu la lettre par laquelle Condé lui rendoit compte des
raifons qui l'avoient obligé de palier en Allemagne , qu'il
lui récrivit de Paris le vingt-fix de Mai une lettre , où il
fe plaignoit avec beaucoup d'aigreur de fa conduite , 6c l'ac-
eufoit entre autres chofes d'être venu en Picardie contre la
parole qu'il lui avoit donnée : Qu'il devoit fe fouvenir qu'ils
étoient convenus qu'il fe contenteroit pendant fix ans de
Saint Jean d'Angely , de que ce terme expiré, il auroit la li-
berté de revenir dans Ion gouvernement de Picardie de d'en
joiiir : Que la Reine fa mère ayant pris la peine de l'aller
trouver à la Fere , il n'avoit eu aucun égard à (es prières :
Qu'elle lui avoit dit au nom du Roi fon fils que S. M. trou-
voit bon qu'il demeurât dans cette ville , dont il s'étoit em-
paré , pourvu que la garnifon ne fût que de deux cens hom-
mes, qu'il remît Saint Jean d'Angely , Se qu'il en retirât les
troupes que Sainte Memme y avoit fait entrer : Que non
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIL 395
feulement il n'avoit rien fait de tout cela -, mais qu'il avoit ■
commis plufleurs hoflilités 5 qu'il avoit ordonné au pais voi- Henri
fin de lui fournir des vivres , forcé les païfans à venir tra- III.
vailler aux ouvrages qu'il faifoit faire , & ravagé tous les j , g 0
environs par fes courfes : Qu'il avoit même tenté de fur-
prendre Dourlens -y en forte que la Nobleflè & les peuples
avoient été forcés de prendre les armes pour fe mettre à
couvert de fes violences &; de fes injuftices , ce qui avoit
porté un grand préjudice à la tranquillité publique : Qu'il
étoit d'autant plus coupable en cela , qu'il lui avoit fait Ra-
voir qu'il avoit donné un plein pouvoir au duc d'Anjou fon
frère de traiter avec le roi de Navarre 3 que le duc d'An-
jou lui-même l'en avoit informé par le fîeur de Bellefontaine;
que tous ces avis ne l'avoient point fait changer de conduite}
qu'au contraire il n'étoit parte en Allemagne , que pour fe
mettre en état de faire la guerre à fon Roi : Qu'il avoit tort
déparier des- deflèins pernicieux du ducd'Aumale, qui étoit
tranquille dans fa maifon,fans autre compagnie que fes do-
rnefKquesi&: qu'il n'avoit pas lieu d'en douter après les infor-
mations exactes qu'il avoit fait faire par des perfonnes qu'il
avoit envoyées exprès fur les lieux pour s'informer de fa
conduite : Qu'il étoit étonné que Condé eût cru fî légère-
ment des bruits frivoles , & qu'il eût repris les armes contre
fa parole exprefTe: Qu'il le prioit donc , & qu'il lui ordon-
noit même d'examiner férieufement ce qui convenoit à fon
honneur , à fa foi & au bien de l'Etat : Qu'il feroit beau-
coup mieux de fe foumettre aux ordres d'un Roi, qui eft fon
parent,qui lui veut du bien , & qui l'exhorte à la paix , que
d'écouter les confeils funeftes de quelques brouillons qui ne
cherchent qu'à troubler le Royaume.
Huit jours après , qui étoit le troifléme de Juin , on pu-
blia à Paris une déclaration par laquelle le Roi ratifie &:
confirme tous les Edits donnés en faveur des Proteftans :
il s'y plaint cependant de ce que contre la teneur précife
de l'édit de Nerac , au lieu de reftituer dans le tems donc
on étoit convenu , les villes & les forts qu'on leur avoic
confiés , ils en avoient furpris beaucoup d'autres en Langue-
doc : il blâme l'entrée du prince de Condé en Picardie
fans ordre , & plus encore fa fortie , les afîèmblées qu'il
Vàdij
3ï>6 HISTOIRE
se -^^m^ avoic tenues à la Fere pendant qu'il y étoit , les tentatives
Henri qu'il avoit faites fur les villes voifines,les exactions d'ar-
III. gent qu'il avoit faites fur les peuples avec de grandes vio-
i58o. lences.^
Matignon Après cette efpéce de manifefte pour juftifîer la déclara-
affiége la tjon ^Q guerre qu'il alloit faire , il prend la réfolution d'en-
voyer en Picardie l'armée qu'il venoit de mettre fur pied,
de il en donne le commandement à Jacque Goyon, fieur de
Matignon qu'il venoit de faire Maréchal de France , £c il
lui donne pour Lieutenans Anne de Joyeufe fleur d'Arqués,
& Jean Loiiis de Nogaret fieur de la Valette , qui étoient
dans la plus grande faveur. I/armée s'étant mile en cam-
pagne , alla mettre le flége devant la Fere. Le fieur d'Ar-
qués fut blefTé à ce flége d'un éclat de pierre , qui lui ef-
fleura la lèvre. La Fere fut invertie le fept de Juillet, & depuis
ce jour-là jufqu'au vingt-deuxième, fête de la Magdelaine ,
il n'y eut que de légères efearmouches à l'attaque des faux-
bourgs , que la garnifon abandonna enfin, après y avoir mis
le feu , ôc le lendemain elle fît une fortîe par les derrières
de la ville du côté de l'Abbaye du Calvaire : mais à la fin
elle fut repoufTée par un efeadron de cavalerie commandé
par Charle d'Haï Win fieur de Pienne.
Deux jours après elle fit encore une vigoureufe fortîe,
où nous eûmes deux Colonels dangereufement blefTés , c*é-
toient Nicolas Conan,&;Loùis Hurault fieur deVilleluifan.La
nuit fuivante il arriva, on ne fçait comment, que Florimond
d'Halhvin marquis de Maignelai , fils du fieur de Pienne ,
fut blefTé dans fa tente d'un coup d'arquebufe , & peu de
tems après , Fontaine Sercot lieutenant du duc d'Aumale
eut la cuiiTe caiïée d'un boulet de canon. Après quelques
jours de relâche,la garnifon fit une fortie plus vive que toutes
les précédentes 3 François de Quinquempoix fleur du Mai
comte de Vignory , un des plus braves Officiers del' armée
fut blefTé à mort d'un coup d'arquebufe qu'il reçut au front 5
& Philbert de Grammont, un des Barons du païs des Baf-
ques , eut un bras emporté d'un coup de canon : ils mou-
rurent tous deux peu de jours après fort regretés.
Le duc de Guife , qui étoit pour lors à Paris, ayant ap-
pris le danger où étoit Vignory , prit la poite & fe rendit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 397
auprès de lui, foie pour rendre des devoirs d'amitié à un '
homme qu'il aimoit tendrement, ïoit qu'il appréhendât que Henri
ce Gentilhomme qui étoit le confident de tous Ces fecrets, ne III.
fe déterminât , en i'e conreflant au lit de la mort, à faire 1580»
donner quelques avis au Roi fur les defleins de ce Duc : on
crut que c'étoit-là ce qui lui avoit fait prendre la polie , afin
que fi Vignory fongeoit à le faire , il pût l'empêcher par fa
préfence.
Enfin le quinze d'Août on commença à battre le baition
de Luxembourg , 6c quatre jours après on fe rendit maître
du fort qui couvroit les éclufes de la ville fans y perdre
beaucoup de monde : les afîiégés commencèrent à le dé»
courager , 6c Matignon en fut averti par [es efpions ^ mais
comme il étoit lent , il s'écoula plufieurs jours , tandis qu'il
faifoit les préparatifs nécellàires pour donner l'affaut. Enfin
le douze de Septembre , qui étoit un Lundi , tout étant
prêt pour cela , les afiiégés lui envoyèrent un tambour avec
une lettre par laquelle ils demandoient un pourparler : après
qu'on leur eut donné les fûretés accoutumées , Jumelle &
Harlai de Monglas fortirent de la ville , 6c promirent de la
rendre, à condition que la NoblefTè & les Officiers forti- Fc^nfc *e Is
roient avec leurs armes 6c leurs chevaux , 6c les foldats avec
l'épée 6c la bayonette j qu'ils auroient la liberté d'aller où
ils voudroient, 6c qu'on les efeorteroit jufqu'à ce qu'ils fuf
fent en fureté.
Le duc d'Aumale bîâma fort cette capitulation , il vou-
loit qu'on traitât cette ville avec plus de rigueur : en un
mot il fut fi^iqué , que dès le même jour il quitta l'armée
fans prendre congé de Matignon. La Valette n'approuva
pas non plus le pourparler, 6c comme il commandoit l'ar-
tillerie , il ne cefla point de faire tirer pendant qu'on ré-
gloit la capitulation. Matignon lui en fçut mauvais gré 5
mais il ne lui en témoigna rien. La garnifon fortit le len-
demain, 6c elle fut efeortée par les compagnies de cavale^
rie de Matignon , de Pienne , de Louis d'Ognyes comte de
Chaulne, d'Adrien Tiercelin fieur de BroiTes , èc de Charle
de Bourbon Rubenpré : mais elle eut bien de la peine à
echaper dans la fuite à la vengeance des païfans qu'elle avoic
irrités par les courfes, On mit dans la place Bocquinviile èc
Dddiij
398 HISTOIRE
■— ■"■ » d'Efpinay avec une forte garnifon : on avoit d'abord, eu deC
Henri fein de la démanteler, & les pionniers étoientdéja raflèm-
III. blés pour cela j mais il vint un contre ordre.
i f 80. J-es arrnes des Proteftans ayant été malheureufes prefque
par-tout, le duc d'Anjou , qui étoit le principal auteur de
cette guerre, voyant que le roi de Navarre qui étoit prefïc
de toutes parts , le fommoit d'exécuter la parole qu'il avoic
donnée à la reine de Navarre fa fœur , interpofa là média-
tion , & ayant envoyé des perfonnes de confiance pour négo-
cier avec le Roi fon frère , il lui fit entendre que le Royaume
étant déchiré par les factions , & les peuples accoutumés à
la licence des armes par une guerre de vingt années , il n'y
avoit point d'autre moyen de rétablir la tranquillité pu-
blique , &c de guérir le mal qui avoit pénétré jufque dans
les entrailles de l'Etat , que de l'en faire iortir par une guerre
étrangère : Que Dieu qui paroilïbit touché des maux de la
France,nous préfentoit par une bonté finguliére un moyen
d'y remédier : Que ce remède étoit pour ainfi dire entre
nos mains : Que la Flandre accablée fous le joug inmppor-
table des Efpagnols , nos ennemis irréconciliables , implo-
roit le fecours de la France , dont elle avoit autrefois fait
partie : Que le Roi qui jufqu'alors ne s'étoit pas rendu aux
prières de ces peuples de crainte de s'engager à une guerre
ouverte contre un Prince aiuTi puiiTant que Philippe , ne de-
voit pas trouver mauvais que le duc d'Anjou fon frère en-
treprît de les défendre : Qu'il prioit inftamment le Roi de
l'aider dans une entreprife fi jufte , Il nécefîaire , fi glorieufe
au nom François , dont les Espagnols , qu'on ne connoifToit
que depuis fort peu de tems, vouloient infolemment ternir l'é-
clat:Que les affaires étoient venues à un point qu'il falloit ab-
folument avoir une guerre étrangère , ou l'avoir dans le cœur
du Royaume : Que l'on n'avoit qu'à choifir 3 qu'à fon égard,
il étoit prêt de fervir le Roi <k l'Etat dans l'un ou dans
l'autre : Qu'il n'y avoit eu jufqu'alors aucune hoflilité entre
le roi de Navarre 6c lui , qu'il efpéroit même que fi on le
mettoit en état de faire la guerre en Flandre , on verroit
bientôt la paix rétablie folidement dans le Royaume , par-
ce que tous les Officiers généraux des Proteftans iroient fer-
vir contre l'Efpagne,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 399
Henri ne put tenir contre les inftances du duc d'Anjou : nl"
& quoiqu'il eût toujours été très-oppofé à porter la guerre Henri
dans le P aïs- bas , le défir extrême qu'il avoit d'avoir la paix III.
dans fes Etats l'y fit enfin confentir j & non-feulement il ac- 1580.
corda à fon frère à la prière de la Reine mère de grofles
fommes d'argent pour cette guerre : mais il lui promit outre
cela de difiîmuler fur les levées des hommes qu'il feroit dans
le Royaume, à condition néanmoins qu'on ne le forceroit
point à confentir que le roi de Navarre attaquât du côté
de la Guyenne les états d'Efpagne qui font voifins de cette
Province : car il fçavoit que c'étoit - là ce que le Prince
fouhaitoit avec le plus d'ardeur : Mais le Roi ne vouloit pas
que l'on crût que ce qu'il vouloit bien faire pour un frère
qu'il aimoit tendrement , il eût été bien difpofé à le faire
pour le roi de Navarre qui n'étoit ni fon parent fi proche,
ni de la même Religion que lui. A ces Conditions le Roi
permit à fon frère de traiter avec le roi de Navarre.
Le duc d'Anjou charmé de cette réponfe conclut fon Conférence
traité avec les députés des Etats dès le mois de Septembre, deF,els»
&: auflitôt il vole en Périgord , &; fe rend au château de
Fleix appartenant à Gallon de Foix marquis de Trans , où
fe devoit tenir la conférence. Louis de Bourbon duc de Mon-
penfier y vint de la part du Roi , & quelque tems après
Pompone de Bellievre -7 6c fur la fin d'Octobre le maréchal
de Cofie s'y rendit encore. On y entendit les Proteftans qui
fe plaignirent qu'on violoit tous les jours les édits qu'on leur
avoit accordés, ou par les interprétations qu'on y donnoir,
ou par la connivence dQs Gouverneurs. Après bien des dif-
putes , on convint de certains articles , fur lefquels on don*
na un édit qui confirmoit celui qui avoit été fait trois ans
auparavant, & le règlement de la conférence de Neracj 6s
on y fit quelques additions , dont la principale étoit, qu'au
lieu de la ville & citadelle de la Réole , qu'on leur avoit en-
levée depuis peu, on accordoit au roi de Navarre pour places
de fureté , Figeac en Quercy , & Monfégur en Bafadoîs. On
croit qu'il y eut un article fecret qui fut donné à la colère
de Marguerite de Valois , c'eft que Biron qu'elle haïfîbit
depuis l'infulte qu'il lui avoit faite , feroit dépouillé du gou-
vernement de Guyenne , & qu'on mettroit à fa place un
400
HISTOIRE
nmm_____j homme qui feroit plus agréable au roi ôc à la reine de
Henri Navarre. On a nommé cet édit la conférence de Fleix.
III. Le Roi ratifia le traité au mois de Décembre étant alors
i ç8o. * Blois , où il étoit allé précipitamment avec peu de fuite,
Pefteàraris pour fe garentir de la pefte qu'il avoit couru rifque de ga-
gner pendant qu'il étoit à Ton château de S. Maur des rof-
fés à une petite lieuë de Paris. Il avoit choifi Blois pour
être plus éloigné de la contagion , 6c refpirer un air plus
pur : d'ailleurs il étoit plus à portée de fçavoir des nouvelles
de la conférence de Fleix qui le tenoit en inquiétude. La
contagion s'étoit déclarée à Paris des le mois de Juin , 6c
elle y fit tant de progrès qu'en fix mois elle emporta , à ce
que Ton croit , quarante mille perfonnes, la plus grande par-
tie de la lie du peuple. Ce fléau rendit Paris prefque défèrt,
ôc les maifons des riches que la peur avoit fait enfuir, furent
en grand danger d'être pillées par les voleurs qui couroient
toutes les nuits en armes 6c voloient impunément par tout:
toute la vigilance du Prévôt des marchands , aidé des Eche-
vins,eut bien de la peine à réprimer ces defordres. C'étoit
Auguftin de Thou avocat général au Parlement qui l'étoit
alors , ôc il fit très bien le devoir de fa charge : mais ce qui
contribua le plus à maintenir l'ordre, ce fut l'autorité de
Chriftophle de Thou premier Préfident au Parlement: car
quoiqu'il pût fortir de Paris à l'occafion des vacances , Se
qu'il eût coutume de le faire tous les ans , ce grand homme
né pour le bien public , 6c qui faifoit peu d'état de fa vie
au prix de la confervation de cette grande ville, ne voulut
point en fortir, ôc il fe promenoit tous les jours en caroiïe
dans les rues , pour montrer au peuple qu'il méprifoit ce
danger , 6c lui donner l'exemple d'en faire autant. Ses amis
le preflbient d'aller à fa campagne , de Nicolas de Thou
évêque de Chartres fon frère lui écrivoit lettre fur lettre
pour l'en conjurer: mais il leur répondit généreufementpar
ce mot de Martial. Il ny a -point d'endroit fermé pour la mort
des quelle 'vient , on trouve la S ar daigne (i) an milieu même
de Tivoli. Ce ne fut pas la feule calamité qui affligea Paris,
un autre accident déplorable y mit le comble. Le dix-
neuvième de Novembre le feu prit par hazard à l'églife des
(i). L'air de Sardaigne eft très- mauvais , & la pefle y efl tres-fouvent.
Cordeliers s
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 401
Cordeliers , & confuma en peu de tems ce grand édifice , ■
qui étoic d'une ftructure admirable &: orné de très -belles Henri
chapelles ; & tout le couvent auroit été réduit en cendres, III.
fî l'on n 'avoir coupé le chemin aux flammes en jettant en .nQ
bas tout ce qui étoic entre le couvent &; l'églife, où le feu
ne s'éteignit que lorfque tout le bâtiment fut confumé.
On ne fçut point alors comment il y avoit prisria haine qu'on
portoit aux Proteftans qui venoient de rallumer la guerre ,
lit qu'on les aceufa d'être les auteurs de cet incendie : mais
on a fçû depuis qu'il étoit arrivé par la faute d'un petit frère
qui ayant trop bu,alla fe coucher dans la chapelle de S. An-
toine de Pade qui étoit lam briffée, êc fous une tribune de bois
où l'on mettoit quantité de cierges allumés. Le jeune moine
s'y endormir 9 ôt ne s'étant réveillé que lorfque le feu avoit
déjà gagné la voute,il fe fauva dans le couvent fans rien dire:
mais àlamortil avoua fa faute par une efpéce de teftament.
La pefte fe répandit en plufieurs villes du voifinage de Paris,
&; furtout à Laon,qui eft fitué fur une haute montagne, où l'on
tient qu'il mourut au tour de fix mille perfonnes. Aurefte,
on n'avoit jamais vu un automne plus beau , ni une plus
grande abondance de toute forte de fruits -y en forte qu'on,
crut que cette contagion venoit plutôt de l'influence des
aftres , que de la corruption de l'air. Elle avoit été précé.
dée d'une maladie extraordinaire, qu'on appelloit en Ita-
lie la maladie des moutons. Elle fe fit fentir d'abord en
Orient , d'où elle pafla en Italie , & dc-là en Efpagne , où
elle emporta Anne d'Autriche femme de Philippe iecond ,
& mit Grégoire XIII. à deux doigts de la mort: elle fe ré-
pandit enfuite dans le Nord. Elle tourmenta bien du monde
en France , parce qu'on ignoroit la manière de la traiter. On
l'appelloit communément Coqueluche , mot qui eft, né en
1 510. fous le régne heureux^ de Louis XII. La coqueluche
étoit venue à la fuite d'une famine &: d'une pefte, qui avoit
ravagé la France deux ans auparavant , comme on le voit
dans nos annales. Cette maladie n'étoit pas absolument mor-
telle, quoiqu'il en foit mort bien du monde : mais elle étoit
redoutable par la rapidité de fon progrès : car elle fe com-
muniquent de tous côtés avec une vitefîe étonnante. Elle
attaquoit d'abord le bas de l'épine du dos , par un fiiffoa
Tome FUI. Eee
402 HISTOIRE
— —— fuivi d'une pefanteur de tête , 6c d'une foiblefle de tous les
Henri membres jointe à un grand mal de poitrine 5 & fi le qua-
III. triéme ou cinquième jour les malades n'étoient pas guéris,
i 580. ^a nialadie dégénéroit en fièvre, qui les emportent prefque
toujours. Ceux qui négligèrent le mal, s'en trouvèrent fort
bien ; au lieu que ceux qui furent purgés ou faignés péri-
rent prefque tous : la railon qu'on en donne , c'eit que ces
deux remèdes rendoient la reipiration difficile -, car on pré-
tend que la purgation attiroit les humeurs de la tête dans
la poitrine , 6c que la faignée rafraichiffant le corps , affoi-
blifîoit le malade , qui avoit befoin de toutes fes forces pour
rcfpirer , 6c pour réfifler à la violence du mal.
Querelle des Cette année ne fut pas feulement malheureufe par la
ducsdeMon- o-uerre, 6c par d'autres calamités • il s'éleva encore entre des
penfier & de ° r xj • n • r r A '
Nevers. perlonnes du premier rang , une contcitation fi conlidera-
ble, qu'elle eût été capable de mettre tout le Royaume en
combuftion , quand il auroit été en pleine paix : en voici
l'origine. Cinq ans auparavant , le duc d'Anjou s'étant reti-
ré fecrétement de la Cour, le Roi ordonna au duc de Mon-
penfier de le pourfuivre, 6c de l'empêcher depafîer la Loire,
6c Loiiis de Gonzague duc de Nevers eut ordre de joindre
fes troupes à celles de Monpenfier. L'affaire s'accommoda
alors ; mais Monpenfier s'étant trouvé au mois de Mars der-
nier à Angers avec le duc d'Anjou, on vint à parler de cette
affaire. Dans la converfation le Prince dit qu'il étoit fort
redevable à ces deux Seigneurs , de ce qu'ils avoient mieux
aimé le reconcilier -avec le Roi fon frère , que d'exécuter
l'ordre qu'ils avoient de le pourfuivre. Monpenfier piqué
que ce Prince le mît au niveau de Nevers dans fa recon-
noifîance, lui dit que s'il avoit voulu croire le Duc ils au-
roient porté les chofes à la dernière extrémité , que Ne-
vers l'avoit exhorté à hâter la marche de les troupes pour
lui couper le paflage de la Loire, de qu'il lui avoit promis
de venir le joindre avec les fiennes. Voilà ce qui fe pafîà
entre le duc d'Anjou 6c Monpenfier. Ceux qui en firent le
rapport au duc de Nevers ajoutèrent pour aigrir les chofes
qu'on avoit parlé , comme lï ce Seigneur eût haï perfon-
nellement le duc d'Anjou, èc eût conjuré contre fa vie. Sur
ce rapport , Nevers qui n'étoit pas homme à fouffrir une
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 403
injure , écrie fur le champ au duc d'Anjou , pour fe plaindre
de celle qu'on lui avoir faite fans pourtant nommer per- Henri
Tonne. Monpenfier informé à fon tour des plaintes du duc III.
de Nevers , &; fe rappellant les paroles qu'il avoit dites au 1 j8o.
duc d'Anjou , il lui écrivit une lettre , où. il raconta la choie
comme nous venons de la dire , & il rendit fa lettre pu-
blique. Nevers ne voulant pas qu'il reffcât dans l'efprit du
duc d'Anjou la moindre étincelle de foupçon , qu'il eût pu
conjurer contre fa vie , lui envoya Jacque de Launai Lieu-
tenant de fa compagnie de cavalerie , qui après avoir afîû-
ré le jeune Prince de la fidélité du duc de Nevers , & de
fon attachement fincére pour fa perfonne , ajouta qu'il l'a-
voit envoyé pour lui demander la permiffion de déclarer
que celui qui avoit ofé affûrer que Nevers avoit conjuré
contre le duc d'Anjou en avoit menti , & étoit un calomnia-
teur ,quelqu'il fût. Un démenti eft regardé par-tout comme
une injure • mais en France c'eft l'affront le plus infîgne qu'on
puiiïe faire -, les perfonnes , mêmes les moins fenfîbles , s'en
offenfentj à plus forte raifon les grands Seigneurs, 6c les
Princes du fang Royal j & en particulier Monpenfier , qui
ne le cédoit à aucun homme du monde pour la grandeur
d'ame , & pour la noblefïe des fentimens. Ainfi ce grand
Prince croyant que ce démenti le regardoit entra dans une
colère furieufe : mais fon rang , fon âge , Ces blefTures , &
celles même de Toffenfeur ne lui permettant pas de l'ap-
peller en duel , comme cela fe fait ordinairement, leurs pa-
rens , leurs alliés, leurs amis, leurs vaflaux tant dedans que
dehors le Royaume informés de leur querelle leur offrirent
à l'envi leurs fervices. Comme le duc de Monpenfier avoit
époufé Catherine de Lorraine , fille de François duc de
Guife , toute la maifon de Guife vint s'offrir à lui , fans en
excepter le duc de Guife* lui-même , quoiqu'il eût époufé * Henri.
la fœur du duc de Nevers. Les Princes du fang , & quantité
de grands Seigneurs rirent la même chofe. Le prince d'O-
range qui avoit époufé fa fille , lui envoya faire les mêmes
offres , 6c à cette occafion il fe réconcilia avec ce Prince
fon beau-pére : ce qu'il avoit tenté inutilement jufqu'alors.
De l'autre côté Guillaume duc de Mantouë prit feu pour
le duc de Nevers fon frère , avec qui cependant il n'étoit
Eeeij
40 4
HISTOIRE
i pas trop bien d'ailleurs -, 6c Guillaume due de Juliers,chef
Henri de la maifon de Cleve , dont étoit la duchefle de Nevers ,
III. lui fit offrir fes fervices par une députation folemnelle.Pen-
i 580. dant ce tems-là le duc de Nevers publia un écrit , où il rap-
porta la chofe comme elle s'étoit parlée entre le duc de
Monpenfier et lui ; & il déclara que le démenti qu'il avoit
donné regardoit celui , qui avoir ofé aflïïrer au duc d'An-
jou qu'il avoit conjuré contre fa vie : Q11 a l'égard de ce que
Mr. de Monpenfier avoit dit dans fa lettre à Mr. le duc
d"*Anjou , il ne prétendoit ni le réfuter ni le contredire , par-
ce qu'il étoit conforme aux ordres du Roi rQu'ainfi Mr. de
Monpenfier n'avoit pas dii penfer que ce fût de cela qu'il fe
plaignît, comme lui-même n'avoit jamais prétendu, que le
démenti qu'il donnoit , tombât fur ce qui étoit contenu
dans cette lettre. Cette explication étant honorable au duc
de Nevers , fans être injurieufe au duc de Monpenfier, &■
mettant à couvert l'honneur de tous les deux, leur différend
fut accommodé par Pentremife du Roi & de la Reine, qui
jugèrent qu'il feroit d'un dangereux exemple de fouffrir que
l'Etat fût déchiré par des factions pour des querelles par-
ticuliéres,& que les ordres du Roi pufîentêtre préjudiciables
à ceux qui feroient chargés de les exécuter. Ainfi finit au mi-
lieu des difeordes civiles ce grand différend , qui avoit al-
larmé tout le Royaume.
Bulle inecenâ U arriva prefque dans le même tems une chofe que je
rws/pu- ne puis paffer fous filence , fans manquer à ce qu'exige de
ce par quel- mo1 *a dignité du Royaume. Quelques Eveques publièrent
qucsEvcqucs. comme en cachette une bulle du Pape. Ce fut à ce qu'on
croit à l'inftigation des factieux , qui voulurent fonder la-
patience du Roi & des Magiftrats , bien réfolus d'aller'
plus loin s'ils y trouvoient jour , lorfque le Parlement feroit
en vacance. Il y avoit déjà quelques années, que le Pape-
s'étoit attribué fur les Princes chrétiens une puifîance que
la France n'a jamais connue -y 6c il prétendoit être en droic
d'excommunier les Magiftrats qui défendent la juridiction
temporelle contre les entreprifes du Clergé. Il iè fait pour
cela tous les ans le Jeudi-faint une cérémonie publique à
Rome , où les Papes font lire des conftitutions qu'ils ont
ibin de répandre enfuite par toute la.Chrétienté , pour faire
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 405
une vaine offcentation de leur puifTance. C'étoic une de ces ■
fortes de Bulles qu'on avoic fait entrer dans le Royaume. Le Henri
Procureur Général en ayant porté fes plaintes à la cham- III.
bre des vacations établie pour continuer de rendre lajuf- 1580,
tice , furtout en matière criminelle 5 le Parlement , le Pré- Anh ,
lîdentBrilîbn à la tête,s'oppofaà la publication de cetteBulle, Parlement
6c fuivant la fermeté Se la liberté de fes ancêtres , il rendit contre cettr
un arrêt qui enjoignoit à tous les Gouverneurs de s'inror-
mer quels étoient les Archevêques, les Evêques, ou les
grands Vicaires qui avoient reçu ou cette Bulle , ou une
copie, fous le titre de lïttefd procef/ûs , 6c quel étoit celui
qui la leur avoit envoyée pour la publier j d'en empêcher
la publication fl elle n'étoit pas encore faite , d'en retirer
les exemplaires , 6c de les envoyer à la Chambre 5 ôc en
cas qu'elle fiit publiée , d'ajourner les Archevêques , les
Evêques , ou leurs grands Vicaires , à comparoître devant
la Chambre , 6c à répondre au réquifitoire du Procureur
Général , 6c cependant de faiflr leur temporel , & de le
mettre fous la main du Roi j de faire défenfe d'empêcher
L'exécution de cet Arrêt , fous peine d'être puni comme
ennemi de l'Etat , èc criminel de léze-Majefté ^ avec ordre
d'imprimer cet Arrêt , 6c d'ajouter foi aux copies collation-
nées par des Notaires, comme à l'original même. L'Arrêt.
efl du quatrième Octobre 1580.
La guerre qu'Etienne Battori roi de Pologne avoit com- Guerre dt
mencée l'année précédente contre les Mofcovites conti- ïo!°/nre &.
nuant cette année, ce Prince s'en alla dew ariovica Grodno,
où il mit tous fes foins à amalfer de l'argent , 6c à faire des'
levées ; il fournit pour cela ce qu'il avoit d'argent dans fes
coffres, 6c il en emprunta des particuliers , qu'il promit de
rembourfer dans un certain tems. A l'égard des levées , il
laiila ce loin à Zamoski * chancelier du Royaume : quoiqu'il * jea.n Sari :
fût homme de robe , il n 'avoit pas oublié que fon père
avoit commandé l'armée de la Couronne, 6c que fes an-
cêtres s'étoient acquis beaucoup de gloire dans la profeiîion
des armes : pour ne pas dégénérer, il avoit toujours entre-
tenu quelques troupes à fes dépens. Chriflophlc prince de
Tranfilvanie , 6c frère du roi de Pologne, lui fît auifi quel-
ques levées en Hongrie : mais on manquoit de gens de pied>
Eeeiij
4o6 HISTOIRE
, ! parce que la Noblefïè accoutumée à fervir à cheval faifoic
Henui peu de cas de ce fervice , qui eft plus pénible & moins ho-
III. norable en apparence : ainfi tout ce qu'ils avoienc d'infan-
i 5 So. ^er^e étoit ciré de la lie du peuple , 6c compofé de gens éner-
vés par l'oifïvete des villes , 6c peu propres au métier des
armes. De foudoyer des étrangers, c'étoit s'engager à des
frais immenfes. Enfin on trouva dans les diètes un moyen
d'avoir de l'infanterie: on prit le vingtième homme de tous
ceux qui étoient employés à faire valoir les domaines du
Roi , 6c on les exempta pour toujours , eux , 6c leurs def*
cendans, de toutes les charges 6c de toutes les corvées de
la campagne , 6c l'on envoya des Officiers pour enrôler les
plus robufbes 6c les plus propres à fupporter les fatigues de
la guerre : on fît racommoder à Vilna les canons qui pou-
vaient encore fervir , 6c on en fit fondre de nouveaux. Le
deflèîn du Roi étoit d'affiéger la grande Luki ( i ) : mais pour
k cachera l'ennemi, il donna rendez-vous à fes troupes à
Czafïhiki , ville fituée fur le Ula à la tête de deux grands
chemins , dont l'un va à Luki , 6c l'autre à Smolenko , 6c
également éloignée de ces deux villes. Cet endroit étoit
d'autant plus propre à embarrafîèr l'ennemi , qu'il s'y trou-
ve deux riviéres,i'une nommée Ufwiata , 6c l'autre Cafpla.
Celui que les Polonois avoient dépêché à Mofcou pour
y porter la nouvelle delà prife de Polocskoy avoit été re-
çu avec des honneurs qu'on n'avoit jamais fait à perfonne ,
jufqu'à être admis à la table du grand Duc. Avant qu'on
renvoyât ce courier , ce Prince qui fouhaitoit la paix , mais
qui ne la vouloit pas demander , ni qu'on s'apperçiit même
qu'il la défiroit , chargea Jean gouverneur de Novogrod ,
Mikta gouverneur de Miciflaw , &c Romanivicz Sacharin,
d'écrire à Nicolas Radzivil palatin de Vilna, 6c à Euftoche
Woloninski , 6c de leur marquer qu'ils s'étoient jettes aux
pieds de leur Souverain pour le fupplier d'épargner le fang
Chrétien^qu'ilsdevroientdemême engager le roi de Pologne
à retirer fes troupes des frontières de Livonie 6c de Lithuanie,
6c à ne point ravager les terres de leurs voiflns : Que les
Mofcovites en feroient autant de leur côté ; 6c qu'on
(i) Les Mofcovites l'appellent Wielkiluki , ville frontie're de Mofcovie à l'O-
rient de la Livonie.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 407
pourroic pendant ce tems-là envoyer des AmbafTadeurs de
parc & d'autre pour négocier une bonne paix : Qu'à l'égard Henri
de la détention de Zopatinski que le roi de Pologne avoir III.
envoyé pour déclarer la guerre aux Moïcovites , ils don- 1 580.
noient paroie qu'il ïeroit bientôt en liberté , & que le grand
Duc le renverroit au roi de Pologne avecurî projet pour la
paix. Les deux fénateurs de Lithuanie répondirent qu'ils
avoient fort follicité le Roi pour la paix , qu'il y étoit très-
difpofé , & que perionne ne fouhaitoit plus ardemment que
lui de voir tous les princes Chrétiens bien unis : mais qu'il
le croyoit obligé de continuer une guerre qu'on l'avoit for-
cé de commencer par les entreprifes injuites qu'on avoit
faites contre lui , qu'il atten droit au moins qu'on lui fît des
proportions railonnables : Qu'il n'étoit pas d'avis d'envoyer
des Ambafîàdeurs au duc de Mofcovie , dans la crainte qu'on
ne leur fit les mêmes infultes & les mêmes avanies , qu'on
leur avoit déjà faites : Que fi le duc de Mofcovie en en-
voyoit au Roi, S. M. ecouteroit leurs proportions £c les
renverroit avec une réponfe convenable. Le grand Duc
écrivit depuis lui-même au roi de Pologne , &; ce Prince lui
fit la même réponfe que les fénateurs de Lithuanie avoient
faite à les Officiers. Enfin le grand Duc envoya une féconde
fois Jean Nalciokin , un des feigneurs de fa Cour , qui
ayant fait les mêmes demandes que la première fois ,
fut renvoyé avec les mêmes réponfes : mais fur ce qu'il dit
qu'il avoit d'autres ordres qu'il ne pouvoit expliquer qu'en
particulier, le Roi l'écouta. Voici ce qu'il dit : Que le Prince
ion maître touché de la ruine de tant de Chrétiens vou-
loit bien contre la coutume ,de fes ancêtres oublier un mo-
ment fà dignité , & fe relâcher en quelque chofe , &: que
par l'amour qu'il avoit pour la concorde , il confentoit à
envoyer des Ambafladeurs.au roi de Pologne pour con-
clure la paix -, qu'il demandoit en attendant qu'il y eût une
trêve entre eux , que le Roi n'avançât pas plus loin avec
fon armée, èc qu'il attendît tes Ambaiîadeurs à Vilna : Que
les rois de Pologne avoient toujours eu cette confidération
pour la nation Mofcovite , de ne donner audience à fes Am-
bafîàdeurs que dans la capitale du royaume de Pologne, ou
dans celle du duché de Lithuanie.
4o8 HISTOIRE
; Le Roi qui fentic bien que le Mofcovite ne cherchoit
Henri qu'à gagner du tems , fous prétexte d'une conférence , ne
III. tailla pas de répondre que fï le grand Duc lui envoyoitdes
1580. Ambailadeurs , il écouteroit les proportions qu'ils auroient
à lui faire : mais que pour les attendre en certain lieu • c'é-
toit une demande qu'aucun Prince n'avoit jamais faite :
Que le droit des AmbalTadeurs étoit le même partout , Se
qu'il n'étoit point attaché à aucun lieu particulier : Qu'ils
pourroient venir le trouver en quelque endroit qu'il fût ,
&c jufque dansfon camp parmi le bruit des armes: Que c'é-
toit-là, à proprement parler, où les Ambailadeurs étoient
le plus néceilaires. C'eit. avec cette réponfe qu'il congédia
Conjuration Nafciokin. Sur ces entrefaites on découvrit une intelligence
d'Ofdki con- ^ue Grégoire Ofciki, Polonois d'une naiifance distinguée .
tre le roi de 1 «-> , , , 1 ■» * r • tvt r - i 1 • 1 •
de Pologne. avolc avec Ie grand duc de Moicovie : car Nalcioki lui
avoit apporté des lettres de ce Prince. Un des domeftiques
d 'Ofciki nommé JVIerevie, découvrit la chofe à Martin Ri-
bin , qui en donna avis au Magiftrat , &; le Magiftrat au Roi.
Oiciki fut arrêté avec un nommé Barthelemi , qui étoit du
fecret : on failît chez lui un coffre , où l'on trouva des ca-
chets d'un grand nombre de Sénateurs très-bien imités ,
avec de la matière &: des inftrumens pour faire de la mon-
noye. D'abord le coupable fe défendit fur l'incompétence
du Tribunal , & fur les privilèges qu'ont les Nobles , qu'on
ne puiiîe les obliger de répondre , ni même informer contre
eux,s'ils n'ont été a/lignés dans les formes preferites par la
loi : mais ii fut jugé indigne de cette grâce j &; fur l'ordre
qu'on lui donna de répondre, il pria qu'on fît lire un mé-
moire qu'il avoit compofé. Il y avoiïoit le crime , ê£ qu'il
avoit même fait efpérer au Mofcovite qu'il tueroit le roi de
Pologne , s'il en trouvoit l'occafion : mais il ajoûtoit qu'étant
très-pauvre de abîmé de dettes, il n'avoit eu dans toute cette
intrigue d'autre intention, que de tirer de l'argent du Mof-
covite pour fubvenir à fes befoins, &: il en demandoit hum-
blement pardon. Il fut enfin condamné à mort , &; exé-
cuté avec un juif qu'il avoit aceufé de travailler avec lui
à la fauife monnoie.
Cependant l'infanterie Hongroife étoit arrivée à Vilna.
Le Roi l'envoya par terre à Poftawy , &: l'y ayant fait
embarquer
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 40?
embarquer avec fon canon , il Ja fît defcendrepar la rivière "
à Dzifna , d'où il la fit remonter par la Dwine jufqu'à Wi- Henri
tepsk avec le canon qu'il avoit laiiTe à Poloczko , lorfqu'il III.
partie de cette ville pour revenir en Pologne. Pendant que i 580,
le Roi étoit à Vilna,Paui Vehanski qu'il avoit envoyé l'année
précédente à Rome , en revint , & lui préfenta une épée
bénie par le Pape. De Vilna le Roi alla à Sezidat maifon
de campagne à deux lieues en deçà de Czafîhiki , ôc il y
arriva le huit de Juillet. Il y tint confeil de guerre avec les
Généraux , dont les avis Te trouvèrent partagés. Les uns
vouloient qu'on allât à Pleskow , d'autres à Smolensko, &
d'autres à Luki. Le premier avis fut rejette par les mêmes
raifons qu'on avoit employées l'année dernière, quand on
prit le parti d'aller à Poloczko. Ceux qui vouloient qu'on
marchât à Smolensko envifageoient la réputation du lieu ,
la grandeur des chofes qui s'y étoient paiTées ^ enfin la cou-
tume allez ordinaire de la guerre de vouloir reprendre les
places qu'on a perdues : & il y avoit encore une autre rai-
Ion, c'eft, qu'en prenant cette forterefle, on étoit maître de
la Sibérie (1 ',qui eft un païs d'une vafte étendue. Ceux qui
vouloient qu'on attaquât Luki difoient qu'en allant à Smo-
lensko , on s'éloignoit de la Dwine &; de la Livonie , dont la
délivrance étoit l'objet de cette guerre : d'ailleurs que la Si-
bérie n'étoit nullement comparable à la Livonie , ni par le
nombre de fes villes, ni par l'avantage du commerce ma-
ritime ; qu'au contraire Luki étant placé pour ainil dire,
dans le cœur de la Mofcovie , étoit un polte très-avanta-
geux pour inquiéter cette nation & pour l'arrêter tout court,
en cas qu'elle entreprît d'attaquer,ou la Livonie par Pleskow,
ou la Lithuanie par Smolensko , parce qu'elle ouvroit égale-
ment le chemin de ces deux places. Le Roi qui penchoit
déjà de ce côté-là n'eut pas de peine à fe déterminer pour Lu^§e
ce parti. Il fit aufîïtôt la revue de fon armée en commen-
çant par la cavalerie Polonoife , qui avoit fervi à Danzik
éc à Poloczkoct qui fortoit de fes quartiers d'hyver; il ôta
les chevaux à quelques-uns , mais en petit nombre -, il paflà
enfuite en revue fa nouvelle infanterie & fa nouvelle cava-
lerie , dans laquelle il y avoit des cavaliers de l'ordre des
(1) Grande province de la Tartane Mofcovite , ûir le fleuve Oby-
Tome FI IL Jrff
410 HISTOIRE
' Sénateurs , d'autres qui après avoir quitté le fervîce , s'y
Henri rengageoient de nouveau , d'autres qui avoient été Lieute-
III. nans dans les armées , de qui avoient eu des emplois con-
1580. /idérables, quelques-uns qui avoient eu des places de Ma-
gistrats ou de Gouverneurs , de d'autres enfin qui avoient eu
des dignités de des charges honorables à la Cour. 11 y avoic
deux fortes de cavaliers j des Huflars de des Cofaques : les
premiers péfamment armés y les autres à la légère : le Roi
au lieu d'un carquois leur fit mettre fur leurs épaules des
arquebufes longues de deux coudées , de d'autres un peu
plus courtes à leur ceinture (1). Il leur laifïa avec cela leurs
anciennes armes, qui font le fabre qu'ils portent au côté
gauche &: Pépieu. La plus grande partie de l'infanterie ve-
noit des Provinces voiflnes de la Hongrie ou de Varadin ,
de d'autres endroits encore plus éloignés. La veille du dé-
part du roi de Czaiîhiki , il arriva précipitamment un Cou-
rier de Mofcou avec des lettres qui contenoient en fubftance,
que puifque le roi de Pologne ne vouloit point envoyer
d'Ambafîàdeurs , le grand j)uc vouloit bien en faveur de
la paix fe relâcher de fon droit , & de la maxime de Ces
ancêtres , de en envoyer le premier, qui feroient des per-
fonnes distinguées , de quife rendroient dans le quinzième
d'Août, ou tout au plûtard deux jours après, à la cour de
Pologne 3 de qu'il prioit le Roi de les attendre à Vilna. Le
Roi répondit qu'il ne le pouvoit plus , parce que fon armée
étoit trop avancée , de il continua de marcher du côté de
Lepel de d'Ula,qui font deux châteaux , où il tint un der-
nier confeil de guerre.
Il y avoit fur la route de Luki deux forterefïès , l'une
nommée Welifch fur la Dwine , l'autre nommée Ufwiata ,
fur une rivière qui s'appelle de même. Le Roi qui marchoit
à Luki crut qu'il étoit important de ne pas laiiîèr derrière
lui ces deux places, de comme Welifch étoit la plus forte,
il détacha Zamoski avec un corps de troupes pour en aller
faire le fiége, deil lui donna un régiment Allemand d'ar-
quebufiers à cheval, commandé par George de Farenfbeck
colonel Danois , qui par zélé pour la Livonie fa patrie ,
ctoit venu depuis peu offrir fes fervices au roi de Pologne.
(1) C'étoient despifiolets.
DE J. A. DE THOU, Lit. LXXIÏ. 411
On avoit déjà amené à l'armée par les foins de Zamoski ' .
quantité de canons , de poudre , de fourrage , &: de vivres. Henri
Toutes ces provifîons qu'on avoit tirées de la province de III.
Knifinski , & qu'on avoit fait defcendre à Rowno par le 1 580,
Memel, &c remonter enfuite à Mikaliski par la Vilia, avoient
été conduites par terre de Mikaliski à Poftawy , & de-là à
Dzifna, où elles furent miles fur la Dwine pour être con-
duites à Witepsk , où elles arrivèrent le vingt-fept de Juil-
let. Zamoski y étant arrivé & y ayant railemblé toutes fes
troupes en deux jours entra aiuTitôt fur le pais ennemi. Voi-
ci Tordre de fa marche. Oiialin menoit l'avant-garde .
W^rovecz l'arriére-garde , & Zamoski en perfonne condui-
foit le corps de bataille qui étoit compofé du refte des trou-
pes. Il avoit pour Lieutenant Stanillas Zolkiewski , qui
avoit fervi en Podolie fous Nicolas Zeniawski palatin de
Ruflie , &; qui avoit commandé fous lui l'armée contre les
Tartares. Il y avoit une quantité prodigieufè de bagages ,
& il étoit difficile que l'armée en eût moins dans un pais
aufïï ruiné que celui-là : mais afin qu'il n'embarraifât point la
marche , Zamoski le fépara en trois parties , comme il avoit
fait fon armée. Chaque corps avoit fon bagage qui mar-
choit dans le même ordre que hs troupes , &; fuivoit celles
à qui il appartenoitj & chaque file de chariots & de valets
avoit à la tête ôc à la queue" une efeorte fuffifante d'infante-
rie : & comme les grains étoient murs , il eut foin que fes
foldats n'en coupafient qu'une partie &: qu'ils laiffafîènt le
refte pour l'armée .qui venoit après eux.
Dès qu'il fut à Surafs, qui eft la dernière ville de Po-
logne , il jetta en diligence un pont fur le Kafpla , & fit
paifer fon armée : l'artillerie qu'il avoit fait embarquer fur
la Dwine arriva le lendemain.
Welifch étoit anciennement une grande ville , comme il
paroît encore aujourd'hui par le circuit de fes foffés -} elleap-
partenoit au Duché de Lithuanie : mais pendant que les
rois de Pologne étoient occupés d'un autre côté , les Mof-
covites s'en étoient emparés , & Pavoient fortifiée pour l'op-
pofer à Witepsk. Puis félon leur coutume, ils avoient laine
inculte & déièrte une certaine étendue de terre entre cette
ville & leurs ennemis ; car ils ne fe croyent jamais plus en
Fffij
|*$ "" HISTOIRE
— — — - --- fureté que lorfqu'ils font entourés de vaftes folitudes,& qu'ils
Henri peuvent oppofèr aux courtes des ennemis de grandes forêts
III. qui viennent naturellement dans les terres abandonnées 5 ôC
M 80. 911* ^eur tonnent lieu de rempart.
Etienne Sbarafî palatin du Witepsk avoit fortifié Surafs
fous le régne de Sigifmond Augufte , dans la crainte que
les Mofcovites n'élevafTent des forts aux endroits où les ri-
vières d'Ufwiata , Se de Kafpla fe jettent dans la Dwine ,
&c ne fîflènt ainfi une communication entre le territoire de
Luki, & celui de Smolensko. Il n'y a que deux chemins de
Surafs à Welifch 3 le premier qui eft de l'autre côté de la
Dwine eft le plus commode pour la marche d'une armée ,
mais le plus dangereux , 8c le plus expofé aux attaques des
ennemis j le fécond qui eft en deçà de cette rivière eft 11 dif-
ficile , que depuis Vitclde grand duc de Lithuanie , il ne s'eft
trouvé pendant cent foixante ans perfonne qui ait ofé y
faire palier une armée. Cependant Zamoski ayant réfolu de
prendre cette route entra lui-même dans les forêts , ôcayant
reconnu les environs , il y jetta quelque infanterie pour
faire ouvrir des pafïàges en coupant les arbres , qui depuis
plufieurs fîécles étoient venus en abondance £c fort hauts
dans ce territoire gras & fertile.
Siège & prife On fît en un feul jour une route de vingt mille pas de
de wdifck. long dans des marais ôc dans des précipices , en comblant
quelques endroits avec des fafeines ôc des clayes , & en fai-
fant des ponts en d'autres j & dès le lendemain il fit palier
fon armée jufqu'à Sverskova , qu'on appelle encore aujour-
d'hui le pont de Vitolde ^ ôc ayant fait un pont en diligence
fur un grand marais qui fe trouva fur fon pafîage , il alla
camper fans bruit à dix mille deWelifch , fans laifter fortir
un feul homme du camp , pas même pour le fourrage. Dès
le lendemain il tint confeil fur la manière d'attaquer cette
place. La garnifon avoit fait de grands abatis d'arbres
« qu'elle avoit entrelafTés les uns dans les autres dans un
grand efpace de terrain j en forte qu'en plein midi l'abord
de cette place avoit quelque chofe de cette horreur qu'inf-
pirent les ténèbres de la nuit : mais l'ardeur des troupes vain-
quit cet obftacle.
Le même jour Miskita & Birulla fameux capitaines de*
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 4*3
Kofaques , étant revenus au camp après une grande courte "■
qu'ils avoient faite fur le territoire de Smolensko eurent or- Henri
dre de prendre un long circuit pour pafler la Dwine , & de II I*
fe pofter furie chemin qui mené à Luki. Ils prirent dans 1580,
leur marche un gentilhomme Mofcovite nommé Kudraw,
& l'ayant fait conduire au camp on fçut par lui ce qu'il y
avoit de troupes dans Welifch , & comme on n'y fçavoit
pas encore l'arrivée de Zamoski , ce Général à l'inftant pafiè
la forêt dans l'efpérance de trouver les portes mal gardées,
d'entrer tout d'un coup dans la ville , 6c de furprendre la
garnifon , avant qu'elle pût fe mettre en défenfe.
Mais à peine parut-il hors de la forêt , qu'au fignal qui
fut donné par un coup de canon , tous les habitans du voi-
finage entrèrent dans le retranchement , 6c brûlèrent toutes
les maifons d'alentour. Welifch eft une ville d'un grand
circuit fortifiée de neuf tours : du côté du Levant & du Mi-
di , fes murs font baignés par la Dwine : du côté du Nord
elle eft entourée d'un ruiflèau , qui tombe dans un lac au-
defïbus du château : & elle eft environnée de tous côtés d'un
folle très-profond , mais furtout au couchant. On forti-
fia le camp du côté du Nord : les Hongrois eurent ordre
de faire des lignes du côté d'en haut de la Dwine :
les Polonois campèrent audeflous d'eux , 6c comme au mi-
lieu de toute l'armée. Vrovecz avec le corps qu'il corn-
mandoit fut envoyé de l'autre côté de la Dwine , 6c les
Kofaques eurent leur quartier du côté de Luki. L'ouvrage
ayant été achevé en peu de jours , on fit une batterie qui
tira avec tant de bonheur, qu'il n'y eutprefque pas un bou-
let qui ne démontât quelque pièce des ennemis. Bornemiiîà
qui commandoit au quartier des Hongrois fit tirer des bou-
lets rouges qui mirent le feu dans la ville : mais il fut éteint
fur le champ. Il brûla cependant par ce moyen unrefte de
pont coupé qui tenoit à la porte du château. La garnifon en
fut fi effrayée,que voyant que les Polonois avoient traver-
fé des forêts qu'elle croyoit impénétrables , 6c qu'il n'y
avoit rien qui pût réfïfter a leurs feux d'artifice, elle ie ren-
dit. On trouva dans la place des fourrages, des vivres, 6c de
la poudre en grande quantité. Le Roi qui étoit refté à Su -
jafs , où il faiîoit faire un nouveau pont de bateaux fur la;
Pffiij
4*4 HISTOIRE
" Dwine , ayant feu que Welifch étoit prife y courut en dï-
Henri ligence , &; ravi de voir que Ja place n'étoit point endom-
III. magée , il retourne fur le champ à Surafs. Il y reçut une
i f So. ^ttre du Mofcovke qui avoir beaucoup rabattu de fa fierté ,
& qui l'affùroit que dans trois jours {es Ambaiïàdeurs arri-
veroient auprès de fa perlonne : mais malgré ces promefles
le roi de Pologne marcha en avant , & ayant jette trois ponts
fur la D\vine,il la fit palier à toute fon armée. Avant que
d'arriver à Luki , il falloit qu'il parlât une forêt très-épailîe,
qui avoit plus de quarante lieues de long , ôc où [es fol-
dats ne pouvoient parler qu'un àun,& même avec peine j
& il s'y trouvoit outre cela des marais & des goufres bour-
beux , d'où l'on prévoyoit que les chevaux &les bêtes de
fomme auroient bien de la peine à fe tirer : voici l'ordre de
fa marche. Le palatin de Vilna duc d'Olika accompagné
de Chriftophle fon fils menoit l'avant-garde , qui étoit com-
pofée des garnifons de la frontière • il étoit fuivi de Jean
Sborowski qui commandoit les gardes du Roi : après lui
marchoient les Hongrois tant cavalerie qu'infanterie. En-
fuite le Roi marchoit avec le gros de l'armée fuivi de Jean
Sbarafi palatin de Breflaw avec la cavalerie Polonoife , &;
Nicolas de Senjavie Général des troupes Ruffiennes fermoit
la marche : l'artillerie & les bagages venoient enfuite par la
rivière d'Ufwiata qu'ils remontoient. Le Roi avoit détaché
les Hongrois &: les Lithuaniens avec des outils pour ouvrir
les pafîages. Ils arrivèrent le 15-. d'Août devant UfViata,
&; ce jour là même le Roi forma un camp à dix milles en
deçà. La ville d'UrViata eft fituée fur une petite hauteur
entre deux lacs & une rivière qui a le même nom que la
ville. Les deux lacs qui l'environnent , l'un au Levant , l'an-
tre au Couchant, s'appellent aufîi Ufwiata , & elle a au Mi-
di la rivière qui traverfant les deux lacs va fe jetter dans
la Dwine à Surafs. George Skolinski eut ordre d'ouvrir la
tranchée, êc de la pouffer vers le château Les Lithuaniens ,
&c après eux les Hongrois qu'il y employa , firent un tra-
vail étonnant ^ car en une nuit ils pouffèrent la tranchée
jufqu'à la porte du château ^ ce qui effraya tellement les af
fiégés , qu'ils fe rendirent avant qu'on eût tiré un coup de
canon. Le chemin fut dans la fuite plus aifé , l'armée
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 415
marchant fur un terrain fec de fablonneux : mais les vivres
manquoient, parce que les bagages où étoient les provifîons, Henri
étoient demeurés derriére.Voloninski qui avoit été envoyé à III.
la découverte par le prince de Radzewil , rencontra à quel- 1 c go.
ques milles de Luki une garde avancée de Mofcovices • il
l'attaqua , la mit en déroute , 6c fit quelques prifonniers.
Cependant Zamoski fè mit en marche pour rejoindre i'ar-
mée : mais comme le Roi avoit emmené Ton pont , il fit paf
fer la rivière à Ton armée fur des radeaux , comme il avoit
fait à Sokol , & marcha enfuite par le grand chemin qui va
de Smolensko à Luki , pour couvrir le flanc droit de l'armée
du Roi. Il y avoit auprès de Luki 6c des prairies d'Orane
un corps de cavalerie des Tartares Nagaiski fous Içs ordres
d'Ulanecie , qui étoit du fang des princes Tartares , mais qui
étoit né &c établi en Mofcovie. A l'arrivée de Zamoski , ils
fe retirèrent vers Toropecz , pour obferver l'armée Polo-
noife : mais ce Général , à qui le Roi avoit donné ordre de
hâter fa marche , ayant tout d'un coup tourné fur la gauche,
les Tartares qu'il avoit auparavant en tête étant par-là re-
jettes vers la queue du côté du fleuve Polona,marchérent en
diligence pour tâcher d'entamer fon arriére garde : ce qui n'é-
toit pas aifé ; caria maxime de Zamoski étoit d'y mettre
l'élite de fa cavalerie. D'ailleurs les Cofaques dont la cou-
tume efl de marcher après toute l'armée , 6c de s'embuf.
quer d'efpace en efpace , couvroient la marche de fes trou-
pes : en effet les Tartares tombèrent à la fin dans leurs
embufeades , 6c Ulanecie leur Général s'étant expofé avec
un peu trop d'ardeur fut fait prifonnier.
Zamoski ayant fait faire alte à fon armée dans les prai-
ries d'Orane, fe rendit auprès du Roi le vingt-fept d'Août-
Ce Prince qui avoit déjà fait prendre les devants aux Lithua-
niens du côté de Luki , 6c qui avoit réfolu d'aller droit à
la citadelle , ordonna à Zamoski de s'avancer de ce côté-là,
pour reconnoître la nature 6c la fituation de la place. \Y^iel-
kiluki fignifie grande prairie. C'eft. ainfî qu'on appelle dans
le pais la ville de Luki, 6c elle a été ainfî nommée à caufë
de fa grandeur , de la multitude de fes habitans , 6c de la
beauté des environs qui font très-bien cultivés : la citadelle
efl bâtie fur un coteau en pente douce 5 ce coteau eftprefque
4i 6 HISTOIRE
entièrement environné d'un lac qui eft au milieu d'une vaL
Henri lée très-profonde : du côté du Midi & du Levant , qui eft
III. le fetil endroit que le lac n'enferme pas , le bas de la cita-
j ç g0, délie eft baigné par le Louvat, qui vient d'un lac qui eft au-
deflus d'Ozierzyicie , &; qui après avoir rafé un petit coin
delà citadelle coule vers le Nord , entre dans la ville , ôc
la divife en deux , & de là traverfe le lac. Il mené fous No-
vogrod , & y ayant perdu fon nom, ôt pris celui de Wolkow,
il va fous ce nom fe décharger dans le golfe de Fin-
lande. C'en: par là qu'il enrichit cette grande ville qui oc-
cupe un terrain très-fpacieux tout au tour delà citadelle, des
deux côtés de ce fleuve : elle efb entourée de folles très-
profonds, & de murailles flanquées de tours de bois. Entre
le lac & la rivière il n'y a qu'un chemin très-étroit, qui fuit
pendant un aflez grand efpace le tour de la citadelle Oc le
cours du fleuve qui pafle au pied. Le rempart qu'on avoit
fait à la citadelle étoit fî élevé , que non-feulement il dé-
xoboit à la vue les maifons des particuliers , mais le faîte
même des Eglifes , dont il y a grand nombre dans la ville.
Outre ces ouvrages , les Allemans y avoient fait quantité
de tours de bois qu'ils avoient revêtues de gazon pour les
garantir du feu . Zamoski ayant reconnu la fituation de la
place du côté de Toropecz & de la Mofcovie ultérieure ,
courut rifque d'être pris par la garnifon en revenant au
quartier du Roi, pour lui rendre compte de ce qu'il avoit
remarqué ; àc Jean Bornemifla un des premiers Officiers des
troupes Hongroifes eut beaucoup de peine à fe tirer de leurs
mains.
Le Roi bien inftruit delà nature du lieu fit marcher fon
armée, enfeignes déployées, vers l'endroit où le fleuve bai-
gne la citadelle du côté du Midi , pendant que Zamoski
faifoit marcher de l'autre côté fes troupes à qui il faifoit oc-
cuper un vafte terrain , afin que le fpe&acle terrible de cette
armée diviféeen tant de grands corps portât la terreur dans
le cœur des affiégés. Le duc de Moicovie incertain fî les
Polonoisen vouloient à Smolensko ou à Luki , avoit ordon-
né au général Kilcow de faire aflembler fon armée à To-
ropecz, & il avoit envoyé pour commander en chef dans
Luki, Knez Théodore Obalinski Likow,& fous lui Michel
KafTen t
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIÏ. 317
Kaflen,& Okfackow : mais comme il ne fe fîoic pas tout à fait
à eux , il envoya Jean Wicickhowe Ton premier Chamb.-llan Henri
pour obferver ceux qui commandoient dans Luki ,■ & De- III.
metrius CeremifTa pour examiner la conduire du gênerai Ifon
Kirko^.
Avant que les Polonois eufîent achevé leurs retranche-
mens, les Ambafîàdeurs du grand Duc arrivèrent au camp.
Ils étoient venus d'abord à Surafs, 6c c'étoit-là qu'ils comp-
toient avoir audience du roi de Pologne , ayant déclaré que
Ci ce Prince étoit une fois entré fur les terres de leur maître,
ilsnepourroient plus lui expliquer les ordres qu'ils avoient :
mais les Polonois leur ayant dit qu'ils étoient les maîtres , 6c
que s'ils vouloient s'en retournera Mofcou,perfcnne ne les en
empêcheroit ,• comme ils ne vouloient pas s'en retourner
iàns rien faire, ils auroient voulu par une diffimulation im-
pertinente 6c ridicule , qu'on leur eût fait une efpéce de
violence , afin qu'il parût qu'il n'avoitpas été en leur pou-
voir d'exécuter leurs ordres : mais tout cela ayant été re-
jette , on leur donna enfin audience le dernier jour d'Août j
6c comme ils ne difoient rien de nouveau 6c qu'ils décla-
roient toujours qu'ils ne s'expliqueroient point que l'armée
de Pologne ne fût fortie des terres des Mofcovites , le Roi
les congédia , 6c commença le fiége de la manière qu'il
avoit concerté avec Zamoski , & il lui donna pour cela
toute l'infanterie Polonoife 6c Hongroife. La dernière paffa le
fleuve fous la conduite de BornemiiTa qui commandoit l'ar-
tillerie , de d'Etienne Caries qui avoit fuccédé à Michel Va-
dafy , 6c alla prendre fon quartier du côté du Couchant : il
en pofta lui-même une partie vers le bas de la rivière , où.
étoit l'ancienne ville, êc'û leur ordonna de faire des lignes
&: de fe fortifier : mais l'infanterie Polonoife n'étant pas ar-
rivée auffi vite qu'il l'avoit crû, ces ouvrages fe firent fi len-
tement,que la garnifon ayant fait une fortie pendant ce tems-
là , S>c n'ayant trouvé à la tranchée que des foldats de nou-
velles levées,les mit en défordre , &c prit leur drapeau , après
quoi elle fe retira promptement dans la citadelle. Cette perte
au fond très-légère , 6c qui ne regardoit que le point d'hon-
neur , fut réparée au moment que les troupes arrivèrent :
car dès la nuit fuivante les batteries furent en état , 6c fur
l'orne y m. G g g
4i 8 HISTOIRE
. , l'avis de Zamoski on perça Pefpace qui étroit entre le Lou-
Henri vac & le lac du côté de l'Orient , afin que le folié étant mis
III. à fec les foldats pufïènt aller commodément à l'ailaut. On
i 580. tira cnfuite quelques boulets rouges qui mirent le feu dans
la ville : mais il fut éteint à l'înftant par l'humidité des ga-
zons qu'on jetta deflus. Cependant les ambaflàdeurs Mof.
covites qui étoient dans le camp du Roi , effrayés de voir
la ville en flammes demandèrent une audience qu'on leur
donna le lendemain : mais le feu s'étant éteint dans l'inter-
valle , & leur effroi s'étant difTipé , voici ce qu'ils propoférent:
Que le Roi feroit cefïèr les hoft ilités : Qu'il auroit la Cur-
lande &: Riga: ils y ajoutèrent encore Poloczko, & enfin
Ozierzifcie , pour tenir lieu de rançon pour les prifonniers :
mais de tout ce qu'ils cédoient ainfi,iln'y avoit que cette
dernière place qui fut en leur pouvoir. Le Roi ayant rejet-
té toutes ces proportions , les AmbafTadeurs dirent qu'ils ne
doutoient pas que leur maître n'en accordât de plus avan-
tageufes , fi on vouloit leur permettre de lui envoyer un Cou-
rier , &: accorder une trêve jufqu'à fon retour. Ce dernier
article ne déplaifoit pas aux Lithuaniens , parce que leur
pais étant le théâtre de la guerre , non-feulement les dé-
penfes préfentes du fiége retomboient fur eux 3 mais encore
celles qu'il faudroit faire à l'avenir pour garder leur con-
quête fi la ville étoit prife. Le Roi, qui n'étoit pas de cet
avis , voulant fe débarrafFer de leurs importunités , fit venir
Zamoski, & lui demanda ce qu'il penfoit du fiége. Ce Gé-
néral répondit qu'en fait de guerre tout étant incertain , il
nepouvoit rien promettre d'abfolument fur: mais qu'il avoît
tant de confiance dans la fortune du Roi èc dans la va-
leur des troupes , qu'il ne doutoit pas que la fin du fiége ne
fût heureufe, fî on le continuoit avec vigueur. Là-defîus le
Roi lui ordonna de le continuer , & il permît aux AmbafTa-
deurs d'envoyer un courier à leur maître. Pendant ce tems-
là les Hongrois furent commandés pour monter la tran-
chée , & eurent ordre de préparer une mine du côté d'em-
bas : dès qu'elle fut en état , on jetta à la hâte un pont fur le
lac à l'endroit où il étoit le plus droit , &: avant qu'il fût
jour on mit le feu à la mine, qui en fautant embrafa la tour
oppofée , fit tomber le gazon dont elle étoit revêtue , &c
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 419
découvrit le mur de la ckadelle. Le combat fut vigoureux
entre les Polonois qui lançoient des feux d'artifice , & les Henm
Mofcovites qui éteignoient le feu à mefure qu'il prenoit en III.
quelque endroit -y la nuit qui furvint les fépara, ayant ôcé 1 ç8o.
aux Polonois le moyen de îè fervir de leurs arquebufes, qui
incommodoient fort les affiégés , & donné aux Mofcovites
le tems d'arrêter l'incendie dont la ville étoit menacée. De
l'autrerôté leurs retranchemens étoient entièrement ruinés,
6c les madriers dont leur artillerie étoit couverte avoient
été renverfés de déflus le rempart. Zamoski fit pouilèr la
tranchée jufqu'au principal baftion , & propofaune récom~
penfepour tous ceux qui voudroient prendre le hoïau,& tra-
vailler à remuer la terre $& pour empêcher les forties de la
garnifon , il donna ordre à Wibranow de fe pofter fur. le
bord de la rivière avec un détachement d'arquebulîers choi-
sis. Il y eut encore là uneadion très-vive, où. les affiégeans
eurent l'avantage, & prirent un officier Mofcovite nommé
Sabin Noflbw , qui y fut dangéreufement bielle , après avok*
long -tems combattu avec beaucoup de bravoure. On le
queftionna fur l'état de la place $ il en exaggéra beaucoup
la force pour ôteraux Polonois l'envie de continuer le fîége^
&: dit qu'il ne falloit pas juger de cette citadelle par celles,
dont ils s'étoient rendus maîtres jufqu'alors : Qu'elle avoic
un rempart très-épais , &; des tours fi bien couvertes de ga-
zon , qu'elles ne craignoient ni le canon ni le feu : Que le
baftion qu'ils attaquoient valoit lui feul une des plus fortes
citadelles , que chacun de fes côtés étoit garni de trois
rangées de poutres d'une grandeur énorme : Que le rem-
part étoit revêtu d'un gazon très-épais , & qu'il n'étoitpas
poffible de le miner, tant parce que le fond du terrain étoit
marécageux, que parce que les fondemens étoient faits de
grolTes poutres & de pierres très-folides. Zamoski fçut pro-
fiter de tous ces avis pour preflèr les travaux qu'il devoit
faire : car dès le commencement plufïeurs ayant propofé
d'avoir recours aux mines , il s'y étoit oppofé par les rai-
fons qu'on vient d'entendre. Au refte , il jugeoit que plus on
avoit rafTemblé de bois dans un endroit, plus il feroitaifé que
le feu y prît , &c qu'il agiroit même avec d'autant plus de vio.
lence, qu'il trouveroit plus de matière propre à s'enflammen
4îo HISTOIRE
- Là-deiîus îl fait tirer un nouveau folTé le long de la rivière 5
Henri il y place un détachement pour s'oppofer aux forties • 6c
III. ayant fait palier fon canon de l'autre côté du fleuve contre
1 î8o. ^a Porte de derrière du fort, il y fit porter des faicines en-
tourées d'étoupes & frotées de louffre èc de poix. Il char-
gea Staniflas Koftka du foin de mettre le feu à la tour ^ &:
pour y arriver il fit marcher des foldats un à un avec leur
Loïau pour jetter en bas le gazon , ôc faciliter l'approche de
la tour. On combattit long-tems à une fenêtre qui y avoir
été faite autrefois , avant qu'on l'eût revêtue de gazon. On
commença alors à y porter des torches ardentes , que Chrif-
tophlè Rofdrazewski gouverneur de Larcie , qui corn-
mandoit en l'abfence de Zamoski , avoir fait préparer
avec une extrême diligence. Les Mofcovites couverts
de cuirs mouillés , &: de tout ce qu'ils pouvoient imaginer
qui pût les défendre du feu , alloient hardiment audevanc
de ces torches 3 & Zamoski le trouvant par tout , le com-
bat le foûtint de part &c d'autre pendant une grande partie
du jour fans qu'il parût d'incendie. De l'autre côté les Hon-
grois demandant avec de grandes inftances la permiffion
d'attaquer, & Zamoski étant d'avis qu'il falloit en parler
au Roi auparavant, les Mofcovites ayant eu quelque foup-
çon de leur defTein pointèrent du canon de ce côté-là. A
la fin le feu prit à la tour , & avec d'autant plus de vio-
lence , qu'on avcit empêché plus long-tems fon a&ion j en
forte que ceux des affiégés qui voulurent entrer dans la tour
pour l'éteindre , furent à Pinftant étouffés par la puanteur
& par la fumée. Le gazon ne pouvant plus réfifter , l'incen-
die commença à s'étendre -, fur les neuf heures du foir le
feu avoit déjà gagné l'églife du Sauveur , qui étoit la plus
près du fort que l'on attaquoit • &: fautant de-li fur le faite
des Eglifes d'alentour, il commençoit à embrafèr les toits
des maifons contigues. Alors Zamoski craignant que l'ar-
mée ennemie , qui n'étoit pas éloignée ne vînt l'attaquer ,
fortifie tous fes poftes y fait avancer des corps de cavalerie
au de-là des retranchemens des Hongrois &, des Polonois ;
il met toutes fçs troupes en bataille au milieu de fon
camp 3 & pour empêcher que la ville , tant de provisions de
guerre & de bouche qui étoient dedans > tant de butin-
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. £z*"
deftiné à récompenfer les foldats , ne pérît par le feu, il
exhorte les afTiégés à fe rendre : ils le vouloient bien - mais Henri
ils demandoient des conditions aufïi avantageufes , qu'ils au- III.
roient pu faire au commencement du fiége. Zamoski retint i 58c,
le Prêtre qui étoit venu de leur part faire des proportions,
fk. il leur envoya Paul Julan & Chriftophle Diowie , pour
leur faire envifager l'état où étoit leur ville , & que le feul
parti qu'ils avoient à prendre étoit de fe remettre entière-
ment à la clémence du Roi. Pendant qu'on diiputoit fur les
conditions , le lendemain dès le point du jour le Roi ac-
compagné des Sénateurs vint au camp fuivi d'une multi-
tude confufe de valets , de goujats , qui s'efforçoient de mon-
ter ïùr le rempart pour courir au butin. Les Hongrois in-
dignés que cette canaille , qui n'avoit eu aucune part aux
travaux &; aux dangers , allât en recueillir tout le fruit ,
crioient tout haut qu'il étoit enfin tems de punir les Mof-
covites , 6c de venger dans leur fang la mort d'un fi grand
nombre de foldats de. leur nation , &c d'autres qu'ils avoient
fait périr par les tourmens les plus cruels & les plus extra-
ordinaires. Après quoi ils entrent avec furie dans la ci-
tadelle , &; font main baffe fur tout ce qui fe rencontre :
\qs Polonois à leur exemple en font autant. Il n'échapa que
trois Officiers avec Jean Wieskou. Comme ce dernier avoit
le fecret de fon maître , Zamoski le queftionna beaucoup. Luki pris de
Wieskou perfuadé qu'on l'alloit faire mourir dans les tour* '
mens , comme on a coutume de faire chez les Mofcovites ,
ayant apperçu George Farenfbeck, qu'il avoit connu en
Mofcovie , court à lui , pour le fupplier d'intercéder en fa
faveur: les Hongrois croyant qu'il vouloit fe fauver le tuèrent
malheureufement.
Pendant ce tems là le feu avoit déjà gagné la tour où
étoit le magafin âçs poudres , & le foldat occupé à piller
ne fongea à rien moins qu'à l'éteindre : ainfî le feu ayant
pris aux poudres , la tour &: tous les bâtimens voifins fau-
tèrent avec un fracas épouvantable , &. enfevelirent un grand
nombre d'hommes fous leur ruine : tous les canons, toutes
les armes que les Mofcovites avoient enlevées autrefois des
dépouilles de la Livonie , &: qu'ils avoient entafTées en ces
endroit, furent perdues ou gâtées. Ceci arriva le cinq de
4ii HISTOIRE
«gy ' ? Septembre. On donna ordre aux goujats d'enterrer les
He nui morts , qu'on trouva entafTés par monceaux fous ces ruines.
III. Le Roi fit combler la tranchée qu'on avoit faite pour Pat-
1580. caque de la citadelle , & enfui te il la fit rétablir & fortifier
de nouveau ^ fans quoi il ne paroiiïoit pas poifible de gar-
der le pais dont on s'étoit rendu maître. On chargea de ce
foin l'ingénieur Dominique Rodolfin de Camerino. Il rit un
plan des ouvrages qu'il falloit faire , & le Roi les partagea
entre les Polonois , les Hongrois & les Lithuaniens , ne dou-
tant pas que l'émulation de ces trois nations ne contribuât
beaucoup à la promptitude de l'exécution.
L'armée Mofcovite étoit toujours à Toropecz fans rien
faire , ayant ordre de ne point rifquer d'affaire générale ,
mais de le contenter de prendre ceux qui s'écarteroientaux
fourrages , & de traverfer les deileins des ennemis. Le Roi
envoya contre eux Jean Sbarafî accompagné de George
Barbel , & d'Albert Kirali. Ces trois Généraux à la tête
d'un détachement de Polonois, de Hongrois, & d'Allemans
commandés par Farenfbeck, parlèrent la rivière à Toropecz,
attaquèrent les Mofco vîtes- , les mirent en fuite, leur tuèrent
cinq cens hommes , & firent deux cens prifonniers , entre
lefquels étoient Ceremûla& Jean Nafciokin , dont j'ai par-
lé ci-devant. Dans le même tems Philon Kimita palatin de
Smolensko faifoit des coudes dans ce Palatinat avec un gros
détachement de cavalerie légère : mais l'armée Mofcovite
ayant marché à lui , il tua fes prifonniers , encloùa ion ca-
non , & le retira à Orfa. Dans le tems que le Roi étoit à
Uf\viata,il avoit donné ordre à Nicolas Dorohaftaïski pa-
latin de Poloczko d'aller fe fiifîr de Newel , parce qu'il
vouloit prendre cette route pour retourner dans les Etats.
Prifede Newel eft audeffus de Luki du côté de la Lithuanie vis-
Newci. à- vis du lac , d'où fort la rivière de Newel. Cette ville eft.
renommée par la bataille qui s'y donna du tems de Sigifmond
Augufte. Comme on n'employoit à ce fiége que les nou-
velles levées de Lithuanie, il n'étoitpas fort avancé. Après la
prife de Luki, le Roi y envoyaBornemilîa avec les troupes de
Hongrie , & quelques pièces de gros canon ; il continua la
tranchée que les Lirhuaniens avoient commencée , & la pouf
fajufqu'au foiïe qui entourojt le château du côté de la terre
DE J. A. DE THOU, Liv. L'XXII. 415
ferme , & s'avançant à îa fappe , il avoir rencontré un pilous ■"■ •
compofé de groiîès poutres enfoncées 6c liées enfemble par Henri
d'autres qu'on avoit mifes en travers. Cette charpente éle- III.
vée de dix pieds 6c couverte de terre depuis le bas jufqu'en j r g0#
haut avoit été faite par les Mofcovites, pour fervir de rem-
part au foffé. Bornemïflà faiiànt travailler fans relâche à
coups de haches , avoit enfin ruiné cette charpente , 6c écar-
té tout le bois avec un 11 grand firence , que les aiîiégés ne
s'en appercurent que lorfque les foldats qu'il avoit envoyés
pour brûler les murailles de la forterelfe commencèrent à •
y mettre le feu : la garnifon en fut iî effrayée, que malgré
les remontrances de ïès Officiers elle fe rendit fur le champ.
Le feu fut incontinent éteint. C'eft ainfi que ce fort fans être
endommagé fut réduit fous la puiiTance du roi de Poloo-ne.
Ce Prince prêt à quitter ce pais avoit une inquiétude : il
prévoyoit que les garnifons de Toropecz 6c de Savolocze
troubleraient fa nouvelle conquête -, qu'il ne devoit pas
compter fur la fidélité des peuples de la campagne qui ve~
noient de changer de maître 3 que la garnifon de Lukï
étant féparée de la Lithuanie par de vaffes folitudes, 6c
ayant toujours fur les bras les troupes Mofcovites qui fe-
raient dans Toropecz 6c dans Savolocze , ferait pour ainfî
dire toujours inveftie ^ 6c que n'ayant aucun fecours à eipé-
rer , elle fe trouverait réduite à de grandes extrémités. D'ail-
leurs la conquête de Pleskow faifant partie du projet qu'il
avoit formé , Savolocze qui fe trouvoit fur fon paifage l'em-
barrafToit : car cette ville eft fîtuée dans une ifle formée par
un lac , d'où fort la rivière de Welica , qui ayant pafîè à.
Opolzka , enfuite à Oftrow 6c à Pleskow , va tomber un peu
audeflbus dans le lac Peybas ; de forte que Savolocze eft à
proprement parler à la tête du chemin de Pleskow , où le
Roi avoit defléin d'aller, &; il y avoit apparence que le fîége
de Savolocze l'arrêterait long-tems , la place étant forte, 6c
la faifon avancée : car les brouillards 6c les pluies commen-
cent en ces païs-là des la fin de Septembre j &; les pluies
d'automne étoient d'autant plus à craindre cette année, que
l'été avoit été fort fec. Cependant il donna ordre à Zamos-
ki de marcher de ce côté-là , 6c de prendre fon parti, fui-
vant qu'il trouveroit les chofes difpolées ?de former le fiége
4«-4 HISTOIRE
s'il voyoir quelque efpérance de réuflîr j &: s'il défefpéroit
H en ki dufuccès,de prendre fa route par les hauteurs qui font
III. fur la droite, & de fe retirer en Lithuanie. Il renforça fon
i 5S0. armée de cinq cens fantaffins Hongrois, & d'une compa-
gnie de cavalerie , commandée par Gabriel Bekes frère de
Gafpard mort Tannée d'auparavant.
Lorfque la citadelle de Luki fut en état, &C qu'elle eut été
bien garnie de troupes , d'artillerie &c de vivres , le R.oi en
donna le gouvernement à Philon Kimita , &c s'étanc mis en
chemin il arriva en trois jours de marche à Newel.
Les ambafTadeurs Mofcovites ayant enfin reçu de .leur
maître des lettres d'une longueur énorme les préfentérent
au roi de Pologne le onze d'Octobre. Après une longue ôc
ennuieufè répétition de tout ce qui étoit contenu dans les
dépêches précédentes , le Czar qui voyoit bien que le roi
de Pologne vouloit avoir la Livonie en entier, tâchoit de
prouver que c'étoit à lui qu'elle devoit appartenir -y pour cela
il fe faifoit defeendre d'un certain Swentoflas , fils de Mi-
ciflas : ce Swentoflas , difoit-il , s'appelloit Jurg , avant qu'il
£e fût fait Chrétien & qu'il eût été baptifé • c'efi ce Jurg fé-
lon lui , qui a fondé la ville ou la forterefle de Jurg-Horod,
que les Allemans appellent Derpt , & c'en: par-là que la Li-
vonie lui appartient comme étant l'unique héritier de ce
Miciflas , dont il eft ifTu par une fuite de defeendans fort
longue , mais en même tems fort certaine. Ce Prince qui
donnoit aux rois de Pologne , prédécelleurs du roi régnant,
le titres de frères, n'avoit jamais donné à celui-ci que le titre
de voifin : mais depuis il mit entre les conditions qu'il pro-
pofoit pour la paix , qu'à l'avenir il le traiteroit de frère.
Etienne lui répondit qu'il fe foucioit fort peu qu'il lui don-
nât le nom de frére$ pourvu qu'il lui donnât la Livonie , qui
étoit le fujet de la guerre entre eux. Dans ces dernières
lettres non-feulement il lui donnoit le titre de frère -y mais
il déclaroit qu'il l'appelleroit toujours ainfî , quand même
il ne le voudroit pas. Les autres conditions qu'il propofoit,
étoient de partager le titre de la Livonie avec le roi de Po-
logne , & de lui céder dans cette Province quatre forterefîes,
entre lefquellcs feroit Kockenhaus , pourvu que le roi de
Pologne confentît à lui rendre Luki , Welilch àc Newei
qui
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIL 415
qui étoient de l'ancien domaine des princes de Mofcovie. Les ~ L !
Ambafîàdeurs ayant fait entendre qu'ils avoient des ordres Henri
encore plus étendus , on leur donna audience le lendemain, III.
& aux quatre forterellès déjà offertes ils en ajoutèrent encore 1580,
iïx autres, entre lefquelles étoient Rommeberg , les cinq
autres n'étoient que des bicoques. Comme ils ne failoient point
voir d'autres ordres , & qu'on n'étoit pas content de leurs
proportions , la conférence fut rompue ; on leur permit feu-
lement de fuivre le Roi en Lithuanie, & de-là en Pologne,
en attendant qu'ils reçuifent de nouveaux ordres de Molcou.
Après la prife de Luki 6c de Newel il nereftoit plus de Prife de
ce coté-là qu'Azierzijcie , le palatin de Vilna s'étant pré- Saw0;0CZCî
fente devant cette ville , la garnifon fe rendit avant que le
Roi fût forti de Newel. Pendant ce tems-là Zamoski s'é-
tant approché de Sawolocze , la garnifon mit le feu à la
ville , 6c coupa le pont par où elle tenoit à la citadelle , qui
eft au milieu d'un lac. C'en: la rivière de XY^elika , qui en fe
débordant forme ce lac, qui eft toujours plein d'eau, ôc il
large, qu'à l'endroit le plus étroit il a plus de trois cens pas.
Zamoski en ayant bien examiné le circuit , trouva que du
côté du Midi il y avoit dans le même lac une autre ifle
vis-à-vis de la citadelle , que ce pofte étoit très-fort , étant
défendu de plusieurs côtés par le lac même , Se dans le refte
de fon circuit par les débordemens de la rivière , qui for,-
xnent comme un fotfè naturel , & que de-là à la citadelle le
trajet étoit fort petit. Il crut donc que s'il y faifoit pafTèr
fon armée , il auroit en même tems deux avantages , le pre-
mier d'être campé dans un lieu très-fort par ion affrète ,
& l'autre d'y faire très- commodément le fiége de la cita-
delle. Cette réfolution prife , le lendemain ayant rangé fon
armée fur le plus grand terrain qu'il put , pour donner à
l'ennemi une grande idée du nombre de fes troupes , il pafla
dans Tifle , enfeignes déployées , de s'y retrancha. Il y avoit
de ce côté-là trois efpéces de baftions , qui n'étoient pas
revêtus de gazon , mais couverts légèrement d'argiile à l'an-
cienne manière ; ce qui fit croire à Zamoski que lorfqu'on
auroit fait tomber cet enduit , le bois fec qu'il couvroit ,
prendroit aifément feu , & que ce prodigieux a/Temblage
de bois étant une fois allumé feroit un incendie effroyable*
Tome FUI. H h h
4ié HISTOIRE
?^?^!^ qui fe communiquèrent bientôt à tout le refte. Ce qui for-
Henui tifioit encore Ton efpérance , étoit la conduite que tenoit
III. Sabourow Gouverneur de la place,vieux Capitaine fort ex-
1580. périmenté : car pour ménager la poudre &: les troupes , il fe
tenoit à couvert dans fon ïort , fans faire le moindre bruit}
ce qui marque ordinairement parmi les Mofcovites que l'é-
pouvante eft grande. Cependant à l'arrivée des Polonois
quelques fourragenrs étant tombés entre les mains , il les
avoit fait mettre en pièces, de avoit fait jetter leurs corps
ainfi hachés du haut de la citadelle en bas pour intimider
les Polonois par cette barbarie.
Zamoski le difpofant à attaquer la citadelle chargea
Nicolas Vrovecz de faire faire un radeau , & il rit pointer
tout fon canon à l'endroit où le lac étoit le plus étroit 5 de
manière qu'il battoit tout autour de la place en droite ligne,
& que les Mofcovites ne pouvoient , ni faire de forties , ni
même paroître fur leurs ouvrages. Toutes ces difpofitions
étant faites, il commença l'attaque. La citadelle étoit bâtie
fur une hauteur , où l'on montoit par une pente douce ;
tout le terrain qui s'étendoit depuis le bas juîqu'au foffé de
la place , avoit été fortifié par les Mofcovites , d'abord d'une
paliiïade de pieux très-hauts , & enfuite de deux rangées de
gros pieux fourchus très-pointus, entre lefquels ils avoient
laifTé un petit efpace vuide. Zamoski de Ion coté ayant ra-
maflTé tout ce qu'il put de couvertures & de houfles de che-
vaux , il en emplit des facs, & il recommanda aux foldats
que dès qu'ils lèroient pafîes dans Pille de la citadelle , ils
ne manquaient pas de jetter ces fies fur ces pieux four-
chus , afin qu'étant à couvert là deiîbus , ils puffent fe re-
trancher , repoufler l'ennemi , 5c mettre le feu à leurs ou-
vrages de bois. On fit enfuite avancer le radeau avec des
perches j mais il fe trouva trop court , en forte qu'il fallut le
retirer: pendant ce tems-là il fallut efluyer un combat, où
Chriftophle Rozdrazowski fut tué d'un coup d'arquebufe
qu'il reçut audeiîus de l'œil droit. Le radeau étant racom-
modé Vrovecz fe chargea de le conduire avec un détache-
ment de troupes choifies. Dès qu'on Peut pouffe jufqu'à l'au-
tre bord , les foldats couverts de leurs facs re jettent i
terre , attaquent & culbutent la garde ennemie qu'ils
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 427
trouvèrent fur le bord , 6c les Hongrois ayant fauté en bas *
du pont du radeau , coupent à coups de haches la première H E m r. 1
haye de pieux qui étoit iur le bord du lac. Après ce pre- III.
mier fuccès ne voulant point perdre de tems, parce que la j cg0c
faifon commençoit à être fâcheufe, au lieu de jetter leurs lacs
fur les pieux fourchus &; de fe retrancher , fuivant l'ordre
que leur en avoit donnéHeur Générales vont témérairement
mettre le feu aux ouvrages des ennemis, fans attendre que l'en-
duit d'argille eût été jette en bas : mais comme cela ne fe
fit pas avec toute la vigueur qu'ils avoient montrée d'abord ,
les Mofcovites qui avoient été effrayés au commencement
de la promptitude avec laquelle ils sétoient avancés ^épri-
rent courage , 6c fortant par toutes les portes qui étoient
de l'autre côté de la citadelle , ils reviennent tous frais
fondre fur les Polonois , dont le froid 6c la gelée avoient
engourdi les bras , 6c avec des faux emmanchées à revers
6c des javelines ils les repoufTent, 6c les mettent tellement
en défordre, qu'une partie fut tuée fur la place , 6c que le
relie s'embarraflant dans la fuite tomba dans le lac , àc s'y
noya.
Quoique ce malheur auquel on ne s'attendoit pas eût
fort abbattu le courage des Polonois , Zamoski n'en fut
point ébranlé , de fon exemple affermit les autres chefs dans
la réfolution de continuer le fiége. Il envoyé à l'inftanc
George Sibrik au Roi avec une lettre, par laquelle il prioit
S. M. de ne point faire attention à ce contre-tems , qui n'é-
toit arrivé que par la trop grande précipitation des foldats$
6c de ne lui point ordonner de lever le lîége ^ qu'il y avoit
bien des chofes qui lui faifoient efpérer que le fuccès en
feroit heureux -, que tous les autres Généraux penioient
comme lui là-deiïùs ; 6c qu'il ne croyoit pas qu'il fût né-
cefïàire que le Roi reftât pour cela à Newel. Quoique le Roi
fût très-fâché du malheur arrivé il à contre-tems par la
faute de fes troupes , il fe fentit fort foulage , quand il vit
que Zamoski étoit réfolu de continuer le fiége , fans qu'il
fût néceffaire que S. M. demeurât plus long-tems dans ce
païs-là : car outre les incommodités de la faiion , la maladie
contagieufe qui ravageoit toute l'Italie , PEfpagne, ôc la
France , étoit paffée jufque dans fon armée , 6c avoir attaqué
Hhhij
4iS HISTOIRE
■ non-feulement les foldats; mais le Roi même à Poloczko;
Henri II revint donc à Vilna , d'où il envoya à Zamoski mille
III. chevaux Polonois, &: mille fantaffins Hongrois fous la coo.
ï 580» duite d'Etienne Charle. Zamoski ayant refait fon radeau
beaucoup plus fort qu'auparavant , & ayant trouvé là une
barque , où il pouvoit tenir quatre- vingt hommes , que les
moines du lieu, à qui elle appartenoft , avoient abandonnée,
parce qu'elle étoit toute pleine de crevafïès , il la fit radou-
ber , & la couvrit de fàcs des deux côtés , après quoi il fît
battre avec fon artillerie les trois ouvrages qui étoient de-
vant lui , tant pour faire tomber l'enduit d'argille dont ils
étoient couverts , que pour faire des ouvertures dans les
poutres, afin que le feu y prît plus aifément ; & comme fon
infanterie n'avoit ni allez de courage , ni aifez de force pour
qu'on pût s'y fier , les nobles Polonois à l'envi l'un de l'autre
demandèrent à fervir à pied &c à monter à l'afïàut , &; la
noblefTe Allemande qui fervoit dans le régiment de Farenf.
beck s'offrit de partager avec eux le péril &; la gloire. Za-
moski mit au milieu des troupes deftinées pour l'attaque
ceux qui portoient des torches allumées pour mettre le feu
aux murs de bois , &; il plaça à leur droite vis-à-vis l'ou-
vrage d'en haut les Polonois &: les Allemans , & à la gauche
& vis-à-vis du fécond ouvrage les Hongrois j en forte que
ceux qui étoient chargés de mettre le feu à la citadelle
avoient leurs flancs couverts par ces deux corps. Vroveck
commandoit les Polonois , & avoitpour Lieutenant André
Orekowski 5 Farenfbeck mit à la tête de {es Allemans
Othon-Uxecel. Le radeau ayant avancé jufqu'à l'autre bord,,
malgré le feu continuel des ennemis, il arriva une chofe qui
releva beaucoup le courage des affiégeans ^ ce fut qu'après
des pluies continuelles le ciel devint tout d'un coup fore
ferein. Tout étant prêt pour l'afTaut , l'artillerie foudroyant
les ouvrages , 6c les torches allumées avançant de toutes
parts, les affiégés réclamèrent les lettres du roi de Pologne.
Zamoski en qualité de Chancelier , dont il faifoit encore
là les fondions , avoit écrit peu auparavant aux aiîiégés que
le Roi lui avoit ordonné de pourfuivre le liège de Sawo-
locze avec toute l'ardeur poffible , &: de faire tous les ef-
forts pour forcer la place : Que cependant fi la garnifon fe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 429
rcndoic d'elle-même ; ce Prince vouloic qu'on ufât de clé-
mence , de qu'on ne lui fît aucun mal ^ & que S. M. avoir en- Henri
voyé un de fes Chambellans pour faire exécuter religieufe- III.
ment cette parole qu'il leur donnoit. Les Mofcovites n'a- x e$0t
voient d'abord fait aucun état de ces lettres 3 mais effrayés
du péril où ils Ce trouvoient alors, ils les réclamèrent avec
de grands cris, 6c ils envoyèrent des Officiers pour en de-
mander incefîamment l'exécution. Zamoski leur fcella ces
lettres , 6c pour leur marquer qu'il ne vouloir point les
tromper, il envoya avec eux J. Tho. Drojevic gouverneur
de Premiflie (1) pour prendre pofTefiion de la citadelle , 6c
pour lui amener tous les palatins Mofcovites. Ils ne vouloient
pas y venir $ mais leurs propres rroupes les y forcérenr. On
leur rinr parole en rour , de on leur rendit même quelques
Dames qu'on avoit fait prifonniéres à Luki. Zamoski crai-
gnant que dans une fi longue marche qu'il avoit à faire ,
Se dans la licence où vivoit le foldat leur pudeur ne fût ex-
pofée , leur rendit la liberté. Les Mofcovites qui ignoroienc
le motif de Zamoski , furent extrêmement étonnés de fa gé-
nérofité , 6c avouèrent d'eux-mêmes qu'ils n'auroienr pas
rendu aux Polonois des femmes auiTi jeunes 6c aufîi belles
que celles-là : mais quand ilsfçurenr pourquoi il l'avoir fait,
ils direnr hauremenr qu'ils ne s'éronnoienr plus que hs
mœurs des deux nations étant fi différentes, leur fortune
le fût aufîi.
Après la réduction d'une citadelle fî importante , de dans
une faifon fi conrraire , Zamoski prévoyanr que ce ferok
de ce côré - là qu'on agiroir la campagne prochaine , y
laifîa rour fon canon , 6c y mie pour gouverneur George
Sibrik avec une partie des troupes Hongroifes : il détacha
enfuite Farenfbeck avec mille chevaux , 6c il lui ordonna de
faire un grand circuit , de- s'approcher d'Opolzka pour fon-
der les gués de la rivière de Welika , 6c de marcher après
cela fur la gauche par Nifcierda, pour le revenir joindre à
Poloczko. Pour lui, après avoir vilité les lacs d'Ufcia 6c de
Drifîà , de le cours des rivières qui en fortent , il fe rendit
auprès du Roi à Vilna.
(0 Ville fitue'e dans le palatinat de Rufîie, nous l'appelions aujourd'hui
PremiUa1*'.
Hhhiij
430 HISTOIRE
Sur ces entrefaites on reçut la nouvelle que Jean duc
Henui de Mofcovie avoit répudie la femme, ce que l'ufage du
III. païs l'autorife à faire autant de fois qu'il veut, & qu'ayant
1580. ordonné qu'on fît un choix de tout ce qu'il y avoit de plus
Jean duc de belles filles , il en avoit epoufé une, qui étoit fa fixiéme
Mofcovieré- femme . voici ce qui s'obferve en cette occafion. Le Prince
pudie la tem- l. ... , , . _ 1 « »
me, & en fait un Edit , par lequel il ordonne a tous les Grands & a
époute une tous ies Gentilshommes , qui ont des filles nubiles allez
belles, de les lui amener à un jour marqué. On les fait tou-
tes alîembler dans une maifon fpacieufe , préparée exprès ,
où il y a plufieurs chambres à douze lits chacune , après
quoi le Roi accompagné feulement d'un vieillard va vifîter
toures ces chambres, & à mefure qu'il y entre, il s'afîied fur
un trône qu'on lui a drelîe. Toutes ces filles qui ont grande
envie de plaire à leur Souverain , &c de parvenir à l'hon-
neur de l'epoufer , viennent l'une après l'autre parées de leur
mieux , fe profterner à fes genoux avec des geftes bien étu-
dies : èc ayant jette à {qs pieds leur mouchoir , leurs perles,
leurs pierreries &; quelque étoffe d'or , elles fe retirent. Le
Prince époufe celle qui lui plaît le plus , & après avoir don-
né aux autres quelque fomme d'argent ou des terres, il les
renvoyé.
De Vilna le roi de Pologne fe rendit à Grodno • & pen-
dant que la diète s'y tenoit , pour profiter de ce tems , il
fongea aux moyens de trouver de l'argent à emprunter pour
continuer la guerre. Il fit faire là-defliis de nouvelles propor-
tions à George Frédéric duc de Prufîè feudataire de la cou-
* Aus;ufte. ronne de Pologne, &aux électeurs de Saxe* &c de Brande-
** Jean- bourg , * * & il donna audience aux députés de Riga. C'é-
George. toic une des conditions aufquelles cette petite République
s'étoit mife fous la protection de Sigifmond Augufte roi de
Pologne : mais au fond les articles qui tendoient à af-
foiblir les droits de la Royauté, &: qui paroifïbient relever
l'éclat de cette ville , ne lui étoient guère avantageux , &
le Roi gagnoit plus à les avoir pour alliés que pour fes fu-
jets. On adoucit depuis les conditions , de le Roi y envoya
Jean Demetrius Solikouski, qui fut depuis archevêque de
Leopol dans la RiuTie Polonoife , & Venceflas Agrippa, qui
recurent la ville à i'obeïflance du Roi à des conditions
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 431
moins ïnjurieufes à la niajefté Royale. On y établit une
Douane , dont le Roi par une bonté finguliére voulut bien Henri
que le revenu fe partageât entre lui 6c la ville , en forte qu'il III.
en auroit les deux tiers, 6c la ville un autre tiers pour l'en- 1 çg0j
tretien de Ton port 6c de toute fa rade. Il y eut plus de difficul-
té pour le rempart que la ville avoit élevé contre la citadelle,
6c pour les biens de l'Archevêque 5 la décifion de cette af-
faire fut remife jufqu'à l'arrivée du Roi. Il y a des gens qui
ont écrit que Jean Tafty , un des députés de la ville de Ri-
ga , n'alla pas droit dans cette négociation , 6c qu'après
leur retour, lorfqu'au nom de fes Collègues il rendit compte
au Sénat du fuccès de leur députation , il eut l'adreilé de
diïîlmuler que le Roi avoit demandé qu'on donnât une
églife aux Catholiques, 6c qu'on reçût les Jéfuites dans la
ville : quoique les habitans eulïènt demandé fur toutes chofes
qu'on ne touchât point à la Religion. Il ne dit point non
plus qu'on eût remis à l'arrivé du Roi l'affaire du rempart
6c des biens de l'Archevêque 3 ce qui donna dans la fuite
occafîon à de grands troubles , & fut funefte à Tafty lui-
même.
Le Roi alla enfuite àWarfovie où la diète fe tenoit -, 6c ^£ *c
après avoir exhorté tous les ordres à poulfer leurs conquêtes,
6c à fonger moins à fe réjouir de la victoire qu'à en profiter;
il leur infinue que la fortune femble leur offrir tout l'empire
des Mofcovites , de qu'ils pourroient s'en rendre maîtres
s'ils fçavoient profiter de leurs avantages: » Mais 11 vous
55 croyez, leur dit-il, que vous ne puiffiez pas porter jufque-
55 là vos defirs ni vos elpérances , demeurez au moins armes,
55 jufcju'à ce que vous ayez ajouté à l'empire Polonois la LL
»5 vonie , qui eft le fujet de cette guerre, 6c dont la conquête
55 fera dans la poftérité un monument de votre valeur, ce II
leur repréfenta enfuite que c'étoit un grand inconvénient
qu'il fût obligé de revenir tous les ans dans le Royaume ,
tenir les diètes pour avoir des fubfidcs : Que ces longues
marches ruinoient fes troupes , donnoient le moyen à
(es ennemis de refpirer • 6c que ce teins qu'on employoit
à folliciter des fubfïdes faifoit perdre des occafions deciiives:
Que pour y remédier en quelque forte , il ferok à propos
qu'ils accordaient un fubfide pour deux ans. Les Etats y
43 2 HISTOIRE
■= confentirent : mais ce ne fat pas fans peine , &: encore ajoû-
Henri ta-t on la condition ^ que ii la paix le faiioic pendant ce
III. tems-là , l'impôt cefleroit à l'inflant. A la fin cependant ils
i*5 oo, ^e relâchèrent fur cet article.
Les ambafladeurs Mofcovites avoient fuivi jufque-là le
Roi au travers de la Pologne , où il fembloit qu'il les me-
nât en triomphe : enfin on leur donna encore une audience;
mais comme ils s'en tenoient toujours à leurs proposions
de Newel en y ajoutant feulement quelques châteaux , &;
que le Roi avoit déclaré nettement que fi leur maître ne
lui cédoic toute la Livonie , ii n'y avoit point de paix à
efpérer , la conférence fut rompue , ôc la diète fe fépara ,
fans qu'on eût rien conclu là-deflus -y il fut feulement réfo-
lu. qu'en conféquence du tribut de deux ans qu'on avoit ac-
cordé , le Roi s'engageroit à ne point faire de paix avec les
Mofcovites qu'ils n'eufïènt cédé aux Polonois toute la Li-
vonie. On reconnut dans cette diète par un exemple remar-
quable qu'autant que les bornes qu'on met à l'autorité
Royale font utiles pour maintenir la liberté du peuple, au-
tant font- elles préjudiciables aux entreprifes qu'on fait con-
tre les étrangers , parce qu'elles diminuent la force de l'Em-
pire y & que le Roi ne pouvant rien décider fans confulter
les Etats, il eft au pouvoir d'un petit nombre de perfonnes
de renverfer par l'autorité publique des projets qui auroient
infailliblement réùïïi , fî l'exécution avoit dépendu d'un feul
Remontrance homme. C'eft. ce qui arriva dans cette occafion : car plu-
dt P?weurs freurs Gentilshommes intervinrent au nom de la République,
mesPokmoîs. & prièrent le Roi avec infiance de vouloir bien terminer la
guerre cette campagne, repréfentant que la NobleiTe , &c fur-
tout les païfans , dont la ruine entraînoit la leur , étoient lî
épuiiés par les impofitions dont ils avoient été chargés
jufqu'à lors , qu'ils n'étoient pas en état d'en fupporter de
nouveaux. Le Roi répondit à cela que c'étoit ici une guerre
abfolument nécefFaire , &c que ce n'étoit point lui qui cher-
choit à la continuer. Cependant il leur remontra par un dif.
cours allez long que la paix ne fçauroit leur procurer ce
îoifir &: cette tranquillité , qu'ils demandent , fi elle ne fe
fait à des conditions aiuTi honorables, qu'utiles à la Répu-
blique. On a cru que ces remontrances d'une partie de \sl
NobleiTe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 433
NobleiTe étant venues à la connoifîance du duc de Mofcovie,
l'avoient rendu , malgré fa foiblelTe , inflexible fur les con- Henri
dirions qu'il avoit offertes , dans Pefpérance qu'en tirant III.
la guerre en longueur, les Polonois ennuyés de payer des 1 ego
fubfides obligeroient enfin le Roi à faire la paix malgré
lui.
Sur la fin de l'année , Philon Kimita commandant de
Luki voulant exercer {qs foldats , ordonna à Martin Curtz,
<5c à Gabriel Holubecon de marcher du côté de Chelm ,
château qui appartient aux Mofcovites , de qui eft fitué Kimita s"en«-
audelTus de Lowat. Ils apprirent de quelques prifonniers Pareduchâ-
»m c ri 1 xr r - • 1 m ' reau dt
quils rirent lur la route , que les Mofcovites avoient brûle chelm.
la ville fuivant leur coutume , & qu'ils n'y avoient laiflé
qu'une maifon pour y tenir leur corps-de-garde : fur cet
avis les Polonois s'avancent à la faveur de la nuit , fur-
prennent les troupes qui y étoient en garde , &: leur ayant
coupé le pafîage pour fe retirer dans la citadelle , ils y
entrent &. s'en emparent. Sibrick fit la même chofe du côté
.de Sawolocze, ayant rebâti un château auprès de "V^oro-
noez. Cette ville qui eft au Nord de fon gouvernement,
eft iituée fur la rivière de Soiika qui tombe dans celle de
Velika , avec laquelle elle fe jette audelTous de Pleskow
dans le lac de Peibas , & de-là dans le golfe de Finlande.
La fituation avantageufe de cette ville l'a rendue très-peu-
plée &; très-florilTante par le commerce. Sibrick ayant en-
fuite joint fes troupes avec celles de Kimita , ils firent des
courles dans l'ancienne Rulîie jufqu'à Novogorod ; qui eft
une grande ville riche par le produit de (es falines &; par
fon commerce -y & comme il n'y avoit aucune fortification ,
ils la prirent , la pillèrent & s'en retournèrent chargés de
butin.
Quelque tems auparavant , dans le tems que le roi de
Pologne étoit encore fur la frontière de Mofcovie , le roi de
Suéde ( 1 ) avoit envoyé une flote à Narva : mais comme
l'affaire de la guerre de Mofcovie n'étoit pas encore dé-
cidée , elle fe contenta de brûler quelques maifons fur la
côte , &; s'en retourna fans rien entreprendre. Quelque tems
après , c'eft-à-dire , dans le tems que la diète fe tenoit , ce
(1) Jean III.
Tome VIII. IH
434 HISTOIRE
- même Prince écrivit au roi de Pologne pour le prier de
Henri lui faire fçavoir de quel côté il porteroit la guerre la cam-
1 1 1- pagne fuivante. Etienne qui fe fouvenoit que le roi de
15S0. Suéde l'avoit fort exhorté à entreprendre cette guerre ,
crut qu'en confidération de leur amitié, il ne devoit pas lui
en faire un myftére : ainfl il lui déclara que fon deflèin étoic
d'aller d'abord à Pieskow.
Durant tout le cours de cette année , la Hongrie , la
Traniilvanie , la Moldavie , & les autres provinces voiflnes
de l'empire Ottoman demeurèrent en paix : mais le bâcha
de TemifVar voyant la guerre allumée entre les Polo-
nois èc les Mofcovites , &: ayant quelque inquiétude fur les
grands préparatifs qui fe faifoient de part &; d'autre , en-
voya un ambalTadeur au camp du roi de Pologne. Il eut
audience le treize de Novembre , & après avoir félicité le
Roi fur les avantages qu'il avoit remportés contre les Mof.
co vîtes, il ajouta que fon maître avoit reçu avis du bâcha
de Bude que l'Empereur prenoit des mefures à Nuremberg
avec les Electeurs pour déclarer la guerre aux Turcs : Que
le Grand Seigneur fouhaitoit que le roi de Pologne fît ce
qu'il pourroit pour l'en détourner , &: qu'il empêchât auffi
les Colàques de faire des courfes dans la,Wralaquie & dans
la Traniilvanie. Après ce difcours il préfenta les lettres de
l'Empereur fon maître , & il fe retira à l'initant fuivant la
Ambaffade coutume de fa nation. Après l'ambafTadeur du Turc , cè-
des Turcs & lui du Kan des Tartares vêtu d'une robe de foye vint à
envoyée^" l'audience du Roi. Il commença par dire que le grand
roi de Po- duc de Mofcovie follicitoit fort le Kan de déclarer la
** guerre aux Polonois : mais que fi le Roi vouloit faire en-
core une campagne, fon maître aimeroit mieux joindre fes
forces aux Polonois qu'aux Mofcovites. Après ces mots ,
il mit fon épaule gauche au defïbus de l'épaule droite du
Roi , ce qui eft chez les Tartares une marque de foumif-
fion & de refpecT: , & il fit préfent au Roi de botines, d'arcs,
de flèches , d'un carquois doré , &: de deux chevaux d'amble
parfaitement beaux. Les Turcs voyant qu'on ne parloir
que de guerre dans toute la Hongrie , 6c qu'on faifoit par-
tout âes levées , craignirent qu'on ne lfongeât à quelque
autre entreprife que celle qu'on publioit hautement : c'eil
qm
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXII. 435
ce qui les engagea à envoyer cette ambaflade au roi de =
Pologne avec des ordres vagues : mais au fond ce n'étoit Henri
que pour découvrir fous ce prétexte , quels pouvoient être III.
les defleins de ce Prince , parce que les principales forces 1 c 8 a,
de l'empire Ottoman étoient depuis quelques années occu-
pées à faire la guerre en Perfe , où elles ne firent rien de
confidérable , ni cette année , ni celle d'après , parce qu'on
y avoit envoyé un nouveau Général
Fin du Livre foixantc-douz,iéme.
11 îj
43^ HISTOIRE
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HISTOIRE
DE
JAC QJJE AUGUSTE
DE T H O U
LIVRE SOIXANTE-TKEISIEME.
E S ennemis de Muftapha l'avoient décrié dans l'efprit
T TNTRI ■ v d'Amurath. On difoic que ce Général avoit horrible-
mène fatigué Ion armée , employé des Tommes immenfes ,
1 5^°* &: confommé une infinité de provifions à des entreprifes ,
Affaires de dont on n'avoit tiré aucun avantage j que profitant de la
Turquie. diftance des lieux , il erflok les moindres luccès , & qu'il
ofoit envoyer de faufïes nouvelles à fon Prince : Que d'ail-
leurs il s'étoit rendu infupportable à tout le monde , & que
fon orgueil & fa cruauté lui avoient attiré la haine de tous
ceux qui fervoient fous lui. Amurath fatigué des plaintes
continuelles de l'armée , fe rendit enfin , & le rappella s
mais Muftapha ne fe preflbit point de venir à la Cour ; ce
qui obligea l'Empereur d'envoyer un Capigi Bachi , qui eut
bien de la peine à engager ce Générai à livrer le Caifîier èc
le Tréforier de l'armée , qui lui avoient aidé à voler l'ar-
gent des troupes , comme nous l'avons dit ailleurs. Enfin les
préfens , qui ont un grand pouvoir fur l'efprit des Barbares»
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 437
ayant radouci le Sultan , ou du moins ce Prince le laiflànt "■
croire, Muftapha prit la route de Conftantinople , 6c y ar- Henri
riva le neuf d'Avril. Il s'attacha d'abord à gagner les rem- III.
nies du Serrail par des largeffes immenfes , 6c il fît fi bien , 1580,
que fon Caiffier 6c fon Treforier furent mis en liberté , &
qu'il parut avoir du crédit à la cour du Sultan , quoiqu'il
n'eût pas encore la liberté de le voir, ni de lui parier. De-
puis long-tems Muftapha avoit à la Porte un ennemi dé-
claré en la perfonne de Sinan Bâcha , en qui on remar-
quoit un caractère un peu moins dur que dans le premier,
mais encore plus de vanité 6c d'arrogance -y 6c toutes les
fois qu'il arrivoit de mauvaifes nouvelles de Perfe , ce der-
nier ne manquoit jamais d'enchérir fur tout ce qu'on en
difoit j 6c il publioit hautement que fi on lui donnoit
le commandement de cette armée , il iroit jufqu'au cœur
de la Perfe arrêter le Roi dans Cafbin , 6c qu'il l'enver-
roit prifonnier à Conftantinople.
Amurath fut ravi d'apprendre que Sinan tînt ces difcours,
& il lui ordonna de fe tenir prêt à partir , parce qu'il avoit
réfolu de l'envoyer dans peu commander en Perfe. Sinan
profitant de fa faveur , la pouflà jufqu'au bout , 6c il fit fî
bien par le crédit de la Sultane , que l'Empereur lui donna
parole que s'il effeduoit ce qu'il avoit promis , il le feroic
grand Vifir. Muftapha étant donc revenu à Conftanti-
nople, comme je viens de le dire, Sinan en fortit le vingt-
cinq d'Avril : mais avant que de partir , il alla avec un fabre
de grand prix baifer la main du Sultan , fuivant l'ufage de
ceux qui prennent congé de fa Hautefîe. Amurath lui min
entre les mains l'étendart de Général , 6c lui fit préfent
d'un très-beau cheval. Sinan prit fa route par Amafie , ôc
s'étant rendu à Sebaftopolis , que l'on appelle aujourd'hui
Sivas , il s'y arrêta comme dans un lieu commode pour re-
cevoir les troupes qui venoient le joindre de toutes parts.
Mehemet Chodabendes empereur des Perfes qui étoit à
Cafbin , ayant eu avis de la marche de Sinan , tâchoit de
fe mettre en état de défenfe. Chodabendes aimoitle repos,6c
l'ifTuë de cette guerre lui donnoit beaucoup d'inquiétude :
mais les deffeins turbulens du plus jeune de (es fils , qui ten-
doient , à ce qu'il eroyoit, à une révolte manifefte,l'agitoient
Iii iij
438 HISTOIRE
encore davantage. Ce jeune Prince s'appelloic Abaslvliriz ,
Henri de c'eft lui qui a fuccédé à fon père. Dans le tems donc nous
III. parlons , il écoit Viceroi de Heri , vafte province du côté de
1580. Cabul , qui eft l'ancienne Aracofie. Sa jeunefTe , Tes forces ,
les vaffaux lui ayant enflé le cœur, il déféroit peu aux or-
dres de fon père , 6c il avoit refufé les années précédentes
de faire des levées 6c de les lui envoyer ; il avoit même em-
pêché que tous les Officiers de fon canton, à qui l'Empe-
reur avoit mandé de joindre l'armée, n'obéïflènt aux ordres
de leur Souverain. A cette occafion Miriz Salmas Chan pre-
mier Miniftre , 6c ennemi particulier d'Abas Miriz , cher-
choit à le perdre. Ce Miniftre ambitieux à qui le Roi ne re-
fufoit rien , avoit de fon confentement marié fa fille à Emir-
Hamze l'aîné de ^qs enfans , Se comme il craignoit que le ca-
det Prince entreprenant ne dépouillât fon frère du droit
qu'il avoit à la c ouronne^ il le décrioit continuellement dans
Tefprît de Chodabendes, comme un criminel d'Etat, comme
un rebelle , qui du vivant de fon père ôc de fon frère aîné fè
difpofoit à envahir le trône des Perfans. Pour irriter encore
plus l'efprit du Roi , il le fit fouvenir qu'ayant envoyé ordre
l'année précédente aux gouverneurs de Coran êc de Safj^ar,
villes du païs des Parthes , 6c de la dépendance de Heri, de
fe rendre avec leurs troupes à Cafbin , ces deux Officiers
avoientfait réponfe, qu'Abas Miriz le leur avoit défendu.
Le Roi , Prince crédule , 6c qui ne s'occupoit guère que de
fon ferrail , feachant par IuLmême la vérité de cette der-
nière circonftance , croyoit de même fon Miniftre fur tous les
faux rapports qu'il lui faifoit fans ceffè contre Abas, 6c il y
a beaucoup d'apparence que ce Roi fe feroit porté à quelque
violence contre fon fils , fi le confeil fage des autres Grands
de fa Cour ne l'en avoit détourné , en lui repréfentant qu'il
devoit cacher pour quelque tems ces maux domeftiques , èc
difîimuler fon chagrin. Ainfî il ne fongea plus qu'à fbutenir
les efforts des Turcs : mais en s'y préparant , il ne voulutpas
qu'on put lui reprocher d'avoir négligé les moyens de pro-
curer la paix entre les deux Empires. Outre qu'il n'avoit pas
l'humeur gaierriére , deux autres motifs l'engag-eoient à fou-
1 • . •
haicer ardemment la paix^ premièrement, l'envie qu'il avoit
de remédier aux défordres de fa propre maifon j en fécond
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIIÎ. 439
lieu , le penchant qu'il voyoic aux Géorgiens à fe déclarer
ouvertement pour les Turcs , &; la défiance qu'il avoit de Henri
Leventogli dont nous avons parlé ci-defîùs , & qui s'étoit te- III.
nu jufqu'alors dans une efpéce de neutralité. 1 ego
Entre les feigneurs de fa Cour il choifitpour cette négo- Maxud-chan
dation Maxud-Chan , par le confeil de Leventogli & du mi- nommé Ani-
mitre Salmas, qui aimoit bien mieux raire la guerre au pui- Pottc
né des çnfans du Roi , qu'à l'empereur des Turcs. On allb-
ciaàMaxud un Prêtre de la maifon de Leventogli , &: on
leur donna ordre de fe rendre au camp de Sinan , de lui dé-
clarer la commiflïon dont ils étoient chargés , de lui deman-
der des guides pour les conduire à Conftantinople , àc de
conclure bientôt la paix avec Amurath , s'il vouloit le con-
tenter de Cars & de Terlis.
L'Envoyé étant parti de Cafbin paiTa par Sultanie, &: par
Zanga ville de Medie , par Miana ville d'Arménie , & par
la Turcomanie , d'où il le rendit à Tauris 3 & ayant laiifé fur
la gauche Chiulfal, Nafïîvan que quelques-uns croyent être
l'ancienne Artaxata &; Reivan , il palfa à Coy & à Van,où il
prit des guides , qui lui furent donnés par le bâcha Cicala,
Se qui le conduisirent à Cars. On ne fçauroit dire combien
l'arrivée de cet Ambafladeur fit de plaifir aux garnifons
Turques. Cicala envoya en pofte en donner avis au Sultan.
De Cars, Maxud-Chan palTa par le château de Haflanchalafî,
Se fe rendit à Erzerum , où il prit des guides pour Amafiej
il fe rendit enfuite à Sivas , où Sinan ctoit campé , & il lui
expofà tout ce qu'il avoit à propofer à Amurath. Dans le
defTein de prouver à ce Générai la juitice de fes demandes ,
il- lui repré fente que les deux Princes étant de la même Re-
ligion , il eu: raifonnable qu'ils vivent en paix , & qu'au lieu
d'employer leurs forces à fe ruiner l'un l'autre , ils feront
bien mieux de les réunir contre les Chrétiens leurs ennemis
communs , &: de leur enlever les plus grandes & les plus
Confiantes villes de l'Europe , dont ils font en poiïèffion:
Que les points qui les divifent fur la Religion ne font pas
afîèz importans pour fe faire la guerre à toute outrance, &
pour ruiner tant de peuples & tant de riches Provinces;
Qu'ainfi Amurath doit leur accorder la paix à des condi-
tions raifonnables 3 & il finit par prier Sinan d'employer [on.
crédit pour la leur faire obtenir.
440
HISTOIRE
Sinan ayant fait à l'AmbaflTadeur un accueil auffi poli, que
H e nu i le permettent fon naturel fauvage, lui dit qu'il loùoit ie par-
III. ti qu'avoit pris Mehemet , de préférer la paix à la guerre ,
i v8o. & d'envoyer des Ambafladeurs pour la demander à Amu-
rath ; qu'il s'employeroit volontiers pour leur procurer un
heureux fuccès , & qu'il lui donneroit un homme pour le
conduire au Sultan : mais qu'il étoit bien aife de l'avertir
qu'il n'obtiendroit rien d'Amurath,s'il ne lui faifoit des offres
très-avantageufes : Que tout ce qu'on avoit conquis depuis
trois ans par la valeur des troupes Ottomanes , en forçant
des paflàges inaccefîïbles , des montagnes très-rudes , des
abîmes , des fleuves, des précipices , 6c en affrontant tour à
tour des chaleurs 6c des froids également infupportables ,
tout cela appartenoit de droit à leur Empire : Qu'ainfi le roi
de Perfe devoir compter qu'il n'y avoit point de paix pour
lui , s'il ne cédoit toute la Medie , toute Plberie , & géné-
ralement tous les pais où la cavalerie Turque avoit mis le
pied depuis cette guerre.
Sur ce difeours , Maxud - Chan penfoit à retourner en
Perfe, au lieu d'avancer davantage : cependant comme il fe
voyoit entre les mains de Sinan, qui d'ailleurs paroifïbit favo-
rable à la paix , & que d'un autre côté Chodabendes auroit
pu trouver mauvais qu'il n'eût pas tenté au moins l'affaire
dont il étoit chargé , il prit des guides pour continuer fa
route 5 6c ayant laifTé Cogni , 6c Angori fur la gauche , il
pafla a Céfarée de Cappadoce,6c vint à Ifnie (i) ville de Bi-
thynie , fituée fur le lac d'Afconia , d'où s'étant rendu à Cal-
cédoine , que les Turcs appellent Scutari , il pafla le détroit
qui fépare l'Afie de l'Europe , & arriva à Conftantinople.
Tous les Bâchas , 6c Muftapha lui-même le reçurent avec
de grands honneurs. Amurath lui ayant donné audience , il
répéta avec beaucoup de confiance tout ce qu'il avoit dit à
Sinan,mais en termes plus choifîs.Il dit que depuis queMehe-
met étoit monté fur le trône, il n'avoit rien eu plus à cœur
que d'étendre la religion de Mahomet • 6c que comme il
çtoit perfuadé que ce grand Prophète plein de tendrefle
pour Tes fectateurs n'approuvoit pas qu'on prodiguât leur
fâng , il avoit toujours eu un foin extrême d'obferver
0) Nicée , où s'eft tenu le premier Concile ge'ne'ral.
religieufement
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 441
religieufement la paix conclue encre Tocmaces &: Soliman ■' bb — »
ayeul d'Amurath, & d'entretenir l'amicié qui uniiîbit les deux Henri
Empires -y qu'il avoit donné d'affez bonnes preuves de fes fèn- j j j
timens , en lui envoyant le Sultan Tocmaces 3 que fi Ifmael, „
dans le peu de tems qu'il avoit été fur le trône avoit violé ' c
les loix de l'amitié j que s'il avoit eu envie de fe rendre maî-
tre de Babylone , &c de former des projets propres à trou-
bler la paix , il n'étoit pas jufte d'imputer à Mehmet des
defïèins aufquels il n'avoit eu aucune part : Qu'Ifmael s'étoic
conduit en jeune homme fans expérience , ou comme ces
prifonniers , qui tous fiers de fe voir fortis de leurs chaînes,
vont faire l'ellai de leur puifïànce en infultant leurs voifîns:
Que ce Prince au refte avoit été bien puni de fa témérité
par une mort prématurée , à laquelle fes peuples avoienc
contribué , pour fe délivrer d'un gouvernement tyrannique :
Que Mehmet fouhaitoit donc la continuation de cette an-
cienne paix , de qu'il falloit arracher du fein des fidèles Mu-
fulmans les armes qui y étoient déjà enfoncées , pour en per-
cer les Chrétiens leurs ennemis communs.
Après l'audience , Amurath afFe&a de paroître fort con-
tent de l'arrivée de l'AmbafTadeur , & il le renvoya au grand
Vifir. L'affaire ayant été examinée dans le Divan , on per-
iifta à demander que les Perfans cédafïènt tout le païs que
Sinan avoit marqué , fans quoi Amurath ne confentiroit
point à la paix.Maxud-Chan déclara là de/Tus qu'il n'avoit
point d'autre ordre que d'abandonner aux Turcs tout ce
qu'ils avoient pris en-deçà de l'Araxe depuis cette dernière
guerre :& comme ce fage vieillard voyoit peu d'apparence
a la paix , & que les difeours de quelques miniftres de la
Porte lui faifoient appréhender que fans avoir égard à fon
caradéred'Ambaifadeur , on ne le traitât comme un efpion
envoyé par le Roi fon maître ; il trouva un expédient pour
fè tirer d'embarras : ce fut de ne rien promettre au-delà de
fes pouvoirs ^ mais de donner des efpérances que lorfqu'il
feroit de retour à la cour de Perfe, il fçauroit profiter de
l'averfion que Mehmet avoit pour la guerre , & de l'inquic-
tude que lui donnoient les mouvemens du plus jeune de {es
enfans , pour l'engager à confentir à la paix aux conditions
que fouhaitoit Amurath. Bien des gens ont cru qu'il fe laifla
Tome VI II, Kkk
44* HISTOIRE
corrompre par Sînan , &; qu'ayant pris dès-lors le parti dont
Henri il voulut fe juftifier depuis, fous prétexte qu'il y avoit été
III. forcé , il n'agit pas de bonne foi dans cette affaire. Ce qui
j çg0 eft, certain, c'eft qu'on le congédia avec beaucoup démar-
ques d'amitié , ôc qu'il fut très-bien reçu par tout où il pafïa
en s'en retournant : ce qui fit foupçonner un traité fecret avec
Amurath , par lequel il s'étoit engagé de trahir les intérêts
de fon maître , d'autant plus que les Turcs n'ont pas cou-
tume de traiter ainfi les ambalFadeurs de Perfe , lorfqu'ils
s'en retournent fans avoir rien conclu , comme nous le ver-
rons par l'exemple d'un autre Ambafïadeur envoyé au même
Amurath , qui non-feulement demeura en prifon pendant
un tems considérable , mais qui courut grand rifque de la
vie.
Maxud-Chan ayant pris congé du Sultan s'en retourna
par le même chemin qu'il avoit iuivi pour arriver à Conf-
tantinople j& ayant trouvé Sinan à Erzerum il le fuivitjuf-
qu'à Cars , &; de-là il fut conduit très- honorablement par
le bâcha Cicala jufqu'aux frontières de la Perfe.
Le deffein de Sinan , en attendant la paix , étoit de for-
tifier Tomanis, ville d'Arménie , appartenante aux Géor-
giens , & dont la Situation eft très-avantageufe pour fe ren-
dre maître des défilés &; des paflages par où l'on entre dans
le païs : il vouloit aufïï jetter des vivres & des troupes dans
Tefiis qui manquoit de tout à caufe des ravages que les Per-
fans avoient faits dans tous les environs j 6c il fouhaitoit ex-
trêmement de faire quelque coup d'éclat , pour avoir un
prétexte honnête de quitter fon emploi , qu'il avoit moins
recherché par l'efpérance de finir la guerre , qu'en vue de
renverfer la fortune de Muftapha fon rival , en l'expofant à
la mauvaife humeur & à la haine d'Amurath.
Préparatifs Mehmet de fon coté ne derneuroit pas oifîf, &; en at-
<tesPeifaas. tendant le retour de Maxud-Chan , il envoya ordre à tous
les Gouverneurs de provinces de le venir joindre , & il prit
le parti d'aller fe mettre à la tête de l'armée avec Emir-
Hamze fon fils aîné , pour gagner l'affection de fes fujets ,
& fe faire cette forte de réputation , qui eft d'un fi grand
poids dans la guerre , &: qui influe beaucoup fur le fuccès
des affaires. Il partit donc de Cafbin , & s'en vint à Sultanie,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 445
où il vifita les maufolées de Tes ancêtres : de-là il marcha
à Zanga 6c à Miana 5 6c ayant laiifé à fa gauche le château Henri
de Guvergi qui eft au milieu d'un lac , ôc à fa droite Ar- j 1 1#
dovil , qui eft une ville de Medie où les rois de Perfe fai- «
foient leur réfïdence , il entra dans la Turcomanie , 6c de-là '
en quatre journées de marche il vint à Tauris , où il avoit
donné rendez-vous aux nouvelles levées qu'il avoit fait faire.
Il y tint confeil avec Cqs Généraux fur ce que l'on pour-
roit entreprendre : on y parla d'une manière allez embar-.
ralfée , parce qu'on fçavoit que le deflein du Roi n'étoit
pas tant de faire la guerre,que d'empêcher les Turcs de con-
tinuer leurs conquêtes : ainfi la résolution des Perfans dé-
pendoit abfolument du parti que prendroit Sinan 3 6c com-
me on ne fçavoit encore rien de certain là-delTus , il ne faut
pas s'étonner qu'il y eût tant d'incertitude dans les avis des
Confeillers de Mehmet. L'armée Perfanne étoit très-nom-
breufe , & capable non-feulement d'attendre celle des Turcs,
mais de l'aller chercher 6c de faire des entreprifes confidé-
rables , Ci elle avoit eu un Général : mais le parti que l'on
prit fut qu'elle s'avanceroit de Tauris à Caracach -y qu'elle
choiiiroit un camp litué avantageufement pour couvrir Tau-
ris, & pour empêcher les Turcs d'entrer dans le Sirvan ,
6c qu'elle s'y retrancheroit. On fit enfuite un détachement
de dix mille hommes, qu'on envoya du côté de Teflis pour
s'oppofer au fecours que Sinan étoit obligé d'y envoyer, 6c
on en donna le commandement à Tocmaces, qui s'étoit ac-
quis de la réputation la campagne dernière , 6c qui con-
noifïbit parfaitement les lieux. Mehmet lui recommanda
fort de convenir avec Simon Prince Géorgien , qui s'étoit
fait Mahometan depuis peu, d'un tems 6c d'un lieu ,011 ils
pufTent fe raflembler fans bruit , aufîitôt qu'ils auroient ap-
pris que l'armée Turque -feroit décampée de Cars , afin
qu'ils prifTent enfemble des mefures pour empêcher Sinan
de jetter du fecours dans TefTis ; 6c il le chargea de plus de
lui faire fçavoir d'heure en heure tout ce qu'il apprendroit
des delfeins des ennemis.
Ces mefures prifes , Tocmaces renforça fon détachement
d'un corps de trois mille Géorgiens , 6c dès qu'il eut ap-
pris que Sinan étoit parti d'Erferum , 6c qu'il marchoit à Cars,
Kkkij
444
H I S T O I RE
» il s'avança du côté de Gengue par un chemin que tiennent
Henri ordinairement les voleurs Tartares, mais qui étoit abfolu-
III. ment inconnu aux Turcs. Gengue eft au milieu de cam-
1580. pagnes très-vaftes entourées jufqu'à Tauris de villes 6c
de châteaux , dont les habitans font , ouïujets , ou alliés
de la Perfe. Dès qu'il y fut arrivé , il écrivit à Simon le dé-
part de Sinan , & la route qu'il tenoit , & lui demanda de
la part de Mehmet de fe rendre à Grin , 6c de venir le
joindre 5 6c que lorfqu'ils feroient enfembie , ils prendroient
leur parti fuivant l'occafion.
Maxud- Maxud-Chan étoit de retour auprès du roi de Perfe , &
Chan parte en lui rendant compte de fa négociation , il lui déclara qu'il
chez les ne p0uvoic efpérer cle paix avec Amurath , qu'en lui cédant
Turcs. r r. r »~i ,
tout le Sirvan julqu a Demircapi, 6c que ce Prince pretendoit
que tout ce que les troupes avoient conquis jufqu'alors , ap-
partenoit de plein droit à l'empire Ottoman. » Pour moi ,
55 ajoûta-t'il , je n'ai point voulu paflTer mes pouvoirs • ce qui
)5 a mis ma vie en grand péril , parce que les Bâchas me me-
n naçoient que 11 la négociation n'avoit point de lieu , on
>a me traiteroit comme un efpion , & non comme un Am-
» balîàdeur : &; ce n'a été qu'à force de prières , 6c en pro-
55 mettant aux Turcs que V. M. leur enverroit un autre Am-
55 barTadeur avec des pouvoirs plus étendus , que j'ai obtenu
53 la permiffion de revenir en Perfè.
Il parut après l'audience que Mehmet étoit content de
la conduite de Maxud-Chan , 6c qu'il étoit bien aife de le
voir de retour: il lui donna même pour récompenfe un pe-
tit gouvernement dans la province de Reivan ^ mais Maxud
qui croyoit que Ces fervices méritoient quelque chofe de
plus, s'exeufa honnêtement de l'accepter ^ 6c il réfolut d'at-
tendre de la libéralité cle (on Roi , quelque emploi qui pût
le dédommager des dépenfes confidérables qu'il avoit faites
dans fon ambarîade. En effet Mehmet lui donna peu de
tems après la charge de Tréforier de la caiiîe de Tauris 5
& comme le Gouverneur de cette place étoit fon ennemi
mortel , au lieu d'en faire lui-même les fondions , il la fie
exercer par un autre , 6c i[ fe retira à Cafîangre petite ville
d'Arménie qui lui appartenoit. Emir-Chan qui cherchoit à
le perdre dans l'efprit du Roi , fut ravi d'avoir trouvé cette
DE J. A. DE THOU, Lif. LXXIII. 44?
occafion : « Car, difoit-il, pourquoi Maxud- Ch an a~t'il refufé j . ' r
«un gouvernement fore honorable ? Pourquoi fous prétexte Henri
«d'une prétendue inimitié ,n'à-rïl pas voulu exercer par lui- III.
>5 mêmela charge de Tréforier d'une des plus grandes villes 1580.
» du Royaume? Pourquoi s'eft- il retiré de la ville à l'approche
» des ennemis ? Une telle conduite n'eft-elle pas un aveu de
» tous les foupçons que l'on a conçus contre lui , à l'occafion
» de cette belle ambaffade qu'il nous vante tant ? Je fuis per-
« fuadé qu'il a donné fa parole aux Turcs , & qu'il eft déjà
» leur efcîave. C'eft là fans doute la raifon qui lui a fait re-
53 jetter les dignités & les emplois qu'on lui a voulu donner
)î en Perfe ^à moins que par ce refus orgueilleux d'exercer
55 des charges publiques, il n'ait été bien aife de forcer le Roi
33 à lui donner quelque grand gouvernement , qu'il aura loin
33 de remettre bientôt entre les mains des Turcs. Auiîi, dit-
33 on , qu'il eft convenu fecrétement avec Amurath de lui li-
>3 vrer le Sirvan , dont il a tant d'envie.
Ces difeours qui venoient d'un ennemi déclaré , dévoient
être fufpe&s 3 néanmoins comme ils s'accordoient avec les
bruits publics , ils firent une grande impreffion fur l'efprk
du Roi, qui étoit déjà indifpofé contre Maxud , & qui re-
gardoit comme une infulte le refus que ce mauvais courti-
ian avoit fait d'un gouvernement offert par fon Souverain,
Il ordonna donc qu'on le fît venir pour fe justifier , &. il char-
gea Emir-Chan de l'amener à la Cour de gré ou de force,
Emir-Chan fçavoit bien que Salmas favoriibit Maxud 3 &
il craignoit que fl on le mettoit en juftice réglée , il ne fe
juftifîât de tout ce qu'on lui reprochoit , &; que la calom-
nie ne fût mife au grand jour. Ainfî il ne fut pas fâché qu'on
fçût l'ordre qu'il avoit du Roi, & que cette nouvelle allât
jufqu'à Àiaxud 3 perfuadé que ce Seigneur effrayé du péril
auquel il alloit être expofi-, fe fiuveroit chez les ennemis,
& confirmeroit par la fuite tout ce qu'on mettoit fur fon
compte. En effet Maxud ne fut pas plutôt informé des def-
feins de la Cour, que , foie par crainte d'être convaincu de
trahifon , foie par dépit de fe voir livré à fon ennemi , il
difpofa tout pour fe fauver. Il ne fut pas long-tems à trou-
ver un honnête prétexte pour exécuter fon deflèimcar Emir-
Chan ayant envové quinze hommes pour l'amener , ou pour
Kkkiij
44^ HISTOIRE
l_ l'arrêter j Maxud ravi en apparence de les voir , leur fit un
Henri feflin magnifique y de lorfqu'ils furent tous yvres de bien en-
III. dormis, il les enferma dans une citerne. Aullîtôc il fait pré-
1580. parer des voitures pour fes femmes , fes efclaves,& fes au-
tres domeftiquesj il prit fes pierreries, fon or, de fon argent,
&: s'enfuit. Il marcha jour de nuit, Se arriva enfin à Salmas,
de de-là à Van , où Cicala Bâcha le reçut avec des honneurs
extraordinaires. Il fut reçu dé même à Erzerum par Sinan,
qui le fit mener à Amurath. Il fuivit depuis les Bâchas ,
Ferhat de Ofman , qui commandèrent tour à tour l'armée
Turque après Sinan. Lorfque la guerre de Perfe fut finie ,
Amurath lui ayant donné le gouvernement d'Alep , il s'y
tranfporta avec toute fa famille , de il y parla le refte de fa
vie.
sinan grand Sinan étant arrivé d'Erzerum à Cars y féjourna huit jours,
v,fir* après lefquels il marcha du côcé d'Archele pour gagner
Tomanis. Ce fut dans cette marche qu'il reçut l'agréable
nouvelle qu'on l'avoit fait grand Vilir. Il y a cependant
des auteurs qui ont écrit que cette charge lui avoit été don-
née dès Conftantinople , mais que le fceau impérial ne lui
fut remis entre les mains qu'en ce tems - ci , de par le
*c*eftlechef Capigi Bachi * qui fut chargé de le lui porter. Mechmet,
des pomers. dont j'ai fouvent parlé dans les livres précédens , avoit été
long tems revêtu de cette dignité , de il en avoit fait les fonc-
tions avec une grande réputation de prudence de de fidélité
fous Soliman , Selim , de même fous Amurath : de ce qui efl
fort rare dans cette Cour, fon crédit s'y étoit toujours fou-
tenu j mais il avoit été tué depuis un an par un accident
funefte , de qui mérite d'avoir ici fa place.
Mechmet avoit de fon autorité abfolùecarTé un foldat,
fans qu'on ait fçû pourquoi , de il avoit donné fa place de fa.
folde à un autre. Ce malheureux au défefpoir d'avoir perdu
tout à la fois fa fubfiftance de fon honneur , réfolut de s'en
venger. Pour y réuffir , il contrefit le fou , de fe fit Dervis j
c'effc une forte de religieux qui font comme nos Hermites.
Le nouveau Dervis affedoit un grand mépris de toutes les
chofes de la terre , de paroiflbit n'avoir l'efprit rempli que
de celles du ciel. C'elt. la coutume chez les Turcs que cette
efpéce de Prêtres fe rendent tous les jours au Divan , où
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 44.7
l'on rend la juftice , pour faire la révérence aux Grands de la j ;
Cour, 6c que pour en tirer quelque aumône, ils récitent Henri
d'une voix peu intelligible leurs mauvaifes prières dans l'efprit III.
de PAlcoran. Suivant cet ufage, l'Hermite venoit tous les ï ego.
matins chez Mechmet , êc infenfiblement il s'étoit 11 fort fa-
miliarifé avec lui , 6c avec toute fa maifon , que quoique ce
Vifir fût toujours entouré d'une Cour nombreufe , le Dervis
l'approchoit quand il vouloit , fans que perfonne s'y oppofât.
Enfin cet homme croyant que l'occafionétoit venue d'aiîbu-
vir fa vengeance êc fa haine , que ni le tems , ni les libéralités
du Vifir n'avoient pu adoucir , ii met un poignard dans la
manche , 6c s'en vient au Divan. Là , après avoir fait fes priè-
res à l'ordinaire devant toute PafTemblée, il fe jette fur Mech-
met , dans le tems qu'il lui donnoit l'aumône , lui porte deux
coups de poignard dans le fein avant qu'on le pût fecourir , 6c
renverfe ce vieillard par terre. On faifit Paîraffin , on le lie
&; on le mène à Amurath , devant qui il demande à compa-
roître. Le Sultan qui craignoit que ce malheureux ne fût
que Pinftrument des Grands de fa Cour, qui auroient eu def-
fèin de perdre le Vifir pour avoir fa place , interrogea lui-
même le Dervis. Mais ayant reconnu qu'il n'avoit point
de complices , 6c que cet afiafiin n'avoit eu pour but que fa
propre vengeance , il le livra aux domeftjques de Mechmet,
qui exercèrent contre ce miférable les tourmens les plus af-
freux 6c les plus propres à venger la mort d'un maître qui les
avoit comblés de biens.
La charge fut donnée à Achmet, qui tenoit le premier
rang à la Cour après lui 5 mais il ne la remplit pas long-tems ^
car il mourut de maladie quelques mois après , èc laifïà va-
cante cette grande place , qui futdifputée entre deux rivaux
fameux , Sinan 6c Muftapha. Ce dernier qui avoit été pré-
cepteur de Selim IL &l qui s'étoit rendu illuitre par la con-
quête de Pifle de Chypre , la regardoit comme une récom-
penfe ducàfeslongsècimportans fervices. Mais Sinan pré-
tendoit que les fiens étoient beaucoup au-deflus de ceux de
Muitapha, parce qu'étant pafïè dans un païs auffi éloigne
que l'Afrique avec une flote peu confidérable , il avoit fou-
rnis en peu de mois la Goulette, forterefTe des Chrétiens,
qui pafibit pour imprenable , où il y avoit une grofie garnifon
448 HISTOIRE
-' de troupes Efpagnoles , & qui par fa Situation étoic à por-
Henri tée de recevoir à tout moment du lècours. Qu'avoir fait
III. Muftapha de comparable à cette conquête ? Il lui avoit fallu
1580. deux ans pour prendre deux villes dans une Ifle fîcuée au
milieu des Etats de l'empire Ottoman ; &; pour en venir à
bout , il avoit pref que entièrement ruiné une des plus grandes
armées que les Turcs euftent mife fur pied depuis long-tems.
Sinan alléguoit encore en fà faveur , l'expédition des Arabes
révoltés , qu'il avoit entreprife & achevée avec autant de
prudence que de bonheur 3 au lieu que Muftapha avoit re-
rufé de s'en charger, parce qu'il y trouvoit trop de difficul-
tés. Mais ce qui nui fît le plus à Muftapha , fut fon rappel
de Perlé , & Amurath ne croyoit pas qu'il convînt de mettre
à la tête de tout l'Empire un homme qu'il avoit jugé inca-
pable de conduire cette guerre. D'ailleurs la Sultane qui
avoit beaucoup de crédit fur l'efprit de fon mari , le follicitoic
vivement en faveur de Sinan. » Muftapha, difoit-elle, n'eft-il
» pas allez récompenfé de fes fervices , par l'impunité de tant
" de crimes dont il a été chargé, 6v par la liberté qu'on a ren-
» duc à la considération au Tréibrier & au Caiffier de fon ar-
« mée , accufés d'avoir volé l'argent deftiné pour les troupes ?
»Ne doit-il pas encore regarder comme une récompenfé que
» depuis la vacance de cette dignité , on lui ait laiffé le pre-
» mier rang à la Porte , par la feule prérogative de l'âge ? Il eft
» donc jufte , ajoûtoit-elle , de mettre dans cette grande place
» un homme fans reproche , qui a toujours bien fervi l'Etat,
" &. qu'on envoyé à une guerre de la dernière importance,par
« la confiance qu'on a qu'il s'en tirera heureuïement ?
Muftapha fe voyant déchu d'un honneur qu'il fouhaitoit
paffionnement , &: qu'il dévoroit en efpérance , ne put furvi-
vre à fa difgrace : & on prétend que le chagrin qu'il en eut ,
ou peut - être la crainte d'être convaincu d'avoir fuppri-
mé plufieurs ambaflades que le roi de Perfe envoyoit à la
Porte, l'engagèrent à avancer fa mort , en mangeant avec
excès du melon , qu'il avoit mis tremper dans de l'eau , où il
avoit fait fondre quantité de fuccre. Mais on tenoit pour
confiant à la Cour, qu' Amurath Pauroit fait étrangler, s'il
n'eût pas prévenu fes ordres. Jamais homme au refte ne mé-
rita mieux d'être lui-même fon bourreau. La cruauté horrible
que
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 449
que ce monflre exerça contre les Chrétiens , &c particu- <^>^^»>^m
lierement contre Antoine Bragadin , après la priiè de Fama- Henm
goufte, le rendoit digne d'un pareil fort. Ses biens furent III.
portés au tréfor public, 6c l'on en réferva quelque portion 1 5S0.
pour (es petits - fils , qui furent mis dès leur enfance au fer-
vice du Grand Seigneur.
Sinan au comble de fes vœux depuis Ion élévation , èc
croyant que la mort de fon rivai l'ailuroit dans fa nouvelle
dignité , ne fongea plus qu'à agir contre les Perfàns. D'abord
il rit draflèr par des Ingénieurs habiles le plan des fortifica-
tions qu'il vouloit faire à Tomanis j mais à peine les put-il com-
mencer , à caufe d'une pluye épouvantable , qui continua
pendant huit jours , & qui renveria tout ce que les foldats
avoient fait. Le fecours qu'il falloit jetter dans Terlis , lui
donnant beaucoup d'inquiétude , il marcha de ce côté-là , &C
il fît prendre les devants à Talogli Aga des Janniiîaires de
Damas , & à Homar Sangiac de SafTet. Mais Simon feigneur
Géorgien , qui connoifîbit le païs , leur drefla des embûches ,
les tailla en pièces , & Talogli fut redevable de la vie à la
vitciTe de fon cheval. Sinan ayant eu avis de cet échec , ne
laiiîa pas de continuer fa marche, & en deux jours il arriva
devant Terlis. La mort de Muîtapha n'ayant pas encore
aflbuvi la haine qu'il portoit à cet infortuné , il réfolut de
montrer la vanité de ce Général , qui pour faire valoir fes
fervices avoit écrit à Amurath , que Terlis étoit auffi grande
& auiîi peuplée que Damas. Ainfi il ordonna à quelques Offi-
ciers de faire le tour de la place &: de l'examiner, afin qu'ils
puiîent un jour rendre témoignage à Amurath du véritable
état de cette ville. Ayant enfuite diftribué de l'argent à la
garnifon , &>fait remplir les greniers, il alièmbla les foldats
qui étoient dans la ville- & après avoir loiié leur fidélité ,&
la confiance qu'ils avoient montrée , en ne vivant pendant
un tems confidérabie que de chiens & de rats ,il les confo-
la , & leur fit efpérer , qu'on auroit foin qu'ils ne fuiTent plus
expofés à de pareilles extrémités • qu'Amurath auroit égard
à leurs fervices -, & que pour lui il employeroit volontiers fon
crédit pour leur procurer la récompenfe qu'ils méritoient.
La garnifon ayant porté fes plaintes contre le Gouverneur
de la place , qui s'étoit approprié l'argent de la caille militaire,
Tome VI IL LU
4so HISTOIRE
_ Sinan fie examiner cette affaire : l'Officier fut convaincu de
Henri malverfation , de condamné à rendre les fommes qu'il avoit
III. prifes, de qui furent diftribuées aux foldats : après quoi il le
i S S o. ca£& de mit à la place un Géorgien , nommé Joieph , qu'il ne
jugea digne de ce pofte , que parce qu'il étoit ennemi juré de
Simon. C'eft-là pour les Barbares le gage le plus fur de la
fidélité de ceux qu'ils employent 5 &c'eftà ce titre que Sinan
confia à Jofeph Bey la garde d'une place dont la défenfe avoit
coûté jufque-là tant de travaux , tant de veilles , tant de fouf-
frances de tant de fan g. •
Après avoir donné ordre aux affaires de cette ville ^
Sinan fe difpofoit à partir , lorqu'il reçut une ambaiîade de
Leventogli , autre feigneur Géorgien , qui envoya lui offrir
{es fervices. Jufque-là Leventogli avoit gardé la neutralité
entre les Turcs de les Perfans , les exhortant tour à tour à la
paix j de comme il craignoit fur-tout la puiffance des Turcs,
il avoit fouvent envoyé des vivres , de d'autres provifîons à
Terlis ; mais il ne s'étoit point encore déclaré contre Meh-
met , qu'il refpectoit comme un voifin puiffant. Les envoyés
de Leventogli Fexcuférent de n'être pas venu lui-même, fur
ce qu'il étoit malade. Sinan paroiflant content de cette rai-
fon , leur fît bon accueil , leur donna des veftes d'étoffes d'or,
de les renvoya avec des prefens pour leur maître, entre lef-
quels il y avoit une maiTe d'or (i) , & un fabre garni d'or de
de pierreries , de les chargea d'ordres fecrets qui portoient ,
qu'ayant été neutre jufque-là entre les deux Princes ennemis,
il fît tous {es efforts pour procurer la paix entr'eux , de qu'il
n'épargnât pour cela ni foliieitations , ni prières.
Sinan s'étant enfuite mis en marche , parla le fécond jour
le défilé de Tomanis. Ce fut alors que Muftaffade bâcha
d' Alep , qu'il eftimoit beaucoup , lui fit entendre qu'il y avoit
dans le voifinage quantité de provifîons , de beaucoup de gros
de de menu bétail , qui n'étoit gardé que par un fort petit
nombre de Géorgiens , de qui feroit fort utile tant pour l'ar-
mée que pour les garnifons d'alentour ^ qu'on pourroit aifé-
ment s'en rendre maître , fi on vouloir y envoyer un déta-
chement de bonnes troupes , de qu'il s'offroit de les conduire.
Sinan crut que l'occafion n'étoit pas à négliger 5 mais comme
(1) Efpéce de lingot fait en rond,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 451
il n'avoit pas encore oublié ce qui étoic arrivé à Talo^li &: à
Homar , il craignit que Ton ami ne lui eût demandé trop peu Henri
de troupes : ainii il lui donna dix miile hommes effectifs , ians III.
compter les valets & les goujats. C'écoic une amorce que T ,.o«
«-n • T ' -r> o M » ' r- * l\ ou.
Tocmaces avoit prelentee aux Turcs , 6c il s etoit eniuite em.
bufqué avec Simon dans tous les lieux des environs qui étoienc
propres pour fon defîein. Les Turcs maîtres du butin l'a-
voient déjà chargé fur leurs chevaux , 6c ils n'étoient plus
occupés que du foin de l'emmener , lorfque Tocmaces forçant
couc d'un coup de fon embufeade , les chargea brufquement ,
6c en fîc un carnage épouvancable , fans prefque crouver de
réfiftance. Il leur cua autour de fept mille hommes , fît quan-
cicé de prifonniers, 6c emmena un grand nombre de mulecs6c
de bêces de fomme. Muftaffade s'écoic fauve des premiers.
Sinan chagrin de cecce nouvelle , fîc marcher de ce côcé-
la le bâcha de Caramanie avec un gros décachemenc , 6c il
le fuivic avec le refte de l'armée 3 mais ils arrivèrent trop tard,
les Perfans s'écoienc déjà recirés dans des moncagnes inac-
cefîîbles & dans des bois impénécrables. Sinan qui vouloit
venger l'affront qu'il venoit de recevoir , ne laifTa pas de les
pourfuivre , 6c il arriva enfin au haut d'une montagne très-
efearpée, d'où il découvrit les Perfans , qui fatigués des
marches précédentes , cherchoient à fe fortifier dans des
poftes avancageux. AiuTicôc le Général Turc s'avança pour
les combaccre. Mais les Perfans qui ne vouloienc pas hazar-
der une affaire décifîve, prirenc leparcide fe recirer. Quel-
que diligence qu'ils fiffenc , ils ne purenc pourcanc pas empê-
cher que leur arriére-garde nefûcencamée, 6c ils perdirent
environ cinquance hommes , donc les Turcs coupérenc les
têtes , fuivanc leur coutume j 6c pendant une marche de plu-
Heurs jours , ils les portèrent comme en triomphe au bout de
leurs javelines.
Sinan ayant évité toutes les embufeades des ennemis arri-
va àTrialc, ville d'Arménie, fameufè par le grand nombre
de fes Eglifes. Il y reçut plufieurs avis que le roi de Perfe étoit
forti de Tauris avec toute fon armée , 6c qu'il venoit pour le
combattre. Sur cette nouvelle , il fit publier dans le camp
qu'on fe difpofât à marcher à Tauris ; & pour avoir moins
d'embarras, il envoya fes gros bagages à Ardachan , 6c n'en
LU ij
45* HISTOIRE
garda que ce qu'il falloir pour porter des provifions pour
Henri quelques jours. Par-là ce Général, le plus vain qui fut ja-
III. mais, vouloir faire croire que c'écoitlui qui alloit chercher
i çSo. les ennemis : mais en même tems il rit dire fecretement au
roi de Perfe , campé près de Caracach , qu'il pou voit envoyer
des Amballàdeurs pour la paix j 6c il efpéroit que cette nou-
velle fufpendroit la marche de ce Prince. Pour mieux per-
suader que l'ordre qu'il avoit donné de marcher à Tauris
étoit férieux , il defeendit dans des plaines encore teintes du
iang des troupes de Muftapha , qui y avoient été taillées
en pièces 3 c'étoient les plaines de Chelilen : il y rangea fon
armée en bataille, 6c embrafla un vafte terrain pour faire
parade de Ces forces. Après en avoir fait la revue , il difpofa
tout comme s'il alloit donner bataille : il plaça à la tête de
l'armée cinq cens pièces de campagne, qui étoient gardées
par trois bataillons de Janniflàires. Il avoit pris fon pofte
derrière cette artillerie , 6c il avoit rangé tout le refte de fon
armée à droit 6c à gauche en forme d'un croiiïant qui embraf-
foit une grande & vafte plaine , où la cavalerie ôc l'infante-
rie , les arquebusiers, les archers & les piquiers étoient mê-
lés les uns avec les autres. Les bêtes de fomme 6c les bagages
qu'on avoit pris pour le befoin, étoient à la queue fous la
garde d'un corps de huit mille hommes , commandé par deux
Bâchas. L'armée étant rangée de la manière que je viens de
l'expliquer, il fit fortir des montagnes voi fines quelques corps
de ies propres troupes , qui eurent ordre de faire mine de le ve-
nir attaquer. Dès qu'ils parurent , l'artillerie commence à
tirer, les arquebu fiers 6c les archers font ufage chacun de leurs
armes , les tambours , les clairons , les trompettes fonnent la
charge , comme il l'on eût été férieufement aux mains 3 6c
les foldats ayant enluite tirés leurs labres qu'on voyoit bril-
ler de loin aux rayons du foleil , on perdit toute la journée à
ce fpedacle comique. On recommença la même chofe le
lendemain 6c le jour iuivant 3 ce qui expofa Sinan aux raille-
ries 6c au mépris de tout le monde. Les foldats en murmiu
roient , 6c diioient tout haut : pourquoi ne nous méne-t'il pa3
à Taurjs ? L'ennemi eft à deux pas de nous , 6c l'on nous amu-
fe ici à des combats de théâtre : Eft-ce pour ce fpe&acle ctu'ob
a rafïemblé tan: de braves guerriers ?
DEJ. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 453
Pendant ce tems-là Mehmet envoya Haicier en qualité s
d'Ambaflàdeur. Il renouvella les proportions que Maxud- Henri
Chan avoit déjà faites • c'eft-à-dire , que le roi de Perfe ce- III.
deroit Cars ôcTeflis, 6c qu'il cultiveroit religieufement l'a- x /g0j
initié du Grand Seigneur. Qu'il conjuroit Sinan de faire con-
clure la paix à ces conditions , 6c d'empêcher que deux Prin-
ces de la même Religion ne s'acharnafïent à fe ruiner l'un
l'autre par une guerre lans fin.
Sinan reçut très - gracieufement Haider , lui promit de
s'employer pour obtenir ce qu'il demandoit, 6c l'aiTùra qu'il
efpéroit que la chofe réùffiroit , pourvu qu'on envoyât à la
Porte un homme diflingué , fage 6c capable de manier une
affaire de cette importance. Haider aulfitôt alla joindre le
Roi , qui étoit retourné à Tauris , pour lui rendre compte de
fa négociation. Il lui dit , que Sinan faifoit efpérer que fi la
Perfe envoyoit un nouvel Ambafiàdeur , la paix pourroit fe
conclure aifément , 6c que le Générai Turc paroifîoit la fou-
haiter. Le Roi y donna les mains , & fit fçavoir là réfolutioa
à Sinan.
Le Grand Vifir ne longeant plus alors à fa marche vers
Tauris , fe retira du côté de Cars , comme s'il fè rut préfenté
quelque occafion qui l'y rappellât ; 6c il y demeura un mois
entier fans rien faire , au grand étonnement des Turcs , qui
s'entredemandoient ce qu'ils étoient venus faire fi loin j û
c'étoit pour combattre , ou pour voir le païs -, pour être fpec-
tateurs de pièces de théâtre , ou pour les repréîènter eux-mê-
mes. De Cars, Sinan retourna à Erzerum, où il fépara fon
armée , parce que l'hyver étoit déjà avancé 3 6c chaque Com-
mandant de place y mena en quartier d'hyverles troupes qui
étoient fous fes ordres. Il envoya enfuite à Amurath le Ca-
pigi Bachi pour l'informer des fuccès de la campagne , du
fecours qu'on avoit fait entrer dans Teflis , des ouvrages
qu'on avoit commencés à Tomanis , 6c de la parole que le roi
de Perfe avoit donnée, d'envoyer un nouvel Ambafladeur
à la Porte. Il ajoûtoit, qu'il y avoit dans cette guerre tant
d'incommodités iefïuyer, èc tant d'obftaclesà ïurmonter ,
que fi l'on ne faifoit de plus grands efforts que par le pafie ,
on ne devoit plus fe flater de la conquête de la Perfe : qu'il
falloit bien ûqs chofes pour une fi grande entreprife , 6c qu'il
Uliij
454 HISTOIRE
j : étoit néceflàire qu'il s'abouchât là-dedlis avec l'Empereur..
Henri Toute la campagne fuivante fe paila à attendre l'ambaflà-
III. deur Perfan , &; il ne fe fit rien de confidérable , à caufè de la
1580. difette affreufe qui régnoit dans le camp de fur la frontière,
jufque-là que les troupes étoient extrêmement dégoûtées de
cette guerre, & que chacun faifoit tous £qs efforts pour fe
difpenfer d'y aller. Sinan lui-même s'en ennuyoit beaucoup,
& fongeoit à la porter en Europe, afin de revenir à la Cour ,
& d'y jouir des honneurs de la place qu'il occupoit. Afin de
réiiiîir dans ce deflein , il mettoit tout en œuvre pour avancer
la paix de Perfe 3 ce qui lui fourniroit un prétexte honnête
d'abandonner ces provinces fans déplaire à l'Empereur : il
envoyoit lettres fur lettres , & couriers fur couriers , pour
obtenir fon rappel. Il avoit , difoit-il , des chofes delà der-
nière conféquence,dont il étoit important que l'Empereur fût
inftruit , & fur lefquelles il ne pourroit ni s'expliquer dans une
lettre , ni fe confier fûrement à quelqu'homme que ce fut.
Enfin les follicitations vives & continuelles de la Sultane ,
qui l'avoit déjà fait Grand Vifir, obtinrent du Sultan fon
rappel.
Aulîîtôt le Général Turc établit deux Gouverneurs, avec
un Tréforier , & un Intendant à Sumachia &: à Batino , gou-
vernemens de peu d'importance 3 & fans avoir rien fait de
confidérable , après avoir même reçu deux échecs & perdu
quelques pièces de canon, il fe mit en marche pour s'en retour-
ner , &c entra vers la mi-Juillet dans Conftantinople avec un
équipage fuperbe , & au milieu d'une foule de grands Officiers
de la Cour , qui étoient allés à fa rencontre.
Troubles II y eut quelques troubles en Afrique. Comme les efprits
que' des Mores font changeans & très-avides des nouveautés , les
habitans de Tunis , ou par haine pour les Turcs , ou par in-
clination pour Amida leur ancien maître , qui étoit alors à
Malte , &c qui les follicitoit de le faire revenir , conjurè-
rent contre la garnifon àt la paiTérent au fil de l'épée. Amu-
rath inftruit âe cq carnage y envoya Ulucciali Capitan-
bacha , avec foixante galères. Cette commifïion lui fît naître
l'envie de bâtir un fort vers le détroit , & de le mettre en bon
état, s'afîiirant que par ce moyen non-feulement il empê-
cheroit les troubles du royaume de Tunis 3 mais qu'ayant en
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 455
quelque forte mis des entraves aux deux côtés de la Maurita-
nie, il pourroit dans la fuite former des projets plus impor- He nri
tans. Achmet roi de Maroc, qui venoit de faire un traité d'al- III.
liance avec Philippe II. crut qu'il ne devoit pas négliger cette 1580,
affaire qui mettoit fès Etats en péril. Ainfi fous prétexte de
l'alliance dont je viens de parler , il écrivit à Ulucciali , & le
pria inftamment de renoncer à ce projet , parce que fi les
Turcs vouloient attaquer le roi d'Efpagne , avec qui Amurath.
même venoit de conclure une trêve, ilferoit obligé de le fe-
courir , & de joindre fes troupes à celles de ce Prince. Uluc-
ciali qui étoit trop foible pour réfîfter à deux Rois réunis , &:
même pour tenir contre l'un des deux avec une flote telle que
la fienne , fongea à la retraite • mais pour cacher fa honte , il
fit courir le bruit qu'on le rappelloit à Conftantinople pour
d'autres affaires ^ & après avoir mis une nouvelle garnifon
dans Tunis , d'où les conjurés s'étoient fauves , il fe retira à
petit bruit.
Pendant ce tems-Ià , on faifoit en Pologne des préparatifs Affaires ie
contre les Mofcovites , & le Roi s'étant rendu à Grodno avoit Jol?Pr &
donné ordre à Zamoski de lever des troupes. Ce Général
défirant extrêmement d'avoir une bonne infanterie .engagea
Vroveck à licencier fa compagnie de cavalerie , pour en for-
mer une d'infanterie toute compofée de Gentilshommes, 6c
il chargea Farensbeck de faire faire des levées en Allemagne,
Le Roi de fon côté écrivit au prince de Tranfylvanie fon frè-
re , de lui faire en Hongrie de nouvelles levées d'infanterie
6c ce cavalerie. Les fuccès de la campagne dernière, qui en
promettoient encore déplus confidérables,attiroient toute
la jeunefle , &c l'emprefTement étoit fi grand , que l'on venoit
en foule au rendez-vous , fans avoir reçu un denier pour l'en-
gagement. Mais cette joye générale fut troublée par la mort Mort du
de Chriftophle prince de Tranfylvanie , qui après avoir fouf- TranfylTaini
fert long-tems des douleurs de la goûte , mourut enfin cette
année , laifïànt un fils nommé Sigifmond , qui du confente-
ment des Etats avoit été nommé pour fuccéder à fon père
avant que le Roi fe rendît à Varfovie pour la diète. Ainfî
Etienne n'eut pas grand mouvement à faire pour établir fon
neveu dans cette Principauté. Il fe contenta d'envoyer à la
Porte J. Tho. Droiou avec des ordres , qui portoient , que la-
456 HISTOIRE
"".: Tranfylvanie étant tributaire du Grand Seigneur, cet Envoyé
Henri fupplieroitAmurath de trouver bon que Sigiimond la pofTécLk
III. aux mêmes conditions que Ces prédécefleurs ^ 6c de Faire en-
1580. tendre à cette Cour que fi on y prenoit d'autres mefures, le
roi de Pologne ne manqueroit pas de venir au fecours de fa
patrie 6c de là famille. On chargea encore Drojou de fe plain-
dre des injuftices de Janicola vaivode de Valaquie , de de de-
mander qu'on le dépofledât , 6c qu'on rétablit Pierre l'ancien
Vaivode : que le roi de Pologne ne s'accommodoit pas du
voifinage de Janicola , de qu'il ne pouvoit , ni ne devoit fouf.
frîr plus long-tems les maux qu'il faifoit à fes fujets. Amu-
rath accorda volontiers le premier article , à la confidération
du roi de Pologne : il ne refufa pas abfolument le fécond ;
mais il en remit l'exécution à un autre tems.
La mort du prince de Tranfylvanie fit croire au duc de
Mofcovie, que le roi de Pologne confentiroit fins peine aux
conditions de paix qu'il avoit propofées l'année précédente,
ou du moins que cet événement lui donneroit le tems de réf.
pirer. Il avoit fait dire par Ces AmbafTadeurs quelque tems
auparavant , qu'il étoit prêt de céder la Livonie a la réferve
.de Nar\ya, de Newfchlos, de Derpt, d'Adawa,6cde No-
vogorod de Livonie. Le Roi avoit toujours répondu qu'il ne
vouloit point entendre parler de paix , fî on ne lui cédoit tou-
te la Livonie j qu'il prétendoit garder Welifch , & -qu'il de-
mandoit la démolition de Siebis , forterefTe appartenante
aux Mofcovkes ; mais qui étoit enclavée dans fes Etats : 6c
il donnoit parole que de fon côté il feroit démolir Drifta
qui appartenoit à la Pologne , &c qui fe trouvoit au milieu de
la Mofcovie. Il demandoit encore que le Duc lui payât qua-
tre cens mille écus d'or pour les frais delà guerre. Mais à la
nouvelle de la mort du prince de Tranfylvanie , le duc de
Mofcovie changea abfolument, comme il parut par les let-
tres dont il chargea Chrifrophle Dirfac , que le Roi avoit en-
voit envoyé à Mofcou. Après une longue répétition de tou-
tes les propofitions qui s'étoient faites pour parvenir à ]a
paix,, 6c qui n'avoient produit aucun fruit j le Grand Duc
difoit beaucoup de chofes pour en faire retomber la haine
fur le Roi: Qu'il n'avoit pas voulu s'en tenir aux conditions
de NeweJ , 6c qu'il demandoit i prefent la démolition de
Sieois„
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 457
Siebis , 6c une grande fomme d'argent fous prétexte de dé- ■
dommagemens pour les frais de la guerre. Là-defllis le Mof. Henri
covite déclaroic qu'il ne vouloit point être fon tributaire j III.
que les Princes n'avoient pas coutume de compter ainfi les i cg 1.
dépenfes 6c d'exiger de l'argent : Que Siebis avoit été bâti
dans fon enfance , dans le tems que les Polonois tenoient Po-
loczko , & que Sigifmond étoit maître de la Pologne 6c de la
Lithuanie -y en un mot, que Siebis ayant toujours appartenu
aux Mofcovites, il ne pouvoit confentir à fa démolition. Il
fe plaignoit enfuite avec aigreur que le Roi ne lui eût point
envoyé d'Ambafïadeurs • & il ailûroit qu'il fe paiïeroit bien
quarante 6c cinquante ans avant que de fon côté il en fît
partir aucun pour la Pologne. A ces reproches le Duc joi-
gnoit des chofes très-piquantes contre le Roi y que ce prince
n'étoit pas i{Tu d'une famille Royale ; qu'il avoit laifTé impu-
nis des excès énormes commis par les gens , qui avoient pouf
fé la cruauté jufqu'à tirer de la graifîe du corps d'un homme -y
enfin qu'il avoit brûlé Solockavec des boulets rouges : exem-
ple d'inhumanité , difoit-il , inoiii jufqu'aiors.
Le Roi ayant examiné ces lettres, fit dire aux Ambalîa^
deurs qui attendoient la réponfe ; que fuivant le droit des
gens , il pouvoit les traiter comme des ennemis , qui fous pré-
texte de paix , fe conduifoicnt en véritables efpions dans fon
Royaume 3 que néanmoins il ne s'écarteroit point des régies
d'humanité qu'il avoit gardées jufqu'aiors -, qu'ils pouvoienc
donc s'en retourner , 6c qu'il feroit réponfe par un homme
à lui aux lettres que leur Maître lui avoit écrites.
Quelque tems auparavant le Duc avoit écrit à l'Empereur
èc au Pape , qu'il étoit prêt de leur envoyer du fecours contre
le Turc , l'ennemi commun des Chrétiens. Les Polonois re-
gardèrent cette démarche comme une rufe du Mofcovite , qui
vouloit engager le Pape àfe rendre médiateur de la paix en-
tre lui 6c le Roi de Pologne. Car il n'y avoit pas d'apparen-
ce que le duc de Mofcovie envoyât fes troupes contre les
Turcs , tandis qu'il auroit la guerre avec les Polonois , Se
qu'il verroit leurs troupes dans fon pais. Les Ambaiïadeurs
qu'il envoya à Rome eurent bien de la peine à fe déterminer
à aller baifer les pieds de fa Sainteté , parce qu'ils font atta-
chés à PEglife d'Orient. Lorfqu'ils s'en retournèrent, le
Tome VIII. M m m
458 HISTOIRE
Pape chargea Antoine PofTevin de les accompagner : c'efl ce
HtNRi Jéiuire , homme habile pour la négociation , qui avoit engagé
III. le Czar à envoyer cette ambafTade. Les Mofcovites lui ayant
i 5 8 i . %nif]é , qu'ils ne vouloient point s'en retourner par la Polo-
gne 5 mais qu'ils iroient d'abord à Lubeck , 6c de là à Narwaj
PofTevin alla trouver le Roi , comme le Pape le lui avoit or-
donné. Il obtint la liberté des officiers Mofcovites , qui
avoient été pris à Welifch -, enfuite il alla rejoindre les Am-
baflàdeurs , &. les fuivit à Mofcou.
Le roi de Pologne ayant traverfé avec beaucoup de peine
les forêts qui le trou voient fur fa route , arriva enfin à Sawo-
locze : il y tint confeil -, èc quoique la fituation des lieux de-
mandât qu'on s'avançât d'abord vers Pleskow, il y eut des
avis pour commencer par Novogorod , parce qu'on y peut
aller commodément de Luki fur le fleuve Lowat. D'autres
vouloient qu'on attaquât Derpt, puifqu'on vouloit avoir la
Livonie , où cette place eft fîtuée , d'autant plus qu'une partie
de la garnifon s'étoit retirée à Pleskow, où les Mofcovites
étoient perfuades que le Roi iroit d'abord 3 mais la pluralité
fut pour commencer par Pleskow 5 èc comme c'étoitla pre-
mière place qui bornât les conquêtes du Roi , la raifon vou-
loit qu'on l'attaquât la première. On balança feulement fur
quelques forts , qui étoient à droit & à gauche , &: on agita
(1 l'on devoit s'en rendre maître avant que d'attaquer Plef-
kow. Les Mofcovites , fuivant leur coutume , avoient déjà
brûlé celui de Crafnihorod , que les Cofaques avoient incon-
tinent rétabli & fortifié 3 ce qui mettoit l'armée à couvert
des garnifons des autres châteaux , fçavoir Siebis , Opolzka 5
Oftrow &; Velia. Mais les Mofcovites avoient auffi brûlé ce
dernier.
Le Roi chargea Kimita de fe joindre à Michel Haraburda
commandant desTartares de Lithuanie, qui avoient été au-
trefois établis dans cette province par le duc Vitold , comme
nous l'avons dit fur l'année 1 574. avec ordre de harceler
les ennemis ,& de venger par le ravage deleurpaïs,lescour_
fes qu'ils faifoicnt fur les terres de Pologne. Avant que de
fortir de Sawolocze , il envoya un courier à Mofcou avec des
lettres , qui portoient en fubftance , que quoiqu'il y eût peu de
grandeur d'ame à dire des chofes dures à fon ennemi , quand
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 459
on a les armes à la main , il n'avoit pas voulu néanmoins laif- ■
fer fa lettre fans réponfe, de peur que ion filencenele rendît Henri
encore plus fier : Que s'il ne s'étoit pas tenu aux conditions de III.
Newel, c'efl que la prife de Sawolocze avoit changé l'état 1 58 1.
des choies 3 qu'à l'égard des frais de la guerre , comme il ne
l'avoit entreprife qu'après y avoir été forcé par des injures
atroces , il ne faifoit en les demandant, que fuivre l'exemple
de tous les princes Chrétiens. » A l'égard de Siebis,ajoûtoit-il,
» cette fortereilè eft conftamment fituée dans le domaine de
» Pologne , puifqu'elleeffcen deçà delaDwine^ &; les Mofco-
» vites l'ont bâtie fur un terrain qui n'etoit pas à eux. Vous
» avez tort , difoit-il , de vous plaindre que je ne vous aye
« pas envoyé d'AmbafTadeurs. En effet , y a-t'il quelque loi
» qui y oblige ? Et chaque Prince a-t'il à cet égard d'autre
» régie , que fa volonté &: fes intérêts > Vous me menacez de
» ne m'en point envoyer dans quarante ans : je le croi , l'efpa-
>j ce eft bien long pour notre vie , & vous ne m'en enverrez
» fûrement ni dans quarante, ni dans cinquante ans^ mais
» peut-être ferez- vous contraint de m'en envoyer plutôt. «
Il vient enfuite aux reproches perfonnels , &c il dit : qu'il n'eft
pas fâché de n'être pas né Roi j qu'il eft: ravi d'avoir été
jugé digne de l'être , & d'avoir été choiil par les fuffrages
d'une infinité de Noblefïe pour gouverner un des plus grands
Royaumes de la Chrétienté. Il ajouta , qu'il ne portoit
point d'envie à ce Duc , de ce que cen'étoit ni fon mérite , ni
le fuffrage des hommes qui l'avoient mis fur le trône de Mof-
covie , mais le ventre de la fille de Glinski , fameux pour
avoir trahi autrefois le roi Sigifmond. A l'égard de la graillé
tirée d'un cadavre, il répond premièrement, qu'il n'y a eu
aucune part : fecondement, qu'il ne voit rien dans cette ac-
tion qui bleilè ni l'humanité , ni la piété Chrétienne j qu'on
difléque tous les jours des morts par ordre des Médecins ,
pour trouver moyen de remédier aux maux des vivansjôc
que rien au fond n'étoitplus ridicule que la prétendue" pitié
de ce Prince , qui pendant qu'il fait mourir les vivans par la
tourmens les plus cruels , s'intéreffe fi fort pour les cadavres
des morts : Que pour les boulets rouges tirés contre Solock ,
qu'il regarde comme une infulte inoiiie , il falloit qu'il s'inf
iruisît des belles découvertes qu'on avoit faites depuis peu
Mmm ij
4<5o HISTOIRE
1 ll1111 dans l'art de la guerre. Il finit par lui offrir un combat fin-
Henri gulier. Cette réponfe au refte a beaucoup plus d'étendue
III. dans la lettre qui fut publiée alors en langue Rufle &; en
i 581, Latin. Le Roi joignoit à fa lettre un livre qui contenoitla
vie du Duc, qu'on nommoit Jean Bafîlowitz. Ce livre a été
imprimé depuis : mais comme il a été fait plutôt pour décrier
ce Prince , que pour raconter fon hiftoire, peut-être n'eft-il
pas fort digne que la poffcérité y ajoute foi.
Le Roi étant allé de Sawolocze à Woronocz , y drefïà de
l'avis des Seigneurs de nouveaux réglemens , pour la difci-
pline militaire j & fur la prière qu'ils lui firent de nommer un
Grand Général fuivant leur ancien ufage, pour maintenir
la difcipline dans l'armée, il choifit Zamoski. Quoique ce
choix fît grand plaifir à ce Seigneur , il s'excufa pourtant avec
modeftie de l'accepter , & il apporta beaucoup de raifons
pour juftifier fon refus ^ mais le Roi n'y eut pas d'égard , &
Zamoski fe laiffa vaincre.
Le Roi apprit alors avec chagrin , que pendant qu'il étoit
occupé dans le païs ennemi , le roi de Suéde fon allié , &; qui
l'avoit porté à entreprendre cette guerre , attaquoit fes der-
rières. Car il avoit envoyé en Livonie une armée fous le com-
mandement de Pontus de la Gardie, gentilhomme de Lan-
guedoc , qui avoit époufé un fille naturelle de ce Monarque :
& employoit contre cette province des troupes qu'il avoit pro-
mis par un traité de faire marcher contre les Mofcovites. La
Gardie , qui étoit un bon Officier , s'empara de plufïeurs forts
qui font fur la côte &: qui dépendent d'Ofel -y &: Jean Her-
bort gouverneur de Sanock , auffi-bien que Laurent Goflicie ,
le prièrent inutilement de ne point entreprendre fur la Li-
vonie. Quoique le roi de Pologne fût vivement piqué de ce
manque de foi , il crut cependant devoir diflimuler pour un
tems.
Les Mofcovites travailloient pendant ce tems-là à mettre
Pleskow en état de défenfe , en réparant les murs anciens ,
en y ajoutant de nouveaux ouvrages , &: en y faifant venir des
troupes de toutes les places voifines.
Zamoski bien content de fa nouvelle dignité , régla avec
le Roi la marche de fon armée • & après en avoir fait la re-
vue , il ordonna aux Lithuaniens de marcher fur la droite >
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 461
êc il mit avec eux les troupes qui avoient fervi contre Dan- . i
zick fous la conduite de Jean Sborowski ,ôc qui dansl'abfen- Henri
ce de ce Général étoient alors commandées par Chriftophle 1 1 F?
Nifkie. Il fit prendre les devants à un autre corps comman- 1 5 8 1.
dé par Staniflas Tarnow petit- fils de Jean Tarnow , ce grand
Capitaine , qui avoit eu autrefois la charge dont Zamoski
venoit d'être revêtu : il lui ordonna de marcher vers OL
trow , & de choifir un lieu propre pour un camp. Zamoski
le fuivit , &: alla camper au-deflous fur la Welika. Oflrow eft
dans une ifle que forme cette rivière , & c'eft ce que lignifie
fon nom en langue Efclavone. Elle a une très-grande citadel-
le , fortifiée de baftions à la moderne : il y en a un qui couvre
le côté qui regarde le Nord , & un autre celui du Levant j
le troifiéme , qui regarde le Couchant , étoit courbé infenfî-
blement en forme de croiflant 3 de forte que l'artillerie ne
pouvoir battre à plomb fur toute cette face , &: que les fol-
dats par conféquent n'y avoient rien à craindre du canon.
On dreffa donc la batterie contre les baftions du Midi : ceux
qui les défendoient en ayant été chaffés , de tout le côté qui
regardoit le Couchant n'ayant point encore été entamé, on
efpéra que les troupes pourroient monter à l'afîaut fans beau-
coup de danger : l'artillerie commandée par Weier ayant
fait une large brèche, les Hongrois fe préparèrent à l'atta-
quer 3 mais la garnifon battit la chamade & fe rendit.
Le Roi marcha de là à Pleskow. Baltazar neveu du roi
André à la tête des Hongrois, & le Palatin de Breflaw à la tête
des Polonois faifoient l'avant-garde. Dhs qu'ils furent arri-
vés au fleuve Werecha , qui fe jette dans la Welika du côté
du Levant , quelques Hongrois ayant paiTé de l'autre côté de
ce fleuve , fe féparérent en trois corps , & s'embarquèrent en
trois endroits difFérens , après quoi ils envoyèrent quelques
loldats pour attirer les gardes avancées des ennemis. Les
Mofcovites qui fe défioient de quelque embufeade , après
avoir poufTé les premiers , fongeoient à fe retirer 3 mais s'é-
tant appercus que les féconds qui fortoient du lieu de l 'em-
bufeade étoient en trop petit nombre pour tenir contre eux ,
ils s'avancèrent plus loin , & les pourfuivant fans ordre , ils
tombèrent dans la troifiéme embufeade , qui les chargea 6c
les mit en fuite. Les Hongrois prirent trois Boïards ou
M m m iij
461 HISTOIRE
■J — ...^ nobles Mofcovites, par lefquels on apprit ce qu'il y avoic
Henri de croupes dans la ville , & ce qu'on y penfoic du liège. Sigifc
III. niond Rofnie capitaine des vieilles bandes Polonoifes , amena
o auiîî quelques prifonniers , qui confirmèrent ce que les pre-
^ ' miers avoient dit.
situation se Pleskow eft fitué au confluent de deux rivières dans une
antiquités de plaine fort étendue , très-agréable & entourée de collines en
Pleskow. r , . r j • ' \ ' r '
pente douce, qui font couvertes de genièvres plantes 11 ré-
gulièrement , que depuis >^oronocz jufqu'à Pleskow, il fem-
ble que ce ne Toit qu'un jardin. Il y a autour de la ville plus
de quarante Couvents bâtis de pierre & très-beaux. Elle eft
plus longue que large, 6c elle va en s'étréciflant du côté du
Couchant : laW^elika baigne Tes murs du côté du Midi > ôc
après s'être conlîdérablement augmentée par les rivières
qu'elle a reçues , elle va fe jetter à deux lieues de là dans le lac
Peibas. Pleskow a au Nord une rivière nommée auiîiPles-
kow , qui a fa fource auprès de Novogorod , & qui pafte au
milieu de la ville , féparée en trois parties , qui ont chacune
leurs murailles. La citadelle qui eft au milieu , eft aufli féparée
en trois parties -y celle qui eft extérieure , ôc qui regarde le
Midi & la \^elika, s'appelle Kerfemnow -y la féconde fe nom-
me Domantow > la troifîéme , le château du milieu , non par
rapport à la citadelle , mais à la ville , dans le centre de
laquelle il eft placé. Le côté du Nord , qui eft fortifié d'une
muraille de pierre , eft le plus étendu , ci il a environ trois
lieues de long. Outre ce mur de pierre , les Mofcovites en
avoient fait un autre en dedans formé de deux rangées de
poutres , entre lefquelles il y avoit un efpace , qu'ils avoient
rempli de terre. Toute la place eft entourée de bons ba,
ftions de pierre : mais comme leurs diftances n'avoient pas
été allez bien compaiTées pour qu'ils fe défend iifent récipro-
quement , on avoit tiré de leurs angles des murailles, qu'on
avoit revêtues de gazon fort haut , & dans lefquelles on avoic
fait des ouvertures en faillies , placées à une diftance égale les
unes des autres : &; pour fuppléer au peu d'étendue" des ba-
ftions , & les rendre plus forts , on y avoit ajouté des tours de
bois pour foûtenîr l'efForc du canon.
Les annales de Ruflie fonc la ville de Pleskow fore an-
cienne : ils prétendent qu'elle fut bâtie l'an 641 2. du monde*
ijBi.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 463
fuivant leur manière de calculer ; & que Thori , fils de Ruric
prince de Rufîie , époufa une fille de Pleskow, nommée Olga, Henri
dont il eut un fils nommé Swentoflas. Cette ville eut dans III.
la fuite plusieurs guerres avec les peuples voifins,& fur-tout
avec lesIcoles,dont le nom &: l'Empire font abolis depuis long-
tems j avec les Suderes , où efl aujourd'hui Derpt j & avec les
Germains qui habitoient dans la Livonie. Les mêmes annales
racontent, que Pleskow fut pris par les Germains 3 3 8. ans
après fa fondation j & qu'Alexandre fils de Jaroflas , de la
race de Monomaque , étant parti quelque tems après des
Etats de Battis prince desTartares, défit les Livoniens, reprit
par compofition la ville de Pleskow , & la mit en liberté ^ que
depuis ce tems-là cette ville avoit été très-florhTante , gou-
vernée par un Sénat refpe&able , & par de très-fages loix j &
qu'elle avoit pouffé fes conquêtes fi loin , que la grande Luki ,
lfbore, Se tout leur territoire étoient fournis àfapuifTance y
que c'étoit le Sénat qui gouvernoit ces provinces par des Pa-
latins j que le prince du Sénat étoit le chef de tous les Ma-
gistrats avec un pouvoir limité , & que par un ufage nouveau
& inconnu chez les autres peuples, ils prenoient ce Prince
dans les maifons des ducs de Ruffie ou de Lithuanie : que
c'eft ainfî qu'ils eurent des Lithuaniens l'an du monde 6774.
le prince Timothée après qu'il eut reçu le Baptême , & en-
fuite David fon fils , &; depuis encore le fils d'Olgerde qui
fut appelle André à fon Baptême : Que dans la fuite ils trai-
tèrent avec les princes de Ruffie , de promirent de les recon-
noître à certaines conditions • &; que depuis ce tems-là ils
avoient toujours eu des Princes de cette Nation, qui les ont
gouvernés fuivant les loix du païs : Qu'enfin l'an 7018. Ba-
ille père de Jean qui régnoit alors , dépouilla cette ville de fa
liberté 3 & qu'il y entra le 24. dejanvier jour defainte Oxime,
fous le nom de laquelle il fit depuis confacrer une Eglifè en
mémoire du grand fuccès remporté ce jour-là. Ce fuccès
fut , qu'étant defeendu dans la ville pour voir les principales
Eglifes , il fit déclarer par l'évêque de Colum , que la ville
étoit prife • &: là-deffus il la pilla , fit mettre en prifon le Sé-
nat & prefque toute la Nobleffe , & les emmena enfuite avec
lui en Mofcovie , après avoir fait venir des colonies nou-
velles pour repeupler cette ville infortunée.
4^4 HISTOIRE
.■ i Les Commandans de la cicadelle étoient Bafile & le fils
HENRi.de Jean Suiski , iiïu de la maifon des ducs de Sufdal , & frère
III. de ce Pierre Suiski , qui fut défait autrefois fur le fleuve Ula
i 5 3 r . par N. Radzewil j 6c après eux André Corofcin 6c Pleskiow.
La ville étoit défendue par fept mille hommes de pied , ôc en
comptant les compagnies compofées de la Bourgeoifie,il y
en avoit cinquante mille , 6c environ autant d'autres habi-
tans. Les Coîàques de Nicolas Circaffie étoient venus outre
cela offrir leurs fervices : leur emploi étoit de prendre les
maraudeurs qui s'écartoient dans les campagnes, 6c de drefc
fer des embûches aux pillards. Mais Suiski ayant eu occa-
ilon de les inviter à un grand fefUn , les fit relier dans la place.
Lorfqu'on eut été informé de tout ce détail , 6c qu'on eut
bien reconnu la (ituation du lieu , on jugea que le liège d'une
ville Ci fpacieufe , fi peuplée , Ci bien fournie de troupes 6c de
tout ce qui eft: nccellaire pour défendre une place, étoit une
entreprife très-difficile : on fe repentit d'abord de l'avoir for-
mée , 6c on fongeoit à aller afliéger Novogorod , ou quelques
châteaux des environs, mais comme on avoit fait courir le
bruit qu'on marchoit à Pleskow , & qu'il y alloit de l'honneur
du Roi de ne pas faire connoître aux ennemis que les diffi-
cultés lui faifoient peur , ou qu'il fe défioit de la valeur de
fes troupes, on réfolut de demeurer, 6c d'attaquer la place
du côté du Levant. Là-deflus le Roi paila au-delà du Cze-
recha , 6c y campa avec une partie de l'armée. Parce que ce
pofte étoit environné de collines qui le mettoient à couvert
du canon des ennemis. D'ailleurs , l'angle que formoient en
cet endroit les murs de la ville qui venoient s'y réunir , pou-
voit faciliter le fuccès de quelque tentative de côté-là.
Surces entrefaites arrivaFarenfbeckavec les levées qu'il avoit
faites. Elles étoient prefque toutes compofées de foldats qui
avoient fervi en Flandre- mais le nombre n'en étoit pas grandj
d'autant plus que les habitans de Lubek s'étoient oppofés fous-
main à ces levées , foit à l'infligation du roi de Suéde , foit de
crainte d'irriter les Mofcovites contre eux. Les autres foldats
nouvellement enrôlés fe rendirent au camp en même tems que
les troupes que le duc de Curlandeyenvoyoit fous la conduite
de Barthelemi Bulder. Il y vint encore quelques volontaires ,
Pruffiens 6c Siléliens , les premiers commandés par Fabien
baron
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 465
baron de Dhona , qui mena quelques années après un corps
de troupes auxiliaires en France , & les autres par Reder.
Les Hongrois prirent leurs quartiers à la droite , le long
de la ^elika 3 les Lithuaniens plus haut , fur le chemin qui
mène à Porchow -, & les Polonois entre deux , après avoir
fortifié leur camp de trois rangées de chariots des deux côtés
d'un ruiflèau qui pafle en cet endroit. On donna ce qui reftoit
de terrain aux Allemans.
Pendant qu'on faifoit tous ces préparatifs , on vit arriver
un vénérable vieillard avec titre d'Ambafladeur de la part
d'Amurath : voici à quelle occafion. Denlet Chierei dernier
prince des Tartares de Precop, avoit laiiîe plufieurs enfans :
l'un d'entr'eux nommé Mahomet lui fuccéda , & c'eft lui qui
eft encore aujourd'hui furie trône. Ce Prince ou par crain-
te , ou par pitié , ne fuivit pas la pratique de ces Souverains ,
qui ont coutume d'immoler tous leurs frères à leur fureté.
Ainfi non-feulement il ne fît pas mourir Abdel , homme d'un
grand courage ôc d'une haute réputation chez ces peuples >
mais même il le nomma Galga , c'eft le premier Magiftrat
du pais, Se comme l'héritier préfomptif de la Principauté.
Ce jeune Prince ayant été pris par les Perfans , de tué par la
conjuration des feigneurs de la Cour , Mahomet donna la
même dignité à Hali fon autre frère , & chercha à fe l'atta-
cher , en lui faifant efpérer qu'il le nommeroit pour fon fuc-
ceflèur. Mais Sadit fils de Mahomet étant devenu grand, le
père qui préféroit fon fils à fon frère, & qui fouhaitoit paf-
lionnément de lui laiffer fon Etat , ôta la charge de Galga à
Hali , & la donna à Sadit. Craignant alors qu'Hali irrité de
l'injure qu'il lui faifoit , ne confpirât avec un frère plus jeune
qu'il avoit , nommé Salomet , il crut ne pouvoir fe difpenfer
d'en venir au parricide dont il avoit eu horreur jufque-là , &C
il commença à prendre dès mefures pour fe défaire de fes
deux frères. La peur qu'ils en eurent leur ayant fait prendre
la fuite, ils errèrent long-tems fur la frontière, où ilsvL
voient de pillage : étant enfin tombés entre les mains des Co-
faques , on les mena à Michel Wifnowecie gouverneur de
Circaffie, qui les gardoit pour l'arrivée du Roi, fuivant les
ordres qu'il avoit de S. M. L'Ambafîàdeur Turc étoit venu
pour les redemander comme transfuges, en vertu de l'alliance
Tome FUI. Nnn
4.66 HISTOIRE
qui étoic entre les Turcs 6c les Polonois. On lui fît réponfe
Henri que le Roi ne les avoit point encore vus, qu'il examineroit
III. cette affaire lorfqu'il feroit de retour en Pologne , 6c qu'il
1581. feroit ce qu'il croiroit jufte. Avant que de renvoyer l'am-
bafTadeurTurc , on le promena par tout le camp , où l'armée
ctoit en bataille -, il confidéroit tout ce qu'il voyoit avec une
avidité que tout le monde remarqua ; il admiroit la beauté
des chevaux , la magnificence de leurs harnois , 6c en générai
la bonne mine de tons ces foldats ; 6c dans le transport où il
étoit: 53 Plût à Dieu, s'écria-t'il , que ces deux Princes ( c'eft
?3 Etienne de Amurath qu'il vouloit dire ) fuiTent bien unis •
>3 tout le refte de la terre ne feroit pas capable de réilfter à
» leur puifïanee.
Les Hongrois s'étant avancés à deflein de choifir un lieu
pour camper, la garnifon fit une fortie fur eux ; mais après
un léger combat , elle fut obligée de rentrer dans la ville.
Les Hongrois poullerent leur tranchée vers la tour de Por-
chow , le long de la rivière de W^elika , 6c les Polonois pouf-
férent la leur auprès d'eux , mais du côté de la tour de Sui-
nie , 6c après s'être couverts avec des gabions qu'ils avoient
placés allez près les uns des autres dans les endroits où il en
falloit. On n'y perdit que Pierre Kendi , jeune homme d'un
grand courage.
Le canon commença à battre les murs de tous côtés , 6c
comme la brèche fe trouva faite vis-à-vis de l'attaque des
Hongrois , ils demandoient à monter à l'affaut. Mais l'avis de
Zamoski étant, qu'il falloit attendre qu'il y eût une brèche du
côté des Polonois., on délibéra pendant quelque temsj 6c
comme chacun fbûtenoit fon avis , la peur qu'on eut que les
ennemis ne profitaient de ce retardement pour fe retran-
cher , 6c pour faire un nouveau fofîé en dedans de la place,
fit qu'on réfolut de tenter l'afTaut. Auffitôt Zamoski s'étant
avancé vers la place , commanda aux Allemans de marcher
avec les Polonois, 6c Bornemiflà fèmit à la tête des Hon-
grois. Les Allemans marchèrent les premiers , 6c on ordon-
na aux Polonois de les foûtenir. Dès que les Allemans furent
fur le bord du foiTé , un brave foldat François nommé la Ga-
ronne , monta le premier à la brèche -y mais ayant été cul-
buté par les ennemis , le refte prévenu que la brèche n'étoic
N
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 467
pas afïèz large , refta en un peloton fur le bord du foffé. Les "jl-
Polonois au défefpoir de ne rien faire , s'ouvrent le paflage Henri
au milieu de ces Ailemans ; ils chaffentles ennemis d'une tour III.
de bois, qui étoit proche j ils montent au haut avec beau- 1 ç8r6
coup de peinej &: Vibranowski 6c Sirnei qui étoient à la tête,
y arborent leurs drapeaux. Le Roi qui atcendoit lefuccès
fur l'autre bord de la rivière, ayant en même tems donné le
lignai aux Hongrois , ils en font autant de leur côté , 6c Tho-
mas Dercen avec Mathias Kerkefy font auffi floter leurs dra-
peaux fur la tour qui étoit devant eux. Bekefy animé par
leur exemple , fait marcher de la cavalerie qu'il avoit fous
fes ordres, 6c s'avance au lieu où étoit l'attaque. Déjà les
aiîiégés effrayés de voir leurs troupes chalîëes des forts
qu'elles gardoient , 6>C les drapeaux ennemis arborés en dit-
ferens endroits , ne fongeoient plus qu'à mettre leur vie en
fureté par la fuite, lorfque Suiskî arrive monté fur un cheval
blefTé,6c courant de côté 6c d'autre pour ranimer fes gens , em-
ployant tour à tour les prières , les menaces , 6c les difcours
les plus capales d'émouvoir. L'Evêque accourut de fon côté
faifànt porter devant lui ce que la Religion a de plus refpec-
table. Pendant ce tems- là , les troupes qui attaquoient fu-
rent arrêtées par le folle intérieur 5 ce qui donna le tems aux
Mofcovites de revenir de leur frayeur , 6c de fe mettre en dé-
fenfe. Auffitôt ils commencèrent à canoner 6c à attaquer à
coups de pierres ceux qui étoient au bas de la brèche j puis
à porter de la poudre fous la tour pour la faire fauter au be-
foin. Les Polonois ne pouvant tenir contre le feu des enne-
mis , 6c ayant leurs flancs expofés aux coups d'arquebufes
qu'on leur tiroit du baftion qui étoit fur la W'elika , prirent
le parti de fe retirer. Ainfl tout l'effort tomba fur les Hon-
grois, qui voyant que la nuit approchoit 6c qu'il étoit im~
poffible d'emporter les ouvrages qui étoient devant eux ,
après avoir demeuré long-tems dans le pofte qu'ils occu-
poient, fe retirèrent auffi j mais ils ne le rirent qu'après avoir
enlevé leurs morts. Il y eut du côté des Polonois plus de
quarante Gentilshommes tués , àc environ autant de Hon-
grois , 6c entr'autres Gabriel Bekefy. Les Mofcovites y per-
dirent auffi beaucoup de monde ; 6c de ce nombre fut N,
Circaffie commandant des Cofaques.
N n n i j
468 HISTOIRE
— Après cet échec Zamoski voulant donner le tems'à fes
Henri troupes de reprendre haleine , ordonna à George Mniski
III. gouverneur de Sanock , qui n'avoir point encore combattu ,
i 5 8 i . ^e garder les tranchées ; & il envoya auflitôt des gens pour
aller chercher de nouvelles troupes & de la poudre , parce
qu'on Apprit par des lettres interceptées que le ennemis
croient fort concernés 5 d'où l'on jugea qu'il y avoit lieu
d'efpérer que la fin du fiége feroitheureufe, pourvu qu'on
voulût le continuer. Pour cela on réfolut de conftruire des
forts autour de la place, pour empêcher qu'on n'y portât des
vivres & des munitions. On travailla aufli à des mines ^ mais
on n'en tira pas grand avantage. Cependant fur l'avis qu'on
eut qu'il devoit venir du fecoiirs aux affiégés par le lac de
Peibas , & par la rivière de Velika , Zamoski rafïèmbla des
navires , & les ayant rangés d'un côté à l'autre de la rivière,
il attacha tous les mats enfemble avec des crampons de fer
qu'il fit enfoncer dans chacun de ces mats, & danslefquels
il pafTa enfuite des chaînes : il en attacha d'autres de même
fur le bord oppofé du côté d'en-haut de la rivière par où
le fecours devoit arriver , afin que fi les vaifleaux ennemis
alloient le chercher , on pût les empêcher de rentrer : il
en fit aufli difpofer d'autres du côté d'en- bas vers la ville ,
afin que quand ils feroient arrivés jufque-là , leurs vaifTeaux
ne puflent s'échapper ni d'un côté ni de l'autre.
Cette difpofition faite, il met fur ces navires les Allemans
commandés par Vrovec. Cette précaution ne fut pas inu-
tile j car les ennemis s'étant mis fur la rivière, &s'étant ap-
prochés fans bruit , ils tombèrent dans l'embufcade,& après
un premier choc il fejettérent à terre : mais lorfque le jour
commença à paroître , ils furent pris & conduits au camp au
nombre de 200. tous Bojars. Il partit une autre troupe de
Derpt : mais elle fe retira avant que de rencontrer les Alle-
mans. Nicolas Coffcow s'étoit chargé d'en amener une par
terre , & de la faire entrer dans la ville : il marcha dans
cette vue par des lieux impraticables &; par des folitudes
couvertes de bois -y mais (es gens ayant été informés que le
premier fecours avoit été enlevé par les ennemis , fe fau-
vérent pendant la nuit , chacun où il put. Leur chef aban-
donné demeura quelque tems caché dans des herbes , près
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 469
d'un beau monaftére , qui eft audefTus du chemin de Sua- *""*****
tohorn. Les Lithuaniens l'ayant apperçu au point du jour, Henri
le prirent & l'emmenèrent. Daniel Iftenove qui menoit Ton III.
avant-çarde , ayant eu foin d'éviter tous les endroits où il T cq r
voyoït des reux allumes , arriva dans la ville avec un petit
nombre de foldats : un autre détachement de cent cinquante
hommes commandé par Théodore Mifceddove fut taillé en
pièces par les troupes du Roi, & il y en eut foixante qui
furent faits prifonniers.
Le flége de Pleskow n'étoit pas le feul embarras du roi
de Pologne , il étoit beaucoup plus inquiet des progrès de
l'armée Suédoife en Livonie. Jean III. roi de Suéde fe fou-
ciant peu des avis qu'Etienne lui avoit donnés de ne point
attaquer la Livonie, qui appartenoit aux Polonois , 6c de ne
point venir recueillir le fruit d'une vi&oire qu'un autre avoit
remportée, envoya en Livonie une armée, qui prit d'abord
Wefenberg au Nord de cette Province. Les Suédois s'en
étant approchés par les glaces du Golfe de Finlande , les
Ruiles rendirent cette forterefïe le quatre de Mars, à con-
dition d'avoir la vie fauve, 6c d'emporter leurs effets. Quatre
jours après Tolfbourg qui n'étoit qu'à une lieue de là , fe
rendit aux mêmes conditions. Tout le canton de Wicke
long d'environ cinq lieues et large de quatre, fe fournit en
même tems aux Suédois commandés par le prince Charle
frère du Roi , 6c la forte place de Lode fut prife le vingt-
deux de Juillet n'ayant tenu que quatre jours , au grand
étonnement de tout le monde ^ mais on eil periuadé que
ce fut par la trahifon du Gouverneur , qui a fervi depuis
ce tems-là dans les troupes de Suéde. Quelque tems après
la garnifon de Wîchela abandonna la place , & y mit le feu
pour fe retirer à Parnaw. Les Suédois marchèrent de là à
Leale, 6c ayant ruiné la porte avec des boulets rouges , ils
entrèrent dans la ville,6c prirent le château par compolition.
La garnifon Mofcovite de Hapfel fe défendit quelque tems
avec courage , 6c même elle tua beaucoup de monde aux
Suédois j mais voyant enfin que le canon âes alîiégeans fou-
droyoit la place , 6c qu'elle n'avoit point de fecours à eipé-
rer,elle capitula le onze de Juillet. Delà Pontus delaGardie
s'avança du côté de Narwa. Cette ville tire fon nom du
N n n iij
47o HISTOIRE
■—- fleuve Narwa fur lequel elle eft fituéede Narwa & la Welika
H 2 n r. i fonda même rivière j elle s'appelle Welika jufqu'à l'endroit
III. où elle Te jette dans le lac de Peibas j lorfqu'elle en fort elle
1 <"8 1, prend le nom de Narwa, 6c elle va tomber dans la mer à
douze lieué's au deflous. Depuis le lac jufqu'à la mer fan ca-
nal effc fi profond, que les plus gros batimens marchands
abordent aifément à Narwa , & pourroient même remonter
jufqu'à Pleskow, s'il ne fe trouvoit audefïiis du lac de Pei-
bas du côté de Pleskow des chûtes d'eau d'environ vingt-
cinq coudées de haut qui empêchent que les vaifTèaux ne
puiiîent remonter plus loin.
Jean duc de Mofcovie avoit bâti de l'autre côté du fleuve
de Narwa une autre ville , qu'il appella de ion nom Juano-
gorod : elles étoient fî proches l'une de l'autre qu'on pou-
voir les joindre par un pont , êc pouffer un javelot de
l'une à l'autre. Sa nouvelle ville lui ayant donné le moyen
de fe rendre maître de Narwa , il y établit un port libre
pour le commerce des Allemans , 6c des peuples qui habitent
au-delà de la mer ou du côté de l'Occident. Dans le tems
que Narwa appartenoit aux Chevaliers Livoniens , le com-
merce fe faifoit à Derpt. Le grand Duc avoit tiré une partie
des garnifons de Derpt '& de Narwa pour les faire venir
à Pleskow, qui étoit plus expofé : ainfi il ne fut pas difficile
aux Suédois de s'emparer de la ville qui eh: en-deçà du fleu-
ve Narwa, quoiqu'on y eût fait paffer toute l'artillerie de
la nouvelle Narwa ou Juanogorod ; 6c lorfqu'ils furent
maîtres de l'ancienne , & qu'ils fe mirent en devoir d'atta-
quer la nouvelle fous la conduite de Jérôme Cagnolo, qui
étoit au fervice du roi de Suéde avec un régiment Italien ;
les habitans,qui n'avoient plus de canon, fe rendirent fur le
champ. Dans cette confternation générale les châteaux de
Jammahrot 6c de Coporio, qui etoient aux environs delà ,
ouvrirent leurs portes^ les Suédois étant entrés dans le cœur
du païs pour attaquer quelques places que les Mofcovites y
tenoient, le château deNY^eiilènftein très-bien fortifié par l'art
6c par la nature fe rendit à composition: l'armée alla enfuite
camper devant Parnaw.
Le duc Magnus ( 1 ) prit auiTi plusieurs places au nom du roi
(1) Troifîeme fils de Chriilieme III. roi de Dannemarck.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIÏI. 471
de Pologne, £c encre autres Kiremps, ScFabiano qu'on avoir,
fortifie à la hâte : Biring prit Pirckel , Thomas d'Embden Henri
prit Salis, 6c Dembins força Lenewart' & Askerod fitués III.
l'un & l'autre fur la Duina. La ville de Riga à qui le voi- 1 581.
iînage des garnifons Mofcovites étoit à charge,lui fournit de
l'infanterie pour cette expédition , 6c il garda outre cela un
détachement d'Ecofîois qui alloient joindre le gros de l'ar-
mée : on ne doute pas qu'il n'eût pris Kockenhaus , s'il l'eût
attaqué dans ce torrent de proipérités.
Du côté des Polonois Radzewil fuivi deKimita,6c des
Tartares Lithuaniens ayant eu ordre de faire des courfes
dans le païs ennemi , s'avança jufqu'à Salefa au-delà de To-
ropecz , &c combattit les Mofcovites. Ogniski & Gabriel
Holubeckon fe diftinguérent beaucoup dans cette adion^ les
Mofcovites furent mis en déroute, 6c pourfuivis ilx lieues
durant par les troupes d'Holubeckon. Radzewil s'avança juC
qu'à Reïowa , & s'étant campé fur le Wolga , il détacha
Halimbeck avec fes Tartares , Se lui ordonna de marcher le
long de la rivière du côté de Sturicie , où le grand Duc
étoit venu en perfonne pour y attendre l'événement du
fiége de Pleskow , 6c de répandre par-tout la terreur du
nom Polonois , en ravageant 6c brûlant tout le païs : ils le
firent , mais il y en eut quelques-uns qui furent pris parles
Mofcovites du côté d'Ocomecz.
Daniel Murfa un des Officiers de la table du grand Duc
déferta , 6c vint trouver Radzewil , à qui il rendit compte
du petit nombre de troupes que ce Prince avoit à Sturicie.
Malgré cet avis Radzewil jugeant qu'il n'étoit pas allez
fort pour aller attaquer un corps , à qui un auffi puiflànc
Prince que le duc de Mofcovie confioit la garde de fa per-
fonne , fe retira d'abord à Duna , 6c enfui te à Dubda , 6c ef-
fuya de grandes difficultés dans fa marche: il fit en chemin
une tentative inutile fur Toropecz , en conféquence d'un
faux avis qu'on lui avoit donné que la ville manquoit de
vivres. De là il vint à Chelm , 6c enfuite à Stara Rufîà (1).
Les Cofaques que l'on avoit envoyés au commencement
du lîége pour occuper les avenues de Novogorod eurent auiîi
( 1 ) Stara Ruflà, ou l'ancienne Euffa efl une ville fituée fur le lac Ilmcn du côte"
duMid;.
47* HISTOIRE
occafion de combattre j les Tartares Mofcovîces firent fur
H £ n iu eux quelques prifonniers. D'un autre côté lorfque Radzewil
III. fut de retour au camp, Tes Tartares eurent quelque avan-
1581. tage mr les Mofcovites, de prirent Opatinski &: quelques
Bojars.
Cependant le P. Pofïèvin Jéfuite revint trouver le roi de
Pologne , & lui dit que le grand Duc étoit réfolu de ne pro-
pofer point d'autres conditions que celles qu'il avoit offertes
à Poloczko : c'eft qu'il comptoit que la rigueur de l'hyver ,
qui eft terrible en ce païs-là , forceroit bientôt l'armée Po-
lonoife à entrer en quartier , àc que le Roi feroit obligé de
retourner en Pologne pour afiifler à la diète , comme il avoit
fait les années précédentes ; que par ce moyen Pleskow fe-
roit délivré du fiége , & la Mofcovie des troupes du roi de
Pologne , & qu'avant qu'elles fufîent de retour , il trouve-
roit moyen de fe mettre en état de foutenir la guerre. Le
Roi répondit à PofTevin qu'il ne fe retirerait point de de-
vant Pleskow qu'il ne s'en fût rendu maître, ou que le duc
deMofcovieneluieûtcédé toute laLivoniejquefa réfolution
étoit prife , èc que l'hyver le plus terrible ne le feroit pas
changer. PoiTevin le pria de lui donner quelque tems pour,
écrire au Duc & pour le prefTer d'envoyer des Ambaflà-
deurs pour la paix. Le Roi y confentit. Pofîevin manda à
ce Prince la réponfe du roi de Pologne, & combien les Mof-
covites fe trompoient -y &: il l'exhorta à fonger férieufement
à la paix , & à envoyer des Ambaffadeurs dans un lieu com-
mode pour la traiter j que le Roi avoit agréé qu'on entrât
en négociation avec eux.
Le duc auffi-tôt fit réponfe aux lettres de PofTevin, & la lui
envoya par un courier : il marquoit pour lieu d'aflëmblée
le bourg de Sapolia diftant d'environ trente- cinq lieues de
Pleskow. C'eft-là qu'on donne des pafleports à ceux qui veu-
lent voyager en Mofcovie. Il donnoit parole qu'il y enver-
roit inceiTamment fes Ambafïadeurs,&: il demandoit un fauf-
conduit pour eux. Le Roi agréa le lieu , & envoya le fauf-
conduit.
Cependant l'armée qui afTiégeoit Pleskow commençoit à
foufTrir beaucoup de froid, <k. il y avoit des Seigneurs qui
ennuyés de ce fïége étoient d'avis qu'on fe relâchât un peu
fur
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 473
fur la Livonie pour faciliter la paix , & qui exhortoient — '
PofTevin à prier le Roi au nom du Pape d'adoucir les con- Henri
dirions qu'il avoit exigées jufque-là. Comme ils fçavoienc jjj
que le Roi, 6c Zamoski furtout, qui étoit prefque ion uni- ~
que confeil , étoient fort éloignés d'y confentir, ils vou- '
loienc qu'on affjmblât le Sénat, & qu'on demandât les avis
en préfsnce de Pofîevin.
Le Roi fut indigné au-delà de tout ce qu'on peut dire,
; de ce qu'on vouloir ainfï le forcer : il étoit d'ailleurs vivement
piqué des bruits qu'on faifoit courir, que fon deflein étoit
de partager la Livonie entre fes neveux , 6c les feigneurs
Hongrois, & qu'il n'en reviendroir rien à la république de Po-
logne , quoique ce fut avec le fang des Polonois qu'on en
faifoit la conquête.
Zamoski s'oppofoit de tout fon pouvoir à cette manœuvre,
Se il prioit avec toure l'inftance pofîible les Gentilshommes,
quifervoient en qualité de volontaires, 6c qui avoient déjà
_ demandé leur congé , de ne pas renverfer par une retraite
précipitée Pefpérance indubitable d'une victoire prochaine,
ou d'une paix glorieufe } & en public il marquoit alîèz qu'il
n'y avoit rien à quoi il ne fe déterminât plutôt que de for-
tir du lieu où il etoit , fans avoir pris la ville , ou fans avoir
fait une paix , telle que le Roi l'avoit promife à la dernière
diète : Qu'à l'égard d'introduire PoiTevin dans le Sénat , c'é-
toit renverfer les maximes de leurs ancêtres,qui avoient tou-
jours cru qu'il étoit dangereux de faire entrer les étrangers
dans les affaires publiques , ou de leur donner quelque au-
torité dans les délibérations. On tint confeil , 6c on propo-
fa deux manières de relier -y l'une de demeurer dans le camp
qui étoit bien fortifié, & de continuer le fiége j l'autre de
bâtir des forts tout autour de la ville , & de l'obliger à fe
rendre en l'affamant : mais la rigueur de l'hy ver ne permet-
toit ni de demeurer dans le camp fous des tentes pendant
un froid G. terrible, ni de conftruire des forts pendant que
la terre étoit fi dure que le hoiau ne pouvoit pas l'enta-
mer.
Là-deiTus les Lithuaniens préfentérent au Roi une re-
quête , par laquelle ils demandoient que pour les délivrer
des incommodités des quartiers d'hyver , on fît hyverner
Tome VIII* O o o
474 HISTOIRE
ji" ' ' les troupes dans le païs ennemi 3 &: ils marquoîent un terme,
Henri au bout duquel il feroit permis à chacun de s'en retour-
III. ner chez foi, il la paix n'etoit pas faite. Comme toutes ces
iî8ic délibérations étoient publiques, il étoit impoffible que le
duc de Mofcovie n'en fut pas inflruit 3 ce qui nuifoit beau-
coup aux affaires , 6c empêchoit qu'on ne les finît d'une ma-
nière avantageufe ou par la force , ou par la négociation.
Zamoski élevé depuis peu à la première dignité de la
guerre étoit regardé avec un œil de jaloufie par tous les
Grands , qui croy oient que la faveur avoit plus contribué
à Ion élévation que fbn mérite 3 quoiqu'il ait bien fait voir
depuis qu'il étoit très-capable de foutenir cette place : ain-
iî il n'ignoroit pas qu'ii avoit bien des ennemis , 6c il étoit
informé de tous les difcours que l'on tenoit à fbn fujet.» C'eft,
53 difoit-on , un homme de lettres, élevé dans les Académies
» d'Italie 3 engagé par fa charge à vivre dans le repos de la
« robe , plutôt que parmi le tumulte de la guerre , il va rui-
53 ner l'armée par fes confeils 6c par fon opiniâtreté 3 puis il
>3 laifTera un Lieutenant dans le païs ennemi , expofé à
33 toutes les rigueurs d'un hyver affreux , tandis qu'il retour-
33 neraen Pologne avec le Roi pour y tenir la diète à fonaifè,
33 6c bien loin des périls de la guerre 6c de la faîfon.
C'efr. ce même Zamoski qui huit ans auparavant en qua-
lité de Chancelier du Royaume , avoit été nommé parmi
les AmbalTadeurs qui apportèrent à Henri III. le décret fl
honorable de fbn élection à la couronne de Pologne : ce fut
lui qui le proclama Roi à Paris dans une cérémonie publi-
que , 6c qui s'acquit chez nous une grande réputation d'é-
rudition , d'éloquence èc de fagefîe; qui y fut regardé comme
un efprit qui fentoit beaucoup plus la douceur de l'air d'Ita-
lie que la rigueur du ciel des Sarmates , & qui par fa bonne
mine , & par tout fon extérieur fembloit avoir été toute fa
vie à la cour de France. Ce fut à lui que Fr. Baudoin , ce
grand Jurifconfulte , dédia l'ouvrage qu'il fit fur cette amba£
fade, où il parle de ce Chancelier, comme s'il eût été l'au-
teur d'un livre qui avoit paru fur le Sénat Romain, comme
je l'ai dit ci-deiïus.
Le Roi avoit ordonné une aflemblée de la NoblefTe , par-
ce qu'il appréhendoit que s'il convoquoit une diète , on ne
DE J. A. DE THOU,Liv. LXXIII. 475
le forçât ou de ramener l'armée en Pologne , ou au moins -_
de lever le fiége de Pleskow. Cependant dans la crainte Henri
que les Etats ne fe contentaiïent pas d'une aflemblée de la II I.
NoblefTe , il avoit à tout événement envoyé des lettres pour 1 5 8 1 .
convoquer la diète. Les Grands s'imaginèrent encore que
tout cela étoit une rufe de Zamoski , qui vouloit à toute
force autorifer fes conleils inflexibles par la préfence du Roi
qu'il retcnoit au camp; &: cela fit qu'ils fe déchaînèrent avec
plus de fureur contre lui , jufqu'à faire courir des vers fab-
riques , où ils lui reprochoient d'avoir paifé fa vie dans la
poufliére de l'école , ôt non dans l'exercice des armes. Son
zélé pour maintenir la difeipline militaire augmentoit en-
core la haine qu'on lui portoît d'ailleurs: car pour mainte-
nir fon autorité ,ii étoit extrêmement fevére non-feulement
à l'égard des foldats , mais même «à l'égard des Seigneurs,
parce que plus ils étoient élevés , plus l'exemple de leurs
fautes étoit dangereux , de plus aufîï leur punition étoic
capable de retenir ceux qui étoient d'une condition au
deflous de la leur. Mais Zamoski ou par amour pour la
patrie , ou par prudence méprifa tous ces bruits, de peur
qu'on ne le regardât comme un homme à qui la fortune
avoit fait tourner la tête, fi dans le commencement de fon
élévation à la première dignité de la guerre, il vengeoit fes
Injures particulières, fous prétexte de repouiîèr celles qu'on
faifoit à l'autorité publique en fa perfonne • & il voulut qu'on
fut perfuadé qu'il facrifîoit tout au falut de l'Etat: cepen-
dant il n'oublioit rien pour réfuter toutes les calomnies de
fes adverfaires,non par des paroles , mais par des faits. Ain-
fi ayant été informé que les foldats vétérans qui avoient fer-
vi à Dantzik, tenoient des aflemblées à l'occalîon de la paye
qui leur étoit due , il fit une ordonnance , qui portoit que
tous ceux qui auroient fait des afTemblées particulières , Ce-
roient déclarés coupables du violement de la difeipline mi-
litaire , & qu'ils feroient punis fuivant les loix de la guerre -,
ôc que s'ils avoient quelque chofe à demander , ils dévoient
s'adrefïer à lui. Ils vinrent en effet en grand nombre à fa
tente, & Zamoski leur ayant dit d'abord que le rréfor mi-
litaire étoit prefque épuifé , les pria de facrifier à l'amour
de la patrie ôc à l'honneur de la République l'incommodité
Ooo ij
47^ HISTOIRE
■ que leurcaufoit le défaut dépave. Après ce préliminaire II
Henri déclara qu'il ne laifleroit point de Lieutenant à l'armée ,
III. mais qu'il y demeureroit lui-même , tant que le fîége du-
i ï8i. rer°ic- Ses amis lui ayant dit de prendre garde à quoi il
s'engageoit ; qu'outre que l'entreprife étoit très-perilleufe ,
il elle tournoit mal , il alloit ternir la gloire de toutes Tes
actions pallées , 6c s'attirer la haine de tout le monde , il ne
leur repondit que ce mot : » Un bon Général , 6c un bon cî-
" toven ne doivent penfer qu'à la gloire de l'Ecat , fans fe
» mettre en peine de la leur : fî l'intérêt de l'Ecat veut que
« nous nous retirions fans avoir rien fait , j'aime mieux que
>j l'infamie en retombe fur moi que fur le Roi ou lur la Ré-
» publique.
Cependant Les Mofcovites avoient réparé leurs brèches
6c conitruit un nouvel ouvrage , fur lequel ils avoient placé
des canons de foixante 6c dix , 6c de quatre-vingts livres de
baie , qui perçoient d'un ièul coup trois gabions rangés les
uns derrière les autres. Les Hongrois 6c les Polonois ne
laiflerent pas de fe maintenir dans leurs tranchées : 6c
comme les aifiéeeans 6c les affrétés fe faifoient une guerre
continuelle avec toutes fortes de feux d'artifice 6c de
machines de guerre , que l'attaque 6c la défenfe étoient
égales, ils demeuroient les uns 6c les autres dans le même état.
Enfin on cefla les attaques de la ville pour s'emparer des
poftes des environs ^ la première entrepriie fut contre le mo-
naftére de Petzuri , c'eit-à-dire du fepulcre , frcué à douze
lieues de Pleskov , fur le chemin delà Livonie 6c de Riga.
Les Mofcovites ont en grande vénération ce monaftére qui
eft confacré à la fainte Vierge , 6c ils y confervent une fi-
gure de bois qui la repréfente , 6c qu'ils reipectent beaucoup.
On dit dans le païs qu'on Ta trouvée auprès de-là dans un
arbre, où elle s'etoit formée d'elle-même. Ce monaftére eft
fort riche, 6c on y a attache des revenus conildérables, qu'on
a ôres a la ville de Novogrodeck en Livonie. On y avoit
mis une groile garnifon qui tomboit à tout moment fur les
fourrageurs Polonois. On y envoya Farenfbeck, qui amorcé
par un petit avantage lur un corps de Mofcovites qu'il trou-
va fur fa route , entreprit de fe rendre maître de ce pofte i
& dès qu'il eut fait brèche à la tour, il tenta l'efcalade,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 477
Guillaume Ketler neveu du duc deCurlande,avec les deuxTi- ■
fenhaufen Gafpard & Reinold montèrent les premiers : mais Henri
les échelles ayant cafïè fous eux , ils tombèrent , & furent III.
pris faute de fecours. Le Roi ayant appris cet accident , leur 1 j S 1 .
envoya un renfort de cinq cens Hongrois conduits par Bor-
nemillà , avec quelques pièces de gros canon. Une partie de
la muraille ayant été renverfée , Thomas Solandi pour faire
diverfion , alla avec une troupe de goujats & de Cofaques
Polonois tenter l'efcalade à une tour oppofee à celle que les
Allemans &; les Hongrois attaquoient : mais il fut repouiîe
comme les autres. Depuis que Zamoski avoit été nommé
Généralifîime , tout fe faifoit avec beaucoup de confufion,
par la jalouile de (es ennemis qui fe retiroient du camp, les
uns fous un prétexte , les autres fous un autre j ce qui étoit
caufe qu'il n'y avoit jamais d'attaque générale, & que les
ennemis pouvoient réunir toutes leurs forces pour défendre
le côté attaqué. Cet exemple fit voir que la négligence dans
le liège d'une mauvaife place effc auffi capable d'empêcher
le fuccès , que les difficultés qui fe trouvent , quand on en
attaque une bonne 3 parce que dans celle-ci la grandeur du
péril , & la crainte qu'il caufe réveille l'activité 5 dans l'au-
tre au contraire comme il fe trouve peu de difficultés , le
foin & l'attention fe relâchent aifément.
Le projet d'aflèmbler la Noblelfe ayant échoué , le Roi ■
fe trouva obligé de fe rendre à la diète : mais avant que de
partir il nomma deux plénipotentiaires pour la paix 3 fça-
voir , Sbarafi palatin de Braflaw pour la Pologne , & Albert
Radzevil Maréchal de la cour de Lithuanie pour le grand
Duché de Lithuanie. Il leur donna pour adjoint & pour Se-
cretaire Michel Haraburda , qui connoifïbit parfaitement
l'état des affaires de Mofcovie j & il lailfa à "Zamoski un
plein pouvoir de conclure la paix , comme 11 lui-même eût
été préfent.
Le Roi partit donc avec les volontaires & tous les Offi-
ciers de fa Cour , laiifant au camp Baltazar fon neveu fils
d'André Battori Ion frère -y & ayant pafle la Dwina à Dune-
bourg il vint à Vilna. Les troupes foudoyées , tant celles qui
avoient toujours été au camp, que celles qui y étoient re-
venues depuis peu après la courie qu'elles avoient faite du
O o o iij
478 HISTOIRE
côté de Sturîcîe fous la conduite de Radzewil, demeurèrent
Henri avec Zamoski devant Pleskow , 6c c'étoit-là toute Ton ar-
III. mée. Ce Général écoit d'autant plus attentif à empêcher
1581. que ta négligence & le relâchement de la dilcipline ne fut
caufe de quelque déiordre en l'abfence du Roi j qu'il fçavoit
que les yeux de fes ennemis étoient ouverts fur toutes fes.
démarches, 6c que s'il faifoit une faute, il n'auroit perfonne
fur qui il pût la rejetter , ni qui voulue prendre fon parti.
Il commença par choifir fix des principaux Officiers, avec qui
il pût conférer des affaires fecretes-deux Sénateurs,qui étoient
Jean Tarnow , 6c Etienne Grudzinski^ 6c quatre Chevaliers ,
fçavoir Erneft ViTeier , Martin Cafenove, Jean Lefnovolski ,
6c Sigifmond Rofnie. Ayant fçû par les priionniers ce qu'il y
avoit d'hommes & de vivres dans la ville, il calcula que s'il
pouvoit empêcher qu'il n'y entrât des vivres , ce qu'ils en
avoient fèroit entièrement confommé au mois de Mai -y
qu'ainflils feroient forcés de fe rendre, 6c qu'en attendant ce
terme , il pouvoit diftribuer (qs foldats dans les châteaux des
environs, 6c les garantir du froid horrible qui fè faifoit fentir.
Il eut foin en même tems de mettre des troupes en embuf-
cade dans différens endroits j 6c il y eut de tems en tems
quelques combats contre des détachemens de la garnifon
qui fortoient pour aller chercher du fourrage , 6c qui étoient
prefque toujours battus.
Enfin les ambafïadeursMofcovites arrivérent^c'étoit Démé-
trius fils de Pierre Ileski ,Romain Olfironi, 6c Nicolas Baflb-
reckpour Secrétaire. PofTevin alla audevant d'eux, 6c les am-
bafïadeurs de Pologne les fuivirent de près. On commença
donc à entrer en négociation , 6c la première chofe que l'on
propofa fut de comprendre le roi de Suéde dans le traité.
Quelque mécontent que le roi de Pologne fût de ce Prince ,
qui malgré la prière qu'il lui avoit faite de ne point attaquer
la Livonie , n'avoit pas laifïè d'y envoyer une armée qui
avoit envahi une partie de cette Province pendant que les
Polonois étoient occupés ailleurs contre l'ennemi communj
cependant il fe rendit à la follicitation de fa femme feeur
du roi de Suéde , 6c il accorda cet article.
Les ordres donnés aux ambaiTadeurs Mofcovites por-
toient , à ce qu'on apprit d'un Transfuge , que fî les
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 479
Polonois fe retiroient de devant Pleskow , ils rompiiïènt à ^!!=^=
l'iiiftant la négociation ; mais que s'ils y demeuroient , Henri
ils traitaflènt cette affaire férieufement , & que fi le Roi III.
vouloit rendre Luki , &; les autres places qu'il avoit prifes 1581.
durant cette guerre , à la réferve de Welifch & du ter-
ritoire de Poloczko , ils lui cédafîent toute la Livonie.
Comme les Mofcovites voyoient que,malgré le départ du
Roi,le fiége fe continuoit vigoureufement, ils entamèrent la
négociation dans le defîèin de la conclure. Cependant comme
ilsïçavoient qu'il y avoit beaucoup de mécontens à l'armée,
& qu'ils efpéroient toujours que la rigueur du froid ferok
lever le fiége , ils tiroient les chofes en longueur ■ &: fur les
moindres incidens ils demandoient la permiiîion d'en écrire
à leur Prince.
Ce fut vers ce tems-là qu'on apprit par quelques prifon-
niers faits par Jourdain Spitkon, Officier fameux par le com-
bat de Derfaw , que Jean , l'aîné des fils du duc de Mofco-
vie, étoit mort. Ce jeune Prince , à ce qu'ils difoient , ayant
répondu à fon père , qui lui étaloit la grandeur de {qs ri-
cheflès èc de fes tréfors , que la vertu Se le courage étoit un
tréfor plus précieux que tout ce qu'il venoit de voir , & que
celui qui pofTédoit ce dernier n'auroit pas grande peine
à le dépouiller de fon or & de fon argent ; le duc irrité de
cette réponfe, ou de ce que le jeune Prince faifoit de grandes
infiances pour qu'on lui permît d'aller combattre les enne-
mis , lui donna un coup de bâton fur la tête , qui lui caufa
une épilepfie dont il mourut peu de tems après : accident
d'autant plustrifte pour ce père, que Théodore fon autre
fils étant imbécille , fe trouvoit incapable de régner , ni de
rien faire de férieux.
On étoit à la fin de l'année,où le froid à coutume d'être af-
freux en ces cantons, ce qui eft marqué par une efpéce de pro-
verbe de la langue Mofcovite , qui pour défigner un très-
grand froid , fe fert de l'exprelfion de froid de faint Nicolas ^
ou de froid de Jefus-Chrifi 3 car quoique la Mofcovie fok
prefque toute fituée vers le Pôle , il n'y a cependant point
d'endroit où l'hy ver foit fi rude qu'autour de Pleskow $ &
c'eft pour cela que les animaux , qui par tout ailleurs font
noirs ou bruns,comme les corbeaux, les gelinotes, ks perdrix,
4$o HISTOIRE
les lagopes ( i ) , les ours &; les lièvres font tous blancs
Henri en ce païs-là. Les nuits d'ailleurs font fi longues en hyver
III» que le jour ne dure pas plus de cinq heures 3 en forte que
1 j 8 1» les gardes ne fe faifoient qu'avec beaucoup de peine &; de
périls , & à peine un foldat avoit-il mis le pied hors de fa
tente , que tous ies membres croient gelés , & fur-tout ceux
qui ne font pas couverts , comme le nez , les oreilles , le vi-
fage. La moindre fièvre dans ces circonftances devenoic
mortelle : ôc ce que bien des gens racontent de ce païs-là
comme une merveille, qu'en répandant de l'eau elle gelé,
plufieurs le virent par expérience. Comme dans le commen-
cement on faifoit la garde à découvert , il y eut beaucoup
de foldats qui perdirent des membres. Celui qui a écrit la
relation de ce fiége en rapporte un exemple mémorable.
Il dit qu'un cavalier de la compagnie de Rofnie , ayant les
deux jambes mortes de froid , &; avec cela la fièvre & le
tranfport , le médecin lui fit couper les deux jambes fans
qu'il le fentît -, enforte que la connoiflance lui étant revenue,
il demanda à ceux qui étoient autour de lui ce qu'étoient
devenues Ces jambes , comme il auroit pu demander ce qu'é-
toient devenus fes habits. Pour remédier à ces triftes acci-
dens , Zamoski faifoit changer les gardes quatre fois la nuit,
èc y envoyoit peu de monde : &: ce n'étoit pas même de ceux
qui aur oient pu repoufier les forties de la garnifon : il fuk,
fîfoit qu'ils fuiïènt capables d'en donner avis , &; il faifok
demeurer fes meilleurs foldats armés dans leurs tentes , où
ils étoient à couvert du grand froid.
Conférence Je dois mettre au rang des affaires de Pologne la con-
entre Je Pa- C' • > ' • .. 1 -r
marche de *erence °iul s ecolt tenue long-tems auparavant entre Jere-
Conftantino- mie Patriarche de Conltantinople &; les Théologiens de
Thé? leS ^ ^co^e de Tubinge -y conférence qui ne fut publiée que cette
de Tubmge. année , & qui donna matière à bien des écrits. Huit ans au-
paravant , Jacque Andréas prévôt de l'églife de Tubinge , 8c
chancelier de l'Académie ( ce font les titres qu'il fe donne )
ôc Martin Crufius profefleur des langues Greque & Latine
dans la même Académie ,avoient envoyé au Patriarche les
(1) Lagope , oifeau gros comme un
pigeon , & tout blanc , qu'on trouve
dans les Alpes, & qu on appelle Lagope
parce qu'il a les pieds couverts de poi!>
comme les lièvres.
principaux
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXÏII. 481
principaux articles de la confefiion d'Aufbourg traduits en '
grec depuis long-tems par Paul Dorfcius de Piawen. Leur Henki
deilein étoit , à ce qu'ils ont écrit depuis , de juftifier leur foi III.
contre les calomnies que l'on répandoit dans tout l'Orient, 1581.
où on les traitoit de ïectaires • Se pour me fervir de leurs
termes , ils ne croyoient pas devoir tenir plus long-tems fous
le boiiîeau la lampe de la parole divine , ils vouloient la
placer fur le chandelier. Le Patriarche leur répondit avec
beaucoup de modération &; de politelle par une lettre
du 15. de Mai 1576 , où il réfute les points qui étoienc
contraires aux fentimens de l'églife Greque.
Lorfqu'on eut reçu la réponfe du Patriarche , Luc O fian-
der, au nom d'Andréas & Crufius, lui envoyèrent un nou-
vel écrit le premier d'Octobre de l'année fuivante. C'étoit
un abrégé de la Théologie de Herbrand traduit en grec
par Crufius , où l'on traitoit de la régie qu'il falloit obier-
ver dans l'interprétation de l'Ecriture fainte, &c de la pro-
çeifion du faint Efprit. Le Patriarche y répondit en 1 579 •>
ôt le jour de faint Jean - Baptifte de l'année fuivante, les
Théologiens de Wirtemberg lui firent une troifiéme ré-
ponfe qu'ils envoyèrent à Conftantinople. Le 6. de Juin
1 5 8 1 . le Patriarche répliqua à ce nouvel écrit , 8c les Théo-
logiens finirent enfin cette difpute par des remercîmens
qu'ils lui firent. Les ades de cette difpute furent fupprimés
pour lors par ces Théologiens en partie , difent-ils , pour
ménager le Patriarche , qui avoit été dépofé par les Turcs,
&: qui étoit en danger de (à vie ^ & en partie parce qu'ils ne
voyoient pas de quelle utilité pouvoit être à PEglife la pu-
blication de ces actes. Mais Staniflas Sokolowski, Théolo-
gien du roi de Pologne, pria inftamment un Abbé d'un mo-
naftére Grec qu'il trouva à Lcopol capitale de la Ruilie Po-
lonoife , de lui envoyer ces actes dès qu'il feroit retourné
dans fon païs : l'Abbé n'y manqua pas. Sokolowski aufïï-
tôt les traduifit en latin, & les fit paroître pendant le cou-
rant de l'année dont nous parlons fous le titre de cenfure
de l'églife Greque. Cette traduction eft accompagnée de
notes ,&; dédiée à Grégoire XIII. Le but du traducteur a
été de montrer que les Théologiens de Wirtemberg , &
tous ceux de leur Communion voyant que leur doctrine ne
Tome Vlll> Ppp
HISTOIRE
peut s'accommoder avec celle de l'églife Catholique d'Oc*
H E nr. i cidenc , avoient eu recours aux évoques Orientaux , comme
III. autrefois les Pélagiens , fuivant le reproche que leur en fait
1581. laine Auguftin 5 mais qu'ils avoient encore reconnu que la
doctrine de l'églife d'Orient étoit bien différente de la leur.
Les Théologiens de Wirtemberg inftruits de cette édi-
tion rirent imprimer trois ans après dans cette dernière ville,
les mêmes actes en grec £c en latin avec une préface, contre
laquelle un Jurifconiultc nommé Fikler, compofa un écrit
fous le titre à' Eponge , & Solokowski lui-même leur fit une
réponfe à laquelle il joignit la fentence définitive du Pa-
triarche , avec un écrit fous le nom d'Antidote , pour réfu-
ter la réponfe de ces Théologiens à la cenfure que ce Pa-
triarche avoit faite de quelques articles de la confefTion
d'Aufbourg. Jacque Gorski fe joignit à lui , 6c donna fur fon
antidote quelques remarques qu'il intitula Crujzus.
Affaires dTf- Pendant qu'Etienne faiibit des conquêtes en Mofcovie ,
pagne & de-.,.,. tt> • r rr • r» i
Portugal. Philippe II. n avançoit pas moins les affaires en Portugal.
Le teins approchoit qu'il devoit fe rendre àTomar pour écou-
ter les Procureurs des Cours ( 1 )miais il voulut en parlant ren-
dre une vifite de civilité à Catherine femme du duc de Bra-
gance , qui avoit, comme nous l'avons dit, le droit le plus
apparent à la couronne de Portugal. Elle étoit venue de Vil-
laviciofa à Boino. Philippe y demeura un jour entier , & eut
plufleurs entretiens familiers avec elle. Il envoya Philippe
de Cordouë d'Arragon pour aller aufh complimenter de fa
part le duc de Bragance. Le Roi étant revenu de-là à El-
vas, fe mit en chemin pour Tomar j tout le monde y étoit
dans l'attente du nouveau Monarque. Philippe y parut avec
un vifage ferein , recevant parfaitement bien tous ceux qui
l'abordoient , leur parlant avec bonté , &; répondant gra-
cieufement à toutes leurs demandes • en forte que du côté
de l'extérieur & des paroles , ils n'eurent rien à délirer.
Quand il fut queftion de grâces , de bienfaits , de récom-
penfes , ils eurent lieu de fè plaindre de fa lenteur. On ne
feauroit dire pourtant il ce fut par la faute du Prince ou de
fes miniftres , ou même par le concours importun de ceux
(O Ces Cours ou cortes font des de'pute's de tous les Ordres,à peu près comme
nos Etats Généraux.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 485
qui demandoient , &; qui fe croifoient les uns les autres, il ,
fe contenta pour lors de confirmer la charge de Connétable H e n k i
du Royaume au duc de Bragance, &; de lui donner la toi- III.
fon. Pendant qu'on difoit la méfie , ce Seigneur étoit auprès 1 5 8 1.
du Roi derrière un rideau : en un mot il n'y avoit point
d'honneur qu'on ne lui accordât j mais rien qui put augmen-
ter ni fa fortune ni fa puiflànce. Avant l'aflemblée , le Roi
commença par prêter ferment , 8t le reçut enfuite de tout
le monde avec beaucoup plus de pompe , & moins de tu-
multe que cette cérémonie ne s'étoit pratiquée fous le roi
Henri (1)5 parce que ce fut dans l'aflemblée des Cours
qu'Henri fut reconnu , & que le peuple n'étoit pas bien
difpofé pour ce Prince : mais ici tout fe pafla avec beau-
coup de folemnité. L'archevêque de Brague , qui efb regar-
dé en Portugal comme le Primat des Efpagnes, les arche-
vêques de Lifbonne & d'Evora , les évêques de Coimbre,
de Portalegre &c de Leyria fe trouvèrent à l'aflemblée avec
les Grands du Royaume. Philippe de Mora fecretaire des
Etats prononça le premier les paroles du ferment , & Phi-
lippe ayant la main fur la croix ,les répéta après lui. Mora
récita enfuite la formule de celui que dévoient prêter les
Etats : ôc incontinent le duc de Bragance ôc le duc de Bar-
cellos fon fils le prêtèrent fur les Evangiles ^ & après eux
les Grands du Royaume, & enfuite les Prêtres , & les Syn-
dics des villes.
Philippe Prince de bonne mine, avoit pris ce jour- là un
air fi gracieux , qu'il fembloit s'être dépouillé de l'humeur
des Caiïillans, pour prendre celle des Portugais. La magni-
ficence de fon manteau , qui étoit d'étoffe d'or , & le con-
cours d'une infinité de perfonnes qui l'environnoient ren-
dirent cette cérémonie très- brillante -, &l'on y publia enfin
cette amniftie générale qu'on attendoit avec tant d'impa-
tience. Mais la fin répondit mal à l'attente de la nation z
car on en exclut Antoine Prieur de Crato , François de Por-
tugal , comte de Vimiofo , & Jean fon frère évêque de Guar-
da , avec cinquante autres Seigneurs de la faction contraire,
& en général tous les moines , & tous ceux qui avoient
(1) Henri cardinal de Tortugal 8c depuis Roi. H fuccéda au roi Sebaflien tui
en Afrique en 157^.
484 HISTOIRE
? fuivi le parti d'Antoine ; &; on les déclara incapables de pofl
Henri féder aucune charge publique.
III. Cette exception irrita bien des gens , qui fouhaitoientque
1 5 8 1. touc Ie pafïc fût mis en oubli , èc qui s'en étoient fiâtes ^ mais
quelques prières qu'on fît là-deflùs~à Philippe, on n'en put
rien obtenir: on cita fur le champ tous ceux qui avoient
été exceptés de l'amniftie , &c on informa rigoureufement
contre eux.
Il ne fe trouva point de Caftillans à cette cérémonie $
Philippe les en exclut pour faire plaiflr aux Portugais -} mais
afin que cette exclufion leur fût moins fenflble, il l'étendit
jufqu'au cardinal Albert qu'il avoit amené avec lui , & à qui
il donna peu de tems après le gouvernement du Royaume^
& il lui défendit , aufîî-bien qu'aux feigneurs Caftillans, de
paroître en public ce jour-là.
Enfin l'afîemblée des Etats fe tint le dix-neuf d'Avrih
Antoine Pineyro évêque de Leyria parla devant le Roi pour
l'autorité des Etats • il dit que c'étoit parla grâce duïaint
Efprit que ces aiîemblées avoient été établies , afin que les
Rois puiilent communiquer à leurs fujets ce qu'ils penfent
fur les affaires qui intéreilent l'Etat $ que Philippe fe con-
formant à une coutume fi louable , fbuhaicoit qu'ils lui ex-
pofaiTent ïlncérement tout ce qu'ils jugeroient avantageux
à la République avec la même prudence, la même fidélité,
le même amour pour la patrie , qu'ils l'avoient fait jufqu'a-
lors. Il exagéra enfiiite la grâce que le Roi venoit d'accor-
der : mais que ce n'étoit, pour ainfi dire, que les prémices de
la clémence & de la bonté de ce Prince , qui leur annon-
çaient pour l'avenir des bienfaits plus fîgnalés , de véritable-
ment dignes de leur fidélité 6c de leur obéïïlànce.
Damien de Aguiar , un des Syndics de Lifbonne, répon-
dit à ce difeours : il remercia le Roi au nom de la ville de
la convocation des Cours, & de l'amniftie qu'il avoit accor-
dée. Il fît enfuite quelques demandes de peu d'importance,
qui avoient été concertées avec la Cour -y &: le Roi pour
gagner les peuples , accorda fur le champ tout ce qu'il de-
mandoit ^ èc il ratifia prefque tous les points que le duc
d'Oiïbne avoit promis en fon nom aux adminiftrateurs du
Royaume , excepté pourtant ce qui eoncernoit les garnifons.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 485
le commerce de PAmerique de des Indes Occidentales , Pé- ^55
galité entre les Caftillans de les Portugais pour tous lesem- Henri
plois qui dépendoient de Philippe : de le Roi demanda du III.
tems pour en conférer avec les feigneurs de Caftille. M 8 1 r
Les Syndics des villes préfentérent un autre mémoire à
Philippe, par lequel ils demandoient qu'il époulat une Por-
tugailè j que le Prince fut élevé en Portugal 3 que les domai-
nes de tout ce qui appartenoit à la couronne de Portugal fût
feparé de ce qui appartenoit à celle de Caftille j que les Por-
tugais euffent une monnoye particulière y qu'on diminuât les
impôts -y qu'on retirât les garnifons , de qu'on établît un or-
dre de Juftice. Le Roi refuià nettement la plupart de ces de-
mandes , & éluda les autres par des réponfes ambiguës , qu'il
mit à la marge du mémoire.
L'ordre de la Noblelîe avoit nommé trente Députés , qui
ayant une haute idée de leurs fervices, s'imaginoient qu'on
leur devoit de grandes récompenfes. Ils demandoient une
jurifdiction abfoluë fur leurs vaiiaux , de que ceux qui avoient
été dans la Magiftrature ne pullént être jugés que par des
Nobles y que le Roi ne pût donner la noblelîe à perfonne que
pour des fervices éclatans -y de qu'elle ne pût pafler aux def-
cendans de ceux qui feroient ennoblis, que pour des fervices
femblables • enfin que les grandes dignités de toutes les char-
ges publiques ne pufïènt être exercées que par des Nobles.
Toutes ces demandes furent refufees, comme contraires à
l'ufage établi y ce qui fit beaucoup murmurer la Noblefïè.
On crut que le Roi avoit eu defTein d'abolir l'Univerlitc
de Coïmbre y de bien des gens fe perfuadoient que ce Prince
habile ne manqueroit pas de le faire , parce que dans un
Royaume nouveau , de qui n'eft pas encore bien affermi , il
paroiffoit dangereux de laifler dans une ville quatre mille jeu-
nes gens , indépendans en quelque forte de la jurifdidion
Royale , de dont la liberté effrénée étoit capable d'exciter
des féditions dans le Royaume le plus tranquille y que ce fe-
roit une pépinière de brouillons payés pour conjurer contre
le gouvernement : qu'il réfulteroit encore un autre avantage
de l'abolition de cette Ecole, en ce que lajeunefle Portugaise
iroit étudier dans les Univerfités de Caftille y qu'elle fe lieroic
infenfiblement avec les Caftillans ^ qu'elle prendroit leurs
Ppp iij
4*6 HISTOIRE
■_ manières, & qu'elle fe déferoit peu à peu de l'averfïon natu-
Henri relie qu'elle avoit pour eux. Une autre raifon femblok encore
III. devoir l'y déterminer , c'eft que dans le tems que le roi Henri
i S 8 r . penchoit pour le duc de Bragance, lesjurifconfultes de Coïm-
bre avoient foutenu vivement le droit de ce Duc -y &. que félon
les partifans de Philippe , ils avoient au moins donné un faux
fens,&des interprétations forcées , non-feulement aux loix
Impériales , mais aux Canons même de l'Eglife : ce qui mé-
ritoit , félon eux , un châtiment exemplaire.
Ces raifons ment imprefîion fur les Portugais même, qui
étoient dans les intérêts de Philippe , &: ils ie perfuadoient
que la jeuneiTe du Royaume ne fèroit jamais bien entre les
mains de tels maîtres. Cependant l'Univerfité fubfifta ^ ôc
non-feulement Philippe en conferva les droits , les privilèges
&; les franchi (es ; mais il fît du bien à ceux même qui avoienc
écrit contre lui, ôc il augmenta leur honoraire.
Le Pape avoit voulu entrer dans les affaires de Portugal ,
& s'en rendre tellement l'arbitre , que le pofTeiTeur lui fût re-
devable de cette Couronne j mais l'affaire ayant fini fans lui $
il envoya un Nonce pour féliciter Philippe fur ce nouveau
Royaume , de lui faire quelque exeufe de ce que pour remplir
fes devoirs de Père commun il avoit voulu entrer dans cette
affaire , par la crainte qu'il avoit qu'elle n'excitât une guerre
funefte entre les Princes qui prétendoient à la Couronne. Sa
Sainteté obtint du Roi à cette occafion des titres d'hon-
neur , & des emplois pour Jacque Buoncompagno fon bâ-
tard , qu'il avoit déjà égalé aux Princes par la dignité donc
il l'avoit revêtu , &: qu'il cherchoit à élever de plus en plus
par les honneurs dont il le combloittous les jours. Et en re-
coin penfe il permit à Philippe de faire juger fans appel les
caufes des rebelles, par GeorgeTayda-ancien évêque deVifeo.
Sur cette permiffion , Antoine prieur de Crato ôc l'evêque de
Guarda furent cités • & comme ils ne comparurent point ,
ils furent déclarés contumaces , èc dépouillés de leurs digni-
tés Ecclefiaftiques.
Les Vénitiens envoyèrent de leur côté Jérôme Lippomano
êc Vincent Trono , pour féliciter Philippe fur fon nouveau
Royaume. Ce Prince nomma en même tems à la Viceroyau-
£ç des ifles de la mer Atlantique , qui appartenoient à la
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 487
couronne de Portugal , François de Mafcarenas chevalier
d'Evora ,à la place du comte de laToguia mort depuis peu. En Henri
attendant que le nouveau Viceroi arrivât , Hernand Tellez III.
de Sylva gouverna ces ifles avec autant d'intégrité que de 1581.
prudence.
Cependant on cherchoit le prieur de Crato ( 1 ) -f car il étoit
encore caché en Portugal , &: fes partifans lui furent fi fidè-
les , que quelques récompenfes que promît le roi d'Efpagne ,
ôc quelques recherches que fUIent les eipions de Jérôme de
Mendoze & d'Emmanuel de Portugal oncle paternel du
comte de Vimiofo, qui vouloient fous prétexte d'un pour-
parler fe faifir de lui , & le livrer aux Efpagnols , on ne put
jamais découvrir où il étoit. Il avoit envoyé le comte de Vi-
miofo en France & en Angleterre , pour implorer le fecours
de ces deux Puiiîances contre leur ennemi commun. Il dé-
pêcha auffi Emmanuel Sylva comte de TorresVedras vers le
duc d'Anjou , qui étoit pour lors à Cambray.
Tout cela inquiétoit le nouveau Roi : plus les Portugais
marquoient de fidélité & d'attachement pour Antoine, plus
Philippe craignoit qu'il n'arrivât quelque foulévement. Il fe
voyoit obligé d'entretenir de fortes garnifons dans les places ,
& une fîote à l'embouchure de la rivière de Lifbonne , au
grand mécontentement des peuples , qui reconnoifïbient en-
fin , mais un peu trop tard , qu'ils étoient affiégés par les
Caitillans , & qui fe reprochoient les uns aux autres de n'a-
voir pas réuni toutes leurs Forces pour fe défendre contre
eux, ou du moins pour obtenir de Philippe des conditions
honorables , & conferver la liberté 6c les droits de leur
patrie.
Antoine afîuré de la fidélité de fon parti,difpofoit tout pour Fuite Faos
fc • ti r *■ *\t*/i • > t t toi ne ds l'or-*
a fuite. Il 01a même venir a Lifbonne, quoiqu un Junlcon- tUfTaL
fuite , nommé P. Alpoc , y eût été arrêté quelque tems au-
paravant , parce qu'il étoit dans les intérêts , & qu'il eût été
condamné au dernier fupplice & exécuté. Cet accident re-
tarda fon départ , &: lui ht prendre le parti de fe retirer à
Sétubal. Là il trouva un bâtiment Hollandois de la ville
d'Enchuyfen , commandé par Corneille d'Egmond, fur lequel
(1) C'eft celui qui a été connu enjtugal, ôt qui a porté quelque tçmsîs-
Europe fous le nom d'Antoine de Por- [ nom de Roi,
488 HISTOIRE
il s'embarqua, moyennant cinq cens écus d'or, avec un Cor-
Henki délier , Emmanuel Sylva , Thomas Cachiero , Diego Roy s ,
III. Conftantin de Brico , Diego de Carefma 5 & quelques autres ,
i ^ 8 i . fur la fidélité defquels il comptoit , & vint aborder à Calais ,
après avoir été caché en Portugal depuis le mois d'Octobre
i 580. qu'il fortit de Viana , jusqu'au mois de Juin 1 581.
Antoine fut redevable de fa retraite à l'adrefïe d'une femme
nommée Beatrix de Gonfalve , comme il l'a raconté lui-
même dans un écrit qu'il a publié depuis. Beatrix avoit un
frère nommé Dominique , qui fuivic ce Prince en France.
Philippe inftruit que c'étoit cette femme qui avoit caché le
prieur de Crato , la fit pendre en effigie , n'ayant pu faire da-
vantage , parce qu'elle fe fauva de bonne heure.
Les Cours ayant été congédiées, Philippe après avoir fé-
journé foixante 6c dix joursàThomar,vintà Santaren&à Al-
merino, où l'on voit un palais magnifique. Il vouloit fe rendre
promptement à Lifbonne : mais comme les préparatifs qui
îè faifbient pour ion entrée , n'étoient pas achevés, il alla ,
en attendant , à Almada , fur l'autre rive du Tage. Comme
ce lieu n'étoit point commode pour loger toute fa fuite , le
2 9. de Juin , fête de faint Pierre ,il monta fur les galères que
*Alvarode \q marquis de Sainte Croix* lui avoit amenées, ôcalladef-
cendre à un pont de bois préparé pour cela , fans attendre
que les préparatifs fiiffent achevés. Ce fut-là qu'il fut com-
plimenté au nom de la ville par Hector de Pina,un des pre-
miers Officiers de Juftice de la Chambre. L'Orateur entre
autres chofesdit à Philippe :Que Lifbonne étant la plus gran-
de ville de l'Univers , il lui falloit le plus grand Roi du mon-
de. Et après avoir exeufé la lenteur , ou pour mieux dire , la
parefïe de fes concitoyens à rendre leurs hommages à ce
Prince, il parla de Ferdinand de Pina fon parent, qui fut
tué par Antoine de Portugal , comme nous l'avons dit en
ion lieu. A cette occafion , il ajouta, que comme Lifbonne
étoit la première ville du Royaume , elle étoit aufli la pre-
mière qui eut verfé du fang pour les intérêts de Philippe. Enfin
il s'efforça de rejetter la médiocrité des préparatifs fur les
malheurs publics que la ville avoit efîuyés -y de il finit cette
pièce d'éloquence en difant , que les Portugais avoient tant
de confiance en la bonté de leur nouveau Roi, qu'au lieu
de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 4S9
de regarder leur Couronne comme unie à celle de Caftille, ■' "
ils regardoienc au contraire tous les Royaumes de Philippe , Henri
comme incorporés à celui de Portugal. III.
Delà, Philippe fut conduit fous un dais à la cathédrale 1581.
avec une pompe magnifique : 6c après y avoir fait fa prière ,
il fe rendit au palais , fuivi d'une grande foule de Noblefle à
pied , & d'une multitude de peuple , qui par fa légèreté na-
turelle , faifoit ce jour-là pour Philippe les mêmes réjoûiflan.
ces & les mêmes acclamations qu'ils avoient faites quelque
tems auparavant pour Antoine ^ mais les plus fages plai-
gnoient le fort de ce Royaume , qui avoit eu cinq efpéces
de Rois dans l'efpace de deux ans. Ils déploroient cette vi-
ciflituded'événemens funeftes • la témérité du roi Sebaftien j
l'incertitude Se l'imprudence de Henri ^ la divifion des Admi-
nistrateurs j la tyrannie d'Antoine ; enfin les armes 6c la puiC
fance de Philippe , qui étoient autant de fléaux dont la co-
lère divine s'étoit fervie pour châtier ce peuple, que l'abon-
dance avoit rendu infolent , 6c le réduire dans une mifére
extrême.
Les Grands prelToient le Roi de partager entr'eux les ti-
tres, les commanderies & les emplois qui vaquoient : mais Phi-
lippe, grand temporifeur de fon naturel , éludoit autant qu'il
pouvoit toutes leurs demandes. Cependant pour donner
quelque chofe à leurs follicitations , il fit comtes François
de Saa, un des adminiftrateurs du Royaume , auffi-bien que
Ferrand Nororïa • il nomma gentilshommes de la Chambre ,
Chriftophle de Mora , avec Pierre Alcaçova • 6c il remit ce
dernier dans tous les honneurs dont il avoit été dépouillé
par le roi Henri. Du refte , comme il fe voyoit accablé par
un nombre infini de placets , Se que la multitude 6c la diver-
sité des confeils qu'on lui donnoitle jettoit dans un embarras
dont il lui étoitimpofîible de fe retirer , il renvoya tous ceux
qui demandoient des récompenfes à Antoine de Pineyro
évêque de Leyria, 6c Chriftophle de Mora. Le premier , hom-
me âgé , d'un efprit fain , 6c qui n'avoit point de parens., étoit
fort en état d'examiner fans paflion le mérite de ceux qui
demandoient. Le fécond , qui avoit été élevé à la Cour de
Philippe 6c fous [qs yeux, paiïbit pour un homme droit 6c
intégre.
Tome VIII. QiH
^o ^HISTOIRE
.■_ ' . Cependant pour appaifer les murmures des Portugais , qui
Henri éclatoient de toutes parts , on leur fit efpérer qu'on leur don-
III. neroit pour Gouvernante l'impératrice Marie d'Autriche ( t )
i 58 i. fœur de Philippe , qui étant venue d'Allemagne en Italie,
étoit parlée en Efpagne fur Pefcadre de Jean André Doria :
&; on ne doutoit pas que cette Princeile fi refpe&able par fa
dignité , & qui étoit née d'une princeile de Portugal , ne ga-
gnât à fon frère les coeurs de toute la Nation.
Tentatives Les affaires du Portugal ayant été réglées autant que la
de Philippe brièveté du tems le put permettre , Philippe étoit fort in-
fur les ifles . 1 -n a 1 • t-1 j • 11
Atlantiques, quiet pour les nies Atlantiques. Il ne doutoit pas que les ha-
bitans aidés des fecours de France & d'Angleterre , qu'An-
toine y avoit envoyés , ne perfifbafïènt dans leur révolte y ôc
il craignoit que leur exemple ne fe communiquât aux autres
fujetsde la couronne de Portugal. Il avoit envoyé à Pi fie de
Tercere, Pedro de Valdes avec des pouvoirs très-amples ;
mais on ne voulut pas l'y recevoir , ni écouter fes propor-
tions. Ainfi il fe tint fur les côtes des ifles voifines avec ies trou-
pes, en attendant quelque occafion favorable. Il avoit avec
lui Louis de Baçan , D. Juan de Monfalve , Diego de Caftro ,
Valladares Sarmiento , D. Louis de Ribeïra & Diego de
Valdes. Quelque tems après , Philippe envoya d'autres
troupes fous la conduite de Lope de Figueroa , avec ordre de
fe joindre à Valdes , & de fe rendre maître- de cette ifle.
Pendant que Figueroa étoit en chemin , Valdes y fit quel-
ques defeentes pour prendre dû raifln , ôc ayant remarqué
que la garde ne s'y faifoit pas avec beaucoup d'exactitude , la
crainte qu'il eut que Figueroa ne lui enlevât une partie de
la gloire qu'il comptoit d'acquérir, 6c les inftances de Diego
de Valdes , l'engagèrent par une fotte vanité à précipiter
l'attaque de cette ifle. Il fit donc avancer {qs chaloupes le
jour de faintjacque entre Angra & la Praïa ; qui eft le feul en-
droit par ou elle eft abordable , tout le refte étant entouré
de rochers affreux. Les Portugais avoient élevé quelques
retranchemens de ce côté-là , & avoient mis quatre canons
en batterie fur une hauteur voifine de la côte. Valdes cul-
bute d'abord les troupes qui gardoient le retranchement , &c
s'empare du canon 3 mais pendant qu'il fe fortifie dans ce
(0 Elle avoit e'ponfé l'empereur Maximilien II. mort en 1576..
BEJ. A. DE THOU, Liv. LXXÎÎÎ. 491
pofte, on donne l'alarme dans la ville, & le peuple s'étant ■■■ ' ■
aflèmblé au fon des cloches , on marche aux ennemis , 6c on H enhi
les enveloppe. Il y avoir dans la ville un Officier nommé Jean III.
de Betencour , iliu de ce fameux Betencour, qui découvrir x 5 8 ï.
le premier les Açores , 6c qui les vendit aux Portugais , com-
me nous l'avons dit ci- devant. Celui-ci qui étoit dans le parti
des Efpagnols, avec une centaine d'habitans, s'étoit imagi-
né que dès qu'il auroit crié Vive Philippe , la plupart des
liabitans des montagnes viendroient fe ranger auprès de lui
& s'enrôler au fervice de ce Prince , comme Tes complices le
lui avoient fait efpérer. Comptant donc fur leur parole , 6c
perfuadé que s'il devenoit maître de la ville , il rendroic
un grand fervice à Philippe , il en forme le deflein , 6c
commence à crier de toute fa force dans toutes les rués :
Vive Philippe, Mais le peuple au lieu de prendre les armes .
l'enveloppe de toutes parts, le maltraite avec ceux de fa fuite,
qui étoient en petit nombre , 6c le met en prifon. Il fe trouva
même heureux que l'on n'attentât pas à fa vie.
Il y avoit déjà près de deux mille Portugais en armes.
Cebrian de Figueredo gouverneur de Pille, rafliiré par ce
corps de troupes , marche aux Efpagnols , dont il ignoroit les
forces j mais afin de les tromper & de pouvoir le mettre à
-couvert par une efpéce de rampart fortuit , il ufa d*un ftrata-
gême qui lui fur fuggeré par un Hermite de la régie de faint
Auguftin. Cétoit une chofe allez ordinaire pendant la licen-
ce de ces guerres, de voir des Moines quitter leurprofeffion
pour prendre le métier des armes. Ce fut cet Hermitequi
confeiliaau Gouverneur de rafïembler des bœufs , dont cette
ifle eft remplie , 6c de les pouffer à coups d'éguillon du côté
des ennemis. Ces animaux ainfi attroupés firent une pouiïïé-
re fi horrible , que les Efpagnols ne purent voir diftinclement
les Portugais qui marchoient derrière : 6c comme ils avoienr
employé tout ce qu'ils avoient de poudre & de baies dans
leurs premières efearmouches contre les Infulaires, 6c qu'ils
ctoient d'ailleurs fatigués & mal armés , ils ne fongérent qu'à
regagner leurs chaloupes. Mais la mer fe trouva fi agitée qu'ils
ne purent approcher de la côte : il fallut donc fe jetter à
l'eau, 6c comme ils en avoient jufqu'au menton, 6c que les
Portugais faifoîenc un feu continuel fur eux , leur perte fut
49* HISTOIRE
■ i ' confldérable. Il y en eut beaucoup de tués & de noyés : &
Henri les efprits étoient fi irrités , moins parce qui venoic d'arriver ,.
III. que par la haine ancienne des deux Nations, qu'on ne fie
i 58 i. point de quartier. Les Efpagnols y perdirent plus de quatre
cens hommes, & entr'autres Diego de Valdes , qui avoic
confeillé cette attaque , Louis de Baçan , Philippe Artal
brave capitaine , qui fit ce jour-là des prodiges , &c prefque tous
les Officiers j on n'épargna pas même les morts : les goujats
& les valets leur coupoient la tête, les bras, les jambes j& après
les avoir ainfi mutilés , on les reporta comme en triomphe
dans la ville en danfant & en chantant. Les Chapitres même
allèrent au devant de ces infolens vainqueurs : & non con-
tens de fe repaître d'un fi affreux fpectacle , ils voulurent em-
ployer le fer contre ces reftes de cadavres , &; fouiller leurs
mains du fang de ces malheureux. On dit qu'il y en eut qui
eurent la cruauté de leur arracher le cœur du ventre & d'en
manger. Les Jéfuites furent les feuls qui ne vinrent point à,
ce fpectacle : &c comme ils étoient foupçonnés de favorifer
Philippe, ils n'oférent fortir de leur maifon. Après cette ex-
pédition , Figueredo ramafîa les dépouilles , mit les armes
fur des chariots , & entra triomphant dans la ville $ & ayant
fait déchirer les drapeaux des ennemis , il en fema les lam-
beaux dans les rues.
Valdes échapé du combat s'embarqua aufTitôt , & plus-
heureux dans fa navigation , qu'il ne l'avoit été à l'attaque
de l'ifle , il arriva bientôt à Lifbonne , où il porta la premiers
nouvelle de fa défaite. Philippe étoit alors occupé à fortifier
le château de Saint Julien • & pendant qu'on y travailloit ,
il avoit pofté des troupes en dirîérens endroits de la côte , &:
entre les rivières de Minho&deDuero. Cette nouvelle lui
fit connoître qu'il ne devoit plus fe flater de ramener ces In-
fulaires par la douceur : les peuples de Portugal étoient mal
difpofés à fon égard ; il avoit congédié les Italiens & les AL
îemans -y &: les Efpagnols étoient tellement diminués parles
maladies 6c par d'autres accidens , qu'à peine lui reftoit-il
cinq mille hommes , dont il venoit d'en donner mille à Figue-
roa qui partoit pour les lues. Ce qui augmentoit encore fon
inquiétude, étoit qu'il n'avoit point de nouvelles certaines
de la flote Portugaife qui venoit des Indes Orientales, du
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIIL 493
Brefîl , de l'iile de Saine Thomas &; du Cap-vert : car 11 cette V
flote abordoit à l'ifle de Tercere , il étoit indubitable qu'elle Henri
iroit trouver le roi Antoine en Angleterre , 6c qu'elle fortifie- III.
roit autant fon parti, qu'elle afFoibliroit celui de Philippe. 1 çg »
A l'égard de la flote des Indes Orientales , comme elle n'é-
toit partie de Lifbonne que dans l'interrègne qui fuivit la
mort du roi Henri , il y avoit grande apparence que Louis
de Atayde viceroi des Indes , qui étoit un homme fage , ne
rifqueroit rien , 6c qu'il ne feroit point partir la flote qu'il
n'eût des nouvelles de ce oui auroit été décidé fur la fuccef-
lion du Royaume. D'autres foûtenoient qu'il n'y avoit rien à
craindre, que les Indes 6c toutes les Ifles quiappartenoient
aux Portugais ne fçauroient fe pafler des ports d'Efpagne ,
6c qu'auflitôt que les Commandans de la flote 6c les Négo-
ciants auroient appris que Philippe étoit maître du Portu-
gal , ils viendroient droit à Lifbonne -r ôc ils ne le trompè-
rent pas : car Atayde n'eût pas plutôt été informé de ce qui
s'étoit fait en Portugal , par les lettres que Philippe lui en
écrivit , que fans délibérer davantage , 6c fans avoir aucun
égard pour toutes les lettres 6c pour les promeflès d'Antbine ,
il fît partir la flote , 6c lui donna ordre d'aller droit à Lifbon-
ne. Elle s'approcha en paflànt de Tercere : mais comme elle
ne put feavoir au vrai de quel parti étoient les habitans ,
ils eurent beau l'inviter à entrer dans le port , tous ceux qui
étoient fur les vaiflèaux ayant leurs femmes , leurs enfans 6c
leurs effets à Lifbonne , ce fut-la qu'ils voulurent aborder.
Quoique Valdes après fa défaite eût pris la même route
pour fe retirer en Portugal , ils ne le rencontrèrent point -}
mais feulement Figueroa , qui confirma le Général de la
flote , déjà bien inftruit de tout, dans la réfolution qu'il avoit
prife de fe rendre à Lifbonne. Il lui donna de l'eau 6c d'au-
tres provifions dont il avoit befoin , ôc il lui fit entendre
qu'il n'y avoit rien qu'il ne pût efpérer en s'attachant au
nouveau Monarque. Plus on avoit douté qu'il arrivât, plus
on eut de joye de le voir 3 car il y avoit bien des gens ,
6c Philippe même étoit de ce nombre , qui voyant qu'il
tardoit ne doutoient prefque pas qu'il ne fût paifé en An-
gleterre.
Cependant Figueroa arriva â la vue de l'ifle de Tercere , U
494 HISTOIRE
comme il vie que les habitans n'étoient pas difpofés à le
Henri recevoir , il réioiut de fonder fi en promettant de grands
III. privilèges &: des grâces à ceux d'Angra , ils ne feroient poinc
ï * 8 ! , tentés de fe foûmettre à Philippe. Mais ce peuple qui fen-
toit bien qu'il n'avoit pas mérité ces récompenfes , 6c qui ne
comptoit pas beaucoup fur la clémence du roi d'Efpagne ,
répondit fièrement au Général Efpagnol , que de quelque
côté qu'il tentât la defeente , ils lui ouvriraient le chemin.
Sur cette réponfe , comme la fiaifon étoit avancée, il s'en re-
tourna en Portugal fans avoir rien entrepris, emmenant avec
lui Valdes qu il avoit enfin rencontré fur fa route. Le Roi fit
conduire en prifon ce malheureux 3 mais comme ii juftifia par
la teneur des ordres qu'on lui avoit donnés , qu'il lui étoit per-
mis de combattre , on lui rendit la liberté.
d. Antoine Vers le commencement d'Octobre , Antoine de Portugal
4e Portugal ff j'Ano-leterre à Dieppe , d'où il fe rendit d'abord à
arrive en r c> il*
jrance. Rouen , puis à Mante. Ce fut dans cette ville qu'Anne de
Joyeufe , qui avoit le plus de crédita la Cour, vint le com-
plimenter de la part du Roi. Antoine fe rendit enfuite à
Paris , où il vit S. M. On lui fit les plus magnifiques promet.
les , à la recommandation de la Reine mère , qui par vanité ,
ou par une légèreté naturelle à fon fexe , s'étoit déjà fait de
grandes idées fur ce nouveau Royaume. La nouvelle de la
défaite de Valdes à l'ille de Tercere étant arrivée fur ces
entrefaites , Antoine fut ravi que la renommée vînt fi à pro-
pos féconder fes efpérances. Bientôt après , quelques vaif-
îèaux ayant été furpris dans les ports de cette ifle , on ap-
porta en France toutes les marchandifes dont ils étoient
chargés. Antoine fit valoir le plus qu'il put ce nouvel avan-
tage , pour fe donner du relief en France , & il vint à bouc
d'attacher fur lui les yeux avides des courtifans 3 èc ces in-
fatiables harpyes fe crurent pendant quelque teins maî-
tres de toutes les pierreries de i'Orient. Mais lorfqu'il eut
donné quelques bijoux précieux qu'il avoit, & qu'il en eut
engagé d'autres , il fentit à fon tour qu'on l'a voit jolie juf-
qu'alors 3 & devenu la rifée de tout le monde , il recon-
nut que ces courtifans, qui avoient d'abord paru fi touchés
de fa difgrace 5 n'étoient au fond que des perfides & des
ingrats.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 49 y
Pendant ce tems-là les Jéfuites de l'ifle de Tercere , qui
1 ha m
srécoienc attiré la haine de tout le Clergé féculier 6t régulier, Henri
demeuroient toujours renfermés dans leur maifon : mais dans 1 1 ï.
le deflein de prouver aux Efpagnols par quelque coup d'é- j r
clat l'attachement qu'ils avoient pour eux , ils ouvrent tout
d'un coup les portes de leur Eglife , 6c pour Te faire un rempart
contre la fureur du peuple , ils placent à l'entrée le Saint
Ciboire, où l'on a coutume de garder le Saint Sacrement -r
prennent l'air de gens qui menacent de faire une fortie , 6c ils
excitent une efpece de fédition. Le Magiftrat auiîitôt s'y
tranfporte , 6c leur demande ce que cette nouveauté lignifie,,
ils répondent hardiment, que s'ils ont fait quelque faute y
ils font prêts à en fouffrir la punition ^ mais que s'ils font
fufpe&s , ils demandent la permiffion de s^en retourner en
Portugal.
Le peuple fut extrêmement irrité de cette infulte • les
uns diîoient qu'il falloit leur faire leur procès, comme à des
traîtres qui vendoient leur patrie 3 les autres , qu'il falloit
mettre le feu à leur maifon , 6c les brûler comme des ennemis
publics , ck. comme des gens livrés aux Caftillans. Enfin on
les renferma de nouveau chez eux 3 &; dans le même tems,
le vicaire général de l'Evêque de l'ifle de Saint Michel, qui
faifoit les fondions Epifcopales dans l'ifle de Tercere, qui efb
de l'évêché de Saint Michel , étant foupçonné de favorifer
les Caftillans , fut dépofé j 6c le Magiftrat en mit un autre à
fa place.
Philippe ayant reçu ces nouvelles, ne fut pas fans inquié-
tude à la vue de toutes les difficultés qui venoient traverfer
le cours de fes proipérités : car il apprit en même tems que
fes affaires alloient mal dans les Pars-bas, 6c que le prince
d'Orange avoit engagé les Etats à renoncer à ion obéïflan-
ee , &: à choifir le duc d'Anjou pour leur Prince. On lui fit
entendre que ce Duc avoit contracté un mariage fecret avec
la reine d'Angleterre 3 ce qui le mettroit en état de ruiner
entièrement les affaires de l'Efpagne en Flandre. Il fçavok
d'ailleurs , qu'Antoine de Portugal avoit été très-bien reçu
en France ; 6c Iorfque fon Ambaifadeur portoit fes plaintes
fur tout cela , le Roi répondoit qu'à l'égard du mariage de
fon frère avec la- reine d'Angleterre , il s'y étoit toujours
496 HISTOIRE
il. ■ oppofé à caute de la différence de Religion-, & qu'il avoit fait
Henri tout ce qu'il avoit pu pour en détourner le duc d'Anjou -,
III. mais que tes remontrances n'ayant rien produit , il y avoit
i 58 1. enfin donné fon contentement 5 parce que Ton frère te trou-
vant appuyé par un parti puiffant , il aimoit mieux l'avoir
pour ami , que pour ennemi : Qu'il l'a voit prié inftamment
<le ne point entrer en Flandre, &de rejetterles conditions
que Iqs Etats lui offroient : Qu'il avoit défendu par plufieurs
Edits de faire des levées dans fon Royaume , êc à toute la
NoblefTe d'aller tervir dans les païs étrangers fans fa permit
•fion 5 mais que toutes ces précautions avoient été inutiles -,
& qu'enfin l'expérience des guerres civiles &; des troubles
pafTés lui avoit appris qu'il ne pouvoit s'empêcher d'avoir la
guerre dans fon Royaume , s'il ne permettoit à tes fujets de
l'aller faire dehors : Qu'il avoit donc été forcé malgré tes
répugnances , de laiiler agir fon frère èc la NoblefTe de fon
Royaume : Qu'à l'égard de la retraite qu'il a donnée en
France à Antoine élu roi de Portugal , il n'avoit pu la réfuter
aux defirs & aux prières de fa mère , à qui il avoit de fi gran-
des obligations 3 qif elle croyoit que fans violer l'alliance qui
efl entre la France &l'Eipagne, elle pouvoit foutenir les droits
•qu'elle a fur la couronne de Portugal j &: qu'en ayant été
dépouillée par force , & non par un jugement rendu dans
les régies , elle ne penfoit pas qu'on fût en droit de te
plaindre de ce qu'elle s'unifToit à ceux qui s'atrribuoient un
droit pareil au lien , & qui en avoient été dépouillés comme
elle.
Ces répontes étoîent folides 5 mais elles ne fatîsfai-foient
pas Philippe : & quoiqu'il fçût bien que le Roi ne con-
îentoit qu'avec peine aux defïeins ambitieux du duc d'An-
jou & de la Reine la mère qui troubloient les douceurs de
ce repos qu'il aimoit tant 3 le Monarque Efpagnol crut qu'il
étoit de fon honneur de te venger de la France. Ainfi non-
feulement il s'affermit dans le deffein qu'il avoit toujours eu
<l'y exciter des troubles 3 mais ajoutant à cette difpofition
une haine irréconciliable contre le nom François , il n'a perdu
aucune occaiîon de travailler à la ruine de ce Royaume flo-
rilîant , dont la puiffance excitoit fa jaloufie.
-Cette année Jean-JBaptifte Antonelli, dont j'ai parlé dans
les
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIII. 497
les livres précédens , ayant fait efpérer qu'il rendroit le Tage 55?
• Il ' r i \ T-i 11 i i m • Il
navigable jnfqu'à Tolède, commença ce grand deflein par Henri
un ouvrage aufli admirable , qu'utile à ces provinces ^ & par III.
un travail de dix ans , il eft venu à bout de réunir par le com- 1581.
merce, & par la navigation d'une rivière commune, deux LeTa^er™.
K.oyaumes qui avoient été iufque-là auffi. féparés d'inclina- du, ":visablc
*• ; >-i i> ' ♦ 1 1 n 1 1 • i»^u a lo-
tions , qu ils 1 etoient par les obitacles que la nature avoit iede»
mis à leur union.
Fin du Livre foixante & treizième
Tome VUL
Rrr
49 8
HISTOIRE
W T6T X<5r V3f2fSr' "fW" LT<& r wfî(j&>w ^ WT ^ W,
WJ« »C#X „WW« r»4JW« ^À r>45^, f»4Œ> « r»450tk r»iS&
HIST
D E
JAC QJJE AUGUSTE
DE T H O U-
Henri
III.
1 580.
Affaires des
Tais- bas.
LIVRE S 01 XANT E-JgVATORZ 1 EME.
p
Endant que cela fe palToit en Efpagne , la face des af-
faires écoic bien différente en Flandre & dans les Pro-
vinces voifînes. George de Lalain comte de Renneboure
écoic occupé dans la Friie au fiége de Sceenvick, qu'il avoic
commencé dès l'année précédente. Il y avoic déjà long-
cems que les afîiégés murmuroienc de la licence du foldac >
ôc qu'ils écoient prêcs à excicer quelque fédition : enfin ils en
écoiencvenus^malgré les remontrances de Cornput&de Be-
renbroek , jufqu'à faire un décret fuivant lequel ils envoyé-
renc Théodore Conrad à Noritz commandant des Anglois
pour lui dire qu'il choisît , ou d'atcaquer les ennemis avec
fes croupes j ou s'il ne le pouvoic pas , d'introduire dans la
place un fecours de mille hommes , afin qu'ils puffent faire
des forcies fur les affiégeans.
Vers ce même cems Sonnoi vinc avec de fore belles crou-
pes de la Northol lande à Blockziel , qui n'eu: qu'à un mille
de Sceenvick , 8c il y bâtie un fore , dont le voilînage fut
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 499
d'un grand fecours aux affiégés. Il y eut auffî quelque tumulte !
dans les troupes du roi d'Efpagne : les foldats fatigués du Henri
froid & des attaques continuelles qu'ils ayoient à efluyer ,fe III.
mutinèrent &c demandèrent leur paye. Rennebourg rut ic8i.
obligé de s'abfenter quelques jours pour fe tirer du péril.
Il employa ce tems-là à ramalTer de l'argent de tous côtés y
& étant revenu au camp il paya une partie de ce qui étoit
dû aux troupes , & appaiia un peu le tumulte ^ il envoya
enfuite un trompette avec des lettres de Sckcnck 6c de Streuf
pour iommer la garnifon de fe rendre. Elle refufa de le faire,
&; la chofe fe palîa en injures réciproques. Les Efpagnols de-
mandèrent plufieurs fois aux affiégés s'ils n'avoient pas en-
core mangé tous leurs chevaux. Ceux-ci au lieu de répon-
dre, montèrent tout ce qu'ils en avoient , fortircnt de la
place , attaquèrent le camp ennemi , & après l'avoir mis en
défordre , ils leur crièrent : » Vous voyez bien que nous
»î avons encore des chevaux , èc que nous ne manquons ni
53 de cœur ni de vivres « : ils rentrèrent dans la place , fans
avoir perdu un feul homme.
Ils palTérent le tems de carnaval à s'envoyer des lettres
de part & d'autre. Rennebourg y joignit un libelle écrit en
François par Chriftophle d'AiTonville , où l'on avoit inféré
des lettres interceptées du prince d'Orange au duc d'An-
jou avec des notes à la marge. Le Prince s'étoit déjà juftu
fié fur ces lettres dans fon apologie. Cependant le peuple
s'étant imaginé que l'on traitoit des conditions aufquelles
la place fe rendroit , commença à fe mutiner. On eut bien
de la peine à appaiier le tumulte, &: peu s'en fallut qu'il
n'en coûtât la vie à Cornput. Enfin après toutes ces contef-
tations peu férieufes , on en vint tout de bon aux armes ;
Thomas commandant des Albanois&bon Officier, envoya
à Noritz un cartel. Les loix de la guerre défendant à No-
ritz , qui commandoit les Anglois , d'accepter le défi , Ro-
ger Guillaume fon Lieutenant l'accepta : les conditions du
combat réglées, ils s'avancèrent entre les deux armées , ôc
après plufieurs coups portés & parés de part Se d'autre ^ils
finirent le combat fans être bleiTes:mais avant que de fe fépa-
rer, non-feulement ils fe firent des remercîmens réciproques
avec la politefTe ordinaire entre Officiers 5 mais ils burent à la
fanté l'un de l'autre, R r r ij
'5oo HISTOIRE
- Enfin le dix-fept de Janvier Norirz follicicé concmuel-
Henri lemenc par Théodore Conrad , qui étoit avec lui à Gie-
III. thorn , penfa fërieufèment à jeccer du fecours dans Steen-
I 58 i. wick. Dans ce deffein il réfoluc d'attaquer Sceenwickenvold
avec fon régiment , ceux de Naflau & de Caulier, &c quel-
ques compagnies de ceux de Hageman & de Stuper : mais
l'affaire échoua , parce que l'air ïe trouva Ci obfcur , que les
foldacs de la garnifon de Steenwick qui forcirent à l'heure
marquée, ne pouvant diftinguer les objets , s'écartèrent les
uns des autres , &c qu'il y en eut beaucoup de tués • & No-
riez lui-même ayant été long-tems expofé au canon de Ren~
nebourg qui avoir fçu fon deiïein , fut obligé de le re-
tirer à Blocziel , où Sonnoi l'attendoit. Il jugea à propos d'y
attendre un renfort considérable qu'on devoit lui envoyer
de Frife : d'autant plus qu'on Tavoit allure que la ville n'étoic
pas fi dépourvue de vivres qu'on le publioit. Pendant qu'il
étoit arrêté au monaftére de faint Jean de Camps , Renne-
bourg y arrive tout à coup, l'y affiege et le réduit à une fi
grande extrémité, que fes foldats font obligés de manger leurs
chevaux : mais Sonnoi qui étoit à Blockiel , leur donna quel-
ques rafraichifîemens • et Wigbolt de Eufùm fleur de Nie-
norc,& Hadrien Mennino- lieutenant de Merode étant venus
à leur fecours , le premier avec fix compagnies de fon régi-
ment , dt le fécond avec un pareil nombre des troupes de
Frife , et leur ayant amené un convoi , Rennebourg qui les
tenoit afîiégés, fut à fon tour obligé de s'en aller fans bruit,
&: de faire une retraite qui refTembloit fort à une fuite , laif-
fant beaucoup de proviiîons dans fon camp , &; beaucoup
des fîens fur la place : en fe retirant il mit le feu au vil-
lage de Giethorn -y et comme il prévit que fes troupes al-
loientfe révolter, il les appaifa en leur donnant quelque
argent.
Le trente -un de Janvier Norîtz étant venu à Older-
mac à un mille de la place affiégée , Rennebourg abandon,
na fes tentes , fe retira dans fes retranchemens , &. travail-
la à en faire de nouveaux. Les afîiégés voyant que les enne-
mis avoienc bouché touces leurs porces par des ouvrages qu'ils
avoienc élevés devant , en ouvrent une nouvelle encre celles
de Walt & d'Oofter 3 & ils la nomment la porte de Cornput,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 501
parce que cet Officier avoir confeillé dès le commencement ■ '.Ji-u
du fiége d'en faire une en cet endroit. Henri
Peu de jours après , trois perdrix vinrent dans ia ville j foit III.
qu'elles fuilènt au bout de leur vol, ou que quelque oifèau 1 «8i«,
de proye les pouriuivît , elles étoient fi lailes qu'on les prit
à la main. Cornput regarda cet événement comme un heu-
reux préfage , le Seigneur ayant autrefois envoyé de la nour-
riture aux Ifraëlites dans le défert pour leur marquer fa pro-
tection j il prétendit que ces perdrix que Dieu avoit envoyées
aux habitans de Steemvick étoient un gage du fecours qu'il
leur donneroit dans peu , èc fur le nombre de ces oifeaux,
il prédit que le fecours viendroit dans trois femaines. L'évé-
nement confirma fon explication : le quatre de Février fui-
vant , Noritz , Nienort , Caulier , Ifelffcein , Hegeman , 6c
Stuper à la tête de quarante- fîx compagnies de cavalerie ,
vinrent camper dans la forêt de Steenwick auprès du village
de Hiddingueberg , qui n'en: qu'à une petite lieue de Steen-
wick. De-là ils furent apperçus par les habitans , parce qu'il
n'y avoit entre la ville éc leur camp que des plaines , des
prairies,des bruyeres,& des marécagesdes ennemis quiavoienc
fait une enceinte avec les chariots , fe rangèrent en bataille
derrière ce retranchement, & les troupes des Etats allèrent
les attaquer j mais comme elles ne s'attendoient pas à trou-
ver cet obftacle , le combat fut fangîant , & elles y perdirent
le général Snater. Dans le même tems les affiégés ayant fait
une fortie vigoureufe , battirent ce qui fe trouva devant eux
&; rirent un butin confidérable. Le combat recommença
plufieurs fois , & Rennebourg fit un nouveau retranchement
entre la ville éc les troupes du fecours. Les vivres ne man-
quoient pas encore aux affiégés , & s'ils fe mutinoient quel-
quefois, ce n'étoit pas tant la difette préiente qui caufoit
leurs murmures , que la crainte pour l'avenir. En effet dans
une recherche très- exacte qui avoit été faite depuis peu , on
trouva dans les greniers de quelques citoyens aufîî ennemis
de leur propre falut que de la liberté publique,de quoi nourrir
toute la ville pendant deux mois. Cependant l'incertitude
du fecours excitoit fouvent des troubles. Dans cet embarras
Cornput , homme inventif, imagina une manière de faire
tenh des lettres au camp , &; d'en recevoir les réponfes ; il
R r r ii j
502 HISTOIRE
■**^-^-»— fît fondre des baies de plomb de deux livres, dans lefquelles
Henri il y avoir, deux trous • dans l'un il mettoit une lettre , 6c dans
III. l'autre une matière combuitible,afin que la fumée qui fortiroit
I 58 i. de ces baies les fît aifément appcicevoir. Par ce moyen les
affiégés, 6c le fecours ayant un commerce continuel entre
eux, Noritz les aflura que dans quinze jours au plûtard il
feroit entrer un convoi dans la ville , 6c qu'en attendant il
alloit travailler fans relâche à fe fortifier contre Rennebourg.
Comme il faifoit un froid exceflif , de que la terre étoit ex-
trêmement dure , l'ouvrage n avançoit pas autant qu'il l'ait-
roit voulu : mais deux jours après , le tems s étant adouci ,
Noritz fit un nouveau fort lur l'ancienne rivière d'Aa. Les
troupes de Rennebourg s'étant miles en devoir d'empêcher
cet ouvrage , il y eut une action fort vive , de pendant ce
tems-là on fit entrer quelques provisions dans la place.
Après bien des inftances Cornput avoit enfin engagé ces
habitans peu dociles , à conftruire de nouveaux ouvrages
dans la partie de la ville qui eft au Couchant , de à jetter un
pont fur l'Aa. Les fortifications que faifoit Noritz n'étoient
éloignées de celles de la ville que de 890. pas , 6c Renne-
bourg fe trouvoit entre deux , n'étant pas à 770. pas de la
place , de forte qu'on étoit continuellement aux mains. Les
afîiégés commençant à fe défier du fuccès , tâchoient de
conduire leur artillerie 6c leurs provifîons au-delà du fleuve,
où ils croyoient qu'elles feroient plus en fureté. Enfin le
vingt trois de Février Noritz attaqua les ennemis avec toute
la vigueur poffible , 6c la garnifon ayant fait une fortie dans
le même tems, de chargé les afîiégeans de tous côtés, elle
fut à la fin repoullée par la cavalerie, mais fans perte, parce
qu'elle fe retira par des lieux marécageux , où il fut impof-
fible à la cavalerie ennemie de la fuivre.
Après un long combat, avant même qu'il finît, l'infan-
terie de Rennebourg ennuyée d'être toujours aux mains corn-
mença à fe mutiner : elle demanda fa paye dans ces circonf-
tances peu favorables , fort à contre-tems, de d'un ton me-
naçant • 6c malgré les efforts que fit la cavalerie pour la re-
tenir , elle fe retira. Il étoit environ trois heures après midi,
A peine ils fongeoient à prendre un peu de nourriture de de
repos , que les habitans firent une nouvelle fortie pour prêter
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 503
la, main aux troupes auxiliaires qu'ils voyoient s'avancer vers '
la ville 3 6c ayant porté quantité de claies de l'autre côté de Henri
la rivière, ils introduiiirent un convoi confidérable qu'on III.
leur avoît amené. Cependant Cornput toujours alerte atta- 1 58 1,
qua le fort de Rennebourg, & y jetta fans celTe de la paille
allumée 6c des cercles de fer tout rouge , il incommodoit
extrêmement les troupes qui défendoient courageufement
ce pofte.
Le combat qui dura jufqu'à la nuit,fut fanglant Se funefte; Levéc dlî
non , 6c donna ordre à {es troupes de plier bagage à la fa-
veur de la nuit, & laiilant toutes Ces provisions qui furent
le lendemain portées dans la ville , il tourna fa marche du
côté de Weflwick dans un fl grand filence , que ni les af-
liégés ni les troupes auxiliaires ne s'apperçurent point de fa
retraite. Lorfque le jour parut , Noritz voulut d'abord le
pourfuivre : mais il changea auflitôt d'avis. On fit entrer à
loifir le convoi qu'on avoit amené -, 6c la ville après quatre
mois de fiége , ie trouva délivrée précifément au tems que
Cornput l'avoir prédit : mais la joye des habitans ne fut pas
de longue durée. L'infection des corps morts leur amena la
pefte, & fit périr prefque tout ce qui reftoit dans la ville ;
en forte que ce lieu étant demeure défert , les troupes du
Roi s'en faifîrent , 6c fe mirent fans aucune peine en poffef-
fîon de tous les biens que ces malheureux habitans avoient
confervés avec beaucoup plus de foin que leur vie même.
Cornput & OltholfF furent très-mal payés par les Etats
des ferviecs qu'ils avoient rendus pendant le fiége avec tant
de courage &L de fidélité -y ils ne purent rien obtenir, parce
qu'ils n'etoient pas étrangers j on fe contenta de payer les
Allemans de Stuper 6c de Berembroeck , à qui on n'avoit
pas grande obligation.
Pendant le llége , S.iunoi prit par composition le château
de Wollenhove que Pvennebourg avoit fortifié depuis peu,
Une Egiife que les Efpagnols avoient auffi fortifiée fut prife
en même tems par un détachement de François, d'Anglois,
& de foldats du régiment d'Ifelflein qu'on envoyoic au
P4 HISTOIRE
<i Kainder. Lemmer 6c Sloten fe rendirent après une Câno-:
Henri nade fore vive , après quoi on envoya les Anglois 6c les Ecof-
III. fois dans leurs quartiers d'hy ver. Nienort ayant pris la route
i îS r. ^es Omelandes délivra à fon arrivée le fort de Winfom ,
qui étoit affiégé par les habitans de Groningue -y 6c ayant
mis garnifon dans ce château , dans celui de Warfum , 6c
dans quelques autres pofles circonvoifîns ,il tira de grandes
contributions dupais. Pendant ce tems-là quelques coureurs
des compagnies de Renoi 6c de W^erken s'étant retirés dans
une églife qu'ils avoient fortifiée du coté de Middeflum , 6c
y ayant été affîégés en l'abfence de leurs Colonels par les
troupes de Rennebourg , ils fe rendirent auflitôt , à condi-
tion qu'ils auroient vie 6c bagues fauves.
Oyenbrug , à qui on imputoit la défertion de Ren-
nebourg , vint dans ce même tems à Zalland , 6c fe rendit
maître du château de Boxbourg, où ayant fait un grand
butin, il fortifia Goor 6c quelques autres poftes des en-
virons.
Ce fut à peu près dans ce tems , que le prince d'Orange
fe rendit â Amflerdam , après avoir appaifé au mois de Mars
unefédition que la garnifon EcofToife de Wilworde avoit
excitée , 6>c avoir fait la même chofe à NY^illebroeck 6ç à
Bergopfom , où il ne put réduire les mutins qu'avec du ca-
non qu'il fit venir d'Anvers. Les Etats de Hollande l'allérent
joindre pour délibérer avec lui fur le projet de nommer le
duc d'Anjou Prince 6c protecteur des Païs-bas.
Le Prince alla enfuite en Frife au mois d'Avril , 6>c ayant
vifîté la Province , il donna ordre à Sonnoi d'afïïéger le châ-
teau de Staveren , où Rennebourg avoit une garnifon de
cent foixante èc dix hommes commandés par Reiner De-
kema. Sonnoi obéît avec plai/ir , 6c dès qu'il fut devant la
place , il éleva un fort avec un parapet , d'où il fit un feu
fi terrible fur les ennemis , qu'ils n'oférent plus fe mon-
trer fur leurs murailles ; auflitôt il fit mettre quatre pièces
de canon en batterie par les foins de Thomas Bothe , 6c rui-
na les parapets du château , 6c toutes les claies 6c les ga-
bions dont la garnifon fe couvroit : puis fes mineurs ayant
comblé le folle , il fit travailler à la fappe. Les ennemis s'en
apoer curent , 6c demandèrent à parlementer. Dekema
voulant
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 505
voulant s'y oppofer , ils le livrèrent avec dix-huit foldats de "\
Frife , & fe rendirent. Henri
Sonnoi fe voyant maître du château fit rafer les murs qui III.
le feparoient de la ville , & fît travailler en diligence à la for- r 5 8 1 .
tifier. Le mois fuivant un détachement des troupes de Ren-
nebourg revenant du grand Auwaert s'empara de Reedyep,
& bâtit un fort fur l'eau , pour empêcher Nienort d'y entrer:
mais Sonnoi étant arrivé fur ces entrefaites , les furprit , les
tailla en pièces , &: leur prit quelques drapeaux. AurTitôt
Nienort ayant reçu deux mois de paye pour fes troupes , al-
la mettre le fiége devant le grand Auwaert , &: fit appro-
cher fon canon de l'Abbaye. Les Royaliftes qui étoient à
Middelflum accourent au fecours au nombre de trois cens
chevaux , & pafTent la rivière de Reedyep auprès de Gronin-
gue. Nienort penfa d'abord à fe retirer : mais raflTuré par Ces
troupes , il fe met en état de recevoir les ennemis , & place
imprudemment parmi les foldats qui étoient à la tête , des
payfans de la Province,qui n'avoient aucun ufage des armes.
Des qu'ils apperçurent l'ennemi , avant même qu'il fe fût
approché , ils fe fervirent de leurs longs bâtons ferrés , les
feules armes qu'ils euflent , pour fauter les fofïës qui étoient
devant eux , & s'enfuyant de toutes leurs forces , ils entraî-
nèrent tout le refte. Les ennemis prirent les drapeaux d'Hanf.
plomp Se de Berembroeck, &; deux des principaux officiers,
Stuper èc Wifcher : il n'y eut pourtant pas beaucoup de
fang de répandu. Les fuyards fe retirèrent à Auverderziel :
les Royaliftes qui les pourfuivoient, attaquèrent incontinent
ce pofte -, mais ayant été repoufiès , ils firent venir du canon,
emportèrent la place à la troifîéme attaque, & tuèrent tout
ce qu'ils rencontrèrent , entre autres le colonel Jarges , qui
par une alliance rare parmi les militaires , joignoit à la valeur
de grandes connoiiTances. >
Pour réparer cette perte, la Province fournit fur le champ
avec beaucoup de zèle des troupes &c de l'argent à Nienort 5
celui-ci marcha en diligence à Winfum qu'il avoit fortifiée
depuis peu : mais Rennebourgy étant arrivé prefque en mê-
me tems avec fes troupes vi&orieufes , la place fe rendit , Se
l'effroi s'étant répandu dans tout ce canton , tous les portes
des environs capitulèrent avec Rennebourg , qui fans tirer
'fomç FUI, S f(
5o6 HISTOIRE
l'épée fetrouva maître de tous les forts du païsjufqu'àDoe-
Henri çum. L'arrivée de Noritz avec huit compagnies de Son-
III. noi , & quelques autres troupes arrêtèrent un peu les pro-
i 5 8 i, gr^s de ce Général. Le capitaine Schal prit fur lui le fore
de Momickerziel , & le faccagea ; 6c les Royaliftes ayant en
même tems abandonné Grypikerke, le régiment de Son-
noi les pourfuivit de fî près dans leur retraite, qu'on en vint
aux mains le neuf de juillet : les troupes de Rennebourg y
perdirent plus de fept cens hommes 3 le reffce fe retira à Gro-
ningue. Noritz vainqueur alla camper près de cette place,
£c s'empara des monafléres du grand Auwert 6c de Selwert..
Le vingt- trois du même mois Rennebourg mourut d'une
purifie caufée,à ce qu'on difoit, par le chagrin. Il fut prefque
également regreté des deux partis : c'étoit un homme doux,
poli, zélé pour la difeipline militaire, brave, libéral, magni-
fîque,même au-delà de les forces, ennemi de la violence,de la
cruauté 6c de l'yvrognerie, vice qui eft prefque toujours accom-
pagné d'orgueil & de férocité , comme on peut le remarquer
dans toutes les nations qui y font fu jettes. D'ailleurs il étoit
très-verfé dans les lettres, entendoit bien le grec 6c le latin,
& aimoit extrêmement les Mathématiques 6c la muilque. Sa
fœur Cornelie l'avoit en quelque forte forcé par fes impor-
tunités à quitter le fervice des Etats , en lui faifant efpérer
qu'il épouïeroit Marie de Brimeu comtefTe de Meghen, com-
me je l'ai dit ailleurs :il s'en repentit toujours, 6c on l'en-
tendit peu avant fa mort maudire le jour qu'il étoit venu à
Groningue. Depuis ce tems-là il eut une telle averfion pour
fa fœur , qui lui défendit abfolument de paroître devant lui.
Le prince de Parme nomma gouverneur de Frife à fa place
François Verdugo Efpagnol, qui époufa dans la fuite une
bâtarde d'Erneft comte de Mansfeld , 6c qui juftifia par plu-
fieurs belles actions le choix du Viceroi. Son coup d'eflai fut
contre le fort de Reeding îltué dans une prefqu'ifle que
forme la rivière d'Ems , vis-à-vis d'Embden. Il y avoit peu
de jours qu'Egbert de Beveland avec quatre compagnies en
avoit charTé les Royaliftes -y mais Noritz ayant levé le fiége
de Groningue , Verdugo reprit fans peine Reeding le dix-
huit du mois d'Août, à la honte des Commandans , qui
fans être aucunement preiTés rendirent une place de cette
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 507
importance , utuée très-avantageufement pour envoyer par ■" ■
mer des troupes 5c des convois par tout où Ton en auroit Henri
befoin. Ces Commandans étoient Ifaac de Wicringhe & Jean III.
Crom , qui furent condamnés à mort -, mais ils fe dérobèrent 1 c S 1 .
au fupplice par la fuite. Le capitaine Cater qui s'opiniàtra à
défendre cette place, y perdit la vie.
Cependant Ifelftein alla attaquer Goor , où Simon de
Limbourg étoit en garnifon avec 800 hommes de pied , &
fix-vingts chevaux : il s'étoit déjà rendu maître d'un fort ,
& battoit l'autre vigoureufement , lorfque Martin Sckenk
arrivant tout d'un coup avec un corps confidérable , rin-
veftit de toutes parts 5 ôc quoique le prince d'Orange, fans
l'avis duquel Ifelftein avoit fait cette entreprife , lui eût en-
voyé du fecours, il fut obligé de fe rendre faute de vivres.
Wermelo , Conrad , Efcheda , & les Bourgmeftres de De-
venterôc de l'Overiiïel qui luiavoient fuggéré ce projet té-
méraire , furent pris 6c menés prifonniers à Blimbecke : on
renvoya les foldats fans rien exiger d'eux , finon que de trois
mois ils ne porteroient les armes contre le roi d'Efpagne :
mais on manqua de fidélité pour ceux qui fe rendirent $ on
en dépouilla beaucoup , on en tua même quelques-uns, mal-
gré Sckenck , qui non-feulement s'y oppofa , mais qui perça
de fa main quelques foldats indociles , afin qu'on ne pût pas
lui reprocher d'avoir violé la parole qu'il avoit donnée.
Après une aflemblée qui fut tenue à Leuwaerden le fept
de Septembre, Noritz eut ordre d'aller en Frife pours'op-
pofer à Verdugo. Il fe mit en marche le trente du mois avec
onze compagnies Angloifes commandées par Morgan,quatre
de Nafîàu , neuf de Sonnoi , £c quatre de Nienort , qui toutes
enfemble faifoient à peine trois mille fantaflïns. Il avoit
outre cela environ cinq cens chevaux commandés par les
iîeurs de Goor , d'Eldenborn & d'Eeck. Il traverfà les lignes
de Niewel , & vint à Northorn à la vue des Royaliftes. Ver-
dugo qui avoit à combatte contre la pefte , la famine, 6c le
mauvais tems , auroit bien voulu trouver un moyen honnête
de fe retirer fans combat • mais ne le pouvant , voici le parti
qu'il prit. Après avoir prié Dieu à la tête de (es troupes de
bénir les prémices de fon adminiftration , il fe mit en bataille
à l'abry de fes retranchemens où il y avoit de bons parapets.
Sff ij
5o3 HISTOIRE
_ Il plaça au milieu de fa bataille les deux régimens de Ren-
Henri nebourg , 6c de Billy ou de Frife ^ le premier commandé par
III. Monceau , & Rrinfwoude fon Lieutenant -y 6c le fécond par
i f8i. Jean-Baptifte Taxis -, 6c il jetta fur les ailes quelques com-
pagnies d'infanterie de fon régiment Wallon. Du côté de
l'armée des Etats, tout étoit en défordre:on y comptoit
tellement fur la vidoire , qu'on ne prenoit aucune précau-
tion. Ainfî toute l'infanterie s'avança en un peloton pêle-
mêle , 6c fans diflinction de nation , les drapeaux au milieu;
Se la cavalerie légère à la tête & fur les ailes. Roger Guil-
laume avec fa cavalerie Angloife, & le lieutenant d'Elden-
born avec la fîenne chargèrent viçoureufement deux efca-
drons Royaliftes, les défirent 6e les pourfuivirent jufqua
Northorn , où ils s'enfuirent honteufement. Là cinq com-
pagnies d'infanterie de troupes de Verdugo s'étant mifes
en devoir de repoufler les vainqueurs furent encore mifes en
déroute par \Feingarten , qui fe fit jour au travers de l'ar-
mée ennemie pour fècourir la cavalerie de fon parti. Jufque-
là les troupes de Noritz étoient victorieufes : mais la fortune
changea bientôt par l'imprudence du foldat , qui regardant
la bataille comme gagnée , commença à courir de côté 6e
d'autre , à fe débander 6c à piller avec la dernière infolence.
D'ailleurs la cavalerie pourfuivant les fuyards avec trop d'ar-
deur s'engagea dans des défilés , 6c des chemins coupés de
quantité de fofTés, pendant que l'infanterie s'amufoit au pil-
lage j en forte que Verdugo , qui s'étoit tenu jufque-là dans
(es lignes avec un corps de réferve qu'il gardoit comme une
dernière refïburce , voyant les ennemis débandés vint tout
d'un coup fondre fur eux , & les mit en déroute. Le vain-
queur les pourfuivit au petit pas avec un efeadron de cava-
lerie jufqu'au fort de Nieuzel , 6c les diffipa entièrement.
Ils perdirent dans ce combat la moitié de leur infanterie ,
une bonne partie de leur cavalerie 6c plufieurs étendars.
Weingarten lieutenant de Sonnoi y fut tué ^ fa place fut
donnée à Cornput. Les autres morts de confi dération, font les
braves George Robert, Schal lieutenant de NafTau, le ca-
pitaine Wynart d'Ommeren , Gerts , Entens & Loewefchen:
ces trois derniers étoient du régiment de Nienort. Du côté
des Anglois, Coton , Bifchop 6c Fitz-\Tilliam furent tués^
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXlV. 509
Henri d'Eck & Itellewin lieutenant d'Eldenborn , & quelques
autres eurent le même fort. Entre les prifonniers on compte Henri
Donaw lieutenant de Nienort , Bruin Guillaume Henriellon , III.
Pierre Berenftein , George d'Edimbourg , & d'autres Capitai- 1581,
nés fort braves. Noritz y fut blefTé d'une baie qui lui entra
dans la main 5 Nafîau y reçut piufîeurs coups d'arquebufe
dont fes armes le garantirent ; Nifbeth reçut un coup à la
tête dont il mourut quelques jours après. Du coté deVerdugo
il y eut peu de morts , &perfonne de remarque même entre
les blefTés, fi ce n'eft Wolf Prenger qui reçut un coup dange-
reux à la tête.
Verdugo enflé de cette vi&oire à laquelle il ne s'attendok
pas, ne fcut pas en profiter : il pafTa cependant le marais
avec toutes fès troupes & vint camper près de Griskerke èc
de Vifuliet , où il fe mit à conffcruire de petits forts fur le
canal au-deflbus des murs de Niewelj & pour empêcher qu'il
n'entrât des vivres & des munitions dans la place , il ferma
le canal avec des chaînes Se de longues barques, qu'il avoit
fait remplir de terre 3 mais il s'y prit trop tard. Cnop s'y étoit
jette par ordre des Etats avec des vivres &c deux pièces de
canon de fonte. La garnifon étoit compofée des compagnies
de Stein de Malfem Danois, de Gérard CorneluTe Schey , de
Reiner Jetfen & de Scheltema. Dès que l'armée de Ver-
dugo parut , les habitans rompirent les éclufes & les digues ,
& inondèrent toute la campagne jufqu'à Emmentrel 3 &les
pluyes étant furvenucs, peu s'en fallut que le camp de Ver-
dugo ne fût fubmergé. Ces accidens forcèrent ce Général
victorieux à lever le fiége le 2 3. d'Octobre, &: à fe retirer en
vaincu. Les habitans le poursuivirent dans fa retraite mal-
traitèrent fort fon arriére-garde, & le mirent lui-même en
grand danger. Les Etats donnèrent un collier d'or à Stein
de Malfem pour récompenfe des fervices qu'il avoit rendus
en cette occafîon , &; ils le firent lieutenant de Merode ,
Grand-Bailly de la province.
Pendant que tout cela fe pafïbit du côté de la Frife , il Nourenux
y eut de grands mouvemensà Bruxelles. La confpiration du «oubies a
comte d'Egmond , dont j'ai parlé dans le dernier Livre, celle
de Butkens , d'Anderlech 8c de Jean de Coby Anglois, qui fut
éclartelé,n'étoit pas encore effacée de l'efprit des Proteftans^
Sff iij
5io HISTOIRE
.; & comme ils fe trouvèrent les plus forts , ils firent met-
Henri tre en prifon d'Auxy &: fa femme , fille de Liedekerke.
III. D'Auxy ayant été foupçonné d'avoir eu part a la conjuration
j c g i t de Hefe , à qui le prince de Parme fit couper la tête , fe retira
dans fon château de Liedekerke , auprès de Bruxelles ^ mais
comme il ne s'y croyoit pas en iùrete , il livra ce château
aux Etats. Le même d'Auxy, qui fe laiffoit gouverner par
fa femme , ayant depuis donné quelques marques de légère-
té , il devint fufpect aux Etats , &; on lui auroitfait un mau-
vais parti , fi Olivier Tempel gouverneur de Bruxelles , qui
avoit époufé fa feeur , ne l'eût fauve. A fa considération les
Etats rendirent la liberté à d'Auxy , mais à condition qu'il
iroit en France trouver le duc d'Anjou. Les troubles n'en
demeurèrent pas là. Frère Antoine de Ruyskenweldt Domi-
nicain , chaiîé depuis peu de Gand , etoit paiTé à Bruxelles ;
èc craignant qu'on ne l'y traitât comme on avoit fait à Gand ,
il infpira la même crainte à tous les Catholiques, & les ani-
ma fi bien par fes difeours véhémens , qu'ils vinrent un jour
en grand nombre inveflir la maiion du Gouverneur, criant
de toutes leurs forces , qu'ils ne fouffriroient pas qu'on
chaffat leur Prédicateur de la ville , &: qu'il n'y avoit point
de péril auquel ils ne fuflènt prêts de s'expofer pour l'em-
pêcher.
Ordonnan. Ce tu multe , qui fut bientôt appaifé, donna occafion à
fufSrIaUe une Ordonnance du Sénat, où après un long &. ennuyeux;
l'exercice de préambule fur les abominations du culte des reliques Se des
la Religion jmagcs , fer Pavarice infatiable des Prêtres , qui pour abufer
le peuple crédule , lui difoient faulfement qu'il couloit du
fang d'une parcelle d'hoftie confacrée -y fur les chafTes de
Waure & de Saint Antoine j &: fur mille autres puérilités de
cette nature : ( ce font les termes de l'Ordonnance) puérili-
tés défendues ôç condamnées par le Concile de Trente mê-
me 5 fur tant de reliques des Saints qu'on fait adorer aux peu-
ples contre la doctrine de l'Eglife Romaine j fur des mor-
ceaux du fépulchre de la Sainte Vierge ; fur le crâne de Saint
Michel , fur des têtes de featues de Saints , où l'on avoit fait
des trous par où des Ecclehaftiquesimpofteursfailoient cou-
ler de l'Huile ou queiqu'autre liqueur, afin qu'il parût que
ççs têtes pleuroient ou fuoient ; il étoit dit enfin , que pour
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 511
abolir des " fuperftitions fi déteftables , pour étouffer l'avari- -
ce des Prêtres j pour ces caufes & plufieurs qu'on ne jugeoit Henri
à propos de publier alors 5 6c afin d'afîurer la concorde 6c III.
>as a
la tranquillité publique, le Sénat ordonnoitque Ruysken- 1 581.
weldc 6c Tes complices fortiroient inceflamment de Bruxel-
les $ que les Egliiés èc les Monaftéres feroient fermés 5 que
les ftatuës & les images en feroient enlevées , afin de faire
cefîer le fcandale ; qu'on mettroit à part tout ce qu'il y au-
roit de bon , 6c qu'on en feroit le plus d'argent qu'on pour-
roit
6c
1
6c que les inimitiés 6c lesdivifions qui l'agitoient fuflènt en-
tièrement aflbupies. Cette Ordonnance fut publiée 6c affi-
chée dans la place le premier de Mai.
On fit la même chofe à Anvers , où treize Corps d'artifans
& fix Jurés préfentérent une requête aux Magiftrats de
concert avec eux , pour demander qu'il leur fût permis d'en-
lever les plus beaux tableaux des Autels 5 ce qui leur fut ac-
cordé, à condition néanmoins qu'on laifïeroit les Autels. Mais
dans la fuite les Colonels & les Capitaines de la ville crai-
gnant que les Catholiques ne s'y attroupafTent fous prétex-
te de dévotion , 6c ne conjuraffent contre les Proteftans , de-
mandèrent enfin que l'on défendît l'exercice de l'ancienne
Religion. Le Sénat fit d'abord quelque difficulté j mais il y
confentit enfin, & l'Ordonnance fut dreffëe le premier de
Juillet. Cependant on laiffa une liberté entière aux habitans
pour les baptêmes , les mariages , la confolation des malades ,
pour les enterremens même , pourvu qu'ils fe fifïent fans pom-
pe & fans concours : on leur abandonna pour cela deux Cha-
pelles ^ mais on ne donna pas la même liberté aux étrangers.
On nomma fix Prêtres , à qui l'on donnoit le nom de Pdcifî-
ques , pour célébrer la Me& dans les Chapelles qu'on avoic
accordées aux Catholiques.
En exécution de cette même Ordonnance , un grand
nombre d'Ecclefiafliques 6c d'autres perfonnes chaflès de
cette ville, quelques-uns des Païs-bas , ou qui ne demeu-
roient à Anvers que depuis quatre ans , curent ordre d'en
fortir , excepté les commerçons étrangers 3 & il fut défendu
512 HISTOIRE
— à tous généralement de porter des armes.
Henri Cependant Je prince de Parme viceroi des Païs-bas , forma
III. le deilèin de furprendre Fleffingue. Ce fut Bernardin de
j j g j p Mendoze ambaflàdcur d'Efpagne à la cour d'Angleterre , qui
luienfuggéra l'idée. Un certain Bocchart, autrefois Avocat
de la ville, & qui en avoit été banni, fît ce qu'il put pour
corrompre les Commandans. Ils en donnèrent avis au prin-
ce d'Orange , qui leur confeilla de traiter avec Mendoze ,
d'en tirer le plus d'argent qu'ils pourroient , $c de lui don-
ner même un otage s'il le falioit. Bocchart ayant payé comp-
tant fix mille florins , on lui donna en otage un des fils de
l'un des Commandans , qui fut mené à Londre , & mis en-
tre les mains de Mendoze. Le jour pris, la garnifon fe diC
pofa à bien recevoir les Efpagnols. Cependant le prince d'O-
range qui n'étoit pas fans inquiétude au fujet de l'otage y
envoyé en Angleterre Chriftian Huighem Ion Secrétaire ,
pour tirer l'otage des mains de Mendoze de gré ou de force.
Il s'acquitta exactement de fa commiflïon , &: ayant vii le
jeune homme à la porte de cet Ambafladeur , il l'enleva & le
mit en lieu de fureté. Farnefe de f on côté voyant que la femme
d'Auxy , qui fçavoit le complot, avoit été arrêtée, & crai-
gnant qu'elle n'eût tout découvert , n'envoya point les trou-
pes au jour marqué.
Cependant les Efpagnols s'emparèrent au mois de Juin de
Baerle auprès de Hoeftrate & de Tournhout , qui eft une allez
bonne place , entourée d'eau. Elle eft fituée dans la Campine
fur le chemin de Breda. Dès qu'ils en furent les maîtres , ils
firent venir des païfans pour y faire de nouveaux ouvrages,
Stakenbroeck gouverneur de Breda , en ayant été informé
fe mit en chemin pour s'y oppofer, &; ayant fait venir du
canon , il commença à battre la place , mais fans fuccès. Les
Etats y envoyèrent un Colonel François , nommé la Gar-
de, avec fa compagnie de cavalerie, èc quatre cens hom-
mes de pied. La Garde l'ayant inveftie fur le champ , s'en.
rendit maître par compoiition , &; aufîitôt il marcha à
Hoeftrate : (on. canon fit un effet fl terrible, que la garni-
fon fut obligée de capituler. Les garnifons voifines ef-
frayées de ce progrès abandonnèrent Baerle , après y avoir
mis le feu. La Garde continuant les conquêtes , s'empara
dç
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 513
de Loon-opt-land (1) de d'Ofterhout , de y ayant mis des •
troupes, il réfoluc de faire une tenrative fur Eindove & fur H e n iu
Bolduc. Il y avoit du tumulte dans cette dernière place ^ j t j
le Viceroi craignant qu'il n'eût des fuites , v envoya Cl. de 0
Barlaymont feigneur de Haultepenne de M. Sckenck , avec
un détachement de cavalerie. A leur arrivée la Garde fe Breda
retira du côté de Tournhout après quelques efearmouches , furpris.
& fa retraite facilita la furpriiè de Breda. Barlaymont de
Sckenck en avoient formé le deiTein : s'étant donc mis en
campagne fous prétexte de pourvoir à la fureté de Bolduc ,
ils changèrent tout d'un coup de route , de tombant à l'im-
provifte fur Breda , ils s'en rendirent maîtres. Stakenbroeck
à qui le prince d'Orange avoit donné ce gouvernement,
étoit avec un petit nombre de foldats dans un château de
ce prince , confirait aux portes de la ville, dans un lieu très-
agréable j car c'étoit moins une citadelle , qu'une maifon de
plaifance que la maifon de NafTau avoit bâtie de magnifi-
quement ornée. Il y a voit un fort belarfenal, où l'onavoic
mis cinquante- deux pièces de canon d'un ouvrage admira-
ble , de dont l'empereur Frédéric avoit fait préfent aux
princes d'Orange , comme les inferiptions en faifoient foi.
Mais le duc d'Albe en avoit enlevé une partie , de fait con-
duire le refbe en d'autres villes. Les habitans de cette ville
étant fort attachés à la maifon de Nalîàu, le prince d'O-
range avoit ordonné à Stakenbroeck de fe fervir d'eux
pour faire la garde, de fur-tout dans fon château. Cet avis
étoit falutaire -y mais Stakenbroeck ne le jugea pas néceilaire
de ne le fuivit pas. Charle de Gaure ieigneur de Frefin , frère
du fieur d'Inchy qui livra au duc d'Anjou la citadelle de
Cambrai par le confeil des Etats , avoit été Intendant des
vivres dans l'armée des Provinces-Unies ; mais quelques let-
tres interceptées, dans lefquelles il marquoit que c'étoit à
contre -cœur qu'il fervoit dans leurs troupes , l'ayant rendu
fufpecl , ii hit arrêté de mis prifonnier au château de Bre-
da. On croit que ce fut lui qui corrompit quelques foldats
de la garnifon , de qui engagea Barlaymont à tenter l'entre-
prife. Barlaymont ïè mit en marche la nuit du vingt-huit de
Juin avec un détachement de gens choifîs, de s'étant approché
(i) C'eft-à-dire , Loo fur les fables , bourg entre Breda & Bolduc.
Tome VIU. Ttt
jï4 HISTOIRE
1 ' : du château par l'endroit le moins efcarpé , Se où les murs
Henri étoient tout en ruine , il y fut introduit par les conjurés , qui
III. amufoient les autres à jouer aux dez. Aufîltôt il fit main-
j r g r# baile fur la garnifon &; attaqua la ville le lendemain matin ,
par la porte du château. Les habitans en cette extrémité
ne perdirent pas courage j 6c quoiqu'ils fe viiTent invertis fu-
bitement, ils fe défendirent avec beaucoup de vigueur cinq
heures durant : ils élevèrent même à la hâte des retranche-
mens qui retardèrent quelque tems les efforts des ennemis j
mais le canon du château ayant commencé à les foudroyer, il
fallut reculer , &ils furent mis en déroute. Une compagnie
de jeunes gens , qui n'étoient point entrés dans la conjura-
tion , fe défendit avec une valeur extraordinaire 3 mais elle
fut enfin taillée en pièces , à la réferve d'un très-petit nom-
bre. Godefroi Montens bourgmeftre de la ville, le fauva à
cheval : Stakenbroeck trouva aufïï moyen d'échaper 5 mais
fa femme &: fa fille étant refiées dans le château , elles furent
traitées de la manière du monde la plus indigne parles vain-
queurs. On croit que la douleur qu'en refTentit Staken-
broeck contribua beaucoup à fa mort prefque fubite, qui
arriva peu de tems après. La ville fut faccagée avec beau-
coup de cruauté 3 &; tout cela fe fit avec tant de filence & de
promptitude, que la Garde qui étoit à Tournhout n'en fçut
rien qu'après que l'affaire fut confommée.
Les Eipagnols firent venir à Breda Jean Linden évêque de
Ruremonde , pour y rétablir la religion Catholique. Barlay-
mont marcha de là à Gertruydemberg , qu'il voulut furpren-
dre par efealade 3 mais il fut repoufîé avec perte. Il ne fut
pas plus heureux au château de Heufden , qui étoit très-bien
fortifié , &; fourni de toutes fortes de munitions.
La perte de Breda fut très-fenfibleau prince d'Orange &
aux Etats 3 & comme elle arriva dans le tems qu'on délibé-
roit à Anvers fur l'abolition de l'exercice delà religion Ro-
maine , on croit qu'elle fut caufe que le Sénat , qui s'étoit
oppofé jufque-là aux demandes des corps des Artifans , & de
quelques autres compagnies , leur accorda enfin ce qu'ils de-
mandoient, ne voyant point d'autre moyen de mettre la
ville en fureté. Les Etats penférent de l'autre côté à faire
une tentative fur Bolduc à l'inftigation du chevalier Jean
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 515
Junius bourgmeftre d'Anvers 3 mais les bruits qui en coururent
& la lenteur de la cavalerie , rirent échouer l'affaire : cepen- H t n a 1
dant ceux qui s'étoient chargés de l'entreprife ayant été in- III.
formés en chemin par un habitant d'Eindove , qu'ils rencon- 1 5 8 1 .
trérent par hazard, de l'état où étoit la place, réfolurent
pour ne pas perdre tout-à-fait leur peine , d'y aller fur le
champ 3 6c s'étant rendus maîtres de la ville , ils prirent le
Gouverneur de la citadelle , 6c le poignard fur la gorge , ils
le forcèrent d'engager la garnifon à le rendre. On y tailla
en pièces une compagnie d'Italiens & trois autres compa-
gnies d'infanterie , dont il fe fauva peu de foldats. De là , les
troupes des Etats marchèrent à Helmont , 6c s'emparèrent
de la ville 3 mais ils ne purent prendre la citadelle.
Le comte de Hohenlo étant arrivé fur ces entrefaites avec
un corps de troupes auxiliaires , les Etats prirent quelques
forts aux environs de Bolduc , après quoi ils diftribuérent
leurs troupes dans les places de guerre, parce qu'on jugea
néceflaire d'envoyer en Flandre Smart 6c la Garde avec leurs
bandes Ecoiîbifes 6c Françoifes pour faire tête aux Wallons
Espagnols 3 ceux-ci vouloient s'oppofer à la marche du duc
d'Anjou, qui devoit fe rendre à Cambray. Ils ne furent pas
plutôt fortis de la Campine, que Barlaymont 6c Ch. de Mans-
feld allèrent mettre le fiége devant Eindove. Comme on
n'avoit pas eu foin de pourvoir la place des choies néceUai-
tqs , elle fut bientôt réduite à une fi grande extrémité , qu'elle
fe rendit à compofition.
En Flandre, les armes des Etats éprouvèrent des fuccès
différens. Pendant que Villers maréchal général voltigeoit
avec quelques troupes du côté d'Ipre 6c de Dixmude , Farnefe
fortifioit autour de Cambrai Marquoin , Crevecœur &: Vau-
celles , en attendant l'occafion d'agir. Mais ayant appris que
le duc d'Anjou fe difpofoit à fecourir Cambray , il abandon-
na fes fortifications 3 6c comme il avoit plus de cavalerie que
le prince d'Epinoi (1), qui commandoit l'armée des Etats,
il l'attaqua 6c lui tua quelques foldats 3 mais le prince d'Epi-
noi lui fit beaucoup plus de mal , qu'il n'en avoit reçu : car de
Tournai dont il étoit Gouverneur , il faifoit continuellement
des courfes dans le Hainaut , 6c défoloit toute la province.
(1) Pierre de Melun , frère de M, de Richcbourg.
Ttt ij
5i6 HISTOIRE
? Le Viceroi de Ton côté , s'étoit retranché à Hauterive , vil-
Henri lage fitué fur l'Efcaut encre Tournai 6c Oudenarde, d'où il
III. envoyoic fouventdes troupes ravager le païs ennemi. Quatre-
x 50 1, vingt-dix chariots charges de toutes fortes de marchandifes
étant fortis en ce tems-là de Tournai avec une fort petite
efcorte pour aller à Courtrai , Gand 6c Anvers , les Royalif-
tes en prirent une vingtaine , qu'ils emmenèrent dans leur
camp.
L'armée des Etats , compofée de trois mille fantaÏÏlns & de
huit cens chevaux , s'étant poftée avantageufement dans le
bailliage de Veren , avoit fait de bons retranchemens avec
un folle. Pour les en chafïèr , les Efpagnols fe campèrent à
Roefbrughe , 6c pendant les mois de Juin &de Juillet , ils en
vinrent tous les jours aux mains : mais les Royaliftes ayant
fouvent eu du pire, décampèrent après avoir perdu plus de
trois cens hommes , 6c ils prirent la route de Cambray , pour
empêcher le fecours du duc d'Anjou d'entrer dans la ville.
Après la conférence de Fleix, 6c le rétabliflement de la
paix en France, le duc d'Anjou tourna toutes fes penfées du
côté de la guerre de Flandre. Mais comme il fçavoit que
bien des gens traverfoient fes defïeins, que peut-être au/]/
il vouloit gagner l'amitié des Efpagnols , ou qu'il redoutoit
leur puiffance ^ il publia un manifefte , 6c l'envoya avec des
lettres à tous les Parlemens du Royaume. Il y déclare fort
au long la réfolution généreufe &: inébranlable qu'il avoit
prifè de protéger les Païs-bas , 6c de les délivrer d'un joug
étranger : 6c il prouve que non-feulement l'entreprife eft ho-
norable pour lui j mais qu'elle eft falutaire pour le Royaume ,
6c glorieufe pour la Nation.
Le Parlement de Paris renvoya fes lettres au Roi fans les
ouvrir • Chriftophle de Thou confulté dans cette occafion ,
ayant répondu qu'il n'étoit pas permis de lire au Parlement
d'autres lettres , que celles qui lui étoient adrefTées par le Roi,
ou par le Chancelier.
Droits de la Pendant que les Etats délibéroient fur l'élection du duc
maifon de d'Anjou , le duc de Nevers , qui avoit époufé Henriette de
ksTaïs bas. Cléve, laquelle prétendoit depuis long-tems que lepaïsde
Limbourg , le Brabant 6>c la ville d'Anvers lui appartenoient ,
pour ne pas préjudicier par fon filence au droit de fa femme ?
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 517
publia un écrie compofé par Jean Chandon de Maçon , mai. jl u.
tre des requêtes , qui par bien des endroits étoit attaché à la Henui
maifon de Nevers. L'écrit portoit en fubftance que Philippe III.
furnommé le Hardi, quatrième fils du roi Jean qui mourut 1581,
en Angleterre, avoit été créé en 1 361. duc de Bourgogne
par ion père , à qui cette province étoit revenue* par la mort
de Philippe de Bourgogne dernier duc de la première bran-
che ; que Philippe le Hardi foûtenu par le roi Charle V. fon
frère avoit époufé Marguerite de Flandre fille de Louis III.
comte de Flandre 6c de Marguerite de Brabant, unique hé-
ritière de Jeanne fa tante Dame de Brabant , de Limbourg
& d'Anvers , 6c par confequent héritière de prefque tous les
Païs-bas ; que le mariage avoit été célébré à Gand le 19.
de Juin de l'année 1369. avec beaucoup de magnificence &
de joye , que de leur mariage étoient fortis trois enfans Jean >
Antoine 6c Philippe -y 6c que Jean l'aîné des trois avoit en ou-
tre les biens qui lui appartenoient du chef de fon père, tous
ceux qui avoient appartenu à Louis III. fon ayeul maternel ,
6c que le Brabant, le païs de Limbourg 6c les feigneuries de
Lothier & d'Anvers étoient échus à Antoine , à condition
que s'il mouroit fans enfans mâles , fa part retourneroit par
droit de fideicommis à Philippe fon cadet : Que fur cela on
avoit fait un acte en forme à Bruxelles le 29. de Septembre
1 40 1 . que l'acte fut approuvé 6c ratifié par les Etats du Bra-
bant 5 que de Jean l'aîné étoient lortis tous les ducs de Bour-
gogne jufqu'a Marie fille du dernier * mariée à l'empereur * charle h
Maximilien I. de la maifon d'Autriche, dont elle eut Phi- temeraue-
lippe père des empereurs Charle -Quint 6c Ferdinand, S<.
ayeul de Philippe II. aujourd'hui régnant -, qu'Antoine 6cfes
deux enfans Jean 6c Philippe étant morts fans poftérité maC
culine, Philippe frère d'Antoine avoit fuccédé dans tous
{qs biens, ainfi qu'il avoit été réglé par Philippe le Hardi
6c Marguerite de Flandre leurs père 6c mère, 6c qu'il avoit
laifTé deux fils Charle 6c Jean : Que Charle étant mort fans
enfans, ces mêmes biens étoient revenus à Jean j que fon
droit qui avoit été contefté fut confirmé par Ordonnance
du Roi : Qu'ayant été fait prifonnier par Charle , dernier duc
de Bourgogne fon parent du côté paternel , il fut obligé de
.renoncer à fon droit pour recouvrer fa liberté 3 mais qu'il
T t t iij
5i8 HISTOIRE
-■-_ protefta contre cette renonciation le 22. Mars de l'année
Henri 146 5. Que fa proteftation reçue par Jean Bertold qui étoit
III. fon Secrétaire , 6c en même tems Garde du Iceau Royal , fut
1 5 8 1. confirmée deux ans après par l'autorité de Louis XL 6c que
Lettres Patentes en furent drelTées à Paris , 6c envoyées au
Parlement le 1 6. de Mai ^ que Jean laiffa deux filles ,Elifa-
beth, qui époufajean duc de Cleves^ 6c Charlotte, qui fut ma-
riée à Jean d'Albret feigneur d'Orval j qu'il y eut de gran-
des difputes pour la fucceffion de Jean entre fes deux filles ,
6c entre leurs enfans 3 mais qu'elles furent enfin terminées
par l'heureux mariage de Marie fille de Charlotte , avec Jean
de Cleve, petit -fils d'Elifabeth , puifqu'Engelbert fon père
étoit fils de Jean de Cleve 6c d'Elifabeth j que de leur ma-
riage naquit François de Cleve, qui époufa Marguerite de
Bourbon fœur d'Antoine roi de Navarre, dont il eut cinq
enfans j deux garçons , qui furent François de C levés duc de
Nevers, &Jacque ; 6c trois filles, Henriette, Catherine &
Marie,dont la première fut mariée à Louis de Gonzague frère
du duc de Mantouë , la féconde à Henri duc de Guife , 6c la
troifiéme à Henri prince de Condé 3 que François 6c Jacque
de Cleves étant morts fans enfans , Henriette leur fœur aînée
avoit fuccédé à tous leurs droits^ 6c que quoiquejean de Bour-
gogne petit-fils de Philippe le Hardi y eût renoncé pendant
qu'il étoit prifonnier de Charle le téméraire , il étoit évident
que la proteftation de Bertold les avoit confervés en leur en-
tier : Que le traité de Madrid , par lequel François I. renonça
à la fouveraineté de Flandre n'a pu préjudier au droit d'un
tiers : qu'à la vérité Charles V. fit porter les pièces du procès ,
du Parlement de Paris au tribunal fouverain de Flandre,
qu'il avoit établi à Malines h mais qu'on en fit des copies au»
tentiques qui ont été dépofées par l'autorité du Parlement
dans les Archives delà Cour , pour fervir à la poftérité.
Cet écrit déplut d'abord au duc d'Anjou , quoique le duc
de Nevers lui en eût fait fes excufes , 6c lui eût protefté que
fa femme 6c lui étoient prêts à lui céder tous leurs droits 3
mais ce prince en plaifanta dans la fuite, 6c dit : que quand
deux Princes puifïànts difputoient une Couronne , il paroifToit
ridicule qu'un petit Prince fans force vînt fe mettre entre
deux.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 519
Ce duc avoit donné rendés-vous à fes troupes à Château-
Thierry. De là , il marcha vers la frontière , où il arriva le Henri
1 5. d'Août. Il avoit environ dix mille hommes d'infanterie III.
&: quatre mille de cavalerie , tous de la première Noblefïe du 1 5 8 r .
Royaume , entre lefquels il y en avoit beaucoup qui étoient Départ du
à la folde du Roi. Guillaume de Hautemer fieur de Ferva- duc d'Anjou.
ques lieutenant général de cette armée , avoit fous lui quatre
Maréchaux de camp , Bellegarde , Bellefont , la Trappe 6c
Suraine. La cavalerie légère étoit commandée par Cl. de la
Châtre, 6c l'infanterie par Antoine de Silly comte de Ro~
chepot. Il y avoit outre cela plufieurs grands Seigneurs 5
Charle de Lorraine duc d'Elbeuf, Gui comte de Laval,
Claude de Beauvilliers comte de Saint Agnanjacque deMon-
gommery , Henri de la Tour vicomte de Turenne , Gilbert
de Levi comte de la Voûte fils de Gilbert duc de Ventadour ,
George de Villequier vicomte de la Guierche, Droit delà
MauviiTiére 6c Sandricourt.
Cambray étoit réduit à une grande extrémité : comme on
n'avoit pu depuis un tems considérable y rien faire entrer,
on n'y vivoit plus que de chair de cheval , de chats 6c de
loirs. Une vache fè vend oit deux cens florins , une brebis cin-
quante , la livre de beurre vingt-quatre fous , celle de fromage
trente fous , un œuf deux fous , 6c une once de ïèl huit fous.
Et le fel ayant enfin manqué entièrement, on faifoit bouillir
toutes les matières d'où on en pouvoir tirer, 6c on les fai-
foit cuire 6c recuire jufqu'à ce qu'il s'en formât une efpéce
de faumure, ou de liqueur falée. Le duc d'Anjou vint à pro-
pos à leur fecours. Turenne 6c le comte delà Voûte couiîns
germains ayant voulu par une ardeur de jeunefTe 6c par l'en-
vie d'acquérir de la gloire , arriver avant les autres , &c fè
jetter dans la place pour relever par leur préfence le cou-
rage des aiîiégés , furent égarés par leurs guides , ëc pris par
les troupes du Viceroi. La Voûte s'étant échapé , Turenne
en fut gardé avec plus de foin. La Reine mère , dont il étoit
proche parent, envoya Pompone de Belliévre-pour deman-
der fa liberté 3 mais il ne l'obtint que l'année fuivante avec
beaucoup de peine , 6c en payant cinquante mille écus d'or
de rançon.
Des que le duc d'Anjou fut arrivé , le Viceroi raiTembla-
■jio HISTOIRE
= toutes Tes forces , 6c le 1 7. d'Août les deux armées demeuré-
Henri rent quelque tems en préfence devant la ville. Farnefè dé-
III. campa enfin , 6c ayant abandonné fes forts & diftribué une
1 î 8 1 partie de fes troupes dans les places voifines , il vint à Valen-
. , " ciennes. Le lendemain le duc d'Anjou entra pompeufement
Levée du . J r . r
b'ocus de dans la ville arme de pied en cap , aux acclamations du peu-
Cambray. p[e qU{ ]c nommoit fon Libérateur. Deux jours après il prêta
ferment, d'abord dans l'Eglife de Notre-Dame, & enfuite
à l'Hôtel de ville, 6c il s'engagea de protéger cette ville Im-
périale 6c fes habitans , 6c de la gouverner fuivant [es pri-
vilèges , fes loix 6c Ces franchisés. Après cette cérémonie , il
fit jetter de l'argent au peuple.
Le lendemain il marcha du côté d'Arleux Se de l'Eclufe ,
d'où il chafla les ennemis. Quelques jours après il inveft.it
Cateau Cambrefis, maifon de l'Evêque de Cambray, &: fit
fommer Vordes qui y commandoit. Vordes ayant refufé de fe
rendre , on fit avancer du canon , 6c la place ne tarda pas à fe
rendre à diferétion. On permit à la garnifon compofée de trois
cens hommes de fe retirer,à condition qu'ils éteindroient leurs
mèches j on vouloir, par-là engager les autres à imiter leur
exemple. De Beaune vicomte de Tours fut tué à ce fiége , 6c
Jean de Monluc fîeur de Balagny , à qui le duc d'Anjou avoir
donné le gouvernement de la citadelle de Cambray y fut
blelfé à la cuilTe d'un coup d'arquebufe.
Après ces premiers exploits , les Etats 6c le prince d'Orange
follicitérent vivement le duc d'Anjou de paffer au travers des
troupes ennemies ,6c de pénétrer dans le Brabant. Ils avoient
envoyé Stuart &; la Garde en Flandre pour lui ouvrir le paf-
fage ; mais il s'exeufa fur ce que fon armée prefque toute
compofée de volontaires , ou de gens à la folde du Roi , dimi-
nuoit tous les jours par la retraite de plufieurs 3 d'ailleurs qu'il
y avoit de la divifïon entre les principaux Officiers pour le
commandement. Sur ces difficultés, il aima mieux faire un
voyage en Angleterre , que d'entrer plus avant dans le païs.
Deux motifs le déterminoient à ce parti. Le premier, de
tenir autant qu'il étoit en lui les paroles qui avoient été don-
nées fur fon mariage avec la Reine. Le fécond, afin qu'à fon
retour en Flandre , il parût y venir foûtenu de toutes les for-
ces de cette piulEante Reine , 6c après avoir obtenu fon
agrément,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 521
agrément. Il croyoit que par ce moyen il pourroit accepter —
avec plus de dignité 8c d'éclat la principauté , que les peu- Henri
pies du païs lui déféroient d'une manière il honorable. III.
Cependant les troupes des Etats prirent en Flandre le r ? g r
château de Varcoing, qui appartenoit à Lannoi , &: brûlèrent
Avelghem : de-là ils allèrent attaquer Hauterive j mais après
plufieurs efforts inutiles, ils prirent le chemin de Dunkerque,
fous prétexte d'aller audevant du duc d'Anjou. Le Viceroi
les ayant poufuivis long-tems dans leur retraite fans avoir
pu les joindre, marcha du coté de Tournai fur l'avis qu'il
eut que d'Efpinoi Gouverneur de la place, en étoit forti avec
un détachement de fa garnifon , &c que fa femme étoit ref-
téedans la place avec d'Eftrelles fon Lieutenant. D'Efpinoi
étoit allé à fàint Guilain, & s'en étoit rendu maître : mais
les Espagnols étant accourus avant que la nouvelle garnifon
eût eu le tems de fe fortifier , & de faire venir les provifions
dont elleavoit befoin, ils emportèrent la place.
Le vingt- fix de Juillet les Etats Généraux s'étant af- Renonda-
femblés à la Haye firent une renonciation folemnelle à l°^»s5S"
l'obéïiîance & à la fidélité qu'ils avoient jurée à Philippe IL fance de Phi"
&; en ayant dreffé un ade revêtu de toutes les formalités, lippe n.
ils le firent publier. L'acfe portoit en fubfïance, que les peu-
ples ne font pas nés pour les Princes ^ mais que Dieu a éta-
bli les Princes pour les peuples : Qu'il ne peut y avoir de Prince
fans peuple 3 mais que le peuple peut fubfïfter fans le Prince:
Que le devoir du Prince effc d'aimer fes fujets , comme un
père aime fes enfans , comme un berger aime fon troupeau ,
tk. de les gouverner avec une égalité parfaite : Que fi le
Prince en ufe autrement , ce n'eft plus un Prince , mais un
tyran , & que le peuple ne lui doit plus ni obeïiTance ni fidé-
lité : Que c'étoit ce qu'ils éprouvoient depuis un tems infini:
Qu'ils fe plaignoient de la cruauté des Gouverneurs qu'on
envoyoit aux P aïs-bas : Que leurs vœux , leurs requêtes, leurs
plaintes avoient été portées jusqu'au Roi : Que fes oreilles
en avoient été fatiguées , & que loin de rien obtenir, ils n'a-
voient pu le détourner du defTèin cruel de leur impofèr nn
joug infupportable , fous prétexte de protéger la religion
Catholique qu'ils n'attaquoient pas : Que toutes les intrigues
de la cour d'Efpagne , que les paroles qu'on leur avoic
Tome VI IL Vuu
512 HISTOIRE
données cent fois , &; que la perfidie des miniftres avoit tou-
Henri jours éludées , en étoient une preuve inconteftable ; Qu'à ces
III. caufes, les Etats Généraux réduits à la dernière extrémité,
i 5 8 i. ont déclaré &; déclarent , que Philippe roi d'Efpagne eft dé-
chu du droit qu'il a voit à la Souveraineté des P aïs- bas : Qu'ils
défendent aux Magiftrats, aux Juges, aux Gouverneurs , à
tous ceux qui font en charge , aux habitans , aux fujets des
Provinces-unies d'employer à l'avenir fon nom dans les actes
publics , & de le reconnoître pour leur Souverain : Qu'ils
les délient par ce décret du ferment de fidélité -y &; que les
loix divines &; humaines violées tant de fois à leur égard
par les hlpagnols les remettent dans leur liberté naturelle,
&; leur donnent pouvoir d'élire un nouveau Prince pour les
gouverner fuivant leurs privilèges , ieurs libertés , leurs fran-
chifes , pour rendre également la juftice aux peuples , pour
les protéger Se les aimer en père : Que comme les Etats ont
nommé le duc d'Anjou ; & que l'Archiduc Mathias s'effc
démis dès l'année dernière du gouvernement général
qu'ils lui avoient déféré ^ il ne refte plus qu'à établir une
forme de gouvernement, en attendant l'arrivée du Prince
élu : Que leur avis eft donc que l'on établifle un Confeil com-
mun , où tout ce qui regarde la guerre fera réglé -y à l'égard
des autres affaires, que chaque Province ait fon confeil par-
ticulier pour les décider ^ &: que jufqu'à ce que le Prince ar-
rive , la Zélande &; la Hollande expédient tous les ades
publics au nom du prince d'Orange.
On fongea en même tems à de nouveaux fceaux pour
l'avenir , &. il fut réfolu qu'on ne frapperoit plus dans toutes
les Provinces aucune monnoye qui portâc le nom & les ar-
mes d'Efpagne •> on ordonna même que tous les Magiftrats &
les Gouverneurs déclareroient publiquement qu'ils etoient
déliés du ferment fait à Philippe ^ qu'ils en prêteroient un
nouveau en préfence des Etats ou de leurs Commillaires • &
que les chofes refteroient ainfi jufqu'à l'arrivée de ion Alteiïè.
En conféquence de ce règlement , on envoya ordre à tous
les Magiftrats, & à tous les Commandans des provinces de
renoncer à l'obéïllance du roi d'Efpagne. La plupart eurent
avec raifon horreur d'une telle démarche rplufieurs de ceux
mêmes qui haïiloien: le plus les Espagnols furent effrayés à
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 523
la vue des malheurs où ils étoient prêts de fè précipiter. » Si »
>j depuis quelque tems, difoient-ils , nous avons fait la guerre Henri
» à notre Souverain , c'eft une conduite qui n'eft pas noiv 1 1 L
•» velle ni même inexcufable, puifqu'elle n'eft pas fans exem- x * 8 Ig
» pie : les Pays-bas ont fouvent éprouvé de pareilles révoltes:
» Mais aujourd'hui il s'agit de lecoiàer entièrement le jou<*
»î d'un ancien maître, & de s'en faire un nouveau. N'eft-ii
m pas fort à craindre qu'un tel changement ne caufe la ruine
îj des Provinces pour le falut defquelles on prétend travailler?
Il y en eut donc plufieurs qui ne crurent pas pouvoir en
confcience déférer à l'ordre des Etats. Un député de Frife,
entre autres, nommé Ralda, fut 11 frappé de la nouvelle
formule, qu'il s'évanouit lorfqu'on la lui propofa, & qu'il
mourut quelque tems après , fans avoir prêté le ferment
qu'on exigeoit. Outre les motifs de confcience , il y en avoic
bien d'autres qui faifoient redouter ce changement. Les plus
fages craignoient que Philippe ne prît ce prétexte pour
confiiquer tous les vaiiTeaux et toutes les marchandifes que
les habitans des P aïs. bas avoient dans les ports d'Efpagne ^
&: ils ne doutoient pas qu'il ne fût en droit de le faire : il le
pouvoit certainement ; mais on croit que ce qui l'en empê-
cha , fut que s'il abolifîoit ce commerce , il rendroit inutile la
navigation des Indes , & ruineroit l'appui le plus ferme de
fa puiUance.
L'Archiduc Mathias , qui malgré fon abdication étoic
refté dans le pais , n'y pouvant plus demeurer avec hon-
neur après une démarche liinjurieufe à la maifon d'Autriche,
prit congé des Etats , & fortit le vingt-neuvième du mois
d'Octobre. On lui avoit accordé une penfîon de iix-vinge
mille florins- elle lui fut payée tant qu'il fut prefent, &: lors
même qu'il ie retira, on lui en promit une de cinquante
mille. Il pafTa d'abord à Cleves , enfuite à Cologne , &; de-
là dans fes Etats. Tout le fruit qu'il tira de fon gouverne-
ment des Païs-bas , fut d'être haï mortellement de Philippe,
fans être eftimé des Etats Généraux.
Le Viceroi , qui s'étoit approché de Tournai en l'abfence
du Gouverneur , inveftit la place le premier d'Octobre. Cette
ville eft grande , riche , & forte par fon afîiette , & par les
ouvrages qu'on y a faits : elle eft la métropole du Tournelis,
V u u i j
5i4 HISTOIRE
1 qu'on croit être le païs des anciens Nerviens. Il y a une ci-
Henri tadelle que Henri VIII. roi d'Angleterre y bâtit , lorfqu'il
III. enleva cette ville à la France : les Anglois l'ayant rendue
j . g f ^ dans la fuite , Henri de NafTau s'en empara. Le Viceroi ayant
mis vingt-trois pièces de canon en batterie fit faire un feu
continuel contre les murailles. Les habitans prefque tous
Proteftans fe défendirent d'abord avec beaucoup de cou-
rage , fécondés par la garnifon de la citadelle. Bientôt les
afiïégeans vinrent à la iappe & aux mines , 6c les afliegés
contreminérent de leur coté, 6c firent de fréquentes forties,
où le Viceroi perdit beaucoup de monde , entre autres le
jeune Glaïon , Maximilien de Longueval , baron de Vaux
que Philippe avoit fait depuis peu comte de Buquoi , & Pon-
tus de Noyelle fleur de Bours , qui avoit fervi auparavant
dans les troupes des Etats, 6c qui avoit beaucoup contribué
à la prife de la citadelle d'Anvers. Montigny , le marquis de
Varambon,&Billy y furent blelTésjmais comme il y avoit trop
peu de troupes dans une ville fi fpacieufepour y faire la garde
néceflàire pendant la nuit , 6c combattre continuellement
pendant le jour, les Catholiques, à l'inftigation d'un Cor-
délier nommé frère Gery , commencèrent à parler de fe
rendre 3 d'ailleurs le retardement du fecours , 6c le peu d'e£
pérance qu'on avoit d'en recevoir, découragea beaucoup les
afîîégés. Ils s'étoient fiâtes d'abord que le duc d'Anjou al-
loit venir les délivrer -, mais lorfqu'ils fcurent qu'il vouloit
palier en Angleterre, ils furent confternés • 6c quoique le
prince d'Efpinoi 6c le prince d'Orange même n'oubliaflent
rien pour les rafîdrer , l'arrivée de Prefton colonel Ecofîois
avec quelques foldats , qu'on envoyoit pour leur relever le
courage, ne fervit au contraire qu'à le leur faire perdre en-
tièrement. Cet homme fuivi d'une troupe de volontaires qui
faifoient la guerre pour eux , fans fe foucier des ordres ni du
prince d'Orange ni des Etats, forma le deflèin defurpren-
dre Bourbourg, place qui appartient au roi de Navarre, &
qui eft- proche de Graveline. Cette entreprife dans laquelle
il s'étoit engagé par la feule avidité du butin , ôc fans con-
fulter les Etats ,eut des fuites facheufes. Le prince d'Orange
& Salinas Gouverneur de la place étoient convenus fecréte-
ment de iè réconcilier 5 6c ils en cherchoient l'occafîon 5
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 515
lorfque cette troupe de volontaires vient paiîèr la rivière a ,_
gué , & fans attendre la plus grande partie de leurs com- Henri
pagnons , que l'obfcurité afFreule de la nuit avoir empêchés III.
de trouver un gué , ils plantent leurs échelles & fautent dans 1 < S 1 .
la ville : Salinas qui ne s'attendoit à rien moins, lé défend avec
vigueur , & Valentin Pàrdieu fieur de la Motte gouverneur
de Graveline, qui étoit par hazard à Bourbourg fe joint à
lui. Ceux qui étoient entrés ne fe trouvant point foutenus
comme ils l'avoient efpéré , font tués , pris , ou mis en fuite.
Du côté de la ville, on perdit lecapitaine Bochard & Salinas
lui-même. Sa mort ôta entièrement aux Etats l'efpérance
de reprendre cette place. Prefton içavoit le traite qu'on
avoit fait pour y rentrer : mais voyant que la chofe avoit
mal réiiffi , il s'éloigna de la place , prit avec lui trois cens
hommes qui étoient fortis de Menin , força quelques corps-
de-garde , &; quelques polt.es d'Allemans, &, ayant taille en
pièces un corps de cavaliers , où étoit la compagnie du prince
de Chimai , &c en ayant fait prilbnniers plus de trente , il en-
tra victorieux dans Tournai. Les aiiiégés ayant fçû par lui
que le duc d'Anjou ne viendroit pas , & que l'entreprife
fur Bourbourg étoit manquée , furent plus découragés par
ces mauvaifes nouvelles , qu'ils ne furent raffiirés par le fe-
cours qu'il leur amenoit -y ils fe déterminèrent donc à écou-
ter des offres allez raifonnables qui leur étoient faites de
la part du Viceroi , qui de fon côté avoit beaucoup à fouf-
frir par l'incommodité de la faifon- ainlila capitulation fut
bientôt conclue* par l'entremife de RafTeghem , à condition
que la ville payeroit deux cens mille florins pour le racheter
du pillage : Qu'il feroit permis aux Proteftans , &; en géné-
ral à tous ceux qui voudroient fe retirer, d'emporter avec
eux leurs effets , & s'ils vouloient s'établir dans des lieux
neutres, de garder leurs l>iens, d'en jouir, &: de \qs faire
valoir par tels Catholiques qu'ils voudroient : Que la garni-
fon fortiroit avec armes & bagages , &: enfeignes déployées -y
&; qu'avant fa fo"tie la ville lui payeroit trente mille florins
pour fa folde. La femme du prince d'Efpinoi , fœur d'Em-
manuel de Lalain fieur.de Montigny qui fervoit dans l'ar-
mée du roi d'Efpagne, eut permilfion de fe retirer où bon
lui femblerok avec toute fa maifon , fes effets, &c les jcyaux :
Vuu iij
5±6 HISTOIRE
Ton frère & le marquis de Richebourg frère de fon mari lui
firent toutes fortes de politeflès , 6c la prièrent inftammenc
de vouloir bien demeurer dans la ville : mais cette Dame
pleine de courage s'excufa d'accepter leurs offres , & aima
mieux fuivre la fortune de fon mari. C'eftainfî que Tournai
fut pris par ks Espagnols le trente de Novembre jour de S.
André. Le prince de Parme y mit unegarnifon confîdérable,
Ôc y établit pour évêque Maximilien de Morillon prévôt
d'Aire. Il avoit été auparavant grand Vicaire du cardinal
de Granvelle, & ce fut à fa recommandation qu'il eut cet
Evêché. Peu de tems après, ce même Cardinal le démit de
l'Archevêché de Malines en faveur de Jean d'Auchin,
Rochepot ayant été détaché par le duc d'Anjou qui pafl
foit en Angleterre, fe glilfa avec un corps de troupes le long
de la mer dans le tems que la marée étoit balle -, 6c ayant
marché depuis Calais jufqu'au de-là de Graveline,il vint
jufqu'à Dunkerque, mais trop tard: car Tournai étoit dé-
jà rendu. La perte de cette place fit fonger à renforcer la
garnifon d'Oudenarde , qui n'en eft pas éloignée. Manfart
Gouverneur de la ville promit au prince d'Orange de faire
ce qu'il voudroit : mais les Habitans , foit imprudence , foit
penchant pour PEfpagne , ne voulurent pas recevoir les
troupes qu'on y envoyoitj 6c peu s'en fallut que Manfart
ne pérît dans une émotion qui s'excita à ce fujet. Le Vi-
ceroi ayant eu avis de ce qui fe paffoit leur envoya une
compagnie de cavalerie , 6c leur fit offrir fa protedion : ils
la rejettérent avec fierté j ce qui l'irrita tellement qu'il réfo-
lut de mettre le fîége devant cette place , dès qu'il trouve-
roit l'occafion favorable.
Remomran- ^e princ^ d'Orange voyanr que les affaires de Flandre
ces du prince alloient en décadence , &c qu'on en rejettoit la faute fur lui,
d'Orange. s>en a|ja je Qanc[ a Anvers pour y établir à l'ordinaire les
Magiftrats 6c le Sénat; 6c le premier de Décembre il leur
donna fon avis par écrit. Il y déclaroit que leur fécurité 6c leur
négligence étoient la caufe de tous leurs malheurs : Qu'il les
avoit avertis depuis long-tems qu'ils avoient befoin de trou-
pes étrangères pour arrêter les progrès de leurs ennemis:
Qu'il auroit fallu lever trois mille chevaux , & deux bons
régimens d'infanterie 3 mais qu'il n 'avoit parlé jufque-là qu'à
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 517
des hommes peu touchés du bien public , 6c feulement oc-
cupés de leurs intérêts particuliers. Il ajoute que du fuccès Henri
de la guerre prelente qui regarde toutes les Provinces , dé- III.
pend leur lalut , leur liberté , leur fortune : Que i'ifluë n'en 1 5 8 1.
peut être heureule , Se qu'il eft même impoffible de la faire
îàns argent , puifque l'argent en eft le principal nerf: Qu'ils
ont donc commis une faute énorme, en epuifant les fonds
publics pour les befoins des Provinces, & quelquefois même
pour ceux des particuliers. A quoi fervoit ce confeil public
qu'ils avoient établi depuis peu , fi il étoit fans pouvoir 6c
fans autorite , fi faute de paye le foldat etoit fansdifeipline,
fi l'argent fe diitribuoit ians économie, fi les affaires fe ju-
geoient fans équité , en un mot fi dans le gouvernement
on ne gardoit plus aucun ordre: Qu'ils dévoient f Ravoir que
jamais il n'avoit voulu fe mêler de Padminiftration des fi-
nances , ni manier les deniers publics : Que tout le monde le
feavoit : Que cependant des elprits pervers ofoient le ca-
lomnier fur cet article:Que c'étoitlà la fource des grandes ca-
lamités qu'ils avoient éprouvées juf que-là, 6c qu'ils couroienc
rifque d'éprouver dans la fuite : Que Tournai étoit au pou-
voir des ennemis , ôc que Cambrai auroit fubi le mçme fort,
ians l'heureufe arrivée du duc d'Anjou à qui après Dieu ils
dévoient leur délivrance : Qu'après tant de confeils inutiles,
ils dévoient enfin rentrer en eux-mêmes 6c contribuer avec
plaifiraux dépenfes nécefîaires pour lever des troupes étran-
gères : Qu'il prenoit Dieu 6c eux-mêmes à témoin qu'on ne
pourroit lui imputer les malheurs qui arriveroient : Qu'il les
avoit avertis de leur devoir ^ mais qu'il leur declaroit de
nouveau , que fi on n'etabliiloit pas un meilleur ordre dans
les affaires ,il ne vouloit pas qu'on lui continuât la charge
de Gouverneur général, qui devoit expirer au mois de Jan-
vier fuivant.
Cet écrit ayant été rendu public, les fentimens des Etats
fe trouvèrent partagés j les uns vouloient qu'on donnât au
prince d'Orange un pouvoir abfolu , 6c les autres qu'on at-
tendît l'arrivée du duc d'Anjou. Ce Prince avoit abordé en
Angleterre le premier Novembre avec François de Bourbon
Monpenfier , qu'on appelloit le prince Dauphin , Gui de
Laval , Claude de Beauvilliers comte de faine Aignan ,
r*$ HISTOIRE
Fervaque comte de Grancé , & les chevaliers Martel de
Henri Baqueville, Breton , Odct deTeligny fils de la Noue que
III. les Efpagnols tenoient prifonnier , Sorbiers fieur des Pru-
i 5 8 r . neaux & quelques autres, fainte Aldegonde Juftin de Nafïàu,
6c d'Inchy , auparavant gouverneur de la citadelle de Cam-
brai. Les Etats y envoyèrent outre cela Dohain & Junius
pour prefler ce Prince de repalTer dans les Païs-bas. Le
prince d'Orange accompagné du prince d'Efpinoi s'en alla
en Zélande avec la pcrmiiiion des Etats pour y attendre le
duc d'Anjou, & difpofer tout ce qui -étoit néceflaire pour
continuer la guerre.
Emreprife Pendant ce tems-là , le fieur de Haultepenne gouverneur
furBergop- de Breda forma le defîein de Surprendre Bergoplôm. Il s'en
ouvrit auparavant a \\Aten de Beriele, qui ayant e poule la
fille de Merode fieur de Peterfem avoit été fait marquis de
Bergopfom. Ce Peterfem avoit époufé la fille unique du
marquis de Berghe , qui étoit allé en Efpagne avec Florent
de Monmorency : Montigny y avoit été condamné à mort
& exécuté il y avoit environ quinze ans. Berfele s'étoit tenu
jufque-là dans fon château de Wouve auprès de Bergop-
fom fans prendre de parthmais de concert avec Haultepenne,
il fît entrer dans la ville le cinq de Novembre quatre cens
hommes par le trou d'une herfe , £c cela s'exécuta avec tant
de filence que le corps-de-garde ne s'éveilla point. Enfin un
foldat ayant entendu du bruit cria aux armes : auffirôt on
ferma l'ouverture, Se on fépara ceux qui étoient entrés d'a-
vec ceux qui les fuivoient: cependant lesfoldats de Haulte-
penne gagnèrent la place , & s'y mirent en bataille avec
beaucoup d'ordre & de préfence d'efprit , & de-là ils allèrent
à la porte de Wouve qu'ils rompirent à coups de hache. La
Garde qui étoit en garnifon dans la ville accourt avec fa
compagnie Françoife , & fécondé parles colonels d'Allens,
de Meetkerke & Durant, il arrête les ennemis > enfuiteil fait
lever le pont levis , & empêche ceux qui étoient dans la ville
de faire entrer ceux qui les fuivoient. Enfin après un combat
de peu de durée , où un des habitans nommé la PJviére fut
tué , les Efpagnols voyant qu'il n'y avoit plus rien à cfpérer
fe difperiérent de coté <k d'autre : il y en eut une partie qui
fe jetta du haut du rempart en bas : on en tua environ
foixante
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 525,
foixante & dix , Se on en prie une centaine , du nombre def- =sa
quels étoit Paul Boboca. Quoique Berfele eue manqué ion Henri
coup , comme il s'étoit découvert , il ne put plus demeurer III.
neutre. Ainfi il parla ouvertement du côté des Efpagnols. . 1 5 8 1 .
Il y eut cette année des troubles à Aix-la-Chapelle à caufe Trouble à
de la Religion. Cette ville enclavée dans le pais de Ju- A»-k'Çh*-
liers, entre la Meufe 6c le Rhin , eft fkuée dans un terrain
bas , & entourée de tous côtés de montagnes. Il y a appa-
rence qu'on l'a bâtie en cet endroit à caufe des eaux médi-
cinales qui s'y trouvent , 6c qui lui ont donné le nom. Il y a
de très-beaux bains chauds -y les uns font appelles les bains
Royaux , & les autres hs bains Cornelis. Comme ils font
aiTez éloignes les uns des autres , ils ont auffi des qualités
fort différentes. Charlemagne fondateur de l'Empire d'Oc-
cident , fe plaifoit beaucoup en ce lieu , foit à caufe du voi-
iinage de l'Allemagne, foit parce qu'il étoit très-commode
pour la chalfe:& comme la ville avoit été ruinée par les Huns,
il la rebâtit entièrement , 6c y fît un palais magnifique 5 fa fé-
pulture , & le facre des Empereurs qui y vont prendre la
couronne Impériale l'ont rendue célèbre. Quelques fçavans
ont cru que c'étoit la Vettera de Ptolomée. Il y avoit dans
cette ville beaucoup deProteftans de la confefTion Helvétique
ou de Genève , qui prenoient de loin leurs mefures pour
faire nommer à l'aflemblée prochaine des Bourgmeftres de
leur parti. L'empereur Rodolfe en ayant eu avis avoit écrit
dès l'année dernière aux habitans , 6c leur avoit fait des re-
proches fur cette nouveauté. Ils lui répondirent le treize de
Décembre , qu'ils demeureroient conftamment attachés à
la religion Catholique , 6c ils lui promirent de lui envoyer
une députation folemnelle qui lui donneroit fur cela des af-
iûrances plus pofitives. En attendant l'Empereur chargea
Erneft de Bavière qui venoit d'être nommé à l'évêché de
Liège , 6e Guillaume duc de Cleves, de négocier avec les ha-
bitans , 6c de faire en forte qu'à la prochaine afTemblée qui
devoit fe tenir le jour de faint Urbain, on nommât des Bourg-
meftres , qui ne filîent aucun changement dans la Re-
ligion ; cependant il fut arrêté , que les deux partis au-
roient un nombre égal de voix dans i'aiîemblée. Les deux
Catholiques qui furent nommés Bourgmeftres , furent
Tome VIII, X x x
J3o HISTOIRE
confirmés par les commiffaires Impériaux : mais les deux
Henri Proteftans ayant demande que leur nomination fût pareil-
III. lement confirmée , & ne l'ayant pas obtenu , ils iè faifhTent
1 581. ^es c^s ^e ^a v*^e '■> ^ ÏÏnftant tout le peuple fe fouleve j
les Proteftans mettent les chaînes dans les rues , prennent
les armes , fè rendent maîtres de la place publique 6c de \x
maifon de ville , font amener du canon $ 6c fe fortifient aux
portes &c dans les tours , 6c pour fe reconnoître au befoin ,
ils mettent du papier blanc à leurs chapeaux. Les Catho-
liques s'étant mis en devoir de leur réfifter , on en vint aux
mains 5 mais les deux partis perdirent peu des leurs. Enfin
le trente &; un de Mai ils vinrent tous enfemble au Sénat ,
êc nommèrent des CommiiTaires pour travailler à rétablir la
concorde.
L'Empereur informé de ces troubles écrivit au Sénat le
vingt 6c un de Juin. Sa lettre portoit qu'il pardonnoit aux
habitans rémotion qu'ils avoient excitée, à condition qu'ils
vivroient en paix : Qu'ils ne feroient aucun changement dans
la Religion : Qu'ils chaiïeroient les Prédicateurs 6c les fédi-
tieux , 6c qu'ils rétabliroient les Catholiques dans la ville
6c dans leurs biens.
* Augufte D'un autre côté les électeurs de Saxe * êc de Brande-
**jean- bourg ** écrivirent à l'Empereur, moins pour exeufer l'en.
George. treprifè des Proteftans 3 que pour fupplier S. M. I. d'empê-
cher par fa prudence que ce tumulte ne fournît un pré-
texte à quelque Prince voifin de s'emparer de cette ville ,
ce qui feroit très-préjudiciable à l'Empire. On vit bien qu'ils
défïgnoient les Efpagnols. Par leurs lettres datées du vingt-
neuf de Juillet , ils offrent leurs fervices à l'Empereur pour
mettre cette ville à couvert contre ceux qui entreprendroient
de l'attaquer , 6c ils le fupplient refpeetueufement de pren-
dre en bonne part ce qu'ils lui représentent : mais l'Empe-
reur ne le prit pas ainii , Se dans la réponfe qu'il leur fit le
fept d'Août , il traite fort mal les habitans d'Aix. Il die
qu'ils ne fe font pas contentés de violer la formule ordi-
naire du ferment , 6c de contrevenir à l'ufage ancien des élec-
tions y en 'vue de changer la Religion : mais qu'après tous
ces attentats , ils ont affecté de publier les chofes autrement
qu'elles n'étoient , 6c de chercher des protecteurs pour la,
DE J. A. DE THOU.Liv. LXXIV. 531
caufè du mondera plusinjufte. Il déclare donc qu'il ne re-
voie point leurs excules 3 tk le treizième d'Août , il leur en- Henri
voya ordre d'exécuter fur le champ fes décrets , & de fin- III.
former inceiîamment de leur obéïlïance. Quelques villes Im- 1 5 S 1.
pénales voulurent intercéder pour eux, mais il fut inflexible:
d'autant plus que les catholiques d'Aix le prioient avec de
grandes inftances d'ordonner que les miniftres François for-
tifient inceffamment de la ville, fans quoi ils fe joindroient
bientôt à ceux d'Allemagne , &: troubleroient infailliblement
tout l'Empire.
Ce fut vers ce tems-là que mourut Jacque d'Eltz arche-
vêque & électeur de Trêves. Il tomba malade le vingt-fix
de Mai , &c il mourut le trois de Juin. On mit à fa place Jean
de Schomberg partifan zélé des Jéfuites.
Le vingt-fix de Janvier l'édit de Fleix en Périgord, qui Affaires
avoit été fait par l'entremife du duc d'Anjou , comme je l'ai d'EfPagnc-
dit , fut enrégiffcré au Parlement , où il trouva beaucoup
d'oppofition , parce que la plupart des membres de cette
compagnie s'imaginoient fort mal à propos que la guerre
dont la Guienne étoit embrafée , ne les regardoit point :
mais le préfîdent de Pibrac en fît voir l'utilité par un dif-
cours très-éloquent qu'il fît à la prière de Chriftophle de
Thou premier Préfîdent toujours ami de la paix. L'édit
ayant donc été publié , la France joiiit pendant près de cinq
ans d'une paix profonde , foit parce que la guerre étran-
gère avoit détourné la caufe de nos maux , loit parce que
la Cour n'étoit occupée que de fes plaiiîrs : mais les vices y
étant montés à leur comble , ce feu que l'on croyoit éteint,
caufa enfin un grand incendie , par la lâche diffimulation de
ceux qui étoient dans le miniflére , & peu s'en fallut qu'il
n'embrafât tout le Royaume : car le Roi qui ne vouloit point
interrompre fes plaiiîrs , étoit réfolu de diilîmuler èc de four-
nir tout plutôt que de prendre les armes 3 & il avoit permis
à (on frère qui fe difpoioit à entrer dans lesPaïs-bas, de
lever une armée , dont les défordres & la licence caufoient
un grand préjudice au Royaume , & un plus grand encore
à la majefte Royale. D'ailleurs le Roi follicité par la Reine
famére avoit enfin confenti qu'on envoyât une ambailade
en Angleterre pour terminer le mariage de la Reine avec le
X x x ij
Henri
III.
i 5S1.
* Anus.
552 HISTOIRE
duc d'Anjou. Le chef de l'ambaflade écoit le prince Dau-
phin , &; on lui donna pour adjoints le maréchal de Colle*
comte de Secondigny , Lanfac , le Veneur de Carrouge gou-
verneur de Roiien , la Motte Fenelon qui avoit déjà été Am-
baiïàdeur en cette Cour, Biiflon nommé depuis peu pré-
sident au Parlement à. la. place de Pompone de Belliévre ,
Michel de Caftelnau fleur de la Mauvifîîére , & Claude Pi-
nart fecretaire d'Etat , tous personnages d'une grande con-
sidération. Pierre Claulïe Ceur de Marchaumont , & Jacque
de Vrai fecretaire du duc d'Anjou y allèrent en même tems
de la part de ce Prince. Ils s'embarquèrent tous à Calais
au mois d'Avril , de paiTérent en Angleterre , où la Reine
leur fit de grands honneurs. On leur bâtit exprès à Weit-
minfler , un hôtel qu'on meubla avec une magnificence vrai-
ment Royale. Le comte d'Arondel , Windf'or, Sidney , &c
Grevill , pour divertir des hôtes de cette importance, pu-
blièrent un tournoi , où ils tiendroient contre tous , ôc ils
firent pour cela des préparatifs qui coûtèrent des fommes
immeniès.
Lorfqu'il fut queftion de drefTer les articles du contrat ,.
la Reine chargea de ce foin G. Cecil grand tréforier d'An-
gleterre , Edouard Clinton comte de Lincoln , Th. Rateliff
comte de Suflèx , Fr. RuiTel comte de Betfort , Rob. Dudley
comte de Leycefter , tous chevaliers de la Jartiére , &. elle y
joignit Chriflophle Hatton , & Fr. de Valfingham. Le pre-
mier article fut que le duc d'Anjou, & tous ceux de fa maifon,
qui n'étoient point fujets de la Reine , auroient liberté en-
tière de confeience, de quelque nation qu'ils fuflèntj & qu'en
quelque endroit du Royaume que ce Prince fe trouvât, on
lui alîigneroit un lieu pour y faire l'exercice de la religion
Catholique , pourvu qu'on n'y laiflât entrer ni Anglois, ni
Hollandois , ni aucuns habitans des ifles qui appartiennent
à la couronne d'Angleterre : Qu'après le mariage fait & ct>n-
fommé le duc d'Anjou porteroit le titre de Roi , & en au-
roit tous les honneurs tant que dureroit ce mariage ^ mais
que la difpofition des bénéfices , des charges , des terres , des
impôts, en un mot ,de tous les revenus du Royaume, fèroit
réiervée à la Reine, qui ne pourroit les donner à aucun étran-
ger, mais feulement à des Anglois naturels : Que tous les
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 533
a&es qui regarderaient les affaires de l'Etat feroient faits en »
Anglois & par des Anglois : Que la .Reine obtiendroic du Henri
Parlement pour le duc d'Anjou la permifîion de porter la III.
couronne Royale • èc de jouir de cet honneur , non-ïeulement 1 5 8 1 ,
pendant la vie de la Reine : mais après fa mort , s'il reftoit
de leur mariage des enfans en bas âge , pendant la minori-
té defquels le gouvernement du Royaume appartiendroit au
duc d'Anjou : Que toutes les ordonnances, & tous les actes
publics s'expédieroient au nom du duc d'Anjou & de la Reine,
de la même manière que cela s'étoit pratiqué du tems du
roi Philippe èc de la reine Marie : Que le duc d'Anjou au-
roit fur le tréfor d'Angleterre une penfion qui le mît en état
de faire une dépenfe convenable à ion rang , & que la pen-
fion feroit autorifée par le Parlement : Que le Duc feroit à
la Reine un douaire de quarante mille écus d'or par an af.
ligné fur le Duché de Berry , & que le roi de France rati-
fieroit cet article : Que ii le Duc mouroit le premier , la
Reine jouirait de ce douaire tant qu'elle vivroit , & qu'elle
auroit la difpofîtion entière des bénéfices , des charges, & des
revenus , comme l'avoit le duc d'Anjou : Qu'au cas qu'il vînt
plu (leurs enfans de ce mariage , afin de prévenir les divifions
qui pourroient naître entre eux , &c troubler le fruit qu'on ef-
père de l'union des couronnes de France & d'Angleterre, il
feroit arrêté du confentement des. Etats des deux Royaumes,
que pour ce qui regardoit les biens de la mère , leurs enfans
mâles ou femelles y fuccéderoient également fuivant les
loix & les coutumes d'Angleterre j de que s'il arrivoit que le
droit de fuccéder au royaume de France échût au duc d'An-
jou & à fes enfans mâles , l'aîné en ce cas , s'il y avoit deux
ou plusieurs enfans, auroit le royaume de France y èc le le-
cond , ou les enfans qui naîtraient de lui , celui d'Angleterre-
& qu'il n'y auroit que fes enfans , ou à leur défaut les frères
& fecurs qui puflent y fuccéder , l'aîné , & toute fa poftéri-
té en demeurant exclus : Que s'il ne naiiïbit qu'un fils de leur
mariage , comme il feroit héritier des deux Royaumes , tant
paternel que maternel , il fuccéderoit à l'un ôc à l'autre, à
condition qu'il iroit de tems en tems en Angleterre j qu'il y fe-
roit quelque féjour • qu'il gouvernerait fuivant les loix du
pais , & qu'il y paiîèroit huit mois tous les deux ans : Que fi
X x x iij
534 HISTOIRE
•-..- ... .__ ce Prince venoît à avoir deux enfans , le fécond auroit le
Henri Royaume d'Angleterre , 6c fes enfans après lui , excluant
III. toujours l'aîné & là poftérité : Que fi ce Roi des deux
i s 8 i. Royaumes avoic un fils & des filles , ion fils fuccéderoitàla
couronne de France, ôcles filles fclon leur rang à celle d'An-
gleterre , à l'exclufion de leur frère. Si le Duc furvit à la
Reine , & qu'il y ait des enfans en bas âge , c'eft-à-dire, qui
n'ayent pas dix-huit ans accomplis pour les mâles , & quinze
pour les filles , ou que les filles n'ayent pas été mariées du
vivant de la Reine à un homme qui ait plus de dix-huit
ans , qu'en ce cas le gouvernement des Royaumes de la fuc-
cefTion maternelle , la tutelle des enfans , & leur éducation
feroit déférée au père : mais qu'il ne pourroit pendant tout
le tems de fon adminiftration conférer aucune dignité ci-
vile ou facrée à d'autres qu'à des Anglois naturels , ni rien
innover au droit public ou particulier , ni aux coutumes du
Royaume , ni rien faire enfin qui pût y préjudicier : Que tan-
dis que fubfiftera le mariage , le Duc ne pourra emmener la
Reine hors d'Angleterre , à moins qu'elle ne le demande
elle-même , ni y faire élever leurs enfans j mais qu'il permet-
tra qu'ils foient nourris & élevés dans le païs , Se dans Pefpé-
rance de la fucceffion qui leur efl deftinée -} à moins qu'on
ne juge à propos de prendre un autre parti , ce qui ne pour-
ra fè faire que du confentement de la Reine , & de l'avis
des Grands du Royaume : Qu'après la diiïblution du ma-
riage, s'il n'y a point d'enfans , le duc d'Anjou ne pourra
prétendre aucun droit fur le Royaume , & confentira qu'il
paflè à ceux à qui il appartient de droit, l uivant les loix du
païs : Qu'il n'en emportera point les joyaux : Qu'il n'en alié-
nera rien : Qu'il n'en fera rien tranfporter ailleurs , & qu'il
ne permettra pas que fès gens en uiurpent rien : Qu'à l'oc-
cafion de ce mariage il n'engagera point le Royaume dans
des guerres étrangères : Qu'il obfervcra réligieufement la
paix avec tous les alliés de l'Angleterre , & qu'il ne fouf-
frira pas qu'on la viole ou qu'on la rompe, fi ce n'eft pour des
caufes légitimes : Qu'il fera fait entre la France & l'Angle-
terre une paix &: une union ferme de durable : Que le traité
qui fera conclu à Toccafion de ce mariage, fera enrégifbré ,
& publié dans toutes les cours des deux Royaumes. Enfin
DE J, A. DE THOU, Liv. LXXIV. 535-
il fut réglé conformément à la proteflation du duc d'An- ■■- '■■■—■
joli , que par ce traité il ne perdroit aucun des droits, pri- Henri
viléges , 6c a&ions qui pouvoient lui appartenir , tant fur le III.
royaume de Fance , que fur d'autres pais , en quelque en- 1581,
droit qu'ils fuffent fltués.
Le contrat étant fait , mais non encore flgné , parce qu'il
falloit que le Roi le ratifiât auparavant , les Ambaffadeurs
s'en retournèrent. Indépendamment du contrat , on étoit
convenu de faire une ligue offenfive 6c défenfive entre les
deux Couronnes , & après le départ de nos AmbafTadeursla
Reine envoya conclure ce traité par Somer fecreta:re du
Confeil privé. Le Roi ne lui répondit autre chofe, finon qu'il
ratirîoit tout ce qui avoit été arrêté par les AmbaiTadeurs ,
6c qu'il ne s'agiflbit plus que de célébrer inceffamment le
mariage. Somer le preflant de fe déclarer fur la ligue , Ôt
ioûtenant que cet article devoit être réglé avant que le ma-
riage fe confommât,on envoya Valiingham pour négocier
cette affaire conjointement avecCobham Ambailadeur ordi-
naire d'Angleterre à la cour de France. Ils dirent que la Reine
n'avoit penië à fe marier, que pour contenter fes peuples, qui
la prioient inftamment d'affermir la fucceilion à la Couronne:
Qu'entre tous ceux qui afpiroient à fon alliance , elle n'avoic
pas héflté à choifir le duc d'Anjou pour fon mérite perfon-
nel de pour la fplendeur de fa naifïance : Qu'elle le portoit
toujours dans fon cœur j mais qu'elle ne pouvoit confentir
à terminer abfblument , avant que d'être aiîiirée du fuf-
frage de fes peuples : Que dans une affaire de cette impor-
tance , elle ne devoit rien précipiter , parce que fi elle ve-
noit à fe repentir , ce qu'elle ne croyoit pourtant pas , le mal
feroit fans remède : Qu'il étoit arrivé bien des contre-tems
depuis que l'affaire avoit été propofée ^ une guerre inteftine
en France ^ le duc d'Anjou mal avec le Roi fon frère, fans
avoir mérité fa difgrace -y 6c l'oppoficion des Anglois à ce
mariage : Que la vivacité avec laquelle on en preiloit la con-
clufion n'étoit donc pas raifonnable, fur-tout pendant que
le jeune Prince avoit fur les bras un auiîî puiilànt ennemi
que Philippe , èc qu'il s'engageoit dans une guerre , qu'il ne
pouvoir prefque ni faire,ni abandonner, fans rifquer fon hon-
neur, fans incommoder les deux Royaumes, 6c fans expofer
53<S HISTOIRE
=- les Païs-bas à une ruine entière, parce que la puilîànce 6c
Henri les forces de l'Efpagnc augmentaient de jour en jour : Que
III. il les Anglois , donc le faluc 6c le bonheur faifoient toujours
r ? 8 i ^€s premiers foins de la Reine , avoient cane fouhaité qu'elle
fe mariât , c'étoit pour affermir la paix chez eux , 6c non
pour porter la guerre chez les étrangers : Qu'ainfi elle a voit
lieu de craindre qu'en l'état où étoient les ehofes , ils ne
montraient autant d'averfion , qu'ils avoient d'abord té-
moigné de vivacité pour ce mariage : Qu'elle croyoit qu'il
en falloit fufpendre la célébration jufqu'à ce que le duc d'An-
jou fe fut debarraflé d'une guerre fi dangereufe, & que la
ligue offenfive 6c défenfive entre la France 6c l'Angleterre
fût fignée : Que c'étoit-là ce que la Reine fouhaitoit ,& ce
qu'elle demandoit , avant que de terminer cette grande af-
faire.
A l'égard de la ligue défenfive, le Roi répondit qu'il étoic
prêt à la figner ^ mais que pour l'offenfive il n'en vouloic
pas entendre parler, que le mariage ne fût confommé. Ainfi
Je Roi ne voulant point entrer dans une ligue offenfive
contre l'Eipagne,que le mariage ne fût fait 5 6c la Reine ne
voulant point le faire, que la France n'eût déclaré la guerre
à l'Efpagne ; Vaifingham 6c Somer , après bien des difputes
s'en retournèrent en Angleterre, fans avoir rien terminé : en
forte qu'il parut que cette propoficion d'une ligue offenfive
n'avoit été qu'un prétexte", dont le Roi s'étoit iervi pour ne
point avoir la guerre avec l'Efpagne , &; la Reine pour ne
point époufer le duc d'Anjou ^ 6c qu'ils furent tous deux
contens : le Roi , d'avoir adouci Ion frère qu'il craignoit, en
lui procurant , autant qu'il éroit en lui 7 un mariage fi avan-
tageux-la Reine, d'avoir donné de la jaloufie 6c de la crainte
aux Efpagnols , qui travailloient toujours à exciter des trou-
bles dansfon Royaume, en leur faifant voir ce mariage qu'il
étoit en fon pouvoir de conclure.
Voyage du Peu de tems après ,1e duc d'Anjou s'étant approché de
duc d Anjou cambrai , en fit lever le fiége , 6c parla en Angleterre avec
en Ans: le- ' ^ rr- •
terre. un grand cortège de Nobleffe ± 6c le vingt-deux de No-
vembre il ratifia &. confirma le traité qui avoit été fait en
fon nom 3 mais qui demeura fans exécution. Le Prince 6c la.
Reine fe donnèrent réciproquement des bagues pour gage
de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 537
de leur foi en préfence d'un grand nombre de Seigneurs 6c -
de Noblefle qui les complimentèrent avec de grands ap- HhNR.i
plaudiflemens. La nouvelle en ayant été portée en Flandre, III.
les villes de Gand , d'Anvers 6c de Bruxelles firent des feux .1 5 8 r,
de joye, tirèrent le canon , & ordonnèrent des réjoiiiffances
publiques. Du côté de l'Angleterre , il y eut bien des mur-
mures. On difoit que la caufe de la Religion , le repos du
Royaume, 6c le falut delà Reine étoient également trahis.
Le comte de Leyceftre foutenu de Valfingham 6c de Hatton,
6c les femmes du Palais que Leyceftre avoit mifes dans fon
parti , parlèrent hautement contre ce mariage.
Le lendemain vingt-trois de Novembre.la Reine vint trou-
ver le duc d'Anjou. Après quelques reproches de part èc
d'autre ^ chofe allez ordinaire entre les Amans , le Duc ren-
dit à la Reine la bague qu'elle lui avoit donnée, & reprit
la fîenne ^ 6c après avoir jette quelque mot fur la légèreté
des femmes, 6c fur l'inconftance des Infulaires, il fe retira
dans fon apartement fort rêveur. La Reine n'étoit guère
plus tranquille que lui , quoiqu'on ait allure qu'elle avoit
pris ion parti depuis long -tems, 6c qu'elle avoit réfolu dans
ion cœur de ne fe jamais marier, perfuadée qu'elle étoic
qu'il lui étoit bien plus ailé defoûtenir la gloire qu'elle s'é-
toit acquife , èc d'aflùrer la tranquillité publique en demeu-
rant dans le célibat, qu'en fe mariant. Cette femme qui ai-
moit la véritable gloire , ne pouvoit confentir qu'un mari
partageât jamais les éloges que la douceur de fon gouver-
nement iui avoit attirés. D'ailleurs fur qui pouvoit tomber fon.
choix ? fur un de fes fujets ? Elle le feroit avilie 6c deshono-
rée. Edouard IV. le premier qui depuis la conquête des Nor-
mans avoit pris une femblable alliance, s'en étoit mal trou-
vé. Sur un Prince étranger ? C'étoit fe mettre elle èc fon
Royaume fous le joug , 6c expofer la Religion à un péiîl évi-
dent. On n'avoit pas encore oublié tous les maux qu'avoit
faits au Royaume le mariage funefte de Marie fa fœur avec
Philippe IL Elle étoit de plus effrayée du danger où, com-
me je l'ai déjà dit , des médecins &l quelques femmes Jui
avoient annoncé qu'elle le trouveroit , û elle avoit des en,
fans.
Ceux au contraire qui cherchoient l'avantage public s
Tome Vilh Y y y
538 HISTOIRE
g ■' comme Cecill & Suffex l'exhortoient à conclure avec le duc
Henri d'Anjou. Il eft vrai qu'ils avoienc autrefois approuvé que la
III. Reine gardât le célibat , dans un tems où elle le pouvoir
If§Ii fans péril • mais les choies ayant changé de face , ils avoienc
changé d'opinion, comme font les gens fages. Ils foûtenoient
que la ligue ofFenfive , fur laquelle on preifoit tant la France,
ne pouvoit reuflir, que le mariage ne tàt terminé : Que ce-
pendant la Reine feule n'étoit pas en état de réiifter à la
puiifance formidable de Philippe IL Que ce Prince toujours
intriguant , toujours en action , offroit ia fille au roi d'Ecofle:
Que lî ce dernier étoit encore fortifié de cette alliance, il lui
feroit aifé d'attirer dans ion parti tous Içs catholiques d'An-
gleterre,qui étoienten grand nombre,les fugitifs,les rebelles,
hs gens obérés, qui n'ont point d'autre reiïburce que la
guerre civile: avec ce renfort qu'eft ce que le roi d'Ecoflè
ne pourroit pas entreprendre ? Qu'y auroit-il ci'impoflible à
Philippe ? Que pendant ce tems-là les gens de bien per-
droient l'efpérance du fecours que ce mariage préfentoit,
& de l'heureufe tranquillité dont ils le flatoicnt pour l'ave-
nir , s'il venoit des enfans qui puflént fucccder à la Reine :
Que pluiieurs de ceux même qui étoient fournis au gouver-
nement préfent , n'efpérant plus de fuccefîeur du mariage de
la Reine, fe tourneroient vers quelqu'un des Pietendans.
D'ailleurs pouvoit on douter que le roi de France & le duc
d'Anjou ne fe tinfîent très ofrenfés qu'après tant de déli-
bérations , tant d'Ambaflades éclatantes, tant d'argent ré-
pandu avec profufïon , ils n'eufîent remporté qu'un refus ?
N'etoit-il pas à préfumer qu'ils chercheroient l'occafîon de
fe venger d'une injure fi atroce ? Que le duc d'Anjou difîi-
muloit alors, parce qu'il avoit befoin de la Reine pour fès
projets des Païs-bas : mais que la vue d'une grâce fi légère
ne lui feroit jamais oublier une ofTeniè mortelle, &: qu'il s'en
iouviendroit , dès qu'il pourroit s'en venger. «Et qui fçait ,
« ajoûtoient-ils, fi Philippe qui eft fi animé contre la Reine,
>3 n'ira point, aveuglé par la colère, offrir de lui même fa fille
» au duc d'Anjou , pour réunir leurs forces, & aflouvir leur
« haine contre Elifàbeth frappée des foudres de Rome? Si ce-
» la arrive , le peuple accablé de miféres condamnera l'im-
» prudence de la Reine, qui préfère fonpenchant particulier
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 539
« aux befoins publics, & maudira l'infidélité de fes Miniflres ; -
« qui par difïimulation ou par fiaterie , ne fe font pas efforcés Henri
m de détourner un péril dont on les a tant avertis. «Ces raifons III.
firent imprefïîon fur l'efprit d'une Princeffe, qui avoittoû- 1581.
jours plus cherché à plaire au peuple , qu'à affermir ion au-
torité i <k qui dans toute fa conduite n'avoit point d'autre ob-
jet que Ton intérêt & fa réputation.
Il parut alors un écrit fanglant, intitulé G oufre pour en-
gloutir l'Angleterre par un mariage François. On y traitoit
tous ceux qui avoient négocié cette affaire de traitres &c
d'ingrats envers la Reine 3 &c parmi quelques éloges flateurs
qu'on lui donnoit , on l'accufoit elle-même d'inconftancej
on déchiroit le duc d'Anjou de la manière du monde la
plus indigne $ on difoit contre la nation Françoife les choies
les plus injurieufes -, & l'on traitoit ce mariage entre per-
fonnes de différente Religion , de profane , de pernicieux à
l'Eglife, &de funeffceàla République j àc l'on alléguoit pour
le prouver des textes de l'Ecriture , à qui l'on donnoit des
interprétations forcées.
Cet écrit fit fur la Reine un effet très-différent de celui
qu'en avoient eïpéré lesauteurs:car elle feperfuada que l'écri-
vain n'avoit point eu d'autre intention que de la rendre
odieufe à les peuples, 6c de préparer la voye à quelque noir
complot 3 parce qu'après avoir vomi tant d'injures, il ne
difoit pas un mot des vrais intérêts de la Reine, ni de la
fureté publique , ni des remèdes que l'on pouvoit apporter
aux malheurs qu'il annoncoit^ quoiqu'il fut confiant que tous
les ordres du Royaume avoient repréfenté fortement à Eli-
fabeth que le moyen unique de prévenir tous ces maux ,
étoit qu'elle fe mariât. Ainfî la Reine irritée au dernier point
de ce libelle, donne un édit par lequel elle condamne l'au-
teur, comme un féditieux , & un boutefeu ^ & après avoir
loiié les fentimens que le duc d'Anjou avoit marqués pour
elle èc pour fa Religion , elle fe plaint de l'injure qu'on a
faite à ce Prince , dont elle a tout lieu de fe louer , & qui
n'avoit jamais demandé qu'on fît aucun changement , ni
dans le gouvernement politique, ni dans l'exercice de la Re-
ligion dominante. Elle relevé en même tems la prudence &
la rnodeftie de Simié favori du Prince, qu'une infinité de
Y y y ij
540 HISTOIRE
. gens prenoient à tache de calomnier. Elle finît par dire au
Henri peuple que cet écrit effc de l'invention de quelques traîtres,
III. qui veulent la rendre odieufe aux étrangers , & exciter Tes
i 58 i. peuples à la révolte 3 & elle ordonne aux Magiftrats de le
condamner au feu.
Les difputes que cet ouvrage avoir excitées rendirent
l'affaire publique • & l'on foupçonnoit les Puritains dont la
faction fe fortifioit de jour en jour , d'en être les auteurs ,
& d'avoir faifl cette occafîon de montrer leur zélé pour la
Religion qui paroifToit être en péril. La Reine n'eut pas de
peine à le perluader que cet écrit monftrueux étoit forti de
leur plume : elle ne Les avoir jamais aimés , mais elle les aima
encore moins depuis ce te m s- Là. Enfin après une recherche fort
exa&e , on découvrit au bout de quelques jours , que Jean
Stubbe profefTeur du droit municipal à Lincoln en étoit l'au-
teur : Qu'il avoit été imprimé par Singleton : Que c'étoit G.
Page qui i'avoit diftribué , & que Cortwright chef des Pu-
ritains qui avoit époufé lafœur de Stubbe, avoit engagé ce
Docteur, qui au fond n'étoit pas remuant, à compoler ce li-
belle. On renouvella à cette occafîon la loi faite fous le régne
de Philippe &L de Marie contre les auteurs des libelles diffa-
matoiresj de l'on rendit une fentence qui condamna Stubbe de
G. Page à. avoir la main droite coupée. Pour le Libraire, il
ne fut pas pourfuivi.
Quelques Jurifconfultes ayant repréfenté que cette loi
n'avoit été que pour un tems , & qu'elle avoit cefTé à la mort
de Marie , Dalton qui le foûtenoit hautement fut mis en
prifon , &. Monfon un des Confeillers de la cour des Plaids
communs, fut dépouillé de fa charge : cependant il parut
une grande agitation dans les efprits , lorîqu'on exécuta la
fentence. Ce fupplice parut une chofe nouvelle ôc fans
exemple, 6c lorfqu'on eut amené les coupables fur l'écha-
faut , & que le bourreau leur eut coupé la main droite ,
Stubbe ayant ôté fon chapeau avec la gauche en criant vive
la Rei,.e , on remarqua que la populace, qui a coutume de
répéter cent fois ces cris de vive la Reine , demeura muette,
Si ce fut l'horreur du fpeclacle , ou la compaïïïon qu'elle
eut pour un homme généralement efb'mé, ou enfin la haine,
de ce mariage , que bien des gens regardoient comme
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 541
funefle à la Religion , qui caufa ce morne filence , c'eft ce "
qu'on ne fçauroit dire. Henri
Depuis ce tems-là on ne parla plus du mariage. Le due III.
d'Anjou paila crois mois de l'hy ver à Londre parmi les fêtes T r g ît
& les tournois , & y vécut dans une grande familiarité avec Troubles en
Elifabeth -y &c la haine même que les difputes fur la Reli- Ansleterre'
gion avoient excitées entre les différens partis , parut tout-
à-fait ailoupie , ce qui fit croire à bien des gens que ce ma-
riage auroit pu guérir les défiances , àc ouvrir une voye pour
rétablir la concorde générale.
Ce fut à peu près dans le même tems que fur les nou-
velles qu'on recevoir de toutes parts des troubles qui s'éle-
voient , &c des confpirations que les Prêtres tramoient par
un faux zélé pour la Religion , on commença à rechercher
en Angleterre les perfonnes fufpectes , avec d'autant plus de
rigueur, que les Proteftans des Pais - bas prenoient plus de
foin d'exagérer les choies pour diminuer, ce que la démarche
qu'ils venoient de faire pouvoit avoir d'odieux (1).
La Reine craignant d'être aflaflinée avoit envoyé au fé- EmifTaire?
minaire Anglois de Reims quelques jeunes gens de confiance, r^^ S&»
pour l'informer de ce qui s'y pafloit. C'étoit le cardinal de Rome.
Lorraine qui avoit fondé cette maifon 5 & le cardinal de
Guife l'avoit augmentée depuis considérablement, pour faire
plaiiir à la reine d'Ecofle , dont ces Princes étoient parens;
Ces efpions , dont les uns fe difoient chaiTés d'Angleterre, &
les autres qu'ils s'en étoient bannis eux-mêmes , ayant été
admis dans le Séminaire , tâchoient de découvrir tout ce
qu'on y fçavoit de plus fecret , & ils avoient foin d'en in-
former la Reine , & de lui marquer le nom des Chefs des
conjurés, & de leurs complices. Elle en avoit envoyé d'au*
très à Rome , où l'on méditoit contre elle des delïèms où
il entroit déplus grands reiïbrts. Sur les lumières qu'on eut
par le moyen de ces émiffaires , on arrêta le trente-un de
Juillet un Prêtre nommé Evrard Hanfey , &: on lui fit cou-
per la tête. Ce fut aufïï par eux que l'on fçut que trois Jé-
fuites, Edmond Campian de Londre , Skerwin , & Briant r
étoient entrés en Angleterre à la perfuafion de Th. Godweli
évêque de faint Afaph , qui à l'âge de quatre-vingts ans :
(1) La renonciation à l'obéïiTance de Philippe,
Y y y "jj
54* HISTOIRE
- i -,J- '- étoit venu de Rome en France pour conduire cette intrigue.
Henri Campian fut pris peu de tems après par Ja trahifon de George
III. Eliot , & les deux autres furent trouvés en deux différens en-
1581. droits. Ils furent appliques à la queftion, & condamnés à mort
Jéfaites ar- comme criminels d'Etat , & exécutés le premier de Dé-
fomats'k*' cemDre- ^s moururent avec beaucoup de fermeté. Les chefs
mort d'accufation contre eux étoient d'avoir tramé des conspira-
tions contre la vie de la Reine dans les païs d'outremer;
d'avoir formé le delTein de la détrôner , d'avoir voulu cor-
rompre des perfonnes du peuple & quelques Gentilshommes:
Eliot , Crodoc , Sledey, Mondey & Hilley furent les témoins
qu'on produifît contre eux. Ils dépofércnt que les conjurés
avoient arrêté entre eux qu'on choifiroit cinquante hommes,
qui porteroient des armes cachées ious leurs habits , & pren-
droient le tems que la Reine iroit par divertifTemenc vifiter
quelque partie de fon Royaume pour alFaiTiner cette Prin-
cefiTe , avec Dudley comte de Leyceffcer , Cecill grand Tré-
forier , àc Valfingham fecretaire d'Etat -, &c qu'après l'exécu-
tion un homme de grande confidération , dont on ne difoit
point le nom , crieroit auffitôt : vive La Reine Marie. Ils
ajoûtoient que tous ces projets avoient été formés à Reims
& à Rome.
Campian interrogé féparément nia confbamment tous ces
chefs , &. il protefta qu'il n'avoit jamais pafTé un jour fans
prier Dieu pour la Reine ôc fa confervation , & qu'il étoit
encore prêt à le faire. Comme cette déclaration fe faifoit
devant bien des gens , &c que les auditeurs en paroiflbient
touchés, Charle Howard qui étoit préfent, lui demanda
pour quelle Reine il prioit : fi c'étoit pour Elifabeth , ou pour
une autre ? Je prie pour Elifabeth ma Reine & la vôtre , s'é-
cria le Jefuite ; auffitôt on fit éloigner le tombereau , & la
corde qu'il avoit au col l'étrangla. Telle fut la fin de ces trois
Jefuites qui furent punis de même fupplice pour être entrés
dans le même complot. On arrêta en même tems fept autres
Prêtres, comme complices du même crime: ce furent Kir.
bey , Cottam , Richarfon , Jonfon, Ford, Shert &; Filbey :
ils furent pendus au mois de Mai de l'année fui vante. Un
mois auparavant, c'eft-à-dire,le deuxième AvrilJeanPayne
avoit été décapité pour le même fujet.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 543
Les Apologiftes de la conduite delà Reine , difent qu'elle ■
n'uia de cette rigueur qu'à la dernière extrémité: Que dans Henri
les troubles qui s'étoient élevés vers le Nord d'Angleterre., III.
à peine en dix ans on avoit fait mourir cinq Catholiques : 1 cgi.
Qu'ayant pour maxime qu'on ne devoit point gêner les
conkiences , elle avoit toujours eu beaucoup de répugnance
à verfer le fang de Tes fujets : mais que s'étant convaincue
que les fa&ieux abufoient de la Religion j qu'il ne s'agiiToic
plus de la liberté de confcience , mais qu'on vouloit déta-
cher les fujets de l'obeïiîance qu'ils dévoient à leurs Princes,
& les délier du ferment de fidélité 5 qu'enfin par des con-
jurations formées fous le fceau de la confefîion , on ou-
vroit aux Efpagnols le chemin pour envahir l'Angleterre ;
elle crut qu'il falloit les prévenir, & recourir à la fevérité des
loix.
La Reine en effet , fuivant les mêmes Apologiftes , fut
informée que les Prêtres qu'on envoyoit des Séminaires n'a-
voient pas tous le fëcret de la conjuration : mais que ceux
qui en etoient dépositaires abufoient de la Religion pour en-
gager leurs inférieurs dans le même complot : Que les chefs
de l'intrigue avoient du Pape la permiflion de porter l'épée^
& qu'en cet équipage ils alloient fecrétement dans toutes
les maifons des Catholiques, où ils exécutoient avec zélé
les ordres du pontife Romain : Que Perfon homme hardi
êc entreprenant, étoit à la tête des conjurés, & qu'il pré-
fcrivoitaux autres avec autorité ce qu'ils avoient à faire. Les
chefs de la faction, félon les mêmes avis, virent bien qu'on
avoit précipité l'affaire , & qu'il falloit attendre qu'on eût
préparé tout ce qui étoit nécefîàire pour mettre à exécution
le décret de Rome contre Elifabeth. Ils fe croyoient pour-
tant obligés en confcience de s'y foûmettre : mais ils prièrent
le Pape de l'adoucir à leur égard , foit en l'interprétant, foit
en différant l'exécution d'un projet , que les circonftances
prelentes rendroient très-dangereufe. Le Pape avoit répon-
du que le décret obligeoit toujours Elifabeth & les héré-
tiques : Que pour les Catholiques , ils n'y feroient tenus qu'au-
tant qu'ils le pourroient mettre à exécution fans danger.
Cette décifion, à ce qu'on prétendoit, avoit été faite à Rome
le 1 5. d'Avril de l'année dernière, fur Iqs inftanccs d'Olivier
/44 HISTOIRE
? Mavarée. On ajoûtoit que quand on demandoîc à ceux
Henri qu'on avoir arrêtés , s'ils fe foumettoient au décret de Pie
III. V. qui ordonnoic de détrôner la Reine , qui délioit Tes fu-
i j8 i. jets du ferment de fidélité , qui leur permettoit de prendre
les armes contre elle -y qu'enfin quand on les interrogeoit fur
ce qu'ils penfoient du fentiment de Sanderus (1) & de Brif-
toy au fujet de ce décret , s'ils y adhéroient , ou s'ils recon-
noifToient Elifabeth pour leur légitime Souveraine ? les uns
répondoient d'une manière ambiguë, plufieurs avec unein-
folence extrême, d'autres enfin ne répondoient rien • en forte
que tous fe jouoient ouvertement de l'autorité de leurs
juges, &que l'on voyoit clairement qu'il fe tramoit quelque
complot également terrible 6c criminel : Que Jean Bishop
Catholique zélé , mais bon citoyen , s'étoit cru obligé, tanc
il étoit perfuadé de la vérité du complot , d'écrire nette-
ment que le concile de Latran , furie trente-troifiéme canon
duquel les Papes fondent leur droit de dépofer les Princes,
& de donner leurs couronnes à d'autres, n'a jamais été re-
çu en Angleterre : Que la multitude de Prêtres , qui arri-
voient continuellement dans ce Royaume , qui tenoient des
aflemblées fecretes , àc qui y prêchoient une doctrine nou-
velle, augmentoit encore les foupçons : Qu'on leur enten-
doit fouvent dire , qu'on ne doit pas obéir à un Prince ex-
communié , & qu'il faut lui ôter la couronne -y qu'il n'y
avoit en Angleterre aucun Magiftrat légitime , & que les
Eccléfiaftiques ne font point fujets à la jurifdiction des
Princes, ni obligés d'obéir à leurs loix , quoiqu'ils le puifîentj
& qu'ils ne doivent à la majefté Royale qu'un refpe& de
bienféance^ & que le Pape a fur tous les hommes un pouvoir,
&c un empire fouverain , tant pour le lpirituel que pour le
temporel.
Les Catholiques qui avoient le fecret de toute cette af-
faire , voyant que les aceufations intentées contre eux , les
rendroient extrêmement odieux, publièrent une longue Apo-
logie, pour réfuter tout ce qu'on leur imputoit fur cette
naatiére. Ils foûtiennent que les pourfuites que l'on faifoic
(i) Nicolas Sandcr ou Sanderus étoit ' Irlande, ou Gre'goire XIII. l'avoir, en-
Anglois : il a beaucoup e'erit en faveur voyé pour foulever le Royaume contre
-de la puifiance du Pape, Il mourut en , Elifabeth.
contre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXI V. 545
contre eux , étoient l'effet des calomnies d'un certain Jean
Nicolas qui fut arrêté à Rouen dans la fuite, & qui avoua Henri
tout : Que fur les dénonciations de ce fourbe , on avoit em- III.
prifonné 6c fait mourir beaucoup d'innocens , qui n'étoient 1 5 8 r ,
venus en Angleterre que pour donner quelque confolation
à ceux de leurs concitoyens qui profefTbient la même Reli-
gion qu'eux : mais qu'ils n'avoient attenté ni contre la vie de
la Reine , ni contre le repos du Royaume, comme leurs en-
nemis le publioient faulîèment : Que c'étoit l'artifice ordi-
naire des Hérétiques, qui dans la vue de ruiner la véritable
Religion , imputent aux gens de bien des deflcins dont ils
font eux-mêmes coupables :.Que c'étoit ainfi qu'ils avoient
voulu exclure du trône Marie , 6c Elifabeth même, fous
Edoiiard V I.
Voilà la caufe des édits qui avoient été publiés quelque
tems auparavant en Angleterre contre les Jéfuites 6c les Sé-
minariftes : on ne fe contentoit pas de proîcrire les Jéfuites
6c les Séminariftes , comme criminels de léze-Majefté 5 mais
on rappelloit tous les Anglois qui étudioient chez eux , 6c on
décernoit de grandes peines contre tous ceux qui donne-
roient retraite à des Jéfuites, des Séminariftes, des Prêtres fai-
feurs de méfiés, ( ce font les termes de l'édit ) qui les loge-
roient,ou qui ne les découvriroient pas en quelque endroit
qu'ils fuiTent cachés. Les troubles d'Irlande qui g.ignoient in-
leniiblement avoient donné lieu à ce dernier article.
Ces édits traitant ces Prêtres de perturbateurs du repos
public, Guillaume Alain de Lancaftre , qui fut mis fix ans
après au nombre des Cardinaux par Sixte V. publia une fé-
conde Apologie pour défendre l'innocence de fes conci-
toyens • et comme on leur faifoit un crime de leur féjour dans
les pais étrangers, &; fur-tout à Rome, il expofe pourquoi ils
y ont demeuré , 6c les raifons qui ont porté Grégoire XIII.
à inftituer des Séminaires Anglois tant à Rome qu'à Reimsj
après avoir fait l'éloge de la difeipline de ces Ecoles de
piété, il parle des motifs qui engagent le {aine Siège à
envoyer tant de Jéfuites 6c tant d'autres Prêtres dans les
Etats d'Elifabeth : c'eil , dit-il , pour ramener à l'unité de
l'Eglife ceux qui s'en font fépares , 6c non pour troubler la
tranquillité publique. Il finit en confolant les Catholiques
Tome y III. Z z z
î46 HISTOIRE
qui font perfécutés pour leur ferme attachement à la vén-
Henri table Religion.
III. Cependant Elifabeth n'étoit pas fans inquiétude fur les af-
i 58 1. faires d'Ecoffe. Au commencement de l'année elle avoit en-
voyé dans ce Royaume Th. Randolph pour travailler à y
établir la Religion , à affermir de plus en plus une union fo-
lide entre l'Angleterre & l'EcoiTe , & à foûtenir les intérêts
de Morton. Comme pour y réuffir il n'y avoit point de meil-
leur moyen que d'éloigner de la Cour le comte de Lenox,
elle ne recommanda rien tant à Randolph que de mettre tout
en œuvre pour fortifier tellement la faction Angloife contre
Lenox , que les Seigneurs de ce parti pulfent forcer le Roi
à le faire fortir d'Ecoffe.
Randolph s'employa vivement pour Morton , & fît valoir
en fa faveur les grands fervices qu'il avoit rendus au Roi; la
recommandation d'Elifabeth,qui feroit très-fâchée d'efïuyer
un refus dans une demande fi jufte 3 &: jufqu'à la haine même
de fes accufateurs , il en fit ufage pour fon ami. Le Roi lui
répondit que la reine d'Angleterre lui avoit donné trop de
preuves de fon amitié , pour pouvoir en douter, & qu'il n'y
avoit rien qu'il ne voulût faire pour elle : mais qu'il ne pou-
voit empêcher qu'on ne jugeât un homme , qui étoit accu-
fé du crime de leze-Majefté $ qu'il promettoit d'avoir toute
l'attention pofhble afin que tout fe pafTât dans les régies , &
conformément aux loix j & qu'il feroit connoître à Morton
que fi ks ennemis avoient la liberté de l'accufer , il auroit
de fon côté tous les fecours nécefTaires pour juftifier fon in-
nocence.
Randolph ayant été admis à l'afîemblée des Etats, leur
fît un grand difcours fur les fervices qu'Elifabeth avoit ren-
dus au Roi & au Royaume. » Ce font les Anglois,difoit-il ,
» qui au prix de leur fang ont délivré l'EcofTe du joug de la
55 France 5' ils ont foûtenu le Roi &c la Religion, fans avoir
w jamais penfé à s'emparer d'un pouce de terre , quoique les
55 occafions ne leur eufTent pas manqué , & qu'il leur eût été
55 facile de fubjuguer tout le pais, pendant que le Roi étoit au
îj berceau , fa mère exilée en Angleterre , aies Grands divi-
55 fés : au contraire ils n'ont rien eu plus à cœur que la confer-
>■> vation de ce jeune Prince qui tenoit à leur Souveraine par
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 547
» les liens de la parenté & de la Religion.Ceft dans cette vue _——u.—
» qu'ils ont toujours agi de concert avec les Vicerois, 6c qu'ils Henri
» ont entretenu une amitié étroite avec eux au grand avan- III.
»>tagede l'un 6c de l'autre Royaume. Ce concerta fubfiflé ic8r.
"julqu'à l'arrivée d'Aubigny de Lenox enEcolTe. Il n'y fut
»j pas plutôt entré, qu'il s'empara de la perfonne du Roi,l'indi£
» pofa contre l'Angleterre, 6c le fît pencher du côté des Fran-
» çois qui ne l'avoient pas encore reconnu pour Roi. Il éloi-
» gna enfuite de la Cour Tes plus fidèles Miniftres 3 il en éta-
blit d'autres à leur place 5 il décria dans l'efprit du Prince
» les Paffceurs qui prêchoient la parole de Dieu, 6c les fit paf-
« fer pour feditieux , 6c il ne fe mit aucunement en peine de
î» faire rendre lajuftice fur les limites des deux Royaumes. «
Mais comme il vit que les harangues 6c les follicitations pu-
bliques en faveur de Morton ne faifoient pas grand effet , 6c
que fes déclamations contre Lenox en faifoient encore moins;
il crut parvenir plus efficacement à fes vues, en produifànt
des lettres fecretes de ce Seigneur. Cette reffource fut en-
core infruchieufe , 6c il fut foupçonné de mettre fur le compte
de Lenox des lettres qu'il avoit fabriquées lui même. Sa der-
nière tentative fut de négocier fecrétement avec les parens
6c les amis de Morton , 6c avec les ennemis 6c les rivaux de
Lenox. Ainfi après avoir déploré devant eux l'état malheu-
reux de l'Ecoffe , il leur remit devant les yeux les périls dont
le Roi , l'Etat 6c eux-mêmes étoient menacés. Ilfe plaignoit
de l'ingratitude qu'on avoit marquée pour la reine d'Angle-
terre , du peu d'égard qu'on avoit pour fa recommandation.
Il ajouta qu'il ne voyoit point d'autre remède à ces maux ,
que de défendre par les armes leur liberté , qu'ils ne pou-
voient maintenir par les voyes ordinaires de la jufbice : Qu'E-
lifabeth leur offroit de i'aro-ent 6c tous les fecours dont ils
avoient befoin pour faire la guerre.
Il avoit déjà entraîné les comtes d'Argy le , de Montrofs,
de Marre, 6c d'Angus neveu de Morton , Glencarn , Ruth-
wen 6c de Lindfey , avec plufieurs autres Gentilshommes.
Le duc de Lenox 6c le comte d'Aran jugeant qu'il falloit
les prévenir allèrent trouver le Roi , lui repréfentérent les
intrigues de la faction Anglicane, èc lui firent entendre qu'il
étoit de la dernière importance de juger Morton, avant
Z z z ij
548 HISTOIRE
que les troupes Angloifes parurent fur la frontière. Le Roi
Henri étant encré dans leurs vues, ils agirent auprès de ceux que
III. Randolph avoit déjà gagnés , ils font fi bien à force de pro-
j ,$ I# niellés 6c de menaces, qu'ils les empêchent de fe liguer en-
femble. Il n'y eut que les comtes de Marre 6c d'Angus qui
perfiftérent dans le parti qu'ils avoient pris , Se qui le mon-
trèrent difpofés à tout entreprendre contre Lenox en faveur
de Morton. Mais leur deilèin ayant été découvert par Wit-
tingham plutôt qu'ils necroyoient, Randolph qui craignoit
d'être arrêté , fe retira en diligence à Barwick après avoir
fait avertir les comtes de Marre 6c d'Angus de longer à leur
fureté : mais le Roi ne leur en donna pas le tems ; d'Angus
eut ordre d'aller fe confKtuer prifonnier au-delà de la ri-
vière de Spée , & le comte de Marre, de livrer la citadelle de
Sterlin. Peu de tems après, on précipita le jugement de Mor-
ton,qui fut condamné à mort Se décapité. On dit qu'il avoua
dans la prifon que Botwell Se Archambaud de Duglas lui
avoient confeillé de tuer le Roi $ mais que dans l'agita-
tion où étoient alors toutes les affaires, il n'avoit vu per-
ionne à qui il pût confier un pareil fecret : Que depuis il
avoit été ami intime de Duglas, 6c qu'il s'étoit engagé par
écrit àBotwell de le défendre, fi quelqu'un l'accufoit. In-
terrogé fi Botwell avoit parlé à Murrai du deflein de tuer le
Roi , il affûra jufqu'à la fin qu'il n'en fçavoit rien : mais qu'il
n'y avoit guère d'apparence que deux hommes qui s'accor-
doient fi mal, eufTentpu prendre des mefures enfemblepour
un deiïein aufîi périlleux , 6c d'une auffi grande importance.
Affaires des Après l'exécution deMorton,les comtes de Marre 6e d' An-
villes Han- gus ayant été proferits cherchèrent un afyle en Angleterre,
fcauques. Pendant que le duc d'Anjou y étoit encore , il envoya un
AmbaiTadeur à Lubeck offrir aux villes Hanféatiques fon
amitié , 6c fa médiation pour accommoder leurs différens
avec la reine d'Angleterre fon alliée , 6e qu'il devoitmême
époufèr dans peu j 6c il leur demandoit à fon tour d'être
compris dans l'alliance qui étoit entre ces villes 6e la cou-
ronne d'Angleterre. Pour les y engager, il les allure qu'il
ne fe départira jamais de cette union , 6c qu'il fera toujours
prêt à les fecourir au befoin. Ces villes le remercièrent des.
marques de fa bienveillance 6c de ^qs offres , 6c l'afFiuérent
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 549
que s'il pouvoit par fa protection les réconcilier avec la reine -
d'Angleterre, & leur obtenir la confirmation de leurs privi- Henri
léges , qu'ils follicitoient en vain depuis vingt-deux ans , ils II I.
lui en auroient une obligation éternelle. 1 581.
11 fe tenoit alors une aflèmblée des quatre Métropoles de
la fociété Hanféatique , des villes Vandaliques &: de Bremen,
pour fonger aux moyens d'empêcher les monopoles des An-
glois en Allemagne , & de recouvrer la liberté du commerce
avec Londre. Cette aflèmblée avoit commencé dès le mois
d'O&obre dernier: mais l'Empereur voulut que l'affaire fût
xenvo4yée à la diète de l'Empire, pour y être plus amplement
examinée : de comme le négoce de ces villes pouvoit louf-
frir de ce retardement, elles demandoient que les décrets
qui avoient été faits l'année précédente à Lunebourg contre
les Anglois , fuirent exécutés par proviiîon , &: qu'il leur fut
permis d'agir en juftice contre Ezard comte d'Embden.
Elifabeth vouloit bien fufpendre l'exécution de (es édits
contre les villes Hanféatiques , pourvu qu'auparavant elles
révoquaient les décrets qu'elles avoient faits contre les An-
glois à i'aflemblée de Lunebourg. Pendant cette contef-
ration , l'ambaflàdeur du duc d'Anjou arriva 3 6c ayant réùf-
fi à faire fufpendre tout ce qui s'étoit paflè départ & d'autre
de contraire à l'alliance , l'affaire demeura ailbupie pendant
quelque tems.
Cependant on avertit la ville d'Elbïng de ne point ac-
corder de maifon , ni de privilèges aux Anglois , qui contre
les décrets de la fociété voudroient y établir leur monopole.
On parla enfuite dans l'aflemblée de la néceffité d'une con-
tribution décuple , 11 l'on vouloit relever les affaires de la
fociété. La ville de Lubeck offroit mille écus 5 mais les au-
tres députés ayant déclaré qu'ils n'avoient aucun ordre de
leurs villes à ce fujet , l'affaire fut remife à une aflèmblée
plus nombreufe. Enluite on réfolut d'envoyer une députa-
tion au roi de Pologne ^ * Se on en chargea les villes de Co- * Etréoai
logne, de Danzick & de Roftock : mais la ville de Cologne
s'en étant exeufée , les deux autres refuférent de s'en char-
ger fans elle. Après quoi les matelots s'étant plaints que de-
puis peu on les accabloit en Portugal d'exa&ions extraordi-
naires , les villes furent d'avis de profiter du nouveau régne
Zzz ii j
Bactori,
550 HISTOIRE
— de Philippe II. pour arrêter le mal dans fa naiiîànce : Se elles
Henri envoyèrent à leur Conful de Liibonne des lettres pour ce
III. Prince , par lefquclles elles le fupplioient de les décharger
i 5 8 i. de ces nouvelles importions , 6c d'ordonner que les titres de
leurs privilèges qui étoient dépofés dans une Chapelle de
Lifbonne , leur feroient remis en original, ou du moins qu'on
leur en fourniroit des copies munies du fcéau de l'autorité
publique.
Affaires Je En France le Roi vivoic dans une entière fécurité j 6c oc-
France, cupé de fes feuls plaifirs , il continuoit Tes profuiions ordi-
naires ; mais comme fes finances n'y fumToient pas malgré la
multiplication des impôts, il fallut avoir recours aux inven-
tions pernicieufes dQs Italiens , ou autres gens exercés com-
me eux dans l'art funefte d'écorcher les peuples. C'étoit tous
les jours nouvelles magistratures , nouvelles charges , nou-
veaux tributs, 6c nouveaux édits par conféquent à l'enre-
giffcrement defquels le Parlement s'oppofoit toujours. Le Roi
fut donc obligé d'y venir le quinze de juillet , & il y fît en-
regiftrer pour un feul jour vingt-fept édits burfaux , par l'un
defquels il créoit vingt nouvelles charges de Confeillers. Par
là s'accrut encore la haine qu'on avoit déjà pour fon gou-
vernement } le peuple en murmuroit hautement , 6c les fages
tout bas. Comme ils voyoient que ces édits caufoient un
bouleverfement total dans le Royaume : Que tout l'argent
qu'on droit par cette voye , étoit diilipé par le luxe, ou em-
ployé à des ufages infâmes : Que tout étoit vénal jufqu'aux
magiftratures de aux gouvernemens : Que plus les impots
augmentaient , plus le tréfor de l'épargne fe trouvoit épuifé:
Que lamajefté Royale s'avilifToit de jour en jour : Qu'on éle-
voit aux premières places des enfans fans capacité ^ comme
ils voyoient enfin que la vertu n'avoit aucune récompenfe à
attendre , 6c que tout fe donnoit à la faveur , qu'on n'ac-
quéroit que par les fervices les plus infâmes , ils n'avoient
que de trilles preflentimens au fujet du Roi , 6c des affaires
de l'Etat,
Mariage de Dans ces circonftances , ce qui occupoit le Roi férieufe-
Joyeufe avec menc étoit le mariage de joyeufe 6c de la Valette. îoyeufe
iaiœurdela . r , , , » -> ' . . X,V
Reine. avoit ete accorde en France avec Marguerite de Chabot,
fille 6c principale héritière de Eleonor de Chabot comte de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 551
Charny. Mais le cœur de ce Favori s'élevant à mefure que . _._■
fa faveur croifToit , il rompit ce premier engagement , malgré Henri
les honneurs & les grands biens de la maifon de Chabot , & III.
il époufa Marguerite de Lorraine fceur delà Reine (1) fem- 1 c8 ï
me du Roi. Henri de Mefmes alla en pofte la demander au
nom du Roi au duc Charle de Lorraine^car Nicolas prince de
Vaudemont père de la Princelîeétoit mort quatre ans aupa-
ravant. Malgré la mifére du peuple , ce mariage fe fît à Pa-
ris, avec une magnificence plufque Royale. Le Roi afîîgna
à la mariée , quoique étrangère , une dot de trois cens mille
écus d'or, comme on la donne aux filles de France ,& il en
donna autant au marié. Quelques odieufes que fuflènt ces
profuflons , celles que l'on fît pour les noces le furent bien
davantage ; en tournois , caroufels , fpect-acles ôc fêtes de
nuit , combat naval , préfens , & autres profitions fembla-
bles , on dépenfà douze cens mille écus d'or. Le duc de Lor-
raine s'y trouva , &c y fît auffi de grandes dépenfes j mais il
comptoit bien tirer de notre folie un avantage préfent,& un
beaucoup plus grand à l'avenir de la ruine du Royaume , qu'il
prévoyoit. A Ton exemple , le cardinal de Bourbon allié de
Joyeufe , fe diffcingua aufîî beaucoup par la dépenfe.
Pour donner un relief à ce mariage , le Roi quelque teins
auparavant avoit fait Joyeufe Duc & Pair, par un Edit du
mois d'Août enregiftré au Parlement le 7. de Septembre. La
noblelle des comtes de Joyeufe , honorés autrefois de l'allian-
ce de nos Rois , n'y étoit pas oubliée. En effet Jean de Bour-
bon comte de Vendôme eut plufieurs filles , qui furent ma-
riées • fçavoir, Jeanne l'aînée, au duc de Bourbon , èc enfuice
à Jean de la Tour comte de Boulogne 3 Catherine , à Gilbert
de Chabane comte de Carton 5 une autre Jeanne , à Louis
vicomte de Joyeufe - &; Charlotte la quatrième, à Engilbert
de Cleve duc de Nevers. La dignité de Duc & Pair fut don-
née à Joyeufe , à condition qu'il auroit le premier rang en
France après les princes du Sang ,& les defcendans des mai-
fons de Savoye , de Lorraine , de Cleve & de Longueville , &
qu'il précéderoit tous les autres Ducs , quoique plus anciens ,
au facre des Rois , au Parlement , au Confeil du Roi , & dans
toutes les cérémonies publiques.
(1) Louife de Lorraine de Vaudemont.
55i HISTOIRE
55 La Valette reçut dans le même tems , les mêmes çraces 6c
Henri la même dot : car il étoit au même degré de faveur que
III. Joyeufe. Ce Prince qui les aimoit tous deux éperdument,
i j 8 i . quoique peu maître de lui d'ailleurs , avoit une attention in-
finie à leur partager également fes bienfaits , de crainte que
la moindre inégalité n'excitât entr'eux de la jaloufîe : mais
il n'étoit pas aife de l'empêcher^ l'envie de les voir unis l'in-
quiétoit beaucoup plus, que le repos 6c la tranquillité de
Ion Royaume. Il reftoit encore une fœur de la Reine , nom.
mée Chriftine j mais comme elle n'étoit pas nubile, on fe
contenta de la fiancer à la Valette , qui abandonna par ce
moyen Jeanne de Mou y , fille du marquis de Mouy , qui avoic
été fiancée avec lui avant qu'il fut parvenu au degré de fa-
veur où il étoit alors. Elle époufa depuis Claude de Saint
Sauveur , frère d'Anne de Joyeufe.
Quoique le mariage de la Valette fut remis à caufe de
l'âge de la Princefle, la dot lui fut payée argent comptant -y
on lui fit les préfens de noces : 6c afin qu'il n'y eût point de
fujet de jaloufîe entre les deux Favoris , le Roi fe hâta d'a-
cheter auprès de Chartres , Epernon , qui étoit du domaine
du royaume de Navarre ; èc par un Edit donné au mois de
Novembre , il l'érigea en Duché-Pairie pour la Valette , avec
les mêmes prérogatives qu'il avoit accordées à Joyeufe.
L'Edit fut enregistré le 27. de Novembre, 6c ce même jour
le duc de Joyeufe fut reçu au Parlement , 6c y prêta ferment
avec les cérémonies ordinaires. Cet Edit fait remonter la
noblefle du jeune Nogaret jufqu'à ce Guillaume deNogaret
qui fit pour la liberté du Royaume une adion bien célèbre
dans l'hiffcoire • car il arrêta à Anagnia,avec le fecours de
Sciarra Colonne, le pape Boniface VIII. qui prétendoit que
la couronne de France étoit feudataire du Saint Siège. Ce
fut vers l'an 1303. Ce fait y eft remarqué comme une de-s
plus glorieufes actions de cette famille , 6c comme un témoi-
gnage illuftre du courage de fes ancêtres , &c de leur zélé pour
le lervice de la patrie. Enfin le 1 1 . de Décembre François
de Luxembourg qui avoit été nommé duc avant Epernon ,
fut créé duc de Piney 6c pair de France , 6c le même jour il
prêta ferment au Parlement. Ce qui ne fut que l'efFet de la
faveur pour les deux autres , fut donné à lafplendeur d'une
des
DEJ. A. DETHOU,Liv. LXXIV. 555
âes plus illuftres familles de la Chrétienté ; mais ce ne fut pas ss
avec la prérogative accordée à Epernon , ce qui attira depuis Henri
de grandes affaires 6c de grands procès à ce Duc , non-feu- III.
Jement avec le duc de Piney , mais avec tous ceux dont les 1 ?8r.
Duchés étoient plus anciens que celui d'Epernon.
Jufque- là toutes les tentatives du Pape 6c de (bs Nonces
avoient échoué dans la demande qu'ils faifoient de la publi-
cation du concile de Trente. Enfin les Guifes trouvèrent un
expédient pour fatisfaire en partie 6c pour un tems aux defirs
du S. Père. C'étoit de célébrer des Conciles provinciaux ,
où l'on recevroit ce Concile peu à peu 6c par parties. Celui
qui commença fut Charle de Bourbon cardinal , archevêque
de Rouen 6c primat de Normandie. Ce qu'il fit àl'inftiga-
tion de Claude de Saintes évêque d'Evreux, théologien
célèbre , élevé autrefois dans la maifon du cardinal de Lor-
raine. Les Guifes s'étoient empare de l'eiprit du cardinal de
Bourbon , depuis la mort de Louis de Minterne abbé de
Chaftrice , qui le gouvernoit entièrement , 6c qu'ils n'a. • :nt
pu gagner. Mais ils vinrent bientôt à bout de corromt
celui qui fuccéda à fa faveur. C'étoit Antoine de Bourbon
Rubembré premier chambellan de ce Cardinal , &c qui def-
cendoit d'un bâtard de cette illuftre maifon, Le duc de Guiiè
ayant eu entrée chez le cardinal de Bourbon par le moyen
de ce nouveau Favori , fçut fi bien ménager (on esprit , en
lui faifant efpérer qu'on le feroit Roi , fi Henri III. & le duc
d'Anjou mouroient fans enfans mâles, 6c lui fafeina telle-
ment les yeux par fes carefTes 6c par fes fouplefies, que ce vieil-
lard perdit tout d'un coup l'averfion qu'il avoit eue jufque-
là pour les Lorrains, 6c commença à s'éloigner des Princes
de fon fang. H tint donc un Concile à Rouen , à l'indication Concile de
des Guifes ^ & il invita par fon exemple tous les autres Arche- Rouen-
vêques 6c Primats à l'imiter , quoique par d'autres vues.
Depuis que le duc d'Anjou étoit entré dans les Païs-bas,
le Roi délivré de l'inquiétude que fa préfence lui donnoit ,
fongea à exécuter les Edits de pacification , 6c en même-tems
à mettre un obftacle aux entreprifes du roi de Navarre. Dans
cette vue il fit revenir Biron delaGuienne, 6c y envoya le
maréchal de Matignon, qui avoit aluégé 6c pris la Fere l'année
précédente. Comme le roi de Navarre en étoit Gouverneur,
Tome FUI. A A a a
554 HISTOIRE
— l. Matignon y alla en qualité de Lieutenant général. L'or-
Henri dre qu'on donna à ce Maréchal , fut de pacifier par fa fa-
III. gefTe & par fa préfence cette grande province , où fe for-
1581» moient toutes les grandes tempêtes , qui venoient enfuite
retomber fur le relte du Royaume.
Quelque tems auparavant , c'efb-à-dire, vers la fin de Juil-
let , la NoblefTe du Périgord & des environs fatiguée par les
courfes continuelles des garnifons Proteftantes , engagea les
Commandans des troupes du Roi à fe failir de Perigueux.
Ils furprirent cette ville la nuit , ôc ils la traitèrent avec tant
de barbarie , qu'ils fembloient vouloir venger celle que le
baron de Langoiran y avoit exercée fix ans auparavant , lors-
qu'il fe rendit maître de la ville. Le roi de Navarre en ayant
porté fes plaintes au Roi , il n'en reçut pour toute fatisfa&ion
que des excufes , fa Majefté lui ayant répondu , qu'après tant
d'outrages de la part des Proteftans, elle ne pouvoit pas leur
faire rendre une place dont les Catholiques étoient maîtres.
Ainfî au lieu de Perigueux on leur donna pour place de fure-
té Puymirol , bicoque près d'Agen.
Peu de tems après, en exécution de l'onzième article de
la conférence de Fleix , on envoya des CommifTaires du Par-
lement de Paris , le président Seguier à la tête , pour connoî-
tre des cauiès des Proteftans , à la place de la Chambre mi-
partie , tirée trois ans auparavant du Parlement de Bour-
deaux & établie à Agen. J'étois du nombre des CommifTai-
res en qualité de confeiller Clerc. Les CommifTaires furent
reçus des peuples avec de grandes marques de joye. L'année
fui vante ils s'afTemblérent dans un couvent de Dominicains 5
enfuite à Agen, puis à Perigueux, &; enfin à Saintes, 6c ils
rendirent trois ans durant la juftice en tous ces endroits avec
une intégrité qui fut applaudie de tout le monde ,6c qui mit
la paix dans la province : car après la prudence de Matignon ,
c'eft à l'équité de ces excellens Juges qu'elle en eut la princi-
pale obligation.
Affaires du Après la mort de Bellegarde , il s'éleva des troubles dans
marejuifat de ]e marquifat de SalufTe : & le Roi craignoit extrêmement
qu'il ne fe trouvât des gens qui reprifTent les intrigues que
d'autres avoient commencées avec les émifTaires du roi
d'Efpagne. On y envoya d'abord Bernard de Nogaret la
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 555
Valette, qui ayant trouvé une partie des poftes occupés par " »
les reftes de cette fa&ion , avoit voulu par l'entremife du duc Henri
de Savoye engager les Commandans à le foûmettre , moyen- III.
nant quelque iatisfa&ion qu'on leur donneroit. Mais ce ic8i.
deiïèin ayant échoué , 6c Lafin qui tenta la chofe au nom
du duc d'Anjou , n'ayant pas mieux réiifli , on y envoya le
maréchal de Retz * avec un plein pouvoir. On efpéra qu'il * Albert de
réuiîiroit mieux , parce qu'on croyoit que fa fœur qui avoit Goadl*
époufé le comte de Pancallier , 6c qui avoit été chargée de
l'éducation du duc de Savoye , avoit un grand crédit en cette
Cour. Le fïeur d'Anfelme gentilhomme Provençal , homme
également hardi , feelerat 6c ancien confident de Bellegar-
de, fe hâtoit de fortifier Cental, & il avoit de groilès gar-
nirons dans Saint Damien, Dragonniére 6c Venafque. Com-
me il s'étoit fait bien des ennemis pendant les troubles pré-
cédens , il difoit qu'il avoit une grande répugnance à re-
tourner à la vie privée , & il demandoit une retraite fûre ,où
il pût être à couvert de fes ennemis 6c fervir fidèlement le
Roi. Le maréchal de Retz trouvant que ce qu'il deman-
doit étoit raifonnable , lui fit donner pour retraite au nom
du Roi 6c du duc d'Anjou , 6c à la prière du duc Savoye , la
ville de Tarafcon fur le Rhône , au-deflus d'Arle , avec deux
compagnies de cavalerie defbinées pour la garde de Roque-
Maure , ou de Valbergue , 6c payées par le Roi , pourvu qu'il
obtînt l'agrément du duc de Monmorency gouverneur de
Languedoc. On lui promit encore dix mille écus d'or pour
les dépenfes qu'il avoit faites à Cental , 2c pour les munitions
de guerre 6c de bouche qu'il devoit remettre 5 èc outre cela
le Roi donna l'abbaye de Mont-Majour à fon frère.
En attendant que le Roi eût ratifié le traité , les poftes
qu'il devoit évacuer furent mis entre les mains du duc de
Savoye : toutes ces conventions furent arrêtées le premier
Février. Le duc de Savoye, la Valette 6c Anfelme écrivirent
au duc de Monmorency pour le prier de trouver bon que la
cavalerie d'Anfelme fût reçue dans Roque-Maure ou dans
Valbergue , fuivant l'ordre du Roi. Là-defTus Anfelme fe
rendit à Tarafcon , &c quelque tems après étant allé à Aix ,
il y fut tué dans une querelle, par ordre, à ce qu'on croit,
du bâtard d'Angoulême gouverneur de Provence.
AAaa ij
55^ HISTOIRE
— ■. ' Roger Trironio abbé de Pignerol , qui nous a donné la
Henri vie du cardinal Lauro , allure que lorique Bellegarde eut
III. chafle Birague du marquifàt de SaluiTè , le Pape qui fçavoit
i 58 i. <îue cette expédition s'écoic faire à l'infligation du duc de
Savoye , 6c qui prévoyoic que cette affaire pourroit bien dans
la fuite allumer la guerre entre la France 6c la Savoye, en-
voya extraordinairement Vincent Lauro évêque de Mondo*
vi, au duc Charle, qui venoit de fucceder à Philbert fou
père, &: qui après la mort de Bellegarde, s'étoit emparé de
la fortereîïè de Carmagnole , où il y avoit bonne garnifon ,
fous prétexte d'empêcher que les Proteftans ne s'en faifiilent.
Comme Lauro connoiflbic le jeune Duc pour un efprit bouil-
lant 6c ambitieux , il lui repréfenta , dit Tritonio , que l'af-
faire de Carmagnole étoit délicate , 6c qu'il devoit s'y con-
duire avec beaucoup de prudence ; que s'il vouloit rendre
cette place au Roi, il devoit le faire de manière qu'il parût que
c'étoit par un motif de juflice, &; non par crainte, & qu'il
pût en faveur de cette reftitution obtenir quelque avantage
du Roi : 6c Lauro prit ce parti comme le plus fur. Mais il
dit en même teins à ce Prince que s'il vouloit garder cette
place, il examinât bien les forces -, que la France ne fouffri-
roitpas cette ufurparion, 6c qu'il pouvoit compter qu'il n'étoic
pas en état de repoulier les efForts des François , s'il n'étoit
appuyé du fecours du Pape 6c des Efpagnols. Tritonio ajou-
te que le Duc répondit qu'il étoit réiolu de garder Carma»
gnole , 6c qu'il demanda même l'avis du Pape -y mais que
depuis , la crainte de s'attirer les forces delà France l'avoir
fait changer , 6c que non-ièulement il avoit rendu Carmagno-
le j mais que c'étoit lui qui avoit engagé Anfelme à accepter
les offres que le Roi lui faiibit. La raifon de ce changement y
ajoute cet Auteur, étoit que ce Duc qui cherchoit à fe ren-
dre maître de Genève , étoit bien-aife d'être en bonne intel-
ligence avec le Roi , 6c de ne pas trouver les François en fon
chemin. Il dit même , que le maréchal de Retz lui promit
par un écrit ligné en forme , que la France ne s'y oppoferoit
point. Je ne fçaurois dire 11 ce récit eft vrai ou faux -y mais
comme l'Auteur croit fecretaire de Lauro , j'ai cru que
fon témoignage eroir de quelque imporrance pour connoî-
tre les deïïeins des Princes de ce tems-là, 6clesdifpolîtions
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 557
réciproques des uns à l'égard des autres , de qu'ainfî je ne de- *•
vois pas le pafler fous fllence. Henri
Peu s'en fallut qu'un deffein fecret formé cette année con- III.
tre la ville de Strafbourg ne réiifsît j mais il fut découvert 1*81.
par ceux dont on le craignoit le moins. Robert Heu Maleroi v •/•
jeune nomme fort brave , de bonne maiion , de ce qui lui fur straf-
donnoit un grand relief, beau-frére de Claude- Antoine de bour§-
Vienne de Clervant , étoit ami intime de François de Quin-
quempoix fleur de Mais, comte de Vignori. Ilsavoient été
compagnons de guerre dans leurs premières campagnes : ain-
fi il n'y avoit rien que Maleroi ne crût pouvoir entreprendre
fur l'avis de avec la faveur d'un homme de cette importance.
Vignori bon Officier, de qui par fes liaifons avec le duc de
Guife, avoit formé de grands projets, perfuada aifément à
Maleroi d'efîàyer de lurprendre quelque place fur la frontiè-
re d'Allemagne , fous la promellé qu'on lui en donneroit le
gouvernement, ou du moins le commandement de la garni-
fon. Il avoit Ces vafîàux à Metz, ville de l'Empire : ainfi il
étoit très-connu dans la contrée 3 de comme il profeilbit la.
religion Proteftante , on ne pouvoit foupçonner qu'il eût un
pareil deffein. Pendant qu'il cherchoit l'occafîon d'exécuter
ce qu'il avoit promis , Vignori fut tué devant la Fere : cepen-
dant le projet dont -le duc de Guife de le duc de Lorraine
même , à ce qu'on croit , avoient connohTance , fubfiftoit tou-
jours. Le retardement même au lieu de rallentir l'ardeur de
ce jeune homme plein d'ambition , ne faifoit que l'enflamer
davantage , de le duc de Guife avoit foin d'entretenir ce feu ,
en lui envoyant de tems en tems des couriers , 6c des lettres
en chiffres , avecpromefle qu'il n'y auroit aucun changement
pour la Religion dans la place qu'on lui livreroit. On ne
fçavoit fur quelle ville on devoit faire cette tentative 3 mais
enfin on convint de tomber fur Strafbourg , où la garde fe fai-
foit avec d'autant plus de négligence, que la ville étoit mieux
fortifiée par l'art 6c par la nature. Il ctoit doncaifé de la fur-
prendre, & plus aifé encore de la garder lorfqu'on en feroit
maître. On ne pouvoit trouver une fîtuacion plus avantageufè
pour tenir en bride les places du Rhin , de pour entrepren-
dre tout ce qu'on voudrok : c'étoit comme une citadelle qui
commandoit l'Allemagne de ce côté-là.
AAaa iii
558 HISTOIRE
Les Etats de Hollande faifoient faire alors des levées en
Henri Allemagne , 6c le rendez-vous de ces nouvelles troupes étoic
III. dans les plaines des environs de Strafbourg. A la recom-
i j8 i. mandation de Clairvant , il n'avoic pas été difficile au prin-
ce d'Orange d'engager les habitans à permettre à Male-
roi de lever quatre mille fantaflins en Alface , & de s'appro-
cher enfuite de la ville pour acheter des armes 6c tout ce qui
étoit néceïïiire pour équiper ces foldats. Maleroi y venoit
tous les jours avec des Officiers , avoit des conférences avec
les Bourgmeftres , 6c viiitoit à tout moment les folles i les
remparts, les ouvrages. Le duc de Guife s'étoit avancé en
même tems vers la frontière de Lorraine avec un grand nom-
bre de Gentilshommes de Ces amis. L'approche de ce Duc
ayant donné quelque défiance , le Sénat fongea à prendre
des mefures -y mais la ville avoit tant de confiance en Maleroi ,
qu'ils le prièrent de vouloir bien aflifterà leurs Confeils j6c
ils rendoient grâce à la Providence , qui avoit permis qu'il
eût un corps de troupes auprès de Strafbourg , pendant
qu'un Prince auffi redoutable que le duc de Guiïe étoit dans
leur voifinage. Ils le confultoient fur les moyens de mettre
leur ville en fureté , &; ne faifoient aucune difpofition de
troupes que par fon avis. Guife cependant preffoit extrême-
ment Maleroi d'agir, 6c lui faifoit dire tous les jours que le
moindre délai étoit capable de renverfer l'entreprife : ce-
pendant Maleroi temporifa tant, qu'on reçut à Strafbourg
des avis fecrets de la cour de France , qui les avertifToient de
fe donner de garde du duc de Guife , de ne recevoir aucunes
troupes dans leur ville, 6c de faire fortir au plutôt de leur
voifinage celles qu'on y avoit afïemblées.
Le Roi avoit extrêmement aimé les princes Lorrains dans
fon enfance -y 6c comme ils s'étoient fort attachés à lui pen-
dant la vie de Charle IX. fon frère , il s'étoit toujours dé-
claré pour eux contre les Monmorencis j mais il changea dès
qu'il fut Roi , car il vouloit la paix , de il voyoit que ces Prin-
ces doués de qualités néceffaires pour commander, mais qui
n'avoient pas reçu de la fortune de quoi les employer , cher-
choient de tous côtés des matières de guerre, pour avoir
occafion d'exercer leurs talens. Ainfi prévoyant que s'ils
étoient maîtres de Strafbourg , l'une des meilleurs places
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 559
d'Allemagne , ils étaleroient bientôt leur puiflànce au Pape s™* ,ijmMUm.
ôc au roi d'Efpagne , avec lefquels ils avoient déjà de grandes Henri
liaifons , fous le faux prétexte de la Religion • qu'ils y lève- III.
roient l'étendart de la révolte , & donneroient le lignai aux 1 5 8 1 .
peuples crédules de France pour prendre les armes contre
leur Roi , il crut pour l'intérêt de la tranquillité publique
devoir réprimer l'ambition effrénée de ce> Princes, en fai.
fant avorter leur defTein.
Quoique le Sénat de Strafbourg ne fe défiât aucunement
de Maleroi , cependant il ne négligea pas un avis qui ve-
noit d'un endroit fi refpedable 5 & après avoir fait un com-
pliment de politefTe à cet Officier fur fon mérite &: fur fa
probité , ils lui dirent de faire fortir fur le champ fes troupes
de leurs terres. Dès que la trahifon eut été découverte, la
Nobleflè , qui en avoit été inftruite , 6c qui ne fe foucioit plus
de ménager ceux qui l'avoient tramée, en nommoit hau-
tement les auteurs, &; publioit fur toute la frontière, que
Maleroi gagné par le duc de Guife étoit à la tête de cette con-
ipiration : ce qui le rendit odieux à tous (es amis , &: fufpecfc
aux Proteflans d'Allemagne &; de France. Clervant fon
beau-frère lui en marqua vivement fon chagrin : car il l'a-
voit en quelque forte engagé fans le fçavoir ( 1 ) dans cette
entreprife aufîi déteftable , que téméraire. En un mot, cette
tentative porta un coup li terrible à la réputation de ce jeune
homme, que malgré une infinité de marques de repentir qu'il
donna depuis , il lui a été impoffible de regagner la confiance
des Allemans. Et lorfquela guerre fut rallumée chez nous ,
Clervant à qui il faifoit compafîion , l'ayant amené à la Ro-
chelle pour le préfenter au roi de Navarre, il ne put l'excu-
fèr autrement qu'en difant, que ce jeune homme un peu
trop crédule , avoit été trompé par des fourbes plus fins que
lui : Qu'on lui avoit fait entendre que l 'entreprife étoit pour
l'avantage &: pour la gloire de la France 5 qu'elle fe faifoit
de l'aveu du Roi : mais qu'il ne s'étoit pas déclaré ; parce que
fi elle échoùoit , il auroit été fâché d'avoir choqué les Alle-
mans, fans en tirer aucun fruit. Le roi de Navarre feignit
d'être content de cette exeufe. Maleroi lui ayant offert fes
(1) C'étoit à la recommandation de ' avoient eu tant d égards pour Maleroi.
Clervant, que les habitans de Strasbourg j
5*o HISTOIRE
fervices , il le fît partir pour le Languedoc , où le maréchal
Henri de Monmorency lui donna de l'emploi , ôc l'envoya comman-
III. der l'artillerie au fïége d'une petite ville , près du Pont-Saint-
i s 8 i £iprit. Maleroi y fut blefle , 6c mourut de fa blefllire.
Troubi *v Je ^°*s metcre au ran§ ^es affaircs de France , les troubles
Malte. ' arrivés cette année à Malte , par la fadion des Efpagnols :
car les étincelles de la Ligue qui a ruiné la tranquillité pu-
blique chez nous , commençoient à s'allumer au loin. Elles
avoient déjà porté le feu en Italie, 6c dans des lieux encore
plus éloignés , & elles ne demeurèrent chez nous cachées
tous la cendre , que tant que le duc d'Anjou vécut. Les Efpa-
gnols qui cherchoient à allumer le feu , commencèrent par
l'ifle de Malte , 6c foulevérent contre le Grand-Maître ce
fameux Mathurin de l'Efcut de Romegas , grand homme de
mer , dont le nom feul faifoit trembler tout l'Orient, en le
fktant de l'efpérance de la Grande Maîtrife. Ce n'étoit pas
leur deflein ; car pourquoi dépouiller un François de cette
dignité pour la donner à un autre François ? Cependant
Romegas aveuglé par fon ambition , donna dans le piège.
Leur but véritable étoit de divifer les chevaliers François , &c
de les mettre aux mains , afin que pendant leurs querelles les
Efpagnols , qui étoient tous bien unis , s'emparaflent du gou-
vernement.
Jean l'Evêque fleur de la Caffiére Auvergnat, étoit alors
Grand-Maître. Il étoit parvenu à cette dignité par {es fer-
vices , 6c par l'idée qu'on avoit de fa piété 6c de fa prudence.
Les fa&ieux l'accufoient de négliger les affaires delà Répu-
blique , d'en difflper les fonds , &; d'avoir des intelligences
avec les ennemis du nom Chrétien : ce qui étoit le fouverain
degré de la calomnie 6c de l'impudence. Ils pouflérent Pau-
dace 6c la fureur jufqu'à s'attrouper contre lui , 6c à Penve-
loper de toutes parts. Il les reçut avec un vifage intrépide ,
malgré leurs menaces ^ il ne fit rien qui fut indigne de fon
rang 6c de fa dignité j 6c il leur reprocha même en face leur
révolte 6c leur perfidie. On l'arrêta enfin , on le mit en prifon
au château Saint Ange, 6c on nomma Romegas Lieutenant Gé-
néral de l'Ordre. Une adionfl indigne 6c fl hardie ne demeu-
ra pas long-tems cachée : comme tous les Chevaliers étoient
divifés, le bruit de leur méfintelligence fe répandit bientôt
à
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 56i
a Rome 6c enfuite en France. Le Roi comprit d'abord que
c'étoit les Efpagnols qui avoienc pouffé Romegas à cet atten- Henri
tat j & ce Prince fi indolent fur les maux de fon Etat , crut ne III.
pas devoir négliger ceux de l'ordre de Malte. Il fit donc par- i ç 8 i
tir aufïïtôt le commandeur de Chafte , parent de Joyeufe.
C'étoit un homme d'un vrai mérite ,6c plein de zélé pour la
gloire du nom François. Dès qu'il fut à Rome, il pria le
Pape d'accommoder cette affaire 3 6c après s'être abouché
avec le cardinal d'Eft, auffi recommandable par fon amour
pour la France , par fa fidélité 6c par fa vertu , que par la di-
gnité dont il étoit revêtu , il fit entendre que fi on laifîbic
traîner cette affaire à Rome , le Roi étoit réfolu de confif.
quer tous les biens que l'ordre de Malte poflédoit en France ,
6c de les donner à l'ordre du Saint Efprit, que S. M. avoit inf-
titué depuis peu. Cet éguillon réveilla la cour de Rome , 6c
força le Pape à venger l'injure faite à un autre , pour fe ga-
rantir de celle dont il étoit menacé. De Chafte alla enfiiite
à Malte , de porta au Sénat les ordres menaçans dont le Roi
fon maître l'avoit chargé. Pendant ce tems-là,le Grand- 0-
Maître après avoir protefté contre la révolte des féditieux ,
avoit appelle au Pape de l'outrage qu'il avoit reçu. Les Che-
valiers ayant appris l'arrivée de l'ambafladeur du Roi , vont
tous unanimement, jufqu'à ceux quis'étoient engagés dans
la faction Efpagnole , trouver le Grand-Maître prifonnier,
lui témoignent leur repentir , le fupplient inftamment de re-
prendre les marques de fa dignité de d'oublier tout le paffé.
Mais cet homme qui avoit montré tant de fermeté pour fouf-
frir fon injure particulière , en montra beaucoup davantage
pour en pourfuivre la vengeance publique , 6c il refufi de for-
tir de prifon avant que le légat du Pape, qu'on difoit être
en chemin , fût arrivé, C'étoit Gafpar Vifcomti auditeur de
Rote , qui montra les ordres de fa Sainteté , par lefquels le
Grand-Maître étoit cité à Rome. Ce Vieillard octogénaire
ayant fait équiper quatre galères s'embarqua auffi-tôt avec
trois cens Chevaliers , parla à Naples , 6c enfuite à Rome j de
il fut reçu par-tout avec des honneurs extraordinaires. Lorf.
qu'il approcha de la ville, huit cens Chevaliers allèrent au.
devant de lui. Il fe rendit d'abord chez le cardinal d'Ef}:, qui
avoit fait préparer des logemens pour lui 6c pour les trois cens
Tome FUI. BBbb
56i HISTOIRE
j. Chevaliers qui Paccompagnoient. Les curieux remarquèrent
Henri qu'il y avoic alors plus de mille perfonnes logées dans le pa-
III. lais de ce Cardinal , le plus magnifique Seigneur de ion fié-
i 5 8 i . c^e- I^s Y demeurèrent pendant tout le tems que le Grand-
Maître fut à Rome , &; y furent traités honorablement, cha-
cun félon leur condition. Le Grand-Maître fe rendit enfuite
auVaticanavec lemême cortège qui Pavoitaccompagné dans
fon voyage ; & à juger par la foule du peuple qui ih préienta
fur fon pafTage, fa marche avoit plus Pair d'un vainqueur qui
entre en triomphe , que d'un coupable qui va fubir fon ju-
gement.
Ce fut avec cette pompe que le Cardinal d'Eft le préfenta
au Pape. Le Grand-Maître s'étant mis à genoux , baifa les
pieds de fa Sainteté , & lui parla ainfî : » Je rends grâces au
»Dieu tout-puiiïant de ce que dans un âge où j'avoîs perdu
35 Pefpérance de revoir jamais le lieu facré où repofent les
>j corps des Apôtres faint Pierre &: faint Paul , il a permis
" qu'avant ma mort , je fiiïe encore le voyage de Rome dans
53 une fanté parfaite. Il eft trille pour moi que j'y vienne en
33 criminel , fî pourtant on peut appel 1er ainfî un homme qui
35 foûtenu du témoignage de fa conicience ne craint point de
33 paroître devant iès Juges. J'ai fouhaité , j'ai demandé de
33 me préfenter devant vous , auffitôt que mes ennemis m'ont
33 attaqué j &: dès que vos ordres m'ont été montrés , à Pin-
33 fiant fans avoir égard à ma foibleiïe , je me fuis mis en che-
w min , perfuadé que mon innocence triomphera de la mali-
>3 ce de ceux qui m'attaquent. Si je vous parle, & à tout le
5> genre humain par vous , ce n'eft pas pour me juftifier des
33 crimes dont on m'accufe. Simple Gentilhomme , puis Che-
3> valier , j'ai toujours vécu fans reproche , &; après avoir
3» paiTé par tous les degrés de la plus honorable milice qu'il
» y ait dans l'Univers, fans avoir jamais donné prife ni du
35 côté de l'intégrité , ni du côté de la vertu militaire , je me
53 fuis vu nommer Grand-Maître de mon Ordre par des fuf-
55 frages que je n'ai point mendiés. C'eft à vous , Saint Père ,
33 c'eft à votre fageffe & à votre équité à juger , s'il y a appa-
35 rence qu'on puifTe reprocher avec quelque fondement à un
53 Vieillard octogénaire , qui eft prêt d'aller rendre compte
35 de toute fa vie ? des crimes infâmes dont on ne l'a jamais
DE J. A. DE THOU, Liv. L X X I V. 563
»s accufé dans fon enfance , dans fa jeuneflè , dans la force,
» 6c dans le déclin de fon âge. Mon crime , Saint Père ,eft Henm
" de vivre encore j ma longue vie qui m'en: à charge à moi- III.
" même, retarde trop long-tems l'eipérance , ou pour mieux 1581,
« dire l'avidité de mes .accufateurs : ce qui m'a mis en l'état
» où je fuis , c.'eft la faction , & non pas mes crimes : ces che-
» veux blancs devroient fuffire pour en écarter le foupcon :
» mais ce n'eft pas à ma perfonne qu'on en veut , c'eff. à n*&
» place j 6c c'eft un crime horrible d'y. vouloir parvenir fans
» attendre qu'elle vaque : mais ce n'eft pas le feul dont ils
»? foient coupables -y la divifion que leurs intrigues ont mife
" parmi les chevaliers François , fi unis auparavant , ouvre
» une belle porte aux Turcs nos ennemis éternels, non-feu-
» lement pour attaquer Malte , mais pour envahir 6c ravager
» toute l'Italie. C'eft afTez parlé pour moi devant le tribu-
» nal fuprême de la juftice 5 je laifle à la prudence de V. S.
» le foin de rétablir l'union Ci néceflaire à notre Ordre , de
>' d'affermir la lùreté publique liée étroitement à ma caufe,
» contre la confpiration déteftable de quelques e/prits fac-
» deux , 6c de venger avec une févérité digne du fouverain
» Pafteur l'injure qu'on m'a faite. Votre falut , Saint Père,
m & celui de toute la Chrétienté en dépend : mais je dois
» beaucoup à mon malheur j il m'a procuré un avantage que
» je fouhaitois infiniment , c'étoït d'avoir le bonheur de vous
" voir , de vous parler , de recevoir votre bénédiction : je n'ai
« plus de regret de mourir , puifqu'il meft permis de dépo-
>5 fer ma vie dans le fein paternel de V. S. ci En fmifTint il ré-
cita le Cantique de faint Simeon.
Le Pape parut fort content de l'application qu'il en fai-
foit , 6c en fe tournant vers lui , il lui dit avec un air gra-
cieux j qu'il étoit ravi de le voir 5 qu'il n'avoit jamais ajouté
foi à tous les crimes dont fes ennemis l'accuioient j 6c qu'il
avoit toujours été perfuadé que non-feulement il s'en jufti-
iieroit pleinement, mais qu'il confirmèrent par fa préfence
la grande opinion que tout le monde avoit de fa vertu 6c
de fa probité. Il le confola , le pria de ne fe point affliger ,
6c l'ayant fait relever par ks Clercs de chambre , il le fit afl
feoir après les quatre premiers Cardinaux des douze qui fe
trouvèrent à fon audience. La converfation roula enfuite
B B b b ij
5<>4 HISTOIRE
. fur fon voyage; après quoi il prie congé du Pape , & retour-
Henri na au palais du cardinal d'Eft, fuividu même cortège qui
III. l'avoit fuivi au Vatican. Romegas étoit venu quelque tems p
i 5 8 i . auparavant à Rome : mais ion action y étoit fi déteftée , non-
feulement des perfonnes de la Cour , mais même du peu-
ple , qu'il fè trouva abandonné de tout le monde. Cette fo-
litude lui fit fentir toute l'énormité de fon crime -, réduit à
cîiercher pour lui &: pour ies gens un logement particulier,
il vit bien qu'il n'étoit plus ce qu'il avoit été. Cette foule
de peuple qui l'entouroit auparavant, lorfqu'il marchoit dans
les rues de Rome , ne le regardoit pas alors : il en eut un
chagrin très-grand j mais ce qui l'augmenta beaucoup * fut
l'ordre que le Pape lui fît fignifier de ne point venir à fon
audience , qu'il n'eût rendu fes devoirs à fon Souverain.
Ce coup fut fi terrible pour lui, qu'il en mourut de chagrin
peu de jours après, c'eft-à-dire le quatre de Novembre. Il
rut enterré à Féglife de la Trinité avec plus de pompe qu'il
n'étoit venu, &c le Grand Maître ne lui furvécut pas de beau-
coup , car il mourut fur la fin de l'année,environ deux mois
après.
Ces deux morts ayant terminé ce fameux procès, tirèrent
la cour de Rome d'un grand embarras : car la fadion d'EC
pagne qui y étoit très-puiflante , êc qui entroit bien avant
dans cette affaire , faifoit craindre avec raifon que le Pape
ne jugeât pas fuivant les lumières, de peur de choquer les Es-
pagnols.
Après la mort du Grand Maître , le Pape craignant que
l'élection ne caufât de nouveaux troubles, leur nomma quatre
Chevaliers pour en choifîr un. Ils élurent unanimement le
douze de Janvier Hugue Loubenx de Verdale de la langue
de Provence , qui fut fait Cardinal fix ans après. Le nou-
veau Grand Maître rendit à fon prédéceffeur tous les hon-
neurs qu'il méritoit 3 & il ne voulut point prendre pofTe/îîon,
qu'on n'eût remisa cet illuflre mort, malgré fa dépofition ,
la couronne & les autres ornemens de cette dignité. Le car-
dinal d'Eft les ayant fait mettre fur le corps , le renvoya à
Malte avec un cortège fort honorable , & il en ufa envers lui
après fa mort avec la même magnificence avec laquelle il
l'avoit reçu pendant qu'il vivoit.
DE j. A. DE THOU,Liv, LXXIV. 565
CXK Le trois de Septembre de cette même année, Jacque de _j
(T. Billy de Prunay , Abbé de faint Michel en PHerm , mourut Henri
* à Paris d'une mort prématurée. C'étoit un homme recom- III.
mandable non-feulement par fa noblefîè, mais par fa ver- 1 581.
tu , fa fainteté fa fcience , fa modeflie , de par la connoif- Mort <i:s
fance parfaite qu'il avoit de la langue Greque , dont il a fait scns dcIet"
ùfage pour travailler à éclaircir les pères Grecs. Les dou-
leurs de la goûte l'ayant fort afïbibli , il mourut avec autant
de tranquillité & de piété qu'il avoit vécu , de pour ainfî
dire au milieu de fa courfe , car il ne faifoit que d'entrer dans
fa quarante-feptiéme année.
Après la mort de Billy , je rapporterai celle d'un homme
qui ne lui refTembioit guère du côté de la piété de de l'efprit,
mais qui peut lui être comparé du côté de la réputation j
c'eft Guillaume Poftel,né deparensobfcurs dans un village
de Normandie nommé Barenton. Il s'appliqua d'abord à la
Philofophie de aux Mathématiques : s'etant mis enfuite à
voyager , il apprit plufieurs langues , de fur-tout les langues
Orientales. Il compofa depuis divers ouvrages d'un goût
étranger , qu'il publia en Italie , en Allemagne , 6c même en
France. Enfin étant à Venife , de y ayant lié une amitié étroite
avec une vieille fille , il tomba dans une erreur également
extravagante de déteffcable , foûtenant que la réparation des
femmes n'étoit pas encore achevée (1). De retour à Paris ,
il enfeigna cette erreur dans les leçons publiques qu'il don-
noit ^ mais fur la dénonciation des Théologiens , les Ma-
giftrats l'interdirent de fa chaire. La demangeaifon de don-
ner des leçons publiques l'engagea à fe rétracter en 1 5 64.
par un livre qu'il adreiîa à la Reine mére : mais on peut dire
qu'au lieu d'y avouer {çs erreurs , il ne cherche qu'à les pal-
lier par des interprétations forcées , de par des fens fanati-
ques qu'il y donne : de lôrfqu'il recommença à donner des
leçons de Mathématiques fuivant la permiffion qu'il en avoit
obtenue , il y glifla encore fes principes j ce qui le fit abfo-
lument interdire pour l'avenir , de on l'enferma au Prieuré
de faint Martin à Paris , où il mourut le fept de Septembre
âgé de près de cent ans , ayant toujours gardé la Virginité,
0)11 difoit que ce feroit fon amie,qu'il appelle vhgoVcntta qui achevèrent cette
réparation.
B B b b iij
566 HISTOIRE
ej!l_ iiyijg à ce qu'il difoit ^ & c'eft à cette vertu qu'il attribuent la fan-
H £ nr. i té robufte dont il avoit joiii toute la vie.
III. Je ne dois pas oublier Hubert Languet natif de Viteaux
ï 5 8 i. en Bourgogne , homme également fçavant & poli , fort in-
ftruit des affaires d'Allemagne, & grand ami de Camérarius.
Je l'ai vu en Allemagne , où je liai avec lui une amitié fort
étroite. S'étant attache à l'électeur de Saxe , il fit long-
tems à cette Cour la fonction de chef du Confeil : mais étant
foupçonné d'avoir eu part à l'explication de la cène du Sei-
gneur fuivant la confefïïon de Genève , qui fut publiée par
Peucer , & par quelques autres de cette fecte, il fe retira de
cette Cour , vint joindre le prince d'Orange, qui l'employa
dans les plus grandes affaires. L'afTiduité du travail l'ayant
épuifé , il mourut à Anvers le trente de Septembre dans fon
année clima&érique.
Y, La mort de Languet fut précédée de celle d'André Pa-r.
pius de Gand , grand Poëte , grand Muficien , Se très-ha-
bile dans les langues Greque & Latine, comme on peut le
voir par le petit nombre d'ouvrages qu'il a laiffés. Il étoit
fils d'une fœur de Levinus Torrentius , homme également
illufbre, & par fon érudition, de par fa dignité. Papius qui
étoit chanoine de Liège, s'étant allé baigner la nuit durant
la canicule , fe fatigua Ci fort à nager dans la Menfe , qu'il
en mourut à la fleur de fon âge. Il fut enterré trois jours
après dans la Cathédrale: Janus Guiielmus Chanoine de la
même églile fit fon éloge , & lui donna des larmes très-fin-
céres.
Je vais parler à préfent de P. Ciaconiusde Tolède , qui
mourut à Rome Te vingt fix d'Octobre âgé de cinquante-îix
ans. Il fut enterré dans l'églife de faint Jacque , à laquelle
il légua fa riche bibliothèque. C'étoit un homme vraiment
iiluftre , qui avoit fait de grandes recherches en tout genre
de feience, de qui avoit une connoiflance parfaite de l'anti-
quité de des belles lettres • en un mot c'eff, prefque le ïeul
de tous les fçavans de notre fiécle que je vouluffe com-
parer à notre Aymar de Rançonneticar il n'a prefque rien mis
au jour , non plus que lui ; de le peu qu'on en a , a été donné
par Cqs amis après fa mort : mais il en eft parlé fi fouvent ,
de avec de fi grands éloges dans des écrits d'auteurs célèbres ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 567
que nous ne pouvons douter que ce ne fût un homme ss
d'une érudition exacte & profonde, tel que Rançonnée a Henri
été parmi nous. III.
Parlons aux fçavans d'Italie. Je commencerai par Jean B. 1 5 g 1.
Camotio né d'une ancienne famille d'Afolo petite ville de
la marche Trevifane II étoit très-habile dans les langues
Orientales, & il fçavoit parfaitement le Grec : il s'appliqua
d'abord à la Médecine $ mais il abandonna cette profeffion
fous Jule III. & il enfeigna publiquement la Philofophie
dans le collège des Efpagnols de Boulogne ^ enfin fous Paul
IV. il alla l'enfeisner à Macerata dans la Marche d'Ancone:
depuis ayant été appelle à Rome par Pie IV. il travailla à
la tradu&ion des pères Grecs, &; il y en: mort cette année
le vingtième de Mars dans la loixante-fîxième année de fon /
âge, laiflànt un nls nommé Timothée. lia beaucoup écrit:
mais on n'a publié pendant fa vie que quelques harangues
qu'il a faites de tems en tems , àcs commentaires Grecs fur
la Métaphyfique de Theophrafte , & quelques traductions
d'auteurs Grecs. Il y a plulieurs autres ouvrages de lui qui
n'ont point vu le jour : on m'en a envoyé le catalogue d'I-
talie 3 mais il eft trop long pour l'inférer ici.
Sa mort fut fuivie de celle de Hubert Foglietta Génois,
qui étant mort à Rome dans fon année climaétérique , fut
enterré dans l'églife de faint Sauveur del lauro. Il écrivoit
parfaitement bien en Latin , & parmi les amufemens de l'é-
tude il montra toujours beaucoup d'élévation d'efprit. A
l'occaflon de quelques broiiilleries qui s'élevèrent dans fa Pa-
trie , il compofa en Italien deux dialogues fur la diftindion
des familles Nobles de plébéiennes, où il propofe un fenti-
nient nouveau • mais fort raifonnable au jugement des per-
fonnes équitables. On ne fçauroit dire combien la Noblefîè
lui en a voulu pour cet ouvrage. On en a beaucoup d'autres
de lui , écrits avec autant d'élégance que de jugement -s il en
a fait imprimer de fon vivant une partie , le refte a été don-
né après fa mort par Paul Foglietta fon frère. Le public a
intérêt qu'on les réunifie , & qu'on les réimprime tous en-
femble. C'étoit le feul homme de notre fiécle qui fût ca-
pable d'écrire l'hifloire de fon tems à l'exemple de Paul
Jove , comme il l'avoit fait efpérer : mais je crois que fon
5a HISTOIRE
•"■* ' '■ but étoit plutôt d'en donner des morceaux détachés,qu,une
Henri fuite entière ^ & véritablement ce que nous avons de lui eft
III. fî diffus , que s'il avoit écrit une hiftoire générale dans ce
i 581. goût-là, ç'auroit été un ouvrage immenfe. Comme j'aiin-
iéré dans le mien plusieurs choies que j'ai tirées de lui , &
fouvent dans fes propres termes ( car il m'auroit été diffi-
cile d'en trouver de meilleurs) je me fuis fait un devoir non-
feulement de l'avouer ingénûment,mais de parler de lui avec
Ja reconnoifTance qu'il mérite.
Peu de tems après la mort de Foglietta , Luc Peto Ju-
rifconfulte , né à Rome d'une famille fort honnête , y mou-
rut le huit d'Octobre âgé de foixante-neuf ans. 11 fut en-
terré dans la chapelle de fa famille, qui eft dans l'églife de
3 , faint Nicolas in c arc ère. Il pafla pour avoir fait fervir la con-
noiflance qu'il avoit de la bonne antiquité 8c des belles
lettres à l'intelligence du droit civil-: cependant il a fait peu
de chofe en ce genre , ôc il eft fort inférieur à nos Jurifcon-
fultes François. *
Je joins à Peto, Fichardus , qui étudia à Fribourg en Brif
gaw fous un fameux Jurifconïulte Allemand, nommé Vlric
Zazius , &: qui depuis enfeigna le droit à Padouë ôc à Bou-
logne : étant retourné à Francfort fa patrie , il y a exercé
pendant quarante-quatre ans la charge de Syndic avec au-
tant de fagefîe , que de fidélité ; & il y eft mort âgé de foi-
xante ôc dix ans. Il a écrit les vies des anciens Jurifcon-
fultes depuis Bernardin Rutilius jufqu'à Zazius. Le foin
qu'il s'eft donné de tirer de l'oubli les noms de tant d'il-
luftres perfonnages mérite bien qu'on ne paile pas le lien fous
filence.
Cette même année a vu mourir François Portus , qui a
fait honneur à la Grèce. Il étoit de l'ifle de Candie, l'une
des plus confidérables de la Méditerranée , &: qui appar-
tient aux Vénitiens. Il fut, pour ainfi dire, élevé dans la mai-
fon de Renée de France fille de Louis XII. ôc femme d'Her-
cule II. duc de Ferrare , & il enfeigna le Grec dans cette
ville: mais après la mort du Duc 'Renée étant revenue en
France, Portus quitta l'Italie, ôc le retira à Genève pour
avoir la liberté de profefTer ouvertement la Religion qu'il
avoir fucée des l'enfance dans la maifon de la duchelïe de
Ferrare
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 569
Ferrare. Il a enfèigné le Grec à Genève jufqu'à l'âge de 5
foixante & dix ans, expliquant les auteurs de cette langue Henri
& de vive voix & par écrit. Théodore de Beze , avec qui III.
il a vécu dans une grande union, a fait ion épitaphe en 1581.
vers.
François Venier patrice Vénitien mourut les derniers jours
de l'année. Comme il s'etoit nourri des fa plus tendre jeu-
nefle des préceptes de la Philofophie , il publia de bonne
heure quelques traités en langue vulgaire fur la volonté , fur
Pâme , fur le deflin • ayant été depuis appelle au gouverne-
ment de la République , il s'acquitta des plus grands em-
plois avec beaucoup d'intégrité & de prudence j il travailla
dans fa vieillelîè par ordre du Sénat à réformer l'univerfité
de Padouë -, il mourut cette année , après avoir donné au
public un ouvrage qu'il avoit compofé fur la génération.
Fin du Livre foixante & quatorzième*
Tome VIII.
CC ce
570
HISTOIRE
mm m*
HISTOIRE
D E
J A C Q_U E AUGUSTE
DE T H O U
Henri
III.
1582.
Affaires de
fiance.
LIVRE SOIXANTE- QUINZIEME.
LE commencement de l'année fuivante , mémorable
d'ailleurs par plufieurs grands événemens , fut funefte
à la France par la perte du maréchal de CofTé , un des
premiers Capitaines de fonilécîe. Il avoit fait Tes premières
armes fous le maréchal de BrifTac fon frère que les guerres
de Piémont ont rendu fi célèbre. CoiTé mourut à Gonnor
en Anjou le dix de Janvier, âgé de plus de foixante & dix
ans. Il avoir, été gouverneur d'Orléans , de Blois, d'Anjou,
de Touraine, du Maine , & du pais Chartr'ain : mais il y
avoit cinq ans que la Touraine , le Maine , &. l'Anjou étoient
féparées de ce gouvernement, parce que le Roi avoit donné
ces Provinces à fon frère par accroifîement d'appanage , &
que le duc d'Anjou avoit nommé pour chacune un Gouver-
neur particulier. Après la mort du Maréchal le gouverne-
ment, d'Orléans, de Blois, du païs Chartraîn & de Lou-
dun fut donné à Phil. Hurault de Chiverny Garde des
Sceaux.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 57r
Il refloit encore quelques troubles en Dauphiné , 6c il
étoit à craindre que ce mal négligé ne s'étendît plus loin. Henri
On y envoya le duc de Mayenne *, celui de tous les princes III.
Lorrains en qui le Roi trouvoit plus de modération & de 1582.
juflïce. Dans la nécefîîté où il étoit de les employer , il laif- * châtie.
ioit le duc de Guife * dont l'ambition lui étoit iulpede , 6c * Henri,
il regardoit comme un fecret de fa politique de mettre
Mayenne à la tête de fes armées. Il craignoit pourtant que
l'emploi qu'il lui donnoit n'excitât des troubles dans les au-
tres Provinces • &; comme fi Mayenne n'eût été envoyé
que pour renverfer les édits de pacification au lieu de les
affermir , le vingt-huit de Juin on donna un édit a faint
Maur-les-FofTés , par lequel le Roi déclare qu'il veut que les
édits faits en faveur des Proteftans foient obfervés : Que tout
le monde vive en paix , & qu'on n'excite point de troubles
fous prétexte de craintes frivoles.
Il alla enfuite à Fontainebleau , pendant que le Clergé /fTcm^léeda
étoit aflèmblé à Paris par fa permiffion. L'alfembléelui dé- clerSc'
puta Renaud de Beaune archevêque de Bourge de primat
d'Aquitaine, avec Arnaud de Pontac évêque de Bazas , 6c
Claude d'Angenne évêque de Noyon. De Beaune qui avoic
du fçavoir6c de l'éloquence , fit au Roi le dix-fept de Juillet
un difcours plein de force, par lequel il lui recommanda le
Clergé, 6c l'exhorta à imiter la piété de les ancêtres : Que
les Rois ne pouvoient être heureux , s'ils n'étoient pieux en-
vers Dieu , de bienfaifans envers l'Eglife de fes Miniftres :
Que ce qui étoit arrivé à Philippe le Bel, qui avoit attaqué
ou aboli les privilèges du Clergé en étoit une preuve écla-
tante j 6c que l'extinction de fa poftérité mafeuline n'avoit
point eu d'autre caufe j au lieu que la maifon de Valois qui
lui a fuccédé , 6c qui a comblé l'églife de bienfaits , a tou-
jours régné très-heureufement. 11 le prefla fort d'ordon-
ner la publication du Concile de Trente, célébré en pré-
fence 6c a la prière des Ambailadeurs de l'Empereur 6c de tous
les Princes delà Chrétienté ^ il ajouta que l'Ambaffadeur de
France en particulier avoit juré au nom du Roi de le faire
obferver religieufement , 6c que de-là dépendoit l'afTermif
fement de la Religion de de la difeipline -y mais qu'il ne fuf-
fîfoit pas qu'il y eût de bonnes loix, s'il n'y avoit de bons
C C c c ij
57i HISTOIRE
' ■ -j Magiftrats pour les mettre en vigueur : Que les Evêques
Henri étoient les Magiftrats de l'Eglife : Qu'ils dévoient donc être
III. ïaints , mais que ce n'étoit pas allez , & qu'il falloit qu'à la
1582. fainteté ils joignaient la fcience , la fagefîè , la connoiiïance
des langues , & le talent de la parole , afin de pouvoir inf-
truire les peuples , & leur parler avec fruit : Qu'il falloit abo-
lir ces infâmes trafics , qu'un ufage déteftable , Se la licence
àcs guerres avoient introduits dans les bénéfices, ces fimo-
niés , ces confidences , ces penfions impofées par une auto-
rité privée , de cent autres monftres femblables qui défigu-
roient l'Eglife : Que le moyen le plus court pour y remédier
étoit que le Roi voulût bien rendre au premier Ordre la
liberté des élections , 6c de renoncer à fon droit de nomi-
nation : Qu'ils lui demandoient humblement cette grâce au
nom de tout le clergé du Royaume : Que Louis IX. ce
grand , ce faint Roi , en avoit vu la conféquence , puifque le
Pape lui ayant envoyé une bulle, par laquelle il lui accor-
doit le droit de nommer aux Evêchés ; droit que (es ancê-
tres s'étoient attribué depuis long-tems , non-feulement il
refufa de l'accepter 3 mais il fit à la honte du Pape déchi-
rer & brûler fa bulle, ajoutant qu'il ne vouloit point fe mê-
ler de juger ceux- que Dieu avoit établis juges de fon ame
& de fa confeience , &; qui n'étoient jufticiables que de Dieu
&; de l'Eglife. Il déplora enfuite le malheur du Clergé qui
étoit expofé au pillage , & fupplia le Roi de le décharger
du fardeau de la nouvelle décime qu'on lui avoit impofée
depuis peu , & du payement folidaire qu'on en exigeoit : fans
quoi il feroit impoffible qu'il fatisfît à l'engagement con-
tracté avec le Roi , &: la ville de Paris pour cet énorme
tribut annuel , & les Curés feroient obligés d'abandonner
leurs troupeaux & leur miniftére. Il finit par prier le Roi de
ne donner jamais à perfonne les bénéfices des vivans pour
caufe de maladie , ou fous quelqu'autre prétexte que ce fût,
de crainte qu'on ne fouhaitât la mort des titulaires.
■ Ces demandes faites avec autant d'éloquence que d'étendue,
& prononcées par un homme fage & élevé à la Cour, furent
reçues très différemment par ceux qui l'entendirent. Ceux
qui fe flatoient que le Roi n'ayant aucun égard à ces re-
montrances, en deviendront plus odieux , & que ce mépris
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 573
leur fourniroit un prétexte ipécieux pour troubler l'Etat, &t
pour foulever le Clergé contre le Prince , élevoient ce dif- Henri
cours jufqu'au ciel. D'autres au contraire furent fcandalifes III.
que ce Prélat eût attribué l'extinction delà poftérité mai'- 1*82,
culine de Philippe le Bel , de le malheur de la maifon , au
violement des privilèges 6c des immunités du Clergé , ils
difoient que la France n'avoit jamais eu un Roi plus pru-
dent, ni qui' eût combattu avec plus de courage pour les li-
bertés de l'Eglife Gallicane , 6c pour la dignité de la cou-
ronne. D'ailleurs, que c'étoit contre la bonne foi que l'O-
rateur , pour montrer qu'on devoit publier le Concile de
Trente , avoit avancé que les Ambailàdeurs de France s'y
étoient obligés avec ferment , puifqu'il cfb certain au con-
traire qu'ils proteftérent contre cette publication , 6c" que s'é-
tant retirés à Venife après la proteftation , le Roi ratifia ce
qu'ils avoient fait , 6c que depuis ils ne retournèrent point
à Trente : Que pendant ce tems-là le cardinal de Lorraine,
pour faire plaifir au Pape , qui s'étoit déclaré trop tôt , fit
ôter quelques articles que les légats du Pape avoient pro-
Î>ofés , parce que ces articles choquoient trop ouvertement
es libertés de l'Eglife Gallicane 6c les droits du Roi , 6c qu'il
fit mettre à la place une claufe générale, qui renfermoit in-
directement la même chofe , 6c que le Concile fe termina
ainfi , fans que la proteftation de nos Ambaffadeurs ait ja-
mais été révoquée.
Dans cette diverflté d'intérêts 6c de jugemens fur ce dif-
cours , il y en eut qui foûtinrent , que ce n'étoit ni la fidé-
lité , ni la droiture qui avoient manqué à l'archevêque de
Bourge, mais qu'il avoit été forcé de parler ainfî -y 6c c'en:
par-là qu'ils prétendirent l'excufer. Le Roi répondit en pré-
îence de la Reine mère , des cardinaux de Bourbon , de
Guife , de Birague,en même tems Chancelier & Cardinal,
des ducs de Monpenfler , de Guife , de Mayenne , de Mer-
cœur , ôc de Joyeufe , 6c du fieur de Chiverny Garde des
Sceaux, qu'il auroit à l'avenir, ainfi qu'il avoit toujours eu,
tous les égards poffibles pour le Clergé , 6c qu'il répondroit
inceffamment à leurs demandes. En effet cinq jours après
il donna audience à leurs députés, 6c après un difeours pré-
liminaire fur l'épuifement de Çqs finances 6c fur les befoins
C C c c iij
574 HISTOIRE
■ de l'Etat , il déclara que pour cette année , il ne ponvoït (e
H e n R. i palier de la décime impofée ; mais qu'à l'avenir ils dévoient
III. tout efpérer de fa bonté : Qu'à l'égard de la publication du
i s 8 i Concile , cette affaire regardoit furtout le Parlement , èc
qu'il le confulteroit. Il y eut quelque altercation au fujet de
l'éle&ion. Comme le Roi s'excufoit de déférer aux demandes
du Clergé , & que les députés infiftoient vivement au nom
de l'aflemblée -y fur cet article le Roi leur répondit avec émo-
tion : » Si les éledions avoient eu lieu , il y a beaucoup de
>j ceux qui les demandent avec tant d'inftance , qui ne fe-
>j roient jamais parvenus à l'Epifcopat D & qui ne paroîtroient
» pas aujourd'hui parmi vous.
Il renvoya enfuite les députés , de ne voulut recevoir
aucune exeufe fur le payement de la décime. Comme elle
ne fuffifoit pas encore pour les profusions de fès favoris , il
fallut trouver d'autres moyens de tirer de l'argent : on en-
voya donc divers édits au Parlement , à la chambre des
Comptes , & à la cour des Aides , &: à force de lettres de
juffion, on fit enfin enregistrer ces édits au grand mécon-
tentement, & à la ruine du peuple & de tous les ordres de
l'Etat : mais le Roi qui dépenfoit déjà beaucoup pour fes
plaifirs , avoit encore à foûtenir la guerre de Flandre, quoi-
qu'entreprife malgré lui par fon frère, &; de plus un projet
fur le royaume de Portugal formé à la follicitation de fa mère
témérairement, de fans avoir rien de prêt pour l'exécuter.
Affaires de Avant que de parler outre, l'ordre des chofes dont j'ai à
de Portugal. parjer ^ fembJe exiger de moi que je traite de ce qui regarde
cet Etat. Philippe qui étoitpaffé des l'année précédente en
Portugal, s'étoit emparé de ce Royaume ians beaucoup de
peine. Il travailloit alors à établir de l'ordre dans les affaires;
& parce qu'il étoit accablé de demandes tant de la part des
Etats que des particuliers, il renvoya leurs requêtes à l'é-
vêque de Leyria & à Chriftophle Mora. Il y avoit d'ailleurs
un grand nombre de Gentilshommes de d'Officiers, qui pour
récompenfe de 'leurs fervices attendoient des charges & des
dignités , & qui le fatiguoient par leurs importunites. On ne
voyoit que mémoires préfentés par des gens qui en appel-
loient à la foi du Prince,& à la parole de lès Miniftrcs. Pour
s'en débarraffer une bonne fois , il les renvoya tous à la table
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 57?
de confcience 3 c'eft une efpéce de confeil de confcience où ' " :
l'on examine les affaires de Religion j &: par cette rineflè peu Henri
digne d'un grand Roi , il trouva moyen d'éluder l'attente III.
de ces hommes avides, qui mefuroient leurs efpérances fur icg^,
l'idée qu'ils avoient de leur mérite.
Les juges de ce tribunal procédoient de la forte. Ces de-
mandeurs s'étoient attachés à Philippe ou par principe de
confcience , 6c dans la perfuafion que le Royaume lui ap-
partenoit fuivant les loix divines &: humaines ^ ou quoiqu'ils
ruflènt convaincus du droit des autres , l'efpérance des ré-
compenfes , &la crainte de ce Monarque les avoient déter-
mines contre leur confcience , à le fervir dans {es armées y
ou de quelqu'autre manière. Au premier cas , le Roi ne leur
devoit rien , d'autant plus que le tréfor ayant été entiè-
rement épuifè par les calamités paffées , on ne pouvoit ia-
tisfaire à toutes ces demandes fans fouler extraordinaire-
ment le peuple , dont le foulagement doit faire le premier
foin d'un bon Prince. D'ailleurs , s'il fe trouvoit quelque
argent, il étoit bien plus naturel de l'employer àrepouffèr
les ennemis dont on étoit environné , qu'à ailouvir l'avidi-
té des particuliers. Au fécond cas, non-feulement le Roi n'é-
toit pas obligé de tenir ce qu'on leur avoit promis ; mais en
confcience il ne pouvoit récompenfer des traitres et des per-
fides qui avoient déclaré la guerre à leur patrie en faveur
d'un Prince , qu'ils refardoient comme un ufurpateur. Voilà
comment ces infortunés Portugais furent le joiiet de ces
juges de confcience, qui les renvoyèrent tous honteufement,
comme convaincus ou de trahifon , ou d'avidité. Il y en eue
pourtant quelques-uns à qui Philippe donna des fiefs , des
bénéfices , & quelques autres récompenfès femblables pour
s'attirer leur amitié par cet adoucifîèment de l'arrêt émané
du tribunal de confcience: mais cette conduite lui réufîît mal -y
premièrement , parce que le nombre des heureux étoit fore
petit 3 en fécond lieu , parce qu'on fe perfuada que c'étoit
moins une récompenfe accordée à leurs fervices , qu'un
moyen dont les Caflillans fe fervoient pour divifer les Por-
tugais, & former divers partis dans le Royaume. Ceux qui
n'avoient rien reçu &: qui faifoient le plus grand nombre ,
étoient moins fâchés du refus qu'ils avoient efluyé , que de
57^ HISTOIRE
'== '"" "'"— la préférence qu'on avoic donnée aux autres: c'efl-là le gé-
Henri nie des Portugais , l'envie du bonheur d'autrui les tourmente
III. plus, que le fentiment de leurs propres maux.
1582. Au refbe , Philippe qui fe voyoit maître abfolu du Portu-
Defcription ga^ méprifoit les plaintes des mécontens : ce qui l'inquiétoit
des Açoks, véritablement c'étoient les ifles , 6c les provinces des Indes,
l qui font la principale richefïè du Portugal , &; fur-tout les
Açores. Ce font neuf ifles fîtuées depuis le trente-feptiéme
degré de latitude jufqu'au trente-neuvième. On les appelle
Acores , c'efl-à-dire , ifles des épreviers. Ce fut un Fran-
çois nommé Betancourt qui les découvrit le premier , et qui
les vendit aux Portugais avant que Chriflophle Colomb
eût palTé dans le nouveau monde (1 ) , comme je l'ai dit ail-
leurs. La première s'appelle l'ifle de fainte Marie. Elle efl
fort petite, &: diflante du Cap faint Vincent de 142. lieuê's.
A quinze lieues au defïus efl l'ifle de faint Michel , de figure
oblongue & qui a environ trente-fept lieues de tour. C'en;
la plus grande des neuf, èc c'efl-là que l'Evêque de ces ifles
fait fa réfîdence. A trente lieues du côté du Couchant on
trouve la Tercere , ainfi nommée parce qu'en venant d'Es-
pagne , c'efl la troifiéme qu'on rencontre : elle a feize à dix-
fept lieues de circuit j elle efl fort fertile en blés de en fruits,
&: il y vient même du vin. Il y croît beaucoup de garence,
qui efl une racine dont on fe fèrt pour teindre les draps. La
ville capitale de l'ifle s'appelle Angra : fa fîtuation efl très-
avantageufe , étant bâtie fur un golfe qui efl à l'abri du Cap
de Brezil : ce Cap fert comme de boulevard à la place. La
quatrième efl l'ifle de faint George éloignée de huit lieues
de Tercere. A quatre lieues de celle de faint George en ti-
rant vers le Nord , on trouve l'ifle qu'on nomme Gratieufe ,
parce qu'en effet elle ell très-agréable. Celle de Fayalainfl
appellée, parce qu'elle efl pleine de hêtres , efl du côté du
Couchant , aufïl bien que celle du Pic , qui tire fon nom de
cette fameufe montagne du Pic, qui a trois, mille pas de hau-
teur, Se qui efl pleine de cavernes, d'où il fort quelquefois
des flammes, comme du Gibel. La plus petite de toutes efl
celle del Çuervo , ou du corbeau , à trente-cinq lieues du Pic}
(1) Betancourt n'a point découvert | dit aux Caftillans , 8c non auxPortu-
les Agores , mais les Canaries;qu il ven- 1 gais , Marûiol > Botero , &c.
&
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 577
6c la dernière eft celle des Flores diftante de deux lieues s
6c demie de celles del Cuervo. Ces deux-ci font les plus oc- Henri
cidentales de toutes. Les vaifTeaux qui reviennent des Indes III.
vont d'ordinaire toucher à ces ifles , avant que d'aller à Lif. 1581*
bonne ou à Cadis j ainfî on les regarde comme très-impor-
tantes pour la navigation des Indes. On raconte quelque
chofe d'étonnant , qui ne manque jamais d'arriver lorf.
qu'on paflèaux Açores. On prétend que dès que les vaifleaux
qui vont d'Efpagne en Amérique , font au-delà de ces ifles j
tout ce qu'il y a de poux , de puces , de punaifes , 6c de quel-
que vermine que ce foit , parmi les équipages , meurt aufîi-
tôt , 6c qu'on en eft abfolument délivré.
L'évêque de faint Michel avoit confervé cette ifle au roi
d'Efpagne , mais celle de Tercere tenoit pour le roi Antoine.
Celui qui peut être maître de ces deux , eft maître de toutes
les autres. Après l'échec que les Efpagnols avoient reçu à
la Tercere quelques mois auparavant , Cyprien de Figueredo
qui y commandoit en chef pour Antoine , craignant quel-
que émotion du peuple, 6c fur-tout des Prêtres 6c des Moines,
tâchoit de maintenir tout en paix , èc de porter tout le
monde à la modération. Ce fut dans cet efprit qu'il confeilla
aux habitans d'Angra de traiter avec plus de douceur les
Jéfuites qu'on tenoit étroitement renfermés chez eux , 6c
Jean de Betancourt , qui étoit fufpect au parti d'Antoine :
mais ces efprits turbulens au lieu de profiter d'un avis fi
raifonnable , s'imaginèrent que c'étoit faute de zélé qu'il
parloit ainfî , & qu'en fecret il favorifoit le parti des Caftil-
lans. Cette défobéïflance du peuple 6c fon infolence ayant
dégoûté Figueredo , il écrivit au roi Antoine qui étoit en
France, pour l'inftruire du véritable état des chofes 3 ajou-
tant qu'il prévoyoit , que s'il ne venoit inceflamment lui-
même , fes affaires feroient bientôt ruinées par la conduite
infenfée de certaines gens , qui croyoient que tout devoit
aller fuivant leurs paffions. Ces petits frères féditieux , donc
j'ai parlé ci-devant,écri virent de leur côté,6cpar le moyen de
leurs émiiTaires ils firent dirent à Antoine tout ce qu'ils vou-
lurent pour rendre Figueredo fufpect. à ce malheureux Prince.
Sur leurs accufations , 6c fur l'avis de quelques Portugais qui
étoient en France, Antoine prit le parti d'envoyer a la Tercere
Tome VIII. D D d d
578 HISTOIRE
Emmanuel de Sylva ion favori , qu'il venoic de nommer
He nui comte de la Torres Vedras. Il donna des ordres très-amples
III. parlefquels il dépofoit Figueredo, ôc nommoit Sylva Gou-
1582. verneur général de toutes ces ifles.
ligueredo H y eut une cno^e qlu fortifia les foupçons des mutins con-
dépofé, tre Figueredo , c'eft qu'un vaifîeau chargé de farine deftinée
pour le Brefil , ayant mis à la voile avant l'arrivée de Sylva y
au lieu de prendre la route du Brefil, alla droit à Lifbonne ,
comme s'il y avoit été entraîné par le vent contraire. Ce faic
ayant achevé de perfuader que Figueredo avoit des intelli-
gences fecretes avec Philippe , il fut dépofé auilkôt que Syl-
va fut arrivé. Le nouveau Gouverneur, qui à la rélèrve de
quelques Portugais nouvellement enrôlés, n'avoit avec lui
que trois cens François commandés par le fieur de Caries de
Bourdeaux , ôc autant d'Anglois , qu'Antoine avoit envoyés
depuis peu dans cette ifle , ne faifoit dans fon gouvernement
que ce que vouloient les habitans.
Armement Pendant ce tems-là, on faifoit de grands préparatifs en
naval des Ef Efpagne , & il y eut de longues conteflations dans le Confeii
pagnos. ^e Philippe, pour fçavoir fi l'on devoit envoyer cette an-
née une rlote à la Tercere. Les uns foûtenoient que l'en-
treprife étoit difficile , ôc qu'il ne falloit pas expofer fa répu-
tation : Qu'il valoit mieux attendre que les François , qu'on
difoit armer , fe fufîènt un peu refroidis , ôc qu'alors on feroic
un grand effort avec plus d'apparence de fuccès. Les autres
au contraire difoient, qu'il falloit tout hazarder avant que
les François Ôc les Anglois eulïènt eu le tems de fe fortifier
dans ces ifles , fi avantageufement fituées pour la navigation
des Indes , ôc qu'il y auroit beaucoup de danger à différer.
Ce fentiment l'ayant emporté , on donna aufïitôt commiffion
au grand-prieur Ferdinand de Tolède bâtard du duc d'Albe,
de faire des levées dans les provinces entre le Douro ôc le
Minho. Le marquis de Sainte Croix alla à Séville pour armer
la flote , ôc on envoya ordre à dix-huit vaifïèaux de Bifcaye
de le venir joindre. En même tems on manda au viceroi de
Naples ôc au gouverneur du Milanez de lever quatre mille
hommes de pied , ôc on en leva dix mille en Allemagne.
Mais pour donner le change , on fit courir le bruit que ces
quatorze mille hommes étoient deftinés pour les Païs-bas,
DE J. A. DE TROU, Liv. LXXV. 579
Ambroifè d'Aguiar commandoic dans l'ifle de Saint Michel, _
& il avoicun gros vaifleau pour la garder. Philippe envoya Henri
à fon fecours P. Peixoto avec cinq navires , qui y abordèrent III.
peu de tems après. Antoine de Portugal avoit obtenu delà 1582.
Reine une flote auxiliaire, & l'on en avoit donné le com-
mandement à Ph. Strozzi , homme d'honneur, très-zélé
pour la gloire du nom François , 6c qui avoit hérité de fon
père beaucoup de haine pour les Efpagnols , n'ayant jamais
oublié l'injure qu'il en avoit reçue par la mort de Ph. Strozzi
fon ayeul , qui périt par leur trahifon. La fleur de la No-
blefle & de la jeuneile Françoife prit parti fur cette flote
qu'on équipoit à Bourdeaux -y mais en attendant qu'elle fût
en état , la Reine craignant que les Infulaires ne fe décou-
rageaflent , leur envoya Ch. Rouhauld fleur de Landereau ,
avec neuf vahTeaux 6c huit cens hommes de débarquement.
J'ai déjà parlé plufleurs fois de ce Général , qui entendoit
très-bien la marine. A fon arrivée à la Tercere , il trouva les
affaires dans un grand défordre. Depuis que Sylva, cet hom-
me plein de hauteur , avoit dépouillé Figueredo de fon em-
ploi, tout fefaifoit avec violence : le peuple, les Moines &
les Prêtres , tous également furieux , ne gardoient aucune
mefure. Landereau craignant les fuites de ces emportemens ,
avertit Sylva de contenir ces furieux , &: de fe préparer à fe
bien défendre $ que les Efpagnols alloient arriver avec une
grande flote ; qu'ils tomberoient tout d'un coup fur l'ifle j
& que dans la confufion générale où elle fe trouvoit , le parti
d'Antoine feroit accablé avant l'arrivée de la flote Françoi-
fe. Qu'il falloit donc travailler fans relâche à fortifier la Ter-
cere, Se attaquer l'ifle de Saint Michel, ou étoit tout ce que
les Efpagnols avoient de forces aux Açores. Sylva regar-
dant ce difeours non pas comme un confeil d'ami , mais com-
me une réprimende d'un homme qui prétendoit dominer :
» Je fçai mon devoir, dit-il à Landereau, 6c je le ferai. Pour
» vous , contentez-vous de remplir les engagemens de votre
» place. Sçachez au refte que vous n'êtes chargé que des
» troupes que vous avez amenées ^ au lieu que moi , j'ai droit
» fur toutes les troupes & fur vous-même.
Cette altercation donna lieu à des broiiilleries ,aufquelles
on impute tous les malheurs qui arrivèrent depuis. Sylva
DDdd ij
5S0 HISTOIRE
'- réfolu de perdre fon rival , joignit la mauvaife foi à fa vanité
Henri ordinaire , & non content de parler avec mépris des forces
III. des Efpagnols , il lit encore courir le bruit , que Pifle de Saint
1582. Michel , où il y avoit un bon corps de troupes , n'étoit gardée
que par une garnifon très-foible. Ainfi ious prétexte de fe
rendre à l'avis de Landereau , il réfolut d'attaquer Saint Mi-
chel , moins dans l'efpérance de s'en rendre maître, que de
fe défaire du Général François, 6c de fes troupes , en les ex~
pofant a un danger manifefbe, qui pourroit, ou les faire
périr, ou du moins les éloigner. Landereau attaqua donc
cette ifle avec fix de fes bâtimens j car Sylva en avoit gardé
trois à laTercere , qu'il étoit convenu d'envoyer au fecours
des autres , lorfqu'il en fèroit tems. Peixoto qui étoit arrivé
depuis peu , ayant fa petite flote à l'ancre , apperçut nos vaif-
feaux en mer, mais il n'en voyoit que trois j car les autres
étoient cachés par la côte. Malgré le petit nombre des en-
nemis , Peixoto fe tint dans fon pofte. Mais Landereau ayant
fait avancer le fieur de Crené fon Lieutenant , celui-ci atta-
qua un des vaiflèaux Efpagnols , 6c le combat fut fort vif.
Ambroife d'Aguiar eût bien voulu ne rien hazarder ^ cepen-
dant comme le falut de fon ifle dépendoit de celui de la flote
de Peixoto , il envoya deux cens de fes foldats pour relever
ceux qui étoient hors de combat. Ce fecours empêcha fa
défaite, & l'on fe fépara à peu près à perte égale. Crené fut
tué dans l'action , êc il y eutplufieursdenos jeunes Gentils-
hommes qui y furent dangereusement blefTés.
Avant que Landereau fût arrivé à la Tercere , Sylva avoit
envoyé deux vaiflèaux Anglois fommer Pifle de Saint Michel.
Nos François crurent que ce Portugais n'avoit eu d'autre
but que de donner avis aux Efpagnols de notre arrivée. Ce
foupçon aigrit encore les efprits , 6c les chofes allèrent fi loin ,
que Landereau dit à Sylva clans les termes les plus ofFenfàns ,
que par fon ignorance , 6c peut-être par fa perfidie , il trahiffoit
la caufe de Ion Roi , & de ceux qui combattoient pour lui.
Sylva ayant payé quelques mois de folde aux Officiers
François, fongea à mettre la divifion entr'eux -, 6c voici com-
me il y réunit. Il fit courir le bruit, que le deffein de Landereau
& de fes troupes , étoit de piller Pifle de de fe retirer. Ceux
des François qui ne vouloient pas qu'on pût les foupçonner
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 581
d'une pareille lâcheté , fe détachèrent de Landereau. Ce- .
lui-ci abandonné d'une partie des fiens , le tenoit avec ce Henri
qui lui étoit refté dans des lieux fortifiés par la nature, & III.
n'étoit occupé que du foin de fe mettre à couvert des em- i^z,
bûches des Portugais ; car non contens d'avoir fuborné plu-
fleurs afTaffins pour le tuer , ils tâhérent encore de l'empoi-
fonner.
Les dix-huit vaiiïèaux de Bifcaye étant arrivés à Lisbon-
ne, on en fît partir quatre pour les Açores avec cinq cens
hommes de débarquement. Ils abordèrent à l'ifle de Saint
Michel peu de tems après le combat de Landereau. Le Con-
feil de Philippe n'avoit pas encore pris fa dernière réfolution
fur les forces qu'on avoit fur pied ; parce qu'on ignoroit la
deftination des préparatifs qu'on faifoit en France. Les plus
fages de ce Confeil ne doutoient pas que ce ne fût pour la
Flandre; parce qu'ils voy oient bien que c'étoit notre véritable
intérêt. L'expédition du Portugal, difoient-ils, n'eft qu'un
voile , fous lequel la France cache fes defleins : elle veut obli-
gé Philippe à partager fes forces, afin de l'accabler enfuite
plus aifèment. Ces réflexions avoient retardé le départ de la
flote , qui ne mit à la voile que le 1 o. de Juillet, fous les or-
dres du marquis de Sainte Croix. Elle étoit compofée de
vingt vaifTeaux d'Andaloufie , de douze galères , de trente èc
un gros bàtimens & de cinq petits afTez mal fournis. Parmi
ces vaifTeaux il y en avoit quelques-uns de Bifcaye , comman-
dés par Michel Oquenda bon homme de mer , &; quelques
Flamans , qu'on avoit enlevés de force aux marchands , &c
qu'on avoit frétés pour ce voyage. Il y avoit fur la flote fîx
mille Efpagnols , commandés par Lope de Figueroa , Antoine
de Bovadilla & Antoine Moreno -y cinq cens Allemans du ré-
giment du comtejde Lodron , & plufleurs Gentilshommes ,
entr'autres P. de Tolède, Huguo de Moncade marquis delà
Fabara , & quelques autres Seigneurs , mais fans comman-
dement.
Cependant on équipoit à Bourdeaux la flote Françoi/ê,
qui étoit compofée de cinquante-cinq bàtimens de toute eù
péce , fur lefquels on devoit embarquer cinq mille hommes.
Celui qui la commandoit en chef étoit Philippe Strozzi ,
Capitaine plus brave que prudent. Charle de Coflè comte
DDdd iij
582 HISTOIRE
1111 de Brifîac, jeune homme puifîamment riche , ôc illuilre par
H e n ki le nom du maréchal de Brifîac Ton père , fî connu par les
III. guerres de Piémont , & par celui de ion frère aîné , comman-
1581. doit ^ous Strozzi. Les principaux Officiers après ceux-là,
étoient Jean de Beaumont maréchal de camp général , Jo-
feph Doineau de Sainte Soline, le fleur de Bourdas d'Aix,
Léon Fumée , Antoine Scalin , quelques autres Gentilshom-
mes , èc un grand nombre de lajeu ne Nobleflè. Strozzi me-
noit avec lui François de Portugal comte de Vimiofo, hom-
me vain &; fuperbe , à l'infligation duquel cet armement
s'étoit fait. Il bravoit le péril, mais il trompoit Strozzi
par mille faufTetés qu'il inventoit tous les jours. Il afîûroit
hardiment que la flote d'Efpagne ne paroîtroit point , &
que les peuples de ces ifles , qui dans leur cœur favorifoient
tous le parti d'Antoine , fe foûmettroient dès que notre flote
feroit arrivée. Ces difeours étoient d'autant plus pernicieux
que Strozzi de fon naturel étoit fort négligent & très-dif.
pofé à méprifer fon ennemi. C'étoit-là Pefprit de notre flo-
te. Il ne fèmbloit pas qu'ils allafTent à un combat , mais à un
voyage de plaifîr , ou pour voir leurs amis , tant il paroillbic
de tranquillité ôc de nonchalance dans nos troupes. La Rei-
ne, fous les aufpicesde laquelle fe faifoit l'entreprife , avoit
fur-tout recommandé à Strozzi d'aller droit aux ifles, &;
d'éviter de combattre fur la route 5 parce qu'elle croyoit les
ennemis plus forts que lui ; que c'étoit d'ailleurs un moyen
pour juffcifîer cette expédition, êtdefoûtenir qu'elle n'avoit
rien de contraire au traité qui étoit entre la France 6c l'Es-
pagne : car elle prétendoit qu'elle avoit droit fur le Portu-
gal , & qu'il lui étoit permis de fècourir fon Allié.
Les efprits étoient difpofés bien différemment en France
& en Efpagne. Les Caftillans étoient aufîi inquiets que fila
guerre eût été dans leur païs , & que le Royaume eût été en
danger. Si cette compagne tournoit mal , ils comptoient que
le royaume de Portugal , qui leur tenoit tant au cœur , &la
flote des Indes , qui faifoit leur principale refTource, étoient
abfolument perdus. Nos François penfoient tout différem-
ment , ils regardoient cette expédition , comme une entre-
prife qu'ils faifoient de gayeté de cœur , & dont ils n'atten-
doient d'autre récompenfe que de la gloire , & comme ils
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 5S3
alloient faire la guerre loin de leur patrie , ils comptoient '
que le feul de leurs biens qui pût courir quelque rifque dans Henri
un combat, étoit leur réputation, & que dans ce genre de III.
péril, la condition des Efpagnols étoit beaucoup plus mau- 1582.
vaife que la leur , parce que les affaires d'Efpagne ne le foû-
tiennent que par une proîpérité continuelle ; au lieu que les
François après des revers confidérables fe font toujours rele-
vés, & n'en ont pas moins eu de courage pour rétablir leur
réputation.
Ce qui augmentoit encore l'inquiétude des ennemis, étoit
cette joye de nos troupes 6c cette promptitude apparente
avec laquelle on travaiJloit à armer pour fecourir Antoine,
Là-defTus ils fe rappelloient ce qui étoit arrivé autrefois à
Alfonfe V. roi de Portugal , qui étant pafle en France pour
demander dufecours à Louis XI. contre Ferdinand roi d'Ar-
ragon , avoit eu le chagrin de s'en retourner fans avoir rien
obtenu. Ainfi ils étoient fort étonnés , que pendant que le
duc d'Anjou emmenoit tant de troupes dans les Païs-bas,
la France fiit en état de faire un fi grand armement pour fe-
courir Antoine.
Pendant qu'on raifonnoit ainfi , notre flote aborda le 1 5.
de Juillet à l'ifle de Saint Michel , & ayant jette l'ancre au-
près de Laguna, elle mit deux mille hommes à terre. Cet
endroit pillé , on avança plus loin pour chercher un nouveau
butin. L'ifle , comme je l'ai dit , a environ trente-deux lieues
de tour : on y compte plufieurs villes ^ mais les deux princi-
pales font Ville-franche &; Santa Delgada. Ambroife d'A-
guiar , qui en étoit Gouverneur , étant mort depuis peu , fon
beau-fils prétendoit lui fuccéder j mais Peixoto de Sylva , s'y
oppofa , & fon droit fut jugé le meilleur. Sainte Croix crai-
gnant qu'on ne perdît cette ifle , & fâché de voir que les
Efpagnols agilîbient à leur ordinaire avec beaucoup de len-
teur , avoit chargé Michel de Oquendo avant la mort d'A-
guiar de choifir entre les vaifTeaux de Bifcaye , qu'il avoit
amenés , quatre des meilleurs ^ d'embarquer defTus fîx cens
hommes , fous le commandement de Jean d'Ochoa fon Lieu-
tenant , & de les envoyer à l'ifle de Saint Michel. Oquendo
choifit les vaifTeaux d'Ochoa , de Th. Arriola natif de Deva ,
de Martin Arriola de Saint Sebaftien , & celui de Dominique
5$4 HISTOIRE
-'"■"■' Adurriaga d'Orio. Ils eurent le vent fï favorable , qu'en
Henri quatre jours ils arrivèrent aux cotes de Pifle.
III. Les habitans encouragés par ce renfort, fe mettent en
1582. campagne au nombre de deux mille , fous la conduite de Lau-
Défaite des renc Noguera Efpagnol & de Peixoto Portugais. Nos trou-
Efpagnols. pes qui avoient crû trouver la ville déferte , parce que dans
le premier effroi les habitans avoient gagné les montagnes ,
s'étoient écartés du chemin. Noguera qui craignoit de fon
côté que les François , après s'être rendus maîtres de la ville,
ne s'emparaflènt de toute Pifle fans combat, s'écarta auiîî
du chemin ordinaire, à la prière de Pévèque D. Pedro del
CafHllo , pour aller à la rencontre des François ; & après
avoir exhorté les troupes à bien faire , il les attaqua. Mais
le fuccès ne fut pas heureux , malgré la valeur avec laquelle
il combattit. Car les Infulaires l'ayant abandonné , il perdit
un grand nombre d'Efpagnols : &. étant lui - même percé
de coups , il fe retira à la citadelle avec huit cens hommes
feulement. Noguera étant mort prefque fur le champ de
£cs bleflures , Jean del Caftillo frère de l'Evêque , lui fuccéda
dans fon emploi. Peixoto , qu'on avoit regardé jufque-là
comme un bon Officier , comptant Pifle perdue , s'embarqua
la nuit fur un vaiffeau pour aller joindre la flote : tk. il arriva
à Lifbonne avant qu'elle eût mis à la voile. Rien n'étoit plus
heureux que ces commencemens : mais la fécurité ou l'im-
prudence de nos chefs , les empêcha d'en profiter. S'ils
avoient emporté la citadelle , les Efpagnols ne pouvoient
plus aborder & n'avoient point de retraite. Nos François au
contraire , pouvoient fans être forcés de rifquer une bataille ,
s'emparer de toutes ces ifles,& peut-être même de la flote
des Indes, ce qui étoit le point capital.
Le roi Antoine étoit fur la flote. Après cette vidoire il fe
rendit à la ville , prit fon logement à PEglife defaint Roch ,
auprès de la citadelle , & fut proclamé Roi par le peuple :
comme il étoit fort vain , il s'imagina être rétabli fur le trô-
ne -, & ayant eu avis que la garnifon du fort manquoit d'eau ,
il ne voulut pas qu'on employât la force pour réduire les
ennemis , &: il fe contenta de fommations de de menaces. Par
ce moyen on perdit fix jours , & les Efpagnols eurent le tems
de fe reconnoître & de fe mettre en état d'attendre le
fecours ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. ps
fecours , qui parut en effet dès le lendemain. Sainte Croix '"
avoit détaché la veille le capitaine d'Aguirre avec une cor- PI e n r i
vette^ &; lui avoit donné des lettres pour Aguiar, dont il III.
ignoroit la mort , et pour Peixoto. Il leur mandoit de lui faire 158?,
içavoir le plutôt qu'ils pourroient l'état de rifle & de notre
ilote, & en quel endroit elle étoit : car il ne pouvoit s'imagi-
ner qu'elle fût déjà dans les mouillages de l'ifle. Comme
nos bâtimens étoient couverts par des caps & des golphes , où.
ils s'étoient enfoncés, il étoit impoffible que la flote d'Efpa-
gne , qui étoit en pleine mer, pût les appercevoir. La cor-
vette d'Aguirre ayant été prife avec les lettres du marquis
de Sainte Croix, on apprit par-là que les vaiflèaux d'Anda-
loufîe n'étoient pas encore arrivés, qu'il s'en étoit écarté
quelques-uns en route, & que d'autres avoient été pris. Là-
deflus nos Généraux tinrent confeii : notre flote manquoit
de vivres , parce qu'Antoine & Vimiofo , qui en prefloient le
départ , avoient répondu que tout fe fbûmettroit dès que
nos vaiflèaux paroîtroient , et qu'on leur fourniroit des vivres
en abondance. Strozzi qui avoit beaucoup plus de courage
que de prévoyance , ne trouvant pas les chofes comme on les
lui avoit promifes , et fentant le péril d'un retardement , eue
bientôt pris fon parti -y &t ravi de fevoir dans la néceflité de
combattre contre les ordres précis que la Reine lui avoic
donnés, il exhorta fes troupes à bien faire. L'eau même
manquoit fur nos vaiflèaux , et depuis huit jours qu'on étoit
dans cette ifle, fans rien faire, on n'avoitpas penfé à y en
porter.
Le défordre n'étoit pas moindre du côté des ennemis j 8c
leur Général qui avoit été très-furpris de trouver notre flote ,
tint confeii avec D. Pedro de Tolède , Lope deFigueroa,
Chriftoval d'Erafto, D. Pedro de Taxis Intendant de la flote,
&t Antoine de Bovadilla. Il fut réfolu qu'on hazarderoit un
combat dès qu'on en trouveroit l'occafion , parce que la re-
traite n'étoit ni fûre, ni honorable : qu'il falloit fur- tout
t«acherde gagner le deflus du vent, malgré la difficulté qu'on
trouvoit à y réu(îir,parce que leurs vaiflèaux étoient beaucoup
plus pefans que les nôtres. Les deux armées le trouvant dans
la néceflité de combattre , la nôtre fe prefloit d'autant plus
qu'elle manquoit de tout, ôc que d'ailieurs toute la flote
Tome J m. EEee
5S6 HISTOIRE
d'Efpagne n'étant pas encore arrivée , il lui feroit plus aîfé de
Henri remporter la victoire. Le marquis de Sainte Croix avoit jette
III. l'ancre au cap de Morre , 6c le lendemain 2 2. de Juillet, il
1582. s'approcha de Ville - franche , pour ranger fon armée en
bataille.
Au côté droit du S. Martin, qui étoit l'Amiral, du port
de fix cens tonneaux , il plaça le S. Matthieu , gros vaiilèau
commandé par Figueroa 3 & au côté gauche , le S. Pierre,
commandé par Bovadilla , 6c fourni de bonnes troupes. Le
relie des vaiflèaux au nombre de vingt-quatre, fut mis fur
les deux aîles. Chriftoval d'Erafto qui commandoit un gros
vaiiTeau , lequel avoit été endommagé par la mer, eut ordre
de refter derrière. Cependant il ne le pafla rien ce jour-là.
Les Efpagnols tirèrent feulement quelques coups de canon
de fort loin , comme s'ils euflènt défié les François. Le len-
demain les deux armées fe trouvèrent encore en préfènce :
mais quoique nos troupes montraient beaucoup d'ardeur
pour le combat, & que les ennemis ne l'évitaflènt point , le
vent fe trouva fi foible, qu'on ne put rien faire. Les Efpa-
gnols s'avancèrent du côté de l'ifle de Sainte Marie , qui efl
à quinze lieues de celle de Saint Michel vers le Midi.
Bataille des Enfin les François déterminés à donner bataille le lende-
A$ores. main au point du jour, détachèrent le foir dix vaiflèaux,
avec ordre de ralêr la côte , afin que lorfqu'ils attaqueroient
avec le refte le front de l'armée ennemie , ces dix vaiflèaux
venant tout d'un coup fondre par derrière , elle fe trouvât
envelopée. Mais le vent n'étant pas encore bon , on fe ca-
nona feulement de loin , &: il y eut un de nos vaiflèaux fi mal-
traité , qu'il faifoit eau de tout côté , ôc qu'on eut de la pei-
ne à le fauver lorfque la flote eut pris le large.
Sainte Croix , à qui la lenteur ou la nonchalance de nos
Généraux avoit donné aflez de tems pour prendre toutes les
précautions dont il avoit befoin , rélolut de voguer du côté
de l'ifle de Saint Michel , afin qu'ayant le vent arriére , il
pût le lendemain jour de faintjacque, la grande fête d'Ef-
pagne , venir fondre fur notre flote. Pour exécuter ce projet ,
il fit appareiller durant la nuit , &: pour nous cacher la route
qu'il tenoit, il n'alluma point contre l'ufage ordinaire le fa-
nal de l'Amiral 5 mais il ordonna à tous les autres vaiflèaux
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 587
de le fuivre au fignal d'un coup de canon , qu'on tireroic fur — —— —■
le minuic, & défaire même route que l'Amiral. Tout cela H en ai
s'exécuta avec exa&itude 6c fans bruit 3 il n'y eut que deux III.
vaiflèaux Flamans, fur lefquels il y avoit quatre cens Aile- I^îv
mans , qui fe féparérent de la flote.
Tout avoit réufli jufque-là ^ mais au point du jour le mât
du vaifleau de Chriftoval d'Erafto ayant été brifé par le ca-
non , on perdit tant de tems à en remettre un autre , que nos
Généraux s'étant apperçus du deflein des ennemis , les de-
vancèrent , &c reprirent le delTus du vent. Tout fe pafla encore
ce jour-là en canonades. Le lendemain 16. de Juillet , jour
de iainte Anne , les deux flores n'étant éloignées que d'en-
viron une lieuë l'une de l'autre, 6c environ de deux lieues 6c
demie de i'ifle de Saint Michel $ Strozzi qui brûloit d'envie
d'en venir à un combat , quitta pour l'engager l'Amiral , qui
lui fembloit trop pefant , 6c étant monté fur le vaifleau de
Beaumont , qui étoit plus léger 6c plus vite , il fe mit à pour-
fuivre les Efpagnols. Après avoir fait environ trois lieues
6c demie , il les joignit à une pareille diftance de I'ifle de Saint
Michel. Son vaiffeau fur lequel étoit le comte de Vimiofo ,
étoit fuivi de celui du comte de Briflac Lieutenant Général ,
de de trois autres vaiflèaux Anglois très-bien armés. Le refte
de la flote fuivoit à quelque diflance. Du côté des ennemis,
le vaifleau de Bovadilla , qui marchoit à la tête , étoit fuivi
du S. Martin , que montoit Sainte Croix , de qui remorquoic
celui d'Erafto. Le S. Matthieu commandé par Figueroa ve-
noit enfuite. Ces quatre vaiflèaux qui étoient fort grands 6c
qui paroiflbient dans la mer comme des citadelles , faifoient
le front de la bataille, 6c étoient fuivis de tout le refte delà
flote. Le premier qui fut attaqué fut celui de Figueroa. No-
tre Amiral , le vaifleau de Cofle , 6c trois autres , fondirent
deflus. L'Amiral l'attaqua du côté de la proue , fans lui prê-
ter le côté , pour ne pas efluyer les bordées de ces batimens
Efpagnols , qui étoient beaucoup plus grands que les nôtres.
Deux de nos vaiflèaux en ayant été fort maltraités , prirent
le large $ en forte que Figueroa n'eut plus à faire qu'à trois
de nos vaiflèaux , l'Amiral , celui de Coflè 6c un autre. Mais
quoiqu'on envoyât fans celle avec des barques de nouveaux
hommes à la place de ceux qui étoient fatigués , 6c que le
EEee ij
58S HISTOIRE
feu que nos foldats avoient jette dans le vaifleau eût pris en
Henri pluficurs endroits, ce grand Capitaine, conlerva tout fon
III. îàng froid • & malgré toutes les difficultés qu'il eut à fur-
i ç8i monter, il fe défendit deux heures durant avec une valeur
extrême. Enfin un vaifleau de Bifcaye commandé par Pe
de Garagarça étant venu à fon fecours avec deux compagnies
d'Efpagnols , il reprit une nouvelle vigueur. Sainte Croix qui
avoit paflé devant lui, ne pou voit le fecourir, quelque tou-
ché qu'il fût du péril où il le voyoit. Car ayant le vent con-
traire , il lui étoit impoflible de reculer qu'en louvoyant ; 6c
il avoit trop d'habileté pour ne pas comprendre que ce parti
étoit dangereux , 6c que les autres vaifîeaux prenant cette
manœuvre pour une fuite, ne manqueroient pas de fe dif.
perfer. D'ailleurs il étoit auffi dans la mêlée, & il avoit à
combattre contre deux de nos plus gros vailïeaux, mais la
grofïè artillerie du S. Martin 6c du vaifleau de Bovadilla mal-
traita tellement les deux nôtres , qu'un d'eux fut prefque
coulé à fonds. Bovadilla combattit long-tems contre quatre
des nôtres 3 enfin il les obligea de s'écarter après les avoir
fort endommagés avec fon canon. Bufly colonel d'un régi,
ment François y fut blefle dangereufement, & en mourut à
la Tercere peu de tems après. Enfin Sainte Croix s'étant
débarrafle des deux vailïeaux qui l'attaquoient, revira de
bord , 6c alla au fecours du Saint Matthieu qui étoit en péril.
Par ce moyen, la féconde ligne devint la première, èc ce
changement de difpofition en fit un grand dans l'état du com-
bat. Oquendo , Villaviciofa , Yera 6c Benefa , vinrent fondre
avec leurs vailïeaux fur celui de Briflac, qui étoit gouverné
par Nipeville de Harfleur, excellent Pilote 8>c très- bon Of-
ficier j mais ce vaifleau endommagé par le canon des enne-
mis, commençoit à faire eau. Enfin s'étant décroché avec
beaucoup de peine, il fe retiroit de la mêlée. Le jeune Villa-
viciofa qui l'attaquoit par la prouë, y fut tué en combattant
avec beaucoup de valeur. Oquendo fut plus heureux : car fes
gens montèrent à l'abordage , entrèrent dans le vaifleau, &c
après avoir pris quelques drapeaux , fait des prifonniers, 6c
pillé une partie de ce bâtiment , ils comptoient en être maî-
tres , lorfque fon vaifleau ayant été percé par notre canon y
& celui de Briflac ayant reçu du fecours , il fut obligé de fe
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 589
retirer. Le nôtre en fit de même : mais en regagnant Tille de ..»
Saint Michel, il coula à fond. Briflac 5c Nipeville s'étant Henri
jettes dans un petit bâtiment fe fauvérent avec beaucoup de III.
peine. Tout l'effort du combat tomba alors fur notre Amiral, 1582.
le refte de la rlote le regardant fans ie mettre en devoir de
le fecourir, parce que nos vaifleaux étoient trop foibles pour
réfifter au canon des ennemis. Il n'y eut qu'un navire Bif-
cayen , monté par Miguel de Cardonne & par P. de Pardo ,
qui accrocha un des nôtres 6c le pilla , mais il ne lailTà pas de
s'échapper. Le vieux Villaviciofa , qui avoit fur fon bord
la compagnie de Guerara , combattit contre un autre de nos
vaifleaux , 6c l'endommagea fort : mais il ne put pas le pren-
dre. Les deux qui avoientattaqué l'Amiral des ennemis , fu-
rent coulés à fond par fon canon.
Il ne reftoit plus que notre Amiral , qui fut long-tems Défaite de
aux prifes avec l'Amiral Espagnol : maïs étant envelopé de Strozzi*
toutes parts par la flote ennemie , 6c abandonné par la nôtre ,
il ne put réfifter. Baftida 6c le capitaine Bivero Bifcayen , qui
commandoit la Sainte Catherine, étant montés à l'abordage ,
tuèrent environ trois cens des nôtres : mais ayant été arrê-
tés par la Noblellè qui s'étoit rangée autour de Strozzi ,
il s'y pafla. une nouvelle action très vive , où le brave Beau-
mont fut tué. Enfin Sainte Croix , fuivi de Marolin 6c de Ro-
drigue de Vargas fè préfentant par - tout pour animer Ces
foldats , Strozzi , qui avoit fait tout enfemble le devoir de
capitaine 6c de foldat, tomba enfin couvert de blefîures mor-
telles. Vimiofo percé de plusieurs coups étoit auffi hors de
combat, 6c l'Etendart général ayant été pris par un Antoine
de Seville , qui eut un bras emporté d'un coup de canon ,
nos foldats fe voyant fans Commandans demandèrent quar-
tier. Mais les Ef pagnols naturellement cruels & animés par
la vengeance , firent maîn-bafle fur tout ce qui fe préfenta.
La NoblefTe qui avoit échapé à la première furie , ou qui s'é-
toit retirée du combat à caufe de fes blefîures, fut prife&
réfervée à une mort plus funefte. Strozzi fut pris en même
tems • mais foit par grandeur d'ame , foie par l'état où fes
blefîures l'avoient réduit, il ne demanda aucun quartier j
6c comme on le menoit au Général ennemi, il expira fans
prononcer un feul mot. Pour la probité , la bonne foi 6c la
EEee iij
■UJJI.II.IW
59° HISTOIRE
■sî généroflté , Strozzi étoit comparable à ceux quiont poiTé-
Henri dé ces vertus dans le degré le plus parfait. D'ailleurs il etoit
III. fï brave , qu'il n'y avoit point de péril qu'il ne fût toujours
1582. prêt d'affronter : mais Ion défaut étoit le manque de pré-
voyance , 6c quelquefois trop de fécurité. Il étoit hls de Pier-
re de Strozzi Maréchal de France , mort quatorze ans aupa-
ravant au flége de Thionville, 6c qui ayant réiini la beauté
du génie avec la fermeté , la bravoure & l'activité , fut regar-
dé comme un des plus grands Capitaines de fon fiécle.
Le comte de Vimiolo ayant été pris par un volontaire
Crémonois, nommé Mondenaro, &; mené à Sainte Croix
fon parent , en fut allez bien traité , fî l'on en croit les Efpa-
gnols : mais deux jours après il mourut de fes bleflures. Les
Efpagnols ont encore envié la gloire de fa prife à un Italien :
car c'efl: l'ordinaire de cette Nation de vouloir pofléder feule
tous les honneurs , 6c de n'en faire part à perfonne. Ils pré-
tendent donc que ce fut un Alfonfe Pérès brave foldat de la
compagnie de Gambra Capitaine dans le régiment de Fi-
gueroa, qui eut l'honneur de prendre Vimiolo ,6c qu'il eue
pour cette action une récompeniè du roi d'Efpagne. Les vaif-
ieaux Efpagnols qui eurent le plus de part à cette victoire
furent , l'Amiral éc ceux de Figueroa , de Bovadilla., d'Erafto
ôc d'Oquendo : 6c ceux qui montrèrent le plus de courage en
cette journée après les Chefs furent, D. Pedro de Tolède
qui commandoit le château d'Avant fur l'Amiral, Miguel de
Cardonne , Paz , Santiflevart , de Bolanos 6c Bivero. Les Ef-
pagnols , fî l'on en croit leurs relations , n'y eurent de tués
qu'environ deux cens hommes & cinq cens blelTés. Pour nous,
nous y perdîmes plus de deux mille hommes ôc huit de nos
vaifTeaux 3 les ennemis pouvoient même en prendre davan-
tage , s'ils eufîent eu des Pilotes.
Tel fut le fuccès de ce combat , un des plus fameux qui
fe foient donnés fur l'Océan : car dans tous ceux qu'on a
vus depuis vingt ans fur les côtes des Païs-bas , on a prefque
toujours combattu , ou dans des canaux , ou à l'embouchure
des rivières : mais ici , c'étoit au milieu de la mer 6c très-loin
du continent que les deux plus belliqueufes Nations de l'Eu-
rope combattoient pour un Royaume très - riche : car le
Portugal étoit le prix du vainqueur 5 6c le vaincu n'avoit plus
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 591
rien à y efpérer. C'en: ce qui a fait tant vanter cette victoire ■■■" — " ■ "
par les Efpagnols ^ parce qu'ils comptent qu'elle a affermi le Henri
nouveau Royaume qu'ils venoient d'acquérir , 6c qu'elle leur III.
a allure la polTeiîion de toutes les richefles des Indes , qui 1 5 S 2.,.
dépendoit du fuccès de cette journée.
Sainte Soline prit le large avec neuf vaiflèaux fans avoir
combattu , 6c il le retira à l'ille dei Fayal ou des hêtres, qu'il
pilla : c'eft ce qui fit foupçonner à quelques efprits légers 6c
crédules du parti d'Antoine qu'il avoit été gagné par les
Efpagnols , 6c on croit que ce fut pour cela qu'Antoine fie
depuis couper la tête à Edouard de Caftro , comme prin-
cipal auteur de cette trahifon : mais d'autres prétendent que
ce fut parce qu'après cette bataille il eut des intelligences
avec Philippe , 6c qu'il fut convaincu d'avoir tué Antoine
Barache qui avoit le premier proclamé Antoine Roi , de qui
étoit en grande faveur auprès de lui. Il eft vrai que Briflàc
qui revint en France avec dix-huit vaiflèaux , &c qui y ap-
porta la première nouvelle de la défaite de notre fiote , ac-
eufa Sainte Soline devant la Reine qui regrettoitfort StrozzL
L'accuie étant revenu en France , 6c ayant été pris igno-
minieufement par la maréchaufTée de Poitiers , de amené
à la Cour , courut grand rifque de la vie : mais enfin il rue
mis en liberté à la follicitation de fes amis , qui firent paC
fer pour lâcheté ce qu'on appelloit trahifon»
Les Efpagnols fe font trompés '} 6c après eux Jérôme de
Franchi Coneftagio , qui d'ailleurs a écrit cette hiïtoire avec
beaucoup de bonne foi , de prudence èc de liberté , lorfqu'ils
attribuent àLandereau cette action de fainte Soline. Lande-
reau qui étoit brouillé alors avec Sylva,ne fe trouva point à la
bataille • il étoit malade du poifon qui lui avoit été donné
par les Portugais , à ce qu'il croyoit 3 ôc fes vaiflèaux étoienc
allés au Cap-Verd.
La veille du combat le roi Antoine s'embarqua , èc pafl
fa de l'ille faint Michel à la Tercere 5 6c comme s'il eût pré-
fagé fon malheur , lorfqu'il fut à Angra au lieu de faire fon
entrée par defTous les arcs de triomphe qu'on lui avoit éle-
vés , il pafTa avec peu de fuite fur un petit pont de bois , 6C
entra ainfî dans la ville. Lorfqu'il apprit le fuccès du combat,
il en fut extrêmement affligé,6c il fit défendre à Sainte Soline
MJUftl
j9* HISTOIRE
5? d'aborder dans l'ifle j au lieu qu'il reçut très-favorablement
Henri les dix -huit vailleaux que Brillac y amena, les regar-
III. dant comme une dernière refTource fî fainte Croix ve-
1582. nolz l'attaquer : mais ce Général au lieu de pourfuivre fa
victoire , s'en alla à l'ifle de fainr. Michel , où il reçut à com-
pofîtion les habitans des ifles de fainte Marie , & de Flores,
Cruauté des qui demandèrent pardon du pa-fle.
Efpagnolsen- Il fit enfuite crier par un trompette qu'on lui amenât tous
vers les rri- 1 • /■* • *1> • 1 • o • •
fonuiers *es pnionniers : il s y trouva vingt- huit Seigneurs , cinquante
Gentilshommes , 6c en tout environ trois cen* hommes ,
qu'il condamna tous à mort , fous prétexte qu'ils avoient
violé la paix confirmée par ferment entre le roi très-Chré-
tien , 6c le roi Catholique 3 qu'ils avoient donné fecours à
Antoine prieur de Crato, qui s'étoitmis en embufeadepour
furprendre la flote des Indes ; qu'ils étoient venus piller les
ifles du roi d'Efpagne & en particulier l'ifle de faint Michel }
& qu'ils avoient attaqué fa flote. Ainfi ils furent livrés au
juge Criminel , afin que pour le bien des deux Couronnes il
les fît exécuter comme perturbateurs du repos public de du
commerce , ennemis du roi d'Efpagne , & Coriaires infâmes;
ce font les termes de leur fentence prononcée par le mar-
quis de Sainte Croix. On drefla pour cela un grand échaf-
faut dans la place publique de Ville-franche, Ce fpe&acle
caufa de grands murmures parmi les foldats , foit qu'ils crai-
gnifTent les repréfailles , ou qu'ils fuifent fâchés qu'on leur
fît perdre le profit qu'ils efpéroient de la rançon des prifon-
niers. Ils s'attroupèrent autour du Général Efpagnol pour
demander la vie de ces malheureux. » Quel crime ont-ils
» fait , difoient-ils ? puifqu'ils font échapés du combat , pour-
» quoi ne les pas renvoyer ? La fortune des armes eft 11 chan-
» géante , 6c quelquefois elle fe plaît à livrer le vainqueur
m à la merci du vaincu. Cette paix , dont on parle , n'eft pas
55 fî religieufe entre les deux Rois , qu'il n'y ait entre eux
» une guerre véritable dans les P aïs-bas. Toute la terre fçaic
» en quel endroit le duc d'Anjou attaque le roi d'Efpagne
55 avec les forces de la France. C'cfl. au nom de la Reine
» mère 6c fous fon autorité, que ces prifonniers font venus
>5 ici. On voit par leurs com millions que c'cfl: par ordre du
»Roi que les levées fe font faites, 6c qu'on a équipé cette
flote
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 595
m flote. Cette affaire va nous rendre l'horreur de toutes les i
«nations. « Là-defTus ils fuppliérent leur Général qu'on Henri
adoucît la fentence , &; qu'on traitât les prifonniers fuivant III.
le droit de la guerre. 1581*
Sainte Croix répondit qu'en cela il ne faifoit rien, que de
jufte , & conforme aux intérêts du roi T. C. qu'il fcavoit
ies intentions 3 que c'étoit malgré lui que Tes fujets alloient
faire la guerre dans les paï's étrangers , de qu'il étoit ravi
qu'on les punît : d'ailleurs qu'il avoit des ordres précis du
Roi Ion maître -, & que quoiqu'il eût beaucoup de répugnance
à traiter comme des brigands des Officiers dont il connoif.
foitla valeur, cependant il étoit forcé de le faire , & de le
faire promptement.
Ce dif cours ayant un peu calmé fes foldats , il donna ordre
à Bovadilla de mettre des Gardes autour de l'échaffaut, de
il fit amener les prifonniers , entre lefquels étoit Vivonne
delà Cliataigneraye. On les remit au bourreau des troupes
Allemandes, qui les fît mourir quatre à quatre. La cruauté
d'un pareil fupplice ternit extrêmement l'éclat de cette
grande victoire. On a dit qu'ils avoient traité de même les
corps de Strozzi& de Vimiofb : mais les Elpagnols qui n'ont
rapporté dans leurs relations que ce qu'ils ne pouvoient ca-
cher , ne parlent point de ce fait.
La nouvelle de ce combat étant arrivée en Efpagne, Vi-
vonne de faint Goard notre Ambafiadeur en cette Cour ,
craignant quelque chofe de femblable à ce que je viens de
raconter , part en diligence de Madrid , de va joindre le Roi
pour lui demander la vie des prifonniers. Ce Prince qui ne
fçavoit pas encore le détail lui fit une réponfe ambiguë , Se
le congédia: mais lorfqu'il en eut été inftruit, ii voulut ex-
eufer l'action fur ce qu'on n'avoit pas fçu que ces prifon-
niers fu fient des perfonnès d'une fî grande diftinction.
Emmanuel Sylva qui étoit a Angra , n'eut pas plutôt ap-
pris le fuccès du combat , qu'il écrivit au marquis de Sainte
Croix , pour le prier d'en ufer bien avec les prifonniers , de
pour lui offrir leur rançon : mais lorfqu'il eut appris ce qu'il
avoit fait , il détcfla fa barbarie 3 de comme il étoit fier de
colère , il ne tint pas à lui qu'on ne traitât de même un pa-
reil nombre de Caffillans qui croient dans les priions de la
Tome FUI. F F f £
594
HISTOIRE
■ ville. Il le propofa à Antoine : mais quoique ce Prince fût
Henri vivement touché de ce qui étoit arrivé a Strozzi , à Vimio-
III. fo & à tant de Gentilshommes François ^ cependant en Fc-
T - o , tac malheureux où étoient &s affaires, il crut qu'il devoit
moins longer a la vengeance qu a la propre lurete ; & com,
me il manquoit fur-tout d'argent , il s'attacha àfaire frapper
de nouvelles monnoyes , & à en augmenter le prix. Il fe fai-
foit prêter de gré ou de force j en un mot il droit de l'ar-
gent de tous côtés à quelque prix que ce fût. Ses princi-
paux Confeillers en cette affaire étoient Emmanuel Sylva y
&: un Génois nommé Vivalde, homme habile en ce genre.
Jamais le parti d'Antoine n'avoittant fait d'extravagances
que depuis la défaite de notre flote , fur-tout les Moines de
les Prêtres: car ayant entièrement oublié la gravité de la
modeftie de leur état , non - feulement ils fe permettoient
tournais ils voulaient que tout fût permis àAntoine leur Roi.
Sur ces entrefaites Martinès de Recalde , officier de Ma-
rine qui avoit de la réputation , arriva aux Açores avec les
galères de le refte de la flote d'Andaloufîe, fort inquiet de
l'état des illes , parce qu'on i'avoit allûré fur la route que la
flote d'Efpagne avoit été battue : mais en ce cas il étoit ré-
folu de rifquer une leconde bataille. Sainte Croix ravi de
fon arrivée, & ne voyant plus rien à craindre , lailla dans
Fille Auguftin Iniguez de Zarate avec deux mille Efpagnols^
beaucoup de canon de des munitions de guerre en abon-
dance , ëc il mit à la voile pour aller audevant de la flote
des Indes qu'il attendoit comme le prix de fa victoire. Com-
me elle palToit à la vûë de l'iile del Fayal , Sainte Soline qui
s'y étoit retiré, lui fit tirer quelques volées de canon : elle
étoit commandée par Hernan Tellez de Sylva , qui après
la mort du comte de la Toquia avoit fait les fondions de
Viceroi aux Indes. Malgré les follicitations d'Antoine , il
avoit contenu le païs dans FobéïiTance de Philippe j de il
avoit eu la précaution d'envoyer par terre en Efpagne Jé-
rôme de Lima pour affûrer le Roi de fon attachement de de
fa fidélité. Il avoit pris ce parti , parce qu'outre l'incertitude
de la mer , il croyoit que le voyage par terre leroit plus
court. Lima s'étant embarqué à Goa, vint aborder à Ormus
ville du golfe Perfique appartenante aux Portugais. DeAà
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 59T
il fe mie dans une Caravane de quantité de chameaux &; de — - !
voyageurs qui fe réunifient pour parler les déferts & pour fe Henri
défendre contre les voleurs , àc après avoir eflliyé de grandes III.
difficultés il arriva à Bagdat, et y ayant paflë PEuphrate , 1581.
il vint à Alep , puis à Damas j il pafla enfuite le Jourdain ,
6c fe rendit à Jerufalem pour voir les fiiints lieux. De-là il
vint à Tripoli de Syrie, où il s'embarqua pour Malte ou pour
la Sicile , d'où il parla en Efpagne , ôc réjouit beaucoup le
Roi par cette nouvelle à laquelle il ne s'attendoit pas. Ce
voyage fit connoître qu'on pouvoir aller aux Indes Orien-
tales par terre.
Tellez ayant rencontré Sainte Croix le reçut avec beau-
coup de politeffe &; de marques d'amitié : cependant par ce
fond de jaioufîe qui fe trouve toujours entre les Caftillans
&: les Portugais , il ne bailla point pavillon devant lui. Sainte
Croix regarda ce procédé comme un outrage j mais il crut
devoir diiîimuler , aimant mieux relâcher quelque chofe de
fon droit , que de choquer un homme de cette importance,
& de s'expofer à le détacher du parti de Philippe.
Lorfque la flote des Indes eut quitté celle d'Eipagne pour
fe rendre à Lifbonne , le marquis de Sainte Croix délibéra
avec fon Confeil comment il puniroit les Pilotes de ces
vaifïèaux Flamans , qui ne s'étoient point trouvés à la ba-
taille. Il fut réfolu que les navires feroient conhYqués , &C
l'équipage condamné aux galères. Les foldats Allemans qui
étoient dcfTus , furent remis au comte de Lodron pour les pu-
nir comme il le jugeroit à propos.
La flote ayant enfuite pailè à la vue de Tille Tercere ,
Don Antoine eut grand peur , quoiqu'il eut encore dix-fept
bâtimens François 3 mais comme il ne fe fioit point aux In-
fulaîres, il appréhendoît qu'ils ne fuivifïent le torrent: dans
cette inquiétude il fit venir un vaiifeau tout prêt pour s'en-
fuir en cas de befoin. La retraite de Sainte Croix le railurao
Ce Général fins rien entreprendre davantage s'en retour-
na triomphant en Efpagne , Se arriva le dix de Septembre à
Lifbonne avec fa flote en bon état. Il y reçut du Roi des
honneurs extraordinaires, 6c il obtint de ce Prince plein de
fàgeiTe des récompenses magnifiques pour tous ceux qui
avoienc bien fervi dans cette expédition.
FFffij
596
HISTOIRE
■ Antoine rafîuré par le départ de la flote d'Efpagne ne
Henri fît pas de Ces malheurs Pufage qu'il devoit : mais il fe pion-
III. gea dans le dérèglement 6c dans les plaifirs avec tant d'ex-
1582. c^s ^*il fembloit vouloir infulter à fa mauvaife fortune. Il
débauchoit tous les jours de jeunes filles , follicitoit les fem-
mes , en viola quelques-unes , & ne refpe&a pas même les
Vierges confacrées à Dieu ^ il y en eut plufieurs avec les-
quelles il vécut dans une familiarité criminelle. Sur la fin de
l'année il délibéra tantôt feul , tantôt avec Sylva , s'il de-
voit refier à la Tercere , ou repaffer en France : enfin il fe dé-
termina à ce dernier parti 5 & quoiqu'il craignît avec raifon
d'être méprifé parmi nous en l'état malheureux où il étoit^
cependant il compta beaucoup fur le naturel impétueux de
la Reine mère , qui touchée comme elle étoit , de la more
de Strozzi fon coufin > &: de tant de Seigneurs François, fem-
bloit tout mettre en œuvre pour en tirer vengeance. A la
prière d'Antoine Landereau étoit refté dans Pille , après la
défaite de Strozzi , pour la défendre en cas d'attaque : mais
dès que Sainte Croix fut parti , comme on ne fçavoit pas
encore fi Antoine y refteroit ou non , il prit congé de lui , èc
retourna en France. Dès qu'il y fut arrivé,il écrivit à la Reine,
6c lafupplia de Pexcufer de ce qu'il n'alloït pas à la Cour lui
rendre compte de l'état où étoient les affaires , ajoutant que
c'étoit fa mauvaife fan té qui l'en empêchoit : il lui propofoit
divers moyens pour venger la mort indigne de tant de braves
Officiers, 6c pour troubler de nouveau les affaires du Por-
tugal. Mais Ces exeufes furent mal reçues , 6c on ne jugea pas
à propos de lui confier, comme il le demandoit , la conduite
d'une entreprife de cette importance pour laquelle il avoit
montré fi peu de zèle pendant cette campagne. L'affaire
ayant été remife à l'année fuivante , il fut réfblupar le crédit
de Joyeufe qu'on en chargeroit le commandeur de Chaffe,
proche parent de ce favori , 6c d'ailleurs homme également
recommandable parla probité 6c par fa valeur, 6c dont on
ne doit jamais parler qu'avec éloge.
Antoine Antoine partit de rifle de Tercere au commencement
iTncc/11 ^'Octobre • il y laiffa quelques vaiffeaux François & Anglois
avec un capitaine Florentin nommé Batifbe , 6c le fîeur de
Carie qui y étoic venu depuis environ un an avec quatre
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 597
compagnies Françoifes. Ce Prince avoic eu defîein de faire ±
en s'en retournant une tentative fur Madère ; mais fes vaif- Henri
féaux Anglois s'étant égarés -; il n'y penfa plus , & il s'en vint III.
droit en France , où il trouva , malgré ie défordre de Tes af- x c 3 2r
faires, l'afyle que les Princes malheureux y ont toujours eu.
On lui fie même efpérer qu'on enverroit l'année fuivante
un renfort aux troupes qu'il avoit dans l 'i fie de Tercere.
Hernan Tellez étant arrivé heureufement avec la rîote des
Indes, fut reçu de Philippe avec tout i'acciieil auquel il dévoie
s'attendre. Outre la nouvelle de la victoire de fa ilote, ce
Prince avoit encore appris par les lettres d'Antoine Man-
rique que la rlote du Pérou & de la nouvelle Efpagne, dont
il étoit inquiet , n'avoit rien à craindre : mais fa joye fuG
troublée par la mort prématurée de l'Infant D. Diego fon
fils aîné, qui mourut le vingt-un de Novembre à l'âge de neuf
ans. Avec tant de Royaumes , il fe voyoit prefque fans héri-
tier, parce que Philippe qui lui reftoit, étoit foible & dé-
licat.
On ne fçauroit dire 11 la mort du duc d'Albe qui arriva Mortdu<3a«.
dans ce même tems doit être mifeau nombre des malheurs d'Albe-
qu'éprouva ce Prince, à caufe de la haine qu'il eut toujours
pour ce grand Capitaine depuis qu'il fut retourné en Es-
pagne , après avoir domté plutôt que pacifié les peuples des
Païs-bas. Il fut un des plus grands Généraux de fon fiécle>
de l'aveu même de fes ennemis , plus heureux que fon père
Garfia , qui étoit péri il y avoit foixante & douze ans à î'ifle
des Gerbes , êc plus grand que Frideric fon ayeul, qui contre
l'ordre de la nature , furvécut à fon fils , &c qui deux ans
après fa mort , conquit fans combat la Navarre. Le duc
d'Albe fon petit fils a fervi l'Empereur Charle V. &. le roi
Philippe II. dans toute l'Europe, à la tête des plus grandes
armées qu'ils ayent eues fur pié , en Allemagne , en Italie , en
Flandre , &: en dernier lieu en Portugal : mais il femble qu'il
ait manqué quelque chofe à fa gloire, & il le difoit lui-mê-
me , c'étoit de voir une armée Turque rangée en bataille
devant lui. Il étoit meilleur pour la guerre, que pour la paix^
la grandeur de fes fervices le rendoit fier &l ambitieux -, il
aimoit à rabaifïer le mérite des autres , Se par un vice na-
turel à fon pais , il regardoit avec mépris toutes les autres-
FFffiij
î98 HISTOIRE
nations : d'ailleurs excelîîvement impérieux , & d'une févé-
Henri rite outrée, perfuadé qu'un Empire s'affermit mieux par la
III. terreur , que par l'amour. C'eft pour cela qu'on lui impute la
i ^82. détention injurieufe du Prince de HelTe contre la foi don~
née , le fupplice de plusieurs grands Seigneurs desPaïs-bas, de
la mort indigne qu'on fit fouffrir aux prifonniers François
dans l'ide de faint Michel. On a prétendu que tout cela s'é-
toit fait de ion avis : mais on peut dire que tels confeils ont
été préjudiciables à ceux qui les ont fuivis, Ôc que la cruauté
qu'il leur a infpirée , a rait une grande tache à leur gloire.
On attribue encore à fa jaloufie l'injuftice que Charle-Quint
fit à Ferdinand de Gonzague : malgré les grands fervices
qu'il avoit rendus à l'Empereur,il fut dépouillé du gouverne-
ment du Milanez 8c de toutes les charg-es , d'une manière
fi injurieufe , &; avec une ingratitude fi marquée , que ne
voyant aucune efpérance de rentrer en grâce, il en mourut
de douleur. Malgré tous ces défauts le duc d'Albe parvint
aux plus grands honneurs ïous ces deux Princes j mais Phi-
lippe l'aima moins que fon père 5 il le relégua même dans
fes terres pour un fujet allez léger , & ce ne fut qu'à la der-
nière extrémité qu'il l'employa dans la guerre du Portugal,
qui a mis le comble à toutes fes victoires : car elle le reconcilia
avec fon Prince , &: lui fit donner un logement dans le pa-
lais du Roi , où il eflmort, pour ainfi dire , entre fes bras. On
peut compter encore pour un dernier bonheur que ce foit
le P. Louis de Grenade Dominicain, d'unefprit admirable ,
&: d'une éloquence vraiment Chrétienne, qui l'ait affifté à la
mort , qui l'ait confolé pendant tout le cours de fa maladie,
& qui lui ait donné le Viatique. Il mourut le douze de Dé-
cembre âgé de foixante & dix-feptans. Sanche d'Avilaavoic
été élevé dans fa maifon Se fous {qs yeux j il avoit fait fous
lui fon apprentilîàge dans le métier des armes. Le nom d'A-
viia lui fut donné à caufe du lieu de fa naiflance : car fa fa-
mille n'étoit pas iliultrej mais d'Avila l'cir. devenu par fa bra-
voure , &£ par le bonheur qui l'a toujours accompagné. Il fui-
vit de fort près fon maître, c'eft ainfi qu'il appelloit le duc
d'Albe : mais fa fin eut quelque chofe de funefte 5 car cet
homme qui s'étoit trouvé en tant d'occafions périlleufes , à
tant de fiéges èc de combats , &; qui avoit été impénétrable
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 599
à tous les traits des ennemis, ayant reçu, un coup de pié de 1
cheval , négligea d'abord la plaie : enfuite au lieu de cher- Henri
cher dans la nature des remèdes pour la guérir , il eut re- lll.
cours à des paroles fuperftitieufes &: à des enchantemens , ôc o
il tomba enfin dans une maladie férieufe,dont il mourut quel-
ques mois après fort regreté.
On mit à la place du duc d'Albe pour commander en
chef, Cefar de Borgia duc de Gandie , homme qui avoit des
mœurs , mais qui pour les vertus militaires étoit bien au-
defTous de fon prédécelfeur.
Philippe voyant qu'il n'étoit point encore maître des
Açores, fit des préparatifs pour achever cette conquête l'an-
née fuivante. Le duc d'OiTone , qu'il venoit de nommer
Viceroi de Naple , lui avoit envoyé deux énormes galéafTes:
ces batimens font d'un grand ufage dans la Méditerranée ;
mais comme ils font trop plats pour réfîffcer aux vagues de
l'Océan , le Roi les fit élever , & leur fit mettre des quilles
plus cambrées. Il fongea enfuite à retourner en Caftille :
mais avant que de quitter le Portugal , il accorda une am-
nistie plus étendue que la précédente , &c réduiflt à dixper-
fonnes le grand nombre de ceux qu'il avoit exceptés dans
la première, fans rien changer néanmoins à l'égard des Ec-
cléfiaftiques. Comme ils s'étoient déclarés contre lui avec le
plus de fureur , non-feulement il ne leur pardonna jamais -y
mais il donna à tout le monde la liberté de les punir & de
les tuer • & lorfqu'à la fin de la guerre on compta ceux qu'il
avoit fait périr par le fer ou autrement, on en trouva deux
mille j ce nombre s'eft trouvé en effet dans le bref d'abfo-
lution que le Pape lui accorda pour cette faute. L'amniftïe
fut publiée à Tomar au commencement de Décembre.
On fit enfuite les obféques des deux derniers Rois de Por-
tugal , Sébafrien & Henrf , &; leurs corps furent portés d'Al-
merin au couvent de Belen. Sébaftien y fut loué modéré-
ment , & Henri jufqu'au dégoût. La plus grande partie de
l'afTemblée entendit avec plus deplaifir le récit de fa mort,
que l'éloge de Philippe. On attendoit les Procureurs & les
Syndics des villes pour prêter le ferment : mais comme ils
n'arrivèrent pas affez tôt , on remit la cérémonie au mois de
Février fuivant , ôc Philippe différa jufque-là fon départ»
£oo HISTOIRE
— -* Pendant qu'il étoit occupé a dépouiller Antoine du
Henri royaume de Portugal , le duc d'Anjou travailloit vivement
III. à lui enlever les Païs-bas qu'il avoir hérités de Ces ancêtres,
1*82. ^e Pr^nce avoir paiîé Phyveren Angleterre, à des tournois,
AftaircsJcs 6c à des bals , dans l'efperance de confommer ion mariage
Pais-bas. avec ja Reine : mais fur les difficultés qui furvinrent , il prit
congé de cette Princefïè, ôc après de grandes marques d'ami-
tié départ & d'autre, il partit de Londre. La Reine lere-
conduifit jufqu'à Cantorbery , 6c lui donna de l'argent 6c
des troupes. Il s'embarqua à Douvre le neuf de Février ,
avec une fuite nombreufe de feigneurs Anglois. Il y avoir R.
Dudley comte de Leycefler , Ch. Howard amiral d'Angle-
terre , & Hunfdon , qui tous trois étoient Chevaliers de la
Jartiére 6c du Confeil de S. M. VTillougby , Windfor, &
ShefFeld étoient auffi du voyage , avec les chevaliers Sidney,
Shirley, Perrot, RufTel, Drury & Brucher frères de l'Amiral,
trois enfans de Hunfdon , 6c environ cent autres Gentils-
hommes. Deux jours après, le duc d'Anjou étant arrivé à
Fleffingue , le prince d'Orange lui-même accompagné du
prince d'Epinoi fe mit dans une barque , & alla audevant de
lui. On fit dans ce moment une fi furieufe décharge de ca-
non que le bruit en fut entendu jufqu'à Calais. Le prince
d'Orange fe jetca refpectueufement à fes genoux , 6c après
l'avoir félicité avec les autres Seigneurs fur fon heureux
voyage , il lui dit qu'il étoitravi de voir enfin ce jour heu-
reux , ce jour qu'il fouhaitoit depuis fi long-tems, où il pût
avoir le bonheur de rendre fes devoirs à fon Airelle , & de
lui confacrer fa vie , fes biens & fes talens : Qu'il elpéroir que
fa préfence , fon courage , & fon fecours délivreroient les
Païs-bas de toutes les calamités dont ils étoient accablés
depuis fi long-tems, 6c que ces Provinces autrefois les plus
puiilantes 6c les plus floriflantes de l'Europe , mais alors rui-
nées 6c défolées par la fureur des guerres , alloient enfin
fous fon gouvernement reprendre leur ancien éclat , 6c for-
mer fous les aufpices d'un fi grand Prince une union formi-
dable à leurs ennemis. Le duc d'Anjou qui avoit l'efprit dé-
lié 6c poli répondit à ce compliment en peu de mots , mais
d'une manière tout à fait convenable j 6c les Seigneurs s'é-
tant jettes à genoux pour lui marquer leurs refpe&s, il les
xelev%
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. éoi
releva & les embraflà avec beaucoup de tendrelTe. On lui ■
avoit préparé dans l'hôtel de ville un logement où il pafîa Henri
la nuit. Le lendemain il le rendit à Middelbourg à pie , & il III.
n'y avoit guère moyen d'y aller autrement, toute la terre 1582,
étant couverte de glace & le froid excefhf. Il rencontra de-
vant la porte les Etats de Hollande , qui le félicitèrent fur
fon heureufe arrivée , fur la paix qu'il avoit rétablie en
rrance, fur la levée du fiége de Cambray, Se fur le voyage
qu'il avoit fait en Angleterre exprès pour le falut des Pro-
vinces. Enfin fur le loir on le conduisit de la porte de la ville
au logis qu'on lui avoic préparé , au travers d'une clôture
en forme de haye, dont tout le haut étoit couvert d'illumi-
nations, entre dix compagnies bourgeoifes très-bien armées
êc très-bien équipées , Se au milieu du bruit des trompettes
& du canon de la ville Se des vaûTeaux qui droit fans âif-
continuer. On lui donna enfuite un repas magnifique à l'hô-
tel de ville , & on le pria de relier quelques jours , en at-
tendant que les préparatifs que l'on faifoit à Anvers pour le
recevoir fuflènt achevés. Il pafla ce tems-là à considérer ,
£c à admirer la magnificence de cette ville , ornée de mai-
fons Se de places fuperbes , Se qui étant fituée dans une auiîî
petite ifle que celle deValkeren, n'étoit éloignée que d'un
quart de lieue de trois autres places coniîdérables. Ayant
enfuite vifité laflotecompofée de cinquante-quatre vaifîeaux
défîmes à le conduire à Anvers par PEfcaut , il s'embarqua
le dix-neuf Février , & arriva le lendemain à Lillo , fort 11-
tué très-avantageufement dans un endroit où le fleuve fe
refïèrre Se fait plufieurs détours. Il y pafla la nuit, Se le lende-
main matin étant arrivé auprès d'Anvers, il rafa cette ville du
côté de la citadelle , précédé Se fuivi d'une grande quan-
tité de vaiiîeaux qui l'efcortoient , Se au milieu de plus de
vingt mille hommes en armes , qui bordoient les quais Se le
rivage. Enfin il defeendît de fon vaiiîeau au bruit du canon
de la flote Se de la ville , Se il fut reçu avec toute la magni-
ficence poffible par les Etats de Brabant , Se par le Sénat ac-
compagné des trompettes, Se des autres Officiers de la \11\q
tous montés fuperbement. On lui avoit dreflé un tribunal
avec un lîége d'or , entouré de vingt compagnies d'infante-
rie bourgeoife , Se de quelques compagnies de cavalerie»
Tome FUI, GGgg
6o2 H S I T O I R E
i Lorfqu'il y fut arrivé fuivi de tous les Seigneurs , de îa No-
Henri blefle de des députés des Etats , le Docteur Heflels le ha-
III. rangua au nom de toute l'auemblée. Après avoir remercié
1582. Dieu , de enfuite S. A. il l'aflura que tout le peuple étoit ra-
vi de voir le Prince qu'ils avoient pris pour leur protecteur,
en renonçant pour de bonnes raifons à l'obeïflance de Phi-
lippe. Il ajouta qu'ils étoient tous difpofés à lui rendre les
refpccts qui lui étoient dûs , de à fe foumettre à Tes ordres.
Le Prince répondit d'une manière très-gracieufe à ce com-
pliment, & il remercia les Etats de la manière honorable avec
laquelle ils s'étoient mis fous fa protection , afin qu'il les dé-
livrât de la tyrannie des Efpagnols, de qu'il les gouvernât
félon leurs loix , leurs ufages , leurs privilèges de leurs fran-
chifes 3 il dit que ce n'étoit pas feulement la juftice de leur
caufe qui l'avoir engagé à le charger de cette entreprife ,
quoique ce fut un motif fort puiliant pour lui 5 mais qu'il
avoit été infiniment touché des honneurs qu'ils iui avoient
rendus , Se des marques de zélé &; d'amitié qu'ils lui avoient
données : Qu'il étoit prêt à fon tour de facrifier pour les dé-
fendre ce qu'il avoit de biens , les fecours du Roi fon frère,
ceux de la Reine d'Angleterre , en un mot fon fan g de fa
vie même.
On lut enfuite en Allemand de en François les articles de
ce qu'on appelloit Joyeux avènement» Théodore Liefweld
chancelier de Brabant tenant le livre des Evangiles , les lut,
de le duc les répéta. Après quoi il prêta aux Grands de l'E-
tat , à la Noblefîè , 6c aux villes un fécond ferment , par le-
quel il promettait de fe conduire en Prince équitable, de de,
ne pas gouverner le païs fuivant fon caprice, mais conformé-
ment aux loix de à leurs privilèges.
leciucdAn- On apporta enfuite une longue robe de velours pourpre
J.ou Proc'amé doublée d'hermine, & la couronne ducale ou le diadème. Le
duc de Bra- . l5.~ , \ . , , . t-..
banc prince d Orange lui mit la robe , en priant Dieu que cette
cérémonie tournât au bonheur des peuples , de il dit au Duc:
Voici le manteau de notreP rince ; attachez-le fi bien fur vous,
que perfonne ne puifîè vous l'arracher 3 puis lui ayant mis
la couronne ducale fur la tête, il le proclama duc de Bra-
bant. Après le prince d'Orange , tous les Seigneurs lui prê-
tèrent ferment fuivant la formule que le Chancelier leur
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 603.
di&oit. Après quoi Jean VanderAY^ecke penfionnaire de Ja .
ville adreila la parole au peuple en préfence 6c par ordre du Henri
Magiftrat, &; déclara que le Duc alloit prêter ferment de III.
fidélité à la ville , 6c au Marquifat du faint Empire. On lut 1 <$i,
enfuite le ferment dans la langue du Brabant , 6c le duc le
prêta entre les mains du fieur de Straien Conlul de la ville ;
à l'infbint Straien tira la clef dorée, 6c la mit entre les mains
du Duc, comme une marque de leur obéïfiance. Le Duc
l'ayant prife, la rendit auffitôt à Straien, 6c lui en confia la
garde. Alors un héraut le proclama tout haut duc de Bra-
bant, de Limbourg ôc de Lothier , au fon des trompettes ,
£c aux acclamations de toute la ville. On jetta enfuite de la
monnoye au peuple, parmi laquelle il y avoit des pièces d'or
ôc d'argent, qui avoient d'un côté la tête de François de
Valois , avec le titre de duc de Brabant • £c de l'autre fa de-
vife, qui étoit un foleil qui diffine les nuées , 6c qui ré-
chauffe la terre avec ces mots, fovet & difcutit, il échauffe ôc
il diffipe.
Cette cérémonie étant achevée, le nouveau duc de Bra- Entre'e(ja
banc monca fur un cheval magnifiquement enharnaché , 6c duc d'Anjou
fit fon entrée par la porte Impériale, précédé des Officiers aAnvers«
d^ la milice bourgeoife , des Huifîiers , 6c des trompettes de
la ville , &c des commerçans de diverfes nations, furtout des
Allemans èc des Ançrlois habillés chacun à la manière de
leur païs. Pour les negocians Efpagnols 6c Italiens, il y avoic
quelque cems qu'ils s'écoient retirés pour la plupart. Cette
première troupe étoit fuivie des premiers Officiers de la ville,
des Magiilrats , des trompettes , des Seigneurs , 6c des dé-
putés des Etats. La Nobleiîe de Brabant marchoit enfuite fui-
vie du Chancelier de la province, 6c de Lamoral d'Egmond,
frère du comte d'Egmond qui avoit quitté le fervice des
Etats. Les cardes Suiilès\ <k les feiVncurs François &c An-
glois fermoient la marche. Le gouverneur d'Anvers qui a le
titre de Margrave ou de Marquis , marchoit immédiatement
devant le Prince , la tête nue , 6c le bâton de jiulice à la
main : il avoit à côté de lui le baron de Merode , qui faifoic
îa fon&ion de maréchal de Brabanc. Le Duc marchoic au
milieu de fes gardés François , 6c des compagnies d'Arque-
bufiers 6c d'Arbalétriers de la ville , où il y a plusieurs de
GGggij
6o4 HISTOIRE
. ces fortes de confrairies. Lorfqu'il fut fous la porte , fix Con-
Henri feillers de la ville l'y reçurent avec un dais de drap d'or
III. frifé , fous lequel il commença à marcher 3 &: à quelque pas
1582. de-là il rencontra un char de triomphe, dans lequel étoic
une jeune fille qui repréfen:oit la ville d'Anvers. Il conti-
nua ià marche du coté du Palais , panant de tems en tems
fous des arcs de triomphe qu'on lui avoit élevés avec une
magnificence extraordinaire. Le jour commençant à bailler,
Ja cérémonie s'acheva aux flambeaux , il y en avoit une lî
grande quantité , & dans un li bel ordre , que cette nuk
fut aufîî claire que le plus beau jour.
La pompe étoit fermée par une troupe de trois cens cri-
minels condamnés au fupplice , qui tous attachés à une
longue corde & la tête nue imploroient avec une voix
lamentable la miféricorde du nouveau Prince , 6c lui de-
mandoient leur grâce. Il la leur accorda. Le canon pendant
ce tems-là tiroit fans celle , & ce n'étoit dans toute la ville
que îpe&acles , 6c que cris de Vive le duc de Brabant,
Le vingt-deux de Février, qui étoit un Jeudi, il fe ren-
dit à l'hôtel de ville , 6c s'étant affîs fur un trône qu'on lui
avoit préparé , il prêta ferment entre les mains du Bourg-
meftre , qui à Ion tour fit au Prince le ierment de fidélité
ôc d'obéïfïànce fuivant une formule di&ée par le Penfion-
naire , 6c qu'un Magiftrat la main levée en l'air répétoic
tout haut au peuple , à qui l'on jettoit de l'argent com-
me on avoit fait la veille , 6c toujours au bruit des trom-
pettes. La cérémonie entière fut terminée par un repas très-
magnifique , qu'on avoit préparé à l'hôtel de ville pour le
Duc , 6c pour les feigneurs François 6c Anglois qui l'avoient
fuivi.
Le lendemain les feigneurs Anglois prirent congé de ce
Prince , après lui avoir recommandé, auffi-bien qu'aux Etats,
les intérêts de leur Reinede duc de fon côté leur fit de grands
remercîmens ,. 6c les renvoya comblés d'honneurs.
Le prince d'Orange lui préfenta en particulier les dépu-
tés des Proteftans , qui après les complimens ordinaires lui
recommandèrent leur caufe : ils lui témoignèrent qu'ils ne
doutoient pas , que fous {es aufpices les Provinces affligées
ne jouûTent à l'avenir d'un fort plus heureux , comme elles-
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 605
l'avoient éprouvé autrefois fous les ducs de Bourgogne , ■ M ■'"»
qui étoient comme lui de la maiion de France , la plus il- H en rî
luftre qui fût dans l'univers. Ils le prièrent d'imiter les ver- III.
tus de ces Princes , de prendre lous la prote&ion les lettres j r g u
Ôc ceux qui les en feignent , 6c de les honorer à l'exemple de
François I. ion ayeul ^ parce que c'efb l'honneur qu'on rend
aux arts, qui les fait fleurir , 6c que la gloire efb un puiflànt
motif pour exiter à l'étude. Enfin après lui avoir fbuhaité
toutes fortes de profpérités , ils prièrent Dieu , le Roi des
Rois , 6c le Seigneur des Seigneurs , de lui donner le courage
& la juftice de David , la fageiîe de Salomon , 6c le zèle re-
ligieux d'Ezechias. Le Duc ayant parlé de lui-même avec
beaucoup de modeftie , 6c ayant fait l'éloge de l'union des
Provinces, leur promit d'avoir un foin particulier des Pro^
teftans , de protéger les gens de lettres , 6c de faire tous fes
efforts pour répondre à l'opinion qu'ils avoient de lui , &c
pour gouverner le païs de manière que perfonne n'eût lieu
de fe plaindre. Ils prirent là-deflus congé de lui fort contens
de la parole qu'il leur avoit donnée.
Il ne reitoit plus qu'à contenter les Catholiques , à qui Exercice Je
l'on avoit défendu de s'alîembler , & tout exercice de leur c^Uaw
Religion ^ 6c cela paroiflbit d'autant plus raifonnable , qu'il permis,
faifoit profeiîîon de la^même Religion qu'eux. Il en avoit
déjà parlé au prince d'Orange ^ & comme il étoit l'homme
du monde le plus équitable 6c le plus prudent , il avoit trou-
vé que cette proposition étoit raifonnable , 6c que c'étoit
même un moyen de diminuer la haine que leur avoient at-
tirée les changemens arrivés à cette occafion. On fît donc
une ordonnance qui cafToit celle qui avoit interdit l'exer-
cice de la religion Catholique, & le quinze du mois de Mars
elle fut publiée. Elle donnoit aux Catholiques l'églifè de faint
Michel pour y faire l'Office , & elle permettoit à certain
nombre de Prêtres, qui feroient choifîs par le Duc, d'y al-
ler célébrer , à condition qu'ils renonceroient à l'obéïflance
du roi d'Efpagne , 6c qu'ils prêteroient ferment à S. A. 6c à
la ville d'Anvers , fans quoi la porte de l'Eglife leur feroic
fermée ^ 6c dans la crainte que ibus prétexte de cette per-
miflîon il ne fe gliilat quantité d'étrangers dans la ville , 6c
que ce ne fut une occafion de troubles, l'ordonnance portoic
GGggiij
6oG HISTOIRE
i que ce privilège ne regardoic que les habitans établis dans
Henri la ville au moins depuis trois ans. Elle défendoit aulîi de
III. venir en armes à l'Eglife , 6c fous peine de la vie , 6c de la
1582. confifcation des biens , d'infulter perfonne de paroles 5 ni par
voie de fait à caufe de la Religion , dans les corps-de-garde,
dans les patrouilles, ni en aucun autre endroit.
Comme par cette ordonnance il étoit enjoint aux Catho-
liques de renoncer à l'obéïiîance de Philippe, 6c de prêter
ferment au duc d'Anjou,leurs Députés s'étantailemblésdans
le parvis de l'Eglife qu'on leur avoit accordée, il y en eut
beaucoup qui aimèrent mieux renoncer à l'exercice de leur
Religion, qu'ils avoient fouhaicé avec tant d'ardeur , qu'à
l'obéïflance de leur Roi , foie par amour pour lui , foit par
la crainte des fuites 5 6c il ne venoit guère à cette Eglife que
des femmes. On publia le onze d'Avril une autre ordon-
nance qui condamnoit à deux cens florins d'amende ceux
qui n'obéïroient pas , 6c qui chargeoit les Magistrats de les
y contraindre : mais ce moyen n'ayant pas réufîi , on les ci-
ta tous chacun devant leur juge, de on les condamna à être
bannis , fi dans trois jours ils ne prêtoient pas le ferment
qu'on leur demandoit.
On traita enfuite avec les députés des Etats fur les affaires
publiques, de en premier lieu comment, dans le défordre
où étoient toutes les affaires , 6c fur-tout les finances , on
pourroit fournir par mois les deux cens mille florins promis
au duc d'Anjou ^ fatisfaire aux autres befoins de l'Etat , 6c
remédier fi bien aux maux préfens , qu'on pût réfuter à tous
les efforts des ennemis , 6c établir enfin une paix folide 6c
fûre dans toutes les Provinces : car jufque - là le Brabanc
avoit entretenu les garnifons de Lierre , de Malines , de
Bruxelles, d'Herentals, de Dieu:, de Vilvorde , d'Hocftrate,
de Weflerlo, de Margrit, de Willbroeck, 6c même en partie
celle de Bergopfom. Les Etats de Flandre fè plaignoient aufîi
d'être furchargés : car ils avoient à payer la folde de cent
trente compagnies d'infanterie, de de vingt compagnies de
cavalerie : 6c en payant deux cens mille florins par mois au
duc d'Anjou , il Se chargeoit de toute cette dépenfe : mais
comme la fomme ne fuffifoit pas pour foûtenir la fplendeur
de fon rang 6c de fa dignité , 6c pour payer tant de troupes,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXXV. 607
la guerre ne fe faifoit pas avec autant de vigueur &: de vi- .?
vacité ,qu'il eût été nécefTaire. Henri
La garnifon de Menin furprit en ce tems-là plufieurs per- III.
fonnes confidérables du parti du roi d'Efpagne , mit en dé- 1 * g i,
route auprès de Worcum deux cens chevaux Albanois,&
prit leurs chevaux &c leurs bagages. Le capitaine Brave s'em-
para en même tems de Lens en Artois. Montigny en ayant
eu avis y accourut aufîitôt , êc ayant reconnu la place, il
l'inveftit avec de la cavalerie , croyant que les François
étonnés de fe voir fi-tôt affiégés abandonnèrent ce pofte >
où ils n'étoient pas encore bien affermis : mais il ié trompa,
& l'infanterie qui lui étoit nécefTaire n'étant pas venue aufîi
promptement qu'il l'avoit cfpéré , il fut obligé de fe reti-
rer : nos troupes étant forties de la place le repoufïèrent vi-
goureufement , & le menèrent battant jufqu'aux portes
de Douai. Cependant les affiégés ne fe fentant pas en état
de fe maintenir dans ce pofte mal fortifié firent leur traité
avec les ennemis , qui fe difpofoient à venir les affiéger de
nouveau, &; ils abandonnèrent la place le premier d'Avril.
L'année précédente le Viceroi après la prife de Tournai
avoit diftribué ce qui lui reftoit de milices du païs aux en-
virons de cette place. Ces troupes ne fe contentant pas de •
fe nourrrir pi s délicatement que la difcipline militaire ne
le permet, & d'être par-là fort à charge à leurs hôtes , exi-
geoient encore d'eux de grandes fommes d'argent. On en
avoit fouvent porté des plaintes non-feulement au Viceroi,
mais même aux Etats d'Artois £c de Hainaut. Cela fournit
un prétexte au prince de Parme pour rapeller les troupes
étrangères qu'il avoit renvoyées à la prière des Etats. Il leur
repréienta dans un Confeil où ils furent appelles, combien
cette milice volontaire accoutumée à la licence , &peu foû-
mife aux ordres des Officiers, étoit à charge aux Provinces
par des exadions continuelles qui les ruinoient : Qu'il voyoit
avec douleur qu'au lieu de faire la guerre aux ennemis , ils
ne fongeoient qu'à piller les amis. » Il n'eft pas poffible ,leur
«dit-il , ni d'arrêter leur licence, ni de facisfaire aux juftes
« plaintes des habitans , fans faire revenir des troupes étran-
55 gères qui fçachent obéir à leur Officiers, &; combattre avec
m courage contre les ennemis. Profitez , ajouta - 1 - il , de
SoS HISTOIRE
^uiiiLj^jum— ,3 l'exemple des Provinces-Unies , qui Te défiant de leurs
Henri » forces , ont imploré le fecours des François vos anciens
III. » ennemis : mon avis efl: donc que vous envoyiez inceilàm-
i y 8 i " mène en Efpagne une dépuration de perfonnes d'une ridé-
» lité , & d'une prudence confommée , afin de prendre des
)> mefures avec le R.oi pour aiîurer les fonds de la guerre ,
» & de faire les préparatifs néceflaires pour la continuer avec
» vigueur.
Les Seigneurs &: les Etats ennuyés de la longueur de cette
guerre confentirent fans peine à là propofition, & nommè-
rent pour leur député J. Sarazin abbé de faint Van:. Son ar-
rivée fit d'autant plus de plaiiir à Philippe , que perfonne
dans les commencemensne s'étoit plus déchaîné contre les
Efpagnols que cet Abbé, & qu'il avoit même fait contre
eux un difeours qui a été rendu public. En fe chargeant de
cette dépuration c'étoit avouer fa faute , & en marquer du
repentir. Philippe qui étoit ravi dans fon coeur qïre le Vice-
roi eût ménagé fi habilement l'occafion de faire revenir des
troupes Efpagnoles en Flandre , reçut Sarazin avec de
grandes marques de bonté 3 ayant réfolu de faire partir
fur le champ deux régimens Efpagnols ôc deux Italiens ,
il afiigna pour cette dépenfe un fond de fept cens mille
écus d'or, de pour gagner l'amitié des Seignc-irsdu païs , il
leur accorda des titres illuftres , comme il en avoir accordé
depuis peu au comte de Melun frère du prince d'Epinoi.
On attente à Mais pendant qu'on fe difpofoit à agir à force ouverte ,
prince cTO- on ne négîigeoit pas la voie des embûches. Depuis la pro-
range, feription du prince d'Orange , Jean deYfunca Bifcaïen na-
tif de la ville de Virroria , qui avoit été autrefois Commif-
faire des vivres aux Païs- bas , cherchoit conrinuellement
quelque moyen d'avancer fa fortune. Pendant qu'il étoic
occupé de cette penfée , il apprit que Gafpard Arïaftro fon
compatriote qui faifoit depuis long-tems la banque à An-
vers, étoit fur le point de faire banqueroute. Il crut que
dans le défordre où étoient les affaires, il ne feroit pas dif-
ficile de l'engager à quelque coup hardi. Il y avoit environ
dix mois qu'il lui avoit écrit de Lifbonne, èc il l'avoit de-
puis fait follicirer par fes émifïàires à entreprendre une
chofe qui lui feroit 9 difoit-il, auili honorable qu'utile j qui
tourneroiw
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 609
tourneroit à la gloire de Dieu que le prince d'Orange at- -■■|,?,!5!?!1^'
taquoit par Ton hc éfîe, de à la tranquillité des Païs-bas, Henri
qu'il troubloit par fa révolte. Et pour l'encourager , il lui en- III.
voya un brevet du Roi, qui lui promettait après l'action 1 <8z.
quatre-vingt miile ducats argent comptant , une Comman-
derie de faint Jacque , &: une fortune éclatante. Anaftro
effrayé du péril auquel il s'expoferoit, balança long-tems 5
mais enfin les malheurs augmentant tous les jours , il prend
confeil de fon défefpoir , s'ouvre à fon caifîier nommé Ve-
nero qui étoit de Bilbao 3 de après lui avoir découvert le
mauvais état de fes affaires 3 il lui communiqua la propo-
rtion d'Yfunca. Il fondoit en larmes en lui parlant , de Ve-
nero touché du malheur de fon maître, laiflà au/fi tomber
des larmes. Cependant la propofition lui fit horreur , foie
parla vue du péril , foit par un motif de confeience. Anaftro
voyant que Venero ne s'offroit point à le fervir , lui de-
manda s'il croyoie que Jaureguy fût difpofé à entreprendre
un coup pareil. Ce Jaureguy qui fervoit à la banque , étoit
un jeune homme d'environ vingt ans d'un caractère fombre
de opiniâtre 3 ce qui faifoit juger à fon maître que s'il fe
déterminoit une fois , il ne reculeroit pas. Venero lui en fit
un fcrupule , de lui demanda fî en confeience il pouvoit ex-
pofer un jeune étourdi à une mort certaine? Mais Anaftro
îoûtint que le prince d'Orange ayant été déclaré criminel
de léze-Majefté , de proferit par le Prince, qui a droit de
fuppléer à la loi 3 il étoit permis à tout le monde de le tuer,
comme un homme juftement condamné : Qu'il avoit con-
fulté les Théologiens d'Efpagne, de qu'ils lui avoient répon-
du qu'il n'y avoit point de difficulté 3 qu'ainfi il ne lui reftoic
aucun fcrupule fur cet article. Aiiffitôt- ayant renvoyé Ve-
nero , il fait venir Jaureguy , de jettant un grand foupir à
fon abord : >? Si je ne connoiiîbis , dit-il , votre fidélité , votre
» confiance , de votre piété fïncére 3 je ne m'adrefferois pas
» à vous dans l'état malheureux où font les affaires publi-
" ques de les miennes. Vous voyez encore mes yeux tout
» rouges , de baignés de pleurs , de je crois que vous n'en
5s ignorez pas la caufe : car je remarque depuis long-tems
5> que vous êtes fenfible aux outrages que l'on fait à notre
v Souverain, de que quoique vous fbyez né en Efpagne au/îî
Tome FUI. H H h h
éio HISTOIRE
■l, » bien que moi , vous ne laiflez pas d'être touché des maux
Henri » de ces Provinces , qui font à notre égard comme une fecon-
III. " de patrie. J'ai vu d'ailleurs que vous plaigniez fincérement
1*82. " mon ^ort y & clue vous étiez touché de me voir réduit à
'5 un état fi malheureux par la faute ôc par le malheur d'au-
« trui. Il y a long-rems que je cherche quelque moyen de me
55 rirer de l'abîme où je fuis : mais enfin voici une occafion
55 que m'offre la Providence : Vous pouvez fi vous avez du
55 courage , délivrer votre Roi , votre patrie & votre maître.
53 Considérez qui eft la caufe &: l'auteur de tous nos maux :
53 c'eft fans doute le prince d'Orange , qui après avoir violé
53 la foi qu'il devoit à Dieu , vient de renoncer hautement
35 à celle qu'il avoit jurée à fon Roi. Quoique proferit , com-
53 me il le méritoit , il a eu Tinfolence de publier un écrit
35 injurieux , où il ofe attaquer le nom êclamajefté de fon
53 Prince : ôc pour comble d'arrenrar , après avoir fafeiné les
33 efprirs par fès manières populaires , il vienr de donner aux
33 habitans du pays un Prince étranger pour Souverain. No-
55 tre Roi l'a donc juftemenr condamné à morr. C'eft de cet
33 homme qu'il faur nous défaire, fi nous voulons nousac-
33 quitter de ce que nous devons à Dieu , au Roi & à la parrie.
33 Le Roi promer de grandes récompenfes , mais j'en fuis
53 moins touché , quoiqu'elles puilfent être utiles pour mes af-
53 faires &; pour les vôtres , que du devoir que notre confeien-
33 ce nous impofe ^ il me femble qu'elle nous reproche notre
33 lâcheté, difons plus, notre perfidie, fi nous laifTons vivre
33 plus long-tems un ryran , ennemi de Dieu & des hommes,
3p &: qui eft né pour le malheur & pour la ruine des ces
33 Provinces.
En parlant ainfi il fondoit en larmes ; & jugeant à la
mine du jeune homme, & à fon regard fixe , qu'il entroit
dans [es vues , il fe jetta à fon col , & l'embrafla étroite-
ment. Jaureguy auflitôt lui répondit avec un air intrépi-
de : '3 Je fuis tout prêt , me voilà affermi dans un deiTein
33 que je méditois depuis long-rems : je méprife le péril &
33 les conditions -, je n'en veux aucune , & je fuis réfolu à mou-
35 rir. Voyez feulement de quelle arme je dois me fervir:
33 comme je n'ai pas l'ufage des armes à feu , je ferai plus fur
» avec le fer. Je ne vous demande qu'une grâce , c'eft de
DE J. A. DE TKOU, Liv. LXXV. Cn
» prier Dieu pour moi , de d'obtenir du Roi qu'il faflè du ■"■■■■■■«M—
îî bien à mon père , de qu'il ne laifïe pas mourir ce vieillard Henri
» dans la mifére. Je loue votre réfolution de votre fermeté , III.
« interrompit Arïaitro j mais il faut que vous ayez une meil- Mg2
n leure idée du fuccès : j'efpére que vous vivrez , de que vous
» jouirez de la gloire qu'une fi belle action vous promet.
» Comptez fur l'efficacité des prières de des vœux dont je
» vais vous montrer des copies.
Aufîitot il remplit fes tablettes d'enchantemens de de
billets fuperftitieux , conçus en forme de prières -y mais fur-
tout il y glifïè un écrit , fur lequel il comptoit beaucoup plus ,
que fur les prétendus fecrets de la magie , de il eut loin de
le difpofer de manière qu'on ne pouvoit s'empêcher de le
lire dès qu'on tenoit les tablettes. Par cet écrit, on promet-
toit au nom du Roi , que fi le Magiflrat de quelque ville que
ce fût , traitoit bien celui qui auroit tué le prince d'Orange ,
cette ville obtiendroit du Roi toutes les grâces qu'elle vou-
droit demander. Anaftro qui craignoit quelque remord de
la part de ce jeune furieux , dès qu'il feroit de fang froid ,
étoit bien ai fe de lui faire efpérer l'impunité. Cette rufe lui
réiiffit, de Jaureguy perfiftant dans fa réfolution , entreprit
de l'exécuter un Dimanche i 8. de Mars.
Anaftro étoit forti de la ville le Mardi d'auparavant :
ayant pafTé à Bruges , à Dunkerque de à Graveline , il s'étoit
rendu à Tournai. Le jour que Jaureguy avoit pris étant
arrivé , il fe confefTa à un Dominicain, nommé Antoine Ti-
merman, qui avoit coutume de dire la Mefîe en fecret dans
la maifon d'Anaftro, de de faire des conférences de piété
pour lui 6c fes domeftiques. A la fin de fa confefîion , ce force-
né ajouta , qu'il avoit réfolu de tuer le prince d'Orange , pour
délivrer les Païs-bas de la tyrannie de de l'héréfie. Timerman
approuva ce defTein , pourvu que ce ne fut point l'avarice qui
conduisît fa main miais lagloiredcDieu,leferviceduRoi de le
bien de fâ patrie. A cette condition il fut abfous de Ces péchés,
&e après la Méfie il reçut l'Euchariitie. Jaureguy ditenfuite
a Venero qu'il alloit exécuter fon projet. Il but un coup d'un
vin étranger , de fe rendit à la citadelle , où logeoit le prince
d'Orange , qui après avoir affilié au prêche du matin , venoit
de fe mettre à table avec fes enfans, les comtes de Laval de
H H h h ij
ttrï HISTOIRE
se. de Hohenlo , Jean de NaiTau , Goufîer de Bonnîvec , Sor-
ti £ n r i biers fîeur des Pruneaux , & quelques autres. Lorfqu'on fut
III. iorti de table , le Prince s'en alloic dans fa chambre au milieu
1582. de toute fa compagnie, lorfque Jaureguy qui s'étoit gliifé
parmi la foule , lui tira un coup de piftolet j c'étoit l'arme
qu'il avoit choiiîe. La baie entra par delfous l'oreille droite ,
paflà par le palais fous la mâchoire fupérieure , & fortit par
la joué" gauche. Le Prince fut étourdi du coup,& il a dit depuis
qu'il avoit crû que c'étoit un des appartenons de la maifon
qui tomboit. Un moment après il lui prit une foiblefle , &il
feroit tombé fî on ne l'avoit foutenu. Lorfque revenu à lui-
même , il entendit le murmure de ceux qui étoient autour de
lui , & qu'il vit du feu à fes cheveux , il foupçonna ce que
c'étoit , Se pria qu'on ne tuât point l'arTa/Tin 3 ajoutant qu'il
lui pardonnoit de tout fon cœur. Mais tous ces Gentilshom-
mes qui étoient dans la chambre n'ayant pas été maîtres du
premier mouvement , l'avoient percé de pluileurs coups 3 &;
les Gardes du Corps l'avoient achevé. Dans le tems qu'on
menoit le Prince dans fa chambre , il jetta les yeux fur la
Nobleiîe Françoife qui l'accompagnoit , & on l'entendit re-
péter plufîeurs fois : »j Le duc de Brabant perd un bon fer-
» viteur. «
Le bruit de cet afîaiîînat s'étant auiïitôt répandu dans la
ville, y caufa de grands troubles 3 peu s'en fallut même qu'il
n'y eût une fédition : le peuple couroit de tous côtés dans
les rues , ôc demandoit des armes , comme fi l'ennemi eût été
dans la place. On tendit les chaînes 3 les milices Bourgeoifes
fe rendirent à leurs poftes fous leurs Commandans , & ce fut
ce qui appaifa le tumulte qui commençoit. Il fut en quelque
forte plus grand dans la maifon du Prince : on publioit parmi
ces efprits légers & crédules, que les François & les Gardes
mêmes avoient eu connoiiîance du complot, & que s'ils
avoient tué le meurtrier , ce n'étoit pas par un mouvement
de colère , mais de fang froid , pour empêcher qu'il ne dé-
couvrît le véritable auteur du crime : &. fur cette imagination
les domeftiques du prince d'Orange craignoient que ce qui
avoit été manqué par un des conjurés , ne fût achevé par les
autres. Ainfî la première attention que l'on eut, fut de met-
tre à la porte de la maifon, des Gardes dont on fût afiurér
DE J. A. £>E THOU,Liv. LXXV. 613
Hohenlo fe chargea de ce foin et fit fortir toute la foule inu- ■
tile , ceux-là fur-tout dont on avoit quelque défiance. Henri
LeducdeBrabantétoitîogé,au couvent de Saint Michel, III.
où il fe difpofoit à célébrer le jour de fa naifîànce. On avoit 1582»
préparé à cet effet des courfes , des caroufels , des tournois ,
èc un bal pour le foir. Mais dès qu'il eut appris cet accident,
il en fut extrêmement confterné, & il craignit qu'on ne le
foupçonnât , comme le bruit en couroit déjà. Ainii il fit cefTer
tous les préparatifs de la fête , & il envoya au prince d'Oran-
ge des perfonnes de confiance. Ce Prince perfuadé qu'il étoit
blefTé à mort , déploroit le malheur des Provinces-Unies , &
du duc de Brabant même , qui alloit avoir de terribles diffi-
cultés à furmonter.
Pendant ce tems-là Maurice de Naffaufils du Prince blef-
le , de d'Anne de Saxe fille de l'Electeur de Saxe , morte de-
puis peu , qui n'étoit encore qu'un enfant , mais qui avoit
déjà une prudence au-deflus de fon âge , fouilla avec foin le
meurtrier de fon père , ôc trouva d'abord un piilolet , puis
quelques papiers , un paquet de lettres, & des tablettes,
011 l'on trouva ces vœux éc ces enchantemens fuperftiticux
fur la foi defquels Jaureguy trompé par Anaffcro s'étoit fla-
té , qu'il s'échaperoit après qu'il auroit tué le Prince. On
publia toutes ces pièces , & comme elles étoient en Efpa-
gnol , les François furent pleinement juft-ifiés. Sainte Al-
degonde fut, pour ainfi dire, le médiateur de leur juitifica-
tion , & il fe donna de grands mouvemens pour éclaircir cette
affaire.
La tranquillité étant rétablie dans la maifon du Prince,
il ne fut plus queftion que d'approfondir le fait. Pour cela
on mit le corps du meurtrier debout, fur un échaffaut qu'on
drefïa dans la place publique, afin que tout le monde pût le
voir. Dès qu'on fut allure que c'étoit un des domefliques
d'Anaflro , on courut à la maifon , & on arrêta Venero , qui
y étoit demeuré en attendant le fuccès de l'entreprife. On
prit aurli Timerman , parce qu'on fçut qu'il fréquentoit cette
maifon, & que ce jour-là même il y avoit dit la Meffe. Venero
nia d'abord qu'il içût rien ^ mais ayant été convaincu par des
lettres qu'Anaftro lui écrivoit de Bruges, il avoua tout. Ti-
merman chargé par fa dépofition avoua qu'il avoit penié
HHhh iij
6i4 HISTOIRE
d'abord, que depuis la profcription du prince d'Orange, il
Henri étoic permis en confcience à tout le monde de le tuer ^ mais
III. qu'ayant depuis examiné la chofe avec plus d'attention , il
1582. reconnoifToit que c'étoit une erreur, 6c qu'il en demandoit
pardon au Sénat ; 6c il fouhaita que cette déclaration fût
ajoutée à fa confelfion , 6c qu'on ne publiât point la première
fans la féconde. Il fut condamné à mort aufli-bien que Ve-
nero. Le prince d'Orange avoit demandé que fioniescon-
damnoit à mort , on la leur fît fubir la plus douce qu'il fe
pourroit : ainfî on les étrangla fur l'échafaut , puis on coupa
leurs corps en quatre quartiers, 6c on planta leurs têtes 6C
ces quartiers aux portes de la ville 6c furies boulevards. On
les en ôta quatre ans après par le confeil de quelques Catho-
liques , lorfque la ville fut retournée à l'obéïiTance du roi
d'Efpagne : 6c alors après leur avoir rendu publiquement un
culte religieux , on les inhuma.
Le prince d'Orange qui étoit robufte , Se d'un bon tempé-
rament, parut au commencement reprendre fes forces. Les
veines coupées par la baie avoient été relTërrées par le feu
qu'on y avoit mis , 6c il s'étoit formé une efpéce de cicatrice
qui avoit arrêté le fang. Mais le dixième jour , la croûte
tomba , 6c le fang recommença à fortir avec tant d'abon-
dance , qu'on défeipéra de pouvoir l'arrêter. Enfin tous les re-
mèdes ordinaires ayant été inutilement employés , Léonard
Botal de la ville d'An: ( 1 ) , Médecin du duc de Brabant , con-
feilla de boucher la playe avec le pouce , 6c de faire fuccéder
continuellement des hommes les uns aux autres pour la fer-
mer de cette manière. On le fit ; on arrêta par ce moyen le
fang qui avoit réfifté à tous les autres remèdes -y la playe fe
ferma au bout de quelques jours contre Pefpérance de tout le
monde 5 le Prince recouvra la fanté , 6c le fécond jour de Mai ,
il alla au Temple pour rendre grâces à Dieu. Depuis cet ac-
cident, la confternarion générale avoit été Ci grande, qu'on
eût dit qu'ils avoient perdu le Père de la patrie 6c leur Libé-
rateur. On fit des prières publiques , 6c on ordonna plufieurs
jeûnes pour obtenir fa guérifon. Catherine de NalTau fa feeur,
femme du comte Schwartzembourg, ne l'abandonna point, 6c
lui rendit tous les fervices dont elle étoit capable. Charlotte
(j) Ville de Piémont à cinq licuës de Turin.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 61 5
de Bourbon - Monpenfîer fa femme , avoic été extrême- - ' -
ment frappée de ce malheur imprévu : 6c la douleur oc les Henri
veilles fe joignant à la frayeur , elle tomba dans une grande III.
maladie, dont elle mourut le 5. de Mai, très- regrettée de 1582.
tout le monde , 6c principalement de fon mari , qu'elle ai-
moit tendrement. On la porta quatre jours après à la Cathé-
drale avec une pompe magnifique, où il fe trouva plus de
douze cens perfonnes en deuil , 6c elle y fut inhumée dans
la Chapelle de la circonciiion.
Aîïaftro s'étoit rendu à Tournai auprès du prince de Par-
me , 6c l'avoit allure , au premier bruit de l'aiîaiîinat du prin-
ce d'Orange, que fa blelTure étoit mortelle. Le Viceroi à
fon inftigation écrivit le 2 5. de Mars aux villes d'Anvers , de
Gand, de Bruges, d'Ipres, 6c à quelques autres, pour les
porter à fe réunir 6c à fe foûmettre au roi d'Efpagne, delà
clémence duquel il leur répondoit : Que le prince d'Oran-
ge, l'auteur de tous les troubles, étant mort, il n'y avoit
plus de difficulté à prendre ce parti. Anaflro de fon côté
écrivit le même jour à Denis 6c Laurent de Meurs qui étoient
à Gand. Mais comme les Etats eurent foin en même tems
d'informer toutes les villes , que la playe du prince d'Orange
alloit bien , rien ne branla ; au contraire les peuples irrités
de la noirceur de cet attentat , 6c d'un exemple 11 pernicieux ,
fe préparèrent à la guerre avec plus d'ardeur que jamais.
Les François commencèrent par une tentative fur Namur,
où étoit Marguerite d'Autriche duchefîè de Parme mère
du Viceroi. On s'étoit flaté qu'on s'emparerok facilement
de la place en l'abfence de Gille comte de Barlaymont , qui
en étoit Gouverneur. Dans cette idée on prépara des échel-
les pliantes , teintes en noir, afin qu'on les vît moins j mais
les Chefs de Pentreprife n'étant pas d'accord, 6c le Viceroi
ayant beaucoup de cavalerie de ce côté-là, on jugea Pentre-
prife fi périlleufe , qu'on fe retira fans rien faire.
Le Viceroi de fon côté, informé que Montigny avoit re-
pris Lens fur les François , entra en Flandre avec ion armée,
faifant mine d'en vouloir à Menin 3 mais il tomba tout d'un
coup fur Oudenarde , petite ville fur l'Efcaut, allez forte
par fon afliéte. Les habitans prétendent qu'on Pappelloit
autrefois Nervie , 6c que c'eft-là qu'habitoient les anciens-
'GiS HISTOIRE
Nerviens. Frideric de Borgt commandoit dans la place , de-'
Henri puis que les habitans avoient challé Maniàrd , qui vouloit y
III. faire entrer des troupes. Le Viceroi avoit fait dreifer une
i î 8 2 . batterie de gros canon , qui battit la place rudement ; 6c com-
me la garnifon 6c les habitans ne fe fentoient pas allez forts
pour foûtenir un afïaut , ils lâchèrent les éciufes & noyèrent
le païs. Mais le Viceroi qui entendoit bien la guerre , avoit
fortifié fon camp de manière , qu'il avoit laiflè un chemin
libre pour fes convois, qu'il tiroît de Tournai ; en forte que
l'inondation ne caufoit aucune incommodité à fon armée ,
6c qu'elle fermoit au contraire le chemin aux fecours qu'on
pourroit envoyer à la ville : car les EfpagnoLs avec des bateaux
plats fe promenoient fur l'inondation, 6c par des attaques con-
tinuelles fatiguoient extrêmement les affiégés, quife défendi-
rent d'abord allez bien. Il y eut une action très-vive au baftion
de la porte , où les deux partis perdirent beaucoup de monde.
Bernoeille d'Anvers y fut tué du côté des habitans. Cette perte
abattit entièrement leur courage,déja refroidi par les veilles 6c
les travaux continuels. Et la divifion étant furvenuë entr'eux,
comme ils virent qu'il n'y avoit point de fecours à attendre ,
ou du moins qu'il ne viendroit de long-tems , ils firent leur
traité à condition que la garnifon compofée à peine de cin-
quante hommes ( car ils n'en avoient pas voulu recevoir da-
vantage ) fortiroit avec {çs armes 6c ^es drapeaux , & que la '
ville payeroit trente- lîx mille florins. On donna aux Protef.
tans un an pour fe déterminer , ou à fe faire Catholiques , ou
à fortir de la ville. La prife du château de Gaure iuivit de
près celle d'Oudenarde.
Pendant que le Viceroi étoit dans fon camp , Se que le duc
de Brabant n'étoit pas allez fort pour l'y attaquer, on fit quel-
ques tentatives fur diverfes places ; 6c tandis que le comte de
Rochepot marchoit à Courtrai , les troupes d'Anvers pri-
rent la route d'Arfchot, afin d'obliger les ennemis à parta-
ger leurs forces , en voulant fecourir ces places.
Cependant Tiant gouverneur de Ninove , le (leur de Tem-
pel gouverneur de Bruxelles, 6t la Garde colonel d'infante-
rie , ayant fait un corps des garnifons voiflnes, fe rendirent
le i 3 . d'Avril devant Aloft fur les dix heures du foir. Le fieur
de Mouqueron y commandoit en chef, 6c fous lui Liede Kerke
avec
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 617
avec quelques foldats. Celui-ci réveillé par le bruit, crie î
aux armes. Auffitôt les habitans courent en foule à l'endroit Henri
le pius foible. Nos troupes qui l'avoient prévu, firent leur III.
attaque du côré de la porte de Bruxelles, qui étoit l'en- 1582.
droit le mieux fortifié y &c s'en étant approchées avec des
charretes 6c des planches , elles plantèrent leurs échelles
dans le fofïe. La plupart , pour y arriver, fe mirent dans
l'eau jufqu'aux ailîèlles , portant dans leurs bouches leurs
arquebufes , leurs mèches & leur poudre , de peur que l'eau
ne les mît hors d'état de fervir ^ 6c tenant l'épée nuë delà
main droite, ils montèrent ainfi fur la muraille. Un foldat
fort brave , nommé le Roi , qui monta le premier fut renver-
fé d'un coup d'arquebufe , fans que les autres en fuflent inti-
midés. Il y en eut environ deux cens qui franchirent la mu-
raille , 2>c qui commencèrent par tuer tous ceux qui étoient
de garde ; après quoi ils firent battre quantité de tambours
qu'ils avoient apportés avec eux , afin de jetter la terreur
dans toute la ville. Les habitans accourant au bruit tirè-
rent deux coups de canon fur les afTaillans • mais fans beau-
coup d'effet. Nos troupes trouvèrent beaucoup plus de
réfîitance dans la place , où elles furent repoufïees jufqu'à
deux fois : mais les Officiers s'étant mis à leur tête , ils rirent
une troifiéme charge, repouilerent les habitans de la porte
de Bruxelles 6c la rompirent. Auffitôt la cavalerie Françoife
étant entrée , la garnifon compofée de cent dix foldats 6c
la Bourgeoilie armée , fe retirèrent vers l'Hôtel de ville : il y
en eut environ deux cens de tués dans les rues, entre lefl
quels on trouva dix-fept Prêtres. Le refte fe fauva à la fa-
veur des ténèbres 6c fauta par-defliis les murs. Enfin après
une demi heure de combat à coups d'arquebufes , la ville fe
rendit. Mouqueron 6c Aloy abbé de Ninove furent faits prL
fonniers. L'Abbé donna quatre mille florins pour fa rançon ,
6c pour celle de quelques Religieux de fon Abbaye. Nous y
perdîmes vingt -cinq hommes. Le Duc mit dans la place
Tiant de Merode avec une garnifon Françoife. Les Efpa-
gnols fe dédommagèrent de cette perte par la prife du fort
de Gaefbeck. Pour yréiiffir , quelques-unes de leurs compa-
gnies eurent recours à un combat limulé:6cen s'entrecho-
cruant elles arrivèrent jufque fous les murs de la citadelle.
Tome VIII. 1 1 i i
€i% HISTOIRE
Ceux qui fuyoient fe difant chargés du butin de la ville d'A-
Henri loffc qu'ils venoient de piller , prièrent inftamment qu'on leur
III. ouvrît les portes , de la garnifon fut arTez crédule pour les
1582, laifTer entrer dans la place , dont ils furent bientôt les
maîtres.
Quelque teins après , vers le commencement du mois de
Mai , les habirans de Dieft de d'Herentals pillèrent Tille-
mont. La garnifon fut fi effrayée , qu'au lieu de défendre la
ville, elle alla s'enfermer dans un Monaftére entouré de pa-
lifTades , où elle demeura fans faire aucun mouvement , juf-
qu'à ce que les ennemis fe fuflent retirés avec leur butin.
Vers ce même tems, Charle Mansfeld , qui avoit depuis
peu quitté le fervice des Etats pour s'attacher au roi d'Efpa-
gne , arriva à Dunkerque avec quinze cens chevaux Alle-
mans , de quelques compagnies Françoifes , qui avoient été
levées fur la frontière par des Officiers du parti des Guifes ,
mais pourtant avec une permiffion tacite du Roi , qui étoit
bien aife qu'on crût qu'il n'approuvoit pas entièrement l'en-
treprife du duc d'Anjou. Rochepot envoya contre lui un
détachement auquel il joignit les troupes deftinées pour faire
lever le fiége d'Oudenarde. Le Viceroi qui venoit de s'en
rendre maître , ayant eu avis de cette démarche, va en di-
ligence de ce côté-là , &; fe campe le premier d'Août fous
Berg-Saint-Vinox , fort près de Dunkerque. Les François y
campèrent aufîî , de fe retranchèrent en forte que les deux ar-
mées n'étoient féparées que par un ruifTeau. Rochepot qui
ctoit malade à Berg , fe rit porter fur le rempart , d'où ayant
confîdéré la fituation du camp des ennemis , il fit fortir le
troifléme d'Août deux mille cinq cens arquebufiers choifis ,
& donna ordre aux autres de demeurer dans leur camp. Les
ennemis qui étoient fupérieurs , s'étoient déjà emparés des
fofTés de des hayes 3 en forte qu'ils paroidbient avoir un grand
avantage fur nos troupes : mais nos arquebufiers les chargè-
rent avec tant de vigueur, qu'ils leur enlevèrent tout ce
qu'ils avoient pris. A l'inftant le baron de Balenfon s'avança
par ordre du Viceroi avec fa cavalerie légère de quelques
arquebufiers pour repouffer nos gens -y mais il fut reçu vigoo-
reufement par un corps de piquiers Anglois , qui le rirent
prifonnier avec fonEnfeigne. Enfin après un combat long &
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 619
opiniâtre , on fè retira de part Se d'autre fans que la victoire ■ ■
fe fut déclarée : mais la perte des ennemis fut beaucoup plus Henri
grande que la nôtre. III.
La veille de ce combat , Lierre petite ville , mais bien for- 1 c 8 1.
tifîée , qui n'eft qu'à une bonne lieuë d'Anvers , fut furprife rtïçe dc
très-adroitement par les Eipagnols. Un des Confeiliers du Lierre par les
Sénat d'Anvers y commancloit avec une garnifon compofée ErPaSaoIs-
de plufïeurs compagnies d'infanterie , &: entr'autres d'une
compagnie Ecofïbife, commandée par Guillaume Semple.
Cet Officier voulant fe venger d'une injuffcice que les Etats
lui avoient faite , comme il l'a publié depuis pour exeufer fa
trahifon , traita fecretement avec le Viceroi pour lui livrer
la place. Eetveldt , homme fimple ôc crédule , & qui n'avoic
aucune défiance de Semple, étant un jour à boire avec lui,
cet Ecofïbis lui demande la permiflion d'eflayer défaire quel-
ques prifonniers fur les ennemis pour ravoir par échange un
de [es foldats qu'ils ne vouloient point lui rendre , quelque
fomme d'argent qu'on leur offrît. Eetveldt y confent. Sem-
ple fait part de fon defïèin à ion frère qu'il laiflbit dans Lier-
re : &; il fort aufïîtôt par la porte de Louvain avec vingt
hommes de fa compagnie &c fept autres foldats &; un tam-
bour qu'Eetveldt y joignit. A trois quarts de lieues de Lier-
re , il fait entrer ion détachement dans l'Eglife d'un village ,
& leur dit de fe repofer. La trahifon commença à fe découvrir
en cet endroit : car les Ecofïbis lièrent brutalement par ordre
de Semple les huit hommes qu'Eetveldt lui avoit donnés : &
un moment après , Claude de Barlaymont de Haultepenne
arriva avec un détachement de foldats choifis tirés des gar-
nifons voifines , & il fè mêla avec ces Ecofïbis , qui prirent le
chemin de Lierre , comme des gens qui reviennent d'une
courfe , avant au milieu d'eux les foldats d'Eetveldt enchaî-
nés. Les autres Ecofïbis qui étoient reftés dans la ville avec
le frère de Semple , fon Lieutenant Se fon Enfeigne , & deux
compagnies deftinées à faire la garde pendant la nuit , fè
rafîèmblérent tous avant trois heures du matin fur l'efpla-
nade. Dans le même tems Semple fe préfenta à la porte avec
fes Ecofïbis & les foldats que Haultepenne lui avoit amenés ,
& demanda qu'on le fit entrer. A l'inffcant fon frère coure à
l'Hôtel de ville, demande que le Capitaine des patrouilles
Ilii ij
Sio HISTOIRE
! apporte les clefs , & qu'on fafïè entrer Semple &c Tes foldats ,.
Hen ri qui reviennent chargés de butin. C'étoit Corneille Criec-
III. kaert qui corfrftiandoit la patrouille cette nuit-là : il fut d'à-
i f8i. v*s clu'on fît entrer Semple, & il s'achemina vers la porte
avec fa garde. Il y avoit quatre guichets à palier avant que
d'arriver à la porte : à mefure qu'ils les paiîbient , ceux qui
reftoient dans la ville , les fermoient après eux , &c y met-
toient les barres. Dès que Crieckaert eut fait entrer Semple
fur le rempart, le traître qui fçavoit bien que les guichets
étoient fermés derrière eux , donne un coup d'épée au por-
tier qui avoit fuivi Crieckaert , èc blefîe Crieckaert lui-
même. Dans cette confuiion , un de ces huit foldats dont
j'ai parlé , nommé Antoine Grey , fe débarraffe de fes liens,
6c étant couru à la tour de Fralman y donne Pallarme. Ce
fut alors que les EcofTois de la ville, qui n'avoient point bran-
lé jufque-là, fe déclarèrent ^ car étant accourus en cet en-
droit , &; ayant arraché ies clefs aux habitans , ils rompirent
les portes avec des inflrumens qu'ils avoient préparés , &
firent entrer les ennemis , qui s'avancèrent d'abord fans bruit :
mais dès qu'ils eurent pailé ce qu'on appelle le Haut-pont ,
le tumulte commença. Un bourgeois nommé Adrien Bui-
ten , ne doutant point de la trahifon , mit l'épée à la main , de
il fut blefîe par Semple. Auffitôt les trompettes commen-
cent à fonner, Barlaymont arrive, & les ennemis s'empa-
rent des places , de peur que les habitans ne s'y raiTemblent,
La garnifon & la bourgeoifle fe difperfent • plufîeurs fautent
par-deflus les murs , èc patient les foffés à la nage. Pendant ce
tems-là, les ennemis pillèrent la ville, & traitèrent avec la
dernière cruauté les femmes & les enfans , en tuèrent plus de
deux cens , &: n'épargérent pas même les Religieufes , ni
l'Abbeilè.
Après cette indigne a&ion , Semple alla trouver le Viceroï
à Namur , qui l'envoya auffitôt au roi d'Efpagne avec des
lettres de recommandation , pour lui procurer la récompen-
fe de fa trahifon , ou du moins pour le mettre à couvert du
reiTentiment de ceux qu'il avoit trahis.
Le peuple d'Anvers conflerné de la prife de Lierre , rafa
fur le champ une magnifique Abbaye de S. Bernard , qui
étoit dans le voifinage , crainte que les ennemis ne s'en
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 6n
emparafTent : 6c l'on fit dans la ville des levées de cavalerie 6c — ?
d'infanterie pour le mettre en état de défenfe. Henri
Jufqu'ici le nouveau duc de Brabant n'avoit prefque pris III.
aucune réfolution pour tout ce qui regardoit les affaires pu- 1582.
bliques, que de l'avis du prince d'Orange 6c des Seigneurs 5
il avoit fait des loix pour éviter les fraudes 6c les impoftures
à l'égard des prifonniers , 6c il avoit interdit toute forte de
communication avec les ennemis. Après avoir fait ces régie -
mens , il fe difpofa à partir pour la Flandre , afin d'aller
prendre poiTeflion de cette province , la plus confidérable des
Païs-bas. Il fortit d'Anvers le 14. de Juillet accompagné du
prince d'Orange , du prince d'Epinoi , 6c de tous les Officiers
de fà Cour, èc s'étant rendu d'abord à FleiTingue, il arriva
deux jours après à l'Eclufe. Le lendemain fur le loir il fit fon
entrée à Bruges, où on lui avoit élevé quantité d'arcs de
triomphe avec une magnificence extraordinaire. Il pafïa en-
tre des hayes de foldats qui bordoient les rues, & au milieu
d'une quantité prodigieufè de flambeaux , dont toute la
ville étoit illuminée, & il fut proclamé comte de Flandre ,
aux acclamations d'un peuple innombrable.
Ce fut alors qu'on découvrit par hazard la conjuration Conjuration
de Salzede fleur d'Auvillars , la plus importante 6c la plus de salzede.
terrible qui ait jamais été. Mais par un aveuglement fatal ,.
Henri III. uniquement occupé de ihs Favoris , n'y fit pas l'at-
tention qu'il devoit , dans la penfée qu'elle ne regardoit que
le duc d'Anjou 6c (es partifans. Elle envelopa bientôt néan-
moins le Roi 6c tout le Royaume , & les jetta dans une guerre
de dix ans , qui a mis l'Etat à deux doigts de fa perte. Ce
Nicolas Salzede étoit fils de Pierre Salzede Efpagnol , qui
étant Gouverneur de Vie 6c de Marfal au pais Meifin, avoit
excité dix-fept ans auparavant la guerre Cardinale , 6c qui
pour cette raifon avoit été tué au mafïàcre de Paris , comme
nous l'avons dit en fon lieu. Mais en même temsil étoit allié
du duc de Mercœur (i) , parce que fa mère 6c la mère de
Marie de Luxembourg femme du Duc , étoient toutes deux
de la maifon de Beaucaire Peguillon. Cette alliance avoit
fait oublier à Nicolas le refîentiment du meurtre de fon
père j en forte qu'il étoit en fecret attaché aux princes
(0 Philippe Emmanuel de Lorraine,
Un nj
6n HISTOIRE
» . l'i Lorrains, qui de leur côté ne laiflbient échaper aucune occa-
Henri fîon de le gagner à force de bienfaits. Us le connoiiïbienc
III. déterminé aux plus grands attentats , èc ils avoient beloin
1582. d'un homme de ce caractère. Il avoit été accufé depuis peu
de «fauHe monnoye, &: comme il refufa de comparoître , il
fut condamné à Rotien par contumace : mais le Roi , qui
étoit le Prince du monde le plus indulgent, lui accorda fa
* charle. grâce à la prière du duc de Lorraine *. C'étoit une nouvelle
obligation pour lui de ne rien refufer ni aux ordres , ni aux
prières des Princes de cette maiion.
Après la mort de Jean d'Autriche , le roi d'Efpagne qui
n'étoit pas fâché d'être débarrafTé de ce Prince , ordonna
qu'on fît une recherche exa&e de tous fes papiers , & qu'on
les lui envoyât , parce qu'il avoit eu des foupçons , qu'il étoit
bien aife d'approfondir. Il trouva en les examinant , qu'il
avoit fait une ligue avec Henri duc de Guife, qui étoit re-
gardé en France comme le Chef de cette maifon , quoique
le duc de Mercœur fut de la branche aînée. Si Jean d'Autri-
che eût vécu , cette ligue étoit également pernicieufe à la
France &; à l'Efpagne : mais comme il n'étoit plus , Philippe
jugea qu'elle pouvoit déformais être auffi avantageufe à l'Efl
pagne , que funeffce à la France -, c'eft ce qui porta ce Prince
à la renouveller fecretement , & à condition de fournir au
duc de Guife cinquante mille écus d'or par an.
On coloroit cette Ligue du prétexte de la Religion , qui
s'afFoibliiloit tous les jours par la moleiïè du Roi , unique-
ment occupé de fes plaifirs , de par la facilité avec laquelle il
toleroic deux Religions dans fes Etats: d'où il arrivoit que
l'héréfie prenoit de nouvelles forces $ & il étoità craindre y
difoit Philippe, qu'elle ne gagnât enfin l'Italie & l'Efpagne,
comme elle avoit fait les Païs-bas. Ainfi il prefToit le duc de
Guife , dont les Ancêtres avoient témoigné tant de zèle pour
la Foi , de s'en déclarer le Protecteur en France , où elle
alloit périr pour le malheur de ce Royaume floriflant , &: de
tous les païs voifins : Qu'il y étoit d'autant plus obligé , que
le roi de France, malgré tous les avis qu'il avoit reçus du
fouverain Pontife bc de lui , fomentoit le mal en négligeant
d'y remédier : Que le duc de Guife tenant un rang 11 confi-
dérable dans l'Etat , pouvoit fans fcrupule fe déclarer pour
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 613
«me fi bonne caufe , 6c faire tous Tes efforts , même par des .
ligues au dedans 6c au dehors du Royaume , pour mettre la Henri
Religion de fes Ancêtres à couvert du péril dont elle étoit me- III.
nacée par les progrès de Phéréfie. Philippe autorifoit ce 1581,
fentiment par les décidons des Théologiens , dont on ne
manquoit point en Efpagne , 6c dont les réponfes étoient
toujours conformes aux defirs du Prince.
Le duc de Guife naturellement plein d'ambition, & qui
fembloit avoir hérité de celle du cardinal de Lorraine fon
oncle , n'eut pas de peine à entrer dans ces vues , d'autant
plus qu'il étoit déjà comme engagé par la Ligue qu'il avok
faite avec Jean d'Autriche , 6c qu'il étoit ravi de fe voir dans
une efpéce de néceffité d'exciter des troubles dans le Royau-
me. II étoit afîtiré de la faveur du Clergé 6c du fecours em-
preiTé de certains Religieux , qui après avoir fafeiné l'efprit
du peuple par des queftions embarrafîees , 6c l'avoir peu à peu
détaché de l'obéïflance du Prince 6c des Magittrats , le por-
taient ouvertement à la révolte. L'indolence du Roi favo-
rifoit (es defïejns. Livré à fes plaifîrs , infenfible aux maux de
l'Etat, tranquille fur l'avenir, enyvré des flateries de Con-
seillers fcélérats, que fes profusions enrichifToient, ce Prince
faifoit tout ce qu'il falloit pour fe rendre méprifable 6c odieux
à tout le monde. D'ailleurs la réputation 6c la puiflance des
Guifes augmentoient de jour en jour,moins par leur mériteper-
fonnel , que par les fautes du gouvernement. On ne connoif.
foit point d'autre crédit que le leur 5 le roi de Navarre haï à
caufe de fa Religion, étoit comme relégué au fond du Bearn, à
l'extrémité, ou pour mieux dire, hors du Royaume. Le prince
de Condé,6c tous les autres Princes de lamaifonde Bourbon,
qui étoient reftés à la Cour , n'y joùoient pas un grand rôle ,
foit qu'ils manquaient d'argent , foit qu'ils fentilfent leur
foiblelTe. Car depuis la mort de Minterne dont j'ai parlé >
le cardinal de Bourbon flatté de l'efpérance de régner, à
l'exclufion du roi de Navarre , s'étoit entièrement livré aux
émiiTaires des Guifes j 6c après s'être dépouillé, pour ainfi
dire , de tout ce qu'il avoit d'amitié pour les Princes de fa
maifon , il s'étoit entièrement déclaré pour les féditieux.
Ces fondemens pofés , il n'étoit pas difficile d'élever l'é-
difice de la rébellion. Le feul duc d'Anjou pouvoir traverser
6i\ HISTOIRE
1 ' ■- les projets des Guifes^ parce qu'il avoir emmené avec lui
Henri prefque toute la Nobleile du Royaume, qui fait un parti
III. très - puiiîant -y 6c qu'en tranfportant la guerre dans les
1582. Pais - bas , il avoir iailïë en France une paix , qui paroifïbit
devoir durer Ions; - tems. D'ailleurs il haïiloir morrelle-
ment cous les Lorrains : il impucoic à leurs intrigues la hai-
ne que Tes deux frères Charle I X. Ôc Henri III. avoienc
marquée pour lui , 6c l'efpéce de prifon qu'on lui avoit fait
efïîiyer.
Philippe , grand politique , 6c qui devoir fournir aux frais
du parri , fentoit bien qu'il n'auroit jamais la paix dans les
Païs-bas , tant qu'il n'y auroit point de guerre en France ;
ainfi il prelToit les Guifes de prendre les armes. Ilsyétoienc
fort portés par inclination , 6c par l'envie qu'ils avoiént de
tenir la parole donnée au roi d'Efpagne ; mais ils défefpé-
roienc d'y réuflir , s'ils ne crouvoient moyen de le défaire du
duc d'Anjou , qui mertoit un obftacle invincible à toutes leurs
mefures. Le duc de Guife perfuadé que Salzede étoit propre
à les tirer de cet embarras , écrit au duc de Lorraine , qu'il
avoit fait entrer dans la Ligue avec l'Efpagne , 6c le prie de
faire tenir à Salzede une lettre pleine de cémoignages d'a-
mitié , & de lui enjoindre d'aller trouver les Guiiès. Ce
fcélérac , qui avoir obrenu fa grâce par le moyen du duc de
Lorraine beau-frére du Roi , n'avoir cependanr ofé demeu-
rer dans le refTorr du Parlemenr de Roiien , parce que les
lerrres de grâce n'y avoienr poinr éré publiées , 6c il s'éroic
renu caché en Champagne chez Meilleurs de Courfbn fes
parens. Dès qu'il eur reçu la lerrre du duc de Lorraine , il
vinr à la Cour. Le duc de Guife lui flr de grandes promettes ,
pour l'engager au crime qu'il méditoit. Un des principaux
motifs qu'il employa fut, que Salzede originairement Espa-
gnol , n'avoit pas en France une fortune convenable à fa naiC
lance & à fon mérite ; 6c que s'il vouloit exécuter ce qu'il lui
propofoir, Philippe lui donneroir en Efpagne un rang 6C
des emplois proporrionnés à un iî grand ièrvice. » Vous
s? voyez , dir-il , comment on fe gouverne en France , 6c que
3) l'héréile s'y fortifie tous les jours , parce qu'on néglige
» d'en arrêter les progrès. Sans le duc d'Anjou, qui défor-
n mais , fi nous voulons l'en croire , va s'appeller duc de
Brabant,
DE J. A. DE THOU, Liv, LXXV. tif
s; Brabant, on pourrait y remédier ; mais ce Prince y mettra —«■■"»——*
?j toujours un obiiacle invincible. Ainfi ii efl de la dernière H en r.i
» importance pour le roi d'Efpagne , qui eft aujourd'hui Tu- III.
» nique défenfeur de la Foi de nos Ancêtres , 6c pour la Fran- 1582»
>3 ce même , de s'oppofer à fes mauvais defîèins.
Salzede abîmé de dettes , 6c pourfuivi fans celle par l'idée
de Tes crimes, qui lui faifGient craindre pour fa vie, répon-
dit qu'il étoit prêt à tout entreprendre. Là-defïus, on con-
vint que les princes Lorrains léveroient à leurs dépens un
régiment de foldats d'élite , dont on le feroit Colonel $ qu'il
païFeroit par le camp des Efpagnols ^ qu'il iroit trouver le duc
d'Anjou pour lui offrir (es fervices &; ceux de fes amis, 6c pour
lui demander la permiffion de lever un régiment, avec promef
fe que les foldats qu'il lui ameneroit demeureraient plufîeurs
mois au drapeau. Ils étoient perfuadés que le duc d'Anjou nou-
vellement établi dans fa Principauté, qui devoit être dans une
défiance continuelle des habitans du païs,qui d'ailleurs voyoic
fes troupes déferter tous les jours faute de paye , accepterait
fes offres avec joye. 6c lui confieroit apparemment une des meil-
leures places qu'il eût dans le Païs-bas, ou qu'il réferveroit lbn
régiment pour fa garde ; di que dans l'un ou l'autre de ces
deux cas, il auroitune belle occafion d'exécuter leur defTein.
Le duc de Guife ne doutoït point que cet artifice ne
réufsît, Si que le duc d'Anjou qui fe rappellerait la guerre
Cardinale , 6c la mort de Pierre de Salzede tué au mafTacre
de Paris par les émiffaires des princes Lorrains , ajouterait
aifément foi à tout ce que lui dirait Salzede. En effet Sal-
zede étant arrivé à Bruges, 6c ayant afîiiré le duc de Bra-
bant que fon régiment leroit bientôt fur la frontière , il fut
reçu de ce Prince avec beaucoup de diftin&ion & de mar-
ques d'amitié. Mais comme le crime manque preique tou-
jours de prudence, Salzede en venant de Lorraine avoit
paflë par le païs ennemi , 6c il étoit même refté dans le camp
du Viceroi. Il difoit à la vérité , qu'il avoit eu deffein de re-
connoître l'état de leur armée. Mais le prince d'Orange , qui
avoit l'efprit fin 6c pénétrant , de qui fe défioit de tout , en
prit occafion d'examiner de près la conduite de les defîèins
de cet étranger, Efpagnol d'origine, de noirci d'un crime
<qui l'avoit fait condamner à mort. Le Prince avoit auprès
Tome VI JI. KKkk
c— — sxrsnra-a
62S HISTOIRE
de lui Larnoral d'Egmond , qu'il aimoit tendrement , parce
Henri que la mère qui venoit de mourir le lui avoit fort recomman-
III. dé. Il remarqua que ce jeune Seigneur, d'un efprit aifez lé-
i ? 8 2. ger > avoit quitté le logement qu'il avoit près de fa maifon ,
& qu'il en avoit pris un autre près de Salzede. Il le prit en
particulier , & lui demanda d'un air irrité , quelle affaire il
poftvcit avoir avec ce nouveau venu ? Larnoral après des
raifons vagues & tirées de loin, lui dit enfin qu'il avoit fait
amitié avec Salzede,, pour fe fervir de lui dans l'Alqui-
mie (1) , parce qu'il y étoit très-habile. Le prince d'Orange
ibupçonnant dans ce commerce quelque motif moins inno-
cent , confeilla à Larnoral d'être en garde contre une feience
qui avoit trompé bien des gens , & contre un homme dont
la réputation étoit fort mauvaife 3 mais en même tems ,il le
pria de ne point parler à Salzede de l'avis qu'il lui donnoit.
Auffitôt le prince d'Orange va trouver le duc de Brabant ,
auquel il communique (es foupçons. Il ajoute qu'il fçait
d'ailleurs , que Salzede n'efl venu le trouver , qu'après avoir
pris des engagemens avec le prince de Parme , dans l'armée
duquel il a paflë , & de qui il a reçu deux confidens de leur
complot 3 que s'il vouloit le faire arrêter , on pourroit ap«
prendre bien des choies fur les deflèins fecrets des ennemis,
Le Duc ne négligea pas cet avis 3 il avoit déjà feu que Sal-
zede s'étoit réconcilié avec les Guifes , ce qu'il avoit ignoré
d'abord. On l'arrêta donc dans la maifon même du Duc,,
& on le lui préfenta. Il étoit venu accompagné de François
Baza de Breflé , qui avoit fervi autrefois fous Ferdinand de
Gonzague, èc d'un Flamand , nommé Nicolas Hugue delà
Borde 3 c'étoient les deux hommes que le Viceroi lui avoit
donnés. Baza attendoit hors du palais que Salzede fortît5
& comme il tardoit long-terns , il en demanda des nouvelles,
Là-defïus on le fit arrêter 3 mais la Borde fe fauva, Ceci fe
paffa le 2 1 . de Juillet.
Au premier interrogatoire , Salzede laîflà plutôt entrevoir
Ccmfeiïkm quelque complot fecret, qu'il ne l'avoiia. Le lendemain on
de Salzede. ie rarnena encore devant le duc de Brabant , 5c après qu'on
eut exigé le ferment ordinaire , voici la confeiîion qu'il fit de
lui - même, fans aucun motif de crainte, ni de violence ,
(1) Art de transformer les me'raux , autrement la Pierre Philofophale,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. fzf
comme le porte le mémoire qu'il écrivit de fa propre main, ^ell" "«.
îl commence par avouer la faute qu'il a commile contre le Roi Henri
& contre le Duc fon frère -, & après en avoir demandé par- III.
don, il déclare que l'année dernière le fleur d'AufTonville 1582.
agent du duc de Lorraine à la cour de France , lui avoit fait
tenir des lettres de ce Prince,qui lui enjoignoient d'aller trou-
ver le duc de Guife : Que fur cet ordre, il s'étoit auffitôn
xendu à Paris , &: que le duc de Guife par les raifons que j'ai
rapportées, l'avoit engagé a lui rendre fervice : Qu'il étoic
allé par fon ordre en Normandie, pour voir la fiote qu'on
équippoit à Dieppe , & que Strozzi devoit mener à la Ter-
cere : Qu'à fon retour , il avoit rendu compte au duc de Guî-
iè de ce qu'il avoit vu : Que ce Duc inftruit du nombre des
vaifîeaux 6c de la quantité de vivres qu'on embarquoit , en
avoit donné avis à J. B. Taxis amballadeur d'Efpagne en
France , qui fur le champ avoit dépêché fon petit -fils au
prince de Parme. Il ajouta que le duc de .Guife l'avoit en-
fuite envoyé en Lorraine avec des lettres pourChriftophle
de BafTompierre , pour Chrétien de Savigny de Romy , pour
Eleonor Chabot comte de Charny, lieutenant général du
gouvernement de Bourgogne , & pour Rochebaron àc Cler-
mont : Qu'après que le duc de Mayenne fut de retour du
Dauphiné, on lui écrivit en Champagne, où il étoitavec
Meffieurs de Courfon Ces coufins , <k Claude des Efforts de
Sautour , qui ne fça voient rien de ce qui fe tram oit , & qu'en-
iuite on l'avoit fait venir à Paris pour la troifiéme fois ; Qu'à
fon arrivée on le mena fur le foir chez le duc de Guife , avec
qui Mayenne &. Villeroi étoienten conférence fecréte : Que
Villeroi lui avoit parlé long-tems , & qu'il l'avoit fort exhor-
té à bien fervir les Guifes & le roi d'Efpagne : Que pendant
que Villeroi lui parloit, Guife & Mayenne fe promenoient
dans la chambre : Qu'ils recevoient tour à tour des papiers
des mains de Villeroi, dont on lui montra quelques- uns :
Qu'après qu'il en eut pris la lecture , Villeroi lui demanda
s'il ne trouvoit pas cette afraire en bon train ? Ajoutant, que
ces deux Princes avoient prefque toute la Noblefle à eux :
Que le duc d'Aumale étoit fiir de la Picardie : Que les ducs
de Guife & de Mayenne étoient maîtres de la Noblefle de
Champagne £c de Bourgogne : Que les Seigneurs de ces deux
KKkkij
6i$ HISTOIRE
- Provinces a voient déjà engagé leur parole à Chabot : Que
Henri Jean de Mouy fîcur de la Meilleraye follicitoit la Nobleiîe
III. du pais de Caux : Que Matignon tenoit pour eux Granville
1582. & Cherbourg dans le Cotantin : Que tous les ports de Bre-
tagne étoient entre les mains de leurs partifans , entr'autres
Brefc, dont Crené étoit maître : Que ces fortereffes , dont
la mer étoit bordée , fermoient l'entrée de toute cette côte
au duc d'Anjou : Que de l'autre côté , Lyon étoit ouvert
au fccours que l'on attendoit d'Italie : Que c'etoit par-là
que viendroient les troupes du Pape, qui dévoient joindre
l'armée du duc de Savoye, commandée par le duc de Ne-
* Jacque. mours * fon parent. Que les Efpagnols defcendroient en
France par le Bearn, pendant que Mendoze parent deSal-
zede feroit une irruption par le païs de Lourde , du côté de
Bigorre avec les troupes de Bifcaye : Qu'enfin la Hilliere
commandant delà Province étoit d'intelligence avec lui.
Les ducs de Guife &; de Mayenne ayant dit alors à Ville-
roi d'aller dans la chambre cacheter le paquet qu'ils en-
voyoient au prince de Parme , ils lui avoient propofé , ajou-
toit-il , de porter à ce Prince ces lettres de créance ^ de lui
faire des excu/es fur ce qu'ils avoient été fi long-tems à
exécuter leurs promellès 3 de l'afïilrer qu'ils n'avoient point
perdu de tems , & que tout étoit difpofé pour mettre le Roi
en cage : Qu'il y avoit dans le paquet un double d'un mé-
moire qu'il falloir envoyer en Efpagne , afin que Philippe vît
l'état de leurs forces , & la puiiïance de leur parti. Qu'après
cela les Guifes lui avoient ordonné de dire à Farnefe de tenir
quelque tems fon armée en repos, & de s'approcher infen-
iiblement de Calais, pour s'en faifir quand il feroit tems,
parce que le Roi effrayé de cette nouvelle les mettroit au/lu
tôt à la tête de fes troupes, A mon égard , ajoute Salzede,
ils me dirent de demander au duc d'Anjou la permiUion de
lever un régiment pour fon fervice , & de l'équiper à mes
dépens, avec promeffe qu'il feroit bientôt fur la frontière $
& de faire en ibrte d'obtenir de lui le commandement de
Dunkerque, parce qu'il leur étoit important, difoient-iis r
d'avoir un port en cet endroit , &: qu'il y avoit tout lieu d'ef-
pérer que tout réuffiroit , fi Farnefe s'approchoit de Dun-
kerque j parce que le Duc prellë d'un côté, &; invité de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 629
l'autre par la proximité d'un bon régiment qui fèroit fous fà
main , ne manqueroit pas de le faire entrer dans la place. Henhï
» Après tous ces difcours , dit-il encore, Villeroi étant ren- III,
» tré dans le cabinet ,avec le paquet cacheté , je le pris , 6c x ç&iv
» après avoir encore juré fidélité aux deux frères , je par-
>j tis pour la Lorraine , &: lorfque je fus à Nancy , j'y reçus
» ordre du duc de Guife de n'en point partir , fans avoir re-
» çû de nouvelles inftru&ions, que l'on devoit bientôt m'en-
» voyer. Quelques jours après, il arriva un petit Efpagnoi
55 borgne qui m'apporta des lettres du duc de Guife, par lef-
55 quelles il m'étoit ordonné d'aller trouver Farnefe. L'Efpa-
>5 gnol fe mit en chemin de fon côté le vingt- quatre de Juin
55 jour de faine Jean , pour porter au Pape êc au roi d'Eipagne
55 des lettres de ce Duc. Pour moi, je partis le même jour pour
55 la Flandre j de lorfque je fus arrivé au camp de Farnefe , il
55 meprefîà extrêmement d'obtenir du duc d'Anjou une coin-
»5 miffion pour lever un régiment, afin de me rendre maître
« de quelque port de Flandre , comme on en étoit convenu
55 avec le duc de Guife. Lorfque je fus arrivé à la Cour du duc
55 d'Anjou,j'eus quelques conférences fecretes avec le fieur de
55 Com belle , dont le réfultat fut , qu'il a voit à fes ordres trois
55 mille arquebufîers,avec lefquels il étoit prêt de s'engager
» au fervice d'un autre Prince.
Voici maintenant les noms de ceux qui avoient parc à
cette conjuration , fuivant qu'il l'avoit appris des créatures
des Guifes. Le maréchal d'Aumont * , les deux Villequiers *jcan.
frères Claude & René , & George fils de Claude la Châtre
gouverneur de Bourge , Mandelot gouverneur de Lyon ,
Jean de Mouy de la Meilleraie gouverneur du pais de Caux,
Gérard Mauleon de Gourdan gouverneur de Calais , Cor-
boran de Cardillac de Sarlaboz gouverneur du Havre 3
René de Tournemine de la Hunaudaie gouverneur de Bre-
tagne. Il y joignoit Louis de Gonzague duc de Nevers 3
Charie de Lorraine duc d'Elbceuf , Jean de Leomont de
Puygaillard, Gui de faint Gelais de Lanfac , François de
Caiillac de Seflac Lieutenant de la compagnie de cavalerie
du duc de Guife , Foucaud de Joyeufe comte de Grancipré,
François de Baliàc d'Entraînés lieutenant eénéral d'Orléa-
nois , & Charie de Balzac fon frère , Cicogne gouverneur
KKkkiij
'<?3o HISTOIRE
de Dieppe, Aufïbnville Se Barlemont. Il ajoute que les Lor-
Henri rains le vantoient que le fleur d'Arqués, ( c'en: le nom qu'ils
III. donnoient à Anne de Joyeufe ) étok en fecret dans leurs in-
j N-g2> térêts, malgré la faveur du Roi laquelle il partageoit avec
Epernon : Qu'à l'égard de Paris , ils avoient pour garans de
fon zèle Nicolas le Gendre (i ) père de Villeroi , 6c Nicolas
Hochman , de famille bourgeoife , mais très-accrédité dans
la ville , Se fort riche : Que lorfqu'il quitta Farnefe , on en-
voya avec lui un Italien , qui avoit ordre d'aller trouver
Gourdan gouverneur de Calais , Se de traiter avec lui de
la reddition de fa place. Il nomma encore parmi les Con-
jurés François d'O difgraeié depuis peu , Se qui s'étoit reti-
ré dans fon gouvernement du Co tan tin en baffe Norman-
die , &; Jean d'O Heur de Manou fon frère capitaine des
Gardes du Corps; Laurent de Maugiron Lieutenant général
du Dauphiné , frère de la Beaume, comte de la Suze, Se
Philibert de la Guiche Commandant de l'Artillerie. Enfin il
difoit que l'Agent qui négocioit pour cette ligue auprès du
Pape, étoit le cardinal de Pellevé : Que le projet des con-
jurés étoit de mettre le Roi en prifon ^ de poufïèr à bout le
-duc d'Anjou -y d'exterminer la famille Royale , Se de mettre
le royaume de France entre les mains du roi d'Efpagne :
Que Henri duc de Brunfwick beau - frère du duc de Lor-
raine, qui étoit au fervice des Efpagnols , promettoit de le-
ver pour l'exécution de ce projet de grandes troupes de ca-
valerie &: d'infanterie Allemande. Salzede écrivit cette con-
fefîion en préfence de Sorbiers fleur des Pruneaux , de Ma-
thurin Charrier , & de Hugue de Lavergne capitaine des
Gardes du duc d'Anjou.
Quelques jours après, ce prifonnier fit rendre une lettre
au duc d'Anjou , dans laquelle il ajoûtoit à fa dépofirion fur
certains chefs , retranchoit en d'autres , adoucifloit Parfaire,
s'exeufoit , Se demandoit grâce. Outre les conjurés de la
province de Normandie qui étoient compris dans fon pre-
mier écrit, il nommoit encore de Chanteloup Se Bellanger,6c
confirmoit de nouveau ce qu'il avoit dit du duc de Nevers,
de la Rocheguïon , de Com belle , du deflein fur Calais , Se
(i) Nicolas de Neufville , il prit le J fon grand oncle maternel qui leur avoit
nom &; les armes de Pierre le Gendre i donne' fes b,iens à cette condition.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV 63r
de l'efpérance qu'avoient les Guifes qu'après la prife de Ca- -
lais , le Roi épouvanté leur donneroic le commandement gé- Henri
néral de toutes les forces du Royaume. Il ajoûtoit qu'il n'*é- III.
toit point venu à Anvers.pour attenter à la vie du duc d'An- I,g1
jou : Que jamais une adion il déteftable ne lui étoit venue
dans l'efprit , 6c que perfonne ne l'avoit follicité à l'entre-
prendre : Qu'il n'avoit point eu d'autre deiîèin que de fe
rendre maître de Cambrai 6c de Dunkerque- de chercher
à débaucher quelques Colonels , 6c d'inftruire les Guifes de
l'état de fes affaires , afin qu'ils l'écrivifTent au prince de
Parme , qui en rendroit compte à Philippe ^ 6c tout cela en
vue d'obtenir que Louis de Figneroa fon oncle maternel lui
remît le patrimoine de les ancêtres dont il s'étoit emparé;
Que les Guifes eux-mêmes n'avoient point eu d'autre def*
fein,quede fermer au duc d'Anjou l'entrée de la Picardie,
6c les ports de Bretagne 3 en un mot l'empêcher de rentrer
en France. Il demandoit enfuite qu'on le confrontât avec les
trois perfonnes qu'il avoit nommées dans fa première dépo-
sition : Que la confiance qu'il avoit en Dieu lui faifoit croire
fermement qu'aucun d'eux ne defavoiieroit ce qu'il avoit
avancé. Il finilïbit par demander grâce au Duc , qu'il fup-
plioit d'avoir égard à fa jeunefîè , 6c de ne le pas regarder
comme un affaiîin , ou comme un autre Maurevel ( 1 ) , 6c dé-
faire réflexion que ce n'étoit point comme François qu'il
avoit formé ce defTein , mais comme un Efpagnol dont les
ancêtres avoient rendu fervice aux rois d'Efpagne dans leurs
plus importantes affaires. Il finifToit en proteftant que s'il
vouloit lui faire grâce , 6c lui donner la vie , il fe feroit un
devoir & un honneur de la facriiier pour fa confervation 6c
pour fa gloire.
Le Duc faifi d'horreur à ce récit , 6c confîdérant que le
péril ne regardoit pas moins le Roi fon frère que lui , fait
partir aufTi-tôt le fieur de Dammartin avec des lettres de
confiance, 6c une copie de la confeflion de Salzede, pour
rendre compte à S. M. de cette affaire. Il fupplie le Roi d'y
faire toute l'attention qu'elle mérite, de l'examiner à fond,
èc de ne pas préférer fes amufemens au ialut de l'Etat 6c au
(1) Qui en 1569. afiafllna Louis de I tenta à la vie de l'Amiral de Chatil-
Vaudrai fieur de Moui ; & en \tfz. at- ' Ion,
*jï HISTOIRE
... lien propre : Qu'il y avoit long-cems que les intrigues des
Henri Lorrains lui étoientfufpecta : Que ces radieux abuioient de
111. la bonté de S. M. Que l'impunité les rendoit capables de
i ï S 2 tout » ^ °Iue comme ^s ne mettoient plus de bornes à leur
ambition, il ne falloir laiiîer palier aucune occafion de les
abailîer : Qu'il étoit nécefïaire de s'oppofer au mal naiflànt,
parce que fi l'on attendoit que la fa&ion fe fût fortifiée , le
remède qu'on y voudroit apporter , viendroit peut-être trop
tard.
Pendant que Dammartin faifoit fon voyage , François
Baza qui avoit été arrêté avec Salzede , ayant trouvé un
couteau fe tua le trente de Juillet , ou pour fê délivrer de
fes remords de confcience , ou pour fe garantir des tourmens
de la queflion. On prononça la Sentence à ion cadavre , qui
fut écartelé , Se les quartiers attachés à un gibet , avec ces
mots, pour avoir entrepris de faire périr par le fer ou par Le
poifon le duc de Brabant & le prince d' Grange.
A la première nouvelle de cette confpiration , le Roi en fut
frappé auffi vivement que leDucfon frére,& dès qu'il eut ren-
voyé Dammartin , il fit venir de Belliévre dont il effcimoit
la probité , il le prit en particulier , &: d'un air trifte 5c em-
barralTé , il lui parla en ces termes : » Je fuis fort inquiet du
95 fuccès de l'entreprife de Strozzi : vous fçavez combien je
î3 m'y fuis oppofé ; combien j'ai eu de difputes avec ma mère
55 à cette occafïon , &: que je n'ai donné mon confentement,
55 que parce que je n'ai pu tenir contre fes prières : j'en augure
95 fort mal -y mais Dieu en décidera à fa volonté , ou pour
55 mieux dire , il en a déjà décidé. J'ai une autre inquie-
ts tude beaucoup plus grande à l'occa/îon des nouvelles que
55 je viens de recevoir de mon frère. Vous fçavez qu'on a
m arrêté à Bruges Salzede ce faux monnoyeur que le Par-
»i lement de Roiien avoit condamné à mort , & à qui j'ai
53 accordé la grâce à la prière du duc de Lorraine mon beau-
55 frère. A fon interrogatoire il a déclaré des chofês épouvan-
tables. Voici la copie de fa déposition , voyez û vous
35 pouvez la lire fans être faifi d'horrcur.« Belliévre ayant pris
l'écrit commença à le parcourir ; & le Roi qui examinoit
fa. contenance voyant que fon vifage changeoit à tout mo-
ment : 53 Vous êtes ému , lui dit-il , & vous avez raifon :car
quoiqu'il
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 633
sî quoiqu'il y aie bien des chofes dans cette dépofition,qui en — —
>s diminuent l'autorité dans mon efprit • cependant comme le Henri
» fondement en eft réel , je crois qu'un Prince obligé de veil- III.
» 1er non-feulement à fa propre fureté , mais encore à celle 1582.
» d'une infinité de perfonnes que Dieu lui a confiées , ne peut
« pas en honneur & en confeience négliger de pareils avis.
» C'eft pour cela que je vous ai choifi entre tous ceux qui
» compofent mon confeil,pourvous faire part de ce myftére,
« & pour vous charger d'en approfondir la vérité.Je fçais les
» liens d'amitié & d'alliance qui vous attachent à Villeroi -y
» mais la fidélité que vous devez à votre Souverain , &c l'in-
» térêt de votre patrie , font des liens encore plus forts pour
» un homme comme vous. D'ailleurs ce qui eft dit ici fur
» le compte de Villeroi m'effc fufpecfc par bien des endroits.Je
» crois avoir des preuves indubitables de fa fidélité , par la
î3 manière dont il m'a fervi dans des affaires très-impor-
» tantes. Mon intention eft donc que vous alliez fur le champ
» trouver mon frère avec Brulart ( c'étoit un des trois Se-
crétaires d'Etat & qui avoit le département de Flandre )
» & de mon côté j'en parlerai à la Reine ma mère. Je ne
55 veux point que vous en fafîîez myftére à Villeroi , de peur
55 qu'il ne paroiffe que je me défie de fa fidélité. Vous fe-
55 rez entendre à mon frère, que je fuis dans une inquiétude
>5 extrême fur cette affaire, <k vous mettrez tout en œuvre
55 pour obtenir de lui que le coupable foit envoyé en France
55 fous bonne garde , après que vous l'aurez interrogé. Si
si mon frère y confent , je verrai que l'accufationeft férieufe,
55 & que ce n'eft point une calomnie : mais s'il le refufe , je
55 compterai que tout ceci n'eft qu'une fable inventée par
55 quelques perfonnes de fa fuite, qui cherchent à nous broiiiL
55 1er enfemble, &: à troubler le repos de ma vie.
Belliévre £c Brulart ayant reçu ces ordres fe rendirent à
Bruges , le duc d'Anjou leur fit de grands honneurs & leur
permit d'interroger Salzede. L'acculé répéta tout ce qu'il
avoit dit. Belliévre ayant demandé, enfuite que l'accufé fut
conduit en France , le duc d'Anjou n'en fit aucune difficultéj
on amena le coupable qu'il remit entre leurs mains : mais il
écrivoit de tems en tems au Roi fon frère , de faire bien
examiner cette affaire , qui étoit de la dernière importance,
Tome VI IL L L 11
634 HISTOIRE
—y"—"*» & de ne rien donner ni à la faveur , ni à la prévention dans
Henri le parti qu'il prendroit , parce que s'il en prenoic un mau-
III. vais , il n'y auroic plus lieu au repentir.
1582. Saizede fut conduit d'abord au château de Vincenne à
une lieue* de Paris , où le Roi l'entendit en préfence de la
Reine fa mère , du Chancelier Birague , de Chiverny Garde
des Sceaux , de Belliévre Se de Brulart. Il y appella auffi
Chriftophle de Thou premier Préfîdent , & la Guelle pro-
cureur Général. Saizede ne convint plus de rien : il dit que
des Pruneaux , Lavergne èc Chartier lui avoient dicté fa
confefiion, & qu'ils l'avoient forcé de l'écrire. Là-deflus le
Roi l'interrompant :» Pour quoi donc, lui dit-il , avez-vous
« répété la même choie à Belliévre, en l'abfence de ces gens
» qui vous ont fait violence « ? Saizede répondit que les me-
naces de Belliévre l'avoient intimidé , &: que tant qu'il avoit
été dans la maifon du duc d'Anjou , ii avoit toujours été
faifi d'effroi. Belliévre homme d'ailleurs fort patient , ôc ac-
coutumé à ces complaisances il ordinaires à la Cour , ne put
pas fe contenir, & il s'écria que Saizede étoit un calomnia-
teur. De Vincenne il fut mené à la Baftille , où Birague l'in-
terrogea en préfence du Roi , & des autres perfonnes qui
s'étoient trouvées à l'interrogatoire de Vincenne. Il dit en-
core que c'etoit par force qu'on lui avoit arraché la dépo-
iition qu'il avoit écrite. Là-defïus on examina le parti qu'il
étoit à propos de prendre à l'égard d'un aceufé , qui fai-
foit des déclarations directement oppofées : les avis furent
partages.
De Thou ayant eut ordre de parler le premier , dit que
la vie d'un pareil fcélérat n'étoit pas allez de conféquence
pour qu'on pût regarder fon fupplice comme une vengeance
proportionnée à lès crimes : Qu'il étoit donc d'avis de le
laifièr en vie pour intimider les complices, ii la conjuration
étoit réelle , & pour avoir de quoi les convaincre au befoin :
Que fi cette conjuration n'étoit qu'une calomnie inventée
par des perfonnes turbulentes & mal intentionnées , la vie
du criminel pourroit fèrvir à juftifier l'innocence de ceux
qu'il avoit aceufés. Tel fut l'avis de ce Magifhrat qui opi-
noit ordinairement en peu de mots. Ce fage vieillard péné-
tré jufqu'au fond du cœur de voir le Roi courir à fa perte >
DE J. A. DE THOU, Liv, LXXV. 635
jugeoit qu'il n'y avoit que la crainte d'un malheur prochain, _
qui put retenir ce Prince dans les juft.es bornes d'une do- Henri
mination légitime 3 & mettre un frein à la licence affreufe, III.
qui lui faifoit tout làcrifier pour contenter Tes pafîions h ain- x , g lt
fi il croyoit qu'il étoit important de l'intimider & d'arrê-
ter par-là l'impetuofité de fon naturel : Que tant que Sal-
zede vivroit, &: feroit pour ainfî dire devant Tes yeux , le fou-
venir du péril dont il avoit été menacé , Te préfenteroit fans
celte à fon efprit trop porté à l'indolence & à la fécurité j
&; que c'étoit d'ailleurs un moyen de tenir les conjurés en
bride, par la crainte qu'il ne les dénonçât.
Les autres foûtenoient au contraire que fi la conjuration
étoit vraie , le fupplice de Salzede épouvanteroit Tes com-
plices , au lieu que fî on le laiilbit vivre , le defefpoir les
pourroit jetter dans quelque parti violent : Que fi elle étoit
îaufïè , il falloit par la mort du calomniateur donner à l'inno-
cence acculée la fatisfa&ion qui lui étoit duc ; qu'autrement
il pourroit arriver, fl on laifïbit vivre Salzede, que ces in-
nocens irrités de fé voir injuftement foupçonnes , pren-
droient imparti qui les rendroit vraiment coupables.
Le Roi fut de ce dernier avis, tant par l'impatience qu'il
avoit de fe délivrer de cet embarras , que parce que le pre-
mier Préfident , qui étoit Chancelier du duc d'Anjou lui
étoit devenu fufped , comme il avoit paru quelques mois
auparavant : voici à quelle occasion. De Thou avoit pris la
liberté de confeiller à ce Prince de ne plus tant faire d'é-
dits burfaux , fans quoi il fe croyoit obligé de lui dire qu'il
verroit bientôt éclôre des révoltes dans tout le Royaume.
Le Roi jugeant de cet avis plein de candeur , non par la pro-
bité de celui qui le donnoit , mais par la difpofition d'ef-
prit où il fe trouvoit lui-même , non-feulement n'eut aucun
égard à la remontrance ; mais fé tournant vçrs une foule de
flateurs qui étoient autour de lui , il dit avec un air de mé~
Eris que le bon homme radotoit. Au refte de Thou , vraiment
omme de bien , aufïï zélé pour l'intérêt public , qu'indif-
férent pour le fîen propre , oublia fur le champ cet affront:
mais la compaffion qu'il avoit pour ce Prince aveuglé , & qui
ne prenoit que de mauvais confeils , le jetta dans un cha-
grin qui le conduifit enfin au tombeau. Car l'affaire de
LLllij
€$6 HISTOIRE
Sâlzede ayant été renvoyée au Parlement, de Thou qui jugea
H £ n Ri que c'étoit-là le préliminaire des maux qu'il avoit prédits,
I II. fut à l'inftant attaqué d'une fièvre lente , qui dégénéra bien-
1582. rot en double tierce. Cette indifpofition ne l'empêcha pour-
tant point de venir au Parlement, de peur qu'on ne le foup-
çonnât de vouloir éloigner le jugement , 6c il y préfida jufl
qu'à l'arrêt, qui fut prononcé le vingt-cinq d'Odobre, 6cqui
Jugement de portoit que Salzede convaincu du crime de léze-Majefté ,
*aze e* ieroit tiré à quatre chevaux 6c écartelé , & que les quar-
tiers feroient attachés chacun à un gibet , 6c mis aux quatre
principales portes de Paris : Que fa tête feroit portée à An-
vers pour être expofée dans le lieu qui feroit ordonné par
le Magiftrat : Que les confelîions , les lettres particulières
qu'on lui avoit trouvées , les déclarations qu'il avoit faites
depuis que Ion procès avoit été commencé , feroient brû-
lées 6c mifes en cendre , comme malignement 6c calom-
nieufement inventées contre l'honneur de plufieurs Princes,
Seigneurs , Se autres perfonnes • 6c qu'avant que d'être con-
duit au fupplice , il Ieroit appliqué à la queftion extraordi-
naire. Il avoua de nouveau ce qu'il avoit confefïe des le com-
mencement : mais comme on le remenoit au cachot par un
efcalier obicur , un certain prêtre Jéfuite lui confeilla de ré-
tracler encore tout ce qu'il avoit confellè. Le fcélérat le fit
en effet , 6c perfifta jufqu'à la mort dans fa rétractation ,
criant fans celle que les Princes Lorrains étoient des gens
de bien , 6c qu'ils étoient innocens de tous les crimes dont
on les chargeoit. Lorfqu'il fut mis à la queftion , le Roi y
aiîifta caché derrière un rideau 5 il alla même à l'hôtel de
ville pour le voir écarteler. 11 y eut bien des gens qui trou-
vèrent qu'un pareil fpedacle ne convenoit guère à la dignité
Royale.
Mort du pte- De Thou n'affifta pas à la queftion de Salzede , êc ne figna
mier Préfi- pas l'arrêt qui lui fut prononcé. Sa maladie étoit fi aug-
Thou C mentée , 6c ies forces tellement affoiblies , qu'il ne put faire
ni l'un ni l'autre. Enfin le mal empirant toujours , il mou-
rut le premier de Novembre , fept jours après la condamna-
tion de Salzede , âgé de foixante 6c quatorze ans deux mois
6c cinq jours. Sa mort fut iincérement pleurée , non-feule-
ment par le peuple de Paris, mais par les Grands, 6c par
DE J. A. DE THOU,Liv. LXXV. 637
tous les ordres du Royaume. Lorfqu'il vie approcher fa der-
nière heure, il montra la même fermeté qui avoit paru dans H e n r. i
toute la conduite de fa vie 5 6c après avoir fait un aiTez long III.
difeours fur la providence de Dieu , 6c l'avoir remercié avec 1 j 8 r.
une grande humilité de tous les bienfaits dont il l'avoit com-
blé j après avoir recommandé fa femme 6c fa famille au Roi,
qui envoyoit fouvent fçavoir de les nouvelles , il fit à Dieu
devant tout le monde la même prière que lui lit autrefois
faine Martin; Seigneur , fi je fuis nécejfaire à votre peuple , il
n'y a point de "travail que je ne fupporle volontiers. Enfin il
vint à parler fur les affaires publiques , & prévoyant le mal-
heur , dont le Royaume étoit menacé , il dit qu'il plai-
gnoit le fort de ceux qui reffcoient après lui , 6c qu'il crai-
gnoit beaucoup que Salzede ne reffemblât à Caifandre, en
ce que l'un 6c l'autre auroient prédit la ruine de leur païs?
fans être crus de leurs citoyens qu'après l'événement. Ce
furent les dernières paroles qu'il dit à {es amis. Après quoi
ayant reçu le faint Viatique, il ne fongea plus qu'à fe recueil-
lir^ à prier Dieu tout basj il mourut dans une douce agonie.
Telle fut la fin de cet homme illuftre, qui avoit une grande
connoilfance de tout ce qui regarde la Religion, le Droit an-
cien, 6c le Droit François ; qui joignoit à une véritable piété
beaucoup de prudence, de grandeur d'ame 6c de candeu^ une
gravité tans affectation , un amour tendre pour fa patrie ,
une jufticc à toute épreuve , de beaucoup d'humanité pour
tout le monde } au deffus de toute envie , comme de toute
avarice,jamais perfonnene déteftaplus véritablement que lui
ce dernier vice. Malgré fon éloignementpour la fuperftition
de l'efprit de cabale , deux puifTans refforts dont fe fervent
les ambitieux pour gagner le peuple crédule , fa conduite
toujours égale , de fa probité reconnue de tout le monde le
firent tellement refpeder , qu'on le regardoit comme le maî-
tre abfolu de tous les ordres de la ville : de plufieurs ont cru
que fi ces complots fecrets , qui fe tramoient dès fon vi-
vant^ qui ont enfin abouti à une révolte ouverte , n'ont
pas éclaté avant fa mort , c'eft au crédit qu'il avoit fur le
peuple qu'il faut l'attribuer. Les perfonnes les plus fenfées
difent encore aujourd'hui , à l'honneur de fa mémoire , que
s'il eut vécu fix ans après , lorfque la ville dominée par la
L L 1 1 hj
$3* HISTOIRE
lu l_ fureur fe révolta hautement contre Ton Souverain j fa pré-
Henri fence auroit été capable d'arrêter les troubles : Que cet hom-
III. me plem de refpecl; pour la Majefté Royale , 6c de tendrellè
o pour fa patrie, avec un courage fondé fur l'innocence , 6c
* 2" une grandeur d'ame qui le faiibit refpe&er , n'auroit pas
manqué de fe montrer en public 3 6c que tandis que la frayeur
empêchoit les autres de fe montrer , il auroit été au travers
de ces cris féditieux fe préfenter avec un air intrépide à cette
multitude forcenée. Le Roi qui avoit marque une efpéce
d'averfion pour ce grave Magiftrat dont les remontrances
continuelles l'importunoient, le regréta , 6c le pleura après fa
mort : 6c lorfque les troubles commencèrent , 6c qu'il cher-
choit inutilement un Chancelier de l'Hôpital , ou un Fran-
çois de Monmorency , on lui entendit ibuvent dire , qu'il
ctoit afTûré que Paris ne fe feroit jamais révolté , fi de Thou
avoit été à la tête du Parlement.
Soit pour effacer de l'efprit du peuple l'idée dans laquelle il
étoit que la Cour avoit été caufe de la mort du premier Pré-
sident j foit qu'en effet ce Prince fe repentît de l'avoir mal-
traité , il ordonna qu'on lui fît de magnifiques funérailles.
Ainfi malgré l'inclination de ce grand Magiftrat, naturel-
lement ennemi du fafte 6c de l'oftentation , fa pompe funèbre
fut des plus fuperbes. Sa mort étant tombée dans les va-
cances , le Roi ordonna qu'on remît la cérémonie après la
faint Martin 3 6c comme il ne pouvoit pas y aiîifber , il fè mit
à fes fenêtres avec les deux Reines pour voir palier le con-
voi : prefque tout le Parlement , les Princes , les Grands
qui étoient à la Cour,6c tous lesOrdres de la ville y aiîiitérent
en habit de deuil 3 on ferma les boutiques , 6c tout le peuple
répandu dans les ruè's honora fa pompe avec un filence pro-
fond , marque certaine de la douleur publique. L'oraifon fu-
nèbre fut prononcée par Jean Prévôt Théologien célèbre,
Curé 6c Archiprêtre de faint Severin. Le corps fut porté
dansl'églife de faint André, 6c enterré dans la chapelle de fa
famille. Quantité de Sçavans non-feulement de France, mais
d'Italie 6c d'Allemagne lui rirent des épitaphes en vers, qui
immortaliferont à jamais fa mémoire 6c fes vertus , lefquelles
dureront plus long-tems que le tombeau de marbre , qui lui
a été élevé par Jacqueline Tulleu fa femme , 6c par fes
Henri
III.
1581.
Achille de
re-
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXV. 639
héritiers. Il pafla cinquante ans avee cette digne époufe , fans
que jamais leur union &; leur amitié fe foit démentie.
Le Roi nomma à fa place Achille de Harlay , qui avoit
époufé Catherine de Thou fa fille. Ce grand Magiftrat vrai-
ment digne de cette place importante , étoit alors à Cler-
mont en Auvergne pour y tenir les grands jours , & il y fit Harlai p,^
r • r • *V 1 r 1 7 r i & ' t ; mier Préfî
taire un iervice iolemnel pour ion beau-pere. Le nouveau dent,
duc de Brabant de retour à Anvers y reçut la trifte nou-
velle de cette mort qui l'affligea extrêmement. Il perdoit
en effet un excellent ami , fur la fidélité duquel il pouvoit
compter , &; qui en cas que le Roi vînt à mourir , pouvoit
contenir dans le devoir la ville &; le peuple de Paris , & à
fon exemple toutes les autres villes du Royaume. Comme
il perdoit encore fon Chancelier , il nomma à cette place
Gui du Faur, dont j'ai fait une mention honorable en plu-
fieurs endroits de cette hiftoire , & qui étoit très-ami de
celui qui venoit de mourir. Il étoit auiîi alors abfent de la
Cour , ayant pris le tems des vacances pour faire un voyage
à fa terre de Pibrac auprès de Touloufe.
Fi/t du Livre foixante & quinzième.
64-o HISTOIRE
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HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U
LIVRE SO IX A N TE - SEIZIEME.
LE duc d'Anjou ayant changé le fénat de Bruges vint à
Gand accompagné du prince d'Orange , & fît fon en-
111. tree c-ians cette ville avec une pompe vraiment Royale. L'ar-
1581. mée qui étoit à Loo & à Dunkerque l'y vint joindre : mais
gïïq fe trouva fort diminuée. Comme les Anglois ne s'ac-
commodoient pas de Jean Norits leur Colonel , la plupart
prirent parti dans les troupes ennemies j en forte que l'armée
du duc d'Anjou étoit réduite à quatre mille hommes au plus.
Combat fous Elle étoit campée dans une bourgade aux environs de Gand.
]es murs de T •. j r» • > • r^ ' • 1 : c
£and# Le prince de Parme qui etoit luperieur en nombre, mror-'
mé d'ailleurs que la garde fe faiibit négligemment, réfolut
de les attaquer. Il laiiîa donc fes bagages pour faire plus de
diligence, & marcha de côté-là ^ mais nos troupes averties
de ion deiïèin fe préparèrent à le bien recevoir. Le ileur de
la Pierre Maréchal de Camp ayant donné ordre au Colo-
nel Seiîeval de prendre fon régiment avec les Gardes du
duc d'Anjou , & d'efcarmoucher avec les ennemis pour les
amufer
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. £41"
amufer pendant qu'il raflembleroit fes troupes , 6c qu'il met- ■
troit en fureté Ces bagages, rangea promptemenc l'armée en Hen r.x
bataille &c marcha vers Gand. Il avoit placé au front qui III-
regardoit l'ennemi un régiment Anglois avec quelques ef- 1581.
cadrons Allemans 3 ils étoient fuivis du régiment du Colo-
nel Beuck, bc de Noritz qui avoit fous fes ordres trois
efcadrons Anglois , & quatre François. Ce n'étoit que de la
cavalerie légère , qui voltigeant à la tête , efcarmouchoit
comme font ordinairement les Volontaires. Après eux mar-
choient trois compagnies de Gendarmes François avec le ré*
giment de Fouqueroles frère du fleur de la Pierre , &: quel-
ques compagnies de Flamans &: d'Ecofîbis qui formoient
une ligne. SefTeval fermoit la marche avec le régiment An-
glois dont j'ai parlé , & un gros corps de piquiers. Il y avoit
à la première ligne du prince de Parme environ quatre mille
fantafîlns & mille chevaux , qui furent fort maltraités par
nos troupes que Beuck & Fouqueroles avoient mifes en em-
bufcade en plufieurs endroits, d'où elles fortoient à propos
pour charger les ennemis : ce qui troubla beaucoup leur
marche , &c empêcha qu'ils ne pufFent attaquer notre ar-
mée tous enfemble : ainfî elle arriva à Gand fans autre
perte que de quelques Capitaines. Dès qu'elle parut , Roche-
pot qui avoit été malade , & qui n'étoit pas encore bien réta-
bli,fort de la ville,fe fâifit de la colline & des moulins qui font
auprès de la porte Lie vin , &£ fe met en bataille en face des
ennemis qui marchoient avec beaucoup de confiance & de
fierté. En même tems il détache quatre compagnies d'in-
fanterie avec la cavalerie de Noritz , & quelques piquiers
Anglois , & leur ordonne de les charger , èc de faire en forte
de les attirer vers les murs , & pour cela de fe retirer irjièru
iiblement, dès qu'ils verroient le combat échauffé , afin qu'il
pût faire jouer alors l'artillerie de la ville. Leduc d'Anjou,
le prince d'Orange , & le prince d'Epinoi étoient affis fur le
rempart pour voir le fuccès. Le choc fut rude , &; il y eut
beaucoup de monde tué de part & d'autre. Nos troupes
qui avoient rompu leurs rangs pour fe retirer fe remirent
en bataille fous les murs de la place , & l'on fit un feu ter-
rible de canon ^ qui incommoda beaucoup les ennemis. Ce-
pendant leur Général s'étant avancé avec le gros de fon
Tome Vlll, H M m rn
$4* HISTOIRE
■ armée , ils demeurèrent deux heures en bataille , harcelant
Henri en vain nos troupes par de légères efcarmouches. Le prince
III. d'Orange foupçonnant que le deflein du prince de Parme
1582. pou voit bien être de palier l'Efcaut , & d'entrer dans le
païs de W^aes , où il trouveroit des vivres en abondance y
en avertit le duc d'Anjou , qui fît aufîitôt rentrer la cava-
lerie , biffant feulement trois efcadrons avec ion infanterie.
Le prince de Parme s'en étant apperçu fit charger notre infan-
terie, qui n'avoit prefque plus de cavalerie pour la foûtenir:
l'action fut encore fort vive , 6c il y eut beaucoup de monde
de tué, tant des ennemis que des nôtres. Octave de Gon«
zague y fut dangereufement blefle -y Mondragon eut un che-
val tué fous lui j il y eut bien deux cens hommes de tués
du côté des Espagnols , & a peu près autant du nôtre. Sur
le foir le prince de Parme fit enterrer (es morts 6c mettre
£es bielles fur des chariots , 6c fongea à la retraite. Beau-
coup de gens crurent qu'il auroit pu tirer un avantage confî-
dérable en cette occaîion , s'il avoit fait plus de diligence.
Le duc d'Anjou ayant laifTé à Gand le prince d'Epi-
noi , avec fon infanterie 6c fa cavalerie , partit le lende-
main pour Tenremonde , où on lui fit une réception ma-
gnifique. De-là il fe rendit à Anvers le deuxième de Sep-
tembre , après avoir diiperfé les troupes qui l'avoient fuivi ,
afin de leur donner le tems de fe refaire. Sur la fin de Sep-
tembre d'Epinai faint Luc fe mit en marche avec deux mille
hommes de pié & cinq cens chevaux , fuivi des colonels
Tempel 6c SefTeval pour aller aux ennemis. Il tira quelques
canons d'Anvers , &c vint à Bruxelles : mais à la prière des
Prifede habitans il attaqua le fort de Gaefbeck , où il n'y avoit
Gaefbeck. qU'une compagnie d'infanterie , & la moitié d'un efeadron
de Wallons confédérés qui incommodoient beaucoup cette
ville. Il perdit beaucoup de tems à tranfporter fon canon tan-
tôt d'un côté, tantôt de l'autre , parce que le parapet s'étoit
trouvé beaucoup plus élevé qu'il n'avoit cru. La garnifon
parlementa enfin , 6c on la laifîa aller la vie fauve avec le
bâton blanc à la main. Saint Luc détacha enfuite SefTeval
avec cinq efeadrons de cavalerie légère pour fommer le châ-
teau de Touloufe } qui fe rendit aux mêmes conditions que
Gaefbeck.
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 645
Rochepot voulant inquiéter la ville de Lierre , fit ap.
procher deux pièces de canon du château d'Eckoven qui Henri
n'en en: qu'à une demie lieuë -y mais la garnifon Te rendit fans III.
attendre que le canon tirât : on la laiiTa forcir la vie fauve , 1582,
& le bâton blanc à la main. Il attaqua enfuite le château de
Rofl fur le Demer près de Hoecht : la place fe rendit après
trois jours de réiiftance. Rochepot 6c le colonel la Garde y
furent blefTés. DufFel fuivit l'exemple de ces places 6c fe fou.,
mit. Le duc d'Anjou attendoit de nouvelles troupes que le
duc de Monpenfier lui amenoit. C'eft. ainfî qu'on apelloic
alors le prince Dauphin d'Auvergne, Loiiis de Bourbon fon
père étant mort le vingt-trois de Septembre , à Champigny
en Touraine.
Le prince de Parme informé de fa marche fongea à met-
tre la frontière à couvert , 6c à augmenter ion armée pour fe
tenir entre les forces que nous avions dans le païs , 6c celles
qui étoient en marche pour s'y rendre , afin d'empêcher
leur jonction. Il avoit reçu fur la fin de l'été quarante 6c une
compagnies d'infanterie Efpagnole qui venoient d'Italie , 6c"
qui faif oient environ cinq mille Fantafïïns commandés par
deux Colonels , Mondragon l'aîné , 6c Pacheco ^ 6c un pareil
nombre d'Italiens en feize compagnies, fous les ordres de
Mario Cardoino , 6c de Camillo del Monte, avec quantité
d'Allemans, de Bourguignons , 6c de mineurs Bohémiens. Il
lui étoic encore arrivé un régiment nouveau de Bourguignons
commandé par le marquis de Varambon, 6c fixrégimens Al-
lemans dont les Colonels étoient Robert de Simberg,Charle
comte d'Aremberg,le comte de Barlaymont,Jean Manrique,
le comte Charle de Mansfeld , &c Floris de Barlaymont fïeur
de Floyon, de neufrégimens Flamans fous autant de Colo-
nels , qui étoient Lalain de Montigny , Philippe d'Egrnond,
Gabriel de Liques , Pontus de Noyelle fieur de Bours, qui
mourut vers ce tems.là, le baron d'Aubigny , le fieur de
Manvy, de Claude de Barlaymont de Haultepenne. Il fut en-
core joint par les troupes de Valentin de Pardieu iieur de
la Motte , qui étoient compofées de toutes fortes de nationsj
par les régimens de Robles de Billy,d'Anholt baron de Frife,
& de François Verdugo j enfin par vingt - fept efeadrons
Italiens &c Efpagnols, 6c douze Flamans qui ne failoient
M M m m i j
£44 HISTOIRE
que quatre mille chevaux. Toutes ces troupes , y com-
Henri pris les garniions des places frontières , faifoient envi-
III. ron ioixante mille hommes • &; en Supputant la dépenfe de
i s 8 2. ^eur entrecicn , on trouva que la folde coûtoit par mois , ta ne
au roi d'Efpagne qu'aux provinces des Pais- bas , fix cens foi-
xante èc onze mille huit cens cinquante-fept écus d'or, outre
les clépenfes de l'artillerie , des mineurs , des pionniers , &
autres femblables, qu'on évalué" d'ordinaire au tiers de la
dépenie des troupes. Malgré ce grand nombre, le prince de
Parme Ce plaignoit qu'il ne pouvait pas mettre en campagne
ime armée de trente mille hommes , la moitié étant em-
ployée à la garde des places.
Le premier exploit qu'il fît avec ces troupes fut fur l'E-
clufe , petite ville auprès de Cambrai , que nous avions com-
mencé à fortifier. Dès qu'il en eut fait approcher ion canon,
la ville fè rendit. Cateau Cambrefis fit de même ^ la garni-
fon compofée de cent cinquante foldats fortit avec fes armes..
Il prit plusieurs autres portes des environs par comportions
&; au commencement de Novembre il invertit Ninove : la
ville étant trop éloignée pour être fecouruë fe rendit auffi-
tôt. Les forts de Liedekerke &: de Gaefberg qui font auprès
de Bruxelles fuivirent le torrent. La rapidité de Cqs fuccès
lui fit naître l'envie de faire une tentative fur Bruxelles^ôc
s'il ne pouvoir l'emporter par la force,d'eiîayer de la réduire
par la famine. Mais comme la ville étoit bien garnie d'hom-
mes & de provillons j qu'il y avoir deux mille Anglois à la
folde des Etats , deux compagnies d'infanterie Françoife , &:
quatre efeadrons de vieilles troupes , il Ce contenta de dif
perfer fon armée au loin , & de s'emparer de toutes les ave-
nues. Mais comme le Hainaut & l'Artois étoient ruinés , &
qu'on ne lui apportoit rien de France, il Ce trouva bientôt
dans une extrême difette : ainfî il abandonna ce projet, &
réfolut de s'aller porter dans le pais de Waes , qui eft un
pais abondant entre Gand, Anvers &; Bruxelles , &; qui ju£
qu'alors n'avoit point été pillé , ni ruiné par les troupes. Ce
projet ne réufïït pas mieux que le premier. Leduc d'Anjou.
le prévint en rompant les chemins & les digues -, en forte
que fon armée Ce trouvant attaquée tout à la fois par le
froid , par la faim , & par les eaux débordées , il perdoit
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 645
'tous les jours quantité de foldats, qui m ouroient de maladie
&: de mifére ^ ce qui lui fit d'autant plus de peine , que non- Henri
feulement il fut contraint de renvoyer fon armée dans les III.
places , mais qu'il laifTa dans ces cantons, èc furtout aux en- j 5$ z,
virons de Bruxelles , plus de fept cens malades tant Italiens
qu'Efpagnols , qui relièrent dans les digues expofés ou à la
cruauté , ou à la pitié des païfans.
Les troupes du duc d'Anjou fe fentirent pendant tout l'hy-
ver d'une lernblable difette -, leur folde n'étant point payée3
la mifére caufa parmi les foldats une efpéce de maladie
épidemique , & en réduifit un grand nombre à demander
l'aumône , à la honte du nom François. Enfin les fecours ar-
rivèrent fur la frontière ious les ordres du duc de Monpen-
fier: il avoit fous lui le maréchal de Birondéja fort illuftre
par la gloire qu'il s'étoit acquife dans les guerres précédentes,
& qui le devint encore plus dans la fuite. Comme le repos
Jui étoit infupportable , il n'eut pas de peine à fe rendre aux
foilicitations du duc d'Anjou, 6l il accepta d'autant plus
volontiers cet emploi , que le Roi y donnoit les mains ,
&; que la Reine mère le lui avoit deftiné. Il amenoit trois
mille SuiiTes , quatre mille fancaffins François & quelques
efcadrons ^ il étoit accompagné des comtes de Laval & de
iaint Aignan qui étoient allés depuis peu en France , pour
hâter la marche de ces troupes , aufquelles il s'étoit joint
beaucoup de Nobleiîe Françoife.L'armée marcha par le Bou~
lonois , èc ayant paiïe à la vue de Calais & de Graveline ,
elle fe rendit à Dunkerque , où on la fépara pour la diftri-
buer dans les places voifines, à Tenremonde, à Dixmude ôC
dans quelques autres. Il y eut des détachemens qui eurent
ordre d'aller plus loin, èc qui fe cantonnèrent à Eckeloo 6c
dans le païs de Waes. Le duc d'Anjou prit encore à fon fer-
•vice quelque cavalerie Allemande que Mansfeld avoit licen-
ciée. Après cet arrangement, Monpenfier , Biron , ôc les au-
tres officiers Généraux fe rendirent à Anvers où il étoit alors,
pour délibérer avec lui fur l'ouverture de la campagne pro-
chaine. Ce Prince étant à la tête d'une fi belle armée, H
fembloit qu'il n'y eût rien d'impofiible à la valeur Françoifè;
& le fuccès étoit indubitable , fi les mauvais confeillers qu'il
avoit auprès de lui,ne lui eufTencinfpiré une envie prématurée
MMmmiij
é4S HISTOIRE
de fe rendre Souverain , & ne l'eurent engagé à employer
Henr.1 pour fa ruine des forces , qui pouvoienc lui ailurer une for-
III. tune aufli brillance que folide.
o Les Turcs ayant appris que les Païs-bas s'étoient mis fous
la protection de la France , le Sultan envoya des Ambafla-
deurs au duc d'Anjou pour lui propofer de faire d'Anvers
la place de tout le commerce des Turcs avec tous les peu-
ples de l'Europe ; ils demandoient qu'on accordât aux com-
merçans de Turquie la permiflion de demeurer dans la ville,
ils en fixoient le nombre à dix-huit chez qui feroit le dépôt
de toutes les marchandifes que les Turcs enverroient de l'A-
fie & de la Grèce , d'abord à Marfeille par la Méditerra-
née , de-là à Bourdeaux par terre , 6c de Bourdeaux à An-
vers par les mers de France 6c d'Angleterre. Mais il n'y eut
rien de conclu , 6c les Ambafladeurs furent renvoyés avec
les prefens ordinaires. D'Anvers ils parlèrent fur les côtes de
la mer Baltique, d'où étant entrés en Pologne , ils fe ren-
dirent à Lublin , 6c de-là à Conftantinople.
verdugo af- La guerre continuoit dans les Provinces éloignées. Fran-
fïége oiHem- çois Verdugo qui étoit pour lors gouverneur de Frife,avoic
k°fié*.leVe inverti le vingt-quatre de Janvier Oldemborn, 6c en faifoic
le fiége. Verdugo étoit de la plus baiTè nauTance j il avoic
été palefrenier du comte de Mansfeid fon ancien maître.
Les (orties fréquentes de la garnifon d'Oldemborn lui ayant
fait perdre bien du monde , il leva le fiége -, mais fa retraite
fut difficile : Nienort qui le fuivoit harcelant fans celle fon
arriére- garde, lui tua beaucoup de foldats, en prit, 6c en
dépouilla beaucoup d'autres. La révolte des villes de Bron-
chons 6c de Keppel , qui abandonnèrent dans ce même tems
le parti des Etats le dédommagèrent en quelque forte de ce
qu'il avoit perdu : mais les Anglois 6c les troupes de Nie-
nort ayant aurlitôt arTiégé ces deux places , èc y ayant reliés
jufqu'à ce que le froid eût glacé l'inondation , ils les prirent
d'affaut.
Martin Le quatre d'Avril Martin Schenck, jeune Officier vigou-
Schenck quit- reux 6c habile qui commandoit dans Blienbeck 6c dans queL
Efpa|ucis. °iues petits forts des environs , 6c qui traverioit la naviga-
tion des Hollandois fur le Rhin, fut furpris à Santen (i) %
(i ) Petite ville à deux portées de fufil du Rhin du côté de Cleves,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVÏ. 647
& emmené prifonnier par Hooghfaxen Commandant d'un
petit fort de la Gueldre. Il avoit été pris deux ans aupara- Henri
vant de la même manière par Curtsback 5 mais il avoit trou- III.
vé moyen de tromper fès Gardes & de fe fauve r. Il follici- 1582.
toit alors vivement fa liberté 3 mais piqué de ce que les Ef-
pagnols ne fè remuoient pas beaucoup pour la lui faire ren-
dre , il quitta leur parti , 6c s'engagea au fervice des Etats.
Dans ce même tems Verdugo afiîégea Lochem fur la ri- siégcdela*
viére de Bekel dans le voifinage deZutpben. La place étoit chera'
aux abois, lorfque Guillaume de Naflau fils aîné de Jean
arriva avec un grand convoi qu'il fit entrer dans la ville.
Verdugo jugeant que de long-tems il ne pourroic affamer lç$
habitans , fit reculer {qs troupes j 6c ayant élevé quelques
forts de terre autour de la place , il fe contenta d'empêcher
par des courfes aux environs , qu'on ne pût y amener des
vivres , 6c les réduiflt bientôt à une difette pareille à celle
qu'ils avoient déjà éprouvée. Les comtes de Hohenlo 6c de
Naffau inftruits du péril où la ville fe trouvoit ramafTérenc
à la hâte ce qu'ils purent de troupes j c'eft-à-dire , environ
deux mille fantafîins 6c mille chevaux , 6c ils fe mirent en
marche avec quelques pièces de canon pour eflayer de fe-
courir la place. Dès qu'ils furent arrivés , ils attaquèrent les
ennemis avec tant de vigueur, que Verdugo fut obligé , pour
fauver fa vie , de gagner à la hâte une montagne qui étoic
derrière ces forts. Il s'y retrancha avec toute la diligence
poflible : mais trois jours après , le fîeur d'Allens gentilhom-
me du côté d'Arle 6c très-bon Officier , attaqua avec fon
régiment un dss forts qui étoient au bas de la montagne.
En même tems la garnifon fit une fortie, s'empara de celui
qui étoit devant la porte des moulins , èc tua quatre-vingts
hommes aux ennemis. Pendant qu'on étoit aux mains dans
ces deux endroits , on -rétablit le pont que les afîîégeans
avoient ruiné , 6c on fît entrer un grand convoi dans la ville.
La nuit fuivante on prit les deux autres forts : mais la cava-
lerie des Etats marchant avec un peu trop de négligence
contre l'ennemi qu'elle tenoit comme dans un filet , Verdu-
go rappelle fa valeur, les charge, les diffipe , èc les met en
déroute avec un grand carnage -, le régiment du fîeur d'Al-
lens , les trois fils du comte de Berg , 6c toute la Nobleûe
*4* HISTOIRE
*- —i^= de Gueldre fe retira dans Lochem -y le refte fe fauva à De^
Henri venter. N
1 1 1. Verdugo enflé de ce fuccès , 6c jugeant que ce qu'on avoir
1582. jeccé de vivres dans la place, ne iuffiroit pas pour nourrir
long-tems tout ce qui s'y étoit retiré dans la déroute , affiége
de nouveau cette ville : mais les (orties continuelles des affié-
gés lui emportant beaucoup de monde , Mansfeld & Haulte-
penne vinrent le joindre avec cinq cens chevaux 6c quinze
cens hommes de pied. Verdugo fier de ce renfort, fait aux
afliégés des menaces terribles s'ils ne le rendent : mais quoi-
qu'ils fulîènt dans une grande difette , 6c que depuis vingt
jours ils ne vécuiïènt que de chair de cheval, ils répondirent
avec hauteur à fes menaces. Hohenlo de ion côté fonçeoic
à les fecourir : 6c étant couru à Zutphen , puis a Anvers , Se
ayant obtenu du duc d'Anjou deux mille cinq cens fantaf-
iins , quinze cens chevaux , 6c trois compagnies de cavalerie
Angloife , commandées par Noritz , il revint en trois jours
à Lochem. Son arrivée jetta l'épouvante dans le camp des
Efpagnols. Mansfeld , pour fecourir Verdugo , quitta avec
quelque défordre le lieu qu'il avoit marqué pour fon camp ,
6c pafla de l'autre côté de la rivière. Hohenlo va auffitôt fe
pofter dans le camp qu'il venoit d'abandonner, 6c il y eut
une action très-vive auprès d'un fort , qui étoit vis-à-vis de
la place, Hohenlo ayant tué beaucoup de monde aux enne-
mis , 6c fe trouvant iupérieur en nombre , fait un retranche-
ment entre deux des forts des ennemis • 6c après s'être ainfî
couvert , il jette un pont fur la rivière par où les foldats6c
les fourageurs des afîiégés entroient librement dans la ville,
6c en fortoient de même, fans que les ennemis pufTent leur
faire aucun mal , 6ç il bâtit enfuite un fort fur l'ouvrage qui
couvroit fon pont.
Levée du Les affiégeans voyant qu'il entroit tous les jours des vivres
chem. C ° dans la ville , 6c que s'ils s'opiniâtroient à continuer un îiége
qui paroifToit devoir être long, ils pourroient fe trouver enve-
lopés, abandonnèrent leurs lignes le 24. d'Août , &c fe retirè-
rent en bataille 3 Verdugo à Grolle , 6c Mansfeld 6c Haulte-
penne en Brabant.
Le lendemain on fit entrer dans Lochem toutes les pro-
yiiions donc elle avoit befoin . 6c on rafa les forts que les
ennemis
DE J. A. DE T HOU, Liv. LXXVÏ, 649
ennemis avoienc élevés autour de la place. Un baron de Guel-
dre, nommé Anholt, qui avoic extrêmement follicité Ver- Henri
dugo à entreprendre ce fiége , y fut tué d'un coup d'ar- III.
quebufe. • ; ^ I5g2.
Verdugo , qui étoit a&if , voulant réparer le tems que la
malheureufe expédition de Lochem lui avoit fait perdre, f Stecn* lck
après avoir tenté plufieurs fois ,& toujours inutilement de
fè rendre maître par force de Stecnwick , réfolut d'em-
ployer la rufe. Il le fervit d'un païfan qui , foit par haine
pour les habitans, foit parce qu'on ne l'avoit pas payé d'un
ouvrage qu'il avoit fait , réfolut de fe venger. Dans le foilé
de la ville qui étoit plein d'eau & très-profond par-tout , on
avoit laiMe un gue pour le befoin. Ce païfan le montra à
Verdugo. Les Efpagnols ayant obfervé le tems que la plus
grande partie de la garnifon étoit fortie de la place pour
attaquer les affiégeans à la faveur d'une nuit très-obfcurc ,
parlèrent par ce gué avec des échelles , efealadérent les murs,
maiîacrérent fans quartier les corps- de-garde qu'ils trouvè-
rent , &; fe rendirent maîtres de la place le 1 5. de Novembre.
Cette conquête ne parut pas confidérable ; car la pefte avoic
tellement affligé cette malheureufe ville , qu'il n'y avoit pref
que plus d'habitans -y &: comme il fe trouvoit quantité de
bonnes places aux environs , la perte de celle-ci ne faifoit pas
grand mal aux Etats.
Après avoir parlé des affaires de Portugal & des Païs-bas Affaires ^
que j'ai, pour ainfi dire, confondues cette année avec les France.
nôtres, parce que les intérêts font communs, rapprochons-
nous , & voyons ce qui fe paiTe a la Cour. Deux rudes coups
avoient frappé le Roi en même tems : mais ce Prince d'un
caradére à oublier aifément le paffé , à fe mettre peu en
peine de l'avenir-, &à ne s'occuper que du préfent , crut
après l'événement n'avoir plus rien à craindre pour la fuite.
Il regardoit la conjuration de Salzede comme l'ouvrage de
fon frère & de fes partifans, qui avoient inventé toute cette
intrigue pour inquiéter & rendre fufpeclzs tous les Grands
du Royaume 6c les Miniftres , dans la vue* de les faire chafler
de la Cour, de le mettre lui-même dans l'embarras, & de
l'obliger à recourir au duc d'Anjou. De Thou qui avoit
opiné tout haut fur cette affaire en préfence du Roi , lui avoit
Tome V l IL NN nn
6$o HISTOIRE
i^iij11"1" ! donné avis en fecret y de ne pas croire tout ce que Salzede
Henri avoit die de plufieurs perfbnnes qu'il avoit nommées ; mais
III. aufli de ne pas négliger cette conjuration : Que les auteurs
1582. en étoient connus, & qu'il étoit confiant qu'ils avoient eu
defîein d'exécuter ce qu'ils avoient projette : Qu'il y avoit
grande apparence qu'entre ceux que Salzede avoit nommés
comme complices de cette conjuration , il s'en trouvoit beau-
coup qui n'y avoient eu aucune part ^ mais que les conjurés
en avoient ufé de la forte , en partie pour rendre ces perfon-
nes fufpectes , en partie pour faire valoir leur faction &
l'accréditer , parce que les hommes penchent toujours vers
le parti que la fortune femble favorifer. Ce Vieillard ref-
pectable donna cet avis & beaucoup d'autres femblables au
Rci , de les lui repétoit fouvent en particulier , pour les rai-
fons que j'ai dites : mais le Roi le regardant lui-même com-
me fuipecl: , fit peu de cas de tout ce qu'il lui difoit. D'ail-
leurs Joyeufe, qui étoit allé voir fon père en Languedoc 5
étant revenu fur ces entrefaites , employa fon crédit pour
faire précipiter le jugement • &; Villeroi , qui avoit été nom-
mé parmi les conjurés, eut beau demander qu'on le retar-
dât , afin qu'il put fe juftifier , il ne put rien obtenir.
Pour la défaite de Strozzi , dont la nouvelle arriva prefque
dans le même tems, cette perte qui de voit accabler le Roi,
ne le toucha que foiblement , parce que fon efprit étoit
alors préoccupé de la crainte de la conjuration de Salzede 5
& dbs que cette crainte fut diiîîpée , la mémoire du malheur
de Strozzi , qui intéreiîbit extrêmement l'honneur de la Na-
tion , fut bientôt effacée de Teiprit de ce Prince , qui ne fe
foucioit que du préfent. Une partie des courtifans, unique-
ment attentifs à leurs intérêts , lui déguifoient les chofes ;
les autres , livrés à une lâche & honteufe fkterie , enfe-
veliiîbient dans un criminel filence tout ce qui intérefToit fa
réputation.
Cependant les chefs de la faction ne fe tenoient point
oîiifs j & pour diffiper la crainte préfente par une autre, ils
faifoient répandre par leurs émifîàires , dont ils avoient rem-
pli les villes , la NoblefTe , la Cour , ôt tout le Royaume , que
les Proteflans fe préparoient à nouvelle guerre civile. Les
Prédicateurs , qui ont dans la fuite fi bien fervi les Ligueurs ■,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 65i
commencèrent à déclamer contre Plié rc fie, 6c à lever pour ~^^-'-^
ainfî dire Pétendart de la révolte. La Religion , à lesenten- Henri
dre, étoit à deux doigts de fa perte } on le pubiioit dans les III.
chaires , dans les écoles , dans ks cercles , 6c dans le Tribu- r - g z
nal même de la pénitence 5 on l'infinuoit aux perfonnes fim-
pies 6c crédules > on les exhortoit à faire dts affociations -,
on recommandoit aux peuples les Princes Lorrains , zélés
défenfeurs de la Religion de leurs Ancêtres 5 on élevoit juf
qu'au Ciel leur foi àc leur piété , 6c fouvent on aceufoit in-
diredement de diffimulacion 6c de lâcheté les perfonnes les
plus refpe&ables du Royaume , qui ne penfoient pas comme
eux. Leur but étoit d'accréditer les Guifes , &c de faire haïr
&c méprifer le Roi , auffi-bien que tous les Princes du fang
Royal. Le Roi le fçavoit ; mais pour y remédier , il eût fallut
fortir delà léthargie. D'ailleurs ceux qui Pobfédoientavoient
pour principe, qu'il valoit mieux tout fouffrir, que de rien faire
qui pût divifer les Catholiques. La Reine mère qui n'aimoit
pas le roi de Navarre , 6c qui penchoit entièrement vers le
duc de Lorraine fon autre gendre , qui avoit beaucoup d'en-
fans de Claude de Valois fa fille, favorifoit dès-lors le parti
des Guifes , & elle infinuoit au Roi qu'il devoit méprifer
cette licence des Prédicateurs j que la même chofe lui étoit
arrivée à elle - même dans le tems qu'elle gouvernoit pen-
dant la minorité de Charle IX. Que les Prédicateurs dans
leurs fermons , 6c la populace dans fes difeours la déchiroient
continuellement : Que ces invectives méprilées s'oublioient
bien vîte ^ au lieu qu'on les accréditeroit en les relevant.
Ainfî le Roi perfuadé que la tranquillité du Royaume ne
pouvoir être troublée que par les Proteftans , laiffa aux Lor-
rains la liberté de tout entreprendre , 6c aux Prédicateurs
celle de tout dire en faveur de cette fa&ion : 6c pour montrer
combien il avoit d'amour pour la Religion , 6c de haine pour
l'hérefie , il réfolut dès ce moment de ruiner les Proteftans ,
&c de les dépouiller de leurs dignités , de leurs charges, 6c
de toute l'autorité qu'ils avoient : 6c comme il fentoit bien
qu'il auroit de la peine à y réuflir par la force, il réfolut
d'employer la rufe 6c l'artifice. Le cinquante neuvième arti-
cle de l'Edit qui leur avoit été accordé cinq ans auparavant
leur donnoit huit villes de fureté , à condition qu'ils les
NNnn i j
*5* HISTOIRE
remettroient au Roi dans fîx ans ^ le tems de les rendre
Henri n'étarft pas éloigné , il les fit redemander au roi de Navarre
III. par des perfonnes qu'il envoya exprès.
1582.. Après les grands objets dont je viens de parler , le pre-
mier foin qui occupa ce Prince fut l'acceptation de la réfor-
me du Calendrier par le Pape , 6c la publication de ce Règle-
ment dans tout le Royaume. Comme c'eft un événement
mémorable , je crois qu'il eft à propos que je m'étende un
peu fur cet article.
Réformedu : L'ancienne année des Romains n'étoit pas de dix mois,
Calendrier comme l'ont prétendu Junius Gracchus, Fulvius , Varron,
xinGre§°irC Ovide 6c Suétone, mais de douze, comme l'ont cru Licinius
Macer , 6c Feneflelle, ainfî que nous l'apprenons de Cenfo-
rin. Le premier de ces douze mois é toit Mars, 2c Février le
dernier: Mars, Mai, Juillet & Odobre, avoient chacun
trente & un jours ^ les autres n'en avoient que vingt-neuf, 6c
Février même n'en avoit que vingt- huit. L'année entière
n'étoit que de trois cens cinquante-cinq jours :ainfi l'année
Romaine étoit de dix jours moindre que celle des Egyptiens*
Pour remédiera cet inconvénient, on eut recours à Tinterca-
lation , 6c voici comme on la faifoit. Tous les deux ans, entre la
î'ète. du Dieu Terme , & celle de l'expulfion des Rois on inter-
caloit vinp-t-deux 6c vingt-trois jours alternativement : le3
vingt-deux jours s'intercaloient après le vinçt-deuxiéme de
Février 5 6c les vingt-trois , après le vingt-troifiéme : ainfi ce
mois avoit toujours (es vingt-huit jours entiers après l'inter-
calation , 6c les vingt-deux ou vingt- trois qui précédoient
ne lui appartenoient point : c'étoit une efpéce de mois ex-
traordinaire, qui s'appelloit Mercedonius, au rapport de
Plutarque. Les Pontifes faifoient la cérémonie de cette in-
tercalation dans la Cour Calabre ( 1 ) tous les deux ans , fans
interruption, il ce n'eft après vingt-quatre ans qu'on omet-
toit la douzième intercalation , qui devoit être de vingt-
trois jours } car alors ils comptoient que la période étoit
complette, 6c que l'année étoit revenue au même point où
(1) Cette Cour Calabre e'toït dans
le Capitole : c'e'toit un bâtiment cou-
vert de chaume , oh le Sacrificule , ou
Intendant des facrifices , affembloit le
Se'nar ôc le peuple , pour les avertir des
fêtes 8c des facrifices. On l'appelloit
Calabra de Caîare , qui veut dire ap-
peller , afTembler, mot qui venoit du
Grec %*Miy,
N DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 653
elle étoic vingt-quatre ans auparavant: car vingt-quatre fois —
trois cens cinquante-cinq jours , avec fîx fois vingt-deux, êc Henri
cinq fois vingt-trois , font en tout huit mille fept cens foi- II I.
xante-fept jours : mais il y en a un de trop , parce que vingt- 1582,
quatre années du Calendrier réformé par Jule Cefar ne font
que huit mille fept cens foixante-fîx jours. Ainfî l'intercala-
tion étant déjà vicieufe en elle-même , le vice fut encore
augmenté par l'irrégularité des intercalations : car les Pon-
tifes qui étoient les maîtres de l'intercalation , la faifoient
tantôt plutôt , tantôt plus tard, fur-tout quand ils vouloient
faire de la peine à quelques Magiftrats qui leur déplaifoienc.
Le dérangement monta à un tel point , qu'en l'année qua-
rante-fept avant la naiflancë de Notre-Seigneur Jeius-Chrift ,
le premier jour de l'an tomboit dans le mois d'Octobre de
l'année Julienne (1 ) , ce qui troubla extrêmement l'ordre des
tems 6c des affaires civiles. Jule Cefar Grand Pontife entre-
prit d'y remédier , lorfqu'il fut Conful pour la troisième fois
avec M. Emilius Lepidus , & s'appliqua à la correction des
fades. En effet , Dion nous apprend au liv. 43. de fon His-
toire, que Cefar étant à Alexandrie , où il y avoit grand
nombre d'habiles Aflronomes , prit d'eux de nouvelles ins-
tructions, èc confulta encore Fofigene 5 qu'enfin après beau-
coup de difcufllons &; de difputes entre les Sçavans de cette
prorefïion , on fe réunit à admettre l'année folaire de trois
cens foixanté-cinq jours ôc un quart , comme elle avoit été
réglée par Caîippe de Cyxique & par Ariflarque de Samos :
ce quart reftant faifoit au bout de quatre ans un jour entier :
ainfî chaque quatrième année devoit être de trois cens foi-
xante-fix jours.
L'année de la réforme de Cefar , qui eft justement la.
quarante - cinquième avant l'Ere Chrétienne , eft appellée
Vannée de conf'ujion. Lexycle de la Lune étoit treize, & celui
du Soleil vingt , &: cette année fut de quatre cens quarante-
quatre jours, comme on le voit dans les Auteurs anciens.
Si de ce nombre vous en ôtez trois cens foixante & cinq jours ,
qui font l'année Julienne , il reftera foixante Se dix -neuf,
lefquels comptés depuis le dernier Décembre en reculant s
(0 On appelle ainfî les années du Calendrier reforme' par Jule Cefar, qui
a fubfîûe' jufquen 15 3î,
NNnn iij
6j4 HISTOIRE
m Tombent au quatorze d'Odobre. Ain fi les Calendes de Jan-
Henri vier fe trouvoient le quatorze d'Odobre , lorfque Cefar en-
III. treprit de régler l'année ^ & parce qu'il falloir intercaler cet-
ï 582, te année-là vingt-trois jours, on plaça après le 23. de Fé-
vrier l'intercalation du jour qui revient de quatre en qua-
tre ans, &; qui eft formé de ce quart , lequel excède les trois
cens foixante & cinq jours de Tannée Julienne. Par confé-
quent la première année Julienne eut pour cycle folaire
vingt-un, &; pour cycle lunaire quatorze. Cefar ayant été
tué la féconde année Julienne , lorfqu'il fut queftion d'in-
tercaler un jour après la quatrième année révolue , les Pon-
tifes ne comprenant pas l'efprit & le fens de fonEdit , inter-
calèrent un jour après le vingt- troifïéme jour de chaque
quatrième mois de Février depuis la réforme , au lieu qu'il
ne falloit l'intercaler que dans chaque cinquième. Ainfi au
bout de trente-fîx ans , au lieu de neuf jours qui dévoient
avoir été intercalés , il s'en trouva douze. Sur cela Augufte
fit un Edit , par lequel il ordonna qu'on laifïèroit palier dou-
ze ans fans intercalation , à commencer à la trente-feptiéme
année Julienne, jufqu'à la quarante-huitième révolue. De
cette manière , l'intercalation n'a commencé à fê faire ré-
gulièrement que dans la quarante-neuvième année Julien-
ne, qui eft la quatrième de l'Epade Chrétienne -y & depuis
ce tems-là , il n'y a plus eu d'interruption. Cette intercala-
tion s'appelle biflexte , parce que le 24. Février eft le 6. des
Calendes de Mars : Se comme ce jour le compte deux fois ,
il s'appelle biflexte. Le premier de ces deux jours s'appelle
le fixiéme des premières Calendes de Mars , de le fécond ,
le fixiéme des fécondes Calendes. Cette année Julienne
étant fort commode , elle fut adoptée de toutes les Nations :
cependant on reconnut dans la fuite qu'elle n'étoit pas en-
core parfaitement correde 5 car dans l'efpace de cent trente-
trois ans, il fe trouve un jour de trop, parce que le quart
de jour qui refte au bout des trois cens foixante-cinq jours
de chaque année n'eft pas entier , il s'en faut douze mi-
nutes.
Les opinions des anciens ont été fort différentes fur Je
tems de la durée de l'année naturelle. Ptolomée qui vivoit
à Alexandrie environ cent quatre-vingts ans après Jule
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXIV. 65 j
Cefar a rapporté fort au long ces fentimens dans fon traité m-
de la grande confbru&ion. Ces douze minutes ont dans la Henri
fuite des tems caufé un dérangement confiderable, qui a III.
été encore augmenté par Peccentrique du Soleil, &: parla 1582.
mobilité de fon apogée : car l'équinoxe arrivant aujourd'hui
l'onzième du mois de Mars , il faut qu'il fe foit trouvé au
vingt-trois , ou au vingt- quatre de Mars du tems de Céfar,
&: au vingt-un du tems de Conftantin : Se comme la fête de
Pâque doit fe célébrer le Dimanche d'après la pleine Lune ,
les Pérès du concile de Nicée réglèrent , que la pleine Lune
qui fuivroit le vingt èc un de Mars feroit le terme qui fixe-
roit Pâque , &. que le Dimanche qui fuivroit immédiatement
ce terme , feroit le Dimanche de la Réfurrection. Mais il y
a eu depuis beaucoup de confufion dans les équinoxes : &c
l'année 526. l'erreur étant déjà fort fenfible , Denis fur-
nommé le Petit , y remédia , mais pour quelques années
feulement.
Il y a environ cent ans que le Pape Innocent VIL fit venir
à Rome un grand Aftronome , nommé Jean de Royau-
mont ( 1 ) , pour réformer le Calendrier. Les enfans de Geor-
ge de Trebizonde fâchés de voir un Allemand infiniment plus
habile que tous leurs Grecs, trouvèrent moyen de Pempoi-
fonner : ainfî il ne put fatisfaire au defir du Pape : mais les
écrits qu'il nous a laïfTes nous donnent allez à connoître ce
qu'il étoit capable de faire en ce genre.
Il y a beaucoup d'Auteurs qui ont écrit fur la manière
de régler Tannée folaire, entr'autres le cardinal d'Ailly évê-
que de Cambrai , le cardinal Cufa , Robert évêque de Lin-
coln, &; Paul de Mildebourg évêque de Foilembron , qui a
dédié à l'EmpereurMaximilien I. un grand ouvrage qu'il a voie
compofé fur cette matière. Depuis ce tems-là , &; fur-tout
depuis le concile de Trente , plusieurs habiles gens ont traité
ce fujet , entr'autres Jean Gines de Sepulveda de Cordôuë ,
Jean-François Spinola Milanois, Benoît Maggiorino , Luc
Gaurico attaché à Paul III. & P. Pittato Veronois, quia
compofé un livre exprès , dans lequel il réfute Gaurico.
Mais depuis la publication du concile de Trente, cette
(1) Comme il croit Allemand , fon I veut dire la même chofe que Royau-
îiompounoit bien être Conigsberg , qui | mont,
6]6 HISTOIRE
■— réformation, qui avoir été demandée &: tentée plusieurs fois,
Henri fut enfin entreprife par Grégoire XIII. qui s'y appliqua avec
III. d'autant plus d'empreiîèment , qu'il craignoit que les Empe-
ij'Sz. reurs ne lui en enîevaiïenr la gloire, èc ne regardalTenc
cette affaire comme étant du refiTort de la jurifdi&ion Im-
périale. Il confulta tout ce qu'il y avoitde plus habile dans
les Académies d'Italie. Il écrivit au Sénat de Venife pour
le prier d'engager les Sçavans de l'Univerilté de Padouc à
donner fur cela leurs avis -, il chargea de cette négociation
Jofeph Moletio MeiTinois , qui a donné depuis deux ans les
tables Grégoriennes.
Lorfque l'on compara tous ces avis , ils fe trouvèrent très-
différens pour les raifons que j'ai dites : ils difoient que la ré-
formation de Jule Cefar , ou mal faite , ou mal interprétée
par les Pontifes avoit été la fource de la confufion qui étoic
arrivée depuis , & quiétoit telle que l'équinoxe du printems
qui tomba du tems de Notre- Seigneur au ving-quatre de
Mars , étoit déjà reculé de trois jours du tems du concile de
Nicée, & retombé au vingt &: un, & que ce dérangement étoic
arrivé à caufe de l'inégalité des années qui n'avoir pas été
bien obfervée. Que depuis Ptolomée, Muhamed Albategny
d'Arac ayant fupputé avec plus d'exactitude que ceux qui
avoient travaillé avant lui , &c ayant réfuté les vidons d'Hip-
parque &: de Ptolomée, avoit donné à l'année folaire trois
cens foixante-cinq jours cinq heures quarante-flx minutes
& vingt - quatre iècondes. Suivant ce calcul , il faudroic
omettre l'intercalation d'un jour tous les cent fix ans $ car
il difoit que depuis le tems de Ptolomée jufqu'au lien , l'é-
quinoxe avoit reculé de près de fept jours : Que depuis ce
tems-là Alfonfe X. roi d'Arragon , de l'avis defes Agrono-
mes, avoit fixé l'année au même nombre de jours que lui,
mais qu'il avoir penfé autrement fur l'excédant ^ car Alfonfe
ne le fait que de cinq heures quarante-neuf minutes &: feize
fécondes • en ibrte que l'intercalation ne devroit être omife
que tous les cent trente-quatre ans (i) : Qu'enfin Copernic ,
(i) L'année d' Alfonfe fait l'excé-^. minutes 16. fécondes, ont plutôt
dantplus fort que celle de Muhamed , j fait un jour que J. heures 46. minutes
par confe'quent l'intercalation devroit : & 24. fécondes.
celTer plus fréquemment ; car 5. heures j
obfervateur
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVL 657
obfervateur très-exact des mouvemens céleftes , avant com-
paré tes obfervations avec celles des Anciens , avoic décou- Henri
vert qu'il y avoic de l'inégalité dans les années folaires : III.
Que cette inégalité avoit été confidérable en certains fié- 1582,
clés , moindre dans d'autres , &: moindre encore en quel-
ques-uns , ce qui avoit donné lieu aux difFérens fentimens
qu'on a eus fur cette matière. Que fur ce principe Speronius
qui avoit confervé dans fa vieilleiTe toute la force de Ton ju-
gement &; toute la pénétration de Ton efprit, prétendoic
qu'il ne falloit régler dans le cours de l'année que certains
points fixes j que comme les équinoxes & les folftices fe pou-
voient connoître certainement , on pouvoit auffi marquer
certainement le tems de célébrer la fête de Pâque , qui fe
trouveroit par-là le vingt-cinquième de Mars , ou la veille ,
gu le lendemain.
D'autres, comme Matthieu Macini, & Moletio lui-mê-
me , ont jugé qu'il falloit quelque chofe de plus pour réfor-
mer en même tems l'année naturelle & l'année civile, 6c
que la fête de l'Annonciation , ou de l'Incarnation de Notre-
Seigneur Jefus-Chrift ayant été autrefois célébrée le vingt-
cinq Mars, &; fe trouvant aujourd'hui entre le onze & le
douze du même mois , il falloit tout d'un coup retrancher
quatorze jours, &; compter le dix pour vingt-quatre, & le
onze pour vingt-cinq. Les fentimens ont auffi été partagés
fur cette réduction : les uns vouloient qu'elle ne fe Fît qu'en
deux ans y que pour cela on réduiroit les fept mois qui ont
trente de un jours , à trente jours pendant deux ans 5 d'autres
prétendoient qu'il feroit encore plus commode d'omettre
l'intercalation pendant cinquante-fîx ans. Moletio, que le
Sénat de Venife avoit chargé de cette affaire , étoit d'avis,
ou de commencer le mois de Janvier au dix-huitiéme de
Décembre , ou de commencer celui de Mars au quinze de
Février , & d'établir pour l'avenir quelque habile Aftrono-
me , qui auroit foin d'obferver avec la dernière exactitude l'é-
quinoxe du printems. Qu a l'égard de la fête de Pâque , il
falloit la célébrer le premier Dimanche après la pleine
Lune j mais que fî la pleine Lune tomboit au Dimanche , il
faudroit remettre la fête de Pâque à la pleine Lune fuivante,
afin de ne la pas célébrer le même jour que les Juifs.
Tome VIII. O O 0 o
65S HISTOIRE
Junctin ayant été confulté par le Pape, dit, qu'il falloit
Henri ôter dix jours de l'année, & enfuice en ôter un tous les cent
III. trente ans. Albert Léonin publia en cetems-là un livre dans
1582. lequel il approuvoit le retranchement d'onze jours ; mais il
foûtenoit que chaque cent cinquantième année, il faudroit
retrancher un jour.
Pour faire plaifir au Pape, François Marie ducd'Urbin,
confulta Gui Ubalde de l'illuftre famille des marquis del
Monte, l'un des grands Aftronomes de ce tems-là. Il donna
fa réponfe par écrit , mais fans s'écarter en aucune manière
de la correction faite par les Pérès du concile de Nicée.
Le Pape ayant écrit au Roi fur ce fujet , on confulta Fran-
çois de Foix deCandale , Seigneur illuflre par fanaiflance,
(puifqu'il étoit ou parent, ou allié de prefque tous les Prin-
ces du monde ) mais qui ne l'étoit pas moins par les admi-
rables connoiflances qu'il avoit acquifes dans ces feiences
fublimes. Son avis étoit d'aller jufqu'à la fource de l'erreur ,
de calculer exactement le cours du Soleil , de régler l'année
dans la dernière précifîon fur ce calcul , 6c de fixer pour cela
les termes des équinoxes.
Le Pape perfaadé qu'il étoit de l'honneur du Saint Siège
que cette affaire fut réglée à Rome, ne laiflà pas de consul-
ter les Princes de l'Europe 3 mais il vouloit que la décifion
de quelque côté qu'elle vînt, parût venir de lui. Dans cette
vue il adopta la correction faite autrefois par le frère d'un
Médecin, nommé Antoine Lilio , 6c dont le plan expliqué
dans un écrit fuccint , avoit été approuvé par François Lau-
ro évêque de Mondovy , pour qui le Pape avoit beaucoup
d'eftime. Sa Sainteté en envoya des copies à tous les Princes
Chrétiens , Se à toutes les Universités de l'Europe , afin qu'u-
ne affaire où tout le monde étoit intéreffé , pût être réglée
d'une manière approuvée de tous.
Voici la réformation propofée par Lilio. On retranchait
dix jours de l'année -? 6c comme l'année folaire cft de trois
cens foixante-cinq jours , 6c la lunaire de trois cens cinquan-
te-quatre, èc qu'ainfi la différence de ces deux années ef!
d'onze jours , ce qui s'appelle cpatfe. L'épa&e de la première
année étant d'onze jours, l'épadefuivante doit être de deux
fois onze jours, c'eft-à-dire de vingt- deux, 6c la troifième
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 659
de trois fois onze, c'eft-à-dire de trente- trois jours. Mais ' 1 »
alors il faut ôter de trente-trois le mois , qui eft de trente Henri
jours • ainfî il refiera trois d'épa&e , qu'il faudra l'année fui- III.
vante augmenter d'onze, ce qui fera quatorze, èc ainfî de 1581,
fuite, en obfervant toujours , que àbs quel'épacte aura plus
de trente jours , il faudra retrancher trente , & compter le
furplus pour l'épadie , en continuant ainfî jufqu'à la dix-
neuviéme année : car le cycle de la Lune eft de dix-neuf
ans, comme celui du Soleil eft de quatre fois fept , c'eft-à-
dire vingt-huit ans. Ce cycle de dix-neuf ans eft ce que nous
appelions nombre d'or. Cenforin l'appelle l'année Metoni-*
que (1) , au bout de laquelle on croit que la Lune revient
par rapport au Soleil au même point où elle étoit dix-neuf
ans auparavant.
Lilio ayant retranché ces dix jours , que notre année avoic
de plus que l'année folaire , retrancha aufîî dix jours des
épacles. De plus comme dans la fupputation de l'année fo-
laire , il n'y a que trois bifTextes , ou trois bifïextiles à re-
trancher en quatre cens ans ^ Lilio fuit Pittato , & retranche
un biiTexte à chacune des trois premières centaines , bif-
fant la quatrième centaine fans retrancher le biiTexte, &c
continue à retrancher la cinquième centaine. Mais bien des
gens ont rejette ce calcul comme vicieux , par rapport au
Soleil & à la Lune , étant fondé fur les cycles &c lunaires
& folaires ^ qui ne font pas juftes , de forte qu'en le fuivant ,
il arriveroit infalliblement qu'on célébreroit quelquefois la
fête de Pâque à contretems , &; qu'on tomberoit dans l'er-
reur des Quarrodecimans , qui célébroient la fête de Pâ-
que dans la pleine Lune, comme l'a démontré fort au long
Jofeph Scaliger, le plus içavant homme de ce fiécle,dans
ion livre de la correction des tems , ouvrage admirable , &
qui vivra autant que le monde.
Meftlin de Gceppinghen profeiTeur de PUniverfité de Tu-
binge a publié deux écrits contre le calcul de Lilio, ôc Cla-
vius célèbre Jéfuite qui étoit profeiTeur à Rome , acompofé
pour ce calcul une grande apologie dédiée à l'empereur Ro-
dolfe , où il réfute les deux ouvrages de Meftlin. Il corn-
pofa depuis un autre ouvrage , où il tâche de réfuter les
(1) Parce que ce cycle fut inventé par un Agronome nommé Meton.
O O o o ij
66o HISTOIRE
tables de la période Julienne données par Scalîger.
Henri Hugolin Martelli évêque de G lande ve a donné fur la
III. même matière un ouvrage intitulé la Jufiif cation des temsfa-
1581, cr^s -> & un autre fous le nom de Clef du Calendrier Grégorien.
Et chez nous, François Viete deFontenai en Poitou, maître
des Requêtes, homme très-vcrfè dans ce genre defcience,
a propofé fous le règne de Henri IV. & long-tems après la
réception du calendrier Grégorien, une nouvelle manière
de régler l'année fol aire 5 il a fait même des tables confor-
mes à l'ufage de l'églife Romaine } mais il ne les a pas pu-
bliées , parce qu'il vouloir auparavant en communiquer avec
le nouveau Nonce deftiné pour la France , &c qu'on atten-
doit de jour en jour.
Cependant Grégoire qui avoit dès l'année précédente
donné une Bulle à Frefcati datée du vingt-quatre Février
pour la publication de Ion nouveau Calendrier , envoya le
cardinal de Madrucci évêque de Trente à l'Empereur Ro-
dolfe pour le faire recevoir. L'Empereur fe rendit à Aufbourg
pour la première diète qui s'y tint depuis la mort de Maxi-
milien II. fon père , & qui commença le vingt- fèpt de Juin.
* Angafte L'éledeur de Saxe* , le duc de Mekelbourg &: quelques au-
tres Princes du cercle de Saxe l'y joignirent. On y parla de
lever de l'argent pour défendre la frontière contre le Turc:
mais les Députés déclarèrent qu'ils n'y entendroient point
jufqu'à ce qu'on leur eût donné fatisfadion fur leurs griefs.
Dès le mois d'Avril , l'Empereur avoit aiïèmblé à Pref-
bourg les Etats du royaume de Hongrie , & il y avoit mis
trois chofes en délibération 5 1 °. l'impôt des trois Hongres ( 1 )
qui fe le voit fur chaque maifon • 20. lesmefures qu'il falloit
prendre pour faire fubfifler les garnifons des places, &; les
troupes qui étoient fur la frontière ^ 30. de nommer Maxi-
milien fon frère viceroi de Hongrie. Le Sénat & les Etats
firent de leur côré des demandes au Roi , & l'on convint de
tout fans difficulté : mais les Proteftans fe plaignoient de ce
que l'Archiduc Charle oncle de Rodolfe , après avoir ac-
cordé aux Proteftans du païs un temple à Gratz pour s'af-
fembler , avoit défendu au Sénat , & à la bourgeoise d'y en-
trer , jufque-là même qu'il en avoit fait mettre quelques
(i) Hongre , monnoie d or un peu plus pcfante que notre e'cu d'or»
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 6Ci
uns en prifon pour n'avoir pas obéi* à Tes ordres, 6c qu'il _" »
leur avoir fait payer de groflès amendes. Henri
L'Empereur demanda aux Princes aflèmblés à la diète III.
d'Aufbourg ce qu'ils penfoient du nouveau Prince que tes j <g2->
Etats s'étoient donnés dans les P aïs-bas, 6c s'ils ne trouvoienc
pas que cette conduite fût préjudiciable à l'Empire. Il n'ou-
blia rien pour intéreilèr le corps Germanique dans une in,
jure qui ne regardoit que la maifon d'Autriche : mais on ne
prit fur cet article aucune réfolution. Sur La fin de la diète,
on parla du nouveau calendrier^l'éle&eur de Saxe quil'avoic
prévu , avoir écrit à cette occafion fort au long au Landgrave
de HeiTe , qui s'étoit acquis une grande autorité parmi les
Proteftans par fa prudence 6c fon amour pour la jultice ; 6c
ce qui eft rare dans un homme de ce rang, par jfon habileté
dans l'Affcronomie. Il fit réoonfeà l'Electeur , qu'il ne s'aeif-
foit pas tant de délibérer fur la chofe , que fur le moyen de
l'exécuter iQue l'autorité 6c l'honneur de l'Empire y étoient
intérefTés : Que le Pape y donnant fans celle quelque atteinte
par toutes fortes d'artifices 6c d'intrigues , ils dévoient de
leur côté prendre des mefures pour éviter les reproches de '
négligence dans une affaire qui regarde la dignité &c la ma-
jefté de l'Empire : Que l'année que tout le monde fuivoit alors
étoit celle du calendrier réforme par Jule Cefar: Que Char-
lemagne fondateur de l'Empire d'Occident avoit dans la)
fuite donné à la nation Germanique , le calendrier 6c les
noms des mois en langue Teutone : Que le canon du Con-
cile de Nicée qui régie la célébration de la fête de Pâque,.
n'avoit point été fait par l'autorité du Pontife Romain , qui
étoit bien éloigné alors d'avoir l'autorité qu'il prétend au-
jourd'hui : mais par un décret , tant? de l'Empereur qui pré-
fida au Concile , que des Pérès qui s'y trouvèrent : Que c'é-
toient les Empereurs Romains, 6c non les Papes, qui indi-
quoient alors les Conciles : Que celui de Confiance même
qui s'eft tenu prefque de nos jours , fut convoqué par l'em-
pereur Sigifmond : Que le droit d'infh'tuer des Evêquespourr
l'Allemagne , & le Pontife Romain même, avoit toujours ap-
partenu aux Empereurs , avant 6c depuis Charlemagne, jus-
qu'à Othon I. 6c depuis encore jufquà Grégoire VII. Qu'ils,
ce voient bienprendre garde que fous prétexte de réformatioa
OOoo iij
66i HISTOIRE
d'un calendrier , donc tout le monde Sentoit la néceffi-
Henri té , le Pape ne s'attribuât une juriSdiélion nouvelle Se in-
III. connue fur la majefté de l'Empire & Sur l'Empereur , Se qu'il
2 c§Zt ne prétendît pouvoir commander dans les Etats de l'Em-
pire , d'autant plus que le Pape avoit entrepris une affaire
de cette conséquence , fans confulter ni l'Empereur, ni les
Princes de l'Empire : Qu'étant très-important pour le com-
merce que toutes les nations Saiviflènt la même forme d'an-
née , ils dévoient délibérer avant toutes chofes, à qui il ap-
partient de réformer le calendrier, ôt d'en publier la réfor-
mation -y qu'après ce préliminaire , le fond de la queftion ,
fur lequel il ne penfoit pas comme Lilio , ne feroitpas diffi-
cile à décider.
L'électeur de Saxe plein de ces raifons , fît un grand dis-
cours à ce Sujet, &c s'oppofa à la réception du calendrier.
Toutes les Provinces & tous les Etats de la confeflîon d'AuS-
bourg en ayant fait autant , l'Empereur remit l'affaire à un
autre tems , ôc ordonna qu'on continuât d'obServer la forme
du calendrier ancien dans les jugemens de la chambre Im-
périale.
De notre côté l'affaire ne fut nullement examinée. Le Roi
étoit dans la plus grande Sécurité à cet égard, & Son Con-
Seil ne s'y intérelSoit pas davantage, Sur-tout depuis la mort
du premier Président de Thou qui avoit parlé au Roi avec
beaucoup de vivacité fur cet article. S'il eût vécu encore
quelques années, on eft perSuadé qu'ayant une très-grande
autorité dans le Parlement, il auroit empêché la publica-
tion de ce calendrier : mais de Thou étant mort , & Achille
de Harlai abSent , le Roi donna le trois de Novembre un
édit qui fut apporté au Parlement après la faint Martin, en-
registré fans oppofition, &: publié en conSéquence. Il fut donc
ordonné qu'on ôteroit dix jours , & que le jour qui devoit
être le dixième de Décembre feroit compté pour le vingtiè-
me. Par ce moyen il arriva que la fête de Noël fût célébrée
cette année-là le quinze de Décembre.
A l'imitation du Roi, le duc de Brabant Son frère aidé
du prince d'Orange, engagea les Etats Généraux à recevoir
le nouveau calendrier. Il étoit bien aife de gagner par-là les
bonnes grâces du Pape. Cela s'exécuta Sur le champ dans la
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXXVI. 66$
Hollande, dans la Frife Occidentale, & dans routes les au- ■*«"»*
très Provinces , à la réferve de celles d'Ucrecht & de la H p. n k i
Gueldre,où l'on fuit encore l'ancien calcul, parce que les III.
Etats de ces deux Provinces n'avoient pas encore fait pu- i cgi.
bjier le nouveau au tems de la mort du duc de Brabant.
Dans ce même mois de Novembre Antoine Prévôt arche-
vêque de Bourdcaux & frère du fameux Sanfac , tint fon
Concile Provincial. Les évêques d'Agen , de Poitiers , d'An-
goulême, de Saintes, & de Sarlatfes fufFragans, y affilièrent,
Bc lignèrent les décrets qui y furent faits.
Le Roi renouvella cette année le traité d'alliance avec les Trairi rc_
Suiiîes. Les CommifTaires pour la France furent François de nouvelle avec
Mandelot Gouverneur du Lyonnois , Jean de Belliévre lcs Saxi1^'
fleur de Hautcfort premier Président du Parlement de Gre-
noble , Henri de Claude fieur de Fleuri notre Ambafîàdeur
en Suiffe , 6c Jean Grangier fieur de Piverdy Réfident de
France dans le paï's des Grifons. Le traité qui contenoit vingt-
cinq articles fut arrêté &figné à Soleurre le vingt-deux de
Juillet. Ce n'eit. qu'une répétition des traités précédens , à
quelque petite différence près , & on y donne au Roi tes
titres de duc de Milan , de feigneur de Gènes , &; de comte
d'Ail , comme on les donna à François I. au traité de i 5 1 G,
le premier qui ait été fait entre la France èc les Suides. Le
Roi ayant ratifié celui-ci, fe rendit le deux de Décembre
dans l'églife de Notre-Dame avec les Députés des cantons 5
&il y jura fur les faints Evangiles l'obfervation du nouveau
traité.
Il arriva cette année un événement qui pafTeroit pour in- £nfantpétrï-
croyable chez la poflérité , d l'on n'en avoit des preuves in- fié«
conteflables. Comme j'en fuis parfaitement inflruit , j'ai cru
devoir en rendre témoignage , & en établir la certitude.
Dans la ville de Sens métropole de la Gaule Celtique, une
femme nommée Colombe Chary , mariée à un tailleur ap-
pelle Louis Carita , étant parvenue jufqu'à l'âge de trente-
huit ans en bonne fanté , &; fans avoir eu d'enfans , eut des
indices de grofrefTe par la fuppreffion , qui en eft la marque
ordinaire : elle fentoit des mouvemens fréquens j fon ventre
groffiiîbit de jour en jour , fes mammelles même fe rem-
plifToient de lait 5 enfin au bout de neuf mois elle éprouva
664 H î S I T O RE
des douleurs très-vives ,&: les tranchées d'une femme en tra-
Henri vail. Pendant quelques jours elle eut une fuppreflion d'urine ,
III. qui forcit enfin comme un torrent. Les médecins jugèrent
î ç§ i qu'elle ne venoit pas de la veffie , mais de la matrice , dont
la tunique le rompit , &: donc il forcit avec le délivre une
malle qui avoic la figure d'un turbot. Depuis ce tems-là fa
gorge diminua ; elle ne fentit prefque plus remuer clans fon
ventre , èc lés douleurs furent très-médiocres. Après cet ac-
couchement monftrueux , elle fut alitée trois ans durant ,
fè plaignant continuellement de fa mauvaife fanté , de la
dureté ôc de l'enflure de Ion ventre,des tranchées qu'elle fen-
toit,& d'un poids incommode qui fe jettoit tantôt d'un cô-
té tantôt de l'autre fuivant les différentes lituations de fon
corps. Ces accidens durèrent jufqu'à fa mort. Ses voifins fe
moquant d'elle ,&: traitant fa grofièfTe de vifion : » Attendez
-» quelque tems,leur difbit-elle allez gaiement, l'enfant dont
53 je fuis grolîè viendra quelque jour,mais il en coûtera la vie
>3 à fa mère. « Elle mourut enfin après avoir porté ce fardeau
vingt-iept ans. On l'ouvrit, &; on lui trouva la matrice ri-
dée, de diverfes couleurs, -ôc dure comme de la terre cuite.
On tenta d'ouvrir cette dureté j mais il fe trouva comme une
maiTe de plâtre , qui réfifta long-tems au rafoir 3 on en vint
pourtant à bout, éc on en tira un enfant très-bien formé , ô£
dans la fituatïon ordinaire , mais prefque entièrement pé-
trifié , 11 ce n'efl que les os de fa tête étoient tranfparans
comme de la corne : à l'égard des parties incernes, comme
le cerveau, le cœur, les inteffcins , ils écoient prefque à l'ordi-
naire, excepté qu'ils fe trouvèrent plus durs, moins pourtant
que les parties externes. Ce petit corps fe garde à Sens, où. les
paflans vont le voir par curiofité. Ileftencier , & les vers ni
la pourriture ne l'ont point endommagé. Il y a deux fameux
médecins qui ont écrit fur ce prodige , Jean d'Alibour d'Au-
tun,qui a été depuis premier médecin de Henri IV. & Simon
de Provencheres de Langre. Ils ont recherché les caufes de
la formation de cette maiTe , & de cette pécrificacion faice
après la mort de l'enfant , Se qui devoit plutôt être fuivie de
putréfaction :. mais je laifle cet examen à ceux qui s'appli-
quent à l'étude des chofes naturelles. J'ajouterai feulement
que depuis quelques années il efc arrivé à Paris quelque chofè
de
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. '6-6 5
&q femblàble à une femme de condition : mais au bouc de \
cinq ans l'enfant fut tiré par morceaux , partie par des me- H e n b. i
dicamens , partie par des ferremens ^ Se il y a beaucoup d'ap- III.
parence qu'il feroit devenu comme celui de Sens avec le 1582.
tems j puifqu'il commençoit déjà à le pétrifier.
Cette année mémorable par divers accidens funeftes , Mort des
l'a été encore par la mort de plulieurs perfonnes iliuftres. fgbrg°€ncs-CCr
Jacque Pelletier du Mans médecin , célèbre non-feulement
dans la feience dont il faifoit profeffion, mais dans la Poëfie
& dans les Mathématiques , fur lefquelies il a publié des ou-
vrages qui ont fort éclairci cette feience, mourut au mois
d'Août à Paris , où il s'étoit retiré pour fe repofer dans fa
vieilleffe après avoir paflé la meilleure partie de fa vie à voya-
ger dans des païs très-éloignés. Sa mort fut fuivie de celle de
Laurent Jobert de la même profeffion, &: difcipledu fameux
Rondelet, qui s'acquit une Ci grande réputation dans cet
art. Jobert Chancelier de l'Univerfité de Monpellier, où il y
a une école célèbre de médecine , ayant été attiré à la Cour
par Marguerite de Valois femme du roi de Navarre , y mit
au jour un ouvrage fur les erreurs populaires qui lui a fait
beaucoup d'honneur. Quelques affaires l'ayant obligé de re-
tourner à Monpellier il y mourut le vingt-neuf d'Octobre
dans un âge peu avancé ; car il ne faifoit que d'entrer dans
fa cinquante- quatrième année.
Un mois auparavant, c'eft-à-dire le vingt-huit de Sep-
tembre , mourut George Buchanan , âgé de plus de foixante
&: feize ans. C'étoit un des premiers hommes de notre fiécle
pour la beauté & la facilité de l'efprit , comme le prouvent
les ouvrages dignes de l'immortalité , de l'aveu même de fes
ennemis. Il étoit né en Ecoffe dans la province de Lenox fur
le Vlan • mais il étoit François d'inclination , 6c la France
l'avoit en quelque forte adopté , auffi-bien qu'Antoine Go-
vea Portugais fon ami intime , qui fe faifoit un plaifir de paf.
fer pour François. Pour Buchanan , après avoir appris dans
fon païs les premiers principes des deux langues , il vint en
France , où il pafla prefque tout le refte de fa vie. Il enfei-
gna les Humanités à Paris , & enfuite à Bourçjeaux dans le
collège de Guienne: de-là André Govea l'emmena en Por-
tugal avec Nicolas de Grouchy , Guillaume de Guerente r
Tome FUI, P Ppp
666 HISTOIRE
■_ Jacque Tevio, Elie Vinec , & Patrice Ton Frère. Buclianan
Hïnm enfeigna la jeuneilèà Coimbre , & c'cft-là qwli&t fa belle
III. paraphrafe iiir les Pfeaumcs : mais il s'attira des affaires en
1582. Portugal par une fatyre un peu trop libre contre les Corde-
liers. 11 la compofa par l'ordre de Jacque V. roi d'EcofTe ,
qui cherchoic à le venger de ces religieux , parce qu'il étoic
convaincu qu'ils a voient trempé dans une conjuration que
quelques Nobles avoient tramée contre lui. Buclianan étanc
revenu en France s'attacha à Timoleon de Collé fils du ma-
réchal de Briffa c , avec qui il demeura cinq ans, jufqu'en
l'année 1 560. que toute la France étant en feu par la guerre
civile , il la quitta i &; retourna en EcofTe. Il n'y fut pas plu-
tôt, qu'il em brada la religion Proteflante j &c après que Ma-
rie reine d'Ecoffe eut été dépouillée du Royaume , il fut
précepteur de Jacque VI. fils de cette PrincefTe, &il confa-
cra le repos de fa vieillefïe à écrire l'hiftoire de Ion pais. Il
y abufe un peu de la liberté naturelle à fa nation , & il n'y
ménage pas affez la majefté Royale : mais d'ailleurs elle eft
écrite avec tant d'efprit , de fageffe & d'élégance, qu'on ne
croira jamais qu'elle ait été compofée par un homme éle-
vé dans la poufliére du collège ^ mais qu'on la prendra pour
l'ouvrage d'un fçavant qui a vécu dans le plus grand monde,
&: qui a été employé toute fa vie dans les négociations les
plus importantes. La beauté de Ton efprit , & la grandeur
de fon courage l'avoient élevé au deflus de l'obfcuriré de fa
naiilance , &: de la médiocrité de fa fortune 3 en forte qu'il
avoit les talens nécefîàircs pour juger fagement des affaires,
&pour les traiter avec dignité. Je me fouviens que Pierre
Ronfard , homme d'un grand fens, & qui malgré l'éclat de
fa famille , avoit paffé toute fa vie dans le repos que de-
mandent hs Mufes, avoit coutume de dire en parlant de
Buclianan, deTurnebe , de Govca , de de Muret , fes amis
particuliers, que ces quatre hommes n'avoient du collège
que , la robe & le bonnet. Ce jugement a d'autant plus de
poids que Ronfard étoit prévenu contre tous les gens de
collège j & il s'étoit perfuadé que la fottife du pédanrifme
eft incorrigible . Se que le mauvais caractère qu'il imprime
ne peut jamais s'effacer dans le cours même de la plus longue
nie..
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 667
Il y eut cette année des troubles en Allemagne à l'occa- — , ;
fîon de l'archevêque de Cologne. Cette ville qui fut bâtie Ht n r.i
du tems d'Augufte pour arrêter les courfes des Sueves , des III.
Ufipetes , & des Tenchteres , eft fituée fur le bord du Rhin T , g z
du côté des Gaules. Elle s'agrandit peu à peu fous les tim- Affij. " ■
pereurs Romains,jufqu'à ce que Childeric fondateur de l'Em* d'Allemagne.
pire François la leur enleva l'an 463. de J. C. Mais l'an
949. Othon I. ayant tranfporté l'Empire d'Occident aux
Germains, il fournit Cologne à fa nation ^ ou plutôt ce fut
Louis IL fils de Louis le débonnaire , qui rît cette conquête
dès l'année 870. Depuis ce tems-là Cologne eft au nombre
des villes libres de l'Empire , entre lefquclles elle tient le
premier rang j & dans les diètes , c'efb elle qui donne la pre-
mière fon fuffrage. Elle a un liège Epifcopal fondé vers l'an
96. de J. C. par faint Materne difciple de fiiint Pierre, fui-
vant les annales de cette Eglife > & depuis faint Materne juf-
qu a Agilolphe qui en a été le premier Archevêque , il s'eil
écoulé 647. ans j enfin l'an mil trois on joignit à la digni-
té d'Archevêque celle d 'Electeur de l'Empire avec une jurif-
dicHon très- étendue, èc Frideric I. y ajouta encore la princi-
pauté de Yv^eftphalie , dont il venoit de dépouiller Henri
Léon. Vers l'an 356. les Goths y établirent un Evêque Pho-
tinien nommé Euphrata, qui voulut y répandre PArianifme:
mais les évêques d'Allemagne s'étantallemblés ledépofèrent
fous le Pontificat de Jule I. Depuis ce tems-là il n'y eut au-
cun trouble dans cette Eglife au fujet de la Religion , juC
qu'au tems de l'héré fie de Luther.
Herman , de la famille des comtes de W^îed , qui en étoit
alors Archevêque , faifoit parade de beaucoup de zélé pour
la réforme des abus qui s'étoient gliffés dans l'Eglife j mais
comme un affaire fi importante à la Religion, qu'il croyoit
en péril , n'alloit pas aiùTi vite qu'il l'auroit fouhaité , <k qu'il
imputoit ce retardement à l'ambition de certaines perfonnes,
il parut favorifèr les Proteflans. On prétend que ce fut Mar-
tin Bucer qui le fit pencher de ce côté-là. Il fut donc accu-
fé d'héréfie, & quoiqu'il put fe maintenir dans fon fiége
par les forces de fon parti, il aima mieux fe démettre 6c
perdre fa place, que d'exciter la guerre dans le païs ^ &; de-
puis il ne longea plus qu'à mener une vie tranquille , comme
P P p p ij
tfrtf HISTOIRE
1 je l'ai dit en Ton lieu. Adolphe de Scevembourg ayant payé
Henri d'ingratitude les fervices que ce vieillard lui avoit rendus, tue
III. mis à fa place , 6c eut pour fucceffeur Antoine de Scevenu
1582. Dourg fon frère. J. Gebbard de Mansfeld fuccéda à An-
toine , 6c fut remplacé par Frideric de la même famille
qu'Herman. Salentin de la maifon des comtes d'Iflembourg
fuccéda à Frideric -y mais Salentin qui outre l'archevêché
de Cologne avoit encore révêché de Paderborn après dix
ans d'Epifcopat , fe démit de l'un & de l'autre pour époufer la
feeur du comte d'Aremberg , qui étoit parfaitement belle ,
fans avoir fait , ni même voulu faire aucun changement dans
la Religion. Comme il fe trouvoit beaucoup de prétendans
à cet Eleclorat , 6c entre autres Ernefl fils d'Albert duc de
Bavière , le Chapitre , à la follicitation du comte de Newe-
nar , lui préféra Gebbard Truchfes de l'iliuftre famille des
feigneurs de Walbourg en Suabe ,.& neveu d'Othon car-
dinal dAufbourg. Gebbard fut iacré le huit de Mai 1 577.
Ce dernier n'avoit pas moins d'envie de fe marier que Sa-
lentin j mais il crut pouvoir prendre une femme fans quitter
l'Ele&orar. Il avoit déjà jette les yeux fur Agnès de Manf-
feld, religieufe au monaftére de Gerisheim , lorfqu'il eut oc-
casion de la voir dans un voyage qu'elle fit à Cologne pour
accompagner Marie fa feeur , qui devoitépoufer le baron de
Créange. La facilité qu'il eut par ce moyen de la voir , 6c
de converfer tous les jours avec elle , l'en rendit éperdûment
amoureux. Le Baron après fon mariage faifoit de fréquens
voyages dans fes terres de Thuringe avec fa femme & Agnès
fa belle fœur, & enfuite revenoit à Cologne : mais en route
ils couchoient fouvent dans les châteaux de Gebbard qui
trouvoit par-là lieu d'entretenir fes premiers feux. Enfin Ernefr.
de Mansfeld , frère d'Agnès prefla vivement l'Electeur d'ac-
complir la parole qu'il avoit donnée à fa fœur, 6c de i'épou-
fer folemnellement , pour difllper les bruits qui couroient fur
i'a^T a^e dC ^eur commerce. H l'époufa donc à Bonne : mais en fecret ,
de Cologne! & en préfence feulement d'Erneft 6c de Marie de. Mansfeld:
ce fut au commencement de l'année. Comme il n'avoit pas
de grands biens , 6c qu'il cherchoit un moyen degarder fon
Archevêché avec fa femme ; les comtes de Newenar 6c
de Solms avec qui il étoit très - lié , lui confeiilérenc.
DE J. A. DE THOU, Li<r. LXXVÏ. 66$
d'engager fous main les Proteftans à demander au Magiftrat t
le libre exercice de leur Religion dans fon Electorat. Il le fie, Henri
& en conféquence les Proteftans préfentérent une longue IIL<
requêce , par laquelle ils demandoient la liberté de s'aiTem- j ^3 iv
bler. Et comme on pouvoir leur objecter que fous prétexte
d'admettre la confefîîon d'Aufbourg, on vouloit introduire
dans le Diocéfe toutes fortes de feétes , &: ruiner par ce
moyen l'autorité des Magiftrats 5 ils répondirent que fi on-
leur accordoit leur demande , ils feroient auflïcôt connoître
à tout le monde qu'ils ne fuivoient point d'autre doctrine
que celle qui étoit renfermée dans la confeilion d'Aufbourg,;
expliquée dans l'Apologie de Luther , & approuvée dans
plusieurs diètes de l'Empire: Que cet exercice loin d'affoL
blir l'autorité des Magiftrats, la rendroit plus refpedable à
des peuples altérés de la parole divine , comme on en pou-
voit voir des exemples à Francfort , à Spire , à Worme , à
Ratifbonne , à Aufbourg , ôc dans beaucoup d'autres villes
de l'Empire.
Le Magiftrat au lieu de répondre à cette Requête , fk
iignifler à ceux qui l'avoient lignée un ordre de fe rendre
en prifon: teleft l'ufage à Cologne où jamais on n'emprifonne
un habitant malgré lui, à moins qu'il n'y ait des caufes très-
graves. Quelques jours après Melchior Bruin Pafteur Catho-
lique du collège des Apôtres donna une requête contraire ,
dans laquelle il examine & réfute tous les articles de celle
des Proteftans. On envoya de part & d'autre des Députés à
Aufbourg pour plaider la caufe en cette dicte , à laquelle
on en avoit déjà renvoyé une femblable pour la ville d'Aix--
la-Chapelle j mais les Proteftans n'attendirent ni la réponfe
de l'Empereur , ni celle de leurs Députés • & comptant qu'ils
avoient fatisfait par leur requête à tout ce qu'ils dévoient
au Magiftrat : follicités- d'ailleurs par les comtes de Solmsâ:
de Newenar • ils s'aïlemblérent le fept de Juillet au bourg
de Mechteren qui appartenoit à ce Seigneur , & ils y enten-
dirent la' prédication de ZacharieUriin miniftre Silefien, qui
leur fut envoyé par Cafimir , frère de l'élecieur Palatin.
Le Magiftrat allarmé de cette entreprife v,fït fermer les>
portes le Dimanche fuivant : fa conduite fut diversement
interprétée 5 car il y avoit des gens qui foûtenoient que-
B P p p iij ;
6yo HISTOIRE
Newenar avoit pu faire ce qu'il avoic fait, fans violer les loïx
Henri de l'Empire : Que le bourg de Mechteren lui appartenoic ,
III. & que par conléquent on ne pouvoir pas y défendre l'exer-
i 5 Si. cice d'une Religion , qui étoit approuvée par l'Empire. On
répondoit qu'à la vérité Mechteren étoit de la dépendance
de Newenar ; mais qu'étant fîtué dans la juriidiction d'un
Seigneur fupérieur dont il relevoit, il n'étoit pas permis d'y
innover fur la Religion fans une conceffion du Seigneur Su-
zerain. Gcbbard d'un autre coté étoit 'bien aile qu'on crue
que Newenar avoit agi fans fa participation -y 6c Solms nioic
qu'il en eût jamais rien fçu 5 quoique dans le fond ce fût lui
qui eut donné ce confeil de concert avec Newenar.
Comme ces afFemblées recommençoient de tems en tems,
le Magiftrat crut devoir employer la force, Se il commença
par faire abbattre les arbres qui empéchoient qu'on ne pût
appercevoir de la ville le lieu où l'on s'aiFembloit. Il fit en-
fuite élever une batterie de gros canon , &c ordonna de ti-
rer fur l'endroit même : la niaifon fut percée par les boulets,
6c peu s'en fallut que Newenar n'y fut tué. Le comte de
Solms s'écant juftifié auprès du Magiftrat , comme je viens
de le dire, avoit reçu ics ordres, qu'il étoit allé communi-
quer à Newenar, lorfque le canon commença à tirer. Solms
étant retourné dans la ville fans avoir rien ga^né , tout ferru
bloit tendre à une fédition • mais à la follicitation du Cha-
pitre,les deux partis nomxnérent des Députés pour accommo-
der cette affaire : ils eurent ordre de fe rendre à Mulheim, &C
Gebbard s'y trouva. Comme il exhortoit Newenar à ne plus
tenir de prêche à Mechteren , ce Seigneur montrant le bou-
let qui l'avoit penfé tuer fe plaignit hautement de cette in-
jure. Il confentit enfin à ce qu'on demandoit de lui 3 mais il
déclara que c'étoit à la confidération de l'Archevêque, 6c
non du Chapitre qu'il le faifoit.
Gebbard fe diipofant à fe rendre à la diète , les Cha-
noines craignirent qu'il ne formât quelque projet contre eux
avec les Députés des princes Protcftans : ainfi ils y envoyè-
rent de leur coté Frideric de Saxe , qui étoit membre de
leur Chapitre. Voilà l'origine de la haine qui éclata depuis
entre Gebbard & Frideric , 5c qui a été funefle à l'un &:
£ l'autre. Ce fut aufîi à l'occafîon de leur querelle que
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 671
Guillaume duc de Cleves promit au Sénat ôcau Chapitre de
leur donner du fecours contre les Novateurs , &; qu'Alexan- Henri
dre Farnefe Généralilïime des troupes du roi d'Efpagne dans III.
les Païs.bas , leur offrit de lui-même tout ce qui étoit en 1 «&#
ion pouvoir. Le Sénat rafTuré par ces offres réfolut de cou-
per la racine à toutes les aflemblées féditieufes , & aux- trou-
bles qui fe formoient de jour en jour $ & il fit publier une
ordonnance par laquelle il étoit enjoint à tous ceux qui iui-
voient une autre Religion que la Catholique, 6c qui ayant
été chafTés de la ville feize ans auparavant , y avoient été
reçus depuis , d'en fortir dans un mois.
Dans ce même temsles députés des Proteflans obtinrent
des députes des Princes de leur communion , qui étoient à
la diète d'Aufbourg , des lettres de recommandation pour
le fénat de Cologne. Ces lettres portoient qu'ils avoient
ordre de leurs maîtres de prendre fait & caufe pour hs Pro-
teflans de Cologne, &: de prier le Sénat de leur part de les
traiter avec la même bonté qu'on les traitoit dans les autres
païs de l'Empire 3 de ne les point retrancher de leurs corps
comme indignes d'en pofleder les dignités 3 mais d'obferver
au contraire à leur égard la pacification publiée fept ans au-
paravant, pacification qui devoit être regardée comme le
plus folide lien de la tranquillité publique 3 en confcquencc
de leur lai (Ter la liberté de faire profeflion de leur religion-
&; que c'etoit l'unique moyen de maintenir l'union , qui étoic
plus néceilàire que jamais.
Ces lettres ayant été rendues au Sénat , les Proteflans
drefîerent une requête 3 mais au lieu de la préfenter au Cha-
pitre , ils la donnèrent à Gebbard le dix-huit de Septembre,
parce qu'ils fçavoient qu'il les favorifoit. En même tems ils
lui remirent des lettres de recommandation écrites par les
mêmes députés de la diète d'Aufbourg , qui prioient cet
Archevêque de permettre aux Proteflans de tenir des aflem-
blées dans Cologne.
Gebbard s'etoit mis en chemin comme pour fe rendre <L
la dicte , &L il étoit déjà dans la Hefle : mais ayant appris que
la diétc avoir été fuf pendue pour des raifons indifpenfables,
&: ayant reçu des ordres de l'Empereur de n'aller pas plus.
lion, il retourna à Weflphalie..
Çjt HISTOIRE
m_ ■ Les députés du Chapitre fçachant certainement que Geb~
JH.e n m bard ne viendroit pas à la diète , ne laifTérenc pas de pu-
III. blier qu'il arriveroit bientôt , 6c qu'il l'avoir promis. Leur
;i y 8 z. deiïein étoit de le rendre odieux aux autres Ordres de l'Em-
pire par l'inexécution de cette promefle.
Su;* la fin de la diète parurentles députés de Gebbard, le
.comte de Solms 6c Swart. Ils firent les excufes du Prélat fur
ce qu'il n'y étoit pas venu lui-même. Ils avoient ordre de
renter 11 l'on pouvoit obtenir pour les Princes Eccléfiafliques
Ja liberté de fuivre la Religion qu'ils vaudraient , 6c de fe
•marier fans perdre leurs dignités : il courut là-deflus des
bruits vagues , mais fans nom d'auteur , 5c fans être avoués
de perfonne , 6c chacun en jugea fuivant les fentimens dont
il étoit prévenu d'ailleurs. Enfin la diète fe féparafur la fia
.de Septembre , fans avoir rien décidé qui mérite que l'on
«n faûe mention
Cependant Gebbard voyant que le Chapitre 6c le Sénat
faifoient des préparatifs contre lui ou pour l'attaquer , ou
au moins pour fe défendre , commença à lever des troupes
fous prétexte de mettre les frontières à couvert des trou-
pes du roi d'Efpagne , 6c de celles des Etats : mais il déclara
nettement dans la fuite qu'il fçavoit de bonne parr que le
Chapitre avoit de mauvais deiTeins contre lui. Les Chanoines
l'ailurérent qu'ils ne vouloient rien faire contre la fidélité
qu'ils lui dévoient ; mais que de fon côté il devoit prendre
garde de ne rien faire qui fût indigne de fon rang , 6c de la
dignité facrée dont il çtoit revêtu; Que le bruit couroit,
qu'il vouloit fe marier 6c changer de reïigiomQue il ces bruits
fe trouvoient appuyés fur quelque réalité , il ne devoit at-
tendre d'eux ni fidélité ni fecours. Gebbard répondoit que
ç'étoit par leur faute que la difcipline du Clergé étoit ren-
yerfée : mais qu'il enverroit bientôt des Théologiens diftin-
gués pour la rétablir, 6c qu'il en drefTeroit la formule. Per-
luadé qu'il en avoit afîéz fait pour fe jufKfier fur les foup-
ç_ons qu'on avoit contre lui j il prit la route de Bonne , après
s'être fait précéder par Gafpard Heien Capitaine de fes
gardes , avec des lettres pour Ekius qui commandoit dans
cette ville. Il le chargeoit d'engager le Sénat à lui faire une
réception honorable , 6c à marquer des logemens commodes
pour
3MMH
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVL ^73
pour toute fa maifon , parce qu'il y vouloit féjourner quel- ;
ques jours. Henri
Il étoit alors à Sibourg , où il dîna ^ après quoi il Ht paf III.
fer le Rhein à fes troupes , 6c s'avança pour encrer par la 1582.
porte de Cologne. La vue de tous ces loldats caufa du trou- Gebbard fc
ble dans la ville , oc l'on ordonna de fermer les portes. Mais faille de Bon-
les gens qui lui étoient attachés les rirent ouvrir, oc il y fut ne*
reçu avec toute fa fuite. Auffitôt il chargea Ekius 6c Heien
d'aller faire fes exeufes au Sénat , de ce qu'il étoit venu en
armes. Il leur fit dire qu'on lui avoit drefle des embûches
fur fa route , 6c que la guerre étrangère qui étoit à leurs
portes l'avoit mis dans la nécefîité de lever des troupes pour
mettre le pais à couvert en attendant qu'on fût mieux in-
formé des deffèins des ennemis ^ qu'il avoit réfolu pour cet
effet de faire quelque féjour dans leur ville,6c qu'il vouloit que
{qs troupes y fufTent logées commodément , ôc auprès de lui.
Le Sénat fit réponfe qu'il avoit été ravi de l'arrivée de
fon Prince ; mais qu'il auroit mieux aimé le voir en habit de
paix , qu'avec les appareils de la guerre. A l'égard du lo-
gement des troupes, il fupplia Gebbard d'en décharger la
ville , ôc de les envoyer dans les villages , êc dans les châ-
teaux des environs : Que fi S. A. ne pouvoit pas les éloigner
de fa perfonne , elle eût la bonté de les diftribuer dans les
couvens , 6c dans les maifons des Eccléfiaftiques : Que fi leurs
maifons ne fuffifoient pas , il y avoit des hôtelleries où elles
pouvoient loger 6c vivre de leur folde. Le Sénat fe déchargea
ainfi de cette corvée furie Clergé, 6c le Greffier de la ville
fit un état des logemens,qui fut donné au maréchal des Logis.
Gebbard ayant fait préparer le dîner dans une hôtelle-
rie, y invita les Bourgmeftres : au fortir de table on parla
du logement des troupes, & enfuite des clefs de la ville. Geb-
bard ne demandoit pas d'abord qu'on les lui remît pour en
difpofer abfolument • il vouloit nommer des perfonnes qui
partageaffent avec le Sénat la garde de la ville 6c des clefs:
mais le Sénat s'y oppofa fortement , déclarant que ces clefs
lui avoient été confiées dans le tems que Gebbard fut facré,6C
qu'on ne pouvoit ni ne devoit lui en ôter la garde fans lecon-
fentement du peuple. Auffitôt l'hôtel de ville fut entouré d'un
grand nombre d'habitans qui paroifToient déterminés à
Tome VIII. QSLW
674 HISTOIRE
! ! défendre le Sénat , fi on vouloit lui faire quelque violence :
Henri cependant la préfence des foldats,qui n'ayant pas encore leurs
III. logemens, étoient en armes dans la place, les tint en refpec"h
i f8 2. Sur Ie ^oir Gebbard étant allé à Rofenthal où demeuroic
Agnès de Mansfeld avec la Baronne de Créange fa fceur , iL
y manda les Sénateurs qu'il jugea à propos , &: il leur dit qu'il
ctoit bien vrai qu'ils avoient la garde des clefs , èc par
conféquent des murs & des portes de la ville : mais que
le Prince étoit en droit de les demander dans une néceflité
preilante , & dans un tems où fa vie étoit en danger : Qu'il
leur ordonnoit donc de les lui apporter fur le champ, &
de venir recevoir des ordres plus amples qu'il avoit à leur
communiquer. Après leur avoir parlé ainfî , il s'en alla à fon
Palais. Toute la nuit fe parla en menaces d'un côté , & en
inquiétude de l'autre. Gebbard étoit outré de la réfiflance
du Sénat, Sciés amis eurent bien de la peine à l'empêcher
d'en venir aux dernières extrémités. Le lendemain cinquième
de Novembre, Newenar &; le comte de Solmsfe rendirent
au Sénat, où ils parlèrent avec une très -grande modéra-
tion 3 &; après avoir répété en peu de mots tout ce qui s'é-
toit palïè la veille à l'occafion de la garde des clefs & de
la ville , ils conjurèrent les Sénateurs de n'avoir aucune dé-
fiance de leur PrinceiQu'iln'avoit point eu d'autre intention,
en demandant les clefs,que d'éprouver l'obéïfîance &: la fidé-
lité des habitans.-Que s'ils vouloient lui donner les clefs,il étoic
réfolu de les remettre à l'inftant entre les mains du Sénat,& de
lui confier avec de nouvelles formalités la garde de la ville 3
à condition pourtant que quelques perfonnes de fa m ai fon fè-
roient aflbciées au Sénat pour cette fonction , comme il l'a-
voit demandé d'abord : Qu'ils les prioient donc de ne pas
refufer ces clefs à leur Prince j de donner ordre à la bour-
geoise de mettre bas les armes h de défendre de s'affembler
pour faire des feftins , parce que fi les efprits étoient une
fois échauffés par le vin , il feroit bien difficile d'empêcher
le défordre. Le Prince demanda de plus qu'on lui marquât
par écrit ce qui fe pratiquoit pour la garde des portes,& pour
l'établiilement des corps-de-garde.
La réponfe du Sénat ne fut pas fi modérée : car après avoir
protefté qu'ils feroient toujours fidèles à leur Archevêque ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 67S
ils renvoyèrent à la décifion du Chapitre l'afFaire de la dé- -
livrance des clefs , déclarant qu'il ne pouvoit rien ffcatuer Henri
à cet égard fans avoir pris fon avis : Que la bourgeoise s'é- III.
tant mile fous les armes fans leur en demander permiiîîon , 1582.
il y avoit lieu de croire qu'elle n'obéïroit pas , s'ils lui or-
donnoient de les quitter: mais qu'ils étoient perfuades que
û le Prince vouloit renvoyer les troupes qu'il avoit fait en-
trer dans la ville, les habitans rentreroient furie champ dans
le calme & dans la tranquillité. Pour adoucir un peu la du-
reté de cette réponfe , ils l'alFurérent qu'ils garderoient les
portes avec tout le foin & toute la fidélité qu'il pouvoit fouhai-
ter , & qu'ils lui donneraient pour la garde de fa perfonne
un corps de milice bourgeoife. Après bien des difputes on
convint enfin de quelques articles que Ton mit par écrit.
Voici les principaux : Que le Sénat demeureroit en poffef-
fion des clefs & de la garde des portes : Qu'Ekius commande-
roit dans la place : Que Gebbard n'augmenteroit point la
garnifon qu'il y avoit fait entrer , à moins qu'il n'y eut une
néceffité preflante. Mais Ekius qui étoic un homme pacifique,
s'étant brouillé avec les deux partis par toutes les allées &:
venues qu'il avoit faites pour tâcher de les concilier , fe dé-
mit de lui-même du gouvernement , èc l'on mit à fa place
"W^erner Schenck.
Le bruit de ce qui venoit d'arriver à Bonne s'étant ré-
pandu de toutes parts, on ne douta pas dans la diviiîon où
étoient les efprits , qu'on n'en vînt bientôt à une guerre ou-
verte. Gebbard avoit écrit à Farnefe pour le prier de ne
point ajouter foi aux calomnies que fes ennemis publioient
contre lui , & il l'afTuroit que jamais il ne feroit rien contre
fon devoir. Malgré cette proteftation , le GénéraliOime per-
fuadé que Gebbard fe préparoit à la guerre , &C qu'il com-
ptait beaucoup fur les (ecours du duc de Brabant , offrit au
Chapitre & au magiftrat de Cologne fa protedion , & toutes
les forces que l'Elpagne avoit dans les P aïs-bas. L'Arche-
vêque de Ion côté voulant prévenir les furprifes, chargea
Louis Kump de Hontfelaer de lui faire des levées dans le
voifinage ^ mais comme l'approche de ces troupes jettoit
l'allarme dans la ville , on les mit en garnifon à Dietkirc-
icen , où il y aune Abbaye de filles : 6c dans les châteaux de
é7S HISTOIRE
—„..„■■■■—.. Poppclfdorf,de Godefberg,&: deKefTenick qui appartiennent
Henru l'archevêque de Cologne.
III. Cependant le comte de Solms , Vinnemberg , & le baron
1582. de Créange allèrent à Cologne rejoindre les Chanoines
de la Cathédrale. Newenar qui étoit refté avec l'Arche-
vêque à Bonne , lui confèilla d'écrire à la bourgeoilie , pour
la mettre dans les intérêts : il le fit le vingt-deux de No-
vembre. Dans cette lettre il commence par le juftifîer fur les
levées qu'il a faites 3 il palTe enfuite aux raifons qu'il a de fe
plaindre ; il dit que le Sénat arme contre lui, qu'il fuit les
conieils de gens mal intentionnés , qui ne cherchent qu'à
exciter des troubles dans le pais j qu'il fait tous {qs efforts
pour anéantir l'autorité de l'Archevêque , & pour renver-
ser fes droits ^ et que pour rcuihr dans les entreprifes contre
une autorité légitime , il foule les peuples par des dépenfes
aufîi inutiles qu'elles font ruineufes.
Gebbard le rlatoit que cette lettre armeroit le peuple
contre le Sénat : mais le contraire arriva. Les compagnies
bourgeoifes qui l'avoient recûë, la portèrent fur le champ
au Chapitre &c au Sénat. Ces deux corps aflurés des fe-
cours du duc de Cleves & du prince de Parme répondirent
avec hauteur à cette lettre , mais au nom du peuple , à qui
elle étoit adreiîèe. Après s'être juftiriés fur les reproches
qu'il leur fait , d'armer contre lui , d'attaquer fon autorité
fk les droits de fa dignité d'Ele&eur •> ils expofent à leur tour
leurs griefs. Ils acculent Gebbard d'avoir ïollîcité des peu-
ples fournis à une autre juriididtion que la fienne 3 de les avoir
pris fous fa protection à l'inlçû. et malgré le Magiftrat donc
ils dépendoient -y d'avoir troublé la tranquillité publique par
des libelles diffamatoires qu'il a fait répandre de tous côtés;
de gouverner fon Etat contre les loix , l'équité , &. le re-
pos du corps Germanique, contre les décrets & les confli-
tutions de l'Empire 3 enfin contre les traités conclus entre
les Archevêques & la ville de Cologne : & ils lui font enten-
dre que les Bourgmeftres , les Sénateurs , &. les quarante-
quatre principaux bourgeois de la ville étoient réfolus de
porter leurs plaintes fur tous ces chefs à l'Empereur, &t aux
Princes, & Etats de l'Empire , pour demander juftice du mé-
pris que leur Archevêque avoit pour eux , & des injures ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 677
& des outrages qu'il leur faifoic continuellement. »
Gebbard connut par cette réponfe qu'il avoit entrepris Henri
une grande affaire, <k d'autant plus fâcheufe, qu'il n'avoit III.
point d'argent : mais comme il étoit trop avancé pour re- 1582.
culer , il iongea tout de bon à fe mettre en état de la foûte-
nir. Il commença par envoyer des perfonnes de confiance
à Bruel , quieft la forterefle des Archevêques , où. font leurs
bijoux , Se tout ce qu'ils ont de plus précieux -y il donna ordre
a ces gens d'ouvrir les coffres & les armoires , & d'appor-
ter à Bonne toutes les richeifes qu'elles renfermoient. Il
fit en même tems compter quelque peu d'argent à Théodore
Knipenberg pour lever un corps de troupes capable de met-
tre à couvert le canton de Recklinchufèn.
Dans cet embarras Gebbard renvoya tous fes Confeii-
lers , &. ne retint après de lui que des gens de guerre. On
ne voyoit à fa Cour que des Envoyés de princes Proteftans,
del'évêquede Brème, de Jean Cafimir, du prince d'Orange,
&; de tous les Princes de iamaifon de NafTau.
Pendant ce tems-là , le Chapitre envoya fecrétement à
Rome informer le Pape de tout ce qui fe paifoit. Grégoire en
futallarméj & quoiqu'il n'ignorât pas de quelle importance
étoit cette affaire , & quel changement elle étoit capable
d'apporter à la Religion du pais , fi on la négligeoit -y ce-
pendant la considération qu'il avoit pour le cardinal d'Auf.
bourg oncle de Gebbard , qui avoit rendu de très-grands
fervices au faint Siège, l'empêcha de rien précipiter. Il fe
contenta donc d'envoyer un Légat en Allemagne , & choi-
sît pour cette légation le cardinal Madrucci. Le Légat avant
que de partir envoya Minuccio Minucci avec des lettres du
Pape aux électeurs de Trêves & de Mayence,afin qu'il pût
être informé par le moyen des amis qu'ils avoient à Cologne,
de la véritable fituation des chofes.
Les bruits qui couroient fur les projets de Gebbard allant
toujours en augmentant , le Pape lui écrivit le cinq de Dé-
cembre j & après lui avoir parlé de la fplendcur de fa fa-
mille , & des vertus par lefquelles le cardinal d'Aufbourg
fon oncle avoir rendu fa mémoire fi refpe&able, il lui donne
avis de penfer de bonne heure à mettre fa réputation &: fon
falut à couvert > s'il s'eft trop avancé , qu'il fonge à fe retirer.
QSUlV1')
67S HISTOIRE
au plutôt j fi tout ce qu'on a dit contre lui efl faux, qu'il dé-
H e n r i clare nettement quels font les fentimens , & qu'il rafle de
III. férieufes réflexions fur ce qu'il doit au faint Siège , à fa pa-
1582. tr*e •> 2- ta Chrétienté , à lui-même 5 en un mot qu'il prenne
des mefures pour empêcher que les ennemis par leurs mau-
vais difcours , ne faifent une tache éternelle à la gloire de
fa famille , & à l'honneur du Clergé.
Après ces avis paternels , il lui marque qu'il a envoyé
ordre à l'archevêque de Trêves de l'aller trouver, 6c de lui
parler au nom du fàint Siège. L'empereur Rodolfe s'entre-
mit auffi de cette affaire , à la prière du Pape , & il envoya
un homme avec caractère pour en parler à Gebbard.
D'un autre coté il lui arrivoit des Envoyés de tous les prin-
ces Proteftans j il y vint même quantité de Seigneurs, & entre
autres Jean de NafTau frère du prince d'Orange , avec fon fils
aulîî nommé Jean 5 Albert de NafTau de Sarwerde^ Herman de
W^eyde , Charle de Mansfeld , les deux comtes de Solms ,
Erneft&; Conrad j Adolphe de Solms chanoine de Colognej
Adolphe Newenar 3 Charle Truchfes père de Gebbard , &
Ferdinand Truchfes fon frère, à qui on venoit de donner une
place dans ce Chapitre^les comtes de Veinnenberg,de Bruck,
de Girolfeck & d'Oberftein , & Louis de Witgenftein s'y
rendirent auffi j &; pour l'affermir dans la réfolution qu'il
avoit prife , ils lui promirent tous de le foutenir de tout leur
pouvoir. Ces promefîès l'encouragèrent tellement,qu'il parut
déformais auffi tranquille &: aufli gai qu'on l'avoir vu aupa-
ravant inquiet & embarrafTe. Sa maifon , qui jufque là avoit
été remplie de Colonels,de Capitaines &; d'autres Omxiers,&
qui retentilfoit continuellement du bruit des armes,changea
entièrement de face : les danfes , les bals , les fpecfacles fuc-
cédérent au tumulte militaire, & on n'y entendit plus que
des cris de joye. On ne s'y déguifà plus 3 on y parla du Pape,
&i à table & dans les converfations familières , avec une li-
cence qui ne gardoit plus de mefures 3 en forte qu'on ne
pouvoit plus douter des fentimens de Gebbard.
Dans ces circonfbances , un de fes domefliques l'avertit
que plufîeurs de ceux même qui lui étoient attachés, avoient
un fcrupule fur fon compte , c'eft qu'on affùroit que non-
feulement il vouloit garder l'Archevêché &. l'Eleètorat en
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 679
changeant de Religion, de en Te mariant^ mais qu'il prétendoic
le rendre héréditaire, & le faire paflèr à les enfans & à leur Henri
poftérité : Que c'étoit-là le trait le plus puiilànt que les en- III.
nemis puflent lancer contre lui : Qu'il ecoit d'une grande 1582.
importance pour le bien de Ces affaires qu'il le repouisàt par
un témoignage public, 6c qu'il le fît retomber fur eux. Il
donna à cecte occafîon une ordonnance le même mois, dans
laquelle il prenoitDieuôcles hommes à témoin, que depuis
que la divine providence l'avoit retiré des ténèbres de la Pa-
pauté ( ce font Ces termes ) 6c lui avoit fait la grâce d'éclai-
rer fes yeux par la lumière de fa parole , il n'avoit fouhake
autre chofe que de pouvoir refter dans la vocation , y rem-
plir Ces devoirs félon fa confeience, & permettre aux peu-
ples confiés à Ces foins , de fuivre la doctrine la plus pure ,
& l'ufage légitime des facremens : mais qu'il ne vouloir point
contraindre les confeiences , 6c que fon intention étoit que
chacun pût fuivre à fon gré celle qui lui plairoit le plus des
deux Religions autorifées dans les diètes de l'Empire : Qu'au
refte il n'avoit jamais prétendu priver le Chapitre de fon droit
d'élection, ni rien faire contre fes privilèges , fes immuni-
tés , 6c Ces contributions j de forte que s'il venoit à mourir
ou bientôt , ou après un tems confidérable, ou fi les con-
jonctures des tems Pengageoient à abdiquer, il entendoit que
l'élection fut dévolue au Chapitre de plein droit.
Jufque-là le Sénat n'avoit point répondu aux lettres que
les députés des princes Protefbans lui avoient écrites d'Auf-
bourg j ce fut un prétexte pour Jean de Bavière duc de
Deuxponts de fe rendre à Cologne avec les députés de l'é-
lecteur Palatin*, de Jean Cafîmir 6c de Richard , Princes *ioiïis.
de la maifon Palatine , afin de s'aboucher avec le Chapitre
ôc avec le Sénat.Je parlerai plus amplement de l'ambaffade de
cePrincelorfque j'écrirai ce qui s'eftpaffé dans l'année 1 583.
Gebbard qui vouloit abfolument être maître de Bonne >
produifît pendant l'abfence d'Ekius des lettres du Chapitre
apparemment fuppofées , en vertu defquelles il demanda les
clefs avec tantd'inftance, que le Bourgmeftre,6c douze Com-
miifaires nommés par le Sénat les Importèrent. Ils s'en re-
pentirent , mais trop tard , lorfqu'on leur apporta depuis de
la part du Chapitre des lettres qui étoient véritablement
6îo HISTOIRE
' i m de ce corps , & qui leur défendoient de remettre les clefs de
Henri la ville à l'Archevêque.
III. Lorfque Gebbard les eut en fa poffèflîon , il défendit à la
i sSi bourgeoise de faire la garde, & confia les portes à desfol-
dats étrangers. Il fit même ôcer les armes à tous les habi-
tans qui lui étoient fufpe&s, & défendit qu'on emportât rien
hors de la ville , & bientôt la licence & le défordre des nou-
veaux hôtes qu'il y avoit introduits allèrent fi loin , que la
plupart des anciens habitans furent obligés de tranfporter
ailleurs leur établifTement. Il ordonna même aux Francifcains
dont il fe défioit , d'abandonner leur couvent , 6c d'empor-
ter leurs effets. Le Sénat de le Chapitre allarmés de tout ce
qu'ils voyoient , écrivirent à toute la Nobleilè des environs
èc aux Gouverneurs des places , de travailler à prévenir les
maux que ces troubles pouvoient cauferà l'Etat: Se comme
ils n'avoient rien obtenu de Gebbard par l'entremife des
électeurs de Mayence & de Trêve , qui lui avoient envoyé
des Députés , ils s'adrefTérent aux Confeillers des pais fitués
fur le Rhin , qui écrivirent de leur côté à Gebbard, & l'ex-
hortèrent à la paix , en lui faifant fentir qu'il alloit fe jetter
dans un labyrinthe dont il auroit peut-être bien de la peine
à fe tirer. Le Chapitre & le Sénat écrivirent encore à la
Nobleiïè, & lui ordonnèrent de fe rendre à Cologne après
la fête de Noël pour prendre des mefures fur les conjonc-
tures préfentes. Gebbard ayant fçu qu'on les avoit convo-
qués , leur écrivit de fon côté;& après s'être déchaîné contre
Pinfolence du Chapitre , il leur déclare que cette afTemblée
étant contre les régies , ils doivent feulement écouter ce qui
s'y propofera de la part du Chapitre , fans rien accorder qui
puiffe préjudicier ni au Prince ni à l'Etat.
Cette année vit Pextin&ion de l'illuitxe maifon des comtes
de Hoie fur le Wefer , par la mort d'Othon le dernier de
fept fils qu'avoit eu Jofle II. Il y avoit quatre cens cin-
quante ans qu'elle fubfiftoit , c'eft-à-dire , depuis l'empereur
Lotaire le Saxon. Pour Jean d'Hoye fon coufin germain, qui
fut évêque de Munfter , & l'un des plus grands ornemens
de cette famille, il étoit mort neuf ans auparavant , com-
me je Pai dit en fon lieu. Le duc de Brunfwick , &; le
Landgrave de Hefle partagèrent les biens de cette Maifon ,
qui
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. éSi
qui leur étoient dévolus en vertu de leurs fiefs.
Pendant qu'une partie de l'Allemagne étoit agitée , la Henri
Pologne commençait à refpirer par la paix qui fut conclue III.
avec les Mofcovices au commencement de cette année. Le ï cg2.
Pape fe donna de grands mouvemens pour cette affaire : c'é- Affaires de
toit Antoine Poilevin qu'il avoit chargé de la négocier dans P°'0gnc-
la vue d'engager le Grand duc de Mofcovie à tenir la pa-
role qu'il avoit donnée d'attaquer les Turcs. On avoit mê-
me quelque efpérance que ce Prince, qui avoit de grandes
obligations au Pape, pourroit fe reunir avec l'Egiiiè Ro-
maine.
Cependant l'armée Polonoife qui afïïégeoït Pleskow (i)
avoit à combattre contre le froid extrême qui iè fit fentir
cet hy ver , & contre beaucoup d'autres incommodités. Za-
rnoski y avoit remédié autant qu'il avoit pu, comme je l'ai
dit : mais comme les corps-de-garde des Polonois étoient
éloignés les uns des autres, 6ccompofés des plus mauvailès
troupes , Zuiski Gouverneur de la place voulant ajouter
à la gloire de l'avoir fauvée , celle d'avoir forcé le camp
des Polonois , & taillé en pièces leur armée , réfolut de les
attaquer le quatre de Janvier. Dans ce deiïein il raifemble
environ fept cens chevaux qui lui reftoient dans la ville, de
les donne aux plus braves de fa garniion. Les Polonois n'a-
voient que deux corps-de-garde , l'un au-delà du fleuve Ve-
lika fur le chemin qui va à Petzur , & l'autre en-deçà de la ri-
vière & au deilus du camp. Zuiski envoya trois cens chevaux
contre le corps qui étoit fur le chemin de Petzur $ mais com-
me la rivière étoit glacée , il jugea que les Polonois qui
étoient poftés de l'autre côté pourroient paffer fur la glace
pour fecourir leurs gens. Il réfolut de faire une fortie vigou-
reufe avec ce qu'il avoit de meilleures troupes , de d'atta-
quer leur camp où ils étoient en petit nombre. C'étoit la com-
pagnie de Sborowski commandée par Thomas Orinski qui
raiioit la garde ce jour-là au-delà du fleuve 3 & Laurent Scar-
beck gardoit l'autre côté. Ils avoient ordre l'un & l'autre,
fi l'ennemi paroifToit , de ne point en venir aux mains , &
de faire un certain circuit pour fe retirer vers le camp , parce
qu'il feroit plus ailé de les fecourir de près que de loin , &
(1) Ville fie Duché appartenant au Czar , du côte' delà Livonie.
Jome VIII. rlRrr
6Si HISTOIRE
j-^"^1" : que l'ennemi qui feroit obligé de s'éloigner de la ville pour
Henri les pourfuivre , combattroit avec moins d'avantage. Orinski
III. fe retira fuivant Tordre qu'il en avoic reçu , 6c Scarbeck mar-
1582. cna pour le joindre, 6c fut iuivi par Zamoski lui-même
avec un bon détachement. Zuiski ayant envoyé contre
eux une partie de ion infanterie , & croyant que le camp
étoit défert , fait faire une fortie pour l'attaquer : mais une
troupe de foldats choifïs qui étoient en embufeade fous la
conduite de Jean Cretkow , 6c de Sarnack, Lieutenans des
fieurs Erempski 6c Goftomski , étant tout d'un coup fortis de
leurs tentes où ils étoient cachés , chargèrent les Mofco-
vites avec tant de vigueur , qu'ils leur tuèrent trois cens
hommes , firent foixante prisonniers, 6c repoullérent le refte
dans la ville : pour eux , ils y perdirent Piçtkw , Orinski èc
Grodeski gentilshommes Polonois ,8c deux colonels Hon-
grois , qui étoient Kobor, & Barabba Balog.
On crut que les Mofcovites , qui ont un foin particulier
d'enterrer les morts , reviendroient pour enlever ceux des
leurs qui étoient reftés fur la place , 6c on s'étoit difpofé à
les bien recevoir ^ mais ils s'en doutèrent , 6c ne firent au-
cun mouvement :ainfi deux jours après, on leur permit de ve-
vir les enlever. A cette occasion les Polonois qui regardoient
cet intervalle comme une efpéce de trêve , allèrent fe pro-
mener le long des murs de la ville , bien montés 6c bien
équipés j mais on leur tira des coups de carabine fous prétexte
qu'ils venoient pour reconnoître l'état de la place , 6c Saviflà
auroit été tué, fi ks armes n'avoient paré le coup. Staniflas
Solkiewi, jeune homme d'un efprit excellent , 6c qui étoit
d'un grand fecours à Zamoski dans les affaires les plus épi-
neufes , fit tourner bride , Ôc fe retira dans le camp.
Pour fe venger de cette infulte, les Polonois employè-
rent une rufe indigne de braves gens , qui avoit déjà été
propolée par un nommé Jean Oftromene , mais toujours con-
damnée par Zamoski : néanmoins pour repouffer la fraude
par la fraude, il crut pouvoir la permettre alors. Oftromene
avoit préparé un coffre de fer, dans lequel il avoit mis douze
canons d'arquebufe , fi menus que le moindre effort étoit
capable de les rompre : il avoit enfermé le tout dans un
coffre de bois. Au fond 6c au couvercle de ce coffre étoient
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVÎ. 683
attachées des cordes qui répondoient à ces canons ; en forte
qu'on ne pouvoit tirer le coffre de fer de la caille de bois , Henri
fans tirer les cordes en même tems. Les cordes mettoient en III.
mouvement une roue , qui faifoit fortir du feu d'un pierre dif- T , g 2
pofée de manière qu'il fe communiquoic à l'initant aux ca-
nons. Comme ils étoient fort minces , ils ne pouvoient man-
quer de fe brifer , & de mettre en pièces tout ce qui fe trou-
veroit aux environs.
On porta ce coffre à Zuiski de la part de Jean Moller,
qui feignant de vouloir déferter , étoit bien aife de mettre
en fureté ce coffre, qu'il difoit plein d'or, de pierreries de
de choies très-précieufes. La rufe réiuTit en partie ^ mais
comme Zuiski ne fe trouva pas chez lui , André Choroftin,
iécond Palatin de la ville , & rival de Zuiski , fe hâta de faire
ouvrir ce coffre. Kofeki ôc lui furent tués à l'ouverture ; plu-
fieurs autres que la curiofité y avoit attirés , furent eftropiés ,
&c il y eut même une partie du toit de la maifon qui fut ren-
verfée. Là-deffus Zuiski publia un écrit très-injurieux contre
Zamoski , Se il en vint jufqu'à Pappeller en duel : mais com-
me de part 6c d'autre ils avoient peu d'envie de fe battre, la
chofe n'eut point de fuite.
Pendant ce tems-là, les Plénipotentiaires des deux Na- Pal* entre
tions étoient aiTemblés àZapolie, où ils travailloient férieu- ^i^^o,
fement à la conclufion de la paix. Il fut queftion de la Li- vices.
vonie , & de rendre de part 8c d'autre les fortereflès dont on
s'étoit emparé. Il y eut de grandes contestations fur cet ar-
ticle 5 les Mofcovites ne pouvoient fe déterminer à rendre
une Province dont ils étoient maîtres depuis vingt-neuf ans,
& dans laquelle il étoit né depuis ce tems-là une infinité de
Mofcovites. On convint enfin de tous les articles à la réfer-
ve de Derpt & de Novogorod fur lefquels on s'échauffa vi-
vement : mais l'arrivée de Poffevin termina les difputes. Les
Mofcovites voyant que leurs affaires alloient mal du côté
de Pleskow, confentirent à abandonner laLivonie & à cé-
der Derpt & Novogorod , à condition qu'il leur feroic per-
mis d'en emporter tous les vafes facrés , ôc qu'on ne feroic
aucun mauvais traitement à leur Evêque, ni à leurs Prêtres.
Etienne roi de Pologne rendit de fon côté Luki , Sawoloc-
ze , Newel , & quelques autres forts , qui avoient été pris les
R R. r r ij
'6*4 HISTOIRE
années dernières j mais à condition que les territoires de We-
Henri liich & de Poloczko demeureroient aux Polonois.
III. 11 y eut encore des difficultés pour Narwa, &: quelques
1 S 8 z. autres forterefïès, qui étoient entre les mains des Suédois. Les
Polonois prétendoient que les retardemens affectés des Mof-
covites en étoient la caufè ^ ôtles Molcovites foutcnoient au
contraire , qu'on ne pouvoir leur demander aucune garantie.
Enfin hs droits de la Pologne fur ces lieux étant en fureté,
on régla ce qui regardoit les prifonniers & les frais de la guer-
re, &. l'on fît la paix pour dix ans. Chacun s'applaudit de
cette paix limitée : le Mofcovite étoit ravi de s'être confer-
vé le droit &: l'efpérance de reconquérir un jour ce qu'il ve-
noit de perdre : le roi de Pologne charmé d'avoir reconquis
la Livonie, 6c ravagé une grande étendue du païs ennemi ,
qui ne pouvoit fe rétablir de plufîeurs années , le flatoit que
fi les Mofcovites recommençoient la guerre , il pourroit pouf,
fer plus loin fès conquêtes.
On envoya enfuite des AmbafTadeurs de part &: d'autre
pour faire ratifier le traité par les Souverains des deux Royau-
mes. Les Polonois elTuyérent quelque conteflation fur la ma-
nière de dreiTer le traité j parce que le Mofcovite vouloir
ajouter à fes anciens titres , celui de Czar de toute la Ruffie
&: des royaumes Tartares d'Afïracan & de Cafàn , qu'il avoit
incorporés aux Etats qu'il avoit reçus de Ion père. Les Polo-
nois tinrent bon , & refuférent abfolument au Grand Duc
ce qu'il fouhaitoit fi ardemment.
Le fix de Février l'armée Polonoife fe retira de devant
Pleskow. Sa marche étoit fermée par vingt-quatre mille che-
vaux Polonois bien équipés , & qui marchoient en fi bonne
contenance , que les Mofcovites ne purent refufer leur admi-
ration. Zamoski tourna vers Sekel , &. mit l'armée en quar-
tiers au-deflus de Derpt , de manière qu'elle pouvoit fe raf-
fembler aifément , fi les Mofcovites faifoient quelque infrac-
tion au traité , & marcher au fecours de Parnow , en cas que
Pons de la Gardie ne levât pas le fiége de cette place. De là ,
il entra dégnifé à Novogorod , & ordonna au Commandant
de fortir du château que le Grand Dnc venoit de céder. Il
paflà enfuite à Derpt , & le Gouverneur s'exeufant de fortir
îùrce qu'il n'avoic point de voitures pour emmener les gens
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 685
Se fes effets , Zamoski fe retira dans l'Abbaye voiflne. Quel-
que tems après , cette place lui fut remife par les Mofcovites , Henri
qui en étoient en pofîèfîion depuis vingt-neuf ans. Leshabi- III.
tans , 6c fur-tout les femmes jettoient de grands cris , 6c cou- 1 ç g u
joient en larmes autour des tombeaux de leurs proches j
car c'en: la Nation du monde la plus fuperftitieufe fur le
refpeèt qu'on doit aux morts. Ils ne les enterrent pas d'abord
comme nous : mais après les avoir mis dans leurs cercueils,
ils les gardent pendant un an dans des lieux bien voûtés ,
s'imaginant par cette cérémonie confèrver une efpéce de
commerce avec eux , ou du moins n'en être pas entièrement
privés.
Olfrow , Luki , Newel &: Sawolocze furent rendus aux
Mofcovites. Ainfl finit la guerre de M ofco vie, où le prince
Jean foutint mal la réputation de (es Ancêtres , & la fienne
propre : car depuis Nieper jufqu'à Czernickow, 6c depuis la
Duinejufqu'à Staricie, Novogorod & le lac de Lahod , le
païs des Mofcovites fut entièrement ruiné. Il y perdit plus
de trois cens mille hommes , 6c il y en eut environ quarante
mille emmenés en captivité. Ce qui fit des déferts des païs
de Luki, Sawolocze, Novogorod 6c Pleskowj parce que
toute la jeunefle périt dans cette guerre , & que les plus âgés
ne biffèrent point depofférité.
Pour fe faire honneur de cette grande victoire, les Polo-
nois ajoutent, que le Mofcovite perdit par cette guerre tous
les ports qu'ils avoit fur la mer Baltique, 6c que les Turcs
lui ayant déjà ôté la navigation du Nieper S>c de la mer Noi-
re, il ne lui reftoit que la mer Glaciale , où il y a peu de
ports, 6c où la navigation efr. très-périlleufe 3 en forte qu'é-
tant exclus par ce moyen de tout le commerce de l'Occi-
dent 6c du Midi , il fe trouvoit en quelque forte relégué dans
la Ruffie intérieure , avec des entraves qui l'empêchoient de
s'écarter d'aucun côté.
La Pologne n'eut pas plutôt terminé fes différens avec \e^ Différend
Mofcovites, qu'elle en eut d'autres avec le roi de Suéde. Ce *mre ,a I)°*
Prince ayant tait courir le bruit , que le roi de Pologne vou- Sucde , au r«-
loit partager la Livonie aux Hongrois qu'il avoit avec lui , jet dc la Li-
publia un Edit par lequel il promettoit de faire rendre aux
Livoniens les biens qui leur appartenoient , ou que leurs
IlKrr iij
vome.
6Î6 HISTOIRE
Ancêtres avoient pofledés à titre de fief, afin de les engager
Henri à fe révolter contre la Pologne. Parnaw étoit extrémemenr
III. prefTé , & il n'y avoit pas d'apparence que la place pût tenir
1582. long-tems. Cependant le roi de Pologne dirîimula,6c Lau-
rent de Cagnolo , qui avoit rendu de grands fervices à la priie
de Narva , étant venu avec des lettres de Pons de la Gardie ,
gentilhomme de Languedoc, pour engager Zamoski à écri-
re au duc de Mofcovie, le Général Polonois s'exeufa de le
faire , fur ce qu'il n'avoit point ordre du Roi fon maître.
Depuis la conclufion de la paix, Etienne Batthori roi de Po-
logne s'étant rendu à Riga le 1 2. de Mars , demanda au Sé-
nat une Eglife pour les Jéfuites , & il obtint celle de faint
Jacque par l'entremife de Gotthard de Vellingen fyndic de
la ville 6c de Jean Tait. Ce fut en vain que le duc de Curlande
s'y oppofa, 6c que les habitans réclamèrent la parole que le
Roi leur avoit donnée, de ne rien innover fur la Religion.
Mais pour les adoucir, ce Prince leur accorda de fon côté
la plus belle Eglife de la ville , & déclara depuis par un A<fte
public que c'etoit du confentement du peuple qu'on lui
avoit donné celles de faint Jacque & de fainte Madelaine.
Il y eut auffi quelque négociation entamée avec le Sénat
Se le peuple , fur les fortifications que l'on avoit élevées en-
tre la ville & la citadelle , dans le tems qu'on étoit en guerre
avec les Mofcovites ; & ce fut encore par l'entremife du Syn-
dic Se de Taft , que l'on convint que le retranchement qui
tenoit aux murs de la ville demeureroit en fon entier , 6c
que le Roi en éleveroit un autre de pareille hauteur du côté
de la citadelle ^ 6c qu'il lui feroit permis de faire ouvrir du
côté de la citadelle une nouvelle porte à la ville , par laquelle
lui & Ces Officiers pourroient entrer quand bon lui femble-
roit, même la nuit, s'il étoit nécefiaire , ou d'ouvrir une
nouvelle porte fur le rempart vis-à-vis de la porte de la ci-
tadelle , 6c de jetter un pont fur le fofiTé qui étoit entre deux ,
pour communiquer d'une porte à l'autre.
Le Roi donna au Syndic une penfion fur les péages pour
les fervices qu'il avoit rendus à lui 6c aux Jéfuites , & il aban-
donna à Taft quelques familles de païfans.
Avant que de quitter Riga, Etienne, qui fêmbloit avoir
oublié l'injure qu'il prétendoit avoir reçue du roi de Suéde ,
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 6Z7
lui envoya Dominique Alamanni Florentin. Il crut que cet -
Ambafïàdeur feroit d'autant mieux reçu de ce Prince, que Henri
c'étoit lui qui avoit négocié fon mariage avec la reine Ca- HE
therine ( i ). Il lui fit redemander avec hauteur la partie de la 1582,
Livonie dont il venoit de fe rendre maître. Elle avoit plus
de quarante milles de longueur le long delà côte de la mer
Baltique depuis l'embouchure de la rivière de Narwa jufqu'à
Parna\v,en prenant par Tolibou^WeirTemberg , Revel,
Padis, VTeiflènftein à Hapfel. Alamanni commença par fe
plaindre de l'injure que le roi de Suéde avoit faite au roi de
Pologne , en s'emparant de Narwa , Ôc de plufieurs autres
forterefTes de la Livonie, pendant que l'armée de Pologne
étoit occupée au fiége de Pleskow. Enfin il réduifît Ces pré-
tentions à un feul point -y c'étoit qu'en attendant que les
deux Rois filTent régler leurs différens par des amis com-
muns , Narwa , qui avoit été le.fujet de la guerre , fût remi-
se au roi de Pologne , qui s'engageroit de la rendre au roi de
Suéde , fi l'on ne venoit pas à bout d'accommoder leurs dif-
férens j auquel cas le roi de Pologne chercheroit d'autres
moyens pour fe faire rendre juftice : qu'autrement il étoic
à craindre que pendant qu'ils difputeroient à qui refteroic
Narwa , les Mofcovites ne vinffent à s'en rendre maîtres.
Le roi de Suéde indigné d'une demande qu'il trouvoit in-
jufte, lui répondit en colère, que pendant qu'on devoit à
lui , à fa femme , &: à (es enfans , non-feulement la dot qui
avoit été promife à la Reine, &: une fomme considérable qu'il
avoit prêtée au roi Sigifmond j mais encore la portion hé-
réditaire des biens paternels &; maternels de la Reine fa fem-
me , ôc d'autres biens , tant en meubles , qu'en fonds du patri-
moine Royal de Pologne &: de Lithuanie, qu'il follicitoit
en vain depuis vingt ans avec beaucoup de dégoût 6c de dé-
penfe, il étoit bien étonnant que le roi de Pologne , au lieu
de payer ce qui lui étoit légitimement dû , vînt demander
avec hauteur un bien qui appartenoit à la Suéde , &: fur le-
quel la Pologne n'a voit pas le moindre droit : Que cette pré-
tention lui paroifToit extraordinaire, & tout-à-fait contraire
aux loix de l'alliance & de l'amitié qui étoit entre les deux
Rois : mais que puifque PAmbafïàdeur n'avoit pas un plein
(1) Fille d€ Sigifmond Augufte roi de Pologne.
63 8 HISTOIRE
l pouvoir , & qu'il lui parloit d'amis communs pour terminer
Henri leurs différens , il vouloic bien qu'il en fût nommé de parc
III. &c d'autre , pour examiner tous les chefs conteftés , & les
1582, décider : Quant à ce que le roi de Pologne difoit, que pendant
qu'il étoit arrêté au fîége de Pleskow , les Suédois étoient ve-
nus par derrière s'emparer de la Livonie , qu'il n'avoit qu'une
choie à répondre 5 c'eft qu'il n'étoit point venu attaquer les
Mofcovites , leurs ennemis communs , par derrière & par
furprife, mais de front & à découvert : Que non-feulement
il avoit écrit au roi de Pologne fon allié , mais qu'il lui avoit
encore fait dire par les AmbaiTadeurs, que tout ce qui feroic
pris appartiendroit à celui qui Pauroit conquis , &, qu'il pré-
tendoit garder (bs conquêtes avec d'autant plus dejuftice,
que la Suéde avoit foûtenu feule & avec des depenfes immen^
(és^ tout le poids de cette guerre, long-tems avant qu'E-
tienne fongeât à attaquer les Adofcovites : Que pendant que
les Polonois afïiégeoient Poiocz ( 1) , il avoit aflîégé Narwa,
comme il Pavoit fait en d'autres tems , fans que jamais Etien-
ne lui eût marqué par une iimple lettre , qu'il eût aucune
prétention fur cette place : Qu'au contraire , il avoit écrit
à Pons de la Gardie pour lui faire compliment fur la prife
de Vi^eyfemberg èc deTolfborg , dont il s'étoit rendu maî-
tre l'année dernière , &c qu'il avoit cette lettre entre les
mains : Que pour la fortereiTe &: le bailliage de Weiiïènftein ,
le roi de Pologne fçavoit bien qu'ils avoient été engagés
au roi de Suéde, en payement de la dot promife à la Reine ,
&c que la province de W icke avoit anciennement appartenu
à la couronne de Suéde : Que comme le roi de Pologne n'avoit
point confulte le roi de Suéde fur ce que les Polonois dévoient
garder pour leur tenir lieu de la Livonie ou de la grande
Ruffie , le roi de Suéde n'avoit pas cru être obligé de con-
sulter le roi de Pologne fur ce qu'il de voit preue. rje en Livo-
nie : Qu'il n'y avoit que Dieu à qui il fût tenu de rendre
compte de fes actions : Que d'ailleurs il ne lui feroit pas
difficile de prouver par des raifons très-folides , que les Sué-
dois avoient autant de droit fur la Livonie, qufcles, Polonois,
Après cette réponfe Alamanni partit pour s*çn retourner ,
& il fut bientôt relevé par Chriftophle Agaric wicz avec d^s
(j) Ville de Lithuanie.
lettres
DE J, A. DE THOÙ, Liv. LXXVI. 689
lettres de la reine Anne (1) , pour Catherine reine de Suéde _
fa feeur. Il trouva le roi de Suéde à Upfal 3 &: lui ayant fait Henri
les mêmes proportions qu'Alamanni ,il en eut la même ré- III.
ponfe. Les lettres que le roi de Suéde lui remit étoient da- 1582»
tées du 8. Juillet , &: elles contenoient en fubftance : Qu'il ne
pouvoit confentir à céder au roi de Pologne la principauté
d'Eften , qu'il demandoit : Que puifque les Polonois faifoient
fi peu de cas de la couronne de Suéde , il leur feroit voir
dans peu , qu'il en faifbit encore moins de la leur : Qu'en
attendant il demandoit une prompte fatisfaction : Qu'il fal-
loit que le roi de Pologne lui en donnât des aiîurances par
écrit ou par Envoyé. « S'il le refufe , ajoûtoit-il , on ne doit
» point être fiirpris 11 je prens , quoiqu'à regret , un parti con-
» venable à ma dignité. «
A ces lettres , la Reine joignit les fiennes , pour s'excufèr
auprès de fa feeur , de n'avoir pu raire agréer au Roi fon mari
les demandes des Polonois , qu'elle trouvoit en effet dures
& injuftes; & elle exhortoit le roi Ion beau- frère à en faire
de plus raifonnables.
Pendant qu'Etienne étoit à Riga , Poflèvin revint de Mo£
cou après avoir eu beaucoup de peine 6c de fatigues a elïuyer
dans ce voyage. Il avoit agité avec le Grand Duc , les
moyens de terminer le fchifme, & de réunir la Mofcovie à
l'Eglife Romaine. Il avoit encore fait quelques proportions
d'une ligue avec la Pologne contre les Tartares , pour le
bien commun de la Chrétienté. Enfin il l'avoit fondé fur la
guerre contre le Turc : mais il n'en put tirer que des répon-
ses ambiguës. A l'égard des Tartares , il lui fit entendre
qu'il venoit de faire la paix avec eux. Poflèvin amena avec
lui deux ambafîadeurs Mofcovites , l'un pour la cour de
Vienne, &: l'autre pour Rome. Il y en avoit un troifiéme
qui étoit parti pour Conftantinople , &: qui portoit , à ce
que difent les Polonois , des préfens au patriarche Grec , pour
obtenir en faveur du duc de Mofcovie, l'abfolution du meur-
tre de fon fils.
Il arriva dans le même tems des ambafîadeurs de Maho-
met Chirei Kan des Tartares de Precop. Ils demandèrent
que les Polonois lui envoyaient les préfens ordinaires : Qu'ils
{i) Anne Jagellon fille de Sigifmond Augyfte, ôc femme d'Etienne BatthorL
Tome VI II. S S CC
69o HISTOIRE
lui donnaient fatisfa&ion fur les courfes que les Cofaques
Henri avoient faites fur les bords de la mer Noire , &; qu'ils empê -
III. chaffent ces courfes à l'avenir. Le Kan affectoit d'exagérer
i f 8 z ^es ravages °iue ^es Cofaques faifoient dans ies Ecats , afin que
la nécellité de défendre iès propres Ecats , lui fervît de pré-
texte pour ne point aller fervir en Perle , où Amurat lui avoit
ordonné démarcher avec fes troupes. Etienne, qui etoit un
Prince courageux , fut indigné de l'infolence de ces Ambaf.
fadeurs • & dans les premiers mouvemens d'une jufte colère ,
il fe tourna vers les Seigneurs qui étoient avec lui , &: leur
dit : w Je ne veux plus payer de tribut à cette bête féroce, ce
Cependant il fe radoucit un moment après , ôc ne voulant
point dans les circonftances préfentes s'attirer de nouveaux
ennemis , il leur fit réponfe qu'on donneroit les préfens ac-
coutumés, & qu'on obferveroit la paix avec le Kan fuivant
les traités. A l'égard des Cofaques , que c'étoit un peuple
ramafle de toutes fortes de Nations , &: en quelque forte in-
dépendant : que néanmoins il n'oublieroit rien pour faire
cefler leurs piilages.
Etienne partit aufîitôt de Riga , laiiîant dans la citadelle
George de Radzewil évêque de Vilna. Il fe rendit d'abord
à Vilna , èc enfuite à Grodno , où il fit quelque féjour , 8c au
mois d'Août il alla tenir la diète à Varfovie. Il y reçut la
nouvelle de la prife de Jankoia vaivode de Valaquie,&: l'en-
nemi perpétuel de la Pologne. Jankoia étoit un cle ces Sa-
xons qui fe font établis en Tranfylvanie, homme de néant;
mais qui fe donnant pour defeendant des Defpotes, chofe
allez ordinaire en ces païs-là , avoit trouvé moyen de s'élever
à la dignité de Vaivode parla faveur du Grand VifirAch-
met. Après la mort de ce Vifir, les chofes changèrent de
face j on lui envoya un fuccefïèur , £c on lui ordonna de fe
rendre à Conftantinople. Jankoia au lieu d'obéïr, s'étoit
mis à piller la province , & ayant fait un butin confidéra-
ble , il avoit réfolu de fe retirer en Hongrie avec une troupe
de gens attachés à fes intérêts , & de fe mettre fous la pro-
tection de l'Empereur. Comme il étoit perfuadé que les
Tranfylvains ne manqueroient pas de l'attendre fur les che~
mins ; pour les éviter , il marcha par des routes détournées,
en tirant vers la Pokucie, petite province de Pologne. Mais
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVL 691
en voulant forcer les paiïages , il fut pris par Nicolas Sofle-
wicz gouverneur de Siniarin , £c conduit à Leopold , ou il fut Henri
condamné à mort & exécuté par ordre du roi de Pologne. III.
Ses biens furent conrifqués , & mis au tréfor public par Me- 1 * 8 z.
lodfewicz tréforier de la Cour. L'on donna à la veuve 6c à
les enfans une penfion pour leur fubfiftance.
Enfin la diète commença ; 6c Zamoski chancelier du Dicte de
Royaume harangua l'ailemblée au nom du Roi , fuivant le Varfovie.
droit de fa charge. Il propofa les points fur lefquels le Roi
vouloit qu'on délibérât. C'étoit qu'à l'avenir on établît une
formule rixe 6c certaine pour l'élection des Rois : Qu'on tra-
vaillât à affermir la concorde 3 à établir une juftice égale
pour tous les membres de l'Etat 5 à empêcher les injures 6c
les reproches violens ^ à ôter toute femence de haine 6c de
divifïon -y à retrancher toute la chicane des tribunaux de la
Juftice , &c à remédier aux mrprifes dont certaines gens fça-
voient adroitement faire ufage. Il parla enluite de la Livonie^
des Commiflaires que le Roi avoit envoyés pour vifiter ce pais-
se de ce qu'il avoit réglé avec le Grand Duc de Moicovie
par rapport à cette province : puis il vint à la manière inju-
rieufe dont le roi de Suéde en avoit ûfc avec la Pologne. Son
deffein étoit de perfuader aux Etats afTemblés, qu'ils ne dé-
voient pas fouffrir qu'aucun Prince voifin fe fortifiât en Li-
vonie : Qu'il n'y avoit guéres de fociété durable entre des
Souverains : Que c'étoit manquer aux régies delà prudence
que de donner entrée à un Prince dans un païs qui eft de la
même Nation èc qui parle la même langue que lui , fur- tout
quand les affaires de celui à qui ce païs appartient, n'y font
pas folidement établies , 6c que les inclinations 6c les efprits
des peuples font encore rlotans : Enfin que ceux qui avoient
fait la faute d'y laiflèr entrer un autre Prince, n'avoient gué-
res tardé à s'en repentir. Il parla enfuite des menaces des
Tartares, à caufe des ravages des Cofaques h de la juridic-
tion ordinaire qu'on avoit remifè au Roi pour un tems , 6c de
la folde des troupes. Il s'étendit beaucoup pour faire valoir
les fervices qu'il avoit rendus fur cet article 5 il en parla mê-
me avec aigreur , 6c d'une manière odieufe $ car il rit fentir
l'inhumanité de la Nobleffe envers des troupes aufquelles
elle avoit tant d'obligation j & il parut qu'en affedant de
S S ff ij
Cç)-l HISTOIRE
lotier les foldats dont il avoir été le Général , il avoir cherché
Henri à fe faire honneur à lui-même. Il y eut encore une chofe qui
III. piqua l'Aflemblée -y c'eft qu'en parlant de ceux qui fe plai-
1582. îoient à parler mal du gouvernement, il dit, qu'il voyoit
déjà des Petilius dans la République , 6c qu'il craignoit fort
qu'il n'y eût bientôt des Catilina. On prit ce trait pour une
infulte, 6c l'on en murmura hautement.
On délibéra fur l'élection , & fur les autres points propofés
par le Chancelier : mais on fut fi partagé qu'il n'y eut pref.
que rien d'arrêté. On examina enfuite avec de grands débats
la caufé de Staniflas Carnkowski. Le Roi vouloit en con-
noîcre, 6c l'accufé prétendoit qu'il devoit être renvoyé à fes
Juges naturels.
Après la mort de Sophie fceur deSigifmond Augufte roi
de Pologne, 6c femme de Henri duc de Brunfwick, Anne
reine de Pologne, 6c Catherine reine de Suéde fes nièces,
difputérent fa Tucceflion. Mais on découvrit dans la fuite que
la poiTeilion des biens qu'elle laiiloit, ne devoit point être
réglée fuivant la loi ordinaire des fucceflions , mais qu'elle
appartenoitau Roi 6c à la République de Pologne , en vertu
des contrats où cette difpofition avoit été ainfiftipulée. En
conféquence Sigifmond Augufte avoit envoyé de ion vivant
Carnkowski en Allemagne , avec les actes àc les contrats
pour juftifîer fon droit. Carnkowski ne les ayant pasrappor-
tés au tréfor, Laurent Gofleck qui fut envoyé après lui en
Allemagne, penfa perdre fa caufe , faute de pouvoir établir
fa demande fur des preuves fuffliantes , parce que Carn-
kowski refufa de lui remettre les pièces originales , malgré
les ordres qu'on lui avoit donnés de le faire. Ce fut-là le
premier chef d'accufation contre Carnkowski. Il yen avoit
encore un autre plus grave - c'eit qu'il s'étoit fait nommer
par le Pape coadjuteur de jacque Vehanski archevêque de
Gnefne, fans en avoir parle au Roi, 6c qu'il avoit même em-
ployé la recommandation des Princes étrangers, pour en-
gager le Pape à lui accorder fa demande j 6c en vertu de fon
titre de Coadjuteur , il s'étoit emparé par force de Snena,
place qui appartient a l'Archevêque. Enfin malgré la viva-
cité des conreilations , il fut condamné à rendre les actes
qu'il avoit retenus, 6c déclaré déchu de la Coadjutorerk
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 693
qu'il avoit demandée contre les loix du Royaume : <k pour la .
pofTefîion violente de Snena , il fut renvoyé aux tribunaux Henri
ordinaires de laNobleffe. Après quoi PAflèmblée fe fépara III.
tumultueufement , malgré les remontrances de Zamoski , j^1(
qui leur réprefentoit que c'étoit abandonner la Livonie de
la Ruffie , & les livrer par cette précipitation aux Tartares
Se aux Mofcovites , qui étoient difpofés à venir fondre fur
ces Provinces.
Il étoit venu à la diète des ambaffadeurs de Mofcovie,
pour faire jurer la paix au roi de Pologne : cette cérémonie
fe fit avec beaucoup de pompe au milieu de l'AiTemblée de
tous les ordres du Royaume. On éleva à cet effet un Autel ,
&; après la lecture du traité , l'Archevêque prononça la for-
mule du ferment, &; le Roi la repéta après lui.
On parla enfuite de rechange des prifonniers , & on mit
en liberté un certain nombre de Boïards en faveur des Li-
voniens. Enfin le Roi après avoir congédié la diète, tra-
vailla avec le Sénat de Livonie , &: employa quelques jours à
régler les affaires de cette Province. Il obtint des Etats qu'on
établiroit un Evêque à NSTenden , pour prendre foin des af-
faires delà Religon dans ce païs-là , parce que l'Archevêché
de Riga avoit été fupprimé, pour abolir les conteftations
anciennes fur la prefféance. On fit beaucoup d'autres régie-
mens fur les affaires publiques 3 mais prefque tous contre la
volonté des Etats.
Toutes ces affaires étant terminées, comme je viens de
le dire , le Roi informé des grands préparatifs de guerre
que faifoient les Tartares de Precop, alla à Cracovie. Il y
trouva en arrivant un ambafîadeur Tartare , qui venoit hn
déclarer la guerre , s'il ne fatisfaifoit fur le champ aux de-
mandes du Kan. Il lui apportoit outre cela une lettre du
Grand Vifir Sinan , qui portoit que le Grand Seigneur étoit
réfolu de fbûtenir le prince Tartare , s'il entroit en guerre
avec la Pologne. Zamoski eut ordre de marcher contre hû
avec l'armée de la Couronne, &c dès qu'il fut fur la frontiè-
re , Conftantin duc d'Oftrog ( 1 ) , vint le joindre avec un bon
corps de troupes compofé defes vafTàux.
On avoit tenu à ComVfbero- au commencement d'Avril
(1) Ville force darrs la haute Volhinie avec titre de Duché.
S S (( iij
HMMWW
6?4 HISTOIRE
l'ailembléc des Etats de la Prune Royale, qui appartient à
Henri [a Pologne , 6c dont George-Fredcric de Brandebourg avoit
III. l'adminiitration en qualité de Curateur. On y fît mention
1581. des revenus de révêché de Samland , non pas pour les con-
AfFairesde îïlquer & hs porter au tréfor Royal -y mais pour les donner
PruiTe. à quelque Pafteur capable de fervir l'Eglife fui van t la formu-
le arrêtée feize ans auparavant. On y parla auflî d'établir
une Académie à Conigfberg 5 de revoiries ftatuts de Culm ,
qui font les loix de ce païs-là, 6c de les faire imprimer j de
remettre aux feuls Pruiïïens l'adminiitration de toutes hs
affaires publiques, & de s'en tenir au fouverain Sénat com-
pofé feulement de quatre Confeillers , fans y mêler aucun
étranger ■ de faire d'utiles réglemens au fujet du tribunal de
la Cour -y d'en diminuer les dépenfes • de régler la monnoye }
d'aiTiirer la liberté de la navigation j d'abolir les impôts éta-
blis en Lithuanie, 6c fur la Viftule contre les privilèges Pruf.
fiens,6c de faire ôter par Pentremife du Prince ceux qu'on
paye au paflage du Sund.
Ils propoférent tous ces articles au Roi , fans pouvoir rien
terminer • en forte que les efprits n'en furent que plus aigris
de part & d'autre , 6c qu'il fallut beaucoup de tems pour les
adoucir.
Il s'en fallut peu que la guerre ne fe rallumât cette année
en Hongrie : voici à quelle occafion. Le Sangiac de Zol-
nock , qui depuis a été appelle bâcha de Safîwar ou de Ziget ,
fit une irruption fubite dans le comté de Cepufeavec fix mil-
le Turcs , à deflèin de ravager le pais. Il s'empara d'une bi-
coque nommée Onody • 6c après l'avoir pillée, il la brûla.
Outre le butin qui fut confïdérable , il emmena captifs un
grand nombre de Chrétiens. Les Officiers des troupes Chré-
tiennes irrités de cette infulte, attendirent les Turcs du côté
d'A gria. Les Chrétiens quoique fort inférieurs en nombre,
tombèrent fur ces pillards chargés de butin. Le combat
fut quelque tems douteux ^ mais les Chrétiens ayant reçu
un renfort de deux mille Hulîards , on fe battit avec
plus de vigueur , les Turcs comptant fur leur nombre j
6c les Chrétiens fur leur courage. Malgré ce fecours ,
v la victoire reftoit encore incertaine , lorfque l'arrivée d'un
corps d'arquebufiers Allemans la fit déclarer pour les
DE J. A. DE THOU, Liv. LXXVI. 695
Chrétiens. Ce nouveau renfort ayant pris les Turcs en — -^j— i«»
flanc, rompit leurs rangs à coups d'arquebufes, & les mie Henri
en défordre. Il y en eut un fort grand nombre de tués &c III.
prefque autant de prifonniers : tous les captifs furent déli- 1582.
vrés, & tout le butin repris. Il eft difficile d'exprimer com-
bien la nouvelle de cette défaite irrita les Turcs. Le Grand
Vifir Sinan, ennemi juré des Chrétiens , paroifîoit furieux ,
&: faifoit les menaces des plus terribles. Déjà même la plu-
part des Bâchas inclinoient pour rompre la trêve , & por-
ter la guerre en Hongrie, lorfqu'on amena au Divan un des
Sangiacs de Hongrie pour l'interroger fur cette affaire. Le
Sangiac ne balança pas à donner le tort aux Turcs. Il dit
qu'ils étoient entrés à main armée fur les terres de l'Em-
pereur, fans qu'on leur en eût donné aucun fujet : Qu'ils
avoient emmené avec eux un nombre infini de captifs j &
qu'en s'en retournant chargés de tout ce qu'ils avoient pris ,
ils avoient été attaqués & taillés en pièces parles Chrétiens.
La vérité du fait fe trouvant encore confirmée de toutes parts,
les Turcs dont les forces étoient occupées ailleurs , fe radou-
cirent , &: réfolurent de traiter avec le roi de Hongrie , &
de prolonger la trêve, qui étoitfurle point d'expirer. On
croyoit cependant que Sinan l'empêcherait , mais heureufe-
ment il fut dépofé quelque tems après , comme nous le di-
rons en fon lieu.
Fin dn huitième Volume,
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J^"«â Jfe**s& i&w"«£L 2&ayw£L i^v*^ JVv#l i^Wu J&j* vrsd ^ v^jl w£L
% cjl^ c/S^l» e/L^s) Jl^ <îJïJ(s eK^ or^-Hs cJfe>H«) «R <yï
RESTITUTIONS,
DIFFERENTES LEÇONS,
b
0 U
VARIANTES,
NOTES ET CORRECTIONS
DU HUITIEME VOLUME-
EXPLICATION DES MARQJVES
dont on s'ejlfervi pour défigner les endroits d? oit font prifes
les Reftitutions quifuivent.
P *. Signifie que le paflagereftitué étoit dans l'e'dition de PatifTon , in folio
MS. Reg. Veut dire que le partage reftituéou la variante eft dans le Manufcrit
de la Bibliothèque du Roi , qui eft celui de l'Auteur même.
MS. Samm. Fait entendre la même chofe du Manufcrit de Meilleurs de Sainte-
Marthe.
P. Défigne les variantes prifes de l'e'dition de Patiflbn.
P. Dénote les variantes prifes de l'édition des Drouarts. La lettre (f)
marque l'édition des Drouarts in folio, (o) la même in oftavo ,
(d) la même in douze.
Put. Signifie que la note , ou la correction cil de Meilleurs Dupuy.
Rig. Que la note , ou correction eft de Rigault.
Ç. Que la note , ou correction eft de l'Editeur Anglois.
Èâfc Angl. De'figne l'édition d'Angleterre.
Ind. Tlw.an. L'index des noms propres qui font dans I'Hiftoire de M. de Thou.
Tout ce qui n'eft précédé ni fuivi d'aucune marque , eft de nous.
LIVRE SOIXANTE-SEPTIEME.
PA G E 2. ligne 1 5". Le Tigre , not. Pas un n'eft d'accord
de ton nom aujourd'hui. Caftaldo le nomme Tegily
Pinet, Sit. V. Ortel. Eut.
Pag. 3-1. 3 5". Mehedie, lif. Mehedin,
Pag. 4. 1. 3 j. Cufa, lif. Cafa,
Tome VUL Tttt
6cpg RESTITUTIONS,
Pag. $. I.7. Les Mauroprovates & les Afproprovates , not,
Ceft- à-dire les familles du mouton noir & du mouton
blanc.
Pag. 7.I. 14. Le Kilan,///7 le Sirvan, ou Chirvan.
L.i-j. Le Tabareftan, /*/I le Mafandran.
1. 16. Ou,///: &.
IW. La Parthie , /*/! la Parthide.
I.35*. Chourdes , ///7 Chiourdes , not. Minadoi les nom-
me Cure ht.
Pag. 12.I. 19. Le premier des Sultans, lif le Grand Vifir.
Pag. i6A.àj. D'avancer, otez contre le fentiment unanime
de tous les chrétiens.
Pag. 20. 1. dern. Balfara , lif Baflora.
Pag. 2.6. 1. 8. Maucchiar , lif. Manucchiar , & ailleurs.
Pag. 28.I. 15?. Monts Gordiens , not. P. Giilius les nomme,
la montagne des Nuages. Put.
1. 24. ZagriuSj, ou Semirami.
Pag. 2p. I.3. Comagene, eu Azar.
1. 13. D'Hire, lif d'Heri.
Pag. 30.I. \6. A fes yeux, lif. à leurs yeux.
Pag. 33.I. 31. Ecbatane, not. M. Demie a fait voir dans fa
Carte de la retraite des dix mille , & dans le difeours qu'il
lut au fujet de cette Carte à l'Académie des Sciences , &
qui eft imprimé dans l'Hiftoire de cette Académie,que Tau-
ris ne pouvoit pas être Ecbatane , mais plutôt Gabris : &
que la îituationd' Ecbatane, étant ce que les anciens nous
en ont dit , convenoit fort bien à Amadan grande ville de
Perfe entre Tauris & Ifpahan. C.
Pag. 48. 1. 2 1 . De Corfune , not. Les Turcs la nomment , San-
germen , fortereife jaune.
Pag. 5* 5T. 1. 9. Monts Riphées , ou Monts Obi.
Pag. 65A. 9. Niiîlvan, lif Nallivan.
« 1 1 1 1 1 1 i 1 ■
LIVRE SOIXANTE-HViTIE ME.
Pag. 78. 1. 3 j. Cependant il ne s'y étoit point rendu, lif Ce-
pendant de Gordes étant mort dans cet intervalle , le Maré-
chal ne s'étoit point. trouvé au lieu marqué pour l'cntre-
vûë, & s'étoit retiré &c*
CORRECTIONS.k tjfô
3?ag. 7p. 1. i. Et à quelques autres déterminés comme eux , lif
& à quelques autres perdus comme lui de débauche, Ôc
qui &c. MS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 8i.l. 21. Carmagnol , lif. Carmagnole , & ailleurs.
1. 28. A traiter avec les ennemis de la France , lif. à
traiter avec Philippe II. Roi d'Efpagne ennemi & rival de
la France. Ce Prince promit à Bellegarde de lui faire tou-
cher cinquante mille écus par mois tant que la guerre du-
reroit 5 & le Maréchal s'engagea de fon côté à fe fervir des
forces des Proteftans, fous ombre de vouloir foutenir leur
parti , tandis que cependant toutes fcs conquêtes feroient
au profit de l'Efpagne. Ce que je rapporte ici. &c. MS.
Samm. Put. & Rig.
1. 38. La vallée, lif. les vallées.
Pag. 84. 1. 27. Qu'à la paix , ajout. Ville quier le miniftre &
l'arbitre des plaifirs de la Cour s'étoit aufîi rendu à cette
entrevue. 1/ et oit chargé d'ordres fecreîs pour la Reine-mer e ;
& ce fut pour lui une occafon de venir partager les libérali-
tés , que le Duc de Savoy e faifoit aux dépens de Philippe } dont
il fe fervoit habilement , pour mettre dans f es intérêts la plu*
part des Seigneurs de la Cour. Au refte Viilequier abufant
de la faveur du Roi , dont le cara&ere étoit bon d'ailleurs ,
mais qu'ils avoit corrompu par les plaifirs , voulut encore
fur ces entrefaites ajouter à tous fes autres défauts un trait
des plus marqués de la dernière infoîence , en engageant ce
Prince à l'élever à des honneurs qui étoient fort au-deflus
de lui , & dont toute fa conduite paiïee l'avoit rendu ab-
folument indigne. La France venoit de perdre François de
Montmorency chef de cette maifon une des plus illuftres
du Royaume , & ce grand homme laiffoit vacant par fa
mort le gouvernementale Paris & de Tille de France , que
fes fervices & ceux de fcs ancêtres lui av oient mérité. Viile-
quier ofa le demander au Roi ; & il l'obtint à la honte , <5c
malgré les murmures de tous les gens de bien , qui difoient
hautement , que Viilequier devoit fe contenter de fes vices,
que perfonne ne lui envioit; qu'il avoit feu affez habi-
lement les mettre à profit pour fe rendre maître de la con-
fiance du meilleur de tous les Rois ; qu'uniquement oc-
cupé à fatisfaire fon avance, on ne l'empcchoit point de
T t t t ij
7oo RESTITUTIONS;
s'engraiffer des dons , dont ce Prince prodigue l'accabloit
chaque jour ; mais qu'il devoit laiifer à d'autres les récom-
penfes dues au mérite & à la vertu. Ce qui augmentent en-
core l'indignation , c'étoit le parallèle odieux que l'on fai-
foit du prédeceiieur & de celui qu'on nommoit pour rem-
plir fa place. En effet François de Montmorency étoit de
tous les courtifans ôcc. MSS. Put. & Rig. Ce pajfage fi trou-
pe aujfi dans le MS. de fainte Marthe , à P exception de ce
que nous avons marqué en Italique , qui y eft omis } parce qriil
. fi trouve répété un peu plus bas.
Pag. 8y. 1. 25". L'avoit envoyé, ajout, avec Pomponede Bel-
lièvre. MS. Samm.
Pag. 87.I. 20. De Cornuffe, lif. de Cornuflon.
Pag. p 1. 1. 4. Le Comte , ajout. Sans que ceux-là puffent fe
pourvoir en juftice , parce qu'ils n'ignoroient pas que Mont-
foreau n'avoit agi que de concert avec le Roi ; cette ini-
mitié pana &c. MSS. Samm. Put. & Rig.
Pag. p 2.1. 4. La Ferté, lif. Fere.
1. 13. Gennes, lif. de Germes.
Pag. p4. 1. 2. Affranchi, lif franchi.
Pag. p 8.1. 1. Ce qui pourroit, lif. ce qui ne pourroit»
Pag. 1 1 8. 1. 8. Malafpina , lif Malefpina.
1. 14. De Landria , lif. Landriano.
Pag. 13 1.I.30. Empêcher, lif en chaner.
Pag. 13^.1.35. Collet, lif Uliet.
Pag. 137.I. 11. Franicker, lif Franeker.
Pag. 140.I.20. Rolle, lif. Rolte.
Pag. 143.I. 12. Benghen , lif Berghem
Pag. 145. 1. 16. Carry, lif. Ker.
Pag. 147.I. 33. Six Comtés , ou fuivant r édition de Londres,
fept Comtés.
Pag. 148. 1. 5. Le pais du Miih , lif. le pais de Meath.
1. ip. Clancarre, lif. Clan-carty.
1. 2p. Maréchal, lif Lieutenant du Maréchal G
Pag. 14p. 1. 6. Dans une maifon, lif. dans fon lit. C.
1. 13. Ne pouvoit plus fervir, lif ne pouvoit plus
leur fervir.
I.23. Typporre , lif. Tipperary.
1.2 5. Du Bourg, ///?Burgh, & ailleurs.
CORRECTIONS ,&c; 7°*!
Pag. iyo.l. 2p. Devon, lif. Devonshire.
Pag. 1$ 1.I.20. Requely, ///^ Rekel.
Pag. 152.1.25. Petham, /*/! Pelham.
Pag. 154.L 24. En Autriche, //£ dans la haute Hongrie.
LIVRE SOIXANTE-NEUVIEME.
Pag. 15-8.1. 56^. Les Mofco vîtes l'avoient flaté, lif. le Mofco-j
vite l'avoit flaté.
Pag. 16 ï. 1. 32. La Valachie, lif. la Volhinie.
Pag. 178.L 3 1. Zamoski,///7 Zamoyski, cb° ailleurs.
Pag. 205. 1. 20. Léonard , lif Edouard.
Pag. 211. L 11. En même-tems le Pape, lif En même - temS
fuivant l'ufage de la Cour Romaine, accoutumée à ne man-
quer jamais toutes les oCCafions qui fe préfentent de pro-
fiter des divifions des Princes chrétiens , pour augmenter
fa puiflance , le Pape ordonna &c. MS. Samm.
Pag. 212. 1. p. Le long du Tage, not. C'eft: ce que les Efpa-
gnols appellent Grilla de Tajo : les Portugais difent Aquen*
Tajo.
Pag. 2 ip. 1. 3. De deux jours. L 'Editeur Anglois croit qu'il faut
mettre de trois jours.
Pag. 221. 1. dern. L'Eftramadure , not. Carpentanih c'eft Caftil-
lia la nue va & le Royaume de Tolède 5 mais en cet en«
droit Herrera & Coneftaggio mettent PEjlremadura. Put,
LIVRE SOIXANTE-DIXIEME.
Pag. 228.I. 1. Guadaloupe, lif Guadalupe.
Pag. 232.I. ip. Du fort de S. Julien > not. Les Efpagnols Ici
nomment San-Gean.
Pag. 234. 1. 23. Réitéra fa parole, lif retira fa parole,
Pag. 236". 1. 25. Donara , lif Douara.
Pag. 23p. 1. 13. Léonard de Cafl.ro, lif Edouard.
Pag. 242. 1. 3. Par témérité , lif par timidité.
Pag. 243. 1. dern. Olivencia , lif Olivença.
Pag. 244. 1. 1 6. Tratino , lif Fratino.
702 RESTITUTIONS,
Pag. 247.I. 13. Il lui fit efperer, Uf il le rui fit efperer;
Pag. 25-0. 1. 11. Dom Saa , Uf. Dom François de Saa.
Pag. 25? $. 1. 4. Kefri , Uf Kerry.
Pag. 2_p (5.1. 15:. Muskeroye, ///7 Muskerry.
1. 23. Wram de S. Léger, Uf Warham S. Léger.
1. 27. Carcagh, Uf Cork.
1. 38. George Bourchelier, Uf. Bourchier.
Pag. 2p8.1. 11. Gravingel, Uf. Glaningelly.
I.34. Zouchey, Uf Zouch.
Pag. 2pp. 1. 22. Jean Chec , Uf. Cheeke.
Pag. 300.I.22. Inquiets de leur fort, Uf inquiettes.
Pag. 302. 1. 3. Magohiganores , Uf Magohigans.
1. 1 6. Nogent Baron de Fifch , Uf Nugent Baron
de l'Echiquier.
Pag. 30(5. 1. 2. Ordinairement, Uf naturellement.
LIVRE SOIXANTE-ONZIEME.
Pag. 308.I. iy. L'Ifle verte, Uf. l'Ifle de Mayo une des Ifles
du Cap-vert.
Pag. 30p. 1. 3 5. Thomas Doughtie , Uf Doughtey,
Pag. 3 10. 1. 31. Saint Jaque, ou San-Jago.
Pag. 3 1 1. 1. 11. De linge, Uf. de toiles.
1. 17. Cockles, ou de Canno.
Pag. 3 14.I. 3. Serra-Lione , Uf Sierra-Leona,
Pag. 32 j. 1. 21. Hoatschoten , Uf Hontschoten.
1. dern. De Glimas, Uf de Glimes.
Pag. 325. 1. 2. Sckenok, Uf. Schenck.
Pag. 331.I. 10. Le Lis, Uf la Lys, & ailleurs.
Pag. 333. 1. 2. Halon, Uf. Halen.
Pag. 3 35". 1. 33. Le fept de Septembre , Uf le cinq.
Pag. 3 3 7. 1. 3 1. Avant le 2 1 . de Juin, Uf. dès le 2 1 . de Juin.
Pag. 3 38. 1. dern. Du iîeur d'Eitelles, not. Meteren le nomme
le fieur d'Eftrelles.
Pag. 341. 1. 24. De Brimen, Uf de Brimcu.
Pag. 342. t. 22. Seuge, Uf le Capitaine Scaghen.
Pag. 343. 1. 6. La Baille, Uf Baylie fon Secrétaire, & aill.
Vzg- 345". 1- 4- Hildebrand , Uf Hellebrand.
CORRECTIONS,^ 703
Pag. 34p. 1. 1 j. A l'embouchure du Wecht, ou Swarte-water.
Ibid. Dans un golfe de la mer Germanique , lif dans
le Zuyder-zée.
1. 35. Kunigam, lif. Cuningham.
1. 37. Oldezel, lif Oldenzel.
Pag. 3 j 1. 1. 33. Pelfziel, lif Deflziel.
Pag. 3; 2.1. 12. Doecumerziel , lif Doccumerziel.
1. 3 6. Le vingt-un de Juillet , lif. le vingt-neuf.
Pag. 3 j 3 . 1. 28. Tergaës , lif Tergoés.
Pag. 3^4. 1. 2(5". Vrancwort, lif Branckevoort.
Pag. 3 5 5*. 1. 1. Cette place, lif Eeck jeune officier diftinguc
par fa bravoure commandoit dans cette place. Elle eit à
cinq milles de Coevorden , & à llx de D éventer ., 6c eft af-
fez fpatieufe.
I.27. Battembourg , lif. Jacob van Bronchorft &
Battenborgh fils d'Anholt.
Pag. 356. 1. 1. Dotekom, ///7 Dotechem, o« Deutechum.
1. 10. Bans-Mon , lif Hans, ou Jean Mon.
1. 32. La porte d'Oofter &c. lif la Oofter-poorte *
la Ommer-poorte , & la Gafthuys-poorte.
I.35. La porte de Walt, ou la Walt-poorte.
Pag. 3 ; 7.I. 21. De Raoul de Langue , lif de RoelofF vart
Langen.
Pag. 35-8.1. 28. Floten , lif. Sloten.
Pag. 3j<?. 1. ip. Gedeon Pameren. Meteren met Van Rome-
ren.
1. 20. Michman , ///T Wiclimans.
1. 37. Il y avoit trois ans , not. Ce ne furent pas les
habitans de Dantzick qui fe fervirent de boulets rouges
contre le Roi de Pologne , mais ce fut ce Prince qui par
le moyen des boulets rouges, réduifit en cendres leur Fort
bâti à l'embouchure de la Viitule.
Pag. 3 cTi . 1. 6. Othon de Sanche, lif. de Saut.
1. 30. Hattem, lif Hattum, & ailleurs.
1. 3 1. Guillaume de Monfort. Meteren P appelle t Louis
de Montfort.
1. 33. Le Capitaine Foucker. Meteren le nomme, le
Sergeant Foncheco.
704. RESTITUTIONS,
Pag. 365X12. Jean de Willelmi, lif. Jean Willelms, & ail*
leurs,
Pag. 371.1. 5;. Le dix Septembre, lif. le dix-fept.
Z/r^£ S0IXJNTE-D0VZ1&ME.
Pag. 374. 1. p. Etre préparé , #/W. Un fuj et très-léger en appa-
rence , mais qui clans les circonfcances préfentes , où cha-
que parti aigri par les malheurs pafles , étoit fur fes gardes
Se attentifs aux moindres démarches de fes ennemis, ne
pouvoit manquer de les mettre aux mains , la ralluma cet-
te année dans le Royaume. Philippe Strozzi , qui étoit allié
de fort proche à la Reine-mere , homme de bien , des plus
zélés pour la gloire & pour la tranquilité de la nation , fon-
geoit à fe marier. Dans cette vue il avoit jette les yeux fur
Madelaine de la Tour veuve d'Honoré de Savoye Comte
de Tende. La ComtelTe étoit elle-même alliée à la Reine-
mere , & ce parti étoit très-convenable à Strozzi ; mais pour
ce mariage il avoit befoin , & du confentement de la Corn-
tefTe , & de l'agrément du Vicomte de Turenne fon frère.
Ainfi dans le deffein de l'obtenir , il prit le parti de fe
rendre auprès du Roi de Navarre , que ce Seigneur ne
quittoit point , & dont il avoit alors toute la confiance.
Toute la conduite palfée de Strozzi ne devoit point le
rendre fufped au Roi. Cependant de peur que fon éloi-
gnernent de la Cour ne donnât quelque ombrage à ce
Prince , qui comme il ne l'ignoroit pas , avoit plus d'une
raifon de fe défier du Roi de Navarre, il lui fit part de fon
deffein , & le fupplia de lui permettre d'entrer dans une al-
liance , qui lui faifoit honneur, & qui lui étoit fi avantageu-
fe ; fur quoi le Roi lui répondit qu'il en parleroit à la Reine-
mere. Henri avoit de la peine à confentir à ce mariage.
Quelque perfuadé qu'il fût de rattachement de Strozzi,
il appréhendoit que le Vicomte de Turenne ne profitât
habilement de cette conjoncture pour le mettre dans les
intérêts du Roi de Navarre. Cependant comme il trou-
yoit d'ailleurs dans la proposition qu'il venoit de lui faire
une
C O R H C T I O N S, k ^o?
une occafion favorable pour brouiller la maifon de ce
Prince , il réfolut de ne la pas manquer. Nous avons déjà
dit que la Reine Marguerite étoit ennemie déclarée du
Roi fon frère. Au contraire elle étoit fort liée avec le Duc
d'Anjou, avec qui elle entretenoit toujours un commerce
fort étroit. Cette conduite de la Reine de Navarre fortifioit
le parti du Roi fon époux , & mettoit en même-tems un
obftacle invincible à tous les delïeins de Henri, qui ne
foupiroit qu'après le repos & les plaifîrs. Ce Prince crut
avoir enfin trouvé le moyen de fe délivrer de cette inquié-
tude. Par le projet qu'il imaginoit , il rompoit l'intelligen-
ce que le Roi de Navarre entretenoit avec le Duc d'An-
jou , en brouillant la Reine Marguerite qui en étoit le lien ;
avec le Roi fon époux ; il éloignoit de ce Prince fon ennemi
le Vicomte de Turenne , dont il redoutoit le génie & la
valeur, & il empêchoit en même-tems le mariage de Stroz-
zi. Il ne balança donc point d'accorder à ce dernier l'a-
grément qu'il fouhaitoit 5 feulement il le chargea en partant
d'une lettre, qu'il avoit écrite au Roi de Navarre àl'infçu
de la Reine-mere , & il lui recommanda fortement de ne la
remettre qu'à lui-même. Sur ces entrefaites Strozzi ayant
pris congé du Roi , & perfuadé que ce Prince agréoit fon
mariage , partit pour la Guyenne ; & comme il ignoroit par-
faitement ce que contenoit la lettre , dont il étoit porteur,
il s'acquitta fidèlement de fa çommifïion. Or Henri aver-
tilloit le Roi de Navarre de fe défier du Vicomte de Tu-
rene , parce que, difoit-il, il fçavoit, à n'en pouvoir dou-
ter , que ce Seigneur de concert avec la Reine fon époufe ,
travaillent à le deshonorer. Par malheur on étoit alors dans
des circonftances , où le Roi de Navarre ne crut pas de-
voir ajouter foi à cet avis. Ce Prince le regarda comme un
artifice de Henri pour lui rendre la Princeflfe fufpecte , afin
de rompre par le même moyen l'union qui étoit entre lui <Sc
le Duc d'Anjou , dont il droit alors beaucoup d'avantages ,
Ôc pour éloigner de lui en même-tems le Vicomte de Tu-
renne , qui lui rendoit de très-grands fervices dans toutes
fes affaires, & dans la guerre qu'il avoit à foutenir. Aufli
pour montrer combien il étoit éloigné de s'abandonner
aux foupcons qu'on vouloit lui infpker, il communiqua
Tome Vlll, Vuuu
70* RESTITUTIONS,
cette lettre d'abord à Ton époufe , & enfuite an Vicomte.
Un Ci indigne procédé redoubla leur animofité contre
le Roi , & ils ne trouvèrent point de meilleur moyen
de fe venger d'un Prince } qui fe déclaroit leur ennemi
mortel , que de mettre tout en œuvre pour rallumer la
guerre civile dans le Royaume. C'étoit en effet , comme ils
en étoient bien inftruits, ce que Henri appréhendoit le plus.
A cela contribuèrent encore les avis réitérés , que le Duc
d'Anjou envoyoit au Roi de Navarre, de concert avec la
Reine Marguerite fa fœur, de prendre inceflamment les
armes , & de prévenir par fa vigilance un danger que le
moindre retardement pouvoit rendre funefte à fa perfonne
& à tout le parti Proteftant. Le dellein du Prince en brouil-
lant de nouveau le Royaume , étoit de forcer le Roi Son
frère , qui s'étoit toujours oppofé jufques-là à la réfolution
qu'il avoit prife de porter la guerre en Flandres , de l'ap-
puyer dans cette entreprife ; & il étoit perfuadé que Henri ,
qui ne fouhaitoit que la paix, ne verroit pas plutôt la guerre
allumée en France , qu'il fe prêteroit à tout ce qu'on vou-
droit exiger de lui , pourvu qu'on l'aflurât de le laiffer
tranquille» Pour animer encore davantage le Roi de Na-
varre , ce Prince non content de lui faire appréhender le
danger auquel le moindre retardement l'expoferoit , ne
manquoit pas de lui repréfenter encore , que cette guerre
ne pouvoit lui être qu'avantageufe ; Que par là il mettroit
îe Roi dans la néceffité de lui accorder à lui & à fon parti
toutes les fùretés qu'ils voudroient exiger 5 Que pour avoir
la paix, Henri iroit même jufqu'à redemander à l'Efpagne
la reftitution de l'a Navarre , que fes ancêtres avoient pof-
fedée , & qu'il l'appuyeroit de toutes fes forces pour cette
expédition 5 Que il au contraire le Roi fe mettoit en de-
voir d'oppofer la force à la force , il fe rendroit le média-
teur de leur différend , & feauroit bien terminer cette
guerre, dès qu'on verroit les affaires tourner autrement
qifon ne fouhaitoit ; Qu'ainfi il ne devoit pas balancer à
fe déclarer 5 Qu'il n'avoit de refiburce que dans la pointe
de fon épée , & qu'il fe chargeoit de l'événement. Tant
d'inftances réitérées de la part du Duc d'Anjou & de la
Reine Marguerite , la crainte des malheurs qu on faifoit
CORRECTIONS, &c. 707
appréhender au Roi de Navarre , la vûë des avantages
qu'il pouvoit trouver dans la continuation de la guerre ,
tout cela contribua à déterminer ce Prince. Après cela il
ne fut pas difficile de mettre en mouvement les Proteftans,
qui n'entrant guéres dans ces intérêts particuliers des Prin-
ces, ne voyoient d'un côté que le danger qui les mena-
çoit , & de l'autre , les fruits qu'ils pouvoient efpérer d'uue
révolution dans l'Etat. Ainfi l'artifice dont le Roi s'étoit fer-
vi , produifit un effet tout différent de celui dont il s'étoit
flaté. Il cherchoit à éviter la guerre , & par là il fe préci-
pita lui-même dans de nouveaux troubles. Il eft vrai qu'il
réuffit à empêcher le mariage de Strozzi ; car quoi qu'il eut
rendu fort innocemment la lettre de Henri au Roi de Na-
varre , le Vicomte de Turenne ne le lui pardonna jamais.
Du refte ce n'étoit pas-là ce que Henri fouhaitoit le plus.
Quoi qu'il en foit , comme cette guerre s'alluma fans raifort
6c fort mal -à- propos, elle finit de même d'une manière
Ï>eu avantageufe & peu honorable pour ceux qui en étoient
es auteurs. Cette réfolution prife &c. MS. Samm. Put. &
Rig.
Pag. 379. 1. 32. Marvejol , lif. Marueges, & ailleurs.
Pag. 382.I. 3. Fort mal habillé, lif. en habit déguifé.
Pag. 3 8 j . 1. 6. Au quinze d'Avril, lif. au vingt - cinq. MS*
Samm.
Pag. 38p. 1. 1. Brigueux, lif. Brigneux.
Pag. 3po. 1. 11. De Montefan , lif. de Montefpan.
Pag. 404. 1. 2p. Des factieux, lif. de la faction des Guifes*
MS. Samm.
Pag. 40(5". 1. 19. Smolenko, lif Smolensko.
I.30. Mikta,/{/7 Mikita.
L31. Enftoche Woloninski , lif Euftache Wolo*
wicz.
Pag. 40p. 1. 5*. Vehanski , lif Uchanski.
Pag- 41 S- 1-4- Par ^e Prince de Radzevil , lif. par Nicolas
Radzivil.
1. 13. Tartares Nogaiski, lif Tartares Nogaïs.
1. 20. Polona , lif Polota.
Pag. 425-. 1. 12. Azierziicie, lif. Ozierziifcie.
Pag. 433.I. 34. Narva, If. Nerva, & ailleurs.
Y u u u ij
7o8 RESTITUTIONS,
Pag. 434. 1. p. Traniîivanie , ajout, la Valachie.
1. 11. Temifwar, ou Temefwar.
1. 22. Valaquie, lif. Valachie, & ailleurs.
m ■ ■■—■■!■■■ 1 ■ ■ ■ ■ ■|™1" ■" ■- ~ --..,.. . ■ . ■ 1 . .j
LIVRE SOIXANTE -TREIZIEME.
Pag. 437. 1. 3 1. Sebaftopolis , ///7 Sebafte.
1. 34. Empereur des Perfes, lif. Roi de Perfe.
Pag. 438. 1. 23. A Casbin , ajout, pour parler de là dans le
Sir van à la fuite d'Emir-Hamfe.
Pag. 43p. 1. 16. Zanga, lif. Zange, & ailleurs.
- 1. ip. Artaxata & Reivan, /{/T Artaxate & Erivan,.
e^ ailleurs.
Pag. 441.I. 1. Tocmaces, lif. Tocrnas ou Thamas,
1. 7. Babylone , lif Bagdad»
Pag. 446. 1. 1 6. Archele , lif Archichelec.
Pag. 45'2. 1. 11. Chelilen , lif Chielder.
Pag. 45-4. 1. 22. Un Intendant, lif un Chancelier.
Pag- 4T 7-1- l8« Solock, lif. Sokol.
Pag. 4; 8.1. 14. Novogorod , lif. Novogrod,
Pag. 460. 1. 22. De Languedoc, not. Il y a dans M. de Thou
Petrocoriana , de Perigord ; c'eft une faute. La Gardie &
Perigoux , ou Peyregoux , font deux châteaux fitués entre
Caftres & l'Albigeois , proches l'un de l'autre. La Gardie
eft ruiné. Ce Pontus, qui fut en Suéde, étoit cadet de la
maifon , dont les aînés font encore dans le pais. L'erreur
peut-être eft venue de ce que dans le mémoire baillé à
M. de Thou, il y avoit Pons de la Gardie , Seigneur de
Perigoux , qu'il a pris pour gentilhomme de Perigord. Put»
Pag. 461.I. 28. Werecha, lif Czereka, & ailleurs.
Pag. 464. 1. 38. Bulder, lif. Budler.
Pag. 46J.I. 17. Abdel , lif. Abdilchiraï , not. Heidenftenius
1. 4. le nomme Adleum Chiereium 5 c'eft peut-être l'Abdil-
chiraï , dont il eft parlé au livre 67. de cette Hiftoire. Put.
Pag. 470.I. 37. Parnaw, lif. Pernaw.
Pag. 471.I. 3. Dembens, lif Debinski.
Pag. 472.I. 1. De combattre, ajout, proche d'Opolska.
Pag. 474. 1. 3 6, Le Sénat Romain, ajout. oc qui dans le fond
CORRECTIONS, &c. 70^
ëtoit de Charles Sigonius , comme je le feus de Sigonius
même lorfque j'étois à Boulogne, ainii que je l'ai dit ci-def-
fus. Auiîi y a-t'il beaucoup d'apparence , que pour fe foire
quelque réputation , il ne dédaigna pas alors de fe fervir
de la plume d'autrui , puifqu'il a bien pu dans la fuite pren-
dre un nom emprunté pour publier lui-même fes propres
louanges. Car fi je ne me trompe , cette hiftoire de la guer-
re de Mofcovi-e , qui eft écrite avec tant de pureté & d'é-
légance , & qui a paru fous le nom d'un certain Heidenf-
tein Secrétaire de la Cour , auteur qui nous eft abfolument
inconnu , eft ou de Zamoyski lui-même , ou plutôt de quel-
que autre qui fçavoit parfaitement le Latin , & à qui Za-
moyski l'aura dictée , ou qui du moins l'aura tirée de fes
mémoires. Je ferois même fort tenté de croire , que cet
Auteur eft ce Jean-Michel Brutus Vénitien , que nous avons
vu longtems en France mener une vie fort pauvre & fort
obfcure. Après l'élévation d'Etienne Battory fur le trône
de Pologne , Zamoyski qui avoit connu Brutus en Italie
& enfui te à Paris, avoit confeillé à ce Prince de le faire
venir auprès de lui avec toute fa famille , pour écrire fon
hiftoire & lui fervir de Secrétaire ; & comme il mourut de-
puis dans cette Cour aiuTi pauvre qu'il avoit vécu , fans
qu'il fe trouvât perfonne en Pologne fort jaloux de con-
ferver la gloire d'un Etranger comme lui , il fut fort aifé à
Zamoyski de faire paroître fous tel nom qu'il voulut un
ouvrage , que ce fçavant homme avoit compofé à fon hon-
neur. Le Roi avoit ordonné &c, MS. Samm.
LIVRE SOIXANTE - QVATORZIEME.
Pag. 5*00. L4. Steenwickenvold , lif Steenwickerwoldt.
1. 6. Hageman , lif Hegheman.
I.13. Blocziel , 1. 20. Blockiel, lifez partout Block-
ziel.
I.33. Oldermac , lif Oldermarc ou Oldermarch»
Pag. 5:04. 1. 1. Kainder, lif Kuynder.
1. 10. Middeftum, lif Middelftum»
I.30. Dekema, lif Dekama.
7I0 RESTITUTIONS,
Pag. 506. 1. 4. Schal, lif Seul, ou Schul.
1. 5. Momickerzicl, lif. Monickerziel.
I.28. Qui lui., lif qu'il lui.
I.37. Reeding, lif Reide.
Pag. 5 07. 1. 17. Blimbecke, lif Bleyenbeeck.
Pag. 508. 1. 3. Rrinfwoude , lif. Rinfwoude.
1. dern. Bifchop , ///. Bishop.
Pag. 5 (59.I. 3. HenriefTon, lif Hendrickfen.1
1. 14. Griskerke , lif Griipskercke,
1. 15. Vifuliet, lif Vifvliet.
1.25*. Emmentrel, lif. Emmentiel.
1. dern. Eclartelé , lif Ecartelé.
Pag. ;io. 1. 5. Liedekerke , lif Leidecker , ou Leidekercke.
1. 14. Ruyskenweldt , lif Ruiskenfveldt.
Pag. 5 12. 1. 1 6". Huighem , lif. Huyghens.
1. 2;. ôcl. 36. Hoeftrate, lif Hoocftrate , ou Hoog-
ftraten.
Pag. 5 1 6. 1. r r. Ver en , lif Wuren.
Pag. 5 1 8. 1. 2. Reçue , lif. faite.
Pag. 5 19. 1. 1 6. Drou de la Mauvifïlere 3 lif Drou , de la Mau-
vhîiere &c. Ce font deux perfonnes.
Pag. 540.L 17. Cortwright, lif Cartwright.
Pag. 541.I. 34. Hanfey. L'Editeur Anglois le nomme Hance,
aliàs Ducket.
I.37. Godwell, lif Goldwel.
Pag. 542.I. 4. A la queftion, not. M. de Thou femble avoir
pris cette circonftance de ce qu'on appelle les a&es du
martyre d'Edmond Campien , & des autres Catholiques
exécutés en Angleterre , fous le règne d'Elizabeth, non
pas en haine de la religion , mais pour avoir travaillé à fou-
lever les fujets de cette Princefle, & s'être par là rendus
coupables du crime de haute trahifon. Or il eft certain que
les auteurs de ces a&es n'ont eu rien moins en vûë que
de rapporter la vérité des faits , & qu'ils n'ont travaillé que
pour leur propre gloire 3 en travaillant à rendre leurs adver-
saires odieux. Quoi qu'il en foit , M. de Thou fe trompe
manifeftement dans cet endroit. En effet , la queftion n'a
jamais été en ufage en Angleterre. Les Anglois naturel-
lement éloignes de tout ce qui a l'air de cruauté } &; jaloux
CORRECTIONS/&C. 7iî
plus qu'aucune autre nation du monde de leur liberté, de
leurs' privilèges , <5c de leurs droits , ne regardent point cette
manière de procéder contre les coupables, comme un
moyen fur de découvrir le crime , ôc ceux qui s'en font
rendus complices ; mais plutôt comme un infiniment dans
la main des Princes , & de ceux de leurs Miniftres , qui
aveuglés par leurs reflentimens perfonnels, veulent abufer
de l'autorité dont ils font revêtus, propre à opprimer la li-
berté publique > à extorquer des confeffions , ou abfolu-
ment fauiles , ou du moins fort équivoques , & à tendre
des pièges à l'innocence. C.
Pag. 542. 1. ii. Eliot, Crodoc, Sledey, Mondey, & Hilley,
lif. Elliot, Gradock, Sied, Mundy, & Hill. Edit. Angl.
1. 35". Kirbey &c. lif Kirby, Cotton, Richardfon,
Johnfon , Ford , Shert , & Filbie. Edit. Angl.
Pag. <y 4 3. 1. 24. Perfon , lif. Parfons.
Pag. 544. 1. 1. Mavarée , lif de Manours , ou Manareo.'
1. 6. Briftoy , lif Briftow.
Pag. J4J.1. 27. Alain, lif Allyn ou Alan natif de Roflal dans
la Province de Lancaftre , ou Lancashire. Edit. Angl.
Pag. 548.I. 10. Barwick, ou Berwick.
Ibid. Sterlin , de Marre , Spée , Duglas , Botwel ,
Murrai, lif Sterling, de Marr, DouglaiT, Spey, Bothwel,
Murray. Edit. Angl.
Pag. 5 49. 1. 20. Lunebourg, lif. Lubeck.
Pag. 5 5*0. 1. 3 6. De l'Etat, ajout. Anne de Joyeufe, appelle
communément d'Arqués, fils de Guillaume Vicomte de
Joyeufe , Lieutenant pour le Roi dans la Province de Lan-
guedoc , & Jean Louis de Nogaret fieur de la Valette fils
du célèbre Jean de Nogaret , qui s'étoit diftingué dans nos
armées , & dont j'ai fi fouvent parlé dans le cours de cette
hiftoire, étoient alors.cn règne à la Cour. Eux feuls pofle-
doient alors le coeur & toute la faveur du Monarque , &
avoient écarté tous les autres favoris. François d'O , qui
après Villequier fon beaupere , avoit été comme le Surin-
tendant des plaifirs du Roi, venoit d'etre difgracié •■> & Fran-
çois d'Epinay fieur de S. Luc , s'étoit depuis peu enfui de
la Cour. Voici , difoit-on , quel étoit le motif fecret de fa
retraite.
7i2 RESTITUTIONS,
Hîftoire de Le Roi fe rendoit fort fouvent chez d'O , fuivi de fes
la Sarbacane. mignons j car ils étoient plufieurs au commencement. Là
ce Prince avoit fait faire dans une falle fort vafte plufieurs
cabinets féparés feulement par des cloifons de fapin. C'étoit-
là qu'on pallbit la nuit , après les débauches de la journée.
S. Luc étoit alors un de ceux qui étoient admis aux plaifirs
fecrets de Henri , & ce Prince venoit de lui procurer un
très-riche parti , en lui faifant époufer Jeanne de Colle , fille
du fameux Maréchal Charles de Briflac. Cette Dame qui
.à un grand cœur , joignoit un efprit poli & orné , piquée
d'ailleurs d'un peu de jalouiie , dont les femmes les plus
vertueufes ne font pas exemtes , s'ennuya bien-tôt de la vie
honteufe , que menoit fon mari. Elle lui en dit fon fenti*
ment 5 & à force de menaces, à force de lui reprefenter
qu'il fe deshonoroit, elle obtint enfin de ce jeune Seigneur;
qui d'ailleurs aimoit la gloire , qu'il fongeât à changer de
conduite.
Il ne s'agiflbit plus que d'exécuter cette réfolution. Mais
un obftacle arrêtoit S. Luc. Il appréhendoit qu'en cenànt
de vivre avec le Roi à fon ordinaire , il ne perdît en même-
tems, & fes bonnes grâces, & l'efperance d'une fortune
brillante , que la faveur du Prince fembloit lui promettre.
Cette crainte le tenoit encore en balance ; il differoit à
prendre fon parti , lorfque Madame de S. Luc leva à propos
cette difficulté. " Je ne condamne point votre crainte , dit
* cette Héroïne à fon époux : elle eft julte & bien fondée j
» mais je crois y avoir trouvé un remède. En prenant des me-
» fures pour ménager votre fanté & votre honneur, qui vous
» empêche de travailler en même-tems à procurer au Roi
» les mêmes avantages ? Si vous pouvez venir à bout de
» le retirer de fes débauches , y a-t'il lieu de douter que
a> par là vous ne méritiez de lui une faveur bien plus folide
» & plus durable, que celle à laquelle vous prétendez par-
» venir par les infâmes fervices que vous lui rendez , & en
» applaudiffant honteufement à fes défordres ? Or j'imagine
3>n moyen d'y réuffir. Vous connoiflez le génie du Roi.
» omme il s'abandonne aux plaifirs fans ménagement,
» auffi lorfque Tcpuifement lui en a donné du dégoût , vous
» fcavez qu'il cil: quelquefois fujet aux remors de cbnfçience
les
CORRECTIONS.k 713
» les plus vifs & les plus fenfibles. Voluptueux jufqu'à l'ex-
» ces , & dévot jufqu'à la fuperftition, fon cœur également
» partagé entre la dévotion & les plaifirs , lui faifant fans
*> celle chercher dans l'une l'expiation des autres , ôc fa
» piété fervant elle-même d'aliment à fes défordres, parce
*> que par là il s'imagine avoir pleinement fatisfait à Dieu ,
» que fes déreglemens ont outragé ; à peine a-t'il rétabli fa
»fanté, & fait quelques pratiques extérieures de religion,
» qu'il fe livre de nouveau avec plus d'emportement que
» jamais à fes débauches. Sur ce pié-là , voulez-vous venir à
• bout de le changer ? Imitez un habile général, qui dans
» un fiége attaque toujours le côté le plus foible de la pla-
r> ce. Le foible du Roi eft la dévotion ; c'eft par cet endroit-
• là que vous devez l'attaquer. Faites-lui peur des jugemens
» de Dieu. Lorfque fatigué des plaifirs & des excès de la
» journée , il fe fera retiré dans fon cabinet pour y prendre
» quelque repos , il faut trouver moyen à la faveur d'une
x Sarbacane , ou de quelqu'autre invention , de lui faire
» entendre une voix comme venant du Ciel , qui l'aver-
• tifle de changer de vie , s'il veut conferver fa perfonne
*> & fon royaume , <5c qui le menace , s'il ne fe corrige ,
33 de toute la vengeance divine. *>
S. Luc fut charmé du moyen que fa femme avoit imagi-
né 5 & dans l'efperance de pouvoir changer de vie , fans
perdre cependant la faveur de Henri , il réfolut de faire
ufage de ce projet. Voici comme il l'exécuta. Tout le mon-
de étoit enféveli dans le fommeil , lorfque S. Luc ayant
épié le moment où le Roi lui-même s'étoit endormi, fit
couler à la ruelle de fon lit une Sarbacane , par le moyen de
laquelle, fuivant ce qui avoit été projette, il lui fit enten-
dre d'un ton foible , mais capable cependant de porter la
frayeur dans l'âme de ce Prince , les menaces du Ciel les
plus terribles. Henri éveillé au fon de cette voix , prit d'a-
bord cet avertitTement pour un fonge. Il fe rendormit en-
fuite -■> mais ayant entendu les mêmes menaces à différen-
tes fois , & s'étant bien allure qu'il ne revoit point , il en
fut fort épouvanté. Après avoir paffé le relie de la nuit dans
des agitations terribles , il fe leva de très-grand matin , fort
trjftp , & avec un filence qui témoignoit la peine fecrette
Tome FIIL X x x x
7i4 RESTITUTIONS,
dont il étoit troublé. Les mignons étonnés de cet accueil
extraordinaire , & d'un changement (i fubit , fe regardoient
l'un l'autre, «5c fe demandoientà l'oreille, quelle pouvoir
en être la caufe. S. Luc lui-même charmé que la rufe eût
réuïTi , étoit le premier à marquer fa furprife , & à deman-
der ce qui étoit arrivé de nouveau. Enfuite il s'approcha
du Roi d'un air trifte & interdit , & le prenant en particu-
lier , il lui dit, qu'il avoit fait la nuit un rêve terrible ; qu'il
avoit cru voir un Ange lui apparoiiïant avec un vifage irri-
té , qui le menaçoit de la part de Dieu d'une perte iné-
vitable , s'il ne renonçoit à fcs dércglemens , & s'il n'enga-
geoit le Roi à changer de conduite. Henri ajouta foi d'a-
bord à ce que S. Luc lui difoit. A fon tour il lui raconta ce
qui lui étoit arrivé la même nuit , l'avertiflant du refte de
garder fur cela un profond filence , & lui promettant de
profiter des avertiflemens du Ciel. En effet, depuis ce tems-
îà il parut s'éloigner de tous les autres jeunes Seigneurs,
qui n'étoient point du fecret , & n'alla plus palier la nuit
avec eux à fon ordinaire.
D'O étoit encore alors à la Cour. C'étoit un courtifan
confommé , qui fans avoir de religion, fçavoit parfaitement
en contrefaire tous les dehors. Il réfolut de pénétrer ce
myftere. Il tira infenfiblement le fecret du Roi i & dès qu'il
fçut de quoi il s'aghToit , il découvrit aufli-tôt à ce Prince
l'artifice, dont S. Luc s'étoit fervi. Il lui fit entendre que
c'étoit une invention de Madame de S. Luc > femme haute
& impérieufe, qui n'avoit pu voir fans jaloufie l'attache-
ment de fon mari pour S. M. Il reprefenta ce favori comme
un ingrat , qui comblé des bontés de fon maître , avoit ofé
fe jouer avec tant d'impudence de la crédulité de fon bien-
faiteur. Il alla pour preuve de ce qu'il avançoit, jufqu'à
faire voir au Roi la Sarbacane , qu'il difoit avoir été trou-
vée dans le cabinet de S. Luc. Ces difcours ébranlèrent
Henri. Après quelques jours d'une dévotion pailagere , l'a-
mour du plaifir commençoit déjà à reprendre le defïus dans
le cœur de ce Monarque. Dans ces difpofitions il ne fut
pas difficile à d'O de le replonger dans fes premiers dé-
sordres. A l'égard de S. Luc , il fut exclus de toutes les
parties ; & le Roi moins fenfible à fes fages avis , qu'à la
CORRECTIONS,^ 71?
hardiefie qu'il avoit eûë d'abufer de fa crédulité , réfolut
à la follicitation des autres mignons, non -feulement de
l'éloigner ; mais même de retirer de lui tous les bienfaits ,
dont il l'avoit comblé.
Brouage en Saintonge eft un pofte avantageux pour con-
tenir toute cette Province , & que ces riches falines ren-
dent important. Il y avoit quatre ans que le Roi avoit repris
cette place fur les Proteftans , & en avoit donné le gou-
vernement à Gui de S. Gelais fieur de Lanfac, alors Amiral
de France. Lanfac étoit un homme ambitieux , aimant la
dépenfe , & qui après avoir épuifé fes revenus, profita de
Fufage , que par un pernicieux exemple , le Roi lui-même
avoit introduit, de faire un trafic honteux des charges même
militaires ; il céda fon gouvernement de Brouage à S. Luc,
moyennant une fomme très-confidérable , qui fut payée par
Henri lui-même. Ce Prince craignant donc, que dans le
défefpoir de fe voir difgracié , S. Luc ne profitât de l'a-
vantage de ce pofte pour en tirer vengeance , & ne s'unît
aux Proteftans , qui font très-puiflans dans cette Province,
réfolut de le lui enlever. Dans cette vue il fit partir en pof-
te pour la Saintonge Jacque Savary de Lencome , Colonel
du régiment de Picardie , & fils de Jacqueline foeur de
Villequier, homme du refte d'une brutalité achevée , avec
ordre de faire prêter ferment au nom du Roi aux trou-
pes qui étoient en garnifon dans Brouage , 6c d'en fermer
les portes à S. Luc. Mais ce favori en ayant été averti à
tems par le Duc de Guife , qui ne laiubit échapper aucune
occadon de femer la diviiion parmi les Seigneurs de la
Cour, monta auftï-tôt à cheval, ôc à la faveur des relais
il fit tant de diligence , qu'il arriva à Brouage une heure
avant Lencome , qui étoit obligé de s'arrêter à chaque pof-
te , & il fe trouva en état de lui en défendre l'entrée. Ce dé-
part précipité de S. Luc, donna occafion à beaucoup de rai-
fonnemens politiques. Chacun imagina à fon gré differens
motifs de cet éloignement, & pour en cacher la véritable rai-
fon, qui devint alors un myftere pour le public, le Roi de con-
cert avec ceux qui l'environnoient, en inventèrent plufieurs
autres , aufquelles ils furent bien-aifes de donner cours.
Il arriva peu de tems après un autre accident , qui ne
Xxxx ij
7i<? RESTITUTIONS,
■Aflkflïnatde contribua pas peu à augmenter le trouble , que l'aventure
S. Megnn. ^e S. Luc avoit déjà jette dans l'ame de Henri. On comp-
toit alors au nombre des mignons, Paul Stuart de Caulïa-
de , Comte de S. Megrin. C'étoit un jeune gentilhomme
de Saintonge bienfait, & qui n'avoit pas moins de grandeur
d'ame que de bonne grâce. Le Roi ne l'aimoit pas feu-
lement, parce qu'il étoit de toutes fes débauches : il avoit
encore fçû plaire à ce Prince par le commerce qu'il en-
tretenoit, difoit-on, avec une Dame de la (a) première
condition, qui avoit époufé un Seigneur de la Cour à qui
( a ) Dans le manufcrit de Rigault , on trouve à la marge de cet en-
droit de M. de Thon , les particularités fui van tes écrites de la propre
main de Char le Maurice le Tellier Archevêque de Rheims , qui les a cru
dignes d'être tranfmifes a lapofterité. Cette Dame de la première con-
dition, étoit Catherine de Cleves époufe du Duc de Guife. Non-
feulement on la foupçonnoic d'entretenir un commerce de galante-
rie avec S. Megrin \ on difoit même aflèz hautement à la Cour , qu'un
Courtifan , dont on taifoit le nom , avoit furpris un jour ces deux
amans dans la chambre & fur le lit même de la Reine-mere. Ce
bruit devint Ci public , que le Cardinal de Guife & le Duc de Mayen-
ne, crurent que le Duc de Guife leur frère ne devoit pas être le feul
' à l'ignorer; & comme il n'avoit point d'ami plus intime que Chrifto-
phle de Baflbmpierre , que c'étoit le confident de tous Ces Cecrets , ce
fut lui aufli qu'ils chargèrent de l'en inftruire. BafTompierre connoif-
foit le génie & le caractère du Duc de Guife ; auffi n'accepta-t'il la
commifîion qu'avec peine Se malgré lui. Il demanda même qu'on lui
donnât trois jours pour penfer aux moyens d'infinuer adroitement au
Duc une nouvelle aufli défagréable. Il l'aborda enfin d'un air trifre
& rêveur ;& le Duc lui ayant demandé ce qui le rendoit fi chagrin.
» Il y a quelques jours , lui répondit BalTompierre , qu'une perfonne
»> m'a confulré fur la manière, dont elle devoit s'y prendre pour in-
» ftruire un ami du dérangement de fa femme , qui le deshonore,
» fans que de fa part il ait aucun foupçon de Ces galanteries. La queftion
« m'a paru Ci embaralTàntc , que jufqu'ici je n'ai pu encore y répon-
*> dre. Voilà quelle eft la caufe de ce chagrin , que je n'ai pu vous
» cacher. Inquiet fur la réponfe que je dois faire,- je rêve inutilement
»> pour la trouver -, mais puifque l'occafion s'offre fi naturellement de
» vous en parler, je ferois bien-aife de fçavoir de vous-même quel
» confeil je dois donner à mon ami fur une queftion fi délicate.» A
ce difeours le Duc de Guife comprit parfaitement de quoi il s'agif-
foir, cependant il ne patut point embaralTé. « Quel que foit celui,
>*dont vous me parlez , dit-il, à BalTompierre, fi c'eft un ami, ou
C O R R E C T I O N S , &c. 717
Henri ne vouloit pas de bien. Ce Seigneur étoit très-puif-
fant ; <Sc le Monarque fe croyoit bien vengé des outrages
qu'il en avoit reçus, par la revanche qu'en prenoit S. Me-
grin en le deshonorant , & par les railleries qu'il faifoit lui-
même de cette intrigue, lorfqu'il fe trouvoit avec fes fa-
voris. Celui qui devoit naturellement paroître le plus fen-
iible à cet affront, étoit occupé de projets trop importans,
pour fe mettre en peine d'y faire la moindre attention.
Charle de Lorraine Duc de Mayenne , qui avoit avec lui
des liaifons fort étroites , fut celui qui crut devoir fe char-
ger de le venger. Dans cette vue il apofta quelques affaf-
iins pour tuer S. Megrin à la première occafion qui fe pré-
fenteroit. Ce gentilhomme ne tarda pas à être inftruit du
deflein du Duc de Mayenne : le Roi lui-même en étoit in-
formé 5& S. Megrin voulant fe retirer un foir fort tard, ce
J?rince lui fit toutes les inftances pofïibles pour l'obliger à
coucher au Louvre. Mais les prières du Monarque,au lieu de
fléchir le courage de ce jeune Seigneur naturellement haut,
& que fa faveur rendoit encore plus fier , ne fervirent qu'à
l'animer davantage, à méprifer le danger & à courir à fa per-
te. Il répondit d'un air de mépris, que fi ces Eunuques, c'eft
ainfi qu'il appeîioit les Lorrains,ofoient feulement l'attaquer,
il fçauroit bien leur faire fentir qu'il étoit homme. A ces mots
»> même s'il veut le paroître , qu'il fe charge lui-même de venger l'af-
» front fait à fon ami. Mais d'apprendre en pareil cas à un mari ce
» qu'il ignore , c'eft, à mon avis, prendre une peine inutile, & join-
» dre même un nouvel outrage au premier. Pour moi , continua le
» Duc, Dieu m'a donné une époufe auflï fage qu'on puifle le fouhai-
» ter \ & grâces au Ciel , je n'ai pas lieu de me défier de fa vertu. Si
» cependant elle avoit jamais le malheur de fe déranger , & qu'un
» homme fût afTez hardi pour me le dire; vous voyez ce fer , ajouta-
» t'il , en mettant la main fur la garde de fon épée ; la vie de cet
» imprudent ami me répondroit fur le champ de fa folle témérité. »
Baflbmpierre remercia le Duc de (es avis. De là il alla rendre compte
au Duc de Mayenne & au Cardinal de la converfation qu'il avoit eue.;
& ces deux Seigneurs ne voulant pas laiffcr impuni un ^affront auquel
le Duc leur frère paroiflbit Ci peu fenfiblc, prirent pour le venger les
moyens que chacun fçait. Je tiens cette anecdote de François de Baf-
fompierre, Maréchal de France , fils de Chriftophle , & j'ai crû qu'elle
méritoit d'avoir place dans cette Hiftoire. Edit. Angl.
7i8 RESTITUTIONS,
il fortit du Louvre 5 & à peine avoit-ilfait quelques pas . qu'il
fe vit chargé par les aiiàfiins , qu'on avoit apoftés pour le per-
dre. Un page, qui portoit devant lui un flambeau,fut d'abord
écarté. Pour lui il fut percé de plufieurs coups mortels , ôc
laiflc pour mort fur la place. De là on le tranfporta à {on
Hôtel , où il expira au bout de quelques heures. Son corps
fut enfuite porté à S. Paul, & inhumé auprès de Caylus ôc
de Maugiron , qui avoient été tués trois ans auparavant. Le
Roi lui fit faire des obféques magnifiques > & Arnaud Sor-
bin , à qui ce Prince avoit donné depuis peu l'Evêché de
Nevers, & qui par là même devoit lui être attaché, fut
chargé de l'oraifon funèbre du favori. Ce Prélat s'en acquit-
ta en courtifan habile. Il fit un éloge flateur de la naifiànce ,
du caractère , & des vertus du défunt 5 mais il n'eut garde
de parler contre les auteurs de ralïàiîinat , dont il étoit par*
tifan fecret.
Henri comprit parfaitement que ce coup n'étoit qu un
prélude par ou on vouloit tenter jufqu'où pourro.it aller fa
patience. Cependant fa paillon pour les plaifirs , & les mau-
vais confeils de ceux qui l'approchoient, lui firent encore
difiîmuler cet affront. Par une malheureufe politique , fes
Miniitres lui faifoient entendre , que quoi qu'il en pût coû-
ter à l'autorité royale, il devoit fermer les yeux fur tout,
plutôt que d'en venir à aucune violence contre ceux , qui
fous le titre fpécieux qu'ils fe donnoient de défenfeurs de la
religion y ne travaillojent dans le fond qu'à entretenir l'ef>
prit de révolte & de parti dans le Royaume , & à fappqr
infenfiblement par leurs fourdes pratiques l'autorité du Sou-
verain. Mais cette molieiTe bien -loin d'adoucir le mal,
comme ces lâches confeillers fe l'étoient faulTement ima-
giné, & comme ils l'avoient perfuadé à ce Prince , qui ne
foupiroit qu'après le repos, ne fervit au contraire qu'à en-
hardir à tout ofer ceux qui étoient attentifs à profiter de
toutes les occafions qui fe prefentoient de brouiller l'Etat.
Cependant , tandis que le peuple furchargé d'impôts gé«
mifibit fous le poids de l'autorité du Souverain , & que la
nation frémiftbit de voir les premiers emplois partagés entre
des hommes nouveaux & fans mérite , Henri n'oppofoit à
la haine ôc à l'indignation publique , que des dehors atlec-
CORRECTIONS,&c, 714
tés de religion Contenus de quelques fpectacîes nouveaux
& extraordinaires, jamais dévotion ne pouvoit être plus dé-
placée. En effet, tandis qu'on faifoit parade d'une piété mal-
entendue , tout étoit cependant vénal à la Cour. Ces of-
fices de nouvelle création , dont j'ai parlé , étoient donnés
en payement par Joyeufe & par la Valette à des parfumeurs,
à des traiteurs , à des marchands de foye , à quiconque à la
faveur des folles dépenfes que faifoient ces deux favoris ,
fiers de la faveur d'un maître , qui n'avoit jamais fçû leur
rien refufer, étoit devenu leur créancier. Ces charges paf-
foient enfuite dans le commerce 5 & ceux qui vouloient en
être pourvus, étoient obligés de les acheter de ces hom-
mes de néant à un prix excefîlf , au grand fcandale des gens
de bien , à la honte de la magiitrature , & au préjudice de
la tranquilité publique 5 parce que le mépris que ce hon-
teux négoce attiroit aux Magiftrats , ne manquoit pas de
retomber fur le Prince même.
D'un autre côté on faifoit paroître fur la fcene des Ca-
pucins, des Feuillans, & je ne fçai combien d'autres fan-
tômes de religion , qui femblent n'avoir été imaginés que
pour épouvanter les vieilles. Les Capucins faifant profef-
fion d'obferver à la lettre la régie de François d'Alïife,
étoient regardés du peuple comme des Saints à caufe de
leur habit grolïier , & de la vie auftere qu'ils menoient. Cet
Ordre au refre étoit allez nouveau dans FEglife. Ce fut en
1J27. qu'un François Matthieu BaiTo gentilhomme originai-
re d'une petite ville de l'Ombrie fur la rivière de Marida, en
fonda ou renouvella l'inftitut. Quelques-uns cependant at-
tribuent cet établiflement à un certain Paul de Chioggia.
Quoi qu'il en foit , les Capucins redevables de leur agran-
dilfement à Bernardin Ochin , dont j'ai fouvent parlé, com-
mençoient déjà à prendre le delïus en Italie fur tous les
autres Moines de S. François, qui paroiflbi^nt fuivre une
difcipline plus relâchée 5 & il y avoit (a) douze ans qu'ils
s'étoient introduits dans le Royaume à la faveur du Cardinal
de Lorraine. A fon retour de Rome après la S. Barthelemi ,
ce Prélat grand amateur de toutes les nouveautés , avoit
amené ce nouvel Ordre en France , & lui avoit procure
(a) Il n'y avoit que neuf ans depuis la S. Barthelemi arrivée en ij?i.
72o RESTITUTIONS,
quelques établhTemens , qui n'avoient pas manqué d'exciter
la jaloufîe de tous les autres Religieux de S. François. A
l'égard des Feuillans, ils av oient pris ce nom d'un Monade-
re de l'Ordre de Citeaux , ïitué dans le Diocéfe de Toulou-
fe. C'étoit une efpece de Moines , qui par la nouveauté
de leur initiait , dont l'aufterité fembloit être au-delïïis des
forces de la nature , par un chant fans méthode , ôc qui ce-
pendant n'avoit rien de défagréable , avoient fçû s'attirer
l'admiration de tout le monde. Ils avoient à leur tête le
Supérieur même du Monaftere , dont je viens de parler.
C'étoit un bon homme, d'ailleurs fort ignorant , qui empor-
té par une efpece d'enthoufiafme approchant beaucoup du
fanatifme , à force de s'agiter en chaire , & d'affe&er en
prêchant des mouvemens extraordinaires de la bouche, des
yeux & des bras , étoit devenu l'oracle de tout ce qui s'ap-
pelle le petit peuple. Après avoir amufé le peuple par cette
efpece de comédie , le Roi lui-même voulut paroître fur la
feene avec toute fa Cour. Ce fut lui en effet qui établit
en France les confréries des Pénitens. Il y en avoit de bleus,
de blancs & de noirs. Depuis longtems ils étoient connus
en Italie , à Avignon, & dans quelques villes de la Proven-
ce , ou le voifinage les avoit introduits. Du refte l'Eglife
Gallicane ne connoillbit point encore ces dévotions parti-
culières., lorfque à la follicitation de quelques perfonnes,
qui n'avoient rien de mieux à faire , le Roi en inititua une
confrérie à Paris. Enfin ce Prince fonda au château de Vin-
cennes un Couvent de Jéronimites. Là il tenoit de tems
en tems des affemblées fecrétes , où on n admettoit que
ceux oui étoient dans les bonnes grâces du Monarque.
Tels furent les remèdes , que la Cour oppofa alors à la
haine publique. Henri crut ne pouvoir rien imaginer de
plus propre pour fe faire aimer ; il fe trompa. Ces dévotions
ridicules ne fervirent qu'à hâter fa perte & la ruine de la
France. Il éioit odieux ; il devint méprifable;& le mépris
du Souverain eft de tous les maux le plus funefle à un Etat.
Non content de prêter la main à tous ces nouveaux éta-
blillemens, les Guifes étoient les premiers à y applaudir;
tandis que par le filence le plus criminel , ceux des Minières
qui approuvoient le moins toutes ces démarches, avoient
la
CORRECTIONS5&c. y2r
îa lâcheté de n'ofer ouvrir les yeux au Roi fur le précipice
qu'il creufoit fous fes pas , foit pour ne pas s'attirer par des
avis falutaires la difgrace d'un Prince accoutumé dès l'en-
fance à fe voir flaté , foit pour favorifer par cette détectable
politique l'ambition des Guifes , qui travaill oient à affer-
mir & à accréditer leur parti fur les ruines du refpetl dû à
l'autorité royale. Cependant Henri , qui par ces beaux de-
hors s'imaginoit avoir arrêté le cours de la haine publique ;
croyant avoir par là affermi fou pouvoir , n'étoit plus oc-
cupé que du foin d'enrichir fes favoris , & dans cette vue il
n'y avoit rien qu'il ne mît en ufage pour amaiier de l'argent
par les voyes les plus criantes. De là ce nombre infini d'£-
dits burfaux. Les Guifes eux-mêmes étoient les premiers
à tirer leur part de ces exactions ; & tout l'odieux en re-
tomboit fur le Prince , tandis que fes ennemis mortels
étoient les feuls à en profiter. Dans ces circonitances &c.
MSS. Samm. Put. & Rig.
Pag. ?; 1.I.30. Chabane Comte de Carton, Uf Chabanes
de Curton.
Pag. 55*2.1. 19. Anagnia, Uf. Anagni.
1. 30. Qui prétendoit , ajout, par une impudence
étonnante. MS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 5 j 3.I. itf. Du Cardinal de Bourbon, Uf de ce volup-
tueux vieillard. MS. Samm. Put. & Rig.
I.15». N'avoient pu gagner, ajout. Soit par une con-
viction intime de la foibleiTe de fon maître, foit comme
on le difoit dans le parti oppofé, dans la vue de mainte-
nir fon crédit, Minterne avoit toujours eu un foin extrême
d'empêcher les Guifes d'approcher du Cardinal. C'eft ce
qui lui fut reproché un jour en ma prefence par une per-
fonne attachée à la Maifon de Lorraine , & je me fou viens
que dans cette oeçafion , Minterne qui connoiffuit allez
le manège de la Cour, fe juftifia d'abord fort modéré-
ment de l'odieux qu'on vouloit faire tomber fur lui , en dé-
criant ainfi fa conduite ; enfuite il ajouta avec beaucoup
de liberté , que fi après fa mort fon maître avoit le malheur
de fe livrer aux Guifes , il prévoyoit qu'ils ne manqueroient
pas de le brouiller avec tous les Princes de fa maifon, <5c
d'engager enfuite ce vieillard crédule dans des démarches,
Tome FUI, Yyyy
722 RESTITUTIONS,
qui ne deviendroient pas moins funeftes à fa perfonne qu'à
l'Etat; Qu'il connoiiîbit l'ambition & les intrigues des Lor-
rains î Qu'il les avoit étudiés depuis longtems , c'eft- à-dire
depuis la prédiction funefte de François I. Qu'il étoit de
même intimement convaincu de la légèreté & de la foiblef-
fe de fon maître , & qu'il en avoit toujours fort mal auguré.
Il finit en priant le Ciel la larme à l'œil de détourner l'effet
d'un fi trifte preflentiment. Ses conjectures ne fe trouvè-
rent que trop véritables. A peine Minterne eut les yeux
fermés, que les Guifes vinrent bien-tôt à bout&c. MSS.
Samm. Put. & Rig.
Pag. 5-5 3. 1. 26. Et lui fafcina, lif. par fes carefles & fes baffefies
même il fafcina tellement l'efprit de ce vieillard crédule , qui
pour avoir été élevé parmi les Moines, n'en étoit pas moins
voluptueux , que ce Prince perdit tout d'un coup l'averfion
qu'il avoit eue jufques-là pour les Lorrains , qu'il regardoit
auparavant comme les ennemis mortels de fa maifon , &
que par une inhumanité & une imprudence égales , il com-
mença au contraire à haïr tous ceux qui étoient de fon fang.
Il tint donc &c. MSS. Samm. Put. & Rig.
Pag. <)6<y.\. 19. Orientales , not. Il rapporta de Tes voyages plu-
fieurs manufcrits Arabes , entr' autres l'Hiftoire de Ciafer
Perfan, contenant l'hiftoire des Ifmaëlites jufqu'à l'an 800.
de leur origine , & la Cofmographie d'Abelfeden Prince
de Méfopotamie. Il ne nous refte aujourd'hui de cet ex-
cellent ouvrage que la partie Orientale de l' Afie , que cet
auteur , à l'imitation de Ptolemée , a décrite fuivant les lon-
gitudes & les latitudes. Ce travail a été d'une grande uti-
lité pour tout l'Occident. Les manufcrits originaux de ces
livres & de beaucoup d'autres, fe trouvent dans la biblioté-
que du Séréniiïime Duc de Bavière, parce qu'en 1549,
le même Poftel les engagea à Othon Henri alors Duc de
Bavière , pour une fomme de deux cens écus. Put,
Pag. 568. 1. 19. Fichardus, ou Fichard.
Pag. 569.1. 6. Venier, ou Veniero.
CORRECTIONS, Sec. 72 j
LIVRE SOIXANTE -QUINZIEME.
Pag. £76.1. 10. Des épreviers, not. Açor en Efpagnol, c'eft
un Autour. Put.
Ibid. Ce fut un François, not. Lifez, ce furent les
Flamans, ou félon d'autres, les Portugais, qui les décou-
vrirent les premiers l'an 1507. M. de Thou s'eft- abufé >
- car ce fut Bethencourt qui découvrit les Canaries, & non
point les Açores découvertes depuis par les Flamans , ou
Portugais, l'an 1 yo?. félon Marmol 5 & ce Bethencourt ne
vendit point les Canaries aux Portugais : mais bien fes héri-
tiers les vendirent aux Caftillans. Put.
1. 3 2. De Hêtres , not. Le Hêtre fe nomme Paya, en
Efpagnol. Put.
Pag- 577- 1- 24- Betancourt, lif Bethencourt.
Pag. 578.I. 2. De la Torres, lif de Torres.
Pag. j8 1.I.30. Bovadilla, ou Bobadilla.
Pag. $"82.1. 33. Compagne, lif Campagne.
Pag. jpo. 1. 26. Santiftevart , lif. Santiftevan, oh San-Eftevan»
Pag. 5<?4. 1. 30. Hernan, * Ferdinand.
1. 3 1. Toquia, ou Toguia.
Pag. <;9$.\. 32. Venir, lif tenir.
Pag. tfoo.l. 15". Sheffeld, lif Sheffield.
î. 16. Brucher,///^ Bourchier.
Pag. 603.1. 1. Vander-Wecke , lif Vanden-Wercke.
Pag. 604. 1. 1. Confrairies , lif Compagnies.
Pag. 608.I. 3 j. Les affaires, lif fes affaires.
Pag. 61 1.I.26. A un Dominicain nommé Antoine Timer-
man , lif à Antoine Timerman , qui avoit été autrefois Do-
minicain.
Pag. 623. 1. 1 £. De certains Religieux , If des nouveaux Or-
dres Religieux , fur-tout des Pères Jéfuites , qui après avoir
fafeiné l'efprit du peuple par les quefhons embarraflees
qu'ils propofoient à leurs Pénitens dans le fecret de la con-
fefTion , & l'avoir détaché infenfiblement de l'obcilîànce
due au Prince & aux Magiflxats , le portoient ouvertement
à. la révolte. Toutes ces pratiques fe faifoient de concert
Y y y y ij
724 DESTITUTIONS,
avec le Pape. Les émiflaires du parti étoient continuelle-
ment à la Cour de Rome , d'où ils revenoient charges de
Brefs & de Bulles fecrétes , adreffées aux chefs de la fac-
tion , & capables d'allumer de plus en plus le feu de la fédi-
tion dans le Royaume. La funefte indolence dans laquelle
vivoit Henri, favorifoit encore les defleins des rebelles.
Livré à fes plaifirs &c. AISS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 623. 1. 20. De Confeillers feelerats , Uf de mauvais Con-
feillers.
1. 33. Le Cardinal de Bourbon, ajout, toujours en-
vironné de Moines. MS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 626. 1. 5?. Alquimie , ou Alchymie.
I.28. Hugues de la Borde , Uf Hugot dit de la
Borde.
Pag. 627. 1. 4. D'Auflbnville , Uf. d'Aflbnville. Et ainfi dans la
fuite.
1. ip. Rofny , Uf Rofné.
Pag. 628.I. 14. Lourde, Uf Lapourdan.
Pag. 630.I. 1. Barlemont, ou Berlaymont.
1. 8. Fort riche , Uf qu'on croyoit fort riche ; & qui
cependant mourut dans une extrême pauvreté. MS. Samm.
Put. & Rig.
LIVRE SOIXANTE - SEIZIEME.
Pag. 640. 1. 6. Norits , Uf Norris.
Pag. 641. 1. 25-. Lievin, Uf. de S. Lievin.
Pag. 642. 1. 30. Une compagnie d'infanterie, & la moitié d'un
efeadron , Uf un régiment d'infanterie , & la moitié d'une
compagnie de cavalerie &c. Cohors régiment : Turma com-
pagnie ou enfeigne : c'eft pour l'infanterie. Ala compagnie
ou cornette : c'eft pour la cavalerie , qui n'étoit point en-
core alors diftribuée en régiment. On difoit aufli Legio ,
pour marquer un régiment d'infanterie 5 fur-tout lorfqu'iî
s'agiffoit de ces troupes de Province , qu'on appelloit les
Legionaires de telle ou telle Province. Bataillon , corps
d'infanterie compofé d'un ou plufieurs compagnies. Efea-
dron t corps de cavalerie compofé de plufieurs compagnies»
CORRECTIONS, &c. 72?
Mais on ne fe fert de ces deux expreffions , que lorfque ces
corps font ranges en bataille , ou pour un combat , ou dans
une rencontre. Toutes les fois qu'on trouvera le mot Efca-
dron employé dans un autre fens , il faut lire , Compagnie ou
Cornette.
Pag. 643.I. 6. Hoecht, lif Haeght.
1. 21. Pacheco. D'autres hifioriens P appellent t D. Pe-
dro de Paz.
1. 27. Simberg, lif. Gimberg.
Pag. 647. 1. p. Bekel, lif. Berckel.
Pag. 6^0. 1. 3 8. A nouvelle , lif à une nouvelle.
Pag. 653 A. 16. Cyxique, lif Cyzique.
Pag. 65 4.I. 28. & 2p. Le fixiéme des, ou le fixiéme avant
les.
Pag. 6<y$.\. 18. Innocent VII. lif Innocent VIII.
1. ip. De Royaumont, ou de Koenigsberg , plus
connu fous le nom de Regiomontanus : car la manie des
Savans de ce tems-là , étoit de prendre des noms Latins.
1.2p. Foffembron, lif Foflbnbrone.
Pag. <5^8. 1. 2. Dix jours, ou fuivant l'édition de Londres , onze
jours.
Pag. 663 . 1. 16. Piverdy , lif Liverdis.
1. 27. Nouveau traité, ajout. Il me refte à rappor-
ter quelques faits domeftiques, que le bien public m'o-
blige de ne pas omettre. Il y avoit environ un an que Jean
Poéfle Confeiller au Parlement de Paris , avoit été aceufé
de concuflfion. Poëfle étoit un homme , qui a la faveur des
troubles dont le Royaume étoit agité , avoit Cçu s'acquérir
beaucoup de crédit parmi les factieux. Egalement hardi à
tout dire & à tout entreprendre , l'impunité de fes crimes>
paffés , & des injuftices criantes qu'il avoit exercées contre
les perfonnes les plus innocentes , lui avoit infpiré tant de
confiance , qu'il le faifoit un jeu d'attaquer les plus gens
de bien, & de leur fufeiter des affaires, où Couvent il n'y
alloit de rien moins que de la perte de leur bien «Se de leur
vie. Il avoit même eu le front après la S. Barthélémy , arri-
vée huit ans avant le tems dont je parle , de demander à
Charle IX. alors régnant, qu'il lui fut permis d'informer
contre Jean de Morvilliers chef du Confeil, 6c Sebaftien
7i6 RESTITUTIONS,
de l'Aubépine Eyêque de Limoges, comme étant fufpe&s,
difoit-il, de favorifer fous main les Proteftans , quoi qu'il
n'y eut rien de plus faux. Il y avoit donc déjà plufieurs
années qu'il exerçoit dans le Parlement une efpéce de ty-
rannie, lorfqu'un fujet fort léger fit naître le procès, dont
il eft ici queition. L'accufateur fut (a) René Rouiller Con-
ieiller-Clerc au Parlement. C'étoit un jeune Magiftrat, qui
avoit tous les fentimens d'honneur qu'on peut fouhaiter
dans ceux qui occupent ces fortes de places. Poëfle avoit
acheté autrefois la terre de Torfy appartenante au Domai-
ne, de la manière qu'on peut acheter ces fortes de biens,
c'eft-à-dire en qualité d'Engagifte ; & fous prétexte de vou-
loir maintenir les droits du Roi, il avoit intenté procès à
toute la noblelfe & à tous les habitans du voifinage. Fati-
gués de fes vexations , & voulant fe délivrer d'un voifin
auiTi importun , ils fe réunirent , & retirèrent de fes mains
la terre de Torfy , en lui rendant le prix qu'il en avoit payé >
mais ce qui jufqu'alors avoit été inoùi, ce chicaneur fe
réfeiva en même-tems le droit de pourfuivre tous les pro-
cès qu'il avoit commencés. Ainfi comme il continu oit de
chagriner les habitans de Lagny fur Marne , Roullier qui
en étoit Abbé, intervint au procès. La première difficulté
qui s'offrit, fut au fujet du choix qu'on devoit faire des Ju-
ges. On prit querelle à cette occasion 5 de la difpute on en
vint aux injures 5 Poëfle traita Roullier de chicaneur en
préfence du Procureur général > Roullier à fon tour traita
fon adverfaire de fripon. Aufli-tôt procès intenté entr'eux.
Poëfle demanda réparation d'une fi noire calomnie ; Roul-
lier foutint de fon côté ce qu'il avoit avancé, <5c fe porta
pour dénonciateur. Alors l'affaire fut mife en règle. On in-
ftruifit le procès 3 & parce que fur le moindre incident il
falloit aflembler les Chambres , à force d'appellations &
de récufations , les parties retardèrent long-tems le Juge-
ment. Cependant Roullier s'abftint d'aller au Parlement ,
ce qui donna lieu à la Cour de défendre de même à Poëfle
d'y paraître. Enfin cette année au rapport de Matthieu
Charrier, Magiftrat d'une probité & d'une droiture recon-
nues, & de Germain du Val, Bernard Prévôt de Morfan
(a) Le Journal de Henri III. l'appelle Pierre.
'CORRECTIONS, &c. 727
préfidant à ce Jugement , après un mur examen de toutes
les preuves , l'accufé ayant été oui dans fes défenfes , la
Cour rendit contre lai un Arrêt , par lequel ledit Poëfle
fut condamné à faire amende honorable , & à demander
pardon à Dieu , au Roi , & à la Juftice , privé de fon Etat
de Confeiller, & déclaré incapable d'exercer aucune au-
tre charge de Judicature , banni de la Prévôté de Paris
pour (a) fept ans , & condamné à une amende & aux
dépens. Le ip. de Mai le criminel fut conduit de la Con-
ciergerie à la Grand' Chambre. Là en prefence des Cham-
bres aifemblées , Poëfle tête nuë & à genoux , fit amende
honorable félon la formule qui lui fut prefcrite par le Gref-
fier criminel 5 après quoi , pour marque que la Cour l'avoit
dégradé, on le dépouilla de fa robe. Cependant au milieu
d'une cérémonie fi humiliante , ce malheureux ne perdit
rien de fon effronterie ordinaire. A peine fut -il relevé,
que fe tournant fièrement vers fes Juges , comme s'il eût
été innocent ; celui, dit-il , qui met toute fa confiance dans
le Seigneur , ne fera point confondu. Enfuite marchant la
tête haute & d'un air effronté , il fortit par la porte de der-
rière , malgré les cris de l'Huifïier qu'on lui avoit donné
pour l'accompagner. Il auroit dû en effet fe retirer par la
grande porte; mais il fentit bien qu'il alloit être expofé aux
huées de ceux qui s'étoient attroupés pour le voir paffer. En-
fin comme il étoit obligé de rentrer en prifon jufqu'à ce qu'il
eût payé les deux amendes, il y retourna avec tant d'impu-
dence , qu'il fembloit plutôt mener fon Huiflier en prifon,
qu'être conduit prifonnier lui-même, C'eft-là prefque l'uni-
que exemple de féverité , dont nous aypns été témoins dans
le fiécle corrompu où nous vivons ; encore doit-on moins
l'attribuer à un zèle pour la réformation des mœurs, qu'à
la haine fecréte du Roi & du Duc d'Epernon pour les Gui-
fes. Poëfle à l'exemple de tous les factieux avoit embralTé
leur parti , & c'étoit de leur nom qu'il fe fervoit pour au-
torifer tous fes crimes.
Il arriva vers le même-tems un accident qui fut d'un
funefle augure pour la fuite. Un jeune homme d'Etampes,
(a) Le Journal de Henri III. met feulement pour cinq ans.
728 RESTIT UT IONS,
nomme Claude Tonnart , domeftique d'un homme {a ) qui
tenoit un certain rang dans Paris , ayant eu un enfant de la
fille de fon maître , appellée Artitre , en conféquence d'un
mariage clandeftin qu'ils avoient contracté enfemble , fut
arrêté, & condamné à mort le 28. Septembre par la Tour-
nelle. Dans la confrontation , la jeune fille qui étoit éprife
des charmes de Tonnart, & de la beauté de fon efprit, ôc
qui ne cherchoit qu'à le fouftraire à la Juftice, avoit foutenu
constamment en préfence des Magiftrats, qu'elle 11' avoit
point été féduite , qu'au contraire c'étoit elle qui avoit fol-
îicité le jeune homme à tout ce qui s'étoit palTé entr'eux.
Cette circonftance tranfpira dans le public. Bien des gens
eurent compaffion du fort du criminel ; le plus grand nom-
bre étoit indigné de la rigueur de ce Jugement. Aufïï lors-
qu'on 1? conduisit au fupplice , il y eut un concours de
peuple extraordinaire. Déjà les émiflaires fecrets du parti
ténébreux qui fe formoit dans l'Etat , avoient préparé les
efprits à la révolte. Cependant le malheureux jeune hom-
me étoit fur le point d'être exécuté; le fatal cordeau alloit
trancher le fil de fes jours , lorfque tout le peuple courut à
fa défenfe. L'émeute commença par les Clercs du Palais,
qui ne font qu'en trop grand nombre à Paris. Ils chargè-
rent d'abord, & mirent en fuite les Sergens du Châtelet,
& autres gens femblables prépofés pour efeorter les crimi-
nels. A ceux-là fe joignirent tout ce qu'il y avoit de fcé-
lérats préfens à l'exécution 5 le nombre des mutins aug-
menta 5 on renverfa le bourreau du haut de l'échelle où
il étoit monté. En même-tems une nourrice , ou plutôt un
homme déguifé en nourrice , prit la place de l'exécuteur ,
délia le patient, & coupa la corde qui le tenoit attaché
au gibet. L'heureux Tonnart ainfi délivré ôc caché dans
un manteau , paffa au travers de la foule qui favorifoit fon
.évalion , & fut conduit dans un lieu fur , où on lui tenoit
un cheval prêt pour fe retirer. Il profita de ce fecours , ôc
par fa fuite mit fa vie à couvert. Du nombre de ceux qui
^ 'iiiurcnt s'oppofer à la rébellion, il y en eut (b) quatre
de tués , & plufiçurs autres blefl.es très-dangereufement, A
[a) Le Journal de Henri III. le nomme Baillif, Président des Comptes.
( y j Le même Journal ne maroue que deux Sergens de tués.
peine
C O R R E C T I O" N S, k 71$
peine même le bourreau put -il échapper à la fureur des
mutins, qui du même pas traînèrent à la rivière la cha-
rette , l'échelle & la potence.
Un attentat aufïi marqué contre l'autorité du Roi & des
Magiftrats, qui le reprefentent , fut d'un très -pernicieux
exemple j & tous les gens fages le regardèrent comme un
échantillon de ce que pourroit ofer un jour cette même
populace , lorfqu'elle verroit un chef à fa tête. Ce qui aug-
menta l'audace des mutins , c'eft qu'après avoir informé
contre les auteurs de la fédition , on ne les punit cepen-
dant point comme ils l'auroient mérité. Le peuple ne man-
qua pas de regarder la diilimulation , dont onavoit jugé à
propos d'ufer dans une conjondure fi délicate , comme
un aveu tacite que le gouvernement faifoit de fa foibleflè.
A l'égard du coupable , échappé à un fi grand danger , il
montra dans la fuite qu'il n'étoit pas indigne du fecours
inefpéré , que la fortune lui avoit offert. Retiré auprès de
M. de FEfdiguiéres , il donna à ce Seigneur tant de preuves
de fon zélé , de fon habileté , & de fa valeur , qu'à fa re-
commandation il obtint fa grâce du Roi Henri IV. & fit
même réhabiliter fa mémoire. Il arriva cette année &ç,
MSS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 66$. 1. iy. Jobert, ou Joubert.
1. 3 1. Le Ulan, lif. le Blane. Edit. Angl.
Pag. 666.1. 38. La plus longue vie , ajout. Buchanan étoitau
lit de la mort , & le Roi Jacques fon élevé le preiToit de
retraclier publiquement , ce qu'il avoit écrit de trop libre au
fujet de la Reine Marie fa mère, & de réparer par quel-
que témoignage éclatant le tort que fon hiftoire avoit fait
à la réputation de cette Princeiie 5 mais ce grand homme le
contenta de lui répondre , que dans peu S. M. feroit fatis-
faite. Enfin après plufieurs infcances réitérées , que le Roi lui
fit faire fur le même fujet , tout ce que l'on put tirer de lui',
fut, qu'il ne lui étoit pas pofîible de rétrader, ce qu'en
confeience , & fuivant fes lumières , il avoit cru devoir
écrire pour rendre témoignage à la vérité 5 Qu'au relie,
lorfqu'il ne feroit plus, Sa Majefté feroit la maîtrelîe de
difpofer à fon gré de tous fes écrits ; Qu'il la fupplioit feule-
ment, avant que de prendre aucun parti là-defius, d'y pen^
Tome VllL Zzzz
73o RESTITUTIONS,
fer férieufement avec fa prudence ordinaire , & de fe fou-
venir, que fi rien n'eft impoflible aux Rois, lorfqu ils ne
veulent mettre aucunes bornes à la puiiîance que la provi-
dence divine leur a confiée , le pouvoir de la vérité , qui ti-
re fa force de Dieu même , eft autant fupérieur à toute l'au-
torité des Rois , que cet être fuprême eft élevé au-deflus de
la foibleffe humaine. MSS. Samm. Put. & Rig.
Pag. 667. 1. 7. 463. Ou fuivant l'édition de Londres , vers 462.
Pag. 66S.I. 1. Scevembourg, ou Schavenbourg.
1. 24. Creange , lif Crehange , ou Kreickingen , en
Allemand.
Pag. 669. 1. 3 3. Au bourg , lif. au village.
Pag. 671. 1. dern. A Weftphalie , lif. en Weftphalie.
Pag. 572. 1. 37. Ekius, ou Eik.
Pag. #7$. 1. 32. Du duc de Brabant, not. François duc d'An-
jou nommé par les Etats duc de Brabant.
Pag. 6"]-]. 1. 7. Bruel , ou Broel.
1. 13. Recklinchufen , lif. Recklingshaufen.
Pag. 678.I. 17. Weyde, lif Wied, ou Wedden.
1. 22. Girolfeck , lif Gerolfeck.
Pag. 681.I. 14. Zamoski , l fez partout 3 Zamoyski.
Pag. 682.1. 14. Pietkw, lif Piontkow.
I.33. Oftromene, lif Oftromeski.
Pag. 683.I. 3 £. Novogorod, ou Novogrodeck.
Pag. 684. 1. 3 5-. Pons, lif Pontus.
Pag. 68;. 1. 16. Depuis Nieper, lif depuis le Nieper,
I.26. Qu'ils, lif. qu'il.
Pag. 687.I. 8. Weiflemberg, lif Wefenberg.
I.5?. WeifTenftein , lif Wittenftein.
Pag. 68p. 1. 37. Kan des Tartares de Precop, lif. Prince des
petits Tartares Precop. Edit. Angl.
Pag. 692. 1. 32. Vehanski, lif. Uchanski.
Pag. 6p 3.I. 16. Boïards, lif Bojares.
Pag. 6^4. 1.26. Cepufe, lif Scepus, ou Zepû*.
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