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Full text of "Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou : depuis 1543. jusqu'en 1607. Traduite sur l'édition latine de Londres .."

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HISTOIRE 


DE 


J  A  C  Q  U  E-A  U  G  U  S  T  E 

DE    THOU 


TOME    ONZIEME. 


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H  I  syo I R  E 

UNIVERSELLE 


DE 


JACQUE-AUGUSTE 

DE    THOU, 

Depuis  1543.  jufqu'en  1607, 

TRADUITE  SUR  L'EDITION  LATINE  DE  LONDRES. 

TOME    ONZIEME. 


1589. 


1593 


A      LONDRES. 


M.    D  C  C.    XXXIV. 


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SOMMAIRES 

DES    LIVRES 

CONTENUS  DANS  CE  ONZIEME  VOLUME. 


SOMMAIP.E  DU  LIVRE  XCVIL 


Vite  des  affaires  de   France.     Sentimens  dijfé^  H  e^^^ 
rens  des  Seigneurs  ^  autres  Officiers  de  t armée      \  y. 
Royale  après  lamort  de  Henri  III.    Confeil  terni  par     ijg^, 
le  roi  de  Na^varreà  toccafion  de  cette  révolution.  Sajicy 
engage  les  Suijfes  à  refier  dans  le  ca-mp.     Ils  <viennent 
offrir  leurs  féru  ic  es  au  roi  de  Na^'arre.     Ce  Prince  fe 
rend  à  Saint  Cloud,     Confeil  tenu  par  les  Seigneurs  au 
fujet  de  fes  droits  a  la  Couronne.     Henri  IV.  reconnu 
Roi  par  toute  t  armée.     Le  duc  d' Efpernon  fe  retire  à 
Angouléme.  Difcours  du    Roi  à  loccafîon  de  cette  re^ 
traite.     KéduSiiondeCompiégne^deMeulan^deGi- 
fors ^  de  Clermont  en  Beauvoifis  à  ïobéifj^ance  de  ce 
Prince ^    Il  pajfe  en  Normandie.     Le  Pont-de-l Arche  ^ 
Dieppe  ,  ^   Ca'én  le  reconnoiffent.      Prifè  de  Neuf- 
Chatel  par  Guitry  ^  du  Halot.     Lettre  du  duc  de 

Tome  XI,  'a 


Henri 


îj  SOMMAIRES. 

Mayenne  à  toccafion  de  lu  monde  Henri  III,    Il  écrit 
,  ^       au  roi  dEfpagne  _,  pour  lui  demander  du  fe  cour  s,   Edit 
^        des  Ligueurs  en  faveur  du  cardinal  de  Bourbon,     L£ 
Ko i  fait  tranf porter  ce  Prince  du  château  de  Chinon  à 
Fontenay  en  Poitou.   Arrêt  du  Parlement  de  Bourde  aux 
pour  la  tranquillité  de  l'Etat.     Arrêt  du  Parlement  de 
Touloufè  y  qui  ordonne  des  procejjions  publiques  ^  pour 
remercier  Dieu  de  la  mort  de  Henri  III.  t^  fait  défen^ 
fes  de  reconnoître  le  roi  de  Navarre.     Entrevue  du  duc 
de  Mayenne  ^  du  prince  de  Parme.  Camp  dArqt^s,  Le 
duc  de  Mayenne  y  ajjiége  le  Roi.  Bataille  d  Arques.  Re- 
traite du  Duc.    Arrêt  du  Parlement  de  Rouen  en  fa^ 
fveur  de  la  Ligue.  Attaque  desfauxbourgs  de  Paris.  Le 
duc  de  Mayenne  vient  au  fecours  de  cette  Capitale.  Ré'^ 
duciion  di  Ijfouduyiatobêiffance  du  Roi.  Hoftilitês  en 
Champagne.     Nouvelle  fedition  à  Touloufè.    Sédition 
de  Limoges.    Confpiration  de  Tours  découverte ,  t£  les 
complices  punis.  P  lacet  des  Ligueurs  enfa<veurdu  car- 
dinal de  Bourbon.     Arrêt  du  Parlement  de  Paris  ^  qivi 
ordonne  de  reconnoître  ce  Prince  fous  le  yiom  de  Char  le  X. 
Arrivée  du  cardinal  Gaëtano  en  France  en  qualité  de 
Légat.     Prife  d! Eftampespar  Henri  IV.  Il  donne  au- 
diance  a  Châteaudun  aux  ambafadeurs   d.es  Cantons 
Suijfes.     Ce  Prince  reconnu  par  les  Vénitiens.     Prifi 
de  Vendôme  par  l  armée  du  Roi,     Il  fait  fon  entrée  a 
Tours^     Prife  du  Mans  ^  de  quelques-autres  places^. 
Lettre  du  duc  de  Sa^oye  au  Parlement  de  Grenoble 
au  fujet  de  la  mort  de  Henri  III.^     Exploits  de  la, 
Valette  en  Pro'vence.     Le  duc  de  Savoyefaitpajfer  des 
troupes  dans  cette  Province,  Il  continue  la  merre  contre 
les  Genevois.  RéduBion  £  Alenqon^d' Argentan^  de  Dom- 
front  ^  de  Falaife  ^  de  Lifieux  ^  ^  de  plufieurs  autres 
places  de  la  Normandie  à  lobéifance  du  Roi.. 


SOMMAIRES.  iij 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XCVIII. 


P 


Kife  de  Pontoi/e  par  le  duc  de  Mayenne.  Siège  de  rr 
Meulcin.  Action  couYageufe  de  deux  fblduts  de  la,  j  y 
garnifon>  Le  Koi  vient  au  fe  cour  s  de  la  place.  Levée  i^go 
dufîége.  Prife  de  Verncuil  par  le  comte  de  Soijfons. 
Succès  d,e  la  négociation  de  Sancj  en  Allemagne.  Dé- 
faite des  troupes  Allemandes  par  le  duc  de  Lorraine. 
Tentative  du  maréchal  d' Aumont  fur  Monbart.  Arri- 
vée du  duc  de  Luxembourg  à  Rome.     Arrikjée  du  car- 

o 

diyial  Gaetano  a  Paris.  Arrêt  du  Parlement  de  Tours 
contre  le  Légat  ^  café  par  celui  de  Paris.  Décret  de  la 
Sorbonne  en  fa^veur  de  la  Ligue.  Lettres  du  Légat  à. 
tous  les  Archevêques  ^  E<vêques  du  Royaume.  Arrêt 
du  P arhinent  de  Paris  en  fa^'curdu  cardinal  de  Bour-^ 
bon.  Manifefle  d,u  roi  d' Efpagne  à  cûfujet.  Punition 
du  père  Edmond  Bourgoin  Jacobin.  Siège  de  Dreux  par 
r armée  du  Roi.  Le^'éedufége.  Bataille  d'Jvry.  Ordre 
de  bataille  des  deux  armées.  Harangue  du  Roi  â/es 
troupes.  Défaite  de  l  armée  de  la  Ligue.  Fuite  du  duc 
de  Mayenne  a  Mante.  Lettre  de  ce  Duc  au  Pape  &  au 
roi  £ Efpagne  aufujet  de  cette  déroute.  Sentimens  diffé- 
rons fur  la  conduite  de  Sixte  V.  a  t égard  de  la  Ligue. 
Défaite  des  troupes  de  la  Ligue  en  Au^jergne.  Prife 
d^  I foire  par  le  parti  du  Roi.  Entre-jue  du  Légat  t3  du 
maréchal  de  Biron  à  Noifi,  Plaifinterie  de  Gi- 
^ry  en  cette  occafon.  Réduction  de  Corbeil  6f  de  Lagny 
a.  l  obéiffance  du  Roi.  Défaite  des  Efpagnols  dans  le  pais 
Mcjfnpar  les  troupes  de  ce  Prince.  Défaite  de  Lan- 
fkc  dans  le  Maine.  Saint  A4alo  firpris  par  le  duc 
de  Mercœur     Prife  de  M elun par  T armée  du  Roi.   Ré. 

ducîio?2  de  Moret/tc  Crcfcy^  de  Pro<z'ins^de  Montereau , 

âij 


IV 


SOMMAIRES. 


Î590, 


--  dû  Pont  fur  Seine  ,  de  Bray,  ^  de  Nogent  fur  Seine^- 

Henri  j^ntreprife  du  Roi  fur  U  ville  de  Sens,  Négociation  de 
tE^êque  de  Cenedci  a,  U  Cour^  de  Upurt  dt4.  Légat,  Prife 
de  Verneuil par  les  troupes  de  la  Ligue.  Avantages 
remportés  par  le  parti  du  Roi.  Siège  de  Paris.  Le  Roi 
fefaifît  du  pont  de  Charenton  ^  ^  de  Sdint  Maur.  Re-^ 
duciion  de  la  Perte-Bernard.  Mort  du  cardinal  de  Bour- 
bon j  ^  fon  caraEiére.  Voyage  du  duc  de  Mayenne  en 
Flandre  ^  pour  hâter  lefecours.  Préparatifs  des  Pari-^ 
fiens  pour  fout  enir  le  [tége.  Cas  de  confcience  propofé  i; 
la  Sorbonnèparles  Seizs.   ProceJJîon  de  la  Ligue o 


SOMMAIRE   DU   LIVRE    XCIX. 

Rife  de  Meun  ^  de  Châteaudun  par  les  Ligueurs^ 
Continuation  du  Siège  de  Paris.  Arrêt  du  Parle-- 
ment  de  Paris ,  qui  défend  de  propofer  aucun  accommo- 
dement a^ec  le  Roi.  Prife  de  Saint  Denys  ^  de  Dajn^ 
martin  par  les  troupes  de  ce  Prince.  Retour  du  chancelier 
de  Che^'erny  a  la  Cour.  Arrinjée  du  duc  de  Ne^ers  ^  ^ 
du  vicomte  de  Turenne  au  camp  du  Roi.  Entreprife  des 
Ligueurs  fur  Senlis.  Entre^vue  du  Légat  ^  du  mar^ 
quis  de  Pifany.  Prife  desfauxbourgs  de  Paris  par  tar" 
mée  duRoi,  Extrémité  des  Pan  fiens.  Députation  des 
Parifiens  au  Roir  Réponfe  de  ce  Prince  aux  Députés.  Il 
écrit  au  duc  de  Nemours.  Entrée  du  prince  de  Parme  en 
France.  Le  Roi  fait  fortifier  le  château  de  NanteuiL- 
Mort  de  t abbé  d^Elbene.  Le^'ée  du  fiége  de  Pans.  Le 
Roi  préfente  la  bataille  au  prince  de  Parme  ^  ^  au  duc 
de  Mayenne,  Prife  de  Lagnypar  les  Efpagnols.  Lettre  du 
Roi  aux  Gou^ernetifs  des  Proojinces  au  fui  et  de  la  le^ee 
du  fiége  de  Paris.  Ce  Prince  congédie fe  s  troupe  s.  Mort 
diiprefident  d! Bfpejfes.  Prife  de  Clermont  enBeawvoifis 


SOMMAIRES,  y 

paf  les  troupes  du  Roi,  Progrès  des  Koydifles  contre  les 
Ligueurs.  Tentative  fur  Troy  es  en  Champagne,  Frife  Henki 
de  Corbeil  par  le  prince  de  Parme,  Gi'vrji  reprend  I V. 
Corheil^  Lagnjo  Entreprife  du  duc  de  Lorraine  fur  M^^*" 
Sainte  Menehoud,  Retour  du  prince  de  Parme  en  Flan^ 
dre.  Prife  de  Corhiepar  les  troupes  du  Roi,  Deputation 
du  Parlement  de  Bourde  aux  à  ce  Prince.  Prife  de  Ville- 
franche  en  Champagne  par  le  capitaine  Saint-PauL  Ex- 
ploits du  prince  de  Dombes  en  Bretagne,  Prife  de  Hen- 
nebond  y  ^  de  quelque  s  ^autres  places.  Arrivée  de  ï  ar- 
mée Efpagnole  en  Bretagne.  Elle  reprend  Hennebond^ 
Lettre  du  prince  de  Dombes  aux  Etats  de  la  Province  au 
fujet  de  t  arrivée  des  Efpagnols,  Prife  de  quelques  pla- 
ces par  les  troupes  du  Roi,  RéduEiionde  la  Guyenne  à 
tobéïffance  de  ce  Prince.  Révocation  des  Chambres  éta- 
blies en  fci<veur  des  Proteftans.  Exploits  de  Lefdi^ 
guiéres  en  Provence  ^  en  Dauphiné.  Prife  de  Briançon, 
Deputation  du  Parlement  d'Aix  au  duc  de  Savoye.  En- 
trée de  ce  Prince  dans  cette  ville.  Réduction  de  Grenoble 
a  robéijfance  du  Roi, Suite  de  la  guère  de  Genève. Dé  faite 
des  Genevois  par  les  Savoyards.  Tentative  de  ceux  de 
Genève  fur  Efvianjls  battent  a  leur  tour  le  s  Savoyards. 
Morts  illuftres  j  de  François  Hotman  j  de  Cujas  j  de  du 
Bartass  de  Robert  Garnier  -,  de  fean-BaptiJle  Benedittij 
de  Jafbn  de  Nerex.  s  de  fuie  Alexandrin  s  de  Flaminio 
Nobilij  de  Jérôme  Zanchio  s  de  Jacque  Andréa  j  de  Jac- 
que  Marquis  de  Bade  y  de  NicodemeTrifchlin  s  de  Fran^ 
çois  deSalinas  sdAmbroife  Moralez^  j  de  MarcBragadino, 


Slllj 


vj  SOMMAIRES. 


Henri 
IV. 

1590. 


SOMMAIRE  DU  LIVRE   C. 

Z^ite  des  affaires  de  Flandre.  Prifè  de  Khinberck, 
par  le  comte  Char  le  de  Mansfeld,  Mutinerie  des 
troupes  EJpagnoles,  Secours  envoyés  au  Roi  par  les 
Etats  ^  par  la  Reine  d'Angleterre.  Bredafurpris  par  le 
prince  d  Orange,  Il  forme  lefiége  de  Nimégue ,  ^  chan- 
ge lefîége  en  blocus  a  r arrivée  du  corate  de  Mansfeld. 
Guerre  en  Frife,  Exploits  du  comte  Maurice  dans  cette 
Province  après  le  départ  du  duc  de  F  arme  pour  entrer 
en  France.  Tentative  des  Efp^imols  fur  Lochem.  Af- 
femblée  des  Cercles  du  Rhin  ^  de  Saxe  à  Cologne  ^  ^ 
enfuïte  a  Francfort.  Répoyife  des  Etats  a  leurs  Députés, 
Sentiment  de  Champigny  aufujet  de  l  expédition  desEf^ 
pagnols  enFrance.Mort  d' Emmanuel  de  h  al ain  marquis 
de  Renty ^t^ dcG uillaume  de  Lalain  comte  d  Hooghjirate» 
Affaires  du  Nord,  Les  Plénipotentiaires  de  Suéde  ^ 
de  Mofco^ie  traitent  fans  fucc  es  d'un  accom^nodement^ 
Les  hcflilités  recommencent.  Hoftilités  des  Turcs  con-^ 
tre  la  Pologne  aufujet  descomfes  des  Cofaques,  Vam^ 
baffadeur  d Angleterre  accommode  ce  différent.  Mort: 
de  Charle  Airchiduc  d'Autriche.  Mort  du  Pape  Sixte  V^ 
Son  caractère  i^  fon  éloge.  Election  dVrbain  VII.  Sa 
mort.  Divifion  dans  le  Conclave.  Elécîiond^u  cardinal 
Sfondrate ,  qui  prend  le  nom  d.e  Grégoire  XIV.  Son 
Ci^raciére,  Lettre  du  duc  de  Luxembourg  aux  Cardinaux 
affemblés  dans  le  Conclave  ,  Ç5*  ^u  nom  du  Pape.  Excès 
commis  par  les  bandits  pendant  l  interrégne.  Alfonfe 
Picolomini  fe  met  aleur  tête.  Sa  fin  malheur eufe.  Fa^ 
mine  dans  Roine  ^  dans  les  eyivirons.  Affaire  du  dn-. 
che  de  Ferrare.  Le  duc  Alfonfe  négocie  a  Rome  fans  fuc^ 
ces.  Jérôme  Lippomani ,  Baile  de  Venife  a  la  Porte  ^ 


SOMMAIRES.-  vij 

efè  foupçonné  d'intelligence  a'vec  les  Turcs,  Son  rappel  ___ 
•^  fi  mort.  Décret  du  Sénat  de  Venïfe  contre  les  Je-  H  e  n  p.  i 
fuites  de  Padou'è,  Renouvellement  de  U  guerre  entre  le  ^^  - 
Grand  Seigneur  ^  U  Ferfe,  Difgrace  de  Sinan  ^59^' 
Grand  Vi/ir,  Le  Bâcha  F  erhat  obtient  fa  place.  Affai- 
res de  Pologne.AmbaJfade  desTartares  au  roi  Sigifmond, 
Réhabilitation  de  Chriflophle  Sboro^nuskj»  Projet  d'ac- 
cord entre  la  maifon  £  Autriche  ^  la  Pologne  ^  au  moyen 
du  ?nariage  du  roi  Sigifmond  avec  f  Archiducheffe  Anne 
fœur  de  f  Empereur,  Sédition  a  Cracovie  aufujet  de  U 
Religion.  Mauvais  fuccès  des  Suédois  contre  les  Mof 
covites,  AjTemblée  des  villes  Anfeatiques  a  Lubeck* 
Suite  des  affaires  de  Flandre.  Tournhout  ^J  VVefterloo 
furpris  par  les  troupes  des  Etats,  Prife  de  Zutphen^ 
de  Deventer  par  le  comte  Maurice.  Il  fe  rend  maître 
de  Hulft.  Expédition  des  Anglois  contre  la  flote  à! Ef pa- 
gne revenant  des  Indes,  Morts  illuftres  j  de  fean  comte 
d'Oofifrife  ;  de  Chrifiiern  Elecîeurde  Saxe  ;  de  Bernard 
de  VValdech^  évéque  à! Ofnahrug  j  de  facque  Amyot  s 
d'Antoine  Chandieu  y  de  Hugue  Doneau  j  d'Adolphe 
de  Meetkercks  s  de  Vt[ior  Chijlin  j  du  cardinal  An- 
toine Carajfe  ;  de  Henri  Gravius  y  de  Laurence  Stro^vj. 
■  Il  I  '  ■■  ■  I     II    I  1 1     I    1 1 1       1      ■ 

SOMMAIRE  DU  LIVRE    CI. 

AMbaJfade  de  la  reine  Elifabeth  vers  les  Princes  ■ 'nhhhi 
de  r Empire  ^  pour  les  exhorter  à  donner  du  fe-  '  55?  ^- 
cours  au  Roi.  Ce  Prince  leur  députe  le  vicomte  de  Tu- 
renne  pour  le  même  fujet.  Négociation  de  ce  Seigneur 
en  Angleterre ,.  en  Hollande  ,  ^  en  Allemagne,  Les  ha- 
bitans  deStrafhourgprofitent de  l'occcifion  de J(.nv(ya^e^ 
pour  obtenir  la  deflrucîiond'unmonciftére  de  Chartreux 
voifiii  de  leur  ville.    Revue  de  t armée  auxiliaire  k 


viij  SOMMAIRES. 

i__.      Hoche im.On  en  donne  le  comm^tndcment  au  prince  d' An^ 

Henri  hait ^  ^  enfitite  au  vicomte  de  Turenne.  Entreprifè  des 
I  V.      Pari/iensjur  Saint  Denys.  Mort  du  chevalier  £  Aumale. 
^  59^*     Tentatioje  du  Roi  fur  Paris,    La  journée  des  farines. 
Lettres  dtv  Pape  Grégoire  X IV,  au  cardinal  de  Plai- 
fance  fon  Légat  à    Paris  ^  &  au  Confeil  de  l'Vnion. 
Hercule  sfondrate  duc  de  Montemarciano  déclaré  Gé^ 
néral  des  troupes  du  Pape  pour  la  Ligue,  Le  duc  de 
Mayenne  fait  demander  inutilement  au  Saint  Père  la 
permijfwn  d  aliéner  le  patrimoine  Eccléfiafiique.Infîan^ 
ces  de  Philippe  JI,pour  le  même  fujetfansfuccés,  Re-- 
^ué  des  trotipcs  du  Pape  a  Lodi,  Siège  de  Chartres  par 
r armée  du  Roi,  Origine  du  Tiers  parti.    Le  jeune  car-. 
dinal  de  Bourbon  fe  met  à  fa  tête,    Prife  de  Chartres, 
Edit  du  Roi  pour  Vohfervationde  la  difcipline  militaire. 
Révocation  de  la  chambre  de  V Amirauté  établie  a  la 
Rochelle,   Réduction  de  Me  aux  à  f  obéi  (fane  e  du  duc  de 
Mayenne,  Prife  d'Aune  au  ^  de  Dourdan  par  le  mare -- 
chai  de  Biron.  Ajf emblée  des  princes  Lorrains  ^  du  duc 
de  Sa^voye  à  Parts,  Le  Pape  à  tinftigationde  Philippe 
prejfe  léleciion  d'un  roi  Catholique.  Jaloufte  entre  les 
pretendans.     Députât  ion  des  Ligueurs  en    Efpagne. 
Lettre  du  duc  de  Luxembourg  au  nouveau  Pape,  Ar-^ 
ri<vée  de  Marfîlio  Landriano  Légat  en  France.     Ré^ 
duSîion  de  Château  -  Gaillard  ^  de  Lou^iers  à  robéif- 
fancc  du  Roi,  Le  prince  de  Conti  ^va  commander  en  Poi- 
tou-  Arrêt  du  Parlement  de  Chalons  contre  les  pourvoir  s 
du  Légat  du  Pape,  Révocation  de  tEdtt  de  Juillet 
donné  par  Henri  III.    Arrêt  du  Parlement  de  Tours 
conforme  À  celui  de  Châlons,    Arrêts  du  Parlement  de 
Paris  contre  ceux  de  ces  deux  Cours,    Tentative  des  Li- 

■i 

gueurs  fur  Mante,    Tranflation  du   Grand  Confeil  à 
Chartres,     Affcmblée  des  Prélats  Royalifles  dans  cette 

ville 


I59I' 


SOMMAIRES.  ix 

cvilïe.  Décret  de  cette  Ajfemblée  contre  le  Légat.  Am-  !^  "" 
bajfade  des  Catholiques  Koyaliftes  du  Fdpe.  Le  Parle-  j  y^ 
ment  s'ji  oppo/e.  Ecrits  publiés  pour  &  contre  ïlnter- 
dit,  Prife  de  Noyon  par  le  Roi,  E'va/ton  du  duc  de 
Guife  du  Château  de  Tours,  Tentative  de  la  Chaf^ 
tre  fur  Aubigny  en  Berri,  Défaite  des  Koyaliftes  i 
Saint  Trier-le -Perche  en  Limoufîn,  Tentative  des 
Ligueurs  fur  Belac  en  Poitou,  Exploits  du  prince 
de  Conti  dans  cette  Province,  Il  fe  rend  maître  de 
Celles  en  Berri, 

SOMMAIRE  DU  LIVRE  CIL 

S  Vite  des  affaires  de  France,  Guerre  en  Breta- 
gne, Défaite  des  Ligueurs  dans  cette  Province, 
Progrès  du  prince  de  Dombes,  Prife  de  Plimeu^de 
Pimpol ,  ^  de  Guingam,  Siège  de  Lamballe  par  les 
Koyaliftes,  Mort  de  de  la  Noue,  Son  éloge.  Le^vée  du 
fége  de  Lamballe,  Prife  de  Chaftillon,  Violence  du  duc 
de  Mercœur  en  cette  occapon.  Prife  du  Château  de 
Blain  par  ce  Duc,  Mort  de  Tournemine  de  la  Hunau^ 
daye.  Tentative  des  Ligueurs  fur  Maleftroit,  Ils  font 
défaits  proche  de  Saint  Brieuc,  Guerre  en  ^ercy. 
Défaite  des  Ligueurs  proche  de  Roquemadour  par 
Anne  de  Lenuis  de  Ventadour.  Guerre  contre  le  duc 
de  Savoy e,  Exploits^  de  l'Efdiguiéres  en  Dauphiné ,  en 
Proqjence  y  ft)  en  Saz'oye,  Défaite  des  Savoyards, 
Tentati<ve  duDuc  fur  Marfeille,  Seconde  défaite  des 
Sa'voyards  a,  Vinon,  Guerre  aux  environs  de  Genève, 
Prife  de  Buringe  :,  de  Verfoy  ^  CsJ*  dEfvianpar  IcsGe^ 
nevois.  Guerre  dans  la  Bourgogne  ^  Provinces  "voi- 
fines,  siège  d' Autun  par  le  maréchal  d'Aumont.  En^ 
treprife  de  ce  Général  fur  la  citadelle  de  Châlons, 
7 orne  XI,  S 


X  SOMMAIRES. 

,  Le<vée  du  fiége  £ Autun,  Mon  de  Grégoire  XIJ^l 
Henri  Son  caraSiére.  Elccîion  d Innocent  IX,  Sa  mort ^. 
I  V.  fhn  caracîére.  Suite  des  affaires  de  France.  Fureur 
^59^'  des  Ligueurs  de  Paris.  Entreprifès  du  cardinal  de 
Flaifance  légat  du  Pape.  Portrait  du  Préfîdent 
Briffon,  Il  efl  pendu  par  la  faction  des  SeiTS-  Le 
pré f dent  Larchcr  ^  Tardif  ont  le  même  fort,  Let-^ 
tre  des  Ligueurs  au  Roi  d'Efpagne.  ^atre  des  Sei%e 
pendus  par  ordre  du  duc  de  Mayenne.  Mariage  de 
charlotte  de  la  Marl{^  a<vec  le  vicomte  de  Turenne. 
Mort  de  Coligny  fils  de  t AmïraL  Son  éloge.  Siège 
de  Rouen  par  l'armée  du  Roi,  Difcours  du  duc  d' Ai- 
guillon gouverneur  de  cette  ville  pour  la  Ligue  aux 
hahttans.  Lettre  du  Roi  a  la  ^ille  de  Rouen.  Ré^ 
ponfe  des  habit  ans.  Lettres  du  duc  de  Parme  &d'l- 
barra  au  roi  d'Efpagne  interceptées.  Arrêt  du  Par- 
lement de  Rouen  contre  les  Royalifies,  Arrivée  du 
duc  de  Parme  au  fecours  des  a(fiégés.  Il  fe  rend 
maître  £ Aumale  &  de  Neuf-Châtel.  Exploits  de  ViL 
lars  pendant  le  cours  du  fiége,  Méfintelligence  entre 
les  Officiers  généraux  de  t  armée  auxiliaire. 

SOMMAIRE    DU    LIVRE    CIIL 


Vite  du  fiége  de  Rouen.  Le  duc  de  Parme  mar^ 
^^^^>  C^  che  au  fecours.  Le  Roi  le^e  le  fiége.  Le  Duc 
cfi  hlcjfe  près  de  Caudebec,  Il  fe  rend  maître  de 
cette  place.  Origine  du  Royaume  £ l'vetot.  Avan- 
tage remporté  par  le  Roi  fur  r armée  d.u  duc  de  Par- 
me. Pitoyable  état  des  Efpagnols.  Ils  repaffent  la 
Seine,  Belle  retraite  du  duc  de  Parme,  Mort  du 
duc  de  Montpenfier  ^  ff)  du  maréchal  de  Biron, 
Eloge  de  ce  dernier,     Prife  d'Efpernay  par  larmé^^ 


SOMMAIRE  S.  X) 

du  Roi.     Infiances  des  Ei/eques  Roynîiftes  pour  cnga-  ~~         — 
ger  le  Roi  i  envoyer  une  amhdj^dde  au  Pdpe,     Pro-      t  y 
jet  pour  faire  un  Patriarche  en  France,  Remontrance 
de  lE'vêque  de  Beauvais  au  fujet  des  Economes  éta- 
hlis  par  le  Grand  Confeil,     Le  projet  d'un  Patriar- 
che eft  rejette:^     Révocation  des  Economes,     Autres 
réglemens  pour  la  difcipline  EccUfiafiique,     Affaires 
du  Conclave,      EléUion  de  Clément   VIII,      Voyage 
du  cardinal  de  Gondi  a  Rome,     Sentimens  du  Pape 
à  regard  de  ce  Prélat,     Il  fe  jufiifie ,  &  obtient  la 
permijflon  d  entrer  a  Rome.     Bref  du  Pape  au  cardia 
nal  de  Plaifance  pour  téléciion  d'un  Roi,    Enregiflre- 
ment  du  Bref  au  Parlement  de  Paris,     Arrêt  du  Par- 
lement de  Chalons  contre  le  Légat,  Surprife  du  Pont- 
de-r Arche  par  les  Ligueurs,     Prife  de  la  Guierche  ^ 
de  ChâteaU'dlfie  par  les  Royalifies,     Autres  expédi- 
tions,    siège  de  Craon  par  les  troupes  du  Roi,     Le 
duc  de  Mercœur  marche  au  fecours  de  la  place.     Le- 
vée du  fîége.     Défaite  des  Royaliftes,     Siège  de  Ro- 
che fort  par  le  maréchal  d'Aumont.     Levée  du  fiége, 
Prife  de    Ghiintin  par  le  duc  de  Mercœur.     Défaite 
des  Anglois  par  les    Ligueurs,     Confpiration  contre 
le  duc  de  Montpenfier  découverte.     Combat  de  Beau- 
-mont  entre  les  Royalifles  ^  les  Ligueurs.     ViSioire 
du  duc  de  Bouillon.     Entreprife  fur  Dunparce  Duc, 
yConfpiration  du  Gouverneur  de  F  ont  arable  découverte. 
Expédition  en  Guyenne,     Guerre  dans  le  ^crcy  ^ 
le  Languedoc,     Le  duc  de   J(yeufe  efi  battu  ,  ^  fe 
noyé.     Le  comte  du  Bouchage  quitte   l  habit  de   Ca- 
pucin pour  fe  mettre  a  la  tête  de  l  armée  des  Ligueurs, 
Expédition  en  Provence,     Mort  de  la  V ailette.  Les 
Ligueurs  s  emparent   de   Vienne  ^    ^  des  Efcheiles, 
Prife   (£  Amibes  par  le  duc  de   Savoye,      Exploits 


xij  sommaires: 

■  de  Lefdiguiéres    en  Provence  ft)  dans  le   Piémont, 

j  y       Divifion  en   Normandie    dans  le  parti  de  la  Lioue. 


155,2. 


SOMMAIRE  DU  LIVRE    CIV. 

S  Vite  des  affaires  des  P  aïs -Bas,  Extrémités  des 
E/pagnols  de  ce  côté-la.  Tentati^'e  de  r armée 
dis  Etats  fur  lEclufe  &  fur  Maftricht.  Képonfe 
des  Etats  aux  Ambajfadeurs  de  l' Empereur.  Prife 
de  Steen^v^ick^  ^  d'Oetmarfen  par  le  comte  Maurice, 
Il  fe  rend  maître  de  Co'é^orden.  Mort  du  duc  de 
Parme,  Son  éloge.  Ses  obféques.  Le  comte  Pierre- 
Ernefl  de  Mansfeld  lui  fuccéde  jufquà  t  arrivée  de 
l  Archiduc  aux  Pais -Bas.  Prife  s  faites  par  les  An- 
glois  fur  les  Efpagnols.  Difgrace  d  Antoine  Pere^,. 
Conduite  de  Philippe  IL  i  fon  égard,  Percz^fe  re- 
tire i  Pau  en  Bearn.  Morts  illufires  •  de  Guillau- 
me duc  de  Cle<ves  s  du  Prince  Jean  Cafimir  fils  de 
r  Eleveur  Palatin  j  d'Elifabeth  d'Autriche  ojeui'e  de 
char  le  IX.  De  Ghiflin  de  Boejbecq  j  de  Vincent 
Lauro  ,  çrand  médecin  &  cardinal  ;  de  Michel 
de  Montagne  j  de  Frédéric  Furio  Ceriolano  j  de 
Guillaume  Landgrave  de  Hejfe  j  de  Jean  roi  de 
Suéde.  Mariage  de  Sigifmond  roi  de  Pologne  avec 
t  Archiduchejfe  Anne  fœur  de  F  Empereur.  Affaire  de 
ïéléElion  dUn  Eve  que  de  Strafpourg.  Eléciion  de 
Jean-George  de  Brandebourg.  Eléciion  du  cardinal 
Charle  de  Lorraine  par  la  faBion  oppofée.  Mena- 
ces du  Cardinal.  Guerre  à  ce  fujet,  IJ Empereur 
interpofe  fon  autorité.  Troubles  dans  la  Saxe  au 
fujet  de  la  Religion.  Pefle  dans  l îfle  de  Candie, 
Délibération  du  Di^an  au  fujet  de  la  guerre.  Rai- 
fons  pour  la  continuer  en  Perfe,     Raifons  pour  la 


SOMMAIRES.  xiij 

déclarer  au  roi  de   Vct^  ^  de  Maroc,     Raijons  pour  ■■  - 

attaquer  Malthe,      Kaifons  pour  faire  la  guerre  au  Henri 
roi  i Efpagne  ^  ou  aux  vénitiens,     Kaifons  pour  att a ^       IV. 
quer  l'Italie  ^  ou  la  Pologne.     On  fe  détermine  à  la     ^59^* 
guerre  de  Hongrie.     Afan  Bâcha  de  Bofnie  entre  dans 
ce  Royaume  a  la  tête  d'une  armée.  Prife  de  VVihifz 
par  les  Turcs,     P aima  place  importante  bâtie  parles 
vénitiens  fur  la  Frontière  du  Frioul.     Sédition  des 
Spahis  a  Conftantinople.     Suite  de  la  guerre  de  Hon- 
grie.    Siégé  de  Sijfeck^par  Ajfan.      Défaite  des  Turc  s  ^ 
t^  levée  du  fiége.     Prife  de  Sijfeck.     Siége  de  Fi^ 
leck^  par  les  Impériaux-     Prife  de  la  place.     Défaite 
des  Turcs,     ^elques  peuples  Catholiques  de  Bohême 
deraandent  la  communion  fous  les  deux  efpéces.   Faits 
extraordinaires.  Dent  d'or  née  a  un  enfant  de  Siléfe. 
Mort  de  Latino  Latini ,  t^  de  Leuncla^ius. 


jl\ 


SOMMAIRE  DU  LIVRE    CV. 

Ffaire  s  d'Allemagne.    Troubles  a  Leipfck&  à 


maaassnnn 


Brunf^^ich^au  fujet  de  la  Religion.     Suite  de     ^^^^ 

la  guerre  de  Strajhourg.     La  conteftation  efl  mife  en 

arbitrage.     Les  Efpagnols  chajfés  de  Nuys.    Mariage 

de  lElécieur  Palatin  avec  la  fille  de  Guillaume  prince 

d'Orange.      Mort  du  duc  de  VVirtemberg.     Voyage 

du  roi  de  Pologne  en  Suéde.      Couronnement  de  Chrif 

îierne  IV.  roi  de  Dannemarch,     Mariage   du  Land-^ 

gra^e  de  Hejfe  a<vec  la  fille  du  comte  de  Solms.    Suite 

des  ajfliires  de  Flandres.     Charle  de  Mansfeld  entre 

en  France  à  la  tête  des   troupes   Efpagnoles.     Prife 

de  Noyon.     Autres  expéditions  de  Mansfeld.     Edit 

cruel  de   Philippe  II,   au  fujet  des  prifonmers  de 

^ ... 
e  iij 


xiv  S  O  M  M  A  I  Pv  E  S. 

7j~  guerre.     Siège  de  Genmydenherg  par  le  comte  Mau^ 

lY  rice.  Le  comte  de  Mansfeld  tente  inutilement  d'y 
/  Î9  3.  A^^^^'  dît  fe  cour  S.  Reddition  de  la  place.  Tentative 
des  Ejpagnols  fur  le  Fort  de  Crevecœur.  Ils  Je  ren- 
dent maîtres  d'O'étmarfèn ^  dw  château  de  VVedde ^ 
&  de  quelque  s -autre  s  petites  places  en  Frifè.  Ten^ 
tative  du  comte  de  Mans feld  fur  les  ifles  de  Zirickzje 
^  de  Tergo'és.  Tentative  du  prince  d'Orange  fur  Bru-< 
ges.  Suite  des  affaires  de  France,  Convocation  des 
Etats  de  la  Ligue  pour  féléSiion  dun  roi  Catholique. 
Déclaration  du  duc  de  Mayenne ,  ^  lettre  du  cardinal 
de  Plaifance  à  ce  fujet,  Képonfe  des  Catholiques 
Rojalifies  a  l' Ecrit  du  Duc.  Bdit  du  Roi  à  ce  même 
fujet.  Cenfure  du  Légat  ft)  de  la.  Sorhonne  pronpncée 
contre  la  réponfe  des  Catholiques  du  parti  du  Roi, 
Les  Ligueurs  mettent  en  délibération  s' ils  y  répondront. 
L'avis  pajfe  pour  ï affirmative.  Ecrit  des  Ligueurs  i 
ce  fujet.  Le  Roife  rend  a  Mante  avec  la  prince ffe  Ca^ 
therine  fa  fœur,  Affemhlée  des  Etats  de  la  Ligue  ^ 
Paris.  Ouverture  des  Etats.  Harangue  du  cardinal 
de  Pellevé.  Le  Catholicon  ^  ou  Satyre  Ménippée.  Dif 
cours  du  duc  de  Feriaaux  Etats  au  nom  de  Philippe  II „ 
Lettre  de  ce  Prince  a  ce  fujet.  Réponfe  du  cardi^zal  de 
Pellevé  a  cette  harangue,  A  la  follicitatioyi  du  Légat 
on  commence  dans  les  Etats  par  examiner  la  matière 
du  Concile  de  Trente.  Commiffaires  nommés  à  cet 
effet.  Leur  rapport.  Cette  affaire  efi  remifè  à  un  au^ 
tre  tems. 


SOMMAIRES.  XV 


SOMMAIRE  DU  LIVRE   CVI. 

OVverture  des  Conférences  entre  les  Catholiques 
du  parti  du  Roi  ^  les  députés  de  la  Ligue,   On      ^J^^^ 
s  ajfemble  à  S urefne.  Difficultés  fur^enu'ès  au  fujet  de 
Rambouillet.  Première  féa?2ce.  Difiours  de  Renaud  de 
Beaune  arche^véque    de  Bourges^  ou  après  a^oir  fait 
woir  les  avantages  de  la  paix  ^   il  montre  par  t Ecri^ 
ture  ^  par  des  exemples  ^qu  on  ne  peut  Je  flatter  dy 
parvenir^  qu'en  fe  Joumettant  au    Roi,     Réponfe  de 
Pierre  d  Efpinac  archevêque    de  Lyon  ^  qui  prétend 
prouver  qu'avant  toutes  chofes  on  doit  pourvoir  a  la 
fureté  de  la   Religion,    Réplique  de   ï archevêque  de 
de  Bourges ,  qui  après  avoir  réfuté  les  raifons  allé^ 
guées  par  l archevêque  de  Lyon  ^  fait  voir  que  ^  ni  dans 
r  ancienne  Loi ,  ni  dans  la  nouvelle ,  il  ri  a  jamais  été 
permis  de  fe  foulever  contre  fon  Prince  fous  prétexte 
de  fa  Religion,  Seconde  féance.  Difcours  de    ï  arche  ^ 
vêque  de  Lyon  ^  où  il  tache  de  répondre  aux  exemples 
•^  aux  raifons  avancées  par  l'archevêque  de  Bourges, 
Voyage  du  comte  de  Schomberg  à  Paris  ^  pour  détour- 
ner le  duc  de  Mayenne  de  faire  un  Roi,      Troifiéme 
féance.  Les  Catholiques  demandent  du  tems  pour  ren- 
dre compte  au  Roi  de  ce  qui  sefi  pajfé,    Députatton 
de  Schomberg  Csf  de  Revol  à  ce  Prince  pour  ce  fujet  y 
&  pour  rexhort  er  à  fe  faire  inflruire.  Lettre  de  de  Thou 
au  duc  de  Bouillon ,  pour  l'engager  à  ne  fe  point  op- 
pofer  a  la  converfîon  du  Roi,  Ajfûrance  par  écrit  don- 
née aux  Proteflans  par  les  princes  ^  feigneurs  Ca- 
tholiques  du  parti  du  Roi ,  quil  nefepajfera  rien  a  leur 
préjudice  dans  les  conférences  de  Sure /lie.  Le  Roi  déclare 
quil  efl  difpcfé  à  fe  faire  infiruire,  ^atriéme  féance. 


IV. 
^595' 


xvj  SOMMAIRES. 

-  L'  Archenyéque  de  Bourges  fait  part  aux  députés  de  la 

Henri  j^ig^^  ^^^  difpofîtions  du  Roi,  Ils  demandent  du  tems 
pour  en  inftruire  ceux  de  leur  parti.  Diojijton  kcefujet 
parmi  les  Ligueurs,  Ajf emblée  tenue  à  ce  Jujet  dans  le 
logis  du  Légat.  Le  duc  de  Feria  demande  quon  recon^ 
noijje  incejfamment  pour  Reine  t Infante  d'Efpagne. 
Réponfe  de  Rofe  évoque  de  Senlis  a  cette  propofition  des 
Efpagnols,  Difcours  d'Inigo  de  Mendoç^a  aux  Etats 
de  la  Ligue  en  faveur  des  droits  de  l'Infante,  Cinquième 
féance  des  Conférences  tenues  a  la  Roquette,  Difcours 
de  t archevêque  de  Lyon  ^  qui  renvoyé  au  Pape  la 
connoijfance  de  la  con^erfion  du  Roi.  Réponfe  de  V ar- 
chevêque de  Bourges,  Dernière  féance  tenue  a  la  ViL 
lette.  Le  Légat  prejfe  de  nouveau  Vêle  El  ion  d'un  Roi, 
Les  Efpagnols  propofent  fans  fuccès  l* Archiduc  Ernefl 
au  moyen  de  fon  mariage  avec  l Infante,  Tumulte  de 
Paris  aufujet  de  la  rupture  des  Conférences  >  Les  Ef- 
pagnols demandent  que  les  Etats  s^ obligent  à  reconnoî- 
tre  pour  Roi  celui  qui  fera  nommé  par  Philippe.  Les 
Députés  s  y  oppofent.  Arrêt  du  parlement  de  Paris 
pour  U  confervation  de  la  Loi  Salique.  Différend  du 
duc  de  Mayenne  avec  le  Préfident  le  Maifire  au  fujet 
de  cet  Arrêt. 

pin  des  Sommaires  du  onzie'me  Volume, 


HISTOIRE 


HISTOIRE 


D  E 


J  A  C  QJJ  E    AUGUSTE 

DE    T  H  O  U 


IIFRE    ^ATRE  -  VINGT     DIX-SEPTIEME. 

Près  Ici  more  du  Roi  Henri  III.  qu'un  coup 
malheureux  venoit  d'enlever  à  la  France  au 
milieu  du  cours  de  les  vidoires ,  les  fentimens 
des  principaux  Seigneurs  &;  Officiers  de  l'ar- 
mée Royale  fe  trouvèrent  afièz  partagés.  La 
plus  faine  &  la  plus  nombreufe  partie  jugeoit 
qu'il  n'y  avoit  aucune  efpérance  de  conlerver  l'Etat ,  qu'en 
gardant  l'ordre  de  la  fuccelîîon  établi  par  les  loix  :  Qtie  fi 
Ton  s'en  écartoit  ,  on  verroic  s'élever  en  France  autant  de 
Rois ,  ou  plutôt  de  cruels  tyrans ,  qu'on  comptoit  de  pro- 
vinces ,  de  villes  ,  6c  de  gouvernemens  dans  ce  floriifant 
Royaume  :  Qu'en  effet  _,  en  donnant  Texclufion  à  celui  à  qui 
Tome  XL  A 


i 

^^^S 

^^Stt^^S^^B 

H  E  NKI 
IV. 

1589. 

Suite  des 
affaires  de 
France. 

Sentimens 
difFérens  des 
Seigneurs  & 
Officiers  de 
l 'armée  roya- 
I;  ,  après  la 
inorc  de 
Henri  III. 


2  HISTOIRE 

-  la  Couronne  appartenoir  de  droit ,  c'étoic  en  laîiTer  la  dé- 

Henri  cifion  à  la  force  leule ,  ou  à  la  fortune  :  Qiie  l'unique  moyen 
I V.       d'éviter  ce  démembrement  étoit  donc  de  fe  foûmettre  tous 
j  -  g  j,       de  concert  au  roi  de  Navarre  ,  comme  au  légitime  héritier  : 
Qii'il  y  avoir  beaucoup  d'apparence  que  le  feu  Roi  ne  l'avoic 
fait  venir  des  extrémités  de  la  Guienne ,  &  ne  s'étoit  récon- 
cilié avec  lui ,  que  pour  lui  confier  le  maniement  des  affaires 
pendant  fon  vivant ,  èc  pour  lui  aflurer  le  trône  à  fa  mort , 
conformément  aux  loix  du  Royaume  :  Que  la  Religion  ne 
devoir  point  être  un  obftacle  à  cette  réiinîon  des  fujets  avec 
leur  légitime  Souverain  :  Qu'elle  feroît  plus  en  danger  par 
la  diviiion  ,  fuite  inévitable  de  l'exclufion  du  roi  de  Na- 
varre ,  que  par  l'avènement  de  ce  prince  à  la  Couronne  j  6c 
qu'ayant  donné  dans  mille  autres  occafions  tant  de  preuves 
de  fa  bonne  foi  &c  de  fon  équité  ,  il  n'y  avoir  pas  lieu  de  rien 
craindre  de  fa  part  dans  celle-ci  :  Que  la  confervation  du 
Royaume  mettoit  la  Religion  à  couvert  :  Qii'au  contraire  k, 
ruine  de  l'Etat  l'expofoit  à  un  péril  inévitable  j  parce  que 
les  hérétiques  qui  fe  trouvoient  foibles  par  l'union  de  toute 
la  nation  ,  deviendroient  redoutables  fî  elle  étoit  une  fois 
divifée  :  Qiie  perfonne  n'ignoroit  en  eflFet  que  la  Religion 
n'étoit  qu'un  prétexte  dont  les  factieux  fe  fervoient  pour 
brouiller  l'Etat  ,  &  pour  fomenter  l'efprit  de  révolte ,  en 
amufant  le  peuple  imbécille  de  ce  vain  fantôme  :  Que  le 
malheur  tout  récent  du  feu  Roi ,  devenu  la  vidime  de  la 
guerre  qu'on  avoir  déclarée  aux  Proteflans  ,  en  étoit  une 
preuve  convaincante  ;  Qu'il  n'y  avoit  pas  lieu  de  croire  que 
celle  qu'on  entreprendroit  contre  le  roi  de  Navarre ,  fût 
fondée  fur  des  vues  plus  légitimes  :  Qu'en  changeant  d'ob- 
jet ,  les  factieux  n'avoient  point  changé  de  but  :  Que  leurs 
defTeins  étoient  toujours  les  mêmes  :  Qu'outre  cela  il  feroit 
honteux  pour  la  nation  de  ne  pas  tirer  vengeance  d'un  par- 
ricide aufîî  exécrable  ^  &  qu'ils  ne  pouvoient  efpérer  que 
perfonne  s'y  portât  avec  plus  d'ardeur  qu'un  Prince  ,  qui  par 
la  difpofîtion  de  la  loi  étoit  appelle  à  fuccéder  à  la  Cou- 
ronne :  Qu'ils  dévoient  donc  s'abandonner  aux  ordres  de 
la  Providence  ,  qui  fembloit  conduire  le  roi  de  Navarre 
comme  par  la  main  j  &  reconnoître  ce  Prince  pour  leur 
Souverain  ,  après  avoir  exigé    de  lui   c^'il  s'engagât  à 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIL  $ 

maintenir  la  Religion  de  leurs  ancêtres  :  Que  leur  foûmifl  ~ 


iîon  ne  pouvoit  et  e  trop  prompte  èc  trop  /încére  :  Que  de  He  N  m 
là  dépendoient  le  falut  de  l'Etat ,  &  la  coniervation  de  la      I  V. 
Religion.  /  ^  ^  ic8o. 

D'autres  loûtenoient  au  contraire  :  Qu'il  falloit  com- 
mencer par  mettre  la  Religion  à  couvert  j  Ôc  que  les  inté- 
rêts de  Dieu  toujours  infiniment  jaloux  de  Ton  culte  ,  dé- 
voient marcher  avant  tout  le  refte  :  Que  des  Chrétiens  vé- 
ritablement zélés  pour  leur  Religion  ,  ne  daignoient  pas 
faire  attention  à  des  dangers  tels  que  ceux  qu'on  venoit  de 
repréfenter ,  perfuadés  qu'ils  étoient  qu'avant  toutes  cho- 
fcs  il  falloit  chercher  le  Royaume  de  Dieu ,  6c  que  c'étoit 
le  moyen  d'obtenir  de  fa  bonté  les  fecours  nécelTaires  pour 
joiiir  d'une  vie  heureufe  &  tranquille  :  Qiie  Dieu  qui  de  toute 
éternité  avoit  choifi  l'Eglife  pour  fon  époufe  ,  èc  avoit  pro- 
mis de  la  protéger  jufqu'â  la  fin  des  lîécles ,  n'abandonnoit 
jamais  fes  véritables  ferviteurs  5  èc  qu'on  devoit  aînfî  fe  re- 
mettre de  tout  le  refte  aux  foins  infinis  de  fa  Providence 
bienfaifante.  Telles  étoient  les  raifons  fpécieufes ,  dont  fe 
fervoient  ceux  qui  ne  cherchoient  qu'un  prétexte  honnête 
pour  fe  retirer. 

Enfin  il  y  avoit  encore  un  tiers  parti  compofé  de  ceux 
qui  n'en  prenoient  aucun  dans  les  circonftances  préfentes  5 
6c  ce  n'étoit  pas  le  moins  nombreux.  Ceux-ci  uniquement 
attentifs  à  leur  fureté  particulière  ,  ne  croyoient  la  trouver 
nulle  part  mieux  que  dans  le  camp ,  où  s'étoit  raflemblée 
toute  la  Noblefîe  Françoife  ,  qui  tant  que  la  guerre  dure- 
roit  l'emporteroit  toujours  fur  les  autres  Etats  du  Royaume. 
C'étoit  même ,  à  leur  avis ,  le  parti  le  plus  honnête  qu'on 
pût  choifir.  C'étoit  la ,  félon  eux ,  le  pofte  le  plus  avanta- 
geux pour  attendre  que  la  fortune  eût  décidé  ce  grand  dif- 
férend j  après  quoi  le  fort  des  armes  s'étant  déclaré  ,  il  leur 
feroit  libre  ,  difoient-ils  ,  de  fe  joindre  au  parti  du  vain- 
queur ,  parce  qu'ils  trouveroient  toujours  un  afyle  afluré 
dans  les  villes  ,  dont  les  portes  ne  feroient  jamais  fermées  à 
quiconque  voudroit  s'y  retirer. 

Tandis  que  le  camp  étoit  dans  ces  agitations ,  le  nouveau 
Roi ,  qui  ne  fcavoit  encore  fur  qui  compter,  tenoit  Confeil 
à  Meudon  oii  il  étoit  logé ,  avec  Jean  la  Fin  fieur  de  Beauvais 

Aij 


tion. 


4  HISTOIRE 

la-Nocle ,  Jean  de  Chaumont  fieur  de  Guitry,  Jacque  de 
H  E  N  K I  Segur ,  &  quelques  autres  de  fes  plus  zélés  ferviteurs ,  fur 
j  y^      le  parti  qu'il  avoità  prendre.  La  plupart  prétendoient,  que 
I  çSo,     ^^^^  ^^^  commencemens  ce  Prince  devoir  d'abord  penfer  à 
fa  fureté  j  qu'ainfî  il  falloit   qu'il  marchât  vers  la  Loire  â 
Confeil  tenu  la  tête  des  troupes  qu'il  pourroit  retenir  à  fon  fervice  ,  6c 
par  le  Roi  de  ^q^^  l'afFedion  lui  feroit  connue  5  que  par  fapréfence,  ôc 
l'occafioV  de  Celle  dc  fon  armée  ,  il  s'afRireroic  de  Tours  ,  où  le  feu  Roi 
cette  révolu-  avoit  mîs ,  comme  en  dépôt,  tout  ce  qui  a  coutume  d'an- 
noncer la  préfence  &  la  majefté  de  nos  Souverains ,  ôc  qu'il 
s'afliireroit  auffi  de  toutes  les  villes  voifines  :  Qu'elles  fer- 
viroient  comme  de  rempart  à  la  Guienne,  que  ce  Prince 
laiiïèroit  derrière  lui  3  Et  que  de-là  il  lui  feroit  aifé  dans  la 
fuite  de  porter  la  guerre  dans  les  Provinces  iituées  en  de^à 
de  cette  rivière. 

Le  Roi  paroiiToit  d'abord  afiez  difpofé  à  prendre  ce  parti, 
qui  en  effet  lui  paroifloit  le  plus  fur.  Perfuadé  que  de  vou- 
loir conferver  en  même  tcms  le  païs  iitué  en  deçà  de  la 
Loire,  &  celui  qu'il  poiîedoic  au  delà,  c'étoit  rifquer  de 
perdre  l'un  &  l'autre  :  pour  s'alfûrer  àcs  Provinces ,  dont  il 
le  voyoit  déjà  le  maître  ,  il  etoit  prêt  d'abandonner  lerefte 
pour  quelque  tems ,  lorfque  Guitry  le  fit  changer  d'avis. 
C'étoit  un  homme  de  poids ,  d'une  éloquence  mâle  ,  de  dif- 
tingué  également  par  fa  bravoure,  &L  par  fa  prudence.  Il 
repréfenta  que  les  ennemis  ne  manqueroient  pas  d'attri- 
buer à  la  peur  la  retraite  du  Roi  ,  &  de  la  regarder  comme 
une  fuite  :  Qiie  les  premiers  fuccès  d'une  guerre  dépen- 
dolent  de  la  réputation  qu'on  fe  faifoit  d'abord  3  &  que 
pour  s'attirer  l'eftime  des  peuples ,  fî  nécelTaire  à  l'affermiflê- 
ment  d'un  nouveau  régne ,  on  pouvoir  fans  crainte  rifquer 
quelque  chofe  :  Qiie  d'ailleurs  le  danger  n'étoit  pas  auffi  grand, 
qu'il  le  paroiffoic  du  premier  coup  d'œil  :  Que  parmi  la  No- 
blelfed'en  deçà  de  la  Loire,  on  comptoir  encore  plufieurs 
Seigneurs  zélés  pour  le  fervice  du  Roi ,  qui ,  fî  ce  Prince  te- 
noit  bon  ,  fe  feroient  un  point  d'honneur  de  ne  pas  le  livrer 
à  fes  ennemis  j  èc  qu'au  contraire  s'ils  s'appercevoient  qu'il 
eût  la  moindre  défiance  de  (es  forces,  &  qu'il  fongeât  â 
abandonner  les  Provinces  d'en  deçà  de  la  Loire  ,  où  ils 
avoien:  tous  leurs   biens ,  ils  ne   manqueroient  pas  de  le- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVII.       5 

retirer  fur  le  champ.    Il  ajouta  qu'on  devoir  compter  par- 
ticulièrement fur  les  troupes  SuilFes  nouvellement  arrivées:  Henri 
Que  M.  de  Sancy  avoit  fur  elles  beaucoup  de  crédit  ôc  d'au-       I  V. 
torité  'y  &  que  par  fon  entremife  il  ne  feroitpas  impoffible     1580. 
de  les  retenir  au  fervice  du  Roi ,  fl  elles  le  voyoient  dans 
la  réfolution  de  refter  en  deçà  de  la  Loire  :  Qu'au  contraire , 
{î  ce  Prince  s'éloignoit  de  la  Seine ,  elles  ne  manqueroienc 
pas  de  demander  leur  congé  ,  fous  prétexte  que  leurs  or- 
dres étoient  expirés  par  la  mort  de  fon  prédecefTeur  :  Qii'ainfî 
il  étoit  d'avis  qu'on  tentât  d'abord  ce  moyen,  avant  que 
de  fe  déterminer  à  aucun  parti. 

Cet  avis  l'emporta  j  &c  il  fut  réfolu  qu'avant  toutes  chofes 
on  commenceroit  par  négocier  avec  les  Suiflès.  Il  arriva  .  Les  Sui/Tes 
heureufement  que ,  fans  être  prévenu  ,  Sancy  avoit  déjà  ™"eu"rs  ferl 
formé  le  defTein  de  rendre  au  Roi  le  fervice ,  que  Guitry  vices  au  Roi, 
avoit  afTuré  qu'on  pouvoit  attendre  du  zélé  &;  de  l'afFec- 
tion  de  ce  Miniftre.  A  peine  fut-il  inftruit  de  la  mort  du  Roi 
Henri  III.  qu'il  affembla  tous  les  Officiers  généraux  des  trou- 
pes Suifles ,  &  leur  fit  un  difcours  plein  de  feu  ,  dans  lequel 
il  leur  repréfenta  que  de  leur  zélé,  ôc  de  leur  attachement 
dépendoit  le  falut  du  Roi  èc  de  l'Etat  :  Qiie  la  noblefle 
Françoife  qui  ,  malgré  f^ss  bonnes  intentions  pour  le  nou- 
veau Roi  ,  ne  pouvoit  cependant  s'empêcher  de  trembler 
à  la  vue  de  la  révolte  précipitée  de  tant  de  villes ,  n'atten- 
doit  que  le  moment  qu'ils  fe  déclarafîènt ,  pour  fuivre  auffi- 
tôt  leur  exemple  :  Que  s'ils  paroiflbient  balancer  un  inftanc 
à  prendre  leur  parti ,  on  alloit  voir  cette  Nobleilè  fe  déban- 
der, &c  abandonner  le  falut  dn  Royaume,  pour  chercher 
dans  la  retraite  les  moyens  de  pourvoir  à  fa  propre  ilireté. 
Il  les  conjura  donc  par  les  nœuds  facrés  de  l'alliance  qu'ils 
avoient  contradée  avec  nos  Souverains,  de  refier  dans  le 
camp  ,  &  de  s'engager  à  fervir  le  Roi ,  du  moins  encore 
pendant  quelque  tems  j  ajoutant  que  ce  fervice  feroit  non- 
feulement  avantageux  à  leur  Nation  ,  qui  avoit  toujours 
regardé  la  France  comme  le  plus  fur  appui  de  leur  Répu- 
blique -,  qu'il  leur  feroit  même  un  honneur  infini ,  &  que 
la  poflérité  la  plus  reculée  leur  feroit  à  jamais  redevable 
d'avoir  préfervé  d'une  ruine  prochaine  un  des  plus  puiilàns 
Etats  de  l'Europe ,  dont  le  falut  intéreffoit  non-feulement: 

A  ii> 


ê  HISTOIRE 

*  la  nation  Françoife  ,  mais  même  tout  l'univers  Chrétien  ; 


Henri  Qiî^  ^^  ^^^  certainement  ne  prendroit  Ton  parti ,  que  fui- 

j  Y       vant  la  ré/blution  à  laquelle  ils  fe  détermineroient  j  &  qu'il 

regarderoit  leur  déclaration  ,  quelle  qu'elle  fût ,  comme  un 

ï  597-     prefage  infaillible  du  bon  ,  ou  du  mauvais  fuccès  deièsen- 

treprilès. 

Il  y  avoir  dans  cette  afïèmblée  quelques  Officiers  ,  qui 
n'étoient  pas  trop  bien  intentionnés  pour  le  Roi.  Ils  n'olé- 
renr  à  la  vérité  s'oppofer  ouvertement  au  parti  que  M» 
de  Sancy  leur  propofoit  ^  mais  pour  fe  difpenlèr  de  l'accep- 
ter ,  ils  repréfentoient  qu'ils  n'avoient  point  d'ordres  -,  que 
leurs  pouvoirs  étoient  expirés  par  la  mort  du  feu  Roi  3  ôc 
qu'il  ne  leur  étoit  pas  permis  de  fe  déclarer ,  fans  avoir  au- 
paravant inftruit  les  Cantons  des  proportions  qu'on  leur 
faifoit.  Sancy  remontroit  au  contraire  que  c'çtoit  moins 
avec  Henri  III.  que  le  corps  Helvétique  avoit  fait  alliance , 
qu'avec  la  couronne  de  France  ,  qui  ne  meurt  jamais  j  ôc 
qu'étant  légitimement  dévolue  à  Henri  de  Bourbon  par 
droit  de  fucceffion  ,  il  devoit  être  regardé  dès-lors  comme 
Monarque  fouverain  de  l'Empire  François  :  Que  le  Roi  ne 
meurt  point  en  France ,  où  le  mort  faifît  le  vif  :  Qu'ainfî 
l'alliance  fubliftoit  toujours  :  Qiie  le  Roi  n'empêcheroit  pour- 
tant point  qu'ils  ne  fatisfiiTent  à  ce  qu'ils  croyoient  que 
leur  devoir  exigeoit  d'eux  :  Qu'ils  pourroient  députer 
quelques-uns  de  leur  corps  ,  pour  informer  \qs  Cantons 
de  ce  changement  j  mais  qu'en  attendant  qu'ils  en  eufïenc 
reçu,  réponfe ,  ce  Prince  leur  demandoit  une  grâce ,  qu'ils 
ne  pouvoient  lui  refufer ,  fans  donner  atteinte  aux  traités  5 
que  c'étoit  de  ne  point  fe  retirer ,  Ôc  de  refter  encore  quelques 
mois  à  fon  fervice ,  fans  exiger  cependant  le  payement  de 
'  leurs  appointemens  3  que  dans  les  circonftances  fâcheufes , 

où  le  Roi  fe  trouvoit ,  il  ne  conviendroit  pas  de  lui  faire 
une  pareille  demande  ,  qui  pourroit  d'ailleurs  caufer  de  nou- 
veaux troubles. 

Après  que  les  Suiffes  eurent  délibéré  fur  ces  proportions 
de  Sancy  ,  les  fentimens  fe  trouvant  encore  partagés  ,  ce 
Miniffcre,  pour  les  intimider,  fit  agir  fous  main  quelques- 
uns  des  Officiers  qui  étoient  dans  (qs  intérêts ,  &  fur  lef- 
quels  il  comptoit.     Ceux-ci  firent  entendre  aux  autres  que 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XCVII.         7 

s'ils  prenoienc  le  parti  d'abandonner  le  nouveau  Roi,  ils 
ne  pouvoienc  manquer  d'être  attaqués  dans  leur  retour  par  •"  ^  ^  r  1 
les  garnirons  de  tant  de  villes  ennemies,  qui  fe  trouvoient 
fur  leur  pafTage  j  ôc  que  peut-être  ils  feroient  obligés  de  fe  i  5^9» 
foumettre  à  des  conditions  honteufes ,  qui  déshonoreroient 
toute  leur  Nation.  Ce  dernier  motif  contribua  ,  dit-on , 
plus  qu'aucun  autre  ,  à  les  déterminer.  Il  fut  réfolu,  que  fur 
le  champ  ils  iroient  reconnoître  le  nouveau  Ro  i  3  qu'ils  s'en- 
gageroient  à  refter  encore  deux  mois  à  fon  fervice  5  &  que 
cependant  ils  députeroient  aux  Cantons  ,  pour  leur  deman- 
der de  nouveaux  ordres.  Il  ne  fut  pas  enfuite  difficile  de 
les  faire  confentir  à  ne  point  exiger  le  payement  de  leurs 
appointemens.  Ils  conçurent  aifément ,  que  fans  cela  le  Roi 
leur  feroît  fort  peu  obligé  du  fervice,  qu'ils  prétendoient 
lui  rendre ,  en  reliant  dans  fon  camp.  D'ailleurs  ils  fçavoient 
que  ce  Prince  n'étoit  pas  alors  en  état  de  leur  fournir  de 
l'argent  comptant. 

Sancy  ,  après  cet  accord  ,  étoit'  fur  le  champ  monté  à 
cheval ,  fuivi  de.quarante  de  leurs  principaux  Officiers ,  pour 
aller  trouver  le  Roi ,  lorfqu'il  rencontra  Guitry  ,  que  ce 
Prince  lui  envoyoic  •  celui-ci  n'eut  pa:>  plutôt  appris  de  Sancy 
ce  qu'il  avoit  négocié  avec  les  Suifles ,  &  que  l'affaire  qui 
l'amenoit ,  dont  il  avoit  fait  efpéfer  au  Roi  uh  heureux  fuccès, 
étoit  déjà  conclue  ,  qu'après  avoir  félicité  ce  Miniffcre ,  &c 
lui  avoir  fait  les  complimens  que  méritoit  un  fî  important 
fervice,  il  retourna  à  toute  bride  en  donner  avis  au  Roi, 
tandis  que  Sancy  accompagné  des  SuifTes  s'avançoit  au  pe- 
tit pas. 

Henri  reçut  une  véritable  joye ,  en  apprenant  cette  nou- 
velle j  &  il  ne  fut  plus  mention  de  l'avis ,  qui  avoit  paru 
d'abord  balancer  celui  de  Guitry.  Dès-lors  on  ne  parla  plus 
de  marcher  vers  la  Loire  j  &  il  fut  réfolu  tout  d'une  voix 
de  faire  la  guerre  en  deçà.  Le  Roi  s'avança  d'un  air  riant, 
pour  aller  recevoir  cette  députation.  Sancy  eut  l'honneur 
d'être  embrafTé  de  ce  Prince ,  qui  donna  enfuite  le  plus 
gratieufement  du  monde  fa  main  à  baifer  à  tous  les  Officiers 
SuifTes  ,  en  leur  faifant  mille  remercimens ,  &.  les  afTûranc 
qu'il  n'oublieroit  jamais  que  c'étoit  à  eux  qu'il  étoit  re- 
devable du  falut  de  faperfonne  &  de  fon  Etat,  Dq-H  il  prit 


t  HISTOIRE 

■  I  la  route  de  faînt  Cloud ,  où  il  alla  loger  à  la  maifon  de  du 

Henri  Tillec  fîtuée  au  bas  du  bourg ,  afin  d'éviter  le  trifte  appa- 
IV.  reil  de  celle  de  Gondy  bâtie  fur  la  hauteur,  où  le  feu  Roi 
1589.  ^coit  mort  le  matin.  La  il  fe  fit  un  grand  concours  de  Sei- 
gneurs ,  &c  de  Gentilshommes  qui  vinrent  du  camp  ,  pour 
làluer  ce  Prince.  Cependant  il  prit  le  deiiil  tel  que  nos 
Rois  ont  coutume  de  le  porter,  &L  fit  tendre  tous  fès  appar- 
cemens  des  tapifleries ,  6c  autres  ameublemens  violets ,  qui 
fervoient  aduellement  à  fon  prédecelTeur  ,  lorfqu'il  fut  aflafl 
fmé ,  parce  qu'il  étoit  en  deiiil  depuis  la  mort  de  la  Reine 
mère.  Ainiî  la  Cour  ne  changea  point  de  face,  en  chan- 
geant de  maître. 

Néanmoins  on  murmuroit  encore  alTez  hautement  dans 
le  camp  au  fujet  de  la  religion  du  nouveau  Roi,   A  la  vé- 
rité tout  le  monde  convenoic  que  dans  les  circonftances  pré- 
fentes, où  les  plus  fermes  appuis  du  Trône  étoien  :  ébran- 
lés ,  il  n'y  âvoit  qu'un  coup  du  Ciel  qui ,  pour  afliirer  la 
fucceflîon  à  la  Couronne  ,  eut  pu  donner  à  la  France  un 
Prince  doiié  de  tant  de  vertus ,  &  célèbre  par  tant  de  fuccès. 
Mais  on  ne  trouvoit  pas  encore  que  cela  fufFit ,  pour  mettre 
/la  Religion  eu  furecé.  Ain(i  l'après-midi ,  ce  qui  fe  trouvoit 
'dans  le  camp  de  Seigneurs  Se  de  Confeillers  d'Etat ,  prefque 
tous  gens  d'épée,  s'affemblérent  dans  la  maifon  de  Gondy. 
Là  on  délibéra  fi  on  reconnoîcroit  le  Roi  de  Navarre  5  &  les 
avis  furent  d'abord  alTèz  partagés.    Il  s'en  trouva  qui  pré- 
tendoient  qu'on  devoit  renvoyer  cette  affaire  à  la  décifîon 
des  Etats ,  qu'on  convoqueroit  pour  ce  fujet  j  &  que  cepen- 
dant il  ne  failoic  faire  aucune  démarche  qui  pûcpréjudicier 
à  la  liberté  de  cette  afîemblée.  Ceux-là  ,  lorfqu'ils  parloienc 
du  nouveau  Roi ,  l'appelloient  encore  le  Navarrois  3  &  ajoû- 
toient  que  ce  Prince  étoit  à  un  degré  trop  éloigné  de  la 
Couronne ,  pour  qu'on  dut  fe  déclarer  en  fa  faveur ,  fans 
y  avoir  auparavant  penfé  mûrement  ,  fur- tout   s'il  y  a  voie 
à  craindre  que  cette  démarche  ne  mît  l'Etat  en  danger  ,  & 
ne  l'exposât  à  une  ruine  irréparable.  D'autres ,  fans  s'éloi- 
gner de  ce  fentiment ,  étoient  bien  d'avis  de  remettre  la 
décifion  de  cette  affaire  au  jugement  des  Erats  j  mais  pour 
ne  pas  paroître  révoquer  abfolument  en  doute  les  droits 
de  Henri,  ils  croyoienc  qu'en  attendant  il  falloit  toujours 

reconnoître 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XCVII.  9 

i-econnoître  ce  Prince  pour  Généraliiïîme  de  l'armée  ,  &:  en 

cette  qualité  lui  prêter  obéïflance.  Le  plus  grand  nombre  H  e  n  k  i 

foûtcnoit  au  contraire,  qu'il  n'y  avoit  point  de  tems  à  per-       I  V. 

dre  ,  &  qu'il  falloit  inceflammenc  le  reconnoître  pour  Roi ,     158^. 

Tans  mettre  aucunes  bornes  à  l'obéifTance  qu'on  étoic  obligé 

de  lui  jurer  j  que  le  moindre  retardement  pouvoir  être  d'un 

préjudice  infini  3   &  qu'en  laiiîànt  douteux  le  droit  de  ce 

Prince  à  la  Couronne ,  on  donneroit  le  tems  aux  différents 

partis  qui  s'étoient  formés  dans  le  Royaume  ,  de  fe  réunir  j 

ce  qui  les  rendroit  beaucoup  plus  difficiles  à  détruire  dans 

la  fuite. 

Ce  fentiment  l'emporta  enfin ,  &:  il  fut  réfolu  qu'après     f-^^^ri  iv. 

r       /  '\         '  A  '     r  J      /^  J  '      reconnu  Pat 

avoir  pris  toutes  fes  furètes ,  on  preteroïc  lerment  de  nde-  ^o^^  j.J. 
iicé  à  Henri  de  Bourbon ,  comme  à  l'héritier  légitime  de  méc. 
la  Couronne.  En  conféquence  ce  Prince  ,  fuivant  la  formule 
du  ferment  ordinaire  aux  Têtes  couronnées  ,  s'engagea  , 
foi  6c  parole  de  Roi  ,  à  conferver  dans  le  Royaume  la  Re- 
ligion Catholique ,  Apofloiique  de  Romaine  dans  toute  fa 
pureté  J  à  ne  faire  aucune  innovation  ,  ni  changement  dans 
Tes  dogmes  &c  fa  difcipline  j  &:  à  ne  conférer  les  bénéfices , 
ôc  autres  dignités  Eccléfiaftiques ,  qu'à  des  fujets  capables, 
d>L  faifans  profefTion  de  la  Religion  Catholique ,  conformé- 
ment à  ce  qui  s'étoit  toujours  pratiqué  jufqu'alors.  Enfuite 
il  renouvella  l'affûrance  qu'il  avoit  donnée  plufieurs  fois 
avant  fon  avènement  à  la  Couronne  ,  de  fe  îbûmettre  au 
fujet  de  la  Religion  à  la  décifion  d'un  Concile  général 
ou  National ,  qu'il  auroit  foin  de  faire  afTembler  dans  le 
terme  de  fix  mois ,  s'il  étoit  pofïïble  ,  promettant  de  ne  fouf- 
frir  cependant  dans  toute  l'étendue  du  Royaume,  l'exer- 
cice public  d'aucune  autre  Religion  ,  que  de  la  Catholique , 
Apoftolique  ,  ôc  Romaine  ,  excepté  dans  les  places  dont 
les  Proteflans  étoient  aictuellement  en  pofTefiion  ,  confor- 
mément au  traité  palFé  au  mois  d'Avril  dernier  entre  ce 
Prince  &  le  feu  Roi  j  ce  qui  auroit  lieu  jufqu'à  ce  qu'il  en 
eut  été  autrement  ordonné  ,  ou  par  une  pacification  géné- 
rale ,  ou  par  une  afTemblée  des  Etats  qui  lé  tiendroit  dans 
iix  mois,  il  s'engagea  outre  cela  à  ne  confier  le  comman- 
dement des  villes  èc  places  du  Royaume  dont  il  fe  rendroic 
^naître  dans  le  cours  de  cette  guerre ,  qu'à  des  Catholiques, 


10  HISTOIRE 

excepté  cependant  de  celles  ,  dont  il  avoit  été  autrement 
Henri  ordonné  par  le  traité  pafTé  avec  le  feu  Roi  j  comme  aufîî  de 
I V.       ne  nommer  que  des  Catholiques  aux  charges  ,  gouverne- 
1580.     rnens ,  &  autres  emplois  publics  ,  avec  la  reftridion  précé- 
dente en  faveur  des  places  qui  étoient  entre  les  mains  des 
Proteftans.  Enfin  il  promit  de  maintenir  les  Princes ,  Ducs , 
&  Pairs  du  Royaume  ,  les  grands  Officiers  de  la  Couronne, 
les  Seigneurs ,  Gentilshommes ,  &  autres  (es  fidèles  fujets  , 
dans  la  poflèfîîon  paifible  de  tous  leurs  biens ,  emplois  ,  im- 
munités ,  libertés ,  &  privilèges  j  de  prendre  un  foin  par- 
ticulier des  fidèles  ferviteurs  du  feu  Roi  3  ôi  de  tirer  une 
vengeance  rigoureufe  èc  à  jamais  mémorable ,  du  parricide 
aiFreux  commis  dans  la  perfonne  de  ce  Monarque. 

Après  avoir  fait  jurer  au  nouveau  Roi  l'obièrvation  de 
ces  articles ,  les  Princes  du  fang  ,  les  Ducs  &  Pairs  ,  les 
grands  Officiers  de  la  Couronne  ,  les  Seigneurs  ,  &  Gen- 
tilshommes qui  fe  trouvoient  alors  au  camp  ,  reconnurent  à 
leur  tour  Henri  IV.  roi  de  France  &  de  Navarre,  pour  leur 
•^  légitime  Souverain  ,  conformément  aux  loix  du  Royaume  5 

lui  prêtèrent  ferment  de  fidélité  j  &  lui  firent  offre  de  leurs 
biens ,  de  leurs  vies ,  de  de  leurs  fervices ,  pour  exterminer 
les  rebelles  qui  afpiroient  à  fe  rendre  les  tyrans  de  la  Nation  j 
le  tout  aux  conditions  que  j'ai  rapportées  3  c'eft- à-dire ,  de 
convoquer  les  Etats ,  &  de  fatisfaire  aux  engagemens  que 
ce  Prince  avoit  pris  au  fujet  de  la  Religion.  En  même  tems 
ils  demandèrent  qu'il  leur  fût  permis  de  députer  au  Pape , 
pour  l'informer  de  la  démarche  qu'ils  venoient  de  faire , 
aufli  bien  que  des  raifons  qui  les  y  avoient  engagés  ,  de  pour 
obtenir  de  S.  S.  ce  qu'ils  jugeroient  le  plus  avantageux  ôc 
le  plus  néceflàire  pour  le  bien  èc  la  confervation  de  la  Re- 
ligion ,  du  Roi ,  6c  de  l'Etat.  Enfin  ils fuppliérent  ce  Prince, 
en  qualité  de  fouverain  protedeur  des  loix  ,  &  de  père 
commun  de  tous  fQs  fujets ,  aux  biens  &  aux  maux  defquels 
il  devoit  être  également  fenfible ,  de  punir  ,  comme  ils  le 
mèritoient ,  les  auteurs  du  perfide  attentat  ,  de  l'afTaffinac 
cruel ,  de  l'abominable  parricide ,  commis  dans  la  perfonne 
du  feu  Roi  leur  Seigneur ,  &  le  meilleur  de  tous  les  Princes, 
&  d'en  faire  un  exemple  dont  le  fouvenir  pût  palTer  jufqu'à 
la  poftérité  la  plus  reculée. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        n 

Cette  reconnoiiTance  fe  fie  le  4.  d'Août  j  &  on  en  cîreflà  ■■*"■"  ""■""'^ 

un  ade  qui  fut  figné  d'un  côté  par  le  Roi  j  de  l'autre ,  par  Henri 
François  de  Bourbon  prince  de  Conti ,  François  de  Bour-       1  V. 
bon  duc  de  Monpenfier,  Henri  d'Orléans  duc  de  Longue-     1589. 
ville  ,  François  de  Luxembourg  duc  de  Piney  ,   Louis  de 
Rohan  duc  de  Monbazon  ,  Armand  de  Biron  ,  &  Jean  d'Au- 
mont  maréchaux  de  France  ,  Joachim  de  Dinteville  lieu- 
tenant de  Roi  de  Champagne  ,  les  deux  frères  Nicolas  ôc 
Louis  d'Angennes,  Joachim  de  Châteauvieux  ,  Charle  de 
Balfac  fieur  de  Clermont ,  &  Jean  d'O  fieur  de  Alanou ,  tous 
rrois  capitaines  des  Gardes  du  corps  ,  François  du  PlelTis 
fieur  de  Richelieu  grand  Prévôt  de  l'Hôtel ,  Charle  &  Fran- 
çois Martel ,  le  baron  de  Renty  ,  Gilbert  de  la  Curée,  ôc 
plufîeurs  autres. 

Parmi  les  Seigneurs  qui  fe  trouvoîent  alors  au  camp ,  il    Retraite  ^^ 

y     r  ••>•!  rr  r  ^  duc  d'Elper- 

y  en  eut  plulieurs  qui ,  quoiqu  ils  approuvalient  rort  cette  non. 
démarche  ,  quoique  même  ils  eufîènt  été  des  premiers  à 
preiTer  l'exécution  de  ce  qui  venoit  de  fe  faire  ,  refuférenc 
cependant  de  foufcrire  cet  acte  ,  pour  ne  pas  préjudicierà 
leur  rang.  De  ce  nombre  fut  Jean  Louis -de  Nogaret  duc 
d'Efpernon.  Comme  fa  qualité  de  Duc  &  Pair  le  mettoic 
au-deiïus  des  maréchaux  d'Aumont  &  de  Biron  ,  il  refufa 
defigner  après  eux.' Ceux-ci  foûtenoient  au  contraire  qu'à 
l'armée  leur  charge  ne  leurpermettoit  point  dereconnoître 
de  fupérieur ,  &c  que  par  conféquent  ils  avoient  droit  de 
(îgner  les  premiers  immédiatement  après  les  Princes.  Ce 
qu'ils  demandoient  leur  fut  accordé  j  &  c'en  fut  afîez  pour 
mécontenter  le  Duc.  Auffitôt  après  ,  fous  prétexte  de  quel- 
ques affaires  domeftiques  ,  à  l'occafion  defquelles  il  avoit 
déjà  obtenu  ,  difoit-il ,  un  congé  du  feu  Roi,  il  partit  fuivi 
de  (qs  troupes  ^  &.  de  plufîeurs  autres  qui  ne  cherchoienc 
qu'une  occafion  pour  fe  retirer  ^  palîa  par  la  Touraine  ,  d'où 
il  arriva  à  Loches  ,  une  des  places  des  plus  confidérables  du 
Royaume  ,  dont  il  avoit  donné  lui-même  le  gouvernement 
à  Sallerm  ,  traverfa  le  Poitou  ,  6c  fe  rendit  enfin  à  An^ou- 
leme.  ^ 

Le  Roi  quoique  très-fenfible  à  cette  retraite  ,  qui  pouvoit    Difcours  du 
avoir  de  facheufes  fuites  ,  diflimula  fagement  fon  relfenti-  Ro>  à  cette 
ment.  Cependant,  comme  à  l'exemple  du  duc  d'Efpernon,  °"^^°"' 

B  ij 


12  HISTOIRE 

■     '  la  plupart  des  autres  Seigneurs  demandoient  aufTi  leur  congé, 

Henri  ce  Prince  ks  affembla  ,  &  leur  parla  en  ces  termes.  »  Vous 
I  V.  «  fçavez  tous  quels  ordres  le  feu  Roi  mon  prëdécelîeur  d'iieu- 
i  <2q,  "  reufe  mémoire  m'a  donnés ,  &:  ce  qu'il  m'a  recommandé  en 
»  mourant.  C'eil  principalement  de  maintenir  mes  fujets , 
î3  foit  Catholiques,  ou  Proteftans ,  dans  une  liberté  égale, 
»jurqu'à  ce  qu'un  Concile  canonique,  Général,  ou  Natio- 
î3  nal  ait  décidé  ce  grand  différend.  Je  lui  ai  promis  6c  juré 
>3  d'exécuter  fidèlement  ce  qu'il  m'ordonnoit  j  de  je  regarde 
>î  comme  un  de  mes  premiers  devoirs  d'être  exad  à  ma  pa- 
»  rôle.  Je  vous  parle  de  la  force  ,  parce  que  j'ai  appris  qu'il  y 
>3  a  certains  particuliers  dans  mon  armée  ,  qui  le  font  fcru- 
>3  pule  de  refter  à  mon  fervice ,  à  moins  que  je  n'embralîe 
3(3  la  Religion  Catholique.  Sans  doute  ils  m'ont  crû  afïèz 
)3  foible  ,  pour  s'imaginer  pouvoir  me  forcer  par  là  à  abjurer 
>3  ma  Religion  ,  &  à  manquer  à  ma  parole.  Mais  je  fuis  bien 
53  aiie  de  leur  déclarer  ici  en  préfence  de  vous  tous ,  que  j'ai 
»3  exprès  afTemblés  pour  ce  fujet ,  que  j'aimerois  mieux  que 
33  ce  jour  i'iit  le  dernier  de  ma  vie  ,  que  de  faire  aucune  dé- 
33  marche  qui  pût  donner  lieu  de  me  foupçonner  d'avoir 
33  chancelle  dans  ma  foi ,  ou  d'avoir  fongé  à  renoncer  à  Ix 
33  Religion  dont  j'ai  fait  profeffion  jufqu'ici ,  avant  que  d'a- 
33  voir  été  mieux  inftruit  par  un  Concile  légitime  ,  à  l'auto- 
33  rite  duquel  je  me  foûmets.  Que  quiconque  a  fi  mauvaife 
>3  opinion  de  moi  fe  retire  donc  dès  qu'il  lui  plaira,  je  compte 
33  plus  fur  cent  bons  François  ,  que  fur  deux  cens  qui  au- 
33  roient  des  (entimens  fi  indignes.  En  effet  Dieu  protège 
33  toujours  les  gens  de  bien.  A  l'égard  de  ceux  qui  tiennent 
33  ces  fortes  de  difcours  ,  on  voit  bien  qu'ils  ont  pris  il  y  a 
33  déjà  longtems  ,  des  engagemens  avec  les  ennemis  de 
33  l'Etat ,  &  qu'ils  n'oferoient  paroître  dans  des  lieux  où  il 
33  faut  faire  preuve  d'une  véritable  vertu  :  Qu'ils  demandent 
33  donc  leur  congé  dès  qu'ils  le  jugeront  à  propos  j  ils  me 
33  trouveront  plus  difpoié  à  le  leur  accorder  ,  qu'ils  n'ont 
33  d'envie  de  1  obtenir.  Tout  ce  qui  me  fait  de  la  peine  ,  c'eft 
»  qu'ils  déshonorent  par  là  le  nom  François.  Du  refle  quand 
3>  même  vous  m'abandonneriez  tous ,  ce  que  je  n'ofe  penfer , 
■>>  il  me  refle  encore  afiez  d'amis  pour  pouvoir  fans  vous ,  Se  à 
•>:fc  votre  honte  5.  avec  le  feul  fecours  de  leurs  bras  ^  maintenir: 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIÎ.        13 

»  les  droits  de  pxTon  autorité.   Mais  dûs- je  me  voir  privé  mê- 
»  me  de  ce  fecours  ,  Je  Dieu  qui ,  comme  vous  en  avez  été  H  e  n  k  i 
»  témoins  vous-mêmes  ,  m'a  conduit  depuis  mon  enfance      I  V. 
55  comme  par  la  main  ,  ôc  m'a  comblé  de  d  grands  bienfaits ,     r  «  g  o 
M  qu'ils  palîent  la  portée  de  l'efprit  humain ,  ne  m'abandon- 
M  nera  jamais.  Oui ,  je  ne  croîs  pas  que  le  Seigneur  fe  foie 
î3  déclaré  pour  David  avec  plus  de  bonté  ,  de  ait  opéré  en 
>3  fa  faveur  tant  de  merveilles ,  que  lorfque  contre  l'attente 
53  de  tout  le  monde ,  il  m'a  conduit  lui-même  jufque  fur  le 
>3  Trône  par  tant  de  travaux  èc  au  travers  de  tant  de  dan- 
>3  gers  5  je  ne  doute  nullement  qu'après  m'y  avoir  placé 
>3  malgré  tant  d'obftacles  ,  il  ne  m'y  conferve  ,  &  ne  me  pro- 
33  tége  contre  les  efforts  de  mes  ennemis  j  non  pour  l'amour 
33  de  moi ,  mais  pour  le  lalut  de  tant  d'ames  ,  qui  gémiflant 
33  fous  le  joug  de  la  plus  cruelle  tyrannie  ,  implorent  fans 
33  cefTe  fon  fecours  ,  éc  pour  la  liberté  defquelies  il  a  daigné 
33  fe  fervir  de  mon  bras.  Qiie  ces  boutefeux  apprennent  donc 
33  a  fe  taire  ;  èc  qu'ils  fe  mettent  une  fois  bien  dans  l'efprit , 
33  que  je  n'eflime  pas  afîèz  le  royaume  de  France  ,  ni  Tem- 
>3  pire  même  de  l'Univers  entier,  pour,  dans  la  vue  d^ÏQ 
53  polTéder  ,  renoncer  à  une  Religion  que  j'ai  ,   pour  ainfi 
33  dire ,  fucée  avec  le  lait  ,  ou  pour  embrafTer  jamais  une  au'- 
33  tre  dodrine  ,  que  celle  qui  me  fera  propofée  par  un  Con- 
35  cile  canonique  ,  comme  je  m'en  fuis  déjà  expliqué.  Vous 
53  fçavez  que  je  fuis  François ,  que  j'ai  le  cœur  franc  ,  fîncére, 
33  &  ennemi  de  toute  duplicité.  Depuis  plus  de  dix-fept  ans 
33  que  je  fuis  roi  de  Navarre  ,  je  ne  penfe  pas  avoir  jamais 
»  manqué  à  ma  parole  ,  quoique  j'aye  eu  plus  d'occafions 
>3  que  perfbnne ,  de  me  venger  de  la  manière  indigne  donr 
33  j'avois  été  traité  par  mes  ennemis.  Du  relie  confîdérez  ,. 
33  je  vous  prie  ,  s'il  ne  doit  pas  être  bien  dur  6c  bien  fâcheux 
53  pour  moi  qui  fuis  votre  maître  ,  tandis  que  je  vous  laifle 
33  une  entière  liberté  de  confcience ,  de  voir  parmi  vous  des- 
33  gens  des  moins  difbingués  ,  prétendre  me  forcer  à  me  con- 
n  former  à  leurs  opinions  chimériques.    Cette  prétention' 
»  efl-elle  raifonnable  ?  Je  m'en  rapporte  à  votre  jugement , 
33  &  à  celui  de  toute  la  Nation.  En  même  tems  je  vous  prie 
33  d'à drefîer  pour  moi  vos  vœux  au  SeiG;neur  ,  afin  qu'il  m'c- 
Mckire  dans  mes  vues,  qu'il  dirige  mes  delleins,  qu'il  béniiFe 

B  iij. 


14  H  I  S  T  O  I  R  E 

"  mes  efForts.  Priez-le ,  au  cas  que  je  fafle  quelque  faute , 

Henri  "  car  je  reconnoîs  que  je  fuis  homme  comme  un  autre ,  ou 

I  v.       "  que  je  manque  à  quelqu'un  de  mes  devoirs  ,  de  me  faire 

j  çgg       «  la  grâce  de  m'en  corriger,  &  de  m'aflifber  dans  toutes  mes 

»  démarches  des  lumières  de  fon  Efprit-Saint ,  pour  l'ac- 

»  croiHèment  du  royaume  de  Jefus-Chriffc ,  la  tranquiUité 

»  de  la  France  ,  àc  le  foulagement  de  mes  lujets.  et 

Il  n'y  eut  que  Louis  de  l'Hôpital  fieur  de  Vitry  ,  &  quel- 
ques autres  Gentilshommes  qui  abandonnèrent  abfolumenc 
le  parti  du  Roi.  C'étoit  par  principe  de  confcience  ,difoit  Vi- 
try ,  qu'il  faifoit  cette  démarche.  Qiioi  qu'il  en  foit ,  il 
montra  en  cette  occalîon  qu'il  n'étoit  pas  du  moins  fî  ten- 
dre fur  la  reconnoiiïànce.  il  y  avoir  peu  de  tems  que  le  feu 
Roi  lui  avoit  donné  le  gouvernement  du  château  de  Dour- 
dan  en  Beaufle  ^  èc  au  lieu  de  fonger  à  tirer  vengeance  du 
déteftable  parricide  commis  dans  la  perfonne  de  fon  bien- 
faideur ,  il  abandonna  cette  place  ^  pour  faire  voir ,  difoit-il , 
qu'il  ne  cherchoit  pas  à  tirer  avantage  de  fa  retraite.  Jacque 
Argenti  Ferrarois ,  qui  étoit  au  fervice  du  duc  de  Nemours, 
s'en  mit  fur  le  champ  en  pofleffion.  Cependant  l'ade  conte- 
nant les  afliirances  que  le  Roi  avoit  données  à  fon  avène- 
ment à  la  Couronne ,  &  le  ferment  qui  en  conféquence  lui 
avoit  été  prêté  par  les  Princes ,  Ducs,  &  Seigneurs  de  l'ar- 
mée ,  fut  lu  6c  publié  le  14.  d'Août  au  Parlement  féant  à 
Tours,  avec  un  applaudifTement  général.  On  en  répandit 
enfuite  des  copies  dans  les  provinces  ^  ocelles  ne  contribué- 
rent  pas  peu  à  contenir  pluheurs  particuliers  dans  le  devoir. 
Réduaion  Après  avoir  mis  ordre  à  fes  affaires  ,  autant  que  les  con- 
âc  pUificius  jondures  pouvoient  le  permettre  ,  &  s'être  affiirè  des  Seî- 
Royaume  à  g^^urs  ,  le  nouveau  Roi  commenta  fon  régne  par  une  action 
lobcïiîance  que  fa  piété  lui  infpira.  La  fureur  des  Ligueurs  contre  Henri 
deHenniv.  m  n'avoit  que  trop  éclaté  du  vivant  de  ce  Prince,  par 
l'horrible  attentat  commis  fur  fa  perfonne.  Henri  IV.  ap- 
préhenda ,  qu'après  un  coup  fi  déteftable  ,  ils  ne  portafTent 
des  mains  facriléges  jufque  fur  fes  cendres  ^  ôc  pour  préve- 
nir cet  accident ,  il  réfolut  de  mettre  en  lieu  fur  le  corps  du 
feu  Roi.  Ainfiil  partit  pour  Compiégne  ,  fuivi  de  route  fon 
armée.  Sur  fa  route  il  fe  rendit  maître  de  Meulan ,  de  Gi- 
fors ,  &  de  Clermont  en  Beauvoifis.  Enfuite  après  avoir  mis 


.    DEJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIÏ.  i^ 

à  Compiégne  le  corps  de  Henri  111.  en  dépôt  dans  Pëglife 

de  S.  Corneille  ,  il  tint  Confeil  avec  les  Seigneurs  6c  chefs  Henri 

defon  armée ,  fur  le  parti  qu'il  avoit  à  prendre.   Là  il  y  fut       I  V. 

réfolu  ,  puifque  Pennemi  ne  paroifToit  point  en  campagne  ,     1589. 

de  partager  l'armée.   On  donna  une  partie  des  troupes  au 

duc  de  Longueville  gouverneur  de  Picardie  ,  qui  avoit  à  fa 

dévotion  prefque  toute  la  Noblefîe  de  cette  province.    Le 

maréchal  d'Aumont  eut  le  commandement  d'un  autre  corps, 

avec  ordre  de  pafîèr  en  Champagne  ,  pour  tenir  en  bride 

les  villes  de  la  Ligue  ,  6c  maintenir  les  bonnes  intentions  de 

la  NoblefTe  qu'on  renvoyoit  dans  {qs  terres ,  6c  à  qui  il  au- 

roit  été  difficile  de  faire  reprendre  les  armes  ,  iî  elle  n'eût 

vu  dans  fa  province  un  Chef  du  parti  du  Roi ,  toujours  en 

état  de  fe  mettre  à  fa  tête.  Au  refte  ces  deux  corps  dévoient 

fe  rejoindre ,  au  cas  que  l'ennemi  attaquât  l'une  ou  l'autre 

de  ces  provinces. 

Henri  fe  réferva  le  commandement  du  troifiéme  corps , 
qui  étoit  le  plus  nombreux.  A  la  fuite  de  ce  Prince  étoient 
le  prince  de  Conti  j  le  duc  de  Monpenfier  j  Charle  bâtard 
d'Orléans  Grand-Prieur  de  France  ,  Colonel  général  de  la 
cavalerie  légère  j  le  maréchal  de  Biron  (  i  )  ^  Charle  de  Mon- 
morenci  fîeur  de  Damville  colonel  des  SuilTes  3  Francjois  de 
la  Tugie  fîeur  de  Rieux  ,  maréchal  de  Camp  j  François  de 
Coligny  de  Chatillon  colonel  de  l'infanterie  Françoife  5  Jac- 
que  Nompar  de  Caumont  fîeur  de  la  Force  -,  &c  grand  nom- 
bre d'autres  .Gentilshommes.  Cette  armée  étoit  compofée 
en  tout  de  mille  chevaux  tous  en  bon  ordre  ,  de  deux  régi-  ^ 
mens  SuifTes ,  6c  de  trois  mille  hommes  d'infanterie  Fran- 
çoife. A  la  tête  de  ces  troupes  ,  le  Roi  abandonna  le  projet 
de  s'approcher  de  la  Loire ,  6c  de  marcher  vers  Tours  où  il 
avoit  convoqué  les  Etats  pour  la  fin  du  mois  d'Odobre  ^ 
mais  pour  ne  pas  laifïèr  trop  loin  derrière  lui  Pontoife ,  Sen- 
lis ,  Etampes ,  6c  Meulan  ,  dont  il  n'étoit  maître  que  depuis 
peu-,  6c  pour  s'afîîirer  en  même  tems  une  retraite  par  terre  àc 
par  mer  ,  en  cas  d'accident  j  il  prit  la  route  de  Normandie,. 
Son  defTein  étoit  de  fortifier  par  fa  préfence  le  peuple  6c  la 


(i)  Armand  de  Gontaut  Seigneur  de 
Biron  ,  qu'Henri  III.  avoir  tait  Ma- 
réchal de  France  en    1577.  père   de 


Charle  duc  de  Biron ,  qui  eut  le  bitoai 
en  1S94' 


i^  HISTOIRE 

'  Noblefîè  de  cette  province  ,  (  une  des  plus  confidërables  du 

Henri  Royaume  ,   6c  d'où  pendant  tout  le  tems  de  la  guerre  il 

I  V.       tira  de  très-grands  fecours  ,  )  dans  les  bonnes  dilpofitions 

j  ego.     où  ils  étoient  déjà  à  Ton  égard.  D'ailleurs  il  efpéroit  ,  en 

feignant  de  vouloir  faire  quelque  entreprife  fur  les  villes  qui 

tenoient  de  ce  côté-là  pour  la  Ligue  ,  pouvoir  empêcher 

les  ennemis  d'attaquer  les  places  qu'il  occupoit  autour  de 

Paris  ,  &  donner  par  là  à  fon  parti  le  tems  de  s'y  fortifier. 

Dans  cette  vue  ,  ce  Prince  côtoyant  toujours  la  Seine  , 
-  arriva  au  village  du  Pont  S.  Pierre  ,  où  du  Rolet  gouverneur 
du  Pont-de-l'Arche  ,  petite  ville  lltuée  à  quatre  lieues  au- 
delTus  de  Rouen ,  de  jufqu'où  monte  la  marée ,  vint  le  faliier 
ôc  l'alfûrer  de  fon  obéïllance.  De  là  Henri  fe  rendit  à  Dar- 
netal ,  bourg  voifîn  de  Roiien ,  fameux  par  [qs  manufactu- 
res de  draps ,  où  il  campa ,  àc  d'où  il  alla  à  la  tête  de  qua- 
tre cens  chevaux  ,  faire  une  courfe  jufqu'aux  portes  de 
Dieppe. 

Cette  ville  fîtuée  fur  la  mer  ,  a  un  port  très.avantageux , 
pour  recevoir  les  fecours  qu'on  peut  tirer  de  l'Angleterre  ôc 
de  la  Hollande.  Aymar  de  Chaftes  commandeur  de  l'Or- 
dre de  Malthe  ,  &  proche  parent  du  duc  de  Joyeufe ,  en 
ctoit  alors  gouverneur.  C'étoit  un  homme  d'une  probité 
reconnue  ,  également  diftingué  par  fa  valeur  &  par  une  fi- 
délité à  l'épreuve  ,  vertu  bien  rare  dans  ce  tems-là.  De 
Chaftes  n'eut  pas  plutôt  avis  de  la  marche  du  Roi  ,  qu'il 
lui  envoya  Philippe  Canaye  fieur  de  Freines ,  qui  depuis  peu 
étoit  arrivé  d'Angleterre  à  Dieppe  ,  avec  ordre  d'offrir  de 
fa  part  cette  ville  à. ce  Prince  pour  s'y  retirer  quand  Bon 
lui  fembleroit.  Du  refte  il  n'exigeoit  de  lui  aucunes  fùretés  j 
ce  qui  étoic  directement  contraire  à  ce  que  pratiquoient  alors 
la  plupart  des  gouverneurs  ,  qui  ne  recevoient  guéres  dans 
leurs  places  de  Seigneurs  plus  puilfans  qu'eux  ,  ni  le  Prince 
même  leur  Souverain  ,  fans  prendre  auparavant  beaucoup 
de  mefures ,  ou  fans  tirer  d'eux  des  fommes  confidërables. 

Tout  devoir  être  naturellement  fufpect  à  Henri  au  com- 
lïiencement  d'un  nouveau  régne.  Ce  Prince  n'avoit  d'ailleurs 
encore  aucunes  preuves  de  la  fidélité  du  Comm^mdeur.  Mais 
d'un  autre  côté  il  étoît  pour  lui  d'une  confequence  infinie 
d'ayoir  en  Noi:mandîe  une  placç  cjui  lui  férvît  dans^  le 

tefoin  p 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIL       Ty 

befoîn  ,  comme  d'une  retraite  affiirëe  ,'  d'où  il  pût  de  loin     '  ■  .j 

JaiiFer  gronder  l'orage ,  tandis  qu'il  prendroit  tranquillement  Henri 
£qs  melures.    Cette  réflexion   le   détermina  j  il   réfolut  de       IV. 
tenter  l'avanture,  Se  de  voir  par  lui-même  ,  il  l'efFet  répon^     1^89. 
droit  aux  promeiles  qu'on  lui  failoit. 

De  Chaftes  de  Ton  coté  écoit  trop  fenfé  &  trop  équitable  , 
pour  ne  pas  s'appercevoir  de  l'embarras  où  il  mettoit  le  Roi 
par  la  propofîtion  qu'il  lui  avoit  fait  faire.  Ainlî  pour  don- 
ner à  ce  Prince  une  preuve  fignalée  de  fon  attachement,  & 
lever  en  même  tems  tous  fes  ombrages  ,  il  alla  le  recevoir 
hors  de  fa  place  à  la  tête  de  toute  fa  garnifon  ^  èc  après  lui 
avoir  rendu  fes  devoirs,  il  lui  dit  :  Qu'il  ne  reftoit  plus  de 
troupes  dans  Dieppe  :  Que  la  ville  6c  le  château  étoient  ou- 
verts à  S.  M.  Qu'elle  pouvoit  en  envoyer  prendre  poflTeffion 
par  qui  bon  lui  lembleroit  :  Que  pour  lui  il  n'y  remettroit  le 
pied  que  quand  elle  y  auroit  fait  entrer  garnifon  ,  &  s'en  fe-. 
roit  parfaitement  aflilrée.  ^j  II  eft  vrai  ,  lui  repartit  le  Roi 
«  avec  bonté  ,  &  j'aime  mieux  me  voir  obligé  de  me  jufti- 
»  fier ,  que  de  le  nier.  Oui ,  j'ai  paru  douter  de  votre  fidé- 
"  lité  5  ic  c'eft  ce  qui  vous  engage  à  venir  avec  tant  d'eni- 
»  prelïement  6c  de  générofité  ,  vous  foùmetrre  à  dQs  loix, 
«  que  d'autres  auroient  le  front  de  vouloir  m'impofer.  Pre- 
»  nez-vous  en  aux  trilles  circonftances  où  je  me  trouve,  qui 
5î  me  forcent  à  ne  me  fier  à  perfonne.  Aujourd'hui  donc 
"  qu'il  ne  m'eft  plus  permis  de  douter  de  votre  attachement, 
53  après  k  témoignage  éclatant  que  vous  m'en  donnez ,  c'eft 
S3  à  moi  à  répondre  par  une  confiance  entière  à  un  zèle  fi 
«  fincére  6c  fi  obligeant.  Je  ne  pouvois  certainement  en  faire 
33  l'épreuve  dans  une  conjondure  plus  délicate  ,  ni  plus  prefl 
33  fance.  AulFi  fi  j'avois  à  chcifir  dans  mon  armée  quelqu'un  à 
53  qui  je  vouluife  confier  la  ville  6c  le  château  de  Dieppe  ,  je 
î3  n'y  trouverois  perionne  qui  en  fut  plus  digne  que  vous. 
33  Rentrez  donc  dans  la  place  vous  6c  vos  troupes  ^  continuez. 
33  à  y  faire  votre  devoir  j  6c  contentez-vous  du  témoignage 
33  autentique  que  je  rends  en  ce  jour  à  vous-même,  èc  à 
33  toute  la  nation  ,  aulfibien  qu'à  toute  la  poflerité ,  que 
îj  c'eft  à  votre  zélé  que  je  fuis  redevable  de  mon  falut ,  6c 
îj  de  celui  de  tout  mon  Royaume. 

Après  ce  compliment ,  le  Roi  einbrafiiâ  de  CJiafles ,  â  quL 

7 (/me  XI,  C 


"N 


i8  HISTOIRE 

■  *"  il  donna  milles  marques  de  fa  reconnoiiTance.  Enfuite  il  s'a- 
Henri  vança  vers  la  ville  ,  faifanc  toujours  marcher  le  Comman- 
j  ^       deur  à  fes  côtés  ^  6c  il  y  fut  recju  avec  toutes  les  démonftra- 
^  '      tions  de  joye  qu'il  pouvoit  fouhaîter.  Gafpard  de  Pellet  (ieur 
^    ^*     delà  Verune  gouverneur  de  la  ville  &du  château  de  Cacn, 
place  très-forte  ,  èc  parent  du  commandeur  de  Chaftes ,  ne 
fut  pas  longtems  fans  fuivre  fon  exemple  j  &  il  envoya  auiîi- 
tôt  après  alîûrer  le  Roi  de  fon  obéïlTance.  Par  là  Henri  fe 
vit  maître  tant  que  la  guerre  dura  ,  de  toute  la  bafle  Nor- 
mandie j  &:  il  en  tira  des  fonds  confidérables  pour  l'entre- 
tien de  fes  troupes. 

Tandis  que  ce  Prince  étoît  à  Dieppe  ,  cette  ville  lui  porta 
fes  plaintes  contre  la  garnifon  de  Neuf-Châtel ,  petite  place 
du  pais  de  Caux  ,  éloignée  d'environ  deux  lieues  &  demie. 
Le  fieur  de  Châtillon  Gentilhomme  de  la  province  en  étoic 
gouverneur  ,  ôc  les  Dieppois  fè  trouvoient  infultés  en  paf. 
Tant  dans  ce  voifînage.  Ainfi  fur  leurs  remontrances  ,  de 
Guitry  ôc  du  Halot  ayant  eu  ordre  de  marcher  de  ce  côté- 
là  ,  fe  rendirent  maîtres  de  la  place  ,  &  taillèrent  en  pièces 
fept  cens  païfans  qui  marchoient  pour  la  fecourir. 

Délivrés  de  cette  inquiétude  les  Dieppois  formèrent  de 
plus  grands  delTeins.  Ils  propofèrent  au  Roi  défaire  le  liège 
de  Roiien ,  &  offrirent  pour  cela  leurs  bourfes  &  leurs  fer- 
vices.  Ce  Prince  comprit  toute  la  difficulté  de  l'entrcprife , 
&  que  dans  les  circonftances  prèfcntcs  il  ne  devoit  pas  s'y 
engager  témérairement.  Cependant  comme  il  étoit  perfuadé 
d'ailleurs ,  que  pour  donner  de  la  réputation  à  {çs  armes  il 
étoit  bon  qu'on  crût  qu'il  méditoit  de  grands  projets  ,  il  ne 
rejetta  point  abfolument  les  offres  de  ceux  de  Dieppe  ,  ôc 
leur  promit  d'en  conférer  avec  les  Officiers  généraux  de 
fon  armée  qu'il  avoit  laillès  au  camp.  De  Dieppe  il  fe  rendit 
à  Darnetal  •  6c  après  avoir  communiqué  ce  projet  au  duc 
de  Monpenfier  ôc  au  maréchal  de  Biron  ,  ils  convinrent  en- 
tr'eux  de  faire  tous  les  mêmes  préparatifs*,  que  fî  le  Roi  eût 
eu  réellement  deffein  de  former  le  fiége  de  Rouen  ,  perfua- 
dés  que  ces  apparences  contribueroient  du  moins  à  rompre 
les  vues  que  les  ennemis  pourroient  avoir  fur  les  places  que 
ce  Prince  poflèdoit  autour  de  Paris.  On  commença  donc  par 
brûler  2c  ruiner  tous  les  moulins  qui  étoient  aux  environs  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVII.  19 

Roiien  ,  ce  qui  caufa  un  dommage  confidérable  à  cette  -  ■    -i 

ville  3  &  c'en  fut  allez  pour  faire  reùlTir  le  deifein  du   Roi.  Henri 
Auflicôt  le  duc  d'Aumale  &:  le  comte  de  Briifac  ,  qui  étoient       I  V. 
dans  Roiien  à  la  tête  d'une  cavalerie  nombreufe ,  niiandérent     1589. 
au  duc  de  Mayenne  de  tout  quitter  pour  marcher  à  leur  fe- 
cours.   Ce  Duc  de  fon  côté  ne  négligea ,  ni  le  péril  qui  les 
menac^oit ,  ni  le  danger  auquel  cette  place  étoit  expofé.  Sur 
le  champ  il  fe  mit  en  marche  à  la  tête  d'une  armée  nom- 
breufe j  pafla  par  Mantes  j  &:  fe  rendit  à  Vernon  fuivi  de  qua- 
tre mille  chevaux ,  &c  de  quinze  mille  hommes  de  pied. 

AulTitôt  que  la  nouvelle  de  la  mort  du  Roi ,  Ôc  du  châ-      Lettres 
timent  précipité  du  parricide,  fe  fut  répandue  dans  Paris,  Mayenne^ 
ce  Duc  avoit  commencé  par  relâcher  tous  ceux  qu'on  avoit  loccafion  de 
arrêtés  la  veille  dans  cette  Capitale-,  ce  qui  prouve  mani-  '^■^"^"  , 

r  n  1        T  •  K  '      '        ^    rrk     '  roi  Henri  IIL 

leltement  que  les  Ligueurs  ne  s  en  etoient  allures  que  pour 
fervir  de  caution  de  la  vie  de  Jacque  Clément.  Enfuite  il 
écrivit  à  toutes  les  villes  6c  à  tous  les  gouverneurs  du  parti  : 
Qiie  ce  qui  venoit  d'arriver  ne  devoir  point  être  regardé 
comme  un  effet  d'aucun  confeil  humain  ^  mais  comme  un 
coup  de  la  Providence  admirable  du  Tout-Puiffant  ,  qui 
par  une  faveur  finguHére  ,  6c  une  grâce  inefpérée  ,  avoit  pris 
lui-même  en  main  la  défenfe  de  fa  propre  caufè ,  6c  avoic 
vengé  la  Religion  de  l'oppreffion  ,  êc  de  l'état  déplorable 
où  {qs  ennemis  l'avoient  réduite  :  Que  c'étoit  ce  qui  dévoie 
engager  tous  ceux  qui  s'intérelToient  à  fa  confervation  6c  au 
falut  de  l'Etat  ,  à  faire  de  plus  grands  efforts  que  jamais , 
pour  profiter  d'un  fi  grand  bienfait ,  &  pour  ne  pas  laifîer 
échapcr  une  il  belle  occafîon  de  procurer  la  gloire  de  Dieu 
&  le  falut  des  hommes  :  Que  jufque  là  ils  n'avoient  eu  à  com- 
battre que  contre  les  ennemis  fecrets  de  la  Religion  :  Qu'à 
préfent  c'étoit  aux  hérétiques  eux-mêmes,  ennemis  décla- 
rés de  TEglife  ,  qu'ils  avoient  affaire  :  Qu'ainfi  il  n'y  avoic 
point  lieu  de  douter  que  le  roi  d'Efpagne,  le  plus  puillant, 
comme  l'unique  défenfeur  qu'eût  la  Religion  ,  après  les 
avoir  auparavant  favorifés  fous  main ,  ne  prît  dorefnavanc 
ouvertement  la  défenfe  d'une  fî  jufte  caufe  :  Que  du  vivant 
du  roi  Henri  III.  les  égards  que  S.  M.  C.  avoit  pour  ce 
Prince ,  l'avoient  empêchée  de  fe  déclarer  hautement ,  6c 
de  leur  envoyer  les  fecours  nécefïàires ,  afin  de  ne  pas  donner 

Cij 


îo  HISTOIRE 

occafîon  de  croire  qu'elle  agiiToit  plutôt  pour  Ces  propres 
intérêts  que  pour  ceux  de  la  Religion  ,  &  pour  ne  pas  s'at- 
tirer par- là  la  haine  des  autres  Puilîances  j  mais  qu'après 
la  mort  de  ce  Monarque  ,  elle  ne  feroit  plus  arrêtée  par  au- 
cun icrupule. 

Le  Duc  avoit  aufîi  écrit  au  roi  d'Efpagne  dans  le  même 
ftile  j  &  après  lui  avoir  prodigué  avec  une  balîè  flatterie, 
les  titres  glorieux  de  dét-cnfeur  êc  de  vengeur  de  la  Religion, 
il  le  prioit  d'employer  génereulement  cette  puiflance  redou- 
table dont  Dieu  avoit  bien  voulu  récompenfer  fes  vertus , 
à  délivrer  un  des  plus  floriflans  Royaumes  de  la  Chrétienté 
de  la  tyrannie  des  hérétiques  ^  ajoutant  que  tous  les  Catho- 
liques de  France  attendoient  cette  grâce  de  Ton  zélé  pour  la 
Religion  3  &L  que  c'étoit  uniquement  par  fon  fecours  qu'ils 
efpéroient  recouvrer  leur  première  grandeur  ôc  leur  ancienne 
hberté. 
Edit  en  fa-  Après  avoir  pris  d'abord  ces  mefures  ,  le  duc  de  Mayenne 
veur  du  cal-  fît  publier  au  Parlement  le  fept  d'Août ,  tant  en  fon  nom  ,  êc 
dinai  de  ^^  qualité  de  Lieutenant  général  de  l'Etat  Royal  ,  qu'au 
nom  du  conieii  de  1  Union  établi  a  Pans ,  en  attendant  qu  on 
pût  aflcmbler  les  Etats  généraux  ,  un  Edit  par  lequel  il  aver- 
tilîoit  ,  exhortoit,  &  prioit  tous  les  Princes ,  Seigneurs,  & 
autres  Gentilshommes  ou  Eccléfiaftiques  ,  puifqu'un  coup 
favorable  de  la  Providence  ôc  de  la  juftice  divine  les  avoic 
délivres  de  la  domination  du  protedeur  de  l'héréfie  dans  le 
Royaume  ,  de  fe  réunir  tous  avec  lui  ,  pour  rendre  de  con- 
cert à  leur  Roi  catholique  ,  qui  feul  étoit  leur  légitime  ôc 
naturel  Souverain  ,  c'eft-à-dire  ,  au  cardinal  de  Bourbon, 
l'obeïlîance  qui  lui  étoit  dûë  3  &  de  s'engager  par  un  ade 
autentique  paiïé  pardevant  les  Gouverneurs  de  leurs  pro- 
vinces ,  à  vivre  U  mourir  dans  la  Religion  Catholique ,  Apo- 
ûolique,  &  Romaine,  à  travailler  à  fon  aggrandiiîèment , 
&  à  n'aider  les  hérétiques  ,  ni  de  leurs  forces ,  ni  de  leurs 
confeils  -,  promettant  ,  au  cas  qu'Us  fe  conformaflcnt  à  ce 
règlement  de  les  remettre  en  polîèiîion  de  tous  les  biens 
&  emplois  dont  ils  a  voient  été  dcpoiiiilés.  Deux  jours  après 
il  écrivit  de  iemblables  lettres  à  tous  les  Gouverneurs  des- 
Drovinces. 

Henri  ayant  été  inftruit  de  cet  Edit,  commença  à  craindre 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.       11 

pour  le  cardinal  de   Bourbon,    Ce  Prince  étoic   toujours 
prifonnier  au  château  de  Chinon  fur  la  Vienne,  où  le  feu  Henri 
Roi  Tavoit  confié  à  la  garde  de  François  le  Roi  fieur  de  Cha-       I  V. 
vigny.  C'etoit  un  homme  d'une  fidélité  à  l'épreuve,  mais     1589. 
déjà  vieux  Ôcqui  avoit  perdu  la  vue.  Ainfi  Henri  appréhen- 
dant qu'à  caufe  de  fon  incommodité  le  Cardinal  ne  fût  pas 
afiéz  fûrement  entre  fes mains,  chargea  Philippe  du  Pleflis- 
Mornay  de  traiter  avec  lui ,  retira  par  ce  moyen  de  Chinon 
le  Prince  prifonnier ,  ôc  le  fit  transférer  à  Fontenay  en  Poi- 
tou fous  la  garde  de  Charle  Efchalard  fieur  de  la  Boulaye, 
gouverneur  de  cette  place  ,  dont  la  valeur  &:  la  fidélité  lui 
ctoient  connues. 

Tacque  de  Goyon  de  Matîenon  maréchal  de  France  com-     ^rrc^t  cîu 

-'1.1  T,  1  P  1  I  parlement  de 

mandoit  dans  Bourdeaux  ,  &:  quelque  penchant  que  cette  Bourcieaux  à 
ville  eût  d'ailleurs  à  la  révolte  ,  il  avoit  fçu  julqu'alors  la  l'occafion  de 
contenir  dans  le  devoir  ,  en  l'intimidant  par  la  crainte  du  H^'ïJr^^fi^, 
château  Trompette  ,  qui  n'étoit  pourtant  pas  une  place  de 
grande  défenfe.  Cependant  depuis  la  mort  du  feu  Roi  ,  il 
voyoit  tout  le  Parlement ,  6c  même  les  Magifbrats  delà  ville, 
à  la  tête  defquels  il  étoit ,  fort  oppofés  à  Henri  IV.  à  caufe 
de  fa  Religion.  Ainfi  le  Maréchal  jugeant  fagement  que  dans 
ces  circonflances  il  n'étoit  pas  à  propos  d'en  venir  aux  voies 
de  fait ,  négocia  adroitement  avec  le  Parlement  •  &;  perfua- 
dé  que  ce  feroit  toujours  rendre  quelque  fcrvice  au  Roi  ré- 
gnant ,  en  qualité  d'héritier  légitime  de  la  Couronne  ,  que 
d'engager  cette  Compagnie  à  rendre  juftice  à  la  mémoire  de 
fon  prédécefTeur  ,  il  alla  au  Palais  où  il  fit  rendre  un  arrêt 
qui  portoit  :  Que  la  Cour  ayant  été  inftruite  de  la  funefte  6c 
déplorable  mort  du  Roi  3  oiii  fur  ce  le  Procureur  Général, 
&.  de  l'avis  du  maréchal  de  Matignon  ,  exhortoit  tous  \qs 
Archevêques ,  Evêques ,  6c  Curés  du  reffort  du  Parlement , 
à  prier  Dieu  pour  le  repQS  de  l'ame  du  feu  Roi ,  pour  la  tran- 
quillité de  l'Etat ,  6c  la  confervation  de  la  Religion  -,  enjoi- 
noitaux  Gouverneurs  Magiftrats ,  6c  Confuls  des  villes  du 
reiïbrt ,  de  veiller  à  ce  qu'il  ne  fe  fît  aucun  changement  dans 
la  Relifiion  .  ni  dans  le  o-ouvernement  •  ^  de  faire  obferver 
exactement  les  Edits  publiés  pendant  la  tenue  des  Etats  de 
Blois  aux  mois  de  Juillet  &;  d'Gdobre  de  l'année  précé- 
dente ,  auffi-bien  que  les  déclarations  à^^  mois  de  Décembre 

C  11], 


2î  HISTOIRE 

de  d'Avril  derniers  enregiftrées  au  Parlement  j  èc  ordonnoic 
Henri  entin  à  tous  Gentilshommes  ,  aux  villes  ,   &  autres  quels 
I  V.       qu'ils  fuirent ,   Gouverneurs  ,  ou  Officiers  qui  avoient  pris 
I  C89.     ^^^  armes  contre  le  feu  Koi ,  de  les  mettre  bas ,  de  fe  retirer 
tranquillement  chez  eux  ,  ^  de  fe  conformer  aux  Edits  6c 
Arrêts  mentionnés  ci-deflus  ,  juiqu'à  ce   que  Dieu  par  fa 
grâce  6c  fa  mifëricorde  eût  autrement  ordonné  du  gouver- 
nement 6c  de  la  Religion. 

Cet  arrêt  fut  rendu,  le  19.  d'Août  les  Chambres  afîem- 
biées ,  fans  qu'il  fût  fait  aucune  mention  de  Henri  IV.  com- 
me le  Maréchal  l'auroit  fort  fouhaité  j  mais  il  ne  put  jamais 
obtenir  ce  point  du  Parlement.  Ainfi  il  remit  cette  affaire  à 
un  tems  plus  favorable.   Cependant  il  ne  laiiïa  pas  de  fe  fer- 
vir  de  l'autorité  de  cet  Arrêt  pour  contenir  dans  le  devoir 
toute  la  Guienne ,  à  l'exception  de  quelques  villes  en  très- 
petit  nombre  ,  dont  les  Ligueurs  s'étoient  rendus  maîtres. 
Arrêt  du        Trois  jours  après  le  Parlement  de  Touloufe  rendit  de  mê- 
paiiement  de  nie  un  Arrêt  ,  les  Chambres  afTemblées  ,  bien  différent  de 
ia°même  oc-  celui-là.  Il  portoit  en  termes  exprès  :  Q)^ie  la  Cour  ayant  été 
cafion.  informée  de  la  furprenante  6c  terrible  mort  du  Roi  Henri  III. 

ordonnoit  de  nouveau  â  tous  Princes ,  Prélats ,  Seigneurs  èc 
autres ,  de  quelque  qualité  6c  condition  qu'ils  fulFent ,  de 
réunir  leurs  conlèils  ,  leur  crédit ,  6c  leurs  forces  ,  pour  la 
défenfe  de  la  Religion  ,  Catholique,  Apoftoiique  ,  6c  Ro- 
maine, èc  pour  la  confervation  des  Princes  ,  Seigneurs ,  &c 
villes  qui  s'étoient  unis  pour  la  même  caufe  ,  exhortant  les 
Evêques  6c  Curés  de  fonreffbrt ,  à  faire  des  prières  publiques 
pour  la  délivrance  de  Paris  de  des  autres  villes  du  Royaume  j 
ordonnant  de  plus  que  tous  les  ans  ,  pour  rendre  grâces  à 
Dieu  d'un  fî  grand  bienfait ,  on  feroit  le  premier  d'Août  des 
proceffions  publiques  j  d>c  défendant  fous  les  plus  griéves 
peines  de  reconnoitre  Henri  de  Bourbon ,  foi  difant  roi  de 
Navarre ,  6c  de  l'affifter  d'aucun  fecours.  Enfin  elle  enjoi- 
gnoit  à  tous  Evêques  6c  Cures  du  reflbrt ,  de  publier  de  nou- 
veau ,  6c  de  faire  obferver  exadement  la  Bulle  d'excommu- 
nication lancée  par  le  Pape  Sixte  V.  contre  ce  Prince ,  en 
vertu  de  laquelle  la  Cour  le  déclaroit  une  féconde  fois  indi- 
gne de  incapable  de  fuccéder  à  la  Couronne  ,  comme  atteint 
6c  convaincu  de  plufîeurs  crimes  notoires  mentionnés  dans 
cet  Arrêt. 


DE  J.  A.  D  THOU,  Liv.  XCVII.        23 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  pafla  en  Flandre ,  &:  s'a- 


fe 
cr- 


boucha  à  Bins  en  Haynaulc  avec  le  prince  de  Parme  ,  qui  Henri 
revenoic  alors  des  eaux  de  Spa.   Le  Duc  dans  cette  entrevue       I  V. 
tira  parole  de  lui  d'envoyer  incelTamment  du  fecours  en     1589. 
France  j  après  quoi  il  repartit  fur  le  champ  ,  ôc  vint  fe  re- 
mettre à  la  tête  de  fon  armée.  Ce  fut  au  retour  de  ce  voya- 
ge i  qu'il  fe  rendit  à  Vernon.   Le  Roi  qui  en  feignant  de      le  «îuc  de 
vouloir  faire  le  fîége  de  Roiien  ,  avoit  du  moins  ga^në  d'em-  ^^y^"»f  " 

'^    L        P  '    J?  1  »  .-1  -^1    w-T'        J  rendaV< 

pécher  1  ennemi  d  attaquer  les  places  qu  il  avoit  laiilees  der-  mm. 
riére  lui ,  n'eut  pas  plutôt  avis  de  fa  marche  ,  qu'il  décampa 
de  Darnetal ,  6c  entra  dans  le  comté  d'Eu  ,  qui  fait  une  par- 
tie confidérable  du  païs  de  Caux  ,  ôc  que  pofTé doit  alors  Ca- 
therine de  Cleves  veuve  du  feu  duc  de  Guife ,  en  titre  de 
Comté  &  Pairie.  Le  troifiéme  jour  de  fa  marche  ce  Prince 
arriva  devant  la  ville  fituée  fur  la  rivière  de  Bethune  ,  & 
fortifiée  d'un  château.  De  Launoy  y  commandoit  avec  qua- 
tre cens  hommes  de  garnifon  j  mais  il  n'attendit  pas  qu'on 
ouvrît  la  tranchée  devant  la  place ,  ni  qu'on  fît  approcher 
le  canon  5  6c  il  fe  rendit  d'abord.  La  garnifon  eut  permiilion 
de  fe  retirer  ^  6c  la  ville  obtint  qu'elle  ne  feroit  point  mife 
au  pillage.  C'eft  pourquoi  le  Roi  y  fit  entrer  Châtiilon  , 
pour  arrêter  par  fa  préfence  l'avarice  6c  la  violence  du 
foldat. 

Ce  Prince  logea  ce  jour-là  à  Treport  ,  bourg  fîtué  à  un 
quart  de  lieuë  au^deflous  de  la  ville  d'Eu  ,  6c  qui  a  un  port 
très-commode.  Ce  fut  là  qu'il  eut  le  premier  avis  des  forces 
du  duc  de  Mayenne.  Celui-ci  ayant  pafîe  la  Seine  étoit  venu 
camper  à  Gournay  ,  dont  le  duc  de  Longueville  s'étoit  rendu 
maître  peu  de  tems  auparavant  j  6c  menoit  une  armée  beau- 
coup plus  nombreufe  que  Henri  ne  fe  l'étoic  d'abord  ima- 
giné. En  effet  Chriflophle  de  Balfompierre  lui  avoit  amené 
depuis  peu  trois  cornettes  de  Reîtres  j  6c  Jean  de  Monluc 
fîeur  de  Balagny  Tavoit  joint  à  la  tête  des  milices  du  Cam- 
brefîs.  Outre  cela  Henri  de  Lorraine  marquis  de  Pont-â- 
Mouifon  s'étoit  rendu  auprès  de  lui ,  fuivi  de  mille  chevaux  , 
6c  de  deux  mille  hommes  de  pied  ^  &c  le  prince  de  Parme  lui 
avoit  envoyé  tout  récemment  un  fecours  de  cavalerie  èc 
d'infanterie. 

Sur  ces  avis  le  Roi  qui  ne  s'étoit  pas  attendu  à  fe  voir  tant 


^4  HISTOIRE 

de  forces  flir  les  bras ,  envoya  fur  le  champ  au  duc  de  Lon- 

Henki  gueviile  &  au   maréchal  d'Aumont  ,  pour  les  inftruire  de 

I  V.       l'embarras  où  il  le  trou  voie  ,  6c  les  avertir  de  marcher  in^ 

j  çgo,      cellammenc  à  ion  fecours  avec  le  plus  de  troupes  c^u'il  leur 

feroit  poflibie.  Cependant  ce  Prince  ,  que  les  accidens  les 

plus  imprévus  n'étoient  pas  capables  d'étonner ,  ne  perdit 

encore  rien  en  cette  occahon  de  fa  fermeté  ordinaire.  Il  prie 

avec  les  Officiers  généraux  de  fon  armée ,  toutes  les  mefures 

nécelîaires  j  6c  alla  camper  à  Arques  ,  bourg  tout  ouvert  èc 

fans  murailles  ,  fitué  à  une  lieuë  éc  demie  de  Dieppe  ,  mais 

défendu  d'ailleurs  par  un  château. 

En  fortant  de  Dieppe  on  rencontre  deux  collines  féparées 
feulement  par  la  rivière  de  Bethune  qui  pafîe  par  Eu  ,  àc  où 
la  marée  remonte  deux  lieues  au-defîùs  de  fon  embouchure. 
A  droite  cil  un  marais  avec  quelques  prairies  prelque  tou- 
jours inondées ,  qui  s'étendent  de  part  &  d'autre  le  long  de 
la  rivière  jufqu'au  pied  des  collines.  Le  bourg  d'Arqués  fe 
voit  fur  la  gauche  -,  de  du  même  côté  fur  la  colline  s'élève  le 
château  qui  commande  une  plaine  aflez  étendue  qu'on  trouve 
fur  la  hauteur, 
ç,  A  fon  premier  voyage  à  Dieppe  le  Roi  avoir  remarqué 

d'Arqués.  cct  endroit  comme  un  pofte  ,  où  il  feroit  aifé  de  fe  fortifier 
avantageufement.  Il  y  fit  travailler  en  diligence  par  l'avis  de 
Biron  (1)3  6c  les  troupes  animées  par  l'exemple  de  leurs 
Officiers  ,  fe  portèrent  avec  tant  d'ardeur  à  cet  ouvrage  , 
qu'en  trois  jours  tout  le  camp  fe  trouva  environné  d'un  re- 
tranchement de  huit  pieds  de  hauteur  pour  le  moins.  Henri 
en  confia  la  garde  aux  Suiiïès  ,  jufqu'à  ce  qu'il  l'eût  fortifié 
par  de  nouveaux  ouvrages.  Cependant  il  fit  palier  dans  le 
château  du  canon  ,  qui  par  un  feu  continuel  foudroyoit  tou- 
tes les  avenues  du  camp  ,  Sien  rendoit  les  approches  extrê- 
mement difficiles.  Enfin ,  comme  du  côté  que  le  château 
commande  le  bourg,  les  deux  collines  s'inclinant  infenfible- 
ment  forment  entr'elles  un  vallon ,  ce  Prince  jetta  une  par- 
tie de  ia  cavalerie  dans  ce  pofte  ,  où  elle  étoit  à  couvert  de 
l'artillerie  des  ennemis ,  &c  d'où  elle  pou  voit  aifement  fondre 
fur  leur  intanterie  ,   au   cas   qu'ils  pénétralfent  jufqu'aux 

(i)   Quoique  BIron  le  fils  fût  avec  |  ne'c  d'Arqués  ;  c'cH  du  pe're  que  parle 
Henri ,  Bc  le  fervit  utilement  à  la  jour-  !  notre  Hiliorien, 

lignes. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        i.j 

lignes.  Après  s'être  ainfi  fortifie  dans  ce  camp  ,  le  Roi  avec  > 

des  forces  beaucoup  inférieures  foiitinc  bravement  tous  Iqs  He  n  Rk. 
efforts  de  l'armée  nombreufe  des  ennemis.  I  V. 

Déjà  le  duc  de  Mayenne  avoit  repris  Gournay  ,  où  An-  i  58c;, 
toine  de  Bourbon  fleur  de  Rubenpré  qui  y  commandoit, 
avoit  été  fait  prifonnier  avec  quelques  autres  Officiers.  Il 
venoit  d'enlever  de  même  NeuLChâtel  6c  Eu  ,  places  donc 
le  Roi  s'étoit  rendu  maître  peu  de  tems  auparavant  5  ôcces 
premiers  fuccès  fembloient  lui  répondre  qu'il  emporteroic 
Arques  avec  la  même  rapidité.  Mais  ayant  été  informé  par 
fes  efpions  de  l'arc  d>c  de  la  diligence  avec  laquelle  Henri 
s'étoit  fortifié  fur  la  colline  qui  fe  rencontroit  fur  fa  route  j 
il  prit  un  grand  détour  ,  alla  paflér  la  Bethune  au-delTus 
d'Arqués ,  &  vint  camper  fur  la  colline  oppofée. 

Cette  manœuvre  fit  changer  de  batterie  au  Roi.  Il  ap- 
préhenda que  le  deffein  du  Duc  ne  fût  d'attaquer  le  bourg 
d'Arqués  ,  de  couper  par  là  toute  communication  encre 
Dieppe  ôc  l'armée  royale ,  de  d'aller  enfuite  s'emparer  du 
faubourg  du  Pollet ,  qui  étoit  affez  vafte  pour  loger  com- 
modément fes  troupes  ,  &;  qui  outre  cela  commandoic  le 
port.  Pour  le  prévenir  ,  ce  Prince  fit  tirer  de  ce  côté-là  à  la 
tête  du  bourg ,  un  retranchement  dont  il  confia  la  garde  à 
un  régiment  Suifie.  Enfuite  il  pointa  fur  ce  pofle  quelques 
pièces  de  canon  ,  &  pofa  un  corps  de  garde  d'infanterie 
Françoife  dans  une  Chapelle  ou  Maladrerie ,  fituée  à  mille 
pas  du  bourg.  Il  ferma  ainfi  le  paflàge  à  l'ennemi ,  &  l'em- 
pêcha de  fortir  du  village  de  Martin-Giife,  pour  aller  fon- 
dre fur  Arques  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  En  même  tems 
comme  le  Pollet  étoit  tout  ouvert ,  il  y  fie  tirer  une  tranchée 
qui  renfermoit  un  moulin  bâti  à  la  tête  de  ce  faubourg  ,  6c 
un  chemin  creux  j  6c  enfin  fermer  toutes  les  avenues  par  des 
paliiîàdes  de  pieux  6c  de  tonneaux.  Les  foldats  6c  les  liabi- 
tans  fe  portèrent  d'eux-mêmes  avec  tant  d'ardeur  à  tous  ces 
ouvrages ,  qu'en  trois  jours  tout  fut  achevé  j  après  quoi  le 
Roi  détacha  Châtillon  6c  Guitry  avec  quelque  infanterie , 
pour  aller  à  la  garde  de  ce  pofle. 

Ce  fut  le  I  3.  de  Septembre  que  le  duc  de  Mayenne  vinc 
camper  fur  la  colline  oppofée  aux  Royalifles.  Il  pafTa  les 
trois  jours  fuivans  dans  l'inaclion  ,  6c  ne  forcic  point  de  fes 

Tome  XI,  D 


i6  HISTOIRE 

recranchemens ,  quoique  les  Chevaux-légers  de  l'année  du 
PIe  nki  Roi  allaflèncrinfuicer  jufques  dans  Ton  camp,  en  force  qu'il 
I  V.  paroifToic  vouloir  garder  Tes  croupes  pour  une  adion  géné- 
1  cSo.  ^^^^'  -^^  ^^^^  ^^  I  6.  il  parue  en  bacaiile  -,  &  après  avoir  dé- 
taché dès  le  grand  matin  une  partie  de  fa  cavalerie  6c  de  ion 
infanterie  ,  pour  marcher  contre  le  Pollet ,  il  commanda  le 
refte  de  fon  infanterie  avec  la  plus  grande  partie  de  fes  Che- 
vaux-légers, pour  aller  s'emparer  de  Marcin-Gli(e.  Le  Roi 
de  ion  coté  ayant  eu  avis  de  fon  deiîein ,  laifTa  Biron  pour 
commander  dans  le  camp  d'Arqués  ,  fe  rendit  en  perionne 
au  Pollet ,  &  commença  par  border  fon  retranchement  de 
quelques  troupes  d'élite.  Là  on  efcarmoucha  pendant  tout 
le  jour  j  mais  dans  ces  petits  combats  les  ennemis  eurent  tou- 
jours le  deiTous.  A  in  il  il  ne  fut  pas  difficile  aux  deux  partis 
de  tirer  dès-lors  de  ces  petits  commencemens  un  prefage 
aiTûré  des  llu'tes  que  cette  guerre  devoir  avoir ,  en  voyant 
les  troupes  du  Roi ,  quoique  beaucoup  intérieures  en  nom- 
bre ,  remporter  toujours  l'avantage  j  tandis  que  les  Ligueurs 
maigre  la  iupériorité  de  leurs  forces  ,  ne  fe  retiroient  jamais 
qu'avec  perte.  Il  fembloit  que  Dieu  voulût  punir  ceux-ci  de 
leur  opiniâtreté  à  foùtenir  un  mauvais  parti  ,  en  leur  faiianc 
tomber  les  armes  des  mains  3  &  qu'il  donnât  au  contraire  du 
courage  aux  autres  qui  combattoient  pour  le  ialut  de  leur 
Prince  &  de  leur  patrie.  Sur  le  ibir  le  duc  de  Mayenne 
voyant  lés  troupes  fatiguées ,  fît  fonner  la  retraite  3  &  logea 
quatre  régimens  dans  un  village  voifin  ,  où  ils  furent  fort 
mal  à  leur  aifé  ,  parce  que  les  Royalifles  en  avoient  brûlé 
les  maiions  ,  à  la  vûë  même  des  ennemis. 

Le  lendemain  ils  furent  encore  plus  maltraités  à  Arques. 
Ils  étoient  fortis  de  Martin-Glife  dans  le  defféin  de  paiîer 
la  rivière,  &  de  fe  rendre  du'côté  du  bourg.  Mais  lesar- 
quebufiers  de  l'armée  du  Roi  qu'on  avoir  poftés  derrière 
quelques  haïes ,  &  ceux  de  la  Maladrerie  où  étoit  le  maré- 
chal de  Biron  firent  fur  eux  un  feu  fi  continuel ,  qu'ils  fu- 
rent obligés  de  fe  retirer  avec  perte.  Le  Grand-Prieur  qui 
étoit  à  la  tête  des  Chevaux-légers ,  &  le  fieur  de  Damville 
firent  des  merveilles  en  cette  occafion.  l  es  ennemis  y  per- 
dirent plus  de  cent  cinquante  hommes  j  outre  cela  Mone- 
ftier  cornette  du  duc  de  Nemours  ,  àc  le  jeune  de  Vieuxpont 
y  furent  faits  priibnniers. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        27 

Après  cet  échec  ,  les  ennemis  reftérenc  pendant  deux  otMM^mmmMvim 
jours  dans  l'inadion.   Cependant  les  troupes  du  Roi  étant  Henri 
forties  du  Pollet  allèrent  attaquer  le  village  voifin  ,  &  en      IV. 
chafïërent  les  Ligueurs  ,  après  leur  avoir  tué  plus  de  cent     r  ^Qq 
hommes.  Le  même  jour  les  ennemis  pointèrent  trois  pièces 
d'artillerie  contre  la  Maladrerie  &:  le  retranchement  qu'on 
avoit  tire  au-deflous ,  èc  canonnérent  ce  pofle  pendant  quel- 
que tems  alLez  inutilement.   Mais  le  Roi  y  ayant  fait  con- 
duire deux  pièces  de  canon  ,  on  dreiGlà  une  contrebatterie 
qui  incommoda  fî  fort  les  troupes  logées  dans  le  village  où 
elles  étoient  tout  à  découvert  ,   qu'après  avoir  fait  partir 
leur  cavalerie  èc  leur  bagage  ,  elles  furent  enfin  obligées  de 
l'abandonner.  Depuis  ce  tems-là  les  Ligueurs  ne  penférenc 
plus  au  Pollet ,  &  ils  tournèrent  tous  leurs  efforts  contre  la 
Maladrerie     qu'ils   attaquèrent    trois  jours    de   fuite  in- 
utilement. 

Enfin  le  2  i.  le  Duc  rangea  toutes  fes  troupes  en  bataille  combat 
avant  le  jour,  &  fe  mettant  en  marche  fans  tambour  de  fans  «^^rques. 
trompette ,  alla  en  filence  pafTer  la  rivière  qui  fèparoit  fon 
camp  de  celui  du  Roi.  Ce  Prince  de  fon  côté  fe  doutant 
de  ce  mouvement ,  fe  mit  à  la  tête  de  cinq  cens  chevaux  ,  & 
fe  rendit  à  la  Maladrerie  fuivi  de  Biron.  Là  à  deux  mille 
pas  du  retranchement  qu'on  avoit  élevé  par  fon  ordre  à  la 
tête  du  bourg  d'Arqués ,  il  fit  tirer  une  tranchée  depuis  le 
haut  de  la  colline ,  jufque  dans  la  prairie  qui  étoit  dans  le 
vallon  ,  &  la  pouffa  au-delà  de  la  Maladrerie  3  afin  de  s'ap- 
procher davantage  de  l'ennemi  ,  de  de  l'éloigner  du  retran- 
chement  que  ce  Prince  avoit  réfolu  de  défendre. 

De  la  Maladrerie  par  où  l'ennemi  devoit  faire  fon  atta- 
que ,  on  découvre  deux  plaines  -,  Tune  du  côté  d'un  petit 
bois  qui  s'élève  jufque  fur  le  haut  de  la  colline  3  &  l'autre  du 
côté  de  la  prairie.  Elles  font  fèparées  par  un  chemin  creux, 
plein  de  ravines  &  bordé  de  haïes  fort  hautes.  Enfin  derrière 
cette  Maladrerie  eft  une  autre  prairie  qui  s'étend  depuis  le 
pied  de  la  colline  jufqu'au  retranchement  qu'on  avoit  élevé 
pour  couvrir  le  bourg. 

L'aurore  commen(^oit  à  paroître ,  lorfque  le  Roi  décou- 
vrit les  ennemis.  Auffitôt  il  détacha  huit  cens  arquebufiers, 
qu'il  jctta  dans  la  Maladrerie  ,  &  confia  la  garde  de  la 

D  ij 


i8  HISTOIRE 

nouvelle  tranchée  qu'il  avoir  fait  faire  à  la  hâte  ,  à  deux 
Henri  compagnies  de  Lanfquenets  &  autant  de  Suifïès  avanturiers, 
I  V.  aufquels  il  joignit  quelques  compagnies  d'infanterie  Fran- 
/  îSo,  ^oiie.  EniLiite  il  poftaau-deflbus  de  la  Maladrerie  trois  com- 
pagnies de  Chevaux-légers  commandées  par  Jean  d'Aram- 
bure  ,  de  Lorge  de  Mongommery  ,  ôc  le  capitaine  Fournier , 
ayant  à  leur  tête  le  Grand- Prieur.  Au  cas  qu'ils  fuflent  for- 
cés ils  dévoient  être  loutenus  par  trois  cornettes  de  Gen- 
darmerie que  commandoit  Jacque  Nompar  de  Caumonc 
fieur  de  la  Force ,  Charie  Martel  de  Bacqueville  ,  ôc  de  Gri- 
moville  fieur  de  Larchant.  Un  peu  plus  bas  étoient  poftés 
les  Princes  de  Condé  &  de  Conty  de  la  maifon  de  Bour- 
bon ,avec  leurs  cornettes  de  cavalerie  j  &un  peu  plus  haut, 
Biron  avec  les  compagnies  de  Châtillon  &  de  Maligny  ,  èc 
un  détachement  de  Gentilshommes. 

Jean  Babou  comte  de  Sagonne  qui  commandoit  les 
Chevaux-légers  dans  l'armée  du  Duc  ,  commença  l'attaque 
à  la  tête  de  quatre  cens  maîtres.  Mais  après  une  réiîftance 
alTez  opiniâtre  ,  ils  furent  culbutés  par  les  trois  cornettes  de 
Gendarmerie  dont  je  viens  de  parler  ,  fur  un  gros  de  cava- 
lerie qui  les  fuivoit.  L'aclion  fut  très- vive  en  cet  endroit  j 
&  le  comte  de  Sagonne  y  fut  tué  de  la  main  même  du  Grand- 
Prieur  ,  qui  fembloit  tremper  fes  mains  avec  joye  dans  le 
fang  des  meurtriers  du  feu  Roi  fon  oncle.  Enfuire  les  Roya- 
liftes  ié  rallièrent  ,  6c  firent  une  nouvelle  charge  dans  la- 
quelle ils  percèrent  jufqu'à  la  Cornette- blanche.  Cependant 
Damville  colonel  des  Suiiîes  s'étoit  avancé  à  la  tête  du  ré. 
giment  que  commandoit  le  colonel  Galaty  ,  au-delà  du  re- 
tranchement gardé  par  un  autre  régiment  Suilïe  ,  pour  fa- 
voriier  la  retraite  des  troupes  du  Roi ,  ôc  il  s'en  acquitta  avec 
beaucoup  de  bonheur  de  de  bravoure.  Lui  /èul  loûtint  tout 
l'efFort  des  ennemis ,  tandis  que  les  Royaliftes  ie  rallioient 
ôc  prenoient  haleine  •  &  les  Ligueurs  de  leur  côté  voyant 
la  refolution  des  Suiifes,  &  fe  trouvant  d'ailleurs  expofés 
au  feu  continuel  des  arquebufiers  qut^  Damville avoit  poftés 
le  long  des  haies ,  ôc  à  celui  de  l'artillerie  qui  Iqs  foudroyoit 
du  château  ôc  de  l'autre  bord  de  la  rivière,  ceiFèrent  de 
les  pourfuivre  fî  vivement. 

Dans   une   autre  charge   les  Lanfquenets  du  duc   de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.      29 

Mayenne  ,  foit  qu'ils  euflenc  poufTé  plus  loin  qu'ils  n'au-  '  '  '  '-^^ 
roienc  voulu  j  foie  avec  vue  ,  èc  par  un  defîein  prémédité  H  e  n  k  i 
d'exécuter  ce  qui  arriva  ;  ou  parce  qu'ils  avoient  réellement  I  V. 
réiolu  de  palier  dans  le  parti  du  Roi  ,  s'approchèrent  du  ,  ^q« 
nouveau  retranchement  qu  on  avoir  eleve  a  la  hâte  ,  &; 
firent  figne  qu'ils  fé  rendoient.  Ceux  qui  gardoient  cette 
tranchée  eurent  d'abord  l'imprudence  de  donner  dans  le 
panneau  -,  mais  le  maréchal  de  Biron  qui  vint  fur  ces  entre- 
faites,ôc  qui  ignoroit  ce  qui  s'étoit  pafTéjVOulut  d'abord  fon- 
dre fur  eux  comme  fur  des  troupes  ennemies.  Il  s'arrêta 
cependant  fur  ce  qu'ils  demandèrent  quartier,  ôcafFûrérent 
qu'ils  s'étoient  rendus.  Ils  s'avancèrent  jufqu'au  quartier  du 
Roi  qui  étoit  de  même  tenté  de  les  charger,  lorfqu'ils  pro- 
relièrent  une  troifième  fois  qu'ils  fe  rendoient ,  demandant 
feulement  qu'on  leur  tînt  compte  des  appointemens  qui 
leur  étoient  dûs  par  le  duc  de  Mayenne,  &  que  S.  M.  s'en- 
gageât à  les  payer.  Cette  proportion  arrêta  encore  les  efforts 
du  Roi.  Ce  Prince  les  avoit  renvoyés  à  Biron  pour  régler 
cette  affaire  avec  lui  ,  lorfque  la  cavalerie  ennemie  ayant 
fait  une  charge  nouvelle ,  les  Lanfquenets  fe  joignirent  à 
elle  contre  les  troupes  du  Roi,  êc  fe  faiiirent  du  petit  bois, 
d'où  ils  firent  tomber  une  grêle  de  coups  d'arquebufes  fur 
le  corps  que  Biron  commandoit.  Ce  Maréchal  fut  lui-mê- 
me démonté ,  &  les  RoyaHftes  fe  virent  enfin  obligés  d'a- 
bandonner ce  retranchement,  &  par  coniéquent  la  Mala- 
drerie.  Les  traîtres  dépouillèrent  tout  ce  qu'ils  trouvèrent 
dans  la  tranchée ,  &c  enlevèrent  deux  enfeignes  de  Lanf- 
quenets du  parti  du  Roi  ,  avec  une  autre  de  Suilfes  avan- 
turiers. 

Mais  les  ennemis  n'eurent  pas  long  tems  le  plaifîr  de  fe 
glorifier  d'une  fi  infigne  perfidie.  A  peine  ètoient-ils  les 
maîtres  de  ce  pofle ,  qu'on  vit  arriver  au  fecours  des  trou» 
pes  du  Roi  le  duc  de  Monpenfier  à  la  tête  des  deux 
Cornettes  de  cavalerie,  &  Chatillon  fuivi  d'une  troupe 
fraîche  de  cinq  cens  arquebufîers.  A  leur  approche  les  Li- 
gueurs abandonnèrent  la  Maladrerie  &  le  retranchement  5 
après  quoi  le  Roi  y  fit  conduire  fur  le  champ  quelques 
pièces  de  canon ,  qui  firent  un  ravage  terrible  dans  le  ré- 
giment Suiiîè  ,  &  dans  la  cavalejrie  qui  fermoit  l'arricre- 

D  iij 


3©  HISTOIRE 

garde  des  ennemis.  Il  en  refta  plus  de  quatre  cens  fur  la 
Henri  pl^ce  :  de  ce  nombre  furent,  outre  le  comte  de  Sagonne  , 

I  V.       Jacque  d'Agout  baron  de  Saint  André  frère  du  feu  comte 
Q         de  Sault ,  Claude  du  Châteiet  fîeur  de  Duiily  gentilhomme 

^  ^*  Lorrain  Ènfeigne  de  la  compagnie  du  marquis  de  Pont  à 
Moulfon  ,  6c  piufieurs  autres  Officiers.  François  de  Faudoas, 
dit  d'Averton  ,  fîeur  de  Belin  &  de  Sérillac  Maréchal  de 
Camp ,  fut  fait  prifonnier  avec  Louis  de  Beauvau  fîeur  de 
Tremblecour.  Le  Roi  au  contraire  perdit  fort  peu  de  monde 
à  cette  adion.  Jofîas  de  la  Rochefoucault  comte  de  Roulîy, 
jeune  Seigneur  ,  qui  ne  fe  diftinguoit  pas  moins  par  fa  va- 
leur &  par  fon  efprit ,  que  par  l'éclat  de  fa  naiflànce  ,  y 
perdit  la  vie  j  de  l'Archant  avec  Charle  Martel  de  Bacque- 
viile  y  fut  blelTé  dangereufement ,  ôc  ce  dernier  en  mourut 
peu  de  tems  après  j  enfin  Hercule  de  Rohan  comte  de  Ro- 
chefort  frère  du  duc  de  Monbazon  qui  combattoit  à  côté 
du  Roi ,  &  Jacque  de  Beauvau  fîeur  de  Rivau  furent  lâ- 
chement faits  prifonniers  par  les  Lanfquenets  dans  le  tems 
qu'on  crut  qu'ils  s'étoient  rendus. 

Les  Ligueurs  s'attachant  moins  â  la  vérité  des  faits,  qu'à 
ce  qui  pouvoit  leur  concilier  la  faveur  du  peuple ,  firent  une 
relation  toute  différente  de  cet  événement.  Ils  publièrent 
que  dans  une  charge  il  étoit  refté  plus  de  cinq  cens  hom- 
mes des  troupes  du  Roi  fur  la  place,  &que  les  SuifTes  aufîî 
bien  que  les  Allemands  qui  fervoient  dans  l'armée  du  Roi, 
avoient  été  fî  conffcernès  d'une  fi  grande  défaite  ,  que  fix 
compagnies  SuifTes  &;  deux  Allemandes,  entre  autres  celle 
de  Strafbourg  ,  avoient  abandonné  leurs  enfeignes  aux  vain- 
queurs •  que  c'étoit  dans  le  tems  que  les  fîeurs  de  Belin  èc 
de  Tremblecour  traitoient  avec  eux,  que  ces  deux  Officiers 
avoient  été  faits  prifonniers  par  un  gros  de  Royah'ftes  qui 
les  avoir  chargés  alors  j  &  que  le  maréchal  de  Biron  qu'ils 
difoient  fauflement  avoir  été  pris  par  les  troupes  de  leur 
parti ,  avoir  profité  de  cette  occafîon  pour  s'échaper  de  leurs 
mains.  Ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'efl:  qiie  le  Roi  refta  maître 
du  champ  de  bataille  j  que  le  duc  de  Mayenne ,  quoique 
beaucoup  fupèrieuren  forces  ,  fut  battu  6c  mis  en  fuite  dans 
toute  les  occalîons  ^  &  que  n'ofant  plus  faire  tête  à  la  for- 
tune  du    Roi  toujours  vidorieufe  ,  il  fe  garda   bien  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIT.       31 

rifquer  dans  la  fuite  d'en  venir  aux  mains  avec  lui. ■ 

Après  cette  adion  ,  deux  jours  fe  palTérenc  aflez  tran-  Henri 
quiliement  ^  enfin  le  vingt-quatre  qui  écoit  un  Dimanche,  I  V. 
le  duc  de  Mayenne  décampant  à  petit  bruit  fit  le  tour  du  t  ^q« 
coteau  J  &  au  bout  de  trois  jours  de  marche  alla  cam-  Rcna.re 
per  fur  le  coté  oppofé  de  la  colline  ,  entre  Arques  6c  la  ''"  '^  '^  ^= 
ville  de  Dieppe.  Le  Roi  informé  de  ce  mouvemenc  ,  ^>'^""'^- 
après  avoir  lailfe  dan5  Arques  la  Garde  l'un  des  Meftres 
de  Camp  ,  avec  une  partie  de  fon  régiment  ,  marcha 
vers  Dieppe  à  la  tête  de  toute  fon  armée.  Il  en  logea  une 
partie  dans  les  villages  voifins  de  cette  ville.  Pour  lui ,  il 
alla  camper  dans  les  fauxbourgs  avec  le  refte  j  &  fe  fai- 
iît  d'une  éminence  qui  n'étoit  pas  éloignée  de  plus  de  quatre 
cens  pas  des  ennemis  ^  en  forte  qu'il  etoit  difficile  de  déci- 
der qui  étoient  les  affiégeans  ou  les  afliégés.  En  efFet  les 
Ligueurs,  quoique  beaucoup  fupérieurs  en  forces ,  fe  tenoienc 
en  fîience  &  dans  l'inaction  derrière  leurs  retranchemcns  y 
tandis  que  les  troupes  du  Roi  qui  ,  félon  toutes  \qs  appa- 
rences ,  dévoient  être  les  affiégés  alloient  les  infulter  juf. 
que  dans  leur  camp  par  de  fréquentes  efcarmouches.  En- 
fin les  ennemis  ayant  fait  une  courfe  du  côté  d'Arqués  , 
furent  repoufiés  avec  perte  par  la  Garde  qui  leur  tua  plus 
de  cent  hommes.  Ils  élevèrent  enfuite  une  batterie  de  huit 
pièces  ,  &  tirèrent  quelques  volées  de  canon  contre  les  mai- 
ions  qui  étoient  à  l'entrée  du  faubourg.  Mais  comme  elles 
fe  trouvoient  hors  de  portée ,  les  boulets  n'enlevèrent  que 
quelques  tuiles.  Le  Roi  de  fon  côté  fit  dreflér  une  contre- 
batterie  ,  qui  des  premiers  coups  démonta  une  de  leurs 
pièces  j  ce  qui  les  obligea  à  retirer  leur  canon  ,  crainte  de 
pire.  Enfin  ce  Prince  fit  avancer  à  mille  pas  de  difbance  de 
fes  retranchemens  deux  grofles  pièces  d'artillerie,  qui  firent 
un  fi  grand  ravage  dans  un  corps  avancé  de  cavalerie  qui 
ëtoit  pofté  de  ce  côté-lâ,  que  le  duc  de  Mayenne  fe  rè- 
folut  enfin  de  faire  retraite  j  ce  qu'il  exécuta  le  cinq  d'Oc- 
tobre. 

Tandis  que  l'ennemi  empioyoit  la  force  ouverte  contre     '^"^^  ^« 
le  parti  du  Roi,  le  parlement  de  Roiien  mettoit  fon  auto-  Roucîî^cn^'fa! 
rite  en  ufage  pour  le  décréditer  dans  la  Province.  Il  rendit  ▼nir  de  Ja 
le  vingt -trois  de  Septembre  un  Arrêt  qui  fupprimoit  les  ^'S«^' 


32  HISTOIRE 

»f^^i,^.,^i-_  Charges  des  officiers  du  Parlement  ,  de  la  Chambre  des 
Henri  Comptes ,  de  la  Cour  des  Aydes ,  ôc  du  Bureau  des  Tréfo- 
I  V.  riers  de  France  qui  s'ëtoient  retirés  à  Caën  ,  au  Pont  de 
j  rgg^  l'Arche,  à  Dieppe  ,  &  au  Ponteaudemer  j  caflbit  tous  les 
Arrêts  rendus  contre  la  NoblelTe  qui  étoit  au  fervice  de  la 
fainte  Union  ^  enjoignoit  à  tous  les  Peuples  du  reffbrt  d'ob- 
ferver  l'édit  du  duc  de  Mayenne  du  cinq  Août^  declaroic 
les  rëfradaires  coupables  de  leze-Majefté  divine  &;  humaine, 
ennemis  de  Dieu  ôc  de  l'Etat  ,  déchus  ,  eux ,  &;  leurs  def- 
cendans ,  de  tous  leurs  droits  ,  privilèges ,  nublefîe  ôc  di- 
gnités ,  6c  confifquoit  tous  leurs  biens  ^  ordonnoit  à  tous 
ceux  qui  étoient  en  état  de  porter  les  armes  ,  de  joindre 
l'armée  pour  travailler  à  la  défenfe  de  la  religion  Catho- 
lique ,  Apoftolique  ôc  Romaine  3  &;  enjoignoit  aux  Vicomtes 
dedrefler  une  lille  de  tous  ceux  qui  refteroient  chez  eux  , 
après  la  publication  de  cet  Arrêt ,  afin  d'agir  contre  eux  fui- 
vant  toute  la  rigueur  des  loix ,  comme  contre  des  rebelles, 
de  des  dcferteurs  de  la  bonne  caufe. 

Sur  ces  entrefaites  arrivèrent  à  Dieppe  quatre  mille  An- 
glois  envoyés  par  la  reine  EHfabeth  ,  &  commandés  par 
Roger  Williams.  Ce  fecours  avoit  été  précédé  par  Edouard 
comte  de  StafFord  qui  s'étoit  rendu  au  camp  du  Roi ,  où 
il  avoit  amené  fort  à  propos  des  vivres  &  de  l'argent.  Ce- 
pendant le  duc  de  Mayenne  après  avoir  évité  la  rencontre 
du  comte  de  SoifTons  ,  du  duc  de  Longueville,  &  du  maré- 
chal d'Aumont,qui  s'étoient  réunis  pour  marcher  au  fecours 
du  Roi ,  s'avan(ja  du  côté  de  la  Somme. 
Attaque  des  Le  Roi  ayant  laifTé  dans  Dieppe  le  maréchal  de  Bi- 
fnuxbourg?.  ^j|^  ^  l^  ^^^^   ^>^^^    détachement  recevoir   les  fe- 

dc  Pans.  '  .  i      i-^  a  /-rr 

cours  qu'on  lui  amenoit  3  oc  avant  que  le  Duc  eut  palle 
la  Somme ,  il  reprit  fous  fes  yeux  la  ville  d'Eu  ,  &  le  châ- 
teau de  Gamaches  fitué  fur  la  rivière  d'Epte.  De-là  après 
être  retourné  à  Dieppe  ,  où  il  refta  quelques  jours  pour 
donner  à  {qs  troupes  le  tems  de  fe  rafraichir ,  il  en  partie 
le  vingt-un  d'Odobre.  Ce  Prince  avoit  eu  avis  que  le  duc 
de  Mayenne  ne  marchoitdu  côté  de  la  frontière,  que  dans 
le  delfein  de  livrer  au  prince  de  Parme  en  nantiffement  quel- 
ques villes  de  Picardie.  Ainfî  pour  rompre  fa  marche,  &le 
détourner  d'un  projet  fi  pernicieux  à  la  France ,  il  s'avança 

du 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVII.       35 

du  côté  de  Paris.  Ilpafla  donc  la  Seine  à  Meulan  ^  &  étant        ■  ■ ■ 

arrivé  à  Bagneux  fur  la  fin  du  mois,  il  logea  (es  troupes  He  nri 
dans  Mont-rouge  ,  Genrilly,  IfTi ,  6c  Vaugirard  ,  villages  voi-       I  V. 
fins  de  la  Capitale.  Enfuite  il  alla,  fuivi  des  Officiers  gêné-     i  çgo» 
raux  de  Ton  armée,  reconnoître  en  perfonne  le  retranche- 
ment qu'on  avoit  tiré  à  la  tèze  des  fauxbourgs  j  ôc  réfoluc 
de  les  attaquer  le  lendemin  premier  de  Novembre. 

Voici  l'ordre  qu'il  obfèrva  â  cette  attaque.  Le  maréchal 
de  Biron  fut  chargé  de  donner  du  côté  des  fauxbourgs 
S.  Vidor  &  S.  Marceau.  Il  avoit  pour  féconds  Charlc  de 
Biron  fon  fils  6c  de  Guitry  j  6c  étoit  fuivi  de  quatre  mille 
Anglois,  de  deux  régimens  d'infanterie  Fran(^oife  ,  6c  d'un 
régiment  SuilTe,  Le  maréchal  d'Aumont  eut  le  comman- 
dement du  fécond  corps  compofé  de  quatre  régimens  d'in- 
fanterie Francoife  ,  de  deux  régimens  SuiiTes  commandés 
par  Damville,  6c  de  quatre  compagnies  d'Avanturiers.  Le 
Roi  lui  avoit  auiîî  donné  pour  féconds  Roger  de  Sanlary 
de  Beliegarde  Grand  Ecuyer  ,  6c  François  de  la  Tugîe  de 
Rieux  Maréchal  de  Camp.  Il  y  avoit  aufli  plufieurs  Sd- 
gneurs  dans  ce  Corps  3  6c  il  eut  ordre  de  marcher  contre 
les  fauxbourgs  S.  Jacque  6c  S.  Michel.  Enfin  la  Noiie  de 
Chatillon  furent  commandés  pour  conduire  l'attaque  du 
faubourg  S.  Germain ,  du  côté  des  portes  de  Nèfle  6c  de 
Bufly  ,  à  la  tête  de  dix  régimens  d'infanterie  Francoife  , 
d'un  régiment  Allemand  dont  Théodoric  Schomberg  étoic 
Colonel ,  6c  d'un  régiment  SuifTe.  Chaque  corps  étoic  fuivi 
de  deux  pièces  de  canon  ,  de  deux  coulevrines ,  6c  d'un  dé- 
tachemenc  de  Gentilshommes  qui  fervoient  comme  un  corps 
de  réferve  ,  6c  qui  dans  les  accidens  imprévus  dévoient  com- 
battre à  pied  avec  les  autres  troupes.  Le  Roi  partagea  de 
même  fa  cavalerie  en  trois  Corps  3  garda  pour  lui  le  com- 
mandement du  plus  nombreux  ;  6c  mit  à  la  tête  des  deux 
autres  le  comte  de  SoiiFons ,  6c  le  duc  de  Longuevile. 

L'attaque  commença  avant  le  jour,  de  dura  jufqu'après 
le  lever  du  foleil  par  un  brouillard  fort  épais.  La  réfiftance 
ce  fut  pas  grande  j  de  dans  une  heure  de  tems  Iqs  Roya- 
lifles  emportèrent  les  fauxbourgs ,  fans  avoir  fait  une  grande 
perte.  Du  nombre  des  morts  fut  Gédeon  de  Vienne  fils  de 
Claude-Antoine  de  CIervant,dont  j'ai  fôuvçnt  parlé.  C'étoic 
Tûme  XI,  E 


54  HISTOIRE 

un  jeune  homme  qui  promettoit  beaucoup.  Du  côté  des 
Henri  PariHens  au  contraire  il  refta  plus  de  huit  cens  hommes 
I  V.       fur  la  place  j  on  fit  grand  nombre  de  priionnicrs,  &.  de  ce 
jîSo.     nombre  fut  Edme  Bourgoin  prieur  des  Jacobins,  convain- 
cu d'avoir  pluficurs  fois  depuis  la  mort  du  feu  Roi  lait  l'a- 
pologie de  ce  parricide  5  on  le  prit  combattant  armé  d'une 
cuiralFe. 

Le  carnage  fut  beaucoup  plus  grand  au  faubourg  S= 
Germain  où  l'aclion  fut  très^vive.  Au  leul  carrefour  de  la 
rue  de  Tournon  ,  on  compta  plus  de  trois  cens  morts  en- 
taflës  les  uns  fur  les  autres  j  ëc  la  confternation  des  Pari- 
jîens  fut  il  grande  ,  que  iî  on  eût  fait  plutôt  avancer  le 
canon  pour  rompre  les  portes  de  la  ville  ,  avant  que  les 
ennemis  euffent  eu  le  tems  de  les  fortifier  en  dedans ,  le 
Roi  auroit  pu  fe  rendre  ce  jour-là  maître  de  Paris.  Dans 
la  chaleur  du  combat  la  Noue  ayant  percé  jufqu'à  la  porte 
de  Nèfle  ,  defcendit  dans  la  Seine  ,  fuivi  de  lés  gens ,  au 
pied  de  la  tour  bâtie  dans  cet  endroit ,  où  Teau  etoit  bafle, 
ëc  après  plufieurs  ordres  réitérés ,  le  Roi  eut  beaucoup  de 
peine  à  l'empêcher  d'entrer  dans  la  ville.  Ceux  des  affiégés 
qui  purent  échapper  à  l'épée  du  vainqueur  ,  fe  réfugièrent 
à  l'Abbaye  de  S.  Germain,  comme  dans  un  afile  afîùré  ,  èC 
après  y  avoir  tenu  tout  le  jour,  ils  le  rendirent  enfin  fur  le 
ioir.  Cependant  on  abandonna  les  fauxbourgs  au  pillage  ^ 
mais  dans  le  défordre  qui  fuit  toujours  cette  licence  ,  le  Roi 
eut  foin  qu'on  ne  touchât  point  aux  Eglifes  ,  6i  que  dans 
la  folemnité  du  jour  on  ne  troublât  point  le  fervice  divin , 
auquel  plufieurs  Seigneurs  affiflérent  avec  autant  de  tran.. 
quillité ,  que  fi  on  eût  été  dans  la  paix  la  plus  profonde. 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  qui  marchoit  vers  la  fron- 
tière ,  afin  de  prendre  avec  les  Eipagnols  des  mefures  pour 
la  fuite  de  cette  guerre  ,  n'eut  pas  plutôt  avis  du  defîein  du 
Roi ,  qu'il  jugea  à  propos  de  revenir  fur  les  pas  au  plus  vite, 
de  peur  que  fon  abfence  ne  causât  quelque  défordre  dans 
Paris.  Henri  de  fon  côté  s'étoit  bien  douté  qu'il  prendroit 
ce  parti.  Auffi  avant  que  de  tenter  l'attaque  des  fauxbourgs, 
il  avoit  envoyé  ordre  à  Guillaume  de  Monmorency  de 
Thoré  qui  étoit  à  Senlis  ,  de  jetter  des  troupes  dans 
Ponc  S.  Mexent  ,  où  le  Duc  à  fon  retour  devoit  palTer  la 


I 

DE  J.  A.  DE  THOU,  Lit.   XCVII.     35 

rîvîére  d'Oife ,  &  de  l'y  arrêter  quelques  jours.  Mais  comme  '■ 

Thoré  ëcoic  au  lie  malade  ,  ceux  qu'il  chargea  de  cette  Henri 
commiffion  furent  fî  nëgligens  à  s'en  acquitter  ,  que  le  Duc       V I. 
pafla  fans  rencontrer  aucun  obftacle  5   ôc  le  lendemain  de     i  5  8  q. 
la  prife   des  fauxbourgs  entra  dans  Paris  par  le  côté  op- 
pofé. 

Aulîitôt  que  le  Roi  fut  informé  de  cette  nouvelle,  il 
comprit  qu'il  n'y  avoir  plus  moyen  d'attaquer  la  Capitale, 
fans  Texpofer  à  une  ruine  infaillible  j  ce  qu'il  vouloir  évi- 
ter. Il  la  tint  eh  refped  encore  tout  le  jour  ,  6c  le  lende-- 
main  de  l'arrivée  du  Duc  il  décampa.  Cependant  il  refta 
encore  quelque  tems  en  bataille  à  la  vue  de  Paris  ,  pour 
voir  {1  les  Parifiens  feroient  d'humeur  à  en  venir  aux  mains. 
Enfin  l'ennemi  n'ofant  paroître ,  il  fe  mit  en  marche  fur  le 
midi ,  &  alla  loger  à  Montlehery. 

Le  carnage  avoit  été  grand  à  la  prife  des  fauxbourgs  ; 
&  on  y  avoit  fait  grand  nombre  de  prifonniers  qui  ap, 
préhendant  pour  leur  vie  avoient  payé  de  grofles  rançons, 
pour  obtenir  qu'on  les  relâchât.  Paris  retentilToit  des  cris  que 
poufToient  les  femmes  des  uns  &  des  autres.  Ainfi  pour 
donner  quelque  efpéce  de  fatisfadion  à  cette  multitude  éplo- 
rée,  il  parut  le  vingt  de  Novembre  un  édit  du  Confeil  de 
l'Union ,  par  lequel  il  étoit  ordonné  qu'on  nommeroit  des 
Commiffaires  ponr  dreffer  un  mémoire  exact  de  tous  ceux 
qui  avoient  été  faits  prifonniers  à  l'attaque  des  fauxbourgs, 
bc  des  rançons  qu'ils  avoient  payées,  avec  une  lifte  de  tous 
ceux  qui  avoient  été  tués  en  cette  occafîon  j  leur  permet- 
tant de  faire  la  recherche  de  tous  les  biens  des  hérétiques, 
ou  de  leurs  fauteurs  qui  n'avoient  point  été  confifqués  juf- 
qu'alors,  &  de  les  vendre  à  l'encan,  pour  dédommager  les 
compiaignans  de  la  perte  qu'ils  avoient  foufFerte.  Mais  l'il- 
lufîon  de  ce  règlement  étoit  manifefte  :  il  n'y  avoit  dans 
les  maifons  des  particuliers ,  ni  coin ,  ni  recoin  ,  où  les  feize 
n'cufTent  fouillé  5  en  forte  que  les  malheureux  intéreffés 
eurent  tout  lieu  de  croire ,  que  cette  nouvelle  ordonnance 
n'étoit  imaginée  que  pour  les  amufer. 

Au  refte  les  Parifiens  furent  d'autant  plus  confternés  de 
cet  accident,  que  fur  les  nouvelles  que  Madame  de  Mon- 
penfier  avoit  eu  foin  de  répandre ,  ils  s'étoient  fiâtes  quelque 

E  ij 


5^  HISTOIRE 

!;  rems  auparavant  d'un  fuccès  tout  diflPerent.  Il  arrivok  a 

11  •  ^       "Tï  *  •  *  1 


î;8c,. 


Henri  toute  heure  des  couriers  à  Paris  ,  qui  annonçoient  que  le 
I  V.  Roi  étoit  aiîiégé  dans  Dieppe  ^  qu'il  ëtoit  pris  -,  qu'on  l'al- 
loit  inceflamment  voir  arriver  lié  &  garotté.  Ce  mil  érable 
peuple  trompé  parles  émiflaires  de  la  Ligue  étoit  affèz  extra- 
vagant pour  s'imaginer  que  ce  Prince  ne  pouvoit  abfolu- 
ment  pas  échaper  au  duc  de  Mayenne.  Déjà  une  multitude 
de  femmes  également  oifives  &  crédules  ,  avoient  eu  foin 
de  retenir  des  fenêtres  qu'elles  louoient  fort  cher  ,  &  qu'elles 
avoient  parées  magnifiquement  pour  voir  paffer  ce  triomphe 
chimérique  dont  leur  folle  efpérance  leur  avoit  fait  faire 
tous  les  préparatifs  avant  la  vidoire.  Ce  qui  avoit  encore 
fervi  à  augmenter  l'efpoir  des  Pariiîens,  c'eft  que  le  duc  de 
Mayenne  leur  avoit  envoyé  les  trois  drapeaux  qui,  comme 
je  l'ai  rapporté  ,  avoient  été  enlevés  par  les  Lanfquenets, 
Pour  donner  plus  de  luftre  à  la  prétendue  vidoire ,  Ma- 
dame de  Monpenfier  n'avoit  pas  manqué  d'en  augmenter 
le  nombre  avec  fon  impudence  accoutumée  ,  èc  elle  y  en 
avoit  joint  onze  autres  avec  iix  étendarts  qu'elle  avoit  ti- 
rés de  fon  coffre  à  fon  ordinaire. 

Dans  le  même  tems  on  débitoit  mille  nouvelles  des  heu- 
reux fuccès  de  la  fainte  Union  ,  les  unes  vraies  ,  d'autres 
qui  avoient  quelque  fondement ,  ôc  plufieurs  aulîî  abfolu- 
ment  fauiïes.  On  publioît  que  Henri  Gouffier  de  Bonnivet, 
après  avoir  perfécuté  le  parti  dans  le  Beauvoilîs  ,  avoit 
été  forcé  par  Florimondd'Hallewin  ,  marquis  de  Pienne  de 
fe  jetter  dans  Breteuil ,  bourg  fameux  par  une  ancienne 
Abbaye  qui  porte  ce  nom  3  que  s'érant  réfugié  dans  un 
grenier  ,  après  s'y  erre  défendu  pendant  quelque  tems  avec 
la  dernière  opiniâtreté ,  fécondé  de  ceux  qui  l'avoient  fui- 
vi ,  on  avoit  enfin  mis  le  feu  au  foin  •  ce  qui  l'avoit  obligé 
de  fe  rendre  à  demi  mort  j  que  cependant  les  Ligueurs 
n'avoient  pas  laifTé  de  le  tuer ,  &c  que  de  Pienne  lui. même 
avoit  porté  fa  tête  à  Beauvais  au  bout  d'une  pique ,  pour 
fervir  de  fpedacle  au  peuple  de  cette  ville  qui  haïlloit 
mortellement  Bonnivet.  En  racontant  ce  fait  ,  les  prédica- 
teurs ne  manquoient  pas  de  donner  les  éloges  les  plus  ma- 
gnifiques à  cette  adion  du  Marquis ,  qu'ils  regardoient  com- 
me la  preuve  la  plus  fignalée  d'un  vrai  zélé  pour  le  parti  ^ 


a*MMMBih^*( 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        37 

parce  que  de  Pienne  étant  proche  parent  de  Bonnivet ,  puif- 

que  leurs  pères  étoient  frcres  de  mère,  l'amour  delà  Reli-  Hen  îli 

gion  l'avoic  alors  emporté ,  difoient  ils ,  fur  les  fentimens  de        I  V. 

la  nature.  1^89 

Il  faut  avouer  que  la  nouvelle  étoit  véritable  j  mais  on 
ajoûtoit  faulTement  que  le  comte  de  Soiflons  ,  le  duc  de 
Longueville  èc  de  la  Nolie  qui  menoient  dufecours  au  Roi, 
avoient  été  défaits  en  chemin  par  le  duc  de  Nemours  :  Qiie 
ce  Duc  avoit  taille  en  pièces  deux  régimens  d'infanterie 
fur  la  fin  de  Septembre  :  Que  le  chevalier  d'Aumale  s'étoîc 
rendu  maître  d'un  grand  vaifleau  Anglois  qui  portoic  des 
troupes  à  Dieppe ,  avec  des  vivres  èc  de  l'argent  en  abon- 
dance: Que  le  comte  de  BriiTac  avoit  démonté  &;  défarmé 
un  corps  de  Reîtres  à  Conarrc  dans  le  Maine  3  enfin  que 
d'Ampus  avoit  enlevé  en  Provence  les  fecours  que  le  duc 
de  Monmorency  gouverneur  du  Languedoc  envoyoit  à  la 
Vallette.  Aulli  eft-il  vrai  que  dans  ces  commencemens  les 
fuccès  étoient  allez  partagés. 

François  de  la  Grange  fieur  deMontigny  qui  comman-  HofWkésen 
doit  en  Berry  au  nom  du   Roi  ,  avoit   fait   jufqu'alors   la  Berry&en 
guerre  aflez  heurculement.  Sur  la  fin  de  Juillet  le  fieur  de  ^'^^"^P^S"^' 
Gamache  ,  fécondé   de   quelques  habitans  d'IlToudun  qui 
étoient  dans  le  parti  du  Roi ,  avoit  furpris  cette  ville,  qu'on 
regarde  comme  la  Capitale  du  haut  Berry.  De  Matefelon 
qui  y  commandoit  fous  les  ordres  delà  Châtre  gouverneur 
de  toute  la  Province ,  y  avoit  été  dangereufement  bleiïé  èc 
fait  prifonnier.  Pour  profiter  de  ces  avantages,  Gamaches 
après  avoir  fait  fur  Vierzon  une  tentative  qui  ne  lui  rèùlîic 

Eas,  parce  qu'il  manquoit  de  canon,  marcha  contre  l'Ab- 
aye  de  la  Prée  ,  que  le  feu  Roi  lui  avoit  donnée  autre- 
fois. 

Ce  poUe  qui  n'ell  qu'à  deux  lieues  d'Iiïbudun ,  efl  dans 
une  fituâtion  avantageùfe ,  6c  fe  trouvoit  alors  défendu  par 
une  garnifon  commandée  par  Vaverille.  Gamaches  s'y  ren- 
dit à  la  tête  de  cent  chevaux ,  &  de  deux  cens  arquebufiers, 
fuivi  de  Florimond  du  Puy  de  Vatan  le  cadet  ,  &:  de 
Louis  Gaucour  j  ôc  il  fepréparoità  l'attaquer,  lorfque  Jean 
de  Neuvy  le  Barois  qui  commandoit  dans  la  Province  peru 
dant  l'abfence  de  la  Châtre ,  s'étant  fait  joindre  par  ks  gar- 

E  fij 


3g  HISTOIRE 

nifons  de  Meuii  fur  Yeure  ,  ôc  des  autres  places  voîfines, 

Henri  s'avança  à  S.  Florent.  De- là  après  avoir  renforcé  fa  troupe 
I  V.      ^s  cinquante  cavaliers  Albanois   commandés  par  le  capî- 
o        taine  Louis,  il   marcha  vers  l'Abbaye  ^    livra  bataille   à 
^*    Gamaches  qu'il  tailla  en  pièces,  ôc  le  fit  luLmême  pn'fon- 
nier.  Gancour  fut  bleffé  à  mort  dans  cette  adion  j  Se  les 
ennemis  firent  outre  cela  grand  nombre  de  prifbnniers  qui 
•furent  conduits  à  Bourges.   Ce  combat  au  refte  futtrès- 
fanglant  :  les  ennemis  y  perdirent  de  Mefneuf  qui  y  re<^uc 
une  blefTîire  mortelle ,  ôc   quelques  Albanois.  Cette  adion 
fe  pafTa  le  trois  d'Août. 

Sur  ces  entrefaites  Jean  Louis  de  la  Rochefoucauld  comte 
de  Randan  gouverneur  d'Auvergne  ,  qui  à  la  foUicitatîon 
de  Fulvia  Pic  fa  mère  ,  6c  de  François  de  la  Rochefou- 
cauld évêque  de  Clermont  fon  frère  ,  tenoic  dans  cette  Pro- 
vince pour  le  parti  de  la  Ligue ,  écrivit  de  Riom  après  la 
mort  du  feu  Roi ,  àes  lettres  dattées  du  cinq  d'Août ,  dc 
adreflees  à  toutes  les  villes  qui  étoient  reliées  fïdéies  au  Roi, 
Il  les  exhortoit  très-vivement  à  s'engager  dans  la  fainte 
Union  que  toutes  les  autres  villes  du  Royaume  avoiencem- 
brafTée  pour  le  maintien  de  la  Religion  Catholique,  Apofto- 
iique  &  Romaine  en  France. 

D'un  autre  côté  il  y  eut  quelques  adions  alTez  vives  en 
Champagne ,  Antoine  de  Saint  Paul  à  la  tête  de  fes  trou- 
pes ,  Se  de  celles  du  duc  de  Lorraine  étant  allé  camper 
entre  Efpernay  &  Chalons  pour  couvrir  ceux  de  Reims  qui 
faifoient  leurs  vendanges  ,  en  quoi  confident  toutes  leurs 
richeffes  j  Robert  de  ]oyeufe  comte  de  Grandpré  eut  avis, 
que  la  garnifon  de  Vitry-le-François  commandée  par  He- 
douville,  &  fortifiée  de  quelques  petites  pièces  de  cam- 
pagne ,  étoit  allée  faire  le  fiége  de  Vitry-le-Brûlé ,  oti  le 
maréchal  d'Aumont  n'avoit  lailfé  qu'une  garnifon  très-foî- 
ble.  Sur  cette  nouvelle  ,  le  Comte  marcha  au  fecours  des 
affîèsès ,  fuivi  de  Claude  Tourteron  fon  frère  ,  des  fîeurs 
d'Eté ,  d'Apremont  de  Vendy  ,  de  Vaubecourt ,  de  Neten- 
court,  de  Louppe ,  de  la  Tour,  &  de  quelques  autres  qu'il 
avoir  fait  venir  de  Sedan  ^  attaqua  l'ennemi  au  moment  qu'il 
s'y  attendoit  le  moins ,  &  le  mit  en  déroute. 

Peu  de  tems  après  ^Charie  deRoulIy  baron  de  Termes 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.       3^ 

vint  le  joindre  avec  fon  régiment  ^  èc  Je  capitaine  Saint-  "» 

Paul  rélolu  de  venger  la  mort  de  les  gens  s'etant  prcfenté  H  e  n  k  i 
à  la  tête  de  quinze  cens  hommes  de  pied ,  &   de   quatre      I  V. 
cens  chevaux,  le  Comte  dont  le  grand  cœur  ne  refuibit  ja-     1589^^ 
mais  aucune  occafion  de  fe  fignaler ,   après   avoir  ruiné  le 
château  de  Vitry-le- brûlé,  alla  à  la  rencontre  de  l'ennemi 
avec  un  nombre  de  troupes  à  peu  près  égal ,  &  ie  mJt  en 
bataille  dans  la  vafte  plaine  qui  s'étend  entre  Vitry  &  faine 
Amand.  Le  combat  dura  depuis  une  heure  après  midi  juf- 
qu'au  foir  avec  la  dernière  opiniâtreté ,  ians  qu'aucun  des 
deux  partis  put   s'attribuer  l'avantage.  Cependant  les  prin- 
cipaux Officiers  du  parti  du  Roi  y  furent ,  ou  bleffés  dange- 
reufement ,  ou  faits  prifonniers.  Le  comte  de  Grandr"é  per^ 
ce  de  dix  huit  coups  fut  porté  à  Châlons ,  où  il  me  peit 

de  jours  après.  Les  (leurs  de  Tourteron ,  de  Vouy ,  de  Ne- 
tencour,  &  de  Bolandre,  dont  le  frère  périt  dans  cette 
adion  ,  furent  pris.  Cette  bataille  fe  donna  le  8 .  d'Octobre, 
Le  baron  de  Termes  s'étoit  réfugié  dans  un  village  voifîn 
avec  fon  régiment ,  qui  n'étoit  prefque  point  endommagé 
réfolu  d'en  revenir  aux  mains  dès  le  lendemain.  Mais  Saint 
Paul  qui  appréhenda  qu'on  ne  lui  envoyât  du  fecours  de 
Châlons,  ce  qui  arriva  en  efFet ,  fit  venir  aufiîtôt  du  canon 
de  faint  Dizier ,  dans  le  delTdn  de  forcer  le  Baron  dans  ce 
pofte  qui  étoit  très-foible ,  avant  qu'il  fût  venu  de  nou- 
velles forces.  Cependant  quelque  diligence  qu'il  fit  il  ne  put 
empêcher  que  Joachim  de  Dinteville  &  Philippe  Thoaiaf- 
iîn  ne  lui  amenaiïënt  des  troupes  fraîches.  Alors  il  leva  le 
iîége  ',  &  ie  Baron  rentra  heureufement  dans  Châlons  avec 
fon  artillerie.  Ce  fuccès  afFoiblit  le  parti  du  Roi  dans  cette 
province  j  &;  les  ennemis  fe  remirent  auflitôt  après  en  pojt 
ielTion  de  VitryJe-brûlé. 

Dans  le  même  mois  on  furprit  la  Fére  en  Vermandois, 
où  commandoit  Antoine  d'Eftrée  avec  une  garnifon  très- 
foible.  Michel  de  Gouy  d'Arfy  avoit  été  dix  ans  au- 
paravant gouverneur  de  cette  place  dans  le  tems  qu'elle  fut 
prife  par  le  prince  de  Condé.  Il  en  connoifîbit  toutes  les 
avenues,  &:  avoir  outre  cela  quelques  intelligences  fecretes 
dans  la  ville.  Il  communiqua  Ion  delîèin  à  un  Eccléfiaftique  , 
èc  ils  convinrent  qu'il  feroit  reçu  dans  la  place  par  un 


'40  HISTOIRE 

f  endroit  voîfîn  du  château  où  d'Arfy  avoit  remarqué  qu*on  ne 


H  £  N  K  I  faifoit  pas  la  garde  fort  éxadement.   Enfuite  il  donna  avis 
I  V.       de  ce  quifepaflbit  àFlorimondd'Hallewin  marquis  de  Mei- 

I  îSo.  E^'^^^^y  •>  ^^^  ^^^^^  ^^^  d'avoir  trempé  Tes  mains  dans  le  fang 
de  Ton  coufm  de  Bonnivet  faifoit  le  dégât  avec  fon  régi- 
ment dans  route  la  Picardie.  Aulîitôt  le  Marquis  fe  mie 
en  devoir  de  profiter  de  cette  occafion  :  il  partit  fuivi 
de  Bouchavannes,  de  Mévilliers  ,  de  Brouilly,  &  de  quel- 
ques gentilhommes  en  petit  nombre  qui  avoient  embrafTé 
fon  parti.  Le  i6.  d'OAobre  les  échelles  furent  appliquées 
à  la  muraille  fur  les  cinq  heures  du  matin  ,  fans  que  la  gar- 
nifon  ni  \qs  habitans  eufîènt  aucun  avis  de  ce  qui  fe  paflbit  j 
le  Marquis  entra  ainfi  dans  la  ville  dont  il  fe  rendit  maître 
ians  obftacle  ,  &c  prefque  fans  tirer  l'épée  3  ôc  fit  prifon- 
niers  les  fîeurs  d'EÎtrée  6c  de  Soyecourt,  avec  les  enfansdu 
comte  de  Schomberg  qui  n'étoient  pas  encore  en  état  de 
porter  les  armes. 

Les  ennemis  trouvèrent  dans  cette  place  des  tapifTerîes 
&  des  houfles  de  prix  en  quantité  -,  beaucoup  de  vaiffelle 
d'or  Se  d'argent  ,  &  de  pierreries  que  les  Seigneurs  de  la 
province,  qui  font  les  gentilshommes  de  France  les  plus 
riches  en  ameublemens ,  &  piufîeurs  autres  de  différens  en- 
droits du  Royaume,  avoient  retirées  dans  cette  ville  con% 
me  dans  un  heu  de  fureté.  Le  comte  de  Schomberg  lui-même 
y  avoit  fait  tranfporter  au  commencement  des  troubles  tous 
les. meubles  de  fon  château  de  Nantcuil ,  qui  étoient  fore 
riches  ôc  en  grand  nombre.  Dans  la  fuite  fon  fils  aîné  trompa 
la  vigilance  de  fes  gardes ,  àc  s'échappa  -,  à  l'égard  du  ca- 
det qui  avoit  à  peine  dix  ans,  d'Ariy  qui  avoit  d'ailleurs 
mille  obligations  au  père,  eut  la  cruauté  ou  la  lâcheté  de 
le  retenir  prifbnnier,  jufqu'à  ce  que  le  duc  de  Mayenne  s'é- 
tant  rendu  à  la  Fére  le  fit  relâcher  3  foit  qu'il  eût  honte  de 
voir  un  enfant  prifonnier  j  foit  qu'il  eût  compaflion  de  fa 
jeunefïe, 
sédition  à  Peu  de  tems  auparavant  il  s'étoit  élevé  une  fédition  à 
Toyioufc.  Touloufe.  L'auteur  étoit  celui-là  même  qui  avoit  été  la 
caufé  des  premiers  troubles  dont  cette  ville  fut  agitée ,  &C 
de  l'affreux  carnage  qui  en  fut  la  fuite ,  je  veux  dire  l'é- 
v.çque  de  Comminges,  Ce  Prélat   que  ces   premiers  excès 

avoienç 


gjiâiu.uiia» 


DEJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVII.         41 

avoienc  rendu  odieux  à  tous  hs  gens  de  bien ,  commencjoic  ^ 
à  leur  devenir  fufpect  plus  que  jamais,  à  caufe  d'une  Con-  Henri 
frérie  dufaint  Sacrement  qu'il  avoit  établie.  A  la  faveur  de       I  V. 
cette  nouvelle  inilitution  il  enroUoit  dans  Je  parti  tout  ce      i  ^89. 
qu'il  y  avoit  de  fcélerats  de  la  lie  du   peuple  ,  ôc  entrete- 
noit  correfpondance  avec  les  Espagnols.  Ain  il  pour  préve- 
nir fes  mauvais  dellèins  on  fît  venir  à  Touloufe  le  maréchal 
de  Joyeufe  ,  qui  quelque  tems  auparavant,   c'eft-à-dire  fur 
Ja  fin  du  mois  d'Août ,  avoit  conclu  une  trêve  avec  le  duc 
de  Monmorenci  gouverneur  de  la  Province  j  6c  après  une 
mûre  délibération  le  Parlement  &c  la  ville  le  déclarèrent 
gouverneur  général ,  non  feulement  de  la  place ,  mais  en- 
core de  tout  le  Languedoc  j  &:  révoqua  les  pouvoirs  que  tout 
autre  auroit  pu  avoir  obtenus  auparavant.  En  même  tems 
on  prof  cri  vit  tous  ceux  qui  pafToient  pour  avoir  des  intelli- 
gences avec  l'Efpagne. 

L'évêque  de  Comminges  qui  fentoit  bien  que  tout  cela 
le  regardoit ,  difîimula  d'abord  3   enfuite  il  fe  difpofa  à  en 
venir  à  la  force  ouverte  ;  il  fe  retira  dans  l'ifle  de  Tunis 
avec  un  certain  Moine  qui  étoit  à  la  tête   du  parti  dans 
Touloufe.  De-là  il  appella  à  fon  fecours  Becat ,  &   Mon- 
derat  fon  Lieutenant  ^  &:  dès  qu'ils  furent  arrivés  il  rentra 
dans  la  ville  le  premier  d'Odobre -,   fit  prêcher  fon  Moine 
dans  l'églife  de  la   Dalbade ,    ou  ce  furieux  vomit  mille 
imprécations  contre  le  Roi ,  dc  contre  tous  ceux  qui  étoient 
bien  intentionnés  pour  la  paix  •  après  quoi  le  Prélat,  tou- 
jours précédé  de  fon  Moine  qui  tenoit  le  crucifix  d'une  main  , 
&:  de  l'autre  faifoit  la  roue  avec  une  épée ,  fortit  de  l'E- 
glife  armé  lui-même  d'une  cuiralTe  ,  &L  l'épée  à  la  main.    Ils 
étoient  accompagnés  de  quatre  autres  Moines  qui.  fe  mê- 
loient  aufîi  de  prêcher  en  faveur  du  parti  ^  &  ceux-ci  étoient 
fui  vis  d'environ  cinquante  malheureux  de  la  lie  du  peuple. 
Dans  cQt  équipage  TEvêque  parcourut  toute  la  ville ,  tan- 
dis que  cependant  le  tocfm  fonnoit  de  toutes  parts, comme 
il  arrive  dans   les   féditions.  En  même  -  tems   ces  furieux 
crièrent  aux  armes,  &  répandirent  le  bruit  qu'on  en  vou- 
îoit  à  la  Religion  &:  à  la  fureté  publique ,  faifant  entendre 
que  le  maréchal  de  Joyeufe  étoit  de  concert  avec  les  héré- 
pques ,  &  qu'il  avoit  réfolu  de  les  introduire  dans  la  ville 
Tffme  XL  F 


V 


42  HISTOIRE 

— --— î?^?^  pour  abolir  la  Religion  catholique ,  6c  exterminer  tous  les 

H  £  N  RI  habitans.  Ces  calomnies  étoient  écrites  fur  un  grand  carton 

I  V.      que  l'Evêque  porroit  à  la  main  haut  élevé ,  atin  que  tout 

I  iSg.     ^^  peuple  le  pût  voir.  Ce  cortège   fe  rendit  de  la  forte  à  la 

JVIaifon  de  Ville  ,  ôc  en  ayant  trouvé  les  portes  fermées ,  le 

Moine  fut  alTez  impie  pour  ordonner  qu'on  les  lui  ouvrît , 

en  y  frappant  avec  le  crucifix. 

Cependant  le  Maréchal  s'étoit  retiré  à  l'églife  de  faîne 
Etienne,  fuivi  des  principaux  bourgeois  j  ôc  il  avoic  eu  foin 
de  pofer  un  corps-degarde  aux  avenues  pour  arrêter  le  pre- 
mier feu  des  féditieux.  Le  lendemain  le  Parlement  fe  ren- 
dit auprès  de  lui ,  afin  de  prendre  de  concert  des  mefures 
pour  appaifer  le  peuple.  L'Evêque  en  fut  averti.  Auffitotil 
aiTsmbla  fes  partilans ,  ôc  marcha  vers  l'égUfe  de  faint  Etienne 
à  la  tête  d'environ  fîx  cens  hommes  armés  qu'il  avoit  ra- 
malTés  au  fon  du  tocfîn,  menaçant  fi  le  Maréchal  nequit- 
toit  inceflàmment  la  ville,  qu'il  alloit  piller  &;  brûler  les 
maifons  de  tous  ceux  qui  étoient  avec  lui.  Ces  menaces 
épouvantèrent  ceux  qui  avoient  fuivi  le  Maréchal,  6c  ils  lui 
confeillérent  de  fe  retirer  pour  quelque  tems ,  afin  de  calmer 
le  peuple  -,  avec  luifortirent  le  préfidenr  Bertrandi,  6c  ce  qu*ii 
y  avoit  de  plus  confidérable  dans  la  ville  6c  dans  le  Parlement. 
Après  cette  retraite,  que  le  moine  regardoit  comme  une 
grande  vidoire  qu'il  avoit  remportée ,  il  ne  refta  pas  en  fî 
beau  chemin.  De  concert  avec  l'Evêque,  il  changea  leur 
courfe  tumultueufe  en  une  procefFion  guerrière.  Il  s'arma 
lui  -  même  d'une  cuiraflè  ,  de  mit  à  la  tête  de  la  mar- 
che les  quatre  autres  moines  portants  chacun  une  croix.  A 
ceux-ci  s'étoient  joints  tous  ceux  du  Clergé  qui  étoient  dans 
le  parti ,  fur-tout  les  Jéfuites,  (  i  )  avec  environ  deux  cens  hom- 
mes de  la  lie  du  peuple,  armés  d'une  manière  grotefque  d'è- 
pées  6c  de  pertuifànes  toutes  rouillées.  A  côté  du  moine  mar- 
choient  fans  ordre  le  prélldent  de  Paule  couvert  d'une  cui- 
raffe,  6c  en  longue  robe  de  damas,  le  confeiller  Barret,  ^ 
autres  gens  de  cette  efpèce.  Le  Moine  tenoità  la  main  le  cru- 
cifix j  de  fe  tournant  tantôt  d'un  côté  ,  tantôt  d'un  autre  , 
)î  Eh-bien,  difoit-il,  y-a^t'il  quelqu'un  qui  refufe  de  s'en- 
M  rôler  dans  cette  fainte   milice  ?  S'il  s'en  trouve    d'alTez 

<  I  )    M.  Dupuy  veut  qu'on  efface  ces  mots. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVII.  43 

>5  lâche  pour  ne  pas  fe  joindre  à  nous  ,  je  vous  donne  la  per-  'n^^^f^r^ar^^^ 
>5  miffion  de  les  tuer,  fans  craindre  d'en  être  repris.  «Après  Henri 
avoir  fait  un  grand  tour,  la  proceflîon  fefépara.  Cependant       IV. 
quelques-uns  de  ces  mutins  ne  s'étant  pas  encore  alfez  ven-      rfSç. 
gés  à  leur  gré  ,  paflërent  à  l'Archevêché ,   où  logeoit  le  ma- 
réchal de  Joyeufe,  2c  le  pillèrent.  Ils  n'épargnèrent   pas 
non  plus  les  maifons  de  ceux  qui  fuivoient  le  parti  du  Maré- 
chal. De  là  ils  retournèrent  au  logis  de  l'evêque  deCom- 
niinges ,  où  après  avoir  arrofé  d'eau  bénite  tous  (hs  appar- 
temens,  &  donné  mille  malédidions  au  Roi ,  ils  s'écrièrent  : 
Qu'ils  rendoient  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  venoit  de  fauver 
la  ville  de  la  fureur  des  hérétiques ,  &:  des  mauvais  delTeins 
de  Joyeufe. 

D'un  autre  côté  ce  Maréchal  outré  de  l'affront  qu'il  ve- 
noit de  recevoir,  envoya  ordre  à  tous  les  Seigneurs  de  la 
province  de  fe  rendre  auprès  de  lui.  En  même-tems  il  trans- 
féra le  Parlement  dans  la  ville  la  plus  prochaine.  Enfin  il  fe 
difpofoit  à  en  venir  aux  voies  de  fait ,  lorfque  les  fadieux  ap- 
préhendant que  cette  guerre  ne  fortifiât  le  parti  du  Roi  en 
Languedoc ,  lui  députèrent  au  nom  du  Parlement ,  6c  pa- 
rurent allez  diipofès  à  fe  foûmettre  aux  moyens  qu'il  pro- 
poferoit  pour  rétablir  la  concorde.  Le  Maréchal  leur  dé- 
clara de  ion  côté ,  qu'ils  n'avoient  point  d'accommodement 
àefpèrer,  qu'ils  ne  commençafTent  par  lui  livrer  l'evêque 
de  Comminge,  que  dansfa  colère  il  appelloit  l'Ante-Chrift 
avec  tous  fcs  émifiaires.  Il  demandoit  outre  cela  qu'ils  le 
rec^uilent  dans  la  ville  avec  bonne  garnifon,  &  qu'ils  rèta- 
blitlent  dans  tous  leurs  biens  &  dignités  les  membres  du 
Parlement  ,  &  les  bourgeois  de  fon  parti.  Mais  les  efprits 
étoient  encore  trop  animés  pour  que  ces  conditions  paiïailèntj 
&  il  n'y  eut  rien  de  conclu.  ,,. .    , 

Peu  de  tems  après  il  s'éleva  à  Limoges  une  fcdition  qui  Limoges. 
eut  un  fuccès  tout  diffèrent.  Le  gouvernement  de  la  pro- 
vince étoit  entre  les  mains  d'un  jeune  Seigneur  également 
diftingué  par  fa  nobleffeôc  par  fes  grands  biens  j  c'etoitAnne 
de  Levi  comte  de  la  Voulte,  que  le  feu  Roi  avoit  fait  paifer 
en  Limoufin  après  la  mort  des  Gui fes.  Depuis  ce  tems-làil 
avoit  pris  par  efcalade  le  i  3.  d'Avril  de  cette  année  la  ville 
de  Brives,  qui  s'ètoit  révoltée  à  la  foliicication  d'Edme  de 

Fij 


44  HISTOIRE 

~  Hautefortj  toute  la  garnifon  avoit  été  pafTëe  au  fil  de  l'é- 


Henri   pée  j  &  par  cette  exemple  de  févërité  le  nouveau  Gouver- 

I  V.       neur  s'étoit  rendu  fi  redoutable  dans  toute  la  province, que 

1585).     peu  de  tems  après  Tulles  fe  fournit  au  Roi,  tandis  qu'en 

même-tems  les  Li2:neurs  abandonnoient  les  Forts  d'Emouf- 

tiers  &  de  Bellechaflaigne  dont  ils  s'étoient  emparés. 

Qiîelque  tems  auparavant  ,  la  Cour  avoit  fait  paiîer  en 
Limoufin  Mery  de  Vie  maître  des  Requêtes  pour  fervir  de 
Confeil  au  jeune  Gouverneur.  C'ctoit  un  homme  d'efprit ,, 
de  d'une  fidélité  à  l'épreuve.  De  Vie  fe  rendit  à  Limoges 
capitale  de  la  province  •  &;  ayant  remarqué  que  la  ville  ne 
s'étant  point  encore  déclarée  à  caufe  des  difFércns  partis  qui  la 
divifoient,la  préfence  ôcl'autorité  du  Gouverneur  pourroient 
aifément  la  déterminer  en  faveur  du  parti  du  Roi  ^  il  pria 
Levi  de  palTer  à  Limoges  ,  6c  d'amener  peu  de  fuite  avec 
lui ,  afin  de  ne  pas  donner  à  ce  peuple  farouche  &:  défiant 
occafion  de  fe  foulever.  Le  Comte  s'y  rendit  auffitôt  3  ce 
fut  à  peu  près  dans  le  tems  qu'il  reçut  avis  de  la  mort  du 
Roi.  D'abord  il  ne  jugea  pas  à  propos  de  publier  cette  nou- 
velle •  il  commença  par  fonder  les  difpofitions  des  princi- 
paux bourgeois  3  6c  lorfqu'il  crut  s'en  être  afîiiré  ,  il  rendit 
public  cet  horrible  parricide  3  en  fit  fentir  toute  la  noirceur  3 
anima  les  habitans  à  en  tirer  vengeance  5  6c  obtint  enfin 
qu'ils  fe  foûmettroient  à  Henri  IV.  comme  au  feul  6c  légi- 
time héritier  de  la  Couronne ,  qui  avoit  déjà  été  reconnu 
par  toute  l'armée  ,  ce  qu'ils  firent  tous  avec  beaucoup  d'ar- 
deur 6c  de  zélé. 

Depuis  ce  tems- là  tout  fut  afTez  tranquile  à  Limoges  , 
jufqu'à  ce  que  le  parti  de  la  Ligue  eût  pris  de  nouvelles  for- 
ces. Alors  Henri  de  la  Martonie  Evêque  de  cette  ville, 
après  avoir  communiqué  fon  dellëin  à  ce  qu'il  y  avoit  de 
bourgeois  attachés  à  ce  parti ,  èc  enfuite  à  Louis  de  Pom- 
padour ,  à  George  de  Villequier  de  la  Guierche,  au  baron 
de  Gimeil,  aux  fieurs  de  Raftignac ,  de  Selles,  de  la  Cha- 
pelle-Biron  ,  6c  autres  Seigneurs  de  la  province  fur  lefquels 
il  comptoit,  leur  donna  rendez- vous  pour  le  i  5.  d'Odo- 
bre  3  de  on  convint  qu'ils  fe  trouveroient  tous  avec  leurs 
troupes  dans  les  fauxbourgs.  Ce  jour-là,  qui  étoit  un  Di- 
manche ,  Levi  s'étant  rendu  à  la  Maifon  de  Ville ,  fon 


DE  J.  A.  D  THOU,  Liv.   XCVII.        45 

logis  Fucinvefti  par  environ  fept  cens  hommes  armés ,  criants 
tous  Liberté ,  ôc  La  potence  -,  êc  ces  mutins  ne  l'ayant  pas  trouvé  Henri 
chez  lui ,  dreiïérent  des  barricades  •  Te  faifirent  de  l'eglife       I  V.    ^ 
de  faint  Michel  j  mallacrérent  un  des  Confuls ,  bi  bleiîerent     i  jgc;. 
l'autre  dangéreuiement. 

AulTitôt  que  le  Gouverneur  fut  informé  de  ce  défordre, 
il  fongea  à  y   remédier.  Secondé  des  confeils  de  Vie,  qui 
ne  l'abandonna  point  en  cette  occafion ,  il    commença  par 
fe  faifir  d'une    àts   portes   de    la  ville  ,  la  fit  fermer ,  & 
empêcha  ainfî  de  ce  côtédà  l'entrée  aux  troupes  qu'on  lui 
avoit  dit  être  arrivées    aux    fecours    des  fadieux.  De -là 
il  retourna  à  la  Maifon  de  Ville  ,  où  à  un  lignai  qu'il  donna 
il  fe  vit  joint  par  cinq  cens  des   principaux   bourgeois  tous 
bien  armés.  A  la  tête  de  ce  fecours  il  marcha  contre  les  mu~ 
tins ,  les  chargea  ,  &:  après  un  combat  allez  opiniâtre,  diffi- 
pa  enfin  toute  cette  canaille.  Cette  adion  de  rigueur  le  ren- 
dit le  maître  dans  la  ville  3  6c   ayant   appris  que  les  troupes 
du  parti  s'étoient  rendues  dans  les  fauxbourgs,  il  alla  les 
attaquer  le  lendemain  de  grand  matin  ,  fe  fiifit  à(ts  autres 
portes  dont  il  n'étoit  pas  encore  le  maître ,  &:  força  ainfi 
les  rebelles  de  fe  retirer.  En  même-tems  il  fît  arrêter  les  au- 
teurs de  la  fédition  ,  qui  furent  condamnés  à  mort  par  le 
Confeil  de  guerre ,  &:  exécutés  publiquement  devant  le  logis 
du  Gouverneur.  Enfuite  l'Evêque  s'étant  retiré  avec  Pom- 
padour,la  cité  qui  ell  féparée  du  refte  de  la  vdle  par  la 
Vienne,   &;  défendue   par  le   Palais  Epifcopal  ,   ouvrit  {q^ 
portes  au  vainqueur.  On  drelTa  après  cela  une  lifte  de  tous 
ceux  qu'on  foupçonna  d'être  malintentionnés  pour  le  gou- 
vernement j  6c  leurs  noms  ayant  été  envoyés  au  Roi ,  à  la 
folliciration  du  parti  contraire,  ce   Prince  qui  avoit  alors 
grand  befoin  d'argent    les  condamna  à  une  grollè  amen- 
de,  qui   lui   aida    enfuite  à  fournir  aux  frais  de  la  guerre. 

Au  milieu  de  tous  ces  troubles  le  Parlement  féant  à  Pa- 
ris n'oubiioit  rien  pour  maintenir  fon  autorité.  Dans  cet- 
te vue  voulant  mettre  un  frein  à  la  licence  qui  régnoit 
dans  le  parti ,  il  donna  un  Arrêt  le  onze  de  Septembre , 
toutes  \zs  Chambres  affemblées,  bL  fur  le  réquilîtoire  du 
Procureur  général,  par  lequel  après  avoir  profcrit  l'exer- 
cice   de  toute    autre   Religion    que   de    la    Catholique, 

F  nj 


4^  HISTOIRE 

-  Apoflolique  c-c  Romaine  ,  k  Courfaifoitdéfenres  de  donner 

Henri  aux  hérétiques  ou  à  leurs  fauteurs  ,  aucun  fecours  d'hommes 
I  V.  d'argent ,  ou  de  confeiis ,  de  quelque  manière  ,  èc  fous  quel- 
1589.  que  prétexte  que  ce  pût  être 5  déclarant  les  contrevenans 
criminels  de  Leze  -  majefté  divine  àc  humaine  j  défen- 
doit  de  plus  de  faire  aucune  violence  à  perfonne  •  d'ar- 
rêter dans  Paris  qui  que  ce  fiit ,  ou  de  fe  faifir  de  fes  biens 
fans  un  ordre  exprès  du  Magiilrat  j  de  tenir  aucune  aflèm- 
blée  fans  fa  permifTion  ^  6c  de  lever  aucun  fubllde  fans  une 
ordonnance  du  Conféil  de  l'Union  j  enfin  d'expofer  en  vente 
aucun  libelle  diffamatoire  -,  recommandant  particulièrement 
à  tout  le  monde  de  reipeder  la  Juftice ,  à  tous  ceux  qui 
font  chargés  de  l'exercer. 
Confpiiatioiî  Peu  de  tems  auparavant,  c'eft-d-dire ,  vers  le  commen- 
Tours.  cenient  du  mois  de  Septembre ,  on  avoit  découvert  à  Tours 
une  grande  confpiration ,  à  la  tête  de  laquelle  étoient  le 
P.  Robert  CheiTé  Cordeiier,  &c  Gille  du  Vergier  ancien 
Lieutenant  général  de  cette  ville.  (  C'étoit  le  même  qui 
au  commencement  du  mois  de  Mai  précédent  avoit  engagé 
le  duc  de  Mayenne  à  attaquer  les  fauxbourgs  de  Tours.  ) 
Cette  entreprilè  n'ayant  pas  réii/îi  ,  du  Vergier  s'étoit  re- 
tiré à  Vendôme ,  où  il  entra  d'abord  en  liaiibn  avec  ChefTè. 
Ce  Moine  étoit  un  homme  vain ,  toujours  prêt  à  courir 
après  une  ombre  de  gloire  j  du  refte  peu  brouillon.  Il  avoir 
même  été  d'abord  fort  afFeclionné  au  feu  Roi^  mais  ayant 
changé  ,  il  s'étoit  enfuite  abfolument  déclaré  contre  Henri 
IV.  Ainiî  il  ne  fut  pas  difficile  à  du  Vergier  de  le  faire  en- 
trer dans  fes  idées.  Chelfé  ne  celfoit  d'aigrir  l'efprit  du 
peuple  par  fes  prédications  violentes ,  tandis  que  quelques 
autres  Moines  de  fon  Ordre,  qui  étoient  en  grand  nombre 
à  Tours  &  à  Blois,  travailloient  par  leurs  intrigues  à  ex- 
citer quelque  foulévement.  Du  Vergier  qui  avoit  long- 
tems  exercé  fa  charge  avec  dignité,  de  qui  s'étoit  acquis 
une  certaine  réputation  de  droiture  de  d'impartialité  ,  avoir 
lui-même  plufieurs  partifans  dans  Tours  5  ôcilcfpéroitbien 
qu'ils  ne  lui  manqueroient  pas  au  befoin.  Il  ne  rcftoit  plus 
que  de  trouver  quelqu'un  capable  de  mettre  cette  ma- 
chine en  mouvement  j  du  Vergier  s'adrefîà  pour  cela  a 
René    Marrier  ,  qu'il  fit  venir  de  Blois,  C'étoit  un  jeune 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XC  VIL       47 

débauché  qui  pouvoir  librement  aller  à  Tours.  Ain{î  il  ne  fut  ■ 

pas  difficile  de  lui  perfuader  d'exécuter  le  généreux  deffèin  Henri 
de  délivrer  cette  ville  de  la  tyrannie  des  hérétiques-,  c'eft       I  V. 
aînfi  que   les  rebelles  traitoient  les  Magiftrats  fidèles  au     i  c  g  o 
Roi.  _  ^       ^  ^    ^* 

Ce  jeune  homme  fans  expérience  ne  fit  attention,  ni  à 
Ténormité  du  crime  qu'on  lui  propofoit ,  ni  au  danger  qu'il 
pouvoit  courir.  Il  palFa  à  Tours  3  s'aboucha  avec  quelques 
particuliers  de  la  lie  du  peuple  que  du  Vergier  lui  avoic 
indiqués ,  fur- tout  avec  un  certain  huilfier  nommé  Corbeau  ; 
&  ils  convinrent ,  fuivant  la  grande  maxime  èc  la  pratique 
ordinaire  du  parti ,  qu'il  falloit  commencer  par  répandre  le 
bruit  que  les  hérétiques  étoient  venus  pour  piller  la  ville  3 
qu'à  ce  fignal  les  Conjurés  prendroient  les  armes ,  &  fe- 
roient  main-bafie  fur  les  cardinaux  de  Vendôme  &:  de  Le- 
noncourt,  &c  les  autres  Seigneurs  du  Confeil  •  fur  le  préfi- 
dent  Jacque  de  Paye  fieur  d'EfpelTes  3  fur  l'Avocat  général 
Servin ,  qu'ils  regardoient  comme  leur  ennemi  mortel  3  en- 
fin fur  Gille  de  Souvré  gouverneur  de  Touraine  3  &  en  gé- 
néral fur  tous  les  Magiftrats  qui  étoient  dans  Tours  3  qu'en- 
fuite  ils  y  feroient  entrer  de  la  Châtre,  èc  le  vicomte  de  la 
Guierche ,  qui  dévoient  leur  amener  des  troupes  à  un  cer- 
tain jour  qu'on  leur  avoit  marqué  3  qu'avec  ce  fecours  ils 
fe  rendroient  maîtres  de  la  ville,  £c  la  réduiroient.  à  l'obéïf- 
fance  de  la  fainte  Union. 

Florent  Guyot  fieur  de  Lefi^art  étoit  alors  à  Tours,  où 
il  commandoit  une  des  trois  compagnies  que  le  Roi  y  avoic 
mifes  en  garnifon.  On  lui  avoit  ôté  le  gouvernement  de 
Saumur  ,  lorfque  cette  ville  fut  remife  au  roi  de  Navarre  3  dc 
comme  depuis  la  mort  du  feu  Roi ,  de  qui ,  difoit-il ,  il  at- 
tendoit  de  grandes  récompenfes ,  ilfeignoit  beaucoup  demé- 
contentement  de  ce  qu'on  lui  avoit  ain fi  enlevé  fa  place, 
les  conjurés  crurent  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  le  met- 
tre de  leur  partie.  Ce  fut  lui  qui  révéla  tout  le  projet  de 
leur  entreprife  au  cardinal  cie  Vendôme  èc  à  Souvré.  Après 
cette  découverte,  quoiqu'on  n'eût  d'abord  aucune  preuve 
convainquante,  cependant  la  fuite  de  l'huifiier  Corbeau, 
dont  j'ai  parlé  ,  de  qui  s'évada  fur  ces  entrefaites ,  ayant  con- 
firmé les  foupçons  qu'on  avoit  déjà,  Marrier  fut  arrêté  en 


48  HISTOIRE 

^  '"■  habit  déguiré.  Il  fut  d'cabord  convaincu  par  des  lettres  qu'on 
Henri  intercepta ,  ôc  par  des  témoins  qui  dëporérent  contre  lui  ; 
-  ^  on  l'appliqua  enfuite  à  la  queftion-j  &:  ayant  tout  avoué,il 
^  *  fut  condamné  à  la  mort.  Son  corps  fut  mis  en  quatre  quar- 
^  "*  tiers ,  6c  expofé  enfuite  fur  autant  de  gibets  aux  portes  de 
la  ville.  On  arrêta  en  même-tems  ceux  de  Cqs  complices 
qu'il  avoit  déclarés.  De  ce  nombre  fut  un  Chanoine  de  Saine 
Martin  nommé  N.le  Tourneur.  11  voulut  d'abord protefter 
contre  l'incompétence  de  fes  juges  j  mais  on  jugea  que  l'é- 
normité  de  fon  crime  le  rendoit  indigne  de  joiiir  des  immu- 
nités accordées 'à  fon  état  ^  &;  il  fut  condamné  à  la  more 
avec  quatre  autres.  Cependant  par  refpecl  pour  le  Sacer- 
doce dont  il  étoit  revêtu  ,  &  à  la  prière  du  cardinal  de 
Vendôme ,  on  fe  contenta  de  le  tenir  en  prifon  j  il  y  refba 
longtems ,  ôc  fut  enfin  relâché. 

Les  Ligueurs  prirent  cette  occafîon  pour  fe  déchaîner 
contre  les  Royalilles ,  qu'ils  accufoient  de  rendre  les  Prêtres 
&c  les  Religieux  la  victime  delà  haine  aveugle  qu'ils  avoienc 
pour  la  Religion ,  ians  aucun  égard  pour  leur  caradére , 
ôc  fans  relpecl  pour  les  loix  les  plus  inviolables.  En  con- 
féquence  le  parlement  de  Paris  donna  le  onze  de  Septem- 
bre un  Arrêt,  par  lequel  pour  faire  cCiïer,  difoit.on  ,  les 
murmures  des  fédicieux  qui  fe  plaignoient  des  fupplices 
cruels  que  les  juges  de  Tours  faifoient  foufFrir  aux  bons 
Catholiques  en  haine  de  la  Religion  ^  oiii  fur  ce  le  Procu- 
reur général,  fe  portant  pour  appellant  de  toutes  les  fèn- 
tences  de  cqs  juges ,  comme  étant  incompétens  •  la  Cour 
cafloit  ^  annuUoit  lefdites  fentences  ^  défendant  fous  les 
peines  les  plus  griéves  à  tous  juges,  quels  qu'ils  fuflènt,  de 
prononcer  aucun  jugement  contre  les  CathoHques  pour 
caufe  de  leur  Religion  ôc  de  leur  attachement  à  la  fainte 
Union  ^  &c  permettant  aux  parties  d'appeller  des  fentences 
de  ces  fortes  de  juges ,  ôc  de  les  ajourner  au  Parlement  pour 
venir  rendre  compte  de  leur  conduite  au  Procureur  gé- 
néral. 

Cette  démarche  enhardit  le  Confeil  de  l'Union.  Il  donna 
le  même  jour  un  Edit  qui  fut  remis  à  un  trompette  pour 
être  fignifié  au  parlement  de  Tours ,  par  lequel  les  Ligueurs 
au  nom  du  Confeil  de  la  fainte  Union  ,   du  Prévôt    des 

Marchands. 


DE  J.  A.  DE  THOU,L£v.  XCVII.       49 

Marchands,  &  des  Echevîns  de  la  ville  de  Paris,  faifoienc 
fçavoir  aux  juges  de  Tours  ,  que  fi  à  l'avenir  ils  ne  s'abfte-  Henri 
noient  des  cruautés  qu'ils  avoient  exercées  jufqu'alors  con-        IV. 
tre  les  Catholiques,  èc  fur-tout  contre  les  Eccléfîaftiques,      i  cHo 
ils  les  regarderoient  comme  des  déferteurs  de  la  Religion 
Catholique ,  Apoftolique  &  Romaine ,  6c  comme  des  traîtres 
à  la  patrie  dans  la  guerre  qu'elle  avoit  entreprife  contre  les 
hérétiques  j  &  qu'ils  les  traiteroient  comme  des  ennemis  dé- 
clarés, les  profcrivant  eux  ,  leurs  femmes  ,  leurs  enfans ,  de 
leurs  parens ,  confifquant  leurs  biens,  &  leur  faifant  fubir 
la  peine  du  talion  ,  c'eft-à-dire,  tenant  envers  eux  le  même 
procédé  qu'ils  tenoient  à  l'égard  des  autres. 

Le  trompette  partit  pour  Tours,  ôc  ayant  été  pris  par 
Papillon  Capitaine  d'une  compagnie  de  la  bourgeoilie,  le 
Parlement  chargea  un  huiffier  de  s'informer  des  ordres 
dont  il  était  porteur.  Auffitôtque  la  Cour  en  fut  inllruite, 
Je  Procureur  général  de  la  Quelle  intervint ,  ôc  s'étendit 
fort  au  long  liir  l'audace  èc  l'opiniâtreté  de  ces  rebelles, 
qui  non  contens  d'avoir  fou.ievé  toute  la  France  fous  le  fpé- 
cieux  prétexte  de  la  Religion ,  &  d'avoir  apofté  des  a/îaf- 
fms  pour  tuer  le  feu  Roi ,  avoient  encore  le  front  de  re- 
nouveller  ks  erreurs  de  Wiclef ,  de  Jean  Hus ,  &  des  Bo- 
hémiens ,  profcrites  parle  Concile  de  Confiance ,  &  de  pré- 
tendre qu'il  fut  permis  à  des  fujets  de  renoncer  félon  leur 
caprice  à  l'obéilTance  du  Souverain.  Il  die  ;  Qu'à  tant  d'ex- 
cès ils  ajoiitoient  encore  les  calomnies  ,  les  jnvédives ,  &: 
plulîeurs  faits  éloignés  de  la  vérité ,  comme  lorfqu'ils  pu- 
blioient  fans  fondement  que  la  Cour  des  Pairs  que  le  feu 
Roi  avoit  été  obligé  de  transférer,  félon  le  droit  qu'il  en 
avoit,  de  Paris  à  Tours  à  caufe  de  leur  révolte,  perfécu- 
toit  Iqs  Catholique^  en  toute  occafion  :  Qii'on  ne  pouvoic 
pas  dire  en  effet  que  ce  fut  fans  raifon  qu'elle  fefiit  portée 
depuis  peu  à  châtier  certains  Religieux  &:  quelques  Ecclé- 
fîaftiques, puifqu'elle  s'étoir  vue  obligée  d'ufer  de  cette 
févérité  pour  prévenir  les  funeftes  effets  d'une  conjuration 
cruelle  prête  à  éclater  :  Qiiede  tous  les  Conjurés  on  n'en 
avoit  puni  que  fix ,  après  les  avoir  convaincus  auparavant 
par  des  lettres ,  par  la  dépo/îtion  des  témoins ,  par  leur 
propre  aveu  ,  qu'à  la  follicitacion  de  Cheffé  qui  exerçoiç 
Tûme  J  /.  Q 


^o  HISTOIRE 

aduelJement  le  minîfbëre  de  la  prédication  à  Vendôme, &: 
Henri  de  du  Vergier  banni  de  la  ville  de  Tours ,  qui  avoient  fait 
I  V.  entrer  dans  leurs  vues  criminelles  René  Marrier  Cordelier 
jrgo,  de  Blois  ,  jeune  homme  abîmé  dans  la  débauche  ,  ils 
avoient  pratiqué  des  afTaffinspour  exciter  une  fédltion  dans 
Tours  ,  &:  malîàcrer  des  Princes  du  Sang ,  des  Cardinaux  , 
le  Gouverneur  de  la  ville,  les  principaux  membres  du  Par- 
lement, &  les  autres  Magiftrats  :  Qiie  le  même  Marrier 
avoit  été  arrêté  travefti  dans  un  habit  qui  ne  convenoit 
nullement  à  fon  état  j  &c  que  par-là  s'étant  rendu  indigne 
de  jouir  du  privilège  qui  y  efb  attaché ,  ce  qui  autrement 
lui  auroit  été  accordé ,  il  avoit  porté  la  peine  duc  à  fon 
crime  :  QLi'au  contraire  le  chanoine  de  faint  Martin  ,  quoi- 
que condamné  à  mort  avoit  été  feulement  refferré  en  prifon 
par  refped  pour  fon  caradére,  jufqu'à  ce  que  S.  M.  tou- 
jours équitable  en  eût  autrement  ordonné  :  Qp^onne  pou- 
voir accufer  la  Cour  d'avoir  ufé  de  trop  de  févérité,& 
donné  atteinte  aux  loix  pour  avoir  puni  de  mort  des  va- 
gabonds ,  des  efpions  ,  des  traîtres ,  des  afTaihns  :  Que 
ceux  qui  confeilloient ,  approuvoient  ou  donnoient  les  mains 
à  de  tels  attentats,  faifoient  bien  voir  qu'ils  ne  fuivoienc 
pas  les  maximes  de  l'Egliiê  CatlioHque,  Apofl:olique&:  Ro- 
maine ,  comme  ils  avoient  le  front  de  s'en  vanter  ^  mais 
qu'ils  avoient  puifé  leur  doctrine  empoifonnée  dans  les 
lources  impures  du  Mahométifme  :  Qii'on  devoir  donc  les 
regarder  comme  les  defcendans  de  cette  race  perfide ,  qui  du 
tems  de  laint  Louis  ne  pouvant  fe  défaire  ouvertement  des 
Princes  Chrétiens  ,  fe  dévoûoit  à  la  mort  pour  Iqs  ailàlîi- 
ner  :  Qii  aduellement  encore  cette  engeance  n'étoitpasraf- 
fafîée  de  fang  humain ,  puifqu'on  la  voyoit  continuer  fes 
attentats  contre  les  Princes  de  la  famille  Royale  qui  tî- 
roient  leur  origine  de  ce  faint  Roi  :  Qiie  cela  n'empêchoic 
cependant  pas  que  dans  le  Royaume  plufieurs  perfonnes 
prévenues  par  les  calomnies  &  les  faux  bruits  que  ces  re- 
belles répandoient  dans  le  public ,  n'eulFent  mauvaife  idée 
de  l'équité  de  S.  M.  de  celle  des  Princes  de  fon  fang,  &c 
des  "Seigneurs  qui  fui  voient  fon  parti ,  &  par  conféquent  de 
la  juftice  de  la  Cour  :  Qu'il  requéroit  donc  que  la  Cour 
ordonnât  que  la  déclaration  du  Roi  du  4  .  Août  enregifkrée 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        sj 

âu  Parlement  dix  jours  après  ,  par  laquelle  S.  M.  s'enga- 

geoic  à  maintenir  la  Religion  Catholique,   Apoiloiique  ôc  Henri 

Romaine  dans'le  Royaume,  enfemble  les  réglemens  con-       IV. 

cernans  les  devoirs  des  Prédicateurs,  Théologiens,  Ordres      Tcgn 

mendians ,  &c  autres  Religieux  ,  auflî-bien  que  l'obéïlTance 

diië  au  Roi ,  feroient  publiés  à  Paris  par  un  Huilîîer  que  la 

Cour  y  députeroit  à  ce  fujet. 

Après  ce  réquilitoire  du  Procureur  général ,  le  Parlement 
rendit  un  Arrêt  qui  ordonnoit  que  la  déclaration  ,  enfemble 
les  réglemens  mentionnés  ci-delFus  ,  feroient  publiés  à  Paris 
par  un  Trompette  -,  défendoit  aux  Juges  èc  Magistrats  de 
cette  Capitale  de  prendre  le  titre  de  Parlement ,  Chambre 
des  Comptes,  Prévôt  des  Marchands ,  ou  Echevins  j  ni  de 
donner  aucuns  Arrêts  ,  Edits,  ou  Déclarations  j  enfemble 
aux  Paridens ,  de  autres  du  relTort ,  de  leur  obéir ,  ou  de  leur 
fournir  de  l'argent  pour  les  frais  de  la  guerre  ,  ou  pour  quel- 
qu'autre  fujet  que  ce  fiit  ^  &c  enjoignoit  à  tous  les  fujets  du 
Roi  de  s'oppofer  à  l'exécution  de  ces  forces  de  commande- 
mens ,  même  à  main  armée  ,  &:  en  foûlevanc  les  païfans  au 
fon  du  tocfîn  contre  ceux  qui  en  feroient  chargés,  les  dé- 
clarant pour  le  préfent  &  pour  l'avenir  indignes  de  polTéder 
aucune  charge ,  comme  criminels  de  léze-Majedé  ,  àc  confîf. 
quant  tous  leurs  biens,  dont  un  tiers  feroît  appliqué  au  pro- 
fit de  ceux  qui  les  prendroient  &  repréfenteroient  en  Juftice 
morts  ou  vifs  ^  ordonnant  enfin  que  (i  la  révolte  des  Parifiens 
empêchoit  le  Trompette  de  faire  cette  publication  dans  Paris 
jnême  ,  dûëment ,  èc  avec  les  formalités  requiies ,  elle  feroic 
faite  dans  les  lieux  les  plus  voifins  où  il  y  auroit  fureté  pour 
lui  j  &  feroit  cenféeauflî  valable  ,  que  fi  elle  étoit  faite  dans 
la  Capitale  même  •  que  cependant  le  Trompette  envoyé  par 
les  Parifiens  refteroit  en  prifon  jufqu'à  ce  que  S.  M.  en  eût 
ordonné. 

Cet  arrêt  fut  rendu  le  29.  de  Septembre  j  Scie  même  jour 
la  Cour  en  donna  un  autre  par  lequel ,  furie  réquifitoire  du 
Procureur  général ,  elle  ordonnoit  que  les  infinuations  des 
teflamens ,  donations ,  &  autres  ades  iemblables ,  qui  avoient 
coutume  de  fe  faire  dans  la  jurifdiclion  des  lieux  où  les  biens 
des  parties  contractantes  étoient  fitués  ,  ou  dans  lefqucls 
elles  avoient  leur  domicile ,  fè  feroient  au  g-refFe  de  la  Cour  , 


j2  HISTOIRE 

■■  au  cas  que  la  révolte  empêchâc  les  parties  de  pouvoir  s'a- 

Henri  drelîer  Uiremcnt  aux  jurifdictions  ordinaires ,  de  qu'elles  au- 

I  V.  roient  la  même  force  que  Ci  elles  euflent  été  pailées  dans  les 

I  îSo.  lieux  prefcrits  par  Tordonnance. 

piacet  des  I^cja  près  de  quatre  mois  s'étoient  écoulés  depuis  la  mort 

ligueurs  du  fcu  Roi ,  fans  que  cependant  il  fût  mention  parmi  les  fa- 

*"  j^.^*^^^,'^"  dlieux  de  foncrer  à  qui  devoit  lui  iuccédér.   La  fureur  de  la 

cardinal  de  ^  T  ^       j  l  •         J       w 

Bourbon.  JLîgue  portant  les  excès  dans  tous  lesrecomsdu  Royaume^ 
avoit  foulé  aux  pieds  l'autorité  royale.  Ceux-là  même  qui 
.du  vivant  de  Henri  III.  avoîent  paru  d'abord  porter  avec 
tant  d'ardeur  ,  au  préjudice  des  loix  du  Royaume  ,  les  droits 
du  cardinal  de  Bourbon  à  la  couronne  contre  ceux  du  roi 
de  Navarre  ,  fembloient  l'avoir  mis  entièrement  en  oubli 
depuis  fa  prifon  ,  comme  s'il  n'eût  plus  été  au  monde  j  &  il 
ne  paroiffoit  plus  d'arrêts,  d'édirs ,  ni  de  déclarations  que 
fous  le  nom  du  Parlement,  du  Confeil  de  l'Union ,  &  du  duc 
de  Mayenne.  Il  fe  trouva  cependant  encore  quelques  per- 
ionnes  zélées ,  qui  pour  rappeller  le  fouvenir  de  ce  Prince 
infortuné ,  qui  avoit  jufqu'alors  fervi  de  joliet  aux  Ligueurs , 
parlèrent  de  lui  afîigner  une  penfion  fur  l'Etat.  Antoine  Hot- 
man  préfenta  même  au  conlèil  de  l'Union  une  requête  qui 
portoit ,  que  le  cardinal  de  Bourbon  leur  Roi  iûpplioic 
qu'on  lui  accordât  cette  grâce,  Hemar  Flennequin  evêque 
de  Rennes  faifoît  alors  les  fondions  de  Préfident  dans  cette 
alTembiée.  Il  s'avifa  par  une  févérité  mal  placée  de  repri- 
lîiender  Hotman  fur  ce  que  fa  réquête  étoit  conçue  en  des 
termes  qui  convenoient  peu  à  la  Majefté  royale ,  ajoutant 
I  qu'un  Roi  ne  devoit  point  ufer  de  fupplications  envers  [qs 
iujets.  Sur  quoi  Plotman  ayant  avoue  qu'il  avoit  fait  une 
faute  3  &  prefTant  néanmoins  l'allèmblée  de  fatisfaire  à  fa 
demande  fur  ce  qu'il  importoit  peu  ,  difoit  il  ,  que  fa  re- 
quête fût  conçue  de  vive  voix  ou  par  écrit  ,  pourvu  qu'il 
obtint  ce  qu'il  iouhaitoit  ,  après  une  longue  délibération 
que  tinrent  les  Ligueurs ,  comme  s'ils  leulîéntjoiié  la  comé^ 
die ,  le  Confèil  lui  fit  cette  réponfe  ridicule  :  Qu'ayant  une 
il  grande  guerre  à  foûtenir  ,  leurs  fonds  ne  leur  permertoient 
pas  d'accorder  au  Roi  cardinal  une  penlion  fur  l'Etat  :  Qu3 
cependant  l'Union  auroit  foin  de  le  remettre  inccifamment 
en  polïèffion  des  bénéfices  confidérables ,  dont  fes  ferviteuri; 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XCVII,         55 

fe  plafgnoient  que  les  ennemis  de  Dieu  &  de  la  Nation  s'é- 

toienc  empares  j  &  que  ces  revenus  confidërables  feroient  Henri 

fuffifans  pour  ion  entretien  &.  celui  de  fa  maiibn  ,  jufqu'à  la       I  V. 

fin  de  la  guerre.  ^  ^  ,     .      ^  1589. 

Comme  il  n'y  avoit  perfonne  qui  ne  vit  que  c'ëtoit  là  fe 
joiier  de  la  Majefté  royale  ,  &  fur-tout  des  Princes  du  fang  , 
bien  des  gens  furent  indignés  de  ce  procédé.    On  n'enten- 
doit  de  toutes  parts  que  des  murmures  confus  j  on  fe  plai- 
gnoit  que  fous  prétexte  de   travailler  à  maintenir  la  Reli- 
gion ,  ce  qui  demandoit  beaucoup  d'ordre  àc  de  fagefïè  ,  on 
introduisît  un  dérangement  uni verfel  dans  le  gouvernement, 
en  lâiiFant  le  trône  vacant ,  ôc  en  établilTant  un  interrégne 
qu'on  auroit  dû  éviter  fur  toutes  chofes ,  à  la  faveur  duquel 
il  étoit  permis  de  tout  oier  ,  tandis  que  la  Religion  dont  le 
falut  dépendoit  de  la  confervation  de  l'Etat,  couroit  rifque 
de  fe  voir  détruite  elle-même  par  fon  démembrement  :  Que 
c'étoit  là  ce  que  leurs  ennemis  leur  avoient  prédit ,  6c  ce 
qu'ils  avoient  eu  tant  de  peine  à  croire.  «  Et  que  ne-vont-ils 
»  pas  dire ,  ajoûtoit-on  ,  qii'eft-ce  que  le  peuple  ne  fera  pas 
»  en  droit  de  penfer ,  lorfqu'ils  verront  qu'on  ne  fait  aucun 
55  cas  des  Princes  du  (àng ,  &  qu'on  ne  veut  dans  le  parti ,  ni 
55  Roi ,  ni  loi  ?  S'il  eft  vrai  que  le  Navarrois  foit  exclus  de  la 
55  fucceifion  à  la  Couronne  par  le  droit  de  fon  oncle ,  comme 
5)  on  le  foûtenoit  du  vivant  du  feu  Roi  5  fi  ce  Prince  s'efb 
55  rendu  d'ailleurs  indigne  de  régner  par  fon  attachement  à 
55  l'héréfie  j  pourquoi  ne  fait-on  aujourd'hui  aucun  cas  du 
55  Cardinal  ?  Pourquoi  lui  fait-on  l'afFront  de  ne  pas  fonger 
5j  à  lui ,  comme  fi  lui  même  étoit  indio-ne  de  la  couronne  ? 
>3  Ce  procédé  ne  fait-il  pas  voir  clairement,  que  ce  n'eft  point 
53  des  intérêts  de  la  Religion  qu'il  s'agit  dans  cette  guerre  , 
53  comme  nos  ennemis  nous  l'ont  fi  fouvent  reproche  j  que 
53  c'cft  au  Royaume  même  que  l'on  en  veut ,  pour  la  con- 
j3  fervation  duquel  ils  fe  vantent  de  leur  côté  d'avoir  pris  les 
33  armes  j  &  qu'on  ne  cherche  qu'à  le  détruire  en  le  démem- 
53  brant ,  fuivantle  caprice  des  Espagnols ,  ou  à  le  faire  pafTer 
33  à  une  famille  étrangère,  ce  que  les  François  ont  toujours' 
33  fi  fort  appréhendé. 

Le  duc  de  Mayenne  étoit  inftruit  de  tous  ces  murmures, 
L'mcerré2;ne  étoit  fort  de  fon  goûtj  il  fcavoit  d'ailleurs  que 

G  iij 


54  HISTOIRE 

l'incencîon  du  Pape  écoit  de  tenir  ïqs  efprits  en  fu/pens  fur  le 

H  £  N  »,i  choix  du  Prince  ,  qu'il  vouloic  de  ion  aucoricc  placer  fur  le 

I  V.       trône  ,  comme  s'il  eut  été  vacant ,  ôc  de  lailTer  cette  affaire 

I  j  go.     indécife  jufqu'à  l'arrivée  du  Légat ,  qu'il  fongeoit  à  envoyer 

,.    ,  en  France.  Cependant  comme  il  ne  voulait  pas  auiTi  s'expo- 

Le  cardinal    r       \    i      i      •  i  i*  o  >m    r      i      •      •       i>  / 

de  Bourbon  ^^^ ^  1^  hame  puDlique  j  OC  qui!  louhaitoit  a  un  autre  cote 
déclaré  Koi  d'aiFoiblir  la  faction  d'Efpagne  qui  profitoit  de  l'anarchie 
d°"cbarkx.  F^^'^  ^^  fortifier  de  jour  en  jour  dans  le  Royaume  ,  il  fît  don- 
ner un  Arrêt  qui  fut  rendu  au  Parlement  le  2  i.  de  Novem- 
bre ,  à  la  réquifition  du  Procureur  général ,  toutes  les  Cham- 
bres afTemblees  ,  par  lequel  il  étoit  ordonné  à  tous  les  fujets 
du  Royaume,  de  quelque  condition  qu'ils  fufTent  ,  de  re- 
connoitre  pour  leur  Roi  Charie  X.  héritier  légitime  de  la 
couronne,  de  lui  être  fidèles  ôc fournis,  ôc  d'employer  leurs 
biens  6c  leurs  vies ,  pour  le  tirer  de  fa  prifon  &  le  remettre 
en  liberté  j  ajoutant  que  cependant ,  le  titre  èc  l'aucorité  de 
Lieutenant  général  de  l'Etat  refteroient  au  duc  de  Mayenne, 
jufqu'à  .ce  que  le  Roi  joiiît  d'une  pleine. ôc  entière  liberté  j 
qu'en  attendant  tous  les  arrêts,  &  autres acles  publics  ,  fe- 
joient  rendus  fous  fon  nom ,  &c  que  les  monnoies  léroienc 
frappées  à  fon  nom ,  &  porteroient  ion  image. 

Huit  jours  après,  le  Parlement  rendit  un  autre  arrêt,  par 
lequel  il  étoit  ordonné  aux  Princes ,  Ducs  &  Pairs ,  Maré- 
chaux de  France  ,  aux  grands  OfHciers  de  la  Couronne ,  èc 
aux  Gouverneurs  des  provinces ,  de  le  rendre  aux  Etats  que 
le  duc  de  Mayenne  avoit  convoqués  à  Melun  pour  le  mois 
de  Février  fuivant ,  afin  de  délibérer  en  commun  des  moyens 
de  mettre  le  Roi  en  liberté ,  de  maintenir  la  Religion  Ca- 
tholique ,  Apofloiique  de  Romaine  dans  le  Royaume  j  &C 
de  prendre  de  concert  les  melures  qui  feroient  jugées  con- 
venables au  bien  public. 
Arrivée  du  II  efl  Confiant  que  le  Duc  ne  fe  hâta  de  convoquer  les 
cardinal  Gaë-  ^tats  ,  que  pour  pretîèr  l'arrivée  du  cardinal  Henri  Gaëtano, 

rano  en  ,  i        r  '  m  j    •  i       j  '  c^ 

France  eu  ûont  les  Ligueurs  apprehendoient  que  le  départ  ne  hit  re- 
quaiité  de  tardé  par  les  lettres  de  François  de  Luxembourg  duc  de 
l  'A^t.  Piney.    Ce  Seigneur  avoit  écrit  au  Pape  ,  pour  le  prier  au 

nom  de  tous  les  Princesse  Seigneurs  du  Royaume  qui  fui- 
voient  le  parti  du  Roi ,  de  ne  point  faire  partir  fon  Légat 
pour  la  France  ,  avant  qu'il  fut  arrivé  lui-même  à  Rome, 


o 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVII.        ^^ 

Sixte  ayant  reçu  ces  lettres  ,  avoit  d'abord  fait  efpérer  au 
Duc   de  lui  donner  cette  iatisfaction  ,   témoignanc    qu'il  Henri 
ieroit  bien  aife  d'être  inftruit  par  lui-même  de  i'étac  des       IV. 
affaires   de  France  j  mais  Lazare  Coqueley  étant  venu  à      1580, 
la  traverfe  j  &  ayant  remontré  au  Pape  que  ce  délai  que 
l'on  demandoit  ,  n'étoit  qu'un  prétexte  dont  on  fe  fervoit 
pour  brouiller  de  plus  en  plus  les  affaires  ,  ôc  qu'il  y  auroit 
du  danger  à  l'accorder  ,  le  Légat  eut  ordre  de  partir  3  &  fe 
mit  en  chemin  fur  la  fin  d'OAobre  chargé  des  inftrudions 
de  S.  S.  Il  fe  rendit  d'abord  à  Lyon  ,  où  il  fit  quelque  féjour, 
&:  de-là  il  paflà  à  Dijon ,  où  il  refta  encore  quelque  tems  at- 
tendant une  efcorte ,  avant  que  d'entrer  plus  avant  dans  le 
Royaume. 

Par  fes  inflructions  datées  de  Rome  du  7.  du  même  mois, 
le  Pape  après  avoir  fait  l'éloge  de  la  France  ,  &  des  grands 
fervices  que  nos  Rois  avoient  rendus  au  S.  Siège  dont ,  du 
foit-il ,  la  mémoire  feroit  éternelle  3  après  avoir  rappelle  le 
fouvenir  des  eraces  &  des  bienfaits  du  S.  Siège  envers  nos 
Souverains  ,  qui  avoient  toujours  été  regardés  comme  les 
fils  très-chers  de  la  fainte  Eglife  Romaine ,  &c  des  témoi- 
gnages éclatans  que  les  Souverains  Pontifes  leur  avoient 
donnés  de  leur  tendrefîè  paternelle ,  ôc  de  leur  affection  ré- 
ciproque 3  enfin  après  avoir  déploré  le  trille  état  où  ce  fîo- 
riiîant  Royaume  fe  trouvoit  alors  réduit  ,  difoit  :  Qu'à 
l'exemple  de  Ces  prédécefîcurs  ,  pour  apporter  un  remède 
convenable  à  tant  de  maux  ,  de  l'avis  du  facré  Collège,  il 
avoit  nommé  le  cardinal  Gaetano  pour  fon  Légat  en  France^ 
afin  qu'aidé  de  la  grâce  de  Dieu  ,  il  y  arrachât ,  détruisît , 
diffipât ,  bâtît  &  plantât  ,  félon  qu'il  le  jugeroit  nécelTaire 
dans  le  Seigneur  ,  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu  6c  le 
falut  des  âmes  j  que  fuivant  les  fages  confeils  qu'on  lui  avoit 
donnés ,  il  prit  les  moyens  les  plus  propres  pour  maintenir 
la  Religion  Catholique  dans  toutes  les  parties  du  Royaume, 
&c  ramener  les  hérétiques  à  l'union  ,  &  au  fein  de  l'Eglife 
notre  fainte  mère  3  èc  qu'enfin  après  avoir  rétabli  par-touc 
l'exercice  de  la  Religion  Catholique,  la  paix  de  la  tranquil- 
lité de  l'Etat ,  il  fît  en  forte  que  toute  la  nation  réunie  fous 
un  Roi  débonnaire  ,  pieux ,  &  véritablement  très- Chrétien  , 
pût  trouver  fon  bonheur  dans  fa  foûmiffion  à  «e  Prince  ^  oc 


56  HISTOIRE 

■ '  en  rendre  à  Dieu  d'immortelles  actions  de  grâces.   Enfin  il 

Henri  exhortoic ,  prioit ,  conjuroic  par  les  entrailles  de  la  miieri- 
i  V.  corde,  tous  les  Princes,  Seigneurs,  &  en  général  tous  les  Etats 
ï  «89,  ^^^  Royaume  ,  d'imiter  enfin  le  zélé  vraiment  catholique  de 
leurs  ancêtres ,  en  mettant  tout  en  œuvre  pour  fe  préierver 
du  poifon  mortel  de  l'héré/ie  dont  ils  avoient  guéri  tant  de 
fois  auparavant  les  autres  nations  j  de  couper  Se  d'écrafer  les 
têtes  de  cette  hydre  cruelle  ,  tant  de  fois  renailîantes ,  dc 
toujours  prêtes  à  dévorer  les  âmes  rachetées  au  prix  du  fang 
précieux  de  Jerus^Chrift  ^  d'arracher  jufqu'aux  moindres 
racines  de  la  divifîon  &  de  la  difcorde  qui  regnoient  entr'euxj 
d'en  oublier  jufqu'au  fouvenir ,  afin  qu'après  les  fureurs  de 
la  guerre ,  le  règne  de  la  paix  fe  trouvant  par-tout  rétabli  ^ 
êc  le  troupeau  du  Seigneur  réiini  dans  une  même  bergerie, 
tous  de  concert  rendiitent  à  un  même  Roi  Catholique  6c  lé- 
gitime ,  l'obéifTance  qui  lui  étoit  due  j  fur-tout  de  recevoir 
fon  Légat  avec  le  refped  &  l'honneur  qui  lui  étoient  dûs  j 
defuivre  fes  confeils  falutaires  j  6c  d'obéïr  à  fes  oi*dres ,  afin 
de  mériter  de  la  bonté  du  Seigneur  ,  fource  des  véritables 
biens ,  toute  forte  de  bonheur  dans  cette  vie,  ôc  une  recom- 
penfe  éternelle  dans  le  ciel. 

Ceux  des  Ligueurs  qui  étoient  les  plus  équitables  ,  voyant 
que  dans  ces  inftrudions  on  ne  faifbit  aucune  mention  du 
rnalheureux  Cardinal  prifonnier  ,  ôc  qu'on  y  parloit  feule- 
ment d'une  manière  vague  ôc  équivoque  du  choix  d'un  Roi 
légitime ,  jugeoient  que  par  toute  cette  manœuvre  on  n'a- 
voit  d'autre  deflein  que  d'exclure  abfolument  de  la  Cou- 
ronne ,  toute  la  famille  Royale.  »  En  effet,  difbient-ils , 
>î  pourquoi  laifTer  cette  décifion  incertaine  ?  Pourquoi  ne 
>>  faire  aucune  mention  du  Cardinal ,  que  nous  devons  re- 
»?  garder  comme  notre  Roi  légitime  ,  s'il  eft  vrai  que  le  Roi 
53  de  Navarre  fe  foit  rendu  indigne  du  trône  pour  les  raifons 
91  qu'on  nous  a  fî  fouvent  alléguées  ?  «  Ce  procédé  contribua 
donc  encore  à  augmenter  le  mécontentement ,  fans  que  la 
publication  toute  récente  des  arrêts  du  Parlement  fût  capa- 
ble d'étouffer  les  plaintes  &i  les  murmures.  Ceux  du  parti 
qui  penfbient  de  la  forte  regardoient  ces  réglemens ,  plutôt 
comme  un  appas  dont  on  fe  ïervoit  pour  appaifer  les  gens  de 
Jpjen ,  quç  comnie  une  fuite  des  intentions  du  Pape ,  &  de 

ceu3^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        57 

ceux  qui  ne  fe  gouvernoienc  en  France  que  par  fes  ordres.  .; 

Ainfi  cette  idée  en  engagea  plufîeurs  à  Te  décacher  de  la  Henri 
Ligue,  I V. 

Cependant  le  duc  de  Luxembourg  après  avoir  reçu  les  1589. 
inrtrucl:ions  des  Princes  &,  Seigneurs  du  parti  du  Roi ,  iuivant 
la  permiiîîon  que  ce  Prince  leur  en  avoic  donnée  lorfqu'iis 
lui  avoient  prêté  ferment  de  fidélité  ,  datées  du  camp  de 
Neuilly  du  16.  d'Août,  êc  lignées  par  Louis  de  Revol  Se- 
crétaire d'Etat ,  s'étoit  mis  en  chemin  pour  fè  rendre  à  Rome. 
Mais  comme  il  avoit  pris  fa  route  par  la  Suifle  èc  par  le  païs 
des  Grifons ,  il  n'arriva  qu'allez  tard  en  Italie.  Il  palTa  d'a- 
bord par  Ferrare  ,  par  Mantouc,  par  Florence  &:  par  Ve- 
nife  i  afin  de  ialuer  cet  illuftre  Sénat ,  &:  les  Souverains  de 
ces  autres  Etats ,  leur  rendre  les  lettres  que  le  nouveau  Roi 
leur  écrivoit  j  obtenir  d'eux  des  recommandations  auprès 
du  Pape  &  des  Cardinaux  ^  &  les  engager  à  lui  être  favo- 
rables dans  une  occafion  où  il  s'agilfoit  du  iaiut  de  la  France , 
auquel  ils  dévoient  s'intéreiîer ,  aufli-bien  que  toute  l'Italie. 

D'un  autre  côté  ,  le  Roi  qui  après  la  prile  des  fauxbourgs  prife  d'E- 
de  Paris  s'étoit  avancé  jufqu'à  Montlehery  ,  ayant  eu  avis  j^"?P*^5  P^"^  ^^ 
qu'Alexandre  de  Caftelnau  comte  de  Clermont  dans  le  Dio- 
cèfe  de  Lodéve  en  Languedoc  ,  jeune  Seigneur  diftingué  par 
fa  nailTànce  ,  mais  fort  étourdi ,  avoit  embraffé  le  parti  de 
la  Ligue  j  &:  que  foit  à  delïein  ,  foit  par  hafard  ,  il  s'étoit  en- 
fermé dans  Etampesavec  environ  cinquante  Gentilshommes, 
marcha  droit  de  ce  côté-là,  &  arriva  devant  cette  ville  le  5. 
de  Novembre  fur  le  foir.  On  difoit  que  le  comte  de  Cler- 
mont s'attendoit  à  êtrefecouru  par  le  duc  de  Mayenne.  On 
en  fut  même  alTûré  par  des  lettres  qu'on  intercepta  3  &  c'eft 
ce  qui  fit  efpérer  au  Roi  que  ce  pourroit  être  une  occafion 
pour  lui  d'en  venir  aux  mains  avec  le  Duc.  Les  fauxbourgs 
furent  d'abord  emportés,  &  peu  de  tems  après  la  ville  même 
fut  abandonnée  par  la  garnifon  qui  fe  retira  dans  le  château 
avec  toute  la  Nobleflc  qui  avoit  fuivi  le  Comte.  Enfin  com- 
me le  fecours  ne  paroilFoit  point ,  la  place  fe  rendit  huit  jours 
après ,  à  condition  que  huit  des  principaux  Officiers  rcfte- 
roient  prifonniers  ,  &  ne  ièroienc  relâchés  que  lorfqu'iis  au- 
roient  obtenu  la  liberté  d'autant  de  Royaliftes  qu'on  leur 
.nomma ,  àc  qui  avoient  été  pris  par  les  Ligueurs.  Le  Roi 
Tor/je  XI,  H 


5^  HISTOIRE 

î=îîï=!ïî!!î??  permit  cependant  au  con-ite  de  Clermont  &c  à  deux  Colonels 
Henri  de  fe  retirer  fur  leur  parole.  Au  refte  ce  Prince  ayant  corn 

IV.       ^     '  


1585). 


paffion  de  cette  ville  ,  qui  en  très-peu  de  tems  avoit  été  crois 
rois  prife  ôc  pillée,  en  confia  la  garde  aux  habitans  après  avoir 
fait  rafer  le  château  ,  afin  qu'elle  ne  fût  plus  expolëe  à  être 
infultée  par  les  troupes. 

Tandis  que  le  Roi  étoit  à  Etampes ,  il  reçut  une  lettre  de 
la.  reine  Louife  veuve  de  Henri  III.  avec  une  requête  par  la- 
quelle cette  PrincelTe  prioit  S.  M.  &  tous  les  Seigneurs  de 
ion  parti  ,  de  tirer  vengeance  du  parricide  exécrable  com- 
mis dans  la  perfonne  du  feu  Roi  fon  prédécefTeur  3  les  fup- 
pliant  de  lui  en  faire  avoir  la  fatisfadion  par  les  voies  de  la 
Juflice.  Dès  le  6.  de  Septembre  le  Roi  avoit  déjà  reçu  une 
lettre  femblable  de  cette  Princefle.  Lorfque  cette  requête 
fut  lue  au  Confèil ,  il  n'y  eut  aucun  des  Seigneurs  qui  n'en 
fût  touché.  Tous  fondirent  d'abord  en  larmes  ,  qui  furent 
fuivies  d'une  indignation  générale,  &  d'une  forte  réfolutîon 
qu'ils  prirent  de  venger  le  meurtre  du  Roi.  Henri  envoya 
cette  requête  au  Parlement  avec  ordre  de  travailler  aux  in- 
formations ,  afin  qu'il  pût  les  examiner  lui-même  ,  6c  afTifter 
en  perfonne  au  jugement  qui  feroit  prononcé  en  conféquence. 
Dans  la  lettre  qu'il  écrivit  à  ce  fujet  ,  il  faifoit  d'abord  un 
grand  éloge  de  la  piété  &  de  la  modération  de  la  Reine  fa 
iœur  ,  qui  remettoit  aux  loix  la  vengeance  de  ceux  qui  n'a- 
voient  pas  craint  de  violer  toutes  les  loix  divines  &  humai- 
nes 5  proteftant  que  pour  lui ,  il  fe  réfèrvoit  à  la  venger  d'une 
autre  façon  par  la  voye  des  armes. 

t^ependant  comme  l'ennemi  ne  faifoit  aucun  mouvement , 
le  Roi  partagea  fes  troupes.  Il  en  donna  une  partie  au  duc 
de  Longueville  Se  à  la.  Noue  ,  avec  ordre  de  pafTer  en  Pi- 
cardie pour  contenir  cette  province  dans  le  devoir.  Il  ren- 
voya auffi  dans  la  Brie  Anne  d'Anglure  de  Givry ,  qui  lui 
avoit  amené  des  troupes  quelque  tems  avant  la  prifè  des 
fâuxbourgs  de  Paris.  Pour  lui  il  marcha  vers  la  Loire  ,  afin 
de  mettre  ordre  aux  affaires  des  provinces  fituées  de  ce  côté- 
là  j  &  ayant  traverfé  la  Beaufle  ,  après  avoir  repris  Janville , 
il  fe  rendit  par  Blois  à  Châteaudun. 

Ce  fut  là  qu'il  donna  audience  aux  colonels  des  SuifTès , 
qui  après  la  mort  du  feu  Roi  avoienc  été  députés  vers  leurs 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        s0 

Cantons ,  pour  prendre  d'eux  de  nouveaux  ordres ,  6c  ren-  ;=!==; 
dre  enfuire  compte  au  Roi  des  difporitions  où  ils  étoient  dans  Henri 
ces  conjonclures.  Us  âfTiirërenc  donc  ce  Prince  à  leur  recour  ,       I  V. 
que  les  Cantons,  avoient  rëfoiu  de  le  fervir  avec  le  même     1589. 
zélé  ,  qu'ils  avoient  fervi  fon  prédëcefTeur  j  qu'ils  ordon- 
noient  aux  troupes  Suillès  qui  étoient  dans  ion  armée ,  de 
refter  à  Ibn  fervice  j  &  qu'ils  ne  fouhaitoient  rien  tant,  que 
de  renouveller  avec  lui  l'ancienne   alliance  qu'ils  avoient 
faite  avec  les  autres  rois  de  France  Tes  prédéceireurs  d'heu- 
reufe  mémoire.    Avec  eux  étoit  arrivé  Jacque  Augufte  de 
Thou.   Après  avoir  quitté  à  Vérone,  Scnomberg  qui  avoic 
pris  la  route  de  Trente ,  ce  Magiftrat  avoit  traverfé  le  païs 
des  Grifons ,  les  Cantons  de  Zurick  &  de  Baie,  la  Franche- 
Comté  ,  Se  le  païs  de  Langres,  dans  la  compagnie  des  Offi- 
ciers SuifTes  ,  expofé  fans  celle  à  mille  dangers.  Enfin  de  re- 
tour auprès  du  Roi    il  lui  rendit  compte  de  ce  qui  s'éroit 
pafTé  en  Italie  après  la  mort  de  fon  prédéceileur  :  voici  ce 
qui  étoit  arrivé. 

De  Thou  étoit  à  Venife  ,  lorfqu'on  y  reçut  la  première  Henri  iv. 
nouvelle  de  la  mort  du  roi  Henri  III.  D'abord  on  n'y  ajouta  J.""""*^  ^^'^ 
aucune  foi.  Jean  Mocenigo  ambafladeur  de  la  République  le^sVenScns! 
â  la  cour  de  France  étoit  refté  à  Tours  avec  le  Parlement 
ôc  le  Confeil ,  lorfque  ce  Prince  alla  joindre  fon  armée  j  il 
avoit  écrit  fur  le  premier  bruit  qui  s'étoit  répandu  3  il  étoit 
éloigné  du  lieu  où  le  Roi  étoit  mort  -,  c'en  fut  alTez  pour  que 
les  plus  fages  jugeaflènt  qu'il  falloit  attendre  la  confirma- 
tion de  cette  nouvelle.  Cependant  fuivant  la  coutume  des 
Italiens ,  il  fe  fit  beaucoup  de  gageures  à  Venife  fur  cet  évé- 
nement. En  même  tems  cette  nouvelle  ayant  été  mandée 
de  Milan ,  de  Ferrare  ,  &  de  Florence  ,  où  elle  pafToit  pour 
confiance,  les  gageures  redoublèrent  ,&  on  vit  un  deiiil  6c 
une  conflernation  générale  dans  toute  la  ville  ,  comme  fî  la 
République  elle-même  eut  été  fur  le  panchant  de  fa  ruine. 
Les  plaintes  fe  tournèrent  enfùite  en  indignation  ,  èc  l'ani- 
mofité  devint  fi  grande  contre  les  Jacobins ,  que  quelques 
jeunes  Nobles  ayant  rencontré  fur  la  brune  deux  Religieux 
de  cet  Ordre  hors  de  leur  couvent  ,  en  maltraitèrent  un 
très-fort,  ôcjettèrent  l'autre  dans  le  grand  canal ,  où  il  cou- 
rut rifque  de  la  vie.  On  eut  beau  fe  plaindre  le  lendemain 

H  ij 


éo  HISTOIRE 

■  de  cette  infulte  •  les  Sénateurs  avec  leur  prudence  ordinaire 
H  E  N  K 1  éludèrent  toutes  les  pourfuites ,  en  répondant  qu'il  ne  con- 
I  V.       venoit  point  à  des  Religieux  de  fortir  de  leur  maifon  pour 
o         courir  pendant  la  nuit  •  &  que  dans  les  circonftances  où  l'on 
(e  trouvoit ,  il  n'étoit  pas  pollible  d'empêcher  ablolumenc 
certains  défordres  dans  une  ville  libre  ou  il  y  avoit  un  con- 
cours général  de  toutes  fortes  de  nations. 

Telle  fut  la  fîtuation  de  Venile  depuis  le  1 4.  d'Août ,  qu'on 
y  apprit  la  première  nouvelle  de  la  mort  du  Roi ,  juiqu'au 
21.  Ce  jour-là  on  recrut  une  féconde  lettre  de  Mocenigo 
qui  confirmoit  la  première  ,  &  ajoûtoit  de  plus  que  le  roi  de 
Navarre  avoit  été  reconnu  unanimement  par  tous  les  Prin- 
ces ,  Seigneurs ,  &:  Officiers  de  l'armée  ,  comme  héritier  lé- 
gitime de  la  Couronne ,  &  que  toutes  les  troupes  lui  avoient 
prêté  ferment  de  fidélité.  Cette  dernière  nouvelle  non  feu- 
lement calma  la  douleur  dont  on  étoit  pénétré  de  la  mort  de 
fon  prédéceilèur  •  elle  fit  même  concevoir  au  Sénat  que  cet 
événement  inquiétoic ,  une  eipèrance  certaine  de  voir  rele- 
ver ce  Royaume  il  florifTant  ,  le  plus  puiflànt  de  toute  la 
Chrétienté  j  qui  tient,  pour  ainfi  dire  ,  la  balance  égale  en- 
tre les  autres  Potentats,  6c  met  leurs  intérêts  dans  un  julle 
équilibre  pour  empêcher  que  le  plus  foible  ne  foit  opprimé 
par  le  plus  fort.  Ce  Corps  fi  lage  ne  douta  plus  que  ce  Royau- 
me,que  les  politiques  croyoient  devoir  être  abattu  du  dernier 
coup  qu'il  venoit  de  recevoir  ,  ,ne  reprît  de  nouvelles  forces 
avec  fon  ancienne  vigueur  ,  par  la  valeur  du  roi  de  Navarre 
dont  ce  Prince  avoit  donné  tant  de  preuves  dansletemsde 
fa  mauvaife  fortune.  En  effet  les  Vénitiens  étoientperfuadés 
que  dans  ces  conjondures  il  n'y  avoit  point  d'autre  moyen 
de  fauver  la  France ,  que  de  iuivre  l'ordre  de  la  fucceffion 
établi  par  les  loix  j  qu'ainfi  le  roi  de  Navarre  ayant  un  droit 
légitime  à  la  Couronne  ,  les  Princes  &:  les  Seigneurs  ne  pou- 
voient  agir  plus  fagement  pour  le  bien  de  l'Etat  ôc  pour  leurs 
propres  intérêts,  que  de  fe  déclarer  en  faveur  de  ce  Prince3 
que  les  François  &  les  étrangers  même  avoient  une  (i  gran- 
de idée  de  fon  mérite  &  de  fa  valeur ,  que  ce  qu'il  ne  pourroic 
exécuter  pour  le  bien  de  l'Etat ,  il  étoit  inutile  de  l'attendre 
&  de  l'efpérer  de  tout  autre  j  enfin  que  le  confentement  una- 
nime des  Princes  ,  àas  Seigneurs ,  6c  de  toute  la  Nobleflè 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.       ^r 

Françoife  ,  étoit  une  raifon  légitime  d'efpérer  qu'il  rccabli- 
roic  ce  Royaume    qui  s'etoic  vu  à  deux  doigts  de  fa  ruine.  Henri 
En  ciFjt,  s'il  ne  fe  tut  trouvé  aucun  héritier  légitime  du        IV. 
trône,  (^'auroic  été  à  eux  à  fe  choiiir  un  Roi  ^  6c  ainfi  s'é-      1589. 
tant  tous  réunis  pour  reconnoître  le  roi  de  Navarre ,  à  qui 
la  Couronne  appartenoit   de   droit  ,   &  qui  d'ailleurs  s'en 
étoit  rendu  fî  digne  par  fes  vertus ,  il  n'y  avoit  aucun  lieu 
de  douter  que  fon  avènement  à  la    Couronne  ne  fut  fuivi 
du  fuccès  le  plus  heureux.   Par  conféquent   tous  ceux  qui 
s'intéreiïoient  au  falut  de  la  France   dévoient  bien  augurer 
de  fon  régne,  6c  aider  de  leurs  confeils  ,  de  leurs  forces,  de 
de  leur  crédit  un  Prince  que  fa  naiflance  ,  fon  mérite,  de  le 
confentement  général  de  toute  la  Noblefle ,  venoient  dépla- 
cer fur  le  trône  comme  de  concert. 

Deux  jours  fe  palTérent  à  faire  6c  à  pefer  ces  réflexions  j 
6c  pendant  ce  tems-là  le  Sénat  ayant  permis,  félon  l'ufage 
de  la  République,  d'oppofer  à  ces  raifons  tout  ce  qu'on 
croiroit  capable  de  les  affoiblir,  il  n'y,  eut  perfonne  qui  ne 
fût  d'avis  de  reconnoître  le  roi  de  Navarre  pour  roi  de 
France.  Il  fe  trouva  feulement  quelques  Sénateurs  qui  cru- 
rent qu'il  feroic  à  propos  d'attendre  quelque  tems  à  fè  dé- 
clarer, à  caufe  de  l'obftacle  qui  fe  rencontroit  dans  la  Re- 
ligion de  ce  Prince,  6c  pour  ne  pas  faire  de  peine  au  Pape 
qui  étoit  leur  voifin  de  trop  près.  L'Ambafladeur  de  Savoie 
demandoit  ce  délai  avec  beaucoup  d'inftance.  D'un  autre 
côté  le  roi  d'Efpagne  qui  depuis  dix  -  fept  ans  n'avoic 
point  eu  d'Ambafladeur  à  Venife ,  y  en  avoit  envoyé  un 
ïlir  l'avis  qui  lui  avoit  été  donné  ,  à  ce  qu'on  croit ,  de  l'ex- 
communication que  le  Pape  devoit  lancer  contre  le  Roi  5 
èc  ceMiniftre  de  concert  avec  TAmbaflàdeur  de  l'Empe- 
reur prefloit  vivement  le  Sénat  de  ne  point  reconnoître  le 
roi  de  Navarre  ,  que  S.  S.  avoit  déclaré  depuis  peu  indigne 
de  fuccédcr  à  la  Couronne. 

Cependant  le  Nonce  du  Pape  ne  s'endormoit  pas.  Ani- 
mé par  l'ambaiTadeur  d'Efpagne,  il  mettoit  tout  en  œuvre 
pour  détourner  le  Sénat  d'une  li  fage  réfolution  ,  jufqu'à  le 
menacer  s'il  reconnoilloit  le  roi  de  Navarre,  qu'il  fortiroîc 
de  Venife  ^  de  que  pour  lui  apprendre  à  faire  fi  peu  de  cas 
de  fes  cenfureSjle  Pape  l'excommunieroit  lui-même.  Mais 

Hiij 


êz 


HISTOIRE 


-  '■  '  le  Sénat  lui  fie  réponfe  :  Qu'il  ne  méprifoic  point  hs  fou- 

Henki  dres  de  S.  S.  Qu'au  refte  il  ëcoit  de  l'intérêt  de  la  Répu- 
I  V.  blique  qu'il  y  eût  en  France  un  Roi  reconnu  pour  tel ,  avec 
I  cSo.  qui  elle  pût  entretenir  correfpondance  :  Qu'ayant  donc  ap- 
pris que  la  Nation  s'étoit  déclarée  pour  le  roi  de  Navarre, 
ils  ne  pouvoient  fe  difpenfer  de  lui  rendre  les  mêmes  de- 
voirs que  les  Rois  fes  prédéceflèursavoient  reçus  de  la  Ré- 
publique ,  fur-tout  étant  bien  informés  qu'il  avoit  été  re- 
connu ,  même  par  des  Cardinaux  qui  compofent  le  Confeil 
de  S.  S.  &  qu'ils  s'étoient  foûmis  à  lui  comme  à  l'héritier 
légitime  de  la  Couronne  :  Qu'à  l'égard  de  fa  Religion  c'é- 
toit  une  affaire  qui  ne  les  regardoit  point ,  &  dont  ils  laif- 
foient  le  foin  au  S.  Père  :  Qu'ils  fouhaitoient  èc  prioient  mê- 
me inftamment  S.  S.  de  travailler  avec  zélé  à  l'inftrudion 
de  ce  Prince  ;  Que  pour  eux  ils  ne  fe  mêioient  que  de  ce 
qui  les  touchoit  j  &  que  leurs  intérêts  ne  leur  permettoient 
pas  de  différer  plus  iongtems  à  prendre  une  réfolution  fixe  : 
Qii'ils  fupplioient  donc  S.  S.  de  ne  point  prendre  de  fibon^ 
nés  raifons  en  mauvaifè  part  ,  &;  de  ne  point  fe  porter 
pour  cela  contr'eux  à  aucune  extrémité  :  Qu'autrement  fi 
elle  prenoit  mal- à- propos  contr'eux  quelque  réfolution 
injufte  &  violente  ,  elle  les  obligeroit  réellement  de  fe  mo- 
quer- de  fes  cenfures  dont  on  les  accufoit  à  tort  de  faire  peu 
de  cas  (i) . 

En  conféquence  le  Sénat  fit  un  décret  par  lequel  il  re- 
connoiffoit  dès-lors  le  roi  de  Navarre  pour  roi  de  France. 
Le  lendemain  à  la  réquifition  de  Monfignor  Marc-Antoine 
Barbaro  un  des  Procurateurs  de  faint  Marc,  il  fut  arrête 
tout  d'une  voix  qu'on  écriroit  inceflàmment  à  ce  Prince  ; 
que  dans  les  lettres  on  lui  donneroit  le  titre  de  Roi  Très- 
Chrétien  3  qu'en  même-tems  on  enverroit  ordre  à  l'Am- 
bafladeur  de  les  préfenter  au  Roi  à  la  première  occafion 
de  la  part  du  Sénat  •  6c  qu'on  lui  expédieroit  de  nouveaux- 
pouvoirs  pour  continuer  fes  fondions  auprès  de  S.  M.  juf. 
qu'à  ce  que  la  République  en  eût  nommé  un  autre  pour  le 


(  I  )  Lcti  ajoure  que  le  Nonce , 
après  cette  réponfe  du  Se'nat  partit 
de  Venife  avec  autant  de  pre'cipita- 
tion  que  s'U  eût  pris  la  fuite ,  ôc  fe  ren- 


dit en  pofte  à  Rome  ;  qu'à  fon  arrive'e 
le  Pape  ne  voulut  pas  feulement  le 
voir  ;  8c  qu'il  lui  fit  dire  de  retourner 
à  Venife  auffi  vite  qu'il  en  étoit  venu. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVII.     ^3 

remplacer.  Le  Sénat  fie  part  de  cette  délibération  à  André 
Hurault  fieur  de  MeiiTe ,  ambairadeur  de  France  auprès  de  la  Henri 
République,  qui  n'avoit  point  encore  rec^u  de  nouvelles  ni       I  V. 
de  pouvoirs  du  nouveau  Roi  ^  le  priant  de  continuer  néan-     i  ego. 
moins  de  réfider  à  Venife  3  6c  l'airûrant  qu'on  lui  conferve- 
roitlçs  mêmes  privilèges  dont  il  jouiiToit  du  vivant  du  roi 
Henri  III. 

Tout  cela  fè  pafla  avec  une  joie  qui  paroiiToit  peinte  jufques 
fur  les  vifàges.Il  fembloit  que  ce  Royaume,  dont  on  regardoic 
laperte  comme  certaine,au  grand  préjudice  delà  République 
fût  miraculeufement  relïufcitè. Bientôt  aprèsjcette  joie  éclata 
par  des  tran (ports  qui  furent  portés  jufqu'à  l'excès. Quelqu'un 
aïant  rencontré  fur  ces  entrefaites  dans  la  boutique  d'unPein- 
tre  un  vieux  portrait  tout  poudreux,dont  les  traits  prefqu'en- 
dérement  effaces  repréfentoient ,  difoit-on  ,  Henri  IV.  non- 
feulement  on  l'expofa  en  public  j  mais  en  très-peu  de  tems 
on  en  tira  à  la  hâte  une  infinité  de  copies  qui  furent  auffi- 
tôt  mifes  en  vente.  Quelques  peintres  même  enexpoférent 
jufques  fur  les  dégrés  du  palais  de  faint  Marc  j  enhardis 
par  quelques-uns  des  Nobles  qui  vouloient,  difoient-ils, 
faire  de  la  peine  à  l'ambafiTadeur  d'Efpagne ,  &  aux  autres 
Minières  étrangers  ennemis  de  la  France  qui  étoient  obli- 
gés de  pafler  par-là  pour  aller  au  Sénat.  Enfin  pendant  quel- 
ques jours  il  y  eut  un  fi  grand  concours  de  monde  à  voir 
&  a  acheter  ces  tableaux  ,  que  liis  Peintres  n'y  pouvoient  fuf- 
fire  ,  ôc  que  la  ville  fe  trouva  tout  d'un  coup  remplie  de  ^ 
ces  portaits  du  Roi  ,  la  plupart  fort  mal  tirés. 

De  Thou  pafia  à  Vérone  fur  les  avis  de  Schomberg  j  & 
ce  Seigneur  l'ayant  enfuite  mandé  à  Mantouë ,  où  il  étoic 
déjà  arrivé,  il  fe  rendit  aufiîtôt  dans  cette  ville.  De-là, 
après  avoir  eu  enfemble  quelques  conférences ,  ils  retour- 
nèrent de  compagnie  à  Vérone  3  6c  de  Meiiîe  étant  arrivé 
fur  ces  entrefaites  ils  reprirent  encore  le  chemin  de  Man- 
touë où  ils  conférèrent  avec  le  duc  Vincent ,  qui  pendant 
leur  abfence  avoit  reçu  des  Lettres  du  Grand  Duc  oncle  de 
la  Duchefie  fon  époufe. 

Le  rèfukat  de  leurs  conférences  fut  :  Qiie  puifque  ces 
deux  Princes  ne  pouvoient  pas  fe  déclarer  ouvertement 
pour  le  Roi,  6c  ne  le  dévoient  pas  même  dans  les  circonilances 


64-  HISTOIRE 

■  préfentes  ,  ils  agiroient  fous  main  de  concert  avec  les  Véni- 

H  E  N  K  i  tiens  qui  venoient  de  le  reconnoître  hautement,  pour  appuyer 
I  V.  de  tout  leur  pouvoir  les  intérêts  de  ce  Prince  en  Italie,  &: 
1^80  principalement  à  Rome  ^  fur -tout  pour  rompre  l'alliance 
que  le  roi  d'Elpagne  ménageoit  avec  les  Suilles ,  &  à  la- 
quelle travailloient  avec  ardeur  le  Nonce  quele  Papeavoic 
envoyé  aux  cinq  petits  Cantons,  àc  Léon  de  Lelcot  con- 
feiller  au  parlement  de  Paris ,  que  les  Ligueurs  avoient- dé- 
puté auparavant  à  Lucerne ,  tous  deux  fécondés  par  le 
colonel  Louis  Phiffer ,  dont  j'ay  déjà  parié  :  Qiie  pour 
cela  ils  feroient  palîèr  quelque  argent  en  SuiHè,  afin  de 
calmer  un  peu  la  Nation  pour  le  préfent ,  èc  d'appaifer  fes 
mécontentemens  en  lui  faifant  efpérer  qu'elle  toucheroit 
înceiTamment  le  refte  de  ce  qui  lui  étoit  du ,  &  que  dans  la 
fuite  [qs  troupes  feroient  mieux  payées.  En  même-tems 
comme  le  Grand  Ducavoit  retenu  l'argent  qui  étoit  pro- 
mis au  feu  Roi ,  &  qu'on  avoit  déjà  fait  pafler  en  Allema- 
gne pour  être  employé  à  y  lever  des  troupes,  ayant  pour 
cela  arrêté  le  voyage  du  chevalier  Guicciardin  qui  avoit 
ordre  de  l'y  conduire  j  ce  Prince  pour  donner  au  nouveau 
Roi  une  preuve  de  fon  affection  &:  de  fon  attachement , 
chargea  de  Thou  à  fon  retour  en  France  de  négocier  le 
mariage  de  la  Princelle  Marie  fa  nièce  avec  quelqu'un  des 
Princes  du  Sang ,  lui  défignant  particulièrement  Henri 
prince  de  Dombes ,  afin  que  cette  alliance  fdt  comme  le 
gage  de  l'amitié  fecréte  que  le  Grand  Duc  vouloit  entre- 
tenir avec  le  Roi.  Ce  Miniilre  avoit  ordre  de  faire  entendre 
à  ce  Prince  qu'il  tireroit  de  ce  mariage  les  mêmes  avanta- 
ges qu'on  avoit  fait  efpérer  à  fon  prédécefleur  3  que  Ferdi- 
nand donneroit  à  fa  nièce  trois  cens  mille  écuspour  fa  dot, 
&  que  le  Roi  pourroit  en  difpofer  ,  en  alignant  en  échange 
à  la  Princefl^j  quelques-unes  des  villes  dont  il  étoit  maî- 
tre en  Gafcogne,  où  il  poffédoit  une  grande  étendue  de 
païs. 

Le  duc  de  Mantoue  ajouta  :  Qii'il  recommandoit  par- 
ticulièrement au  Roi  le  duc  de  Nevers  fon  oncle ,  qui  aulîî- 
bien  que  lui  étoit  proche  parent  de  S.  M.  puifque  Fran- 
coife  &  Anne  d'Alençon  ayeules,  l'une  de  Henri,  &:  l'au- 
tre du  Duc  étoient  locurs  :  Qii'il  le  prioit  de  lui  pardonner 

s'il 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        ^5 

s'il  lui   avoir  été  peu  favorable   auparavaiic  :  Que  ce  n'a- 
voic  été  que  par  une  tendrelTe  de  confcience  que  la  diffé-  Henri 
rence  de  Religion  lui  infpiroic  :  Qiie  c'écoic  ce  qui  le  fai-      i  y. 
foie  hëficer  encore  à  fe  déclarer  en  fa  faveur  :  Qu'au  refte     i  ^gg, 
il  chargeroic  fon  Réfidenc  à  la  Cour  de  France,  à  qui  il 
avoicdéja  envoyé  ordre  derefter  auprès  de  S.  M.  de  parler 
à  fon  oncle  ,  de  le  guérir  de  fes  fcrupules  ,  ôc  de  le  raccom- 
moder avec  le  Roi. 

Ainfl  fe  termina  cecce  négociation ,  après  laquelle  les  Mi- 
nîftres  du  Roi  retournèrent  à  Vérone.  Là  ils  fe  féparérent  j 
le  fieur  de  MeilTe  reprit  le  chemin  de  Venife  j  Schomberg 
palla  en  Allemagne  ,  attendants  l'un  6c  l'autre  les  ordres  du 
nouveau  Roi.  A  l'égard  de  Tliou  ,  ayant  reçu  de  nouveaux 
ordres  au  fujet  des  affaires  d'Allemagne  ,  il  reprit  en  dili- 
gence le  chemin  de  France  j  il  paiTa  par  Soleure  pour  voir 
Nicolas  Brulart  de  Sillery  ,  â  qui  il  rendit  compte  de 
ce  qui  ^'étoit  paiïe  en  Italie  j  deJà  il  continua  fa  route ,  &; 
arriva  enfin  à  Chateaudun ,  où  il  eue  un  long  entretien 
avec  le  Roi. 

Ce  Prince  partit  de  cette  ville  le  14.  de  Novembre,  5c  PrifedeVen- 
alla  coucher  le  lendemain  à  Mellay  ,  après  avoir  fait  quel-  dôme  par- 
ques détachemens  pour  aller  invertir  Vendôme.  Cette  place  ^^^^'^   '^ 
dont  la  {ituation  eft  très-avantageufe  ,  dc  qui  étoit  encore 
fortifiée  d'un  bon  château,  avoit  pour  gouverneur  Jacque 
de  Maillé  Benehart,  que  Henri  IV.  lui-même  y  avoit  mis 
avant  fon  avènement  à  la  Couronne,  de  qui  à  l'infigne  tra- 
hifon  qu'il  avoit  faite  au  feu  Roi  avoit  joint  l'artifice  le  plus 
indigne  contre  le  comte  de  SoilTons. 

La  ville  de  Vendôme  eft  fituéefur  la  Loire,  environnée 
d'un  foifé,  &  revêtue  de  bonnes  murailles.  Le  château  cft 
bâti  fur  un  rocher  qui  la  domine ,  fort  efcarpé  du  côté  de 
de  la  ville,  6c  fortifié  du  côté  de  la  campagne  de  murs,  de 
tours,  6c  d'un  foflè  profond.  Ce  fut  de  ce  côté-là  que  le 
Roi  jugea  à  propos  de  faire  (es  attaques.  Benehart  de- 
manda d'abord  à  traiter  avec  François  du  PlefFis  de  Riche- 
lieu Grand  Prévôt  de  l'Hôtel.  Ils  eurent  enfemble  plu- 
fîeurs  entrevues  •  mais  lorfqu'il  fallut  convenir  des  articles 
le  Roi  voyant  que  Benehart  ne  cherchoit  qu'à  l'amufer  , 
fie  avancer   le  canon  le  lendemain,  êi  drcfla  une  batterie 

Tûme  XL  I 


GG  HISTOIRE 

contre  deux  des  tours  du  château,  dans  le  defïein,  après 

Henri  y  avoir  fait  brèche ,  de  battre  le  mur  de  communication 
I  V,  qui  les  joignoit.  Mais  il  ne  fut  pas  nécelTaire  d'en  venir-là  : 
I  <89.  ^^  canon  n'eut  pas  plutôt  tait  dans  l'une  de  zts,  tours  une 
ouverture  par  où  deux  ou  trois  loldats  pouvoient  à  peine 
pafler  de  tront ,  que  les  troupes  du  Roi  l'attaquèrent  Të- 
pëe  à  la  main,  montèrent  julques  fur  le  haut  de  la  tour  ^ 
ôc  s'emparèrent  du  retranchement  intérieur  que  les  affié- 
gës  abandonnèrent  lur  le  champ  pour  fe  retirer  en  confu- 
ïion  dans  la  ville  par  la  porte  du  château.  Les  Royaliftes 
les  pourfuivirent  •  Centrants  pêle-mêle,  en  trois  heures  de 
tems  ils  fe  virent  maîtres  de  la  ville  &  du  château,  fans  avoir 
prelque  trouvé  la  moindre  reliftance.  Auflitot  Charle  de 
Biron  Maréchal  de  camp,  êc  Châtillon  qui  commandoic 
l'infanterie,  entrèrent  dans  la  place  pour  arrêter  le  premier 
feu  du  loldat ,  qui  commençoit  déjà  à  courir  au  pillage  ,  6c 
pour  mettre  les  Egliles  &  les  femmes  à  couvert  de  leurs 
infultes.  Benehart  &  Robert  ChelTè  Cordelier  dont  j'ay 
parlé  un  peu  plus  haut,  furent  faits  prifonniers.  CheiFé  fut 
d'abord  livré  à  l'exécuteur  pour  être  pendu,  à  la  follicita- 
tion  des  habitans  mêmes  ,  qui  l'accuioient  d'être  l'auteur 
de  leur  révolte  j  oc  il  alla  au  lupplice  avec  une  confiance  Se 
une  tranquillité  admirables.  A  l'égard  de  Benehart  il  mon- 
tra autant  de  foi bl elle  ,  que  le  moine  avoit  fait  paroitre  de 
fermeté  ^  il  le  jetta  aux  pieds  de  Biron  pour  lui  demander 
grâce.  Mais  ce  Seigneur  lui  tourna  le  dos ,  en  lui  difanc 
qu'il  ètoit  indigne  de  vivre,  puifqu'il  n'avoir,  ni  alïëz  de 
courage  pour  le  défendre,  ni  affez  de  prudence  pour  ca- 
pituler. Ces  paroles  furent  un  coup  de  foudre  pour  ce  mifé- 
rable,  en  qui  la  peur  fit  alors  un  de  fës  cfFets  ordinaires.. 
Il  s'abandonna  aux  larmes  6c  aux  gémiflèmens  comme  un 
enfant  -,  &:  on  eut  beaucoup  de  peine  à  le  conduire  jufqu'à 
la  place  publique,  où  il  eut  la  tête  tranchée  auprès  du  corps 
de  Cheflè.  Cet  exemple  de  févérite  exercée  à  propos  con- 
tre un  petit  nombre  de  rebelles  fut  falutaire  aux  garni- 
fons  de  Laverdin  6c  de  Montoire ,  petites  places  du  du- 
ché de  Vendôme  ,  aulTi-bien  qu'à  celk  de  Château-du- 
Loir  dans  le  Maine  ,  qui  fe  rendirent  à  la  première  fom- 
mation> 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.       C-j 

Comme  le  Roi  ne  fe  trouvoic  éloigné  de  Tours  que  de 
douze  lieues  il  s'y  rendit  en  pofte  3  &  n'y  étant  arrivé  que  Henri 
bien  avant  dans  la  nuit ,  il  fit  ion  entrée  dans  cette  ville  I  V. 
aux  flambeaux  3  toutes  les  fenêtres  étant  illuminées,  &  le  1589. 
peuple  étant  attroupé  dans  \ç.s  rues  fur  fon  paflàge  pour  ^^^^^^  da 
jouir  d'un  fpedacle  fi  agréable.  Après  avoir  embrallé  d'à-  Roi  à  Tours- 
bord  le  cardinal  de  Vendôme  fon  parent ,  &:  le  cardinal  de 
Lénoncourt,  ce  Prince  palTa  le  refte  de  la  nuit  au  milieu 
ào-s  acclamations  &  des  cris  de  joie.  Le  lendemain  il  donna 
audience  aux  Députés  du  Parlement  ;  &  ce  fut  le  premier 
Préfident  de  Harlay  qui  porta  la  parole.  Henry  fit  beaucoup 
d'accueil  à  ce  Magiftrat,  qui  depuis  la  mort  du  feu  Roi  étoic 
enfin  forti  de  prifon  où  il  avoir  beaucoup  foufFert,  en  payant 
dix  mille  écus  de  rançon.  Jean  Mocenigo  ambailadeur  de 
Venifè  eut  enfuite  audience  du  Roi.  Il  présenta  à  ce  Prince 
la  lettre  du  Sénat ,  priant  S.  M.  d'excufer  fi  la  Républi, 
que  ne  lui  avoir  point  encore  envoyé  d'Ambaiîadeurs  pour 
la  complimenter ,  fuivant  la  coutume ,  fur  fon  avènement 
à  la  Couronne  3  5c  l'aflurant  que  les  mauvais  chemins, &  la 
rigueur  de  la  faiion  étoient  la  iéule  caufe  qui  l'eufient  em- 
pêchée de  s'acquitter  de  ce  devoir  aufiitôt  qu'elle  l'auroit 
Ibuhaité  3  que  cependant  elle  n'avoit  pas  voulu  différer  plus 
longteras  à  renouer  avec  elle  la  bonne  intelligence  qui  avoir 
régné  de  tout  tems  entre  nos  Rois  &  le  Sénat  5  qu'ainfi  en 
lui  envoyant  de  nouveaux  ordres  pour  relier  auprès  de  S.  M. 
elle  l'avoit  chargé  en  même-tems  de  faire  agréera  S  M. 
qu'il  s'acquitat  de  cet  emploi.  Le  Roiparuttrcs-fatisfaitdc 
CQs  excufes  3  &;  comme  il  fçavoit  ce  qui  s'étoit  pafic  en 
Italie  &:  à  Venife  ,  il  fit  mille  remercimens  à  l'AmbaiTadeur 
du  zélé  que  le  Sénat  faifoit  paroître  pour  fi  perlonne  & 
pour  fon  Etat. 

Au  bruit  de  l'arrivée  du  Roi,  de  Marolîes  qui  comman-  Prifcdu 
doit  dans  Montrichard  fur  le  Cher  en  Touraine ,  rendit  Mans- 
auffitôt  cette  place.  Cependant  ce  Prince  ayant  réglé  les 
affaires  qui  fe  trouvèrent  à  Tours  marcha  contre  le  Mans, 
&  iè  fit  précéder  par  Philippe  d'Augennes  fieur  du  Fargis, 
qui  avoir  été  chaifé  honteufement  de  cette  ville,  &:  qui 
venoit  de  fortir  de  la  priion ,  où  les  Ligueurs  l'avoicnt  en- 
fermé à  Paris  avec  le  premier  Préfident  de  Harlay.  C'ètoic 

T    •• 
II) 


6Z  HISTOIRE 

^—555555!?  un  dçs  pIus  bravcs  Officiers  de  l'armée  du  Roi.  II  emporta 
Henri  d'abord  les  fauxbourgs  qui  font  très,  grands,  ëc  ejueksLi- 
IV.  gueurs  avoicnt  fortifies  de  quantité  d'ouvrages.  Avant  que 
I  îSq.  ^^  les  abandonner  Urbain  de  Laval  iîeur  de  Bois-Dauphin 
qui  commandoic  dans  la  place  y  fie  mettre  le  teu  j  6c  à  l'ex- 
ception de  l'Hôpital,  Ôc  de  l'abbaye  de  la  Couture,  que  les 
flammes  épargnèrent,  toutes  les  maiions  des  particuliers 
/furent  réduites  en  cendres.  Les  habitans  mirent  auffilefeii 
au  faubourg  de  iaint  Jean,  qui  eft  au-delà  de  la  rivière  de 
Sarte  ,  quoic]u'iis  euilent  moins  à  craindre  de  ce  céié-Là.  Ce- 
pendant après  avoir  éteint  du  mieux  qu'il  tut  pollible,  l'in- 
cendie qui  avoit  déjà  fait  de  grands  ravages  en  deux  jours 
de  tems,  Charle  de  Biron  èi.  Châtillon  fe  rendirent  maîtres 
de  tous  les  ouvrages  extérieurs.  Enfin  le  Roi  lé  rendit  au 
iiége.  Ce  Prince  à  Ton  départ  de  Tours  étoit  allé  coucher 
le  27.  de  Novembre  à  Yvray-l'Evêqae  ,  d'où  il  arriva  à  l'a- 
baye  de  la  Cojture  ,  où  il  prit  fon  logement,  perfuade  que 
ce  fiege  feroit  long,  àc  que  les  aiîkges,  après  avoir  ruiné 
tant  de  mailbns ,  ce  qui  ne  leur  failoit  pas  d'honneur ,  ne 
manqueroient  pas  de  faire  une  vigoureufe  réfiftance.  Mais 
fon  attente  fut  trompée  ^  Payant  fait  battre  quelques  tours 
de  la  ville  ,  cinq  jours  après  Ion  arrivée  les  allieges  deman- 
dèrent à  capituler. 

Il  y  avoit  dans  la  ville  environ  cent  Gentilshommes,  ôC 
vingt  compagnies  de  gens  de  pied  Outre  cela  le  comte  de 
Brilîàc  s'étoit  avance  julqu'à  la  Ferté- Bernard  à  la  tête  de 
deux  régimens  d'infanterie ,  dans  le  delTein  de  fecourir  les 
afliégés.  Mais  ayant  appris  qu'ils  avoient  capitulé  ,  il  retourna 
fur  les  pas  ^  &  étant  tombé  fur  un  quartier  de  Reîtres ,  il 
en  démonta  quelques-uns  j  après  quoi  il  fe  retira  fans  avoir 
fait  aucun  autre  exploit  dans  fon  voyage.  Enfin  la  capitu-, 
lâtion  fut  fignée  -,  6c  le  Roi  qui  manquoit  d'ailleurs  de  pou- 
dre ôc  de  boulets ,  accorda  des  conditions  fort  honorable*?^ 
Cependant  les  habitans  mu rmuroîent,&  fe  plaignoient  amè- 
rement de  ce  qu'on  avoit  ruiné  tant  de  maifons  pour  fe  pré- 
cipiter fi  fort  à  le  rendre.  D'un  autre  cote  la  Nobleiïe&  Iqs. 
troupes  qui  étoient  dans  la  ville  s'imputoient  réciproque- 
ment les  uns  aux  autres  la  faute  cie  cette  précipitation.  Les 
Gentilshommes  accufoient  les  croupes  d'avoir  refufé  de  fe 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        ^9 

battre  ^  l'infanterie  reprochoît  à  la  NoblefTe ,  qu'elle  avoic 
capitulé  malgré  fes  oppoficions.   Tandis  qu'ils  s'amufoient  H  e  n  iv 
ainfi  à  contefter  entr'eux,  la  ville  fe  rendit  le  i.deDécem-       I  V. 
bre  i  &  le  maréchal  de  Biron  eut  ordre  d'y  entrer  avec  des      1589. 
troupes  pour  empêcher  qu'elle  ne  tût  mife  au  pillage.  Un 
foldat  ayant  été  lurpris  volant  un  calice ,   ce  Maréchal  le 
fît  pendre  iur  le  chump  pour  fervir  d'exemple  aux  autres. 
Avant  toutes  choies  le  Roi  remit  du    Fargîs  en  pofTeifion 
de  ion  gouvernement ,  dont  il  avoit  été  dépouillé  j  &  ren^ 
dit  à  Claude  du  Fargis  Ion  Frère  l'Evêche  de  cette  ville  qu'il 
pollcdoit  auparavant.  Peu  de  tems  après,  le  château  de  Beau- 
mont,  celui  de  Tuvoi   qui  appartenoit   à  l'Eve  ]ue,  êc  où 
commandoit  Gui  de  Saint-Gelais  (ieur  de  Lanfac ,  Sable, 
Laval.  Château-Gonthier  ,  &:  quelques-autres  petites  places 
des  environs  ie  fournirent  au  Roi. 

Sur  ces  entrefaites  ce  Prince  ,  qui  s'étoit  engagé  à  Ton 
avènement  à  la  Couronne  à  convoquer  incefîamment  une 
allemblee  nomiDreuie  de  Seigneurs,  pour  régler  de  concert 
avec  les  Etats  généraux  du  Royaume,  les  affaires  de  la 
Religion  &  de  l'Etat,  repréfenta  que  la  délobeïilance  opi- 
niâtre des  Ligueurs  lui  fulcitant  tous  les  jours  de  nouvelles 
guerres  qui  l'obligeoient  à  refter  à  la  tête  de  fes  armées  ,il 
ne  lui  éroit  pas  poiîible  de  vaquer  aux  autres  affaires  du  gou- 
vernement. Ainfî  il  remit  au  i  5.  de  Mars  fuivant  l'afîém- 
blée  qu'il  avoit  déjà  convoquée  •  auquel  tems  ,  difoit-il  ,  il 
y  avoit  lieu  d'efperer  qu'avec  l'aide  du  Seigneur  il  auroin 
levé  tous  ces  obflacles ,  &.  ceux  qui  pourroicnt  encore  naî- 
tre dans  la  fuice.  Ces  paroles  furent  regardées  depuis  com- 
me une  efpece  de  prophétie  j  car  ce  fut  en  efE.'t  ce  jour-lâ 
même  que  fé  donna  la  bataille  d'Y  vry  qui  décida  enfin  du 
fort  de  ce  Prince  j  6c  affermit  dans  l'obeïiîance  ceux  de 
fes  fujets  qui  jufqu'alors   avoicnt  balancé  à  le  reconnoître. 

Cependant  il  y  avoit  une  grande  diferte  d'argent  dans  le 
camp  5  &  à  mefure  que  le  Roi  prenoit  quelque  ville,  ou 
quclqu'autre  pi  ce  ,  il  ne  manquoit  point  de  la  condam- 
ner à  une  amende  qui  étoit  deftinée  à  entretenir  les  trou- 
pes étrangères.  A  l'égard  des  troupes  Franc^oifès  elles  n'a- 
voient  que  le  pain  qu'on  leur  fournifloit  tous  les  jours  j  du 
refte  on  les  retenoic  par  i'efpérance  du  butin.  Déjà  les 

liij 


70  HISTOIRE 

■i.ii. ■        SuifTes  ecoient  fore  diminués  ,6c  il  n'étoic  pas  poflible  de  leur 

Henri  IP^J^^  en  entier  leurs  appointements  à  chaque  montre  qui  fe 
I  V.  i"aiioit  tous  les  mois  •  ce  qui  n'étoic  pas  moins  à  charge  au 
I  iSo,  ^^^  ^^'^  ^"^  mêmes.  On  penfa  donc  à  congédier  le  régi- 
ment du  colonel  Galaty  3  mais  il  falioic  pour  cela  de  l'ar- 
gent comptant,  ou  des  aflurances  pour  en  toucher  ,  &,  le 
Roi  n'en  avoic  point.  Dans  cet  embarras  il  fe  fouvint  des 
offres  que  le  duc  de  Mantouë  lui  avoit  fait  faire  depuis 
peu  par  Ferdinand  Ghifone  fon  Réfident  à  la  Cour  de 
France ,  qui  lui  avoic  recommandé  le  duc  de  Nevers  de 
la  part  de  fon  maître.  Il  fçavoit  que  ce  Duc  avoic  mis  en 
tlépôc  chez  un  Banquier  de  Francfort  furie  Meyn  une 
fomme  de  trente-trois  mille  écus  d'or,  qui  lui  revenoit  pour  le 
refiant  de  fa  légitime.  Ainfi  il  réfolut  de  profiter  de  cette 
occafion.  Il  lui  envoya  de  Thou ,  qui  depuis  peu  étoit  de 
retour  d'Italie,  avec  ordre  d'emprunter  de  lui  cette  fom- 
me ,  di  de  travailler  à  mettre  dans  Ces  intérêts  un  Seigneur 
de  cette  confidéracion ,  qui  n'avoic  différé  jufqu'alors  à  fe 
déclarer  en  fa  faveur  ,  qu'à  caulé  de  quelques  fcrupules 
qu'il  avoic  au  fujec  de  le  Religion  du  Roi  3  en  lui  fai- 
fanc  efpérer  que  ce  Prince  lui  confieroic  la  conduice  de  la 
guerre  qu'il  avoic  deffein  de  faire  au  duc  de  Savoie ,  pour 
tirer  raifbn  des  oucrages  que  la  France  avoic  reçus  de  ce 
Prince. 

De  Thou  partit  donc  du  Mans  •  èc  ayant  traverfé  la 
Touraine  èc  le  Berry ,  où  les  ennemis  faifbient  des  courfes 
continuelles,  il  arriva  à  Nevers,  où  par  refpcd:  pour  le 
caradére  dont  le  Roi  l'avoic  revécu  ,  le  Duc  le  reçue  avec 
beaucoup  d'honneurs,  6c  lui  fie  bien  des  amitiés,  en  con- 
fîdération  de  celle  qu'il  avoit  eue  pour  le  père  de  ce  Ma- 
giftrat.  Le  cardinal  Gaëtano  étoit  alors»  à  Lyon.  Le  duc  de 
Nevers  lui  avoit  écrit  pour  le  prier  de  paifer  à  Nevers , 
parce  que  comme  il  faifoit  profelîion  de  n'embrafîèr  aucun 
parti ,  6c  qu'il  ne  fouhaitoit  que  le  bien  de  la  Religion  & 
fie  l'Etat ,  il  étoit  plus  capable  que  perfonne  de  le  mettre 
au  fait  des  affaires  du  Royaume  ^  ajoutant  :  Que  comme  il 
y  venoit  revêtu  de  l'autorité  du  S.  Siège  pour  être  l'arbitre 
des  difïerens  qui  divifoienc  la  France ,  il  étoit  de  fa  pru- 
dence de  ne  pas  paroîcre  pencher  plutôt  pour  un  parti  que 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIÎ.         71 

pour  l'autre  -,  afin  de  ne  pas  donner  lieu  aux  foupçons  qu'on  '^  '  ? 

pourroic  concevoir  au  préjudice  de  l'idée  qu'on  î>'ecoic  for-  Henri 

mée  de  Ton  équité  ^  &  qu'il  devoit  au  contraire  travailler  à       IV. 

bien  établir    s'il   vouioit    réuffir    à  pacifier  le  Royaume:     1589, 

Qti'en  etablidant  Ion  iéjour  dans   fa  capitale,  il  pourroic 

fans  rien  perdre  de  cette  réputation  d'impartialité  qu'il  s'é- 

toit  acquilè,  s'inftruire  à  fondb  &,  iàns  prévention  de  toute 

cette  a-ffaire ,  &  en  décider  enluite  en   vertu  de  l'autorité 

qu'il  avoit  en  main  :  Qu'autrement  s'il  s'adrelloit  à  quelqu'un 

de  l'un  ou  de  l'autre  parti ,  il  y  en  auroit  un  certainement 

qui  le  regarderoit  comme   Ion    ennemi  ^  ce  qui  le  rendroit 

inutile  à  tous  les  deux.  Mais  ceux  qui  obiédoient  le  Légat 

lui  firent  entendre  que  l'ambition   Teule  portoic  le  Duc  à 

lui  écrire  de  la  forte  ,  de  que  fon  dellein  etoit  de  fe  rendre 

l'arbitre  des  afEiires  au  préjudice  de  l'autorité  qui  lui  avoit 

été  confiée.  Ainfi  il  meprila   ces  avis  j  quitta  la   route  de 

Lyon  qui  l'auroit  conduit  à  Nevers  j  àc  côtoyant  la  Saône 

fe  rendit  enfin  à  Dijon. 

D'un  autre  côté  le  duc  de  Nevers  qui  ignorolc  encore 
la  réfolution  du  Cardinal  ,  ayant  une  fois  fait  profeffion 
d'être  neutre  ,  voulut  continuer  à  le  paroître.  Ainfi  il  fe 
défendit  modeftement  de  recevoir  la  lettre  du  Roi ,  de  la 
rendit  à  de  Thou  toute  cachetée  j  de  peur,  dit-il,  qu'on 
ne  crût  que  ce  fût  par  fierté  qu'il  n'y  répondoit  pas.  Du 
refte  il  offrit  fort  obligemment  une  quittance,  de  là  pro- 
curation ,  pour  toucher  la  fomme  que  le  Roi  demandoit, 
après  que  de  Thou  lui  eut  donné  au  nom  de  ce  Prince  des 
afiiirances  convenables.  Il  accepta  de  même  avec  plaifirla 
propofition  que  le  Roi  lui  faifoit ,  de  fe  charger  du  com- 
mandement de  l'armée  deftinée  à  recouvrer  le  Marquifat 
de  Saluées  ,  èc  il  écrivit  de  fa  propre  main  un  mémoire  où 
il  expliquoit  toutes  les  mefures  qu'il  falloir  prendre  pour 
l'exécution  de  cette  entreprife.  Au  refte  comme  on  étoit 
dans  un  rems  où  les  .Prédicateurs  fe  donnoienc  la  liberté 
de  dire  tout  ce  qui  leur  plaifoic ,  Arnaud  Sorbin  à  qui  le 
feu  Roi  avoit  donné  l'Evêché  de  Nevers ,  ofa  un  jour 
dans  un  fermon  où  le  Duc  afliftoit ,  le  cenfurer  en  fa 
propre  préfence  ,  en  di-fant  qu'il  écoutoit  trop  facilement  les 
courtiers  des  hérétiques  3  car  c'efl  le  nom  qu'il  donnoit  aux 


/  - 


HISTOIRE 


'j'—»— "^  Magiftracs  du  parti  du  Roi.  Mais  le  Duc  l'obligea  de  le 
Henri  récrader  dans  un  autre  fermon  où  de  Thou  fe  trouva  ,  èc 

l  V.  de  réparer  ainfi  publiquement  l'outrage  qu'il  avoit  fait  à 
içSo.     i^  peribnne  du  Roi  &  à  la  fienne. 

Lettre  du  Cependant  le  duc  de  Savoie  ne  reftoit  pas  tranquille. 
aucdeSa-     Auffitôt  qu'il  eut  rcçu  la  nouvelle  de  la  mort  du  Roi,  ce 

voie  au  Par-   _^    .  \  .  >         .     ^  i      n  ♦ 

lement  d&  Pruice  qui  voyoït  toute  la  France  en  combuition  ,  commen- 
Grcnobîe  au  ca  à  eipércr  qu'il  pourroit  profiter  de  la  décadence  d'un 
mi"  deHcn-  Royaume  fi  voifin  de  Tes  Etats.  Dans  cette  vue  il  députa 
ri  III.  le  baron  de  Jacob  général  de  l'artillerie  ,  &  Duvizio  Con- 

feiller  au  Sénat  de  Chambery  ,  à  Grenoble  dont  les 
habitans  follicités  par  Charle  de  Simiane  d'Albigny , 
commençoient  à  pencher  vers  le  parti  de  la  Ligue,  avec 
une  lettre  de  créance  pour  le  Parlement.  Ces  Députés 
ayant  donc  été  introduits  on  lut  la  lettre  du  Duc,  dans  la- 
quelle après  avoir  témoigné  à  cette  Compagnie  combien 
il  avûit  été  fenfible  à  la  mort  du  Roi ,  àc  l'avoir  aflùrée 
de  fa  bienveillance  dans  les  termes  les  plus  honorables 
qu'elle  pouvoit  fouhaîter,  il  la  prioit  très-inftamment  de 
faire  attention  au  droit  qu'il  avoit  à  la  Couronne,  comme 
étant  par  fa  mérecoufin  germain  du  feu  Roi.  Il  repréfentoit  : 
Qiie  les  plus  proches  parens  de  ce  Roi,  ou avoient  perdu 
le  droit  qu'ils  avoient  de  lui  fuccéder  par  leur  obftina- 
don  à  demeurer  dans  l'héréfie  ,  ou  s'étoient  rendus  indi- 
gnes du  trône,  en  favorifant  les  hérétiques,  &  adhérant 
à  leur  parti  :  Qu'il  avoit  du  courage  &:  des  forces  de  refte 
pour  défendre  les  droits  que  fa  naiiîànce  lui  donnoit  ^  6c 
que  fi  les  fiennes  ne  fuffifoient  pas ,  il  pourroit  difpofcr 
dans  le  befoin  de  celles  du  Roi  fon  beau-pére  :  Que  d'ail- 
leurs le  voifinage  lui  donnoit  une  grande  facilité  pour  s'em^ 
parer  d'un  fi  grand  Royaume  :  Qi'ainfi  comme  il  étoic 
perfuadé  qu'ils  n'avoient  rien  plus  à  cœur  que  le  bien  de 
la  Religion  ,  &  la  tranquillité  publique  qui  feroienc 
^xpofées  s'ils  reconnoiifoient  d'autre  Roi  que  lui ,  il  pa- 
roilToit  à  propos  qu'ils  délibéraflent  inceflarnment  entr'eux, 
&;  qu'ils  acceptaflént  les  proportions  qu'il  leur  faifoit ,  afin 
que  leur  exemple  fervît  à  engager  les  autres  villes  du 
Royaume  à  contribuer  de  même  à  la  tranquillité  publia 

^  Loriqu'oa 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  X  C  V  I  L       75 
Lorfqu'on  eue  fait  la  lediire   de  cette  lettre,  le  Parle- 


ment  après  avoir  remercié  le  Duc  d'une  marque  fî  fmcére  Hem  ki, 
de  la  bienveillance  répondit  :  Que  ce  que  demandoit  S.  A.  I  V. 
était  de  nature  à  ne  pouvoir  être  décidé  par  la  Compa-  1589, 
gnie  :  QLi'il  n'y  avoit  que  les  Etats  généraux  du  Royaume 
qui  pulîent  connoître  d'une  affaire  de  cette  importance  3  ôc 
que  comme  ils  dévoient  s'alTembler  inceflamment ,  il  étoic 
à  propos  de  la  leur  renvoyer  :  Qu'en  effet  on  ne  doutoic 
point  que  cette  aifemblée  ne  nommât  pour  héritier  légitime 
du  feu  Roi  un  Prince  capable  de  protéger  la  Religion  ,  6c  de 
maintenir  la  tranquillité  de  l'Etat  :  Que  cependant  la  Com- 
pagnie prioit  inftamment  S.  A.  de  ne  point  faire  entrer  de 
troupes  dans  le  Dauphiné  ,  pour  ne  pas  donner  occafîon  au 
colonel  d'Ornano  &  à  Lefdiguiéres  de  rompre  la  trêve  qu'ils 
avoient  faite  ,  6c  de  troubler  le  repos  qu'elle  procuroit  à  cette 
province  ,  après  tant  de  maux  aufquels  elle  avoit  été  expo- 
iée  pendant  la  guerre.  Les  Députés  furent  congédiés  avec 
cette  réponfe  •  6c  comme  elle  n'étoit  pas  telle  que  le  Duc 
l'avoit  elpérée  ,  il  changea  de  batterie  par  le  confeil  d'Al- 
bigny.  11  remit  à  un  tems  plus  favorable  (qs  projets  fur  le 
Dauphiné  ,  6c  alla  porter  la  guerre  en  Provence  ,  pour  y 
faire  montre  de  fès  forces  ,  &c  obliger  ainli  les  provinces  voi- 
/înes  à  fe  foûmettre  fans  rèfiflance.     . 

Bernard  de  Nogaret  de  la  Valette  ,  qui  commandoit  Fxploîtsdc 
pour  le  Roi  dans  cette  province  ,  avoit  mis  le  liège  vers  '^^  Ja'c"e  en 
Je  milieu  du  mois  d'Août  devant  Lambefc  ,  bourg  ap- 
partenant à  la  maifon  de  Guife,  6c  s'en  étant  rendu  maître, 
il  avoit  fait  pointer  le  canon  contre  le  château  ,  où  com- 
mandoit le  capitaine  Balaty  avec  une  garnifon  de  deux  cens 
hommes.  Après  quelques  volées  de  canon  les  aflîégés  avoienc 
demandé  à  parlementer  ,  6c  Onufre  d'Efpagne  de  Rame., 
fort  avoit  été  commandé  pour  dreffer  avec  eux  les  articles 
de  la  capitulation  ,  lorfqùe  voulant  aller  au  rendez-vous,  il 
fut  bleffé  à  mort  d'un  coup  d'arquebufe  qu'on  lui  tira  du 
château.  Cet  accident  rompit  la  négociation  ^  6c  la  Valette 
outré  de  la  mort  d'un  Officier  qu'il  aimoit,  6c  qui  avoit  été 
tué  contre  le  droit  des  eens ,  fit  donner  l'alfaut  au  château  6c 
l'emporta.  Toute  la  garnifon  fut  paffée  au  fil  de  l'épée,  6c 
la  place  abandonnée  au  pillage,  après  quoi  on  y  mit  le  feu, 
Tpme  XI,  K. 


L'ovcnce. 


74  HISTOIRE 

Après  cet  exploit  la  Valette  envoya  d'Eilampes  deman-- 

Henri  der  du  fecours  à  du  Perauld  gouverneur  de  Beaucaire  en  Lan- 

I  V.       guedoc,  &  un  des  principaux  Officiers  du  duc  de  Monmo- 

j  ^g         rency  gouverneur  de  la  Province  ,  dont  il  avoit  époufé  la 

ûllc.  Le  Duc  accorda  ce  qu'on  fouhaitoit ,  &  cent  chevaux 

eurent  ordre  de  paiïer  le  Rhône.  D'Eftampes  qui  marchoic 

à  leur  tête  voulant  entrer  dans  Tarafcon  ,  les  habitans  lui  en 

fermèrent  les  portes.    De  Pontevez   comte  de  Caifes  qui 

étoit  dans  le  voifînage  profita  de  cette  occafion  ,  il  attaqua 

ces  troupes  mal  diiciplinées  ,  &  qui  ne  s'attendoient  à  rien 

moins  3  en  tailla  en  pièces  une,  grande  partie  3  &:  lit  grand 

nombre  de  prifbnniers  du  nombre  defquels  fut  d'Efuampes 

lui-même.  Plufieurs  s'étant  jettes  dans  le  Rhbne  dans  refpé- 

rance  de  le  pafTer  à  la  nage  ,  furent  emportés  par  la  rapidité 

des  flots  ôc  y  périrent. 

Il  y  avoit  dans  Tarafcon  grand  nombre  de  Gentilshommes 
attachés  au  parti  du  Roi ,  qui  furent  très-fâchés  de  cet  acci- 
dent. Ce  fut  pour  eux  une  occafion  de  fonger  à  fe  rendre 
maîtres  de  cette  ville.  Ils  firent  part  de  leur  deilein  à  du  Pe- 
rauld ,  qui  tenoitgarnifon  dans  Beaucaire  de  l'autre  coté  du 
Rhône,  afin  qu'il  leur  amenât  du  fecours  dans  le  tems  qu'ils 
lui  marquèrent  j  après  quoi ,  voici  comme  ils  procédèrent  à 
l'exécudon  de  leur  projet.  Il  y  avoit  à  quelque  diftance  de 
Taraicon  un  petit  bois  qui  avoit  fervi  à  couvrir  la  marche 
du  comte  de  Carfes ,  lorfqu'il  s'étoit  avancé  jufqu'au  pied 
de  la  place  &  avoit  taillé  en  pièces  les  fecours  qui  venoienc 
du  Languedoc.  Ces  Gentilshommes  firent  entendre  aux 
habitans  que  ce  bois  incommodoit  la  ville  confidérable- 
ment ,  &  que  (i  on  ne  le  coupoit  au  plutôt ,  il  y  avoit  à  crain- 
dre que  la  Valette  irrité  de  la  défaite  de  fes  gens  ne  fe  fervic 
de  la  même  retraite  ,  pour  furprendre  la  ville.  Ceux-ci  qui 
avoient  encore  devant  les  yeux  l'exemple  tout  récent  de  ce 
qui  venoit  d'arriver ,  donnèrent  aifément  dans  le  panneau. 
Après  une  délibération  fort  précipitée  ,  telle  qu'on  peut  en 
attendre  d'un  peuple  effrayé  ,  ils  fortirent  en  foule  la  coignée 
à  la  main  pour  aller  abattre  le  bois.  Alors  les  Gentilshommes 
fe  voyant  les  maîtres  de  la  ville  où  il  n'y  avoit  plus  d'habî- 
tans ,  en  fermèrent  les  portes.  En  même  tems  les  troupes  de 
du  Perauld  parurent  à  l'heure  qui  leur  avoit  été  marquée  5 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        75 

eii  forte  que  Iqs  bourgeois  voulant  rentrer  dans  la  ville  après 
avoir  coupé  le  bois ,  s'en  virent  exclus ,  &.  n'y  furent  reçus  Henri 
qu'après  avoir  été  défarmés  ,  àc  avoir  prêté  lerment  de  fî-        1  V. 
délite  à  la  Valette.  i  589» 

Ce  coup  frappa  Jean  de  Garde  de  Vins  ,  qui  s'étoit  mis  à 
la  tête  du  parti  de  la  Ligue  dans  la  Provence.  Il  deman- 
da du  fecours  au  duc  de  Savoie  ^  &  comme  ce  Prince  n'etoic 
pas  content  delà  réponfe  que  le  Parlement  de  Grenoble  lui 
avoir  faite  ,  il  lit  paifer  dans  cette  province  les  troupes  qu'il 
deftinoit  pour  le  Dauphiné.  Elles  étoient  commandées  par 
Alexandre  Vitclli ,  &c  confiftoienten  trois  cornettes  de  che- 
vaux-Légers ,  &  en  trois  compagnies  d'arquebufîers  à  cheval. 
Le  Duc  attendoit  d'Efpagne  un  nouveau  renfort.  Outre 
cela  une  partie  de  fes  troupes  étoit  occupée  à  la  guerre  con- 
tre les  Genevois ,  qui  depuis  le  départ  de  Sancy  s'étoit  ra'lu- 
mée  plus  vivement  que  jamais ,  à  l'occafion  de  la  mort  du 
Roi. 

Les  hollilités  commencèrent  par  la  ville  de  Bonne.  Com-  suite  de  la 
me  le  duc  de  Savoye  avoit  réfolu  de  reprendre  cette  place  ?,^^^^^  <^^ 
qu'il  avoit  perdue,  il  alla  y  mettre  le  lîege.  Bonne  eft  une  voye contre 
petite  ville  îituée  à  trois  lieues  de  Genève  à  l'Orient  d'hy  ver.  Genève. 
Elle  eft  divifée  en  haute  &  balTe  ville.  La  haute  ville  eft  en- 
vironnée de  murailles  à  l'antique  ,  qui  peuvent  bien  la  met- 
tre à  couvert  des  efcalades ,  mais  qui  ne  font  pas  à  l'épreuve 
du  canon ,  ni  des  nouvelles  machines  de  guerre  qui  ont  été 
inventées  de  nos  jours.  La  baffe  étoit  un  faubourg  alors  tout 
ouvert ,  ôc  qui  peu  de  tems  auparavant  avoit  été  defolé  par 
le  feu.  A  peine  le  Duc  avoit  fait  tirer  deux  cens  coups  de 
canon  contre  la  haute  ville ,  que  Jean  Aubert  qui  y  com- 
mandoit  pour  les  Genevois  une  garnifon  de  trois  cens  hom- 
mes ,  demanda  à  parlementer ,  Se  offrit  à  ceux  que  le  Duc 
nomma  pour  traiter  avec  lui ,  de  fe  rendre  ,  à  condition  que 
dans  ce  jour  là-même  la  garnifon  fortiroit  fur  le  loir  fans  ar- 
mes ,  &  leroit  conduite  en  lieu  de  fureté.  La  propofîtion  fut 
acceptée  ,  &  la  ville  fe  rendit  le  2  2.  d'Août.  En  confèquence 
Aubert  defcendoit  de  la  haute  ville  Iituée  fur  un  coteau , 
pour  fe  rendre  dans  la  bafîe  j  il  étoit  fuivi  de  fes  trois  cens 
hommes  à  la  tête  defquels  étoient  les  Officiers  qui  les 
commandoient  ,   de  du  Miniftre  Guillaume  de  Mogne  de 

Kij 


7<^  HISTOIRE 

Mariî ,  lorfqu'on  entendit  les  cris  de  quelques  foldats ,  o^vi 

H  E  N  Kl  fe  pkignoient  qu'avant  que  de  fe  retirer  ,  lesaiîiégés  avoienc 

I  V.       mis  le  feu  à  un  baril  de  poudre  ,  dont  les  éclats  avoient  tués 

1589.     ^^^  blelTés  plufieurs  foldats  Italiens   Se  Efpagnols  qui  s'en 

ëtoient  approchés.   Sur  ces  plaintes  les  ennemis  fondirent 

aulîîtôt  fur  Aubert  &  ^qs  gens  qui  étoient  fans  défenfe  ,  ^ 

qu'ils  mailLicrérent  tous  ,  à  l'exception  de  quelques-uns  en 

petit  nombre  qui  fe  fauvérent  à  la  faveur  des  ténèbres. 

De  là  le  Duc  marcha  vers  le  pas  de  la  Clufe  pour  entrer 
dans  le  Baillage  de  Gex  ^  ôc  dans  tous  ces  lieux  fes  troupes 
Jaillérent  des  marques  funeftes  de  leur  avarice  ,  de  leur  cruau^ 
té ,  &  de  leurs  excès.  Plus  de  quatre-vingt  villages  furent 
pillés  &  réduits  en  cendres  3  &:  dans  cette  rencontre ,  ni  l'âge, 
jii  le  fexe  ne  furent  refpeclés.  Ces  défordres  durèrent  jufqu'à 
la  fin  de  Septembre  ^  enfin  la  contagion  commençant  à  fe 
mettre  parmi  les  troupes  du  Duc  ,  avant  que  de  les  congédier 
il  entreprit  de  fortifier  Verfoy  fitué  lur  le  lac  Léman  ,  ou  de 
Genève. 

Cette  place  qui  efl  fort  étendue  ,  étoît  autrefois  une  vill-e 
libre  fort  peuplée.  Elle  eft  à  deux  lieues  de  Genève  ,  ayanc 
cette  ville  au  Midi  d'Eté  ,  le  bailliage  de  Thonon  &  le  lac 
Léman  à  l'Orient,  le  mont  Jura  à  l'Occident  ,  &  au  Nord 
le  païs  de  Vaux.  Elle  eft  arrofée  par  la  Verfoy  ,  rivière  qui 
lui  donne  fon  nom  ,  &  qui  prenant  fa  fource  dans  les  mon- 
tagnes voifines  fe  divifeenfuite  en  deux  bras ,  dont  l'un  pafîe 
au  travers  du  bourg,  l'autre  coule  au  pied  de  (qs  murailles  , 
6c  de  là  continue  fon  cours  vers  Genève.  Son  château  étoic 
autrefois  très-fort  &  environné  de  murailles  très-  hautes  j 
mais  elles  étoient  tombées  en  ruine.  Le  duc  de  Savoye  ré- 
folut  de  les  relever  &  de  les  fortifier  d'un  rempart ,  atin  de 
tenir  les  Genevois  en  bride  ^  £cil  y  employa  tant  de  monde, 
que  l'ouvrage  fut  achevé  en  très-peu  de  tems.  Il  éleva  du 
coté  du  lac  une  plate-forme  ,  &  y  plaça  deux  petites  pièces 
de  canon  ,  pour  tirer  fur  les  barques  &  fur  les  bateaux  qui 
palToient  par  là  pour  aller  à  Genève.  Outre  cela  il  confia  au 
baron  de  la  Serra  la  garde  de  S.  Mauris ,  pofte  très-fort ,  & 
qui  étoit  fourni  de  toutes  fortes  de  provifions.  Il  y  fit  entrer 
fix  cens  hommes  de  garnifoa,  avec  quatre  canons ,  6^  toutes 
les  munitions  nécelFaires  j  après  quoi,  tandis  que  les  pionniers 


DE  T.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVII.        77 

schevoient  de  mettre  en  état  ce  qui  manepoit  à  {^s  nou- 
velles fortifications ,  il  traverfa  la  Savoye  &  pafla  les  monts  H  p  i<f  j,  j 
fur  la  fin  d'Octobre.  j  y 

A  peine  le  Duc  s'étoit  retiré,  que  les  Genevois  qui  regar- 
doient  cette  nouvelle  forterefle  comme  une  barrière  que  ^5°9' 
leur  ennemi  leur  oppofoit  pour  les  tenir  en  bride  ,  réfolu- 
rent  de  s'en  rendre  maîtres  &  de  la  rafer,  avant  qu'elle  fût 
abfolument  en  état  de  défenfe.  Dans  cette  vue  ils  donnèrent 
xendez-vous  à  toutes  leurs  troupes  pour  le  7.  de  Novembre  j 
&  ce  jour  étant  venu  ils  partirent  iur  le  foir  après  avoir  fait 
la  prière  ,  fuivis  de  cinq  cens  arquebuficrs ,  de  deux  cens 
avanturiers ,  de  deux  compagnies  d'arquebulîers  à  cheval , 
êc  de  deux  autres  de  gendarmes.  De  Lurbigny  qui  com- 
mandoit  pour  le  Roi  les  troupes  réglées  de  Genève  ,  étoit  à 
à  leur  tcte  j  &  ils  portoient  avec  eux  des  pétards ,  des  échel- 
les ,  &  des  madriers ,  pour  conllruire  un  pont  Iur  la  Verfoy. 

Le  lendemain  au  point  du  jour  ils  pailérent  cette  rivière 
en  grand  filence  proche  d'un  moulin  ,  &;  arrivèrent  enfin  à 
la  vue  de  Verfoy.  Là  après  que  le  Miniftre  eut  fait  la  prière , 
ils  partagèrent  leurs  troupes  en  quatre  corps.  L'infanterie 
eut  ordre  de  marcher  vers  la  porte  de  Vaux  ,  où  l'on  dévoie 
attacher  le  pétard  ;  la  plus  grande  partie  de  la  cavalerie  fuc 
commandée  pour  fe  faifir  de  toutes  les  avenues  3  un  autre 
corps  fut  chargé  d'efcalader  un  autre  endroit  de  la  ville  j  6c-» 
unpaïfan  qui  connoifîbit  le  terrain  ,  conduifit  un  quatrième 
corps  entre  le  bourg  &  le  lac,  dans  un  endroit  où  le  mur  • 

n'étoit  pas  fi  difficile  à  cfcalader.  Le  païfan  y  monta  le  pre- 
mier. Cependant  la  garnifon  fatiguée  de  la  veille  de  la  nuîc 
précédente  étoit  enlevelie  dans  un  profond  fommeil.  Car  il 
avoit  paru  dans  le  ciel  quantité  de  feux  dont  ils  avoient  été 
épouvantés  ,  qu'ils  avoienc  pris  pour  de  mauvais  augures  , 
Se  qui  les  avoient  empêchés  de  dormir.  Lorfqu'ils  prenoienc 
un  peu  de  repos  &:  qu'ils  fe  croyoîenc  hors  de  danger  ,  les 
Genevois  tombèrent  tout-â-coup  fur  eux.  D'abord  \qs  Sa- 
voyards encouragés  par  leurs  Officiers  voulurent  fe  mettre  en 
défenfe  ^  mais  les  Genevois  en  ayant  fait  un  grand  carnage  , 
le  refte  fut  obligé  de  plier  &  de  fe  retirer  dans  le  château 
avec  le  baron  de  la  Serra.  En  effet  le  pétard  ayant  en  même 
tems  fait  fauter  la  porte  de  Copet  ,  l'infanterie  qui  étoic 

K  iij 


gcj'-^za»'»**^-** 


78  HISTOIRE 

encrée  dans  la  place  paiïbic  au  fil  de  l'épée  tout  ce  qu'elle  ren- 
Henri  concroic  ,  tandis  que  d'un  autre  côté  ceux  qui  avoient  efca- 
I  V.  ladé  la  muraille  ,  faifoient  main  baiîè  fur  tout  ce  qui  fe  pré- 
j  c8  9.  fentoit  fur  leur  paflage.  Trois  cens  hommes  des  aiîieges  re- 
flètent fur  la  place.  11  y  avoit  dans  le  château  quatre  canons 
avec  toutes  les  munitions  de  guerre  nécelîaiies  ^  mais  on  y 
manquoit  de  provifions  de  bouche  ,,  parce  que  les  magafins* 
ëtoient  dans  le  bourcr.  Ainfî  les  aflie^és  furent  bientôt  ré- 
duits  à  la  dernière  extrémité.  Maigre  cela  cependant  le  ba- 
ron de  la  Serra  ayant  envoyé  demander  du  fecours  à  toutes 
les  garniions  voiiines ,  faifoit  un  feu  continuel  fur  les  Gène- 
vois  fans  les  incommoder  beaucoup  ,  parce  qu'ils  s'étoienc 
avancés  jufques  dans  le  foffé  ,  &  que  leurs  logemens  ëtoient 
à  couvert  de  toute  infulte.  Enfin  le  baron  après  avoir  tenu 
pendant  deux  jours  avec  la  dernière  opiniâtreté  ,  voyant  que 
le  fecours  ne  paroilTcit  point,  &  qu'on  lui  avoit  coupé  l'eau 
dont  il  avoit  un  befoin  extrême  ,  demanda  à  capituler.  Il 
Tut  donc  arrêté  que  la  garnifon  forciroit  en  armes ,  mèches 
éteintes ,  portant  fes  tambours  fur  l'épaule  ,  avec  deux  dra- 
peaux plies ,  &  tout  fon  bagage  ,  &c  qu'on  l'efcorteroit  jufl 
qu'a  Gex.  Après  la  reddition  de  la  place  on  fit  palier  à  Ge- 
nève quatre  pièces  de  gros  canons  &  deux  moindres  qui  s'y 
trouvèrent ,  deux  drappeaux ,  avec  plufieurs  Turcs  &:  quel- 
ques autres  forçats ,  dont  le  duc  de  Savoye  s'ètoit  fervi  pour 
travailler  à  fes  fortifications.  Les  Genevois  les  employèrent 
•  de  même  aux  travaux  publics  ^  mais  ils  rendirent  enfuite  la 

liberté  aux  Turcs,  afin  d'inviter  le  Grand-Seigneur  par  ce 
rare  exemple  de  générofité  ,  à  traiter  les  Chrétiens  avec  plus 
d'humanité  èc  de  douceur.    Cependant  ils  rafèrent  toutes 
les  fortifications  de  Verfoy  ,  èc  réduifirent  même  en  cendres 
les  maifons  du  bourg  ,  afin  qu'elles  ne  pufîent  être  d'aucun 
uiage  aux  ennemis.    Ce  fut  ainfi  qu'ils  rétablirent  la  liberté 
de  la  navigation  fur  le  lac.  Le  refte  de  l'année  iè  palTa  en  ef^ 
carmouches  èc  en  courfes  dans  le  païs  ennemi.    On  s'ètoit 
imacriné  que  les  Savoyards  feroient  le  fiège  du  fort  d'Arve  j 
mais  ils  abandonnèrent  ce  projet.    Cependant  on  arrêta  à 
Genève  quelques  particuliers  ,   qui  ayant  été  convaincus 
d'entretenir  des  intelligences  fecretes  avec  l'ennemi,  furent 
condamnés  à  mort.   D'autres  que  l'on  foupçonnoic  d'être 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XCVII.       79 

du  complot ,  furent  bannis  de  toutes  les  terres  de  la  Répu- 
blique. Henri 

Cependant  tandis  que  le  duc  de  Savoye  tournoit  Ces  ar-  I  V. 
iTies  contre  la  Provence  ,  la  Valette  qui  etoit  alors  à  Tou-  1589. 
Ion  fongeoit  à  fe  rendre  maître  du  château  :  &;  il  en  vint  à 
bout,  en  profitant  de  la  diiîimulation  même  du  Gouverneur  ,ie Toulon ^'^ 
pour  le  tromper.  C'ëtoit  de  Berre  qui  commandoit  dans  la  furpris  par 
place  avec  deux  cens  hommes  de  garnifon  entretenus  aux  ^^  Valette, 
dépens  du  duc  de  Savoye.  Du  refte  cette  intelligence  étoic 
fecrete  •  même  pour  ne  donner  aucun  ioupçon  le  Gouver- 
neur avoir  grand  foin  de  cultiver  l'amitié  de  la  Valette.  Il 
lui  rcndoit  des  vifîtes  afïèz  fréquentes  ,  mangeoit  fouvenc 
chez  lui ,  &  l'avoit  à  fon  tour  pkiiîeurs  fois  invité  à  aller  voir 
les  fortifications  de  fa  place  ,  dont  il  ne  manquoit  pas  de  re- 
doubler la  garde  lorfque  cela  arrivoit.  Voici  donc  l'artifice 
dont  fe  fervit  la  Valette  pour  exécuter  fon  projet.  Il  fit  venir 
d'une  garnifon  voifine  un  nommé  de  Montault ,  dont  il  con- 
noiilbit  le  courage  ôc  l'habileté  3  àc  un  jour  qu'ils  étoient  à 
table  avec  de  Berre  ,  ayant  fait  tomber  la  converfationfur 
les  fortifications  du  château  ,  dont  il  parla  comme  d'un  ou- 
vrage admirable  ,  il  ajouta  qu'il  étoit  fôché  que  de  Mon- 
tault ne  fe  fût  pas  trouvé  avec  lui  lorfqu'il  étoit  allé  les  vi- 
iiter  j  fur  quoi  de  Berre  invita  de  Montault  à  les  venir  voir. 
Celui-ci  le  prit  au  mot ,  il  fe  rendit  au  château  fuivi  de  vino-c 
hommes  tous  bien  armés  lous  leurs  habits ,  &c  pour  ne  donner 
aucun  foupçon  ,  il  les  lailïa  à  la  porte.  Il  en  prit  feulement 
un  ou  deux  avec  lui  pour  l'accompagner ,  èc  lorfqu'il  fe  vit 
proche  de  la  première  garde  ,  il  feignit  de  iefentir  attaqué 
d'une  maladie  fubite  ,  èc  tomba  par  terre  comme  mort.  Aufîi- 
tôt  toute  la  garde  accourut  a  lui  3  on  le  releva  &  on  le  porta 
comme  un  homme  prêt  d'expirer  dans  une  chambre  voifine. 
Cependant  tandis  que  les  foldats  de  la  garde  étonnes  d'un 
accident  aufiî  imprévu  s'emprefToient  tumultuairement  de 
donner  du  fecours  au  prétendu  malade  ,  &  couroient  cha- 
cun de  leur  côté  ,  ne  penfant  à  rien  moins  qu'au  piège  qu'on 
leur  tendoit ,  ceux  qui  étoient  refiés  à  la  porte  du  château 
profitèrent  de  ce  défordre  ,  &  quelques  foldats  qui  étoient 
encore  au  corps  de  garde  n'ayant  pas  eu  l'efprit  de  les  arrê- 
ter ,  ils  entrèrent  tous  à  la  file.  Alors  de  Montault  voyant 


■xjMJi'JjTgrw 


So  HISTOIRE 

-  tout  fon  monde  arrive  ,  fortit  tout  d'un  coup  de  faletargîe, 
Henri  ^  commença  par  le  laifir  des  premières  armes  qu'il  trouva 
I  y.       lous  fa  main.  A  ce  (îgnal  ceux  de  fa  iuite  tirèrent  en  même 
^  ^  o         tenis  les  arquebufes  qu'ils  tenoient  cachées  lous  leurs  habits , 
mirent  1  epee  a  la  main  ,  ce  chargèrent  la  garde ,  qui  le  trou- 
vant en  delordre  fut  taillée  en  pièces ,  ou  obligée  de  fe  ré- 
fugier dans  le  château.   Enfuite  ils  fe  failirent  de  la  porte  y 
firent  entrer  la  Valette  qui  étoit  dans  le  voifinage  ,  &.  le  ren- 
dirent ainlî  maîtres  de  la  place. 
RcducHrion       D'an  autre  côté  ,  le  Roi  s'etoit  rendu  à   Laval  dans  le 
dcpiufieurs     Maine  ,  une  des  villes  des  plus  riches  du  pais ,  èc  qui  donne 

Normniidie  à  ^^"  ^''^''^^  ^  ^^^"^^  ^^^  P^*^^  illuftres  mailons  du  Royaume.  Là 
l'obéiirance  Henri  de  Bourbon  prince  de  Dombes  vint  de  Bretagne , 
"  ^°''  dont  il  étoit  Gouverneur  ,  à  la  tête  d'un  corps  de  Noblellé 
pour  faluer  S.  M.  qui  lui  ht  beaucoup  d'accueil.  Ce  Prince 
s'étoit  rendu  maître  de  Chateaubriand.  Henri  refta  quel- 
ques jours  à  Laval  d'où  il  fe  rendit  à  Mayenne  ,  après  avoir 
renvoyé  le  prince  de  Dombes  dans  fon  gouvernement ,  6c  le 
maréchal  d'Aumont  en  Champagne ,  pour  recevoir  les  fe- 
cours  qui  lui  venoient  d'Allemagne. 
D'Alençon.  L^  l^<^i  avoit  fait  marcher  Ion  armée  du  côté  d'Alen- 
çon  Capitale  du  Perche ,  fous  la  conduite  du  maréchal  de 
Biron  j  èc  René  de  Saint-Denis  de  Hertré  eut  ordre  d'en 
faire  le  fîége.  Le  capitaine  Lago  commandoit  la  garnilôii 
de  cette  place.  D'abord  on  le  lomma  de  fe  rendre  ,  6c  fur 
fon  refus  on  difpofa  tout  pour  le  fiége.  Mais  l'artillerie  qui 
étoit  reftée  longtems  derrière  à  caufe  que  les  chemins  étoienc 
entièrement  rompus  ,  fut  à  peine  arrivée  ,  que  les  bourgeois 
fe  rendirent  ^  6c  Lago  fe  retira  dans  le  château  avec  envi- 
ron trois  cens  hommes.  Cependant  le  Roi  fe  rendit  au  camp 
fept  jours  après  le  maréchal  de  Biron ,  c'eft  à>-dire ,  le  i  5. 
de  Décembre.  Ainfi  Lago  appréhendant  pire  ,  6c  ne  voyant 
d'ailleurs  aucune  efperance  de  fecours  ,  rendit  la  place  le 
lendemain  ,  à  condition  qu'il  en  fortiroit  ,  lui  ôc  fes  gens  , 
vies  6c  bagues  fauves.  Le  Roi  traita  les  habitans  avec  beau- 
coup de  douceur  ,  quoiqu'on  les  foupçonnât  d'ailleurs  de 
favorifer  le  parti  de  la  Ligue.  On  leur  confia  la  garde  de  leur 
ville ,  6c  on  donna  le  gouvernement  du  château  à  de  Hertré. 
D  A'iençon  l'armée  marcha  versFalaIfe,ôc  reprit  en  chemia 

Argentan , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVIL       8r 

Argentan,  où  le  comte  de  Briiïàc  avoit  fait  entrer  trois _■ 

compagnies  d'infanterie.  Tandis  que  le  Roi  étoit  dans  cette  H  E  n  k  i 
ville  ,  il  reçut  avis  de  la  révolution  arrivée  depuis  peu  à        IV. 
Domfront,  autre  ville  de  Normandie  qui  n'eft  pas  éloip-née     »  «-f^^ 


le  delîein  d'appuyer  le  parti  de  la  Ligue  j  mais  il  fut  pré- 
venu par  ceux  qui  cenoient  pour  le  Roi ,  qui  fe  failîrent  de 
lui ,  6c  par  ce  moyen  fe  rendirent  maîtres  du  château.  Aufiî- 
tôt  ils  en  informèrent  le  Roi  par  quelques-uns  de  ceux  qui 
étoient  dans  les  mêmes  intérêts  -,  &;  ce  Prince  leur  ayant 
envoyé  à  propos  les  fecours  dont  ils  avoient  befoin  ,  rédui- 
sît par  là  fous  fon  obéïlTance  cette  ville  avec  (qs  habitans , 
à  qui  il  accorda  une  amniftie  générale  pour  tout  le  palTé,(àns 
exiger  d'eux  aucune  amende. 

Falaiiceft  une  ville  forte  par  fa  fituation  ,  bâtie  furie  pan .  d^  f Jaife 
chant  d'un  coteau  ,  dont  le  pied  eft  environné  d'un  étang 
qui  ne  tarit  jamais.  Son  château  eft  après  celui  de  Caën  le 
plus  fort  de  la  province.  Le  comte  de  Brifîac  étoit  gouver- 
neur de  cette  place,  C'ctoit  là  qu'il  avoit  mis  en  dépôt  la 
plus  grande  partie  du  débris  des  effets  précieux  qu'il  avoic 
pu  fauver  du  pillage  du  château  d'Angers  j  &,  c'etoit  aufîi 
ce  qui  l'animoit  plus  que  tout  le  rcfteà  faire  une  vigoureufe 
réfiftance.  D'ailleurs  il  comptoit  beaucoup  fur  le  régiment 
du  chevalier  Picard  ,  avec  lequel  il  devoit ,  difoit-il ,  non 
feulement  défendre  les  places  que  le  Roi  affiégeroic  ,  mais 
encore  reprendre  celles  que  ceux  de  fon  parti  avoient  per- 
dues par  leur  lâcheté.  Charle  de  Biron  fut  commandé  à  la 
tête  d'un  détachement  de  cavalerie  &  d'infanterie  ,  pour 
aller  inveftir  cette  ville.  Il  arriva  devant  pendant  la  nuit, 
&  ce  fut  fort  à  propos  pour  conferver  le  bourg  delà  Guibray, 
qui  eft  comme  un  des  fauxbourgs  de  la  place ,  &  l'endroit 
de  la  province  le  plus  renommé  pour  la  Foire  qui  s'y  tient 
tous  les  ans.  Les  habitans  de  Falaife  étoient  fortis  dans  le 
deilein  de  le  réduire  en  cendres ,  afin  que  le  Roi  n'en  pût 
tirer  aucun  avantage  ^  mais  Biron  les  repoufla  ,  &  ils  ne 
purent  mettre  le  feu  qu'à  quelques  maifons  détachées  , 
^ui  étoient  les  plus  voifines  de  la  ville. 

Tome  XL  L 


82  HISTOIRE 

Le  Roi  après  avoir  reconnu  le  place  ,  j»-^ge«i  à  propos  de 
H  E  N  K  I  commencer  par  attaquer  le  château ,  perluadé  que  s'il  le 
I  V.  prenoit  une  fois ,  il  leroit  infailliblement  aulîitot  après  maî- 
1589.  ^^^  ^^  ^^  ville  3  au  lieu  que  s'il  commençoit  parla  ville,  il 
prévoyoit  qu'il  feroit  enluite  beaucoup  plus  difficile  de  faire 
le  fîége  du  château.  Cette  place  eft  commandée  par  un 
rocher  tout  hériiré  de  pointes  ,  qui  n'en  eft  féparé  que  par 
un  précipice  affreux  ,elcarpë  de  tous  côtés.  Ce  Prince  y  fie 
placer  deux  coulevrines  ,  qui  par  leur  feu  continuel  incom- 
modoient  fort  les  alîîégés  ,  lorfqu'ils  vouloient  palfer  par 
la  place  du  château  pour  aller  au  logement  intérieur ,  ou 
le  comte  de  Brilîàc  s'étoit  enfermé.  Un  peu  au-deiŒous  on 
avoit  drclTé  deux  autres  batteries  c|ui  foudroyoient  les 
tours  du  château  de  ce  côté-là,  afin  qu'après  les  avoir  rui- 
nées ,  on  pût  enfuite  battre  le  mur  plus  facilement.  Cepen- 
dant le  Comte  ayant  été  fommé  de,.fe  rendre  ,  répondit 
qu'il  ne  le  pouvoir  en  confcience  ,  parce  qu'il  avoit  promis 
à  fon  parti  fur  le- S.  Sacrement  ,  de  ne  jamais  confentir  â 
aucune  capitulation.  Il  ajouta  que  dans  fix  mois  il  donne- 
roit  une  plus  ample  réponfe.  Sur  quoi  le  Roi  repartit  en 
colère  qu'il  auroit  foin  de  réduire  ces  Cix  mois  à  fix  jours, 
dans  l'elpace  defquels  il  fçauroit  bien  dégager  Briilàc  de 
fon  ferment  -,  mais  qu'il  lui  en  payeroit  les  frais. 

L'effet  fuivit  de  près  la  menace.  Après  quatre  cens  coups 
de  canon  ,  tout  le  haut  de  l'une  des  tours  qui  couvroit  le 
mur  qu'on  avoit  delîein  de  battre  ,  tomba  ,  èc  il  fe  trouva 
à  l'autre  une  ouverture  afTez  grande  pour  pafTer  un  hom- 
me. Auffitôt  le  Roi  crut  devoir  profiter  de  cet  avantage  5 
iàns  attendre  qu'on  eût  fait  brèche  au  mur  ,  il  donna  or- 
dre à  quelques  foldats  d'entrer  dans  cette  tour ,  &  de  voir 
s'ils  ne  pourroient  pas  s'y  loger  pour  quelque  tems  ,  afin 
de  foûtenir  de  ce  pofte  qui  étoit  élevé ,  le  refte  des  trou- 
pes lorfqu'elles  monteroient  à  l'afîaut ,  après  qu'on  auroic 
fait  brèche  au  corps  de  la  place.  Ces  ordres  furent  pon- 
duellement  exécutés  ^  ces  foldats  s'introduifirent  dans  la 
tour  ,  &  la  trouvant  fans  défenfè  ,  ils  firent  figne  à  d'au- 
tres de  les  fuivre.  Ainfi  fe  tirant  les  uns  les  autres  avec 
de  longues  perches  àc  des  hallebardes ,  ils  gagnèrent  l'é- 
tage d'en  haut.    De  là  ils  pafTérent  dans  le  château  ,  de 


DE  J.  A.  D  THOU,  Liv.  XCVII.        S3 

le  gliflancs  un  à  un  par  un  petit  fentier  qui  ëtoit  en  de-  - 
dans  le  long  du  mur  ,  ils  le  détournèrent  du  logement  Henri 
intérieur  qu'ils  laifférent  à  main  gauche  ,  de  arrivèrent  I  V. 
ainfi  à  la  porte  du  château  qui  conduit  à  la  ville  ,  l'en-  1589. 
foncèrent  ,  &  fe  rendirent  maîtres  de  la  ville ,  qu'ils  mi- 
rent au  pillage.  Il  faut  remarquer  que  pendant  ce  tems- 
là  ,  la  garnilbn  qui  s'ètoit  retirée  dans  le  logement  inté- 
térieur  n'avoit  oie  faire  aucun  mouvement  ,  à  caufe  des 
boulets  que  ces  deux  coulevrines  dont  j'ai  parlé  ,  faifoient 
continuellement  voler  fur  toute  l'efpace  qui  s'étendoit 
entre  ce  logement  6c  les  murs  du  château.  On  fe  dif- 
pofa  enfuite  à  forcer  la  garnifon.  D'abord  elle  propofa 
à  capituler  5  mais  le  Roi  fit  réponfe  qu'il  n'y  avoit  point 
d'autre  capitulation  à  attendre  ,  que  de  fe  rendre  à  dif- 
crétion.  Cependant  il  accorda  enfuite  au  comte  de  BrifTac 
la  permifîion  de  le  venir  trouver  fur  fa  parole  •  6c  il  obtint 
enfin  avec  la  même  facilité  de  ce  Prince  plein  de  clè- 
inence  que  de  toute  la  garnifon  il  y  en  auroit  quinze  avec 
lui  à  qui  on  feroit  grâce  de  la  vie  ,  &  qui  refteroient  feu- 
lement prifonniers.  Briiïac  abandonna  le  refte  à  la  difcré. 
don  du  Roi  qui  en  fit  mourir  très-peu  ,  encore  l'avoient- 
ils  bien  mérité  pour  d'autres  crimes.  Car  tout  ce  qu'il  y 
avoit  de  fcélérats ,  de  gens  qui  avoient  lieu  de  craindre  la 
rigueur  de  la  juflice  ,  le  jettoit  dans  le  parti  de  la  Ligue , 
dans  l'efpérance  de  l'impunité  que  les  Prédicateurs  leur 
promettoient  libéralement  dans  leurs  Sermons.  Au  rcfle  le 
Roi  donna  au  baron  de  Biron  pour  fa  part  du  butin  ,  tous 
les  riches  effets  que  le  comte  de  BrifTac  avoit  fait  tranfpor- 
ter  dans  le  château. 

Après  la  prife  de  cette  place  ,  le  Roi  marcha  à  Lifîeux,  DeLifieux, 
ville  confidérable  par  ion  Evêché.   Lonchamp  qui  y  com-  ^^  Ponteau- 
mandoit  fe  rendit  à  la  feule  approche  du  canon.   Le  Pon-  JoXrEvt 
teaudemer  ,  le  Pont-l'Evêque ,  &  Bayeux  ,  fe  foûmirent  auffi  que,  &  de 
dans  le  même  tems.  Bayeux. 

Il  ne  refloit  plus  au  Roi  pour  fe  voir  maître  de  tout  le  DeHonflcur. 
païs  maritime  qui  effc  en  deçà  de  la  Seine ,  que  de  fe  met- 
tre en  polTefiîôn  de  Honfieur.     C'eft  un  château  fitué  à 
l'embouchure  de  cette  rivière ,  ôc  environné  de  collines  de 
toutes  parts.  Thomas  Breton  chevalier  de  Grillon  frère  de 

Lij 


84  HISTOIRE 

"  "      Louis  Breton  ,  commandoic  dans  cette  place  avec  une  bonne 

HiNR-i   garnîfbn  ,  qui  étoit  continuellement  fortifiée  par  de  nou- 

I  V.       velles  troupes ,  des  convois  de  vivres  &  de  munitions  de 

1589.     gLierre  ,   qu'André  de  Brancas  de  Villars  lui  envoyoit  du 

Havre  6c  du  pais  de  Caux  ,  qui  eft  de  l'autre  côté  de  la 

Seine. 

Ce  fiége  arrêta  le  Roi  pendant  quelque  tems.  On  avoic 
déjà  poulTë  la  tranchée  jufque  fur  le  bord  du  foflë  j  &  on 
n'en  étoit  pas  plus  avancé.  Enfin  on  fit  couler  à  fond  un 
vaiiïeau  à  l'entrée  du  port  ,  qui  en  boucha  l'avenue  ,  èc 
coupa  ainfi  toute  communication  entre  Grillon  &  Villars. 
Alors  les  affiégés  demandèrent  à  capituler ,  Si  on  convint 
d'une  trêve.  Dans  cet  intervalle  Belfontaine  Gentilhom- 
me de  la  province  ,  diftingué  par  fa  valeur  ,  &  qui  avoic 
été  Maréchal  de  camp  en  Flandre  dans  l'armée  du  duc 
d'Anjou  ,  s'étant  allé  promener  fur  la  foi  publique  au-delà 
d'un  voile  qu'on  avoir  iufpendu  dans  un  faubourg  voifin  , 
pour  empêcher  les  afTiegés  de  vifer  à  nos  gens  lorfqu'ils 
paiToient  par  là ,  &:  de  les  tirer  à  coup  fur ,  fut  tué  lâche- 
ment d'un  coup  d'arquebufe  par  un  foldat  qui  s'étoit  mis 
en  embufcade ,  de  qui  l'avoit  pris  pour  le  Roi  à  qui  il  réf. 
fembloit  efFedivement  alTez  par  la  taille  de  par  l'habille- 
lïient.  Auffi  dès  qu'on  le  vit  tomber  ,  on  entendit  allez 
proche  de  là  un  grand  cri  de  joye  ,  comme  fi  le  Roi  eût 
été  tué.  Il  n'y  avoit  prefque  perlbnne  dans  l'armée  qui  ne 
jugeât  qu'on  devoit  punir  un  tel  attentat  avec  la  dernière 
rigueur.  Mais  foit  que  le  Roi  eût  une  extrême  envie  de  fe 
rendre  au  plutôt  maître  de  la  place  j  foit  qu'il  ne  fît  que 
fuivre  fon  inclination  naturelle  qui  le  portoic  à  la  clé- 
mence ,  il  difîimula  cet  outrage ,  6c  accorda  aux  afliégés 
une  capitulation  honorable. 

Ce  lîége  fut  fécond  en  accidens.  Jean  de  Durfort  de 
Born  qui  commandoit  l'artillerie  ,  avoit  été  dangereufe- 
ment  bleflë  d'un  coup  d'arquebufe.  Tandis  que  fa  blelTure 
le  retenoit  au  lit  ,  t<,  que  de  Renty  commandoit  l'artille- 
rie en  fa  place ,  un  canonnier  eut  l'imprudence  de  mettre 
le  feu  à  une  pièce  de  canon  ,  pendant  que  de  Ferriéres 
frère  d'Ambleville  s'entretenoit  par  ordre  du  Roi  avec 
un  de  {qs  amis ,  qui  étoit  forti  de  la  place  pour  conférer 


DEJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVII.         85 

avec  lui ,  &.  le  tua.    Cette  mort  caufa  un  regret  fenfible  au  ■■■*■'"■■""■-'■ 

Roi.  H  E  K  R  I 

Ce  fut  auffi  dans  ce  tems-là  que  le  château  de  Toucques       I  V. 
fe  fournit  à  des  conditions  que  le  Roi  accorda  fans  beau-      r  ySo. 
coup  délibérer,  afin  de  voler  au  fecours  de  Meulan  que  DeXoucque?. 
les  ennemis  prelToient  vivement. 


Fm  du  Livre  quatre-vingt  dtx-feptiéme. 


%6  HISTOIRE 

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HISTOIRE 

D  E 

JACQ^UE    AUGUSTE 

DE   T  H  O  U. 


LIVRE  .^ATRE^VIGNT  DIX  -  HVltlÉMR 

""  ''  ■  *  A  N  D  I  s  que  le  Roi  écoit  occupé  en  Normandie  ,  le 

Henri      Jl    duc  de  Mayenne  chagrin  de  n'avoir  pu  réùflir  à  ion 

I  V.       expédition  de  Dieppe  ,  6c  d'y  avoir  perdu  beaucoup  de  fà 

15Q0.     réputation,  alla  faire  une  tentative   fur   Pontoife.  Le  feu 

,ar-.     ,    Roi  avoit  donné  le  commandement  de  cette  place  à  Pierre 

France.         de  Momay     de    Buy.    Le   Duc  prit  le   moment  que    ce 

Le  duc  de  Gouverncur  étoit  forti  de  Pontoife  j  mit  le   fiége  devant 

Mayenne       cette  ville  j  &  la  ferra  de  li  près  qu'aucun  fecours  ne  pou- 

toife.  vant  y  entrer ,  le  Lieutenant  de  Mornay  fut  obligé  de  fe 

rendre.  On  Ibupçonna  cependant  cet  Officier  d'avoir  été 

d'intelligence  avec  l'ennemi ,  6c  d'avoir  livré  fa  place.  Qiioi 

qu'il  en  ioit,  le  Duc  profitant  de   cet  avantage,  marcha 

de- là  contre  Meulan  ,réfolu  d'en  faire  le  fîége. 

Meulan  eft  une  petite  ville  fur  la  Seine.  Joachim  de  Be- 

MeùS.     rengueville  en  étoit  alors   Gouverneur,  &  y  tenoit  garni- 

fon  pour  le  Roi.    C'étoic  un    brave     Officier  ,   homme 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIII.       87 

d'expérience,  qui  fit  une  fi -belle  dëfenfeen  cette  occafion,  ■ 
qu'il  donna  le  tems  au  Roi  de  venir  à  la  tête  d'un  détache-  Henri 
ment   faire   lever    le    fiége.    Saint- Marc  commandoit  d'à-       I  V. 
bord  dans  cette  place  au  nom  de  la  Ligue  3  &;   il  y  avoit     j  ego. 
environ  un  an  qu'il  avoit  embralFé  le  parti  de  Henri  III. 
lorfque  ce    Prince  faifoit  le  fîége  de  Pontoife.  Henri  III. 
ayant  été  aflaffiné  ,  Henri  IV.  qui  ne  comptoitpas  trop  iur 
Saint-Marc  ,   &  qui  regardoit  Meulan   comme   un   pofte 
avantageux  pour  pafïèr  la  Seine  ,  donna  ordre  au  maréchal 
d'Aumont ,  dont  le  zélé  &.  la  valeur  lui  étoient  connus, 
de  s'y  tranfporter  afin  de  vifiter  la  place,&:  de  voir  fi  elle  étoic 
en  état  de  défenfe.  Le  Maréchal  s'acquita  exadement  de 
fa  commiffion  j  èc  après  avoir  retiré  Saint-Marc  de  Meu- 
lan ,  il  y  avoit  fait  entrer    Berengueville  mcftre  de  Camp 
du  régiment  de   Cambray  avec  cinq  compagnies   qui  fai- 
foient  moitié   de  fon  régiment ,  fçavoir   la   Colonelle ,  & 
celles  des  Capitaines  la  Fontaine,  la  Chapelle,  Guimar, 
&  Chailly. 

Cette  ville  efl  commandée  par  une  colline ,  fur  le  haut 
de  laquelle  étoit  autrefois  un  château  dont  on  voit  encore 
aujourd'hui  les  ruines.  Elle  eft  compofée  de  quelques  mai- 
fons  répandues  le  long  de  la  Seine  qui  coule  au  pied.  Du 
refte  fes  murs  font  bas ,  faits  feulement  de  .pierre  &,  de  boue, 
fans  tours,  ôc  fans  être  défendus  par  aucun  rempart.  Un 
pont  de  communication  joint  à  la  ville  une  ifle  de  fix  ar- 
pens  d'étendue ,  où  fe  voit  un  Fort  flanqué  de  quatre  tours , 
dont  la  plus  confidérable  fert  de  défenle  à  la  pointe  de  la 
Baftille  j  deux  autres  couvrent  les  flancs  de  cet  ouvra- 
ge ^  &  la  quatrième  appellée  communément  la  Tour  aux 
Chiens  regarde  l'ifle  de  faint  Côme.  De-là  on  pafl"e  la  Seine 
fur  un  pont  dont  la  tête  fur  le  rivage  oppoié  efb  défen- 
due par  une  tour  nommée  la  Sangle  ,  fans  autre  fortifica- 
tion. Cette  tour  eft  commandée  par  une  colline  j  èc  de 
l'autre  côté  l'Eglife  de  Notre-Dame  commande  de  même 
la  Baftille.  Le  premier  foin  de  Berengueville  fut  de  pour- 
voir aux  fortifications  de  la  place.  On  commença  par  fon 
ordre  à  travailler  à  un  rempart  pour  foutenir  les  murs  de 
la  ville  j  il  fit  élever  quelques  cavaliers  dans  les  endroits 
qu'il  jugea  en  avoir  befoin ,  àc  tira  à  la  tête  du  petit  ponc 


8S  HISTOIRE 

^?  qui  regarde  la  ville  deux  retrancliemens  qu'on  fortifia  avec 
Henri  de  la   terre.   En  même   tems  il  détacha  le   Capitaine    la 
I  V.       Chapelle  avec  fa  compagnie  pour  aller   le  faiiîr  du  ponc 
15^0.     de  Poiifi  fur  la  Seine  ,  afin    de    fermer  ce  palTage  à  l'en- 
nemi. 

L'ouverture  du  fiége  fe  fit  le  9.  de  Janvier  j  &  le  duc 
de  Mayenne  ayant  fait  pointer  une  batterie  contre  la  porte 
de  Beauvais ,  dont  la  Fontaine  avoit  la  garde ,  on  com- 
mença à  tirer  le  lendemain.  Après  cent  coups  de  canon  la 
brèche  fe  trouva  confidérable,  ôc  la  tour  fort  ébranlée  5 
mais  la  nuit  qui  furvint  empêcha  les  ennemis  de  tenter  un 
afîaut  ce  jour-là  j  de  donna  le  tems  aux  afîiégés  de  réparer 
le  défordre  que  l'artillerie  avoit  fait. 

Il  n'y  avoit  en  tout  que  quatre -vmgt  chevaux,  &:  fîx 
cens  hommes  de  pied  dans  la  place.  Deux  jours  après 
quatre- vingt  arquebufiers  &  trente  cuirafîiers  tirent  une 
fortie  avec  tant  de  fuccès  qu'ils  fe  virent  longtems  maîtres 
du  canon  des  ennemis  Ils  auroient  même  pu  l'enlever  fî  la 
porte  de  la  ville  n'eût  été  murée.  Ainfî  dès  le  lendemain 
les  afîiégeans  changèrent  leurs  batteries ,  èc  en  élevèrent 
une  fur  le  coteau  compofée  de  trois  grofîes  pièces  de  canon, 
&  de  trois  coulevrines ,  qui  commencèrent  à  foudroyer  le 
mur  oppofé  qui  è^ioit  très-foible  ,  ôc  dont  on  avoit  confié 
la  défenfe  au  capitaine  Guimar  6c  à  fa  compagnie.  En 
même  tems  quelque  artillerie  pointée  du  cimetière  làint  Ni- 
colas contre  la  Tour  quarrèe  àc  le  mur  voifin  y  fît  bientôt 
une  brèche  de  quarante  pas  de  l'argeur. 

Comme  il  y  avoit  de  l'apparence  que  les  ennemis  tente- 
roient  un  afiaut  de  ce  côté-là,  Berengueville  qui  ne  fe 
voyoit  pas  en  état  de  conferver  la  ville  plus  longtems ,  ne 
voulant  cependant  pas  abandonner  Cqs  gens  à  la  merci  de 
l'ennemi ,  feignit  de  fe  difpofer  à  marcher  à  leur  fecours. 
Dans  cette  vue  il  fit  pafîèr  quelques  troupes  dans  la  ville 
par  le  petit  pont  à  la  vue  des  afFiégeans ,  qui  étoientdèja 
en  bataille  prêts  à  monter  à  la  brèche.  Ce  mouvement  fit 
faire  alte  aux  ennemis ,  èc  donna  le  tems  aux  afTiègés  de 
fe  retirer  heureufement  en  bon  ordre.  Alors  les  Ligueurs 
entrèrent  par  la  brèche  fans  trouver  la  moindre  réfiiiance, 
&  fe  répandant  aulFitôt  dans  les  Eglifes ,  où  les  habitans 

s'écoienc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     8^ 

'S^étoîent  réfugiés   avec  leurs  femmes  &  leurs  enfans ,  pil-  .    '     ,  .» 

lérent    tout  ce  qui  fe  trouva  à  leur  difcrétion.  Ils  élevé-  Henri 
renc  enfuite  contre  la  tour  du  petit  pont  un  bon  retranche-        I  V. 
ment  compofé  de  tonneaux  pleins  de  terre.  La  nuit  même     i  ^oo« 
2I  fut  attaqué  èc  prefque  emporté  dans  une  fortîe  que  lit 
Berengueville ,  qui  en  renverfà  une  grande  partie  avec  des 
crocs. 

Cependant  comme  lesaffiégés  étoient  réfolus  à  tenir  fer- 
me julqu'au  bout,  on  fongea  à  ménager  les  provilîons  qui 
étoient  dans  la  place.  Ainlî  on  nomma  cjuelques-uns  des 
bourgeois  pour  départir  à  chacun  la  ration  de  pain  &  de 
vin  qui  fut  affignée  par  tête.  Il  faifoit  alors  un  froid  très- 
piquant.  La  rivière  étoit  entièrement  glacée  au-deiîus  èc 
au-defl:bus  des  ponts ,  6c  favorifoit  ainîî  les  approches  â 
l'ennemi.  Pour  remédier  à  cet  inconvénient  Berengueville 
commanda  cinquante  Suiiîes  qu'on  avoit  jettes  dans  la 
place  quelque  tems  avant  l'arrivée  du  duc  de  Mayenne, 
pour  aller  rompre  les  glaces  à  coups  de  haches ,  de  pics , 
&  de  marteaux ,  avec  ordre  de  tirer  un  retranchement  en- 
tre i'ifle  faint  Nicaife  èc  la  tour  qui  couvroit  la  pointe  de 
la  Baftille  jufqu'au  petit  pont.  Les  SuilIes  s'acquittèrent 
avec  ardeur  de  cette  commiiîion  •  ce  qui  fut  d'un  grand 
fecours  pour  les  affiégès  •  car  le  duc  de  Nemours  étoit 
dans  le  voifinage  ,  où  il  tenoitdes  bateaux  tout  prêts  pour 
faire  palTer  des  trouppes  dans  l'ille.  La  nuit  fuivante  un 
grand  pan  du  mur,  qui  de  lui-même  étoit  très  foible , 
ébranlé  d'ailleurs  par  le  bruit  du  canon  s'écroula  j  enforte 
qu'il  fe  trouva  une  brèche  de  plus  de  quarante  pas  de  l'ar- 
geur  •  mais  Berengueville  la  lit  réparer  aulTitôt  avec  de  la 
terre. 

Quelque  preiTés  que  fuflent  les  alTiégès,  jufques-là  tout 
leur  avoit  réuffi.  Un  nouvel  incident  contribua  encore  à 
augmenter  leur  courage.  Deux  foldats  de  la  garnifon  ayant 
choifi  une  nuit  fort  noire,  malgré  la  rigueur  de  la  faiion , 
malgré  les  glaçons  dont  la  rivière  étoit  couverte,  &  mal- 
gré la  rapidité  de  l'eau  qui  fe  trouvoic  relTerrèe  fous  les 
ponts,  s'approchèrent  à  la  nage  des  bateaux  ennemis  3  cou- 
pèrent ÏQs  cables  qui  les  retenoient  j  les  troiicrent  avec  des 
carrières  dont  ils  avoient  fait  provifion  j   en  coulèrent  à 

r^w^  X/.  M 


90 


HISTOIRE 


■'■ ■".'  ■'    fond  une  partie  ,   ôc  emmenèrent   le  refte  avec  eux.  Ce 

HfNRi  coup  hardi  fut  depuis  d'un  grand  fecours  aux  affiégés  ,  à 
I  V.  qui  il  ouvrit  un  chemin  pour  faire  des  courfes  par  la  rivière. 
1590.  Berengueviile  ne  fut  pas  longtems  fans  en  tirer  avantage. 
Ayant  eu  avis  que  le  duc  de  Mayenne  avoit  laiiïe  une  partie 
de  les  munitions  dans  la  bafTe-cour  du  château  de  Frêne, 
il  détacha  le  Maréchal  des  logis  de  fa  compagnie  de  ca- 
valerie avec  quelques  loldats  pour  aller  les  enlever.  L'en- 
treprife  réuffit,  ôc  cet  officier  ayant  furpris  la  baflè-cour 
pendant  la  nuit ,  rapporta  bonne  provifion  de  poudre  èc 
de  mèche  dans  la  place ,  où  l'on  commençoit  à  en  avoir 
grand  befoin. 

D'un  autre  côté  le  duc  de  Mayenne  ennuyé  de  la  lon- 
gueur du  fiège  détacha  le  22.de  Janvier  le  colonel  Jaulge 
avec  fon  régiment  compofé  de  mille  fantaffins ,  avec  or- 
dre d'aller  palFer  la  Seine  à  Mantes ,  de  fe  rendre  de-là  au 
villase  des  Mureaux  de  l'autre  côté  de  cette  rivière  ,&  de 
fe  faifir  de  la  tour  de  Sangle  ^  ce  qui  s'exécuta.  Déjà  le  Co- 
lonel commençoit  à  fe  fortifier  dans  le  village  lorique  Be^ 
rengueviile  le  chargea  fort  à  propos  à  la  tête  de  quatre- 
vingt  arquebufiers,  &:  de  trente  cuiraffiers  3  fit  plufieurs  pri- 
fonniers ,  &c  renverfa  la  plus  grande  partie  de  (qs  retranche- 
mens  faits  avec  des  tonneaux  ,  fans  avoir  perdu  un  feul  hom- 
me. Ainiî  les  ennemis  furent  obligés  de  s'éloigner  &  de  fe 
fortifier  dans  l'Eglifè. 

Alors  un  foldat  entra  dans  la  place  à  la  nage ,  &c  rendit 
au  Gouverneur  des  lettres  par  iefquelles  le  Roi  lui  donnoic 
avis  de  fon  arrivée.  Au  reffce  la  marche  de  ce  Prince  n'étoic 
pas  ignorée  des  ennemis ,  fur-tout  de  Chrétien  de  Savigny 
de  Rofne  ,  à  qui  le  duc  de  Mayenne  avoit   donné  ordre 
de  fuivre  le   colonel  Jaulge  avec  un   détachement  de  fcs 
troupes.  Après  plus  de  cinq  cens  coups  de  canon  tirés  con- 
tre la  porte  de  la  Sangle,  cet  Officier  voyant  une  brèche 
à  la  muraille   de   plus   de  quarante  pas   de  largeur,  y   fie 
donner  un  aiTaut   général  le    11.   de  Février  3  mais  il  fuc 
rec^u  vigoureufement  par  Berengueviile  qui  s'étoit  retranché 
en  dedans ,  Se  qui  combattant  aux  premiers  rangs  l'obligea 
de  fè  retiter.  La  phipart  des  afiaillants  périrent  à  cette  at- 
taque 3  5c  de  Rofne  ayant  demandé  permifïïon   de  fmQ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIÎ.     91 

retirer  leurs  corps  de  la  brèche  afin  de   les  enterrer ,  Be-    ■^"'  '  i  i 't 

rengueville  la  lui  accorda  de  grand   cœur.  Le  lendemain  Henri 
les  ennemis  tentèrent  un  nouvel  afTaut  par  la  chauiTée  j       I  V. 
mais  les  afliëgés  ayant  pointé   quelques  petites  pièces  de     i  coq, 
campagne  contre  cette  porte,  ils  les  obligèrent  d'abandon- 
ner la  chauflèe  en  dèfordre.  Ainiî  cette  nouvelle  tentative 
ne  rèiifîît  point. 

Cependant  fur  le  bruit  de  la  marche  du  Roi ,  de  Rofne 
crut  devoir  prévenir  le  danger  auquel  il  alloit  fe  voir  ex- 
pofè.  Ainiî  dès -la  nuit  fuivante  il  fit  retirer  fon  artillerie 
trois  heures  avant  le  jour,  èc  alla  pafiTer  la  rivière  à  Triel , 
où  on  lui  tenoit  des  bateaux  prêts ,  ayant  pofté  à  fon  ar- 
rière-garde quelques  troupes  d'élite  pour  arrêter  les  Roya- 
iifles  au  cas  qu'ils  entreprillent  de  le  troubler  dans  fa  re- 
traite. Enfin  le  13.  l'armée  du  Roi  parut  à  la  vue  deMeu- 
lan.  Ce  Prince  entra  lui-même  dans  la  place  par  la  porte 
de  la  Sangle  accompagné  du  comte  de  Solfions ,  du  comte 
de  Saint-Paul ,  du  Maréchal  de  Biron ,  &  de  Maximilien  de 
Bethune  de  Rony  5  enfuice  après  avoir  donné  de  grands 
éloges  à  la  valeur  des  afliégès ,  èc  avoir  vifité  la  place ,  il  fe  re- 
cira dans  fon  camp. 

Après  le  départ  de  ce  Prince  le  duc  de  Mayenne  qui 
ëtoit  campé  de  l'autre  côté  de  la  rivière  tranfporta  toute 
fon  artillerie  fur  le  coteau  èc  à  l'Egliiè  qui  eft  au  pied ,  èc 
recommença  de-là  à  battre  la  Baftille.  Cinq  cens  coups  de 
canon  fufiîrent  pour  ruiner  le  mur  qui  étoit  très-foible ,  ôc 
pour  ébranler  la  tour.  Ainfi  le  Duc  fe  difpofa  à  marc-her  à 
l'attaque.  Alors  les  afiîégés  ne  fe  trouvant  pas  en  état  de 
foutenir  cet  effort,  fe  rallièrent  auprès  des  arches  du  pont  j 
firent  tête  à  l'ennemi,  6c  donnèrent  avis  au  Roi  du  danger 
où  ils  étoient.  Sur  cette  nouvelle  ce  Prince  accourut  à  leur 
fecours  avec  du  canon  ^  §c  l'ayant  fait  mettre  en  batterie  â 
propos  vers  la  porte  de  la  Sangle  il  reprit  une  des  arches  du 
pont  dont  les  aifiègeans  s'étoient  rendus  maîtres  ,  &  fit 
pafi^er  dans  Pifle  faint  Nicaife  des  troupes  qui  Iqs  chafi^- 
rent  auffi  de  ce  polie.  Le  Roi  ravitailla  enfuice  la  place  j  èc 
y  ayant  fait  entrer  une  compagnie  de  Lanfquenetsà  la  place 
des  SuiUès  qu'il  eh  retira ,  il  ramena  l'artillerie  au  camp, 
rèfokï  dès-lors  d'aller  faire  le  fiège  de  Dreux. 

Mij 


5)1  HISTOIRE 

Sur  ces  entrefaites  le  duc  de  Mayenne  eut  avis  que  ceux 
Henri  qui  tenoient  dans  Roiien  le  parti  du  Roi  s'ëtoient  iàifis  du 
I  V.       vieux  palais  •  èc  comme  il  appréhendoit  de  plus  fâcheufes 
15S9.     Suites  de  cet  accident,  il  décampa  le  27.  de  Février  &;  mar- 
cha de  ce  côté-là  avec  une  partie  de  ion  armée.   Il  eut  la 
Levée  du  précaution  de  couler  à  fond  une   partie  des  bateaux  qu'il 
^t'S^-  avoit  préparés  pour  afîaillir  Meulan  du  côté  de  la  Seine  ^ 

&  il  fit  defcendre  la  rivière  aux  autres ,  de  peur  que  les  af- 
fîégés  n'en  profitaient.  Le  lendemain   le  refte   de  l'armée 
de  la  Ligue  mit  le  feu  à  fes  retranchemens ,  &  abandonna 
la  ville.  Cependant  les  ennemis  reparurent  encore  le  2.  de 
Mars.  Le  jour  fuivant  ils  fe  mirent  en  bataille  comme  s'ils 
eufient  eu  deflein  d'attaquer  la  tour  qui  couvroit  la   pointe 
de  la  Baftille  ^  &;  ils  mirent  quelques  troupes  à  la  porte  de 
J'Eglile  6c  dans  les  mailons  voifines.  Mais  les  affiégés  ayanc 
fait  iur  eux  une  fortie  vigoureufe,  il  y  eut  une  action  très- 
chaude  ,  pendant  laquelle  les  afliégeans  firent  leur  retraite. 
Après  leur  départ  les  habitans  commencèrent  par  rendre 
grâces  à  Dieu  de  la  levée  du  lîége  ^  &:  le  Clergé  de  la  ville 
St  une  proccffion  folemnelle ,  où  affilia   Berengueville  avec 
tous  les  Officiers  de  la  2;arnifon.  En  même  tems  le  Roi  dé- 
tacha  le  comte  de  Soillons  pour   aller  reprendre  Verneuil 
dans  le  Perche  j  l'entreprife  eut  le  fuccès  qu'on  en  efperoît  - 
le  Comte  mit  une  forte  garniion  dans  la  ville  6c  le  château  ;- 
êcil  en  donna  le  commandement  à  Théodore  de  Ligneris,quî 
avoit  fuivi  le  parti  de  la  Ligue,  ôc  qui  prêta  ferment  de  fi- 
délité au  Roi. 
Succès  du       Oe  fut  vers  ce  tems-là  que  le  Roi   reçut  des  nouvelles 
voyage  de       qui  ne  lui  firent  pas  trop  de  plaifir ,  au  fujet  du  iuccèsqu'a- 
h"?ne*"^^'  ^^^^  ^^  ^^  voyage  de  Sancy  en  Allemagne.  Henri  IV.  après 
la  mort  de  fon  prédéceffeur  l'avoit  chargé  de  s'y  rendre 
pour  lever  de  nouvelles  troupes.  Il   lui  avoit   donné  pour 
cela  les  pouvoirs  les  plus  amples ,  avec  des  lettres  pour  les 
princes  Proteftans   de  l'Empire.  Elles  contenoient  en  fub- 
fiances  :  Qiie  depuis  trente  ans  les  Efpagnols  entretenoienc 
la  divifion  en  France ,  dans  le  deiTein  d'alTûrcr  à  Philippe 
par  la   ruine  de  ce  florilîant    Royaume  cette   Monarchie 
univerfelle  dont  Charle  V.  fon  père  avoit  formé  le  projet  ; 
Qii'en  effet  tant  que  cette  Couronne  fubiiileroit  ils  avoienu 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVIII.     93 

toujours  un  rival  à  craindre  ,  oc  une  barrière  que  Dieu  fem- 
bloic  avoir  oppofëe  à  leur  ambition  infatiable  ,  qui  arrecoic  77^  77TT 
le  cours  de  leurs  projets  ,  ôc  qui  les  empecnoit  d  envahir  y  y 
les  Etats  des  autres  Princes  moins  puifîans ,  qui  ne  fe  foii- 
tenoient  que  par  la  protecT:ion  de  l'Empire ,  6c  que  cette  ^5^^* 
nation  injufte  avoit  déjà  dépouillés  en  idée  ;  Qu'ils  avoienc 
mis  tout  en  œuvre  pour  venir  à  bout  de  leur  entreprife  : 
Qu'enfin  par  une  guerre  civile  de  tant  d'années  ils  avoienc 
afloibli  &  épuifé  ce  puilEant  Etat  3  mais  que  voyant  qu'il 
reftoit  encore  dans  le  cœur  de  la  nation  un  attachement 
naturel  pour  Tes  maîtres,  ilsavoient  fufcité  le  duc  de  Guife, 
qui  s'étoit  acquis  un  grand  crédit  parmi  les  Catholiques, 
à  l'avoient  engagé  à  tourner  contre  le  Roi  même  des  ar- 
mes qui  avoient  été  deftinées  à  écrafér  les  Proteftans  : 
Que  depuis  ce  tems-Ià  ce  Prince  infortuné  chafTé  honteu- 
fement  de  fa  Capitale,  s'étoitvu  réduit  par  l'ambition  du 
Duc  à  la  funeil:e  néceiTité  de  chercher  fa  fureté  dans  la 
perte  de  ce  rebelle  :  Qii'après  fa  mort  le  duc  de  Mayenne 
îbn  frère  avoit  marche  lur  les  mêmes  traces  ^  bc  que  ce  que 
l'un  méditoit  de  faire  à  Blois ,  l'autre  l'avoit  exécuté  à  la 
vue  de  Paris ,  en  allant  choifir  dans  l'Ordre  des  Dominicains 
un  parricide  déteilable  pour  afïaiîiner  le  Roi  :  Qiie  tous  les 
Souverains ,  èc  fur-tout  les  Princes  de  l'Empire  ,  étoienc 
intéreflés  à  ce  qu'un  attentat  auffi  abominable  donc  le 
fouvenir  feroit  à  jamais  en  horreur, ne  reftât  pas  impuni  : 
QLi'après  s'être  crus  autorifés  à  fecourir  le  feu  Roi  contre 
ies  fujets  rebelles  ^  après  l'avoir  lui-même  aflifté  toujours  lî 
à  propos  avant  que  la  mort  de  ce  Prince  lui  eût  ouvert  un 
chemin  au  trône  où  il  avoit  été  appelle  par  une  fuccelTion 
légitime  3  à  préfent  qu'il  s'agiiloit  de  tirer  vengeance  d'un 
crime  fi  affreux  ,  6c  de  purger  le  Royaume  de  la  race  im- 
pie de  ces  exécrables  aflallins,  ils  étoient  obligés  de  met- 
tre tout  en  œuvre  pour  contribuer  autant  qu'il  étoit  en  eux 
à  rétablir  en  France  une  paix  à  laquelle  on  voyoit  plus  de 
difpofition  que  jamais  :  Que  depuis  le  coup  malheureux 
qui  avoit  enlevé  le  feu  Roi  les  ennemis  de  l'Etat ,  à  qui  il 
ne  reftoit  plus  que  cette  feule  relîource  ,  avoient  mis  en  œu- 
vre la  fraude  &  il'artirîce  pour  femer  la  divifion  parmi  Jes 
Seigneurs  Ôcles  o-randi  Officiers  de  l'armée  du  Roi,  dans 

-K  /r  ••• 


54  HISTOIRE 

'  ■'  h  vue  de  Içs  détacher  de  fon  fervice ,  de  de  les  attirer  à 

Henri  leur  parti  :  Que  cependant  tous  s'étoient  enfin  réunis  pour 
I  V.      le  reconnoître ,  à  condition  que  dans  iix  mois  il  ne  feroic 
I  s 90.     ^'Jcun  changement  au  iujet  de  la  Religion,  ce  qui  étoic 
l'article  principal  des  prétentions  des  rebelles,  julqu'à  ce 
qu'une  allèmblée  des  Seigneurs  de  la  nation  ,  ou  des  Etats 
généraux  du  Royaume ,  ou  un  Concile  légitime  ,  général  ou 
national ,   en  eût   autrement  ordonné  :  Qu'à  la  vérité  la 
crainte  ou  l'efpérance  avoic  engagé  quelques    Seigneurs  à 
l'abandonner  5  mais  que  comme  il  les  connoilloit  pour  être 
peu  afFedionnés  à  fa  perfonne ,  &  au  bien  de  fon  Royau- 
me, ils  l'avoient  trouvé  plus  difpofé  à  leur  accorder  leur 
congé ,  qu'ils  n'avoient  d'envie  de  l'obtenir  -,  6c  qu'il  avoic 
lailTé  à  la  honte  dont  ils  s'étoient  couverts  par  cette    dé- 
marche ,  àc  aux  remords  que  leur  perfidie  devoit  leur  eau- 
fer  ,  le  foin  de  le  venger  de  leur  retraite  :  Qu'au  refte  voyant 
que  le  voilînage  de  Paris  rendoit  de  jour  en  jour  la  défer- 
tion  plus  à   craindre  ,  il   avoit   réfolu  de  s'en    éloigner  : 
Qu'il  s'étoit  donc  retiré  avec  une  partie  de  fon  armée  dans 
la  province  de  Normandie  voifine  de  la  Capitale  j  de  qu'il 
avoit  partagé  le  refle  de  fes  troupes  entre  le  duc  de  Lon- 
guevilie  gouverneur  de  Picardie ,   &c   le   maréchal  ci'Au- 
mont  qui  étoit  palfé  en  Champagne  pour  aller  recevoir  fur 
la  frontière  les  fecours  qu'il  attendoic  :  Qiie  c'étoit  pour 
les  hâter  qu'il  avoit  député  vers   eux  Nicolas   Harlay  de 
Sancy  :  Qu'en  attendant  l'arrivée  de  l'armée    nombreufe 
qu'ils  avoient  promis  de  fournir  à  fon  prédecefleur  il  étoic 
chargé  de  faire  entrer  en  France  quelques  troupes  dont  il 
ne  pouvoit  fe  paiFer  dans  les  conjondures  préfèntes ,  èc  de 
recevoir  d'eux  cent  cinquante  mille  écus  d'or  à  compte  lur 
les  trois  cens  mille  qu'ils  s'étoient  de  même  engagés  à  faire 
toucher  au  feu  Roi  :  Qii'il  en  avoit  un  très-grand  befoin  ; 
de  que  fans  ce  fecours  il  lui  feroit  très-difficile  de  retenir  Çqs 
troupes  dans  un   tems    de  révolte  tel  que  celui  oii  il  fe 
trouvoit  :  Qu'il  n'y  avoit  donc  poinc   de  tems  à  perdre  ; 
&  que  le  moindre  délai  feroit  autant  de  tort  à  fon  parti 
qu'un  véritable  refus  :  Qu'il  étoit  menacé    d'un  côté  par 
le  duc  de  Lorraine ,  de  l'autre  par  le  prince  de  Parme  5  de 
qu'il  y  avoic  lieu  de  croire  qu'ils  alloient  mettre  tout  eu 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.       95 

cÊUvre  pour  l'empêcher  de  s'affermir    fur  un  trône  où  il  ■ 

venoic  à  peine  de  monter  :  Qu'cà  l'égard   des  autres   cent  Henri 
cinquante  mille  écus  reflans  il  les  deftinoit  avec   l'argent       1  V. 
que   lui  avoit  promis  la   reine   d'Angleterre  à  lever   une     1500. 
puiflànte  armée  qu'on  feroit  palTer  en  France  dans  la  fuite -, 
mais  dont  le  fecours  lui  dcviendroit  inutile  fî  on  lui   refu- 
foit  celui  dont  il  avoit  beioin  aduellement  pour  maintenir 
fon  parti  :  Que  dans  cette  vue   il    avoit   chargé  Sancy  de 
tous  les  pouvoirs  nécelTaires  pour  leur  donner  à  eux  Se  à 
{qs  autres  créanciers  toutes  les  fûretés  qu'ils  pouvoientfou- 
haiter  j  avec  (ydre  de  leur  engager  pour  cela ,  ou    les  re- 
venus de  la  Couronne,  &c  telles  villes  du   Royaume  qu'ils 
demanderoient  j  ou,  s'ils  aimoient  mieux,  les  grands  do- 
maines qu'il  polTédoit  en  France  de  fon  chef,  bc  qui  n'é- 
toient  point  encore   chargés  des  dettes  que  fes  prédécef. 
feurs  avoient  contractées. 

Muni  de  ces  inftruclions  Sancy  fe  rendît  à  Baie  j  &  y 
ayant  trouvé  Antoine  de  Moret  des  Reaux ,  qui  avant  la 
mort  du  feu  Roi  étoit  pafTé  en  Allemagne  avec  Gafpard 
de  Schomberg ,  il  l'engagea  à  retourner  avec  lui  à  Hei- 
delberg  ,  afin  de  prendre  des  mefuresavecle  duc  Cafimir, 
qui  gouvernoit  alors  l'Eledorat,  fur  le  fujet  de  fon  voyage. 
Le  réfultat  des  conférences  qu'il  eut  avec  ce  Prince,  fut 
que  de  Lenty  leveroit  incefTamment  un  régiment  de  Lanfl 
quenets ,  Se  le  colonel  Dammartin  quinze  cens  Reîtres  j  6c 
que  ces  troupes  fe  rendroient  à  un  certain  jour  dans  les 
pleines  de  Strafbourg ,  où  on  en  feroit  la  revue. 

Sur  ces  entrefaites  arriva  à  Heidelberg  Armand  Frentz, 
qui  depuis  quelque  tems  campoit  autour  d'Aix-la-Cha- 
pelle avec  quinze  cens  chevaux  qu'il  avoit  levés  par  ordre 
de  Louis  de  Gonzague  duc  de  Nevers.  Ce  Seigneur  ne 
pouvant  plus  fupporter  l'jnfolence  du  capitaine  Saint-Paul , 
qui  avoit  été  afîèz  lîardi  pour  prendre  le  titre  de  duc  de 
Rhjtelois ,  ôc  qui  défoloit  ce  pais  par  des  courfes  conti- 
^  nuelles,  avoit  réfolu  avec  l'agrément  du  feu  Roi  de  lui 
faire  la  guerre  à  fes  dépens.  Mais  la  mort  de  ce  Prince 
ayant  changé  la  face  des  affaires ,  le  Duc  s'étoit  fait  un 
fcrupule  de  pourfliivre  cette  entreprife  j  &  n'avoît  point 
donné  l'argent  qu'il   avoit  promis   pour   faire  fes  levées. 


[.jihubmIm 


9^  HISTOIRE 

Ainfi  Frcntz,   qui  appréliendoic  de  porter  toute  la  perte 
Henri  de  ce  contretems  ayant  appris  que  le  nouveau  Roi  levoic 
I  V.       des  troupes  vint  offrir  Tes  iervices  à  Sancy ,    l'alTûrant    que 
1389,     £qs  gens  étoient  fur  pied ,  &:  en  état  de  marcher.  Il  écoit  ce- 
pendant vrai  que  la  plus  grande   partie  ennuyée  d'un  fî 
long  retardement  avoit  delerté.  "Sancy  accepta  la  propor- 
tion 3  &c  il  donna  rendez-vous  à  Frentz  êc  à  Wambach, 
qui  avoit  promis  de  lever  aufîî  un  régiment  de  Lanfque- 
nets  pour  le  trouver  à  Francfort   à  un  certain  jour  donc 
ils  convinrent,  afin  de  prendre  de  concert  les  mefuresné- 
celîaires.  ^ 

Cependant  Sancy  accompagné  de  des  Reaux  pafla  à 
Caflèl  pour  conférer  avec  Guillaume  Landgrave  de  HelFe, 
un  des  Princes  des  plus  fages  de  fon  tems ,  &c  des  plus 
anciens  alliés  de  la  France.  Le  Landgrave  approuva  les 
niefures  qu'on  avoit  prifes  avec  le  prince  Palatin,  ô^nefe 
lit  pas  prier  pour  fournir  à  la  dépenfe.  En  même  tems  il 
confeilla  à  Sancy  d'emprunter  auiïî  de  l'argent  à  Ulm  èc 
à  Nuremberg  j  &:  il  lui  donna  des  lettres  de  recomman- 
dation pour  ces  deux  villes.  Ce  Miniftre  chargea  de  cette 
négociation  ,des  Reaux  6c  Louis  Perrot  fécretaire  du  Roi  j 
&  ils  s'en  acquittèrent  heureufement. 
Défaite  des  Déjà  le  colonel  Dammartin  s'étoit  rendu  à  Strafbourg 
troupes  Al-  a^vec  les  troupes  qu'il  avoit  fait  partir  avant  lui.  Les  foL 
Udac  U^^  dats  de  Lenty  arrivoientauffî  tous  les  jours  à  la  file  ,  lorfque 
Lorraine.  je  duc  de  Lorraine  ayant  eu  avis  de  ces  nouvelles  levées 
forma  le  deflein  de  les  tailler  en  pièces  avant  qu'elles  euflenc 
palTé  en  revue,  &  fulTent  en  état  de  fervir.  Dans  cette  vue 
il  rappella  Henri  marquis  de  Pont-à-MoulTon  fon  fils  qui 
avoit  fuivi  le  duc  de  Mayenne  à  fon  expédition  de  Dieppe 
à  la  tête  d'un  corps  de  bonnes  troupes ,  le  capitaine  Saint- 
Paul  6c  quelques  autres  Officiers  ,  à  qui  il  donna  rendez- 
vous  à  Nancy  pour  le  29.  de  Novembre.  Enfuite  il  fe  mie 
en  marche  accompagné  de  François  comte  de  Vaudemont 
fon  fécond  fils,  6c  de  Charle  -  Philippe  de  Croy  marquis 
d'Havre  3  alla  en  paffant  en  dévotion  à  faint  Nicolas  ;  6c 
prit  fa  route  vers  Blamont  6c  Phaltzbourg.  De.là  ayant 
palTé  le  mont  de  Vofge  ,  il  fe  rendit  en  cinq  jours  de 
parche  à  SavemCjôc  fit  la  revue  de  fon  armée  à  Waftenhein, 

Ell^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     97 

Elle  ëtoit  compofée  de   deux  mille  chevaux ,  cous  en  bon  -' 

ordre  j  de  deux  mille  hommes  d'infanterie  Françoife  com-  Henri 
mandés  par  le  capitaine  Saint-Paul  3  &  de  deux  mille  Lanf-      I  V. 
quenecs   fous   la  conduite    de  Jacque    marquis    de    Bade,      i  ^^o, 
Monltreuil  Maréchal  de  Camp  ayant  détaché  Saint-Paul 
Je  fuivit  auffitôt  après  à  la  tête  de  trois  Cornettes  de  Che- 
vaux-legers  ,  ôc  de  trois  compagnies  d'arquebufîers  à  cheval-, 
&;  ayant  paiîc  la  rivière  d'Ille,  derrière  laquelle  les  troupes 
de  Lenty   fe  croyoient   fort  à  couvert  ,  il  les  chargea  à 
Botzen ,  6c  les  défit.  Trois  compagnies  fe  rendirent  à  Tin- 
ftanc  même  ^  6c  deux  autres  deux  jours  après  proche  de 
Bretencn. 

Cet  échec  embarrafTa  Sancy  ,  qui  n'avoit  encore  rien  de 
prêt,  6c  quife  lafToit  d'attendre  Frentz  6c;  Wambach,  qui 
tardèrent  à  fe  rendre  plus  qu'il  n'efpéroit.  Cependant  il  ne 
perdit  pas  courage  en  cette  occafion  5  il  perfuada  au  colo- 
nel Dammartin  6c  à  îbs  troupes ,  que  pour  éviter  de  tomber 
entre  les  mains  des  ennemis^ils  dévoient  laiiFer  leurs  chariots 
6c  leur  bagage,  qui  ne  ferviroient  qu'à  les  embarralTer  dans 
leur  route,  &L  fe  retirer  du  côté  de  Baie  avec  ce  qu'ils pour- 
roient  rallier  des  ibldats  de  Lenty  ^  leur  faiiant  entendre 
que  de-là  il  leur  feroit  aifè  de  prendre  la  route  de  Langres 
au  travers  du  comté  de  Monbeliard  6c  de  la  Franche- 
Comté ,  6c  de  fe  joindre  au  maréchal  d'Aumont  qui  avoic 
ordre  de  les  attendre  de  ce  côté-là  à  la  tète  d'un  détache- 
ment de  l'armée  Francoife.  Cet  avis  fut  fuivi  avec  joie  par 
les  Allemans.  Ils  partirent  accompagnés  de  ce  qui  refîoit  des 
gens  de  pied  de  Lenty ,  6c  de  ceux  de  NY^ambach.  Ani- 
més par  les  promelFes  de  Sancy ,  ils  traverférenc  courageu- 
fement  à  la  nage,  en  fe  tenant  à  la  queue  des  chevaux, 
les  rivières  èi  les  ruifFeaux  dont  le  débordement  avoic 
inondé  la  campagne.  Comme  ils  étoient  pourfuivis  par  les 
ennemis  ,  pki (leurs  périrent  dans  les  eaux  j  les  autres  ar- 
rivèrent heureufement  en  lieu  de  fureté  ,  d'où  ils  paffé- 
rent  enfuite  en  France  ,  de  fe  joignirent  au  maréchal 
d'Aumont. 

Cependant  Sancy  avoit   traité   avec  le  duc  Frideric  de 
Wirtemberg  comte  de  Monbeliard  •  6c  en  lui  engageant 
les  domaines   que  le  Roi  pofFèdoic  de  fon  chef  dans  la 
Tû^e  XI.  N 


98  HISTOIRE 

>»'  Flandre,  il  en  avoic  obtenu  un  fecours  d'argent  fort  con- 

Henri  fidërable.  De-là  il  retourna  à  Strafbourg  pour  attendre  les 
I  V.  troupes  de  Frentz,  qui  arrivèrent  enfin  à  la  file.  Sancy  qui 
i^oo.  voyoit  ces  nouvelles  levées  expoiées  chaque  jour  aux  in- 
fultes  de  l'armée  Lorraine,  obtint  pour  elles  du  corps  de 
ville  la  permiilion  d'aller  camper  au  delà  du  Rhin.  Déjà  le 
colonel  Dammartin  étoit  arrivé  fur  la  frontière,  ôc  il  n'y 
avoir  pas  d'apparence  que  les  troupes  de  Frentz  puflenc 
le  joindre.  Ainlî  de  concert  avec  le  duc  Cafimir  il  fut  ré- 
folu  que  pour  obliger  les  Lorrains  à  tourner  leurs  forces 
ailleurs,  elles  rcbroufleroient  fur  leurs  pas  ,&:  fe  rendroient 
à  Metz ,  qui  fe  voyoit  fans  ceflè  expofé  aux  courfes  conti- 
nuelles des  ennemis,  d'où  elles  feroient  la  guerre  au  duc 
de  Lorraine.  En  conféquence  Frentz  ,  après  avoir  fait  la  re- 
vue de  Ces  troupes  ,  qui  fe  trouvèrent  monter  à  cinq  cens 
chevaux  ,  traverfa  le  duché  de  deux  Ponts  accompagné 
de  des  Reaux  3  &;  décampant  pendant  la  nuit,  il  lit  tant  de 
diligence  qu'il  arriva  de-là  le  lendemain  à  Metz  fans  avoir 
perdu  un  fcul  homme. 

Les  Lanfquenets  qui  étoient  au  fervice  du  duc  de  Lor- 
raine pallèrent  enfuite  en  Champagne  fous  la  conduite  du 
capitaine  Saint-Paul,  8c  de-là  en  Bourgogne,  oii  ils  prirent 
le  cardinal  Gaëtano  à  Dijon  ,  &  Tefcortérent  jufqu'à  Paris, 
On  ne  peut  exprimer  les  excès  qu'ils  commirent  fur  toute 
cette  route.  Les  Eglifes  même  ne  furent  pas  à  couvert  de 
leurs  infultes  ^  ôc  quoique  l'on  fût  en  carême  ils  ne  fai» 
foient  point  difficulté  de  manger  publiquement  de  la  vian- 
de 3  ils  en  badinoient ,  difant  qu'ils  le  pouvoient  faire  en 
confcience ,  parce  qu'ils  menoient  avec  eux  le  Légat  du 
Pape.  Ce  Cardinal  chemin  faifant  leur  donnoit  tous  les 
jours  l'abfolution  ,  ôc  leur  ouvroit  les  tréfors  du  Ciel. 

D'un  autre  côté  le  maréchal  d'Aumont  ayant  été  ren- 
forcé des  troupes  du  colonel  Dammartin ,  alla  mettre  le 
lîége  devant  Montbart  en  Bourgogne ,  place  appartenante 
au  duc  de  Nemours.  Debadet  y  commandoit  -,  &c  elle  avoit 
pour  garnilon  un  détachement  des  habitans  mêmes.  Dans 
l'armée  du  Maréchal  étoient  de  Dinteville  ,  de  Tavan- 
nes,  de  Cipierre,&  de  Beaujeu.  On  commença  par  battre 
la  place  j  ôc  après  y  avoir  fait  une  brèche  peu  conlîdérable 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIII.        99 

Beaujeu  y  donna  Paflauc,  &  y  fut  tué  avec  quelques-uns  de  ' 

ceux  quil'avoient  fuivi.  C'étoit  un  vieil  Officier  qui  depuis  Henri 
long-tems  s'étoic  diftingué  par  fon  expérience  &  Ton  habileté        I  V. 
dans  la  guerre.  Ce  iîége  dura  depuis  le  huit  de  Février  juC     j  ^^^^ 
qu'au  premier  de  Mars ,  que  le  Maréchal  le  leva  fur  un 
ordre  du  Roi  qui  le  rappeiioit.  Ce  Prince  étoit  alors  devant 
Dreux  •  èc  comme  il  n'attendoit  qu'une  occafion  favorable 
pour  livrer  bataille  à  l'ennemi  ,il  avoit  alors  befoin  de  toutes 
les  forces. 

Déjà  François  de  Luxembourg  duc  de  Piney  ayant  tra-  Arrivée  du 
verfé  la  SuiiTe  &  les  Grifons  étoit  arrivé  en  Italie.  En  p^flant  duc  de  Lu- 
il  falua  d'abord  les  Vénitiens  qui  le  reçurent  parfaitement  it^aTie.°"'^^  ^" 
bien  ^  enfuite  les  ducs  de  Mantouë ,  de  Ferrare  ,  ôc  de  Tof- 
cane  ^  après  quoi  contre  l'avis  de  ces  Princes  ,  il  fe  dé- 
termina enfin  lur  les  feules  lettres  du  cardinal  de  Montalte 
à  continuer  fa  route  fans  prendre  d'autres  fûretés ,  èc  fe  ren- 
dit à  Rome  le  huit  de  Janvier.  Quelques  jours  après  fon  ar- 
rivée ,  le  Pape  lui  ayant  donné  audience  ,  ce  Seigneur  après 
lui  avoir  déclaré  qu'il  avoit  été  député  par  les  Princes  du 
fang  ,  les  Maréchaux  de  France  ,  les  principaux  miniftres  de 
S.  M.  6c  en  général  par  tous  les  feigneurs  Catholiques  du 
parti  du  Roi,  pour  venir  baifer  les  pieds  de  S.  S.  &lui  ren- 
dre les  devoirs  dûs  au  fouverain  Pontife  vicaire  de  Jefus- 
Chrift  en  terre  ,  6c  fuccelîeur  de  S.  Pierre  ,  il  lui  expofa  les 
motifs  de  fon  voyage  ,  6c  les  raifons  qui  avoient  retardé  Ion 
arrivée. 

Il  dit  en  fubfbance  qu'il  étoit  chargé  d'inftruire  S.  S.  des 
raiibns  qui  avoient  porté  la  Noblefîè  Franc^oife  à  fe  foumet- 
tre  au  roi  de  Navarre  :  Qi;ie  les  feigneurs  Catholiques  de  fon 
parti  avoient  été  très-mortifîés  de  fe  voir  obligés  de  recon- 
noître  pour  leur  Roi  un  Prince  qui  faifoit  profeflion  d'une 
Religion  différente ,  6c  qui  avoit  même  été  depuis  excom- 
munié par  S.  S.  Qiie  cependant  ils  n'avoient  pu  s'en 
défendre  :  Qu'après  la  mort  déplorable  du  feu  Roi  alTaffiné 
par  la  main  d'un  moine  Jacobin  ,  les  Princes,  les  Maréchaux 
de  France,  ^  les  autres  Seigneurs  qui  étoicnt  dans  l'armée 
de  ce  Prince  s'étoient  a{remblés,6c  qu'après  avoir  examiné 
mûrement  l'état  préfent  où  le  Royaume  fe  trouvoit,  après 
avoir  confidéré  les  dangers  où  la  divilion  alloit  expoièr  , 

Nij 


loo  HISTOIRE 

'  non-feulement  la  tranquillité  publique,  mais  même  la  Re- 
Henri  iigion  Catholique  dont  ils  faifoient  profclîion  ,  ils  étoienc 
I  V".  convenus  tout  d'une  voix ,  que  pour  le  bien  de  l'Eglile  èc 
1500.  derEtat,ie  roi  de  Navarre  dévoie  être  reconnu  pour  hé- 
ritier légitime  de  la  couronne  :  Qu'ainli  après  avoir  exigé  de 
ce  Prince  toutes  les  lûretés  nécefTaires,  ôc  en  avoir  même 
tiré  un  acT;e  liî^né  de  fa  main ,  ils  l'avoient  tous  de  concerc 
reconnu  pour  leur  Roi ,  6c  lui  avoient  prêté  ferment  de  fi- 
délité conformément  aux  loix  du  Royaume  :  Qu'eniuite  pour 
marquer  leur  attachement  au  S.  Siège ,  &:  rendre  compte 
à  S.  S.  d'une  démarche  également  néceflàire  &  fakitaire  à 
l'Etat  ,  ils  avoient  avec  l'agrément  du  Roi  fait  choix  de 
fa  peribnne  ,  dont  l'attachement  à  la  Religion  étoit  con- 
nu,&  qui  tenoit  un  rang  des  plus  diftingués  dans  le  Royaume, 
pour  s'acquitter  de  ce  devoir  :  Que  par  leurs  intrigues  mal- 
îieureufes  Ïqs  Ligueurs  en  couvrant  leurs  pernicieux  projets 
du  voile fpécreux  de  la  Religion,  &  en  excitant  outre  cela 
le  peuple  à  fccouer  le  joug  Ibus  la  vaine  eipérance  qu'ils  lui 
avoient  donnée  de  le  foulager ,  de  de  le  décharger  des  im- 
pôts ,  étoicnt  venus  à  bout  de  faire  foulever  tout  le  Royaume, 
èc  de  troubler  la  tranquillité  publique  :  Qiie  non  contens 
d'avoir  allumé  en  France  le  feu  de  la  guerre  civile  ious  ce 
beau  mafque  de  Religion,  ils  avoient fuborné  un  religieux, 
qui  s'étant  introduit  auprès  du  feu  Roi  à  la  faveur  d'un  ha- 
bit ,  pour  qui  ce  Prince  avoit  toujours  eu  beaucoup  de  ref- 
pecl ,  lui  avoit  porté  un  coup  mortel  :  QLi'un  crime  ii  abo- 
minable avoit  excité  dans  tous  les  ferviteurs  du  feu  Roi  un 
jufte  reifentiment  -,  &  qu'ils  étoient  perfuadés  de  même 
que  S.  S.  n'avoit  pu  apprendre  fans  horreur  la  nouvelle  d'un 
attentat  qui  déshonoroit  à  jamais  le  Clergé  :  Qu'après  ce  fu- 
nefte  accident ,  les  feigneurs  François  qui  étoient  à  la  fuite 
du  feu  Roi  également  partagés  entre  l'indignation  &  la 
douleur  la  plus  vive,  avoient  refolu  d'un  commun  accord 
de  montrer  pour  ce  Prince  mort  le  même  zèle  &  le  même 
attachement  qu'ils  avoient  eu  pour  lui  de  fon  vivant,  &  de 
mettre  Cqs  cendres  à  couvert  autant  qu'il  feroit  en  eux ,  des 
outrages  que  leur  preparoient  les  rebelles  :  Que  dans  cette 
vue  ils  avoient  cru  necellaire  de  mettre  à  leur  tête  un 
chef  capable  d'entretenir  parmi  eux  l'union  de  la  bonne 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIÎ.      loi 

intelligence  :  Qu'ils  avoient  pour  cela  jette  les  yeux  fur  le  roi 
de  Navarre  ,  à  qui  félon  les  loix  de  la  guerre  après  la  mort  Henri 
de  leur  Générai ,  ils  étoient  obligés  d'obéïr  comiiie  à  celui  I  V. 
qui  coniQ-iandoit  l'avant-garde  de  l'armée  Royale:  Qu'au  1590. 
refte  de  plus  fortes  raifons  les  avoient  encore  déterminés 
à  ce  choix  :  Qii'ils  avoient  fur-tout  confîdéré  en  lui  fa  qua- 
lité de  premier  Prince  du  fang,ôi  d'héritier  préfomptif  de 
la  couronne  :  Que  ce  Prince  à  la  vérité  étoit  éloigné  de  la 
Religion  Catholique  dans  laquelle  ils  étoient  réiolus  de 
vivre  èc  de  mourir  3  mais  qu'ils  avoient  fait  attention  que 
s'ils  difFéroient  à  le  reconnoître ,  ils  l'obligeroient  par-là  à 
prendre  des  mefures  qui  auroient  des  fuites  beaucoup  plus 
funeftes  pour  la  Religion  ,  &  à  fe  lier  plus  étroitement 
que  jamais  avec  les  hérétiques  ^  qu'au  contraire  depuis 
qu'il  avoit  re(^û  des  Seigneurs  Catholiques  du  Royaume 
une  preuve  iî  marquée  de  leur  attachement  pour  fa  per- 
fonne  ,  on  le  voyoit  tenir  une  balance  égale  entre  Iqs  deux 
partis ,  fe  comporter  en  père  commun  à  l'égard  des  uns  de 
des  autres ,  &  n'avoir  en  vue  principalement  que  d'éteindre 
infenfîblement  dans  le  cœur  de  fes  iujets  l'efprit  de  faction 
il  contraire  à  toute  puiiîance  légitime  :  QLi'au  fujet  de  fa 
Religion  ,  il  paroiffoit:  plus  difpolè  à  fe  faire  inftruire  ,  &  à 
reconnoître  fon  erreur  ,  qu'à  vouloir  y  perfifter  avec  opi- 
niâtreté :  Qu'ils  fjpplioient  donc  S.  S.  avec  toute  l'humilité 
dont  ils  étoient  capables ,  de  prendre  en  bonne  part  une 
démarche  fage  que  les  conjondures  juftifioient  aiïez,  a  la- 
quelle ils  ne  s'étoient  portés  eux-mêmes ,  que  parce  qu'ils 
s'y  étoient  vus  forcés  dans  la  vue  de  conlerver  la  Religion^ 
qu'ils  fupplioient  auifi  S.  S.  de  féconder  leurs  bonnes  inten- 
tions avec  cette  fàgefle  &  ce  zélé  pour  le  falut  du  plus  flo- 
riiîant  Royaume  de  la  Chrétienté  dont  elle  avoit  donné 
tant  de  preuves ,  &;  de  prendre  les  mefures  les  plus  conve- 
nables pour  fatisfaire  aux  louables  défirs  du  grand  Prince 
qu'ils  avoient  retonnu  pour  leur  maître ,  &  qui  occupé  du 
foin  de  fon  falut,  ne  fouhaitoit  rien  tant  que  de  fe  faire  inf. 
truire  j  que  rien  ne  feroit  plus  digne  de  la  place  que  S.  S.  oc- 
cupoit,  plus  agréable  à  Dieu,  plus  glorieux  pour  elle-mê, 
me  5  &  que  par  ce  procédé  elle  s'attireroit  dans  les  fîécles 
futurs  autant  d'éloges ,  que  quelques-uns  de  fès  prédéceffeurs 

N  iij 


102  HISTOIRE 

^r^^^^r^^^T!^  ëcoient  aujourd'hui  blâmés  avec  raifon  cics  plus  gens  de  bien, 
H  £  N  R  i  pour  avoir  par  leur  négligence  laiiTé  perdre  des  Royaumes 
I  ^'  entiers  qu'on  avoir  vus  le  féparer  de  l'Eglilè. 
I  joo.  Le  duc  de  Luxembourg infifta  11  bien  lur  toutes  ces  raifons 
àc  fur  plufieurs  autres  3  il  peignit  fi  vivement  au  Pape  le 
danger  ,  où  la  divilîon  pouvoir  mettre  non-feulement  l'Etac 
mais  même  la  Religion,  qu'il  détermina  enfin  Sixte  V.  qui 
d'ailleurs  étoit  réfbiu  de  prendre  fon  parti  félon  que  nos  af- 
faires tourneroient,  à.  répondre  à  la  lettre  des  Princes  &  Sei- 
gneurs du  parti  du  Roi.  Il  leur  adreifa  donc  un  Bref  où  il  difoic 
en  fubftance;  Qii'au  milieu  des  chagrins  de  des  inquiétudes 
que  lui  caufoient  les  troubles  du  Royaume  ,  il  avoir  eu  beau- 
coup de  confolation  d'apprendre  par  les  lettres  que  le  duc 
de  Luxembourg  lui  avoir  remifes,  le  zélé  qu'ils  avoient  pour 
la  confervatiog  de  la  Religion  ôc  pour  la  tranquillité  de 
l'Etat  :  Qiie  cette  nouvelle  lui  avoir  caufë  beaucoup  de  joye: 
Qu'il  en  avoit  donné  des  marques  à  ce  Seigneur  par  la  ré- 
ception pleine  de  tendrefTe  qu'il  lui  avoit  faite  ,  èc  par  les 
audiences  fréquentes  qu'il  lui  avoit  accordées  :  Qu'en  con- 
féquence  il  avoit  réfolu  de  fe  prêter ,  autant  que  fa  dignité 
èc  fon  devoir  pouvoient  le  permettre  ,  aux  inftances  de  la 
noblelTe  Francoife  ôc  de  fon  illufbre  Député  :  Qu'il  loiioic 
donc  leurs  bonnes  intentions  ,  àc  les  fages  delTeins  qu'ils 
avoient  formés  pour  l'entreprife  du  monde  la  plus  intéref- 
fante  &  la  plusavantageufeau  Royaume,  c'eft  à-dire,  pour 
l'agrandiilement  de  la  Religion  Catholique  :  Qu'il  les  exhor- 
toit  à  perfifter  dans  des  difpofitions  fî  lalutaires ,  6c  à  faire 
en  forte  que  les  effets  répondifïènt  à  leurs  difcours ,  comme 
il  croyoit  avoir  lieu  de  l'efpérer  :  Que  rien  ne  feroit  plus 
digne  de  la  piété  de  leurs  ancêtres,  qui  avoient efTuyé  en 
plus  d'une  occafion  tant  de  travaux  ,  &  bravé  généreufè- 
ment  tant  de  dangers  pour  la  défenfe  de  la  Religion  &  du 
S.  Siège  :  Que  s'ils  marchoient  fur  leurs  traces  &  travailloient 
avec  autant  de  zélé  qu'ils  le  lui  promettoitnt ,  à  la  confer- 
vation  de  la  Religion  en  France  ,  &  au  rétabliflèment  de 
la  tranquillité  publique  3  il  s'engageoit  à  faire  de  fon  côté 
tout  ce  qui  dépendroit  de  lui ,  autant  que  la  juflice ,  fà 
dignité  de  fon  devoir  pourroient  le  permettre  pour  contri- 
buer à  leur  bonheur  6c  à  leur  fatisfadion.  Ce  Bref  au  refle 


cano  à  Pari'î 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     105 

eft  poftérieur  a  la  bataille  d'Yvry ,  dont  je  vais  parler  in- 
celîamment.  AulFi  fcut-on  bien  que  le  Pape  quoiqu'il  afFec-  Henri 
tât   d'y  parler  d'une  manière  ambiguë,  ne  ie  ieroit  jamais        IV. 
exprimé  de  la  forte,  fi  dès-lors  il  n'eût  pas  réfolu  defedécla-      1590. 
rer  pour  le  parti  que  la  fortune  favorilèroic. 

Cependant  le  Légat  approchoit  de  Paris  ,  ÔC  le  bruit  de     Arrivée  .î.i 
fon  arrivée  s'étant  répandu  dans  cette  Capitale ,  releva  beau-  cardinal  Gai- 
coup  le  courage  aux  fadieux.  Saintion  ,  un   des  Capitaines 
de  la  bourgeoifie  ,  fe  fîgnala  en  cette  occafion.  Il  étoit  Avo- 
cat au  Châtelet,&  s'étoit rendu  célèbre  dans  fà  profeffion. 
Du  refte  c'étoit  un  homme  d'un  eiprit  modéré  ,  mais  qui  ou 
par  inconfliance  ,  ou  pour  s'accommoder  au  tems,  s'étoit  jet- 
té  dans  la  Ligue.  Il  affembia  les  autres  Capitaines  fes  con- 
frères le  cinq  de  Janvier  ,  &  il  leur  fit  un  difcours  très. vif, 
par  lequel  il  les  exhorta  à  travailler  avec  plus  d'ardeur  que 
jamais  à  l'établifTement  de  la  fainte  Union  ,  à  l'exemple  du 
duc  de  Mayenne  qui  en  étoit  le  chef ,  àc  fous  les  aufpices 
de  Charle  X.  Cardinal  de  la  fainte  Eglife  Romaine  3  enfuitc 
il  difcuta  fort  'au  long  le  droit  que  ce  Prince  avoir  à  la  cou- 
ronne ,  à  l'exclufion  de  Henri  de  Bourbon  roi  de  Navarre, 
fils  d'Antoine  de  Bourbon  ;  de  montra  que  ie  Sacerdoce  ne 
le  rendoit  en  aucune  forte  inhabile  à  luccéder  à  la  couronne. 
Il  dit  que  Melchifedec  avoit  été  Roi  &  grand  Prêtre  tout 
enfemble  :  Que  dans  la  fuite  les  rois  des  Juda  avoient  tou- 
jours réiini  en  eux  ces  deux  qualités  julqu'à  Hérode  Anti- 
pas  :  Qiie  les  rois  d'Ethiopie  joùilFoient  encore  aducUemenc 
du  même  droit  :  Qu'après  la  mort  de  D.  Sébafticn  roi  de 
Portugal ,  D.  Henri  fon  oncle,  quoiqu'il  fût  Cardinal,n'avoit 
pas  lailfé  de  monter  fur  le  trône  j  enfin  que  le  prince  Phi- 
lippe  fils  de  Louis  le  Gros  ôc  archidiacre  de  Paris  ,  quoi- 
qu'il fût  dans  les  Ordres  facrés ,  avoit  été  re(^û  à  partager 
avec  fes  frères.  Par  ces  raifons  èc  ces  exemples  il  prouvoic 
que  rien  ne  devoit  les  empêcher  de  fe  foumettre  tous  de 
concert  au  cardinal  de  Bourbon,  comme  à  l'héritier  légitime 
de  la  Couronne. 

Dans  le  même  mois  ,  c'eft-à-dire  le  vingt-fix  de  Janvier, 
les  Bulles  du  cardinal  Gaëtano  furent  lues  ,  publiées  &  en- 
régiftrées  au  Parlement,  oiiifur  ce  ,  &  requérant  celui  qui 
faifoit  les  fondions  de  Procureur  générai,  Enfuite  lefixdQ 


104  H  I  S  T  O  I  Pv  E 

'  Février  on  y  publia  de  même  à  la  requifition  du  Procureur 

H  £  N  RI   général  les  pouvoirs  particuliers  ou  Faculces  donc  le  Légac 

I  V.       étoic  chargé  ,  par  leiquelles  au  préjudice  des  droits  &  pri- 

r  590.     viléges  de  la  Nation,  le  Pape  lui  donnoit  une  Jurildidion 

fort  étendue  fur  les  Laïques  en  ce  qui  concerne  Iqs  crimes 

d'ufure ,  de  faux  ,  de  rapt  ,  d'incendie  ,  2c  en  femblables 

autres  cas ,  avec  l'autorité  de  connoître  des  caufes  civiles  , 

&  d'accorder  aux  particuliers  inhabiles  à  teller  la  permilîion 

&  le  pouvoir  de  faire  des  teftamens. 

Après  ces  préliminaires  ,  le  Légat  lui-même  fuivi  d'un 
grand  cortège  ,  alla  prendre  féance  au  Parlement.  A  fon 
arrivée  il  eut  Tinlolence  de  vouloir  fe  placer  fous  le  dais  qui 
eft  réfervé  pour  le  Roi  ^  &  il  auroit  peut-être  exécuté 
cet  orgueilleux  deifein  ,  fi  le  Préiîdent  Brilfon  ,  qui  faifoit 
alors  les  fondions  de  premier  Préfîdent,  ne  l'eût  arrêté  par 
le  bras,&  ne  l'eût  fait  defcendre  pour  s'alîeoir  fur  un  banc 
au  rang  des  autres  immédiatement  après  lui.  Enfuite  après 
que  ce  Prélat  eut  fait  un  difcours  fort  grave  fur  la  puiiFance 
du  Pape  ,  ôc  fur  les  bonnes  difpofitions  où  écoit  S.  S.  à 
l'égard  du  Royaume  àc  du  Parlement  ,  ce  Magiftrat  pre- 
nant la  parole,  en  fît  lui-même  un  autre  en  latin,  où  il  s'é- 
tendit fort  au  long  fur  la  puiiîànce  de  la  France  ,  &  far  l'au- 
torité de  cette  illuftre  Compagnie. 
.    .  ,  ^  Le  Roi  oppofa  à  ces  arrêts  du  Parlement  de  Paris  une  dé- 

Jemcnc  de       claracion  qu  il  adrelia  a  la  Cour  de  Parlement  leant  a  1  ours 
Tours  contre  q^  ^^^q  J^  j^i^-jq  ^g  Février ,  au  fuiet  de  l'arrivée  du  cardi- 

'^^  '  nal  Gaëtano,  foi  difant  Légat  du  Pape.  Cette  Compagnie 
prît  fait  &L  caufe  j  èc  le  Procureur  général  du  Roi  dans  fon 
réquihtoire  fe  déchaîna  vivement  contre  le  Cardinal.  »  Il 
»eil,dic-ii,  parent  de  Boniface  VIIL  &L  frère  du  duc  de 
»  Sermonete  qui  fert  aduellement  en  Flandre  dans  l'armée 
»  du  roi  d'Efpagne  j  ayant  été  envoyé  par  le  Pape  Légat  en 
"  France  de  concert  avec  Henri  de  Gufman  comte  d'Oli- 
15  varez  ,  il  n'a  choifî  pour  fon  (éjour  que  des  villes  attachées 
53  au  parti  de  la  Ligue  ^  il  efl  entré  dans  le  Royaume  fans 
>5  avoir  préalablement  demandé  l'agrément  du  Roi,  fuivanc 
)3  pLifage  ordinaire  3  &c  il  n'a  point  fait  apparoître  de  ies  pou. 
>3Voi  rs.  Cl  Sur  ce  requifitoire,  la  Cour  donna  un  arrêt  par  le- 
quel elle  défendoit  au  Peuple,  à  la  Noblelfe  6c  au  Clergé, 

d'avoir 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     Î05 

'd'avoir  aucun  commerce  avec  les  ennemis  du  Roi,  fur-tout  ; 

avec  ledit  Cardinal,  6c  d'entretenir  avec  lui  aucune  cor-  Henki 
refpondance  ,  foit  par  foi-même  ou  par  un  tiers ,  fans  la  per-  I  V. 
million  exprefle  du  Roij  jufqu'à  ce  que  fuivant  les  loix  de  i  coq» 
l'Etat ,  les  droits  du  Royaume  &c  les  Libertés  de  l'églife  Gal- 
licane ,  ledit  Cardinal  fe  foit  préfenté  au  Roi  conformé- 
ment à  l'uiage  établi  j  à  peine  contre  \qs  contrevenans  d'être 
traités  comme  criminels  de  léze-Majefté  ,  fans  efpérance 
de  pouvoir  jamais  obtenir  le  pardon  de  ce  crime.  Ordon- 
noit  au  Procureur  général  d'informer  en  vertu  de  cet  Arrêt 
contre  ceux  qui  fe  montreroient  réfradaires  aux  ordres  de 
la  Cour5  èc  de  procéder  même  à  cette  recherche  par  la  voye 
des  Cenfures  Eccléfîa{lique»j  6c  enjoignoit  aux  Archevêques 
6c  Evêques  de  veiller  à  ce  que  les  monitoires  obtenus  à  cet 
efFet^  fulîent  publiés  dans  leurs  diocèfes.  Le  même  jour  la 
Cour  à  la  requifitiondu  Procureur  général  donna  un  autre 
arrêt  contre  quiconque  donneroit  retraite  aux  rebelles,  ou 
à  ceux  qui  à  la  faveur  de  la  guerre  s'empareroient  des  biens 
des  fujets  du  Roi  j  déclarant  ceux' qui  fe  trouveroient  con- 
vaincus de  ce  crime  coupables  de  léze-Majefté  j  6c  ordonnant 
de  rafer  les  châteaux  èc  les  maifons  des  perfonnes  qui  au- 
xoient  recelé  ces  ennemis  de  l'Etat  6c  de  la  fureté  pu-, 
blique. 

Le  Parlement  de  Paris  ayant  été  informé  de  l'arrêt  ren- 
du contre  le  cardinal  Gaëtano,  donna  le  vingt  de  Février 
un  arrêt  contraire,  par  lequel  il  caflbit  6c  annuloit  celui  de 
Tours ,  comme  ayant  été  rendu  par  des  Juges  incompétens, 
6c  qui  n'avoient  aucun  pouvoir ,  de  défendoit  d'y  obéir  5  en- 
joignant à  toutes  perfonnes ,  de  quelque  qualité  6c  condition 
qu'elles  fuifent ,  d'honorer  6c  de  révérer  le  S.  Siège  ,  6c  d'a- 
voir pour  le  cardinal  Gaëtano  le  refped  qui  lui  eft  du ,  le 
Pape  l'ayant  nommé  fon  Légat  en  France  pour  affermir 
dans  le  Royaume  la  Religion  Catholique  ,  Apoftolique  6c 
Romaine ,  maintenir  la  Nation  dans  la  foumiiîîon  légitime 
qu'ils  dévoient  à  leur  Roi ,  exterminer  l'héréfie ,  6c  afïurer 
la  tranquillité  publique. 

Qtielque  tems  auparavant  les  Ligueurs  voyant  avec  cha- 
grin qu'il  y  en  avoit  déjà  beaucoup  parmi  eux,  qui  rebu- 
tée d'une  guerre  dont  la  caufe  ne  leur  paroiiToit  pas  trop 
Tûme  X  /.  O 


5o^  HISTOIRE 

'  légînme,commençoîencà  en  dégoûter  les  autres  parles  funeC 
H  E  N  K 1  tes  préfages  qu'ils  tiroient  de  l'avenir- que  iesPrédicateurs  mê- 
I  V.  me  ne  s'accordoient  point  dans  les  diicours  qu'ils  tenoient  au 
ïîoo  peuple,  ôcparloient  allez  difFéremment  fur  cette  matière, 
ils  aiïemblcrent  la  Sorbonne  le  dix  de  Février  pour  cher- 
cher les  moyens  de  maintenir  la  concorde  &:  l'union  dans 
le  parti.  Là  après  une  Meflè  du  S.  Efprit ,  la  Faculté  dans  fa 
délibération  »  pria  &:  exhorta  les  Docteurs  &  Bacheliers 
w  de  Te  fouvenir  de  ce  qui  faiioit  le  premier  de  tous  leurs 
«  devoirs ,  &:  de  ne  pas  fouiFrir  qu'il  fe  trouvât  parmi  eux 
55  des  divilions ,  de  une  différence  de  fentimens  qui  pourroit 
55  Ibandalifer  le  peuple  &;  déshonorer  leur  miniftére.  Et  parce 
55  que  l'expérience  nous  apprend*  ajoûtoit-on,  que  l'homme 
59  ennemi  travaille  fans  celle  à  lèmer  l'ivraye  parmi  le  bon 
55  grain  j  ôc  que  les  hérétiques  &:  politiques  fermant  leurs 
55  yeux  à  la  vérité  ^  abufant  de  leur  raifon  pour  marcher  par 
w  le  chemin  de  l'erreur  j  ne  pouvant  plus  fouffrir  la  faine 
55  doctrine  j  ayant  l'efprit  gâté  ce  le  cœur  corrompu^  étant 
55  pervertis  dans  la  foi  3  &:  ayant  néanmoins  une  extrême 
55  demangeaifon  d'entendre  ce  qui  les  flate,  ont  recours  à  des 
55  maîtres  propres  à  fatisfaire  leurs  défirs ,  &  toujours  dif- 
w  pofés  félon  la  menace  d'Ezechiel  ,  à  faire  des  oreillers 
55  pour  les  mettre  fous  tous  les  coudes  j  la  facrée  Faculté 
55  défend  à  tous  fes  membres  d'ufer  à  l'avenir  dans  leurs 
55  entretiens  tant  publics  que  particuliers  ,  d'obfcurité ,  d'é- 
55  quivoques ,  de  détours  ,  ou  de  fîaterie  3  &c  leur  ordonne 
>5  au  contraire  de  tenir  toujours  ,  &;  de  publier  hautement  dc 
55  ouvertement  une .  dcdrine  capable  de  contribuer ,  félon 
55  Dieu,  à  l'avancement  de  lafainte  Union  3  priant,  exhor- 
55  tant  leurs  auditeurs  3  les  reprenant  même  vivement  dans 
59  le  befoin ,  afin  de  les  engager  à  perfévérer  conftammenc 
55  dans  la  foi,  èc  à  ne  fe  pas  laiilér  féduire  par  les  ennemis- 
55  de  la  vérité  3  rejettant  conféquemment  toute  doctrine  ve- 
55  nant  de  l'ennemi  de  notre  falut,  qui  ne  cherche  qu'à  en- 
55  traîner  les  fimples  dans  le  piège  par  le  moyen  de  Ces  mi- 
55  niftres  d'iniquité  ,  pour  les  éloigner  de  cette  implicite 
55  dans  la  foi  qui  ne  fe  trouve  que  dans  le  Seigneur  3  dé- 
55  teftant  ces  maximes  empoifonnées  ,  les  combattant,-  les- 
?5.  réfutant ,  mettant  tout  en  œuvre  jufqu'à  expofer  leur  vie 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.      107 

M  pour  les  détruire,  comme  contraires  à  i'efpric  de  l'Eglife. 
"  De  ce  nombre  continuoit  la  Faculté ,  font  les  propofitions  Henri 
53  luivantes  :  On  peut,  ou  on  doit  même  reconnoître  pour       I  V. 
w  Roi  Henri  de  Bourbon  :  On  peut  en  conlcience  tenir  fon     1590. 
>5  parti ,  6c  payer  les  impôts  &  tributs  qu'il  exige  :  On  peut  le 
w  reconnoître  pour  Roi  fous  condition  qu'il  le  fera  Catho.- 
»  lique  :  Un  hérétique  relaps  &:  excommunié  peut  avoir  droit 
»  à  la  couronne  de  France  :  Les  Papes  n'ont  pas  droit  d'ex- 
>3  communier  nos  Rois  :  Il  efl:  permis  &:  même  nécelTaire  de 
«  traiter  avec  les  Bearnois  èc  les  hérétiques.  La  Faculté  or- 
ï5  donne  à  tous  fes  membres  de  détefter  de  tout  leur  cœur 
"  telle  èc  femblable  doctrine  ^  puifqu'il  eft  certain  que  tous 
>î  les  ans  le  fouverain  Pontife  afîis  fur  la  chaire  de  S.  Pierre 
»  excommunie  le  jour  du  Jeudi  Saint  tous  les  fauteurs  6c  pro- 
»  tedeurs  des  hérétiques  ^  nommément  ceux  qui  reconnoif 
î5  fent  pour  Roi  Henri  de  Bourbon  j  en  forte  que  dès-lors 
5)  on  doit  les  regarder  comme  étant  en  état  de  péché  mor- 
«  tel  6c  de  damnation.  Enfin  elle  défend  de  tenir  aucun  dif. 
>3  cours  peu  refpedueux  à  l'égard  du  S.  Siège ,  ou  de  Mon- 
»  ieigneur  l'illuftrillime  Légat  du  Pape ,  de  défaprouver  les 
53  fecours  étrangers  qu'on  re(^oit  des  Princes  Catholiques  , 
55  de  rendre  odieufe  la  iainte  Union  fous  prétexte  de  quel- 
53  quesabus  quels  qu'ils  (oient  j  (déclarant  néanmoins  que  s'il 
33  i'y  en  efl  introduit  quelques-uns,  elle  les  déplore  ,  les  déla- 
55  prouve  6c  les  détefte  )  •  6c  de  rien  dire  enfin ,  quelque  véri- 
33  table  qu'il  foit  ,  s'il  eft  plus  capable  de  nuire  à  la  caufe 
53  commune ,  6c  de  fcandalifer  le  peuple  que  de  l'animer  à 
53  la  perfévérance  6c  de  le  confoler  j  déclare  les  contreve- 
33  nans  ennemis  de  Dieu  ,  parjures  6c  délobéïlTans  à  l'Eglife 
33  notre  fainte  mère,  6c  dignes  d'être  retranchés  du  corps 
53  des  Fidèles  comme  des  membres  pourris  6c  gangrenés.  « 
Ce  Décret  fut  fait  fauf  le  jugement  du  S  Siège ,  6c  de  l'avis 
de  Monfeigneur  le  Légat,  de  l'Evêque  d>c  des  Curés  de  Pa- 
ris ,  qui  ayant  été  invites  de  fe  trouver  à  l'aflemblée  ,  s'y 
rendirent,  approuvèrent  ce  qui  avoit  été  décidé  ,  jurèrent 
fur  les  faints  Evangiles  de  s'y  conformer  ,  de  le  fignérent  de 
leur  propre  main.  On  le  publia  enfuite  dans  Paris  3  6c  on  y 
joignit   des  lettres  du  Pape  6c  du  cardinal  Alexandre  de 
Montalte,en  date  du  2.  d'Odobre  6c  du  30.de  Décembre 

Oij 


ic8  HISTOIRE 

adreiïees  à  tous  les  Dodeurs  de  Sorbonne  ,  par  lefqueîle.*' 

HfNRi  S.  S.  &  le  Cardinal  fon  neveu  faifoient   de  grands  éloges 
I  V.       de  leur  piëté,&  de  leur  zélé  à  maintenir  dans  la  faince  Union 
1590.     tous  les  Catholiques  du  Royaume, 

Lettre  du        En  conféquence,  le  Légat  publia  le  premier  de  Mars  des 
Cardinal  Lé-  jetrres  adreiîées  à  tous  les  Archevêques  &  Evêques  deFrance. 

gâta  tous  les  11       -i  jt  •  .-i  .        ,^  .     r  -  ^  1 

Archevêques   pat  lelquelles  u  diloit  qu  il  avoit  ece  informe  que  quelques- 
&Evêquesdu  ^^is  d'entre  eux,  ou  peut-être  tous  en  p-énéral,  avoientété 

Royaume.         •       -     '      j       r  J         n  n-  j  m-i     ■  j  1 

invites  de  le  rendre  a  Tours  pour  délibérer  des  moyens  de 
ramener  <à  la  foi  Orthodoxe  Henri  de  Bourbon ,  foi  difant 
roi  de  France:  Que  quelque  apparence  de  piété  qu'il  y  eût 
dans  ce  projet ,  il  fembloit  cependant  tendre  direc1:ement  â 
la  ruine  de  la  difcipline  Eccléiîaftique  :  Qu'en  efFet  ils  écoîent 
invités  â  cette  allemblée  par  des  gens  qui  n*avoient  aucun 
droit  de  convoquer  les  Evêques ,  fur-tout  tandis  qu'il  y  avoic 
dans  le  Royaume  un  Légat  du  S.  Siégea  qui  feulapparte- 
noit  de  les  aiTembler  ,  au   cas  qu'il  le  jugeât  néceifaire  : 
Qu'outre  cela  on  les  prioit  de  fe  rendre  dans  une  ville  où 
ils  ne  pouvoient  fe  trouver  en  confcience ,  parce  qu'elle  étoic 
foumife  à  un  Prince  déjà  excommunié  par  S.  S.  Qu'enfin  on 
les  aiîembloit  au  fujet  d'une  afFaire  qui  pouvoit  fe  terminer 
fans  eux ,  où  à  laquelle  ils  ne  pouvoient  s'employer  fans  fe 
rendre  infiniment  coupables  :  Qu'en  effet  fî  Henri  de  Bour- 
bon demandoit  humblement  à  être  inftruit  dans  la  foi  Or- 
thodoxe ,  il  n'étcit  pas  befoin  pour  cela  d'une  afiemblée 
d'Evêques  5  que  fans  fatiguer  inutilement  tant  de  Prélats, 
.     il  y  avoit  aiTez  de  Dodeurs  6cde  Prédicateurs  Catholiques 
dans  cette  ville  qui  pouvoient  également  travailler  à  fon 
inftrudion  3  que  pour  entreprendre  une  converfîon  pareille 
il  n'étoit  pas  nécelTaire  d'être  revêtu  d'aucune  autorité  5 
qu'il  fufîifoit  même  d'une  érudition  allez  médiocre  ôc  fort 
ordinaire  3  ôc  que  Henri  de  Bourbon  ne  pouvoit  pas  igno- 
rer quelle  étoit  la  croyance  de  l'Eglife  Romaine,  puiiqu'il 
en  avoit  autrefois    fait  profeffion  :  Que  fî  au    contraire 
on  prétendcit  dans    cette  alFemblée  décider  de  nouveau 
des  points  controverfés  entre  l'Eglife   Ramaine  de  la  Sy- 
nagogue de  Calvin  ,   comme  il  avoit  lieu  de  le  croire  , 
c'étoit  dès-lors  révoquer  en  doute  les  décrets  du  S.  Concile 
de  Trente ,  6^  ruiner  l'autorité  d'un  Synode  œcuménique  y. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     109' 

giii  avoic  depuis  long-tems  profcric  toutes  les  erreurs   de  ' 

Calvin  ,  6c  dont  les  décifions  dogmatiques  n'étoient  pas  Henri 
Bioins  reqûës  de  refpedées  en  France,que  dans  toute  la  Chrë-  I V. 
tienté  :  Que  c'étoit  faire  triompher  les  hérétiques  de  TE-  i  590. 
glife  Catholique,  6c  comme  dit  faint  Hiiaire  ,  lé  jouer  de 
la  Religion  :  Qyie  quiconque  détefle  véritablement  les  er- 
reurs, ïc  fouhaite  de  connoître  le  chemin  de  la  vérité,  n'a 
befoin  que  de  quelques  Théologiens  pour  lui  expliquer  les 
dogmes  contenus  dans  le  Concile  de  Trente  ,  ou  dans  le 
Catéchifme  Romain ,  ou  dans  la  Confeiîion  de  foi  publiée 
par  Pie  V.  Ôc  entièrement  conforme  aux  décifions  de  es 
Co.ncile  :  Qii'il  étoit  par  conféquent  inutile  de  tenir  dans 
cette  feule  vue,  ou  un  Concile,  ou  une  aiïèmblée  d'Evê- 
ques  :  Qu'à  ces  caufes  il  défendoit  à  cous  les  Prélats  du 
Royaume,  en  vertu  de  l'autorité  dont  S.  S.  l'avoic  revêtu, 
de  ié  rendre  à  Tours ,  de  de  s'alîèmbler  en  quelque  manière 
que  ce  fût  j  leur  dénonçant  que  lî  malgré  les  défenfes  ils 
paiïbient  outre ,  il  prorelTioit  dès-lors  qu'il  regarderoit  leur 
alTemblée  comme  un  conventicule ,  callant  6c  annulant  par 
avance  tout  ce  qui  y  feroic  fait  6c  réglé ,  6c  déclarant  lei 
Evêques  qui  s'y  trouveroient ,  excommuniés  de  dépofés. 

A  ces  lettres  du  Légat  écrites  en  latin  étoit  jointe  la  co^  Arrcc  du  par- 
pie  d'une  autre  lettre  françoife  adrelTèe  à  la  NoblelTe  ,  &  Jument  de Pa- 
fabriquée  vrailèmblablementpar  les  Ligueurs  dans  laquelle  du  cardinal" 
on  s'attachoit  à  juftifier  fort  au  long  le  parti  contre  ce  qu'on  ^'^  Bourbon. 
lui  imputoit  ordinairement ,  de  n'avoir  en  vue  que  de  mettre 
la  confufîon  dans  tous  les  Etats,  de  rendre  la  Noblelîé  dé- 
pendante du  peuple ,  de  de  laiïïer  la  fucceiTion  à  la  Cou- 
ronne dans  l'incertitude,  ce  qui  tendoit manifeflement  à  la 
deftruclion  de  l'Etat,  6c  par  conféquent  à  la  ruine  delà  Re- 
ligion môme  qui  fervoit  de  prétexte  aux  faclieux  pour  co- 
lorer leur  révolte.  En  même  tems  pour  donner  plus  de  poids 
d  cette  lettre,  ils  engagèrent  le  parlement  de  Paris  à  rendre 
un  arrêt  le  ^.  de  Mars,  par  lequel  la  Cour  ordonnoit  à  toutes 
perfonnes ,  de  quelque  qualité  de  condition  qu'elles  fuiîènt, 
de  reconnoître  Charle  X.  pour  leur  ieul  6c  légitime  Souve- 
rain 5  de  lui  rendre  en  cette  qualité  tout  le  refpeci;  de  toute 
robéïiîance  que  tout  fujet  fidèle  doit  à  fon  Prince  5  d'o- 
h£ir  aux  ordres  de  Charle  de  Lorraine  duc  de  Mayenne 

Oiij    ' 


y  ro 


HISTOIRE 


Lieutenanc  général  de  l'Etat  Royal  &  Couronne  de 
Henri  France  5  &:  d'employer  leurs  biens  de  leur  crédit  pour  re- 
I  V.  tirer  le  Roi  de  la  dure  captivité  où  il  étoit  retenu  par  Henri 
1590.  ^^  Bourbon  j  défendant  pareillement  à  tous  particuliers 
d'avoir  par  d'autres  ou  par  eux-mêmes  ,  aucune  liaifon  avec 
ledit  Henri  de  Bourbon  ou  Ces  partifans ,  &  de  traiter  avec 
eux  de  vive  voix  ou  par  écrit ,  à  peine  de  mort  contre  les 
contrevenans ,  de  de  confifcation  de  tous  leurs  biens  j  &  au 
cas  qu'on  eût  connoiflance  que  quelqu'un  entretînt  avec  lui 
quelque  intelligence  ,  ou  fit  quelque  démarche  qui  pût  pré- 
judicier  à  la  foûmiiîion  Se  à  l'attachement  dûs  au  Roi ,  ou 
à  la  tranquillité  publique ,  il  étoit  enjoint  de  le  dénon- 
cer fur  le  champ  au  Procureur  général ,  afin  de  lui  faire 
fouffrir  le  châtiment  que  méritoit  un  tel  crime  ,  à  peine 
auffi  de  mort  6c  de  confifcation  de  biens  contre  les  contreve- 
nans. 

Six  jours  après ,  l'Union  fut  encore  confirmée  par  un  nou« 
veau  ferment.    Pour  en  rendre  la  cérémonie  plus  augufbe  , 
on  s'afljmbla  dans  l'églife  des  Auguftins  ,  où  après  une  Méfie 
folemnelie  célébrée  par  Jofeph  Foulon  abbé  de  Sainte  Ge- 
neviève ,  à  laquelle  afTifta  le  Légat  fous  un  dais  5  après  le 
Sermon  que  fit  Dom  Bernard  Doyen  de  l'Ordre  des  Feiiil- 
lans ,  le  Prévôt  des  Marchands ,  les  Echevins  ,  Colonels  dc 
Capitaines  de  la  bourgeoifîe  ,  jurèrent  fur  les  Saints  Evan- 
giles entre  les  mains  du  Légat ,  de  vivre  &:  de  mourir  dans 
la  Sainte  Union  fous  les  aufpices  du  roi  Charle  X.  èc  du 
duc  de  Mayenne  fon  Lieutenant ,  pour  l'extirpation  de  l'hé- 
réfie  5  s'engageant  à  ne  faire  jamais  ,  ni  paix  ,  ni  trêve  ,  ou 
aucun  accord  avec  le  roi  de  Navarre ,  &  à  mettre  tout  en 
œuvre  pour  procurer  la  liberté  à  leur  Roi  prifonnier.   La 
même  cérémonie  fe  réitéra  enfuite  au  Parlement  6c  dans 
les  autres  Tribunaux  ^  6c  on  drelTa  des  actes  pubHcs  de  ce 
ferment. 
M   Tcfte       (Quelques  jours  auparavant  le  roi  d'Efpagne  avoit  en- 
du roi dEf-    voyé  de  Madrid  une   déclaration  ,  par  laquelle  après  un 
pagne  à  ce     préambule  magnifique  où  il  s'étendoit  fort  au  long  fur  le 
"'"*  zélé  qu'il  avoit  toujours  eu  pour  l'avancement  de  la  Reli- 

gion ,  il   difoit  :   Que  c'étoit   ce  qui  l'avoic  engagé   d'a- 
bord â  faire  la  paix  avec  le  roi  lienri  II.  6c  à   donner 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     m 

enfuite  du  fecours  à  Charle  IX.  fils  de  ce  Prince  ,  &  fon  ^h^^e^he^^^!^ 
beau-frére,  pour  extirper  l'héréfie  en  France:  Que  le  prince  Henri 
d'Orange  ayant  depuis  roûlevé  les  Païs-bas  ,  il  avoit  feu  I  V. 
châtier  les  rebelles ,  &  délivrer  du  poifon  de  l'erreur  la  plus  i  coq. 
grande  partie  de  ces  provinces  :  Que  de  même  maigre  les 
efforts  qu'avoient  fait  les  hérétiques  de  France  ôc  d'Angle- 
terre pour  lui  ravir  la  couronne  de  Portugal ,  qui  par  la  more 
de  D.  Sébaftien  lui  étoit  dévolue  légitimement  ,  il  ctoit 
venu  à  bout  de  fes  juftes  prétentions  fur  ce  Royaume  : 
Qu'ainii  voyant  la  Chrétienté  en  danger  de  devenir  la  proye 
des  infidèles  par  l'artifice  de  ces  mêmes  hérétiques ,  qui  fe- 
moient  la  dilcorde  de  toutes  parts ,  il  ne  pouvoit  s'empê- 
cher de  s'intérelfer  fur-tout  pour  la  France ,  que  la  guerre 
civile  défoloit  depuis  tant  d'années  :  Qu'il  exhortoit  donc 
tous  les  Princes  Catholiques  à  fe  réunir  avec  lui  pour  l'ex- 
tirpation de  l'héréfie  &  la  délivrance  du  roi  Charle  X.  dé- 
tenu injuftement  en  prifon  par  les  hérétiques  •  afin  qu'après 
avoir  purgé  ce  floriffant  Royaume  de  cette  pefte  qui  caufoic 
fes  malheurs ,  ils  puiTent  tous  de  concert  joindre  leurs  for- 
ces pour  bannir  l'erreur  de  toute  la  Chrétienté  ,  &  tourner 
enfiiîte  leurs  armes  du  côté  de  la  Terre  Sainte ,  pour  le  re- 
couvrement de  laquelle  la  Noblelfe  Catholique  avoit  au- 
trefois combattu  avec  tant  d'ardeur  ,  bc  fi  heureufement  ^ 
protcflant  au  refte ,  que  s'il  faifoit  quelques  préparatifs  de 
guerre  ,  c'étoit  uniquement  dans  la  vue  de  contribuer  à 
l'agrandiifcment  de  la  Sainte  Egllfe  Catholique,  Apoftolj- 
que  ôc  Romaine  notre  mère  j  au  repos  &;  à  la  tranquillité 
des  vrais  Catholiques  fous  la  domination  de  leurs  légitimes 
Souverains  j  à  l'extirpation  de  l'héréfie  ,  &;  à  l'union  Aqs 
Princes  Chrétiens  j  êc  déclarant  qu'il  étoit  prc,  de  facrifier 
non  feulement  fes  forces  ,  mais  fa  vie  même  ,  pour  une  fi 
fainte  entreprife  •  n'étant  pas  poflible  ,  difoit  il ,  de  verfer  le 
fang  pour  la  défenfe  d'une  plus  jufiie  caufe  ,  que  de  celle  où 
l'honneur  de  Dieu  &;  de  fon  Eglife ,  &  l'avantage  de  toute 
la  Chrétienté ,  étoient  également  intérefiîes.  Ce  Manifefte 
étoit  daté  du  8.  de  Mars. 

Le  lendemain  ,  Philippe  fit  fçavoir  par  le  Commandeur 
de  Caftille  à  Gafpard  de  Quiroga  archevêque  de  Tolè- 
de j  comine  grand  Chancelier  6c  fouverain  Préfidenc  de 


ti%  HISTOIRE 

.  l'Inquirition,  qu'ayant  befoin  d'argent  pour  fournir  aux  frais 

H  £  N  R I  de  cette  guerre  ,  &c  pour  arrêter  les  levées  qui  fe  faifoient  en 
I  V.  Allemagne  dans  le  deflein  d'aller  au  premier  jour  répandre 
en  France  le  poilon  de  i'iiéréne  ,  il  étoit  à  propos  qu'il  con- 
voquât félon  l'ufage  ,  les  Conciles  provinciaux,  à:  ordon- 
nât une  levée  de  deniers  qui  feroit  repartie  également  fur 
chaque  Diocéfe. 

Peu  de  tems  auparavant ,  on  avoit  arrêté  à  Lyon  quelques 
particuliers  foupçonnés  d'avoir  complotté  avec  le  duc  de 
Monmorency  ,  le  colonel  d'Ornano  ,  6c  Lefdiguieres ,  pour 
livrer  la  ville  au  Roi.  C'étoit,  difoit-on  ,  le  jour  même  de 
S.  Mathias ,  que  l'entreprife  devoir  s'exécuter.  Quelques- 
uns  des  conjurés  furent  punis  de  mort  j  les  autres  prévin- 
rent le  danger  ,  en  mettant  de  bonne  heure  leur  vie  â 
couvert. 

Le  19.  du  même  mois  de  Février,  le  château  de  Rouen 
tourné  du  côté  du  chemin  de  Dieppe ,  fut  furpris  par  les 
capitaines  Louis  ,  de  la  Cave  qui  y  étoient  en  garniion  ,  3c 
qui  avoient  de  loin  tramé  ce  complot  avec  quelques  Offi- 
ciers de  l'armée  du  Roi.  A  cette  nouvelle  quelques  bour- 
geois ayant  répandu  l'allarme  dans  la  ville  ,  le  marquis  de 
la  Londe  mît  le  fiége  devant  la  place.  En  même  tems  arriva 
le  chevalier  d'Aumale  qui  fit  venir  de  l'artillerie  3  Se  après 
trois  volées  de  canon  les  Ligueurs  iè  difpofoient  à  monter  a 
l'aflaut ,  lorfque  les  afTiégés  fe  rendirent ,  après  avoir  été 
maîtres  de  ce  pofte  pendant  quatre  jours.  Quatre  furent 
pendus  ^  &;  le  refte  eut  la  vie  fauve  conformément  aux  ar- 
ticles de  la  capitulation. 
Punîtîon  Ce  même  jour  25.  de  Février,  Edme  Bourgoîn  Domî- 

d'Edme  nîcaîn  fubit  l'interrogatoire  à  Tours  a  la  requête  de  la  reine 
Bourgoîn  Louife  veuve  du  feu  Roi  ,  6c  fur  le  requifitoire  du  Procu- 
reur  gênerai.  Ce  Religieux  dans  quelques  lermons  qu  il 
avoit  faits  après  la  mort  du  Roi ,  Se  où  il  s'étoit  trouvé  un 
grand  concours  de  peuple  ,  avoit  donné  les  plus  grands  élo- 
ges à  Jacque  Clément  de  fon  Ordre ,  auteur  de  ce  parri- 
cide j  jufqu'à  comparer  la  levée  du  fiége  de  Paris  avec  la 
levée  de  celui  de  Bethulie  ,  Jacque  Clément  avec  Judith  , 
te  Holoferne  avec  Henri  III.  Au  refte  ,  comme  dans  le  tems 
que  cet  attentat  arriva ,  Bourgoin  étoit  Prieur  du  couvenc 

dou 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XCVIII.     115 

d'où  cette  furie  étoit  fortie  ,  &  qu'il  avoîc  loué  en  Chaire 
cet  exécrable  airaflînat ,  il  étoit  ailé  de  le  foupçonner  d'avoir  Henri 
€té  auteur  ou  complice  de  ce  crime  ,  &c  de  l'avoir  confeillé ,  I  V. 
iur-tout  dans  des  circonftances  où  les  efprits  étoient  extrê-  i  cao, 
jiaement  aigris.  On  produifit  contre  lui  des  témoins  qui  af- 
iùroient ,  non  feulement  qu'il  avoit  loiié  publiquement  en 
Chaire  le  régicide ,  ce  qu'il  avoua  lui-même  j  mais  encore 
qu'il  avoit  eu  l'imprudence  de  fe  vanter  dans  les  prédica- 
tions d'avoir  confeillé  à  Jacque  Clément  de  tuer  le  Roi , 
lorfqu'il  l'avoit  confulté  lur  fon  deflein.  Bourgoin  nia  tou- 
jours conftamment  ce  dernier  article.  Cependant  comme 
il  fe  trouvoit  convaincu  en  partie  par  fon  propre  aveu  ,  ôc 
en  partie  par  la dépofition  des  témoins ,  le  Parlement,  toutes 
les  Chambres  aflemblées ,  le  condamna  à  la  mort  5  &  pro- 
nonça qu'étant  atteint  d'avoir  été  un  des  auteurs  &c  com- 
plices du  cruel  &  abominable  parricide  commis  dans  la  per- 
ionne  du  feu  Roi ,  de  l'avoir  confeillé  ,  &  après  l'exécution , 
d'avoir  loue  èc  approuvé  dans  Cqs  fermons  le  crime  6c  le 
criminel  ^  fon  corps  feroit  d'abord  tiré  à  quatre  chevaux , 
qui  eft  l'ancienne  peine  ordonnée  par  les  loix  contre  les  traî- 
tres èc  les  parricides ,  enfuite  réduit  en  cendres,  lefquelles 
feroient  après  jettées  au  vent. 

Lorfqu'on  le  conduifit  au  fupplice ,  il  fît  paroître  une  con- 
fiance admirable  ,  ne  fe  plaignant  pas  tant  de  la  févérité  du 
jugement ,  que  de  la  mauvailé  foi  des  témoins.  Il  convenoic  /  , 

que  les  juges  avoient  eu  raifon  de  le  condamner ,  puifque 
ÏQs  dépofitions  étoient  contre  lui  j  mais  il  s'infcrivoit  en  faux 
contre  les  témoins ,  décefloit  le  crime ,  &  foûtenoit  que  qui^ 
conque  avoit  été  l'auteur  ou  le  complice  du  meurtre  du 
Roi ,  méritoit  les  plus  grandes  peines.  Il  ajoûtoit  que  pour 
lui  il  n'avoit  rien  fçu  de  ce  cruel  attentat  avant  qu'il  fût 
exécuté  3  qu'il  avoit  encore  moins  confeillé  de  le  commet- 
tre j  àc  qu'il  étoit  très-faux  qu'il  s'en  fût  vanté  en  Chaire , 
comme  les  témoins  le  dépofoient.  Après  qu'on  lui  eut  pro- 
noncé fon  arrêt,  on  l'appliqua  à  la  queftion  pour  l'obliger  à 
révéler  fes  complices  3  mais  il  l'endura  avec  la  même  fer- 
meté ,  avouant  feulement  qu  il  avoit  rendu  grâces  à  Dieu 
dans  (qs  fermons  de  la  levée  du  fîége  de  Paris ,  ôc  l'avoic 
icomparé  à  celui  de  Béthulie  j  qu'à  l'égard  du  meurtre  du 

Tome  XI,  P 


114  H  I  S  T  O  I  R  E 

Roi  ,  îl  n*avoît  jamais  lotie  cet  attentat  énorme  j  qu'au 

Henri  contraire  il  le  déteftoit  de  tout  fon  cœur.  De  là  il  fut  con- 

IV.       duit  au  fupplice  ,  &  après   une  prière  très-fervente  qu'il 

1590.     adreffa  à  Dieu  à  voix  haute  ,  il  eut  foin  de  ranger  lui-même 

fes  habits  pour  n'être  pas  vu  dans  une  poflure  indécente  , 

&  mourut  ainii  au  milieu  des  tourmens. 

Siège  de  Cependant  le  Roi  après  avoir  fait  lever  le  iîége  de  Meu~ 

preux  par      ]^j^  ^|]^  f^j^-g  çQ\^J^\  ^q  Dreux  ,  àc  campa  le  dernier  de  Fé- 

1  armée  du  .         ,  ,  -r^      t-    1        j     ^  1    • 

Roi.  vrier  devant  cette  place.  De  Falandre  y  commandoit  pour 

la  Ligue  ,  de  avoit  avec  lui  une  garnifon  nombreufe.  Henri 
étoit  accompagné  du  maréchal  d'Aumont ,  de  Charle  d'An- 
goulême  Grand-Prieur  de  France  ,  &  d'Anne  d'Anglure 
de  Givry  ,  qui  lui  avoient  amené  des  troupes ,  le  premier 
de  Champagne  ,  ôc  les  autres  de  la  Brie.  Du  Rolet  lui 
avoit  auffi  envoyé  quelque  fecours  du  Pont-de-l'Arche.  D'a- 
bord il  y  eut  une  adion  fort  vive  dans  les  fauxbourgs  qui 
furent  enfin  emportés  par  \qs  troupes  du  Roi ,  &  les  enne- 
mis obligés  de  îè  renfermer  dans  leurs  murailles,  Enfuite 
après  quelques  volées  de  canon  on  pointa  l'artillerie  contre 
le  château  ,  Se  le  Roi  ayant  commencé  à  battre  la  place  un 
Samedi  matin  3 .  de  Mars  vers  Midi ,  toutes  les  troupes  fe 
difpoférent  à  monter  à  l'afTàut. 
Levée  du        L'attaque  commença  par  quelques  volées  de  canon  ,  qui 

fiége.  d'abord  incommodèrent  beaucoup  les  ennemis.  Enfuite  les 

troupes  du  Roi  marchèrent  contre  la  place  ,  mais  elles  fu- 
rent reçues  vigoureufement  par  les  affiégés,  qui  les  obligè- 
rent enfin  de  fè  retirer  avec  perte.  La  nuit  fuivante  fut  em- 
ployée par  les  ennemis  à  réparer  la  brèche  ,  &  à  fe  fortifier 
en  dedans  par  un  bon  retranchement.  Ils  fe  difpofoient  le 
lendema-in  à  foûtenir  un  nouvel  alTaut  3  mais  comme  on  man- 
quoit  de  poudre  &  de  balles  dans  le  camp  du  Roi ,  ce  jour- 
là  &.  les  fuivans  fe  payèrent  dans  l'inadion  ^  6c  Givry  eut  or- 
dre de  fe  rendre  à  Meulan  à  la  tête  des  chevaux-légers  pour 
faire  venir  au  camp  les  munitions  nécciïaires.  Cependant: 
pour  tenir  les  affiègès  en  haleine,  le  7.  le  Roi  fît  tirer  quel- 
ques volées  de  canon  contre  une  éclufe  &  une  tour  qui  en 
étoit  proche.  Enfin  ayant  eu  avis  de  la  marche  de  l'armée 
ennemie  ,  il  fît  retirer  fon  artillerie  de  devant  la  place ,  ôC 
décampa  après  treize  jours  de  fiége. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIir.     115 

D'un  autre  côté  le  duc  de  Mayenne  avoit  fait  un  voyage  ■»*— »— ^1 
a  Bruxelles  pour  obtenir  du  duc  de  Parme  les  fecours  que  Henri 
Philippe  avoit  promis  3  car  ce  Prince  s'étoit  enfin  déclaré  I  V. 
Scfoûtenoit  ouvertement  les  rebelles.  Après  qu'on  eut  fait  i  coq. 
efpérer  au  Duc  qu'il  auroit  inceflamment  ce  qu'il  loubaitoit , 
il  retourna  en  poflefe  mettre  à  la  tête  de  fon  armée  5  &  ayant 
été  joint  peu  de  tems  après  par  les  troupes  Efpagnoles  com^ 
mandées  par  le  comte  d'Egmond ,  il  marcha  au  fecours  de 
Dreux.  Le  i  o.  de  Mars  il  arriva  à  Dammartin  ,&  ce  jour- 
là-même  le  comte  d'Egmond  pafla  la  rivière  d'Eure  ,  qui 
venant  de  Chartres  va  couler  au  pied  des  murs  de  Dreux. 
De  là  le  Duc  détacha  Jean  de  Saulx  vicomte  de  Tavannes 
Maréchal  de  camp  ,  Louis  de  Monceaux  de  Villars-Hou- 
dan  ,  Chrétien  de  Savigny  de  Rofne  Commandant  des  che- 
vaux-légers ,  &  Aimar  de  Chaftes  de  GefTan  ,  pour  aller  re- 
connoître  le  camp  du  Roi.  A  leur  retour  il  apprit  que  ce 
Prince  avoit  levé  le  fîége  ^  ôc  qu'ayant  pofté  fes  chevaux-lé- 
gers à  la  tête  defquels  étoit  le  Grand-Prieur  ,  en  deçà  de  la 
rivière  d'Eure  qui  paflè  parHoudan,  il  étoit  allé  camper 
plus  loin  aux  environs  de  Moteile  5  que  le  maréchal  d'Au- 
mont  qui  avoit  fon  logement  à  Ivry  au  pafîage  de  l'Eure , 
l'avoit  abandonné  pour  aller  rejoindre  le  Roi  j  6c  que  les 
troupes  qui  ètoient  à  Garennes  en  avoient  fait  de  même  j 
qu'on  avoit  feulement  laifTè  quelques  arquebufîers  dans  le 
château  d'Anet  que  Henri  IL  avoit  autrefois  fait  bâtir  pour 
Ja  ducheflè  de  Valentinois  ,  &  qui  appartenoit  alors  au  duc 
d'Aumale.  Par  ce  rapport  il  paroilToit  que  le  defTein  du  Roi 
étoit  qu'on  ne  crût  pas  qu'il  eût  abfolument  abandonné  les 
vues  qu'il  avoit  fur  Dreux  ,  &  de  fe  pofher  cependant  fî  avan- 
tageufement  en  fe  couvrant  de  toutes  ces  rivières  ,  qu'il  pût 
profiter  de  toutes  les  occafions  qui  fe  préfenteroient ,  de  com- 
battre l'ennemi  à  fon  avantage ,  fans  qu'il  fût  pofiible  de  le 
forcer  d'en  venir  aux  mains  malgré  lui.  En  effet ,  fur  le  bruit 
qui  s'étoit  répandu  de  l'approche  du  duc  de  Mayenne ,  il 
arrivoit  tous  les  jours  au  camp  du  Roi  de  nouveaux  fecours. 
Outre  cela  on  attendoit  encore  inceflamment  du  Poitou 
Claude  de  laTrimoùillc  ,  qui  étoit  en  marche  avec  Philippe 
du  PleiTis-Mornay  ,  ôc  Jean  Baudean  de  Parabére  ,  à  la  tête 
d'uncorps  confidèrable  de  Noblefle  ôc  de  troupes  choifies  j 

P  ij 


né  HISTOIRE 

;.  du  coté  de  la  Picardie  devoit  arriver  dans  peu  le  duc  de 

Henri  Longueville  ,  avec  François  la  Noue ,  &  Cbarle  d'Humiéres> 
IV.       ^  le  Commandeur  de  Cliaftes  avoir  auffi  déjà  quitté  la  Nor- 
j  -  mandie  pour  le  rendre  au  camp. 

^g^^  .,.'  Deux  jours  après ,  le  Roi  arriva   au   bourg  de  Nonan- 

d'ivry.  court ,  qui  peu  de  tems  auparavant  avoit  été  emporté 
d'emblée  5  Payant  fait  fonder  le  gué  il  ordonna  que  touc 
le  monde  fe  tînt  prêt  à  donner  bataille  le  lendemain.  En- 
fuite  ce  Prince  drefïa  lui-même  de  fa  propre  main  fon  or- 
dre de  bataille  j  &  après  l'avoir  communiqué  aux  maré- 
chaux de  Bironôc  d'Aumont,  qu'il  ne  manquoit  jamais  de 
confulter  dans  ces  fortes  d'occafions ,  6c  qui  le  trouvèrent: 
admirable,  il  donna  ordre  au  baron  de  Biron  fils  du  ma- 
réchal ,  &  grand  maréchal  de  camp  ,  d'en  faire  part  à  tous 
les  Officiers  de  fes  troupes.  En  même  tems  il  nomma  Do- 
minique de  Vie  officier,  dont  le  zèle  de  la  valeur  étoiens 
connus,  6c  qui  avoit  vieilli  dans  les  armées,pour  parcourir  les 
rangs ,   &   faire  ce  jour-là  l'office  de  Sergenr  de  bataille. 

L'efpérance  d'en  venir  bientôt  aux  mains  avec  l'ennemi 
avoit  répandu  la  joie  dans  tout  le  camp.  Auffitôt  on  y  fit 
des  prières  publiques ,  de  le  Roi  donna  lui-même  l'exemple 
à  toutes  fes  troupes  en  proteftant  :  Qtie  ce  n'étoit ,  ni  par 
aucun  defir  de  vengeance,  &  de  répandre  le  fang  de  fes 
ennemis ,  ni  par  une  vaine  ardeur  de  fe  fignaler  qu'il  fe 
préparoit  au  combat  :  Qu'il  n'avoit  uniquement  en  vue 
que  le  bien  de  l'Etat  &  de  la  Patrie  3  &  que  fçachant  qu'il 
€«toit  né  pour  en  faire  le  bonheur ,  c'étoit  tout  ce  qu'il 
fouhaitoit  du  fuccès  de  cette  journée  :  Qu'il  prenoit  Dieu 
fcrutateur  des  cœurs  à  témoin  de  la  pureté  de  ks  inten- 
tions :  Qii'il  le  prioit  donc  avec  toute  Thumilité  dont  il 
etoit  capable  de  décider  du  fuccès  de  cette  bataille ,  félon 
que  fa  bonté  infinie  le  jugeroit  utile  àc  néceflaire  pour  le 
bien  du  Royaume  j  6c  de  ne  veiller  à  fa  confervation  par- 
ticulière ,  qu'autant  qu'il  croiroit  être  expédient  pour  le  re- 
pos de  fes  lujets.  Après  la  prière, le  Roi  voyant  toutes  fes 
troupes  animées  du  défir  d'en  venir  aux  mains,  &  déjà 
pleines  par  avance  de  l'efpérance  de  la  victoire,  fit  mar- 
cher au  village  de  faint  André  ,  éloigné  de  quatre  lieues 
de  Nonancourt  en  tirant  wQvs  îvry,  où  l'on  croyoit  l'en- 
:iemi  déjà  arrivé, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     117 

Au-delà  de  faînt  André  efl  une  vafte  plaine  toute  fermée  ~ 


de  villages ,  èc  d'un  petit  bois.  Ce  fut  là  que  le  Roi  ran-  He  n  k  i 
gea  [qs  troupes  en  bataille.  Il  partagea  fa  cavalerie ,  qui  I  V. 
faifoit  tout  le  fort  de  fon  armée,  en  fept  corps  dilFerens,  i  590. 
formant  chacun  un  efcadron  ^  car  ils  n'avoient  point  de  ordre  de  ba- 
lanciers ,  &i  étoient  feulement  armés  d'arquebufes.  Chaque  taille  des 
efcadron  avoit  fur  fes  flancs  un  corps  d'infanterie  pour  le  ^^^'^  armces. 
couvrir  ,  &  étoit  précédé  par  quelques  avanturiers  3  &:  tou- 
tes ces  troupes  rangées  de  front  s'avançoient  cepenflanc 
aflèz  fur  les  ailes  pour  former  une  efpéce  de  petit  croilîànt. 
A  la  tête  du  premier  corps  de  cavalerie  compofé  de  trois 
cens  chevaux ,  &  pofté  fur  la  gauche ,  étoit  le  maréchal 
d'Aumont,  ayant  lur  fes  flancs  deux  régimens  d'infanterie 
Françoife.  Le  duc  de  Monpenfler  commandoit  le  iecond 
compofé  de  .pareil  nombre  de  troupes,  &  foûtenu  fur  fa 
gauche  par  cinq  cens  Lanfquenets,  éi  fur  fa  droite  par  cinq 
cens  Suilîes.  Les  Chevaux-légers  au  nombre  de  quatre  cens 
hommes  formoient  le  troifléme  efcadron ,  6c  marchoient  à 
la  tête  des  deux  premiers  partagés  en  deux  corps ,  com- 
mandés par  le  Grand-Prieur  ,&:  par  Givry.  Gui  de  Laval 
marquis  de  Nèfles ,  quoiqu'il  commandât  une  compagnie 
de  Gendarmes  combattit  ce  jour-là  à  la  fuite  du  Grand- 
Prieur.  Ce  corps  avoit  fur  fa  gauche  quatre  grofl^es  pièces 
de  canon  ,  de  deux  coulevrines.  Sur  la  gauche  marchoic 
aulîî  prefque  de  front  avec  les  Chevaux-legers  le  quatrième 
efcadron  compofé  d'environ  deux  cens  cinquante  chevaux , 
&  commandé  par  le  baron  de  Biron.  Le  Roi  étoit  à  la  tête 
du  cinquième  compofé  de  flx  cens  chevaux  d'élite ,  qui 
furent  joints  enfuite  par  les  troupes  du  prince  de  Conti, 
de  la  Trimouille  ,  du  Plelîis  Mornay ,  &  de  la  Guiche 
Grand-Maître  de  l'artillerie.  Ce  corps  étoit  couvert  fur 
fa  gauche  par  le  régiment  Suifle  du  Canton  de  Glaris,  èc 
par  un  autre  de  Grifons ,  êc  fur  fa  droite  par  les  régimens 
du  Canton  de  Soleure  ,  de  du  colonel  Baltazar  Grifl[àc. 
Quatre  autres  régimens  d'infanterie  Fran(^oife  étoienc 
encore  commandés  pour  le  foûtenir  3  fçavoir  le  régiment 
des  Gardes  ,  &:  ceux  de  Brîgneux  ,  de  Vignoles ,  &  de 
Saint-Jean.  Le  flxiéme  corps  de  cavalerie  formoitle  corps 
de  réièrve  compofé  de   cent  cinquante   chevaux  d'élite  5 

P  iij 


ïiS  HISTOIRE 

6c  le  Roî  en  avoic  confié  le  commandement  au  maréchal 

H  E  N  K  I  de  Biron ,  fur  la  bravoure  &  fur  la  prudence   duquel  ce 

I  V.       Prince  comptoic  beaucoup  pour  rétablir  le  combat ,  au  cas 

IS90,     ^^^^^  arrivât  quelque  accident.  Ce  corps  étoit  auffi  fbûtenu 

par  deux  régimens  d'infanterie  Francoife.  Enfin  les  Reîtres 

formoient  le  dernier  efcadron ,  &  avoient  à  leur  tête  Theo- 

doric  de  Schomberg. 

Le  Grand-Prieur  &:  Givry  avoient  d'abord  eu  ordre  de 
s'avancer  pour  reconnoître  l'ennemi ,  6c  le  furprendre  au 
palTagc  de  la  rivière  d'Eure  ^  mais  ils  arrivèrent  trop  tard 
pour  exécuter  ce  deilein.  Le  duc  de  Mayenne  ,  qui  lur  l'a- 
vis qu'on  lui  avoit  donné  que  le  Roiétoit  à  Nonancourt, 
s'étoit  imaginé  que  ce  Prince  prcnoit  le  chemin  de  Verneuit 
dans  le  Perche,  avoit  fait  tant  de  diligence  qu'il  avoit  dé- 
jà pafTé  cette  rivière  avec  toute  fon  armée ,  réfolu  de  le 
fuivre  j  &C  marchoit  à  faint  André.  Mais  fcs  coureurs  lui 
ayant  rapporté  qu'ils  avoient  découvert  l'armée  du  Roi,  il 
commanda  de  Rofne,  de  GefTan,  ôc  de   Bois-Dauphin  à 
la  tête  d'un  détachement  pour  aller  reconnoître    de  quoi 
il  s'agifToit ,  &:  lui  en  rendre  compte.  Ainfi  il  apprit  à  lenr 
retour  que  le  Roi  étoit  dans  le   voifinage  avec   toute  fon 
armée  3  6c  qu'ils  étoient  trop  avancés  l'un  6c  l'autre  pour 
reculer.  Sur  cette  nouvelle  ,  le  Duc  rangea  auffi  fes  troupes 
en  bataille.  Il  partagea  les  SuifTes  en  deux  corps ,  foûtenus 
fur  les  ailes  par   l'infanterie   Francoife   6c  Allemande.    Il 
plaça  fon  artillerie  fur  leur  gauche,  de  pofla   fa  cavalerie 
entre  ces  deux  gros  bataillons  fur  la  même    ligne  que  l'in- 
fanterie Francoife.  Ces  deux  armées  rangées  en  cet  ordre 
reftérent  en  préfence  depuis  midi  jufqu'au  foîr,  qu'elles  fe 
retirèrent  après  quelques  légères  efcarmouches ,  fans  qu'il 
fe  paflât  rien  entr'elles  de  plus  confidèrable.  Le  même  jour 
arrivèrent  au  camp  du  Roi  des  troupes  d'Evreux  ,  de  Dieppe, 
6c  du  Pont-de-1'Arche  5   elles  étoient  commandées  parle 
commandeur  de  Chafles  gouverneur  de  Dieppe  ,  Pierre  de 
Grimoville  de  Larchant  ,  S>c  du  Rolec  -,  6c  elles  allèrent 
joindre  le  corps  à  la  tête  duquel  étoit  le   duc  de  Mont- 
penfier  gouverneur   de  Normandie.    Le   Roi   après  avoir 
donné  ordre  à  ^tous   les  Officiers  de  fe  retirer  dans  leurs 
tentes ,  6c  d'aller  prendre  quelque  repos ,  refta  feul  à  cheval 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIÎ.     119 

avec  les   maréchaux  d'Aumonc  ôc  de   Biron  ôc  quelques  5 
autres ,  &  palla  une  partie  de  la  nuit  à  aller  reconnoître  Henri 
de  près  le  camp  des  ennemis.  Enfuite  il  fe  retira  à  Foucrain-       I  V. 
ville  où  il  avoitfon  quartier.  i  590, 

Cependant  on  tenoit  confeil  de  guerre  dans  le  camp  du 
duc  de  Mayenne,  où  l'on  mit  en  délibération  :  Si  l'on  riL 
queroit  une  bataille ,  &  au  cas  qu'on  prît  ce  parti ,  s'il  feroic 
à  propos  pour  prévenir  tous  les  retardemens  qui  ne  pou- 
voient.  que  leur  être  très-défavantageux ,  d'aller  attaquer 
Je  Roi  jufques  dans  Ton  camp,  afin  de  le  forcer  d'en  venir 
aux  mains  ?  C'étoit  l'avis  général  de  toute  l'afTemblée.  On 
repréfentoit  :  Qiie  toute  la  campagne  dont  ils  fe  voyoient 
les  maîtres ,  étoit  déferte  èc  déiblee  :  Qiie  l'armée  du  Roi 
au  contraire  avoit  derrière  elle  un  pays  abondant ,  d'où  il 
lui  venoit  chaque  jour  de  nouveaux  fecours  :  Qu'elle  atten- 
doit  encore  incefTamment  de  nouvelles  troupes  qui  lui  al- 
loient  arriver  de  Champagne  &c  d'Allemagne  :  Qu'eux  au 
contraire  n'attendoient    aucun  fecours  :   Que  d'ailleurs  il 
étoit  trop  tard  de  penfer  à  reculer  après  s'être  avancés  à 
une  lieue  les  uns  des  autres  ^  &  qu'il  y  auroit  un  danger  ma- 
nifefte  à  vouloir  faire  retraite  en  préfence  d'une  armée  en- 
nemie :  Qu'ainfi  il  étoit  de  leur  intérêt  d'en  venir  aux  mains 
de  bonne  heure  ,  tandis  que  leurs  forces  étoient  à  peu  près 
égales  j  de  peur  qu'en   voulant  différer  ,  la  néceffité  ne  les 
obligeât  un  jour  de  combattre  à  leur  défavantage.  Le  comte 
d'Egmond  fur-tout  jeune  homme  fans  expérience  j  vouloir 
en  venir  aux  mains  à  quelque  prix  que  ce  fût  ^  &;  il  avoit  la 
fotte  vanité  de  dire ,  que  fi  les  François  avoient  peur  d'une 
bataille  ,  ils  n'avoient  qu'à  le  laiflèr  faire  3  que  lui  feul  avec 
{qs  troupes  fcauroit  bien  mettre  le  Navarrois  à  la  raifon , 
{  ce  font  les  propres  termes    dont  il  fe   fervit.  )   Quelque 
injurieux  qu'ils  fuflènt  pour  lui  6c  pour  la  nation ,  le  duc 
de  Mayenne  difïîmula  cependant  pour  untcms  cet  outrage, 
de  peur  d'ofFenfer  Philippe  j  ce  qui  n'auroit  pas  manque 
d'arriver  s'il  eût  voulu  paroître  fenfible  à  ce  difcours  ,  parce 
qu'il  n'auroit  pu  le  relever  fans  faire  un  affront  fanglantau 
Comte. 

Le  fuccès  delà  journée  d'Arqués  avoit  fait  connoîtreau 
Duc  toute  la  fupériorité  du  Roi.  Il  fentoit  qu'il  étoit  ie  plus 


I20  HISTOIRE 

I  foible  ,   &  n'auguroît  pas  bien  du  combat  que  fou  parti 
Henri  ^enibloit  fouhaiter.  Cependant  les  raifons  dont  s'appuyoienc 
I  y.       ceux  qui  étoient  d'avis  d'en  venir  à   une  action   l'obligé- 
j  rent  d'y  acquiefccr.  Ainfi  le  lendemain,  qui  ëtoit  un  Mer- 

credi, il  rangea  Tes  troupes  en  bataille  dès  le  grand  matin. 
Il  partagea  les  Suiiîès  en  deux  corps  qu'il  jettailirla  droite 
&  fur  la  gauche  fous  le  commandement  de   Berling  ôc  de 
Louis  PhifFer.  Au  milieu  paroifToit  la  Cornette  blanche  fou- 
tenuë  de  trois  cens   chevaux  d'élite  j  c'étoit-là  qu'il  avoic 
pris  fon  pofte  avec  le  duc  de  Nemours  Ton  frère  &  le  che- 
valier d'Aumale.  Il  avoit  fur  fa  droite  le  comte  d'Egmond 
à  la  tête  de  quatre  cens  chevaux  Flamans ,  èc  trois  cens 
autres  fur  fa  gauche.  Environ  cinquante  chevaux  comman- 
dés par  de  Tremont  èc  du  Terrail  précédoient  la  Cornette 
blanche  de  cinquante  pas.  Les  régimens  de  du  Pefcher  ôc 
de  Ponfenac  précédés  d'un  gros   d'avanturiers  couvroîent 
les  aîles  du  corps ,  à  la  tête  duquel  étoit  Berling ,  &  con- 
duifoient  quatre  pièces  de  canon.  A  l'égard  de  Phifteril 
étoit  foutenu  d'un  côté  par  les  régimens  de  Louis  de  Beau- 
vau  de  Tremblecour  &  du  baron  de  Theniflay  ,  6c  de  l'autre 
par  le  capitaine  Saint-Paul  à  la  tête  des  Lanfquenets.  Les 
Reîtres  avoient  leur  pofte  fur  une  éminence  entre  ces  deux 
corps  d'infanterie ,  &c  étoient  couverts  fur  la  gauche  de  cent 
chevaux  François  tirés  des  compagnies  de  Fontaine  Martel , 
de  Perdriel ,  éc  deLonchamp  ,  ôc  fur  la  droite  des-Chevaux 
légers  Efpagnols  formant  un  corps  de  deux  cens  hommes. 
Tandis  que  de  Rofne  &c  le  vicomte  de  Tavannes  étoient 
occupés  à  ranger  leurs  troupes  en  cet.  ordre ,  le  Roi  qui  a 
fon  ordinaire,  quoiqu'il  fît  trcs-froid  ,  s'étoît  jette  feule- 
ment fur  une  paillafTe  pour  prendre  un  peu  de  repos ,  in- 
quiet   du  fuccès  de  cette  journée  s'éveilla  avant  le  jour. 
Les  premiers  objets  qui  le  frappèrent  furent  les  feux  qu'il 
apperçut  dans  le  camp  des  ennemis ,  &  le  filence  étonnant 
qui  y  régnoit.  Il  crut  d'abord  qu'ils   avoient  repafTé  la  ri- 
vière d'Eure  3  c'étoit  aufïî  le  fentiment  de  (es  coureurs  ,  qui 
rapportoient  qu'après  ces  feux  allumés  ils  avoient  vu  beau- 
coup de  mouvement  dans  le  camp.  Mais  bientôt  après  on 
fut  afliiré  du  contraire.  Ainfî  fur  les  dix  heures  du  matin 
le  Roi  rangea  aufïi  fon  armée  en  bataille  dans  le  même 

ordre 


«part 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     m 

ordre  que  la  veille  j  6c   marchant  enfuite  droit  aux  enne-  î!5^ 
mis ,  loriqu'il  fut  à  une  demie  lieuë  de  leur  armée ,  il  tourna  Henri 
fuT  la  gauche.  IV. 

Le  duc  de  Mayenne  qui    jufques-là  n'avoir  fait  aucun     1590, 
mouvement,  appercevant  celui  de  l'armée  du  Roi,  .-Ima-  Harancruedu 
gina  que  le  deiiein  de  ce  Prince  étoit  de  fe  faifir  d'un  vil-  Roi  à'  fes 
lage  voifîn,  afin  d'avoirfur  lui  l'avantage  du  terrain.  Dans  '^°"P"- 
cette  idée  il  envoya  ordre  au  vicomte  de  Tavannes  de  faire 
avancer  l'aile  droite,  où  étoient   les  Reîtres ,  ôc  la  cava- 
lerie Efpagnole  ^  &:  à  de   Rofne   de   marcher  avec  l'aîle 
gauche  comporée  de  la  cavalerie  Flamande,  des  Suiiîès,&: 
de  l'artillerie.  Pour  lui, il  refla  dans  fon  pofte  avec  la  Cornette 
blanche.  Son  defTein  en  faiiant  ce    mouvement   etoit,  ou 
de  détourner  le  Roi  de  fe  faifîr  du  village,  ou  de  le  pren- 
dre en  jflanc ,  &  de  rompre  fon  ordre  de  bataille. 

Le  Roi  déclara  depuis  dans  un  écrit  qu'il  publia ,  que 
ce  n'étoit  nullement  dans  le  defTein  de  fe  faifir  du  village 
qu'il  avoit  fait  ce  mouvement  j  mais  uniquement  dans  la 
vue  de  fe  mettre  le  vent  &  le  foleil  à  dos  ,  afin  que  la  fu- 
mée de  la  moufqueterie  n'incommodât  point  fes  foldats  j 
qui  efl  un  trait  d'habileté  dans  ce  Prince.  Aulïï  fe  tournant 
tout  d'un  coup  vers  fes  troupes  ,  >3  MM.  ditJl,  tout  ce  que 
'>  je  demande  aujourd'hui  à  Dieu,  c'eft  de  réùfîîr  comme 
"j'ai  toujours  fait  julqu'ici  ,  non  pas  pour  ma  propre  gloire  : 
"peut-être  dans  majeunefTe  ai-jeeu  cette  foiblefTe  3  ocelle 
"  m'a  été  commune  avec  tout  ce  qu'il  y  a  jamais  eu  de  grands 
ïî  hommes  à  la  tête  des  armées.  Aujourd'hui  fî  je  fouhaite 
"de  vaincre,  ce  n'cfl  que  pour  le  bien  du  Royaume  Ôc 
"  votre  propre  confèrvation  -,  Se  j'ai  lieu  d'efperer  avec 
"  la  grâce  de  l'Auteur  de  tous  les  biens ,  &;  fécondé  du  bon- 
»  heur  qui  m'a  toujours  accompagné,  de  voir  mes  defîrs 
"  accomplis.  La  juflice  delà  caufe  que  je  foutiens  m'en  af- 
"  fûre.  J'ai  les  armes  à  la  main  contre  des  impoffceurs  qui 
"  fous  un  malque  hypocrite  ont  abufé  pour  tromper  les 
"peuples  du  nom  fpécieux  delà  Religion.  Or  Dieu  qui  efl 
>•  la  vérité  même ,  &  qui  aime  à  difllper  \qs  ténèbres  dont 
"  le  menfonge  cherche  à  s'envelopper.  Dieu  jufte  vengeur 
"  de  l'iniquité  a  fur-tout  les  fourbes  en  abomination.  La 
"  feinte  a  bien  pu  réufîir  jufqu'ici  devant  les  hommes  j  ils 


iit  HISTOIRE 

M  ■    j  ^3  font   ordinairement  aveugles  &;  prévenus.    Aujourdliuî 

JH  £  N  R  I  "  nous  voici  en  préfence  du  Dieu  des  armées ,  devant  le- 
IV.       ''  qi-icl  s'évanouilîent  l'artifice  &  le  menfonge  j  la  vidoire 
155)0.     >5  va  décider  en  ce  jour  de  quel  parti  eft  la   vérité.  Vous 
>5  f(javez  vous-mêmes  combien  les  raifons  qui  nous  mettent 
»  de  part  &  d'autre  les  armes  à  la  main  font  différentes.  Mes 
53  ennemis  foûtiennent ,  dilent-ils  ,  la  caufe  de  la  Religion  j 
»  moi  je  dépens  celle  du  Royaume  :  je  vous  laiire  à  juger, 
M  qui  de  nous  parle  plus  fincérement.  Dans  le  tems  que  ma 
55  patrie  a  le  plus  beioin  de  fecours ,  élevé  que  je  me  vois 
«contre  mon  efpérance  par  les  loix  du  Royaume,  6c  par 
w  vos  fuiïrages ,  fur  un  trône  de  la  confervation  duquel  dé- 
«  pendent  également   6c  ma  gloire,  6c  votre  falut,  quels 
55  que  fbient  mes  vœux  ,  que  puis-je  ibuhaiter  autre  chofe, 
>5  finon  que  la   bonté  divine  veille  également  fur  l'une  6c 
w  fur  l'autre  ?  Voilà  quel  a  été  jufqu'ici  le  but  de  toutes  mes 
îî  actions.  Les  effets  ont  été  garands  de  ma  droiture.  A  des 
î5  intentions  fi  pures  qu*ofent  oppofer  nos  ennemis  ?  Ils  fe 
53  font  des  peurs  chimériques  de  l'Angleterre  ^  ils  vont  cher- 
53  cher  au-delà  des  Alpes  6c  des  Pirénées  un  prétexte  pour 
»  authorifer  la  guerre  du  monde   la  plus  injufte  ^  c'effc-là 
5j  qu'ils  vont  mendier  du  fecours  ^  ils  ié  vantent  de  défen- 
se dre  la  Religion  par  lefang  6c  par  le  carnage  5  6cronfçait 
55  qu'elle  ne  peut   fè    foûtenir    que  par  la  paix  ,  6c  en  éta- 
53  blifiant  la  tranquillité  publique  ^  en  un  mot  ces  hommes 
5>  nés  pour  la  honte  6c  pour  le  malheur  de  la  France  cher- 
55  chent  leur  patrie  hors  d'elle-même.  Car  quel  autre  but 
55  peut-on  imaginer  de  leurs  entreprifes,  lorlqu'on  les  voie 
»  entretenir  une  intelligence  criminelle  avec  l'ennemi  mor~ 
55  tel  du  nom  Franc^ois,  taire  la  guerre  fous  fes  aufpices  ,  mar- 
53  cher   fous   fes  "en feignes,  èc  fervilement  foumis  à  fes  or- 
33  dres  porter  l'aveuglenient  jufqu'à  tourner  i'es  armes  con- 
53  tre  leurs  propres  entrailles  pour  les  déchirer  ?  Jettezvos 
33  regards  fur  cette  armée  j  voyez  floter  fous   vos  yeux  les 
>3  étendarts  de   TEfpagne.    Voilà  ceux    qui  depuis   trente 
33  années  travaillent  à  la  ruine  de  la  France.  Tant  de  trou- 
33  blés  qui  ont  agité  ce  Royaume  ,  ce  font  leurs  artifices , 
33  ce  font  leurs  intrigues    iécrettes     qui    les    ont   excités 
33  &  entretenus.  La  Religion  a  fervi  de  prétexte  3  c'étoic 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIL       123 

5  à  la  Couronne  que  Ton  en  vouloir  en  effet.  Peut-on  en  - 

5  rouhaicer  une  preuve  plus  convainquante   que   ia  mort  Henri 

5  déplorable  de  mon  prédéceilèur  j  ce  Prince  à  qui  nous       ^  ^* 

3  fommes  fi  redevables,  èi  par  qui  les  auteurs  même  de     ij^o- 

î  cette  guerre  malheureufe  ont  été  comblés  de  tant  de  bien- 

î  faits  ?  Malgré  la  haine  qu'il  portoit  à  ceux  qu'il  leur  plaît 

î  d'appeller  les  hérétiques ,  ne  les  a-t'on  pas  vus  tourner 

5  leurs   armes  contre  lui-même,  lui  enlever  la   meilleure 

5 partie  de  fes  Etats,  ôc  par  le  plus  affreux  de  tous  les  par- 

3  ricides  trancher  enfin  le  fil  de  {qs  jours  ?  C'efl  pour  tirer 

3  vengeance  d'un  attentat  auffi  énorme  que  vous  êtes  ici 

3  venus.  Il  éft  inutile  de  vous  en  dire  davantage.   Du  fuc- 

3  ces  de  cette  journée  dépendent  vos  vies,  votre  honneur, 

i  de  vos  biens.  Cen'eflplus  à  des  François,  c'ell  à  des  Ef- 

3  pagnols  déclarés  que  vous  allez  avoir  affaire.  Je  laiffe  à 

3  votre  valeur  fi  fouvent  funefte  aux  ennemis  de  la  France 

)  à  faire  le  refle.  Pour  moi  j'ofe  bien  vous  promettre  qu'a- 

3  vec  la  grâce  de  Dieu,  fî  vous  avez  éprouvé  jufqu'ici  quel- 

3  ques  marques  de  ma  bonté ,  vous   ne  me  verrez   pas  au- 

3  jourd'hui  avec  moins  de  bravoure  vous  montrer  le  che- 

3  min  de  l'honneur  6c  de  la  victoire.  c< 

De  l'autre  part  le  duc  de  Mayenne  parcouroit  les  rangs 
de  fbn  armée,  ôcexhortoit  fes  gens  à  marcher  courageu- 
fement  à  l'ennemi.  Il  les  faifoit  fouvenîr  :  Qiie  c'étoit  la 
caufè  de  Dieu  qu'ils  défendoient  :  Que  ce  n'étoit  pas  tant 
pour  la  confervation  de  cette  vie  mortelle,  6c toujours  ex- 
pofée  à  mille  revers  qu'ils  alloient  combattre  ,  quoiqu'ils 
euflent  même  de  ce  côté-là  tout  à  craindre  des  hérétiques 
toujours  altérés  dufang  des  Catholiques  ,  que  pour  s'affurer 
une  béatitude  immortelle  dans  l'éternité:  Que  la  guerre 
pour  laquelle  ils  avoient  pris  les  armes  étoit  fainte:  Qu'elle 
ctoit  jufîe  6c  nécefTaire  :  Qii'ils  ne  pouvoient  l'abandonner 
fans  devenir  traîtres  envers  Dieu ,  ôc  envers  la  patrie  :  Qiie 
c'étoit  fous  les  aufpices  de  Dieu  même ,  qui  donne  &  ôte  les 
Royaumes  à  fon  gré  ,  èc  de  fon  Vicaire  en  terre  ,  qu'ils  l'a- 
voient  entreprife  :  Qj-^e  de  douter  du  fuccès  c'étoit  révo- 
quer en  doute  la  providence  même  qui  régie  tous  lesévé- 
nemens ,  èc  vouloir  en  donner  la  gloire  cà  la  fortune  èc  au 
liazard  :  Qu'ils  allalTent  donc  tous  de  concert  à  l'ennemi 

■      QJ) 


124  HISTOIRE 

J —  avec  cette  confiance  que  dévoie  leur  inipirer  rauthorirë  du 

H  E  N  K  I  S.  Siège ,  fous  la  protedion  duquel  ils  etoient ,  &  fous  \qs  auf- 
I  V.  pices  du  roid'Elpagne,  le  plus  puiilanc  Prince  delaChré- 
ï  590»  ï^i^ï^f^î  dont  la  grandeur  n'avoic  pour  terme  que  la  gloire 
de  Dieu  même  :  Qu'ils  dévoient  être  perfuadés  que  cette 
vîdoire,  en  exterminant  i'héicfie,6^  délivrant  de  la  tyran- 
nie le  plus  floriflant  Royaume  du  monde ,  leur  mcriteroic 
une  gloire  dont  le  fouvenir  ne  përiroit  jamais  3  ou  que  du 
moins  s'ils  avoicnt  le  malheur  de  ne  pas  réiiflu' ,  la  couronne 
immortelle  due  aux  défenfeurs  de  la  Religion  les  attendois 
dans  le  CieL 

Après  ces  harangues  chacun  fe  difpofa  au  combat  de  parc 
&  d'autre.  Mais  quoique  l'ardeur  fût  égale  dans  \qs  deux 
armées  ,  elles  formoienr  cependant  Tune  &  l'autre  un 
fpecflacle  bien  difFérent.  Celle  du  Roi  toute  hérilEée  de 
fer,  fans  ornemens,  àc  fans  écharpes  ,  infpiroit  plus  de 
terreur  :  l'autre  avoit  plus  de  magnificence  ,  les  armes 
èc  les  écharpes  y  etoient  fuperbes ,  èi  l'or  y  brilloit  de  toutes 
parts. 
Dcf'tt  Cependant  le  Roi  toujours  adif &;  vigilant  voyant  qu'il 

du  duc  de  étoit  rems  de  donner  le  fignal  du  combat,  envoya  ordre 
Mayenne  par  à  la  Guiclie  de  Commencer  par  une  décharge  générale  de 
Roi!"  ^  ^  l'artillerie  j  de  elle  fut  fi  bien  fervie  &:  fi  à  propos ,  qu'on 
vit  partir  neuf  volées  de  canon  de  fuite  avant  qu'on  eût 
feulement  mis  le  feu  à  celui  du  duc  de  Mayenne.  Ce  pre- 
mier avantage  contribua  beaucoup  à  la  victoire  que  rem- 
porta le  Roi.  Ce  Prince  voyant  t]ue  fon  artillerie  avoit  mis 
le  défordre  dans  l'armée  ennemie  fit  fonner  la  charge  j  ôc 
dans  cette  occafion  les  Reîtres  qui  fervoient  dans  l'armée 
du  Duc  ,  expofés  à  tout  le  feu  du  canon  du  Roi ,  n*eurent 
pas  plutôt  fait  leur  décharge  ,  qu'au  lieu  de  faire  un  tour 
en  efcadronnant,  &  d'aller  en  avant ,  comme  ils  ont  cou- 
tume de  faire ,  ils  fe  culbutèrent  fur  le  centre ,  où  étoit 
la  Cornette  blanche.  Le  duc  de  Mayenne  qui  voyoit  l'ar- 
mée du  Roi  prête  à  lui  tomber  fur  Iqs  bras  ,  fut  obligé 
pour  prévenir  le  danger  ,  d'ordonner  qu'on  leur  mit  la 
lance  dans  les  reins  pour  les  repoufièr.  Ils  ne  furent  pas 
mieux  traités  parle  comte  d'Egmond  &  par  fes  Flamands, 
donc   CCS  fuyards   entraînèrent    une    partie    avec    eux». 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    XCVIII.     nj 

Chriftophle  de  Bcaiïbmpierre  fît  d'inutiles  efForts  pour 
les  rallier  j  il  fut  enfin  obligé  d'aller  joindre  le  duc  de  Henri 
Mayenne.  En  même  cems  le  vicomte  de  Tavannes  fe  difpo-  I V. 
foità  charger  les  troupes  du  Roi  à  la  tête  des  compagnies  i  caq 
de  cavalerie  de  Fontaine-Martel,  ioriqu'il  fut  reçu  vigou- 
reufement  par  le  maréchal  d'Aumont,  qui  le  poufîà  jud 
ques  dans  le  bois  voiiin,  ôc  le  mit  hors  de  combat.  Les 
Chevaux-légers  de  l'armée  du  Roi ,  qui  étoient'  les  plus 
expofés ,  ayant  été  rompus  d'abord  par  la  vigoureufè  dé- 
charge que  les  Reîtres  avoient  faite,  ayant  encore  depuis 
foutenu  le  choc  du  vicomte  de  Tavanes  commençoient  à 
plier,  lorique  le  duc  de  Monpenfier  qui  vit  le  maréchal 
d'Aumont  éloigné,  acccourut  à  leur  iecours.  A  fon  arrivée 
il  eut  fon  cheval  tué  fous  lui ,  ôc  fut  renverfé  j  mais  on  le 
remonta  auiîitôt  après ,  &  le  combat  recommença  plus  vi- 
vement que  jamais. 

Alors  les  deux  centres  s'ébranlèrent  5  èc  quatre  cens  Ar- 
quebufîers  à  cheval  armés  de  cafques  de  de  cuirafîes ,  for- 
tis  du  gros  du  duc  de  Mayenne  ayant  fait  leur  décharge 
à  vingt-cinq  pas  du  corps  où  étoit  le  Roi ,  y  mirent  d'a- 
bord beaucoup  de  defordre.  En  même  tems  Henri  Pot  de  ^ 
Rodes ,  jeune  homme  diftingué  par  fa  bravoure  ,  qui  portoic 
la  Cornette  blanche  reçut  dans  les  yeux  un  coup  mortel  ^ 
qui  augmenta  la  confufîon.  Outre  que  la  demi  pique  qui 
foutenoic  l'étendart  royal  fût  brifée  entre  fes  mains  ,  il  fut 
emporte  par  un  cheval  fougueux,  qu'il  étoit  d'autant  moins 
pofîible  de  gouverner ,  que  les  rênes  avoient  été  coupées  ,  & 
que  la  grande  abondance  de  fang  qui  couloit  de  fa  blefTure 
ne  lui  permettoit  pas  de  voir  où  il  alloit.  Plufieurs  s'ima- 
ginèrent que  le  Roi  fe  retiroit  de  la  mêlée,  &  fuivirenc 
l'étendart  par-tout  où  il  plaifoit  au  cheval  de  le  promener. 
Il  efl  vrai  que  le  Roi ,  dont  la  prudence  prévenoit  tous  les 
inconveniens  qui  pouvoient  arriver  ,  avoit  fait  mettre  ce 
jour-là  lur  fon  cafque  une  aigrette  blanche,  afin  d'êtrere- 
connu  de  plus  loin  j  &  il  avertit  en  même  tems  qu'au  cas 
que  fon  drapeau  fûtabatu,  comme  il  arrive  allez  fouvenr, 
on  prît  garde  à  l'aigrette  blanche ,  &  qu'on  la  fuivît.  Aufîi 
les  gens  fages  n'y  furent  point  trompés  j  àc  comme  ils 
avoient  toujours  les  yeux  attachés  fur  ce  fîgnal ,  cet  accident 


iiG  HISTOIRE 

_  ne  fut  pas  capable  de  leur  faire  abandonner  leur  pofte, 

Henri  Mais  il  en  arriva  un  autre  en  même  tems  qui  caulà  en- 
I  V.  core  un  nouveau  défordre.  Un  jeune  Seigneur  pour  ie  ren- 
i  <c)o.  ^^^  P^^^^  remarquable  ce  jour-là,  avoit  eu  l'ambition  de 
vouloir  porter  aufîî  une  aigrette  blanche  ^  cela  trompa 
bien  des  gens,  qui  le  voyant  (uivre  l'étendart  royal ,  pri- 
rent de-là  l'occafîon  ou  le  prétexte  de  fe  retirer  •  mais  le 
Roi  fçut  encore  par  fa  valeur  remédier  à  cet  accident.  Auiîitôc 
que  la  retraite  des  Reîtres  lui  donna  la  commodité  de  s'é- 
tendre ,  il  fit  avancer  les  troupes  qu'il  conduifoit  contre 
celles  du  duc  de  Mayenne ,  enlorte  que  ces  deux  corps  fe 
touchoient  j  &  paroiflant  lui-même  aux  premiers  rangs  avec 
l'aigrette  blanche  qui  le  diftinguoit,  fans  craindre  le  péril 
auquel  il  étoit  expofé ,  après  une  courte  harangue  qu'il  fie 
encore  à  fes  troupes  d'un  air  riant ,  comme  fi  la  victoire  eût 
déjà  été  à  lui ,  il  donna  le  premier  l'épée  à  la  main  fur  les 
ennemis. 

Le  duc  de  Mayenne  reçut  le  chocavec  vigueur  à  la  tête 
de  (qs  lanciers.  La  vidoire  fut  longtems  en  balance  j  cha- 
cun accourant  de  ce  côté-là,  &  défendant  courageufemenc 
le  pofte  qu'il  occupoit,  fans  pouvoir  fe  réfoudre  à  reculer. 
Mais  on  reconnut  encore  en  cette  occafion  combien  il  eft 
plus  avantageux  de  combattre  en  corps  ferrés ,  qu'à  la  file. 
Les  troupes  du  Roi  rompirent  enfin  les  lanciers  ennemis , 
6c  les  mirent  en  déroute  ^  enforte  que  le  duc  de  Mayenne 
le  trouva  prefque  feul  fur  le  champ  de  bataille  avec  \qs  ducs 
d'Aumale  &:  de  Nemours ,  ôc  environ  trente  autres  qui 
avoient  fait  ferme.  Il  y  refta  longtems  tandis  que  les  Roya- 
liftes  étoient  à  la  pourfuite  des  fuyards  3  ôc  fit  tous  (qs  efForts 
pour  rallier  {ç:s  troupes.  Enfin  voyant  qu'il  n'y  avoit  plus 
d'efpérance  d'en  venir  à  bout,  il  fe  retira  lui-même  à  Ivry 
avec  quelques  autres  en  petit  nombre  j  bc  laifi^  entre  les 
mains  des  Royaliftes  Charle  de  Beaufoncle  de  Cicogne  qui 
portoit  fa  Cornette  blanche ,  àc  qui  fut  fait  prifonnier.  Le 
duc  de  Nemours  6c  le  chevalier  d'Aumale  s'enfuirent  à  , 
Chartres,  fui  vis  de  BafiTompierre  ,  du  vicomte  de  Tavannes, 
de  Rofne  ,  &:  de  quelques  autres.  Cependant  le  Roi 
dans  la  chaleur  du  combat  s'étantlaiiTé  emporter  à  la  pour- 
fuite  ,  difparut  pendant  quelque  tems  3  ôc  donna  beaucoup 


DE  J.  A.  DE  T H  OU,  Liv.  XCVIII.      127 

d'inquiétude  à  fes  troupes  j  elles  commenc^oient  à  craindre  ■     . 
pour  fa  perfonne  ,  lorfqu'il  parut  couvert  de  fang  Ôc  de  pouf-  Henri 
iiére,  bc  futrecjude  toute  l'armée  avec  des  cris  de  joyeque       I  V. 
inéritoitune  vidoire  fî  complette.  Sur  fa  route  il  avoit  ren-      1585)- 
contré  trois  cornettes  de  cavalerie  Flamande  ,   remarqua- 
bles par  leurs  croix  rouges  ,  qui  s'étant  trouvé  pofbées  par 
hafard  entre  les  deux  corps  de  SuilTès  de  l'armée  du  Duc , 
étoient  les  feuls  reftes  de  cette  grande  déroute.  Il  les  char- 
gea ,  6c  après  quelque  légère  réfiftance  ,  il  les  tailla  en  pièces 
èc  leur  enleva  leurs  drapeaux. 

Peu  de  tems  après  arrivèrent  auprès  de  ce  Prince  le  ma- 
réchal d'Aumont  avec  fes  troupes  encore  toutes  fraîches , 
le  Grand-Prieur  ,  de  Givry  ,  &  le  baron  de  Biron.  Alors  on 
délibéra  ce  qu'on  feroit  des  SuiiTes  qui  étoient  reflès  fur  le 
champ  de  bataille  fimples  fpedateurs  de  cette  défaite.  D'a- 
bord on  étoit  d'avis  de  faire  marcher  contre  eux  toute  l'in. 
fanterie  Françoife  ,  &;  quelque  détachement  de  cavalerie  5 
mais  le  maréchal  de  Biron  s'y  oppofa  j  êcil  confèilla  de  faire 
plutôt  avancer  du  canon  contre  eux ,  comme  s'il  s'agifîbic 
d'emporter  un  baftion ,  afin  de  les  défaire  fans  rifquer  les 
troupes  du  Roi  après  une  lî  grande  vidoire  ,  ou  de  les  obli- 
ger à  demander  quartier.  Ce  fut  le  parti  que  l'on  prit.  Ce- 
pendant tandis  qu'on  faifoit  avancer  le  canon  ,  on  les  envoya 
fommer  de  fe  rendre  ,  ce  qu'ils  acceptèrent  d'autant  plus  ai- 
fèment ,  qu'il  ne  leur  reftoit  plus  aucune  efpérance  de  tenir, 
&  qu'ils  voyoient  devant  leurs  yeux  tout  ce  qu'ils  avoient  à 
craindre.  Ainfi  ils  envoyèrent  leurs  enfeignes  au  Roi  pour 
marque  de  leur  foûmiffion  ,  &:  ce  Prince  eut  la  bonté  de  les 
leur  faire  rendre  fur  le  champ. 

Vers  le  commencement  du  combat,  Charle  d'Humiéres 
Lieutenant  de  Roi  de  Picai  die ,  Ifaac  de  Vaudray  de  Mouy , 
&  quelques  autres ,  étoient  arrivés  au  camp  fuivis  de  deux 
cens  chevaux  ^  6c  le  Roi  qui  ne  vouloit  pas  déranger  fon 
ordre  de  bataille  ,  les  avoit  réfervés  pour  le  befoin.  A  fon 
retour  il  fe  mit  à  leur  tête  fuivi  du  prince  de  Conty  ,  du  duc 
de  Monpenfier ,  du  comte  de  Saint-Paul ,  du  maréchal  d'Au- 
mont, &  de  la  Trimouille  ,  réfoîu  de  pourfuivre  les  reftes 
de  fa  vidoire  Mais  tandis  qu'on  s'amufoit  à  traiter  avec  les 
SuiiTes  ôc  à  rallier  les  troupes  débandées ,  il  s'écoula  un  tems 


ii8  HISTOIRE 

fi  confiderable  ,  que  le  duc  de  Mayenne  eut  celui  de  pafîer 

Henri  la  rivière  à  Ivry.    Cependant  comme  les  premiers  avoienc 

I V.       coupé  le  pont  afin  de  n'être  pas  pourfuivis  ,  il  y  eut  encore 

j  -fvQ^      une  aâiîon  très-vive  dans  ce  bourg  dont  les  rues  etoient  fort 

étroites  j  prefque  tous  les  Reicres  furent  taillés  en  pièces  5 

de  ce  fut  dans  cette  occafion  que  mourut  malheureuremenc 

la  Goutte  Rochelois ,  que  fon  cheval  précipita  dans  la  fange 

où  il  périt.   C'étoit  un  jeune  homme  de  beaucoup  d'efpric, 

comme  il  paroît  par  le  peu  d'ouvrages  qui  nous  relient  de 

lui ,  6^  qui  le  feront  à  jamais  regretter  par  toutes  les  perfon- 

nes  de  bon  goût.  Il  y  eut  plus  de  fàng  répandu  alors,  que  fur 

le  champ  de  bataille  même. 

Comme  les  ennemis  avoient  rompu  le  pont  ^  que  le  gué 
n'étoit  pas  trop  iûr ,  on  jugea  à  propos  d'aller  palfer  la  ri- 
vière à  Anet  ^  mais  ce  détour  donna  encore  quelque  relâche 
au  duc  de  Mayenne  ,  qui  en  profita  pour  prendre  les  de- 
vants. Cependant  le  Roi  le  poufia  jufqu'aux  portes  de  Man- 
te ,  où  ce  Duc  à  force  de  prières ,  eut  bien  de  la  peine  à  ob- 
tenir des  habitans  que  le  fuccès  de  cette  journée  avoit  dé- 
tachés du  parti ,  qu'on  lui  donnât  retraite.  Le  Roi  pourfuî- 
vit  les  fuyards  jufqu'à  la  nuit ,  6c  de  là  il  alla  coucher  à  Rofni 
qui  n'eft  qu'à  une  lieuë  de  Mante  ,  afin  d'être  à  portée,  au 
cas  que  les  habitans  de  cette  ville  fongeafient  à  le  foûmettre 
à  lui ,  comme  il  elpéroir  ,  ce  qui  arriva  en  effet  le  lendemain. 
Ce  Prince  fe  mettoit  à  table ,  lorfqu'on  vint  lui  dire  que  le 
maréchal  d'Aumont  à  qui ,  après  le  Roi ,  on  étoit  redeva- 
ble du  fuccès  de  cette  journée  ,  arrivoir.  A  cette  nouvelle 
Henri  fe  leva  pour  aller  le  recevoir  au  bas  de  l'efcalier ,  ôc 
l'embrafi^a  tendrement  :  55  Puifque  vous  avez  honoré  mes 
55  noces  de  votre  préfence ,  lui  dit-il ,  il  eft  jufte  qu'à  mon 
î3  tour  je  vous  falîè  les  honneurs  de  chez  moi.  u  Après  quoi 
il  le  for(^a  de  s'afileoir  à  table  avec  lui. 

Il  n'y  eut  guéres  que  la  cavalerie  qui  en  vînt  aux  mains 
dans  cette  bataille  j  aufii  les  ennemis  y  perdirent-ils  plus  de 
huit-cens  hommes ,  en  comptant  ceux  qui  reftérent  fur  le 
champ  de  bataille  ,  de  ceux  qui  périrent  à  Ivry  dans  la  fange , 
ou  en  voulant  pafier  la  rivière.  Les  Lanfquenets  furent  tous 
pafiés  au  fil  de  l'épée  ,  6c  l'infanterie  Fran<^oife  jetta  fes  ar- 
mes 6c  fe  fauva.  Le  duc  de  Mayenne  perdit  prefque  tous  fcs 

drapeaux 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     129 

drapeaux  &  coût  fbn  bagage.  Les  morts  de  diftinction  furent 
le  comte  d'Egmond  qui  porta  la  peine  de  fa  téniérité  ,  Eric  H  e  n  ri. 
bâtard  de  Brunfwick  ,  d'Arconac  ,  èc  Jean  de  Vivonne  de  I  V, 
la  Cliateigneraye  ,  frère  de  Fabien  de  Vivonne  que  les  Ef-  j  ^^^^ 
pagnolsavoient  fait  mourir  lâchement  huit  ans  auparavant 
àl'Iile  de  S.  Michel  aux  Açores.  Le  comte  d'Ooftfrife  qui 
commandoit  les  Keîtres ,  y  fut  fait  prifonnier  ,  auiTi-bien 
que  Bois-Dauphin  ,  Cigogne  ,  Charle  François  de  Rouxel 
de  Medavy  ,  de  Theniiîày  ,  François  Fontaine  Martel ,  de 
Longchamp  ,  Lodon ,  de  Falandre ,  la  Caftcliere ,  &  plu- 
fleurs  autres.  Au  refbe  cette  vidoire  coûta  cher  au  Roi  j  il  y 
perdit  Charle  de  Balfac  de  Ciermont  Capitaine  des  gardes 
du  corps  j  Theodoric  de  Schomberg  Commandant  des  Reî- 
tres ,  qui  combattit  ce  jour-là  aux  côtés  de  ce  Prince  j  de 
Lonquaunay  Gentilhomme  de  bafle  Normandie  âgé  de  plus 
de  foixante  èc  dix  ans  ,  qui  fut  emporté  d'un  boulet  de  ca- 
non dès  le  commencement  du  combat  ^  de  Crenay  cornette 
du  duc  de  Monpenfier  j  Se  de  Pas  de  Feuquieres.  Le  marquis 
de  Nèfle  reçut  plufîeurs  blefFures  dans  cette  adion ,  &  fut 
tranfporté  de  là  au  château  d'Eclimont  appartenant  au  Chan- 
celier de  Cheverni  fon  beaupère ,  où  il  mourut  le  i  5.  d'Avril. 
De  la  Vergne  ,  qui  après  avoir  été  Capitaine  des  gardes  du 
duc  d'Alençon  ,  avoit  depuis  fervi  fous  le  duc  de  Joyeufe 
dans  le  Velay  ,  6c  fe  reflentoit  encore  des  blellures  qu'il  avoic 
reçues  dans  cette  expédition ,  fut  auffi  bleilé  fi  dangereufe- 
ment  dans  cette  bataille ,  qu'il  en  mourut  peu  de  jours  après. 
On  compta  encore  au  nombre  des  blelîès  François  d'An- 
gennes  de  Monloiiet ,  Jacque  de  l'Hôpital  comte  de  Choify, 
Français  de  Daillon  comte  du  Lude ,  François  d'O  Surin- 
tendant des  finances ,  Maximiiien  de  Bethune  de  Rofny  ,  àc 
plufieurs  autres. 

Dès  le  lendemain  le  duc  de  Mayenne  fortît  de  Mante  ,      Lettres 
où  il  ne  fq^croyoit  pas  trop  en  fureté  5  &  paifant  la  Seine  il  (è  Mavcmie  a^u 
rendit  à  Pontoife ,  &;  de  là  à  S.  Denis ,  où  le  cardinal  Légat ,  fmet  de  la  ba- 
D.  Bernard  deMendozaambafiadeur  d'Efpagne  ,  &  le  Com-  "'^^"^  ^'^"^^^  » 
mandeur  Moreo  allèrent  le  confoler  ,  6c  lui  promirent  de  la 
part  de  leur  maître  de  nouveaux  fecours.   Il  y  reçut  auiTi  plu- 
fieurs vifites  de  l'archevêque  de  Lyon ,  ôc  de  Madame  de 
Monpenfier  3  ÔC  il  reila  quelques  jours  dans  cette  ville, 
Tome  XI,  K 


'tso  HISTOIRE 

n'ofànt  pas  fè  montrer  aux  Pariflens  dont  il  appréhendoît  Je:? 

Henri  reproches  après  une  défaite  fi  confîdérable.  Ce  fut  de  cette 

I  V.       retraite  qu'il  écrivit  au  roi  d'Efpagne ,  pour  lui  rendre  compte 

I  f 90.     ^^^  raifons  qui  i'avoient  engagé  à  rilquer  une  bataille,  ce 

qu'il  avoit  toujours  éwké  julqu'alors.    Il  lui  repréfentoit  :■ 

Que  c'étoit  l'unique  moyen  de  faire  lever  le  fiége  de  Dreux , 

place  importante  &  fort  afïedionnée  au  parti  de  la  Ligue, 

<  qui  avoit  déjà  foûtenu  deux  alîàuts  :  Qii'outre  cela  (es  forces 

étoient  fupérieures  à  celles  du  roi  de  Navarre  ,  à  qui ,  depuis 
que  nous  eûmes  palîé  ,  difoit-il ,  la  rivière  d'Eure ,  il  eft  ar- 
rivé plus  de  troupes  que  nous  ne  l'avions  efpéré  :  Que  d'ail- 
leurs les  SuiiTes  de  Ton  armée  fe  mutinoient ,  &  menaçoient 
de  fe  retirer  lî  on  neleurpayoit  fur  le  champ  ce  qui  leur  étoic 
dû  de  leurs  appointemens ,  ôc  file  cardinal  Gactano  ne  s'ob- 
ligeoit  envers  eux  au  nomduPape,  pour  ce  qui  pourroit  leur 
être  dû  à  l'avenir  :  Que  les  troupes  Allemandes  qui  étoienc 
déjà  fort  diminuées  ,  ne  fe  montroient  pas  plus  loûmifes  : 
Qtie  la  plupart  des  villes  du  Royaume  fe  lafloient  de  la  lon- 
gueur de  cette  guerre  ,  6c  commençoient  à  murmurer  :  Qu'on 
l'accufoit  lui-même  de  chercher  à  la  prolonger  pour  fatis- 
faire  fon  ambition  ,  &  retenir  toujours  cependant  le  com- 
mandement :  Qiie  ces  raifons  avoient  déterminé  les  princi^ 
paux  Officiers  de  ion  armée  à  rifquer  une  bataille  :  Qu'il' 
avoit  eu  tout  lieu  de  s'en  promettre  une  heureufeiffuc  :  Que 
les  troupes  du  roi  de  Navarre  avoient  d'abord  été  culbutées  5 
mais  que  les  Reitres  qui  fervoient  dans  fon  armée  expofés  à 
tout  le  feu  du  canon  des  ennemis ,  ayant  enfuite  été  repouiîés,- 
s'étoient  renverfés  fur  fon  corps  de  bataille  ,  &:  I'avoient  ar- 
rêté au  moment  qu'il  fe  difpofoit  à  charger  le  Navarrois  i 
Que  ce  défordre  avoit  mis  la  confu/ion  dans  £es  troupes  qui 
5'étoient  enfuite  rompues  j  en  forte  que  le  roi  de  Navarre 
profitant  de  ce  contretems  pour  les  attaquer  ,  il  lui  avoit 
été  aifé  de  les  défaire  contre  l'efpérance  dont  on  s'^toit  flatté 
d'abord:  Que  cet  échec  n'avoit  cependant  point  découragé 
fon  parti  :  Qii'aucune  des  villes  de  l'Union  ne  s'étoit  encore 
démentie  :  Qiie  Paris  fur-tout  donnoit  l'exemple  d'une  fi- 
délité à  toute  épreuve  5  mais  qu'il  étoit  à  craindre  que  ce 
zélé  ne  durât  pas  encore  longtems ,  s'il  ne  recevoir  quelques 
fecours  d*argent  dont  il  avoit  trçs-grand  bçCoin  ;  Qu€  plus- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     131 

cette  Capitale  étoit  peuplée ,  plus  il  lui  falloic  de  vivres  6c  = 


de  toutes  les  chofes  néceffaires  à  la  vie  j  àc  qu'elle  ne  pou-  H  e  n  b^  i 
voit  manquer  de  fe  voir  bientôt  réduite  à  la  dernière  milére,       I  V. 
fî  S.  M.  C.  ne  leur  envoyoit  inceiTamment  quelque  nouveau     i  cap 
fecours  plus  confidérable  que  tous  les  précédens  :  Qiie  s'il 
arrivoic  à  propos ,  il  ofoic  raiTûrer  qu'il  lui  feroit  aifé ,  non 
feulement  de  reprendre  tout  ce  que  le  parti  avoit  perdu , 
mais  même  d'empêcher  que  l'ennemi  ne  profitât  de  fa  der- 
nière vidoire  :  Qpe  cependant ,  quand  même  les  hommes 
devroient  l'abandonner ,  il  proteftoit  à  S.  M.  C.  comme  il 
i'avoit  déjà  fait  en  préfence  de  Jean-Baptifle  de  Taffis  &  de 
fes  autres  Miniflres  ,  qu'il  répandroit  jufqu'à  la  dernière 
goutte  de  fon  fang  pour  la  défenfe  de  la  caufe  de  Dieu  ,  qui 
n'abandonne  jamais  Tes  ferviteurs. 

Le  même  jour  le  Duc  écrivit  aufli  au  Pape  ,  pour  lui  ren- 
dre compte  du  malheur  imprévu  qui  venoit  d'arriver.  Il  con^ 
tinuoit  d'en  attribuer  la  faute  aux  Ailemans  6c  aux  autres 
troupes  étrangères  qui  fervoient  dans  fon  armée ,  6c  de  qui 
faute  d'argent ,  difbit-il ,  il  étoit  impofTible  de  fé  faire  obéïr. 
Il  fe  plaignoit  enlliite  très^vivement  au  Pape  de  ce  qu'il  n'a- 
voit  fourni  aucun  fecours  ,  ni  d'hommes ,  ni  d'argent ,  pour 
la  défenfe  d'une  fî  jufte  caufe  ^  6c  il  fe  juftifîoit  de  ce  qu'on 
difoit  de  lui ,  qu'il  traînait  la  guerre  en  longueur  ,  èc  qu'il 
abufoit  de  l'autorité  fbuveraine  dont  on  I'avoit  revécu  ,  pour 
travailler  à  fes  intérêts  particuliers  ^  6c  il  faifoit  voir  au  Pape 
tous  les  inconvèniens  qui  pouv oient  naître  de  la  conduite 
qu'il  tenoit  :  Qiie  cette  indifférence  donnoit  le  tems  au  roi 
de  Navarre  chef  des  hérétiques  de  France  ,  de  s'affermir  fur 
le  trône  ,  &c  de  fe  fervir  des  Catholiques  mêmes  pour  ruiner 
la  Religion  :  Que  quoique  la  domination  du  feu  Koi  fût  lé- 
gitime ,  quoique  ce  Prince  fît  du  moins  en  apparence  pro- 
fefîion  de  la  Religion  catholique  ,  S.  S.  n'avoit  cependanc 
pas  balancé  à  approuver  qu'on  prît  les  armes  contre  lui  : 
Qu'à  plus  forte  raifon  elle  devoit  autorifer  une  guerre  qui 
n'étoit  entreprife  que  contre  un  hérétique  opiniâtre  qu'elle 
venoit  d'excommunier  :  Qi-i'il  étoit  donc  étonnant  que  S.  S. 
fe  fît  tant  prier  pour  fournir  les  fecours  qu'elle  avoit  promise 
Qii'on  ne  voyoit  pas  à  quels  ufages  elle  deflinoit  tant  de  ri- 
.cheffes  qu'elle  avoit  amaffees  avec  un  iî  grand  foin ,  puifqu'ii 

R  ij 


13  2  'histoire 

—  ëtoit  certain  que  ces  créfors  ne  pouvoient  être  mieux  em-' 

Henri  ployés  qu'à  la  confervation  d'un  Royaume  à  qui  le  S.  Siège 
I  V.  étoit  fî  redevable  ,  èc  du  faluc  duquel  dépendoic  le  repos  de 
ï  55)0.  toute  la  Chrétienté  :  Qiï'il  ne  falloit  pas  efpérer  que  le  roi 
de  Navarre  fe  convertît  jamais  ,  &  ramenât  par  ion  exem- 
ple les  autres  hérétiques  du  Royaume  :  Qu'au  contraire  ii' 
y  avoir  tout  lieu  de  craindre  que  Ci  la  victoire  venoit  à  fe  dé- 
clarer pour  fon  parti ,  comme  quelques-uns  par  défiance  de 
la  bonne  caufe  fe  l'imaginoient  fans  fondement ,  ii  n'en  de- 
vînt que  plus  animé  contre  les  Catholiques ,  &  plus  opiniâ- 
tre d  fe  montrer  réfraclaire  aux  ordres  du  S.  Siège  :  Qu'i[ 
convcnoit  au  relie  au  chef  des  Fidèles ,  qui  leur  tient  la  place 
'  dt  Dieu  en  terre  ,  d'être  autant  éloigné  d'entretenir  en  lui 
ces  fortes  de  fentimens  purement  humains ,  qu'il  approche 
davantage  de  la  divinité  :  Qii'en  effet  ces  attentions  fen- 
roient  trop  les  vues  chimériques  d'un  efprit  uniquement  oc- 
cupé du  foin  d'amaflèr  des  tréfors ,  qui  cherche  à  éviter  la 
dépenfe  ,  &  qui  cependant  reile  tranquille  fpectateur  oifif  de 
la  calamité  publique  :  Qii'ainfi  il  prenoit  le  ciel  &  la  terre  à 
témoin  que  c'étoit  fans  l'avoir  mérité  qu'il  fe  voyoit  aban- 
donné du  Vicaire  de  J.  C.  dans  la  caufe  de  Dieu  même  : 
Qif  on  trahifîbît  la  Religion ,  &;  qu'il  étoit  bien  aife  que  la 
poftérité  eût  ce  témoignage  de  fes  jufles  plaintes.  En  même 
tems  ,  dans  i'inftrudion  qu'il  envoyoit  à  fès  députés  à  la 
cour  de  Rome ,  il  leur  recommandoit  de  diminuer  aux  yeux 
du  Pape  la  perte  de  la  journée  d'Ivry  ,  &c  de  lui  faire  enten- 
dre ,  qu'à  l'exception  de  l'Infanterie  qui  avoir  été  défàrméc, 
le  Duc  avoir  fauve  tout  le  refle  ,  quoique  fes  forces  fufîènt 
beaucoup  inférieures  à  celles  du  Roi  ,  puifque  fon  armée 
n'étoit  guéres  compofée  que  de  huit  mille  hommes  ,  au  lieu 
que  ce  Prince  en  avoir  onze  mille. 

Il  eft  confiant  que  le  duc  de  Mayenne  n'auroit  jamais  ofé 
écrire  de  la  forte  au  Pape ,  s'il  n'en  eut  été  follicité  par  Phi- 
lippe. Ce  qui  le  prouve,  c'efl  qu'en  même  rems  Henri  de 
Gufman  comte  d'Olivarez  ambafTadeur  d'Efpagne  à  Rome 
prcfToit  vivement  le  Pape  de  fecourir  ouvertement  les  Li- 
gueurs,  ôc  d'excommunier  tous  les  Princes  6c  Seigneurs  qui 
fuivoient  le  parti  du  Roi.  La  chofe  alla  même  fî  loin  ,  que 
fur  les  délais  continuels  du  Pape ,  ce  Minillre  étoit  fur  l^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     133 

poînc  de  protefter  publiquement  contre  lui ,  lorfque  pour  pa-  ~ 


rer  ce  coup ,  Sixte  déclara  qu'il  étoic  mécontent  du  comte  Henri 
d'Olivarez  ,  qui ,  difoit-il  ,  lui  aveit  manqué  de  refpeâ: ,  &:       IV. 
manda  à  Philippe  de  lui  envoyer  un  autre  AmbafTadeur.   Le     1590.. 
Pape  fe  juftifîa  enfuite  en  préfence  des  Cardinaux  par  un  dif- 
cours  très- vif  j  6c  en  nomma  quelques-uns  pour  connoître 
du  différend  qu'il  avoit  avec  le  roi  d'Efpagne  à  ce  fujet.  Ce- 
pendant Philippe  fit  venir  du  royaume  de  Naples  Gonzalez 
de  Cordoiie  duc  de  Seila  ,  pour  remplacer  le  comte  d'Oli- 
varez i  mais  ce  nouvel  Ambafladeur  n'arriva  à  Rome  ,  que 
lorfque  Sixte  commença  à  être  attaqué  de  la  maladie  donc 
il  mourut. 

On  prétend  que  ce  qui  empêcha  le  Pape  d'envoyer  à  la 
Ligue  les  fecours  qu'elle  attendoit  de  lui ,  c'eft  qu'il  ne  vou- 
loit  pas  rifquer  fur  des  efpérances  incertaines  les  fonimes  im- 
menfes  qu'il  avoit  amalîees  avec  tant  de  foin  ,  de  qu'il  defli- 
noit  à  la  réunion  du  royaume  de  Naples  au  S.  Siège  ,  au  cas 
que  Philippe  vînt  à  mourir.  D'ailleurs  il  en  ufoit  ainfi  de 
crainte  que  fî  le  roi  de  Navarre  avoit  du  deflbus  ,  le  roi  d'Ell 
pagne  qui  ne  cherchoit  qu'à  agrandir  {qs  Etats  ,  ne  voulut  fe 
dédommager  dss  Recours  qu'il  auroit  donnés  aux  Ligueurs , 
en  partageant  le  Royaume  avec  eux  ,  &  n'augmentât  par  là 
fa  puiiTance^qui  n'étoit  déjà  que  trop  redoutable  à  fès  voifins. 
On  crut  aulfi  que  le  Pape  efpéroit  que  le  Roi  pourroit  ren- 
trer dans  la  Religion  Romaine,  pour  laquelle  on  l'afTiiroic 
^ue  ce  Prince  n'avoit  point  d'éloignement ,  pourvu  qu'il  pût 
Je  faire  avec  bienféance.  C'eft  ainfi  que  le  lui  perfuadoit  le 
dire  de  Luxembourg  ,  &c  que  la  converfion  du  Roi  ne  feroit 
pas  fort  difficile,  pourvu  que  S.  S.  ne  fe  déclarât  pas  contre 
lui.  Du  refte  il  lui  faifoit  entendre  que  ce  Prince  avoit  un 
trop  puifîant  parti  dans  le  Royaume  ,  èc  une  trop  groffe  ar- 
mée ,  pour  qu'on  pût  par  la  force  s'oppofer  à  Cqs  delîeins ,  6£ 
que  c'étoit  perdre  de  l'argent  à  plaiiir ,  que  de  vouloir  lui 
faire  la  guerre.  Aind  ce  vieillard  avare  qui  n'avoit  en  vûë 
que  la  conquête  du  royaume  de  Naples  où  il  trouvoit  beau- 
coup plus  à  gagner  ,  mettoit  tout  en  œuvre  pour  ne  point 
envoyer  de  fecours  au  duc  de  Mayenne.  A  peine  les  Ligueurs 
pûrent-ils  tirer  cinquante  mille  écus  d'or  que  leur  délivra  le 
Légat  après  la  perte  de  la  bataille  d'Ivry  3  encore  le  Pape  ea 

R  H 


134  HISTOIRE 

iic-il  paroître  du  mécontentement ,  &  il  ne  les  leur  accorda 
Henri  que  de  peur  qu'ils  ne  perdillènt  ablolument  courage. 

I V.  Le  jour  même  que  le  Roi  combattant  en  perionne  dans,  la 

1590.  plaine  d'Ivry  remportoit  fur  Tes  ennemis  cette  victoire  mé- 
morable  ,  Ton  parti  triomphoit  des  forces  de  la  Ligue  i  Y  £-. 
troupe  de  h  ^011*^  ^n  Auvergue.  Cette  ville  fituée  au  pied  des  Cevennes 
Ligue  cil  Au-  dans  le  canton  le  plus  délicieux  de  la  Limagne  étant  un  pofte 
vergne.  £qj.^  avantageux ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  iî  ceux  qui  étoienc 
à  Ja  tête  de  l'un  èc  de  l'autre  parti  dans  la  Province  ,  mec- 
toient  tout  en  œuvre  pour  s'en  alTûrer  la  poUelTion.  Jean 
Louis  de  la  Rochefoucauk  comte  de  Randan  s'en  étoit  iàiil 
l'année  précédente  au  nom  de  la  Ligue.  Ceux  de  Clermont 
tous  zélés  ferviteurs  du  Roi ,  animés  encore  par  Paul  TiC- 
fandier  Echevin  de  cette  ville  ,  formèrent  le  deffein  de  la 
lui  enlever.  Ils  commencèrent  par  faire  reconnoître  exade- 
ment  la  place  ,  la  hauteur  des  murs ,  la  profondeur  des  foù 
fés  j  enfuite  ils  confièrent  la  conduite  de  cette  entreprife  au:^ 
capitaines  BalTet  ,  la  Sale  èc  Bobier  frère  de  Barmontct ,  à 
qui  ils  joignirent  les  compagnies  de  la  Guefle  &  de  la  Croix. 
Ces  troupes  portant  leurs  échelles  avec  elles  partirent  le  1 7, 
de  Février  de  Clermont ,  qui  n'eft  qu'à  iîx  lieues  d'YfToire  j 
èc  étant  arrivées  au  point  du  jour  devant  la  place  ,  quoi- 
qu'elles euiïent  été  découvertes  par  la  fentinelle ,  elles  ne 
lailTèrent  pas  de  defcendre  dans  le  folTè  ,  appliquèrent  leurs 
échelles ,  cl  efcaladérent  la  muraille  ,  guidées  par  Hautero- 
che  d'Ylîbire  ,  que  les  Ligueurs  avoient  contraint  d'aban- 
donner cette  ville.  Enfuite  s'avançant  vers  S.  Paul ,  &  ren- 
contrant la  garde  ,  elles  la  pafTèrent  au  fil  de  l'épée.  De  là 
.  elles  tournèrent  contre  le  château  •  mais  après  y  avoir  ap- 

phqué  deux  fois  le  pétard  ,  voyant  que  la  vigoureufe  dé- 
fenlè  de  la  o-arnifon  rendoit  tous  leurs  efForts  inutiles ,  elles 
mandèrent  à  Clermont  qu'on  leur  envoyât  incellamment  le 
fecours  qu'on  leur  avoit  promis. 

Aulîitôt  Claude  de  la  Queille  de  Florat  Sénéchal  d'Au- 
vergne eut  ordre  de  partir  pour  aller  commander  en  che£ 
Il  fe  mit  en  marche  accompagné  de  Chauvigny  de  Blot  j 
de  Barmontet ,  de  Fredevilie  ,  èc  delà  Mothc-Arnaud  ,  avec 
environ  cent  crendarmes  ;  &  ils  arrivèrent  tous  heureufe- 
ment  à  YlToire  le  lendemain.  Alors  ces  Officiers  partagèrent: 


^      DE  T.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIÎ.     135 

■^  • 

encre  eux  les  quartiers  de  la  ville.  De  Florac  ayant  invefb^      j 

le  château  fit  travailler  à  fortifier  un  moulin  voifin  de  fon  H  e  n  k  i 
logement  ^  le  capitaine  BaiTet  ôc  la  Salie  le  chargèrent  de       I  V. 
détendre  le  quartier  voifm  du  château  jufqua  une  rue  qui     j  ^00, 
mené  à  la  ville.  La  défenlè  du  canton  qui  s'étend  depuis 
cette  rue  jufqu'à  un  ruilïëau  qui  fert  à  faire  moudre  les  mou- 
lins ,  échut  à  Fredeville ,  &c  on  donna  à  Blot  &:  à  Barmon- 
tet  celle  du  quartier  qui  s'étend  depuis  la  gauche  de  ce 
ruifleau  jufqu'aux  murailles  de  la  ville.  Ces  deux  furent  joints 
par  de  Bobier  &  de  Murât  Procureur  du  Roi  de  Riom,  qui 
par  un  rare  exemple  de  fidélité  avoit  abandonné  fa  patrie 
pour  fervir  dans  le  parti  du  Roi, 

Chacun  étoit  occupé  à  pouller  fes  tranchées  ,  â  fapper  le 
mur  ôc  à  le  miner  ,  lorfque  les  ennemis  parurent  le  z8.  de 
Février  venant  au  fecours  des  affiégés.  Ils  avoient  enlevé 
en  chemin  quelques  troupes  que  ceux  de  Clermont  en- 
voyoient  à  YlFoire  3  en  forte  que  de  Florat  qui  faifoit  le  fiége 
du  château  ,  fe  trouva  lui-même  affiégé  dans  la  ville.  Il  n'y 
étoit  pas  fort  à  fon  aife  ;  il  manquoic  de  fourage  j  èc  avoit 
fort  peu  de  vivres.  Cependant  réiblu  de  ne  point  lever  le 
iiége  ,  il  envoya  de  toutes  parts  demander  du  fecours  au 
comte  Raimond  de  Raflignac  de  MeffiUac,  â  Henri  de  Bour- 
bon vicomte  de  Lavedan ,  à  Gilbert  de  Chaferon  ,  ôc  à  Fran- 
(çois  de  Chabanes  marquis  de  Curton.  Tandis  que  ces  Sei- 
gneurs qui  tenoienc  le  parti  du  Ror  fe  jéunilîbient ,  8c  mar- 
choient  du  côté  d'Aurillac  pour  fe  rendre  à  Clermont ,  il 
fe  pailà  quelques  adions  peu  confîdérables  devant  Yffoirej 
&  les  ennemis  enlevèrent  deux  ou  trois  fois  les  fecours  qui 
venoient  de  Clermont  -,  ils  fe  failirent  même  des  fauxbourgsj 
êc  le  comte  de  Randan  fit  entrer  quelques  troupes  dans  le 
château ,  d'où  l'on  pointa  trois  pièces  de  canon  contre  la 
ville.  Mais  de  Chalus  qui  avoit  ordre  de  ruiner  les  moulins 
ayant  fait  une  fortie  pour  s'acquitter  de  cette  commiffion, 
le  capitaine  Bafiet  le  chargea  fi  vigoureufement  qu'il  le  tail- 
la en  pièces,  &;  l'obligea  de  prendre  la  fuite.  Chalus  perdit 
trente  hommes  à  cette  aclion  ,  avec  Saint  Hilaire  fon  Lieu- 
tenant qui  y  fut  fait  prifonnier. 

Déjà  étoit  arrivé  au  camp  des  ennemis  Jean  de  Neufvy  le 
Baroisavec  300.  chevaux.  D'un  autre  côté ,  fur  les  inllances 


13  5  li  I  S  T  O  I  K  E 

'.  deFloratjChriflophle  de  Chabanes  de  Rocliefort&  Henrî 
Henri   delà  Roche ,  tous  deux  fils  du  marquis  de  Curton  ,  du  Says 
I  V.       de  Rivoire  ,  de  la  Forell  de  la  GriiTe ,  du  Vernec ,  èc  de  Tal- 
ijoQ.     lezat  Enfeigne  de  la  compagnie  de  Chaferon  s'écoienc  mis 
en  marche,  réfolus  de  fecourir  leurs  gens  qui  fe  trouvoienc 
ferrés  de  fort  près  dans  la  ville  ,  lorfque  pour  encourager  les 
Royaliilies ,  de  la  Grifle  attaqua  la  nuit  le  camp  des  Ligueurs, 
força  les  gardes,&  fe  rendit  auprès  de  Florat  à  la  tête  de  vingt 
braves.  Animées  par  ce  nouveau  renfort ,  les  troupes  du  par- 
'  ti  du  Roi  foûtinrent  bravement  Se  repoulTérentla  garnifon  du 

château, qui  après  avoir  fait  une  décharge  du  canon  fur  la  vil- 
le ,  avoir  fait  une  vigoureufe  lortie.  Les  ennemis  changèrent 
enfuite  leur  batterie  ,  &  pointèrent  le  lendemain  leur  canon 
contre  le  retranchement  que  les  Royaliftes  avoient  élevé 
fur  leur  droite.  Dans  le  tems  qu'arrivèrent  le  vicomte  de 
Lavedan&le  comte  de  Raftignac,  de  Neufvy  accompagné 
du  vicomte  d'Eftain  ,  de  Levy  comte  de  Charlus  6c  de  Cha- 
lus  s'etant  préfentés  en  bataille  ,  Florat  détacha  contre  eux 
Fredev'ilie  à  la  tête  de  vingt  braves.  Celui-ci  ayant  mis  des 
foldats  en  embulcade  dans  quelques  mafures  dufauxbourg, 
s'avança  contre  les  ennemis  pour  les  attirer  au  combat  j 
mais  à  peine  furent -ils  aux  mains  ,  que  les  RoyaHlles  for- 
tans  à  i'improvifte  du  lieu  où  ils  avoient  été  poftés ,  char.,' 
gèrent  les  ennemis  ,  &;  leur  tuèrent  beaucoup  de  monde. 
De  Neufvy  y  fut  blelIè  avec  Chateauneuf.  Peu  de  tems 
après  Fredeville  faifant  la  ronde  fut  tué  de  loin  d'un  coup 
d'arquebufe  auquel  il  ne  s'attendoit  pas  3  6c  Barmontet  fut 
fait  maréchal  de  Camp  à  fa  place. 

Cependant  le  marquis  de  Curton  forti  de  Clermont, 
fuivi  de  Rochefort  6i  de  la  Roche  (es  deux  fils  ,  de  Ri- 
voire ,  de  Chappes  èc  de  Blot  ,  6c  d'environ  quatre  cens 
bourgeois  armés  d'arquebufes,  marcha  à  Alagniat  pour  rece- 
voir les  fecours  qui  venoient  d'Aurillac.  Là  les  deux  trou- 
pes fe  joignirent  ,  &  fe  rendirent  enfuite  à  Clermont,  où. 
elles  relièrent  encore  quelques  jours  en  attendant  l'arrivée 
de  Chaferon.  Pendant  ce  tems-là  les  ennemis  tranfportérenr 
leur  artillerie  à  Villeneuve  château  appart.enant  à  Saint- 
Herem  un  des  feigneurs  de  la  Province  ,  &C  l'en  retirèrent 
enfuite.  En  même  tems  de  Saint-Marc  lieutenant  de  George 

de 


DÈJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIII.        137 

de  Villequier  vicomte  de  la  Guierche  gouverneur  de  la 
Marche  amena  des  troupes  aux  Ligueurs ,  qui  ayant  dreiïe  Henri 
une  batterie  contre  les  murs  de  la  ville  entre  Saint- Paul  &c      IV. 
le  retranchement  intérieur  des  Royaliftes  y  firent  bientôt     1590» 
une  brèche  confîdérable.  Alors  on  parla  d  une  trêve  5  mais 
tandis  qu'on  ne  longeoit  qu'à  négocier  de  part  &  d'autre , 
les  Ligueurs  donnèrent  l'allaut  à  la  brèche,  d'où  ils  furent 
<:ependant  repouiTès  avec  perte.  Les  troupes  du  parti  du 
Roi  perdirent  au  contraire  fort  peu  de  monde  en  cette  oc- 
calion.  De  la  Griiîè  y  fut  feulement  bleiïë  d'un  éclat  d'ar- 
quebufe  qui  fe  brila.  Cette  adion  fepaflale  treize  de  Mars. 

Enfin  de  Chaferon  étant  arrivé  à  Clermont  fur  les  inf- 
tances  de  Florat  le  fecours  fe  mit  en  marche.  Il  étoit  corn- 
pofè  d'environ  trois  cens  Gendarmes  &  de  cinq  cens  ar- 
quebufiers ,  dont  deux  cens  étoient  tirés  des  habitans  de 
Clermont  &  de  Montferrand.  De  Chaferon  conduifoit  Ta- 
vant-garde  j  le  marquis  de  Curton  qui  commandoit  en  chef 
ee  fecours,  étoit  à  la  tête  du  corps  de  bataille,  ayant  fous 
lui  le  vicomte  de  Lavedan ,  le  comte  de  Raftignac  ,  &  Gil- 
bert Coëffier  de  Deffiat jde  Rivoire  &.  de  Chappes  faifoient  les 
fondions  de  maréchaux  de  Camp^enfin  l'infanterie  conduifoit 
quatre  petites  pièces  de  campagne,  &  deux  chariots  char- 
gés de  moufquets.  De  Florat  averti  de  leur  arrivée  laiffa  Ces 
rroupes  dans  Cqs  retranchemens,  6c  fe  mit  à  la  tête  d'un  dé- 
tachement de  quatre-vingt  Gendarmes.  Après  avoir  faitfes 
prières,  il  fortit  delà  ville,  fuivi  de  Bermontet,  de  Blot, 
du  capitaine  Baflèt  de  de  la  Mothe-Arnauld  ,  rèfolu  de 
joindre  le  fecours. 

Il  y  avoit  entre  la  ville  &  une  montagne  voifîne,  nom- 
mée de  Croz-Roland  une  vafle  plaine  par  où  devoir  pafîèr 
le  fecours.  Les  ennemis  s'y  rangèrent  en  bataille ,  &:  jettèrent 
quelques  arquebufiers  dans^une  efpèce  de  défilé  que  formoit 
un  petit  bois  qui  étoit  fur  la  gauche.  Les  Royaliflres  s'en 
étant  apperçûs  firent  avancer  un  détachement  de  leurs 
croupes ,  &:  marchant  avec  le  refle  par  le  côté  oppofé  de  la 
montagne ,  après  avoir  mis  en  fuite  quelques  pelotons  que 
les  Ligueurs  avoient  jettes  dans  le  vallon ,  ils  fe  rendirent 
fur  la  hauteur  d'où  ils  pou  voient  reconnoître  à  leur  aife  le 
jiombre  &  l'ordre  de  bataille  des  ennemis,  De-là  ils  tirèrent 


13^  HISTOIRE 

fur  eux  quelques  volées  de  eanon  qui  les  obligèrent  à  faire 
H  t  N  K  I  une  contre-marche  pour  fe  mettre  à  couvert ,  après  avoir' 
I  V.  réduit  en  cendres  quelques  maifons  qui  étoient  dans  le  val- 
I  ego.  ^^^  y  ^^"  qu'elles  ne  fuiknt  d'aucun  ufage  aux  Royaiiftes. 
Ceux-ci  cependant  précédés  de  leur  artillerie  &  de  leurs  ba- 
gages qui  tormoient  devant  eux  une  elpéce  de  retranche- 
ment, deicendoient  la  montagne  j  &,  pailant  à  la  vue  de 
l'ennemi  qui  s'etoit  retiré  fur  la  gauciie  ,  prenoient  le  che- 
min de  la  ville  au  travers  delà  vallée,  lorfque  le  comte  de 
J^andan  abandonnant  la  plaine  ,  fit  doubler  le  pas  à  fes  trou- 
pes dans  le  delîein  de  fe  laifir  de  la  hauteur ,  afin  de  char- 
ger l'ennemi  en  queue  èc  en  flanc.  Ce  mouvement  fut  avan» 
tageux  au  fieur  de  Florat  qui  cherchoit  le  moyen  de  joindre 
le  lecours  ,  &  qui  voyant  l'ennemi  abandonner  la  plaine 
pour  prendre  le  chemin  de  la  montagne ,  profita  habilemenr 
de  cette  occafion, 

11  fut  reqû  avec  joye  du  marquis  de  Curton  ,  qui  après 
les  premiers  complimens ,  lui  affigna  ion  pofte  à  l'avant-garde 
entre  Chaferon  ,  Rivoire  èc  Chapas  ,  fans  rien  changer 
d'ailleurs  à  fon  ordre  de  bataille.  L'ennemi  au  contraire' 
fit  tant  de  changemens ,  qu'à  la  fin  il  s'en  trouva  mal.  En 
effet  le  comte  de  Randan  voyant  les  Royaliftes  après  la 
jor/dion  de  Florat  continuer  leur  marche  dans  le  même 
ordre  qu'auparavant  ,  defcendit  lui  même  de  la  hauteur  , 
&  fe  mit  en  bataille  dans  la  plaine  ,  où  il  rangea  fes  trou- 
pes fur  trois  lignes.  L'avant-garde  étoit  commandée  par 
Chalus ,  Saint  Marc  6c  de  Monfan,  A  vingr  pas  de  diftance 
fuivoit  le  corps  de  bataille  conduit  parSiogheat,  Flagheat, 
Cormillon  ôc  (i)  de  Cons.  Enfin  le  Comte  étoit  lui-mê^ 
me  à  la  tête  de  l'arriére-garde,  fuivi  du  vicomte  de  Cha- 
teauclou  &  de  Mont-Reveh  II  y  avoit  dans  cette  armée  cinq 
cens  chevaux  &  autant  d'arquebufiers.  Le  combat  commen- 
ta par  Chalus  qui  fut  reçu  d'abord  par  environ  cent  ar- 
quebufiers  de  l'armée  du  Roi  ^  mais  faifant  enfuiteun  mou-- 
vement  ,  il  alla  charger  Florat  ,  Rivoire  &  Chappes  , 
qui  appréhendants  d'être  pris  en  flanc  par  le  corps  de  ba- 
taille ,  foutinrent  ce  premier  choc  fans  s'ébranler.  Ce- 
pendant comme  la  féconde  ligne  ne  donnoit  pas  allez 
0)  La  relation  imprimée  le  nomme  de  Conige. 


DE  J,  A,  D  THOU,  Liv.   XCVIIL     139 

prompcement  ,  le  vicomte  de  Chateauclou  qui  étoit  à  i'ar-  ^ 
riéregarde,  la  prévint ,  &  marcha  en  défordre  contre  l'avanî:-  K  e  n  k  t 
garde  des  Royaliiles.  Là  il  y  eut  une  adion  très-chaude.  I  V. 
Enfin  après  une  réliftance  aflèz  vigoureufe,  les  ennemis  fu-  1590. 
rent  battus  de  mis  en  déroute.  D'un  autre  côté  leur  avant- 
garde  àc  leur  corps  de  bataille  s'étant  ralliés  ,  étoient  re- 
tournés à  la  charge  ,  &  donnoient  beaucoup  d'affaires  au 
marquis  de  Curton,  au  vicomte  de  Lavedan ,  à  Chaferon  , 
&  au  comte  de  Rafiignac.  Néanmoins  après  une  réfiftance 
longue  &:  opiniâtre ,  ces  deux  corps  furent  auffi  taillés  en 
pièces.  Le  comte  de  Randan  ayant  été  fait  priionnier  par  - 
la  Mothe-Arnaud  ,  &:  conduit  â  IfFoire  ,  y  mourut  peu 
d'heures  après  d'une  blefTure  qu'il  avoit  reçue  dans  l'aine. 
les  ennemis  perdirent  outre  cela  près  de  cent  Gentilshom- 
mes,  du  nombre  defquels  furent  de  Saint-Marc  ,  de  Saine 
Gervaly  lènéchal  de  Clermont  ,  de  Monfan  l'aîné  ,  d'Ar- 
bouze  ,  de  Ronzay  ,  de  la  Villatte  ,  de  Neufviile  l'aîné,  de 
la  Salie  ,  de  Rochemore  &  plufieurs  autres  ,  avec  grand 
îîombre  de  fbldats.  Du  nombre  des  prifonniers  furent  le  vi- 
comte de  Chateauclou  qui  fut  pris  par  Florat  j  fon  Lieu- 
tenant &  fon  Enlèigne^  de  Mont-Revel,  de  Saint-Michel  qui 
mourut  depuis  de  lès  bleflures  à  Clermont^  de  Frecinct,6c 
plufieurs  autres.  Les  Royalifles  de  leur  coté  perdirent  du 
Vernet  lieutenant  de  Chalèron  èc  deux  autres  Gentilshom- 
mes •  ils  y  eurent  peu  de  foldats  tués ,  de  environ  huit  bleffés. 
De  ce  nombre  furent  de  Rochefortfils  du  marquis  de  Cur- 
ton ,  de  la  Creine  èc  du  Roiie. 

De-là  les  Royaliltes  tournèrent  leurs  armes  victorieufes 
contre  le  château  ,  dont  la  garniion  informée  de  la  mort  du 
.comte  de  Randan  6c  de  la  perte  de  la  bataille  fe  rendit  le 
même  jour,  &:  livra  tout  le  canon  &  toutes  les  munitions  de 
guerre  qui  étoient  dans  la  place.  Le  lendemain  les  vainqueurs 
iirent  chanter  une  M  elle  lolemnelleen  adion  de  grâces  de 
cet  heureux  fuccès.  Enfuite  ils  tinrent  confeil  de  guerre  après 
le  dîner ,  &  confièrent  la  garde  de  la  ville  &  du  château 
d'YlToire  à  Bermontet ,  à  qui  ils  laifférent  une  garnifon  con- 
venable. Cependant  comme  ils  manquoient  de  vivres  ôc  de 
fouragcs,  ils  décampèrent  auffitot  après ,  emmenant  l'artil- 
lerie avec  eux  ,  5c  arrivèrent  le  lendemain  à  Clermont  où  ils 

Sij 


140  H  I  S  T  O  I  Pv  E 

—  enrrérent  en  triomphe  ,  &  où  le  7e  Deum  fut  encore  criante" 
Henri  en  cérémonie  dans  TEglile  Cathédrale  aux  acclamations  de' 
1  v'.       tous  les  habicans  de  cette  ville.  Le  fuccès  de  cette  journée 
I  j^o.      qui  affermit  le  parti  du  Roi  en  Auvergne  &  dans  les  Pro- 
vinces voifines,  &  qui  concouroit  fi  parfaitement  avec  celle' 
d'Ivry  ,  fut  un  préiage  certain  de  la  fortune  toujours  vido- 
riculé,  qui  accompagna  depuis  dans  toutes  fes  entrepriles  ce 
Prince  né  pour  le  bonheur  de  la  France. 
Entrevue  da       Tandis  que  l'armée  du  Roi  étoit  encore  à  fe  rafraichirâ^ 
Léchât  du  ma-  Mante  qui  venoit  de  fe  foumettre  ,  le  cardinal  Gactano  fie 
réchai  de  Bi-  demander  une  entrevue  au  maréchal  de  Biron.  Ce  Seip;neur 

ion  a  Noily.  ;  v  .  '  t    '  ^     r  j  j 

après  avoir  envoyé  au  Légat  tant  de  la  part  qu  au  nom  de 
S.  M.  fureté  pour  fa  perfonne  àc  pour  ia  fuite  ,  fe  rendit 
avec  l'agrément  du  Roi  à  Noif  y  accompagné  de  la  plupart 
des  feigneurs  ôi  gentilshommes  de  la  Cour.  Noify  efVun  châ- 
teau magnifique,  bâti  par  le  duc  de  Retz  qui  étoit  alors  en 
Italie.  Là  on  fé  fit  d'abord  beaucoup  de  complimens  de  parc 
&  d'autre  avant  &  après  le  dîner  j  mais  lorfqu'on  voulut  en- 
trer en  quelque  négociation  ,  le  Légat  trouva  les  affaires 
dans  une  fituation  toute  différente  de  ce  qu'il  s'étoit  îma- 
,  giné  5  &  les  fervireurs  du  Roi  fî  réfolus  de  défendre  jufqu'à 
ia  mort  la  caufe  de  l'Etat  contre  leurs  ennemis  communs , 
qu'il  ne  remporta  que  de  la  confufion  de  cette  entrevue. 
Ce  fut  alors  qu'il  apprit  par  lui-même  combien  on  jugeoit 
différemment  des  affaires  de  France  à  la  Cour  de  Rome , 
entre  les  Cardinaux  &  autres  gens  oifîfs  peu  fenfîbles  à  des 
maux  qui  ne  les  touchoient  point ,  de  ce  qu'en  penfoienr 
en  France  même  la  NoblefTe,  ôc  tous  ceux  qui  y  étoient  la 
plus  intéreffés. 

Anne  d'Anglure  de  Givry  qui  avoît  accompagné  le  ma- 
réchal de  Biron ,  donna  en  même  tems  une  fcene  qui  ache- 
va de  rendre  cette  entrevue  très-mortifîante  pour  le  Légat, 
^  Il  n'y  eut  point  de  carefles  &  de  flateries  que  ce  Prélat  ne 

mît  en  œuvre  pour  l'engager  à  abandonner  le  parti  du  Roi. 
Il  lui  parla  de  fbn  mérite  ,  delà  réputation  qu'il  s'etoitac- 
quifej  enfin  voyant  qu'il  ne  pouvoit  en  venir  à  bout,  il  l'exhor- 
ta à  demander  du  moins  en  qualité  de  bon  Catholique  au 
Pape  ,  &  à  celui  qui  le  reprefentoit  ,1e  pardon  de  tout  le 
paffé  j  lui  faifanc  entendre  qu'on  ne  demandoit  pas  mieua 


DE  J,  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     14.1 

^•ue  de  le  lui  accorder.   Sur  quoi  de  Givry  naturellement  1    ■■ 

plaifant  fe  jecrant  à  genoux  aux  pieds  du  Légat ,  &  ajuftant  Henri 
fa  mine  au  rôle  qu'il  jouoit ,  déclara  qu'il  demandoic  par-  I V. 
don  de  tous  les  maux  qu'il  avoir  faits  aux  Parifiens.  Enluite  j  cgn 
après  une  paufe  ,  pendant  laquelle  le  Cardinal  lui  donna  fa 
bénédidion  ,  il  ajouta  du  plus  grand  férieux  du  monde  qu'il 
prioit  qu'on  lui  accordât auffi  l'abfolution  de  l'avenir,  parce 
qu'il  avoit  réiolu  de  faire  aux  Parifiens  encore  pis  qu'au- 
paravant 3  &  à  ces  mots  il  fe  releva  avec  un  grand  éclat  de 
jire,  &  fe  retira  de  devant  le  Légat  qui  fur  le  ciiamp  révoqua 
1-a  grâce  qu'il  venoit  de  lui  accorder.  Cependant  fî  Gi- 
vry refufà  avec  fermeté  toutes  les  offres  du  Légat ,  il  ne  fe 
montra  pas  toujours  auffi  ennemi  des  Parifiens  qu'il  le  fai- 
foit  paroître  en  cette  occafîon  3  on  Içaît  que  par  le  pont  de 
Chamois  où  il  commandoit,il  fit  fouvent  palîer des  vivres 
à  l'infcû  du  Roi  dans  la  Capitale,  &  contre  les  intentions  de 
ee  Prince  qui  efpéroit  forcer  cette  ville  rebelle  à  le  rendre 
èc  à  fè  foumettre  à  la  raifon,  en  l'affamant  feulement  &lans 
être  obligé  de  la  perdre. 

Cette  entrevue  ne  fut  pas  la  feule  tentative  que  firent 
les  Ligueurs  pour  fonder  les  intentions  du  Roi.  Dans  le 
même  tems  Vilieroi  fur  un  ordre  fecret  du  duc  de  Mayenne, 
fous  prétexte  d'aller  voir  fon  père  qui  étoit  à  Allincour 
proche  de  Mante  ,  demanda  un  pafTeport ,  ôc  vint  à  la  Cour, 
où  avec  l'agrément  de  S.  M.  il  rendit  vifîte  à  du  Plcffis- 
Mornay,  en  qui  ce  Prince  avoit  alors  beaucoup  de  con- 
fiance. Là  après  avoir  déploré  les  maux  aufquels  la  France 
ctoit  expofee  ,  &  aufquels  il  étoit  fî  fenfible  ,  difoit-il,  qu'il 
avoit  réiolu  de  demander  permiffion  à  S.  M.  de  fortir  du 
Royaume  ,  afin  de  n'être  plus  témoin  de  tant  de  malheurs, 
il  fit  adroitement  tomber  la  converfation  fur  le  befoin  qu'au- 
roit  l'Etat  d'une  bonne  paix  ,  failànt  entendre  que  le  duc 
de  Mayenne  n'en  étoit  pas  fort  éloigné.  Cet  entretien  fut 
poufïe  fort  loin ,  jufque-là  qu'on  parla  des  moyens  différens 
de  négocier  un  accommodement  ,  foit. que  le  Roi  fe  con- 
vertît ,  foit  qu'il  continuât  à  faire  profeffion  de  la  Religion 
Proteftanre.  Mais  comme  Villeroy  difoit  n'avoir  aucun  pou- 
voir du  duc  de  Mayenne  pour  entrer  en  négociation ,  il  fe 
jecira  fans  rien  conclure.   Du  re£te  en  prenant  congé   de 

S  iij 


î4i  HISTOIRE 

Duplcffis ,  il  lui  promit  de  rendre  compte  au  duc  de  Mayenne 
Henri  de  leur  entretien ,  ^  de  lui  donner  aviî>  eniuite  de  ce  c^aii 
I  V.       auroit  négocie  avec  lui. 

I  590.  Le  vingt-huit  de  Mars  le  Roi  partit  de  Mante  ,&  arri- 

Suite  des    va  le  lendemain  à  Chevreufe  ,  château  appartenant  à  la  jiiai- 

progics  du     f^^  ^Q  Guile  où  il  mit  garnifon   De-là  prenant  la  route  par 

j)am   a  v  .  ^Qj-jj-^^^j^çj-y  ^  [\  ^\i^  mettre  Ic  ficge  devant  Corbeil  qui  ih 

rendit  le  premier  d'Avril.  Le  lendemain  Lagny  ,  pofte  avan- 

tageuîf  à  caule  de  Ton  pont  fur  la  Marne ,  luivit  le  même 

exemple.  Le  deflein  du  Roi  ëtoit  de  ie  rendre  maître  de  tous 

les  ponts  qui  font  lùr  la  Seine  &c  fur  la  Marne  ,  au-delFus 

ôc  au-delïous  de  Paris  ,  afin  de  forcer  cette  Capitale  à  fe 

rendre,  fans  être  obligé  de  Taffiéger  dans  les  formes. 

Tandis  que  ce  Prince  étoit  à  Corbeil ,  il  re<^ut  avis  de  la 
vîdoire  que  Roger  de  Cominges  de  Sobole  ,  éc  Antoine  de 
Moret  des  Reaux  qui  s'étoît  joint  à  lui  dans  ie  pays  Melfein, 
avoient  remportée  lur  les  Efpagnols ,  à  qui  ils  avoient  taillé 
en  pièces  le  régiment  de  Nerveze.  Il  y  apprit  aulTi  par  les 
lettres  du  duc  de  Luxembourg  que  le  Pape  commençoit  à 
fe  dégoûter  fort  de  la  Ligue  ^  6c  que  depuis  que  ce  Seigneur 
Pavoic  mis  au  fait  de  la  fituation  où  etoient  les  afraires  da 
Royaume,  il  étoit  réfolu  de  ne  point  envoyer  aux  rebelles 
les  fecours  qu'il  leur  avoit  promis  3  qu'il  étoit  même  forç 
mécontent  du  Légat  ,  parce  qu'il  s'étoit  déclaré  pour  les 
Ligueurs  de  Paris,  au  lieu  de  s'unir  avec  les  Cardinaux  de 
Vendôme  6c  de  Lenoncourt  qui  luivoient  le  parti  du  Roi, 
comme  le  portoient  fes  inftrudions. 

Le  Roi  reçut  encore  quelque  tems  après  la  nouvelle  delà 
défaite  de  Gui  de  Saint-Gelais  de  Lanfac  dans  le  Maine.  Lan- 
fac  luivi  de  quatre  régimens  d'infanterie  ,  f^avoir  le  fien , 
&  ceux  de  du  Bellay  delà  Feuillee^de  MontefTon,  &;  des 
Chefnays  d'auprès  de  Sablé  ,  étoit  ailé  le  cinq  d'Avril  fur- 
prendre  la  ville  de  Mayenne  3  après  quoi  il  avoit  mis  le  liège 
devant  le  château.  A  cette  nouvelle  Arnauld  de  Beauviiie 
de  l'Eftelle  gouverneur  de  Domfromt  étoit  accouru  avec 
fon  régiment  au  fecours  des  afliégés ,  après  avoir  donné 
avis  de  ce  qui  fe  palToit  à  René  de  S.  Denys  de  Herrré 
Commandant  pour  le  Roi  dans  le  Perche.  Celui-ci  fuivi  de 
Rozeiiere  àc  de  quelques  croupes  d'élite  ,  fe  rendit  deu3^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIir.      145 

jiûurs  après  à  Lafïay,  &  de-ià  à-  A-m bières  ,  qui  n'efl  qu'à 
deux  lieiies  de  Mayenne.  Y   ayant  appris  que  de  Vicques  Hen  ri 
s'avancoic  du  côté  de  la  baOè  Normandie  pour  venir  au  le-       I  V. 
cours  des  Ligueurs,  il  doubla  le  pas  ,  &  détacha  cepen-     i  590. 
dant  Gilbert  de  Lorè  à  la  tête  de  trois  cens  arquebu fiers, 
pour  aller  ie  faifir  des  fauxbourgs  qui  font  au-delà  de  la  ri- 
vière.- En  même  tems  (  i  )  de  Cofïc ville  arriva  avec  pareil 
nombre  d'arquebufierso 

Le  lendemain  onzième  jour  d'Avril  de  l'avis  du  con- 
feil  de  guerre,le  capitaine  Gapaiilere  fut  commande  avec  cin- 
quante loldats  du  régiment  de  Lorè  ,  pour  aller  fe  laifir 
de  quelques  maifons  défendues  par  le  château.  Il  fut  fuivî 
de  Hertré  de  Lorè  ,  de  Jean  de  Madaillan  de  Montataire' 
lieutenant  de  la  compagnie  de  cavalerie  du  prince  de  Con- 
dé  ,  de  Colîè ,  de  Mimbrè,  de  Sanfay  ,  dei  Rofiers  ,  &:  de 
plulîeurs  autres  Gentilshommes  qui  ailaiiiirent  vigoureufè- 
nient  les  retranchemens  ennemis  ,  5c  firent  alte  devant  les 
halles.  Bizeuil  ,  dit  le  capitaine  la  Croix  ,  de  la  garnifon 
d'Alençon  fe  diftingua  beaucoup  à  cette  attaque.  Il  ètoic 
fuivi  de  l'Eftelle  &  de  ColTeville  avec  le  gros  des  troupes. 
Cependant  les  affiègeans  fe  voyant  fi  mal  menés  ,  rallièrent 
environ  cinq  cens  arquebiiiiers  &  foixante  chevaux,  &  firent 
ferme  d'abord  devant  les  halles  j  mais  après  quelque  lé- 
gère rèfiftance  ils  commencèrent  à  reculer  ,  èc  furent 
enfin  poulTès  hors  de  la  ville.  Alors  de  Hertré  qui  combat- 
toit  à  pied,  montant  à  cheval  ,  fécondé  de  Montataire  , 
de  Torchant,  des  Rofiers  &  de  Saint  Roch  ,  chargea  Iqs 
ennemis  dans  leur  retraite.  En  même  tems  de  Lorré  iuivi 
de  fes  arquebufiers  les  prit  en  flanc  ,  &  ayant  rencontré 
Lanfac  dans  un  défilé  ,  le  battit,  &  l'obligea  de  prendre  la 
fuite.  De  Montefi^ôn  qui  portoit  la  Cornette  blanche  fut 
tué  en  cette  occafion  par  des  Rc fiers.  Sur  ces  entrefaites 
arriva  Brandelis  de  Champagne  marquis  de  Vilaines  à  la 
tête  de  cinquante  Gentilshommes  ,  qui  fe  joignant  à 
des  Rofiers  &  de  Montataire  ,  alla  au  fccours  de  Her- 
tré ,  de  l'Eftelle  &  de  Cofieville ,  que  l'ardeor  du  com- 
bat avoit  emportes  trop  loin  à  la  pourfuite  des  fuyards. 
Trois  cens  hommes  qui  rcfloient  de  cette  déroute  furent 
(i)  La  relation  le  nomme  de  CofTeffe ville.  ^ 


144  HISTOIRE 

=?^!î=î  chargés  par  ce  nouveau  renforc  dans  un  pofle  peu  avan* 

Henri  tageux  ,  ôc  obligés  d'abandonner  leurs  armes  pour  pren- 

I  V.       dre  la  fuite.  Les  Royaliftes  perdirenc  fort  peu  de  monde  à 

1500.     cette  adion.  Les  ennemis  au  contraire  y  curent  trois  cens 

hommes  de  tués ,  du  nombre  defquels  ^  outre  MonteiFon  ^ 

fut  des  Chefnays  qui  faifbit  les  fondions  de  maréchal  de 

.Camp. 

'  Saint  Maio      Tant  de  fuccès  furent  troublés  par  un  revers  qui  afFoi- 

furprisparie  [^jj^  bcaucoup  le  parti  du  Roi  en  Breta2:ne.  Honorât  de 

duc  de  Mer.    ^t       -]     j       -r     ^      ■     ^         -  -  ■  i.-      C  -J 

cœur.  Bueil   de  roncaine  qui  avoit  ete  autrefois   ravon  du  roi 

Charle  IX.  étoit  devenu  ililpecl  au  duc  de  Mercceur  gou- 
verneur de  la  Province,  à  cauié  de  fa  naillance  diftinguée 
èi  de  (qs  richelles  immenfes.  En  effet  on  voyoit  peu  de  ces 
fortes  de  perfonnes  embraffer  le  parti  de  la  Ligue.  De  Bueil 
étoit  maître  de  Saint  Malo ,  une  des  places  des  plus  confi- 
dérables  de  la  Bretagne ,  liège  d'un  Evêque ,  tameufe  par 
fon  port  &  le  grand  commerce  de  fes  habita ns.  Le  port  étoic 
commandé  par  un  château  ,  juiqu'au  pied  duquel  les  vaifl 
féaux  pouvoienc  venir  mouiller  ,  fans  qu'on  y  trouvât  à  re- 
dire. C'eft-là  que  de  Bueil  avoit  mis  en  dépôt,  comme  dans 
un  afile  ailûré,  fes  effets  les  plus  précieux  ^  6c  ces  richelîes 
furent  l'origine  de  la  conjuration  que  les  Ligueurs  formèrent: 
contre  lui ,  à  la  foUicitation  du  duc  de  Mercgeur.  Ils  iîrenc 
entendre  au  Peuple  que  le  Gouverneur  en  vouloitaux  bien? 
des  bourgeois,  êc  qu'il  ne  cherchoit  qu'une  occalion  de  pil- 
ler la  ville.  Par-là  ils  mirent  dans  leurs  intérêts  la  plus  grande 
partie  àçs  h{îbitans.  Enluire  ayant  remarqué  un  endroic 
foible  ôc  mal  gardé ,  par  pu  il  leroit  ailé  d'entrer  dans  le 
château  en  montant  le  long  de  quelques  mâts ,  ils  gagnèrent 
encore  un  valet  de  chambre  qui  ayoit  été  élevé  tout  jeune 
dans  la  mailon  du  Gouverneur,  &:  qui  leur  promit  de  leur 
faire  fçavoir  par  un  iignal  l'heure  à  laquelle  les  gardes  ie 
retireroient.  Enfin  après  avoir  pris  toutes  ces  meiures ,  la 
nuit  du  I  3,  de  Mars  ils  s'introduifîrent  dans  le  château  avec 
ceux  qui  étoient  du  complot ,  ôc  firent  main-balTe  fur  quel- 
ques foldats  en  petit  nombre  qui  oférenc  fe  mettre  en  dé- 
fenfe.  De  Bueil  qui  s'écant  éveillé  au  bruit ,  s'ètoit  mis  à  une 
fençtre  fur  le  port  pour  voir  de  quoi  il  s'agilToit ,  fut  tué 
d'un  coup  d'arquebufe  par  un  homme  qu'ils  ayoicnt  poftç 

exjprèf 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     145 

exprès  pour  faire  ce  coup.  Après  cela  les  conjurés  maîtres  1 
du  château  fe  payèrent  de  leurs  peines  fur  l'argent  &  les  Henri 
effets  précieux  du  Gouverneur  qu'ils  partagèrent  entre  eux.  I  V. 
Cependant  ils  en  cédèrent  une  partie  aux  Echevins  pour  j  coq. 
être  employés  à  Tufage  de  la  ville ,  afin  d'avoir  quelque  pré- 
texte fur  quoi  fe  juftifier  de  ce  vol ,  au  cas  qu'ils  vinflent 
un  jour  à  être  inquiétés  à  ce  fujet.  Dans  la  fuite  le  duc  de 
Mercœur  approuva  tout  ce  qui  s'étoit  palfé  dans  cette  en- 
treprife,  comme  ayant  été  faite  par  [qs  ordres.  De  leur  co- 
té Iqs  habitans  de  Saint  Malo  fe  déclarèrent  pour  la  Ligucj 
mais  en  même  tems  ils  refufèrent  toujours  conftamment  de 
recevoir  garnifon  j  6c  le  château  refta  à  la  garde  des  bour- 
geois jufqu'à  la  fin  de  la  guerre.  Du  refte  ils  fe  préparèrent 
à  tout  événement  j  &;  fè  doutant  bien  qu'après  leur  révolte 
ils  avoient  tout  à  craindre  des  Anglois  leurs  voifins  ,  ils  ré- 
fol  urent  d'interrompre  pour  quelque  tems  leur  commerce. 
Ainfi  comme  ils  avoient  beaucoup  de  correfpondance  avec 
ceux  de  Marfeille  qui  avoient  auifi  embrafTé  le  parti  delà 
Ligue  ,  èc  dont  la  puiiTance  n'eft  pas  moindre  fur  la  Médi. 
terranée ,  que  celles  de  Malouïns  lur  l'Océan  ,  ils  leur  écri- 
virent pour  leur  faire  part  de  leur  réfolution  3  ôc  les  prièrent 
de  ne  pas  trouver  mauvais  s'ils  interrompoientle  commerce 
pour  quelque  tems ,  jufqu'à  ce  que  la  fortune  eût  décidé  du 
fort  de  la  France. 

Cependant  le  Roi  attentif  à  profiter  de  fes  fuccès  ètoic  PrifedeMc- 
encore  à  Corbeil ,  lorfqu'il  donna  fes  ordres  pour  inveffcir  '"7  P'^""  ^"^j^- 
Melun  fitué  un  peu  plus  haut  fur  la  Seine.  Cette  ville  quoi- 
que petite,  efb  cependant  triple  comme  Paris.  Deux  ponts 
de  pierre  en  font  la  communication.  Au  milieu  eft  le  châ- 
teau d'une  ftrudure  antique.  Le  côté  qui  regarde  la  Brie 
eft  le  plus  étendu.  Ce  fut  par-là  que  le  Roi  fit  fes  attaquesj 
6c  on  éleva  par  fon  ordre. deux  batteries  de  fept  pièces  de 
canon  6c  de  deux  coule vrines  qui  commencèrent  à  fou- 
droyer la  place  en  deux  endroits. 

Fourronne  commandoit  dans  Melun  avec  une  garnifon 
compofée  de  foixante  chevaux  6c  de  trois  régimens  d'infan- 
terie ,  qui  ne  fâifoient  pas  plus  de  quatre  cens  hommes. 
C'étoient  des  troupes  fraîches  qu'on  lui  avoit  envoyées  de 
Paris ,  6c  qui  ne  s'étoient  point  trouvées  à  la  bataille  d'ivry. 
Tome  XI,  T 


14^  HISTOIRE 

Mw»u— uwiM.  Outre  cela  il  y  avoir  dans  la  ville  cinq  cens  bourgeois  tous 
H  £  N  R.  1  bien  armés  ,  qui  travailloient  fans  relâche  à  fe  fortifier  dans 
I  V.       les  rues,  bien  réfolus  de  fe  défendre.  La  porte  que  le  Roi 
I S 90.     attaquoit  étoit  couverte  par  un  petit  ouvrage  avancé  conf- 
truit  à  la  hâte.  Les  affiégeans  le  battirent  de  deux  cens  coups 
de  canon  3  cnfuite  dès  qu'il  y  eut  une  fimple  ouverture  à  la 
tour,  les  troupes  du  Roi  impatientes  d'en  venir  aux  mains, 
èc  accoutumées  à  mëprifcr  un  ennemi  qu'elles   avoient  fi 
fouvent  battu,  Palîaillirent.  Qiioiqu'il  y  eût  plus  de  vingt 
pies  de  hauteur  à  furmonter  ,  cependant  les  ioldats  en  vin- 
rent à  bout  à  la  faveur  de  quelques  cordes  ,  avec  lefquelles 
leurs  camarades  les  tiroient  en  haut  l'un  après  l'autre.  Ce 
fpedacle  glaça  d'effroi  la  garnifon  3  aufii  après  une  réfiftance 
très- légère,  où  les  ennemis  perdirent  environ  cinquante 
hommes  ,  &  qui  ne  répondoit  nullement  à  leurs  forces  ni  à 
tant  de  retranchemens ,  dont  ils  avoient  barricadé  les  rues 
de  leur  place  ,  ilsfe  retirèrent  dans  la  ville  intérieure,  après 
avoir  mis  le  feu  à  un  château  qui  étoit  à  la  tête  du  pont  avec 
une  matière  compofée  de  poix  ,  afin  que  l'èpaiflèur  6c  la 
puanteur  de  Ja  fumée  empêchafTent  les  Royaliftes  de  les 
pourfuivre.  Un  moment  après  ils  parlèrent  de  capituler,  ôc 
eurent  la fotte  vanité  de  demander  deux  jours,  promettant 
de  fe  rendre  au  bout  de  ce  terme  s'ils  n'étoient  fècourus  par 
le  duc  de  Mayenne.  Le  Roi  leur  accorda  ce  délai  j  &;  comme 
le  duc  n'avoit  garde  de  paroître ,  puifqu'il  étoit  â  plus  de 
quatre  journées  de-là ,  Melun  fe  rendit  fuivantla  capitula- 
tion l'onze  d'Avril  après  cinq  jours  de  fiége. 

Ce  jour-là  même  Villeroi  arriva  au  camp  ,  &  il  commen- 
ça à  négocier  tout  de  bon  de  la  part  du  duc  de  Mayenne, 
après  avoir  cependant  proteflé  que  fî  on  ne  s'accommodoit 
pas ,  il  étoit  réfolu  à  fortir  du  Royaume.  Pendant  ce  tems- 
îà  Moret  ,  Crecy  petites  places  des  environs  ,  &  Provins 
capitale  de  la  Brie,  ville  très-riche,  mais  extrêmement  foi- 
ble,  fe  fournirent  au  Roi. 

De-là  ce  Prince  prenant  fa  route  par  Nangîs ,  èc  remon- 
tant toujours  la  Seine ,  détacha  René  de  Viouft  de  Cham- 
livaut  pour  aller  fe  faifîr  de  Montereau ,  ce  qu'il  exécuta. 
Ce  pofbe  étoit  d'autant  plus  avantageux,  que  la  Seine  reçoit 
l'Yonne  en  cet  endroit,  Auffi  le  Roi  y  mit  une  forte  garnifon, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIL     147 

&  en  confia  la  garde  à  de  Chamlivaiic  même.  Enfuice  il  con-  » 

dnua  fa  marche  le  i  8.  d'Avril  3  èc  ayant  appris  en  chemin  H  e  n  k  i 
Ja  reddition  de  Pont.fiir-Seine  de  de  Brie  ,  il  ie  rendit  ce  I  V. 
jour-là  même  à  Brie  ,  d'où  il  envoya  fommer  la  garnifon  1590. 
de  Nogent-iur-Seine  de  rendre  la  place.  Les  habitans  qui 
ne  fe  lenroient  pas  aiïez  forts  pour  faire  réfiftance,  ôc  qui 
fçavoient  d'ailleurs  la  clémence  avec  laquelle  le  Roi  avoic 
traité  tous  leurs  voifins,  prirent  le  parti  d'obéïr.  Ainfî  ils 
firent  fortir  la  sarnifon  de  leur  ville  ôc  fe  fournirent.  En  même 
tems  Mery  ,  petite  place  peu  éloignée,  fut  prife  par  efcalade, 
&  mife  au  pillage  par  le  foldat  qui  ne  refpiroit  que  fang  6c 
que  butin.  Les  Officiers  eux-mêmes  fe  prêtèrent  en  quel- 
que forte  à  ce  défordre,  perfuadés  que  dans  un  tems  où  l'on 
avoit  fi  grand  befoin  de  troupes ,  il  valloit  mieux*  permettre 
quelque  chofe  au  foldat ,  aux  dépens  de  quelques  particu- 
liers, que  de  lui  donner  occafion  de  pafler  au  fervice  de 
l'ennemi  ,  en  voulant  le  retenir  dans  une  difcipHne  trop 
exacte. 

Pendant  les  fêtes  de  Pâques ,  tandis  que  tout  le  monde  Eiurepiifc 
ëtoit  en  dévotion,  le  Roi  envoya  fommer  la  ville  de  Sens  du  Roi  fur  la 
de  le  reconnoître.  Cette  place,  une  des  plus  attachés  qu'il 
y  eût  à  la  Ligue,  avoit  pour  gouverneur  Jacque  de  Harlay 
Chanvallon  3  du  refte  la  garnifon  étoit  très-foible.  Il  avoit 
avec  lui  Fortunat  marquis  deMalavicino  avec  quarante  Gen- 
darmes de  la  compagnie  du  duc  de  Nemours  j  le  capitaine 
Pelofo  de  Crémone,  homme  de  main,  6c  le  capitaine  la 
Mothe  Coutelas  gouverneur  d'Auxerre  qui  étoic  venu  voir 
Chanvallon.  Ceux  de  Sens  ayant  répondu  à  la  fommation 
qui  leur  fut  faite ,  qu'ils  prioient  qu'on  leur  donnât  le  tems 
d'y  penfer ,  6c  qu'ils  rendroient  une  réponfe  certaine  après 
les  fêtes  ,  on  leur  envoya  un  Trompette  pour  fcavoir  leur 
dernière  réfolution  3  mais  ils  ne  lui  firent  point  d'autre  ré- 
ponfe, finon  qu'ils  aimoient  mieux  rifquer  tout,  que  de  pa- 
roître  préférer  leur  intérêt  particulier  au  bien  général  de 
la  Religion. 

Le  Roi  ne  jugea  pas  à  propos  d'entreprendre  pour  lors 
de  forcer  ces  obftinés.  Il  étoit  tout  occupé  du  fiége  de  Paris 
qu'il  vouîoit  ferrer  de  près  3  ôc  il  ne  doutoit  pas  que  cette 
Capitale  ne  fe  vît  bientôt  réduite  à  la  dernière  nécelîîté 

T'J 


14^  HISTOIRE 

.'■  depuis  qu'il  s'ëroit  rendu  maicre  de  toutes  les  villes  qui  font 
H  JE  N  RI  fur  la  Seine  depuis  Troyes,  &;  qu'il  lui  avoit  encore  bouché 
IV.      la  rivière  d'Yonne  en  le  fiifiiîant  de  Montereau.  Il  fedif- 
1590.     poioit  donc  à  fe  mettre  en  marche,  lorfqu'il  fe  vit  arrête 
par  les  nouvelles  propofitions  que  fit  de   Chanvallon.  Ce 
Gouverneur  qui, à  ce  que  l'on  dit,avoit  réfolu  d'amufer  leRoi, 
comme  les  Pariiîens  le  publièrent  dans  la  fuite  ,  avoit  en- 
voyé difFérens  couriers  au  maréchal  d'Aumont  ,    dont  la 
droiture  etoit  connue  des  ennemis  même,  pour  entrer  avec 
lui  en  négociation,  àcii  étoit  venu  à  bout  de  lui  perfuader 
qu'il  ne  ièroit  pas  impolTible  d'engager  ceux  de  Sens  à  fe 
foûmettre.  En  même  tems  pour  faire  donner  encore  plus 
aiiément  le  Roi  dans  le  piège, il  lui  avoit  envoyé  la  Mothe- 
Coutelas,'le  Lieutenant  particulier  de  la  ville,  èc  un  des 
Echevins  qui  s'etoient  rendus  à  Brie  où  étoit  ce  Prince.  Là. 
avoient  été  dreflés  les  articles  de  la  capitulation  ^  àc  même 
les  députés  avoient  prié  S.  M.  pour  s'alliirer  des  habitans^ 
de  fe  rendre   elle-même  à  Sens  ,   afin   de  réunir  tous  les 
cœurs  par  ia  préfence. 

En  coniéquence  le  maréchal  d'Aumont  reçut  ordre  de  s'y 
cranfporter  ^  mais  à  peine  y  fut-il  arrivé,  que  le  peuple  fe 
fouleva  contre  le  Gouverneur  ,  de  concert  avec  le  Gouver- 
neur même  ,  &  l'obligea  d'aller  chercher  un  afîle  dans 
l'Archevêché  Cependant  le  Maréchal  écrivit  au  Roi  la  fî- 
tuation  où  étoient  les  choies  dans  cette  place,  &  lui  con- 
feilla  de  s'avancer  inceflamment  avec  fon  armée ,  parce  que, 
difoit'il,  lorfque  les  mutins  lé  verroient  en  quelque  forte 
afliégés  ,  d'un  côté  par  les  troupes  de  S.  M.  60  de  l'autre 
par  Chanvallon  &  fa  garnifon ,  ils  feroient  nécefîàirement 
obligés  de  fe  tenir  tranquilles  ôc  de  ié  foûmettre.  Le  Roi 
avoit  peine  à  différer  l'exécution  de  les  deilèins  fur  Parisj 
cependant  comme  il  n'imaginoit  pas  qu'on  cherchât  à  le 
tromper  ,  il  ne  voulut  pas  paroître  négliger  une  h  belle 
occafion.  Il  parut  donc  à  la  vue  de  Sens  ^  &:  après  avoir 
battu  la  place,  il  y  fît  donner  un  allàut  ,  où  Charle  de 
Choiiéuil  de  Pralin  fut  bleilé  dangereufement  dans  l'aine, 
aufîi-bicn  que  le  jeune  Avantigny  qui  mourut  peu  de  jours 
après  de  fes  blefîures.  Le  Roi  y  perdit  aufîî  quelques  fol- 
dats.  Au  refte  ce  Prince  ayant  remarqué   que  pendant. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.    149 

l'attaque  on  n'avoit  entendu  aucun  bruit  dans  la  ville  ,  ni    ■  « 
rien  qui  pût  faire  croire  qu'il  y  eût  de  la  méfintelligence  ,  Henri 
comprit  auffitôt  que  c'étoit  un  tour  qu'on   lui  avoit  jolie.        I  V. 
Ainfi  il  leva  le  fiége  ,  &:  dit  en  partant ,  que  comme  il  n'avoit     i  ç  9  o, 
levé  le  fiége  de  Dreux  que  pour  gagner  la  bataille  dlvry , 
de  même  il  ne  décampoit  de  devant  Sens  que  pour  aller  fe 
rendre  maître  de  la  Capitale. 

Cependant  le  cardinal  Gaëtano  voyant  Paris  invcfti  de  Négociation 
toutes  parts  ,  comprit  que  cette  ville  ne  pouvoit  manquer  de  cened^  à 
d'être  bientôt  réduite  à  la  dernière  extrémité.  Pour  don-  laCom-  delà 
ner  donc  aux  Ligueurs  quelques  momens  de  relâche  ,  pen-  ^^"  "  ^^^'^' 
dant  lefquels  ils  pourroient  faire  entrer  des  provifîons  dans 
cette  Capitale  ,  il  écrivit  au  maréchal  de  Biron  qui  étoic 
alors  à  Provins ,  occupé  à  faire  tous  les  préparatifs  nécef- 
faires  pour  l'expédition   que  l'on  médicoit  ,  lui  marquant 
qu'il  avoit  des  chofes  de  la  dernière  conféquence  à  lui  com- 
muniquer, èc  lui  demandant  un  fauf-conduit  pour  Marc- 
Antoine  Mocenigo  évêque  de  Ceneda,  noble  Vénitien  qu'il 
avoit  delTein  de  lui  envoyer.  Auffitot  le  lauf-conduit  fut  ex- 
pédié avec  l'agrément  du  Roi  j  &  le  Maréchal  s'etant  ren- 
du à  Brie ,  où  le  Roi  étoit  déjà  de  recour  ,^  il  y  fît  prépa- 
rer un  logement  très-propre  pour  le  Prélat  tout  proche  du 
lien. 

L'évêque  de  Ceneda  arriva  donc  à  Brie  fur  la  fin  d'Avril, 
6i  il  y  refta  deux  jours, pendant  lefquels  il  eut  quelques  entre- 
tiens avec  le  maréchal  de  Biron. Toute  la  négociation  duPré- 
lat  Italien  tendoit  à  obtenir  une  trêve  de  quelques  mois  , 
afin  de  pouvoir ,  diioit-il ,  envoyer  à  Rome  &  en  Eipagne 
pour  traiter  de  la  paix.  Mais  Biron  ,  après  lui  avoir  dit  qu'il 
ne  falloit  point  parler  de  trêve  ,  lui  repondit ,  comme  il  en 
étoit  convenu  auparavant  avec  le  Roi  :  Que  Ci  on  vouloic 
entrer  en  négociation  pour  une  paix  générale,  le  Roi,  les 
Princes  6c  Seigneurs  de  fon  Royaume  etoient  prêts  d'y  don- 
ner les  mains  j  ôc  que  S.  M.  ne  louhaicoit  rien  tant  que 
de  voir  une  bonne  paix  conclue  de  quelque  manière  que  ce 
fût,  pourvu  que  fes  droits  êc  fa  gloire  n'y  fulTent  point  in- 
térelfés  :  Qu'au  refte  elle  ne  prétendoit  point  dans  cet  ac- 
cord prendre  les  PuilFances  étrangères  pour  arbitres  :  Qu'il 
y  alloic  trop  de  fes  intérêts  6c  de  l'honneur  de  la  France  ^. 

Tiij 


ryo  HISTOIRE 

^■*—— -^""^  èc  que  fi  on  ne  prenoic  inceiîammenc  une  bonne  réfolutîon 
Henri  là-delTus ,  S.  M.  avoic  réiolu  de  pouriuivre  à  toute  outrance 
I V.      la  guerre  qu'elle  avoit  entreprife  pour  le  faiut  du  Royaume 
1590.      contre  les  anciens  ennemis  de  la  Nation. 

Avant  que  de  partir  de  Brie ,  l'évêque  de  Ceneda ,  foie 
que  le  maréchal  de  Biron  l'en  eût  prié  ,  foit  par  pure  cu- 
riolité,  ôc  pour  voir  iî  le  nombre  de  Catholiques  étoit  grand 
dans  cette  Cour,  fut  bien  aife  de  célébrer  laMeife  Pontifi- 
calement36c  le  Roi  ordonna  que  tous  les  Princes  ,  Seigneurs, 
Chevaiiers,&  principaux  Officiers  de  fon  armée  y  aflillairent. 
Ce  Prélat  eut  enfuite  un  entretien  avec  le  duc  deLonfrueville, 
le  comte  de  S.  Paul  fon  frère,  6c  le  grand  Prieur^ôc  fur  ce  qu'il 
apprit  de  ces  Seigneurs,  cet  homme  iage  de  qui  ne  tenoit  pour 
aucun  parti ,  comprit  que  les  affaires  étoient  dans  une  fîtua- 
tion  toute  différente  de  ce  qu'on  en  publioit  dans  Paris. 

L'évêque  de  Ceneda  partit  de  Brie  fans  faluer  le  Roi , 
parce  que  le  Légat  ne  lui  en  avoit  pas  accordé  la  permifl 
iion.  Cependant  comme  il  fouhaitoit  extrêmement  d'avoir 
cet  honneur  ,  l'abbé  d'Elbene  qui  joignoit  à  un  efprit  très- 
cultivé  un  grand  ufage  de  la  Cour  ,  trouva  moyen  de  le 
contenter ,  &  on  convint  que  le  Roi  rencontreroit  ce  Pré- 
lat comme  par  hafard  -,  &c  que  ce  Prince  prendroit  cette 
occafion  pour  lui  parler.  Suivant  ces  conventions ,  l'Evêque 
avoit  pris  congé  de  tous  les  Seigneurs ,  oc  lortoit  de  Brie , 
lorfque  fur  fa  route  il  rencontra  le  Roi  qui  revenoit  de  la 
chafle.  D'aulfi  loin  qu'il  l'appercut  ,  il  mit  pied  à  terre  ,  6c 
fàlua  ce  Prince  ,  qui  l'ayant  fait  remonter,  s'entretint  long- 
tems  à  cheval  avec  lui.  Dans  cet  entretien  le  Roi  regardant 
l'Evêque  non  comme  un  Prélat  député  du  cardinal  Gactano, 
mais  comme  un  des  membres  de  cette  République  ,  dont 
les  Rois  ihs  prédécelFeurs  &  lui  en  particulier  avoient  il  fou- 
vent  éprouvé  l'affedion ,  fe  plaignit  hautement  à  lui  de  la 
conduite  du  Légat,  qui  après  être  entré  ,  difoit-il ,  dans  le 
Royaume  en  ennemi  déclaré ,  avoit  préféré  la  haine  à  fon 
amitié  ^  qui  ne  choifiiTànt  pour  le  lieu  de  fa  réfidence  que 
6es  villes  dévouées  à  la  Ligue  contre  l'intention  du  fouve- 
rain  Pontitc,  avoit  mieux  aimé  jufqu'ici  s'unir  avec  des  re- 
belles ,  que  d'agir  de  concert  avec  les  cardinaux  de  Ven- 
dôme 6c  de  Lenoncourt  5  6c  qui  enfin  oubhant  lerefped  dû 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.      151 

aux  têtes  couronnées,  ôc  les  inftrudions  qu'il  avoit  reçues  ■  1 
de  S.  S.  pour  fuivre  les  intentions  de  fon  frère  qui  fervoit  H  e  n  k 
en  Flandre  fous  les  ordres  du  roi  d'Efpagne,  favorifoiten-       I  V. 
core  ouvertement  le  parti  des  Efpagnois  ôc  des  fadieux.  Il     1590. 
ajouta  qu'on  ne  parloit  de  trêve,  que  pour  donner  le  tems 
aux  fecours  de  Flandre  d'arriver  j  mais  qu'il  fçauroit  bien 
montrer  aux  féditieux  qu'il  n'étoit  pas  indigne  de  fuccéder 
à  tant  de  Rois  qui  l'avoient  précédé  ^  &  qu'il  étoit  rélolu 
de  donner  incellàmment  à  la  France  un  Roi  légitime ,  ou 
d'épargner  le  fang  6c  les  biens  de  tant  de  malheureux ,  en 
failant  lui-même  un  facrifice  de  Tes  propres  jours  aux  mânes 
de  {es  ancêtres.  Du  refte  quant  à  la  perfonne  du  Prélat  , 
ce  Prince  lui  lit  beaucoup  de  carelîès  de  d'amitiés,  &  il  re- 
prit le  chemin  de  Paris  comblé  des  bontés  du  Roi  ,  mais 
îans  avoir  pu  rien  obtenir. 

En  même  tems  arrivèrent  différentes  nouvelles  qui  furent 
auffi  reçues  difteremment.  Au  mois  de  Février  dernier  les 
troupes  du  Roi  avoicnt  pris  Verneuil  dans  le  Perche  5  de 
on  avoit  donné  le  commandement  du  château  à  Théodore 
de  Ligneris  j  mais  pour  ne  pas  être  à  charge  aux  habitans, 
il  n'y  entretenoit  qu'une  garnifon  très-foible.  Ce  fut  ce  qui 
facilita  à  Charle  François  de  Rouxel  de  Medavy  le  fuc- 
cès  de  fon  entreprife.  11  furprit  cette  place  pendant  la  nuitj 
cependant  ce  ne  fut  pas  fans  y  trouver  beaucoup  de  ré- 
fifbance.  En  cette  occalîon  fut  tué  les  armes  à  la  main  Jean 
de  Dreux  de  Morinville.  Il  étoit  de  l'iiluftre  maifon  de 
Dreux  ,  d'où  font  fortis  les  comtes  de  Monfort ,  &  enfuite 
les  ducs  de  Bretagne,  èc  defcendoit  fans  contredit  de  Louis 
le  Gros.  Il  efl:  vrai  qu'on  avoit  prétendu  lui  contefter  fon 
état  3  mais  le  parlement  de  Paris  avoit  conffcaté  Ces  droits 
par  un  arrêt  rendu  en  fa  faveur.  Du  refte  il  étoit  également 
homme  de  bien  èc  homme  de  cœur.  Après  avoir  palTè  {à 
vie  au  milieu  des  combats,  il  n'avoit  cependant  encore  ja- 
mais reçu  la  moindre  blelTure ,  lorfque  la  première  qui  lui 
fut  portée  dans  l'aine  l'enleva  à  l'âge  de  plus  de  cinquante 
ans.  Il  fut  le  dernier  de  cette  illuftre  maifon  ,  &  ne  laifla 
en  mourant  aucuns  enfans. 

Le  parti  du  Roi  fe  dédommagea  de  la  perte  de  Verneuil 
par  la  défaite  de  deux  régîmens  des  troupes  de  la  Ligue. 


ijî  HISTOIRE 

î!î!;!!??!?!5!?fî  L'uii  fut  ccluî  dc  Jean  de  Saulx   vicomte   de  Tavanes,  qiïi 
Henri  fur  le  bruic  de  la  priie  de  Verneuil  ayant  quitté  Rouen  où 
I  V.       il  commandoit  pour  marcher  de  ce  coté-là  ,  fut  taillé  en 
1590.     pièces  parle  duc  de  Monpender  gouverneur  de  Norman- 
die ,  qui  lui  enleva  tous  ii^s  drapeaux.  A  peine  put-il  iàuver 
cent  hommes  de  tout  fon  régiment.  L'autre  appartenoit  a 
Ponfenac.  Il  avoit  été  recrute  en  partie  depuis  la  bataille 
d'Ivry,  6c  étoit  en   marche  pour  aller  joindre  le  duc  de 
Mayenne  à  Soillons ,  lorlqu'il  fut  de  même  prefque  entiè- 
rement  paffé   au  fil  de  i'épée  proche  de   Compiégne  par 
Charle  d'Humiéres. 

Le  Roi  recrut  encore  fur  ces  entrefaites  la  nouvelle  de 
la  vidoire  remportée  dans  le  païs  Meffin  par  des  Reaux. 
hes  troupes  du  duc  de  Lorraine  tenoient  Félin  affiégé  fore 
étroitement,  èc  s'en  étoient  rendus  maîtres,  les  Rovahftes 
n'ayant  pu  arriver  alTez-tôt  pour  le  fecourir.  Du  moins 
réfolurenr-ils  de  ne  fe  point  féparer  fans  être  dédommagés  de 
cette  perte.  Les  Lorrains  fuiyis  de  leur  artillerie  revenoienc 
triomphans  de  leur  expédition ,  lorfque  les  troupes  du  Roi 
les  chargèrent  iî  à  propos,  qu'elles  leur  tuèrent  trois  cens 
hommes  de  pied ,  6c  environ  foixante  chevaux  j  le  refle 
trouva  fon  falut  dans  la  fuite.  Les  ennemie  perdirent  toute 
leur  artillerie  ,  leurs  drapaux  ,  &  environ  cinquante  de  leurs 
gens ,  qui  furent  faits  prifonniers.  Les  principaux  étoient 
les  capitaines  Artigoty  &;  Gaftine.  Cette  adion  fe  paila  le 
18.  d'Avril. 

On  intercepta  en  même  tems  quelques  lettres  venant  de 
Rome, 6c  adreflees  au  cardinal  Gaetano,  qui  firent  beau- 
coup de  plaifir  au  Roi.  On  y  marquoit  que  le  Pape  avoic 
eu  une  grande  conteftation  avec  le  comte  d'Olivarez  am- 
bafl'adeur  d'Efpagne ,  qui  vouloir  que  S.  S.  fit  lortir  de  Ro- 
me le  duc  de  Luxembourg ,  6c  excommuniât  tous  les  Sei- 
gneurs 6c  autres  du  parti  du  Roi ,  le  menaçant  qu'autre- 
ment (i)  S.  M.  C.  fongeroit  à  faire  élire  un  autre  Pape  j 
que  Sixte  avoit  été  fi  piqué  de  la  hardiefiTe  de  ce  Minière, 
que  fur  le  champ  il  avoit   aflemblé  le  Confiftoire ,  où  il 


(  I  )  Ce  dcffein  fut  effeélivement 
propofé  dans  le  Confeil  de  Philippe  II. 
au  fujet  de  la  verfion  Italienne  de  la 


Bible  que  le  Pape  avoit  publie'e.  Leti , 
Vie  de  Sixte  V.  L.  lo. 

avoic 

/ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   XCVIII.     153 

avoit  mis  en  délibération  ,  s'il  ne  devoir  pas  chafTerdeRo-  ■■"■-"■"  '  ' 
me  le  comte  d'Olivarez  lui-même  5  ôc  que  peu  s'en  ecoit  Henri 
fallu  qu'il  ne  l'eût  exécuté.  1  V. 

Cependant  le  Roi  s'etoit  faiiî  de  tous  les  ponts  de  la  icoo. 
rivière  d'Yonne  depuis  Sens  jufqu'à  Montereau  •  ôc  de  tous  ^-^^  ^j^ 
ceux  qui  font  fur  la  Seine  depuis  Troyes.  Après  avoir  en.  Pans.° 
core  krmé  le  palîage  de  la  Marne  par  la  prile  de  Lagny  ,  il 
lé  rendit  à  Chelles  le  9.  de  Mai^  èc  le  lendemain  s'etanc 
avancé  jufqu'à  Paris,  il  fit  attaquer  le  faubourg  faine 
JMartin,  où  il  y  eut  une  adion  trcs-chaude  entre  fes  trou- 
pes &  les  Parifiens.  De  la  Noue  emporté  par  l'ardeur 
àvL  combat  y  courut  rifque  de  la  vie,  ayant  eu  un  cheval 
de  prix ,  dont  le  Roi  lui  avoit  fait  prcicnt ,  tué  fous  lui , 
&  ayant  re(^u  un  coup  d'arquebufe  dans  la  cuilTe,  dont  il 
fut  guéri  peu  de  tems  après.  En  même  tems  le  Roi  le  ren- 
dit maître  du  pont  de  Charenton  &:  de  faint  Maur, 
où  il  mit  garnifon  •  èc  ayant  furpris  par  derrière  celui  qui 
commandoit  à  Charenton ,  il  le  fit  pendre  pour  avoir  ofé 
tenir  contre  une  armée  Royale  dans  une  place  aufîî  foible 
que  celle-là. 

Le  Roi  avoit  confié  la  garde  de  Charenton  &  de  Con- 
flans  5  village  voifin  ,  où  la  JVIarne  fe  jette  dans  la  Seine ,  à 
Anne  d'Anglure  de  Givry,  6c  lui  avoit  donné  tout  ce  qui 
ctoit  nécclîaire.  Il  avoit  une  garnifon  nombreufe  compo- 
fée  de  l'élire  de  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  cavalerie  èc  d'in- 
fanterie dans  l'armée ,  fournie  d'ailleurs  d'artillerie  ,  en- 
forte  que  ce  périr  corps  refïèmbloir  à  une  véritable  armée. 
Son  camp  éroir  forrifîé  comme  celui  du  Roi ,  &  il  avoir 
ourre  cela  fair  jerrer  un  ponr  fur  la  rivière  pour  ailurerla 
communication  de  fcs  quartiers.  On  l'accufa  d'avoir  été 
caufe  de  ce  que  Paris  tint  fi  longtems.  Ce  jeune  Seigneur 
également  fpirituel  6c  galant,  profitant  de  l'avantage  du 
pofte  brillant  qu'il  occupoit ,  pour  faire  plaifir  au  cardinal 
Gactano  ,  aux  ducheffcs  douairières  de  Nemours ,  de  Mon- 
penfier,  &  de  Guife  ,  6c  aux  autres  Dames  6c  Seigneurs 
qui  étoient  dans  la  Capitale,  y  lailToir  entrer  tous  les  jours 
à  l'inii^û  du  Roi  des  vivres  &  des  rafraîchifTemens ,  qui  re^ 
itardoient  d'autant  la  mifére  où  elle  auroit  été  réduite  fans 
^e  fecours.  A  Ion  exemple  les  autres  Seigneurs  de  l'armée 
Terne  X  /.  V 


154  HISTOIRE 

-f!^:^?!?!!????  voulants  fe  montrer   aiilTi  compatiiïanrs  envers  les  aiîîégës ,, 
Henri  firent  échouer    l'entreprife  que   le   Roi  avoit  formée  fur 
I  V.       cette  ville.  Le  maréchal  d'Aumont  fe  chargea  de  la  garde 
IJ90.     du  pont  de  faint  Cloud.  Enfuite  on  commença  par  mettre 
le  feu  à  tous  les  moulins  à  vent  qui  étoicnt  autour  de  Pa- 
ris 3  ôc  de  Poutrincourt  rendit  le  château  de  Beaumont  fur 
Oyfe.  L'iile  Adam ,  &;  fainte    Honorine    au    confluent  de 
rOyfeôc  de  la  Seine  fe  foûmirent  auili  en  même-temsj  Se. 
on  s'afRira  de  tous  ces  poftes  par  de  bonnes  garnifons. 

Sur  ces  entrefaites  le  Roi  qui  s'étoit  rendu  à  Gonelle , 
£t  un  voyage  à  Gilors  dansleVcxin  François,  parce  qu'il 
ne  comptoicpas  trop  fur  la  fidélité  dcFlavancourt  qui  com- 
mandoit  dans  le  château.  Ainfi  iilui  ota  ce  eouvernement^ 
êc  le  confia  à  Chriftophle  marquis  d'Alégrc.  Enfuite  il  donna 
un  détachement  de  cavalerie  au  comte  de  Saint-Paul ,  avec 
ordre  d'arrêter  les  convois  qui  pourroient  venir  par-là  deNor» 
mandie  ,  &:  d'empêcher  que  ceux  de  Beauvais  ne  fifîènt 
pafîér  par  terre  des  vivres  dans  Paris.  De  là  ce  Prince  fe 
rendit  à  Argenteuil ,  où  il  apprit  la  rédudion  de  la  Fertc 
Bernard.  Cette  ville  une  des  plus  riches  du  Maine  appar- 
tenoit  au  due  de  Mayenne  j  êile  comte  de  Briffac  en  avoir 
donné  le  gouvernement  à  Dragues  de  Comnene  3  mais  les 
habitans  en  chalferent  le  gouverneur  ,  fè  rendirent  maî- 
tres de  la  place ,  àc  fe  foûmirent  au  Roi. 
Mortducsr-  Le  jour  même  que  le  Roi  arriva  à  Chelles,  ce  Prince 
bon.  ^  °"'^'  -reçut  la  nouvelle  du  décès  du  cardinal  de  Bourbon,  more' 
de  la  pierre  au  château  de  Fontenay  en  Poitou ,  âgé  de 
plus  de  foixante  &  fix  ans.  Ce  Prélat  fembla  né  pour  de- 
venir le  joiiet  de  la  Maifon  la  plus  augufte ,  èc  du  plus  fio- 
rifTant  Royaume  de  toute  la  Chrétienté.  Après  avoir  été 
longtems  le  miniftre  de  l'ambition  du  duc  de  Guife,  qui 
abula  de  fon  nom  pour  travailler  à  la  ruine  de  la  Maifon 
de  ce  Cardinal ,  &  de  tout  l'Etat  3  après  avoir  fervi  de  fan- 
tôme pour  amuferle  peuple,  dont  l'efprit  de  vertige  s'é- 
toir  emparé,  il  fut  lui-même  l'artifan  de  fon  malheur, en 
allumant  dans  le  fein  de  fa  patrie  une  guerre  inteftine, 
dont  le  feu  penfa  embrafer  toute  la  France  après  la  more 
de  l'un  ôc  de  l'autre.  Le  cardinal  de  Bourbon  fut  dévot 
jufqu'à  la  fuperftition  ,  du  relie  libéral ,  volupteux ,  crédule 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIIÎ.       155 

turqu'à  l'excès  :  il  crue   pouvoir  ajouter   foi  aux  prédic-  ï 
i-^.    j„_    ArL.'i „„>M r./u.   r ^„. /:.„  r,.^.  /     .      i 


tions  des  Aftroiogues  ,  qu'il  confulta  fouvenc  fur  fon  fore  ,  Henri 
ôc  qui  par  l'efpérance  qu'ils  lui  donnèrent,  de  pouvoir  un  IV. 
jour  monter  fur  le  trône  ,  devinrent  la  caufe  de  fà  perte.  1590. 
Dès- lors  il  commença  à  fe  détacher  infenfiblement  des 
Princes  de  fa  Maifon  ,  à  fe  dégoûter  du  préfcnc  auquel  au- 
paravant il  étoit  entièrement  livré,  pour'porter  (qs  regards 
fur  un  avenir  flatteur,  qui  plus  il  lui  paroifToit  éloigné  , 
plus  il  allumoit  dans  lui  le  feu  d'une  ambition  fecrete  ,  qui 
le  lafîànt  enfin  d'une  trop  longue  retenue ,  de  franchiffanc 
les  bornes,  lui  fit  au  préjudice  de  ia  patrie  de  de  fes proches 
fuivre  le  duc  de  Guife  au  travers  de  tous  les  précipices  par 
OTi  il  lui  plut  de  le  conduire.  D'ailleurs  ce  vieillard ,  tout 
vieillard  qu'il  ètoit ,  nemanquoit,  ni  de  manège,  ni  de  dé- 
tours qui  mirent  fouvent  à  bout  le  duc  de  Guile  lui-même. 
Il  a  voit  autrefois  penfé  à  époufer  Mademoifelle  de  Mon- 
penfîer  fœur  de  ce  Duc  j  de  Ci  lorfque  les  Ligueurs  le  recon- 
nurent pour  leur  Roi ,  il  eût  été  en  liberté ,  on  croit  qu'il 
auroit  exécuté  ce  deflèin  dans  la  vue  de  faire  pafîèr  après 
lui  la  Couronne  aux  frères  de  cette  DuchefTe-  ce  qui  ne  lui 
auroit  pas  été  difficile  au  cas  qu'il  fût  mort  fans  lailTer 
d'enfans. 

QLuque  la  mort  du  cardinal  de  Bourbon  ,  à  qui  les  Unis 
avoient  donné  le  titre  de  Charle  X.  de  au  nom  duquel  on 
avoit  battu  monnoie  dans  les  principales  villes  du  Royaume, 
ne  fît  pas  perdre  cœur  aux  rebelles ,  parce  qu'ils  n'avoienc 
jamais  compté  fur  lui ,  de  qu'ils  fe  fervoient  feulement  de 
fon  nom  pour  entretenir  les  troubles  du  Royaume  5  cet 
accident  ne  laifîa  pas  de  les  embarrafîèr.  Dès-lors  on  com- 
mença à  douter  dans  le  parti,  au  nom  de  par  l'autorité  de 
qui  dévoient  fe  rendre  les  Arrêts,  \qs  Edits ^  les  Déclara- 
tions de  Ordonnances  3  &  dès-lors  les  Efpagnols  ,  qui  at- 
tendoient  depuis  longtems  ce  fatal  moment,  autorifés  par 
la  mort  du  Cardinal,  qui  laifToit  le  parti  dans  un  interré- 
gne ,  commencèrent  à  faire  joiier  toutes  fortes  d'intrigues 
pour  mettre  le  Clergé  de  les  Ligueurs  dans  leurs  intérêts. 
Depuis  ce  tems-là  le  plus  grand  embarras  du  duc  de  Mayenne 
fut  de  fe  conduire  fî  habilement ,  que  fans  donner  dans  les 
pièges  que  les  Efpagnols  lui  tendoient  à  chaque  inftant ,  il 

Vij 


WgkLfigggBi 


156  HISTOIRE 

entretînt     cependant    Philippe   dans    les  bonnes   dîfpofT-. 
Henri  tions  où  il  étoic    à  (on  égard  ,  afin  d'en  tirer  les   fecours 
I  V.       dont  il  a  voit  bcfoin  pour  le  foûtenir  contre  le  Roi,  6c  pour 
I  590,     empêcher  en  même  tems  que  la  Couronne  ne  pailat  à  un 
Prince  étranger.  L'unique  moyen  qu'il  imagina  pour  iortir 
de  cet  abîme,  fut  de  hâter  l'afTjmblée  des*  Etats,  où  l'on 
devoit  traiter  de  l'tledion  d'un  Roi  Catholique  ,  &  pren- 
dre des  melures    pour  aflurer    la  Religion  6c  le  repos  de 
l'Etat.  Il  les  avoit  d'abord  convoqués  à  Melun  •  il  les  tranf- 
fera  à    Paris  5    6c  cependant  il  retint    toujours    la  même 
autorité    6c    les  mêmes   titres   qu'il     avoit    avant   que   le 
Cardinal  eût  été  proclamé   Roi  fous  le  nom  de  Charle  X. 
Ce  Duc  étoit  alors  en  Flandre  ,  où  il  avoit  fait  un  voyage 
pour  obtenir  quelque  fecours  du  duc  de  Parme.  Il  fcavoit 
que  Philippe  avoit  inffcamment  recommandé  à  ce  Prince  de 
fecourir  la  ville  de  Paris,  ajoutant  qu'il  devoit  profiter  de 
cette  occafion,  s'il  vouloit  lui  faire  oublier  la  perte  de  cette 
flote  nombreufe  qu'il  avoit  mife  en  mer  il  y  avoit  deux  ans  , 
6c  qui  étoit  deftinee  à  conquérir  l'Angleterre.  Le  Duc  eut 
donc  une  entrevue  à  Condé  avec  le  duc   de  Parme ,  qui 
lui  déclara  qu'il  avoit  réiolu  d'entrer  lui-même  en  France 
à  la  tête  d'une  puiflante  armée.  Cependant  il  lui   donna 
toujours  d'avance  une   partie  des  troupes  qu'il  deftinoit  à 
cette  expédition  5  fçavoir  le  régiment  Efpagnol  qui  s'étoit 
foulevé  depuis  peu  commandé  par  D.Antoine  de  Zuniga  ;. 
un  régiment  Italien  conduit  par  Camille  Capizucchi  ^  6c 
trois  cens  hommes  de   Gendarmerie  Flamande.  A  la  tête 
de    ces  forces   il  rentra  en  Picardie.  En  même  tems  pour 
donner  le  change  au  Roi ,  S^c  le  détourner   d'employer  la 
force  pour  fe  rendre  maître  de  Paris,  ce  qui  lui  eût  été  aife 
alors,  il  fit  courir  le  bruit  que  le  comte  de  Mansfeldt  feule- 
ment entreroit  en  France  -,  &  que  cependant  le  duc  de  Par- 
me refteroit   dans  les  Pais- bas  pour  s'oppofér  aux  entre- 
prifes  du  comte  Maurice  de  Naflau.  Chemin  faifant  le  duc 
de  Mayenne  pafîà  par  Cambray  ,  où  il  vit  Balagny  j  6c  où- 
après  avoir  levé  tous  les  ombrages   qu'il  avoit    conçus  dii 
duc  de  Parme ,  il  obtint  encore  quelques  fecours. 

A  fon  retour  le  Duc  penfa  être  furpris  par  le  Roi.  Ce 
Prince  s'étoit  mis  en    marche  à  la  tête  de  douze  cens 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIir.     157 

Gendarmes,  de  trois  cens  Keîtres,  Se  d'environ  cinq  cens  Ar-  ^ 

quebuficrsà  cheval  •  àc  ayant  fait  dix. huit  lieues  en  un  jour,  Henri 
il  s'étoit  avancé  jufqu'à  Crecy  dans  le  voiiinage  de  Laon.       I  V. 
Mais  quelque  diligence  qu'il  tît  il  ne  put  prévenir  le  Duc  ,      i  coq, 
qui  ayant  eu  avis  de  fon  arrivée  alla  le  rérugier  à  Laon,  ôc 
fe  retrancha  dans  les  fauxbourgs  de  cette  ville.  Le  Koi  l'y 
£t  attaquer  par  le  baron  de  Biron  à  la  tête  de  cent  che- 
vaux j  mais  après  deux  tentatives  inutiles ,  dans  l'une  cIqÙ 
quelles  les  troupes  du  Roi  en  vinrent  aux  mains  avec  Ca- 
rondelet  Franc- Comtois,  ce  Prince  voyant  qu'il  n'étoitpas 
poffible  d'attirer  le  Duc  à  une  bataille  ^  &  ayant  eu  avis  que 
le  capitaine  Saint-Paul  elcorté  de  huit  cens  chevaux  con- 
duifoit  par  Meaux  un  grand  convoi  à  Paris  ,  décampa  auffi- 
tôt  le  8.  de  Juin  ,  6c  reprit  la  route  de  la  Capitale. 

Cependant  les  Pariiiens  n'oublioient  rien  pour  Te  prépa-   ,  Préparatifs 

\ii.  1-,-        1  Ti  ••       ^1  ^1  '^^Ali       'es    Parifiens 

rera  le  bien  détendre.  Us  avoient  alors  a  leur  tête  Cbarle  pourfoûtenir 
de  Savoie  duc  de  Nemours  frère  de  mère  du  duc  de  Je  fiége. 
Mayenne.  C'étoit  un  jeune  Prince  brave,  adif,  vigilant, 
qui  par  de  belles  qualités  avoit  mérité  cette  place  que  l'on 
avoit  ôtée  au  duc  d'Aumale  qui  s'etoit  rendu  fufpcd  aux 
Princes  même  de  fa  Mailbn  par  fon  malheur  ou  la  lâcheté. 
Au  refte  comme  le  duc  de  Nemours ,  quoiqu'encore  lans  ex- 
périence, avoit  naturellement  allez  d'eiprit  pour  prévoir 
qu'il  auroit  moins  à  craindre  du  dehors ,  parce  qu'il  étoîc 
bien  perfuadéquele  Roi  n'en  viendroit  jamais  aux  dernières 
extrémités,  que  du  dedans, où  il  n'étoitpas  aifé  de  manier 
à  fon  gré  l'efprit  d'un  peuple  indocile  qui  alloit  éprouver 
par  lui-même  tous  les  malheurs  de  la  guerre,  il  commença 
par  engager  les  Prédicateurs  à  exhorter  les  habitans  à  la 
patience ,  &  à  les  diipoier  à  tout  endurer  pour  la  defenfe 
île  la  Religion. 

Dès  le  mois  d'Avril  le.Parlement  de  Roiien  avoit  donné    c-is  àe  con- 
un  Arrêt  par  lequel  il  ordonnoit  à  tous  Gentilshommes  ou  ^ciena  pro- 

*  1  I      r        •         1      T-.      •       I      r  •  Po(c  a  a  Sor- 

autres  portants  les  armes  pour  le  lervice  du  Roi ,  de  le  retu'er  bonne  par  le* 
dans  leurs  maifons  dans  le  terme  de  huit  jours,  avec  pro-  Seize, 
mcfl'e  de  ne  plus  lèrvir  dans  cette  guerre ,  ou  d'aller  joindre 
încelîamment  l'armée  que  commandoit  le  duc  de  Mayenne. 
Le  Parlement  de  Paris  avoit  fou  vent   réitéré    des  ordi-es 
feniblabks  d  peine  de  mort  ^  de  confifcationjde  biens  rcntie 

V  iij 


152  H  I  S  T  O  I  R.  E 

!=  les  contrevenans  comme  rebelles.    Mais  comme  cous  ces 


Henri  Arrêts  faifoicnt  peu  d'effet  pour  contenir  le  peuple,  non 
I  V.  feulement  de  la  Capitale ,  mais  de  toutes  les  villes  du  Royau- 
i  çao.  ^^^  ^^'^  ^"'^  ^^  gouvernoient  guéres  que  par  l'exemple  de  Pa-^ 
ris ,  les  Seize  préfentércnt  même  avant  la  mort  du  cardinal 
de  Bourbon  une  requête  à  la  Sorbonne  au  nom  du  Prévôt 
des  Marchands,  des  Echcvins ,  &:  de  plufieurs  des  plus  no- 
tables bourgeois  de  cette  ville  ,  par  laquelle  ils  deman- 
doient ,  fi  avenant  la  mort  de  leur  bon  roi  Charle  X.  ou  au 
cas  que  dans  fa  prifon,  où  il  étoit  détenu  injuftement,  il  fe 
démît  de  Tes  droits  en  faveur  de  Henri  de  Bourbon ,  le 
peuple  François  pouvoit  ou  devoit  en  confcience  reconnoî- 
tre  pour  Roi  ledit  Henri,  ou  tout  autre  Prince  fauteur 
d'hérétiques  ,  quand  même  il  auroit  obtenu  l'abfolution  de 
fon  crime,  ôc  des  cenfures  qu'il  avoit  encourues,  eu  égard 
au  danger  évident  auquel  on  expoferoit  par-là  la  Religion 
Se  le  Royaume  ?  Si  on  devoit  regarder  comme  fuipccl  d'hé- 
réfie ,  ou  comme  fauteur  d'hérétiques  quiconque  s'employoic 
aménager  la  paix  avec  ledit  Henri ,  ou  ne  l'empêchoitpaj 
quoiqu'il  fut  en  état  de  le  faire  ?  Si  cela  étoit  permis  de 
droit  divin,  &;  fi  des  Catholiques  poavoient  fans  péché 
&  fans  rifquer  leur  faluc  tenir  une  telle  conduite  ?  Enfin  fi 
celui  qui  s'oppofoit  de  toutes  fes  forces  aux  defieins  ik.  en- 
treprifes  dudit  Henri,  méritoit  devant  Dieu,  uc  fi  ceux 
qui  lui  réfifteroient  jufqu'à  répandre  leur  fang ,  devoicnc 
être  regardés  comme  de  véritables  martyrs? 

Le  7.  de  Mai  la  Sorbonne  afiTemblée  en  corps  ,  après  avoir 
à  l'ordinaire  imploré  les  lumières  du  Saint  Efprit,  répondic 
à  ces  trois  chefs  •  Que  de  droit  divin  il  étoit  défendu  aux 
Catholiques  de  reconnoître  pour  Roi  un  hérétique,  ou  fau- 
teur d'hérétiques  ,  ennemi  déclaré  de  TEglife,  à  plus  forte 
raifon  un  relaps  féparé  nommément  par  le  Saint  Siège  de 
la  Communion  des  fidèles  :  Que  Ci  quelqu'un  de  ce  ca- 
ractère obtenoit  dans  le  for  extérieur  l'abfolution  de  fon 
crime,  6c  des  cenfures  qu'il  auroit  encourues,  &  que  cepen- 
dant il  y  eût  à  craindre  que  fa  converfion  ne  fût  pas  fin- 
cére ,  ou  un  danger  manifefle  pour  la  Religion ,  il  feroic 
dans  le  même  cas,  &  devroit  être  exclus  de  la  Couronne  ^ 
ôc  que  ceux  qui  cravaiiieroienc  à  le  faire  reconnoître  ^  oiî 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     159 

îjln  lui  donneroienc  aide  ou.  Faveur,  ou  même  qui  ne  Tem- 
pcGheroient  pas  de  monter  fur  le  trône,  quoiqu'ils fufTent  Henri 
en  état  &:  obligés  de  s'y  opoofer,  dévoient    être  regardés        1  y. 
comme  refradaires  aux  faines  décrets,  lufpeds   d'heréiîe, 
&C  ennemis  de  la  Religion  &  de  l'Eglile  ,   &:  que  par  conlé-       ^  ^ 
quent  on  pouvoit,   ou  même  que  l'on  devoit  agir  contre 
eux  comme  tels ,  de  quelque  rang  &  condition  qu'ils  fu fient  : 
Qii'ainli  comme  Henri  de  Bourbon  étoit  notoirement  hé- 
rétique &   fauteur  d'hérétiques  ,   ennemi  déclaré  de  l'E- 
glile ,  relaps ,  &  excommunie   nommément  •    comme  d'ail- 
leurs il  étoit  à  craindre  ,  au  cas  qu'il  obtint  l'abfolution  de 
fon  péché  ,  que  (a  converfion  ne  fût  pas  lîncére,  ôc  ne  ten- 
dît à  la  ruine  de  la  Religion,  les  Fran(^ois  étoient  obligés 
d'empêcher  qu'il  ne  montât  fur  le   trône  des  Rois  Très- 
Chrétiens,  quand  bien  même  il  auroit  obtenu  l'abfolution  , 
ou  que  l'héritier  légitime  viendroit  à  mourir,  ou  à  fe  dé- 
mettre de  fes  droits  en  fa  faveur  :  Qu'il  leur  étoit  défendu 
de  faire  ni  paix  ,  ni   trêve    avec  lui  :   Qiie   ceux    qui    lui 
donnoient  aide  ou  faveur  étoient  refradaires  aux  faints  dé- 
crets, iulpeds  d'héréfie ,  &  ennemis  déclarés  de  l'Eglife  ^ 
&  qu'on  devoit  s'employer  de  toutes  fes  forces  à  les  châtier 
&  à  les  corriger,  comme  convaincus  de  ces  crimes  :  Qu'au 
refte   comme    ceux   qui  favoriioient    &;  foûtenoient  ledit 
Henri  dans  fes  prétentions  à  la  Couronne ,  dévoient  être 
regardés  comme  des  deferteurs  de  la  foi ,  &  vivoient  con- 
tinuellement dans  un  état  de  péché  mortel ,  avec  rifque  de 
leur  falut ,  de  même  ceux  qui   s'oppoloienc  à  fes   dcfleins 
pour  la  défenfe  de  la  Religion  ,   méritoient  beaucoup  de- 
vant Dieu  6<c  devant  les  hommes  j  ôc   que  de  même  que 
les  premiers  feroient  éternellement  punis  pour  avoir  con- 
tribué à  affermir  le  régne  de  l'ennemi  du   genre  humain , 
de  même  auiîi  il  n'y  avôit  point  de  doute ,  que  fî  les  der- 
niers combattoient  ju/qu'à  répandre  leur  iàng  pour  la  foi , 
ils  ne  dûlfent  en  être  éternellement  recompenfés ,  ôc  que 
la  Couronne  du   martyre  ne   leur   fût   préparée   dans    le 
Giel, 

On  fît  de  cette  décifîon  un  décret  qui  fut  imprimé  en 
Latin  &;  en  François,  &  envoyé  au  nom  des  bourgeois  de 
Paris  â  toute  les  villes  de  l'Union ,,  avec  une  pieface  dans 


i6o  HISTOIRE 

'         I  laquelle  ils  difoienc  de  la  Sorbonne  :  Que  c'éroît  à  elle  â 
Henri   décider  entre  la  léprc  &:  la   lèpre  ,  6c  que  fes  réfoludons 
I  V.       avoienc  toujours  été  d'un  Çi  grand  poids  dans  l'Egliie,  que 
J590.     ^^  Saint  Sicge  n'avoit  jamais   manque  de  les  approuver, & 
de  prononcer  en  conformité  :  Qu'ainfi  comme  eux-mêmes 
recevoient  ce  dernier  décret  qu'elle  venoit  de  faire  comme 
un  oracle  forti   de  la  bouche   da  Saint   Elpric ,  àc  étoienc 
réfolus  de  s'y  conformer  juiqu'à  la  mort,  ils  les  exhortoienE 
aufli  tous  en  général  à  les  imiter ,  ëc  à  facrifier  plutôt  leurs 
biens  ôc  leur  vie   mcme ,  que  de  s'écarter  de  cette  régie  ; 
perlliadés  que  par  cette  conduite  ils  s'aiFiireroienc  un  bon* 
heur  durable  dans  l'Eternité. 
Proceflion  de       Après  des  décifions  aulîî  férieufes ,  la  poitérité  aura  peine 
^^S^C'       ^  croire ,  &  je  ne  puis  rapporter  iàns  rire  ce  qu'ils  imagi^ 
nérent  ôc  exécutèrent  pour  animer  encore  ce  peuple  infenlé. 
En  préf^^nce  du  cardinal  Gaëtano  ,  &  de  tant  de  Prélats  qui 
i'avoient  fuivi   d'Iraiie  ,    de  François    Panigarola   évêque 
d'Aft  ,   &.   du  Jefuite  Robert  Bv^llarmin,    qui  (emblérenc 
donner  leur  approbation,  ils  firent  par  les  rues  les  plus  fré^ 
quentées  de  Paris  une  proceffi  )n  d'un  goût  tout  nouveau, 
èc  telle  qu'on  n'en  avoit  jamais  vu  de  lemblable.  A  la  tête 
Guillaume  Rofe  évêque  de  Senlis ,  Scie  Prieur  des  Char^ 
treux ,  cous  deux  tenants  chacun  dune  main  un  Crucifix, 
iSc  de  Tautre  une  halebarde  ,  ouvroîenc  la  marche,  comme 
premiers  ôc  principaux  adeurs  de  cette  comédie ,  ôc  fouft- 
froient  agréablement    qu'on  les    appcllât  les  braves  Ma- 
chabées.  Après  eux  vcnoient  de  fuite  les  Pères  Capucins, 
Eeuillans ,  iMinimes,  Cordeliers,  Jacobins  &:  Carmes,  tous 
ayant  leurs  robes  retroufîées ,  6c  le  capuchon  abatu  ,  le  caf- 
que  en  tête ,  ôc  la  cuiraûè  fur  le  dos.   Les  anciens    mar» 
choient  les  premiers  avec  un  air  menaçant ,  des  yeux  en- 
flammés ,  grinçant  des  dents  ,  6c  contrefaifant ,  autant  qu'il 
étoit  en  eux  ,  par  tous  leurs  gefles  6c  leurs  attitudes  ,  une 
mine  fiére  6c  guerrière.  Après  eux  fuivoient  les  jeunes  Moi- 
nes dans  le  même  équipage,  6c  armés  d'arquebufes  ,  qu'ils 
avoient  l'adrelîe  de  décharger  iouvent  dans  la  tête  de  ceux 
qui  étoient  accourusà  ce  fpeclaçle.  C'efl  ce  qui  arriva  à  (i)  un 

(  1  )     Le  Grain  ,  qui  pouvoir  avoir  1  Légat  maltraités    en    cette  occafion, 
yù  la  chofe ,  j-  arle  ai  deux  voleta  du  Dec.  de  Henri  le  Cr.  L.  i> 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCVIII.     î(^r 

des  domeftiques  du  Légac,  qui  regardanc  pafler  cette  pro-  ^^ 
ceiîîon  fut  tué  par  un  de  ces  nouveaux  arquebuliers.  Il  Henri 
n'étoic  pas  poffibie  qu'un  tel  accident  ne  caufat  une  grande  I  V. 
rumeur-  mais  elle  fut  appaifëe  auffitôt  après  par  un  bruit  j  ^^o, 
qui  fe  répandit  parmi  le  peuple,  que  cet  homme  ayant  été 
tué  dans  une  G.  fainteadion  ,  Ton  ame  s'étoit  envolée  droit  au 
Ciel  parmi  \qs  ConfeiIeursj&:  qu'il  falloit  le  croire ,  parce  que 
Monfeigneur  le  Légat , qui  fça  voit  bien  ce  qui  enétoit,  ralfu-. 
roit  ainlî.  C'étoit  fur-tout  un  plaifir  de  voir  un  jeune  Feuillant 
boiteux  ,  nommé  le  P.Bernard,  ouïe  petit  Feuillant,  qui 
avoit  été  prédicateur  de  Henri  III.  de  que  Iqs  Sermons 
avoient  rendu  fameux  dans  Paris  ,  joiier  d'un  Efpadon , 
tou-jours  en  mouvement,  tantôt  à  la  tête, tantôt  à  la  queue 
de  cette  nouvelle  milice  ,  avec  tant  d'activité  ,  que  fon  boi- 
tement ordinaire  devenoit  à  peine  fenfîble.  Ils  mêloient 
tout  cela  de  chants ,  difant  qu'ils  repréfentoient  ainfi  la 
face  de  l'Eglife  militante.  Ils  répetoient  fur-tout  de  tems  en 
tems  ces  paroles  de  Job, que  la  vie  de  l'homme  eft  un  combat 
perpétuel,  dont  ilsfëroient  ,  difoient-ils  ,  récompenfés  un 
jour  dans  l'Eglife  triomphante,  qui  eft  au  Ciel.  Cette  farce 
n'eut  guéres  l'approbation  que  de  ceux  quienétoient  les  au- 
teurs. La  plupart  la  regardéj;entavecétonnement  j  mais  les 
gens  fages  ne  purent  voir  fans  indignation  qu'on  fê  jouât  ainll 
par  cette  cérémonie  ridicule,  de  la  patience  de  tant  de  mal- 
heureux qu'on  expofoit  fans  nécefii té,  fous  un  faux  prétex- 
te de  Religion  ,  à  tous  les  maux  dont  ce  flége  fut  fuivi  (i). 
Après  avoir  ainfi  prévenu  l'efprit  du  peuple,  le  duc  de 
Nemours  ne  négligea  pas  \qs  fecours  vérftables  de  eiTen- 
tiels.  Il  lit  venir  dans  Paris  Louis  de  l'Hôpital  fîeur  de 
Vitry  qui ,  comme  je  l'ai  rapporté  ,  avoit  quitte  le  parti  du 
Roi  après  la  mort  de  Henri  III.  avec  fa  Compagnie  de  cent 
cinquante  chevaux  ,  à  qui  on  donna  des  appoîntemens 
conlidérables.  D.  Bernardin  de  Mendoza  ambaffadeur  du 
roi  d'Efpagne  s'y  rendit  aulTi  fur  la  lin  de  Mai.  On  rappella 
quinze  censLanfquenetscommandés  par  le  comte  deCollalte, 

(  I  )     Que  l'Auteur  du  Journal  du  tion  &  amufement  de  gens ,  qui  n'ont 
Roi  Henri  III.    s'écrieroit  bien  à  la  que  faire ,  ôc  ouvrage  de  Moines  ! 
^a  de  cette  narration  :  Belle  occupa- 1 


i6i  HISTOIRE 

qu'on  avoic  répandus  auparavant  dans  les  différen- 
Henri  tes  garnifons  des  places  voifînes  de  la  Capitale.  Enluice  le 
I  V.      jour  même  de  rAlcenfion  on  fit  une  proceflion  générale 

3  ego,  <^ss  plus  magnifiques,  où  furent  portées  toutes  les  Reliques 
&  toutes  les  Challes  de  Paris.  Là  on  ne  vit  plus  de  Moines 
armés  d'une  façon  ridicule  5  c'étoient  le  duc  de  Nemours 
lui-mcme,  êcle  chevalier  d'Aumale  colonel  de  l'Infanterie, 
qui  y  afliftérent  avec  tous  les  Seigneurs  &  Officiers  qui 
étoient  dans  la  ville,  6^  qui  arrivés  à  la  Cathédrale  jurè- 
rent fur  les  Saints  Evangiles  de    vivre   &  de  mourir  pour 

*»  la  défenfe  delà  Religion,  &  de  défendre  la    ville  contre 

tous  les  efforts  du  roi  de  Navarre.  Tous  les  Officiers  &  les 
Alagîftrats  firent  après  eux  le  même  lérment.  Après  cela 
pour  les  raflûrer  on  fit  la  le<5ture  des  lettres  que  le  duc  de 
Mayenne  ecrivoit  de  Perone  ,  par  lesquelles  il  leur  pro- 
mcttoit  d'aller  inceflàmment  à  leur  fecours.  Enfuite  par  le 
dénombrement  qui  fut  fait  de  ceux  qui  étoient  dans  Paris, 
&  des  provifions  qu*on  avoit,  il  fe  trouva  deux  cens  mille 
âmes ,  hc  du  bled  pour  les  nourrir  pendant  un  mois.  On  y 
trouva  aulli  quinze  cens  muids  d'avoine  qu'on  mit  en  re- 
ferve  pour  la  necellité.  En  même  tems  on  ordonna  parle 
confeil  d'Antoine  l'Ami  marchand,  un  àas  plus  zélés  pour 
rUnion,  qu'on  choifiroit  dans  chaque  quartier  un  boulan- 
ger à  qui  on  délivreroit  du  bled  à  raiibn  de  quatre  écusle 
icptier,  qui  fait  la  douzième  partie  du  muid ,  à  condition 
qu'il  feroit  obligé  de  donner  du  pain  au  peuple  à  fix  blancs- 
la  livre.  Telles  furent  les  mefures  que  Ton  prit  alors  pour 
ne  point  manquer  de  vivres.  Mais  comme  d'ailleurs  il  n'y 
avoit  point  d'argent ,  on  commença  à  murmurer  &  à  fe 
plaindre  de  ce  que  les  fomm^s  im.menfes  qu'on  avoit  ti- 
rées de  tous  côtés  de  la  vente  àQs  biens  de  ceux  qui  avoienc 
abandonné  la  ville,  &  d'ailleurs,  n'avoient  été  qu'au  profit 
de  quelques  particuliers  qui  en  avoicnt  difpofé  à  leur  fan» 
îaîfie,  ôcs'en  étoient  accommodés.  Ainfî  pour  étouffer  d'a- 
bord ces  commencemens  de  /édition ,  le  cardinal  de  Gondy 
Evêque  de  Paris  ordonna  que  toutes  les  Egliics  &:  Paroilîes 
de  la  ville  donneroient  tous  les  ornemens  d'or  &:  d'argene 
qu'elles  avoient  pour  être  fondus ,  promettant  qu'on  leur 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCVIir;       1^5 

en  payeroit  le  prix  au/îîtôc  après  la  levée  du  fiége.  Outre     '     '  '  '" 
cela  le  Légat  fit  des  aumônes  de  l'argent  qu'il  avoit  enfin  Henri 
tiré  du  Pape ,  quoiqu'avec  peine.  Enfin  l'ambafiadeur  d'Ef-      I  V. 
pagne  promit  de  donner  tous  ÏQs  jours  aux  pauvres  pour  fix     i  590, 
vingt  écus  d'or  de  pain. 

jFi»  dfà  quatre-vingt  dix-huit éme  Livre, 


Xfj 


ï54 


HISTOIRE 


Henri 
IV. 

1590. 

Prife  de 
Weiin  &  de 
Châtcaudun 
par  les  Li- 
gueurs, 


nnnnnnnnn  tiîtnnntnnn 


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STO 


D  E 


J  A  C  Q_U  E    AUGUSTE 

DE    T  H  O  U 


LIFRE    ^ATRE-VINGT     DIX-NEVVIEME,. 

TAndis  que  l'armée  du  Roi  ëtoîc  occupée  à  continuer, 
le  blocus  de  Paris ,  George  Babou  de  la  Bourdaiiîére 
crue  pouvoir  profiter  de  cette  occafion  pour  faire  quelque 
entreprife.  Dans  cette  vue  ii  fortit  d'Orléans  à  la  tête  d'un 
corps  de  troupes  3  &  jfuivi  de  quelques  pièces  de  canon  ,  il 
alla  învefcir  Aleun  ,  château  fitué  fur  la  Loire  appartenant  à 
l'évêque  d'Orléans,  Ce  pofte  n'étoit  défendu  que  par  une 
garnilon  très-foible ,  auffi  ne  fît-il  pas  de  réfillance  ^  après 
quelques  volées  de  canon  ,  Palluau  de  Villeneuve  qui  y  com- 
iiiandoic  rendit  la  place  aux  ennemis.  De  là  les  Ligueurs 
marchèrent  contre  Châteaudun  ,  ville  riche  appartenante 
à  la  maiibn  de  Longueville  j  mais  peu  fortifiée  ,  &:  environ- 
née de  faux  bourgs  qui  valent  mieux  que  la  ville  même.  Auffi- 
dès  que  \qs  ennemis  s'en  furent  rendus  maîtres ,  \qs  habitans 
qui  y  avoîent  toutes  leurs  richelTes  ne  fongérent  plus  à  tenir  ^ 
Se  fe  rendirent. 
La  perce  de  cette  place  n'inquiéta  pas  fore  le  Roi  ,  ç\h 


DE  J.  A.  DE  TrIOU,  Lir.  XCIX.       1^5 

^coî't  aîfëe  a  réparer.  Cependant  comme  fon  armée  campée 
autauT  de  Paris  avoic  lur-touc  bcibin  de  vivres  pour  conti-  Henri 
nuerim  fi  longfiége,  &:  qu'il  les  tiroic  principalement  de  la  I  V. 
Beaufle  ëc  des  environs ,  il  comprit  qu'il  leroicaiié  aux  enne-  ^  ^gx)., 
mis  maîtres  de  Châteaudun  d'arrêter  les  convois  qui  lui  ve- 
noient  de  ce  côté-là.  Ainfi  il  détacha  fur  le  champ  le  maré- 
chal d'Aumont  pour  aller  reprendre  ce  pofte.  Ce  Général 
fut  joint  par  le  prince  de  Conti ,  qui  dans  l'abfencc  du  Roi 
commandoit  dans  la  Touraine ,  dans  le  Maine  ,  &  dans  le 
Poitou.  On  emporta  les  fauxbourgs  d'emblée ,  àc  auiïitôt 
après, la  ville  fë  rendit  à  difcrétion  j  mais  foitque  ce  fut  un 
effet  du  hafard  ,  ou  du  dépit  qu'eurent  les  ennemis  de  ne 
pouvoir  conferver  ce  pofte  ,  le  feu  fur  ces  entrefaites  prit  aux 
îkuxbourgs  &  les  réduiiit  en  cendres.  Les  habitans  y  iirenc 
une  perce  confidérable  ,  èc  qui  fut  eftimée  cent  mille  écus  ; 
aulîî  le  Maréchal  crut-il  devoir  les  venger ,  &:  en  revanche 
il  fit  pendre  une  partie  de  la  garnifon. 

Qiielque  tems  auparavant  \qs  Parifiens ,  fous  prétexte  de  contînùatioa^ 
vouloir  entrer  tout  de  bon  en  accommodement  avec  le  Roi ,  àa  fiége  ds 
firent  demander  un  faufconduit  à  ce  Prince  pour  envoyer  ^^^^^' 
des  Députés  au  duc  de  Mayenne  ^  afin  de  lui  déclarer ,  di- 
lûient-ils  ,  que  s'il  ne  concluoit  inceiîlimment  une  paix  gé- 
nérale ,  ils  étoient  réfolus  de  pourvoir  à  leurs  intérêts  par- 
ticuliers. Ceux  qu'on  avoit  nommés  pour  cette  députation 
étoient  l'archevêque  de  Lyon,  de  Vitry ,  deux  Confeillers 
au  Parlement,  &  Brîgard  Procureur  de  la  ville.  Le  Roi  qui 
ne  fouhaitoit  rien  tant  que  la  paix  s'étoit  d'abord  prêté  à 
leurs^intentions  3  mais  ayant  depuis  intercepté  des  lettres 
par  lefquelles  il  connut  que  leur  but  étoic  tout  différent  de 
ce  qu'ils  vouloient  lui  faire  entendre  3  qu'au  contraire  ces 
Députés  étoient  chargés  d'afliirer  le  duc  de  Mayenne  que 
les  Parifiens  étoient  refolus  de  tenir  jufqu'ii  la  dernière  ex- 
trémité ,  pourvu  qu'il  les  affûrât  de  leur  amener  du  fecours  5 
&  qu'ils  dévoient  traiter  avec  lui  &  avec  les  autres  chefs  des 
troupes  de  la  Ligue  ,  des  moyens  de  faire  lever  le  fiége  3  Sa 
Majeftc  retira  les  faufconduits  qu'elle  leur  avoit  accordés, 
St.  les  convainquit  par  ces  lettres  là  du  peu  de  fincéritédont 
ilsuloient  avec  lui.  Enfuiteil  leur  écrivit  le  r  5.  de  Juin  d'Au- 
l^erviiliers  ou  il  avoit  pris  fon  quartier  à  fon  retour  de  Picardie, , 

X  iij, 


i^^  HISTOIRE 

pour  leur  rendre  compte  des  raifbns  qui  Tavoienc  porté  à  rc^ 
Henri  ^^^^^  ^^  parole  qu'il  avoir  donnée  à  leurs  Députés.  Puis  il  les 
I  y.  exhortoit  à  penfer  de  bonne  heure  à  leurs  véritables  înté- 
_  -  ïètS'y  à  ne  pas  prêter  plus  iongtems  l'oreille  aux  pernicieux 

confeils  de  quelques  particuliers  qui  n'avoient  d'autre  but 
que  de  profiter  de  leur  défefpoir  de  de  leur  témérité  jÔc  à  avoir 
plutôt  recours  à  fa  clémence,  que  de  s'expoier  à  devenir  la 
victime  de  l'ambition  &c  de  l'aveuglement  d'autrui  j  ajou- 
tant qu'il  n'y  avoit  encore  rien  de  gâté  de  part  ni  d'autre  : 
Que  comme  il  étoit  encore  difpofé  à  leur  pardonner ,  ils 
étoient  de  leur  côté  en  état  de  mériter  [qs  bonnes  grâces  en 
fe  foûmcttant  :  Qii'ainfi  il  leur  conieilloit  de  ne  pas  attendre 
la  dernière  extrémité  j  de  peur  que  leur  retour  vers  lui  ne  de- 
vînt alors  inutile  ^  &  que  le  mépris  qu'ils  feroient  de  [qs  grâ- 
ces ne  changeât  la  bonne  volonté  qu'il  avoit  pour  eux  en 
une  jufte  indignation. 

Ces  lettres  ne  furent  point  lues  j  ou  fi  elles  le  furent,  les 
Ligueurs  prirent  ces  avis  en  mauvaife  part  -,  en  forte  qu'ils 
ne  produifirent  aucun  effet  fur  ces  efprits  obftinés  dans  leur 
révolte.  Au  contraire  pour  faire  parade  de  leur  fermeté  ,  ils 
eurent  la  fotte  vanité  de  faire  donner  le  même  jour  par  le 
Parlement  un  Arrêt  qui  défendoit  fous  peine  de  la  vie  à  qui 
que  ce  fût ,  d'être  afièz  hardi  pour  proposer  aucun  accom- 
modement avec  Henri  de  Bourbon  ^  enjoignant  de  plus  à 
toutes  fortes  de  perfonnes  d'obéïr  fans  réplique  aux  ordres 
du  duc  de  Nemours  gouverneur  de  la  ville  de  Paris  ,  6c  Com- 
mandant général  des  troupes  de  cette  Capitale. 

Tout  le  mois  de  Juin  fe  pafTa  en  efcarmouches.  Le  Roi 
fit  dreffer  d'abord  une  batterie  à  Montfaucon  -,  enfuite  elle 
fut  tranfportée  à  Monmartre ,  d'où  elle  commença  à  fou- 
droyer Paris.  Le  i  2.  il  y  eut  une  action  très-vive  de  part  Sc 
d'autre  j  &  trois  jours  après,  de  Vitry  fit  une  fortie  qui  donna 
occafion  à  une  rencontre  très-chaude  entre  lui  &  Givry, 
Tous  deux  étoient  parents  fort  proches  ,  &  d'ailleurs  très- 
grands  amis.  Auffi  commencérent-ils  d'abord  par  s'embraf. 
fer  j  après  quoi  ils  parurent  pendant  quelque  tems  s'entre- 
tenir de  fort  bonne  amitié  ,  lorfque  tout  d'un  coup  on  les 
vitfe  féparer  &  mettre  l'épée  à  la  main.  Le  difiPérend  com- 
mença par  quelques  injures  que  fe  dirent  leurs  foldats ,  Se 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       1^7 

dégénéra  en  un  combat  très. fanglant.  Pliifîeurs  de  ceux  qui 
ctoientà  la  fuite  de  Givry  y  furent  dangereufement  bleflës.  Henri 
On  y  perdit  entr'autres  le  jeune  Sarret  ,   qui  peu  de  tems       1  V. 
après  mourut  des  bleiTures  qu'il  avoit  reçues  dans  cécie  ren-     j  590. 
contre.   Le  capitaine  Saint-Paul  ayant  quitté  l'armée  du  duc 
de  Mayenne  fe  rendit  à  Meaux  3  de  là  côtoyant  toujours  la 
Marne  afin  d'efcorter  le  convoi  qu'il  conduiioit,  il  furprit,  en 
pallànt  la  forêt  de  Livry ,  un  bateau  qu'il  rencontra  fur  la 
rivière  5  èc  malgré  la  vigilance  des  troupes  du  Roi ,  arriva 
enfin  heureufement  à  Paris ,  où  cet  homme  vain  entra  com- 
me en  triomphe  ,  fier  du  fècours  qu'il  amenoit  aux  Parifiens, 
èc  dont ,  à  fon  gré  ,  ils  ne  pouvoient  lui  marquer  aiTez  de  re- 
connoiilance. 

Au  mois  de  Juillet  fuivant  les  afïïégés  firent  une  fortie  où 
fut  pris  Charle  de  Coligny  d'Andelot  frère  de  Chatillon. 
On  ne  peut  exprimer  avec  quelle  joye  il  lut  reçu  des  Pari- 
siens ,  qui  mirent  tout  en  œuvre  pour  le  gagner  par  leurs  ca- 
xefTes.  Chatillon  qui  ètoit  alors  dans  l'armée  du  Roi  Rz  à  fon 
frère  les  reproches  les  plus  amers ,  de  ce  qu'il  abandonnoit 
la  défenfe  de  fon  Prince  pour  embrailer  le  parti  dQs  ennemis 
mortels  de  leur  maifon  ,  èc  de  ces  Parifiens  qu'on  avoit  vus 
traîner  ignominieuièment  par  Iqs  rues  le  corps  de  leur  père , 
après  avoir  foufFert  qu'on  rallaflinât  par  la  plus  infigne  de 
toutes  les  trahiibns.  Les  reproches  furent  inutiles  3  d'An- 
delot fe  laiiTa  aveugler  par  l'efpérance  des  honneurs  qu'il 
crut  trouver  parmi  les  factieux  j  il  iigna  l'Union  ,  àc  fe  mie 
au  fervice  du  duc  de  Nemours. 

Cependant  toutes  les  avenues  de  Paris  &c  les  pafîàges  des      prifcdes' 
rivières  étoient  tellement  bouchés,  qu'il  n'entroit  aucunes  Denis  &  de 
provifions  dans  cette  ville.    Il  ne  refboit  plus  au  Roi  que  de  ^^n^mania. 
iè  rendre  maître  du  château  de  Vincennes ,  polie  très-fort  à 
une  lieuë  de  la  Capitale  3  de  Dammartin  bourg  fort  riche  & 
abondant ,  fortifie  d'un  château  bâti  à  l'antique  ,  fitué  dans 
i'Ifle  de  France  à  fept  lieues  de  Paris  ,  Se  appartenant  à  la 
maifon  de  Monmorency  ;  &:  de  S.  Denis  qui  étoient  encore 
aux  t  igucurs.   Ce  Prince  fit  attaquer  en  même  tems  ces  trois 
places.    Il  chargea  Charle  Robert  de  la  Marck  comte  de 
Maulevrier  de  la  conduite  du  fiège  de  Dammartin.    Pour 
lui, il  alla  en  perfonne  faire  celui  de  S.  Denis  3  ôc  il  ferra  la 


ro8  HISTOIRE 

place  de  fî  près  qu'il  l'eut  bientôt  réduire  aux  dernières  ex- 
Henri  trémitës.  La  diletce  y  étoit  très-grande  j  &  il  y  avoit  peu 
1  V.  d'apparence  que  les  afliégés  puiïenc  être  lecourus  par  les  Pa- 
j  r  op.  nTiens  ^ui  depuis  quelque  rems  ne  vivoient  plus  eux-mêmes 
que  de  pain  d'avoine  j  iorfque  quelques  cavaliers  forcis  de 
Paris  fe  gliiîanc  le  long  des  bleds  qui  étoient  déjà  fort  hauts , 
trompèrent  la  vigilance  des  fentinelles,  êc  entrèrent  dans  la 
ville  avec  quelques  pains  qu'ils  portoient.  Ce  fut  inutile- 
ment qu'on  voulut  les  pouriuivre  3  de  Brigneux  Meftre  de 
camp  d'un  régiment  re^ut  en  cette  occafion  un  coup  de  fau- 
conneau dans  la  cuilTe ,  6z  mourut  enfuite  de  cette  bleilure 
fort  regretté  de  toute  l'armée.  Cependant  les  aiiiègés  voyant 
par  la  petite  quantité  6c  la  qualité  du  pain  qu'on  leur  porta, 
rextrémicé  où  les  Parifiens  étoient  eux^mêmes  réduits  ,  n'at- 
tendirent pas  plus  longtemsà  prendre  leur  parti.  Ainfi  le  5. 
de  Juillet  ils  convinrent  de  fc  rendre,  au  cas  que  dans  trois 
jours  on  ne  fît  pas  entrer  des  vivres  &c  des  troupes  dans  la 
place.  Dans  tout  cet  intervalle  le  Roi  fit  faire  une  garde  fore 
exade  ,  &  paiTa  lui-même  la  nuit  à  cheval.  Enfin  le  quatrié* 
me  jour  la  ville  iè  rendit ,  &  il  s'y  trouva  fept  cens  hommes 
de  garnifon  commandés  par  les  capitaines  Picard  de  Vau- 
dargent ,  du  Bourg  êc  la  Chanterie  ,  qui  fuivant  les  articles 
de  la  capitulation  ,  forcirent  de  la  place  fuivis  d'une  coule- 
vrine  bâtarde  ,  êc  furent  conduits  en  lieu  de  fureté.  Dam- 
martin  fe  rendit  auiTi  quelque  tems  après ,  &  le  Roi  y  ayant 
fait  encrer  des  troupes ,  en  donna  le  commandement  à  un 
Gentilhomnie  du  voilinage  nommé  le  Boutheiller  de  Vi- 
gneul.  A  l'égard  du  château  de  Vincennes ,  les  Royaliftes 
n'en  vinrent  pas  il  aifément  à  bout.  Ils  firent  plufieurs  tenJ 
tatives  pour  le  furprendre  j  mais  celui  qui  y  commandoic,aufÏÏ 
rufé  qu'eux,  rendit  tous  leurs  efforts  inutiles  -,  &  les  Ligueurs 
reftérent  en  pofîelîîon  de  ce  pofle  julqu'à  la  réduction  de 
Paris. 
Retour  du  Ce  fut  dans  ce  même  tems  que  le  Roi  envoya  au  chance- 
chanceiier  (le  ijej-  ^^^g  Chevcrni  Tacque  Aug;ufle  de  Thou  fon  beautrère. 
Cour.  â.vec  des  lettres  tres-gracieuies  par  kiquelles  ce  Pnncc  le 

prioit  de  venir  reprendre  fa  place  à  la  Cour.  Depuis  que  ce 
MinifLre  avoit  été  exilé  par  le  feu  Roi ,  il  étoit  toujours  reflé 
.dans  ion  château  d'Eclimont  au  pais  Chartrain  ,  vivant  fore 

bieû 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.        i6cj 

bien  avec  les  habicans  de  Chartres  Tes  voilins ,  &  ménageant  ^ 


cependant  fous  main  ,  autant  qu'il  étoit  en  lui ,  les  intérêts  H  e  n  k  i 
du  Roi.  Après  la  mort  de  Henri  III.  foit  que  François  de  I  V. 
Montholon  eût  remis  les  Sceaux  ,  ou  qu'on  les  lui  eût  otés^  1590» 
Henri  IV.  les  avoic  donnés  d'abord  au  cardinal  de  Vendô- 
me i  enfuite  comme  ce  Prélat  étoit  refté  à  Tours ,  &  fe  trou- 
voit  trop  éloigné  de  la  Cour  ,  le  Roi  qui  vouloit  avoir  les 
Sceaux  auprès  de  lui  Iqs  lui  avoit  envoyé  redemander  ,  fans 
néanmoins  en  donner  la  commiffion  à  perfonne  en  particu- 
lier j  en  forte  que  depuis  ce  tems-là  ils  étoient  reftés  à  la 
garde  de  Martin  Ruzé  Secrétaire  d'Etat.  Or  il  arrivoit  que 
le  maréchal  de  Biron  qui  commandoit  \qs  armées  dans  l'ab- 
fence  du  Roi ,  &  François  d'O  Surintendant  des  finances , 
qui  ne  s'accordoient  pas  trop  bien  enfemble  ,  avoient  fou- 
vent  de  la  difpuce  dans  le  Confeil ,  lorfqu'il  falloir  fccller  les 
expéditions.  D'ailleurs  comme  ils  n'étoient  au  fait  ni  des 
Ordonnances  ni  du  droit  ancien  ou  François ,  ce  qui  cepen- 
dant eftabfolument  nécefîaire  dans  celui  qui  tient  les  Sceaux, 
cette  ignorance  caufoit  beaucoup  de  dérangement  dans  les 
afrliires  au  préjudice  de  l'autorité  du  Roi.  Ainiî  d'O  propofa 
de  rappeller  le  Chancelier  ,  &  fon  avis  fut  fuivi.  Aullitot  ce 
,  MiniPcre  obéît ,  &;  arriva  à  Aubervilliers  la  veille  de  la  ré- 
dudion  de  S.  Denis.  Il  y  fut  très-bien  reçu  du  Roi  qui  lui  ût 
mille  carelTes.  Le  maréchal  de  Biron  lui  ~  même  ravi  de  voir 
que  l'arrivée  de  Cheverni  alloit  mettre  fin  aux  conteflations 
ennuyeufes  qui  naifToient  tous  lesjours  entre  lui&  le  Surinten- 
dant ,  fit  paroître  beaucoup  de  joye  de  fon  retour. 

Le  Roi  avoit  alors  dans  fon  armée  dix  mille  hommes  de 
pied  ôc  trois  mille  chevaux.  Mais  elle  devint  bientôt  plus 
nombreufe  par  les  fecours  qui  lui  arrivèrent  de  toutes  parts 
à  la  nouvelle  de  la  fameufe  victoire  qu'il  venoit  de  rempor- 
ter fur  fes  ennemis.  Le  premier  qui  le  joignit  fut  le  prince 
de  Conti,  qui  après  avoir  repris  Châteaudun  lui  amena  quel- 
ques troupes  du  Poitou ,  de  l'Anjou  ,  du  Maine  ,  &  de  la 
Touraine.  Il  fut  fuivi  de  Louis  de  Gonzague  duc  de  Nevers, 
qui  après  avoir  longtems  balancé  à  fe  déclarer,  voyant  que 
le  cardinal  Gaëtano  (i)  avoit  embrafTé  ouvertement  le  parti 

(i)  Les  Hifloriens  varient  extrême- 1  G<ïèV^«(j ,  C/«<'74i«  ,  ou  Cafetan.  Vind, 
ment  fur  ce  nom.  On  trouve  Gaétan  ,  \  Thnan^  dit  Gaétano.  Nous  le  fuivoas. 

Tome  X/,  Y 


I70  HISTOIRE 

1—1—1  de  la  Ligue  ,  Se  qu'il  n'y  avoir  plus  d'efpérance  de  réunir' 
Henri  les  efprits ,  avoir  enfin  été  déterminé  par  le  fucccs  de  la  ba» 
I  V.       taille  d'Ivry.  Il  députa  d'abord  au  Roi  Mario  de  Bîrague 
I  îoo      po^ï"  juftifîer  fa  conduite  pafTée  ,  Se  fe  rendit  enfuite  lui-mê- 
me auprès  de  ce  Prince  à  la  tête  d'une  troupe  de  Noblefle 
fort  lefte.  Enfin  Henri  de  la  Tour  vicomte  de  Turenne  qu'on 
attendoit  depuis  fi  longtems  ,-  arriva  de  Guienne  fuivi  de 
mille  chevaux  6c  de  quatre  mille  hommes  de  pied  tous  en 
bon  ordre.  Ce  Seigneur  relevoit  à  peine  d'une  maladie  dan- 
gereule  qu'on  avoic  crue  longtems  mortelle  ,  £c  étoit  encore 
obligé  de  fe  faire  porter  en  litière.    On  reçut  aufli  fur  ces 
entrefaites  la  nouvelle  de  la  défaite  du  duc  d'Aumale  par 
Charle  d'Humiéres  qui  l'avoit  battu  à  platte  couture.   Il 
étoit  beaucoup  inférieur  en  forces  au  Duc ,  mais  lorfqu'il  s'a- 
gifi:bit  de  combattre  des  ennemis  fi  fouvent  vaincus ,  il  n'y 
a  voit  rien  qui  pût  réfifter  à  la  fortune  vidorieufe  des  troupes 
du  Roi ,  &  à  la  valeur  d'Humiéres. 
Entrepiife       ^^  ^^^  encore  dans  le  même  tems  qu'on  eut  avis  d'une  en- 
des  Ligueurs  treprlfe  que  les  Ligueurs  avoient  faite  pour  furprendre  Sen- 
furiaviliede  jj^  ^  gr  quj  j^g  réûffit  pas  mieux.   C'étoit  Dezonville  frère 
de  Vieuxpont  de  Saintine ,  qui  avoit  conduit  toute  cette  in^ 
trigue.  Ayant  été  pris  par  les  troupes  du  Roi  quelque  tems 
auparavant  6c  envoyé  prifonnier  à  Senlis ,  pendant  le  long 
féjour  qu'il  y  fit  il  avoit  propofé  à  quelques  Eccléfiafi:iques , 
gens  la  plupart  oififs  qui  fourmillent  dans  cette  petite  ville, 
de  livrer  cette  place  au  parti  ^  &  il  etoit  convenu  avec  eux 
cIqs  moyens  d'en  venir  à  bout.    Cependant  depuis  que  les 
habitans  avoient  fécoiié  le  joug  de  la  Ligue  ,  ils  étoient  ex- 
trêmement fur  leurs  gardes.  Il  y  avoit  outre  cela  dans  Sen- 
lis plufieurs  perfonnes  des  meilleures  familles  de  Paris ,  qui 
fuyant  la  perjyécution  avoient  abandonné  leurs  maifons  ,  em- 
portant avec  elles  ce  qu'elles  avoient  d'effets  les  plus  pré- 
cieux, pour  venir  chercher  un  afyle  dans  cette  ville  qu'elles 
regardoient  comme  une  retraite  afiurée.    Ceux-là  avoient 
encore  tout  à  craindre  des  Ligueurs  5  aujffi  n'étoient-ils  pan 
moins  ardens  que  les  bour2;eois  mêmes  à  obferver  toutes  les 
démarches  du  Clergé  &:  de  quelques  autres  fainéans  de  la 
lie  du  peuple,  qui  leur  paroilToient  autant  de  perfonnes  fuf- 
pedes.   La  conjuration  fut  découverte  par  un  Brafîèur  qui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.      171 

travailloit  pour  les  Cordeliers.  Un  jour'qii'il  s'encretenoic 
avec  quelques-uns  de  ces  Religieux  qui  buvoient  tandis  qu'il  Henri 
travailloit  auprès  du  feu ,  le  vin  leur  monta  û  bien  à  la  tête,  I  V. 
qu'ils  dirent  en  fà  préfence  que  dans  peu  ils  fçauroient  bien  i  cqo 
reprendre  leur  première  autorité  dans  la  ville ,  fëcoûer  le 
joug  des  hérétiques ,  6c  fe  venger  des  Politiques  qui  la  per- 
vertilFoient  :  Que  iî  le  projet  réuffiiroit ,  on  n'épargneroit 
aucun  des  Pariiiens ,  de  de  ceux  des  bourgeois  qui  avoienc 
engagé  Iqs  autres  à  abandonner  le  parti  de  l'Union  •  &:  qu'on 
ëtoit  bien  réfolu  de  n'en  pas  laifTer  un  en  vie.  Quoique  cet 
artifan  frémît  d'abord  d'iiorreur  en  entendant  parler  d'une 
fî  cruelle  boucherie  ,  il  fe  retint  èc  continua  la  converfa- 
tion  ,  afin  de  fçavoir  quel  jour  devoit  fe  faire  cette  terrible 
exécution.  Enluite  lorsqu'il  en  fut  inffcruit ,  il  alla  découvrir 
tout  le  myfbére  à  Monmorency  de  Thoré ,  l'avertiiîant  de 
doubler  les  gardes  cette  nuit- là,  qui  étoit  celle  du  3.  au  4. 
de  Juillet ,  &  de  veiller  à  la  fureté  de  la  ville ,  fans  cepen- 
dant lui  déclarer  le  nom  des  complices  qu'il  feignit  d'igno- 
rer ,  afin  de  ne  pas  expofer  des  gens  avec  qui  il  vivoit  d'ail- 
leurs en  bonne  amitié. 

Chrétien  de  Savigny  de  Rofne  étoit  à  la  tête  de  cette  en- 
treprife  j  voici  comme  elle  fut  conduite.  D'abord  douze  fol- 
dats  braves  gens  &c  hommes  de  main  entrèrent  dans  la  ville 
déguifés  en  païfans  chargés  de  hottes  ,  comme  s'ils  euiïenc 
porté  des  cerifes ,  des  pois ,  des  fèves ,  ou  des  légumes  au 
marché.  Enfuite  ils  fe  répandirent  dans  différentes  auber- 
ges ,  d'où  ils  fe  réunirent  à  la  maifon  d'un  Chanoine  de  S, 
Rieulle  nommé  Guillot ,  fîtuée  vis- à  vis  du  rempart  où  étoit 
le  rendez-vous ,  ôc  où  quelques  Ecccléiiaftiques  de  quelques 
Moines  avoient  déjà  apporté  à  la  faveur  de  leurs  habits  ,  des 
armes  que  ces  foldats  avoient  laiflees  dans  un  bois  voifin 
hors  de  la  ville.  De  ce  câté-là  le  rempart  étoit  très-bas  ôc 
fort  étroit ,  le  foffé  peu  profond  &  en  pente  ^  en  forte  qu'il 
n'étoit  pas  difficile  d'entrer  par  là  dans  la  place.  Au  jour 
marqué  de  Rofne  s'avança  à  la  tête  de  huit  cens  hommes. 
Enfuite  étant  defcendu  dans  le  fofTé  à  la  faveur  d'une  nuic 
fort  noire ,  il  fit  appliquer  les  échelles  ^  &  ceux  qui  étoienc 
deftinés  à  cette  première  attaque  commencèrent  à  monter. 
Déjà  ils  ctoienc  au  haut  du  mur  ,  lorfqu'arriva  Louis  de 


lyi  HISTOIRE 

-  Monmorency  deBoucteville  commandant  pour  Thoré  ,  qui 


Henri  Tavoic  averti  du  danger  dont  la  ville  étoit  menacée.  Peu 
I  V.  de  tems  après  il  fut  iuivi  de  la  Porte  Ion  Lieutenant.  Bout- 
I  ÎQO.  teville  qui  à  force  de  recevoir  de  femblables  avis,  com- 
men(^oit  à  n'en  plus  tenir  compte,  étoit  venu  feul,  6c  n'a- 
voit  pour  toutes  armes  que  fon^  épée.  Il  s'adrcfla  d'abord 
à  la  fentinelle,  à  qui  il  demanda  fi  elle  n'avoit  point  entendu 
de  bruit  dans  le  foiïc ,  6c  qui  lui  répondit  hardiment  que 
non.  Cette  réponfe  ne  fervit  qu'à  le  rendre  plus  attentif 
èc  plus  circonfped  ;  il  prêta  l'oreille  3  6c  entendant  ceux  des 
ennemis  quiétoient  au  haut  de  l'échelle  parler  bas ,  comme 
s'ils  fe  fuilent  adrclFés  à  leurs  camarades  j  il  leur  répondit 
de  même  à  voix  baffe  ,  comme  s'il  eût  été  du  complot.  Ce- 
pendant cet  accident  auquel  il  ne  s'étoit  point  attendu 
l'embarraiToit  d'autant  plus  ,  qu'il  croyoic  n'avoir  pas  moins 
à  craindre  de  la  fentinelle,  que  des  ennemis  mêmes.  Mais 
comme  il  avoit  naturellement  beaucoup  de  préfence  d'ef- 
prit ,  il  ne  perdit  point  la  tête  en  cette  occafion  ^  au  con- 
traire voyant  un  foldat  accrocher  un  créneau  avec  une  main 
de  fer ,  il  courut  de  ce  côté-là ,  6c  fît  un  H  grand  efForc 
qu'il  abattit  le  créneau,  renveriànt  en  même  tems  dans  le 
fofTé ,  6c  les  échelles ,  6c  ceux  des  ennemis  qui  étoîentdeflus. 
Pendant  ce  tems-là  les  foldacs  qui  étoient  dans  la  maiion 
voifine  ne  firent  aucun  mouvement ,  quelques  inllances  que 
fît  le  chanoine  Guillot  pour  les  engager  à  attaquer  le  rem» 
part,  jufqu'à  leur  reprocher  leur  lâcheté.  Leur  inadion 
fàuva  la  ville  3  6c  bien  des  gens  étoient  perfuadés  que  s'ils 
eullent  crû  leur  hôte ,  i'entreprife  auroit  réliffi. 

Le  bruit  des  échelles  brifées ,  èc  6.qs  foldats  renverfés 
avant  éveillé  la  Q;arde ,  elle  fe  mit  auffitôt  fous  les  armes. 
En  même  tems  les  habitans  fe  levant  au  Ion  du  tocnn  ac^ 
coururent  avec  des  flambeaux  ,  6c  prêts  à  repouiTer  les  en- 
nemis s'il  y  en  avoit.  Boutteville  appuyé  de  ce  renfort, 
qui  auparavant  fe  voyant  fans  armes  appréhendoit  quelque 
crahifon  parcourut  tranquillement  le  rempart.  Il  remarqua 
dans  fa  vifite  que  les  ennemis  avoient  aufli  planté  leurs' 
échelles  du  côté  du  rempart  où  on  avoit  fait  brèche  du 
tems  du  fiége  3  mais  qu'ayant  compris  par  le  fracas  qu'ils- 
entendirent  que  leurs,  camarades    étoient  découverts  j  ils. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XC  IX.        173 

^voient  abandonnés  leur  encreprife  &  pris  la  fuite.  Le  refte  .i«i 

de  la  nuic  fe  pafTa  encre  la  crainte  ôc  la  joye  de  Te  voir  dé-  Henri 
livrés  de  ce  danger ,  ôc  à  faire  la  recherche  de  ceux  qu'on  I  V. 
foupçonnoit  d'être  complices  de  cette  conjuration.  Au  point  1590. 
du  jour  on  trouva  dans  le  folle  un  foldac  ayant  la  jambe 
caiïée  que  Tes  camarades  avoient  abandonné.  De-là  il  fut 
porté  dans  la  ville  j  èc  fur  l'efpérance  qu'on  lui  donna  de 
lui  accorder  la  vie ,  il  découvrit  tout  le  fecret  &  tous  les 
complices  de  cette  confpiration.  Ce  fut  fur  fa  dépofîtion 
qu'on  arrêta  les  douze  foldats  cachés  dans  la  maifon  du  cha- 
noine Guilloc,à  la  tête  defquels  ëcoit  le  capitaine  Gra- 
tian  3  de  ceux-ci  ayant  été  mis  à  la  queftion  découvrirent 
tous  les  autres  complices  qui  étoienc  dans  la  ville.  On  ar- 
rêta auiîitôt  vingt- fept  tant  Moines  qu'autres  Eccîéfiafti- 
ques ,  qui  tous  ayant  été  interrogés ,  de  convaincus  d'avoir 
trempé  dans  ce  complot  furent  pendus  lut  le  champ  avec 
les  douze  foldats  dans  le  même  habit  qu'ils  portoient  lorf. 
qu'ils  avoient  été  arrêtés, fans  égard,  ni  pour  leur  carac- 
tère, ni  pour  leurs  privilèges,  comme  traîtres  pris  en  fla- 
grant délit.  Il  fe  trouva  parmi  eux  quelques  jeunes  gens 
qui  reconnoilTant  en  ce  moment  la  faute  qu'ils  avoient  faite , 
avouèrent  d'eux-mêmes  que  pour  les  engager  dans  cette 
confpiration  de  Rofne  leur  avoit  promis  la  jouilfance  des 
plus  belles  femmes  &  filles  de  la  ville,  fur-tout  de  celles 
qui  appartenoient  aux  exilés  j  &  qu'on  en  avoit  même 
déjà  fait  le  partage ,  afin  que  chacun  fait  à  quoi  s'en  tenir. 

Le  mauvais  fuccès  de  cette  entreprife  étonna  les  Parifiens.    Entrevue  dû 
La  famine  étoit  dans  la  ville  ,  on  n'y  vcyoit  plus  ni  chevaux  ,  ^^^^^  ^  ^^ 

•  A  •      1  •  «1  •  I         î     !  •  '  r  1        marquis  de 

m  anes ,  ni  chiens,  ni  chats,  m  rats  3  les  habitans  relolus  Pifany. 
de  tenir  jufqu'à  la  dernière  extrémité  avoient  coniumé  tou- 
tes leurs  providons  3  il  ne  leur  reftoit  pas  même  dans  cette 
afFreufe  néceffité  le  pouvoir  de  fe  nourrir  des  chofesquela 
nature  a  en  horreur.  Ainfipour  gagner  du  tems  jufqu'à  l'ar- 
rivée du  duc  de  2vlayenne,  qui  leur  promettoit  de  jour  en 
jour  de  venir  à  leur  fecours,  ils  engagèrent  le  cardinal 
Gactano  à  demander  une  entrevue  avec  le  Marquis  de 
Pifany  ,  qui  avoit  été  autrefois  ambafïadeur  du  Roi  à  Rome, 
Gn.  prit  pour  cela  Ces  fûretés  de  part  de  d'autre  3  après 
q^uoi  le  Légat  s'ètanc  tranfportè  avec  l'èvêque  de  Paris  à 

Y  iij. 


174  HISTOIRE- 

—  l'hôtel  de  Gondy  au  faubourg  faîne  Germain ,  le  marquis 
Henr.1  de  Pifany  s'y  rendit  auffi  avec  l'agrément   du    Roi.  Là  ils 
I  V.      eurent  un  entretien  fort  vague  fur  le  danger  que  couroient 
1590.     également  l'Etat  &:  la  Religion  qu'il  n'étoit  paspoiîible  de 
conièrver  iî  l'Etat  venoit  ci  le  perdre.  Mais  comme  le  Car- 
dinal demandoit  qu'on  remît  au  Pape  la  décifîon   de  ce 
difFcrend  ,  de  qu'en   attendant  que  S.  S.  en  eût   ordonné , 
le  Roi  levât  le  fiége  ,  &  que  les  hoftiiités  ceflallent  de  parc 
de  d'autre  j  le  Marquis  prétendant  au  contraire  qu'il  y  au- 
roit  de  l'imprudence  au  Roi  de  mettre  les  armes  bas  avant 
que    les  Parifiens  ih  fulïént  foumis    à   fon  obéïflance  ^  on 
IQ  fépara  ,  lans  avoir  pu  convenir  de  rien.  Les  afîiégés  ten- 
tèrent encore  deux  fois  la  même  voye  5  mais  elle  ne  leur 
réiiiîît  pas  mieux.  Dans  le  même  tems  Villeroi  fous  prétexte 
de  demander  un    fauf-conduit  pour  fortir  du  Royaume, 
fît  auiïî  fonder  les  intentions  du  Roi  par  Meri  de  Barbezié- 
res  de  Chemerauld  qui  étoit  alors  au  camp. 
fauxboiu^s         ^  "-^^^  autre  cote  ce  Prmce  qui  l(^avoit  que  Pans  etoïc 
de  Pans.        réduit  à  la  dernière   mifére ,  réfolut  de  le  ferrer  encore 
de   plus    près  ,  ôc    de   fe  rendre   maître   des  fauxbourgs. 
Dans  cette  vue  il  commanda  le  baron  de  Biron  èc  Guil- 
laume  de  Hauitemer  de  Fervaques  pour  attaquer  ,  l'un 
Je  faubourg  faint  Martin, à  la  tête  des  règimens  de  Jean 
de  la  Garde,  6c  de  Jean  de  Bodean  de  Paraberej  &:  l'au- 
tre celui  de  Saint-Denys,  avec  les  règimens  de  Vigneles ,  dc 
de  la  Motte -Tibergeau.  François  d'Efpinay  de  Saint-Luc 
fuivi   du  rècriment  de  Ma^efieu  eut  ordre    de  fe  faifîr   de 
la  porte  Monmartre  j  èc  le  maréchal  de  Biron  fe  chargea 
d'attaquer  le  faubourg  faint  Honoré  avec  le  régiment  des 
Gardes  Françoîfes ,   de  un  autre  régiment  Suillç.    Le  ma- 
réchal d'Aumont   de  Jean   de    Beaumanoir    de   Lavardiii 
Maréchal  de  Camp ,  furent  détachés  pour  pafler  la  Seine  , 
de  fe  rendre  maîtres  du  faubourg  faint  Germain  ^  de  s'a- 
vancer   enfliite   jufqu'aux  portes  de   Bufly   de  de   Nèfle. 
Enfin  Châtillon  qui  depuis  peu  étoit  arrivé   de    Langue- 
doc à  la  tête  de  quinze  cens    hommes  de  pied ,  de  de 
quatre  cens  chevaux  ,  fut  chargé  d'agir  du  côté  des  faux- 
bourgs   faint    Michel,  faint  Jacque  ,   faint  Marceau  ,  ôC 
faine  Victor. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCIX.        175 

Ce  fut  au  milieu  de  la  nuit  du  (  i  )  i  5.  de  Juillet ,  que  l'ac- 
tion commença  à  la  vue  du  Roi  qui  s'étoit  pofté  à   Mont  H  e  k  R  ^ 
martre  pour  être  témoin  de  ce  fpedacle.  Toutes  les  troupes       j  y^ 
commandées  pour  l'attaque  donnèrent  à  peu  près  en  même 
tems  èc  emportèrent  les  fauxbourgs  prefque  fans  réfiftance.        ^^ 
Les  affiégès  parurent  fur  le  rempart  6c  firent  de  là  un  allez 
grand  feu  de  leur  moufqucterie  3  mais  il  ne  fut  pas  capable 
d'arrêter  l'effort  des  aflaillans.    Le  lendemain  le  maréchal 
de  Biron  fit  pointer  deux  pièces  de  canon  contre  la  porte 
S.  Honoré  ,  dont  il  ruina  toutes  les  défenfes.    Quoique  le 
Roi  fiit  maître  du  faubourg  S.  Germain,  l'Abbaye  tenoit  en- 
core. Le  capitaine  Antonio  de  Modéne  s'y  étoit  jette  avec 
cinquante  foldats ,  6c  il  s'y  défendit  pendant  deux  jours  ,  ne 
vivant  que  d'herbes  &  de  racines  ^  jufqu'à  ce  que  le  Roi  s'y 
étant  préfenté  en  perfonne,  il  lui  remit  ce  pofte.  On  apprit 
enfin  au  camp  du  Roi  des  nouvelles  certaines  de  l'arrivée  du 
duc  de  Mayenne  j  car  on  ne  içavoit  encore  fi  le  prince  de 
Parme  entreroiten  France  en  perfonne  ,  ou  s'il  donneroit  la 
conduite  des  troupes  Efpagnoles  deftinées  à  fecourir  Paris , 
au  comte  Charle  de  Mansfeldt.   Sur  cet  avis  le  Roi  qui  fe 
voyoit  une  armée  nombreufe  èc  floriilante  ,  avoit  d'abord  ré- 
folu  d'en  laiiîèr  une  partie  au  fiége  ,  &  d'aller  lui-même  avec 
le  refre  préfenter  la  bataille  à  l'ennemi  3  &  la  fécurité  étoit  fi 
grande  dans  le  camp  ,  qu'il  fembloit  qu'on  ^ut  déjà  maître 
de  Paris.   Soit  pour  fe  faire  de  £ètQ-j  loit  pour  détourner  le 
Roi  d'attaquer  la  ville  ,  les  flatteurs  n'apportoient  à  ce  Prin- 
ce que  des  nouvelles  favorables  ;  déjà  le  prince  de  Parme 
ctoit  à  Meaux  avec  fon  armée ,  &:  le  Roi  n'avoit  eu  aucun 
avis  certain  de  fa  marche  j  cependant  on  ne  fit  aucune  entre- 
prife  contre  Paris  prêt  à  fe  rendre,  fi  les  afiiègeans  fe  fufiTenc 
mis  feulement  en  devoir  d'y  donner  l'afiîaut. 

En  effet  la  confternation  étoit  extrême  dans  cette  Capî-      Extrémîté 
taie  3  èc  la  difette  avoit  tellement  affoibli ,  non  feulement  les  des  Paiifieus, 
habitans ,  mais  même  les  troupes  étrangères  qui  étoient  ve- 
nues à  leur  fecours ,  que  bien  loin  d'être  en  état  de  repoufiér 
les  efforts  d'une  armée  florilîànte ,  à  peine  pouvoient-ils  por- 
ter leurs  armes.   On  ne  fçavoit  plus  dans  cette  ville  ce  que 

(1)  Pierre  Corneïo  dans  fa  relation  du  fiege  de  Paris ,  dit  que  ce  fut  la  nuit 
du  27. 


17^  HISTOIRE 

c'ecoic  que  îa  vûuide  3   5c  les  pauvres  ne  vivoîent  que  de 
feuilles  ,   de  racines  ,  de  d'herbes  qu'ils  alloîenc  arracher 
d'encre  les  pierres.    On  ne  voyoit  au  coin  des  rues  les  plus 
I  ^90.     fi'équencées  &c  des  places  publiques  ,   que  des  chaudières 
pleines  de  bouillies  faites  de  fon  d'avoine  ,  donc  i'ambailà- 
deur  d'Efpagne  avofc  donné  le  fecrec  ,  &c  d'herbes  cuices  fans 
fel.    C'écoic  là  lanourricure  du  peuple,  ôc  fur-couc  des  en- 
fans  ,  qui  ordinairemenc  fonc  plus  voraces  que  les  perfonnes 
raifonnables.    Ces  mifëres  furent  fuivies  de  plufieurs  mala- 
dies. On  voyoic  ces  malheureux  enfles  6c  hydropiques ,  com- 
ber  de  foiblelTe  au  milieu  des  rues ,  en  force  qu'il  en  mouroic 
tous  les  jours  une  quantité  prodigieulé.   Malgré  ces  calami- 
tés les  Prédicateurs  avoient  encore  le  fronc  de  vouloir  leur 
perfuader  qu'ils  écoient  bienheureux  3  ils  faifoienc  un  éloge 
pompeux  de  leur  confiance  à  défendre  la  caufe  de  la  Reli- 
gion 3  àc  ils  les  alîiiroienc  qu'ils  feroienc  inceiïammenc  fe- 
courus.  Avec  cecte  confiance  ils  renvoyoient  contens  de  ré- 
folus  à  tout  endurer  ,  leurs  crop  crédules  auditeurs  qui  é- 
toient  venus  au  fermon  le  défelpoir   dans  le  cœur.      On 
prétend  que  dans  l'efpace  de  trois  mois  il  mouruc  fans  exa- 
gérer ,  plus  de  douze  mille  perfonnes   dans  cecce  grande 
ville.  Les  rues  recentiiToient  des  gémiflemens  6c  des  cris  pi- 
toyables des  moribonds  3  &c  au  milieu  du  fîlence  de  la  nuic 
on  n'cntendoic  que  les  trilles  regrets  de  ces  miférables  cou- 
chés fur  le  pavé ,  dont  les  murmures  plaintifs  alloient  trou- 
bler jufque  dans  leurs  lits  6c  interrompre  le  repos  de  ceux 
qui  étoient  en  fanté.    On  épargnait  le  pain  jufque  dans  les 
plus  grandes  maifons  j  6c  chez  le  Légat  6c  l'ambaifadeur 
d'Elpagne,  on  n'en  donnoît  que  fix  onces  par  jour  aux  do- 
mefliques  3  il  manqua  même  abfblument  pendant  plufieurs 
jours  dans  les  Couvens.    Les  Allemands  gens  naturellement 
féroces ,  que  des  perfonnes  aifées  entretenoîent  pour  la  fu- 
reté de  leurs  maifons ,  fe  mettoient  au  guet  au  coin  des  rues 
pour  arrêter  au  paiïàge  tous  les  chiens  qu'ils  appercevoient , 
quoique  la  plupart  pleins  de  galle  3  de  après  les  avoir  attirés 
à  eux  à  force  de  careiFes ,  ils  leur  jettoient  au  col  un  lacet 
avec  lequel  ils  les  étrangloienc ,  6c  les  mettant  en  pièces  les 
dévoroient  enfuite  tout  cruds  à  la  vue  de  tout  le  monde.  Les 
peaux  mêmes  de  cB  animaux  étoienc  pour  eux  un  régal. 

jEnfia 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       177 

'  Enfin  on  vit  fe  renouveller  dans  cette  malheureufe  ville ,  ce 
qu'on  raconte  de  plus  tragique  du  iîëge  de  Jérufalem  -la  H  e  n  «.  j 
ciiair  humaine  devenir  la  nourriture  de  ces  aftamés  ^  Se  des  I  V. 
mères  fe  nourrir  des  cadavres  de  leurs  enfans.  Mais  les  Pré-  1590. 
dicateurs  &  ceux  qui  ëtoient  à  la  tête  des  affaires ,  eurent 
foin  de  cacher  cette  circonftance  ,  de  peur  que  l'iiorreur 
d'un  fait  auffi  étrange  ne  rallentît  l'ardeur  avec  laquelle  ce 
peuple  aveuglé  s'obftinoit  à  ne  fe  pas  foumettre.  La  boiflbn 
ordinaire  n'étoit  pas  meilleure  que  la  nourriture.  Les  caba- 
rets où  fe  vendoîent  auparavant  les  excellens  vins ,  s'étoient 
changés  en  manufactures  de  bières  infipides  Se  de  mauvaifes 
tifannes.  Un  jour  même  TambafTadeur  d'Efpagne  ayant  rap- 
porté que  dans  une  place  des  Turcs  affiégéc  par  les  Perfes  , 
la  garnifon  réduite  à  la  dernière  extrémité  avoit  mangé  du 
pain  fait  avec  des  os  de  morts  mis  en  poudre  j  ce  confeil  fut 
d'abord  pris  en  mauvaife  part  ,  comme  venant  d'un  Efpa- 
gnol ,  qu'on  foupçonnoit  de  n'avoir  propofé  cet  expédient , 
que  pour  voir  jufqu'où  pouvoit  aller  la  patience  des  Fran- 
çois ,  qu'il  regardoit  déjà  comme  afTervis  à  fon  maître.  Ce- 
pendant la  néceffité  devint  Ci  grande  (r)  que  cela  fe  prati- 
qua à  la  fin.  Par  une  fuite  nécellaire  tout  étoit  d'une  cherté 
extrême  j  la  livre  de  pain  blanc  fe  vendoit  un  écu  ,  le  beurre 
valoit  jufqu'à  deux  écus  la  livre  ,  le  feptier  de  bled  cent  écusj 
enfin  le  bois  même  étoit  fi  rare  ,  qu'on  fut  obligé  de  pren- 
dre les  planchers  èc  les  couvertures  des  maifons,  pour  brûler. 
Accablés  de  ces  miféres ,  les  Parifiens  écrivirent  au  duc 
de  Mayenne  le  5.  d'Août,  pour  lui  repréfenter  l'état  déplo- 
rable où  ils  étoient  réduits  :  Que  le  danger  dont  leur  ville 
étoit  menacée  regardoit  également  la  Religion  :  Qu'ainfi  ils 
le  prioient  de  faire  en  forte,  qu'après  avoir  été  les  premiers 
à  donner  l'exemple  à  toutes  les  provinces  du  Royaume ,  ôc 
à  les  exciter  à  demeurer  fermes  dans  le  parti ,  leur  ruine  ne 
leu-r  apprît  de  même  à  ne  pas  porter  trop  loin  leur  conffcance 
&  leur  fidélité.  Deux  jours  après  Henriette  de  Savoye  époufe 
du  Duc  lui  écrivit  auiîî  pour  le  prier  d'avoir  au  moins  corn— 
paiFionde  fes  enfans  ^  ajourant  que  pour  elle  ,  cllefe  mettoic 

(i)  M.  du  Puy  dans  fes  notes  fur  la  1  en  avoit  loiic  l'invention  ,  8c  que  cela 
Satyre  Menippee  dit ,  qu'on  le  nomma  dura  peu  ,  parce  que  ceux  qui  en  man- 
ie pain  de  Madame  de  Monpenfier ,  qui  I  gèrent  en  moururent. 

Tome  X  /.  Z 


17?  HISTOIRE 

•^^^^a^^fE^n^r^^^^  peu  en  peine  de  la  vie  j  mais  qu'au  cas  qu'il  ne  fût  pas  déjà 
Henri  en  chemin  avec  le  duc  de  Parme  pour  venir  faire  lever  le 
I V.       iiége  ,  elle  le  conjuroit  de  lui  mander  nettement  èc  fans  fard 
I  590.     quelles  mefures  il  vouloir  qu'elle  prît  pour  la  confervation 
de  fa  perfonne  &  de  celle  de  Tes  enfans ,  que  le  moindre  re- 
tardement ne  pouvoit  manquer  d'expofer  à  devenir  la  vidi- 
rae  d'un  ennemi  cruel  ,  à  la  difcrétion  duquel  ils  feroienc 
obligés  de  fe  remettre. 

Cependant  une  troupe  d'habitans  s'étant  foûlevée  ,  courue 
au  Palais  demandant  avec  des  cris  confus  la  paix  ou  du  pain. 
Mais  le  chevalier  d'Aumale  &:  les  Seize  ayant  diflîpé  cette 
troupe  de  dérefpérés  ,  Renarvl  procureur  au  Châtelet  accufé 
de  s'être  mis  à  leur  tête  ,  fut  arrêté  prilonnier  ôc  enluite  pen- 
du pour  l'exemple. 
Dépuration  Ce  Commencement  de  fédition  fie  appréhender  au  Légat 
des  paiifiens  ^  à  l'ambalîadeur  d'Efpagne  quelque  foulé vement  plus  con- 
au  Roi.  fidérable.  Ain/î  pouramufer  le  peuple  de  quelque  lueur  d'eC 
pé  ran  ce,  &  arrêter  les  entreprifes  que  lesaffiégeans  auroient 
pu  faire  fur  la  ville ,  parlèrent  de  négocier  une  paix  entre  le 
Roi  qu'ils  appelloient  le  Navarrois ,  ôc  le  duc  de  Mayenne. 
Dans  cette  vue  les  principaux  chefs  du  parti  s'étant  aflém- 
blés  fur  un  ordre  du  Parlement  dans  la  lalle  de  S.  Louis  ,  il 
fut  arrêté  que  le  cardinal  de  Gondy  ,  l'archevêque  de  Lyon, 
êc  quelques  autres  du  Clergé  ,  iroient  trouver  le  Roi,  6l  de 
là  fé  rendroient  auprès  du  Duc.  Le  Roi  leur  fit  expédier  un 
faufconduit  ,  àc  s'engagea  ,  au  cas  qu'ils  pufTent  s'accorder 
avec  lui ,  à  leur  permettre  d'aller  trouver  le  duc  de  Mayenne. 
Le  lieu  de  l'entrevûë  fut  Tabbaïe  de  S.  Antoine  à  un  mille 
de  Paris ,  où  le  Roi  fe  rendit  fuivi  du  chancelier  de  Che- 
verny  ,  du  maréchal  de  Biron  ,  ôc  de  tous  les  Princes  &  Sei- 
gneurs de  la  Cour.  Là  le  cardinal  de  Gondy  portant  la  pa- 
role ,  après  avoir  fait  une  peinture  touchante  de  l'état  dé- 
plorable où  la  France  étoit  réduite  ,  èc  avoir  apporté  quel- 
ques exemples  pour  prouver  qu'on  avoit  vu  de  même  plu- 
ii^urs  autres  peuples  s'expofer  aux  extrémités  les  plus  cruel- 
les pour  la  défenfe  delà  Religion,  dit  au  Roi  que  pour  re- 
médier à  tant  de  maux  ,  ils  avoientété  députés  vers  lui  par 
le  Parlement  &:  la  ville  de  Paris ,  avec  ordre  de  fe  rendre  de 
là  auprès  du  duc  de  Mayenne ,  afin  de  prendre  de  concert 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  X  C  î  X.     179 

les  mefures  nécefTaires  pour  mettre  la  Religion  à  couvert,  &  ^'j^ 

ménager  entre  eux  un  accommodement.  H  b  n  m 

Après  ce  difcours  qui  fut  long ,  le  Cardinal  un  peu  trou-  I  V, 
blé  de  fe  voir  environné  d'un  fî  grand  nombre  de  Nobieiîè  1^90. 
qui  preflbit  fort  les  Députés  j  le  Roi  qui  n'en  étoit  pas  moins 
incommodé  ,  leur  dit  agréablement,  &  en  même  tems  fort 
à  propos,  qu'ils  ne  dévoient  pas  trouver  étrange,  s'ilfe  trou- 
voit  quelque  fois  ainfî  preiïé  ^  que  cela  venoit  de  ce  que  les 
Seigneurs  de  fa  fuite  étoient  accoutumés  à  prelîer  ainfî  l'en- 
nemi dans  les  batailles.  Enfuite  il  prit  le  cardinal  de  Gondy 
èc  l'archevêque  de  Lyon  en  particulier,  &  s'entretint  avec 
eux  pendant  quelque  tems  j  après  quoi  il  entra  au  Confeil 
pour  délibérer  fur  la  réponfe  qu'il  devoit  leur  faire  j  &  leur 
envoya  d'abord  Louis  de  Révol  fecretaire  d'Etat  pour  leur 
demander  leurs  pouvoirs. 

Ils  n'étoient  pas  en  forme ,  &  le  Roi  comprit  en  les  voyant 
qn'on  ne  cherchoit  qu'à  l'amufer.  D'ailleurs  on  ne  lui  don- 
noit  pas  dans  cet  ade  les  qualités  qu'il  devoit  avoir.  Cepen- 
dant il  palTa  outre,  &:  ayant  fait  venir  les  Députés,  il  leur 
répondit  d'une  manière  très-vive  :  Qu'il  n'y  avoit  perfonne 
qui  fût  plus  fenfible  que  lui  aux  malheurs  de  fon  Royaume  : 
Quie  chaque  particulier  ne  fentoit  que  le  mal  auquel  il  étoic 
expofé  perfonnellement  3  au  lieu  que  lui  qui  étoit  leur  Roi, 
portoit  tout  le  poids  de  la  mifére  de  fon  peuple  :  Qu'ainfî 
on  ne  devoit  pas  douter  qu'il  ne  fût  plus  porté  qu'aucun  à 
chercher  les  moyens  de  mettre  fin  aux  maux  que  le  poifon 
mortel  de  la  Ligue  avoit  répandus  dans  toute  la  France  : 
Qu'il  en  avoit  coûté  la  vie  au  feu  Roi ,  &  l'honneur  à  toute 
la  nation  Francjoifè  ,  qui  par  cette  guerre  s'étoit  à  jamais 
déshonorée  :  Q}ie  il  c'étoit  une  république  de  Venife  ou 
quelque  autre  Puiilance  alliée  qui  voulût  fè  rendre  arbitre 
entre  lui&le  duc  de  Mayenne  fécondé  des  forces  de  l'Ef^ 
pagne  pour  les  accommoder  •  cette  démarche  pourroit  être 
tolérable  ^  mais  que  les  Parifiens  fes  fujets  voulufTent  fe  mê- 
ler de  ce  foin  ,  c'étoif  ce  qui  ne  pouvoit  fè  foufFrir  :  Qiie 
s'ils  avoient  quelque  chofe  à  lui  demander  ,  c'étoit  à  lui- 
même  qu'ils  dévoient  s'adrefTer  :  Qii'il  étoit  plus  en  état  de 
leur  nuire  que  perfonne  j  mais  qu'il  n'y  avoit  perfonne  aufîi 
qui  eût  les  moyens  ôc  la  volonté  de  leur  faire  plus  de  bien 

Zij  % 


i8o  HISTOIRE 

que  lui:  Qu'il  aimoit  fa  ville  de  Paris rQtie  c'étoît  fa  Ca- 

Henri   pitale  èc  fa  fille  aînée  :  Qu'il  relFembloic  à  cette  mère,  donc 
I  V.       il  cft  parlé  dans  l'Ecriture,  qui  avoic  mieux  aimé  perdre  Ton 
I  COQ.     enfant  que  de  le  voir  mettre  en  pièces  :  Qti'après  avoir  lou- 
levé  Ton  peuple  contre  lui  par  les  vaines  terreurs  dont  on 
l'avoic  rempli  juiqu'alors,  on  cherchoit  encore  à  ramufei* 
par  des  eipérances  mal  fondées  :  Que  s'ils  fouhaitoient  voir 
la  fin  de  tous  ces  malheurs  ,  ce  n'étoit  point  aux  Efpagnols 
ni  au  duc  de  Mayenne  qu'ils  dévoient  s'adrefTer  :  Qu'il  vou- 
loit  qu'ils  n'en  fçufîènt  gré  qu'à  lui  feul  j  &:  que  par  la  grâce 
de  Dieu  ,  ôc  avec  l'aide  de  tant  de  Princes ,  de  Seigneurs  , 
d'Officiers  ,  5c  de  braves  Gentilshommes  qui  étaient  à  fa 
fuite,  il  fc^auroit  bien  empêcher  que  le  roi  d'Efpagne  n'en- 
voyât des  colonies  en  France ,  comme  il  avoit  fait  dans  le 
Brefil  :  Qii'au  refte  ils  devroienc  mourir  de  honte, eux  qui 
ëtoient  nés  François  ,  d'avoir  tellement  oublié  l'amour  que 
naturellement  ils  dévoient  avoir  pour  leur  patrie  &  leur  li- 
berté ,  qu'on  les  vît  baifler  ainfi  la  tête  ious  le  joug  de 
J'Efpagne  ^  &  tandis  que  fous  leurs   yeux  la  faim  enlevoic 
tant  de  milliers  d'ames ,  être  aflèz  lâches  ou  allez  timides 
pour  n'ofer  dire  un  mot  qui  lervît  au  falut  public  ,   dans  la 
crainte  de  déplaire  au  cardinal  Gaëtano  ,  à  d'ibarra  ou  à 
Mendofe  :  Que  Dieu  Iqs  puniroit  un  jour  d'avoir  fait  fi  peu 
de  cas  de  la  vie  de  leurs  ouailles  :  Que  fi  l'on  attendoit  feu- 
lement dix  jours  ,  il    en  moureroit  peut  être  encore   dix 
mille,  &  qu'ils  en  feroient  refponlables  :  Qi-i'il  ne  falloit  point 
prétendre  le  convaincre  par  des  exemples  :  Qiie  celui  des 
habitans  de  Sancerre  que  le  Cardinal  avoit  cité  ne  prou- 
voit  rien  :  Qu'outre  leur  Religion  ,  on  vouloit  encore  leur 
ôter  leurs  biens,  leurs  privilèges,  de  la  vie  :  Que  les  Pari- 
fiens  au  contraire  n'avoient  rien  de  femblable  à  craindre  , 
pourvu  qu'ils  fongcallènt  de  bonne  heure  à  rentrer  en  grâce 
avec  lui ,  &  à  le  ibùmettre  aux  conditions  qu'il  leur  pro- 
pofoit ,  tandis  qu'il  en  étoit  encore  tems  :  Qu'il  ne  falloîc 
pas  écouter  ceux  qui  publioient  que  fi  la  ville  le  rendoit, 
il  la  ruineroit  de  fond  en  comble  :  Qiie  c*étoient  des  igno- 
rans  ou  des  impofbeurs  qui  avoient  la  malice  ou  l'impudence 
d'inventer  de  lemblables  menlonges  pour  détourner  fcs  fu- 
jets  de  le  reconnoître  :  Que  fa  bonne  foi  ôc  fa  clémence 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCIX.         i8i 

ëtoîenc  afTez  connues  :  Que  s'il  forcoic  quelqu'un  de  fa  ville  ;=!===? 
de  Paris,  après  qu'elle  ieroicfoûmire,  ceneferoienc  tout  au  Henri 
plus  que  les  leize  ,  &:  qu'il  la  repeupleroic  de  cent  mille  âmes:  I  V. 
QLie  tout  le  monde  avoic  un  libre  accès  auprès  de  lui  :  Qii'il  1590. 
ne  refufoic  de  faire  grâce  à  perfonne  :  Qiie  le  moindre  re- 
tardement lui  ièmbloit  être  préjudiciable  à  fa  ville  de  Pa- 
ris &  à  toutfon  Royaume  ;  Que  depuis  peu  ilavoit  chargé 
le  comte  de  Brilîac  de  dire  au  duc  de  Mayenne  ,  que  pour 
avoir  une  bataille  il  donneroit  un  doit  de  fa  main  ,  parce 
qu'il  étoit  bien  fur  de  la  gagner ,  &  que  pour  fa  paix  gé- 
nérale il  en  donneroit  volontiers  deux  :  Qu'il  n'ignoroit  pas 
la  néceiîîté  extrême  où  les  Pariliens  étoient  réduits  :  Qu'il 
fçavoit  qu'ils  ne  vivoient  plus  que  de  pain  d'avoine,  ôc  cela 
pour  faire  plaifir  au  roi  d'Efpagne,  qui  avoit  mandé  depuis 
peu  au  duc  de  Parme  qu'il  ne  fe  mît  point  en  peine  des 
Pays-bas,  pourvu  qu'il  lui  confervât  fa  ville  de  Paris  :  Qu'auL 
refte  c'ctoit  s'appuyer  far  une  planche  pourrie  ,  que  de  fe 
fonder  fur  un  fi  foible  de  auiTi  fragile  fecours  que  celui  de 
ce  Prince  :  Qu'il  étoit  vieux  8c  cafTé  :  Qiie  d'ailleurs  fon 
unique  but  étoit  de  démembrer  ce  florillant  Royaume ,  & 
de  donner  autant  de  tyrans  à  la  France ,  qu'il  avoit  établi 
de  vicerois  dans  les  Indes  :  Que  pour  lui  il  avoit  un  avan- 
tage dont  manquoient  peut  être  les  autres  Rois  fes  prédé- 
celfeurs  :  Qu'outre  le  droit  que  fa  naîiTancc  donnoit  à  la  cou- 
ronne ,  il  n'y  avoit  Prince  ni  Seigneur  dans  fon  Royaume 
dont  il  ne  fût  parent  ou  allié  j  en  forte  que  il  le  trône  étoit 
éledif,  il  eft  à  croire  qu'il  feroit  choifi  préférablement  à  tout 
autre  :  Qiie  c'étoit  celui  qui  lui  faifoit  efpérer  de  chaflcr 
bientôt  de  fa  Capitale  ,  ôc  même  de  tout  (on  Royaume  ,, 
les  Croix  rouges  ,  c'eft-à-dire  les  Efpagnols  qui  ,  fi  on  les 
foufFroit  plus  long-tems ,  mettroient  dehors  non-feulement 
le  duc  de  Mayenne,  mais  .encore  tous  ceux  qui  les  avoient 
appelles  à  leur  fecours ,  &:  feroient  de  Paris  le  théâtre  fan- 
glant  du  fpedacle  le  plus  formidable ,  donc  la  poftérité  puille 
jamais  entendre  parler. 

Après  cette  réponfe,les  Députés  préfentérent  leurs  pou- 
voirs j  quoiqu'ils  fufient  remplis  de  déirauts  ,  le  Roi  pour 
montrer  qu'il  ne  s'arrêtoit  pas  à  des  termes ,  leur  dit  qu'il 
étoit  prêt  de  leur  accorder  huit  jours  pour  confulter  le  duc 

Ziij 


1^2  HISTOIRE 

"  ■  de  Mayenne  j  à  condition  qu'on  commenceroic  par  drelîêf 
Henri  des  articles,  èc  qu'ils  lui  donneroient  des  otages ,  afin  de  lui 
I V.  iervir  de  garands  de  ce  dont  ils  feroient  convenus  :  Qu'au 
1590.  casque  dans  ce  terme  le  Duc  ne  l'obligeât  pas  à  lever  le 
fiége,  la  ville  fe  rendroit  à  lui  aux  conditions  qui  auroient 
été  réglées  :  Que  fî  au  contraire  ils  étoient  fecourus  par  le 
Duc,  leurs  otages  leur  feroient  rendus.  Enfin  pour  montrer 
qu'il  ne  fouhaitoit  rien  tant  que  la  paix ,  il  permit  au  car- 
dinal de  Gondy  6c  à  Tarclievêque  de  Lyon  d'aller  trouver  -r 
le  duc  de  Mayenne ,  &  d'en  délibérer  avec  lui  •  il  s'enga- 
gea au  cas  qu'ils  convinlTent  avec  lui  de  quelque  accom- 
modement où  la  ville  de  Paris  fut  comprife,de  n'avoir  au- 
cun égard  à  la  capitulation  qu'ils  auroient  conclue  précé- 
demment avec  lui  ^  &c  il  demanda  que  fî  au  contraire  la  paix 
générale  ne  fe  faifoit  point ,  ou  qu'on  ne  put  le  forcer  à  le- 
ver le  fîége  dans  huit  jours,  ils  s'obligeafîcnt  à  lui  rendre 
la  ville  dans  ce  terme  ,  fuivantles  conventions  qu'ils  auroient 
faites. 

Tel  fut  le  fuccès  de  cette  députatîon  ,  où  tout  fê  pafïa 
avec  beaucoup  de  grandeur  ,  &  en  même  tems  de  modéra- 
tion de  la  part  du  Roi.  Outre  cela  ce  Prince  s'étendit  fort 
au  long  fur  les  malheurs  dont  cette  guerre  étoit  la  fource  j 
il  repréfenta  les  campagnes  défolées ,  les  arbres  coupés  ,  les 
maifons  des  particuliers  tombant  en  ruines  de  toutes  parts  5 
èc  montra  être  fenfîble  à  tous  les  maux  de  fes  fujets  avec 
de  véritables  entrailles  de  père.  Du  refle  on  fe  fépara  fans 
rien  conclure  ^  &  pour  faire  honneur  aux  Députés ,  le  Roi 
donna  ordre  au  Baron  de  Biron  de  les  efcorter  jufqu'à 
ce  qu'ils  fuffent  en  lieu  de  fureté.  On  leur  remit  aupa- 
ravant un  écrit  contenant  la  réponse  de  ce  Prince  avec 
quelques  changemens  ,  qui  n'étoient  cependant  que  dans 
les  termes.  Cet  écrit  fut  figné  de  Pierre  Forget  de  Frefne , 
de  peur  que  quelques  mal  -  intentionnés  ne  donnaffent 
une  interprétation  maligne  à  ce  que  le  Roi  avoit  dit  ^  ôc 
on  les  chargea  d'en  faire  la  ledure  en  préfence  de  ceux 
qui  les  avoient  députés.  Le  lendemain  pour  rendre  fes  dif- 
cours  plus  efficaces  ,  Se  jetter  la  terreur  dans  l'efprit  des 
Parifîens  ,  le  Roi  fit  pointer  quelques  pièces  de  canon  dans 
le  faubourg  Saint  Germain  contre  un  endroit  foible  que 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCIX.         i8^ 

le  duc  de  Nemours  fie  auflicoc  fortifier. 

.En  même  cems  le  Roi  écrivit  au  duc  de  Nemours  lui-  Henri 
même ,  le  priant  par  l'alliance  qui  étoit  entre  eux  ,  par  le  I V. 
danger  dont  il  étoit  menacé  ,  par  la  valeur  même  &  la  fer-  1590. 
mecé  qu'il  n'avoit  que  trop  tait  paroître  pendant  tout  ce 
CiégQ  ,  de  penfer  enfin  à  fa  fureté  ,  6c  de  ne  pas  s'opiniâcrer 
davantage  fous  une  vaine  efpérance  de  fecours ,  à  défendre 
une  ville  auffi  ailée  à  prendre  j  &  qui  ne  pouvoit  manquer 
d'être  ruinée  &c  faccagée  ,  s'il  le  forçoit  à  y  donner  l'aflàur. 
Il  ajoiicoit  que  les  affiegés  ne  pouvoient  être  fecourus  fans 
une  bataille  j  ôc  qu'il  n'y  avoit  pas  d'apparence  que  le  duc 
de  Mayenne  fongeât  à  la  rifquer  ,  après  avoir  été  fi  mai 
mené  dans  la  dernière  qu'il*  avoit  perdue  :  Que  fi  l'évé- 
nement ne  répondoit  pas  à  (es  vœux,  quelle  feroitlacon- 
dition  de  toute  la  France  ,  après  avoir  vu.  fon  Roi  légi- 
time défait,  finon  de  tomber  fous  le  joug  &  la  domination 
des  Efpagnols,  \qs  maîtres  les  plus  fiers  6c  les  plus  cruels  du 
monde  Qu'ainfi  il  l'exhortoit  à  fe  fouvenir  du  pafie ,  &  à 
juger  de-là  de  ce  qu'il  pouvoit  efpérer  pour  la  luite.  Le 
Rof  fit  aufii  rendre  fous  main  de  femblables  lettres  à  la 
veuve  de  François  duc  de  Guife ,  êc  mère  du  duc  de  Ne- 
mours. Cette  PrincefiTe  étoit  d'un  caractère  doux  &  paci- 
fique ,  ôc  pafiToit  pour  favorifer  en  fecret  le  parti  du  Roi  dans 
refpérance,dit-on  ,  d'obtenir  de  ce  Prince  fa  fœur  en  ma- 
riage pour  fon  fils. 

Le  duc  de  Mayenne  de  fon  côté,  après  avoir  fait  partir  Entrée  du  duc 
pour  Meaux  les  troupes  qu'il  avoit  autour  de  Laon,s'étoic  ^^^^^^^'^^^ 
déjà  rendu  dans  cette  ville.  Il  étoit  accompagné  du  duc 
d'Aumale  fon  coufin  ,  de  Flenri  de  Lorraine  comte  de  Cha- 
ligny  commandant  des  Chevaux  légers  que  le  duc  de  Lor- 
raine avoit  envoyés  au  duc  de  Mayenne ,  de  Claude  de  la 
Châtre  un  des  principaux  Officiers  du  parti ,  de  Florimond 
d'Hallewin  marquis  de  Meignelay  ,  de  Jean  de  Monluc  de 
Balagny,  ôc  du  capitaine  Saint  Paul.  Peu  de  tems  après,  c'eft- 
â-dire,le  vingt-deux  d'Août, arriva  le  prince  de  Parme  lui- 
même  à  la  tête  de  (  i  )  dix  mille  hommes  de  pied  de  de  trois 
mille  chevaux.  Il  étoit  fuivi  de  plufieurs  Princes  &c  Seigneurs, 

(  1  )  La  relation  de  Pierre  Corneio  marque  douze  à  treize  mille  hommes 
d'infanterie. 


i84  HISTOIRE 

comme  des  princes  de  Cliimay ,  d'Afcoly,  &:  de  (  i  )  Château- 
Henri  Beltran  3  d'Emmanuel  de  Lalain  marquis  de  Renty  coni- 
I  V".  mandant  des  Chevaux-Légers  j  des  comtes  de  Berlaymond 
1550.  &  d'Arambergh  3  de  D.  Antoine  deZuniga  qui  étoic  retour- 
né en  Flandre  depuis  le  départ  du  duc  de  Mayenne-,  de  D. 
Sanche  de  Ley  va  3  de  D.  AlFonfe  Idiaquez  3  de  Pierre  Gaë- 
tano  5  de  jean-Baptifte  Taxis  provedidor  de  l'armée  j  (i)6c 
cinq  jours  après  vint  Valencin  de  Pardieu  de  la  Motte 
Grand-Maître  de  l'artillerie  ,  qui  amena  l'arriére-garde.  Le 
Prince  fut  re^û  avec  beaucoup  de  joye  j  &  ayant  été  d'a- 
bord conduit  à  l'Eglife  cathdrale ,  après  avoir  rendu  grâces  à 
Dieu  de  Ton  beureufe  arrivée  ,  pour  lever  tous  les  ombrages 
que  fa  préfence  auroit  pu  donner  j  &c  de  crainte  qu'on  ne 
penfât  que  l'intention  des  Efpagnols  fût  fous  prétexte  de  fe- 
courir  la  France  ,  de  fe  rendre  maîtres  des  meilleures  places, 
il  protefta  publiquement  qu'il  n'étoit  entré  dans  le  Royaume 
qu'afin  d'en  bannir  rhéréfiej  èc  qu'il  employeroit  jufqu'à  fà 
propre  vie  pour  en  venir  à  bout.  Enfuite  il  tint  confeil  avec 
le  duc  de  Mayenne  fur  les  mefures  qu'on  devoir  prendre 
pour  fecourir  Paris,  &:  y  faire  entrer  des  vivres  ,  6c  ils  con- 
clurent que  le  moyen  le  plus  fur  Ôc  le  moins  dangereux  d'y 
réiiffir ,  étoit  de  s'emparer  de  toutes  les  places  voiiines  Ci- 
tuées  fur  la  Marne  £c  fur  la  Seine. 

Suivant  cette  réfolution  ,  le  prince  de  Parme  fit  jetter 
deux  ponts  de  batteaux  fur  la  Marne  j  ài  ayant  palGTé  cette 
rivière  avec  toute  fon  armée  il  fe  mit  en  marche.  Son 
avant-garde  étoit  commandée  par  le  duc  d'Aumale  &  par 
la  Châtre  j  le  prince  de  Parme  Se  le  duc  de  Mayenne  étoient 
à  la  tête  du  corps  de  bataille,  8c  le  comte  de  Chaligny  ,  le 
capitaine  Saint  Paul ,  &  la  Motte  fuivi  de  vingt  pièces  de 
canon  conduifoient  l'arrière-garde.  L'armée  Efpagnole  mar- 
chant en  cet  ordre  campoit  tous  les  foirs  fi  bien  retran- 
chée Se  fortifiée,  qu'il  n'étoit  pas  pofTible  de  forcer  le  Prince 
à  donner  une  bataille  qu'il  fçavoit  que  le  Roi  fouhaitoit 
avec  tant  d'ardeur. 

maifon  de  Croy  ,  comme  celle  de  Chi" 
may. 

(z)  Selon  l'auteur  que  je  viens  de 
citer,ce  fut  feulement  deux  jours  après. 

Avant 


(i)Oncroir,  dit  l'auteur  des  nou- 
velles remarques  fur  la  fatyre  Menip- 
pée ,  qu'au  lieu  de  Château-Beltran  , 
on  doit  lire  Château-Porcien  ,  Princi- 
pauté en  Champagne ,  qui  étoit  dans  la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCÏX.      185 

Avant  l'arrivée  des  Efpagnols,  &:  tandis  que  le  Roi  étoit 


encore  devant  Paris ,  ce  Prince  avoir  délibéré  s'il  ne  devoir  H  e  n  Pv  i 
pas  faire  le  fiége  de  Meaux.  C'ctoit  l'avis  de  Guitry ,  qui      I  V. 
prétendoit  que  par  la  prife  de  cette  place  ,  on  arrëceroit     i  coq, 
non-feulement  les  convois  qui  pouvoient  venir  par  la  Marne, 
ôc  enfuite   par  la  Seine  jufqu'à   Paris  j  mais  qu'on  ôtcroic 
même  à  l'armée  ennemie  toute  efperance  de  pouvoir  jamais 
approcher  de  cette  Capitale.  D'aut:es  repréfentoient  au  con- 
traire qu'il  y  auroit  de  l'imprudence  d'aller  affoiblir  ics  forces 
à  ce  iiege  ,  tandis  qu'on  pouvoit  en  avoir  befoin  pour  des 
occafions  plus  importantes  5  6c  foûtenoient  qu'il  coûteroic 
moins  de  tems  de  moins  de  peine  pour  réduire  Paris,  que  pour 
prendre  Meaux.  On  abandonna  donc  ce  projet  ^  &  on  fe 
contenta  de  fortifier  le  château  de  Nantouillet  où  l'on  mie 
une  bonne  jrarnifbn.  Cette  place  que  le  cardinal  Antoine  du 
Prat  avoit  fait  bâtir  avec  des  frais  immenles ,  étoit  environ- 
née d'un  folfé  large  ôc  profond.  Le  duc  de  Nemours  s'en 
étoit  emparé  depuis  la  mort  d'Antoine  du  Prat  neveu  du 
Cardinal  3  &  en  avoit  confié  la  garde  à  un  certain  Alfonfe 
banquier.  On  l'en  chafla,  &  le  Roi  la  remit  à  Jacque  Au- 
guile  de  Thou  qui  en  prit  poilcfîion  par  droit  de  tutelle,  comJ 
me  ayant  cpoufé  Marie  de  Barbanfbn  lœur  d'Anne  de  Bar- 
banfbn  mère  des  enfans  mineurs  d'Antoine  du  Prat.  Il  étoit 
encore  alors  au  lit  d'une  lièvre  violente  qui  l'avoit  attaqué 
durant  la  canicule,  &  qui  pendant  vingt  &  un  jours  qu'elle 
dura  mit  plufleurs  fois  là  vie  en  danger.  Ainfi  on  lui  donna 
pour  fécond  un  brave  Officier,  nommé  le  capitaine  l'An- 
gevin qui  entra  dans  le  château  avec  fix -vingt  bons  foldats, 
&  qui  répondit  au  Roi  fur  fa  tête ,  au  cas  que  le  prince  de 
Parme  tournât  de  ce  côté-lâ  en  venant  de  Meaux  ,  de  Par» 
rêter  vingt  jours  devant  cette  place. 

Dans  le  même  tems  qu^e  de  Thou  commençoît  à  fe  ré-  Moitdc 
tablir  ,  mourut  à  Saint  Denis  de  la  même  maladie  l'abbé  ['^^^'^  '^^^" 
d'Elbene.  C'etoît  un  homme  d'un  génie  aife  ,  d'une  érudi^ 
tion  profonde,  &  d'une  expérience  confommee.  Il  n'avoit 
alors  qu'environ  quarante  ans ,  àc  fut  extrêmement  regrété 
du  Roi  6c  de  {qs  amis.  Il  mourut  ai^fTi  dans  le  même  tems 
beaucoup  d'autres  perfonnci  qui  furent  obligées  dans  ces 
^îialadies  caufée^par  les  grandes  chaleurs ,  ôcpar  les  autres 
Xi^r/je  XI,  A  a 


j2è  HISTOIRE 

incommodités  d'un  long  fiége,  de  boire  des  eaux  Gorrom- 
H  £  N  R  I  pues  par  le  plâtre  qui  lont  pernicieulesaux  malades, 

I  V.  Cependant  le  Roi  qui  ne  pouvoic  plus  douter  de  l'arrî- 

1^90.  ^^^  ^^  prince  de  Parme  fetrouvoic  fore  embarrafTé  j  incer- 
Lcv-'c  Hu  tain  du  parti  qu'il  avoit  à  prendre ,  ou  de  continuer  le  iiége 
^lege  de  Pa-  ^q  Paris  qu'il  voyoit  réduit  à  une  fi  grande  mifére,  qu'il  ne 
pouvoit  pas ,  difoit-on ,  tenir  encore  plus  de  quatre  jours  j 
eu  de  marcher  avec  toutes  Tes  forces  au  devant  de  l'enne- 
mi. Ce  qui  le  tenoit  ainfi  indét-erminé  ,  c'cft  que  luivant  ce 
que  la  Noue  lui  avoit  dit  du  général  Eipagnol  ,  il  le  f<^a- 
voit  homme  à  profiter  habilement  de  toutes  les  occalions 
favorables  qui  s'ofFriroieiit ,  ôc  à  ne  rien  rifquer  téméraire- 
ment. Ainfi  il  jugeoit  que  n'étant  entré  en  France  que  pour 
fecourir  Paris,  ce  Prince  déjà  couronné  de  tant  de  lauriers 
préféreroit  toujours  la  confervation  de  cette  ville  à  laquelle 
Je  moindre  retardement  étoit  préjudiciable  ,  à  une  taufïè 
idée  de  vaine  gloire  à  laquelle  il  ne  devoit  pas  être  fort 
fenfible  j  que  par  conféquent  il  ne  marcheroit  jamais  qu'à 
la  tête  de  toute  Ton  armée  j  &  fe  retrancheroit  fi  bien  ^ 
que  pour  l'entamer  ,  il  faudroit  l'affiéger  dans  les  formes 
comme  une  place  forte. 

Le  Roi  etoit  toujours  en  doute ,  s'il  laifîeroît  une  partie 
de  Tes  troupes  dans  les  fauxbourgs  pour  arrêter  les  convois^ 
ou  b'il  marcheroit  contre  l'ennemi  à  la  tête  de  toutes  fes 
forces.Enlin  il  fe  détermina  à  décamper  avec  toute  Ton  armée, 
afin  de  ne  pas  commettre  la  même  faute  qui  s'étoit  faite 
autrefois  à  Pavie  ^  d'autant  plus  que  dans  les  circonftances 
préfentes  elle  auroit  pu  avoir  des  fuites  encore  plus  fâcheufes. 
Ce  fut  aulFi  l'avis  du  duc  de   Nevers  ,  des  maréchaux  de 
Biron  6c  d'Aumont  ,  de  la  Guiche  Grand  Maître  de  l'ar- 
tillerie ,  de  la  Noue  de  de  Guitry  ,  du  vicomte  de  Turenne, 
de  la  Trimouille  êc  de  Chatillon,  qui  étoient  les  principaux 
chefs  de  l'armée  du  Roi.  Us   fe  fondoient  principalement 
fur  cette  raifon  ,  que  fi  on  vouloit  continuer  le  fiége,  il  n'é- 
toit  pas  poffible  d'y  laiHer  un  nombre  de  troupes  allez  con-^ 
fidérable  pour  repoufler  les  forties  des  affiégés  ^  qu'à  l'égard 
des  convois ,  il  faudroif  être  aveugle  pour  compter  fur  leur 
fidélité  à  les  arrêter  j  parce  que  les  gens  de  pied  fur-touc 
étoient  la  plupart  G  naal  équipés ,  prefque  tous  nuds ,  fans 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCîX.       lîy 

chapeaux  ,  fans  fouliers ,  &  fans  chemife  ,  qu'il  y  avoit  tout    ^    ■'  <     > 
lieu  de  croire  que  pour  quelque  argent  ils  ne  fe  teroienc  pas  H  e  n  r.  i 
un  fcrupule  de  contrevenir  aux  ordres  du  Roi  ,  ôc  feroient      I  V. 
même  les  premiers  à  faire  entrer  fous  main  des  vivres  dans     1590» 
la  Ville. 

Mais  cette  raifon-Ià  même  jertoît  encore  le  Roi  dans  un 
étrange  embarras ,  parce  qu'il  ne  fçavoit  comment  faire  pour 
retenir  iès  troupes  ,  s'il  venoit  à  lever  le  fiége.  En  effet  il 
ctoit  confiant  que  Tefpérance  feule  de  prendre  Paris  enga- 
geoit  une  grande  partie  de  l'armée  -,  &  on  s'attendoit  à  la 
voir  fè  débander,  dhs  qu'elle  fe  verroit  fruflrée  de  fon  at- 
tente. Mais  le  maréchal  de  Biron  trouva  encore  moyen  de 
lever  cet  obilacie.  Par  fon  confeil  on  répandit  le  bruit  dans 
le  camp  qu'on  ne  prétendoit  point  s'éloigner  de  Paris ,  ni 
abandonner  le  fiége  j  qu'il  s'agifloit  feulement  d'aller  livrer 
bataille  à  l'ennemi  éc  de  le  vaincre  3  6c  tous  les  OiHciers 
eurent  ordre  de  faire  bien  entendre  à  leurs  foldats  que  cela 
ne  pouvoit  manquer  d'arriver.  Cette  efpérance  fît  reprendre 
cœur  aux  troupes  fatiguées  de  tant  de  travaux  ,  &;  qui  fon- 
geoient  déjà  à  fè  retirer.  La  NobielTe  fur-tout  qui  en  France 
aime  la  gloire  jufqu'à  la  folie,  auroit  tout  foufFert  pour  par- 
tager l'honneur  de  ce  combat. 

Le  Roi  retira  donc  fes  troupes  à^s  fauxbourgs  le  dernier 
jour  d'Août ,  &  marcha  du  coté  de  Chelles  avec  toute  fon 
armée,  (i)  Chelles  efb  un  bourg  connu  par  une  Abbaye  de 
filles  qui  porte  ce  nom.  Il  eft  bâti  dans  un  terrain  maréca- 
geux ,  au  travers  duquel  pafTe  un  ruiiîeau  qui  l'arrofc.  Les 
Maréchaux  àQs  logis  de  l'armée  ennemie  y  étoient  déjà  ar- 
rivés,  lorfque  celle  du  Roi  parut  j  mais  ils  en  furent  aufîî- 
tôt  chafFés  par  Chatiilon  &  Lavardin  maréchaux  de  Camp 
que  le  Roi  avoit  détachés.  Enfuite  parut  un  gros  d'envi- 
ron fîx  cens  chevaux  ,  où  étoient,  difoit-on  ,  le  prince  de 
Parme  èc  le  duc  de  Mayenne,  contre  lequel  le  Roi  qui  ar- 
riva fur  ces  entrefaîtes  efcarmoucha  pendant  quelque  tems. 

Le  lendemain  les  deux  armées  parurent  en  bataille  dans 
une  plaine  fîtuée  au  defTus  de  Chelles  ,  &  terminée  à  droite 
&  à  gauche  par  deux  colines  féparées  par  un  ruifTcau  j  & 

(i)  Chelles, autrement  Sainte  Bau- Mw/Z^-w/Vf^  Iranc,   l.  j.  p.    175.  chajf, 
dour  y  ou   Sainte  Baupteur.  Manchet  '  ij. 

Aaij 


188  HISTOIRE 

qui  aboutilîent  à  un  petit  bois.  An  milieu  de  ce  bois  ed  un 
H  £  N  ^i  château  ,  &c  au-delà  en  tirant  vers  le  Sud  ,  un  marais  cou- 
I  V.  pé  par  une  petite  plaine  traverfée  aufîi  par  un  petit  ruiffeau  , 
I  Î90.  ^  s'étendant  de-là  julqu'à  la  Marne  entre  Je  château  ôc  le 
Maraii,  C'efb  dans  ce  pofte  que  le  prince  de  Parme  s'ëtoic- 
retranché.  Le  Roi  avoit  dans  Ton  armée  cinq  mille  cava- 
liers prefque  tous  compofcs  de  Nobleiîe  &  bien  équipés , 
avec  leize  mille  hommes  de  pied,  y  compris  les  Suiilès  &c  les 
Lanfquenets.  La  cavaleiie  étoit  à  l'ordinaire  partagée  ea 
pluiîeurs  corps  foutenus  par  les  Piancs  par  quelques  pelotons 
de  eens  de  pied.  L'aile  droite  s'étendoit  julqu'à  la  colline,, 
où  le  Roi  avoit  pofbé  fix  pièces  de  canon  avec  les  SuilFes 
couverts  fur  les  flancs  par  une  partie  de  l'infanterie  Fran- 
çoîle.  A  l'aile  gauche  qui  formoit  une  efpéce  d'arriére- 
garde,étoient  les  Lanfquenets  avec  le  refte  de  l'infanterie 
Fran(^oire,6c  une  pareille  artillerie.  Les  deux  armées  reftérent 
ainii  en  prélènce  depuis  onze  heures  du  matin  jufqu'au  foir, 
ëc  recommencèrent  le  même  manège  huit  jours  de  fuite,  iàns 
qu'il  fe  pafsât  entre  elles  aucune  adion  conlîdérabie.  Tout 
aboutit  feulement  à  quelques  efcarmouches. 

Alors  le  Roi  envoya  plufieurs  fois  un  Héraut  au  duc  de 
Mayenne  pour  lui  préfénter  la  bataille  j  de  l'inviter  félon 
l'ufage  établi  entre  cavaliers ,  à  finir  dans  une  feule  adion 
les  malheurs  de  la  guerre.  Mais  le  Héraut  ayant  été  ren- 
voyé par  le  Duc  au  prince  de  Parme  n'en  reçut  point  d'autre 
xéponfé ,  finon  qu'il  étoit  venu  en  France  par  le  comman- 
dement du  Roi  Philippe  fon  maître  le  plus  puifîanc  Prince 
de  la  Chrétienté ,  pour  faire  lever  le  fîége  de  Paris  ,  félon 
qu'il  le  jugeroit  pour  le  plus  fur  &  pour  le  mieux  5  ce  qu'il 
efpéroît  avec  la  grâce  de  Dieu  exécuter  dans  peu:Qii'au  refte 
il  y  auroit  de  l'imprudence  à  un  Général  comme  lui  de  rif- 
quer  au  hazard  d'une  bataille  ce  dont  il  étoit  déjà  maître? 
Qu'ainfi  s'il  étoit  vrai  que  ce  guerrier  û  fameux  qui  lui  en- 
voyoit  ce  défi ,  eût  tant  d'envie  d'en,  venir  aux  mains  ,  c'é- 
toit  à  lui  de  le  forcer  à  donner  bataille  ^  ôi  qu'alors  l'expé- 
rience décideroit  à  qui  des  deux  devroit  demeurer  l'honneur 
de  la  force  de  de  la  bravoure.  Le  prince  de  Parme  parloic 
de  la  forte  avec  d'autant  plus  de  confiance,  qu'il  étoit  bien 
informé  que  depuis  la  levée  du  blocus ,  les  Gouvernciu's  5c 


DE  J.  A.  DE  TFIOU,  Liv.  XCIX.       189 

les  payfàns  du  pays  Cliartrain ,  de  la  Beaufle  de  des  places 
voifincs,  faifbi^nt  à  roue  moment  entrer  librement  dans  Pa-  H  e  n  ki 
ris  toutes  fortes  de  provifions.  I  y. 

Pendant  ce  tems-îà  le  duc  de  Mayenne  ayant  fairpalTer  ^  ^^^^ 
la  Marne  à  fon  canon  ,  comment^oit  à  foudroyer  Lagny  Prife  ne  La- 
place  peii  forte  lituéeau-delà  de  cQZte  rivière  ,  &c  alfez  con-  ""X  P^"^  '^ 
nuë  par  une  Abbaye  qui  porte  aulîi  (on  nom  j  mais  du  refte  farme.  ^ 
fans  rempart  de  fans  défenfes  capables  de  tenir  contre  une 
armée.  Jacque  de  la  Fin  commandoit  dans  ce  pode  avec 
unegarniion  de  huit  compagnies  d'infanterie.  D'abord  les 
ennemis  le  battirent  de  front  de  à  revers  avec  huit  pièces  de 
canon  qu'ils  avoient  placées  en  deçà  de  la  rivière  -,  enfaite  ils 
firent  paiîer  fur  un  pont  de  bateaux  deux  régimens  de  gens 
•de  pied,  Pun  de  François,  6c  l'autre  d'Italiens  commandés 
par  les  capitaines  Chiapan  Milanois  de  André  de  Narni  pour 
aller  reconnoitre  la  brèche.  Alors  les  affiègcs  parièrent  de 
fe  rendre  3  mais  leurs  proportions  n'ayant  pas  paru  rai- 
fonnables  ,  les  Efpagnols  montèrent  à  l'aflaut.  Il  fut  d'a- 
bord foutenu  avec  beaucoup  de  vigueur  par  les  alîiégés,  à 
qui  le  Roi  envoya  cependant  quelque  fecours  par  l'autre 
côté  de  la  rivière.  Enfin  la  place  fut  emportée  l'épée  à  la 
main  à  la  vue  de  l'armée ,  de  fous  les  yeux  même  du  Roi, 
comme  le  prince  de  Parme  ofoit  s*en  vanter  5  quoique  nos 
troupes  fe  iuftifiajGTent  adèz  bien  de  leur  inaction, fur  le  venc 
contraire  qui  les  empechoit  d'entendre  le  bruit  du  canon  , 
&  fur  le  danger  qu'il  y  auroit  eu  pour  elles  à  vouloir  pafTer 
la  rivière.  Le  Roi  perdit  quatre  cens  hommes  à  cet  aiTaur^ 
de  la  Fin  lui-même  y  fut  fait  prifonnier.  Les  ennemis  per- 
dirent les  capitaines  Lanti  de  Antonîani  qui  y  furent  tués 
avec  plufieurs  autres.  La  place  fut  prife  (i)-  le  fix  de  Sep- 
tembre -,  de  on  la  fît  démanteler  auiTitôc  après. 

Comme  la  perte  de  Lagny  fembloit  intèrelTer  l'honneur 
de  toute  la  nation  Françoife  ,  le  Roi  également  animé  de 
colère  de  de  honte  voulut  avoir  fà  revanche  ,  de  prie  enfin 
la  rèfolution  de  fe  rendre  maître  de  Paris  de  gré  ou  de  force. 
Dans  cette  vue  il  afiembla  deux  jours  après  toutes  Ces  trou- 
pes dans  la  plaine  de  Bondy  au-dciïbus  de  la  foret  de  Livry, 

(1)  Pierre  Corneio  la  date  du  7.  &  1  Lune ,  imprime'esà  la  fuite  de  la  Satyre 
l'auteur  des  nouvelles  Régions  de  lalMenippce,  du  8. 

A  a  nj 


Ï90  HISTOIRE 

d'où  fur  le  foîr  il  en  déracha  une  partie  pour  aller  artaquet 
H  E  N  R  I  le  faubourg  S.  Germain,  parce  que  la  ville  écoic  plus  foible 
I  V.       de  ce  côté  -  là.  Mais    l'encreprilè    manqua  ,  parce  que  les 
I  S 90,     échelles  qu'on  y  avoir  deftinees  le  trouvèrent  trop  courtes. 

Un  Efpagnoi ,  nomme  Pierre  Corneio  qui  étoit  alors  dans 
cette  Capitale  ,  &c  qui  après  avoir  donné  au  public  Thiftoire 
des  guerres  de  Flandre ,  a  fait  auffi  une  relation  du  ficge  de 
Paris,  écrivain  d'ailleurs  peu  exad,  attribue  aux  Jéluites  la 
confervation  de  cette  ville  en  cette  occafîon.  11  rapporte 
qu'ils  accoururent  les  premiers  au  bruit  qui  fe  fit  dans  le  fofTé, 
qu'ils  parurent  en  armes  fur  le  rempart  prêts  à  repoufTer  les 
ennemis ,  &:  qu'ils  tuèrent  même  un  foldat  de  l'armée  du 
Roi  qui  avoit  déjà  efcaladé  la  muraille. 

Il  y  avoit  auffi  alors  dans  Paris  un  homme  connu  par  {qs 
longs  voyages  nommé  Philippe  Pigafetta.  Il  étoit  venu  avec 
le  cardinal  Gaëtano-&  quelques  années  auparavant  Philippe 
IL  l'avoit  déjà  envoyé  en  Angleterre  pour  reconnoître  les 
côtes  &;  les  ports  de  ce  Royaume.  Nous  avons  les  mémoires 
qu'il  publia  depuis  à  ce  fujet.  Cet  auteur,  qui  eut  lui-même 
beaucoup  à  foufFrir  pendant  ce  fiége,nous  a  laiffe  plufîeurs 
traits  de  la  mifère  extrême  où  les  Parifîens  furent  alors  ré- 
d  Jiits.  Il  rapporte  qu'il  s'étoit  trouvé  alors  des  gens  prefTés 
d'une  faim  fi  furieufe ,  qu'ils  n'avoient  pas  honte  d'arrê» 
ter  les  chiens  èc  les  chats  qu'ils  rencontroient  dans  les 
rues  3  Se  après  les  avoir  mis  en  pièces  avec  les  mains ,  de  les 
dévorer  ainfî  tous  cruds  à  la  façon  des  Cyclopes  ,  fans  fe 
mettre  en  peine  du  fang  de  ces  animaux  dont  ils  étoient 
défigurés  j  ni  des  os  qu'ils  faifoîent  craquer  comme  des  bêtes 
féroces.  Il  ajoute  qu'il  s'étoit  trouvé  un  homme ,  qui  après 
avoir  lutté  long-tems  contre  un  fort  matin  qu'il  avoit  dei^ 
fein  de  tuer ,  avoit  été  enfin  terraflé  &  étranglé  par  ce  chien 
qui  l'auroit  dévoré  lui-même,  fi  le  peuple  qui  accourut  â 
ce  funefte  fpedacle  ne  l'eûx  obligé  d'abandonner  fa  proye, 

Ainfi  finit  le  fiége  de  Paris ,  un  des  plus  mémorables  qu'il 
y  ait  jamais  eu.  S'il  ne  réiiffit  pas ,  comme  le  Roi  fembloic 
avoir  lieu  de  l'elpcrer ,  plufieurs  chofes  concoururent  pour 
le  faire  échouer  j  une  valeur  &  une  adivité  dans  le  duc  de 
Nemours  étonnantes  dans  un  Prince  de  cet  âge  3  la  pré- 
fence  du  cardinal  Gaëtano ,  qui  fçavoic  faire  fervir  avec  une 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       191 

*drefle  admirable  l'autorité  du  Pape  ,  pour  perfuader  aux 
Paridens  qu'il  s'agillbit  en  cette  occafion  de  la  ruine  de  la  H  E  n  r  1 
Religion  3  les  aumônes  de  i'ambafladeur  d'Erpagne,la  per-  I  V. 
fuafion  des  Prédicateurs^  les  promefles  que  failoit  de  jour  en  i  r  aq^ 
jour  le  duc  de  Mayenne,  d'amener  incelîàmment  du  fecoursj 
les  nouvelles  que  Madame  de  Monpenfierrépandoit  habile- 
ment à  fon  ordinaire^  èc  enfin  la  vigilance  &  le  foin  desjéfuites 
toujours  prêts  à  remédier  à  tous  les  accidens  qui  arrivoienr. 
Avant  que  de  quitter  Clielles ,  le  Roi  qui  appréhendoic 
que  la  nouvelle  de  la  levée  du  fiége  de  Paris  n'indifposât  a 
fon  égard  les  peuples  des  Provinces  éloignées ,  écrivit  le 
fept  de  Septembre  aux  Gouverneurs  pour  leur  faire  fçavoîr 
que  l'amour  qu'il  avoit  pour  [es  fujets ,  lui  avoit  fait  man- 
quer i'occalion  de  fe  rendre  maître  de  Paris  ,  parce  qu'il 
n'avoit  pas  voulu  expofer  cette  Capitale  au  pillage  &  à  des  vio- 
lences inévitables  fi  elle  eut  été  prife  d'aflaut  ^  mais  que  com* 
me  cous  les  paflages  étoient  bouchés  ,  èc  que  le  peu  de  vivres 
qu'on  avoit  fait  entrer  depuis  dans  cette  ville  ne  pouvoir 
tout  au  plus  durer  que  quelques  jours  ,  il  étoit  impoffible 
qu'elle  continuât  encore  long-tems  dans  fa  révolte  ,  5c  n^e 
fût  inceilamment  obligée  de  fe  foûmettre.  Enfuîte  voyanc 
que  la  dernière  tentative  qu'il  avoit  faite  fur  Paris  n'avoic 
point  réiiffi,  ce  Prince  fe  rendit  à  GonefTe,  un  des  plus  beaux 
villages  de  i'ifle  de  France.  Là  il  tint  confeil  de  guerre  où 
il  fut  réfolu  qu'on  licencieroit  l'armée.  Le  Roi  ne  retint  au- 
près de  ia  perionne  qu'une  petite  partie  des  troupes  j  &  il 
jugea  qu'il  ieroit  inutile  de  retenir  le  reffce  qui  étoit  fatigué. 
Il  ne  pouvoit  même  prendre  ce  parti  fans  danger  j  parce 
que  l'ennemi  ayant  toutes  troupes  fraîches,  6c  venant  l'atta- 
quer ,  ou  bien  il  feroit  obligé  d'éviter  le  combat,  ce  qui  le 
perdroit  d'honneur  j  ou  bien  il  feroit  forcé  de  s'expo- 
îer  au  péril  inévitable  d'être  battu.  Ainfi  il  commença  par 
mettre  de  bonnes  garnilons  dans  toutes  les  places  voilines, 
comme  dans  Melun  ,  Corbeil ,  Senlis ,  Mante  ,  Meulan  ,  & 
les  poftes  des  environs.  Enluite  il  renvoya  le  prince  de  Conty 
dans  le  Maine,  l'Anjou  &  la  Touraine  j  le  duc  de  Monc- 
penfier  en  Normandie  3  le  duc  de  Longueville  en  Picardie} 
le  duc  de  Nevers  en  Champagne  ^  &  le  maréchal  d'Aumonc 
en  Bourgogne  ,  chacun  avec  un   corps  de  troupes  poux 


I9X  HISTOIRE 

contenir  ces  Provinces  dans  le  devoir.  En  même  tems  comme 

H  E  N  K  I  S.  Dcnys ,  donc  il  s'écoic  rendu  maître  depuis  peu  ,  fe  trou« 

I  V.       voie  dans  le  voifînage  de  Paris  j  que  Tes  murs  étoienc  très- 

I  500,     foibles,  Ton  fofTé  peu  profond  ,  te  ion  contour  fi  vaftj  qu'on 

ne  pouvoir  le  conlèrver  que  très  difficilement  j  ce  Prince  y 

fit  encrer  Jean  de  Beaumanoir  deLavardin  avec  une  garni- 

fon  nombreufe. 

Ainfi  après  avoir  perdu  i'occafîon  de  prendre  Paris  ,  &C 
l'efpérance  d'en  venir  aux  mains  avec  l'ennemi,  fe  diffipa  en 
un  inftanc  cette  grande  &:  puiiîance  armée,  au  grand  regrec 
de  bien  des  gens  qui  condamnoienç  hautement  cette  retraite 
précipitée  ,  de  ne  pouvoienc  voir  fans  indignation  tant  de 
braves  gens  ,1a  fleur  delà  Noblefïè  Fran(^oife,  décamper 
quatre  jours  après  l'arrivée  du  prince  de  Parme  devant 
Chelles  dans  la  crainte  d'y  erre  affamés  ,  tandis  qu'on  ve. 
noie  d'être  témoins  de  la  confiance  de  tant  de  miféra- 
bles ,  vils  relies  de  la  lie  du  peuple  ,  de  portefaix  ,  d'artL 
fans ,  de  goujats ,  de  femmes  même ,  qui  réduits  à  la  necef- 
iîté  la  plus  afFreuie  venoienc  de  foûrenir  avec  fermeté  un 
fîége  de  fix  mois  fans  fe  plaindre  ,  fans  s'épouvanter  ,  &.  fans 
fe  démentir  le  moins  du  monde  de  leur  courage  6c  de  leur, 
première  rélolution. 

De  Goneflé  le  Roi  fe  rendît  à  Senlis.  Il  étoic  accom- 
pagné du  vicomte  de  Turenne  •  de  la  Trimouille  &  de  Cha^ 
tillon  5  de  David  Bouchard  vicomte  d'Aubeterre  à  qui  le  Roi 
charmé  de  fa  bravoure  avoic  faic  l'honneur  de  confier  la  Cor- 
necce  blanche,  au  cas  qu'on  en  fiit  venu  aux  mains  avec 
l'ennemi  ,  6c  de  plufîeurs  autres  Seigneurs.    Ce  fut- là  que 
Mort  au     ri'io^ï'ut  Jacque  Paye  d'EfpefTe   Préludent  au  parlement  de 
préfidcnt       Paris,  C'étoit  un  homme  d'une  érudition  profonde ,  d'une 
d'EfpeOe.       éloquence  rare  ,  fameux  d'ailleurs  par  pkifîeurs  A  m  ballades, 
par  fon  expérience  confommée ,  6c  par  fon  attachement  in- 
violable au  fervice  du  Roi.  Comme  il  avoir  fuivi  ce  Prince 
dans  tout  le  cours  de  fes  expéditions ,  les  chaleurs  6c  les  fa- 
tigues de  la  guerre  aufquelles  ce  Magiflrat   n'étoit  point 
accoutumé  ,  lui  cauférent  une  maladie  qui  l'enleva  à  l'âge 
de  quarante-fept  ans.  Le  Roi  6c  tous  les  gens  de  bien  re- 
grettèrent fa  perte  j  6c  il  fut  inhumé  honorablement  dans 
i'£o;life  cathédrale  de  SenHs» 
^  Pe4à 


HHa 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       155 

De-là  le  Roi  paiîa  à  Creii ,  petite  place  fîtuée  fur  la  ri-  ?■?? 
vîcre  d'Oyfe ,  fameufe  par  une  maifon  Royale  telle  que  nos  Henri 
Princes  en  avoient  autrefois ,  que  le  Roi  Charlc  V.  fit  bâtir       IV. 
pour  Loiiis  de  Bourbon  fon    beau -frère.  C'eft-là  que  les     1590^ 
comtes  de  Clermont  firent  leur  réfîdence,  tant  que  ce  Comté     Pnfc  de 
fut  dans  la  maifon   de  Bourbon ,  qui  le  pofTédoit  par  droit  J'^"^°"5  ^^ 
d  héritage  depuis  le  prince  Robert  hls  de  S.  Louis.  Alors  parie<;trou- 
Clermont  même ,  place  du  Beauvoifis  avantageufe  par  fa  fî-  P"'^^  ^°** 
tuation,  de  fortifiée  d'un  bon  château  à  l'antique ,  étoit  entre 
les  mains  des  Ligueurs ,  qui  défoloient  tous  les  environs  par 
les  courfes  continuelles  qu'ils  faifoient  jufqu'aux  portes  de 
Senlis  &  de  Compiégne.  Ce  fut  ce  qui  détermina  le  Roi  à 
la  leur  en  lever.  Après  avoir  invefli  la  ville  ,  le  canon  ayanc 
fait  une  brèche  confidérable  aux  murailles  &;  ruiné  toutes 
les  défenfes  des  afîiégés  ,  les  troupes  du  Roi  donnèrent  i'af- 
faut  à  la  place.  Mais  les  Ligueurs  ne  jugèrent  pas  à  pro- 
pos de  le  fbutenir  j  ils  fe  retirèrent  au  château  après  avoir 
mis  le  feu  à  quelques  maîfons  voidnes  ^  èc  le  lendemain  le 
Gouverneur  qui,  difoit-on  ,  avoit  été  autrefois  valet  de  pied 
du  duc  de  Joyeufe ,  capitula.  Le  maréchal  de  Biron  recrut  d 
ce  fiège  un  coup  d'arquebufe  dans  la  cuifTe  en  voulant  re- 
connoître  la  place.  La  blefTure  parut  d'abord  dangereufe  5 
mais  il  en  guérit  peu  de  jours  après. 

On  re^ut  en  même  tems  la  nouvelle  de  l'avantage  rem- 
porté par  Philibert  de  la  Guiche ,  François  de  la  Made- 
leine de  Ragny ,  Imbert  de  Marfilly  de  Cipierre  ,  &  de  la 
Ferté  Imbault ,  fur  Jean  de  Saulx  de  Tavanes  un  des  plus 
zélés  partifans  de  la  Ligue,  de Falandre  6c  quelques  autres. 
Ces  Officiers  étoient  chacun  de  leur  côté  en  marche  pour 
fe  retirer ,  lorfque  fe  rencontrant  au  moment  qu'ils  y  pen- 
foientle  moins  ,  ils  fe  chargèrent  l'épèe  à  la  main,  Quoique 
les  troupes  du  parti  du  Roi  fufïènt  inférieures  en  nombre, 
elles  eurent  tout  l'avantage  de  cette  adion  •  &  elles  ne  conti- 
nuèrent leur  route,  qu'après  avoir  taillé  en  pièces  ou  mis 
en  fuite  les  ennemis ,  6c  pillé  tout  leur  bagage.  De  Tavanes 
ôc  de  Falandre  allèrent  chercher  un  afyle  dans  Dreux.  En 
même  tems  Lavardin  à  qui  le  Roi  venoit  de  confier  la  garde 
de  S.  Denys,  ayant  eu  avis  que  deux  régimens  ennemis s'é- 
îoient  retirés  pour  fe  refaire  à  Surêne  bourg  fitué  dans  uu 
Tûme  XL  B  b 


15^4  HISTOIRE 

païs  charmant  un  peu  au-dcfTous  de  S.  Cloud ,  marcha  auiïï- 
Henri  tôt  de  ce  côté-là  avec  une  partie  de  la  garnilon  ,  lurpiit  les 
I  V.       Ligueurs ,  les  battit  ,  les  defarma  ,  tic  leurs  Commandans 
I  J5)0.     priionniers ,  &  leur  enleva  trois  drapeaux. 

Cependant  il  vint  des  provinces  plus  éloignées  de  Paris 
des  nouvelles  qui  n'étoient  pas  ii  agréables.  En  Anjou  Mi- 
rebeau  bourg  appartenant  au  duc  de  MonpLnfier  ,  Fortifié 
d'un  château  où  commandoit  de  VauLillon  avec  une  garni- 
fon ,  Fut  pris  le  5  de  Septembre  par  George  de  Villequier 
vicomte  de  la  Guierche  ,  Commandant  des  troupes  delà 
Ligue  de  ce  cote-là  ^  &  aulîitot  après  Vaucillon  lui  remic 
le  château.  Quelques  jours  après  ,  c'efb-à-dire  le  17.  les 
RoyaHftes  firent  fur  la  ville  de  Troyes  en  Champagne  une 
entrepiile  qui  ne  réuiîit  point ,  &L  où  ils  perdirent  beaucoup 
de  monde. 
^      .  loachim  de  Dinteville  Lieutenant  général  de  la  province 

Jcs  Royaii-  avoit  dcja  tait  quelques  tentatives  mutiles  lur  cette  ville  a 
ftcs  (ur  j^  foUicitation  d'Euftache  de  Mcgrigny  qui  en  étoit  Prefî- 
^o>«'  dent.  Celle-ci  Fut  fur  le  point  de  réiilhr.  Claude  de  Joyeufe 
deTourteron  Frère  du  comte  de  Grandpré  (i)  tue  peu  de 
rems  auparavant ,  avoit  tiré  des  garnilons  de  Sedan  èc  de 
quelques  autres  places  quelques  troupes  de  gens  de  pied  &C 
de  cheval  ,  comme  fi  Ton  dcfi[ein  eût  été  d'enlever  les  ven- 
danges de  Rheims.  Il  leur  donna  rendez-vous  aux  moulins 
de  Fouchy  pour  le  17.  de  Septembre  fête  de  S.  Lambert, 
Cependant  il  avoit  détaché  quelques  foldats  déguifés  en 
vignerons  ,  &  la  hotte  Fur  le  dos  ,  qui  pafiânt  le  long  des 
iblFés  de  la  ville-cn  chantant  quelques  chanfons  badines, 
comme  le  rôle  qu'ils  jotioient  le  demandoît ,  avoient  ordre 
d'obferver  fi  les  gardes  étoient  encore  dans  leur  pofte.  Ceux- 
ci  lui  ayant  rapporté  que  tout  le  monde  paroifioit  retiré  ,  il 
fît  lur  le  champ  appliquer  les  échelles  dans  un  endroit  peu 
fréquenté,  ferme  feulement  d'une  palilîade  de  pieux  &  de 
poutres ,  &  où  le  fofl^é  étoit  prefque  à  iec.  Par  là  fix-vingc 
cuirafiiers  ie  jettérent  dans  la  place  5  &  marchant  vers  la 
porte  S.  Jacque  qu'ils  trouvèrent  fans  défenfe  ,  rompirent 
les  ferrures  des  deux  portes  ,  du  pont-levis  ,  6c  d'une  cloiion 

(0  En  1589.  proche  de  Vitry-Ie-François  en  combattant  contre  le  Capi- 
taine S.  Paul. 


I 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  X  C  I  X.       155 

de  boîs  à  coups  de  marteau  ,  de  coins  de  fer  &c  de  leviers  j 
enlroncerenc  la  herfe  ,  &c  ouvrirent  les  portes  au  refte  de  leurs  H  E  n  Ki 
gens.  Alors  deux  cens  chevaux  6c  quatre  cens  hommes  de       I  V. 
pied  entrèrent  dans  la  ville  •  èc  s'avançants  vers  la  place  de     1590, 
S.  Pierre  &  l'Evêché  ,  où  étoit  Claude  de  Lorraine  prince 
de  Join ville  ,  qui  depuis  un  an  commandoit  dans  Troyes  en 
qualité  de  Gouverneur  ,  avec  Buffillon  &  quelques  autres 
Gentilshommes  ,  ils  allèrent  planter  l'étendart  blanc  fur  le 
plus  haut  clocher  de  la  Cathédrale  -,  après  quoi  par  leurs 
cris  de  Five  le  Roi  ,  ils  mirent  Tallarme  parmi  tous  \qs  ha- 
bitans. 

Le  prince  de  Joinville  ne  fe  voyant  pas  en  état  de  faire 
tête  aux  troupes  du  Roi  ,  avoir  été  forcé  malgré  lui  de  fui- 
vre  le  confeil  de  Buffillon  ,  6c  d'aller  chercher  un  afyle  dans 
la  Sacriftie  d'une  Eglife  voiiine  5  mais  les  bourgeois  ayant 
commencé  à  charger  nos  troupes  de  toutes  parts ,  6c  le  bruit 
s'étant  répandu  en  même  tems  qu'on  avoit  fermé  les  portes 
de  la  ville  ,  le  peu  d'efpoir  qu'elles  eurent  d'être  fecouruës 
jetta  parmi  elles  la  confternation.  Les  uns  s'enfuirent  à  l'E- 
vêché ,  d'autres  allèrent  fe  réfugier  dans  la  Cathédrale  3  la 
plus  grande  partie  courut  à  la  porte  par  où  ils  étoient  entrés 
d'abord  ,  6c  la  trouvant  à  demi-fermée  ,  furent  tailles  en 
pièces  par  les  habitans  qui  les  pourfuivoient.  Plus  de  deux 
cens  hommes  périrent  dans  la  ville ,  ^  la  NoblelTe  qui  étoic 
à  la  fuite  du  prince  de  Joinville  ,  montant  à  cheval  pourfuivîc 
jufqu'au  village  de  Sainte-Maure  ceux  qui  avoient  pu  fe  fau- 
ver.  Ives  le  Tartrier  doyen  de  S.  Etienne,  homme féditieux 
ôc  brouillon  ,  qui  par  fon  éloquence  captieufe  avoit  fouvenc 
travaillé  à  exciter  quelque  foûlévement  dans  les  Etats  ^  dans 
îa  ville  ,  étant  forti  en  armes  au.  premier  bruit  avoit  été  tué. 
Cet  accident  mit  la  populace  en  fureur.  Après  avoir  chafTé 
les  Royaliftcs ,  elle  alla  titrer  de  leurs  maifons  6l  même  Aqi 
prîfons  ceux  qu'on  foupçonnoit  de  favorifer  le  parti  du  Roi  j 
bi  les  traita  avec  la  cruauté  la  plus  barbare.  N.  desElîarts 
de  Saultour  d'une  des  familles  des  plus  diftinguées  de  la  Pro- 
vince ,  qui  avoit  été  pris  les  armes  à  la  main  quelque  tems 
auparavant,  fut  tué  dans  la  maifon  où  on  le  retenoit  prifon- 
nier.  Trois  autres  Gentilshommes  eurent  auffi  le  même  fortj 
enfin  il  fe  commit  ce  jour- là  des  excès,  qui  n'étant  autorifés 

^h  ij 


19^  HISTOIRE 

ni  par  le  droit  de  la  guerre ,  ni  par  aucunes  loîx  ,  ne  purenr 
Hb  N  R  I  être  enfevelis  dans  l'oubli  que  par  l'amniftie  que  le  Roiac- 
I V.      corda  quatre  ans  après  aux  habitans  de  cette  ville. 
I  rgo.         D'un  autre  côté  le  prince  de  Parme  voyant  que  le  Roi 
avoit  licencié  Ton  armée,  alla  le  24.  de  Septembre  mettre 
CorbeUpar    ^^  ^^^g^  devant  Corbeil  ,  petite  place  fituée  fur  la  Seine  à 
le  prince  de    cinq  licuës  au-dcfllis  de  Paris  dans  un  angle  que  forme  la 
Pâme.         rivière  qui  defcendant  d'Etampes  ,  paflè  par  ElTone  fur  le 
chemin  de  Lyon  ,  &  fermée  de  l'autre  côté  par  un  foffé  qui 
communique  avec  cette  rivière  -,  en  forte  qu'on  la  prendroic 
pour  une  efpece  d'Ifle.  La  ville  efl  commandée  par  deux  col- 
lines, d'où  il  eft  aifé  de  la  battre  en  ruine.  La  plus  éloignée 
eftà  fon  Midi ,  l'autre  qui  n'en  eft  féparée  que  par  la  Seine 
regarde  l'Orient ,  6c  eft  lîtuée  dans  la  Brie.   Au  pied  eft  un 
faubourg  qui  communique  à  la  ville  par  un  pont  de  pierre, 
â  la  tête  duquel ,  du  côté  oppofé  à  la  ville  ,  eft  un  château 
bâti  à  l'antique. 

D'abord  le  prince  de  Parme  s'étant  rendu  maître  des  faux- 
bourgs  ,  emporta  ce  pofte  d'emblée.  Enfuite  il  commenta 
à  battre  l'angle  dont  j'ai  parlé  ,  fitué  du  côté  de  l'Orient. 
Il  étoit  défendu  par  une  tour  que  les  habitans  croyoienc 
être  un  ouvrage  des  anciens  Romains.  Le  Prince  fe  perfuada 
qu'il  en  vîendroit  plus  aifément  à  bout  par  la  mine  ,  que  par 
le  canon.  Il  y  fit  travailler  pendant  quelques  jours,  au  bouc 
defquels  ceux  qui  gardoient  ce  pofte  appréhendant  d'être 
furpris ,  après  s'être  défendus  bravement ,  eurent  la  fageflè 
de  l'abandonner.  Le  Prince  tranfporta  donc  une  batterie 
de  cinq  pièces  de  canon  &:  deux  coulevrines  fur  le  haut  de 
la  colline  qui  commande  le  faubourg  à  la  droite  de  la  Seine  5 
&  delà  il  fit  un  feu  fi  terrible  contre  la  place  ,  que  non  feu- 
lement il  foudroya  toutes  les  mailbns  de  la  ville ,  mais  qu'on 
n'ofoit  pas  même  paroître  dans  les  rues.  La  vigilance  des 
afTiégés  remédia  à  cet  accident ,  en  tirant  en  dedans  un  re- 
tranchement en  forme  de  croiilànt  qu'ils  fortifièrent  fur  les 
flancs  avec  des  pieux  &;  des  tonneaux  ,  6c  derrière  lequel  ils 
étoient  à  couvert  de  l'artillerie.  Cependant  le  Prince  ayant 
commandé  Eufebe  de  Sinigaglia  6c  un  capitaine  E/pagnol , 
pour  aller  reconnoître  la  brèche  ,  tous  deux  pafîèrent  la  ri» 
viére  à  la  nage  j  mais  l'Efpagnol  tranfî  de  froid  alla  fe  rendre 


DE  J.  A.  DE  THOU,  LiV.  XCIX.         197 

aufTitôt  aux  affiégés ,  l'autre  revint  après  avoir  été  blefTé  lé-  "-^ 

gérement  de  quelques  coups  d'arquebufes ,  &  rapporta  qu'il  H  e  n  k  ï 
îeroit  dangereux  d'attaquer  la  place  par  cet  endroit-la.  Le       I  V. 
Prince  fut  donc  encore  obligé  de  tranîporter  ailleurs  les  bat-      1590, 
teries.  Enfin  il  fit  élever  un  cavalier  vis-à-vis  de  l'angle  que 
formoit  la  ville ,  6c  pointa  fur  une  maif  on  du  faubourg  qu'on 
avoit  bien  terraiFée  ,  quelques  pièces  de  canon  qui  battoient 
les  murs  à  revers ,  éc  incommodoient  beaucoup  les  afîiégés. 
En  même  tems  il  fit  jetter  de  ce  côté-là  un  pont  de  bateaux 
fur  la  rivière,  afin  que  fes  troupes  couvertes  de  leurs  man- 
telets  pulTent  marcher  aifément  à  l'afîaut. 

La  Grange  Gentilhomme  du  voifinage  commandoit  dans 
la  place ,  6c  avoit  pour  fécond  le  capitaine  Rigaud  Proven- 
çal. C'étoit  un  homme  de  baffe  nailîance  qui  avoit  été  au- 
trefois Greffier  j  mais  qui  dans  ces  dernières  guerres  avoic 
mérité  par  fa  valeur  d'être  fait  Meftre  de  camp  d'un  de  ces 
jégimens  de  nouvelle  création  ,  qui  étoient  alors  fort  à  la 
mode.  Le  Roi  apprenant  donc  que  ces  deux  braves  gens 
avoient  fait  une  fi  belle  défenfe  dans  un  pofte  qui  d'ailleurs 
étoit  fi  foible  ,  réfolut  de  \qs  fecourir.  Il  partit  de  Chau- 
mont  où  il  s'étoit  rendu  ,  èc  marchoit  à  la  tête  d'un  déta- 
chem.ent  ,  lorfque  rencontrant  fur  fa  route  les  capitaines 
Nicolo  Glafîi  de  Dalmatie,  &c  Baroni  Commandans  des  Al- 
banois ,  avec  les  deux  régimens  d'infanterie  de  Poutrincour 
&  du  capitaine  Lure  Bafque  ,  il  les  chargea  en  plein  jour 
dans  Surêne  ,  ôc  fit  Glaffi  &  Baroni  prifonniers.  Lercfte  fut 
taillé  en  pièces  ,  ou  fè  rendit.  A  l'égard  de  Poutricour  ôc 
de  Lure  ils  n'etoient  point  alors  à  leur  régiment.  Après  cet 
exploit  ce  Prince  fongeoit  à  continuer  fa  marche ,  iorfqu'il 
xe^ut  la  nouvelle  de  la  prife  de  Corbcil. 

Après  avoir  élevé  lecavaHer  dont  j'ai  parlé  ,  &  s*être  mis 
à  couvert  de  l'autre  côté  de  la  rivière  ,  le  16.  d'Odobre  les 
Efpagnols  donnèrent  TafTaut  à  la  brèche  qui  étoit  fort  con- 
^dèrable  ^  ôc  après  un  combat  long  àc  opiniâtre  ,  où  leca. 
pitaine  Rigaud  fut  tué  avec  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  braves 
gens  autour  de  lui ,  ils  emportèrent  la  place  où  ils  firent  un 
carnage  horrible.  Tout  fut  pafTé  au  fil  de  l'èpèe,  &  on  ne 
£tprefque  point  de  quartier.  Les  femmes  mêmes  &  les  filles 
ne  furent  pas  à  couvert  de  la  brutalité  du  foldat ,  fur- tout 

B  b  iij 


i^S  HISTOIRE 

des  Ëfpagnols  ,  qui  démentirent  bien  en  cette  occafîon  la 
Henri  réputation  qu'ils  le  vantent  d'avoir  ,  d'être  de  toutes  les  na- 
I  V.       tions  la  mieux  dilciplinée.    La  Grange  fut  fait  prilonnier 
1  S  go.     ^vec  quelques  autres  en  petit  nombre.    Du  côte  des  vain- 
queurs Attila  Triilino  noble  Vicentin  fut  blelîe  dangercu- 
fement  à  cet  alTaut  ^  &  Talfis  provedidor  de  l'armée  y  reçut 
une  blelTure  mortelle.  Outre  cela  dès  les  premiers  jours  da 
ûégQ  le  marquis  de  Rency  allant  reconnoîtxe  la  place  avoic 
reçii  dans  la  cuilTe  un  coup  d'arquebule. 

Peu  de  tems  auparavant,  le  cardinal  Gaëtano  content  de 
voirie  fiége  de  Paris  levé,  &  la  ville  ravitaillée  ,  reprit  la 
route  d'Italie  fuivi  des  evêques  d'Ail  &  de  Ceneda  ,  du  Je- 
fuite  Bellarmin  ,  èc  de  Pigafetta  dont  je  viens  de  parler.  Il 
paira  parle  camp  pour  laiuer  le  prince  de  Parme  ôc  le  duc 
de  Mayenne.  De-là  après  avoir  pris  congé  d'eux  il  continua 
fa  route  marchant  à  grandes  journées  arîn  de  fe  trouver  à 
l'éîedion  du  nouveau  Pape  ^  car  on  fi^avoit  déjà  en  France 
la  mort  de  Sixte  V.  &c  celle  d'Urbain  VI.  Ion  fuccefleur  qui 
l'avoit  fuivi  de  près  ,  &  dont  nous  parlerons  plus  au  long 
dans  la  fuite.  Il  paffjit  à  la  vûë  de  Crecy  en  Brie,  lorfque 
Jacque  de  la  Vigne  de  la  Baftide  gouverneur  de  cette  place 
chargea  ion  arrieregarde  &  lui  enleva  une  partie  de  fes  équi- 
pages. Mais  lui-même  s'etant  trop  avancé  refla  prifonnier 
entre  les  mains  des  ennemis  qui  le  traitèrent  d'abord  très- 
mal  ,  parce  qu'on  le  croyoit  complice  de  la  mort  des  Gui- 
{qs.  Cependant  à  la  recommandation  du  duc  de  Nemours 
qui  aiîûra  qu'il  n'avoit  eu  aucune  part  à  ce  meurtre,  il  fuc 
relâché  dans  la  fuite  en  payant  rançon.  De  là  le  Légat  pour- 
fuivant  ia  marche  au  travers.de  la  Champagne  ,  eicorté  par 
le  comte  de  Chaligny  5c  le  capitaine  S.  Paul ,  arriva  enfin 
heureufement  en  Lorraine.  Après  la  priiè  de  Corbeil  le 
prince  de  Parme  refta  vingt  jours  dans  cette  place  afin  de 
donner  le  tems  à  (hs  troupes  de  fe  remettre  des  fatigues  de 
ce  fiége.  Enfin  il  en  partit  au  commencement  de  Novem- 
bre ,  après  avoir  lailPé  dans  cette  ville  deux  cens  Allemands 
du  régiment  du  comte  de  Collalte  ,  &c  quelques  Ëfpagnols 
commandés  par  Alfonfe  Toraquez  3  mais  en  trop  petit  nom- 
bre pour  pouvoir  longtems  garder- ce  pofte  contre  les  troupes 
du  Roi  donc  il  étoic  environné. 


'   DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       199 

Sur  ces  entrefaites  les  garnifons  de   Chartres,  de  Dour-  r^;^;^^::!:^^^^ 
dan ,  ôc  de  Dreux ,  places  du  païs  Chartrain ,  luivies  de  Henri 
deux  pièces  de   canon  allèrent  mettre  le  fiége  devant  le       IV. 
château  de  Maintenon  appartenant  à  Loiis  d'Angennes ,  un      1590. 
des  plus  zèles  ierviteurs  du    Roi.   Comme  les  troupes  du 
Roi  pafloient  commodément  par-là,   &:  par  Nogent,le 
dellein  des  Ligueurs  etoit  de  leur  ôter  cet  avantage  par  la 
prile  de  cepofte.  Mais  François  d'Angennes  de  Moniouec 
îrére  de  Louis  d'Angennes,  étant  accouru  au  fecours  avec 
Pregent  de  la  Fin  de  Maligny,   fuivis   d'environ  cent  che- 
vaux ,  les  ennemis  furent  obligés  de  lever  le  fiége  j  ils  fe  re- 
tirèrent avec  tant  de  précipitation  ,  qu'ils  abandonnèrent  â 
l'ennemi  leur  canon ,  èc  tout  leur   bagage.    Ce  fut  avec  le 
rnême  fuccès  que  Nicolas  d'Angennes  de  Rambouillet  mie 
en  déroute  les  ennemis  à  Sablé  dans  le  Maine.  Les  Ligueurs 
affiégeoient  cette  place  ^  &:  s'étant  déjà  rendus  maîtres  de 
la  ville  a  voient  invefli  le  château,  lorfque  Rambouillet  ac- 
courut au  fecours  j  fut  re^u  dans  le  château  3  &  fit  enfuira 
une  fortie  fi  vigouteufe ,  qu'il  emporta  tous  les  retranche- 
mens  des  alîiegcans  -,  délivra  fa  femme  &  f^s  enfans  qu'ils 
avoient  déjà  taits  prifonniers  ^  ôc  les  tailla  en  pièces ,  ou 
les  mît  en  fuite. 

Mais  je  n'ai  encore  parlé  jufqu'icî  que  des  hommes  illuflres 
qui  s'ètoient  diftingues  au  fervice  du  Roi  ^  la  fortune  favo- 
rable aux  jufles  droits  que  ce  Prince  loûtenoit ,  lui  réfer- 
voit  encore  la  gloire  de  compter  des  Héroïnes  dans  fon  parti. 
Marguerite  Dailiy  époufe  de  François  de  Coligny  qui  étoic 
alors  à  la  fuite  du  Roi ,  avoit   été  alîiégée  dans  Chatillon 
fur  Loing  par  Sallart  de  Bourron  gouverneur  de  Montar- 
gis.  Déjà  l'ennemi  maître  de  la  ville  5c  de  la  balTe*cour  du 
château  commençoit  à  ne  plus  penfer  qu'au  pillage,  lord 
que  cette  femme    forte  .  animée  de  ces  grands  fentimens 
dont  fon  mari  étoit  rempli  ,  ayant  raflèmble  autour  d'elle 
dans  le  château  même  le  peu  de  ferviteurs  qui  lui  reftoient, 
fit  Ibr  les  aflTiégeans  une  fortie  fi  vigoureuie  qu'elle  les  mie 
en  fuite,  fit  Bourron  .lui-même  prilonnier  ,  éc  reprit    tout 
le  butin  que  les  ennemis  avoient  déjà  chargé  fur  des  cha- 
liots  prêts  à  l'enlever. 

Le  Roi  étoit  alors  à  Gifors  dans  le  Vexin  François,  où 


200  HISTOIRE 

9  Catherine  de  Bourbon  fa  tante  abbeiîè  de  SoiiTons  vint  fè 

Hem  RI  rendre  auprès  de  lui,  èc  lui  porta  {qs  plaintes  de  ce  que 
I  V.  Jérôme  Hennequin  Evêque  de  cette  ville  l'en  avoit  hon- 
I  cno,  teufement  chalTee ,  fous  prétexte  qu'elle  travailloit  à  faire 
foulever  les  habitans.  Ce  Prince  lui  fit  tout  l'accueil  poflî- 
ble  j  mais  il  ne  fe  vengea  de  ceux  qui  l'avoient  traitée  fî  mal , 
qu'en  les  abandonnant  à  l'odieux  qu'ils  méritoient  pour 
avoir  violé  dans  la  perfonne  de  cette  Princefle  la  clôture  re- 
ligieufe.  Ce  fut  là  auffi  que  le  Roi  délibéra  des  moyens 
d'avoir  des  fecours  d'Allemagne  pour  l'année  fuivante  :  dc 
parce  que  Gafpard  de  Schomberg  comte  de  Nanteuil,  6c 
Nicolas  de  Harlay  de  Sancy ,  qui  étoient  déjà  depuis  long- 
tems  en  Allemagne  par  ordre  du  Roi,  paroiflbient  pour 
différentes  raifons  peu  propres  dans  les  circonflances  a 
cette  négociation ,  Henri  en  chargea  le  vicomte  de  Turenne , 
qui  outre  l'avantage  que  lui  donnoit  fa  naiiïance  diffcin- 
guée  ,  6c  ion  habileté  dans  la  guerre ,  pofledoit  encore  celui 
de  fçavoir  parfaitement  manier  les  efprits.  De-là  le  Roi  fe 
rendit  à  Saint  Père ,  afin  de  favorifer  la  marche  du  baron 
de  Biron  qui  avoit  ordre  de  lui  faire  venir  de  Dieppe  de 
la  poudre  ,  6c  les  autres  munitions  de  guerre  dont  il  avoic 
befbin. 

Pendant  le  féjour  que  le  Roi  fit  dans  ce  lieu  il  apprît 
que  le  prince  de  Parme  fongeoit  à  repalTer  en  Flandres 
avec  fon  armée  j  6c  que  cependant  il  avoit  defîeîn  de  fe 
fervir  de  cette  occafion  pour  faire  quelque  entreprife  fur 
fa  route.  Sur  cet  avis  Henri  ayant  laiffé  le  foin  de  fon  ar-, 
mée  au  maréchal  de  Biron ,  partit  à  la  tête  d'un  détache- 
ment accompagné  du  baron  de  Biron  ,  pour  fe  mettre 
aux  troufîes  des  Efpagnols ,  6c  rompre  tous  les  projets 
qu'ils  pourroient  former  dans  leur  retraite.  Cepen- 
dant le  maréchal  fe  rendit  maître  de  Pafïi  6c  de  Nonan- 
court,  où  il  vendit  cher  aux  Ligueurs  la  perte  du  brave 
Mignonville,  qui  avoit  été  tué  tandis  qu'il  parlementoic, 
avec  les  rebelles.  D'un  autre  côté  le  Roi  accompagné  du 
baron  de  Biron  6c  des  troupes  qu'il  menoit  avec  lui  j 
ayant  de  plus  donné  ordre  à  Tannegui  le  Veneur  de  Car- 
rouges  ,  qui  lui  avoit  amené  de  Normandie  une  troupe  fort 
iefte,  de  le  fuivre,  partit  d'Efcony  le  4.  de  Novembre  dans 

le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.      lor 

le  de/Tein  de  pourfuivre  l'ennemi ,  &  prît  la  route  de  Com-  ^"^^^^^^^^ 
piëgne  5  parce  que  le  bruic  couroit  que  les  Efpagnols  mar-  Henri 
choient  de  ce  côté-là.  D'autres  afliiroient  cependant  qu'ils       I  V. 
avoient  des  deileins  fur  Château-Thierry.  ^590, 

Tandis  que  ce  Prince  étoit  en  balance  fur  le  parti  qu'il 
devoit  prendre,  Givry  gouverneur  de  Brie,  qui  étoit  alors  Givry  rc- 
à  Melun  ,  forma  avec  Parabere  le  delTein  de  reprendre  brugcL^gny. 
Corbeil.  Dans  cette  vue  il  donna  rendez -vous  aux  gar- 
nirons des  places  voiiines  pour  la  veille  de  faint  Mar- 
tin 3  &  ayant  fait  appliquer  les  échelles  pendant  la  nuit 
dans  un  endroit  où  il  avoit  remarqué  qu'on  faifoit  une 
garde  allez  peu  éxade ,  il  emporta  la  place  -,  les  troupes 
Espagnoles  qui  y  étoient  furent  taillées  en  pièces,  ou  reliè- 
rent prifonniéres.  De  Corbeil  il  alla  avec  le  même  fuccès 
fe  rendre  maître  de  Lagny^  enforte  que  par  la  prife  de  ces 
deux  places  Paris  retomba  dans  le  même  embarras  où  il 
ctoic  avant  l'arrivée  du  prince  de  Parme. 

Il  y  avoit  une  mélîntelligence  fecrette  entre  ce  Prince  èC 
le  duc  de  Mayenne.  La  jaloufie  en  étoit  le  premier  fon- 
dement 5  outre  cela  on  foup(^onnoit  le  Prince  de  n'être  en- 
tré en  France  fous  prétexte  d'amitié  ,  ôc  de  fecourir  le 
parti,  que  pour  ôter  au  Duc  toute  fon  autorité,  &:  renou- 
veller  ce  qu'Efope  nous  raconte  dans  fa  fable  du  Cerf  èc 
du  Cheval ,  en  impofant  aux  François  qui  n'afpiroient  qu'à 
défendre  leur  liberté  ,  un  joug  infupportable  de  rigoureux 
par  les  garnifons  qu'il  mettroit  dans  les  places  dont  il  fe 
faillroit.  Ces  bruits  couroient  même  fourdement  dans  fon 
camp.  Ainfî  le  Prince  qui  connoiiToit  la  légèreté  de  la  na- 
tion ,  mettoit  tout  en  œuvre  pour  efïacer  cette  idée  peu 
avantageufe  qu'on  avoit  de  lui  j  àc  ce  fut ,  dit-on  ,  ce  qui 
l'eno-ao-ea  à  mettre  une  earnifon  fî  foible  dans  Corbeil.  Auiîî 
lorfqu'après  la  pri(è  de  cette  place  les  Pariliens  lui  firent 
une  députation  pour  le  prier  de  fe  rapprocher  avec  fon  ar-  - 

mée ,  ce  Prince  faifit  cette  occafion  pour  leur  reprocher 
très-vivement  qu'ils  connoifïoient  fort  mal  leurs  intérêts 
d'avoir  foufFert  qu'on  mît  une  fi  foible  garnifon  dans  un 
pofbe  de  cette  importance  ,  &  d'aimer  mieux  s'arrêter  à  de 
faux  bruits ,  que  de  prendre  de  juftes  mefures  pour  leur 
confervation.  Du  relie  il  s'excufa  de  leur  accorder  ce  qu'ils 
7^0me  X  /.  Ce 


202  HISTOIRE 

«       fouhaitoient ,  fur  ce  que  Ton  armée  éranc  fort  diminuée,  il  y 
Henri  auroît ,  difoic-il ,  du  danger  à  retourner  fur  {es  pas  aux  ap- 
I  V.       proches  de  l'hy  ver ,  de  à  entreprendre  des  fîégcs  dans  une 
I  ÇQO.     f^i^^"  P^^^  favorable.  Cependant  il  leur  fitefpérer  de  les  dé- 
dommager dans  fa  retraite  de  la  prife  de  Corbeil  par  quel- 
que exploit  d'importance. 

Le  prince  de  Parme  vouloit  parler  de  la  ville  de  Château- 
Thierry  fituée  fur  la  Marne  au  deiïus  de  Meaux  3  mais  le 
Roi  qui  eut  le  vent  defon  defTein ,  réfolut  de  le  prévenir.  Il 
partit  fur  le  champ  de  Compiégne  où  il  avoir  été  joint 
par  un  corps  de  la  Noblefîè  de  Picardie  3  &  s'étant  avancé 
jufqu'à  Château-Thierry  dont  Claude  Pinard  vicomte  de 
Comblify  avoir  le  gouvernement,  il  en  confia  la  garde  à 
la  Noue,  dont  le  zélé  &  la  bravoure  lui  étoient  connus. 
De-là  pour  harceler  l'ennemi  dans  fa  marche ,  il  fit  quel- 
ques détachemens  ,  qui  étant  tombés  le  22.  de  No- 
vembre fur  une  Cornette  de  cavalerie  Efpagnole ,  la  tail- 
lèrent en  pièces ,  &  la  defarmérent.  Trois  jours  après,  le  Roi 
alla  en  perfonne  à  la  rencontre  des  ennemis  à  la  tête  d'un 
détachement  de  trois  cens  chevaux  j  &;  après  quelques  ef- 
carmouches  fe  retira ,  fans  qu'il  y  eût  beaucoup  de  perte  de 
part  ni  d'autre. 

Le  Roi  avoit  donné  rendez-vous  au  duc  de  Nevers ,  pour 
venir  le  joindre  avec  fes  forces ,  ôc  harceler  les  Efpagnols 
dans  leur  retraite  3  mais  depuis  que  ce  Seigneur  avoit  quitté 
la  Cour,  il  avoit  toujours  été  occupé  en  Champagne, 
que  les  Lorrains  &  les  Ligueurs  attaquoîent  conjointement. 
En  effet  dès  le  mois  précédent  le  duc  de  Lorraine  avoit  for- 
mé le  fiége  de  Sainte- Menehoud  où  Dinteville  s'étoit  ren- 
fermé. Il  y  avoit  déjà  quinze  jours  que  les  ennemis  étoienc 
devant  cette  place  3  &  les  affiégés  avoient  fait  plufîeurs  for- 
ties  où  les  Lorrains  avoient  été  fort  mal  menés.  Dans  une 
entr'autres  le  Capitaine  Nervaez  Efpagnol  avoit  été  tué. 
Le  duc  de  Nevers  qui  comptoir  afîèz  fur  la  bravoure  des 
affiégés  ,  ne  fe  mit  donc  pas  en  peine  de  leur  donner  aucun 
fecours3  mais  il  marcha  contre  le  capitaine  Saint-Paul  qui 
défoloit  tous  les  environs  par  fes  couriès  continuelles.  Saint- 
Paul  étoit  pafle  dans  le  Thierache  3  le  Duc  en  ayant  eu  avis 
détacha  de  Vendy  Maréchal  de   camp  3  &  s'etant  rendu 


I590. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.      10$ 

ruî-même  à  Charbougne  le  23.  d'Odobre  tourna  contre  r????!???!!???? 
Poix  ôi  Moncigny  fîcués  à  trois  lieues  de  Meziéres ,  où  il  Henri 
avoit  été  informé  que  Saint-Paul  s'étoit  retiré.  I  V. 

A  la  vue  de  la  cavalerie  du  Roi  les  ennemis  fe  rallièrent 
auflitôt  à  Poix  ,  où  ils  commencèrent  à  fe  retrancher.  Mal- 
gré cela  la  cavalerie  du  Duc  vouloit  les  charger  j  mais  il  les 
arrêta ,  &  les  obligea  d'attendre  environ  cinq  cens  hom- 
mes de  pied  qui  {uivoient ,  dc  qui  n'arrivèrent  qu'à  Soleil 
couché.  Ain  11  on  palTa  toute  la  nuit  fous  les  armes  j  ôc  la 
cavalerie  fut  toujours  au  guet  pour  empêcher  les  afTiégés 
de  leur  échapper,  6c  pour  arrêter  lesfecours  que  Saint-Paul 
auroit  pu  leur  envoyer.    Le  lendemain   on  attaqua  le  vil- 
lage 'j  mais  les  ennemis  retranchés  dans  l'Eglife  6c  dans  le 
Cimetière,  iè  défendirent  fî   bravement ,  qu'ils  rendirent 
ce  premier  efFort  inutile.    Enfin   le  Duc  ayant  fait  venir 
quelque  artillerie  du  château  d'Omont  fitué  dans  le  duché 
de  Rethelois ,  d'où  l'on  n'étoit  pas  éloigné  ,  les   affiégés 
demandèrent  à  parlementer  ,  6c  propoférent  d'abord  des 
conditions  que  le  Duc  rejetta  j  parce  que,  difoit-il ,  ils  n'é- 
toient  pas  dans  un  pofle  alîèz  de  confèquence,  pour  mériter 
qu'ils  capitulaient  avec  lui.  Ainfî  il  leur  confeilla  de  fe  ren- 
dre à  difcretion,  leur  faifant  entendre  qu'ils  auroient  affaire 
à  un  Seigneur  de  bonne  compofition.  Mais  la  crainte  de 
perdre  leurs  bagages  les  arrêta,  6c  fut  lacaufede  leur  perte. 
En  effet  les  troupes  du  Duc  les  ayant  attaqués  fur  ces  en- 
trefaites ,  emportèrent  ce  pofte  d'aiïaut ,  6c  pafTèrent  au  fil 
de  l'èpée  tout  ce  qui  fe  préfenta.  Les  ennemis  perdirent  en- 
viron trois  cens  hommes  en  cette  occafion  j  on  n'y  fit  que 
très-peu  de  prifonniers ,  qui  furent  enfuite  échangés  contre 
d'autres. 

Après  cet  exploit  le  duc  de  Nevers  fe  rendit  à  Mauber- 
Fontaine,  6i  de-là  à  Mont-Cornet,  de  à  Rocroy ,  d'où  il 
tira  quelques  pièces  de  canon  qu'il  conduifit  à  Châlons  j  6c 
il  apprit  que  le  duc  de  Lorraine  avoit  levé  le  fiège  de  Sainte- 
Menehoud ,  fous  prétexte  d'aller  au  fecours  des  troupes 
affiègèes  dans  Poix.  Ce  fut-là  ce  qui  retint  le  duc  de  Nevers 
en  Champagne  plus  longtems  qu'il  n'avoit  efpèré.  De  Châ- 
lons prenant  fa  route  par  Efpernay  ,  il  arriva  au  commen- 
cement de  Novembre  à  la  Ferté  en  Tartenois ,  dans  le 
deiîèin  de  joindre  le  Roi»  Ccij 


204  HISTOIRE 

Le  prince  de  Parme  décampa  de  Fîmes  le  i  ^.deNovembre, 

Henri  6c  ayant  pafle  l'Ayfne  à  Pont-Avere ,  il  rencontra  le  Roi 

IV.  à  la  tête  de   huit  cens  chevaux  d'élite.  Le  Roi  s'étoit  tait 

Q  précéder  par  le  baron  de  Biron,  qu'il  joignit  bientôt  après 

,  avec  un  détachement.  Cependant  il  avoit  donné  ordre  à  la 

Retour  du  ^  T  .  .  '      >   j^}  n  '-r^\  '  •    \     :^:», 

prince  de        Nouë  qui  avoit  quitte  Chateau-Thierry  pour  venir  le  jom- 
rarme.  Jre  ,  de  lui  envoyer  un  détachement   de   chaque   Comète 

de  cavalerie ,  dont  il  forma  cinq  efcadrons  d'environ  cin- 
quante chevaux  chacun  ,  à  la  tête  deiquels  il  s'avança  juf- 
qu'au  village  de  Bazoches.  Là  il  y  eut  une  adion  très-vive, 
où  le  baron  de  Biron  fit  d'abord  plufieurs  charges  contre  les 
Carabiniers ,  qui  font  une  efpéce  d'Arquebufiers  à  cheval , 
armés  decuirafles,  qui  combattent  de  main  à  main.  Enfin 
toute  Tarmée  ennemie  lui  étant  tombée  fur  les  bras ,  il  fut 
obligé  de  fe  retirer.  Ce  ne  fut  pas  fans  danger  ,  parce  que 
la  retraite  fe  trouva  plus  éloignée  qu'on  ne  l'avoit  efpéré. 
C'eft  ce  qui  a  donné  lieu  à  ceux  qui  ont  écrit  la  vie  du 
Prince  de  Parme  de  dire  que  nous  fûmes  défaits  ce  jour-là. 
Il  eft  confiant  néanmoins  que  nous  eûmes  beaucoup  plus  de 
peur  que  de  mal  -,  car  nous  ne  perdîmes  que  deux  hommes. 
Au  contraire  le  nombre  des  morts  fut  beaucoup  plus  grand 
du  côté  des  ennemis  ^  èc  entr'autres  le  capitaine  Blaife  Ca- 
pizucchi  Romain  fut  tué  dans  cette  occafion.  De-là  le  Roi 
le  retirant  infenfiblement ,  &  faifant  cependant  toujours  tête 
à  l'armée  ennemie  qui  le  pourfuivoit ,  arriva  au  village  de 
Longueval  où  la  nuit  fépara  les  combattans.  Ce  Prince  alla 
ce  foir-là  loger  à  Pontarfy.  Toute  la  nuit  on  fut  alerte  de 
part  6c  d'autre  ^  ôc  fi  les  troupes  du  Roi  n'étoient  pas  trop 
en  fureté,  les  Efpagnols  de  leur  côté  ,quiavoient  l'ennemi  en 
tête  èc  en  queue ,  ne  dormirent  pas  tranquillement.  Le 
lendemain  le  Roi  fut  joint  par  le  duc  de  Nevers  ,  Givry  èc 
Parabére,  qui  lui  amenèrent  quelques  troupes,  le  premier 
de  Champagne,  ôc  les  autres  de  Melun.  Enfin  le  29.  de 
Novembre  l'armée  ennemie  étant  arrivée  à  l'Arbre  de  Guife, 
tirant  du  côté  de  Marie,  Henri  après  avoir  donné  ordre  à 
fa  cavalerie  de  fe  trouver  à  Creicy  ,  marcha  contre  les 
Efpagnols  ,  &  détacha  d'abord  le  baron  de  Biron  avec 
quarante  hommes  pour  harceler  leur  arriére-garde.  Celui- 
ci  futfuivi  immédiatement  après  parle  duc  deLongueviik 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       205 

à  la  tête  d'un    corps   de    cavalerie.    Le  Roi    arriva   lui-  > 

même  avec  le  refte  de  fcs  troupes.  D'abord  la  mêlée  com-  Henri 
mença  par  les  Carabiniers ,  qui  forçant  d'un  bois  voifîn  I  V. 
vinrent  charger  Biron,  àc  furent  repoufTés  fi  vigoureufe-  1590. 
ment,  qu'ils  le  virent  obligés  de  prendre  la  fuite.  Ils  fu- 
rent foùccnus  par  George  Bafta  à  la  tête  des  Lanciers ,  qui 
rétablirent  le  combat,  èc  Biron  y  perdit  fon  cheval.  Le 
Roi  qui  craignoit  pour  ce  Seigneur  ayant  paru  ,  le  combat 
finit  par  la  fuite  des  ennemis  j  il  y  en  eut  un  grand  nombre 
de  tués  ,  èc  ils  perdirent  une  partie  de  leur  bagage.  On  croit 
même  que  le  fuccès  auroit  pu  être  complet ,  &.  l'armée  Ef- 
pagnole  entièrement  défaite,  fi  le  refte  de  la  cavalerie  fût 
arrivé  à  tems.  Le  prince  de  Parme  étant  arrivé  fur  la  fron- 
tière eut  un  entretien  particulier  avec  le  duc  de  Mayenne  5 
àc  après  s'être  embrafiès ,  il  lui  laifia  une  partie  de  fes  trou- 
pes ,  &  lui  fit  efpérer  de  les  rafraîchir  au  Printems  prochain 
par  de  nouveaux  fecours,  Enluice  il  rentra  triomphant  en 
Flandres  fier  du  fuccès  de  fon  voyage,  ôc  de  la  levée  du 
fiége  de  Paris. 

Le  Roi  de  fon  côté  tourna  vers  Saint-Quentin ,  où  il  en-  „  ./•  ,  ^ 

^  .  ,  V  .      I  1  Pi^e  de  Cor- 

tra  auih  comme  en  triomphe,  après  avoir  battu  les  enne-  bie  par  .es 
mis ,  &  les  avoir  obligés  de  fortir  de  fon  Royaume.  La  troupes  du 
prile  de  Corbie  mît  le  comble  à  la  joye  publique  que  cau- 
foit  cet  événement.  Cette  ville  fituée  fur  la  Somme  à  qua- 
tre lieues  au-defius  d'Amiens  eft  fameufe  par  une  ancienne 
Abbaye  fondée  autrefois  par  Charlemagne  ,  qui  en  bâtit 
aufli  en  Saxe  une  autre  toute  femblable ,  qu'on  appelle  de 
même  l'Abbaye  de  Corbie.  Outre  qu'elle  eft  dans  une  fitua- 
tion  avantageufe ,  comme  c'eft  une  place  frontière ,  elle  eft 
très-bien  fortifiée.  Pons  de  Bellefouriere  en  étoit  alors  gou- 
verneur ,  àc  s'étoit  déclaré  pour  la  Ligue  après  la  mort  des 
Guifes ,  malgré  toutes  les  follicitations  du  feu  Roi  qui  tenta 
inutilement  de  le  mettre  dans  fcs  intérêts. 

Charle  d'Humiéres  Lieutenant  du  duc  de  Longueville , 
gouverneur  de  la  province  avoic  formé  il  y  avoit  déjà  lonp^- 
cems  le  deflein  de  s'en  rendre  maître.  Différentes  raifons 
lui  a  voient  plufieurs  fois  fait  perdre  cet  objet  de  vue  5 
enfin  il  l'exécuta  heureufement  le  10.  de  Décembre.  Ayant 
appliqué  le  pétard  à  la  place ,  6c  fait  fauter  deux  portes ,  ii 

Cciij 


20^  HISTOIRE 

L  y  encra  à  la  tête  de  (es  troupes ,  6c  s'en  rendit  maître  après 

Henri  avoir  pafTé  au  fil  de  l'épée  la  garnifon  &  le  gouverneur  lui 
1  y.  même.  Cette  prife  incommoda  fort  la  ville  d'Amiens.  En 
j  rQQ  effet  elle  fe  trouvoit  par-là  refîerrée  entre  Corbie  èc  Pec- 
quigny ,  qui  la  tenoient  comme  en  refped  -,  enforte  qu'elle 
ne  pouvoit  s'exempter  de  recevoir  la  loi  de  quiconque  étoic 
maître  de  ces  deux  places.  Il  y  avoit  dans  l'Abbaye  de  Cor- 
bie une  très-belle  Bibliothèque  ,  oùfe  trouvoient  beaucoup 
de  livres  anciens  •  déjà  pillée  par  les  curieux  qui  avoient 
paiîé  par-là ,  elle  fut  enfin  entièrement  détruite  en  cette  oc 
cafion.  Chriftophle  de  Lannoy  de  la  Boiffiere  frère  utérin  de 
Madame  d'Humières  s'ètanc  fort  diftingué  à  la  prife  de 
cette  place  ,  aufli  bien  que  Parabére  ,  le  Roi  en  donna  le 
commandement  au  premier  ,  &  y  mit  une  bonne  gar- 
nifon. 

Henry  fe  rendit  à  Senlis  ,  où  il  donna  audience  à  Guil- 
laume Dafîîs  premier  Prèfident  du  Parlement  de  Bourdeaux. 
Ce  Magiftrat  également  refpedable  par  fa  gravité  ôc  fon 
éloquence  étoit  député  de  fa  Compagnie  avec  deux  Con- 
feillers  de  la  même  Cour  pour  exhorter  le  Roi  à  abjurer  la 
Religion  Proteftante ,  &  à  rentrer  dans  le  fein  de  l'Eglife. 
Comme  il  s'acquitta  de  fa  commifîîon  avec  dignité ,  le  Roi 
lui  aiïura  qu'il  prenoit  {es  remontrances  en  bonne  part ,  èc 
qu'auffitôt  que  les  entrep ri fes  que  formoient  tous  les  jours 
les  rebelles  pour  troubler  le  Royaume  èc  le  détruire ,  le  lui 
permettroient ,  on  verroit  qu'il  ne  fouhaitoit  rien  tant  que 
de  fè  faire  inftruire  dans  un  Concile  convoqué  légitime- 
ment,  foit  général,  foit  national,  Se  de  leur  donner  fatis- 
fadionîfur  cet  article.  Le  Roi  congédia  enfuite  le  duc  de 
Nevers ,  qui  à  fon  retour  en  Champagne  apprit  que  le  Ca- 
pitaine Saint-Paul  alïïégeoit  Ville-Franche  place  frontière 
fituée  fur  la(Meufe.  Il  marcha  aufîîtôt  de  ce  côté-là  j  mais  il 
trouva  en  arrivant  que  le  Gouverneur,  ou  par  lâcheté ,  ou 
par  trahifon ,  avoit  déjà  rendu  ce  poffce  j  enforte  que  les 
troupes  qu'il  envoyoit  au  fecours  furent  repoufTées  avec 
perte. 
Exploits  du  Cependant  les  hoflilitès  continuoient  aufTi  avec  difFèrens 
Dombcs  en  fuccès  dans  les  autres  provinces  du  Royaume.  Henri  de 
Bretagne.       Bourbon  prîncc   de  Dombes ,  à  qui  le  Roi  avoit  donné 


DÉ  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    XCIX.       207 


depuis  peu  le  gouvernement  de  Bretagne ^  étant  de  retour  ' 

dans  cette  Province  partit  de  Rennes ,  où  il  avoit  donné  H  e  n  k  i 
rendez-vous  à  Tes  troupes,  tirant  du  côté  de  Nantes  j  &  IV. 
ayant  eu  avis  que  le  duc  de  Mercœur  avoit  détaché  Vincent  î  5  9  o» 
de  Launay  de  la  Chefnaye  Vaulouet  Commandant  des 
Chevaux-légers  pour  le  Duc  à  la  tête  de  deux  cens  che- 
vaux ,  avec  ordre  de  rompre  toutes  les  entreprifes  du 
Prince,  il  le  furprit ,  le  battit,  &:  le  fit  lui-même  prifonnier 
avec  plufîeurs  autres.  René  de  Rieux  de  Sourdeac  ôc  du 
Broflay  fe  diftinguérent  fort  en  cette  occafîon. 
Delà  le  prince  de  Dombes  marcha  vers  Ancenis  petite  place 
fîtuée  fur  la  Loire  dans  le  plus  beau  pais  du  monde.  Les  Li- 
gueurs en  étoient  maîtres  alors ,  éc  leur  infanterie  y  avoic 
Ion  logement.  Là  il  y  eut  quelques  efcarmouches  très- 
vives  où  les  ennemis  furent  toujours  battus.  Mais  ce  mau- 
vais fuccès  fut  compenfé  par  la  perte  que  nous  fîmes  du 
baron  du  Pont  commandant  de  l'infanterie  royale  ,  qui 
mourut  à  la  fleur  de  fon  âge  d'une  blelTure  qu'il  reçut  au 
bras  dans  une  de  ces  actions.  Il  ordonna  par  fbn  teftament 
que  fa  fille  unique  héritière  de  iès  grands  biens  épouferoit 
dès  qu'elle  feroit  en  âge  le  fils  de  René  de  Tournemine  de 
la  Hunauldaye  Lieutenant  de  Roi  de  la  province ,  qui  n'é- 
toit  encore  qu'un  enfant.  On  lui  donna  pour  fuccefTeur  dans 
le  commandement  de  l'infanterie  Sébaffcien  de  Romadec 
baron  de  Molac  ,  qui  rendit  de  grands  fervices  au  Roi 
dans  toutes  ces  guerres. 

Vitré  place  fituée  fur  la  frontière  du  Maine  dont  le  duc 
de  Mercœur  avoit  formé  le  fiége  dès  l'année  précédente, 
commençoit  à  être  ferré  de  plus  près  par  les  ennemis  quL 
s'étoient  rendus  maîtres  de  tous  les  petits  forts  des  environs, 
lorfque  Jean  du  Mas  de  Monmartin  gouverneur  de  cette 
ville  étant  forti  à  la  tête  de  fa  garnifon ,  fuivi  de  quelque 
artillerie ,  les  reprît  tous  ôc  les  rafà.  En  même  tems  les  Capi- 
taines Martinaye  &  Hurlaye  étant  accourus  au  fecours  de 
leurs  gens  à  la  tête  d'environ  deux  cens  hommes,  il  les  tailla 
en  pièces.  Enfin  peu  de  tems  après  les  garnifons  de  Châtil- 
Ion  ôc  de  Fougères  formèrent  le  deflein  de  furprendre  la 
nuit  le  château  de  Vitré.  Déjà  quarante  des  ennemis 
ctoient  entrés  dans  la  place ,  lorfqu'ayant  été  trahis  par  celui 


io8  HISTOIRE 

là  même  qui  conduifoîc  l'entreprife,  ils  furent  tous  tués, 

Henri  ou  faits  prifonniers.  On  fut  en  partie  redevable  de  ce  fuc^ 
IV.  ces  à  Raton  Sergent  Major ,  qui  peu  de  tems  après  rendit 
I  5 90.  encore  un  fervicefignale  dans  cette  place.  Monmartin ayant 
reçu  ordre  du  Roi  qui  faifoic  alors  le  fiëge  de  Paris ,  de  fe 
rendre  auprès  de  lui  5  de  Mefneuffon  Lieutenant  fut  allez 
négligent ,  ou  aflez  perfide ,  pour  laifler  prendre  le  château 
en  fon  abicnce.  Raton  fe  mettant  à  la  tête  des  habitans  &C 
delagarnifon  fe  difpofa  à  le  reprendre.  Ce  brave  homme, 
que  le  danger  rendoic  encore  plus  intrépide,  attacha  le 
pétard  au  pont-levis  j  ôc  tandis  que  le  duc  de  Mercœur  at- 
tendoit  l'événement  dans  le  voilina^e  avec  toutes  Çqs  trou- 
pes,il  força  la  place,  6c  s'en  rendit  maître,  après  avoir  tué 
de  fa  propre  main  celui  quiétoît  à  la,  tête  des  ennemis.  Les 
aiîiégés  ne  firent  point  d'autre  perte, 
Hcnnebo^nd/  D'uii  autre  côté  le  prince  de  Dombes  ayant  rallèmblé 
toutes  fes  forces ,  paffa  dans  la  balle  Bretagne ,  &  marcha 
vers  Hennebond.  Cette  place  éloignée  de  deux  lieues  du 
port  de  Blavet,  ôc  de  fept  de  la  ville  de  Vannes  n'étoit  pas 
très-forte  j  mais  à  caufe  de  fon  port  6c  de  fa  fituation  avan- 
tageufe,  dont  les  ennemis  profitoient  pour  incommoder  les 
places  voifines  qui  appartenoient  au  Roi ,  &  fur-tout  la 
ville  de  Brefl ,  Gui  de  Rieux  de  Châteauneuf  Gouverneur 
de  cette  dernière  place  fut  d'avis  d'en  faire  le  iiége.  II 
fournit  pour  cela  neuf  pièces  de  canon  ,  qui  n'eurent  pas 
plutôt  fait  brèche  à  la  muraille,  que  la  garnifon  fe  rendit, 
à  condition  qu'on  lui  laifleroit  vies  6c  bagues  fauves.  Le 
Capitaine  du  Pré  brave  officier  entra  enfuite  dans  Henne- 
bond ,  où  on  laifîa  le  canon  qu*on  avoit  fait  venir  de  Breft  j 
6c  il  eut  ordre  de  travailler  incelTamment  à  fortifier  cette 
place.  En  effet  on  parloit  déjà  de  l'arrivée  des  troupes  Ef- 
pagnoles  que  le  duc  de  Mercœur  attendoit  au  port  de 
Blavet. 

Après  la  prife  de  Hennebond  l'armée  marcha  vers 
JofTelin ,  château  appartenant  à  la  maifon  de  Rohan ,  fa- 
meux par  une  tour  quarrée ,  qu'on  regarde  comme  un  ou- 
vrage admirable,  ôc  arrofé  parla  rivière  d'Oufl,  quipafîè 
par  Maleftroit.  D'abord  elle  tailla  en  pièces  les  Chevaux- 
légers  de  l'armée  ennemie  commandés  par  Gilbert  du  Puy 

du 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       209 

du  Fou  de  Combronde.  Enfuire  comme  on   n'étoic  féparé       '    ' 
que  par  la  rivière ,  on  tenta  de  part  ^  d'autre  d'en  venir  H  e  n  r  ï 
aux  mains.  Le  prince  de  Dombes  fouhaitoit   avec  pafîîon       1  V. 
de  donner  bataille  j  &  il  crut  que  les   vœux  alloient  être     i  <oq 
exaucés  fur  ce  que  les  ennemis  fondèrent  alors  le  gué  au 
Roc    de    Saint- André.  Mais  il  parut  enfuite  que  ce  n'étoic 
qu'une  feinte  ^  car  quoique  ks  deux  armées  fuflent  en  pré- 
fence ,  &  que  par  une  impatience  de  jeune  homme  le  Prince 
mît  tout  en  œuvre  pour  attirer  les  ennemis  au  combat,  ja- 
mais il  ne  put  les  y  engager.    Il  y  eut  feulement  entre  les 
deux  partis  quelques  elcarmouclies  ,    où  nos  croupes  em- 
portées par  leur  premier  feu   eurent   prefque  toujours  le 
deiïbus.  Dans  une  de  ces  rencontres  la  Giffardiére  s'étanc 
trompé  aux  ëcharpes  dans  la  mêlée  fut  fait  prifonnier  par 
les  ennemis ,  &  mourut  quelque  tems  après  de  fes  blefTures. 
Enfin  le  Prince  après  avoir  relié  longtems  campé  dans  une 
vafte  plaine  nommée  communément  laLande  duChêne-Torc, 
&  avoir  fait  d'inutiles   efforts  pour    attirer  les  Ligueurs  au 
combat,  prit  la  route  de  Maleftroit,  où  il  lailîà  tout  fon 
bagage  ,  èc  réfolut  de  donner  un  peu  de  repos  à  Ces  troupes. 

Le  duc  deMercœur  profita  de  cette  occafion  pour  faire 
quelque  entreprife.  Il  avoir  dans  fon  armée  neuf  Cornettes 
de  Chevaux-légers  ;  deux  Compagnies  de  Gendarmes  com- 
mandées par  Gabriel  de  Goulenes ,  èc  Daradon  ^  les  gar- 
nifons  de  Dinan,  deDol  de  de  Fougères ,  que  François  de 
Lorraine  marquis  de  ChaufTms  fon  frère  lui  avoir  amenées  j 
les  troupes  de  la  baffe  Bretagne  commandées  par  de  Far- 
vet ,  de  Rozempon ,  de  Coitrefaux  Ôc  de  Querouzy  ^  fi  com- 
pagnie de  cavalerie  5  celle  de  Jean  d'Avaugour  de  Saine- 
Laurent  •  trois  régimens  d'infanterie  j  de  vingt-deux  com- 
pagnies d'arquebufiers  à  cheval.  A  la  tête  de  ces  troupes  il 
marcha  d'abord  contre  Hennebond,  comme  s'il  eûteudef- 
fein  de  l'attaquer ,  &  tourna  tout  d'un  coup  contre  Lope- 
dran  bourg  fituè  à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Blavec, 
où  cous  les  habicans  des  environs,  donc  la  plus  grande  par- 
tie écoic  actachée  au  parti  du  Roi  ,  s'ètoicnt  retirés  avec 
leurs  femmes,  leurs  enfans,  &,  leurs  effets.  Le  duc  fit  affié- 
ger  la  place  par  mer  6c  par  terre.  Du  côté  de  la  terre  les 
alîiégès  fe  défendirent  bravement  3  mais  ils   furent  forcés 

Tûme  XI.  Vd 


2IO  HISTOIRE 

^-  du  côté  de  la  mer  ^  6c  on  ne  peut  exprimer  JQfqu'où  alla 

H  E  N  K  I  contr'eux  la  rage  des  ennemis.  Ils  n'eurent  égard ,  ni  an 

1  V.      fexe,  ni  à  l'âge,  hommes,  femmes  enceintes ,  enfans  à  la 

jroo.     mammelle  ,  tout  fut  paiîé  au  fil  de  l'épée ,  6c  maflacréim- 

pitoyablement. 

A  la  nouvelle  de  ce  iîëge  ,auquelonne  s'atcendoîtpoinCy 
le  prince  de  Dombes  avoit  aiîcmblé  fon  armée  à  la  hâte. 
Elleétoir  compofée  de  fix  Cornettes  de  Chevaux-légers, 
de  cinq  compagnies  de  Gendarmes ,  de  fa  Cornette  de 
cavalerie,  de  trois  régimens  d'infanterie,  ôc  de  dix-fepc 
compagnies  d'arquebufiers  à  cheval.  Outre  cela  il  avoit  été 
joint  par  le  baron  de  Molac ,  6c  par  François  de  Monmo- 
rency  du  Halot  qui  lui  avoit  amené  de  nouvelles  troupes 
levées  fur  la  frontière  de  Normandie.  Avec  ces  troupes  le 
Prince  fe  mit.  en  marche  ^  6c  ayant  appris  le  malheur  arrivé 
aux  affiégés  ,  il  ne  laifTa  pas  de  continuer  fa  route.  Réfolu 
de  les  venger  il  alla  camper  entre  Hennebond  àc  Auray^. 
où  le  duc  de  Mercœur  avoit  fon  quartier  ,  6c  il  y  fit  venir 
de  Hennebond  deux  pièces  de  canon  ,  &L  deux  coulevrines. 
Au  bruit  de  fon  arrivée  les  ennemis,  après  avoir  tranfporté 
leur  artillerie  de  l'autre  côté  de  la  rivière  qui  traverfe  Au- 
ray,  fe  retirèrent  aufiitôt  en  défordre  du  côté' de  Vannes. 
En  même-tems  le  Prince  les  pourfuivit  j  ôC  ayant  rangé  fon 
armée  en  bataille  à  la  vue  de  leur  camp  ,  commença  à  les 
harceler  dans  le  deiîèin  de  les  attirer  au  combat.  Ce  fut 
dans  une  de  ces  efcarmouches  que  Gille  de  Loré  déjoué 
Maréchal  de  Camp  ,  un  des  defcendans  de  ce  brave  Che- 
valier Ambroifc  de  Loré  qui  fervit  il  bien  le  Roi  Charle 
VIL  contre  les  Anglois,  fut  tué  en  forçant  les  lignes  des 
ennemis.  Il  fut  généralement  regrété  de  toutes  les  troupes. 
Enfin  le  Prince  ne  pouvant  engager  les  ennemis  à  en  venir 
aux  mains,  fe  retira  à  Auray ,  qu'ils  avoient  abandonné, 
afin  de  rafraîchir  fon  armée  j  &  parce  que  les  troupes  de 
Normandie  défertoient  tous  les  jours,  quelques  efforts  que 
filLenc  de  Molac  6c  de  Ruqueviile  pour  contenir  le  foldaE 
dans  le  devoir. 

Sur  ces  entrefaites  il  arriva  un  accident  qui  caufa  quel- 
que trouble  dans  le  camp  de  ce  Prince.  François  de 
Keraldanet  du  Rafcol  gentilhomme  Breton  des  plus  riches 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCÏX.      m 

de  la  Province,  avoir  levé  quelques  croupes  en  Ecofre&  dans     '  "■■""■"" ■■" 

les  Ifles  dépendantes  de  l'Angleterre ,  avec  lefquelies  il  s'é-  H  e  n  a  x 
toit  mis  au  iérvice  du  Roi.  C'etoit  un  homme  qu'on  auroit       I  V. 
d'autant  moins  foupçonné  d'aucun  mauvais  defTdn, qu'il  étoic      i  ?  c  o. 
Proteffcant.  Mais  ayant  préfencé  &  recommandé  au  Prince 
incertain  Cordelier,  quife  trouva  depuis  avoir  été  envoyé 
par  Querouzy  un  des  Officiers  de  l'armée  du  duc  de  Mer^ 
cœur,  c'en  fut  afTez  pour  le  rendre  fufpect  3  on  l'arrêta  j  on 
le  mit  à  la  queftion  3  de  quoiqu'il  n'eût  rien  avoué  dans  tous 
Iqs  tourmens ,  cependant  ayant  été  condamné  à  mort  par 
le  Confeil  de  guerre  comme  coupable  d'avoir  confpiré  contre 
la  vie  du  Prince  6c  contre  l'Etat ,  il  eut  la  tête  tranchée  à 
Auray  le  17.  de  Juin.  Ce  jugement  fit  beaucoup  d'ennemis 
iecrets  à  ceux  qui  gouvernoient  l'efprit  du  jeune  Prince  ^ 
parce  qu'on  prétendoit  que  l'accufation  intentée  contre  ce 
Gentilhomme  avoit  tout  l'air  d'une  pure  calomnie. 

De-là  l'armée  marcha  contre  Moncontour  ,  château  du 
duché  de  Penchievre  appartenant  à  Marie  de  Luxembourg 
ëpoufe  du  duc  de  Mercœur,  &  fitué  dans  le  Diocéfe  de  S. 
Brîeu.  Le  Prince  à  qui  il  étoit  venu  depuis  peu  de  nouvelles 
troupes  de  Qiûntin ,  de  Limollan  ôc  de  la  Hunauldaye,  avoic 
entrepis  le  fiége  de  cette  place  dans  l'efpérance  de  livrer 
bataille  à  l'ennemi ,  au  cas  qu'il  vint  au  lêcours  5  ou  de  fe 
rendre  maître  de  cepofte,un  des  plus  avantageux  de  tous 
Iqs  environs.  Ainfî  voyant  que  le  Duc  ne  paroilToît  point 
après  avoir  battu  la  place ,  il  y  fit  donner  un  alTaut  qui  ne 
réiiffit  pas,  mais  qui  répandit  tellement  la  terreur  parmi  les 
alTiégés ,  que  fur  le  champ  ils  fe  rendirent  à  des  conditions 
honorables. 

De  Moncontour  le  Prince  alla  attaquer  Lambalie,  autre 
place  appartenante  aulFi  au  duc  de  Mercœur.  D'abord  la. 
ville  fut  emportée  d'emblée  3  &  le  Prince  fe  préparoit  enfuite 
à  faire  le  fiége  du  château  ,  lorfqu'ayant  euavis  que  l'enne- 
mi qui  étoit  logé  à  Maleftroit  en  étoit  parti,  &  prenoit  la 
route  de  Dinan  ou  de  S.  Malo ,  il  décampa  lui-même  ,  ÔC 
abandonnant  les  vues  qu'on  avoit  eues  d'abord  fur  Guin- 
gam  ,  marcha  à  la  rencontre  du  Duc,  réfolu  de  lui  livrer 
bataille.  Mais  fur  ces  entrefaites  il  apprit  qu'il  avoit  envoyé 
S.  Laurent  à  Dinan  avec  une  partie  de  fon  armée  3  6c  que 

D  d  ij 


212  HISTOIRE 

pour  lui  il  s'étoit  retiré  à  Redon  avec  le  refte.  Ainfi  le  Prince 

HiiNRi   voyant  Tes  troupes  fatiguées  fut  obligé  de  les  congédier  5 

IV.      &  à  peine  put-il  obtenir  des  Officiers  qui  les  commandoienc 

I  5po.     ^^  l'accompagner  jufqu'à  Rennes,  afin  d'efcorter  le  canon 

qu'ils  avoient  amené 
Arrivée  de  Cependant  l'armée  d'Efpaene  compofée  de  cinq  mille 
paç;necn  hommes,&  commandce  par  D.  Juan  d  Aquila  etoit  for- 
Bretagne,  tie  du  porc  de  Laredo  en  Bifcaye ,  &  étoic  venue  abor- 
der au  port  de  Blavec  au  commencement  d'Odobre.  Elle  y 
fut  jointe  par  le  duc  de  Mercœur  à  la  tête  de  fa  cavalerie 
&  de  Ion  infanterie.  De-là  ils  marchèrent  contre  Henne- 
bond  i  de  ayant  mis  en  batterie  tout  le  canon  qu'ils  avoient 
amené  de  Nantes  6c  d'Elpagne  ,  ils  firent  bientôt  une  û 
grande  brèche ,  que  du  Pré  qui  n'avoit  pas  été  afTez  dili- 
gent à  fortifier  cette  place ,  fut  obligé  de  fe  rendre.  Outre 
la  perte  que  nous  fîmes  de  ce  pofle  avantageux  ,  nous  y 
lailîames  encore  neuf  pièces  de  canon  &  des  munitions  de 
guerre  en  abondance.  Les  vainqueurs  en  donnèrent  enfuite 
le  commandement  à  Daradon  ,  6c  y  mirent  une  forte  gar- 
ni fon. 
lettres  du  Le  prince  de  Dombes  qui  ne  fe  trou  voit  plus  en  état  de 
prince  de  faire  tête  à  tant  de  forces  réunies ,  étant  cependant  arrivé 
fuje't!  ^^  ^  '^^  à  Rennes  ,  6c  voyant  à  regret  l'Efpagnol  ennemi  mortel  du 
nom  François  dans  la  Bretagne,  fur  laquelle  il  avoit  lui-mê- 
me des  prétentions ,  écrivit  le  feize  d'Odobre  aux  Etats  de 
la  province  des  lettres  remplies  d'amertume  contre  le  duc 
de  Mercœur.  Pour  fatisfaire ,  difoit-il,  fon  ambition  parti- 
culiére ,  il  ne  s'éroit  pas  contenté  d'avoir  violé  tous  les 
droits  divins  6c  humains,  en  trahifTant  lâchement  le  meilleur 
de  tous  les  Rois  auquel  il  étoit  fi  redevable ,  &  en  devenant 
un  des  complices  de  fa  mort  ^  mais  fe  voyant  hors  d'état 
de  fe  foutenir  par  lui-même  dans  la  Province,  il  avoit  mis 
le  comble  à  tous  fes  attentats  en  y  faifant  entrer  les  Efpa- 
gnols.  Enfuite  il  exhortoit  les  Etats  à  tirer  enfin  ce  voile 
trompeur  de  la  Religion  ,  que  des  Prédicateurs  féditieux 
vendus  à  la  Ligue  avoient  jufqu'alors  étendu  fur  leurs  yei^x 
pour  les  aveugler  jà  reconnoîcie  leurs  véritables  intérêts  5  6£ 
à  longer  tandis  qu'il  en  étoit  encore  tems  ,  à  mettre  leur 
liberté  à  couvert  de  la  tyrannie  des  Efpagnols  ,  dont  hs 


DE  J.  A.  DE  T  HOU,  L IV.    XCIX.        213 

excès  6c  les  cruautés  avoient  rempli  tous  les  pays  de  l'Eu- 
rope 5c  des  Indes  où  cette  Nation  avoit  mis  le  pied.  Ilajoû-  H  F  n  k  s 
toit  que  Dieu  r<^auroit  bientôt  tirer  vengeance  de  leurs  at-  I  V. 
tentats ,  ôc  les  empêcher  de  fe  joîier  plus  long-temsde  fou  ^  ^go, 
nom ,  en  abufant  les  peuples  par  un  vain  fantôme  de  Reli- 
gion :  Qu'au  refle  s'il  parloit  de  la  forte  ,  ce  n'étoit  poinc 
qu'il  appréhendât  les  forces  des  uns,  ni  des  autres  :  Qu'il  ne 
leur  demandoit  point  de  lui  ouvrir  les  portes  de  leurs  for- 
terelîès,  de  leurs  villes,  ni  de  leurs  châteaux  :  Qu'il  les  prioic 
feulement  de  fe  tenir  chez  eux  tranquilles  ,  d'être  fîmples 
fpedateurs  de  l'événement  ,  ôc  de  ne  donner  ni  retraite  ni 
fecours  à  l'ennemi  ^  les  affûrant  s'ils  lui  accordoient  cet  ar- 
ticle ,  qu'avec  la  grâce  de  Dieu ,  de  fécondé  des  forces  de 
S.  M.  il  feroit  bientôt  repentir  les  ennemis  de  leurs  crimes 
Ôc  de  leur  témérité  ,  par  la  vengeance  éclatante  qu'il  pré- 
tendoit  tirer  de  l'inhumanité  des  uns ,  &:  de  la  lâche  trahie 
fon  des  autres. 

Peu  de  tems  après  arrivèrent  en  Bretagne  huit  cens  Lanfl 
quenets  envoyés  par  le  Roi ,  qui  venoit  de  licentier  fon  ar- 
mée. Les  chefs  du  parti  de  ce  Prince  crurent  devoir  profi- 
ter de  cette  occalîon.  Comme  les  places  qui  tenoient  pour 
le  Roi  dans  le  Maine  &  fur  la  frontière  recevoient  beau- 
coup de  préjudice  des  forts  que  les  Ligueurs  occupoienc 
dans  les  environs  ,  Brandelis  de  Champagne  marquis  de 
Villaine  qui  commandoit  dans  Laval ,  écrivit  au  prince  de 
Dombes  pour  le  prier  de  lui  aider  à  s'en  rendre  maître. 
Auffitôt  le  Prince  lui  envoya  la  Hunauldaye  à  la  tête  de  cent 
chevaux  de  de  cinq  cens  arquebufiers.  Avec  ce  renfort  le 
Marquis  prit  le  château  de  Malence  entre  Rennes  de  Vitré 
qui  capitula  à  l'approche  du  canon.  De -là  il  marcha 
contre  la  Patriere  ,  éc  ayant  obtenu  une  entrevue  du  capi- 
taine Picaignes  qui  commajidoit  dans  cette  place  ,  il  l'enga- 
gea à  fe  foumettre.  En  même  tems  les  ennemis  mirent  le  feu 
au  château  de  Bourgeau  voilln  de  Craon  ,  6c  peu  éloigné 
de-là  j  après  quoi  ils  l'abandonnèrent.  La  prife  du  château 
de  Coudray  fîtué  fur  la  rivière  de  Mayenne ,  6c  qui  outre 
l'avantage  de  fa  fîtuation  avoit  encore  celui  d'être  bien  for- 
tifié ,  coûta  plus  de  peine.  La  Brochardiére ,  homme  roue 
dévoué  au  parti ,  6c  qui  au  commencement  de  cette  guerre 

D  d  iij 


iï4  HISTOIRE 

■f^g^y"*"-^  avolc  pris  Château- G ontier  en  Anjou,  commandoît  dans  ce 
Henri  pofte.  Sur  le  refus  qu'il  iic  de  fe  rendre ,  après  quelques  vo- 
I  V.       lées  de  canon  le  Marquis  fie  donner  Tefcalade  à  la  place  6c 
ï55)0,     l'emporta.  Environ  foixante  des  afliégës  périrent  à  cet  af- 
faut  j  les  autres  furent  faits  prifonniers  de  guerre  •  &  on  fie 
pendre  la  Brochardiére  avec  tous  les  autres  féditieux  qui 
étoicnt  dans  le  château.  Voilà  ce  qui  fe  pafTa  en  Bretagne 
fur  la  fin  de  l'année, 
îiéjuftion        D'un  autre  côte  Jacque  de  Goyon  de  Matignon  maré- 
^eiaGuienne  clial  de  France  gouvcmcur  de  Guienne  fe   conduifbit  avec 
^u  r.ol'^^^^"  beaucoup  de  modération  ,  èc  fe  contentoit  de  contenir  dans 
le  devoir,  à  l'exemple  de  Bourdeaux  ,  les  autres  villes  6c 
les  peuples  de  cette  grande  Province.  Il  effc  vrai  que  la  plu- 
part des  habitans  de  cqzzq  Capitale  gagnés  par  les  Jéfuites 
qui  au  commencement  de  cette  guerre  avoient  été  bannis 
de  la  ville ,  &  s'étoient  réfugiés  à  Agen  6c  à  Périgueux,  villes 
du  parti  de  la  Ligue  ,  6c  entretenus  dans  leur  erreur  par  les 
émilFaires  de  la  Société  ,  étoient  fort  mal  intentionnés  pour 
le  Roi.  Mais  la  crainte  du  Maréchal  qui  fe  trouvoit  le  maî- 
tre de  leurs  fortereiïès  les  emp échoit  de  fe  déclarer.  A  l'é- 
gard du  Parlement ,  il  agiiFoit  plus  ouvertement^  6c  par  haine 
pour  les  Proteftans  6c  pour  le  Roi  qui  fuivoit  leur  dodrine, 
il  ne  s'autorifoit  point  encore  de  fon  nom  dans  les  ades  pu- 
blics. Ainfî  (qs  arrêts  n'étoient  encore  fcellés  que  du  fceau 
du  feu  Roi. 

Il  n'y  avoit  rien  de  plus  ridicule  que  ce  procédé  ^  rien 
qui  pût  être  d'un  plus  dangereux  exemple ,  que  de  s'auto- 
rifer  encore  du  nom  d'un  Prince  décédé ,  dont  le  pouvoir 
étoit  expiré  par  fa  mort  j  comme  fî  le  Royaume  eût  été  dans 
un  interrégne.  C'effc  ce  que  penfoient  les  gens  fages  j  6c  le 
Maréchal  croyant  devoir  remédier  à  ce  mal  ,  en  vint  à 
bout  de  concert  avec  N.  le  Conte  maître  des  Requêtes. 
Comme  il  avoit  entre  fes  mains  le  fceau  du  Parlement ,  le 
maréchal  de  Matignon  6c  lui  firent  fondre  l'ancien  ^  &  on  en 
grava  un  nouveau  où  étoient  le  nom  6c  les  armes  de  Henri 
ï  V".  roi  de  France  6c  de  Navarre.  Cependant  le  Parlement 
ne  vouloir  point  admettre  aucun  ade  fcellé  de  ce  fceau ,  6c 
avoit  même  donné  un  ajournement  perfonnel  contre  le 
Conte  :1e  Procureur  général  intervint  j  enfin  la  chofe  fut 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  X  C  î  X.       iif 

mife  en  délibération-  le  Parlement  s'aflèmbla  en  préfence 
du  Maréchal,  qui  fur  d'autres  prétextes  fit  interdire  à  ceux  H  e  n  k  i- 
des  membres  de  cette  Compagnie  qui  lui  étoient  lufpects       1  V. 
la  connoiilance  de  cette  affaire  j  &  il  y  eut  un  arrêt  qui  or-      j  r^o,. 
donnoit  que  dans  la  fuite  tous  les  ades  publics  n'auroient 
d'autorité  dans  tout  le  rciïbrt  de  la  Cour,  qu'autant  qu'ils 
porteroienc  le  nom  &.  les-  armes  de  S.  M. 

Quelque  cems  après,  tandis  que  le  maréchal  de  Matignon 
etoit  dans  le  Condomois  ,  les  Ligueurs  profitèrent  de  fon 
abfence  pour  furprendre  Rions ,  château  du  Bazadois  de  la 
dépendance  du  Comté  d'Albret.  Le  couvent  des  cordeliers 
voifin  de  la  porte  du  château  leur  avoit  beaucoup  fervi  à 
conduire  leur  entreprife  j  ainfi  comme  ils  appréhendoienc 
d'être  affiégés  dans  cette  place,  ils  chafFérent  auffitôt après 
ces  Religieux  qui  avoient  contribué  au  fuccès  de  leur  entre- 
prife ,ôc  ruinèrent  cette  maifon  jufqu'aux  fondemens.  Mais 
cette  précaution  leur  fervit  peu  j  au  bout  de  quelques  jours 
Je  Maréchal  vint  \qs  inveflir  dans  ce  pofte  j  ôc  fon  artille- 
îie  ayant  fait  une  brèche  confidérable  à  la  place,  ils  furent 
contraints  de  fe  rendre  vies  de  bagues  fauves.  Peu  de  tems 
après  les  rebelles  furprirent  aufii  le  29.  d'Oélobre  Bourg  , 
ville  fituée  dans  le  confluent  de  la  Garonne  Ôc  de  laDor» 
dogne  J  mais  de  Juviheres  conferva  le  château  où  il  s'ètoîc 
retiré  j  ôc  par  fa  ïèrmeté  il  donna  le  tems  aux  Bourdelois 
que  la  prifè  de  ce  pofte  incommodoit  fort,  d'y  envoyer  des 
croupes ,  dc  au  duc  d'Efpernon  d'accourir  au  fecours  avec  Iqs 
garnifons  d'Angoulême  &  des  places  voifines -,  en  forte  que 
les  ennemis  fe  trouvants  affiégés  entre  les  troupes  du  Roi& 
le  château  furent  obligés  d'abandonner  leur  prife.  Depuis 
ce  tems-là  Bourg  refta  au  pouvoir  du  duc  d'Eipernon ,  & 
le  Roi  après  bien  des  ordres  réïtérés  eut  beaucoup  de  peine 
à  le  retirer  de  fcs  mains. 

Le    10,  de  Novembre  le  Roi  donna  de  fon  camp  de  Révocation 
Mante  une  déclaration  enregiftrée  dix  jours  après  au  Parle-  ^«dambres 

^  r,  V  T-,  1      ^    II     M       '  •     1       /^L         1  établies  en 

ment  leant  a  Tours,  par  laquelle  il  revoquoit  les  Chambres  faveur  des 
établies  par  le  feu  Roi  au  commencement  de  ces  troubles  Proteftans. 
à  S.  Jean  d'Angely  en  Saintonge ,  à  Bergerac  en  Périgord, 
&i  à  Montauban  en  Quercy  j  &  tranfportoit  leur  jurifdiclion 
aux-  anciens  Tribunaux  ,  éc  aux  Parlemens  dans  le  relForc- 


2i(?  HISTOIRE 

defquels  elles  fe  trouvoi^nc.  Cette  révocation  fît  beaucoup 
Henri  de  plaiiîr  aux  Bourdelois ,  &  ne  fervit  pas  peu  â  augmen- 
I  V.       ter  leur  attachement  pour  le  Roi. 

I  ç£)o  Cependant  la  guerre  ctoit  beaucoup  plus  allumée  dans  le 

E>cpioicsde  Dauphiné  &:  dans  la  Provence  fur  lefquelles  le  duc  de  Sa- 

lEtdiguicres  vove  avoic  des  vues  depuis  long-tems  ,  comme  étant  plus 

en  Provence  -  r  iCT^^ry'  '      '  J       ^  r»    •  •     r  • 

.&  en  Dau-     voilincs  dc  les  Etats.  L  année  précédente  ce  Prmce  avoit  faïc 
piîiué.  inutilement  beaucoup    d'efforts  pour  fe  rendre  maître  du 

Dauphiné  ,  où  Alfonfe  d'Ornano  Corfe  ,  èc  François  de 
Bonnes  de  l'Efdiguieres  commandoient  pour  le  Roi  j  ainfî  il 
tourna  cette  année-ci  toutes  Tes  forces  contre  la  Provence , 
où  étoit  Bernard  de  Nogaret  de  la  Valette. 

Au  commencement  de  Tannée  l'Efdiguieres  avoit  invefli 
Grenoble,  où  commandoit  pour  la  Ligue  Charle  de  Si- 
niiane  d'Aibigny  ^  il  fe  contentoit  de  poufTer  lentement  ce 
fiége,  perfuadé  que  cette  ville  étant  fort  peuplée  ,  il  lui  fè- 
roit  aifé  de  la  réduire  par  la  famine.  Mais  au  mois  de  Mars 
Antoine  Olivera  fit  entrer  dans  la  place  des  vivres  &:  des 
fecours.  D'un  autre  côté  le  Roi  prefToit  l'Efdiguieres  dc  faire 
la  guerre  au  duc  de  Savoye  •  c'cfl  ce  qui  fat  caufe  que  cette 
ville  tint  plus  long-tems  qu'on  ne  l'efpéroit. 

Outre  les  Ligueurs  qui  favorifoient  le  duc  de  Savoye  , 
le  parti  de  ce  Prince  étoit  encore  foutenu  en  Provence  par 
Chrétienne  d'Aguerre  veuve  de  Louis  d'Agout  comte  de 
Sault ,  femme  d'un  courage  mâle.  Elle  étoit  perfonnelle- 
ment  mécontente  du  duc  d'Efpernon  j  &  Jean  de  la  Garde 
de  Vins ,  homme  vendu  au  parti  &  au  Duc  qui  avoit  époufé 
lafœur  du  feu  comte  de  Sault,  &  qui  commandoit  en  Pro^ 
vence  pour  les  rebelles  ,  la  follicitoit  fans  celTe  à  brouiller 
les  affaires  de  cette  Province.  Ce  fut  à  fa  follicitation  que 
le  duc  de  Savoye  entra  dans  le  pays  à  la  tête  d'une  puiiîànte 
armée.  Au  bruit  de  fon  arrivée  la  Valette  marcha  aufîitôc 
à  fa  rencontre  ^  &  dans  plulieurs  petits  combats  qui  fe  don- 
nèrent entre  eux  ,  Jl  fut  toujours  fi  fupérieur  au  Duc  , 
qu'ayant  répandu  la  terreur  de  fon  nom  dans  tous  les  en- 
virons ,  il  fe  rendit  maître  dans  les  mois  de  Juin  6c  de  Juillec 
du  château  de  Pertuys  ,  de  Puymichel  ,  de  Valenfole,  de 
Montagnac ,  &  de  plufieurs  autres  places  fortes  qui  fe  foù- 
niirent  à  lui  ,  ou  qu'il  força  de  fe  rendre.  Il  fut  fécondé 

dans 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.      217 

dans  Ton  expédition  de  rErdiguiéres  qui  étoic  venu  le  join- 
dre à  la  tête  de  trois  cens  chevaux  ,ôc  de  douze  cens  arque-  H  e  n  ai 
bufiers.  I V. 

Ce  fut  dans  ce  même  tems  que  mourut  le  capitaine  la  i  ego, 
Cayette  tué  dans  ion  fort  au  pied  du  mont  Genevre.  Il 
ëtoit  fils  d'un  boucher  ,  dit-on  ^  mais  dans  nos  guerres  ci- 
viles il  avoit  pris  des  fentimens  fort  au-deflus  de  Ton  érac 
&  de  fa  naillance.  Gagné  par  le  duc  de  Savoye  ,  la  Cayette 
étoit  fur  le  point  de  lever  des  troupes  pour  Ton  fervice  , 
dans  le  deifein  de  le  rendre  maître  de  Briançon  ôc  d'Exilles 
qui  tenoient  pour  la  Ligue,  lorfque  quelques  amis  que  TEC 
diguiéres  avoit  dans  la  vallée  voiflne  ,  gens  attachés  au 
parti  du  Roi,  allèrent  l'attaquer  dans  ion  château  le  15. 
de  Juillet,  y  attachèrent  le  pétard,  forcèrent  la  place,  6c 
tuèrent  la  Cayette. 

Cette  mort  facihta  beaucoup  l'exécution  des  deiïeins  que  Rc'judiondc 
rEfdieuières  avoit  fur  cette  Province.  Auditôt  qu'il  en  eut  ^'/anc^onà 
reçu  la  nouvelle, il   quitta  la  Provence  èc   marcha  contre  du  Roi. 
Briançon ,  ou  il  fçavoit  que  la  plupart  des  habitans  étoienc 
âffedionnès  au  parti  du  Roi  j  &  que  les  autres, confternés 
par  la  perte  de  la  Cayette  fongeroient  à  fe  rendre  des  qu'il 
paroîtroit.  En  effet  il  commença  par  drelîer  une  batterie  de 
quatre  pièces  de  canon  qu'il  avoit  fait  venir  avec  une  ex- 
trême diligence  -,  Se  il  n'eut  pas  plutôt  ouvert  la  tranchée  , 
qu'avant  le  premier  coup   de  canon  Clavaifon  ,  que  le  duc 
de  Mayenne  avoit  mis  autrefois  dans  cette  place ,  deman- 
da à  parlementer,  êc  fe  rendit  le  6.  d'Août. 

De-là  l'Efdiguiéres  marcha  du  côté  du  mont  Genevre 
dans  l'efpérance  de  pouvoir  peut-être  avec  le  même  bon- 
heur fe  rendre  maître  d'Exilles ,  dont  la  pkipart  des  ha- 
bitans étoient  dans  iès  intérêts.  Son  deSèin  étoit  de  fe 
faifîr  de  ces  pafïages  des  Alpes ,  par  où  les  François  firent 
autrefois  entrer  du  canon  en  Italie ,  &  de  fermer  ainiî  l'en- 
trée du  Royaume  au  duc  de  Savoye  de  ce  côté-ld  ;  mais 
fon  entrepriie  ne  rètiffit  point-  àc  il  repalFa  fur  le  champ 
en  Provence  ,  où  la  Valette  le  rappella  pour  fecourir  S. 
Maximin. 

Le  comte  François  de  Martinengue ,  qui  depuis  que  le 
4uc  de  Ferrare  avoit  rappelle  le  comte  de  Saint  Martin  , 
Tome  XI,  Ee 


1 1  8  HISTOIRE 

îriîîî^^;^^  commandoît  en  chef  les  troupes  du  duc  de  Savoye  ,  avoît  tel- 
Henri  lemenc  invefli  cette  place ,  qu'après  s'être  détendus  avec  la 
I  V.  plus  grande  bravoure ,  les  aflîégcs  privés  de  toute  efpérance 
I  590.  ^^  lecours  iongeoient  à  fe  rendre.  Déjà  l'uldiguiéres  s'étoic 
avancé,  ôcn'etoitpas  loin  de  Barcelonnerte  place  apparte- 
nante au  Duc  ,  lori'que  de  Salinas  vieil  Officier  Elpagnol  qui 
y  commandoit  ,  attaqua  le  capitaine  Boillet  qui  étoit  a  la 
tête  d'une  compagnie  d'infanterie  ,  6c  de  Biiquemaut  Capi- 
taine d'une  compagnie  de  Gendarmes,  qu'il  avoit  réiolu 
d'enlever  j  mais  il  fut  mis  en  déroute  &  oblige  de  prendre  la 
fuite  ,  lailîant  plus  de  cent  des  Tiens  fur  la  place:  trente 
autres  turent  faits  prifonniers  ^  6c  lui-même  eut  beaucoup 
de  peine  à  fe  iauver  avec  le  nombre  qui  lui  r^ftoit.  La  Vo-- 
luere  Capitaine  des  gardes  du  Duc,  qui  après  la  mort  du 
maréchal  de  Bellegarde  avoit  livré  dix  ans  auparavant  la 
citadelle  de  Carmagnole  au  père  du  duc  de  Savoye ,  ôc  qui 
avoit  mérité  par  cette  trahifon  la  place  qu'il  occupoit,  fuc 
pris  dans  cette  rencontre  ^  mais  il  mourut  aulTitôt  après  des 
blefTures  qu'il  avoit  remues ,  êc  évita  ainfî  le  fupplice  auquel 
il  étoit  rélèrvé.  Cette  adion  fe  palTa  neuf  jours  après  la  red- 
dition de  Briançon.  Le  lendemain  Riflolles  château  appar- 
tenant au  Duc,  qui  en  avoit  confié  la  garde  à  deux  com- 
pagnies de  gens  de  pied,fe  rendit  à  l'Eldiguiéres  ,à  condi- 
tion que  la  garnifon  fortiroit  en  armes  après  lui  avoir  livré 
{qs  drapeaux.  Enfin  comme  l'armée  continuoit  ia  marche, 
le  comte  de  Martinengue  leva  le  fiége  deS,  Maximin.  Mais 
l'Efdiguiéres  qui  ne  vouloir  pas  être  venu  inutilement  en 
Provence,  alla  inveftir  le  château  de  Barles  qui  fe  rendit  à 
difcrétion  le  dernier  jour  d'Août  après  huit  jours  de  fiége. 
D'un  autre  côté  le  duc  de  Savoye  fe  mit  en  campagne  â 
la  tête  de  trois  mille  hommes  de  pied  ôc  de  trois  cens  che- 
vaux •  6c  alla  afTiéger  S.  Paul  que  l'Efdiguiéres  avoit  forti- 
fié dans  le  pays  même  de  l'obeifTance  du  Duc  ,  le  battit 
avec  trois  pièces  de  canon  ,  6c  l'obligea  à  fe  rendre  ,  à  con- 
dition que  la  garnifon  fortiroit  en  armes  ,  tambour  battant, 
6c  enfeignes  déployées.  La  prife  de  ce  pofte  arriva  le  jour 
que  Barles  capitula  5  6c  ce  jour  là  même  l'Efdiguiéres  ac- 
courant au  fècours  de  S.  Paul  avec  fa  diligence  ordinaire  , 
vint  camper  à  Vars  à  trois  lieues  de  ks  ennemis.  Sur  quoi 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCIX.         ti<) 

le  duc  de  Savoyc  qui  apprëhendoic  d'en  venir  aux  mains  '  "^^^ 


après  s'être  à  peine  donné  le  tems  de  pli^r  bagage,  fe retira  H  e  n  k  i 
en  déiordre  vers  la  montagne  voifîne  ,  nommée  commune-       I  V, 
ment  le  mont  de  l'arc  ,  d'où  il  marclia  toute  la  nuit  aux     i  590. 
flambeaux  Jufqu'à  ce  qu'il  fut  arrivé  en  lieu  de  lûreté.  Ce- 
pendant nos  troupes  s'étant  mifes  à  fes  trouffi^s  chargèrent 
•îbn  arricre-garde,  &;  firent  prisonnier  D  .Pedre  de  Vargas 
Capitaine  des  gardes  de  la  duchelTe  de  Savoye.  Le  lende- 
main l'Efdiguiéres  profitant  de  i(is  fuccès ,  alla  fe  préfenter 
devant  S.  Paul  ^  àc  comme  Ton  canon  n'etoit  point  encore 
arrivé,  il  y  attacha  le  pétard,  l'attaqua  en  plein  jour,  ôcle 
força  après  un  combat  opiniâtre  qui  dura  trois  heures.  Deux 
cens  hommes  de  garnif^jn  que  le  duc  y  avoit  mis  ,  furent 
pafTés  au  fîl  de  l'épée  ,  bc  Zapata  qui   en  étoit  Gouver- 
neur ,  fut  fait  prilonnier  avec  Hercule  Capra  fbn  fergenc 
Major. 

En  même  tems  de  Sonnas  étoit  entré  dans  la  vallée 
d'Exilles  à  la  tête  de  trois  mille  hommes  de  pied  &  de  trois 
cens  chevaux  ,  avec  ordre  de  ravager  les  environs  de  Brian- 
çon  &  d'Embrun,  &  de  rejoindre enfuite  le  Duc  pour  mar- 
cher du  côté  de  Guilleftre.  L'Efdiguiéres  en  ayant  eu  avis, 
réfolut  de  le  prévenir.  Dans  cette  vue  il  marcha  aufîi-tôc 
du  coté  de  Brianc^on  j  êc  ayant  appris  que  l'ennemi  étoic 
campé  à  Chaumois,il  manda  aux  habitans  des  vallées  de 
lui  fermer  le  paflàge.  En  même  tems  il  détacha  pour  les 
Soutenir  de  Morges  avec  fa  compagnie  de  cinquante  Gen- 
darmes ,  ôc  deux  enfèignes  de  gens  de  pied.  Cet  Officier 
étant  arrivé  au  moment  qu'on  en  étoit  aux  mains ,  &  voyant 
la  vidoire  balancer  entre  les  deux  partis,  chargea  les  enne- 
mis proche  d'un  retranchement  qu'ils  avoient  fait  attaquer 
en  trois  endroits  par  quinze  cens  hommes  j  &.  les  mit  en  dé- 
route,après  en  avoir  laifîë  flx-vingt  fur  la  place.  Cette  adion 
fe  pafTa  le  9.  de  Septembre.    "■ 

Qiiatre  jours  après,  l'Efdiguiéres  alla  camper  à  deux  Heués 
d'Exilles.  Là  il  eut  avis  que  le  duc  de  Savoye  s*étoit  retiré 
à  Nice ,  6c  avoic  laiffé  une  partie  de  fes  troupes  au  général 
Sonnas.  Sur  cette  nouvelle  il  fe  rendit  à  Exilles  même  dans 
le  deffein  d'engager  l'ennemi  à  en  venir  aux  mains ,  &  fit 
paffer  les  monts  à  quatre  pièces  de  canon  qu'on  lui  envoya 

E  e  i  j 


2  10  H   I  S  T  O  I  H  E 

"»^*»»°"«"  d'Embrun.  Sonnas  éroit  alors  logé  à  Chaumonc  ^  maïs  poinr 

Henri  evirer'  le  voifmage  de  nos  troupes  ,  il  abandonna  ce  pote 

IV.       après  leur  arrivée,  &:  ie  retirai  Suie  avec  quinze  cens  ar- 

i  cao,      quebuliers  &;  cinq  cornettes  de  cavalerie.    Lefdiguiéres  de 

ion  côté  le  pourliaivit ,  Tatteignic  ,  &  l'attaqua  ii  à  propos,. 

qu'il  le  mit  en  déroute  ,  après  lui  avoir  tue  plus  de  trois  cens 

hommes.  De  ce  nombre  turent  de  Montaigre  ,  de  Valieres  ,. 

Chapot  l'aîné  ,  èc  pluiieurs  autres  Officiers.   On  fit  auffi  plu- 

fleurs  prifonniers  ,  parmi  Icfquels  le  trouvèrent  Chapot  le 

cadet.Maréchal  de  camp  èc  Lieutenant  du  marquis  de  Tre- 

fort ,  avec  les  capitaines  TroilFelve  ,  la  Rauviere  ,  Se  Saint- 

Honon  (i).    Sonnas   s'étant  égaré  dans  les  ténèbres  ,.  fut 

longtems  tenu  pour  mort  par  les  gens.    Ceux  qui  le  fauve- 

rent  de  cette  défaite  allèrent  chercher  un  alyle  dans  Sufe. 

Deux  jours  après  arrivèrent  au  camp  Louis  de  Blain  du 
Poiiet,  6c  Henri  delaForeft  de  Blacons  avec  un  détache- 
ment de  deux  cens  gendarmes  &:  de  trois  cens  arquebufiers. 
Avec  ce  renfort  Lefdiguiéres  alla  mettre  le  liège  devanc 
Exilles  fur  la  frontière.  Ponfenac  qui  commandoit  dans  ce 
pofte  voyant  les  affaires  du  duc  de  Savoy  e  en  mauvais  état, 
le  canon  des  alfiègeans  prêt  à  foudroyer  la  place  ,  les  trou- 
pes du  Roi  renforcées  d'un  nouveau  lècours ,  toutes  les  pla- 
ces des  environs  au  pouvoir  des  ennemis  ,  &  n'ayant  au  mi- 
L*eu  de  tout  cela  aucune  efperance  d'être  fecouru ,  fongea 
de  bonne  heure  à  pourvoir  à  la  fureté ,  èc  rendit  le  château 
le  dernier  jour  de  Septembre  ,  à  condition  qu'il  fortiroit  vie 
&;  bagues  fauves. 

Entre  Sufe  àc  la  Novalaife  l'ennemi  avoir  pollè  au  pied 
d'une  hauteur  proche  de  Talon  ,  huit  compagnies  d'infan- 
terie commandées  par  le  Général  Venufte.  D'abord  il  y 
avoit  eu  un  duel  propoiè  entre  de  Morges  èc.  de  Sonnas.  Mais 
comme  Sonnas  pour  éviter  le  combat ,  pretextoit  qu'il  n'a- 
voit  point  encore  re^u  les  ordres  du  duc  de  Savoye  ,  Lefdi- 
guiéres marcha  contre  ces  huit  compagnies  ,  &  attaqua  ce 
pofte  11  vivement,  qu'il  l'emporta  après  avoir  tué  aux  enne- 
mis environ  loixante  hommes  ,  du  nombre  defquels  fut  le 
Général ,  avec  les  capitaines  CalTard  6c  Chaburdes.  Le  ca- 
pitaine Villars  fut  fait  prilonnier  avec  pluiîeurs  autres ,  6c 
(i)  La  relation  le  nomme  Sainc-Honos. 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  XCîX.        m 

4|naa-c  compagnies  dlnfancerie  commandées  par  Gentou 
Maréchal  de  camp  ,  abandonnèrent  le  lervice.  De-là  Lefdi-  Henri 
guiéres  revint  à  Exilles ,  6c  lit  repallcr  Ion  canon  à  Embrun,  I  V. 
En  même  tems  il  en  fit  venir  deux  pièces  de  Gap  ,  parce  que  1590. 
k  route  étoit  plus  ailée  de  ce  côté-là  ,  &  alla  mettre  le  iicge 
devant  une  place  du  comté  de  Nice  appartenante  au  duc 
de  Savoye  ,  à  laquelle  il  n'eut  pas  plutôt  fait  brèche  ,  que 
Charle  de  la  Rovere  d'Aft  qui  y  commandoic  avec  trois  cens 
hommes  de  garnilon  ,  fe  rendit  le  14.  d'Oc1:obre'.  Par  la  ca- 
pitulation les  armes ,  les  enfeignes-,  le  bagage  dévoient  re- 
fter  dans  la  place,  &:  on  accordoit  feulement  aux  Officiers 
de  forcir  l'épée  au  côté  6c  à  cheval ,  pourvu  cependant  qu'ils 
ne  montalTent  point  de  chevaux  de  guerre.  Le  lendemain 
Lefdig.uiéres  fit  battre  le  château  de  Mcrlaus  lirué  de  ce  côté- 
là  j  mais  à  peine  y  eut-il  une  brèche  raifonnable  que  la  gar- 
nifon  craignant  que  la  place  ne  fut  emportée  d'aflaut ,  l'a- 
bandonna la  nuit.  Les  ennemis  laillérent  ieulemcnt  dans  ce 
pofte  une  garde  de  trente  hommes  qu'on  y  trouva  le  lende- 
main matin  ,  6c  qui  furent  faits  prifonniers. 

Cependant  le  duc  de  Savoye  qui  comptoir  beaucoup  plus 
fur  les  intrigues  ôc  fur  les  intelligences  fecrettes  qu'il  avoit 
avec  les  Ligueurs,  que  fur  ies  forces ,  mit  fur  pied  une  nou- 
velle armée,  partit  de  NicCj  &  prenant  la  route  de  Pro^ 
vence  le  long  de  la  côte ,  pafîa  par  Antibe  ,  &  alla  fe  rendre 
maître  au  commencement  d'Octobre  de  Fréjus  fiége  d'un 
Evêché  fort  ancien  Enfuite  il  prit  Draguignan  &  quelques 
autres  petites  places  des  environs.  En  même  temsGafpard  de 
Ponrevez  comte  de  Carfes  qui  affiégeoit  Salon  de  Oraux, 
ayant  été  attaqué  par  la  Valette  ,  ôc  les  aiïïégcs  faifant  en 
même  tems  une  fortie  ,  fut  taillé  en  pièces ,  &  obligé  de  fe 
retirer  à  Aix ,  où  il  arriva  à  peine  avec  les  trilles  relies  de  fa 
déiaite. 

Cette  ville  où  réfide  le  parlement  de  Provence ,  étoit  pour     p^'  ,„t;on 
ainfi  dire ,  la  place  d'arm^^s  des  factieux  ,  6c  la  comtelfe  de  i^es  habitans 
Sault  fécondée  par  de  Vins  v  entretenoit  continuellement  d'-^'xauduc 
des  emiilan-es  p.Air  conlerver  cette  ville  au  parti.   Oe  rut  par 
leur  confeil  que  le  Parlement  fe  réfolut  entin  d'envoyer  des 
Députés  au  duc  de  Savoye.    On  nomma  pour  cette  com- 
miiiion  Ekazar  Kaftel  évé^ue  de  Riez  ,  de  Caftcliane- 

Ee  n'i 


111  HISTOIRE 

a'Ainpus,&:  l'avocac  Fabregaeî».  lU  écoienc  chargés  de  prier  ie 
H  £N  K  I  Duc  de  daigner  prendre  cette  ville  ïous  fa  protection  (Se  eiî 
1  V.       même  cems  toute  la  Provence  j  afin  d'employer  les  moyens 
j  590.     qu'il  jugeroit  les  plus  convenables  pour  la  mettre  à  couverc 
de  l'invalion  êc  de  la  tyrannie  des  hérétiques ,  bc  la  confer- 
verà  celui  que  Dieu  deftinoità  devenir  un  jour  l'héiitier  lé- 
gitime de  la  Couronne.   Le  Duc  rc<^ut  lort  bien  le  compli- 
ment des  Députés  j  &.  apiès  avoii  loué  la  fagefle  &  le  zélé 
quilesavoit  portés  aie  choiiir entre  tant  d'autres  Princes, 
pour  lui  taire  un  honneur  qu'il  croyoit  mériter  d'ailleurs  par 
plufieurs  endroits ,  il  les  anûra  à  Ion  tour  qu'il  n'oubiieroic 
rien  pour  répondre  à  l'attente  qu'ils  avoient  conçue  de  lui  , 
aux  dépens  même  de  les  Etats  &  de  fa  propre  vie  ;  ajoutant: 
qu'il  alloic  incciîamment  envoyer  en  Efpagne  de  Ligny  pour 
prendre  avec  S.  M.  C   les  meihres  nécelFaires  ,  èc  obtenir 
d'elle  les  fecours  dont  on  avoir  befoin. 
entrée  du       ^^^  Députes  de  retour  comblés  de  préfens  &:  encore  plus 
ànc  de  Sa-      de  promeiFcs ,  ayant  rapporté  une  réponfe  favorable  de  la 
voycaAix.     p^j.j.  ^^^  ]3ac,  la  ville  ie  prépara  à  le  recevoir.   Cependant 
ceux  qui  confervoicnt  encore  quelques  fentimens  Francjois, 
étoient  indignés  de  voir  qu'à  la  honte  de  la  nation  de  mal- 
gré le  danger  auquel  on  s'expofoit ,  on  allât  introduire  chez 
eux  un  Prince  étranger  de  un  hôte  fi  redoutable.  D'un  autre 
côté  le  Duc  qui  appréhendoit  quelque  émotion  ,  èc  qui  ne 
youloit  pas  s'expofer  à  la  honte  d'un  refus  ,  Te  mit  en  mar- 
che fans  néanmoins  paroître  prendre  la  route  d'Aix  ,  &,  s'a- 
vançant  lentement  afin  de  voir  comment  les  alïaires  tourner, 
roient  avant  que  de  s'engager.  Enfin  ayant  appris  que  ion 
parti  étoit  le  plus  fort  dans  la  ville  ,  il  s'y  rendit  le  14.  de 
Novembre.  Cependant  le  comte  de  Cariés  qui  après  avoir 
été  battu  peu  de  tems  auparavant  à  Salon,  comme  je  l'ai 
rapporté ,  étoit  venu  ie  réfugier  à  Aîx  ,  tour  attaché  qu'il 
étoit  à  la  Ligue  ,  avoit  mis  tout  en  œuvre  pour  empêcher 
que  le  Duc  ne  fût  reçu  dans  cette  ville  j  èc  ne  pouvant  en 
venir  à  bout  ,  il  fe  retira  dès  qu'il  apprit  que  le  Duc  ap^ 
prochoit. 

Il  fut  reçu  à  fon  arrivée  par  tous  les  Ordres  de  la  ville , 
qui  lui  préientérent  même  le  dais  ^  mais  par  une  modeftie 
^fFeclée  il  le  refufa  ,  ôc  leur  dit  qu'ils  dévoient  rcierver  ceç 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.      213 

ïionneur  pour  le  Prince  que  le  Ciel  leur  deftinoic.  Le  len-    ..,     ' 
demain  il  le  rendic  au  Palais ,  où  après  un  dilcours  qu'il  fit,  Henri 
tous  les  membres  du  Parlement  lui  ayant  baiie  la  main  ,  cha.       I  V. 
cun-  ielon  Ion  rang  6c  la  dignité  ,  le  reconnurent  comme      i  cao. 
Protecteur   &  Gouverneur  général  de  la  Province  5  &.  en 
cette  qualité  jurèrent  de  lui  être  fidèles.   Honore  du  Lau- 
rent Avocat  général  porta  la  parole  Dour  toute  la  compa- 
gnie» Les  Ligueurs   de  Marfeille  avoient  aulFi  envoyé  des 
Députes  au  Duc  pour  le  prier  de  vouloir  bien  le  rendre  dans 
cette  ville  j  mais  comme  il  connoiiloit  les  MarleJllois  pour 
être  aguerris, &  que  d'ailleurs  ils  ne  peiiioient  pas  tous  de 
même  ,  il  ne  crut  pas  qu'il  y  eût  de  lûreté  pour  lia  à  s'avan- 
cer de  ce  côté-là.  Ainfi  il  s'en  cxcuia  lous  prétexte  que  lès 
affaires  ne  lui  permettoient  pas  d'entreprendre  ce  voyage. 

Leldiguiéres  de  retour  de  Provence  continuoit  le  liège  de  ReMudiion 
Grenoble,  &  avoir alfis  Ton  camp  à  S.  Laurent.  Enfin  après  ^'^^wXuc^ 
que  d'Albigny  eut  mis  tout  en  œuvre  pour  empêtler  les  du  Roi. 
habitans  de  fe  Ibûmettre ,  malgré  l'extrémité  à  laqielleils 
ctoient  réduits  ,  la  capitulation  tvt  lignée  ,  &  on  convint  t 
Que  la  Religion  Catholique ,  Apoiloliqucec  Romaine  s'exer- 
ceroit  comme  auparavant,  librement  tant  dans  la  viiL  que 
dans  les  fauxbourgs  :  Qiie  les  Eccleliaftiqnes  feroient  réta- 
blis dans  tous  leurs  droits  :  Que  les  Protellans  n'aui oient 
droit  de  s'afïèmbler  ,  que  dans  le  faubourg  de  Trecioître  :■ 
Que  tous  les  habitans  prêceroient  ferment  de  iideiiié  à 
Henri  IV.  roi  de  France  èc  de  Navarre  entre  \qs  mains  de 
Caiignon  j  ôc  que  le  préiident  de  S.  André ,  &  Chatelard 
conleiller  au  Parlement  ,  porteroient  pour  eux  la  parole  : 
Que  ceux  qui  refuleroient  de  (è  foûmettre  à  ce  ferment,  au- 
roienr  la  liberté  de  fe  retirer  -,  &  qu'en  quelque  lieu  qu'ils 
filLnt  leur  rèlidence,  foie  dedans  ou  dehors  le  Royaume, 
ils  auroient  la  joiiilîance  entière  de  tous  leurs  biens ,  à  con- 
dition qu'ils  n'entreprendroient  rien  contre  le  Roi  ni  con- 
tre l'Etat  :  Que  le  iioî  donncroit  le  gouvernement  de  la; 
viiij  a  qui  bon  lui  fcmbleroîr  :  C^ie  cependant  on  accorde- 
roit  un  délai  de  :roi>  mois  à  d'Albigny  ^  ëc  que  il  dans  ce 
terme  il  s'accommo  î.-it  avec  le  Koi  ,  6c  lui  prêtoit  ferment 
de  tiaelîté  ,  il  lerof-  Ci^nfirnie  dans  ce  poffce  par  S.  M.  Qifen 
attendant  de  la  Ruu hegiron  commanderoit  dans  la  place  ;■ 


124  H  I  s  T  O  t  R  E 

Que  ni  d'Albigny  ,  ni  le  Procureur  de  la  province  ,  ni  aucua 
Henri  des  habicans  ou  des  Officiers  ne  pourroici  être  inquiété 
I  V.  ou  recherché  au  (ujet  det>  deniers  ou  contributions  qu'on 
I  s  90.  ^voit  levées ,  ou  des  traités  faits  avec  l'ennemi  j  &  que  Lef- 
diguiéres  iupplieroit  S.  M.  d'en  perdre  le  fouvenir  :  Que  le 
Roi  leur  accorderoit  une  amniftie  générale  pour  tout  le 
pafTe  j  Se  que  les  vainqueurs  n'en  conièrveroient  aucun  ref- 
fentiment ,  mais  qu'au  contraire  chacun  le  mettroit  en  oubli, 
&  s'efForceroit  de  contribuer  à  la  concorde  ôc  à  l'union  qui 
doit  être  entre  des  frères ,  des  amis  ,  &  des  concitoyens  : 
QLie  pour  travailler  efficacement  à  cette  union  ,  Iqs  membres 
du  Parlement ,  qui  pendant  la  guerre  s'étoient  retirés  à  Per- 
tuys  où  ils  rendoient  la  juftice  au  nom  du  Roi ,  reviendroienc 
inceflammcnt  à  Grenoble  ,  pour  exercer  leurs  charges  de 
concert  avec  leurs  collègues  :  Qii'entin  avec  l'agrément  du 
Roi  on  aflembleroit  au  plutôt  les  Etats,  pour  mettre  ordre 
aux  affaires  de  la  Province.  Ce  traité  fut  coV.clu  le  22.  de 
Décembre. 
Suîrc  de  la  Cependant  les  habitans  de  Genève  commençoient  à  fen- 
gucric  de  tir  de  quelle  coniéquence  étoit  pour  eux  la  perte  du  pas  de 
Genève.  j^^  Clufc  ,  qui  avoit  ouvcrt  un  chemin  aux  ennemis  pour  faire 
des  couries  continuelles  dans  le  bailliage  de  Gex.  Déjà  les 
Savoyards  ravageoient  impunément  les  environs  de  cette 
ville  ,  U  fe  rendoient  infenfiblement  maîtres  de  la  campagne 
bc  du  lac.  Ainfi  ils  firent  le  procès  au  gouverneur  de  cette 
place  j  6c  ayant  été  convaincu  d'avoir  été  caufe  par  fon  ava^ 
rice  ou  par  fa  négligence  de  la  perte  du  pofte  qu'on  lui  avoic 
confié  ,  il  fut  condamné  à  mort  par  le  Confeil  des  deux  cens, 
&  exécuté  enfin  à  Genève  le  22.  de  May,  malgré  les  inftan- 
tes  prières  qu'il  leur  fit  pour  obtenir  fa  grâce.  Sept  jours 
après  il  y  eut  un  combat  très-vif  proche  de  Douvaine  entre 
les  Savoyards  6c  la  garnifon  de  Creft,  qui  avoit  mis  à  con- 
tribution les  habitans  du  bailliage  de  Thonon.  Mais  quoi- 
qu'elle eût  déjà  été  rompue  6c  mife  en  déroute  ,  elle  eue 
moins  à  fouffrir  des  ennemis ,  que  d'un  orage  raclé  de  grêle 
&  d'éclairs ,  le  plus  furieux  qu'on  eût  jamais  vu  ,  èc  fuivi  d'un 
débordement  d'eaux  qui  ravagea  toute  la  campagne. 

Lç  S-  de  Juin  fuivant  il  y  eut  une  action  beaucoup  plus 
jponfidérable    entre  ceux   de    Genève  ,   ^  environ   cens 

cinquante 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XCIX.        125 

cinquante  cuiraffiers  ennemis  fuivis  de  quatre  cens  hommes  de  . 
pied  qui  pafibient  fous  les  murs  de  la  ville  ,  chargés  du  ri-  H  e  m  r  i 
che  butin  qu'ils  avoient  ramajGfé  dans  le  bailliage  de  Gex.  I  y. 
Lurbigny  ayant  fait  fur  eux  une  fortie  à  la  tête  d'un  corps 
de  Chevaux-légers ,  chargea  fi  vivement  la  cavalerie  déjà  fa- 
tiguée d'une  longue  marche  ,  qu'il  la  mit  en  déroute  ,  ôc 
poulTa  l'infanterie  jufqu'au  village  de  Farges ,  où  il  en  tua 
environ  cent  :  car  les  deux  partis  étoient  fi  animés  l'un  con- 
tre l'autre,  qu'ils  obfervoîent  rarement  les  loixdela  guerre 
à  l'égard  des  prifonniers.  Lurbigny  cependant  qui  n'avoic 
perdu  que  très-peu  de  monde  ,  s'étant  mis  à  la  pourfuite  des 
fuyards  tomba  de  cheval  j  &c  comme  il  étoit  fort  gros  de 
d'ailleurs  pefamment  armé  ,  il  fe  froilîa  tout  le  corps ,  &  fut 
obligé  de  garder  le  lit  pendant  longtems.  Les  Savoyards  fe 
dédommagèrent  delà  perte  qu'ils  avoient  tVite  ce  jour-lâ, 
en  réduifant  en  cendres  tous  les  environs.  Enfuite  le  2  2.  de 
Juin  les  Genevois  ayant  fait  mal  â  propos  une  fortie  fans 
avoir  de  chefs  pour  les  commander  ,  ils  les  battirent  proche 
de  Bernay ,  leur  tuèrent  trente  hommes ,  &  firent  cinquante 
prifonniers,  qui  n'étants  pas  en  état  de  payer  leur  rançon  fur 
le  champ  ,  eurent  toutes  fortes  de  mauvais  traitemens  à 
foufFrir. 

Enfin  après  bien  des  efcarmouches  Se  des  courfes ,  des  dé- 
gâts &:  des  incendies  commis  de  part  &  d'autre  depuis  la 
guerre  déclarée  entre  les  Savoyards  &  les  Genevois,  Ame- 
dée  bâtard  de  Savoye  entra  le  6.  de  Juillet  par  le  pas  de  la 
Clufe  dans  le  bailliage  de  Gex  à  la  tête  d'une  armée  réglée, 
compofée  de  cinq  cens  chevaux  èc  de  deux  mille  cinq  cens 
hommes  de  pied  ,  àc  campa  à  la  vue  de  Genève.  Enfuite 
ayant  mis  quelques  troupes  en  embufcade  ,  il  détacha  quel- 
ques partis  pour  enlever  le  bétail  des  Genevois  ^  ceux-ci  de 
leur  côté  ayant  fait  une  fortie  pour  reprendre  ce  que  l'en- 
nemi leur  avoir  enlevé  ,  on  en  vint  aux  mains  avec  beau- 
coup de  vigueur.  Dans  le  fort  du  combat  les  Savoyards  for- 
tirent  de  leur  embufcade  ,êc  la  cavalerie  furvenant  en  même 
tems  ,  ceux  de  Genève  enveloppés  de  toutes  parts ,  furent 
taillés  en  pièces.  Il  en  refta  plus  de  cent  fur  la  place  ,  &  il 
n  échappa  prelque  aucun  des  blcflés,qui  prefque  tous  étoienc 
perces  de  coups  de  lances.    Cinquante  furent  pris  par  les 

Tome  XI,  Ff 


aÊm 


116  ^  HISTOIRE 

m  Efpagnols  &  les  Italiens  j  èc  comme  ils  ne  rerpîroient  que  la 


hTn  r  I  vengeance,  ils  les  malîacrërent  cruellement  après  le  com- 
j  y  bat.  Cette  défaite  répandit  une  fi  grande  confternation  par- 
mi les  vaincus  ,  que  lî  Lurbigny  ,  qui  pouvoit  encore  à  peine 
^  ^^^'  quitter  le  lit  ,  ne  fe  fût  fait  tranlporter  à  la  porte  de  la  ville, 
êc  n'eût  encouragé  les  habitans  par  fa  préfence ,  on  croie 
que  les  Savoyards  feroient  entrés  ce  jour. là  dans  Genève 
pêle-mêle  avec  les  fuyards,  Ôcauroient  pu  s'en  rendre  maî- 
tres. La  défolation  cependant  n'étoit  pas  moins  grande  dans 
Ja  campagne  ,  où  les  païfans  ne  croyoient  plus  avoir  rien  â 
efpérer  des  Genevois.  On  voyoit  ces  malheureux  abandon- 
nants leurs  maifons ,  aller  chercher  ailleurs  un  afyle ,  traî- 
nants avec  eux  leurs  femmes  de  leurs  enfans.  Enfin  comme  la 
grêle ,  les  eaux  ,  &  le  feu  avoient  abîmé  tous  les  grains  qui 
étoijnt  fur  pied  ,  de  ruiné  totalement  la  campagne  6c  les  vil- 
lages ,  le  païs  devint  tout  d'un  coup  fî  défert ,  que  dans  l'é- 
tendue de  quatre  lieues  entières ,  entre  le  pas  de  la  Clufe 
6c  le  mont  Jura  ,  on  ne  trouvoit  pas  la  moindre  trace  d'ame 
vivante.  Plufieurs  même  perfuadés  que  c'en  étoit  fait  de 
cette  République  ,  abandonnèrent  Genève  6c  fe  retirèrent 
en  Franche-Comté  chez  leurs  amis.  Cependant  à  la  fin  les 
Genevois  reprirent  courage  lorfqu'ils  virent  Lurbigny  re- 
commencer à  faire  le  devoir  de  fa  charge  ,  6c  ils  fe  rétabli- 
rent infenfiblement.  Ils  firent  quelques  forties  avec  plus  de 
précaution  qu'auparavant  ,  6c  remportèrent  quelque  petit 
avantage  dans  quelques  rencontres  peu  confîdérablcs  Ils 
oférent  même  faire  des  courfes  dans  le  Chablais  6c  le  Fofîi- 
gny  ,  6c  combattirent  deux  fois  avec  fuccès  le  baron  d'Ar- 
manfe  proche  le  village  de  Branth. 

Ce  fut  fur  ces  entrefaites ,  que  Guillaume  de  Clugny  ba- 
ron de  Conforgien ,  Officier  expérimenté  ,  fe  rendit  à  Ge- 
nève. Le  jour  même  de  ion  arrivée  qui  fut  le  23.  d'Août, 
il  fit  embarquer  fur  le  foir  trois  compagnies  d'infanterie  dans 
le  dcfï^in  de  furprendre  Efvian  ,  petite  place  fîtuéefur  le  hc. 
En  même  tems  pour  donner  le  change  à  l'ennemi ,  il  donna 
ordre  à  un  corps  de  cavalerie  de  marcher  du  côté  de  Langin, 
Mais  les  Savoyards  ayant  éventé  fbn  defTein,  ne  firent  au- 
cun mouvement  à  l'approche  de  fa  cavalerie  j  èc  d'un  autre 
côté  la  garnifon  d'Efvian  fe  tint  iî  bien  fur  les  gardes,  que 
cette  entreprife  échoua. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       217 

Les  bateaux  de  Genève  commencèrent  enfuite  à  courir 


le  Lac  ,  de  remportoient  toujours  quelque  avantage.    Enfin  Henri 
comme  les  Genevois  voyoient  que  l'arrivée  de  leur  nouveau       I  V. 
Général  avoit  répandu  la  terreur  parmi  leurs  ennemis ,  ils     i  rgo. 
réfolurent  de  profiter  de  cette  difpolition  pour  réparer  la 
perte  de  la  moilTon  ,  &  faire  vendanges.   A  cette  nouvelle 
le  baron  d'Armanfe  gouverneur  du  Chablais  tira  des  garni- 
fons  voifînes  deux  cens  chevaux  &:  cinq  cens  hommes  de 
pied ,  qu'il  poffca  à  toutes  les  avenues ,  dans  le  deifein  de 
furprendre  les  Genevois  à  leur  retour  ,  &  de  les  enlever. 
Ceux-ci  fe  mirent  en  marche  le  1 6.  de  Septembre  fuivis  de 
leurs  chariots  &  de  leurs  tonneaux ,  êc  prirent  la  route  de 
Bonne  efcortés  par  le  baron  de  Conforgien  à  la  tête  de  cent 
cinquante  fantaffins ,  &  de  pareil  nombre  de  cuirafliers.    Le 
baron  d'Armanfe  commença  â  fe  montrer  vers  un  moulin  , 
dont  Cqs  troupes  s'étoient  failles.   A  cette  vue  le  baron  de 
Conforgien  ,  après  avoir  fait  faire  la  prière  à  fes  troupes  fui- 
vant  l'ufage  des  Protefbans ,  fe  mît  en  bataille  ,  6c  détacha 
d'abord  quelques  enfans  perdus  pour  aller  efcarmoucher. 
Ceux-ci  étoîent  fuivis  d'un  autre  détachement  de  cinquante 
hommes  deftiné  à  attaquer  le  moulin  qui  ètoit  fur  leur  che- 
min.  Enfin  trente  cuiraffiers  furent  commandés  pour  ouvrir 
un  palTage  à  tout  le  convoi.    Ils  avoient  ordre  de  fe  faifir 
d'une  éminence  voifîne  ,  6c  de  harceler  cependant  la  cava- 
lerie ennemie ,  afin  de  lui  donner  ôccafion  de  prendre  fon 
parti  fur  le  mouvement  qu'elle  feroit.  Cependant  le  moulin 
tut  emporté  après  quelque  réfiflance.    D'un  autre  côté  les 
trente  cuiraffiers  ayant  rencontré  quelques  gendarmes ,  s'en 
dèbarraflèrent  j  &  les  laiflants  derrière  eux  ,  prirent  à  toutes 
jambes  la  route  de  Bonne.  Les  ennemis  perfuadés  que  c'étoic 
la  peur  qui  les  obligeoit  à  abandonner  fi  lâchement  le  refte 
de  leurs  troupes ,  chargèrent  en  même  tems  le  corps  dont 
les  cuiraffiers  ètoient  fuivis  -,  mais  dans  le  moment  ceux  à  qui 
on  croyoit  n'avoir  plus  affaire  faifant  volte-face  ,  vinrent 
prendre  en  flanc  les  Savoyards.  Enfuite  le  baron  de  Confor- 
gien tombant  fur  eux  foûtenu  fur  ics  flancs  par  quelque  in- 
fanterie ,  l'action  devint  fort  vive.    Après  un  combat  opi- 
niâtre cfin  dura  trois  heures  ,  les  ennemis  furent  obligés  de 
prendre  la  fuite  ,  laiflants  environ  trois  cens  morts  fur  la 

Ff  ij 


228  HISTOIRE 

-î;^^;?!?  place.  On  fît  cinquante  prifonniers,  que  le  baron  de  Con- 

Henri   forgien  renvoya  îur  le  champ  prefque  tous  de  l'autre  côté 

I  V.       de  la  rivière  d'Arve  ,  dans  l'cipérance  que  ce  procédé  gë- 

i  rqQ       néreux,  pourroit  contribuer  à  adoucir  l'aigreur  6c  le  rclîéntî- 

ment  dont  les  deux  partis   s'étoient  donné  juiqu'alors  de 

jfî  funeflcs  marques,  6c  les  déterminer  à  faire  la  guerre  do- 

refnavant  d'une  manière  raifonnable.  Ce  fut  dans  la  même 

vue  que  la  République  traita  avec   beaucoup    d'humanité 

quelques    prifonniers   qui  étoient  blefles  dangereufement. 

En  effet  on  en  ufa  mieux  dans  la  fuite  avec  les  prifonniers  de 

guerre,  ôc  on  fe  contenta  de  part  &  d'autre  de  réduire  en 

cendres  tous  les  villages  des   environs.   Après  cet  exploit 

ceux  de  Genève  firent  tranquillement  leurs  vendanges  3  èc 

cet  avantage  les  confola  de  la  perte  de  la  récolte. 

Vers  la  fin  d'Octobre  le  baron  de  Conforgien  fuivi  d'un 
détachement  marcha  du  côté  de  Crufilles  pofte  fîcuèàtrois 
lieues  de  Genève  ,  où  la  cavalerie  Napolitaine  &  Espagnole, 
ôc  les  autres  Chevaux-légers  du  duc  de  Savoie  avoientleur 
quartier.  Il  y  fit  donner  l'efcalade  vers  le  milieu  de  la  nuit, 
éc  s'ouvrit  un  pafîage  à  la  faveur  du  pétard.  Là  garnifon  de 
fon  côté  réveillée  à  ce  bruit  profita  des  ténèbres    pour 
tranfporter  en   diligence  tous  les  efFets  dans  le  château  & 
dans  le  fort  qui  en  èroit  proche.  Les  Genevois  entrés  dans 
la  place  commencèrent  par   mettre  le   feu  à    une  maifon  ^ 
afin  d'y  voir  clair  3  enfuîte  ils  en  firent  de  même  àplufieurs 
autres ,  palTant  au  fil  de  l'épée   tous  ceux  qu'ils  y  rencon- 
troient ,  Ôc   attendant  le  jour  avec  impatience.  Cependant 
toute  la  nuit  on  avoit  fonné  le  tocfîn  dans  les  villages  des 
environs.  De-là  le  baron  de  Conforgien  conjectura  que  le 
lendemain  il  alloir  voir  toutes  les  garnifons  voifînes  venir 
lui  tomber  fur  les  bras.  Ainfi  comme  il  n'étoit  pas  en  état 
de  leur  faire  tête ,  èc  qu'il  jugeoit  que  tous  les  environs 
étants  fous  les  armes ,  il  feroit   accablé  avant  que  d'avoir 
pu  emporter  le  château  ,  il  fit  fonner  la  retraite  de  bonne 
heure,  après  avoir  tué  environ  cent  hommes  aux  ennemis, 
&  rentra  fur  le  foir   heureufèment  dans  Genève ,  fuivi  de 
grand  nombre  de  chevaux  qu'il  avoit  enlevésaux  Savoyards. 
Enfuite  vers  la  fin  de  l'année  les  Genevois  brûlèrent  quelques 
magafîns  proche  du  fort  de  Sonvi  qui  appartenoit  au  duc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX:.       229 

de  Savoie.  Tels  furent  les  exploits  des  deux   partis  jufqu'à 
l'arrivée  de  Sancy  que  le  Roi  envoya  à  Genève,  &  qui  par  Henri 
les  lecours  qu'il  y  amena,  &  ceux  que  la  fortune  lui  fournit       I  V. 
encore  dans  la  fuite,  contribua  beaucoup  aux  fuccès  de  cette     1590. 
Republique. 

li  ne  me  refle  plus  qu'à  faire  l'élog-e  des  hommes  de  Let-  .^orts 
très  que  la  mort  enleva  cette  année.  Je  commencerai  par 
François  Hotman.  Il  ëtoit  de  Paris,  fils  d'un  confeiller  au  De  François 
Parlement  :  après  fes  humanités  il  alla  faire  fon  droit  ^°"^3"' 
à  Orléans  j  il  fut  enfuite  obligé  de  fortîr  de  France  à  caufe  de 
fa  Religion ,  ôc  profefTa  d'abord  à  Laufane.  De-là  il  fut  ap- 
pelle à  diverfes  reprifes  ,  tantôt  à  Valence  par  Jean  de 
Monluc  Evêque  de  cette  ville,  èc  tantôt  à  Bourges  par  la 
PuchefTe  Margueritte  de  Berryj  il  y  enfeigna  longtems  le 
droit  jufqu'à  la  faint  Barthélémy.  Alors  obligé  de  dire  un 
éternel  adieu  à  fa  patrie ,  privé  de  fon  époufe  que  la  mort 
lui  avoit  enlevée ,  il  fe  retira  d'abord  à  Monbeliard,  &fixa 
enfin  fa  demeure  à  Baie,  où  il  mourut  d'hydropifie  le  12. 
de  Février  de  cette  année  âgé  de  foixante  6c  cinq  ans.  Le 
droit,  les  belles  lettres,  ôcThifloire  ancienne  lui  font  rede. 
vables  de  plufîeurs  ouvrages  qu'il  mit  au  jour  en  diiférens 
tems,  &  que  le  Dodeur  Laët  fit  enfuite  imprimer  en  corps, 
tels  qu'ils  avoient  été  revus  de  corrigés  par  l'auteur  même 
quelque  tems  avant  fa  mort.  Il  fut  afliflé  à  ce  terrible 
pafîage  par  le  Dodeur  Bafile  Amerfbach  j  6c  Jean-Jacque 
Griné  fit  fon  Oraifon  funèbre. 

Je  parlerai  enfuite  de  Jacque  Cujas  de  Touloufe.  Ce  fut  Dc  Cujas. 
un  homme  né  pour  faire  l'ornement ,  non  feulement  de  la 
France  ,  mais  même  de  tous  lespaïs  de  la  Chrétientéoù  les 
lettres  6clafcience  des  loix  font  en  honneur  3  le  plus  grand 
6c  le  feul  Jurifconfulte  qui  nous  refte  après  ces  premiers 
Légiflateurs  de  qui  nous  tenons  le  droit  3  &c  à  qui  notre 
fîécle  6c  la  poftérité  feront  éternellement  redevables  des 
lumières  pures  6c  naturelles  qu'il  a  répandues  fur  cette 
fcience.  Tels  font  les  juftes  éloges  que  la  reconnoilfance  pour 
ce  grand  homme  a  didés  à  Tilluflre  Pierre  Pithou.  Cujas 
eut  un  bonheur  dont  Iqs  autres  s'eftiment  trop  heureux 
de  pouvoir  fe  flatter  après  leur  mort  3  ce  fut  de  jouir  dès 
fon  vivant  de  la  gloire  que  fon  mérite  lui  attira  ,  èc  de 


250  HISTOIRE 

s'entendre  citer  par  excellence  fous  le  noxsxdu  Jurifconfulte  y 
Henri  jufque  dans  le  Bareau  où  nos  Praticiens  font  allez  peu 
I  V.  de  cas  de  cette  fcience  fî  eftimable  du  droit  ancien  qu'il 
I  Î90,  enleignoit  ,  &  où  on  a  coutume  de  citer  les  autres  Au- 
teurs par  leur  nom  perfonnel.  Cujas  avoit  la  taille  petite , 
le  corps  épais  ôc  quarré  ,  le  tempérament  fi  fort  ,  que 
malgré  {q.s  études  continuelles  ôc  exceffives  il  n'eut  preU 
quejamaisdemaladies.il  étoit  feulement  quelquefois  in- 
commodé d'un  hocquet  importun  qu'il  anêtoit  en  fe 
donnant  quelque  relâche  ,  ôc  prenant  un  peu  plus  de  dif. 
lipation  qu'à  l'ordinaire  avec  i^s  difciplcs.  Avec  une  fanté 
fi  robuffce,  il  ne  fit  jamais  qu'un  feulfouhait  deTaccomplifle- 
ment  duquel  elle  fembloit  lui  répondre  j  ce  fut  d'avoir  le 
même  fort  que  Philippe  Dece ,  qui  étoic  mort  à  Pife  quatre- 
vingts  ans  auparavant,  &  defe  voira  l'âge  de  quatre-vingts 
ans  fain  de  corps  &  d'efprit  en  état  de  donner  encore  des 
leçons  publiques.  Ce  fut  dans  cette  confiance  qu'il  com- 
mença ion  excellent  ouvrage  d'obfervations ,  dont  chaque 
livre  contient  quarante  chapitres ,  &  qu'il  avoit  deflein  de 
poufi^er  jufqu'au  quarantième  livre.  Mais  nos  guerres  civiles 
s'étant  allumées  fur  ces  entrefaites,  ce  grand  homme,  qui 
par  fon  caractère  ,  autant  que  par  fa  profeffion ,  aimoit  vé- 
ritablement la  jufi:ice,  voyant  la  divifion  fouler  aux  pieds 
tous  les  droits  divins  &  humains,  détruire  cette  noble  fim- 
plicité  dans  laquelle  il  avoit  été  élevé ,  6c  anéantir  à  force 
d'artifices  6c  de  déguifemens,  dont  la  Religion  étoit  le 
prétexte ,  cette  aimable  candeur  dont  il  faifoit  tant  de 
cas ,  aflîégé  dans  le  lieu  de  fa  demeure ,  ou  plutôt  jufque 
dans  fa  propre  maifon ,  obfervé  fans  celle  par  des  fcélé- 
rats ,  qui  déjà  avoient  juré  de  le  perdre  j  au-lieu  de  cette 
longue  vie  qu'il  n'avoit  fouhaitée  que  pour  être  utile  au 
public  ,  n'afpira  plus  qu'à  arriver  aune  meilleure  j  &:  tomba 
dans  un  chagrin  mortel  qui  l'enleva  à  Bourges,  où  il  enfei- 
gnoit  alors  dans  le  mois  de  Septembre  (i)  âgé  de  foixante 
&  huit  ans ,  après  avoir  rendu  tant  de  fervices  à  la  focieté. 
La  ville  lui  fit  des  obféques  magnifiques ,  6c  il  fut  inhumé 

(i)    M.  de  Thou  dit  V.  Non.  c'eft'Ie  z.  jour  de  Septembre.  Moreri  dit 
une  faute  fenfîble  ;    on  ne  peut  dire ,  le  ij", 
que  IV.  Non.  Septembris  ,  &  ce  feroit  I 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  XCIX.       251 

à  Saîiit  Pierre  d'Auroii,où  Claude  Maréchal  qui  avoir  été  ï? 


fon  difciple,  ôc  qui  étoic  alors  confdller  au  Parlement  de  Henri 
Paris,  Magiftrac  égalemenc  diflingué  par  fon  efpric  &  par  I  V. 
fa  probité , fît  fon  Orailon  funèbre.  Cujas  ne  lailîà  qu'une  i5qo» 
fille  qui  étoit  alors  fort  jeune  j  6c  il  ordonna  par  fon  tefla- 
ment  que  {qs  livres  qu'il  avoit  enrichis  de  notes  écrites  de 
fa  propre  main ,  èc  qu'il  avoit  revus  fur  les  meilleurs  ma- 
nufcrits ,  feroient  vendus  après  fa  mort ,  afin  qu'ils  tombaflènt 
en  différentes  mains ,  &  le  difperfaffent  par  ce  moyen.  Son 
deffein  en  faifant  cette  difpofition  étoit  d*empêcher  que 
quelques  curieux  peu  habiles  ne  formaient  le  projet  à 
l'occafion  de  fes  remarques ,  dont  ils  ne  prendroient  pas  le 
vrai  fens,  de  donner  au  public  quelque  ramas  mal  digéré  3 
ce  qui  auroit  pu  arriver  fi  fa  bibliothèque  eut  tombé  entre 
les  mains  d'une  feule  perfonne  :  tant  il  eft  vrai  que  ce  grand 
homme  né  pour  le  bien  delà  Société  portoit  fes  foins  pour 
la  République  des  Lettres ,  même  jufque  dans  le  tom- 
beau. 

Après  avoir  fait  l'éloge  de  ces  hommes  fameux  ,  je  ne  DcduBartas. 
puis  m'empêcher  de  parler  de  Guillaume  Sallufte  du  Bartas. 
Né  de  parens  nobles  de  la  ville  d'Aufch  ,  &c  élevé  dès  fon 
enfance  dans  les  exercices  militaires ,  il  fçut  adoucir  ce  que 
les  armes  ont  de  rude  &  de  barbare  par  l'aimable  com- 
merce qu'il  entretint  avec  les  Mufes  j  &  il  fit  de  fi  grands 
progrès  à  leur  école,  que  quoique  par  un  vice  de  fon  pais 
il  ne  parlât  pas  notre  langue  bien  purement,  quoiqu'il  n'eût 
vécu  que  dans  les  armées,  éloigné  du  commerce  des  gens 
de  Lettres,  il  mérita  par  ce  célèbre  ouvrage  qu'il  intitula, 
la  Semaine ,  dont  il  s'efl  fait  tant  d'éditions ,  6c  dont  on  a  vu 
â  l'envi  tant  de  tradudions  Latines  &  Italiennes,  d'être 
mis  au  nombre  des  plus  illuflres  Poètes  de  notre  tems  ,  &: 
d'être  regardé  par  bien  àes  gens  comme  tenant  en  ce 
genre  la  première  place  après  Ronfard.  Je  fçai  que  quel, 
ques  critiques  trouvent  fbn  ftile  trop  figuré,  ampoulé,  & 
rempli  de  gafconnades.  Pour  moi  qui  ai  connu  fa  candeur , 
&  qui  l'ailouvent  entretenu  familièrement ,  tandis  que  du 
tems  des  guerres  civiles  je  voyageois  en  Guienne  avec  lui, 
je  puis  alîûrer  que  je  n'ai  jamais  rien  remarqué  de  lemblabie 
dans  ie^  manières.  En  eiFet ,  malgré  fa  grande  réputation  il 


232  HISTOIRE 

■ parloit  toujours  avec  beaucoup  de  modeflîe   de  luî-même 

Henri  Se  de  fes  ouvrages  •  fe  plaignant  fouvent  de  ce  que  Téloi- 
I  V.       gnement  defon  pais  6c  les  conjondures  où  il  s'étoit  trouvé 
1590.     ^c  ii-ii  avoienc  pas  permis  de  confulter  les  gens  d'efprit  6cde 
goût ,  de  qui  il  auroir  pu  apprendre  à  connoître  Tes  défauts , 
&  les  moyens  de  les  réparer.  Il  avoit  réfolu  de  s'en  dédom- 
mager par  un  voyage  qu'il  vouloit  faire  à  Paris  auiîîtôt  que 
nos  troubles  feroientappaifés  ^  mais  comme  il  fervoit  aduel- 
lement  à  la  tête  d'une  Cornette  de  cavalerie  fous  le  Maré- 
chal de  Matignon  gouverneur  de  la  province  ,  les  chaleurs, 
les  fatigues  de  la  guerre ,  6c  outre  cela  quelques  blefllires  qui 
n'avoient  pas  été  bien  penfées ,  l'enlevèrent  à  la  fleur  de  fon 
âge  au  mois  de  Juillet  âgé  de  quarante-fix  ans.  Il  n'y  avoic 
que  peu  de  tems  qu'il  étoit  de  retour  de  l'ambaflade  d'E- 
coiîé ,  dont  il  s'étoit  acquitté  avec  beaucoup  de  zélé  6c  de 
prudence,  6c  pendant  laquelle  le  Roi  Jacque  VI.   dont  il 
avoit  été  parfaitement   bien  reçu ,  lui  avoit  fait  les  pro- 
portions les  plus  avantageufes  pour  l'engager  à  refier  à  fa 
Cour. 

De  Robert       "^^^  ^^  ^^^^^  après  mourut  Robert  Garnier  dans  un  âge 
Garnicr.        un  peu  plus  avancé  5  car  il  avoit  alors  cinquante-fix  ans. 
Garnier  étoit  du  Maine,  ôc   s'étant  confacré  comme  du 
Bartas  à  la  poëfîe  ,  il  travailla  fur-tout  pour  le  théâtre  j  il 
réuffit  Cl  bien  en  ce  genre,  qu'au  jugement  même  de  Ron- 
fard  ,  neuf  pièces  qu'il  donna  après   celles  .de  Jean  de  la 
Perulè  ,  6c  d'Etienne  Jodelle ,  lui  ont  mérité  parmi-nous  le 
titre  de  Prince  des  Poètes  tragiques.  Il  étoit  Confeiller  au 
grand  Confeil ,  6c  au  commencement  des  troubles  il  s'étoit 
trouvé  engagé  dans  le  parti  de  la  Ligue  plutôt  qu'il  ne  l'a- 
voit  embrallé.  Qiielque  tems  avant  la  mort  fes  domeftiques 
voulurent  l'empoifonner  ^  6c  il  n'échapaà  leurs  defleins  per- 
nicieux ,  qu'aux  dépens  de  fon  époufe.  Enfin  cet  homme  cé- 
lèbre accoutumé  à  traiter  d'un  œil  fec  tant  d'évènemens 
tragiques  qu'il  alloit  puifer  chez  les  Anciens,  ou  parmi  les 
Nations  étrangères ,   ne  put  les  voir  retracer   continuel- 
lement fous  i'es  yeux  fans  en  être  pénétré  3  6c  il  en  mourut 
de  cha2;rin. 
Ba  tifte  Bc-       ^^^  Françoîs  je  pafîè  aux  étrangers  ^  &  je  commence  par 
nedeui.'^        Jean-Baptifle  Benedetti  de  Venife ,  qui  fe  vantoit  faufTement 

d'être 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       135 

<î'ctre  d'une  famille  noble  de  ce  nom  établie  dans  cette  < 

vville.  Son  përe  étoic  un  médecin  natif  de  Valence  en  Ef-  Henri 
pagne  ,  &  à  ce  qu'il  difoit,  originairement  François.   Be-       I  V. 
nedetti  étoit  excellent  Mathématicien.  Il  fe  mit  d'abord  au     j  ^oq. 
ièrvice  d'OdaveFarnefe  duc  de  Parme.  Enfuite  à  la  recom- 
mandation   de  Frideric    Alinari  comte  de    Camerano,  ii 
pafîa  à  la  Cour  d'Emmanuel  Philibert  duc  de  Savoie  ,  à  qui 
il  prédit  que  la  France  lui  reftitueroit  Pignerol  &;  Savillan  j 
ce  qui  arriva  en  efFet  la  même  année,  lorfque  Henri  III. 
pafîà  par  Turin  à  fon  retour  de  Pologne.  Il  n'avoit  qu'une 
iille  nommée  Louife ,  à  laquelle  il  furvêcut ,  ôc  dont  il  pré- 
dit aufli  la  mort  long-tems  avant  qu'elle  arrivât.  Il  f(çavoic 
fort  peu  de  Latin  3  enibrte  qu'ayant  befoindela  plume  d'au- 
trui  pour  écrire,  il  fe  fervit  prefque  toujours  de  Fran(^ois- 
Marie  Vialardo  qui  faifoit  (es  études  dans  TUniverfité  de 
Turin.  C'efl  de  lui  qu'eft   l'ouvrage  des  proportions  com- 
pofé  contre  Silvio  Pelio.  Nous  avons  aulîi  de  lui  des  fpécu- 
Jations  Phyfîco-Mathématiques ,  &  un  traité  des  Cadrans  , 
où  on  croît  qu'il  a  réiiffi  à  remettre  en  vogue  \qs  Cadrans 
folaires.  Ilavoic  aufli  beaucoup  écrit  fur  l'Optique,  fur  la 
Mufîque,  fur  les  Méchanîques.    Ces  ouvrages   qui  n'onc 
point  encore  vu  le  jour,&  qu'il  recommanda  en  mouranc 
à  Bernard  Trollo ,  qui  lui  fèrvoit  alors  de  Secrétaire ,  font 
aujourd'hui  dans  le  cabinet  du  duc  de   Savoie  j  de  il  eft  à 
fouhaiter  pour  le  public  qu'ils  foient  imprimés  dans  la  luite. 
Benedetti  mourut  à  Turin  âgé  de   foixante  ans  le  zo.  de 
Janvier ,  comme  il  l'avoit  prédit,  dc  fut  enterré  aux  Au^ 
guftins. 

QLielque  tems  après,  la  mort  enleva  Jafon  de  Nores  Cy-  ^^  J^^on  <i« 
priot  de  naiiïance ,  &  d'une  famille  originaire  de  Norman-  °"*' 
die ,  également  diftingué  par  fa  noblelle  &  par  fon  érudi- 
tion ,  qui  depuis  treize  ans  elifeignoit  la  Morale  dans  l'Uni- 
verfîté  de  Padouë.  Après  la  perte  immenfe  que  firent  les 
Chrétiens  dans  la  prilè  de  Cypre  par  les  Turcs ,  il  eut  la 
douleur  de  voir  un  fils  unique  qu'il  avoit,  banni  pour  avoir 
tué  un  noble  Vénitien  avec  qui  il  s'étoit  battu  dans  une 
difpute  J  &  il  en  mourut  de  chagrin.  Entr'autres  ouvrages 
il  nous  en  relie  un  de  lui  fur  l'art  poétique,  où  ayant  con- 
idamné  les  Pafloralesqui  font  aujourd'hui  en  vogue  en  Italie  ^ 

TomeX/,  G  g 


234  HISTOIRE 

;^____—  comme  des  monftres  dont  les  Anciens  ne  nous  fournîiTorent: 
Henri  aucun  exemple  ,  &  qui  n'avoient  été  introduits  fur  la  fcéne 
I  V.      que  contre  toutes  les  régies  de  la  Poëfîe  par  des  gens  igno- 
5590,     ^^^'^^  de  la  docle  antiquité,  le  Chevalier  Guarini  Ferrarois , 
qui  venoit  de  faire  paroître  avec  tant  de  fuccès  fon  t'ajîor 
Fi  do  ,  croyant  qu'il   y  alloit  de  fon  honneur  de  repouflèr 
une  iniulce  qu'il  s'imaginoit  s'adrefler  à  lui  ,  prétendit  jufli- 
£erfous  le  nom  du  Verato  ,  ce  genre  de  Poëfie.  11  fut  refuté 
auifitôt  après  par  une  Apologie   contraire  que  compo(a  de 
Nores  ^  &  il  préparoit  une  réplique  lorfque  ce  Philofophe 
mourut.  On  peut  dire  qu'il  ne  pouvoit  éviter  fon  fort  ^  car 
fi  le  malheur  arrivé  à  fon  fils  n'eût  pas  avancé  la  fin  de  ï^s 
jours  ,  il  n'eût  pu  iurvivre  à  la  lecture  du  fécond  Virato.  Eil 
effet,  cet  écrie  etoit  fi  vif,  fi  plein  de  fiel  Ôc  d'amertume  y 
fi  outrageant  pour  de  Nores ,  qu'on  ne  craignoit  pas  de  dire 
que  le  pocte  Archiloque  dans  fes  Ïambes  contre  Lycambe 
n'a  voie  rien  de  comparable  â  la  force  du  Guarini  dans  cec 
ouvrage (1) . 
DcTuîc         J'ay  été  fur  le  point  de  pafier  fous  filence  Jule  Alexan- 
Alexandnn.    jj.jj^  mort  cette  année   à  Trente  à  l'âge  de  quatre-vingc 
quatre  ans.  Il  s'étoit  rendu  fort  habile  dans  la  Médecine, 
à  l'avoit  exercée  avec  fuccès  à  la  Gourde  Vienne.  Il  avoic 
même  compofé  plufieurs  ouvrages.  11  avoit  fi  bien  gagne  les 
bonnes  grâces  de  l'Empereur  Maximilien  ,  Prince  d'un  tem- 
péramment  délicat,  que  non  content  de  l'élever  aux  plus 
grands  honneurs ,  il  eut  encore  tant  de  confidération  pour 
lui,  qu'il  accorda   la   furvivance   de   tous   fes  emplois  à  fes 
enfans ,  quoiqu'il  n'en  eût  aucun  de  légitime, 
î^c  Tîaminio       Sur  la  fin  de   l'année  mourut  aufîi  Fiaminio   Nobili  de 
Nobih.  Lucques.  Il  étoit  né  d'une  famille  noble  5    &  après  s'être 

rendu  très-habile  dans  la  Philofophie  ,  il  avoit  confacré  \(is 
dernières  années  de  fa  vie  à  la  Théologie.  Enfin  après  avoir 
travaillé  avec  fuccès  à  l'édicion  Latine  delà  Bible,  qui  fut 
faite  à  Rome  par  ordre  de  Sixte  V.  de  retour  dans  fa  pa- 
trie il  pafTa  à  une  meilleure  vie  âgé  de  cinquante  huit  ans, 
&  Fut  porté  à  l'Eglife  de  fainte  Marie,  où  Antoine  Nobilî 
fon  neveu  le  fit  inhumer. 

(i)    Que  feroit  donc  devenu  le  Phi- 1  que  pour  les    vers    d'Archiloque  Ly« 
Icfophe  à  la  Iciliixe  de  cet  Ecrit ,  puif- 1  canibe  fe  pendit  de  dowleut  ? 


DE  j.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.        235 

L'Italie  produire  encore  Jérôme  Zanchio  de  Bergame  ,  ? 

^qui  peu  de  cenis  après  la  fuite  de  Pierre  Martyr  Te  retira  H  e  n  k  i 
^uffi  à  Stralbourg  pour  le  même  fujet,  &c  fut  nommé  pour       I  V. 
lui  fuccéder,  lorfqu'en  1554.    ce  Dodeur  Proteftant  fut     1590. 
appelle  en  Angleterre.    Il  profcfla  enfuite  à    Chiavennes     Dejcrome 
dans  le  païs  des  Grifons  j  de-lâ  à  Baie,  où  il  rcila  jufqu'à  Zanchio. 
l'an  I  578.   èc  enfin  à  Spire j  après   quoi  il  alla  mourir  à 
Heidelberg  le  19.  de  Novembre  âgé  de  foixante  &;  quinze 
ans  ,  &   fut  inhumé  honorablement  dans  l'Eglife  de  laine 
Pierre.  Il  nous  refte  de  lui  plufieurs  ouvrages,  qui  feront 
des  monumens  éternels  de  fon  profond  f(^avoir  en  matière 
de  Théologie.  QLitlques-uns  parurent  dès  fon  vivant, &:  les 
autres  ont  été  mis  au  jour  après  fa  mort  par  fesfils.  Il  traita 
toujours  les  points  de  dodrine  avec  beaucoup  de  modéra- 
tion ,  de  ne  fe  montra  jamais  éloigné  de  fe  prêter  à  la  paix  de 
l'Eglife.  Il  n'en  faut  point  d'autre  preuve  que  la  profeflîonde 
foi  qu'il  adreila  à.  l'âge  de  foixante  ans  à  UlifTe  Martinengue 
comte  de  Barco,  êc  qu'il  fit  imprimer,  tant  en  fon  nom, 
qu'au  nom  de  toute  la  famille,  par  laquelle  il  protcftoit; 
Qu'il  ne  s'étoit  point  féparéabfoiument  de  l'Eglife  Romaine, 
ni  dans  tous  les  points  de  fa  dodrine  j  mais  feulement  dans 
les  articles  dans    lefquels   elle-même  s'étoit   éloignée   de 
la  dodrine  des  Apôtres  ,  6c  de  fa  première  pureté  :  Que 
même  il  ne  s'en  étoit  féparé  que  pour  y  rentrer  dès  qu'elle 
fe  feroit  réformée  fur  le  modèle  de  la  primitive  Eglife^  prêt 
en  ce  cas  à  fe  réunir,  &  à  communiquer  en  tout  avec  elle  : 
Qu'au  refte  il  prioit  de  tout  fon  cœur  la  divine  bonté  que 
ce  changement  arrivât  3  puifqu'il  n'y  avoit  rien  que  dût 
fouhaiter  avec  plus  d'ardeur  un  citoyen  zélé  pour  fa  patrie, 
que  de  vivre  6c  de  mourir  dans  le  même  lieu  où  il  avoit  été 
régénéré  parles  eaux  facrées  du  baptême ,  pourvu  que  Dieu 
ôc  laconfciencen'y  fulTent  point  ofFenfés. 

L'Allemagne  perdit  encore  cette  année  un  ennemi  du  Dejicquc 
Pape  &  de  l'Eglife  Romaine ,  beaucoup  plus  violent  que  ce-  Andrca. 
lui  dont  je  viens  déparier  j  ce  fut  Jacque  Andréa  qui  avoit 
fuccédé  à  Jean  Brentius  ou  Brentzen  dans  la  charge  de 
Chancelier  ôcRedeur  de  l'Univerfité  de  Tubingen.  Il  entra 
fouvent  en  lice  avec  les  Miniftres  de  Genève  3  il  avoit  eu 
même  cinq  ans  auparavant  une  difpute  à  Monbéliard  avec 


23^  HISTOIRE 

Théodore  de  Beze.  Il  s'écoic  encore  trouvé  depuis  peu  à  l^ 
Henri   conférence  qui  fetenoic  à  Bade,  6c  donc  l'ouverture  s'écoiî 
I  V.       faite  fur  la  fin  de  l'année  précédente  ^  èc  avoit  difputé  en 
I"  ioo,     préfence  de  Jacque  marquis  de  Bade  ,  contre  Jean  Piftorius. 
Mais  n'ayant  pas  réùflî  comme  il  l'efpéroit ,  â  peine  fut-il  de 
retour  chez  lui,  qu'il  mourut  au  commencement  de  Janvier, 
ou  de  cha2;rin  ,  ou  de  vieilleire  6c  de  fatig-ues. 
De  Jacque       D'un  autre  côté,  après  la   clôture  des  conférences ,  le 
^aàT^^    ^    marquis  de  Bade  chalfa  de  tous  les  païs  de  fa  dépendance 
les  minières  de  la  Confeflîon  ci'Aufbourg  ,  &  y  rétablit  la 
Religion  de  fes  ancêtres  j  mais  ce  changement  ne  fut  pas  de 
longue  durée.  Peu  de  tems  après  il  fut  attaqué  de  la  diflen- 
terie  ,  ëc  mourut  le  7.  d'Août  ,  laiilant  enceinte  Elilabeth 
fille  de  Floris  baron  de  Culembourg  en  Hollande  Ion  époufe. 
Cette  Princede  quelque   tems  après  mit  au  monde  Ernefl: 
Jacque  héritier  du  Marquifat.   En    même   tems  le  Prince 
Erneft  Frideric  de  Bade  oncle  du   feu  Marquis   s'étant  mis 
en  polîeffion  de  la  tutelle,  chafla  à  fon  tour  tous  les  Ca- 
tholiques de  ce  petit  Etat ,  èc  rappella  fur  le  champ  les  Mi- 
nières Luthériens. 
DcNicomede       Je  ne   dois    pas  non  plus  pafler  fous  filence  Nicodems 
îrilchlm.        Friichlin  né  à  Paling  ,  très-petire  ,   mais  ancienne  ville  de 
Suabe.  Je  crois  cependant  devoir  ici  prévenir  mes  Ledeurs 
fur  ce  qui  le  regarde.  C'écoit  un  homme  d'efprit ,  bon  Poëte , 
habile  Aftronome  3  mais  fi  dérangé ,  &:  fi  peu  maître  de  fa 
langue,  qu'il  ternit  par   ce  mauvais  endroit  la  réputation 
qu'il  avoit  acquife   par  [qs  autres  bonnes  qualités.   Par  fcs 
vices  il  ruina  fa  fortune,  &  mourut  enfin  d'une  manière  tout- 
à'fait    indigne  d'un   homme  de    Lettres.  En  effet ,   après 
avoir  travaillé  plufieurs  années  à  l'éducation  de  lajeunefièà 
Gratz  en  Stirie  j  à  Labach  enCarniole  ,  tandis  que  les  Mi- 
nifkres  de   la   Confefiion  d'Aufbouro-  écoient  tolérés  dans 
ces  provinces   qui  appartiennent  à  la  maifon   d'Autriche  j 
puis  à  Fribourg  en  Brifgaw  5  &  enfin  à  Brunlwich  en  Saxe  5 
de  retour  en  Suabe  il  eut  à  peine  continué  quelque  tems  d 
profefil^  dans   l'Univerfité  de  Tubingen,  que  ia  mauvaife 
langue  le  fit  arrêter.  Il  fut  enfermé  fous  bonne  garde  dans 
le    château   d'Hohcn  -  Aurach    appartenant    au    duc    de 
X^^irtemberg  3  d'où  ayant  voulu  fe  fàuver  à  la  faveur  d'une 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XCIX.       237 

corde  ,  le  long  de  laquelle  il  fe  laifTok  gliflèr,  elle  caiTa,  Se  '■■   i.i 
le  malheureux  Frifchlin  tombant  de  rocher    en  rocher,  Henri 
mourut  miiérablement  les  os  brifës  le  dernier  jour  de  No-       IV. 
vembre  à  peine  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans.  i  5  QO» 

Te  finirai  par  François  de  Salinas  èc  Ambroife  Moralez. 

c-    1  •  '  >    r»  I      T  r-    1  •  •  .       ,     ,  r  •       De  François 

balmasnea  Burgos  de  Jean  Sannas,  qui  avoit  ete  autreirois  aeSaUnas. 
dans  les  finances  fous  le  règne  de  Charle  V.  avoit  à  peine 
dix  ans,  qu'il  perdit  la  vue.  Comparable  en  ce  point  avec 
Didyme  d'Alexandrie,  doiié  d'un  heureux  naturel,  il  içut 
fi  bien  fe  dédommager  de  Tavantage  que  cet  accident  lui 
avoit  ôté  ,   que  non   feulement  il  apprit   parfaitement   le 
Grec  de    le  Latin  3  mais    devint  encore  très-habile  dans 
les    Mathématiques  ,    fur  -  tout   dans    la  Mufique  ,  fur  la- 
quelle  il  nous    refte  de    lui   plufieurs    ouvrages    fi    efti- 
més  des  connoifieurs ,  qu'à   peine  peut-on  s'imaginer  que 
l'efprit  de  l'homme  ait  pu  feul  pénétrer  jufque-là.  Ces 
occupations     férieufes    ne   l'empêchèrent    cependant    pas 
de  s'appliquer  auiîi  à  la  Poëfie  3  6c  il   traduifit  afTez  heu- 
reufement  en  fa  langue  quelques  pièces  du  Pocte  Martial 
qui  avoit  étéEfpagnol  comme  lui.  Il  futeftimé  de  Paul  IV. 
éc  du  fameux  duc  dAibe,  qui  pendant  fa  Vîceroyauté  de 
Naples  lui  donna  la  riche  Abbaye    de  faint   Pancrace.  D. 
Juan  Alvarez  de  Tolède,  Gafpard  deQiiiroga  ,  D.  Rodri- 
gue de  Caftro ,  &  le  cardinal  de  Granvelle  furent  en  liaifou 
avec  lui  3  mais  la  conformité  des  inclinations  &:  des  fenti- 
mens  lui  fit  lier  fur-tout  une  amitié  fort  étroite  avec  Louis 
de  Léon  de  l'Ordre  des  Hermites  de  faint  Auguilin ,  qui 
expliquoit  l'Ecriture  fainte  dans  l'Univerfité  de  Salaman- 
que  ,  ôc  dont  il  nous  refte  un  commentaire  fort  f(^avant  fur 
le  Cantique    des    Cantiques.  Ce  fut -là  qu'il  vieillit  dans 
l'exercice  de  fa  charge  de  prcfcfTeur  en  Mufique  ,  &  mou- 
rut enfin  au  mois  de  Février  âgé  de  foixante  &  dix-fept  ans. 

A  l'égard  de  Moralez,  il  étoit  de  Cordouë  ,  fils  d'An-  D.^j^broSfe 
toine  Moralez  Médecin  très-efbimé3  6c  il  fe  diftingua  fur-  Moralez. 
tout  par  fon  habileté  dans  les  belles  Lettres,  6c  par  les  re- 
cherches f<çavantes  qu'il  fit  au  fujet  des  antiquités  de  fon 
païs.  Il  étoit  entre  d'abord  dan^  l'Ordre  des  Dominiquains  3 
mais  il  en  fut  chafic  .  parce  que  par  un  zèle  furieux  de  mal 
entendu  ,  pour  arrêter  les  effets  de  la  concupifcence ,  ii 

G  g  iij 


2  3  s  H  I  S  T  O  I  R  E ,  &c. 

avoic  imité  Orîgene.  Il  reprît  donc  alors  Tes  premières  occu- 
Henri  pations  3  profelîà  l'éloquence  à  Alcala,  où  il  avoic  fait  Tes 
I  V.       études  3  ôc  enrichit  l'hiftoire  de  Ton  païs  de  pluiieurs  obfer, 
1390.     varions  qu'il  donna  au  public  ^  &  parla  continuation  de  celle 
qu'avoit  commencée  Florian  d'Occampo  ,    qu'il  conduific 
jufqu'à  la  mort  de  Bermudo  III.  roi  de  Léon,  c'eft-à-dire , 
jufqu'à  l'an  1037.  Enfin  il  mourut  cette  année  dans  cette 
Univerfîré  âgé  de  plus  de  foixante  ans. 
De  Marc         Marc  Bra^adino ,  Cxirnommé  Mamu^/M ,  mourut  au  mois 
iji.i^auno.     ^l'^o^^^-  d'une  manière  digne  de  la  vie  qu'il  avoit  menée  juf- 
qu'alors.  Il  étoit  natif  de  l'ifle  de  Candie ,  &  originaire  d'une 
famille  Vénitienne  dontilportoit  le  nom.  D'abord  il  s'étoic 
fait  Capucin  3  mais  ayant  enfuite  quitté  le  froc ,  il  avoit  eu 
l'adrelTe  de  fe  faire  un  grand  nom  par  les  preftiges  dont  ilfe 
fervoit  3  vivant  dans  le  fafte ,  ôc  voulant  faire  croire  qu'il 
avoit  le  fecret  de  faire  de  l'or.  Il  avoit  même  fait  l'épreuve 
de  fon  fecret  à  Venife  dans  le  palais   de   Jacque  Contarini 
noble  Vénitien ,  en  préfence  de  qui  il  changea  le  Mercure 
en  or ,  mais  en  petite  quantité  3  ce  qui  attira  un  concours 
de  monde  étonnant  à  Padouë  où  il  s'étoit  retiré  Jufqu'à  ce 
que  Iqs  artifices  &;  la  vie  déréglée  de  cet  impofteur  s'étanc 
découverts  infenfiblement ,  il  prit  la  fuite ,  èc  pafla  à  la  Cour 
de  Bavière.  Voulant  y  continuera  faire  le  même  manège, 
il  fut  arrêté  par  ordre  du  Duc  ,  Se  eut  la   tête  tranchée  a 
Munich.  On  tua  en  même  tems  à  coups  d'arquebufes  deux 
chiens  noirs  qui  le  fuivoient ,  ôc  qu'on   croyoit   être   deux 
démons  familiers  dont  il  fe  fervoit  pour  amufer  le  monde 
par  [qs  preftiges. 

Fift  df4  quatre  -  'vingt  dix  -  neuvième  Livre., 


i59 

HISTOIRE 

DE 

JACQ^UE    AUGUSTE 

DE   T  H  O  U. 


LIVRE      C  EN  T  I  É  M  E. 


LEs  affaires  des  Efpagnols ,  qui  écoient  déjà  en  mauvais  rj  ^     „  ^ 
état  dans  les  Pays-bas  avant  que  le  duc  de  Parme  vînt       t  y 
en  France/oufFrirenc  beaucoup  de  rabfence  de  ce  Prince.  Au 
commencement  de  l'année  quelques  Officiers  des  troupes  de     ^  X'^^* 
Sclienk  mort  depuis  peu ,  qui  defcendoient  le  Rhin  pour  d^s  pays-ba». 
porter  de  l'argent  à  Arnheim,  furent  arrêtés  par  Snater ,  l'un 
des  trois  Gouverneurs  de  Nimegue. 

Sur  la  fin  de  Janvier,  Rhinberck  ville  de  l'éledorac 
de  Cologne ,  fe  voyant  fans  efpérance  de  fecours  après  le 
malheur  arrivé  au  comte  de  Meurs,  comme  nous  l'avons 
rapporté  ci-dcfTus  ,  fe  rendit  au  comte  de  Manvfeld  à  des 
conditions  très- honorables  j  on  permit  à  la  garnifon  de  for- 
tir  avec  armes  ëc  bagages ,  tambour  battant,  cnfeignes  dé- 
ployées ,  mèches  allumées ,  &  balles  en  bouche.  Cette  der- 
nière conquête  fut  le  terme  fatal  du  bonheur  dej*Efpagnols3 
ôc  dans  la  fuite  tout  leur  devint  contraire. 


tatmmsm 


140  HISTOIRE 

^       En  effet  le  régiment  Efpagnol  que  commandoit  Emanuel 
H  E  N  Kl  de  Vega ,  &  qu'on  avoic  fait  venir  depuis  peu  de  Frife  ,  fe 
l  V.       révolta  bientôt  après  à  caufe  de  plufieurs  mois  de  folde  qui 
I  j^o.     J^"!"  étoient  dûs.  Les  féditieux  s'emparèrent  de  Courtray 
dans  le  tems  que  les  habitans  affiftoient  tranquillement ,  ôc 
fans  fe  douter  de  rien ,  au  dernier  fupplice  de  deux  crimi- 
nels qui  avoient  été  au  fervice  des  Etats  Généraux  ,  &  qu'on 
avoit  condamnés  à  être  brûlés.  Dans  la  fuite  ils  pillèrent 
Herentals,  Diefte  &  Leewe  3  mais  ils  s'appaiférent  iur  la  pro- 
pofition  qu'on  leur  fit  de  les  mener  en  France.  Ces  foldats 
avides  de  butin  èc  plus  encore  de  gloire  ,  promirent  de  fuivre 
le  duc  de  Mayenne,  qui  étoit  venu  trouver  le  duc  de  Parme 
pour  lui  demander  des  troupes. 

Depuis  que  Jean  Richardot  étoit  revenu  d'Efpagne ,  on 

avoit  femblé  abandonner  les  affaires  de  Flandre ,  pour  ne 

fonger  qu'à  cette  expédition  dont  on  faifoit  depuis  long- 

tems  les  préparatifs. 

Secours  en-       ^es  Etats  Généraux  des  Provinces-Unies  ,  &  Maurice  de 

voyé  au  Roi  Naflau  Gènéraliffime  de  leurs  troupes,  perfuadés  qu'il  falloir 

par  les  Pro-  profiter  de  cettc  occafion ,  fe  préparèrent  auffi  de  leur  côté 

Vinces-Unies.  r  .  '       r      r 

a  contmuer  la  guerre  avec  plus  d  ardeur  qu  auparavant. 
Convaincus  qu'il  étoit  de  leur  intérêt  que  le  Roi  réiifsît  dans 
{es  projets, ils  lui  envoyèrent  des  provifions  de  guerre  ,  6c 
cent  mille  francs ,  avec  une  ambaffade  honorable  ,  dont  Bre- 
derode  ôcjuftin  de  NafTau  amiral  deZèlande  furent  chargés. 
Et  par  la  Dans  le  même  tems ,  Elilabeth  reine  d'Angleterre  envoya 
reine dAn-  auiîi fort  à  propos  au  fecours  du  Roi  quatre  mille  Anglois 
g  ecu.e.  commandés  par  le  baron  deWilloughby  avec  deux  cens  mille 
francs.  L'heureux  fuccès  de  l'entreprife  formée  fur  Breda 
en  Brabant  anima  encore  davantage  les  Etats  Généraux. 
Cette  ville  qui  appartenoit  aux  Princes  de  la  maifon  de 
Nairau,efl  fituéefur  la  rivière  de  Mercke,  à  trois  lieues  de 
Hoochftrate  ,  à  fix  de  Bofleduc,  &  à  huit  d'Anvers.  Ses  ri- 
chefres,ôc  la  citadelle  ou  plutôt  le  Palais  que  Henri  de  Nail 
fau  y  avoit  fait  bâtir ,  la  rendoient  une  des  villes  des  plus 
confidèrables  de  la  Province.  Paul  Antoine  père  du  capitaine 
Lancia  Vecchia  (  à  qui  l'on  avoit  donné  le  même  lurnoni 
qu'au  capitaine  Edouard  gouverneur  de  Gertruydenbergh  ) 
écoic  dans  la  citadelle  avec  cent  hommes  depiè.  Il  y  avoic 

en 


"       DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  C.         241 

en  garnifon  dans  la    ville    cinq   compagnies   d'infanterie 
Italienne  Ibus  la  conduite  de  Fran(^ois  marquis  de  Vintimi-  Henri 
glia,  de  Celar  Guerra,  de  Dominique  Repetta  ,  de  Pierre        ^  V. 
Jérôme  Gratiani,  ôc  de  Jacque  Gianfigliazzi.  Il  y  avoiten-      1590. 
core  ioixante  &  dix  cavaliers  de  la  Cornette  du  marquis 
du  Guaft,  commandés  par  Tarlatino  di  Citta  di  Caftello. 

Maurice  fut  l'auteur  du  ftratagême  par  lequel  on  furprit   ,  stratagème 

•  ii^^-v  t  ' /r  II'    I  >  r-< /-    '  1       de  Maurice 

cette  ville.  On  chargea  un  vaiileau  appelle  1  Elperance,  de  pourfurpica- 
tourbes  ,  que  faute  de  bois  on  brûle  en  ces  pays-là.  Ces  dre  Breda. 
rourbes  font  des  morceaux  de  gazon  qu'on  tire  des  ma- 
récages. Maurice  fie  cacher  deffous  ces  tourbes  foixante- 
huit  foldats  tirés  des  garnifons  voifines ,  &  leur'donna  pour 
.chefs  Jean  Logier ,  Matthieu  Helt ,  Jean  de  Fernel ,  di  Gé- 
rard des  Prez.  Ils  dévoient  tous  obeïr  à  Charle  de  Herau- 
gieres  brave  gentilhomme  du  Cambrefis  ,  très-attaché  au 
îcomte  Maurice  ,  qui  lui  joignit  pour  le  ieconder  Lambert 
Charle,  homme  d'expédition 

Qi-ielques  difficultés  fufpendirent  l'exécution  du  flrata- 
gême  depuis  le  2  5.  de  Février  jufqu'au  trois  de  Mars,  &c  ce 
retardement  fembla  rallentir  l'ardeur  des  foldats.  Mais  le 
courage  de  Heraugieres  qui  partageoit  le  danger  avec  eux, 
Jes  (butint  cC  les  anima.  Le  vaiiïeau  étant  arrivé  par  le  ca- 
nal aux  pieds  de  la  citadelle,  Jérôme  RolFo  ,  &;  David  Cre- 
mel  furent  envoyés  par  François  Marie  Grallo  pour  en  faire 
la  vifite  :  n'ayant  trouvé  que  des  tourbes ,  èc  le  maître  du 
vai/îèau  leur  ayant  donné  quelque  argent,  ils  retournèrent  au 
plûcôtreprendreJeurjeu,qu'ilsn'avoient  quitté  qu'avec  peine. 
Sur  le  fuir  il  vint  des  portefaix  pour  décharger  les  tourbes 
dont  la  garnifon  pouvoit  avoir  bcfoin  j  mais  lorfqu'ils  furent 
parvenus  au  plancher  qui  couvroit  les  foldats  ,  le  maître  du 
vaiiTeau  fît  apporter  du  vin  ,  &  dit  qu'on  avoit  alFez  tra- 
vaillé ,  de  qu'on  acheveroit  le  refte  de  l'ouvrage  au  clair  de 
h  Lune.  Le  vaiileau  faifoit  eau  de  tous  cotés ,  ibit  qu'il  fut 
iifé,  foit  que  les  glaces  l'euflènt  ouvert,  les  foldats  qui  étoient 
au  fond  de  cale  en  fouffroient  beaucoup  d'incommodité  ,  &c 
le  froid  les  faifoit  toulFer  pour  la  plupart.  Un  d'entre  eux  ne 
pouvant  étouffer  fa  toux, &  craignant  de  découvrir  fes  compa- 
gnons parle  bruit  qu'il  faifoit,eut  le  courage  de  leur  préfenter 
/on  épee  ,  &  les  pria  de  la  lui  palier  au  travers  du  corps. 


14.1  HISTOIRE 

■->»"■—'■' —-      Pour  empêcher  qu'on  ne  les  entendît  ,  les  Matelots  fë 

H  E  N  R.  1  mirent  à  agiter  la  pompe  fans  difcontinuation  ,  comme  pour 
I  V.  vuider  le  fond  de  cale  ,  &  pompèrent  encore  avec  plus  de 
1  \90  violence  &;  de  bruit ,  lorfque  ces  braves  foldats  fortirent  de 
l'endroit  où  ils  étoient  caches.  Heraugieres  les  ayant  exhor- 
tés à  bien  faire  leur  devoir  ,  partagea  fa  petite  troupe  en 
deux  corps.  Il  donna  la  conduite  de  l'un  aux  capitaines  Lam- 
bert &:  Fernel ,  avec  ordre  d'aller  attaquer  le  corps. de-garde 
pofté  à  la  porte  de  la  citadelle.  Heraugieres  fe  mit  à  la  tête 
de  l'autre  corps,  prit  par  le  derrière  de  l'Arcenal,  &  mar- 
cha au  corps-de-garde  qui  étoit  à  une  des  portes  de  la  ville» 
Ayant  été  découvert  en.  cet  endroit  ,  il  fut  contraint  de 
commencer  l'attaque,  ôc  tua  de  fa  main  la  iéntinelle.  Alors 
im  Enfeigne  qui  lortit  le  blelTa  au  bras  :  le  petit  nombre 
de  foldats  qui  défendoient  ce  pofbe  ayant  été  repoufle ,  les 
allàillans  tirèrent  lur  eux  par  les  trous  des  planches  qui  les 
enfermoicnt.  Ces  malheureux  foldats  voulurent  le  rendre  ^ 
mais  comme  on  ne  pouvoit  pas  perdre  le  tems  à  capituler, 
on  fit  main  baflè  fur  eux  ,  6c  l'on  les  tua  tous.  Paul  Antoine 
au  premier  bruit  qu'il  avoit  entendu, s'étoit  retiré  dans  l'inté- 
rieur de  la  citadelle,d'oùil  fitunefortieà  la  têtede  trente-fix 
hommes ,  fur  le  corps  que  Lambert  àc  Fernel  commandoient» 
Ce  dernier  recrut  une  blefibre  dangereufe  3  mais  Paul  An- 
toine ayant  été  également  blefTé  ,  fe  retira  dans  la  citadelle 
avec  un  petit  nombre  de  fes  gens.  L'arrivée  de  Heraugieres 
2c  la  défaite  du  corps-de-garde  qui  étoit  dans  le  grand  baftion 
l'obligèrent  bientôt  de  ie  rendre  ,  vie  fauve. 

Maurice  qui  attendoit  l'iiïuë  de  l'entreprife  ,  fe  préfenta 
pour  entrer  dans  la  citadelle  avec  Philippe  de  NalTau  ,  les 
comtes  de  Solms ,  François  de  Huefda  (  i  )  Grand  maître 
de  l'artillerie,  Juftin  de  Nafïàu  ,  François  Veer  ,  &  avec 
un  détachement  de  troupes  d'élite  :  mais  n'ayant  pu  entrer 
par  la  porte  qui  regarde  la  campagne,  parce  que  toutètoic 
inondé  &  couvert  de  glaces  ,  il  palTa  avec  {qs  troupes  par 
delîùs  une  palifTade  près  de  l'Eclufe  où  le  vailleau  étoic 
abordé. 

L'épouvante  failit  auffitôt  les  foldats  de  la  garnifon  qui 
étoient  dans  la  ville  ,  &:  la   divifîon  ié  mit  parmi  eux^ 

(1)  D'autres  Hiiloriens  l'appellent  Verdoeç. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C.  243 

Tarlatino  foutiiic  d'un  côté   que  la  cavalerie  ne  pourroic  """"■"^■"■"' 
combattre  dans  des  rues  étroites  j  de  l'autre^Vincent  Capra  Henri 
Capitaine  dans  le  régiment  de  Vintimiglia  tâcha  de  ranimer       I  V. 
leur  courage  ^  il  leur  reprefenta  la  honte  dont  ils  alloientie     j  coq, 
couvrir  par  leur  lâcheté  ,  ôc  les  conjura  avec  les  termes  les 
plus  forts ,  de  ne  rien  faire  qui  deshonorât  le  nom  Italien  , 
<5c  qui  ne  répondît  pas  à  l'opinion  que  le  duc  de  Parme  avoit 
eue  de  leur  valeur ,  en  leur  confiant  la  défenfe  d'urle  place 
fi  importante.   La  crainte  l'emporta ,  les  uns  s'enfuirent  à 
Herentals ,  èc  les  autres  à  Anvers. 

Le  duc  de  Parme  dans  la  fuite  tira  une  veno-eance  écla- 
tante  de  la  perte  de  Breda  caufée  par  la  lâcheté  de  ces 
Italiens.  Cefar  Guerra ,  Tarlatino  &  Gratiani  furent  punis 
à  Bruxelles  du  dernier  fupplice.  On  pardonnai  Vintimiglia 
en  confidération  de  fon  alliance  avec  le  duc  de  Terra- 
nova  gouverneur  du  Milanez  1  on  fe  contenta  de  lui  ôter 
fon  régiment  pour  le  donner  au  comte  Vincent  Capra. 

Après  la  retraite  des  Italiens ,  les  Bourgeois  capitulèrent 
5c  ouvrirent  leurs  portes  a  Maurice  ,  qui  n'exigea  d'eux  que 
le  payement  de  la  folde  de  fes  troupes.  Vander-Noot  capi- 
taine des  Gardes  fe  rendit  maître  de  la  maifon  de  ville 
&  de  quelques  endroits  fortifiés.  Maurice  donna  le  gouver- 
nement de  la  place  à  Heraugieres  qui  avoit  été  chef  de 
l'entreprife  3  ôc  Lambert  Charle  fut  nommé  fergent- Major 
de  la  garnifon.  On  fit  frapper  des  médailles  pour  conferver 
Je  fouvenir  de  cet  événement. 

Après  la  prife  de  Rhinberck  ,  le  comte  de  Mansfeld 
étoit  revenu  à  Anvers  j  le  duc  de  Parme  lui  donna  ordre 
d'airiéger  Zevembergh  ,  petite  ville  fituée  à  l'embouchure  de 
la  rivière  de  Mercke  au-dellous  de  Breda ,  dans  l'efpérance 
de  reprendre  cette  place  ,  èc  pour  s'oppofèr  aux  courfes  des 
Hollandois.  Zevembergh  fut  pris  d'emblée, &  tous  les  fol- 
dats  de  la  garnifon  furent  mafTacrés  avec  la  dernière  inhu- 
manité. Les  Efpasnols  trouvèrent  plus  de  réfiftance  dans  le 

ri  lo  1  ii«t 

fort  de  Norden  fitué  un  peu  plus  bas.  L'attaque  du  huit  de 
Mai  fut  inutile.  Les  afTiégeans  conftruifirent  un  pont  ,  èc 
firent  venir  un  vaiflcau  où  ils  mirent  des  canons  pour  battre 
la  place  de  plus  près.  Le  Pont  fut  emporté  par  le  reflus  de 
h  mer ,  &  ils  firent  une  perte  confjderable.  Cependant  ii 

H  h  ij 


244  •      HISTOIRE 

entra  dans  le  fort  un  fecours  de  trois  cens  hommes ,  qui 
Henri  joints  avec  la  cr-^rnifon  foûtinrenc  courasieufcmenc  un  aflaut 
I V.      général.  Le  vailFeau  fut  iur  le  point  de  périr  à  l'embouchure 
2  590.     <^e  la  rivière  ^  le  comte  de  MansFeld  perdit  un  grand  nom- 
bre de  foldats,  avec  les  capitaines  Horace  Fontana  de  Mo- 
dene,  ôc  Jean  François  Pagano  de  Naples.  Alexandre  Caf- 
farelli  Romain,  &c  Horace Gaieotto  NapoHtain  furent  dan- 
gereufemcnt  blclIés. 

Le  comte  de  Mansfeld  voyant  le  peu  de  fuccès  de  fcs  ac^ 
taques ,  ie  contenta  de  faire  bâtir  dans  le  même  endroit  ua 
fort  où  il  mit  quatre  cens  hommes  en  garniion  ,  de  marcha 
vers  la  Gueldre ,  où  il  avoir  ordre  de  palfer  en  diligence 
pour  s'oppofer  à  Maurice  qui  y  faifoit  vivement  la  guerre. 
Dans  le  tems  qu'il  fe  difpoioit  à  partir  ,  les  foldats  de  la 
garnifon  de  Breda  tirent  mal  à  propos  une  fortie,  6c  tom- 
bèrent fur  un  détachement  commandé  par  Decio  Manfredi 
de  Reggio  qui  les  attendoit  de  pied  ferme.  Ayant  été  re- 
poulîés  avec  perte  ils  voulurent  fe  retirer  3  mais  on  leur  cou- 
pa le  chemin  de  la  retraite, &  Corneille  Gafparini  de  Lucques 
les  poarfuivit  vivement,  ils  perdirent  120.  hommes,  ôc  là 
refte  ne  fe  retira  dans  Breda  qu'en  prenajic  honteufemenc 
la  fuite. 

Après  avoir  tenté  inutilement  de  furprendre  Nîmegue 
en  pétardant  la  porte  de  Hezel ,  Maurice  attaquoit  cette 
place  à  force  ouverte,  &c  en  prefloit  vivement  le  fiége.  Cette 
capitale  du  pays  de  Gueldre  ellfituéefurle  Wahal ,  quiefl 
un  bras  du  Rhin.  Mansfeld  parut  au  commencement  de 
Juin  à  la  vue  du  camp  des  aiîîégeans ,  avec  une  armée  d^ 
lëpc  mille  hommes  de  pié  &  de  deux  mille  chevaux.  Mau- 
rice avoit  déjà  fait  battre  les  murs  de  la  place ,  &  la  tour 
de  Saint  Etienne  étolt  fort  ébranlée  ,  ayant  efluyé  plus  de 
trois  mille  coups  de  canon.  L'arrivée  de  Mansfeld  obligea 
les  Hollandois  de  diicontinuer  peu  à  peu  leurs  attaques.  Ib 
bâtirent  à  la  hâte  dans  un  endroit  peu  éloigné  un  fort  à 
qui  ils  donnèrent  le  nom  de  Knodfenbourg  ,  à  caufe  des 
longs  bâtons  qu'on  mit  dans  ce  fort ,  èc  donc  ils  devoienc 
fe  fervir  ,  difoient-ils  ,  pour  dompter  les  habicans  de  Ni- 
megue.  Le  capitaine  Gérard  de  Jonghe  y  fut  mis  en  garnifon 
avec  quatre  cens  foldats  di  de  l'arcilleriç, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.    C.        245 

C'efl  ainfi  que  le  NVahal  devint  comme  la  frontière  des 


Provinces-  Unies  ,  &c  que  la  Betuwe  fe  vit  afFranchie  des  Henri 

contributions  que  les  Efpagnols  avoîent  coutume  d'y  lever.        IV. 

Pour  empêcher  l'abord  de  leurs  vaifleaux ,  on  fortifia  tous     j  ^g^^ 

les   châteaux  qui  étoient  depuis  l'iUe   de  Bommel  jufqu'à 

Tolhuys  ,  autrement  le  fort  de  Schenck  dont  nous  avons 

déjà  parlé  :  car  le  bruit  couroit  que  Mansfeld  ,  qui  iè  voyant 

le  plus  foible  s'étoit  reciré  dans  le  pays  de  Liège ,  devoir 

repaiîer  au  plutôt  le  Wahal  avec  de  nouvelles  troupes.  Dans 

le  même  tems  les  Etacs  Généraux  pour  la  commodité  de 

la  navigation  firent  creufer  au  milieu  du  pays  de  Betuwe  ^ 

au-defTous  de  Nimegue ,  un  canal  qui  joignoit  le  Rhin  au 

\^ahal  :  on  éleva  un  fort  pour  défendre  ce  nouvel  ouvrage^ 

en  forte  qu'en  prenant  au-deiîous  de  Nimegue  ,  on  pour- 

roit  naviger  des  deux  côtés  fur  le  fleuve.  Ce  canal  &;  les 

digues  qui  régnoient  tout  au  long,  mettoient  à  couvert  le 

pays  de  Betuwe  jufqu'à  Dordrecht ,  de  le  garantiffoient  des 

inondations.  Le  comte  de  Solms  fit  aulîi  bâtir  un  autre  fore 

dans  l'iilede  Voorn  ,près  de  Herwerden  au-deilus  de  Bom- 

inel. 

Tant  d'aAions  pleines  deVaîeur,  &  tous  ces  ouvrages  faits 
&  conduits  avec  tant  de  fagelTe  de  d'induflrie  firent  beau-- 
coup  d'honneur  à  Maurice ,  èc  engagèrent  les  peuples  de 
Gueldre  touchés  du  mérite  de  ce  Prince  à  lui  déférer  le 
gouvernement  de  leur  pays ,  pour  s'oppofer  à  Marc  de  Rie 
marquis  de  Varambon,  gouverneur  de  ce  Duché  pour  le 
roi  d'Efpagne. 

Comme  François  Verdugo  étoit  dans  la  Frife  fans  argent 
&  fans  troupes ,  le  duc  de  Parme  jugea  à  propos  de  lui  en- 
voyer Herman  comte  de  Bergh ,  avec  vingt-deux  compa- 
gnies d'infanterie  Efpagnole  &  Flamande,  2^  cinq  Cornettes 
^e  cavalerie.  Avec  ce  renfort  Verdugo  fe  rendit  maître  du 
fortd'Immetille  .  &  alla  camper  à  Nieuziel  ^  ce  qui  mécon- 
tenta beaucoup  les  habitans  de  Groningue  qui  fe  plaigni- 
rent qu'on  attentoit  à  leur  liberté.  D'un  autre  côté  ,  Guil- 
laume de  Naflàu  fit  de  nouvelles  levées  au  nom  des  Etats 
Généraux  j  &  ayant  encore  reçu  un  renfort  de  cinq  cens 
chevaux  que  lui  amena  le  comte  d'Eberftein  par  l'ordre  de 
Maurice,  ilfe  retrancha  à  CoUum.  Les  deux  partis  rcflércnc 

H  h  iij 


24-6  H  I  S  T  O   î  Pv  E 

enfuice  dans  l'înadion  ,  6c  fè  contentèrent  de  faire  des  courfes 

H  £  N  RI   dans  la  XSTeftphalie,  dans  les  diocèfes  de  Munfter  6c  de  Pa- 

I  V.       derborn ,  6c  dans  les  Etats  de  Cologne  6c  de  Cleves.  Mais  les 

I  590.     ibldatsEfpagnols,todjours  prêts  à  fë  maciner,pouiIërent  leurs 

brigandages  plus  loin  que  les  Hollandois  ^  comme  on  ne  les 

avoit  point  payés  depuis  plusieurs  mois ,  ils  fe  crurent  au- 

torifés  à  pilier  ,  6c  à  fubfîller  aux  dépens  des  peuples  de  ces 

Provinces. 

Dans  le  même  tems ,  le  duc  de  Parme  entra  en  France 
par  les  ordres  du  roi  d'Efpagne.  Avant  de  partir  ,  il  rappella 
de  la  Gueldre  le  comte  Cliarle  de  Mansfeld  pour  venir  fe- 
courir  pendant  fon  abfence  le  comte  Piere  Erneil.  Charle 
avant  de  fortir  de  Gueldre  avoit  fortifié  le  fort  de  Doden» 
dael ,  dont  il  avoit  confié  la  défenlë  à  Boeille  natif  d'Amfter- 
dam  3  mais  Maurice  après  avoir  fuivi  en  queue  le  Comte  qui 
fe  retiroit,  de  harcelé  continuellement  fon  arriére- garde  ,  fe 
rendit  maître  à  difcrétion  de  ce  fort  fur  la  fin  de  Juillet  ^ 
dans  un  tems  que  le  marais  qui  faifoitfa  principale  défenfe 
ctoit  à  fec. 

Boeille  fut  puni  du  dernier  fupplice  comme  traître  à  fa 
patrie  j  car  il  étoit  Hollandois ,  6c  l'on  renvoya  le  refte  de 
la  garnifon. 

En  Brabant  les  garnîfons  de  Berg-Op-Zom  6c  de  Bred^ 
s'étant  jointes  enfemble  pillèrent  Géelle,  6c  eurent  l'audace 
de  venir  jufqu'aux  portes  d'Anvers  où  ils  jettérentla  ter- 
reur. Dans  le  même  tems  Thienem  f  i)  fut  faccagé. 

Dans  le  mois  de  Septembre  ,  Maurice  fe  mit  à  la  tête 
d'un  détachement  de  troupes  d'élite, dans  le  deiïein  d'atta- 
quer les  forts  que  les  ennemis  avoient  élevés  fur  les  bords 
du  Rhin  6c  de  la  Meufe.  Le  fort  d'Hemert  fut  pris  le  vingt- 
fept  du  même  mois  •  fix  jours  après  le  château  de  Heyl  dans 
l'ille  de  Bommel  fe  rendit ,  6c  le  fort  de  Burick  fitué  vis  à- 
vis  du  \i^efel  eut,  enfuite  le  même  fort.  Ces  heureux  fuc. 
ces  furent  luivis  de  la  prife  de  Grave  dans  le  duché  de  Cléves, 
où  il  y  a  un  fameux  couvent  de  Chartreux.  Peu  après  Mau- 
rice emporta  de  vive  force  le  château  de  Lutte- Kenhouen 
que  les  habitans  du  pays  reprirent  j  mais  dont  les  Anglois 
s'emparèrent  une  féconde  fois»  Maurice  entra  enfuite  dan§ 
(i)  OaTillçmont, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  147 

le  Brabant  ,où  il  fe  rendit  maître  de  Rofendal  ,&  du  fore 
de  Teriieyden  que  Mansfeld  avoit  depuis  peu  fait  conftruire  Henri 
à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Breda,&;  le  fît  démolir,       IV. 
Sceenberghe  lui  ouvrit  fes  portes.  Ayant  enfuîte  envoyé  un     ifqo. 
détachement  des  garnifcns   de  Berghe  6c  de   Breda  pour 
faire  des  courfes  dans  la  Campigne,ces  troupes  efcaladérenc 
Tillemont,  grande  ville  qu'on  abandonna  après  l'avoir  pil- 
lée ,  parce  qu'on  ne  pouvoit  la  conierver.  Le  Prince  mit  en- 
fuite  en  quartier  d'hyver  ion  armée  qui  s'étoit  chargée  de  bu- 
tin dans  toutes  ces  expéditions. 

Les  habitans  de  Venlo  fur  la  Meufe  en  Gueldre  ne  pou- 
vant plus  foufFrir  la  garnifon  Allemande  6c  Italienne  qui 
ëtoit  dans  leur  ville ,  formèrent  le  deflein  de  fe  mettre  en 
liberté  ,  6c  de  brifer  le  joug  qui  les  accabloit^  mais  comme 
ils  étoient  trop  foibles  pour  attaquer  ces  foldats  tandis  qu'ils 
feroient  unis  enfemble ,  ils  eurent  recours  à  un  ftratagême  ^ 
èc  jettérent  la  divifion  entre  les  deux  Nations.  Ils  firent 
entendre  aux  Allemans  que  les  Italiens  les  méprifbient  6c 
les  traîtoient  d'yvrognes  ,  qu'ils  s'emparoient  dQs  meilleurs 
logemens ,  àc  laifToient  les  mauvais  aux  Allemans ,  comme  d 
une  nation  vile  6c  malpropre,  qu'enfin  ils  parloient  mal  d'eux 
entouteoccafion.Cerapportirrita  extrêmement lesi^llemans, 
qui  promirent  aux  principaux  habitans  qui  conduifoienc 
l'entreprife,  que  s'ils  ne  fe  joignoient  à  la  bourgeoifie  lorf- 
qu'on  attaqueroit  les  Italiens ,  ils  refteroient  du  moins  neu- 
tres, 6c  ne  lèroient  que  fpedateurs  du  combat. 

Ainlî  les  bourgeois  n'ayant  rien  à  craindre  du  côté  des 
Allemans  prirent  les  armes,  6c  ayant  mis  des  corps-de-garde 
dans  les  places,  ils  firent  fignifîer  par  un  trompette  aux  Ita- 
liens de  fortir  de  la  ville  fous  peine  de  mort.  Ces  derniers 
fe  voyant  abandonnés  parles  Allemans  enlevèrent  leurs  ba- 
gages &c  fe  retirèrent.  Les  Allemans  étant  trop  foibles  pour 
rèlifter  aux  bourgeois  que  ce  premier  fuccès  avoit  animés  ^ 
furent  aulîî  obligés  de  fortir  de  Venlo  après  avoir  rec^ii  plu- 
sieurs outrages.  Le  capitaine  Butinghe  Lieutenant  du  mar- 
quis de  Renti  étoit  alors  à  Bruxelles  pour  demander  l'ar- 
gent nècelTiiire  au  payement  de  la  garnifon.  Dès  que  les 
habitans  l'eurent  chafTée  ,  ils  écrivirent  au  comte  Pierre 
Ernefl  de  Mansfeld  ^  rinfolence  du  fbldac  dans  une  ville 


24S  HISTOIRE 

-  '  '  libre  leur  fervîc  de  prétexte  pour  excufer  une  acflîon  û  har; 

Henki   die,  &  ils  promirent  de  demeurer  toujours  fidèles  au  Roi, 
I  V.  Dans  le  même  tcms  les  Efpagnols  tentèrent  de  furprendre 

î  590.  P^i*  ^^  ftratagême  Lochem  ville  de  Gueldres  fituée  fur  la 
rivière  de  Berkel,àdeux  lieues  deZutfen.Ils  firent  entrer  dans 
la  place  trois  chariots  chargés  de  foin,  &  fuivis  par  des  foldats 
d^guifés  en  payfans  avec  des  fourches  à  la  main.  Mais  le  pre- 
mier chariot  s'ètant  arrêté  fous  la  herfe  du  pont-levis,lcs  gar- 
des prirent  quelques  bottes  de  foinj  Se  ayant  découvert  le  pied 
d'un  de  ceux  qui  y  étoient  cachés,  ils  coururent  aufTitôt  aux 
armes.  Les  foldats  Efpagnols  quoique  découverts  plutôt  qu'ils 
ne  s'y  attendoient ,  fortirent  des  chariots  ,  &  tuèrent  la  fen- 
tînelle.  François  Ballochi  fergent  Major  accourut ,  avant  que 
la  cavalerie  Efpagnole  qui  devoit  les  foutenir  fut  arrivée  j 
ils  furent  chaiîës  au-delà  da  pont ,  &  le  fergent  Major  de 
Zutfen  ,  auteur  de  cette  entrepriié  ,  fut  tué  dans  la  ville. 

Les  Efpagnols  pour  fe  rendre  maîtres  de  la  Meufe  avoient 
bâti  un  château  à  Huy  petite  ville  qui  n'eft  qu'à  cinq  lieues 
de  Liège  ^  ua  torrent  voifin  qui  eil:  fouvenc  groffi  par  les 
pluies ,  6c  qui  va  fe  jetter  dans  le  fleuve  avec  beaucoup 
d'impètuoficé  ,lui  a  donné  fon  nom:  cette  place  efb  encore 
fortifiée  parla  Meufe  qui  l'arrofe  dedeux  côtés.  Grobben- 
donck  la  djèfendoit  avec  cent  hommes  de  garniion  j  mais 
n'efpéranc  aucun  fecours ,  il  fe  rendit  vie  fauve  ,  èc  laifîa. 
entre  les  mains  du  vainqueur  {qs  bagages,  &  un  butin  confia 
dérable  qu'il  avoît  fait  en  pillant  tous  les  pays  circonvoifîns^ 
D'un  autre  côté  Maurice  entra  dans  la  province  de 
Flandre  avec  trois  mille  hommes  de  pied  èc  mille  chevaux, 
pour  attaquer  Dunkerque  que  Nicolas  Meetkercke  fils  du 
PréfidentAdolfe  fe  propofoit  d'efcalader  pendant  la  nuit ^mais 
un  vent  contraire,qaelque  retardement  au-delà  de  l'heure  fîv 
xée  pour  l'exécution  ,  bc  d'autres  obftacles  firent  découvrir  ôc 
échouer  Pentreprife.  Lesibidacs  firent  une  defcente^le  comte 
de  Solms,Veer  ,  &  Ivieetkercke  qui  étoient  venus  par  terre  , 
reçurent  quelques  légères  blefîiires.Six  jours  après, la  garnifor^ 
d'Odende  furprit  Oudenbourg  où  il  y  avoit  quatre  cens  hom- 
rnes  de  garnifbn,  pillèrent  cette  place,  ëc  y  mirent  le  feu. 

Maurice  ne  voulut  pas  que  la  marche   qu'il  avoic  faite 
pour  furprendre  Dunkerque  fut  tçuc  à  fait  jnutilç  ,  il 

prdonn^ 


^DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.   C.        '    249 

ordonna  donc  à  cinq  vaifleaux  très-bien  ëquippés,  qui  Ta.  ' 

voient  luivi  dans  cette  expédition,  de  croifer  fur  Iqs  côtes  de  H  e  n  r.  1 
Prance  ,  &  d'y  chercher  quelque  bâtiment  ennemi  pour  le       I  V. 
combattre.  Cloyer  commandoiten  qualité  d'Amiral  j  il  avoic     1  çqo. 
Cales  pour  Lieutenant,  Evrard  deBont,  &  Pierre  Leynfel 
iervoient  aulîî  fur  cette  efcadre.  Ils  découvrirent  fur  la  côte 
de  Normandie  ,  6c  attaquèrent  un  vailleau  de  deux  cens 
tonneaux  ,  qui  appartenoit  à  André  de  Brancas  de  Villars 
gouverneur    du  Havre  de  Grâce  pour  la  Ligue  j  ils  s'en 
emparèrent  après  un  combat  obftiné  •  mais  le  feu  s'y  min 
par  hazard  ,  &  le  foldat  vidorieux  étant  plus  occupé  à  pil- 
ler qu'à  s'oppofer  à  l'incendie  ,  le  vaifîeau  fut  entièrement 
brûlé.  Ce  funefte  accident  fit  périr  prefque  tous  les  prifon- 
niers,  &  il  ne  s'en  fauva  que  douze.  Cela  fe  pafTa  le   i  5. 
d'Odobre. 

Enfin  les  fréquentes  plaintes  des  peuples  de  la  frontière  Diète  d'Aï- 
d'Allemagne  fatigués  par  tant  de  courfes  de  de  ravages  ,  lemagne. 
engagèrent  leurs  Princes  à  indiquer  à  Cologne  une  diète 
des  cercles  du  Rhin  &:  des  Etats  de  Saxe.  On  y  entendit 
les  députés  de  W^eftphalie  èc  du  duc  de  Cleves ,  qui  y  ex- 
pofèrent  toutes  les  courfes  que  Verdugo  &  Emanuel  Vega 
avoient  faites  dans  le  diocèfe  de  Munfter  &:  dans  le  Comté 
de  Bentheim  j  les  ravages  de  Charle  de  Mansfeld  dans  le 
duché  de  Juliers  èc  dans  le  Comté  de  Lippe  •  &:  ceux  de 
Jean  Manrique  de  Lara  dans  le  diocèfe  de  Cologne.  Ils  fe 
plaignirent  aufîi  des  Etats  Généraux  dont  les  troupes  cau- 
Ibient  de  grands  dommages  fur  les  terres  de  leurs  voifîns. 

De  fî  jufl:es  plaintes  firent  alors  peu  d'imprefîion  3  le  cré- 
dit du  roi  d'Efpagne  èc  de  ceux  qui  lui  étoient  attachés 
l'emporta  3  ainfî  l'on  indiqua  une  autre  diète  à  Francfort- 
fur-le-Mein.  Cependant  on  envoya  des  Députés  au  duc  de 
Parme  ôc  aux  Etats  Généraux  des  Provinces-Unies  pour  les 
engager  à  démolir  les  forts  qu'ils  avoient  fait  bâtir ,  &  à 
rendre  ceux  dont  ils  s'étoient  emparés  dans  les  pays  du 
Rhin  à  l'occafîon  de  cette  guerre  3  &  pour  leur  dénoncer 
que  les  Ordres  de  l'Empire  prendroient  de  juffces  mefures 
dans  la  dière  prochaine,  pour  contraindre  par  la  force  des 
armes  ceux  qui  refufèroient  de  faire  la  reflitucion  des  places 
ufurpées. 


250  HISTOIRE 

'  "         Les  Députés  allèrent  d'abord  à  Bruxelles  où  les  minières 

Henri  Efpagnols  ne  leur  donnèrent  que  des  paroles.  Ils  palFerenc 
I  V.       enfuice  en  Hollande,  &  eurent  audience  à  la  Haye  le  i  3» 
I  590.     d'Août.  Ayant  expoié  le  fujet  de  leur  ambalTàde,  Iqs  Etats 
Dépurés  cîe    Généraux  les  remercièrent  dans  les  termes  les  plus  hono- 
ladiéte  cii-    fablcs ,  &  leur  répondirent  qu'ils  étoient  fâchés  de  ce  que 
lande.  Ré-  "  leurs  voifîns  foufFroient  de  la  guerre  qui  fe  faifoit  dans  les 
ponfedes       Pays-bas  j  mais  qu'on  devoit  plutôt  plaindre  la  iituation 
où  étoient  les  Etats  Généraux,  que  \qs  acculer  d'être  les  au- 
teurs de  toutes  ces  calamités  :  Qii'il  n'étoit  pas  étonnant 
que  la  fadion  Efpagnole  ayant  allumé  un  funcfte  incendie 
dans  les  Pays,  bas ,  il  fe  répandît  quelque  étincelle  de  ce  feu 
dans  les  pays  voifins  :  Qu'ils  défavoiioient  tout  ce  qui  s'étoic 
fait  contre  leurs  Edits ,  &  contre  les  régies  de  la  difcipline 
militaire  qu'ils  avoient  eux-mêmes  établies  5  mais  qu'il  etoic 
impofîible  défaire  obicrver  exadement  dans  une  guerre  ci- 
vile :  Qii'on  devoit  excufer  la  conduite  des  Etats  dont  la 
caufe  étoit  fi  jufte,  ôc  qui  en  défendant  leurs  pays  ,  travail- 
loient  pour  le  lalut  commun  de  tous  leurs  voifîns  :  Qu'autre- 
ment il  faudroit  fléchir  fous  le  joug  le  plus  dur  &  le  plus 
cruel.  »  Qii'y  a-t-il,  coniinuérent-ils,  de  plusinfupportable 
13  pour  des  peuples  libres  ,  que  cette  Inquifîtion  ,  digne  in- 
>3  vention  de  la  barbarie  des  Sarazins  ôc  des  Maures  (  i  ) ,  &: 
53  que  l'Efpagne  vei.t  introduire  fous  un  faux  prétexte  de 
53  Religion  ?  Qii'y  a-t-il  de  plus  impie  que  de  défendre  aux 
53  fidèles  l'ufage  de  la  parole  de  Dieu  ,  6c  la  lecture  de  l'Ecri- 
53  ture  Sainte,  pour  y  fubfliruer  des  condamnations  de  pro- 
53  p(  fîtions  &:  des  anathêmes ,  afin  d'impofer  aux  fîmples  j 
53  que  d'établir  une  jurifdidion  altérée  de  fang  ,  des  formules 
55  de  jugement  inufitées  ,  de  un  tribunal  qui  fappe  tous  les 
53  fondemens  de  la  liberté  Chrétienne?  A  quoi  tendent  toutes 
53  ces  nouveautés  ?  Le  monde  entier  en  connoit  à  préfentles 
55  motifs  odieux.  On  veut  abolir  les   droits  \qs  plus  facrés, 
53  les  privilèges  ,  les  libertés ,  les  coutumes  èc  les  loix  des 
53  Peuples.  L'Efpagne  tend  toujours  à  la  Monarchie  univer- 
53  felle ,  projet  ancien  àc  monflrueux  qui  a  déjà  coûté  tanc 
53  de  fang  à  l'Allemagne.  Voilà  Iqs  motifs  de  Tèredion  faîte 

(1)  L'idée  de  l'Inquifition  vient  des  i  tiennent  leur  Religion  par  la  force  des 
Mahométans  qui  ont  établi  &  qui  fou- 1  armes^Sc  non  par  celle  de  laperfuafion. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  151 

>j  en  Flandre  depuis  quelques  années  de  ce  grand  nombre  ■??!!???!!■???!= 
55  d'Evêchés ,  enrichis  des  biens  enlevés  à  des  monaftéres ,  Henri 
55  que  leur  ancienneté  dévoie  faire  reipecler  •  &  de  1  opprell      I V. 
55  fion  de  tant  de  Princes  6c  de  Seigneurs  qui  ont  été  la  vie-      j  ^«q^ 
55  time  de  la  tyrannie  Efpagnole. 

55  Les  Napolitains ,  les  Milanois ,  les  Grenadins ,  &  les  In- 
55  diens  nous  ont  appris  ce  que  doivent  craindre  les  Peuples 
55  malheureux  qui  obéïlTent  aux  Efpagnols.'lls  ont  dépouiL 
55  lé  Antoine  roi  de  Portugal  (r).  L'Angleterre  ôc  l'Ècofle 
55  ont  penfé  fuccomber  fous  les  différentes  confpirationsfor- 
55  mées  par  eux  contre  ces  Etats.  Ils  troublent  encore  à 
55  préfènt  l'Irlande.  Enfin  leur  ambition  paroit  au  grand 
55  jour  dans  la  guerre  qu'ils  ont  allumée  en  France,  où  ils 
55  foutiennent  publiquement  que  les  Peuples  peuvent  pren- 
55  dre  les  armes  contre  le  légitime  héritier  de  la  couronne. 
55  Quels  attentats  contre  la  Majeflé  des  Rois  i  Cependant 
55  ils  ofent  nous  reprocher  que  nous  fommes  des  criminels 
55  de  léze-Majeflé  ^  nous  qui  n'avons  pris  les  armes  que  lorl- 
53  que  nous  nous  y  fommes  vus  contraints  par  la  plus  dure 
53  néceffité  ,  èc  après  avoir  employé  inutilement  les  plus 
55  humbles  &c  les  plus  refpedueufes  remontrances  pour  nous 
53  procurer  la  liberté  de  confcience. 

53  II  efb  donc  injufle  de  nous  regarder  comme  des  per- 
55  turbateurs  du  repos  public ,  &:  de  nous  accufer  de  vou- 
53  loir  ufurper  le  bien  d'autrui.  Car  en  ce  qui  regarde  le  fore 
53  de  Schenck  ,  on  a  déjà  prouvé  que  Schenck,  dont  il  porte 
53  le  nom ,  l'a  fait  bâtir  en  Gueldres  aux  dépens  des  Etats 
53  Généraux,  &  qu'après  la  mort  de  cette  Officier  nous  avons 
55  fait  de  plus  grandes  dépenfes  pour  empêcher  que  cette 
53  place  ne  tombât  entre  les  mains  des  Efpagnols  ,  qu'il  ne 
55  nous  en  avoir  coûté  pour  la  faire  conftruire.  On  doit  même 
53  être  perfuadé  que  nous  ne  l'avons  pas  fait  bâtir  pour  in- 
53  commoder  ôc  vexer  nos  voiiïns ,  mais  feulement  pour  ar- 
55  rêter  les  courfes  de  nos  ennemis. 

53  Cependant  nous  ferons  celTer  les  plaintes  du  duc  de 
55  Cleves  ,  &  nous  le  fatisferons  en  tout  ce  qu'il  demande, 
33  pourvu  qu'on  prenne  de  juftes  mefures  pour  la  fureté  6c 

(i)  Après  la  mort  du  cardinal  Roi ,    préjudice  d'Antoine  ,  qui  à  la  vcrité 


Philippe  II,  s'empara  du  Portugal,  au 


étoit  bâtard. 


251  HISTOIRE 

■^L-LL'""— .  >3  la  défenfe  de  ce  pays.  Mais  n'avons-nous  pas  droit  de  faire 

Henri  jj  pour  la  confervation  de  ce  qui  nous  appartient  ,  ce  que 

I  V.       >3  ceux  qui  fe  plaignent  des  Etats  Généraux  permettent  aux 

1590,     >5  Efpagnols  de  faire  impunément  pour  envahir  le  bien  d'au- 

5î  trui  ?  Perfonne  n'ignore  qu'ils  ont  voulu   furprendre  de- 

»  puis  peu  Goch  &  Rees,  ôc  perfonne  ne  s'eft  plaint  de  cet 

»  attentat. 

>5  D'ailleurs  les  Etats  Généraux  n'ont  pas  été  les  premiers 
»  à  s'emparer  de  quelques  places  de  leurs  frontières  3  leurs 
>5  ennemis  avoient  déjà  oie  le  faire  avant  eux.  Car  on  ne  doit 
53  pas  nous  imputer  \qs  démarches  de  Gebbard  Truchfes 
55  ekdeur  de  Cologne  5  ce  Prince  a  agi  en  ion  nom  ,  &  pour 
îjfoutenir  fcs  droits  particuliers.  Qiioique  nous  lui  ayons 
53  donné  quelques  fecours ,  comme  il  nous  étoit  permis  de 
33  faire ,  &  que  nous  ayons  détourné  l'orage  qui  étoit  prêt 
33  à  tomber  i'ur  ia  tête,  on  ne  peut  pas  dire  néanmoins  que 
33  nous  foyons  la  cauie  des  déiaflres  qui  ont  luivi  cette  iu^ 
33  nefte  guerre. 

Ils  ajoutèrent  que  les  Etats  Généraux  s'étoîent  a  la  vé- 
rité rendus  maîtres  de  Luttekenhoven  &c  de  Burick  •  mais 
qu'après  avoir  enlevé  de  force  ces  places  à  l'ennemi  qui 
s'en  étoit  emparé  ,  ils  étoient  prêts  de  les  rendre  aux  Sei- 
gneurs à  qui  elles  appartenoient,  pourvu  qu'on  leur  donnât 
àcs  cautions  fuffiiantes  :  Qii'on  devoit  les  excuier,  fî  con- 
traints par  la  néceffité  de  défendre  leur  liberté,  ils  étoient 
quelque  fois  à  charge  à  leurs  voiiins  :  Qii'ils  gardoient  tous 
les  menagemenspoiîibles,  &  que  pour  prévenir  les  deiorJres, 
ils  payoient  régulièrement  \qs  foidats  qui  étoient  à  leur  folde: 
Qti'au  contraire  l'Eipagne  ne  faifoit  fubiifter  fes  troupes 
qu'aux  dépens  des  Peuples  ,  &  permetroit  qu'elles  demeu- 
laiîènt  pendant  des  mois  entiers  dans  des  pays  qui  n'étoient 
point  de  fa  domination  :  Qu'il  falloit  encore  les  excufer , 
s'ils  avoient  établis  de  nouveaux  impôts ,  puifque  fans  cela 
il  leur  feroit  impo/Tible  de  continuer  la  guerre  ,  &  que  l'Erac 
ne  pourroit  plus  fub/îfler  3  mais  que  de  leur  côté  ils  avoient 
quelques  demandes  à  faire  aux  Princes,&.  aux  villes  de  l'Em- 
pire. 

Ils  repréfentérent  donc  qu'on  devoit  reflituer  à  la  Dame 
de  Walbourg  ,  veuve  du  comte  de  Meurs  ^  les  biens  qu'on 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C.  253 

lui  avoit  enlevés  par  des  voyes  de  fait  contre  toute  équité  ■■ 

&  contre  les  conllitutions  de  l'Empire  j  &c  rendre  judice^à  Henri 
leur  recommandation  ,  à  la  veuve  d'un  Seigneur  qui  avoit       -t  V. 
rendu  de  très-grands  iervices  aux  Etats  Généraux.  Nicolas     i  590. 
Link  Secrétaire  de  la  ville  de  Cologne  avoit  prié  les  Etats 
de  faire  obferver  la  neutralité  par  cette  Dame,  èc  ils  y  avoienc 
confenti  j  à  condition  que  le  iénat  de  Cologne  prefleroit 
l'Archevêque  &  le  Chapitre  de  rendre  les  biens  de  \\^al,. 
bourg,  dont  on  s'étoit  injuftement  emparé. 

Quant  aux  Liégeois ,  les  Etats  Généraux  n'eurent  pas  les 
mêmes  ménagemens,  &c  ils  leur  reprochèrent  vivement  qu'ils 
donnoient  retraite  aux  troupes  Efpagnoles  :  Qii'ils  leurs  four- 
nilToient  des  vivres  :Que  leur  Evêque  entrerenoit  une  étroite 
liaifon  avec  Philippe  :  Qu'ils  perlecutoient  les  Proteftans  : 
Qu'ils  faifoient  laihr  èc  confifquoient  les  biens  de  ceux  qui 
s'enrôloient  au  fervice  des  Etats  ^  Se  qu'au  contraire  ils  laif- 
foient  impunis  tous  les  crimes  &  les  brigandages  des  Efpa- 
gnols ,  6c  les  favorifoient  autant  qu'il  leur  étoit  polFible.  Ainlî 
quoique  les  Etats  ne  voulurent  pas  encore  rompre  entière- 
ment avec  eux ,  cependant  ils  demandèrent  du  tems  pour 
délibérer  fur  ce  qu'ils  avoient  à  faire. 

Eniin  les  Liégeois  ayant  promis  d'obferver  dans  la  fuite 
une  exade  neutrahtè  ,  ëc  donné  des  cautions  fuffifantes  de 
leurs  proraelTes  ,  les  Etats  Généraux  leur  accordèrent  la, 
même  grâce  ,  Se  leur  permirent  de  faire  leur  commerce  par 
Breda  avec  Iqs  Hollandois ,  à  la  charge  de  payer  les  im- 
pôtSj  dont  cependant  ils  feroient  exempts, lorfqu'ils  auroienc 
été  dépouillés  parles  garnifons  Italiennes  d'Herentals  6c  de 
Diefle  ,  qui  faifoient  ordinairement  des  courfes  dans  ce 
pays. 

Quoique  les  Etats  Généraux  femblaifent  difpofès  à  éva- 
cuer les  places  dont  ils  s'étoient  emparés ,  ôc  à  réparer  les 
dommages  que  leurs  troupes  avoient  faits  fur  les  terres  de 
l'Empire  -,  cependant  Jean  Philippe  comte  d'Eberftein  qui 
étoit  au  fervice  de  Maurice,  entra  en  W^eftphalie  au  nom 
&  fous  les  aufpices  de  Gebbard  Truchfes  ,  &c  faccagea 
Schonvliet  èc  XV^'ambeck  ,  après  avoir  ravagé  toute  la  cam- 
pagne aux  environs.  Il  taxa  la  Wcftphalie  ,  èc  Cologne 
àdix-huic  mille  florins  de  contribution  ,  en    exigea  onze 

1 1  "j 


254  HISTOIRE 

M.  M       j  mille  de  Tévêque  de  Paderborn ,  &c  tira  une  grande  fomme 

Henri  d'argenc  de  l'ëvêque  de  Munfler. 

I  V.  L'Empereur  Rodolphe  à  l'exemple  de  l'Empereur  Maxi- 

I  î9b.  niilien  Ion  père  ,  craignant  de  plus  grands  revers  pour  la 
maifon  d'Autriche  ,  prelîoit  vivement  la  conclufîon  du  traité 
de  Cologne ,  qui  étoit  demeuré  en  fufpens  depuis  plufieurs 
années.  Mais  les  Etats  généraux  prièrent  S.  M.  I.  de  ne  pas 
travailler  inutilement  à  une  négociation  qui  ne  pouvoit  avoir 
aucun  fuccés ,  ôclui  repréfèntoient  pour  excufer  leurs  refus , 
que  les  Efpagnols  n'agilîoient  pas  de  bonne  foi  dans  cette 
ajBFaire,  5c  qu'en  offrant  la  paix  ils  n'avoient  d'autre  but  que 
de  pallier  leurs  pernicieux  delTeins ,  comme  les  lettres  que 
Guillaume  de  Saint-Clement  écrivoit  à  Philippe,  ôc  qu'on 
avoit  interceptées ,  le  prouvoient  manifeftement.  Cependant 
l'Empereur  n'abandonna  pas  fon  entreprife ,  ôc  nomma  des 
AmbaiTadeurs  pour  fe  joindre  â  ceux  des  Princes  ,  6c  renouer 
une  conférence  qui  avoit  été  tant  de  fois  interrompue. 

Cette  année  qui  fut  iî  heureufe  pour  les  Etats-Généraux, 
vit  jetter  les  premiers  fondemens  de  leur  République ,  èc 
finir  l'autorité  de  Philippe  fur  Iqs  Païs-bas.  Pendant  que 
les  Efpagnols  alloient  porter  la  guerre  en  France ,  les  Hol- 
landois  devinrent  plus  hardis.  Leur  puiffance  égala  bientôt 
leur  courage  j  après  s'être  longtems  tenus  fur  la  défenfive, 
trop  heureux  d'abord  de  pouvoir  repoufïèr  leurs  ennemis , 
ils  commencèrent  à  les  attaquer ,  6c  leur  arrachèrent  enfin 
les  Provinces  voifînes.  La  victoire  les  fuivit  toujours  fur 
mer  6c  fur  terre ,  dans  les  fièges  comme  dans  les  batailles. 

Les  Flamands  Royaliftes  étoient  indignés  de  voir  leurs 
forces  employées  à  la  conquête  d'un  Royaume  étranger , 
tandis  qu'on  abandonnait  imprudemment  leurs  païs ,  êc  ils 
prévoyoient  que  dans  une  guerre  dont  une  aveugle  ambition 
étoit  le  feul  motif  ,  les  Efpagnols  n'auroient  pas  plus  de 
fuccès  que  les  chiens  d'Efope ,  qui  ayant  vu  des  peaux  fur 
la  furface  de  la  mer ,  tentèrent  de  la  mettre  à  fec  ,  mais  qui 
crevèrent  à  force  de  boire  avant  de  parvenir  à  ces  peaux. 
Ils  lescomparoient  encore  à  cet  autre  chien  d'Efope  qui  na^ 
geoit  en  portant  à  la  gueule  un  morceau  de  viande  -,  l'eau 
lui  reprèlcntant  fa  figure,,  il  crut  voir  un  autre  chien  avec 
fa  proye  :  trompé  par  cette  fauflê  apparence ,  il  lailTa  aller 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C,  i^^ 

ce  qu'il  portoic  ,  Tans  pouvoir  atteindre  l'objet  de  ù  eu-  ni'rr'^;^^:'^'^ 

pidicé.  Henri 

Frédéric  Perrenot  de  Champigny  frère  du  cardinal  de  I  V. 

Gianvelle  ,  fe  fervoit  quelquefois  de  ces  exemples  avec  1590, 
beaucoup  de  liberté  ,  comme  je  l'ai  remarqué  dans  des  let- 

.L  : '    i„„r_.,^  :.^.^:.  j.^.   l '^   j.,    n  „:  Sennmens 


cuot 


très  qu'on  intercepta  lorfque  j'étois  dans  l'armée  du  Roi.  dePeir 
Perrenot  qui  avoit  autant  de  prudence  que  d'amour  pour  fa  ^^  champi- 
patrie,  s  oppoia  toujours  aux  ientmiens  de  Jean  Kicnar-  dciapoiià- 
dot ,  fur  la  conduite  qu'il  falloit  tenir  dans  le  gouvernement  que  des  Ef- 
de  l'Etat ,  &  fit  repréfenter  au  roi  d'Efpagne  qu'il  devoit  P'^S"°'^* 
abandonner  la  guerre  de  France  :  Que  cette  entreprife  hors 
de  faiibn  lui  faiibît  peu  dlionneur  ,  èc  ruinoit  les  Païs-bas  : 
Qii'à  la  faveur  de  cette  guerre  ,  les  Hollandois  s'afFermi- 
roient  dans  leur  révolte ,  &  feroient  bientôt  alFez  puilFans 
pour  attaquer  la  Flandre  d'un  côté  ,  tandis  que  les  Anglois 
y  entreroient  de  l'autre  :  Que  les  forces  &:  les  ricbelTes  de 
i'Efpagne  s'épuiferoient  inutilement  à  foûtenir  un  parti  in- 
jufte  ,  ou  du  moins  odieux  :  Qtie  les  François  après  s'être  dé- 
chirés pendant  quelque  tems ,  calmeroient  enfin  la  haine 
qui  les  armoit  les  uns  contre  les  autres  ,  dès  qu'ils  iêntiroient 
diminuer  leurs  forces  5  que  touchés  de  l'amour  de  leur  pa- 
trie ,  6c  le  repentir  fuccedant  à  la  fureur  ,  ces  peuples  in- 
conflans  &;  légers  reprendroient  bientôt  leurs  anciens  fen- 
timens  de  haine  contre  les  Efpagnols. 

Lorfque  Philippe  après  la  mort  de  Dom  Juan  d'Autriche, 
traitoit  iecretement  avec  le  duc  de  Guife ,  le  cardinal  Gaf- 
pard  de  Qiiiroga  archevêque  de  Tolède ,  &  Pierre  Fajardo 
marquis  de  Vêlez  ,  lui  avoient  remontré  ,  comme  nous  l'a- 
vons déjà  rapporté  ,  que  tous  les  efforts  qu'il  feroit  du  côté 
de  la  France  lèroient  infrudueux ,  èc  qu'il  ne  pouvoit  atta- 
quer ce  Royaume ,  fans  expofer  à  des  dangers  évidens  Iqs 
États  de  Flandre  j  mais  aveuglé  par  la  haine  invétérée  que 
ce  Prince  avoit  contre  la  France ,  il  dédaigna  de  confulter 
fa  prudence  ordinaire  ,  6c  il  aima  mieux  expofer  une  partie 
confîdérable  de  {qs  Etats  à  tous  ks  hafards  d'une  guerre  in- 
certaine, que  de  ne  pas  profiter  d'une  occafion  favorable  à 
la  vengeance  des  injures  qu'il  croyoit  avoir  re<^iics. 

Ainfi  tandis  que  les  forces  de  I'Efpagne  étoient  occupées 
en  France  ,  Se  que  tous  ks  projets  de  cette  Couronne 


is6  HISTOIRE 

'-  n'avoient  pour  unique  bue  que  cette  expédition  injufle  ,  h 

H  E  N  Kl  Flandre  ëtoit  dans  la  plus  trifte  fituation  j  les  Etats-Géné- 
I  V.       raux  des  Provinces-Unies  profitèrent  de  ce  repos  pour  mec- 
1590.     tre  ordre  à  leurs  affaires.   Ils  firent  de  nouvelles  loix ,  réglè- 
rent Tadminiflration  de  leurs  finances ,  de  réformèrent  leurs 
troupes.    Ils  avoient  vingt  mille  hommes  de  pied  &;  deux 
mille  chevaux  ,  qu'on  payoit  régulièrement  fur  les  impôts 
&  fur  les  contributions  que  fourniffoient  les  Provinces.  La 
reine  d'Angleterre  leur  donnoit  tous  les  ans  trois  cens  mille 
florins ,  outre  les  troupes  de  cavalerie  6c  d'infanterie  qu'elle 
entretenoit  dans  les  Païs-bas ,  fuivant  le  traité  fait  avec  les 
Provinces-Unies.  Outre  cela ,  des  Banquiers  avoient  ordre 
de  payer  pour  Ton  compte  tous  les  deux  mois ,  cent  vingt- 
cinq  mille  deux  cens  foixante  èc  dix  florins  aux  garnifbns 
de  la  Briele  èc  de  Flefhngue. 
„  ...      „        Avec  ces  forces ,  la  Hollande  &  la  Zélande  ,  deux  des 
richciTe  des    dix-fcpt  proviuccs  des  Païs-bas ,  non  feulement  ont  fbutenu 
Hoiiandois.    pendant  quatorze  ans  la  guerre  contre  l'Efpagne  j  mais  elles 
ont  paru  afîez  puifTantes  pour  chafler  de  toute  la  Flandre 
ces  formidables  ennemis.   Le  commerce  qui  efl  facilité  par 
la  fureté  6c  le  grand  nombre  des  ports  ,  enrichit  les  peuples 
qui  habitent  ces  contrées.  Leurs  manufactures  de  foyes ,  de 
laines  ,  de  toiles  ,  &  de  tapifTeries  3  6c  la  fertilité  du  païs , 
contribuent  aufîî  beaucoup  à  leur  opulence  :  ils  ont  du  fel , 
du  beurre  ,  du  fromage  ,  &c  des  harangs  fecs  de  falés  en  fi 
grande  abondance  ,  qu'une  feule  Province  en  fournit  tous 
les  ans  dans  les  païs  étrangers  pour  plus  de  deux  cens  mille 
florins.   Les   dépenfes  excefîives  qu'ils  ont   été  obligés  de 
faire  pour  élever  des  digues  6c  des  dunes  ,  qui  puifTent  fèrvir 
de  barrières  à  l'Océan  ,  eft  la  plus  grande  preuve  de  leurs 
richefTes.  En  effet  on  peut  remarquer  en  pafîànt,  que  la  Zé- 
lande qui  eft  fortifiée  par  ces  digues ,  peut  avoir  quarante 
lieues  de  circuit.    Chaque  lîeuë  eft  compofée  de  quatorze 
cens  verges ,  6c  chaque  verge  de  douze  pieds.  Or  une  verge 
étant  évaluée  à  dix  livres  de  gros  de  Flandre  ,   ou  foi- 
xante florins  ,  chaque  lieuë  a  dû  coûter  quatorze  mille  livres 
de  gros  de  Flandre ,  ou  quatre-vingt  quatre  mille  florins  j 
çn  forte  que  les  frais  pour  toutes  ces  digues  6c  ces  levées , 
ont  monte  à  trois  millions  crois  cens  foixante  mille  florins. 

Peu 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  257 

Peu  de  tems  après  le  retour  du  duc  de  Parme  en  Flandre , 


Emanuel  de  Lalîain  de  Monrigny  marquis  de  Renty  ,  qui  FI  e  n  r  i 
s'éroic  diftingué  par  plufîeurs  belles  adions  ,  &  qui  avoic       I  V. 
autrefois  rendu   de  grands  fervices  aux  Etats  ,   mourut  à     1590. 
Mons  en  Hainault ,  d'une   blefTure  qu'il  avoit  reçue  à  Cor- 
beil.  Dans  le  même  tems ,  cette  maiion  perdit  encore  Guil- 
laume de  Lallain  comte  de  Hoocftrate ,  fils  d'Antoine  de 
Lallain  ,  qui  dans  le  commencement  de  cette  guerre  s'étoic 
attaché  au  prince  d'Orange  :  il  avoit  ëpoufé  Marie  Chri- 
liine  fille  de  Lamoral  comte  d'Egmond  ,  que  Bruxelles  avoit 
vii  mourir  fur  un  ëchafaud  5  &  il  en  eut  un  fils  qui  lui  fur- 
vécut.  Marie  en  avoit  déjà  un  de  fon  premier  mariage  avec 
Oudard  de  Bournonville  comte  de  Henin  ^  Seigneur  de 
Câpres. 

Le  Nord  n'étoit  pas  exempt  des  mouvemens  qui  agi-  Affaires  du 
toient  la  Flandre.  Au  commencement  de  Janvier  ,  Jean  roi  Nord. 
de  Suéde  avoit  envoyé  à  Narva  Nicolas  Bielk  ,  èc  Guftave 
Banner  gouverneur  de  Livonie  ,  pour  conclure  un  traité 
avec  les  Mofcovites,  Mais  quoique  ces  derniers  euiîent  juré 
fur  le  Crucifix  de  ne  faire  aucun  ade  d'hoftilité  pendant  la 
conférence  ,  on  apprit  néanmoins  que  le  jour-même  que  les 
fermens  avoient  été  faits  ,  les  avantcoureurs  de  l'armée 
Ruffienne  avoient  pillé  ôc  brûlé  Jamogrod.  Les  Mofcovites 
défavoiiérent  ce  fait  ,  &:  demandèrent  -la  continuation  de 
la  conférence  3  mais  fur  la  nouvelle  qui  fe  répandit  que  le 
Czar  Théodore  étoit  en  marche  avec  une  armée  de  cent 
mille  hommes  ,  les  Suédois  fe  retirèrent  à  Narva. 

La  garnifon  de  la  citadelle  de  Jamogrod  à  quatre  milles 
de  Narva  ,  ouvrit  {qs  portes  au  Czar  ,  qui  fit  ponduelle- 
ment  obferver  les  articles  de  la  capitulation.  Après  la  priie 
de  cette  place ,  les  Miniftres  Suédois  ne  fe  croyants  pas  en 
fureté  à  Narva ,  dont  la  garnifon  commandée  par  Charle  fils 
de  Henri  étoit  peu  nombreufe  ,  fe  réfugièrent  à  Wefem- 
berg  avec  un  petit  corps  de  troupes  qu'ils  avoient  j  &  comme 
la  rigueur  de  l'hyver  empêchoit  qu'on  ne  leur  envoyât  des 
fecours .  ils  furent  oblicrés  de  relier  longtems  dans  cette  ville. 
Borilfow  fils  de  Théodore  èc  Général  de  l'armée  Ruffienne  , 
fit  pourfuivre  les  Suédois  par  un  parti  de  Tartarcs ,  qui  les 
harcelèrent  jufqu'à  la  rivière  de  Purtz  à  dix  milles  de 
Tomis  KL  K.k 


258  HISTOIRE 

Narva.  Ils  arrêtèrent  Jean  Meidel  ,  ôc  Otlion  Wrangel 
Henri  nobles  Livoniens  ,  Se  s'emparèrent  de  leurs  chariots  ôc 
I  V.  d'une  partie  des  bagages  :  en  s'en  retournant  pour  rejoindre 
1590.  l'armée,  ils  ravagèrent  tout  le  territoire  d'Alentakia.  Une 
partie  de  Tartares  fè  répandit  auflî  en  Finlande  ,  6c  ne  trou- 
vant aucune  rèiîftance  ,  parce  qu'il  n'y  avoir  point  de  trou- 
pes dans  cette  Province ,  ils  firent  un  grand  nombre  de  pri- 
îonniers ,  enlevèrent  les  troupeaux  ,  2c  répandirent  la  dè- 
folation  de  tous  côtés. 

Le  Czar  (crachant  que  la  Suède  6c  la  Pologne  avoienc 
formé  une  ligue  ofFenfive  6c  défenfive  dans  la  conférence 
que  Jean  avoir  eue  l'année  dernière  avec  fon  fils  Sigiimond  ^ 
éc  redoutant  la  puillance  de  ces  Rois  réunis  contre  lui  , 
avoir  traité  avec  les  Tartares  de  Crimée  ,  6c  leur  avoir  fait 
un  prèfent  de  cinquante  mille  ducats ,  à  condition  qu'ils  en- 
treroient  dans  la  Ruffie  Polonoife.  Son  but  étoic  d'occuper 
les  Polonois  à  la  défenfe  de  la  Podolie  ,  6c  de  les  empêcher 
d'envoyer  des  troupes  au  iécours  de  la  Suède  ,  qui  attaquoic 
les  Mofcovites  du  côté  de  la  Livonie. 

Ces  derniers  alFiégérent  Narva  le  4.  de  Février  ,  ÔC  firenc 
bientôt  en  deux  endroits  une  brèche  de  la  longueur  de 
trente  demi-piques  j  car  ils  avoient  des  canons  d'une  gran- 
deur dèmèfurèe.  Ils  envoyèrent  Meidel,  qui  étoit  depuis 
peu  leur  prifonnier ,  fommer  les  affiégés  de  rendre  la  place 
èc  les  autres  châteaux  dont  ils  s'étoient  emparés.  Sur  leur 
refus  les  Mofcovites  donnèrent  un  aiïàut  dans  lequel  la  plu- 
part des  affiégés  périrent  ou  furent  bielfés  j  mais  quoiqu'ils 
eulîènt  repoulTé  l'ennemi  ,  les  loldats  de  la  garnifon  èc  le 
peu  d'habitans  qui  reftoient ,  remontrèrent  à  Charle  leur 
gouverneur  ,  qu'il  y  avoic  de  la  témérité  à  réfifter  plus  long- 
tems  ,  6c  qu'ils  ne  pouvoient  efpérer  d'être  lecourus. 

Ainfi  ils  demandèrent  à  parlementer  ,  6c  l'on  donna  des 
otages  de  part  6c  d'autre.  Ignace  Petrowitz  Tatiifou  ,  6c 
le  chancelier  Drufina  Penfelin  fe  rendirent  dans  des  tentes 
diefîées  proche  de  Narva  ,  6c  convinrent  avec  Charle  ,  que 
la  Suéde  rendroit  Jwanogorod  ou  Narva  de  Ruffie ,  6c  Co- 
poria  j  6c  que  hs  Mofcovites  leveroient  le  fiége  de  Narva 
de  Livonie  qui  refteroît  aux  Suédois.  On  fit  encore  une 
trêve  jufqu'au  5.  de  Janvier  fuivanc ,  afin  que  les  Princes 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  C.  259 

pufîènt  faire  la  paix  pendant  ce  tems-là.  . — . 

En  exécution  de  ce  traité  ,  les  Suédois  rendirent  au  chan-  H  e  i^  R  i 
celier  Penfelîn  les  clefs  de  Jwanogorod  ,  avec  la  citadelle ,       I  V. 
ôc  quatre  groiles  pièces  de  canon  que  Pontus  de  la  Gardie      1590. 
y  avoit  trouvées.  Le  lendemain  27.  Février  ,  Théodore  en- 
tra en  triomphe  dans  la  ville  fur  un  char  de  bois ,  où  il  y 
avoit  un  fourneau  de  parfums  ,  &C  que  des  hommes  traî- 
noient.   Il  écoit  vêtu  d'un  habit  blanc  broché  d'or  ,  èc  cette 
entrée  fe  fit  avec  une  magnificence  extraordinaire.  Le  Prince 
ne  refta  qu'une  nuit  à  Narva  ,  &  retourna  en  Rufïïe  après 
avoir  fait  fortir  fon  armée  de  la  Livonie. 

Dès  que  le  roi  de  Suéde  eut  appris  ce  qui  s'étoit  pafîe  ,  il 
en  fut  indigné  ^  s'étant  réconcilié  avec  Charle  fon  frère ,  il 
lui  donna  le  commandement  des  troupes  deftinées  à  la  guerre 
de  Mofcovie  ,  pour  reprendre  les  places  que  la  Suéde  ve- 
noit  de  perdre.  Mais  ce  Général  ayant  inutilement  attaqué 
Narva  ,  on  mit  l'armée  en  quartier  d'hyver. 

Comme  l'alliance  de  la  Suéde  avec  la  Pologne  avoit  été 
juftement  fufpede  au  Mofcovice  ,  la  Porte  prit  ombrage  du 
craité  fait  entre  les  Polonois  6c  lamaifon  d'Autriche,  cette 
ennemie  déclarée  de  l'Empire  Ottoman.  L'infolence  des 
Cofaques  qu'on  appelle  aufTi  NiiFoviens ,  Ufcoques ,  &  Mar- 
telofTes ,  comme  je  l'ai  déjà  remarqué,  fut  une  nouvelle  in- 
jure qui  rompit  la  paix.  En  effet  ces  brigands  après  avoir 
impunément  fait  des  courfes  à  l'embouchure  du  Nieper  ôc 
du  Nieller ,  oférent  encore  attaquer  ôc  piller  des  vaiffcaux 
marchands ,  qui  fe  croyants  affez  défendus  par  le  Pavillon 
Ottoman  ,  6c  par  la  foi  des  traités  faits  avec  la  Pologne , 
étoient  à  l'anchre  furie  rivage  de  la  mer  Noire.  Paul  Du- 
chanfcki  Palatin  de  Belzet ,  ambalTadeur  de  Pologne  à  la 
Porte  ,  tâcha  d'excufer  cette  adion.  Sur  les  remontrances 
qu'il  fit ,  que  ces  voleurs  publics  avoient  agi  ainfi  fans  le 
confentement ,  6c  contre  la  volonté  de  fon  maître  ,  Amu- 
rath  diiîîmula  l'injure ,  &  parut  facrifier  fon  rcfTentiment  à 
fon  amitié  pour  le  roi  de  Pologne. 

Le  palatin  de  Belzet  étant  mort  à  Conftantînople  ,  Ni- 
colas Zifowski  fon  collègue  fe  trouva  charo-é  de  taire  le 
rapport  au  Sénat  de  Pologne  ,  des  intentions  du  Sultan.  A 
peine  ce  Miniftre  fut-il  parti,  que  les  Cofaques  poulFérenc 

Kk  ij 


2^o  HISTOIRE 

leurs  cour  fes  encore  plus  loin  ,  pillèrent  la  Cherfonnefe  Porr- 
H  E  N  K  1  tique  ,  &  y  firent  un  cruel  carnage, 

IV.  Amurath  irrité  ne  crut  pas  devoir  dilTimulcr  davantage , 

I  55)0,  ^  manda  furie  champ  à  Tes  Bâchas  de  raiîembler  des  troupes, 
de  d'entrer  en  Pologne.  11  ordonna  aulîi  aux  Tartares,  que 
le  Mofcovite  avoit  déjà  excités ,  de  mettre  tout-à-feu  6c  à 
jfang  lur  les  frontières  de  ce  Royaume.  Ces  Barbares  avides 
de  butin  exécutèrent  fur  le  champ  les  ordres  de  la  Porte  ^ 
&  prévinrent  l'armée  Ottomane  de  crainte  de  partager  les 
dépouilles  avec  elle.  Ils  furent  battus  par  les  Polonois ,  ôc 
Iqs  vainquirent  à  leur  tour  ^  mais  comme  ils  s'en  retournoienc 
dans  leur  païs  avec  leurs  prifonniers  &;  leur  butin  ,  ces  mê- 
mes Cofaques  qui  avoienr  caufé  cette  guerre  ,  les  taillèrent 
en  pièces  lur  les  bords  du  Nieper  ,  Se  tuèrent  dans  la  mêlée 
le  i:rére  de  leur  Can. 

Cependant  les  Turcs  attendoienten  Valachie  l'événement 
qu'auroit  l'incurlîon  des  Tartares  •  Jean  Sarius  Zamoyskî 
Général  de  l'armée  Polonoife  écrivit  au  Beglerbey  ,  pour 
fe  plaindre  de  l'infraction  du  traité  ,  &c  lui  demanda  s'il  ve- 
noit  comme  allié  ou  comme  ennemi. 

Le  Beglerbey  répondit  qu'Amurath  n'avolt  point  eu  def- 
fein  de  rompre  avec  les  Polonois  •  mais  que  fa  propre  gloire 
èc  l'intérêt  du  Public  l'obligeoient  de  prendre  les  armes  , 
&  de  punir  la  témérité  des  Cofaques  :  Qii'on  devoit  donc 
exterminer  ces  brigands ,  &:  détruire  les  châteaux  qui  leur 
fervoient  de  retraite  fur  la  frontière  3  &  que  il  les  Polonois 
acceptoient  de  ii  juftes  proportions  ,  ils  pourroient  efpérer 
que  le  Sultan  auroit  pour  eux  la  même  amitié  qu'auparavant. 
Le  Beglerbey  demanda  encore  le  tribut  annuel ,  &  que  dans 
rélec1;ion  des  Rois  ,  l'ambaifadeur  Turc  pût  dans  la  fuite 
donner  fon  fufFrage. 

Le  14.  de  Mars  Zizowski  ayant  expofé  dans  l'aiïèmblée 
des  Etats  à  Varfovie  les  demandes  des  Turcs  ,  Zamoyski 
exagéra  le  danger  qu'il  y  avoit  de  s'engager  dans  une  guerre 
avec  la  Porte  ,  qui  n'avoit  rien  à  craindre  du  côté  de  la  Perle. 
Jl  peignit  des  plus  noires  couleurs  l'audace  &l  l'infolence  des 
Cofaques  •  &  défîgnant  aflfez  ouvertement  quelques  Sei- 
gneurs qui  lui  étoient  contraires  ,  il  ajouta  que  des  perfonnes 
puiifantes  excufoient  ^  protégeoient  ces  brigands ,  qui ,  11 


iaaiJe*.iJtaMWdam 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  C.  i6î 

l'on  lie  rÊprimoic  leur  dangéreufe  tëméricé  ,  engageroient 

la  Pologne  dans  de  fâcheux  démêlés  avec  le  Turc  ,  comme  Henri 

l'avoic  déjà  prévu  le  roi  Etienne  :  Que  les  Polonois  ne  pou-       I  V. 

voient  fans  imprudence  oublier  les  lages  confeils  de  ce  bon     i  590. 

Prince ,  qui  difoic  fouvenc  que  dans  toutes  les  démarches 

qui  intérelFoient  la  République ,  la  guerre  de  Turquie  de- 

voit  être  pour  eux  l'objet  le  plus  prefent  j  &  que  pendant 

la  paix  il  falloit  préparer  ce  qui  étoit  nécellaire  pour  foutenir 

une  guerre  (î  dano-ereufe. 

L'autorité  de  Zamoyski  fît  impreffion  5  Sc  comme  le  bruit 
de  l'armement  des  Turcs  étonnoit  les  plus  courageux  ,  on 
impofa  de  nouvelles  taxes  fur  les  peuples  ,  ^  l'on  nomma 
des  CommilTaires  pour  les  recevoir  de  les  rapporter  au  tréfor. 
jVlais  ces  premières  craintes  fe  diihpérent  peu  à  peu  ,  3c  plu- 
Tieurs  Seigneurs  ayant  appris ,  ou  répandu  artifîcieufement 
que  la  Perfe  avoit  rompu  avec  le  Turc  ,  s'aflemblérent  à 
Colo  pour  diminuer  l'autorité  du  Roi  ou  de  Zamoyski,  ôc 
ils  firent  fupprimer  les  nouvelles  importions  ,  dont  la  caufë 
ne  fubfiiloit  plus  ,  avec  défenfe  aux  CommilTaires  de  les  le- 
ver fur  le  peuple.  On  apprit  enfuite  que  l'ambalFadeur  d'An- 
gleterre avoit  beaucoup  contribué  à  appailèr  la  colère  d'A- 
murath  ;  dc  Sigifmond  remercia  Elifabeth  de  fes  bons  oifi- 
ces ,  par  des  lettres  du  2  2.  d'Août.  ♦ 

Tous  ces  événemens  avoient  été  précédés  par  des  effets  Effets  extra- 
extraordinaires de  la  nature.   L'Autriche ,  la  Moravie  ,  &:  ordinaires  de 
la  Bohême  éprouvèrent  d'affreux  tremblemens  de  terre.  Plu-  ^  "^^^^^' 
iîeurs  maifons  furent  renverfées  à  Vienne  fur  le  Danube.   La 
tour  de  S.  Etienne  en  fut  fi  ébranlée  ,  que  pour  en  prévenir 
la  chute  on  fut  obligé  de  l'abattre.  L'Eglifé  du  couvent  des 
Ecollbis ,  Se  une  auberge  voiline  enfevelirent  fous  leurs  rui- 
nes un  grand  nombre  de  perfonnes.   Le  château  de  Canife 
-fur  les  frontières  de  Hongrie  fut  tout-à.coup  renverfè  ,  &; 
^prefque  toute  la  garnifon  y  périt.  Proche  de  Vienne  en  Au- 
^triche  la  campagne  exhala  une  odeur  infupportable ,  &  la 
terre  fut  couverte  d'un  nombre  étonnant  de  fauterelJes ,  qui 
pétant  foulées  aux  pieds  jettoient. une  puanteur  peftilentielle. 
On  reg,arda  encore  comme  une, efpèce  de  prodige  l'incendie 
de  l'eglife  de  Bonn  fur  le  Rhin  ,  dédiée  par  Hélène  en  l'hon- 
•  neur  de  S.  Caiîîus  ,  de  S,  Florent  ;,  6^ -des  autres  martyrs 
-  Kk  iij 


2(^2  HISTOIRE 

Tiiebaîns  ,  ôc  qui  brûla  en  plein  jour.   En  effet  k  foudre 
H  E  N  a  1  étant  tombée  fur  la  tour  ,  y  mit  le  feu  avec  tant  de  violence , 
I  V.       que  le  plomb  dont  le  bâtiment  étoit  couvert ,  fe  fondit ,  de 
I  590.     découlant  de  tous  cotés  par  les  goutiéres  Se  les  ouvertures 
du  lambris  ,  empêcha  que  les  liabitans  ne  pulTent  appro- 
cher pour  éteindre  Pembrafement  ^  en  forte  que  la  moitié 
de  l'Eglife  fut  confuméeen  leur  préfence. 
Mort  de         Dans  le  même  tems  ,  Charle  archiduc  d'Autriche,  fils 
charie  ar-     de  Ferdinand  ,  êc  frère  de  l'Empereur  Maximilien  II.  ôc  de 
tddK '^ '^""  l'archiduc  Ferdinand  ,   mourut  le  premier  de  Juillet.    Ce 
Prince  étoit  déjà  très  caflTé ,  quoiqu'il  n'eût  pas  encore  cin- 
quante ans.    Par  un  exemple  déjà  afièz  commun  dans  la 
maifon  d'Autriche ,  il  avoit  époufé  Marie  de  Bavière  fille 
d'Anne  fa  fœur  ,  £c  dont  il  eut  quinze  enfans.    Entre  les 
mâles  on  diftingue  Ferdinand ,  Maximilien  évêque  de  Paf. 
{âw ,  Charle ,  6c  Leopold  ,  à  qui  Charle  cardinal  de  Lor- 
raine céda  les  droits  fur  l'évêché  de  Strafbourg ,  contre  Jean 
George  de  Brandebourg.   Il  eutplufîeurs  filles  j  &  entre  les 
autreSjAnne  qui  époufa  Sigifmond  de  Suéde  roi  de  Pologne  5 
Marguerite  qui  fut  mariée  à  Philippe  III.  roi  d'Efpagne  j  ôC 
Marie    Chriftine  femme  de  Sigifmond  Bathory  prince  de 
TranfTilvanie. 
Mort  de         ^^^  ^^  ^^^^  après  ,  mourut  aufli  le  Pape  Sixte  V.  Soit 
Sixte  V.        qu'il  prévît  que  la  Ligue  ne  réulfiroit  pas  dans  la  guerre 
qu'elle  faifoit  au  Roi  -,  foit  qu'il  eût  defbiné  à  d'autres  expé- 
ditions les  tréfors  immenfes  qu'il  avoit  amaiTés ,  il  ne  donna 
aucun  fecours  aux  Ligueurs  pendant  le  fiége  de  Paris  ,  ovl 
ils  furent  réduits  à  de  fi  rudes  extrémités.    Quatre  mois  avant 
fa  mort  il  avoit  eu  quelques  accès  de  fièvre.   Cette  première 
indifpofition  ne  lui  fit  point  interrompre  [qs  occupations  or- 
dinaires ,  6c  ne  l'empêcha  pas  de  boire  à  la  glace.  Le  Samedi 
20.  d'Août  ,  il  fe  trouva  plus  incommodé  •,  mais  s'étanc 
levé  de  fon  lit ,  parce  que  la  maladie  fembla  être  diminuée, 
il  affifta  à  rafiiemblèe  de  la  congrégation  du  S.  Office.  En- 
fin neuf  jours  après  il  fe  fentit  rrès-opprelTè  ,  &  s'étant  fait 
donner  l'Extrême-Oncbion ,  il  expira  fur  le  fbir  âgé  de  70. 
ans  ,  après  cinq  ans ,  quatre  mois ,  6c  trois  jours  de  Pon- 
tificat. 

Ses  exactions  ,  6c  les  nouveaux  tributs  qu'il  impofa ,  k 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C.  2^3 

firent  cellemenc  haïr ,  que  dès  que  le  Siège  fut  vacant ,  le ^—~ 

peuple  courut  au  Capitole  pour  y  brifer  fa  ftatuë  ,  qu'on  y  Henri 
avoit  érigée  de  fon  vivant.  Ce  qui  donna  occaiion  à  une  loi ,      1  V. 
par  laquelle  on  déclara  infâmes  ôc  incapables  des  charges     -j  rço, 
publiques  ,  les  particuliers  ou  les  perfonnes  conftituées  en 
dignité  ,  qui  propoferoient  jamais  d'élever  des  ftatuës  en 
l'honneur  du  Pape  régnant. 

La  nuit  fuivante  on  enleva  le  corps  du  Pape  de  Monte- 
Cavallo  où  il  étoit  mort ,  &  on  le  porta  dans  une  litière  à 
S.  Pierre ,  où  à  caufe  des  circonftances  du  tems  ,  on  le  mie 
fans  cérémonie  dans  un  petit  tombeau.  Mais  le  cardinal  de 
Montalte  lui  fit  faire  enfuite  de  magnifiques  funérailles,  dc 
le  transféra  à  Sainte  Marie  majeure  ,  où  il  fut  inhumé  dans 
une  Chapelle  qu'il  avoit  lui-même  deftinée  à  fa  fépulture. 

Avide  de  gloire  jufqu'à  la  vanité ,  il  fe  diftingua  plus  qu'au-      Caradére 
cun  de  Cqs  prédéceflèurs  par  la  grandeur  èc  par  le  nombre  &.a<^ions 
des  adions  qu'il  fit  pendant  le  peu  de  durée  de  fon  Ponti-  de^cePoiuife. 
fîcat.  Les  unes  font  dignes  de  louange  ,  &  les  autres  ne  peu- 
vent produire  que  de  l'ctonnement.  Outre  ce  que  j'en  ai  déjà 
rapporté ,  il  me  paroît  à  propos  de  les  ramafîer  ici  dans  un 
feul  point  de  vue  j  je  commencerai  parles  ouvrages  publics 
dont  il  embellit  la  ville  de  Rome,  &  quelques-autres  villes 
de  l'Etat  Eccléfiaftique. 

Il  fit  réparer  un  grand  Obélifque  à  demi  rompu ,  qui  étoic 
devant  l'églife  de  S.  Roch ,  où  avoit  été  autrefois  le  Mau- 
folée  d'Augufte.  Cet  Empereur  avoit  fait  élever  à  Rome 
cette  colomne  ,  &c  l'avoit  confacrée  au  Soleil  ,  comme  l'an- 
cienne infcription  le  témoignoit  j  Sixte  V.  la  fit  ôter  à  grands 
frais  de  cet  endroit,  pour  la  transporter  devant  la  Bafilique 
de  Sainte  Marie  majeure. 

Il  employa  encore  les  plus  habiles  ouvriers  pour  réparer 
deux  autres  Obélifqucs  ornés  d'Hierogliphes,  &  qui  écoienc 
dans  le  grand  Cirque  enfcvelis  fous  des  ruines.  Le  premier 
ctoit  de  l'Empereur  Conftantin.  On  ne  croyoit  pas  qu'il  y 
en  eût  de  plus  grand  à  Rome ,  &  il  fut  drefle  dans  la  place 
de  S.  Jean  de  Lacran.  Le  fécond  fut  élevé  dans  celle  de 
faince  Marie  Majeure  j  &  tous  les  deux  furent  confacrés  à 
la  fainte  Croix. 

Sixte  dans  les  derniers  momens  de  fa  vie  employa  de. 


15^0. 


164  HISTOIRE 

grandes  Tommes  d'argent  avec  peu  de  prudence,  pour  faire 
bâtir  à  la  hâte  dans  i  Eglife  de  fainte  Marie-Majeure  une 
chapelle,  pour  laquelle  il  fit  faire  des  ornemens  travaillés 
avec  tout  l'art  poliîble ,  &;  où  il  fut  inhumé.  Il  y  transféra 
auiîi  la  crèche  dans  laquelle  J.  C.  efl  né  à  Bethléem  ,&qui 
étoit  à  Rome  en  grande  vénération.  Dans  la  même  Eglife 
il  éleva  par  reconnoiiTance  un  fuperbe  tombeau  à  Pie  V.  qui 
l'avoît  fait  Cardinal ,  5c  y  fit  mettre  le  corps  de  ce  Pontife  , 
qui  étoit  auparavant  dans  la  Bafilique  de  iàint  Pierre. 

Il  fit  établir  deux  colomnes  d'un  ouvrage  achevé  5  une 
fculpture  de  marbre  qui  repréfentoit  l'expédition  deTrajan 
en  Tranfilvanie  ,  ornoit  la  première-  ôc  fur  la  féconde,  qui 
étoit  dédiée  à  Antonin  le  Pieux  ,  on  avoit  reprefenté  les 
conquêtes  faites  fous  les  aufpices  de  cet  Empereur  en  Mo- 
ravie Se  en  Bohême  par  Marc-Aurele  fon  gendre.  Il  fie 
mettre  fur  ces  deux  obelifques  deux,  ftatuës  de  bronze 
doré  qui  repréfentoient  S.  Pierre  &  S.  Paul.  Il  plaça  fur  le 
Mont  Cavallo  deux  excellentes  flatucs  équeftres  de  mar- 
bre de  Paros  que  linjure  des  tems  avoit  fort  défigurées , 
ôc  qui  font  faulîèment  attribuées  à  Phidias  &c  à   Praxitèle. 

Sur  la  même  montagne  il  augmenta  le  Palais  où ,  parce 
que  Pair  y  eft  très-pur,  les  Papes  avoient  coutume  de  pafier 
l'été  j  &  y  fit  conftruire  un  logement  pour  deux  cens  Suilfes 
de  la  garde.  Il  fit  encore  bâtir  une  grande  maifon  dans  la 
vigne  du  canton  de  fainte  Marie-Majeure. 

11  embellit  S.  Jean  de  Latran  d'une  galerie ,  où  il  mit  des 
tableaux  dQs  meilleurs  maîtres  3  &;  il  y  bâtit  un  vafte  ôc  fu- 
perbe Palais ,  qui  pourroit  loger  plufieurs  Princes.  Ce  bâ- 
timent avoit  trois  cens  quarante  palmes  de  longueur  du 
côté  de  l'obelifque  qu'il  avoit  lui  même  élevé  dans  la 
place,  trois  cens  trente-fept  de  largeur  du  côté  de  la  ba- 
lilique  de  Sainte  Marie ,  &  cent  trente-fept  de  hauteur.  Il 
avoit  afligné  à  chacun  dss  Cardinaux  un  appartement  où 
ils  pouvoient  loger  commodément  lorfqu'il  le  faiioit  quel- 
que cérémonie  ,  ou  qu'on  tenoit  un  confiftoire  à  Saint  Jean 
de  Latran.  Les  marbres  qu'on  tira  par  (on  ordre  des  ruines 
du  Settizonio  de  Severe  lervirent  beaucoup  à  ces  ouvrages  : 
il  détruifit  entièrement  cet  ancien  monument,  ècces  mafies 
énormes ,  pour  les  employer  à  la  conflrudion  de  ces  nouveaux 
édifices.  Il 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   G.         16^ 

Il  bâtît  un  grand  hôpital  au  haut  de  la  rue  Julienne  (i) 


vis-à-vis  le  pont  Sixte,  pour  y  recevoir  les  mendians  ôc  les  Henri 
invahdes ,  ôc  où  deux  milles  perfonnes  pourroient  demeu-       i  y".    ' 
rer  commodément  j  il  donna  à  cette  maifon  quinze  mille      j^qo 
écus  de  revenu ,  6c  trois  mille  autres  à  une  Société  pour  la        ^   ' 
rédemption  des  captifs. 

Pour  réprimer  les  courfes  des  Pirates ,  il  fonda  un  ar- 
mement de  dix  galères  à  Civita-Vecchia  j  &pour  leur  en- 
tretien il  ordonna  par  un  bref  que  la  Marche  d'Ancone^ 
la  Romagne  ,  i'Ombrie  ou  le  duché  de  Spolete,  Boulogne  , 
Jlomeméme,  la  Campagne  de  Rome,  le  Patrimoine  de 
Saint  Pierre  en  Tofcane  ,  Fermo  ,  Afcoli ,  &  Citra-di-Fano 
fourniroient  tous  les  ans  foixante  &:  dix-huit  mille  écus 
d'or.  Il  ordonna  encore  que  pour  radouber  ces  galères  on 
prendroit  vingt-cinq  mille  écusfur  les  impôts  de  Benevenc-, 
ôc  de  Rome  ,  ïc  fur  les  décimes  que  payoit  le  Clergé. 

Il  pourvut  auflî  à  l'abondance  des  vivres  5  6c  comme  le 
porte  Ton  bref,  il  y  deftina  deux  cens  mille  écus  de  fes  épar- 
gnes annuelles  j  exhortant  (qs  Succefléurs  à  en  agir  de  mê- 
me ,  èc  à  augmenter  cette  fomme  ,  plutôt  que  de  la  diminuer. 

Il  fit  nétoyer  la  Fontaine  de  les  baflins  de  Martîa ,  dans 
la  terre  appeiiée  de  Colonne,  ôc  fit  conftruire  un  aqueduc  fur 
le  chemin  de  Pale{lrine,pour  faire  venir  ces  eaux  dans  Rome, 
èc  les  conduire  dans  un  efpace  de  vingt-deux  milles.  Il  ap- 
pella, cette  nouvelle  fontaine,  y^éjrua  Felice  ^  du  nom  qu'il 
portoit  avant  fon  Pontificat.  Cet  ouvrage  lui  coûta  deux 
cens  foixante  6c  dix-mille  ducats,  dont  il  en  donna  vmgr- 
cinq  mille  à  Martio  Colonne  Seigneur  du  lieu.  Il  partagea 
enfuite  ces  eaux  en  plufieurs  canaux  conftruits  avec  beau- 
coup d'art,  6c  en  remplît  la  fontaine  de  la  place  Sainte  Su- 
fanne  proche  les  Thermes  de  Diocletien  fur  le  Mont  Ca- 
vallo,  laquelle  étoit  à  lec.Il  fie  aufii  monter  ces  eaux  fur 
le  Mont  Palatin  ,  le  Mont  Celio,  &  le  Mont  Viminal. 

Il  fit  paver  plufieurs  rues  dans  Rome ,  dont  deux  com- 
mencent hors  la  porte  de  Saine  Laurent  j  l'une  conduit  à 
Sainte  Marie- Majeure j  êc  l'autre,  qui  borne  d'un  côté  la 
vigne  du  Pape ,  mène  jufqu'aux  Thermes  de  Diocletien. 
Une  troifiéme  commence  à  Sainte  Marie-Majeure ,  6c  aboutie 

(i)     la.  Straâa,  Ginlia. 

'Tome  XL  L I 


!(,(,  H  I  S  T  O  I  Pv  E 

au  Palais    de  Saine  Marc.  Il  fie  faire  aufîî  une  rue  neuve 
Henri   qu'il  appellade  Ton  nom  la  Strada  fclke{i)  depuis  Sainte 
I  V.       Marie-Ma|.^ure  jufqu'à  Sainte  Croix  de  Jerufalem ,  &  depuis 
2590.     cette  Eglile  jufqu'à  celle  de  la  Trinité  du  Mont.   LUeeit  ii 
large ,  que  cinq  carofles  peuvent  y  aller  de  front.  On  avoic 
dellein  de  continuer  cette  rue  trois  mille  pas  plus  loin  ,  juf- 
qu'à la  porte  deipopolo.  La  cinquième  va  de  Saint  Jean  de 
Latran  au  Colifëe  3  ôc  la  fixiéme  qui  commence  à  la  porte  Sa- 
lara  ,  aboutit  à  la  Strada  Pia,. 

Sixte  V.  conftruifît  un  nouveau  Palais  dans  le  Vatican  j  ôc 
acheva  une  galerie  ornëe'de  peintures ,  que  Léon  X.  Pie  IV. 
6c  Grégoire  XIII.  avoient  laiflée  imparfaite.  Il  augmenta,, 
embellit,  6c  perfectionna  prefque  entièrement  la  magnifia- 
que  Bafilique  de  Saint  Pierre  ,  dont  il  acheva  la  nef.  Dans 
le  Palais  Papal  il  ménagea  avec  art  un  efcalier  dérobé 
pour  defcendre  dans  la  chapelle  Grégorienne.  Il  plaça 
la  fameufe  Bibliothèque  du  Vatican  dans  cette  fale  que  le 
Pape  Pie  IV.  avoit  fait  eonftruire  pour  des  fpedacles,6c 
dont  tous  \qs  gradins  étoient  de  marbre.  Cet  édifice  qui 
avoit  trois  cens  trente-fept  palmes  delongueur,  6c  foixante 
6c  neuf  de  largeur  ,  fut  décoré  des  plus  belles  peintures.  Mu- 
tio  Panfa  en  a  donné  au  public  la  defcription  b<.  l'explica- 
tion dans  un  ouvrage  particulier-  les  curieux  pourront 
y  voir  ce  que  je  ne  puis  rapporter  ici  qu'en  abrégé,  de 
crainte  d*ennuyerle  LLâ;eur. 
Eibiîorliéque  Cette  fameufe  bibliothèque  a  été  formée  à  l'imitation 
«îaYa:ican.  de  la  bibliothèque  Hébraïque  de  Moïfe  ,  de  la  Caldéenne 
de  Daniel,  de  la  Grecque  de  Pifîftrate,  de  l'Alexandrine 
de  Ptolomée  Evergete ,  de  la  Romaine  par  Tarquin  le 
Superbe,  6cperfecT:ionnée  par  Augufte,  de  celle  de  Jeru- 
falem formée  par  l'Evêque  Saint  Alexandre  fous  l'empire 
deDecius,  £c  de  celle  deCélàrée  recueillie  par  le  Martyr 
Saint  Pamphile.  Saint  Pierre  qui  ordonna  qu'on  confervâc 
dans  l'Eglilë  Romaine  le  tréfor  des  livres  facrès  en  a  jette 
les  premiers  fondemens  5  née,  pour  ainfi  dire ,  avec  le  Chri- 
ftîanifme,elle  s'eft  depuis  accrue  confidérablement  par  \qs 
foins  des  fuccelfeurs  du  premier  Vicaire  de  J  C.  Lorfque 
les    perfécutions    eurent     celïë  ,    cette    bibliothèque    tut 

(0    On  diroic  en  François  la  rue  Félix. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  xCf 

placée  à  Saint  Jean  de  Latran  j  \ts  Papes  ia  firent  enfuite  r^f^f??'????; 
transférer  au  Vatican  j  Nicolas  V.  l'augmenta  5  Sixte   IV.  H  e  n  r.  i 
l'enrichit  j  enfin  Sixte  V.  y  fit  faire  un  large  veftibule ,  avec      1  V. 
des  chambres  autour,  û.   au-delTous   pour  les   biblioché-     1590, 
quaires  &  les  autres  perfonnes  qui  y  font  employées.  Les 
efcaliers,  les  portiques ,  les  fîéges ,  les  cabinets  d'étude,  ôc 
enfin  tout  le  corps   &  les  fondemens  de  cet  édifice   font 
l'ouvrage  de  ce  Pape,  qui  tira  les  livres  du  lieu  obfcur  6c 
malfain  011  ils  étoient  auparavant ,  pour  les  placer  dans  ce 
grand  ôc  magnifique  vaiiFcau  qui  eft   élevé  ôc  très-clair  j 
c'eft  ce  que  porte  une  Infcription  gravée  fur  une  pierre  de 
marbre  dans  un   endroit   de  la  bibliothèque  ^  une  autre 
pareille  contient  des  défenfes  à  toutes  perfonnes ,  de  quel, 
que  qualité  &  condition  qu'elles  fbient ,  au  bibliothéquaire 
même  ,  aux  gardes  &;  copifles  de  la  bibliothèque  de  pren- 
dre &  de  tranfporter  ailleurs  les  livres  imprimés  ou  manu- 
fcrits  ,  fous  peine  d'excommunication  ,  &;  de  cas  refervé  au 
Pape  contre  les  contrevenans ,  &  contre  ceux  qui  ofèroienc 
dérober  ou  déchirer  exprès  &;  endommager  les  livres. 

Sixte  V.  établit  encore  une  imprimerie  dans  le  Vatican 
près  de  la  bibliothèque,  pour  y  imprimer  en  beaux  ca- 
radtéres  ,  ôc  en  toutes  fortes  de  langues  ,  les  ouvrages  àç.s 
anciens  Pères ,  ôc  d'autres.  Il  confia  la  direction  de  cette 
imprimerie  à  Dominique  Bafa,  &  afin  d'acheter  tout  ce 
qui  y  étoit  nécefTaire ,  il  lui  fit  prêter  pour  dix  ans  vingt 
mille  ducats  qu'on  prit  dans  le  tréfor.  Tels  furent  les  mo- 
numens  dont  Sixte   V.  orna  la  ville  de  Rome. 

A  Boulogne  il  fonda  un  Collège  pour  les  écoliers  natifs 
de  la  Marche  d'Ancone  ,  province  où  il  étoit  né.  Sans 
compter  les  maîtres  &  les  domefliques  du  collège  ;  trente 
étudians  dévoient  y  être  nourris  gratis.  Il  donna  à  cette 
ville,  qui  cft  la  première  de  l'Etat  Ecclèfiaftique ,  un  témoi- 
gnage éternel  de  fa  bienveillance,  en  faifant  conftruire  des 
fontaines  dans  la  vieille  ville  pour  y  fournir  de  l'eau  ,  dont 
elle  avoit  un  extrême  befoin.  Il  donna  à  Lorette  le  titre 
&;  les  droits  de  Cité  ,  l'entoura  de  murailles ,  y  transfera  le 
Siège  Epifcopal  de  Recanati ,  &  y  éleva  en  l'honneur  de 
la  Sainte  Vierge  une  Eglifè  où  il  fit  de  grands  prefens ,  6c 
que  la  dévotion  des  Pèlerins  a  rendue  très-célèbre. 

Llij 


68  HISTOIRE 

A  Montalce,  qui  fut  fa  patrie,  &c  qui  lui  donna  Ton  nom 


H  £  N  R  I  il  jetta  les  fondemens  d'une  nouvelle  ville  ,  qu'il  érigea  en 
I  V.       Evêché  j  6c  afin  qu'elle  fût  d'une  plus  grande  étendue  ,  il 
ijQO.     s'engagea  allez  mal-à-propos  dans  une  depenfe  peu  fenfée 
pour  applanir  une  montagne  voiline.    Il  entreprit  auflî   de 
faire  dellecher  les  marais  formés  par  la  rivière  de  Chiana 
en  Tofcane,  de  ceux  de  Terracine  appelles  Pontins  ,  qu'on 
n'avoit  pu   julqu'alors  tarir.  On  crut  au  commencement 
qu'on  y  rciiiîiroit.  On  ne  doit  pas  oublier   le  Pont  qu'il  fit 
conftruire  iur  le  Tibre,  entre  Borghetto  &  Utricoli  dans  la 
Sabine.  Il  ié  fervoit  pour  tous  ces  travaux  de  Dominique 
Fontana  habile  Ingénieur,  qui  en  a  fait  la  defciiption  dans 
un  livre. 
Caiîonirntioa       ^^  ^^^^  j^  ^^^^  ^^^^  maintenant  concerne  les  mœurs  de 
de  s  Dic^ue  ce  Pape,  fa  conduite  au  fujet  de  la  Religion  ôc  dans  le  gou- 
E?âii^r       vernement  de  l'état  Eccleruftique.  Sur  le  rapport  du  car- 
°    '       dinal  Marc-Antoine  Colonne  qu'il  avoit  nommé  commif- 
faire,  il  canonifa  Saint  Diegue  d'Alcalade  Hennares ,  ainft 
appelle  du  nom  de  cette  ville  d'Efpagne  où  il  avoit  vécu, 
liétoitné  dans  le  château  de  Saint  Nicolas  Diocèfe  de 
Seville  en  Andalouile  ,  de  parens  de  bafle  condition  ,  ôc en- 
tièrement inconnus.  On  ignore  même  le  jour  de  fa  nailîance. 
Il  avoit  embraflé  l'étroire  oblèrvance  de  Saint  François ,  ôc 
étoit  mort  le  douze  de  Novembre  mil  quatre  cens  foixante- 
trois.  Philippe  &Dom  Carlos  Ion  fils  avoient  déjà  demandé 
à  Pie  IV.  ôc  à  Grégoire  XIII.  la  canoniiation  de  ce  Saint  , 
fans  avoir  pu  i'obcenir.  Enfin  on  en  fit  la  cérémonie  dans 
la  Bafilique  de  faint  Pierre  l'an  1588. 
Contcflation       E)ans   cette  cérémonie  l'ambalfadeur  d'Efpagne  voulue 
enrreiesAm-  avoir  le  pas   fur  l'ambafladeur   de  France     lous   prétexte 
hairadeurscie  que  la  canonîfation  du  Saint,  qui  étoit  Efpagnol ,  intéref-^ 
d'Efpagne.      ioit  particulicrement  1  Efpagne.  Mais  un  courageux  deten- 
ièur  des  droits   de   la  France,  (  c'etcit  Jean  de  Vivonne 
marquis  de  Pifany  )  lui  refifta  avec  fermeté  ,  ôc  foûtint  que 
dès  que  l'ambafladeur  Elpagnol  auroit  fait  ce  qui  concer- 
lîoit  Ion  miniftere,  il  devoit ,  ou  fortir  de  la  chapelle,  ou 
iè  placer  au-deiïous  de  l'ambafladeur  de  France.  L'c^mballà- 
deur  d'Efpagne  s'etant  réduit  à  demander  qu'on  luia;.cor- 
dâc  la  pxelcance  pour  cette  fois  ièuiemcnt  y  ^  tomme  par 


DE  J.  A.  DE  THaU,  Liv.  C.  16^ 

une  grâce  fpëciale ,  Pifany  y  confentit ,  à  condition  que  cet  —       — - 
exemple  ne   pourroit    être   tiré  à  conféquence  ,  ni  porter  Henri 
aucun  préjudice  à  fes  droits  j  bc  que  la  première  fois  que  le       I  V. 
Pape  tiendroit  chapelle  ,  l'ambafTadeur  d'Efpagne,  qui  pour     j  j^^^ 
ne  pas  paroître  céder  au  notre  ne  s'y  trouve  jamais ,  feroic 
tenu  d'y  allifter ,  &:  de  fe  placer  au-defTous  de  lui.  Le  Mi- 
nière Efpagnol  ne  voulut  point  accepter  la  proportion  j  ôc 
peu  s'en  fallut  qu'après   quelques  conteflations   les    deux 
parties  n'en  vinlTent  aux  mains.  Enfin  par  la   médiation  de 
perfonnes  deiintéreflTées ,  on  convint  à  l'amiable  que  l'am- 
bafladeur  d'Efpagne  fortiroit  de  la  chapelle  :  Qiie  Je  car- 
dinal Pierre  Deza  feroit  les  fondions  ^  ù.  que  Pilanygarde- 
roit  fa  place  ordinaire. 

Sixte  V.  inftitua  plufieurs  fêtes  nouvelles,  comme  celle 
de  la  Préfentation  de  la  fainte  Vierge  ,  celles  de  faint  Fran- 
çois de  Paule  ^  de  faint  Nicolas  de  Tolentin  ,  de  faint  An- 
toine de  Padouë,  de  faint  Janvier  Evêque,  &  de  (qs  com- 
pagnons Martyrs ,  de  faint  Pierre  Martyr,  &  enfin  de  faine 
Placide  &  de  les  frères  Eutichius  5c  Vidorin  cardinaux  (i), 
&  de  leur  fœur  Flavia  ,  dont  il  inféra  les  noms  dans  le 
Calendrier  Romain. 

On  dit  qu'en  541.  Eutichîus ,  Vidorin  &  Flavia  qui  aL 
loient  en  Sicile  pour  voir  leur  frère  Placide  à  Mefîine,  où 
il  avoit  fait  profefîion  dans  un  Monafbére  de  faint  Benoît, 
furent  pris  par  Mamuca  Lieutenant  d'Abdala  roi  des  Sara- 
2,ins,&  qui  fortoit  d'Afrique  avec  fa  f^ote  :  Qii'ils  refuferent  de 
renier  la  foy  •  &  qu'après  les  plus  cruels  fupplices  que  ce  bar- 
bareperfécuteur  du  nom  chrétien  leur  avoit  fait  foufïrir,  ils 
méritèrent  par  leur  confiance  la  couronne  du  Martyre.  Leurs 
corps  avoient  été  longtems  cachés,  quelques  recherches 
qu'on  en  eût  faites  •  mais  enfin  les  abbés  Cefar  Minutolo, 
éc  Siiveftre  Maurolyco  commiiîàires  nommes  à  cet  effet  les 
avoient  découverts  par  hazard  dans  les  ruines  de  la  Bafi- 
liquede  faint  Jean.  La  ville  de  Mefhne  fit  éclater  fa  joie 
pour  cette  heureufé  découverte  ,  ôcl'on  y  ordonna  des  pro- 
ceffions  folemnelles.  Sixte  confirma  la  célébration  de  la  fête 
de  ces  bienheureux  Martyrs.  Sa  Bulle  datée  dui  3. Novembre 

(i)  Ce  n'éroient  pas  des  Cardinaux  que  cette  dignité  ell  fort  moderne, 
comme  ceux  d'aujourd'hui.   On  f£airj 

Lliij 


jKBBEBl^^SIV 


270  HISTOIRE 

1588.  rappella  le  fouvenir  de  ces  Saints  qu'on  avoîtpref- 
Henri  que  oubliés. 

I  V.  Cependant  il  ne  paroît  pas  vraî-femblable  que  Jultinien 

i  CQQ^  le  Grand,  comme  on  le  dit,  ait  écrit  au  pape  Vigile  qu'il 
étoit  proche  parent  de  Placide  ,  &  que  cet  Empereur  aie 
attefté  par  un  édit  public  une  circonftance  qui  femble  fi  fa- 
buleufe.  Cette  prétendue  lettre  efl  rapportée  par  Philippe 
Gotho  gentilhomme  Meiîinois ,  qui  a  fait  un  livre  exprès 
fur  l'invention  des  corps  de  ces  Saints.  Elle  eft  tirée  du  fup- 
plément  de  la  Cronique  du  Mont  Caffin  •  mais  le  ftile  6c  la 
Chronologie  prouvent  manifeftement  que  la  lettre  eft  luppo- 
fée.  Car  comment  peut-on  dire  qu'Abdala  roi  des  Sarazins 
ait  vécu  devant  ou  vers  le  tems  de  Juftinien ,  pendant  que 
l'Hegire  de  Mahomet  fondateur  de  leur  Empire,  6c  qui  a 
répandu  le  poifon  de  fa  fede  longtems  avant  Abdala,  ne 
commence  qu'en  611.  fous  l'Empire  d'Heraclius,  qui  n'a 
régné  que  plus  de  60.  ans  après  Juftinien. 

Thomas  Fazello  éxad  écrivain  de  l'hiftoire  de  Sicile ,  non 
feulement  ne  fait  aucune  mention  de  faint  Placide,  6c  de 
les  compagnons  ^  mais  encore  il  afîiire  expreflément  que  ce 
ne  fut  que  fous  l'empire  de  Conftans  6c  de  Conftantin ,  fuc- 
ceiïeurs  d'HeracHus,  6c  fous  le  Pontificat  deVitalien  premier, 
plus  de  cent  ans  après  Juftinien ,  que  les  Sarazins  commen- 
cèrent à  infefter  les  mers  chrétiennes,  6c  qu'ils  parurent  d'a- 
bord à  Rhodes  6c  dans  les  ifles  de  l'ArchipeJ. 

J'ai  remarqué  que  le  fameux  Auteur  des  Annales  Ecclé- 
fiaftiques  s'étoit  apper^û  de  ces  contradidions ,  6c  que  pour 
empêcher  que  cette  hiftoire  de  faint  Placide  ne  tombac 
entièrement ,  il  avoit  fait  de  vains  efforts  pour  tranf- 
former  les  Sarazins  en  Goths,  6c  faire  pafîer  Abdala  ou 
Mamuca  pour  Theudis. 

Des  abfurdités  telles  qu'on  en  trouve  dans  la  Vie  des 
Saints ,  6c  mille  fables  de  cette  efpéce  démenties  par  l'hif- 
toire ,  6c  inventées  par  des  dévots  trop  zélés  pour  exciter  la 
piété  dans  les  âmes  des  fimples ,  n'ont  point  eu  autrefois 
de  contradicteurs  j  mais  aujourd'hui  l'étude  6c  la  pénétration 
des  Sçavans  ont  porté  de  tous  côtés  le  flambeau  de  la  vé- 
rité j  6c  je  n'ai  jamais  cru  qu'il  fût  d'aucune  utilité  de  don- 
ner des  faits  équivoques  éc  incertains  pour  des  hiftoires. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C.  tji 

véritables  &  confiances,  nî  que  la  Religion  pût  tirer  aucun 

fecours  de  ces  Romans  qu'on  introduit  dans  l'Eglife  fous  Henri 

Fombre  dureiped  dd  aux  décrets  du  Pape..  1  V. 

Au  refte  on  peut  s'abftcnir  prudemment  de  tous  ces  nou-  j  ^  ^q,^ 
veaux  cultes  fans  blefler  l'autorité  de  l'Eglife ,  ni  l'union 
Catholique.  Au  contraire  il  y  a  de  la  témérité  à  les  foûtenir  j 
nous  ne  pouvons  le  faire  lans  donner  prife  fur  nous  à  ceux 
qui  fe  font  féparés  de  l'Egliie  Romaine ,  ni  même  fans  fcanda- 
liler  plufieurs  perfonnes  qui  ont  encore  la  même  foi  que  nous.. 

Saint  Bonavanture  ne  à  Baenarea  en  Tofcane ,  6c  Corde-    ^^'""^  ^om^^ 
lier  ,  etoit  mort  en  1 174.  a  Lyon,  ou  il  avoit  ete  enterre  déclaré  Doc» 
dans  la  même  année  que  laint  Thomas  d'Aquin.  Sixte  IV.  t^urde  l'E- 
qui  avoit  été  lui-même  Cordelier,  l'avoit  mis  au  nombre  àQs  \-^^l^^  y^ 
Saints..  Sixte  V.  voulant  donner  à  cet  Ordre  un  nouveau 
luftre  bL  une  plus  grande  autorité  ,  le  déclara  Dodeur  de 
l'EghTe  ,  Ôc  lui  fit  le  même  honneur  qu'à  faint  Jérôme  ,  faint 
Auguftin  ,  faint  Ambroife,  6c  faint  Grégoire.  Il  chargea  le 
cardinal  Conftantin  Sarnano ,  qui  étoit  du  même  Ordre , 
de  ramafïèr  tous  les  ouvrages  du  faint  Dodeur ,  6c  de  \qs  don- 
ner au  public  comme  canoniques ,  fans  \qs  fbûmettre  à  l'exa- 
men,   Maurice   BrefTius  de   Forez ,  qui   avoît  enfeigné  en 
France  les  Mathématiques ,  6c  qui  ayant  quitté   fa  patrie 
etoit  alors  Profelleur  de  langue  Grecque  à  Rome,  fie  à  ce 
fujetun  difcoursle  14.  de  Mars. 

Sixte  V.  fit  encore  plufieurs  nouveaux  àécrQZs.  Avant  lui 
les  Papes  ne  tenoient  chapelle  que  dans  le  Vatican.  Sixte 
dès  le  commencement  de  Ion  Pontificat  la  tint  dans  plufieurs 
autres  Eglifes  de  Rome.  Il  condamna  comme  une  étude 
déteflable  l'Affcrologie  judiciaire  ,  6c  défendit  de  s'y  appli- 
quer. Il  donna  une  tameulé  Bulle  en  faveur  des  Cardinaux, 
qu'il  égala  aux  Rois  6c  aux  Princes.  Il  fixa  leur  nombre  i 
foixante  6c  dix  ,  6c  ordonna  que  leur  promotion  ne  pourroit 
fe  faire  que  dans  les  quatre. tems  de  Décembre,  luivant  la 
conftitution  de  Clément  VI.  mais  il  la  viola  lui-même  dans 
la  promotion  extraordinaire  du  cardinal  Guillaume  Alan 
deLancaftre,  6c  de  Jean-François  Morofini  Vénitien.  Il 
partagea  le  facré  Collège  en  quinze  Congrégations  ,  6c 
ajoiira  aux  treize  quartiers  de  Rome  un  quatorzième ,  qui 
fut  le  faubourg  ou  efl  le  Vatican, 


172  HISTOIRE 

■  La  paffion  qu'il  eue  d'élever  fa  famille  fut  extraordinaire. 

Henki  Rome  vie  avec  indignation,  &  ne  put  cependant  s'empê- 
I  V.  cher  d'admirer  la  fuperbe  entrée  qu'y  fit  Camille  fa  fœur. 
On  fe  fouvenoit  encore  qu'elle  a  voit  été  blanchilleufe  j 
'  fon  mari  étoit  d'une  condition  fiabjede  ,  que  Sixte  ne  vou- 
lut jamais  qu'on  fcûtfonnom  :  deux  neveux  èc  deux  nièces 
furent  comblés  de  richelïcs ,  èc  honorés  des  plus  grandes 
dignités.  En  effet  Sixte  donna  bientôt  le  chapeau  à  Alexan- 
dre ,  quoiqu'il  ne  fût  encore  qu'enfant, •&  luiaffigna  cent 
mille  écus  de  rente.  Il  fitpréfent  de  plufieurs  grandes  ter- 
res à  Michel ,  de  peu  de  tems  avant  fa  mort  il  lui  acheta 
pour  le  prix  de  deux  cens  mille  écus  la  Seigneurie  de 
Montafier  en  Piémont ,  qui  appartenoit  à  Jeanne  de  Coëme 
veuve  du  prince  de  Conti  (i),  comme  en  ayant  hérité  avec 
fes  filles  qu'elles  avoit  eues  de  Louis  fon  premier  mari  5  mais 
le  prix  n'en  ayant  pas  été  payé ,  cette  vente  n'eut  aucun 
effet.  Il  maria  (qs  deux  nièces  à  deux  Seigneurs  des  plus 
qualifiés  de  Rome  ,  &c  qui  étoient  les  aînés  de  leur  Maifon. 
Outre  la  dot  qu'il  donna  à  Marc-Antoine  Colonne ,  il  lui 
fit  prêter  des  deniers  du  tréfor  quatre  cens  mille  ducats 
pour  payer  fes  dettes  ,  fans  exiger  aucuns  intérêts  d'une 
lomme  fi  confid érable. 

Par  ces  dépenfes  immenfes  il  fit  voir  qu'il  avoit  l'ame 
grande  j  il  pouifa  néanmoins  l'économie  jufqu'à  l'avarice  ^ 
il  exécuta  à  grands  frais  de  prodigieufesentreprifes,  &fçut 
amaffer  en  même  tems  de  grands  tréfors.  D'un  côté, 
vivant  comme  un  fimple  particulier  ,  il  réforma  fa  table  Se 
fa  maifon  :  de  l'autre ,  il  augmenta  les  impôts ,  introduifîc 
trente-cinq  nouvelles  taxes ,  3c  vendit  toutes  les  charges , 
même  celles  qui  ne  s'étoient  jamais  vendues.  Il  fit  exiger 
les  nouvelles  impofitions  avec  tant  de  dureté,  que  quoiqu'il 
écoutât  volontiers  toutes  les  plaintes  qu'on  lui  faifoit,  il 
ferma  toujours  l'oreille  à  la  voix  de  ceux  qui  fe  plaignoient, 
&  de  l'excès  des  taxes ,  &  de  la  cruauté  des  traitans. 
Par  ces  moyens  odieux  il  accumula  des  tréfors  immenfes, 


\ 


(i)  François  Prince  de  Conti,  fils |  i^oi.  dont  il  n'eut  point  d'enfans.  Il 
de  Louis  premier  tue'  à  la  bataille  de  i  e'poufa  en  lôoj.  Louife  Marguerite  de 
Jarnac.  II  avoit  e'poufe'  Jeanne  de  Coë  i  Lorraine  fille  de  Henri  premier  duc  de 
aie,  dame  de  Bonneftable ,  morte  en  I  Guife.  Il  mourut  en  1514. 

de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  273 

5c  dès  la  première  année  de  fon   Pontificat  il  fît  porter  un  ■„     ' 
million  d'écus  d'or  dans  le  château  faint  Ange  ^  Siiidefen-  Henki 
dit  de  toucher  à  cette  fomme  ,  fî  ce  n'étoit  pour  la  conquête       I  V. 
de  la  terre  Sainte ,  ou  pour  une  guerre  générale  contre  les     rcgo. 
Turcs ,  lorfque  l'armée  Chrétienne  auroit  pafle  la  mer  ,  & 
fèroit  dans  le  païs  ennemi.  Il  en  étendit  auflî  l'ufage  à  ces 
tems  de  calamités ,  qui  demandent  les  plus  puiiïàns  lécours, 
comme  dans  une  pefte ,  ou  une  famine  ,  6c  permit  encore  de 
s'en  fervir  pour  réduire  une  ville  qui  le  feroit  révoltée  con- 
tre l'Eglife,  ou  pour  fecourir  une  province  attaquée  parles 
Infidèles.  Il  jura  lui-même  d'oblèrver  exadement   toutes 
ces  conditions,  ôc  ordonna  que  Tes  fuccefîeurs  fifTent  le  même 
ferment. 

Danslatroifîéme  année  de  fon  Pontificat  il  fit  encore 
porter  dans  le  château  Saint  Ange  une  pareille  fomme ,  ôc 
il  y  joignit  enfuite  trois  cens  mille  écus  d'or  pour  le  même 
ufage,  &c  fous  les  mêmes  défenfes  -,  ajoutant  qu'outre  les 
cîrconflances  ci-deflus  marquées ,  on  pourroit  employer  ces 
tréfors  pour  reconquérir  fur  les  ennemis  de  l'Eglife  Romaine 
quelque  Royaume  qui  lui  appartenoic.  Cette  dernière  claufe 
fit  croire  à  ceux  qui  étoient  prévenus  contre  ce  Pape ,  que 
£  Philippe  fut  mort  avant  lui ,  il  auroit  porté  la  guerre  dans 
le  Royaume  de  Naples  pour  l'enlever  à  la  Maifon  d'Au- 
triche. 

LesEfpagnoIs  animèrent  contre  lui  quelques  Prédica- 
teurs, qui  oubliant  leur  devoir ,  ëcle  refpectduà  l'autorité 
iiiprême  du  fouverain  Pontife  ,  négiigeoient  d'annoncer  la 
parole  de  Dieu  pour  parler  de  l'état  oii  fe  trouvoit  la 
France ,  &  répandre  de  faux  bruits.  Leur  fédicieufe  élo- 
quence n'avoit  que  cet  objet  j  Scils  ofoient  taxer  indiftinc- 
tement  le  Pape  de  nonchalance  &  d'avarice,  pour  exciter 
peu  à  peu  la  haine  du  peuple  contre  lui.  Le  feu  commenc^oit 
à  s'étendre  ,  èc  cette  cabale  alloit  devenir  plus  puiilànte, 
lorfque  Sixte  crut  devoir  s'oppofer  à  ce  funcfte  progrès. 
Ainiî  par  les  ordres  du  Pape  le  cardinal  Jérôme  Rufticucci 
Vicaire  Général,  2c  juge  ordinaire  de  la  Cour  de  Rome 
fit  un  décret  le  1 7.  de  Juin ,  portant  défenfes  aux  Prédica- 
teurs ,  fous  peine  d'interdiction  ,  de  traiter  dans  leurs  fer- 
mons d'autres  fujets  que  ceux  qui  regardoient  l'inftruction 

Tome  XI,  M  m 


274  HISTOIRE 

I     I  II  des  fidèles  &  la  Relio-ion.  Cette  nouvelle  loi  dëcernoîc  en- 

H  H  NK  I  core  des  peines  afflictives  contre  ceux  qui,  comme  il  arrivoic 

I  V.       fore  fouvent ,  dirputoienc  dans  des  allemblées  particulières 

I  590.     ^^^^  ^^^  faufles  nouvelles  qu'on  répandoit  dans  Rome,  ôc  y 

excitoient  de  vives  querelles. 
Elefliondu        Aprës  la  mort    de  Sixte  V.  dès  que  les  neuf  jours  de 
pape  Urbain  prières  furent  expirés ,  les  Cardinaux  entrèrent  danb  le  con- 
^^^'  clave.  Pendant  fix  jours  le  cardinal  Marc-Antoine  Colonne 

fembla  rèiinir  tous  les  fuffrages  3  mais  des  difficultés  q\:i  s'é- 
levèrent tout  à  coup  empêchèrent  fon  elcdion  j  les  Cardi- 
naux donnèrent  unanimement  leurs  voix  au  cardinal  Jean- 
Baptifte  Caftagna  (i  )  du  titre  de  Saint  Marcel.  Ils  remirent 
cependant  l'èledion  au  lendemain  ,  6c  ne  le  déclarèrent 
Pape  que  le  1  5.  de  Septembre  après  dix-huit  jours  de  va- 
cance du  liège  Pontifical. 

11  étoit  ne  à  Rome  d'une  famille  noble  ,  &  il  eut  pour 
père  Côme  Génois  de  Nation,  6^  pour  mère  une  Dame 
Romaine  de  la  maifon  de  Ricci.  Dans  fa  jeunciTe  il  s'appli- 
qua à  l'étude  du  droit  Civil  6c  Canonique  j  6c  ayant  mon-, 
trè  beaucoup  d'habileté  dans  le  maniement  des  affaires.  Pie 
IV.  l'envoya  au  Concile  de  Trente.  11  obtint  la  légation 
d't  fpngnc,6c  enfuite  celle  de  Venifè  ,  où  il  vit  Henri  III. 
lorlquc  ce  prince  revenoit  de  Pologne.  11  fut  encore  envoyé 
à  Cologne  en  qualité  de  Légat  ordinaire  ,  pour  affifter  de 
la  part  du  Pape  aux  conférences  du  traite  que  l'èvêque  de 
Liège  ménageoit  entre  le  roi  d'Efpagne  6c  les  Provinces- 
Unies.  Pour  le  rècompenfer  des  fervices  qu'il  avoit  rendus 
dans  ces  différentes  négociations ,  Grégoire  XIII.  l'honora 
du  chapeau  de  Cardinal. 

Etant  un  jour  avec  Sixte  V.  qui  fe  propofoit  de  conduire 
jufqu'à  la  porte  Del  -  Popolo  ,  la  rue  qui  va  de  l'Eglife 
de  Sainte  Croix  de  Jérufaiem  à  Sainte  Marie  Majeure,  6c 
dv)nc  nous  avons  parlé  ci  dciTus ,  le  Cardinal  de  Saint  Mar- 
cel eut  un  prefage  de  fa  future  élévation.  Le  Pape  incertain 
du  fuccès  de  Ion  entreprife  fè  tourna  vers  lui ,  6c  lui  dit  :  Vous 
arh'jverez  un  jour  ce  chemin.  Ce  premier  pronoftic  fut 
confirmé  par  un  fécond.  On  fervit  à  Sixte  V.  quelque  rems 
avant  fa  mort  des  poires  ,  dont  il  coupa  quelques-unes  qui 

(î)OuCaftanée. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lir.   C.  275 

jfè  trouvèrent  pouries  en  dedans ,  en  force  que  le  Pape  en  " 

paroiflanc  dégoûté  ,  dit  fur  le  champ  :  Oiés  ces  poires  j  il  ne  Henri 
faut  que  des  châtaignes.  On  prétend  qu'il  fe  défîgnoit  par       I  V. 
les  poires ,  car  il  avoit  porté  le  nom  de  Peretti ,  &  cela  Tavoit     1  c  q o 
engagé  de  mettre  des  poires  dans  fon  EcuiTon  j  ôc  que  par  -'  : 

les  châtaignes  il  marquoit  fon  fuccefléur  (i). 

Le  nouveau  Pape  prit  le  nom  d'Urbain.  La  première  pa- 
role qu'il  pronon(^a  après  fon  élection  parut  pleine  de  fa- 
geflè  ôc  de  modération.  En  lui  mettant  un  Rochet  d'une 
toile  très-fine  ,  &  par  confèquent  très-léger,  il  dit  qu'une 
chofe  fi  légère  étoit  pour  lui  d'un  bien  grand  poids  :  il  fit 
voir  par-là  qu'il  connoifiToit  la  pefanteur  du  fardeau  donc 
on  venoit  de  le  charger. 

Le  premier  jour  de  fon  Pontificat  fut  marqué  par  les  bien- 
faits êi  les  préfens  qu'il  fit  à  fes  amis  j  il  remit  à  quelques-uns 
d'eux  les  fommes  qu'ils  dévoient  au  Fifc,  6c  à  lui  en  parti- 
culier. Il  dit  à  ^^s  parens  que  fon  élévation  ne  devoit  point 
leur  faire  efpérer  de  nouvelles  dignités  ni  les  enorgueillir  ; 
êc  il  ajouta  qu'il  vouloit  laifier  à  {zs  fuccelTeurs  un  exemple 
de  l'affedion  qu'il  étoit  permis  aux  Papes  d'avoir  pour  leur 
famille. 

Il  défendit  à  îqs  Officiers  de  porter  des  habits  de  foie  j 
il  fit  écrire  les  noms  de  tous  les  pauvres  de  Rome  ,  &  leur 
diftribua  de  grandes  aumônes.  Son  plus  grand  foin  fut  d'en- 
tretenir l'abondance  dans  Rome  ,  &:  il  témoigna  publique- 
ment qu'il  n'épargneroit  pour  cela  aucunes  dépenfes  ^  perfua- 
dé  que  Jéfus  -  Chrifl  en  recommandant  à  Saint  Pierre  de 
paître  fès  brebis ,  avoit  auflî  ordonné  à  fes  Vicaires  de  pour- 
voir aux  befoins  temporels  du  troupeau  qui  leur  étoit  con- 
fié. Enfin  ce  Pontife  donna  un  exemple  remarquable  de  fa 
modération,  ôc  une  preuve  finguliére  de  fa  reconnoiiîànce , 
en  donnant  des  ordres  précis  pour  faire  achever  tous  \<is 
ouvrages  commmandés  par  Sixte  V.  en  y  faifant  mettre  les 
armes  ôc  le  nom  de  ce  Pape. 

Urbain  tomba  malade  le  lendemain  de  fon  élection  ,  & 
plufieurs  prirent  dès-lors  pour  un  mauvais  augure  le  nom 
de  Marcel  (2)  dont  il  avoir  porté  le  titre  étant  Cardinal. 

(i)  Par  allullonà  fon  nom  de  Caftagne. 
^  (x)  A  caufe  de  Marcel  II.  élu  Pape  en  ij^f^.  8c  qui  mourut  21.  jours  après  fon 
çledion. 

Mniij 


ilG  HISTOIRE 

"  '  '  En  efFet  il  fembla  que  Dieu  n'avoic  voulu  que  le  montrer 
Henri  à  fon  Eglife ,  fans  permettre  que  ce  iaint  Pape  la  gouver- 
I  V.       nât  plus  long-tems.  Il  ne  fut  pas  même  couronné  j  il  ne  créa 
1590.     point  de  Cardinaux  ^  il  ne  conféra  aucune  dignité,  &:  13. 
Mort  d'Ur-  jours  après  fon  élecbion  ,  il  mourut  avec  tranquillité.  Avant 
bain  vn.      ^£  rendre  le  dernier  foûpir  ,  il  dit  avec  la  même  modéra- 
tion qu'il  avoit  fait  voir  pendant  toute  fa  vie  :  >î  Dieu  donc 
53  les  décrets  fbntauffi  fages  que  refpedables,m'avoit  jugé  in- 
55  digne  de  cette  dignité  fuprême  3  la  foiblellè  qui  nous  eft 
55  commune  à  tous,  &  qui  nous  retient  dans  les  liens  du  pé- 
«  ché  m'auroic  fait    fuccomber  facilement  5    &;    combien 
>5  ma  chute  de  la  place  que  j'occupe  auroit-elle  été  funefte! 
>5  Mais  heureufement  la  Bonté  divine  vient  de  me  décrager, 
»  &  rappelle  à  foi  Tame  qu*elle  m'avoit  donnée.  Pompée 
>5  Hugonio  fit  fon  oraifon  funèbre. 

Il  y  eut  plus  de  difficulté  dans  le  choix  de  fon  fuccelîeur, 
qu'il  n'y  en  avoit  eu  pour  fon  éledion.  Les  Cardinaux  au 
nombre  de  cinquante-deux  entrèrent  dans  le  Conclave  le 
huit  d'Odobre,  6c  dans  la  fuite  le  cardinal  d'Autriche  &: 
le  cardinal  Henri  Gaëtano  qui  rev^enoit  de  fa  légation  de 
France  ,  fe  joignirent  encore  à  eux.  Ils  étoient  divifés  par 
plufîeurs  factions.  Le  cardinal  Madrucci  étoit  à  la  tête  de 
la  fadion  Efpagnole  5  le  cardinal  François  Marie  del-Monte 
étoit  chef  de  celle  du  Grand  duc  de  Tofcane ,  &  François 
Sforce  de  celle  des  Grégoriens  (  i  )  ^  enfin  Alexandre  de  Mon- 
talte  difpofoit  des  fufFrages  de  vingt-fîx  Cardinaux  créatures 
de  Sixte  V. 

Par  les  brigues  d'Afcagne  Colonne,  on  propofa  d'abord 
le  cardinal  Marc-Antoine  Colonne  ,  6c  l'on  parla  encore 
de  lui  dans  la  fuite  :  mais  la  deflinée  de  ce  Cardinal  étoit 
d'être  toujours  jugé  digne  du  fouverain  Pontificat,  6c  de 
n'être  jamais  élu.  Enfuite  par  les  brigues  de  Sforce  ^  d'A- 
lexandre de  Montalte,  Jean  Vincent  Lauro  cardinal  de  Mon- 
dovi  parut  fur  les  rangs.  Une  majeflueufe  gravite  le  rendoic 
refpedable  jfon  affabilité  6c  fa  douceur  le  faifoient  aimer  5 
il  joignoit  à  une  profonde  érudition  6c  à  un  flile  délicat  6c 
poli  beaucoup  d'expérience  6c  d'habileté  pour  la  conduite 
des  affaires. 

CO  Ceû-à-dire  des  créatures  de  Grégoire  XIII. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv..C;  277 

Le  but  de  Montalte  écoic  d'exclure  Jule  Antoine  San- 


torio  ,  Gabriel  Paieotco  ,  Madrucci ,  Pcoiomée  Gallo  car-  Henri 
dinal  de  Corne  ,   Marc-Antoine  Colonne  ,  Jean   Antoine       I  V. 
Fachinetro ,  6c  Nicolas  Sfondrate  que  les  Efpagnols  propo-     j  ^qq 
Ibient.  Philippe  s'inrérelîoit  particulièrement  pour  les  trois 
premiers  j  il  rejetcoit  nommément  Alexandre  de  Medicis  j 
&  il  avoit  enjoint  exprelTëment  à  Madrucci  d'empêcher  fon 
ëledion,  ainîi  que  celle  d'Antoine  Marie  Salviati ,  d'Augufte 
ValeriOjde  Lauro ,  de  Scipion  Lancilotto  ,  èc  de  tous  les 
Cardinaux  de  la  création  de  Sixte  V. 

Montalte  au  contraire  qui  fçavoit  que  les  Efpagnols  haïC 
foient  la  mémoire  6c  les  créatures  de  ion  oncle  ,  avoit  pour 
première  vue  d'exclure  les  Cardinaux  attachés  à  leur  fac- 
tion j  il  tâchoit  en  fécond  lieu  que  le  Pape  futur  n'eût  obli- 
gation qu'à  lui  feul  de  fon  élévation,  fans  qu'aucun  des 
Princes  qui  avoient  chacun  un  puiiïant  parti  dans  le  Con- 
clave,en  partageât  la  gloire  avec  lui.  Ainfi  il  ne  voulut  point 
agir  de  concert  avec  les  Tofcans  y  il  fe  joignit  feulement 
avec  le  cardinal  Sforce ,  qui  lui  étoit  inférieur  6c  dont  ii 
n'avoit  rien  à  craindre.  Ils  s'intéreflérent  tous  Iqs  deux  avec 
beaucoup  de  chaleur  pour  le  cardinal  Lauro  de  Mondovi. 
Ce  Prélat  n'empruntoit  l'apui  d'aucun  Prince  ^  tous  îqs  con- 
frères l'aimoient  ^  6c  l'on  elpéroit  que  plulîeursdeceux  qui 
ëtoient  engagés  dans  le  parti  Efpagnol  6c  dans  celui  de 
Tofcane  pourroient ,  s'il  en  étoit  beîoin  ,  lui  donner  leurs 
fulFrages. 

Mais  les  Efpagnols  s'y  oppoférent  ;  6c  de  vains  fcupçons 
leur  firent  oublier  les  fervices  importans  que  ce  digne  Car- 
dinal avoit  rendus  à  la  Chrétienté  6c  à  Philippe  même.  Ils 
objedérent  qu'il  s'étoit  autrefois  intéreffé  en  faveur  d'An- 
toine roi  de  Navarre, 6c  père  de  notre  R.oi  qui  étoit  en- 
core dans  fa  première  jeunellè  j  6c  ils  conclurent  de-là  que 
Lauro  étoit  appuyé  par  une  cabale  fecrette  des  François. 

On  leur  répondit  que  le  Cardinal  n'étoit  entré  dans  la 
maifon  d'Antoine  ,  qu'à  la  recommandation  de  quelques 
Seigneurs  François  des  plus  zélés  pour  l'ancienne  Religionj 
que  depuis  ce  tems  il  avoit  marqué  fon  dévouement  pour 
Philippe,  6c  pour  le  duc  de  Savoye  fon  gendre  ,  dans  les 
dijŒcrentes  légations  dont  ii  avoit  été  chargé  -,  éc  que  Iqs 

Mm  iij 


178  HISTOIRE 

l'ervîces  qu'il  leur  avoit  rendus  dévoient  perfuader  ces  Princes 

Henri  de  la  droiture  des  intentions  ,  &  des  inclinations  du  Car- 

I  V.       dinal.   Quelque  convainquantes  que  fulFent  ces  raifons ,  les 

I  roQ^     Espagnols  ne  voulurent  pas  fe  rendre,  &:  empêchèrent  que 

Lauro  n'eût  un  nombre  fuffifant  de  fuffrages. 

On  propola  de  nouveau  Marc-Antoine  Colonne,  &  J^^n 
Jérôme  Albano.Le  premier  fut  exclus  par  fon  mauvais  deftinj 
le  fécond  parut  trop  vieux  &  incapable  de  porter  le  poids 
d'une  il  grande  dignité  .  à  l'âge  de  84.  ans.  Montalte  ayant 
gagné  Sforce  ,  le  cardinal  Alexandrin  voulut  encore  faire  un 
eilài  de  l'autorité  &  de  la  puilFance  qu'il  avoit  dans  le  Con- 
clave 3  il  parla  pour  Hippolyte  Aldobrandin  5  il  s'en  falluc 
peu  que  la  chofe  ne  réùlsît. 

On  parla  enfuite  de  Jule  Antoine  Santorio.  L'Efpagne  , 
le  Grand  Duc ,  &  Sitic  d'Altemps  neveu  de  Pie  IV.  avec 
le  refte  de  fa  faction  qui  étoit  prefque  éteinte  ,  firent  tout 
pour  ce  Cardinal  ,  àc  fe  flatérent  d'un  heureux  fuccès. 
Mais  Alexandrin  appuyé  par  les  Cardinaux  de  Pie  V.  qui 
ëtoienc  encore  puillans  s'y  oppofa ,  6c  la  haine  de  ce  Car- 
dinal l'emporta  îur  les  difpofitions  favorables  dans  lefquelles 
on  étoic  pour  Santorio.  Il  perfuada  à  Montalte  qui  avoit 
plus  de  pouvoir  qu'aucun  des  autres  Cardinaux  ,  que  fi  San- 
torio devenoit  Pape  ,  il  fe  laifTeroit  conduire  par  les  Efpa- 
gnols  j  èc  qu'adoptant  l'animofité  de  ces  étrangers  contre  la 
mémoire  de  Sixte  V.  àc  de  fes créatures, il  feroittout  pour 
perdre  Montalte. 

Ainlî  Santorio  fut  rejette  j  &  Montalte  qui  employoîc 
tout  pour  faire  un  Pape  de  fon  parti  qui  ne  fût  dévoué  à 
aucun  Prince ,  fît  une  tentative  pour  Jérôme  de  la  Rovere. 
On  l'avoit  vu  en  France  dès  fa  jeuneffe  ,  èc  il  avoit  paru 
dans  un  emploi  honorable  à  la  Cour  de  Henri  II.  mais  il 
ne  put  avoir  un  nombre  fuffifant  de  voix. 

L'éleAion  devenant  alors  plus  difficile  ,  Madruccî  vint 
trouver  Montalte,  &  le  prefîa  de  choifir  l'un  des  fept  Car- 
dinaux propofés  par  le  roi  d'Efpagne.  Il  lui  reprefénta  qu'il 
lembloit  que  cette  affaire  ne  dût  jamais  finir:  Que  tous  ces 
retardemens  feroient  funeftes  à  la  Religion  j  êc  qu'ils  fcan- 
dalifoient  le  monde  Chrétien  :  Que  la  récolte  n'ayant 
pas  été   abondante  dans  la  Pouille  ôc  dans  la  Sicile ,  qui 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.    C.  27^ 

fournifToIenc  ordinairement  des  bleds  à  Rome, cette  ville  man-  ■■  ■■■'"  ' '■"  " 
quoic  abfolumenc  de  vivres-  &  que  dans  le  défordre  &  la  Hen  ki 
conFufion  caulës  par  une  il  longue  vacance  de  fiége ,  on       IV, 
dévoie  craindre  de  la  voir  bientôt  réduite  aux   dernières     1590, 
extrémités. 

Montalte  ayant  conféré  avec  les  Cardinaux  de  Ton  parti, 
répondit  avec  fermeté  :  »  la  dignité  de  l'Eglife  dont  j'ai 
ï5  toujours  été  obligé  de  défendre  les  droits  làcrés,  6c  dont 
M  la  gloire  m'eft  aulîî  chère  que  ma  propre  vie  ,  ne  me  per- 
>3  met  pas  d'accepter  les  proportions  qu'on  me  fait.  Après 
«  qu'elle  a  brifé  le  joug  des  Empereurs ,  je  ne  fouiFrirai  ja- 
'5  mais  que  les  Princes  de  la  terre  faflènt  revivre  des  pré- 
55  tentions  anéanties  ,  &  qu'à  la  faveur  de  la  lâcheté,  de  l'a- 
>j  varice  ,  oa  de  quelque  autre  motif  aulîi  odieux  qui  anime 
53  quelques-uns  de  mes  confrères ,  \qs  Rois  fè  rendent  maî- 
>3  très  de  l'éledion  du  Vicaire  de  Jefus-Chrift.  Je  ne  per- 
)3  mettrai  jamais  que  l'orgueil  Efpagnol  gêne  la  liberté  de 
5j  nos  fufFrages ,  ni  que  d'injuftes  Etrangers  nous  impofenc 
3î  la  nécefîité  d'élever  au  fouverain  Pontificat  un  homme 
«  qui  leur  fera  tout  dévoué  ,  fans  nous  permettre  d'élire 
35  celui  qui  nous  paroitra  le  plus  digne  de  remplir  cette  im- 
33  portante  place. 

Chacun  de  ceux  qui  y  prétendoîent  faifant  naître  routes 
ces  difficultés,^:  tant  de  conférences  ôc  de  proportions  ayant 
été  jufqu'alors  fans  aucun  fruit ,  on  crut  enfin  avoir  trouvé 
un  moyen  d'accommodement ,  &  l'on  propofa  fept  Cardi- 
naux du  nombre  de  ceux  qui  n'ayant  pris  aucun  parti,  ne 
paroifloient  pas  fufpects.  Ils  formoient  comme  une  troidéme 
claflè,  &:  l'on  étoit  refté  jufqu'alors  dans  le  filence  à  leur 
égard.  Ces  fept  Cardinaux  étoienc  Jean  Antoine  Serbellone, 
Inigo  d'Avalos  d'Arragone  Napolitain,  Nicolas  de  Pellevéj 
Jérôme  Rufticucci ,  Julien  Cananio ,  Scipion  Lancilotto  , 
&  Guillaume  Alan  Anglois  ^  mais  on  craignit  que  plufieurs 
d'entre  eux  ne  panchaflent  en  fecret  pour  quelque  parti  3  & 
tous  les  fufFrages  parurent  fe  réunir  tout  à  coup  en  faveur 
de  Paleotto.  Ce  Cardinal  fe  faifoit  refpccler  par  fon  âge  , 
par  fa  piété  ,  &  par  la  pureté  de  fes  mœurs  j  il  étoit  par  fâ 
ïcience  un  des  plus  beaux  ornemcns  du  iàcré  Collège  •  rien 
ne  lui  fut  plus  contraire  que  la  chaleur  avec  laquelle  les 


zSo  HISTOIRE 

Cardinaux  Efpagnols  prelTërenc  Ton  éledion  ,  quoiqu'on  fut 

H  £  N  K  I  perlaadé  qu'il  aimoic  peu  cette  Nation.  Dans  Rome  on  le 

I  V.       crut  Pape  j  iès  armes  furent  élevées  de  tous  côtés ,  de  l'on 

1590.      dépêcha  des  couriers  dans  les  Provinces  pour  en  répandre 

la  nouvelle  •  mais  les  Cardinaux  étant  allés  au  Scrutin,  Mon- 

talte  à  qui  il  déplaifoit  fît  tant  qu'il  lui  manqua  une  ou  deux 

voix. 

Dans  la  chaleur  de  toutes  ces  brigues,  on  parla  plusieurs 
fois  de  Jean  Antoine  Fachinetto  Cardinal  du  titre  des  quatre 
Saints.  Il  étoit  habile  Théologien  &  Juriiconfulte  5  ôc  il  joi- 
gnoità  ces  connoiiïànces  une  expérience  de  cinquante  an- 
nées qu'il  avoit  pafTées  dans  difFérens  emplois  de  la  cour  de 
Rome  'j  mais  il  ne  devoit  pas  être  fîtôt  Pape  ^  èc  ne  'dévoie 
l'être  que  pour  peu  de  tems  j  le  moment  fixé  par  les  décrets 
de  Dieu  n'étoit  point  encore  arrivé  ^  6c  la  haine  du  Grand 
duc  de  Tofcane  fut  alors  un  obftacle  infùrmontable  à  fon 
cledion. 

Un  parti  détruifoit  ce  qu'avoit  fait  l'autre  j  6c  chaque 
prétendant  formoit  des  difficultés  à  l'élévation  de  fon  con- 
current. Enfin  après  deux  mois  de  conteftations  inutiles  , 
Madrucci  parla  une  féconde  fois  à  Montalte ,  6c  lui  ayant 
repréfenté  les  calamités  d'un  peuple  infortuné  que  la  famine 
prelToit ,  6c  les  dangers  aufquels  non-feulement  Rome  ,  mais 
encore  toute  l'Eglile  étoit  expofée ,  il  le  conjura  de  fe  dé- 
terminer fur  le  choix  d'un  des  fept  Cardinaux  propofés  par 
le  roi  d'Efpagne.  »  Vous  ferez,  lui  dit-il ,  une  chofe  agréable 
«  au  fils  aîné  de  l'Eglife^  (  les  Efpagnols  donnoient  alors  ce 
îî  titre  à  leur  Roi)  6c  dans  la  trifte  fituation  où  font  toutes 
)5  les  chofes ,  vous  déchargerez  votre  confcience. 

Montalte  fut  inflexible  pendant  quelque  tems  j  mais  les 
Cardinaux  de  fon  parti  lui  remontrèrent  qu'on  parloit  en- 
encore  de  Paleotto  :  Qiie  s'il  vouloit  l'exclure,  il  ne  devoit 
plus  faire  de  difficulté  d'accepter  la  propoficion  de  Madrucci: 
Qiie  fa  fermeté  pouvoit  lui  devenir  funeftcj  6c  que  dans  cette 
extrémité  il  falloit  fléchir  plutôt  que  de  voir  malgré  lui 
créer  un  Pape ,  àc  élever  fur  fa  tête  un  fi  terrible  ennemi. 
Ainfi  tout  fé  réunit  en  faveur  du  Cardinal  Sfondrate.  Gon- 
zague  avoit  toujours  craint  fon  élévation  ^&c  s'y  étoit  oppo- 
fé  autant  qu'il  lui  avoit  été  poiFible  ,  parce  que  Sfondrate 

étoic 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  t^t 

ëcoît  en  conteftation  avec  le  duc  de  Mancouë  pour  quelques  __• — Linoti] 
terres ,  èc  que  ces  intérêts  oppofés  avoient  excité  entre  eux  Henri 
de  grandes  querelles.  I  V. 

Dans  l'ardeur  des  difFérentes  faclions  6c  des  brigues  tu-  1590. 
multueufes  qui  agitèrent  ce  Conclave ,  chaque  prétendant 
au  PontiHcat  tâchoic  de  tromper  ,  &  leurrer  Ton  rival  par 
des  promefles  qui  étoient  bientôt  oubliées,  &:  qu'on  violoi-c 
fur  le  moindre  prétexte  j  en  forte  que  pour  défigner  un 
homme  de  mauvaiie  foi, on  difoit  par  un  efpéce  de  proverbe, 
qu'il  donnoit  des  paroles  de  Conclave. 

Des  le  matin  du  cinq  Décembre  veille  de  Saint  Nicolas 
patron  de  Sfondrate  cardinal  de  Crémone,  qui  fçavoit  déjà 
ion  éledion ,  Montalte  à  la  tête  des  Cardinaux  de  fon  parti, 
fe  rendit  auprès  du  nouveau  Pape  3  6c  tous  les  Electeurs  s'é- 
tant  alTemblés ,  fe  jettérent  à  fes  pieds  ,  &  le  déclarèrent 
fouverain  Pontife.  Il  étoit  lils  de  François  Sfondrate  Séna- 
teur de  Milan ,  qui  ayant  fait  éclater  en  plufieurs  occaiîons 
fon  érudition  ôc  fa  prudence  ,  avoit  été  employé  par  Charle 
V".  dans  des  négociations  importantes.  Après  la  mort  de  fa 
femme,  qui  étoit  de  la  maifon  de  Vifconti  ,  Paul  III.  qui 
fçavoit  diflinguer  èc  récompenfer  le  mérite  ,  lui  avoit  don- 
né le  chapeau  de  Cardinal, &  Jules  III.  l'avoit  fait  enfuite 
cvêque  d-e  Crémone.  Son  fils  Nicolas  fut  d'un  tempéramenc 
plus  délicat  &  plus  foible  que  le  fien.  Il  étudia  d'abord  le 
droit  Civil  à  Padouë ,  &  s'attacha  enfuite  à  la  cour  de  Rome. 
Après  la  mort  de  fon  père,  Pie  IV.  qui  aimoit  "tous  les  Mi- 
lanoiSjlui  donna  Pévêché  de  Crémone.  Il  affilia  au  Concile 
de  Trente,  &  fut  du  nombre  des  Evêques  Italiens  qui  foû- 
tînrent  que  la  réfidence  étoit  ordonnée  aux  Evêques  de  droit 
divin.  Les  Courtifans  crurent  que  Sfondrate  qui  paroilToic 
avoir  deffein  de  s'élever  &  de  briguer  les  honneurs,  avoic 
sgi  imprudemment  en  fcûtenant  cette  opinion.  La  fimplicité 
dms  laquelle  il  vécut  toujours ,  êc  l'égalité  de  fa  conduite 
îe  firent  beaucoup  eftimerde  Grégoire  XIII.  qui  dans  ceitQ 
iameufe  promotion  de  1583.  l'honora  du  chapeau  de  Car-  ' 
^dinal. 

Des  qu'il  fut  Pape  ,  tous  les  Cardinaux  repentirent  les 
eflèts  de  fa  libéralité  ,  &  il  leur  fit  donner  à  chacun  mille 
^cns  d'or  pour  les  indemnifer ,  difoit-il ,  des  dépcnfes  qu'ils 
Tffme  XI.  N  n 


1^2  HISTOIRE 

avoientété  obligés  de  faire  pendant  un  Conclave  quiavoit 

H  E  N  K 1  dure  il  long-tcms.  Il  fit  auflî  de  grands  prclens  aux  Mo- 

I V.       naftéres  ,  ôc  prenant  une  conduite  oppoiée  à  celle  de  [on 

I  i^o.     prédécefleur  ,  il  donna  à  Tes  domeftiques  une  livrée  magni* 

iique,  comme  font  les  grands  Seigneurs. 

Dès  le  lendemain  de  fon  élection,  il  fentit  les  atteintes 
d'une  maladie  qui  lui  devint  ordinaire  j  malgré  cette  inconi* 
modité,  il  ne  voulut  point  difFcrer  fon  couronnement  ,  6c 
la  cérémonie  fe  fit  le  huit  du  même  mois  de  Décembre  ^ 
jour  de  la  fête  de  la  Conception.  On  le  vit  fourire  plufieurs 
fois ,  6c  faire  des  geftes  ridicules  au  bruit  des  applaudifle- 
mens  &  des  acclamations  du  peuple  qui  demandoit  des  vivresj 
&  quoique  ce  fût  plutôt  par  un  défaut  naturel ,  &  par  la 
mauvaife  habitude  qu'il  avoit  prife  de  paroitre  fourire  à  tous 
rnomens  en  ouvrant  la  bouche ,  que  par  un  fentiment  de  va- 
nité &  de  fotte  joye ,  cependant  il  efluya  à  ce  fujet  plufieurs 
traits  de  fatyre  ,  ÔC  donna  par-là  occafion  de  le  méprifer. 
Cinq  jours  après  fon  couronnement ,  il  alla  à  Saint  Jean  de 
Latran  pour  achever  la  cérémonie  de  fon  inffcallation.  Il 
paiïà  fous  des  arcs  de  triomphe  qu'on  avoit  élevés  dans  \qs 
îuës ,  &  le  peuple  Ty  fuivit  avec  de  grandes  acclamations» 
Mais  quoiqu'il  tâchât  de  prendre  un  air  de  gravité  qu'on 
affède  dans  ces  occafions,  il  ne  put  cependant  s'empêcher 
de  fourire  fottement  à  fon  ordinaire,  comme  pour  remercier 
la  populace  de  [qs  vœux. 

Il  rendit  d'abord  au  Sénat  &  aux  particuliers  les  charge? 
&  offices  que  le  trop  avare  Sixte  V.  leur  avoit  ôtés.  Il  don- 
na le  chapeau  de  Cardinal  à  Paul  Sfondrate ,  fils  de  feu  Paul 
Sfondrate  fon  frère ,  quoiqu'il  fût  abfent ,  &  ne  voulut  faire 
aucun  règlement  avant  fon  arrivée.  Les  Milanoîs  pour  com- 
plimenter leur  Concitoyen  lui  envoyèrent  une  magnifique 
ambafTade,  dont  ils  chargèrent  le  marquis  de  Cufano  ,  le 
comte  Charle  Borromée ,  Alexandre  Serbellone ,  ôc  Corio-- 
ian  Vifcontî. 

Après  la  mort  de  Sixte  V.  &  pendant  qu'on  proeédoic 
à  l'élection  d'un  nouveau  Pape ,  le  duc  de  Luxembourg  étoie 
forti  de  Rome  pour  aller  en  Tofcane,voir  Albert  de  Gon-, 
dy  duc  de  Retz  qui  l'avoit  invité  d'y  venir.  Sur  la  nouvelle 
de  l'éledion  d'Urbain  ,  il  avoit  réfolu  de  revenir  à  KoxnQ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C.  283 

pour  traiter  des  affaires  de  France  avec  le  nouveau  Pape  ,  - 

ôc  il  s'étoit  déjà  mis  en  chemin  5  mais  ayant  appris  la  mort  Henri 

précipitée  de  ce  Pontife ,  il  jugea  à  propos  de  s'arrêter  jufqu'à       I  V. 

ce  qu'on  lui  eût  donné  un  iuccefleur  ,  avec  lequel  on  put     1590. 

continuer  la  négociation  qui  étoit  déjà  entamée.  Mais  cn^ 

iiuyé  de  voir  que  l'élection  tiroit  en  longueur  j  ôc  ne  jugeant 

pas  qu'il  pût  en  fureté  6c  avec  honneur  faire  un  plus  long 

iéjour  à  Rome ,  ni  en  Italie ,  il  écrivit  le  1 6.  d'Odobre  d'une 

ville  appellée  Aquapendente  ,  aux  Cardinaux  qui  étoienc 

dans  le  Conclave. 

Par  cette  lettre  ,  il  leur  reprefentoit  que  les  Seigneurs  lettre  cîu  dud 
Prançois,  &:  les  premiers  Magiftrats  du  Royaume  nereltoient  J^Luxem- 

>CJ'J  1^     •    ^  1     ^r  •  "'i  I       r-        j      1       bourg  au 

iideles  au  Roi ,  que  pour  le  raire  rentrer  dans  le  lem  de  la  conclave. 
Reh'gion  de  fes  ancêtres  ,  de  qu'on  ne  pouvoit  douter  des 
iieureufes  difpofitions  où  étoit  le  Prince  à  cet  égard.  ■>»  En 
»  effet,  continuoit-il ,  il  nous  a  promis  de  changer  au  plû- 
>î  tôt  de  fentimens ,  &  il  en  a  donné  fa  parole  par  un  écrie 
w  public  qui  a  paru  il  y  a  quatre  ans.  Sixe  V.  qui  le  lut  en 
"  fut  touché ,  ôc  fe  propofa  d'employer  l'autorité  Apoflo- 
»>  hque  pour  aider  le  Roi  dans  l'exécution  de  ce  pieux  delfein. 
Ȕ  Mais  puifque  la  mort  a  furpris  ce  Pape  -,  prenez ,  je  vous 
«  prie,  les  fentimens  qu'il  avoir,  &  ne  nous  refufez  pas  vos 
"  fecours  pour  terminer  une  affaire  importante.  Craignez 
'3  d'aigrir  par  une  févérité  indifcrette  &  hors  de  faiion  , 
>s  un  Roi  qui  occupe  le  premier  trône  de  la  Chrétienté  , 
î5  qui  joint  à  la  valeur  &  au  courage  toutes  les  autres  ver- 
5>  tus  d'un  grand  Prince  ,  &  qui  en  même  tems  docile  à 
î>  votre  voix  ne  refufe  pas  de  fe  faire  inftruire.  Craignez  que 
>»  le  zélé  imprudent  dont  le  funefle  effet  a  troublé  l'Alle- 
ï5  magne  &  rAngleterre,ne  porte  encore  en  France  des  coups 
>5  aufli  fâcheux  à  la  Religion  &c  à  l'Etat.  Craignez  enfin  de 
î>  vous  laiifer  féduire  par  la  voix  artificieufe  des  fachieux^Sc  re- 
îï  cevez  favorablement  les  jufles  plaintes  de  ceux  qui  veu- 
5ï  lent  conferver  en  même  tems  &:  la  Religion  &  l'Etat. 
"  N'écoutez  point  ces  indignes  François  qui  fe  vantent  d'être 
»  les  confervateurs  &c  les  défenfeurs  de  la  capitale  du 
î5  Royaume  ,  car  on  doit  craindre  que  tout  ce  qu'ils  ont  fait 
»>  pour  fe  maintenir  dans  Paris ,  ne  foit  un  jour  funefte  non- 
»  feulement  à  cette  ville ,  mais  encore  à  la  France  entière. 

Nn  ij 


îS4  HISTOIRE 

■I  '       '  »  Soyez  fourds  aux  diTcours  de  cet  ancien  ennemi  du  nom 

Henri  "  Francjois.  Aveuglé  par  l'ambition  la  plus  criminelle  ,  il  fait 

I V.       '5  briller  un  faux   prétexte   de  Religion  pour  envahir  ce 

I  COQ,      '*  Royaume,pour  le  déchirer  après  en  avoir  épuifé  les  forces, 

53  èc  le  coniumer  par  le  feu  de  la  guerre  civile.  Si   fes  per- 

53  nicieux  delleins  réiiffillbient ,  avec  quel  orgueil ,  avec  quelle 

33  arrogance  ,  avec  quelle  barbarie  même  en  agiroit-il  avec 

33  le  Saint  Siège  ?  Le   fouvenir  de   ce  qui   s'ell   pafle  fous 

ï3  Sixte  V.  doit  vous  faire  juger  de  ce  qui  arriveroit ,  fî  ce 

33  Prince  inhumain  n'avoît  plus  rien  à  craindre  de  la  France,. 

33  qui  jufqu'à  préfent  a  tenu  la  balance  égale. 

53  Ecoutez  la  voix  de  toute  la  Noblefle  Fran(^oife.  Corn- 
35  bien  de  fervices  n'a-t-elle  pas  rendus  à  l'Eglife  Romaine  ? 
33  Que  n'a-t-elle  pas  fait  pour  la  défenfe  de  la  Religion  ?  Au 
33  contraire  combien  nos  hiftoires  nous  fourniilent-elles  de 
55  monumens  immortels  de  la  honte  ôc  des  défaites  de  nos 
33  adverfaires?  Rempliilez  nos  vœux  •  recevez  favorablement 
35  nos  prières  ,  de  montrez  que  vous  êtes  les  Sénateurs  de 
33  l'Eglife  univerfelle,6cles  pères  communs  de  tous  les  Chré* 
33  tiens.  Imitez  ce  tendre  père  de  famille  qui  reçut  à  bras 
53  ouverts  un  fils  prodigue,  mais  repentant.  Suivez  l'exemple 
3î  de  ce  bon  Pafteur  qui  quitte  tout  le  troupeau  pour  cher-^ 
w  cher  la  brebis  égarée,  qui  la  rapporte  fur  ("es  épaules ,  èc 
3i  qui  la  remet  dans  le  bercail.  Prenez  la  défenfe  d'un 
33  Royaume  attaqué  de  tous  côtés  ^  fécondez  une  brave  Ne- 
33  bleflè  qui  implore  votre  fecours  ■  parlez  à  un  Roi  qui  vous 
33  écoute  ,  &  qui  efl  tout  difpofé  à  recevoir  vos  inftrudionSi. 
>3  Enfin  confervez-nous  notre  foi ,  notre  Roi, notre  Royaume, 

33  Si  prévenus  &:  féduits  par  un  faux  zèle  pour  la  difci- 
5^  pline ,  vous  lancez  des  excommunications  contre  Ja  No» 
»  blefTe  Françoilé,  craignez  le  mécontentement  de  tant  de 
33  braves  gens  qui  vous  font  attachés  ,  ôc  prenez-garde  de 
«  câufer  un  fchifme  funefte  dans  l'EgHfe  j  car  n'en  doutez 
33  pas  ,  l'Eglife  Gallicane  fe  fépareroit  alors  de  l'Eglife  de 
53  Rome.  Je  vous  expofe  mes  craintes  j  le  refped  que  j'ai' 
33  pour  le  Saint  Siège  me  fait  gémir  des  malheurs  que  je 
33  prévois  j  c'eft  à  vous  de  prévenir  par  une  conduite  pru-- 
?3  dente  une  fatale  divifion. 

>>  Vous  êtes  les  colonnes  de  TEglife  ,  &:pour  ainfi  dire,  les 


E  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.   C  '2S5 

J5  pivots  fur  lefquels  fes  portes  inébranlables  font  appuyées.  *■■■*■■"" «^ 

w  Vous  devez  donc  quitter  tous  les  motifs  humains ,  &  vous  Henri 

>î  abandonner  aux  Inlpirations  du  Saint  Efprit  dans  le  choix       I  V. 

»  de  celui  qui  doit  gouverner  cette  Egliie.  Choillflez  un      i5?«>» 

"  homme  qui  ne  foit  dans  le  cœur  ni  François, ni  Allemand,  ni 

»  Italien^  un  fouveraîn  Pontife  doit  être  impartial,6c  craindre 

>j  de  blelîer  les  droits  de  qui  que  ce  foit  j  il  doit  prendre 

>î  l'équité  naturelle,  ôc  la  loi  de  Dieu  pour  régie  de  Cqs  fen» 

9)  timens ,  de  fes  volontés  &:  de  fes  démarches.  Il  doit  fur- 

»3  tout  ménager  &  foutenir  le  fils  aîné  de  l'Eglife ,  l'ancierî 

«  protedeur  du  Saint  Siège ,  &  le  plus  zélé  défenfeur  des 

>3  Papes  perfécutés.  Place  fur  le  premier  trône  de  PEglife, 

w  ne  doit-il  pas  être  l'image  de  Jefus-Chriffc ,  comme  il  en 

>j  eft  le  Vicaire?  Mais  peut-il  mieux  imiter  le  Sauveur  qu'il 

»  repréfente  ,  &  fe  conformer  autrement  à  la  fagefïè  de  fes 

«  décrets ,  qu^en  procurant  le  falut  de  tous  les  peuples  donc 

53  le  foin  lui  eft  confié  ,  6c  qu'en  recevant  tous   ceux  qui 

»  viennent  à  lui  ? 

Il  finiifoit  en  leur  difant  qu'avant  de  punir  Sodome  Sc 
Gomorrhe ,  Dieu  fembla  entrer  dans  le  détail  de  tous  les 
Grimes  de  ces  villes ,  &  voulut  connoître  par  lui-même  tous 
leurs  forfaits  ;  Il  \qs  conjuroit  de  tenir  une  conduite  aufll 
modérée,  d'infpirer  ces  fentimens  au  Pape  futur,  èc  d'être 
enfin  perfuadés  de  fon  entier  dévoilement. 

Le  duc  de  Luxembourg  ayant  appris  dans  la  fuite  î'élec»     Lettre  <î« 
tion  du  cardinal  Sfondrate,quipritlenom  de  Grégoire  XIV.  ~^^^ 
lui  écrivit  de  Venife  avec  la  même  liberté,  &  il  envoya  en  Pape. 
même  tems  une  copie  de  fa  lettre  aux  Cardinaux,  parce  qu'il 
craignoit  que  la  fadion  Efpagnoie  qui  prévaloir  dans  le  Con- 
clave ,  n'en  eût  empêché  la  lecture.  Rappellant  le  fouvenir 
des  premières  démarches  des  Ligueurs  ,  il  repréfentoit  au 
Pape  qu'ils  avoient  d'abord  publié  un  manifelle,  où  ils  expo= 
ibient  qu'ils  n'avoient  pris  les  armes,  que  pour  faire  diminuer 
les  impôts  dont  le  peuple  étoit  accablé  :  Que  leur  butétoic 
d'émouvoir  la  populace  en  leur  faveur  ,  fous  le  prétexte  du- 
bien  public  ,  &  d'entraîner  dans  leur  révolte  ceux  qui  ai- 
noient  la  nouveauté  :  Qiic  ce  moyen  n'ayant  pas  réulîî ,  ils 
avoient  pris  une  autre  voye  ,  &  que  pour  fafciner  le  peuple^ 
ils  s'écoient  fervis  de  la  Religion ,  dont  les  motifs  font  un 

Nniij 


même  au 
nouv&a» 


i%6  HISTOIRE 

'     elFec  jfî  violent  fur  lesefprics.jjQiioiqu'ilseuflent,  ajoûtoît-il, 

H  E  N  K  I  »  un  Roi  le  plus  religieux  de  tous  les  Rois  qui  ayenc  rigné 

I V.      »  depuis  Saint  Louis ,  ils  le  noircirent  de  calomnies  ,  ôc  ils 

ï  ioo.     "  olerent  l'accufer  de  fe  joindre  aux  hérétiques  pour  atta- 

»  quer  l'ancienne  Religion,  ils  poulTérent  la  témérité  juf- 

»5  qu'à  prendre  les  armes  contre  lui  j  ils   s'emparèrent  de 

«  pluiieurs  villes,  &  de  celles  même  où  il  n'y  avoic  aucun 

jj  hérétique  j  enfin  ils  chaflérenc  leur  Roi  de  la  capitale  de 

îî  fon  Royaume.  Voilà  les  commencemens  des  troubles  qui 

>j  déchirent  la  France, &  de  ces  cruelles  divifions  qui  ont 

>j  produit  des  parricides  &  des  afladîns. 

>5  On  ne  peut  nier ,  continuoit-il  ,que  toutes  ces  tragédies 
j)  ne  foient  les  triftes  effets  de  la  colère  d'un  Dieu  vengeur. 
«  Quoiqu'il  foit  miféricordieux ,  il  n'a  pu  fouffrir  que  fon 
*)  nom  refpeâ:able  5c  facré  fervît  à  des  impies  &  ?.  des  fa- 
>j  criléges  pour  fatisfaire  leur  criminelle  ambition  ^  êc  un 
»  crime  fî  déteftable  eft  fuivi  d'une  jufte  punition.  Cepen- 
J5  dant  il  fe  trouve  un  Roi  qui  entretient  encore  le  feu  de 
83  ces  divifîons ,  qui  protège  ouvertement  les  fadieux  ,  qui 
5î  leur  fournit  de  l'argent  oc  d^s  troupes  ,  &  qui  foûtienc 
»  en  France  autant  de  Tyrans  qu'il  y  a  de  provinces  dans 
î>  ce  Royaume.  Son  but  eft  de  renverfer  un  trône  qui  lui 
î3  fait  ombrage  -,  &  de  parvenir  à  cette  monarchie  univer- 
'  s>  felle  ,  ,donc  le  monftrueux  projet  a  été  enfanté  depuis 
»  long-tems.  Tout  ce  qu'ont  allégué  les  Ligueurs  eft  fans 
i>  fondement.  Ces  horribles  calamités  dont  la  France  eft 
»  accablée  depuis  qu'ils  ont  pris  les  armes ,  les  pertes  qu'a 
5>  faites  ce  Royaume  depuis  leur  révolte  ,  6c  qui  font  plus 
îî  coniidérables  que  toutes  celles  qu'il  avoic  fouffertes  pen- 
J3  dant  les  trente  années  précédentes  ,  prouvent  évidem- 
9)  ment  que  tous  leurs  prétextes  font  faux. 

Il  finilloit ,  en  dilant  que  la  France  avoît  befoîn  du  fe- 
cours  6c  des  foins  du  Souverain  Poncife ,  pour  foulager  des 
maux  qui  néanmoins  n'avoient  pas  befoin  de  remèdes  vio- 
lens  :  Qu*il  auroit  fouhaité  avoir  l'honneur  d'entretenir  Sa 
Sainteté  à  ce  fujet  ^  ôc  que  comme  il  étoit  obligé  de  retour- 
ner en  France  ,  il  avoit  cru  qu'il  étoit  de  fon  devoir  de  le 
fupplier  humblement  de  ne  pas  oublier  \qs  intérêts  de  ce 
Royaume  :  Qu'il  efperoit  que  S.  S.  ne    fe  lailTeroit  pas 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C  287 

farprendrepar  les  ennemis  du  nom  François,qui  s'efForçoienc 

de  la  féduire  j  &  qu'enfin  le  S,  Père  auroic  la  bonté  de  fufl  Henri 

pendre  fbn  jugement ,  jufqu'à  ce  que  les  Princes ,  les  Sei-       I  V. 

gneurs,  de  les  Magiftrats  qui  écoient  attachés  à  leur  Roi ,      j  ^qq^ 

lui  euflènt  donnés  de  plus  grands  éclaircilTemens  ,  comme 

ils  fe  difpofoient  à  le  faire  par  une  AmbalTade  qu'ils  dévoient 

au  plutôt  lui  envoyer.  Mais  le  duc  de  Luxembourg  parloic 

â  des  fourds,  de  ces  lettres  firent  peu  d'impreffion. 

Pendant  l'interrègne  ,  les  Bannis  devenus  plus  infolens  '/frairesd'i. 
qu'auparavant ,  s'étoient  jettes  dans  la  marche  d'Ancone ,  '!!'^" 
dans  la  Campagne  de  Rome  ,  êc  fur  les  frontières  du  Royau-  tre  les  bri- 
me  de  Naples.  Peu  de  tems  avant  la  mort  de  Sixte  V.  ils  S''"'^^' 
avoîent  pour  chefs  Marc  de  Sciarra ,  6c  Battiftella  del  Ara- 
tro  5  ôc  ils  étoient  en  fi  grand  nombre  ,  que  Jean  Zuniga 
comte  de  Miranda  Viceroi  de  Naples ,  fut  obligé  d'envoyer 
contr'eux  une  armée  de  quatre  mille  hommes  ,  fous  la  con- 
duite du  baron  Charle  Spînelli. 

Le  Pape  defon  côté  réprima  pour  quelque  rems  leur  au- 
dace par  de  févérés  châtimens  -,  mais  ils  recommencèrent 
leurs  courfés.  Le  Pape  voyant  fon  autorité  méprifée  par  ces 
brigands,  donna  contre  eux  une  Bulle  le  premier  d'Août, 
par  laquelle  il  mettoit  leurs  têtes  à  prix  j  &  promettoit  â 
ceux  qui  auroient  tué,  ou  fait  prifonnier  quelqu'un  de  ces 
bandits ,  le  droit  de  rappeller  de  l'exil  un  banni.  Il  accorda 
la  même  grâce  aux  bannis  mêmes  qui  tueroient,  ou  livre^ 
roientau  Magiftrat  un  de  leurs  compagnons.  On  donna  or- 
dre à  Ottavio  Cefis  de  fe  placer  avec  cinq  cens  hommes  fur 
le  chemin  de  Rieti ,  afin  que  tandis  que  les  troupes  du  Pape 
environneroient  ces  brigands  d'un  côté  ,  les  Efpagnols  puf- 
fent  les  attaquer  de  l'autre.  Mais  les  foldats  que  comman- 
doit  Spinelli  fe  révoltèrent ,  Se  refufèrent  de  marcher  con- 
tre des  défefpérés  ,  contre  lefquels  ils  ne  gagneroient  que 
des  coups ,  fans  pouvoir  efpérer  aucune  récompenfe. 

Ceiîs  n'attendant  aucun  fecours  des  troupes  Napoliraîj 
nés ,  &c  ne  voulant  pas  néanmoins  refter  dans  une  entière 
înadion ,  affiègea  un  village  nommé  Antona  de  Paolo  Mat^ 
tel ,  où  une  troupe  de  bandits  s'étoit  fortifiée  j  mais  fes  ef- 
forts furent  inutiles  :  car  comme  on  nègligeoit  de  monter 
des  gardes   dans  cette   petite   armée  ,   ils  s'échapérent 


tSS  HISTOIRE 

pendant  la  nuît.  Cela  fe  pafîà  vers  le  tems  de  la  more  de  Sîxte 

Henri  V.  Urbain  VII.  ayant  été  élu ,  Virginio  des  Urfîns  fils  de 

I  V»       Latino  marquis  de  Lamentano  marcha  contr'eux  avec  cenc 

î  5  ooj     chevaux  3  mais  fe  voyant  trop  foible ,  &  dans  la  crainte  d'un 

danger  qui  étoit  évident ,  il  le  retira. 

Sur  ces  entrefaites ,  Alfonfe  Piccolominî ,  qui  étoit  de- 
puis long-tcms  vagabond  dans  toute  l'Europe  ,  de  qui  au 
commencement  de  nos  troubles  s'étoit  attaché  au  duc  de 
Guifè ,  prit  le  dangereux  parti  de  fe  mettre  à  la  tête  des 
Bannis.  Dans  ce  deiîèin  il  voulut  faire  quelques  nouvelles 
levées  à  Monte  Marciano  dans  la  Poiiille  -,  mais  le  Gouver- 
laeur  de  la  Province  s'y  oppofa ,  fuivant  les  ordres  qu'il  avoic 
reçus  de  ne  pas  foufFrir  qu'on  levât  des  troupes  pendant  la 
vacance  du  Siège.  Piccolomini  s'en  plaignit  aufFitot  au  col- 
lège des  Cardinaux.  Mais  comme  les  affaires  du  Conclave 
les  occupoient  aiTez  ,  on  ne  lui  fit  aucune  réponfe.  Il  pafîà 
enfin  dans  l'Abruzze  province  du  royaume  de  Naples ,  où 
Sciarra  s'étoit  retiré  avec  fes  troupes  ,  après  avoir  pillé  la 
Campagne  de  Rome. 

Sciarra  étoit  intime  de  Pierconte  Gabutîo  -,  &c  ce  dernier 
avoir  une  haine  extrême  pour  Piccolominf  qui  l'avoit  ofFenféj 
mais  ils  facrifîérent  leurs  refTentimens  à  leur  intérêt  com- 
mun •  &  le  péril  qui  les  menaçoit  leur  fit  mutuellement  ou- 
blier leurs  inimitiés.  Sciarra  ,  Battiflella ,  Pietrangelo  ,  Tu- 
tio  de  Petralta ,  de  Pierconte  de  Montacuti  joignirent  donc 
leurs  forces  j  &  ayant  Piccolomini  pour  chef  ,  entrèrent 
dans  la  Campagne  de  Rome  avec  une  troupe  de  fept  cens 
hommes  déterminés.  Ils  poufToient  leurs  courfes  jufqu'aux 
portes  de  cette  grande  ville  avec  plus  de  fureur  qu'aupara- 
vant. Leurs  ravages  avoient  jette  le  défordre  &c  la  confufîon 
dans  Rome ,  qui  d'ailleurs  manquoir  de  vivres.  Pour  remé- 
dier à  tous  ces  maux  ,  on  rappella  Paul  Vagelieri ,  qu'Ur- 
bain avoir  envoyé  contre  les  Bannis  ,  &  l'on  donna  la  con- 
duite de  cette  guerre  à  Virginio  des  Urfins ,  qui  y  étoit  ani- 
mé par  un  intérêt  particulier  ,  car  on  lui  avoir  rapporté  que 
Piccolomini  le  menaçoit ,  de  avoir  tenu  de  lui  quelques  dif- 
cours  injurieux.  Jean  François  comte  de  Bagno  accompa, 
o^na  Virginio  dans  cette  expédition  par  l'ordre  du  grand  Duc 
de  Tofcane  ,  qui  l'avoit  envoyé  à  Rome  pour  y  foûtenir  fes 
îiicèrêts  pendant  le  Conclave,  ǧ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  28^ 

Ce  Prince  donna  encore  à  Camille  marquis  del  Monte, 


Lieutenant  général  de  fQs  armées,  un  corps  de  huit  cens  hom-  H  e  n  k  t 
mes  de  pied ,  de  de  deux  cens  chevaux  ,  pour  exterminer  ce  s       IV. 
brigands  qui  mettoient  tout  à  feu  &  à  fàng.  1593. 

Virginio  qui  s'étoit  mis  en  marche  pour  joindre  Ces  trou- 
pes à  celles  del  Monte  contre  l'ennemi  commun  ,•  fe  laifla 
tromper  par  un  faux  avis  que  Piccolomini  luiavoit  fait  don- 
ner, ôcpenfa  tomber  dans  une  embufcade  proche  de  Storta  j 
mais  comme  il  avoit  fait  prendre  les  devants  au  capitaine 
Trajano  Ciaccia  de  Tivoli ,  il  fe  tira  de  ce  mauvais  pas  avec 
peu  de  perte  ;  &  même  le  guide  qui  avoit  voulu  le  tromper 
Kit  tué  dans  la  mêlée. 

Virginio  &  del  Monte  s'étant  réunis  aflîégérent  enfemble 
Sciarra  ,  qui  s'étoit  enfermé  dans  Olgiato.  Piccolomini 
s'étant  avancé  pour  fecourir  la  place  ,  on  combattit  de  parc 
&  d'autre  avec  une  égale  valeur:  Del  Monte  fut  bleflé  à  la 
main  ,  Hercule  de  Pife  Sergent  major  ,  Alexandre  Vanni , 
&  quelques  autres  furent  tués.  Piccolomini  de  fon  côté  fut 
contraint  de  prendre  la  fuite  5  6c  cent  de  Cqs  foldats  furent 
ou  tués,ou  dangereufement  blefTés. 

Del  Monte  le  retira  pour  faire  panfer  fa  bleflure ,  &:  Vir^ 
ginio  continua  le  fiége  j  mais  pendant  qu'il  attendoit  des 
canons  de  de  la  poudre  qu'on  devoir  lui  envoyer  de  Rome, 
les  Bannis  firent  une  fortie  ,  dans  laquelle  il  reçut  lui  même 
deux  blefTures.  Combattants  en  défefpérés  &  pour  leurs 
vies,  ils  fe  firent  jour  au  travers  des  corps-de-garde,  &  fe 
retirèrent  en  lieu  defiireté. 

Cela  fepafia  la  veille  de  l'élec1;ion  de  Grégoire  XIV.  Ce 
Pape  ne  tarda  pas  à  donner  un  Bref  de  citation  contre  Picco- 
lomini 6c  quinze  autres  chefs  des  Bannis.  N'étant  pas  com- 
parus ,  ils  furent  condamnés  par  défaut,  6c  le  Pape  adiugea 
d  Hercule  Sfondrate  fon  neveu  la  feigneurie  de  Monte  Mar- 
ciano  ,  comme  étant  tombée  en  Commife  ,  par  la  contu- 
mace 6c  la  félonie  de  Piccolomini  Seigneur  de  cette  ville. 

Comme  la  fociété  des  brigands  n'eftnifure  ni  conffcante, 
à  la  follicitation  de  Pierconte  Gabutio  ,  Sciarra  6c  les  autres 
Bannis  abandonnèrent  bientôt  leur  malheureux  Chef.  Pic- 
colomini pourfuivi  de  tous  côtés  fortit  de  la  Campagne  de 
Rome,  6cpallapar  Narni 6c Foliglio  villes  d'Ombrie,  pour 

Tome  XL  Oo 


25)0  HISTOIRE 

fe  réfugier  dans  la  Marche  d'Ancone  ,  dans  i'efpérance  d'^y 
Henri  trouver  quelque  petit  bâtiment ,  &  d'échapper  à  Tes  ennemis 
IV.      en  s'embarquant  fur  le  golfe  de  Venife. 

I  5  5?o.  Mais  ayant  lailîë  Jefi  fur  la  gauche  ,  êc  \qs  pafTages  étant 
fermés  ,  il  erra  quelque  tems  dans  le  territoire  de  Céféne, 
Enfin  il  fut  arrêté  par  le  colonel  Bifaccione ,  qui  étoit  au 
fervice  du  Grand  Duc  de  Tofcane ,  &  qui  le  fît  palier  par 
Imola  pour  le  conduire  a  Florence.  L'infortuné  Piccolominî 
.-        y  fut  condamné  à  mort ,  de  foufïrit  au  commencement  de 

I  55)  I.  l'année  fuivante  un  fupplice  qui  déshonora  Ion  illuftre  mai- 
fon  :  il  fut  pendu  comme  un  voleur  ,  de  ion  corps  fut  expofé 
fur  un  gibet ,  pour  fervir  de  fpedacle  &  d'exemple. 

Peu  de  tems  après  ,  Honoré  Gaëtano  duc  de  Sermoneta 
furprit  une  troupe  de  Bannis  qui  s'étoient  retirés  fur  iès 
terres  dans  un  pofte  peu  fortifié  ,  &  en  tua  quelques-uns» 
Dans  le  territoire  de  Rieti ,  Virginio  desUrfins  ne  put  les 
dompter.  Ils  y  étoient  en  grand  nombre  ,  èc  enlevoient  les 
bleds  qu'on  tranfportoit  par  le  Tibre  de  la  Sabine  à  Rome  ^ 
en  forte  qu'on  fut  obligé  de  lever  des  troupes  dans  la  marche 
d'Ancone ,  &  dans  l'Ombrie.  Avec  ce  renfort  Virginio  les 
attaqua  ^  mais  il  penfa  périr  dans  ce  combat ,  qui  dura  un 
jour  entier.  Voyant  enluite  qu'on  avoit  peu  de  reconnoif- 
fance  de  tous  Ces  fervices  5  que  cette  guerre  avoit  pour  lui 
des  dangers  prefque  inévitables-  de  que  d'ailleurs  il  y  avoîc 
peu  de  gloire  à  vaincre  des  brigands  de  des  fcélérats  ,  il 
quitta  le  commandement,  &  fe  retira.  Le  Pape  le  trouva 
mauvais ,  S<  en  conferva  contre  ce  Seigneur  un  fecret  ref- 
fentiment. 

Marc  Sciarra ,  ce  fameux  Capitaine  des  bandits ,  profita 
de  la  retraite  de  Virginio.  Il  ravagea  avec  plus  de  fureur 
les  Etats  du  Pape  ,  fit  prifonniers  tous  ceux  qu'il  rencontra  ,. 
ou  exigea  de  groflés  rançons ,  de  le  cardinal  Giuftiniani  gou- 
verneur de  la  Campagne  de  Rome,  put  à  peine  lui  réfifter,. 
Charle  Spinelli  qu'on  avoit  envoyé  Tannée  dernière  contre 
lui  ,'  s'étoit  retiré  à  Naples ,  fans  pouvoir  finir  une  guerre  fî 
dii^cile  ^  de  l'on  mit  à  fa  place  Gambacorti ,  qui  ne  réiilîît  pas 
mieux  que  lui. 

Dans  le  même  tems ,  Jean  Antoine  des  Urfîns  fe  croyant 
ofFenlé  par  les  habitans  de  Civitella ,  afïïéga  cette  petite 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  291 

place  ,  la  battit  avec  quelques  canons ,  tua  le  Gouverneur ,     -   ^ 
&  fatisfit  pleinement  la  vengeance  ^  mais  craignant  la  co-  H  £  n  k 
1ère  du  Pape  ,  il  fe  joignit  aux  Bannis  pour  faire  des  courfes       1  v. 
dans  la  Campagne  de  Rome  3  &  ces  brigands  en  devinrent 
plus  entreprenans.  ^  ^ 

Cependant  la  famine  rëduifit  Rome  &c  prefque  toute 
ritalie  aux  dernières  extrémités.  Tandis  qu'on  attendoit  la 
iîote  quiapportoit  des  froments  de  Sicile  ,  le  bled  monta  à 
un  prix  exorbitant.  On  fut  obligé  de  fixer  la  nourriture  de 
chaque  perfonne  à  dix-neuf  onces  de  pain  par  jour  3  &  com- 
me la  flore  ne  paroiifoit  point  encore ,  on  n'en  donna  plus 
enfuite  que  dix  onces.  Enfin  au  commencement  de  May  la 
ilote  ramena  l'abondance  ,  &:  les  peuples  cellérent  de  crain- 
dre pour  l'avenir.  Dans  les  Etats  de  la  République  de  Ve- 
nife  ,  le  Sénat  foulagea  par  une  prudente  prévoyance  la  mi- 
fere  des  peuples  j  il  n'y  eut  que  la  Dalmatie  6c  l'Elclavonie 
qui  foufFrirent  beaucoup  à  caufe  du  voifînage  des  Turcs , 
qui  enlevoient  tout  ce  qui  leur  étoit  poffible. 

Les  ambalTàdeurs  des  difFérens  princes  d'Italie  s'étoient 
déjà  mis  en  chemin  pour  aller  complimenter  le  nouveau  "^ 
Pape  3  mais  des  tems  fi  malheureux  n'étoient  pas  propres  à 
ces  fortes  de  cérémonies ,  &c  l'on  jugea  à  propos  de  les  dif- 
férer. Venife  avoir  chargé  de  cette  ambafiade  Jacque  Fof- 
carini ,  Marin  Grimani ,  nobles  Vénitiens  &c  Provediteurs 
de  S.  Marc ,  Zacharie  Contarini  ,  6c  Léonard  Donati.  Al- 
fonfe  duc  de  Ferrare  avoir  envoyé  N.  d'Efte  marquis  de 
Sanmartino  ,  qu'il  avoit  rappelle  depuis  peu  de  Savoye  le 
comte  Cefa  ,  &:  le  comte  Galeazzo  TaiFoni. 

La  queftion  iur  l'ordre  de  la  luccefîion  de  ce  Prince,  fut    ^^.    ,  . 
enfuite  agitée  à  Rome  avec  de  grandes  conteftations. N'ayant  fuccemondc 
point  d'enfans ,  il  vouloit  adopter  Cefar  fils   d'Alfonfe  fon  ferrare. 
parent  ,  de  l'inftituer  héritier  de  fon  Duché.  Ferrare  étoic 
un  fief  mouvant  du  S.  Siège.    Cette  ville  a  longtems  appar- 
tenu à  l'ancienne  &;  illuftre  maifon  d'Efte.  Les  Seigneurs  de 
cette  maifon  ne  furent  d'abord  que  Gouverneurs  ou  Marquis 
de  Ferrare  5  ils  en  acquirent  dans  la  fuite  la  propriété ,  &,  les 
Papes  la  leur  donnèrent  à  titre  de  fief  en  1320.  Cette  Prin- 
cipauté fut  autrefois  comprife  dans  la  donation  faite  au  S. 
Siège  par  la   comtelFe   Mathilde  ,   Princeflé  d'un  grand 

Oo  ij 


ic)i  HISTOIRE 

-  courage ,  qui  fe  voyant  fans  poftérité ,  enrichit  les  Papes  d'un 
Henri  opulente  iucceffion  qu'elle  leur  laiiTa  ,  &;  qui  mourut  à  Man- 
I  V.       touë  en  1 1 1  5 .  âgée  de  plus  de  70.  ans. 
-    j  On  diioit  à  la  cour  de  Rome  qu'Alphonfe  étoit  bâtard  ; 

Qiie  par  conféquent  Ton  fils  que  le  duc  de  Ferrare  vouloic 
adopter  ,  étoit  incapable  de  recueillir  cette  grande  héré- 
dité :  êc  que  ce  Prince  venant  à  mourir  fans  enfans ,  le  fief 
retournoit  par  droit  de  déshérence  au  S.  Siège,  ôc  au  Pape, 
pour  en  dilpofer  en  faveur  de  qui  il  jugeroit  à  propos. 

Le  duc  de  Ferrare  fentit  que  pour  réullir  dans  Ion  delîéin , 
il  avoit  befoin  de  la  faveur  du  Pape,  &  du  facré  Collège.  Il 
crut  pouvoir  gagner  facilement  plufieurs  Cardinaux  ,  &  fe 
flatta  de  fe  rendre  Grégoire  favorable.  Il  avoit  toujours  en- 
tretenu une  étroite  liailon  avec  le  nouveau  Pape  ,  Se  il  avoic 
dans  le  facré  Colle2;e  un  grand  nombre  d'amis.  Ainfi  il  ré- 
folut  d'aller  à  Rome ,  afin  de  finir  cette  affaire  ,  pour  la- 
quelle il  avoit  déjà  fait  plufieurs  tentatives  inutiles.  Il  s'ar- 
rêta en  chemin  à  Pefaro ,  pour  y  voir  Jean  François  de  la 
Rovere  duc  d'Uibin  fon  beau^frére  ,  &  s'entretenir  avec 
lui  d'une  affaire  qui  les  intérelToit  également  tous  les  deux  : 
car  le  duc  d'Urbin  qui  étoit  feudataire  du  S.  Siège  ,  n'avoit 
point  d'enfans  ,  &  le  trouvoit  par  rapport  à  fa  fuccefîion , 
dans  les  mêmes  circonftances  que  le  duc  de  Ferrare.  On  ne 
pouvoir  douter  que  le  jugement  qui  feroit  rendu  fur  l'afFaire 
de  ce  dernier  ,  ne  fût  un  préjugé  en  faveur  du  duc  d'Urbin, 

Le  duc  de  Ferrare  arriva  à  Rome  le  i  o.  d'Août ,  il  y  fut 
reçu  avec  de  grandes  magnificences ,  &  logea  au  Vatican. 
Le  Pape  nomma  treize  Cardinaux  pour  commifTaires  de 
cette  aiïàire  5  &  ordonna  de  difcuter  pardevant  eux  ,  (i  la 
Conftitution  de  Pie  V.  empêchoit  que  le  fouverain  Pontife 
ne  pût  difpofer  d'un  fief,  qui  n'étoit  pas  encore  dévolu  au  S. 
Siège  ,  &  le  transférer  à  qui  il  jugeroit  à  propos ,  fur-tout 
lorlque  l'Eglife  pouvoir  retirer  un  grand  fruit  de  cette  dif- 
poficion  ,  ôc  qu'il  y  avoit  même  une  nécelîité  de  le  faire  ? 

Cette  queflion  ayant  été  agitée ,  non  feulement  les  Com- 
millaires  ,  mais  encore  les  Auditeurs  de  Rotte  qui  furent 
confulrés ,  décidèrent  unanimement  que  tant  que  la  Con- 
ftitution de  Pie  V.  fubfifteroit ,  on  ne  pouvoir  accorder  au 
duc  de  Ferrare  ce  qu'il  demandoit  3  ôc  que  pour  le  iatisfaire. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  293 

il  falîoîcquele  Pape  de  fa  pleine  puifTance  ôc  autorité  ,  dé- 

rogeât  exprefTément  à  cette  loi.  Henri 

Grégoire  déclara  qu'il  ordonneroit  dans  un  confiftoire  ce  I  V. 
qu'on  y  jugeroit  être  le  plus  convenable.  Mais  la  plupart  i  çoi, 
des  Cardinaux  dirent  hautement  qu'ils  ne  confentiroient  ja- 
mais qu'on  anéantît  la  Conftitution  de  Pie  V.  Ainfî  l'on 
chercha  un  milieu  ,  6c  l'on  propofa  que  le  Pape  ,  fans  déro- 
ger à  cette  Conilitution  ,  mais  feulement  par  un  Bref  donné 
de  fon  propre  mouvement ,  accorderoit  l'Inveftiture  du  lief 
en  queftion  ,  à  condition  que  le  duc  de  Ferrare  donneroic 
une  fomme  d'argent  pour  fubvenir  aux  befoins  prefFans  de 
l'Eglife  ,  èc  augmenteroit  la  redevance  annuelle  ,  dont  il 
étoit  déjà  chargé. 

Mais  ce  Prince  ayant  raifon  de  craindre  que  le  fuccefTeur 
de  Grégoire  ne  révoquât  ce  que  ce  Pape  auroit  fait  ,  fit 
d'autres  proportions  j  il  offrit  d'augmenter  la  redevance 
des  deux  tiers ,  dc  de  payer  un  million  d'ecus  d'or  ,  à  con- 
dition que  le  Pape  &  le  facré  Collège  ,  en  abandonnant  Fer- 
rare  ,  prendroient  d'autres  terres ,  comme  par  compenfa- 
tion.  Il  ajouta  encore  que  fi  dans  la  fuite  des  tems  Ferrare 
revenoit  une  féconde  fois  à  l'Eglife  Romaine  ,  les  dépenfes 
êc  améliorations  qu'on  croyoit  monter  à  des  femmes  im- 
nienfes  ,  ne  pourroient  être  répétées  ,  èc  retourneroient  au 
profit  du  S.  Siège. 

Pie  V.déteftant  l'ambition  de  fes  prédécefFeurs  qui  avoienE 
engagé  de  aliéné  ce  qu'ils  appellent  le  Patrimoine  de  faine 
Pierre ,  pour  enrichir  leurs  fils ,  leurs  neveux  ,  leurs  parens  , 
voulut  empêcher  fes  fuccefTèurs  de  faire  ce  qu'il  ne  fe  croyoit 
pas  permis  à  lui-même.  Il  crut  que  l'adminiflTation  du  tem- 
porel faifbit  partie  de  ce  terrible  compte  que  les  Papes  doi- 
vent rendre  à  Dieu  de  leur  conduite  j  6c  fuivant  les  traces 
de  Grégoire  IX.  de  Jean  XXII.  6c  de  Paul  III.  qui  avoienc 
défendu  de  telles  aliénations ,  il  fit  cette  célèbre  Conftitu- 
tionlei^.  de  Mars  1566.  Grégoire  XIII.  6c  Sixte  V.  con- 
firmèrent cette  loi  par  de  nouveaux  Brefs ,  6c  firent  jurer  les 
Cardinaux  de  l'exécuter. 

Le  duc  de  Ferrare  ne  crut  pas  devoir  accepter  \qs  propo- 
rtions du  Pape,  6c  le  facré  Collège  refufa  les  conditions 
propofées  par  ce  Prince  5  ainfi  la  négociation  fe  rompit  j  le 

Oo  iij 


194  HISTOIRE 

—>■■■'■  "I" Dlic  fâché  de  toutes  les  dépen fes  inutiles  qu'il  avoir  faîtes. 

H  E  N  n  I  ie  retira ,  &  remit  à  un  temsplus  favorable  la  conclufion  de. 
I  V.      cette  affaire. 

i  cqi  Le  bruit  de  l'armement  des  Turcs  ,  &:  des  préparatifs 

qu'ils  faifoient  pour  attaquer  l'Europe  s'étant  répandu  de 
tous  côtés,  les  Vénitiens  qui  avoient  à  foûtenir  les  premiers 
efforts  des  infidèles,  &  qui  craignoient  pour  Candie,  le- 
vèrent des  troupes,  &  donnèrent  des  compagnies  de  quatre 
cens  hommes  chacune,  à  Frideric  Fregofe  ,  au  comte  Alexan- 
dre Pompée  de  Vérone,  à  Louis  Tondini ,  à  Mutio  comte 
de  Porto  de  Vicenze  ,  6c  à  Marc-Antoine  Sacromoro  j  car 
le  comte  Malatefta  Martinengo,  &:  Simon  de  la  Rovérene 
voulurent  pas  fervir  dans  cette  guerre.  Ces  troupes  s'embar-, 
quérent  à  Venife  le  feize  d'Avril  ^  mais  une  violente  tempête, 
éc  des  maladies  qui  furvinrent  en  firent  périr  la  plus  grande 
partie. 
Affaires  de       Les  Vénitiens  firent  encore  de  nouvelles  levées ,  dont  ils 

Tenife.  donnèrent  la  conduite  à  Hercule  Montecuculi ,  à  Odavio 

Vimercato,  au  comte  Frideric  de  Pepoli,  à  Paul  Conti,  &  au 
chevalier  Avolio  de  Ferrare.  Ils  prirent  encore  à  leur  férvice 
le  marquis  de  Lamentano  ,  à  qui  ils  donnèrent  de  grands 
appointemens.  On  dit  que  ce  Seigneur  fe  fervit  de  ce  pré- 
texte pour  refufer  le  commandement  des  troupes  deftinées 
contre  les  Bannis ,  de  de  celles  qui  dévoient  palier  en  France, 
où  le  Pape  vouloir  envoyer  une  grande  armée. 

On  étoit  encore  incertain  de  quel  côté  les  Turcs  porte- 
roient  la  guerre  j  Ôc  il  couroit  à  ce  fujet  plufieurs  bruits 
difFérens.  Les  uns  débitoient  malicieulément  qu'Amurath 
ne  prenoit  les  armes,  qu'à  la  foUicitation  du  Roi,  d'Elifa- 
beth  reine  d'Angleterre  , àc  d'Antoine,  à  qui  Philippe  avoic 
enlevé  le  Royaume  de  Portugal.  Les  autres  foûtenoient  que 
le  Turc  vouloir  fe  venger  des  injures  qu'il  avoit  reçues  des 
Cofaquesj  &  tandis  que  l'Afie  étoit  paifible ,  attaquer  l'ifle 
de  Candie  ,  oulaDalmatie. 

Dans  le  même  tems ,  Jérôme  Lippomano  noble  Vénitien  , 
qui  étoit  ambalTadeur  de  Venife  à  la  Porte,  fut  foupçonné 
de  trahifon.  On  envoya  à  fa  place  Laurent  Bernardo,  fans 
que  Lippomano,  ce  vénérable  vieillard  qui  croyoit  avoir 
allez  vécu,  s'embarrafTàt  de  prévenir  le  danger  quimenaçoic 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C.  295 

fes  jours.  Il  foufFric  qu'on  le  mît  fur  une  galère  pour  aller  '  ' 

à  Venife  répondre  à  fès  accufateurs.  Dès  qu'il  tut  â  la  vue  Henri 
de  cette  ville ,  une  fecrète  horreur  lui  glaça  les  fens  fi  fubi-      I  V. 
tement  qu'il  tomba  dans  la  mer  fans  que  perfonne  s'en  apper-     i  cqi 
çut.  Le  vent  qui  iouffloit ,  joint  aux  efforts  de  la  Chiourme, 
emporta  bientôt  la  galère  loin  de  l'endroit  où  il  ètoit  tombé, 
5c  il  fe  noya  avant  qu'on  pût  le  fecourir. 

Voilà  comme  la  plupart  rapportent  cet  événement  j 
mais  il  eft  plus  vrai  de  dire  ,  que  comme  la  NoblefTe  Véni- 
tienne fe  fait  gloire  d'un  attachement  inviolable  à  fa  patrie, 
6c  que  la  moindre  tache  deshonore  une  famille,  fes gardes 
le  jettèrent  dans  la  mer  par  les  ordres  fecrets  du  Sénat,  qui 
voulurent  ménager  les  parens  de  Lippomano ,  &  leur  épar- 
gner la  honte  qui  auroit  rejailli  fur  eux  par  fa  condamnation. 
On  trouva  fon  corps,  &  l'on  permit  de  l'enterrer. 

Les  Vénitiens  eurent  auffi  à  craindre  pour  leurs  Etats  de 
terre  ferme.  En  effet  Philippe  fît  lever  dans  le  Milanez  une 
grande  armée ,  qui  fut  autant  à  charge  à  cette  Province  y 
qu'elle  parut  terrible  aux  PuilTances  voifines.  Leurs  foupçons 
augmentèrent  encore  fur  ce  que  dans  un  tems  fi  tâcheux 
l'Efpagne  revouvelloit  l'ancienne  conteflation  fur  les  limites 
des  frontières  qu'Odavien  Valiero  gouverneur  de  Bergame  , 
6c  le  Sénateur  Pontone  Milanois  avoîent  accommodée  huit 
ans  auparavant.  Outre  cela  le  Sénat  fut  informé  que  les  Ef- 
pagnols  avoicnt  envoyé  fécrétement  des  Ingénieurs  pour 
prendre  le  plan  des  citadelles  de  Bergame  èc  de  Brefcia. 

Ainfî  par  le  confeil  de  Jule  6c  de  Mario  Savorgnagni  no- 
bles Vénitiens  ,  aufïî  zélés  pour  l'intérêt  de  leur  patrie, 
qu'inftruits  de  tout  ce  qui  regarde  la  guerre ,  on  fortifia  à 
la  hâte  ces  deux  places.  Ces  prudens  Républiquains  ,  de 
crainte  de  choquer  Philippe  en  faifant  paroître  quelques 
défiances ,  firent  courir  lehruit  que  ces  nouveaux  ouvrages 
n'avoient  été  entrepris  que  pour  fournir  au  menu  peuple 
quelques  moyens  de  fubfifter  dans  des  tems  où  la  famine  le 
réduifoit  aux  plus  dures  extrémités. 

Dans  le  même  tems  ils  firent  élever  à  Rialto  fur  le  grand 
canal  de  la  ville  un  pont  de  marbre  6c  de  pierre.  Il  étoic 
d'une  ftruclure  admirable  j  6c  l'on  employa  à  le  faire  bdcir 
ï'argent    provenant    d'un  legs  fait  à    la  République  par 


ic)6  •         HISTOIRE 

mw.  m„mm,m.  Barthelemî  Coglione  de  Bergame ,  l'an  des  grands  capitaines 
Henri  de  Ton  fiécle. 

I  V.  Les  Profefleurs  &c  Syndics  de l'Univerfîtë  de  Padouë  (i) , 

I  ^0  1.    ^^^^  ^  rinftigation  du  Senac  de  Venife  ,  comme  on  le  crue 
alors  ,  foit  par  un  motif  plus  particulier  ,  firent  cette  année 
icSenatde  de  grandes  plaintes  contre  les  Jéfùites.  En  effet,  ces  Pères 
ftnd  aul^jc'-  ^y^^^  ouvert  un  Collège   dans    cette  ville ,  èc  s'étant  in- 
fuites d'en-    gérés  mal-à-propos  de  dider  des  traités   fur  toutes  fortes 
fcigncr  pu-    2e  fciences  :  les  jeunes  o-ens  avides  de  nouveautés .  fans  con- 
Padouc.         liderer  que  de  telles  léchons  ne  pouvoient  leur  être   utiles, 
abandonnoient  les  autres  écoles  ,  &  négligeoient  de  faire 
leur  cours  ordinaire.    L'Univerfité   députa    pour    foûtenir 
fes  droits,  François  Piccolomini  Génois,  CélarCremonino 
de  Ceneda  ,  &  Hercule  de  SalFonnia  de  Padouë  Profefleurs 
de  Philofophie.  Pierre  Alzano  de  Bergame  ,  &  Auguftin- 
Dominique  de  Foligno  fe  joignirent  encore  à  eux.  Le  Doge 
leur  donna  audience  dans  le    Collège  (2),  ôc  Cremonino 
porta  la  parole.    On  traduifît  en  Italien  le  difcours  qu'il  fît, 
ôcTonen  donna  des  copies  à  tous  les  Clarillimes(3) ,  quifa- 
vorifoient  d'abord  les  Jéfùites. 

L'afFaire  ayant  été  renvoyée  au  Sénat  (4) ,  on  y  lut  l'ex- 
trait du  difcours  de  Cremonino  ^  &;  fur  la  fin  de  Décembre 
le  Sénat  donna  un  décret  par  lequel  il  fut  enjoint  à  Jean- 
Baptifte  Vitturi  ,  &:  à  Vincent  Gradenico  Podeftats  de 
Padouë,  de  faire  défenfe  aux  Jéfùites,  de  la  part  du 
Sénat ,  de  contrevenir  aux  flatuts  &  privilèges  de  l'Uni- 
verfitè  de  cette  ville  j  leur  permettant  feulement  d'avoir  des 
écoles  particulières  pourl'inftruclion  des  jeunes  gens  de  leur 
Société.  Enfin  on  condamna  &  profcrivit  la  coutume  per- 
nicicufe  de  dicter  publiquement  des  traités,  comme  on  le 
faifoit  déjà  dans  quelques  Collèges  qui  s'étoient  conformés 
aux  mauvais  exemple  des  Jéfùites.  On  crut  que  le  Senac 
avoit  lui-même  fufcité  fous  main  cette  affaire  aux  Jéfùites  , 
pour  avoir  lieu  de  rendre  contr'eux  un  décret  qui  les  humi- 
liâtjcar  il  accorda  à  rUniverfité  beaucoup  plus  qu'elle  n'avoic 

(i)    Padouë  eft  de  l'Etat  de  terre  de  Venife 
ferme  de  Venife.  (4)     C'eft    le  grand    Confeil  ,  qui 

(z)     Ce  Collège  ainfi  appelle' eft  un   élit  la  plupart  des  Magiftrats,  &  fait 
Collège  compofé  de  z6. Seigneurs.       [toutes  les  loix  qu'il    juge   nécelTaires. 

Ci)    On  appelle  ainfî  les   Nobles 

demande  j 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C  297 

demandé  j    lorfqu'elle  ne  demandoic  ,  difoic-on ,  que  de  ' 

la  pluye,  on  lui  a  accordé  un  orage  pour  accabler  ce  nou.  Henri 
vel  Ordre.  1  V. 

Depuis  ce  fameux  décret  le  Collège  des  Jéfuites  a  été  i  591. 
fermé  à  Padouë.  Cependant  la  mailon  des  Cornari,  donc 
écoit  Frideric  Cornari,  depuis  Cardinal,  les  protégeoie  ou. 
vertement  5  &  plufîeurs  Nobles  Vénitiens  leurs  confîoienc 
l'éducation  de  leurs  enfans.  L'affaire  fut  revue  pluficurs  fois  j 
&  foit  du  confentement  exprès ,  fbit  par  la  tolérance  des 
Profefîeurs  de  l'Uni  ver fité,  on  fe  rehicha  infenfîblenient  de 
la  rigueur  du  jugement  ^  mais  dans  cette  fameufe  querelle 
qui  s'éleva  quinze  années  après  entre  le  Pape  &  la  fereniiîî- 
me  République ,  les  Jéfuites  crurent  ne  devoir  plus  demeurer 
dans  un  Etat  interdit  &;  foudroyé  par  le  Vatican  3  ôc  ils 
demandèrent  au  Sénat  la  permiffion  de  fe  retirer  à  Rome. 

Conftantinople  dont  les  mouvemens  faifoieiit  trembler  tou-  Affaires  de 
te  la  Chrétienté,  n'étoit  pas  elle-même  exempte  de  trou-  "^^"*'- 
bles  ôc  de  crainte  j  on  y  apprit  que  les  Perfans  avoient  en. 
fraint  la  paix.  Ferhat  Grand-Vifîr,  qui  avoit  pris  la  place 
de  Sinan  avoit  conclu  un  traité  de  paix ,  ou  plutôt  une 
longue  trêve  avec  Mehemet  Hodabendej  6c  le  petit-fils  du 
Sophi  avoit  été  mis  comme  en  otage  entre  les  mains  d'A- 
murath  3  mais  Hodabende  étant  mort  peu  de  tems  après 
dans  une  extrême  vieilleire,  Emir-Chan  fon  fécond  filsétoic 
monté  fur  le  Trône  j  car  l'aîné  avoit  été  tué  par  la  trahi- 
fon  la  plus  noire  ,  de  l'on  n'avoît  pas  voulu  contîer  les  rênes 
du  Gouvernement  à  fon  fils  qui  étoit  trop  jeune.  Emir-Chan 
jeune  Prince  d'un  naturel  féroce,  de  qui  avoit  autant  de 
témérité  que  peu  d'expérience  ,  fcachant  que  les  Turcs 
avoient  fait  pafler  toutes  leurs  forces  d'Afic  en  Europe  , 
leva  une  armée  6c  fe  mit  en  campagne.  Pour  commencer  la 
guerre  fous  quelque  prétexte ,  il  n'attaqua  pas  direcT:emenc 
les  Turcs  3  mais  il  tourna  fès  armes  contre  Ufbcg.  Ce  der- 
nier poflèdoit  de  grandes  Provinces  fur  les  bords  de  la  mer 
Cafpicnne  3  &  à  la  ioliiciration  des  Turcs  il  avoit  envahi 
dans  11  dernière  guerre  le  Royaume  de  Chorafan  dépendant 
de  celui  de  Perie, 

Ufbeg  attaqué  par  Emir-Chan  demanda  du  fecours  aux 
Cachas  des  places  voilines:  ceux-ci  lui    répondirent   qu'il 
Tome  XI*  Pp 


l^S  HISTOIRE 

I  —  dévoie  s'adreiTer  au  Grand-Seigneur.  Le  Sulran  Amuratîi, 

Henri  qui  fe  prëparoît  à  la  guerre  de  Hongrie,  écrivit  à  Ufbeg, 
IV.  que  la  Porte  en  avoir  afîez  fait,  en  diminuant  les  forces 
1  5  9  I  •  6c  la  puiflance  de  l'ennemi  commun  :  Qu'il  pouvoir  aifémenc 
foûcenir  cette  guerre  par  lui-même  ,  &  qu'il  ne  devoir  atten- 
dre aucun  iecours  des  Turcs  contre  la  Perle  que  l'Empire 
Ottoman  avoit  lubjuguée. 

Ufbeg  réduit  à  ces  fâclieufes  extrémités,  prefTé  par  un 
ennemi  puiflant,  &  abandonné  par  fon  fidèle  allie,  fe  déter- 
mina à  faire  la  paix.  Il  époufa  la  fœur  d'Emir-Chan  ,&  ren- 
dit aux  Perfans  les  Provinces  qu'il  avoit  ufurpées  lur  eux. 
Il  leur  montra  la  lettre  qu'Amurath  lui  avoit  écrite ,  dans 
laquelle  ce  Sultan  difoit  que  les  Perfans  avoient  été  vaincus 
&  îubjugués  par  les  Turcs. 

Emir-Cban  tranfporté  de  colère  trouva  bientôt  un  pré- 
texte pour  déclarer  la  guerre  aux  Turcs.  Il  prétendit 
qu'Imaculy-Chan  ,  qui  avoit  fait  avec  Ferhat  Bâcha  ce 
traité  de  paix  ,  ou  la  trêve  dont  nous  avons  déjà  parlé  , 
s'étoit  lailîé  corrompre  ou  intimider  par  le  MiniftreTurc, 
ôc  avoit  pafTé  (qs  pouvoirs  :  Qi-i'à  la  vérité  Hodabende 
avoit  eu  intention  de  céder  aux  Turcs  Genge,  Cars, Tau- 
ris,  &  Shirvan,  où  ils  pourroient  mettre  desgarnifons  aufîî 
nombreufes  qu'ils  le  jugeroient  à  propos  j  mais  que  (^'avoic 
été  à  condition  que  le  territoire  6c  la  jurîfdiclion  de  ces 
villes ,  6c  fur-tout  les  domaines  de  Tauris,  6c  de  Shirvan 
refteroient  à  la  Perfe  :  Que  par  l'infidélité  ou  la  foibleflè 
d'Imaculy-Chan  cette  claufe  avoit  été  omifè. 

Ce  Miniftre  fit  de  vains  efForts  pour  le  juflifîer  3  il  allé- 
gua que  Ferhat  avoit  employé  les  menaces  &c  la  violence 
pour  extorquer  fon  confentement  j  mais  Emir-Chan  ne  le 
voulut  point  écouter ,  àc  lui  fît  trancher  la  tête.  Le  frère 
d'Imaculy-Chan,  qui  dans  le  defTein  de  venger  fa  more 
avoit  voulu  faire  un  parri,  fur  brûlé  vif,  pour  prévenir  les 
confpirarions  par  la  crainre  d'un  fupplice  fi  cruel  :  quelques 
autres  Seigneurs  furenr  aufîî  punis  de  mort. 

Emir-Chan  avoir  dans  fon  armée  foixante  &C  dix  mille 
chevaux.  Animé  par  ces  premiers  fuccès,  appuyé  des  for- 
ces d'Ufbeg,  il  fit  fommer  Gîafer  Bâcha  de  Tauris  de 
rendre  les  quatre  villes  comprifes  dans  le  traité  fait  avec 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  299 

Ferhatj  &  joignit  à  cette  fommacion  les  plus  iiéres  mena-  " 

ces,  s'il  ne  les  rendoit  au  plutôt.  Giarer  répondit  cju'il  n'a-  Henri 
voit  point   ordre   de  rendre  ces  villes  :  Qu'il   écriroit  au       I  V. 
plutôt  à  la  Porte,  de  qu'il  exécuteroit  ce  que  fon  maître     1591, 
lui  ordonneroit. 

Cette  nouvelle  arriva  à  Conftantînople  fur  la  fin  de 
Mai.  Amurath  en  fut  troublé ,  &:  écrivit  fur  le  champ  à 
Giafer  èc  à  Cigala  Bâcha  de  Bagdat ,  &  leur  ordonna  de 
s'enfermer  dans  leurs  places ,  ôc  d'y  faire  entrer  des  vivresj 
leur  promettant  qu'ils  fcroient  promptement  fccourus.  En 
même  tems  il  fit  équipper  à  la  hâte  dans  les  ports  de  Si- 
Jiabe(i)  6c  de  Trebizonde  fur  la  mer  noire  une  grande 
flote,  deftinée  d'abord  pour  l'Europe,  &  qui  étoit  com- 
pofée  de  trois  cens  galères ,  de  dix-huit  Brigantins ,  &  de 
trois  cens  autres  bâtimcns  de  différente  ftructure.  Elle  de- 
voit  mettre  à  la  voile  fur  les  premiers  ordres  du  Sultan, 
attaquer  Malte,  &:  croilerfur  les  côtes  de  la  Fouille  6c  de 
la  Calabre  dès  que  la  guerre  contre  les  Perfans  féroit  ter- 
minée j  ou  s'il  en  étoit  befoin  ,  tranfporter  des  troupes  en 
Perfé. 

Amurath  chargea  de  ce  foin  Sînan  Grand-Vifir,  qui  prefl 
foit  la  guerre  de  Hongrie^  AfEan  Beglerbey  de  Grèce,  qui 
par  fa  connoifîance  dans  l'Aflrologie  judiciaire ,  fur  laquelle 
les  Turcs  comptent  beaucoup ,  avoit  gagné  les  bonnes  grâ- 
ces d'Amurath  •  6c  Afïàn  Renégat  Vénitien  Bâcha  de  la 
mer,  qui  avoit  été  Aga  des  Janiiîliires,  ^  qui  changeant 
de  Religion  étoit  devenu  le  plus  ardent  ennemi  de  fa  Pa- 
trie ,  comme  le  font  ordinairement  tous  les  Renégats.  Ce- 
pendant cette  année  fut  funefte  à  tous  les  trois.  L'Aflrolo- 
gue  Afiàn  donnoit  de  vaines  terreurs  à  Amurath  j  èc  pour 
difpofer  entièrement  de  fon  efprit,  il  retenoit  le  timide  Sul- 
tan dans  fon  ferail ,  par  la.  crainte  d'être  aflafliné  s'il  en 
fortoit.  Enfin  Amurath  fuivit  de  meilleurs  confeils ,  ôc  trouva 
qu'il  y  avoit  autant  de  honte  que  de  danger  à  croire  cet 
împolleur.  Adan  fut  dépouillé  de  ics  charges ,  ôc  relé- 
gué dans  une  petite  maifon  de  campagne  (  2  }  proche  de 

(0    Les  Turcs  rappellent  Sinopi  ;  I     (z)    Campana  nomme  ce  lieu  Chior- 
d  autres  binope.  '  durquc. 

Ppij 


300  HISTOIRE 

?  Sanloiqiie(i).  Amurath  détrompé  parut  enfuite  en  public  fur 


Henri  fon  balcon  j  y  reçut  les  plaintes  ,  èc  écouta  les  demandes  de 
I  V.       {es  fujets  j  corrigea  plulicurs  abus  qui  s'étoient  glillés  dans 
I  roi.     ^^  Gouvernement  js'appliqua  aux  affaires,  êc  fut  plusattentif 
à  veiller  fur  la  conduite  que  tenoientfes  Miniftres. 

Le  Vénitien  Allan  ,  fécondé  par  les  Juifs  aufquels  on 
afferme  les  impôts  qui  fe  lèvent  dans  l'Empire  Ottoman , 
fe  plaîgnoit  tous  les  jours  à  l'avare  Sultan ,  que  les  couriès  des 
Colàques  diminuoient  les  péages  6c  les  droits  impolés  iur 
les  marchandifes.  Ce  Bâcha  étoit  entièrement  occupé  d 
l'armement  de  la  grande  flote  dont  nous  venons  déparier, 
iorfque  peu  de  tems  après  la  difgrace  de  l'Aftrologue  Allàn ,  il 
mourut  fubitement  au  commencement  de  Juillet  des  reftes 
d'une  maladie  honteufe.  Il  avoit  époufé  la  Reine  de  Fez, 
&  avoit  plufieurs  enfans  de  cette  Princeilè,6c  de  plufieurs 
autres  Elclaves  j  mais  ils  ne  recueillirent  riendelaiucceflion 
de  leur  père  5  ôc  les  richelfes  immenfes  que  ce  Renégat  avoic 
amalTées  par  toutes  fortes  de  moyens, furent  portées  au  tréfor. 

Sinan  naturellement  fier ,  &  que  les  Services  qu'il  avoit 
rendus  rendoient  encore  plus  préfomptueux  ,  fe  plaignit 
trop  ouvertement  du  mauvais  traitement  qu'on  failoitaux 
enfans  d'AlFan.  Qiioique  la  liberté  de  fes  difcours  lui  eût 
été  funefte,  &  que  fon  indifcrétion  lui  eût  dcjx  fait  per- 
dre une  fois  fa  charge ,  un  jour  néanmoins  s'entretenant 
avecFerhat  Bâcha  qui  occupoit  après  lui  la  première  place 
dans  l'Empire ,  il  ne  put  s'empêcher  de  déplorer  la  mal- 
heureufe  condition  de  tant  de  braves  gens ,  qui  après  avoir 
facrifié  leurs  vies  pour  des  Maîtres  injuftes  ëc  peu  recon- 
noifTans,  ne  pouvoient  efpérer  aucune  récompenfe  de  leurs 
fer  vices ,  Ôc  laiflbient  leurs  enfans  réduits  à  la  dernière  né- 
ceiîîtè. 

Ferhat ,  qui  étoit  le  rival  fecret  de  Sinan ,  èc  qui  ne  laif- 
foit  pafler  aucune  occafion  de  diminuer  le  crédit  de  ce 
Grand  Vifir ,  rapporta  ce  difcours  à  Amurath  ,  qui  en  fut 
il  irrité  qu'il  relégua  Sinan  à  Marmara ,  maifon  de  plai-^ 
fance  qui  lui  appartenoit ,  à  quarante  milles  de  Conftanti- 
nople.  Le  dénonciateur  eut  pour  récompenfe  la  première 

(  I  )     C'eft  l'ancienne  Theflaîonique ,  |  ou  Selenic. 
maincencinc  Salonique ,  ou  Salonichi ,. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  C.  501 

dignité  de  l'Empire.  En  même.tems  Cigala  ,  qui  avoit  été  '     i^» 

rappelle  du  Carahemid ,  fut  pourvu  de  la  charge  d'Amiral  H  e  k  R  i 
à  la  place  du  Renégat  Ailàn.  j  y^ 

Pour  foûrenir  les  frais  de  la  guerre  qui  venoit  de  fe  rallu- 
mer  entre  l'Empire  Ottoman  &:la  Perfe,  ou  pour  attaquer  ^' 
l'Europe ,  comme  le  vouloient  tous  les  Bâchas ,  Amuratli 
établie  de  nouveaux  impôts ,  &  exigea  de  grandes  contri- 
butions des  petits  Princes  qui  lui  étoient  foûmis.  D'ailleurs 
comme  le  corps  des  Janiflaires ,  d'abord  fixé  à  douze  mille 
hommes  avoit  été  augmenté  jufqu'à  vingt-deux  mille ,  il 
falloit  faire  de  nouveaux  fonds  pour  les  payer.  Ainll  le  SuL 
tan  déclara  qu'il  vouloir  être  l'unique  héritier  de  tous  les 
Bâchas  êc  de  tous  ceux  qui  laifleroient  une  riche  fucceffionj 
ôc  il  ordonna  que  quoiqu'ils  eullènt  des  enfans ,  tous  leurs 
biens  après  leur  mort  lui  appartiendroient  à  leur  excIuHon. 

Pierre  BogdanVaivode  de  Moldavie  fur  le  rivage  de  la  mer 
noire,fut  taxé  à  cinquante  mille  Sultaninsparan.  LeDefpote 
de  V^alachie  fut  contraint  de  fournir  une  pareille  fomme  5 
èc  l'on  exigea  le  double  du  prince  de  Tranlîîlvanie ,  outre 
un  grand  nombre  de  toiles  pour  faire  des  voiles  de  na- 
vires. 

Ces  mouvemens  excités  au  dedans  de  au  dehors  de  l'Empire,, 
empêchèrent  que  l'armée  navale  ne  fît  voile  cette  année  , 
oc  fufpendirent  la  guerre  commencée  en  Hongrie  ,6c  contre 
la  Pologne.  Cependant  Bogdan  Yaivode  de  Moldavie  ,  qui 
avoit  tâché  d'abord  de  fe  rendre  médiateur  entre  la  Porte 
ëc  la  Pologne,  fut  fî  effrayé  des  préparatifs  des  Turcs ,  que 
defefpérant  de  tout,  ôc  craignant  le  même  fort  que  le 
Vaivode  de  >^alachie ,  qui  pour  fauver  fes  jours  avoit  été 
contraint  d'abandonner  la  Religion  Chrétienne,  il  s'enfuie 
en  Allemagne  avec  ce  qu'il  avoit  de  plus  précieux. 

La  République  de  Venife,  &:  l'ambaiîadeur  d'Angleterre 
firent  tous  leurs  efforts  pour  ménager  un  accommodement , 
ôc  Barthélémy  Brutti  de  Dulcigno  interprète  de  la  Répu- 
blique offrit  cent  fbixante  mafTes  de  peaux  Zibelines ,  pour 
le  dédommagement  des  pertes  occaîîonnées  par  les  rava- 
ges des  Cofaques.  Les  Polonois  ayant  appris  que  toutes  ces 
précieufes  fourures  dévoient  être  fournies  en  un  feul  paye- 
ment 5  ne  voulurent  point  y  confencir ,  ôcla  négociation  fus 

P  p  iij 

•4 


30Z  HISTOIRE 

rompue  pour  quelque  cems  j  mais  fur  la  nouvelle  de  la  guerre 
H  £  N  B.  1   de  pLMle,  les  Turcs  rabattirent  de  leurs  prétentions  ^  &: par 
I  V.       la  médiation  de  Tambailadeur  d'Angleterre  ils  conlentirenc 
1591.      enfin  a  un  accommodement  railonnable. 

L'armée  Ottomane  qui  devoitagir  en  Pologne,entra  fur 
les  frontières  des  pais  de  la  Maifon  d'Autriche.   En  effet , 
le  Bâcha  de  Bolnie  ayant  palFé  la  Save  commença  à  faire 
des  courfes  dans  la  Croatie ,  la  Stirie ,  &;  la  Carniole.  Mais 
lorfqu'il  s'avançoit  vers  Canife,  Nicolas  Palfî,  6c  François 
Nadafty  allèrent  à  fà  rencontre  :  on  combattit  plufieurs  fois 
avec  un  avantage  égal  de  part  &c  d'autre. 
AiTemblcc       L^  p^jx  étant  conclue  entre  la  Porte  èc  la  Pologne ,  les 
Pologne."       Polonois  donnèrent  audience  en  plein  Sénat  aux  ambaiîa- 
deurs  Tartares.   Ces  barbares  en  entrant  fléchirent  le  ge- 
nouil  droit ,  s'appuyants  fur  leur  main  droite  j  ils  firent  la 
même  chofe  en  baifant  le  bout  du  manteau  de  fa  Majefté 
Polonoife  ,  &  fe  mirent  enfuite  à  genoux  pour  expofer  le 
fujet  de  leur  AmbalTade.  Ils  firent  de  grandes  plaintes  des 
courfes  &  des  cruels  ravages  que  les  Cofàques  avoient  faits 
dans  la  Crimée  (  i  )  pendant  le  tems  des  foires ,  tuants  ou 
emmenants  en  captivité  ceux   qui   tomboienc   entre  leurs 
mains  ;  ils  demandèrent  qu'on  les  dédommageât  des  pertes 
qu'ils  avoient  foufFertes  ^  qu'on  leur  payât  la  folde  qui  leur 
étoit  due  pour  les  années  précédentes  ^  6c  qu'on  leur  don- 
nât des  faufconduits  pour  s'en  retourner  chez-eux. 

On  leur  répondit  qu'il  n'étoit  pas  jufle  que  les  Polonois 
payaiTent  les  dommages  faits  par  les  Cofàques ,  tandis  que 
les  Tartares  eux-mêmes  avoient  fi  fouvent  fait  des  courfes 
fur  les  frontières  de  Pologne.  On  refufa  de  leur  payer  les 
arrérages  qu'ils  demandoient  :  on  promit  feulement  tous 
\qs  ans  vingt  mille  ducats  d'Hongrie.  Enfin  on  leur  accorda 
des  faufconduits ,  6c  on  leur  fit  préfent  de  peaux  de  Mou- 
ton ,  qui  chez-eux  font  fort  eftimées  5  après  quoi  ils  furent 
congédiés. 

Les  Polonois  délibérèrent  enfuite  fur  l'état  préfent  de 
leur  République  ,  6c  firent  plufieurs  décrets  fur  les  revenus 
du  Roi,  fur  les  impôts  ,  6c  fur  le  payement  des  troupes.  Ils 
réglèrent  les  préfens  qu'on  devoit  faire  à  Amurath ,  aux 

(i)    L'ancienne  Cherfonnefe  Taurique, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.         303 

Bâchas ,  &c  aux  Tartares  ^  enfin  ils  taxèrent  les  Juifs  à  un     '  "' 

ecu  d'or  de  Pologne  par  tête.  Henri 

A  la  prière  de  la  Noblelïe  Polonoife  ,  Chriftophle  Zbo-  IV. 
row ski  frère  de  Samuel  qui  avoit  foufFert  le  dernier  fup-  1591, 
plice  ,  fut  renvoyé  abfous  du  crime  de  trahifon ,  de  déchar- 
gé de  l'infamie  &  de  la  peine  qu'il  avoit  encourue  5  mais 
à  condition  qu'il  s'abfenteroit  de  Pologne  pendant  vingt  ans, 
&  qu'il  ne  feroit  doréfnavant  aucune  entreprife  contre 
l'Etat. 

On  rappella  les  Bannis  qui  avoient  donné  leurs  fuiFrages 
à  Maximilien  d'Autriche  ,  &  ils  promirent  d'être  dans  la 
fuite  fidèles  au  Roi. 

André  évêque  deWratiflaw  ,  que  l'empereur  Rodolphe 
avoit  envoyé  en  Pologne  avec  un  magnifique  cortège  de 
Gentilshommes  &  de  Seigneurs  ,  demanda  au  nom  de  S.  M. 
Impériale,  ôc  de  l'archiduc  Erneft ,  qu'un  des  articles  de  l'or- 
donnance faite  l'année  précédente  dans  l'afîemblée  des  Etats 
fut  révoqué  &  annulé  comme  injurieux  à  la  maifon  d'Au- 
triche. Cet  article  faifoit  défenfes  à  toutes  perfonnes  de  don- 
ner fon  fuffrage  à  aucun  Prince  de  cette  maifon  ,  à  peine 
contre  les  contrevenans  d'être  déclarés  infâmes  par  le  feul 
fait.  Le  Prélat  promit  que  fi  les  Polonois  fatisfaifoient  en 
cela  S. M.  Imp.  Maximilien  feroit  volontiers  le  ferment  dont 
on  étoit  convenu  5  ôc  que  l'Empereur  èchs  Archiducs  per- 
niettroienr  qu'on  fît  des  levées ,  6c  qu'on  achetât  ûqs  vivres 
fur  les  terres  de  leur  obéïflance ,  en  cas  que  la  Pologne  fiic 
attaquée  par  les  Turcs. 

Quoiqu'on  eût  remis  a  un  autre  tems  de  faire  une  ample 
réponfe  à  l'Ambafiadeurj  cependant  Sigifmond  lui  répliqua 
fur  le  champ  en  préfence  de  tous  les  Seigneurs ,  qu'il  étoit 
informé  par  les  intelligences  qu'il  avoit  à  la  Porte,  &  par 
le  rapport  de  plufieurs  AmbafTadeurs  des  princes  Chrétiens, 
que  le  Turc  toujours  attentif  aux  occafions  dans  lefquelles 
il  lui  eft  avantageux  de  prendre  les  armes ,  ne  trouvoit  point 
de  cîrconftance  plus  heureufe  pour  attaquer  la  Pologne,  que 
lorlque  la  divifion  régnoicdans  ce  Royaume  ,  ou  que  cet 
Etat  n'avoit  pas  de  paix  certaine  avec  l'Allemagne  &  la 
Mofcovie  j  &  que  d'ailleurs  les  richcfTes  du  pays  où  les 
troupes  étrangères  pouvoient  fubfifler  Ion  g- tems  ^excitoient 


304  HISTOIRE 

~  encore   l'avidité  de   ce    puiflant   ennemi. 


Henri       L'alîemblée  des  Etats  étant  finie,  on  traita  cette  affaire 
I  y.       avec  plus  d'attention  ,  èc  l'on  répondit  à  Tévêque  deWra- 
j  tiflav  que  les  Polonoîs  n'avoient  drefTé  cet  article  qui  re- 

gardoit  la  maifon  d'Autriche  ,  que  dans  la  crainte  d'un  plus 
grand  mal  :  Qiie  fi  Philippe  roi  d'Efpagne,  &  l'Archiduc 
Maximilien  vouloient  faire  le  ferment  dont  ou  étoit  conve- 
nu, ôc  obfervoient  les  traités ,  les  Polonois  de  leur  côté  or- 
donneroient  fur  cet  article  ce  qui  leur  paroîtroit  le  plus  jufte 
&c  le  plus  convenable  à  l'état  préfent  ,de  leur  République  : 
Qiî'au  refle ,  Ci  les  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  aban- 
donnoient  la  caufe  de  Maximilien ,  l'effet  de  cet  article  ne 
tomberoit  que  fur  cet  Archiduc  ^  mais  que  s'ils  embrafloienc 
fa  defenfe ,  cette  difpofition  enveloperoit  toute  la  mailbn 
d'Autriche. 

L'Ambaffideur  qui  ne  s'attendoit  pas  à  une  rcponfe  fî 
dure,fut  eniuite  congédié.  Mais  pour  réunir  dans  des  cir- 
conffcances  fi  fâcheuiès  les  deux  Nations  dont  les  efprits 
ëtoient  également  aigris,  il  confeilla  à  l'Empereur  de  finir 
toutes  ces  conteftations  par  quelque  mariage.  L'on  convint 
donc  queSigilmond  épouleroitAnne  fille  de  l'archiducCharle 
qui  étoit  mort  l'année  précédente  ,  ôc  on  fixa  le  jour  des 
noces  au  dix  de  Novembre  >  mais  les  nouveaux  mouvemens 
que  firent  les  Turcs  retardèrent  cette  cérémonie  jufqu'à 
l'année  fuivante. 

L'ambalTadeur  d'Angleterre  fut  reçu  avec  de  grands  hon- 
neurs dans  cette  affemblée  des  Etats  de  Pologne  ^  on  le  re- 
mercia des  foins  qu'il  avoit  pris  pour  ménager  un  accom- 
modement avec  les  Turcs  j  &  à  la  prière  de  ce  Miniflre  , 
on  permit  aux  négocians  Anglois  de  demeurer  encore  quel- 
que tems  à  Elbing  en  Pruffe. 

Dans  la  même  affemblée,  on  donna  audience  aux  dé- 
putés des  Etats  de  Prufîé.  Ils  fe  plaignirent  qu'on  attaquoit 
leurs  privilèges  6<:  leurs  libertés  :  Qu'on  donnoit  des  Gou- 
vernemens  à  des  Etrangers  :  Qii'on  avoit  établi  un  nouveau 
péage  à  Weilîènbourg  fur  le  Nogat  :  Qu'au  préjudice  de  la 
permilfion  accordée  par  les  Rois  Sigifmond  ,  Augufle  &: 
Etienne,  on  empêchoit  le  tranfport  du  fcl  :  Qiie  les  mar- 
chands Pruifiens  qui  négocioient  en  Pologne  écoient  accablés 

d'éxadions 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C.        's^y 

^'éxa^lîons  :  Qu'on    apporcoic  en   Prufle  de  l'argent  des  -'  '"'.■"l!*.'J!ri. 
Pays-bas  èc  de  toutes  lortes  de  Pays ,  &  qu'on  frappoit  en  Henri 
Pologne,^:  dans  les  provinces  de  fa  dëpendance,de  nouvelles       I  V. 
monnoies  beaucoup  plus  légères  que  les  anciennes  3  ce  qui     x  591, 
leur  étoit  plus  préjudiciable ,  que  11  on  les  attaquoît  à  force 
ouverte. 

Pour  éluder  de  fî  juftes  demandes  ,  les  Polonoîs  en  re- 
mirent l'examen  de  jour  à  autre  j  &  arrêtèrent  enfin  qu'on 
traiteroit  de  cette  affaire  ,  dans  le  camp  (i)  qui  fe  tiendroic 
à  Warfovie.  Cependant  elle  fut  accommodée  à  Grodno  ^  de 
l'on  convint  que  les  Pruiîîens  payeroient  encore  pendant 
deux  ans  les  tributs  6c  impofitions  3  &  que  le  péage  établi 
â  WeifTenbourg  feroit  fupprimé  pour  toujours,  fans  néan- 
moins qu'on  pût  dire  que  les  Etats  de  Prufle  l'euflènt  ra- 
cheté. 

Les  écoliers  de  l'Unîverfité  de  Cracovie  ,  animés  com-: 
me  on  le  crut  alors  par  les  Jéfuites ,  excitèrent  dans  cette 
ville  une  fédicion  meurtrière.  Le  jour  même  de  l'Afcenfîon 
une  troupe  de  ces  jeunes  gens  environnèrent  la  maifon  ,  oijt 
les  Proteftans  s'ètoient  aflemblés  pour  entendre  le  fer- 
mon  ,  &  pour  réciter  leurs  prières.  Des  Gardes  accou- 
rurent inutilement  pour  empêcher  la  violence^  on  força  cette 
maifon  ,  &  la  plupart  furent  tués  ou  dangereufement  blefles. 
La  populace  fe  joignit  aux  féditieux  j  ils  mirent  le  feu  à  la 
maiibn ,  &:  la  détruifirent  entièrement. 

Cette  action  irrita  les  Evangéliques,(  c'efl  le  nom  que  por- 
tent en  Pologne  les  Protefbans  )  ils  fe  rappellèrent  le  maC 
facre  de  la  Saint  Barthélémy 3  &  croyants  que  cette  première 
violence  n'étoit  qu'un  coup  d'eflai ,  pour  éprouver  leur  pa- 
tience de  tenter  fî  on  ne  pourroit  pas  aller  plus  loin  ,  ils  s'af- 
femblèrent  en  tumulte  à  Czcrmielsko.  Le  rèiultat  fut  d'en- 
voyer des  députés  au  Roi,  pour  lui  reprefcnter  qu'ils  ne 
s'ètoient  aflembJès  fans  fa  permilFion  ,  que  parce  qu'ils  y 
avoient  été  contraints  par  une  néceffité  indifpenfable  ,  éc 
après  un  attentat  qui  bleflbit  également  la  Majeftè  Royale 
èc  la  fureté  publique  ;  ils  déclarèrent  encore  au  Roi  qu'ils 
avoient  rèfolu  de  s'afTembler  en  plus  grand  nombre  à  Ra- 
dom ,  6c  que  la  noblefle  de  Lithuanie  s'y  rendroit  auffi  ;  il$ 
j^a)  Ou  les  jugemens  fe  rendent  par  la  NoblelTe  à  cheval. 


loG  HISTOIRE 

le  prièrent  enfin  d'accorder  aux  Evangeliques  un  Heu  dans 
Henri   Cracovie  ,  où  ils  puflent  faire  les  exercices  de  leur  Religion^ 
IV.      &  d'indiquer  au  plutôt  une  affemblee  des  Etats  pour  réta^ 
j  rg  I.     blir  la  paix  au  fujet  de  la  Religion. 

Sigifmond  n'ecoutaqu'avec  peine  le  difcours  à^s  Députés,^ 
&:  leur  fit  une  févére  reprimende  de  ce  qu'ils  avoient  ofé 
s'afTembler  de  leur  autorité  privée ,  quoiqu'il  eût  promis  aux 
députés  des  Palatinats  de  Sandomir  ôc  de  Cracovie,  d'em- 
ployer tous  les  moyens  poffibles  pour  entretenir  la  paix  ,  6S 
de  faire  informer  contre  les  auteurs  de  la  fédition  pour  les 
punir  de  leur  crime  ,  dès  qu'il  en  auroit  des  preuves  fuffi-. 
làntes.  Il  ajouta  cependant  que  comme  il  avoit  promis  à  fon 
facre  de  laififer  à  chacun  la  libre  profeffion  de  là  Religion  ^ 
il  leur  permettoit  de  rétablir  les  maifons  qu'on  avoit  abat-; 
tues ,  &;  de  s'y  alTembler. 

La  Pologne  attentive  à  un  événement  qui  pouvoît  avoir 
des  fuites  fi  dangereufes ,  fut  encore  troublée  par  les  nou- 
velles fâcheufes  qu'on  re^ut  de  Livonie.  Le  roi  de  Suéde 
pour  fe  venger  des  injures  qu'il  avoit  reçues  l'année  der- 
niére^faifoit  la  guerre  aux  Mofcovites  ,  mais  avec  peu  de 
fuccès.  Il  avoit  gagné  les  Tartares  par  de  grands  prefens  , 
&  cette  nation  vénale  étoit  dans  fes  intérêts.  Il  avoit  en- 
core levé  en  Suéde  &.  en  Allemagne  une  grande  armée  y 
dont  Nicolas  Fleming  avoit  le  commandement.  Tandis  que 
ce  Général  affiécreoit  Wibourg ,  les  chevaliers  de  Livonie 
fçachants  quelesMofcovitess'étoient  réunis  pourréfifter  aux 
Tartares ,  firent  au  mois  d'Août  une  irruption  dans  le  ter- 
ritoire de  Pleskow.  Ils  rencontrèrent  les  troupes  Mofcovites 
en  tuèrent  un  petit  nombre  ,  &:  firent  quelques  prifonniers^ 
mais  ils  perdirent  entre  autres  Blaife  Hogrew  brave  hom- 
me ,  dont  le  père  avoit  été  tué  par  les  Mofcovites  au  com- 
mencement de  la  guerre  de  Livonie. 

D'un  autre  côté  les  Tartares  entrèrent  dans  la  Ruffie 
înèridionale,&:  pénétrèrent  jufqu'àMofcou.Ils  foutinrent  le 
combat  pendant  plufieurs  jours  ,  &  quoique  rompus,  ils  fe 
rallièrent  :  mais  il  fallut  fuccomber  j  éc  deux  de  leurs  Chefs 
ayant  été  fait  prifonniers ,  le  refte  de  l'armée  fe  diffipa. 

La  pefte  furvint ,  foit  qu'elle  fût  une  fuite  funefte  de  la 
guerre ,  foit  qu'elle  fût  caulée  par  l'intempérie  de  Tair,  La 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C.  307 

contagion  emporta  cinq  mille  hommes  dans  la  feule  ville  '  '    " 

de  Revel ,  èc  fie  des  ravages  afFreux  pendant  tout  l'hyver ,  Henri 
^  la  plus  grande  partie  de  l'Eté.  I  V. 

Les  villes  Anfcatiques  aiîbciées  pour  le  commerce  mari-  j  ^^j^ 
time  firent  cette  année  une  aflemblée  â  Lubek  ,  où  fe  trou- 
vèrent les  députés  de  Koftock,  de  Dantzick,  de  Bremen, 
ôc  de  Hambourg  :  ils  y  traitèrent  de  leurs  droits  &  privi- 
lèges, âufquels  ils  fe  plaignoient  que  la  reine  d'Angleterre 
derogeoit  tous  les  jours:  ils  lui  écrivirent  donc,  mais  avec 
trop  de  vivacité  6c  de  chaleur.  Elifabeth  méprifa  les  empor- 
temens  de  ces  négocians  grofliers  ^  de  quoiqu'elle  leur  fît 
fentir  qu'elle  fe  moquoit  de  leurs  menaces ,  elle  voulut  bien 
néanmoins  attribuer  les  termes  peu  refpedueux  de  leur  let- 
tre à  l'imprudence  de  leur  Secrétaire.  Ils  envoyèrent  aufli 
des  députés  à  l'Empereur  pour  le  fupplier  de  leur  accor- 
der fa  médiation,  afin  d'obtenir  du  roi  d'Efpagne  la  liberté 
du  commerce. 

Les  Pays- bas  Se  la  France  étoient  encore  dans  une  plus  Affaires  des 
trifte  fituation.  Au  commencement  de  l'année  le  duc  de  ^^y^-bas. 
Parme  étant  de  retour  à  Bruxelles  ,  convoqua  \qs  Etats 
Généraux  au  fi.ijetde  la  guerre  des  Pays-bas,  &  de  celle  de 
France,  ôc  pour  obtenir  les  lommes  d'argent  qui  lui  étoienc 
nécelEaires.  Les  Flamans  offrirent  cinq  mille  florins,  pourvu 
que  la  guerre  ne  fe  fit  pas  dans  leur  pays  -,  &c  comme  au 
grand  préjudice  de  la  province  ,  prefque  toutes  les  terres 
reftoient  en  friche  ,  &  étoient  abandonnées  par  les  proprié- 
taires ,  on  fit  un  édit  par  lequel  il  étoit  permis  à  toutes  per- 
fonnes  de  fe  mettre  en  pofleffion  des  terres  incultes ,  &  de 
les  cultiver  à  leur  profit  ,  fans  obligation  de  payer  aucun 
prix  de  ferme,  jufqu'à  ce  que  les  propriétaires  y  miflènt  des 
Laboureurs  pour  les  cultiver. 

Pendant  qu'on  déiibéroit  à  Bruxelles  ,  Edouard  Norris 
gouverneur  d'Oftende  furprit  pendant  la  nuit  le  village  de 
Blanckenberghe  &c  le  Fort  qu'on  y  avoit  bâti.  Les  foldats 
de  la  garnifon  fe  retirèrent  fur  les  Dunes ,  &  ne  répondirent 
qu'à  coups  de  moufquets  au  Trompette  qui  les  fomma  de 
fe  rendre.  Mais  étant  preflés  de  plus  près  ,  &  manquants  de 
.poudre,  ils  furent  forcés  dans  leurs  polies  3  on  en  tua  plus 
de  cent ,  ôc  il  n'y  eut  qu'un  petit  nombre  qui  fe  fauva.  Le 


3(5S  HISTOIRE 

Fort  fut  rafé  •  on  rompit  les  cclufes  -,  ^  les  vainqueurs  em- 

Henri  portèrent  avec  eux  trois  pièces  de  canon.  Après  que  les  An^ 

I  V.       glois  fe  furent  retirés ,  les  Efpagnols  rebâtirent  ce  fort.  Le 

I  59  I.     capitaine  Litelton  forma  auffi  une  entreprife  fur  TEclufe  ,  èc 

enfuite  fur  Hulft  ,  mais  fans  aucun   fuccès.  Le  jour  de  la 

prife  de  Blanckenberghe  ,  un  parti  des  troupes  des  Etats 

Généraux  tenta  inutilement  de  furprendre  Carpen  proche 

de  Cologne.  Il  fit  quelques  prifonniers  qu'on  fut  obligé  de 

relâcher  à  Tarrivèe  des  troupes  qui  fortirent  de  Nuys  ôcde 

Meurs. 

Le  comte  d'Eberftein  de  François  Veer ,  qui  agilToient  au 
nom  de  Gebbard  Truchfes,  ayant  attaqué  inutilement  Stra- 
Jen  en  Gueldre,  s'emparèrent  du  château  de  Kalleborg  près 
d'Ordingen  dans  le  territoire  de  Cologne.  Les  paylans  y 
accoururent  auffitôt,  comme  pour  éteindre  un  incendie  qu'ils 
avoient  tous  à  craindre.  La  garnifon  refulâ  de  capituler  , 
étant  honteux  à  des  foldats  d'être  vaincus  par  des  payfansj 
mais  elle  fe  rendit  à  l'arrivée  de  quelques  troupes  qui  fe 
joignirent  aux  afliègeans.  Milendonck  rentra  dans  Kalle- 
borg ,  &  l'on  fit  pendre  à  une  des  portes  Jean  Gulich  ,  qui 
avoit  été  chef  de  l'entrcprife  formée  fur  cette  place. 

Dans  le  même  tems ,  Odet  de  la  Noue  de  Teiigny  for- 
tit  enfin  de  la  citadelle  de  Tournay ,  où  il  ètoit  en  prifbn 
depuis  fept  ans.  11  avoit  été  pris  en  allant  de  Lillo  à  An- 
vers. On  l'échangea  pour  quelques  Efpagnols  qui  dans  la 
défaite  de  leur  flore  étoient  tombés  entre  les  mains  des 
Hollandois  ,  êc  qui  étoient  enfermés  dans  le  château  de 
Rammekens  en  Zèlarde.  Teiigny  dut  fa  liberté  à  la  bonté 
delà reipe  d'Angleterre,  6c  aux  prefTantes  foliicitations  d'Ho- 
race Palavicin  qui  vouloit  époufer  la  fœur  de  ce  Seigneur. 

D'un  autre  côté  quelques  traîtres  allèrent  trouver  fecréte- 
ment  le  duc  de  Parme  ,  8c  lui  propoférent  de  furprendre 
Breda  en  Brabant,  Se  Lodiem  en  Gueldre  j  mais  l'entreprife 
ayant  été  découverte ,  les  auteurs  de  ce  complot  furent  pu- 
nis du  dernier  fupplice.  Le  deux  d'Avril  la  garnifon  de  Breda 
s'empara  du  château  de  Tournhout  par  le  hardi  ftratagêms 
d'un  Brafîèur.  Tandis  qu'un  chariot  ètoit  arrêté  fur  leponr- 
levis  ,  de  crainte  qu'on  ne  baifsât  la  herfe  ,  il  précipita  dans 
l'eaii  i'uA  des  fentinelles ,  ac  tua  raut;-e.  Après  cette  aclioa 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C.  305) 

les  foldats  qui  écoienc  embLifquës  dans  les  ruines  d'une  mai- 
fon  voifine  parurent  auflitôt  èc  encrèrent  dans  la  place.  Les  H  e  n  r.  i 
mêmes  foldats  furprirent  encore  >^efl:erloo  pendant  l'ab-       I  V. 
fence  du  jeune  Merode  qui  étoic  allé  à   la  chafle.  Cette     155^1. 
place  obfervoic  la  neutralité  5  mais  elle  étoit  dans  une  fi- 
tuation  trop  avancageufe  pour  exiger  des  contributions  ^  & 
les  Etats  avoient  intérêt  qu'elle  ne  tombâtpasenlapuiilance 
des  ennemis. 

Jufqu'ici  tout  s'étoic  palTé  en  embufcades  ,  en  furprifes , 
&en  efcarmouches.  Enfin  Maurice  i  la  tête  d'une  floriiTante 
armée  marcha  du  côté  de  Breda ,  comme  s'il  eût  voulu  at- 
taquer Bofleduc  ou  Gertruydenberg,  Il  fe  mit  enfuite  fur 
la  Meufe  avec  une  flote  de  cent  vaillcaux  de  différente  gran- 
deur -j  de  tirant  vers  le  Rhin,  il  remonta  le  flcîuve  pour  al- 
ler à  Arnheim  :  baiiTant  fur  la  gauche,  il  entra  dansi'Yïïel, 
&  fe  fervant  d'un  vent  de  Nord  qu'il  avoic  en  poupe,  il  ar- 
riva à  l'improvifte  à  la  vûë  de  Zutfen.  Quinze  foldats  de 
la  garnifon  de  Doëfbourg  ,  fous  la  conduite  du  chevalier 
Veer  fe  déguiférenc  en  payfans,  &  marchèrent  vers  un  fort 
litué  vers  les  bords  de  l'YiTel  vis-à-vis  Zutfen.  Appuyés  fur 
leurs  bâtons  ils  étoient  chargés  d'œufs,  de  beurre  de  de  froma- 
ges, comme  pour  porter  ces  denrées  au  marché.  Dès  que  la 
porte  fut  ouverte  ils  entrèrent  dans  la  place  ,  at-raquèrenc 
le  corps-de-garde, firent  prilonniers  le  peu  de  foldats  qui  fe 
trouvèrent  dans  ce  pofle  ,  &  s'emparèrent  de  la  place  fans 
verfer  de  fàng.  Ceci  fe  pafïa  leving-un  de  Juin. 

Six  jours  après ,  le  comte  Maurice  ayant  appris  ce  premier      ^j^,^^  ^^ 
fuccès  s'avança  vers  Zutfen  avec  toute  ion  armée.  11  ût  ve-  prifedcZut- 
nir  du  canon  de  Doëfbourp;  ;  &:  ayant  ietté  un  pont  de  ba-  ^'^"  ^^'^  J^ 
taux  lur  le  rieuve ,  on  commença  le   iiege.  Le  comte  d  h-  nce. 
berftein  en  vifîtant  un  pofbe  avec  peu  de  précaution  ,  fut  tué 
d'un  coup  de  moufquet  ^  la  garnifon  de  la  place  ayant  fait 
en  même  tems  une  fortie  ,  ce  ne  fut  qu'avec  peine  qu'on 
enleva  fon  corps.  La  tranchée  fut  bientôt  ouverte  ^  on  drelîa 
des  batteries  avec  la  même  diligence ,  &:  les  afîiègès  trop 
foibles  pour  fe  défendre  ne  pouvants  efpérer  que  des  fe- 
fecours  éloignés ,  &  manquants  d'ailleurs  de  vivres  6c  de 
poudre,  battirent  de  bonne  heure  la  chamade.  Ils  obtinrent 
la  vie  fauve  3  6c  on  leur  permit  de  forcir  avec  leurs  èpèes  ^ 


yçntei'. 


310  HISTOIRE 

èc  tout  ce  qu'ils  pourroienc  emporter  fur  leurs  épaules; 

Maurice  maître  de  Zutfen  envoya  devant  lui  fon  armée 
à  Deventer ,  qui  n'en  eft  éloigné  que  de  deux  lieues.  Il  fe 
1  501.  rendit  enfuite  au  camp  qui  étoit  fur  les  deux  bords  du  fleuve, 
sic<re  &  ^  dont  les  quartiers  étoient  joints  par  deux  ponts  de  com- 
prifeiieDc-  municâtion ,  fur  lefquels  on  pouvoit  palier  en  fureté.  Le  ^, 
^Q  j^.^^  ^  .^^^  ^^  ^^  Pentecôte ,  dix-huit  pièces  de  gros  canon 
commencèrent  à  foudroyer  deux  pans  de  murailles  entre 
lefquels  étoit  une  porte  de  la  ville.  Peu  de  tems  après  on 
envoya  un  Trompette  pour  fommer  les  affiégés  de  fe  rendre. 
Herman  comte  de  Bergh  Gouverneur  de  la  place  répondit 
au  Trompette  ,  qu'il  le  chargeoit  de  fàluer  de  là  part  Maurice 
Ion  parent ,  de  de  lui  dire  que  tant  qu'il  lui  refteroit  quelque 
force ,  il  conlèrveroit  le  pode  que  fon  Roi  lui  avoir  confié. 
Ainli  le  feu  des  batteries  recommença  de  nouveau  avec  tant 
de  violence  ,  qu'on  tira  plus  de  quatre  mille  coups  de  canon 
en  un  feul  jour.  A  la  faveur  de  ces  terribles  décharges  ,  on 
fit  avancer  quelques  vaifleaux  jufqu'à  l'entrée  du  porc,  ôC 
i'on  drelTa  deilus  un  pont  pour  monter  à  l'aflaut. 

Les  Anglois  furent  chargés  de  la  première  attaque  ,  com- 
me ils  l'avoient  demandé.  Les  Ecofîois  eurent  lelecondpo- 
fte  3  le  comte  de  Solms ,  Floris  de  Brederode  de  Cloetinghe , 
5c  un  corps  de  troupes  d'élite  dévoient  les  foûtenir  j  mais 
le  pont  fe  trouvant  trop  court ,  6c  ne  pouvant  atteindre  a 
l'autre  quay  ,  l'entrepriië  fut  fans  luccès.  Il  y  eut  feulement 
quelques  Anglois ,  qui  emportés  par  l'ardeur  de  leur  cou- 
rage fe  jettérent  dans  l'eau  ,  &  gagnèrent  la  brèche  à  la 
nage  :  ils  montèrent  delfus ,  êc  l'un  d'eux  y  arbora  un  dra- 
peau qu'il  tenoit  à  la  main. 

Les  affiégés  parurent  difpofés  à  foûtenir  le  plus  violent  af- 
faut ,  quoique  le  feu  des  batteries  les  incommodât  extrê- 
mement.  Le  comte  de  Bergh  recrut  une  bleflîire  dangereulë 
d'un  éclat  de  pierre.  Du  côté  de  Maurice,  Nicolas  Mect- 
kercke  Officier  plein  de  valeur,  fut  blelTé  à  mort.  Cepen- 
dant les  foldats  de  la  garnifon  ayant  palTè  le  relie  du  jour 
&;  toute  la  nuit  à  panier  les  blelfés  ,  &;  à  boucher  les  brè- 
ches ,  fe  trouvèrent  le  matin  fi  fatigués  ,  que  craignant 
d'être  forcés  s'ils  actendoient  plus  longtems ,  ils  battirent 
la  cham.ade  du    confentemenc  de  leur  Gouverneur,    Us 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  C.  311 

fortîrent  de  la  place  avec  armes  &  bagages.  L'armée  march?^  ..    ' 
enfuite  du  côté  de  Scenwick  ,  &;  le  2.  de  Juillet  emporta  Henr  s 
fans  combattre  le  fore  de  Delfziei  dans  le  territoire  de  Gro-       IV. 
niiîgue.  i^^r, 

La  garnifon  du  fort  d'^Opiîach  voulut  d'abord  réfîfter, 
&  fouffrit  le  feu  de  l'artillerie.  Mais  à  la  vue  de  la  brèche 
ces  foldats  manquèrent  de  cœur ,  èc  trop  heureux  de  con- 
ferver  leurs  vies  ils  fortirent  du  fort  fans  armes  ni  bagages* 
Les  Forts  d'Immentilôc  de  Dam  aux  environs  de  Groningue 
eurent  peu  après  le  même  fort. 

Cependant  le  duc  de  Parme  s'ètoit  mis  en  marche  pour 
aller  au  fecours  de  Deventer.  Il  prit  fa  route  par  le  duché 
de  Cleves  ,  ôc  pafTa  le  Rhin  au-deflbus  de  >^efeh  Mais 
ayant  appris  que  la  place  avoit  capitulé  ,  il  retourna  en  Bra- 
bant.  Les  habitans  de  Nimégue  fe  plaignoient  des  courfes 
&  des  ravages  que  faiioit  dans  leur  territoire  la  garnifon  du 
fort  de  Knodfenbourg ,  que  les  Etats  Généraux  avoient  fait 
bâtir  dans  le  pais  de  Betuve  ,  vis-à-vis  de  Nimegue  ,  de 
l'autre  côté  du  fleuve,  Ainli  le  duc  de  Parme  marcha  de  ce 
côté  -  là  avec  (es  troupes ,  ôc  y  trouva  fon  fils  Ranucci  qui 
venoit  d'Italie. 

On  forma  le  fîège  de  Knotfenbourg  le  13.  de  Juillet,  Se  sieVede 
l'on  afîigna  aux  différents  Chefs  leurs  quartiers.  Charle  de  Knocfen- 
Mansfeld  ètoit  avec  fon  régiment  vers  le  Couchant ,  &  Far- 
néfe  de  Barlaymontà  l'Orient,  Le  comte  de  Boflli,  Beau^ 
rain ,  &  les  autres  Colonels  étoient  placés  aux  environs.  La 
cavalerie  occupoit  le  village  de  Lent  au  Septentrion.  Va_ 
lentin  de  Pardieu  de  la  Mothe  ,  Grand-Maître  de  l'artille- 
rie ,  pouffa  la  tranchée  avec  beaucoup  de  diligence.  Les 
Efpagnols  perdirent  un  grand  nombre  de  braves  gens ,  en- 
tr 'autres,  Frideric  Caraffe  Napolitain  ,  Achille  Trilîino  de 
Vicenfe  ,  oC  Octavio  Mansfeld  officier  d'un  o-rand  courage  ^ 
qui  re^ut  un  coup  mortel  fans  qu'on  pût  fçavoir  d'où  il  étoîc 
parti.  Le  22.  de  Juillet  on  dreffa  deux  batteries,  l'une  de 
îîx  pièces  de  canon  ,  &:  l'autre  de  trois.  Quoique  la  brèche 
ne  fût  pas  conlldérable  ,  les  Irlandois  èc  quelques  Efpagnols 
montèrent  à  l'affaut  ^  mais  ils  furent  repoufTés. 

Sur  la  nouvelle  de  ce  fiégc ,  Maurice  fit  paffer  le  Rhin  à 
fes  troupes  fur  un  pont  conftruit  à  la  hâte.   Ayant  envoyé 


bour 


5  r  î  HISTOIRE 

■  devant  le  comte  de  Solms ,  &  le  chevalier  Veer  colonel  des 
H  E  N  M  Anglois  ,  il  drelTa  une  embufcade  dans  un  lieu  qu'il  crue 
■''  ^'      avantageux.  Quatre  cens  chevaux  des  ennemis  y  tombèrent 
î  55?!.     6c  furent  prefque  tous  taillés  en  pièces  à  la  vûë  du  duc  de 
Parme ,  qui  regardoit  Tadion  du  haut  d'une  Dune.    Pierre 
François  Nicelli  qui  les  commandoit  ,    Alfonfe  d'Avalos 
frère  bâtard  du  marquis  du  Guaft,  Antoine  de  Sinigaglia, 
le  comte  Decio  Manfredi  Lieutenant  de  Jérôme  CarafFe  , 
Jacque  Amatucci ,  de  Antoine  Padilla,  qui  peu  de  tcms  après 
mourut  à  Arnheim  de  les  bleiïures  ,  furent  faits  prifonniers. 
'         Le  duc  de  Parme  cherchoit  à  venger  cet  affront ,  lorfque 
Charie  de  Coflë  comte  de  BrilTac  arriva  pour  le  prier  de  la 
part  du  duc  de  Mayenne  ,  de  venir  au  plutôt  fecourir  les  Li- 
gueurs. Dans  le  même  tems  Philippe  lui  ordonna  de  quitter 
tout  pour  entrer  en  France  avec  fon  armée,  &  pour  y  foû- 
tenir  la  Ligue  que  les  armes  du  R,oi  avoient  prefque  ac- 
cablée. 

Le  Duc  fut  donc  obligé  de  lever  le  fiége  j  il  fortifia  Ni- 
mégue  autant  que  les  circonftances  préientes  le  permet- 
toient ,  êc  en  donna  le  gouvernement  à  G  limes.  Il  char- 
gea François  Verdugo  de  fuivre  toujours  le  prince  d'O- 
range ,  ôc  de  le  tenir  en  échec  par  de  fréquentes  efcarmou* 
ches  ,  pour  l'empêcher  de  rien  entreprendre.  Pour  lui ,  com^ 
me  il  le  trouvoit  déjà  fort  indilpofé  ,  il  alla  par  l'avis  des 
Médecins  prendre  les  eaux  de  Spa. 

Maurice  fçut  profiter  de  cette  occafion.  Il  fît  d'abord  une 
faulîe  marche  du  côté  du  Rhin  3  mais  tournant  tout-à-coup 
fur  la  droite  ,  il  entra  dans  le  pais  de  Waës  en  Flandre  , 
èc  mit  le  fiége  devant  Hulfl  à  quatre  lieues  de  Rupelmonde. 
Cette  place  eft  la  première  des  quatre  villes  appellées  ordi- 
nairement les  Offices ,  &  le  Gouverneur  en  étoit  alors  abfent, 
A  l'approche  du  canon  la  garnifon  compofée  de  deux  cens 
cinquante  hommes  fe  voyant  trop  foible  pour  ofer  réfifler, 
capitula  le  20.  de  Septembre  ,  à  condition  entr'autres  ar- 
ticles ,  que  pendant  l'efpace  de  deux  ans ,  on  ne  changeroic 
rien  dans  le  culte  extérieur  de  l'ancienne  Religion  5  èc  que 
George  Evrard  comte  de  S  olms  nouveau  Gouverneur  de  la 
place  n'y  pourroit  avoir  plus  de  cinq  compagnies.  Le  prince 
d'Orange  remonta  enfuite  k  N^ahal ,  6c  entra  en  Gueldre. 

D'un 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  313 

D'un  côté,  Chriflophle  de  Mondragon  forcic  d'Anvers 
avec  cinq  mille  hommes  de  pied  ,  àc  entra  dans  le  païs  de  H  £  n  a  i 
Waës  en  Flandre  ,  où  il  reprit  les  Forts  dont  Maurice  s'etoit      1  V. 
emparés  aux  environs  de  Huift ,  &  ceux  qu'il  y  avoic  fait     i  cai, 
bâtir.  Maurice  fît  auffi  en  chemin  une  cntrcprile  fur  Grave,    ., 
&  ayant  fait  paflérfes  troupes  fur  un  pont  de  bateaux  ,  allié-  de  "Nimé'cr" e! 
gea  Nimégue  le  14.  d'Odobre.    On  employa  huit  jours  à 
travailler  aux  tranchées ,  6c  à  difpofer  quarante- deux  pièces 
de  canon.    Ceoendant  Chriftiern  Huy2;hens  fécrétaire  des 
Etats  Généraux  ,  qui  avoit  été  prilonnier  dans  la  place  ,  tâ- 
cha de  noiier  une  conférence  avec  les  habitans ,  6c  alla  fou- 
vent  du  camp  dans  la  ville.    Verdugo  ne  paroiilant  point 
dans  le  tems  marqué  pour  la  fecourir  ,  la  (^arnifon  &  la  bour- 
geoifie  fe  diviférent.    Les  foldats  paroilîoient  dilpofés  à  fe 
défendre ,  &:  les  habitans  au  contraire  vouloient  capituler. 

Ceux  qui  étoient  dans  les  intérêts  du  prince  d'Orange, 
lui  facilitèrent  le  moyen  de  faire  entrer  dans  la  place  deux 
compagnies  de  deux  cens  hommes  chacune.  A  l'aide  de  ces  • 
troupes  ,  ils  forcèrent  le  parti  contraire  à  capituler  le  zi. 
d'Odobre.  Il  y  avoit  dans  Nimcgue  trois  compagnies  corn- 
mandées  par  Glimes  Gouverneur  de  la  place,  Nicolas  de 
Snater  ,  èc  Jean  de  XSiT^eerdt.  Ils  fortirent  avec  leurs  armes , 
&  enfeignes  déployées,  &:  fe  retirèrent  à  Grave. 

Verdugo  parut  quelque  tems  après  avec  le  fecours  ;  mais 
Nimegue  avoit  capitulé  j  &;  comme  cette  ville  ne  s'étoic 
rendue  qu'à  caufe  du  petit  nombre  de  fes  défcnfeurs ,  il 
pourvut  à  la  fureté  de  Grave  ,  en  y  mettant  une  forte  gar- 
pifon.  Philippe  de  NafTau  fut  pourvu  du  gouvernement  de 
jNimégue  ,  &;  on  lui  donna  une  nombreufe  garnifon  pour  la 
défendre.  Ce  nouveau  Gouverneur  fit  enterrer  honorable- 
ment dans  le  tombeau  des  ducs  de  Gueldre  le  corps  de 
Schenck ,  que  Marc  de  Rie  marquis  de  Varambon  avoic 
fait  détacher  du  gibet  &;  enfermer  dans  un  cercueil ,  après 
que  la  fureur  des  habitans  fe  fiit  ralentie  ,  6c  qui  jufqu'alors 
^toit  reflé  dans  une  tour. 

Tant  de  fuccès  affermirent  la  puilTance  des  Etats  Géné- 
raux ,  6c  donnèrent  une  nouvelle  force  aux  réglemens  qu'ils 
avoient  faits  l'année  dernière  pour  le  gouvernement  poli- 
dque.    Zutfen  ,    Deventer,  6c   Nimégue  ,  villes  dont   la 
Tome   XL  Rr 


314  HISTOIRE 

firuation  eft  la  plus  avantageufe  ,  &   qui  dominent  fur  le 

Henri  XY^ahal  de  l'illel  ,  deux  bras  du  Rhin  ,  venoient  de  luccom- 

I  V.       ber  prefque  en  même  tems  fous  les  efforts  du  prince  d'O- 

j  f  o  I,     range  j  en  forte  que  la  Hollande  ,  où  l'on  peut  dire  que  les 

Provinces -Unies  ont  mis  le  ficge  de  leur  empire  ,  devenoic 

impénétrable  aux  Efpagnols. 

Peu  de  tems  auparavant  dans  le  mois  de  Septembre  ,  Pa- 
lentin  comte  d'Ylfembourg  ,  Simon  comte  de  Lippe,  Jean 
de  Perneftein  ,  &  le  baron  de  Rheyde  furent  charges  pour 
l'Empereur  ,  à  la  prière  du  roi  d'Efpagne,  de  ménager  un 
traite  avec  les  Etats  Généraux.  Ces  Ambalîadeurs  palFérenc 
par  Cologne  ,  &  arrivèrent  à  Bruxelles  dans  le  tems  que 
le  duc  de  Parme ,  dont  l'armée  étoit  déjà  à  Mons  ,  alloic 
pafler  en  France.  Ce  Prince  ayant  appris  que  les  Miniftres 
de  l'Empereur  dévoient  venir  à  Bruxelles ,  prit  la  pofte  pour 
fe  rendre  dans  cette  ville  avant  leur  arrivée  y  il  vouloit  leur 
rendre  les  honneurs  qui  leur  étoient  dûs ,  6c  conférer  avec 
•  eux  de  l'état  préfent  des  Païs-bas. 

Ils  pafTérent  enfuite  en  Hollande  ,  &  eurent  de  longues 
conférences  à  la  Haye  avec  les  députés  des  Provinces  -  Unies. 
Mais  les  Elollandois  étoient  trop  aigris,  ou  trop  tiers  de  leurs 
dernières  conquêtes  5  &  cette  négociation  fut  inutile.    Ce- 
pendant pour  faire  croire  qu'elle  n'étoit  pas  entièrement 
rompue  ,  le  baron  de  Rheyde  reffca  dans  les  Païs-bas  juf- 
qu'au  commencement  de  l'année  fuivante,  quoique  fes  col- 
lègues fe  fulTent  retirés. 
ta  flore         Cette  année  Elifabeth  reine  d'Angleterre  fît  équîpper  une 
a'Efpr,p;ne      armée  navale  ,    dont  elle    donna  le   commandement   au 
de^vaiffelux  ^omte  de  Cumberland  pour  aller    attaquer  la  flote  Efpa- 
Aivglois.        gnole   qui  revenoit  des  Indes  5  mais  l'entreprife  fut ,  dit-on  ^ 
découverte  par  les  Jèfuites  qui  étoient  cachés  dans  cette 
Ifle,  ou  par  leurs  EmiiTaires  j  &  ils  en  inftruifîrent  la  Cour 
d'Efpagne.    On  dépécha  fur  le  champ  un  Brigantin  pour 
avertir    les  Commandans  de  la  flote  de  fe  tenir  en  garde 
contre  l'armée  navale  d'Angleterre.  L'avis  donné  par  les 
Jèfuites  n'étoit   pas  fans  fondement.  En  efFet,  le   duc  de 
Cumberland  attaqua  la  flote  des  Indes  dans   des   détroits 
de  la  mer  Atlantique  j  mais  comme  les  Efpagnols  s'étoient 
préparés  au  combat ,  ôc  s'étoient  poftés  avantageufement , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  315 

îl  fut  repouiïë  avec  perce ,  &:  contraint  de  prendre  la  fuite.  î=???f^??"!?? 

L'amiral  Thomas  Howard  qui  couroit  ces  mers  avec  fix  Henri 
vaifleaux  de  guerre  dans  le  même  deilèin  que  le  comte  de       I  V. 
Cumberland,  eut  le  même   fort.  Il  fut  furpris  proche  les     1591. 
Açores  par  Alfonfe  de  Bacan  frère  du  Marquis  de  Sainte- 
Croix  3  mais  il  prit  heureuiement  le  deilus  du  vent ,  &  fe 
fauva  avec  la  Capitane ,  &  quatre  vailîeaux. 

Richard  Grenvill  Vice  -  Amiral ,  qui  montoît  un  grand 
yahîeau  appelle  U  Revenge ,  fut  attaqué  vers  \qs  côtes  de 
la  Floride  par  une  flote  de  cinquante-quatre  vailfeaux. 
Entouré  d'ennemis,  il  lit  de  vains  efforts  pour  leur  échapper. 
Après  un  combat  de  quinze  heures  la  poudre  lui  manqua  j 
Çqs  foldats  ,  ou  blelTés ,  ou  accablés  de  lafîitude  étoienc 
hors  d'état  de  fe  défendre  plus  longtems  ^  &:  les  Efpagnols, 
qui  craignoient  un  coup  de  defefpoir  de  la  part  des  Anglois, 
&  qu'ils  ne  brûlalîent  quelques  vailîeaux  de  la  flote ,  pa- 
roilfoient  difpofés  à  traiter  avec  eux.  Cependant  Grenvill 
préférant  la  mort  à  la  plus  honorable  compofition  ,  foie 
par  la  haine  qu'il  portoit  à  {q:s  ennemis,  foit  par  une  obfti- 
nation  naturelle  à  fa  Nation ,  refufa  de  fe  rendre  j  &:  tant 
qu'il  le  put  il  voulut  combattre  j  enfin  tout  couvert  de 
blelTures,  lans  forces,  ôc  prêta  expirer  il  fut  contraint  de 
fe  retirer,  &  il  fe  cacha  dans  le  fond  de  cale.  On  le  tira  ' 
de  cet  endroit  pour  le  faire  paffer  fur  la  Capitane  Efpa- 
gnole ,  où  il  tranfigea  avec  Alphonfe,  que  les  Matelots  pour- 
roient  fe  retirer  dans  leur  païs  ^  que  les  autres  refteroienc 
priionniers  jufqu'à  ce  qu'ils  eullènt  payé  leur  ranc^on. 

Les  Efpagnols  reftérent  maîtres  du  vailleau  •  ôc  Grenvill 
prefqu'aulîitôt  qu'il  en  fut  forti  expira  à  la  vue  des  ennemis, 
foit  de  douleur  d'être  vaincu  ,  foit  de  fes  bleffures. 

La  flote  des  Indes  n'ayant  plus  rien  à  craindre  des  An- 
glois aborda  aux  Acores ,  &  arriva  enfin  heureufement  en 
Efpagne.  Philippe  en  recrut  la  nouvelle  avec  de  grandes 
marques  de  joye.  Ses  finances  étoîent  epuifees  par  les  dé- 
penfes  qu'il  étoit  contraint  de  faire  5  ôc  dans  l'embarras  de 
mille  affaires  dont  il  étoit  obligé  de  foutenir  le  poids , 
cette  flote  étoit  fa  dernière  reflburce.  Cependant  le  bruit 
courut  que  la  tempête  en  avoit  détaché  quelques  Galions 
qui   avoient    échoué  ,    6i   encr'autres   le  Navire  pris  fur 

R  r  i  j 


liG  ^  HISTOIRE 

Grenvill ,  &  monté  par  deux  cens  Efpagnols. 


H  EN  Kl        Les  vailleaux   Anglois  commandes  par  Howard,  &  qui 

1  V.      s*écoienc  échappes  fî  heureufement  des  mains  des  Efpagnols, 

j  ^gj^      firent  des  priles  confiderables  fur  les  marchands  de  cette 

nation ,  ôc  lé  dédommagèrent  avec  uilire  de   la  perte  du 

vaiileaa    de  Grenvill.  Le  comte  de  Cumberland  Tçut  aufîi 

effacer  la  honte  du  mauvais  luccès  qu'il  avuit  eu.  Il  enleva 

près  de  l'ifle  Tercere  deux  Galions    qui  s'étoient  écartés 

de  la  riote  ,  brûla   celui  de  Sainte  Croix  ^  &  s'empara  d'un 

autre   appelle   la    Mère  de  Dieu  :  c'étoit  un  bâtiment  de 

quinze  cens  tonneaux ,  èc  chargé  de  prétieufes  marchandilés. 

Le  Duc  conferva  cette  riche  prife,  ôc  l'emmena  comme  un 

triomphe  en   Angleterre. 

Mort  du       Le  vingt-neuf  de  Septembre  mourut  Jean  comte  d'Em- 

ComtedEm-  clen(i).  Ce  Prince  plein  d'humanité  donna  une  retraite 
aiîdrée  dans  fes  Etats  à  tous  les  François  qui  étoient  obli- 
gés d'abandonner  leur  patrie  pour  caule  de  Religion  ^  6c 
ia  bonté  pour  eux  fit  croire  qu'il  étoit  plus  attaché  à  la 
Doctrine  des  Proteftans  de  France  ,  qu'à  la  Confeiîion 
d'Aufbourg. 
Mort  de       Chriftien  Electeur  de  Saxe,  fils  du  fameux  Augure,  qui 

chriftien       tant  qull   vécut  donna  la  loi  dans    l'Empire,    mourut  le 

Saxe.^^^  cinq  d'Odobre  de  cette  année  à  la  fleur  de  Ion  âge  ^  car  à 
peine  avoit-il  trente  ans.  Il  fut  le  plus  riche  héritier  que 
l'Allemagne  eût  jamais  vu.  Les  tréfors  que  lui  lailFa  fon 
père  lui  firent  former  de  vafte  projets ,  qu'une  mort  pré- 
cipitée fit  échouer.  Au  mois  de  Novembre  fuivant  les  fu- 
nérailles fe  firent  avec  de  grandes  magnificences  à  Drefden 
OÙ  il  étoit  mort  ^  &:  prefque  tous  les  Princes  de  l'Empire 
y  affiftérent,  ou  y  envoyèrent  des  Ambalïadeurs.  On  dé- 
pofa  fon  corps  dans  i'Eglife  de  Sainte  Croix  ,  d'où  il  fut 
transféré  àFriberg,  &  mis  dans  le  tombeau  des  Princes  de 
cette  Maifon. 

Ce  Prince  laifla  deux  fils  mineurs  qu'il  eut  de  Sophie  fille  de 
Jean  George  Eledeur  de  Brandebourg.  La  minorité  de  Chri- 
ftien fon  héritier  &  fon  fucceflèur  obligea  les  Etats  de  déférer, 
avec  l'agrément  de  l'Empereur ,  la  régence  ou  adminiflratioo 
à  Frideric  Guillaume  de  Saxe  coufin  du  jeune  Eleèleur. 
(i)    Ou  de  1^  Frife  Orientale, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C.  317 

Chrift^en  eaené  ,  dit-on  ,  par  lean-Cafimir  Eledeur  Pa- 


latin  {on  beauirrére,  prit  fur  la  Religion  une  conduicc  difïë-  Henri 
rente  de  celle  que  ion  përe  avait  tenue.   Augufke   fcrupu-       1  V. 
leufement  attaché  à   la  Confeffion  d'Aulbourg,  perlëcuta      1591. 
&  chalîli  de  Tes  Etats  tous  ceux  qu'il  foupçonna  de  fuivre       chrifticn 
les  fentimens    de  Zuingle.   Hubert   Languct  prit  la  fuite  •  plus  favora- 
Gafpard  Pcucer  gendre  de  Melanchton  iouffrit  une  longue  ^j^'^"^''^  ^^^' 
prifon^  6c  plufieurs  autres  furent  maltraités  à  ce  fujet.  Mais  qu'aux  Un 
Chriftien  leur  rendit  leurs  biens ,  6c  leur  liberté  -,  il  favo-  thériens. 
rifa  ceux  qu'on  appelle  en  Allemagne  Calviniftes,  &  fît  re- 
cevoir leur  dodrine  dans  fon  Palatinat ,  ôc  dans  tous  les  païs 
de  Ion  obeïilance. 

Dès  qu'il  fut  mort ,  Nicolas  Crcll  fon  Chancelier  ,  qui 
ëtoit  l'EmilFaire  de  Jcan-Cafimir  ,  pour  introduire  le  Calvi- 
nifme  dans  la  Saxe  ,  fut  arrêté  par  l'ordre  de  l'Adminiftra- 
teur,  Renfermé  dans  le  château  de  Holienftein.  Le  Ma- 
giftrat  fe  faifît  de  ks  papiers  ,  &  en  lit  un  inventaire.  Dans 
le  même  tems  Urbain  Pierius  profeflcur  de  >^irtemberg 
fut  mis  en  prifon  pour  I2  même  fujet.  Chriifophle  Gun- 
derman  qui  enfeignoit  à  Lipfic,en  futallarmé,  &  prit  la 
fuite.  Mais  quoiqu'il  changeât  fouvent  de  demeure  ,  &  qu'il 
ie  cachât  ioigneufement  ,  il  fut  découvert  èc  arrêté.  Le 
Gouverneur  èc  le  Conful  de  la  ville  viiitérent  fa  bibliothè- 
que ,  &  y  mirent  le  fcellé. 

Bernard  de  la  maifon  des  comtes  de  \Y^aIdcck  ,  &  évêque       j^q^c 
d'Ofnabrug  ,  mourut  avant  ces  deux  Princes  le  r  i .  de  Mars,  de  l'Evêque 
Cet  Evêché  fut   brigué  auffitôt  par  Henri  de  Saxe  fils  de  ^'O^^^'^^ras 
François  duc  de  La\jirenbourg ,   &;  par   Philippe  Sigilmond 
de  Brunfwick  évêque  de  Verden  ,  fils  deJulesdeBrunf\vick5 
ils  étoient  l'un  ôc  l'autre  Protefbans.   Ils  eurent  pour  concur- 
rens  Antoine  comte  de  Schawenbourg  Evêque  de  Minden  , 
ôc  Théodore  de  Furftemherg  Evêque  de  Paderborn  j  l'un 
£c  l'autre  étoient  Catholiques.  Brunlwick  eut  le  plus  grand 
nombre  de  fufFrages  j   fon  eleétion  caufa  une  joye  univer- 
felle,  parce  que   les  Catholiques  mêmes  efperoient  beau- 
coup de  fon  équité ,  dont  il  avoit  déjà  donné  des  preuves 
éclatantes. 

En  France  Jacques  Amiot  mourut  au  mois  de  Juillet  âgé  ^^  jacquc 
de  plus  de  foixance  ans.  Il  ccoic  natif  de  Melun ,  &  fils  d'un  Amiot, 

K  r  iij 


3i8  HISTOIRE 

'— """^'^""-^  boucher.  Sonérudicion  ic  fir  juger  digne  d'êtrePrécepteur  de 

Henri  Charie  IX.  6l  d'Henri  111.  Ce^  deux  Princes  lui  contërérenc 
IV,  de  riches  bénéfices  j  il  fut  Evêque  d'Auxerre  ,  &  Grand 
1551.  Aumônier  de  France.  Les  infirmités  de  la  vieillefle ,  ou  ion 
devoir,le  firent  demeurera  Auxerre.  Mais  il  n'eut  pas  la  fer- 
meté de  s'oppoier  à  la  fureur  des  habitans  de  fa  ville  épifl 
copale,  èi  on  l'accufe  de  n'avoir  pas  eu  alTez  de  recon- 
noilïance  de  cous  les  bienfaits  qu'il  avoic  reçus  de  fes  il- 
luftres  Elèves.  Il  a  fait  une  heureufe  tradudion  des  Ethio- 
piques  d'Héliodore  (i  )  ^  ôc  des  Paftorales  de  Longus  (1), 
Ces  ouvrages  ne  portent  point  le  nom  du  tradudeur,  ôc 
l'on  peut  les  regarder  comme  les  premières  productions  de 
fon  elpric.  Dans  la  fuite  Ces  travaux  furent  plus  confidé- 
rables  &  plus  férieux  j  il  traduifit  en  François  Diodore  &C 
Plutarque  ^  mais  il  s'eft  plus  attaché  à  l'élégance  du  ftile 
qu'à  traduire  avec  fidélité. 
D'Antoine       Antoine  de  Chandieu  Gentilhomme  de  Forez  mourut  à 

dechaadieu.  Qeneve  d'une  fiévre  eti-juele5.de  Mars  à  l'âge  de  cinquante- 
fepc  ans,  Il  fe  donna  d'abord  le  nom  Hébreu  de  Zamariel, 
ôc  enluite  celui  de  Sadael.  II  écrivit,  &  enieigna  pendant 
trente-lîx  ans,  &  fut  crès-eilimé  dans  Ion  parti  ^  mais  il  eue 
un  grand  nombre  d'adverfaires  :  François  Turriano  Jefuite 
publia  en  Allemagne  plufieurs  ouvrages  contre  lui. 
De  Hugue       Je  ne  puis  oublier  un   fçavant  Jurifconfulte  ,  François^; 

Donneau.  Hu^ue  Donneau  de  Châlons  fur  Saône:  il  enfeisina  fort 
longtems  à  Bourges  •  mais  les  troubles  de  Paris  l'obligèrent 
de  quitter  la  France  ,  &  il  alla  s'établir  pour  quelque  tems 
à  Leyden.  Y  étant  devenu  fulpect  au  lujet  de  la  Religion , 
la  célèbre  Univerfité  fondée  à  Altorfï  par  la  République 
de  Nuremberg  fut  l'afile  où  il  fe  réfugia  dans  fa  vieillefTe. 
Il  mourut  le  quatorzième  de  Mai,  dans  la  même  année 
que  Cujas  j  mais  avec  d'autant  moins  de  réputation  ,  que 
toute  fa  vie  il  fe  fit  un  jeu  d'écrire  &  de  parler  contre  ce  grand 
homme. 
De  Adolfe  Meeckercke  Gentilhomme  de  Bruges,  commen- 

Meetkercke.  ^qJj-  ^  [q  livrer  touc  entier  à  l'étude  des  belles  Lettres, 
lorfque  les  troubles  des  Païs-bas  vinrent  interrompre  les 


(i)    Roman  de  Theagene  &  Ca- 
riclée. 


(2)     Amours    de    Paphnis    ôç   dp 
Cloë. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C.  319 

travaux.  Il  fut  premier  Confeiller  des  Provinces-Unies,  &  '    "" 

palFa  toute  fa  vie  dans  différentes  amballades  6c  négocia-  Hen  ki 
dons  dont  il  kit  chargé  par  les  Etats  Généraux.  Il  mourut       I  V. 
à  Londres  où  il   étoit  Ambalîadeur  le   i  6.  d'Octobre  ,  fix     icqr, 
mois   après    ion    année   climatérique  ,  on  crut  que  ce  fut 
du  chagrin  qu'il  eut  de  la   mort  de    Nicolas  Meetkercke 
fbn  fils ,  OfKcier  de  valeur ,  &   qui   avoit  été  tue  à  De- 
venter. 

Vidor  Ghiflin  n'étoît  pas  d'une  auflî  illujflre  naiflance  que  »  -,.^ 
Meetkercke  3  mais  li  ne  lui  rut  pas  inirerieur  dans  1  empire  ciuflin. 
des  Lettres.  Ce  Sçavant  naquit  à  Santvorde  village  ficué 
près  d'Oftende,  où  les  Ancêtres  avoient  tenu  un  rang  ho* 
norable  j  car  il  tiroit  Ton  origine  de  Corneille  Ghiflin.  Il  fie 
{es  premières  études  à  Louvain  avec  Jufte  Liplè ,  êcjanus 
Lernutius  •  &  alla  avec  eux  à  Dole  en  Franche-Comté.  Se 
voyant  fans  bien,  ôc  prefque  fans  aucune  rcflource,  il  prie 
dans  cette  ville  le  bonnet  de  DoAeur  en  Médecine ,  &c 
Jufte  Lipfe  fit  fon  panégyrique.  La  fameufe  édition  des 
Métamorphofes  d'Ovide  prouve  aflez  que  les  Mufes ,  & 
un  doux  repos  l'occupoient  plus  que  la  profeiîîon  de  Ton 
art.  Il  fit  une  nouvelle  édition  de  Prudence,  avec  un  grand 
nombre  de  notes  fur  ce  Poète  chrétien  :  mais  ne  pouvant 
achever  cet  ouvrage,  il  en  confia  l'exécution  à  Janus  Ler- 
nutius. Pendant  nos  troubles  il  fe  retira  à  Bergh- Saint- 
\)^inox  ,  ville  connue  par  fon  Abbaye  célèbre,  ôc  peu  éloi- 
gnée de  Dunkerque.  Il  y  fut  appelle  par  l'Abbe  nommé 
Mofline  .  qui  lui  donna  une  penfion.  Enfin  accable  d'in- 
firmirés  il  mourut  d  l'âge  defoixanteans.  Son  art  lui  avoîc 
fait  prévoir  l'inftant  de  ia  mort,  &  elle  ne  le  furprit  qu'un 
jour  plutôt  qu'il  ne  s*y  étoit  attendu. 

Le   cardinal    Antoine   Caraffe   mourut   à  Rome  le  12.  Du  Cardinal 

Ane    i  nrâtrc 

de  Janvier  âgé  de  cinquante-trois  ans.  Il  étoit  d'une  il- 
luftre  Mailon  du  Royaume  de  Naples  ,  &  eut  pour  père 
Regnaud  Caraffe  ,  &  pour  mère  Jeanne  de  la  même  fa- 
mille J  il  s'appliqua  de  bonne  heure  à  l'étude  fous  la  con- 
duite de  Guillaume  Sirlet  fon  précepteur  ,  6c  acquit  une 
parfaite  connoiffance  de  la  langue  Grecque.  Il  commença 
dès  fa  jeuneffe  à  briller  à  la  Cour  de  Rome  ibusPaulIV. 
fon  parent.  Mais  après  la  more  de  ce  Pape  ,  il  fuccomba 


3  20  HISTOIRE 

'  '  ious  les  traies  de  l'envie   qu'on  portoir  aux  CarafFes  ^  & 

Henri  Pie  IV.  lui  ota  cous   les  bénéfices.  Pie  V.  protedeur  des 
I  V.      CarafFes  les  lui  rcndic,  &  mie  le  comble  à  cette  faveur  en 
i  cai,     l*-^i  donnant  leCbapeau  deCardinal.Rtvêtu  de  cette  nouvelle 
dignité  il  fit  éclater  fa  pieté  &  fon  érudition.  Il  corrigea 
pluiieurs  endroits  défedueux  du  droit  canonique  3  il  fît  un 
recueil  de  Décretales  •  fé  fervit  de  Pierre  Morin  Prêtre  du 
Diocèié  de  Paris ,  d'Antoine  Aquifi ,  de  Flaminio  Nobili  de 
Lucques,  de  Fulviui  Urfînus  ,  ôi  d'autres  f(^avans  pour  i'é- 
dicion  de  la  bible  Grecque  àc  Latine  qui  fut  entreprife  fous 
les  aufpiccs  de  Sixte  V.  èc  dont  il  s'étoic  chargé  3  il  fuccéda 
à  Sirlet  fon  précepteur  dans  la  charge  de  Bibliothéquaire, 
èc  fut  Supérieur  du  Collège  des  Maronites  fondé  par  Gré- 
goire XIII.  La  mort  l'ayant  furpris  lorfqu'iitravailloit  à  une 
colledion  de  Conciles  Grecs  êc  Latins ,  il  lailFa  la  o-loire 
de  cet  ouvrage  au  cardinal  Frédéric  Borromée  l'imitateur 
de  fes  vertus.    Thomas    Bofio   d'Eugubbio  ,   Cefar  Baro- 
nius,  ce  célèbre  écrivain   des  Annales  Ecclefîafliques ,  èc 
Fran(^ois    Benci    fîrent    chacun    l'oraiion  funèbre   du  car- 
dinal  CaratF^.    11   fut  enterré  fans  aucune  magnificence, 
comme  il  i'avoit  ordonné,  dansl'Eglifé  de  Saint  Silveftre 
furie  mont  Cavallo. 
De  Hcnii       Le  dcux  d'Avril  Henri  Gravius  mourut  dans   la  même 
Gravius,        ville  à  l'âge  de  cinquante-cinq   ans.  Après  avoir    enfeigné 
pendant  vingt  ans  la  Théologie  à   Louvain ,   Sixte  V.   dC 
Grégoire  XIV.  le  mandèrent  à  Rome  pour  le  charger  de 
la  corrccTiion  des  ouvrages  des  Saints  Pères.  Mais  dans  le 
tems  qu'il  pouvoit  efpérer  les  plus  grandes  dignités ,  la  mort 
vint  le  iurprendre  :  il  fut   enterre  dans  i'Egliie  de  Sainte 
2vlarie  des  Allemands. 
DeLorenïa       jj^q  Dame  auffi  refpedable  par  la  fainteté  de  fa  vie,' 
qu'illuftre  par  une  érudition  au-deiîus  de  fon  fexe,  &  donc 
l'humble  vertu  ne  voulut  jamais  paroître  au  grand  jour^ 
eft  digne  de  tous  nos  éloges.  Je  parle  de  Lorenza  Strozzi , 
qui  mérite  d'éfacer  la  plupart  de  ces  femmes  que  la  vanité 
de  leurs  compatriotes  ou  le  préjugé  ont  rendues  célèbres. Elle 
étoit  fille  de  de  Zacharie  Strozzi,  &  fœur  du  fameux  Ky- 
jrico ,  donc  nous  avons  parlé  en   fon  lieu.  A  l'âge   de    fepc 
ans  elle  lit  vœu  d'embralîer  la  vie  Religieufe ,  6c  s'enferma 

dan§ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C  311 

dans  le  Monaflére  de  Saint  Nicolas  de  Prato  en  Tofcane  '         '■  ■■■ 
de  l'Ordre  de  Saint  Dominique.  Dans  cette  folitude  elle  Henri 
apprit  parfaitement  le  Grec  èc  le  Latin ,  ôc  fît  des  hymnes        I  V. 
Latins  pour  toutes  les  fêtes  de  l'année,  fuivant  Tufage  du      ij^i* 
Bréviaire  Romain  j  Elle  prit  pour  modèle  les  Odes  d'Ho- 
race ,  &  les  imita  avec  fuccès.  Enfin  ayant  pàlTé  tout  letems 
de  fa  vie  dans  les  exercices  de  la  piété ,  Se  dans  l'applica- 
tion à  l'étude  ,  elle  mourut  dans  fa   cellule  d'une  fièvre 
pourprée  le  10.  de  Septembre  à  l'âge  de  Toixante  ôc  dix-fepc 
ans.  ^         '  :      H=    , 


jF//?  d/é  centième  Livre* 


tome  XI* 


Sf 


312  HISTOIRE 

HISTOIRE 

D  E 

JACQ^UE    AUGUSTE 

DE   T  H  O  U> 

n 

LIVRE      C  ENT^V  N  I  É  M  E, 


y{^^  ^i  T  L  efl  nécefïàîre  de  rapporter  en  cet  endroit  l'AmbaiTade 

j  Y^       ^  de  Henri  de  la  Tour  vicomte  de  Turenne  ,  envoyé  par 

le  Roi  vers  les  princes  d'Allemagne  ,  pour  lever  une  armée 

^°   *     auxiliaire.  Elifabeth  reine  d'Angleterre  ,  que  les  Efpagnols 

Ambaffade  avoient  fi  fouvcnt  attaquée  par  la  voye  de  l'intrigue  ôc  des 

du  Vicomte  .         ./-.      *■  *•       r   ^  •    jJi-r  •      ^ 

de  Turenne  armes  ,  Comprit  ailcment  que  li  le  roi  d  Elpagne  venoit  a 
TcrsiesPrin-  s'emparer  delà  France  ,  il  tireroit  de  grands  avantages  de 
maenf.^'^'  ^^  Conquête ,  pour  opprimer  la  liberté  des  Païs-bas ,  pour 
porter  la  guerre  en  Allemagne ,  &  faire  des  defcentes  en 
Angleterre.  Cette  Princefïè  habile  ne  ceHbit  de  prefler  \qs 
princes  Proteftans  de  l'Empire  de  penfer  férieufement  à  fe- 
courir  le  roi  de  France ,  &  de  fe  réunir  de  bonne  heure  pour 
prévenir  un  péril  qui  leur  feroit  commun.  Elle  avoit  envoyé 
à  la  cour  de  Chriftien  éledeur  de  Saxe  ,  Horace  Pallavi- 
cini  habile  négociateur ,  qui  avoit  quitté  Gennes  fa  patrie , 
au  fujet  de  la  Religion. 

Chriftien  étoic  alors  le  plus  confîdérable  entre  les  Princes 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CL  313 

Proteflans.   Soup<^onnë  de  favorifer  en  iecrec  les  Calvini- 

ftes  qui  ëcoient  odieux  en  Allemagne  ,   on  le  croyoit  par  H  e  n  fTï 

cette  raifon  plus  porté  à  prendre  les  intérêts  du  Roi.    Pal-        j  y 

lavicini  obtint  aifëment  de  ce  Prince  tout  ce  qu'il  voulut  j 

&  étant  retourné  en  Angleterre,  il  dit  à  la  Reine  qu'il  y        ^^^* 

avoit  toute  apparence  de  réùfîîr  auprès  des  princes  d'Aile - 

inagne  ôc  de  l'Eledeur  ^  qu'il  falloit  pour  cela  qu'elle  ôcle 

roi  de  France  leur  envoyalTent  des  Ambaflàdeurs. 

Le  Roi  par  le  confeil  d'Eliiabeth  chargea  de  cette  Am- 
bafTade  le  vicomte  de  Turenne  vers  la  lin  de  l'année  précéden- 
te, à  Girors,oùce  prince  étoit  alors.  Ses  inftruclionsportoienc 
qu'il  iroit  d'abord  en  Angleterre  -,  qu'il  remercieroit  la  Reine 
de  fa  bienveillance  pour  le  Roi  &,  pour  la  France  ,  dont  elle 
avoit  donné  des  marques  par  tan:  de  bienfaits  ,  de  qu'elle 
avoit  fîgnalée  depuis  peu ,  en  envoyant  fi  à.  propos  cent  mille 
francs  pour  payer  les  troupes  étrangères ,  qui  fans  cela  fe 
feroient  débandées.    Le  Vicomte  avoit  ordre  de  dire  à  cette 
Princelîé  ,  qu'il  venoit  pour  lui  rendre  raifon  de  fon  Ambafl 
/àde  ,  de  pour  n'agir  que  par  lès  ordres  dans  cette  affaire.   Il 
devoitla  prier  de  lui  permettre  d'emmener  avec  lui  Pallavi- 
cini ,  dont  les  Princes  de  l'Empire  ,  Ôc  fur-tout  l'Electeur  de 
Saxe  connoilîànts  l'habileté  ôc  l'attachement ,  fe  determî- 
neroient  plus  facilement  à  accorder  au  Roi  les  fecours  de 
troupes  &  d'argent  qu'il  leur  demandoit ,  lorfque  cet  hom-    • 
me  de  confiance  les  aiîiireroit  que  la  Reine  avoit  promis  des 
fecours  de  fon  côté.    Il  étoit  encore  chargé  de  demander  à 
cette  PrincelTe  des  lettres  de  recommandation  pour  les  Erats 
des  Provinces-Unies,  afin  de  les  engager  à  prêter  au  Roi 
trente  mille  écus  d'or ,  &  de  la  prier  elle-même  de  faire 
tenir  prêts  quatre  mille  hommes  d'infanterie  pour  faire  une 
defcente  en  Bretagne  lorfque  le  Roi  le  jugeroit  à  propos  : 
il  ne  devoit  demander  ces  tr-oupes  que  pour  fèrvir  deux  mois 
en  France.  En  cas  que  la  Reine  s'excufat  de  fournir  ces  fol- 
dats  fous  prétexte  de  la  guerre  de  Flandre  ,  il  devoit  l'en- 
gager du  moins  à  faire  débarquer  à  Ollende,  dans  le  tems 
que  le  duc  de  Parme   entreroit  en   France  ,   quatre  mille 
hommes  ,  ou  même  un  plus  grand  nombre ,  pour  arrêter 
r*_fïbrt  des  Efpagnols ,  ou  pour  aider  le  Roi  à  faire  des  pro- 
grès dans  l'abfence  des  troupes  d'Efpagne. 

Si  ij      ^^ 


324  HISTOIRE 

Jean  de  la  Fin  de  Bcauvais ,  AmbaiTadeur  pour  le  Roî 

Henri  depuis  deux  ans  à  la  cour  d'Angleterre  ,  ayant  demandé 
I  V.  qu'on  le  rappellât  ,  Paul  Chouarc  de  Buzenval  partir  avec 
I  Î9I.  ^^  vicomte  de  Turenne  pour  aller  remplir  ce  pofte.  Buzen- 
val avoir  ordre  d'accompagner  le  Vicomte  dans  les  Païs- 
bas ,  &  de  retourner  eniuite  en  Angleterre.  Le  Roi  donna 
des  lettres  à  Ton  Ambalîadeur  pour  le  chancelier  Williams 
Cecill  Grand-Tréiorier  ,  6c  pour  Robert  d'Evreux  comte 
d'ElTex  -j  êc  il  lui  ordonna  de  traiter  avec  ces  deux  Miniftres. 
Jean  Morlat  fut  chargé  de  porter  des  lettres  de  créance  à 
Jacque  roi  d'Ecofle ,  èc  de  faire  des  excufes  à  ce  Prince  de 
ce  que  les  cîrconflances  ,  qui  ne  permettoient  pas  au  Vi- 
comte de  faire  un  plus  long  féjour  en  Angleterre  ,  l'avoient 
empêché  d'aller  lui-même  le  trouver. 

L'AmbafTadeur  palîa  enfuite  en  Hollande  avec  Pallavl- 
cini  &C  Buzenval.  Il  eut  plufieurs  conférences  avec  les  Etats 
èc  avec  le  prince  d'Orange.  On  lui  dit  qu'on  ne  pouvoit  lui 
donner  les  fommes  qu'il  demandoit  j  mais  qu'on  fourniroic 
au  Roi  deux  mille  hommes  de  pied  payés  des  deniers  des 
Etats ,  pour  lervir  deux  mois.  Il  renvoya  enfuice  Buzenval 
en  Angleterre  ,  2c  s'étant  embarqué  il  fe  rendit  à  Ham- 
bourg. Il  alla  par  terre  trouver  l'éledeur  de  Saxe  à  Drefde. 
Après  les  com.plimens  qui  font  d'ufage  entre  des  Princes  al- 
liés ,  il  lui  expofa  fa  commilHon  ^  il  commença  par  faire 
des  excufes  à  l'Eledeur  du  malheur  des  troupes  que  Ni- 
colas de  Harlay  de  Sancy  avoit  levées  en  Allemagne  ,  èc 
qui  avoient  péri  miférablement  par  la  faute  de  Sancy  ôc  des 
autres  Officiers  -,  èc  de  ce  qu'on  avoit  mis  à  la  tête  de  l'ar- 
mée auxiliaire  Galpard  Schomberg  comte  de  Nanteuil  en 
qualité  de  Colonel  générai  des  Allemands. 

Le  Vicomte  lui  dit  que  le  Roi  avoiioit  que  Sancy  avoir 
fait  une  faute  3  qu'à  l'égard  de  Schomberg  ,  il  ne  l'avoir  mis 
dans  ce  pofte ,  qu'en  confidération  de  fon  attachement  donc 
il  avoit  de  bonnes  preuves  par  les  lettres  que  l'Elcdeur  lui- 
même  lui  avoir  écrites  à  ce  îujet ,  èc  par  tout  le  bien  que  lui 
en  avoit  dit  le  prince  de  HelTe ,  donc  le  témoignage  avoic 
beaucoup  de  pouvoir  fur  fon  efprit  :  Qu'au  refle  il  connoif. 
foit  par  lui-même  l'expérience  èc  l'habileté  du  Comte  > 
qui  en  avoic  donné  des  marques  en  plufieurs  occaiîons  3  èc 


uKMUitm'miu* 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  315 

qu'il  avoit  cru  que  Schomberg  ne  pouvoir  manquer  d'être 
agréable  à  Son  Alteflè  ElecVorale ,  qui  avoir  honoré  delà  He>3  ai 
première  dignité  de  fa  Cour  le  frère  de  cer  Officier.  Que       I  V. 
d'ailleurs  il  avoir  confîdcré  qu'il  feroir  difficile  de  nommer      159!, 
un  Général  Francjois  ,   fans  l'expofer  à  l'envie,  aux  jalou- 
iîes  fecretes  ,  èi  peur-ccre  fans  faire  un  pafledroir  à  quel- 
qu'un. Mais  qu'ayanr  appris  que  l'Eledeur  prenoir  cela  fur 
lui ,  il  confentoit  volontiers  qu'il  nommât  qui  bon  lui  fem- 
bleroit ,  fans  toucher  cependant  au  droit  êc  à  la  dignité  de 
Schomberg. 

L'Ambafladeur  ajouta  que  le  Roi  avoit  député  vers  les 
Princes  d'Allemagne  ,  Philippe  Canaye  du  Frefne ,  êcjac- 
que  Bongars ,  pourvu  cependant  qu'ils  fuilènt  agréables  â 
S.  A.  E.  Il  remonta  enfuite  à  la  fource  de  cette  guerre  ,  6c 
rapportant  tout  ce  qui  s'étoit  pafle  depuis  la  mort  du  feu 
Roi  :  53  Les  Eif  agnols  ,   dit-il  ,  fe  font  fervis  des  princes  ' 
Lorrains  ,  pour  exercer  leur  haine.  Ils  ont  répandu  un 
efprit  de  rébellion  dans  le  peuple  ,  par  les  intrigues  des  Jé^ 
fuites.    La  Religion  leur  a  fervi  de  prétexte  pour  entraî- 
ner dans  la  révolte  les  François ,  qui  ont  toujours  eu  pour 
leurs  Princes  légitimes  plus  d'attachement  que  toutes  Iqs 
autres  nations   n'en   ont  pour  leurs  Souverains.    Ces  fe- 
mences  de  haine  ,  ces  féditions  ont  produit  un  parricide 
d'un  exemple  dangereux  ,  6c  qui  fait  horreur.   Les  Efpa- 
5  gnols  ,  ces  auteurs  des  maux  de  la  France ,  ne  mettront 
5  point  de  bornes  à. leur  fureur ,  qu'ils  n'ayent  écrafé  celui 
>  qui  fait  tête  à  leur  faclion  ,  &  qu'ils  n'ayent  entièrement 
3  épuifé  ks  forces  de  l'Etat.    Tout  leur  but  eft  de  chafFer 
3  l'héritier  légitime  de  ion  Royaume: ils  projettent  depuis 
3  longtems  de  fe  liguer  avec  les  Papes ,  pour  accabler  ceux 
î  qui  ne  font  pas  de  leur  Communion.   Les  rois  de  France 
3  n'ont  jamais  voulu  entrer  dans  cette  Ligue.  Voilà  la  fource 
3  de  ces  haines  implacables  qui  ont  uni  ces  deux  Puiflances 
3  dans  le  delFein  de  s'emparer  de  la  France ,  ou  de  la  démem- 
3  brer.  Votre  AlteiTe  Elecliorale  &  les  autres  Princes  de  l'Em-^ 
3  pire  verront  iàns  peine  quel  efl  le  but  de  ces  projets.  Il  ne 
3  lera  pas  néceflaire   de   preflér  beaucoup  pour  perfuader 
M  qu'il  faut  aller  de  bonne  heure  audevanc  d'un  danger  corn- 
33.  mun,  ôc  faire  échouer  les  pernicieux  deffeins  des  Efpagnols,. 

S  f  ii] 


32(J  ^  HISTOIRE 

Il  dit  enfuite  que  le  Roi  fe  contenteroic  de  fix  mille  che- 

Henri  vaux  àc  de  huit  mille  hommes  de  pied ,  donc  deux  mille  fèr- 

IV.       viroient  de  pionniers:  Q^i'à  l'cgard  des  canons,  il  Hiffifoic 

I  COI       ^'^^  fournir  iix  ,  qu'il  ieroîc  facile  de  faire  cranfporter  ,  (i 

on  les  failoic  fondre  en  Allemagne  de  la  grandeur  &c  de  la 

grolFcur  ordinaire  des  canons  de  France,  6c  en  employant 

un  métal  compofé  ,  dont  il  avoit  apporté  un  elFay  avec  lui  : 

Qiie  il  on  iuivoit  cet  avis,  on  en  retireroit  le  double  avantage 

de  n'avoir  pas  befoin  d'un  fî  grand  nombre  de  chariots ,  pour 

tranfporter  des  boulets  dont  on  avoit  un  alFez  bon  nombre 

en  France  du  calibre  de  ces  fix  canons  ,  &:  d'en  tirer  de  plus 

grands  fervices  ,  parce  qu'ils  feroienc  plus  propres  à  taire 

plufieurs  décharges  de  luite  :  Qu'au  relie  le  Roi  conlentoit 

que  le  prince  d'Anhwilc  nommé  par  S.  A.  E.  fe  mît  à  la  tête 

de  l'armée. 

Le  Vicomte  avoit  ordre  de  prier  ce  Général  au  nom  du 
Roi ,  de  le  charger  de  la  conduite  des  troupes ,  de  lui  pro- 
mettre les  mêmes  penfions  qu'avoit  eues  autrefois  le  prince 
Jean  Guillaume  de  Saxe  ,  de  de  traiter  avec  lui ,  en  cas  qu'il 
vouiiic  exiger  des  conditions  plus  avantageufes.    Il  dit  à 
l'Electeur  que  le  Roi  fouhaitoit  que  les  troupes  fuiFent  prêtes 
au  mois  d'Avril  3  parce  que  dans  cette  faifon  les  campagnes 
déjà  couvertes  d'herbes   pourroient  nourrir  les  chevaux  : 
Que  ce  Prince  avoit  formé  la  réfolution  d'aller  audevant  de 
ces  troupes  jufque  fur  la  frontière  avec  une  bonne  armée  , 
afin  d'empêcher  l'ennemi  de  retarder  leur  marche  :  Qu'il 
auroît  loin  de  leur  faire  donner  la   paye  quand  il  le  fau- 
droit  :   Qii'ayanc  appris  de  Pallavicini  que  la  reine  d'An, 
glecerre  èc  les  princes  de  l'Empire  n'avoient  d'autres  vues 
dans  cette  guerre  que  de  le  maintenir  dans  fon  Royaume , 
de  cahncr  les  troubles  de  Religion  ,  ôc  d'alTûrer  la  liberté 
de  confcience  aux  Réformés  ,  il  proteftoit  de  fon  côté  qu'il 
ëtoic  dans  le  même  deiîein ,  que  la  continuité  de  la  guerre  ne 
lui  avoit  pas  permis  jufqu'alors  d'exécuter  :  Qu'une  affaire 
de  cette  importance  ne  pouvoit  être  terminée,  que  dans 
l'afiemblce  des  Etats  du  Royaume  :    Que  li  l'on  s'ingéroîc 
d'en  décider  fans  l'avis  de  ces  mêmes  Etats  ,  les  faclieux 
qui  ne  lailFoient  échapper  aucune  occafion  de  fomenter  la 
révolte ,  le  ferviroient  de  celle-ci  avec  artifice,  pour  détacher 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CI.  317 

du  parti  du  Roi  les  Catholiques  qui  combattoienc  fous  fcs  555!!?!?!!??!? 
écendarts  :  Qu'il  feroit  tous  les  efforts  ,  auiitôt  qu'il  k  [ç.  Henri 
roit  affermi  fur  le  trône ,  par  les  fecours  de  l'armée  qu'on       I  V. 
devoir  lui  envoyer ,  pour  affembler  les  Etats  ,  afin  de  termî.     i  c  o  i, 
ner  au  gré  de  tout  le  monde  la  grande  affaire  donc  il  s'agif- 
foit  :  Qu'en  attendant  il  donnoit  fa  parole  Royale  de  fe- 
courir  en  général  &  en  particulier^  ceux  qui  auroient  befoin 
de  lui  dans  une  telle  occafion.    Le  Vicomte  ajouta  que  le 
Roi  fourniroit  de  fon  côté  deux  mille  chevaux  èc  fîx  mille 
hommes  d'infanterie  payés  pour  trois  mois.   Il  promit  outre 
cela  de  faire  vérifier ,  recevoir  ,  &  ratifier  par  les  Parlemens 
du  Royaume,  &:  par  les  Chambres  des  Comptes,  les  trai- 
tés ,  ôcles  obligations  ,  qui  feroient  faites  à  ce  fiajet ,  comme 
la  reine  d'Angleterre  ,  &  les  Princes  de  l'Empire  le  dé- 
iîroient. 

Le  vicomte  de  Turenne  avoir  ordre  de  traiter  avec  les^ 
autres  Princes  alliés  du  Roi ,  6c  avec  les  villes  Impériales.. 
Il  alla  donc  trouver  l'éledeur  de  Brandebourg  à  Berlin  :  il 
fît  de  grandes  plaintes  â  ce  Prince  de  la  conduite  de  l'Empe- 
reur ,  qui  l'avoir  confulté  dans  le  doute,  où  il  étoit,  s'il  de« 
voit  donner  au  Roi  les  titres  qu'on  ne  pouvoir  lui  refufer.. 
Il  ajouta  ,  pour  marquer  le  mépris  qu'il  faifoit  de  cette  dé- 
marche de  l'Empereur  ,  que  cette  aàion  ne  préjudicioit  en- 
aucune  manière  à  la  Majefle  ôcaux  droits  du  Roi,  &:  qu'elle 
étoit  plutôt  capable  d'attirer  des  reproches  publics  à  celuF 
qui  l'avoir  faite  :  Que  le  Roi  n'étoit  pas  fort  inquiet  de  la 
jaloufle  de  l'Empereur  ,  &  des  princes  de  la  maifbn  d'Au- 
triche :  Qu'il  n'en  avoir  rien  à  craindre ,  appuyé  comme  il 
reçoit,  par  la  reine  d'Angleterre  ,  par  les  éledeurs,  les  prin- 
ces ,  &  les  villes  de  l'Empire. 

L'ambafladeur  de  France  alla  enfuite  à  Heidelberg  j  il  y 
vît  le  prince  Jean  Cafimir  frère  du  dernier  Eledeur.  Ce 
Prince  qui  avoir  époufé  la  fœur  du  duc  de  Saxe  ,  écoit 
alors  administrateur  du  Palatinac  pendanc  la  minorité  de 
l'éledeur  Frédéric  fils  de  fon  frère.  Le  vicomte  de  Turenne 
propofa  l'affaire  au  prince  Cafimir,  &  traita  enfin  avec  lui  j 
mais  ce  ne  fut  qu'après  avoir  applani  un  grand  nombre  de 
difficultés  qui  naiffoienc  à  chaque  inftanc.  Gafpard  de  Schom* 
berg  qui  écoit  préfenc  â  la  négociation ,  vinc  à  bouc  par  fw 


3iS  HISTOIRE 

douceur  Se  fa  dextérité  à  manier  les  efprîts ,  de  lever  tous 
Henri  les  obftacles. 

I  V.  Schomberg  incertain  du  rang  qu'on  lui  afîigneroit  à  la 

I  f  o  r.  cour  de  Henri  s'etoic  retiré  en  Allemagne  immédiatement 
après  la  mort  du  feu  Roi.  Il  voulut  donner  un  exemple  ou 
une  preuve  de  l'attachement  qu'il  avoit  toujours  eu  pour  la 
France.  Il  conleilla  dans  ces  vues  à  Chrillien  éledeur  de 
Saxe  de  prendre  dans  ces  tems  de  troubles  la  conduite  de 
l'armée  auxiliaire  qu'on  devoit  envoyer  en  France.  Ce  jeune 
Prince  d'un  efprit  vafte  comptant  fur  fa  puilîance  &;  les  ri» 
chelles  formoit  de  grands  projets:  Schomberg  lui  reprefen- 
ta  que  fon  exemple  engageroit  les  princes  Confédérés  à  four- 
nir des  fommes  plus  conlidérables  pour  cette  guerre  j  il  fçut 
prendre  ce  Prince  par  l'on  foible ,  en  lui  difant  qu'il  alloic 
commander  une  armée  floriiïànte  6c  nombreufe  ,  mériter  la 
reconnoifTance  d'un  grand  Roi ,  &c  rendre  fon  nom  fameux 
dans  l'Allemagne  ôc  dans  l'Europe  entière  -,  que  retournant 
dans  fa  patrie  couvert  de  lauriers ,  la  fortune  lui  ouvriroit 
fans  aucunes  brigues  de  fa  part  un  chemin  au  thrône  Im- 
périal, fur  lequel  la  maifon  d'Autriche  chanceloit;  il  lui  avoic 
fait  entendre  qu'il  devoit  compoièr  fon  armée  de  fix  mille 
chevaux  ôc  de  dix  mille  hommes  de  pié. 

L'éledeur  de  Saxe  avoit  d'abord  goiité  l'avis  de  Schom- 
berg 5  il  fe  hâta  d'achever  cette  affaire  ,  dans  l'efpérance 
d'empêcher  les  levées  que  le  roi  d'Efpagne  faifoit  faire  dans 
TEmpire  pour  les  envoyer  au  duc  de  Parme  en  France  ^  il 
alla  donc  trouver  Jean  George  électeur  de  Brandebourg 
dont  il  avoit  époufé  la  fille,  &.  le  langrave  de  HelTe^  il  com- 
muniqua fon  deffein  à  ces  deux  Princes  fes  alliés.  Ils  ap- 
prouvèrent le  projet,  àc  perfuadérent  au'  Duc  de  prendre 
pour  fon  Lieutenant  général  le  prince  Cafîmir  fon  beau- 
frére^afin  d'aller  audevant  de  toute  jaloufie.  Cafmiir  ayant 
été  inftruit  du  réfultat  de  l'entrevûë  de  ces  Princes  accepta 
volontiers  en  apparence  la  Lieutenance  générale  3  mais  il  fie 
affez  paroître  qu'il  n'en  étoit  pas  content  au  fonds  par  la 
conduite  qu'il  tint  depuis  ce  tems-là.  Il  mit  en  œuvre  toute 
forte  de  moyens  pour  empêcher  la  réuffite  de  cette  affaire 
qui  étoit  en  bon  train. 
On  avoit  aiTez  de  foldats  pour  cette  grande  expédition: 

les 


OX^^SBOiBE'SKSSSia 


DE  J,  A.  DE  THOU,  Liv.   CL         319 

les  Officiers  s'emprefloienc  à  l'envi  à  fervir  fous  les  ordres 

d'un  cheFfi  confidérable  qu'on  ne  nommoit  cependant  qu'en  H  ii  n  k  r 

fecrer.  L'argent  ne  manquoit  pas  5  l'éledeur  de  Saxe  en  tour-       I  V. 

niflbit  autant  lui  lèul ,  que  deux  Princes  qui  en  auroient  con.     i  ^  o  r, 

tribué  beaucoup  ^  &  il  ofFroit  de  faire  les  avances  pour  ceux 

qui  vouloient  le  difpenfèr  d'entrer  dans  cette  contribution, 

fous  prétexte  qu'ils  n'avoient  point  d'argent  comptant.  Uat\ 

faire  ne  fe  conduifoit  d'abord  que  fecrétement-,  mais  il  fut 

impofîible  de  la  cacher  plus  long-tems,  à  caufe  du  grand 

nombre  d'Officiers  avec  qui  on  eut  à  traiter. 

L'empereur  Rodolfe  voyant  que  cet  orage  fe  formoit  con- 
tre le  roi  d'Efpagne  chef  de  la  maifon  d'Autriche,  interpo-  Conduite  de 
fa  fon  autorité  iur  le  champ  par  le  moyen  des  Ambalîà-  ^p^'^^J^J"^ 
deurs  qu'il  envoya  à  l'éledeur  de  Saxe,&  aux  autres  Princes, 
pour  les  détourner  d'une  entreprife  qui  feroit  funefte  ,  à  ce 
qu'il  difoit ,  à  l'Empire  &  à  leur  dignité.  Chriftien  averti  de- 
puis long-tems  par  fes  amis,  s'étoit  attendu  à  cette  démarche 
de  l'Empereur  ^  il  prit  le  parti  de  lui  envoyer  uneambafTade 
pour  lui  repreiènter  qu'il  falloir  profiter  des  diiTentions  des 
rois  de  France  èc  d'Eipagne  ,  pour  rendre  à  l'Empire  tout 
l'éolat  que  la  difcorde  de  fes  Princes  lui  avoit  fait  perdre 
autrefois ,  &  pour  fe  remettre  en  polTeffion  des  villes  ufur- 
pées  en  Allemagne  par  ces  deux  Souverains  :  Qii'on  avoit  le- 
vé dans  ce  delïein  avec  l'argent  que  les  princes  Confédérés 
èc  lui-même  avoient  fourni,  une  armée  qu'il  s'étoit  offert  de 
conduire  à  une  fi  glorieufe  expédition  :  Qu'il  ne  doutoit  point 
qu'elle  n'eût  tout  le  fuccès  qu'il  s'en  promettoit  ,  de  concert 
avec  ceux  qui  ne  cherchoient  que  la  gloire  de  l'Empire  , 
pourvu  que  S.  M.  Impériale  voulût  bien  favorifer  l'entre- 
prife ,  &  fe  charger  du  foin  de  la  conduire. 

Cette  adrefle  de  l'Eledeur  jerta  l'Empereur  dans  un  grand 
embarras  ^  il  craignit  ,  s'il  s'oppofoit  ouvertement  aux  deC 
feins  des  Confédérés ,  qu'ils  n'exécutaflent  malgré  lui  le  pro- 
jet qu'ils  avoient  formé  fans  fa  participation.  Il  crut  donc 
qu'il  falloit  diffimuler  ^  c'efl  pourquoi  ne  voulant  pas  paroî- 
tre  défaprouver  dès  le  commencement  la  réfolution  des 
princes  de  l'Empire  ,  il  accepta  la  propofition  de  prendre 
fur  lui  le  foin  de  faire  la  guerre.  Il  demanda  du  tems  pour 
délibérer  &  prendre  (es  mefures  ^  afin  de  laifîèr  palier  le 
Tome  Xh  T  C 


330  HISTOIRE 

.  tems  d'agîr ,  &  qu'on  n'apportât  point  d'obflacles  aux  îe- 

PIenri  vées  que  Philippe  fai Toit  faire  en  Allemagne. 

IV.  Ceux  qui  ne  cherchoient  qu'à  éloigner  cette  dangereule 

î  S9I.  expédition  ,  firent  entendre  à  l'élecTieur  de  Saxe  qu'il  fal- 
loit  députer  vers  les  Princes  Catholiques ,  afin  de  leur  ôter 
le  foupqon  qu'il  n'avoit  levé  des  troupes  que  pour  fecourir 
Je  roi  de  France,  &  non  pas  dans  l'intention  d'afiurer  la  li- 
berté de  l'Empire.  Nicolas  Crell  chancelier  de  TPHedeur 
avoit  beaucoup  d'éloignement  pour  cette  expédition  3  Ibic 
qu'il  n'augurât  pas  bien  de  l'événement  j  (bit  qu'il  eût  été 
gagné  par  les  Éipagnols  ,  comme  on  le  difoit  communé- 
ment, il  eut  de  fecretes  conférences  avec  Je^n  Cafimir  •  il 
perfuada  à  ce  Prince  foup(^onneux  ôc  fufceptible  de  jaloufie  , 
que  ^Qs  envieux  ne  lui  avoient  fait  donner  la  Lieutenance 
■^  générale  de  l'armée,  que  pour  lui  en  arracher  le  comman- 

dement qui  étoit  dû  à  Ion  mérite  :  Qiie  ce  n'étoit  pas  en  con- 
Hdération  de  la  dignité  de  i'éledeur  de  Saxe  qu'on  l'avoir 
fait  Général  de  l'armée  auxiliaire  :  Qiie  ce  Prince  ne  pou- 
voit  s'éloigner  de  Tes  Etats  fans  danger  :  Qu'il  ne  pouvoic 
fans  une  témérité  préjudiciable  à  fes  intérêts  tenter  des  ex- 
ploits qu'on  attendoit  de  la  valeur  ôc  de  TexpériencQ,  du 
prince  Cafimîr  :  Qii'il  devoir  donc  par  ces  motifs  fe  faire 
donner  le  commandement  de  l'armée,  ou  faire  échouer  une 
entreprife  fi  téméraire. 
.    -c     j        Tean  Cafimir  qui  vouloît  que  tout  roulât  fur  lui  en  Aile- 

Artifices  de         -^  ,  ^      ii  i    •/-        «i    r      i     •      •  J 

3ean  Cafimir.  magne ,  ccouta  Crell  avec  piaiiir  ^  il  louhaitoit  avec  ardeui 
de  faire  voir  au  Roi ,  qui  s'étoit  d'abord  adrefié  à  l'éledeur 
de  Saxe  ,  &  au  Landegrave  de  HefiTe  qu'il  eût  dûs'adrefi^er  à 
lui.  Il  commença  donc  par  s'afiûrer  des  principaux  Con- 
feillers  de  l'éledeur  de  Saxe.  Il  prétexta  enfuite  ces  motifs 
pour  diifuader  ouvertement  le  projet  de  cette  expédition  :  Il 
dit  que  cette  entreprife  avoit  été  propofée  par  un  homme 
fufped  aux  Proteftans^  il  vouloir  parler  de  Schomberg:  Qu'à 
la  vérité  la  Saxe  l'avoit  vu  naître  -,  mais  qu'il  n'avoit  pas  con- 
fervé  l'amour  de  la  patrie  :  Que  les  rois  de  France  l'avoienr 
depuis  peu  naturalilé  Francjois  :  Qu'il  avoit  toujours  fuivi 
ces  Princes  dans  les  guerres  civiles  deFrance  contre  les 
Proteftans  :  Qu'il  n'avoit  d'autre  but  dans  cette  cntrepriie, 
que  de  fe  faire  confidérer  du  nouveau  Roi  ,  de  forcer  les 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CL        331 

princes  Catholiques  de  l'Empire  à  prendre  les  armes ,  lorf- 
qu'iis  verroient  que  les  Proteflans  les  avoienc  prifës  3  ^  de  Henri 
les  commettre  eniemble  pour  la  perte  de  l'Allemagne  ôc       IV. 
pour  le  ibuiagement  delà  France  où  fa  famille  ëtoit  éta-      1^01, 
blie.  Les  Coniëillers  des  Souverains  d'Allemagne  qu'il  ic^a- 
voit  avoir  de  l'éloignement  pour  cette  expédition ,  (  parce 
qu'ils  ont  plus  de  crédit  dans  la  paix  que  dans  la  guerre  )  ap- 
plaudirent à  CQs  raifons.  Le  Chancelier  Crell  vint  enfin  à 
bout  de  rendre  Schomberg  rufpect  â  l'éledeur  de  Saxe.  Cet 
homme  artificieux  faifoit  naître  à  chaque  inftant  de  nou- 
veaux obftacles  ;  il  les  faifoit  fans  ceflè  envifager  à  ce  jeune 
Prince,  dont  il  étouffa  par  ce  moyen  l'ardeur  pour  la  gloire^ 
enfin  il  fe  joignit  au  prince  Cafîmir  pour  l'engager  à  écrire 
au  Roi,afin  de  le  prier  d'envoyer  un  autre  Général  pour  com- 
mander les  AUemans.  /' 

Schomberg  ayant  été  informé  de  ces  nouvelles ,  dépê-  zék  de 
chaau  Roi  quife  repofoit  à  Mante  des  fatigues  de  la  bataille  Schomberg. 
d'Ivry ,  Baradat,  jeune  homme  brave  Se  plein  de  feu,  pour 
écarter  tout  foupçon  de  fa  conduite  j  &  afin  de  faire  voir  au 
Roi  que  ces  variations  étoîent  le  fruit  des  manœuvres  de 
Cafîmir,  qui  n'ayant  perfonne  au-deffus  de  lui  dans  l'Em- 
pire ,  ne  vouloir  point  foufFrir  d'égal  :  Que  ce  Prince  préve- 
nu en  fa  faveur  méprifoit  les  deffeins  des  autres ,  ou  les  fai- 
foit échouer,  en  répandant  des  foupçons  :  Qu'il  avoit  hau- 
tement fait  paroître  qu'il  vouloit  que  les  affaires  de  France 
j'oulaiîènt  fur  lui  feul  en  Allemagne  :  Qiie  lorfqu'il  avoic 
amené  quatorze  ans  auparavant  une  armée  au  duc  d'Anjou, 
il  avoit  fait  inférer  dans  Iqs  articles  du  traité  ,  qu'il  auroic 
dans  la  fuite  le  commandement  général  des  troupes  Alle- 
mandes :  Que  dans  cette  occafion  Schomberg  de  les  autres 
Officiers  s'étoient  élevés  contre  lui,  apportants  pour  raifon 
que  cela  étoit  contraire  à  l'ufàge  reçu  en  Allemagne  ,  avec 
déclaration  de  leur  part  qu'ils  ne  lui  obéïroient  pas  :  Que 
ç'écoit-là  le  principe  de  la  haine  de  Cafimir  contre  lui  :  Que 
cependant  il  étoit  prêt  pour  faire  voir  qu'il  préféroit  l'in- 
térêt public  à  fes  droits  ,  de  renoncer  à  fon  emploi  :  QLi'ii 
fouhaitoit  feulement  que  le  Roi  bien  informé  delà  conduite 
qu'il  avoit  tenue  en  Allemagne  ,  ne  le  foupçonnât  point  d'a- 
voir manqué  d'attachement ,  d'ardeur  de  de  foins  pour  faire 

Tcij 


33^  HISTOIRE 

rëiiiîir  l'entreprîfe  :  Qii'à  l'égard  de  l'état  des  Proteftans 
•Henri  dans  l'Empire,  l'électeur  de  Saxe  étoit  le  plus  puiffànt  par 
I  V.       fes  richefles  3  qu'il  écoic  en  apparence  6c  pour  la  montre  à 
I  COI,     ^^  ^^te  des  affaires  5  mais  qu'au  fond  le  prince  Jean  Caiimir 
étoit  le  maître  des  délibérations  :  Qii'ii  exerçoit  fa  haine  & 
vengeoit  fes  querelles  particulières  par  le  moyen  de  l'Elec- 
teur, qui  la  plupart  du  tems  ignoroit  toutes  ces  démarches  de 
Cafimir  ;  Schomberg  infinua  ce  dernier  article  avec  beaucoup 
d'adrefle. 

Le  Roi  qui  par  le  befoin  qu'il  avoit  de  l'Eleéteur ,  &  de 
Ca{imir,fe  rendoit  à  leurs  volontés,  écrivit  à  Schomberg  de 
choiiir  entre  ces  deux  partis  j  ou  de  venir  le  trouver,  l'alîii- 
rant  d'un  rang  honorable  dans  fon  armée  &:  à  la  Cour  3  ou 
de  faire  des  levées  particulières  dans  l'Empire.  Schomberg 
prit  ce  dernier  parti  3  emprunta  de  l'argent  du  Landgrave 
de  HelTe  avec  qui  il  étoit  lié  d'une  étroite  amitié ,  &  leva 
fîx  cens  chevaux.  Il  n'abandonna  pas  le  vicomte  deTurenne 
d'un  moment  pendant  qu'on  faifoit  ces  levées,  afin  de  faiu 
fîr  toutes  les  occalîons  de  fervir  le  Roi, 
La  ville  Je  On  traita  auffi  avec  les  villes  Impériales.  Le  Vicomte  ayant 
StrafDourg      demandé  de  l'arsent  à  emprunter  à  ceux  de  Strafbours;  3 

s  empare  de  &  r  .  o   ■> 

lachartrcufe  ils  prohtcrcnt  de  1  occafion  pour  accomplir  un  projet  qu  lis 
par  un  traité  avoient  formé  depuis  long- tems.  Il  y  avoit  hors  des  murs 
Rei^  "  une  Chartreule  qui  commandoit  la  ville  en  quelque  façon. 

Ayant  conçu  le  delfein  de  la  détruire  ,  ils  commencèrent 
à  penfer  ferieufement  à  en  venir  à  bout ,  &  à  s'approprier 
les  revenus  de  ce  monaftére.  Ils  aflurérent  d'abord  l'Am- 
bafîadeur  de  leur  bonne  volonté  pour  le  Roi  3  6c  faifants  pa- 
roître  de  la  reconnoiflance  des  bienfaits  qu'ils  avoient  re- 
çus de  Ces  prédécelîeurs ,  ils  lui  dirent  qu'ils  ne  pouvoient 
fournir  les  lubiides  qu'on  leur  demandoit  ,  qu'à  condition 
que  ce  Prince  leur  céderoit  fes  droits  fur  ce  monaftére.  Ils 
ajoutèrent  qu'ils  auroient  pu.  s'en  emparer  étant  fitué  dans 
leur  territoire  ,  pnrce  qu'il  étoit  permis  par  les  traites  de 
paix  faits  dans  l'Empire  aux  Princes  U  aux  villes  Impériales 
de  la  ConfeiTion  d'Aufbourg,  de  réunir  à  leur  domaine  les 
biens  Eccléfialliques  qui  étoient  dans  leur  Jurifdiétion  : 
Qu'on  l'avoit  fait  en  plufieurs  endroits,  fans  en  avoir  reçu  au- 
cune plainte  j  mais  que  fçachançs  que  ce  monaftçre  dépendoit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CL         333 

ée  ïa  grande  Chartreufe  qui  efl  de  la  jurifdidion  de  France,ils 
n'avoient  pas  voulu  paroîcre  en  la  décruilànt,violer  l'alliance  H  e  n  k  i 
ou  ofFenfer  la  Majefté  de  nos  Rois ,  eux  qui  avoient  toû-       l  y. 
jours  eu  pour  ces  Princes  les  égards  qui  leur  font  dûs  :  Qii'ils     ^  ^  q  ^ 
prioient  donc  le  Roi  de  leur  céder  fes  droits ,  &  de  leur  per-       ^  ^ 
mettre  de  détruire  cette  Chartreufe  dont  les  biens  étoient  ré- 
gis depuis  long-tems  par  le  miniftére  d'Economes  &:  de  Pro- 
cureurs nommes  par  la  République  j  ce  qu'ils  prouvèrent  en 
produisant  des  lettres  Patentes  données  eni542.  par  Fran- 
çois I.  qui  avoit  interpofé  Ton  autorité  dans  cette  affaire. 

Le  vicomte  de  Turenne  leur  ayant  fait  réponfe  qu'il  n'a- 
voit  point  d'ordre  à  ce  fujet  ,  ils  lui  firent  entendre  qu'ils 
ne  pouvoient  contribuer  qu'à  cette  condition.  On  convint 
enfin  de  part  &c  d'autre  que  les  habitans  de  Strafbourg  don- 
neroient  le  10.  Juillet  douze  mille  florins  pour  leur  cotte-= 
part  des  fommes  que  \qs  Princes  de  les  villes  de  l'Empire 
avoient  promifes  au  Roi  :QLi'ils  ne  pourroient  demandera 
ce  Prince  la  réparation  des  dommages  qu'ils  avoient  fouf- 
ferts  du  pafTage  de  fes  troupes  fur  leurs  terres  ;  Qii'ils  le 
tiendroient  quitte  des  quarante-deux  mille  florins  qu'ils  lui 
avoient  prêtés  depuis  trois  ans  ^  qu'ils  rendroient  les  obliga- 
tions qu'en  avoient  faites  les  ambaiîàdeurs  de  France  : 
Qii'outre  cela  ils  compteroient  aduellement  douze  mille  flo- 
rins. Le  vicomte  de  Turenne  leur  céda  au  nom  du  Roi,  en 
vertu  du  pouvoir  fouverain  de  S.  M.  les  bâtimens ,  les  do-, 
maines ,  ôc  les  revenus  de  la  Chartreufe  ,  pour  en  faire  ce 
que  bon  leur  fembleroit  ^  avec  promeflfe  de  faire  ratifier  aux 
principaux  de  l'Ordre  cette  aliénation  ,  pour  laquelle  le  Roi 
leur  donneroit  des  terres  en  échange, &;  contenteroit  tous 
autres  qui  pourroient  à  ce  fujet  inquiéter  la  République. 

11  fut  permis  par  cette  tranfaction  aux  Chartreux  de  ce 
monafliére  ,  de  fe  retirer  dans  la  maifon  qu'ils  avoient  dans 
la  ville,  &:  d'emporter  les  ornemens  d'Eglife  ,  les  vafes  fa- 
crés,&  tous  leurs  meubles  avec  eux. Cela  (é  pafla  le  trois 
Juillet  à  Strafbourg.  On  envoya  fur  le  champ  des  ouvriers 
en  grand  nombre  pour  démolir  les  bâtimens  à  la  hâte  ,  de 
peur  qu'on  n'y  formât  quelque oppofition.  Plufieurs  écrivains 
ont  parlé  de  ce  fait  avec  partialité ,  de  ont  voulu  infinuer  que 
ceux  de  Scralbourg  avoient  agi  de  leur  autorité  privée ,  ôc 

T  t  iij 


3  34  HISTOIRE 

I  avcienc  ufé  de  violence  ,  fans  J'inrcrvencion  de  Vantomé 

Henri  Royale. 

I  V.  Theodoric  de  Schomberg  de  Bechevillier   baron  d'AL 

I  ^91.  ^^^^  '  parent  du  comte  de  Nanteuil ,  avoit  traniîgé  fix  ans 
auparavant  pour  la  même  affaire.  Dom  Boette  &  Doni 
Pierre  Charbonnier  Chartreux  etoicnt  venus  fur  les  lieux 
par  ordre  de  leur  Général  3  &  ayant  examiné  toutes  chofés, 
ils  avoient  fait  leur  rapport  au  Chapitre  tenu  dans  la  grande 
Chartreufe ,  ÔC  avoient  dit  que  la  dilcipline  régulière  étoîc 
abolie  dans  le  monaftére  de  Strafbourg.  On  avoit  fait  mon- 
ter les  bâtimens  &  les  revenus  de  la  Chartreufe  à  trente 
mille  écus  d'or  3  le  Baron  avoic  fait  un  tran(port  au  géné- 
ral des  Chartreux  ,  jufqu'au  payement  de  cette  lomrne  , 
d'une  rente  annuelle  de  quinze  cens  écus  d'or  fur  l'Hotel- 
de-ville  de  Paris  qui  lui  étoit  due  par  le  Roi  ,  le  tout  fans 
préjudicier  en  rien  à  l'autorité  du  Pape. 

Cette  tranfadion  avoit  été  lue  &c  ratifiée  dans  le  Cha* 
pitre  général  de  la  grande  Chartreufe  près  Grenoble  le  30. 
Avril  1587.  Mathias  Courtin  Vicaire  ôc  coadjuteur  du  gé- 
néral de  l'Ordre  abiént  pour  caufé  de  maladie  ,  Dom  Jé- 
rôme le  Long  prieur  de  Milan  ,  Dom  Bernardin  d'Alva 
prieur  de  Majorque  de  la  province  de  Catalogne  ,  Dom 
Pierre  Charbonnier  prieur  de  la  maifon  de  Brunn  prcs  de 
Brème  ,  dans  la  bafTe-AUemagne ,  Dom  Fiacre  Billard  pHeur 
de  la  Chartreufe  d'Alyon  ,  dom  Etienne  Baragis  prieur  de 
celle  de  Pavie ,  ôc  Dom  Jérôme  Marchant  prieur  de  la  nou- 
velle Chartreufe  de  Lyon  ,  fignérent  cet  acte  de  vente. 

Theodoric  de  Schomberg  ayant  enfuite  été  tué  à  la  ba- 
taille d'Ivry ,  la  guerre  fut  caufè  que  la  penfîon  convenue 
ne  fut  point  payée  aux  Chartreux.  Lqs  héritiers  du  more 
n'accomplilToient  point  d'ailleurs  les  conditions  du  contrat  de 
vente.  Ain  fi  les  Chartreux  reftérent  en  polIèfTion  du  mo- 
naflcre  jufqu'à  l'arrivée  du  vicomte  deTurenne  ,  qui  voyant 
que  l'ordre  entier  avoit  conlenti  à  cette  vente,  traita  avec 
le  fénat  de  Strafbourg  aux  conditions  que  nous  avons  rap< 
portées.  Le  Roi  les  ratifia  -,  6c  ayant  obtenu  des  héritiers  de 
Schomberg  une  cefîion  de  leurs  droits  ,  il  tranfîgea  cinq  ans 
après  avec  les  prieurs  de  l'Ordre.  On  dit  que  ce  monaflére 
avoic  été  fondé  ôc  bâti  par  Jean  de  Milhe^par  Gérard  de  Saxe^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CI.  335 

èc  Werner  de  HeiTe  trois  riches  habitans  de  Scrafbourg  en       ■ 
I  340.  On  employa  le  mois  d'Août  tout  entier  à  abattre  l'E-  Henri 
glife  &  la  tour ,  ôc  le  refle  fut  réuni  au  domaine  de  la  ville       I  V. 
de  Strafbourg.  i  591. 

Les  Officiers  arrivèrent  de  tous  côtés,  de  Siléfîe,  de  Saxe,  ^rmée  anxi- 
de  Brandebourg ,  de  Tliuringe  ,  de  Mifnie ,  ôc  s'alEemblérent  Haire  d'Aiie- 
pour  recevoir  leurs  appointemens.  Les  premiers  qui  étoienc  "^^S"^- 
allés  faluer  le  prince  d'Anhalt  à  Geianfen  eurent  ordre  d'al- 
ler à  Urfel  &c  à  Francfort  fur  le  Meyn.  On  lit  enfuite  pu- 
blier au  fujet  des  vivres  un  règlement ,  par  lequel  on  fixa 
le  prix  du  bled  ,  de  l'avoine  ,  du  vin  ,  de  la  bierre  &  des 
autres  chofes  néceffaires  à  la  vie ,  avec  défenfe  aux  foldats 
de  piller  les  jardins ,  d'emmener  les  troupeaux  ,  de  gâter  les 
moiiîbns.  Enfin  le  i  i.  Août  tous  les  Colonels  s'allemblérent 
à  Hocheim  où  l'on  avoit  coutume  de  faire  la  revue  des 
troupes  3  on  palTa  d'abord  en  revûë  mille  chevaux  fous  les 
ordres  de  Thomas  baron  de  Crehanges  ,  de  un  pareil  nom- 
bre conduit  par  le  baron  de  Dohna,  qui  avoit  commandé 
cinq  ans  auparavant  l'armée  auxiliaire  en  Chef.  Il  ne  crue 
pas  au-deflbus  de  lui  de  venir  réparer  en  qualité  de  firnple 
Colonel  les  mauvais  fuccès  qu'il  avoit  eus  par  la  faute  d'au- 
trui,lorfqu'il  écoit  Général  d'armée.  Venoit  enfuite  l'artil- 
îerie  avec  douze  cens  mineurs  ou  pionniers.  Le  vicomte  de 
Turenne  fuivoit  à  la  tête  du  régiment  de  France  compofé 
de  feize  cens  hommes  de  cavalerie  èc  d'infanterie  3  le  prince 
d'Anhalt  commandoit  enfuite  douze  cens  chevaux^^:  George 
Guillaume  de  BerbifdorfF  conduifoit  mille  hommes  de  ca- 
valerie. 

Le  prince  d'Anhalt  ne  fê  réferva  que  le  pouvoir  de  don- 
ner l'ordre,  6c  confentît  que  le  vicomte  de  Turenne  prît  le 
commandement  de  l'armée  ,  jufqu'à  la  jonction  de  ces  trou- 
pes à  celles  du  Roi.  Le  prince  d'Anhalt  devoit  après  cette 
jondion  prendre  la  place  du  Vicomte.  Après  qu'on  eut  fait 
la  revûë  de  ces  troupes ,  elles  firent  ferment  en  élevant  les 
mains ,  de  fervir  fidèlement  pendant  trois  mois  fous  les  dra- 
peaux du  Roi.  Le  bruit  du  canon  fè  mêla  au  fon  des  trom- 
pettes ,  &  annonça  la  joye  de  l'armée.  On  fit  dans  une  partie 
d'une  vafte  plaine  coupée  par  un  petit  retranchement  , 
la  revûë  de  l'infanterie  compofée  de   fîx  mille  hommes 


33<^  HISTOIRE 

commandés  par  Herman  comte  de\\^ecla,  &par  le  baron 
Henri  de  Lency.  Ces  troupes  paiîërenc  le  Rhin  avec  la  cavalerie 
IV.       à  Walhaufen  fur  70.  barques  &;  fur  quelques  grands  ba* 
I  COI,     teaux  qu'on  leur  renoit  prêts. 

Qiiclque  rems  après,  Arnauld  Frentz  fe  rendît  au  camp 
fuivi  de  lîx  cens  chevaux  5  Olivier  Tempel  en  amena  deux 
çens,&  deux  mille  hommes  d'infanterie.  Ifelftein  &  Quad 
vinrent  à  la  tèiQ  ,  chacun  de  deux  cens  hommes  de  cavale- 
rie de  de  lîx  cens  hommes  de  pied.  Le  lieutenant  de  Re- 
bours qui  faifoit  alors  des  levées  en  Hollande  ,  arriva  avec 
cent  chevaux  &  quatre  cens  hommes  d'infanterie.  Le  vicomte 
de  Turenne  &;  le  prince  d'Anhalt  étant  arrivés  le  i  2.  Août 
à  Newenhoff  ville  du  Palatinat ,  réglèrent  ainfî  la  marche 
de  l'armée.  Le  vicomte  de  Turenne  fe  chargea  de  l'avant- 
garde  j  le  prince  d'Anhalt  fe  mit  au  corps  de  bataille  j  Ber- 
bifdoifF  conduifoit  l'arriére-garde.  Qiiatre  cens   hommes 
des  troupes  d'Ifelflein  venoient  enfuite,avec  un  pareil  nom- 
bre commandé  par  le  lieutenant  de  Rebours.  Le  baron  de 
Crehanges  fuivoic  avec  fa  cavalerie  j  on  voyoit  après  lui 
Bernard  prince  de  Defïàuv  parent  du  prince  d'Anhalt  a 
la  tête  de  la  compagnie  des  Gardes  â  cheval  de  ce  Prince. 
Le  baron  de  Dohna  marchoit  après  lui  accompagné  de 
inille  chevaux.  Les  troupes  du  baron  de  Lenty  &  du  comte 
de  >^eda  fuivoient  ^  le  comte  Herman  s'étoit  mis  à  la  tête 
de  quatre  cens  chevaux  3  &  Tempel  commandoit  quatre  cens 
hommes^d'infanterie  &  deux  cens  chevaux.  Chriftophle  Eller 
conduifoit  l'aile  gauche  compofée  d'un  bataillon  d'infante- 
rie. Le  comte  de  XY^efterbourg  étoit  au  milieu  avec  un  dé~ 
rachement  d'infanterlcj^;  trois  mille  chars  fervants  de  retran- 
chement fermoient  la  marche  de  l'armée.  La  conduite  de 
l'artillerie  5i  des  munitions  de  guerre  échut  par  le  fort  au 
baron  de  Dohna. 

Le  comte  de  Mansfeld  l'aveugle ,  Se  le  comte  de  Barby 
vinrent  de  Thuringe  joindre  l'armée  dans  fa  marche.  Gaf. 
pard  Schomberg  fe  rendit  par  un  autre  chemin  au  travers 
des  montao-nes  à  Strafbouro; ,  où  il  pafTa  le  Rhin.  Rebours 
qu'on  avoitempêché  de  pafler  ce  fleuve,  &  qui  devoit  lui- 
vre  le  vicomte  de  Turenne  ,  fe  voyant  abandonné  par  la 
plupart  de  fes  foldats ,  fe  joignit  à  Schomberg.   Le  duc  Jean 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  CI.         537 

Cafimir  alla  au-devant  de  l'armée  ;  on  fie  à  fon  arrivée  des  ?^^ 


décharges  d'artillerie.  Il  eut  une  Conférence    de  quelques  Henki 
heures  fur  l'état  des  affaires  avec  le  vicomte  de  Turenne,       I  V. 
&  le  prince  d'Anhalt  j   ils  continuèrent  enfuite)  leur  route     1591. 
vers  Hombourg,Forbach  èc  Saint  Avol  (i)  après  quelques 
conteftations.  Us  attaquèrent  la  première  de  ces  places,  èc 
furent  repoulTès  avec  perte  3   les  deux  autres  furent  priles 
d'aflaut ,  6c  mifes  au  pillage. 

Sur  ces  entrefaites  la  guerre  s'échaufFoit  en  France.  Les  Les  Ligueurs 
Parifiens  ouvrirent  la  campagne  par  la  tentative  qu'ils  firent  att-quent 

r       r    •        T\      '  ira.*  J    •      -  Saine   Denis. 

lur  Samt  Denis,  que  les  ractieux  regardoient  comme  une 
citadelle  qui  les  tenoit  en  bride.  Cette  place  eft  éloignée 
de  Paris  d'un  peu  plus  de  quatre  mille  pas  3  elle  cft  dans  une 
afliéte  avantageufe,  dans  un  terrain  coupé  de  marais  3  fes 
murs  étoient  alors  de  plâtre ,  peu  élevés  &  fans  defenle  3  il 
n'y  avoit  point  de  rempart  fortifié  en  dedans ,  &  fes  foiïés 
etoient  étroits  &  fans  profondeur,  Biron  y  avoit  autrefois 
fait  élever  à  la  hâte  ,  lorfque  le  duc  d'Alençon  quitta  la  Cour 
feize  ans  auparavant ,  des  fortifications  qui  n'ayant  point 
été  achevées  étoient  entièrement  ruinées  par  le  tems  ^\es 
injures  de  l'air.  Les  foldats  de  Lavardin  ,  qui  avoient  été 
chargés  de  défendre  la  place,  avoient  ravagé  les  maifons 
qui  etoient  inhabitées ,  ôc  les  hôteleries  où  l'on  reçoit  les 
marchands  qui  viennent  en  grand  nombre  deux  fois  l'an- 
née aux  foires  qui  fe  tiennent  dans  cette  ville.  Ils  avoient 
ruiné  lesbâtimens  pour  vendre  les  mate  riaux  ,  ou  s'en  étoient 
fervis  à  faire  du  feu  à  caufe  de  la  rigueur  de  1  hiver  qui 
commençoit  à  fe  faire  fentir.  Dominique  de  Vie  qui  venoit 
de  fuccéder  depuis  huit  jours  à  Lavardin  voyant  la  ville 
en  fi  mauvais  état ,  &  ruinée  en  plufieurs  endroits ,  fe  trouva 
fort  embarrafié  3  il  avoit  befoin  d'un  bon  nombre  de  ibldats 
pour  garnir  la  place  qui  eft  afiès  grande ,  &  de  beaucoup 
de  travailleurs  que  le  froid  qui  avoit  glacé  les  marais  ren- 
doit  pour  lors  inutiles.  La  rigueur  de  la  faifon  facilitoit 
aux  ennemis  les  approches  de  Saint  Denis  3  car  un  cavalier 
pouvoit  en  paffant  fur  la  glace  venir  au  pied  du  mur,ês:le 
franchir  avec  Ion  cheval. 

Claude   de  Lorraine  chevalier  d'Aumale ,  jeune  Seigneur 

(i)    Les  AUemans  l'appellent  Santafort, 

Tome  XL  V  u 


338  HISTOIRE 


f  I  ardent ,   impétueux  ,  èc  courant  après  les  dangers   sVflFrît 

Henri  èc  partit  aulFitôt  pour  cet  expédition  à  la  tête  de  huit  cens 
IV.       hommes   d'infanterie  &:   de  deux    cens  chevaux,  pendant 
I  jo  I.     la  nuit  ,1a  veille  de  iainte  Geneviève.  Les  Ligueurs  le  Hâtè- 
rent que  cette  Sainte  feroit  rëCiffir  i'entrepriic  ,  parce  qu'elle 
étoit  la  patrone  de  Paris.  Tout  fut  d'abord  pour  eux  j  6c  les 
ibldats  s'étant  facilement  approchés  du  mur  à  la  faveur  de 
la  glace  ,    entrèrent   dans   la  ville  par  les   brèches  qu'ils 
rencontrèrent  en  plufieurs  endroits  :  ils  percèrent  fans  rè- 
iiftance  de  la  part  des  corps-de-gardes ,  qui  étoient  en  petit 
nombre  à  caufe  de  l'étendue  de  la  place  ,juiqu'à  la  porte 
de  Paris  j  èc  ayant  brife  les  herfes  ,  ils  ouvrirent  la  porte  à 
la  cavalerie.    On  courut  auffitot  en   foule  à  l'Abbaye,  en 
poulîant  de  grands  cris ,  comme  fi  on  eût  été  déjà  maître 
de  la  ville.  Le  chevalier  d'Aumale  plein  de  joie  d'entendre 
lesloldats  qui  crioient  'vive  a  Aitmale  ^  marchoit  à  pied  à 
leur    tête   l'èpèe  à  la  main, 
du  Comce"ae       1-^  gouvemeur  de  Vie ,  officier  brave  &:  d'un  attachement 
Vie.  inviolable  à  ion  devoir  ,   étonné  de  voir  les  ennemis  dans 

fa  place  ,  (  ce  qu'il  avoit  cependant  bien  prévu ,)  iortit  à  che- 
val de  l'Abbaye,  accompagné  de  fept  Gentilshommes 
de  fcs  amis  3  il  ne  conlulta  que  fon  deiefpoir  j  il  crut  que 
quoiqu'il  n'y  eût  point  de  la  faute ,  &  qu'on  ne  pût  l'ac- 
culer d'avoir  manqué  de  fidélité,  il  ètoit  du  moins  de  fon 
honneur  de  ne  pis  furvivre  à  la  perte  d'une  place  de  fi 
grande  importance,  &.fur  laquelle  on  avoit  fondé  Tefpé- 
rance  de  revenir  aiîièger  Paris.  Malgré  fon  dèfefpoir  il  ne 
fe  déconcerta  point  j  &  ayant  ordonné  à  un  Trompette  de 
fonner  la  charge,  comme  s'il  avoit  eu  unenombreufè  cava- 
lerie ,  il  jetta  l'épouvante  parmi  les  ennemis  qui  marchoienc 
au  haiàrd  au  milieu  des  ténèbres.  Comme  il  ne  cherchoic 
qu'à  mourir  ,  il  s'élança  fur  l'ennemi ,  dont  il  enfonça  les 
premiers  rangs  -,  il  poulTa  même  le  chevalier  d'Aumale 
jufque  dans  l'hôtellerie  de  l'èpèe  fleurdelifèe  j  ce  qu'on 
,     V     reearda  comme  un  pronoftic  favorable.   Un  des  fept  com- 

Le   chevalier       b  ,     ,r-  ^      /•  •    •     i     /-^i  r  o     i  r         1 

d'Aumale  eft  pagnons  de  Vie  y  pourluivit  le  Chevalier  ,  oc  le  tua  lans  le 
tué.&  les     connoître.  Le  bruit  de  la  mort  du  chef  fe  répandit  parmi 

Liciucurs font  .       ^  ,  ,  i  n  .         ,^       ^  ,  ^  r        ^^ 

xepouiTé?.       les  foldats  3  la  conltcrnation  hit  fi  grande ,  qu  on  ne  longea 
plus  à  refter  dans  la  ville.   On  ne  pcnfa  plus  qu'à  fuir  j  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  339 

défordre  fe  mit  dans  les  rangs  •  ils  fe  renverfèrent  les  uns     h    ■       1 
fur  les  autres  j  les  officiers  le  difperférent  de  difFérens côtés,  Henri 
fans  pouvoir  reconnoître  les  leurs  dans  l'obrcurite.  Lagar-        IV. 
nifon  fe  rendit  alors  auprès  du  Gouverneur,  àc  tailla  en     j  cqi 
pièces  deux  cens  ennemis.  Le  nombre  des  priibnniers  ne 
fut  pas  conlidérable  -,  le  refte  s'enfuit ,  6c  courut  s'enfermer 
dans  Paris. 

Les  Ligueurs  accuférent  Sainte-Geneviève  de  les  avoir 
abandonnés ,  de  s'être  retirée  de  la  ville  ,  pour  accorder 
fa  protection  aux  Royaliftes ,  6c  d'être  paiîée  dans  leur 
camp.  On  a  remarqué  que  cet  accident  avoit  beaucoup 
refroidi  la  dévotion  des  Parifiens  envers  leur  patronne.  Lqs 
fadieux  furent  concernés  de  ce  revers.  La  plupart  des 
bourgeois  préférants  pour  leur  fureté  de  voir  Saint  Denis 
plutôt  entre  les  mains  du  Roi  6c  du  comte  de  Vie  qui  étoic 
modéré  ,  que  fous  la  puifîance  d'un  nouveau  maître  ,  fe  re- 
jouirent ouvertement  du  malheureux  fuccès  de  cette  ten- 
tative 5  car  le  bruit  s'étoit  répandu  que  le  Chevalier  d'Au- 
male  n'ayant  point  de  citadelle  à  Paris,  avoit  rciôlu  d'en 
faire  une  de  la  ville  de  Saint  Denis ,  afin  d'y  enfermer  ceux 
que  leur  opulence  d>C  leur  inclination  pour  la  paix  lui  ren- 
doitfufpecls ,  après  les  avoir  fait  prendre  par  fes  éniifîaires. 
Son  corps  fut  mis  dans  un  cercueil  de  bois ,  faute  d'en 
avoir  de  plomb ,  6c  dépofé  dans  une  chapelle  baffe  de 
l'Abbaye.  On  remarqua  dans  la  fuite  que  les  rats  attirés 
par  une  odeur  de  corruption,  ou  par  une  autre  caufe, 
s'étoient  gliffés  dans  fa  bière  6c  a  voient  rongé  tout  iOii 
corps. 

Le  R.oi  ctoit  à  Senlis ,  lorfque  Jean  de  Turin  ,  fils  de  ce 
fameux  Jérôme  natif,  de  San-Sépolcro  en  Tofcane ,  vinc 
lui  apprendre  la  faufîè  nouvelle  de  la  prife  de  Saint  Denis. 
Turin  malade  d'une  fîévre  quarte  s'etoit  retiré  la  veille 
fur  le  foir  de  la  campagne  dans  cette  ville  ,  à  caufe  de  fa 
maladie.  Il  s'étoit  logé  dans  une  hôtellerie  voifine  de  la 
porte  de  Paris,  dont  on  s'étoit  d'abord  fàifi.  Dès  qu'il  vie 
l'ennemi  dans  la  ville,  il  crut  qu'il  devoit  avertir  le  Roi, 
jugeant  qu'il  feroit  auffi  facile  à  ce  Prince  de  reprendre 
cette  place  fans  défenfe  Se  ouverte  de  tous  côtés  ,  qu'il 
Tavoïc  été  aux  Ligueurs  ,  s'il   arrivoit  afi'ez  à  tems  pour 

Vuij 


340  HISTOIRE 

r-^n-^r^^^^^r^  furprendre  les  Vainqueurs  encore  occupés  au  pillage.  Sadilf- 
HfNRi  gence  eue  un  autre  fore  qu'il  ne  l'avoic  efpéré.  On  reçue 
IV.  une  heure  après  fon  arrivée  une  lettre  du  comte  de  Vie, 
j  cpi,  qui  apprit  au  Roi  qu'il  avoit  chafTe  les  ennemis  de  fa  place. 
Il  difoit  dans  fa  lettre,  qu'il  avoit,  par  une  faveur  lîngu- 
liére  de  Dieu  ,  6c  féconde  de  la  bonne  fortune  du  Roi , 
fauve  Saint  Denis  du  péril  qu'il  avoit  couru ,  èc  vu  périr 
le  chef  des  ennemis.  Tous  ceux  qui  étoient  pré(ens  regar- 
dèrent Turin  j  quelques-uns  fe  mirent  à  rire ,  &  plufieurs 
le  raillèrent  de  la  trop  grande  diligence,  à  laquelle  ils  don- 
noient  le  nom  de  fuite  :  »  Car  pourquoi ,  difoient-ils ,  ne  pas 
ï5  aller  combattre  de  pied  ferme  aux  côtés  de  Vie  ?  Et 
53  pourquoi  venir  affliger  le  Roi  par  de  fàcheufes  nouvelles 
53  au  fujet  d'une  affaire  dont  il  n'étoit  pas  bien  iiiftruit,  fous 
53  prétexte  de  rendre  fervice  ?  et  Le  Roi  &  les  plus  prudens 
de  fa  Cour  éxcufoient  Turin  j  mais  rien  ne  put  leconfolerj 
&  il  fut  fi  fenfible  aux  réproches  qu'il  venoit  d'entendre, 
qu'il  fe  retira  de  la  Cour  où  il  étoit  connu ,  qu'il  aban- 
donna le  camp ,  6c  fortit  de  France  ,  où  il  laiffa  fa  femme 
ôc  fes  enfans ,  pour  aller  fe  cacher  en  Tofcane  •  ôc  il  y  mou- 
rut quelques  années  après.  Le  Roi  loiia  la  fidélité  6c  la  pré- 
fence  d'efprit  du  comte  de  Vie:  il  ordonna  de  rendre  de 
folemnelles  adions  de  grâces  à  Dieu  -,  6c  ayant  fait  appeller 
un  Minifbre  ,  il  affifta  aux  prières  qui  fe  firent  dans  fa  maifon,. 
où  l'on  chanta  par  fon  ordre  un  Pfeaume  j  6c  il  ordonna  aux 
Catholiques  d'aller  à  la  Cathédrale,  pour  y  rendre  grâces 
à  Dieu.  11  donna  à  de  Vie,  pour  le  récompenfer,  l'abbaye 
du  Bec  diocèfe  de  Lifieux ,  que  le  chevalier  d'Aumale  pofîè- 
doit  avant  fa  mort. 
Tentative  Qtielque  tems  après,  le  Roi  réfolut  d'employer  la  rufe, 
à\i  Roi  fur  pour  faire  rèiiiîir  fur  Paris  une  tentative  femblable  à  celle 
^^^^'  qui  avoit  échoué  fur  Saint  Denis.  Il  fit  courir  le  bruit  qu'il 

alloit  mettre  fes  troupes  en  quartiers  d'hiver  •  il  ordonna 
au  duc  de  Nevers  de  lever  le  fiége  de  Provins.  Le  Duc 
voulant  ôter  tout  foupçon  aux  Parifiens  qu'on  leur  drelTâc 
des  embûches ,  vint  à  Lagny  ,  comme  s'il  eût  eu  defTein  de 
remettre  fes  troupes  entre  les  mains  du  Roi ,  6c  de  s'en  re- 
tourner enfuite  dans  fes  terres ,  fous  prétexte  que  ce  Prince 
n'avoitpas  exécuté  dans  le  tems  marqué  la  promeilé  qu'ii 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.         341 

avoîc  faîte  au  fujet  de  la  Religion.  Dans  le  même  tems  le  ■ 
duc  d'Efpernon  ayant  amené  les  troupes  à  Beaumont ,  vint  Henri 
à  Saint  Denis,  où  d'Angîure  de  Givry,  ayant  fait  palier  la       ^  V. 
Marne  à  Tes  foldats  proche  Lagny,  fe  rendit  aulîî.  i  59  !• 

Ces  mouvemens  ne  purent  être  fî  fecrets,  que  le  bruit  ne 
s'en  répandit  bientôt.  Fran<^ois  d'Averton  de  Belin  gouver- 
neur de  Paris  fit  tous  les  préparatifs  pour  fe  mettre  en 
état  de  défenfe.  Il  avoit  avec  lui  dans  Paris  de  Serillac  Ton 
frère,  du  Saulfay  frère  du  cardinal  de  Pellevé  ,  Théophile 
Roger  de  Grammont,  Louis  de  Beauveau  de  Tremblecourt, 
Tiercelin  de  la  Chevalerie  ,  de  Gauville ,  de  Beaujeu  de 
Jauges  ,  de  Marins  de  Forcez  ,  avec  les  régimens  de 
Florimond  d'Halewin  marquis  de  Menelay  àc  de  Trem- 
blecourt  ,  avec  le  régiment  Allemand  du  comte  de 
Colalte.  On  diftribua  les  officiers  &  les  foldats  dans  les  feize 
quartiers  de  la  ville,  pour  être  prêts  à  tout  événement, 
quand  on  leur  donneroit  le  lignai  3  on  doubla  les  gardes  . 
le  dimanche  20.  de  Janvier  ,  jour  auquel  on  devoit  faire 
des  proceffions  ,  pour  rendre  grâces  à  Dieu  de  l'heu- 
reux avènement  de  Grégoire  XIV.  au  fouverain  Pontificat. 
L'aliarmefe  répandit  dans  la  ville  au  milieu  de  la  nuit, 
fur  ce  qu'on  rapporta  que  les  ennemis  avoient  paru  allez 
près  de  Paris  :  on  fit  fonner  les  cloches  3  6c  tout  le  monde , 
jufqu'à  ceux  même  qui  étoient  fufpecls  ,  fe  mirent  fous  les 
armes.  On  avoit  ordonné  la  veille  que  chacun  fe  rendroic 
à  fon  quartier  :  en  armes ,  au  jfîgnal  qui  feroit  donné ,  finon 
qu'on  le  tireroit  de  fa  maifbn  par  force  pour  le  conduire 
en  prifon. 

Les  Royaliftes  avoient  ainfi  difpofé  l'ordre  de  leur  entre- 
prife.  Des  Officiers  choîfis ,  déguifés  en  païfans ,  chalToienc 
devant  eux  des  ânes  chargés  de  lacs  de  farine.  Ils  arrivèrent 
à  trois  heures  du  matin  à.  la  porte  Saint  Honoré  ,  qu'on 
avoit  bouchée  la  veille  en  dedans  avec  de  la  terre  &  du  fu- 
mier, fur  la  nouvelle  de  l'approche  des  ennemis  ;  ils  deman- 
dèrent qu'on  les  fît  entrer  dans  la  ville  :  on  ne  fe  doutoit  en- 
core de  rien  ^  car  on  fçavoit  que  ceux  qui  apportoient  des 
vivres  à  Paris  ne  marchoient  que  la  nuit,  à  caufe  des  gar- 
nifons  Royaliftes  des  environs.  Tremblecourt  fit  réponfè 
aux  prétendus  paylans ,  qu'on  ne  pouvoit  ouvrir  la  porte  5 

V  u  iij 


341  HISTOIRE 

qu'ils  allâflenc  fur  le  bord  de  la  Seine ,  où  la  galiotte  les  at- 
Henri  tendoic.  Soixante  autres  Officiers  auffi  déguilës  en  payfans 
I V.  s'étoient  joints  dans  le  faubourg  voifin  près  du  Couvent  des 
I CQ  I  Capucins  j  ils  avoient  amené  des  charetces  Ôc  des  chevaux 
pour  embarralfer  la  porte  de  la  ville,  fitôt  qu'elle  feroit ou- 
verte. Lavardin  hs  îuivoit  avec  cinq  cens  cuiraiîiers  &  deux 
cens  chevaux  ^  Charle  de  Biron  venoit  après  eux  à  la  tête 
de  huit  cens  hommes  d'infanterie ,  ôc  de  quatre  cens  cuî- 
rafliers  j  de  la  Noue  ,  de  Givry  ,  de  Marivaux  ,  de  Sourdis  , 
de  Balfac  de  Dunes  avoient  chacun  leur  pofteen  différents 
endroits  avec  des  détachemens  3  les  Suilles  conduifoientdeux 
pièces  d'artillerie ,  &;  portoient  des  échelles ,  des  mantelets , 
des  marteaux,  des  haches,  6c  d'autres  machines  de  guerre 
pour  brifer  ce  qui  pourroit  les  arrêter. 

Le  Roi  étoit  venu  jufqu'à  l'entrée  du  faubourg ,  où  il 
s'arrêta  avec  Longueville  &  d'Efpernon  tous  à  pied.Jl  n'y 
eut  que  le  duc  de  Nevers,qui  ayant  pris  un  cheval, à  caufe 
de  la  foibleflè  de  fa  cuifTe  ,  refta  avec  la  cavalerie.  Les  Roya- 
h'ftes  ayant  renvoyé  leur  bagage  bien  loin  derrière  Mont- 
Martre  ,  gardèrent  un  profond  filence  ,  pendant  que  tout 
rcntreprlfe  ^^-^-j.  ^^  mouvement  dans  la  ville. LeRoi  jugeant  par  le  grand 
bruit  quon  faifoit  dans  Paris  que  tout  étoit  découvert, 
affembla  le  Confeil  de  guerre  ,  pour  fcavoir  s'il  pourfuivroic 
fon  entreprife.  On  fut  d'avis  de  prendre  le  parti  le  plus  fur, 
&:  de  ne  rien  hafarder  j  ainfi  on  ramena  les  troupes ,  après  en 
avoir  laifle  dans  le  faubourg  pour  couvrir  la  retraite  de 
l'arriére-garde. 

Les  Parifiens  délivrés  du  péril  qu'ils  avoient  couru  ren- 
dirent des  aèlions  de  grâces  à  Dieu ,  avec  leurs  tranfports 
de  joie  ordinaires  j  &  ils  réfolurent  de  célébrer  tous  les  ans 
la  journée  des  farines,  comme  ils  célébroient  le  jour  de  la 
fuite  du  feu  Roi,  la  levée  du  fiége  de  Paris,  èc  la  tenta- 
tive des  échelles  manquée.  Les  fa«flieux  Se  les  partifans  des 
Efpagnols  tirèrent  avantage  de  cette  occafion  ^  ils  iirenc 
confentir  les  Parifiens  à  recevoir  garnifon  Efpagnole  &c  Ita- 
lienne •  ce  qu'ils  avoient  refufé  de  faire  jufqu'alors.  On  for- 
tifia la  ville  de  Meaux,  qui  fourniffoit  quantité  de  vivres  à 
Paris 3  &on  y  mit  une  garnifon  d'étrangers,  comme  iîles 
troupes  auxiliaires  de  Philippe  euffent  été  les  feules  relTources 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CI.  345 

qu'on  pût   oppofer  à  la  fortune ,  &  aux  armes  victorieules 

de  Henri.  Henri 

Philippe  de  Sega  Evêque  de  Plaifance  reçut  le  même  1  V. 
jour  un  Bref  du  nouveau  Pape  Grégoire  XIV.  &  on  en  ré-  i  591, 
pandit  des  copies  dans  la  ville,  afin  de  raffermir  les  efprits 
du  peuple  qui  écoit  ébranlé.  Grégoire  faifoit  entendre  c'recjoke  ^^*^ 
dans  ce  Bref,  qu'il  avoir  employé  tous  [qs  foins  depuis  fon  xiy. 
exaltation  à  extirper  l'hérélle  dans  ce  Royaume  florlifant, 
afin  d'y  rétablir  la  Religion  Catholique  ,  éc  la  paix  ,  en  ap- 
paifant  les  troubles  &  les  différends  :  Qti'il  falloit  pour  en 
venir  à  bout ,  élire  un  Roi  Catholique  àc  ami  de  la  paix  3 
que  c'étoit  le  fëui  moyen  d'y  réiiffir  :  Qi.i'il  croyoit  que 
pour  accomplir  ce  projet,  il  étoit  néceffaire  de  mettre  à 
couvert  des  infultes  de  l'ennemi  la  Capitale  du  Royaume, 
qui  étoit  comme  le  boulevard  de  la  Religion  Catholique  : 
Que  fçachant  à  quelles  extrémités  cette  ville  étoit  ré- 
duite ,  &c  combien  elle  avoit  été  incommodée  par  les  gran- 
des dépeniès  qu'on  avoit  été  obligé  de  faire  dans  le  der- 
nier fiége ,  il  avoit  formé  la  réfolution  d'envoyer  à  fon  fe- 
cours  des  troupes  dont  la  paye  fe  prendroit  fur  le  tré- 
for  Apoftolique  ,  qui  fourniroit  tous  les  mois  quinze 
mille  écus  d'or  pendant  tout  le  tems  que  cela  feroit  né- 
celîaire  :  Qifil  vouloit  faire  voir  aux  Parifienspar  cette  con- 
duite, que  n'ayant  pour  but  que  la  défenfe  de  la  Religion, 
6c  la  fin  des  troubles  de  l'Etat,  il  ne  vouloit  pas  fe  conten- 
ter de  donner  des  louanges  flériles  à  la  confiance  qu'ils 
avoient  fait  paroître ,  en  s'oppofants  aux  entreprifcs  des 
hérétiques  3  mais  qu'il  s'étoic  déterminé  à  les  fecourir  de 
troupes  6c  d'argent ,  dans  un  tems  où  ils  en  avoient  un 
befoin  fi  prellant  :  Qif  il  avoit  jugé  à  propos  d'écrire  à  ce 
fujet  au  Confeil  de  la  fainte  Union  ,  aux  principaux  Sei- 
gneurs,  êc  à  la  Noblefle,.&:  qu'il  avoit  confié  ces  lettres  à 
un  des  Prélats  de  là  Maifon  ,  pour  les  rendre  en  dili- 
gence. 

L'Evêque  de  Plaifance  en  rendant  public  le  Bref  du  Pape,      Lettre  de 
y  joignit  une  lettre  le  zo.  de  Février.  Il  commençoit  par  ^'^^^.p^'^  ^^ 
s'applaudir  en  termes  pompeux  d'avoir  reçu  de  fi  bonnes 
nouvelles  de  la  part  de  fa  Sainteté  3  il  difoit  que  la  lecture 
de  [qs  lettres    confirmeroit  Iqs  gens  de   bien  dans  leur 


344  HISTOIRE 

réfolurion  ,  réchaufFeroicles  tiédes ,  &c  coiifondroîtceiix  c)ue 
Henri  leur  obftination ,  ou  plutôt  un  fatal  enchantement  avoic 
I  V.  enchaînés  à  la  fuite  des  hérétiques  ^  fiir-tout  en  voyant  avec 
I  55;  I,  quelle  promptitude ,  de  avec  quel  empreflément  fa  Sainteté, 
par  une  infpiration  du  Ciel  ,  avoit  préparé  de  fa  propre 
main  ,  comme  un  prudent  Médecin ,  des  remèdes  qu'elle 
appliquoit  aux  maux  delà  Capitale,  qui  étoit ,  pourainfî 
dire ,  le  cœur  de  l'Etat  :  Qu'il  arriveroit  de-là  qu'on  verroic 
bientôt  cette  ville  hors  de  danger  :  Qiie  la  Capitale  n'ayanc 
plus  rien  à  craindre  ,  on  déféreroit  l'autorité  Royale  à  un 
Prince  qui  feroit  en  état  de  défendre  la  Religion  Catho- 
lique ,  &:  de  ramener  dans  le  Royaume  la  paix  qui  pour- 
roit  feule  faire  fa  fureté  ôcfon  bonheur  :  Qiie  le  cœur  ayant 
repris  fes  forces ,  le  refte  des  membres  les  reprendroit  auffi  : 
Qiie  les  uns  demanderoient  du  fecours  pour  fortifier  leur 
foiblefTe  :  Que  les  autres  confidérants  mûrement  combien 
on  en  agit  mal  à  leur  égard,  &  preflés  des  remords  de  leur 
confcience ,  découvriroient  enfin  une  playe  cachée  qui  les 
faifoit  périr  peu  à  peu  ,  &  ne  rejetteroient  plus  les  remèdes 
falutâires  qu'on  leur  ofFroit  pour  leur  guérifon. 

Le  Pape ,  afin  d'accomplir  fes  promeflès ,  faifoit  faire  à 
Rome  tous  les  préparatifs  pour  cette  guerre  étrangère.  Il 
avoit  à  fon  avènement  à  la  Chaire  de  Saint  Pierre  nommé 
au  cardinalat  fon  neveu  Paul  Sfondrate  j  &  ayant  réfolu 
de  faire  paiTer  fur  la  tête  d'Hercule  frère  du  Cardinal  ks 
biens  de  fa  Maifon ,  il  lui  fit  d'abord  époufer  la  fille  du 
prince  de  MalTa.  Le  Grand  duc  deTofcane  voulant  gagner 
les  bonnes  grâces  de  fa  Sainteté  ,  demanda  que  les  fian- 
çailles fuflenc  célébrées  à  Florence  ,  ce  qui  lui  fut  accordé. 
Les  deux  époux  fe  rendirent  enfuite  à  la  Sforzefça,  où  Paul. 
Sforce  les  reçut  avec  de  grands  honneurs ,  Se  ils  y  confom- 
mérenc  leur  mariage.  Le  Pape  donna  le  gouvernement  de 
la  fainte  Eglife  Romaine  èc  du  Vatican  à  Hercule  ^  ôc  lui 
ayant  donné  le  bâton  en  cérémonie ,  il  nomma  Ermes  Vif- 
conti  pour  fon  Lieutenant.  Il  le  déclara  au  mois  de  Mars 
Général  de  l'armée  qui  devoit  aller  en  France  ,  ôc  le  fit  duc 
de  Monte-Marciano,  petite  ville  de  la  Marche  d'Ancone, 
qui  étoit  revenue  au  Saint  Siège  par  la  more  d'Alexandre 
Piccolomini  5  il  lui  donna  l'inveftiture  de  ce  duché  avec 

beaucoup 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.        345 

Beaucoup  de  pompe  le  1 1 .  Mai  dans  TEglife  de  Sainte  Marie  il.    ""  '  ^ 
Majeure ,  de  lui  préfenta  deux  drapeaux  qu'il  prie  de  fa  main.  H  E  n  k  i 

Hercule  Sfondrate  écoic  encore  à  Rome  ,  lorfque  le  I  V. 
cardinal  de  Lorraine  y  vint  de  la  part  des  Ligueurs.  Il  icor. 
étoit  accompagné  de  Deiportes-Baudouin  Secrétaire  du  duc 
de  Mayenne  ^  ils  avoient  ordre  de  demander  au  Pape  de 
l'argent  ,  dont  on  avoit  grand  befoin ,  ou  la  permilTion 
d'aliéner  les  biens  de  l'Eglife  dans  ce  Royaume  pour  fub- 
veniraux  frais  de  la  guerre  fainte  ,  comme  ils  l'appelloient  j 
ils  dévoient  prier  fa  Sainteté  défaire  pafTer  en  Lorraine  l'ar- 
mée qu'on  alloit  envoyer ,  afin  de  couper  le  paiîàge  aux  crou- 
pes que  le  Roi  faifoic  venir  d'Allemagne. 

Leduc  de  Sefla  s'étoit  auffi  rendu  dans  cette  ville  pour 
prendre  la  place  de  l'ambafîadeur  d'Efpagne  Henri  de 
Gufman  comte  d'Olivarez  ,  nommé  à  la  Viceroyauté  de 
Sicile. Le  nouvel  Ambalfadeur  prefla  fa  Sainteté  de  permettre 
au  Roi  d'Efpagne  de  prendre  fur  les  biens  eccléfiaftiques  de 
{qs  Etats  de  quoi  contribuer  aux  frais  de  la  guerre  3  mais  le 
Pape  n'écouta  à  ce  fujet,  ni  le  cardinal  de  Lorraine,  ni  le 
duc  de  SeiFa.  On  députa  en  SuilTe  pour  lever  fîx  mille  hom- 
mes de  pié,  ôc  afin  de  tranfiger  avec  hs  cinq  Cantons  des 
cent  mille  ducats  dûs  à  Louis  PhifFer,  dont  le  frère  en  fol- 
licitoit  le  payement  à  Rome  auprès  du  cardinal  Gaërano, 
qui  s'étoit  rendu  caution  de  cette  ibmme  lorfqu'ii  étoit  àParis. 

Les  troupes  que  le  Pape  avoit  deftinées  à  marcher  en 
France  ,  &  celles  que  Marco  Pio  de  Salfuolo,  &  Gutierra 
gouverneur  d'Alexandrie  dévoient  mener  dans  les  Païs-bas,  T,^°"P"j 
ctoient  déjà  levées  dans  le  Milanois.  Elles  firent  de  grands  pape. 
ravages  dans  la  campagne,  qui  furent  d'autant  plus  infup- 
portables  ,  qu'ils  étoient  cauiés  par  des  gens ,  dont  on  ne 
devoit  attendre  rien  de  femblable.    On  fit  au  commence-  ^ 

ment  de  Juillet  la  revue  de  l'armée  du  Pape  à  Lodi.  Elle 
étoit  compoiée  en  partie  de  mille  chevaux-légers  divifés  en 
dix  compagnies.  Pierre  Gactano  qui  étoit  revenu  depuis  peu 
des  Païs-bas ,  commandoir  la  compagnie  des  Gardes  3  les 
autres  étoient  commandées  par  Afcagne  de  la  Cornia  ,  Oc- 
tave Cefis  ,  Antoine  Marie  Pallavicino  ,  Pierre  François 
Vifconti  ,  Louis  Arcimboldo  ,  Léonard  Avolio  ,  Marie 
Rafponi ,  Octave  Pignatelli ,  &  Fabrice  Dentici.  Il  y  avoic 
Tome  XL  Xx 


34^  HISTOIRE 

-  outre  cela  cent  Gendarmes  appartenants  au  Général  Sfon- 

H  lî  N  R I  drate  ,  qui  étoient  commandés  par  le  chevalier  Meizi  Ton 

I  V.      Lieutenant  j  6c  la  Garde  de  ce  Général  compofée  de  quatre- 

1591.     vingt  arquebuliers^à  cheval,  marchoit  fous   les  ordres  de 

Celar  Rigoletti.   Toute  l'infanterie  fut  partagée  en  neuf 

compagnies  ,  dont  on  donna  le  commandement  à  Borfo 

Acerbo   Sergent- Major  ,  à  Rodolfe  Baglioni  de  Péroufe 

Meftre  de  camp  d'infanterie  ,  à  Jcan-Baptifte  Gottifredi  de 

Rome ,  à  Belilàire  Simoncelli  d'Orviette  ,  à  Simon  Capi- 

zuchi  de  Rome ,  à  Antinozo  de  Cordella  de  la  ville  de  Fer- 

mo,  à  Raphaël  Torello  de  celle  de  Fano  ,  à  Vincent  Naldi 

de  Faenza ,  &  à  Frédéric  Ghililieri  de  Bofco. 

Sur  ces  entrefaites ,  le  Roi  voulant  réduire  Paris  par  la 
famine  ,  réfolut  de  couper  les  convois ,  qui  alloient  du  païs 
Le  Roi  fait  Chartrain  ôc  de  la  BeaufFe  ,  à  cette  Capitale  du  Royaume  j 
le  fiége  de     &.  de  s'cmparer  pour  cet  effet  de  Chartres  ôc  des  villes  des 
Chartres.       environs.  Il  laiila  longtems  les  ennemis  dans  l'incertitude 
de  quel  côté  il  tourneroit  ies  armes  ,  afin  de  les  furprendre, 
avant  qu'ils  euilent  pu  fe  mettre  en  défenfe.  Ce  Prince  ayant 
d'abord  paffé  de  Senlis  dans  la  Brie  ,  èc  fait  femblant  d'affié- 
ger  Provins  avec  le  duc  deNevers,  écrivit  au  maréchal  de 
Biron  qu'il avoit envoyé  à  Dieppe,  pour  y  recevoir  les  trou- 
pes de  débarquement  qui  lui  arrivoient  d'Angleterre ,  qu'à 
fon  retour  de  Normandie  à  Mante  ,  il  allât  en  Beaufle  com- 
me s'il  avoit  delTein  de  le  venir  joindre ,  &  que  rebroulîant 
auffitôt  chemin ,  il  fût  affiéger  Chartres  avant  qu'on  eût 
jette  du  fecours  dans  cette  place.  Le  Maréchal  exécuta  le 
^    9.  de  Février  ces  ordres  du  Roi.  Le  capitaine  la  Croix  par^ 
tit  d'Orléans  avec  un  détachement  de  cavalerie  &  d'infan- 
terie ,  dans  le  delFein  de  fecourir  les  affiégés  j  mais  il  fut 
battu  en  chemin  ,  6:  il  eut  beaucoup  de  peine  à  entrer  dans 
la  ville  avec  un  petit  nombre  des  fîens. 

Le  Roi  arriva  devant  Chartres  deux  jours  après  ,  avec 
le  duc  de  Nevers ,  le  maréchal  d'Aumont ,  Charle  de  Biron  , 
François  de  Coligny  de  Châtillon  ,  &  d'autres  Officiers. 
George  Babous  de  la  Bourdaiiiere,&  Louis  du  Val  du  Pefche- 
jay  commandoient  dans  la  ville.  Les  habitans  fe  préparèrent 
à  la  défenfe  avec  beaucoup  d'ardeur.  Leur  confiance 
ctoit  fondée  ,  (  5c  ils  le  difoienc  hautement ,  )  fur  ce  qu'ils 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  347. 

croyoîent  que  les  hérétiques  ne  pouvoienc  forcer  une  ville  ' 

qui  écoic  fous  la  procedion  de  U  vierge  qui  denjoit  enfanter  (  i  ).  H  E  N  K  i 

Le  peu  de  fuccès  qu'avoic  eu  le  prince  de  Condé  23.  ans  1 V. 
auparavant  devant  cette  place ,  avoit  donné  occafîon  à  cette  i  5  9 1 ♦ 
croyance.  Leur  confiance  augmenta  pendant  quelque  tems , 
en  voyant  qu'on  cliangeoit  Tordre  du  fiége ,  qu'on  avoic 
formé  à  la  hâte  j  &  que  les  chefs  de  l'armée  du  Roi  n'é- 
toient  pas  d'accord  à  ce  fujet.  Les  affiégeans  ayant  jugé  à 
propos  de  changer  la  batterie  de  place  ,  il  s'écoula  un  tems 
confidérable  à  faire  venir  du  Perche  ,  des  poudres  ,  àts 
boulets  ,  ôc  d'autres  machines  de  guerre  ^  il  ne  s'en  fallut 
même  rien  qu'on  ne  levât  le  fiége.  Le  Roi  avoit  coutume 
de  faire  la  guerre  fans  aucuns  préparatifs  ,  &  fans  fe  pro- 
curer d'autres  avantages  que  ceux  qu'il  trouvoit  dans  le  fuc- 
cès i  en  forte  que  s'il  ne  réùffilloit  pas  du  premier  abord , 
il  abandonnoit  fon  entreprife. 

Mais  la  vigilance  ôc  le  crédit  de  Hurault  de  Cheverny 
chancelier  de  France  ,  6c  gouverneur  de  Chartres  ,  l'em- 
porta. C'étoit  lui  fur-tout ,  qui  avoit  confeillé  au  Roi  d'af- 
iîéger  cette  ville ,  parce  qu'il  avoit  dans  le  païs  Chartrain 
de  grands  biens  dont  il  demandoit  la  reftitution.  Il  fit  tous 
les  frais  du  fiége ,  6c  il  aiïiira  le  Roi ,  que  fi  l'on  reftoit  de- 
vant cette  place ,  elle  fe  rendroit  bientôt  :  Que  les  Ligueurs 
avoient  maltraité  plufieurs  habitans ,  6c  entr'autres  Nicolas 
de  Thou  évêque  de  Chartres  ,  6c  plufieurs  perfonnes  de 
confidération  d'entre  les  premiers  de  la  ville  ,  qui  n'alpî- 
roient  qu'après  un  changement.  Cheverny  ajoûtoit  qu'il 
étoit  de  l'honneur  du  Roi  de  ne  pas  lever  le  fiége ,  comme 
s'il  l'avoit  témérairement  entrepris  :  Que  non  feulement  les 
Ligueurs  ^  mais  encore  plufieurs  du  parti  du  Roi ,  qui  mé- 
contcns  de  la  guerre  préfente  ,  cherchoient  tous  les  jours 
à  exciter  de  nouveaux  troubles  ,  prendroient  cette  démar- 
che pour  un  aveu  de  fa  foiblefle. 

Les  conjedures  du  Chancelier  n'étoîent  pas  fans  fonde-      Troifi^mc 
ment.  Il  y  avoit  dès-lors  entre  les  Royaliffces  une  Ligue  fe-  f''"^'°"  '^^"^ 
crête  ,  qui  fit  que  de  l'une  des  deux  fadions  qui  divifoient  l^eTe  tÎcÏ" 

pârci. 
(i)  II  y  a  dans  l'Eglife  de  Chartres  une  I  Vierge  ,  avec  cette  infcription  :  Virglni 
ancienne  ftatuë,qu  on  pre'tend  être  celle  far  iturA. 


que  les  Druides  avoient  confacrée  aune , 


Xx  ij 


34S  HISTOIRE 

le  Royaume  ,  il  s'en  détacha  une  troiiîéme  ,  qu'on  appelle 
Henri  le  Tiers  parti.  La  fource  de  cette  divifion  étoit  dans  la 
I  V.  MaiTon  Royale.  On  répandit  un  écrit  anonyme  en  forme 
i<qi,  clc  requête  au  Roi ,  pour  le  fupplier  d'abjurer  l'héréfîe  ,  & 
êcde  [q  faire  Catholique  ,  afin  de  pacifier  les  troubles  de  la 
France  ,  élevés  à  l'occafion  de  la  Religion.  On  difoit  dans 
ce  libelle ,  qu'autrement  la  plupart  de  ceux  qui  avoient  fuivi 
le  parti  du  Roi ,  comme  du  légitime  héritier  de  la  Couronne, 
dans  l'efpérance  de  le  voir  rentrer  dans  le  fein  de  l'Egliie , 
ne  balanceroient  pas  à  l'abandonner  ,  ôc  prendroient  les  nou- 
velles mefures ,  que  les  circonftances  leur  fuggéreroient.  Ce 
libelle  contenoit  beaucoup  d'autres  raifons  3  on  s'étoit  fervi 
pour  adoucir  ce  qu'il  y  avoit  de  trop  dur  dans  cet  écrit ,  de 
termes  fuppliants  arrangés  avec  art  ,  afin  de  faire  croire 
qu'il  ne  partoit  que  d'un  homme  afFedionné  au  Roi. 

Il  étoit  cependant  certain  qu'on  ne  l'avoit  fait  que  par  les 

ordres  du  cardinal  de  Bourbon  ,  &  qu'il  avoit  été  imprimé 

dans  la  ville  d'Angers  ,  qui  n'étoit  retenue  dans  le  devoir 

que  par  la  citadelle.    Les  auteurs  du  libelle  avoient  craint 

qu'on  ne  les  découvrit ,  s'ils  l'eufTent  fait  imprimer  à  Tours, 

Ju  Perron  ^  ^^  ^^  Parlement  faiioit  fa  réfîdence.  Touchard  ,  homme  plein 

auteurs  d'un   d'idécs  ambitieufes  ôc  chimériques ,  autrefois  précepteur  du 

écrit  impri-    cg^rjjnal  de  Bourbon,  qui  ioienoit  toute  la  foupleiTe  d'un 

meadreiie  t        ^    i.  j>      r  •  >-i      '  •       i  o     t^       -J 

au  Roi.  Courtifan  a  i  art  d  enieigner  qu  il  n  exerçoit  plus  -,  &  David 
du  Perron  encore  plus  délié  que  Touchard ,  habile  dans  la 
Philofophie  Péripatéticienne  ,  &  fçavant  dans  la  Théologie 
fcholaftique  ,  qui  doit  fon  origine  à  cette  Philofophie  , 
avoient  fabriqué  ce  libelle.  Ce  jeune  homme  avoit  un  tour 
d'efprit  agréable  &  plaifant  ,  éc  faifoit  aifément  des  vers 
Franc^ois.  Il  s'étoit  introduit  à  la  Cour  à  la  recommanda- 
tion de  Defportes  ,  à  qui  il  dut  toute  ion  élévation.  Il  avoic 
d'abord  été  Proteftant  3  mais  ayant  enfuite  changé  de  fen^ 
timent ,  il  s'appliqua  à  gagner  l'amitié  de  Touchard  ,  qui  le 
fît  entrer  dans  la  maifon  du  Cardinal.  Ce  Prince  n'avoit  ni 
la  gravité  ni  la  conduite  que  fon  rang  éxigeoit  de  lui  5  mais 
il  fe  piquoit  d'aimer  les  belles  lettres ,  &;  c'étoit  la  feule  chofe 
.     qui  loutint  fa  dignité. 

Le  cardinal  de   Bourbon  s'étant   brouillé  avec  tous  ^qs 
amis ,  qui  lui  confeilloient  pour  £qs  propres  intérêts  2c  pour 


..^      DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  349 

ceux  de  l'ëtac  ,  de  vivre  en  bonne  intelligence  avec  le  Roi ,         ■       '' 
èc  d'obeïr  à  ce  Prince  ,  jetca  ainfi  les  fondemens  d'une  croi-  Henri 
Hëme  fadion.  Il  fiçavoic  que  la  Religion  étoic  le  prétexte       I  V. 
dont  on  fe  fervoit  pour  faire  la  guerre  ,  &  qu'on  n'avoit  pour      i  5  9 1  • 
but  à  Rome  ,  que  de  mettre  la  couronne  de  France  dans  une 
rnaifon  dévouée  au  S.  Siège  ,  à  l'exclufion  du  légitime  hé- 
ritier. C'efl:  ce  qui  l'engagea  avant  la  publication  de  l'écrit  ♦ 
dont  nous  venons  de  parler  ,  à  envoyer  au  Pape  un  homme 
de  confiance  pour  traiter  avec  lui.   Touchard  jetta  les  yeux 
fur  Scipion  Balbani  de  Lucquei.  qui  avoir  perdu  tous  [qs  biens. 
Le  Cardinal  ne  voulant  point  qu'on  foupçonnât  cette  dé- 
marche en  aucune  manière ,  demanda  au  Roi  la  permiffion 
d'envoyer  à  Rome  pour  porter  à  S.  S.  des  lettres  de  fa  part, 
pour  lui  rendre  fes  devoirs  :  le  Roi  lui  accorda  /a  demande. 

Le  Cardinal  fît  partir  Ton  Envoyé  fecret ,  &  le  chargea   intrigues  da 
d'afTûrer  S.  S.  de  fa  fbumilîîon  envers  elle  &  le  S.  Siège  j  èc  cardinal  de 
de  lui  dire  qu'il  ne  falloir  pas  imputer  à  aucun  attachement  ^o^r^on  ^u- 
pour  les  hérétiques,  ou  pour  leurs  lentunens,  qu  u  avoit  tou- 
jours eus  en  horreur  &  qu'il  déteftoit  encore ,  le  long  féjour 
qu'il  avoit  fait  dans  le  camp  du  roi  de  Navarre  j  mais  que 
ne  voyant  aucune  fiireté  pour  lui  dans  le  parti  oppofé ,  il 
avoit  été  contraint  à.  la  mort  du  feu  Roi ,  de  fuivre  le  chef 
de  fa  maifon ,  qui  avoit  les  armes  à  la  main  :  Qiie  ce  Prince 
lui  avoit  donné  parole  de  conferver  faine  &  entière  la  Reli- 
gion Catholique  ,  qui  d'ailleurs  couroit  de  grands  rifques 
làns  fon  intervention  :  Qu'il  lui  avoit  même  fait  cfpérer  de 
fe  faire  infbruire ,  d'abjurer  [qs  erreurs ,  ôc  de  retourner  dans 
le  fein  de  l'Eglife  :  Que  l'ayant  plufieurs  fois  prefTé  d'accom- 
plir [qs  promefîès ,  qu'il  paroiiToit  que  Cqs  fuccès  ou  le  deiTein 
formé  de  refter  attaché  à  fa  fccke  lui  avoient  fait  oublier ,  il 
craignoit  avec  raifon  de  paroître  aufîî  de  fon  côté ,  s'il  dif- 
iimuloit  plus  longtcms ,  entretenir  le  mal ,  &c  mettre  en  dan- 
ger la  Religion  dont  il  avoît  défendu  les  intérêts  jufqu'alors  :- 
Qu'il  apprehendoit  que  S.  S.  ne  donnât  à  fes  actions  d'autres 
motifs,  que  ceux  qui  avoient  toujours  réglé  fa  conduite  :  Qiie 
par  ces  raifons  il  avoit  fouhaité  qu'elle  fut  informée  de  fès 
vrais  fentimens  :  QLi'étant  le  premier  Prince  du  fang  après 
celui  qui  fe  rendoit  indigne  de  la  Couronne  par  fon  atra. 
chement  à  l'erreur  ,  ^  q^ui  abufoic  trop  longtems  de  l^ 

Xx  u'i 


$5ô  HISTOIRE 

z — . — —  patience  des  fiens  ^  il  fapplioic  le  Pape  de  garder  l'ordre 
Henri  légitime  de  fucceiïion  j  d'interpofer  Ton  autorité  pour  le  faire 
IV.       monter  lur  le  trône,  au  défaut  d'un  hérétique  que  les  Ca- 
I  5p  I,     tholiques  ne  pouvoient  plus  iupporter  j  de  de  donner  les  or- 
dres à  ce  fujet  aux  partilans  de  la  Ligue ,  par  le  moyen  de 
fes  Nonces  à  Paris  :  Qiie  le  prince  de  Conti  fon  frère  ne  de- 
voît  y  former  aucun  ôbftacle  ,  parce  qu'il  étoit  muet ,  èc 
qu'ayant  été  taillé  de  la  pierre  dans  fon  enfance  ,  on  ne 
croyoît  pas  qu'il  pût  jamais  avoir  de  poftérité  :  Que  fi  S.  S. 
vouloit  avoir  égard  à  ces  raifons ,  il  lui  donnoit  la  parole 
que  cous  les  vrais  Catholiques  du  parti  du  roi  de  Navarre 
abandonneroient  aulTitôt  fon  camp ,  de  que  toutes  les  villes 
fe  fouléveroient  contre  lui. 

Avant  que  Balbani  eût  pu  avoir  une  audience ,  qu'il  n'ob- 
tînt qu'en  fecret ,  Defportes  envoyé  du  duc  de  Mayenne  a 
Rome  pour  prelîèr  les  fecours  qu'on  en  attendoit ,  ayant 
fait  connoillance  avec  lui  dans  le  voyage  ,  vint  à  bout  de 
tirer  fon  fecret ,  de  d'avoir  ,  fans  qu'il  s'en  apperçût ,  fes  in- 
ftrudions  dont  il  tira  des  copies.  Il  prévint  le  Pape  au  fujet 
de  l'ambaiïàde  de  Balbani.  Celui-ci  ayant  eu  audience  ,  de 
expofé  fes  ordres  ,  n'eut  d'autre  réponle  du  Pape  ,  Ci  non 
qu'il  étoit  content  de  la  foumiifion  du  Cardinal  au  S.  Siège  : 
Que  ce  Prince  ne  pouvoir  mieux  faire,  que  de  fuivre  les  avis 
du  Nonce  :  Qiie  pour  lui  il  n'avoit  en  vûë ,  que  la  défenfe  de 
la  Religion  qui  devoit  être  aufli  lemotif  du  Cardinal  :  Qi^'à 
l'égard  de  fes  demandes ,  il  vouloit  avant  d'y  répondre  , 
mettre  la  Religion  en  fureté  :  Qu'après  cela  il  feroit  ce  qui 
feroit  convenable  de  conforme  à  l'équité  :  Qu'il  l'exhorcoit 
de  fuivre  ,  en  attendant,  le  parti  de  la  fainte-Union  ,  de  de 
donner  l'exemple  aux  Catholiques  attachés  au  Navarrois , 
de  ne  rien  faire  au  défavantage  de  la  Religion  ,  fous  pré- 
texte d'être  les  défenfeurs  de  l'Etat  ,  vain  titre  dont  ils  fe 
faifoient  honneur.  Balbani  s'en  retourna  avec  cette  réponfej 
de  voulant  flater  le  Cardinal ,  il  abufa  de  fa  crédulité  en  dé- 
guifant  les  réponfes  du  Pape  ,  &:  en  y  ajoutant  des  chofes 
qu'il  n'avoit  point  dites.  Defportes  avoit  envoyé  au  duc  de 
Mayenne  une  copie  des  inftrudions  de  Balbani ,  qui  tom- 
bèrent entre  les  mains  du  Roi. 
Dans  le  même  tems  le  cardinal  Philippe  de  Lenoncourt,par 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  CI.  351 

leconfeil  de  Magdeleine  d'Angoulême,  écrivit  fecrëtement  ■"■■■  ""■■   ■ 
au  Roi ,  pour  TinTlruire  de  ce  qui  fè  tramoic  à  Tours  contre  Tes  H  e  n  k  i 
intérêts  par  les  Princes  de  ion  fang.  Mais  cette  lettre  ayant       I  V. 
enfurte  été  tirée  des  mains  du  Roi  par  la  perfidie  d'un  hom-     i  c  0  i 
me  de  fa  maifon  ,  qui  étoit  de  la  première  Noblefîe  ,  elle  fut 
envoyée  à  ces  Princes.  Irrités  contre  le  Cardinal,  ils  le  traitè- 
rent avec  la  dernière  indignité  3  6c  peut-être  qu'ils  auroienc 
pafTé  outre  ,  s'ils  n'euiîent  été  retenuspar  fon  caradére. 

Le  libelle  dont  j'ai  parlé  fut  répandu  après  l'ambaflade 
de  Balbani.  Les  ferviteurs  zélés  du  Roi  réfutèrent  à  l'envi 
CQt  écrit  dangereux.  Leur  réponfe  fe  réduifoit  à  peu  près  à 
dire  que  le  but  des  auteurs  de  cette  requête  n'étoit  pas  d'en- 
gager le  Roi  à  fe  faire  Catholique  :  Qu'ils  ne  cherchoicnt 
au  contraire  qu'à  faire  retomber  fur  S.  M.  la  haine  publique , 
ôcà  faire  regarder  ce  Prince  comme  un  homme  entêté  de 
ies  fentimens,  de  qui  ne  tenant  point  fa  parole  ,  ne  feroit  pas 
favorable  dans  la  fuite  aux  Catholiques. 

L'incertitude  de  l'événement  du  fiège  de  Chartres ,  donna      Fidélité  es 
la  hardiefîe  à  ceux  du  Tiers  parti  de  fe  découvrir  davantage.  Souvré  Gou- 

G;il^      jc  '/"  ^      J:        J      "-n  ...  .~        verncur  de 

nies  de  bouvre  (gouverneur  de  Tours ,  qui  joignoit  une  xours. 

fidélité  inviolable  à  beaucoup  de  douceur  ,  bc  à  une  grande 
modération  ,  avoit  rejette  peu  de  tems  auparavant  \qs  offres 
que  le  duc  de  Mayenne  lui  avoit  fait  faire ,  pour  l'attirer  à 
Ion  parti.  Il  lui  avoit  promis  de  lui  faire  compter  cent  mille 
écus  d'or ,  &  de  lui  donner  le  commandement  de  mille  hom- 
mes d'infanterie  6c  de  deux  cens  chevaux  ,  qui  feroient  payés 
pour  un  an.  Souvré  avoit  fait  réponfe  qu'il  aimeroit  mieux 
mourir ,  que  de  trahir  fon  honneur  de  la  fidélité  qu'il  dévoie 
au  Roi  5  &  que  ces  deux  devoirs  n'avoient  point  de  prix. 
Ceux  du  Tiers  parti  faîfoient  courir  des  bruits  fourds  pour 
ébranler  ce  Gouverneur  3  leurs  èmifîàires  publioient  que  le 
Roi  ,  qui  n'avoit  de  confiance  que  dans  les  Sectaires  , 
avoit  rèfolu  de  lui  ôter  fon  Gouvernement,  fur  des  foup- 
^ons  qu'il  avoit  conçus  à  fon  fujet  :  Que  ce  Prince  fe  rendroic 
en  Touraine  après  la  prife  de  Chartres  ,  ou  après  la  levée 
du  fiège  de  cette  place  ,  afin  d'exécuter  fon  projet  :  Qiie  ce- 
pendant ,  fi  Souvré  vouloir  ne  pas  s'abandonner  lui-même ,, 
il  trouveroit  de  l'appui  dans  des  Princes  6c  des  Seio^neurs  ,, 
^ui  ne  demandoient  pas  mieux  que  de  le  maintenir  dans  foa 


3jî'  HISTOIRE 

LL-__ pofte  :  Qu'il  dévoie  profiter  du  cems ,  &c  prendre  /es  mefures? 

Henri  de  bonne  heure  ,  pendant  que  le  Roi  etoic  retenu  devant 
1  V.       Chartres,  pour  ne  pas  être  pris  au  dépourvu. 
je  ai,  Souvré  ne  donna  point  dans  le  piège  ^  toujours  ferme  &: 

conftanc  dans  ion  attachemerrt  pour  Ton  Prince,  il  répon- 
dit qu'il  avoit  toujours  fervi  le  Roi  avec  alTez  de  zélé  ,  pour 
n'en  rien  attendre  de  fembiable  :  Qu'au  refte ,  quand  même 
ces  bruits  auroient  quelque  fondement  ,  il  ne  vouloit  pas 
laifler  ébranler  fahdelité  par  de  vaines  menaces  &  des  crain- 
tes chimériques  ,  après  avoir  tenu  bon  contre  de  grandes  of- 
fres d'argent  6c  des  promefles  magnifiques. 
Amours  ^^  arriva  dans  le  même  tems  une  choie  qui  caufa  beau- 

du  comte  de  coup  d'inquiétude  au  Roi.  Il  avoit  aimé  Coriianded'Andoini 
soifTons&dc  yeuve  du  comte  Philibert  de  Grammont,  tué  onze  ans  au- 

Madame  Ca-  x  i     i-  ,  r  i    •       r        i       i  ,   1 1 

therine.  paravant  a  la  r  ère  en  Vermandois.  La  douleur  qu  elle  avoit 
de  (è  voir  abandonnée  de  ce  Prince ,  lui  fît  chercher  les 
moyens  de  s'en  venger.  On  avoit  autrefois  parlé  de  faire 
époufer  la  princeile  Catherine  fœur  du  Roi  au  comte  de 
SoiiTons.  Elle  écrivit  en  iecret  à  ce  Prince  &  à  cette  Princefîè, 
6c  ralluma  par  fes  lettres  féduiiantes ,  leur  amour  qui  étoic 
prefque  éteint.  On  difoit  de  tous  cotés ,  Ôc  ces  bruits  avoient 
quelque  fondement ,  que  ce  mariage  ailoit  fe  faire  à  l'inic^u 
du  Roi  ,  ôc  même  malgré  lui.  Ce  Prince  fut  allarmé  de 
cette  démarche  j  ôc  jugeant  bien  qu'elle  ne  fe  faiioit  que 
pour  lui  montrer  le  mépris  qu'on  avoit  pour  lui  ^  voyant 
d'ailleurs  qu'on  fèportoit  à  ces  extrémités ,  comme  fîfes  af- 
faires eufîent  été  dans  un  état  déplorable  ,  il  fe  periuada 
qu'il  falloitagir  avec  vigueur ,  6c  faire  un  coup  d'éclat ,  afin 
de  rétablir  la  réputation  de  iës  armes. 
Suite  du  fié-  Dans  ces  diipofîtions  il  n'eut  pas  de  peine  à  fe  rendre  aux 
ge  de  char-  inftances  du  Chanceher  èc  de  Biron ,  qui  lui  confeilloient 
de  continuer  le  Hége  de  Chartres.  Il  fit  tranfporter  la  bat- 
terie devant  la  porte  de  Dreux.  AufTitôt  que  la  brèche  eut 
été  ouverte  ,  il  fit  donner  un  afïàut  vigoureux.  Les  afTaillans 
ne  furent  pas  entièrement  repoufles  j  mais  n'ayant  pu  percer 
jufque  dans  la  ville ,  ils  fe  retranchèrent  fur  le  rempart.  La 
viéloire étoit  incertaine,  lorfque  du  Pefcheray  en  qui  les  ha- 
bitans  avoient  mis  leur  efpérance  ,  fut  bleiTé  mortellement 
dans  cette  attaque:  fa  morç  découragea  beaucoup  les  aiTiégés, 

On 


très. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  355 

On  appliqua  contre  les  murs  une  machine  de  l'invention  de  ???????!:?^-??; 
Châtillon ,  avec  un  pont  pour  foudroyer  ceux  qui  combat-  Henri 
toient  fur  le  rempart.   Les  Royaliftes  conçurent  alors  l'ef-       I  V. 
pérance  de  s'emparer  de  la  place.  i  ^  q  r . 

Enfin  on  parlementa  le  jour  du  Dimanche  de  la  Paiîîon  , 
&  on  convint  que  fî  le  duc  de  Mayenne,  qu'on  difoit  être  rend.^ 
alors  à  SoifTons ,  ne  venoit  pas  au  fecours  de  la  ville  dans 
huit  jours ,  on  la  rendroit  au  Roi. 

Le  Duc  ne  fe  mit  pas  en  peine  de  la  fecourir  j  il  envoya 
feulement  un  petit  nombre  des  fiens  pour  encourager  les  af- 
iîégës  à  fe  défendre  j  c'eft  pourquoi  les  habitans  prirent  le 
parti  de  capituler  le  19.  Avril.  Le  Roi  permit  par  le  traité 
aux  Officiers  6c  à  la  garnifon  ,  de  fortir  en  armes  &  avec 
leurs  drapeaux  ,  pour  être  conduits  en  lieu  de  fureté.  La 
Bourdaifiere  fortit  de  la  place  le  lendemain  fuivi  de  fix  cens 
hommes  de  la  garnifon  •  il  emmena  avec  lui  un  grand  nom- 
bre de  Dames  de  condition  ,  &:  ne  vint  point  faluer  le  Roi. 

Charle  de  Biron  Maréchal  de  camp  ,  entra  dans  Char- 
tres à  la  tête  d'une  garnifon  de  douze  cens  hommes  d'infan- 
terie ,  £c  de  trois  cens  chevaux.  Le  Roi  confirma  les  privi- 
lèges &  les  franchifes  de  la  ville  ,  &  promit  d'y  conferver 
l'exercice  de  la  Religion  Catholique.  11  défendit  même  de 
profelTer  publiquement  la  Réforme  ,  mais  il  obligea  les  ha- 
bitans à  lui  donner  une  certaine  fomme  d'argent ,  &  a  four- 
nir une  grande  quantité  de  bled  qu'on  tireroit  des  environs 
de  Chartres  dans  l'étendue  de  la  Jurifdiclion  de  cette  ville. 
François  d'Efcoubleau  de  Sourdis  ,  qui  avoit  toujours  été 
du  parti  du  Roi ,  avoit  été  Gouverneur  de  cette  place  5  mais 
n'ayant  point  de  garnifon  pour  s'y  maintenir  ,  il  en  avoîc 
été  chaffé  par  les  habitans.  Il  fut  fait  Lieutenant  fous  Che- 
verny  qui  eut  le  gouvernement. 

Pendant  le  fie^e  de  Chartres    le  Roi  donna  un  Edit  le    EdircîuRoi 
^.  Mars  pour  foulager  le  païfan ,  qui  payoit  non  feulement  Edes'"' 
des  contributions  à  l'un  èc  à  l'autre  parti  5  mais  qui  étoit  troupes. 
encore  expofé  au  pillage  des  foldats  qui  les  levoient.  Il  éta- 
blit une  difcipline  pour  les  troupes  ,  &  défendit  fous  peine 
de  mort,  d'enrôler  fans  un  ordre  exprés  de  fa  part.    Il  or- 
donna par  cet  Edit  aux  Gouverneurs  des  provinces  de  mar- 
cher contre  ceux  qui  s'empareroienc  de  quelque  place  ,  &  la 

Tûme  XL  Y  y 


3  j4  HISTOIRE 

feroient  fortifier  ,  &  de  les  faire  pendre  -,  avec  défenfe  de 
Henri  faire  des  levées  d'argent ,  d'enlever  des  vivres  &  des  foura-. 
I  V.  ges ,  &  de  forcer  les  gens  de  la  campagne  à  fe  louer  pour 
5  <qi^  travailler  aux  fortifications  des  places,  ians  un  ordre  (igné 
de  l'un  des  quatre  Secrétaires  d'Etat ,  de  adrelTe  directemenc 
aux  Trcforiers  de  France  j  d'emmener  les  bêtes  de  labour 
au  défaut  du  payement  de  la  contribution  ^  de  faire  prifon- 
niers  de  guerre  les  païfans  ,  ôc  d'exiger  d'eux  des  rançons 
fous  prétexte  qu'ils  payoient  tribut  à  l'ennemi  ^  pourvu  ce- 
pendant qu'ils  ne  portaflent  point  les  armes  au  fervice  des 
Ligueurs  ,  àc  ne  leur  fourniflent  point  des  vivres  ^  de  ne 
point  aulfi  exiger  de  rançon  des  Prêtres  èc  des  Religieux  , 
à  moins  qu'ils  ne  portalîènt  les  armes.  Cet  Edit  portoit  en- 
core qu'avant  de  fixer  le  prix  des  rançons ,  les  Gouverneurs 
des  provinces  ,  les  maréchaux  de  camp,  &  les  maréchaux 
de  France  éxamîneroient  fi  les  prifonniers  l'étoient  par  le 
droit  de  la  guerre  :  Qu'on  ne  pourroit  prendre ,  fous  quelque 
prétexte  que  ce  fût ,.  les  femmes  &  les  filles ,  ni  les  jeunes  gens 
au-deflbus  de  l'âge  de  quinze  ans  :  Que  perfonne  n'eue  à 
s'emparer  de  fon  autorité  privée  ,  des  biens  des  ennemis. 

Le  Roi  donna  un  autre  Edic  le  20.  du  mois ,  pour  révo- 
quer la  chambre  d'Amirauté  établie  à  la  Rochelle  fous  le 
régne  de  fon  prédécelTeur  ,  &  la  transférer  à  Tours ,  où  étoic 
le  ilége  de  l'Amirauté.  Il  donna  enfuite  l'édit  de  Révoca- 
tion du  fécond  Dixième ,  qui  fe  prenoit  fur  les  prifes  faites 
en  mer.  Ces  deux  Edits  furent  vérifiés  &  enregiftrés  le  4. 
Avril  au  Parlement ,  6c  trois  jours  après  à  la  chambre  des 
Comptes. 
"  , .  La  prife  de  Chartres  avant  coupé  la  communication  de 

Thierry  fur    Paris  avcc  le  pais  des  environs ,  réduiht  cette  grande  ville  a 
Marne  pris     la  dernière  extrémité.  Les  Ligueurs  la  tirèrent  de  ce  mau- 
gueurs.  ^'      ^^'^^  P'^s  î  ^°  forçant ,  ou  plutôt  en  prenant  à  compofition  la 
ville  de  Château-Thierry  fur  Marne  ,  au-defTus  de  Meaux  j. 
ils  éloignèrent  par  ce  moyen  pour  quelque  tems ,  la  nèceffité 
où  l'on  croyoit  Paris  de  fe  rendre  bientôt.  Le  duc  de  Mayenne 
partit  de  Soiflbns  pour  aller  faire  le  fiège  de  Château-Thier- 
ry ,  après  avoir  compofé  avec  Claude  Pinart  autrefois  Secré- 
taire d'Etat.  Pinart  etoit  bien  éloigné  d'être  du  parti  des  fa- 
^ieax  y  mais  il  ne  pouvoic  fe  réfoudre  à  perdre  les  grands- 


'    DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CI.  555 

Liens  qu'il  avoir  aux  environs  de  cecce  ville.  Dans  la  crainte  ï^*»^ 
de  s'en  voir  dépouillé  iî  la  ville  écoic  prife  d'aiîàuc  ^  &;  d'en  H  e  n  k  i 
perdre  le    gouvernement  ,    il   perfuada    au   vicomte    de       I  V. 
Combiiiy  fon  ^\s ,  qui  commandoic  dans  Château-Thierry  ,      i  59  £, 
de  ne  pas  s'opiniâtrer  à  ibutenir  le  fiége  ^  de  ne  faire  de  ré- 
fîftance  que  pour  mettre  fon  honneur  ôc  fa  réputation  à  cou- 
vert ,  &  de  capituler  enfuite  facilement. 

Le  Duc  fit  tirer  des  lignes  de  circonvallation  ,  &  trois  Trahifondc 
jours  après  l'artillerie  ouvrit  la  brèche,  qui  fe  trouva  très-  Pin^rt  &  dt 
efcarpee.  Une  partie  des  aiîîégés  qui  n'avoient  pas  le  fecrec 
du  Gouverneur ,  fe  préparoient  à  une  défenfe  vigoureufè  ^ 
mais  ils  furent  entraînés  par  le  plus  grand  nombre  ,  qui  di~ 
rent  qu'il  falloir  s'enfermer  dans  la  citadelle.  Les  afîiégeans 
entrèrent  dans  la  ville  qui  avoit  été  abandonnée  ,  &  la  mi- 
rent au  pillage.  Les  Efpagnols  y  commirent  des  excès  af- 
freux ,  l^oit  par  avarice ,  foit  par  la  haine  qu'ils  ont  naturel- 
lement pour  les  François. 

On  pointa  enfuite  le  canon  contre  la  citadelle  ,  comme 
on  en  étoit  convenu.  Malgré  le  mauvais  état  de  la  place , 
la  NoblelTe  qui  fe  trouvoit  avec  le  Gouverneur  ,  vouloit  fe 
défendre.  Pinart  intervint  alors  ,  6c  leur  ayant  remontré 
qu'ils  s'expofoient  inutilement  au  péril  tandis  qu'ils  pou- 
voient  l'éviter,  Ôc  mettre  leur  vie  &  leur  honneur  en  liberté  j 
il  leur  fît  voir,  pour  les  convaincre  de  ce  qu'il  avanc^oit ,  les 
conditions  honorables  que  le  duc  de  Mayenne  offroit  de 
leur  accorder  ^  elles  furent  enfin  reçues  d'un  commun  con- 
fentement.  Pinart  &;  fon  fils  traitèrent  en  particulier  avec  le 
Duc  ,  qui  leur  laifTa  la  jouiffance  de  leurs  biens  ,  &  leur 
donna  une  penfîon  de  la  valeur  des  appoîntemens  qu'ils  re- 
tiroient  du  gouvernement  de  la  place. 

Le  Parlement  de  Châlons ,  que  la  prife  de  Château-Thier-   lîs  font  eoa. 
ryincommodoit beaucoup,  cita  devant  lui  Pinart  6c  Ion  fils,  ^^r^^l^x^ 
Ils  furent  fommès  à  fon  de  trompe  pendant  trois  jours  de  p-n-icmencds 
marché  :  n'ayant  pas  voulu  comparoir ,  on  les  condamna  à  chalons. 
mort  comme  contumaces ,  6c  leurs  biens  furent  confifqués, 
comme  ayant  été  traîtres  6c  rebelles.    Le  Roi  donna  cette 
confîfcation  à  Anne  d'Anglure  de  Givry  ,  afin  de  le  mettre 
en  état  de  payer  les  grandes  dettes  qu'il  avoit  faites  pour 
Subvenir  aux  frais  de  la  guerre.   Mais  ces  biens  ayant  été 

Y  y  ij 


35^  HISTOIRE 

■ L^  réunis  au  Domaine  ,  de  manière  qu'on  ne  ponvoîc  les  en  fé* 

Henri  parer  ,  le  Roi  vit  bien  que  Givry  ne  proficeroit  pas  de  fa  li- 

I  V.       béraiité.   C'eft  pourquoi  il  révoqua  l'Arrêt  prononcé  contre 

i^or.     Pii^art,  qui  en  lut  quitte  pour   trente  mille  écus  d'or.  Le 

Roi  donna  la  moitié  de  cette  Tomme  à  Givry  j  le  refte  fut 

defliné  aux  frais  de  la  guerre. 

Biron  ,  après  avoir  arrangé  toutes  cliofes  à  Chartres , 
ayant  eu  ordre  de  fe  rendre  àTarmée,  prit  à  compofition 
Auneau  de  Dourdan ,  où  commandoit  le  capitaine  Jacque 
Ferrarois-  mais  ce  ne  fut  qu'après  quelques  jours  de  fiége  , 
de  lorfque  les  travaux  commen^oient  à  endommager  le 
mur. 

D'un  autre  côté  le  duc  de  Mayenne  mit  une  forte  gar- 
niibn  dans  Château-Thiery.  11  donna  le  gouvernement  de 
cette  ville  èc  de  fon  territoire  à  Robert  de  Lencncourt  abbé 
d'ElTome ,  frère  du  Cardinal  j  l'abbé  de  Lenoncourt  quitta 
les  Sceaux  pour  prendre  ce  gouvernement-  on  lui  donna  pour 
Lieutenant  Mercure  de  Saint- Chamant  du  Pefchè.  Pen- 
dant ce  tems-là  le  duc  Charles  de  Lorraine,  les  Princes 
de  fa  Maifon  ,&  l'envoyé  de  Savoye  s'allemblérent  à  Rheims 
pour  prendre  des  mefures  fur  l'état  prefent  des  affaires.  Le 
cardinal  de  Pellevé  ,  nommé  depuis  peu  à  l'archevêché  de 
Rheims,  fe  trouva  auiîî  à  cetteaiîèmblèe.  Ce  prélat  natureL 
lement  fin  èc  délié  ,  mais  dont  la  vieiilelTè  avoir  un  peu 
affoibli  l'efprit ,  s'étoit  vanté  à  Rome  ,  où  il  avoit  demeuré 
vingt  ans ,  de  facrer  un  jour  le  Prince  que  la  Ligue  devoit 
mettre  fur  le  thrône.  Le  Pape  &  les  Efpagnols  feflatoienc 
de  faire  tomber  les  fufFrages  à  leur  gré ,  fi  jamais  onprocé- 
doit  à  l'èledion  d'un  Roi  Catholique  ,  à  l'exclufion  du  légi- 
time héritier. 

Cette  efpérance  les  engageoît  à  prefFer  les  fadîeuxd'af- 
llZaams?  Sembler  les  Etats  à  cet  effet.  C'étoit  auffi  le  but  des  Lor- 
rains, qui  vouloient  avoir  part  à  l'èledion.  Maisla  jaloufîe 
de  concurrence  règnoit  entr'eux  :  le  duc  de  Lorraine  chef 
de  fa  maifon  prétendoit  que  la  Couronne  étoit  due  à  fon  fils 
qu'il  avoit  eu  de  fon  mariage  avec  la  fœur  du  dernier  Roi. 
Mais  les  Seigneurs  Lorrains  établis  depuis  cent  ans  en 
France  étoient  fecretement  oppofés  à  fes  prétentions  j  ils 
r^avoient  que  les  François  du  parti  de  la  Ligue  avoientplus 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CL  357 

de  penchant  &  d'amour  pour  le  nom  de  Guife  que  pour  ce-  11 

lui  de  Lorraine  ^  &  fe  fentanc  d'ailleurs  tout  le  courage  &  Henri 
les  grandes  qualités  que   doivent  avoir   ceux  qui  fondent        I V. 
les  empires,  ils  voyoient  bien  qu'ils  l'emportoient  de  ce  côté-      ^  3  9  ^» 
la  fur  les  enfans  du  duc  de  Lorraine. 

L'efpérance  flateufe  de  commander  divîfoit  encore  les 
Lorrains  établis  dans  le  Royaume.  Le  duc  de  Mayenne  qui 
iurvivoit  à  fon  frère  aîné  par  un  heureux  effet  du  hafard, 
fe  trouvant  à  la  tête  de  la  Ligue ,  fe  flatoft ,  fur-tout  pen- 
dant laprifon  du  duc  de  Guife,  qu'on  mettroit  fur  fa  tête, 
&  dans  fa  famille ,  la  Couronne  au  préjudice  de  tous  les  au- 
tres, fî  jamais  on  en  venoit  à  élire  un  Roi.  Il  avoit  formé 
la  réfolution  ,  s'il  arrivoit  qu'il  fût  trompé  dans  fes  efpé- 
rances ,  d'apporter  toute  forte  d'obftacles  à  l'élection  ,  6c  de 
retenir  le  plus  longtems  qu'il  pourroit  la  Lieutenance  gé- 
nérale du  Royaume  qui  le  rendait  le  maître  de  l'Etat. 
Ivlais  les  uns  &  les  autres  ne  faifoient  point  paroître  ce  qu'ils 
defiroient  j  au  contraire  ils  fe  cachoient  réciproquement, 
2c  fur-tout  au  roi  d'Efpagne  les  prétentions  qu'ils  avoient, 
de  peur  que  la  concurrence  ne  fît  agir  avec  lenteur  ^  6c  que 
Philippe  ,  dont  tout  le  fuccès  de  la  Ligue  dépendoit ,  ne  fe 
refroidît  6c  ne  fe  prcflat  pas  d'envoyer  des  fecours. 

Leréfultat  de  cette  aiïèmblée  fut  de  faire  partir  unam- 
bafîadeur  pour  l'Efpagne ,  avec  ordre  de  prier  le  Roi  de  con- 
fidérer  que  la  Religion  6c  la  caufe  commune  alloient  rece- 
voir un  grand  échec ,  s'il  n'envoyoit  des  fecours  plus  puif- 
fans  :  Que  les  forces  de  l'ennemi  s'augmentoient  tous  les 
jours  au  milieu  de  fes  vidoires  :  Que  la  reine  d'Angleterre 
6c  les  princes  Proteffcants  d'Allemagne  prenoient  le  parti  du 
Navarrois  :  Qu'on  n'avoit  pu  perfuader  à  la  Noblelle  Fran- 
^oife  ,  dans  qui  réhde  la  principale  force  de  la  guerre , 
de  fe  détacher  du  parti  .victorieux  de  ce  Prince,  pour 
s'unir  à  la  Ligue  ,  voyant  que  les  fecours  étrangers , 
qui  n'arrivoient  de  loin  qu'avec  lenteur  étoient  trop  foibles 
pour  la  foutenir  :  Qu'il  étoit  donc  nécelTaire  de  mettre  en 
meilleur  état  les  affaires  de  la  Lisue,  avant  d'alTembler  les 
Etats  pour  Telection  d'un  Roi  :  Qu'ils  fc^avoient  que  c'étoit 
le  moyen  de  mettre  la  Religion  en  fureté  j  mais  qu'il  étoit 
de  l'honneur  6c  de  la  majeflc  du  roi  d'Efpagne ,  de  ne  riea 

Yyiij 


^  5'S  HISTOIRE 

*  réfoudre  dans  ces  Etats  qu'on  ne  piic  enfuite  exécuter  :  Ec 

Henri  qu'enfin  il  n'y  avoic  qu'un  heureux  luccès  qui  pût  juftifier  ces 
I  V.      fortes  d'entreprifes. 
159  r .         Pierre  Jeanin  préfident  au  parlement  de  Dijon  fut  chargé 
de  cette  ambailadcj  c'ëtoit  un  homme  pénétrant  èc  rompu 
jeamir^n'voïé  ^^^^  ^^^  affaires.  Le  duc  de  Mayenne  ,  dont  il  étoit  ami  in- 
en  Efpngne     timc,  l'avoit  prié  en  fecret  de  Ibnder  le  roi  d'Efpagne ,  &: 
lia'ente'^  ''*^  de  tâclier  de  découvrir  iî  ce   Prince  feroit  d'humeur  à  fe 
déclarer  en  la  faveur  dans  les  Etats  afiemblés  pour  l'éleclion. 
Il  le  chargea  d'offrir  à  Philippe  des  conditions  très-avanta- 
geuies ,  qu'il  feroit  plus  en  état  de  remplir  que  les  autres 
qui  avoient  les  mômes  prétentions.  Le  préfident  Jeanin  fe 
rendit  fur  la  tin  du  mois   d'Avril  à  Marlèille,  où  il  s'em- 
barqua-il alla  trouver  Jean  André  Doria  à  Loano  dans  le 
Genovefat  ,  afin  de  prendre  en  cet  endroit   les  ambafîk- 
deurs  de  Savoye  ,  5c  de  Lorraine  ,  pour  pa^fler  enfemble  en 
Efpagne. 

Le  bruit  s'étoit  déjà  répandu  de  tous  côtés ,  que  le  Pape 
alloit  envoyer  des  troupes  au  fecours  de  la  Ligue  ^  ôc  faire 
prendre  les  devants  à  un  Légat ,  avec  des  ordres  îévéres  , 
comme  il  l'avoit  mandé  à.  l'évêque  de  Plaifance.  Le  Roi 
jugea  à    propos   que    François   de  Luxembourg    duc    de 
Piney,  qui  avoit  fourenu  à  Rome  l'honneur  du  nom  Fran- 
çois ,    quoiqu'il  n'eût  pas  tout  -  à  -  fait   réiiflî  dans  fon  am- 
baiTade  ,  écrivît    au  Pape  pour  l'empêcher  d'envoyer  ce 
Léo-at ,    &   pour    retarder  les  fecours    qu'il   devoit    faire 
partir. 
Le  duc  de      Le  Roi  étoit  encore  au  fiége  de  Chartres ,  lorfque  le  Duc 
Luxembourg  écrivit  le  8.  d'Avril  à  fa  Sainteté.  Il  commença  parrappeller 
vsToTd^cdl  la  négociation   qu'il   avoit  eue   l'année    précédente   avec 
^oJ'  Sixte  V.  fon  prédécefTeur  :  il  difoit  enfuite  qu'après  la  mort 

de  Sixte  il  n'avoit  cefTé  d'écrire  au  Conclave  depuis  fon 
retour  en  France  :  Que  prévoyant  que  fes  lettres  feroient 
fupprimées  par  ceux  qui  étoient  mal  intentionnés  pour  le 
Roi,  il  les  avoit  adreflees  au  futur  Pontife  :  Qu'il  avoit  ap- 
pris qu'elles  avoient  été  remifes  à  fa  Sainteté,  qui  les  avoit 
reçues  avec  bonté  j  6c  qui  avoit  même  fait  efpérer  qu'elle  y 
répondroitj  mais  que  s'appercevant  que  prévenue  par  la 
fadion  oppofée  ,  elle  n'avoit  pas  jugé  à  propos  de  l'honorer 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CL         3  55^ 

d'une  manière  fi  éclatante,  ilavoit  unjufte  fujet  de  craindre  1 

que  ceux  dont  le  pouvoir  avoit  été  afîèz  grand  fur  fon  ef.  Henri 

prit  pour  l'engager  à  tenir  cette  conduite  à  fon  égard ,  ne      IV. 

viniîent  à  bout  de  lui  inipirer    des   fentiments  contraires  à     ijQf, 

ceux  qu'elle  devoit  avoir  touchant  les  affaires  de  France, 

Se  qu'elle  ne  donnât    des  ordres  en  conféquence.  »  C'eft 

"pourquoi,  ajoûtoit  le  Duc,  je  prie &: conjure inftammenc 

»  votre  Sainteté  de  n'écouter  pas  fi  facilement  des  gens  qui 

ï>  ne  cherchent  que  la  perte  de  la  France,  ôc  qui  veulent 

»  vous  engager  dans  une  guerre  injufire,  afin  d'épuifer  les 

"  tréfors  amaflés  par  votre  prédécefieur,  pour  reconquérir 

»  le  Royaume  de  Naples ,  comme  ils  le  penfent  eux-mêmes, 

»i  èc  les  faire   fervir  aux   projets   de   leur  ambition.   Nous 

«  fommes  accoutumés  dès  longtems  au  bruit  des  armes  en 

>5  France  ,  ôcla  guerre  ne  nous  effraye  point.  Je  ne  fc^aurois 

w  diflimuler  à  votre  Sainteté,  que  les  François  indignés  de 

>î  fe  voir  abandonnés  par  le  iaint  Siège,  qui  ne  doit,  fes  ri- 

5î  chefles  àc  ià  puifiance  qu'à  la  Noblefle  Fran(^oife,  ne  peu- 

M  vent  foufFrir  que  le  Père  commun  des  fidèles  ,  qui  dévoie 

M  fervir  de  médiateur  ,  ait  pris  parti  contr'eux.  On  a  trompé 

»  d'abord  par  les  mêmes  intrigues  le  prédécefi^eur  de  votre 

>î  Sainteté  ^  mais  il  a  bientôt  découvert  la  vérité.  Dès  qu'il 

>5  a  changé  de  conduite  à  notre  égard  ,  les  Efpagnols  l'onE 

"indignement  déchiré  par  des  calomnies  afFreufès,  &  lui 

»  ont  fait  des  outrages  langlants.    L'événement  qui  fera 

»  voir  fon  difcernement ,  &  la  témérité  de   ceux  qui  s'en- 

"  gagent  dans  cette  guerre  injufte ,  rendra  fa  mémoire  plus 

»  glorieufe.  Je  frémis  , très-faint  Père,   en   prévoyant  les 

>î  malheurs  qui  feront  les  fuites  funefi:es  de    ces  troubles. 

»  Car  enfin  qu'arrivera-t'il ,  fi  les  François  zélés  pour  leur 

M  patrie  ont  plutôt  recours  aux  dernières  extrémités,  que 

»  de  fe  foumettre  à  une  domination   étrangère  3  &  fi  ne  le 

«  fentants  pas  afi^ez  de  force  pour  s'y  foufkraire  ,  ils  font  con- 

n  traints  d'implorer  les  fecours  des  Princes,  qu'ils  regarde- 

»  roient   d'ailleurs   comme  des  ennemis   par  rapport  à  la 

55  Reh'gion  ?  Jelaifie  à  juger  à  votre  Sainteté  quel  préjudice 

j>  en  loufFrira  la  Foi  Catholique,  &  quels  feront  aux  yeux 

M  de  Dieu  ceux  qui  l'auront  expofèe  à  des  dangers  fi  mani-. 

»feiles ,  de  les  vrais  auteurs  de  cane  de  maux.  « 


3^0  HISTOIRE 

'  t3  On  die  publiquement,  continuoît-il ,  que  votre  Sainteté 
Henri  ^j  envoyé  des  lecours  de  troupes  &c  d'argent  aux  Parifiens  qui 
I  V.  »3  ont  donné  l'exemple  de  la  révolte  ^  6c  qu'elle  a  réfolu  de 
i  59  1.  "  faire  partir  un  Légat  pour  s'inftruire  de  l'état  du  Royaume, 
)3  ôc  découvrir  les  cauies  des  troubles  préféns.  En  vérité  je 
>3  ne  fçaurois  me  perfuader  que  votre  Sainteté  ait  pris  le 
55  premier  parti ,  parce  qu'il  ell  injufte  de  nous  condamner 
55  fans  nous  entendre,  &  de  nous  porter  préjudice  de  cette 
55  manière.  Pour  ce  qui  regarde  l'envoi  du  Légat,  votre 
55  réfolution  eft  très-loiiable  ^  ^  il  ne  nous  refte  à  fouhaiter 
55  que  ce  Prélat  n'époufe  point  de  parti  j  qu'il  ne  fuive  point 
55  l'exemple  de  Tes  prédécelFeurs  5  qu'il  ne  foit ,  ni  préoc- 
55  cupé  par  les  Elpagnols ,  ni  aveuglé  par  l'avarice ,  ou  par 
95 l'ambition  j  que  ne  penchant  d'un  côté  ni  de  l'autre, 
55  mais  gardant  un  jufte  milieu  entre  la  Ligue  &  le  Roi,  il 
55  ne  vienne  point  en  France  dans  le  deflein  de  vendre  fa 
55  protedion  à  l'Efpagne.  ce 

55  Votre  prudence  6c  votre  amour  pour  la  juilice ,  faine 
55  Père  ,  me  raiTûrent,  6c  m'empêchent  de  croire  ce  que  les 
55  fadicux  ofenr  publier  de  votre  Sainteté.  Ils  difent  haute- 
55  ment  que  vous  vous  laiffez  obieder  par  les  Miniftres  du 
55  roi  d'Eipagne,  &c  par  les  partifans  de  l'Union  ^  que  vous 
55  n'écoutez  que  leurs  confeils  j  qu'ils  vous  préviennent  aifé- 
î5  ment  contre  nous.  Encore  une  fois,  je  ne  peux  mêle  per- 
53  fuader  ,  fur-tout  lori'que  je  me  rappelle  ce  que  votre 
55  Sainteté  me  fit  l'honneur  de  me  dire  l'année  précédente  , 
55  quand  j'allai  au-devant  d'elle  à  Torniceri  en  Tofcane , 
M  lorfqu'elle  alloit  à  Rome  pour  le  Conclave  ,  après  la  mort 
X5  de  Sixte  V.  Je  mefouviens  encore  de  vos  paroles  ;  vous 
53  me  dîtes  qu'il  falloir,  pour  entretenir  la  paix  dans  la, 
53  Chrétienté  ,  que  le  roi  d'Efpagne  confervât  [qs  Etats ,  6c 
53  que  le  roi  de  France  pofïédât  ce  qui  appartenoit  à  la 
»  France ,  afin  que  les  deux  Rois  fulFent  ,  pour  ainfi  dire , 
55  une  barrière  à  leur  ambition  réciproque,  ce 

Leduc  de  Luxembourg  difoit  encore  dans  fa  lettre  qu'il 
avoit  rapporté  ces  paroles  à  ceux  qui  l'avoient  envoy è,6c  qu'il 
n'avoit  ceiTé  de  les  oppofer  aux  bruits  que  l'on  faiioit  courir  j 
q.ue  la  Noblefle  ayant  réfolu  d'envoyer  une  perfonne  defon 
Corps  à  fa  Sainteté  >  pour  la  féhciter  de  fon  heureufe. 

exaltation , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  ^Ci 

cxalcâtîon  ,  &  pour  i'aiïiirer  de  Ton  obéïiTancc  ,  il  ne  vouloic  ^ 
pas  qu'on  l'accafâc  de  négligence  ,  &  de  manquer  a  fa  parole  :  H  e  n  m 
Qu'il  écoic  de  /on  devoir  de  mander  tout  ceci  au  Souve-        I  V. 
rain  Pontife  ^    &   de  radûrer  en   même  -  rems   des  fenci-      1501-, 
mens    &    des    difpofitions    de    la    Noble/le    Françoife    à 
l'égard  de  la  Religion  6c  du  légicimc    héritier  de  la  Cou- 
ronne,  auquel  elle  s'étoit  crue  obiicrée  de  fe  foumettre  d'à- 
bord  j  refoluc  de  l'exhorter  à  fe  faire  inftruire ,  &:  à  embralîer 
la  Religion  Catholique  avec  le  fecours  de  Dieu ,  &:  par  les 
foins  de  fa  Sainteté  :  Qu'il    ne  pouvoit   y   avoir   de  plus 
grand  obftacle  dans  cette  affaire   importante  ,  que  la  con- 
tinuation de  la  guerre  3  parce  qu'on  ne  pouvoit  pendant  ce 
cems-là  inftruire  le  Roi  àQs  vérités  de  la  Religion  :  Qu'il  n'a- 
vo'ii  pli  fe  difpenfer  de  faire  ces  repréfèntations  à  fa  Sainteté  : 
Qi-ie  c'étoit  à  elle  à  prendre  des  mefures  dans  le  Coniiftoire , 
pour  trouver  des  moyens  de  procurer  la  gloire  de  Dieu  , 
8c  de  donner  la  paix  à  la  Religion  ,  Ôc  a  la  France. 

La  lettre  du    duc  de  Luxembourg  arriva  trop  tard.  La  warfiiiotan- 
Cour  de  Rome   étoic  déjà    prévenue  contre   le  Roi.    La  «iriano Nonce 
puifFance ,   la  faveur ,  &  le    crédit   àQs  Efpagnols  avoient  vl-é^e^n  Fi^an" 
captiva  les   efprits.   JVlarillio   Landriano   etoit  depuis  peu  ce. 
arrivé    en   France  en  qualité  de  Nonce ,  avec  des  ordres 
terribles  ^   très-préjudiciables   au   Roi  ,   pour  obliger  le 
Clergé  Royalifte  à  fe  ranger  du  côté   des  Ligueurs,  fous 
peine  d'excommunication.  Il  étoit  chargé  d'avertir  la  No- 
bleile  de  prendre  le  même  parti ,  fans  cependant  la  mena- 
cer d'aucunes  Cenfures  Eccléfiaftiques. 

Le  Roi  fe  rendit  fur  ces  entrefaites  à  Vernon.  De  Moy 
de  Richebourg  ,  gouverneur  pour  la  Ligue  de  Château- 
Gaillard  fur  Seine  ouvrit  les  portes  à  ce  Prince,  qui  appric 
en  cet  -endroit  que  les  habitans  de  Louviers  gardoient  cette 
yille  avec  beaucoup  de  nég,ligence  ;  Que  François  de  Fon- 
taine-Martel ,  Commandant  de  la  place ,  faifoit  des  courfes 
fréquentes  à  la  tête  de  fa  garnilbn  ,  compofée  de  cent 
cuiralfiers:  Et  qu'il  ne  lailFoit  qu'un  petit  nombre  defol- 
dats  pour  la  garde  de  la  ville.  Elle  n'ell  éloignée  de  Châ- 
teau-Gaillard, que  de  deux  lieues-  affez  forte  par  fa  ficua- 
tion ,  &  bien  approvifionnéc.  Le  Roi  pouvoit  en  tirer  de 
grands  avantages  pour  le  fiége  de  Roiicn ,  qu'il  m.éditok 
Jpme  XI,  Z% 


3^2  HISTOIRE 

depuis  longtems.  Toutes  ces  raifons  le  déterminèrent  à  ga- 
H  E  N  RI  gner  ,  par  le  moyen  de  du  Rolet  gouverneur  du  Pont-de- 
I  Y.      Larche  ,  un  certain  Prêtre  que  celui-ci  connoifToit.  Pendant 
I  SOI.      ^^^  ^^  fentinelle ,  qui  ëtoit  chargée  de   fonner  leToclln, 
lorfqu'elle  découvroit  de  la  cavalerie ,  ou  d'autres  troupes 
qui  s'approchoient  de  la  ville,  alloit  prendre  iès  repas ,  ce 
Prêtre  montoit   à  la  tour  ,  dont  il  gardoit  auffi  les  clefs. 
Du  Rolet  prit  jour  avec  lui  pour  le  6.  de  Juin  j  ils  arrêtè- 
rent enfemble  que  lorfque  Fontaine-Martel  feroit  forti  fur 
le  midi ,  il  s'enfermeroit  dans  la  tour ,  èc  donneroit  le  tems 
aux  troupes  du  Roi  de  s'emparer  de  la  porte,  avant  de  Ton- 
ner l'allarme. 
prifcaeLou-       Charle  de  Biron  s'avança ,  comme  on  ëtoit  convenu,  â 
Royaifftes.     l^,  têtc  d'un  bataillon  ferré.  Du  Rolet  prit  les  devants  avec 
un  détachement  de  foldats  déguifés  en  payfans.  Il  arrive 
à  la  porte,  met  l'épée  à  la  main,  furprend  la  garde  ,  en 
égorge  une  partie,  ôc  poufTe  l'autre  jufque  dans  la  ville. 
Biron  furvint  alors  avec  fon  bataillon  :  le  Prêtre  qui  étoic 
dans  la  tour  croyant  avoir  fatisfait  à  fon  engagement ,  dans 
l'incertitude  de  l'événement  fonna  le  tocfîn.  Les  habitans 
accoururent  auffitôt  en   armes.  Fontaine-Martel  qui  étoit 
forti  par  une  autre  porte ,  revint  promptement  fur  ies  pas. 
Il  y  eut  dans  la  ville  un  combat  fort  vif,    où  les  habitans 
&  la  garnifon  perdirent  plus  de  cent  hommes.  Cependant 
Biron  demeura  maître  de  Louviers.  Le  Gouverneur  fe  retira 
avec  le  refle  de  fa  garnifon  à  la  porte  de  Rouen ,  dont  on 
avoit    fait  une  efpece   de  citadelle  j  mais  quelques   heu- 
res après  il   fe   rendit  à  difcrétion  au   Roi ,  qui  y  arriva 
avec  toute  fon  armée.  Les  Royaliftes  perdirent  en  cette  oe- 
cafion  vingt  hommes ,  du  nombre  deiquels  fe  trouvèrent 
cinq  Capitaines.  On  prit  dans  la  ville  Claude    de  Saintes 
Le  fanatique  évêque  d'Evreux ,  fameux   Théologien  ,  zélé  Ligueur,  ôc 
sahites  évè.  ^'^^  ^^^  plus  obflinès  ennemis  du  Roi.  On  s'empara  de  ks 
eue  d'Evreux  livres  ^  &  on  trouva  parmi  fes  papiers  un  écrit  où  il  juftifîoit 
cft  pris.        l'alTaffinat  de  Henri  III.  &  s'éfForçoit  de  prouver  qu'il  étoit 
permis  de  tuer  le  roi  de  Navarre  :  c'eft  pourquoi  on  ne  le 
traita  pas  comme  un  prifonnier  de  guerre  j  mais  on  l'en- 
voya à  Cacn  fous  bonne  garde,  pour  lui  faire    fon  pro- 
cès, ôcle  punir  comme  un  criminel  de  léze-Majellé  :  car 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  3^3 

on  n*a  point  d'égard  en  France  aux  prérogatives  du  Cler- 
gé ,  lorlqu'il  s'agit  d'un  crime  d'iitat  j  &  la  févérité  des  loix  H  e  n  Eii 
tombe  indifféremment  en  ce  cas  fur  les  Evêques  de  fur  les       I  V. 
Prêtres,  comme  iur  les  Laïcs.  Il  ne  s'en  fallut  rien  que  ce      j  ^«j^ 
féditieux  Prélat   ne  fût  condamné  à  mort.  Il  fut  atteint  & 
convaincu.  Il  ofa  même  défendre  opiniâtrement  les  mal- 
heureufes  &  extravagantes  opinions  dont  il  étoit  entêté. 
Le  cardinal  de  Bourbon  ,  &  le  Clergé  du  parti  du  Roi  in- 
tercédèrent pour  lui  ;  on  obtint  que  la  peine  de  mort  ,  qu'on  ^^M  ^°"'' 
avoiioit  qu'il  avoit  encourue    félon  nos  loix ,  feroit  com-  grâce  à  une 
muée  en  une  prifon  perpétuelle ,  où  il  mourut  peu  de  tems  P",[°"  P"^^ 
après.  Le  Koi  nomma  du  Rolet  gouverneur  de  Louviers  j 
&  lui  ayant  donné  une  garnifon  nombreufe  ,  il  ramena  l'ar- 
mée à  Mantes. 

Le  Roi  avoit  mandé  le  cardinal  de  Bourbon  après  la  ré- 
dudion  de  Chartres ,  fous  prétexte  de  raflèmbler  le  Con- 
feil  d'Etat ,  dont  une  partie  étoit  reftée  avec  lui  à  Tours 
après  la  mort  du  feu  Roi.  Le  véritable  motif  de  cette  dé- 
marche étoit  de  déconcerter  les  projets  du  Tiers  parti  qui 
Venoit  de  fe  former.  Le  Cardinal  n'obéît  qu'après    avoir 
reçu  plufieurs  ordres  3  le  Roi  voulant   lui  ôter  toute  forte 
d'ombrage  ,  fortit  de  la  ville  pour  aller  au-devant  de  lui  •  il 
defcendit  même  de  cheval  dès  qu'il  rapper(^ut ,  ôc  fît  de 
grandes  carefïes  à  ceux  qui  étoient  venus  avec  lui.  Tou- 
chard  &  du  Perron  étoient  de  fa  fuite.  Henri  ne  fît  point 
d'accueil  à  Touchard ,  qu'il  lailla  gouverner  en  pédant  la 
maifon  de   fon  maître  3  mais  pour    du  Perron ,  il  le  recjuc 
avec  de  grandes  marques  de  bienveillance,  &n'eut  pas  beau- 
coup de  peine  à  tirer  de  lui   le  fecret  de  la  Conjuration, 
Enfuite  il  donna  le  commandement  de  l'armée,  qu'il  étoit 
obligé  d'envoyer  en  Poitou,  au  prince  de  Conti ,  afin  de  le 
réparer  de  fes  frères  (  i  ).  Le  comte  de  Soifîbns  ne  murmura 
point  de  cette  préférence  en  faveur  de  fon  aîné  ,   que  Cqs 
défauts  naturels  rendoient    d'ailleurs  incapable  de    com. 
mander. 

Le  Roi  ifTembla  dans  la  ville  de  Mantes,  où  il  étoîc 
alors ,  les  Princes ,  les  Seigneurs ,  &  les  Evêques  qui  étoient 
avec  lui ,  afin  de  fe  prémunir,  lui  6c  fon  parti ,  contre  les 

(i  )    Le  cardinal  de  Bourbon ,  &  le  comte  de  SoifTons. 

Z  z  ij 


3^4  HISTOIRE 

démarches   de  la   Cour  de  Rome  ,  en  attendant   Tarmée 

H£  N  Kl  auxiliaire  j  afin  de  fluîsfaire  aux  jufles  demandes  &  plaintes 

IV.      des  Proteftans,  donc  il  profelloit  encore  la  Religion  ^  &c 

1591.     afin  de  les  prévenir  au  iujet  du  changement  qu'il   niédicoit. 

Le  Parlement  de  Châlons  n'attendit  pas  les  ordres  du  Rot 

xlt^^dTpr^rk.  ^"  ^'■'i^^  ^^^^'^  ^"^^^  ^^^  ^^^P^  apportée  en  France  par  Lan- 
mcntdechâ-  driano.  Dhs  qu'il  en  fut  tombé  entre  fes  mains  des  éxern- 
lonsconae     nJaires  imprimés  à  Rheims,  il  rendit  le  10.  de   juin  un  ar- 

les  Bulles  du  ^^  ]      -n  r-  -      '       ?  n  "^  j)    j 

Pape,  &  cou-  ^'^^  ;  reçut  le  Procureur  General  appellant  comme  d  abus 
tic  le  Nonce  de  i'impétration  6c  éxccution  des  ordres  du  Pape,  des  ex- 
communications  ce  rulmmations  lancées  a  Rome  contre  le 
feu  roi  Henri   III.    de  crlorieufe    mémoire,   èc  contre   le 
Roi  régnant  3  &  en  outre  dQs  ordonnances  du  cardinal  Gaë- 
tano  j  6l  enfin  des  monitoires  donnés  à  Rome  le  premier  de 
Islars  3  &:  delà  publication  que  Marfilio  Landrianoen  avoic 
faite  en  France  :  Lui  enjoignit  de  procéder  contre  ledit  Lan- 
driano  Nonce  du  Pape  ,  qui  étoit  entré  dans  le  Royaume 
fans  permiiTion  de  Sa  M aj elle  :  Ajourna  perfonnellement  le 
Nonce  3  &:  faute  d'avoir  comparu  ,  le  décréta  de  prife  de 
corps  :  Déclara  toutes  les  Bulles  précédentes  à  ce  fujet  nul- 
les &  abufives,  fcandaleufes ,  pleines  d'impoftures,  tendantes 
à  la  révolte  ,  &:  contraires  aux  faints  Décrets ,  aux  Confti- 
tutions  Canoniques ,  aux   Réglemens  des  Conciles  reçus  y 
•aux  droits  &:   libertés  de  l'Eglife  Gallicane  ,  enfin  nulles 
de  toute    nullité.  Il  ordonna  que  fi  quelqu'un    avoit   en- 
couru les  Cenfures  en  vertu  de  ces  Bulles  ,il  en  fûtabfous  :. 
Que  ces  Bulles  &:   les  ades  faits  en   conféquence  pour  les. 
mettre  à  exécution  ,  feroient  brûlés  par  la  main  de  l'éxécu^ 
teur  de  la  Juftice  dans  la  place  publique  :  Que  Landriano , 
foi  difant   Nonce   du  Pape  ,  qui  avoit  ofé  entrer  dans  le 
Royaume  fans  la  permifion  de  Sa  Majefté  ,  Cerok  pris  &c 
appréhendé  au  corps ,  &  fubiroit l'interrogatoire  .-Que  fi  on 
ne  pouvoit  l'arrêter,  il  feroit   cité  par  trois  jours  de  mar^ 
ché  à  fon  de  trompe  :  Que  celui  qui  le  iivreroit  auroit  dix 
milles  livres  :  Défendant  fous  peine  de  mort  à  qui  que  ce 
foit  de  le  recevoir  ou  loger  chez  lui  3  èc   à  tous  Archevê- 
ques ,  Evêques ,  &  autres  membres  du  Clergé  ,  fous  peine 
d'être  traités  en  criminels   de  leze-Majefté ,  de  publier   ou 
faire  publier  ces  Bulles ,  ou  autres  Décrets  venants  de  la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  3(^5 

parc  de  Landriano.  Il  déclara  déchus  de   tous  les  bénéfi-  s 


ces  qu'ils  pou  voient  poflédcr  en  France,  les  Cardinaux  ,  les  Henri 
Archevêques,  les  Evêques,  &   tous  autres  Eccléfiaftiques       IV. 
étants    à   Rome  ,  qui   auroient  confeillc    de   donner    ces      içqi. 
Bulles  d'excommunication,  ou  qui  les  auroient  foulcritesj 
qui    auroient   loiié   ou   approuvé   le   déteftable    parricide 
commis  par  trahifon  fur  laperfonned'un  Roi  très-chrétien, 
iîncérement  attaché  à  la  Religion   Catholique.  Il  ordonna 
que  le  Procureur  Général  mettroit  en  féqueftre  cqs  béné- 
fices. Il  défendit  de  plus  à  tous   d'envoyer   de   l'argent  à 
Rome  pour  l'obtention  des  Bulles,  ou  d'en  faire  compter 
par  les  Banquiers  ^  jufqu'à  ce  que  Sa  Majefté  en  eût  autre- 
ment ordonné.  Le  Parlement  par   le  même   Arrêt  donna 
ade  au  Procureur  Général  de  Ion  appel  au  futur  Concile 
de  l'éledion  de  Grégoire  XIV. 

Le  Roi  trouva  cet  Arrêt  digne  de  la    fermeté  du  Par-    r>.  , 

1  1       1       iM  '    --  'r  •!  11  Declnintion 

Jement ,  &c  de  la  hberte  t^rançoiie,  &  il  voulut  l'appuyer  au  Roi  à  ce 
&  le  confirmer  par  fon  autorité.  C'eft  pourquoi  il  jugea  à  ^"^^"^' 
propos   de  donner  le  4.  de   Juillet  un  Edit  fous  le  titre 
de    Déclaration.   Il  commença  par  confirmer   celle  qu'il 
avoit  faite  à  fon  avènement  à  la  Couronne  j  il  difoit  en^ 
fuite  qu'il  fbuhaitoit  d'être  inffcruit  davantage  dQs  articles 
de  la  Religion  Catholique,  &  il  demandoic  à  cet  effet  la 
convocation    d'un  Concile  général  ,  afin  d'examiner  les 
points  controverfés ,  èc  de  terminer  la  difpute  ,  avec  pro- 
niefîè  exprefle  de  fa  part   de  ne  rien  innover  pendant  ce 
tems-là  dans  la  Religion  Catholique ,  Apoftolique  ,  &c  Ro- 
maine j  mais  de  la  maintenir  dans  l'Etat  :  Qiie  cette  décla- 
lation  de  fa  part  auroit  dû  contenter  ceux  qui  difbient  n'a- 
voir pris  les  armes ,  que  pour  la  défenfe  de  la  Religion  j  fi 
l'envie  de  démembrer  le  Royaume,  &  de  le  partager  entre- 
eux  ,  c'eft-â-dire,  entre  lesXfpagnols  ,  &  les  ducs  de  Savoye 
6c  de  Lorraine  ,  ne  leur  eût  mis  les  armes  à  la  main ,  plu- 
tôt que  les  motifs  de  Religion  ,  donc  ils  couvroient  leur  am- 
bition criminelle. 

«  C'eft ,  ajoûtoit  le  Roi ,  ce  que  le  Pape  Sixte  V.  a  dé- 
«  mêlé  de  bonne  heure.  Il  avoit  formé  la  réfolution  de 
>5  lever  l'excommunication  lancée  fur  nous  à  la  follicita- 
w  don  de  nos  ennemis ,  ^  de  la  faire  retomber  fur  eux.. 

Z  z  iij 


iC^G  HISTOIRE 

»  Sa  mort  a  faîc  place  fur  la   Chaire  de  Saint  Pierre  à  ua 
Henri  «  Pontife ,  qui  a  prêté  facilement  l'oreille  à  l'impofture.  Les 
IV.       «rebelles  ont  abufé  de  fa  crédulité,  en  lui  faifant  entendre 

j^oi.     "que  nous  rejettions  abfolument  toute  inftrudion ,  &  que 
»  nous  introduirons  des  nouveautés  dans  la  Religion.  Aveu- 
>j  glé  par  nos  ennemis,  il  a  envoyé   un   Nonce   dans   nos 
>5  Etats  avec  des  ordres  rigoureux ,  dans  le   deilcin  de  dé- 
«  tacher  de  notre  fervice  les  Princes ,  les   Cardinaux  ,   les 
"  premiers  Magiftrats  de  notre  Royaume  ,  les  Archevêques 
»  ôcEvêquçs  qui  nous  font  demeurés  fidèles.  Ce  Nonce  eft 
«entré  en  France  fans  notre  aveu,  &  fans  nous  faire  f<^a- 
»  voir  fon    arrivée  ^  il  eft  allé  trouver  nos   fujets  rebelles. 
î>  Confidérant  que  ces  démarches  de  la  Cour  de  Rome  don- 
«  nent  atteinte  à  notre  autorité  ,  aux  loix  du  Royaume  ,  à 
>î  fes  droits,  6c  aux  libertés  de  l'Eglife  Gallicane,  à  lacon- 
ïî  fervatîon  defquelles  nous  nous  croyons  obligés  de  veiller  5 
"  que  d'ailleurs  la  fureté  publique  y   eft  intéreilée  j  nous 
«  n'avons  rien  voulu  ftatuer  ôc  ordonner  de  notre  autorité 
»  royale  à  ce  fujet  •  6c  nous  avons  jugé  à  propos  de  renvoyer 
«  l'afFaire  à  nos  Parlemens ,  â  qui  la  connoiiTance  en  ap- 
55  partient,  comme  étant  de  leur  compétence  ,  pour  en  fta^ 
>3  tuer  6c  ordonner ,  d'une   autorité  pleine   6c   entière ,  en 
«  conformité  des  loix  de  l'Etat.   Nous  exhortons  les  Car- 
î5  dinaux  ,  Archevêques ,  Evêques ,  6c  autres  Prélats  às'af. 
»  fembler  au  plutôt,  pour  prendre   des  mefures  conformes 
»>  à  la  juftice  6c  à  la  raifon  ,  félon  \qs  faints  Décrets,  6c  les 
«  Conftitutions  canoniques  ,   au  fujet  des  Cenfures  décer- 
>3  nées  ^  mifes  à  exécution  contre  toutes  les  régies  de  droit, 
«  afin  de  conferver  la  difcipline ,  6c   de  retenir  dans  leurs 
»  fondions  les  Pafteurs  :  ^  de  peur  que  les  peuples  ne  foient 
»  privés  de  Tufage  des  chofes  facrées  ,  nous  proteftons  de 
«regarder  comme  des  déferteurs  de  l'Eglife  Gallicane,  6c 
«  de  {(ts>  libertés,  ceux  qui  manqueront  à  leur  devoir  dans 
«  ces  circonftances  j  6c  les  déclarons  dès-à-préfent   déchus 
>î  du  droit  de   jouir    6c  d'ufer  de  ces   libertés   6c  autres.  c< 

ui.cours  du       j^^  j^^j  £j.  gnfuite  un  lone  difcours  6c  plein  de  force  dans 

Rai  dans  1°"    ,       ^        ^  .,         ^     r  '  i  t       r    i      t»  i  i 

Confcii,  au  Ic  Conlcil ,  OU  le  trouvèrent  le  cardmai  de  Bourbon,  les 
fujetdesPro-  ^utres  Prélats ,  les  principaux  Seigneurs,  ^  les  Confeillers 
îrance.         d'Etat ,  pout  prouvct  k  néceffite  de  faire  un  Edit  en  fayewf 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  5^7 

des  Proceftants.  Il  die  que  perfonne  n'ignoroic  fous  quels 
fu nèfles  au fpices  fon  prédéceireur  d'heureufe  mémoire  avoir  Henri 
révoqué  l'Edic  de  1577.  à  la  foUicitation  des  auteurs  des       1  V. 
troubles  prélens  qui  lui  avoienc  arraché  par  force  des  Edits     i  59  i, 
fur  d'autres  fujets  ^  mais  combien  de  malheurs  cette  révo- 
cation n'avoit  elle  pas   entraînés  !  Qu'on  avoir  enfin   été 
contraint,  pour  foutenir  l'Etat  fur  le  penchant  de  fa  ruine, 
de  s'unir  à  ces  mêmes  Proteflants  que  les  rebelles  vouloienc 
détruire  &c  anéantir  5   qu'on  n'avoir  fait  alors  une  trêve, 
que  pour  parvenir  à  cette  jondion  fi  fortdéfirée,  &  dont 
l'événement  avoitfait  voir  l'avantage,  fans  révoquer  néan- 
moins hs  Edits  donnés  contre  fa  propre  perfonne ,  ôc  contre 
Iqs  fiens. 

»  Mais ,  ajouta  ce  Prince,  ces  Edits  ont  été  abolis  & 
>3  condamnés  comme  par  un  préjugé  général.  En  ejfFet,  s'ils 
ïî  avoient  paifé  en  force  de  loi ,  nous  lèrions  déchus  de  nos 
55  droits  au  thrône ,  nous  à  qui  vous  marquez  tant  d'atta- 
>3  chement  &  de  fidélité ,  comme  au  légitime  héritier  de 
53  la  Couronne.  Les  Proteftans  ne  mériteroient  aucune  grâce: 
53  Vous-mêmes  vous  mériteriez  d'être  punis  comme  traîtres, 
»>  puifque  vous  avez  arrêté  par  votre  courage ,  par  vos  ef- 
33  forts ,  les  progrès  de  ceux  qui  fe  fondent  fur  ces  Edits, 
35  ôc  que  vous  les  avez  empêchés  de  réufîir  dans  leurs  pro- 
53  jets.  Il  efb  donc  néceffaire  de  leur  oppofer  d'autres  Edits , 
33  de  une  loi  ancienne  pour  annuler  la  nouvelle ,  afin  que 
53  notre  dignité  Royale ,  &:  nos  droits  ne  nous  foient  point 
33  conteflés  ^  que  les  Reformés  jouiffent  des  droits  de  nos 
33  fujets  Catholiques  ^  &  qu'enfin  vous  puiffiez  vous-mêmes 
33  nous  rendre  l'obéifTance  qui  nous  eft  due ,  &  vivre  en 
53  paix  avec  les  Proteftans  ,  qui  fous  les  yeux  &  du  con- 
î3  lentement  de  ceux  qu'une  haine  de  parti  n'aveugle  point, 
33  jouiflent  de  ces  mêmes  droits  malgré  les  Edits.  Il  n'eft-  pas 
33  à  propos  de  tolérer  plus  longtems  ces  fortes  de  chofes. 
33  En  effet,  rien  n'eft  plus  pernicieux  dans  un  Etat,  que  d'y 
33  foufFrir  des  fadions  ,  fource  inépuifable  des  troubles , 
33  fur-tout  lorfque  celui  qui  doit  rendre  la  juftice  fans  par- 
33tiâlité,  fe  laifFe  entraîner  de  l'un  ou  de  l'autre  côté  par 
33  l'animofîté  ,  ou  par  la  faveur.  Ne  vaut-il  pas  mieux  que 
3>  nous  leur  donnions  la  loi ,   que  de  la   recevoir  d'eux  ? 


3^3  HISTOIRE 

n  II  eft  à  craindre  qu'il  ne  s'élève  d'entr'eux  un  chef  de  parti , 

Henri  >j  comme  autrefois  l'amiral  de  Coligni ,  qui  mérita  le  titre 
1  V.  >5  de  protedeur  des  Proceflans ,  en  prelcntant  au  Roi  une 
I  59  I.  »'  requête  au  nom  de  tous  3  titre  qu'ils  lui  ont  confervé  pen- 
»  dant  ià  vie.  Mais  puifque  les  loix  du  Royaume  nous  ont 
>3  appelle  feuls  à  la  Royauté  ,  il  eft  de  notre  gloire  de  ne  pas 
»  foufFfir  plufieurs  Rois  ,  tels  que  font,  pour  ainfî  dire  ,  Iqs 
"  chefs  de  parti  j  la  fureté  publique  même  &  le  repos  de 
>5  l'Etat  demandent  que  réunis  tous  fous  un  feul  Prince  ,  àc 
»  fous  l'autorité  de  I'qs  Officiers ,  tous  obéïflent  aux  loix  du 
>3  Prince  &  du  Magiltrat. 

»  Nous  avons  encore  ,  continua-t'il  des  motifs  plus  pref- 
Ȕ  fans  d'accorder  cet  Edit  aux  Proteftans.  Vous  n'ignorez 
"pas  que  la  reine  d'Angleterre,  èc  que  les  princes  de  l'Em- 
55  pire  qui  vont  arriver  à  la  tête  d'une  armée  auxiliaire  ,  ne 
»  manqueront  pas  de  faire  des  demandes  exorbitantes ,  afin 
?5  d'obtenir  des  conditions  avantageufes  en  faveur  des  Pro- 
»  teftans  de  France.  Jufqu'où  ne  porteront-ils  pas  leurs  pré- 
>î  tentions,  fi  cette  affaire  fe  trouve  à  leur  arrivée  dans  l'étac 
îî  où  elle  efi:  ?  Que  pourrons-nous  alors  leur  refufer  avec  bien- 
)î  féance ,  fur-tout  dans  des  circonftances  où  leurs  prières 
îj  foutenuës  de  la  préfence  d'une  nombreufe  armée,  feront 
>■)  en  quelque  forte  des  commandemens  ?  Il  efb  de  notre  in- 
îî  térêt  de  ne  pas  avoir  pour  ennemies  ces  troupes  étrangères. 
î)  Il  faut  donc  prévenir  leurs  demandes ,  il  faut  abolir  6c  an- 
î5  nuUer  ces  Edits  violens  6c  fanguinaires ,  qui  ont  occafion- 
»  né  tant  de  maux  ,  pour  faire  revivre  cet  Edit  falutaire  que 
M  notre  prédéceflïeur  de  glorieufe  mémoire ,  appelloit  pro- 
î?  prement  fon  Edit.  Nous  fouhaitons  donc  avec  ardeur  que 
)j  vous  concouriez  avec  nous  dans  ce  projet?  fi  nécefilaire  5 
53  c'efl  le  feul  moyen  de  parer  aux  demandes  extraordinaires 
35  que  les  princes  Proteftans  font  prêts  à  nous  faire  j  rien 
«  n'eft  plus  conforme  à  la  juftice  &  à  la  raiion  j  ceux  qui 
33  penfent  autrement  doivent  condamner  la  guerre  que  nous 
35  faifons  pour  défendre  l'Etat ,  &  ils  ne  cherchent  que  l'oc- 
ïîcafion  de  femer  la  divifion  parmi  vous  a 
Conduite  du  Toute  l'afiTembiée  applaudit  par  fon  filence  à  la  prudence 
cardinal  de  ^  ^  l'équlté  du  Roî.  Il  n'y  eut  que  le  cardinal  de  Bourbon  , 
qui  voulant  engager  le  Tiers  parti  à  fe  déclarer  ,  fe  leva 

commQ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CI.         3(^9 

comme  pour  fe  retirer  ,  après  avoir  die  quelques  mots  en  — — — 
bégayant.  Le  Roi  voyant  que  l'archevêque  de  Bourges ,  les  H  e  n  r.i 
cvêques  de  Nantes  ,  de  Maillezais  ,  de  de  Bayeux ,  ne  fe       I  V. 
mettoient  point  en  devoir  de  le  fuivre,  le  rappeila  d'un  ton      i  cor. 
de  mépris ,  oc  le  fît  alTeoir  dans  fa  place.    La  plupart  accu- 
jfoienten  lecret  fon  imprudence  ,  de  faire  éclater  mal  à  pro- 
pos &:  avec  tant  de  foibleflè  ,  Ces  deiTeins  ,  au  fujet' d'une 
chofe  qu'il  ne  pouvoit  empêcher. 

Le  Roi  ne  trouvant  point  d'autre  oppofition  dans  Ton  Le  Roi  don- 
Confeîl  ,   donna  un  Edit  de  révocation  de  celui  du  mois  ne  un  Edit 
de  Juillet  ,  par  lequel  il  annulla  tout  ce  qui  s'étoit  fait  en  p"oteftans." 
conléquence  ^   êc  rétablit  les  Edirs   qui   avoient  été  faits 
en  faveur  des  Proteftans  ^  avec  cette  claufe  que  ce  dernier 
Edit  n'auroit  lieu  que  jufqu'à  ce  que  la  paix  étant  établie 
dans  Cqs  Etats  ,  avec  l'aide  de  Dieu  ,  les  différends  de  Re- 
ligion pufTent  fe  terminer   du  confentement    de   tous   les 
Ordres  du  Royaume  ,  lorfqu'ils  fe  feroient  remis  fous  fon 
obéïfîance ,  comme  il  avoit  donné  fa  parole  Royale  à  fon 
avènement  à  la  Couronne  ,  de  travailler  à  ce  grand  ouvra- 
ge. Cette  claufe  fut  ajoutée  ,  pour  que  cet  Edit  ne  parût  pas 
confirmer  le  fchifme  ,  &c  ôter  tout-à-fait  l'efpérance  de  le 
faire  ceffer. 

Jacque  Augufle  de  Thou  (  i  )  qui  avoit  afîjfté  à  cette  af-    jacque  Au- 
femblée  ,  &  qui  avoit  confeillé  d'ajouter  la  claufe  dont  nous  guitc  de 
venons  de  parler  ,  pour  fermer  la  bouche  à  la  calomnie  ,  fut       °^^  ^^" 

r  f  >  .  11      prunte  de 

chargé  de  porter  à  Tours  la  Déclaration  concernant  les  BuL  rargenr  pour 
les  du  Pape  ,  &:  l'Edit  en  faveur  des  Proteftans  ,  pour  les  ^^  ^°*- 
faire  vérifier  &  enregiflrer  au  Parlement.  On  lui  donna  or- 
dre en  même  tems  d'emprunter  de  tous  côtés ,  ôc  de  prendre 
de  l'argent  de  ceux  qui  voudroient  en  donner ,  pour  payer 
l'armée  auxiliaire  ,  qui  étoit  fur  le  point  d'arriver. 

Il  s'acquitta  de  fa  commiiîion  avec  foin  ,  fie  fit  à  Tours 
&  dans  les  autres  villes  de  la  Touraine  6c  de  l'Anjou  ,  au 
Mans ,  &  à  Limoges  ,  une  fbmme  de  trente  mille  écus  d'or , 
que  lui  fournirent  les  Chapitres ,  les  Corps  de  villes ,  &  plu- 
Heurs  particuliers.  Il  fit  tranfporter  cet  argent  au  camp  du 
Roi  ,  dans  le  tems  où  l'armée  Allemande  arriva. 

Lorfqu'il  préfenta  le  premier  Edit ,  6c  qu'on  eut  fait  la 

(i)  C'eft  l'Auteur  de  cette  Hiltoire. 

Tome  XI,  AAa 


370  HISTOIRE 

■ le«flure  dans  le  Parlement  des  Balles  du  Pape  ,  les  e/prîcs 

Henri  s'allumèrent  excraordinairement.  On  parla  avec  beaucoup 
I  V.  de  force  ,  de  fermeté  ,  3c  d'indignation  contre  ces  énormes 
155^1»  attentats  de  la  Gourde  Rome.  On  fe  rappella  les  tems  de 
l'Empereur  Henri  IV.  que  Pafchal  II.  avoir  excommunié, 
&  dont  il  avoit  aufîi  retranché  les  fujets  Eccléfiaftiques  &: 
autres  ,  de  la  Communion  des  fidèles.  On  y  rapporta  que 
ce  Pape  ayant  envoyé  une  Bulle  à  Robert  comte  de  Flan- 
dre ,  pour  l'engager  à  faire  la  guerre  à  l'Empereur  ,  comme 
il  l'avoit  déjà  faite  à  ceux  de  Cambray  ,  6c  afin  de  l'animer 
contre  ceux  de  Liège ,  les  habitans  de  cette  ville  s'alTem- 
blérent ,  &  lui  écrivirent  pour  détourner  l'orage  &  dans  la 
vue  de  l'adoucir.  Cette  lettre  des  Liégeois  à  Pafchal  IL  fe 
trouve  dans  les  ades  des  Conciles  imprimés  à  Cologne  ,  de 
compilés  par  le  Chartreux  Laurent  Surius.  Elle  a  été  fuppri^ 
mee  dans  les  autres  éditions  des  Conciles.  Sigebert  ,  que 
Tricheme  dit  être  un  écrivain  François  ,  pafTe  pour  en  être 
l'auteur.  On  réfolut  de  fe  fervir  de  cet  exemple  ,  qui  parue 
convenir  au  tems  préfent.  La  lettre  de  Sigebert  fut  traduite 
en  François ,  pour  la  faire  courir  dans  tout  le  Royaume. 
Arrêt  du  ^^  Parlement  de  Tours  donna  un  Arrêt ,  oui  &  ce  requé- 
Parkmentde  rant  le  Procureui  général  ,  èc  Antoine  Seguier  Avocat  du 
k°Bui!e°s"ciT  ^°^  portant  la  parole.  Cet  Arrêt  déclaroit  les  Bulles  moni- 
Pape  &  con-  toriales  données  à  Rome  le  premier  de  Mars,  nulles,  abu- 
trcieNoncc.  f^^Q^  ^  féditieufes  ,  condamnables,  pleines  d'impofbure  6c 
d'impiété,  contraires  aux  SS.  Décrets,  aux  droits,  immu- 
nités &c  libertés  de  l'Eglife  Gallicane.  Il  fut  ordonné  par 
cet  Arrêt  que  tous  les  exemplaires  des  Bulles  fcellées  du  ca- 
chet de  Marfilio  Landriano  ,  fignés  Sextilio  Lampini  ,  fe- 
roient  lacérés  par  la  main  de  l'exécuteur  ,  &  brûlés  devant 
la  porte  du  Palais  où  ie  rendoit  la  Juftice  j  avec  défenfe  â 
tous  Evêques  ,  Curés ,  Vicaires  ,  6c  autres  Eccléfiaftiques  , 
de  les  publier  ,  6c  à  tous  autres,  de  quelque  état  6c  condition 
qu'ils  fulFent ,  d'y  déférer ,  de  les  avoir ,  ou  de  les  garder  , 
fous  peine  de  crime  de  leze  -  Majefté  3  d'envoyer  fous  les 
mêmes  peines  de  l'argent  à  Rome  ,  ou  d'y  en  faire  tenir  par 
le  moyen  des  banquiers ,  pour  avoir  des  Bulles  3  enjoignant 
à  tous  Juges  de  n'avoir  aucun  égard  à  celles  qui  y  auroienc 
été  impétrées.    L'Arrêt  ordonnoit  encore  que  Landriano 


J' 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  371 

foî  difant  Nonce  du  Pape  ,  6c  porteur  de  ces  Bulles  ^  feroic         ■ 
appréhendé  au  corps' ,  fe  rendroic  aux  pieds  de  la  Cour ,  &  H  e  n  r  i 
feroic  interrogé  en  prifon  :  QLie  (î  on  ne  pouvoic  le  prendre,       I  V. 
on  le  citât  par  trois  jours  de  marché  à  fon  de  trompe ,  &     i  en  r 
dans  un  lieu  fiir  &:  voifîn  de  SoilTons. 

Lemême  Arrêt  déclaroit  Grégoire  foi  difant  Pape  XIV.  LePapeGre- 
de  ce  nom  ,  ennemi  de  la  tranquillité  publique  ,  de  la  paix  ,  s^'^e  xiv.^ 
&:  de  l'union  de  l'Eglife  Catholique ,  Apoftolique  ,  &;  Ro-  le  même  Ar- 
maine  ,  du  Roi  ôc  de  l'Etat ,  fauteur  des  rebelles  ,  complice  '^^^• 
des  deflèins  ambitieux  des  Efpagnols ,  &  du  déteftable  par- 
jricide  commis  par  trahifon  fur  la  perfonne  de  Henri  III. 
roi  très-Chrétien  ,  6c  très-attaché  à  la  Religion  Catholi- 
que. Il  fut  ordonné  que  la  Déclaration  (tu  Roi  6c  cet  Ar- 
rêt lignés  d'un  Greffier  de  la  Cour  ,  feroieni  affichés  à  la 
porte  des  Eglifes  ,  dans  les  grandes  rues  6c  les  places  de 
Tours  ,  dans  les  villes  ^  autres  lieux  foumis  à  la  Jurifdi- 
ctîon  du  Parlement ,  enreglftrés  6c  pubHés  par  les  Arche- 
vêques 6c  Evêques  dans  leurs  Diocèfes ,  afin  de  rendre  pu- 
bliques les  bonnes  intentions  de  Sa  Majefté.  Cet  Arrêt  fuc 
rendu  le  5.  Août.  Le  lendejnain  l'Edit  en  faveur  des  Pro- 
teftans  fuc  vérifié  6c  enregiftré  d'un  confentement  unani- 
me, comme  nécelfaire  j  oiii  fur  ce,  6c  ce  requérant  le  Pro- 
cureur général.  Trois  jours  après  la  chambre  des  Comptes 
en  fit  autant.  Le  Parlement  de  Châlons  avoic  déjaenregi- 
ftré  les  deux  Edits  le  Z4.  de  Juillet.  Il  inféra  dans  le  pre- 
mier Edit  concernant  les  Bulles  de  Rome,  quelques  articles 
de  l'Arrêt  rendu  le  i  o.  Juin. 

A  la  nouvelle  de  cette  démarche  du  Parlement  de  Châ-     L'Arrêt  du 
Ions,  le  Parlement  de  Paris,  les  Chambres  alfemblées,  in-  rh^^f^^ireft*^ 
terpofa  fon  autorité  ,  à  la  requiiîcion  du  Procureur  général ,  caiTé  par  le 
qui  loiia  dans  un  long  difcours  la  follicitude  paternelle  du  Parlement  de 
Pape  pour  les  affaires  de  France.  L'Arrêt  de. Châlons  fut  damnéaufcô. 
déclaré  nul,  fcandaleux  ,  tendant  au  fchifme  ,  rempli  d'er- 
reurs ,  6c  ne  refpirant  que  révolte  contre  l'obéïlTance  due 
au  fucceffeur  de  S.  Pierre ,  dans  les  points  qui  font  foumis 
à  la  puiffance  6c  à  l'autorité  qu'il  a  re(^ûë  de  Dieu.    Il  fut  or- 
donné que  cet  Arrêt  feroic  lacéré  à  l'audience  ,  6c  enfuite 
brûlé  par  la  main  de  l'exécuteur ,  avec  déFenlè  à  toutes  per- 
fonneSjde  quelque  état  6c condition  qu'elles  fuiîènt  ,  d'y 

AAa  ij 


Tours. 


372  HISTOIRE 

■ 'J —  obéïr,  &  de  reconnoîcre  d'autre  Parlement  dans  toute  Té- 

Henri  tendue  de  la  jurifdidion  du  Parlement  de  Paris  ,  que  celui 
I  V.       qui  fiégeoit  dans  cette  ville  ^  enjoignant  en  outre  d'avoir 
I  j^  I,     pour  les  ordres  de  Sa  Sainteté  ,  le  relped  de  l'obeiflance  qui 
leur  ctoient  dûs.  Le  Procureur  général  fut  chargé  d'infor- 
mer contre  \qs  auteurs  de  cet  Arrêt ,  èc  de  drelîer  des  pro- 
cès verbaux  fur  les  chefs  y  contenus.  Cet  Arrêt  donné  le  8. 
d'Août  fut  mis  à  exécution  le  i  8. 
Arrêt  du         Le  2  5.  du  même  mois  ,  on  apprit  à  Paris  tout  ce  qu'avoît 
jncmc  Parle-  f^jc  [q  Parlement  de  Tours.   Les  Chambres  s'aflemblérenc 
condamne      tine  feconde  fois ,  2c  la  Cour  rendit  à  la  réquisition  du  Pro- 
l'Arrêc  du      cureur  général ,  un  Arrêt  contre  celui  de  Tours.  Elle  y  die 
Parlement  de  ^^'^[)qj.^  q^g  tout*fon  but  étoit  de  conferver  la  Religion  Ca- 
tholique ,  Apoftolique  ,  &  Romaine  j  de  maintenir  la  difci- 
piine  de  l'Eglife  ,  de  contribuer  de  tout  fon  pouvoir  à  ex- 
tirper l'héréfie  ,  èc  défendre  tous  les  droits  de  l'Etat  &  du 
Prince.  Enfuite  elle  déclare  l'Arrêt  du  Parlement  de  Tours , 
(  en  termes  plus  remplis  de  fiel  que  ceux  de  fon  premier  Ar- 
rêt ,  )  nul ,  exécrable ,  abominable ,  fait  par  des  gens  fans 
pouvoir,  fchifmatiques ,  hérétiques,  qui  avoient  violé  leur 
ferment  ,  infidèles  à  Dieu  dont  ils  avoient  abandonné  & 
trahi  la  caufe.  Cet  Arrêt  contenoit  les  mêmes  chefs  que  le 
premier  ;  on  y  avoit  ajouté  que  tous  &  chacun  en  particu- 
lier eulîènt  à  portera  Grégoire  XIV.  fouveraîn  Pontife  aiîis 
fur  le  S,  Siège  ,  Thonneur  &  le  refpect  qui  lui  étoient  dûs  en 
qualité  de  Vicaire  de  Jefus-Chrift ,  de  iucceflèur  de  S.  Pierre, 
êc  de  Chef  univerfel  de  l'Eglife  -,  de  d'obéïr  à  fes  Bulles ,  qui 
n'avoient  d'autre  principe  que  fa  piété  ,  fa  charité  ,  fa  pru- 
dence ,  &  fa  follicitude  paternelle.  La  Cour  ordonna  ,  pour 
retenir  les  peuples  dans  l'attachement  &c  la  foumiffion  à  l'E- 
glife ,  &  afin  d'appaifer  la  colère  de  Dieu  ,  des  prières  pu- 
bliques &  des  procédions ,  aufquelles  elle  aiTiIteroit  tous  hs 
Jeudis. 

Le  Roi  avoit  exhorté  les  Evêques  de  fon  parti ,  à  pren- 
dre de  bonne  heure  des  mefures  ,  afin  de  fe  mettre  eux  &  le 
Clergé  à  couvert  des  Bulles  de  Rome.  C'eft  pourquoi  tan- 
dis que  ce  Prince  étoit  à  Compiégne ,  où  il  fe  préparoit  à 
afîiéger  Noyon  ,  les  Prélats  s'arfèmblérent  à  Mante.  Le  car- 
dinal de  Bourbon ,  qui  foutenoit  le  Tiers  parti ,  fit  paroitre 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  CI.         373 

fes  mauvais  defleins  par  tous  les  obllacles  qu'il  forma  à  cette  ■ 

aflemblée  ,  afin  de  la  retarder.  Henri 

Il  arriva  alors  une  choie, dont  on  le  foupçonna  d'être  com-       I  V. 
plice.   Leduc  de  Mayenne  accompagné  de  François  Aver-     159-1, 
ton  de  Belin  ,  de  Louis  de  l'Hôpital  de  Vitry  ,  de  Charle  de 
Neuville  d'Alincour  ,  Gouverneurs  de  Paris,  de  Meaux  ,  6c  j^  ducde'^^ 
de  Pontûile  ,  £c  fuivi  de  la  garnifon  de  Dreux  ,  fe  rendit  de  Mayenne  fur 
nuit  à  Mante  dont  il  tenta  l'efcalade.   On  avoit  déjà  appli-  oujan^^^*^ 
que  les  échelles ,  quand  Pierre  de  Mornay  de  Buy  ,  Lieu- 
tenant de  François  d'O  ,  accourut  fur  le  rempart  avec  Sa- 
lomon  de  Bethune  de  Rofny.    Ceux  qui  étoient  d'intelli- 
gence avec  l'ennemi  n'oférent  paroîcre  :  ainll  la  tentative 
du  duc  de  Mayenne  n'eut  aucun  effet. 

Le  régiment  des  Suiiïes  de  Soleure  qui  étoit  à  la  folde  du 
Roi ,  ayant  reçu  fa  paye  ,  &  fe  préparant  à  s'en  retourner  en 
SuifTe ,  s'étoit  retiré  à  Oudan  alFez  près  de  Mante.  Le  duc 
de  Mayenne  le  fit  d'abord  attaquer  3  mais  fans  fuccès.  11 
prit  enfuite  le  parti  d'employer  les  menaces  &:  les  carelTes  , 
afin  d'engager  les  Officiers  à  prendre  de  lui  un  faufconduit , 
pour  pouvoir  palFer  par  les  villes  de  la  Ligue,  il  ne  fut  pas 
plus  heureux  dans  cette  négociation  qu'il  l'avoit  été  les  ar- 
mes à  la  main.  Ces  braves  gens  qui  avoient  l'honneur  plus 
en  recommandation  que  la  vie  ,  rejettérent  ces  offres. 

Le  Roi  transfera  enfuite  ,  à  la  follicitatîon  de  Jean  Mo- 
cenigo  ambafTadeur  de  Venife  ,  fon  Confeil ,  èc  l'afTemblée 
des  Prélats  à  Chartres,  Cette  ville  étoit  par  fa  fltuation 
avantageufe  ,  par  les  forces  de  la  garnifon  ,  &  enfin  par  la 
citadelle  nouvellement  bâtie,  où  Gafpard  de  Valiraud  co- 
lonel du  régiment  de  Navarre  commandoit  ,  plus  capable 
de  réfiftance  que  la  ville  de  Mante.  Les  Prélats  afTemblés 
à  Chartres  firent  le  2  i .  de  Septembre  un  Mandement  qu'ils 
adreflérent  à  tous  les  Ordres  ,  aux  villes  ,  &  aux  Catho- 
liques du  Royaume  ,  dans  la  forme  qui  fuit. 

»  L'Apôtre  S.  Paul  ayant  eu  foin  d'avertir  les  Pafteurs    Mandement 
33  de  veiller  fur  le  troupeau  racheté  du  précieux  fang  de  Je-  «^esEvécjuej 
)5  fus-Chrifl ,  &  dont  la  garde  leur  a  été  confiée  j  nous  avons  afTcmbiérà 
33  cru  qu'il  étoit  de  notre  devoir  d'empcchcr  que  les  âmes  Chartres. 
53  commifes  à  nos  foins    ne  s'écaxtafîent   de  la  voye  des 
n  Commandemens  de  Dieu ,  ôc  ne  négligealTent  (es  divines 

AAa  iij. 


374  HISTOIRE 

—  »  loix.  C'eft  pourquoi  ayant  été  informés  que  Grégoire 
Hjsnki  >3  XIV.  tenant  aducilemcnt  le  Siège  de  Rome  ,  malinfor- 
I  V.  »  mé  de  l'état  du  Royaume  ,  de  nos  lentimens ,  &  de  ceux 
1591.  "de  notre  Clergé  j  èc  trompé  par  les  artifices  6c  les  intri- 
»  gués  des  ennemis  de  l'Etat ,  avoit  envoyé  certaines  Bulles 
»  monitoires ,  èc  venoit  de  fufpendre  ,  interdire ,  êc  excom- 
5j  munier  les  Evêques  ,  les  Princes ,  laNoblefTe  ,  &;  les  Ca- 
55  tholiques  de  France  ,  qui  n'avoient  pas  voulu  fe  ranger  du 
îî  parti  des  rebelles  5  après  une  mûre  délibération,  fondés 
M  fur  les  autorités  tirées  des  Saintes  Ecritures ,  des  SS.  De- 
»  crets  ,  des  Conciles  généraux  ,  des  Conftitutions  cano- 
>î  niques  ,  &  ayants  examiné  avec  foin  les  exemples  que  nous 
M  ont  laifTés  les  SS.  Pérès  en  pareille  circonftance  j  exemples 
>3  dont  l'antiquité  eft  remplie  j  6c  les  libertés  6c  les  droits 
»  de  l'Eglife  Gallicane  ,  par  le  moyen  defquels  les  Evêques 
î>  nos  prédécefTcurs  fe  font  mis  à  couvert  contre  de  fembla- 
îî  blés  entreprifes  :  Confîdérants  d'ailleurs  que  l'exécution 
M  de  ces  Bulles ,  qui  en  quelque  forte  eft  impoffible  ,  ne  man- 
55  queroit  pas  d'occafionner  un  grand  nombre  d'événemens 
53  dangereux  ,  tendans  à  la  perte  ôc  à  la  ruine  de  la  Re- 
55  ligion  : 

55  A  ces  caufes  :  Nous  déclarons  ces  excommunications 
35  nulles  dans  la  forme  6c  dans  le  fond  ,  injuftes  ,  foudroyées 
53  à  la  fuggeftion  des  ennemis  de  la  France  ,  6c  incapables 
33  de  lier ,  ni  les  Evêques ,  ni  les  autres  Catholiques  Fran- 
33  cois  fidèles  au  Roi  j  6c  cela  ,  fans  préjudicier  au  refpect  de  à 
35  l'honneur  dii  au  Pape.  Nous  vous  avertirons  de  ces  cho. 
33  fes  j  nous  vous  les  iîgnifions  6c  dénonçons  ,  afin  que  les 
33  foibles  d'entre  vous  ne  fe  laifTent  ni  prévenir ,  ni  détacher 
35  de  la  foumiffion  6c  de  robéïiTance  que  vous  devez  à  votre 
35  Roi  6c  à  vos  Pafteurs.  Nous  prenons  fur  nous ,  6c  nous  nous 
«5  chargeons ,  pour  ôtertout  fcrupule  aux  vrais  Catholiques, 
33  qui  font  fidèles  à  leur  Prince  ,  d'envoyer  une  ambaiîàde  à 
53  Rome ,  afin  d'inftruire  plus  amplement  de  la  bonté  de  no- 
33  tre  caufe  ,  6c  pour  contenter  dans  tous  les  points  ,  le  fou- 
53  verain  Pontife  ,  dont  nous  devons  attendre  la  même  rc- 
53  ponfe  ,  que  le  Pape  Alexandre  écrivant  à  l'archevêque  de 
33  Ravenne  ,  lui  fit  en  ces  termes  :  Nous  attendrons  avec  pa- 
>î  tience  ,  pourvu  que  vous  ne  fafjlezj  point  ce  qu'on  nous  a 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.         375 

'i'i  infinuê avec  méchanceté  que    vous   vous  propojïez,  de  faire.  ■     ■■ 

>3  En  attendant  nous  avertiflbns  au  nom  de  Dieu  tous  les  H  e  n  k  i 

>j  Chrétiens ,  de  quelque  état  qu'ils  foient,  les  vrais  Catho-       I  V. 

«liques,  ceux  qui  font  zélés  pour  l'honneur  dunompran-     1591, 

«  çois ,  &  fur-tout  le  Clergé  ,  de  s'unir  à  nous ,  pour  obte^ 

>3  nir  par  nos  prières   de   la  divine  bonté  ,   qu'elle  veuille 

>î  bien  éclairer  l'efprit  de  notre  Roi ,  ôc   le  conduire  dans 

ï3  le  fein  de  l'Egliie  Catholique  ,  comme  ce  Prince  nous 

jj  l'a  fait  efpérer  à  fon  avènement  à  la  Couronne  ,  avec 

î3  promeiîé  étroite  de  conferver  la  Hiérarchie  Ecclé/îafti- 

>3  que ,  {ç,^  droits  ,  fes  franchifes ,  &  fes  libertés.  « 

Il  fut  enfin  ordonné  à  tous  Curés  6c  Vicaires  de  faire  af- 
ficher à^^  copies  de  ce  Mandement  ou  Décret  à  la  porte 
de  leurs  Egliîes,  6c  de  les  pubHer  aux  prônes.  L'original 
fut  foufcrit  par  les  cardinaux  de  Bourbon  6c  de  Lenon- 
court ,  par  Regnaud  de  Beaune  archevêque  de  Bourges  , 
par  Philippe  du  Bec  évêque  de  Nantes  ,  par  Nicolas  de 
Thou  évêque  de  Chartres,  par  Nicolas  Fumée  évêque  de 
Beauvais  Comte  6c  Pair  de  France  ,  par  Henri  d'Efcou- 
bleau  évêque  de  Maillezais ,  par  Claude  d'Angennes  évê- 
que du  Mans  ,  par  Claude  ClauiTe  évêque  de  Chalons 
Comte  ^  Pair  de  France  ,  par  René  de  Daillon  nommé  à 
i'évêche  de  Bayeux ,  par  Jean  Touchard  abbé  de  Bello- 
fanne,  par  Jacque  David  du  Perron,  6c par  Claude  Gouin 
Doyen  de  Beauvais. 

On  réfolutauffi  d'envoyer  un  AmbafTadeur  au  Pape  fous 
le  bon  plaifir  du  Roi.  On  jetta  les  yeux  lur  François  de 
Luxembourg  duc  de  Piney ,  qui  avoit  déjà  heureufemenc 
foutenu  l'honneur  du  nom  François  dans  fes  deux  ambafïà- 
des  à  Rome.  On  ne  voukit  pas  charger  de  cette  commif- 
iîon  un  Evêque,  ou  quelqu'un  du  Clergé,  parce  qu'il  n'é- 
roit  pas  fur  de  \q.s  envoyer  au  Pape,  qui  étoit  très-malin- 
tentionné pour  le  Roi  ,  6c  pour  ceux  de  fon  parti.  Il  de- 
voir demander  un  fauf-conduit  pour  les  Evêques  ou  autres 
du  Clergé  qu'on  devoir  faire  partir  ,  afin  d'infbuire  fa 
Sainteté  plus  à  fonds  de  l'état  des  chofes. 

Le  Parlement  Royalifte  s'oppofaà  cette  ambaiîàde,  fous 
prétexte  que  les  Arrêts  qui  dcfendoient  d'envoyer  à  Rome, 
6c  qui  avoient  déclaré  Grégoire  XIV.  ennemi  du  Royaume^ 


37^  HISTOIRE 

écoient  trop  récens.    Le  duc  de  Piney  fe  défendit  même 
Henri   de  remplir  cet  emploi  3  c'eft  pourquoi  l'affaire  fut  différée 
I  V.       jufqu'à  ce  que  les  chofes  ayant  changé  de  face  ,  le  cardinal 
I  ^9  r .     Pierre  de  Gond  y  ,  &  Jean  de  Vivonnc  marquis  de  Pizani  al- 
lèrent en  ambalîade  à  Rome. 
Ecrit  contre       Le  Parlement   de  Paris  ayant  fait  tout  ce  qui  dépen- 
ds Arrétsdes  Jqjj.  jg  i^ii    la  Ligue  ne  voulut  point  qu'on  l'accuiât  de  fe 

Parlemens  de    ^        ,  i  ^    a     r       i  >  •     '  r       i  •  r  n        1  ^       ^^ 

châionssc     fonder  plutôt  lur  1  autorité  que  lur  la  raiion  3  elle  chargea 
de  Tours.       donc  le  Jurifconfulte  Zampini  de  Recanati  de  répondre  à 
tout  ce  qu'on  avoit  fait  du  côté  du  Roi.  Zampini  s'aquitta 
de  fa  commifTion  dans  un  long  écrit ,  qu'il  intitula  :  Rcpor.Je 
aux  Calomnies  (^  aux  impojfures  des  faux  Parlemens  de  Cha^ 
Ions  (^  de  Tours ,  d^   du  Conciliabule  de  Chartres  contre  le 
Fape  Grégoire  XIV.  d^  fis  lettres  monitoires.  Zampini   ne 
réiiffit  pas  mieux ,  que  dans  l'Apologie  du  cardinal  Charle 
de  Bourbon  (i)  contre  fon  neveu  (z) ,  fils  de  (on  frère  aîné 
Antoine  de  Navarre  3  il  défendit  une   mauvaife  caufe  par 
à^s  raifons  encore  plus  mauvaifes.  D'un  autre  côté  on  jufti- 
fîa  dans  plufîeurs  Ecrits  les  Arrêts    des  Parlements  Roya- 
lifles  3  &  on  fit  voir  la  nullité  ,  l'injudice,  &  l'abus  des  Bul- 
les du  Pape  ,  qui  étoient  pleines  de  lupercheries.  On  em- 
ploya pour  cet  effet  l'autorité  de  l'Ecriture  ,  &  des  Conciles  5 
\ts  exemples  6c  les  témoignage  des  anciens  Pérès  de  l'E- 
glife  3  &:  les  Conftitutions  des  Papes  ,  pour  fervir  de  défenfe 
à  l'autorité  des  Princes  &  des  Magiftrats ,  &:  pour  mettre 
leur  liberté  à  couvert  des  entrepriles  téméraires,  desufur- 
pations,  &  des  cenfures  injuftes  des  Pontifes  Romains. 
LeRoiaflTié-       Tandis  qu'on  répandoit  dcs  Ecrits  de  part  &:  d'autre,  le 
geNoyon.      i^q[  avoit   mis  le  fiége  devant  Noyon,  dont  la  garnifon 
incommodoit  beaucoup  dans  fes  fréquentes  forties  les  Villes 
de  Corbie ,  de  Chauny  ,  de  Saint  Quentin  ,  &  de  Compié- 
gne  j  la  foiblefTe  de  la  garnifon  qui  étoit  dans  cette  ville  fut 
un  des  motifs  du  Roi  pour  l'affiéger.  La  ville  de  Noyon  eft 
arrofée  par  plufieurs  petits  ruiiTeaux  ,  &  eft  environnée  au 
Seotentrion  de  coteaux  couverts  de  vignes:  cette  fituatioii 
ne  permit  pas  de  fermer  entièrement  les  pafTages.  Le  par- 
tifan  Rieux  gouverneur  de  Pierrefond,place  avantageufemenc 

.    (i)    Reconnu  pour  Roi  par  la  Ligue  I     (z)    Henri  IV. 
fous  le  nom  de  Charle  X.  ] 

iîtuée 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.  377 

iîtuée  au  duché  de  Valois  ,  èc  dont  la  garnifon  ëtoic  -  . 
nombreufè ,  connoifTant  le  païs,  fe  glîfla  pendant  la  nuit  Henri 
au  travers  de  la  forêt  avec  un  détachement  de  cavalerie  I  V". 
de  cinquante  hommes  ,  qui  portoient  en  croupe  chacun  un  moi, 
arquebufier  :  il  fe  jetta  dans  la  ville  avant  que  toutes  les  trou- 
pes du  Roi  fuilent  arrivées,  La  Chanterie  Meftre  de  Camp 
d'un  régiment,  ayant  voulu  fuivre l'exemple  de  Rieux,fut 
défait  par  la  garnifon  de  Chauny  ,&  eut  beaucoup  de  peine 
à  entrer  lui  treizième  dans  la  ville.  Beauvais  de  Tremble- 
cour  partit  avec  fon  régiment  pour  fe  jetter  dans  Noyon  j 
mais  il  ne  fur  pas  plus  heureux  que  la  Chanterie  :  car  la  gar- 
nifon du  Caftelet  ôc  de  Corbie  le  taillèrent  en  pièces. 
.  Jean  de  Saulx  vicomte  de  Tavannes ,  commandant  des 
milices  de  Picardie,  qui  avoit  engagé  la  Chanterie  &  de 
Tremblecour  à  aller  encourager  les  habitans  de  Noyon  à 
foutenir  le  iîège ,  crut  qu'il  y  alloit  de  fon  honneur  de  jet- 
ter des  fecoursdans  la  ville.  Il  partit  le  premier  d'Août  de 
Roye  ,  qui  n'eft  éloigné  de  Noyon  que  de  quatre  lieues ,  à 
la  tête  de  quatre  cens  chevaux  ,  &  de  cinq  cens  arquebu- 
fiers.  Il  marchoit  en  grand  filence  dans  la  forêt,  lorfqu'il 
rencontra  un  corps-de  garde  d'environ  quarante  cavaliers 
alTez  proche  de  la  ville  avant  le  point  du  jour  :  ils  don- 
nèrent auffitot  le  fîgnal  pour  avertir  les  Royaliftes  ,  qui  ac- 
coururent. Les  troupes  du  Vicomte  prirent  tellement  l'al- 
larme  qu'elles  fe  débandèrent:  pour  lui,  il  fe  mit  à  la  queue 
du  dernier  bataillon ,  qui  fe  retiroit  3  de  ayant  été  bleiTé  ,  il 
fut  fait  prifonnier  avec  quelques  Capitaines.  On  ne  fçait 
pas  le  nombre  des  ennemis,  qui  furent  tués  pour  la  plupart 
dans  les  ténèbres.  Les  payfans  aflbmmérent  dans  la  campa- 
gne ceux  qui  avoient  échappé  à  la  défaite  j  le  refbe  jetta 
les  armes  pour  fe  fauver  plus  facilement.    . 

Il  ne  reftoit  plus  dans  la  Province  que  d'Aumale,  qui 
s'en  difoit  Gouverneur.  Celui-ci  voulant  réparer  la  faute , 
ou  remédier  au  malheur  des  autres ,  alla  d'Amiens  à  Ham, 
qui  n'eft  éloigné  de  Noyon  que  de  quatre  lieues.  Il  fit 
prendre  les  devants  à  du  Hamel  de  Bellinglife  Maréchal 
de  Camp  •  &  fe  mit  lui-même  à  la  tête  de  trois  cens  che- 
vaux ,  &  d'autant  de  fantalîins,  le  7.  d'Août  pendant  la 
nuit ,  avec  Lonchamp  ^  Robert  de  Grouches  de  Griboval  ^ 

Tome  XL  ^^\> 


37S  HISTOIRE 

dans    le   delTein    d'enlever    \qs   quartiers    des     ChevauxJ 
Henri  légers  du  Roi,  &:  d'avancer  plus  avant,  félon  le  fuccès.  li 
I  V.       attaqua  les  Royaliftes  ,    que  ion   arrivée  imprévue  avoic 
I  çg  I.      d'abord  étonnés  j  mais  ils  reprirent  cœur  à  la  vue  de  Louis 
d'Ognies  delà  Hargeiie,  tils  du  comte  de  Chaulnes,  qui 
vint  à  leur  fecours   avec  Chriftophle   de  Lanoy  fon  frère 
utérin  ,    à  la  tête  de  leurs   compagnies  de   cavalerie.  Le 
combat  devint  opiniâtre.  Enfin  les  ennemis,  dont  le  nom- 
bre fupérieur  les  accabloit,  commenc^ant  à  fe  retirer  peu  à 
peu ,  ils  cefîérent  auffi  de  combattre  j  mais  ayant  entendu 
rempJrré  par  retentir  le  nom  de  Charle  de  Biron ,  qui  arriva  à  la  tête 
lesRoyaliftes.  d'une  poignée  de  foldats,  leur  ardeur   fè  réveilla  j  ils  re- 
tournèrent au  combat  avec  plus  de  furie  qu'auparavant. 
L'ennemi  ne  put  foutenir  ce  derniet  effort  j  il  lâcha  lepié, 
ôc  fut  pourfuivi  vivement  par  les  vainqueurs  juique  fous  les 
murs  de  Ham.  Il  perdit  dans  cette  affaire  foixante  hommes, 
&  entr'autres  François  de  Guevara  capitaine  des  Chevaux- 
légers. 

Le  vicomte  de  Tavannes  interrogé  pourquoi  fes  foldats 
avoient  pris  la  fuite  fans  rendre  de  combat  ,  en  rejetta  la 
faute  fur  Loncliamp  qui  fut  pris  :  il  difoit  que  c'étoient  Iqs 
foldats  de  cet  Officier  qui  avoient  les  premiers  commencé 
la  déroute.  Lonchamp  ayant  appris  ce  difcours  du  Vi- 
comte ,  lui  en  fit  des  reproches  ^  ils  fe  dirent  de  part  ôc 
d'autres  des  paroles  piquantes,  &  ils  furent  lur  le  point  de 
fe  battre  j  mais  comme  ils  etoient  priionniers  de  guerre,  6c 
qu'ils  ne  pouvoient  en  venir  là  fans  la  permifîion  du  Roi  , 
ce  Prince  jugea  qu'il  ne  convenoit  pas  de  les  mettre  aux 
mains  comme  deux  gladiateurs  pour  s'égorger  tant  qu'ils 
feroient  en  fon  pouvoir  :  ils  remirent  donc  à  ie  faire  raifon 
à  un  autre  tems.  L'affaire  fut  depuis  accommodée  par  leurs 
amis  communs.  Les  Royalifèes  ne  perdirent  qu'un  petit 
nombre  des  leurs  3  mais  ils  firent  une  perte  confîdérable 
par  la  mort  d'un  Maréchal  des  Logis  d'une  compagnie  de 
cavalerie  du  Roi.  Cet  Officier  emporta  avec  lui  les  regrets 
de  l'armée. 

Le  duc  de  Mayenne  qui  avoît  manqué  fon  coup  fur  la 
ville  de  Mante  ,  &:  dont  hs  Suifîes  avoient  rejette  les  of- 
fres à  Oudan  ,  fe  rendit  à  Ham  fur  ces  entrefaites  ^  il  écrivit 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  CI.  379 

de-Ià  à  de  Rofne  en  Champagne,  où  de  Leyva  prince  d'Af-  -™-^""— 
coli  i'étoic  venu  joindre  de  la  parc  du  duc  de  Parme  avec  Henri 
huic  cens  chevaux  èi.  trois  mille  hommes  d'infancerie ,  de       IV. 
venir  le  trouver  pour  faire  lever  le  fiége  de  Noyon.  De     icgi 
Rofne  fe  rendit  à  ces  ordres ,  ôc  il  s'avança  jufqu'à  laFere, 
où  il  fe  joignit  au  Duc.  Le  Roi  penfa  furprendre  le  même 
jour  cette  ville  par  flratagême.  Le  duc  de  Mayenne  retour- 
na â  Ham  avec  toute  fon  armée  ,  qu'il  difperlà  au-delà  de 
la  Somme ,  quelque  envie  qu'il  eût  en  apparence  de  faire 
naître  l'occalion  d'en  venir  aux  mains  j  mais  cette  démar- 
che fit  voir  qu'au  fonds  il  ne    cherchoit  qu'à  l'éviti^r  ,  ÔC 
qu'il  n'avoit  mis  la  rivière  entre-deux  que  pour  n'être  pas 
forcé  à  une  adîon. 

Cependant  le  Roi  prelToit  Noyon  de  près  ^  &  ayant  fait  Suite  du  fiége 
attaquer  l'Abbaye  de  Saint  Barthélémy,  que  les  alFiégés  ^^°y°"' 
avoient  fait  fortifier  dans  les  fauxbourgs,  elle  fut  empor- 
tée d'afifaut  avec  perte  d'environ  vingt  des  ennemis.  Le 
Roi  accorda  la  vie  à  quarante-cinq  autres  ,  qui  s'étanc 
cachés  fur  la  voûte  de  i'Eglife  ,  fe  rendirent  à  difcrétion» 
La  prife  de  ce  Fort  jerta  la  terreur  dans  la  ville. 

L'armée  du  duc  de  Mayenne  étoit  compofee  de  dix  mille 
hommes  d'infanterie ,  ôc  de  deux  mille  chevaux.  Le  Roi 
n'avoit  que  douze  cens  hommes  de  cavalerie  Françoife  , 
quatre  cens  chevaux  Allemans,  &  fix  mille  hommes  de 
pied.  Malgré  cette  inégalité  de  forces ,  le  Roi  donna  or- 
dre au  maréchal  de  Biron  ,  grand  Général ,  fameux  par 
fon  habileté  conibmmee ,  &  par  le  bonheur  de  ies  entre- 
prifes ,  d'aller  à  la  tête  de  cinq  cens  chevaux  reconnoître 
l'ennemi ,  &  de  choihr  un  champ  de  bataille.  Ce  Prince 
avoit  réfolu  de  faire  battre  la  muraille  ce  jour-là  j  mais 
faiiànt  paroître  plus  d'ardeur  pour  livrer  le  combat  que 
pour  prendre  Noyon,  il  remit  au  lurlendemain  à  entamer 
la  brèche.  Le  Maréchal  revint  au  camp,  &  rapporta  au 
Roi  qu'il  s'ecoit  avancé  jufqu'aux  portes  de  Ham ,  fans 
avoir  vu  l'ennemi  en  aucun  endroit.  Il  alla  le  lendemain  à 
la  découverte ,  avec  ordre  d'amufer  l'ennemi ,  s'il  le  trou- 
voit  fous  les  armes ,  jufqu'à  ce  que  le  Roi  edr  ran^é  fur  le 
champ  &  fans  bruit  [qs  troupes  en  bataille. 

Une  batterie  de  douze  pièces  commença  le  famcdi  1 7, 

B  B  b  i  J 


^8o  HISTOIRE 

.    •  Août  à  foudroyer  les  murs.  La  brèche  fut  ouverte,  &  les 
Henri  troupes  commandées  pour  l'aflaut  ayant  à  leur  tête  Charle 

I  V.  de  Biron ,  qui  les  encourageoit  de  la  voix  &  du  gefte  à 
1591,  bien  faire,  de  Villes  gouverneur  de  la  place  fît  battre 
la  chamade.  Il  convint,  en  cas  que  le  duc  de  Mayenne  ne 
préfentât  pas  la  bataille  le  lendemain,  ou  qu'il  ne  £k  pas 
entrer  mille  hommes  dans  la  ville,  de  fe  rendre  le  Lundi 
fuivant  furie  midi,  à  ces  conditions  :  Qu'il  abandonneroic 
l'artillerie,  les  vivres,  &:  toutes  les  munitions  de  guerre  : 
Qtie  lui  &  la  Noblcfle  pourroient  for  tir  en  armes ,  emme- 
ner leurs  chevaux  6c  leur  bagage  j  &  la  garnifon  les  armes 
èc  (qs  chevaux  feulement  :  Qtie  le  Roi  leur  pardonneroit , 
dès  qu'ils  auroiènt  fatisfait  à  leur  devoir  :  Qj-ie  la  mère  du 
Gouverneur  auroit  la  liberté  de  relier  dans  la  ville.  On 
permit  à  de  Villes  d'envoyer  Brouilly  de  Mevilliers  au  duc 
de  Mayenne ,  pour  l'inftruire  du  traité  de  capitulation, 
Enfuite  Rieux  èc  quatre  autres  otages  furent  livrés  à  la  dif- 
crétion  du  Roi.  Deux  Capitaines  entrèrent  dans  la  wille  : 
afin  d'empêcher  qu'on  n'y  fit  rien  contre  le  traité  ,  qui- 
fut  fîgné  de  part  de  d'autre. 

Le  maréchal  de  Biron ,  qui  avoit  eu  ordre  d'aller  voir  Ci 
l'ennemi  fe  prèparoit  au  combat,  revint  au  camp,  &  rap- 
porta qu'il  n'avoit  découvert  aucuns  préparatifs  j  qu'il  avoir 
feulement  rencontré  un  gros  de  cavalerie  Italienne,  qu'il 
avoit  taillée  en  pièces ,  â  dont  il  avoit  fait  prifonniers  en- 
viron vingt  hommes.  Cependant  Brouilly  trouva  tout  en 
mouvement  dans  le  camp  du  duc  de  Mayenne  ,  comme  s'il 
eût  dû  combattre.  Les  Officiers  généraux  n'ctoient  pas- 
d'accord.  Les  Efpagnols  craignoient  le  bonheur  du  Roi , 
6c  difoient  qu'il  ne  falloit  pas  commettre  le  fort  des  afFai^ 
res  au  hafard  d'une  bataille.  C'efb  pourquoi  de  Villes  ren- 

^  ..  dit  la  place  au  jour  ôc  à  l'heure  marques.  On  croit  que 
icNoyon.  Gabriele  d'Eftrée  ,  que  le  Roi  aimoit  éperduëment ,  l'avoic 
engagé  à  affièger  cette  ville.  Il  mit  dans  la  place ,  à  fa. 
recommandation,  Antoine  d'Eftrée  fon  père,  avec  une  bonne 
garniion. 
d  fde^c"  r**  ^"^  ^^^  entrefaîtes  le  Roi  apprit  la  nouvelle  de  l'éva- 
fion  du  duc  de  Guife  ,  que  de  Rouvray  gardoit  dans  le 
château  de  Tours,  Le  Duc  avoit  pris  jour  avec  Claude  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CI.         381 

k  Cha{lre&  Ton  fils  pour  le  15.  d'Aoûc  fête  de  la  Vierge  ■ 

pour  fe  fauver.  Il  communia  ,  dans  la  vue  de  mieux  trom-  H  E  n  k  1 
per  Tes  gardes ,  èc  de  leur  ôter  tout  foupçon  qu'il  pensât  I  V. 
à  s'échapper.  11  remarqua  qu'on  avoic  coutume  de  fermer 
les  portes  après  le  dîner,  &  qu'on  en  portoit  les  clefs  chez 
un  Echevin:il  choifit  cetems  pour  exécuter  Ton  deiTcin.  Il 
monta  avec  beaucoup  de  vîtelTe  dans  une  haute  tour  qui 
donnoit  fur  le  pont  hors  de  la  ville  j  6c  ayant  enfermé  Tes 
gardes  dans  une  grande  falle  où  ils  mangeoient ,  il  tira  la 
porte  de  la  tour  fur  lui ,  èc  la  ferma  au  verrouil ,  pour  avoir  le 
tems  de  le  fauver  pendant  qu'ils  la  romproient.  Tout  lui 
réiiilità  fouhait.  Son  valet  de  chambre  qui  l'aidoit  dans 
cette  occafion  ,  attacha  à  une  corde,  qu'il  tenoit  prête 
pour  cet  effet,  un  morceau  de  bois  en  travers,  fur  lequel 
le  Duc  s'affit  pour  couler  fans  danger,  Enfuite  le  valet  de 
chambre  lâcha  doucement  la  corde.  Voyant  fon  maître 
en  bas ,  il  attacha  fortement  cette  même  corde  â  un  po- 
teau ,  6c  fe  lailîa  couler  avec  plus  de  danger  que  fon  mai-  ^. 
tre,  qu'il  atteignit  à  faint  Corne  en  fuivant  le  cours  du 
fleuve.  Les  gardes  du  Duc  ,  ôc  fur-tout  Rouvray  furent 
dans  une  grande  confternation.  Il  envoya  de  tous  cô- 
tés pour  répandre  la  nouvelle  de  la  fuite  de  ce  Duc^ 
afin  qu'on  prît  les  armes  ,  àc  qu'on  fe  mît  fur  ies  traces.  Il 
fît  rompre  la  porte  de  la  tour  j  ceux  qu'il  employa  à  la 
brifer  n'ayant  trouvé  perfonne,  fe  joignirent  à  leurs  com- 
pagnons qui  couroient  dans  la  ville.  Il  fe  palTa  beaucoup 
de  tems  jufqu'â  ce  qu'on  eût  apporté  les  clefs  pour  ouvrir  la 
porte  du  pont,  Ôc  les  autres  portes.  Dans  l'incertitude  où 
l'on  étoit  de  quel  côté  il  auroit  tourné ,  on  envoya  de 
toutes  parts,  mais  inutilement  j  car  il  s'étoit  fauve  du  côté 
où  des  gens  de  fon  parti  armés  l'attendoient ,  èc  lui  te- 
noient  des  chevaux  prêts.  Il  alla  trouver  la  Chailre ,  &  ie 
rendit  le  même  jour  à  Celles  en  Berri, 

Gille  de  Souvré  gouverneur  de  Tours  avoit  avec  lui 
Louis  Breton  de  Grillon,  qui  fe  tenoit  chez  lui  depuis  deux 
ans  qu'il  avoit  été  blefTé  dans  le  faubourg.  Le  Tiers  parti 
qui  s'augmentoit  tous  les  jours  leur  rendoit  tout  fulpecl-. 
Ayant  même  appris  que  la  Chaftre ,  avec  fon  fils,  étoic 
parti  de  Celles  quelques  jours  auparavant  à  la  tête  d'un 

B  B  b  iij 


^»u  MUH^ 


3^1  HISTOIRE 

=  décachementj  qu'il  faifoit  des  courfes  aux  environs  j  qu'il 
Henri  envoyoic   même   des  couriers   fous   difFérens  prétextes   à 
IV.       Tours  i  ils  mirenc  de  nombreux  corps-de-garde  où  il  n'y  en 
150X.     avoir  point  auparavant,  èc  doublèrent  les   lentinellcs.  Ils 
faifoient  eux  mêmes  éxadement  la  ronde  de  nuit  j   touc 
occupés  du  roup(^on  qu'il  fe  tramoit  dans  la  ville  une  con- 
fpiration  pour  ouvrir  les  portes  à  l'ennemi ,  ils  ne  penférenc 
en  aucune  manière  que  le  duc  de  Guife  entreprit  de  s'é- 
vader ;  fa  fuite  leur  fit  appréhender  des  fuites  encore  plus 
fâclieufes  •  c'eft  ce  qui  leur  fit  mettre  des  gardes  dans  des 
lieux  fufpecis.   Le  voifinage  de  la  Reine  douairière,  qui 
étoit  à  Chénonceaux  augmentoit  leurs  craintes.  Elle  n'a- 
voit  dans  fa  Cour  que  des  gens  mal -intentionnés  pour  le 
Roi.  Les   Dames    de  fa    luite   écrivoient  fréquemment  à 
Tours.  On  intercepta  quelques-unes  de  leurs   lettres ,  par 
le  moyen  defquelles   on  apprit    qu'elles  avoient  fait  des 
vœux  pour  l'évafiùn  du  Duc,  &;   que    cette  évafion   leur 
^  avoit  caufé  de   la   joye.   Le  Parlement   informa  d'abord 

contre  les  gardes  du  Prince,  &  contre  de Rouvray.  Achille 
de  Harlay  premier  Préfident  fe  rendit  au  château  accom« 
pagné  du  Procureur  Général  pour  les  interroger  •  mais  on 
lailfà ,  à  la  follicitation  de  Souvré ,  ces  gardes  de  leur  chef 
çn  liberté ,  fur  la  parole  que  donna  ce  dernier  de  fe  re- 
préfeiiter  au  Roi  avec  les  fiens. 

La  nouvelle  de  l'évaficn  du  duc  de  Guife  fit  beaucoup 
de  peine  au  Roi.  Il  ne  voyoit  qu'avec  douleur  qu'un  pri- 
fonnier  de  cette  qualité  &c  de  cette  importance,  qui  etoiE 
le  gags  de  la  paix,  lui  fût  échappé.  Il  craignoit  de  ne  plus 
avoir,  après  cette  perte,  d'otage  qui  lui  répondît  de  la  vie 
^  des  Grands  de  fon  parti  qui  auroient  le  malheur  de  tom- 
ber entre  les  mains  de  l'ennemi.  Cependant  il  iè  confoloit 
à  la  vue  des  mouvemens  que  la  prèlence  du  duc  de  Guife 
alloit  caufer.  Il  prévoyoit  que  la  Ligue ,  qui  n'ctoit  pas  en 
trop  bonne  intelligence  avec  elle-même  en  ioufFriroitplus, 
qu'elle  n'en  tireroit  d'avantage,  Il  ne  pouvoit  manquer  de 
naître  des  jaloufies  entre  l'oncle  &c  le  neveu.  LeRoin'igno- 
roit  pas  que  le  duc  de  Guife  fondoît  de  grandes  préten- 
tions iur  les  fervices  de  fon  père,  &  que  le  duc  de  Mayenne 
çroyoit  qu'on  devoir  beaucoup  aux  iiens  3  enfin  que  l'unêg 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.         383 

l'autre  ne  vouloienc  dépendre  de  perfonne.   Ce  Prînce  ha-  ni> 

bile  ne  fe  trompa  point  dans  [qs  conjedures  ,  comme  on  le  Henri 
verra  dans  la  iiiice.  j  y 

On  ne  reftoic  pas  dans  Pinadion  dans  les  autres  parties  du     i  <q'i 
Royaume.  La  Chaftre  avoitafiiégé  Aubigny  ville  du  Berri , 
dont  ii  leva  le  fiëo-e  à  l'arrivée  d'Antoine  de  la  Granee  d'Ar.  ,vt?'  ,^^J"" 
quien  ,  qui  accourut  au  fecours  des  habitans  :  il  le  retira  parc  &  d'au- 
avec  tant  de  vîrelTe  ,  qu'il  voulut  faire  croire  qu'il  n'avoic  "^' 
eu  dclîcin  que  de  faire  une  tentative  fur  la  place. 

Quelque  tems  aprè,s,  les  Royaliftes  eurent  du  défà vanrage 
à  S.  Yrier  en  Limoufin.  Le  Commandant  de  cette  place 
ctoît  Louis  dj  Pierrebuffiere  de  Chambaret,  jeune  GentiL 
homme  ,  qui  avoit  toutes  les  belles  qualités  du  corps  &:  d'ef- 
prit  ^  &  qui  joignoit  à  beaucoup  de  courage  ècde  polirefîè, 
beaucoup  de  pénétration  de  d'habileté.  Louis  de  Pompa- 
dour  èc  Henri  Defprez  de  Montpefat ,  Gouverneurs  pour  la 
Ligue  du  Limoulin  ,  du  Qiiercy ,  ôc  du  Perigord  ,  vinrent 
mettre  le  (îége  devant  S.  Yrier.  On  croyoit  déjà  Chamba- 
ret réduit  à  s'enfermer  dans  le  château.  Mais  Charle  Tur- 
quant ,  que  le  Roi  avoit  donné  à  Anne  de  Levi  de  Ventadour 
gouverneur  du  Limoufin  ,  pour  arranger  les  affaires  de  là 
Province  ,  écrivit  de  Limoges  où  il  étoit ,  à  la  NoblefTe  des 
environs ,  pour  l'engager  par  la  vue  du  danger  qui  la  me- 
naçoit ,  à  fecourir  Chambaret.  Les  Barons  &  les  Gouver- 
neurs du  voifmage  alTemblérent  des  troupes  au  nombjre  de 
quatre  cens  chevaux  &  de  £x  cens  arquebufiers  à  cheval. 
Mais  peu  d'accord  entr'eux  ,  les  uns  ne  vouloient  pas  obeïr 
aux  autres ,  &  la  jeune  NoblelTe  fiére  de  fa  naifTance  ,  mé- 
prifoit  les  Officiers  qui  avoient  blanchi  fous  les  armes. 

L'armée  fut  rangée  en  bataille  fous  le  canon  de  l'enne- 
mi. Pompadour  èc  Montpefat  s'étant  joints  à  Fourou  &c  à 
Tailleier,  tombèrent  fur  l'armée  des  Royaliftes  ,  &  s'étant 
divifés  enfuite  en  deux  bandes ,  ils  les  enveloppèrent.  Ceux- 
ci  furpris  de  fc  voir  attaqués  fi  vivement ,  fe  laiiferent  poufîèr 
dans  d'affreux  bourbiers,  où  l'ennemi  les  fit  mafîacrer  par 
les  foldats  &  les  goujats  de  l'armée.  Nous  perdîmes  dans 
cette  occafîon  François  comte  de  la  Rochefoucault ,  Gabriei 
de  Rie  de  la  Cofte  de  Mefieres  ,  gouverneur  de  la  Marche  j 
Rochefort  père  ôc  fils ,  Châteauneuf,  ôC  autres.  Ce  malheur 


3S4  HISTOIRE 

r"^  ne  déconcerta  point  Chambaret  5  le  danger  augmenta  fou 


Henri  courasie  &  fou  induftrie.    Il  fît  taire  de  nouvelles  fortiti- 
I  V.       cations  au  dedans  de  fa  place,  6c  Toutint  avec  vigueur  trois 
I  COI.     aflauts.  Les  aflaiilans  fatigués  d'une  fi  belle  relillance  ,  fu- 
rent contraints  de  lever  le  fiége  20.  jours  après  l'avoir 
formé. 

Le  Roi  donna  le  gouvernement  de  la  Marche  à  Louis 
Chateigner  d'Abin  ,  après  la  mort  de  Mefieres ,  brave  hom- 
me ,  &  qui  étoit  ennemi  jure  de  la  Ligue  par  des  reirentimens 
particuliers.  George  de  Villequier  vicomte  de  laGuierche 
avoit  été  autrefois  gouverneur  de  cette  Province.  Il  cruE 
qu'il  étoit  de  fon  honneur  de  fe  remettre  en  poiïèiïïon  de 
fon  gouvernement  par  la  voye  des  armes.  C'efl  pourquoi 
formant  la  réfolution  de  profiter  de  l'abfence  d'Abin  ,  ôc 
du  prince  de  Conti  Général  àcs  armées  du  Roi  en  ces  quar- 
tiers ,  qui  étoit  alors  occupé  dans  l'Anjou  pour  faire  des  le- 
vées d'argent  &  refaire  fès  troupes  ;  il  partit  du  Poitou  , 
s'empara  de  l'abbaïe  de  S.  Savin  ,  deBelarbre,  de  Blanc 
en  Berry  ,  3c  entra  dans  la  Marche  à  la  tête  de  huit  cens 
arquebufiers  6c  de  trois  cens  chevaux  ;  il  avoit  fait  conduire 
trois  pièces  d'artillerie.  Il  arriva  le  troifiéme  jour  à  Ma- 
gnac,  fans  déterminer  s'il  iroit  ci  Belac  ou  à  Orat,  vulgai- 
rement appelle  le  Dorât.  Il  envoya  de  Magnac  un  Trom- 
pette aux  habitans  de  Belac  le  %.  May  ,  avec  une  lettre 
dansjaquelle  il  promettoit  de  les  prendre  fous  fa  protedion, 
s'ils  fe  rendoient  à  (qs  ordres ,  &  les  mena^oit  de  ruiner  leur 
ville  en  cas  de  refus. 

Belac  eft  une  petite  place  dont  la  principale  forterefïè 
appcllée  le  Portail,  eft  environnée  d'un  grand  faubourg, 
qui  cl]:  même  plus  étendu  que  la  ville.  Les  habitans  étoienc 
partagés  en  deux  fadions  j  ceux  qui  avoient  de  l'inclination 
pour  la  Ligue,  n'ofant  la  faire  paraître  à  découvert,  vou- 
loient  qu'on  leur  donnât  un  Gouverneur  favorable  à  leur 
parti ,  éc  qui  pût  s'accorder  avec  le  vicomte  de  la  Guierche, 
On  tâchoit  cependant  de  fe  rendre  maître  du  Portail ,  par- 
ce que  c'étoit  le  moyen  d'obliger  la  faction  opppfée  de  faire 
ce  qu'on  voudroit.  Enfin  le  bon  parti  l'emporta  ,  6:  le  com- 
mandement fut  donné  à  la  Coufture ,  qui  étoit  expéri- 
iiienté  dans  le  métier  jdes  armes ,  6c  zélé  ferviteur  du  Roi, 

Jeai} 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI.         385 

Jean  de  la  Sale  jeune  homme  plein  de  feu  6c  de  courage ,  '.' 

eut  ordre  d'aller  en  Limoufm  ,  pour  amener  du  fecours.   Il  Henri 
s'acquitta  de  fa  commiiïïon  avec  promptitude  ,  6c  revinc       IV. 
auffitôt  à  Belac.  1591. 

L'ennemi  s'étant  emparé  du  fauxbourg ,  il  n'y  eut  qu'un 
petit  nombre  d'habitans  qui  fe  préparèrent  à  la  défenfe  j 
hs  fentimens  fe  partagèrent  encore  5  la  plupart  étoient  d'a- 
vis de  Te  rendre  ,  fous  prétexte  que  la  place  n'étoit  pas  tena- 
ble.  Le  jeune  la  Sale  employa  d'abord  la  prière  pour  Iqs  en 
difTuader  3  mais  voyant  que  ce  moyen  ne  lui  réuftilToit  pas , 
il  eut  recours  aux  menaces ,  ôc  mettant  l'épée  à  la  main  il 
obtint  ce  qu'il  demandoit.  Dans  cette  réfolution  on  fortifia 
le  rempart  à  la  hâte,  &:oncreufa  au -dedans  de  la  place  un 
foflë  dont  la  terre  fervit  à  élever  des  retranchemens  des 
deux  côtés.  La  batterie  de  l'ennemi  étoit  dreflee  ,  lorfque 
de  Chauvigny  ,  la  Paye  ,  la  Ferté  ,  &  la  Vallée ,  envoyés 
par  d'Abin  ,  qui  s'étoit  rendu  au  Dorât  ,  paflTérenr  avec 
vingt-trois  foldats  d'élite  le  foffé ,  où  ils  eurent  de  l'eau  juf. 
qu'à  la  ceinture  •  la  Robertiere  que  la  Sale  avoit  envoyé  la 
veille  à  d'Abin  ,  leur  fervit  de  guide. 

L'arrivée  de  ce  petit  renfort  raifûra  les  affiégés ,  qui  en 
avoient  befoin  :  car  la  brèche  ayant  été  ouverte  ,  l'ennemi 
donna  à  plufieurs  reprifes  unafTaut,  qui  dura  depuis  quatre 
heures  du  foir  jufqu'à  fept.  Les  braves  dont  je  viens  de  par- 
ler, fécondés  de  la  Sale  ,  de  la  Coufture,  de  Foucaud ,  de 
Genebrias  ,  6c  de  la  Vallée  Confuls ,  firent  des  prodiges  de 
valeur.  Les  aflîégeans  furent  repoulîés  avec  perte  d'environ 
foixante  des  leurs  3  il  n'y  eut  qu'un  feul  homme  bleffè  parmi 
les  aifiègès ,  dont  il  n'y  eut  aucun  tué.  Cette  attaque  fe  fît  le 
I  2.  May.  La  brèche  fut  vilitée  6c  réparée  aux  flambeaux, 
avec  des  terres  qu'on  apporta  pour  la  boucher. 

Le  lendemain  l'artillerie  battit  les  murs  avec  plus  de  furie 
qu'auparavant.  On  ne  fe  contenta  pas  d'avoir  fait  brèche 
d'un  côté  ,  on  fît  brèche  encore  d'un  autre.  Le  capitaine  la 
Ferté  ne  prit  avec  lui  qu'une  poignée  de  foldats ,  à  caufe  du 
petit  nombre  qu'il  y  en  avoit  dans  la  ville ,  6c  fe  chargea  de 
défendre  cette  féconde  brèche.  L'ennemi  appliqua  les  échel- 
les en  deux  autres  endroits ,  6c  marchant  à  l'aflàut  au  fon  des 
trompettes  6c  du  tambour,  fît  de  grands  efForts  pour  forcer 
Tûme  XI,  C  C  c 


38^  HISTOIRE 

la  garniTon.    On  le  re^uc  avec  beaucoup  de  vîguear,  Se  iî 
Henri  fut  contraint  de  iè  retirer  après  une  heure  d'un  combat  opi- 
V.       niatre. 
1591,         ^^  ^^  enfùite  pour  quatre  jours  une  trêve  ,  également 
fouhaitëe  des  affiégeans  &,  des  affiégës.   Le  vicomte  de  la 
Guîerche  manquoit  de  poudre  &  de  boulets.   Les  habitans 
de  leur  côté  abattus  par  des  veilles  continuelles  ne  cher- 
choient  qu'à  fe  repofer  de  leurs  fatigues.  D'Abin  fuivi  d'au- 
tres Officiers  ne  put  venir  à  bout  d'enlever  le  convoi  qu'on 
portoit  au  camp  ennemi.   On  fut  dans  des  inquiétudes  mor- 
telles dans  la  ville  ,  lorfqu'on  eut  appris  que  le  vicomte  de 
la  Guierche  avoit  dépêché  un  courier  pour  hâter  la  marche 
de  Pompadour  qu'il  attendoit. 

La  trêve  étant  expirée  ,  les  affiégeans  canonnérent  le 
Portail  ôc  Tes  tours,  &  pouffèrent  contre  cette  forterefle  une 
machine  faite  en  forme  de  pont.  On  difoit  qu'elle  avoit  été 
faite  par  l'avis  du  capitaine  la  Croix  ,  fur  le  modèle  de  celle 
qu'il  iè  fouvenoit  d'avoir  .vue  de  l'invention  de  Châtillon  au 
fîége  de  Chartres.  Les  habitans  dans  ces  frayeurs  s'afîem- 
blérent  j  le  plus  grand  nombre  fut  d'avis  d'accepter  les  offres 
du  vicomte  de  la  Guierche.  Mais  Jean  Chateigner  du  Ber- 
nay  fils  d'Abin  ,  étant  parti  du  Dorât  par  l'ordre  de  fon 
père  avec  le  capitaine  Bois  à  la  tête  de  vingt  hommes  d'é- 
lite ,  pafla  la  rivière  auffi  heureufement  que  les  premiers ,  & 
ralFùra  les  afiiégés  par  fon  arrivée  j  il  entra  dans  Belac  par 
la  porte  de  Prade.  L'ennemi  fit  approcher  des  murs  la  ma- 
chine ,  6^  ayant  tiré  quelques  coups  de  canon  contre  le  ponc 
de  bois ,  ils  efpérérent  de  le  renverfer  en  brifant  les  chaînes, 
&  par  ce  moyen  s'approcher  plus  facilement  du  Portail.  Le 
fuccès  ne  répondit  pas  à  leur  efpérance  ,  parce  que  les  affié- 
gés  avoient  arrêté  le  pont  en  dedans  avec  des  chevilles  de 
fer.  Ceux  qui  étoient  dans  la  machine  étant  expofés  au  ca- 
non pointé  contre  eux ,  abandonnèrent  leur  entrcprife. 

Enfin  on  pouiFa  jufqu'au  pied  du  mur  la  machine  qui  étoît 
portée  fur  des  roues ,  pour  couvrir  les  travailleurs  qui  com- 
mencèrent à  miner.  On  fit  dans  la  ville  des  contremines , 
par  où  les  affiégés  firent  une  fortie  ,  6c  ayant  taillé  en  pièces 
quelques  mineurs  &  mis  les  autres  en  fuite ,  ils  brûlèrent  le 
1 9.  May  la  machine  de  bois,  La  batterie  ennemie  ayant  tiré 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CL  387 

pendant  quatre  jours &renverfc  les  tours,  les  mineurs  s'at-  ==;=!?=: 
tachèrent  une  féconde  fois  au  mur.  Henri 

Cependant  les  affiégés  voyants  que  l'ouvrage  s'avançoit ,  I V. 
demandèrent  à  capituler  j  l'ennemi  donna  un  des  fiens  en  i  J^r. 
otage  ,  &,  la  Coufture  qui  avoit  remis  le  commandement  à 
Bernay  ,  alla  au  camp  où  l'on  fit  des  conditions  concernant 
la  garnifon  ôc  les  habitans.  La  Sale  ne  put  empêcher  les 
foldats  de  traiter  pour  eux  3  mais  il  fît  en  forte  de  ne  rien  dé- 
terminer par  rapport  aux  bourgeois  ,  qui  refuférent  par  cette 
raifon  de  donner  des  otages  :  l'affaire  fut  donc  rernife  au 
lendemain.  Chambaret  qui  avoit  fait  une  fî  belle  défenfe 
dans  S.  Yrier ,  après  la  défaite  des  Royalifles  ,  paiïà  la  ri- 
vière avec  Pierre -Gourde  ,  Ôc  quelques  Gentilshommes. 
Ils  entrèrent  dans  Belac  fuivis  de  fbixante  cuiraliîers ,  &  d'un 
pareil  nombre  d'arquebufiers. 

Chambaret  ayant  vifîtè  les  mines  ,  afTiira  les  habitans 
qu'il  n'y  avoit  point  encore  de  danger.  Sa  prèfence  les  raf- 
fermit j  il  fut  le  premier  d'avis  de  rendre  à  la  Couflure ,  afin 
d^èluder  le  traité  fait  avec  l'ennemi ,  le  commandement  que 
Bernay  avoit  ufurpé  fur  lui.  En  effet  les  affiègeans  ayant 
demandé  qu'on  exécutât  la  capitulation  ,  Bernay  qui  l'avoic 
£gnéc  tout  feul ,  répondit  qu'il  n'avoit  point  d'autorité  dans 
la  ville  :  Que  la  Coufture  y  commandoit  :  Qu'il  étoit  prêt 
d'exécuter  le  traité  de  tout  fon  pouvoir ,  &  d'aller  avec  les 
otages  au  camp ,  pourvu  qu'on  lui  donnât  un  faufconduit , 
&  qu'on  renvoyât  les  otages  dans  la  ville  ;  Que  les  bourgeois 
qui  n'a  voient  pas  figné  étant  les  plus  forts  ,  ôc  foutenus  par 
de  nouveaux  fecours ,  ne  vouloient  point  accepter  les  con- 
ditions. 

Les  affiègeans  irrités  de  fe  voir  joiiés  de  la  forte  ,  recom- 
mencèrent le  lendemain  avec  ardeur  à  poufîer  les  travaux. 
Chambaret  ne  reflapas  dans  l'inadion  3  mais  encourageant 
les  travailleurs  par  Ion  exemple  pendant  la  nuit ,  il  ne  per- 
doit  point  de  tems.  Il  ne  pouvoit  en  faire  autant  le  jour ,  fa 
prèfence  étant  nècefTaire  ailleurs.  Le  capitaine  la  Ferté  & 
la  Coufture  defcendirent  dans  le  fofTé ,  &  tuèrent  quelques 
mineurs.  Chambaret  fit  creufer  en  dedans  un  puits  ,  par  où 
Ton  pouvoit  faire  des  forties  &  placer  des  tonneaux ,  à  Ja 
faveur  defquels  on  pût  chafler  les  travailleurs. 

CCc  ij 


388  HISTOIRE 

La  Guîerche  redoutant  le  courao;e  ôc  rinduftrie  de  Cham- 
Henri  baret ,  ôc  d'ailleurs  apprenant  de  tous  côtés  que  le  prince 
IV.  de  Conty  alloit arriver  avec  fon armée,  leva  le  fiégele  28, 
I  59 1.  May.  Ce  Général  partit  du  Pont  de  Ce  ,  &  fit  de  fi  grandes 
marches  ,  qu'il  ié  rendit  en  fix  joursà  LufiTac  fiir  la  Vienne, 
qui  en  eft  éloigné  de  foixante  &  dix  lieues,  avec  fon  infanterie 
êc  Iqs  pièces  d'artillerie  que  de  Chourfes  de  Malicorne  lui 
avoit  données.  Claude  de  la  Trimouille  qui  commandoic 
les  troupes  que  Louis  de  Saint-Gelais  lui  avoit  envoyées , 
fit  occuper  ce  pofte  par  Hedor  de  Préaux  gouverneur  de 
Chatelleraut ,  &  ayant  rencontré  l'ennemi  près  de  Mont- 
morillon  ,  il  le  poufla  jufque  dans  cette  ville  3  mais  ne  s'y 
croyant  pas  en  fureté  ,  il  abandonna  fon  canon  &  fon  in- 
fanterie ,  &  partit  avec  tant  de  promptitude  ,  que  malgré 
toute  la  diligence  de  la  Trimouille  ,  qui  avoit  fait  prendre 
les  devants  à  Pierre  de  Chouppes ,  pour  lui  couper  le  che- 
min ,  il  devança  les  Royaliftes  ôc  fe  rendit  à  Chauvigny , 
d'où  après  avoir  donné  un  peu  de  repos  à  fes  foldats ,  il  alla 
droit  à  Poitiers. 

Lept-ince  de  Conti  mit  le  fiége  devant  Montmorîllon  qu'il 
prit  d'alTaut ,  fur  le  refus  que  firent  les  foldats  de  la  Guierche 
de  fe  rendre.  Ils  y  périrent  au  nombre  de  trois  cens.  On 
5'empara  de  trois  canons.  On  reprit  en  même  tems  Bourg- 
Archambault  ,  Belarbre  ,  le  Blanc  ,  S.  Savin  ,  DifiTay  & 
Chauvigny  ,  deux  châteaux  de  l'évêque  de  Poitiers.  On 
mit  dans  Chauvigny  qui  étoit  fortifié  ,  une  garnifon  fous  les 
ordres  de  Pierre  Pidoux  ,  dit  le  capitaine  Nede.  Le  prince 
de  Conti  ayant  répandu  au  loin  la  terreur  de  fes  armes  ,  alla, 
mettre  le  fiége  devant  Mirebeau  ville  du  duché  de  Mon- 
penfier ,  dans  le  gouvernement  de  Saumur ,  6c  força  d'abord 
la  place.  Il  fit  enfuite  pointer  du  canon  contre  la  citadelle , 
qui  fe  rendit  à  compofition.  Le  duc  de  Monpenfier  vouloir 
nommer  un  Gouverneur  3  mais  Antoine  de  Silly  de  Roche- 
pot  Lieutenant  de  Roi  dans  l'Anjou  ,  gouverneur  de  Sau- 
mur &:  Maréchal  de  camp  ,  obtint  du  prince  de  Conti  qu'on 
lui  confiât  la  ville  &  la  citadelle.  Il  en  donna  le  comman- 
dement à  Cieftre  de  Villebois ,  qu'il  regardoit  comme  un 
homme  attaché  à  fes  intérêts  j  mais  qui  fous  prétexte  de 
quelques  conteftations  avec  le  duc  de  Monpenfier  ,  palla 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  CI.  385^ 

depuis ,  par  une  infîgne  trahifon ,  dans  le  parti  ennemi.        ■ 

On  ailîégea  enfuice  Celles  en  Berry.  Claude  de  la  Chaftre  Henri 
avoir  donné  le  commandement  de  cette  place  à  du  Bois ,  I  V, 
qui  fatiguoit  tous  les  voifîns  par  les  courfes  àci^Qs  briganda-  15  90. 
ges  ^  &c  qui  s'avançoit  fouvent  julqu'aux  portes  de  Tours. 
Ce  fut  François  de  la  Grange  de  Montigny  qui  confeilla  au 
prince  de  Conti  de  faire  ce  ficge ,  àc  qui  lui  fournit  ce  qui 
ctoit  nécelTaire  pour  cette  entreprife.  Pendant  qu'on  ouvroit 
la  tranchée ,  Paluau  de  Villeneuve  reçut  un  coup  de  mouC 
quet  à  la  cuiflè  5  tandis  qu'on  l'emportoit  ,  un  autre  coup 
mortel  lui  ôta  la  vie.  Enfin  Celles  fut  pris  par  compofîtion. 
Dans  le  même  tems  les  ennemis  furent  battus  devant  Mont- 
morillon.  Le  prince  de  Conty  en  fortant  de  cette  place ,  avoic 
ordonné  de  la  démanteler  •  mais  les  habitans  mal  inten- 
tionnés y  firent  auffitôt  entrer  deux  cens  ennemis.  Le  capi- 
taine Nede  à  qui  on  venoit  de  donner  le  commandement 
de  Chauvigny ,  les  attaqua  la  nuit  avant  qu'ils  eulTent  rétabli 
êc  fortifié  la  place  3  il  les  furprit  le  4.  d'Odobre  dans  leurs 
logemens  6c  les  défit.  Plus  de  cinquante  furent  tués ,  on  fit 
encore  plus  de  prifonniers ,  ôc  on  enleva  un  grand  nombre 
de  chevaux. 


Fw  di*  cent  '  unième  Livre:, 


ccc  iij 


390 


HISTOIRE 


HISTOIRE 

DE 

3  A  C  Q_U  E    AUGUSTE 

D  E    T  H  O  U 

LIVRE   CENT  DEVXIEME. 

ON  iîc  cette  année  la  guerre  en  Bretagne  avec  beau-" 
coup  de  vigueur ,  &  avec  difFérens  fuccès  de  parc  ôC 
IV.       d'autre.  Phiiippe-Emanuel  de  Lorraîne  duc  de  Mercoeur, 
I  591.     gouverneur  de  cette  grande  province,  outre  les  avantages 
Affaire  de  ^^^  ^^  flatoit  de  retirer  ào.^  troubles  du  Royaume ,  préten- 
France.         doit   cncorc  faire  valoir  fur  la    Bretagne  les  droits  de  la 
Guerre  en  j^^ifon  de  Pentiévrc,  dont  il  avoit  époufë  l'hëritiëre.  Ce 

Bretagne.  .    .  '  r^r  ^i  n  >-i  • 

Prince  ayant  joint  aux  troupes  Elpagnoies  celles  quilavoïc 
dans  la  province,  ravageoit  le  Maine  &  l'Anjou,  oùilfai- 
foit  des  courfes.  Cependant  Chevriéres  qu'il  avoit  envoyé 
au  commencement  de  l'année  dans  cette  dernière  province 
pour  y  faire  des  levées ,  fut  défait  le  ii.  de  Janvier  près 
de  Chambellay  par  Donadieu  de  Pichery  ,  gouverneur  de 
la  ville  &:  de  la  citadelle  d'Angers ,  qui  vint  l'attaquer  à  la 
tête  de  laNoblelTe  à^s  environs. 

Parmi  les  Gentilshommes  de  Bretagne  qui  étoient  dans 


DE   J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIT.        391 

les  Intérêts  du  duc  de  Mercœur  ,  les  principaux  étoient  ■■  '  ■ 
Gabriel  de  Gouleines  Commandant  des  Chevaux-légers,  Henri 
Guébriand  Commandant  de  l'infanterie  ,  6c  d'Avaugour  de  I  V. 
Saint-Laurent  Maréchal  de  Camp.  Le  Duc  avoit  encore  1591* 
avec  lui  Charle  de  Gondi  marquis  de  Belle-Ifle,  fils  d'Al- 
bert duc  de  Rets  ,  qui  s'étoit  jette  depuis  peu  dans  Ton 
parti.  Saint-Laurent ,  dont  l'habileté  dans  le  métier  des  ar- 
mes étoit  rarement  fécondée  par  la  fortune ,  ayant  furpris 
au  mois  de  Mars  la  ville  de  Moncontour  au  Diocèfe  de 
Saint-Brieuc^  inveftit  aulTitôt  la  citadelle,  dans  l'efpérance 
de  s'en  rendre  maître.  A  cette  nouvelle  Jean  marquis  de 
Coetquins'étant  avancé  à  la  tête  de  cent  vingt  chevaux,  & 
d'un  détachement  d'arquebufîers  jufqu'à  Loudeac ,  allez 
près  de  Moncontour ,  accompagné  de  Guemadeuc  fils  du 
comte  de  Combourg  ,  de  la  Bouteillerie ,  de  Boisfeuillec 
Lieutenant  de  la  Hunauldaye ,  6c  du  baron  de  Molac  co- 
lonel d'infanterie,  dans  le  defiein  de  fecourir  les  a/Fiégés, 
Saint-Laurent  ne  laifîa  que  quelques  arquebufiers  devant  la 
citadelle,  &  alla  au-devant  du  marquis  ,  dont  il  avoit  époufé 
la  fille.  Ce  général  préférant  le  fervice  du  Roi  à  la  ten- 
drelTe  qu'il  avoit  pour  fon  gendre  ne  balança  point  à  mar- 
cher contre  lui ,  &  ayant  tiré  fes  troupes  de  Loudeac ,  il 
les  rangea  en  bataille,  ôc  les  mena  droit  aux  ennemis.  Le 
baron  de  Molac  à  la  tête  de  fon  infanterie ,  qui  fit^les  mer- 
veilles dans  cette  occafion  ,  les  mit  bientôt  en  déroute.  Il 
y  eut  environ  trois  cens  hommes  tués  du  côté  des  enne- 
mis ,  dont  la  plupart  furent  faits  prifonniers.  Le  malheur 
de  Guemadeuc ,  qui  fut  tué  en  courant  de  rang  en  rang  pour 
encourager  les  foldats,  diminua  beaucoup  la  joye  qu'on  eut 
de  cette  vidoire.  La  Bouteillerie  reçut  dans  le  choc  une 
dangereufe  blefTure, 'dont  il  guérit  néanmoins  en  peu  de 
tems. 

Henri  de  Bourbon  prince  de  Dombes  ,  gouverneur 
pour  le  Roi  de  la  province  de  Bretagne  ,  ayant  reçu 
la  nouvelle  de  la  prife  de  Moncontour,  afîembla  {qs  trou- 
pes à  Saint-Aubin  du  Cormier ,  &  fe  rendit  à  Bocherel ,  où 
il  apprit  la  défaite  de  Saint- Laurent.  Ayant  eu  avis  au 
même  endroit  que  trois  Cornettes  de  Chevaux-légers  s'é- 
toient  jettes  avec  quelques  arquebufiers  dans  Piimeu ,  qui 


392  HISTOIRE 

--  eft:  dans  le  volfînage  de  Betherel,  il  alla  mettre  le   fîége 

Henri  devant  la  place.  Il  lomma  d'abord  lesaiïîégés  de  fe  rendrej 

I  V.       ceux-ci  ayant  refufé  de  le  faire  ,  on  fut  oblige  de  battre  la 

I  5  9  I .     P^^ce ,  qui  fuc  enfin  emportée  d'aiTaut.  On  fit  pendre  prefque 

toute  la  garni  ion. 

Q^ielqae  tems  après ,  les  fecours  que  la  reine  d'Angleterre 
envoyoic  en  Bretagne  débarquèrent  à  Pimpol ,  qui  apparte- 
noità  d'Avaugour.  Ces  troupes  etoient  au  nombre  de  deux 
mille  cinq  cens  hommes  de  pied  ,ôc  environ  cinq  cens  de  ca- 
valerie, commandés  par  le  général  Norris.  Pimpol  eft  un 
bon  port  fitué  au  Diocèfe  de  Treguier ,  où  la  Grefîlle  de 
Tremblaye,  qui  avoit  fait  fortifier  cette   place  comman- 
doit  avec  une  forte  garnifon.  Auprès  de  cette  ville  eft  la 
petite  ifle  de  Brehal,  fertile,  &  bien  peuplée  ,  quieftcom- 
prife  dans  les  domaines  delà  Maifon  de  Penthiévre.  Le  duc 
de  Mercœur  y  avoit  fait  bâtir  un  Fort ,  où  il  avoit  mis  gar- 
iiifon.  Les  habitans  de  cette  ifle ,  naturellement  belliqueux, 
infeftoicnt  la  côte  avec  des  barques  armées  en  guerre.  Après 
l'arrivée  des   Anglois,  la  Tremblaye  6c  Kergomart  firent 
une  defcente  dans  l'ifle ,  &  invertirent  le  Fort.  La  garnifon 
fe  défendit  d'abord   avec  beaucoup    de  vigueur.  Enfin  la 
place  fut  emportée  d'aiîàut.  On  fît  pendre  quinze  foldats 
de  la  garnifon  à  des  ailes  de  moulins  à  vent.  Après  cette 
expédition  les  infulaires  demeurèrent  toujours  fournis   au 
Roi. 

Le  prince  de  Dombes  ayant  formé  un  corps  d'armée  avec 
les  troupes  auxiliaires  d'Angleterre ,  aufquelles  il  joignit 
huit  cens  AUemans  ,  de  les  milices  de  la  Province, alla 
mettre  le  lîége  devant  Guingam ,  où  il  y  avoit  une  nom- 
breufe  garnifon  fous  les  ordres  de  Kergouton  ,  qui  avoit 
avec  lui  quelques  Gentilshommes  de  bafle  Bretagne.  La 
tranchée  ayant  été  achevée,  le  canon  ouvrit  la  brèche. 
On  donna  fans  fuccès  un  aflaut ,  dans  lequel  le  baron  de 
Molac  ,  &  Mongommeri  de  Courboufon  fe  fîgnalérent. 
Enfin  la  place  fe  rendit  à  compofîtion  ,  &  Kergomart  en  fut 
fait  Gouverneur.  A  la  nouvelle  du  iiége  de  cette  ville  le 
duc  de  Mercœur  s'étoit  mis  en  marche  pour  donner  du 
fecours  aux  afiiégés.  Mais  ayant  appris  en  chemin  qu'ils 
avoient  capitulé ,  il  s'arrêta ,  malgré   la  fupériorité  de  fes 

forces^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIL         393 

forces,  à  Courlays,  qui  n'eft  qu'à  trois  lieues  de  Guingam.  '   '  ■ 

Son  armée  ecoic  beaucoup  plus  nombreufe  que  celle  des  Henri 
Iloyaliiles  j  elle  ëtoic  compolëe  de  quatre  mille  Efpagnols       I  V. 
fous  les  ordres  de  Jean  d'Aquila  (i) ,  Se  d'un  pareil  nombre     1591. 
de  troupes  Françoiiës  ,  commandées   par  des  Colonels  la 
plupart  tirés  de  la  Noblellè  de  la   Province  ,    de  mille 
cuiralîîers   ,    &    de    trois     cens    arquebulîers    à    cheval. 
Son  arrilleiie  étoit  de  Cix   pièces   de  canon.   La  jondion 
d'Urbain  de  la  Val   de  Bois-Dauphin,  qui  iervoit  fous  lui 
en  qualité  de  Lieutenant  général ,  ôc  celle  du  marquis  de 
Belle-Iile  Commandant  des  Chevaux-légers  ,  n'avoientpas 
peu  contribué  à  augmenter  Ces  troupes. 

Le  prince  de  Dombes  n'avoit  au  contraire  que  cinq 
cens  cuiralliers  à  cheval  ,  deux  cens  arquebufîers  aufîi  à 
cheval ,  deux  mille  cinq  cens  hommes  d'infanterie  Angloife, 
huit  cens  Lanfquenets,  &c  deux  cens  hommes  de  pied  de 
troupes  Françoifes ,  avec  quatre  canons.  Ce  Général  alla 
prendre  fes  quartiers  à  Château  Laudran ,  d'où  il  envoya 
Jean  du  Mas  de  Montmartin  gouverneur  de  Vitré  à  la  tête 
d'un  détachement  de  cent  chevaux,  pour  aller  à  la  décou- 
verte de  l'ennemi.  Cet  Officier  avoir  été  fait  Maréchal  de 
camp  après  la  mort  du  brave  la  Conclaye  tué  devant  le 
Château  de  la  Latte  ,  &  après  la  retraite  de  Charles  de 
Cambes  comte  de  Monforeau,  qui  avoit  eu  cet  emploi 
dans  l'armée.  Montmartin  s'étant  avancé  jufqu'à  deux 
lieues  de  Courlays  ,  rencontra  des  fourageurs  &  des  foldats 
ennemis ,  qui  s'étoint  écartés  de  l'armée.  Ils  lui  apprirent 
que  le  duc  de  Mercœur  étoit  en  chemin  5  6c  l'ayant  lui- 
même  apperçu  de  loin  fans  bagages,  il  jugea  qu'il  avoic 
deiïein  d'en  venir  à  une  action.  Il  dépêcha  aullitôt  par 
différens  chemins  vers  le  prince  de  Dombes ,  pour  lui  don- 
ner avis  de  la  marche  &  du  nombre  des  ennemis.  Il  char- 
gea enfuite  Sarroiiet  &c  la  Tremblaye  du  foin  de  combattre 
à  l'arriére- garde,  &:  fe  mit  en  devoir  d'aller  rejoindre fon 
général  j  mais  quelque  diligence  qu'il  pût  faire,  lorfqu'il 
arriva,  les  avancoureurs  de  l'ennemi  avoient  déjà  attaqué 
le  quartier  de  la  cavalerie  légère  commandée  par  Baftenay. 
Le  ,duc   de    Mercœur  campa  ce   jour-là  dans  un  endroit 

(i)    On  l'appelle  aulTi  d'Aguilar  dans  notre  Hiftoire. 


594 


HISTOIRE 


vulgairement  appelle ,  la  Croix  de  Malhara. 


Hen  K  I       René  Tournemine  de  la  Hunauldaye,  Jean   marquis  de 
I  V.       à.Q  Coetquin  ,  Jean  de  Rieux  marquis  d'Ailerac ,  Jean  d'An- 
ifQï      geignes  de  Poigny  ,  Charle  Guyon    de   la   MoulFaye,  Lif- 
coiiec,  de  Kergomart,  de  Boisfeuillec ,  la  RochegifFarc  ,de 
Tremufel ,  &  Marconay  de  Froze,  qui  avoienc  amené  de 
la  cavalerie  en  bon  érat ,  écoient  dans  l'armée  du  prince  de 
Dombes ,  auprès   de  qui  Hardi  d'Ecampes   Maréchal  des 
Logis  s'étoit  aufTi  rendu.  Il  y  avoit  encre  les  deux  armées  une 
vafte  plaine  couverte   de  bruyères.  Le   duc  de  Mercœur 
avoit  aiîis  fon  camp  derrière  un  bois  taillis  ^  entre  les  villes 
de  Guingam  èc  de  Quintin.  D'un  autre  coté  le  prince  de 
Dombes  s'étoit  retranché  dans  le  bas  delà  plaine  derrière 
un  folîé  très-profond.   Le  Confeil  de  guerre  s'alîembla  le 
lendemain  ii.  de  Juin,  pour  délibérer  lur  ce  qu'on  dévoie 
faire  en  cette  occalion.  Le  général  Norris  vouloit  que  l'ar- 
mée gardât  Ton  pofte  en-deçà  du  foiFé  ^  mais  Tournemine  ,. 
Montmartin  ,  &  les  autres  ne  furent  pas  de  cet  avis.  Ils  Fou- 
tinrent  au  contraire  qu'il  falloit   paflèr    ce  foilë  pour  aller 
ranger  l'armée  en  bataille  à  l'entrée  de  la  plaine.  Cet  avis 
l'emporta  dans  le  Confeil  ,  èc  Sarroiiet  eut   ordre   de  par- 
courir les  rangs  en   qualité  de   Sergent-Major.  On  forma 
quatre  bataillons  de  l'infanterie,  dont  le  premier  ôc  le  Fé- 
cond furent   compofés  d'Anglois  ,  &  les  deux  autres  de 
troupes  Françoifes  &c  Allemandes.  On  difpoFa  entre  ces  ba- 
taillons quatre  corps  de  cavalerie  j  le  corps  de  réferve  fut 
pofté  un  peu  au-deiFous  de  ces  troupes  ,  qui  avoient  devant 
elles  àes  pelotons  d'infanterie. La  cavalerie  légère  précédée  à 
la  gauche  par  les  enfans  perdus,  &  par  quelques  pelotons  de 
gens  de  pied  ,fut  rangée   Fur  deux    lignes  j  ôc  le  Général 
prit  fon  pofte   derrière  l'artillerie  placée  Fur  une  hauteur. 
Le  duc  de  Mercœur  parut  Fur  les  huit  heures  du  matin, 
en  bon  ordre  à  l'entrée  de  la  plaine  j  il  fit  d'abord  attaquer 
la  cavalerie  légère ,  qui  Fut  contrainte  d'abandonner  Fon  poF- 
te.  Le  prince  de  Dombes  s'écantapperçû  de  ce  mouvement^ 
fit  avancer  Montmartin  par  l'avis   de  Tournemine  ,  pour 
reprendre  à  la  pointe  de  l'èpée  le  terrain  que  l'ennemi  ve- 
noic  de  gagner.  Auflitôt  Montmartin  fuivi   de  Norris ,  de 
la  Tremblaye  ,  èc  de   Sarroiiet  ,  partit  à  la  tête  d'un 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        395 

<îétachemenc  de   François,   d'AUemans ,  6c  d'Anglois  3  èc  '-'    — 

donnant  tête  baiiïëe  fur  l'ennemi ,  qui  loutinc  le  premier  Henri 
choc  à  la  faveur  du  foile  dont  il  s'étoit  emparé  ,  il  le  força  IV. 
enfin  par  Ces  efforts  redoublés  à  fe  retirer.  Dans  cette  action  1 5  9  i» 
Guébriand  ,  qui  commandoit  l'infanterie,  &  qui  la  pique 
à  la  main  combattoit  à  pied  aux  premiers  rangs,  ayant  été 
abandonné  par  Ces  foldats ,  fut  pris  par  la  Tremblaye,  6c 
conduit  au  prince  de  Dombes.  On  fe  canonna  le  lendemain  j 
tout  l'avantage  fut  du  côté  de  l'ennemi,  dont  l'artillerie 
tirant  de  delîus  une  hauteur ,  faifoit  beaucoup  pkis  d'effet 
que  celle  des  Royaliftes,  qui  tiroit  de  bas  en  haut.  Ceux- 
ci  perdirent  environ  cinquante  Allemans ,  6c  quelques  ca- 
valiers qui  furent  emportés  par  le  canon.  Un  éclat  bleilâ 
dangereufement  à  la  cuiffe  Boisfeuillet ,  qui  mourut  quel- 
ques jours  après,  fort  regreté  de  l'armée.  On  fe  contenta 
de  fe  canonner  feulement  toute  cette  journée  3  l'une  6c  l'au- 
tre armée,  qui  n'étoient  féparées  que  par  un ruilTeau très- 
facile  à  pafîèr ,  attendit  chacune  de  fon  côté  que  l'ennemi 
commençât  la  charge.  Mais  les  deux  Généraux  prirent  le 
parti  de  fe  retirer  fans  rien  faire.  Le  duc  de  Mercœur  re» 
tourna  à  Courlays  •  èc  le  prince  deDombesàChâteau-Lau- 
dran  ,  où  François  de  la  Noue  vint  le  trouver  quelques 
jours  après,  de  l'agrément  du  Roi,  avec  la  compagnie  de 
cavalerie  du  comte  de  Montgommeri.  Ce  brave  Officier  ne 
vint  dans  fa  patrie  que  pour  y  perdre  une  vie  qu'il  avoit 
confervée  au  fervice  de  fon  Prince  6c  de  l'Etat. 

Deux  jours  après ,  le  30.  de  Juin,  l'armée  quitta  Châ- 
ceau-Laudran  pour  aller  à  Quintin  à  trois  lieues  de  Cour- 
lays, où  l'on  prit  la  réfolution  dans  le  Confeil  de  guerre  de 
marcher  à  l'ennemi.  La  Noue  difpofa  l'armée  de  la  ma- 
nière que  nous  allons  dire.  Montmartineut  ordre  de  prendre 
les  devants  à  la  tête  de  fa  compagnie  de  cavalerie  avecSar- 
roûet,à  qui  l'on  donna  cinquante  Chevaux-légers,  6c  un 
détachement  d'arquebufiers  à  cheval.  Baftenay  6c  la  Trem- 
blaye Kirent  commandés  pour  côtoyer  avec  le  refte  de  la 
cavalerie  léG;ére  ces  avancoureurs ,  en  prenant  néanmoins  un 
chemin  difîrerenc.  La  Noue  les  fuivitd  la  tête  de  cinquante 
cuiraiîiers  à  cheval,  6c  fix  cens  hommes  d'infanterie  Fran- 
^oife.  Le  prince  de  Dombes ,  la  Hunauldaye  ,  le  marquis  dç 

D  D  d  ij 


59^  HISTOIRE 

Coecquin ,  &c   Norris   fuivi  de   quinze  cens  Angloîs ,  fer* 
Henri  moienc  la  marche  de  l'armée.   On  avança  le  lendemain  fut 
I  V.        les  iix  heures  du  matin   jusqu'aux  quartiers  des  Chevaux- 
I  59  I.     ^^g^i's ,  &:  des  arquebufiers  à  cheval  de  l'ennemi ,  que  l'on 
attaqua  en  cet  endroit  peu  éloigné  de  Courlays.  La  Trem- 
blaye  fut  dangereufement  bleile  à  la  cuiiîe  d'un  coupd'ar- 
quebu(e.   Malgré  tous  les  efforts  que  purent  faire  les  enne- 
mis, on  leur  enleva  leurs  quartiers,  6l  leur  bagage. 

On  iémitenlin  fous  les  arn^s  du  côté  de  l'ennemi.  Ces 
deux  armées  ayant  été  rangées   en   bataille  reftérent  plus 
de  deux  heures  en  préfence  l'une  de  l'autre,  comme  11  elles 
euiîènt  été  furie  point  d'en  venir  aux  mains  ^  mais  ni  le  duc 
de  Mercœur  ,  ni  le  prince  de  Dombes  ne  fe  mettants  poinc 
en  devoir  d'avancer ,  ce  dernier  ramena  fes  troupes  à  Quin- 
tin,  d'où  il étoit  parti.  Il  y  refolut  d'afiiéger  la  citadelle  de- 
Lamballe  dans  le   duché   de  Penthiévre  ,  ficuée  au-deilous 
de  la  ville ,  qui  eft  grande  ^  elle  avoit  été  fortifiée  depuis' 
peu  par  le  duc  de  Mercœur,  qui  y  avoit  mis  une  bonne  gar- 
lîifon.  Ce  fiége  fut  accordé  par  le  prince  de  Dombes  aux 
inftances  de  la  Hunauldaye ,  Se  du  marquis  d'Alferac,  qui 
voulants  mettre  à   couvert  les  châteaux   qu'ils  pollédoienc 
dans  levoiiinage  de  Lamballe,  n'avoienc  en  vue  que  leur 
avantage   particulier ,  de  non  l'intérêt  public   dans  cette 
expédition.  L'armée  manquoit  prefque  entièrement  de  mu- 
nitions de  guerre  ^  6c  on  n'avoit  que  deux  canons  pour  toute 
artillerie  ^  encore  étoient-ils  en  fort  mauvais  état.    Outre 
ces  deuxinconvéniens  ,on  n'avoit  point  d'argent  pour  payer 
les  loidats ,  qu'on  ne  peut  néanmoins  confërver  que  par  ce: 
moyen.  D'un  autre  côté  le  duc  de  Mercœur  étoit  aux  envi« 
rons  avec  des  troupes   fupérieures  à  celles  des  Royalifles. 
siécrc  de       Montmartin  &  Poigny  ,  pour  détourner  le   prince   de 
lambaîie  par  Dombes   de    Cette   périlleuie   entreprife  ,  lui   repréienté- 
ksRoyahlics.  j.^^^^  ^^^^'j!  [q^-qI^  enfin   obligé   de    lever  honteufement   le 
jfîége  ,  après  avoir  perdu  beaucoup  de  monde.  La  Noue  na- 
turellement entreprenant ,  &:  qui  n'avoit  jamais  contredit 
perfonne  avec  opiniâtreté  ,    fe  rendit  d'autant  plus  facile- 
ment à  l'avis  du  Général ,  qu'il  ne  connoiifloit  pas  l'aiîiéte 
de  Lamballe  j  mais  à  la  vue  de  cette  place,  il  avoiia  que 
i'entreprife  étoit  au-dclTus   des  forces  que  le  Prince  avoic 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  397 

alors.  Il  lui  dit  qu'il  n'y  avoic  pas  d'apparence  qu'on  pût  fe  =? 


rendre  maître  de  la  place,à  moins  que  la  frayeur  ne  s'emparât  Henri 
des  aiFiecTcs.  Les  loUiciracions  des  Seigneurs   Bretons  î'em-        I  V. 
portèrent  fur  tous  ces  avis.  Les  deux  pièces  de  canon  ayant      i  coi, 
fait  une  petite  brèche,  fans  entamer  le  rempart,  qui  etoit 
bien  fortifié  avec  des   facines   de   du  gazon  ,  Montmartin 
eut   ordre   d'aller  recannoître   cette   brèche   accompagné 
d'Ingénieurs.  Il  revint  dangereulement  blelIé  ,  &:  rapporta  , 
de  concert  avec  ceux  qui  i'avoient  fuivi  ,  qu'il  n'y  avoic 
pas  de  fureté  à  donner  un  aOaut. 

Auiiitoc  la  Noue  ayant  quitté  fon  cafque  ,  pour  être  La  Noue  7 
moins  e  m  barra  lié ,  monta  lur  une  échelle  plantée  derrière  ^^'^^"^' 
des  ruines.  Dans  le  tems  qu'il  éxaminoit  la  brèche  avec 
attention  ,  une  baie  d'arquebufe  ,  qui  ne  fit  que  lui  effleurer 
le  front ,  lui  froiila  tellement  l'os,  que  la  cervelle  ayant  été 
ébranlée  du  coup  ,ii  fecalFala  tête  entonibant  3  &  demeura 
iulpendu  par  un  pied,  qui  s'embarraiîa  dans  les  echellons. 
On  accourut  auifitot  à  ion  fecours ,  &  on  le  tranfporta* 
dans  fa  tente,  où  il  fut  deux  heures  entières  fans  mouve- 
ment. Avant  enfin  repris  fesefprits,on  le  transtera  trois  jours 
après  à  Moncontour  avec  Montmartin.  Il  y  eut  une  con- 
iultation  de  Chirurgiens  au  fujet  des  grands  maux  de  tête 
dont  il  fe  plaignoit  ^  tous,  à  la  réferve  d'un  feul ,  en  qui  la 
Noue  avoir  trop  de  confiance ,  étoient  d'avis  de  le  rrépa- 
îier ,  pour  empêcher  qu'il  ne  fe  formât  un  ablcès  dans  la 
tête.  Mais  celui  qui  s'oppofoit  à  cette  opération,  eut  l'ef- 
fronterie d'ailûrer  que  le  malade  feroit  bientôt  guéri  de  fa 
blefiure,fans  avoir  recours  à  ce  moyen.  Ses  maux  de  tête 
augmentèrent  quinze  jours  après  au  point  de  l'empêcher 
entièrement  de  dormir.  Il  fe  fit  lire  les  Picaumcs,  &  ayant 
déploré  le  mauvais  état  de  fes  affaires  domeftiques ,  qu'il 
avoir  négligées  pendant  fa  vie,  pour  ne  penfer  qu'à  fervir 
l'Etat,  il  le  conlola  par  l'efpérance  du  mariage  de  fa  fille 
avec  Amaury  deGouyondc  la  Moullaye,  qui  le  fit  en  effet 
peu  de  tems  après  fa  mort.  Le  retour  prochain  de  ion  fils , 
qui  venoic  d'être  remis  en  liberté,  fut  encore  pour  lui  un 
autre  motif  de  confolation.  Enfin  il  commença  àfuccomber 
à  fes  maux  5  fa  langue  s'épaillît,  &  il  ne  parla  plus  qu'en 
bégayant.  Sentant  alors  que  fa  dernière  heure  approchoit, 

D  D  d  iij 


39S  HISTOIRE 

.    I      '    -  il  pria  qu'on  lui  lût  le  pafTage  du  livre  de  Job  fur  la  réfur- 

Henri  redioii  des  corps.  Moncmartin  lui  ayant  alors  demande  s'il 

I  V.       croycit  cet  article  de  foi ,  il  tourna  les  yeux   vers  le  Ciel  ; 

ifoi.  fit  les  prières  en  verlant  des  larmes  en  abondance,  &  ré- 
pondit qu'il  avoit  vécu  dans  cette  croyance ,  6c  qu'il  mou- 
roit  dans  refpcrance  de  rellufciter  un  jour.  Enfin  la  parole 
lui  ayant  tout-à-fait  manqué ,  il  donna  jufqu'au  dernier 
foupir  des  témoignages  de  fon  efpérance  &  de  la  foi. 

Son  Eloge.  Ce  grand  homme ,  que  fon  courage  ,  fon  habileté  con- 
fommee  dans  la  guerre ,  &  fa  prudence  faifoit  aller  de  pair 
avec  les  plus  grands  Capitaines  de  fon  iiécle  ,  l'emporta 
lur  la  phipart  d'entr'eux ,  par  l'innocence  de  fes  moeurs, 
par  fà  modération  ,  par  ia  droiture  &  fon  équité.  Lqs 
grandes  dettes  qu'il  contraâ:a  pour  fubvenir  aux  frais  de 
ia  guerre,  &:  non  pour  entretenir  un  vain  luxe,  ou  pour 
faire  de  grandes  dépenfes ,  qu'il  avoit  toujours  eues  en 
averfion ,  quelque  penchant  qu'il  eût  à  la  libéralité,  fonc 
une  preuve  de  ce  que  j'avance.  Son  fils  ,  digne  héritier  d'un 
fi  vertueux  pérc,  revint  en  Bretagne  quelque  tems  après 
fa  mort,  &  paya  dans  la  fuite  ces  dettes  avec  beaucoup 
d'éxaditude.  La  Noue  vécut  foixante  ans  ,  durant  Iciquels 
il  jouit  toujours  d'une  fanré  robufte ,  qu'il  devoit  en  partie 
à  là  tempérance.  Il  mourut  le  4.  d'Août,  dix-huit  jours 
après  qu'il  eut  été  bleiTé. 

Le  prince  de  Dombes ,  concerné  de  la  mort  de  ce  brave 
Officier  ,   dont  la  valeur  6c  la  prudence  n'étoient  pas  fa 
moindre  reiiource,  leva  le  fiége  de  Lamballe,  &:fe  retira 
à  Saint  Brieuc,  où  Jean   de    Beaumanoir  de  Lavardin  ,   à 
qui  il  avoit  mandé  de  quitter  le  Maine  pour  le  venir  trou- 
ver, lui  amena  environ  cent  chevaux,  de  huit  cens  arque- 
bufiers  commandés  par  Germincourt   de  Buffcs ,  par  fon 
cadet,  &  par  Saint-George  de  Biac,  Le  duc  de  Mercœur  fe  re- 
tira de  fon  côté  à    Ponrivy  ,  &   à   joilèlin ,  pour   donner 
quelque  repos  a  Tes  troupes  •  mais  ayant  appris  l'arrivée  de 
Lavardin,  &:  craignant  une  féconde   fois  pour  Lamballe, 
il  fe  rendit  promptcmcnt  à  Jugon  ,  place  "peu  fortifiée  en- 
tre Dinnn  &  Lamballe.  Il  fit  tenir  fa  cavalerie  légère  loin 
du  relie  de  fes  troupes,  à  la  manière  accoutumée.  Le  gé- 
lierai    Royalifte    la    fit   attaquer    par   Baflenay  ,  par  Ig, 


T 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  399 

Trembla ye  ,  par  Tremufel ,  Sarrouec  èc  de  Froze.  Ces  Offi-  _ 

ciers  lai  enlevèrent  d'abord  les  quartiers  j  àc  l'ayant  poullee  H  e  n  k  i 
juiqu'à  Jugon  en  tuèrent  la  plus  grande  partie.  La  Trem-       I  V. 
blaye  s'etant  trop  avancé  dans  l'obfcurite  ,  fans  garder fes     j  ^ox. 
rangs  ,  fur  pris  par  l'ennemi.  Le  prince  de  Dombes  s'ap- 
procha de  Jugon ,  èc  les  deux  armées  furent  encore  ran- 
gées en  bataille  en  préfence  l'une  de  l'autre ,  fans  en  venir 
aux  mains.  11  n'y  eut  que  la  troupe  de  Lilcouet ,  qui  ayanc 
été   attaquée  ^  reçut   Tennemi  avec    beaucoup   de  valeur. 

Le  gênerai  Anglois  voyant  que  les  maladies  cauiées  par  ' 
l'intempérance  de  ics  foldats,  en  emportoient  un  grand 
nombre,  confeilla  de  ramener  l'armée  à  Saint  Brieuc,  afin 
de  lui  donner  le  tems  de  le  remettre  de  fes  fatigues  j  elle 
eut  quelques  jours  de  repos  en  cette  ville,  d'où  l'on  réfo- 
lut  d'aller,  en  tirant  du  coté  de  Rennes  ,  à  Saint  Main  , 
dont  le  duc  de  Mercœur  avoit  deflèin  de  s'emparer.  La 
marche  de  l'armée  étoit  retardée  parla  difficulté  du  tranC 
port  de  deux  groffes  pièces  de  canon  ,  que  plufieurs  bœufs 
traînoient  à  peine  au  milieu  des  boues,  dans  des  chemins 
fort  étroits.  On  chargea  Lavardin  d'aller  à  la  tête  de  fes 
foldats  Te  faifir  de  Saint  Main  avant  l'ennemi  3  &  Mont- 
martin  partit  eniuite  à  la  tête  de  mille  Anglois,  du  refte 
de  la  cavalerie  ^  ôc  de  l'infanterie  ,  pour  fe  rendre  au  même 
endroit. 

Le  premier  ayant  trouvé  la  place  vuide ,  fe  préparoit  à 
y  refier  paifiblement -,  &  le  fécond  qui  étoit  venu  après 
lui,  avoit  déjà  examiné  les  quartiers  de  la  ville,  pour  don- 
ner des  logements  à  ces  foldats ,  lorfque  Saint-Laurent  y 
arriva  dans  le  même  deffein  ^  mais  voyant  qu'on  l'avoic 
prévenu  ,  il  retourna  fur  fes  pas.  Enfuite  le  duc  de  Mer- 
cœur  s'étant  retiré ,  Saint  Laurent  rangea  fes  troupes  en 
bataille  au-defFous  de  Saint  Main ,  ayant  un  bois-taillis 
entre  lui  &  la  ville.  Le  nrince  de  Dombes  averti  de  l'arri- 
vee  des  ennemis  ,  doubla  ;le  pas  avec  la  Hunauldaye,  6c 
Norris.  Il  fit  faire  alte  à  les  troupes  auprès  d'un  moulin  à 
vent,  où  il  tint  Confeil  de  guerre.  Hardy  d'Eflampes  qui 
lurvint  dans  le  même  tems,  ayant  donné  avis  que  l'afTiic 
d'un  canon  s'étoit  brifc  en  chemin ,  &  que  les  Allemans 
ctoienc  reliés  à  fa  garde  pendant  qu'on  le  raccommodoic. 


400  HISTOIRE 

on   ne  jugea  pas   à  propos  de  rien    entreprendre  de   l& 
Henri  journée. 

I  V.  Ce  fut  ce  qui  fauva  l'armée  du  duc   de  Mercœur ,  qui 

jfor,  n*eût  pas  manque  d'être  défaite  ,  comme  pludeurs  l'ont 
prétendu,  iî  ie:>  Royaiiifes  l'euflenc  attaquée  dans  le  tems 
qu'elle  y  pcnioit  le  moins.  Le  Duc  alla  paffcr  la  nuit  à 
Saint  Jean  ,  place  dont  la  fituation  eft  avantageuie.  Le 
prince  de  Dombes  ayant  mandé  la  Nobleflè  qui  a  voit 
quitté  l'armée  après  la  mort  de  la  Noue,  ôc  lui  ayane 
fait  efperer  qu'on  donneroit  bataille ,  il  fe  rendit  plus  de 
deux  cens  Gentilshommes  au  camp  en  deux  jours.  Ainli 
l'armée  fe  trouva  forte  de  quatre  cens  chevaux ,  de  cinq 
cens  arquebuliers ,  de  quinze  cens  Anglois  ,  d'un  pareil 
nombre  de  troupes  Françoiiés ,  &  de  lix  cens  Lanfque- 
nets. 

La  réfolution  ayant  été  prife  dans  le  Confeil  d'aller 
attaquer  l'ennemi ,  l'armée  fe  mit  en  marche  pendant  la 
nuit,  &  arriva  au  point  du  jour  dans  l'endroit  où  le  mar- 
quis de  Belle-Ifle,  Commandant  des  Chevaux-légers  avoic 
ies  quartiers.  Lavardin  ,  qui  menoit  Tavant-garde  ,  fit  pren- 
dre les  devants  â  Baftenay  ,  qui  fut  accompagné  de  Sar- 
toiiet ,  ôc  de  Froze.  Enfuite  Montmartin  fit  cacher  l'ar- 
mée dans  des  bruyères,  plaça  fon  canon  fur  une  hauteur, 
èc  partagea  fes  troupes  en  quatre  bataillons.  Les  Anglois 
formoient  les  deux  premiers  ^  le  troifîéme  étoit  compofé 
de  François  ,  de  le  dernier  de  troupes  Allemandes.  Cenc 
cuiralfiers  à  cheval ,  tous  de  la  première  Nobleflè  ,  fe  ran, 
gèrent  autour  du  prince  de  Dombes.  Baftenay  ayant  percé 
le  premier  les  barricades,  fe  jetta  dans  les  retranchcmens 
de  Tennemi,  que  Montmartin  attaqua  avec  de  plus  gran- 
des forces.  Tout  plia  devant  lui  -,  il  tailla  en  pièces  tout 
ee  qui  iè  rencontra ,  lit  un  grand  nombre  de  prifonniers  ^ 
&  fe  iaifit  des  chevaux,  &  du  bagage. 

Le  marquis  de  Belle-Ille,  6c  Bois-Dauphin  à  qui  on  ve- 
noit  d'enlever  leurs  quartiers ,  fe  retirèrent  vers  le  duc  de 
Mercœur  ,  dans  la  penfée  que  les  Royaliftes  ,  qu'ils  ne 
croyoient  pas  devoir  être  contens  de  l'avantage  qu'ils  ve- 
noient  de  remporter ,  prèfenteroient  la  bataille  à  ce  Géné- 
ral,   Mais  ils  fë    trompèrent  dans    leurs    conjeclures  -,  car. 

JJaftenay 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIT.        401 

Baftenay  ne  marchant  qu'avec  lenteur  fous  prétexte  qu'il  1 1  n 

ctoit  difficile  de  s'approcher  de  l'ennemi  ,  à  caufe  des  petits  Henri 
ruifleaux  dont  les  chemins  font  coupés  en  ce  païs-là  ,  Norris       I  V. 
officier  d'une  prudence  confommée ,  qui  étoit  pénétré  de  la     j  -<,  j 
plus  vive  douleur  en  voyant  les  ravages  que  les  maladies  fai- 
îoient  parmi  Tes  Anglois  ,  fut  d'avis  de  ramener  l'armée. 
Beaumanoir  &  Montmartin  furent  commandés  pour  l'arrié- 
re-garde  ,  qui  ne  fut  point  attaquée  dans  fa  retraite  j  mar- 
que certaine  de  l'épouvante  des  ennemis. 

Les  maladies  qui  tourmentoient  les  troupes  Angloifes  s'éu 
tant  augmentées ,  Norris  demanda  du  tems  pour  leur  don- 
ner du  repos.  Enfuite  Lavardin  voulant  reprendre  le  chemin 
du  Maine ,  on  réfolut  pour  ne  pas  laiiTer  l'armée  dans  l'in- 
adion  ,  d'aller  camper  devant  Chaflillon  ,  entre  Fougères 
&  Vitré  ,  à  la  fbllicitation  de  Montmartin  ,  qui  fit  mettre  en 
peu  de  tems  fur  les  affûts  fix  pièces  de  canon  qu'on  avoit  en- 
voyées devant.  René  de  Marec  de  Montbarot  gouverneur 
de  Rennes  ,  que  l'on  chargea  de  faire  tous  les  autres  prépa- 
ratifs de  guerre  pour  cette  expédition  ,  de  de  fournir  des 
bœufs  pour  les  tranfporter  ,  s'acquitta  de  fa  commiffion  avec 
beaucoup  de  diligence.  Enfin  Montmartin  inveftit  la  place  j 
ôc  les  afîiégés  ,  qui  étoient  au  nombre  de  deux  cens  avec 
quelques-uns  des  gardes  du  duc  de  Mercoeur  ,  ayant  deman- 
dé à  capituler  ,  furent  forcés  pendant  ce  tems-là  ,  &  prefque 
tous  palîés  au  fil  de  l'épée  ,  à  la  réferve  des  gardes  du  Duc. 
Le  feu  prit  par  hafard  aux  poudres  j  6c  la  place  fut  plus  en^ 
dommagée  par  cet  accident ,  qu'elle  ne  l'avoit  été  par  le  ca- 
non. Plufieurs  perfonnes,  &  entr'autres  deBeaujeu  Gentil- 
liomme ,  qui  étoit  au  fervice  du  prince  de  Dombes ,  périrent 
dans  cet  incendie. 

La  nouvelle  de  la  prife  de  Chaflillon  caufa  beaucoup  de 
chagrin  au  duc  de  Mercœur  ,   qui  étoit  déjà   de  retour  à 
Nantes.   Qiielqu'un  lui  ayant  dit  qu'on  avoit  tué  dans  ce     violence 
iîége  fes  gardes ,  que  Montmartin  lui  renvoya  quelque  tems  ^^  ^"^  '^^ 
après  fains  ôc  faufs ,  il  fe  mit  dans  une  fi  grande  colère ,  qu'il  ^^"'^"''' 
iic  pendre  fur  le  champ  Jérôme  Gaulthier  Sénéchal  de  La- 
val ,  fans  vouloir  l'entendre,  de  quoiqu'il  ne  fut  convaincu 
d'aucun  crime.    C'étoit  un  jeune  homme  qui  avoit  du  fça- 
.yoi;-  &  un  efpric  agréable.    Le  Duc  lui  laifToit  afTez  dç 
Tome  XI^  ^l.^ 


40%  ^       HISTOIRE 

1^,,^ liberté,  depuis  un  an  qu'il  écoic  prifonnier ,  il  s^amufoîr  même 

Henri  avec  lui  à  caufede  fon  habileté  à  toucher  des  inftrumens ,  6S- 
I  V.       parce  qu'il  chantoit  bien. 

j  -g  j^  Ce  ne  fut  pas  la  leule  violence  que  commît  le  duc  de' 
Mercœur.  Il  donna  ordre  à  Faroct.  frère  de  Gouleines^ 
d'aiîiégcr  le  château  de  Coctniian  appartenant  à  un  GentiU 
homme  du  même  nom  ,  de  la  première  Noblelîe  de  Bre- 
tagne. Ce  Gentilhomme  qui  etoit  du  parti  contraire  ,  6C- 
qu'il  haïlîbit  beaucoup  ,  ayant  été  obh'gé  de  fe  rendre  ,  après- 
s'être  défendu  avec  beaucoup  de  valeur  jufqu'a  l'extrémité  ,, 
Faroëtpar  la  capitulation  lui  permit  de  iortir  avec  armes  6C- 
bagage ,  6c  d*emmener  fes  chevaux  où  il  voudroit.  Mais  le 
duc  de  Mercœur  refufa  de  ratifier  ce  traité.  Coctnifan  mal- 
gré la  capitulation  fut  mis  dans  une  étroite  prilon  ,  d'où  il 
ne  fortit  longtems  après ,  qu'en  payant  trente  mille  écus  d'or 
pour  fa  ranc^on.  Le  Duc  fit  encore  rafer  fon  château  6c  cou- 
per fès  bois. 

Bremanfani  fut  fait  gouverneur  de  Chaflillon.  Il  yavoîc 
toute  apparence  qu'on  s'empareroit  de  Fougères  ,  h  on  fè- 
préfèntoic  devant  cette  place  j  mais  les  maladies  qui  ré- 
gnoient  toujours  parmi  les  Anglois ,  empêchèrent  le  prince 
de  Dombes  de  profiter  de  l'occafion.  Norris  mena  fes  trou* 
pes  dans  le  Maine  ,  pour  les  remettre  de  leurs»  fatigues.  Le 
Général  royalifle  s'arrêta  à  S.  Aubin  après  avoir  envoyé  fon 
artillerie  à  Vitré  ,  d'où  il  étoit  aiié  de  la  tirer  ,  en  cas  qu'on 
le  déterminât  à  faire  le  hé2;e  de  Fougères  ou  de  Craon. 

Sur  ces  entrefaites  le  duc  de  Mercœur  alla  camper  de- 
vant le  château  de  Blain  ,  appartenant  à  la  maifon  de  Rohan, 
Cette  place  fortifiée  par  l'art  ,   &:  recommandable  par  la- 
beauté  de  fes  édifices ,  eft  éloio-nèe  de  fix  lieues  de  Nantes.- 
Les  affiégeans  ayant  battu  la  place  pendant  quelques  jours- 
avec  douze  pièces  de  canon  ,   le  Goufl:  qui  en  étoit  Gou- 
verneur, craignant  qu'on  ne  mît  le  feu  au  château  ,  Se  qu'on', 
ne  l'abandonnât  au  pillage  ,  comme  la  choie  arriva  en  effet,, 
demanda  à  capituler.  Pendant  qu'on  convenoit  des  otages, 
k  duc  de  Mercœur  mit  en  ufage  le  ftratagême  dont  il  fe 
fouvint  qu'on  s'étoît  fervi  à  Challillon  ^  &  il  donna  ordre  â 
fes  Efpagnols  de  montera  l'alfaut.   Ainfi  ce  château  fut  em- 
porté le  dernier  d'Odobre  ,,  abandonné  au  pillage  ,  5C- 


/ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL         i^os 

entièrement  brûlé  ^  foie  par  repréfailles ,  fbît  que  le  feu  v  eût  " "  "■ 

pris  par  hafard  ,  corame  le  Duc  voulut  le  faire  croire.  L'in-  Henri 
cendie  confuma  prefque  entièrement  ce  château  bâti  fuper-       I V. 
bernent  j  les  archives  6c  beaucoup  de  riches  meubles  furent     i  coi, 
la  proye  des  fiâmes.   Le  prince  de  Dombes ,  qui  s'étoit  avan- 
cé jufqu'à  Marcille  avec  Lavardin  ,  pour  donner  du  fecours 
aux  aiîîégés ,  alla  rejoindre  Norris ,  afin  de  prendre  avec  lui 
des  melures  pour  la  guerre. 

■    Cependant  la  Hunauldaye  ,  qui  étoit  déjà  vieux  ,  tomba     Mort  ^e  ' 
malade  des  fatig-ues  continuelles  ,  qu'il  n'etoit  pas  en  état  Jouin<:mine 
de  lupporter  dans  un  âge  ii  avance.    La  maladie  le  retint  daye. 
trois  jours  à  Vitré  ,  d'où  ayant  voulu  ie  faire  tranfporter  en 
litière  à  Rennes ,  où  le  prince  de  Dombes  s'étoit  déjà  ren- 
du, il  mourut  en  chemin.  La  Hunauldaye,  outre  l'attache 
inviolable  qu'il  avoit  toujours  fait  paroître  pour  le  Roi,  étoic 
zélé  au  dernier  point  pour  l'honneur  du  nom  François.   Il 
ii'avoit  qu'un  fils  unique  ,  ièul  héritier  de  Ton  illuftre  maifon , 
j5c  qu'il  laiira  chargé  de  dettes. 

Dans  le  même  tems  ,  le  duc  de  Mercoeur  ayant  envoyé 
.du  canon  &  quelques  compagnies  d'Efpagnols  à  Saint-Lau- 
rent, ce  dernier  alla  mettre  le  fiége  devant  la  ville  de  Mal- 
eftroit  ,  qui  n'avoit  pour  toute  défenfe  que  la  fidélité  de 
fes  habitans ,  &  le  courage  du  Gouverneur  appelle  la  Ville- 
voyfin.  La  brèche  ayant  été  ouverte  on  donna  deux  alîauts , 
où  les  affiègeans  furent  repoufiés  avec  perte  de  deux  cens 
hommes.  De  Boureil  brave  Gentilhomme  de  la  Province, 
fut  tué  en  combattant  fur  la  brèche  à  côté  du  Gouverneur. 
Sa  mort  n'abattit  point  le  courage  des  afiiégés.  11  y  eut  mê- 
jne  parmi  eux  un  prêtre  nomme  Dom  Gilles ,  qui  foutenii 
par  la  haine  contre  les  Efpagnols  ,  fe  trouvoit  toujours  le 
premier  fur  la  brèche  ,  rouloit  de  groilès  pierres  ,  &  lan- 
coit  des  feux  d'artifices  fur  l'ennemi.  Saint  Laurent  fut  en- 
ûn  obligé  de  fe  retirer  honteulément.  Il  renvoya  les  Efpa- 
gnols  au  duc  de  Mercœur  ,  èc  voulant  réparer  la  faute  de 
cette  malheureufe  expédition ,  il  fe  mit  à  la  tête  des  troupes 
Françoifes  &  Lorraines  qui  lui  reftoient ,  &:  d'environ  deux 
cens  chevaux  ,  ic  fe  rendit  en  balle  Bretagne  ,  où  il  afiié- 
gea  fur  la  côte  la  Tour  de  Sefibns ,  dans  le  voifinage  de  S, 
Ëricuc, 

EEe  ij 


"404  •        H  r  S  T  a  I  R  E 

Auflitôt  de  Rîeux  de  Sourdeac  ,  gouverneur  de  Breiî  1 
H  £  N  K  1  la  place  de  Gui  de  Chateauneuf  fon  frère  mort  depuis  peu  ^ 
1  V.  manda  la  Noblelîe  des  environs ,  &  leur  affigna  le  rendez- 
1591.  vous  à  S.  Brieuc.  Pecréan  gouverneur  d^  Guingam  ,  Ker- 
somard  ôc  Kermonan  fon  frère  ,  Lifcouet,  èc  d'autres  Gen- 
îîlshommes ,  s'y  trouvèrent.  Sourdeac  outre  fon  infanterie 
Allemande  ,  avoir  encore  environ  qua^tre  cens  hommes  de 
troupes  Franc^oifes  ,  de  cent  cinquante  chevaux.  Les  deux 
armées  ayant  été  rangées  en  bataille  ,  on  combattit  avec 
opiniâtreté  de  part  Ôc  d'autre  3  enfin  les  ennemis  furent  obli- 
ges de  plier  devant  les  Royaliftes  ,  qui  les  taillèrent  erv 
pièces.  S.  Laurent  fut  fait  prifonnier  par  le  boureau  des  Al- 
lemands ,  qui  s'ètant  faili  de  la  bride  de  fon  cheval ,  l'ar- 
rêta dans  fà  courfè.  Il  fut  conduit  à  Guingam  d'où  il  fe 
fauva  peu  de  tems  après.  Prefque  toute  fon  infanterie  péric 
dans  cette  aAion  j  on  épargna  ceux  qui  s'étoienc  réfugiés 
dans  une  Eglile  voiiine.  La  plupart  de  la  Noblefîe  qui  étoic 
avec  S.  Laurent  fut  prife.  Nous  ne  perdîmes  qu'un  petit 
nombre  de  fbldats ,  é.  il  n'y  eut  que  Pecréan  qui  fut  blelïe 
en  combattant  à  pied. 

Sur  ces  entrefaites ,  Pierre  le  Cornu  du  PlefTis  gouverneur 
de  Craon  ,  ayant  gagne  un  certain  Moïfe  le  MalFon  dome- 
ftique  du  baron  de  Criqucbœuf ,  concre  qui  il  avoit  des  fu- 
jets  de  haine  particuliers ,  (  outre  l'animoiitè  qui  régne  tou- 
jours entre  des  gens  de  diffèrent  parti ,  )  lurprit  par  la  per- 
fidie de  ce  domeflique  ,  le  château  de  Montjan  place  forte 
du  comte  de  Laval ,  dont  le  baron  croit  Gouverneur.  Du- 
pleffis ,  pour  tromper  plus  furement  fon  ennemi ,  avoic  faic 
avec  lui  une  trêve ,  êc  lui  avoit  promis  par  écrit  qu'il  n'en* 
treprendroit  rien  pendant  tout  ce  tems-lâ.  Le  MafTon  lui 
ouvrit  les  portes  du  château  la  nuit  du  17.  au  18.  d'Oèto- 
bre.  La  cruauté  du  gouverneur  de  Craon  acheva  de  mettre 
le  comble  à  cette  indigne  trahifon  j  car  longtems  après  la 
prile  de  l'infortuné  Criquebœuf ,  qui  lui  avoit  même  alors 
payé  lix  mille  écus  de  rançon  ,  il  le  fit  impitoyablement  maf- 
facrer  par  Franc^ois  Domigny  de  la  Rambodiere  ,  pour  faire 
voir  qu'il  ne  s'ètoit  faifî  du  château  de  Montjan  ,  que  pour 
contenter  fa  vengeance  particulière.  Il  porta  fept  ans  après 
une  partie  de  la  peine  que  mçritoic  une  adion  fi  noire  ^  car 


DE  J.  A*  DE  THOU,  Lïv.  CIL         40J 

quoiqu'il  eût  obtenu  un  Edic  ,  pour  fe  mettre  à  couvert  des  i 

pouriuites  au  fujet  de  ce  meurtre ,  il  fut  néanmoins  cité  en  Henri 
Juftice  par  la  veuve  du  Baron  j  &  ayant  été  condamné  à  lui       I V. 
payer  une  grande  fomme  d'argent ,  il  ne  déroba  fa  tête  au     1591,: 
îupplice ,  qu'à  la  faveur  de  i'Ldit  de  Sa  Majefté ,  qu'il  al- 
légua pour  ia  défenfe. 

Quelque  tems  après ,  les  troupes  du  Roi  eurent  tout  l'a-  Guerre  ejj 
vantage  en  Quercy  auprès  de  Roquemadour.  Emanuel  de  Quercy. 
Savoye  marquis  de  Villars  ,  &  Henri  de  Moncpefat  fon 
frère,  ayant  alfemblé  dans  le  Perigord  &;  dans  le  Limoufin, 
deux  mille  liommes  de  pied  &  quatre  cens  chevaux  ,  ils  par- 
tirent de  Cahors  capitale  de  la  Province  ,  en  ayant  tiré  deux 
pièces  de  canon  3  ôc  ils  palîèrent  par  la  vicomte  de  Turenne 
pour  aller  à  S.  Ceré.  AulTitôt  Pont  de  Lozieres  de  Temi- 
nes  2:ouverneur  de  Cahors  écrivit  à  tous  les  Gouverneurs 
des  environs ,  pour  les  engager  à  lui  donner  du  fecours  ,  afin 
de  s'oppofer  à  l'ennemi  commun.  Anne  de  Levis  de  Venta- 
dour  gouverneur  de  Limoges ,  à  qui  l'ennemi  en  vouloir  ^ 
fe  mit  le  premier  en  marche.  Ayant  traverfè  la  Dordo2;ne 
au  port  de  la  Sale,  il  fe  rendit  le  i  8.  de  Novembre  auprès 
de  Carennac  à  la  tête  de  cent  Gentilshommes  à  cheval,  èc 
de  deux  cens  arquebufiers  aufîî  à  cheval  ,  avec  Henri  de 
Noailles ,  de  Montmege  ,  Saillant ,  Saulvebœuf  àc  Chava- 
gnac.  Temines  vint  le  joindre  en  cet  endroit  le  lendemain  , 
accompagné  de  laDcveze  ,  de  Gourdon,  de  Beynac  ,  &  de 
Moneins ,  tous  Barons  de  cette  Province.  Il  avoitaulîi  avec 
lui  de  Vivans  fameux  Capitaine  de  chevaux^ légers  ,  deux 
cens  hommes  de  cavalerie,  la  plupart  tirés  de  laNoblefîè, 
&  environ  mille  arquebufiers.  De  la  Boifiiére  gouverneur 
du  païs  de  Turenne  ,  amena  aulîi  quelques  cuiraffiers  &  quel- 
ques arquebufiers  à  cheval.  Après  la  jonction  de  toutes  ces 
troupes ,  on  déféra  le  commandement  en  chef  à  Ventadour^ 
Vivans  fut  fait  Maréchal  de  camp  ,  &:  le  baron  de  Moneins 
Meflre  de  camp  d'infanterie, 

Meffillac  comte  de  Raftignac  partît  d'Auvergne  j  Bou- 
chard vicomte  d'Aubeterre ,  de  Perigord  j  &  Jacque  Nom- 
par  de  la  Force  de  Caumont ,  de  l'Agennois  ^  pour  joindre 
l'armée.  On  rangea  les  troupes  en  bataille  deux  jours  après 
en  prefence  de  l'ennemi  qui  fe  tint  dans  [qs  retranchcmens^ 

EEe  iij 


4o(î  HISTOIRE 

'^'n^  On  crut  qu'il  avoîc  deflein  d'aller  à  Carennac  j  c'efl  pour- 

Henri   quoi  Vcntadour  le  prévint  ^  &:  ayant  rangé  fes  troupes  en 

I  V.      bataille  le  z  3.  Novembre  ,  il  poullà  les  ennemis  jui'qu'à  Te- 

j  f  Q  I .     gra  ,  place  forte  par  fon  aiîiete  ,  où  ils  avoient  mis  leur  ar^ 

tillerie.    Le  marquis  de  Villars  en  fortit  le  lendemain,  &: 

marcha  vers   Roquemadour.    Après  ia  retraite  ,    l'armée 

s'empara  de  la  ville  &  de  l'abbaïe  de  Carennac ,  dont  Te- 

inines  augmenta  la  garnilon  ,  de  forte  qu'elle  fut  en  état 

d'empêcher  l'ennemi  de  pafler  la  Dordogne  en  cet  endroit. 

Le  comte  de  Raftignac  arriva  le  lendemain  au  camp  avec 

foixante  cuirailiers   à   cheval  ,   ôc   cent   cinquante    arque- 

bufiers. 

On  reçut  le  même  jour  la  nouvelle  de  la  mort  de  Louis 
vicomte  de  Pompadour  ,  arrivée  au  lieu  appelle  l'Hofpital. 
Ce  Seigneur  étoit  grand  ennemi  du  Roi ,  6c  s'étoit  toujours 
rencontré  dans  les  partis  oppofés  à  ce  Prince.  Enfuite  l'ar- 
mée alla  camper  devant  l'abbaïe  de  Fioux ,  à  une  lieue  de 
Roquemadour  ,  où  l'ennemi  avoit  tranfporté  fon  canon, 
Dès  qu'on  eut  fortifié  le  camp  ,  on  en  fit  iortir  les  troupes 
à  la  vue  de  l'ennemi ,  pour  l'attirer  au  combat.  Temines 
qui  commândoit  l'avant-garde  ,  ayant  apperçu  environ  cin- 
quante chevaux  h^'jrs  du  bourg  ,  proche  le  château  nommé 
jes  Aliz  qui  tomboit  en  ruine  ,  les  fit  envelopper  6c  atta- 
quer par  fon  infanterie ,  qui  les  obligea  à  fe  retirer.  Tout 
l'effort  de  fes  troupes  tomba  fur  l'infanterie  ennemie  ,  qui 
foxcée  d'abandonner  le  bourg  ,  fe  fauva  à  Roquemadour, 
les  ennemis  perdirent  fix  cavaliers  &  vingt- cinq  arque- 
bufiers ,  avec  un  Meftre  de  camp  nommé  la  Garrigue. 

Le  lendemain  ,  Ventadour  qui  devoit ,  comme  on  l'avoît 
réiblu  dans  le  Confeil  de  guerre  ,  s'avancer  jufqu'à  Bel- Ca- 
rtel ,  pour  atteindre  l'ennemi  qu'on  croyoit  qui  devoit  faire 
retraite ,  s'étant  rendu  avec  Temines  ^  Vivans  en  cet  en- 
droit ,  il  vit  de  loin  ,  en  attendant  le  rcfte  de  fes  troupes , 
l'ennemi  qui  marchoit  vers  Souillac ,  pour  pafîèr  la  Dor- 
dogne près  de  cette  place ,  dans  le  defTein  d'entrer  en  Pé- 
rîgord.  Il  ne  jugea  pas  à  propos  d'attendre  plus  longtems, 
&  ayant  détaché  Vivans,  Temines  &  Moncins,  pour  aller 
attaquer  P'ennemi  ,  à  la  tête  de  quelques  arquebufiers  ,  il 
fuivit  bientôt  avec  le  gros  de  l'armée.Cette  attaque  imprévup 


DÉ  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        407 

remplit  l'ennemi  d'une  fî  grande  frayeur  ,  qu'après  s'être  à  — 
peine  mis  en  état  de  défenfe  ,  il  fut  enfoncé  &  diffipé  dès  H  i.  n  r  î 
le  premier  choc  ,  à  la  réferve  d'un  bataillon  ferré  ,  qui  fe       I  V. 
retira    à  Peyrac.   Les  Royaliftes  n'ayant  plus  en  tête  que     1591^ 
l'infanterie  ,  qui  plioit  inicnfiblement  ,  la  rompirent  eniin 
après  une  décharge  de  moufqueterie.   Le  vicomte  de  Rafti^ 
gnac  ,  Deveze  ,  ic  Gourdon  arrivants  iur  ces  entrefaites  , 
taillèrent  entièrement  en  pièces  fix  cens  des  ennemis ,  qui 
s'etoient  défendus  pendant  quelque  tems  dans  un  endroic 
inaccellible  plein  de  ronces  &c  de  builTbns. 

D'un  autre  coté  ,  Temines  ,  Vivans  ,  Se  le  baron  de  Mo- 
neins  ,  pourfuivirent  Viiiars  6c  Montpeiat  juique  dans  les 
portes  de  S,  Projet  ,  château  appartenant  à  Clermont  de 
Lodeve.  Enfuite  on  fe  rendit  devant  Peyrac  ^  où  de  Meyras 
frère  de  Monmege  ayant  mis  pied  à  terre  ,  recrut  dans  le 
bas  ventre ,  en  encourageant  les  loldats  de  la  voix  &  par  Ion- 
exemple  ,  un  coup  de  moufquet  dont  il  mourut  deux  heu- 
res après.  L'ennemi  fe  voyant  enveloppé  de  tous  cotés  ^ 
prit  le  parti  d'abandonner  le  bourg  ,  pour  le  fauver  dans 
î'Eghfe  &  dans  le  château  ,  qui  fut  rendu  bien  avant  dans 
la  nuit.  Il  y  eut  environ  foixante  Gentilshommes  faits  pri- 
fonniers  j  Charle  Bouchard  abbé  de  S.  Cibar  frère  du  vi- 
comte d'Aubeterre  ,.  la  Brangelie  Maréchal  de  camp  ,  la 
Foreil: ,  &  autres  furent  de  ce  nombre.  Plus  de  cinq  cens 
furent  rués  5  èc  les  chariots ,  le  bagage  ,  &  les  munitions  de 
guerre  ,  tombèrent  entre  les  mains  des  Royaliftes.  Cette 
aelion  le  paifa  le  26.  Novembre. 

La  guerre  fe  fit  avec  plus  d'éclat  dans  le  voîfmage  de  l'Ita-  Guerre  con* 
lie,  en  Provence  ,  en  Savoye  ,  dans  la  Brelîe,  &  aux  en-  savoye,"*^ ^"^ 
virons  de  Lyon.  François  de  Bonnes  de  Lefdiguieres  (  i  ) 
s'ctant  rendu  maître  de  Grenoble  le  premier  de  Mars  ,  il 
tira  deux  canons  de  cette  place ,  èc  alla  mettre  le  fîcge  de- 
vant les  Echelles ,  ville  frtuee  fur  les  terres  de  Savoye  ,  dans 
un  lieu  étroit  &  fort  élevé.  La  place  ayant  été  emportée 
d'adaut  le  lendemain  ,  les  alFièsies  fe  retirèrent  dans  la  ci-- 
radelle  ,  contre  laquelle  on  pointa  le  canon  deux  jours  après. 
Enfin  de  Corbeaux  Gouverneur   de  la  place  capitula  le  5. 

(i)  On  l'appelle  vulgairement  par  abus ,  de  Lefdiguieres,  iJ  faudroit  dirCj, 
•fcs  Diguieies,      - 


:4.0s  HISTOIRE 

^  Mars ,  après  s'erre  fait  tirer  cinquante-fept  coups  de  canon» 

H  E  N  K I  Les  conditions  du  traité  furent  :  Qu'on  lailleroit  aux  habi- 

I  V.      tans  la  liberté  de  profefTer  la  Religion  Catholique  ,  Apo. 

i^oi.     ftolique,  àc  Romaine  ,  â  l'ordinaire  :  Qu'on  ne  toucheroic 

point  aux  biens  du  Clergé  :  Que  le  gouverneur  &c  fes  foL 

dats  feroient  conduits  en  lieu  de  filreté  ,  avec  leurs  armes , 

leur  bagage  ,  6c  mèche  allumée  :  Qii'enfin  les  munitions  de 

bouche  de  de  guerre  ,  6:  les  drapeaux  ,  appartiendroient  â 

Lefdiguieres, 

Ce  Général  avoit  encore  à  fe  faifir  du  Pas  de  la  Grotte  , 
au-dellus  d'un  bourg,  d'où  les  ennemis  qui  s'en  étoient  em- 
parés 5  harceioicnt  fans  celTe  notre  armée.  On  rangea  deux 
fois  en  bataille  de  part  ôc  d'autre  les  troupes ,  qui  n'étoient 
réparées  que  par  une  rivière  ,   qu'il  étoit  aifé  de  pafler  à 
gué  'y  on  l'appelle  par  cette  raifon  la  Guye.    Briquemault  la 
paiïa  ,  ôc  ayant  attaqué  foixante  arquebufiers  à  cheval  ,  il 
en  tua  douze.    Eiiluite  Biain  du  Poiiet  voyant  que  la  cava- 
lerie ennemie  fe^ettoit  en  mouvement ,  s'avança  à  la  tête 
de  cinquante  cuiraffiers  ^  mais  on  ne  fît  qu'efcarmoucher  de 
part  àc  d'autre.    Chambaud  de   Maugiron  gouverneur  de 
Vienne ,   place  que  Henri  de  Savoye  marquis  de  S.  Sorlin 
tâchoit  de  furprendre  ,  foUicitoit  Lefdiguieres  de  venir  le 
dégager  3  mais  ce  Général  prefTé  d'un  autre  côté  par  la  Va- 
lette ,  fur  qui  le  fort  de  la  guerre  étoit  tombé  ,  fe  mit  en 
marche  pour  la  Provence  ,  après  avoir  fait  entendre  à  Mau- 
giron qu'il  ne  pouvoit  fe  rendre  à  fès  infiances.  Il  partit  de 
Serres ,  fe  rendit  en  quatre  jours  à  Sederon  &  reprit  Aureau, 
le  Revefl ,  &  Sainte  Trinité  dans  le  comté  de  Sault  le  pre- 
mier d'Avril.    Il  traita  avec  les  habitans  de  Meulhon  ^  &c 
comme  ils  n'agifToient  pas  de  bonne  foi ,  il  en  fît  approcher 
fes  troupes  j  mais  fans  iuccès.   Il  fe  rendit  le  5.  d'Avril  aux 
Mées  ,  d'où  étant  parti  quelques  jours  après ,  &c  ayant  pafîë 
par  Vallenibl ,  il  alla  joindre  la  Valette  à  Vinon  le  i  3  .du  mê- 
me mois ,  dans  le  deflein  de  jetter  enfemble  du  fecours  dans 
la  ville  de  Berre  ,  qui  étoit  afîîégée. 

Lefdiguieres  eut  avis  que  l'armée  ennemie  étoit  compofée 
/de  mille  hommes  de  cavalerie  armés  de  toutes  pièces  ,pref- 
que  tous  Gentilshommes,  &;  de  quinze  cens  arquebufiers  Pro- 
lirencauXj  Savoyards,  2c  Efpagnols  3  que  l'avant-garde  étoip 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  CIL       409 

à  Efparron ,  le  corps  de  bataille  à  Rians  ,  6c  l'arriére-garde  —         — 
â  Saint  Martin  de  Palliëres  ,   poftes  éloignés   d'une  demie  Henri 
lieuë  l'un  de  l'autre,  èc  à  deux  lieues  de  Vinon  ^  &:  qu'on       IV. 
difoit  hautement  parmi  les  ennemis ,  qu'on  nes'étoicavan-      1591. 
ce  jufque-là,  que  pour  en  venir  aux  mains  avec  les    Roya- 
lifl:es,dont  on    fe  promettoit   la  défaite.   Nos   Généraux 
tinrent  alors  Confeil  de  guerre,  ôcréfolurent  d'aller  cher- 
cher l'ennemi.  Les  milices  du  Dauphiné   furent  mifes  à  la 
tête  de  l'armée.  Du  Poiiet  commandoit  les  avantcoureurs, 
fuivis  immédiatement  par  de  Mures  avec  fa  compagnie  de 
cavalerie,  &:  avec  celle  de  Lefdiguiéres.    La  Valette  étoic 
an  centre  de  l'armée  j  &:  de  Buous  fermoit  la  marche.  Nos 
troupes  étoient  compofees  de  huit  cens  hommes  de  cava- 
lerie bien  armés  èc  bien   montés  ,   prefque   tous  Gentils- 
hommes, èc  de  deux  mille  arquebulîers.  On  rencontra  près 
d'Efparron  l'ennemi ,  qui  ne  s'attendoit  pas  à  voir  fitôt  les 
Royaliftes.  Il  avoir  rangé  fes  troupes  en  bataille  à  la  hâte 
iur  une  hauteur  oppoiée  ,  qui  dominoit  la   plaine  où  l'ar- 
mée venoit  d'entrer  j  l'arricre-garde  des  ennemis  vint  re- 
joindre le  refte  de  leurs  troupes.  Après  ce  mouvement  Lef- 
diguiéres détacha   un   corps   d'infanterie  ,   dans  la  vue  de 
\qs  attirer,  en  les  prenant  en  flanc  ,  dans  un  endroit  plus 
propre  pour  combattre  j  l'ennemi  abandonnant  auffitot  le 
pofte  dont  il  s'étoit  emparé ,  gagna  la  colline  prochaine. 
Alors  les  Royaliftes  s'étant  avances  fe  faifirent  du  terrain 
que  l'ennemi  venoit  de  quitter.  Lefdiguiéres  fit  partir  de- 
vant lui  le  comte  du  Bar  à  la  tête  de  deux  cens  chevaux  5 
&  s'étant  rendu  par  un  long  détour  derrière  la  colline  où 
étoit  l'ennemi ,  le  prit  en  queue  à  l'improvifle.  A  lavuë  de  ce 
Général  les  ennemis,  après  avoir  déjà  plié  deux  fois, pri- 
rent la  fuite,  &  abandonnèrent  leur  infanterie,  &  environ 
trois  cens  cavaliers ,  qui  couroient  çà  &c  là  dans  le  bourg. 
Les  vainqueurs  pourluivants  les  fuyards  rencontrèrent  cinq 
cens  chevaux  commandés  par  le  comte  de  Martinengue  , 
qui  venoit  de  Rians.  Les  vaincus  raiTurès  par  fa  prélence 
fe  rallièrent, &  fe  défendirent  pendant  quelque  tems.  Mais 
ne  pouvants  foûtenir  l'impctuofîte   Françoife ,  ils  plièrent 
une  féconde  fois  fous  les  efforts  redoublés  du  foldac,  qui 
les  pourfuivit  pendant  quelque  tems.  Les  ennemis  perdirent 
Jûme  XI.  FFf 


4IO  HISTOIRE 

—  deux  cens  hommes  de  cavalerie  ,&:  trois  drapeaux.  Le  refle 
He  N  R.1  de  l'armée  s'étant  débandé  jetta  fes  armes,  &;  fe  diffipa, 
I  Y.  On  attaqua  le  même  jour  i  5.  d'Avril  le  bourg  de  Rians  , 
où  l'ennemi  s'étoit  retranché  avec  des  barricades^  mais 
*  comme  le  ioleil  étoit  déjà  couché,  on  remiic  l'affaire  au 
lendemain.  Deux  cens  hommes  qui  s'étoient  fauves ,  par- 
tie dans  une  Eglilé,  partie  dans  un  colombier,  &  dans  un 
moulin ,  le  rendirent  à  difcrérion  j  on  doçna  la  vie  au  plus 
grand  nombre  d'entr'eux ,  &  le  rell:e  fat  pendu ,  pour  in- 
timider l'ennemi.  Ceux  qui  s'étoient  réfugiés  à  Efparron , 
tourmentés  par  la  faim  &  par  la  foif ,  infectés  parlapuan* 
teur  des  cadavres,  èc  n'ayant  d'ailleurs  aucun  fecours-à 
efpérer  ^  fe  rendirent  aulli ,  mais  fans  autre  condition  que 
la  vie  fauve.  On  defarma  trois  cens  hommes  de  cavalerie  , 
&  mille  hommes  d'infanterie,  qui  demeurèrent  tous  pri- 
fonniers  de  guerre.  Ceux  qui  avoient  échapé  au  carnage, 
&  entr'autres  Alexandre  Vitelli ,  Saint-Romain ,  &:  trente 
Capitaines ,  foit  d'infanterie  ,  foit  de  cavalerie ,  lurent  par- 
tagés entre  Lefdiguiéres  &;  la  Valette  ,  aulTi-bien  que  quinze 
drapeaux,  &l  un  grand  nombre  de  chevaux,  qu'on  avoic 
pris  fur  l'ennemi.  Le  duc  de  Savoye  perdit  à  cette  défaite 
cinq  cens  hommes  de  cavalerie  tués  ou  faits  prifonnîers, 
6c  quinze  cens  arquebuliers.  Le  jeune  de  Buous  fut  tué 
dans  cette  affaire  avec  environ  vingt  foldats  fans  nom  5  & 
nous  eûmes  cent  bleffés.  Enfuite  l'armée  alla  paffer ,  après 
fèpt  jours  de  marche  ,  à  la  viië  d'Aix  ,  dont  l'ennemi  étoit 
maître,  &  fe  rendit  à  Marignane,  que  la  Valette  prit  à 
compolîtion  le  Z4.  d'Avril.  On  s'approcha  le  lendemain 
de  Gian,  à  une  demie  licuë  de  Selon  5  la  place  fut  empor- 
tée ,  après  qu'on  eut  planté  les  échelles ,  de  fait  joiier  le 
pétard.  Tout  ce  qui  fe  préfenta  fut  pafïc  au  fil  de  l'épée  j 
&  on  fit  pendre  les  autres.  Les  deux  Généraux  fe  féparé- 
rent  en  cet  endroit ,  après  s'être  fait  des  complimens  de 
des  remercimens  de  part  &  d'autre.  Lefdiguiéres  fe  ren- 
dit en  dix  jours  à  Gap,  où  ayant  appris  que  la  ville  de 
Briançon  couroit  grand  rifque  d'être  prife  par  la  négli- 
gence de  la  garnifon ,  il  partit  pour  s'y  rendre  -,  mais  Pra- 
baud  l'ayant  affiiré  dans  le  chemin  qu'on  avoit  changé  la 
garnifon,  de  que  celle  qu'on  venoit  d'y  mettre  étoit  très. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIL      .  411 

attachée  au  Roi ,  il  retourna  fur  Tes  pas  3  pafTa  par  le  Mont  ^*''^*^— '■ 
d'Argenciére  j  alla  à  Guiilcftre,  àc  enfin  à  Embrun  le  1 1.  Henri 
Mai.  Cinq  jours  après  ion  arrivée  dans  cette  ville, il  prie  le       1  V. 
chemin  de  Grenoble  ,  pour  alîiltcr  aux  Etats  de  la  Province,      i  5  9  i. 
&  fe  rendit   enfuice    dans   le  Viennois  ,    afin   d'arrêter  les 
ravages  que  l'ennemi  faiioit  en  ces  quartiers ,  èc  pour  être 
à  portée  de  jetter  du  fecours  dans  les  Echelles  qu'on  avoit 
delfein  d'affiéger.  Il  eut  avis  dans  fa  marche   que  l'jnnemf 
avoit  retiré  Ton  artillerie  du  Pont  de  Beauvoifin  ,&déinan- 
telé  cette  place  fur  la  frontière  de  France  &c  de  Savoye  ,  fé- 
parées  en  cet  endroit  par  un  petit  ruiiPeau  qui  coule  entre- 
deux.  Cette  nouvelle  ne  l'ayant  point  empêché  de  s'avan- 
cer jufqu'à  SaintGenis,  accompagné  du  colonel  d'Ornano, 
qui  l'étoit  venu  joindre    avec  les  troupes  ^    il  attaqua   les 
ennemis  à  la  fortie  du  Pont  de  Beauvoifin.  Le  combat  fut 
très-léger-  &  on  fe  retira  de  part  &  d'autre,  ap.ès  avoir 
efcarmouché  pendant   trois  jours.   Les  Savoyards  allèrent 
prendre  des  quartiers  à  Chamberi  de  aux  environs. 

HeAor  de  Mirabel  de  B laçons  emporta  d'allaut  le  châ- 
teau de  Montfleury.  Gouvernet  6c  d'Aurîac  fe  joignirent 
alors  à  Lefdiguiéres,  qui  retira  fes  foldats  de  Saint  Genis, 
pour  aller  attaquer  dans  hs  Vallées  quelques  troupes  des 
ennemis,  qui  étoient  forties  de  leurs  retranchement.  lien 
tua  ioixante  le  i  i .  de  Juin.  Enluite  ayant  abandonné  le  Pont 
de  Beauvoifin  ,  on  fit  lans  fuccès  une  tentative  fur  Chamberi. 
Ornano  traita  avec  les  Députés  du  duc  de  Savoye  pour 
le  retablificmetlt  de  la  liberté  du  commerce  &  de  la  cul- 
ture des  terres  5  mais  n'ayant  pu  convenir  des  conditions, 
Lefdiguiéres  fit  des  courfes  jufqu'aux  portes  de  Lyon  avec 
Gouvernet,  du  Poliet,  &  de  Blacons  ^  il  perça  même  juf^ 
que  dans  le  fauxbourg  de  la  Guillotiére  ,  qui  eft  au-delà  du 
Rhône  j  &  en  fut  maître  pendant  deux  heures.  L'ar- 
mée partit  enfuite  d'Erieu ,  pour  aller,  a  la  follicitacionde 
Maugiron,  mettre  le  fiége  devant  Givords  dans  le  Lyon- 
nois  ,  place  qui  incommodoit  beaucoup  la  ville  de  Vienne. 
Le  I.  de  Juillet  on  fit  tirer  le  canon  dès  la  pointe  du jourj 
èc  le  feu  de  l'artillerie  ayant  duré  trois  heures ,  on  ie  mit 
en  devoir  de  forcer  la  brèche.  Givords  fut  emporté  d'af- 
faut ,  ôc  le  foldac  tailla  en  pièces  tout  ce  qui  iè  renconrra 

F  F  f  ij 


411  HISTOIRE 

rr^r^rrm^  furjbn  pafTage.  Le  refte  fe  fauva  dans  la  citadelle ,  que  la. 

Henj^i  garnifon  vaincue  par  la  frayeur  rendit  fur  le  champ.  L'ar- 
IV.       niée  alla  enluite  à  Vienne  ,  d'où  elle.fe  rendit  en  cinq 
159^»     jours  de  marche  à  Ventavon  ,  le  16.  de  Juillet. 

La  Valette  qui  yétoit  venu  au-devant  de  Lefdiguiéres  ^ 
l'entretint  pendant  quelques  tems  ^  6i  auflitôt  Leldiguiéres 
retourna  à  Serres,  &  de-là  à  Puymore  ,  château  fitué  fur 
une  hauteur  qui  commande  la  ville  de  Gap.  Ayant  ap- 
pris en  cet  endroit  que  l'ennemi  avoit  delTein  de  lurpren- 
dre  Exiles ,  il  fe  rendit  à  Embrun  j  ôc  voyant  qu'il  s'étoit 
retiré  à  fon  arrivée,  il  marcha  du  côté  de  Briançon  pour 
vifiter  la  place,  qui  lui  avoit  caufé  de  l'inquiétude.  Sur 
l'avis  qu'on  lui  donna  que  l'ennemi  avoit  réfolu  d'alFiéger 
Grenoble ,  il  reprit  le  chemin  de  cette  ville  ,  dans  le  defléin 
de  s'oppofer  en  même- tems  aux  ravages  que  le  duc  de 
Savoye  faifoit  dans  la  Vallée  de  Grelivaudan  ,  célèbre  par 
la  quantité  de  Noblefîèqui  l'habite.  Dans  cette  vue  on  fit 
filer  des  troupes  en  Savoye ,  où  quelques  fourageurs  de 
l'ennemi  donnèrent  dans  une  embufcade  qu'on  leur  avoir 
drefTée.  Enfuite  on  alla  en  cinq  jours  à  Goufelin.  Il  y  eue 
le  8.  d'Août  un  léger  combat  j  &  les  Royaliftes  rompirent 
le  pont  de  bois,  &  en  abbatirent  douze  toifes,  malgré  le 
grand  feu  du  canon  de  la  citadelle.  De  Galle  de  la  BuilTe 
reçut  dans  la  cuiflè  une  moufquetade ,  donc  il  ne  fut  pas 
lonctems  incommodé. 

Lefdiguiéres  retourna  à  Grenoble ,  où  il  eut  avis  que 
les  troupes  du  Pape  étoient  arrivées  à  Montmelian  ,  d'où 
elles  s'étoienc  miles  en  chemin  pour  Chambery.  Elles  con- 
lîftoient  en  fix  compagnies  compofées  chacune  de  trois 
cens  hommes  d'infanterie,  commandés  par  le  comte  Bel- 
gioiofo,  par  Alexandre  Rangone,  par  Annibal  Vifconti, 
par  Fran(^ois  comte  de  Stampa ,  par  Gafpar  Landriano  ,  6c 
par  le  chevalier  Alphonfe  Roho,  tous  à  la  folde  du  Pape. 
Dans  le  même-tems  la  Valette  ayant  engagé  Lefdiguiéres 
par  {q.s>  inftances  à  marcher  au  fecours  de  Berre ,  ville  fa- 
meufe  parfes  falines  6c  par  fon  commerce  dans  le  Golfe  de 
Martigue  ,  ce  dernier  palTa  par  Trêves ,  par  Saint  Maurice , 
par  Serres ,  6c  fe  rendit  en  trois  jours  à  Ribiers.  Il  y  ap- 
prit que  la  ville  de  Berre  avoic  été  prife  au  mois  de  Juillet, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL      413 

après  un  long  fiége ,  par  les  comtes  François   Martinen-  : 

gue  Malpaga ,  Bonifacio  Vinciguerra,  &  par  d'autres  Of-  Henri 
Sciers  du  Duc  de  Savoye.   Il  entra  cependant  dans  cette       I  V. 
Province,   s'avança  jufqu'à  Caftel-Arnoux ,  &   de-là    aux       159Î, 
Mées  ,  où  il  s'arrêta  quatre  jours.  Il  afliëgea  dans  le  même- 
rems  le  château   du  Luz,  qui    appartient  à  l'Archevêque 
d'Aix.  Il  y  avoit  deux  cens  hommes  de  pied,  6c  quarante 
chevaux  dans  ce  Château ,  qui  eft  fitué  fur  une  hauteur. 
La  difette  d'eau  obligea  les  airiégés  à    compofer  le  2.  de 
Septembre  ,  après  qu'on  eut  tiré  trois  cens  coups  de  canon. 
Le  Général  François  à  qui  les  chevaux  &  le  bagage  ap- 
partenoient  par  le  traité ,  les  rendit  généreufemcnt  à  l'en- 
nemi ,  Se  ne  retint  que  les  drapeaux.  * 

Après  la  prife  de  cette  place ,  on  alla  camper  près  de 
Saint  Pol,  où  l'on  réfolut  d'aller  mettre  le  fiége  devant 
la  ville  de  Digne  ,  pendant  que  la  Valette  ferreroit  de  près 
Gravefon  3  mais  ayant  reçu  une  lettre  par  laquelle  il  ap- 
prit que  les  ennemis  étoient  devant  Moretel, qu'il  avoit  fait 
fortifier  à  l'oppofite  de  Montmelian  ,  pour  arrêter  les  cour- 
f€s  des  Savoyards ,  èc  que  le  duc  de  Savoye  s'étoit  avancé 
en  perfonne  à  la  tête  de  huit  cens  chevaux ,  &  de  deux 
mille  arquebufiers  jufqu'à  Vallenfole,  il  ne  jugea  pas  à  pro- 
pos de  s'engager  au  iiége  de  la  ville  de  Digne ,  aux  envi- 
rons de  laquelle  il  s'empara  de  Chantarfier  &l  de  Courbon. 
Lefdiguiéres  pafTa  par  Gap,  revint  à  Grenoble,  &  ayanc 
pris  avec  lui  trois  cens  hommes  de  cavalerie ,  tirés  la  plu- 
part de  la  Noblefle  ,  de  deux  mille  fept  cens  arquebu- 
fiers ,  il  s'avança  jufqu'au  pont  de  Charra  3  mais  l'ennemi 
averti  de  fon  arrivée  avoit  déjà  levé  le  £ége  de  Mo- 
retel. 

Pendant  que  Lefdiguiéres  étoit  retenu  dans  fon  lit  par 
un  catharre ,  Belliers  frère  de  la  Builîè  ayant  attaqué  un 
corps -*de  -  garde  de  cavalerie,  en  tailla  une  partie  en 
pièces.  Le  lendemain  de  Mures  &  de  Mortes  voulurent  en 
iaire  autant.  Le  Général  ayant  recouvert /a  fanté  revint  au 
camp  j  5c  ayant  été  reconnoître  lui-même  hs  retranche- 
mens  de  l'ennemi ,  il  jugea  à  propos  de  fe  conduire  le  Icn- 
main  de  la  manière  que  nous  allons  bientôt  dire.  Le  due 
de  Savoye  ayanc  difpofé  iqs  troupes  de  façon  que  la  têrc^ 


414  HISTOIRE 

de  l'armée    croit  tournée  du   côté  de  Grenoble,  il  pofla 
Henr.1  Ton  infanterie  à   la   gauche   iur  un    coteau  de  vignes  au- 
I  V.       deilbus  du  château   Bayard  ,  &  fie   trois  corps  de  ia  cava- 
legi,     Icrie,  qu'il  plaça  dans   la  prairie  voi{îne,  entre   ce  coteau 
&;  la  rivière  d'Ifere,  qui  coule  à  la  droite.  Il  mit  enluite 
quarante  chevaux  dans  un  champ  ,  d'où  l'on   ne  pouvoic 
pénétrer  dans  la  prairieT[ui  eft  au-defîbus ,  que  par  un  dé- 
filé très-étroit  j  les  pallàges  en  étant  d'ailleurs  efcarpésde 
toutes  parts. 

Leidiguiéres  en  s'approchant  de  l'ennemi  fit  faire  alte  a 
fes  troupes  dans  un  fond,  entre  des  arbres  fur  les  bords  de 
rifere,  afin   de   dérober   à   l'ennemi   la  connoiiîànce    du 
•  nombre  de  fes  troupes  ^  il  chargea   Prabaud  de  marcher 

vers  le  coteau  dont  nous  avons  parlé,  à  la  tête  de  quinze 
cens  arquebufiers  partagés  en  deux  troupes,  dont  l'une 
gagna  le  fommet  pour  en  chaffer  l'ennemi  ,  6c  l'autre  fe 
rendit  au  pied  du  coteau  ,  afin  d'enlever  ce  pofteà  l'infan- 
terie des  ennemis,  qui  couvroit  leur  cavalerie.  Dansletems 
que  Prabaud  s'avançoit ,  le  Lieutenant  de  la  compagnie  de 
cavalerie  de  Briquemauit,  appelle  Guillaume  Bude  de  Ve- 
raiîe,  petit-fils  du  célèbre  Guillaume  Budé  ,  fi  connu  par 
fa  probité  &  par  Ion  érudition ,  eut  ordre  de  prendre  les 
devants  avec  un  détachement  de  cavalerie  2c  d'infanterie 
pour  aller  attaquer  les  quarante  chevaux  que  l'ennemî 
avoit  poftés  dans  le  champ  qui  commandoit  la  prairie. 
Dès  qu'il  eut  chafi^e  ce  corps-de-garde  de  cet  endroit, 
Leidiguiéres  y  rangea  fon  armée  de  cette  manière  j 
il  mit  fon  infanterie  à  la  droite  fous  les  ordres  de  Pra- 
baud j  fit  prendre  la  gauche  fur  le  bord  de  la  riviè- 
re à  Mefplez  avec  un  bataillon  quarré  ,  6c  divifa  en 
trois  corps  fa  cavalerie,  qu'il  pofta  au  milieu  des  troupes - 
de  Prabaud  £c  de  Mefplez.  Le  premier  efcadron  étoic 
commandépar  de  Mures  6c  de  Morges  ^  la  Cornette  du  Gé- 
néral étoit  dans  le  fécond  fous  les  ordres  de  Poligny  •  Lef- 
diguiéres  fc  mit  à  la  tête  du  troifième  avec  cinquante- 
deux  hommes  d'élite,  rangés  de  manière  qu'ils  paroifibient 
être  au  nombre  de  cinq  censt  Venoient  enfuite  fix  vingts 
arquebufiers ,  fuivis  de  tous  les  goujats  de  l'armée  qui  mar- 
choient    l'épée    nue  ,    pour    épouvanter  l'ennem.i.     Les 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        415 

avantcoureurs  commandés  par  Briquemault  ëtoicnc  devant 
eux  comme  une  efpëce  d'avant- garde  j  &  le  bataillon  quarré  Henri 
dont  nous  avons    parlé   couvroit   l'aîie  gauche  de   î'efca-       1  y. 
dron  de  Poligny.  i  îoi 

L'infanterie  ayant  commencé  la  charge ,  la  cavalerie  fe 
mêla  bientôt,  bc  la  victoire  ne  fut  pas  longtems  incer- 
taine. L'ennemi  fe  retira  peu  à  peu  j  Ôc  n'ayant  fait  qu'un 
feul  bataillon  de  toutes  fes  troupes ,  pour  éviter  le  car- 
nage dans  fa  retraite ,  il  fit  face  dans  la  prairie ,  comme 
s'il  avoic  voulu  combattre  ^  mais  prelTés  plus  vivement  par 
les  vainqueurs,  ils  fe  débandèrent,  prirent  la  fuite,  àc  fu- 
rent pourluivis  jufqu'aux  portes  de  Montmelian.  Les  uns  fe 
difperiérent  de  tous  côtés  5  les  autres  fe  fauvércnt  dans 
les  bois  à  Aiguebelle  ,  à  la  Kochette ,  &c  â  Miollans.  Le 
nombre  des  morts  fut  plus  grand  qu'il  ne  dcvoit  l'être ,  eu 
égard  au  nombre  de  troupes  qu'avoit  le  duc  de  Savoye  3 
car  il  y  eut  deux  mille  cinq  cens  hommes  de  tués  j  prefque 
tous  les  Colonels  6c  les  Capitaines  de  l'armée  furent  faits 
prifonniers.  On  prit  auffi  trois  cens  chevaux  ,  une  Cornette 
6c  dix^iuit  drapeaux.  Amedée  frère  naturel  du  duc  de 
Savoye  fe  fauva  à  Miollans  ^  le  marquis  de  Trevico  ,  & 
d'Olivera  demeurèrent  long-tems  cachés  dans  les  bois.  Cette 
défaite  arrivale19.de  Septembre.  Le  lendemain  deux 
mille  hommes  des  troupes  du  Pape,  6c  du  Milançz,  qui 
s'étoient  fauves  au  château  d'Avalon  avec  le  '  comte  de 
jBelgioiofo  leur  chef,  fe  rendirent  à  difcrétion.  On  ne  put 
arrêter  la  furie  du  foldat ,  qui  en  malîàcra  cinq  cens  dans 
le  premier  feu.  Les  autres  furent  renvoyés  avec  un  bâton  à 
la  main ,  cc  conduits  en  lieu  de  fureté ,  après  leur  avoir 
fait  promettre  de  retourner  en  Italie,  ôcdene  jamais  por- 
ter les  armes  contre  le  Roi. 

Lefdiguiéres  ayant  fait  examiner  avec  grand  foin  ce  qu'il 
pouvoit  y  avoir  de  morts  &.  de  blefîès  de  notre  côté  ,  on 
trouva  qu'il  n'y  eut  que  de  Valoufe,  avec  un  Chevau-léger, 
&  deux  fantaiîins  de  tués  .  &  deux  autres  fantaffins  de 
bleilès.  Le  butin  fut  fi  confidérabie,  que  fans  i'eftimer  au- 
delà  de  la  jufte  valeur  ,  on  le  fit  monter  à  deux  cens 
mille  écus  d'or.  Il  y  avoit  des  chaînes  d'or ,  des  colliers , 
de  i'or  ôc  de  l'argent  monnoyé  ,  de  la  vailîèlle   d'argent , 


4i6  HISTOIRE 

des  couvertures  de  lie ,  dQs  chevaux  ,  &;  d'autres  muni- 
Henri  tions  de  guerre.  Quelques  perfonnes  remarquèrent  que  ce 
I  V.  fut  au  pied  du  château  Bayard  qu'on  fit  unii  grand  carnage 
1591.  des  plus  grands  ennemis  de  la  France  ^  comme  fi  on  avoit 
eu  defiein  de  les  immoler  aux  mânes  du  brave  Pierre  du 
Terrail,  fiarnomme  Bayard  du  nom  de  ce  château,  qu'il 
avoit  fait  bâtir.  Ce  guerrier  il  fameux  dans  notre  hilloire 
avoit  autrefois  fignalé  par  des  prodiges  de  valeur  fon  zélé 
pour  l'honneur  du  nom  Fran(^ois.  Le  Roi  Fran(^ois  Premier 
conçut  une  fi  haute  eftime  pour  ce  grand  homme ,  qu'il 
voulut  être  arme  Chevalier  de  fa  main.  Bayard  n'avoic 
laifie  d'une  maîtrelFe  qu'il  avoic  eue  à  Milan  qu'une  fille 
naturelle ,  qui  dans  la  fuite  fut  mère  de  Chaftelard ,  à 
qui  la  reine  d'EcolFe  fit  trancher  la  tête  ,  ôc  de  Bochofel 
Confeiller  au  Parlement  de  Grenoble. 

Trois  jours  après  cette  défaite  ,  Poligny  tâcha  inutile- 
ment de  lurprendre  Marches,  place  entourée  de  murs,  ôc 
dont  l'afiiéte  cil  avantageuie.  Enfuite  Lefdiguiéres  ayant 
ramène  l'armée ,  qu'il  fit  repofer  pendant  quelques  jours, 
il  réfoiut  d'alTieger  Barcelone  dans  le  Comté  de  ce  nom  , 
appartenant  au  ducde  Sayoye,  entre  Gap  &  le  territoire 
d'Embrun.  Il  partit  de  Puymore  le  i  2.  Octobre  •  &:  s'étanc 
rendu  au  Lauzet ,  &  deux  jours  après  à  Saint  Pont,  il 
campa  devant  Barcelone.  Mirabel  furprit  quatre  jours 
après  Caumars  château  voifin.  L'artillerie  ayant  été  poin- 
tée contre  les  murs  de  Barcelone,  on  la  tranfporra  dans  un 
autre  endroit-  après  quelques  coups  de  canon  ,  tant  parce 
qu'elle  ne  faifoit  pas  beaucoup  d'effet  de  ce  côté-là ,  par 
ou  iln'étoit  pas  facile  de  monter  à  ra(Iàut,que  parce  que 
les  munitions  de  guerre  étoient  prefque  toutes  gâtées. 

Enfin  du  Sauzé  gouverneur  de  la  place ,  qui  avoit  une 
garnifon  de  quatre  cens  arquebufiers,  capitula  le  2  r .  d'Oc- 
tobre ,  à  condition  que  les  chevaux  ,  les  armes ,  les  dra- 
peaux,  &  le  bagage  appartiendroienc  à  Lefdiguiéres  :  Que 
le  Gouverneur  de  fa  garnifon  auroient  la  vie  lauve,  &  l£- 
roient  eicortés  par  Poligny  jufqu'au  Chaftelat.  On  fit  pro- 
mettre à  ces  troupes  qu'elles  rcpalFeroient  les  Monts  j 
qu'elles  ne  s'arrêteroient ,  ni  à  Démont  place  dépendante 
de  la  France  entre  Coni  ^  Cental  au-delà  des  Monts ,  6c 

dont 


DE  J.   A.  DE  THOU,  Liv.  Cil.         417 

dont  le  duc  de  Savoye  ëcoic  alors  maître  ^  ni  à  Digne ,  ni  '■rr^^::::^^^^-^ 
aux  Aliosj  &:  qu'elles  ne  ferviroient  point  contre  le  Roi  Henf>i 
pendant  trois  mois.  I  V. 

Deux  jours  après  ,  Lefdiguiëres  alla  du  côté  de  Digne  ,  i  ^9  i, 
afin  d'être  à  portée  de  féconder  la  Valette  qui  fliifoit  le 
fîége  de  cette  place.  Ce  dernier  ayant  fait  conduire  du  ca- 
non devant  le  bourg  de  Gaubert,  que  l'ennemi  avoit  fait 
fortifier  aux  environs  de  Sifteron  ,  &c  dont  la  garnifon  in- 
commodoit  beaucoup  nos  troupes  par  ies  fréquentes  for- 
tiQs^  elle  fe  rendit  à  difcrétion.  La  Valette  fit  pendre 
tous  les  foldats ,  à  la  referve  de  deux  feulement.  On  tira 
auiîî  le  trois  de  Novembre  quelques  volées  de  canon  contre 
un  petit  Fort,  dont  la  garnifon  le  retira  à  Digne,  qui  étoic 
un  peu  au-deffous.  L'artillerie  ayant  été  pointée  dans  le 
même  tems  contre  une  Eglife  bors  d^s  murs  de  la  ville  , 
trente  foldats  qui  s'y  étoient  enfermiés  furent  fur  le  point 
de^fe  rendre  à  difcrétion.  La  place  ayant  capitulé  lelende. 
main ,  on  leur  accorda  la  vie  par  le  traité ,  dont  les  con- 
ditions furent  :  Que  le  Roi  pardonneroit  aux  habitans  de 
Digne  :  Qii'on  les  traiteroit  comme  les  autres  villes  fou- 
jnifes  à  Sa  Majefté  :  Qu'ils  payeroient  cinq  mille  écus  d'or 
à  Lefdiguiéres  pour  les  frais  de  la  guerre ,  en  leur  accor- 
dant une  remilè  des  fommes  qu'ils  avoient  promifes  à  la 
Valette  :  Qu'à  l'égard  de  celles  qu'ils  lui  dévoient  avant 
leur  révolte ,  on  s'en  rapporteroit  à  des  arbitres  :  Qu'on  ne 
Jeur  feroit  point  porter  la  peine  du  paiTé  :  Qu'ils  feroient 
garantis  du  pillage,  &  ne  feroient  obligés  à  recevoir  d'au- 
tre garnifon  que  celle  que  la  Valette  mettroit  dans  la 
.ville. 

On  apprît  enfuite  que  le  Puy  de  Sainte  Reparade  (  i  )  où 
commandoit  Palamede  Forbin  de  Saint- Canat,  étoit  af- 
iiégé  parle  duc  de  Savoye,  qui  faifoit  déjà  battre  les  murs 
de  cette  place.  Lefdiguiéres  èc  la  Valette  partirent  des 
McQs  ,  &:  fe  rendirent  à  Sainte  Tulle  dans  le  deifein  de 
iecourir  les  aiîîégés.  Ils  fe  préparoient  à  traverfer  la  Du- 
rance ,  lorlque  l'ennemi  parut  lur  la  rive  oppofce  5  mais  le 
foleil  étant  prêt  à  fe  coucher,  Leidiguiéres  alla  palier  la 
nuit  à  la  tour  d'Aiguës ,  ôc  la  Valette  à  Pertuys  3  tous  deux 

(i)    Vulgairement  le  Puech. 

lome  XI.  GGg 


41 8  HISTOIRE 

-  dans  ja  rëfolution  de  donner  bataille  le  lendemain  ,  fi  l'oc- 


-Henri  cafion  s'en  prërentoic.  Le  duc  de  Savoye  craignant  d'avoir 

•IV.       du  defavantage  contre  ces  deux  Généraux,  décampa  la  nuit 

j.  çg  j.^     fuivante  ,  après  avoir  inutilement  tiré  deux  mille  coups  de 

canon,  ôcié  retira  promptement à  Aix.  EnfuiteLefdiguiéres 

fe  fépara  de  la  Valette. 

Le  duc  de  Savoye  fier  de  la  prife  de  Berre  empioyoit  la 
rufe,  les  brigues  &  l'argent,  pour  engager  les  habitans 
<Je  Marfcille  ,  ville  marchande  du  plus  grand  abord  de 
toute  la  Méditerranée,  &  qui  eft,  pour  ainii  dire,  la  ca- 
pitale de  toute  la  Provence,  à  lui  laiifer  faire  au  mois  de 
Mars  fuivant  Ton  entrée  dans  leur  ville, en  qualité  de  Gou- 
verneur, &  de  Protedeur,  pour  leur  tenir  lieu  de  l'un  & 
de  l'autre  ,  jufqu'à  ce  qu'on  eût  mis  un  prince  Catholique 
fur  le  trône.  Il  étoit  fécondé  dans  ce  defîèin  par  Chriftine 
d'Aguerre,  veuve  de  Fran(^ois  d'Agouft  comte  de  Saule, 
qui  étoit  en  état,  par  le  grand  nombre  de  créatures  qu'elle 
avoit  dans  cette  ville ,  d'avancer  beaucoup  les  affaires  du 
Parti  qu'elle  avoit  embraiïé.  Mais  foit  que  le  Duc  ne  rem- 
plît pas  les  promeiïes  qu'il  avoit  faîtes  à  la  Comtefïe  ,  foie 
que  les  effets  ne  répondifïènt  pas  aux  paroles,  elle  aban- 
donna fon  Parti,  &:  lui  débaucha  la  plupart  de  la  No- 
blefTe.  Quelques-uns  croyent  que  le  véritable  motif  d'un 
changement  fi  prompt  fut  le  fouvenirdu  refusqueleDuc 
lui  avoit  fait  efiliyer,  lorfqu'après  la  prife  de  Berre  elle  lui 
avoit  demandé  pour  une  de  fQs  créatures  le  gouverne- 
ment de  cette  place,  qu'elle  ne  croyoit  pas  qu'on  putre- 
fufer  à  fes  fer  vices. 

Le  duc  de  Savoye  qui  fe  regardoit  déjà  comme  en  pof- 
fefiion  de  Marfeiile  ,  ne  voulant  pas  lâcher  fa  proye  ,  fe 
fervit  d'un  ftratagême  pour  la  retenir  de  force.  Ses  Emif- 
faires  répandirent  le  bruit  que  les  Bigarrars,  ou,  Bigar^ 
xés  (i)  ,  qui  étoient  fecrétement  dans  les  intérêts  du  Roi , 
avoient  des  deflèins  fur  Marfeiile.  Sous  ce  prétexte  Pierre 
Bon  baron  de  Meuihon  fe  faifit  de  l'Abbaye  de  Saint  Vic- 
tor fituée  fur  une  éminence  d'un  côté  du  port,  près  du 
château  communément  appelle  Notre-Dame  de  la  Garde. 

(i)    Gens  habillés  de  divcrfes  couleurs  ,  qui  faifoient  des  courfes,  ôc  rava- 
geoient  le  pais. 


I 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        ^19 

La  fédicion  s'étant  élevée  en  même^tems  dans  la  ville ,  le  ■ 

duc  de  Savoye  s'ofFric  comme  médiateur  pour  l'appailer ,  Henri 
afin  d'avoir  occafion  de  faire  filer  dans   la  place  les"  trou-       i  y^ 
pes,  qui  s'en  étoient  approchées  par  fes  ordres.   Mais  les     i^^t, 
chofes  ayant  tout  à  coup  changé  de  face ,  les  Marfeillois 
ennemis  d'une  domination  violente  &  tirannique  ne   pen- 
férent  plus  aux  Bigarrats,  dont  on  avoit  voulu  leur  faire 
peur ,  &  fe  réunirent  enfemble  pour  aller  forcer  le  Baron 
dans  l'Abbaye  de  Saint  Vidor.  lis  vinrent  enfin  à  bout  de 
le  chaiTer  de  leur  ville,  malgré  l'appui  du  duc  de  Savoye, 
qu'il  appella  plufieurs  fois  à  fon  lecours.  Depuis  cet  évé- 
nement la  protection  de  ce  Prince  fut  toujours  fufpedèaux 
habitans  de  Marfeille. 

Tandis  que  ce  Prince  étoît  aux  environs  de  Marfeille , 
la  Valette  alla  le  10.  de  Novembre  afliéger  Beynes  au  pied 
(Iqs  montagnes ,  après  la  prife  de  Digne ,  afin  de  foûmettre 
entièrement  les  places  de  la  dépendance  de  cette  ville. 
Mais  voyant  que  fon  artillerie  ne  faifoit  pas  beaucoup  d'ef- 
fet, &  que  d'ailleurs  le  renfort  que  Lefdiguiéres  devoit  lui 
envoyer  n'arrivoit  pas  aufiitôt  qu'il  s'en  étoit  flaté  ,  il  crut 
qu'il  fuffifoit  pour  le  préfent  de  faire  une  efpéce  de  blocus. 
C'eft  pourquoi  il  fit  faire  des  retranchemens  à  une  dem'L 
lune  ,  dont  il  s'étoit  emparé  ,  afin  d'y  loger  fes  foldars.  Mais 
comme  l'affaire  de  Marfeille  finit  heureulèment  plutôt  qu'on 
ne  l'avoic  efpéré  3  que  l'Abbaye  de  Saint  Victor  fut  reprife 
fur  le  baron  de  Meulhon ,  qu'on  avoit  chaflè  de  la  ville  j 
&  que  le  duc  de  Savoye  vint  à  Beynes  avec  toutes  fes 
forces  -J  la  Valette  en  leva  le  fiége  à  la  hâte  ,  &  fit  conduire 
fon  artillerie  au  bourg  de  Mezeuil ,  qui  eft  aufîi  au  pied 
des  montagnes  allez  près  de  Beynes.  le  Duc  chargea 
Pontevez  comte  de  Carces,de  jetterdes  vivres  èc  des  fol- 
dats  dans  cette  place.  ^  '■ 

C'étoit  fait  de  l'armée  des  Royaliftes ,  lî  le  Comte  les  eut 
attaqués  dans  la  confternation  où  fon  arrivée  Iqs  avoir 
jettes-  mais  leur  ayant  donné  le  tems  de  fe  raffurer,  le 
brave  la  Valette  ne  fe  déconcerta  point  ^  &c  ayant  laifTé 
un  nombre  de  foldars  fufïîfant  à  la  garde  de  fon  canon,  il 
fortit  de  Mezeuil  fur  le  foir  à  la  tête  de  fes  troupes ,  pour 
aller  infulter  le  camp  des  ennemis.  La  nuit  quifurvintmir 

CGg.-j 


420  H  I  S  T  O  I    RE 

I  !■  I  ■  fin  au  combat,  qui  n'avoir  pas  duré  longtems.  On  Te  retira 

Henri  de  part  &  d'autre  dans  Tes  retranchemens.  L'ennemi  iatis- 

I  V.       f^ait  d'avoir  jette  en   pallant  des  fecours  dans  la  ville  de 

I  ^gi,      Beynes,  fe  mie  en  marche  à  la  faveur  des  ténèbres  ,&:alla 

paiTer  la  rivière  à  Vinon ,  malgré  la  pourfuite  des   Roya- 

liftes.  Arrivé  dans  cet  endroit  la  Valette   en  trouva  la  fi- 

tuation  très-avantageufe.  Il  refolut  de  fortifier  un  pont,  qui 

lui  parut  très-propre  à   faciliter  Cqs  entreprifes,  èc  par  le 

moyen  duquel  on  pouvoit  arrêter  les  courfes  de  l'ennemi, 

&  couper  les  convois  qui  alloient   à  Aix  j  il  en    confia  la 

garde  à  Mefplez  avec  quatre  cens  arquebufiers  ;  &  ayant 

renvoyé  fes  troupes  à  Manofque,il  fe  rendit promptement 

à  Beynes  ,  pour  élever  des  Forts  autour  de  cette  place. 

Ils  ètoient  à  peine  commencés ,  qu'il  eut  avis  que  le  duc 
de  Savoye  affiégeoit  Vinon  avec  deux  coiilevrines ,  &  qu'il 
s'étoit  emparé  du  fauxbourg  ,  qu'on  avoit  abandonné  lôrf- 
que  la  place  avoit  été  démantelée.  Ainfi  les  palTages  étant 
fermés  par  cet  endroit,  la  Valette  vit  bien  qu'il  étoit  im- 
poflible  d'y  faire  entrer  des  troupes,  la  rivière  de  Verdon 
qui  coule  de  l'autre  côté  n'étant  pas  guéable.  Au  défaut 
de  fecours  la  garnifon ,  que  le  mauvais  état  de  la  place  ne 
put  ^branler ,  fe  fit  un  rempart  de  fon  courage. 

Deux  jours  après, la  batterie  de  l'ennemi  ayant  renverfé  les 
fortifications ,  qui  n'étoient  que  des  pierres  entafTèes  les  unes 
fur  les  autres  fans  ciment ,  le  duc  de  Savoye  écoit  fur  le  point 
de  donner  un  afTaut,  lorfque  la  Valette  parut  à  la  tête  de  cinq 
cens  chevaux ,  ôc  de  fix  cens  arquebufiers ,  n'ayant  point 
encore  re(^û  les  renforts  que  Lefdiguiéres  lui  avoit  fait  ef^ 
pérer.  A  la  vérité  Gouvernet  lui  avoit  amené  cinquante 
Gentilshommes-  mais  cette  jonction  ne  diminuoit  pas  beau- 
coup la  fupériorité  de  l'ennemi.  Malgré  cette  inégalité  ,1a 
Valette  fe  détermina  à  rifquer  une  bataille ,  dans  la  réfo- 
lution  de  périr  plutôt  que  de  foufFrir  qu'on  pût  lui  repro- 
cher d'avoir  abandonné  les  afîiégés  dans  le  péril  qui  les  ame- 
na (^oit. 

Ayant  donc  rafTem.blé  fes  troupes  auprès  de  Vinon  le 
2  1.  de  Décembre,  dans  un  endroit  où  il  leur  avoit  donné 
rendez  -  vous ,  il  les  rangea  en  bataille  de  cette  manière. 
11  donna  le  commandement  de  l'avant-garde ,  compofèe 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  Cîî.         421 

de  cent  cinquante  chevaux  à  Buous  j  &  pofta  Saint-Canat  à  la  " 

gauche  avec  vingt  cuiraffiers  loûtenus  de  quelques  arque-  Henri 
buliers ,   àc    de   quelques  enfans  perdus.  Enfuite   il  plaça       I  V. 
Montault  derrière  eux  avec  cent  cinquante  chevaux  ran-      1591. 
gës  de  la  même  manière  j  &  fe  mit  lui-même  à  la  tête  de 
deux  cens  foldats ,  après  avoir  chargé  Gouvernée  de  la  con- 
duite du  corps  de  referve. 

L'armée  s'etant  avancée  dans  cet  ordre  jufqu  a  Vinon^ 
elle  rencontra  le  duc  de   Savoye  qui  avoit  palTé  leVerdori 
pour  venir  au-devant  d'elle  à  la  tête  de  huit  cens  chevaux, 
êc  de  cinq  cens  hommes  de  fon  infanterie ,  dont  il  avoic 
laifîe  le  refle  à  la  garde  de  fon  artillerie  dans  le  fauxbourg 
deVinon,  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Sa  cavalerie  s'éten- 
doit  fur  trois  lignes  le  long  du  rivage.  De  Buous  ayant  com- 
mencé la  charge  avec  beaucoup  de  valeur,  Saint  Canat  à~ 
la  tête  de  fcs  enfans  perdus ,  prit  en  flanc  l'ennemi  {]  à 
propos,  qu'il  le  fit  plier  3  de  manière  que  Buous  Tenfonça' 
aifément.  Enfin   Montault  étant  encore  furvenu  par  l'or- 
dre de  la  Valette,  qui  couroit  de  rang  en  rang,  pour  ani- 
mer fes  foldats  à  bien  faire,  il  preila  fi  vivement  l'ennemi , 
qu'il  abandonna  fon  pofle ,  êc  prit  la  fuite.  Il  y  en  eut  un 
grand  nombre  de  tués  fur  la  place  3  plufieurs  fe  noyèrent 
dans  le  Verdon  ,  qui  ètoit  près  de  là.  Ceux  qui   fe  fauve- 
rent  à  la  nage  allèrent  fe  rejoindre  à  leurs  compagnons, 
qui  gardoient  l'artillerie  dans  le  fauxbourg. 

Le  duc  de  Savoye  fe  fauva  à  la  faveur  de  la  nuit ,  qui  fui- 
vît  de  près  le  combat  qu'on  n'avoit  commencé  qu'un  peu 
avant  le  coucher  du  foleil.  L'ennemi  ayant  levé  le  fiège  en 
défordre  au  milieu  de  la  nuit ,  Mefplez  fortît  de  (es  retran- 
chemens ,  &:  tailla  en  pièces  le   corps-de-garde   qui  ètoit 
dans  le  fauxbourg.  L'ennemi  perdit  cent  hommes ,  dans  le 
nombre  defquels  Vinciguerra  comte  de  Saint- Bdoniface,  &c 
Fortîas  d'Avignon  capitaine  de  cavalerie  fe  trouvèrent  com- 
pris. Il  n'y  eut  que  fix  des  nôtres  tués ,  &  autant  de  blefles. 
Saine- Canat  qui  avoit  fait  des  prodiges  de  valeur  ,  de  donné 
àes  preuves  de  fon  habileté  dans  la  guerre  fut  du  nombre 
de  ces  derniers.  Les  fuyards  fe  réfugièrent  à  Saint  Pol  &  à 
Rians.  Après  cette  vidoire,  la  Valette  fe  rendit  à  Efparron , 
&  continua  fa  route  vers  Martigues,  dans^l'efpèrance  de 

G  Giij 


422  HISTOIRE 

-5  reprendre  Berre  j  Martîgues  6c  tous  les  Forts  des  environs 


Henri  de  Marfeille  fc  rendirent  à  lui. 

I  V".  Tandis  que  ces  choies  fe   pafToient  en  Provence  ôc  en 

irQi,  Daupbiné,  on  ne  rcftoit  pas  dans  i'inadion  aux  environs 
de  Genève.  Nicolas  de  Harlay  de  Sancy ,  qui  après  la  more 
de  Henri  III.  a  voit  eu  commiffion  de  taire  des  levées  en 
Allemagne,  n'ayant  pu  conferver  les  troupes  quilavoient 
fuivi ,  s'étoit  retiré  en  SuilTe.  Ayant  eu  enfuite  quelques 
conférences  avec  le  vicomte  de  Turenne ,  qui  alloit  en  am- 
baflade  en  Allemagne,  il  vit  bien  qu'on  n'avoit  plus  belbin 
de  fes  fervices  auprès  des  Princes  de  l'Empire.  Il  prit  donc 
le  parti  de  fe  retirer  à  Baie  ,  où  il  eut  avis  par  un  de  [qs 
efpions  que  des  gens  déguifés  en  foldats  apportoient  d'I- 
talie un  convoi  de  cent  mille  écus  d'or  pour  le  roi  d'Efpa- 
ne.  Il  lesfîtfuivre  par  un  détachement ,  qui  les  ayant  con- 
duits dans  une  embufcade  dans  la  forêt  deRheinfeldt,leur 
enlevèrent  cette  fomme  confîdérable. 

Cet  argent  vint  à  propos  pour  payer  trois  compagnies  de 
cavalerie  qu'André   Hurault   de    MaifTe  amhaflàdeur   de 
France  à  Venife  avoit  levées  dans  les  Etats  de  la  Républi- 
que. Elles  étoient  commandées  parPaufania^  Braccioduro, 
par  le  comte  Mucio  Porto,  qui  avoit  avec  lui  Léonard  fou 
frère,  tous  deux    de  Vicenze,  6c    par   Nicolas  Naii  Flo- 
rentin ,  fi  connu  en  Italie  6c  en  France  par  le  jeu  qu'il  avoic 
coutume  de  joiier.  Cet  Officier ,  qui  confervoit  toujours  l'in- 
clination qu'il  avoit  eue  pour  la  France ,  mit  ces  troupes 
en  bon  état  à  fes  dépens ,  èc  avec  l'argent  que  Mucio  lui 
prêta  généreufement.  Ces  troupes  ayant  été  payées  de  l'ar- 
gent du  roi  d'Efpagne  ,  Sancy  fe  rendit  à  Genève,  pour 
porter  la  guerre  en  Savoye  de  ce  côté-là ,  afin  de  faire  di- 
verfion  des  forces  du  Duc,  qui  ravageoit  alors  la  Provenu 
ce.  Cet  argent  fervit  aulîî  à  lever  un  régiment  de  Suifîes , 
dont  on  donna  le  commandement  à  Diefpach  gentilhomme 
de  Berne.    Sancy  s'étant  mis  à  la  tête  de  ces  troupes  fè 
joignit  à  Lurbigny  gouverneur    de  Genève  pour  le   Roi, 
6c  au  baron  de  Conforgîen,  qui  avoit   fait  l'année  précé- 
dente une  heureufe  campagne.  Ils  allèrent  au  commence- 
ment de  Janvier  mettre  le  fiège  devant  Buringe ,  dont  ils 
firent  battre  les  murs.   Dans  le  même  tems  un  corps  de 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL      423 

cavalerie  Napolitaine  6c    Milanoife  étant  arrivé  à  la  Ro-         ' 
che,  Braccioduro,  le  comte  Porto,  &  Nafi  ,  quoiqu'avec  Henri 
peu  de  forces ,  ne  laifférent  pas  de  l'atraquer  èc  de  le  mettre      I  V. 
en  déroute  avec  le  lecours  de  quelques  arquebufiers  ,  qui     i  cgi. 
étant  accourus  au  bruit  prirent  les  ennemis  en  flanc  &  leur 
tuèrent  cinquante  hommes ,  du  nombre  defquels  fe  trouva 
un  Efpagnol  nommé  Guevara. 

On  rapporte  que  le  ftratagême  dont  Braccioduro  fe  Ser- 
vit ,  ne  contribua  pas  peu  à  le  tirer  de  ce  mauvais  pas.  Cet 
Officier  voyant  qu'il  falloit  repouiTer  le  danger ,  en  le  fai- 
fant  craindre  à  Tennemi ,  fit  courir  le  bruit  parmi  [qs  trou- 
pes ,  qu'il  leur  arrivoit  du  fecours  par  derrière.  Ce  bruit 
ayant  pafTé  dans  les  rangs  Efpagnols  ,  ils  fe  mirent  à  fuir  . 
pour  n'être  pas  enveloppés  de  tous  cotés.  Le  canon  ayant 
continué  le  lendemain  de  tfrer  contre  Buringe  ,  les  afTiéçrés 
commencèrent  à  perdre  courage  ,  èc  demandèrent  à  capi. 
tuler  5  mais  ayant  propofé  des  conditions  exorbitantes , 
qu'on  ne  pouvoit  leur  accorder ,  on  les  fomma  de  fe  rendre 
à  difcrétion  ,  avec  menace  de  pafTer  tout  au  fil  de  l'épèe  ,  fi 
la  place  ètoit  emportée  d'afîaut.  EfFrayès  de  ces  menaces , 
ils  fortirent  de  la  ville  par  un  guichet  qui  s'ouvroit  fur  le 
pont ,  où  l'on  ne  faifoit  point  la  garde  ,  parce  qu'il  ètoit  au- 
defTous  de  la  citadelle ,  6c  fe  fauvérent  à  Bonne.  Il  y  en  eut 
huit  de  tués  6c  trois  pris ,  dont  un  qui  fervit  de  bourreau  pour 
pendre  les  deux  autres ,  racheta  fà  vie  par  ce  moyen.  On 
garda  pendant  quelque  tems  Buringe  ,  qu'on  fit  enfuite  dé- 
manteler. Le  duc  de  Savoye  la  fortifia  de  nouveau  dans  la 
fuite.  On  employa  le  refle  du  mois  à  faire  des  courfes  fur 
Iqs  terres  de  l'ennemi. 

Dans  le  même  tems  Jean  Chaumont  de  Guitry  ,  Officier 
d'une  expérience  confommée  ,  dont  nous  avons  eu  fouvenc 
occafion  de  parler,  fe  rendit  de  l'ordre  du  Roi  à  Genève, 
avec  d'Anglure  d'Autricour  fon  Lieutenant  ,  à  la  tête  de 
trois  cens  chevaux ,  6c  de  quinze  cens  hommes  d'infanterie. 
Son  arrivée  ayant  entièrement  raffûré  les  Genevois ,  le  ré- 
giment des  SuifTes  pafTa  du  bailliage  de  Gex ,  où  il  ètoit, 
dans  celui  de  Thonon.  Guitry  fit  braquer  le  premier  de 
Février ,  cinq  pièces  de  canon  contre  les  murs  de  Verfoy , 
dont  le  duc  de  Savoye  s'ètoit  emparé  depuis  peu.  La  place 


424  HISTOIRE 

^^i^r^^:^:;;^!^  fut  emportée  du  premier  afîàuc,  après  une  légère  réfiflance 
H  E  n:  R  I  de  la  parc  de  la  garnifon  compofëe  de  deux  cens  cinquante 
I  V.  hommes.  Nos  foldacs  ,  donc  la  licence  n'ëcoic  point  alors 
ifgi,  réprimée  par  une  fage  difcipline  ,  commirenc  des  cruaucés 
inoiiies  dans  cecte  ville  ,  ôc  la  mirent  au  pillage.  La  garnifon 
fuc  palîee  au  fil  de  l'épée  à  l'exception  de  quatre-vingts  hom^ 
mes  ,  qui  fe  fauvérenc  dans  la  citadelle  ,  donc  Compois 
écoic  gouverneur.  Ayanc  éce  fommé  le  lendemain  de  fe  ren- 
dre ,  il  fie  une  réponlé  pleine  de  hauteur.  Les  afliégeans  tour- 
nèrent aulîîtôt  le  canon  contre  les  murs  de  la  citadelle  du 
côté  de  rOrient  d'Eté  j  mais  voyant  que  le  mur  ,  qui  étoic 
de  pierres  de  taille  &:  de  briques,  réfiftoit  par  Ton  épailTeur 
â  l'efForc  du  canon  ,  donc  on  avoic  déjà  ciré  cent  coups  fans 
beaucoup  d'efFec ,  on  fie  creufer  des  mines  où  l'on  mie  le  feu 
le  6.  de  Février.  Elles  firenc  faucer  trence  foldacs ,  donc  le 
malheur  effraya  tellement  le  refte  des  aflîégés ,  qu'ils  fe  ren- 
direnc  à  compofîcion.  On  permic  au  Gouverneur  ôc  à  trois 
Capitaines ,  de  fortir  de  la  place  armés  du  poignard  ôc  de 
J'épée ,  &:  Ton  renvoya  fans  armes  &  fans  bagage  cinquante 
hommes  qui  reftoienc  encore  de  la  garnifon.  Les  vainqueurs 
trouvérenc  dans  la  cîcadelle  un  grand  amas  de  munirions 
de  bouche  ,  donc  on  fie  moncer  le  prix  à  fix  mille  écus 
d'or. 

Après  la  prife  de  Verfoy ,  l'armée  alla  faire  le  fiége  d'EC 
vîan ,  fur  le  bord  du  Lac  de  Genève.  Bonvillars  aucrefois 
gouverneur  de  Montmelian  écoic  alors  dans  Efvian  avec  croîîf 
cens  hommes  de  garnifon.  Ce  Gouverneur  ayanc  écé  fom- 
mé au  nom  du  Roi  de  rendre  fa  place  ,  refufa  d'en  ouvrir 
les  porces.  On  fuc  donc  obligé  de  tirer  le  canon  j  &  la  place 
ayant  été  emportée  d'aflàut  avec  perte  alTez  confiderable 
des  nôtres ,  on  brifa  les  portes  de  la  ville  par  le  moyen  du 
pétard ,  6c  on  y  commit  les  mêmes  excès  qu'à  Verfoy.  Le 
foldat  non  content  d'avoir  fait  un  butin  confiderable  ,  ôc 
d'avoir  ruiné  les  édifices  publics,  alloit  mettre  le  feu  dans 
la  ville  ,  par  un  dernier  traie  de  cruaucé  j  (  car  à  la  ré- 
ferve  de  l'incendie  ,  cette  ville  avoic  été  expofée  à  toutes 
forces  de  violences ,  )  lorfque  les  habitans  fe  préfervérenc 
de  ce  malheur  ,  en  donnant  caution  de  payer  une  fomme 
de   deux   mille   écus  d'or.    Bonvillars   gouverneur   de  la 

citadelle , 


avoic  Henri 
un      I  V. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  415 

citadelle,  fe  rendit  vie  de  bigues  fauves  trois  jours  après.  Cette 

place  ,  qui  par  Ta  ficuation  dans  un  lieu  marécageux  ,  n'avi 

rien  à  craindre  de  la  mine  ,   écoit  d'ailleurs  Fortifiée  d* 

bon  rempart ,  &  bien  fournie  de  vivres.  i  Î9r 

L'armée  ayant  fait  le  dégât  dans  la  campagne  aux  envi- 
rons ,  marcha  vers  Bonne  fur  la  fin  du  mois  de  Février.  Les 
chemins  étant  fort  mauvais  ,  on  eut  beaucoup  de  peine  à 
conduire  deux  canons  au  pont  de  Buringe.  Dès  qu'on  les 
eut  braqués  contre  le  château  de  Poulinge  ,  la  garnifon  (q 
rendit  auintot. 

f  A  la  nouvelle  de  la  marche  d'Amedée  (i)  ,  qui  s'avan- 
çoit  avec  Olivarez ,  le  marquis  de  Trefort ,  Sonnas ,  le  comte 
de  Châteauneuf ,  &  d'autres  Officiers  ,  fui  vis  de  huit  cens 
cuiraiîîers  à  cheval ,  &  de  quatre  mille  hommes  d'infante- 
rie ,  Italiens  ,  Eipagnols ,  &  Savoyards  ,  on  renvoya  l'ar- 
Eillerie  à  Genève  ,  &  l'on  fe  prépara  à  faire  retraite.  Oliva- 
rez ,  dont  l'avis  étoit  appuyé  par  le  Bâtard  de  Savoye ,  ne 
vouloit  pas  qu'on  avançât  plus  loin ,  ou  que  l'on  s'engageât 
témérairement  dans  quelque  entreprife.  Mais  Sonnas ,  6c 
les  autres  Officiers  bien  inftruits  du  mauvais  état  de  nos 
troupes  qui  diminuoient  de  jour  en  jour  ,  foutenoient  au 
contraire  qu'il  étoit  de  leur  honneur  de  réprimer  la  licence 
defoldats  étrangers ,  qui  ravageoient  impunément  les  terres 
de  Savoye.  Ils  confeiliérent  donc  à  leur  Général  de  rifquer 
iine  bataille. 

Nos  troupes  ayant  abandonné  les  châteaux  de  Poulinge 
&  de  Vifery ,  fins  s'arrêter  dans  le  Foffigny  ,  fe  rendirent 
aux  environs  de  Genève ,  de  peur  d'être  enveloppées  par 
l'ennemi ,  qui  avoit  l'avantage  du  nombre.  Après  leur  dé- 
part ,  Amedée  rétablit  le  pont  de  Buringe  .5  6c  ayant  fait 
pafïèr  delFus  fon  infanterie  ,  il  la  dîfperfa  dans  les  bourgs 
aux  environs  de  Bonne.  L'armée  ennemie  étoit  compofée 
de  cinq  mille  hommes  de  pied  ,  de  iix  cens  cuiralîîers ,  êc 
de  quatre  cens  arquebufiers  à  cheval.  Nos  Généraux  ran- 
gèrent leurs  troupes  en  bataille  au-delTus  de  Monthou  le 
I  2.  de  Mars.  Ils  ne  s'attendoient  pas  à  en  venir  aux  mains  j 
ils  croyoient  qu'on  fe  retireroit  de  part  6c  d'autre  ,  après 
avoir  fait  montre  de  (es  forcps.  L'événement  leur  apprit  le 

(i)  Bâtard  de  Savoye. 
Towe  XL  H  H  h 


42^  HISTOIRE 

!rrr=r:r=z  Contraire.  Cinq  cens  arquebuiiers  tirés  de  tous  les  régîmens 
Henri  ennemis  commencèrent  la  charge  ,   en  allant  attaquer  un 
I  V.       corps   de  troupes  qu'on  avoit  pofté  à  mille  pas  du  refle  de 
I  5  ()  I .     l'armée  ,  pour  garder  un  bois  taillis ,  des  haïes  ,  èc  des  murs 
ruinés ,  au  pied  d'une  colline.    Ces  arquebuiiers  furent  fui- 
vis  par  Olivarez ,  à  la  tête  de  huit  cens  autres  aulFi  tirés  de 
tous  les  régimens. 

Guitry  voyant  que  nos  troupes  plioîent  &  avoient  été 
chalTées  de  leur  pofte,  fit  avancer  quatre  cens  arquebufîers 
des  régimens  de  Chantai  &c  de  Saint-Cheron  ,  qui  furent 
fou  tenus  de  trois  compagnies  du  Roi  commandées  par  Saint- 
Remi.  Les  Savoyards  s'étant  rendus  maîtres  des  murs  Se 
des  haïes  ,  defcendoient  dans  la  plaine  ,  comme  s'ils  eulîent 
déjà  remporté  la  victoire  j  ils  per(^oient  même  jufqu'au  pofle 
des  Suifles ,  quand  le  baron  de  Conforgien  faififlant  l'occa- 
fion ,  fe  jetta  entre  ceux  des  ennemis  qui  avoient  paiTé  la 
haïe  ,  èc  ceux  qui  étoient  encore  derrière  j  il  les  attaqua 
dans  cet  endroit  où  ils  ne  pouvoient  paiTer  qu'à  la  file  ,  6c 
les  tailla  en  pièces  avant  qu'ils  pufTent  fe  rallier.  Sonnas  qui 
combattoit  à  la  tête  des  ioldats  ,  fut  tué  avec  la  plupart  de 
la  NoblefTe.  La  mort  du  chef  jetta  la  conffcernation  parmi 
les  foldats  ,  qui  fe  retirèrent  au-delà  des  haïes  ,  &  furent 
pourfuivis  par  les  nôtres  jufqu'au  fofTé  ,  fur  l'autre  bord  du- 
quel Amedée  ôc  Olivarez  étoient  avec  le  refte  de  l'armée. 
Tous  les  arquebufîers  de  l'ennemi  ayant  fait  feu  fur  les  vain- 
queurs ,  le  combat  fe  rétablit  en  cet  endroit. 

Nos  foldats  acharnés  de  tous  côtés  au  carnage  s'étant 
enfin  ralliés ,  reprirent  leurs  rangs  ,  &  pafTèrent  le  refte  de 
la  journée  en  préfence  de  l'ennemi ,  qui  fe  tenoit  fur  la  dé- 
fenfive.  Il  y  eut  deux  cens  hommes  tués  du  côté  des  Sa- 
voyards ,  fous  les  yeux  defquels  on  les  dépouilla  ,  pour  ainfî 
dire  ,  à  loifir.  Ils  fe  retirèrent  la  nuit  fuivante  à  la  Roche  &: 
à  Bonneville  ,  au-delà  de  la  rivière  d'Arve  ,  après  avoir  rom- 
pu le  pont  de  Buringe  derrière  eux. 

Les  Royaliftes  ennuyés  depuis  longtems  de  la  guerre  ,  & 
d'ailleurs  à  charge  à  la  ville  de  Genève  ,  partirent  le  1 3'. 
Mars  ,  ôc  fe  retirèrent  chez  eux  par  la  Franche-Comté  ,  èc 
par  Roman  Monftier.  Sancy  fe  rendit  au  camp  du  Roi ,  où 
tout  le  monde  le  félicita   des  heureux  fuccès   de  cette 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  CIL  427 

campagne.  Cliaumont  qui  prie  la  place  du  baron  de  Confor-  '    ; 

gien  ,  &.  le  capitaine  Caron  relièrent  jufqu'à  la  fin  de  l'année  H  e  n  ».x 
à  Genève.  Enluite  on  fe  contenta  de  parc  ôc  d'autre  de  faire       I  V. 
des  courfes  dans  le  païs  ennemi.  Le  baron  d'Armenfe  ayant     i  J9  !• 
été  fait  prifonnier  le  i  6.  Juin  dans  une  de  ces  courfes ,  fut 
conduit  à  Genève ,  d'où  ayant  voulu  fe  fauver ,  il  fut  gardé 
plus  étroitement  jufqu'à  ce  qu'il  payât  une  grofîè  rançon 
pour  être  mis  en  liberté. 

Cependant  le  maréchal  d'Aumont  faifoit  la  guerre  avec  Guerre  dms 
plus  de  courage  que  de  bonheur  dans  la  Bourg-ogne  ,  dans  [^  Bourgogne 

f  ^lii  •  o.p'  &  Provinces 

Je  Bourbonnois ,  ce  dans  les  autres  provmces  voinnes ,  con-  voifines. 
tre  Charle  de  Savoye  duc  de  Nemours.  Il  écrivit  à  Guitry 
de  le  venir  trouver.  Celui-ci  s'étant  mis  aulTitôt  en  chemin 
avec  les  régimens  qui  lui  refboient ,  de  avec  les  cornettes  de 
Braccioduro  ,  du  comte  Porto,  &  de  Nafi ,  il  eut  mille  obfta- 
cles  à  furmonterdans  fa  marche.  Le  marquis  de  Trefortgou- 
verneurdela  BrelTe,  furpritles  compagnies  de  Braccioduro, 
&  du  comte  Porto  ^  il  leur  enleva  armes  &;  bagages ,  &:  fie 
prifonniers  Leonardo  Porto  ,  le  comte  Tarquinio  Angara- 
nio  fon  Lieutenant  ,  &c  Thomas  Fregofe  ,  qui  fervoic  en 
qualité  de  volontaire  fous  Guitry.  Le  comte  Barthelemî 
Nievo  de  Vicenze  ayant  été  bleiTé  ,  n'échappa  qu'avec 
beaucoup  de  peine  ,  auffi  bien  que  Braccioduro  ,  qui  fut 
contraint  de  fe  cacher  dans  les  bois  avec  fes  foldats  ,  &  vint 
enfin  à  bout  de  fe  fauver  ,  après  avoir  perdu  les  chevaux  de 
fa  troupe  &  fes  bagages.  Ce  fut  un  bonheur  pour  eux  qu'ayant 
à  pafTer  le  Ladon  ,  la  rive  d'où  ils  defcendirent  dans  la  ri- 
vière ,  fe  trouva  plus  élevée  que  la  rive  oppofée  ,  où  Balan- 
fon  de  Trefort  les  attendoit  j  de  forte  qu'ils  combattoient 
en  quelque  façon  de  delTas  une  hauteur.  Ils  furent  d'ailleurs 
fecourus  par  Guitry  ,  qui  avoit  palFé  la  rivière  dans  un  au- 
tre endroit.  Au  refte  ,  leur  courage  invincible  leur  fit  fou- 
tenir  tous  les  dangers  qu'ils  eurent  à  eiïuyer  dans  une  lon- 
gue marche  ,  de  la  part  d'un  ennemi  brave  ,  qui  les  pre- 
noit  tantôt  en  flanc  ,  tantôt  en  queue  ,  &c  toujours  avec  l'a- 
vantage du  nombre. 

Ils  arrivèrent  enfin  le  i  y.  de  May  au  camp  du  maréchal  slégcd'Au- 
d'Aumont ,  qui  penfoit  alors  à  faire  le  fiége  d'Autun.  Qi.ieî-  réciS  d'Aiî- 
ques-uns  prétendent  que  cette  ville ,  qui  eft  aujourd'hui  la  mom. 

HHh  ij 


41  &  HISTOIRE 

Capitale  de  la  Bourgogne  ,  avec  un  fiége  Epifcopal ,  eft  l'an- 
Henri  cienne  Bibracle  du  tems  de  Jule  Cefar  :  Que  cette  ville  ,  qui 
I  V.  fut  appellée  Augufiodunum  ,,  du  nom  d'Augufte ,  prit  dans  la 
I  SOI,  f*jice  le  nom  de  Flavia  Heduorum  ,  qui  lui  fut  donné  par 
Conftantin  (i)  fils  de  Claude,  comme  on  peut  le  voir  dans 
Je  panégyrique  du  rhéteur  Eumenes.  Qiioi  qu'il  en  foit,  elle 
a  été  autrefois  très-grande  6c  très-peuplée  j  la  vaffce  en- 
ceinte de  fes  murs ,  qui  ont  fept  milles  de  tour ,  un  ancien 
théâtre,  un  grand  nombre  de  colomnes,  de  pyramides,  de 
ftatucs ,  &  d'autres  monumens  de  l'Antiquité  qu'on  y  voiE 
encore  ^  les  vafès,  les  médailles  ,  &:  autres  antiques  ,  qu'on 
y  trouve  tous  les  jours  en  creufant  la  terre  ,  font  une  preuve 
que  cette  ville  étoit  autrefois  très- célèbre.  Aujourd'hui  pref^ 
que  déferte  ,  elle  renferme  dans  '^o.s  murs  des  jardins  &  des 
vergers.  Au  Midi  de  cette  ville  s'élève  le  mont  Cenis ,  dont 
la  pente  efb  alTez  douce  en  cet  endroit.  La  citadelle  eft  bâtie 
au  pied  de  cette  montagne.  La  ville  eft  environnée  entre  le 
Midi  &:  le  Couchant ,  d'un  mur  qui  fépare  cette  citadelle 
de  la  ville  ,  au  milieu  de  laquelle  on  voit  le  Champ  de  Mars,, 
qu'on  appelle  encore  de  ce  nom.  Ce  quartier  de  la  ville  au- 
tour duquel  on  a  bâti  depuis  peu  un  mur  de  la  longueur  de 
mille  pas ,  ell  très  peuplé.  L'Arroux  ,  qui  coule  au  Sep- 
tentrion ,  fcrt,  pour  ainfi  dire ,  de  rempart  à  la  ville  ,  qui  en 
eft  plus  forte  de  ce  côté  là. 

Le  maréchal  d'Aumont  s'étant  confirmé  dans  /à  réfolu- 
tion  à  l'arrivée  de  Guitry  ,  fit  dreflèr  une  batterie  de  petits 
canons  fur  le  mont  Cenis  ^  qui  commande  la  ville  ^  la  ci- 
tadelle j  fans  autre  deifein  que  de  jetter  l'épouvante  dans  la 
ville.  On  fit  foUiciter  fecrettement  les  habitans  ,  pendant 
qu'on  faifoit  venir  de  gros  canons  &  de  la  poudre  de  S.  Jean 
de  Laulne.  Tout  l'effort  du  fiége  tomba  fur  la  citadelle  , 
dont  la  prife  devoit  félon  toutes  les  apparences ,  entraîner 
celle  de  la  ville.  Outre  le  feu  des  batteries  qui  foudroyoic 
les  murs ,  on  fit  encore  creufer  des  mines.  Pendant  qu'on  y 
travailloit  ,  d'Aumont  voyant  qu'il  y  avoit  efpérance  de 

(i)  Conftantin  le  Grand  s'appelloitîquel,  à  la  vérité,  defcendoit  de  Claude 
Tlavius ,  ik.  ainfi  il  pourroit  avoir  don-  j  II.  Empereur  ;  &  c'eft  de  là  que  Con- 


né  à  une  ville  le  nom  de  TLzvia  JEduo- 
rum  ;  mais  il  n'étoit  pas  fils  de  Claude. 
Son  père  étoit  Confiance  Chlore  ;  Ic- 


ftantin  a  tiré  le  nom  de  Flavius.  Si  M. 
de  Thou  parle  d'un  autre  Conftantin  , 
il  devoit  le  mievuc  caraétérifer. 


15^1 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIL        419 

s*emparer  de  la  citadelle  de  Chalons ,  place  la  mieux  forti- 
fiée de  tout  le  pais ,  ne  voulut  pas  négliger  une  occafion  il  H  e  n  ki 
favorable.  De  l'Artufie  commandant  de  la  place  ,  que  le  I  V. 
Roi  avoit  autrefois  mis  à  la  tête  de  la  compagnie»  qu'il  a  voie 
eu  deflein  d'envoyer  en  garnifon  à  la  Mirandole  ,  paroifToit 
difpofé  à  traiter  avec  le  Maréchal.  Ce  Gouverneur  ne  de- 
mandoit  pour  toutes  conditions  ,  que  trente  deux  mille  écus 
d'or  ,  pour  payer  ce  qui  étoit  dû  à  fes  foldats.  Le  Maréchal 
convint  d'envoyer  un  détachement,  que  l'Artufie  devoit  in- 
troduire dans  la  ville  ,  afin  d'obliger  à  confentir  au  traité, 
ceux  des  habitans  de  de  la  garnifon ,  qui  refuferoient  de  s'y 
foumettre.  Les  plus  riches  d'entre  les  bourgeois  ,  qui  ai- 
moient  mieux  retourner  à  l'obéillànce  du  Roi  ,  que  refter 
plus  longtems  fous  la  domination  delà  Ligue  ,  qui  leur  étoic 
odieufe ,  croyant  l'affaire  férieufè  ,  &c  que  le  Gouverneur 
agifFoit  de  bonne  foi ,  s'obligèrent  fans  difficulté  à  fournir 
la  fbmme  qu'on  demandoit  ^  ils  donnèrent  même  vingt  mille 
écus  comptant ,  avec  promefîe  de  payer  le  refte  dans  l'an- 
née. Le  duc  de  Mayenne  avoit  permis  à  l'Artufie  de  fe  fér- 
vir  de  ce  ftratagême  ^  pour  tirer  cette  fomme  confidérable 
des  habitans ,  &  pour  découvrir  en  même  tems  ceux  qui 
étoient  mal  intentionnés  pour  fon  parti. 

Le  maréchal  d'Aumont  ayant  laifTé  la  conduite  du  fiége 
d'Autun  à  Guillaume  de  Saulx  de  Tavannes  Lieutenant  de 
Roi  de  la  Province  ,  &à  Imbert  de  Marfilly  de  Sipiere  (i) 
Maréchal  de  camp  ,  fe  retira  dans  un  château  des  environs , 
afin  de  mieux  dérober  à  l'ennemi  la  connoifTance  de  fon  def- 
fein.  Tavannes  de  Sipiere  ne  pouvant  s'accorder  entr'eux , 
fe  prefîérent  de  donner  un  afîàut  avant  le  retour  du  Général. 
C'efl  pourquoi  ils  firent  mettre  le  feu  aux  mines  ^  &  fans  at- 
tendre que  la  terre ,  qui  eft  légère  de  fabloneufe  en  ce  païs- 
Jà ,  fe  fût  afFaiffée  ,  ils  donnèrent  les  ordres  pour  rafîaur. 
On  planta  d'abord  les  échelles ,  di  les  foldats  s'etant  avan- 
cés en  bon  ordre  vers  les  murs ,  furent  enfevelis  dans  les  fa- 
bles jufqu'à  la  ceinture.  On  fit  alors  un  fofTé  au  dedans  de 
la  ville  ,  de  les  RoyaHfles  montèrent  à  l'afTaut  d'un  autre 
côté  ,  d'où  le  feu  de  l'artillerie  ,  qui  rafoit  la  brèche  en  cet 
endroit  ,  ècartoit  les  afîiègés.  On  ne  remporta  d'autre 
(i)  Ow  Cipierre. 

H  H  h  iij 


430  HISTOIRE 

avantage  dans  cet  afTaut  qui  fe  donna  le  2.  de  Juin  ,  que  de 
Henri  iè  retirer  avec  moins  de  perte  que  les  affiégés ,  dont  il  périt 
I  V.       deux  cens   hommes ,  n'y  en   ayant   que  trente  de  tués  ou 
1591,     bleiFés  de  notre  côte.  Les  ennemis  fe  vengèrent  le  lende- 
main, &  nous  tuèrent  beaucoup  de  monde  dans  une  fortie, 
où  François  de  la  Magdelaine  de  Ragny  ,  chevalier  des  deux 
ordres ,  fut  dangereulément  bleiïé. 

Sept  jours  après,  Sipierre  fit  partir  cent  arquebufîers  ,  6c 
cinquante  cuiraffiers  fous  les  ordres  de  Berge,  pour  aller 
trouver  l'Artufie  ,  comme  on  en  ètoit  convenu.  Les  arque- 
bufîers dévoient  defcendre  dans  le  fofTe  èc  les  cuirafTiers 
avoient  ordre  de  refier  à  la  porte  de  la  ville ,  en  attendant 
que  la  garnifon  fortît  hors  de  la  place  pour  fe  joindre  â 
eux.  Dans  letems  que  nos  foldats  s'approchoîent  de  Châ- 
Ions  à  la  faveur  des  ténèbres,  l'Artufie  fit  fècretement  ar- 
rêter ceux  qui  lui  ètoient  fufpeds  ,  &:  fur-tout  les  bourgeois 
qui  s'ètoient  obligés  à  remplir  les  conditions  du  traité.  Il 
fit  mettre  enfuite  fur  le  rempart  qui  regardoit  le  folié , 
où  les  Royalifles  dévoient  fè  rendre,  de  petits  canons  char- 
gés à  cartouche.  Enfin  de  Berge ,  qui  venoit  d'arriver  avec 
fa  troupe  dans  le  fofîë  ,  étant  entré  dans  une  cafemate, 
pour  conférer  avec  l'Artufie ,  il  fut  arrêté  par  fes  ordres 
avec  ceux  qui  l'avoient  fuivi  en  petit  nombre. 

Dès  que  le  fignal  eut  été  donné  fur  le  rempart ,  on  fit 
une  décharge  de  canon  fur  les  arquebufiers  ,  qui  furent  mis 
en  pièces  ,  à  la  réfèrve  de  ceux  qui  fe  fauvèrent  à  la  faveur 
de  la  nuit  vers  les  angles  des  bafbions.  Le  bruit  du  canon 
ayant  fait  conjecl:urer  aux  cuiraffiers ,  qui  attendoient  à  la 
porte  de  la  ville  ce  qui  en  ètoit ,  ils  fe  retirèrent  prompte- 
ment.  Le  Gouverneur  tira  par  ce  moyen  des  plus  riches 
bourgeois ,  qu'il  menaça  de  faire  pendre  ,  non  feulement  la 
fomme  dont  on  ètoit  convenu  par  le  traité ,  mais  encore 
vingt  mille  écus  d'or  au-delà.  Il  exila  une  partie  des  habi- 
tans ,  condamna  les  autres  à  lui  payer  certaines  fommes,  ôc 
en  fit  mourir  quelques-uns. 

Le  maréchal  d'Aumont ,  au  défefpoir  d'avoir  donné 
dans  ce  piège ,  revint  au  camp  devant  Autun  3  &;  voulant 
réparer  par  quelque  coup  d'éclat  la  perte  &  la  honte  que 
fa  crédulité  venoit  de  lui  attirer ,  il  fit  dreffer  de  nouvelles 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  431 

batteries  avec  le  canon  qu'on  lui  avoic  amené  de  Saint  Jean  iw 

de  Laulne  ,  afin  de  battre  les  murs  de  la  citadelle  avec  plus  Henri 
de  force  qu'auparavant.  On  fit  joiier  la  mine  le  18.  Juin.       IV. 
Les  Royaliftes  divifés  en  quatorze  bataillons  donnèrent  au     i  cq  i 
fon  de  la  trompette  un   aflaut  général,  que  les   affipgés 
foutinrent  avec  un  courage  invincible ,  en  fe  moquants  de  la 
crédulité  du  maréchal  d'Aumont,  qu'ils  railloient  de  s'être 
lailFé  tromper  par  l'Artufie.  Nos  troupes  qui  avoient  le  déf-    Le  fiége  efl 
avantage   de  combattre  contre  un  ennemi   qui  étoit  au-  ^^^^• 
delTus  d'eux ,  furent    repouiïées.  Enfin  on  ne  jugea  pas  à 
propos  de  s'opiniâtrer  plus  longtemsau  fiége  de  cette  vil- 
le 3  èc  fur  le  bruit  de  la  marche  du  duc  de  Nemours ,  qui 
s'avançoit  à  la  tête  des  troupes  que  le  duc  de  Lorraine  lui 
avoit  envoyées ,  le  Maréchal  qui  voyoit  d'ailleurs  îqs  fol- 
dats  abattus  ,  fit  conduire  à  la  hâte  deux  canons  à  Sauiieu , 
ôc  fe  retira  lui  même  avec  le  refte  de  fon  armée  à  Semur, 
d'où  il  fe  mit  en  marche  pour  Langres ,  après  avoir  laifiTé 
une  partie  de  fes  troupes  àFlavigny.  Il  réfolut  d'attendre 
à  Langres  Gafpard  de  Schomberg  comte  deNanteiiil ,  qui 
lui  amenoit  fix  cens  hommes  de  cavalerie  Allemande. 

Après  la  défaite  de  l'armée  de  Savoye  au  pont  de  Charra, 
les  troupes  du  Pape  ayant  été  jointes  à  Chamberi  par  le 
régiment  des  SuilTes ,  fe  rendirent  par  la  Brefie  en  Franche- 
Comté  j  le  nouveau  duc  de  Monte-Marciano  eutàLyon-le- 
Saunier  un  grand  démêlé  avec  Pierre  Gaëtano  fon  Lieute- 
nant. L'afFaire  feroit  devenue  plus  férieufe  fans  l'archevê- 
que Matteucci  Commifiaire  général  de  l'armée ,  qui  con- 
feilla  à  ce  dernier  de  céder  au  tems  ,  &  de  fe  retirer  avec 
l'agrément  de  fa  Sainteté.  Appio  Conti ,  qui  étoit  Maréchal 
de  Camp  ,  fut  fait  Lieutenant  à  la  place  de  Gaëtano  ,  qui 
s'en  retournant  en  Italie  par  la  SuifiTe,  y  fut  arrêté,  fous 
prétexte  que  le  Cardinal  fon  frère  s'étoit  rendu  caution 
pendant  fon  féjour  à  Paris,  de  la  paye  qui  étoit  duc  aux 
SuilTes  j  Gaëtano  ne  fut  mis  en  liberté  qu'après  bien  des 
prières ,  qui  approchoient  de  la  bafléfiîe,  &  après  avoir  ré- 
clamé le  droit  de  gens ,  qu'on  violoit ,  difoit-il ,  en  le  re- 
tenant ainfi  de  force. 

Le  duc  de  Nemours ,  jeune  prince  d'un  génie  vafte , 
qui  avoit   donné  de    grandes   preuves    de  valeur  ôc  de 


431  HISTOIRE 

prudence  au  fiëge  de  Paris ,  etoic  parti  avec  Tagrcment  des 
Henri  liabicans  de  cette  ville  pour  fon  gouvernement  du  Lyon- 
I  V.       nois ,  où  il  fe  trouvoit  plus  à  portée  d'exécuter  les  projets 
ijf^i.     ambitieux    qu'il  avoit   formés.  Il  faifoit  la  guerre  en  per- 
fonne,  &  par  ies  Lieutenants  dans  le  Bourbonnois,  dans 
le  Forez  ,  dans  l'Auvergne  ,  &,  dans  la  Bourgogne.  11  s'étoic 
faifî  depuis  quelque  tems  des  châteaux  de  Bifïy  en  Mafcon- 
-'  nois ,  &  d'Efpoiiïè  ,  par  la  trahifon  d'un  homme  que   Louis 

d'Anfinville  de  Revillon  feigneur  de  ces  Châteaux ,  avoic 
reçu  avec  bonté  dans  fa  maifon.  Ce  Prince  ne  fe  len- 
tant  pas  aflez  de  forces  pour  foucenir  la  guerre  en  tant 
d'endroits  difFérens  ,  fît  partir  pour  Milan  Charle  de  Co- 
ligny  d'Andelot,  fils  de  Gafpard  d'Andelot,  qu'il  avoit  at- 
tiré à  ion  parti ,  après  qu'il  eut  été  fait  prilonnier  l'année 
précédente  aux  environs  de  Paris.  Il  le  chargea  de  négocier 
avec  les  miniftres  d'Efpagne  ,  afin  de  les  engager  à  faire  paf- 
fer  par  fon  Gouvernement  les  croupes  auxiliaires  qu'on  dé- 
voie envoyer  à  la  Ligue  j  mais  ce  fut  inutilement  j  il  ne  pue 
mcme  obtenir  que  les  troupes  qui  étoienc  en  Franche- 
Comté  palTafTcnt  en  Bourgogne ,  parce  que  le  duc  de  Monte- 
Marciano  avoit  réfolu  de  fe  joindre  avec  le  duc  de  Parme 
avant  de  rien  entreprendre. 

Ce  Général  ayant  donc  continué  fa  route  par  la  Lor- 
raine fè  rendit  à  Verdun  ,  où  les  ducs  de  Lorraine  èc  de 
Mayenne  ,  accompagnés  de  Capizucci ,  que  le  duc  de  Parme 
avoic  laifTé  en  France  l'année  précédente  ,  lorfqu'il  repric 
le  chemin  des  Pa'ïs  -  bas  ,  vinrenc  lui  cémoigner  la  joyc 
qu'ils  avoienc  de  fon  arrivée.  On  fie  la  revue  de  l'ar- 
mée pendant  qu'elle  traverfbic  la  ville  j  ôc  l'on  donna  la 
montre  aux  foldats.  La  cavalerie  étoit  encore  dans  fon  en- 
tier ^  6c  l'infanterie,  donc  les  maladies,  les  travaux,  êc  les 
difficultés  d'une  longue  marche  avoienc  emporcé  un  grand 
nombre ,  fe  trouva  fore  délabrée.  On  la  difperfa  dans  les 
bourgs  aux  environs  de  Verdun ,  afin  qu'elle  pûc  fe  remec- 
tre  de  fes  facigues.  On  demeura  filongtemsen  cet  endroit, 
qu'on  y  appric  la  more  du  Pape  Grégoire ,  avanc  d'en  dér 
camper.  Cette  nouvelle  confterna  le  Général  èc  les  Offi- 
ciers ,  &  fut  caufe  qu'ils  n'agirent  plus  enfùite  qu'avec  len- 
teur ^  négligence. 

François 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  Cil.         433 

François  cardinal  de  Joyeufe  s'éranc  rendu  depuis  quel-  " 


ques  mois  à  Rome  pour  y  lolliciterdes  Tecours  en  faveur  de  Henri 
fon  frère  Antoine  Scipion  de  Joyeufe  ,  qui  faifoic  la  guerre       I  V. 
dans  le  Languedoc,  briguoic  avec  beaucoup  d'ardeur  la  lé-     1591. 
gation  d'Avignon  ,  afin  d'être  à  portée  ,  en  Te  trouvant  en- 
tre la  Provence  &c  le  Languedoc,  d'avancer  les  affaires  de 
la  Ligue  dans  ces  deux  Provinces.  OdaveParravîcino,  qui 
venoic  d'avoir  le   Chapeau ,  fut  nommé  pour  la  légation 
de  France  ,  à  caufe  de  fon  dévouement  aux  intérêts  du  roi 
d'Efpagne ,  ayant  été  élevé  à  fa  Cour.  Il  étoit  fur  le  point 
de  partir  avec  le  cardinal  de  Joyeufe ,  pour  fe  rendre  à 
l'armée  auxiliaire  j  mais  la  mort  du  Pape  les  retint  l'un  ôc 
l'autre  à  Rome  pour  aiTifter  au  Conclave. 

Grégoire  ayant  eu  depuis  fon  avènement  au  Pontificat      Mort  de 
quelques  attaques  d'une  fièvre  continue,  avoir auffi été fu.  ^'^'^^^^^^ 
jet  à  un  flux  de  ventre  caufépar  la  violence  des  tranchées, 
qui  lui  déchiroient  continuellement  les  entrailles.  A  ces  deux 
incommodités  fe  joignoit  encore  une  rétention  d'urine,  qui 
venoit;  d'une  gravelle  invétérée.  Son  mal  s'étant  augmenté 
avec  tant  de  violence  vers  la  fin  de  Septembre,  qu'on  l'a- 
voit  cru  mort ,  le  cardinal  Gactano  avoic   été   appelle  en 
qualité  de  Camerlingue  pour  cafTer ,  fuivant  la  coutume , 
l'Anneau  du  Pefcheur.  Le    Pape  ayant  repris  fQs  efprits 
avoit  paru  en  beaucoup  meilleur  état  5  mais  il  fut  emporté 
par  une  féconde  attaque  le  i  5.  d'Odobre.   Il    fit  appeller 
les  Cardinaux  avant  de  mourir  ^  les    ayant  remerciés  de 
l'avoir  élevé  fur  le  trône  del'Eglife,  il  s'éxcufafur  fes  in- 
firmités ,  de  la  négligence  de    ion  gouvernement  j    il  les 
exhorta  à  choifir  auiîitôt  après  fa  mort  un  homme  capa- 
ble de  remplir  la  grande  place   qu'il  alloit  quitter.  Enfin 
leur  ayant    recommandé  le  cardinal  Sfondrate  &.  fes  autres 
neveux  ,  il  donna  une  Bulle  pour  défendre  l'aliénation  du 
Patrimoine  de  l'Eglife ,  en  conformité   de  celle  de  Pie  V. 
Son   corps  fut  ouvert  après   fa  mort  j  on  trouva  dans  la 
veffie  une  pierre  quarrée  de  la  pefanteur  de  deux  onces.  Il 
fut  porté  la  même  nuit  dans  la   Bafilique  de  Saint  Pierre  , 
&  inhumé  fans  cérémonie  dans  la  chapelle  de  Saint  Gré- 
goire. Il  étoit  âgé  de  cinquante.fept   ans ,  &  mourut  dix 
mois  6c  dix  jours  après  fon  exaltation. 

Tome  XI.  1 1  i 


434  HISTOIRE 

■-  Dans  le  peu  de  rems  qu'il  fut  afTis  fur  la  Chaire  de  Saint: 

Henri  Pierre  ,  il  diffippa  le  trëfor  de  cinq  millions  d'écus  d'or,, 
I  V.  que  Sixte  V.  avoit  amalfé  avec  tant  d'épargne  èc  d'avi- 
i  rqj  dite.  La  plus  grande  partie  fervit  à  fournir  aux  frais  de  la. 
guerre  de  France,  dont  rëvénemcnt  fut  aufli  malheureux, 
que  ÏQS  motifs  en  ëtoient  injuftes ,  àc  l'eatreprife  témé- 
raire. Il  compatit  avec  beaucoup  de  tendrefîè  à  la  milére 
du  peuple  dans  une  famine  qui  arriva  fous  fon  Pontificat  y 
&  donna  libéralement  cent  mille  ccus  Romains  pour  lou. 
lager  (es  befoins.  La  cherté  fut  fi  grande  à  Rome ,  &  dans 
les  autres  villes  d'Italie ,  que  la  mefure  de  froment ,  com- 
munément appellée  Rabbio  ,  fut  vendue  trente  écus  d'or ,  &: 
même  plus  3  encore  y  eut-il  beaucoup  d'endroits  où  la  di- 
fette  fut  il  grande  qu'un  nombre  infini  de  peuple  mourut 
miférablement  de  faim  3  on  les  trouvoit  expirants  dans  les 
campagnes  ,  ayant  encore  dans  la  bouche  l'herbe  qu'ils 
avoient  arrachée  pour  s'en  faire  un  aliment.  Le  bled  étant 
venu  à  manquer  abfolument,  on  fit  du  pain  d'orge,  de  îé- 
ves ,  de  millet ,  Se  d'autres  légumes  de  cette  elpéce  3  on  per- 
mit pour  le  foulagement  au  petit  peuple  ,  de  manger 
de  la  viande  dans  le  Carême,  tems  où.  la  famine  commen- 
ça à  devenir  beaucoup  plus  grande.  On  tua  de  tous  cocés 
des  oifeaux  ,  dont  la  plupart  mangeoient  ians  diflindion. 

Outre  ce  terrible  Heau ,  il  régna  encore  ious  Ion  PontL 
fîcat  des  fièvres  malignes  ,  qui  ne  furent  pas  à  la  vérité 
contagieufes  3  mais  qui  étant  accompagnées  de  flux  de  ven- 
tre, &  de  vents  dans  cette  partie  du  corps ,  caufoient  le  tranf- 
port  au  cerveau.  Ceux  qui  étoient  attaqués  de  cette  ma- 
ladie ,  avoient  d'abord  mal  à  la  tête,  &  ne  pafioient  pas  le 
dixième  jour.  Les  médecins  attribuèrent  ces  fièvres  à  i'in^ 
tempérie  de  l'air  corrompu  par  les  pluies  continuelles ,  & 
par  \qs  inondations  de  l'année  précédente  ,  qui  avoient  été 
îuivies  de  grandes  chaleurs.  La  mauvaife  nourriture  qu'on 
avoit  prife  pendant  la  famine  pouvoit  encore  contribuer  à: 
fortifier  le  mal,  auquel  on  n'oppofa  d'autre  remède  que 
d'ouvrir  la  veine  du  bras ,  qui  répond  à  la  tête,  &les  autres 
veines  qui  en  rapportent  le  fang  (  i  ).  Les  hommes  qui  avoienc 
atteint    l'âge   de    trente  ans,    bL  ceux    qui  n'étoient  pas 

(i)    L'Auteur  s'exprime  félon  l'ancien  fyftêrae. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L£v.  CIL         435 

encore  fortis  de  leur  cinquantième  année  ,  furent  plus  fujets  ! 

que  d'autres  à  cette  maladie  ,  qui  fuivant  la  remarque  qu'on  Henri 
fit  alors  ,  n'emporta  qu'un  petit  nombre  de  femmes.  L'Om-       I  V. 
brie,  la  Romagne,  la  Tolcane  &  la  Lombardie  furent  ra-      i  jqIc 
vagées  par  ce  fléau  ,   qui  fe  fît  fentir  avec  plus  de  mali- 
gnité   dans    quelques    villes    qu'il    dépeupla  entièrement, 
I)qs  familles  entières  en  furent  emportées  dans  d'autres  en- 
droits j  il  fit  de   (î  grands  ravages   depuis  le  mois  d'Août 
qu'il  commença  ,  jufqu'au  même  mois  de  l'année  fuivante, 
où  fa  fureur  fe  rallentit ,  qu'on  a  de  la  peine  à  croire  ce 
qu'on  en  rapporte.  On  fait  monter  le  nombre  des  morts  dans 
Rome  durant  cet  intervalle  à  environ  foixante  mille. 

Le  pape  Grégoire  étoit  crédule  ,  fimple  &  facile  j  il 
avoit  toujours  la  bouche  ouverte ,  6c  rioit  fans  celle.  Cette 
mauvaife  habitude  le  rendoit  ridicule.  Au  refte  il  étoic 
pieux ,  libéral  ,  &  maître  de  {qs  paffions  ^  on  ne  croit  pas 
même  qu'il  ait  jamais  eu  de  commerce  avec  aucune  femme. 
Il  fut  beaucoup  plus  eftimé  tant  qu'il  vécut  dans  un  étac 
privé,  que  lorfqu'il  fut  monté  furie  Saint  fîége.  Il  défen- 
dit par  une  loi  exprefle  toutes  fortes  de  gageures  &c  \qs 
annulla.  Il  accorda  aux  inftances  de  Michel  Bonelli ,  (  ap- 
pelle le  cardinal  Alexandrin  de  l'ordre  de  Saint  Dominique) 
le  chapeau  rouge  aux  Cardinaux  Moines ,  qui  le  portoienc 
auparavant  de  la  même  couleur  que  l'habit  de  leur  ordre. 
En  conféquence  ayant  célébré  la  MelTedanslaBafîliquede 
Saint  Pierre  le  9.  de  Mai ,  il  donna  en  cérémonie  le  chapeau 
rouge  à  Bonnelli  Dominicain  ,  à  Conftantin  Sarnano  Fran. 
cifcain ,  à  Jérôme  Bernerio  de  Correggio  Dominicain  ,  & 
à  Petrochino  de  Montelparo  de  l'ordre  des  Hermites  de 
Saint  Auguflin.  Vincent  Blaife  Garcias  de  Valence  fit  l'o» 
raifon  funèbre  de  ce  Pontife.  ^,  „. 

r        r  ■  1  '  1  •  •  Election 

Le  Iiege  ayant  demeure  vacant  pendant  qumze  jours,  d'innocent 
les  Cardinaux  s'alTemblèrent  après  qu'on  eut  fait  un  fer-  i  x. 
vice  pour  le  feu  Pape  j  &  la  faction  de  Sixte  V.  èc  celle  du 
roi  d'Efpagne  s'étant  réunies,  Jean-Antoine  Fachinetti  de 
Boulogne  ,  qui  prit  le  nom  d'Innocent  IX.  fut  élu  tout 
d'une  voix  fur  le  foir  du  Mardi  29^.  jour  d'Octobre,  deux 
jours  après  qu'on  fut  entré  dans  le  Conclave.  Il  avoit  déjà 
eu  quelques  voix  pour  ion  çlcdion  dcpujs  la  mort  de  Sixte  V, 

1 1  i  ij 


43^  HISTOIRE 

^r^^"^^^^  On  regarda  comme  un  préfage  de  fa  future  grandeur ,  que 

Henri  pendant  qu'il  prêtoit  à  genoux  le  ferment  au  pape   Gre- 

I  V.      goire  fon  prédëcefTeur ,  la  bandelette  de  la  tiare  de  ce 

I  Î9I.     Pontife  fût  tombée  fur  fa  tête  -,  ôc  que  dans  la  difbribution 

àts  cellules  du  Conclave ,  celle  où  la  Chaire  du  Pape  fe 

place  ordinairement ,  quand  on  tient  le  Conlîftoire  ,  lui  fûc 

échue  en  partage. 

Dans  le  tems  qu'on  le  revêtoit  éits  habits  pontificaux , 
il  confirma  la  Bulle  qui  défend  d'aliéner  les  biens  de  l'E- 
glife  'y  &  déclara  qu'il  vouloit  avoir  un  foin  tout  particulier 
d'entretenir  l'abondance  dans  Rome  ,  afin  que  les  vivres  y 
fuilènt  à  un  prix  raifonnable  ,  pour  le  foulagement  du  menu 
peuple.  Le  2.  de  Novembre,  qui  tomboit  le  Dimanche,  la 
cérémonie  de  fon  couronnement  ne  fe  fit  pas  comme  on 
faifoit  auparavant ,  fur  les  dégrés  de  l'Eglife  de  Saint  Pierre  j 
mais  dans  un  lieu  plus  commode  ,  qui  avoir  vûë  néanmoins 
fur  ces  dégrés.  Il  diminua  de  mil  écus  d'or  les  frais  de  cette 
cérémonie. 

Le  lendemain  ayant  affemblé  le  Confiftoire,  il  remer- 
cia d'abord  les  Cardinaux  de  fon  exaltation,  &  propofa 
enfuite  plufieurs  defleins  qu'il  avoir  formés  pour  le  bien  de 
l'Etat ,  comme  d'avoir  un  tréfor  particulier  6c  fecret ,  pour 
fubvenir  aux  befoins  du  Saint  Sié^e ,  &  aux  néceiîités  des 
peuples  dans  les  occafions  preflàntes.  Il  déclara  que  fî  l'on 
faifoit  à^^  provifions,  ou  fi  l'on  achetoit  des  marchandi- 
ies,  il  vouloit  abfolument  que  ce  fût  en  argent  comptant. 
Il  dit  qu'ayant  toujours  été  très-éloigné  ,  pendant  qu'il  n'é- 
toit  que  fimple  Evêque ,  ou  Cardinal  ,  de  rien  prendre  à 
crédit,  il  ne  vouloit  pas  s'écarter  de  cette  coutume  après 
fon  exaltation.  Sa  lenteur  naturelle  dans  le  maniement  des 
affaires  fut  caufe  qu'on  n'en  put  terminer  aucune  fous  fon 
Pontificat.  Il  remit  toutes  celles  qui  étoient  importantes  au 
commencement  de  l'année  prochaine. 

Le  I  8.  Décembre  ,  il  augmenta  le  facré  Collège  de  deux 
Cardinaux  ,  qui  furent  Antoine  Fachinetti  petit-fils  de  fà 
fœur  ,  &  Philippe  Sega  évêque  de  Plaifance  ,  qui  étoit  Lé- 
gat en  France.  Ce  dernier  eut  le  chapeau  à  la  recommanda- 
tion du  roi  d'Efpagne  &  du  duc  de  Parme  ,  qui  connoifîoient 
toute  l'averfion  qu'il  avoir  pour  le  nom  François.   Ce  Pape 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIL        437 

réfolut  de  donner  par  mois  pour  les  frais  de  la  guerre  de  ' 

France  ,  cinquante  mille  ëcus  d'or  ,  qu'il  devoir  commencer  H  e  n  k  i 
à  compter  du  jour  que  le  duc  de  Parme  entreroit  dans  le       I  V. 
Royaume  avec  fon  armée  ,  jufqu'à  l'éledion  d'un  Roi  C'a-      i  591. 
tholique.  Il  avoit  auffi  conçu  le  deflein  ,  (  comme  fes  parens 
le  publièrent  après  fa  mort  J  de  faire  nétoyer  le  port  d'An- 
cone  ,  pour  faciliter  la  navigation  ^  &  de  creufer  un  canal 
près  du  château  S.  Ange ,  au  quartier  del  Borgo  au  delà  du 
pont ,  afin  de  mettre  la  ville  de  Rome  à  couvert  des  inon- 
dations du  Tibre  j  mais  la  mort  vint  interrompre  tous  ces 
grands  projets.  Innocent   dont  le  tempéramment  naturel- 
lement iec  ,  étoit  d'ailleurs  ruiné  par  l'abflinence  ,  ne  put  ré- 
iifter  à  une  fièvre  qui  l'emporta  en  huit  jours   de  tems.  Il 
mourut  le  29.  Décembre  vers  la  treizième  heure  delà  nuit, 
âgé  de  72.  ans,  deux  mois  après  fon  exaltation. 

Il  y  eut  une  Eclipfe  de  Lune  dans  le  même  temsj  &  la 
belle  Eglifè  de  San-Salvatcre  in  Lauro  fut  confumèe  par  un  in- 
cendie qui  arriva  par  accident.  Ce  Pape  étoit  très-fobre , 
&  ne  faifoit  qu'un  repas  par  jour  fur  le  foir  5  grave  dans  fes 
mœurs  &  dans  {ç.s  difcours  ,  il  étoit  affable  à  l'égard  de 
tous  ceux  qui  avoientà  traiter  avec  lui ,  &  les  recevoir  tou- 
jours avec  beaucoup  de  politefïè.  Ilméditoit,  &  écrivoit 
beaucoup  ^  il  avoit  même  deflein  de  donner  quelques-uns 
de  fes  ouvrages  au  public.  Comme  il  étoit  d'une  grande 
taille,  &  d'un  tempéramment  fec ,  il  aimoit  beaucoup  à fe 
promener  pour  prendre  l'air.  Sa  chaleur  naturelle  s'étant 
prefque  entièrement  retirée  des  extrémités  de  fon  corps  ^ 
il  étoit  obligé  de  donner  audience  &  d'étudier  dans  fon 
lit  5  ce  qui  fit  qu'on  lui  donna  le  nom  de  C  Unie  us  (i). 

Ayant  donné  {ts  premières  années  à  l'étude  des  loix  ^ 
il  s'attacha  dans  la  fuite  entièrement  aux  affaires.  La  lectu- 
re de  tout  ce  qui  avoit  été  écrit  fur  la  politique  devine 
par  cette  raifon  le  plus  grand  de  fesplailirs.  Sa  fortune  qui 
s'accrur  dans  la  fuite  avoit  commencé  dans  la  maifon  du 
cardinal  Farnefe,  qui  lui  fit  donner  l'évêché  de  Nicaflro 
en  Calabre  par  le  pape  Pie  IV.  Sonfucccffeur  Pie  V.  l'ayant 
envoyé  en  ambaffade  à  Venife  pour  ménager  une  hgue 
entre  le  Saint  Siège  ,  le  roi  d'Efpagne  ,  &  la   République  , 

(i)    Mot  qiii  vient  du  Grec ,  ôc  qiii  fignifîe  un  homme  alite- 

1   I   1    11) 


43^  HISTOIRE 

-—  '  contre  l'Empire  Ottoman  ,  il  rendit  de  grands  ferviccs  dans 

Henri  cette  négociation.    Grégoire  XIII.  l'ayant  fait  entrer  en- 
.1  V.       fuite  dans  le  iàcré  Collège  ,  il  fut  enfin  élu  Pape  d'un  con- 
i^^i.    fentementuniverfel ,  après  avoir  été  longtems  jugé  digne  de 
remplir  cette  place  eminente.  Le  faint  Siège  ayant  été  va^ 
cant  pendant  un  mois  &:  un  jour,  il  n'y  eue  prefque  point 
.pendant  tout  ce  tems  -  là  de  troubles  dans  Rome  ,  où  il  ar^ 
rive  néanmoins  ailez  ordinairement  que   chacun  prend  les 
armes  pour  venger  fes   injures  particulières  après  la  more 
des  Papes.-  La  vue  des  ravages  que  la  famine  avoit  caufés 
.dans  la  ville,  où  d'ailleurs  on  n'étôit  pas  encore  délivré  de 
la  crainte  dçs  maladies  donc  nous  avons  parlé ,  donna  lieu 
à  cette  tranquillité  extraordinaire. 
AfFairesde      Tandis  quc  l'Italie  étoic  occupée  à  confîdérer  (es  maL 
France.         licurs ,  la  factîon  Efpagnole  fe    fortifîoit  de  jour  en  jour  à 
laLku"!''^  Paris  par  le  moyen  des  Seize.  Cesfcélérats,  qui  donnoienc 
Pansf  le  nom  de  Zèle  à  la  fureur,  ne  craignoient  rien  tant  que 

Je  retour  de  la  paix,  Ils  perfécucoient  comme  des  politi^ 
ques  &  des  fauteurs  d'herefie  ceux  qui  étoienc  ennemis  des 
troubles,  &  ne  cherchoient  fans  ceflè  que  l'occafion  de  leur 
enlever  ,  fous  prétexte  de  quelque  crime  apparent ,  leurs 
biens,  dont  ils  brùloienc  du  défit  de  s'emparer.  Ces  fa- 
natiques ayant  ufurpé  dans  ces  tems  de  troubles  &  de  di^ 
vifions  la  fouveraine  puiilance  furies  Officiers  militaires, 
fur  le  Clero;é  &:  fur  les  Magiflrats ,  s'afîèmbloient  de  leur 
autorité  privée  en  difFerens  endroits ,  pour  mieux  dérober 
la  connoillànce  de  leurs  complots.  C'étoit  dans  ces  airem- 
blées  iècretes  que  fe  formoient ,  à  l'infçu  du  duc  de  Mayenne, 
des  réfolutions  funcftes  à  l'Etat  j  &  que  l'on  confpiroitcon, 
tre  les  gens  de  bien,  &  contre  lui-même.  Le  Légat  n'igno- 
xoit  point  toutes  ces  démarches  ténébreufes  -,  au  contraire 
il  en  étoit  l'ame  &  le  confeil  ^  &:  tout  le  but  de  fes  intrigues 
p'étoit ,  comme  on  peut  le  voir  par  fes  lettres  au  duc  de 
Parme ,  qui  tombèrent  entre  les  mains  du  Roi ,  que  de 
dépouiller  de  toute  autorité  le  duc  de  Mayenne ,  &  le 
comte  de  Belin  gouverneur  de  Paris,  qu'il  appelloit  pai' 
mépris  le  Coloile  Se  le  Renard  •  que  de  détruire  les  anciens 
jMagiftracs ,  pour  leur  en  fubilituer  de  nouveaux  à  fa  dévo, 
çion  qui  pulTènc  établir  dans  le  Royaume  l'autorité  du  Rpj 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   Cil.       439 

Catholique.  11  infinuoit  dans  cette  lettre  au  duc  de  Parme, 

qu'il  étoic  nëceilàîre  de  répandre  de  l'argent  parmi  fes  créa-  Henri 

turë^s,  â^n  de  faire  réuflîr  Tes  projets.  I  V. 

Ce  fut  ce  Légat  ,  ennemi  juré  du  nom  François ,  qui  1591. 
pour  tourmenter  les  gens  de  bien  qui  vouloient  la  paix,, 
propofa  comme  un  point  capital  de  renouveller  le  ferment 
de  l'Union  tant  de  fois  violé  ^  6c  d'obliger  le  cardinal  de 
Gondi  évêque  de  Paris  à  prêter  lui-mcme  ce  ferment. 
Le  Cardinal  dont  on  avoit  indignement  failî  le  temporel 
à  caule  de  fon  abfence ,  avoit  demandé  qu'avant  tout  il 
pût  venir  à  Paris  en  fureté,  d^  d'une  manière  convenable  à 
ia  dignité.  Enfuite  ne  pouvant  ioufcrire  aux  articles  du  fer- 
ment qui  donnoienc  l'excludon  de  la  Couronne  à  tous  les 
Princes  de  la  Maifon  Royale ,  ce  Cardinal  écrivit  le  24. 
de  Juin  une  lettre  au  Prévôt  des  Marchands  ,  ôcaux  Efche- 
vins  de  la  ville  ,  datée  de  Noify  ,  château  appartenant  à 
fon  frère  ,  où  il  s'étoit  retiré.  Il  juftilioit  fort  au  long,  fx 
conduite  •  ôc  blâmant  enfuite  la  témérité  ,  ou  l'imprudence 
du  Légat  (  i  ) ,  qui  avoit  ofé  palTer  Cqs  pouvoirs  en  prefcrivanc 
fans  aucun  ordre  de  fa  Sainteté  une  formule  de  ferment,  telle 
qu'il  l'avoit  propofée,  il  difoit  :Que  SixteV.  ne  lui  avoit  point 
impofé  une  pareille  obligation  ,  &:  que  ce  Pape  ne  lui  avoir 
point  fait  de  réponfe  lorfqu'il  lui  avoit  écrit  pour  fçavoir 
quelles  étoient  fes  intentions  à  ce  fujet  :  Qiie  le  pape  Grégoi- 
re XIV.  qu'il  avoit  aullî  confulté,ne  lui  avoit  point  répondu. 

Le  cardinal  de  Gondi  ayant  envoyé  à  Paris  ces  lettres, 
dans  lefquelles  il  fe  plaignoit  avec  tant  de  juftice  ôc  de 
force,  Jean  Boucher  cure  de  Saint  Benoit,  Poncher ,  Def- 
prez  ,  Martin  ,  l'Anglois ,  6c  Nicolas  Brette  y  répondirent 
par  un  long  écrit,  où  ils  foûtenoient  que  Sixte  V.  6c  fes  fuc- 
ceiîèurs  n'ayant  jamais  défapprouvé  le  ferment  dont  il  étoit 
queftion,  dans  tous  les  l^refs  qu'ils  avoient  envoyés  en 
France  5  qu'ayant  même  donné  des  louanges  dans  ces  mê- 
mes Brefs  au  zèle  des  membres  de  l'Union  ,  ce  lîlence  ÔC 
ces  louanges  étoient  une  preuve  tacite  de  l'approbation  des 
Papes.  Ils  prétendirent  prouver  au  cardinal  de  Gondi, 
qu'il  devoit  Ioufcrire  aux  articles  du  ferment  avec  les  autres,, 
qui  penfoient  comme  lui  par  rapport  à    la  Religion  3  ils  le 

(i)    Sega  évêque  de  Plaifance ,  fait  depuis  peu  CardiJial, 


440  HISTOIRE 

preflbîenc  de  le  faire  au  plûrôc ,  afin  de  fe  purger  du  foup- 
Henri  çon  que  fa  conduite  avoic  fait  naître  dans  refprit  de  plu- 
IV.  lieurs,  lorfqu'aprcs  fa  dëputation  vers  l'ennemi  ,  dans  les 
1591,  extrémités  où  l'on  s'étoit  trouvé  l'année  précédente ,  il 
s'étoit  retiré  dans  Tes  terres,au-lieu  de  retourner  à  Paris,  pour 
confoler  &  pour  encourager  le  peuple  qu'il  avoit  abandon- 
né j  comme  Ci  tout  eue  été  déiefpéré  ,  ou  que  la  mifére  èc 
les  calamités  de  ce  peuple  n'euffent  point  excité  dans  Ton 
cœur  les  tendres  mouvemens  dont  un  père  effc  agité  à  la  vue 
du  malheur  de  fesenfans.  Ces  féditieux  ayant  eu  l'effronterie 
d'écrire  de  cette  manière  à  leurEvêque,dans  le deiTein  défaire 
violence  à  fa  confcience  ,  s'il  revenoit  àParis  j  &c  fe  flatant , en 
cas  de  refus  de  fa  part ,  de  pouvoir  le  traiter  comme  con- 
tumace ,  réfolurent  enfuite  d'attaquer  le  Parlement  même  , 
&  de  commencer  par  un  horrible  attentat  fur  la  perfonne  du 
premier  Préfident ,  afin  d'effrayer  les  autres  Magifbrats. 
Portrait  de  Barnabe  Brifîon  ,  qui  avoit  une  difpofition  merveilleufe 
Briiron.  pour  les  belles  Lettres,  èc  pour  les  affaires,  occupoit alors 
cette  grande  place.  S'étant  fait  d'abord  une  grande  répu- 
tation ,  en  fuivant  le  Barreau  ,  il  devint  Avocat  Général 
après  Gui  du  Faur  de  Pibrac ,  &  enfuite  premier  Prefident 
à  la  place  de  Pompone  de  Bellicvre.  Il  s'étoit  diftingué 
parmi  les  gens  de  Lettres  ,  par  plufîeurs  ouvrages  qu'il 
avoit  mis  au  jour  3  dans  l'Etat  ,  par  fon  habileté  dans  les 
affiires ,  &C  fur-tout  dans  le  Barreau  ,  où  il  brilloit.  Mais 
plein  d'une  ambition  démefurée  de  fe  voira  la  tête  du  Par- 
lement, il  n'eut  pas  de  peine  à  confentir  à  demeurer  à  Paris 
après  la  fuite  ou  laprifon  des  autres  Préfîdensfes collègues, 
fans  confîdérer  que  le  Parlement  étoit  fans  autorité,  en 
ayant  été  privé  par  le  feu  Roi  en  punition  de  la  révolte 
des  Pariiiens.  Il  fe  fîata  de  manier  l'efprit  d'une  populace 
furieufe,  auffi  aîfément  qu'il  expédioit  les  affaires-  &  de 
conferver,  comme  il  le  difoit  lui-même,  cette  ville  à  fon 
Roi  légitime  ,  en  empêchant  par  fa  prudence  èc  ion  habi- 
leté que  l'ennemi  ne  vînt  s'en  emparer.  Il  fe  rrompoit  3  plus 
propre  à  percer  les  obfcurités  des  procès ,  qu'à  tenir  le  ti- 
mon des  affaires,  il  s'appercut,  mais  trop  tard,  qu'il  avoit 
fait  des  fautes  irréparables,  qui  ne  manqueroient  pas  d'en- 
traîner fa  perte.    On  l'entendit  même  plufîeurs  fois  dire  à 

fes 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  Cil.      441 

fes  amis  avec  de  profonds  foupirs  que  les   Seize   le  refer-  -' 

voient  pour  la  boucherie.  Henri 

Ces  funeftes  préfages  ne  fe  trouvèrent  malheureufement  I  V. 
que  trop  vrais.  Les  plus  furieux  d'entre  les  Ligueurs  voyant  icgi, 
que  Briiïbn  difîimuloit  leurs  entreprifes,  qu'il  s'accommo- 
doit  au  tems ,  qu'il  confîdéroit  l'avenir ,  di.  qu'il  panchoit 
vers  la  paix,  crurent  qu'il  falloir  commencer  par  lui,  pour 
faire  relFai  de  la  patience  du  peuple 6c du  duc  de  Mayenne, 
êc  afin  de  preiïèntir  jufqu'à  quel  point  ils  pourroient  dans  la 
fuite  poufler  leurs  attentats. 

C'cft  pourquoi  Bouriier ,  Louis  Morin  Cromé  confeiller 
au  Grand-Confèil ,  Pelletier  Curé  de  S.  Jacque  de  la  Bou- 
cherie ,  Gouldin  ,  la  Bruyère  Apoticaire ,  &:  Matthieu  Lau- 
noy  ,  s'aflemblërent  au  mois  de  Novembre.  Launoy  qui 
avoit  été  Prêtre  Catholique  ,  s'étant  fait  Minifhre ,  après 
avoir  abandonné  la  Religion  de  (qs  pères  ,  époufa  une  femme 
que  le  dégoût  lui  fit  quitter  enfuite  ,  pour  rentrer  dans  l'E- 
gHfe.  Ceîcélérat  préiîdoit  aux  ailémblées  des  factieux  ,  qui 
changeoient  tous  les  jours  de  demeure.  Il  fut  enfin  arrêté  , 
qu'il  étoit  nécelTàire  pour  le  bien  de  la  caufe  commune,  de 
choifir  parmi  eux  dix  des  plus  zélés  ,  pour  expédier  avec 
plein  pouvoir  les  affaires  fecrétes ,  dont  ils  feroient  cepen- 
dant leur  rapport  à  l'afièmblée  générale.  On  joignit  Jean 
Hamilton  Curé  de  S.  Cofme  ,  &  B.  Martin  Docteur  de  Sor- 
bonne  ,  aux  dix  fur  qui  le  fort  étoit  tombé. 

Ils  furent  chargés  de  préfenter  une  requête  au  Parlement, 
pour  fe  plaindre  de  la  mauvaife  procédure  qu'on  avoit  faite 
dans  l'affaire  de  Brigard  Procureur  de  la  ville.  Ce  fut  le 
prétexte  dont  on  fe  fervit  pour  colorer  ces  fréquentes  affem- 
blées ,  &  pour  écarter  les  loupcons  qu'elles  pouvoienc  faire 
naître  dans  les  efprits.  On  propofa  le  8.  Novembre  de  prê- 
ter ou  renouveller  le  ferment  de  l'Union  3  &  Jean  Bufii-le- 
Clerc ,  le  plus  furieux  de  tous  les  Ligueurs  ,  ayant ,  pour 
ainfi  dire  ,  été  introduit  en  ce  moment  fur  la  fcene  par  la 
Bruyère  ,  dans  la  maifon  de  qui  fe  tenoit  l'affemblée  ,  il  exi- 
gea des  afiiftans  qu'ils  le  prêtallent  fur  le  champ.  Ce  fourbe, 
afin  de  tromper  facilement  les  plus  fimples,  6c  voulant  les 
engager  à  appuyer  les  entreprifes  d'un  petit  nombre  des  plus 
déterminés ,  dit  qu'il  ne  falloit  pas  drelîèr  la  formule  de  ce 
Tome  XI,  K  K  k 


«M 


'44î  HISTOIRE 

-  ferment  y  parce  que  cela  demandoic  trop  de  tems  j  &  leiif 


H  E  N  B.  I  ayant  alors  préfentë  un  papier  blanc  daté  du  jour  de  l'af- 
1  V.  femblée  ,  ils  mirent  feulement  leurs  noms  au  bas  en  laiiïànc 
I  5  9  I .  de  la  place  ,  pour  écrire  la  formule  &  les  articles  du  ferment. 
Cet  artifice  de  Bufly  donna  occafion  aux  plaintes  de  quel- 
ques-uns de  ces  féditicux ,  qui  ne  foufcrîvirent  qu'à  regrec 
un  ade ,  dont  ils  ignoroient  la  teneur.  Mais  voyant  que  le 
plus  grand  nombre  avoit  figné  ,  ils  lignèrent  auffi  fans  ofer 
'  murmurer  •  jugeant  ,  par  la  conduite  qu'on  tenoit  à  leur 
égard  dans  cette  allemblëe  ,  qu'il  y  avoit  des  projets  déplus 
grande  importance  encore  ,  que  ceux  qu'on  y  propofoit  en 
apparence. 

Enfin  ,  un  des  féditieux  qui  n'étoit  pas  du  fecret ,  voyant 
que  l'afFâire  de  Brigard  ,  dont  on  parloit  toujours  fans  y 
travailler  en  aucune  manière  ,  n'étoit  qu'un  prétexte ,  de- 
manda à  l'un  des  complices  ce  qu'on  avoit  réîolu  dans  l'ail 
femblée.  Il  n'eut  d'autre  réponle  ,  fî-non  que  BufTy  étoic 
chargé  de  confuker  les  Dodeurs  de  Sorbonne  fur  un  de/Fein 
de  la  dernière  conféquence  ,  afin  de  fçavoir  d'eux  ,  fî  l'on 
pouvoit  l'exécuter  en  fureté  de  confcience.  Cette  réponfe 
augmenta  le  foupçon  ,  qu'il  fe  tramoit  en  efFet  quelque  coup 
d'éclat.  Enfin  après  plufieurs  de  ces  fortes  d'afîemblées  dans 
la  maifon  de  la  Bruyère  &  de  Launoy ,  on  parla  toujours  , 
pour  écarter  tout  foupçon  ,  de  renouveller  le  ferment  de 
l'Union  ,  dont  Buify  produifoit  toujours  Tacte  en  blanc  avec 
les  fignatures. 

Les  conjurés  fè  trouvèrent  en  armes  la  nuit  du  14.  au  i  5. 
de  Novembre ,  devant  la  maifon  de  Pelletier  ,  qui  alla  lui- 
même  de  grand  matin  avec  la  Bruyère,  trouver  près  de  S. 
Euftache  ,  un  Efpagnol  appelle  Ligoreto.  Il  avoit  en  main 
un  mémoire  figné  de  Bufly  ,  de  Louchard  ,  de  Crucé ,  de 
Soly ,  &  de  Saintion ,  dans  lequel  ils  rendoient  raifon  des 
motifs  qui  leur  avoient  fait  prendre  les  armes.  Hamilton 
fuivi  d'autres  féditieux  ,  alla  porter  un  femblable  écrit  figné 
par  les  mêmes  perfonnes ,  à  Alexandre  de  Monti  chef  des 
troupes  Napolitaines.  On  détacha  en  même  tems  des  gens 
pour  conduire  au  petit  Châtelet  le  Préfident  Brifibn  ,  qui 
alloît  au  Parlement.  L'ayant  rencontré  fur  le  pont  S.  Mi- 
chel ,  ils  le  firent  pafTer  par  une  rue  qui  eft  à  droite  ,  en  lui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        443 

difant  qu'on  l'attendoic  à  l'Hôtel  de  ville.  Lorfqu'il  vint  à  '  m  1 
paffer  fous  le  petit  Châtelet,  ils  le  forcèrent  d'entrer  dans  He  n  ri 
cette  prifon.  I  V. 

Cromé  ,  ennemi  juré  de  ce  Magiftrat ,  fe  préfenta  d'abord     i  c  9  [ . 
à  lui  revêtu  d'une  cotte  d'armes.  Enfuite  lui  ayant  ôté  fon 
chapeau ,  il  le  fît  mettre  à  genoux  ,  &  lui  lut  fa  fentence , 
qui  le  condamnoit  à  la  mort ,  comme  atteint  èc  convaincu 
du  crime  de  léze-Majefté  divine  &  humaine.  Frappé  d'eton- 
jiement  à  cette  lecture ,  BriiTon  demanda  par  quels  Juges , 
&  fur  quels  indices  il  avoit  été  condamné  ,  &  quels  etoienc 
les  témoins  qui  dépofoient  contre  lui.    Les  aflillans  s'étanc 
mis  à  rire  de  la  manière  dont  il  le  défendoit ,  on  lui  dit  qu'il 
n'avoit  point  de  tems  à  perdre.   Ce  Magiftrat  eut  alors  re- 
cours aux  prières ,  ôc  demanda  à  être  enfermé  pour  achever 
un  ouvrage ,  dont  fa  mort  alloit  priver  la  République.  Mais    n  cfi  pendu 
ks  ennemis  demeurant  inflexibles  ,  il  eut  même  de  la  peine  pariafadtion 
à  obtenir  aiîèz  de  tems  pour  fe  confefler.  Cromé  prefTanc    "  ^^'^^* 
l'exécution  de  la  fentence ,  ce  Magiflrat  fut  pendu  à  une 
cchelle  attachée  à  une  poutre. 

On  amena  le  même  jour  devant  Buiïy  6c  Tes  complices  ,  i^  Préfident 
deux  Magidrats  qu'on  avoit  arrêtés.   Le  premier  étoit  Clau-  Larcher  & 

'ir  i  .^,.  11  ^  'j>  Tardif  ont  le 

de  Larcher,  qui  eroit  cruellement  tourmente  dune  goûte  même  fort. 
nouée.  Ce  Magiflrat,  dont  les  mœurs  étoient  pures  &  in- 
nocentes ,  n'eut  pas  pltitôt  apperçu  le  corps  du  Préhdenc 
BriiFon ,  qu'il  interrompit  Cromé  qui  lui  lifoit  fa  fentence, 
&  s'écria  que  la  vie  lui  étoit  à  charge  ,  après  l'indigne  trai- 
tement qu'on  avoit  fait  à  ce  grand  homme.  Enfuite  s'étanc 
confeûTé  ,  il  fe  prépara  à  la  mort  avec  beaucoup  de  conftan- 
ee.  Le  fécond  fut  Jean  Tardif  du  Ru  confeiller  au  Châtelet, 
homme  fîmple  èc  plein  de  candeur  ,  à  qui  les  fadieux  fi- 
rent le  même  traitement.  Son  prétendu  crime  étoit  d'avoir 
parlé  un  peu  librement  contre  les  Seize  dans  une  allemblée 
publique ,  &c  d'avoir  répandu  dans  Paris  un  écrit  lur  l'ori- 
gine des  troubles  de  France ,  rempli  de  fiel  &  d'amertume 
contre  les  princes  de  la  maifon  de  Lorraine  ôc  contre  les  Li- 
gueurs ,  adrefîè  au  Pape  Sixte  V.  par  Louis  de  Gonzague 
duc  de  Ne  vers,  dans  la  maifon  de  qui  Tardif  6c  (a  famille 
avoient  commence  leur  rortune. 

Les  corps  de  ces  trois  Magiftrats  ayant  été  tirés  le 

KKk  ij 


444  HISTOIRE 

■j :  lendemaîn  de  la  pnTon  ,  furent  attachés  à  trois  gibets  devant 

H  £  N  R.  I  l'Hôtel  de  ville  dans  la  place  de  Grève  ,  avec  des  ecriteaux 
1  V.  contenant  des  faulïetés.  Après  avoir  été  expofés  pendant 
1591,  deux  jours  à  la  fureur  de  la  populace,  enfin  quelques  amis 
les  enlevèrent  durant  la  nuit,  &  leur  donnèrent  la  fepul* 
ture.  Outre  l'attachement  que  Cromè  avoic  pour  les  Elpa- 
gnols ,  on  dit  qu'il  avoit  encore  des  motifs  particuliers  de 
haine  contre  le  Prè/ïdent  BrilFon  ,  qui  l'avoient  porté  à  cet 
horrible  attentat.  Son  père  ,  qui  étoit  Trèibrier  de  TEpar- 
gne  ,  ayant  été  accufè  de  péculat  vingt-cinq  ans  aupara- 
vant par  les  Etats  de  Bourgogne ,  Brillbn  alors  Avocat  le 
chargea  de  l'affaire  des  Etats  ^  &c  ayant  prononcé  à  ce  fujet 
quelques  plaidoyers  fort  éloquens  &c  fort  travaillés ,  il  ga- 
gna la  caufe ,  6c  conftata  le  crime  de  l'acculé.  Cromé  con- 
lerva  toujours  depuis  un  vif  relfentiment  de  cette  affaire  j 
&  quoique  le  tems  dût  en  avoir  effacé  le  fouvenir  ,  au  juge- 
ment des  perfonnes  équitables ,  àc  que  Brilfon  fût  excufable 
par  la  qualité  de  fon  miniflére  ,  rien  néanmoins  ne  put  ap- 
paifer  Cromé  ,  ni  éteindre  le  defir  ardent  qu'il  avoit  de  fe 
ven2;er ,  juiqu'à  ce  qu'il  eût  trouvé  l'occafion  d'aflbuvir  fa 
fureur. 

Après  cette  adion  hardie  ,  les  Seize  croyant  avoir  dé- 
truit le  Parlement  ,  &  éteint  la  lumière  de  la  Juftice  dont 
ils  ne  pouvoient  foutenir  l'éclat ,  ils  fe  flattèrent  d'avoir  ré- 
duit le  duc  de  Mayenne  même  ,  qui,  comme  ils  le  difoient , 
fermoit  les  yeux  fur  plufieurs  choies ,  &  ne  gouvernoit  pas 
l'Etat  à  leur  gré.  Ils  s'applaudiffoient  de  n'avoir  plus  d'ob- 
ftacles  à  leurs  delfeins  ^  de  pouvoir  félon  leur  caprice  dif- 
poler  de  PEtat ,  &  appelier  qui  bon  leur  fembleroit  à  la  fuc- 
celfion  de  la  Couronne  j  fucceffion  qu'ils  regardoient  com- 
me vacante  ôc  incertaine  3  car  ils  ne  doutoient  point  que 
toutes  les  villes  du  Royaume  ne  fuiviifent  l'exemple  de  la 
Capitale  ,  dont  la  révolte  avoit  entraîné  celle  de  la  France 
entière, 
lettre  aes  Ainfi  voulant  rendre  leurs  intentions  publiques  ,  ils  écri- 
Ligueursau  virent  le  20.  de  Novembre  au  roi  d'Efpagne  ,  &  chargè- 
loidtfpa-     ygj^j.  jg  jg^jj-  lettre  le  Te  fui  te  Claude  Mathieu  (t)  ,  qui  leur 

gnc.  -^ 

.  (i)  Le  P.  Daniel  dit  que  ce  Mathieu  j  mort ,  félon  lui ,  trois  ans  auparavant 
n'étoit  point  le  P.  Matthieu  Jefuite  ,  |  en  Italie. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL         445 

en  avoîc  apporté  plufieurs  de  la  parc  de  Philippe.    Ayant  ■' 

d'abord  remercie  dans  cette  lettre  ce  Prince,qu'ils  appelloi^^nt  Henri 
leur  père  &  leur  protedeur  ,  de  tous  les  bienfaits  dont  I  V. 
il  les  avoit  combles,  ils  lui  recommandoient  fort  au  long  1591. 
Charle  de  Guife  fils  de  Henri  de  Guife  ,  qu'ils  honoroient 
du  titre  de  premier  Martyr  de  la  France  j  ils  diloient  qu'ils 
avoient  ret^u  la  nouvelle  de  (on  évafion  de  la  citadelle 
de  Tours  ,  dans  le  mois  dernier  ^  mois  toujours  favora- 
ble aux  Catholiques  :  Qiie  c'étoit  dans  ce  même  mois 
qu'étoic  arrivé  en  i  572.  le  maflacre  des  Proteftans  ,  dans 
lequel  avoit  été  enveloppé  l'amiral  de  Chatillon  ,  dont  la 
mort  avoit  délivré  les  Païs-bas  de  la  crainte  de  la  guerre, 
qu'il  avoit  delTein  d'y  porter  :  Qiie  c'étoit  encore  dans  ce 
mois  que  le  Roi  Henri  III.  avoit  été  tué  par  un  coup  du 
ciel ,  devant  les  murs  de  Paris  qu'il  affiégeoit ,  pour  tirer 
vengeance  àes  habitans  de  cette  ville  ,  en  la  ruinant  de  fond 
en  comble  :  Que  dans  le  mois  de  Novembre  de  l'année  pré- 
cédente ,  cette  ville  réduite  aux  dernières  extrémités ,  vain^ 
eue  par  la  faim  ,  6c  qu'on  ne  penfoit  pas  pouvoir  tenir  plus 
de  trois  ou  quatre  jours ,  avoit  été  fecouruc  à  tems  par  le 
duc  de  Parme ,  qui  ne  faifoit  qu'exécuter  les  ordres  de  Sa 
Majefté  Catholique.  Us  ajoûtoient  que  dans  les  circonftan- 
ces  où  la  France  fe  trouvoit  après  tant  de  malheurs ,  les  par- 
ticuliers,  ainfî  que  l'Etat  ,  ayant  perdu  leurs  revenus  j  le 
commerce  ,  qui  faifoit  toute  la  force  du  Royaume  ,  étant 
ruiné  ,  on  étoit  prefque  réduit  au  défefpoir  •  èc  qu'il  ne  leur 
reftoit  plus  d'autre  refTource  ,  que  la  protection  de  Sa  Ma- 
jefté :  Qiie  voyant  que  les  aftaires  empiroient  de  jour  en  jour  3 
que  les  loix  divines  &  humaines  étoient  confondues  dans 
l'Etat  3  que  les  Francjois  accoutumés  à  reconnoître  un  Mo- 
narque ,  ne  pouvoient  fe  pafîer  plus  longtems  d'un  Roi  3  ils 
afluroient  Sa  Majefté  que  tous  les  gens  de  bien  fouhaitoient 
avec  ardeur  de  le  voir  prendre  en  main  les  rênes  du  gouver- 
nement ,  ou  les  confier  au  moins  à  celui  qu'il  voudroit  ho- 
norer du  mariage  de  l'Infante  Sereniffime  ,  dont  ils  admi- 
roient  &  refpectoient  les  vertus  héroïques  de  l'augufte  génie , 
qu'ils  efperoient  devoir  être  un  jour  aufîî  favorable  à  la 
France  ,  que  l'avoit  été  celui  de  la  reine  Blanche  de  Caftillç 
mère  de  S.  Louis. 

K  K  k  iij 


44^  HISTOIRE 

Outre  cette  lettre ,  Matthieu  ,  fur  qui  ces  féditîeux  pou- 
H  £  N  RI  voient  compter,  avoit  de  fecretes  inftrudions ,  qu'il  ne  de. 
I  V.  voit  communiquer  que  de  vive  voix  au  roi  d'Efpagne.  Cette 
IÎ9I.  lettre  que  Gilbert  de  Chaferon  gouverneur  du  Bourbon- 
nois  envoya  au  Roi ,  après  l'avoir  furprife  en  chemin  ,  étoîc 
fignée  par  le  Dodeur  Martin  ,  par  Genebrard  aulfi  Docteur 
&  ProfelFeur  royal ,  par  Soly  ,  Turquet ,  Olivier  Ménager, 
Rainfant ,  Nicolas  Ameline ,  Louchard  ,  L.  M.  de  Cromë  , 
Hhard  la  Capelle  de  Nice  ,  Jean  Hamilton  ,  Crucé  ,  Acarie 
maître  des  Comptes,  Matthieu  Launoy  ,  &  la  Bruyère.  Mais 
ces  fadieux  furent  trompés  dans  leur  efpérance  3  car  le  duc 
de  Mayenne  ,  dont  le  courage  ëgaloit  la  prudence ,  voyant 
que  ces  coups  partis  de  la  main  des  Erpagnols  ne  tendoienc 
qu'à  le  dépouiller  de  Ton  autorité  ,  &  n'étoient  portés  que 
pour  lier  le  peuple  à  leur  parti  par  le  crime ,  Se  le  déferpoir 
d'en  obtenir  le  pardon  ,  de  manière  qu'il  ne  pût  s'en  déta- 
cher enfuite  ,  il  réfolut  de  fe  rendre  inceflamment  à  Paris , 
pour  arrêter  ces  funeftes  complots. 

Il  partit  de  SoilTons  accompagné  de  Louis  de  l'Hofpital 
de  Vitry ,  pour  aller  à  Paris  ,  quoiqu'il  fut  fur  le  point  de 
fe  joindre  au  duc  de  Parme  ,  qui  venoit  à  la  tête  de  l'armée 
auxiliaire.  Le  roi  d'Efpagne  avoit  alors  un  Ambafïàdeur 
dans  cette  Capitale ,  nommé  D.  Diegue  d'Ibarra  ,  homme 
très-vif  àc  très  fier ,  qui  avoit  trempé  dans  la  mort  des  Ma- 
giftrats  dont  nous  avons  parlé.  Cet  Efpagnol  voyant  les  ef. 
prits  aigris  ôc  aliénés  par  cet  attentat ,  au  lieu  d'en  être  con- 
cernés &  abattus  ,  comme  il  s'en  étoit  flatté ,  faifoit  tous 
fes  efforts  pour  affoupir  l'affaire  ,  6c  n'étoit  pas  de  l'avis  du 
duc  de  Mayenne  ,  qui  vouloit  faire  un  exemple  ,  afin  de 
reprimer  une  licence  fî  effrénée.  L'Efpagnol  infmuoit  fou- 
vent  dans  {qs  difcours  qu'il  ne  falloir  pas  dans  un  parti  fuivre 
toujours  le  droit  à  la  rigueur  -,  àc  qu'il  étoit  néceflaire  de  fer- 
mer les  yeux  fur  bien  des  chofes  3  qu'autrement  on  révol- 
teroit  plutôt  les  efprits  ,  qu'on  ne  les  retiendroit  dans  la 
foumiffion  en  voulant  les  alfujettir  à  des  régies  trop  févéres  • 
que  chacun  ne  fe  conduifant  dans  ces  fortes  de  partis  que 
par  des  vues  particulières ,  un  Prince  fage  devoit  diflimuler  , 
iufqu'à  ce  qu'ayant  conduit  les  chofes  à  fes  fins ,  il  n'eût  plus 
beloin  de  ceux ,  dont  il  avoit  les  crimes  en  liorreur.  Il  ajoûtoit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL         447 

â  ces  raifons  les  menaces  des  fadieux  ,  qu'il  rapportoic  au  __i__jj[ 
duc  de  Mayenne  ,  pour  le  détourner  de  Ton  deflein  ,  en  lui  H  £  n  r  i 
faifant  appréhender  une  fédicion.  Mais  ce  Prince  rélblu  de       I  V. 
conferver  le  pouvoir  qu'on  vouloir  lui  enlever,  répondit  à      i  591» 
Ibarra  qu'il  etoit  néceiFaire  de  faire  un  exemple  ,  pour  dé- 
tourner la  haine  publique  ,  que  l'ennemi  voulut  faire  tom- 
ber fur  lui ,  en  publiant  dans  les  autres  villes  qu'il  ne  lailloit 
commettre  ces  crimes  ,  que  pour  abandonner  enfuite  dans 
tout  le  Royaume  ,  les  plus  riches  familles  à  la  difcrétion  de 
ces  fcélérats  de  la  lie  du  peuple ,  àc  que  dans  le  deilein  de 
fonder  un  nouvel  empire  en  France ,  après  avoir  renverfé 
les  loix  de  l'Etat ,  &;  détruit  l'ancienne  Noblelîè. 

Le  Duc  nefe  lailTant  donc  point  ébranler  par  les  raifons 
fpécieufes  de  l'Efpagnol  ,  fut  encore  affermi  dans  fa  réfo- 
lution  par  le  baron  de  Vitri ,  qui  prenant  fur  lui  tout  le  péril 
que  les  Efpagnols  vouloient  faire  appréhender  ,  s'ofFrit  d'ar- 
rêter lui-même  les  coupables.  Le  duc  de  Mayenne  traita 
d'abord  avec  BulTy  qui  remit  la  Baftille  entre  les  mains ,  à 
condition  qu'on  ne  le  rechercheroit  point  à  l'occafion  de  la 
mort  de  BrilTon  &;  des  autres  Magiftrats.  Il  mit  garnifon 
dans  cette  ForterefTe  fous  les  ordres  du  brave  du  Bourg  ,  de 
la  fidélité  duquel  il  étoit  affûré.  Enfuite  il  chargea  Vitry 
d'arrêter  Louchard  ,  Barthelemi  Anroux  Banquier  ,  Jean 
Emonot  Procureur  ,  &:  Nicolas  Ameline.  Ce  dernier  avoic 
préfenré  depuis  quelques  mois  une  requête  à  l'afîemblée  des 
Ligueurs ,  afin  qu'on  ôtât  la  connoilTance  de  fes  affaires  au 
Parlement ,  &  pour  obtenir  que  le  décret  donné  contre  lui 
ne  fût  point  exécuté  ^  parce  que ,  difoit-il  ,  dans  cette  re- 
quête, il  étoit  un  de  ceux  qui  s'étoient  trouvés  en  armes  au 
Parlement ,  quand  on  le  conduifît  à  la  Baftille, 

Ces  fadieux  ayant  été  enfermés  au  Louvre ,  furent  pen^. 
dus  dans  une  falle  bafîè  le  4.  Décembre.  Ce  fut  le  terme  de 
la  tyrannie  que  les  Seize  éxerçoient  dans  Paris.  La  liberté 
commença  alors  à  y  renaître  en  quelque  hi^on  ,  &:  le  duc 
de  Mayenne  y  raffermit  fa  puiffance.  Ces  fcélérats  furent 
aufTi  méprifés  &  aufïî  odieux ,  qu'ils  avoient  été  puilfans  ôc 
formidables.  On  fît  inutilement  chercher  Cromé  ,  qui  s'é- 
toit  retiré  parmi  la  garnifon  étrangère.  Il  vécut  miférable- 
ment  depuis  ,  julqu'à  l'entrée  du  Roi  à  Paris  ,  d'où  il  fe 


44^  HISTOIRE 

'EË^  recira  dans  les  Païs-bas  avec  hs  troupes  d'Efpagne  ,  fans  eC 
Henri  pérance  d'obtenir  jamais  fa  grâce.  Les  Miniftres  Efpagnols 
I  V.  empêchèrent  le  duc  de  Mayenne  d'étendre  plus  loin  la  pu- 
I  55)  t,     nition  des  factieux. 

Jean  Boucher  Curé  de  S.  Benoît  Ligueur  des  plus  furieux, 
eut  l'audace  de  fe  plaindre  de  leur  fupplice  au  nom  des  Ca- 
tholiques &  des  zélés ,  dans  un  difcours  qu'il  prononça  de- 
vant le  duc  de  Mayenne.  Il  poufla  même  l'effronterie ,  juf- 
qu'à  donner  le  nom  de  cruauté  à  la  jufte  punition  de  ces  fé- 
ditieux  ,  qu'il  honora  avec  impudence  du  glorieux  titre  de 
Martyrs  de  Dieu.  Le  Duc  répondit  en  peu  de  mots  avec  fa 
prudence  ordinaire  j  que  l'obéïlîànce  étant  nécefTaire  dans 
un  parti  formé  pour  la  défenfe  de  la  Religion  ,  il  avoit  fallu 
faire  un  exemple  fur  quelques-uns ,  pour  intimider  les  autres, 
afin  de  les  retenir  dans  la  foumilîion  :  Qu'au  refte  il  auroic 
foin  de  délivrer  les  bons  Catholiques  de  la  crainte ,  où  le 
Curé  de  S.  Benoît  difoit  qu'ils  étoient. 

Il  donna  enfuite  un  Edit ,  dans  lequel ,  après  avoir  détefté 
l'horrible  attentat  des  furieux  qu'il  avoit  fait  punir  du  der- 
nier fupplice  ,  il  déclara  que  la  vindide  publique  étoit  fatis- 
faite  ,  êc  fit  grâce  aux  autres  qui  avoient  trempé  dans  ce 
crime  ^  à  l'exception  de  Cromé  ,  d'Adrien  Cochery  ,  6c  du 
Greffier  j  avec  défenfes  exprefles  fous  peine  de  mort ,  de  te- 
nir ces  aflémblées  fecretes ,  qui  avoient  occafionné  ces  exé- 
crables complots.  Cet  Edit  fut  enregiftré  au  Parlement  le 
10.  de  Décembre  d'un  confentement  général.  Le  Greffier 
ayant  été  arrêté  à  Melun ,  fut  puni  du  dernier  fupplice  ^  6c 
le  bourreau  qui  s'étoit  prêté  à  la  fureur  des  conjurés ,  fut 
pendu  après  la  rédudion  de  Paris. 

On  fit  alors  une  recherche  éxade  des  complices  de  la 
mort  de  BriiFon  &:  des  deux  autres  Magîftrats.  Ceux  qui 
ctoient  dans  la  ville  ,  &  qui  avoient  couru  les  mêmes  rifques, 
facrifiérent  les  coupables  à  leur  vengeance  particulière  ,  fous 
prétexte  de  punir  le  crime.  Les  Royaliftes  fe  vengèrent  dans 
la  fuite  avec  beaucoup  plus  de  modération  que  les  Ligueurs  j 
ayant  étouffé  tout  reiïentiment  après  la  prife  de  Paris  ,  ils 
ne  voulurent  point  donner  atteinte  par  la  févérité  des  loix  , 
à  l'amniftie  générale  que  le  Prince  avoit  accordée.  Ils  di- 
foient  à  ce  fujet ,  qu'il  étoit  indigne  ,6c  contre  toute  raifon, 

de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL        449 

<3e  s'acharnera  venger  Tes  injures  particulières,  tandis  que  ■■ 

la  mort  du  feu  Roi ,  qui  intéreiToit  tout  l'Etat ,  demcuroit  H  e  n  k  i 
mipunie.  I V. 

Pendant  que  le  duc   de  Mayenne  rafFermiffoit  ainiî  fa     1591. 
puiiïance  dans  la  capitale  du  Royaume ,  le  Roi  après  la  prife 
de  Noyon  s'étoit  avancé  avec  quelques  troupes  jufque  fur 
la  frontière,  pour  fe  joindre  à  l'armée  auxiliaire  que  le  vi- 
comte de  Turenne ,  ôcle  prince  d'Anhalt  lui  amenoient  d'Al- 
lemagne. Il  fe  détourna  de  fon  chemin ,  afin  d'aller  à  Sedan 
pour  y  ménager  le  mariage  du  Vicomte  avec  Charlotte  de     Mariage  de 
la  Marck ,  que  Guillaume-Robert  de  la  Marck  fon  frère ,  Fî^rh'^  ^'^ 
mort  depuis  trois  ans  a  Genève ,  avoit  fait  Ion  héritière  le  vicomte  de 
univerfelle,  à  condition  qu'elle  èpouferolt  un  Proteftant.  Tmennt. 
Charle  duc  de  Lorraine  fouhaitoit  ce  mariage  pour  fon  fils, 
afin  de  joindre  à  f^^s  Etats  Sedan  &  Jamets ,  places  fortes 
par  leur  affiète.  Ce  Prince  ayant  fait  la  guerre  à  Charlotte 
de  la  Marck,  après  la  mort  de  fon  frère, il  ne  vouloit  lui 
donner  la  paix  qu'à  cette  condition.   Louis   de  Gonzague 
duc  de  Nevers  ,   qui  ètoit  alors  du  parti  du  Roi ,  &:  qui 
poiTèdoit  le  duché  de  Rherelois  dans  le  voifinage  de  ces 
places ,  briguoit  aufli  en  fecret  cette  alliance  pour  fon  fils. 
Jl  ne  doutoit  pas  que  fi  Charlotte  époufoit  un  Catholique, 
le  Roi,  fans  le  confentement  duquel  elle  ne  pouvoit  fe  ma- 
rier, ne  préférât  le  duc  de  Rhetelois  fon  fils  au  prince  de 
Vaudemont.  Mais  Henri  ètoit  bien  éloigné   de  fe  rendre 
auxdéfirs  de  l'un  &:  de  l'autre. 

Le  duc  de  Lorraine  s'èroit  déclaré  fon  ennemi  juré  pen- 
dant tout  le  cours  de  la  guerre  3  ôc  le  duc  de  Nevers  lui  croit 
fufped  à  caufede  fes  fcrupules  continuels  au  fujer  de  laRe- 
L'gion.  Il  jetta  donc  \qs  yeux  fur  le  vicomte  de  Turenne, 
pour  ôter  toute  efpérance  aux  deux  autres.  Ce  Seigneur, 
qui  avoit  autrefois  commandé  les  armées  des  Proteftans , 
joignoit  beaucoup  d'efprit  &  de  valeur  à  une  très  -  haute 
Eaiirance.  Le  Roi  avoit  fes  vues ,  en  lui  procurant  l'alliance 
de  Charlotte  de  la  Marck  j  il  couvrait  par  ce  moyen  la 
frontière ,  en  y  mettant  pour  veiller  à  fa  fureté  ,  le  vicomte 
de  Turenne.  L'oppofant  également  à  un  ennemi  déclaré, 
&  à  un  ennemi  iufped  ,  il  l'éloignoit  en  même-tems  dc$ 
grandes  terres  qu'il  poifèdoit  en  Auvergnc,dans  le  Rouergue, 
Tome  XL  LLl 


4fo-  HISTOIRE 

dans  le  Qnercy,  en  Limoufîn ,  &  dans  le  Perîgord, 
Henri  Ce  mariage  ayant  été  accompli,  le  Roi  fe  rendit  à  Ac- 
I  V.  tigny  le  i.  Octobre  3  &  f^achanc  que  les  troupes  du  Pape- 
î  S9  r.  étoient  déjà  arrivées  à  Verdun  ,  il  s'avança  avec  mille  ca- 
valiers François,  6c  trois  mille  chevaux  Allemands  jufqu'à; 
Grand  Pré  ,  qui  appartient  à  la  Maifon  de  Joyeufe.  Il 
apprit  en  cet  endroit  par  des  efpions,  que  la  cavalerie 
Lorraine  campoit  avec  une  partie  des  troupes  de  Mayenne 
fous  les  ordres  d'Africain  Anglure  d'Amblife,  à  Mont- 
Faulcon  fur  la  Meufe ,  à  cinq  lieues  de  Grand-Pré.  Il  eue 
enfuite  avis  dans  fa  marche,  que  d'Amblife  marchoit entre 
Stenay  ôc  Ville-Franche ,  dans  le  deifein  d'aller  attaquer  les 
troupes  qu'il  avoit  lailfees  fur  l'Aumon.  Mais  ce  Générai 
ayant  eu  nouvelle  de  l'arrivée  du  Roi  fur  la  Meufe  ,  &c  que 
ce  Prince  tiroit  du  côté  de  Verdun ,  il  fe  retira  à  Dam- 
villiers.  Le  Roi  fit  partir  le  brave  Fournier  à  la  tête  d'un- 
détachement,  qu'il  fit  fuivre  par  Givry ,  Commandant  de 
la  Cavalerie  légère  en  l'abfence  du  comte  de  Clermont, 
afin  d'attirer  au  combat  les  ennemis ,  qu'ils  pouriuivirent 
jufqu'aux  portes  de  Verdun.  Les  ennemis  ayant  paru  eii' 
bataille  après  un  grand  orage  que  nos  troupes  avoient  efluyé,- 
on  envoya  contr'eux  Charle  Praflin  de  Choifeuil ,  Gilbert, 
de  la  Curée  ('i),  &  Charle  d'Ognies  de  la  Hargerie,  qui 
furent  fuivis  de  Charle  de  Luxembourg  comte  de  Brienne, 
&  de  Claude  de  l'Ifle  de  Marivaux  3  on  fe  contenta  d'efl 
carmoucher  de  part  &  d'autre. 

Le  Roi  prévoyant  qu'on  pourroit  bien  les  prendre  en 
queue  dans  la  chaleur  de  l'adion  ,  fit  avancer  Charle  de 
Biron  à  la  tête  d'un  détachement ,  avec  François  Juvenai 
de  la  Chapelle  aux  Urfins ,  pour  empêcher  qu'on  ne  les 
envelopât  par  deniére.  Les  ennemis  perdirent  fix  des  leurs, 
La  Curée  ,  &  Choifeuil  eurent  leurs  chevaux  tués  fous  eux, 
&  ne  furent  point  bleiîés.  Jean  de  Vivonne  marquis  de  Pi- 
fany,  qui  étoit  avec  le  Roi ,  ayant  rencontré  par  hafard  un- 
cavalier  Romain  de  fa  connoifTance  ,  apprit  de  lui  que  l'ar- 
mée ennemie  ,  dont  les  maladies  6c  les  fatigues  d'une  longue 
marche  avoient  emporté  un  grand  nombre  de  foldatSjn'é- 
roit  compofée  que  de  huit  mille  chevaux  ,  de  douze  cens 

(,i)    Le  Père  Daniel  iappclh Defcures, 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CïL      45T 

iiommcs  d'infanterie  ,  &  de  crois  mille  SuiiFes.  

Le  Roi  campa  à  la    vue  de  Verdun  5  mais  ne  voyant  77 
point  paroîcre  l'ennemi ,  il  fè  retira  le  lendemain  j  èc  s'étant     J^^ 
emparé  du  Fort  de  Mont-Faucon  ,  il  revint  en   deux   jours 
à  Attigny  par  Grand.Préle  5.   d'Odobre.  Quelque   tems     M9i 
après  il  recrut  en  cet  endroit  la  nouvelle  delà  mortdeFran- 


EN  RI 


qui  n'avoit  guérès  ph  _  . 
déjà  couru  à  cet  âge  une  infinité  de  dangers ,  èc  s'étoit  ac- 
quis une  fi  grande  réputation  ,  qu'on  n'avoit  pas  de  peine 
à  croire  qu'il  auroit  un  jour  furpaflë  la  réputation  de  Ton 
père,  6c  de  fon  ayeul  dans  le  métier  des  armes,  fî  la  mort 
ne  l'en  eût  empêché.  Il  joignoità  beaucoup  de  politefleune 
connoiflance  parfaite  de  l'arc  Militaire,  Ôc  des  Mathémati^ 
ques  5  il  étcit  même  très-habile  Machinifte.  C'étoitlui  qui 
avoic  facilité  la  prife  de  Chartres  par  fon  induftrie.  Lorf- 
que  la  mort  le  furprit,  il  faifoit  équiper  dts  vailTeaux  pour 
le  voyage  des  Indes  ^  il  étoic  Amiral  de  Guyenne,  charge 
que  le  Roi  continua  à  ics  enfans  en  récompenfe  des  grands 
fervices  que  cette  maifon  lui  avoit  rendus.  Chaflillon  avoic 
eu  de  Marie  d'Ailly  de  Picquigny  trois  fils ,  qui  héritèrent 
de  fon  courage ,  éc  de  la  valeur  de  leurs  ancêtres.  L'aîné 
appelle  Henri,  Colonel  d'un  régiment,  après  avoir  donné 
de  grandes  preuves  de  fon  courage  au  fîége  d'Ofbende ,  y 
avoic  écé  tué  deux  ans  auparavant.  La  mort  de  Chaftillon 
renouvella  la  douleur  que  celle  du  brave  de  la  Noue  avoic 
caufée  au  Roi.  La  perte  de  ces  deux  Officiers  généraux  lui 
fut  auflifenfible,  que  lui  eût  été  la  perte  de  deux  batailles. 

SaMajefté,  dont  les  forces  étoienc  augmentées  par  la  _  _  .  _, 
jonaion  de  1  armée  auxiliaire,  rcloluc  pour  le  bien  de  les  ge  ruucu. 
affaires  de  redoubler  fes  efForcs ,  afin  d'avoir  en  fa  puiil^mce 
quelque  riche  Province  d'où  il  pûc  tirer  des  fecours  d'ar- 
gent pour  fubjuguer  les  autres  Provinces  avec  plus  de  fa- 
jcilité.  Depuis  longtems  il  avoit  defîèin  d'aiTiéger  Rouen 
capitale  de  la  Normandie  ,  dont  la  prife  devoir  le  mettre 
jen  pofFefTion  de  la  plus  floriiTante  province  du  Royaume. 
Après  un  long  fiége,il  s'étoit  rendu  maître  d'Avranches, 
ville  épifcopale  ,  que  le  duc  de  Monpenfiervenoit  d'obliger 

LL 1  ij 


452  HISTOIRE 

?5if?!!!?'?î?!!!?!  à  capîculer.  Il  lui  refloic  encore  à  prendre  le  Havre-de- 

Henri  Grâce ,  &  Honiieur   qui  avoic  été  furpris  depuis  peu  par 

IV.       le  chevalier  de  Grillon.  Il  y  avoit  toute  apparence  que  ces 

I  for.     deux  villes,  iîtuées  à  l'embouchure  de  la  Seine,  de  l'un  ÔC 

de  l'autre  côté  de  ce  fleuve  ,  ne  tiendroient  pas  longcems 

après  la  prife  de  Rouen  5  du  moins  on  pouvoit  les  bloquer 

de  telle  manière,  qu'elles  n'empêcheroient  pas   le  Roi  de 

jouir  paifiblemenc  de  fa  conquête. 

Les  autres  villes  de  Normandie  fournirent  à  l'envi  de 
l'argent  6c  des  munitions  de  bouche  pour  cette  expédition. 
On  lit  de  grands  préparatifs  à  Evreux,  à  Dieppe  ,  auPon^- 
teau-de-Mer,  à  Cacn,  de  au  Pont^de-l'Archc.  L'abondance 
de  bleds  qu'on  avoit  trouvée  depuis  peu  à  la  priië  de  Lou- 
viers ,  fut  un  puiflant  motif  pour  faire  le  fiége  de  Rouen  , 
que  la  reine  d'Angleterre,  dont  on  fuivoit  exactement  les 
avis  dans  cette  guerre,  confeilloit  aulFi ,  dans  la  crainte  qu2 
la  Ligue  ne  prk  le  delTus  en  Normandie  &  en  Bretagne  ,  ce 
qui  pouvoit  porter  préjudice  à  fes  Etats,  Elifabeth  avoit 
fourni  l'argent  d'une  partie  des  levées  en  Allemagne  j  &  elle 
entretenoit  en  France  un  grand  nombre  de  troupes  à  fes 
frais.  Le  Roi  avoit  dépêché  vers  cette  PrincefTe  au  mois 
de  Septembre  la  Place  de  Ruiîy  pour  hâter  l'embarque- 
ment des  fecours  qu'elle  devoit  envoyer.  A  tous  ces  motifs 
fc  joignoit  encore  la  facilité  défaire  aborder  en  cet  endroit 
plus  aifément  qu'ailleurs  la  flote  des  Holiandois  ,  dont  on 
iè  flatoit  de  tirer  de  grands  avantages  pour  le  fiége  de 
Rouen. 

Les  habitans  de  cette  ville  ne  re/loient  pas  dans  l'inaclion. 
Le  duc  de  Mayenne  leur  écrivit  du  Vermandois  ,  où  ii 
étoit  alors ,  pour  les  encourager  à  une  vigoureufe  défenfe. 
Il  avoit  donné  le  gouvernement  de  Rouen  à  Henri  d'Ar- 
guillon  fon  fils.  Mais  comme  fa  grande  jeunelTe  le  mettoit 
hors  d'état  de  bien  remplir  un  pofte  de  cette  importance, 
André  de  Villars  Brancas  gouverneur  du  Havre-de-Grace, 
quitta  cette  place  pour  fe  rendre  à  Rouen  en  qualité  de 
Lieutenant  du  Gouverneur  &  de  Commandant.  En  atten- 
dant fon  arrivée ,  les  Députés  du  Clergé ,  du  Parlement , 
de  la  Chambre  des  Comptes,  le  Maire  de  la  ville,  êc  les 
Efchevins  s'ailemblércnt  le  4.  d'Octobre. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  CIL       453 

Le  jeune  Gouverneur  leur  ayant  repréfenté  la  grandeur  ? 

de  l'affaire  dont  il  s'agilTbic  ,  leur  propofa  l'exemple  des  Henri 
Pariliens ,  pour  les  encourager  à  foûtenir  le  iîége  avec  vi-       j  y. 
gueur.  >j  Rien  ne  doit  vous  ébranler,  dit-il  j  le  roi  de  Na-      i  591. 
varre  ,  dont  les  troupes  (ont  épuifees  par  des  marches  in- 
certaines ,  pourra-t'il  refter  lonsitems  devant  vos  murs ,  fur-   ,^'î;^"" -f^ 

'  r  I      1,1  •      ^        1  r        r  1  1  ducd  Aiguil- 

tout  aux   approches  de  1  hiver ,  dont  les  loldats  auront  ion  aux  habt- 
à  loûtenir  la  rigueur^  auffi  bien  que  l'effort  de  nos  armes?  ""^• 
î  Le  fort  de  la  France,  ôc  le  falut  de  TEtat  dépendent   de 
î  la  réfiftance  que  vous  ferez.  Jettez   les  yeux   fur  la  fer- 
3  meté  des  Parifiens,  objet  de  l'admiration  du  monde  en- 

>  tier.  Regardez  d'un  autre  côté  quels  mépris  la  foiblefle 
)  des  habitans  de  Chartres  leur  a  attirés  3  èc  vous  ne  ba- 

>  lancerez  point  à  faire  un  choix  digne  de  vous.  Si  vous 
5  preniez  le  parti  d'ouvrir  vos  portes  à  l'ennemi ,  dans  quel 
î  affreux  défefpoir  ne  jetteriez-vous  pas  la  Capitale  du 
5  Royaume ,  &c  les  autres  villes  de  l'Union  .'  Rappeliez- vous 
5  la  conftance  des  habitans  de  Paris  après  la  malheureufe 
3  bataille  d'Ivry.  Toujours  animés  de  la  même  ardeur  dans 
3  la  confternation  générale ,  quoique  les  plus  expofés  au 
3  danger ,  ils  ont  foûtenu  jufqu'à  la  dernière  extrémité  les 
3  efforts  de  l'ennemi,  6c  les  ont  enfin  rendus  inutiles.  Nous 
3  ne  fommes  point  encore  dans  le  trifte  état  où  fe  trouvoic 
3  Paris  j  les  pafïages  éroient  fermés  de  tous  côtés  j  pour 
3  nous,  nous  avons  toute  liberté  du  côté  de  la  mer.  Honfieur 
3  d'une  part  ,&  le  Havre-de-Grace  de  l'autre  font  à  nous. 
3  Qu'avons-nous  donc  à  craindre  ?  Il  fuffit  pour  le  préfenc 
3  de  mettre  de  bonnes  garnifons  dans  le  Fort  de  Sainte  Ca- 
3  therine,  &dans  les  autres  Forts  de  la  vitle.  « 

Trois  jours  après ,  Villars  arriva  à  la  tête  de  fix  cens 
chevaux,  6c  de  douze  cens  hommes  de  pied,  dont  il  y  en 
avoit  deux  cens  armés  de  groffes  arquebufes ,  commandés 
par  Aimar  de  Chaftes  de  Geffan  ,  coufin  du  gouverneur  de 
Dieppe.  On  donna  la  garde  du  Fort  Sainte  Catiierine ,  du 
Château,  du  vieux  Palais,  6c  de  la  porte  de  Saint  Hilaire 
à  ces  troupes.  Les  Suiiïès  6c  les  habitans  furent  poftés  dans 
les  différents  quartiers  de  la  ville.  Le  Confeil  s'etant  affem- 
blé  le  lendemain  à  Saint  Oiien ,  on  chaffa  de  la  ville  ceux 
qui  étoient  fufpeds. 

L  L  1  il] 


454  H  I  S  T  O  I  Pv  E 

Cependant:  la  reine  d'Angleterre  iic  embarquer ,  à  lafol- 
Henri  lîcitacion  de  Rufly ,  fous  la  conduice  de  Robert  d'Evreu^ 
I  y,  comte  d'Eflex  ,  ûx  cens  chevaux ,  6c  deux  mille  cinq  cens 
i  rqj-  liommes  d'infanterie ,  qui  abordèrent  le  dernier  jour  d'Oc- 
tobre a.  Bouloo;ne ,  où  Henri  d'Orléans  duc  de  Longue- 
ville,  gouverneur  de  Picardie,  vint  les  recevoir  dix  jours 
après.  Ces  troupes  auxiliaires  s'étant  jointes  à  l'armée  Roya- 
le ,  on  commença  le  ficge  de  Rouen  le  1 1 .  de  Novembre, 
jour  de  la  fête  de  Saint  Martin.  Edouard  d'Evreux  fils  du 
iVére  du  comte  d'EfTex  ,  Colonel  de  l'inflmterie  Angloife 
ayant  éri  tué  quelque  tems  auparavant  à  la  tête  des  An- 
glois ,  près  la  porte  Cauchoife ,  qu'il  avoic  été  infulter , 
dans  une  des  courfes  que  Je  maréchal  de  Biron  faifoit  au- 
tour de  Rouen,  fut  la  première  victime  du  iiége  de  cette 
place.  Les  Anglois  mirent  fon  corps  dans  un  cercueil  de 
plomb  , &;  le  confervèrent  jufqu'à  leur  départ,  dans  lede(^ 
iein ,  comme  ils  le  diforent  eux-mêmes,  de  le  faire  entrer 
dans  la  ville  par  la  brèche ,  Ci  i'occafion  de  donner  un  aC 
faut  fe  préfentoit  ;  voulants  l'y  tranfporter  par  un  chemin  où 
il  les  auroit  conduits ,  fi  la  mort  ne  l'en  eut  empêché.  Mais 
n'ayant  pu  rendre  à  leur  chef  cet  honneur  militaire  ,  ils  rem- 
portèrent fon  corps  en  Angleterre. 

La  ville  de  Rouen  eft  renfermée  au  Midi  par  la  Seine  (i). 
Cette  place  eft  jointe  par  un  très-beau  pont  de  pierre  (2), 
au  fauxbouro;  Saint  Sever  fitué  de  l'autre  côté  du  jBeuve. 
Au  Septentrion  elle  cft  environnée  d\me  chaîne  de  hautes 
inontagnes ,  au  pied  defquelles  coule  la  petite  rivière  d'Au- 
bette,  qui  va  paifer  à  Darnetal  (3) ,  bourg  connu  par  fa  ma- 
Bufadure  de  Draps.  On  voit  aux  environs  de  la  ville,  6c 
comme  dans  un  de  fes  fauxbourgs ,  une  très-belle  prairie.  A 
l'Orient ,  au-delTus  du  chemin  de  Paris,  efblefort  de  Sainte 
.Catherine ,  bâti  fur  une  montagne  plus  haute  que  toutes 
les  autres,  aufquelles  elle  efb  contiguë.  Les  Royalifbes  s'é- 
toient  d'abord  emparé  de  ce  Prieuré  ,  que  Gabriel  de 
Montgorameri  avoit  fait  fortifier  trente   ans  auparavant. 

(  I  )  L'Auteur  dit ,  Sequant,  Mflua-  '  batteaux  ,  dont  la  ftruélure  eft  curieufe. 
yi«w2  ,  parce  que  la  marée  monte  juf- ■  On  voit  encore  quelques  pilesdel'an- 
qu  a  Rouen  ,  &  au-delà.  I  aen  pont. 

(i)  Ce  pont  a  été'  miné  depuis;!  (3)  A  une  petite  Ueuë  de  Rouen. 
|1  n'y  a  pliis  aujourd  hui  qu'un  ppnt  de  j 


DE  J.   A.  DE  THOÛ,Liv.  Cîî.         455 

On  ajouta  de   nouvelles  fortifications  aux  anciennes,  La 
petite  rivière  de  Robec  coule  de  ce  côté-là  j  elle  entre  dans  He  n  r.ï 
la  ville  près  de  la  porte  de  Saint  Hilaire ,  y  fait  tourner      I  V. 
onze  moulins,  &;  le  jette  enfuite  dans  la  Seine,   entre  la     j  cqi^. 
porte  du  Bac  ôccellede  Guillaume-Lion.  Le  vieux  Palais 
eft  un  Fort  quarré  ,  fitué  à  l'un  des  bouts  de  la  ville,  11  re- 
garde d'un  côté  le  fauxbourg  de  Caucboifè ,  èc  de  l'autre 
il  domine  fur  la  Seine.  Le  duc  de  Mayenne  en  avoit  donné 
le  gouvernement  au  Préfident  de  Bauquemaure  du  Mefnil , 
avec  une  garniion.  Le  Cbâteau  qui  tombe  en  ruines  eft  fi- 
tué au  Coucbant,  entre  la  porte  Cauchoife  ,  6c  la  porte 
Bouvreuil,  dont  il  eft  plus  proche  que  de  la  première. 

Les  Colonels  de  la  milice  bourgeoile  firent  faire  des  for- 
tifications en  difFérens  endroits,  à  la  tour  du  Colombier, 
à  celles  de  Saint  Hilaire  &  de  Robec,  à  la  Poterne  Saint 
Romain  ,  &:  aux  portes  Beauvoifine  ,  Bouvreuil  &  Cauchoife, 
Charle  de  Gerouille  fit  conftruire  un  Fort  furie  quay,  en- 
cre la  porte  Guillaume-Lion  &c  celle  de  Saint  Eloy.  Enfin 
pour  dégager  entièrement  la  ville  ,  on  ruina  les  fauxbourgs, 
donc  on  avertit  les  habitans  d'enlever  de  bonne  heure 
les  matériaux  ,  pour  les  mettre  en  lieu  de  fureté.  On 
diftribua  enluite  les  Officiers  dans  les  quartiers  de  la  ville. 
Du  Mefnil  eut  celui  delà  porte  Beauvoifme  j  Marc  celui  de 
Ja  porte  Cauchoife  -,  Haie  Mouflaines  celui  de  la  porte  Mar- 
tinvillej  &  Chantelouve  (i)  celui  de  la  porte  Saint  Hilaire, 
Charle  Sidnolfi  Napolitain  fut  char2;é  du  foin  de  l'artille- 
rie  5  &  Laurent  Anquetil ,  habile  Marin  ,  eut  ordre  de  mon- 
ter les  barques  armées  en  guerre ,  pour  être  maître  de  la 
Seine ,  au-deiTus,  &  au-deflous  de  la  ville.  Les  principaux 
régimens  étoient  ceux  de  Grillon  gouverneur  de  Honfleur, 
du  capitaine  Boniface ,  du  chevalier  Picard  ,  ôc  du  capitaine 
Jacomo  Italien. 

Avant  de  s'engager  davantage  au  fîége  de  la  place ,  le  ma- 
réchal de  Biron  traita  avec  Falaife  gouverneur  du  château 
de  Gournay  ,  &  avec  Courcy  qui  cornmandoic  à  Caude- 
bec  ,  afin  d'avoir  un  champ  plus  libre,  ôc  pour  n'être  pas 
continuellement  expoié  à  fé  voir  harceler  par  la  garniion 
de  ces  places.  Il  détourna  la  rivière  de  Robec ,  èc  rendit 

(0    Ou  Chanteloupe, 


45<^  HISTOIRE 

-  inutiles  les  moulins  à  eau, que  les  affiégés  remplacèrent  par 

H  E  M  R  I  des  moulins  à  bras.  Le  capitaine  Bonîface  ie  mit  à  la  tête 
J  V.       de  la  première  fortie  qui  fefîn  à  Saine  Gervais  aiFez  près  de 
1591,     Darnetal. 

Enfuite  les  afîiègeans  traitèrent  avec  Graveron  capitaine 
de  cavalerie,  qui  etoit  dans  la  place.  Il  promit  de  livrer  la 
porte  Beauvoifine  j  mais  cette  entreprife  fut  fans  fuccès , 
parce  que  Graveron  avoit  découvert  l'intrigue  à  Villars.  Il 
s'échappa  enfuite  des  mains  des  aifiègeans ,  au  camp  def. 
quels  il  etoit  pafle  comme  en  otage,  pour  les  tromper  plus 
iiirement.  Les  affiègès  firent  alors  deux  forties ,  &;  l'on  com- 
battit près  du  Fort  Sainte  Catherine ,  &:  du  bois  de  Turinge, 
qui  efb  au-defTus  de  la  Seine  en  cet  endroit.  Le  chevalier  Pi- 
-  card  &:  le  comte  d'Eflex  s'envoyèrent  mutuellement  un  car- 
tel de  défi  ,  fans  aucune  fuite ,  parce  que  l'Anglois  ne  voulue 
fe  battre  que  contre  Villars,  qui  s'en  excufa  par  rapport 
au  commandement  qu'il  avoit  dans  la  ville, 
lettre  diiRoi       Le  Roi  étant  parti  de  Franqueville  à  la  fin  du  mois    Cq 

à  la  ville  de  j-       v    xr  i>     ^    'i    '      •    •     )  •       r^  ■  i 

Rouen,  rendit  a  Vernon  ,  a  ou  il  écrivit  le  premier  Décembre  aux 
Maire  &  Efchevins  delà  ville  de  Rouen,  afin  de  tenter  tou- 
tes fortes  de  voyes  pour  ramener  ie  peuple  à  fon  devoir.  Un 
héraut  nommé  d'Aleniçon  fut  chargé  de  porter  la  lettre  de 
Sa  Majefté  ,  qui  y  témoignoit  d'abord  fon  alFedion  pater- 
nelle pour  les  habitans  de  Rouen ,  qu'il  regardoit,  difoit-il , 
comme  fes  enfans.  Le  Roi  ajoûtoit  que  la  manière  dont  il 
en  avoit  ufé  envers  les  villes  qui  l'avoient  reconnu  pour  leur 
Roi ,  devoit  alTez  leur  faire  comprendre  ce  qu'ils  pouvoienc 
attendre  de  fa  clémence  :  Qiie  malgré  ces  exemples  de  fa 
bonté,  ils  avoient  néanmoins  perfifté  dans  leur  dèfobéïl- 
fance ,  6c  s'étoient  laififès  féduire  par  les  calomnies ,  &  les 
intrigues  des  Efpagnols  ,  qui  n'avoîent  pour  but  que  de  pri- 
ver la  France  de  fon  Roi ,  &  d'enlever  la  Couronne  à  l'hé- 
ritier légitime  :  Que  c'étoit  dans  ces  vues  que  ces  ennemis 
de  l'Etat  rèpandoient  le  bruit,  qu'on  ne  faifoit  la  guerre 
que  pour  abolir  la  Religion  Catholique  ;  mais  que  tous  ces 
bruits  calomnieux  étoient  heureufement  détruits  par  letè^ 
moignage  du  grand  nombre  de  villes  où  l'on  profeiToit  li^ 
trement  èç  en  fureté  de  confcience  la  Religion  Catholi- 
que j  depuis  qu  elles  s'étoient  foûmifes  à  lui  :  Qu'il   avoic 

voulu 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL         457 

Voulu  leur  faire  fi^avoir  ces  chofes ,  &:  les  exhorter  à  re-  ■ 

devenir  Franc^ois ,  ôc  à  fecolier  le  joug  odieux  des  Efpagnols  ,  Henri 
en  fe  foûmettant  à  l'exemple  des  autres  villes  du  Royaume  :       ^  V. 
Que  s'ils  perfiftoient  dans  leur  révolte  ,  il  ieroit  obligé  d'em-      i  5  9  i . 
ployer  contr'eux  les  forces  &  le  pouvoir  qu'il  tenoit  de  Dieu , 
ôc  d'abandonner  ,  quoiqu'avec  douleur  ,  leur  ville  au  pil- 
lage :  Qu'ils  ne  comptaiîent  point  fur  le   duc  de  Parme , 
dont  vainement  ils  imploreroient  le  fecours  •   n'étant  pas 
vrai-femblable  que  ce  Général  ,   qui  ne  pouvoit  pénétrer 
jufqu'à  eux  fans  livrer  un  combat,  eût  lîtôt  oublié  fa  dé- 
faite à  Ivri,  6c  qu'il  voulût  encore   courir  les  mêmes  rif- 
ques. 

On  fit  la  ledure  de  cette  lettre  à  THôtel-de-Ville,  en  Réponfe  des 
préfence  du  Gouverneur  de  la  ville  •  èc  enfuite  au  Parle-  ^abitans. 
ment.  Ce  héraut  fut  chargé  de  dire  à  Sa  Majefté  pour  toute 
réponfe,  que  fes  menaces  n'avoient  pas  fait  beaucoup  d'im- 
prefîion  fur  l'efprit  des  habitans  :  Que  Dieu  ne  l'avoit  pas  tel- 
lement comblé  de  fcs  faveurs ,  qu'il  n'eût  du  moins  ré- 
fervé  quelqu'une  de  fes  grâces  pour  les  Catholiques  :  Que 
la  foûmilîion  du  grand  nombre  de  villes  dont  il  parloitdans 
fa  lettre ,  n'étoit  point  une  preuve  de  la  faveur  du  Ciel  à 
fon  égard  :  Que  fuppofé  même  que  tout  fecours  humain  leur 
manquât  ,  le  fecours  d'enhaut  ne  leur  manqueroit  pas  : 
Qu'ils  ne  doutoient  point  qu'avec  l'affiftance  de  Dieu  ils  ne 
vinllent  à  bout  de  défendre  contre  les  hérétiques  leur  ville, 
où  l'Edit  de  l'Union  avoit  été  folemnellement  reçu  trois  ans 
auparavant:  Qu'ils  connoiffoient  alfez  le  génie  du  roi  de 
Navarre  3  ôc  que  perfbnne  n'ignoroit  de  quelle  manière  on 
en  avoit  agi  à  Etampes ,  à  Louviers ,  dont  on  s'étoit  em- 
paré depuis  peu ,  &:  enfin  à  Vendôme  ,  où  l'on  avoit  fait 
mourir  Maillé  de  Benehart,  &  le  Cordelier  Chelfé  :  Que 
ces  exemples  leur  avoient  appris  à  connoître  ,  pour  ainlî 
dire  ,  le  Lion  par  ies  ongles  •  &  qu'enfin  ils  n'avoient  pas  be- 
foin  d'un  hôte  tel  que  lui.  Que  pour  ce  qui  regardoit  les 
Efpagnols ,  dont  il  faifoit  un  portrait  fi  odieux  ,  il  avoit 
mauvaiié  grâce  d'en  parler ,  lui  qui  avoit  rempli  le  Royaume 
d'Allemans  &.  d'Anglois ,  tous  hérétiques,  &:  ennemis  ju- 
rés de  la  France  :  Qu'enfin  ils  fe  flatoient  de  montrer 
autant  de  courage  pour  la  défenfe  de  la  Religion  Catholique,, 
lûme  XI,  MM  m 


45^  HISTOIRE 

îî!?;5!ïi=  que  les  Calviniftes  en  faifoient  paroîcre  pour  foûtenir  leuf 

Henri  déteftable  héréfie. 

I  V.  Le  héraut  étanc  retourné  vers  le  Roi ,  Sa  Majefté  fe  ren- 

I  <ûi.  <iic  au  quartier  de  Darnetai ,  &:  alla  inlulter  le  premier  la 
porte  Cauchoife.  Il  s'empara  de  l'Eglife  de  Saint  André, 
d'où  les  afficgés  délogèrent  fes  troupes  par  le  moyen  de 
deux  coulevrines.  Le  fils  de  Courcy  ,  qui  étoit  dans  le  camp 
du  Roi  fut  fait  prifonnier  dans  cette  attaque  ,  de  mourut 
quelques  jours  après  dans  la  ville  d'une  bleilure  qu'il  avoic 
reçue.  Les  aiîiégeans  ayant  entièrement  invefti  la  place  ^ 
fermèrent  tous  les  pafTages.,  à  l'exception  de  celui  de  la 
mer,  par  où  il  arrivoit  de  momens  à  autres  des  barques  ar- 
mées de  Honfleur  &  du  Havre-de-Grace. 

On  examina  ce  qu'il  pouvoit  y  avoir  dans  la  ville  de  mu- 
nitions de  bouche  j  &L  il  s'y  trouva  quatre  mille  muids  de 
bled,  fans  y  comprendre  lé  fégle,  l'avoine,  l'orge,  &  les 
autres  légumes  ,  qui  compofoient  encore  plus  de  quinze 
cens  muids.  On. acheta  des  deniers  publics  quinze  cens 
muids  de  bled,  qu'on  devoit  diftribuer  au  petit  peuple  à 
un  prix  modique  j  enforte  que  la  livre  de  pain  ne  fut  ven- 
due durant  le  fiége  que  huit  deniers  (i).  On  mit  cinq  cens 
muids  à  part  pour  la  nourriture  des  foldats.  Enluite  on  fit 
choix  des  habitans  qui  étoicnt  capables  de  porter  les  armes. 
Ceux  qui  ne  fe  trouvèrent  pas  en  état  de  le  faire ,  furenc 
deftinés  à  travailler  aux  fortifications  du  Fort  Sainte  Ca- 
therine, du  vieux  Palais,  ôc  du  Château.  On  fit  fortirdela 
ville  les  payfans  6c  les  étrangers.,  un. .     un  u^  ; 

Enfuite  on  fe  tourna  du  côté  de  la  Religion  ,  prétexte 
dont  on  fe  fervoit  toujours  ^  2c  il  y  eut  le  8.  de  Décembre 
une  Proceffion  générale,  avec  un  grand  concours  de  tous 
les  Ordres  de  la  ville ,  6c  du  menu  peuple.  .L'évêque  de 
Bayeux  célébra  la  Méfie  dans  l'Eglife  de  Saint  Ouen.  Jean 
Dadré  Théologien  fit  lun  difcours  convenable  au  temps  ^  ôc 
ayant  pris  pourfon  Texte  ce  Verfet  de  la  féconde  Epitre  aux 
Corinthiens ,  Ne  vous  alliez  point  aux  Infidèles  (  2  ) ,  cet 
homme  emporté  fe  flata  d'avoir  prouvé  par  l'interprétation 
de  ;  ces   paroles,  qu'il  étoit  défendu  de    reconnoîcre   un; 

"'f/yVXês    Mémoires. ^ de  la  Ligue,  'deniers-'^»/, 
dont  côt  efiâïoit  eift  tire  ,  mettent  zo.  j'  (z)  NoZ/Vé-  jugum  dncerecum  Infidelihtts, 
m  Ua  iV*  .^  .».   -....v  .. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   Cil.        45^ 

hérétique  pour  Roi  ^  3c  qu'il  étoit  de  précepte  divin  de  don-  mmiu  .    .  ■  ^ 
ner,  ôc  fes  biens ,  ôc  fa  vie  pour  la  défenfe  d'une  caufe  aulîl  H  e  n  il  ï 
jufte  que  celle  de  la  Ligué.  Sur  la  fin  de  fon  diicours  il  en^       \  V, 
2ap;ea  Tes  auditeurs,  à  l'exemple  de  ce  qu'avoit  fait  Lin-     T^r.T 
celtre  a  Pans   deux  ans  auparavant,  a  lever  leurs  mains, 
pour  montrer  qu'ils  faifoient  ferment  de  mourir  plutôt  que 
de  reconnoître  pour  roi  de  France  ,  Henri  de  Bourbon  foi 
difant  Roi ,  ne  pouvant  fe  foumettre  à  un  hérétique  relaps, 
déclaré  tel  par  Sixte  V.  &  par  Grégoire  XIV.  On  ordonna 
un  jeûne  de  trois  jours  par  femaine  ,  pour  appaifer  la  colère 
de  Dieu,  comme  le  diloient  les  Prédicateurs.  D'autres  cru^ 
rent  que  ce  n'étoit  que  pour  ménager  les  vivres ,  qui  dimi-» 
nuoient  de  jour  en  jour. 

Pendant  ce  tems-là,le  Roifît  drefTer  une  batterie  contre 
la  porte  S.  Hilaire ,  que  le  Gouverneur  avoic  fait  murer  en 
dedans  avec  de  la  terre.  Les  affiégés  firent  en  même  tems 
par  la  porte  Cauchoife  une  vigoureufe  fortie ,  où  l'on  fç 
battit  opiniâtrement  de  part  ôc  d'autre.  Les  Royaliftes  y  per- 
dirent cent  hommes ,  &  repouiFérent  l'ennemi ,  qui  n'en  per^ 
dit  que  cinquante  ,  du  nombre  defquels  fe  trouva  Saint-Sul- 
pice  ,  qui  fut  fort  regretté  des  affiegés.  On  attaqua  enfuite 
le  Fort  de  fainte  Catherine  défendu  par  les  régimens  du  ca- 
pitaine Jacomo  &  du  chevalier  Picard.  Mais  foit  que  les 
Royaliftes  afFedailent  d'agir  avec  lenteur,  foit  qu'ils  eulFenc 
trop  de  confiance  ,  l'ennemi  eut  le  tems  de  commencer  & 
d'achever  à  la  vue  de  notre  armée ,  les  fortifications  de  ce 
pofte  ,  qui  n'avoit  d'autre  défenfe  que  fon  afîiéte  avantageufe 
fur  une  très-haute  montagne. 

Pendant  ce  tems-là;  le  duc  de  Parme  prefTé  de  fe  mettre 
en  chemin  par  Charle  Coffé  de  Briflàc  ,  fe  préparoit  à  quit- 
ter les  Païs-bas.  Ce  Prince  voulant  gagner  l'afïedion  des 
peuples  ,  publia  une  ordonnance  contre  les  brigands  &  les 
corfàîres,  ôc  permit  de  trafiquer  avec  les  provinces  de  Hol- 
lande ,  de  Zélande  ,  avec  les  autres  nations  ,  &  avec  les  vil- 
les ,  qui  avoient  fécoué  le  joug  du  roi  d'Efpagne.  Il  excepta 
néanmoins  certaines  marchandifes  ,  comme  les  armes ,  le 
bronze  ,  le  houblon  ,  le  coton,  ôc  autres  chofes  défendues 
par  l'Edit  de  Bruxelles  du  6.  Décembre.  Il  fe  rendit  enfuicc 
en  dix  jours  à  Landrecy ,  d'où  il  envoya  D.  Dieguc  d'Ibarra 

MM  m  ij 


4^0  HISTOIRE 

■  à  SoifTons ,  pour  convenir  avec  le  duc  de  Mayenne  ,  qui  ëtoic 

Henri  alors  dans  cette  ville  ,  de  Tendroic  où  fe  feroic  la  jondion 
IV.       de  leurs  troupes.   Il  avoit  aulîi  ordre  de  lui  demander  une 
I  Î9  I.     p'âce  forte  ,  où  l'artillerie  Espagnole  pût  être  en  fureté.  Le 
duc  de  Parme  avoit  jette  les  yeux  fur  la  Fere  fur  Oife  en  Pi- 
cardie. Cette  ville  lui  avoit  paru  favorable  pour  Iqs  delîeins  , 
par  fa  fituation  fur  la  frontière. 

Le  duc  de  Mayenne  fe  défendit  longtems  de  livrer  cette 
place ,  fous  prétexte  qu'elle  lui  appartenoit  en  propre  ,  du 
chef  de  Marguerite  de  Navarre  fa  femme,  qui  lui  avoit  fait 
une  ceiîion  de  tous  les  droits  qu'elle  lui  avoit  apportés  en 
dot.  Mais  voyant  le  duc  de  Parme  dans  la  réloiution  de 
ne  point  entrer  en  France ,  fans  cette  condition  ^  n'ayant 
d'ailleurs  aucune  autre  place  fortifiée  à  donner  à  ce  Géné- 
ral ,  qui  le  fommoit  de  tenir  fa  parole ,  il  y  confentit  enfin 
d'autant  plus  volontiers  ,  qu'il  craignoit  que  Colas ,  qu'il 
avoit  fait  depuis  peu  gouverneur  de  la  Fere,  déjà  gagné  par 
Jes  préfens  éc  les  promelfes  des  Efpagnols ,  ne  la  Jeur  livrât 
malgré  lui. 

Ce  Gouverneur  Vicefénéchal  de  Montelimart  en  Dau- 
phiné,  (  charge  de  robe  àc  non  d'épée  comme  ailleurs,  ) 
portant  fes  vues  d'ambition  au  delà  de  fon  état ,  s'étoit  déf- 
honoré  par  des  afTairmats.  S'étant  défait  de  Florimond 
d'Halwin  marquis  de  Menelay  ,  qu'il  avoit  faullemenc 
acculé  d'avoir  des  intelligences  avec  le  Roi  ,  le  duc  de 
Mayenne  lui  donna  en  récompenfe  le  gouvernement  de 
la  Fere.  Colas  craignant  qu'on  ne  tirât  vengeance  d'une  ac- 
tion fi  indigne  ,  fe  lia  dès  lors  avec  les  Efpagnols. 

Cependant  le  duc  de  Mayenne  ,  pour  le  conférver  en  quel- 
que manière  dans  la  po/RlGon  de  la  Fere ,  ftipula  que  la  gar- 
nifbn  Efpagnole  de  quatre  cens  hommes  ,  qu'on  mit  dans 
cette  ville  à  la  garde  des  canons  ,  en  fortiroit  lorfqu'on  en 
retireroit  l'artillerie.  Cette  condition  déplut  à  D.  Diegue 
d'Ibarra  ,  qui  fut  indigné  que  le  duc  de  Mayenne ,  qui  ne 
cefToit  de  demander  de  l'argent  &  des  troupes  à  l'Hpagne, 
ne  ie  déterminât  qu'après  de  grandes  difficultés ,  à  faire  quel- 
que chofè  pour  les  Efpagnols  ^  foit  par  haine  pour  une  nation, 
qui  étoit  fufpede  à  ce  Pri'nce  ^  foit  qu'il  crût  que  ce  qu'il  ac- 
cojrdoic  aux  étrangers  ,  diminuoic   d'autant  fon  autorité» 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  4<$i 

D'Ibarra  peignoir  toujours  le  duc  de  Mayenne  avec  ces  cou-     '  '  '         ; 
leurs  dans  le  Confeil,  en  fa  prëfence  même,  &.  dans  les  lec-  Henri 
très  qu'il  écrivoic  au  roi  d'Efpagne.    Le  duc  de  Parme  plus       1  V^ 
modéré  diilimuloit  en  préfence  du  Duc  ,   &:  fe  concer.coic     j  .^^^ 
d'infinuer  au  roi  d'Efpagne  ce  qu'en  diloic  Ibarra. 

Ne  voulant  pas  néanmoins  qu'on  pût  lui  reprocher  de 
n'avoir  pas  profité  de  l'occafîon  qui  ié  préfentoit  ,  de  dé- 
dommager ion  maître  des  frais  confidérables  qu'il  avoit 
déjà  faits ,  ôc  de  ceux  qu'il  étoit  prêt  de  faire  ,  il  jugea  à 
propos ,  avant  de  s'engager  plus  avant  ,  de  découvrir  les 
intentions  de  Philippe  au  duc  de  Mayenne  ,  aux  autres  Prin- 
ces ,  6c  aux  principaux  chefs  de  la  Ligue  ,  afin  de  fçavoir 
de  quelle  manière  ils  avoient  delîèin  d'y  répondre.  Il  (è  ren- 
dit donc  à  Guife  dans  cette  réfolution.  Catherine  de  Cleves 
mère  du  duc  de  Guile  ,  lui  ayant  repréfenté  le  mauvais  état 
des  affaires  de  fon  fils ,  qui  venoit  de  fe  fauver  de  fa  prifon  , 
elle  le  conjura  de  prendre  fes  intérêts  en  main, Le  Duc  la  con- 
fola ,  en  lui  faifant  efpérer  que  le  roi  d'Efpagne  auroit  foin 
d'elle  &  de  la  fortune  de  fon  fils.  Il  fe  retira  enfin  à  la  Fere, 
où  l'on  tint,  auffî-bien  qu'à  Nèfle  ,  plufieurs  conférences  au 
fujet  des  affaires. 

Ibarra,  Jean-Baptîfl:e  Taxis  qui  étoit  revenu  depuis  peu 
de  Paris  ,  bc  le  Préfidenc  Richardot  y  afliftérent  pour  les 
Efpagnols.  Le  duc  de  Mayenne  y  envoya  d'abord  le  Préfî- 
dent  Jeannin  ,  fuivi  bientôt  de  Claude  de  la  Chaftre  maré- 
chal de  camp  ,  pour  défendre  les  intérêts  du  duc  de  Guife, 
qui  avoit  envoyé  en  Efpagne ,  par  le  conleil  de  la  Chaftre , 
François  Pericard  évêque  d'Avranches.  Les  Efpagnols  de- 
mandèrent qu'on  aflémblât  au  plutôt  les  Etats  généraux , 
afin  d'y  faire  proclamer  reine  de  France  par  un  décret  fo- 
lemnel  ,  à  l'exclufion  de  tous  autres  prètendans  à  la  Cou- 
ronne ,  &  malgré  tous  leurs  droits ,  l'Infante  Séréniffime , 
qui  feroit  enfuite  choix  d'un  époux  avec  l'agrément  du  Roi 
fon  père  ,  &  par  le  confeil  des  Princes  èi  des  Seigneurs 
Fran(^ois. 

La  Chaftre  &  le  préfident  Jcannîn  ,  qui  vouloient  éluder 
les  demandes  des  Efpagnols  ,  répondirent  qu'il  ne  falloic 
pas  précipiter  cette  afllmbièe  des  Etats  ^  que  n'étant  qu'un 
accéfloire  à  l'èledion  de  i'Infance  ,  il  fuiKfoit  à  préiènt 

MM  m  iij 


4^1  HISTOIRE 

"  -  d'abolir  la  loi  Salîque  du  confencement  des  Princes  6c  des  Seî- 
Henri  gneurs  3  qu'enfuice  l'afFaire  dépendroic  entièrement  du  duc 
I  V.  de  Mayenne  ,  qui  feroit  agir  les  Etats  à  Ton  gré  :  Qii'il  fal- 
I  jQ  I,  loic  au  préalable  ,  traiter  d'une  affaire  de  cette  importance 
avec  le  duc  de  Lorraine  ôc  fes  enfans ,  avec  les  ducs  de  Guife, 
de  Nemours ,  de  Mercœur ,  &  avec  les  principaux  de  la  Na- 
tion ,  &  les  Commandans  des  places  fortes  :  Qu'il  étoit  à 
propos  de  gagner  ces  derniers  par  des  préfens  ôc  des  récom- 
penses :  Qu'il  étoit  néceflàire  de  prendre  des  mefures ,  afin 
que  les  Dignités  ,  les  Gouvernemens  ,  &  les  charges  de  Ma- 
giftrature  ne  fulfent  données  qu'à  des  François ,  à  i'exclufion 
des  étrangers  :  Qu'on  devoit  pourvoir  à  la  confervation  des 
privilèges ,  droits  ,  6c  prérogatives  de  la  Nation  :  Qu'ils  at- 
tendoient  qu'on  leur  donnât  des  afîiirances  que  le  Royaume 
ne  pourroit  être  démembré  5  &  que  les  loix  de  l'Etat  &  les 
anciennes  maximes  &  coutumes  feroient  maintenues.  Ils 
ajoutèrent  que  cette  éledion  devant  ôter  toute  efpérance 
de  traiter  jamais  avec  l'ennemi ,  il  falloit  deftiner  pour  les 
frais  de  la  guerre  ,  qu'il  n'y  avoit  pas  d'apparence  de  termi- 
ner en  moins  de  deux  ans ,  un  fond  de  dix  millions  d'écus 
d'or  :  Que  le  Roi  devoit  commencer  à  fournir  ces  fecours 
d'argent ,  dès  qu'on  auroit  proclamé  reine  l'Infante  ,  qui  fe 
rendroit  en  France  dans  les  fix  mois,  à  compter  du  jour  de 
fon  éiedion ,  afin  de  fe  marier  au  plutôt  par  le  confeil  des 
Princes  &  des  Seigneurs  François  :  Qu'avant  tout  il  falloir 
marcher  au  fecours  de  Roiien ,  de  peur  que  cette  ville  ve- 
nant à  fe  rendre  pendant  les  longueurs  de  la  négociation  , 
fon  exemple  ne  jettât  les  autres  villes  dans  la  confternation  , 
&  ne  les  engageât  à  fe  foumettre  à  l'ennemi. 

Le  duc  de  Mayenne  fit  examiner  une  féconde  fois  cette 
affaire  ,  en  préfeiice  de  François  comte  de  Vaudcmont,  qui 
avoit  amené  quinze  cens  chevaux  ,  ôc  de  Henri  comte  de 
Chaligny  frère  du  duc  de  Mercœur.  On  convint  enfin  qu'auf- 
fîtôt  que  l'Infante  d'Efpagne  auroit  été  déclarée  reine  de 
France  ,  le  roi  Catholique  entreriendroit  à  fes  frais  dans  le 
Royaume  vingt  mille  hommes  de  pied  ,  &  cinq  mille  che- 
vaux pendant  deux  ans  ,  6c  feroit  compter  par  chaque 
année  douze  cens  mille  écus  d'or  au  duc  de  Mayenne  , 
pour  les  diftribuer  aux  Officiers  ,  ou  pour  les  faire  fervir 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  Cil.         41^3 

àM'aucres  belbins  ,  comme  il  le  jugeroic   à  propos. 

Le  Roi  ayanc  intercepté  les  lettres  du  duc  de  Parme  6c  Henri 
d'ibarraau  roi  d'Elpagne  en  datte  des  10.  Décembre,  ii.      IV. 
&  I  8.  Janvier  ,  fut  inftruit  par  ce  moyen  de  toute  cette  in-     1591. 
trîgue.  Ces  lettres  informoient  le  roi  Catholique  de  la  méf- 


Lettres  du 


intelligence  qui  régnoit  entre  les  ducs  de  Guife&de  Mayenne,  duc  depL'! 
Le  duc  de  Parme  ôc  Ibarra  y  difoient  que  le  duc  de  Mayenne  me  &  d'i- 
étoit  fi  foupçonneux  6c  fi  jaloux  de  Ton  autorité  ,  que  quel-  ^^iraauroi 
ques  allurances  qu  il  donnât  de  le  loumettre  a  Sa  Majelte  interceptées. 
Catholique,  il  étoit  toujours  dans  la  défiance  de  Tes  Mi- 
niftres  :  Qiie  le  duc  de  Monte-Marciano  voyant  que  tout  le 
tems  fe  paiFoît  en  délibérations  ,  avoit  voulu  fe  retirer  avec 
ks  troupes,  fi3us  prétexte  d'ordre  précis,  qu'il  difoit  avoir 
à  ce  fiijet ,  en  cas  que  le  duc  de  Parme  n'entrât  pas  en  France 
à  la  tête  de  l'armée  auxiliaire  avant  le  i  5.  de  Décembre  j' 
&  qu'on  avoit  eu  beaucoup  de  peine  à  le  réfbudre  de  ne  point 
tirer  à  conféquence  un  retardement  de  quelques  jours ,  qui 
n'avoient  pas  été  employés  inutilement ,  6c  de  ne  pas  inter- 
préter les  ordres  du  Pape  contre  les  intentions  de  Sa  Sainteté. 

Le  duc  de  Parme  félicitoit  le  roi  d'Efpagne  de  ce  qu'il 
avoit  obtenu  le  Chapeau  pour  l'évêque  de  Piaifance  ,  de  dé-- 
ploroit  en  même  tems  la  perte  que  Sa  Majefté  venoit  de 
faire,  auflibien  que  lui,  parla  mort  du  Pape  Innocent  ,  au- 
trefois créature  de  la  maifon  de  Farnefe  ,  6c  qui  étoit  entiè- 
rement dans  les  intérêts  de  l'Efpagne.  Le  Duc  ajoûtoit  qu'il 
avoit  un  grand  befoîn  d'argent  :  Que  des  deux  cens  cinquan- 
re-huit  mille  écus  d'or  qu'il  avoit  apportés  en  France  ,  il  en 
avoit  donné  cent  mille  au  duc  de  Mayenne  ,  cent  vingt  mille 
à  l'armée  auxiliaire  pour  la  folde  d'un  mois ,  trente- deux 
mille  pour  celle  des  troupes  Françoifes ,  aufquelles  il  avoit 
promis  d'en  compter  encore  onze  mille  dans  le  mois  pro- 
chain ,  de  manière  qu'il  fetrouvoit  fans  aucun  argent. 

Les  promefi^es  ne  coûtoîent  rien  au  duc  de  Mayenne ,  à 
la  Chaftre ,  &  aux  autres  qui  étoient  avec  lui ,  pour  engager 
l'Efpagnol  à  marcher  au  fècours  de  Rouen  j  n'ignorant  pas 
qu'il  y  avoit  des  obftaclesinfurmontables  à  l'éledion  de  l'In- 
fante ,  que  les  Efpagnols  prcfibient  avec  tant  d'impntience , 
ils  fe  flactoîent  que  le  hafard  feroit  naître  l'occafion  de  dé-  ' 
gager  leur  parole ,  fans  accomplir  leurs  promelîes. 


4^4  HISTOIRE 

I  Tandis  que  l'armée  ennemie  s'avançoicau  fecouts  des  af- 

Henri  fiëgés ,  du  Rolec,  qui  ecoic  au  quartier  du  comte  de  SoilFons 

I  V.       dans  le  fauxbourg  S.  Sever,  traita  avec  Langone  Lieutenant 

I  J9  r.     du  capitaine  Marc ,  qui  promit  de  lui  livrer  le  Fort  du  bout 

du  pont  6c  le  vieux  Palais  j  ils  prirent  jour  enfemble  pour 

le  16.  Décembre.  Du  Rolet  s'etant  rendu  le  jour  marqué  à 

ce  pont ,  pour  s'aboucher  avec  Langone  ,  celui-ci  Te  faifit  de 

fa  perfonne ,  &  le  for<^a  d'entrer  dans  la  ville.  Villars  irrité 

contre  lui ,  parce  qu'il  avoir  abandonné  le  parti  de  la  Ligue  , 

le  traita  avec  beaucoup  de  dureté  ,  ôcle  menaça  même  de  le 

faire  mourir  ,  s'il  ne  remettoit  le  Pont-de-l'Arche  entre  Tes 

mains. 

Sur  CQS  entrefaites ,  on  découvrit  une  confpiration  très- 
1591.     ferieufe.  On  arrêta  ,  ilir  l'avis  de  Mauclerc  avocat  au  Par- 
lement ,  la  Fontaine  fergent  de  la  compagnie  du  capitaine 
Saint-Saturnin,  accufé  d'avoir  traité  avec  les  ennemis ,  pour 
leur  livrer  la  porte  Cauchoife.   Ayant  été  appliqué  à  la  que- 
ftion  ,  pour  tirer  de  lui  l'aveu  de  fon  crime  &  le  nom  de  fes 
complices,  il  accufa  Champhuon  procureur  au  Parlement, 
&  Haillier  huilTier  de  la  chambre  des  Comptes.    On  les  fit 
pendre  le  lendemain  4.  de  Janvier  dans  la  place  publique. 
Le  capitaine  Saint-Arnaud ,  qu'on  accufoit  aulîi  d'avoir  trem- 
pé dans  cette  affaire  ,  fe  fauva  au  camp  des  affiégeans. 
Arrctdu         Le  Parlement  de  Roiien  donna  trois  jours  après,  à  cette 
Pariementde  occafion  ,  un  Arrêt  févére  &  très-injurieux  contre  les  par- 
fenfurefEc-   tifans  de  Henri  de  Bourbon  ,  &  contre  ceux  qui  ne  révéle- 
ciéfiaftiques    roîent  pas  les  conjurations  tramées  en  fa  faveur.   On  ne  fè 
RoyaUftcs.     Contenta  pas  de  cette  voye  ,  les  cenfures  &  les  ordonnances 
Eccléfiaftiques  furent  employées  ,  pour  contraindre  les  con- 
fciences.    On  ordonna  même  qu'on  renouvelleroit  tous  les 
mois  le  ferment  de  l'Union.  Le  Parlement  donna  commif- 
fîon  à  Martial  de  Loynes  confeiller  de  la  Cour ,  d'aififter  à 
l'exécution  de  Ton  Arrêt.  De  Loynes  ayant  fait  drclfer  des 
potences  dans  les  carrefours  ,  fit  publier  l'Arrêt  du  Parle^ 
ment  par  un  crieur  public. 

Tandis  que  ces  chofes  fe  pafFoient  dans  la  ville  ,  les  Roya- 
liftes  ayant  attaqué  la  porte  Beauvoifine  ,  plantèrent  les 
échelles  fans  aucun  fuccès ,  6c  furent  même  repoulFés  avec 
perte.  Le  iB.  de  Janvier  on  tira  du  Fort  Sainte-Catherine 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIL  46^ 

le  chevalier  Picard ,  èc  le  capitaine  Jacomo    à  la  place  def- . 

quels  on  mie  le  capitaine  Boniface  ,  pour  leur  donner  un  Henîli 
peu  de  relâche ,  après  des  travaux  ôc  des  veilles  continuel-       I V. 
les.   Le  lendemain  ,  les  afîiégés  firent  deux  forties ,  par  les     159^. 
portes  Cauchoife  6c  S.  Hilaire.  Villars  à  la  tête  de  ies  fol- 
dats  attaqua  vivement  les  Royaliftes  ,  qui  le  reçurent  avec 
la  même  vigueur.  De  Maubec  Lieutenant  de  (es  gardes  fut 
biefle  mortellement ,  ôi  il  y  eut  quelques-uns  des  affiégeans 
tués  dans  cette  occalîon.  Deux  jours  après,  il  y  eut  auprès 
des  Chartreux  (i)  ,  qui  font  hors  la  ville  ,  entre  la  porte 
Ivïartinville  &  le  Fort  fainte  Catherine  ,  une  aftîon  où  plu- 
lieurs  Ligueurs  furent  bleffës ,  èc  la  plupart  mis  en  pièces 
par  le  canon. 

Le  26.de  Janvier  ies  Allemands  fortîrentdu  couvent  des 
Capucins  fous  les  ordres  du  capitaine  Jacomo  ,  &  vinrent 
donner  avec  beaucoup  de  valeur  fur  les  afîiégeans.  Villars , 
te  la^Londc  qui  commandoic  après  lui  dans  la  ville  ,  étant 
furvenus ,  le  combat  devint  fî  vif,  que  Villars  eut  fon  cheval 
tué  fous  lui ,  de  que  le  jeune  Brebion  ayant  été  blefTé  6c  pris , 
ils  furent  enfin  forcés  de  reculer  avec  perte  confidérable  des 
leurs.  Les  capitaines  Laurier  ôc  Parmentierc ,  Collin  capi- 
taine des  gardes  de  Villars  ,  Brebion  l'aîné  6c  Boispoulin 
reftérent  fur  la  place.  De  Mollart  mourut  le  même  jour  des 
blelTures  qu'il  avoir  recrues  quelques  jours  auparavant.  Trois 
jours  après ,  le  chevalier  de  Varneviile  fut  tué  par  un  boulet 
de  canon ,  en  s'entretenant  dans  le  Fort  Sainte  Catherine 
avec  le  capitaine  Picard  ,  qui  ayant  eu  auffi  lui-même  la  cuille 
emportée  par  le  canon ,  mourut  le  8.  Février  de  cette  blef- 
fure.  De  la  Croix  de  Mallet  Lieutenant  de  Fours  Qui^ 
try  ,  fut  tué  le  même  jour  d'un  coup  de  canon. 

La  tranchée  ayant  été  pouflee  jufqu'au  Fort  Sainte  Ca- 
therine, les  Royaliftes,  après  avoir  tiré  fix  cens  coups  de 
canon  en  deux  fois ,  fe  rendirent  enfin  maîtres  du  fofié ,  du 
côté  du  bois  de  Turinge.  Ils  s'y  mirent  à  couvert  des  huiles^ 
de  la  poix  bouillante ,  èc  des  feux  d'artifices  qu'on  faifoit 
pleuvoir  fur  eux  ,  par  des  planches  6c  des  mantelets  couverts 
déplâtre  6c  de  gazons.  Le  lendemain  7.  Février,  on  fit  par 
|a  porte  Beauvoifine  une  vigoureufe  fortie ,  dans  laquelle  Iq 

(^  I  )  Ils  ne  font  plus  aujourd'hui  en  cet  endroit. 

.Terne  XI,  NNn 


46C  HISTOIRE 

^  Curé  de  Govlîle  ,  qui  fans  refpect  pour  Ton  état  ,  s'etoic 

Henri  rendu  fameux  par  le  fang  qu'il  avoic  verfé  ,  périt  au  grand 
I  V.  regrec  d'une  populace  infenfée.  François  de  Monmorency 
I  c^2.,  ^^^  Halloc  ayant  été  bleffé  à  la  cuiffe  d'un  coup  d'arque- 
bufe  ,  tomba  avec  fon  cheval  qui  fut  tué  fous  lui.  Il  eut  beau- 
coup de  peine  à  guérir  de  cette  bleifure  ,  &  il  ne  put  marcher 
dans  la  fuite  qu'avec  le  fecours  des  béquilles.  S'étant  enfin 
retiré  à  Vernon  ,  pour  y  paiTer  tranquillement  le  refte  de  {es 
jours ,  Chriftophle  marquis  d'Alegre  ,  avec  qui  il  avoit  ea 
quelques  démêlés  ,  alla  le  faluer  dans  fa  retraite  ,  fous  le 
■voile  d'une  flncére  réconciliation  ;  êc  par  un  trait  de  la  plus 
noire  perfidie  ,  il  le  poignarda  dans  le  tems  qu'il  l'em- 
braffoit. 

Le  Général  Efpagnol  ,  qui  étoit  déjà  dans  le  voifînage  de 
Rouen ,  fit  donner  avis  de  fon  arrivée  à  Villars  par  D.  Die- 
gue  dlbarra ,  qui  fe  rendit  dans  cette  ville  par  le  Havre  de 
Grâce.  A  la  nouvelle  des  approches  de  l'ennemi ,  le  Roj  prie 
le  parti  d'aller  à  fa  rencontre.  Dans  cette  réfolution  ,  il  laifla. 
le  maréchal  de  Biron  devant  les  murs  de  Roiien ,  pour  en 
continuer  le  fiége  ^  &  s'étant  mis  à  la  tête  de  fa  Noblefïè  oc 
de  [es  meilleurs  Officiers ,  il  marcha  vers  Aumale  ville  fituée 
fur  la  rivière  d'Epte  ,  qui  termine  la  frontière  de  la  Nor- 
mandie en  cet  endroit.  Ayant  laiifé  quelques  arquebufîers  à 
la  garde  de  la  place  ,  il  s'avança  bien  au-delà  ,  pour  aller  re- 
connoître  l'ennemi ,  qui  marchoic  dans  cet  ordre.  Le  duc 
de  Guife ,  qui  avoit  pour  Aides  de  camp  la  Chafkre  vieil  Of- 
ficier ,  &  le  baron  de  Vitry  ,  conduifoit  i'avant-garde.  Les 
ducs  de  Parme ,  de  Mayenne ,  6c  de  Monte-Marciano  me- 
noient  la  bataille.  L'arriére-garde  étoit  commandée  par  le 
duc  d'Aumale ,  par  le  comte  de  Chaligny  ,  par  Boisdauphin,. 
par  Balagny,  Se  par  Saint- Paul ,  tous  Officiers  généraux. 
Chriftophle  de  BafTompierre  &  Valentin  de  Pardieu  de  la 
Motte  à  la  tête  des  Suiflés ,  conduifoient  l'artillerie. 

Dès  que  le  Pvoi  fut  en  préfence  ,  il  fît  charger  l'avant- 
garde  par  le  baron  de  Biron ,  par  René  Viouft  de  Chanli- 
vault  ,  par  Charle  Choiieuil  de  Praflin  ,  &  par  François  de 
la  Grange  de  Montigny.  Mais  les  arquebufîers  ,  qui  cou- 
vroient  les  flancs  de  l'ennemi ,  s'étant  avancés  ,  nos  troupes 
îe  retirèrent  peu  à  peu ,  àc  marchèrent  vers  Aumale  avec 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIT.        467 

afTez  de  défordre.  Le  Roi  même  confondu  dans  la  foule ,  » 

recrut  dans  les  reins  une  balle  d'arquebufe ,  qui  ne  fie  que  lui  Henri 
effleurer  la  peau  ,  ayant  perdu  beaucoup  de  fa  force  avanc       I  V. 
d'arriver  juiqu'au  Roi.    Ce  Prince  ayant  rcpalî'c   le  pont  ,     i  cqi, 
fe  retira  promptement  au-delà  d'Aumale  ,  où  il  laiiîa  Louis 
de  Gonzague  duc  de  Nevers ,  qui  termoit  la  marche  de  Cqs 
troupes. 

Tandis  que  ce  Duc  étoît  occupé  à  rafTembler  la  garnifon , 
qui  s'étant  difperfée  dans  la  ville  ,  ne  fe  predoit  pas  d'obeïr 
à  [es  ordres  ,  l'ennemi  entra  par  une  autre  porte,  que  celle 
qui  étoit  gardée  par  les  Royaiiftes.  Il  y  eut  dans  ies  rues  un 
combat  fanglant ,  dans  lequel  Anne  d'Anglure  de  Givry , 
Commandant  des  chevaux- Légers  ,  qui  éroit  alors  avec  le 
<iuc  de  Nevers  ,  eut  fon  cheval  tué  lous  lui.  Ayant  eu  les 
membres  démis  dans  un  lieu  étroit  où  il  étoit  tombé  ,  il 
fortit  enfin  d'un  fî  grand  danger ,  après  avoir  été  remis  à 
cheval  avec  aflez  de  peine.  Le  duc  de  Nevers  ayant  ramené 
tous  Ces  ioldats  en  lieu  de  fureté  ,  fignala  par  cette  belle  re- 
traite fa  prudence  6c  fa  valeur.  Enfin  l'ennemi  voyant  que 
la  nuit  approchoit ,  fes  foldats  étant  d'ailleurs  acharnés  au 
pillage  dans  la  ville,  n'avança  pas  plus  loin.  Cette  aclion  fe 
pafîà  le  5.  de  Février. 

Le  Roi  fut  un  peu  troublé  de  cet  accident  j  &  craignant 
que  le  bruit  public  venant  à  grolîîr  l'avantage  des  ennemis, 
ils  ne  pourfuivilTent  leur  route  fans  délay  ,  &  n'entraflènt 
dans  la  ville  de  Rouen  ,  après  avoir  renverfé  lans  beaucoup 
de  peine  tout  ce  qui  le  préfenteroit  à  eux  ,  il  renforça  de 
trois  cens  cuiraiïiers  la  garnifon  de  NeuflChâtel.  Il  y  avoic 
toute  apparence  que  les  ennemis  ne  lailTeroient  pas  derrière 
eux  cette  place  ,  qui  fe  trouvoit  fur  leur  chemin.  Givry  s'of- 
frit à  la  défendre  pendant  quelques  jours  ,  toute  foible 
qu'elle  étoit  •  croyant  qu'il  rendroit  un  grand  fervice  au 
Roi  ,  s'il  pouvoit  arrêter  le  duc  de  Parme  ,  jufqu'à  ce  que 
le  Roi ,  de  la  préfence  duquel  dépendoit  le  fuccès  de  la  ba- 
taille ,  fi  elle  fe  donnoit ,  fut  guéri  de  fa  blelTure ,  àc  fè  trouvât 
en  état  de  monter  à  cheval. 

Le  duc  de  Parme  ayant  fait  pointer  l'artillerie  contre  les 
murs  de  Neuf-Châtcl ,  y  fit  une  grande  brèche.  Le  jour  du 
Mardi-gras   la  capitulation   fut    lignée  ,  à    des    conditions 

NNn  ij 


4^8  HISTOIRE 

^ .  honorables ,  que  le  duc  de  Parme  accorda  5  fok  en  confît 

Henri  dération  de  Givry  ,  à  la  gloire  duquel  il  s'intéreiloic  y  foie  à 
I  V.  la  recommandation  de  la  Chaftre  qui  étoic  Ton  beau-pére. 
I  co  2,  On  difputa  longtems  fî  Fabien  de  FÎebours ,  qui  étoic  avec 
Givry  dans  la  place ,  feroic  compris  dans  la  capitulation  y 
parce  qu'étant  Colonel ,  on  n'y  avoit  pas  fait  une  mention 
particulière  de  lui.  Le  duc  de  Parme  remit  généreufemenc 
la  déciflon  de  cette  affaire  au  jugement  du  Roi  3  le  Confeil 
s'étant  enfuite  aflembié ,  Rebours  y  expofa  Ton  affaire  dans 
les  termes  donc  il  étoic  convenu  avec  l'ennemi ,  &  fuc  dé- 
claré libre. 

Cependanc  le  duc  de  Parme  s'avançoic  toujours  "à  petites 
journées.  Obligé  de  camper  en  rafe  campagne ,  il  avoit  foin 
de  fc  fortifier  cous  les  jours  ,  de  peur  d'êcre  enveloppé  par 
le  Roi  ,  qui  ne  négligeoic  jamais  les  occafions  favorables 
qui  s'offroient.  Malgré  cette  précaution  ,  le  Roi  à  la  tête 
d'un  détachement  de  troupes  d'élite ,  tomba  fur  \qs  quar- 
tiers des  ducs  de  Mayenne  &  d'Aumale  ,  &  ne  fe  retira  qu'a- 
près avoir  fort  maltraité  l'ennemi.  Il  marcha  enfuite  vers 
le  quartier  du  comte  de  Chaligny  ,  où  il  tailla  en  pièces  un 
grand  nombre  de  Ligueurs.  Le  comte  de  Chaligny  lui-mê- 
me fuc  pris  par  Chicoc  fameux  bouffon  de  la  Cour  ,  &  qui 
aimoic  beaucoup  à  fe  baccre.  Chicot ,  quoique  blefîe  dan- 
-gereufement  à  la  tête  par  le  comte  de  Chaligny  ,  en  ufa  en- 
vers fon  prifonnier  avec  beaucoup  de  modération  êc  de  gé- 
iiérofité  j  &il  ne  fe  vengea  de  lui ,  qu'en  l'accablant  de  bons 
mots  ôc  de  railleries.  Du  refte,  il  ne  négligea  rien  pour  con- 
foler  le  Comte ,  qui  étoic  au  défefpoir  qu'on  dîc  qu'un  Prin- 
ce de  la  maifon  de  Lorraine  étoit  le  prifonnier  d'un  fou.  Le 
Roi  qui  furvinc  alors ,  confola  le  comte  de  Chaligny  ,  que 
Chicot  lui  donna  libéralement.  Ce  bouffon  mourut  quel- 
que tems  après  de  fa  bleffure  au  Pont-de-l'Arche.  Le  comte 
de  Chaligny  fut  rendu  dans  la  fliite  ,  &:  fix.  partie  de  la  ran- 
çon qu'on  paya  pour  la  ducheffe  de  Longueville  &  pour  Çq$ 
filles ,  retenues  prifonniéres  à  Amiens ,  contre  toutes  \qs  loix 
(de  la  guerre. 

Rainuce  fils  du  duc  de  Parme  ne  courue  pas  un  moin- 
dre danger.  Les  Royaliftes  l'avoient  accaqué  à  l'improvifte, 
n'ayant  que  peu  de  monde  avec  lui.  Son  père  eut  longtems 


DE  J.  A.   DE    THOU,  Liv.  Cil.         4^9 

de  l'inquiétude  à  fon  fujet ,  jufqu'à    ce  que  l'approche  de  ■_        '  ^1  ' 
la  nuic  eût  terminé   le  .combat.     Le  trouble  étoit   gêné-  Henri 
rai    dans  le   camp  des  ennemis.   Le  quartier  du  duc  de       I  V. 
Guife  ayant  été  attaqué  en  fon  abfence  ,  l'étendart,  qui      1592^ 
étoit  au  chevet  de  fon   lit  ,  en  fut  arraché  &c  apporté  au 
Roi.  Blanchard  du  Clufeau  fut  pris  dans  cette  même  adion, 
&  conduit  fous  bonne  garde  au  Pont-de-l'Arche. 

Comme  ces  deux  camps  étoient  fort  voifins  l'un  de  l'au- 
tre ,  les  ennemis  aflembîérent  le  Confeil  de  guerre  pour 
délibérer  fur  le  parti  qu'on  avoit  à  prendre.  Il  y  avoit  long- 
tems  que  George  Baffca  ^capitaine  de  cavalerie  très-dillin-  * 

gué  ,  étoit  d'avis  d'envoyer  un  détachement  de  cuiraffiers  , 
&  d'arquebufiers ,  pour  fe  giiiîér  à  la  faveur  de  la  nuit , 
fous  la  conduite  de  quelques  guides,  dans  les  retranche- 
mens  àQs  Royaliftes,  afin  de  les  furprendre,  de  tailler  en 
pièces  les  fentinelies,  de  combler  la  tranchée,  &  de  dé- 
truire tous  \qs  ouvrages  des  affiégeans.  On  parla  de  nou^ 
veau  dans  le  Confeil  de  guerre  de  ce  projet ,  qui  parut  té^ 
méraire  6c  dangereux  au  duc  de  Parme.  Les  François  fu- 
rent d'avis  de  donner  une  partie  de  l'armée  au  duc  de 
Mayenne  pour  exécuter  le  deffein  de  Bafba.  Mais  le  duc 
de  Parme  s'oppofa  fortement  à  cet  avis.  Il  foûtint  qu'il 
y  auroit  non  feulement  de  la  témérité  ,  mais  encore  de  l'im- 
prudence à  partager  fes  ti~oupes  dans  le  voifinage  d'une 
puiilànte  armée ,  commandée  par  un  Prince  infatigable  ,- 
qui  fçavoit  profiter  de  tous  fes  avantages,  jj  Qu'arriveroit-il 
>î  en  effet ,  ajoûta-t'il ,  fi  le  duc  de  Mayenne  étoit  défait  en 
«chemin,  &  fi  les  vainqueurs,  dans  l'ardeur  que  leur  inf- 
>î  pireroit  ce  premier  fuccès ,  venoient  fondre  au/Titôt  fur 
»  le  refle  de  l'armée  ,  dans  la  confi:ernation  où  l'auroic 
»  jettée  la  défaite  d'une  partie  de  nos  troupes  ?  Le  maL 
»  heur  des  François  à  la  bataille  de  Pavie  ,  continua  le 
»  duc  de  Parme ,  efb  une  leçon  pour  les  Généraux  dans 
«  tous  les  fiécles  a  venir  y  cet  exemple  leur  apprendra  qu'il 
»3  ne  faut  jamais  divifer  fes  troupes  en  préfence  de  l'ennemi, 
»  Ainfi  j^  crois  qu'il  eft  plus  à  propos  de  s'avancer  en  bon 
«ordre  avec  l'armée  entière  pour  donner  du  fecours  aux; 
»  afCégés.  a 

Les  ducs  de  Parme  ^  de  Mayenne  di/fimuloient  peu  U 

N  N  n  iii 


470  HISTOIRE 

«'  "'  '  jaloiille  qu'ils  avoiencTun  de  l'aurre.  Les  Efpagnols  ëtolent 

Henri  lufpeds  aux  François ,  de  les  François  aux  Elpagnols.  L'une 
I  V.       ôc  l'autre  nation  vouloit  attirer  à  elle   toute  la  gloire  des 
jcoi.     /uccès.  Le  duc  de  Mayenne,  &  les  François  qu'il    avoic 
avec  lui ,  craignoient  que  i'Eipagnol  ne  s'emparât  de  Rouen, 
l'une  des  premières  villes  du  Royaume  ,  &  d'un  grand  abord 
pour  les  vaiHèaux  ,  Ibus  prétexte  de  la  lecourir  ,  comme  ils 
s'étoienr  rendus  maîtres  delà  Fere,  ious  prétexte  d'y  met- 
tre leur  artillerie.  Viilars,  homme  extrêmement  ambitieux^ 
craignoit  plus  que  perfonne  que  cela  n'arrivât.  Il  dépêchoic 
*  couriers  fur  couriers  au  duc  de  Mayenne  ,  pour  l'avertir  de 

prendre  Cqs  mefures.  Voulant  le  délivrer  de  ces  craintes ,  il 
faifoit  lui-même  tous  fes  efforts  pour  le  mettre  en  état  de 
ne  point  demander  aux  Efpagnols  les  fecours  qu'il  pour- 
roit  trouver  dans  fon  courage,  èc  dans  celui  des  François. 
C'efl  pourquoi  ayant  fait  connoifTance  avec  la  plupart  de 
ceux  qui  fortoient  fouvent  de  la  ville,  pour  aller  porter 
des  nouvelles  au  camp  du  Roi,  pendant  les  fufpenfions 
d'armes  de  ce  fiége,  qui  traînoic  fi  fort  en  longueur,  il 
apprenoit  de  momens  à  autres  par  {qs  efpions ,  tout  ce  que 
failoient  les  Royalifles. 

Outre  ces  avis,  ayant  été  informé  par  un  déferteur  Ir^ 
îandoîs  qu'on  faifoît  rarement  la  garde  au  Fort  Sainte  Ca- 
therine en  l'abfence  du  Roi-  3c  ce  miférable  lui  ayant  die 
en  quel  endroit,  dans  quel  tems,  &  de  quelle  manière  les 
aOiégeans  faifoient  travailler  aux  mines, il  forma  la  réfolu- 
çion  de  faire  une  fortie  vigoureufe  à  la  tête  de  toute  fa 
garnifon.  Pendant  ce  tems-ià,  iesaiîiégeans  fe  hâtoient  d'a- 
vancer les  travaux  j  &  le  mur  ayant  déjà  été  entamé,  on 
attacha  le  Mineur  au  corps  de  la  place  j  mais  (oit  par  la. 
lâcheté  des  foldats ,  fbit  par  l'ignorance  des  Mineurs,  foie 
à  caufe  des  contremines  des  affiégés ,  on  ne  fit  pas  grand 
ufage  de  ces  travaux.  Le  fécret  n'étoit  point  gardé  parmi 
les  Royaliftes  ^  defleins  ,  entreprifes,  préparatifs ,  tout  tranf- 
piroit  au-dehors  par  le  moyen  des  efpions.  Il  y  avoir  fîpeu 
de  régie  &  de  difcipline  parmi  les  troupes ,  qu'on  pafToic 
fans  celle  de  la  ville  au  camp ,  pour  l'examiner  de  près , 
Ôc  du  camp  à  la  ville,  où  l'on  rapportoit  à  Viilars  tout  ce 
qui  fe  paiïbit  dans  l'araiée  des  ennemis.  Ainfî  le  feu  ayanc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIL       471 

été  mis  à  la  mine  le  17.  de  Février  ,  on  n'en  retira  pas  l'a-  — 
vantage  qu'on  s'en  écoic  promis  3  car  l'ennemi  parut  fur  le  Henri 
rempart  en  état  de  le  défendre ,  avant   que  les  affiégeans       I  V. 
fuflènt  prêts  à  l'attaquer.  On  voulut  le  lendemain  furpren-      1591, 
dre  les  aiïîégés  j  mais    ils  fe  trouvèrent  furies  murs,  &re. 
pouffèrent  vivement  les  ennemis,  qui  étoient  déjà  montés 
îlir  la  brèche.  Deux  jours  après ,  le  feu  ayant  été  mis ,  (  par 
accident  à  ce  qu'on  croit,  )  à  l'autre  mine,  elle  ouvrit  une 
large  brèche ,  fans  caufer  néanmoins  beaucoup  de  perte  à 
Tennemi  •  car   elle  ne  fit  fauter   que  Courcy  le  père ,  qui 
avoit  rendu   Caudebec  ,    Nourry   habile  Ingénieur  ,    du 
Moulineau  ,  la  Chevalerie  ,  de  de  Marquette.  Us  furent  en- 
fcvclis  dans  la  terre ,  d'où  on   les  retira  promptement  en- 
core vivants. 

Pendant  ce  tems-là,  Villars  réfolu  de  faire  les  derniers 
efforts ,  faifit  l'occaiïon  de  l'abfence  du  Roi  ,  qui  école  allé 
du  côté  de  Dieppe  avec  le  baron  Charle  de  Biron  ,  &:  la 
fleur  de  la Noblelïè,  après  avoir  laifle  à  Darnetal ,  où  il 
avoit  fon  quartier,  Biron  le  père,  le  cardinal  de  Bourbon  , 
le  chevalier  de  Cheverni ,  éc  les  autres  Confeillers  d'Etat , 
pour  gouverner  les  affaires.  Villars  conduifit  ainfi  fon  en- 
treprife.  Ayant  tiré  25.  hommes  de  chacune  des  douze 
compagnies  de  bourgeois ,  il  leur  donna  ordre  de  fe  trou- 
ver à  cinq  heures  du  matin  le  2  5.  Février  à  la  porte  Saine 
Hilaire ,  fous  les  ordres  de  la  Londe  ,  &C  fit  tenir  le  refle  de 
ces  compagnies  en  armes  far  le  rempart.  Enfuite  il  fortic 
lui-même  par  le  Fort  dans  cet  ordre.  Le  capitaine Boniface 
eut  ordre  de  prendre  les  devants  avec  fon  régiment ,  fuivi 
de  Gorge  de  Brancas  chevalier  d'Oyfe  ,  frère  de  Villars , 
de  la  Braquetière  ,  oc  de  la  Rivière,  avec  leurs  compagnies 
de  cuirafîiers  •  &  de  s'avancer  vers  le  bois  de  Turinge.  Le 
capitaine  Jacomo  avec  fon  régiment ,  foûtenu  d'un  efca- 
dron  de  cavalerie,  qui  avoit  mis  pied  à  terre,  tourna  du 
côté  des  Chartreux  vers  Darnetal.  Charle  Gouftiminil  de 
Boîfrozé  ,  à  la  tête  de  fa  compagnie  d'infanterie  ,  de  le  ca- 
pitaine Pericard  de  la  Lande,  lortircnt  de  la  ville  par  un 
des  côtés  du  vieux  Palais.  Ce  dernier  avoit  avec  Uii  fon 
régiment.  Canonville  &c  Qiiitry  couvroient  ces- -troupes 
avec  leurs  compagnies  de  cuirafliers.  Perdrier  s'avança  plus 


47i  HISTOIRE 

loin  aveefbn  efcadron  de  cavalerie,  &:  fe  mit  entre  les /îeni 
Henri  Sc  ceux  qui  les  foûcenoient,  afin  d'être  à  portée  de  fecou-^ 
I  V.       rir  ceux  qui  fe  recireroient. 

l^^i„  Le  fîgnal  ayant  été  donné  par  un  coup  de  canon  ,  Boîs^ 
rozé  fe  jetta  iiir  les  batteries  des  afîîégeansj  il  le  faiiît  d'a- 
bord de  trois  canons ,  qu'il  fit  précipiter  dans  le  fofle  ,  ôC 
en  encloiia  deux  autres.  Les  capitaines  Jacomo  ,  Boniface 
&  Pericard  ne  trouvèrent  prefque  point  de  réfiftance  dans 
la  tranchée,  où  ils  firent  un  grand  carnage.  Enfin  on  cria 
aux  armes  de  toutes  parts.  Le  maréchal  de  Biron  étant  ac- 
couru avec  l'élite  delà  Noblellê,  fé  mit  à  la  tête  des  Sui£ 
fes ,  &  poufîà  jufqu'au  boulevard ,  les  ennemis  qui  s'étoienc 
trop  avancés.  Le  maréchal  fut  blefTé  à  la  cuiflé  d'un  coup 
d'arquebufe  dans  l'action.  Nicolas  de  Grimoville  de  TAr* 
chant  capitaine  des  gardes,  connu  par  fa  bravoure ,  &  par 
fon  attachement  au  Koi ,  étant  monté  à  cheval  fans  bottes 
au  premier  bruit  pour  fuivre  le  maréchal  de  Biron,  reçut 
au  pied  une  blefiure  dont  il  mourut  peu  de  jours  après  a 
Darnetal. 

Avant  que  le  Maréchal  fût  arrivé ,  l'ennemi  avoît  déjà 
tué  quatre  cens  hommes ,  du  nombre  defquels  fe  trouva 
Clermont  de  Piles  le  cadet.  Les  afîiégés  publièrent  qu'il 
avoit  été  tué  par  le  Curé  de  la  paroiiEe  de  Saint  Patrice  (  i  ). 
Son  frère  aîné  colonel  d'un  régiment  ayant  été  bleflé  en 
plufieurs  endroits  à  la  tête ,  fut  pris  &  tranfporté  enfuite 
îur  fa  parole  à  Louviers,  où  il  mourut.  De  Belfunce  co. 
ionel  fut  auffi  du  nombre  des  morts.  Et  Pierre  Efcodeca 
de  Boece  fut  fait  prifonnier.  On  combla  la  tranchée  j  on 
éventa  les  mines  j  les  mineurs  furent  ètoufFés ,  avec  Iqs 
Anglois  qui  les  fecondoient  dans  ces  travaux  ^  &la  poudre 
fux  gâtée.  Les  alTiégés  ne  perdirent  qu'environ  cinquante 
hommes.  C'ètoit  unfpedacle  affreux  de  voir  de  tous  côtés 
des  membres  épars,  des  armes  brifées ,  la  tranchée  inon^- 
dée  de  fang  ^  enfin  de  toutes  parts  des  cadavres  dépouillés 
&  défigurés  par  des  blefifures  terribles.  Les  deux  partis  con- 
fentirent  à  une  trêve  de  deux  heures  pour  enfevelir  le$ 
morts. 

Villars  envoya  un  courier  au   duc  de   Mayenne  ,  pour 

.(i)    ParoifTe  de  la  ville, 

l'informer 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  CIL         473 

l'informer  de  l'avantage  qu'il   venoîc  de  remporter.    Il  ne  . 
lui  demandoic  plus  de  croupes,  comme  auparavant  •  mais  feu-  Henri 
lemenc  de  l'argent  pour  payer  fa  garnilon.  Son  courierar-       IV. 
riva  dans  le  tems  qu'on  tenoit  leConfeilde  guerre,  où  l'on     1592. 
avoit  arrête  que    l'armée  entière  dëcamperoit   pendant  la 
nuit  dans  un  profond  filence,  pour  lurprendre  le  lendemain 
les  aifiégcans.    Une  partie  devoit  rompre  le  pont  de  bat- 
teaux  conftruit   au-deifus   de  la  ville ,  afin  d'empêcher  \qs 
_  troupes  qui  étoient  au-delà  du  fleuve  de   venir  au  fecours 
de  celles  qu'on  attaqueroit  de  l'autre  côté.    L'autre  par- 
tie  devoit    attaquer    la  tranchée  ,   dc   fe    failir   de  Dar- 
netal. 

Le  duc  de  Parme,  fur  la  nouvelle  de  la  victoire  de  Vil- 
lars  ,  repréiénta  vivement  aux  Officiers  généraux  qu'il  fal- 
loir iuivre  la  fortune,  qui  fembloit  les  appeller  à  une  vic- 
toire aifée ,  &  fondre  fur  l'ennemi  avant  de  lui  donner  le 
tems  de  fe  ralTûrer,  ôc  au  Roi  celui  de  revenir  avec  toutes 
{qs  forces.  »  Les  raifons,  dit- il ,  qui  m'ont  tenu  juiqu'à  pré- 
ï3  fent  dans  l'incertitude  ne  fubliftent  plus  ^  je  crois  qu'il 
weft  autant  de  la  prudence  d'un  habile  General  de  faifîr 
>3  l'occafion  que  le  Ciel  lui  préfente,  que  de  ne  rijn  haiar- 
>3  der  témérairement,  et  Ce  fut  alors  que  la  jaloufiedes  Gé- 
néraux parut  avec  plus  d'éclat  qu'auparavant.  Le  duc  de 
Mayenne  s'oppofa  opiniâtrement  à  la  refolution  du  duc  de 
Parme  ,  &  il  refufa  de  faire  avancer  les  troupes,  's  Jj  ne  fuis 
M  venu,  dit-il,  que  pour  fecourir  les aiîiégés  ^  &  puilque  la 
w  fortune  l'a  fait  fans  nous,  il  ne  nous  relie  plus  qu'à  ra- 
95  mener  l'armée  en  lieu  de  fureté ,  fans  avoir  (buffjrt  au- 
55  cune  perte.  Si  je  n'étois  que  particulier  ,  je  fuiverois  par- 
55  tout  le  duc  de  Parme  3  mais  en  qualité  de  Lieutenant 
55  général  de  la  Couronne ,  je  ne  puis  confentir  à  rien  rif. 
55  quer  avec  témérité ,  quand  la  nécelîîté  ne  m'y  oblige 
93  point.  « 

Cette  mefintelligence  fut  le  falut  de  l'armée  Royale: 
car  il  eft  certain  que  (î  l'avis  du  duc  de  Parme  eût  été 
fuivi,  elle  fe  fût  trouvée  dans  un  grand  danger,  n'é"anc 
foûtenuc  ,  ni  par  la  préfence  du  Roi  qui  etoit  abfent,  ni 
par  celle  du  maréchal  de  Biron  ,  que  fa  bleiîûre  obligeait 
de  garder  le  lit ,  fur-tout  dans  la  conflernation  que  la  perte 
Tumc  XI,  O  O  o 


474  H  I  S  T  O  I  R  E ,  &c. 

qu'on  venoic  de  faire,  avoir  répandue  dans  lesefprits.  Ainfî 
Henri  la  jaloufie  des  Généraux  obligea  l'armée  àrepaiîér  la  Som- 
I  V.      me  3  elle  prit  ion  chemin  par  le  comté  d'Eu ,  àc  par  Pont- 
i^^i,     Dormy.  Pour  ne  la  pas  lailTer  dans  l'inadion ,  on   inveftic 
Saint-Efprit  de  Rue,  à  l'inftigation  du  duc  d'Aumale,  qui 
avoit  fait  efpérer  que   l'on  pourroit  delTecher  le  foflé ,  èc 
prendre  le  Baftion  ,  capable  d'incommoder  extrêmement  les 
ibldats  dans  la  tranchée.   Cette   place,  munie    d'une  Ci- 
tadelle ,  &.  forte  par  Ton  aflîéte  dans  un  lieu  marécageux 
§c  peu  éloigné  de  la  mer  ,  eft  fituée  dans  le  comté  de  Pon- 
thieu  3  5c  André  de    Bourbon  de  Rubembré  la  défendoic 
avec  unegarnifon. 

Le  duc  de  Parme  étoit  encore  fur  ce  fiége  d'un  avis 
différent  de  celui  des  François  j  il  ne  croyoit  pas  qu'il  fût 
de  la  prudence  d'un  Général  de  fatiguer  Tes  troupes  à  l'at- 
taque d'une  place  dont  la  prife  étoit  peu  importante.  On 
tenta  néanmoins  l'attaque ,  mais  fans  fuccès.  Les  troupes 
du  Pape  étoient  déjà  beaucoup  diminuées.  Le  Commiilàire 
qu'on  avoit  envoyé  de  Rome  en  ayant  fait  la  revue,  il  ne 
fe  trouva  de  toute  la  cavalerie  que  la  Cornette  de  Louis 
Melzi  qui  fût  demeurée  avec  Hercule  Sfondrate.  Les  deux 
mille  Suilles  qui  relloienc  paroiflbient  •  fort  mal  inten- 
tionnés. 

Fi»  du  ccfit' deuxième  Livre, 


^^  «oes®^  <OS?-«'  -^KS*»  «^fS*» 

HISTOIRE 

D  E 

JACQ^UE    AUGUSTE 

DE    T  H  O  U. 


LIVRE   CENT-TROISIEME. 


P 


Endanc  que  les  habicans  de  Rouen  ,  qui  venoienc  de 


faire  des  Procellions  ,  &  même  un  Vœu  à  Notre-Dame  Henri 
de  Lorette ,  pour  remercier  le  Ciel  de  les  avoir  délivrés  du       I  y. 
péril ,  fe  flaccoienc  de  n'avoir  plus  rien  à  craindre  ,  le  Roi      j 
de  recour  devant  Tes  murs  faifoic  avancer  infenflblement  la 
tranchée,  &  ferroit  la  place  de  plus  près.  Michel  Huraulc  ^"'^^  ^".?^- 
de  rHofpical  chancelier  de  Navarre  ,  monta  par  Tes  ordres  ^^ 
un  vaiiTeau  de  guerre  ,  fuivi  de  quelques  chaloupes  armées , 
pour  tenir  la  rivière  au-delTus  de  la  ville ,  tandis  que  les  qua- 
tre vaifTeaux    Holandois  ,  qui  avoient  apporté  trois  mille 
hommes  de  troupes  en  boa  état ,  commandés  par  Philippe 
de  NalTau  ,  fermoient  \q.s  paiïages  de  cette  même  rivière  au- 
delTous  de  la  place,  avec  huit  canons  &  quatre  coulevrines  , 
dont  le  teu  écartoit  les  vailTeaux  ,  qui  venoient  de  Honfleur 
&  du  Havre-de-Grace. 

Après  la  ruine  des  travaux  ,  qui  avoient  coûté  tant  de 
peines,  le  Roi  fît  drelTer  dans  le  bois  de  Turinge  des  bat- 
teries, qui  donnoient  fur  le  foflé ,  pour  empêcher  \cs  afliégés 

OOo  ij 


47'^  HISTOIRE 

d'en  retirer  Ton  canon  qu'ils  y  avoient  jette.  Il  mettpic  en- 
Henri  core  par  ce  moyen  la  nouvelle  tranchée  qu'il  avoit  fait  ou- 
I  V.  vrir  ,  à  couvert  des  iniultes  de  l'ennemi  j  mais  les  affiégés 
I  592.  vinrent  à  bout,  malgré  le  feu  de  l'artillerie  ,  d'enlever  ces 
canons  ,  que  la  populace  infolente  conduifit ,  comme  en. 
triomphe  ,  devant  le  Palais  de  l'Archevêque  ,  où  Villars 
avoit  pris  ion  logement.  Il  entra  même  le  8.  de  Mars  dans 
la  place  par  la  porte  Beauvoifine  ,  fans  aucune  réfiftance  de 
la  part  des  affiégeans  ,  huit  cens  hommes  de  troupes  auxi- 
liaires, tirées  du  régiment  de  Bourg  ,  commandé  par  Joa- 
chim  de  Perrière  de  la  Patriere ,  &  des  régimens  du  capi- 
taine Lure  Bafque,  du  comte  de  BolTut,  de  Robert  de  Bar- 
banfon  frère  d'Aremberg  ,  &  de  Claude  la  Bourlotte.  De 
Haultcmer  de  Fervaques ,  qui  avoit  laiiTé  palier  ces  troupes, 
en  rejettoit  la  faute  iur  les  ientinelles ,  qui  étoient  de  garde 
la  nuit  que  ce  fecours  entra  dans  la  ville.  Les  alliégés  ayant 
enfuice  fait  une  forcie  fur  le  bois  de  Turingc  ,  y  renverférenc 
les  gabions  &:  les  batteries.  Enfin  Villars ,  après  deux  forties 
qu'il  fit  fur  les  travailleurs  ,  voulant  montrer  aux  Royalifles 
le  mépris  qu'il  avoit  pour  eux  ,  propofa  des  prix  ,  &  donna 
un  tournois  devant  la  porte  S.  Hilaire  hors  de  la  ville,  com- 
me s'il  eût  été  dans  une  profonde  paix. 

Le  Roi  fe  rendit  le  i  9.  Mars  a  CroifTet  j  &c  ayant  armé 
quelques  barques  ,  il  conflruifit  un  nouveau  Fort  près  de 
l'églife  de  S.  Gervais.  Peu  de  tems  auparavant ,  le  mur  qui 
eft  entre  le  baftion  de  la  porte  Cauchoiîè  6c  la  tour  S.  Domi- 
nique ,  étant  tombé  de  lui-même  à  la  longueur  de  plus  de 
Soixante  pas ,  le  feu  continuel  de  l'artillerie  des  afliégeans  in- 
commoda fort  les  travailleurs ,  qui  réparoient  ces  ruines  , 
auffi-bien  que  ceux  qui  relevoient  le  mur  contigu  à  la  porte 
S.  Hilaire  ,  qui  s'étoit  écroulé  de  la  longueur  de  vingt-fepc 
pas.  Peu  de  tems  après ,  le  capitaine  la  Vigne  ,  qui  étoit  fortî 
de  la  ville  pour  faire  des  courfes  ,  traita  avec  l'Hofpital  du 
Fay ,  6c  convint  de  livrer  au  Roi  la  porte  Cauchoife  ,  à  con- 
dition qu'on  lui  donneroit  dix  mille  ecus  d'or  pour  lui ,  &c 
cinq  cens  pour  fes  foldats.  Mais  ce  Capitaine  ayant  décou- 
vert toute  l'intrigue  à  Villars  ,  celui-ci  lui  confeilla  d'attirer 
Iqs  afliégeans  dans  le  piège.  Du  Fay  ,  après  avoir  pris  Ces 
mefures  avec  la  Vigne  ,  dont  il  avoit  néanmoins  q^uelque 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIÎ.         477 


défiance  ,  lui  écrivit  qu'il  lui  envoyoic  deux  foldats ,  pour  l . . 

reconnoîcre  l'endroit ,  par  où  il  devoit  l'incraduire  dans  la  H  e  n  k  1 
ville.    De  Valiegrand  confeiller  au  Parlement  ,  &  de  Go-       I  V. 
merville  frères  de  du  Fay  fe  déguiférent  en  ibldats ,  ôc  s'écanc     i  5  5^  2, 
rendus  au  lieu  marqué  ,  la  Vigne  iortit  de  la  ville  pour  con- 
férer avec  eux.    Défelpérant  d'attirer  du  Fay  lui-mcme ,  il 
fe  faifit  de  fes  deux  frères ,  &  les  conduiiit  au  Gouverneur. 

Le  30.  Mars,  il  y  eut  dans  le  fauxbourg  S.  Sever  au-delà 
du  fleuve  ,  dans  la  prairie  au-deflbus  du  Prieuré  de  Gram- 
mont,  un  combat  où  Givry  ,  qui  commandoit  la  cavalerie 
légère  ,  fut  bleifé  mortellement  à  l'épaule.  Le  Roi  en  eue 
un  grand  chagrin  ,  &  défefpérant  de  la  vie  de  cet  OfEcier  , 
il  dit  publiquement  qu'il  ne  voyoit  perfonne ,  qui  fut  capable 
de  remplir  la  place  qu'il  occupoit.  Ces  paroles  piquèrent  au 
vif  plufieurs  Officiers.  On  croit  môme  que  ce  fut  le  feui  mo- 
tif qui  détacha  François  Juvenal  de  la  Chapelle-aux-Urfins 
du  parti  du  Roi.  11  crut  que  le  Roi  l'avoir  déclaré  incapable 
de  pofTéder  un  emploi  ,  auquel  il  afpiroit  depuis  longtems. 
Le  5.  Avril  ,  les  ailiégés  furent  battus  dans  une  fanglante 
ibrtie  près  de  la  porte  Cauchoife.  La  Londe ,  Saint-Amand  , 
Saint-Oiien  y  furent  blelfés ,  &  Franqueville  mourut  avec 
plufieurs  autres ,  des  bleilures  qu'il  y  avoit  re^^ûës.  Il  n'y  eue 
durant  quarante  jours  que  de  légères  efcarmouches  ,  éc  les 
affiègeans  eurent  plus  à  foufFrir  des  maladies ,  qui  règnoient 
au  camp ,  que  de  la  part  des  affiégès. 

Enfin  la  ville  fe  trouva  réduite  à  de  fi  grandes  extrémités ,     ^e  duc  de 
que  Villars,  qui  peu  de  tems  auparavant  enflé  de  fes  fuccès  ,  Parme  vient 
s'étoit  flatté  de  n'avoir  rien  à  craindre  ,  fut  forcé  d'avoir  re-  ^0^5*;°'^"'^^ 
cours  au  duc  de  Parme.  Il  fit  dire  à  ce  Général  qu'il  rendroit 
la  place  au  Roi  ,  s'il  n'étoit  fecouru  avant  le  20.  du  mois 
d'Avril.  Le  duc  de  Parme  nepenfa  plus  alors  qu'à  marcher 
à  fon  fecours  ^  èc  ayant  laifl^è  à  FIcdin  la  plus  grande  partie 
de  fon  bagage ,  dont  il  pouvoit  fe  palier  ,  il  fe  prépara  à  fe 
mettre  en  chemin  ,  après  avoir  eu  beaucoup  de  peine  à  enga- 
ger les  Suiflies  à  le  fuivre.  Dès  que  la  marée  le  fut  retirée  , 
il  paflà  la  Somme  entre  Crotoy  èc  S.  Valéry  ,  près  du  lieu 
appelle  Blanchetache  ,  parce  que  les  bords  du  fleuve  ,  dont 
le  lit  efl:  fort  large  en  cet  endroit ,  étant  très- bas ,  tout  pa- 
roîc  blanc  de  loin  aux  environs.  On  fit  enfuite  la  revue  de 

O  O  o  iij 


47  s  HISTOIRE 

l'armée ,  qui  fe  trouva  compofée  de  cinq  mille  chevaux  Se 
H  E  N  i^  I  tic  douze  mille  hommes  d'infanterie.  Le  duc  de  Parme  ren- 
I  V.       contra  le  quatrième  jour  le  cardinal  Sega  Légat ,  qui  venoic 
,  ^  ^ ,       de  Rheims  au-devant  de  lui.  Ce  Prélat   ayant  auflî  voulu 
faire  le  lendemain  la  revue  de  l'armée,  donna  fa  bénédic- 
tion aux  foldats  enpailant  dans  les  rangs,  ôc  reiolut  d'ac- 
compagner le  General  Efpagnol  dans  fon  expédition. 
Le  Roi  lève       Le  Roi  apprit  l'arrivée  des  ennemis  avec  quelque  éton- 
le(icge.         nementj  il  fut  furpris  qu'ils  eufTent  pu  faire  en  fix  jours  une 
marche  qui  lui  en  avoit  coûté  vingt  depuis  peu  ^  néan- 
moins il  n'en  fut  pas  déconcerté.   Il  avoit  pris  de  fî  juftes 
meiures  ,  que  la  NobleiPe,  qui  s'étoit  retirée  dans  Ces  terres 
pour  fe  repofer  pendant    l'hiver  ,  devoit  fe  raflèmbler  au 
premier  ordre  qu'elle  en  auroit.  Charle  d'Humiéres  revint 
en  diligence  au  camp  avec  deux  cens  chevaux  •  le  duc  de 
Monpenfier  en  amena  avec  lui  quatre  cens  -,    Saint-Denis 
Maillot ,  Sourdis&Souvré  accoururent  aulfi  chacun  de  leur 
province  avec  de  bonnes  troupes.  Le  Roi ,  qui  étoitalléà 
Dieppe  pour  voir  le  Gouverneur  qui  étoit  dangereufemenc 
malade,  àc  dans  la  vue  de  raffurer   cette  ville  par  fa  pré- 
îence  contre  les  defleins  des  ennemis,  étant  revenu  devant 
les  murs  de  Rouen,  réunît  le  lo.  d'Avril  toutes  fes  troupes, 
qu'il  avoit  été  obligé  de   partager  en  quatre   corps  pour 
afliéger  la  place  en  autant  d'endroits.  Il  retira  enfuite  fon 
artillerie  du  Fort  Saint  Gervais ,  ôc  fes  troupes  du  faux- 
bourg  Saint   Sever.  Ayant  diipofé   fon   armée  devant  le 
Fort  Sainte  Catherine,  le  feu  devint  plus  violent  des  deux 
"  côtés,  qu'il  nel'avoit  été  durant  toutlefiége.  Henri  donna 

ordre  à  ics  foldats  de  fe  rendre  à  Bans  j  &  ayant  renvoyé 
fon  bagage  au  Pont-de-l'Arche  ,  il  chargea  Henri  de  la  Tour 
duc  de  Bouillon  ,  à  qui  il  venoit  de  donner  le  bâton  de 
Maréchal ,  de  fermer  la  marche  de  l'armée  avec  huit  cens 
chevaux  pour  foûtenir  l'efFort  de  l'ennemi ,  s'il  venoit  à  faire 
une  fortie  dans  le  tems  qu'on  décamperoit  deDarnetal.  Le 
Maréchal  s'aquitta  de  fa  commiffion  avec  beaucoup  de  foin 
&  de  bonheur. 

Le  duc  de  Parme  étoit  d'avis  de  tomber  avec  l'élite  de 
l'armée  fur  celle  du  Roi  dans  fa  retraite  j  mais  le  duc  de 
Mayenne  s'oppofa  à  cette  réfolution ,  fous  prétexte  que  ce 


DE  J.   A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.        4S9 

ieroîc  inutiiemenc ,  parce  que  le  Roi  pouvoit  fe  retirer  par 
le  P  on  t:«  de- l'Arche ,  ou  faire  palier  la  Seine  à  Tes  troupes  par  j, 
le  moyen  des  batteaux  qu'il  avoic  au-deilus  &;  au-dellôus  ,^^  ^  ^ 
de  Rouen  j  il  rep  ré  Tenta  que  la  campagne  étant  entière- 
ment ruinée  aux  environs,  il  falloic  tirer  des  vivres  de  ^59^- 
quelqu'autre  endroit  pour  en  fournir  la  ville  :  Qu'on  n'en 
auroit  pas  même  allez  pour  la  ibbliftance  de  l'armée, 
il  l'on  s'arrctoit  inutilement  à  les  confommer  en  préfence 
de  l'ennemi ,  pour  le  torcer  d'en  venir  aux  mains  :  Qu'il 
étoic  plus  à  propos  d'aller  affiéger  Caudebec  au-deilbus 
de  Rouen  :  Qu'on  s'empareroit  facilement  de  cette  place  , 
où  l'on  trouveroit  une  grande  abondance  de  munirions  de 
bouche  ôc  de  guerre ,  qu'il  feroît  aifé  de  tranfporter  à  Rouen  j 
y  ayant  toute  apparence  que  la  flore  Holandoife  ,  qui  blo- 
qudit  cette  place  du  côté  de  la  rivière ,  fe  retireroic  pen- 
dant qu'on  feroic  le  fiége  de  Caudebec.  On  fuivit  l'avis 
du  duc  de  Mayenne,  malgré  le  Général  Efpagnol ,  qui  fut 
enfin  obligé  de  s'y  rendre.  Les  Généraux  étant  allés  eux- 
mêmes  à  Rouen  firent  abattre  les  Forts  que  les  Royaliftes 
avoient  élevés  au  Prieuré  de  Sainte  Catherine  ,  êcàla  Char- 
treufe.  Trois  jours  après,  l'armée  alla  inveftir  Caudebec, 
où  la  flote  Holandoife  ,  que  les  ennemis  attaquèrent  d'a- 
bord ,  avoit  été  mouiller.  On  envoya  un  détachement  de 
Wallons,  qui  repoufTèrent  ceux  des  affiégés  qui  étoienc 
iortis  de  la  ville  pour  fe  faifir  des  défilés. 

Le  lendemain,  le  duc  de  Parme  s'étant  avancé  trop  près      ^e  ducde 
des  murs  avec  Rainuce  fon  fils ,  6c  de  la  Mothe,  afin  de  l'arme  eft 
choifir  un  endroit  pour  établir  fes  batteries ,  fut  blefîé  d'un  caudebec! '^^ 
coup  de  moufquet  au-delTous  du  coude.  La  baie,  dont  l'ef- 
fort étoit  déjà  amorti ,  effleura  les  deux  os  de  cet  endroit 
du  bras ,  &  demeura  dans  la  chair ,  n'ayant  pas  afîèz  de 
force  pour  pénétrer  davantage.  Ce  grand  homme  continua 
à  parler  fans  changer  de  couleur  :  mais  ceux  qui  l'environ- 
noient  s  étant  apperçus  de  cet    accident   par  le  fang  qui 
ruilTeloit  de  fon  bras ,  le  prièrent  de  fe  retirer.   La  flote 
Holandoife ,  dont  l'Amiral  avoit  été  fort  maltraité  ,  fe  re- 
tira à  Qiiillebœuf ,  place  au  deflbus  de  Rouen  à  l'embou- 
chure de  la  Seine.   Les   habitans  de  QLiillebœuf  font  pref- 
que  tous  bons  marins  j  ^  leur   commerce  continuel  avec 


48o  HISTOIRE 

les  Anglois  les  a  rendus  Proteftans  pour  la  plupart.  Quoî- 
H  EN  RI   que  les  eaux  femblenc  devoir   être    balFes  en  cet  endroit, 
IV.       à  caufe  de  l'extrême  largeur  du  fleuve,  cependant  les  vaif- 
j  cg  j,     leaux  font  portes  par  la  marée  dans   le  port  ,  qui  efl  très- 
liir.  C'cft  pourquoi  on  commença  à  fortifier  cette  ville,  à 
laquelle  on  donna  alors  le  nom  de  Henriville,  à  l'honneur 
du  Roi,  qui  en  donna   le  gouvernement  à  Roger  de  Belle- 
garde  grand  Ecuyer  de  France ,  ôc  Premier  Gentilhomme 
de  la  Chambre. 
prifcdcCau-       La  flote  Hollandoifc  s'étant  retirée  de  devant  Caude- 
du^"  p^^r-*^  ^^^1  ^  l'ennemi  ayant  fait  brèche  avec  quelques  coups  de 
me.  canon,  la  Garde  Meftre   de   Camp   d'un  régiment  que  le 

Roi  n'avoit  mis  dans  cette  ville  de  peu  de  défenfe  ,  ôc  com- 
mandée preique  de  tous  côtés  par  des  hauteurs ,  que  pour 
arrêter  l'ennemi  pendant  quelques  jours  avec  une  garnifon 
de  trois  cens  hommes  d'intanterie ,  àc  de  cinquante  che- 
vaux, voyant  Cqs  foldats  découragés  commença  à  parler 
de  fe  rendre,  malgré  PaufaniasBraccioduro,  qui  étoit  venu 
s'enfermer  dans  la  place  après  la  mort  de  Nafî ,  que  la  ma- 
ladie avoit  emporté  au  quartier  de  Darnetal.  Quelque  ré- 
iîftance  que  pût  faire  ce  brave  Italien  pour  ne  point  fouf- 
crire  au  traite,  où  il  ne  voulut  jamais  être  compris  ^  la 
Garde  le  conclut,  &c  l'ennemi  s'engagea  à  conduire  en  lieu 
de  fureté  les  Officiers  &:  toute  la  garnifon  avec  les  armes, 
les  chevaux  &  le  bagage.  On  accorda  aux  bleflés  la  per- 
miiTion  de  relier  dans  la  ville  jufqu'àleur  entière  guérifon. 
Braccioduro,  qui  etoit  obligé  de  garder  le  lit  fut  d'abord 
retenu  prilonnier  de  guerre,  pour  s'être  hautement  défen- 
du d'être  compris  dans  le  traité  3  mais  il  fut  mis  en  liberté 
peu  de  tems  après  par  le  duc  de  Mayenne.  Tout  fut  mis 
au  pillage  dans  Caudebec ,  à  la  relerve  des  vivres,  qu'on 
fit  pafler  à  Rouen  en  diligence.  Le  foldat  briiloit  de  venger 
fur  les  Royaliftes  la  blelTure  de  fon  Général ,  qui  fit  nean- 
*  moins  défenfe  à  fes  troupes  de  paUèr  outre. 

La  NobleflTe  effrayée  du  péril  où  le  Roi  étoit  expofe 
accourut  promptement  auprès  de  fa  perionne.  Il  vint  au 
camp  quatre  mille  hommes  de  pied  j  enforte  que  fans 
compter  trois  mille  chevaux  Allemans ,  èc  un  pareil  nom- 
bre de  cavalerie  Françoife5  l'infanterie  ie  montoit  à  douze 

mille 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  GIIL     4S1 

jmîlle  hommes.  Après  la  prife  de  Caudebec  le  duc  de  Parme,  - 
inftrulc  du  nombre  des  troupes  Royaliftes  ,  afTembla  le  Henri 
Confeil  de  guerre  j  il  y  propofa  de  fe  retirer  à  Lillebonne ,  I  V. 
place  avantageufement  fituée  ,  appartenante  au  duc  d'El-  1592. 
bœuf,  fous  prétexte  qu'on  y  leroit  à  portée  de  tirer  faci- 
lement par  derrière  des  vivres  du  Havre-de-Grace.  Le  duc 
de  Mayenne  ,  toujours  oppofé  au  Général  Efpagnol  ,  fut 
encore  d'un  avis  contraire  j  il  foûtint  que  fi  on  abandonnoit 
Caudebec, la  ville  de  Rouen  retomberoitdans  le  péril  donc 
on  venoit  de  la  délivrer  ,  à  caufe  de  la  défolation  de  la 
campagne ,  fur-tout  depuis  que  le  Roi  avoit  mis  garnifon 
à  Quillebeuf,  où  il  avoit  encore  une  flote  j  ajoutant  que  ce 
Prince  ne  manqueroit,  pas  de  fe  porter  entre  la  ville  &  l'ar- 
mée ,  èc  reprendroit  Caudebec  avec  autant  de  facilité  qu'il 
l'avoit  perdue  j  qu'ainfi  il  falloit  demeurer  dans  cette  ville, 
&;  la  défendre  par  la  force  des  armes.  Cependant  le  duc  de 
Parme  gardoit  le  lit  à  caufe  de  fa  bleifure.  On  avoit  été 
obligé  de  lui  faire  deux  incifions  pour  retirer  la  baie  des 
chairs  otielle  étoit entrée  j  on  appréhendoit  même  que  la 
gangrène  ne  fe  mît  au  bras  de  ce  Prince,  qui  étoit  d'ail- 
leurs d'une  mauvaife  confticution.  Le  duc  de  Mayenne  prie 
donc  le  commandement  de  l'armée,  à  la  referve  des  trou, 
pes  de  Parme,  que  Rainuce  fon  fils  commandoit  en  qualité 
de  Lieutenant  général. 

Le  Roi  s'étant  avancé  le  dernier  Avril  avec  fon  armée  à 
la  vue  de  l'ennemi,  qui  étoit  à  Ivetot,  campa  vis-à-vis  en- 
viron à  une  demi  lieuë.  Le  bourg  d'Ivetot  appartient  aujour- 
d'hui, avec  titre  de  Royaume,  à  la  Maiibn  du  Bellay, 
recommandable  par  fon  ancienneté  ,  &  par  les  grands  fer- 
vices  qu'elle  a  rendus  à  la  France.  L'origine  de  cette  Sou- 
veraineté eft  fondée  fur  une  conceffion  du  Roi  Clothaire, 
qui  s'étant  trouvé  à  Soilîons  vers  l'an  de  grâce  534.  y 
rencontra  Gaultier  feigneur  d'Ivetot,  ^ui  revenoit  de  la  Origine  du 
guerre  contre  les  Sarrafins.  Ce  Prince  ayant  reconnu  ce  d-ivetoT 
Seigneur  ,  qu'il  haïflbit  depuis  longtems ,  le  perça  d'une 
épee  qu'il  arracha  à  l'un  de  fes  gardes.  Ce  fut  dans  une 
Chapelle  le  jour  du  Vendredi-Saint  que  le  Roi  commit  ce 
crime  énorme.  Le  Pape  Agapet  le  menaça  de  l'excommu- 
nier, s'il  ne  faifoit  fatisfaclion  à  la  veuve  2c  aux  enfms  de 
Tome  XI,  P  P  p 


48i  HISTOIRE 

I  Gaultier ,  dont  le   meurtre  ëtoic  accompagné  d'un  facrî- 

Henri  lége.  On  rapporte  que  ce  Prince  ,  pour  expier  fon  crime , 
IV.       l^Lir  donna  en  fouveraineté  le  Fief  qu'ils  cenoient  à  foi  èc 
j  hommage  de  lui.De-là  vint  que  la  Seigneurie  d'I  vetot  ne  rele- 

vant d'aucun  autre  Fief  prit  le  titre  de  Royaume.  C'eft  ainli 
que  ce  fait  eft  rapporté  dans  nos  Annales  écrites  ou  com- 
pilées par  Nicole  Gilles.  Cependant  Grégoire  de  Tours 
qui  a  écrit  avec  beaucoup  d'éxaclitude  l'hiftoire  de  la  pre- 
mière race  de  nos  Rois ,  n'en  fait  aucune  mention ,  auiîî- 
bien  que  l'hiftorien  Aimoin.  Ainfî  Nicolas  Vigner  a  pu 
révoquer  le  fait  en  doute  ,  quelques  raifons  qu'on  puifîe  ap- 
porter pour  le  foûtenir.  Quoique  l'eflentiel  de  cette  hiftoire 
loit  vrai ,  perfonne  ne  peut  nier  qu'i\  n'y  ait  beaucoup  de 
chofes  fufpedes  dans  le  fait.  Pourroit-on  nous  dire  en  efFec 
quel  eft  ce  Gaultier  qui  revenoit  de  la  guerre  contre  les 
Sarrazins ,  dont  il  eft  certain  que  le  nom  n'étoit  pas  en- 
core connu  dans  la  Chrétienté  ?  D'ailleurs  croira-t'on  faci- 
lement que  le  pape  Agapet  aie  excommunié  Clothaire  à 
caufe  du  meurtre  de  Gaultier,  ne  l'ayant  point  fait  à  l'oc- 
cafîon  de  la  mort  des  neveux  de  ce  Roi ,  que  ce  Prince 
cruel  avoir  impitoyablement  mallacrés  ?  Il  ne  fera  pas  aifé 
de  fe  le  perfuader ,  fur- tout  fi  l'on  confîdére  que  ce  Pontife^ 
dont  le  régne  ne  fut  pas  de  longue  durée,  alla  vers  ce  tems- 
là  à  Conftantinople,  où  il  mourut  bientôt  après  fon  ar- 
rivée. Quoi  qu'il  en  ibit ,  Ivetot  porte  de  nos  jours  le  titre 
de  Royaume ,  &  ne  doit  point  la  foi  àc  hommage  au  Roi. 
On  peut  dire  pour  concilier  ce  fait  avec  la  vérité  ,  que 
Clothaire  remit  lès  droits  à  la  veuve  &  aux  enfans  de  Gaul- 
tier de  fon  propre  mouvement  pour  réparer  fà  faute  ,  fans  y 
avoir  été  obligé  par  aucunes  Cenfures  Eccléliaftiques. 

L'armée  Royale  étant  campée  en  préfence  de  l'ennemi , 
dont  elle  n'étoit  fëparée  que  par  un  bois  ,  il  y  eut  de  légè- 
res efcarmouches  pendant  trois  jours.  Enfin  le  Roi  voulant 
le  3.  de  Mai  en  venir  à  une  action  décilîve,  rangea  fon  ar- 
mée en  bataille,  &  détacha  un  corps  d'infanterie  pour  fe 
faifir  d'un  pofte  qui  luifacilitoit  un  chemin  vers  le  camp  des 
ennemis.  Les  Royaliftes  fè  fortifîoient  déjà  en  cet  endroit, 
lorfque  Camille  Capizucci  vint  fondre  fur  eux  à  la  tète  de 
£es  Itahens  ,  &  d'une  troupe  d'Efpagnols,  ôc  les  for^a  i 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.      485 

abandonner  les  travaux  déjà  commencés.  11  fît  en  même-    '    '^        ■■■ 
tems  élever  à  la  hâte  un  Cavalier  environné  de  fofles,  fur  He  n  ri 
lequel  on  mit  de  l'artillerie.   Le  Roi  n'ayant  pu  réuflir  de      I  V. 
ce  côté-là  ,rérolut  d'attaquer  l'ennemi  par  un  autre  endroit,      içoz^ 
C'cll  pourquoi  il  alla  camper  à  Ivetot ,  ayant  derrière  lui 
Dieppe  &  Saint  Valeri,d'où  il  pouvoit  tirer  des  vivres  en 
abondance,  pendant  qu'il  les  coupoit  à  l'ennemi  par  l'adîéte 
de  fon  camp. 

S'étant  ainfî  fortifié ,  il   harceloit   fans  cefle  l'ennemi ,     Avantage 

r  /\  •  1,  1      remporte  par 

quineanmoms  remportoit  prelque  toujours  1  avantage  de  par  le  Roi. 
ces  petits  combats ,  jufqu'à  ce  qu'enfin  le  jour  étant  déjà 
bien  avancé ,  l'efcarmouche  fut  fur  le  point  de  devenir 
une  affaire  générale  ,  par  la  chaleur  des  troupes  des  ducs 
de  Guife  6c  de  Mayenne  ,  qui  fe  laiflerent  emporter  trop 
loin.  Rainuce  ayant  eu  fon  cheval  tué  fous  lui ,  courut  grand 
rifque  d'être  pris  par  les  Anglois  qui  l'entourèrent.  La  nuit 
finit  le  combat,  où  l'ennemi  perdit  un  grand  nombre  de 
foldats.  On  fit  prifonnicr  Louis  de  la  Chaftre  fils  du  Ma- 
réchal de  camp  de  ce  nom. 

Lqs  vivres  devinrent  fi  rares  au  camp  des  Efpagnols , 
que  les  douze  onces  de  pain  s'y  vendirent  d'abord  dix  ,  bc 
enfin  vingt  fols ,  &  le  demi  feptier  de  vin  trente  fols.  L'eau 
même  fut  taxée,  parce  qu'on  s'apper<^ut  que  l'eau  de  la 
Seine  qui  couloit  dans  le  voifinage,  étant  troublée  par  la 
marée  n'étoit  pas  bonne  à  boire,  &  caufoit  desincommo. 
dites.  Outre  ces  inconvéniens  ,les  foldats  eurent  encore  à 
efi^Liyer  des  pluies  continuelles  pendant  plufieurs  jours  j  ils 
n'avoient  pas  même  de  paille  pour  fe  repofer  defifus.  La  di- 
fette  des  fourages  fit  périr  un  nombre  confidérable  deche- 
vaux  de  grand  prix  ^  &  le  Général  pour  comble  de  mal- 
heurs manquoit  abfolument  d'argent ,  qui  eft  néanmoins  , 
fur-tout  à  la  guerre  ,  le  feul.  remède  à  tous  les  maux ,  foie 
pour  confoler  les  foldats ,  foit  pour  les  encourager  à  la  pa- 
tience. Le  Roi  n'en  avoit  pas  davantage  de  fon  côté  5  mais 
l'abondance  régnoit  parmi  fes  troupes. 

La  NoblefiTe,  qui  étoit  accourue  dans  l'efpérance  de  don- 
ner bataille  ,  fe  voyant  trompée  dans  fon  attente,  fongeoic 
à  fe  retirer.  Ce  contretems  caufoit  beaucoup  d'inquiétude 
au  Roi ,  qui  réfoluc  d'attaquer  \qs  ennemis  pour  la  retenir 

PPpij 


'4^4  HISTOIRE 

!?!!?  auprès  de  fa  perfonne.  Etant  donc  forti  de  Tes  retranche- 
Henri  mens  la  nuit  du  13.  au  14.  du  mois  de  Mai ,  il  marcha 
IV.  avec  toute  Ton  armée  vers  un  bois  allez  près  de  la  plaine, 
1102  oùTes  deux  armées  étoient  campées.  Ayant  furpris  les  fix 
cens  hommes  de  troupes  Fran(^oifes ,  Flamandes  àc  Efpa- 
gnoles  que  le  duc  de  Mayenne  y  avoit  poftés,  il  s'empara 
du  bois  après  un  combat  fanglanr.  Le  comte  de  Nailau 
fut  chargé  en  même-tems  de  défendre  ce  pofte  avec  deux 
mille  hommes  de  troupes  Angloifes,  EcolToifes  6c  Hollan- 
doifes  qui  s'y  retranchèrent  à  la  hâte.  L'ennemi  fe  trou- 
vant très-incommodé  par  cet  avantage  du  Roi ,  qui  avoic 
rangé  fon  armée  en  bataille  dans  la  plaine  ,  &  jette  l'épou- 
vante àc  la  terreur  dans  le  camp  ,  le  duc  de  Mayenne  à  la 
tête  de  i'avant-garde  ,  qui  commençoit  à  reculer,  la  foûtinc 
avec  la  cavalerie  Espagnole  que  Rainuce  fit  avancer.  Le  duc 
de  Mayenne,  tout  malade  qu'il  -étoic,  quitta  le  lit  pour 
monter  à  cheval ,  &  alla  reconnoître  le  poftc  dont  les  Roya- 
liftes  s'étoient  faifis.  Voyant  qu'ils  pouvoient  par-là  péné- 
trer jufqu'au  milieu  de  fon  camp,  il  réfolut  de  Iqs  en  dé- 
loger ,  à  quelque  prix  que  ce  fût.  La  préfence  du  péril  réii- 
rit  les  Généraux,  qui  avoient  jufqu'alors  toujours  été 
d'avis  contraire.  Le  duc  de  Parme  partagea  fur  le  champ 
fix  mille  hommes  d'infanterie  en  deux  bataillons  précèdes 
d'une  troupe  d'avantcoureurs.  Il  fit  braquer  du  canon  fur 
une  hauteur  pour  couvrir  l'un  des  flancs  de  cette  troupe  3 
&  donna  ordre  à  un  efcadron  de  cavalerie  de  s'avancer 
afin  de  foûtenir  l'impétuofité  des  François.  Les  Siiilîès 
relièrent  dans  le  camp  pour  former  un  corps  de  réferve. 
Le  Roi  ayant  marché  au-devant  des  ennemis ,  il  y  eut  de- 
puis cinq  heures  du  matin  juiqu'à  fix  heures  du  loir  de  con- 
tinuelles efcarmouches  ,  où  l'ennemi  perdit  beaucoup  de 
monde.  Qiioique  l'on  fe  fût  canonné  de  part  6c  d'autre  ,  on 
n'en  vint  pas  néanmoins  à  une  adion  générale ,  parce  que 
le  duc  de  Mayenne  retint  toujours  fesfoldats.  Car  foir  qu'il 
ne  fût  pas  ,en  état  de  donner  bataille  ,  ou  qu'il  crût 
qu'il  y  auroit  de  l'imprudence  à  le  faire  pendant  que  le 
duc  de  Parme  feroic  obligé  de  garder  le  lit ,  il  ne  voulut 
rien  hafarder. 

Les  Ligueurs  voy oient  que  les  .vivres  venoient  à  leux 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIII.        485- 

manquer  abfolument  j  que  les  foldats  tourmentés  par  la  '■: 

faim  dëfertoient  chaque  jour ,  ou  que  les  Royaliftes  les  tail-  Henri 
loient  en  pièces  lorfqu'ils  alloient  chercher  de  quoi  vivre       j  y, 
dans    la   campagne  ,  ce  qui   diminuoit  l'armée  de  jour  en      1591. 
jour.  D'ailleurs  le  duc  d'Aumale  alluroit  les  Généraux  qu'il 
lui  feroit  impoflible  de  retenir  plus  longtems   la  cavalerie 
Fran^oife.  On  jugea  donc  à  propos  décéder  au  tems.  Dans 
cette  réfolution  l'armée  décampa  dans  un   grand  filence , 
fans  tambour,  &:  fans  trompette  j  on  alluma  feulement  des 
feux  pour  donner  le  fîgnal  aux  troupes  qui  allèrent  camper 
â  une  demie  heuë  de  Caudebec,  dans  un  endroit  fortifié 
par  la  nature,  &  plus  voifin    de   la   Seine  que  le  premier 
camp.  Le  brouillard  &  la  pluie  empêchèrent  les  Royaliftes 
de  s'appercevoir  fitôt  de  ce  mouvement  des  ennemis.  Ivai- 
nuce  qui  étoit   chargé  de  la    conduite    de  l'arriére-garde 
ayant  fait  prier  le  duc  d'Aumale  de  faire  alte  pendant  quel- 
que tems ,  fauva  quelques  canons  que  la  précipitation  avoic 
fait  oublier  dans  le  camp  ,  où  l'on  n'a  voit  point  laifFé  de 
chevaux  pour  les  traîner. 

Le  duc  de  Parme  toujours  incommodé  de  fa  bleiîure 
étoit  obligé  de  garder  le  lit  à  Caudebec-  les  foiblelîèsoii 
il  tomboit  fans  ceile,  Se  fon  mal  que  l'inquiétude  èc  les 
infomnies  avoient  augmenté,  firent  appréhender  pour  fa  vie. 
Le  duc  de  Mayenne  etoit  lui-même  abattu  par  une  mala- 
die invétérée  qu'il  négligeoit  depuis  longtems.  Le  fils  dir 
duc  de  Parme  étoit  trop  jeune,  pour  commander  l'armée 
en  chefj  il  étoit  d'ailleurs  rnéprilé  des  François^  ainfi  la 
confufion  6c  la  négligence  régnoient  parmi  les  ennemis.  La: 
Tuë  du  péril  &c  la  néceffité  étoient  feules  capables  de  les' 
contenir  dans  le  devoir. 

Sur  ces  entrefaites ,  le    Roi  attaqua  vivement  le  8.  de 
Mai ,  fur  les  huit  heures  du  marin,  la  cavalerie  légère ,  dont    L-ar^fe des^ 
le  commandant  George   Bafta  étoit  malade   au  lit,  &  la  Liç:i;ciirs  re- 
cavalerie Flamande  commandée  par  Charle  de  Croy  prince  rail*;  la  Seme,- 
de  Chimay.  Après  un  léger  combat,  il  enleva  le  bagage  & 
ks  quartiers  de  vingt  cicadrons,  qui  s'étant   lailîé   pouffer 
entre  des  chariots  où  ils  ne  pouvoient  fé  défendre,  &;  l'in- 
fanterie n'arrivant  pas  aiTez-tôt  pour  lesfoûtetîir  ,  ilscurenr 
beaucoup  de  peine  à  fefauverpar  la  fuite.  L'ennemi  affoibli 

p  pp  iij. 


486  HISTOIRE 

par  tant  de  pertes ,  voyant  que  la  difette  de  toutes  chofes 
Henri  devenoit  plus  grande  de  jour  en  jour  ,  les  ducs  de  Parme 
IV.       5c  de  Mayenne  tinrent  Confeii  eniemblej  2c  Ton  réfolutde 
j  .  faire  repaiTer  la  Seine  à  l'armée.  Il  y  eut  auiTitôt  des   or- 

dres envoyés  à  Rouen  pour  y  conftruire  des  pontons  fecré- 
tement  èc  en  diligence.  Eniuite  on  lit  élever  fur  les  bords 
xlu  fleuve  deux  Forts  à  l'oppofite  l'un  de  l'autre  pour  arrê- 
ter l'efFort  des  Royaliftes ,  s'ils  chargeoient  l'armée  en  queue 
dans  fa  retraite.  Le  comte  de  Bollu  fut  mis  avec  une  forte 
garnifon  &.  quelques  pièces  de  canon  dans  le  Fort  qui  étoic 
du  côté  du  camp  j  &  le  colonel  Claude  la  Bourlotte  dans  le 
fécond  de  l'autre  côté  de  la  Seine.  Dhs  que  tout  fut  prêt 
pour  la  retraite,  on  en  fixa  le  jour  au  ii.  de  Mai.  Les  pon- 
tons étant  arrivés  le  même  jour,  unis  enfemble  &  couverts 
de  poutres  en  travers ,  la  cavalerie  Francjoife  pafla  la  pre- 
mière avec  une  partie  des  bagages  de  la  cavalerie  Allemande, 
&  des  autres  troupes  armées  de  toutes  pièces. 

Le  Roi  qui  ne  s'apperçut  de  la  retraite  de  l'ennemi ,  que 
lorfque  fix  mille  hommes  d'infanterie  ,  les  munitions  de 
guerre,  ôc  les  canons  étoient  déjà  de  l'autre  côté  du  fleuve ,  fie 
marcher  cinq  censarquebufiers  à  cheval,  &l  mille  hommes 
d'infanterie  ,  pour  fe  faifir  d'une  hauteur  voifme  du  Fort  où 
commandoit  le  comte  de  Boffu,  afin  d'y  braquer  du  canon 
contre  les  pontons ,  pour  empêcher  l'ennemi  d'achever  fa 
retraite.  Le  duc  de  Parme  fit  aulFitôt  avertir  Rainuce,  qui 
étoit  à  l'arricre-garde  ,  de  détacher  mille  hommes  d'infan- 
fanterie  ,  qui  combattirent  avec  tant  de  courage  contre  \e$ 
Royalifbes,  que  pendant  que  ceux-ci  prenoient  un  long  dé- 
tour pour  fe  rendre  fur  le  rivage,  ils  donnèrent  le  tems  au 
refte  de  la  cavalerie  de  gagner  Rouen  avec  les  bagages ,  6c 
la  cavalerie  Allemande  ,  &  de  pafTer  la  rivière  en  cet  endroit. 
L'infanterie  qui  étoit  reftèe  avec  le  comte  de  Boflh  pafTa  fur 
les  pontons  fans  danger  avec  l'artillerie.  Il  ne  refîoit  que 
trois  canons  qu'on  avoir  mis  fur  un  bateau  j  Rainuce  voyant 
que  l'efïroi  des  pionniers  les  leur  avoit  fait  abandonner, 
iit  tous  fes  efforts  pour  lesfauver.  Le  bateau  étoit  déjà  au 
milieu  du  fleuve,  lorfqu'onapperçut  une  galère  desRoya. 
liftes  qui  venoit  de  Quillebeuf. 

Les  troupes  du  Roi  s'étanc  emparées  de  la  hauteur  donc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  v.  CIIÎ.      487 

nous  avons  parlé,  y  pointèrent  du  canon  qui  commença  à  '■  ' 
tirer  fur  le  bateau  &  contre  le  Fort  du  colonel  la  Bour-  Henri 
lotte  5  mais  cette  batterie  tirant  de  haut  en  bas  ne  fît  pas  I  V. 
beaucoup  d'effet  3  ceux  qui  ëtoient  dans  ^e  bateau  allèrent  i  ç  g  ^ 
aborder  à  la  Meilleraye  pour  éviter  les  coups  de  canon.  Cette 
place  qui  appartient  à  la  Maifon  deMaiiy  ,cflbien  fituéeêc 
bien  conflruite.  Le  jeune  Rainuce,qui  étoit  accouru  dans 
cet  endroit ,  voyant  que  les  galères  du  Roi  venoient  fondre 
à  force  de  rames  fur  le  bateau ,  &  croyant  fa  gloire  inté- 
relTée  à  ne  pas  laifler  tomber  ces  canons  au  pouvoir  de 
l'ennemi ,  fît  avancer  un  régiment  Efpagnol  •  mais  ces  trou- 
pes n'arrivants  pas  afïèz  promptement  ,  &  les  Royaliffces 
étants  fur  le  point  de  joindre  le  bateau  ,  Rainuce  fauta 
dedans  avec  la  Mothe  Lieutenant  d'artillerie  ,  Saint-Paul  ,ôc 
trois  Gentilshommes ,  afin  de  raflTûrer  les  matelots  par  fa 
préfence.  L'intrépidité  de  ce  jeune  Prince  empêcha  les 
Royalifles  d'avancer  pkis  loin.  Enfuite  ayant  mis  fes  ca- 
nons en  fureté  avec  l'aide  des  Efpagnols  qui  arrivèrent 
alors,  il  mit  le  feu  aux  pontons  &  aux  bateaux,  pour  que 
les  Royalifles  ne  puiTent  s'en  fervir  ,  6c  rejoignit  prompte- 
ment les  ducs  de  Parme  &  de  Mayenne. 

Le  Roi  s'étant  apperçu  trop  tard  que  fa  proye  lui  écha- 
poit ,  détacha  Souvré  pour  aller  par  le  Pont-de-l'Arche  â  '^ 

la  pourfuite  de  l'ennemi,  qui  s'étoit  avancé  bien  au-delà  de 
cette  place.  Souvré  ne  rencontra  dans  un  bourg  qu'un  petit 
nombre  des  ennemis  que  la  laffitude  avoit  empêchés  de  fui» 
vre  le  gros  de  l'armée  3  il  les  attaqua ,  &  les  ayant  pouiTés 
îufque  dans  une  Eglife  que  les  paylans  avoient  fortifiée,  ils 
îe  retirèrent  dans  la  tour.  Mais  il  les  contraignit  à  fe  rendre, 
en  y  mettant  le  feu. 

Le  duc  de  Parme  hâta  la  marche  de  fon  armée,  dans  la  Marche  de 
crainte  que  le  Roi  pafTant  par  le  Pont.de-l'Arche  ne  vînt  [•'^y/urs'^^^ 
fondre  avec  des  troupes  fraîches  fur  fes  foldats  demi  morts 
de  faim  &  de  lafïïtude  j  il  palla  par  le  Neubourg  qui  fut  brûlé 
par  accident ,  &  peut-être  à  defTcin  ,  &  fé  rendit  en  deu^r 
jours  au  Pont  de  Saint  Clou,  que  les  bourgeois  de  Paris ^ 
qui  n'en  eft  qu'à  deux  lieues  ,  avoient  rompu  depuis  quel- 
ques jours,  pour  n'être  pas  expoiés  aux  courfes  de  lagar- 
nifon  de   Saint  Denis.    Alexandre    del- Monte,,  dont  le 


488  HISTOIRE 

■  régiment  ëtoît  en  garniTon  à  Paris ,  fie  conftruire  à  k  hâte 

Henri  un  pont  de  bateaux  au-defTous  de  cette  ville.  Le  duc  de 
IV.  Parme  fit  palTer  par  ce  moyen  Ton  armée  dans  la  Brie, 
ICO  2.  afin  de  lui  donner  le  tems  de  fe  remettre  des  fatigues  que 
l'extrême  dilecce  lui  avoit  fait  efiuyer  depuis  deux  mois. 
Les  duchelTes  Douayrieres  de  Nemours,  de  Monpenfier, 
&c  de  Guilè  fortirent  de  Paris  pourfaluerle  duc  de  Parme, 
&:  le  complimentèrent  fur  les  fuccès  de  cette  campagne.  Ce 
Général  fe  rendit  enfuite  à  Château-Thierry  ,  où  il  s'arrêta 
pendant  quelque  tems,  jufqu'à  ce  qu'il  eût  reçu  de  l'argent 
des  Pays-bas,  pour  donner  la-  montre  à  fon  armée  ^  car 
depuis  fix  mois  entiers  que  {es  folcjats  étoient  entrés  en 
France, ils  n'avoient  eu  pour  vivre  que  deux  écus  d'or  par 
tête.  Cette  confiance  des  foldats  du  duc  de  Parme  fut  une 
preuve  de  fon  autorité  fur  les  troupes ,  ou  plutôt  une  mar- 
que de  l'afFeclion  qu'elles  lui  portoient  à  caufe  de  fa  va- 
leur. 

Le  duc  de  Mayenne  fatisfait  d'avoir  fauve  l'armée  auxi- 
liaire ,  &  fait  lever  le  fiége  de  Rouen  ,  demeura  dans  cette 
ville  pour  s'y  faire  traiter  à  fond  de  fa  maladie ,  qui  s'étoic 
encore  augmentée.  Cette  belle  retraite  mérita  de  grands 
éloges  au  duc  de  Parme  de  la  part  du  roi  d'Efpagne  ,  &  de 
tous  les  grands  Généraux  du  tems.  On  ne  peut  s'empê- 
cher de  blâmer  le  trop  de  confiance,  èc  la  négligence  des 
Royaliftes,  qui  laifTérent  échapper  une  armée  alFoibliepar 
tant  de  défaites,  àc  prefque  réduite  aux  abois  par  la  fa- 
mine i  &:  de  lui  avoir  laifTe  pafîèr  la  Seine  vers  fon  embou- 
chure, où  elle  efl  d'une  grande  largeur  (i) ,  lorfqu'il  étoic 
fi  facile  d'envoyer  par  le  Pont-de-1'Arche  une  partie  de  leur 
nombreufe  cavalerie ,  pour  empêcher  l'ennemi  de  pafler 
le  fleuve ,  ou  le  t;iiller  en  pièces  au  pafTage. 

Villars  appréhendant  que  les  Royaliftes ,  après  avoir  bâti 
les  fortifications  de  QLiillebeuf  qu'on  fe  hâtoit  d'achever, 
n'empéchaflent  la  liberté  de  la  navigation  par  le  moyen 
de  cette  place  ,  &  qu'infenfiblemcnt  la  ville  de  Rouen 
ne  fût  réduite  une  féconde  fois  à  l'extrémité,  la  campagne 
étant  fur-tout   défolée  aux  environs ,  mena  des  troupes  â 


(i)    Nous  avons   un  peu  réformé 
cet  endroit  ;  car  il  s'en  faut  bien  que 


l'embouchure  de  la  Seine  ne  foit  où  M. 
de  Thou  femble  la  placer. 

Quillebeuf 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIT.         4S9 

Quîllebeuf  avec  quelques  pièces  de  canon.    L'Hofpkal  du  > 

Fay  s'écoit  chargé  ^  en  l'abfence  du  duc  de  Bellegarde ,  de  H  e  n  r  i 
fortifier  cette  place.,  donc  la  garnifon  étoic  coniporée  des       IV. 
rëgimens  de  Fabien  Rebours  &  d'Olivier  Tempei.  Ayant     i<gy, 
donné  avis  au  Roi  du  defTein  de  Villars ,  ce  Prince  fie  mar- 
cher à  leur  fecours  le  régiment  des  Gardes,  commandé  par 
Louis  Breton  de  Grillon  ,  fi  connu  par  fa  bravoure  ôc  par  fa 
hardielFe  à  s'expofer  dans  les  adions.    Cet  Officier  foutinc 
deux  aiTauts  avec  beaucoup  de  vigueur  ,  quoique  les  fortifi- 
cations ne  fufient  pas  encore  achevées. 

Après  la  levée  du  fiége  ,  èc  le  départ  de  Grillon  ,  du  Fay 
voulant,  au  préjudice  du  duc  de  Bellegarde,  s'emparer  du 
gouvernement  de  la  place  ,  faifoît  des  brigues  parmi  les  Of- 
ficiers. Le  Roi  inftruic  de  ce  qui  fe  palFoit ,  lui  envoya  deux 
fois  Philippe  du  Pleflis-Mornay ,  qui  ayant  averti  les  Offi- 
ciers de  leur  devoir,  ôta  toute  efperance  à  du  Fay  de  venir 
à  bout  de  fon  defiein.  Il  en  conçut  tant  de  douleur,  qu'il 
en  tomba  dangereufement  malade.  Tout  plein  de  fon  projet , 
il  ie  repaiiïbit  encore  durant  fa  maladie  de  vaines  efperances 
à  ce  fujet.  Sur  le  point  de  mourir,  il  recommanda  ,  pour  fè 
confoler  du  moins  par  l'apparence  d'une  poireflion  imagi- 
naire ,  de  dépofer  après  fa  mort  pendant  vingt-quatre  heu- 
res ,  fon  corps  dans  le  grand  baftion  qu'il  avoit  fait  bâtir  5 
&  donna  ordre  à  la  garnifon  de  l'y  garder  pendant  tout  ce 
tems-là. 

Sur  ces  entrefaites  ,  Français  de  Bourbon  duc  de  Mon-  Mort  du  duc 
penfier  gouverneur  de  Normandie,  mourut  à  Lizieux  le  2.  ^eMonpea» 
de  Juin.  Il  n'avoit  pas  encore  cinquante  ans  j  mais  les  fati- 
gues de  la  guerre  avoient  entièrement  ruiné  fon  tempéra- 
ment. Ce  Prince  avoit  un  grand  courage  ,  &;  beaucoup  d'at- 
tachement pour  le  Roi  j  il  ne  laifla  en  mourant  qu'un  héri- 
tier des  grands  biens  qu'il  pofTédoit  dans  le  Royaume.  Ce 
fut  Henri  prince  de  Dombes,  dont  l'heureux  naturel  don- 
noit  de  grandes  efperances.  Il  fuccéda  à  fon  père  dans  le 
gouvernement  de  Normandie  j  U  le  maréchal  d'Aumonc 
alla  prendre  fa  place  en  Bretagne  à  la  tête  des  armées. 

.Quelque  tems  auparavant ,  arriva  au  commencement  de 
l'année  ,  la  mort  de  Jean  de  Chaumont  de  Guitri.  Ce  brave 
maréchal  de  camp  s'étoic  acquis  une  grande   réputation 
Tome  XL  QSlSi 


45?o  HISTOIRE 

parmi  les  Proteftans,  par  Ton  éloquence  militaire,  par  Ton  cou- 

H  B  N  R  1  rage  ,  ôc  par  le  nombre  de  fes  exploits.  De  retour  de  i'expé- 

I  V.       dition  de  Genève  ,  il  tomba  malade  à  Soïon  en  Beauvoiiîs , 

I  592,     ^'^^  s'étant  fait  tranfporter  à  Gournay  dans  le  Vexin,  il 

mourut  d'cpuifement ,  âgé  de  près  de  60.  ans. 

Villars ,  dont  la  fierté  naturelle  étoit  encore  augmentée 
par  la  levée  du  fiége  de  Rouen,  ne  pouvant  s'emparer  de 
Quillebeuf ,  ne  voulut  pas  s'en  retourner  fans  rien  faire  j 
il  fe  iàifit  du  Ponteaudemer  afTez  près  de  QLiiilebeuf.  Vieux- 
pont  d'Aqueville  gouverneur  de  cette  place  ,  s'étant  laifîé 
gagner  par  argent  ,  lui  livra  cette  place.  Ce  Gouverneur 
étoit  frère  de  Vieuxpont  baron  de  Neubourg  ,  qui  demeura 
toujours  attaché  au  Roi»  Villars  furpriten  même  tems  plu- 
lîeurs  des  Royaliftes  ,  qui  palToient  par  le  Ponteaudemer , 
ou  qui  s'y  repofoient  des  fatigues  de  la  guerre  ,  après  le  fiége 
de  Rouen. 

Le  duc  de  Guife  fe  rendit  dans  le  même  tems  en  Cham- 
pagne à  la  tête  des  troupes ,  que  lui  avoient  données  le  duc 
de  Mayenne  fon  oncle  ,  &.  le  duc  de  Parme ,  qui  avoit  repris 
le  chemin  des  Païs-bas.  Il  s'empara  dans  fa  marche  de  la 
ville  d'Efpernay ,  après  en  avoir  foudroyé  les  murs.  Il  y  a 
une  Abbaïe  dans  cette  ville  ,  dont  la  fituation  fur  la  Marne 
eftaiïèz  avantageufe  5  aurefte,  elle  n'eft  pas  beaucoup  for- 
tifiée. Saint-Etienne  en  étoit  Gouverneur,  lorfque  le  duc 
de  Guife  s'en  rendit  maître. 

Le  duc  de  Ne  vers  ayant  fait  entendre  au  Roi ,  qu'il  étoit 
de  la  dernière  importance  de  reprendre  Efpernay  ,  ce  Prince 
n'alla  pas  camper  d'abord  devant  les  murs  de  cette  place  5 
mais  ayant  envoyé  le  Duc  devant  lui ,  pour  y  conduire  l'ar- 
tillerie &  les  munitions  de  guerre  ,  il  s'avança  au-delà  de 
cette  ville ,  &  fe  rendit  à  Châlons. 
Le  maréchal       Le  maréchal  de  Biron  ayant  voulu  reconnoître  la  place 
de  Biron  eft    en  paiTant ,  eut  la  tête  emportée  d'un  boulet  de  canon.   Ce 
*^^'  Seigneur  ,  que  fa  longue  expérience ,  fa  vivacité  ,  fon  cou- 

rage àc  fa  vigilance  ,  égalent  aux  plus  grands  Capitaines  de 
ce  iîécle ,  avoit  paffé  par  tous  les  poftes  fubalternes ,  avanc 
d'arriver  au  Commandement.  Ayant  d'abord  étudié  les 
belles  lettres  avec  affèz  de  fuccès ,  il  ne  fut  pas  plutôt  fortî 
de    ia    première   jeunefle  ,   qu'il   devint  fuccefïïvement  ^ 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  CÎII.         491 

Capîraine  d'infanterie,  Colonel ,  Brigadier  dans  la  cavalerie,  ■ 

Maréchal  de  camp  ,  Grand-Maître  de  rartiilerie  ,  &.  enfin  Henki 
Maréchal  de  France.  Il  s'étoit  élevé  à  tous  ces  honneurs  par  I  V. 
fon  mérite  ,  ians  le  iecours  du  crédit  ou  de  la  faveur.  Trop  i  cqi 
fier  pour  le  plier  aux  iouplefles  des  courtifans  ,  il  étoit  au 
contraire  ,  impérieux  ,  emporté  ,  envieux  ,  &c  jaloux  de  la 
gloire  des  autres ,  qu'il  s'effor<^oit  toujours  de  rabailTër.  Au 
refte  ,  il  avoit  tous  les  dehors  de  la  politelFe  ^  il  étoit  galant , 
êc  aimoic  la  dépenfe  5  il  avoit  commandé  dans  iept  batailles 
rangées  ,  &  montroit  un  pareil  nombre  de  bleifures  qu'il 
avoit  recèdes  dans  i'eftomac.  Il  s'étoit  fignalé  dans  un  grand 
nombre  de  combats  ,  de  à  plufieurs  iîéges.  Employé  toute 
fa.  vie  à  d'importantes  négociations  ,  il  fut  chargé  de  plu- 
fieurs Ambailades.  Il  dormoit  peu  ,  &c  aimoic  le  plaifir  de 
la  table,  où  il  étoit  toujours  gai  6c  enjoué.  Après  fon  pre- 
mier fommeil  ,  il  réveilloit  fon  Secrétaire,  qui  couchoit  au 
pied  de  fon  lit  ,  &c  lui  dictoit  ce  qu'il  avoit  delTein  de  faire 
pendant  la  journée  5  enfuice  il  fe  rendormoit  ,  &:  fe  faifoic 
lire  à  Ion  réveil  ce  qu'il  avoit  diclé  ^  il  en  retranchoit,  ou 
il  y  ajoûtoit  fouvent ,  félon  les  nouvelles  idées  qui  lui  étoienc 
venues.  C'étoit  alors  qu'il  deftinoit  les  Officiers  aux  diffé- 
rentes chofes ,  où  il  avoit  deiîéin  de  les  employer.  Il  écri- 
voit  exactement  un  journal  de  ce  qu'il  faiioit  •  mais  foit  par 
fa  faute ,  ou  celle  de  (on  fils ,  nous  avons  perdu  ces  Mémoi- 
res ,  qui  auroient  fait  un  grand  honneur  à  la  Nation.  Il  a 
compofé  un  livre  ,  où  il  expliquoit  fort  au  long  tous  les  de- 
voirs d'un  Maréchal  de  camp  ,  ôc  dans  lequel  il  rapportoîc 
plufieurs  exemples  de  ce  qu'il  avancoir.  Son  fils  m'avoit  plu- 
îîeurs  fois  promis  de  me  le  remettre  entre  les  mains  ^  mais  il 
trouva  enfin  qu'on  le  lui  avoit  pris.  Biron  étoit  âgé  de  6  8. 
ans  lorfqu'il  fut  tué  ,  joiiillant  encore  d'une  ianzc  robulle, 
malgré  toutes  fes  bleflures ,  dont  une  Pavoit  rendu  boiteux. 
On  remarqua  à  l'ouverture  de  fon  corps ,  qu'ayant  écé  taé 
une  heure  après  avoir  beaucoup  mangé  ,  la  digeftion  étjic 
déjà  faite.  Preuve  certaine  de  fà  chaleur  naturelle  dans  un 
âge  aflëz  avancé. 

Le  R.oi'très-touché  de  la  mort  d'un  fi  grand  Capitaine, 
continua  fa  route  ^  &c  ayant  appris  que  le  duc  de  Nevers 
avoit  pris  Raucourt ,  il  revint  à  Efpernay  avec  plus  d'ardeur  , 


49^  HISTOIRE 

à  la  foUîcîtation  du  fils  du  maréchal  de  Biron ,  alors  Mard- 
Henri  chai  de  camp  ,  qui  croyoic  fa  gloire  intëreflee  à  la  prife  d'une 
I  y.  place  ,  devant  les  murs  de  laquelle  fon  père  avoir  été  tué. 
Il  y  avoic  dans  cette  ville  douze  cens  hommes  de  garnifon , 
^  ^  *  dont  le  régiment  de  la  Bourlotte  ,  qui  en  étoit  forti  la  veille , 
faifoit  partie.  Le  Roi  ayant  été  informé  de  la  fortie  de  ces 
troupes ,  fit  avancer  en  diligence  Givry  ,  qui  étoit  dans  fon 
château  de  Bourfault ,  afièz  près  de  Damery  3  &;  lui  donna 
ordre  de  Te  mettre  entre  la  ville  &  les  troupes  auxiliaires.  11 
chargea  en  même  tems  le  baron  de  Biron  ,  &  d'Efpinay  de 
Saint- Luc  ,  de  paroître  avec  leurs  croupes  à  l'heure  qu'il 
leur  marqua.  Ceux-ci  s'étant  un  peu  avancés  avec  le  peu  de 
monde  qu'ils  avoient ,  apper<jurent  l'ennemi ,  qui  fe  glifloi^c 
à  la  faveur  d'un  chemin  couvert  d'arbres  de  tous  côtés ,  fur 
une  montagne,  d'où  il  eft  facile  de  fe  rendre  par  de  petits 
fentiers  bordés  de  vignes  dans  la  ville  ,  qui  eft  commandée 
par  cette  hauteur.  Biron  ,  Saint-Lac ,.  ôc  Givry  attaquèrent 
l'ennemi  ,  qui  malgré  tous  leurs  efforts  avanc^oit  toujours 
vers  l'endroit  qu'il  vouloir  gagner.  Il  n'étoit  même  plus  qu  a 
trois  cens  pas  du  foffé ,  lorfqiie  le  Roi  furvenant  avec  Gil- 
bert  delà  Curée  ,  détacha  cet  Officier  avec  trente  hommes 
d'élite  pour  border  le  foffè  ,  afin  de  couper  l'ennemi ,  qui  fe 
prelToit  d'arriver  à  la  ville.  Le  Roi  lui-même  ayant  rencon- 
tré les  ennemis  au  nombre  de  trois  cens  hommes  bien  ar- 
més ,  &:  regardant  comme  un  coup  de  partie  ,  pour  s'empa- 
rer de  la  ville  ,  d'empêcher  ces  troupes  d'y  entrer,  réfoiuc 
de  les  attaquer  avec  le  petit  nombre  de  Gentilshommes  qui 
ëtoient  à  iQs  côtés  j  il  les  exhorta  à  bien  faire  ,  ôc  ayant  laiile 
palTer  Iqs  trois  premiers  rangs ,  il  mit  l'épée  à  la  main ,  &c 
poufiant  fon  cheval  dans  l'un  des  flancs  du  bataillon  ,  il  ren- 
verfa  tout  ce  qui  fe  préfencoit  à  lui  ,  &  dillipa  le  refte.  Les 
fuyards  ayant  rencontré  d'un  côté  la  Curée,  &  de  l'autre 
Biron  ,  Saint- Luc  ,  &;  Givry  ,  furent  entièrement  taillés  en 
pièces  à  la  vûë  des  aflîégés ,  qui  étoient  fur  le  rempart.  Plu- 
îieurs  des  nôtres  furent  blellès  à  coups  de  piques,  &  nous 
perdîmes  un  grand  nombre  de  chevaux.  Le  baron  du  Fort  ^ 
&  Patras  Lieutenant  de  Givri ,  furent  tués  dans  cette  adion. 
On  ferma  k  même  jour  tous  les  paflages,  afin  d'empêcher 
que  Saint- Paul  5  qui  faifoic  tous  ks  efforts  pour  confervej: 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.        495 

une  place  qu'il  avoic  prife ,  n'y  jettâc  du  fecours.  C'efl:  pour-  '" 

quoi  le  Roi  ayant  fait  tirer  des  lignes  de  circpnvallation  fort  H  e  n  K  1 
longues  6c  fort  tortueufes ,  prit  avec  lui  Biron  pour  les  dé-  1  V". 
fendre  d'un  côté  ,  tandis  que  le  duc  de  Nevers  les  garderoit  1592, 
de  l'autre,  avec  Saint-Luc  de  Givri ,  qui  eurent  ordre  de  le 
joindre  ,  en  attendant  que  le  duc  de  Longueville,  qui  étoit 
en  Picardie  ,  le  duc  de  Bouillon  ,  £c  Schomberg  revinfTent 
au  camp  avec  la  cavalerie  &c  l'infanterie  Allemande,  de  que 
Charle  de  Luxembourg  comte  de  Brienne  ,  Praflin  ,  Charle 
de  Ciermont  Tallard  comte  de  Tonnerre,  Charle  d'Efcars 
baron  d'Ais ,  &  d'autres  Officiers  arrivaient  de  Bourgogne , 
&  même  de  Champagne.  On  avoit  déjà  deiïeché  le  fofle  , 
&  le  Roi  faifoit  dreller  une  batterie  de  quatre  pièces  ,  lorf- 
qu'en  avançant  infenfiblement  ,  on  fe  laifit ,  fans  tirer  un 
feul  coup  ,  du  baftion  qui  donnoit  fur  le  folFé  de  ce  côté-là. 
Le  baron  de  Biron  y  fut  dangereufement  blefTé  à  l'épaule 
d'un  coup  d'arquebulë  ,  en  s'y  retranchant. 

Enfin  tout  étant  difpofé  pour  i'aflaut ,  les  affiégés,  qui  s'é- 
toient  défendus  jufqu'alors  avec  beaucoup  de  vigueur,  com- 
mencèrent à  perdre  courage  ,  &  demandèrent  le  8.  d'Août 
un  pourparler  avec  Givri.  Mais  y  ayant  eu  des  difficultés 
pour  les  conditions  du  traité  ,  l'artillerie  recommença  le  len- 
demain à  foudroyer  les  murs.  Enfin  Villieres  Gouverneur  de 
la  place  envoya  des  députés ,  qui  convinrent  des  conditions. 
Le  traité  portoit  qu'on  livreroit  au  Roi ,  la  ville  ,  l'artillerie , 
ôc  les  munitions  de  guerre  :  Que  la  garnifon  pourroit  em- 
porter (es  armes  ,  fes  bagages  ,  ôc  emmener  \qs  chevaux  : 
Qu'elle  fortiroit  delà  place  furie  foir,  mèche  éteinte  ,  fans 
drapeaux  ,  fans  tambours ,  de  fans  emporter  rien  qui  appar- 
tînt aux  habitans  :  Qu'enfin  elle  feroit  efcortée  juiqu'à 
Rheims.  L'article  des  drapeaux  fut  conçu  de  cette  manière, 
pour  la  confolâtion  des  aiîiégés.  Le  Roi  retint  trois  enféi- 
gnes  du  régiment  du  comte  de  BofRi. 

A  la  nouvelle  du  fiége  d'Efpernay  ,  le  duc  de  Guife  s'étoit 
rendu  à  Rheims  à  la  tête  delà  cavalerie  Lorraine.  Mais  cette 
place  étoit  déjà  prife  ,  lorfqu'il  y  arriva.  Le  Roi  alla  enfuite 
mettre  le  fiége  devant  Provins  Capitale  de  la  Brie.  Cette 
ville  ,  qui  efl  preique  délérte  ,  eft  de  peu  de  défenfe ,  à  caufe 
de  fa  iituation  dans  un  terrain  inégal.   Le  2;ouvcrneur  de 

Q.Q.q  "j 


494  HISTOIRE 

cette  place  appelle  Paftoureau  de  la  Rochette  ,  qui  avoîc 

Henri  été  lié  autreFois  d'une  étroite  amitié  avec  le  cardinal  de 

I  V.       Guiiè  ,  ouvrit  ihs  portes  au  Roi ,  quelques  jours  après  qu'on 

I  V9  2.     ^^^  épouvanté  la  garniion  ,  plutôt  par  l'appareil  d'un  liège , 

que  par  un  (îege  en  forme. 

Le  duc  de  Nevers  ayant  confeillé  au  Roi  de  bâtir  un  Fore 
à  Gournay  (i),  environ  à  quatre  lieues  de  Paris,  afin  de 
couper  les  vivres  qui  alloientà  cette  ville  par  la  Marne  ,  on 
ruina  de  fond  en  comble  un  Prieuré  de  l'Ordre  S.  Benoît, 
dont  on  fît  fervir  les  démolitions  à  conftruire  les  fortifications. 
A  la  place  du  pont  de  bois ,  qui  avoit  été  rompu  6c  détruit 
durant  la  guerre  ,  on  en  jetta  fur  la  rivière  un  de  bateaux  , 
&  le  Roi  en  confia  la  garde  à  Odet  de  la  Noue  ,  dont  il  con- 
noilToit  le  courage  &,  la  fidélité.  Cette  dernière  qualité  fe 
trouvoit  rarement  alors  dans  les  Gouverneurs ,  qui  ie  laif- 
fant  gagnera  force  d'argent ,  malverloient  dans  leurs  poftes, 
&  laiiFoient  palîer  ,  contre  les  défenfés  expreiïes  de  Sa  Ma- 
jefté  ,  des  vivres  pour  Paris.  Le  Roi  étoit  perfuadé  qu'il  n'y 
avoit  que  cette  manœuvre  qui  reculât  la  prife  de  la  Capi- 
tale }  mais  oblige  dedifîîmuler  dans  les  circonftances  ,  il  mit 
du  moins  dans  le  Fort  de  Gournay  un  Commandant  fur  la 
fidélité  duquel  il  pût  fe  repofèr. 

Les  Parillens ,  qui  recevoient  auparavant  de  grands  con- 
vois de  Meaux  &  de  Château-Thierri ,  fe  trouvant  fort  in- 
commodés  par  ce  nouveau   Fort  ,  engagèrent  le   duc  de 
Mayenne  à  l'aiîiéger.    S'étant  donc  rendu  à  leurs  inftances , 
il  alla  camper  vis-à-vis ,  ayant  la  rivière  entre  le  Fort  ôc  (es 
troupes.  Le  Roi  averti  de  fbn  defTein  accourut  promptemenc 
au  fècours  de  la  Noue.  Le  duc  de  Mayenne  décampa  après 
quelques  efcarmouches ,  où  il  n'y  eut  qu'un  petit  nombre 
de  foldats  tués  de  part  &:  d'autre, 
inflanccs  des       Nicolas  Fumée  èvêque  de  Beauvais,homme  de  probité, qui 
Evêques        fouhaitoit  avec  ardeur  le  rétablilTement  de  la  paix,  étoit  venu 
royaiiftes ,     ttouver  le  Roi  longtems  auparavant,  lorfqu'il  etoit  encore  de- 

pour  engager  ,  ,       c>  ,1  •  '    i  '  '  ■r»    • 

le  Roi  a  en-    vant  Jcs  muts  deRoiien.Il  avoit  ete  députe  vers  ce  Prmce  par 
voyerune      \çs  Prèlats  Rovaliftes ,  qui  avoient  fait  un  décret  contre  les 

âu  Papc. 

(i)  Cette  petite  ville  qui  eft  près  de  '  te  ,  &  d'un  autre  Gournay  ,  bourg  de 

TAbbaïe  de  Cliellcs ,  cft  diffcente  de  iTllle  de  France  en  Picardie. 

Gournay  ville  de  Normandie  fur  l'Ep- , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.        495 

Bulles  du  Pape.  On  l'avoic  chargé  d'exhorter  Henri  à.ren-  5^ 
trer  dans  le  lein  de  l'Eglile  ,  èc  d'obtenir  de  lui  la  permiffion  Henri 
d'envoyer  à  Rome  un  AmbafTadeur  ,  fans  toutefois  choquer       I  V. 
l'autorité  du  Parlement,  qui  avoit  fait  d'exprelTes  défenfes     1592. 
d  ce  fujet.   Le  but  de  cette  AmbafTade  étoit  de  rendre  raifon 
.au  Pape  du  décret  de  ces  Prélats  ,  qui  fe  flatoient  encore , 
comme  ils  le  difoient  eux-mêmes ,  que  le  S.  Père  étant  mieux 
informé  par  ce  moyen  de  l'état  des  affaires  de  France ,  il  fe- 
roit  aifé  de  le  guérir  de  [qs  préventions  en  faveur  de  la  Ligue, 
pour  lui  faire  prendre  enfuite  le  caradére  de  médiateur  ,  ôc 
l'engager  à  examiner  en  juge  équitable ,  les  raifons  de  parc 
&  d'autre  ,  afin  de  chercher  les  moyens  de  réconcilier  le  Roi 
à  l'Egiife  ,  &  de  faire  rentrer  les  Ligueurs  dans  le  devoir. 

Le  Roi  fentant  toute  l'importance  de  cette  affaire ,  qui  Projet  pour 
demandoit  de  mûres  réflexions  ,  avoit  fait  venir  de  Tours  ^^•'■^""P^- 
Achille  de  Harlay  premier  Préiident ,  Jean  Thumery  ,  Jac-  France. 
que  Gillot ,  ôc  Jean  Villemereau  Conlèillers  ,  pour  exami- 
ner la  chofe  avec  eux.  Ces  Magiftrats  firent  de  grandes  in- 
flances  auprès  de  Sa  Majefté  ,  pour  la  détourner  d'envoyer 
à  Rome  ;  parce  que  cette  démarche  donneroit  atteinte  à 
l'Arrêt  du  Parlement ,  qui  y  étoit  formellement  contraire. 
Renaud  de  Beaune  archevêque  de  Bourges,  qui  avoit  eu  la 
charge  de  Grand-Aumônier  à  la  mort  de  Jacque  Amiot , 
étoit  préfent  à  ces  délibérations.  Il  couroit  un  bruit  qu'il  fe- 
condoit  les  intentions  du  Parlement ,  qui  vouloit  qu'on  éta- 
blît en  France  une  diicipline indépendamment  du  Pape,  qui 
ne  devoit  plus  être  regardé  ,  que  comme  l'ennemi  du  Royau- 
me. Les  ennemis  de  ce  Prélat',  qui  étoit  déjà  Patriarche , 
(  dignité  qui  n'appartient  en  France  qu'au  feul  archevêque 
1^.  de  Bourges ,  )  difoient  qu'il  vouloit  être  regardé  dans  le 
Royaume  ,  tant  que  le  fchifme  y  régneroit ,  comme  le  chef 
des  Evêques  ,  par  rapport  aux  difpenfes ,  èi.  la  collation  des 
Bénéfices.  Le  cardinal  de  Lenoncour ,  qu'on  avoit  accufé 
à  Rome  d'avoir  les  mêmes  deileins ,  étant  mort  quelques  mois 
auparavant  à  Blois  de  chagrin  ,  par  rappoi-t  à  une  injure  donc 
on  ne  l'avoit  point  vengé ,  tout  le  monde  foupçonna  l'arche- 
vêque de  Bourges  d'avoir  fuccédé  à.  Ces  prétentions.  Le  car- 
dinal de  Bourbon ,  qui  n'étant  pas  encore  dans  les  Ordres 
faciès ,  ne  pouvoit  poiîéder  la  dignité  de  Patriarche  ,  ne 


49  ^  HISTOIRE 

—  voulant  pas  en  voir  un  autre,  revêtu  de  cette  dignité  ;; 

Henri    s'oppofa  à  ce  projet,  fous   prétexte  que   ce  coup  d'cclac 
I  ^*       alloit  fortifier  le  fciiifme.  Il  infinua  qu'il  y  avoir  eipérance 
IJ92,      de  faire  revenir  le  Pape  en  faveur  du   Koij  6c  qu'au  con- 
traire on  en   feroit  par  ce  moyen  un  ennemi  irréconci- 
liable. ^  ••     ^ 
Remontran-       L'évêque  de  Beauvais  ayant  eu  audience  du  Roi,  com- 

ccs  cje  1  Eyc-  j^gj^ç^  ^  déplorer  les  malheurs  de  l'Eeiiie  de  France  :  il  re- 
çue de  Beau-  3  1  -ni  r  ■  n« 

vais  au  fuiec  préfcnta  a  Sa  Majelte  que  ,  fans  refpeder  ni  les  Conltitu- 
des  Economes  ^[q^^  Canoniques ,  ni  les  Réo;lemens  de  nos  Rois ,  la  difci- 
grand  Con-  pHnc  Eccléfîaftique  avoir  été  corrompue.  Il  dit  qu'on  n'a- 
^cil-  voit  point  d'exemple  de  l'établiflement  d'Economes  fpiri- 

tuels  :  Qu'on  n'avoir  même  jamais  connu  ce  nom  d'Eco- 
nomes ,  qui  pufïènt  difpofer  à  leur  gré  des  Evêchés  6c  des 
Abbayes  vacantes  par  la  mort  ou  par  la  révolte  des  Titu- 
laires, 6c  conférer  les  Bénéfices  réguliers  6c  féculiers,  à 
charge,  ou  fans  charge  d'ames ,  ou  qui  euilent  le  même 
pouvoir  que  les  Evêques  ,  dont  ils  éxercoient  tous  les  droits  : 
Qii'un  Arrêt  du  grand  Confeil  permettoit  à  ceux  qui  avoienc 
la  nomination  de  Sa  Majeflé  pour  \qs  Bénéfices  confifto- 
riaux  ou  éledifs  ,  d'en  prendre  auiTitôt  pofTeiTion  :  Que  d'au- 
tres Arrêts  du  même  tribunal  avoient  donné  à  ces  Eco- 
nomes fpirituels  le  pouvoir  de  difpenfer  dans  les  degrés 
prohibés  ,  d'accorder  d'autres  difpenfes  ,  6c  de  recevoir 
les  réfîgnations  eri  faveur  :  Que  \qs  Cours  Souveraines 
avoient  luivi  l'exemple  du  grand  Confeil  :  Que  le  Parle- 
ment de  Paris,  qui  rend  la  jufbice  à  Tours,  avoir  donné 
un  Arrêt  en  conformité  ,  p'our  attribuer  aux  Evêques  le 
même  pouvoir  que  celui  du  Pape  :  Que  toutes  ces  démar- 
ches étoient  d'un  exemple  dangereux  pour  le  prefent,  6c 
préjudiciables  pour  l'avenir  :  Qu'elles  donnoient  de  grandes 
atteintes  à  la  difcipline  Eccléfîaftique,  6c  la  détruifoienc 
entièrement  :  Qu'il  (upplioit  donc  Sa  Majefté,  au  nom  de 
tous  fes  confrères,  de  prévenir  les  maux  qu'il  y  avoir  tant 
de  fujet  d'appréhender,  ôc  de  pourvoir  en  même-tems  au 
fàlut  des  âmes,  6c  au  repos  des  confciences , en  révoquant 
par  un  Edit  exprès  ces  Economes  établis  par  le  grand  Con- 
feil. Ce  Prélat  ajouta  :  Qii'il  plût  à  Sa  Majefté  régler  par 
le  même  Edit ,  que  perfonne  ne  pourroit  prendre  pofTefFion 

des 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIL        497 

des  Bénéfices  confiftoriaux  en  vertu  feulement  de  la  nomi-  ^^f???^'??^ 
nation  Royale,  fans  autre   titre,  ni  les  adminiftrer  quant  H  £  n  r.  r 
aux    droits    fpirituels   :  Quelle    révoquât    les  Arrêts   qui      I  V". 
permettoient  à  ces  Economes  de  recevoir  les  réfignations     1591. 
en  faveur  ,  &  de  conférer  les  Bénéfices   électifs ,   ou  autres 
Bénéfices  :  Que  le  Roi  voulût  bien  cafler  les  Arrêts  du  Par- 
lement de  Paris,  ôc  des  autres  Cours  Souveraines ,  qui  don- 
noient  aux  Evêques  nommés  d'office  le  pouvoir  de  difpen- 
fer  dans  les  Cas  réfervés  au  Saint  Siège ,  &  n*avoir  aucun 
égard  à  tous  les  Réglemens  que  le  grand  Confeil  &les  Par- 
lemensavoient  faits  jufqu'alors  contre  les  Conflitutions  Ca- 
noniques ,  &  la  difcipline  reçue  dans  l'Eglife. 

Le  Confeil  du  Roi  balança  fur  la  reponfe  qu'on  feroit  Le  projet 
aux  demandes  de  l'évêque  de  Beauvais  5  jugeant  cependant  chreft^"-^"^' 
qu'il  étoit  plus  à  propos  d'avoir  une  nouvelle  difcipline  ac-  jette. 
commodée  au  tems ,  que  de  n'en  point  avoir  du  tout ,  on 
ouvrit  difFérens  avis.  On  rejetta  bien  loin  la  propofition 
d'établir  un  Patriarche  ,  dont  l'autorité  embraUeroit  la 
France  entière.  Il  parut  plus  fage  ôc  plus  conforme  à  la 
prudence  de  contenir  l'Etat  Eccléfiaftique  dans  les  bornes 
d'un  rang  confidérable  dans  l'Etat ,  que  d'y  attacher  une 
fouveraineté  qui  feroit  un  fujet  de  jaloufie  entre  un  li  grand 
nombre  de  concurrents.  C'eft  pourquoi  on  prit  un  moyen 
pour  remédier,  fans  d'autre  atteinte  à  la  dignité  ôcà  la  dif- 
cipline de  l'Eglife,  aux  inconveniens  quinaîtroient  du  fchif- 
me  j  ce  fut  de  partager  comme  par  degrés  entre  tous  les 
Evêques  Royaliftes  cette  puillance  qui  paroîtroit  exorbi- 
tante  dans    un    feul ,  &  qui  lui  fufciteroit  mille  ennemis. 

Suivant  cette  réfolution  ,  on  fit  au  nom  du  Roi  un  régie-    Les  Econo- 
nient,  par  lequel  ce  Prince,  après  avoir  parlé  du  zèle  de  "^'^  font  lé- 
fes  prèdècelEeurs  pour  l'Eglife  ,  &:  rappelle  lur  ce  fujet  l'èxem-  ^°^^^  ' 
pie  de  Clovis ,  de  Louis  le   Débonnaire ,  de  Lothaire ,  de 
Saint  Louis,  bi  des  autres  Rois,  avec  les  moyens  dont  ils 
s'étoient  fervis  pour   rétablir  la  paix  dans  l'Eglife,  rèvo- 
quoit  les  Economes ,  comme  n'étants  pas  de  légitimes  di(l 
penfateurs  des  choies  faintes. 

Il  ordonnoit  enfuite  que  les  nominations  qu'il  feroit  dans    Autres  Ré- 
trois  mois  après  la  publication  de  cet  Edit,  aux  Evêchès ,  Ricmcns  pour 
Abbayes,   Bénéfices  éledifs    ôc  autres  qui    viendroient  à '''"^/r^'P)'"*^ 
Tome  XI,  R  R  r 


45)2  HISTOIRE 

vaquer  ,  foie  par  ré/ignation,  foit  parla  mort  àes  titulaires 5, 
Henri  ou  pour  crime  de  rébellion  ,  feroient  confirmées  par  l'Ar- 
I  V.  chevêque  dans  la  Aletropole  duquel  TEvêché  fe  trouve- 
1592,  ^^^^  j  ^  ^^'^^  cette  confirmation  auroit  autant  de  force  ,  que 
les  Bulles  du  Pape  :  Que  l'Archevêque  feroit  tenu  de  facrer 
dans  le  tems  prefcrit  avec  les  autres  Evêques,  celui  qui  fe- 
roit nommé  par  Sa  Majellé  ,  s'il  étoit  trouvé  capable  de 
remplir  le  Bénéfice  :  Qiie  s'il  arrivoit  que  les  Métropoli- 
tains eulTent  abandonné  le  parti  du  Roi  ^  ou  que  refulànts 
de  fe  conformer  à  cet  Edit ,  ils  traînaffènt  l'affaire  en  lon- 
gueur, le  Métropolitain  le  plus  prochain  prendroit  leur 
place:  Que  par  rapport  aux  Abbayes  6c  autres  Bénéfices  à 
nomination  qui  viendroient  à  vaquer ,  les  Evêques  dans 
le  diocéfe  defquels  ces  Bénéfices  feroient  fitués ,  en  expé- 
diroient  les  Bulles  :  Qiie  fi  l'Evêque  fe  trouvoit  du  par- 
ti des  rebelles  ^  qu'il  fît  refus ,  ou  tirât  les  chofes  en 
longueur,  l'Archevêque  feroit  faifî  de  l'affaire  :  Qii'à  l'é- 
gard des  Bénéfices  à  collation  qui  vaqueroient,  les  Arche- 
vêques, Evêques,  Chapitres,  Abbés  Se  autres  Ordinaires 
Gonferveroient  leurs  droits  :  Qu'au  refte  la  réfignation  foie 
en  faveur  ,  foit  avec  referve  d'une  penfion ,  feroit  reçue  par 
Iqs  Archevêques  &c  Evêques  dans  le  diocèfe  defquels  les 
Bénéfices  feroient  litués  avec  les  claufes  &  conditions  d'u^ 
fage  en  Cour  de  Rome:  Qu'ils  pourroient  accorder  les  mê- 
mes difpenfes  que  le  Pape  -,  fauf  néanmoins  les  droits  de 
Patronage,^  ceux  de  nomination  ,  appartenants  aux  Uni- 
verfités  des  villes  qui  font  foûmifes  au  Roi  :  Et  comme  la 
plus  grande  partie  des  Archevêques, Evêques ,  Chapitres, 
Abbés  &  autres  CoUateurs  ordinaires  avoient  pris  le  parti 
de  la  Ligue,  le  même  Règlement  caffoit  ôcannulloit  toutes 
les  Concefîions  faites  par  eux  6c  par  leurs  Grands  Vicaires 
depuis  la  publication  des  Edits  donnés  par  le  feu  Roid'heu- 
reufe  mémoire  3  défendant  en  outre  à  tous  les  fujets  du  Roi 
de  s'en  fervir  ,  &;  aux  Juges  d'y  avoir  aucun  égard  en  ju-. 
géant  •  avec  exprefîe  injoncl:ion  au  Procureur  Général ,  oa 
à  (es  Subftituts ,  d'informer  éxaâement  &  fans  relâche  con- 
tre ceux  qui  fe  trouveroient  en  contravention ,  ou  qui  au- 
roient  envoyé  à  Rome  ,  &  de  les  punir  comme  des  pertur- 
bateurs du  repos  public ,  Se  des  criminels  de  Jeze-Majefté, 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  CIIÎ.      499 

Cet  Edic  laifïbitla  liberté ,  même  aux  rebelles  qui  avoient 

^roit  de  nommer  à  des  Cures ,  de  difpofer  de  ces  Bénéfices.  Henri 
Par  rapport  aux  autres  Bénéfices  à  la  nomination  des  re-  I  V. 
belles,  le  Roi  fe  réfervoit  le  droit  de  les  conférer  à  des  1 592. 
fujets  dignes  &  capables  de  les  poflëder.  Ce  Règlement 
obligeoit  ceux  qui  auroient  la  nomination  du  Roi  d'en  im- 
pétrer  la  confirmation  de  l'Archevêque ,  ou  de  l'Evêque 
dans  le  diocèfe  duquel  le  Bénéfice  feroit  fitué  3  il  donnoic 
aufîî  aux  Evêques 6c  Archevêques,  chacun  dans  leurs  dio- 
cèfes ,  le  pouvoir  d'accorder  les  mêmes  difpenfes  que  le  Pape, 
&  de  la  même  manière  que  cela  fe  pratiquoit  à  Rome , 
avec  cette  claufe ,  que  ces  pouvoirs  feroient  confirmés  par 
les  Cours  Souveraines  5  enjoignant  aux  Archevêques ,  Evê- 
ques  &  tous  autres  Ordinaires ,  de  faire  des  procès  verbaux 
de  ces  Ades ,  dont  copie  feroit  délivrée  aux  parties  par  leurs 
Secrétaires  un  mois  après  qu'on  leur  auroit  préfenté  TAde 
de  la  prédation  de  ferment  ^  que  s'ils  refufoient  de  fairece 
ferment,  toutes  les  Conceflions  feroient  nulles.  Et  pour  pré- 
venir les  faufTetés ,  ces  Ades  dévoient  être  datés  du  jour 
que  la  copie  en  feroit  délivrée.  Il  vouloit  que  les  Ordon- 
nances de  nos  Rois  fur  ce  fujet,  ôc  particulièrement  l'E- 
dit  donné  en  1551.  par  Henri  II.  concernant  la  prife  de 
pofTeflion ,  la  publication  &  l'infinuation ,  feroient  éxadement 
obfervè  :  Qj.ie  fuivant  les  anciennes  coutumes  aucun  étran- 
ger ,  quoique  Regnicole  ,  ne  pourroit  poficder  des  Béné- 
fices fans  l'agrément  du  Roi  3  qu'autrement  la  nomination 
faite  de  fa  perfonne  feroit  déclarée  nulle,  6c  que  les  Juges 
n'y  auroient  aucun  égard. 

Le  Roi  ajoûtoit  dans  cctEdit,  que  la  rébellion  ayant 
régné  dans  prefque  toute  la  France ,  on  avoit  challe  de 
leurs  diocèfes  la  plupart  des  Prélats  qui  lui  étoient  demeu- 
rés fidèles  :  Que  par  cette  raifon  les  collations  des  Bénéfi- 
ces qu'ils  avoient  données  ,  &  les  fentences  portées  par  eux 
ou  par  leurs  grands  Vicaires  hors  de  leur  jurifdidion  pou- 
vants foufFrir  des  difficultés ,  il  confirmoit  de  fon  autorité 
Royale  comme  bon  &  valable,  tout  ce  qu'ils  avoient  fait, 
tant  par  rapport  aux  Bénéfices ,  que  par  rapport  à  la  Ju- 
rifdidion.  Enfin  il  nommoit  deux  Prélats  à  la  place  de 
l'Abbé  de  Sainte  Geneviève,  &  du  Chancelier  de  l'Univerfité 

R  R  r  ij 


50O  HISTOIRE 

■ de  Paris ,  pour  délivrer  au    Ciiancelier  ,  aux   PréfiJens  , 

Henri  aux  Maîcres  des  Requêtes,  èc  aux   Confeillers  du   Parle- 
I  V.       mène  de  Paris  l'Induk  que  le  Pape  leur  avoic  accordé.  Ce 
I  592.     Règlement  fut  obfervé  en  partie  pendant  quatre  ans,  mal- 
gré les  atteintes  fréquentes  qu'on  voulut  y  donner. 

Le  Roi  s'étant  alors  rendu  à  Argenteuil ,  les  Evêques , 
fécondés  par  le  cardinal  deGondi,  qui  furie  point  d'aller 
à  Rome  faiioit  de  grandes  offres  de  fervice  au  Roi ,  obtin- 
rent de  ce  Prince  qu'il  envoyeroit  un  Ambaffadeur  au  Pape. 
Jean  de  Vivonne  marquis  de  Pifany  ,  dont  la  fidélité  étoic 
reconnue  ,  6c  qui  avoit  été  longtems  Ambaffadeur  à  la 
Cour  de  Rome^fut  choifi  pour  cette  ambaffide.On  lui  donna 
des  inftrudions  pour  Sa  Sainteté  ,  qu'il  devoit  fupplier  au 
nom  des  Princes,  des  Evêques  àc  des  Seigneurs  du  parti 
du  Roi,  de  recevoir  ce  Prince  en  grâce.  Le  Sénat  de  Ve- 
nife  promit  de  foiliciter  la  même  chofe  par  fes  Ambaf^ 
fadeurs. 
AfFaiies  du  Avant  d'entrer  dans  un  plus  grand  détail  de  cette  am- 
Conclave.  bafl'ade,  je  vais  rapporter  ici  ce  qui  fe  pafTa  dans  Rome 
après  la  mort  du  Pape  Innocent  IX.  à  l'occafion  de  l'élection 
de  fon  fucceffeur.  Dès  qu'on  eut  fait  lesfervices  accoutumés 
pendant  neuf  jours  pour  le  feu  Pape,  les  Cardinaux  s'en- 
termérent  dans  le  Conclave  le  i  i .  de  Janvier  fur  le  foir  au 
nombre  de  cinquante-trois.  Les  fuffrages  de  trente  d'entre- 
eux  llifHfoient  pour  l'éledion  d'un  Pape  j  mais  l'oppofition 
de  dix-iept  étoit  capable  de  la  traverfer.  La  fadion  Elpa- 
gnole  ,  dont  Louis  Madrucci  étoit  le  chef,  propofa ,  de 
concert  avec  l'AmbalIadeur  d'Efpagne ,  de  choiilr  un  Pape 
dans  le  nombre  des  cinq  Cardinaux  fuivants  j  Santorio^ 
Ptolomée  Gallio  de  Como  ,  Madrucci  lui-même,  Gabriel 
Paleotto,  &  Marc-Antoine  Colonne. 

L'Ambaffadeur  de  Philippe  fè  rendit  au  Conclave  peur 
procurer  i'cledion  du  Cardinal  Jule- Antoine  Santorio  ^ 
dont  il  avoit  pris  les  intérêts.  Son  deflein  étoit  de  le  faire 
élire  ce  jour-là  même  avant  la  clôture  du  Conclave.  Une 
fe  retira  que  vers  la  quatorzième  heure  de  la  nuit  ;  &  les 
Cardinaux  de  la  fadion  oppofée  attendirent  qu'il  fût  forti 
pour  fè  mettre  au  lit.  Dès  que  la  fadion  Efpagnole  crut  les 
autres  Cardinaux  endormis^  ellefe  leva  comme  on  en  étoit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIL      501 

convenu ,  &  fe  rendit  prompcement  à  la  Chapelle  deftinëe      ■  "  '     ' 
â  l'adoration  èc  au    fcrucin,  pour  y  reconnoître  Santorio  Henki 
fouverain  Pontife.  Au  bruit  que  firent  les  Efpagnols ,  les      IV. 
Cardinaux  de  la  faction  oppofée  croyants  déjà  la  chofe  faite  ,     1592» 
coururent  imprudemment,  comme  il  arrive  dans  l'obfcu- 
rite  ,  pour  fe  rendre  à  radoration.    Le    cardinal  François 
Sforce  s'ëtant  levé  fur  le  champ  prit  fa  robe  de  cérémonie  6c 
courut   dans  la  Cour  Royale  voifine   de  cette  Chapelle , 
où   il  arrêta  ceux  de-  fa   fadion   qui    alloient  fe  faire  un 
mérite  de  leur  emprefTement  auprès  du  Pape  qu'ils  croyoient 
déjà  élu,  ôc  les  fit  entrer  dans  la  Chapelle  Sixtine. 

L'éledion  de  Santorio  auroit  été  confirmée,  file  cardinal 
Afcagne  Colonne  le  cadet ,  qui  dans  la  même  erreur  s'é- 
toit  prefiTé  d'entrer  dans  la  Chapelle,  n'en  fût  forti  par  le 
confeil  de  Sforce,  malgré  tous  les  eflForts  que  les  cardinaux 
Henri  Gaëtano  ,  &  Jérôme  Matthei  firent  pour  le  retenir.' 
Colonne  fe  joignit  au  cardinal  Sforce  ,  qui  protefta  fi  hau- 
tement, en  préfence  de  fes  collègues,  de  la  violence  Ôcde 
la  cabale  de  la  fadion  oppofée,  qu'il  fe  fit  entendre  hors 
du  Conclave^  il  rejetra  publiquement  Santorio,  comme  un 
fimoniaque ,  un  furieux  ,  èc  un  homme  intraitable  j  il  me- 
na<jamême,  fi  l'éledion  ne  fe  faifoit  dans  les  régies  ordi- 
naires ,  d'oppofer  la  force  à  la  violence ,  ôc  de  faire  couler 
lefang  depuis  les  degrés  du  Conclave  jufqu'à  la  Bafilique 
de  Saint  Pierre.  Marc  Siticod'Altemps  ,&  le  cardinal  Iniga 
Davalos  fe  joignirent  au  cardinal  Sforce.  Davalos  dit  à  haute 
voix  ,  tout  en  colère  ,  que  Santorio  étoit  un  diable  ^  que  ce 
Cardinal  lui  avoit  promis  huit  mille  écus  d'or,  &:  le  Cha- 
peau pour  Thomas  fon  neveu ,  s'il  vouloit  lui  donner  foo 
îufFrage. 

Après  que  le  cardinal  Colonne  eut  pafiTé  dans  la  Chapelle 
Sixtine ,  on  y  célébra  la.  Méfie ,  à  la  fin  de  laquelle  tous 
les  Cardinaux  communièrent  de  la  main  de  Paul  Sfondrate. 
Ils  firent  enfuite  un  fcrutin  entr'eux  ^  &  la  faction  oppofée 
en  fit  un  autre  dans  la  Chapelle  où  elle  étoit  afiemblée. 
De  trente-cinq  Cardinaux  qui  la  compofoient,  il  ne  s'en- 
trouva  que  dix-huit  qui  donnèrent  leur  voix  à  Santorio-, 
Jérôme  de  Rovere  ,  Guillaume  Alan  ,  Augufiiin  Cufano , 
Marc-Marie  Salviati,  Augufte  Valerio  ,  5c  Tcan. François 

R  Rriij 


501  HISTOIRE 

Morofinî  s'ëcoient  retirés ,  dans  la  crainte  que  la  proteftâ- 

Henri  tion  du  cardinal  Sforce  ne  fît  un  fchifme.  Les  partifans  de 

I  V.       Santorio,  diminuant  ainlî  peu  à  peu ,  ion  éledion  d^emeura 

j^roj,     indécife  &  incertaine ,  malgré  tous  les   efforts  de  Peretti 

de  Montalte,  qui  vouloit  le  faire  élire  ,  &:  quoique  par  une 

efpéce  de  prodige ,  il  fiit  agréé  par  le  roi  d'Efpagne ,  par 

le  Sénat  de  Venife  ^  ôc  par  Ferdinand  duc  de  Tofcane,  qui 

avoient  d'ailleurs  des  intérêts  différents  ^  preuve  certaine 

que  roppofîtion  eft  plus  nuilible  dans  ces  fortes    d'afïèm- 

blées ,  que  la  faveur  ne  peut  y  fervk. 

Santorio ,  que  [qs  ennemis  accufoient  de  briguer  le  fou- 
verain  Pontificat  par  des  promefîès  illicites,  fe  plaignit  de 
l'injure  qu'il  prétendit  qu'on  lui  faiioit  j  il  fe  comporta , 
comme  s'il  eût  été  déjà  Pape ,  avec  les  Cardinaux  de  fa 
faction  j  il  regardoit  même  les  compliments  &:  les  embraffa- 
dQs  de  fes  partifans  comme  des  marques  d'une  légitime 
éledion.  Il  fit  plulîeurs  proteflations  à  ce  fujet  dans  les 
Conclaves  fuivants. 

Les  Efpagnols  ne  voulants  rien  oublier  de  ce  qui  pouvoic 
contribuer  à  l'exaltation  de  Santorio,  écrivirent  aux  car- 
dinaux André  d'Autriche ,  Charle  de  Lorraine  ,  &  même 
au  cardinal  de  Gondy  (  comme  on  le  publia  )  pour  les  en- 
gager à  venir  à  Rome  j  mais  ce  fut  inutilement.  Le  cardinal 
de  Joyeufe,  qui  s'en  retournoit  en  France,  ôc  qui  étoitdéja 
arrivé  à  Vado  ou  Vai  (  i) ,  fut  rappelle  à  Rome  par  la  fac- 
tion d'Efpagne  ^  il  alla  defcendre  -en  arrivant  à  la  maifon 
du  Commandeur  de  Diou,  oii  l'ambaiîàdeur  d'Efpagne 
vint  le  trouver.  Il  entra  au  Conclave  le  i  5.  du  mois  de 
Janvier. 

Le  Grand  Duc  voulant  gagner  le  cardinal  Plata  en  fa- 
veur de  Santorio  ,  lui  offrit  une  fomme  confîdérable ,  qu'il 
refufa  généreufement.  Ce  Prince  ayant  fait  les  mêmes  of- 
fres à  Confiance  Sarnano ,  ce  Cardinal  les  accepta,  di- 
fanc  qu'il  étoit  permis  de  prendre  de  l'argent  d'un  fî  grand 
Prince  j  il  n'en  conferva  pas  moins  la  liberté  de  fon  fuf. 
frage.  Enfin  on  en  vint  au  point   de  donner  entièrement 

(i)    Ville  avec  un  port  dans  l'Etat  ]  8c  c'eft  le  nom  que  donne  M.  de  Thou 
de  Ge'nes ,  qu'on    croit    être  celle  que  ,  au  lieu  dont  il  s'agit, 
les  Anciens  appelloient  Sabatia.  Vada  ; , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIL       503 

réxclufion  à  Santorio  ,  &  dix-huit  Cardinaux  s'obligèrent  "  '  ■  »• 
•par  écrit,  ôc  firent  ferment  de  ne  jamais  confentir  à  fon  H  en  ri 
éledion.  IV. 

Pendant  toutes  ces  agitations  du  Conclave,  les  fuffrages  1591;, 
fe  réunirent  prefque  tous  en  faveur  de  Salviati ,  qui  dans  un 
fcrutin  eut  vingt-huit  voix  ,  aulquelles  quatre  fe  joignirent 
encore  3  il  n'y  en  eut  que  trois  &  la  fienne  qui  ne  furent 
pas  pour  lui.  Salviati  ayant  eu  enfin  l'exclufion ,  il  fe  répan- 
dit un  bruit  dans  Rome  que  Paleotto  avoit  été  élu  j  mais 
ce  bruit  fe  diffipa  bientôt.  Les  Cardinaux  partagés  en  diffé- 
rentes factions  fe  donnoient  ainfi  réciproquement  l'exclu» 
fion.  Les  Efpagnols  voyant  que  les  chofes  traînant  en  lon- 
gueur ,  l'affaire  ne  feroit  pas  facile  à  terminer ,  informèrent 
le  roi  d'Efpagne  de  ce  qui  fe  pafFoit  à  Rome. 

Dans  ce  tems-là,  les  Romains ,  pour  témoigner  le  mépris 
&  l'indignation  que  la  conduite  des  Cardinaux  faifoit  naî- 
tre dans  les  efprits ,  attachèrent  dans  la  ville  deux  tableaux 
en  regard ,  comme  une  efpéce  de  Pafquinade.  Dans  l'un 
de  ces  tableaux ,  Santorio  étoit  peint  attaché  à  une  croix , 
pour  fignifîer  que  déchiré  par  fon  ambition,  il  étoit  au 
furpius  entre  l'efpérance  &:  la  crainte.  Il  avoit  à  ies  côtés  les 
deux  larrons.  Paleotto  étoit  repréfenté  fous  la  figure  de 
celui  qu'on  appelle  vulgairement  le  bon  larron ,  parce  que 
ce  Cardinal  avoit  enfin  confenti  à  fon  élection.  L'autre  lar- 
ron repréfentoit  Paul  Sfondrate ,  qui  s'étant  d'abord  dé- 
claré contre  Santorio ,  n'avoit  jamais  voulu  revenir  en  fa. 
faveur.  Dans  la  foule  des  Juifs  qui  étoient  au  pié  de  la 
croix  ,  le  cardinal  d'Arragona  repréfentoit  Caïphc ,  d'AL 
temps  Herode  ,  Afcanio  Colonne  Judas ,  &  les  autres  fai^ 
foientle  perfonnage  de  difïerens  Juifs.  Dans  l'autre  tableau, 
les  chefs  de  la  fa*flion  oppofée  paroifToient  fous  la  figure  des 
douze  Apôtres,  vis-à-vis  de  Santorio  ,  qui  repréfentoit 
Simon  le  magicien.  Les  Cardinaux  de  fa  fadion  ,  peints  au 
naturel  étoient  à  ks  côtés.  Il  paroilToit  demander  avec  ef- 
fronterie à  Saint  Pierre  ,  le  pouvoir  de  conférer  le  Saint 
Efprit.  Madrucci  &  Montalre,  l'un  chef  de  la  faction  Efpa- 
gnole ,  &;  l'autre  de  la  Sixtine ,  qui  étoient  aux  côtés  de 
Santorio  ,  ofïroient  de  l'argent  à  Saint  Pierre,  &  à  tous  les 
Apôtres ,  afin  de  les  gagner  en  faveur  de  ce  Cardinal 


jo4  HISTOIRE 

^  Tandis  que  les  Romains  portoient  la  licence  jufqu'à  joiier 
H  £  N  K  I  le  facré  Collège,  occupe  de  cette  grande  afFaire  ,  les  Car- 
I  V.  dinaux  Jean  Vincent  de  Gonzague  autretois  chevalier  de 
I  çQi.  Malthe,  Jean  Mendofe  &  Jérôme  de  la  Rovere  moururent 
à  Rome.  Après  l'entière  exciufion  de  Santorio  ,  dont  l'élec- 
tion qui  avoit  été  regardée  comme  une  choie  faite  ,  avoic 
tenu  les  elprits  en  Iblpens  pendant  dix  jours ,  on  parla  d'é- 
lire le  cardinal  Madrucci.  Quelques  Cardinaux  de  la  fac- 
tion Sixine  dont  on  briguoit  pour  lui  les  fufFrages ,  ne  pa- 
rurent pas  s'éloigner  de  Ton  éledion.  Le  cardinal  de  Mon- 
talte  prefle  par  le  cardinal  Spinola  de  le  déclarer  en  faveur 
de  Madrucci ,  lui  fit  efpérer  qu'il  penferoit  férieufement  à 
traiter  de  cette  afFaire  avec  les  Cardinaux  de  fa  fadion  ^  il 
lui  promit  même  de  le  fèrvir  efficacement ,  s'il  ne  trouvoic 
point  d'oppolîcion  parmi  euxj  mais  n'ayant  donné  de  fl  belles 
efpérances  à  Spinola  ,  que  pour  fauver  les  apparences  à  caufe 
du  roi  d'Efpagne ,  èc  pour  dégager  par  ce  moyen  la  parole 
qu'il  avoit  donnée ,  il  ne  fut  point  choqué  de  l'oppofîtion 
des  cardinaux  Alexandre  de  Medicis ,  Jean-François  Moro- 
fîni  &  Benoît  Giuftiniano  j  on  croit  même  qu'il  y  eut  quel- 
que part.  Il  s'en  lit  un  prétexte  pour  s'excufer  auprès  du 
cardinal  Spinola,  avec  qui- il  fut  néanmoins  obligé  de  de- 
meurer lié  d'intérêts.  Madrucci  qui  avoit  ordre  de  tout 
mettre  en  ufage  pour  entretenir  l'union  des  fadions  Efpa- 
gnole  6c  Sixtine,  travailla  moins  à  procurer  fon  éledion  , 
qu'à  exécuter  les  ordres  du  roi  d'Efpagne ,  ôc  n'encra  plus 
dans  aucune  brigue. 

Le  cardinal  Marc-Antoine  Colonne  ne  s'oublia  point  dans 
ces  circonftances.  Brûlé  du  défir  defe  voir  afTis  fur  la  chaire 
de  S.  Pierre  ,  il  fondoit  ks  efpérances  fur  fes  fèrvices  ^  mais  il 
ne  fut  bientôt  plus  queftion  de  lui  dans  le  Conclave.  Peretti 
voyant  qu'on  avoit  donné  l'exclufion  à  Santorio,  à  Madrucci 
&  à  Colonne ,  n'ignorant  pas  d'ailleurs  que  le  cardinal 
Hippolyte  Aldobrandin  étoit  un  de  ceux  que  le  roi  d'Efl 
pagne  avoit  eus  en  vue  ,  propofa  l'éledion  de  ce  Cardinal 
dans  le  tems  qu'on  y  penfoit  le  moins ,  après  avoir  deman- 
dé l'agrément  de  Madrucci.  Ce  fut  le  29.  de  Janvier  fur  le 
foir,  avant  que  les  Miniftres  du  Grand  Duc  qu'il  fçavoic  ne 
devoir  pas  être  favorables  à  Aldobrandin,  puirencs'oppofer 

a 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.   CIII.         505 

a  fou  éledion.  Elle  fut   enfin  réfoluë  d'un  confentemenc  = 


unanime ,  après  une  longue  conteftation  pleine  de  chaleur^  H  e  n  k  i 
&  tout  le  monde  paroiflbit  diipofé  à  fe  rendre  à  l'adoration^       I V. 
cependant  l'affaire  fut  différée  jufqu'au  lendemain.  i  59^' 

Aldobrandin  ayant  eu  quarante  Cardinaux  pour  lui,  fut  Aidobrandia 
élu  èc  conduit  à  la  chapelle  Pauline  -,  il  ne  voulut  s'aiTeoir  ^^  ^'"• 
fur  la  chaire  qu'on  lui  avoit  préparée,  qu'après  s'être  profter- 
né  devant  l'autel  5  il  y  demanda  avec  beaucoup  de  ferveur 
à  Dieu  de  faire  fervir  fon  exaltation  à  la  gloire  de  fa  divine 
inajefté  &  à  l'avantage  de  la  Chrétienté  ^  le  conjurant,  s'il 
prévoyoit  que  le  contraire  dût  arriver  ,  de  lui  infpirer  de  ne 
point  confentir  à  fon  éledion ,  &  de  lui  ôter  plutôt  l'ufage 
de  la  parole.  Ce  Cardinal  qui  étoit  originaire  de  Florence, 
étoit  d'une  noble  famille  de  Fano  fur  les  côtes  de  la  mer 
Adriatique ,  entre  Pezaro  &  Sinigaglia,  afîez  près  du  fleuve 
Métro.  Son  père  qui  s  etoit  acquis  beaucoup  de  réputation 
en  quahté  d'avocat  Confiftorial,  s'appelloit  Silveftre ,  ôc  fa 
mère  Leza-Deti.  Aldobrandin  avoit  commencé  fes  études  à 
Rome  fous  la  protedion  d'Alexandre  Farnefe  3  il  avoit  en- 
fuite  étudié  le  Droit  à  Ferrare  ôi  à  Boulogne  fous  le  doc- 
teur Paleotto.  Le  Cardinal  Jean  Aldobrandin  fon  oncle 
l'ayant  fait  venir  à  Rome ,  il  pofFéda  fucce/Fivement  toutes 
\qs  dignités  de  cette  Cour ,  qui  furent  autant  de  degrés  par 
lefquels  il  s'éleva  à  la  dignité  de  Cardinal ,  fous  le  Pontifi- 
cat de  Sixte  V.  qui  lui  donna  le  chapeau.  Ce  Pape  l'envoya 
Nonce  en  Pologne  pour  affifber  à  la  diète ,  oii  l'on  devoit 
élire  un  nouveau  Roi,  $c  afin  d'interpofer  l'autorité  du  Saint 
Siège  dans  cette  éledion  j  il  fut  enfin  élu  fbuverain  Pon^ 
tife  le  30.de  Janvier  à  la  dix-neuvième  heure ,  âgé  de  56. 
ans.  La  cérémonie  de  fon  facre  fe  fît  le  i .  de  Février  par  Al- 
phonfe  Gefu.aldo  évêque  d'Oftîe.  Huit  jours  après,il  prit  les 
marques  du  fouverain  Pontificat  des  mains  du  Cardinal 
Sforce ,  doyen  des  Cardinaux  diacres ,  ôc  voulut  être  appelle 
Clément  VILL 

Il  eft  tems  de  revenir  aux  affaires  de  France.  Le  cardî-    \°/^^^i^ç 
nal  de  Gondi  s'étant  mis  en  chemin  au  mois  d'Odobre  avec  condi  à 
le  marquis  de  Pifany  ,  ils  ne  paiïèrent  que  par  les  villes  fou-  "^omç. 
mifes  au  Roi.  Dès  qu'ils  furent  arrivés  aux  Alpes  des  Gri- 
iofls,  le  Marquibs'arrçtaà  Deiènzano  fur  le  lac  de   Garde, 
Tûmc  XI.  S  3  f 


5^^  HISTOIRE 

—  Cette  place  qui  appartient  aux  Vénitiens  eft  dans  la  pi  m 

Henri  belle  fituation  du  monde.  Le  Cardinal  continuant  fa  route 
I  V.  vers  Rome,  y  envoya  de  Florence  ion  Secrétaire  devant  lui,, 
I  599.  po^r  détruire  les  faux  bruits  que  la  fadion  Efpagnole  avoiD 
sentimens  au  Fait  couHr  fur  fon  compte,à  deflèin  de  le  rendre  odieux  ^  mais 
Papeàfon"  fl  n'en  étoitplus  tems.  Le  nouveau  Pape  s'étoît  laill'é  pré- 
venir contre  lui  fi  fortement  ,  qu'il  lui  dépêcha  un  Domi- 
nicain appelle  Alexandre  Francefchini ,  pour  lui  défendre 
de  mettre  le  pié  lur  les  terres  de  l'Etat  Éccléiiaftique ,  6c  lui 
reprocher ,  Qii'il  ne  s'étoit  comporté  dans  les  troubles  de 
France  ,  ni  en  bon  Chrétien,  ni  en  bon  Cardinal  j  s'étant  /i 
ouvertement  déclaré  pour  le  Navarrois,  hérétique  relaps,  de 
excommunié  par  le  Saint  Siège  :  Qu'aucun  de  ceux  qu'on; 
avoit  envoyés  de  Rome  en  France,  n'avoit  été  content  de 
lui  :  Que  cherchant  toujours  des  tempéramens,  il  ne  s'étoit, 
pour  ainfi  dire ,  étudié  qu'à  paUier  les  maux  de  la  Religion ,. 
^  qu'à  y  mettre  des  emplâtres ,  dans  le  deiGTein  de  mettre  la 
couronne  fur  la  tête  d'un  Hérétique  :  Qu'il  avoit  ofé  avoir 
une  conférence  avec  lui  avant  de  partir  pour  Rome ,  contre 
la  défenfe  expreffe  des  Apôtres  S.  Jean  &  S.  Paul  :  Qli'îI  avoit,, 
en  venant  en  Italie,  paiîe  par  des  villes  foumifes  aux  Héré- 
tiques ,  alFedant  d'éviter  celles  du  parti  contraire ,  comme 
lui  étant  fufpedes  :  Qii'il  avoit  ofé  répandre  par-tout  fur  fon; 
palTàge  le  bruit  qu'il  n'alloit  à  Rome,  que  par  les  ordres  du 
Pape  j  rule  diabolique,  dont  il  s'étoit  lërvi  pour  rendre  Sa 
Sainteté  fufpede  aux  Catholiques  :  Qu'il  avoit  ofé  affûrer 
qu'il  recevroit  le  Navarrois  en  grâce  ,  ôc  Tadmettroit  à  la- 
fuccelîion  de  la  Couronne  ,  en  lui  donnant  l'abfolution  , 
aufîî-tôt  que  ce  Prince  auroit  aflifté  une  fois  à  l'a  Melle  :  Qiie 
toutes  ces  démarches  s'étoient  faites  au  mépris  des  ordres^ 
du  cardinal  de  Plaifance  ,  qui  lui  avoit  écrit  de  ne  point 
fe  donner  la  peine  d'aller  à  Rome ,  parce  que  fi  fon  delTein 
étoit  d'y  défendre  les  intérêts  du  Navarrois ,  fon  voyage  ne 
pouvoit  être  que  fort  inutile  -,  étant  bien  inftruit  que  Sa  Sain^ 
teté  ne  vouloit  point  entendre  parler  de  ce  Prince  3  ôc  qu'elle 
étoit  dans  la  réfolution  d'épuiler  tous  (es  tréfors ,  &  de  ver^ 
fer  fonfang,  s'il  le  falloit ,  pour  l'empêcher  de  monter  fur 
le  trône,  comme  il  s'en  flatoit. 
le  cardî-       j^q  cardinal  de  Gondi  ne  répondit  autre  chofe  à  tous  lesi 

aal  k  iultihc.  ^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.       '507 
reproches  que  le  Dominicain  avoît  mis  en  écrie ,  finon  qu'ils  ?? 


écoienc  fans  fondement:  Qu'à  la  vérité  il  avoic  eu  une  en-  Henri 
trevûë  avec  le  roi  de  Navarre  3  mais  que  la  nécefîké  l'y  I  V. 
.avoit  obligé,  ne  pouvant  refufer  d'entrer  en  conférence  avec  1592, 
un  Prince  qui  étoit  en  état  de  l'y  contraindre  ,  maître  com, 
me  il  l'étoit  de  prefque  tout  le  Royaume:  Que  s'il  eût  at- 
tendu qu'on  en  fût  venu  à  ces  extrémités,  on  auroit  pu  le 
blâmer  d'avoir  commis  la  dignité  dont  il  étoit  revêtu  :  Qu'au 
reite  il  lui  étoit  bien  douloureux  de  voir  qu'on  l'eût  con- 
damné fans  l'entendre,  &  avant  de  pouvoir  inftruire  de  vive 
voix  Sa  Sainteté  du  véritable  état  du  Royaume  :  Qu'il  ve- 
îioît ,  s'il  étoit  coupable ,  pour  fe  purger  des  crimes  qu'on  lui 
reprochoit ,  &  pour  fubir  la  peine  qu'ils  méritoient,  fuivann 
cequ'en  ordonneroitSa  Sainteté  :Qu*il  avoit  remarqué  que 
les  Papes  avoient  toujours  fouhaité  avec  ardeur ,  d'avoir  en 
leur  puiiîance  les  Cardinaux  accufés  de  quelques  crimes  5 
pendant  que  ceux-ci, s'ils  fe  fentoient  coupables ,  avoient  tou- 
jours marqué  beaucoup  d'éloîgnement  pour  fe  rendre  à 
Romct  QLi'aind  la  défenfe  d'y  venir  qu'on  lui  faifoit  faire, 
avoit  de  quoi  le  furprendre  :  Qifil  voyoit  bien  que  ce  ne 
pouvoit  être  que  l'effet  des  intrigues  de  gens  aveuglés  par 
la  haine  èc  Tambition  qui  faifoient  tous  leurs  efforts  pour 
empêcher  Sa  Sainteté  de  connoître  l'état  &  les  malheurs 
de  la  France  3  ajoutant  qu'il  vouloit  bien  qu'il  fçût  qu'il  y 
avoit  dans  le  Royaume  plus  de  quarante  Évêchés  vacans  , 
dont  les  revenus  étoient  en  proye  à  des  loldats,  à  des  fem- 
mes &  à  d'autres  Laïques  ■  ce  qui  caufant  la  perte  des  âmes 
qui  n'avoîent  plus  aucune  nourriture  fpirituelle ,  étoit  auiïî 
la  honte  6c  le  deshonneur  du  Clergé  :  Qii'il  lui  apprenoic 
encore  que  ces  prétendus  zélés  qui  n'avoienten  public  que 
la  défenfe  de  la  piété  ,  l'honneur  du  Saint  Siège ,  ou  l'agran- 
diflement  de  la  Religion, dans  la  bouche,  ne penfoîent  à  rien 
moins  dans  le  fond  del'ame:  Que  leur  ambition  avoit  ame- 
né les  chofes  au  point,  que  fi  Sa  Sainteté  ne  (e  hâtoit  d'y 
apporter  du  remède  ,  il  ne  feroît  plus  tems  de  le  faire  ,  lorf. 
qu'elle  en  fentiroit  toute  la  néceflité  :  Qii'on  ne  faifoit  te- 
nir cette  conduite  au  Pape  à  fon  égard,  que  pour  épouvan- 
ter tous  les  autres  j  les  empêcher  de  lui  découvrir  les  maux 
de  l'Etat  ;  &  leur  faire  comprendre  qu'on  ne   pouvoit  à 


SSlij 


5o8  HISTOIRE 

l'avenir  parler  en  faveur  deHenri.  Il  dît  qu'il  étoît  prêt  à  faire 
Henri  voir  qu'il  n'avoic  rien  dit  ni  rien  fait ,  qu'il  ne  pût  avouer  en 
IV.  qualité  d'évêque  de  Paris,  de  Cardinal  ,  de  premier  Con- 
1592.  ieiiler  d'Ecac.  Que  s'il  n'avoic  pas  toujours  approuvé  les  deC 
feins  des  Princes  qui  étoienc  à  la  tête  de  la  Ligue,  ce  n'étoic 
que  pour  s'être  apper^û  que  la  haine,  plutôt  que  d^autres 
motifs  les  avoit  inipirés  :  Qu'il  ne  s'étoit  pas  écarté  pour 
cela  des  régies  du  devoir  j  n'ayant  jamais  perdu  de  vue  la 
défenfe  de  la  Religion ,  &  le  foin  de  rendre  la  paix  à  la 
France  :  Que  malgré  les  préventions  que  ies  ennemis  a- 
voienc  données  contre  lui  à  Sixte  V.  ce  Pape  avoit  don- 
né ordre  au  cardinal  Gactano  de  lui  communiquer  fes 
defleins  touchant  les  affaires  de  France  :  Qu'aupara- 
vant même  il  l'avoic  chargé  d'examiner  plus  à  fond  les 
décifions  de  la  Sorbonne  ,  qui  avoient  fait  tant  de  bruic 
dans  toute  la  Chrétienté  au  lùjec  du  feu  Roi ,  dont  la  Ca- 
tholicité n'avoit  jamais  été  iufpecT;e  :  QLi'après  l'aiTaflinac 
de  ce  Prince  ,  ceux  même  qui  le  noirciiîbient  aujourd'hui 
dans  l'efprît  de  Sa  Sainteté  ,  avoient  voulu  l'obliger  à  prê- 
ter le  ferment  de  l'Union  •.  Qu'ayant  refufé  de  le  faire ,  ils 
lui  en  avoient  fait  un  crime  auprès  de  Grégoire  XIV.  donc 
la  décifion  lui  avoit  été  favorable:  Que  ce  Pape  avoit  jugé 
dans  cette  affaire  avec  connoilTance  de  caufe,  &  qu'il  avoit 
approuvé  les  motifs  de  fon  refus. 

Le  Cardinal  dit  encore  qu'il  n'avoit  jamais  penfé  à  pren- 
dre des  tempéramens ,  ni  à  pallier  le  mal,  comme  on  l'accu- 
foit  :  Qii'il  n'avoit  ni  aifez  de  témérité ,  ni  afiez  d'impudence 
pour  fe  flatter  qu'un  foible  Cardinal  fût  capable  de  foute- 
nir  l'Etat  fur  le  penchant  de  fa  ruine,  ou  que  les  emplâtres 
dont  on  lui  avoit  parlé  pufTent  adoucir  les  maux  de  laFrancer 
Qii'ilcroyoit  au  contraire  qu'il  étoit  befoin  pour  opérer  cette 
guérîfon  de  toute  la  force  du  bras  de  Dieu,  de  l'autorité 
&c  des  confeils  falutaîres  de  fon  Vicaire  en  terre  ,  èc  de  ceux 
du  iacré  collège: Que  cette  perfuaiion  lui  avoit  fermé  la 
bouche  .  &C  qu'il  ne  s'étoit  jamais  ingéré  de  parler  d'affaires 
au-defliis  de  fa  portée  &  de  (es  forces  :  Qiie  s'étant  à  la  vé- 
rité mis  en  chemin  fans  ordre  de  Sa  Sainteté ,  mais  feulement: 
pour  remplir  ion  devoir  ,  il  ne  croyoit  pas  avoir  rien  faic 
contre  les  avis  du  cardinal  de  Plaifance  ,  qui  ne  lui  avoîs: 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  CIII.         509 

défendu  d'aller  à  Rome,  qu'en  cas  qu'il  eût  deflein  d'y  mé-  -  '     '  •  •'-  ^ 
nager  les  incërêcs  du  roi  de  Navarre.  Henri 

Le  Dominicain  ayant  rapporté  cette  réponfe  au  Pape  ,       1  V. 
fa  colère  s'appaifa  j  &:  il  permit  au  cardinal  de  Gondi  de  ve^     1^02. 
nirà  Rome  ,  à  condition  qu'il  ne  favoriferoit  ni  les  Héré-      11  obcienc 
tiques  ni  leurs  fauteurs,ôc  qu'il  fatisferoit  avant  tout  au  De-  [?  permiffioi* 
crée  de  Grégoire  XIV.  auquel  on  l'avoit  accufé  de  ne  s'être  Rome?"  * 
pas  conformé. 

Clément  VIII.  ne  fongeoit  alors  qu'A  faire  élire  un  Roi  BrefduPape 
Catholique  en  France  3  il  ic^avoit  que  les  Efpagnols  preflbient  ^u  cardinal  de 
avec  beaucoup  d'impatience  cette  élection  ,  pour  laquelle  pour  rég- 
ies Etats  Généraux  étoient  indiqués  pour  le  commencement  tion  d'unUoiV 
de  l'année  prochaine  5  il  envoya  le  i  j.  d'Avril  au  cardinal 
de  Plaifance  un  Bref  par  lequel ,  après  avoir  i  appelle  tous 
les  fervices  que  les  Rois  très-Chrétiens  avoient  rendus  aux 
Pontifes  Romains  dans  les  tems  de  calamités  Jldéléeuoic 
ce  Cardinal  pour  procurer  l'elecliion  d'un  Roi  ,  protedeur 
du  repos  de  l'Etat ,  qui  plein  de  zélé  pour  la  foi  Catholique 
pût  réprimer  bientôt  tous  les  e^orts  de  l'héréïîe.  Il  lui  re- 
commandoit  de  faire  en  forte  dans  cette  grande  affaire  que 
tous  les  gens  de  bien  déféralTent  d'un  confentement  unanime 
la  fouveraine  Puillance  à  celui  qui  paroîtroit  l'avoir  méri- 
tée par  fa  piété  ,  par  un  refpe<fl  particulier  pour  la  Religion 
Catholique ,  par  des  vertus  dignes  du  trône ,  &  par  la  fcience 
du  gouvernement^  afin  que  ce  Prince  pût  régner  fur  les  Fran- 
çois qui  perfévéroient  encore  par  la  grâce  de  Dieu  dans  la 
foi  Catholique.  Il  ajoûtoit   que  ce  Prince  devoit  être  pé- 
nétré  dans  l'ame   de  la  vérité  de  la  Rch'gion  Catholique, 
qu'il  feroit  ferment  de  défendre  3  ferment  que  la  vérité  ,  le 
jugement  &  la  juftice  dévoient  accompagner  :  Qii'un  Prince 
qui  détruifoir  la  foi  Orthodoxe  ,  perfecutoit  les  gens  de 
bien  &  les  Catholiques ,  les  animoit  tous  les  jours  les  uns 
contre  les  autres ,  au  lieu  d'appaifer  leurs  diifeniîons ,  &:  pro- 
tégeoit  les  Hérétiques,  ne  pouvoir  jamais  remplir  le  trône 
de  la  France  :  Qu'il  falloit  choifir  un  Roi  d'une  modération 
&  d'une  prudence  confommée» 

Le  Pape  témoignoit  enfuite  dans  ce  Bref  qu'il  vîendroit 
alors  volontiers  en  France  ,  à  l'exemple  de  Tes  prédéceifcmrsi 
6c  q^Lie  s'il  écoit  nécelïàirede  donner  fon  fang  pour  la  gluire^ 

SSfii^ 


5ro  HISTOIRE 

de  Dic\\ ,  la  défenfe  de  U  foi  Cacholîque,  Se  la  tranquîllîré 
Henri   des  Peuples,  il  fouhaicoic  avec  ardeur  de  le  répandre  :  Que 
I  V.       fes  occupations  l'empêchants  de  fuivre  ion  inclination  ,  il  fe 
j  -  déchargeoit  du  foin  de  cette  affaire  fur  le  Cardinal  Légat, 

dpnc  il  efpéroit  qu'il  répondroît  pleinement  à  fon  attente , 
&  aux  vœux  des  bons  Catholiques ,  par  le  delmterelIemenE 
avec  lequel  il  fe  comporteroit  dans  cette  éledion.  Enfin  il 
avertilfoic,  exhortoit  ,  conjuroit  les  Princes ,  les  Prélats  ôc 
les  autres  membres  du  parti  Catholique,  de  fe  rappeller  le 
zélé  de  leurs  ancêtres  ,  Ôc  de  perlevérer  dans  leurs  bons 
delTeins  ,  &:  dans  leur  attachement  pour  la  Religion  de  leurs 
pères.  Il  prefToit  auiîi  ceux  qui  avoient  favorilé  les  Sedaircs, 
ou  pris  leur  défenfe,d'abandonner  leur  parti,  de  le  feparer  de 
ceux  avec  qui  il  ne  peut  y  avoir  de  véritable  union  j  6c  de 
concourir  avec  les  autres  Catholiques  autant  qu'il  féroit  pof- 
fîble  à  l'éleclion  d'un  Roi  ,  qui  pût  après  avoir  mis  la  foi 
Catholique  en  fureté ,  6c  rétabli  la  paix ,  réprimer  les  efforts 
des  Hérétiques  ,  raflurer  les  Catholiques  ,  àc  faire  régner  la 
paix  6v  la  joye  dans  tous  les  cœurs  orthodoxes, 
te  Erefeft       ^^  Bref  ne  fut  enrégiflré  que  long-tems  après  au  parle- 
cnréj^ifué  au  mcnt  de  Paris  le  27.  d'Oétobre  ^  oiii  fur  ce  ,  &  ce  requérant 
parkicencde  j^^  Procureur  Général.  On  enrégiflra  le  même  jour  les  pou* 
voirs  donnés,  au  cardinal  de  Plaiiance  j  auffioiii  fur  ce  ,  &  y 
confentant  le   Procureur  Général ,  avec  cette  réferve  ,  fans 
préjudice  de  l'autorité  6c  de  la  Jurildidion  Royales ,  ^  des 
Libertés  de  l'Eglife  Gallicane. 
Arrêt  di         Auiii-tot  qu'on  eut  appris  à  Châlons  la  publication  de  ce 
Parlement      Bref,  Ic  Procureur  Général  en  interjetta  appel ,  6c  le  Par- 
féam  à  châ-  lèvent  féant  en  cette  ville  donna  à  fa  requiiîtion  un  décret 
Légat  dccré-  d'ajoumemenc  perfonnel  contre   Philippe  de   Sega  Cardi- 
té  d'ajourné-   nal  évcque  de  Plaifance  ,  du  titre  de  Saint  Onufre  ^  portant 
n^^ent  f er.on-  ^^^^  |^^  fommatîons  dc  comparoir  faites  à  haute  voix  par  le 
çrieur  public  dans  la  ville  de  Châlons  feroient  auffi  bonnes 
ôc  valables, que  (i  elles  lui  avoient  été  fîgnifîées  à  fon  domi- 
cile. Le  Parlement  avertilToit  dans  cet  arrêt  les  Prélats, les 
Princes  ,  les  Seigneurs  èc  tous  autres  de   quelque  état  6c 
condition  qu'ils  puflènt  être,  de  demeurer  in  violablement  at- 
tachés au  Roi  •  de  n'entrer  dans  aucune  fadion  3  de  ne  point 
[q  lailler  féduire  par  les  intrigues  de  ceux  ,  qui  fous  des 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIII.        511 

apparences  de  zélé  pour  laReligion,n'avoient  d'autre  but  que 
de  s'emparer  du  Royaume,  d'y  introduire  les  Efpagnols  ôc  H  e  n  ai 
d'autres  ufurpateurs.  Cet  arrêt  faifoit  d'expreiîes  défenfes  1  V. 
d'avoir  ou  de  publier  ce  Brefj  de  donner  du  fecours  aux  re-  1  <:c)z„ 
belles  -y  d'aller  dans  leurs  villes ,  ôc  d'avoir  aucun  commerce 
avec  elles ,  fous  peine  de  dégradation  pour  la  Noblefle  ,  èc 
de  la  privation  du  polTelToire  des  Bénéfices  pour  le  Clergé-, 
déclarant  fans  diffcindion  tous  &  un  chacun  qui  Contrevien- 
droient  à  cet  arrêt,  criminels  de  léze-Majefbé  ,  comme  traî. 
très  à  la  patrie  ,  &  perturbateurs  du  repos  de  l'Etat ,  fans 
efpérance  de  grâce  ou  d'abolition  de  leur  crime  -,  ordonnant 
en  outre  que  perfonne  n'eût  à  loger  les  fadieux  ôc  les  re- 
belles ,  qui  iroient  dans  les  villes  pour  affîfter  à  la  préten- 
due élevftion  ^  que  l'endroit  ou  la  ville  où  cette  afTemblée 
fe  tiendroit,  léroit  détruite  de  fond  en  comble,  fans  pou- 
voir être  jamais  rebâtie,  pour  être  à  la  poftérité  un  monu- 
ment éternel  de  la  vengeance  exercée  contre  la  trahifon  èc 
la  perfidie  des  rebelles  j  enjoignant  à  tous  les  fujets  du  Roi 
de  courir  fus  aux  faélieux  qui  fe  rendroient  au  lieu  de  l'aflem- 
blée,  &  de  fonner  le  tocfîn  fur  eux  ,  &  au  Procureur  Gé- 
néral d'informer  contre  les  auteurs  de  ces  confpirations,  $c 
contre  ceux  qui  les  exécutent. 

Cet  arrêt  ayant  été  rendu  le  8.  de  Novembre,  fut  cafïe  t'Anêtdc 
par  un  autre  arrêt  rendu  à  Paris  deux  jours  avant  la  fête  p^„^'°"'^^. 
de  Noël ,  ôc  fut  brûlé  publiquement  le  lendemain  au  pié  des  ^  ^  * 
grands  degrés  du  Palais  en  preiènce  du  duc  de  Mayenne. 
Quelque  tems  auparavant,  le  Parlement  féant  à  Paris  vou- 
lant foulager  en  quelque  manière  la  mifére  du  Peuple,  re- 
mit les  deux  tiers  des  loyers  de  mailons  dont  les  baux  avoienc 
été  faits  pour  fept  ou  neuf  ans  en  juftice,  fans  le  confente- 
ment  des  parties ,  avant  le  i  5.  Avril  de  l'année  1589:  .Ôc 
la  moitié  du  prix  de  ceux  faits  depuis  le  i  5.  Avril ,  jufqu'au' 
premier  du  mois  d'Août  de  la  même  année  j  enfin  un  tiers 
des  baux  faits  après  la  levée  du  fiége  j  à  commencer  diî 
premier  jour  du  dernier  mois  d'Odobre  ,  avec  défenfe 
de  procéder  aux  criées  6c  vente  des  biens  de  ceux  qui 
n'auroient  pas  payé  les  loyers.  Cet  arrêt  fut  rendu  le  8.  de 
Janvier.  Enfuite  le  peuple  venant  en  foule  fe  plaindre  des  con- 
traintes rigoureufes ,  qu'on  exerçoit  contre  lui  dans  un  tems 


SIX  HISTOIRE 

Il     "  Il  ,",1   où  l'on  avoît  perdu  tout  Ton  bien  j  on  défendit  par  un  autre 
H  E  N  K  I  arrêt  du  i  o.  d'Avril  aux  Parilîens  de  s'afTembler  ainfi  ,  parce 
IV.       qu'ils  relîèmbloient  plutôt  à  une  troupe  de  féditieux  ,qu'à 
1 591.     ^^^  fupplians.  Malgré  toutes  ces  plaintes  ,  on.  permit  aux 
créanciers  de  faifîr  les  biens  meubles  des  débiteurs,  à  con- 
dition néanmoins  qu'ils  ne  pourroient  être  ni  vendus  ni  en- 
levés. On  donna  trois  mois  auxhabitans  des  fauxbourgs  de 
S,  Lazare,  S.  Martin  ôc  S.  Denis,  dont  les  maifons  avoientété 
détruites  àc  les  jardins  ravagés  pour  la  plupart  durant  le 
iiége.  Ce  délai  leur  fut  accordé  pour  prendre  des  arrange- 
mens  avec  leurs  créanciers  6c  les  propriétaires  des  maifons 
devant  leurs  Juges  ordinaires ,  fans  qu'on  pût  inquiéter  pen- 
dant tout  ce  tems ,  ni  eux ,  ni  leurs  cautions  pour  le  paye- 
ment. 

Les  Députés  des  feize  quartiers  de  la  ville  ayant  parlé 
défaire  la  paix,  GoulFancourt  6c  du  Vair  proposèrent  avec 
beaucoup  de  liberté  dans  une  délibération  du  Parlement , 
d'envoyer  des  députés  au  Roi ,  6c  de  chalïèr  de  Paris  la  gar- 
nifon  Efpagnole  qui  étoit  fufpecle.  Le  duc  de  Mayenne  s'é- 
tant  rendu  à  l'Hôtel-de-ville  le  6.  de  Novembre  ,  excufa 
Içs  murmures  du  peuple,  à  caule  de  l'extrême  difetce  à  la- 
quelle on  étoit  réduit  alors  dans  Paris  j  il  donna  des  louan- 
ges à  la  patience  avec  laquelle  on  fupportoit  ces  maux ,  6c 
fit  efpérer  d'y  apporter  du  remède  dans  les  Etats  Généraux, 
qu'on  étoit  lur  le  point  de  tenir,6c  de  récompenfer  la  con* 
rtance  des  Pariliens  après  tant  de  calamités.  Il  donna  en 
même  tems  le  bâton  de  Maréchal  de  France  à  Chrétien  de 
Savigny  de  Rofne ,  6c  le  fît  gouverneur  de  l'ifle  de  France 
par  un  brevet  qui  fut  enrégiftré  au  Parlement.  Le  Duc  le 
iît  partir  auiTi-tot  pour  les  Pays-bas,  afin  de  prefTer  le  duc 
de  Parme  de  hâter  la  marche  de  l'armée  auxiliaire  qui  de- 
voir appuyer  les  Etats.  Le  Légat,  le  cardinal  de  Pcllevé  6c 
l'archevêque  de  Lyon  allèrent  à  Rheimsavecla  plupart  dQS 
Députés  des  villes  pour  aiîîfler  à  cette  aiïemblée. 
Le  château  Pendant  que  les  Parifiens  fe  plaignoicnt  des  maux  auf- 
l*arche"efl:^  qucls  ils  étoient  expofés ,  le  Roi  eut  quelque  chagrin  de  la 
furpns  par  perte  du  châtcau  du  Pont  de  l'arche.  L'ennemi  s'en  étoit 
les  Ligueurs,  çj^p^j-^i  ^\^^^  l'abfcnce  de  du  Rolet  qui  étoit  alors  détenu  pri- 
ibpnier  à  Rciien.  Du  Clufeau,  6c  Loiiis  de  la  Chaftre  jeune 

homme 


DE  J.  A.DE  THOU,  Liv.  CIIL         515 

homme  d'une  très-belle  figure,  étoient  prifonniers  de  guerre   ■  ' 

au  Pont  de  l'Arche.  Ce  dernier  ayant  gagné  ou  trompé  les  Henri 
femmes  qui  étoient  dans  le  château  ,  vint  à  bout  de  s'en       I  V. 
rendre  le  maître.  La  ville  eft  fituée  au-delà   du  fleuve,  &     i  591. 
jointe  au  château  par  un  pont  que  les  Royaliftes  forci  fièrent 
auflî-tôt.  Le  Roi  ayant   appris  que  le  canon  du  château  in- 
commodoit  beaucoup  la  garniion  de  la  ville,  s'y  rendit  en 
diligence  ,  afin  de  fortifier  un  pafiage  fi  favorable ,  èc  dans 
le  deflein  de  bloquer  fi  étroitement  le  château,  dont  il  n'a- 
voit  pas  le  tems  de  faire  le  fiége  ,  qu'il  ne  pût  incommoder 
la  ville. 

Le  Roi  fut  dédommagé  de  cette  perte  par  la  prife  de  Ro- 
croy  fur  la  frontière  de  Champagne.  Cette  place  venoit  d'ou- 
vrir Cqs  portes  au  duc  de  Nevers.  Champigny  qui  en  étoic 
Gouverneur ,  craignant  de  mauvais  traitemens  de  la  part  des 
deux  frères  Pemols  ,  aufquels  le  duc  de  Guifè  &  S.  Paul 
vouloient  donner  fa  place,  il  les  chaiTa  de  la  ville  avec  les 
ibldats  qui  lui  étoient  fufpeéls  •  enfuite  voyant  que  les  Lor, 
rains  irrités  de  cette  ad;ion  ailoient  tomber  fur  lui  avec 
toutes  leurs  forces,  il  ne  demanda  au  duc  de  Nevers,  pour 
remettre  la  place  au  Roi ,  que  les  dépouilles  de  ceux  qu'il 
âvoit  chaflés  de  Rocroy  ,  &c  fe  rendit  à  cette  condition. 

Sur  ces  entrefaites ,  Baillet  deVaugrenan  gouverneur  de 
Saint  Jean-de-Laulne  ,  tailla  en  pièces  dans  le  voifinage  de 
Dijon  dix  compagnies  d'infanterie  commandées  par  le  ba- 
ron de  TeniiTay  lieutenant  du  duc  de  Nemours,  &  fe  faific 
des  drapeaux  &  du  bagage.  Le  baron  de  Biron  qui  s'étoic 
un  peu  remis  de  la  bielFure  qu'il  avoit  reciië  à  Efpernay  , 
étant  allé  en  Guyenne  pour  y  confoler  fa  mère  de  la  more 
du  Maréchal ,  en  revint  par  Tours,  où  par  une  grâce  fingu- 
liére  le  Roi  lui  donna  ran^  de  Confeiller  au  Parlement  ;  il 
prêta  le  lendemain  vingt-unième  jour  de  Décembre  le  fer, 
ment  d'Amiral  ^  on  fit  publiquement  fon  éloge  j  on  vanta 
ks  fervices  de  fon  père  ,  èc  ceux  qu'il  avoit  rendus  lui- 
înême  à  l'Etat. 

Pendant  tout  ce  tems ,  on  fe  battit  avec  différens  fuccès 
départ  6c  d'autre  en  différens  endroits  du  Royaume.  Claude 
de  Villequier  dont  les  grands  biens  héréditaires  étoient  en- 
core ac,cru$  des  libéralités  de  nos  Rois  ,  pofiTèdoic  à  cinq 
Tome  XI,  T  T  ç 


itf  HISTOIRE 

lieues  de  Loches  la  ville  de  Guierche.  Cette  place  efl  fl- 
Henr.1  tuée  avec  un  pont  fur  la  Creufe  ,  de  l'autre  côté  èc  au- 
I  V".  deiïbus  de  Rochepozay j  cette  rivière  qui  termine  la  Guyenne 
î  55;i.  du  côté  du  Septentrion  ,  fépare  la  Touraine  d'avec  le  Poi- 
tou. Le  duc  d'Efpcrnon  avoit  mis  un  Gaicon  appelle  Ar- 
nauld  de  Sallerm  avec  une  bonne  garnifon  dans  Loches. fur- 
Indre,  dont  la  citadelle  eft  après  le  château  d'Amboife,  la 
plus  forte  de  tout  le  païs.  Ce  Gouverneur  s'ètant  comporté 
avec  une  grande  modération,  avoit  toujours  eu  beaucoup 
de  déférence  pendant  route  la  guerre  pour  Souvré  lieutenant 
de  Roi  de  la  Province  j  mais  ayant  changé  tout  d'un  coup, 
èc  fe  laiiTant  aller  à  l'idée  flateufe  de  faire  un  butin  conlî- 
dérable  à  la  Guierche ,  il  chercha  les  moyens  de  furprendre 
cette  ville.  Villequier  qui  étoic  déjà  vieux  ,  s'y  croyoît  en 
fureté  à  l'abri  d'une  fauve-garde,  que  le  duc  de  Mayenne 
ôc  le  Roi  lui  avoient  accordée. 
Surprîfe  fur  Le  gouvemeur  de  Loches ,  pour  donner  une  couleur  à  fon 
la  Guierche.  entreprife ,  accufa  Villequier  d'avoir  donné  retraite  au  Vi- 
comte fon  fils ,  qui  faifoit  la  guerre  en  Poitou  pour  la  Ligue, 
&  de  lui  avoir  laifTé  libre  le  paiîàge  du  pont  de  la  Guierche 
pour  faire  des  courfes  dans  la  Touraine,  Après  s'être  fait 
un  prétexte ,  fans  confulter  Souvré,  il  fit  partir  devant  lui 
î^  2.  de  Février  Patras  de  Champagnol  le  cadet  à  la  tête 
d'un  détachement.  Ces  troupes  étant  arrivées  à  la  Guierche, 
en  efcaladérent  les  murs  le  jour  fuivant ,  ôc  fe  faifirent  de  la 
ville.  Chaftiére  qui  en  étoit  Gouverneur  étant  accouru  au 
bruit  fut  tué  par  les  foldats  de  Patras.  Il  n'y  eut  que  quel- 
ques maifons  mifes  au  pillage ,  &  l'on  épargna  le  refte  ,. 
jufqu'à  ce  que  Sallerm  averti  de  ce  fuccès  fe  fût  rendu  dans 
cette  ville ,  èc  qu'il  eût  réduit  la  citadelle,  où  Villequier  s'é- 
toit  enfermé.  Sallerm  ayant  prié  dans  le  même  tems  de  Vau- 
vré  frère  de  Montigni ,  fans  néanmoins  lui  communiquer  fon 
defïèin,  de  lui  donner  trente  cuiraffiers  &  cinquante  arque- 
buficrs  à  cheval  commandés  par  du  Bois  de  la  Vigne ,  &C 
ayant  mandé  la  garnifon  de  Chaftillon-fur-Indre  ,  qui  étoic 
fous  les  ordres  de  Courcelles  ,  6c  les  compagnies  de  la 
HoufTaye  ôc  de  Merey  compofées  de  foixantearqucbu fiers, 
il  envoya  devant  lui  Sainte-Anne  ,  des  Clufèaux  &  Saint- 
Michel  Capitaine  du  régiment  de  Vatan ,  pour  féconder 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIL        yrj 

Campagnol.  Il  leur  donna  deux  coulevrinesfur  leurs  affûts ,        "    '      i 
qu'il  fie  conduire  par  la  Vallade  Capiraine  d'une  compa-  Henri 
gnie  des  ioldats  de  la  garnifon  de  Tours  j  (  car  il  avoir       IV. 
obtenu  du  Maire  de  cette  ville,  en  rabfence  du  Gouver-      ij^i. 
neur  ,  que  cet  Officier  le  fuivîc  à  cette  expédition  qu'il  mé- 
ditoit.  ) 

Sallerm  ayant  aflemblë  toutes  ces  troupes  fortit  de  Loches 
à  la  tête  de  cinquante  foldats  armés  de  toutes  pièces  ,  &  fe 
rendit  fur  le  foir  à  la  Guierche ,  où  il  eue  avis  que  le  Vi- 
comte accouroit  au  fecours  de  Ton  père  avec  deux  cens  cui- 
raffiers  ,  un  pareil  nombre  d'arquebufiers  à  cheval ,  deux 
cens  hommes  d'infanterie  Françoife  ,  ^  deux  cens  d'Efpa- 
gnole  avec  une  pièce  de  campagne.  Sur  cet  avis  il  dépêcha 
lur  le  champ  vers  Chateigner  d'Abin  qui  étoit  dans  le  voifî- 
nage.  Celui-ci  lui  envoya  Ion  fils  avec  trente  cuiraflîers  d'é- 
lite ôc  cent  arquebufiers  à  cheval.  Sallerm  ayant  mis  le  ré- 
giment de  Vacan  à  la  garde  du  pont  ,  tourna  tout  l'effort 
de  Tes  troupes  contre  le  château ,  où  la  plus  grande  partie 
de  la  Nobleffe  des  environs  s'étoit  enfermée.  Il  les  menaça 
de  ruiner  leurs  maifons  autour  de  la  Guierche,  s'ils  ne  for- 
toient  au  plutôt  de  la  place.  Epouvantés  par  ces  menaces  ils 
fe  retirèrent  le  5.  de  Février  fans  avoir  pris  auparavant 
aucunes  iûretés  5  &  malgré  tous  les  efforts  que  fie  pour  les 
retenir  le  vicomte  de  la  Guierche,  qui  fe  plaignoit  qu'on 
l'abandonnât  auiTi  lâchement  à  la  merci  d'un  Gafcon  affa- 
mé i  c'étoit  ainfi  qu'il  appelloit  Sallerm. 

Après  leur  départ  Campagnol  le  cadet  entra  dans  la  place 
avec  vingt  foldats.  Cependant  Sallerm  preffoit  Villequier 
de  lé  rendre  ,  prévoyant  que  il  le  Vicomte  venoit  au  fe- 
cours de  fbn  père, il  feroit  plus  difficile  de  prendre  le  châ- 
teau j  d'Abin  étant  arrivé  lui-même  le  lendemain,  on  laifla 
un  nombre  fuffifant  de  foldats  dans  la  ville,  pour  aller  avec 
le  refte  des  troupes  au-devant  du  Vicomte.  D'Abin  &:  Sallerm 
rencontrèrent  une  compagnie  de  foldats  qui  s'étoient  avan- 
cés jufqu'à  Château-Vieux  ,  bourgade  à  trois  lieues  de  la 
Guierche,  &  les  taillèrent  en  pièces.  Les  fréquentes  courfes 
qu'on  faifoit  de  part  &:  d'autre  empêchant  nos  foldats  de 
bien  reconnoître  l'ennemi,  qui  fe  retiroit  par  les  bois  &  par 
des  chemins  couverts  d'arbres,  d'Abin  de  Sallerm  marchèrent 

TTcij 


Si6  HISTOIRE 

g— ■■       '  '  vers  la  tour  d'Oiré  qui  efl   fur  une  hauteur  à  la  droite' , 

Henri  6c  quittèrent  les  traces  du  Vicomte. 

I  V.  Le  jeune  d'Abin  &:  la  Vigne  à  la  tête  de  fes  coureurs  le 

1  <Qi.  pourfuivoient  pendant  ce  tems-là. Ayant  été  joints  par  un  ren- 
fort de  la  garnifon  de  Cbatelleraut ,  que  Heclor  de  Preau 
leur  avoic  amené  en  côtoyant  la  Vienne  ,  ils  chargérenE 
l'ennemi ,  dont  l'infanterie  ëtoit  poftée  dans  un  lieu  forti- 
fié entre  un  fofTé,  des  hayes  fort  hautes,  &  un  moulin  au- 
deflous  du  Château-d'lfle.  De  Preau  corn  mènera  la  charge 
avec  les  Gardeuil  frères, Meffignac  ,  de  Creufe  ,  de  Cornefat, 
de  Vauvrè ,  Boifredon  6c  la  Bruere.  Après  un  combat  opi- 
niâtre s'ècant  mis  à  couvert  d'un  grand  feu  de  l'artillerie  de 
Châreau-d'Ifle  ,  ils  vinrent  à  bout  de  pouflèr  l'infanterie 
Efpagnoie  jufqu'au  corps  de  bataille, qui  fut  attaqué  en  mê- 
me tems  par  le  jeune  d'Abin,  6c  par  la  Vigne  à  la  tête  d'un 
détachement  qu'on  envoya  pour  foutenir  \qs  premiers.  Ils 
n'eurent  pas  beaucoup  de  peine  à  mettre  en  déroute  \qs  en^ 
uemis  qui  plioient  déjà  ,  dans  l'épouvante  que  leur  caufoit 
la  défaite  des  leurs.  Les  fuyards  voyants  les  paiïages  fermés 
par  d'Abin  6c  par  Sallerm  du  côté  de  Chauvigny  k  jettérent 
dans  la  Vienne ,  6c  fe  fauvèrent  partie  à  la  nage ,  partie  fur 
des  bateaux  qu'ils  cherchèrent  de  taus  côtés.  Le  Vicomte 
ayant  fauté  lui-même  dans  une  barque  pour  fe  fauver  eut 
une  grêle  de  moufqueterie  à  eifuyer.  La  barque  où  il  étoit 
fut  abimée  dans  la  rivière  fous  le  poids  de  la  multitude  qui 
s'y  jettoit  en  défordre.  La  rivière  parut  auiîî-tôt  couverte 
de  morts. 

C'étoit  un  fpeffcacle  effrayant  devoir  furnager  des  bras, 
des  têtes  6c  des  jambes  ,  6c  floter  fur  l'eau  des  cottes  de 
maille ,  des  chapeaux  6c  àts  manteaux  j  des  cris  horribles 
fe  mêlants  au  cliquetis  des  armes  augmentoient  la  terreur. 
Il  y  eut  plus  de  quatre  cens  des  ennemis  noyés  ^  cinquante 
pris ,  6c  un  grand  nombre  taillés  en  pièces.  Le  Vicomte  lui- 
même  ,  de  Bonnes  de  Perigord  fon  Lieutenant ,  Grammont 
neveu  de  ce  dernier  ,  6c  François  Paluftre  qui  étoit  le  prin- 
cipal auteur  des  troubles  à  Poitiers  ,  furent  du  nombre  des 
morts.  La  nuit  qui  furvint  arrêta  la  pourfuite  àQs  vainqueurs. 
De  Preau  invcftit  auffi-tôt  Château-d'lfle  où  l'ennemi  avoit 
mis  fes  bagages  6c  fon  canon.  Le  capitaine  Spineta  fe  rendit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.         517 

a  la  première  fommatîon  qui  lui  en  fut  faite.  Sallerm  ayant 


remercie  d'Abin,  donc  l'arrivée  avoic  principalement  con-  H  e  n  k  i 
tribué  à  fa  victoire  ,  retourna  à  la  Guierche  ,  d'où  il  em-       I  V. 
porta  de  riches  meubles  5  il  fît  prifonnier  le  vieux  Villequier      1592.. 
qui  avoit  à  pleurer  Ton  malheur  dc  Ton  fils  5  il  ne  fut  remis 
en  liberté  que  long-tems  après ,  en  payant  une  groile  ran- 
çon. Le  Roi  fit  prefent  à  Sallerm  de  tous  les  emplois  mili- 
taires ôc  offices  vénaux  de  la  nobleiTe  Poitevine  qui  avoit  pé- 
ri dans  cette  affaire. 

Les  Ligueurs  vengèrent  bientôt  cette  perte  par  une  autres  c:^- 
grande  défaite  des  Royaliftes.  François  de  Bourbon  prince  péditions^ 
de  Conti ,  Général  des  troupes  du  Roi  dans  la  Touraine , 
l'Anjou  ,  le  Maine  &  le  Poitou  ,  fe  rendit  à  Laval  pour  join- 
dre ÎQs  troupes  à  celles  du  prince  de  Dombes  gouver- 
neur de  Bretagne ,  &  pour  prendre  enfemble  des  mefures 
fur  l'état  des  affaires.  Le  prince  de  Conti  avoit  avec  lui  An- 
toine Silly  de  la  Rochepot  ,  &  Brandelis  de  Champagne 
marquis  de  Villaines.  Le  prince  de  'Dombes  avoit  dans  ion 
armée  Jean  marquis  de  Coefquen  ,  Jean  Bourneuf  de  Cuilé, 
Jean  d'Angennes  de  Poigny,  Roch  de  Sorbiers  des  Pruneaux 
Jean  du  Mas  de  Montmartin  gouverneur  de  Vitré,  &  de  la 
Courbe  de  Brée ,  qui  s'étant  jette  enfuite  dans  les  troupes 
du  duc  de  Mercœur ,  en  reçut  pour  récompenfe  le  grade 
de  Maréchal  de  Camp.  Il  y  a  toute  apparence  que  cet  Offi- 
cier découvrit  au  Duc  tous  les  defTeins  qu'on  prit  alors. Après 
ime  mure  délibération  ,  les  Princes  réfolurent  d'afîiéger  avec 
toutes  leurs  forces  Craon  fur  l'Oudon,  ville  appartenante  à 
la  maifon  de  la  Trimouille.  Cette  place  étoit  munie  d'une 
bonne  citadelle.  Le  Cornu  du  Meffis  qui  en  étoit  gouver^ 
neur  avec  une  forte  garnifon  infecMt  par  fes  courfes  le  Maine, 
l'Anjou  èc  la  frontière  de  Bretagne  qui  en  étoit  voifme.  Le 
prince  de  Dombes  ayant  donné  jour  à  fes  troupes  partit  de 
Rennes  à  la  tête  de  douze  cens  fantaffins  Anglois  ôi  fepn 
cens  Allemans ,  de  quatre  cens  cuiraffiers  à  cheval ,  6c  de 
huit  pièces  de  canon  en  bon  état.  Il  avoit  avec  lui  les  mar» 
quis  de  Coefquen  &:  de  Rieux  d'AfTerac  ,  Charle  Gouyon 
de  la  Moufîaye  ,  Auger  de  Crapado  ,  Boifrouault ,  des  Pru-^ 
neaux  6c  autres  Officiers.  Fournier  6c  de  l'Eilrellequi  avoienc 
été  chargés  de  faire  des  recrues  en  Normandie  ,  Province 

TTtiii 


i«nta 


518  HISTOIRE 

voifine  de  la  Bretagne ,  eurent  ordre  de  prendre  les  devants,' 
H  ii  N  R.  I  Les  ioldats  n'avoient  pas  encore  poulie  la  licence  fî  loin  , 
I  V.       que  dans  cette  expédition  3  ce  qui  fut  de  mauvais  augure 
I  59 z.    P^^^  1^  rélilTite  de  l'entreprife. 

La  ville  de  Craon  fut  inveftie  le  14.  d'Avril  par  [qs  Koya- 
sicge  de    Jiftes  ,  qui  fe  faifirent  de  l'Abbaïe  ôc  du  fauxbourg  de  S.  Cle- 
ï^aon.  ment ,  d'où  l'ennemi ,  qui  vouloit  y  mettre  le  feu  ,  fut  vive* 

pient  repoufTé.  Le  prince  de  Conti  fe  rendit  au  camp  onze 
jours  après,  avec  Charle  de  Monmorency  Damville,  Her- 
cule de  Rohan  duc  de  Monbazon  ,  Antoine  Silly  de  la  Ro- 
chepot ,  Nicolas  d'Angennes  de  Rambouillet ,  Pierre  Do^ 
nadieu  de  Pichery  ,  èc  Claude  de  Beuil  de  Racan  maréchal 
de  camp.  Il  avoit  outre  cela  trois  cens  gendarmes  &  douze 
cens  hommes  de  pied.  Son  artillerie  arriva  trop  tard  j  ôc 
aind  le  commandement  étant  partagé  dans  l'armée ,  tout 
s'y  faifoit  avec  tant  de  négligence ,  que  tandis  que  les  trou, 
pes  du  prince  de  Conti  pouiîbient  la  tranchée  de  travaîl- 
loient  à  defTecher  le  folTé  qui  étoic  très-profond  ,  il  s'écoula 
quarante  jours  fans  rien  faire. 

Le  duc  de  Mercœur  bien  inftruît  de  tout  ce  qui  fe  pafToîc 
an  camp  ,  par  le  moyen  de  la  Courbe  ,  qui  venoit  d'aban- 
donner l'armée  des  Royalifbes ,  pour  fe  jetter  dans  fon  parti, 
eut  le  tems  d'àlTembler  fon  armée ,  èc  de  venir  au  fecours  dQs 
afîîégés.  Ce  Général  s'écant  avancé  jufqu'à  Chatellaye  ,  hs 
Royaliftes  tinrent  Confeil  ,  pour  fe  déterminer  far  le  parti 
qu'il  y  avoit  à  prendre  dans  ces  circonftances.  L'arrivée  im- 
prévue de  l'ennemi  fut  caufè  de  la  confufîon  àc  du  trouble 
qui  régna  dans  le  Confeil.  Enfin  on  réfblut  que  le  prince  de 
Dombes  feroit  repailer  l'Oûdon  à  fes  troupes,  que  cette  ri- 
vière féparoit  de  celles  du  prince  de  Conti  5  &c  rameneroic 
auffi  fon  canon  ,  pour  n'être  pas  obligé  de  foutenir  feul  tout 
l'effort  de  l'armée  ennemie.  Cette  jondion  dévoie  encore 
mettre  les  RoyaliAes  plus  en  état  de  former  une  armée, 
qu'on  piit  ranger  en  bataille. 

Les  troupes  du  prince  de  Dombes  pafférent  la  rivière  fur 
àQs  bateaux  ,  fans  avoir  la  précaution  de  rompre  le  pont  der- 
rière elles.  Le  duc  de  Mercœur  fit  paffer  delTus  le  lende- 
main fon  armée  ,  qui  confiftoit  en  fix  mille  hommes  de  pied 
ê^huitcens  chevaux.  Nos  Généraux  rangèrent  leurs  troupe? 


I:)E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  Cîlî.         51^ 

en  bataille  le  long  du  FofTé  en  deçà  de  l'Oudon  dans  un  ^^"^^'^^^ 
terrain  ëtroic  ôc  défavantageux  ,  fous  le  canon  de  la  cita-  Henri 
délie.   On  avoic  renvoyé  le  jour  d'auparavant  l'artillerie  à       IV. 
Château-Gonthier.  Les  foldats  ayant  enlevé  de  tous  côtés ,     i  5  0  i, 
dans  les  ravages  qu'ils  faifoient  à  la  campagne  ,  les  bœufs  6c 
les  chevaux  ,  on  n'en  trouva  point  pour  tranfporter  le  canon, 
qu'on  fut  obligé  de  lailler  fur  le  grand  chemin  ,  à  l'excep- 
tion d'une  pièce  que  Ton  jetta  dans  la  rivière  j  on  entoiiic 
aufîî  les  boulets  dans  la  terre,  parce  qu'on  ne  put  les  tranf- 
porter.  Des  Pruneaux  qui  faifoit  dans  cette  journée  la  fon- 
ction de  Maréchal  de  camp  avec  Racan  ,  avoit  d'abord  con- 
feillé  de  charger  ceux  des  ennemis  qui  avoient  paiïé  le  pont, 
fans  attendre  que  le  refte  de  l'armée  fût  arrivé.  Mais  le  par- 
tage du  commandement   &;  la  méfîntelligence  des  Maré- 
chaux de  camp  ,  furent  caufe  qu'on  négligea  un  confeil  iî 
fage. 

Le  duc  de  Mercœur  informé  par  les  déferteurs  des  difpo- 
iîtions  de  nos  Officiers ,  hâta  la  marche  de  fes  troupes ,  qui 
arrivèrent  à  la  vue  des  Royalîftes  plutôt  qu'ils  ne  s'y  atten- 
doient.  Ces  derniers  prirent  alors  la  funcfke  réfolution  de 
faire  retraite  en  préfence  de  l'ennemi ,  malgré  tout  ce  que 
put  dire  Damville,  qui  les  aiïiiroit  qu'on  perdoit  toujours 
beaucoup  plus  de  monde  en  fe  retirant ,  ou  dans  une  fuite  , 
que  dans  un  combat.  Il  leur  repréfenta  inutilement  que  cette 
faute  avoit  été  la  feule  caufe  à  S.  Q^ientin  de  la  défaite  du 
Connétable  de  Monmorency  fon  père ,  qui  d'ailleurs  étoic 
un  Général  d'une  expérience  confommée.  Le  prince  de 
Conti  qui  menoit  l'avantgarde  étoit  environné  d'infanterie, 
parce  que  le  terrain  étoit  coupé  de  folFés  &c  de  haïes  en  cet 
endroit.  L'arriéregarde  étoit  commandée  par  le  prince  de 
Dombes  ,  qui  avoit  fa  compagnie  de  cavalerie  foutenuë 
d'autres  cavaliers  d'élite ,  fuivis  d'une  troupe  d'infanterie 
Allemande.  Les  Anglois  qui  fermoient  la  marche  de  l'ar- 
mée avoient  avec  eux  la  cavalerie  légère  qui  les  couvroit.  On 
avoit  laijGTé  derrière  ,  les  lanciers  &  les  arquebufiers  Fran- 
çois ,  pour  efcarmoucher  contre  l  ennemi  dans  la  retraite. 

Le  prince  de  Conti  ayant  laiiïè  Craon  à  fa  gauche  ,  s'avan- 
coit  déjà  du  côté  de  Château-Gonthier  ,  fuivi  du  prince 
de  Dombes.    Nos  foldats   ejfFravés  à    la   vue   du    péril 


520  HISTOIRE 

marchoient  en  défordre  ,  lorfque  Boifdanphin  à  la  tête  de 
Henri  l'avant-garde  ennemie ,  voyant  le  prince^de  Conti  déjà  pafle, 
I  V".  -  chargea  les  Royaliftes  enqtieuë.  Il  fut  d'abord  repouflë  par 
1592.  le  duc  de  Monbazon  ,  fécondé  de  Pichery  &:  de  Sarroiiet  â 
la  tête  de  fa  compagnie  de  cavalerie.  Les  Allemands  &;  les 
Anglois  le  battirent  avec  un  courage  héroïque.  Le  prince 
de  Dombes  capitaine  5c  foldat ,  animant  les  liens  de  la  voix 
&  par  ion  exemple  ,  retourna  trois  fois  à  la  charge  ^  mais 
voyant  que  le  feu  de  fa  moufqueterie  commencoit  à  fe  rai- 
kncir  faute  de  balles  ,  6c  que  les  coups  de  fes  arquebufiers 
n'avoicnt  plus  d'eflFet ,  il  ie  retira  enfin  prefque  feul  ,  avec 
Saint- George  colonel  d'un  régiment.  Ce  fut  ainfî  que  le  duc 
de  Mercœur ,  qui  n'étoit  venu  que  pour  fecourir  les  affiégés , 
fans  aucun  delîein  de  donner  bataille  ,  remporta  une  victoire 
dans  le  tems  qu'il  y  fongeoit  le  moins. 

Le  maiïacre  fut  plus  gra,nd  après  le  combat  ,  que  le  car, 
nage  dans  l'adion.  L'infanterie  courant  en  défordre  çà  &  la 
entre  des  haïes  èc  des  folfes ,  fut  alFommée  par  les  païfans. 
Nous  perdîmes  ilx  cens  hommes  dans  cette  défaite  ,  avec 
Baferon  capitaine'des  gardes  du  prince  de  Dombes ,  &c  Tre- 
fumel  qui  avoit  rendu  de  grands  lèrvices  au  Roi  avec  fa 
compagnie  de  chevaux -légers  ,  durant  le  cours  de  cette 
guerre.  Varannes  de  la  maifon  de  Soudun  ayant  été  laiiïé 
pour  mort  fur  le  champ  de  bataille  ,  tomba  entre  les  mains 
de  Fontenelle ,  &.  le  duc  de  Mercœur  fe  faifit  du  canon  qui 
étoit  refté  en  chemin.  Cette  défake  arriva  le  24.  de  May. 
Les  Royaliftes  fe  retirèrent  à  Château  Gonthier  après  cette 
perte  ,  qu'ils  auroient  pu  réparer  ,  s'ils  ne  fe  fulFent  pas  fé« 
parés  j  mais  fe  laiflants  aller  à  la  frayeur,  ôc  la  NoblelTe  le 
prelFant  de  fe  rendre  dans  (qs  terres ,  pour  les  mettre  à  cou-, 
vert  des  infukes  de  l'ennemi ,  ce  fut  une  néceiTité  de  parta- 
•  ger  les  troupes.  C'eft  pourquoi  on  fît  fortir  la  garnifon  de  la 
place ,  où  l'on  ne  lailîa  que  la  Lande-Congrier  ,  qui  ayanc 
îait ,  pendant  que  l'armée  fe  retiroit ,  une  réponfe  équivo- 
que à  la  première  fommation  defe  rendre  ,  qui  lui  fut  faite 
par  le  duc  de  Mercocur  ,  capitula  à  l'arrivée  des  troupes  en- 
nemies. Boifdauphin  voulant  profiter  de  ce  fuccès  parut  de- 
vant les  murs  de  Laval  &  de  Mayenne  ,  qui  lui  ouyrirenE 
leurs  po;-te5  ^  à  l'exemple  de  Chiteau-G.onthierp  Le  prince 

de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CI  IL         511 

dt  Contî  fe  retira  à  Sablé  fur  la  Sarce  dans  le  Maine,  le  prin-  ';:!r:n^rr'^'r^ 
ce  -de  Dombes  à  Rennes  avec  ce  qui  lui  reftoic  d'Allemands ,  Henri 
&  les  Anglois ,  bleiTés  pour  la  plupart  ou  défarmés ,  furent     I  V. 

envoyés  à  Vitré.  *  I59i. 

Le  Roi  ayant  appris ,  lorfqu'il  pourfuivoit  le  duc  de  Par- 
me ,  la  défaite  des  Princes  ,  envoya  promptement  Mont- 
martin  à  Vitré  ,  pour  rafTûrer  par  fa  préfence  cette  ville , 
qui  étant  fur  la  frontière  de  Bretagne ,  étoit  avantageufèment 
fituée  pour  les  affaires  de  la  guerre ,  &  fur  laquelle  il  fça- 
voit  que  le  duc  de  Mercœur  avoit  depuis  longtems  des  def- 
feins.  Montmartin  logea  les  Anglois  dans  le  fauxbourg  ,  ôc 
leur  fît  donner  avec  beaucoup  d'humanité  tout  ce  qui  leur 
étoit  nécelîaire.  Lavardin  eut  aufli  ordre  de  fe  rendre  à  fon 
gouvernement  du  Maine  ,  afin  d'empêcher  que  cette  Pro- 
vince voifine  de  la  Bretagne  ,  ne  foufFrît  en  aucune  manière 
de  cette  défaite  ,  &  pour  être  à  portée  de  féconder  le  prince 
de  Conti  dans  toutes  les  occafions.  Le  maréchal  d'Aumonc 
fut  nommé  gouverneur  de  Bretagne  à  la  place  du  prince  de 
Dombes ,  que  nous  appellerons  déformais  le  duc  de  Mont- 
penfier.  Ce  Prince  ne  quitta  la  Bretagne,  que  pour  fuccé- 
der  à  fon  père  après  fa  mort  ,  dans  le  gouvernement  de 
Norm.andie.  D'ailleurs  le  Roi  ,  qui  vouloit  lui  faire  époufer 
Ja  princeife  Catherine  fa  fœur ,  étoit  bien  aife  de  l'avoir  au- 
près de  lui.  On  donna  pour  Lieutenant  au  Maréchal ,  Fran- 
çois d'Efpinay  de  Saint-Luc  ,  Officier  d'une  grande  expé- 
rience, &  qui  avoit  beaucoup  d'efprit.  Saint-Luc  étant  allé 
àBroiiage  dont  il  étoit  Gouverneur,  leva  dans  la  Saintonge 
trois  rçgimens  d'infanterie ,  &  quelques  compagnies  de  ca^ 
Valérie. 

Le  duc  de  Mercœur  s'étoit  déjà  mis  en  chemin  ,  dans  le 
deflejn  de  mettre  le  iîége  devant  Vitré  ,  fe  flattant  d'en  ré- 
duire aifément  les  habitans  confternés  de  la  mort  de  du  Pey- 
rat  Lieutenant  du  Gouverneur,  qu'un  accident  fâcheux,  ou 
plutôt ,  comme  on  le  croit ,  un  artifice  des  ennemis ,  venoic 
de  faire  périr.  Mais  ayant  appris  que  Montmartin  étoit  ar- 
rivé ,  6c  qu'il  y  avoit  dans  la  ville  environ  douze  cens  hom- 
mes ,  il  rabâtit  fur  Maleftroit.  Le  duc  de  Montpenfîer  écri- 
vit auflitôt  à  Montmartin  ,  à  Sarroiiet  ,  à  Moufche  ,  6c  à 
(d'autres  Officiers  ,  de  fe  rendre  auprès  de  lui  ,  6c  les  fie 
Tpme  XI.  V  y  y 


52i  HISTOIRE 

■  marcher  au  fecours  des  affiégés.  S'ëtant  avancés  jufqu'à  Ploer- 

H  £  N  K  1  niel ,  qui  n'eft  éloigné  de  Maleftroic  que  d'une  demi4ieuë  , 
I  V.  ils  apprirent  que  la  place  avoir  déjà  capitulé. 
i  cqz,  Peu  de  tems  auparavant ,  de  Vicques  brave  Officier  ,  qui 
faifoit  la  guerre  en  baiïè  Normandie  pour  le  duc  de  Mer- 
cœur  ,  fut  rué  devant  Pontorfon ,  place  frontière  de  cette 
Province  èc  de  la  Bretagne.  Sa  mort  délivra  Jacque  de  Mon- 
gommery  Gouverneur  de  cette  ville  ,  d'un  ennemi  dange-  - 
reux.  Après  la  prife  de  Maleftroit ,  le  duc  de  Monpenfier 
chagrin  de  ne  point  trouver  i'occafion  de  fe  fignaler ,  6C 
voyant  que  les  Anglois  ôc  les  Allemands  femutinoient ,  par- 
ce qu'on  les  tenoit  en  garnifon  à  la  défenfe  des  places  ,  les 
en  tira  dans  le  dellein  de  féconder  René  de  Rieux  de  Sour- 
deac  ,  qui  faifoit  le  fîége  de  la  tour  de  SelFonne ,  appellée 
autrement  le  Fort  de  S.  Brieuc  ,  mais  ayant  appris  en  chemin 
qu'il  avoit  levé  le  (iége  aux  approches  de  l'armée  Efpagnole  ^ 
commandée  par  le  duc  de  Mercœur  ,  de  qu'environ  trois 
cens  Lorrains  nouvellement  entrés  en  Bretagne  ,  s'étoienc 
jettes  dans  Dinan  ^  dont  ils  oc'cupoient  les  Fauxbourgs ,  il 
s'en  approcha  dès  le  point  du  jour  dans  un  grand  filence  ^ 
liiivi  de  deux  cens  chevaux  &;  d'un  détachement  d'infante-- 
rie.  Il  chargea  Montmartin  d'attaquer  ces  Lorrains ,  &  leur 
enleva  leurs  quartiers ,  après  en  avoir  tué  plufieurs.  Les  au- 
tres fe  réfugièrent  dans  une  Eglife  voifine ,  où  ils  fe  défen- 
dirent contre  les  Royaliftes. 

Le  maréchal  d'Aumont  s'étoit  déjà  rendu  à  Tours  ,  6s 
avoit  envoyé  avant  fon  arrivée  les  lettres  du  Roi  aux  Gou- 
verneurs des  places  voifînes.  Il  avoit  avec  lui  Gille  de  Sou- 
vré  gouverneur  de  Touraine.  Ayant  mandé  plufieurs  Offi- 
ciers ,  Lavardin  quitta  le  Maine  ,  Montigni  le  Berri  ,  ôc 
George  de  Clermont  d'Amboife  l'Anjou  ,  pour  ie  rendre 
auprès  de  lui.  Bouille  comte  de  Créance  ,  du  Bourneuf 
fon  frère  ,  Brandelis  de  Champagne  marquis  de  Villaine, 
ÔC  d'autres  Gentilshommes  des  environs,  lui  amenèrent  des. 
troupes,  qui  confiftoient  en  trois  cens  cuiraffiers  à  cheval, 
èc  deux  mille  cinq  cens  hommes  de  pied.  Lavardin  lui  four- 
nit deux  groiles  pièces  de  canon  ,  &  l'on  en  fît  auffi  venir 
deux  autres  d'Angers.  Le  Maréchal  alla  camper  avec  ces 
troupes  devant  Mayenne  dans  le  Maine.    Cette  place  efk 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  CIIL         523 

fîtuée  fur  la  rivière  de  Mayenne ,  qui  pafTanc  d'abord  à  Laval,  ?==='??!=?? 
coule  à  Châceau-Gonthier  ,   éc  recevant  enfuice  la  Sarte  Henri 
dans  Ton  fein  à  Carcene  ,  arrofe  la  ville  d'Angers  ,  6c  va  fe       IV. 
perdre  dans  la  Loire  ,  un  peu  au-deiïbus  de  cette  place.  Au      i  cg  2. 
bout  de  quinze  jours  de  tranchée  ouverte  ,  Mayenne  ouvrit 
fes  portes,  après  avoir  été  battue  par  l'artillerie.  On  ne  Ht 
durer  Ci  longtems  ce  fiége ,  que  pour  attirer  Boisdauphin , 
qui  étoit  à  Laval.    Le  Maréchal  efpéroit  que  ce  Seigneur 
venant  au  fecours  de  la  place  ,  il  y  auroit  occafîon  de  lui  don- 
ner bataille.    Mais  il  fut  trompé  dans  fon  attente  5  car  Bois- 
dauphin  demeura  toujours  à  Laval  ,  que  d'Aumont  avoit 
delîein  d'affiéger  après  la  prife  de  Mayenne.    Le  duc  de 
Monpenller  l'en  faii'oit  même  prefTer  par  Montmartin  ,  qu'il 
lui  avoit  dépêché. 

Les  Angevins  ayant  auffi  député  vers  lui ,  pour  le  prier 
d'avoir  égard  aux  dangers  qui  les  environnoient ,  lui  repré- 
fentérent  que  leur  ville  étant  en  ces  quartiers ,  comme  un 
rempart  contre  les  entreprifes  du  duc  de  Mercœur,  ils  étoienc 
continuellement  expolés  aux  infultes  de  ce  puiffant  ennemi  j 
2c  que  la  garnifon  de  Rochefort ,  dans  les  fréquentes  forties 
qu'elle  faifoit  même  jufqu'aux  portes  d'Angers ,  en  mettoit 
les  fauxbourgs  à  contribution.  Ils  ajoutèrent  qu'ils  ne  pou- 
voient  plus  loufFrir  une  audace  qui  les  couvroit  de  honte , 
6c  qui  étoit  d'ailleurs  d'un  exemple  dangereux  j  car  quelle 
récompenlè  de  leur  fidéHté  pourroient  efpérer  les  autres 
villes ,  fi  elles  voyoient  la  ville  d'Angers  abandonnée  aux 
infultes  de  l'ennemi.  Ils  le  conjurèrent  donc  de  fe  rendre  à 
leur  prière.  Ils  lui  dirent  ,  pour  l'engager  à  mettre  le  fiége 
devant  Rochefort  ;  Qu'il  n'étoit  pas  fi  difficile  de  forcer 
cette  place  :  Qu'il  ne  falloit  que  faifir  l'occaiîon  ,  qui  ne  pou- 
voit  être  plus  favorable  :  Qu'on  lui  fourniroit  tout  l'argent 
néceiïaire  pour  payer  (hs  foldats  :  Que  le  duc  de  Mercœur, 
dans  la  confiance  que  lui  infpiroit  fa  victoire ,  étoit  fort  éloi- 
gné :  Que  les  foldats  de  l'ennemi ,  qui  s'étoient  retirés  char- 
gés de  butin  dans  leurs  maifons  ,  n'en  fortiroient  pas  aifé- 
ment  pour  feraffembler  autour  du  Général  :  Qu'enlever  Ro- 
chefort à  l'ennemi ,  c'étoit  lui  ôter  plufieurs  places  :  Que  la 
ville  de  Laval  n*étoit  pas  affez  importante  ,  pour  lui  faire 
négh'ger  l'expédition  qu'on  lui  propofoit ,  &  tourner  toutej 

V  V  v  ij 


514  HISTOIRE 

■        Tes  forces  contre  elle  :  Qu'il  fe  laifTât  fléchir  -,  qu'il  dctruisk 
Henri  cetce  retraite  de  brigands ,  èc  délivrât  par  ce  moyen  d'une 
I  V.       tyrannie  infupportabie ,  Angers ,  tout  l'Anjou ,  le  Maine ,  le 
3  551 2.    Poitou ,  &  la  Touraine. 

La  demande  des  habitans  d'Angers  parut  d'autant  plus 
raifonnable  au  maréchal  d'Aumont ,  qu'elle  étoic  accompa- 
gnée de  grandes  ofFres  d'argent ,  &  de  munitions  de  bouche 
dont  il  manquoit  abrolument.  C'effc  pourquoi  ,  s'étant  ex- 
cufé  auprès  du  due  de  Montpenfier  d'alTiéger  Laval,  il  ne 
penfa  plus  qu'à  faire  le  fiége  de  Rochefort.  Il  donna  ordre 
à  Montmartin  6c  à  Pichery  de  le  devancer  pour  invertir  la 
place,  &  les  fuivit  bientôt  avec  le  refle  de  l'armée.  Lavar- 
din  y  vint  auffi  avec  René  de  Saint-Denis  Hertré  ,  accom- 
pagné de  quelques  troupes  d'élite.  Peu  de  jours  après ,  le 
prince  de  Conti  fe  rendit  au  camp  avec  fa  compagnie  de  ca- 
valerie. On  fit  conduire  devant  la  place  dix  grofles  pièces 
de  canon  ,  parmi  lefquelles  il  y  en  avoit  deux  ,  &  autant  de 
coulevrines  ,  que  Philippe  du  Pleflîs-Mornay  avoit  envoyées 
de  Saumur. 
sicgc  de  Rochefort  eft  iitué  fur  le  bord  de  la  Loire  au-defTous  d'An^. 
paTksRoya-  ê^^^  5  comme  dans  une  Peninfule  entre  Chalone  fur  la  ri- 
ixihs,  viére  de  Laïon,  &  un  petit  ruiiîèau,  qui  coulant  de  l'étang 

de  BrifTac ,  va  fe  rendre  dans  la  Loire  auprès  de  Meurs. 
^  Cette  place  a  pris  fon  nom  de  la  nature  du  lieu  ou  elle  eft 

bâtie  5  car  elle  eft  iituée  fur  un  rocher  d'ardoife  efcarpé  de 
tous  côtés.  Il  y  a  un  grand  nombre  de  mines  de  cette  forte 
de  pierre  en  ce  païs-là.  Rochefort  commande  la  ville  de  S» 
Symphorien  ,  à  laquelle  elle  eft  jointe  par  un  pont.  Cette 
dernière  place ,  qui  appartenoit  autrefois  à  la  maifon  de  la 
Trimouille ,  a  paiTé  par  un  mariage  dans  celle  de  Levis  de 
Mirepoix.  A  Toppofite  de  Rochefort,s'éleveun  autre  rocher 
plus  haut  appelle  la  Gueufye  ,  fur  lequel  il  y  avoit  eu  au- 
trefois un  château  ,  qui  avoit  été  ruiné  dans  les  guerres  des 
Anglois.  Ce  fut  en  cet  endroit  qu'on  fit  braquer  du  canon 
fans  beaucoup  d'efFet,  à  caufe  de  la  diftance  qu'il  y  avoit  de 
là.  à  Rochefort.  On  battit  plus  fortement  la  tour ,  la  batterie 
étant  de  niveau.  La  tranchée  ayant  été  achevée  ,  on  atta- 
cha le  mineur  au  corps  de  la  place.  La  bafterie  fut  changée 
de  place  plusieurs  fois ,  &  il  s'écoula  deux  mois  entiers  lans 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIÎI.         52^ 

tien  faire.    Saint-Luc  étant  arrivé  au  camp  avec  deux  régi- 

mens  ,  le  fîége  n'en  avança  pas  davantage  ,  par  la  méfin-  He  n  b.  i 

Eelligence  des  Officiers.  I  V. 

Enfin  la  longueur  du  fiége,  plutôt  que  les  efforts  des  aflié-  15^  2, 
geans ,  ayant  réduit  les  ennemis  à  une  extrême  difette  ,  ils 
députèrent  vers  le  duc  de  Mercœur ,  pour  l'engager  à  venir 
à  leur  fecours ,  fî-non  qu'ils  capituleroient  avec  le  maréchal 
d'Aumont.  Ces  députés  pafTérent  &  repaflérent  libremenn 
au  milieu  de  nos  quartiers  ,  à  la  faveur  des  intelligences 
que  félon  toutes  les  apparences  ils  avoient  avec  quelques-uns 
d'entre  les  Royaliftes.  Etant  rentrés  dans  la  place  ,  ils  en- 
couragèrent les  affiégés  à  tenir  bon  jufqu'à  l'arrivée  des  fe- 
cours qu'on  leur  avoit  promis.  Les  approches  de  l'hiver , 
leseauxqui  commençoient  à  groffir  ,  èc  l'arriv-ée  du  duc  de 
Mercœur  ,  à  la  tête  de  troupes  fraîches  contre  des  gens 
épuifés  de  fatigues ,  firent  échouer  l'entreprife. 

La  place  étoit  défendue  par  François  Hurtauk  de  Saint--. 
Oflfange  ,  &  par  Almeric  fon  frère.  Ils  avoient  d'abord  été 
dans  le  parti  du  Roi ,  qu'ils  abandonnèrent  après  s'être  laif^ 
fés  lèduire  par  le  defir  de  s'enrichir  du  pillage.  S'étant  faifis 
de  la  perfbnne  de  Scipion  Sardini  d'une  famille  de  Sénateurs 
de  Lucques ,  qui  alloit  d'Angers  à  Tours ,  ils  exigèrent  de 
lui  une  rançon  de  dix  mille  écus  d'or.  Enfuite  craignants; 
qu'on  ne  les  punît  d'une  action  fi  violente,  ils  comblèrent 
leur  crime  en  fe  jettant  dans  le  parti  des  ennemis.  Ils  te- 
Boient  le  fleuve  avec  une  galère  armée ,  &  ravageoient  les 
environs  dans  les  defcentes  continuelles  qu'ils  y  faifoient. 
Parn^ii  les  cruautés  qu'ils  exercèrent  dans  cette  guerre ,  la 
principale  fut  de  faire  mourir  leurs  prifonniers  de  guerre ,. 
qu'ils  foupçonnoient  d'être  Proteftans,  comme  fi  leur  fen- 
tence  eût  été  prononcée.. 

Le  duc  de  Mercœur  ,  par  mépris  pour  l'autorité  Royale^ 
avoir  tranfportè  d'abord  là  Jurifdidion  d'Angers  à  Roche- 
fore,  &  il enavoit  fait  Préfident  Jean  de  Launay  le  Maçon, 
proche  parent  de  Saint- OfFange  ,  qui  avoit  été  acculé  en 
Juftice  d'avoir  afiTaffiné  le  baron  de  la  Motte- Serrant.  Le 
Maçon  s'étoit  fait  connoître  par  la  facilité  qu'il  avoit  X 
railler  ,  par  fon  adrelle  à  éluder  les  preuves  qui  le  trouvoicnc 
contre  lui ,.  ôc  à  recufer  des  témoins.  Il  devoit  cette  fubtilito 

VVv  U'i 


51^  HISTOIRE 

■  à  feize  ans  d'une  pnTon  ennuyeufe  j  &  elle  lui  donnoîc  les 

Henri  moyens  d'embarralFer  Tes  accufateurs ,  &  de  fe  faire  des  af- 

I  V.       faires  à  lui-même  ,  par  les  décours  de  la  procédure  la  plus 

I  jf?!.     embarralTée.   Le  duc  de  Mercœur  voyant  que  \qs  plaideurs 

ne  pouvoienc  fe  rendre-  à  Rocheforc ,  transféra  cette  Jurif- 

didion  à  Nantes. 

On  traita  dans  le  même  temsavec  la  dernière  inhumanité 
un  Proteftant.  Ayant  eu  ordre  d'aller  chercher  du  bois ,  6c 
d'en  faire  un  feu  de  joye  ,  à  caufe  de  quelque  heureux  fuccès 
qu'on  avoit  eu  ,  ce  malheureux  fut  jette  dans  le  feu  &c  brûlé 
vif  à  la  viië  des  Saint-OiFange  ,  qui  applaudirent  à  cette 
barbarie.  Il  y  eut  plus  de  deux  mille  coups  de  canon  tirés 
à  ce  fiége ,  où  nous  ne  perdîmes  qu'un  petit  nombre  de  fol- 
dats  avec  Saint-George  colonel  d'un  régiment  que  le  Roi 
donna  à  Terchant  fils  de  Montmartin.  Pichery  fut  blefTé 
d'un  coup  d'arquebufe  au  vifage  ,  &  Jacque  de  la  Vigne  de 
la  Baftide  au  côté.  Le  capitaine  Magnan  reçut  à  la  cuiflè 
une  bleflure  dont  il  demeura  eftropié. 

Le  duc  de  Mercœur,  à  la  nouvelle  de  la  levée  du  fiége, 
lie  voulant  pas  demeurer  dans  l'inadion  ,  rebroulTa  che- 
min ,  êc  par  ies  marches  &;  contremarches  ,  il  mit  tout  le 
monde  dans  l'incertitude  de  ce  qu'il  avoic  deflein  de  faire. 
Enfin  il  alla  camper  devant  Quintin  au  comté  de  Laval ,  où 
il  fçavoit  que  Lifcoiiet  s'étoit  retiré  depuis  peu  avec  l'agré- 
ment du  duc  de  Monpeniicr  ,  pour  y  donner  du  repos  à  fcs 
foldats.  Cette  ville  efl  de  peu  de  défenfe  ,  à  caufe  de  fa  fitua- 
tion  défavantageufe.  Lifcoiiet  ne  fe  fentant  pas  afTez  de 
forces  pour  foûtenir  un  fiege  ,  rendit  la  place,  vie  &  bagues 
fauves ,  pour  lui  &  pour  les  Allemands  ,  dont  le  Duc  exi- 
gea une  fâcheufe  condition,  qui  fut  de  fortir  de  Bretagne, 
éc  de  n'y  porter  jamais  les  armes  à  l'avenir  pour  le  fervice 
du  Roi. 

Cette  perte  fut  fuivie  d'une  plus  confidérable.  Les  An- 
glois  s'ennuyant  de  refier  dans  l'inadion  en  l'abfence  d'E- 
douard Norris ,  qui  croit  pafTé  en  Angleterre  pour  faire  de 
nouvelles  levées  ,  firent  demander  par  leur  Commandant 
au  duc  de  Monpenfier  la  permillion  de  fe  retirer  à  Dom- 
fronr  ,  afin  que  le  changement  d'air  pût  arrêter  le  cours  des 
maladies  qui  régnoient  parmi  eux  ,  &  pour  être  plus  à  portéç 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  CIII.        527 

(îe  fe  joindre  à  leurs  compagnons  ,   qui  dévoient  bientôt 
arriver  par  Caën.   Le  duc  de  Monpenfîer  ,  qui  n'approuvoit  Henri 
point  ce  deffein  ,  leur  repréfenta  qu'ils  feroient  obligés  de       1  V. 
palTer  à  travers  un  païs  ennemi ,  où  ils  s'expoferoient  à  être      i  çg  i. 
afTommés  parlespaïTans  du  parti  de  la  Ligue.  Mais  n'ayant 
pu  les  faire  changer  de  fentiment ,  ils  partirent  au  nombre 
de  lept  cens  fous  la  conduite  de  leur  Commandant  j  s'étanc 
arrêrës  à  Ambrieres  ,  bourgade  à  trois  lieues  de  Mayenne  , 
ils  y  féiournérent  pendant  quinze  jours. 

Sur  ces  entrefaites,  Boifdauphin  ayant  aflemblc  les  gar-    lesAnglcis 
nifons  de  Laval .  de  Craon  ,  &  de  Fougères ,  vint  les  atta-  ^o"^^^""^ 

,  1  j  .,      ^  ,         '    '       .  ,  ,      par  lesLi- 

quer  dans  le  tems  que  deux  cens  a  entr  eux  croient  ailes  gueurs. 
acheter  des  vivres  à  Caën.  Qiioiqu'ils  fufîent  enveloppés, 
le  combat  fut  opiniâtre  ,  l'ennemi  y  eut  même  beaucoup  de 
monde  tué  5  mais  il  vint  enfin  à  bout  de  tailler  les  Anglois 
en  pièces  àc  de  les  diiîiper.  Il  n'en  refta  tout  au  plus  que  qua- 
tre cens ,  même  en  comptant  ceux  qui  ne  s'étoient  pas  trou- 
vés à  cette  affaire.  La  plupart  furent  faits  prifonniers  avec 
leur  Commandant,  auquel  le  duc  de  Monpenlier  avoit  écrit 
plufieurs  fois  de  revenir  le  joindre  avec  lés  troupes  ,  pour 
éviter  le  danger  qui  les  menaçoit.  Vincent  Launay  la  Chef- 
naye- Vauloiiet  gouverneur  de  Fougères  ,  reçut  dans  ce  com- 
bat une  blellure  dangereufe ,  dont  il  mourut  après  avoir 
langui  pendant  quelques  mois. 

Le  duc  de  Monpenfîer  découvrît  à  la  fin  de  l'année  une  Confpiratiou 
confpiration  ,  dont  il  punit  iëvérement  les  auteurs.  La  dé-  «^^couYcrtc 
faite  de  Craon  ayant  caufé  la  défedion  de  plufîeurs  d'entre 
les  Royaliftes  ,  Jean  de  Rieux  marquis  d'Aflerac  ,  jeune 
homme  d'un  naturel  bouillant  &  d'un  efpiit  turbulent,  fut 
de  ce  nombre.  Voulant  fîgnaler  fon  changement  par  quel- 
que coup  d'éclat ,  il  trouva  le  moyen  ,  foit  à  force  d'argent , 
foit  autrement ,  de  corrompre  la  fidélité  d'Auger  de  Cra- 
pado ,  qui  ayant  été  élevé  dans  la  mailon  du  duc  de  Mon- 
penfier,  avoit  toujours  paru  avoir  beaucoup  d'arrachement 
pour  le  Roi.  Il  le  détermina  à  livrer  à  l'ennemi  la  ville  de 
Rennes  &  le  duc  de  Monpenfier  lui-même.  Crapado  ,  pour 
mieux  couvrir  les  delTeins  ,  ic£t  nommer,  à  la  recomman- 
dation du  Duc  ,  un  des  députes  des  Etats  vers  le  Roi  j  mais 
fa  trahifon  ayant  été  découverte  par  des  indices  certains, 


523  HISTOIRE 

il  fur  arrêté  furie  champ.  On  ne  lui  eut  pas  plutôt  arrache 

He  n:  R  I  l'aveu  de  fon  crime,  que  le  Confeil  de  guerre,  donc  leju- 

I  V.       gement  fut  ratifié  par  le  duc  de Montpenfier,  le  condamna 

I  J92,     à  avoir  la  tête  tranchée.  Sa  mort  caufadegrands  murmures  j 

6c  la  plupart  furent  indignés  que  fous  les  yeux  du  Parlement, 

^  dans  la  Capitale  de  la  Province,  un  homme  d'une  no^ 

blefle  diftinguée  eut  été  condamné  â  mort  par  d'autres  Juges 

que  par  içs  Juges  naturels. 

Lorfque  le  maréchal  d'Aumont  partit  pour  fe  rendre  en 
Bretagne  ,  le  duc    de  J3ouillon  fe  retira    à  Sedan  avec  la 
permiirion  du  Roi.  Il   apprit  dans  cette  ville  qu'Africain 
d'Anglure  d'Amblife  ,  grand  Maréchal  dç  Lorraine  ,  avoic 
alfemblé  les  garnifons  de  Verdun  ^  de  Villefranche  ,  &  de 
pun,  pour   en   faire   une  armée   de  deux  mille  hommes 
d'infanterie  ,  ôc  de  fept  cens  chevaux,  avec  cinq  pièces  de 
canon  montés  fur  leurs  afFuts ,  &c  qu'après  avoir  brûlé  le 
bourg  de  la  Mark ,  il  avoit  mis  le  fiége  devant  Beaumonc 
place  de  peu  de  défenfe  dans  la  forêt   d'Argonne.  Ayant 
réfolu  de  marcher  au  fecours  des  alîiégés  ,  il  manda  aulîi- 
tôt  les  Gouverneurs  des  villes  foûmifes  au  Roi,  ôçleurre- 
préfenta  que  la   prife  de  cette  petite  place  cxpofoit  Mou- 
Ion,  qui  étoic  de  plus  grande  importance  •  il  fît  venir  auprès 
de  lui  les  garnifons  de    Stenay  ôç  de  Doncheri ,  comman- 
dées par  la  Perrière  Andiran,  ^  par  Remilly  j  &:  fe  mit  en 
chemin  le  13.  d'Odobre  avec  d'tflivaux,  de  Hauves  ,  ôC 
d'autres  Gentilshommes ,  qui   faifoient  quatre   cens   cava.. 
Jiers.  Dès  qu'il  fe  fut  approché  de  Beaumont,  il  s'avança 
avec  un  détachement  décent  hommes,  à  la  faveur  d'une 
efcarmouche  qu'il  engagea,  ^  fit  glifler  quelques  cavaliers 
dans  cette  place,  lorfque  les  affiégeans ,  après  avoir  batti; 
vivement  les  murs,  s'apprêtoient  à  forcer  la  brèche, 
ÎCombat  en       j^^  ^^^^  ^^  Bouillon  contcnt  de  les  avoir  empêchés  par 
liftes  &  les     fa  préfence,  &  d'avoir  rafTûré  les  afîiégés  ,  fe  retira  à  Rau- 
Ligueurs.       cour  place  de  fon  Duché.  Mais  penfant  enfuite  qu'après  la 
prife  de  Beaumont ,  les  ennemis  alîlégeroient  Moulbn  ,  donc 
Ja  perte  cauferoit  un  grand  préjudice  aux  intérêts  du  Roi 
fur  la  frontière,  ôc  aux  fiens  propres ,  il  réfolut  de  rifquer 
une  bataille.  Ayant  grofîi  fes  troupes  de  cent  cuiralîiers  à 
cheval ,  que  Mailly  de  Rumenil  gouverneur  de  Maubert  lui 

envoyoiç^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.   CIIL        529 

cnvoyoît,  &  de  trois  cens  chevaux  qu'il  leva  de  tous  cô- 
tés, il  marcha  contre  les  ennemis.  Deux  efcadrons  de  ca-  Henri 
Valérie  commandés  par  Marry  Lieutenant  d'Eftivaux ,  par  I V. 
de  Hauves  &  R^emilly ,  eurent  ordre  de  prendre  les  devants ,  1591. 
&  de  fe  pofter  entre  l'ennemi ,  6c  l'infanterie  qui  fut  mife 
à  la  gauche  près  de  quelques  mafures.  Ses  troupes  étant 
ainfî  difpofées,  le  Duc  chargea  l'ennemi  avec  beaucoup  de 
vigueur.  DambhTe  avoit  mis  fur  la  gauche  pour  la  garde 
de  fon  canon ,  de  l'infanterie  Francjoife ,  Allemande  ,&  Lor- 
raine i  trois  bataillons  s'étoient  avancés  par  fes  ordres  fur 
une  hauteur,  dont  le  duc  de  Bouillon,  fuivi  de  la  Perrière 
d'Andiran,  de  Pouilly,de  Loppes,  qui  ne  faifoit  que  d'arriver 
de  Stenay  avec  fes  ioldats  ,  de  Corné  &  de  Rumenil ,  vou- 
loit  auiGi  fe  faifir.  Le  combat  s'échaufFa  dans  cet  endroit  ; 
l'ennemi  en  fut  enfin  chalTé ,  ôc  mis  en  déroute  en  fe  reti- 
rant vers  l'infanterie. 

Le  Général  périt  avec  la  plupart  des  fîens  dans  cette  viaoîre  du 
adion  ^  &  le  duc  de  Bouillon  y  reçut  deux  blelTures,  l'une  ducdeBomir 
au-deflbus  de  l'œil  droit ,  de  l'autre  dans  le  bas-ventre.  Cet  ^°"* 
accident  l'empêcha  de  pourfuivre  davantage  les  fuyards  j 
mais  il  donna  ordre  à  Rumenil  ôc  à  Betancourt  d'attaquer 
l'infanterie ,  qui  continuoit  à  battre  les  murs  de  la  place 
avec  beaucoup  de  violence.  Les  aflîégés  ayant  fait  dans  le 
même-tems  une  fortie  pour  féconder  T'eifort  des  Royaliftes  , 
les  Ligueurs  enveloppés  de  toutes  parts  furent  enfin  taillés 
en  pièces.  On  s'empara  de  leur  canon  de  des  drapeaux, 
tant  de  l'infanterie  que  de  la  cavalerie.  Ils  perdirent  plus 
de  cinq  cens  hommes  ^  nous  n'eûmes  qu'un  petit  nombre 
de  foldats  tués  j  il  n'y  eut  que  Haraucourt  èc  quelques  autres 
faits  prifonniers.  On  défarma  trois  cens  Allemans,  qui  fe 
rendirent  avec  Nicolas  Granvilliers  leur  Commandant.  La 
vie  leur  fut  accordée ,  à  condition  de  ne  point  fervir  de 
toute  cette  année  contre  le  Roi ,  6c  contre  ceux  de  Stras- 
bourg. 

Qiielque  tems  après ,  Noël   Richer  ,  homme  de  beau-      Entreprifc 
coup  décourage  &  d'induflrie ,  donna  au  duc  de  Bouillon  {^"cfc^de^" 
le  plan  de  la  ville  de  Dun  fur  la   Meufe  à  cinq  lieues  de  Bouillon. 
Sedan.  Ce  Général  découvrit  par  ce  moyen  qu'il  étoic  fa- 
cile d'approcher  de  la  haute- ville,  qui  avoit  trois  portes , 
Tûfr,e  XI.  XXx 


530  HISTOIRE 

&  qu'on  pouvoir  aiTcmenc  faire  fauter  avec  le  përarcî  les 

Henri  deux  portes  intérieures  ,  qui  n'étoient  féparées  que  par  une 

I  V.       herfe ,  qu'il  étoit  aifé    de  tenir  fufpenduë  en  mettant  des 

I  f  9  2,     appuis  deffous  j  enforte  que  le  foldat  pût  le  glilTer  par-là  fans 

danger  dans  la  ville. 

Le  Duc ,  dans  la  réfolution  de  fe  fervir  de  ces  connoilTan- 
ces,  partit  le  6.  de  Décembre  à  la  tête  de  fes  troupes,  avec 
des  Autels,  de  Morgny,  de  Fontaines,  de  Vaudoré,de  Vendy 
&  de  Rémilly.  Ils  arrivèrent  vers  le  milieu  de  la  nuit  de- 
vant la  place  ,  après  avoir  lailTé  leurs  chevaux  dans  le  voifi- 
nage.  Ceux  qui  dévoient  appliquer  le  pétard  ,  d>c  arrêter  la 
herfe  ,  marchèrent  devant ,  fuivis  de  dix  cuiraffiers ,  &  d'un 
pareil  nombre  d'arquebufiers  commandés  par  Marry.  De 
Caumont  marchoit  après  eux  avec  deux  cens  arquebufiers^ 
qui  ayant  fait  quelque  bruit  en  avançant  au-delà  du  faux- 
bourg  oppofé  s'approchèrent  de  la  porte.  La  fentînelle  6c 
Mouza  gouverneur  de  la  place  leur  ayant  demandé  qui  ils 
étoient,  Richer,  quîconduifoit  l'entreprife  répondit ,  après 
avoir  appliqué  le  pétard ,  que  c'ètoit  le  duc  de  Bouillon 
qui  vouloir  dîner  dans  la  ville.  Le  pétard  ayant  brifé  la 
première  porte,  on  le  fît  jouer  aufTitôt  contre  la  féconde, 
qui  en  fut  renverfèe.  La  garnifon  ayant  lâché  la  herfe  ^ 
Richer  fut  écrafé  par  une  pierre  j  èc  comme  on  ne  put  ap- 
porter à  tems  les  appuis  pour  arrêter  cette  herfe,  on  fut 
obligé  delà  faire  fauter  avec  deux  pétards.  Environ  foîxante 
foldats  s'ètant  jettes  dans  la  place  par  l'ouverture,  ils  fu- 
rent bientôt  fuivis  d'un  plus  grand  nombre  ,  malgré  le 
danger. 

Il  y  avoît  deux  efcadrons  de  cavalerie  avec  une  compa- 
gnie d'infanterie  dans  la  haute-ville,  &  quatre  dans  la  bailè, 
qui  ne  purent  venir  au  fecours  de  leurs  compagnons ,  parce 
que  les  Royalifles  avoient  fermé  le  guichet.  On  combattit 
longtems  dans  les  ténèbres  avec  difFèrens  fuccès  depuis 
trois  heures  du  matin  jufqu'à  fept.  Caumont  ayant  été 
dangereufement  blelfé ,  fut  conduit  par  les  ennemis  dans 
une  hôtellerie  voifîne,  êc  la  victoire  demeura  incertaine. 
La  garnifon  couroit  fur  le  rempart  en  criant  vidoire,  afin 
d'épouvanter  les  Royaiiftes  qui  entroient  à  la  file. 

Le  duc  de  Bouillon  lui-même,  dans  l'incertitude  de 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  cm.     531 

révénement,  tournoie  autour  de  la  place  pour  voir  fi  Tes  fol-  "— — "^^ 
dacs  ne  lui  donneroient  aucun  fignal.Dans  le  mêinecems,  Henri 
de  Loppes  ayant  planté  des  échelles  près  du  guichet  fe  jetta       I  V. 
dans  la  place  avec  un  détachement.  Le  combat  fe  rétablit     1591, 
à  fon  arrivée  j  la  garnifon,  déjà  épuifée  de  fatigues  fe  retira 
dans  la  tour ,  où  elle  fe  rendit  enfin  environ  à  l'heure  de 
midi.  Ceux  qui  étoient  dans  la  ville- bafie  ,  effrayés  du  mal- 
heur de  leurs  compagnons,  fe  fauvérent  à  la  hâte,  après 
avoir  mis  le  feu  à  la  ville.  Le   Duc  y  mit  une   nombreufe 
garnifon ,  répara  le  dommage  caufé  par  l'incendie ,  6c  revint 
en  triomphe  à  Sedan. 

La  guerre  ne  fe  fit  pas  avec  beaucoup  de  vigueur  cette  confpration 
année  dans  la  Guyenne.  On  découvrit  au  mois  d'Août  une  duGouver- 
confpiration  formée  par  le  gouverneur  de  Fontarabie ,  pour  "^g'^fg^^/^"* 
livrer  aux  Efpagnols    Bayonne,  ville   confidérable   fur  la  couverte, 
frontière.  Ce  Gouverneur  entretenoit  commerce  avec  un 
Médecin  de  Bayonne  nommé  Blancpignon  ,  par  le  moyen 
d'un  Efpagnol  qui  demeuroit  depuis  longtems  dans  cette 
ville.  Il  offrit  à  cet  homme  avare  de  grandes  fommes  d'ar- 
gent pour  l'engager  à  commettre   cette  trahifon.    Ce  dé- 
teftable  complot  iè  découvrit  par  des  lettres  interceptées, 
où  Blancpignon  diloit  en  termes  de  médecine ,  qu'il  étoit 
nécelTaire    de  faire  promptement  une  faignée  abondante 
pour  la  guérilon  de  la  maladie  dont  il  parloit.  Le  porteur 
de  ces  lettres   ayant  été  faifi  avoiia  quelque  chofe  de  la 
confpiration ,  dont  on  tira  le  refle  de   la  bouche  du  mé- 
decin 6c  de  l'Efpagnol ,  qu'on  avoit  arrêtés  fur  le  champ  ÔC 
mis  à  la  queftion. 

Le  brave  la  Hilliére  Gouverneur  de  la  ville,  qui  avoic 
beaucoup  d'attachement  pour  les  intérêts  du  Roi ,  ayant 
appris  des  coupables  que  la  flote  qu'on  armoit  dans  le  voî- 
finage  étoit  deîlinée  à  fair^  réufiir  cette  entreprife,  réfolut 
d'attirer  les  Efpagnols  dans  le  piège  où  ils  avoient  voulu 
le  faire  tomber.  Il  promit  donc  à  l'Efpagnol  de  lui  donner 
fa  grâce,  s'il  vouloir  écrire  de  fa  main  une  lettre  que  lui- 
même  avoit  compofée ,  pour  que  les  Efpagnols  ne  fe  dé- 
fiants de  rien  ,  vinfTent  fè  livrer  à  fa  difcrétion  5  mais  ce 
malheureux,  fans  être  ébranlé  par  la  crainte  de  la  mort, 
qu'il  fcavoit   être  une  fuite  néceiTaire    de  fon  refus  ,  fie 

XXxij 


53  i 


HISTOIRE 


-  paroître  autant  de  fermeté  pour  ne  point  trahir  fa  patrie^ 
Henri  que  le  Médecin  s'ëtoit  lâchement  déterminé  à   livrer  la 
I  V.       fienne  aux  ennemis  •  ôc  facrifia  généreufement  fa  vie  pour 
jcqz,     fauver  (es  compatriotes.  Le  Médecin  (i)  êclui  furent  exé- 
cutés dans  la  place  publique. 
Expéditions       Sur  la  fin  de  l'année ,  le  maréchal  de  Matignon  com- 
cn Guyenne,  j^^^ndant  en  Guyenne,  inveftit    le  Fort   de  Villandrade^ 
que  le  pape  Clément  V,  avoit  fait  bâtir  autrefois.  Lagar- 
nifon  de  cette  place  faifoit  continuellement  des  courfes  juf- 
qu'aux  portes  de  Bordeaux.   Le  Maréchal  prit  à  compofi- 
tion  ce  Fort ,  où  il  perdit  Vivans  ce  fameux  capitaine  de 
chevaux-Légers ,  qui   avoit   fait  plufieurs  campagnes  fous 
Henri  avant  qu'il  fut  roi  de  France.  Peu  de  tems   avanc 
les  fêtes  de  Noël ,  on  mit  ,  à  la  follicitation  des  habicans 
de  Bordeaux  6c  des  environs,  le  fîége  devant   la   ville  de 
Blaye  ,  appellée  autrefois  la  Militaire  ,  fituée   à  l'embou- 
chure de  la  Garonne.  Jean- Paul  d'Efparavers  ou  d'Efpar- 
bez  deLufTan,  qui  en   étoit  Gouverneur  pour  la  Ligue, 
piratoit  fur  toute  la  Garonne ,   qui  eil:  la  rivière  la  plus 
marchande  du  Royaume.  Commeonprévoyoicque  le  fiége 
tireroit  en  longueur  ,  on  fie  de  grands  préparatifs ,  ôc  on 
amaffa  beaucoup  d'argent  ^  mais  ce  fut  fans  aucun  fuccès , 
comme  nous  le  verrons  dans  la  fuite. 
Guerre  dans       Qn  fit  la  guerre  avec  de  plus  grandes  forces  dans  le  Qiiercy 
d^an^feTan-    ^  dansle  Languedt)C.AntoineScipion  dejoyeufe  agilToitplus 
guedoc.         pour  Ï.Ç.S  propres  intérêts  que  pour  ceux  de  la  Ligue  &  du  duc 
de  Mayenne.  Ce  jeune  Seigneur  plein  de  bravoure  joignoic 
à  la  ipîendeur  de  fa  Mailon  qui  étoit  très- puifiante  dans 
cette  Province  ,   au  fouvenir  d'Anne  de  Joyeufe  fon  frère 
tué  à    la  bataille   de  Coutras  ,  ôc  au  crédit  du   cardinal 
François  &  de  Henri  comte  de  Bouchages  fes  autres  frères, 
des  qualités  brillantes ,  6c  l'amitié  des  peuples.  Ayant  reçu 
de  la  part  du  roi  d'Efpagne  des  croupes  Allemandes  &  d'au- 
tres troupes ,  il  avoir  pris  plufieurs  villes  en  Languedoc, 
&  s'étoit  faifi  tout  récemment  de  la  ville-bafTe  de  Carcafibne, 
ayant  toujours  été  maître  de   la  haute-ville,  où  le  palais 


(i)  Ce  Blancpignon  étoit  natif  de 
Troyes  en  Champagne  ,  8c  ne  fut  point 
sxécuté  pour  cette  confpiration,  ayant 


ve'cu  fort  longtems  depuis  >  ôc  jufqu'à- 
I  âge  de  8o,  ans,  P«  P^'j» 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  v.  CIII.       535 

Epifcopal  eft  bâti.  Après  avoir  manqué  fon  coup  au  moîs        - 
de  Mars  fur  Lautrec  en  Albigeois ,  il  s'empara  de  Trapepar  Henri 
force  ôc  par  artifice.  I  V. 

De- là  tournant  vers  le  Quercy,  &  ayant  ravagé  la  cam-     15^2., 
pagne  aux  environs  .de  Montauban ,  èc  répandu  au  loin  par 
le  îer  &  la  flamme  la  terreur  de  ion  nom  3  il  fe  rendît  aifé- 
ment  maître  de  Monbequin  ,  Monbeton  èc  Monbartier.  Il 
prit  enfuite   à  compo/îtion  le  Fort  de   la  Barte  5  mais  il 
ne  garda  pas  les  conditions  du  traité  de  la  capitulation. 
Après  la  prife  de  Saint  Mauris  il  demeura  pendant  quelque 
tems  campé  devant  Maufac  ,  dont  la  garnifon  ayant  efTuyé 
quatre  cens  coups  de  canon  ,  fe  rendit  enfin  à  compofî- 
tion.  Il  fit  toutes  ces  conquêtes  dans  le  mois  de  Juin.  Enflé 
de  ces  fuccès  ,   il   alla   mettre  le  flége   devant  Villemur 
place  fîtuée  fur  le  Tarn,  entre  Rabafteins  6c  Montauban. 
Reniers  défendoit  avec  une  garnifon  de  trois  cens  hommes 
cette  ville,  au  fecours  de  laquelle  les  Confuls  de  Montauban 
appellérent  Pons  de  Loriéres  de  Themines  ,  qui  y  fît  entrer 
cinquante  cuirafîiers  fous  la  conduite  du  brave  de  Pedouë. 
A  la  nouvelle  de  la  mort  de  la  Valette,  que  nous  rap- 
porterons bientôt ,  le  duc  d'Efpernon  fon  frère  étoit  fur  le 
point  de  partir  pour  la  Provence   avec  de  bonnes  troupes, 
Themines  avoit  obtenu  de  lui   qu'il  prendroit  fon  chemin 
par  le  Quercy  pour  fecourir  Villemur.   Ce  Général  avoir 
avec  lui  cinq  cens  cuiralTiers  à  cheval ,    de  autant  d'arque- 
bufîers  3  à  fon  approche  le  duc  de  Joyeufe,  dont  les  forces  , 
étoient  inférieures,  jugeant  qu'il   étoit  à  propos  de  céder 
au  tems,  leva  le  fiége  &  fe  retira.  Leduc  d'Efpernon  l'ayant 
appris  s'en  retourna  en  Languedoc  ,  êc  laifla  généreufement 
ies  troupes   à  Themines  ,   qui  s'en  fervit   pour  réprendre 
Maufac ,  &  fe  rendre  maître  du  Fort  de  la  Court  dans  le  voi- 
fmage  de  Montauban. 

Le  duc  de  Joyeufe  ayant  été  averti  que  les  arquebuflers 
du  duc  d'Efpernon  marchoient  en  défordre,  fondit  fur  eux 
dans  le  tems  qu'ils  s'y  attendoient  le  moins.  Ce  fut  vers  le 
milieu  de  la  nuit  du  18.  de  Juin.  Il  en  tua  quatre  cens,  & 
leur  enleva  deux  coulevrines.  Themines  arrivant  Jorfqu'ii 
poufToit  fa  pointe  ,  l'arrêta  par  fon  courage,  reprit  le  canon  ^ 
&  le  ramena  à  Montauban,. 

XXxiîi 


554 


HISTOIRE 


■ti'  Le  duc  d^Efpernon  frappé  de  cecce  défaite  revint  prompte-' 

Henri  ment  fur  Iqs  pas  avec  de  nouvelles  troupes  ^  &  ayant  puni 
I  y  la  licence  de  les  foldats  ,  qui  avoient  eux-mêrnes  donné  oc- 
i^g^  cafîonà  l'ennemi  de  les  lurprendre,  il  continua  fa  route 
vers  la  Provence ,  où  il  arriva  enfin  le  mois  fuivant  après 
une  longue  èc  pénible  marche.  Son  départ  remit  le  duc  de 
Joyeufe  en  liberté  de  recommencer  le  liége  de  Villemur 
avec  plus  de  vigueur  qu'auparavant.  Il  ouvrit  la  tranchée 
Je  I  o.  de  Septembre ,  ôc  battit  la  place  avec  huit  grolTes  piè- 
ces de  canon,  ôcdeux  coulevrines.  Reniers  gouverneur  de 
la  ville  y  ayant  lailfé  Maufac  ,  Cambert ,  ôc  laChaife, 
braves  Officiers,  accourut  à  Montauban  pour  y  concerter 
avec  Themines  les  moyens  de  fecourir  les  alTiégés.  Defme 
ie  rendit  auiîi  dans  cette  ville  avec  quelques  troupes  d'éHte. 
Themines  réfolu  de  jetter  du  fecours  dans  Villemur,  à 
quelque  prix  que  ce  fût,  fe  mit  en  marche  le  i  «>.  de  Sep- 
tembre à  neuf  heures  du  foir  à  la  tête  de  lix  vingts  cuî- 
rafîiers ,  èc  de  deux  cens  arquebufîers  choifis ,  avec  la  Mag- 
delaine  ,  Bonecofte ,  d'Entragues,  du  Gros,  Baffignac  ,  de 
Mures,  Moftolac,  de  Bure,  Calvet ,  Bourjade  ,  d'Alégre, 
CapbolTu  ,  Confiant ,  ôc  Subfbl.  Dès  qu'il  fut  un  peu  avancé, 
il  fît  mettre  pied  à  terre  à  ies  troupes ,  renvoya  les  chevaux 
à  Montauban,  &c  continuant  fa  route  dans  un  profond  fî- 
lence  ,  il  entra  fans  danger  dans  Villemur  avec  tous  fés  fol- 
dats.  La  brèche  ayant  été  ouverte  le  lendemain  ,1e  duc  de 
•  Joyeufe  donna  un  afïaut ,  qui  fut  foûtenu  avec  perte  du  côté 
des  affiégeans. 

Themines  fit  une  fî  belle  réfîflance ,  que  l'ennemi  défcC- 
pérant  de  réufTir  dans  fon  entreprifé  fongeoit  à  l'abandon- 
ner ,  lorfqu'il  recrut  de  Touloufe  un  régiment  d'infanterie, 
avec  des  boulets ,  de  la  poudre,  des  piques ,  &L  des  fourches 
de  fer.  Ce  renfort  èc  ces  munitions  l'engagèrent  à  continuer 
le  fîége.  Les  afTiègés  taillèrent  entièrement  en  pièces  dans 
une  fortie  ce  régiment ,  qui  n'étoit  compofé  que  de  nou- 
velles milices.  L'ardeur  des  affiégeans  venant  à  fè  ralentir, 
ils  n'agirent  plus  qu'avec  lenteur  ,  malgré  tous  les  efforts 
que  faifoient  Onoux  &  Monberault  principaux  Confeillers 
du  duc  de  Joyeufe  ,  &  fes  premiers  Officiers,  pour  s'emparer 
de  la  ville  avant  l'arrivée  des  troupes  auxiliaires. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CÎII.       535 

Pendant  ce  cems-là  ,  Henri  de  Montmorency  gouverneur 


de  Languedoc ,  regardant  comme  une  ehofe  indigne  d'à-  Henri 
bandonner  tant  de  braves  gens ,  &  Themines  lui-même  I  V. 
qui  étoitallé  s'enfermer  avec  les  affiégés ,  au  danger  qui  les  i  co  ^^ 
menaçoit,  donna  ordre  à  Antoine  de  Pleyx  de  Leques ,  vieil 
Officier,  à  Chambaut,  de  àMontoifon,  d'aller  avec  leurs 
troupes  faire  lever  le  fiége ,  à  quelque  prix  que  ce  fût.  Ces 
Officiers  s'étant  rendus  à  Montauban  s'y  arrêtèrent  pen- 
dant quelques  jours,  fur  le  bruit  qui  courut  que  le  marquis 
de  Vilîars  amenoit  de  nouvelles  troupes  au  duc  dejoyeufe. 
Ce  bruit  s'étant  trouvé  faux ,  ils  apprirent  que  Saint- Vincent 
gouverneur  de  Roiiergue  ,  ôc  le  baron  d'Apcher ,  avoient 
amené  de  Gevaudan  ,  d'Auvergne,  Si  du  Velay  douze  cens 
arquebulîers  aux  ennemis.  C'eft  pourquoi  ayant  jugé  à  pro- 
pos d'attendre  quelque  tems  ,  ils  écrivirent  au  maréchal 
de  Matignon  de  leur  envoyer  des  renforts  5  mais  celui-ci 
s'en  étant  excufé ,  ils  s'adrellérent  à  Meffillac  de  Raftignac 
gouverneur  d'Auvergne ,  homme  d'un  courage  infatigable  ,• 
&  le  prièrent  de  marcher  au  fecours  de  Themines  avec  ce 
qu'il  avoir  de  troupes.  Meflillac  partit  à  la  tête  de  cent 
Guiraffiers  à  cheval,  ôc  de  deux  cens  arquebufîers  en  bon 
état  ,  &  fe  joignit  à  ces  trois  Officiers,  avec  lefquelsil 
fe  rendit  à  Beilegarde,  oii  le  duc  de  Joyeufe  alla  bientôt  les 
attaquer  à  la  tête  de  l'élite  de  fa  cavalerie  &  de  Ces  arque- 
bufiers ,  après  avoir  laillé  un  nombre  fuffifant  de  fbldats  à 
la  tranchée. 

Il  y  eut  en  cet  endroit  un  rude  combat,  où  les  Royalifles 
furent  d'abord  forcés-  maisLecques  &:  Chambaut  étants 
furvenus  rétablirent  le  combat,  en  tournant  à  propos  la 
bouche  du  canon  contre  les  ennemis.  Le  capitaine  du  Mas,. 
Bataille,  Rentière,  Pujol,  Saint-Genys,  &  la  Vernaye  fe 
iîgnalérent  en  cette  action.  Les  deux  armées  fe  retirèrent 
fans  qu'on  pût  s'attribuer  lavidoire  de  l'un  ou  de  l'autre 
côté.  Leducde  Joyeufe  étant  retourné  au  lîége  fit  allumer 
des  feux  de  joye  pour  jetter  la  confternation  parmi  les  affié- 
gés,  en  leur  faifant  croire  qu'il  avoît  battu  les  Royaliflcs^ 
Ses  foldats  même  fe  réjouifloient  hautement  de  la  préten- 
due défaite  des  troupes  auxiliaires  •  mais  Themines  ne  don- 
nant point  dans  le  piège ,  éxliorta  les  affiégés  à  fe  défendre' 


53^  HISTOIRE 

jufqu'à  rextrémîté,  ôc  les  aiFermit  dans  cette  gënéreufe  ré- 
Henri  folution  par  Ton  ardeur  à  partager  le  péril  avec  eux. 

I  V.  Le  vicomte  de  Gourdon,  &  bientôt  après  Gifcard  étant 

i<Qi,  arrivés  au  camp  des  Royaliftes  avec  quelques  troupes ,  on 
afTembla  le  Conieil  de  guerre,  où  l'on  propofa  de  s'empa- 
rer d'abord  des  Forts  du  Cloz,  ôc  de  la  Baftide  dans  le 
voifinage.  L'auteur  de  cet  avis  l'appuya ,  en  difant  que  nos 
troupes  s'étant  faifies  de  ces  poftes ,  la  proximité  de  notre 
armée  empêcheroit  l'ennemi  de  donner  des  afîauts ,  èc  l'obli^ 
geroit  enfin  à  lever  le  fiége ,  lorfqu'on  l'auroit  longtems  fati- 
gué en  lui  faifant  enlever  ies  convois  par  des  partis.  Ceux  qui 
n'approuvoient  pas  cette  réfolution/odtenoient  au  contraire  ; 
Qu'il  étoit  à  craindre  que  les  alTiégés  ne  perdiiFent  cou» 
rage  :  Qu'il  arriveroit  du  moins  qu'ils  conlumeroient  inu- 
tilement tout  ce  qu'il  y  avoit  de  vivres  dans  la  place, 
tandis  que  l'ennemi  n'en  manqueroit  pas ,  étant  auflî  près 
deTouloufe,  d'où  il  tireroit  non  feulement  des  troupes, 
mais  encore  tout  ce  dont  il  auroit  befoîn  :  Qu'il  étoit  donc 
plus  à  propos ,  puifqu'on  étoit  réfolu  de  fecourir  la  place , 
de  tenter  le  fort  des  armes  :  Que  l'ardeur  des  foldats  étoit , 
pour  ainfî  dire,  un  fur  garand  de  la  vidoire:  Que  les  enne- 
mis épuilés  de  fatigues  n'étoient  pas  d'ailleurs  fîfupérieurs 
en  nombre  :  Que  le  voyant  enveloppés  d'un  côté  par  les 
affiégés ,  ôc  de  l'autre  par  les  troupes  auxiliaires ,  ils  n'au- 
roient  d'autre  parti  à  prendre, que  celui  de  lever  le  fiége.  Cet 
avis  l'emporta  dans  le  Confeii  j  Maufac  l'approuva  le  pre- 
mier, de  fut  fuivi  de  Lecques  &  de  Gourdon,  vieux  Offi- 
ciers ,  qui  retenus  par  une  longue  expérience ,  &  par  leur 
prudence  naturelle,  s'étoient  d'abord  déterminés  à  ne  rien 
hafarder. 

Dans  cette  réfolution ,  l'armée  ayant  été  rangée  en  ba- 
taille, Meflillac  eut  le  commandement  de  l'avant-garde. 
Cet  Officier  avoit  rélolu ,  même  au  péril  de  fa  vie ,  d'ar- 
racher Themines  fon  ami  intime  au  danger  où  il  le  trou- 
voit  expofé.  Chambaut  menoit  le  corps  de  bataille  jôc  Lec- 
ques étoit  à  l'arriére-garde.  On  comptoit  quinze  cens  cui- 
raffiers  à  cheval ,  ôc  environ  trois  mille  arquebufiers  dans 
l'armée  des  Royaliftes.  Celle  du  duc  dejoyeufe  étoit  com- 
pofée  de  quinze  cens  chevaux,  de  de  quatre  mille  hommes 

d'infanterie , 


DE  J.  A.  DE  THOIT,  Lîv.  cm.      537 

d'infanterie,  y  compris  quinze  cens  Allemands.  Les  coureurs jl_-— ' 

qu'on  avoir  envoyés  à  la  dëcouverce  ayant   rapporté   que  Henri 
ie  duc  de  Joyeufè  ne  foupconnant   rien   du  defïèin   de  nos       IV. 
Généraux  ,  avoir  difperlé  fa  cavalerie  dans  les  bourgs  aux     i  coz. 
■environs  j    on  jugea  à  propos  de   faifir  Toccalion  favora- 
ble qui  fe  préfentoit.  C'eftpourquoi  l'armée  ayanr  mis  l'ar- 
tillerie à  Saint  Leophaire ,  pourfuivit  fa  route  au  milieu  des 
ténèbres ,  avant  que  l'ennemi  fût  inftruit  de  la  marche  de 
nos  croupes. 

De  Clâufel  eut  ordre  le  Lundi  10.  d'Odobre  d'occuper 
avec  cinq  cens  arquebufiers  le  bois  de  Villemur,  pofte 
avantageux ,  afin  d'avoir  une  retraite  aflurée ,  s'il  arrivoit 
qu*on  eût  du  deiîbus.  L'armée  s'écant  avancée  plus  loin  parut 
enpréfence  du  duc  de  Joyeufe  ,  qui  frappé  de  l'arrivée  im- 
prévue de  nos  troupes  fît  tirer  trois  coups  de  canon  ,  fignal 
dont  il  étoit  convenu  pour  rappeller  fa  cavalerie.  Il  failoic 
d'abord  chaiîèr  deux  cens  hommes  de  la  première  tranchée, 
qui  conduite  depuis  le  boisjufqu'à  la  ville,  fermoit  le  che- 
min qui  étoit  entre-deux.  De  Ciaufel  &  Montoifon  com- 
inandés  pour  cette  attaque  tombèrent  avec  tant  d'impé- 
tuofîté  fur  ces  troupes  déjà  effrayées ,  que  la  tranchée  fut 
bientôt  nétoyée,  fans  beaucoup  de  réfifbance  de  leur  part  j 
ôc  malgré  quatre  cens  hommes  de  troupes  fraîches  qu'on 
envoya  contre  les  Royalifles.  Le  capitaine  Labia  d'Avignon 
périt  dans  cette  occafion. 

Le  duc  de  Joyeufe  ne  fe  démonta  point  à  la  vue  dupé-     Le  duc  de 
ril  :  ôc  quoiqu'il  s'apperçût  que  fes  foldats  commençoientà  î°^^"^VÎ. 

T  o     ^     J    r /•     '       ^    1      1      ^-o     •  -1  J       •  1      \-  battu,  &  le 

plier ,  ùc  a  deleiperer  de  la  victoire,  il  en  devint  plus  terme,  noyé. 
6c  diftribua  promptement ,  avec  beaucoup  de  préfence  d'ell 
prit ,  des  foldats  pour  défendre  les  retranchemens  élevés 
aux  angles  de  la  féconde  tranchée.  Courant  lui-même  de 
rang  en  rang ,  il  exhortoic.  {qs  foldats  de  la  voix  ,  2c  par 
ibn  exemple  3  mais  l'armée  des  Royaiiftes  qui  avoit  eu 
beaucoup  de  peine  à  palîér  des  défilés,  ayant  paru  toute  en- 
tière, on  donna  fur  la  tranchée  défendue  par  toute  l'infan- 
terie des  ennemis ,  &  on  combattit  avec  beaucoup  de  chaleur 
en  cet  endroit  pendant  une  demie  heure.  L'avantage  étoic 
égal  des  deux  côtés,  lorfque  Themines  étant  venu  à  faire 
]LUie  fortie  à  la  tête  de  fa  garn.ifon  ,  les  ennemis  enveloppés 
Tûmc  X/o  Y  Yy 


53 


HISTOIRE 


-  ■'       de  coûtes  parts  furent  forcés  de  plier.  Les  uns  fe  précîpL 
Henri  térenc  dans  la  rivière ,  &  le  refte  fut  taillé  en  pièces  6c  diffipéa 
I  V.       Le  duc  de  Joyeufe  qui  fe  retiroit  en  bon  ordre  avec  un  petit 
j  cqz,     nombre  de  Gentilshommes  à  Condomines  où  il  avoir  mis 
•fon  artillerie  ,  trouvant  qu'on  avoit  rompu  le  pont  de  ba- 
teaux qu'il  avoit  jette  lur  le  Tarn  ,  poulla  ion  cheval  dans 
cette  rîviére,malgré  tous  les  efforts  de  Courtete  Ôc  deBidonetj 
&;  s'y  noya.  Il  y  eut  mille  hommes  de  tués  du  coté  des  Li- 
gueurs, à  qui  l'on  prit  vingt-deux  drapeaux  ,  trois  canons  ô£ 
deux  coulevrines  qui  furent  tranfportées  à  Montauban.  Les 
ennemis  fauvérent  avec  eux  à  Fronton  le  refte  de  l'artille^ 
rie.  Les  vainqueurs  pourfuivirentles  fuyards  iufqu'à  Baffieres. 
Ce  fut  ainû  que  le  duc  de  Joyeufe  après  avoir  inutiiemenc 
tiré  deux  mille  coups  de  canon,  fut  obligé  de  lever  le  liège 
de  Villemur  qui  fut  caufe  de  fa  mort.  Il  ièmbloit  que  la  for- 
tune ne  lui  avoit  jufqu'alors  été  11  favorable  ,  que  pour  le 
traiter  enfuite  ,  comme  Anne  de  Joyeufe  (on  frère ,  en  le  fai-- 
fant  périr  après  l'avoir  comblé  de  les  faveurs. 

Cette  nouvelle  ayant  été  apportée  à  Touloufe  ,  on  y  dé- 
plora le  malheur  de  cette  ville  &  de  tout  le  Languedoc , 
qui  perdoit  en  la  perfonne  de  ce  Seigneur  un  puilîant  pro- 
tecteur dans  ces  tems  de  troubles  &  de  calamités  ^  tout  le 
monde  plaignoit  le  malheur  du  Duc  ,  qui  venoit  d'être  en- 
levé à  la  fleur  de  fon  âge  avec  tant  de  vertus,  après  avoir 
donné  de  11  belles  efpèrances ,  fans  lailler  de  fuccellèur  de 
fa  maifon  qui  pût  fe  charger  du  foin  de  la  guerre.  Le  car- 
dinal de  Joyeufe  qui  étoit  à  Touloule  en  ayant  été  décla- 
ré Gouverneur  par  arrêt  du  Parlement,  s'excuioit  de  1-aire 
îa  guerre  ^  d'un  autre  côté  Henri  comte  du  Bouchage  fon 
frère  s'étoît  fait  Capucin.  L'afFedion  du  peuple  fut  un  fou- 
lagement  à  la  douleur  que  leur  caufoit  la  mort  d'un  frère 
qu'ils  aimoient  tendrement. 

Le  Cardinal  ayant  auffi-tôt  mandé  ceux  qui  s'étoîent  fau^' 
vés  de  la  défaite  de  Villemur ,  ôc  ceux  qui  ne  s'étoîent  pas 
trouvés  à  cette  afRiire  ,  Montberault ,  Onoux  ,  S.  Vincent, 
Cornuflon  ,  Apcher  ,  Clermont  de  Lodeve  Louis  de  Voilins 
d'Ambres ,  Hauterive  ,  MoulToiens ,  &:  de  Cons ,  Gentils- 
hommes de  la  première  NobleUe  ,  tous  attachés  à  la  maifon 
de  Joyeufe  ,  fe  rendirent  auprès  de  lui  le  lendemain  ,  ê^ 


DE  J,  A.  DE  THOU,  Lîv.  CIIL        53^ 

rengagèrent  après  quelque  oppofition  de  fa  part,  à  perfuader         "  t 

à  Ion  Frère  de  prendre  la  conduite  de  l'arnlëe.  Ils  Ijî  avoienc  Henri 
reprefenté  pour  l'y  déterminer,  que  puifqu'il  s'excufoit  de       IV". 
fe  mettre  lui-même  à  la  tête  de  l'armée  ,  ious  prétexte  qu'il     1591, 
n'avoit  jamais  porté  les  armes  ,  cette  raifon  ne  fubiiftoic 
point  par  rapport  au  comte  du  Bouchage  qui  n'ignoroit  pas 
l'art  militaire.  Henri  s'excufoit  à  Ton  tour  ,  alléguant  d'a- 
bord pour  Tes  raifons  que  cela  troubleroit  Ton  repos  3  en- 
fuite  que  fa  confcience  s'y  oppofoit.  On  fit  une  afTemblée 
de  Théologiens ,  de  Curés ,  èc  d'Evêques ,  qui  répondirent 
fuivant  l'ordre  qu'ils  en  avoient,  que  non-feulement  le  comte 
du  Bouchage  pouvoit  quitter  le  Cloître  en  fureté  de  con- 
fcience pour  commander  l'armée  j  mais  qu'il  y  étoit  même 
obligé  fous  peine  de  péché  mortel ,  dont  il  fe  rendroit  cou- 
pable ,  s'il  ne  prenoit  en  main  la  défenfe  de  la  Religion  , 
dans  un  tems  où  elle  en  avoit  un  fi  grand  befoin. 

Auffi-tôtles  principaux  de  la  Nobleffè  s'étant  rendus  en    le comte d* 
foule  au  couvent  des  Capucins  ,  l'obligèrent  à  venir  avec  Bouchage 
eux  au  palais  Archiepîfcopal  où  logeoit  le  Cardinal ,  qui  de  Capudn^'^ 
confirma  en  fa  prefence  la  décifion  des  Théologiens  j  c'efi:  pour  fe  met* 
pourquoi  ayant  quitté  l'habit  de  l'Ordre  ,  il  parut  le  lende-  T  f:  '"''^^'^ 
mam  en  habit  de  deuil ,  ôc  ainita  a  la  Méfie  devant  le  peu-  des  Ligueurs» 
pie  ,  qui  le  reçut  avec  de  grandes  acclamations  de  joye.  Oi\ 
députa  vers  lui ,  pour  le  prier  de  venir  au  Parlement  j  s'y 
étant  rendu  ,  les  Magiftrats  l'engagèrent  à  partager  le  gou- 
vernement avec  le  Cardinal  qui  le  chargea  des  affaires,  pen- 
dant que  le  Comte  commanderoit  l'armée. 

Avant  tous  ces  événeip.ens ,  Bernard  Noo;aret  de  la  Va-    Expéditions 

I  '        rr  '     >  v\  1     i>  en  Provence. 

lette  avoit  alliege  en  Provence  au  commencement  de  Tan- 
née avec  fes  troupes,  &  les  renforts  que  du  Pafiage  (i)  lui 
avoit  amenés  depuis  peu  ,  la  forterefl^e  de  Roquebrune 
dans  le  voifinage  de  Frejus:  Le  duc  de  Savoye  étoit  maître 
de  cette  place ,  dans  laquelle  on  fit  conduire  deux  canons 
qu'on  amena  de  Cifteron  ^  Se  on  tranfporta  deux  coulevrines 
à  Moleque  (i).  La  Valette  alla  le  25.  de  Janvier  camper 

(i)  Du  Partage  ne  mena  jamais  au- 1  quatre  canons  qui  fervirent  au  fie'ge  de 

cun  fecours  ni  d'hommes  ,  ni  de  canon  '  Roquebrune  ,  furent  pris  à  Frejus  8c  a 

à  la  Valcte  durant  le  fiege  de  Roque-  I  Toulon  ,  Ôc  y  furent  reconduits  ap'-ès 

brune.  Put.  la  prife  de  la  place.  MoIccjhc.  Ceux  du 

"  (i)  Tout  cet  endroit  cft  fautif,  les  païs  n'en  ont  jamais  olii  parler.  Tnt, 

Y  Y  y  ij 


540  HISTOIRE 

■  -lu  devant  Roquebrune  3  êc  l'artillerie  ayant  ouvert  la  brèche,' 

Henri  il  fît  donner  un  aiïaut  qui  fut  repoufîë  avec  perte  de  fes  fol- 

I  V.        dats.  Le  canon  recommenc^a  à  battre  les  murs ,  jufqu'à  ce 

1592.     ^^^  voyant  qu'on  ne  pouvoit  réiilTir  de  ce  coté,  &  que  la 

brèche  étoit  dcja  reparée,  ontranfporta  l'artillerie  dans  un 

cft  tul^'^"^  autre  endroit.  La  Valette  s'étant  avancé  trop  inconfidérd- 

ment  pour  faire  établir  fes  batteries  ,  fut  blefle  d'un  coup 

d'arquebufe,  dont  il  mourut  deux  heures  après. 

Le  Roi  fut  vivement  touché  de  la  perte  de  ce  brave  Of- 
ficier qui  l'avoit  toujours  fervi  avec  beaucoup  d'ardeur  &  de 
fîdeh'te.  Ce  Seigneur  avoit  un  courage  invincible  3  jamais 
ébrj.n\à  dans  le  péril  3  ferme  dans  radverfîté3  modefte  dans 
la  bonne  fortune  3  libéral ,  poli  3  habile  dans  le  maniement 
des  affaires  ,  il  n'eut  d'autre  défaut  que  d'être  Ibupçonné 
de  trop  de  fîneiîe  3  ce  qui  fut  caufe  que  tout  le  monde  fe 
défia  d'abord  de  lui  3  mais  foit  qu'il  eût  changé ,  foit  qu'il 
afFectât  beaucoup  de  candeur  ,  il  étoit  venu  à  bout  d'efFa- 
cer  les  fâcheufes  imprefîions  qu'on  avoit  de  lui.  Il  étoit  plus 
à  fa  place  à  la  tête  d'une  armée ,  ou  dans  un  Confcil  ,  que 
dans  un  état  privé.  Il  avoit  époufé  Anne  de  Baftarnay  tante 
des  Joyeufes  qui  étoit  morte  fans  enfans  quelque  tems  au- 
paravant. 

Le  duc  d'Efpernon  fon  héritier  ,  fe  voyant  privé  d'un 
frère  quilaimoit  fincèrement ,  ôc  l'appuy  d'une  fortune  bril- 
lante qui  lui  attiroitun  fi  grand  nombre  d'ennemis,  fut  pé- 
nétré d'une  vive  douleur  ,  en  apprenant  cette  trifle  nou- 
velle 3  il  prit  occafion  de  cet  accident  ,  pour  redemander 
au  Roi  le  gouvernement  de  Provence  que  le  feu  Roi  lui 
avoit  donné  3  ôc  s'étant  mis  en  chemin  à  la  tête  de  fes  trou^ 
pes  par  le  Quercy  ,  le  Roiiergue,  êc  le  Languedoc  ,  comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut ,  il  fè  rendit  à  Mondragon  le  1  2> 
d'Août ,  6c  fut  trois  jours  à  faire  traverfer  la  Durance  ifQs 
troupes. 

Lefdiguieres  ayant  appris  la  mort  de  la  Valette  congé' 
dia  les  Etats  le  i  2.  de  Février  ^  &  fe  rendit  à  Tullinspour 
prendre  des  mefures  avec  Ornano  au  fujct  des  affaires  de 
Provence,  donc  les  Députés  vinrent  le  trouver  à  Grenoble 
le  H.  de  Mars,  pour  l'engager  à  fé  rendre  au  pkitôc  dans 
cette  Province  j  afin  de  la  garantir  du  danger  ,  jufqu'à  ce. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  ClII.       541 

que  le  Roi,  qu'Alexandre  d'Efpagne  de  Rameforcavoitin-  '■ 

formé  de  la  more  de  la  V  ailette  ,  eût  nommé  un  autre  Gou-  Henri- 
verneur.  Le  parlement  d'Aix  qui  avoit  été  transféré  à  Cifte-       I  V. 
ron  ,  députa  aufîi  vers  Lefdiguiéres ,  qui  s'avancja  jufqu'à      icgi,. 
Puymore  avec  Gouvernée.  Le  marquis  d'Orailon  vint  le 
trouver  en  cet  endroit  ,  pour    prendre  des  melure^   avec 
lui  fur  la  guerre  de  Provence. 

Lefdiguiéres  étoit  furie  point  de  pafTer  en  Piémont  pour 
empêcher  le  duc  de  Savoye  d'entrer  en  Provence.  Il  avoic 
même  donné  rendez-vous  à  toutes  fes  troupes  à  Gap  ,  dans 
le  deiîein  de  marcher  à  cette  expédition  j  mais  il  la  remit 
à  un  autre  tems  à  la  prière  des  Députés  •  dc  s'écant  rendu 
fur  la  fin  du  mois  d'Avril  à  Embrun  ,  il  alla  à  Selonet.  Ayanc 
enfuite  pafTé  par^rufquet  6c  Vallenfole  ,.il  alTiéga  Bene,  donc 
le  chevalier  de  Moyres  lui  ouvrit  les  portes  le  13.  de  Mai, 
moyennant  une  fomme  de  cinq  mille  écus  d'or.  Poh'gni  fut 
tué  à  ce  fiége  d'un  coup  de  moufquet.  Rians,  Ginaflervy, 
&  Beaudun  ouvrirent  aufli  leurs  portes  en  même  tems.  On 
alla  enfuite  à  Caftellane  qui  s'étant  rendue  à  l'exemple  de 
ces  peuples  reçut  trois  compagnies  en  garnifon. 

Sur  ces  entrefaites  Aups  (  i  ) ,  Barjols,  Cotignac,  Peyrolles-, 
Joucques  ,  6c  S.  Pol  places  fur  la  Durance  fe  rangèrent  à 
robéïfTance  du  Roi ,  hc  reçurent  Lefdiguiéres.  Draguignan> 
Moans  àc  Chateau-Neuf  ouvrirent  leurs  portes  à  Montaulc 
qu'on  y  avoit  envoyé.  De  Vallenfole  ,  l'armée  ayant  pafîe 
par  Fayence  ,  fe  rendit  en  fept  jours  à  Antibes.  Briquemaut 
qui  s'etoit  retiré  à  Cannes ,  ayant  fait  pafler  à  fes  troupes 
le  Var  ,  rivière  qui  divife  la  France  d'avec  l'Italie  en  cet 
endroit,  alla  attaquer  des  retranchemens  6c  quelques  Forts, 
que  le  duc  de  Savoye  avoit  fait  élever  fur  la  rive  oppofée  du 
côté  de  Nice. 

Lefdiguiéres  le  fuivit  avec  le  refte  de  l'armée  le  4.  dejuin^ôc 
ayant  forcé  les  Savoyards  d'abandonner  leurs  retranchemens^ 
il  les  pour  fui  vit  jufqu'aux  portes  de  Nice^  àc  leur  enleva  leur 
bagage ,  leurs  chevaux ,  6c  leurs  bêtes  de  charge.  Deux  jours 
après,onafriégeaVence,àlafollicitation  duSeigneur  de  cette 

(i)  Il  y  a  dans  le  texre  ylpta  Julia,  '  lieu  nommé  en  Latin  Alpenfn  (  Aups  )        *  ' 

ce  qui  eft  une  faute,  il  ne  s'agit  point  ou  les  mostagnes  commencent.  Put. 
ici  d'Apr,  ville  Epifcopale  j  mais  d'unj 

y  Y  y  iij 


54î  HISTOIRE 

place,  qui  fut  prife  après  qu'on  l'eût  battue  avec  trois  cou- 
Henri  Icvrines  j  de  on  ne  put  le  rendre  maître  de  la  citadelle ,  qui 
I  V.  eft  extrêmement  forte.  Lefdiguieres-  revint  enfuite  à  An- 
i  cai,  tibes  où  ayant  mis  une  nombrcufe  garnifon  fous  les  ordres 
du  comte  de  Bar  j  il  palîa  par  GrafTe  ,  &  alla  mettre  le  fîége 
devant  Muy  le  i8.  de  Juin.  Un  détachement  des  ennemis 
compofé  d'environ  douze  cens  foldats  ayant  voulu  forcer 
les  corps- de- garde  pour  fe  jetter  dans  la  place  ,  fut  entiére- 
rnent  taillé  en  pièces  j  il  n'y  entra  que  quelques  Officiers  qui 
avoient  échappé  au  carnage.  Huit  jours  après, les  murs  ayant 
été  battus  de  quatre  pièces  de  canon  &  de  deux  coulevrines, 
la  place  fut  rendue  fur  le  midi ,  à  condition  que  la  garnifon 
en  Ibrtiroit  en  armes,  vie  &  bagues  fauves.  On  trouva  dans 
Muy  trois  coulevrines ,  dont  on  en  envoyafdeux  à  Frejus  èC 
la  dernière  à  S.  Tropez  ,  où  Lefdiguieres  avoit  été  reçu  avec 
de  grands  honneurs. 

L'armée  alla  enfuite  en  cinq  jours  à  la  Cadiere ,  qui  ca- 
pitula le  4,  de  Juillet,  après  avoir  eiluyé  cent  coups  de  ca- 
non. Les  habitans  furent  obligés  de  donner  une  fomme  de 
quinze  mille  écus  d'or  pour  fe  racheter  du  pillage,  dont  le 
Caftelet  qui  fe  rendit  le  jour  fuivant  aux  mêmes  conditions, 
fe  garantit  en  payant  trois  mille  écus  d'or  qui  furent  diftri- 
bues  aux  foldats.  Le  même  jour ,  l'armée  s'empara  de  Signe, 
de  la  Ciutad ,  de  Cerefte  éc  de  Roquefort.  On  ne  mit  au- 
cune de  ces  places  au  pillage,  à  la  prière  des  Marfeilloisquî 
donnèrent  vingt  mille  écus  d'or  pour  les  en  exempter.  D'Ef- 
caravagues  fît  une  vaine  tentative  fur  les  Evenes,  où  il  en- 
voya cent  volées  de  canon  ,  fe  flattant  d'en  effrayer  afTez  hs 
habitans  pour  les  obliger  à  fe  rendre, 
tes  Ligueurs  La  nouvelle  de  la  perte  de  Vienne  troubla  la  joye  de  tant 
î^^ieime  <i'l^e'-ireux  fuccès.  Scipion  de  Maugiron  qui  en  étoit  Gou- 
verneur ,  s'étant  laîfTé  gagner  à  force  d'argent  par  le  duc  de 
Nemours ,  lui  livra  cette  place  avec  le  château  de  Pipet , 
&  les  Forts  de  Sainte  Colombe  Si  de  la  Baftide,  dont  le 
Duc  donna  le  gouvernement  au  marquis  de  Saint  Sorlin  fon 
frère,  avec  une  forte  garnifon  de  SuilTes.  Il  afTiègea  enfuite 
Saint  Marcellin ,  &L  le  prit  à  compofîtion ,  après  avoir  fait 
pointer  de  l'artillerie  contre  cette  place.  Après  ce  fuccès,  il 
alla  camper  avec  Don  Olivarez  devant  les  Echelles ,  place 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.         543 

frontière  de  Savoye ,  que  Lefcliguieres  avoic  faic  fortifier. 

Aufficôc  que  la  batterie  qui  étoit  de  fept  pièces  de  canon  H  e  n  11 1 
eut  faic  brèche  ,  l'aflauc  fut  donné  le  4.  d'Août  parles  mar-      I  V. 
quis  de  Trevico  ôc  de  Treforc  ,  à  la  tête  de  quinze  cens     i  caz, 
chevaux  &  de  dix  mille  hommes  d'infanterie.  Les  affiégeans     PiiCe  des 
étant  entrés  dans  la  place  s'emparèrent  de  la  grande  rue  :  Echelles  pas 

o     t  .--  .         ^.      ,     ,  ,r  '      ■    r  1  T-    !•/•       les  ennemis." 

6c  la  garnilon  qui  avoit  ete  pouilee  julquedans  unehghle, 
fe  rendit  quelques  heures  après  ^  tout  fut  paflè  au  fil  de 
l'èpèe  ,  d^  le  foidac  n'épargna  qu'à  peine  les  femmes  ôcles 
enfans. 

Nous  eûmes  encore  le  malheur  de  perdre  Antibes  que  sîége&pnTe 
le  duc  de  Savoye  affiègea^  prit,  après  le  dépare  de  Lefdi-  je'ducdrs^- 
guieres.  Ce  Prince  voulant  venger  la  défaite  des  fiens  près  voye. 
du  Var  ,  donna  ordre  au  colonel  Aimo  Scalengo  Pièmon. 
tois  de  lever  deux  mille  hommes  d'infanterie  ^  èc  ayant  rec^d 
environ  trois  cens  chevaux  de  troupes  Milanoifes  comman- 
dés par  François  comte  de  Villa  ,  par  Jofeph  Martinelli ,  èc 
par  le  comte  TroiloSanfecondo  ,  il  paiTa  cette  rivière  avec 
Cefar  Davalos  fon  Lieutenant  général.  Il  attaqua  d'abord 
la  Gagne  place  forte  à  la  vérité  par  fon  affiéte  3  mais  com- 
mandée par  une  hauteur  voiline.  L'ennemi  s'étant  emparé 
de  ce  pofte  ,  fit  foudroyer  les  murs  de  la  ville  ,  dont  la  gar- 
îiifon  lé  rendit  vie  &  bagues  fauves. 

Son  armée  alla  enfuite  mettre  le  fiège  devant  Antibes,. 
d'où  le  comte  de  Bar  qui  en  étoit  Gouverneur,dans  la  crainte 
que  le  duc  de  Savoye  qui  étoit  fon  ennemi  particulier ,  ne  lui 
fit  un  mauvais  parti ,  fe  retira  fous  prétexte  d'aller  hâter  la 
marche  des  troupes  auxiliaires ,  après  en  avoir  confié  la  garde 
à  fon  frère.  Cette  place  donc  une  partie  ferc  comme  de  faux- 
bourg  au  refte  de  la  ville,  efk  ficuée  fur  le  bord  de  la  merj 
l'ancienne  ville  eft  au-defTous  avec  une  citadelle  ^  ôc  unbaf- 
tion  qui  donne  fur  la  mei%  Le  bruit  qui  s'étoit  répandu  que 
Lefdiguîeres  &d'Eiipernon  accouroient  au  fecours  des  afîié- 
gès  s'augmencanc  ,  Davalos  mit  une  bonne  garnifon  à  la 
Cagne  ,  de  refoluc  de  fortifier  auffi  Cannes ,  ville  forte  par 
fon  aiî^iére  ,  &c  défendue  d'une  citadelle  qui  mec  à  couvcrc 
d'iniulce  le  port  qui  cil  au-deiTous,  6l  la  campagne  des  cn^ 
virons.  Il  ne  prit  ces  précautions,  que  parce  qu'il  crut  que 
Jss  fecours  arriveroient  par  cec  endroit.  Le  duc  de  Savoye' 


544  HISTOIRE 

i  craignant  de  fe  voir  harceler  par  la  garnifon  de  GrafTe^y 

Henri  envoya  une  compagnie  de  cavalerie,  &;  deux  d'infanterie  , 
î  V.       qu'il  fit  bientôt  fuivre  de  trois  autres ,  aux  approches  du  duc 
^5$i.     d'Ef  pernon. 

On  commença  à  foudroyer  les  murs  d'Antibes  à  la  porte 
Saint  Sebaftien  ,  avec  deux  gros  canons  qu'on  avoit  fait  ve- 
nir par  mer.  La  batterie  ayant  fait  une  grande  brèche  le 
31.de  Juillet,  la  nouvelle  ville  fut  emportée  d'aflaut.  On 
pafTa  ians  diflindion  au  fil  de  l'épce  la  garnilon  &  les  bour- 
geois 5  le  foldat  n'épargna  que  les  femmes  ôc  hs  enfans  qui 
s'étoient  fauves  dans  une  Eglife  ^  ceux  qui  échappèrent  au 
carnage  fe  fauvérent  partie  dans  l'ancienne  ville ,  partie  dans 
j€  baftion  qui  donne  fur  la  mer.  Le  duc  de  Savoye  tourna, 
toutes  fes  forces  contre  la  citadelle  ,  où  ayant  fait  une  aiïèz 
large  brèche  avec  trois  canons  ,  il  donna  un  alfaut  qui  fut 
vivement  repouflTé  ^  les  afiiég-és  lui  tuèrent  beaucoup  de 
monde  j  il  fut  lui-même  fur  le  point  d'ctre  emporté  d'un 
boulet  de  canon  ,  en  courant  inconfidèrèment  de  rang  en 
rang  pour  animer  [qs  foldats.  Après  cet  aiTaut  l'artillerie  re- 
commença à  battre  les  murs.  La  largeur  de  la  brèche  ne 
put  ébranler  le  courage  des  affiégès  ^  ils  firent  au  contraire 
de  continuelles  fortîes  fur  l'ennemi ,  jufqu'à  ce  que  ne  pou- 
vant plus  compter  fur  un  fecours  de  trois  cens  hommes  qui 
fut  tailiè  en  pièces  en  voulant  fè  jetter  dans  le  baftion  ,  ils 
fe  rendirent  vie  &  bagues  fauves ,  à  condition  de  laifièr  leurs 
armes  &:  leur^  drapeaux.  Il  n'y  avoit  plus  que  le  Baftion  où 
commandoit  le  frère  du  comte  de  Bar ,  qui  tînt  encore  •  mais 
ayant  reçu  fous  main  ,  comme  on  le  croit ,  une  grande  fom- 
me  d'argent ,  il  fortit  de  ce  Fort  à  des  conditions  honorables 
le  7.  d'Ao^ût.  Les  ennemis  fe  rendirent  maîtres  dans  le  port 
des  deux  galères  ,  où  plufieurs  des  alîiègés  s'étoient  fau- 
ves ,  àc  prirent  deux  grolTes  pièces  de  canon  de  bronze, 
èc  feize  petites  de  fer. 
/  Le  butin  que  Pon  fit  dans  cette  ville  fut  eftimè  deux  cens 

mille  ècus  d'or  ^  mais  il  y  a  toute  apparence  que  ceux  qui 
ont  écrit  la  relation  de  ce  fiège  ,  n'ont  fait  monter  le  butin 
â  une  fomme  Ci  confidèrable,que  par  oflentation,^  pour  flat- 
ter le  duc  de  Savoye.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'eft  que  les 
Jiabirans-qu'on avoit  chafïès  de  leurs  maifons  payèrent  trente 

mille 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.  54^ 

înîlie  écus  d'or  pour  y  rentrer.  Franc^ois  Martinengo  eut  le  . 

commandement  du  territoire  d'Antibes ,  &  Scalengo  fut  fait  H  e  n  k  r 
Gouv'erneur  de  la  place  Le  Duc  qui  ne  comptoit  pas  beau-       I  V. 
coup  fur  les  Italiens  &:  \qs  Provençaux  ,  mit  dans  le  baftion      1592. 
vfix  compagnies  de  troupes  Elpagnoles. 

Sur  ces  entrefaites ,  Lefdiguieres  au  défefpoîr  de  voir  le    Exploits  de 
mauvais  train  que  prenoient  \qs  affaires  du  Roi  par  la  perte  ^^^^'n^eres 

J     \T'  1      f     •    -^    »  *■  n«  -r^.  1-      '        «        1,  ,1     -^-i  dans  la  Pro- 

de  Vienne  ,  de  Samt  Marcelhn  en  Dauphme  ,  Ôc  d  Antibes  vencc  &  dans 
prife  d'afTaut ,  jugea  à  propos  de  prévenir  le  péril  le  plus  ^^  i^iemonr. 
prochain  5  c'eft  pourquoi  ayant  eu  une  conférence  avec  Or- 
nano  qui  s'étoit  joint  à  lui, ils  allèrent  attaquer  le  27.  d'Août 
le  Moilard  dans  le  voifmage  de  Saint  Marccilin.  La  garni- 
fon  de  cette  place  l'abandonna  à  l'arrivée  des  Généraux 
François ,  qui  campèrent  le  lendemain  devant  Saint  Mar- 
celiin  3  que  la  garnifon  effrayée  rendit  aufTitôt,  vie  ôc  bagues 
fauves,  à  condition  cependant  de  conferver  fes  armes.  En- 
fuite  on  alTiégea  le  château  de  Chaftes ,  dont  une  famille  de 
la  première  NoblelTe,  diftinguée  par  fon  courage  &:  fa  fidé- 
lité ,  à  prefent  transplantée  dans  le  Velay  au-  delà  du  Rhône, 
a  pris  fon  nom.  L'armée  paffa  par  la  côte  Saint  André. 

Le  duc  de  Savoye,  à  la  nouvelle  de  l'arrivée  de  nos  trou- 
pes ,  abandonna  le  pont  de  Beauvoifm  ,  de  fe  retira  au  cœur 
de  la  Savoye.  Les  François  ayant  paflé  par  Septeme ,  qui 
avoit  ouvert  fes  portes  trois  jours  auparavant  ,  firent  des 
courfès  jufque  fous  les  murs  de  Vienne  fans  aucun  avantage. 
C'eft  pourquoi  d'Ornano,&:  Lefdiguieres  ayant  partagé  leurs 
troupes,  ce  dernier  reprit  le  deiïein  qu'il  avoit  eu  de  faire 
la  guerre  au  duc  de  Savoye  au-delà  des  Alpes.  Ayant  donc 
envoyé  des  Officiers  vers  le  duc  d'Efpernon,  pour  agir  de 
concert  avec  ce  Général  en  Provence  où  il  venoit  d'entrer, 
il  alla  de  Puymore  à  Briançon  le  24.  de  Septembre  j  6c  ayant 
traverfé  le  mont  Genevre ,  il  divifa  deux  jours  après  ,  fon 
armée,  qui  étoit  de  fîx  cens  chevaux  &;  de  trois  mille  cinq 
cens  hommes  de  pied,  en  deux  corps  ,  dont  l'un  eut  ordre 
d'aller  fe  faifir  dans  la  vallée  de  Pragela  ,  qui  n'efl  prefque 
habitée  que  par  les  Vaudois,  de  la  Peroufç  ou  de  Pignerol. 
L'autre  fut  commandé  pour  aller  du  côté  de  Sufe  dont  on 
fîu-prit  les  fauxbouro-s.  On  fit  une  tentative  inutile  fur  Pi^ne- 
roi  ,  parce  que  l'une  des  échelles  donc  on  .fe  fervit  pour 
To^;e  XI,  ZZz 


54^  HISTOIRE 

l'efcalader  ,  fe  trouva  trop  courte  ,  6c  l'autre  fe  rompre 
Henri  fous  les  pies  des  foldats.   On  fut  plus  heureux  à  la  Peroufe, 
I  V.       dont  on  fe  rendit  maître  la  nuit  du   26.  au   27.    de   Sep- 

X5P2.     tembre. 

Après  que  les  troupes  qu'ion  avoir  envoyées  à  Sufe  en 
eurent  abandonné  les  fauxbourgs  qu'il  ne  leur  étoit  d'aucun 
avantage  de  conferver  ,  &  furent  revenues  au  camp  ,  on  tour- 
na toutes  les  forces  de  l'armée  contre  le  château  de  la  Pe- 
roufe, oùCaquerano  qui  en  étoit  gouverneur  pour  le  duc 
de  Savoye,  tenoit  encore  après  la  prife  de  la  ville  5  il  fe  ren- 
dit enfin  le  dernier  jour  de  Septembre,  à  la  vûë  des  canons 
qu'on  avoit  pointés  contre  la  place.. 

Lefdiguieres  ayant  mis  une  forte  garnifon  à  la  Peroufè, 
l'armée  s'avani^a  juiqu'à  la  tour  delà  Luzerne  qui  fe  rendit 
à  fon  arrivée.  La  garnifon  de  Mirebouc  capitula  le"  lende- 
main, fans  attendre  qu'on  fît  joiier  le  pétard  qui  étoit  déjà 
appliqué.  Elle  en  fortit  vie  &  bagues  fauves  avec  les  armes. 
Cette  vallée  qui  eft  au-delà  des  Alpes,  eft  habitée  comme 
celle  de  Pragela  par  des  Vaudois,&  appartient  au  duc  de 
Savoye.  Le  duc  Philibert ,  père  de  Charle  qui  régnoit  alors, 
y  avoit  fait  conftruire,  pour  en  contenir  les  habitans  dans  le 
devoîr ,  ces  fortereifes  après  la  guerre  qu'il  leur  avoit  faite 
inconfidérément  trente-deux  ans  auparavant.  On  peut  en- 
trer par  cette  vallée,  du  Dauphiné ,  ôc  de  la  vallée  de  Queras 
qui  appartient  à  la  France ,  dans  la  plaine  qui  eft  au  pied 
des  Alpes  (  i  )  j  6i  même  y  tranfporter  du  canon  pendant 
l'Eté. 

Le  Général  François  s'étant  rendu  à  Briqueras  en  trois 
purs  ,  apprit  par  fes^  Coureurs  ,  que  l'ennemi  afTembloit  à 
Vigon  {qs  troupes, qui  s'y  trouvoient  déjà  au  nombre  de  douze 
cens  hommes  d'infanterie  3  qu'elles  s'étoient  retranchées  en 
cet  endroit  3  &  qu'on  attendoit  de  jour  en  jour  le  régiment 
de  Purpurat  gouverneur  de  Pignerol ,  èc  d'autres  troupes 
d'infanterie  ôc  de  cavalerie.  Il  jugea  à  propos  d'aller  attaquer 
l'ennemi ,  avant  qu'il  eût  rafîcmblé  toutes  (es  forces  3  &  s'é- 
tant mis  à  la  tête  de  quatre  cens  cuiraffiers  ,  &  de  fîx  cens 
arquebufiers  à  pié  &  à  cheval  ,  il  arriva  le  3.  d'0(fl:obre  à 
la  vûë  du  Vigon  ,  qu'il  fît  inveftir  par  fa  cavalerie  à  neuf 

(1),  Le  Piémont. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.        547 

licures  du   matin.    Enfuite  l'infancerie  alla  par  {qs  ordres  ■■ '-*'^-»— 

enfoncer  les  barricades  élevées  par  l'ennemi,  qui  fut  forcé  Hen  ri 
de  fe  reiirer  au  cœur  de  la  place  ,  où  l'on  combaccit  de  pied       I  V. 
ferme  pendant  deux  heures  avec  la  dernière  opiniâtreté.     1^92; 
Enfin  les  Savoyards  furent  défaits  avec  perte  de  douze  cens 
hommes  (i).   Le  colonel  Bourniquet  fut  tué  dans  l'adion , 
&  nous  primes  les  autres  Officiers ,  les  Sergens ,  êc  dix  dra- 
peaux. 11  y  eut  de  notre  côte  quelques  Capitaines  blefTés, 6c 
dix  foldats  tués.  On  s'empara  quatre  jours  après  de  l'abbaye 
de  Staffarde ,  &  l'on  fe  hâta  de  fortifier  Briqueras.  Le  Géné- 
ral donnoit  l'exemple  à  (qs  foldats ,  il  étoit  le  premier  à  por- 
ter du  gazon  pour  en  revêtir  les  fortifications  en  dedans^  tout 
le  mois  d'Oclobre  fe  pafTa  à  mettre  cette  place  en  état  de 
•défenfc. 

Le  premier  de  Novembre ,  Lefdiguiéres  fit  publier  une 
Ordonnance  pour  afTembler  les  habitans  des  vallées  d'An- 
grogne ,  de  la  Peroufe  ,  de  Saint  Martin  ,  de  Luzerne ,  & 
d'autres  vallées  fujettes  du  duc  de  Savoye.  Tous  ces  peuples 
prêtèrent  avec  beaucoup  de  joye  en  apparence  ,  le  ferment 
de  fidélité  à  Lefdiguiéres  lieutenant  général  du  Roi  au-delà 
des  Alpes.  Il  en  envoya  le  procès  verbal  au  Roi  dans  le  pays 
Chartrain ,  où  ce  Prince  étoit  alors.  L'armée  Françoife  ayant 
enfuite  afTiègé  la  tour  du  pont  près  de  Château-Dauphin , 
les  Savoyards  accoururent  au  fecours  de  la  place  &  furent 
repoulTesavec  beaucoup  de  perte  en  voulant  forcer  les  corps- 
de-garde  ,  ôc  s'emparer  de  la  tranchée. 

Pendant  ce  tems-là  nos  foldats  fécondés  par  les  habitans 
des  Vallées  ,  qui  travailloient  jour  &:  nuit  avec  beaucoup 
d'ardeur  ,fe  prelToicnt  d'achever  les  fortifications  de  Brique- 
ras, qui  n'eft  éloigné  de  Turin  que  de  fèize  milles  d'Italie. 
Cette  place  eft  fituée  au-de(Tous  de  Luzerne,  à  l'entrée  du 
Val  Bobio  ,  dans  un  terrain  d'une  extrême  fertilité.  On  mit 
en  quarante  jours  les  baftions  en  état  de  foutenir  toutes  les 
attaques  de  l'ennemi.  Lefdiguiéres  pour  gagner  l'afFcclion  des 
habitans  des  Vallées,  aménager  ceux  du  pays,  fe  conduifit 

(1)  M.  deThou  vient  de  dire  qu'il  n'y  j  explique  le  mot  cecidere,  x>^t  fnreyit  dé- 
cn  avoir  encore  que  douze  cens  d'aftem-  \faits^mis  en  déroute ,  dtjp.pés ,  &  non  pas 
ble's.  Comment  peut-il  faire  monter  ta  I  tués, 
perte  à  douze  cens  ?  Si  ce  n'eft  qu'on  I 

Z  Z  z  ij 


548  HISTOIRE 

avec  beaucoup  de  prudence  ^  il  conferva  à  ceux-cî  le  libre 
Henri  exercice  de  la  Religion  Catholique  3  6c  il  permit  aux  habi- 
I  V.  tans  des  Vallées  qui  (ont  prefque  tous  Proteffcans^  d'avoir 
1592,  un  Pafteur  ou  JVliniflre  qui  prêchoin  en  Italien  dans  fa 
maifon.  Il  eut  encore  grand  foin  de  faire  obferver  exadement 
la  dilcîpline  militaire  j  défendit  les  juremens3&;  donna  {qs 
ordres  pour  empêcher  les  Ibldats  ,  autant  que  les  circonC 
tances  pouvoient  le  permettre ,  de  piller  le  payfan.  Ces  ré- 
glemens  étoient  fondés  fur  la  néceiiîté  qu'il  y  avoir  de  con- 
tenir fon  armée  (bus  fcs  drapeaux ,  6c  fur  la  nature  àcs  lieux j 
car  pour  peu  que  les  foldats  s'écartalFent ,  l'ennemi  qui  étoic 
aux  environs,  ne  nianquoic  pas  de  les  enlever.  On  ne  pou- 
voir palier  que  par  les  défilés  de  Mirebouc  ,  6c  le  Cledat  (i,) 
de  Seianne  3  6c  Lefdiguieres  faifoit  fi  étroitement  garder  ces 
p  UFages ,  qu'il  étoit  impolTible  de  retourner  en  France  fans 
Ion  congés  à  moins  de  s'expofer  à  une  perte  certaine. 

Le  duc  de  Savoye  lurpris  de  voir  nos  troupes  au-delà  des 
Alpes ,  6c  craignant  qu'elles  ne  s'emparalTent  de  Saluées  ^6.t 
des  propodtions  de  paix  par  le  moyen  de  fes  émiflaires,  6c 
promit  de  rendre  Berre  ,  Salon  ,  GraiFe  ,  ôc  Antibes ,  donc 
il  s'éroit  faifi  en  Provence.  Mais  Lefdiguieres  voyant  que  le 
Duc  n'avoir  d'autre  defïèin  que  de  gagner  du  tems,  pour- 
fuivit  fa  pointe.  Ayant  appris  que  les  habitans  d'Orbalîan 
dans  le  voifinage  de  Briqueras,  avoientpris  les  armes  pour 
appuyer  le  refus  qu'ils  faifoienc  de  payer  les  contributions 
qu'on  leur  avoir  impofées ,  il  marcha  contre  eux  ,  ^  les  fie 
rentrer  dans  le  devoir  3.  enfuite  il  s'avança  le  14.  de  No- 
vembre vers  Pignerol ,  pour  y  recevoir  le  canon  &c  les  trou- 
pes qu'on  lui  amenoit.  L'artillerie  confîfboit  en  trois  groilès 
pièces  ôc  en  deux  coulevrines  qu'il  avoir  mifes  à  Exiiles  au- 
defllis  de  Sufe.  On  vint  enfin  à  bout  de  la  faire  pa (Ter  au* 
delà  des  Alpes  par  le  chemin  de  la  Peroufe  6c  des  Portes  , 
Je  long  de  la  rivière  de  Clufon  qui  divife  cette  Vallée  5  on 
fut  obligé  de  la  traîner  à  force  de  bras ,  parce  qu'on  ne  fe 
fert  point  en  ce  pais  de  bêtes  de  charge  pour  les  voitures  j 
les  habitans  des  Vallées  fè  relayoient  fur  fon  paflâge  pour 
aider  à  la  tranfporter. 

Gouvernée  ayant  traverfé  le  mont  Genevre  fc  rendit 
(i)  Cledat  eft  un  treillis  de  bois  en  un  détroit. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIIÎ.        545? 

auprès  de  Lefdiguieres  avec  deux  cens  cuiraffiers  &  cent  '     "" 

arquebufiers  à  cheval  ,  qu'Ornano  lui  avoir  donnés.    De  H  e  w  k  i: 
Buous  lui  en  amena  autant.   Le  duc  d'Eipernon  ,  qui  avoit       I  V. 
donné  ces  troupes  à  Buous  ,  ne  fît  que  ie  préfenter  de-      i  591, 
vant  GraiTe   èc    Antibes  pour  reprendre  ces  deux  places  , 
dont  la  prife  avoit  tant  coûté  au  duc  de  Savoye.    Les  fol- 
dats  qui  y  étoient  en  garniibn  ayant  pris  l'épouvante  ,  de- 
mandèrent eux-mêmes  à  capituler.  Leldiguieres,  de  Bouous, 
de  Gouvernée   s'écant  réciproquement   complimentés  ,   èc 
embralTés ,  on  £t  en  réjouiirance  de  leur   arrivée  quelques 
décharges  d'artillerie  ,  dont  le  bruit  fut  porté  par  l'écho 
àcs  montagnes  ,  jufque  dans  Turin.    On  renouvella  dans 
ce  païs  le  Ibuvenir  des  armes  Françoifes  ,  qui  n'étoit  pas 
encore  effacé  de  l'elprit  des  Piémontois ,  &.  l'on  vit  enfin 
après  un  grand  nombre  d'années ,  reparoître  en  Italie  des 
canons  iemés  de  fleurs  de  lys. 

Lefdiguieres  alla  enfuite  à  Cavors  avec  toute  l'armée , 
qu'il  fit  marcher  en  ordre  de  bataille ,  afin  d'être  prêt  à  com- 
battre en  cas  qu'il  rencontrât  le  duc  de  Savoye  ,  qui  étoic 
allé  à  Saluées.  L'avantgarde  étoit  commandée  par  Gouver- 
net  èc  Buous ,  chacun  à  la  tête  de  deux  cens  cuirafTiers  à 
cheval ,  entre  lefquels  marchoit  d'Auriac  fuivi  d'un  bataillon. 
Lefdiguieres  menoit  le  corps  de  bataille ,  avec  la  Cornette 
blanche ,  fa  compagnie  de  cavalerie ,  de  celles  d'Abel  Beren- 
ger  de  Morges  ,  &;  de  Mures.  Poiiet  couvroit  fa  gauche  avec 
ia  compagnie  de  cavalerie ,  &  celles  de  Briquemault  ,  de 
Blanie  ,  du  Rivail,  de  la  Pierre  ,  &:  de  la  Buiflè.  Au  milieu 
de  ces  troupes,  Prabaud  conduifbit  un  gros  bataillon  d'in- 
fanterie armé  de  longues  piques  &  d'arquebufcs. 

Le  duc  de  Savoye  s'érant  rendu  de  Saluées  à  Villcfranche,- 
le  Général  Fran(^ois  partit  de  Briqueras  le  17.  de  Novem* 
bre ,  dans  l'efpérance  de  donner  bataille.  Mais  ayant  appris 
dans  fa  marche  que  l'ennemi  avoit  pris  le  chemin  de  Vigcn  , 
il  fît  refber  longtems  {qs  troupes  en  bataille  ,  &  leur  diftribua 
fur  le  foir  des  logemens  à  Cavors.  Cette  place  cft  fîtuée  fur 
.la  rivière  de  Pelles ,  dans  laquelle  le  Clufon  ,  qui  donne  fon 
Bom  à  une  vallée  ,  va  fe  perdre  afîèz  près  de  Vigon.  Les 
murs  de  Cavors  font  de  briques  j  fîtuée  au  pied  des  monta- 
gnes ,  elle  efl  comme  un  Fort  ou  plutôt  comme  une  guérite  ,, 

Z  Z  z  ïii 


55^ 


HISTOIRE 


u  d'où  l'on  découvre  au  loin  dans  la  campagne.  Sa  citadelle 

H  £  N  R.  1  eft  bâtie  iur  le  fommet  d'un  rocher  inacceffible  de  tous  côtés, 

IV.       dont  on  gardoît  exactement  les  palFages ,  pour  la  fureté  des 

I  5^  î,     troupes  qui  étoient  dans  cette  ville.    Leidiguieres ,  fans  être 

arrêté  par  les  difficultés  qui  paroifToient  infurmontables  à 

caufe  de  la  fituation  de  cette  fortereflè  ,  fît  venir  trois  canons 

de  Briqueras  &:  deux  coulevrines ,  pour  en  faire  le  fiége.  A 

l'oppofîte  delà  citadelle,  s*eléve  un  rocher efcarpé  de  tous 

côtés  ,  qui  en  ell:  éloigné  de  cent  pas  en  droiture  ,  fur  lequel 

on  a  bâti  en  forme  de  demi-lune  une  tour  ,  qu'on  appelle 

communément  la  tour  de  Bremefan.    Cette  tour  qui  n'eft 

commandée  par  aucune  hauteur  ,  fert  de  ce  côté-là  de  dé- 

fenfe  a.  la  citadelle. 

Lefdiguieres  ayant  jugé  à  propos  de  fe  rendre  d'abord 
maître  de  ce  Fort ,  envoya  des  troupes  pour  fe  faiflr  du  co- 
teau oppofé.  On  n'en  vint  à  bout  qu'avec  beaucoup  de  peine, 
en  tranîportantfur  cette  hauteur  des  pierres  &  des  facs  rem- 
plis déterre,  dont  la  cavalerie  de  l'infanterie  avoient  eu  or- 
dre de  fe  munir.  La  pente  de  la  colline  étoit  fî  roide ,  qu'il 
n'y  avoit  pas  moyen  d'y  monter  avec  ces  fardeaux.  On  iiir- 
montacetobdacle,  en  difpofant  fur  le  penchant  de  la  mon- 
tagne des  foldats ,  qui  fe  donnoient  les  lacs  de  main  en  main , 
julqu'à  ce  qu'ils  fulîent  portés  jufqu'au  lommet.  On  fît  par 
ce  moyen  un  terrain  folide  fur  un  rocher  étroit  &:  efcarpé  , 
&  l'on  y  put  pofler  des  foldats  &:  mettre  du  canon  ,  qui  fut 
enfin  pointé  avec  beaucoup  de  travail  Se  d'art  contre  la  tour 
de  Bremefan. 

Tandis  que  les  foldats  faifoîent  tous  ces  préparatifs ,  on 
eut  avis  que  le  duc  de  Savoye  approchoit ,  dans  la  réfolution 
de  fecourir  les  affiégés.  Le'Conféil  de  guerre  s'étant  auffitôc 
afTemblé ,  on  y  ouvrit  difFérens  avis.  Les  uns  difoient  qu'il 
falloit  continuer  le  fiége  ,  d'autres  l'abandonner ,  afin  d'aller 
au-devant  des  ennemis,  pour  n'être  pas  enveloppes  de  tous 
côtés ,  &  obligés  de  faire  en  préfence  de  l'ennemi ,  une  re- 
traite ,  qui  expoferoit  l'armée  à  une  perte  certaine.  Lefdi- 
guieres ,  qui  ne  vouloit  pas  abandonner  fon  entreprife  ,  con» 
ciha  ces  deux  avis ,  de  prit  le  parti  d'aller  chercher  l'ennemi, 
fans  difcontinuer  le  fiége.  Il  dit ,  pour  appuyer  fa  réfolu- 
çion  ,  qu'un  petit  nombre  de  foldats  fufHfôit  pour  bloquer 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIII.  jp 

la  tour ,  ôc  tenir  en  bride  les  affiégés  :  Que  d'ailleurs  il  avoit 
aiTez  de  forces  pour  battre  un  ennemi  déjà  tant  de  fois  vaincu,  Henri 
&:  qui  n'avoit  pour  toutes  refTources  que  la  rufe  6c  l'artifice.       I  V. 
D'autres  ajoutèrent  à  ces  raifons ,  que  nos  armes  étoient  ap-     1592., 
puyees  par  la  juftice  &  l'équité  :  Que  les  troupes  comman- 
dées par  un  Général ,   que  le  bonheur  accompagnoît  tou- 
jours ,  accoutumées  à  vaincre  fous  lui ,  n'ayants  d'autre  re- 
traite que  des  montagnes  couvertes  de  neiges  ,  fe  trouvoienc 
dans  la  même  fituation  ,  que  ceux  qui  auroient  la  mer  à  dos 
après  avoir  brûlé  la  flore  qui  les  auroit  apportés.   Cet  avis 
l'emporta  dans  le  Conleil  j  ôc  Lefdiguieres  voyant  que  l'ar- 
tillerie n'avoit  fait  qu'abattre  les  parapets  du  mur  ,  en  fie 
recommencer  le  feu  le  2  r.  de  Novembre,  depuis  dix  heures 
du  matin  jufqu'à  cinq  heures  du  foir  ,  &c  la  tour  fut  empor- 
tée d'ailaut  à  la  vue  de  la  citadelle. 

Le  lendemain  ,  les  fentinelles  qu'on  avoit  pofèes  fur  le 
haut  du  rocher  pour  découvrir  l'ennemi ,  rapportèrent  qu'ils 
avoient  entendu  un  bruit  de  moufqueterie  du  côté  de  Bri- 
queras. Ils  ne  fe  trompoient  pas.  Le  duc  de  Savoye  étant 
parti  la  nuit  de  Vigon  ,  à  la  tête  d'un  détachement  de  fol- 
dats  d'élite  ,  à  qui  il  avoit  ordonné  de  mettre  des  chemîfes 
fur  leurs  armes  ,  étoit  venu  attaquer  les  fortifications  de 
Briqueras ,  qui  n'étoient  pas  encore  afièz  élevées  (  i  ).  Ayant 
jenverfé  les  palilîades ,  il  s'étoit  déjà  faifi  de  deux  baflions 
avancés  ,  lorlque  nos  troupes  s'étant  réveillées  au  bruit , 
marchèrent  avec  courage  à  l'ennemi  ,  combattirent  long- 
tems  de  pied  .ferme  ,  &  le  repouiFèrcnt  enfin  à  coups  d'èpèes, 
de  piques ,  d'arquebufes ,  ôc  de  pierres.  Il  fut  même  con- 
traint d'abandonner  fes  échelles  &  fes  morts  dans  le  foiTé. 

A  la  première  nouvelle  qu'en  eut  Lefdiguieres ,  il  fit  pren- 
dre les  armes  à  fes  foldats ,  &  rangea  fes  troupes  en  bataille 
fur  le  chemin  de  Briqueras;  Enfuite  ayant  appris  que  le  duc 
de  Savoye  s'étoit  retiré  ,  il  laifla  d'Auriac  devant  la  cita- 
delle pour  en  continuer  le  fiége  ,  &  fe  mit  à  la  pourfuite  des 
ennemis  avec  fa  cavalerie  ,  &.  deux  cens  arquebufiers  ,  fe 
flattant  de  difTiper  aifément  des  troupes  ,  qui  fe  retiroienc 

(i)  Quelques  pages  ci-dciTus,  les!  mi  ;  ici  elles  ne  font  pas  encore  affez 
fortifications  croient  allez  hautes  pour  1  e'Ieve'es.  C'eftune  petite  conrradidionj. 
ibutenir  toutes  les  attaques  de  Tenue- 1  nous  ne  pouvons  la  corriger. 


55^  HISTOIRE 

'  en  défordre ,  après  avoir  manqué  leur  coup.  Il  les  atteignît 
Henri  fur  les  neuf  heures  du  matin  près  de  Garzigliana  ,  bourgade 
I  V.  environnée  de  jardins  de  d'un  grand  nombre  d'arbres  ,  qui 
jro2,  foutiennent  des  vignes.  Ces  arbres  rendoient  l'accès  de  ce 
bourg  aulTi  difficile  à  notre  armée,  qui  n'étoit  prefque  com- 
pofée  que  de  cavalerie ,  que  l'ennemi ,  dont  l'infanterie  étoic 
nombreufe  ,  pouvoir  s'en  approcher  aifément.  Lefdiguieres 
n'avoir  avec  lui  que  quelques  carabiniers  &  deux  cens  ar- 
quebuiîers  j  le  refte  de  l'armée  qui  le  fuivoit ,  ne  confiftoît 
que  dans  un  corps  de  cavalerie  -,  &  il  n'étoit  pas  facile  de 
mettre  la  cavalerie  en  bataille  dans  ces  fortes  d'endroits.  De 
Poiiet  s'étant  laifle  emporter  trop  loin  par  fon  courage  ,  on 
combattit  longtems  fur  un  petit  ruillèau  ,  qui  couloît  entre 
les  deux  armées.  Les  piquiers  du  duc  de  Savoye  ayant  été 
mis  en  déroute  ,  femérent  inutilement  fur  le  chemin  les  bois 
de  leurs  piques  qu'ils  avoienc  brifées  j  car  nos  arquebufiers 
ayant  mis  pied  à  terre  s'avancèrent  en  bon  ordre  ,  malgré 
la  confufîon  avec  laquelle  les  Officiers  donnoient  les  ordres  , 
.  èc  quoique  l'avant-garde  ne  fût  pas  encore  bien  rangée  en 
bataille.  Enfin  le  Général  François  s'étant  avancé  lui-mê- 
me ,  après  avoir  difpofé  des  arquebufiers ,  d'un  côté  dans  des 
mazures ,  &  de  l'autre  dans  des  jardins ,  chalTà  les  Savoyards 
de  cette  bourgade.  Les  ennemis  perdirent  cent  hommes^ 
èc  le  chevalier  de  la  Mante  commandant  de  la  cavalerie  lé« 
gère  ,  fut  fait  pri  fon  nier. 

Les  affiégés  confternés  de  la  défaîte  des  Savoyards ,  de- 
mandèrent à  capituler  j  mais  s'étant  raffûrés  fur  l'efpérance 
que  leur  donna  le  due  de  Savoye  de  les  fecourir ,  ils  rom- 
pirent la  négociation  le  lendemain.  C'eft  pourquoi  Lefdi- 
guieres ayant  fait  fortifier  Ces  retranchemens ,  boucha  les 
pafTages  des  jardins,  pour  faire  voir  à  l'ennemi  qu'on  étoic 
dans  la  réfolution  de  préfixer  le  fiége  ,  loin  de  penfer  à  l'aban- 
donner. Pendant  ce  tems-là,  on  recommença  à  faire  joiier 
l'artillerie  du  côté  qui  regarde  la  ville  j  èc  l'on  fe  fervit  le 
26.de  Novembre,  pour  monter  deux  grofies  pièces  de  ca- 
non fur  une  hauteur,  du  moyen  que  nous  allons  expliquer. 
Dès  que  les  travailleurs  furent  arrivés  vers  le  milieu  du  ro- 
cher ,  où  l'on  pouvoit  fe  tenir ,  on  y  plaça  deux  efpéces  de 
grues,  par  le  moyen  defquelles  on  monta  avec  des  cordes 

de  LUC 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIîI.         553 

deux  canons  fur  leurs  affûts ,  l'un  après  l'autre  ^  enfuîte  les  ■" 

ayant  laifles  dans  cet  endroit  ,  on  tranfporta  les  grues  au  Henri 
fommet  du  rocher ,  où  l'on  vint  à  bout  de  guinder  ces  ca-        IV. 
nons  delà  même  manière.  On  employa  pour  cela  les  pion-     i  coi. 
niers ,  avec  des  clayes  ,  des  madriers ,  &  aut^e?  machines, 
afin  de  pouvoir  remédier  aux  embarras  que  cauloient  les 
trous  &  les  ronces  dont  ce  rocher  ëtoit  rempli. 

Lefdiguieres  ayant  ainfi  trouvé  le  moyen  de  vaincre  la  na- 
ture,concre  l'attente  des  afîîégés,  &  au  grand  etonnement  de 
fes  propres  foldats,  qui  ne  croyoient  pas  qu'il  pût  jamais  venir 
à  bout  de  Ton  deilein  ,  il  fit  pointer  des  canons  fi  près  de  la 
citadelle  qui  étoit  au-deflbus,  que  les  boulets  portoient  de- 
dans. Il  abattit  d'abord  quelques  tours  ,  6c  fit  enfuice  une 
large  brèche.  Le  duc  de  Savoye  ,  pour  encourager  les  afîié- 
gés  à  fe  bien  défendre  ,  envoya  de  Vigon  ,  où  il  étoit  alors , 
un  détachement  de  cent  cinquante  hommes  chargés  chacun 
d'un  fac  de  farine  de  quinze  livres ,  dont  on  commençoit  à 
mam]uer  dans  la  citadelle.  Ils  étoient  déjà  arrivés  au  milieu 
du  rocher ,  lorfqu'ayant  été  découverts  par  les  François ,  ils 
furent  enveloppés  ^  taillés  en  pièces.  Il  en  refta  foixante-cinq 
fur  la  place  j  on  en  prit  vingt-deux ,  àc  les  autres  jettérenc 
les  facs  qu'ils  portoient ,  pour  fe  fauver. 

Les  aiîîégés  ayant  appris  du  petit  nombre  de  ceux ,  qui  en- 
trèrent dans  la  citadelle  dansèreufement  blelTès  ,  le  malheur 
de  leurs  compagnons ,  commencèrent  à  perdre  courage  ,  dc 
ayant  demandé  du  tems  pour  enfevelir  les  morts ,  ils  prirent 
de-là  occaflon  de  faire  des  propofitions.  Enfin  la  place  fe 
rendit  le  5.  de  Décembre  ,  après  avoir  effuyé  plus  de  cinq 
cens  coups  de  canon.  Les  aiîîégés  ayant  fait  eux-mêmes  le 
traité ,  Emmanuel  comte  de  Luzerne  ,  &;  Jérôme  Vercel 
gouverneur  de  la  citadelle  l'envoyèrent  à  Lefdiguières ,  qui 
le  figna  fans  balancer.  Le  lendemain,  la  garnilbn  compofée 
de  quatre  cens  hommes  pafïa  au  milieu  de  l'armée  fans  au- 
cune infulte,  de  futefcortée  jufqu'à  Vigon  ,  qui  eft  à  deux 
lieues  de  Cavors.  Depuis  ce  jour  jufqu'au  20.  de  Décembre, 
on  employa  le  cems  à  fortifier  la  place  &  à  lever  les  contri- 
butions dans  le  païs. 

pans  le  même  tems ,  il  y  eut  une  rencontre  à  Raconîs ,  où 
pn  petit  nombre  de  François  ayant  été  enveloppés  par  quatre 
r^ms  XI,  AAaa 


Ï592' 


Troubles  en 
Normandie 
parmi  les  Li- 
gueurs. 


^^4  HISTOIRE^ 

cens  des  ennemis ,  fe  battirent  bravement  en  retraite  d\ï^ 
H  E  N  K  I  rant  l'efpace  de  trois  lieues  ,  &  rejoignirent  enfin  le  gros  de 
I  V.  l'armée  fans  aucune  perte.  Lefdiguieres  le  rendit  eniuice  à 
Briqueras ,  où  il  ne  refta  que  deux  jours  pour  donner  Tes  or- 
dres au  fujet  de  la  nouvelle  garnifon  de  cette  place.  Malgré 
le  froid  qui  étoit  excelTif ,  il  fe  mit  en  marche  par  Fcneftrel-. 
\qs  dans  le  val  de  Clufon ,  par  Sefanne  ôc  Briançon ,  ôc  fe  ren- 
dit enfin  à  Puymore. 

Il  y  eut  de  grands  troubles  en  Normandie  fur  la  fin  de 
l'année  parmi  les  Ligueurs.  Les  gouverneurs  des  places  de 
cette  Province  ne  vouloient  point  plier  fous  la  fierté  6c  l'ex- 
trême hauteur  de  Viilars-Brancas  ,  que  la  levée  du  fiége  de 
Rolien  enfloit  encore  d'un  nouvel  orgueil.  François  de  Fon- 
taine-Martel gouverneur  de  Neuf-Châtel ,  êc  le  chevalier 
Grillon  gouverneur  de  Honfleur  dans  le  pais  de  Caux  (i)  ^ 
refuférent  de  prendre  de  lui  des  ordres  ,  comme  du  Lieute- 
nant du  gouverneur  de  la  Province.  Ils  en  écrivirent  même 
de  grandes  plaintes  au  duc  de  Mayenne ,  auquel  ils  proteflé- 
xent  de  demeurer  toujours  attachés  j  quoique  réfolus  de 
ne  point  déférer  aux  ordres  impérieux  du  gouverneur  de 
Roiien. 

Dans  le  même  tems  ,  Charîe  Gouftimînil  de  Boifrozé, 
brave  Gentilhomme  du  païs  de  Caux ,  furprit  avec  la  der- 
nière hardieiîè  le  Fort  de  Fefcamp  bâti  par  Villars.  Il  fit  eu 
calader  le  i  o.  de  Novembre  ce  Fort ,  du  coté  que  le  rocher^ 
dont  le  pied  effc  baigné  par  la  marée  ,  a  trois  cens  toifes  de 
hauteur.  Pour  fe  rendre  en  cet  endroit ,  il  faut  paifer  par 
des  marais  fî  difficiles  à  traverfer  ,  que  les  foldats  de  Boif. 
rozé  eurent  beaucoup  de  peine  à  faire  une  lieuë  en  dix  heures. 
Il  arrivèrent  enfin  à  la  faveur  des  ténèbres  au  bas  du  rocher 
d'où  la  mer  s'étoit  retirée.  On  ne  faifoit  prefque  point  la 
garde  en  cet  endroit  à  caufe  de  la  marée.  Ce  fut  par  là  qu'ils 
tentèrent  l'efcalade.  Les  fentinelles  furent  égorgées  ,  &  la 
garniion  de  quatre  cens  hommes  défarmée  &  chaflee.  Boif- 
lûzé  écrivit  au  duc  de  Mayenne  qu'il  ne  s'étoit  porté  à  cette 
entreprife  ,  que  pour  la  fureté  publique ,  pour  fe  mettre  à 


(i)  Neuf-Cbâtel  eft  dans  le  païs  de 
Caux  ;  mais  Honfleur  eft  dans  le  Licu- 
yin  ,  qjje  la  Seine  fe'pare  du  païs  de 


Caux.  M.  de  Thou  n'auroit-îl  pas  vou- 
lu dire  Harfleur ,  entre  Montivillier  Sfc 
le  Havre  de  Grâce  ? 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CîII.        5^5 
couvert  des  infultes  d'un  homme  violent  &  emporté  ,  &  qu'il  — 


n'en  feroit  pas  moins  attaché  à  la  Ligue.    Villars  bouillant  Henri 
de  colère ,  n'attendit  pas  les  ordres  du  duc  de  Mayenne  pour       I  V. 
affiéger  Fefcamp.  Mais  ne  pouvant  forcer  la  place  au  gré  de     i  c  9  2, 
fon  impatience ,  il  fit  un  blocus  qui  dura  jufqu'à  la  conclu- 
fwn  de  la  trêve  de  l'année  fuivante ,  où  Boifrozé  prit  le  parti 
de  Te  remettre  à  la  difcrétion  du  Roi. 


Tf^  du  Livre  cent-troifiémel, 


AAaa  ij 


HISTOIRE 


HISTOIRE 

D  E 

]  A  C  Q_U  E    AUGUSTE 

DE   THOU 


LIVRE  CENT QVATRIEME, 


7T  'TT^Andis  que  les  Erpagnols  s'opiniâtroîent  à  faire  Ja 

TV  JL  Z^^^^^  ^^  France  ,  leurs   aflFaires  alloient   fore  mal 

dans  les  Païs-bas ,  à  caufe  de  rabfencedu  duc  de  Parme.  Le 
^59^'     comte  Pierre  Erneft  de  Mansfeldt  qu'il  avoir  laifTé  dans 
AfFairesdes  ces  Provinces  pour  y  commander  en  la  place, n'ayant  pref- 
Pais-bas.        ^^g   point  de  troupes  Se  d'argent ,  n'étoit  pas  en  état  de 
réfifter  aux  efforts  du  prince  d'Orange (t),  ôc  de  l'armée 
des  Etats  Généraux.  Les  comtes  d'Aremberg  &  de  Berlay- 
mont  avoient  deux  régimens  que  les  Chefs  ne  pouvoienc 
contenir  dans  le  devoir ,  faute  de  payement  ^  6c  qui  vivoienc 
à  difcrétion  dans  le  territoire  de  Limbourg.  Gafton  Spinola 
Sicilien  avoit  aulîi  un  régiment  Italien  de  quatorze   com- 
pagnies ,  qui  furent  difperfées  dans  les  villes  des  environs, 
parce  qu'elles  ctoient  en  mauvais  état,  &  ravageoient  la 
campagne.   La  compagnie  àas  gardes  étoit  à  Sichem  j  les 
deux  que  commandoient  Gherardi ,  &  Doria  (2) ,  avoiene 
(1;    JWsiuriçÇt  (1)    Jean-Jerôme, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIV.       557 

été  envoyées  à  Lillo  3  Pangratio  de  Parme  étoit  à  TeiTel  -^ 

avec  la  fîenne  ^  les  dix  autres  commandées  par  le  marquis  Henri 
Lucio  Pallavicin  ,  par  les  chevaliers  Guidiccioni ,  &  Car-       I  V. 
cano,  par  les  comtes  Jean-Jacque  Belgioiofo,  Vincent  Capra,     1^92, 
Sv:  Alexandre  Rangone  ,  6c  par  Pompée  Giuftiniani ,  Louis 
Botta,  Baltafar  Vico,  èc  Gabriel  BattagHa,  avoient  leurs 
quartiers  à  Dieft.  Capra avoit  refait  la  fîenne,  &  elle  étoit 
la  plus  complète.  Ces  Italiens  fe  mutinèrent,  à  l'exemple 
des  Efpagnols,  accoutumés  à  fe  foulever  faute  de  paye- 
ment j  Bino  de  Peroufe  parcouroit  les  quartiers  pour  exci- 
ter les  foldats  à  la  révolte.  Ces  mutins  ayant  arrêté  leurs 
Officiers  ,  élurent  pour  leur  chef  Vergerio  de  Genève ,  &: 
mirent  fous  lui  un  certain   caporal  appelle  Tefta.   Mais  d 
l'arrivée  de  Pallavicin,  qui  étoit  à  la  tête  du  régiment,  en 
l'abfence  de  Spinola  ,  la  iédition  s'appaifa  par  les  foins  même 
de  Vergerio ,  &  fur-tout  après  que  les  foldats  eurent  reçu 
leur  paye.  TeiVa  ,  Bino ,  Bareto ,  àc  AlelTandro  ,  convaincus 
d'avoir  été  les  auteurs  de  la  révolte  ,  furent  punis  du  der- 
nier fupph'ce,  &  fervirent  d'exemple  aux  autres.  Vergerio 
fe  mit  à  couvert  par  la  fuite. 

On  apprit  dans  le  mêmetems  que  les  garnifons  deRhin- 
berck  ,  ou  Rhinbergen  ,  de  Nuys ,  èc  de  Bonn  fe  foulevoienc 
auffi  faute  de  payement.  Mansfeldt  les  appaifa  pour  un  tems, 
en  leur  envoyant   quelque  argent ,  ÔC  en  leur   donnant  de 
meilleures  efpérancespour  l'avenir.  Il  ne  fut  pas  fî  facile  d'ar- 
rêter les  plaintes  des  habitans   de  Groningue.   Le  comte 
Guillaume-Louis  de  NaiTau  avoit  élevé  des  Forts  autour  de 
leur  ville ,  après  s'être  emparé  des  environs  ,  de  les  avoit  ré- 
duits à  d'étranges  extrémités.  Ils  écrivirent  à  Mansfeldt 
pour  le  conjurer  de  les  fecourir  ^  mais  les  lettres  ayant  été 
îurprifes ,  Verdugo  gouverneur  de  la  place  fut  obligé  d'al- 
ler à  Bruxelles,  afin  de  repréfenter  plus  vivement  la  dé- 
plorable fituation  de  Groningue  3  il  ne  put  néanmoins  ob- 
tenir de  Mansfeldt  que  neuf  mille  florins  pour  foulager  la 
mifére  du  petit  peuple.  Il  traita  dans  le  tems  même  avec  la 
Compagnie  des  marchands  de  Hambourg ,  qui  lui  promi- 
rent d'envoyer  des  vivres  &  des  poudres  aux   habitans   de 
Groningue  ,  que  de  lî  foibles  fecours  ne  purent  ralïïircr  coa- 
cre  la  crainte  de  fe  voîrrefTerrer  de  plus  près  dans  la  fuite. 

A  A  a  a  ii) 


^^^  HISTOIRE 

^=  Dans  ces  extrémités,  ils  députèrent  vers  l'empereur  Ro- 
Henki  dolplie,  pour  lui  repréfenter  â  quelles  conditions  ils  s'é- 
I  V.  toient  donnés  à  la  maifon  d'Autriche  ,  par  le  traité  qu'ils 
I  5  9  i.  avoient  fait  avec  CharleV.  en  1536.  Après  avoir  rappelle  les 
fervices  qu'ils  avoient  rendus  à  cette  Maiion  ,  ils  implorérenc 
la  protedion  de  Sa  Majefté  Impériale,  en  la  priant  d'inter- 
poiér  les  bons  offices  6c  Ton  autorité  pour  engager  le  roi 
d'Efpagne  à  leur  envoyer  au  plutôt  des  fecours  luffilàns  j  de 
crainte  que  leur  fidélité ,  qui  jufqu'alors  leur  avoir  été  pré- 
judiciable, n'entraînât  enfin  leur  ruine  totale.  L'Empereur 
reçut  les  Députés  avec  bonté ,  &  les  exhorta  à  conferver 
leur  attachement  pour  leur  Souverain  ^  &:  fans  perdre  de 
!tems,  il  fit  partir  un  ambafifadeur  pour  l'Efpagne,  avec  or- 
dre de  preiler  le  Roi  Catholique  d'envoyer  des  fecours 
plus  confidérables  en  Frife ,  ôc  fur.tout  à  la  ville  de  Gronin- 
gue ,  qui  avoit  donné  aux  autres  provinces  des  Païs-bas 
un  G.  grand  exemple  de  fidélité  j  &  de  la  délivrer  du  péril 
auquel  fon  attachement  Tavoit  expofée. 

Le  roi  d'Efpagne  remercia  d'abord  l'Empereur  de  Thon- 
îieur  qu'il  lui  faifoit  par  fa  magnifique  ambafïade  •  &  pro^ 
mît  enfuite  de  fecourir  Groningue.  Il  écrivit  aufficôt  à  Mans- 
feldt  de  quitter  tout  pour  fe  rendre  en  Frife ,  Si  délivrer 
Groningue,  que  les  ennemis  tenoient  bloquée. 

Mais  on  ne  vouloit  que  fauver  les  apparences  ^  les  Efpa^' 
gnols  étoient  trop  foibles  en  ces  quartiers  pour  exécuter 
les  ordres  du  Roi.  On  fe  contenta  défaire  partir  pour  cette 
expédition,  fous  la  conduite  de  Verdugo ,  d'Herman,  &: 
de  Frédéric  comtes  de  Bergh  ,  deux  mille  hommes  de  pied 
levés  à  la  hâre  fur  la  frontière  j  mais  ces  troupes, furent  plu- 
tôt à  charge ,  qu'elles  ne  furent  utiles  à  la  Province  j  toup 
leur  effort  fe  réduifit  à  prendre  quelques  Forts ,  que  le 
comte  de  NafTau  reprit  aulîitôt. 

Sur  ces  entrefaites  ,  les  Etats  voulant  profiter  deTabrence 
,du  duc  de  Parme  levèrent  une  armée  j  èc  pendant  qu'elle 
s'alTembloit,  les  garnifons  des  environs  de  l'Eclufe  firent  fur 
cette  place  une  tentative  qui  ne  réuflit  pas.  On  attaqua  bien- 
iEÔt  Maeftricht  avec  de  plus  grandes  forces.  Le  prince  d'O- 
range ,  après  s'être  abouché  lécretenîent  avec  le  baron  de 
Pefch  5  pour  concerter  les  moyens  de  furprendre  là  ville  ^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        5^9 

fit  prendre  les  devants  au  comte  d'HohenIo ,  avec  quatre 

mille  hommes  levés  danslaCampigne  ou  le  Kempenlandt,  He  n  ».i 

Lesfoldacs  deflinés  à  cette  expédition  pafTérent  la  Meufe  IV. 
à  la  faveur  de  la  nuit,  dans  des  barques  dont  on  s'étoic  1592-. 
alTuré  pour  cet  effet ,  &c  fe  raifemblérent  a  Wiick ,  qui  eft 
une  partie  de  la  ville  Htuée  fur  l'autre  bord  du  fleuve  3  mais 
Iqs  échelles  s'étant  trouvées  trop  courtes,  &  les  foldats 
deftinés  à  faire  diverfion  n'ayant  pas  attaqué  de  l'autre  côté 
de  la  ville  dans  le  tems  convenu ,  l'entreprife  n'eut  aucun 
fuccès. 

Le  baron  de  Pefch ,  qui  avoit  manqué  fon  coup ,  /è 
voyant  découvert,  paffa  en  Hollande  au  fervice  des  Etats , 
qui  lui  donnèrent  le  commandement  de  la  cavalerie.  Afin 
que  cette  expédition  ne  fût  pas  entièrement  infrudueufe, 
on  prit  Bercheyck  dans  la  Campigne  ,  &  on  le  fortifia. 
L'armée  s'empara  auffi  de  quelques  châteaux  autour  d'An- 
vers  j  mais  Mondragon  ,  qui  étoit  forti  de  cette  place  avec 
trois  mille  hommes  èc  cinq  pièces  de  campagne,  les  re- 
prit aufîitôt.  Tout  aboutit  enfin  de  part  ôc  d'autre  à  faire 
des  courfes  dans  le  pais  ennemi. 

La  garnifon  de  Nimegue  entra  dansTEyfFel,  païs  du 
duché  de  Cleves ,  &  pour  venger  fes  compagnons  qu'on  y 
avoit  maltraités,  fans  être  retenue  par  la  fainteté  dulieu, 
força  l'Abbaye  de  Steinfeldt ,  qui  n'efl  pas  loin  de  Sleiden, 
èc  y  commit  beaucoup  de  violences. 

Les  foldats ,  animés  par  l'avidité  du  gain  n'obfervoient 
plus  la  difcipline  militaire  -,  les  Etats  d'Overiifel ,  &  le  comte 
Herman  de  Bergh  (i)  convinrent,  pour  arrêter  ces  défor- 
dres ,  de  rafer  de  part  &  d'autre  les  Forts  qui  iervoienc  de 
retraite  à  ces  brigands.  Les  Efpagnols  ruinèrent  d'abord 
Goort  ôc  Twycklooj  ôc  les  Etats  démantelèrent Dorthet 
èc  Verwoerden. 

Dans  le  même  tems,  Gérard  Beversfort  furprit le  châ- 
teau de  Saelfleldt ,  par  la  négligence  du  gouverneur  Leu- 
kama  j  mais  le  comte  Herman  ,  après  quelques  contefla- 
tions  à  ce  fujet ,  déclara  qu'il  n'éxécuteroit  hs  conven- 
tions qu'il  avoit  faites  avec  les  Etats,  qu'à  condition  qu'on 
lui  rendroit  ce  château. 

(i)    Ou  Vanden  Berghe, 


S^o  HISTOIRE 

; La  garnifon  de  W^^eflerloo  étant  fortie  pour  aller  en  parti, 

H  EN  Kl  rencontra  entre  Bruxelles  ôc  Louvain  les  Efpagnols,  qui  la 

I  V.       taillèrent  en  pièces  3  de  des  payfans  maflacrerent  auprès  de 

TCO  2^     Dieft  ceux  qui  avoient  échappe  aux  Eipagnols.  Le  refbe  de 

la  garnifon  épouvante   abandonna  'W^ellerloo ,  qui  ouvrit 

£ès  portes  à  Mondragon  j  §l  Tournhout  ne  fit  pas  plus  de 

rèfîflance. 

Quelque  tems  auparavant,  le  baron  de  Rheyde  qui ,  com- 
me nous  Pavons  dit,  s'etoit  rendu  l'année  dernière  dans 
les  Païs-bas  avec  les  ambafTadeurs  de  l'Empereur  ,  pour  ap. 
paifer  les  troubles  de  ces  Provinces,  &  qui  étoit  paiTè  en 
Hollande  avec  les  iriflrucTiions  de  Tes  Collègues ,  fut  ren-. 
N  voyè  le  7.  du   mois    d'Avril  ,  après  plufieurs  conférences 

avec  les  Etats  généraux. 
Réponfe  Us  remercièrent  d'abord  l'Empereur  de  l'attention  parti- 

"^frT  p'^'*4       culière  qu'il  avoit  marquée   pour  rendre  le  calme  à  leurs 

a  Hollande  .       T^  .     ^  ^       .,     ^,       ,      .       .  .      , 

aux  ambaiîa-  Provmces ,  ajoutant  :  Qu'ils  iouhaitoient  depuis  longtems 
deurs  de  jg  trouver  le  moyen  de  faire  une  bonne  paix  ;  Qu'ils  avoienc 
fait  tous  leurs  eflorts  pour  y  reuiïïr  3  mais  que  1  expérience 
leur  avoit  appris  qu'on  ne  pouvoit  compter  fur  la  bonne  foi 
des  Efpagnols ,  ni  traiter  avec  eux  en  fureté  :  Qu'ils  avoienc 
violé  le  traité  fait  avec  le  prince  d'Orange  en  i  574.  &  celui 
de  Breda  de  l'année  fuivante  :  Que  cette  paix  n'avoit  été 
qu'un  prétexte  aux  Efpagnols  pour  enlever  plufieurs  places 
aux  Etats  :  Qii'ils  avoient  auffi  violé  le  traité  de  Marche  en 
Famine ,  fait  trois  ans  après  avec  Dom  Juan  d'Autriche  ; 
Qu'ils  avoient  donné  atteinte  à  la  paix,  en  s'emparant  de 
Gand  ,  de  Charlemont,  de  Namur  ,  &:  de  Marienbourg  j 
bc  que  le  baron  de  Selles  n'avoit  apporté  d'Efpagne  des  con- 
ditions de  paix  ,  que  pour  être  luivies  d'infradions  mani- 
fefles  :  Qu'ils  avoient  encore  engagé  les  provinces  d'Artois 
de  de  Hainault  à  fe  fèparer  des  Provinces-Unies  j  &  que 
la  p^rte  d'Utrechc,  &  de  Bofledix  en  Brabant  avoit  été 
tout  le  fruit  que  les  Etats  avoient  retiré  de  la  paix  de  Co- 
logne. 

Que  la  perfidie  des  Efpagnols  n'avoit  jamais  plus  éclaté, 
que  dans  le  Congrès  qui  s'étoit  tenu  quatre  ans  auparavant 
avec  les  ambafiàdeurs  de  la  reine  d'Angleterre ,  èc  les  dé- 
putés des  Etats ,  pendant  que  l'Efpagne  armoit  cette  flore 

redutabiê 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.       5^1 

redoutable  qui  dévoie  fubjuguer  l'Angleterre  &c  les  Pais-  - 

has-j  mais  qui  étant  partie  lotis  de   malheureux  aufpiçes,  Henri 
avoir  fait  prefque  entièrement  naufrage  entre  les  côtes  de       I  V. 
France  ôc  d'Angleterre  ,   après  avoir  combattu  longtems,      1592. 
plûrôt  contre  les  orages  que  contre  les  hommes. 

Qiie  non- feulement  leur  propre  danger ,  mais  encore  celui 
de  leurs  voifins ,  leurapprenoient  à  fe  défier  des  Efpagnols, 
dont  les  djlFeins  fur  la  France  étoient  alTez  connus  :  Qu'ils 
y  avoient  iecouru  hs  rebelles  contre  leur  Roi  ^  Se  qu'ils 
avoient  formé  le  complot  odieux  de  le  faire  aflairiner  : 
Qif  il  paroilToic  aflez  qu'ils  ne  s'emparoient  en  France  des 
meilleures  places  à  la  faveur  d'une  guerre  civile ,  que  pour 
en  chafler  le  légitime  héritier,  qui  s'oppofoit  à  leurs  en- 
treprifes ,  pour  envahir  ce  Royaume,  &  fonder  enfin  cette 
Monarchie  univerfelle  qu'ils  projettoient  depuis  fî  long- 
tems. 

Que  ce  n'étoit  pas  fans  delT^in  qu'ils  avoient  envoyé  de 
Flandre  tant  de  troupes  auxiliaires  en  France  fous  la  con- 
duite du  duc  de  Parme, 6c  qu'ils  avoient  tiré  des  troupes  d'Ei^ 
pagne  pour  faire  des  defcentes  en  Bretagne,  6c  d'un  autre 
côté  en  Languedoc  :  Qu'ils  augmentoient  les  foupçons 
qu'on  avoit  conçus  de  leur  peu  de  fîncérité  ,  &  failoienc 
bien  voir  qu'ils  ne  vouloientpas  la  paix  j  puilqu'ils  l'avoicnc 
propofée  dans  TalTemblée  de  Francfort,  lorlque  le  duc  de 
Parme  fe  préparoit  à  entrer  en  France-  6c  qu'ils  avoient 
difFéré  la  négociation  après  fon  retour,  jufqu'à  ce  qu'il  piic 
y  rentrer  avec  des  forces  plus  confidérables  :  Qu'ils  ne  fai- 
foient  de  nouvelles  propofitions  que  parce  qu'il  étoitabrent  j 
de  qu'on  alloit  prendre  des  mefures  dans  la  dijtte  pour  re- 
tirer de  leurs  mains  les  terres  qu'ils  avoient  ufurpees  dans 
l'Empire  :  Qu'au  refte  ce  n'étoient  pas  de  foibles  conjjdu- 
r^s  ;  Qu'ils  étoient  afllirés  des  delfeinsdes  Efpignols  par  les 
lettres  que  Martin  de  Idiaquez  premier  Secretaiie  du  roi 
d'Efpagne  écrivoit  à  Guillaume  de  Saint-Clement  ambairi- 
deur  en  Allemagne,  qu'ils  avoient  furprifes  :  Qu'ils  n'avoi^Mic 
pas  encore  oublié  le  traitement  qu'on  avoir  fait  aux  habi- 
tants d'Aix-la-Chapelle  à  la  foUicitation  du  roi  d'Efpjgne. 

Que  perfonne  n'ignoroit  avec   quelle   licence  les  EÏpa- 
gnols  ,   toujours  portés  à   s'emparer  du    bien    d'autrui , 
Xo^e  XI,  BBbb 


155^2. 


5b^2  HISTOIRE 

■  ravageoient  le  duché  de  Cleves ,  donc  ils  avoient  ôté  i'ad-- 

Henri  miniflration  aux  légitimes  hériders  3  &  quels  artifices  ils 
I  V.  avoient  employés  pour  fe  l'attribuer.  Enfuice  reprenant  les 
choies  de  plus  loin ,  ils  diloient  :  Qii'ils  avoient  toujours 
devant  les  yeux  ces  maximes  odieules  de  la  Cour  de  Rome^ 
qui  dirpenfent  de  garder  la  foi  jurée  aux  hérétiques  ôC  aux 
rebelles ,  au  nombre  defquels  l'Efpagne  les  comptoit  lî  in» 
juflement  depuis  tant  d'années  :  Qj^ie  les  Etats  ne  pouvoienc 
par  ces  raifons  conléntir  à  la  paix  ,  ni  prendre  aucunes  ré- 
lolurions  fans  en  avoir  auparavant  conféré  avec  la  reine 
d'Angleterre,  leur  alliée  ,  èc  fous  l'avis  du  Roi  très-Chré- 
tien. 

Que  c'étoit  par  ces  motifs  qu'ils  auroient  fouhaité  dès  le 
commencement,  que  l'Empereur  n'employât  point  (a  média- 
tion dans  une  affaire  qu'il  auroit  le  déplaifir  de  ne  pas  voir 
réiifTir  iQii'ils  conjuroienc  Sa  Majefte  Impériale  de  prendre 
en  bonne  part  tout  ce  qu'ils  avoient  fait  ,&.  leurs  dernières 
ré/olutions.  Ils  s'exculoient  enfin  fur  la  rigueur  de  l'hiver^, 
de  fur  la  difficulté  des  chemins,  qui  avoient  empêché  les. 
dépurés  des  Etats  de  le  ralTembler,  de  ce  qu'on  avoit  été 
il  longtems  fans  donner  la  réponfe  à  [qs  Ambaflàdeurs. 

Les  Erats  publièrent  la  réponfe  qu'ils  avoient  faite  à  l'Em- 
pereur ,  &  firent  l-rappt  r  ^n  mémoire ,  des  médailles  d'argenc 
èc  d'airain ,  félon  leur  Cv>ûtume.  On  voyoit  fur  un  côte  de 
ces  médaillv'S ,  une  férvante  Hollandoife  qui  dormoit  dans 
un  jardin  ,  &:  des  ennemis  qui  paroiffoient  vouloir  la  fur-^ 
prendre,  &  d'autres  qui  l'attaquoient  à  force  ouverte  j  on 
y  liioit  ces  mots  :(i)  :  ax  pat  et  iiijidiis.  Sur  le  revers,  une 
femme  éveillée  paroifloit  environnée  d'une  bonne  garde  5 
la  légende  écoit:  (1)  Tuta  faUs  bcl'c. 

Pendant  ce  tems-là  le  prince  d'Orange  ne  reftoit  pas  dans 
l'inadion  ,  il  convint  avec  les  Etats  des  chofes  ncceffaires 
pour  la  guerre  ,  6c  partit  enfuite  pour  Middelbourg.  Il 
reprît  d'abord  le  chemin  de  la  Haye  3  Se  marcha  vers 
Utrecht  ,  pour  arrêter  les  troubles  qui  s'étoient  élevés 
dans  cette  ville.  Il  y  avoit  deux  factions  j  l'une  de  Jacobites , 
&,  l'autre  de  Confiftoriaux.  Elles  s'étoient  formées  fous  le 


(i)     r:eft-à  efire  :  Le  chemin  de  la 
paix  eft  rempli  de  pièges. 


(2)     Ce  qui  fignifie  ;  La  guerre  aflïirj 
notre  bonheur. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.  5^3 

gouvernement  du  comte  de  (  i  )  Leyceilre  dès  le  tems  que  les  ?î^ 


nouveautés  qu'il  vouloit   introduire    dans    ces    Provinces  H  en  r  i 
avoient  prelque  caufé  fa  difgrace.  Elles  avoient  pris  leur      I  V. 
nom  du  Miniftre  de  la  paroille   de  Saint  Jacque,  dont  la      1591, 
morale  ctoit  afTés  relâchée  -,  &  du  Confiftoire ,  qui  vouloit 
faire  obferver  une  difcipline  févére. 

Les  Confiftoriaux  appuyés  par  le  comte  de  Leyceftre 
avoient  chaiîc  de  la  ville  les  plus  confidérables  d'entre  les 
Jacobites  j  mais  ceux-ci  ayant  trouvé  une  occafion  favora- 
ble, prirent  les  armes  de  grand  matin  j  &  ayant  furpris  les 
Confiftoriaux  ,  les  chaiîerent  à  leur  tour,  &  entr'autres 
Jean  de  Brakele  ,  Bourguemeftre  ,  d'une  naiflanceilluflre  j 
Se  rappellérent  ceux  des  leurs  que  les  Confiiloriaux  avoienc 
forcés  à  quitter  Utrecht. 

Le  prince  d'Orange  pacifia  ces   troubles  ,   rappella  les      Stccnw'ck 
exilés,  de  donna  un  Gouverneur  à  la  ville.  Il  manda  eniuite  p";!,;^^  Jq-^ 
les  garnirons  pour  affembler  Ton  armée,  qui  lé  trouva  com-  range. 
pofee  de  huit  mille  hommes  d'infanterie,  ôc  de  deux  mille 
chevaux.  Les  principaux  chefs ,  après  le  comte  d'Hohenlo , 
étoient  Barchon  Maréchal  de  camp  ,  Philippe  de  Nailiu  qui 
étoit  à  la  tête  de  la  cavalerie,  de  Levin  de  Famars  Com- 
mandant de  l'artillerie,  de  Grife  Général  des  vivres,  la 
Creflonniére  Sergent  major  ,   Guillaume    de  Nafîau  ,   le 
comte  de  Solms ,  François  Veer  ,  de   Brederode,  Jacque 
Balfour  Ecoiïbis ,  Dorp  ,  Groonevelt ,  &  autres  Capitaines 
diftingués. 

Le  prince  d'Orange  fit  prendre  à  fon  armée  le  chemin 
de  Steenwick,  &  campa  le  28.  Mai  devant  cette  place. 
Elle  avoit  fait  autrefois  ,  lorfque  les  Etats  en  étoicnt  les 
maîtres  ,  une  vigoureufe  réiiftance  contre  le  comte  de 
Rennebourg  ,  qui  l'afFiégea  dans  le  tems  qu'il  étoit  au  fer- 
vice  du  duc  de  Parme.  Jean-Baptifte  Taxis  l'avoit  prilè 
dans  la  fuite ,  &  l'avoit  fortifiée  d'un  terre-plein.  On  croyoic 
que  les  Etats,  après  la  prife  de  Deventer ,  l'attaqu-^rcienc 
à  la  première  campagne ,  Il  l'arrivée  du  duc  de  Parme  ne 
les  en  empêchoit. 

Le  capitaine  Antoine  la  Cocquîelle ,  vieil  Officier ,  étoit 
dans  la  place  avec  quinze  compagnies.  La  garnilon  étuic 

(0    Ou  de  J-eicefter. 

BBbb  ij 


5(^4  HISTOIRE 

compofée  d'Anglois ,  qui  avoient  pris  parti  dans  les  troupes 

Henri  d'Efpagnej  d'autres  Anglois  pris  à  Gertruydenberg  ,•  &.  de 

IV.       Vallons  qu'on  avoit  renvoyés  après  la  prife  de  Deventer , 

j  ç  à  condition  qu'ils  ^ne  porteroienc  pas  les  armes  contre  les 

Etats. 

Ces  motifs,  &  l'intérêt  delagarnifon  faifoient  attendre 
d'elle  une  refiftance  opiniâtre.  La  Cocquielle  exhorta  fes 
foldats  j  àc  fans  leur  dilfimuler  la  grandeur  du  péril ,  il  leur 
lit  promettre  avec  ferment  de  ne  penfer  à  fe  rendre  ,  qu'a- 
près avoir  fait  les  derniers  efforts  pour  conierver  la  place 
qui  leur  avoit  été  confiée  juiqu'au  retour  du  duc  de  Parme, 
qu'on  attendoit  de  jour  à  autre  ^  &:  fi^achant  que  les  muni- 
tions de  poudres  manquoient ,  il  les  pria  de  ne  s'en  fervk 
qu'avec  ménagement ,  &  dans  l'extrême  néceiîité. 

Le  prince  d'Orange  ayant  fait  tirer  les  lignés ,  fit  élever 
un  cavalier  de  terre  à  la  hauteur  de  dix-neufs  pieds,  ôc  fie 
placer  dellus  trois  canons  pour  incommoder  les  aQiégés, 
qui  voyants  que  les  feux  d'artifice  qu'on  lancjoit  de  ce  ca- 
valier avoient  embrafé  les  maifons  voifines  du  rempart^ 
les  démolirent,  6c  comblèrent  le  terrain.  Enfin  le  8.  du 
mois  de  Juin,  les  batteries  étant  prêtes  à  foudroyer  les  murs, 
il  fut  tire  iept  mille  coups  de  canon  fans  beaucoup  de  fuc- 
cès  j  car  Ibit  que  ce  fut  la  faute  des  canonniers ,  ou  que 
les  canons  s'échaufFalIent  trop  ,  on  s'apperçut  que  les  boulecs 
avoient  paifé  pardelïus  la  ville  pour  aller  tomber  dans  le 
camp  du  comte  Gillaume  de  Nafïàu ,  où  ils  avoient  tué 
quelques-uns  de  les  foldats, 

Lqs  ennemis ,  armés  feulement  de  balais ,  courroient  fur 
les  remparts,  qu'ils  balayoient  par  derifion  à  la  vue  des 
afiiégeans  ,  &  efifuyoient  la  place  des  coups ,  comme  s'il  n'y 
eût  eu  que  de  la  poufiiére.  Le  feu  de  l'artillerie  recom- 
men(^a  cinq  jours  après,  depuis  quatre  heures  du  matin  jufl 
qu'a  fix  heures  du  loir.  Cinq  bataillons  furent  commandés 
pour  l'afTaut  j  mais  les  Chefs  n'ayant  pas  trouvé  la  bréclie 
alfcz  large ,  changèrent  de  defiein. 

On  commença  à  creufer  des  mines  du  côté  que  les  aÏÏîé- 
geans  écoient  le  plus  expofés  3  &:  pendant  qu'on  y  travail- 
ioit,  les  ennemis  firent  deux  vigoureufes  forties ,  &  enlevèrent 
un  drapeau,  après  avoir  taillé  en  pièces  quelques  foldats^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        s^5 

Enfin  le  1 7.   du  mois    les  afïïégés  étant  fortis  de  nuit  en  ' 

camifade,  au  nombre  de  cinq  cens  hommes  d'élite,  tail-  Henri 
lérent  en  pièces   la  x:ompagnie  du  colonel  Okhoven  ,  twé-      1  V. 
rent    fon  Lieutenant,  &  même  quelques-uns  d'entre-eux     jcqi 
dans  robfcurité. 

Enfuite  Cornput,  Meftre  de  camp  du  régiment  de  NY^eft- 
frife ,  fit  conftruire  avec  des  mâts  une  tour  à  (  i  )  trois  éta- 
ges. On  pouvoit  l'abaiflèr  &  l'élever  par  le  moyen  de  vis  de  ; 
ter.  Les  ioldats  à  couvert  dans  cette  tour  étoient  élevés 
au-deillis  de  la  ville  ^  enforte  que  les  affiégés  n'ofoient  plus 
paroître  dans  les  rues.  Ils  percèrent  d'abord  des  maifons  , 
pour  avoir  la  liberté  d'aller  &  de  venir  fi^r  les  remparts ,  de 
drefierentune  batterie  qui  abattit  le  faîte  de  cette  machine, 
mit  en  pièces  les  foldats  qui  y  étoient  enfermés ,  &  la  ren- 
dit inutile.  Mais  parce  qu'elle  avoir  fait  plus  de  mal  aux 
afiîégeans  qu'aux  affiégés ,  les  foldats  l'appellérent  par  dé- 
rifion  ,  la  perche  aux  gluaux,  que  l'on  met  dans  les  jardins 
pour  prendre  les  oifèaux. 

Vers  la  fin  du  mois,  Verdugo,  inquiet  fur  l'événement 
du  fiége ,  fit  avertir  les  affiégés  qu'il  leur  envoyoit  deux 
cens  cinquante  hommes  d'élite ,  chargés  chacun  d'un  fac 
de  poudre ,  6c  de  faire  une  fortie  dans  le  tems  que  ce  fe- 
cours  approcheroit  de  la  ville.  Mais  celui  qu'il  avoit  en. 
voyé  tomba  entre  les  mains  des  ennemis ,  qui  étant  pré- 
venus coupèrent  ce  convoi,  en  tuèrent  deux  censhommies 
avec  d'autant  plus  de  facilité  que  les  affiégés  ne  fortirent 
point  à  l'heure  marquée  5  lerefte  fut  diiperfe  •  il  en  entra  peu 
dans  la  ville  5  &  ce  ne  fut  que  pour  y  jetter  l'allarme.  Ils 
apprirent  aux  affiégés ,  qu'il  ne  leur  reftoit  plus  aucune  ef. 
pérance  de  fecours  ^  que  les  garnifons  voifines  ,  fous  pré- 
texte qu'on  ne  les  payoit  point ,  avoient  refulè  de  marcher 
à  leur  îècours ,  quoique  le,  comte  de  Mansfeldt  eût  fait  tous 
fes  eflPorts  pour  les  y  engager. 

Ces  trilles  nouvelles  découragèrent  entièrement  les  affié- 
gés ,  qui  commencèrent  à  parler  de  fe  rendre.  Il  y  eut  des 
difficultés  pendant  quelque  tems,  parce  que  le  prince  d'Q- 
range  vouloit  qu'on   lui  livrât    les   Anglois   qui   s'étoient 

(i)    A^o^.  Lifez  à  neuf  étages ,  félon  Mctcren  p.  541.  &  Lauriers  de  NafTau 
î>.  103.  Put: 

BBbbiij 


5^6  HISTOIRE 

jH .*  donnés  à  J'Efpagne  ,  6c  ceux  qui  avoient  ouvert  Gertruy- 

Henri  denberg  à  Tennemi.  Dans  cette  incertitude  ,  on  mit  le  feu 

1  V.      aux  mines ,  de  loixante-cinq  canons  abattirent  une  grande' 

I  K9  1,     p^^*^^^  ^^^  murs  ,  6c  mirent  en  pièces  plufieurs  d'entre  les 

alliégës.  Le  prince  d'Orange  voulant  voir  de  trop  près  les 

mines ,  reçut  dans  le  vifage  un  coup  de  feu  qui  lui  affleura  la 

joiie. 

Enfin  tout  étant  difpofé  pour  l'aflaut  ,  les  afîiègés  qui 
avoient  perdu  leurs  plus  braves  Chefs  ,  entre  autres  le 
comte  Louis  de  Bergh  ,  le  capitaine  Blondel  ,  Heilel,  les 
lieutenans  de  Steinbach  &:  de  Camega ,  ôc  d'ailleurs  afFoibiis 
par  le  grand  nombre  de  blefïès  ,  capitulèrent  le  5.  de  Juillet. 
On  leur  permit  de  le  retirer  fans  armes ,  à  condition  que  de 
fix  mois  ils  ne  ferviroient  point  au-delà  dit  Rhin. 

Il  n'y  eut  ,  fuivant  les  hifloriens  Efpagnols  ,  que  mille 
hommes  de  tués  du  côté  du  prince  d'Orange  j  mais 
les  hiftoriens  de  fa  vie  en  font  monter  le  nombre  jufqu'à 
quinze  cens  ,  èc  rapportent  qu'il  y  eut  vingt-neuf  mille 
coups  de  canon  tirés  à  ce  fiége.  François  Veer ,  &  Horace 
fon  frère  y  furent  dangereufement  blelTès,  &  de  Vorp  mou» 
rut  quelque  tems  après  de  [qs  blelTures.  Berenllein ,  brave 
Capitaine ,  fut  mis  dans  la  place  avec  quatre  compagnies. 
On  combla  la  tranchée  ,  &  on  renverfa  les  Forts  que  les  fol- 
dats  avoient  élevés.  On  répara  aulîî  la  brèche ,  ôc  le  rem- 
part fut  fortifié  au  dedans.  La  Cocquielle,  &  Waterdik  fon 
Lieutenant  furent  conduits  en  fureté,  avec  les  bleiTès  &le 
bagage  à  Benthem  ,  fur  la  frontière  de  >5reftphalie.  Les 
transfuges  &L  ceux  qui  avoient  pris  parti  dans  les  troupes 
d'Efpagne ,  pour  fe  dérober  au  fupplice ,  ne  furent  pas  com- 
pris dans  le  traité. 

Après  la  prife  de  Steenwick,  le  prince  d'Orange  en- 
voya devant  lui  douze  cens  hommes  ,  &  alla  camper  de- 
vant Oetmarfen.  Alfonfe  de  Mendoze  gouverneur  de  la  place 
defefpèrant  de  pouvoir  la  défendre,  en lortit  à  l'arrivée  des 
ennemis  avec  foixante  chevaux ,  &:  s'ouvrit  un  chemin  l'épèe 
à  la  main  pour  fe  retirer  en  lieu  de  iliretè.  Il  avoit  promis 
à  la  garnilon  de  lui  amener  les  fecours  qu'il  alloit  demander 
à  Verdugo. 

Cependant  le  prince  d'Orange  fit  les  approches  de  la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         5(^7 

place.    Pendant  que  de  Famars  donnoic  [qs  ordres  pour  ^^f^^^^igg^» 
drefîer  des  batteries  contre  la  ville,  il  reçut  dans  la  tête  un  Henri 
coup  d'arquebufe  donc  il  mourut.  Sa  mort  affligea  fenlible-       I  V. 
ment  le  prince  d'Orange,  qui  perdit  en  lui  un  lage  confeil,     i  co  -. 
un  ami  fîdéle,  habile  au  métier  de  la  guerre,  de  très-expé- 
rimenté dans  l'artillerie.  Les  afîîégés  craignants  qu'on  ne 
vengeât  cette  more  fur  eux  ,  s'ils  relîfloiencpluslong-tems, 
prirent  le  parti  de  fe  rendre,  la  vie  fauve. 

Le  même  jour,  le  prince  d'Orange  alla  au  camp  devant 
la  ville  de  Coëvorden  au  païs  de  Drente.  Sonoy  l'avoit  au- 
trefois munie  d'un  rempart,  2^  l'avoit  environnée  de  fofTés. 
Le  Gouverneur  mit  le  feu  aux  fauxbourgs ,  &  aux  maifons 
voiiînes ,  pour  rendre  les  approches  de  la  place  plus  difficilesj 
mais  cela  ne  fervit  qu'à  les  faciliter  5  car  les  (oldats  du  prince 
d'Orange  couverts  par  la  fumée  de  i'embraièment  ,  tirè- 
rent les  lignes  de  circonvallacion  ,  6c  s'étant  emparés  de 
del'Eclufe,  mirent  à  fec  le  fofTé ,  briférent  les  chaînes  du 
pont-levis  de  la  citadelle,  6c  le  renverlérent  j  6c  ayant  fait 
par-delTous  le  foiTé  des  galeries  qu'ils  couvrirent  de  gazon, 
ils  s'avancèrent  jufqu'au  pied  du  mur  3  le  comte  Guillaume 
mit  lui-même  la  main  à  l'ouvrage. 

Dans  ce  tems-là  ,  le  duc  de  Parme  de  retour  en  Flandre 
de  fon  expédition  de  France  ,  alloit  prendre  les  eaux  de  Spaj 
les  Etats ,  pour  l'empêcher  de  pafTer  le  Rhin  à  Berck  ,  don- 
nèrent commiflionau  colonel  f  1)  Steenberg  de  lever  un  ré- 
giment ,  dont  le  comte  de  Hohenlo  fit  la  revue  â  Arem- 
berg.  > 

Sur  ces  entrefaites,  Phih'ppe  de  NafTau  que  les  Etats 
avoient  envoyé  au  fecours  du  roi  de  France,  revint  à  pro- 
pos dans  les  Païs- bas  avec  fes  trois  mille  hommes  de  trou- 
pes,  qu'on  retira  des  garnifons  prefque  auffi-tôt  qu'on  les  y 
eut  difperfées ,  pour  les  eiivoyer  à  Gravenweerdt  ,  parce 
qu'on  craignoit  que  le  duc  de  Parme  ne  fît  quelques  tenta- 
tives de  ce  côté- là  dans  fon  palTage.  Ceux  de  Zwol  four- 
nirent fix  gros  canons  ,  6c  autant  de  coulevrines  ,  &  por- 
tèrent une  grande  abondance  de  vivres  dans  le  camp. 

Vcrdugo  prelfatanc  le  duc  de  Parme,  qu'il  en  obtint  en- 
fin le  commandement  desrègimens  de  Charle  de  IVlansfeld, 
•  (0  Meteren  le  nomme  Stolberg. 


5^S  HISTOIRE 

de  Mondragon ,  d'Odave  de  Gonzaguc ,  d'Aremberg  ,&  de 
Henri  Berlaymonc,  &  de  quelques  autres  troupes  de  cavalerie  que 
I  V.       commandoit  Alonfo  d'Avalos-,  en  l'abfcnce  du  Marquis  ion 
IJ9Z,     frère.  Il  fit  paiTer  le  Rhin  à  fes  foidats ,  entre  Rhinberk  6c 
Xi^efel ,  après  qu'ils  eurent  élevé  un  Fore  de  l'autre  côté  du 
fleuve.  De-là  ces  troupes  s'avancèrent  jufqu'à  GroU,  &  arri- 
vèrent à  la  vue  d'Oldenzeel  le  7.  du  mois  de  Septembre. 
Verdugo  partit  d'abord  pour  Herdenberg  ,  où.  il  dévoie 
camper  ,  comme  on  le  difoit  5  mais  ayant  changé  de  delTein, 
il  marcha  vers  Ulien  ,  6l  enfuite  vers  Emlichen  village  du 
Comté  de  Benthem  ,  qui  n'eft  éloigné  de  Coëvorden,  que 
d'une  heure  de  chemin. 

Il  Te  propofoit  de  jetter  du  fecours  dans  cette  place  j  mais 
le  païTan  qu'il  avoit  envoyé  pour  en  donner  avis  à  la  gar- 
rjfon ,  ayant  été  pris  par  les  ennemis ,  fut  contraint  de  dé- 
couvrir que  Verdugo  devoit  pafTer  par  le  quartier  du  comte 
d'Hohenlo  qu'on  gardoit  avec  négligence.  Le  prince  d'O- 
range fît  doubler  la  garde  de  ce  côté-là  ,  &:  ordonna  à  fes 
foidats  de  fe  tenir  prêts  pendant  toute  la  nuit.  Verdugo  s'é- 
tant  prefentè,  fut  repouflé  avec  cent  trente-fîx  des  liens  j 
il  y  en  eut  beaucoup  de  blefTès ,  &  plufîeurs  chevaux  périrent 
dans  ces  endroits  marécageux.  Le  prince  d'Orange  n'y  per- 
dit prefque  point  de  foldats,il  n'y  eut  que  le  comte  Guillaume 
de  Nafîàu  qui  fut  légèrement  blefïe  au  bas  ventre.  Cette, 
rufe  n'ayant  pas  réuffi  ,  Verdugo  fit  prendre  le  lendemain 
des  fafcines  à  fes  foidats,  pour  fe  faire  à  force  ouverte  un 
chemin  jufqu'à  la  ville  au  travers  de  ces  marais  j  mais  ayant 
trouvé  plus  de  difficulté  qu'il  ne  s'y  étoit  attendu  ,  il  fe  con- 
tenta de  tirer  deux  fois  le  canon  pour  avertir  les  habitans 
de  fon  arrivée.  Le  canon  de  la  ville  lui  répondit  autant  de 
fois.  Il  fè  retira  enfuite  à  Velthuifen  dans  le  comté  de 
Benthem. 

Les  habitans  de  Coëvorden  n'ayant  plus  de  fecours 
à  efpérer  ,  capitulèrent  enfin  avec  le  prince  d'Orange 
qui  s'ennuyoit  de  la  longueur  du  fiége.  Il  accorda  par  le 
traité  de  capitulation  à  Frédéric  de  Bergh  &:  à  fon  frère 
Herman ,  qu'il  appelloit  fes  coufins  germains,  ôc  qui  s'étoient 
enfermés  dans  la  place  pendant  le  fiège,  6c  à  leur  confidè- 
ration ,  aux  autres  Officiers  6c  à  la  garnifon ,  la  permiffion 

de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.  5^9 

àe  fe  retirer  où  ils  voudroienc ,  &  de  fortir  de  la  ville  ,  en- 
freignes déployées ,  mèches  allumées ,  avec  leurs  armes ,  leurs  Henri 
chevaux  &.  leur  bagage  j  à  condition  cependant  d'y  laifïèr        IV. 
l'artillerie ,  les  vivres  &c  les  munitions.  Le  Clergé  eut  aufli      i  foz. 
la  liberté  de  fe  retirer,  &  on  fournit  des  chariots  pour  em- 
porter leurs  meubles,  à  ceux  des  habitans  qui  voulurent  quit- 
ter la  ville.  Cela  fut  exécuté  le  1 1.  du  mois  de  Septembre. 
Le  prince   d'Orange  fit  relever  les  murs ,  àc  mit  la  place 
en  état  de  défenfe  j  il  arriva  à  Zwol  fur  les  traces  des  Ef- 
pagnols ,  fe  réfervant  à  prendre  fon  parti  fur  celui  que  pren- 
droit  l'ennemi. 

Lqs  régimens  de  Berlaymont  &  d'Arembergh  ayant  quit- 
té le  gros  de  l'armée,  pafïerent  le  Rhin  à  Berckj  &  Verdugo 
mit  le  refte  de  fos  troupes  en  quartier  aux  environs  de  Oi- 
denzeel,  GroU ,  Goor,  Enfchede  ,  èc  Linghen.  Il  fe  pafla 
beaucoup  de  tems,  fans  rien  faire  de  part  ôc  d'autre  j  6c  comme 
l'automne  s'avançoit,  èc  que  les  chemins  étoient  devenus 
impraticables  à  caufedes  pluies ,  le  prince  d'Orange  fe  ren- 
dit à  Arnhem  le  8.  de  Novembre ,  êc  diftribua  auiîî  Ces  trou- 
pes en  quartiers  d'hyver. 

Peu  de  tems  après,  le  duc  de  Parme,  afin  d'être  plus  a  Mort  du  duc 
portée  de  faire  £es  préparatifs  pour  rentrer  en  France  ,  quit-  <^^  Pâme. 
ta  Bruxelles  &  fe  rendit  à  Arras.  Il  plaça  fon  quartier  dans 
l'abbaye  de  S.  Vaffc,  où  l'incommodité  de  fa  dernière  blef- 
fure  jointe  à  fon  ancienne  maladie,  &  le  dépiaifir  de  voir 
tomber  en  décadence  les  affaires  en  Flandre,  tandis  qu'on 
l'obligeoit  à  porter  la  guerre  dans  un  Royaume  étranger , 
augmentèrent  fon  mal  ,  &:  le  réduifirent  à  l'extrémité.  Enfin 
le  iecond  jour  de  Décembre,  fentant  que  fes  forces  dimi- 
iiuoient  :  C'er^  eft-fait ^  dit  ce  Prince,  les  remèdes  font  inutiles» 
Le  comte  Cômc  Mazi  fon  Secrétaire  étant  alors  entré  ,  6c 
l'alTûrant  avec  joye  qu'il  feportoit  mieux  : /'r^i'^^/y/^/^j-^tf^^r, 
dit-il  ,  tant  cjite  mes  forces  pourront  le  permettre  -,  &  ayant 
iigné  pendant  quelque  tems  des  lettres,  on  le  remit  fur  fon 
lit.  Jean  Sarafin  abbé  de  S.  Vall:  lui  ayant  adminiftré  l'ex- 
trême-Ondion  fur  le  ioir,  ce  Prince  mourut  peu  après, âgé 
de  quarante- fept  ans. 

Ce  fut  un  des  plus  grands  Capitaines  de  notre  fiécle,  qui     Son  éloge, 
joignit  à  la  prudence  ,  l'habiletc ,  la  vigilance,  la  fermeté, 

'Ji^me  Xi,  C  C  c  c 


570  HISTOIRE 

èc  le  bonheur,  auquel  contribuoîc  encore  le  fouvenîr  de  lâ/ 
Henri  ducheiTe  de  Parme  fa  mère  ,  qui  avoit  gouverne  les  Païs-bas 
1  V.  avec  beaucoup  de  modération  &  d'equicé  ,  &  dont  le  rappel 
I  COI.  avoir  caufé  le  n-alheur  de  ces  Provinces.  En  mémoire  de 
cette  fage  Gouvernante  ,  les  Flamands  qui  avoient  marqué 
une  averlion  infurmontable  pour  l'orgueil  &:  la  domination 
des  autres  gouverneurs  Efpagnols,  dont  le  iuccès  les  jettoienc 
dans  le  delefpoir ,  voyoienc  au  contraire  avec  tranquillité 
les  vic1;oires  du  duc  de  Parme  ,  àc  fe  livroient  â  fa  bonne  foi.- 
Les  Efpagnols  faifoient  allez  éclater  la  jaloufie  que  leur  cau- 
foit  cette  affedion  des  Flamands  ^  c'eft  ce  qui  augmenta  le 
foupçon  qu'eurent  les  peuples  qu'il  avoir  été  ernpoifonné. 
Mais  on  fut  convaincu  du  contraire  à  l'ouverture  de  Ion; 
corps  j  &  il  parut  que  fa  maladie  venoit  du  défaut  des  par- 
ties intérieures,  6c  qu'il  ne  pouvoir  pas  vivre  long-tems ,  à 
caufe  de  la  folblelle  de  fon  tempérament. 

Il  avoit  rendu  de  grands  fervices  à  l'EfpagnCj  mais  la  perte 
de  cette  flore  qui  avoit  épuifé  tant  de  treiors  les  avoit  effa- 
cés. Ses  envieux  répandirent  le  bruit  qu'il  n'avoit  pas  voulu 
fecourir  cette  flote  ,  avec  des  vailleaux  plats  dans  le  rems 
qu'elle  luttoit  contre  les  vents  ^  ce  qui  l'avoic  fait  foup- 
çonner  de  vouloir  plutôt  prolonger  que  terminer  la  guerre, 
éc  d'avoir  conçu  de  la  jaloufie  de  ce  qu'on  avoit  confié  à  un 
autre  qu'à  lui  l'expédition  d'Angleterre.  Ses  fuccès  en  France 
avoient  en  quelque  fa(^on  écarté  ces  louperons  3  il  y  avoic 
fait  lever  le  fiégè  de  Paris  6c  de  Roiien  ,  &:  s'etoit  acquis 
par-là  une  fî  grande  réputation ,  qu'on  ne  croyoit  rien  au- 
dellus  de  fon  habileté  miiitaire.il  etoit  forti  avec  honneur 
de  la  lice  où  il  éroit  entre  avec  un  grand  Roi ,  qui  n'étoic 
pas  moins  bon  Capitaine  ,  &;  acoùtume  à  vaincre.  Il  mou- 
rut, pour  ainfi  dire,  dans  la  fleur  de  fes  fuccès.  On  ne  put 
jamais  lui  rien  reprocher  du  coté  de  la  fidélité  pour  fon 
Prince  ,  ni  du  côte  de  la  guerre  ,  ce  qui  mit  le  comble  à  fon 
bonheur. 

On  lui  fît  une  magnifique  pompe  funèbre  à  Arras.  Pierre 
Ernefl:  de  Mansfeld;,  fon  Lieurenant  fuivoic  immédiatement 
le  corps.  Il  s'éleva  une  dilpute  entre  les  Italiens  &  les  Eipa- 
gnols  pour  le  pas  5  mais  les  Italiens  l'emportèrent  ,ôceurcnc 
la  place  d'honneur  dans  les  funérailles  d'un  Prince  ôc  d'un 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIV.         571 

grand  Capitaine  de  leur  Nation ,  qui  avoir  non-feulement 
réveillé  la  gloire  des  armes ,  &  la  icience  militaire  éteintes  Henri 
depuis  long-tems  en  Italie  3  mais  qui  \ç.s  avoit  encore  por-      IV. 
tées  plus  loin  ,  que  les  Capitaines   qui  l'avoient  devancé.      1^92. 
L'Evêque  de  Saint  Orner  lic  l'oraifon  funèbre  du  duc   de 
Parme.  Hubert  Rodolphe  abbé  de  Cîteaux  compofa  auill 
un  panégyrique  en  fon  honneur. 

Robert  de  Barbançon  marchoit  devant  le  corps  qui  fut 
porté  à  Bruxelles  avec  une  pompe  militaire  le  8.  Décembre, 
de  dépofe  dans  la  chapelle  du  Palais.  Il  fut  enfuite  tranf- 
porte  en  Italie  par  Mario  Farnefe ,  efcorté  d'une  troupe  de 
cavalerie  en  detiil  3  palla  par  la  Lorraine  ,  la  Franche-Com- 
té &  la  Savoye  3  &  arriva  enfin  à  Parme  où  il  fut  inhumé 
dans  l'églile  de  la  Paix  ,  fans  appareil ,  couvert  d'un  habit  de 
Capucin  ,  comme  on  difoit  qu'il  l'avoit  ordonné  par  fon 
teftament.  Il  fut  mis  dans  le  tombeau  de  Marie  de  Portu- 
gal fa  femme ,  qui  l'avoit  ainfi  fouhaité  par  Ion  teftament. 

Enfuite  avec  la  permillion  du  Pape  ,  on  lui  fit  à  Rome , 
d'où  il  étoit  originaire  ,  de  fuperbes  obféques ,  &:  un  fervice 
folemnel  dans  l'églile  dQS  Capucins  d'ylra  cœLi ,  en  mémoire 
Ats  grandes  choies  qu'il  avoit  faites  pour  la  Religion  ,  & 
comme  à  un  bon  Citoyen,  &  au  gouverneur  héréditaire  de 
la  Sainte  Eglifè  Romaine  3  êc  fuivant  l'ancienne  coutume  , 
on  lui  érigea  une  ftatuë  de  marbre  par  un  décret  du  Sénat 
(5c  du  peuple  Romain  dans  le  Capitole.  Gabriel  Ceiarini 
prononça  fon  oraifbn  funèbre  3  François  Benci ,  &:  Vincenc 
Blaife  Garcie  compoférent  des  éloges  funèbres  en  fon  hon^ 
jieur.  Aurelius  Urius  Romain  fit  fon  Epitaphe  en  vers. 

Il  laiflà  deux  fils  de  Marie  de  Portugal.  Ranuce  l'aîné  , 
qui  peu  auparavant  la  mort  de  fon  père  etoit  parti  de  France 
pour  ritalie  avec  le  marquis  de  Guaft  après  la  levée  du  (iége 
de  Rouen, lui  fuccéda.  Son  fécond  fils  Odoard  fut  Cardinal 
dans  la  fuiie.  Marguerite  fa  fille  avoit  époufé  Vincent  prince 
de  Mantouc3mais  n'étant  pas  propre  au  mariagc,àcaufe  d'une 
certaine  îndifpofition  naturelle  (  i  ) ,  elle  fè  rerira  dans  un 
couvent  de  Plailance ,  après  que  fon  mariage  eût  été  cafTé. 

Le  roi  d'Efpagne  informé  de  la  maladie  du  duc  de  Parme3 
^  craignant  que  fa  mort  ne  jettàt  la  confufion  dans   \q.% 

(1)  §hiod  arciior  ejfet ,  dit  le  texte  Latin. 

Ç  C  c  c  ij  j 


57*  HISTOIRE 

.  ;  affaires  des  Païs-bas,  y  avoir  envoyé  de  bonne  heure  Dot> 
Henri  Pedro  Henriquez  d'Azevedo  comte  de  Fuentcs  ,  avec  deS' 
I  V.       ordres  fecrets.  Mais  quoiqu'il  hic  arrivé  à  Bruxelles  fur  la 
i  ro2,     ^^  de  Décembre,  il  ne  pue  voir  le  Duc  avant  fa  mort.  On 
ouvrit  les  paquets  qui  contenoient  les  ordres  du  Roi.  11  y 
donnoît  le  gouvernement  de  ces  Provinces  au  comte  Pierre 
Erneft  de  Mansfeld  ,  jufqu'à  l'arrivée  en  Flandre  de  l'ArchL 
duc  Erneft  frère  de  l'Empereur.   Il  recommandoit  d'avoir 
pour  lui  toute  la  déférence  qui  étoit  dùë  à  un  Prince  de  la 
maifon  d'Autriche  5  il  y  difpofoit  auifi  du  gouvernement  des- 
Provinces  en  particulier  ,  en  faveur  des  principaux   Sei- 
gneurs. 

Philippe  de  Croy  duc  d'Arfchot  eut  la  province  de  Flan- 
dre -j  Charlefon  fils  prince  de  Chimay  ,  le  Hainault  ^  Charle 
comte  d'Arembergh ,  la  Gueldre  3  Marc  de  Kye,  marquis  de 
Varambon  ,  l'Artois  •,  le  comte  de  Berlaymont ,  Namur  •  de 
Billy  eut  Lille,  Douay  ôcOrchies  ^  le  baron  de  Molembaya 
que  le  roi  d'Efpagne  avoit  renvoyé  avec  de  grandes  pro- 
melîes ,  &  fait  comte  de  Solre  ,  eut  Tournay  Ôc  le  Tournciis,. 
Charle  de  Mansfeld  ,  fils  du  comte  Erneft ,  fut  fait  Ami- 
ral. Louis  de  Berlaymont  qui  avoit  été  dépouillé  de  l'Ar- 
chevêché de  Cambray ,  fut  pourvu  de  l'évêche  de  Tournay, 
à  la  place  de  Vendeville  qui  étoit  mort  depuis  peu.  Lamo- 
rai  d'Egmond  rentra  dans  les  biens  de  fa  famille.  Frédéric 
Perrenot  de  Champigni  (  l'un  des  gardes  du  tréfor  Royal , 
que  le  duc  de  Parme  peu  de  tems  avant  de  mourir  avoit 
dépouillé  de  fa  charge,  &:  chaiTé  honteufement  de  Bruxelles, 
à  caufe  de  la  haine  qu'il  lui  portoit  depuis  long-tems  )  fut 
rétabli  dans  fon  pofte  avec  honneur  ,,  quoiqu'il  fut  alors 
abfent. 
prifes  confi.  La  fortunc  fuc  favorable  aux  Anglois  cette  année  j  s'ils 
dérabies        j^g  purent  pas  tirer  une  vengeance  entière  de  l'injure  qu'ils 

Jaitcs  par  les  .  ^  "  .  ,  , 

Anglois  fur  avoient  re^ûë  l'année  d'auparavant ,  ils  fe  dédommagèrent 
ksEfpagnoif.  Ju  moins  avcc  ufure  de  la  perte  d'un  vailTeau  qu'on  eftimoic 
cent  trente  mille  guinées,  ôc  de  la  prife  de  l'Equipage.  Tho- 
mas \i^hyt  marchand  originaire  de  Londres  équipa  un 
vaifîàu  ,  fur  lequel  il  mit  quarante-cinq  hommes  choifis  pour 
faire  un  voyage  en  Afrique,  oà  il  devoir  s'arrêter  &,laifîèr 
£qs  marchandifes ,  ôc  en  prendre  de  nouvelles  pour  ks  côces^ 


DE  J.  A,.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         573 

pnr  refquelles  les  vaiifeaux  Espagnols  qui  revenoienc  des  Indes 
dévoient  pafler.  Ayant  pris  ion  tems ,  il  attaqua  deux  petits  Henri 
vaiiïbaux  équipés  par  l'ordre  du  roi  d'Elpagne  ,  ôc  eicortés       IV. 
par  quelques  galères  ^  &  s'en  rendit  maîtres  après  trois  heures      j  ^^.  ^^ 
de  combat.   Il  les  emmena  fur  la  côte  d'Atrique ,  ôc  de-U 
en  Angleterre  avec  toutes  leurs  marchandiies. 

On  rapporte  qu'il  y  avoit  dans  ces  vailîèaux  quarante 
mille  cailles  remplies  de  vif-argent ,  mille  tonneaux  de  vin  , 
êc  cent  tonnes  pleines  de  Bulles  de  Rome  ,  &  de  livres  pro- 
pres à  célébrer  les  iaints  myftéres  pour  les  Philippines  ,  Se 
pour  d'autres  Ifles.  On  découvrît  par  des  lettres  qu'on  y 
trouva  auffi  ,  que  le  roi  d'Efpagne  avoit  obligé  par  un  traité 
les  Indiens  à  ne  prendre  que  de  lui  ce  vif-argent  qu'il  efb 
défendu:  de  faire  palTer  aux  Indes  ôc  en  Efpagne  ^  6c  qu'il 
prenoit  d'eux  en  échange  un  poids  égal  d'argent  fin  5  qu'à 
l'égard  des  Brefs  &:  des  livres  d'Eglilé  ,  il  les  vendoit  cha- 
cun en  particulier  la  douzième  partie  d'un  écu  d'or,  &  quel- 
quefois le  tiers  au-delà  de  leur  jufte  valeur-  Reparla  fup- 
putation  que  l'on  fit  alors  il  parut  qu'il  devoit  gagner  quatre 
cent  mille  ducats  fur  ces  marchandées  qu'il  achetoit  à  bas 
prix  j  ce  que  je  lailTe  à  difcuter  à  ceux  qui  font  plus  infiruics 
^ue  moi  de  ces  fortes  de  chofes. 

Quelque  tems  après  ,  proche  les  A(^ores  ,  dîx-huit  fré- 
gates montées  par  des  coriàires  Anglois  rencontrèrent  deux 
brigantins  Efpagnols  chargés  de  riches  effets ,  de  parfums , 
&  d'autres  marchandifes  étrangères  qui  revenoient  des  Indes 
Orientales.  Un  vent  violent  qui  s'éleva  les  écarta  l'un  de 
J'aurrc.  Les  Anglois  ayant  réiini  leurs  forces,  attaquèrent  le 
premier  appelle  le  Saint-Croix  ^  mais  les  Efpagnols  s'étanc 
défendus  jufqu'à  la  nuit  ,  profitèrent  d'un  vent  favorable 
pour  relâchera  la  côte  voifine.  Ils  débarquèrent  fans  perdre 
de  tems  les  marchandifes ,  èc  mirent  le  feu  au  vaifTeau.  Lqs 
Anglois  ayant  perdu  l'efpérance  de  s'en  emparer,  fe  jetté- 
lent  fur  l'autre  brigantin  qui  venoità  eux  j  &:  foutenus  par  la- 
flote  du  comte  de  Cumberiand  qui  arriva  alors,  le  prirent, 
èc  l'emmenèrent  en  Angleterre. 

La  dilgrace  de  Perez  fecretaire  d'Etat  caufa  cette  année    Difc^mce  de 
le  malheur  des  Arragonois  6c  des  habitans  de  SarragofFe.  J''''^""j^°pr. 
Il  et  oie  fils  de  Gonfalo  Perez  aufîi  fecretaire  d'Etat  Ibus  le  lii^pdi.  àraô. 

C  C  c  c  iij  ^gaf'i. 


\ 


tMtaiMi 


574  HISTOIRE 

régne  de  Charle-Qi-iinc ,  âc  même  ibus  celui  de  Philippe , 
Henri  &;  defcendoic  de  Montréal  d'Ariza.  Il  avoic  d'abord  appo- 
I  V.  fé  la  fin  de  non-recevoir,  à  Taccufation  de  l'airaffinat  de  Don 
I  5  9  i-  ]^^^  d'Efcovedo  ,  intentée  contre  lui  par  Mathieu  Vafquez, 
après  avoir  été  traduit  en  juftice  par  Pedro  d'Efcovedo  fils 
du  mort.  Il  avoit  fou  vent  écrit  au  roi  d'Efpagne  ,  par  les 
ordres  duquel  il  avoic  fait  périr  Efcovedo  ,  pour  l'enga- 
ger à  arrêter  les  pourfuices  qu'on  faifoit  contre  lui  ^  Ss.  il 
î'avoic  aiTûré  qu'il  feroic  tous  Tes  efforts  pour  empêcher  que 
la  caufe-de  cet  ailaffinat  ne  tranfpirâc  dans  le  public  3  parce 
qu'il  écoit  de  l'honneur  de  Sa  Majefté  qu'elle  demeurât  ca- 
chée. Il  lui  demandoic  en  recompenie  de  iè  fouvenir  de  Ton 
attachement,  ôc  lui  reprefcntoit  que  fa  réputation  étoiciil- 
cérellée  à  ne  pas  lailTer  périr  un  homme  qui  I'avoic  fervi  fî 
fidèlement. 

Le  Roi  lui  fie  efpérer  qu'il  ne  fouiFiiroic  pas  qu'on  lui  fi\L 
citât  de  mauvaifes  affaires  à  ce  iujec  3  que  cependanc  comme 
il  vouloic  fauver  les  apparences ,  il  lui  conieilloic  de  fe  dé- 
fendre de  l'accufation  au  tribunal  d'Antonio  de  Pazos  Pré- 
fidenc  du  confeil  Royal  de  Cafèille.  Perezne  (é  rendic  qu'à 
regrec  aux  confeils  du  Roi ,  les  Arragonois  n'étanc  pas  obli- 
gés ,  à  caufe  de  leurs  privilèges  ôc  franchifes,  de  reconnoître 
d'autre  Juge,  que  leur  Juge  naturel  j  mais  afiuré  de  l'inté- 
grité de  Pazos ,  &c  comptant  fur  la  protedion  de  Don  Pedro 
Fajardo  marquis  de  Vêlez  qui  cenoic  un  grand  rang  à  la 
Cour  ,  il  y  confentic  enfin. 

Pazos ,  après  que  l'affaire  eue  été  portée  devant  lui ,  per- 
fuada  à  la  veuve  ô^aux  enfans  d'Efcovedo  de  fe  défifter  de 
leur  pourfuite.  Don  Diego  de  Chaves  confeffeur  du  Roi  ré^ 
concilia  enfuite  Mathieu  Vafquez  avec  Perez,  &  avec  Donna 
Anna  de  Mendoça  de  la  Cerda  princeffe  d'Eboli ,  veuve  de 
Riiy  Gomez  de  Silva ,  ce  courtilan  fi  fameux  à  la  cour  de 
Charle-QLiint ,  &  même  de  Philippe.  Mais  pour  remonter 
à  la  fource  de  l'intrigue  que  je  vais  raconter  ,  il  effc  nécefiaire 
de  fcavoir  que  le  R.oi  d'Efpagne  aimoic  éperdùëment  cette 
femme  qui  étoic  d'une  grande  beauté  ,  quoiqu'elle  eut  perdu 
un  œil. 

Il  avoic  fait  confidence  de  fa  pafiion  à  Perez  qui  abufa 
de  fa  confiance  ,  en  devenant  amoureux  de  la  princefîë 


est^  AjK.mwi  .mtjftf 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        57^ 

(d'Eboly  dans  les  fréquentes  vifices  qu'il  lui  rendit,  fous  pré- 
texte de  l'entretenir  de  la  paifion  du  Roi.  Le  bruit  couroit  H  e  n  k  1 
même  qu'elle  ne  rejectoit  pas  l'hommage  de  ce  nouvel  amant.       I V. 
Cette  intrigue  fe  pafïbit  dans  le  tems  que  Don  Juan  d'Efco-     i  55)  i. 
vedo  étoit  à  la  tête  du  Confeil  de   Don  Juan    d'Autriche 
dans  les  Païs- bas.  Efcovedo  avoit  été  élevé  dans  la  maifon 
de  Gonzalo  Perez ,  6:  avoit  dans  la  fuite  pouffé  fa  fortune 
fous  la  protedion  de  Riiy  Gomez.  Etant  alors  arrivé  en  Ef- 
pagne  ,  &  fçachant  que  Perez  traverfoit  les  deffeins  de  Don 
Juan  ,  il  faifit  l'occaiion  de  fon  intrigue  avec  la  veuve  de 
Riiy  Gomes  fon  bienfaicleur,  qu'elle  deshonoroit  5  ôc  réfoluc 
de  le  perdre  entièrement ,  en  rapportant  au  Roi  qu'il  fe  ré- 
pandoit  des  bruits  honteux  au  fujet  de  leur  commerce. 

Philippe  en  fut  frappé  au  dernier  point ,  ne  pouvant  fouf- 
frir  que  Perez  fût  fon  rival  ^  fe  défiant  d'ailleurs  d' Efcovedo 
dont  il  connoifToit  le  génie  entreprenant,  t<.  n'approuvant  pas 
les  confeils  hardis  qu'il  donnoit  à  Don  Juan,  il  forma  la  ré^ 
Solution  de  faire  périr  Efcovedo  6c  Perez  l'un  par  l'autre. 
C'effc  pourquoi  ayant  tenu  un  Confeil  fecret  au  fujet  d'Ef- 
covedo  ,  avec  Gafpard  de  Qiiiroga cardinal  de  Tolède,  êc    , 
avec  le  marquis  de  Vêlez  qu'il  confultoit  dans  \qs  affaires 
importantes  ^  il  fe  détermina  facilement  à  la  perfuafion  de 
Perez  qui  étoit  de  ce  confeil,  à  faire  afTaffiner  Efcovedo, 
plutôt  que  de  le  renvoyer  à  Don  Juan  d'Autriche  dans  les 
Païs-bas  -,  &;  il  jugea  à  propos  de  donner  cette  commiffion  à 
Perez,  pour  éloigner  de  lui  le  foupc^on  d'une  action  fi  odieufe. 
Perez  exécuta  l'ordre  du  Roi  avec  tant  de  promptitude  , 
qu'il  donna  depuis  lieu  de  penfér  que  c'étoit  plutôt  à  la  fu- 
reur de  la  princefîe  d'Eboly  irritée  contre  Efcovedo,  de  ce 
qu'il  avoit  découvert  au  Roi  fon  intrigue,  qu'il  le  facrifioit, 
qu'à  la  vengeance  du  Roi.  Lorfqu'Efcovedo  eut  été  affadiné 
par  la  main  de  Garcie  Arzé ,  il  reftoit  encore  à  Philippe  un 
homme  à  ficrifier ,  qui  étoit  Perez  fon  rival.  La  veuve  &  les 
enfans  d'Efcovedo  le  pourfuivirent  en  judice  avec  la  prin- 
ceffe  d'Eboly  ,  que  le  Roi  vit  avec  d'autant  plus  d'indifïe- 
rence  traîner  honteufement  en  prifbn  ,  que  toute  la  haine  de 
l'aflàlîinat  d'Efcovedo  retomboit  fur  Perez  ,  qui  avoit  fervi 
Ja  vengeance  d'une  femme  outrée  de  colère  5  &  qu'on  ne 
parloit  aucunement  du  Roi  en  cette  affaire  3  en  forte  que 


57^  HISTOIRE 

^'     '       ■  D.  Juan  lui-même,  qui  accendoic  Efcovedo  aux  Païs-baSe 

Henri  ne  pouvoir  en  avoir  aucun  ioupçon. 
I  V.  Le  Roi  écrivit  pluiieurs  billets  à  Perez  dans  fa  prifon  , 

I  <Qz,  pour  l'engager  à  garder  le  fecret  j  il  le  raiîîiroit  en  lui  pro- 
mettant de  faire  tinir  cette  affaire ,  qui,  comme  il  pouvoic 
en  juger  ,  ne  devoit  pas  traîner  en  longueur.  Perez  conferva 
avec  grand  foin  ces  billets  &  d'autres  ordres  fecrets ,  écrits 
de  la  main  du  Roi ,  &  ne  les  publia  que  longtems  après.  S'é- 
tant  alors  réconcilié  avec  Va^quez  ,  &:  l'affaire  ayant  été 
alFoupie  pour  un  tems ,  on  lui  donna  la  maifon  de  Madrid 
pour  prifon.  Quoiqu'on  lui  eut  ôté  fés  penfîons  &  tous  Cqs 
appointemens  ,  il  ne  laifîà  pas  de  travailler  aux  affaires 
d'htât ,  par  le  moyen  de  Cqs  Secrétaires  j  il  le  fît  pendant  iix 
ans  ,  jufqu'en  1585, 

On  ne  parloit  plus  alors  de  la  mort  d'Efcovedo  j  mais  on 
fufcita  une  nouvelle  affaire  à  Perez  ,  qui  re^ut  un  exploit  de 
cenfure ,  qu'on  appelle  en  Efpagne ,  rifnntipn  ,  ou  recher- 
che. C'eft  un  examen  fuivi  d'un  Jugement ,  qui  fert  à  in- 
quiéter ceux  qui  ont  été  dans  le  fecret  des  affaires.  On  re- 
çoit à  ce  tribunal  les  dépofîtions  contre  i'accufé ,  fans  éxa^ 
miner  quels  font  les  témoins ,  &  fans  écouter  ce  que  I'accufé 
pourroit  dire  pour  les  récufer  5  ainfi  l'ordre  de  la  Juflice  n'y 
eft  point  obfervé.  Ce  fut  devant  ces  Juges  ,  que  Perez  fuc 
traduit  6ç  trouvé  coupable  de  péculat.  Toutes  les  preuves 
qu'on  en  rapporta  furent,  qu'il  avoit  reçu  dix  mille  ducats 
du  Grand-Duc  de  Tofcane  ,  pour  avoir  fait  confirmer  au  roi 
d'Efpagne  ,  en  faveur  de  ce  Prince  ,  la  donation  qui  lui  avoic 
été  faite  du  domaine  de  Sienne  :  Qu'il  s'étoit  comporté 
d'une  manière  peu  convenable  avec  la  princeffe  d'Eboly  : 
Qu'il  avoit  révélé  à  Dom  Juan  plufieurs  fecrets  du  Confeil 
du  Roi ,  qu'il  étoit  plus  à  propos  de  cacher  ,  que  de  décou^ 
vrir  :  Qu'il  avoit  coutume  ,  en  expliquant  au  Roi  les  lettres 
écrites  en  chifres  ,  d'ajouter  6c  de  retrancher  ce  qu'il  vou- 
loit. 

Pendant  que  fon  affaire  s'inflruifoit ,  D.  Diego  de  Chaves 
lui  rendoit  de  fréquentes  vifîtes ,  6ç  le  raffûroit  fur  l'événe- 
rnent,  en  lui  difant  qu'il  ne  lui  en  coûteroit  pas  beaucoup; 
mais  qu'il  ne  produisit  point  les  billets  du  Roi ,  comme  il 
pouvoit  le  faire  pour  fe  juflifier.    Perez  fuivit  c^^  çonfeils  j 


J  ^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  v.  CIV.         577 

ce  qui  n'empêcha  pas  Tes  Juges  de  porter  contre  lui  une  fen- 
tence ,  que  néanmoins  ils  ne  prononcèrent  ôc  ne  fignérent  Henri 
point.  Elle  le  condamnoit ,  comme  atteint  &  convaincu  des        I  V, 
crimes  dont  il  étoit  accufé ,  à  payer  trente  mille  ducats  j  elle     i  ca  2. 
lui  ôtoit  encore  fa,  charge  de  Secrétaire  d'Etat  ^  &  le  con- 
damnoit à  deux  ans  de  prifon  ,  après  Icfquels  il  feroit  obligé 
de  s'éloigner  pour  huit  ans  de  la  Cour. 

On  fît  entendre  en  fecret  à  Perez ,  que  cette  fentence  ne 
feroit  point  exécutée  ,  s'il  rendoit  au  R.oi  ibs  billets.  Le 
ConfelEeur  Chaves  faifoit  tous  Tes  efforts  pour  l'engager  a 
les  lui  remettre.  Perez  lui  en  donna  un  ^  mais  Chaves  nia 
clans  la  fuite  qu'il  l'eût  reçu.  Comme  Perez  refufa  de  fe  dé- 
faî'ir  dQs  autres ,  on  envoya  des  Alcaydes ,  pour  exécuter  la 
fentence  rendue  contre  lui.  Il  s'enfuit  à  leur  arrivée,  &  fe 
fauva  dans  une  Eglife  voifiiie ,  dans  la  penfée  de  fe  fouftraire 
à  la  Jurifdiction  royale ,  &  croyani:  devenir  par  là  fujet  au 
Tribunal  eccléfîaftique.  Mais  il  en  fut  tiré  par  force  ,  &  con- 
duit dans  la  forterefîe  de  Turegano ,  où  ayant  été  chargé 
de  fers  ,  il  fut  traité  avec  la  dernière  rigueur  par  Torres 
d'Avila. 

Enfin  Perez  écrivit  de  fon  propre  fàng  une  lettre  à  fa  fem- 
me ,  &  lui  ordonna  de  donner  la  caiTette  &  fcs  papiers  au 
comte  de  Barajas,  qui  avoir  ordre  de  les  prendre.  Il  avoic 
auparavant  arverti  fa  femme  de  détourner  les  billets  du 
Roi ,  qui  étoient  les  pièces  qui  pouvoient  fervir  davantage 
à  fa  juftifîcation.  Perez  ayant  ainfî  en  apparence  fatisfait  à 
ia  demande  du  Roi ,  fut  tiré  de  cette  rigoureufe  prifon  pour 
un  tems  j  &  demeura  pendant  quatre  mois  à  Madrid  ,  fans 
être  fi  étroitement  gardé.  Il  avoit  la  liberté  de  voir  (es  amis 
&  d'aller  à  l'Eglife. 

Les  enfans  &  la  veuve  d'Efcovedo  renouvellérent  alors 
leurs  pourfuites  contre  Perez  j  &  l'afiÇàire  fut  portée  devant 
Ivoderico  Vafquez  préiîdent  du  Confeil  de  l'Audience  royale, 
dix  ans  après  qu'elle  avoit  été  commencée.  Le  Confelfeur 
Chaves  fe  mêla  encore  de  cette  affaire  ,  de  confeilia  à  Perez 
d'avouer  qu'il  étoit  l'auteur  de l'afTafîinat  d'Efcovedo,  &  de 
garder  le  (ilence  fjr  les  motifs.  Perez  lui  repréfenta  que  le 
foupçon  retomberoiî  par  là  fur  le  Roi ,  &  que  tout  le  monde 
penferoit  qu'il  ne  caciioit  la  caufe  d,e  la  mort  d'Efcovedo,, 
Tome  XI,  DD  dd 


57^  HI  ST  O  I  R  E 

'■■■  que  parce  que  le  Roi  y  auroîc  eu  parc  j  que  d'ailleurs  cet 

Henri  aveu  feroic  dangereux  pour  lui  ;  Qu'il  feroic  donc  plus  à  pro- 

I  V.       pos  de  fermer  la  bouche  aux  héritiers  &  à  la  veuve  du  mort, 

j  r  o  2,.     en  leur  donnant  de  l'argent.  Le  Roi  goûta  l'expédient ,  foie 

qu'il  jugeât  qu'il  étoit  de  Ja  prudence  d'en  agir  ainfi ,  foit  qu'il 

fe  fît  un  plaifîr  fecret  de  nuire  à  un  homme  qu'il  haïlToit 

mortellement ,  en  lui  ôtant  par  ce  moyen  des  lommes  con- 

jfidérables.   Il  en  coûta  vingt  mille  ducats  à  Perez  ,  pour  fe 

délivrer  de  ce  procès. 

Le  Roi  changea  dans  la  fuite  j  6c  ordonna  par  le  confeil 
de  Vafquez  ,  de  travailler  de  nouveau  à  inftruire  cette  af- 
faire ,  quoique  terminée  par  une  tranfadion ,  afin  de  faire 
rendre  contre  Ferez  un  Arrêt  folemnel  ,  pour  faire  ceflèr  le 
bruit  qui  fe  répandoit ,  qu'Efcovedo  avoit  été  affaffiné  par 
les  ordres  du  Roi ,  dont  la  réputation  fe  trouvoit  blelîée  par 
ces  injurieux  foup(^ons.  Ferez  fe  défendit  en  difant  que  ces 
bruits  odieux  étoient  un  effet  de  la  malignité  de  fes  enne- 
mis ,  qui  ne  craignoient  pas  de  compromettre  l'honneur  de 
Sa  Majefté  ,  pourvu  qu'ils  pufTenc  trouver  le  moyen  de  le 
perdre,  m  Qiiel  eft  leur  but ,  difoit-il ,  en  réveillant  le  fou- 
M  venir  de  la  mort  d'Efcovedo  ,  &  en  y  faifant  tremper  le 
53  Roi  ?  Pourquoi  ,  ajoûtoit-il ,  Ci  j'avois  exécuté  les  ordres 
îj  de  Sa  Majefté ,  m'auroit-on  obligé  à  donner  vingt  mille 
ï3  ducats  ?  Si  donc  on  recherche  le  motif  de  cet  afTadînat  fi 
35  longtems  après  ,  ce  ne  peut  être  que  pour  me  rendre 
>5  odieux ,  aux  dépens  même  de  l'honneur  du  Roi.  «  Vaf-> 
quez  voyant  que  rien  ne  pouvoir  engager  Ferez  à  parler 
contre  le  Roi,  pour  fa  propre  juftification  ,  le  fit  mettre  à 
la  queftion.  Il  la  foufFrit  d'abord  avec  confiance  j  mais  vaincu 
par  la  violence  des  tourmens ,  il  avoua  la  chofe  comme  elle 
ctoit ,  &c  montra  les  billets  du  Roi  ,  pour  appuyer  ce  qu'on 
l'avoît  forcé  d'avouer. 

Ferez  vit  bien  qu'on  vouloit  le  perdre  entièrement ,  &  qu'il 
ne  pouvoir  plus  compter  fur  les  promefFes  que  le  Roi  &  (es 
Miniflres  lui  avoient  faites  dès  le  commencement  de  l'affaire. 
La  mort  du  marquis  de  Vêlez  ,  fur  la  protedion  duquel  il 
avoit  fondé  toute  fon  efpérance ,  &  qui  étoit  complice  du 
meurtre  d'Efcovedo  ,  étant  arrivée  fur  ces  entrefaites  ,  il 
comprit  qu'il  ne  lui  refloic  plus  d'autre  reiTource  ^  que  ccUq 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        579 

de  tromper  fes  gardes.  Il  le  fit,  Se  s'enfuit  en  Arragon  (ur 
dQs  chevaux  qu'on  avoit  tenu  prêts  ,  par  li^s  foins  de  fa  fem-  Henri 
me ,  &  de  Gille  de  Mefa  Arragonois  fon  proche  parent.  Mai-  I  V. 
gré  la  foibieile  que  kii  avoic  caufé  la  queftion  ,  il  ne  trente  i  cqi 
lieues  dans  un  jour.  Il  ne  voulut  pas  aller  d'abord  à  Sarra- 
gofle ,  dans  la  crainte  d'ofFenfèr  le  Roi ,  &  il  s'arrêta  à  Ca- 
talayud  ,  qu'on  dit  être  la  ville  de  Bilbilis  ,  célèbre  pour 
avoir  vil  naître  le  poëte  Martial.  Là  il  fe  retira  dans  le  cou- 
vent des  Dominicains  ,  d'où  il  écrivit  le  24.  d'Avril  une 
longue  lettre  au  Roi ,  dans  laquelle  il  lui  rendoit  raifon  de 
ia  fuite  ,  èc  des  raifons  qui  l'avoient  engagé  à  prendre  ce 
parti. 

Le  Roi ,  pour  toute  réponfe ,  lui  envoya  un  Alguafil,  pour 
le  tirer  de  force  de  fa  retraite ,  s'il  refufoit  d'obéir.  Les  Re- 
ligieux n'ayant  pas  voulu  reconnoîcre  l'ordre  du  Roi ,  l'Al- 
guafîl  conftitua  Perez  prifonnier  dans  une  cellule  du  Mo- 
naftére.  Cependant  le  Roi  envoya  des  ordres  plus  précis, 
pour  enlever  Perez  ,  qui  malgré  l'oppolîtion  des  habitans 
de  Catalayud ,  fut  conduit  à  Sarragolfe. 

Les  Arragonois  ont  des  exemptions  &  des  libertés  d'une 
grande  étendue.  Ils  prétendent  qu'elles  ont  paiTé  en  force 
de  loi  dans  le  royaume  d'Arragon  ,  depuis  que  le  comte  Ju- 
lien ,  pour  venger  l'outrage  que  le  roi  Roderic  lui  avoit  fait 
en  violant  fa  fille  ,  avoit  appelle  en  Efpagne  les  Sarrazins, 
qui  en  ont  été  les  maîtres  pendant  fepc  cens  ans  :  Qu'alors 
on  avoit  établi  un  Tribunal  appelle  ,ia  Juftice ,  pour  juger 
conformément  à  ces  Droits.  Ils  élurent  enfuite  des  Rois, 
qui  jurèrent  far  les  Saints  Evangiles ,  à  genoux  &  tête  nuë  , 
en  préfence  des  Magiftrats,  (  avant  de  recevoir  d'eux  &  de 
la  NoblefTe  le  ferment  de  fidélité  ,  )  de  maintenir  5c  con^ 
ferver  ces  libertés  du  Royaume  ,  qui  fut  eledif  jufqu'au 
régne  de  Dom  Pedre  furnommé  del  Ptmnal ,  ou  le  Ci- 
meterre. Ce  Prince  ayant  fait  confentir  les  Etats  afîemblés, 
à  rendre  la  Couronne  héréditaire  ,  on  lui  donna  le  furnom 
d'Elamado  ,  parce  qu'il  mit  publiquement  en  pièces  avec 
fon  fabre  la  Loi  d'éledîon.  Au  refte  ,  l'Arragon  joiiit  tou- 
jours dans  la  fuite  des  mêmes  privilèges  j  &  pour  les  rendre 
inviolables ,  on  fit  la  loi  d'Union  qui  renfermoit  deux  dif- 
pofiitions.  Par  la  première,  il  étoit  permis  aux  Arragonois, 

DDdd  ij 


5^0  HISTOIRE 

™  de  fe  choiiu'  un  nouveau  Roi  ,  en  cas  que  le  Prînce  violât 

Henri  les  loix  du  Royaume.    Par  la  féconde  difpofition  de  cette 

I  V.       loi  ,  ils  pouvoient  s'unir  enfemble  contre  leur  Souverain  , 

X  <e)x^     ^ns  encourir  le  crime  de  lëze-Majefté  ,  &  fe  liguer  même 

avec  les  Princes  voifîns  ,  pour  défendre  leurs  libertés. 

Les  Caftillans  gouvernés  par  des  Rois  abfolus ,  &c  jaloux 
des  privilèges  de  l'Arragon  ,  avoient  poulFé  Ferdinand 
d'Arragon  (i),  qui  avoit  époufé  Ifabelle  de  Caftille  à  abo- 
lir des  droits  qui  étoient ,  à  ce  qu'ils  difoient ,  contraires  a 
l'autorité  Royale.  Mais  foit  que  Ferdinand  diffimulât  ^  foie 
qu'il  fdt  un  Prince  naturellement  modéré  ,  il  répondit  avec 
beaucoup  de  fagefTe  qu'il  avoit  juré  d'obferver  ces  loîx,  dc 
de  conferver  les  privilèges  de  la  Nation  ^  que  d'ailleurs,  il 
eroyoit  que  la  tranquillité  de  l'Etat  étoic  fondée  fur  une 
efpéce  de  partage  de  la  puiiTance  entre  le  Roi  ôc  les  peuples  j 
&  que  le  Prince  ou  les  fujets  périroient  infailliblement,  dès 
que  le  pouvoir  deviendroic  plus  grand  de  l'un  ou  de  l'autre 

A         / 

cote. 

Il  y  avoit  encore  un  Tribunal  auffi  ancien  que  le  Royau- 
me, appelle  vulgairement  la  Manifeftation  ,  où  l'on  appeL 
loît  des  jugemens  des  autres  Sièges  ,  &  même  des  fentences 
de  la  Juriididion  eccléiiaftique.  Il  étoit  cornpofé  de  ce  Tri- 
bunal fouverain  ,  que  les  Arragonois  nommoient  la  Juftice  , 
&:  de  dix-fept  autres  Magiftrats  fubalternes.  Le  Roi  lui-mê- 
me n'étoit regardé  dans  ce  Tribunal,  que  comme  Partie  & 
jamais  comme  Juge  ou  Magiftrat.  Perèz  fe  préparant  à  y 
porter  fon  affaire  ,  fit  un  mémoire  pour  fe  laver  des  crimes 
dont  on  l'accufoit ,  lorfque  les  Miniftres  du  Roi  le  traduifi- 
rent  à  la  chambre  des  Inquifitions  ou  Recherches ,  qui  efb 
dans  l'Arragon  la  même  Jurifdidion ,  que  celle  de  la  Vifita- 
îion  en  Caflille  ,  dont  nous  avons  parlé  un  peu  plus  haut». 
I^es  Rois  d'Arragon  l'avoient  établie  ,  pour  examiner  la 
conduite  de  ceux  ,  qui  avoient  eu  le  maniement  des  affaires  ^ 
&  dans  le  defTein  de  porter  atteinte  aux  privilèges  du 
Royaume. 

Le  Roi  déclara  qu'il  fe  défilloît ,  après  avoir  pris  des  let- 
tres de  séparation  ,  de  {es  pourfuites  contre  Perez  ,  dont  il 
a.voic,  difoit-il  ,  grand  fujet  de  fe  plaindre  5  parce  qu'il  fe 
(1)  Ferdiaand  V.  ayeul  maternel  de  Charle  V, 


V 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.       5S1 

îéjouîïïbit  des  faccès  du  roi  de  France ,  &  faifoic  paroître  'j 

de  la  triftefle  quand  il  lui  arrivoic  quelque  chofe  de  fiicheux  •  H  e  n  r:  i 
qu'au  contraire  il  s'affligeoic  de  la  profpérité  des  Efpagnols ,       1  V. 
donc  il  voyoic  les  pertes  avec  joye  j  qu'il  mëdicoic  fa  retraite     1592» 
en  Bearn  ,  d'où  il  dévoie  palier  en  Hollande  6c  en  Zé- 
lande. 

Ces  chefs  d'accufation  contre  Ferez  ,  n'ayant  pas  paru 
afTez  folides  aux  Juges  de  la  chambre  des  Inquifitions ,  ils  le 
renvoyèrent.  Cependant  Galacien  Cerdan  ,  qui  étoit  le 
Salmedina  de  SarragolTe,  (  on  appelloit  ainfi  le  premier  Ma- 
giftrat  de  la  ville ,  )  ïut  mis  en  priion  ,  pour  n'avoir  pas  trou- 
vé des  preuves  capables  de  faire  périr  l'accufé ,  qu'on  atta- 
qua d'une  autre  manière.  Les  émilfaires  du  Roi  tirèrent 
Ferez  de  la  Jarifdidion  ordinaire  ,  par  le  moyen  de  l'In- 
qûiiîtion  ^  &:  l'ayant  fait  fortir  des  prifons  de  la  ville  ,  ils 
le  eonduifirent  à  main  armée  dans  celles  du  Saint  Office. 
Mais  la  populace  fe  fouleva  j  &  s'ètant  attroupée  autour  de 
Inigo  de  Mendoça  marquis  d'Almenaca  ,  que  Iqs  femmes 
&  \qs  enfans  appelloient  traître  à  la  patrie  ,  elle  le  traîna 
ignominiéufement  en  prifon ,  après  l'avoir  chargé  de  coups, 
&  il  y  mourut  quelque  tems  après.  Il  y  eut  dans  cette  émeute 
populaire  plulleurs  maifons  brûlées ,  de  plulleurs  perfonnes 
y  perdirent  la  vie.  Cette  fçdition  arriva  le  z^.dQ  May  de 
l'année  précédente. 

Perez  fut  ramené  dans  les  prifons  de  la  Manlfeftatîûn, 
Enfuite  treize  Jurifconfultes  délibérèrent ,  à  la  foUicitation 
de  Ludovico  Marano ,  Çv  l'Inquilîcion  pouvoit  connoître  de 
l'afFaire  de  Perez.  Ils  décidèrent  d'abord  que  les  préten^ 
rions  du  S.  Office  dans  cette  afFaire  ,  alloient  contre  les  pri- 
vilèges &  les  libertés  du  Royaume ,  qui  annullent  de  plein 
droit  les  adjudications  des  biens ,  faites  dans  cette  Jurifdi- 
â;ion.  Mais  ayant  été  ébranlés  par  la  crainte  de  la  colère 
du  Roi  ,  ou  corrompus  à  force  d'argent  ,  ils  déclarèrent 
Perez  fujet  au  tribunal  de  l'Inquilicion.  Les  Minières  du  Roî 
balancèrent  longtems  ,  de  quelle  manière  &  dans  quel  tem5 
ils  èxècuceroient  cette  décifîon.  Enfin  ayant  alîèmblé  un 
grand  nombre  de  Seigneurs ,  avec  de  la  cavalerie  &  des  gens 
de  pied  ,  pour  prêter  main  forte  aux  officiers  de  l'Inqui/î- 
tion  5  ils  fixèrent  le  jour  au  zo.  Août.   Les  Inquifireurs  ne 

DD  dd  iij 


5S2  HISTOIRE 

■I s'étanc  pas  préfentés  dans  le  cems  marqué  ,  on  remit  cette 

Henri  expédition  au  24.  Septembre.   Le  Viceroi  pofta  Tes  troupes 

I  V.       dans  les  rues  ,  pour  appuyer  les  Inquifîteurs ,  qui  s'étant  ren- 

I  ^çi.     dus  à  la  porte  des  priions  de  la  ville,  fommérent  le  geôlier 

de  leur  remettre  Perez  &:  Majorini  de-  Gènes ,  qu'on  accufoic 

d'être  fon  complice. 

La  populace  voyant  qu'on  avoit  déjà  mis  les  fers  aux  pieds 
&  aux  mains  de  Perez  ôc  de  Majorini ,  de  qu'on  les  faiioit 
monter  fur  des  chariots ,  fe  fouleva  fans  avoir  de  chef.  Le 
nombre  des  féditieux  s'augmentant ,  il  ne  manquoit  qu'un 
homme  de  tête  pour  animer  &  foutenir  le  peuple.  Gilie  de 
Mefa  ami  de  Perez  ne  voulant  pas  l'abandonner  dans  un 
danger  fî  prelTant ,  fe  mit  à  la  tête  des  féditieux.  On  cria 
de  tous  côtés  ,  liberté  ,  &  on  vit  difparoître  en  un  moment 
tous  les  préparatifs  du  Viceroi ,  qui  s'enfuit  lui-même  avec 
les  InquiHteurs.  Perez  &  Majorini  ayant  été  remis  en  li- 
berté ,  furent  confiés  à  Diego  de  Heredia ,  pour  calmer  la 
fureur  du  peuple,  qui  mena^oit  les  Officiers  du  Roi  de  \e^ 
mettre  en  pièces.  Perez  &  Majorini  parurent  bientôt  après 
à  cheval  dans  les  rues ,  &;  fe  retirèrent  enfuite  dans  les  mon- 
tagnes ,  pour  fe  mettre  à  couvert  du  danger.  Quelques  jours 
après,  Martin  de  la  Nuça  frère  de  Jean  de  la  Nuça  prèfîdenc 
de  la  Juflice  d'Arragon  ,  engagea  Perez  à  revenir  dans  U 
ville ,  &  le  fît  cacher  dans  fa  maifon  pendant  quelque  tems. 

A  la  nouvelle  de  ces  troubles ,  Philippe  entra  dans  une 
grande  colère  j  6c  croyant  que  cette  révolte  donnoit  atteinte 
à  fon  â-utorité  ,  &  bleffoit  la  Majefté  royale  ,  il  faifit  avec 
chaleur  l'occafion  que  les  rois  d'Eipagne  cherchoienr  depuis 
longtems  ,  de  diminuer  les  privilèges  de  l'Arragon  Le  mal- 
heur de  Perez  ,  qui  étoit  la  caufe  de  la  fédition  de  Sarra^ 
gofîè  ,  lui  en  fournit  un  prétexte.  C'eftainfi  qu'il  ^'étoit  au- 
trefois fervi  de  la  haine  de  ce  même  Perez ,  pour  fe  défaire 
d'Efcovedo.  On  leva  par  fes  ordres  une  armée  dont  Alonfo 
de  Vargas  eut  le  commandement.  Ce  Général  faifoit  cou- 
rir le  bruit ,  en  s'approchant  des  confins  de  l'Arraojon  ,  qu'il 
avoit  ordre  d'aller  en  France  ,  où  la  guerre  étoit  alors  alku 
mée.  Mais  les  Arragonois  fe  doutants  de  ce  qui  en  étoit  , 
virent  bien  que  cet  orage  alloit  fondre  fur  eux.  On  s'adèm- 
i>la  fur  le  champ  j   &  après  avoir  lu  le  fécond  article  des 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        583 

privilèges  généraux  qui  porte  :  Que  les  Arragonoîs  pour-  1     . 

ront  prendre  les  armes,  pour  fe  mettre  à  couvert  de  Top-  Henri 
preflîon  des  troupes  étrangères,  quand  même  elles  feroient  l  v. 
entrées  dans  le  Royaume  fous  la  conduite  du  Roi,  &  de 
l'héritier  préfomptif  de  la  Couronne  j  toutes  les  voix  fe 
réunirent  dans  le  Tribunal  fouverain  de  la  Juftice  pour 
prendre  les  armes ,  ôc  particulièrement  contre  l'armée  Caf- 
tillanne.  Le  Clergé  s'unit  aux  Magiftrats  par  un  Décret 
conforme  au  leur  •  &  les  Prédicateurs  montèrent  en  Chaire 
pour  encourager  le  peuple  àfe  mettre  en  défenfe.  On  fit  fu 
gnifîer  l'arrêté  du  Tribunal  fouverain  à  Vargas  fur  la  fron- 
tière, par  le  moyen  des  Huiffiers  de  des  Greffiers  publics- 
mais  le  Caftiilan  répondit  fans  s'étonner  que  le  roi  d'Ef. 
pagne  envoyoit  cette  armée  en  France,  &  qu'il  n'avoit  au- 
cun deifein  fur  l'Arragon ,  dont  il  défendroit  lui-même  les 
privilèges  au  befoin.  Vargas  continuant  enfuite  fa  marche 
envoya  aux  principaux  Seigneurs,  ôc  à  la  NoblefTe ,  des 
lettres  du  Roi  remplies  d'afFedion  &  de  bienveillance  j  6c 
leur  écrivit  auffi  dans  les  mêmes  termes ,  pour  leur  oter  ouc 
foupc^on  touchant  cette  expédition. 

D'un  autre  côté  ,  les  Magiftrats  donnèrent  ordre  de  lever 
des  foldats  j  &  ayant  alTemblé  les  milices  du  Royaume,  ils 
donnèrent  le  4.  de  Novembre  un  décret,  qui  déclara  Mar- 
tin de  la  Nu^a  Maréchal  de  camp.  Mais  à  l'arrivée  de 
Vargas  on  fentit  toute  la  fupèriorité  d'une  armée  royale 
commandée  par  un  Général ,  fur  des  troupes  levées  à  la 
hâte,  ôc commandées  par  pluiieurs  Généraux.  Elles  fe  dé- 
bandèrent à  la  vue  de  l'armée  Caftillane  j  les  Seigneurs 
même  &  la  Noblellè  abandonnèrent  leurs  drapeaux.  Ferez 
s'enfuit  dans  les  montagnes  voifines  avec  Diego  de  Heredia, 
&  Don  Manuel  Lope,  la  veille  que  Vergas  entra  dans  la 
ville.  François  de  Ayerbe^,  &  Martin  de  la  Nuça  reftérenc 
à  Sarragofle ,  dans  l'efpèrance  d'encourager  les  habitans  à 
fe  défendre  •  mais  voyants  que  la  confternation  s'étoît  em- 
parée de  tous  les  efprits ,  ils  prirent  le  parti  defe  retirer  auffi 
dans  les  montao-nes. 

Des  que  Vargas  fut  maître  de  Sarragofle  ,  il  fit  mettre  en 
prifon  Iqs  premiers  de  la  ville,  &  entr'autrcs  le  duc  de  Vilia- 
hermofa ,  le  comte  d'Aranda ,   &  le  préfident  Jean  de  la 


5S4  H  î  S  T  O  î  k  E 

Nuça.  Il  envoya  enfuice  ces  deux  Seigneurs  en  Caftillefous 
Hen  R.1  bonne  garde j  &  ayant  reçu  des  lettres  du  Roi  qui  lui  or- 
I  V.  donnoic  de  faire  périr  de  la  Nuça  fans  autre  forme  de 
i<^i^  procès,  il  lui  lit  trancher  la  tcte.  Le  contenu  de  ces  lettres 
portoit  :Que  l'intention  de  Sa  Majdle  etoit  d'être  infor- 
mée de  la  mort  de  ce  chef  des  rebelles ,  -^vant  d'apprendre 
fon  emprifonnement  ^  6c  qu'au  lieu  de  fc-ntence ,  un  crieur 
public  annonçât  à  haute  voix,  que  la  volonté  du  Roi  €toic 
qu'on  tranchât  la  tête  à  ce  chevalier,  comme  à  un  traître 
qui  étoit  l'auteur  de  la  fédition ,  èc  qui  avoit  levé  l'éten. 
dard  de  la  révolte  contre  Ton  Roi  :  Que  Ces  biens  fufTent 
confifqués ,  fes  maifons  èc  châteaux  raies  j  ajoutant  qu'on 
feroit  le  même  traitement  à  ceux  qui  l'avoient  imité.  Cette 
formule  de  condamnation  jufqu'alors  inoiiie  dans  un  Royau- 
me libre ,  jetca  la  conrternation  dans  i'efprit  des  peuples.  On 
en  mit  un  grand  nombre  en  prifon  de  tous  états  à  la  follici- 
cation  des  Inquisiteurs  3  de  on  leur  fit  foufïrir  différents 
tourments. 

La  princeiTe  Catherine,  fœur  du  roi  de  France,  donna 
«n  afile  à  Ferez  à  Pau  en  Bearn.  Peu  de  tems  après.  Hère* 
dîa,  èc  Ayerbe  ayants  ramalTé  dans  les  Pirénées  une  troupe 
de  vagabonds  accoutumés  au  brigandage  ,  s'avancèrent 
jufqu'à  Birviefcas,  dans  l'efpérance  de  faire  foulever  la  Pro. 
vince  i  mais  ayant  été  trompés  dans  leur  attente  ,  ils  furent 
enveloppés  par  Vargas  ,  qui  tailla  leurs  troupes  en  pièces  5 
ies  fit  eux-mêmes  prifonniers ,  ^  leur  fit  trancher  la  tête. 
On  fit  le  même  traitement  à  Jean  de  Luna,  qui  fut  pris 
dans  la  Navarre,  où  on  l'accuioit  d'exciter  les  peuples  à  la 
révolte.  Il  y  eut  pendant  deux  ans  à  SarragofTe  une  garni- 
fon  qu'on  n'en  retira,  qu'après  avoir  fortifié  le  Palais  du 
Saint  Office  3  qui  eft  hors  la  ville,  &c  dont  on  fit  une  ef- 
péce  de  citadelle ,  oii  Ton  mit  garnifon  pour  tenir  Sarra- 
golîè  en  refped.  Au  refte  on  fit  de  grandes  promefies  à 
Ferez  pour  le  faire  revenir  en  Espagne  3  mais  le  défiant  de 
ces  offres  magnifiques,  il  fentit  que  tout  ce  qu'on  lui  pro- 
iHiettoit  n'étoit  que  pour  le  perdre.  Cependant  phifieurs  fcé- 
.  Jérats  qu'on  avoit  payés  pour  le  faire  périr  par  le  fer,  ou 
par  le  poifon  furent  arrêtés.  On  avoit  offert  à  Majorinî  fa 
2,4-ace ,  à  condition  qu'il  tuerok  Ferez.  Mais    Maiorîni 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CIV.         58; 

refîifa  cette  offre ,  èc  en  avertit  Ton  ami.  Ferez  s'étant  retiré  -     ' 

€n  Angleterre ,  on  découvrit  à  Londres ,  ôc  enfuice  à  Paris ,  Henri 
plufîeurs  émillaires  des  Efpagnols  ,  qui  furent  punis  du  der-      I  V. 
nier  fupplice ,  6c  entr'autres  Rodrigue  de  Mur  ieigneur  de     i  ^oi, 
la  Pinilla ,  banni  d'Efpagne  à  caufe  de  Tes  crimes ,  qui  s'étoic 
chargé,  à  la  follicitation  de  Mathieu d'Aguirre  moine  défro- 
qué ,  d'aflaffiner  Ferez. 

•  Cette  année  eft  remarquable  par  la  mort  de  plufieurs  Mort  de 
Princes.  Guillaume  duc  de  Cieves  mourut  à  Duiïeldorp  ducde^cL 
au  commencement  de  Janvier  à  l'âge  de  Soixante  &  feize  ves. 
ans  ,  après  avoir  été  fujet  pendant  plufieurs  années  à 
des  vapeurs.  Ce  Prince  dans  fa  jeunefîe  attaché  à  la 
France' ,  avoit  été  fiancé  avec  Jeanne  d'Albret  ,  héri- 
tière du  Royaume  de  Navarre  j  ôc  le  mariage  avoic 
été  différé  jufqu'à  ce  que  la  FrincelFe  fût  nubile.  L'em- 
pereur CharleV.  ayant  alors  attaqué  le  Duc,  l'obligea  â 
renoncer  à  l'alliance  de  la  France  ,  &c  à.  Ces  engagemens 
avec  la  princefïe  de  Navarre.  Il  lui  fît  époufer  Anne  d'Au, 
triche  fille  de  Ferdinand  roi  des  Romains  ,  qui  fut  tour- 
mentée prefque  pendant  toute  fa  vie  des  mêmes  maux  que 
fon  mari.  Il  en  eut  deux  fils ,  ôc  quatre  filles.  Eléonore  l'aî- 
née époufa  Albert-Frederic  de  Brandebourg  duc  de  Prufle. 
Les  princefFes  Anne  &:  Magdelaîne  fœurs  d'Eléonore furent 
mariées  à  Philippe-Louîs,ôc  à  Jean  de  Bavière  ducs  de  Deux- 
Ponts.  La  dernière  fille  du  duc  de  Cieves,  appellèeSibille, 
époufa  longtems  après,  Charle  marquis  de  Burgaw.  Le 
Prince,filsaîné  deGuiilaume,étoit  mort  à  Rome  dix-fèpt  ans 
auparavant.  Son  fécond  fils  Jean ,  qui  avoit  été  évêque 
de  Munfter  ,  malgré  les  vapeurs  dont  il  étoit  attaqué, 
comme  fon  père  &;  fa  mère ,  époufa  Jacqueline  de  Bade. 
Cette  Princefïe  qui  haïfFoit  les  Proteflans  fè  lailla  facilement  . 
perfuader  par  les  Princes  de  la  maifon  d'Autriche,  de  ne 
pas  laifFer  tomber  entre  les  mains  des  ducs  de  Deux- Ponts 
ïès  beau-frères  l'adminiftration  du  duché  de  Cieves ,  pen- 
dant la  maladie  du  père  6c  du  fils  qui  n'étoient  pas  en 
état  de  gouverner.  La  princefïe  Eléonore  déjà  veuve ,  6c  fes 
deux  fœurs ,  furent  préfentes  à  la  mort  de  leur  père  avec 
Iqs  ducs  de  Deux-Ponts  leurs  maris  ,  dont  la  préfence  n'o- 
péra rien  en  leur  faveur ,  parce  que  les  Etats  s'oppofèrent  i 
l'orne  XJ,  EEee 


58($  HISTOIRE 

leurs  prétentions ,  à  caufe  des  raifons  que  nous  avons  rap- 
Henri  portées. 

I  V.  Schencleren  gouverneur  du  château  de  Julliers,  place  la 

I  JQ  2.  mieux  fortifiée  du  Duché  ,  craignant  que  les  ducs  de  Deux- 
Ponts  ne  vouiufTenc  entreprendre  quelque  chofe  fe  retira  à 
Julh'ers ,  qu'il  fit  fortifier  de  nouveau  par  le  confeil  du  duc 
de  Parme ,  qui  avoit  defiTein ,  à  ce  qu'on  difoit ,  de  marier 
fon  fils  Ranuce  à  Sibille  fille  du  duc  Guillaume,  auquel  on 
fit  de  fuperbes  obfeques  à  Dulîèldorp  le  lo.  de  Mars. 
Mort  du  Quelque  tems  après ,  Jean  Cafimir  ,  fils  de  l'éledeurFre- 
P^'"^*^.  J^^"  deric  Palatin,  mourut  le  16.  Janvier.  Il  avoit  eu  l'admi- 
dcV'Eièdieur  niftration  du  Palatinat  8>L  de  l'Eledorat  pendant  la  mino- 
Palatin.  l'ité  de  Frédéric  fils  de  Télecbeur  Louis  fon  frère  -,  de  a 
l'exemple  de  ion  père,  il  avoit  embraifè  la  Rch'gion  des 
Proteftants  de  Suille  Se  de  France.  Ce  Prince  d'un  efpric 
élevé  ôc  fier  s'étoit  rendu  illuflre  par  deux  expéditions  qu'il 
fit  en  France  ^  mais  ayant  voulu  dans  la  dernière  faire  don- 
ner le  commandement  des  troupes  auxiliaires  au  baron  Fa- 
bien de  Dhona,  il  devint  iufpect  aux  François,  par  les  le- 
crêtes  liaifons  qu'il  entretenoit  avec  les  Guifes  &  leurs 
amis.  Ce  fut  à  leur  confideration  qu'il  empêcha  de  faire  la 
paix ,  qu'on  efpéroit  de  conclure  ,  &  qu'il  expofà  de  nom- 
breufes  troupes  à  la  boucherie,  il  allaenfuite  dans  les  Païs- 
bas,  &:  en  Angleterre  j  mais  il  ne  répondit  pas  toujours  a 
la  haute  opinion  qu'on  avoit  par-tout  de  lui.  Il  eut  du  déù 
avantage  au  commencement  de  la  guerre  de  Cologne 3 
qu'il  abandonna  eniuite  à  l'occafion  de  la  mort  de  fon  frère. 
Ce  Prince  qui.vouioit  qu'on  le  regardât  comme  le  plus 
puilîànt  ôc  le  plus  accrédité  des  Princes  Proteftans  d'Alle- 
magne, ne  faifoit  prefque  rien,  &  s'oppofoit  aux  defieins 
de  touslesautres.il  lailTa  d'Eiifabeth  fille  d'Augufte  éledeur 
de  Saxe, une  fille  unique,  qui  èpoula  après  la  mort  de  fon 
père  ,  Chriftiern  prince  d'Anhalt,  qui  tient  fa  Cour  à  Af- 
cherfl.;ben. 

Après  la  mort  de  Cafimir  ,  Richard  Simmern  ,  proche 
parent  du  jeune  Frédéric,  prétendant  que  l'adminiAration 
du  Duché  lui  appartenoit  ,  envoya  des  perfonnes  de  fa 
part  à  l'Empereur,  qui  lui  accorda  facilement  fa  demande, 
parce  que    Richard   lui  promit  de   chafîer  du  Duché  les 


cuve 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  CIV.       587 

Miiiiftres  que  Ton  ayeui  Frédéric  ôc  Cafîmir  y  avoient  inrro- _ig 

duics ,  èc  d'y  rétablir  l'exercice  de  la  Conirelîîon  d'Aufbourg  ,  Henri 
'èc  la  diicipline  qui  avoir  été  en  vigueur  fous  l'Eledorat  du       I  V. 
prince  Louis.  Les  Etats  du  Palatinat  s'oppoférentàfes  pré-      1592, 
tentions,  &  foûtinrent  que  Frédéric  ayant  atteint  lage  de 
dix-huit  ans ,  il  étoit  en  état  de  gouverner  par  lui-même 
iès  Etats ,  ôc   d'adminiftrer  fon  Eledorat,  fuivant  la  Bulle 
d'or  de  l'empereur  Charle  IV.  Cependant  Simmern  s'em- 
para par  la  rufe  ôcpar  la  force  de  quelques  gouvernemens. 
Tout  fe  difpofoit  à  la  guerre.  Les  Efpagnols  qui  étoient  oc- 
cupés dans  les  Païs-bas ,  n'étoient  pas  fâchés  de  voir  s'élever 
des  troubles    parmi   les  Proteftans,  qui  les  laifleroient  en 
repos  pendant  ce  tems-là  5  mais   d'autres    Princes  s'étanc 
mêlés  de  cette afFaire  ,  Richard  rendit  les  gouvernemens, 
èc  tout  fut  pacifié. 

Sur  la  fin  du  même  mois,  mourut  EHfabeth  fille  de  Maxi-    Mort  d'EH- 
milien  IL  fœur  de  Rodolphe  IL  veuve  de  Charles  IX.  roi  ^^^^^^^  ^'^^"- 
de  France.  Cette  Princeiïè  remplie  de  fentimens  élevés  &  decharic 
d'une  piété  folide  ,  &  recommandable  par  la   régularité  ^^• 
de  fes  mœurs,  a  été  juilement  mife  en  parallèle  avec  Eli-    . 
iàbeth  deTuringe,  dont  elleportoit  le  nom.  Elle  donnoic 
fon  bien  aux  pauvres ,  ôc  l'employoit  en  d'autres   bonnes 
oeuvres.  On  ne  put  jamais  la  réibudre  à  pafler  à  de  fécondes 
noces  ^  quelque  envie  que  le  roi  d'Efpagne«eiit  de  l'époufer 
après  la  mort  de  la  princeiTe  Anne  fa  première  femme ,  fœur 
d'Elifabeth.  Elle  avoiten  France  des  revenus  confidérables, 
à  caufe  de  fon  mariao-e  avec  Charle  IX.  Elle  en  donnoic 
par  les  mains  de  fes  Intendans  la  troifiéme  partie  aux  pauvres. 
Ses  Intendans  avoient  un  ordre  exprès  de  ne  tirer  aucune 
finance  des  charges  de  Judicature ,  contre  la  coutume  de 
France,  où  elles  fe  vendent ,  au  grand  malheur  des  peu- 
ples, &  à  la  honte  de  la  juftice  ,  qui  doit  fe  rendre  fans  in- 
térêt. Elle  leur  avoit  enjoint  de  pourvoir  de  ces  Offices 
ceux  qui  feroient  plus  en  état  de  les  exercer.   Auger   de 
Ghiilin  de  Boefbecq  (i)  fut  fon  Agent  auprès  du  roi  Henri 
IV.  tant  qu'elle  vécut  ^  Ghiflin  étoit  homme  d'érudition , 
propre  à  manier  les  affaires  ,  ôc  recommandable  par  fa  can^ 
aeur&fa  probité.  Il  avoit  été  deux  fois  en  amballàdeà  la 

(0    D'autres  l'appellent  Busbecq, 

EEeeij 


588  HISTOIRE 

-_j Porte  de  la  part  de  l'empereur  Ferdinand.  Nous  avons  des 

Henri  lettres  de  lui  très-curieufès  èc  fort  bien  écrites ,  où  il  fait 
I  V.       le  détail  de  fes  deux  ambafTades.  Ces  lettres  m'ont  fourni 
1592.     beaucoup  de  traits  pour  l'hilloire  que  j'écris.    Ghillin  après 
Ja  mort  de  cette  Princcllè,  à  qui  il  avoit  rendu  de  grands 
fervices ,  ayant  obtenu  d^s  paileports  du  Roi ,  èc  de  la  Li- 
Mort  de    gue ,  pour  s'en  retourner  avec  ia  famille  dans  les  Païs-bas 
Ghifjinde      ç^  patrie,  fut  arrêté  par  les  Ligueurs  proche  de  Dieppe  en 
Normandie.  On  pilla  tout  ce  qu'il  avoit ,  &c  on  le  traita  fore 
mal.   Il  en  conçut  un  chagrin  mortel ,  qui  joint  à  fa  vieil- 
leilè  le  mit  au  tombeau ,  pendant  qu'on   attendoit  une  ré- 
ponié  du  duc  de  Mayenne.   Sa  more  arriva  le   28.  d'Oc- 
tobre. 

Ce  que  je  viens  de  dire  de  Ghifîin  de  Bocfbecq  m'aver- 
tit de  rapporter  ici  la  mort  de  quelques  autres  hommes  re- 
commandables  par  leur  érudition  &  leur  dignité  ,  avant 
que  de  parler  des  Princes  qui  moururent  cette  année.  Le 
premier  de  ces  hommes  illuftres  dont  je  parlerai ,  ell  Vin- 
De  Vincent  ^^^^  Lauro  né  à  Tropea  ,  ville  célèbre  en  Calabre  ,  de  pa- 

Lauro,  grand  ^  ^   •      j,  i  ^  j-'t 

Médecin  &  rens  allez  pauvres-  mais  dune  honnête  condition.  Lauro 
Cardinal.  ayant  été  élevé  dans  la  maifon  des  CarafFes  ducs  de  Nocera , 
étudia  avec  le  prince  Alfonfe  à  Naples  ,&:enfuiteâ  Padouë, 
où  ayant  appris  les  langues  Greque  èc  Latine ,  il  s'appliqua 
à  l'étude  de  la  Philofophie  &  de  la  Médecine.  Il  fit  de 
grands  progrès  dans  cette  dernière  fcience  ,  de  s'attacha  au 
cardinal  Pierre-Paul  Parilio  de  Cozenze.  Il  gagna  fî  bien 
l'amitié  de  Hugue  Buon-Compagno,  dans  la  maiion  du  car- 
dinal Parifio,  que  lorfque  Hugue  fut  monté  dans  la  fuite 
fur  la  Chaire  de  Saint  Pierre  ,  il  le  fit  cardinal  en  mémoire 
de  leur  ancienne  amitié.  Avant  d'entrer  dans  le  facré  Col- 
lège, àc  après  la  mort  deParifîo,  il  offrit  fes  fervices  à  Ni- 
colas  Gaddi ,  &  enfùite  au  cardinal  de  Tournon  en  Fran> 
ce,  qui  lui  donna  des  Bénétices  confîdérables  en  Auvergne. 
Le  cardinal  de  Tournon  étant  mort,  le  duc  deGuife  crai- 
gnant qu'Antoine  de  Bourbon  roi  de  Navarre  n'embrafTàt 
le  parti  des  Proteftans ,  à  la  perfuafion  de  fa  femme ,  &:  de 
ceux  qui  étoient  à  fa  fuite  ,fit  entrer  Lauro  dans  la  maifon  de 
ce  Prince,  qui  mourut  fèpt  mois  après,  Lauro  s'en  retourna 
à  Rome  avec  Hippolyte  cardinal  de  Ferrare,  alors  Lég^t 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.    CIV.        589 

en  France.  Ses  habitudes  à  la  Cour  ,  ôcfon  commerce  avec 

les  Grands  avoienc  ajouté  à  fa  fcience  dans  la  Médecine ,  Henri 

une  grande  habileté  dans  les  affaires.  I  V. 

Pie  V.  connoiilant  tout  le  mérite  de  Lauro  lui  donna  Té-      i  soi, 
vêché  de  Mondovi  en  Piémont ,  6c  le  choifit  entre  tant  d'ha-  ^ 

biles  gens  qui  étoient  à  Rome, pour  être  fon  Légat.  La 
légation  qui  lui  a  le  plus  fait  d'honneur  eft  celle  dont  il  fut 
chargé  par  le  pape  Grégoire  XIII.  auprès  de  Sigifmond- 
Auguffce  roi  de  Pologne  ,  &  qu'il  continua  après  la  mort  de 
ce  Prince,  lorfque  Henri  de  Valois  duc  d'Anjou  fut  élu  roi 
de  Pologne.  Etienne  Bathori  ayant  enfuite  monté  fur  le 
Thrône  abandonné  par  Henri  de  Valois ,  Lauro  fît  encore 
auprès  de  lui  la  fonction  de  Légat.  Il  eut  l'habileté  d'enga- 
ger Jean  roi  de  Suéde,  qui  avoit  époufé  une  fœur  de  Sigif- 
mond-Augufte ,  &c  d'Anne  femme  d'Etienne  Bathori,  à  re- 
cevoir dans  fa  Cour  le  Jefuite  Antoine  PofTevin  ,  qui  joignoic 
à  la  connoilîànce  des  Lettres  une  grande  dextérité  à  manier 
Iqs  affaires  les  plus  délicates.  Pollèvin  ramena  à  la  Religion 
Romaine  Sigilmond  fils  de  Jean ,  &  toute  fa  famille.  Le  Pape 
en  reconnoifïànce  des  fervices  de  Lauro  ,  6c  de  leur  ancienne 
amitié ,  lui  donna  le  chapeau  de  Cardinal  j  èc  le  regardoic 
déjà  comme  devant  bientôt  monter  fur  le  Thrône  de  l'E- 
glife.  On  fe  confirma  dans  cette  penfée  par  un  accident 
qui  avoit  penfé  lui  être  fatal.  La  première  fois  qu*il  vint  à 
Rome  dans  fa  jeunefîè  ,  pour  voir  les  fpedacles  qu'on  a 
coutume  de  donner  la  veille  de  la  fête  des  BB.  Apôtres 
Saint  Pierre  6c  Saint  Paul ,  il  rencontra  un  taureau  furieux 
qui  l'enleva  avec  [qs  cornes ,  6c  le  laifla  tomber  fans  qu'il  fe 
blefTât.  Il  eft  certain  qu'après  avoir  été  promu  au  Cardi- 
nalat ,  il  eut  un  grand  nombre  de  voix  dans  les  Conclaves 
de  Sixte  V.  d'Urbain  VII.  de  Grégoire  XIV,  d'Innocent  IX. 
6c  de  Clément  VIII.  6c  que  la  lèule  chofe  qui  empêcha  fon 
exaltation  ,  fut  le  féjour  qu'il  avoit  fait  à  la  Cour  du  roi 
de  Navarre  père  de  Henri  IV.  La  faction  Efpagnole  fè  fer- 
vit  de  ce  prétexte  pour  le  rendre  fufpecT:.  Ce  n'eit  pas  que  le 
cardinal  de  Mondovi  fût  beaucoup  dans  les  intérêts  de  la 
France  -,  mais  les  Efpagnols  f^avoientbien  qu'il  n'étoitpas  fa- 
vorable à  leur  Nation.  C'etoiclâfon  véritable  crime.  Enfin 
après  avoir  été  tant  de  fois  fur  le  point  de  monter  fur  la 

E  E  e  e  ii  j 


55)0  HISTOIRE 

f"?*?^"?!?"^^?^  Chaire  de  Saint  Pierre  ,  il  mourut  à   i'age  de  fôixante  Sc 
Henri  dix  ans  le  i  6.  Décembre.  Il  donna  par  Ton  teftament  tous 
I  V.       fes  meubles ,  qui  ëtoient  de  grand  prix,  aux  hôpitaux  ,dans 
I  J92.     la  vue  d'avoir  pour  héritiers  les  malades,  dont  laguérifon 
avoit  été  l'objet  de  la  fcience ,  qui  fut  l'origine  de  fa  for- 
tune. Son  corps  fut  enterré  à  Saint  Clément,  dont  il  avoic 
pris  fon  titre  de  Cardinal  ,   fans  pompe ,  de  avec  un  éloge 
fort  fuccinct. 
'  De  Michel       Qiielque  tems  auparavant ,  Michel  de  Montagne  ,  Gen- 
ieMontagne.  tilhommc  Perigourdin ,  mourut  âgé  de  fôixante  ans  le  1 7. 
Septembre  à  Montagne  en  Perigord ,  d'où  fa  famille  avoic 
pris  fon  nom.    Il  avoit   été   Confeiller  au   Parlement  de 
Bourdeaux  avec  Etienne  de  la  Boetie ,  dont  il  cultiva  tou- 
jours l'amitié    tant   qu'il   vécut ,  èc  qu'il  honora   après  fa 
mort.  Montagne  faifoit  profeffion  d'une  noble  franchife , 
comme  il  paroîc  par  fes  ouvrages  intitulés  ,  £J/(iis  ,  qui  en 
feront  de  fûrs  garants  à  la  poftérité  la  plus  reculée.  Il  fuc 
élu  Maire  de  Bourdeaux  pendant  qu'il  étoit  à  Venife  5  di- 
gnité qui  eft  la  première  de  la  Province  ,  èc  qui  ne  s'accorde 
qu'à  des  Gentilshommes  diftingués ,  &:  aux  Gouverneurs. 
Jacque  de  Matignon  gouverneur  de  Guiennne  lui  donna 
une  place  dans  Ton  Confeil  pendant  les  troubles  de  cette 
Province.  La  conformité  de  nos  études  ôc  de  nos  inclina- 
tions nous  avoit  unis  enfemble  parles  liens  d'une  vraie  ami- 
tié dans  mon  féjour  en  Guienne  ^  èc  lorfque  je  me  trouvai 
dans  la  fuite  avec  lui  à  la  Cour,  &  à  Paris. 
FuHo  Cerio!       ^^  ^^  ^^^^  ^  parler  de   Frédéric  Furio    Ceriolano,  de 
lano»  '  Valence  en  Efpagne  ,  qui  peut  marcher  de  pair  avec  Mon- 

tagne. Ceriolano  ayant  d'abord  étudié  à  Paris ,  alla  enfuite 
à  Louvain  ,  où  il  eut  de  grandes  difputes  avec  Bononia  de 
Sicile  profefleur  en  Théologie  ,  au  fujet  de  la  traduction 
des  Livres  faints  en  langue  vulgaire.  Etant  en  Allemagne  il 
publia  à  ce  fujet  un  livre,  qui  fut  cenfuré  par  plufîeurs 
Docteurs  Catholiques.  Mais  l'empereur  Charles  V.  qui  f(^a- 
voit  difcerner  les  efprits ,  charmé  de  fa  rare  érudition,  dc 
confidérant  d'ailleurs  la  pureté  de  (es  intentions  ,  &;  fon 
zélé ,  le  prit  fous  fa  proteâ:ion  ,  &  l'envoya  en  Efpagne  à 
Philippe  fon  fils,  auprès  duquel  il  demeura  toujours  dans 
la  fuite.   Il  fit  tous  [qs  efforts ,  comme  nous  l'avons  dit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  C  I  V.       591 

ailleurs,pour  pacifier  les  troubles  des  Païs-bas.ll  a  compofë  un  -' 
livre  des  Confeils  ,  ôc  du  devoir  des  Confeillers.  Il  mourut  Henri 
cette  année  à  Valladoiid  lans  être  marié  ,  de  beaucoup  plus       I  V. 
âgé  que  Montagne.  i  5  9  i . 

Guillaume ,  Lando;rave  de  HelTe  ,  fils  du  Landgrave  Phi_ 
lippe,  qui  reçut  de  11  mauvais  traitemens  de  Cnarle  V,  a  Landgrave 
qui  il  avoit  fait  la  guerre,  mourut  le  3.  de  Septembre  âgé  de  Hcffc 
de  foixante  &  dix  ans.  Ce  Prince  étoit  d'une  haute  pru- 
dence ,  &  d'une  grande  droiture.  Ses  lettres  que  Ticho. 
Brahé  ,  Gentilhomme  Danois ,  a  mifès  au  jour  après  fa 
mort,  ieront  un  monument  éternel  des  connoiilances  de  ce 
Prince  dans  les  Mathématiques.  Sa  foiide  piété  lui  failoit 
envifager  la  mort  fans  effroi  ^  il  craîgnoit  feulement  de 
mourir  fubitement ,  parce  qu'il  étoit  fort  gras.  Cette  crainte 
falutaire  l'engagea  à  faire  fon  teftament  de  bonne  heure. 
Tous  les  jours,  iorfqu'il  alloit  fe  coucher,  il  demandoit 
pardon  aux  aififtans ,  après  avoir  fait  les  prières  en  préfence 
de  tous  [es  domeftiques  j  &.  il  diloit  adieu  à  tous  les  amis, 
comme  s'il  eût  dû  mourir  cette  nuit.  Il  obferva  cette  pra- 
tique religieufe  pendant  dix  ans.  11  eut  de  fa  femme  Sa- 
bine ,  fille  de  Chriffcophle  de  Wirtemberg ,  fœur  de  Louis 
du  même  nom,  un  fils  unique  appelle  Maurice,  qui  étoic 
ablent  Iorfqu'il  mourut.  Il  l'avoit  fait  inflruire  dans  les 
beaux  arts.  Ce  jeune  Prince ,  à  l'exemple  de  fon  ayeul  ôc 
de  fon  père ,  demeura  ferme  dans  l'alliance  de  nos  Rois. 

Le  dernier  Prince  dont  nous  rapporterons  la  mort ,  eft  De  Jean  roi 
Jean  roi  de  Suéde,  fils  de  Guftave,  ou  Guilâw ,  &  petit-  ^^  Pologne. 
Sis  d'Eric,  qui  mourut  le  25.  de  Novembre.  Il  fut  allez 
heureux  pour  voir  en  mourant  fon  fils  Sigifmond  ,  par  l'al- 
liance qu'il  venoit  de  contracter  avec  la  Maifon  d'Autriche, 
affermi  fur  le  trône  de  Pologne  ,  où  il  étoit  monté  par  élec- 
tion. Jean  fut  plus  heureux  que  fon  frère  aîné  Eric,  qui 
l'avoit  tenu  long-tems  en  priion.  Eric  s'étant  rendu  indio-ne 
de  régner,  Jean  fut  mis  en  fa  place  ,  fans  qu'il  lui  en  coû- 
tât des  crimes,  &  fans  être  foupçonné d'ambition  3  enforte 
qu'Eric  ne  pût  imputer  la  perte  de  fa  Couronne  qu'à  lui- 
même.  Jean ,  à  l'exemple  de  fon  père,  fuivit  la  Confefîîon 
d'Aufbourg  ^  mais  fans  avoir  trop  de  prévention  pour  fà 
Religion  3  car  il  voulut  bien  que  fon  fils    Sigifmond,  qu'il 


591  HISTOIRE 

«^*iu*.«mi5  avoiteu  de  Catherine  fœur  de  Sigifmond  -  Aiigufte  roî  de 
Henri   Pologne  ,  fûc  élevé  par  cette  PrincefTe  dans  la  Religion  de 
I  V.       {es  ancêtres.  Pour  lui ,  foit  qu'il  ne  fut  pas  favorable  à  la 
1592.     Religion  Romaine  ,  foit  qu'il  crût  devoir  diifimuler  pour 
un  tems,  il  ne  fit  aucun  changement  dans  la  Religion  que  fon 
père  avoir  fait  recevoir  dans  toute  la  Suéde.  Ce  Prince  vou- 
lant aflurer  les  peuples  qu'il  n'innoveroit  en  aucune  ma- 
nière dans  la  Religion  ,  leur  donna  comme  en  otage  Charle 
duc  de  Finlande  Ion  frère  qui  étoit  très- attaché  à  la  nouvelle 
dod:rine,&  il  le  fit  par  fon  teftament  Régent  du  Royaume 
en  l'abfence  de  fon  fils. 

Sigifrnond  roi  de  Pologne,  bien  éloigné  de  penfer  comme. 
le  Roi  Jean  fon  père,  &:  ne  voulant  pas  fe  conformer  aux  rè- 
glemens  qu'il  avoit  faits  ,  fe  jetta  dans  un  grand  embarras. 
Il  fut  fur  le  point  de  perdre  fon  Royaume  héréditaire ,  en 
fuivant  aveuglement  des  confeils  imprudens.  Le  Roi  Jean 
eut  avant  de  mourir  la  joye ,  après  avoir  réiifii  dans  fes  au- 
tres entreprifes ,  de  voir  fon  fils  Sigifmond  réconcilié  avec 
ÏQs  Princes  de  la  maifon  d'Autriche,  àc  délivré  par  l'alliance 
qu'il  venoit  de  contrader  avec  eux,  de  la  crainte  qu'il  avoic 
que  ces  Princes  ne  lui  fiiTent  la  guerre  j  ôc  enfin  en  état  de 
gouverner  fes  deux  Royaumes. 

On  parloir  depuis  long-  tems  de  faire  époufer  à  Sigifmond 
la  princefie  Anne  fille  de  l'Archiduc  Charle  j  mais  des  diffi- 
cultés qui  furvenoient  à  chaque  inftant  avoient  toujours  faic 
remettre  cette  affaire.  Il  y  avoit  même  des  Polonois  qui 
détournoient  le  Roi  de  cette  aUiance.  Jean  Sarius  Zamoyski 
chancelier  du  Royaume,à  qui  Sigifmond  avoit  de  grandes  ob- 
ligations ,  irrité  au  dernier  point  contre  ce  Prince,  qui  ne  re- 
connoilToit  pas  fes  fervices  comme  il  le  devoir,  ofa  faire  écla- 
ter en  public  les  fujets  de  plaintes  qu'il  avoit  contre  le  Roi, 
&  eut  même  la  hardieffe  de  demander  à  la  République  &  à 
la  diète  des  Etats  la  réparation  des  injures  qu'il  prètendoic 
avoir  reçues  de  ce  Prince.  Le  principe  de  l'oppofition  de 
Zamoyski  venoit  des  liaifons  qu'il  avoit  avec  Maximilien 
d'Autriche.  Lorfque  ce  Prince  étoit  prifonnier  en  Pologne, 
la  PrincefTe  fa  femme  ayant  mis  au  monde  un  fils  ,  il  avoic 
prié  Zamoyski  de  tenir  l'enfant  fur  les  Fonts  Baptifmaux. 
On  croyoic  qu'il  avoit  voulu  par  cette  déférence  gagner  le 

Chancelier 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CîV.        ^93 

Chancelier,  avec  qui  il  entretint  un  commerce  d'amitié  après  ■■ 

ia  prifon.  Quoique  Maximilien  eût  renoncé  par  des  traités  H  e  n  K  i 
.aux  droits  qu'il  prétendoit  avoir  fur  la  Pologne ,  il  en  avoit       I  V. 
pris  les  armes  ôc  le  titre  de  Roi,  ayant  toujours  i'efpérance     1592, 
-de  rentrer  dans  ce  Royaume. 

Sigifiiiond  envoya  enfin  en  ambaffade  à  l'Empereur  , 
comme  au  Chef  de  la  maifon  d'Autriche  ,  le  cardinal 
Georges  Radzivil  ,  l'évêque  d'Ouladomirie,  &  plufieurs 
autres  Seigneurs.  Les  Ambaflkdeurs  arrivèrent  à  Prague  le 
13.  Mars,  ayant  à  leur  fuite  deux  cens  quatre- vingt  che- 
vaux richement  caparatjonnés  &  trente -deux  chaifes  de 
pofte,  avec  quelques  Tartares  èc  Mofcovites  qui  fervoienc 
à  la  pompe  de  l'ambaflade.  L'Empereur  les  reçut  avec  de 
grands  honneurs  ^  &  ayant  arrêté  avec  eux  les  articles  du 
înari,age,il  leur  donna  une  nombreuié  efcorte  pour  les  con- 
duire par  la  Moravie  dans  l'Autriche  &  à  Vienne,  où  la  Prin« 
çq^Tq  devoir  fe  rendre. 

Elle  y  arriva  le  premier  du  mois  de  Mai ,  accompagnée    Manage  i^ 
(de  fa  mère  &:  d'Erneft  frère  de  l'Empereur  3  l'archiduc  Ma-  sigifmond 
thias  alla  au  devant  d'elle.  Le  lendemain  ,  les  Ambafîadeurs  5°^  lvcc°ia 
.eurent  l'honneur  de  la  faluer  ,  6c  ayant  eu  audience  trois  fœurdeiEm-: 
jours  après ,  le  fuivant  fut  deftiné  à  célébrer  les  fiançailles  P" 
&  d  épouferla  PrincelTe  par  Procureur.  On  fe  rendit  à  TE- 
glife  des  Hermites  de  Saine  Auguftin  qui  eft  proche  le  Pa- 
lais. L'évêque  de  Vienne  ayant  prononcé  un  difcours  La- 
tin ,  le  cardinal  Radzivil  époufa  la  PrinceiTe  au  nom  du  Roi, 
^  lui  mit  un  anneau  au  doigt.  Le  refte  du  jour  fe  pafla  dans 
les  feftins  &;  les  divertiiTemens.  Les  Ambaiîàdeurs  emmenée 
rentla  PrincefTe  en  Pologne,  ôc  la  conduifîrent  à  Plefz  où 
elle  arriva  le  24.  de  Mai.  Le  Roi  la  reçut  avec  la  pompe 
que  nous  allons  décrire. 

Il  fit  dreffer  dans  une  grande  plaine  ,  à  un  demi  mille  de 
Cracovie  deux  tentes  pour  lui ,  à  huit  pas  de  diftance  de 
deux  autres  dejflinèes  pour  fa  nouvelle  époufe  ^  il  y  avoit  dans 
cette  efpace  un  dais  foûtenu  par  quatre  colonnes.  Le  Roi  ac- 
compagné de  fa  fœur  &  de  la  Reine  Douairière ,  veuve 
(l'Etienne  fon  prédécefTeur ,  fe  rendit  à  fa  tente,  fuivi  de 
quatre  mille  hommes  de  cavalerie  vêtus  fuperbement  à  la  Po~ 
ioxioife  ;  &  de  quatre  mille  hommes  de  pied  ranges  fous  vingç 
Tome  XI,  ¥¥^i 


;reui 


J94        '  H  î  S  T  O  I  R  E 

*  '""  ;  drapeaux.  On  fie  entrer  réponfe  du  R.oi  dans  la  tente  qu'oif 
Henri  lui  avoit  préparée ,  où  la  Reine  Douairière  6c  la  fœur  du 
I  V.  Roi  la  reçurent.  Elle  fut  conduite  par  l'évêque  de  Bre{law,&: 
I  592.  ^  parle  Grand  Maître  de  la  maifon  du  Roi  ious  un  dais 
à  l'endroit  où  le  Roi  étoit.  Ce  Prince  accompagné  de  Tar- 
chevêque  de  Gnefne  6c  du  chancelier  Zamoyski  avec  qui 
il  s'étoit  réconcilié  ,  s'avança  au-devant  d'elle.  Ils  montèrent 
dans  les  chars  qu'on  leurtenoit  prêts,  ôc  entrèrent  dans  la 
ville  au  bruit  des  acclamations  du  peuple  ,  avec  la  même 
pompe  dont  nous  venons  de  parler.  Ils  traverfèrent  les  rues 
ornées  de  tapis  de  Turquie  ,  èc  lé  rendirent  à  l'Eglifé.  Un- 
Enfeigne  Allemand  attira  l'admiration  de  ceux  qui  aififtoienc 
à  cette  fête.  Ce  foldac  de  bout  fur  le  faite  de  la  grande 
Eglife,  faifoit  tourner  delà  main  droite  fon  drapeau  fans 
chanceler,  quoiqu'il  ne  fût  appuyé  en  aucune  manière,  6s 
malgré  le  vent  qui  faifoit  floter  fon  Enfeigne.  Le  Te  Beum 
ayant  été  chanté  en  mufique,  on  jetta  au  peuple  des  pièces 
d'argent  ,  qui  contenoient  à.Q%  fîmboles  de  la  rèiinion  de 
ces  deux  grandes  maifons ,  6c  enfuite  on  alla  à  la  citadelle. 
Le  mariage  fut  célébré  cinq  jours  après.  On  donna  des  jeux, 
des  fpeclacles  ,  6c  il  y  eut  des  tournois  pendant  huit  jours. 
Le  Roi  partît  enfuite  avec  la  Reine  fon  èpoufe  pour  fe  ren-- 
dre  à  la  diète  de  \i^arfovie. 
Affaire  au  La  mort  du  comte  de  Mandercheyt  ocGafîonna  de  grands 
fujetde  l'é-  troubles  cctte  année  en  Allemagne.  Ce  Seigneur  ayant  été 
év'éàae  de""  ^vêque  de  Strafbourg  pendant  vingt-trois  ans ,  mourut  à 
Scralbourg.  Savernc  le  2.  Mai  dans  un  âge  avancé.  Le  Chapitre  de  cette 
ville  rempli  de  factions  ne  s'accordoit ,  ni  fur  le  fucceflèur 
qu'on  devoit  lui  donner,  ni  fur  Tendroit  où  l'on  feroit  l'é- 
ledion.  Les  Catholiques  vouloient  que  ce  fût  à  Saverne  j  les 
Protefbans  prétendoient  que  ce  devoit  être  à  Strafbourg. 
Ces  derniers  apportoient  pour  raifon  la  coutume  6c  l'exemple 
de  leurs  ancêtres.  Suivant  cette  coiitume,l'éleâ:ion,  pour  être 
légitime  ,  devoit  fe  faire  dans  la  ville  par  les  Chanoines  ^  de 
l'autorité  des  Magiftrats. Les  Catholiques  difoientde  leur  cô- 
té que  les  chofes  ayant  changé,  6c  que  ne  leur  étant  plus  libre 
de  venir  dans  la  ville  d'où  on  les  avoit  honteufement  chaiïèsj^ 
Ils  avoient  réfolu  de  demeurer  à  Saverne  ,  parce  que  l'élcc- 
sion  ne  feroic  jamais  libre  dans  une  ville  >  où  leurs  ennemis 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         595 

^éroîenc  les  maîcres.  Ils  écrivirent:  fur  ces  entrefaites  à  l'Em- 
pereur qu'ils  fcavoienc  leur  être  favorable,  pour  l'informer,  H  E  n  i^i 
comme  ils  le  devoienc  ,  de  la  more  de  leur  Evêque  ,  &:  le       IV. 
prier  en  même   tems   de  leur  donner   l'adminiflracion  de     1591. 
l'Evêchë  pendant  la  vacance  du  fiége. 

L'Empereur  leur  fie  réponfe  le  8 .  de  Mai,ôc  leur  manda  qu'il 
croit  fenfîblement  touché  de  la  perce  de  leur  Evêque,  qui  lui 
avoir  rendu  de  grandsfervices  auflî-bien  qu'à  l'Empire^qu'ilen- 
voyeroit  au  premier  jourdesCommifTaîrespourprendreloîn de 
rEvêché.ll  leur  recommanda  de  garder  les  citadelles, lesviiles 
èc  les  châteaux ,  &  de  n'y  laiiTer  entrer  perfonne  jufqu'à  l'arri- 
vée de  Tes  commifTaires.  Il  écrivit  enfui  te  au  Sénat,  &  le  prefTa 
de  ne  point  foutenir  les  Chanoines  qui  troubloient  lapaixdu 
piocéfe^maisau  contraire  de  les  détourner  de  leurs  mauvais 
defleins.  Les  Proteftans  avoient  fixé  le}  o.  de  Mai  pour  procé- 
der à  Téledion  d'un  Evêque  dans  la  ville,  &  dans  l'endroit  or- 
dinaircj  &  ils  engagèrent  Charle  de  Brunlwic  qui  préfidoit  à 
,réle(fl:ion,d'écrire  aux  Catholiques  pour  leur  faire  fçavoir  ce 
qui  avoit  été  réfolu.  Ceux-ci  refufants  de  fe  trouver  à  cette 
cledion,les  Proteftans  s'aflembiérent  au  jour  marqué.  Le 
DoAeur  Jean  Pappus  monta  en  chaire,  &  fit  un  difcours  tiré 
de  l'épître  de  5-  Paul  à  Timothée  fur  les  vertus  de  les  qualités 
d'un  bon  Evêque  5  il  exhorta  les  Chanoines  à  ne  faire  tom- 
ber leur  choix  que  fur  un  homme  qui  ne  fut  partifan  d'au- 
cune fede ,  mais  attaché  à  la  faine  dodrine ,  renfermée  dans 
hs  Prophètes  ,  dans  les  faints  Evangiles ,  dans  les  Ades  des 
Apôtres  6c  dans  leurs  Epîtres ,  dans  les  trois  premiers  fym- 
boleSjôc  dans  les  quatre  Conciles  généraux,  6c  conforme  à  la 
Confeiïîon  d'Auibourg  fans  aucune  altération. 

Après  ce  difcours  Ôc  les  Prières  ordinaires ,  félon  l'ufage    Ele>aioa  c(e 
des  Proteftans  ,  on  procéda  à  l'éledion.  Jean  George  de  Jean-Georgt 
Brandebourg  fut  élu  d'un  xonfentement  unanime.  Les  Pro-  bouia,"  ^' 
teftans  fentoient  bien  qu'ils  avoient  befoin  d'un   Evêque 
puiftant ,  pour  foutenir  fon  éledion  contre  celui  que  les  Ca- 
tholiques pourroient  élire   de  leur  côté.  Jean-George  de 
Prandebourg  ratifia   par  Procureur  l'éledion   qu'on   avoic 
faite  de  fa  perionne^ôc  ayant  écrit  dans  tous  les  lieux  de  la  dé- 
pendance de  l'Evêché,  aux  Gouverneurs  &  aux  Magiftrars, 
il  leur  ordonna  de  lui  obéir,  comme  à  leur  Evêque  de  à  Icu^ 
Frmce  légitime.  FFffij 


59^  HISTOIRE 

ê!L    """   '      Le  fénat  de  Srrafbourg  confidërant  les  fuîtes  qu'auroîk 
Henri  cette  éledion  ,  jugea  qu'elle  pourroic  caufer  une  guerre  31 
I  V,       c'eft  pourquoi  il  avoit  fait  lever  trois  compagnies  d'infante- 
i^Qz.     rie  &  fix  cens  chevaux,  qu'il  envoya  devant  Kocherfberg 
avec  fept  canons.  Ce  château  de  la  dépendance  de  TEvê-^ 
ché  étoit  de  peu  de  dëfenfe  ,  &:  il  n'y  avoit  qu'une  foible 
garnifon  commandée  par  un  Sergent-Major.  On  fomma  fur 
le  foir  les  afTicgés  de  fe  rendre  ^  mais  ayant  refufé  de  le  faire, 
rartiilerie  fut  pointée  iur  le  champ  contre  les  murs  &  les 
abattit.  Le  lendemain  qui  étoit  le  4.  de  Juin  ,  la  garnifoii 
voyant  qu'elle  ne  pouvoit  tenir  plus  long-teras  ,  fe  rendit  à 
diicrétion.  On  ne  lui  fit  aucun  mal  3  il  n'y  eut  que  le  Gou« 
verneur  qui  fut  pendu.  La  garnîfon  de  Dachftein  épouvan  * 
tée  par  le  fupplice  de  ce  malheureux  Gouverneur ,  aban- 
donna la  place. 
Eieaion  du       Les  Chanoines  qui  étoient  à  Saverne  ayant  appris  la  perte 
cïaik  de      ^^  ^^^  dcux  pkces  j  voyant  d'ailleurs  qu'ils  attendroient  inu« 
Lorrnine  par   tilcment  plus  long-tems  les  Commiflaires  que  l'Empereur  de- 
iafadionop-  ^^jj-  i^^j.  envoyer  ,  &  l'archiduc  Ferdinand  fon  oncle,prirenc 
^°  ^^  jour  pour  le  9.  Juin  ^  ô^  s'étant  aiïemblés ,  ils  élurent  Charle 

cardinal  de  Lorraine,  qui  fouhaitoit  depuis  long-tems  d'être 
ëvêque  de  Strafbourg.  On  fît  répandre  à  Cologne ,  &  en 
d'autres  lieux  au  nom  du  baron  de  Crehanges  (  i  )  doyen 
du  Chapitre  un  long  manifefte ,  où  l'on  rendoit  raifon  de 
la  manière  dont  l'éledion  s'étoit  faite.  Le  cardinal  de  Lor- 
raine ayant  accepté  i'Evêché ,  partit  pour  en  aller  prendre 
polTeiîion.  Il  écrivit  le  lendemain  au  Sénat  pour  fe  plaindre 
de  ce  qu'on  avoit  ofé  s'emparer  des  châteaux  du  domaine 
de  fon  Evêché.  Il  en  demanda  la  reflitution  avec  menaces , 
en  cas  de  refus  ,  de  fe  faire  raifon  par  la  voye  des  armes.  Un- 
Trompette  fut  chargé  de  porter  ces  lettres  ,  6c  d'en  rap- 
porter la  réponfe. 

Le  Sénat  répondît  qu'il  n'avoît  aucune  part  â  la  prîfe  de 
ces  châteaux,  qui  avoient  été  afliégés  par  les  ordres  du  lé- 
gitime Evêque,  dont  l'élection  avoit  été  faite  dans  la  ville, 
àc  appuyée  de  l'autorité  du  Sénat  :  Qii'au  refce  ils  fupplioient 
fon  Eminence  de  n'en  point  venir  à  la  force  avec  eux  ,  qui 
avoient  toujours  cultivé  avec  grand  foin  l'amitié  de  la 
(1)  Il  s'tciit  en  Allemand  Kriechingen, 


:)È  J.  A.  DE  THOU,  LfT.  CIV.         597 

îïîaiTon  de  Lorraine,  dont  ils  ne  s'étoienc  jamais  départis, 
êc  qu'ils  conferveroient  toujours,  pourvu  qu'on  ne  les  atta-  Hen  ri 
quât  point.  On  fe  plaignit  enfui  ce  de  la  licence  efFrenée  des       I  V, 
troupes  Lorraines.  i  i9  2> 

Le  Cardinal  écrivit  une  féconde  fois  au  Sénat,  de  lui  fît  Menaces  du' 
des  réprimendes ,  d'avoir  dit  que  l'éleclion  de  fon  conçut-  Cardmai. 
lent  étoit  légitime,  parce  qu'elle  étoit  appuyée  de  fon  au* 
torité  j  il  lui  reprocha  de  s'arroger  le  droit  de  choifir  6c  de 
dépofer  l'Evêque  ,  ôc  de  régler  Ion  domaine.  Ces  Magiftrats 
fe  juftifiérent ,  en  rejettant  la  mauvaife  opinion  que  le  Car^ 
dinal  avoit  conçue  fur  des  gens  malintentionnés  ,  qui  em- 
poifonnoient  leurs  réponfes  jajoûtant  qu'ils  n'avoient  de  droits 
fur  l'Evêque  de  fur  fon  domaine  ,  que  ceux  que  leur  don^ 
noient  leurs  privilèges,  &  les  traités  qu'ils  avoient  fait  avec 
les  Evêques jôc  qu'ils  avoient  toujours  eu  grand  foin  de  n'être  à 
charge  à  perfonne,  6c  de  ne  point  uiurper  les  droits  des  autres^ 

C'eft  ainfi  qu'on  s'éloignoit  en  apparence  de  la  force  ou-  Gueneà:c 
verte  de  part  éc  d'autre  ,  tandis  qu'au  fond  on  ne  fongeoic  ^"J^*^- 
qu'à  la  guerre.  Le  cardinal  de  Lorraine  ayant  aiTemblé  fon 
armée  forte  de  dix  mille  hommes,commença  les  ades  d'hofti^ 
lité  par  la  prife  de  Binsfeldt.  Il  envoya  enfuite  des  Partis 
jufqu'aux  portes  de  Scrafbourg.  Un  Trompette  eut  ordre 
d'aller  commander  de  fa  part  aux  habitans  de  cette  ville  de 
chafler  les  Chanoines  féditieux  de  la  faction  oppofée  ,6s:  de 
rendre  aux  Chanoines  de  fon  parti  les  biens  6c  les  maiibns 
qu'on  leur  avoit  enlevés,  ou  plutôt  qu'on  avoit  enlevés  au 
Chapitre  6c  à  l'églife  de  Strafbourg  5  de  lailTer  célébrer  les 
faints  myftéres,  fuivant  le  Rit  Romain  dans  leur  Cathédrale^ 
&  de  réparer  les  pertes  que  cette  guerre  avoit  caufées  au 
domaine  ,au  Chapitre  6c  à  d'autres  qui  y  étoient  intéreiïesj 
qu'à  ces  conditions  on  étoit  prêt  à  leur  conferver  leurs  pri- 
vilèges &  leurs  immunités-  mais  qu'ils  feroient ,  en  cas  de 
refus ,  regardés  comme  ennemis.  11  y  eut  enfuite  des  efcar- 
mouches  aux  environs  de  Moltzein  6c  d'Andla^)(^  jufqu'au 
22.  de  Juin. 

Oa  fît  le  même  jour  la  revue  de  cinq  cens  chevaux  de3 
troupes  de  Brandebourg ,  aufquels  on  afîigna  des  quartiers 
à  SehafFoltzheim.  Les  Lorrains  à  la  nouvelle  de  l'arrivée  de 
ces  troupes ,  partirent  au  nombre  de  quinze  cens  pour  aller 

F  f  ff  iij 


59 


8  HISTOIRE 


«?^  les  attaquer  pendant  la  nuit.  Le  combat  fut  opiniâtre  des 

H  E  N  Eli  deux  cotes.  Les  Lorrains  mirent  le  feu  à  quelques  maifons  ^ 

IV.      &  fe  retirèrent  fans  autre  avantage  que  de  s'être  emparés 

159  2.     d'une  grande  partie  du  bagage  de  l'ennemi.  Ils  iurprirenc 

enfuite  un  château  proche  Geifpitzen  ,  par  la  trahiîbn  de 

quelques  foldats  de  la  garnifon ,  qui  ayant  été  pris  dans  la 

iuite  ,  furent  punis  du  dernier  iupplice. 

L'Empereur  avoit  donné  i'adminiftration  de  l'évêché  de 
Strafbourg  ,  &  le  foin  d'appaifer  les  troubles  qui  pourroienc- 
s'éleverjà  fon  oncle  Ferdinand  ,  dont  les  Ambalîadeurs  trou- 
vèrent à  leur  arrivée  la  guerre  déjà  allumée  ,  à  quoi  ils  ne 
s'étoient  pas  attendus.  Us  allèrent  trouver  le  cardinal  de 
Lorraine  à  Moltzheim  ,  ôc  l'exhortèrent  à  mettre  bas  les 
armes ,  à  licencier  fes  troupes  ,  6c  à  fe  remettre  à  l'Empe- 
reur pour  la  décidon  de  l'afFaire.  Le  Cardinal  avec  qui  cela 
fe  faifoit^  de  concertée  rendit  facilement ,  à  condition  cepen-> 
dant  que  les  habitans  de  Strafbourg ,  ôc  le  prince  de  Bran- 
debourg en  feroient  autant  de  leur  côté.  Les  Ambaifadeurs 
iirent  les  mêmes  proportions  au  Sénat  &:  au  prince  Evêque. 
Mais  ils  ne  trouvèrent  pas  la  même  facilité  j  on  leur  répon» 
dit  que  la  décifion  de  cette  affaire  regardoit  autant  les 
princes  de  l'Empire  que  l'Empereur  j  6c  que  d'ailleurs  on  ne 
pouvoît  rien  faire  fans  le  confentement  de  i'éledeur  de 
■|3randebourg. 

Le  cardinal  de  Lorraine  ayant  perdu  l'efpérance  de  ter» 
miner  le  différend  par  un  traité  ,  prit  le  parti  de  foûtenir 
fes  droits  à  la  pointe  de  l'épée  ^  6c  ayant  formé  le  fiège  de 
Kocherfberg  le  27.  juin, la  place  fut  emportée  après  une 
vigoureufe  attaque.  On  fit  périr  toute  la  garnifon  ,  à  l'excep- 
tion d'un  foldat  qui  fervit  de  bourreau  à  fon  Comman- 
dant. Bubenhofer  ancien  Sergent-Major ,  qui  étoit  depuis 
long-tems  au  fervice  du  Sénat,  abandonna  à  l'arrivée  de 
l'ennemi  Dachftein  où  il  commandoit.  On  lui  fit  up  crime 
de  fa  retraite  à  Strafbourg  ,  6c  on  le  mit  en  prifon.  Les  Lor» 
rains  s'emparèrent  avec  la  même  rapidité  de  \Y^affelshcim  , 
château  du  domaine  du  Sénat,  parce  que  le  fecours  qui  de- 
voir entrer  dans  cette  place,  n'arriva  pas  afïèz  à  rems.  Ce- 
pendant les  princes  de  l'Empire  refuférent  d'employer  leur 
médiation  dans  cette  affaire ,  qui  paroiiToit  trop  difficile  a 
à  terminer. 


BE  J,  A.  DE  THOU,  Liv.  CîV.  599 

Les  troupes  de  Brandebourg  ne  voulants  pas  demeurer  e 


mutiles ,  attaquèrent  les  ennemis  dans  leur  camp  à  Ernftein,  H  e  n  b»  i 
èc  furent  repouiTées  avec  perte.  L'armée  Lorraine  reçut  un  IV. 
grand  échec  à  Ton  tour  dans  l'attaque  du  Bourg  d'Ilkirckern  j  5  9  2^, 
pendant  la  nuit.  L'ennemi  averti  de  ce  deilein  par  fes  Cou- 
reurs s'étoit  préparé  à  la  bien  recevoir.  Il  y  eut  cent  Lor- 
rains de  tués.  Les  cantons  de  Zurich  ,  de  Berne  ,  &.  de  Baie, 
envoyèrent  des  troupes  auxiliaires  à  ceux  de  Strafbourg  leurs 
alliés.  Le  prince  de  Brandebourg  ayant  reçu  ce  renfort ,  fie 
marcher  le  3.  d'Août  fes  troupes  au  camp  d'Ernftcin.  On 
s'empara  dans  la  marche  de  Figersheîm  &  de  Rinaw  qu'on 
brûla.  On  campa  deux  jours  après  devant  Moltzeîm,  Les 
h'gnes  étant  tirées ,  &  la  tranchée  poulTée,  on  prefTa  le  fiègej 
la  garnifon  lit  de  fréquentes  forties ,  dans  lefquelles  ils  tuè- 
rent Albert  comte  de  Tubinge,  6c  Jeremie  de  Newenar  gou- 
verneur de  l'Arcenal.  LesambalFadeurs  de  l'Empereur^  des 
Cantons  Suifîes  propolèrent  inutilement  des  accommode- 
mens. 

Cependant  on  fît  à  Strafbourg  la  revue  d'une  nouvelle 
compagnie  d'infanterie  compofée  de  fix  cens  hommes,  com- 
mandée par  Jean  de  Nuremberg  -,  on  la  fît  partir  pour  le 
camp ,  avec  la  paye  d'un  mois  pour  toutes  les  troupes  de 
Brandebourg.  Le  comte  de  Vaudemont  qui  s'étoit  joint  au 
Cardinal  fon  frère  ,  tomba  fur  cette  troupe  à  Dieppiken  j 
&  ayant  taillé  en  pièces  la  cavalerie  qui  efcortoit  la  caifle, 
il  pouiîli  l'infanterie  dans  le  temple  de  Wic  ^  &  la  força  de 
iè  rendre ,  en  l'attaquant  jufque  dans  le  Cimetière  où  elle 
s'étoit  retirée.  Le  Comte  s'empara  du  bagage  &  de  l'argent,, 
&  prit  prifonnier  Jean  de  Nuremberg  qu'il  renvoya  aufiî- 
tôt  à  Strafboure;  Cette  trifte  nouvelle  confterna  les  Offi» 
ciers  qui  étoient  au  camp  devant  Moltzeim  ,  dont  ils  furenc 
obligés  de  lever  le  fiège  ,^  à  caufe  de  la  mutinerie  des  fol- 
dats.  Cette  retraite  fe  fit  le  i  6.  Août.  Les  Suifîes  ôc  la  ca- 
valerie fe  retirèrent  à  Strafbourg.  Huit  compagnies  Alle- 
mandes retournèrent  d'abord  à  Saint  Arbogaft ,  &  enfulte 
dans  leurs  premiers  quartiers  ,  à  Ilkircken  ,  &c  à  Graf- 
fenftad. 

Pendant  ce  tems-là ,  Erneft  de  Bavière  èlevHieur  de  Co- 
logne ^  après  avoir  long-tems  prefTé  les  Efpagnols  d'évacuer 


^oo  HISTOIRE 

'-!  les  places  de  PEledorac  ,  traira  avec  la  garnifon  de  Bonn ^ 
Henri  par  l'entremife  de  Tiizlings  que  le  duc  de  Parme  ayoic  mis 
I  V.       dans  la  place.  Les  Efpagnols  ayant  reçu  une  fomme  confL 
I  592,     dérable  de  l'Electeur,  en  lortirent  le  24.  Août.  L'Eledeur 
donna  le  gouvernement  de  Bonn  à  Herman    de   Linden. 
Deux  jours  auparavant,  Chriftiern  prince  d'Anhalt  ,  que  le 
yoi  de  France  avoit  renvoyé  avec  de  grands  témoignages 
.de  bonté  ,  ayant  été  abandonné  par  ks  foldats ,  qui  déchi- 
rèrent leurs  drapeaux  pour  s'en  retourner  par  bandits  dans 
leurs  païs  ,  vint  à  Strafbourg  avec  deux  cens  chevaux.  Ce 
Prince  ayant  fait  fes  conditions  avec  le  Sénat ,  prit  la  con- 
.duite  de  l'armée  qu  il  mena  contre  les  Lorrains.  Il  mit  en 
fuite  l'ennemi ,  2c  lui  tua  deux  cens  hommes.  Cette  déroute 
arriva  le  3.  Septembre. 

Chriftiern  battit  encore  le  premier  Novembre  les  enne- 
mis ,  de  mit  en  fuite  quatre  cens  chevaux  6c  trois  cens  hom, 
jîies  d'infanterie.  Codwitz  brave  Capitaine ,  à  qui  il  avoic 
fait  prendre  les  devants  ,  avec  un  détachement, tomba  dans 
ime  embufcade  ,  &;  fur  fait  prifonnier  ^  il  attaqua  dans  l'en^ 
droit, où  l'on  diftribuoit  la  paye  ,  \qs  nouvelles  levées  que 
le  cardinal  de  Lorraine  avoit  mandées  ,  6c  les  mit  en  dé* 
joute.  Les  Lorrains  pour  fe  venger  de  tant  de  pertes ,  s'em* 
parèrent  de  Vangen  où  ils  mirent  tout  à  feu  ôc  à  iang.  Enfin 
le  prince  d'Anhalt  ennuyé  de  faire  la  guerre  fans  règle ,  ^ 
voulant  fe  iignaler  par  quelque  coup  d'éclat ,  traita  avec 
le  nouvel  Evêque  Jean-George  de  Brandebourg  ,  &  fe  ren^ 
jdit  enfuite  au  camp,  accompagné  d'Othon,  ôc  de  François, 
princes  de  Lunebourg,de  Charle  de  Brunfwic  ,  du  baron 
île  Dhona  6c  d'autres  Officiers  j  j8c  ayant  campé  pendant  1 
nuit  entre  Strafbourg  6c  Moltzeim  ,  il  donna  beaucoup  d'ia- 
quiétude  aux  Lorrains,  qui  ne  pouvoient  deviner  fon  deilèin. 
.On  mit  une  forte  garnifon  à  Saverne ,  dans  la  crainte  qu'il 
Xi 'en  voulût  à  cette  place.  Chriftiern  ayant  donné  ordre  à  uta 
jégiment  d'inveflîr  Dachftein  pour  brider  l'ennemi,  aflié^ 
gea  en  perfonne  Moltzeim  le  14.  Novembre  •  il  fit  venir  de 
Partîlleiie,  &  ayant  ouvert  la  brèche  en  trois  endroits  ,  on 
monta  à  l'afTaut  le  dixième  jour  du  fiège.  Mais  les  affiégeans 
furent  repoulFés  avec  perte. Jean  Ulric  baron  de  Hohen-Saxen 
Mefti'C  de  Camp  d'un  régiment  5  Daniel  DienaO:  lieutenant 

Colonel 


a. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        6oî 

Colonel  du  rcgiment  de  Landen  ,  &  Chriftophle  'W^olfFlieu-  --■■ 
tenant  colonel  de  Hohen-Saxen  périrent  dans  cette  attaque.  Henri 
Les  afîiégés  perdant   toute  efpérance  de  fecours  fe  rendi-       I  V. 
rent,  à  condition  que  le  Clergé  èc  les  habitans  qui  voudroient     1591. 
abandonner  la  ville  ,  en  fortiroient  Tains  &  laufs ,  avec  tous 
les  meubles  qu'ils  pourroîent  emporter  j  que  la  garnifon  com- 
pofée  de  trois  cens  hommes  auroit  la  liberté  de  fe  retirer 
où  elle  voudroit ,  &  de  lortir  en  armes ,  mèches  allumées, 
avec  tout  le  bagage. 

Sur  ces  entrefaites ,  Erneil  Frédéric  marquis  de  Bade 
ayant  pris  fa  marche  par  les  Etats  de  Philippe  comte  de 
Hana\^^,  de  fait  d'étranges  ravages  fur  la  route  ,  amena  au 
camp  mille  chevaux  ,  Ôc  deux  mille  hommes  de  pied.  Les 
peuples  du  comté  de  Hanaw  parlèrent  hautement  contre 
la  conduite  des  troupes  de  Bade  ,  &  en  portèrent  leurs 
plaintes  à  la  Chambre  de  Spire.  Le  prince  d'Anhalts'étanc 
engagé  dans  un  défilé  pour  aller  à  Moltzeim  rencontra  deux 
cens  Lorrains ,  qui  le  reconnoiflant,  l'attaquèrent  vivement. 
On  fe  battit  avec  vigueur  de  part  &  d'autre,  malgré  lafu- 
périorité  des  Lorrains.  La  garnifon  de  Moltzeim  qui  atten- 
doit  le  Prince,  ne  le  voyant  point  venir,  fe  douta  qu'il  lui 
étoit  arrivé  quelque  chofe  ,  6c  fortant  au  devant  de  lui ,  elle 
le  trouva  aux  mains  avec  l'ennemi.  La  victoire  jufqu'alors 
incertaine  fe  déclara  pour  le  Prince  à  l'arrivée  des  fiens  qui 
mirent  les  ennemis  en  déroute.  Frédéric  ôc  David  comtes 
de  Mansfeld  furent  dangereufement  bleiTés,  2c  les  Lorrains 
perdirent  un  grand  nombre  des  leurs. 

L'Empereur  voyant  que  les  mouvemens  de  part  6c  d'autre    LEmperoir 
n'aboucilFoicnt  à  rien ,  interpofa  fon  autorité.  Il  envoya  fur  inteipofcfoa 
la  fin  de  l'année  un  Hérault  à  Strafbourg.  Ce  Hérault  cou-  ^"'^^''^• 
vert  d'un  habit ,  fur  lequel  étoient  les  armes  de  l'Empire  , 
&  tenant  à  fa  main  un  bâton  doré ,  expofa  dans  la  place  pu- 
blique les  ordres  dent  il  étoit  c barge  ,  6c  commanda  au 
Chapitre  6c  au  Sénat  de  la  part  de  l'Empereur,  de  quitter 
les  armes ,  6c  de  remettre  le  jugement   de  leur   difîcrend 
avec  le  cardinal  de  Lorraine  entre  les  mains  des  Commifl 
faires ,  qui  feroient  nommés  à  cet  effet.  Il  alla  enfuite  trou- 
ver le  Cardinal ,  auquel  il  fit  entendre  la  volonté  de  l'Em- 
pereur. 

T^me  XL  G  G  g  g 


Henri 
IV. 


€01  HISTOIRE 

Tandis  que  les  deux  prétendans  à  l'évêché  de  Strafbourg 
s'en  difput  oient  la  poflcffion  ,  les  armes  à  la  main,  il  s'éleva 
de  grands  troubles  dans  la  Saxe,  à  l'occallon  de  ce  que  j'ai 
1591.  dit  dans  le  dernier  Livre.  On  empriionna  Pierre  Crell  , 
Troubles  &;  Charle  Gunderman ,  6c  autres  loupçonnésau  fujet  de  la 
frruiet^dcL  l^cligion.  L'adminiftrareur  (  i  )  Frédéric  Guillaume  indi- 
Rcligion.  qua  Une  afîèmblée  à  Torgaw,  dans  laquelle  les  Etats  inten- 
tèrent une  accufation  contre  ces  prifonniers.  On  y  deman- 
da la  prolcription  ,  par  autorité  du  Prince  ,  des  libelles  diffa- 
matoires compofcs  par  les  Sacramentaires  ,  &;  la  punition  des 
auteurs  de  ces  écrits  :  Q^ie  dans  la  vifite  qui  de  voit  le  faire, on 
iit  une  exade  recherche  des  Calviniiles  cachés  &  qui  diffi- 
muloient  leur  dodrine  :  Qti'on  leur  ôtât  l'éducation  de  la 
jeunelle ,  le  gouvernement  des  Egiiles  t<.  le  maniement  des 
affaires  publiques  :  Qu'on  interrogeât  plus  amplement  les 
Théologiens  prifonniers  ,  comme  des  parjures  qui  avoienc 
contrevenu  fans  foi  au  formulaire  de  la  Concorde  qu'ils 
avoient  (igné ,  6c  comme  des  complices  de  Crell.  Enfin  on 
fupplia  l'Adminiilrateur  de  veiller  de  près  à  l'éducation  du 
jeune  Prince,  6c  de  mettre  auprès  de  lui  pour  le  former  , 
un  Gouverneur  qui  joignît  la  fcience  à  la  piété  ,  6c  fût  zélé 
pour  la  R  eligion  du  pays. 

L'Adminiftrateur  leur  accorda  leur  demande  3  6c  on  fit  en 
conformicé  un  décret  ,  dont  Gunderman  craignant  l'exé- 
cution rétrada  Çqs  ientimens  par  un  écrit  figné  de  fa 
main,  y  promettant  de  les  rétrader  à  haute  voix.  En  confé- 
quence  de  cette  déclaration ,  on  le  mit  en  liberté  au  com- 
mencement du  mois  de  Juin  ,  &  on  le  conduifit  à  Calaw  fa 
patrie.  David  Steinbach  voulant  fe  fauver  de  la  citadelle  de 
Stolm  ,  où  il  étoit  enfermé ,  fé  -caiîa  la  cuiffe  en  tombant 
delà  fenêtre  en  bas.  Il  renoncja  à  fes  opinions  le  8.  Juillet 
entre  les  mains  du  miniftre  Zacharie  Revader.  On  fit  la  vî- 
iite  à  Lipfic  ,  à  Wirtemberg  ,  à  Jena  ,  6c  dans  toute  la  Saxe 
pendant  tout  le  mois  de  Juillet  àL  d'Août.  Dans  le  cours  de 
cette  vifite,  on  enregiftra  les  articles  propofés  par  Nicolas 
Selnecer  6^  par  Poly carpe  Leifer.  On  obligea  ceux  qui  étoient 
fufpeds  à  fe  conformer  à  ces  articles  ^  on  mit  aulîi  par  é- 
crit  les  points  dans  lefquels  la  dodrine  de  Calvin  6c  dQ$ 

(î)  Ou  Régent  de  Sa:>:c> 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIV.        603 

Sâcramencaires ,  diffère  de  la  Confeffion  d'Aufbourg  6c  du 
Luthéianiime  3  ôc  on  obligea  encore  ceux  qui  étoicnt  CiiC  H  £  n  Pv  1 
peds ,  de  les  abjurer.    La  reine   d'Angleterre  employa  fa       I  V. 
médiation  Tannée  fuivante  pour  Pierius  ,  qui  fortit  le  12.      1591. 
Février  de  la  prîfon  rigoureufe  ,  où  il  avoir  été  confiné  juf- 
qu'alors.   Il  s'engagea  par  un  écrie  fîgné  de  fa  main  ,  à  ne 
rien  dire,  ni  écrire  contre  la  doctrine  reçue  en  Allemagne. 

Cependant  la  confternation  étoic  générale  en  Europe  , 
au  fujet  du  formidable  armement  des  Turcs.  La  Républi- 
que de  Venife ,  dans  la  crainte  que  cet  orage  ne  vînt  fon- 
dre fur  {qs  frontières ,  ou  dans  les  liles  de  fa  dépendance 
enclavées  dans  les  terres  des  Turcs  ,  avoit  levé  l'année  pré- 
cédente ,  des  foldats  qu'elle  avoit  envoyés  dans  l'ide  de 
Candie  ,  lous  la  conduite  de  fes  meilleurs  Chefs.  La  pefte 
qui  fe  mit  dans  les  vaiiFeaux  ,  obligea  de  relâcher  dans  Tlfle 
de  Corfou  ,  où  Je  comte  Mutio  Porto  de  Sacromofo  mou- 
rurent. Le  comte  Alexandre  Pompei  &;  fon  fils  Albert  arri- 
vèrent dans  rifle  de  Candie ,  fans  avoir  été  attaqués  du  mal 
contagieux  ,  &  fe  logèrent  dans  le  monaftére  des  Francif- 
cains ,  bâti  magnifiquement  par  le  Pape  Alexandre  V.  qui 
étoit  de  Candie  ,  dans  la  ville  qui  porte  Je  même  nom. 

Pompei  ayant  été  averti  en  fonge  qu'il  y  avoit  dans  ce  Pcftedans 
couvent  des  Moines  attaqués  de  la  pefte  ,  qui  cachoient  leur  M^^^  ^^  ^^"' 
mal ,  ie  rendit  dès  le  matin  à  l'Eglife  cathédrale  de  S.  Tite, 
où  fe  tenoit  le  Confeil  de  la  ville  ,  &  déclara  ce  qu'il  avoic 
appris  en  fonge  j  c'ètoit  fur  la  fin  de  Mars.  Jérôme  Capello 
gouverneur  de  Candie  (1)  ,  Philippe  Pafcaiigo  fon  Lieute- 
nant ,  Jean  Mocenigo  Provediteur  de  la  fiote ,  &  Je  comte 
Honoré  Scoto  Général  des  troupes  de  l'Ifle ,  firent  alors 
bâtir  liors  des  m,urs  de  la  ville  ,  une  maifon  pour  loger  les  " 
malades ,  &  on  y  transfera  les  peftiferés ,  &c  ceux  qui  ctoienc 
iufpeds.  En  même  tems  Benoît  Quirîni,  6c  Laui-fet  Vitturi 
Evêque  de  la  ville  ,  de  concert  avec  les  Officiers  généraux 
dont  nous  venons  de  parler  ,  dîllribuérent  de  l'argent  au 
petit  peuple  ,  pour  foulager  fa  mifére,  &  prirent  toutes  les 
mcfures  poffibles  ^  pour  arrêter  le  cours  du  mal.  La  pefte  fit 
de  cruels  ravages  depuis  la  fin  d'Avril,  jufqu'au  commence- 
ment de  Juillet.    Elle  eniportoit  cous  hs  jours  deux  cens 

;(i)  Ilportoit  le  titre  de  Da'c^ ///' C^»^;^. 


'^04  HISTOIRE 

g!?— — T-  perfonnes.   Cependant  elle  diminua  au  mois  de  Septembre,. 

Henri  d<.  on  crut  au  commencement  d'Octobre  qu'elle  etoic  touc- 
I  V".       à-fait  éteinte  ,  lorfqu'ellc  recommença  avec  plus  de  Fureur. 
1591,  Capelio   fut  obligé    d'ufer   d'une   plus   grande    févérité 

contre  ceux  qu'on  loupçonnoit  d'être  attaqués  de  la  pefte. 
Il  fit  enfermer  les  malades  dans  leurs  maifons ,  avec  defenfe 
d'en  fortir.  La  contagion  emporta  Frédéric  comte  de  Pe- 
poli ,  les  capitaines  Torello  de  Fano  ,  François  Ronca  de 
Modene  ,  Taranto  d'Albanie  ,  èc  l'Ingénieur  Jean  Fava , 
^  auquel  fuccéda  Angelo  Odi  de  Padoiie.  Les  fimptomes  de 
cette  maladie  incurable  étoicnt  affreux.  Il  s'élevoit  fur  tout 
le  corps  un  grand  nombre  de  boutons  livides  ,  plus  larges 
£c  plus  épais  que  les  taches  de  la  maladie  du  pourpre  ,  auf- 
quelles  ils  étoient  du  refte  affez  femblables.  Il  y  avoic  d'au- 
tres peftiférés ,  dont  tout  le  corps  étoit  couvert  de  tumeurs 
en  forme  de  bubons  5  le  milieu  étoit  livide  ,  de  les  bords  en^ 
flammés  3  c'eft  ce  qu'on  appelle  vulgairement  des  charbons, 
La  plupart  de  ceux  qui  étoient  attaqués  de  cette  dernière 
efpéce  de  pefte  ,  ne  paiïbient  pas  le  quatrième  jour.  Ils 
avoient  une  £évre  ardente,  ils  relîentoient  de  grands  maux 
de  tête  ôc  des  douleurs  cruelles.  La  troilléme  eipéce  n'étoit 
pas  fi  dangereufe  ^  elle  caufoit  dans  l'aine  une  tumeur  de  la 
grolTeur  d'un  œuf,  autour  des  oreilles  ,  6c  dans  les  endroits 
que  les  Médecins  appellent  Emunctoires.  La  plus  grande 
partie  du  peuple  fut  attaquée  de  cette  dernière  efpéce  de 
pefte ,  qui  n'emporta  pas  beaucoup  de  monde. 

La  pefke  ,  fuivant  ce  qu'on  en  rapporte  ,  fit  périr  vingt 
mille  .hommes  dans  la  ville  ,  jufqu'au  mois  d'Août  ,  qu'elle 
fe  rallentit  beaucoup.  Elle  enleva  encore  un  grand  nombre 
de  païfans  dans  les  bourgs  aux  environs  ,  &  plufieurs  Turcs 
que  le  commerce  a  voit  attirés  dans  l'Ifle.  Les  ravages  qu'elle 
fit  parmi  4es  troupes  ,  firent  craindre  que  les  Infidèles  ne 
prilîént  occafion  de  la  foiblefi^e  des  foldats ,  pour  faire  une 
defcente  dans  l'Ifle.  C'efl  pourquoi  les  Officiers  généraux 
envoyèrent  Horace  Longo  Con-rmandant  des  milices  de 
Sitia  &:  de  Girapietra  ,  à  Spinalonga  ^  &  le  colonel  Sanmar- 
tino  gouverneur  de  Retimo  ,  au  port  de  la  Suda.  On  donna 
îe  gouvernement  de  la  forterefîè  du  port  de  Grabuze ,  à 
Dominique  Carrolari  Florentin.  George  Murmuri  Général 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         605 

de  la  cavalerie  Albanoife  eut  ordre  de  faire  des  marches  de 

tous  côtés ,  pour  être  prêt  à  tous  événemens.  Henri 

La  nouvelle  qu'on  re^ut  alors  ,  que  Cigala  Bâcha  de  la  I  V. 
mer  armoic  une  flote  à  Carifto  aflez  près  de  Negrepont ,  re-  1592. 
doubla  les  foupçons  des  Vénitiens.  Il  s'approcha  de  Zante  , 
Ifle  de  la  dépendance  de  la  République  ,  pour  y  faire  ai- 
guade  ,  à  ce  qu'on  croie ,  6c  pour  prendre  ce  qui  lui  étoic 
nécelTaire.  Ayant  rencontré  un  vailîeau  Anglois  nommé  la 
Bretonne ,  il  demanda  quelque  chofe  avec  hauteur  au  Ca- 
pitaine ,  qui  lui  répondit  en  brave  homme  qu'il  ne  lui  don- 
neroit  rien  ,  &  qu'il  étoit  prêt  à  fe  défendre  fî  on  l'atta- 
quoit.  Cigala  ne  paiïa  pas  outre  ^  il  fit  même  lâcher  prife  à 
des  Corfaires  ,  qui  emmenoient  en  Affrique  un  vailTeau  , 
qu'on  avoit  mis  dans  le  port  de  Zante  pour  aller  à  la  dé- 
couverte. Cette  conduite  des  Turcs  ralFûra  les  Vénitiens 
du  côté  de  la  mer.  On  faifoit  courir  le  bruit  à  la  Porte , 
que  toutes  les  forces  de  l'Empire  Ottoman  alloient  fe  réunir 
pour  fondre  fur  la  haute  6c  la  balîè  Hongrie  ,  ôc  pour  fe 
venger  des  courfes  des  Cofaques  j  6c  qu'on  commenceroic 
par  la  Croatie. 

Amurath  changea  de  réfolution  j  voyant  la  guerre  ter-  r)/,ij[,jiatio^ 
ininée  en  Perfe  ,  il  ne  penfoit  qu'à  joiiir  du  repos.    Mais  les  du  Divan  su 
Bâchas  confîderants  que  l'Empire  Ottoman  ,  qui  eft  un  eou-  ^"'"  ^^*  ^^ 

','-  *■  .,'4  ,,t>  euerre. 

vernement  tout  militaire  ,  ne  peut  avoir  la  paix  au-dehors , 
fans  fe  voir  expofé  à  des  troubles  inteftins  ,  s'alîèmbiérenc 
pour  délibérer  de  quel  côté  on  porteroit  la  guerre.  Les  uns 
vouloient  qu'on  la  continuât  dans  la  Perfe  ,  où  on  i'avoit 
faite  jufqu'aiorsavec  fuccès  ,  6c  qu'on  poulTât  fes  conquêtes 
dans  ce  paï's ,  prétendant  que  fî  on  laiflbit  le  Sophi  en  paix, 
il  attendroit  que  le  Sultan  fût  engagé  dans  une  guerre  éloi- 
gnée ,  pour  venger  fes  pertes ,  6c  pour  attaquer  les  Turcs. 
Que  cette  conjeéture  n'étoit  pas  lans  fondement ,  puifque 
le  roi  d'Efpagne  pouvoit  envoyer  des  fecours  en  Perfe  par 
Iqs  Indes ,  &c  fournir  au  Sophi  des  troupes ,  des  munitions  , 
6c  des  Ingénieurs  dont  il  manquoit  abfolument  :  Que  ks 
Géorgiens,  naturellement  légers  6c amis  des  troubles ,  pren- 
droient ,  pour  fe  foulever,  le  tems  que  les  forces  Ottomanes 
feroient  occupées  d'un  autre  côté  :  Que  le  Cam  des  Tar^ 
tares  du  Zagathay  6c  le  prince  de  Gilan  ,   dont  les  Etats 

GGgg  iij 


6o6  HISTOIRE 

s'étendent  fur  les  bords  de  ia  mer  Cafpienne  (  i) ,  laiflroienc 
Henri  l'occaiion  de  fe  révolter  quand  elle  fe  préfenteroit  :  Qu'il 
I  V.  falloit  fe  délivrer  de  ces  craintes ,  6c  hâter  des  expéditions 
i  <Qi,  qui  ieroient  fuivies  de  ia  vidoire  :  Qiie  les  Turcs  avoient  un 
grand  nombre  de  bons  arquebulîers ,  &  que  la  cavalerie  Per- 
ianne  tirée  de  la  Caramanie  6<  de  l'Arabie  du  tems  d'Amu- 
rath  ,  s'étant  multipliée  dans  ces  deux  endroits ,  avoit  beau- 
coup perdu  de  fa  première  vigueur  ,  6c  avoit  donné  des 
marques  de  lâcheté  ,  en  fuyant  tant  de  fois  dans  les  derniè- 
res guerres  :  Que  les  Géorgiens ,  dont  on  craignoit  fl  fore 
la  légèreté ,  fuppofé  qu'on  difcontinuât  la  guerre  ,  ne  re- 
mueroient  point  fi  on  la  faifoit  dans  la  Perfe  :  Qiie  la  plus 
grande  partie  de  ces  peuples  étoient  vaiTaux  de  leurs  Princes, 
èc  qu'ils  feroient  allez  contens  de  mettre  à  couvert  leur  li- 
berté ,  à  la  faveur  de  l'afîîéte  de  leur  païs  qui  étoit  inac- 
celîible ,  fous  la  protcdion  de  leurs  Rois  Simon  6c  Alexandre. 
D'autres  Bâchas  étoient  d'avis  de  faire  la  guerre  au  Che- 
rif,  c'eft-à-dire,  au  roi  de  Fez  ^  de  Maroc,  Prince  très- 
puiiîant  j  mais  qui  a  plus  de  troupes  que  d'argent.  Ils  ap- 
portoient  pour  motif  de  cette  guerre  ,  qu'il  étoit  de  la  gloire 
de  l'Empire  Ottoman,  déporter  (qs  armes  dans  cette  troi- 
sième Partie  du  Monde  :  Q}-f  on  ne  pou  voit  mettre  Alger  6c 
Tunis  à  couvert  ,  qu'en  rangeant  ces  belles  provinces  de 
Barbarie  fous  la  puiiTance  d'Amurath  :  Qu'on  airûreroit  la 
navigation  dans  ces  mers  ,  en  s'emparant  du  cap  d'Aguer  6c 
du  port  de  Larache ,  qui  eft  au-delà  du  Détroit ,  6c  où  les 
corlàires  Anglois  fc  retiroicnt  avec  leurs  prifes  :  Qiie  la  re- 
ligion Mahometane  ,  qui  étoit  celle  du  Cheril- ,  6c  fa  dé- 
pendance de  l'Empire  Turc  ,  ne  l'avoicnt  point  empêché 
d'entretenir  dans  les  dernières  guerres ,  de  lecretes  corref- 
pondances  avec  le  roi  d'Elpagne  6c  avec  les  Chevaliers  de 
Malthe  j  ce  qui  avoit  été  caule  qu'ils  avoient  prc^fque  furpris 
Tripoli  :  Qi-fil  étoit  dans  \qs  intérêts  du  roi  de  Carvan  ^ 
•du  prince  Marabut,  qui  remuoienc  en  Affrique  :  Qu'on  ne 
.devoir  pas  être  détourné  de  ce  dcifein  ,  par  la  confidéra- 
îion  des  places  forces  de  Marfaquivir  ,  d'Oran,  de  Pennon 
4e  Vêlez  ,  de  Tanger ,  d'Arzilla  ,  de  Mazagan  ,  bc  de  Ccuta, 
|)ar  le  moyen  êc  le  voifinage  dciquclles  les  Elpagnols ,  qui 
(i)  0\\  de  B?.cîç'.j  pu  de  Sala* 


*"— ^""^  ^BlUlli J  I  il'H 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         ^07 

en  écoicnt  les  maîtres ,  pouvoienc  s'allier  avec  les  Maures  : 
Qu'on  pouvoic  remédier  à  cet  inconvénient  ,  en  mettant  Henri 
une  flote  en  mer  pour  brider  les  Espagnols ,  qui  prendroient       I  V. 
le  parti  de  relter  chez  eux  ,  pour  êcre  à  portée  de  s'oppofer     i  59  i, 
aux  defcentes  qu'on  pourroit  Faire  en  Espagne  :  Que  d'ailleurs 
on  fc^avôit  par  expérience  qu'il  n'y  auroit  pas  de  Ci  grandes 
difficultés  dans  cette  expédition  ^  6c  que  la  prife  de  Tunis 
&;  delà  Goulette  ,  qu'on  croyoit  imprenables ,  en  étoit  une 
preuve  :  Qj-ie  Sinan  avoir  emporté  en  peu  de  tems  ces  deux 
places  (  dont  la  conquête  l'avoit  comblé  de  gloire,  6c  avoic 
fait  honneur  à  la  Nation. 

Le  troifiéme  avis  fut  d'aller  attaquer  l'Ifle  de  Malthe ,  dont 
les  Chevaliers  empêchoient  laHberté  du  commerce  dans  la 
Méditerranée  ,  par* leurs  Caravanes  continuelles  ,  6c  trou- 
bloient  les  pèlerinages  de  la  Meque.  On  difoit  qu'il  étoic 
de  riionneur  du  petit-fîls  de  Soliman  ,  de  rétablir  par  la  con- 
quête de  Malte  ,  la  gloire  de  ce  grand  Prince  ,  qui  avoic 
échoué  dans  cette  entreprife  ,  dont  le  mauvais  fuccès:  faifoic 
autant  de  tort  à  la  réputation  d'Amurat  :  Qii'il  falloit  faire 
cefïèr  à  Conftantinople  èc  aux  environs  ,  les  cris  êc  les  gé- 
mi(îemens  des  femmes ,  qui  pleuroienr  leurs  maris  5  des  pères 
6c  des  mères ,  qui  redemandoienc  leurs  enfans ,  que  ces  cor- 
faires  avoient  emmenés  en  captivité  :  Qiie  ce  motif  avoit  au- 
trefois animé  Soliman  à  la  conquête  de  l'Ille  de  Rhodes  , 
fameufe  retraite  de  ces  pirates  en  Orient  :  Qu'enfin  le  fe- 
cours  qu'ils  avoient  donné  aux  rebelles  de  Barbarie  ,  6c  la 
tentative  qu'ils  avoient  faite  fur  Modon  dans  la  Morée  , 
étoient  de  nouveaux  motifs  de  leur  déclarer  la  guerre. 

On  propofa  auffi  de  porter  la  guerre  en  Elpagne.  Les 
Bâchas  qui  ouvrirent  cet  avis  ,  dilbient  qu'un  Prince  qui 
vouloit  fe  rendre  maître  de  l'Univers  ,  devoit  abattre  la  plus 
puiffanre  Monarchie  de  la  (  hrétienté  :  Qti'on  ne  dévoie  pas 
craindre  pour  Alger  ,  dont  les  fortifications  étoient  en 
meilleur  état ,  que  du  tems  de  Charle  V.  Que  l'Efpagne  en- 
tière unifToit  en  vain  fes  vœux  pour  la  prife  de  cette  ville, 
regardée  par  elle  comme  une  retraite  de  brigands  ,  qui  écu- 
moient  fans  celTe  les  côtes  aux  environs  j  6c  que  le  roi  d'Ef- 
pagne  avoit  trop  de  prudence  pour  rifquer  cette  entreprife  , 
qui  attireroit  la  guerre  dans  les  Etats  :  Que  Iqs  Efpagnols 


^o8  HISTOIRE 

■■■  '  n'iroienc  pius  courir  les  côtes  de  l'Afîe dans  la  Méditerranée, 
Henri  de  peur  d'être  trop  éloignés  de  leurs  ports  :  Qu'outre  ces 
I  V".  motifs ,  il  étoit  certain  que  Philippe  avoit  de  vaftes  defleins  j 
1591.  ^  4^^^  ^^  grandeur  &  l'embarras  de  Tes  affaires,  ou  d'autres 
raifons ,  l'empêcheroient  de  s'embarquer  de  lui-même  dans 
une  guerre  contre  l'Empire  Ottoman  :  Qu'il  avoit  évité 
d'envoyer  des  troupes  au  fecours  de  la  Preveza  àc  de  Na-' 
varrin  ,  fîtués  dans  le  golte  de  l'Arta  j  ôc  qu'ayant  pii  fe- 
courir  les  Perfes  dans  Iqs  dernières  guerres  ,  il  n'avoit  pas 
voulu  le  faire  ,  ou  avoit  pris  des  prétextes  pour  s'en  difpen- 
fer  :  Qi-ie  d'ailleurs  il  ne  pourroit  le  mettre  en  défenfe,  par- 
ce qu'il  étoit  obligé  d'entretenir  de  nombreufes  armées 
dans  \qs  Païs-bas ,  dont  les  peuples  combattoient  pour  leur 
liberté  ,  avec  tant  d'opiniâtreté  &c  de  cclnftance  ,  qu'on  n'a^ 
voit  pu  les  réduire  depuis  pludeurs  années  :  Que  ces  peu- 
ples défendus  par  i'alîîéte  des  lieux  ,  trouvoient  encore  des 
îècours  de  troupes  ôc  d'argent  dans  l'amitié  de  la  reine 
d'Angleterre ,  qui  faifoit  pourfuivre  les  vailleaux  Efpagnols 
qui  alloient  aux  Indes ,  fomentoit  les  troubks  de  Portugal, 
ù.  venoit  de  faire  ravager  la  Corogne  fur  la  côte  de  Galice  : 
-Que  les  François  ne  donnoient  pas  moins  de  jalouiîe  aux 
Elpagnols  ,  qui  obfervoient  leurs  démarches  ,  &  n'ofoienc 
s'écarter ,  pour  être  à  portée  de  leur  faire  tête  :  QLie  fup- 
pofé  que  le  roi  d'Elpagne  n'eut  rien  à  démêler  avec  fes  voi- 
fins ,  il  éviteroit  autant  qu'il  feroit  pofîible  ^  d'en  venir  à 
une  guerre  ouverte  avec  la  Porte  ,  fçachant  que  les  Turcs 
pouvoient  encore  ,  comme  ils  Tavoi^nt  fait  du  cems  d'Al- 
îonfe  d'Albuquerque  ,  envoyer  une  liote  dans  le  golfe  de 
Balfora ,  oc  fermer  les  pafTages  aux  vaiileaux  qui  reviennent 
des  Indes  par  ce  chemin  ,  chargés  de  parfums  ôc  d'autres 
marchandifes  ,  en  quoi  confident  prefque  les  principales  ri^ 
cheires  des  Efpagnols  :  Qu'on  pourroit  encore  facilement 
porter  la  guerre  des  port&  d'AfFrique  ,  fur  les  c6t:s  d'El- 
pagne  :  Que  iî  on  prenoit  ce  parti  ,  le  roi  de  France  entre- 
•  r,oit  dans  ie  royaume  de  Navarre  ,  dont  il  prétend  que  les 
Efpagnols  ont  dépouillé  fes  ancêtres  j  èc  que  Ja  reine  d'An- 
gleterre feroit  faire  une  defcenre  en  Portugal  :  Que  Jcs  exilés 
qui  étoienc  en  AfFrique  &  à  Conftantinople  alîliroient  ces 
çhoÎQs^  CDDÊrmées  d'ailleurs  par  Iqs  nouvelles  qu'on  recevoir 

fous 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         éo^ 

tous  les  jours  de  Grenade  &  d'Andaloiifie  ,   de  la  parc  

des  Maures ,  qui  mandoienc  qu'il  y  auroic  des  révoltes  en  H  e  n  k  t 
Efpagne  ,  dès  que  la  guerre  feroit  allumée  dans  le  Royau-       I  V. 
me  :  Que  Philippe  ne  pourroit  tirer  de  Tes  Etats  épuifés     icgi. 
d'hommes ,  (  ayant  tous  Tes  foldats ,  ou  dans  la  Flandre  ,  ou 
di/perfés  dans  les  garnifons  d'Italie  ,  ou  dans  les  Indes ,  ) 
des  forces  capables  d'arrêter  ces  mouvemens  :  Qu'on  pou- 
voit  juger  par  la  dernière  guerre  que  les  Maures  avoienc 
faite  en  Andaloufie  vingt-quatre  ans  auparavant ,  quel  en 
auroit  été  le  fuccès ,  fi  Selim  eût  fuivi  le  confèil  de  Mech- 
met,  &:  eiit  alors ,  en  faveur  des  Maures  Mahometans ,  tour- 
ne contre  l'Efpagne  avec  plus   de  juftice  &  de  gloire ,  Ces 
armes  victorieufes  employées  à  la   conquête   de  l'Ifle  de 
Chypre. 

Ceux  d'entre  les  Bâchas ,  qui  ne  confidéroient  que  la  fa- 
cilité de  l'expédition  &  l'utilité  pré  fente  ,  confeilloient  la 
guerre  contre  Venife  ,  &:  appuyoient  leur  fenciment  d'un 
grand  nombre  de  raifons  folides.  Ils  difoient  qu'on  avoit  en- 
levé plufieurs  places  aux  Vénitiens  dans  les  dernières  guerres, 
&  qu'ils  âvoient  été  forcés  d'acheter  la  paix  :  Que  cette  Ré- 
publique n'avoit  d'autre  but,  que  d'entretenir  la  paix  avec  fes 
voifins  j  ôc  que  fuivant  fon  ancienne  maxime ,  elle  n'entre- 
prenoît  la  guerre,  que  lorfqu'elle  y  étoit  forcée,  &dans  la 
dernière  extrémité  :  Qu'elle  aimoit  mieux  éloigner  la  guerre 
par  des  traités ,  avant  que  fes  Etats  fufient  entamés ,  que 
d'attendre  à  compofer  apçès  fes  pertes  ,  comme  elle  avoic 
fait  après  la  conquête  de  l'Ifle  de  Chipre  :  Que  d'ailleurs 
les  Vénitiens  n'étoient  pas  en  état  de  réîifter  feuls  aux  forces 
de  l'Empire  Ottoman  •  &  qu'ils  étoient  même  encore  foibles 
avec  les  fecours  qu'on  pou  voit  leur  fournir  :  Que  l'Efpagne 
n'en  envoyoit  jamais  qu'avec  lenteur  ,  comme  on  l'avoit  vu 
dans  la  guerre  de  Chipre ,.  ce  qui  avoit  obligé  les  Vénitiens 
à  faire  la  paix  ,  fans  la  participation  des  Elpagnols  :  Qi-i'il 
falloit  encore  confidérer  ,  que  la  République  ayant  un  grand 
nombre  de  Forts ,  &:  en  faifànt  bâtir  tous  les  jours ,  fes  trou, 
pes  étoient  difperfées  dans  fes  garnifons ,  &  (es  finances  épui- 
lées  :  Qu'elle  ne  pouvoit  pas  compter  fur  de  grands  fecours 
de  la  part  du  Pape,  des  ducs  de  Florence  aide  Savoye,  ni 
de  la  part  des  Chevaliers  de  Malte  ,  qui  tous  enfemble 
Tome  XI.  H  H  h  h 


éio  HISTOIRE 

I  '■  ■  pouvoîenc  à  peine  équiper  vingt  galères. 
Henri  Le  Divan  étoit  affez  d'accord  iur  la  facilité  qui  fe  trou- 
I  V.  voit  dans  la  guerre  de  Venife  j  mais  les  voix  fe  partagèrent 
I  592,  ^"^  la  manière  de  l'exécution.  Sinan,  dont  le  crédit  l'empor- 
toit  fur  celui  des  autres ,  parla  d'aller  d'abord  à  Corfou 
pourôter  aux  Vénitiens  l'empire  de  la  mer  Adriatique, 
dont  ils  font  les  maîtres  par  le  moyen  de  cette  iile.  Il 
rappella  le  fouvenir  de  la  prife  de  la  Goulette  qu'il  avoic 
forcée  dix-huit  ans  auparavant  ,  quoique  ce  Fort  paf- 
fât  pour  imprenable  j  &  propofa  fon  projet  avec  une 
fierté  qui  faifbit  bien  voir  qu'il  avoit  delîein  de  fe  faire 
donner  la  commifîion  d'aller  s'emparer  de  la  Forterefîè 
d'Ariac  (  i  ).  Il  apporta  pour  motif  de  cette  expédition  ,  (  car 
quelque  injuftes  que  foient  les  Turcs ,  ils  veulent  toujours 
donner  une  couleur  à  leurs  entreprifes)  :  Que  les  Vénitiens 
ne  payoient  plus  le  tribut  pour  la  Baftia,  fîtuée  fur  le  riva- 
ge de  l'Albanie  dans  le  golfe  de  Calamata  (1) ,  6c  éloignée 
de  douze  mille  de  Corfou ,  où  la  Bafbia  eil:  aifez  proche  des 
Salines  des  Turcs ,  qui  ont  donné  cette  place  aux  habirans 
de  Corfou  en  1537.  moyennant  un  tribut  de  trois  cens 
fequins,  afin  de  faciliter  le  tranfport  des  marchandifes  qui 
viennent  de  Grèce  en  cette  ifle.  Ferhat  natif  d'Oronicoen 
Albanie  ,  jaloux  du  crédit  de  Sinan  ,  s'oppofa  à  fon  projet  - 
&  lui  ayant  reproché  fon  ambition,  il  fit  voir  que  cette  en- 
treprife  étoit  dangereufe ,  que  le  fuccès  étoit  incertain ,  de 
qu'il  feroit  plus  à  propos  d'attaquer  Cataro  (3),  qui  bridoic 
Callel-novo  ,  outre  que  c'étoit  la  dernière  place  delà  Dal- 
matie  ,  &:  de  la  dépendance  de  Venife  de  ce  côté- là. 

Tandis  que  Sinan  &  Ferhat  vouloient  l'emporter  l'un 
fur  l'autre  dans  le  Divan,  Cigala  ,  auffi  grand  capitaine  que 
ces  deux  Bâchas,  &c  ennemi  juré  des  Vénitiens,  propofa 
la  conquête  de  Tifle  de  Ceriguo  (4)  fur  la  côte  AÎeridio- 
nale  de  la  Morèe.  Cette  ifle  efl  une  efpèce  de  donjon  qui 

(i)  Not.  Ainfi  appellée  à  caufe  de!  tiens  depuis  l'an  1420.  avec  fon  terri- 
fa  hauteur  ôcfituation. -«/.  L.  ltoiie,oli  il  y  a   dix-fept   villages  ou 

(2)  Entre  la  ville  de  Butrinto  &  châteaux  aux  environs,  qui  connnenc 
celle  de  Perga ,  ôc  vis-à-vis  de  Tifle  d'un  côte'  avec  les  terres  de  laRe'pu- 
de  Corfou.  [bliquede  Ragufe  ;  8c  de   l'autre   avec 

(3)  Sur  la  côte  du  golfe  ou  canal  j  celles  desTurcs  du  côte' de  Montenero. 
de  ce  nom.  Elle  appartient  auxVeni-j     (4)     C'efl  la  fameufc  iflede  Cithe're.- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        Cii 

domine  fur  l'Aïchipcl ,  d'où  l'on  peut  découvrir  les  vaif^ 
féaux  Turcs,  Sa  fituation  efl:  fi  avantageufe ,  que  Dema-  Henri 
rathe(i)crut  autrefois  devoir  s'en  emparer  d'abord,  pour  IV. 
venir  à  bout  du  projet  qu'il  avoit  formé  de  fubjuguer  la  1591. 
Grèce.  Les  fentimens  étoient  partagés  dans  le  Divan  ^  & 
il  étoit  encore  incertain  auquel  on  s'arrêteroit ,  lorfqu'on 
ouvrit  encore  un  autre  avis  •  ce  fut  de  prendre  Butrinto 
en  Albanie,  Ceux  des  Bâchas  qui  aimoient  l'argent  ap- 
puyoient  cette  propofition  ,  parce  qu'ils  s'imaginoient  que 
les  Vénitiens  retiroient  tous  les  ans  cent  mille  Sequins  de 
cette  place,  &:  qu'ils  feroient  moins  en  état  de  fe  défendre 
fi  on  leur  ôtoit  des  fo  m  m  es  fi  confidérabies.  Il  y  eut  des  Bâ- 
chas qui  furent  d'avis  d'aller  aiîiéger  d'abord  Zara  (2)  &: 
Novigrad  en  Dalmatie(  3),  pour  arrêter  les  brigandages  des 
Ufcoques  fur  les  terres  des  Turcs ,  &  pour  faire  porter  aux 
Vénitiens  les  pertes  que  ces  brigands  caufoient  tous  les  jours 
aux  marchands  Turcs.  La  plupart  des  Bâchas  fçachant  qu'il 
cfi:  facile  d'entrer  dans  les  terres  de  la  Répubh'que  ,  voi- 
fines  de  celles  des  Turcs ,  étoient  d'avis  de  ne  point  prendre 
de  réfolutions  fixes  pour  attaquer  une  place  en  particulier':, 
6c  qu'il  falloit ,  afin  de  mieux  tromper  l'ennemi ,  foit  qu'on 
partît  de  la  Prevefa(4)  ,  ou  de  la  Valona  (5),  foit  qu'on 
levât  l'ancre  dans  le  golfe  de  Lepante  (6) ,  ravager  les  deux 
côtes  du  golfe  de  Venife ,  &  fe  jetter  à  l'improvifte  fur  la 
première  place  dont  l'attaque  feroit  plus  facile. 

On  réfolut  fecretement  d'aller  à  Polaen  Iftrie  ,  ville  mé- 
diocrement peuplée,  éloignée  de  cent  vingt  milles  de  Ve- 
nife, Se  dont  la  fituation  efi:  avantagaufe  6c  très-belle.  On 
réfolut  d'attaquer  en  même  tems  la  République  de  Ra- 
gufe,  qui  après  Corfou  efi:  la  féconde  entrée  du  golfe  de 
Venife ,  &  qui  contient  des  ports  fûrs  &  capables  de  con- 
tenir les  plus  grandes  flotes  qu'on  voudroit  envoyer  faire 
des    defcentes  en   Italie.   Les  motifs  de  cette   réfolution 


(i)     Capitaine  de  Sparte. 

(z)    Ville  capirale  deDalmatic  avec 


nom  au  petit  golfe  de  Novigrad. 

(4)     Ville   de  Gre'ce  dans  la  baffe 


un  Archevêché ,  fur  la  côte  du  golfe  de  ;  Albanie  ,    &    dans   la    Province    de 


Venife 


l'Arta. 


(5)     Il  y  a  trois  villes  de  Novigrad.       (y)    Ville  delà   Turquie   dans  la 
Celle-ci  eft  furie  golfe  de  Venife,  avec  :  haute  Albanie. 


un  château  fur  un  rocher  près  des  fron- 
tières de  la  Croatie.  Elle  donne  fon 


(6)     Ou  de  Corinthe. 

HHhhij 


6ii  HISTOIRE 

..  ëcoient  :  Que  les  Turcs  n*avoient  prefque  point  de  pof  ts  de 

Henri  ce  côté-là  :  Que  le  port  de  Durazzo,  autrefois  fi   célèbre, 
I  y.       d'où  l'on  pouvoit   paffer  à  Brindes,  étoit  comblé  ,&  pou- 
j  voit  à  peine  contenir  quatre  galères,  à  caufe  de  la  quantité 

de  bafles  qui  i'y  trouvoient  :  Qu'on  voyoit  à  douze  milles 
au-delà  de  Durazzo  ,  la  Petra  ,  appellée  aujourd'hui  Lachi, 
dont  le  porc,  qui  n'étoit  pas  trop  fur ,  ne  pouvoit  contenir 
que  vingt  vaifTeaux  :  Qii'outre  cela  les  eaux  étoient  encore 
fi  mal-faines  aux  environs  ,  que  les  matelots  n'en  appro- 
y  choient  que  lorfqu'ils  y  étoient  forcés  :  Que  le  port  de  la 

:  Valonane  pouvoit  contenir  que  trois  galères  :  Que  celui 
de  Ragufe,  qui  en  étoit  éloigné  de  huit  milles,  en  conte- 
noit  à  la  vérité  trente  j  mais  que  les  vents  de  Tramontane 
&  de  Poncnt  le  rendoient  peu  fur:  Qu'on  rencontroithors 
de  la  mer  Adriatique  le  long  des  côtes  d'Albanie,  ou  même 
dans  cette  mer,  (  qui  s'étend,  fi  on  en  croit  les  Anciens, 
jufqu'aux  montagnes  de  la  Chimère ,  )  le  port  de  Santi 
Qtiarata  qui  étoit  très-étroit  j  &;  un  peu  plus  loin,  Orco 
(  où  les  vailîêaux  qui  partoient  d'Otrante  venoient  mouiller 
autrefois,)  avec  un  bon  port,  afiez  grand  pour  quarante 
galères  :  Qii'entre  les  cinq  ports  de  la  république  de  Ra- 
gufe le  port  de  Sainte  Croix  l'emportoit  ,  &  que  fa  rade 
étoit  très-fûre  :  Qu'outre  ces  avantages  il  n'étoit  pas  éloi- 
gné des  montagnes  d'Albanie,  où  il  y  avoit  une  grande 
quantité  de  bois  propre  à  conftruirc  des  vaifieaux  j  ce  qu'on 
ne  trouvoit  pas  avec  la  même  abondance  dans  les  autres 
porcs  des  environs, 

Plufieurs  Bâchas  repréfentoîent  :  Qii'il  étoit  à  propos  ^ 
pour  l'honneur  6c  l'agrandifiement  de  l'Empire,  de  faire  la 
conquête  de  Candie,  parce  que  \qs  Maltois,  les  Efpagnols, 
6c  les  chevaliers  du  grand  duc  de  Tofcane  (  i  ),  qui  donnoienc 
la  chafTe  aux  vaifTeaux  marchands  qui  alloient  de  Confban- 
tinople  à  Alexandrie  d'Egypte ,  6c  à  ceux  qui  portent  dQs 
pèlerins  à  la  Meque ,  trouvoient  une  retraite  afiurée  dans 
les  ports  de  cette  ifle  :  Que  les  divifions  qui  y  régnoienten 
rendoient  la  conquête  ailée  :  Que  parmi  le  peuple  les  uns 
tenoient  pour  le  Rit  Grec  ,  ^  les  autres  pour  le  Rit  Latin  : 
Qu'il  y  avoit  de  la   NoblefiTe  Vénitienne  ennemie  de  la 

(i)  Les  Chevaliers  de  Saint  Etienne. 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.      ^13 

Noblefle  du  païsj  des  têtes  libres  &  exemptes  de  tribut ,&  des  '" 
efclaves  qui  le  payoient  :  Qu'il  s'ëlevoit  tous  les  jours  des  Henri 
plaintes  èc  des  murmures   dans  l'iflv.^ ,  où  l'on  n'attendoit       I  V. 
qu'une  occafion  pour  fe  foulever  :  QLie  fa  Situation  au  milieu     i  c  9 1. 
de  la  Méditerranée ,  6c  du  monde  entier ,  devoit  engager 
les  Turcs  à  s'en  emparer  :  Qu'étant  environnée  d'un  côte  par 
la  Natolie ,  la  Caramanie  ,  l'Archipel ,  àc   la  Morée  5  èc  de 
l'autre  par  l'Egypte  &  l'Afrique,  elle  étoit  comme  enclavée 
dans  les  terres  de  l'EmpirerQu'on  ne  manqueroit  pas  de  trou- 
ver un  grand  nombre  de  Candiots  exilés  qui  s'étoient  ré- 
fugiés à  Conftantinople,  ou  que  le  commerce   y  avoit  at- 
tirés ,  &:  qui  s'y  étoient  établis  :  Que  ces  gens  donneroienc 
de  bons  avis  pour  cette  conquête  :  Qu'ils  Taideroient  même 
de  leurs   richelTes ,  èc  y  contribueroient  de  leur   induftrie  : 
Que  ces  Candiots  trafiquoient  dans  la  mer  noire  ,  &    ti- 
roient  de  Candie  d'excellens  vins,  qu'ils faifoient remonter 
par  l'embouchure  du  Danube  pour  la  Yalachie  ^ia  Molda- 
vie, &  la  Pologne. 

On  propofa  un  fîxiéme  avis.  Quelques  Bâchas  préten- 
dirent qu'un  peuple  qui  vouloit  pofleder  l'empire  de  l'uni- 
vers ,  devoit  réunir  (qs  forces  par  terre  &C  par  mer  pour 
aller  fondre  fur  iltalie  :  Que  les  Romains  avoient  été  maî- 
tres de  l'univers ,  tant  qu'ils  l'avoient  été  de  cette  contrée  : 
Que  les  Huns  ayant  formé  le  deiTein  de  fubjuguer  le  monde 
entier,  avoient  traverfé  la  Sclavonie  pour  venir  en  Italie: 
QLie  les  Alains,  après  avoir  ravagé  la  Grèce  ,  avoient  pafTé 
par  la  Bolnie  ôc  la  Croatie  avec  les  Goths ,  pour  s'empa- 
rer de  cette  même  Italie,  où  les  Vandales  étant  aufîi  ve- 
nus palîérent  en  Afrique  par  l'Efpagne  :  Qtie  les  Francs , 
les  Allemands,  &  les  Elpagnols  avoient  plufieurs  fois  mis 
au  pillage  Rome  capitale  de  l'Italie  :  Que  Soliman  diioic 
fouvent  que  cette  ville  ayant  été  demjinbrée  de  l'Empire 
par  Conftantin  ,  &  aliénée  dans  la  luire  par  fes  lâches  iuc-. 
cefleurs,  elle  appartenoit  à  l'empire  des  Ottomans,  dont  on 
ne  pouvoir  employer  plus  glorieufemenc  Se  avec  plus  d'utiliré 
les  forces, qu'^à  fubjuguer  cette  heureufe  contrée,  qui  tft, 
pour  ainfî  dire  ,  la  reine  de  toutes  les  autres  :  Qi-i'on  y  voyoic 
des  hommes  mieux  faits  qu'ailleurs  ^  des  femmes  d'une  gran- 
de beauté  j  d'intrépides foldats  j  lesarts  dans  leur  pcrfedion  3. 

H  H  h  h  iij 


6i4-  HISTOIRE 

des  efprks  excellens  :  Qii'elle  étoîc  iituëe  fous  un  ciel  doux 
Henri  &  tempéré ,  &  fréquentée  par  l'abord  de   toutes  ks  Na- 
I  V.       tions  :  Qu'elle  avoit  un  grand  nombre  de  ports  fur  Tes  côtes  : 
Que  les  vents  y  etoient  modérés ,  ôc  les  eaux  en  abondance  : 
^^~'     Qii'il  régnoin  dans  ics  forêts  une  éternelle  fraîcheur  :  Que 
les  animaux,  ailleurs  les  plus   fauvages,  n'y  étoient  point 
féroces  :  Et  qu'enfin  les  terres   y  étoient  fertiles  &  abon- 
dantes en  pâturages.  Ces  barbares  n'ignoroient  pas  les  élo- 
ges magnifiques  que  les  anciens  ont  donnésà  l'Italie. 

Un  des  plus  grands  motifs  qu'on  allégua  ,  fut  que  Rome 
étoit  le  centre  de  la  Religion  Chrétienne  ^  que  les  Turcs 
cherchent  principalement  à  détruire  :  Que  l'Italie  étoic 
fous  la  domination  de  plufieurs  Princes  qui  avoient  des  in- 
térêts différents ,  àc  qui  accablant  les  peuples  d'impôts , 
craignoient  autant  leurs  propres  fujets  que  les  ennemis 
du  dehors  :  Qu'une  longue  paix  avoit  diminué  le  courage 
de  ces  peuples ,  dont  -le  nombre  s'étoit  II  fort  accru  pen- 
dant ce  temsdà  :  Que  fî  on  entroit  en  Italie  par  différents 
côtés  un  peu  avant  la  moiffon ,  il  feroit  facile  de  prendre 
les  villes ,  où  les  peuples  réfugiés  manquant  de  vivres ,  ac- 
cepteroient  fans  réiîltance  toutes  les  conditions  qu'on  vou- 
droit  leur  impofer  :  Qu'aujourd'hui  même  les  moiffons  qui 
fe  recueilloient  dans  la  paix  n'étoient  pas  fuffifantes ,  &  qu'on 
étoit  obligé  de  faire  venir  de  la  Sicile ,  de  l'Orient ,  de  la 
France ,  ôc  même  des  païs  Septentrionaux  des  bleds  à  grands 
frais  :  Qii'outre  cela  la  plupart  des  Italiens  vivoient  du  tra- 
vail de  leurs  mains ,  dont  l'interruption  à  l'occafion  de  la 
guerre  feroit  naître  des  divifions ,  &.  fouleveroit  les  peuples  : 
Que  cçs  grandes  villes,  contraintes  par  la  famine  &  par  la 
mifére,  fe  foûmettroîent  facilement  à  payer  un  tribut  à  la 
Porte,  6c  à  lui  obéïr  :  Qu'on  ne  verroit  point  les  foldats  re- 
fufer  de  marcher  à  cette  expédition  :  Qu'on  pafferoit  avec 
joye  dans  la  plus  belle  Province  du  monde ,  où  les  trou- 
pes n'auroient  point  de  deferts  à  traverfer,  ni  la  difficulté 
des  neiges  &  des  glaces  à  furmonter  :  Qii'on  feroit  faci- 
lement des  ports  voifms  de  l'Italie  une  defcente  dans  ce 
païs  :  Que  celles  qu'on  avoit  faites  autrefois,  même  en  par- 
tant des  ports  éloignés  de  cette  Province  ,  avoient  toujours 
eu  d'heureux  fuccès. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIV.         ^15 

Enfin  la  guerre  contre  la  Pologne  fut  propofëe  dans  le 
Divan.  Les  raifons  étoient  :  Qu'en  fubjuguant  ces  Provin-  Henri 
ces  ,  on  s'ouvriroit  des  paiTages  plus  commodes  pour  entrer  ^  V. 
en  Hongrie  6c  en  Allemagne  :  Qu'il  étoit  de  la  gloire  des  1591. 
Ottomans  de  rabaifler  l'orgueil  des  Polonois ,  qui  rejettanc 
fièrement  les  ordres  des  Sultans ,  refuloient  de  payer  un 
tribut: Que  les  troubles  du  pais,  la  dividon,  &  les  diffé- 
rents intérêts  des  principaux  de  l'Etat ,  étoient  de  fûrs  ga- 
rants de  la  réuffite  de  cette  guerre,  pour  laquelle  le  voifî- 
nage  de  la  Pologne  avec  la  Turquie  donneroit  de  grandes 
facilités:  Que  d'ailleurs  on  tireroit  des  fecours  des  Mol- 
daves valTaux  de  la  Porte,  qui  étoient  auffi  dans  le  voi/î-. 
nage  3  &c  des  Tartares ,  qui  font  toujours  prêts  à  faire  ce 
qu'on  demande  d'eux  :  Que  le  feul  moyen  de  conteni»^dans 
le  devoir  les  deux  Valachies,  étoit  de  foûmettre  k  Polo- 
ne ,  afile  ordinaire  de  ceux  qui  après  avoir  amafîë  des  rî- 
cheflcs  par  des  moyens  odieux  fous  la  protedion  des  Turcs 
abandonnoient  la  Turquie  :  Qj-i'il  n'y  avoit  que  cette  voye 
pour  fe  venger  du  pillage  de  Coflovie  (i)  dans  la  Cherfo- 
nefe  Pontique  (  2  ) ,  6c  des  autres  infultes  des  Cofaques: 
QLi'on  n'ouvriroit  jamais  le  chemin  de  la  Mofcovie  aux 
marchands  Turcs,  que  par  la  conquête  de  la  Pologne: 
Que  cette  conquête  étoit  d'autant  plus  aifée ,  qu'il  n'y  avoic 
point  de  places  fortes  dans  ce  Royaume  dont  les  peuples 
étoient  amolis  par  une  longue  paix  :  Que  le  hafard  ièul ,  ôc 
non  le  courage  des  deux  partis ,  avoft  terminé  la  guerre 
des  Polonois  avec  l'empereur  Maximiiien  ,  peu  de  tems 
après  qu'elle  eut  commencé  :  Qii'â  l'égard  de  celle  que  le 
roi  Etienne  avoit  faite  à  la  Moicovie  ,  les  troupes  Hon- 
groifes  qui  entendent  l'art  des  fiéges  y  avoient  eu  plus  de 
part  que  les  Polonois,  qui  l'ignorent  prefque entièrement. 

Le  relîentiment  des  injures  que  la  Porte  avoit  reçues  de 
la  part  des  Ufcoques  réunit  tous  les  Bâchas  contre  l'Empe- 
reur, qu'on  regardoit  comme  l'auteur  des  courles  de  ces 
peuples,  qui  félon  toutes  les  apparences  ne  s'en  tiendroienc 
pas  là ,  il  on  n'en  prenoit  pas  une  prompte  vengeance.  C'efl 

(0    Ou  Coflow.  _       ou  Tauric^ue   elt  la  Tartarie  de  Cri- 

Ci)     Clierfonefe     en    Grec  fignifîe  mée. 
prefcx^'ifle.   La    Cherfonefe  Pontique  | 


(>iG  .  HISTOIRE 

pourquoi  on  arrêta  qu'on  marcheroit  en  Hongrie.  Les  Ba- 
Henri  ^^'^^  ecoient  irrités  qu'oii  eût  forcé  les  marciiands  Turcs  à 
I  V.  palier  par  Spalatro ,  en  \q.s  empêchant  de  faire  tranfporter 
1592.  îsur^  marchandiies  par  Narenta  (i)j  outre  qu'on  n'étoic 
plus  en  fiireté  dans  tout  ce  canton.  Ils  étoient  encore  aigris 
en  particulier  contre  l'Empereur,  qui  fe  fervoit  des  Uico- 
ques  pour  garder  fes  frontières  ;  qui  avoit  pris  le  tems  que 
le  fultan  Amurat  étoit  occupé  dans  la  Perfe ,  pour  différer 
de  payer  le  tribut  à  la  Porte  ^  6c  découvroit  par  cette 
conduite  quels  étoient  i^s  defTeins.  Ils  ne  trouvèrent  pas  de 
grandes  difficultés  à  faire  réiiffir  leur  projet,  en  faifant  en- 
crer en  même  tems  des  troupes  en  Croatie  ,  &  en  Autriche. 
Ils  fe  reprcfentoient  encore  que  les  Turcs  étant  maîtres 
de  B»de,  de  Belgrade ,  (2)  d^Albe  Royale,  &  de  la  plu- 
part des  meilleures  places  delà  Hongrie,  d'où  il  feroit  fa^ 
cile  de  fournir  des  vivres  aux  troupes  par  le  moyen  delà 
Save  2^  du  Danube,  ils  auroîent  une  retraite  alliirée  dans 
ces  villes ,  en  cas  que  cette  expédition  n'eut  pas  la  réûlîîte 
qu'on  en  attendoit  :  Que  l'Empereur  lui-même  ,  depuis 
longtems  en  paix ,  n'étoit  plus  accoutumé  au  métier  des 
armes  :  Qu'une  guerre  de  Religion  divifoit  les  autres  prin- 
ces d'Allemagne,  qui  d'ailleurs  ennuyés  de  la  domination 
de  la  maifon  d'Autriche  étoient  oppoiés  à  l'Empereur,  ôC 
fouhaitoient  que  l'Empire  fortît  de  cette  Maifon,  dans  la- 
quelle il  étoic  depuis  fl  longtems  :  Que  le  roi  de  Polo- 
logne,  &  le  Vayvode  de  Tranfllvanie  ne  donneroient  poinc 
de  fécours  à  Rodolphe,  dans  la  crainte  où  ils  étoient  pour 
leurs  Dropres  Etats  :  Que  le  roi  d'Efpagne ,  chef  de  la  maifon 
d'Autriche,  avoit  aflez  d'occupation  dans  fon  Royaume: 
Qiie  le  Pape  ,  qui  exhortoit  les  princes  Chrétiens  à  la 
guerre  contre  les  Turcs ,  n'étoit  pas  en  état  de  fuppléer 
par  fes  forces,  ou  par  {ts  confeils,  aux  fecours  que  l'Empe- 
reur pourroit  efpérer  de  tant  de  côtés ,  mais  qui  lui  manque- 
roient  abfolument  :  Que  les  Princes  d'Italie  ne  pourroient 
donner  que  de  foibîes  lecours  pour  la  montre  ,  êc  quifervi^ 
joient  plutôt  à  prouver  au  Pape  leur  attachement  à  laRe- 
Jigion  ,  qu'ils  ne  feroient  utiles  à  l'Empereur  :  Qu'enfin  une 

{i)     Ou  Naron  ,  ville    de  la  Tur- 1     (z)    E» -rf//.  Stul-Weiffenbourg. 
quie  d'Europe  dans  la  Dîilmatie,  ' 

armée 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CIV.       ^17 

armée  auxiliaire,  néceiTairement  compofée  de  Nations  donc       . 
la  Religion  ,  le  langage ,  &  les  mœurs  font  û  différens ,  ne  Henri 
pourroic  jamais  s'accorder  ,  ôc  n'agiroic  indubitablement       IV. 
qu'avec  lenteur ,  èc  fans  aucun  fuccès.  ^59^» 

Telles  furent  les  délibérations  des  Bâchas  dans  le  Di- 
van ,  au  rapport  de  ceux  qui  ont  écrit  l'hiftoire  de  ce 
tems-là  avec  plus  de  foin.  Ils  difcnt  qu'il  ne  doit  pas  nous 
paroître  furprenant  que  les  Turcs  euiïent  des  connoiflances 
îî  certaines  des  affaires  des  Chrétiens ,  ayants  grand  foin  de 
s'en  informer  par  le  moyen  des  Juifs ,  éc  d'autres  efpions , 
&  par  les  exilés  &  les  renégats  j  de  même  que  les  princes 
Chrétiens  font  inftruits  des  deffeins  de  la  Porte  par  leurs  Am- 
bafladeurs ,  qui  mettent  tout  en  ufage  pour  les  découvrir, 
en  gagnant  à  force  d'argent  ceux  qui  peuvent  les  leur  ap- 
prendre. 

Sinan  voyant  que  le  projet  qu'il  avoit  propofé  n'avoit     c^errcdes 
point  été  approuvé  ,  fe  rangea  du  côté  d'Affan  Bâcha  de  Turcs  en 
Bofnie ,  homme  entreprenant  ,  qui  mettoit  fans  ceffe  les  Hongrie. 
courfes  des  Ufcoques  fous  les  yeux  du  Sultan.  Ilpreffa  vi- 
vement la  guerre  de   Hongrie  ,   à  laquelle  il  détermina 
Amurath ,  qui  donna  des  ordres  pour  faire  entrer  une  ar- 
mée en  Croatie.  Les  Turcs  font  aujourd'hui  maîtres  d'une 
grande  partie  de  cette  province,  qui  fait  partie  de  la  Scla- 
vonie ,  à  qu'on  appelloit  autrefois  Liburnie  3  ils  l'ont  extrê- 
mement raragée. 

Ils  ouvrirent  la  campagne  par  la  prife  deWihitz  ou  Bihatz 
fur  le  fleuve  d'Unna,  qui  coulant  au  Midi  près  de  Dubitz 
va  fe  jetter  dans  la  Save  à  deux  journées  de-\à.  Cette  place 
&  fa  citadelle  ont  été  pendant  un  fiécle  &,  demi  le  boule- 
varc  des  Chrétiens  contre  les  Turcs ,  qui  faifoient  des  cour- 
fes en  ces  quartiers. 

Afîari  Bâcha  de  Bofnie  ^  où  les  Triballes  habitoîent  au- 
trefois ,  partit  de  Bamaluch  capitale  de  fon  gouvernement 
avec  une  armée  nombreufe.  Ayant  attaqué  "W^ihitz  à  l'im- 
provifte ,  &  renverfé  les  fortiHcations ,  il  obligea  les  affié- 
gés,  qui  n'avoient  aucune  efpérance.de  fccours  ,  à  capi- 
tuler. On  conduifît  en  lieu  de  fureté  la  garnifon  Alle- 
mande ,  compofée  de  quatre  cens  hommes.  Les  Turcs 
n'exécutèrent  pas  le  traité  avec  la  même  bonne  foy  à 
T&me  XI,  I  lii 


6i8  HISTOIRE 

l'égard  des  habicans,  qu'ils  tourmentèrent  cruellement, 
Henri  Après  la  prife  de  cette  ville ,  il  arriva  des  troupes  de  tous 
I  y.  côtés  au  Bâcha ,  qui  voyant  Ion  armée  forte  de  cinquante 
Ï592,  mille  combattans,  s'avan(ja  fur  le  fleuve  de  Kulp  ,  iur  le- 
quel il  fit  jetter  un  pont  de  bateaux  pour  le  palfer  fans 
danger.  Il  fit  élèvera  la  hâte,  pour  couvrir  ce  pont,  des  re- 
tranchemens  de  gazon  au  bourg  de  Petrina ,  entre  Perna 
&  Chraftowitz  j  ôc  lailTa  un  détachement  avec  du  canon  à 
la  défenfe  de  ces  retranchemens,  un  peu  audefTus  de  Za- 
grabia,  qui  étoit  autrefois  un  village,  èc  eft  aujourd'hui 
une  ville  épifcopale  fur  la  Save ,  dépendante  de  l'Arche- 
vêché  de  Colocza.  Son  deflein  étoit  d'avoir  une  retraite 
afTiirée  en  repaffant  le  pont  à  la  faveur  des  nouveaux  re- 
tranchemens, au  retour  de  fes  courfes  au-delà  du  Kulp, 
Pendant  que  les  foldats  preflbient  l'ouvrage  ,  on  apprit  que 
quatre  mille  Croates  s'étoient  alTemblés  dans  un  endroit 
fortifié.  Les  Turcs  marchèrent  en  2;rand  nombre  contre 
eux,  èc  les  ayant  inveftis  de  tous  côtés,  ils  les  taillèrent  en 
pièces ,  à  la  referve  de  quelqu'uns  qui  échappèrent  au  car- 
nage. Les  plus  confidérables  des  Chrétiens  qui  périrent 
dans  cette  adion  furent  George  Prefbach  ,  Jacque  Prantz, 
&  Jean  XiTeliwerdufF.  Abraham  Valhauzen  fut  fait  pri- 
fonnier. 

Petzeim ,  qui  s'ètoît  habilement  comporté  à  la  Porte  5 
où  il  étoit  allé  plufieurs  fois  en  ambafTade  de  la  part  de 
l'Empereur ,  ayant  négocié  auprès  des  princes  de  l'Empire  , 
les  engagea  à  envoyer  des  fecours ,  qui  arrivèrent  de  tous 
côtés.  Ernefl:  frère  de  Rodolphe  s'étant  rendu  avec  cinq 
mille  hommes  à  Gratz  (  qu'on  croit  être  l'ancienne  Sa- 
barie  ),  y  reçut  un  renfort  de  troupes  levées  en  Carinthie. 
La  guerre  fe  faifoit  de  part  &;  d'autre  avec  des  fuccès  èc 
des  pertes  réciproques.  Les  Turcs  s'étant  avancés'  jufqu'à 
Scutari  (^  i  )  ,  l'attaquèrent  inutilement  le  15.  de  Juin  à 
la  faveur  d'une  poulFiére  épaifTe ,  dont  ils  étoient  cou- 
verts. Us  revinrent  le  lendemain  en  plus  grand  nombre  j 
&  ayant  brûlé  quelques  bourgs  aux  environs ,  il  en  em- 
menèrent le  bétail.  Quatre  jours  après,  les  Chrétiens  eurent 
dudéfavantageprès  de  Tockay, 

(i)    Les  Turcs  rappellent  Ifcodar, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.      919 

Dans  le  même  tems  (i)  \irar  gouverneur   d'Agria,  ou 


Erfa ,  combaccic  d'abord  avec  fuccès  dans  une  adion  contre  Henri 
les  Turcs,  donc  il  tailla  un  grand  nombre  en  pièces  j  mais       IV. 
il  eut  bientôt  du  delïbus  par  la  faute  des  milices,  qui  ve-      i  ^92. 
nant  à  fe  renverfer  fur  les  ailes,  furent  caufè  de  la  déroute 
de  l'armée  ,  6c  de  la  perte  de  l'infanterie.    Aflan  s'empara 
de  Chraftowiil  fur  la  fin  de  Septembre  j  &c  ayant  pafle  le 
Kulp ,  il   campa  entre  ce  fleuve  èc  la  Save  j  enfuite  étant 
entré  dans  l'ille  de  Turopolie ,  environnée  du  Kulp,  de  la 
Save,  èc  du  Gurck.  Il  y  mit  tout  à  feu  &  à  fang,  &  s'em- 
para du  château.  L'hiver  qui  commença  alors  fut  fi  rigou- 
reux ,  qu'on  n'en  avoit  point  vii  de  fembiable  depuis  dix 
ans.  On  ramena  les  troupes  au-delà  du  Kulp  ,  à  travers  les 
neiges  &  les  glaçons  3  de  on  les  envoya  en  quartier  d'hiver 
dans  les  villes  des  environs. 

Ces  préludes  de  guerre  répandirent  au  loin  la  terreur , 
&  donnèrent  de  plus  grandes  craintes  pour  l'avenir.  Les 
Vénitiens  â  peine  rafliirés  fe  mirent  en  état  de  défenfe , 
pour  n'être  pas  accablés  au  dépourvu.  Ils  envoyèrent  à  l'en- 
trée du  printems  Nicolas  Donato  en  qualité  de  Provédi- 
teur  de  la  flote  à  la  place  de  Mocenigo  en  Candie  qui 
n'étoit  pas  encore  remife  des  ravages  de  la  pefte  de  l'année 
précédente.  Hermolao  Tiepolo  ,  Provédiceur  de  la  flote 
en  Dalmatie  ,  eut  commiiîion  d'empêcher  les  Ufcoques 
de  faire  des  courfes  fur  les  Turcs ,  qui  en  prenoient  occa- 
iion  de  faire  la  guerre  j  on  lui  recommanda  aufîi  de  veiller 
à  la  garde  de  la  frontière ,  &c  de  l'ifle  appellèe  autrefois 
Curida ,  de  aujourd'hui  Veggia ,  avec  les  galères  qui  étoient 
dans  le  port  de  cette  ifle. 

L'Italie  &c  la  République  de  Venife  étoient  inquiétées  Bandits  d'i- 
depuis  longtems  d'un  autre  fléau  3  c'étoit  une  troupe  de  "^'^' 
bandits,  qui  faifoient  des  ravages  continuels.  Les  Vénitiens 
pour  s'en  délivrer ,  convinrent  avec  eux  ,  de  leur  donner  la 
paye  ,  pour  les  engager  à  paffer  en  Dalmatie  ,  6c  de-là  dans 
l'ifle  de  Candie.  Tiepolo  ayant  en^ibarqué  fur  les  côtes  de 
la  Marche  d'Ancone  Marc  Sciarra ,  6c  Baptifliella,  fameux 

_(i)  Not.  Lifez  un  Caporal  d' A- i  Hongr.  Ainfi  M.  de  Thon  fait  du  nom 
gria ,  qui  commandoit  dans  "vVar  ;  d'une  place  War,  celui  d'un  homme. 
ce  font  les  propres  paroles  de  rHift-|r«f. 

Iliiij 


^20  HISTOIRE 

Il  chefs  de  ces   bandits ,  les  pafTa  fur  la  côte  oppofée.  Les 

Henri  Efpagnols  irrités  au  dernier  point  accuférent  à  Rome  le 
IV.  Senac  de  Venife  d'avoir  fouftrait  ces  brigands  â  la  punition 
1Î9  2.  <l^^'on  leur  préparoit,"  pour  avoir  ravagé  l'Abbruze.  Le  Sé- 
nat répondit,  que  les  plaintes  des  Efpagnols  etoient  hors 
de  failbn  ^  6c  on  s'excuia  fur  la  guerre  des  Turcs,  contre 
lefquels  il  étoit  de  l'intérêt  des  Vénitiens,  6c  de  toute  l'I- 
talie ,  de  fe  précautionner  par  toutes  fortes  de  moyens. 

Malgré  toutes  ces  raifons  on  n'en  étoit  pas  moins  pré- 
venu contre  eux  à  Rome.  Ils  ne  l'ignoroient  pas  ^  c'eft  ce 
qui  leur  iit  prclTer ,  par  prières,  êc  par  menaces,  l'embar- 
quement pour  Candie  par  le  moyen    de  Tiepolo.  Les  ban« 
dits,  qui  étoient  en  garnilon  dans  l'iîled'Arbe(i) ,  accou- 
tumés au  brigandage,  ne  pouvoient  fe  réfoudre  à  changer 
leurs   habitudes ,  ôc  à   quitter    l'Italie  pour  aller  dans  un 
païs  éloigné   vivre   dans  la  dilcipline ,  èc  dans  l'oblerva- 
tion  des  loix.   Enfin  tout    étant  prêt   pour  le  départ ,  on 
leur  envoya  le  colonel  Pier  Conte,  6c  l'évêque   d'Arbe, 
dont  ils  s'afTiirérent  pour  leur  fervir  d'otages,  parrapporc 
à  la  fauvegarde  qu'on  leur  avok  promifé.  Tiepolo  prit  oc- 
cafion  de  cette  violence  pour  marcher  contre  eux  à  la  tête 
de  trois  mille  hommes  de  milices  des  environs ,  &  des  in- 
fulaires.  Ces  bandits  n'étants  pas  en  état  de  fe  défendre  ,  à 
caufe  de  la  fupériorité  des  troupes  de  Tiepolo  ,  fe  rendirent 
à  difcrétion.  Mais  pendant  ce  tems-là  Baptiflella  6c  Sciarra 
fe  fauvérent  adroitement  avec  vingt  des  leurs.  A   l'égard 
de  ceux  qui  tombèrent  entre  les   mains  de  Tiepolo,  il  y 
en  eut  feize  pendus ,  vingt  noyés ,  &c  cent  mis  aux  galères. 
Sciarra,.  qui  avoit  échappé  tant  de  fois  à  ceux  quivouloient 
le  faire  périr ,  étant  revenu  dans  la  Marche  d'Ancone  ,  fut 
tué  avec  quatre  des  fiens  à  Monre^Moroproche  Afcoli  par 
Baptiflella ,  qui  efpéroit  avoir  fa  grâce  par  ce  moyen.  Le 
Pape  en  récompenfé  de  cette  noire  adion ,  lui  donna  la 
commifîîon  de  pourfuivre  les  proicrits ,  dont  il  connoifToic 
les  retraites   &c  la  manière  de  fe  défendre,  La  perte  que 
ces  bandits  avoient  faite  de  ces  deux  chefs  ne  les  empêcha 

(i)    Ifle  du  goîfe  de  Venife  fur  les 'milles.    Ceux   du  païs    la   nommenît 
côtes  de  Dalmatie  ,  dont  elle  fait  par- 1  Rab,  Elle  eft  aux  Vénitiens^ 
tie ,  &  qui  n'en  eft  quà  quatre  ou  cinq  | 


Il  Tfciiilll'l  I 


DEJ.  A.  DE    THOU,  Liv.    CîV.         (Tîî 

pas  de  continuer  leurs  brigandages  aux  environs  de  Ferra-  - 
cine ,  &  dans  la  campagne  de  Rome.  Ils  fe  jettérenc  fur  la  Henri 
ville  d'Aquino ,  où  l'un  de  ces  fcélérats  voulant  violer  une       I  V. 
femme,  dont  il  venoit  de  tuer  le  mari,  elle  fe  débarraflà     1592» 
de  [qs  mains  &  fe  jetta  dans  la  rue  par  une  fenêtre ,  pour 
mettre  fon  honneur  à  couvert  même  aux  dépens  de  fa  vie. 

Les  Vénitiens  commencjants  à  refpirer  ,  Se  fe  voyants  à 
Tabri  du  danger  qui  les  avoit  menacés  de  iî  près  ,  profi- 
tèrent du  tems  pour  exécuter  le  delTein  qu'ils  avoienc  con- 
^û  depuis  long^tems  de  bâtir  un  Fort ,  afin  de  couvrir  la 
frontière  du  Frioul  ,  pendant  que  les  Turcs  ëtoienc  occu- 
pés d'un  autre  côté.  Le  Sénat  avoit  en  vue  de  faire  bâtir 
une  place  affez  forte  pour  foûtenir  un  long  fiége  contre  une 
grande  armée  ,  telles  qu'étoient  ordinairement  celles  des 
Turcs  5  qui  fût  capable  de  contenir  une  nombreufe  garnî- 
fon  5  &  tellement  fîtuée  ,  qu'il  fût  aifé  d'y  faire  entrer  des 
fecours  de  des  vivres  ,  6c  difficile  aux  ennemis  d'en  faire  ap- 
procher les  convois.  Le  but  des  Vénitiens  étoit  de  fatiguer 
les  Turcs  par  la  longueur  d'un  fiége  ,  s'ils  atraquoient  la 
frontière  par  cet  endroit.  On  comptoit  bien  que  les  Turcs 
qui  entendent  le  métier  de  la  guerre  ne  lailleroient  pas  der- 
rière eux  un  Fort  de  cette  importance  3  d'où  il  arriveroft 
qu'une  armée  aufli  nombreufe,  compofèe  de  peuples  fi  dif- 
férents ,  contrainte  de  relier  fî  long-tems  devant  cette  place, 
laiïee  d'ailleurs  par  la  difficulté  d'avoir  des  vivres ,  èc  expo- 
fée  aux  injaresde  l'air ,  &  à  tous  les  maux  qu'entraîne  nè- 
ceflairement  un  long  liège,  ne  manqueroit  pas  de  fe  décou- 
rager ,  &c  enfin  de  ie  débander  tout  à  fait  :  Qu'enfin  fuppofé 
que  les  Turcs  s'en  emparaifent ,  on  auroit  au  moins  le  tems 
de  fortifier  les  environs ,  d'aifembler  de  plus  grandes  forces, 
ôc  de  faire  venir  des  fecours^ôc  que  tombant  avec  des  troupes 
fraîches  fur  une  armée  épuifée  par  la  longueur  d'un  fiége 
opiniâtre ,  on  en  viendroit  facilement  à  bout, 

Buonajuto  Lorini  ingénieur  Florentin  ,  jecta  k  plan  du  Paîma,  place 
Fort,  de  concert  avec  le  vieux  comte  Mario  Savorenano.  "yporrantc 

,r^     c    '  •  /  '   1  1  bâtie  par  les 

Ce  bcigneur  en  avoit  propoie  long-tems  auparavant  lepro-  vénitiens, 
jet  au  Sénat.  On  choifit  une  place  en-deçà  du  fleuve  dehu 
zonzo ,  entre  les  bourgs  ds  Palmacîa,  de  San-Lorenzo  ,  &: 
de  KoncluSjà  dix  milles  de  la  ville  d'UdinCj  à  laquelle  ovi 

I  u  iii 


Gii  HISTOIRE 

jiL  fie  de  nouvelles  fortifications  avant  tout ,  &:  à  huit  milles  de 

Henri  Marano  ,  à  deux  milles  de  Strafoldo  ,  oc  à  quatre  milles 
IV.  d'Aquilëe  du  côté  del'Orient.  Du  côté  du  Couchant,  cette 
r  f  9  2.  pl^ce  n'étoit  éloignée  des  terres  d'Autriche  que  de  cinq  cens 
pas.  Le  plan  en  ayant  été  dreflé  ,  le  Sénat  envoya  dans  le 
Frioul  Marin  Grimani ,  qui  fut  Doge  dans  la  fuite,  Jacque 
Fofcarini,  Léonard  Donato  ,  Marc- Antoine  Barbaro  procu- 
rateur de  Saine  Marc ,  &:  le  chevalier  Zacharie  Contarini, 
qui  tinrent  confeil  avec  Jean-Baptifte  del  Monte  Général 
àts  troupes  de  terre  de  la  République  ,  avec  les  marquis  de 
Malatefla  &  de  Malavicino,6cavec  les  comtes  Mario  Savor- 
gnano ,  ôc  Marc-Antoine  Villachiara  ,  avec  le  colonel  de 
Pezaro ,  &  Danefe  Brelciano  envoyés  par  le  duc  de  Parme, 
&  enfin  avec  Lorini ,  Horace  Guberno  ,  Denis  Boldo ,  6c 
François  Malacreda  ,  tous  ingénieurs  à  la  folde  de  la  Ré- 
publique. 

Après  avoir  examiné  les  chofes  avec  une  férieufe  atten- 
tion ,  on  commença  au  mois  de  Septembre  â  bâtir  dans 
l'endroit  que  nous  avons  décrit,  une  ville,  à  qui  Ton  donna 
le  nom  de  Palma.  La  place  étoit  de  figure  ronde  3  flanquée 
de  neuf  baftions  avec  un  bon  fofré,ôc  environnée  de  retran- 
chemens.  Au  milieu  de  la  ville ,  on  fit  élever  une  citadelle 
à  cinq  baftions ,  où  le  gouverneur  Vénitien  devoit  demeu- 
rer. Les  gens  du  païs  accoururent  de  tous  côtés ,  &;  travail- 
lèrent avec  ardeur  â  qzx.  ouvrage  pour  la  fureté  publique. 
La  place  fut  mife  en  peu  de  tems  en  état  de  défenfe  ,  &  four- 
nie d'une  grande  quantité  d'artillerie.  On  creufa  un  canal 
depuis  les  lagunes  de  Caorli  6c  de  Marano  ,  afin  que  les 
bateaux  pufTent  approcher  de  la  nouvelle  ville.  On  n'oublia 
pas  de  pratiquer  des  cérémonies  reHgieufes  ,  en  jettant  les 
fondemens  de  la  ville.  Le  nom  de  Dieu  fut  invoqué  ,  &: 
on  mit  fous  la  pierre  angulaire  des  médailles  dor  &  d'ar- 
gent, fur  lefquelles  on  voyoit  l'image  de  S.  Marc  ,  &  au  re- 
vers la  ville  de  Palma,  au-defTous  d'une  Croix  ,  avec  cette 
exergue  :  In  hocfigno  tuta{  i  ) .  La  légende  étoit  :  Fort  Ju lit ^  Ita^ 
li.i  &  chrifUanjiJïdei pYGpugnaciilum  {^i).  Le  Sénat  avoir  en- 
voyé le  plan  au  roi  de  France  l'année  précédente ,  &  lui 

(i)   C'eft-à-dire  :  Cefignefaitfafà-,    (z)  CeR-à-dhe:Le boulevart duTrionl, 
reté.  I  (le  l'Italie  ,  o»  de  tonte  la  Chrétienté. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.  61^ 

avoir,  fâ.ic  demander  Ton  avis ,  comme  à  Ton  allié ,  par  Jean  — 


IVIocei.îg o  ambailadeur  de  la  Republique.  Le  Roi  écoic  alors  H  e  n  k  i 
à  Chartres.  11  donna  ion  avis  avec  joye ,  en  rcconnoilîànce       I  V. 
des  fervices  que  la  République  lui  avoic  rendus.  l5^^* 

La  guerre  etoit  cependant  très-allumée  entre  les  Turcs 
&  les  Impériaux.  Nicolas  Palfi  gouverneur  de  Neuheufel  fe 
tira  par  un  bonheur  particulier,  ou  par  Ton  courage,  d'une 
embufcade  de  trois  mille  Turcs.  Ceux-ci  ayant  fait  cacher 
àQs  foldats  dans  un  pofte  avantageux  ,  envoyèrent  un  Parti 
qui  s'avan(5a  jufqu'à  cet  endroit,  comme  s'il  avoit  eu  defTein 
de  piller.  Palfi  trompé  par  l'apparence  fit  une  fortie  ,  ôc  pour- 
fuivant  vivement  les  Turcs  pour  leur  arracher  le  butin  qu'ils 
avoient  fait  ,  s'avança  au-delà  de  l'embufcade.  Les  Turcs 
parurent  à  l'infbant,  éc  coupants  la  garnifon  ,  attaquèrent  la 
ville  ,  que  les  habitans  défendirent  avec  beaucoup  de  vi- 
gueur. L'artillerie  fut  d'un  grand  fecours  aux  afiiégés  qui 
repoufTérent  enfin  l'ennemi.  On  étoit  alors  dans  le  mois  de 
Janvier. 

Nicolas  Nadafdy,un  des  feigneurs  de  Hongrie,  fe  joî-  ij^j» 
gnit  au  commencement  de  l'année  avec  huit  mille  chevaux 
à  Charle  d'Autriche  marquis  de  Burgaw  fils  de  Ferdinand, 
qui  avoit  feize  mille  hommes  d'infanterie  ,  &:  une  troupe  de 
Chevaux-légers  commandés  par  le  comte  de  Montecuculî, 
Le  duc  de  Bavière  &  l'archevêque  de  Saltzbourg  dont  le 
Pape  avoit  terminé  les  différends  ,  envoyèrent  de  leur  cô- 
té àts  troupes  joindre  le  gros  de  l'armée.  Cependant  l'Em- 
pereur ayant  convoqué  la  diète  à  Prague  en  Bohême  le  j» 
Mars  ,  &  à  Prefbourg  en  Hongrie ,  afin  d'avoir  de  l'argent 
&:  des  troupes  pour  foûtenir  la  guerre  ,  n'en  retira  pas  un 
grand  fruit. 

Erneft  apprit  à  Gratz ,  où  ilattendoit  des  troupes ,  que  le 
bâcha  de  Bofnie  étoit  forti  de  Petrina ,  &  qu'étant  entré 
dans  rifle  de  Turopolia,  il  l'avoit  ravagée,^:  s'étoit  emparé 
du  Fort  de  Martenhaufen  qu'il  avoit  brûlé  après  y  avoir 
maflàcré  ou  fait  efclaves  fept  cens  hommes.  Les  Turcs 
s'emparèrent  avec  la  même  rapidité  de  X^okovina  ,  &  k 
pillèrent.  Le  comte  de  (i)  Zrin  les  attaqua  lorfqu'ils  reve- 
noient  du  pillage  fans  fe  défier  de  rien  ,  ôc  \qs  ayant  taillés 

(1)  Ou  Serin. 


(?24  HISTOIRE 

en  pièces,  il  reprit  tout  Je  butin  qu'ils  avoient  fait. 
H  E  N  a  1       Le  bruit  qui  ie  répandit  alors,  que  les  Turcs  avoient  deflèin 
I  V.        d'alîiéger  Segny,  ville  maritime  de  Croatie,  engagea  i'Em- 
^593»     P^^^^i^  ^  preiïer  le  Pape  de  régler  au  plutôt  avec  le  princes 
d'Italie  Iqs  fccours  qu'ils  vouloient  lui  envoyer,  parce  que 
le  danger  de  l'Empire  étoit  commun  à  l'Italie.  L'arcliiduc 
Ferdinand  voyant  que  cet  orage  le  menaçoit  aufFi, envoya  de 
bonne  heure  à   Zagrabie  avec  un  détachement  ,  Robert 
d'Eggenberg  lieutenant  Général  de  l'archiduc  Ernell  ,  en 
i'âbience  du  marquis  de  Burgaw  ,  afin  de  faire  les  prépara- 
tifs néceflaires  pour  foûtenir  un  fîége.  Un  régiment  Alle- 
mand s'étant  mutiné  faute  de  payement ,  fe  failît  de  la  per- 
fonne  d'Eggenberg.  La  ville  couroit  un  grand  rifque  j  mais 
Montecuculi  qui  accourut  avec  fa  cavalerie ,  calma  la  fédi- 
tion,  &  contraignit  les  mutins  à  lâcher  Eggenberg. 
Scdit'    d         Tandis  qu'on  commençoit  ainfî  la  guerre  de  part&d'au- 
5pahis.  tre  ,  les  Gardes  à  cheval  du  Grand-Seigneur,  qu'on  appelle 

Spahis,  accoutumés  à  fe  foulever  pour  des  fujets  légers ,  èc 
à.  voir  toujours  leurs  révoltes  impunies ,  fe  mutinèrent  tan- 
dis qu'on  comptoic  l'argent  de  leur  paye  dans  le  bureau, 
Amurath  croyant  que  fa  prefence  feroit  ceflèr  la  fédition , 
fe  montra  fur  un  balcon.  La  prefence  du  Sultan  ne  fit  ^au- 
cune imprelTion  fur  l'efprit  de  ces  mutins.  Amurath  étoit 
prêt  à  leur  faire  diftribuer  de  l'argent  pour  les  appaifer ,  lorC 
que  le  Vifir  Schiaus ,  qui  par  fon  mariage  avec  une  fœur  du 
Sultan ,  étoit  rentré  en  faveur  ,  s'y  oppofa.  Il  jugea  qu'il 
falloit  faire  un  exemple  fur  ces  mutins ,  pour  n'être  pas  obli- 
gé de  les  appaifer  avec  de  l'argent ,  toutes  les  fois  qu'ils  fe 
fouleveroîent.  Il  fit  donc  marcher  contre  eux  mille  Azamo- 
glans  bien  armés.  Les  Spahis  n'avoienc  alors  pour  toutes 
armes  que  des  bâtons. La  fédition  s'augmenta,  èc  les  Aza- 
moglans  furerent  obligés  de  fuir.  Amurath  voyant  que  la 
force  ne  faifoit  rien,  fit  apporter  des  facs ,  &;  appaifa  la  fu- 
reur de  fes  gardes  par  fes  largelTes.  Schiaus  foupçonné  d'a- 
voir pouffé  les  chofes  à  l'extrémité ,  foit  par  artifice,  foit  par 
imprudence  ,  fut  encore  difgracié  ,  ôc  Sinan  fut  fait  Grand- 
Vifir  pour  la  féconde  fois. 

François  Savary  fieur  de  Brèves  étoit  alors  ambaiïàdeur  de 
France  à  la  Porte ,  à  la  place  de  Jacque  Savary  de  Lencome 

fon 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV:       ^25 

foîî  parent ,  que  Henri  III.  y  avoic  autrefois  envoyé  dans  la 
même  qualité.  Lencome  gagné  par  les  Guifes  6c  par  lesEf-  H  e  n  «.  i 
pagnols  ,  trahifToit  ouvertement  les  intérêts  de  ion  Roi  de       î  V. 
de  fa  patrie.  Il  fut  renfermé   à  la  foUicitation  du  fieur  de      i  C92 
Brèves  dans  la  tour  noire.  Le  nouvel  Ambafladeur  racheta 
les  meubles  de  Lencome ,  6c  fes  chevaux  qui  étoient  de  grand 
prix  ,pour  les  (àuver  du  pillage ,  &  les  lui  rendit  enluite  , 
pendant  qu'il  ctoit  en  prifon.  De  Breve$  faifoit  tous  fes  ef- 
forts pour  empêcher  qu'on  ne  le  foupçonnât  en  France  6c 
à  la  Porte  ,  d'avoir  éloigné  Lencome  par  jaloufie  ou  par 
avarice. 

Ce  Mîniftre  predà  les  Bâchas  d'envoyer  une  flote  dans 
la  mer  de  Tofcane  pour  courir  les  côtes  d'Efpagne  ,  dans 
la  vue  d'obliger  Philippe  à  garder  les  côtes  d'Italie  ,  d'Ef- 
pagne 6c  des  Ides  voifines,  6c  à  rappeller  pour  cet  effet  les 
troupes  qu'il  faifoit  marcher  en  France.  Il  engagea  même  le 
Sultan  à  écrire  au  Roi ,  pour  l'aiTûrer  qu'il  ne  manqueroic 
pas  d'y  envoyer  l'année  fuivante  une  flote  à  fon  fecours  j 
il  y  a  apparence  que  Charle  Cigala  Génois,  qui  fous  pré- 
texte d'aller  voir  fon  frère  le  Bâcha,  s'étoit  renduàConf. 
tantinople ,  où  il  étoit  l'Efpion  du  roi  d'Efpagne,détourna  ce 
coup.  Cependant  le  Bâcha  Cigala  ne  voulant  pas  laifTer  tout 
à  fait  en  paix  la  Méditerranée,  mena  fa  flote  en  haute  mer  j 
mais  il  n'entra  point  dans  la  mer  de  Tofcane,  comme  de 
Brèves  le  fouhaitoit  •  il  avoit  ordre  de  réprimer  les  courfes 
des  Uicoques  en  Sclavonie  j  Cigala  prit  un  prétexte  léger , 
pour  faire  une  querelle  à  la  République  de  Ragufe.  Tiepolo 
ayant  appris  que  le  Bâcha  devoit  aller  en  Sclavonie  fit  adroi- 
tement retirer  à  Corfou  trois  galères,  qui  étoient  deftinées 
à  la  défenfé  du  golfe  de  Veniiè  ,  pour  découvrir  de  cette 
îfle  où  aboutiroient  les  defTeins  de  Cigala.  Les  Turcs  prirent 
quelques  vaifTeaux  aux  Ragufîens  ,  6c  firent  prifonnier  Lifti, 
capitaine  de  la  République ,  qui  fut  obligé  de  donner  une 
fomme  confidérablepour  fa  rançon  ,  Cigala  n'ayant  point 
voulu  recevoir  ies  excufes, 

La  république  de  Venife  ayant  appris  que  la  guerre  fe    Guerre  dans 
faifoit  en  Croatie  fut  délivrée  de  fes  craintes.  Aflàn  affic^ea  ',^,J^°"^-^1^* 
le  I  3 .  de  Jum ,  le  château  de  Siileck  qui  appartient  au  Ciia-  siilcck. 
pitre  de  la  ville  de  Zagrabie ,  fitué  entre  la  Save  6c  le  Knlp, 
Tûme   XL  KKkk 


626  HISTOIRE 

. .  L'année  précédente  le  Gouverneur  qui  y  commandoic,  avoît 

Henri  amufé  par  une  réponfe  équivoque  ce  Bâcha ,  qui  le  fommoit 
I  V.  de  fe  rendre.  On  croit  qu'Afîan  irrité  de  fe  voir  joiié  de  la 
i  ^Qï,  forte  ,  commenta  la  guerre  par  le  fiége  de  cette  place  pour 
s*en  venger.  Les  murs  ayant  été  renverfés  par  un  feu  conti- 
nuel de  l'artillerie,  ôc  les  aflîégés  ne  pouvant  plus  les  défen- 
dre ,  le  Général  Turc  fit  pafler  à  Ces  troupes  le  pont  qu'il 
avoît  fait  jetter  fur  le  fleuve.  Les  Turcs  montèrent  à 
TalTaut  le  20.  du  mois  de  Juin,  &  firent  tous  leurs  efforts 
pour  s'emparer  de  la  place  j  mais  on  les  reçut  avec  la  même 
vigueur  j  ôc  on  les  repoulTa  avec  perte  de  leur  côté.  AfTati 
prit  le  parti  de  faire  repafTer  le  pont  à  feize  mille  hommes,, 
&  en  laiiîa  autant  au-delà  du  Kulp  devant  SifTeck  ,  qu'un  re- 
commença à  battre  avec  plus  de  furie  5  une  grande  partie 
des  murs  en  fut  encore  abattue. 

Avant  le  fiége  de  cette  place,lorfqu*on  étoît  encore  incer- 
tain des  deflèins  du  baclia  Afîan,  Eggenberg  avoir  donné 
jour  pour  le  1 7.  Juin  au  comte  de  Zrin  ,  à  Nicolas  Palfi ,  à 
Budiani ,  &  à  Nadafdi,  pour  fe  trouver  avec  leurs  troupes  au 
rendez-vous.  Budiani  fut  le  leul  qui  s'y  rendit  avec  cinq  cen5 
chevaux.  Comme  la  garnifon  de  Siffeck  étroitement  affié- 
gée  menaçoit  de  fe  rendre,  fi  on  ne  la  fecouroit  promp- 
tement ,  on  tira  des  garnifons  voiilnes  André  Averfperg 
gouverneur  de  Karlftatt,  le  comte  de  Montecuculi,  Mel- 
chior  Rhedern  baron  de  Silefle  ,  Thomas  Erdel  Vayvode 
de  Sciavonie  -,  ils  tinrent  conièil  enfemble  fur  le  parti 
qu'on  prendroit.  Eggenberg  ayant  reprefenré  le  danger  où 
étoit  Sifïeck  ,  fît  voir  qu'on  ne  pouvoir  l'en  délivrer  , 
qu'en  marchant  promptement  à  fon  fecours  •  il  ajoiita  qu'on 
déféroît  fûrement  l'armée  Turque  qui  fe  débandoit  pour  al- 
ler au  pillage ,  &  ne  fe  tenoit  point  fur  fes  gardes.  Le  Vay- 
vode fut  d'un  fentiment  contraire  ,  &  foûtint  qu'il  étoit  dan- 
gereux ,  &  qu'il  feroit  peut-être  fatal  à  la  Chrétienté,  de 
marcher  avec  des  forces  il  inégales  contre  les  nombreufés 
troupes  de  l'ennemi  :  Qiie  SifTeck  n'étoit  pas  d'une  afïez 
grande  importance,pour  hazarder  toute  la  Hongrie: Que  la 
témérité  des  Chrétiens  avoit  toujours  eu  des  fuites  funeftes 
dans  ce  Royaume:  Que  cette  dangereufe  confiance  avoit  été 
caufe  de  la  défaite  de  Ladifîas  par  Amurath,  ôc  de  la  perte 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        Ci-] 

de  la  bataille  de  Moachz  contre  Soliman  :  Qii'il  ruffifoît  pour 
fauver  l'honneur  de  leurs  armes  de  s'être  montrés  ^  &;  qu'il  Henri 
falloir  n'écouter  que  fon  défefpoir  ,  &  être  fans  expérience       I V. 
dans  la  guerre, pour  aller  plus  loin.  M 9 3» 

Eggenberg  répondit  qu'il  ne  falloit  pas  s'efFrayer  du  grand 
nombre  des  ennemis  ^  mais  qu'on  devoir  plutôt  confidérer 
l'occafîon  &  les  circonftances.  >3  En  effet,  ajouta  cet  Officier^ 
M  qu'arrivera-t-il  après  la  perte  de  Silfeck  ?  Zagrabie  pour- 
»  ra-t,elle  réliiler  long-tems  ?  &.  fi  cette  dernière  place  tombe 
>j  entre  les  mains  des  Turcs ,  dans  quel  état  malheureux  ne 
>3  feront  point  alors  Vcs  affaires  des  Chrétiens  fur-tout  lorfl 
»  que  nos  ennemis  feront  maîtres  de  la  Save?Confidérez  donc 
»>  s'il  eft  à  propos  de  profiter  de  l'occafîon  ,  &  fî  elle  eft  affez 
»5  favorable  pour  fecourîr  les  alîiégés  :  Eh  •  Pourquoi  balan- 
î5  cerions-nous  à  marcher  à  leur  lècours  ?  N'a-t-on  pas  vu 
»  des  armées  nombreufes  taillées  en  pièces  par  des  troupes 
»  inférieures  en  nombre,  commandées  par  des  Chefs  expé- 
*>  rimentés  qui  ont  remporté  la  vidoire ,  foit  par  leur  ha- 
«  bileté,  foit  parce  qu'ils  ont  fçû  profiter  à.Q.s  circonflancesj 
)5  la  prudence  même  ne  regarde  point  comme  l'ouvrage  d'une 
»  témérité  aveugle  ce  qui  n'efl:  qu'un  effet  de  lanécefîîté.  « 
Eggenberg  6c  le  Vay vode  étants  d'avis  fi  différents ,  on  de- 
manda le  fentiment  des  autres  Officiers.  Averfperg  dit  qu'il 
étoit  prêt  à  fuivre  par-tout  Eggenberg  j  le  baron  de  Silefie, 
&  tout  le  reftedu  confeil  de  guerre  applaudirent  à  Averfperg. 
C'efl  pourquoi  le  fecours  de  SifTeck  fut  réfolu  ,  fans  beau- 
coup d'oppoficion  de  la  part  du  Vay  vode.  On  fe  prépara  a 
marcher  le  1 1.  Juin,  qui  étoit  un  Mardi  ^  &  ce  jour-là  l'ar- 
mée s'avança  fans  bruit  à  la  vue  du  camp  des  ennemis ,  qui 
alloient  donner  le  premier  affaut  à  la  place.  Pierre  Erdel 
frère  du  Vayvode  &;  Montecuculi  partirent  avec  de  la  cava- 
lerie pour  aller  s'emparer  du  pont ,  afin  d'en  fermer  le  paf- 
fage  à  l'ennemi ,  &  pour  empêcher  les  Turcs  qui  étoient  de 
l'autre  côté  du  fleuve  ,  defccourir  leurs  compagnons  dans 
l'adion. 

L'armée  fut  rangée  en  bataille ,  &  on  fit  cinq  corps  de 
troupes.  Le  Vayvode  eut  le  commandement  de  l'aîle  droircj 
Budiani  fut  mis  à  la  gauche  j  l'avant-garde  fut  compofcc  des 
arquebuflers  de  Karlflatt ,  Se  de  la  cavalerie  de  Croatie  2c 

KKkkij 


6iî  HISTOIRE 

de  Carînthie  armée  de  lances  èc  de  boucliers  •  ces  troupes 
Henri  lonr  connues  fous  le  nom  de  HouiTars  ^  cinq  cens  arquebu- 
1  V.       iîers  des  troupes  de  Siléfie  furent  mis  au  corps  de  bataille  j 
j  ^g,      l'élite  de  l'infanterie  formoit  l'arriére-garde.  Les  Houilars 
ayant  chargé  d'abord ,  ils  furent  repoulTés.  Ils  auroient  été 
rompus ,  fi  Montccucuii  qui  arriva  avec  {qs  arquebufiers  à 
cheval ,  n'eut  rétabli  le  combat.  Les  Turcs  ne  pouvants  foû- 
tenir  l'efFort  des  troupes  de  Karlftatt  èc  de  Plez  prirent  la 
fuite ,  èc  voulants  gagner  le  pont ,  ils  furent  bien  étonnés  de 
le  trouver  occupé  par  les  troupes  Chrétiennes,  Les  fuyards 
vivement   pouriuivis   fe  précipitèrent  dans  le    fleuve  j    M 
s'en  noya  une  partie  j  àc  les  autres  voulants  pafler  à  la  nags 
le  fleuve  que   les  pluies  avoient  grofll  ,  &  dont  les  bords 
étoient  efcarpés  des  deux  côtés ,  furent  accablés  par  ceux 
qui  tombèrent  fur  eux.  Il  y  eut  un  fi  grand  maflàcre  d'hom- 
mes &  de  chevaux  ,  que  le  fleuve  fut  couvert  de  cadavres 
pendant  deux  heures  :  Preuve  manifefte  que  ce  n'efl;  point 
au  nombre  6c  à  la  force  des  troupes  qu'il  faut  attribuer  la 
victoire  •  mais  que  le  Dieu  des  armées  la  difpenfe  à  fon  gré. 
Les  Turcs    En  effet  cinq  mille  Chrétiens  défirent  alors  une  armée  de 
font  battus, 8c  feize  mille  Turcs.  Il  n'y  eut  que  cent  Chrétiens  qui  périrent 
levé!^^  ^       ^^^^  ^^  fleuve ,  ou  qui  furent  étouffés  par  les  leurs  dans  la 
chaleur  du  combat.  Les  Turcs  perdirent  plus  de  douze  mille 
hommes.  AiTan  lui-même  &  neuf  autres  Turcs  de  diftinc- 
tion  ,  tant  Beglerbeys  que  Bâchas ,  furent  enveloppés  dans 
le  nombre  des  morts.  Amurath  fils  d'une  lœur  du  Grand 
Sultan  périt  dans  cette  bataille  à  la  fleur  de  fon  âge,  après 
avoir  donné  de  grandes  preuves  de  valeur. 

On  prit  une  grande  abondance  de  vivres  &  fept  grofTes 
pièces  de  campagne.  On  reprit  auffi  la  fameufe  place  de  Ca- 
ilaner  ,  ainfi  appellée  du  nom  de  Jean  Cafianer  ,  qui  com- 
mandant en  chef  les  troupes  de  Ferdinand  ,  avoit  été  défait 
cinquante-lîx  ans  auparavant  par  Mechmet  bâcha  de  Bofnie 
avec  perte  de  vingt-cinq  canons.  Les  Turcs  d  qui  le  bâcha 
Afi^an  avoit  laifle  la  garde  de  rartillerie,ayânr  appris  fa  défaite, 
jettérent  leurs  armes ,  &  s'enfuirent  de  tous  côtés.  Nos  fol- 
dats  entrèrent  en  foule  dans  le  camp  ennemi ,  èc  mirent  le 
feu  aux  poudres  qui  biûlèrent  tout  le  bagage  ,  dont  il  ne 
refta  que  dçs  piques  de  fer.  Les  vainqueurs  ne  firent  pasua 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         ^19 

grand  butin  après  une  vidoîre  fî  complette ,  parce  que  les      ■         ■  > 
Turcs  n'ont  que  leurs  chevaux,  leurs  armes ,  ôc  fort  peu  de  Henri 
bagage  ,  différents  en  cela  de  nos  Officiers  ,  dont  les  équi-       I  V. 
pages  occupent  plus  de  place  dans  un  camp  que  les   fol-      i  coi 
dats. 

Le  bâcha  de  Bude  ne  parut  pas  beaucoup  étonné  à  la  nou- 
velle de  la  défaite  de  l'armée  ,  foie  en  haine  d'AflTan  ,  foie 
pour  rabaliFer  la  vidoire  des  Chrétiens.  Il  écrivit  à  l'Archi- 
duc Mathias  ,  que  le  bâcha  de  Bofnie  ayant  entrepris  la 
guerre  à  l'inf^û  du  Sultan, il  avoit  juftement  porté  la  peine 
de  fa  témérité.  Les  Chrétiens  trompés  par  cette  conduite 
du  bâcha  de  Bude  efpéroient  faire  une  trêve  j  mais  on  s'ap- 
percjut  que  ce  n'étoit  qu'une  adrefle  de  l'ennemi  pour  ga- 
gner du  tems,  jufqu'à  ce  que  Sinan  eût  amené  fon  armée 
en  Hongrie.  Pendant  cetems-Ià,le  Beglerbey  de  Romelie 
ayant  mandé  les  garnifons ,  ailembla  fon  armée,  &c  rétablie 
les  affaires  des  Turcs  ,  autant  que  \qs  circonftances  pou- 
voient  le  lui  permettre.  Il  remit  le  fîege  devant  Siireck  5 
dont  la  garnifon  étoit  beaucoup  diminuée. 

Les  Chrétiens  fe  croyants  en  fureté  après  une  vidoire 
fî  complette  ,  avoient  négligé  de  réparer  les  brèches  de  la 
place ,  &  de  remettre  les  •  fortifications  en  état.  Les  diffé- 
rends des  Officiers  qui  refuibient  de  prendre  l'ordre  les 
uns  des  autres  ,  &  qui  avoient  chacun  leurs  vues  particu- 
lières, furent  caufe  de  cette  négligence.  Mathias  Général 
de  l'armée  étoit  encore  à  Gratz.  Eggenberg  pour  tenir  fes 
troupes  en  haleine  s'étant  joint  au  comte  de  Zrin ,  qui  ne 
s'ctoit  pas  trouvé  à  la  bataille  ,  tailla  en  pièces  cinq  cens 
Turcs  qu'il  rencontra ,  ôc  ayant  rèfolu  d'aiîîéger  le  Fort  de 
Petrina  ,  il  l'inveftit  le  12.  du  mois  d'Août  j  mais  ayant 
trouvé  que  la  place  étoit  plus  capable  de  réiîftance  qu'il 
n'avoit  penfé  •  6c  d'ailleurs  défendue  par  une  forte  garni- 
fon ,  il  leva  le  fiége  le  dixième  jour.  Il  avoit  encore  un 
autre  motif  de  l'abandonner  ^  il  fe  laiiîà  tromper  par  un 
transfuge  Turc  qui  faifànt  femblant  de  vouloir  embrafTer 
la  Religion  Chrétienne  lui  donna  un  faux  avis  de  l'approche 
du  Beglerbey  de  Romelie. 

Quelque  tems  après ,  la  garnifon  de  SifTeck  ayant  efTuyé      ^"  '^°''" 
desaifauts  violens  de  la  part  des  Turcs,  fe  rendit  le  3.  de  Siiick, 

K  K  k  k  uj 


6^Q  HISTOIRE 

Septembre.  Les  ennemis  remirent  la  place  en  bon  érac,  en 
H  E  M  K  I  y  taifant  faire  de  nouvelles  fortifications ,  après  avoir  réparé 
I  V.  les  brèches.  Ils  aggrandirent  auiîî  le  foiTc  ,  dans  lequel  ils 
I  jrt,  firent  entrer  l'eau  des  fteuves  des  environs.  Sinan  à  la  tête 
d'une  armée  de  quarante  mille  hommes ,  entre  lefquels  ou 
comptoit  douze  mille  Jannillaires  ,  étoit  déjà  dans  la  Hon- 
grie ,  où  il  avoit  formé  le  fiége  du  château  de  Vefprin  fur  la 
rivière  de  Sar\»^y2ze.  Ferdinand  de  Sainte-Marie  comman- 
doit  dans  la  place ,  qui  fut  emportée  d'alTaut  le  6.  d'Odo- 
bre,  malgré  la  réfiilance  de  la  garnifon.  Tout  fut  palTé  au 
fil  de  lépée ,  à  la  referve  de  Sainte- Marie  ,  de  Nicolas  HufF- 
kircken  célèbre  capitaine  Allemand ,  &  de  deux  cens  foL 
dats  qui  échappèrent  au  carnage.  Le  grand  Vifir  marcha 
enfuite  à  Palotta  ,  château  fitué  dans  \çs  montagnes.  Le 
gouverneur  Pierre  Ornandy  voyant  les  murs  ébranlés  par 
l'artillerie  ,  demanda  de  bonne  heure  à  capituler.  Mais  les 
Turcs ,  fans  avoir  égard  au  traité  qui  étoit  déjà  fait ,  mon, 
'  térent  à  Taiîliut  ,  &  malTacrèrent  entièrement  la  garnifon  , 
à  l'exception  d'Ornandy  ôc  de  deux  Capitaines.  L'armée 
s'empara  le  i  3.  d'Octobre  avec  la  même  rapidité  de  Vizze, 
quin'étoit  pas  éloignée  de  Palotta.  Les  maladies  qui  fe  mi- 
rent parmi  les  foldats ,  &  un  flux  de  fang  qui  en  emportoic 
un  grand  nombre  ,  arrêtèrent  Sinan  dans  fa  marche  ,  ôc 
rempêchérent  de  rien  entreprendre. 
Sieste  de  Fi-  Pendant  Ce'  tems-là  ,  les  Chrétiens  n'étoient  pas  dans  Tin- 
leck  par  les  adion,  Chriftophle  baron  de  Tieffenbach  ayant  attaqué 
avec  une  armée  de  douze  mille  hommes  ,  la  ville  de  Sa^ 
botzka  peu  éloignée  du  fleuve  Gran  ,  qui  donne  fon  nom  à 
Strigonie  ,  la  prit  par  compofition.  Il  alla  enfuite  camper 
devant  Fileck ,  qui  fit  une  vigoureufe  réfiftance.  Le  Gou* 
verneur  de  la  place  acquit  beaucoup  d'honneur  à  ce  fiégej 
car  malgré  ia  fupèriorité  des  afiiègeans  ,  il  ne  voulut  jamais 
fe  rendre  aux  inftances  de  la  garnifon  ,  qui  le  prelloit  de 
prendre  de  bonne  heure  ies  mefures  ,  à  l'exemple  de  Sa- 
botzka.  Il  raflura  les  afliègés ,  en  leur  promettant  de  lewr 
amener  au-plûtôt  du  fecours.  En  effet  il  fortit  de  la  place 
pendant  la  nuit,  &  ayant  tiré  des  garnifbns  des  environs, 
dix-huit  mille  hommes  de  troupes ,  tant  Turcs  que  Tartares, 
que  Sinan  avoit  lailfés  à  Bude  en  quittant  la  Hongrie  ^  iï 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         Ct^i 

prît  avec  lui  le  Bâcha  de  Temefwar ,  &  trois  autres  Gouver- 
neurs de  places ,  &;  ie  mie  en  chemin  pour  lecourir  Fileck.  H  en  ki 
Il  ne  put  engager  ie  Bâcha  de  Strigonie  à  fe  joindre  à  lui.       I  V. 
Ce  dernier  ayant  appris  que  Sigilmond  Bathory  Vaivode     irq?. 
deTranfilvanie ,  s'écoit  mis  en  campagne  avec  un  corps  de 
troupes ,  ne  voulut  pas  abandonner  là  place  ,  dans  la  crainte 
de  quelque  furprife.  En  efFet  le  Vaivode  s'ëtant  avancé  jufl 
qu'à  Tiefl-enbach  ,  fe  faifît  d'un  défilé  par  où  les  Turcs  dé- 
voient pafTer.   Il  n'avoit  avec  lui  que  lept  mille  hommes,   vicftoiredcs 
qui  mirent  en  déroute  l'ennemi  fort  fuperieur  en  nombre  ,  chrâiens. 
&  lui  tuèrent  fix  mille  hommes.    Le  Bâcha  de  Teme(war  ôc 
]e  gouverneur  de  Fileck  qui  étoit  à  la  tête  de  ce  détache- 
ment ,  furent  faits  prifonnîers.    On  fit  un  grand  butin  de 
chevaux  6c  de  bétail  ,  que  les  Turcs  menoient  à  Fileck. 
Les  tentes  ,  les  drapeaux,  Tartillerie,  enfin  tout  le  bagage 
tomba  entre  les  mains  des  Chrétiens.    L'armée  prit  en  s'en 
retournant  le  château  de  Kowat  ^  où  il  y  avoit  garnifon 
Turque. 

Palfv  &  Martin  Lafla  ayant  appris  ces  nouvelles  ,  par-    r.  -r  2  -^ 

j       j  Ail        D  1  "^    -1      1    -/r  1  PnfedeFx- 

tirent  de  devant  Albe- Royale,  ou  ils  laiiierent  les  autres  leck. 
Chefs  ,  &  fe  rendirent  auprès  de  Tieffjnbach.  Enfin  tout 
étant  prêt  pour  Taiïaut  de  Fileck,  on  le  donna  le  24.  de 
Novembre.  La  place  fut  emportée  fans  beaucoup  de  perte 
de  part  &  d'autre.  La  garnifon  ,  après  une  foible  réfiffcance , 
fe  fauva  dans  la  citadelle,  qui  étoit  bien  fortifiée,  &  dans 
une  afliéte  avantageufe.  On  s'en  empara  deux  jours  après, 
&  les  affiegés  le  retirèrent  encore  dans  une  forterefîe  ,  qui 
étoit  au  milieu  de  la  citadelle.  Ils  capitulèrent  enfin  ,  &  en 
iortirent  vie  &:  bagues  fauves."  Fiuit  cens  Turcs  furent  con- 
duits en  lieu  de  fureté  ,  avec  leurs  femmes  ,  leurs  enfans ,  6c 
tous  leurs  bagages.  Laprîiède  Fileck  délivra  de  la  tyrannie 
des  Turcs  quatre-vingts  bourgs  allez  f-ortifiés  aux  environs. 
Cependant  Ferdinand  comte  de  Hardeck  gouverneur  de 
Javarin  (ij  ,  étoit  encore  devant  Albe- Royale  ,  dont  il 
avoit  commencé  le  fiege  avec  Palfy  ôc  Lafla.  Le  comte  de 
Zrin ,  Pierre  Erdel  Commandant  à(^s  HoulTars ,  Nadafdi ,  6c 
les  autres  qui  étoient  encore  avec  lui ,  s'avancèrent  le  31. 
d'Odobre  jufqu'aux  portes  de  la  ville ,  à  la  faveur  d'un  nuage 

(i)OuRaab. 


^31  HISTOIRE 

de  poufTiëre  ,  &:  emmenèrent  du  bétail  &  des  troupeaux, 
H  E  N  K  I  iàns  aucun  empêchement.   Le  lendemain  on  choi{it  iids  en- 
I  V.       droits  ÏQs  plus  i-oibles  de  cette  grande  ville  ,  pour  l'attaquer  j 
i  CQ^      mais  fans  aucun  iuccès ,  par  la  réfiftance  opiniâtre  des  aiîîé- 
gés.  Erdelfejetra  pendant  la  nuit  dans  les  fauxbourgs ,  Ôc 
s'en  étant  emparé  ,  il  fit  pointer  dès  le  matin  contre  la  place, 
du  canon  que  lui  envoya  le  comte  de  Hardeck ,  qui  n'ap- 
prouvoit  pas  Ton  entreprife  hardie.    Les  affiégés  dreflerenc 
une  contrebatterie  ,  qui  tua  beaucoup  de  monde  à  Erdel. 
La  garnifon  ayant  alors  fait  une  fortie  fur  lui  ,  il  courue 
grand  rifque  de  fà  vie.   S'étant  à  peine  retiré  vers  les  quar^ 
tiers  de  Hardeck ,  il  fut  obligé  d'abandonner  trois  pièces 
de  campagne  à  l'ennemi. 
Défaite  des       ^^^  apprit  que  le  Bâcha  de  Belgrade,  avec  d'autres  Gou- 
Turcs.  verneurs  des  environs  ,    s'approchoit  à   grandes   journées 

avec  une  armée  de  quinze  mille  hommes  ,  dans  le  deilèin 
de  charger  les  Chrétiens  en  queue  ,  s'ils  fe  retiroient.  Le 
Confeil  de  guerre  fut  affcmblé ,  &  on  y  réfolut  d'attendre 
les  Turcs  ,  dans  l'idée  qu'il  feroit  honteux  de  reculer  de- 
vant un  ennemi ,  qu'on  avoit  battu  tant  de  fois.  L'armée 
Turque  étant  arrivée  en  préfence  ,  on  rangea  les  troupes 
en  bataille.  Les  Chrétiens  n'avoient  que  neuf  mille  hom- 
mes. L'aîle  droite  étoit  commandée  par  Pain  ,  6c  Nadafdi 
menoit  la  gauchç.  Les  comtes  de  Hardeck ,  de  Zrin  ,  &:  Bu- 
diani  ,  fe  mirent  au  centre  de  l'armée.  PalH  commença  le 
combat  avec  tant  de  vigueur  ,  que  les  Turcs  s'ébranloienc 
déjà  devant  lui.  Hardeck  s'étant apperçu  que  les  ennemis, 
dont  le  nombre  étoit  fupérieur  ,  s'étendoient  pour  l'enve- 
lopper ,  fit  marcher  Pierre  Er<iel  avec  fes  Houiîars ,  efcor, 
tés  d'un  détachement  d'arquebufiers  à  chçval ,  6c  de  deux 
cens  arquebufiers  Allemands ,  pour  s'oppofer  à  ce  mouve- 
ment des  Turcs.  Erdel  ayant  fait  face  en  cet  endroit ,  l'ac- 
tion y  devint  des  plus  vives.  Les  Turcs  qui  fembloient  plier, 
ranimés  à  la  voix  de  leurs  Officiers  ,  rétablirent  le  combac 
avec  ardeur  ,  &  balancèrent  longrcms  la  vicloire.  La  cava- 
lerie Hongroife  ,  qui  lit  des  prodiges  de  valeur  dans  cette 
bataille  ,  tombant  fur  les  ennemis ,  les  poufTa  d'abord  j  3c 
enfin  fécondée  par  l'efFort  général  de  l'armée  ,  rompit  les 
Turcs ,  dont  on  fit  un  horrible  carnage  ,  qui  fut  fuivi  d'une 

déroute 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.        ^33 

déroute  générale.  Le  nombre  des  morts  du  côté  de  l'en-  z:z=— -  '-": 
nemi  monta  à  fîx  mille  j  les  Chrétiens  ne  perdirent  que  mille  H  e  n  c.  1 
foldats.  1 V. 

Après  la  défaire  du  Bâcha  de  Belgrade  ,  Palfi  êcNadafdi  i  .03, 
étoient  d'avis  d'alhegerAlbe- Royale  ,  donc  le  Gouverneur 
avoit  brûlé  les  fauxbourgs ,  pour  fe  renfermer  dans  la  ville. 
Ils  difoient  qu'il  ne  falloic  pas  lui  laiilér  le  tems  de  fe  raflli- 
rer  :  Que  d'ailleurs  la  rigueur  de  la  faifon  l'empêchant  de 
compter  lur  des  fecours  qui  étoient  Ci  éloignés  ,  il  feroic 
obligé  de  fe  rendre.  Hardeck  n'étoitpas  de  cet  avis.  Il  pré- 
tendoit  au  contraire  que  la  prudence  avoit  plus  de  part  que 
la  crainte ,  à  cette  conduite  du  Bâcha  ,  donc  le  but  étoic 
d'incommoder  les  affiegeans ,  &  de  ménager  fa  garnifon ,  en 
ne  confervant  dans  les  circonftances  où  il  lé  trouvoic  , 
que  le  terrain  qu'il  pouvoic  défendre  &  garnir  de  foldats. 
La  difpute  de  ces  Officiers  fut  caufe  qu'on  fe  retira  fans 
rien  faire.  Hardeck  retourna  à  Javarin  avec  le  comte  de 
Zrin  j  &  Palfi  fe  rendit  auprès  de  TiefFembach.  Il  n'y  eut 
de  remarquable  cette  année  que  la  défaite  de  fix  cens  Turcs, 
que  Pierre  Erdel  tailla  en  pièces  proche  Palotta ,  dont  ils 
s'étoienc  emparés  depuis  peu.  Ils  marchoient  vers  cette  ville 
fous  la  conduite  d'un  nouveau  Gouverneur  ,  à  la  place  d'A- 
rnurach  ,  que  Sinan  avoit  fait  étrangler  ,  fur  des  loupçons 
d'intelligence  avec  les  Chrétiens.  Dans  le  même  tems  GraC 
win  rencontra  trois  mille  Turcs ,  qui  étoient  fortis  de  Sif- 
feck  ,  de  Petrina,  &:  de  Chraftowitz  ,  pour  aller  en  parti 
au-delà  de  la  Save  j  les  ayant  chargés  à  ion  avantage ,  il  y 
en  eut  fept  cens  tués  ou  noyés  dans  le  Kulp. 

L'Empereur  rendit  de  folemnelles  actions  de  grâces  à 
Dieu  ,  êi  fit  faire  des  proceffions  pour  tant  d'heureux  fuc- 
chs.  Cependant  les  troubles  ,  qui  s'élevèrent  dans  la  pro- 
vince de  Goritie  (  i  ) ,  au  fujec  de  la  Religion ,  interrompirenc 
ia  joye  publique.  Les  peuples  de  cette  Province  preiloient  de- 
puis longtems  Sa  Majefté  Impériale  ,  de  leur  accorder  la 
permiffion  de  profelTer  ouvertement  la  Confeffion  d'Auf. 
bourg.  Ces  troubles  furent  bientôt  appaifés  par  la  prudence 
4e  Sigifmond  de  la  Tour  gouverneur  de  ce  Comté.  Dans  le 

(0  C'efl  le  Comté  de  Goritz  ou  Goricc ,  proche  le  Frioul. 
Tome  X U  L.Lll 


é34  HISTOIRE 

^  même  tems  les  habitans  de  Cadana  (i) ,  quoique  Cacholi- 
Henri  ques  ,  demandèrent  la  permiiTion  de  Communier  Ibus  les 
I V.       deux  efpéces.  L'Empereur  Ferdinand  &  le  duc  Albert  de 
I  CQ3.     Bavière,  en  avoient  déjà  fait  faire  la  demande  au  Concile 
,     de  Trente  par  leurs  Ambailadeurs  j  André  Dudith  évêque 
Catholiques^^  clc  Tina ,  ambafladeur  du  Roi  de  des  Etats  de  Hongrie ,  avoic 
demandent  la  appuyé  cette  demande  par  un  difcours  plein  de  force.   Mais 
SiTks"de°ux  ^^^  Pérès  du  Concile  avoient  renvoyé  par  un  Décret  parti- 
efpe'ces.         culicr  cettc  affaire  à  Sa  Sainteté  ,  pour  ordonner  ce  qu'elle 
jugeroit  de  plus  convenable  au  bien  de  la  Chrétienté  ,  & 
pour  le  falut  de  ceux  qui  failoient  cette  demande.  Après  le 
Concile  de  Trente  ,  l'Empereur  Ferdinand  èc  enfuite  Maxi- 
milien  fon  fils  ,  firent  inutilement  les  mêmes  inftances  au- 
près du  Pape  ,  comme  nous  l'avons  dit  ci-defllis. 
Faits  extra-       ^"  trouve  dans  les  relations  de  ce  tems-là  ,  plufieurs  faits 
ordinaires,      extraordinaires  ,  qui  arrivèrent  cette  année.    On  rapporte 
qu'il  naquit  une  fille  avec  deux  têtes ,  au  bourg  de  Wolmer- 
fiat  dans  l'evêché  de  Munfter  j  èc  qu'une  autre   vint  au 
monde  au  mois  d'Odobre  ,  avec  une  tête  &  deux  corps, 
aux  environs  de  Francfort  fur  l'Oder.  Il  arriva  encore  cette 
année  un  effet  prodigieux  de  la  nature ,  plus  étonnant  que 
les  deux  autres  ,  Se  qu'on  n'avoit  jamais  vu  juf qu'alors  -,  pro- 
dige attefté  d'ailleurs  par  le  témoignage  public  des  peuples 
de  Silefie.  Chriflophle  Muller  âgé  de  fept  ans ,  né  à  We- 
gelfdorff,  (  bourg  appartenant  à  la  maifon  d'un  Gentiliiom- 
nie  nommé  Frédéric  Gelorn  ,  )  ayant  perdu  de  bonne  heure 
fon  père  Jean  Muller  ,  charpenn'er  de  profeffion  ,  pauvre  ^ 
mais  honnête  homme  ,  fut  élevé  par  fa  mère  fuivant  fa  con- 
dition.  En  allant  apprendre  à  lire  à  l'école  avec  d'autres 
enfans ,  il  lui  tomba  dans  fa  feptiéme  année  ,  (  qui  efl  clîma- 
clériqne,  )  une  dent  ,  à  la  place  de  laquelle  il  en  vint  une 
d'or.   Une  fille  de  l'âge  du  jeune  Muller  ,  s'en  apperçut  la 
première  avec  étonnement  j  enfuite  les  principaux  Seigneurs 
&  une  grande  partie  de  la  NobleiTe  de  Silefie  ,  virent  cette 
dent  avec  la  dernière  furpriiè. 

Jacque  Horft  Profelîèur  en  Médecine  dans  l'Univerfîté 
de  Helmfbat,  fondée  par  le  duc  Jule  de  Brunf>)7ick  ,  étant 
venu    à  Wcgclfdorff  pour   guérir  les  fièvres  du  fils  de 

(i)  Ville  du  Royaume  de  Bohême. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CIV.         ^35 

Frédéric  Gelorn,  engagea  ce  Gentilhomme  à  faire  venir  Mul-  - 
ier.  Horft  fie  ouvrir  la  bouche  à  cet  enfant ,  &:  fut  convaincu  Henri 
de  ce  prodige ,  en  voyant  briller  l'or  de  cette  dent ,  qui  étoic  I  V. 
à  la  mâchoire  inférieure.  Il  porta  le  doit  deffus  6c  la  trouva  159  3- 
de  figure  ronde,  ayant  la  luperfîcie  rude,  les  quatre  coins 
élevés  ,  Ôc  la  même  cavité  que  les  machelieres  ,  dont  elle 
égaloit  &  furpaiïbit  même  la  grofTeur.  Elle  étoit  la  dernière, 
bien  pofée ,  ftable  de  immobile ,  environnée  enfin  d'une  gen- 
cive fouple  ,  &  de  couleur  tirant  fur  le  rouge.  Il  ne  s'en  tint 
pas  là ,  &  ayant  fait  apporter  des  alimens ,  il  fit  manger  Pen- 
fant ,  qu'il  fit  venir  au  milieu  du  repas ,  pour  voir  Ci  cette 
dent  d'or  lui  fervoit  à  broyer  les  alimens ,  &  il  en  trouva 
dQ{R\s  de  mâchés.  Enfuite  il  lui  fit  laver  la  bouche  avec  de 
l'eau ,  ôc  ayant  pafie  la  pierre  de  touche  fur  cette  dent ,  il 
trouva  que  l'or  en  étoit  aulFi  pur  ,  que  l'or  d'Allemagne  &c 
de  Hongrie.  Il  remarqua  en  même  tems  que  les  autres  dents 
ctoient  entières  ,  de  qu'il  ne  manquoit  que  celle  d'à  côté, 
qui  n'étoit  pas  encore  revenue ,  afin  de  lailîer  voir  plus  dî- 
ftindement  cette  dent  d'or.  Enfin  Horft  voulant  examiner 
les  chofes  avec  la  dernière  attention  ,  s'attacha  à  confidérer 
le  tempérament  de  cet  enfant ,  qu'il  trouva  fec  &  chaud. 
MuUer  avoir  la  taille  déliée  ,  les  membres  bien  proportion- 
nés ,  un  efprit  vif,  folide  èc  curieux.  Horft  fit  une  difi^èrta- 
don ,  dans  laquelle  il  affiire  qu'il  n'y  avoic  point  de  trom- 
perie dans  cet  enfant.  Il  y  examine  avec  grand  foin,  fi  cette 
dent  d'or  eft  née  naturellement ,  Ci  c'eft  un  prodige  ou  non  , 
fi  on  peut  expliquer  ce  prodige ,  &  quelle  eft  à  ce  iujet  la 
penfée  la  plus  raifonnable.  Martin  Ruland  fils  ,  qui  exer- 
coit  la  Médecine  à  Ratifbonne  ,  foutint  que  ce  fait  furpre- 
nant  étoit  naturel  ^  &  il  réfuta  dans  un  long  écrit  le  fen- 
dment  contraire  de  Jean  Ingolfteters  Médecin  à  Nuremberg. 
Ces  écrits  font  entre  les  mains  des  Sçavans  ^  fi  on  veut  en 
fcjavoir  davantage  ,  on  peut  les  confulter.  Je  n'ai  eu  deflein 
en  écrivant  cette  Hiftoire ,  que  de  rapporter  fimplement  les 
faits,  (i) 

Latino  Latîni  de  Viterbe  mourut  le  2 1 .  de  Juin  de  cette  Mort  de  La- 

cino  Latini- 


(i)  On  découvrit  depuis  que  le  fait 
étoit  fuppofé  ;  8c  par  cette  dccou  verte 
cous  les  raifonnemens  de  part  ik  d'au 


tre  fe  trouvèrent  confondus.  II  en  eft 
ainfî  de  plufîeurs  prodiges  prétendus. 

LLll  ij 


(>l6  HISTOIRE,  &c. 

—  année  à  Rome  ,  âgé  de  80.  ans.   Il  écoit  le  dernier  de  la  fa" 

Henri  mille,  comme  on  le  voie  dans  fon  épicaphe  qu'il  fit  lui-mê- 

IV.       me  ,  éc  qui  eft  à  Sainte  Marie  in  via  iata  ,  où  il  eft  enterré. 

ira  7       II  pafTa  route  la  vie  à  rétablir  les  écrits  des  Saints  Pérès  ^ 

ôc  lur-touc  de  TertuUien  ,  en  les  comparant  avec  les  ma- 

nufcrits. 

L'Allemagne,  ^\qs  autres  endroits  du  monde,  ou  l'on 
cultive  les  lettres ,  firent  une  perte  irréparable  ,  par  la  more 
de  Leunclavius  ,  ou  Lewnclaw,  Gentilhomme  d'Amelbue- 
ren  en  "Weftphalie  ,  qui  poflédoit  parfaitement  la  langue 
Grecque  &  Latine  ,  6c  fi^avoit  à  fond  les  loix  Grecques  & 
Romaines.  Il  étoit  encore  trcs-verfé  dans  l'Hiftoire  des 
Turcs.  Il  fit  un  voyage  à  Conftantinople ,  où  il  apprit  \^ 
langue  Turque  ,  &  i'Hiftoire  Grecque  des  derniers  tems* 
Son  efprit  jufte  6c  fon  diicernement  paroifient  allez  dans  les 
ouvrages  qu'il  a  publiés  de  fon  vivant ,  &  dans  ceux  qui  onc 
vu  le  jour  après  fa  mort,  arrivée  à  Vienne  en  Autriche  au 
mois  de  Juin  ,  n'ayant  pas  encore  foixante  ans.  Cet  homme 
illuftre  digne  d'une  plus  longue  vie  ,  fut  généralement  re- 
gretté. Il  a  voit  deflèin  de  faire  une  Hiftoire  de  Conftauti- 
nople  i  la  more  l'empêcha  d  exécuter  ce  projet. 


Fin  du  Livre  cent-quatrième. 


^37 


£'dù'; 


'Gâ\ 


HIST 


IRE 


D  E 


JACQ^UE    AUGUSTE 

DE   T  H  O  U. 


LIVRE  C E NT-C I N OV I EME. 


LA  crainte  de  la  guerre  de  Turquie  caufa  quelques  al-  _..,,.^ 
larmes   en  Allemagne  j  mais  fi  l'on  excepte   quelques  hT  ^  »  t 
nouvelles  querelles  qui  s'élevèrent  dans  la  Saxe   entre  les       t  y 
Calviniftes   &  les  Luthériens ,  tout  y  fut    d'ailleurs   aflez 
tranquille.  Ils  iedécliiroient  réciproquement  par  des  libelles      ^55^3» 
remplis  de  reproches  amers,   6c  d'injures  atroces,  2c  où  il       _.      ,. , 
ne  s'agilîbit   aucunement  de   la  Religion.    Les   Luthériens  ^^^ç^^  d'Al-" 
difoient  hautement  :  Que  David    Stcinbach    qui  ,  comme  kmagne. 
nous  l'avons  rapporté  ,avoit  voulu  l'année  dernière  s'évader 
par  une  fenêtre,  s'étoit  fervi  pour  cela  du  fecours  du  Diable; 
Que  les  Calviniftes  employoient  l'art  magique ,  6c  les  en- 
chantemens  ,  pour  gâter  les  fruits   de  la  terre  3   &   qu'ils 
avoient  tenté  de  mettre  le   feu  dans  Leiphk  ,  pour  piller 
dans  la  confufion  de  l'incendie  les  plus  riches  maifons  ,  & 
chaiïèr  ceux  qui  av^oient  d'autres  fentimens. 

D'un  autre  côté  les  Ecoliers  de  l'Univerfité  de  cette  ville 
excitèrent  de  grands  troubles.  Ils  pillèrent  la  mai/on  d'A- 
dolphe Han  ,  chez  qui  quelques  SuilTes  AqÇqs  amis  étoienc 

L  L 1 1  iij 


<53S  HISTOIRE 

J..'. '  '  !  venus  loger  j  ils  la  détruiiîrent  prefque  entièrement  j  &  ils 

Henri  avoient  déjà  élevé  dans  la  place  publique  une  potence  pour 
IV.  y  pendre  ce  citoyen  ,  s'il  ne  fe  fut  de  bonne  heure  échapé 
I  59  3'  ^^  leurs  mains.  Le  Magiffcrat  n'appaifa  qu'avec  peine  les  ié- 
ditieux  ^  &  il  fallut  accorder  à  leur  fureur  l'exil  de  quinze 
bourgeois  qu'ils  défîgnérent.  Mais  quoique  l'Adminiftra- 
teur  ne  favorilàt  pas  Tes  Calviniftes,  cependant  des  qu'il  fut 
informe  de  cette  adion,  il  vint  à  Leipfik  ^  ôc  croyant  que 
pour  maintenir  la 'fureté  &  la  tranquillité  publique,  il 
étoit  néceflaire  de  s'oppofer  aux  violences  tumultueufes  des 
particuliers,  il  fît  monter  en  chaire  George  Muller  Théo- 
logien ,  pour  repréfenter  au  peuple  combien  il  étoit  dan- 
gereux ôc  criminel  d'employer  les  voyes  de  fait  au  mépris 
de  l'autorité  légitime  du  Magîftrat.  Le  Chancelier  de  l'U- 
niverfité  parla  après  Muller  ,  &  fit  un  long  difcours  fur  le 
même  fujet.  Les  bannis  furent  rappelles  j  ëc  on  les  mit  fous 
la  protedion  du  Magiftrat. 

L'Adminiftrateur  (  i  )  fit  enfuite  une  Ordonnance ,  qui 
portoit  que  tous  particuliers  feroient  tenus  dans  pareils  cas 
de  prêter  main-forte  au  Magiftrat ,  à  peine  de  mort  s'ils 
refufoient  leurs  fecours  ^  &  que  les  auteurs  de  la  dernière 
fédition  feroient  punis.  On  en  arrêta  quarante  j  mais  on 
n'en  fit  mourir  que  quatre,  èc  on  crut  que  cet  exemple  fufK- 
roit  pour  retenir  les  autres. 

Ces  troubles  étoient  arrivés  fur  la  fin  de  Mai  3  &  comme 
le  tems  des  foires  approchoit  ,  l'Adminiflrateur  craignant 
que  les  marchands  n'eulTent  de  la  répugnance  à  venir  dans 
une  ville  agitée  de  fédition  •  &;  qu'une  pareille  interruption 
du  commerce  n'y  caufât  un  préjudice  confidérable,  ilpro. 
mit  par  un  écrit  public  toutes  fortes  de  fûretés  à  ceux  qui 
viendroient  aux  foires  de  Leipfik. 

L'efprit  de  fédition  fe  glifloit  dans  ce  païs ,  comme  une 
efpéce  de  contagion.  Onavoitvûpeu  de  tems  auparavant 
les  mêmes  troubles  à  Brunfwik,où  Jean  Bugenhag  Pome- 
ranien  avoir  autrefois  enfeigné  la  dodrine  de  Luther.  Poly- 
carpe  Leyfer  ,  &  Nicodême  Frifchlin  s'étoient  oppofés 
par  leurs  difcours  de  leurs  écrits  aux  nouveautés  qu'on 
vouloit  introduire  dans  la  Religion  ;  6c  avoient  tellement 

(i)    C'efl-à-dire  le  Regcnt  de  Saxe ,  Frederic-Guillawme. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  CV.        639 

animé  le  peuple  ,  que  Leyfer  ,  à  la  prière  de  l'Adminiflra-  'i  '      '  ■ 
teur,écanc  allé  à  Wiccemberg  pour    rerablir  l'ordre  dans  Hen  m 
rUniverficé  de  cette   ville,  les  léditieux  crurent  qu'on  fe       IV. 
fervoit  de  ce  prétexte  pour  éloigner  leur  Miniftre  ,  atinque    j  j  ^o  ,  g 
pendant  fon  abience  les  Calviniftes  pufTenc  répandre  avec 
plus  de  facilité  le  poifon  de  leur  Doclrine.  Ainfî  fans  ref- 
pect  pour  le  Magiftrat ,  ils  demandèrent  avec  fureur  qu'on 
leur  livrât  Michel  Mafc ,  ôc  Jérôme  Neven  Sindics  de  la 
ville ,  qui  leur  étoient   fufpecîs  j  Ôc  ils  répondirent  au  Ma- 
gillrat,  qui  les  exhortoit  â rentrer  dans  leur  devoir,  qu'ils 
ne  quitteroient  point  les  armes  qu'on  n'eût  exilé  de  la  ville 
ces  deux  particuliers. 

Ce  pernicieux  exemple  rendit  ceux  de  Leipfik  plus  auda- 
cieux j  &:  ils  oférent  afficher  fecrétement  aux  portes  de  la 
grande  Eglife  un  écrit,  pour  engager  l'Adminiftratcur  â 
chalfer  tous  ceux  qui  étoient  fulpeds  de  Calvinifme,  Ils 
taxoientenfuice  avec  aigreur  le  Sénat  de  favorifer  fous  main 
un  certain  citoyen  qu'ils  liaïfToient  extrêmement.  Ils  répro- 
choient  en  troifiéme  lieu  aux  Miniftres  leur  légèreté  ,  6c 
leur  perfidie ,  parce  que  leurs  difcours  2c  leurs  levons  étoient 
plus  modérés.  Ce  reproche  tomboit  fur  George  Muller , 
6c  fur  Martin  Mir,  dont  la  fage  conduite  leur  étoit  deve- 
nue infupportable.A  lapriére  du  Magiftrat  6c  de  l'Adminiftra- 
teur ,  ces  deux  Miniffcres  parloient  avec  moins  d'emporte- 
ment ,  6c  donnoient  aux  autres  un  exemple  de  retenue. 

L'Adminiftrateur  craignit  avec  raiion  qu'une  licence  fî 
effrénée  n'aigrît  dans  la  fuite  entièrement  les  efprits ,  6c 
n'occafîonnât  un  fchifme.  Il  écrivit  donc  aux  Miniftres, 
qu'on  appelle  les  Surintendans  des  Eglifes ,  àc  tâcha  de  les 
engager  d'avoir  foin  que  les  Prédicateurs  retinffent  le  peu- 
ple dans  le  refped  6c  l'obcïllànce ,  6c  fe  conrentafTent  de 
parler  contre  la  doclrine  qu'ils  défapprouvoient ,  6c  de  la 
réfuter  en  chaire,  mais  en  ménagciyit  la  perfonne  de  leurs 
adverfaires  J  puifque  félon  le  devoir  des  Pafteurs,  6c  les 
régies  de  la  charité  chrétienne  ,  ils  étoient  obligés  d'inC 
truire  6c  de  ramener  à  la  vérité  ceux  qui  s'en  écarrofent, 
fans  les  déchirer  par  des  invectives  qui  faifoient  meprifèr 
l'autorité  du  Magiflrat ,  les  rendoient  eux-mêmes  odieux, 
6c  excitoient  le  peuple  à  la  fédition. 


^40  HISTOIRE 

Les  Surintendans  répondirent  froidement  :  Qii'il  ne  leur 
Henri  paroiiloit  pas  à  propos  de  prefcriredes  régies  aux  Palpeurs 
IV.  dans  leurs  difcours  contre  les  Calvinifles  ;  Que  ces  hommes 
159  3'  Superbes ^  encouragés  par  cette  indulgence,  foûtiendroienc 
leurs  erreurs  avec  plus  d'audace,  &  que  le  peuple  en  ieroic 
plus  animé  :  Que  cependant ,  pour  conferver  la  tranquil- 
lité de  l'Eglile  ôc  de  l'Etat,  oc  pour  ôter  tous  les  prétextes 
qui  pourroient  troubler  la  paix ,  ils  avertiroient  en  parti- 
culier les  Pafteurs  de  ié  renfermer  dans  les  bornes  de  leur 
miniftére  j  mais  qu'au  refte  l'Adminiftrateur  devoit  le  fou- 
venir  qu'il  leur  avoit  toujours  promis  de  ne  commander 
aux  Eccléfiaftiqucs  aucune  chofe  qui  pût  troubler  la  liberté 
de  leur  état.  L'Adminiftrateur  voyant  qu'il  ne  pouvoitrien 
obtenir  d'eux  en  général ,  fe  fervit  du  Magillrat,  pour  les  en- 
gager chacun  en  particulier  y  &  il  obtint  par  cette  voie  que 
les  Prédicateurs  ieroient  modérés. Le  peuple  n'ayant  plus  ces 
boute-feux  ,  fut  dans  la  fuite  plus  tranquille  &;plustraitable. 

La  guerre  de  Strafbourg  continuoit ,  mais  foiblement ,  dc 
fans  qu'il  fé  fit  aucune  adion  mémorable.  Sur  la  fin  de  Jan- 
vier ,  les  troupes  Lorraines  tentèrent  inutilement  de  fur- 
prendre  Schleftadt  ville  Impériale  3  elles  nièrent  le  fait, 
parce  qu'il  étoit  trop  odieux.  Enfin  les  deux  partis  étanc 
las  de  la  guerre  ,  6c  par  l'entremife  de  l'Empereur,  on  con- 
vint,  après  avoir  mis  les  armes  bas  ,  licencié  les  troupes, 
&  fait  la  paix,  de  s'en  rapporter  pour  les  conditions  à  Cix. 
Princes  qu'on  nommeroit  de  part  &  d'autre ,  de  de  leur  re- 
mettre le  jugement  des  conteftations  qui  avoient  caufé  la 
divilîon.  Volfang  Brendel  archevêque  de  Mayence ,  Jule 
évêque  de  Wirtzbourg ,  Ferdinand  Archiduc  d'Autriche, 
Louis  Landgrave  de  Hefle ,  Philippe- Louis  de  Bavière 
comte  Palatin,  &  Frédéric  Guillaume  adminiftrateur  de 
l'éledorat  de  Saxe ,  furent  choifis  pour  arbitres  de  cette 
affaire.  Avant  qu'elle  fût  décidée, on  convint  encore  rQuie 
le  cardinal  Charle  retiendroit  Saverne  en  Alface  ,Binsfeld, 
&  les  autres  gouvernemens  mentionnés  dans  les  traités  ; 
Qu'on  lui  rendroit  encore  Moltzheim  ,  dont  le  prince  d'An- 
halt  s'ètoit  emparé  depuis  peu  :  Que  d'un  autre  côté  on 
xemettroit  Dachfbein  à  l'èlecTieur  de  Brandebourg  avec  un 
même  nombre  de  bailliages  dont  on  eflimeroit  les  revenus , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CV.  ^41 

&  qu'on  rendroit  à  la  ville  de  Strafbourg  Waffelsheim ,  ^^•^•^rr'^!^ 
avec  les  canons  qu'on  y  avoir  trouvés.  On  figna  ce  traité  Henri 
préliminaire  le  dix  de  Mars.  I  V. 

Dans  le  mois  d'Avril,  les  Princes  arbitres  envoyèrent  1593. 
leurs  Députés  à  Spire ,  où  le  congrès  fut  remis  au  mois 
de  Juin  j  mais  après  de  grandes  conteftations ,  fans  qu'il  fût 
polîible  de  rien  terminer  ,  ils  arrêtèrent  au  mois  de  Juillet  : 
Qii'on  renvoyeroit  à  l'Empereur,  tout  ce  qui  avoit  été  écrit 
dans  cette  affaire,  avec  une  relation  de  ce  qui  y  avoit  été 
dit, pour  recevoirfa  décifion  ;  Qiic  l'alFemblée  fe  tiendroic 
à  Francfort  fur  le  Mein  le  i  5.  de  Novembre  :  Que  cepen- 
dant tout  refteroit  dans  l'état  préfent  où  étoient  les  cho- 
fes ,  fans  qu'on  pût  faire  aucun  changement ,  tant  dans  la 
Religion  que  dans  le  Gouvernement ,  à  peine  contre  les 
contrevenans  d'être  punis  comme  infracteurs  des  traités , 
conformément  aux  Ordonnances  Impériales. 

L'Electeur  de  Cologne  preiToit  vivement  la  reftitution 
de  fes places,  dont  on  s'étoit  emparé  â  l'occalion  de  la  guer- 
re, &c  avoit  obtenu  avec  beaucoup  de  peine  que  la  gar- 
nifon  de  Bonn  fortiroit  de  cette  ville.  Il  y  indiqua  auffitôc 
une  allemblée  des  Etats  de  la  Province  j  mais  le  Chapitre 
refufa  d'envoyer  des  Députés  dans  cette  ville  ,  &  demanda 
la  tranflation  de  l'aflemblée  à  Cologne  ,  à  quoi  l'Eledeur 
confentit  facilement.  Il  s'étendit  fort  au  long  fur  les  dé- 
penfes  qu'il  avoit  été  obligé  de  faire,  tant  pour  la  défenfe 
dupais,  que  pour  payer  les  foldats,  &  pour  l'évacuation 
des  places  qu'ils  tenoient  comme  affiégées.  Il  réprélenta 
enfuite ,  que  comme  il  étoit  nécelTaire  dans  un  tems  iî  fâ- 
cheux de  mettre  des  garnifons  dans  les  villes ,  pour  ré- 
poufler  les  infultes  des  différens  partis  qui  couroient  la 
campagne,  il  failoît  afTigner  à  l'avenir  des  fonds  pour  payer 
les  troupes ,  fans  qu'elles  fuflent  à  charge  aux  particuliers  j 
êc  de  crainte  que  le  défaut  de  paye  ne  les  obligeât  d'a- 
voir recours  à  leurs  pillages  ordinaires.  Enfin  on  agita  la 
queftion  du  bailliage  de  Biberen,dont  le  comte  W'^erner  de 
Rifferfcheit  étoit  en  pofTefllon ,  ôc  que  les  Etats  des  Païs-bas 
vouloient  qu'on  rendît  à  la  veuve  d'Adolphe  de  Newe- 
nar ,  avec  menaces  fi  l'on  ne  les  fatisfaifoit  pas ,  de  s'en 
venger  lur  le  païs  de  Cologne. 

Tome  XI,  M  M  mm 


(J4i  HISTOIRE 

Dans  le  tems  même  de  cette  aflemblée  ,  les  habîcans  de 
Henri  Nuys ,  fatigués  depuis  longtems  par  une  garniion  que  le 
IV.  duc  de  Parme  avoit  mife  dans  leur  ville  ,  voyants  d'ailleurs 
I  îos.  ^^^^  ^^  Cour  d'Efpagne  éludoit  toujours  les  prières  réïtërées 
de  l'archevêque  de  Cologne  ^  6l  que  le  duc  de  Parme 
étant  mort  il  falloit  attendre  de  nouveaux  ordres  pour  le 
rappel  de  ces  troupes,  réfolurent  de  s'affranchir  eux-m.êmes 
de  cette  fervitude.  L'occafion  favorable  fe  préfenta  pen- 
dant qu'une  partie  de  la  garnifon  étoit  fortie  pour  piller. 
Les  bourgeois  fe  réunirent  donc  le  19.  de  Juillet,  de  at- 
taquèrent la  nuit  les  difFérens  corps-de-garde  qui  étoienc 
dans  la  ville.  Les  foldats  ne  firent  prefque  pas  de  réfiftance  5 
car  ils  étoient  en  petit  nombre.  On  les  enferma  dans  des 
foLiterrains ,  après  les  avoir  défarmés.  Il  reftoit  encore  une 
garde  compofee  de  dix  hommes  aune  des  portes  de  la  ville. 
Ces  loldats  ayant  entendu  le  bruit  que  faifoient  les  habi- 
tans  après  ce  premier  fuccès  ,  firent  fortir  par  une  porte  de 
derrière  un  des  leurs ,  pour  avertir  Meldedonck  Gouver- 
neur de  la  place  de  tout  ce  qui  s'étoit  pafTè.  Il  accourut 
auffitôt ,  &c  efTaya  inutilement  de  fléchir  les  habitans  j  en- 
forte  que  les  foldats  qui  occupoient  encore  une  des  portes 
de  la  ville,  étants  fans  efpérance  de  fecours,  6c  voyants  un 
grand  feu  que  les  habitans  avoient  allumé  à  côté  de  leur 
pofte,  &  dont  la  fumée  les  étoufFoit  fe  rendirent  â  difcré- 
tion.  On  les  renvoya  fans  leur  faire  aucun  mal ,  &  après 
les  avoir  fait  déjeuner.  Ainfi  Nuys  recouvra  par  fes  pro- 
pres forces  une  liberté  que  le  duc  de  Parme  lui  avoit  pro- 
mis tant  de  fois  de  lui  rendre, fans  tenir  fa  parole. 

Frédéric  Electeur  Palatin,  âgé  d'environ  vingt  ans  avoir 
Mariage  de  pris  l'année  précédente  le  gouvernement  de  fes  Etats  après 
réiedeur  |^  mort  de  Jean  Cafimir.  Ce  jeune  Prince ,  à  la  perfuafîon 
de  Philippe  de  Marnîx  de  Sainte-Aldegonde ,  fit  deman*. 
der  en  mariage  Conftantine-Aloïïe-Julienne  ,  fille  de  Guil- 
laume de  Nafiau  Prince  d'Orange  ,  &  de  Charlotte  de 
Bourbon.  Plufieurs  Princes,  parens  &  amis  de  l'Electeur, 
qu'il  avoit  confultés  fur  fon  mariage ,  comme  l'on  fait  or- 
dinairement, tâchèrent  de  l'en  dilîuader  ,  dans  la  crainte 
que  cette  alliance  avec  le  prince  d'Orange  ne  formât  une 
trop  grande  union  entre  l'Èledeur  èc  les  Provinces-Unies, 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.    CV.         64.1 

&  n'âttîrâcen  Allemagne  la  guerre  qui  fe  faifok  en  Flan-  ^'????=î?:^ 
dre.  Les    Etats  généraux  dotèrent  la  jeune  PrincefTe ,  qui  H  e  n  k  i 
n'avolt  d'ailleurs  aucun  bien,  6c  lui  firent  préfent  d'une  ri-       I  V. 
che  toilette.   Le   comte  Jean  de  Naflau  l'ayant  conduite     icg-», 
jurqu'à  Sledein ,  elle  le  rendit  par  terre  à  Dillenbourg  ,  où 
Frédéric  vint  en  pofhe  la  faluer,  àc  où  il  la  fiança  le  i  5.  de 
Mai.  Il  alla  enfuite  trouver  Louis  Langrave  de  HelTe,  qui 
âvoit  jufqu'alors  refufé  de  venir  à  Tes  noces ,   quoiqu'il  l'y 
eût  invite   par    lettres  ôc  par  plufieurs  ambaiïades ,  ôc  ne 
l'engagea  qu'avec  peine  à  y  affifber.  Elles  furent   célébrées 
avec  peu  de  magnificence. 

Louis  duc  de  \l^irtemberg ,  neveu  de  Chriftophle-Fran- 
çois  Ulric  mourut  quelque  tems  après.  Ce  Prince  étoit  déjà  j^or^  du  duc 
très- valétudinaire   ,    quoiqu'il    n'eût   que  quarante   ans  ,  de  wircem- 
&  ne  lailla  aucuns  enfans.  Frédéric  fils  de  George  comte    ^'^^' 
de  Montbeliard  ,  dont  nous  avons  parlé  fort  fouvent ,  lui 
fuccéda. 

Sîp-ifmond  roi  de  Pologne  ayant  obtenu  l'agrément  des  Voyage  du 
Etats  du  Royaume,  le  preparoit  a  palier  en  buede  pour  gne  en  Suéde, 
prendre  polFeUion  de  ce  Royaume,  dont  la  mort  de  fon  père 
le  failoit  héritier  ,  ôc  pour  y  rétablir ,  s'il  étoit  pofiible  ,  l'an- 
cienne Religion  ^  mais  la  groflelFe  de  la  Reine  le  rétine 
pendant  quelque  tems.  Dès  qu'elle  futaccouchée,&  après  la 
tenue  des  Etats,  il  s'embarqua  fur  la  Viftule  avec  la  Reine 
6c  fa  fœur.  Un  grand  nombre  de  PolonoisSc  cinq  cens  Houf- 
fars  l'accompagnèrent  dans  ce  voyage.  Il  palFa  par  Marien- 
bourg ,  Thorn,&:  Elbing  villes  de  Prufle ,  où  il  fut  reçu 
avec  toute  forte  de  magnificence.  Il  aborda  le  2.  d'Août  â 
Dantzick,  où  il  établit  un  tribunal  compofé  de  quelques 
confeillers  de  PrulTe ,  &  d'autres  perfonnes  ,  pour  juger 
toutes  les  affaires  de  la  Province,  Il  rendit  aux  Catholiques 
d'Elbing  ôc  de  Thorn  les  principales  Eglifes  de  ces  villes. 
Le  Sénat  de  Dantzick  avoit  refufé  la  même  grâce  à  Rof- 
feradeck  évêque  de  Wladiflaw,  qui  lademandoit  pour  les 
Catholiques  de  Marienbourg  j  &  quoique  le  Roi  fouhai- 
tât  de  leur  faire  cette  faveur  ,  cependant  fur  les  remon- 
trances de  l'ambafladeur  de  Suéde  ,  qui  lui  fit  fentir  que 
fes  nouveaux  fujets  pourroient  prendre  en  mauvaife  parc 
un  tel  changement  dans  la  Religion ,  Sigifmond  renvoya 

M  M  m  m  ij 


^44  HISTOIRE 

I  cette  affaire  à  la  première  aifemblée  des  Etats. 

H  E  M  R  I  l^  ctoit  encore  à  Dantzick,  lorfque  le  i  3.  d'Août  il  s'y 
j.  y,  éleva  une  furieufe  fédition  pour  une  caufe  tort  légère.  Un 
Polonois  ayant  bleiîé  un  porte-faix  qui  l'avoit  rudemene 
^^  heurté,  un  grand  nombre  d'autres  portes-faix,  dont  cette 
ville  marchande  efl  remplie ,  s'attroupa  ;  &  l'émeute  devint  fi 
grande  en  peu  de  tems, qu'on  en  vint  au  point  de  tirer  le  canon, 
&  que  trois  boulets  pénétrèrent  jufqu'à  la  maifon  oùlogoic 
le  Roi.  Onavoit  déjà  appelle  les  HoulTars  qui  étoient  dans 
les  fauxbourgs  ^  &  cette  foldatefque  accoutumée  au  car- 
nage èc  aux  rapines  alloit  entrer  dans  la  ville ,  lorfque  par 
bonheur  en  liauflant  un  pont-levis  qui  étoit  fur  le  fleuve 
Motlaw  ,  on  arrêta  ces  troupes  dont  on  devoit  appréhen- 
der les  pernicieux  fécours.  Alors  les  Confuls  &;  les  Ma- 
giltrats,  pour  prévenir  le  défordre  &  le  carnage  que  la 
fureur  de  la  fédition  leur  faifoit  craindre  ,  employèrent  \qs 
prières ,  les  promefTes ,  &  les  menaces  pour  calmer  les  ha- 
bitans ,  qui  enfin  s'appaiférent  après  que  les  Polonois  fe 
furent  retirés.  Il  y  eut  vingt. trois  hommes  tués  ,  de  cîn- 
quanre  blelîës  dangereufement.  Les  portes  furent  fermées 
pendant  deux  jours  ^  ^  les  Polonois  qui  avoient  caulé  la 
Guerelle  ,  6c  qu'on  trouva  dans  la  ville ,  furent  mis  en  arrêt. 
On  informa  contre  ceux  qui  avoient  tiré  le  canon  fur  la 
maifon  où  étoit  le  Roi  3  6c  un  Trompette  promit  publique- 
ment cent  fequins  au  dénonciateur ,  avec  menaces  de  punir 
du  même  fupplice  que  les  auteurs  de  cet  attentat,  ceux  qui 
le  diiTimuleroient.  La  tranquillité  étant  rétablie  dans  cette 
ville  ,  le  Roi  defcendit  à  l'embouchure  de  la  Viftulej  & 
après  un  retardement  de  fix  jours,  qu'il  crut  convenable  à 
fes  affaires,  il  faifit  un  vent  favorable  pour  s'embarquer  j 
mais  le  tems  aïant  chan2;é ,  les  vents  contraires  retardèrent 
fa  navigation  ,  &  il  n'arriva  avec  faflote  d  Stocholm  capitale 
de  Suède  que  le  dernier  de  Septembre ,  quoique  cette  ville 
ne  foit  éloignée  de  Dantzick  que  de  quatre- vingt  milles  d'Al- 
lemagne. 
^°^d°"Roî       Chriflierne  IV.  roi  deDannemarck  avoit  à  l'âge  d'onze 

de  Danne-     ans  fuccédè  à  fon  père  Frideric  II.  lous  la  tutelle  de  trois 

'°^'^^-  Seigneurs  nommés  par  le  feu  Roi.  Ce  jeune  Prince  ayant 

atteint  fa  dix-huitieme  année,  fé  rendit  à  Flenlbourg,  ville 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.        ^45 

fameufe  par  fon  commerce,&  ficuëe  dans  le  Sud-Jutland  fur  la  -J 

mer  Orientale.  Il  y  arriva  le  i  o.  de  Septembre  accompagné  Henri 
d'un  grand  nombre  de  Seigneurs ,  après  avoir  traverfé  la       I  V. 
principauté   de  SleiVick.   Les    Etats   étoient   afleinblés  à      1593. 
Flenfbourg  &  des  le  lendemain   de  fon  arrivée ,    en  pré- 
fence  de  Sophie   mère  d'Ulric   duc   de  Mekelbourg ,  qui 
étoic  lui-même  préfent  à  cette  cérémonie,  Chrillierne  fie 
ferment  de  conferver  les  privilèges  6c  les  libertés  du  Royau- 
me, 6c  fut  couronné  roi  de  Dannemarck.    Il  recrut  enfuite 
le  ferment  de  fidélité  de  ics  fujets ,  remercia  les  Règens  de 
leur  fàge  adminiflration ,  de  déclara  qu'il  vouloit  tenir  lui- 
même  les  rênes  du  gouvernement. 

Guillaume  Landgrave  de  HefTe  étoit  décédé  depuis  peu.    Mariage  da 
Maurice  fon  fils,  Prince  d'une  érudition  héréditaire  dans  Landgrave 
cette  Illuflre  mailon ,  époufa  à  Caffel  Agnès  fille  de  Jean-  ^^  ^^  ^° 
George  comte  deSolms.  On  choifit  pour  la  célébration  du 
mariage   le    22.  de   Septembre,  (  vieux  ftile),  jour  de  la 
fête  de  Saint  Maurice,  patron  du  Prince.  Louis-George  de 
HefFe,  Chriftophle  duc  de  Lunebourg  ,  Bernard  d'Anhalt ,, 
Louis  de  NafFau ,  Jean-George  comte  de  Solms  père  d'A- 
gnès, avec  Otlion,  Eberard,  Reinard  ,  6c  Philippe  fesfils, 
François  comte  de  N^aldeck  ,  Gonthier  comte  de  Schwazt- 
zenbourg  ,  Frideric  comte  de  Hohenio  ,  Simon  comte  de  la 
Lippe,  Louis  comte  de  Witgenflein  ,   George  comte  de 
Kirchberg ,  Louis  comte  de  Lowenflein  ,  Erneft  comte  de 
Schawmbourg  ,  6c  les    ambalfadeurs    de  pJufieurs  autres 
Princes  afliftérent  à  ces  noces. 

La  Flandre  étoit  alors  dans  une  fîtuation  bien  différente  j  Affaires  de 
au-lieu  de  ces  rèjouilîances  6c  de  ces  tètes  pompeulès  occa- 
iionnées  par  le  mariage  des  Princes,  6c  le  couronnement 
de  deux  Rois  ,  on  y  voyoit  toutes  les  horreurs  de  la  guerre. 
Les  affaires  des  Efpagnols  alloient  tous  les  jours  de  pis  en 
pis  j  car  fî  l'abfènce  du  duc  de  Parme ,  qui  fur  les  ordres 
de  la  Cour  d'Efpagne  pafloit  fî  fouvent  en  France,  avoit 
caufé  de  fi  grands  avantages  aux  Provinces-Unies ,  la  more 
de  ce  grand  Capitaine,  à  qui  Ton  ne  put  donner  un  fuccefl 
leur  capable  de  le  remplacer,  fut  un  revers  qui  porta  aux 
Efpagnols  un  coup  encore  pkis  funcfte.  Ils  ne  pouvoicnc 
iàns  diminuer  leurs  forces  en  Flandre  continuer  une  guerre 

M  M  ni  m  iii 


64^  HISTOIRE 

!??  étrangère  dans  laquelle  ils  s'ccoienc  engagés  j  cependant  le 

I  comte  Pierre  Ernelt  de  Mansfeld  ,  à  qui  l'on  avoit  donné  en 

attendant  le  gouvernement  de  la  Flandre  ,  nomma  Ion  fils 

IS93'     Charle  pour  Général  des  troupes  qui  dévoient  palier  en 

France,  &  lui  donna  deuxrégimens  Allemands  de  nouvelles 

levées,  &  qui  étoient  commandés  par  Anglarte  Curtio,6c 

le  baron  Jean  Perneflein  ,  avec   quelques  compagnies   de 

W'allons.  A  l'égard  de  Mansfeld ,  il  refta  en  Flandre  avec 

Dom  Pedro  Henriquez  d'Azevedo  comte  de  Tuentes ,  de 

Etienne  d'Ibara,  de  retint  autant  de  troupes  qu'il  put  pour 

rélifter  aux  eiForts  du  prince  d'Orange. 

charledc         Au  Commencement  de  Février,  Charle  de  Mansfeld  vînt 

Mansfeld       ^  Guife  avec  Tes  troupes ,  ôc  palFa  de-là  à  Montcornet ,  où  il 

entre    CQ  i         '         1.  ' 

France  à  la  joignît  les  Italiens  oc  les  Allemands  ,  que  Grégoire  XIV. 
têce  des  trou-  avoit  cnvoyés ,  6c  qui  avoîent  pour  Chefs  Camille  Capizuccî, 
pes  pagno-  ^  Appio  Conti.  Hcrculc  Sfondrate  duc  de  Montemarciano 
avoit  été  rappelle  en  Italie  après  la  mort  de  fon  oncle. 
Les  autres  troupes  Italiennes  à  la  folde  du  roi  d'Efpagne  ,6w 
qui  avoient  palîé  l'hyver  en  France,  fe  joignirent  encore  à 
Charle  de  Mansfeld  ,  fous  la  conduite  du  marquis  de  Mala- 
fpini,  ôc  de  George  Bafta.  Il  y  avoit  aufTi  deux  régimens  Ef- 
pagnols ,  dont  les  Colonels  ennuyés  de  lervir  fous  les  ordres 
de  Charle  s'etoient  retirés. 

On  marcha  d'abord  du  côté  de  Han,&;  Charle  étoit  à 
SoilFons  ,  lorfque  le  gouverneur  de  Lnon  vint  le  prier  de  ré- 
duire le  château  de  Neufville ,  qui ,  à  ce  que  foûtenoit  ce 
Gouverneur ,  incommodoit  SoilFons  êc  Laon  ,  &  fervoit  de 
retraite  à  l'ennemi.  Il  reprefenta  en  même  tems  que  ce 
château  ne  retarderoit  l'armée  que  de  quelques  jours ,  ôc 
que  la  place  fe  rendroit ,  dès  qu'il  paroîtroit  qu'on  vouloic 
l'affiéger.  Il  obtint  facilement  ce  qu'il  demandoit,  êc  Charle 
donna  ordre  au  baron  de  Perneftein  de  s'emparer  de  cette 
petite  place.  Le  Baron  prit  avec  lui  fon  régiment,  celui  de 
Curtio  ,  commandé  en  l'abfence  du  Colonel  par  le  comte 
Vefpafiend'Arco,  deux  elcadrons  de  cavalerie  quifervoient 
fous  la  conduite  d'Appio  Conti,&  deux  canons.  Le  Seigneur 
de  Neufville  qui  obiérvoit  la  neutralité, n'avoit  aucun  ioup- 
çon  de  l'entreprife  formée  contre  lui.  Il  vint  au-devant  des 
Chefs ,  de  leur  donna  du  vin  6c  d'autres  rafraichilFemens  j 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  647 

mais  s'apperqevant  que  ces  troupes  n'étoienc  pas  venues  fur  ^5!55?!!!!?îî 
iès  terres  pour  s'y  refaire  ,  &  qu'on  faifoit  approcher  le  ca-  H  e  n  r.  i 
non ,  il  fe  retira  à  propos  avec  fes  gens  ,  &  fît  entendre  I  V. 
par  une  décharge  de  moufqueterie ,  qu'il  étoit  rëfolu  de  Te  j  ^«^^ 
défendre.  Mansïeld  n'avoit  pas  eu  la  précaution  d'envoyer 
ce  qui  étoit  néceiîaire  pour  un  fîége  ,  parce  que  le  gouver- 
neur de  Laon  lui  avoir  allure  que  ce  château  fe  rendroit  à 
l'approche  du  canon  ;  ainfi  pendant  qu'on  attendoit  des 
boulets  ,  6c  avant  d'avoir  reconnu  la  place  ,  les  ennemis 
firent  une  faufTe  attaque,  dans  laquelle  Pagello  Pagelli  de 
Vicenze,  volontaire,  fut  bleflé  dangereufement.  Mais  Claude 
de  la  Bourlotte  qui  ,  de  Chirurgien  dans  la  maifon  de 
Charle  ,  étoit  par  fon  mérite  devenu  Colonel ,  fît  recon- 
noître  la  place ,  6c  drefler  des  batteries.  Charle  l'avoit  en- 
voyé exprès  à  cette  petite  expédition  ,  fans  lui  donner  au- 
cun commandement,  &  feulement  pour  veiller  aux  fautes, 
que  l'imprudence  de  quelques  particuh'ers  pourroit  caufer. 
La  brèche  étant  fufîîfante,  il  fit  monter  à  l'afTaut  les  \^al- 
lons ,  fuivis  de  deux  compagnies  de  troupes  Italiennes ,  fous 
la  conduite  de  Jofeph  Valmarana  ôc  de  Virginio  Banca.  Les 
aiîîégés  ,  au  nombre  de  quarante ,  fé  retirèrent  dans  le  de- 
dans de  la  place,  &  la  nuit  fuivante  fe  rendirent  à  difcrétion 
au  baron  de  Perneftein.  Charle  ayant  fçû  depuis  la  vérité 
des  chofes ,  &;  connoifTant  qu'on  avoit  plutôt  fervi  la  haine 
particulière  du  gouverneur  de  Laon  ,  qu'on  n'avoit  agi  fur 
un  jufte  motif  de  guerre  ,  rendit  au  feîgneur  de  Neufville 
fon  château  ,  &  lui  fit  faire  des  excufes  de  tout  ce  qui  s'è- 
toit  pafîe. 

Le  Colonel  la  Bourlotte  fut  enfuite  envoyé  avec  un  dé- 
tachement,  pour  furprendre  pendant  la  nuit  Noyon  ,  que 
le  Roi  avoit  repris  deux  ans  auparavant.  Cette  entreprife  fut 
fans  effet,  parce  que  la  garnifon  en  ayant  étèinformèe,fe  tint 
fur  fes  gardes ,  &  parut  fur  les  remparts.  La  Bourlotte  s'étant 
apperc^û  que  les  défenfeurs  de  la  place  fè  croyants  hors  de 
danger,  s'ètoient  retirés  à  la  pointe  du  jour  pour  prendre 
du  repos  ,  tenta  une  féconde  efcalade  dans  l'endroit  où  le 
fofTé  avoit  moins  de  profondeur  ^  mais  les  échelles  le  trou- 
vèrent trop  courtes  ^  èc  cet  inconvénient  ayant  donné  le 
tems  à  la  garnifon   de  reprendre  les  armes  ^  les  ennemis 


<$4â  HISTOIRE 

furent  repouiïcs  avec  perte.Le  gouverneur  de  Laon  &  le  frère 
Henri  delà  Bourlotce  re(^urenc  quelques  légères  blelîures. 

I  V.  Mansfeld  arriva  le  même  jour  devant  la  place  avec  toute 

Tcn^  l'armée.  Avant  fait  auflitôt  élever  des  retranche  mens  ,  il 
Sicgcck  afîigna  un  logement  aux  Italiens  commandes  par  Capizucci 
Noyonpar  yers  la  partie  fupéiieure  de  la  ville,  où  eft  l'abbaye  de  S. 
Elov.  Appio  Conti  Général  des  troupes  du  Pape  étoit  à  leur 
gauche,  avec  le  régiment  Allemand  de  Chaileaubiin.  Les 
régiments  Allemands  de  Perncftein  &  de  Curtio  étoient 
placés  fur  la  droite.  Les  troupes  W^alonnes  occupoienc 
l'efpace  qui  étoit  entre  eux  &.  la  ville.  On  fît  en  cet  en- 
droit un  retranchement ,  fur  lequel  on  éleva  une  batte- 
rie de  quatre  pièces  de  canon.  En  même  tems  les  affiégés 
élevèrent  à  la  hâte  quelques  tours  avec  un  mur  èc  un  baftion 
en  dedans.  En  tirant  lur  la  droite  derrière  un  Ravin ,  les  £f- 
-  pagnols  avoient  fait  un  retranchement  plus  élevé,  pour  cou- 
vrir le  régiment  de  la  Bourlotte  ,  &  pour  y  dreflcr  la  princi- 
pale batterie  de  dix  grolïès  pièces  de  canon.  Cinq  cens  Al- 
lemands commandés  par  le  comte  Jacque  de  Collait,  &i  le 
xq(\:q  de  la  cavalerie  que  le  dernier  hyver  avoic  beaucoup  di- 
minuée ,  étoient  poftès  de  l'autre  côté  de  la  ville ,  en  des 
endroits  avantageux  pour  empêcher  le  fecours. 

Sur  ces  entrefaites,  le  duc  de  Mayenne  fe  rendit  au  camp 
avec  les  troupes  qu'il  commandoic,  &:  on  fit  une  revue  gé- 
nérale de  l'armée  ,  qui  fè  trouva  compoiée  de  douze  mille 
hommes  de  pié,6c  de  deux  mille  chevaux^mais  elle  manquoic 
de  vivres ,  6c  le  défaut  de  payement  faifoit  murmurer  les  fol- 
dats.  D'ailleurs  les  Chefs ,  jaloux  les  uns  des  autres ,  etoienc 
peu  d'accord  entre  eux  ,  ôc  n'agilToient  qu'avec  lenteur  ^  en 
iorte  que  plufîeurs  ont  crû,  que  fî  le  Roi  eût  alors  attaqué 
les  allicgeans  avec  une  troupe  d'élite ,  il  auroit  pu  facilement 
les  tailler  en  pièces  ^  mais  il  étoit  alors  aflez  occupé  en  Tou- 
raine.  Après  piufieurs  forties  vigoureufes,&  un  lîege  de  vingt- 
trois  jours  ,  pendant  lequel  la  ville  ne  reçut  pour  tout  fe- 
cours que  quelques  foldatsqui  y  entrèrent, chacun  avec  un 
fac  de  poudre,  la  garnifon  compofée  de  fix  cens  hommes, 
partie  Fran<^ois ,  èc  partie  Suillcs  ,  fut  obligée  de  fe  rendre. 
La  ville  fe  Les  Conditions  qu'on  leur  accorda  furent  honorables  3  ils 
fortirent  vie  ôc  bagues  fauves ,  avec  leurs  armes  ôc  enfeignes. 

Ils 


rend. 


DE  T.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  64.9 

Ils  obtinrenc  encore  comme  une  marque  plus  particulière  de 

leur  valeur  ,  qu'ils  ne  rendroient  la  place  que  dans  trois  jours,  Henri 

de  que  il  dans  ce  délai  le  Roi,venoit  à  les  fecourir,  la  capi-       IV". 

tulacion  n'auroic  aucun  efFet.  Mais  le  fecours  n'ayant  point      i  y^^, 

paru  ,  ils  forirent  de  Noyon ,  ôc  furent  conduits  comme  on 

étoit  convenu,  jufqu'en  païs  de  fureté. 

Franc^ois  Blanchard  du  Clufeau  obtint  le  gouvernement  Autres  Ex-. 
de  cette  ville ,  &  on  y  mit  une  nombreufe  garnifon  de>^aL  ^:'^'"r ?j '^'^ 
ions  ôcd  Allemands.  Les  ennemis  marchèrent  enluite  contre 
Bohain  ,  château  appartenant  alors  à  la  maifon  de  Luxem- 
bourg ,  de  qui  appartient  aujourd'hui  au  Roi.  Il  e(l  iltué 
avantageufement  au  milieu  d'une  forêt,  £c  il  y  a  voit  alors  en 
garnifon  quatre-vingt  hommes  de  pic ,  &  vingt  cavaliers  qui 
refuférent  de  fe  rendre.  IlseiTuyérent  une  violente  batterie  , 
qui  ne  fît  qu'une  petite  brèche.  Mais  dès  qu'ils  virent  que 
Germanico  Strafoldo,  Virginio  Banca  ,  avec  leurs  compa- 
gnies ,  &  Pagello  P^elli  fe  prèparoient  à  l'afTaut ,  &  qu'ils 
fçurenc  qu'on  n'a  voit  envoyé  aucun  fecours  à  Noyon  ,  ils  fè 
rendirent  à  la  Bourlotte  ,  vie  6c  bagues  fauves. 

Charle  prefTè  par  les  lettres  de  fon  père  de  retourner  en 
Flandre  ,  prit  fa  route  le  long  des  côtes  de  la  mer  ,  pour 
faire  quelque  entreprile  dans  la  marche.  S.  Valéry  place  fi- 
tuée  à  l'embouchure  delafomme  où  commandoit  Collevill 
de  Wemys  EcofTois,  ouvrît  fes  portes  fans  beaucoup  de  rè- 
fiftance.  Capizucci ,  à  qui  Charle  avoit  fait  prendre  les  de- 
vants avec  l'infanterie  Italienne  ,  2>c  les  troupes  Allemandes 
commandées  par  Don  Juan  Manrique  de  Lara,  s'empara 
d'Eftaples  qui  foûtint  un  fîége  de  quelques  jours.  Ce  château 
efl  fitué  à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Canche,  èc  eft  de- 
venu illuftre  par  la  naiiïance  de  Jacque  le  Fevre  j  ce  fça- 
vant  homme ,  qui  le  premier  de  notre  tems ,  a  facilité  par 
ùs  lumières  l'étude  des  belles  lettres  en  France. 

Les  forces  des  Efpagnols  étant  occupées  à  la  guerre  de      Affairesc^c 
France ,  ils  cherchèrent  quelques  moyens  pour  rétablir  leurs  Flandre,  f.dic 

rr  '  r-i         1  y-^  Al  1      y^        r  •!      1  -iiT-r    cruel  de  Fni« 

attaues  en  rlandre.  On  arrêta  dans  le  Confeil  du  roi  d  El-  ijppe. 
pagne  ,  qu'on  ne  rendroit  plus  les  prifonniers  de  guerre  , 
ôc  qu'on  n'en  feroit  aucune  échange  ;  afin  que  hs  troupes  qui 
étoient  à  la  folde  des  Etats  Généraux  ,  quittafîent  le  fer- 
vice  ou  fe  foûmifîent.  On  défendit  fous  peine  de  mort  les 
Tome  XI,  N  N  n  n 


6so  HISTOIRE 

I         contributions  que  les  païTans  payoient  aux  deux  Partis,  pour 

Henri  racheter  leurs  biens  de  l'incendie  &  du  pillage,  &  on  interdit 

I  V.       fous  la  même  peine  ,  les  fauve-gardes,  que  les  Eccléiîaftiques 

j  ^02,     donnoient  à  prefque  tous  les  Gentilshommes  ,  èc  à  quelques 

autres  particuliers ,  pour  mettre  leurs  biens  à  couvert  de  la 

violence. 

Le  comte  Pierre  Ernefl  de  Mansfeld  publia  le  cinq  de 
Janvier  une  ordonnance  en  conformité  ,  qui  indigna  prelque 
tous  ceux  qui  étoient  le  plus  attachés  aux  intérêts  du  roi 
d'Efpagne ,  6c  qui  leur  fit  craindre  de  voir  renouveller  les 
mêmes  barbaries  que  le  ducd'Albe  avoit  autrefois  exercéesj 
puifque  le  foldat  alloit  être  réduit  à  la  cruelle  néceiîîté  de 
îe  faire  tuer ,  ou  de  foufFrir  un  fupplice  ignominieux.  Car 
on  prévoyoit  que  l'ennemi  uferoit  de  reprefailles.  En  effet 
les  deux  Partis  en  agirent  ainfi  pendant  quelque  tems.  Dès 
que  l'ennemi  paroifloit,  on  en  donnoitle  lignai  du  haut  des 
tours.  Les  payfans  prenoient  les  armet,  s'allembloient  dans 
un  lieu  marqué  ,  à  fe  joignoient  aux  troupes  qui  avoienc 
befoin  de  leur  fecours.  Si  quelqu'un  d'eux  avoit  le  malheur 
d'être  pris ,  il  ne  lui  étoit  pas  permis  de  racheter  fa  vie  ,  & 
on  le  pendoit  fur  le  champ. 

Mais  les  Etats  Généraux  eurent  horreur  de  ces  énormes 
cruautés,  &  firent  un  édit  contraire  le  27.  de  Février,  par 
lequel  ils  reprefentoient  tous  les  funeftes  eiFets  de  la  bar- 
barie Efpagnole  ,  qui  pour  ruiner  la  Flandre  ,  fe  lervoîc 
des  Flamans  mêmes.  S'adreflants  enfuite  à  toute  la  Nation, 
ils  prioient  tous  les  Flamans  en  général,  &  en  particulier, 
de  fonger  à  leur  confervation  3  d'avoir  quelques  égards  pour 
leurs  femmes,  leurs  enfans  ,  &c  leur  poflérité-  de  joindre  leurs 
conieils  6c  leurs  forces  pour  défendre  leur  liberté,  ëcs'op- 
pofer  à  des  ennemis  fi  inhumains,  Se  à  l'exécution  de  leurs 
ordres  tiranniques.  Les  Etats  Généraux  par  ce  même  Edic 
donnoient  un  délai  pour  délibérer  jufqu'au  premier  d'Avril, 
avec  menaces  de  reprefailles  contre  ceux  qui  refuferoient  hs 
contributions,  &  qui  fuivroient  les  ordres  de  la  cour  d'Ef- 
pagne.  Cet  édit  fit  ceflèr  de  part  &.  d'autre  les  cruautés  ^  & 
la  guerre  fe  fit  comme  auparavant  ,  &  avec  plus  d'huma- 
nité. 

Pendant  que  le  prince  d'Orange  alïèmbloit  fon  armée , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  6^i 

Philippe  de  Nafîau  fuc  envoyé  en  Parti  dans  le  territoire  -^^^«^-^-'^«» 
de  Luxembourg,  avec  quatre  mille  hommes ,  tant  d'infan-  Henri. 
terie  que  de  cavalerie.  Il  attaqua  inutilement  S.  \^ix:  5  mais       I  V. 
il  pilla  tout  le  pais.  Ayant  enluite  appris  que  le  comte  de      1595. 
Berlaymont  venoit  au  iecours  des  Royaliftes  avec  des  trou- 
pes Italiennes  &  Efpagnoles  tirées   des  garnifons  de  Ma- 
lines ,  Bruxelles  &  Liere ,  Philippe  longea  à  la  retraite  ^  ôc 
après  avoir  traverfé  le  territoire  de  Limbourg  ,  6c  faccagé 
Hannut  en  Brabant ,  il  revint  avec  tout  Ton  butin. 

On  avoit  réfblu  le  fiége  de  Gertruydenberg  ,  place  que 
lesEfpagnolsavoient  prilé  trois  ans  auparavant,  plutôt  par 
la  trahiion  ,  ou  à  la  faveur  de  la  révolte  de  la  garnifon  ,  que 
par  leur  propre  valeur.  Le  prince  d'Orange  avoit  préparé 
avec  foin  tout  ce  qui  étoit  néceflaire  pour  ce  Tiége,  &avoic 
envoyé  difFérens  partis  aux  environs ,  pour  empêcher  qu'on 
ne  fît  entrer  des  vivres  dans  la  place.  Les  Efpagnols  n'avoienc 
encore  pu  fçavoiroù  tomberoit  l'efFort  du  prince  d'Orange, 
èc  ils  craignoient  plutôt  pour  Bofleduc  &  pour  Grave.  Enfin, 
toute  l'armée  parut  devant  Gertruydenberg  le  vingt-huit  - 
de  Mars. 

Cette  place  ell:  fur  les  frontières  de  la  Hollande  &  du  s\égs  de 
Brabant ,  Oc  on  doute  de  laquelle  de  ces  deux  Provinces  elle  be^^  pr  k* 
dépend.  La  pêche  y  eft  abondante  ôc  commode.  Elle  a  au  pnnce  d'O- 
Septentrion  la  Meufe  qui  eft  déjà  fort  large,  par  la  jonction 
du  Wahal  ,  qui  tombe  dedans  à  Dordrecht.  Du  côté  du 
Levant ,  elle  eft  arrofée  par  la  Donghe  ,  qui  avant  de  fè 
jetcer  dans  la  Meufe  ,  où  le  >^ahal  fait  un  long  circuit , 
forme  une  Ifle  â  trois  cens  pas  de  la  ville.  Le  terrain  y  eft 
fort  humide ,  ce  qui  rendoit  les  approches  de  la  place  plus 
difficiles  3  mais  on  rémédia  à  cet  inconvénient  en  faifant  des 
levées  êc  des  Eclufes  en  difFérens  endroits.  Le  prince  d'O- 
range avoit  pris  fon  quartier  vers  le  Couchant ,  avec  les  ré- 
gimens  de  fon  frère  Henri  Frédéric  ,  de  George  Eberard 
comte  de  Solms ,  de  Groenevelt,  6c  de  Balfour.  Le  comte 
de  Hohcnlo  avec  les  régimens  de  Brederode ,  de  Locren, 
&  quelques  autres  troupes  fe  campa  vers  l'Orient,  du  côté 
d'Oofterhout ,  dans  le  village  de  Ramklonck  ,  au-delà  de 
la  rivière  de  Donghe. 

Lqs  Efpagnols  s'étoient  retranchés  fur  la  levée  6e  Stelhoof 

N  N  n  n  ij 


range. 


6s^  ^HISTOIRE 

■  le  long  de  la  rivière  ,  &  y  avoîenc  élevé  à  la  portée  du  mouC 

He  N  RI  (JLiec  un  retranchement  avec  des  ravelins  6c  des  fofles.  lis 
IV.  couvroient  de  ce  pofte  la  ville  afîiégée ,  êc  fe  confervoienc 
un  chemin  pour  s'y  retirer.  Le  comte  de  HohenlG,qui  en 
étoit  fort  incommodé ,  s'expofa  à  un  danger  évident  de  fa., 
vie ,  en  faiTant  pafTer  du  canon  de  la  levée  dans  l'ifle  donc 
on  a  déjà  parle.  Le  capitaine  du  Tou  quicommandoit  dans 
ce  polie  voyant  le  chemin  de  la  retraite  coupé  ,  manqua  de 
cœur,&;  fe  rendit  le  7.  d'Avril.  Marc  de  Rye  ,  marquis 
de  Varambon ,  le  punit  dans  la  fuite  de  cette  lâcheté ,  en 
le  faifant  mettre  ignominieufementen  prifon» 

Après  la  prife  de  ce  retranchement ,  le  comte  de  Hohen- 

10  fit  faire  deux  ponts  iur  la  rivière  pour  la  communication 
des  quartiers.  Le  plus  grand  pont  étoit  fait  de  bateaux ,  ôc 
on  avoit  confbruit  le  petit  fur  des  mats  de  navire.  Des  vaiC 
iëaux  de  guerre  mettoient  les  ponts  à  couvert  des  deux  cô- 
tés. On  conftruiiit  auiTi  dans  des  lieux  commodes  des  mou- 
lins à  eau  &  des  éclufes,  que  les  inondations  &, le  reflux  de 
la  mer  renverfoient  detcms  en  tems.  Du  côté  de  la  rivière 
on  avoit  difpofé  une  partie  de  la  flote  en  forme  de  croilîant , 
èc  le  feu  de  ces  vailleaux  arrêtés  fur  leurs  ancres ,  de  liés  en- 
iemble  avec  des  cables,  incommodoit  beaucoup  les  afîiégés» 

11  y  avoit  encore  d'autres  bâtimens  qui  voguoient  de  tous 
côtés  pour  veiller  à  la  fureté  du  fiége.  Dans  l'efpace  qui 
etoit  entre  la  ville  &c  la  demi  lune  formée  par  l'armée  na- 
vale ,  on  avoit  mis  en  fentinelle  des  brigantins ,  qui  prirent 
im  efpion  du  comte  Pierre  Erneft  de  Mansfeld.  Bien  loin  de 
le  maltraiter,  on  lui  fit  voir  tout  le  camp,  &  on  le  renvoya,, 
à  condition  défaire  un  récit  fidèle  à  Mansfeld  de  la  forme 
de  de  l'état  du  fiége.  Les  vailleaux  de  charge  étoient  plus 
éloignés  de  la  ville  ,  entre  le  Levant  èc  le  Couchant ,  hors 
de  la  portée  du  canon.  De  ce  côté-là  la  flote  enfermoit  un 
elpace  de  deux  milles  d'Allemagne.  Tous  les  régiments 
avoient  chacun  leurs  vaifl^*aux  marqués ,  où  étoient  leurs 
vivres  ^  6c  pour  empêcher  qu'on  n'y  pénétrât  à  la  faveur  des 
endroits  marécageux  ,  &  le  long  du  rivage  ,  on  boucha  les 
gués  avec  une  haye  de  pieux ,  &  on  les  fit  garder  par  des 
brigantins.  Les  Matelots  avoient  leur  quartier  dans  cet  ef. 
pace ,  êc  pour  tromper  l'ennemi  ils  mirent  devant  eux    des. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  CV.  ^53 

pièces  de  bois  &  desvaiireaux  vuides,  furlefquels  les  afTië- 
gës  firent  des  décharges  continLielies,&;  auiîî  violentes  qu'in-  Henri 
utiles  j  en  forte  qu'ils  manquèrent  bientôt  de  poudre.  I  V. 

Du  cQté  de  la  terre  ferme, le  quartier  du  prince  d'Orange^     i  5  $)  3» 
jufqu'à  celui  du  comte  de  Hohenlo  occupoit  unefpaceégal 
de  deux  milles  d'Allemagne.  Ce  quartier  avoit  des  retran- 
chemens  entourés  de  fofîés  profonds,  ôc  fianqués  de  quatre 
grands  Forts,  dans  chacun  defquels  il  y  avoit  une  batterie 
de  deux  pièces  de  canon.  Devant  leretranchement,^  pour 
en  boucher  le  paflage  ,  on  avoit  creuié  un  folFé  de  trente 
pieds  de  larges ,  foûtenu  en  dedans  par  des  pieux  fort  fer- 
rés ,  de  crainte  que  les  eaux  ,  dont  le  terrain  étoit  humedé,. 
ne  lifTent  ébranler  la  terre.  Il  y  avoit  le  long  du  fofTé  des 
pointes  de  fer  de  la  hauteur   de  quatre  pieds ,  pour  percer 
ceux  qui  tenteroient  d'en  approcher  pendant  la  nuit ,  &c  011 
avoit  femé  de  tous  côtés  de  grands  doux ,.  èc  des  chaufîè- 
trapes  pour  en  empêcher  l'abord. 

Outre  cela  ,  comme  le  terrain  étoit  humide,  Se  que  le  bois 
manquoit  aux  afTiégeans ,  ils  fe  fervirent  pour  étayer  la  tran- 
chée &c  la  rendre  lolide,  de  fafcines,  de  tonneaux  d'ofier  , 
èc  de  coins  de  bois  dtrrcis  par  le  bout.  Par  ce  moyen ,  ils 
poufTérent  fans  rien  craindre  leurs  travaux  jufqu'au  pied  du 
mur ,  &  ils  drefTérent  des  batteries  fur  la  tranchée  j  ce  qui 
étonna  les  afîîégés  qui  ne  s'y  attendoient  pas.  Outre  les  rem- 
parts de  la  ville,  ils  avoient  élevé  deux  ravelins,  dont  l'un 
étoit  f'oudroyé  par  les  batteries  des  Nort-HoUandois  &  des 
Ecofrois,ôc  l'autre,  par  celle  des   Hollandois  ôc  de  ceux 
d'Urrecht.  L'eflFct  de  ces  batteries  fut  fî  terrible  ,  que  la  par- 
tie de  la  ville  qui  étoit  au-defTous  des  ces  ravelins  en  fut  ren- 
verfée ,  &  qu'il  ne  refta  pas  une  maifon  entière  ,  en  forte  que 
le  Palais  même  du  prince  d'Orange  (  car  Gertruydenberg  ap- 
partient à  la  maifon  deNafîàu  )  fut  très  endommagé.  Tout 
travailloit  volontiers  dans  le  camp-  &  les  foldats  ,  à  l'exemple 
des  légions  Romaines  qu'on  leur  propofoit  pour  modèle  , 
faifoient  l'office  de  pionniers.  Leur  adivicc  fut  fi  grande ,  que 
ce  vafte  camp  qui  renfermoic  même  le  vnllage  de  Ramfdonck 
fut  en  peu  de  jours  fortifié  en  dedans  contre  les  fortics  des 
afîiègès ,  &  contre  tous  les  efforts  qu'on  pourroic  faiie  au- 
dehors  pour  forcer  les  lignes  ,6c  faire  entrer  du  fecours  dans- 

N  N  n  n  iij 


^54  HISTOIRE 

la  ville.  Mais  ce  qui  mérite  plus  d'admiration ,  c^eft  que  les 

Henri  laboureurs  du  voilînage  travailloient  pendant  ce  fiége  à  leurs 

I  V".       terres ,  comme  en  pleine  paix  ,  &  que  tous  les  paylans,  fans 

I  593.     crainte  d'être  inlultés  vendoient  dansle  camp  des  œufs,  des 

fromages ,  du  beure  èc  de  la  viande ,  comme  dans  un  mar- 

ché  public. 

Les  affiégés  de  leur  côté  ne  fe  manquoient  pas  à  eux-mê- 
mes ,  &  quoiqu'on  crût  les  avoir  reflerrés  de  près ,  cepen. 
dant  cinq  cens  Franc>Comtois ,  vieilles  troupes ,  fous  la  con- 
duite de  Mafîéres  homme  de  courage  &  Lieutenant  de  Va- 
rambon  faifoient  de  furieufes  forties.  Ils  fe  virent  encore  plus 
prefTés  après  la  perte  des  deux  ravelins ,  dont  nous  avons 
déjà  parlé  j  enforte  que  Mansfeld  fe  crut  obligé  de  ra- 
nimer leur  courage ,  fur  i'efpérance  d'un  fecours  aufïï  in- 
faillible que  l'Evangile  j  car  il  ie  fervoit  de  cette  com- 
paraifon  dans  içs  lettres,  qu'un  pigeon  portoit  ordinaire- 
ment à  Gertruydenberg  ,  en  retournant  à  fes  petits.  Dif- 
mas  de  Barges  avercifFoit  auffi  les  affiégés  par  les  mêmes  let- 
tres d'élever  davantage  le  cavalier  de  terre  du  côté  du 
village  de  Ramfdonck ,  ôç  de  faire  des  fîgnaux  du  haut  de 
la  tour,  pour  favorifer  \qs  fecours  5  mais  le  prince  d'Orange 
intercepta  les  lettres ,  ôc  après  en  avoir  contrefait  d'autres 
à  fa  fantaifie,  il  en  chargea  le  mêa-ie  pigeon  qui  portoit  celles 
des  Efpagnols.  Le  comte  de  Hohenlo  ayant  conjeduré  par 
ces  mêmes  lettres  que  Malîeres  Gouverneur  de  la  place 
montoit  fouvent  dans  la  tour  avec  fes  Officiers ,  pour  y  exa- 
miner la  fîtuation  du  camp  ,  fit  pointer  contre  cette  tour 
tous  les  canons^  Mafieres  fut  tué  avec  prefque  tous  les  Chefs 
qui  commandoient  dans  la  place.  Après  la  mort  du  Gouver- 
neur ,  Gefan  Capitame  expérimenté  prit  fa  place,  du  con- 
fentement  de  tous  les  Officiers, 

Cependant  Mansfeld  qui  n'avoit  que  trois  mille  hommes 
d'infanterie  &  cinq  cens  chevaux ,  jugeant  que  d'un  côté  c'é- 
toit  trop  rifquer  que  d'attaquer  le  prince  d'Orange  dans  fes 
retranchemens ,  avec  un  iî  petit  nombre  de  troupes  j  6c  que 
de  l'autre,  il  y  alloit  de  fa  réputation  de  fecourir  la  place 
affiégée,(ongea  d'abord  àrappeller  de  France  Ion  fils  Charle, 
dont  le  retour  fut  arf  êcé  par  un  ax:cident  imprévu.  Il  étoic 
déjà  à  Auxi,  château  appartenant  à  la  maifon  d'Egmond  , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  v.  CV.        6^5 

Bc  qui  eft  fîtué  fur  la  frontière  de  France  6c  d'Artois  ,  où 
voulant  punir  un  Efpagnol  ,  qui  avoit  violé  une  femme  à  H  e  n  k  1 
Hedin  ,  les  croupes  auxiliaires  fe  révoltèrent  faute  de  paye.       I V. 
ment.  La  fédition  alla  fi  loin ,  que  les  troupes  Wallonesqui     i  593. 
foûtenoient  leur  Général,  furent  obligées  de  prendre  la  fuite, 
&  que  toute  la  vaiflelle  d'argent  de  Mansfeld  fut  pillée.  Les 
fedicieux  calTérent  enfuite  leurs  Colonels,  ôi  élurent  folem- 
nellement  pour  Chef  ,  Jean  André   Gambarella  Sergent- 
Major  ,  fous  la  conduite  duquel  ils  s'emparèrent  de  Saine 
Paul  où  ils  fe  fortifièrent.  Ils  mirent  à  contribution  toute 
la  partie  fupérieure  de  l'Artois, entre  Aire  ,  S.  Orner  ,  Arras, 
Bethune  ,  hc  Hedin  j  ôc  cette  révolte  dura  plus  d'un  an. 

A  leur  exemple,  les  "W^allons  &  les  Italiens  commandés 
par  Camille  Capizucci  qui  étoient  au  Pont -fur.  Sambre  en 
Haînault  fc  révoltèrent  aulîi  ,  èc  ces  furieux  eurent  l'info- 
lence  de  taxer  Mons,  capitale  de  la  Province  ,  à  neuf  cens- 
florins  par  jour.  Les  ioldats  de  la  garniion  de  Rhinberck 
portèrent  la  fédition  encore  plus  loin.  Le  riche  commerce 
de  ce  pais  ex<i|a  leur  cupidité,^:  ils  mirent  de  grands  impôts 
fur  toutes  les  marchandifes  ^  mais  ils  étoient  peu  d'accord 
entre  eux  ,  Se  fe  faifoienttous  les  jours  de  nouveaux  Chefs. 

Enfin  Mansfeld  vint  de  Bruxelles  à  Anvers ,  où  fuivanc 
le  fèntiment  du  comte  de  Fuentes ,  il  alTembla  Ion  armée. 
Charles  fonfils  étoit  arrivé.  On  fit  encore  venir  les  Italiens,. 
les  Efpagnols,  les  Allemands  6c  les  Suiiïès  qui  avoient  fer- 
vi  dans  la  guerre  de  Strafbourg.  On  choifit  dans  les  mi- 
lices des  Provinces  quatre  mille  hommes  de  pied,  &  quatre 
mille  chevaux  ,  6c  il  y  avoit  dans  cette  armée  dix-huit  pièces 
de  canon  ,  plufieurs  barques,  6c  tout  l'attirail  nèceifaire.  Le 
marquis  de  Varambon  prit  les  devants  pour  s'oppofer  aux 
courfes  que  la  cavalerie  ennemie  qui  étoit  à  Breda,  à  Hufden, 
6c  à  Bergh-Op-Zom  ,  faifoit  jufqu'aux  portes  de  Tournhout. 
On  y  combattit  le  neuf  de  Juin.  De  R.iioire,  Marcel  Back, 
6c  le  colonel  Edmond  pouflèrent  les  Royaliftes ,  6c  le  comte 
de  Berlaymont  qui  avoit  cinq  cens  chevaux,  fut  chaifè  de 
la  place ,  èc  obligé  de  fe  retirer  avec  perte  dans  la  citadelle. 

Mansfeld  s'ètanc  approché  de  Gcrtruydenberg,  fe  re- 
trancha d'abord  fur  la  levée  de  Steelhoof ,  d'où  ayant  exa- 
miné les  lignes  des  afliegeans ,  6c  jugeant  qu'elles  ècoienc 


ecnvTTsar* 


^5^  HISTOIRE 

trop  fortifiées  pour  en  tenter  l'attaque  ,  il  fe  retira  â  Oofler- 
Henri  hout ,  &  enfuite  dans  les  bourgs  de  Waefbeck  &:  de  Capelie 
I  V.       fîtuesà  l'Orient,  proche  le  quartier  du  comte  de  Hohenio  , 
I  j^  3,     pour  y  attendre  l'occalîon  de  combattre. 

François  Veer  paiîa  auffitôt  au  fecours  du  comte  de  Hohen- 
io ,  avec  cinq  cens  Anglois  &  mille  foldats  de  Frife.  Dans 
le  même  tems ,  un  Trompette  du  prince  d'Orange  ayant  par 
hafard  rencontré  Mansfeld  ,  ce  Général  lui  demanda  pour- 
quoi Ton  jeune  maître  ,  qui  étoit  dans  un  âge ,  où  l'amour 
de  la  gloire  enflame  davantage  les  grands  cœurs ,  fe  renfer- 
moic  dans  un  camp  fortifié  avec  tant  de  foin  ,  fans  ofer  en 
fortir,  pour  combattre  en  pleine  campagne  •  le  Trompette 
lui  répondit  fort  ingénieufement  ,  que  Maurice  tout  jeune 
qu'il  étoit ,  vouloit  faire  voir  par  fa  prudence  ,  qu'il  reflem, 
bleroit  un  jour  â  Mansfeld. 

Le  comte  de  Fuentes  envoya  encore  de  nouveaux  régi- 
mens  de  cavalerie  &  d'infanterie  ,  avec  quatre  pièces  de 
canon  6c  de  grandes  fommes  d'argent  pour  payer  les  fol- 
dats ,  qui  déjà  commençoient  à  murmurer.  Qlipendant  il  fe 
fit  pendant  plus  de  vingt  jours  de  fréquentes  efcarmouches 
entre  les  deux  armées  ,  qui  étoient  fi  proches  l'une  de  l'autre, 
L'adîon  la  plus  vigoureufe  fut  celle  du  24.  de  Mai  (i).  Le 
comte  de  Hohenio  6c  Veer  repoufîérent  vivement  les  Ef, 
pagnols  j  6c  à  la  vue  des  afTiégés  qui  faifoient  inutilemenc 
des  fisnaux  du  haut  d'une  tour  élevée  ,  ils  tuèrent  un  o-rand 
nombre  d'ennemis  ,  6c  firent  quarante  prifonnîers  ,  entre 
lefquels  fe  trouvèrent  trois  Capitaines. 

Les  foldats  de  Mansfeld  s'étoient  vantés  que  le  jour  de 
ia  S.  Jean  ,  auquel  on  a  coutume  d'allumer  par-tout  des  feux 
de  joye  ,  ils  en  feroient  un  au  milieu  de  Gertruydenberg , 
après  en  avoir  fait  lever  le  fîége.  Mais  au  contraire  ,  le  len- 
demain de  cette  Fête,  un  brave  foldat  de  la  compagnie  du 
capitaine  Haën  de  Tournay  ,  ayant  franchi  fur  le  midi  le 
fofTé  de  la  place  fans  être  entendu  ,  fe  hafarda  de  monter 
fur  le  baftion  oppofé  à  la  porte  de  Breda ,  6c  qui  étoit  pref- 
quetout  renverfé  par  l'efFort  du  canon.  Ayant  grimipe  fur 
les  ruines  du  baftion  ,  il  obferva  les  corps-de.  garde  des  enne- 
mis -j  S^  voyant  les  foldats  de  la  garnifon  ,  ou  endormis  ou 

(i)  Au  lieu  de  IX.  Kal.  Jttn.  24.  May ,  il  faut  lire  IX.  Kal.  JhI  îj.  Juin. 

occupé? 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C  V.  ^57 

occupés  à  prendre  leurs  repas ,  &  dans  une  entière  fécurité,  ': 

il  fît  ligne  à  les  compagnons  qui  le  regardoient  de  loin  ,  de  Henri 
le  fuivre  au  pliuôc.  Le  capitaine  Haën  le  mec  à  leur  tête,  1  V. 
Bevery  le  joint  à  lui  avec  la  compagnie  ^  ils  ferrent  leurs  1595, 
rangs ,  delcendent  dans  le  folîë,  montent  fur  ce  baftion  ,  ÔC 
s'en  rendent  maîtres,  après  avoir  tué  les  loldats  qui  y  étoienc 
de  garde.  Gefan  gouverneur  de  la  place  accourut  inutile- 
ment au  bruit  avec  une  troupe  d'élite  ^  il  fut  frappé  à  la  tête 
d'un  coup  de  mortier  ,  èc  tomba  mort  fur  la  place  j  le  Ser- 
gent-Major reçut  aufli  une  blelTure  dangereule.  Cet  acci- 
dent étonna  lesalîîégés  ^  ilsavoient  vu  tuer  leurs  deux  Gou- 
verneurs ,  &  les  vains  efForts  que  faifoit  Mansfeld  depuis 
tant  de  tems  ,  leur  ôtoient  toute  elpérance  de  fecours. 
D'ailleurs  le  folié  par  où  les  croupes  Ecolfoilès  alloient  mon- 
ter à  la  brèche ,  étoic  prefque  comblé  ,  &  ils  fe  lentoient 
hors  d'état  de  foucenir  un  aifaut  qu'on  pouvoit  donner  de 
tous  côtés. 

Dans  cette  extrémité  ,  ils  envoyèrent  quelques-uns  des  La  ville  fc 
leurs  au  prince  d'Orange  ,  &  entr'autres  un  Capitaine  ,  couc  rend. 
hleffé  qu'il  ètoit.  Ces  députés  capitulèrent  avec  le  Prince^ 
à  condition  que  les  loldats ,  les  Officiers  du  roî  d'Efpagne, 
&  les  Ecclélîaftiques  pourroient  fe  recirer  librement ,  &  ians 
qu'on  leur  fit  de  peine,  avec  leurs  epees ,  leurs  chevaux  ,  6c 
leurs  bagages  :  Qu'ils  (eroient  conduits  en  fureté  &  dans 
l'endroit  qu'ils  choifiroient  :  Que  le  Prince  leur  prêteroic 
des  chariots  6c  des  vaiifeaux  ,  pour  lefquels  ils  donneroient 
des  cautions  fuffifantes  :  Qu'on  donneroit  aufli  des  otages, 
qui  refteroient  dans  la  ville ,  jufqu'à  ce  qu'on  eût  rendu  fans 
fraude  les  Archives ,  les  Acles ,  &  les  Chartres ,  qui  concer- 
noient  les  droits  de  la  ville  6c  de  la  maifon  de  Naflau  :  Que 
la  garnifon  pourroit  porter  fes  drapeaux  plies ,  julqu'au  der- 
nier pont  de  la  ville  j  mais  pour  être  remis  enfuite  au  vain- 
queur. On  excepta  de  la^  capitulation  ceux  qui  trois  ans 
auparavant  avoient  livré  la  ville  aux  Efpagnols  ,  &c  tous  ceux 
qui  avoient  trempé  dans  ce  complot.  On  en  pendit  trois , 
donc  le  chariot,  où  ils  étoient  cachés  fous  de  la  paille  ,  fe 
renverfa  par  hafard  ,  lorfqu'ils  fe  fauvoient.  Il  fortit  de  la 
place  fepc  cens  hommes  de  garnifon  ,  qui  furent  conduits  i 
Anvers.  On  envoya  les  drapeaux  à  la  Haye  -,  àc  cecce 
Tffwe  X  U  O  O  o  o 


6^S  HISTOIRE 

: ' .  ■■   conquête  fut  enfuice  célébrée  par  des  feux  de  joye^qu'on  alîu- 

Henri  ma  dans  le  camp  &c  dans  la  ville ,  &  par  une  décharge  gé- 
IV,       nérale  du  canon. 

i55>3.  Cependant  Mansfeld  îgnoroit  encore  que  la  place  fiic 
rendue  5  &  le  jour  même  de  la  reddition  ,  il  fit  un  détache- 
ment pour  attaquer  le  quartier  du  comte  de  Hohenlo  j  mais 
ce  parti  fut  défait  par  le  colonel  Cloët ,  de  Véer  à  la  tête 
de  fa  Compagnie  de  cavalerie.  Henri  Frédéric  frère  du 
prince  d'Orange  fut  pourvu  du  gouvernement  de  Gertruy- 
denberg.  On  lui  donna  pour  Lieutenant  Duyvenwoorde , 
qui  fit  auflitôt  combler  la  tranchée  6c  abattre  les  retranche- 
mens  du  camp. 

Mansfeld  fâché  d'avoir  vu  prendre  Gertruydenberg  fans 
avoir  pu  le  fecourir  ,  fit  marcher  fes  troupes  vers  Bolduc  ^ 
&  vint  affiéger  Crevecœur  fur  la  Meufe  ,  au  confluant  de  la 
Deynle.  Cette  place  bâtie  par  les  Efpagnois ,  pour  fervir  de 
frein  aux  villes  de  la  Meufe ,  avoir  fort  incommodé  les  HoL 
landois ,  &  traverfoit  le  commerce  des  navires  de  Dordrechc 
avec  le  païs  de  Liège  ,  &c  les  autres  villes  voifines  j  en  forte 
que  les  pertes  qu'en  foufFrirent  ces  peuples ,  &  la  douleur 
qu'ils  en  eurent  ,  la  firent  appeller  Crevecœur.  Les  Etats 
Généraux  s'en  étant  depuis  rendus  maîtres ,  Bolduc  en  fouf- 
frit  par  la  même  raifon  beaucoup  d'incommodités,  par  l'in- 
terruption de  fon  commerce  avec  Hufden  ,  Gorcum  ,  &; 
Dordrecht. 
Autres exré-  ^^  prince  d'Orange  informé  du  deiïein  de  Mansfeld,  fit 
ditionsci^ns  prendre  les  devants  à  Floris  de  Brederode  Seigneur  de  Cloë- 
les  Païs-bas.  tinghcn ,  avec  fon  régiment.  La  flote  qui  portoit  les  pon- 
tons &  l'artillerie  ,  eut  ordre  de  le  luivre  au  plutôt.  Brede- 
rode fe  mit  fur  la  rivière^  àc  par  un  vent  favorable  ,  arriva 
à  Crevecœur  avec  toutes  (es  troupes.  Il  jetta  l'ancre ,  ôc 
fe  rendit  maître  des  deux  bords  de  la  rivière  ,  malgré  tous 
lesefFjrts  de  Mansfeld.  Bientôt  après ,  ôcdans  le  tems  mê- 
me que  ce  Général  alloit  battre  la  place  avec  toute  fon  ar-' 
tillen'e  ,  le  prince  d'Orange  parut  avec  fon  armée.  Il  fè  re- 
trancha dans  rille  de  Bommel  vers  le  village  de  Heel ,  de 
l'autre  côté  de  Crevecœur  ,  &  fit  venir  du  canon  pour  afiu- 
rer  davantage  fon  camp.  La  préfence  du  Prince  anima  la 
garnifon ,  qui  agit  avec  plus  de  courage.  Daillcurs ,  Mansfeld 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C  V.  659 

étoit   fort  incommodé  par  les  eaux  ,  qui  inondoîenc  Tes  ^ 

retranchemens  de  Tes  travaux  j  en  forte  qu'il  fut  obligé  de  H  e  n  a  i 
tranfporcer  Ton  camp  à  une  demie  lieuë  au-delà  ,  dans  des       1  V. 
lieux  plus  élevés  j  car  leshabitans  de  Gorcum  ayant  bouché      1^93. 
le  canal ,  la  Dommele  &c  l'Aa ,  rivières  qui  pallent  à  Bolduc, 
écoi^^nt  débordées ,  ôc  couvroienc  toute  la  campagne  de  leurs 
eaux.  Ainfi  après  avoir  gâté  tous  les  houblons ,  qui  fervent 
à  faire  la  bière  ,  (  ce  qui  caufa  un  dommage  confidérable 
dans  ces  contrées ,  )  èc  après  un  retardement  inutile  de  quel- 
ques jours ,  il  décampa  enfin  êc  marcha  vers  Bolduc. 

Son  but  étoit  d'introduire  une  garniion  dans  cette  ville  , 
fous  prétexte  de  la  défendre  contre  les  ennemis  qui  en  étoient 
il  proche  ^  mais  les  habitans  rejettérent  fa  propofition  ,  ôc 
ôtérent  les  armes  aux  EcclelialHques  qui  parurent  fufpects. 
Ils  n'accordèrent  un  pafîlige  dans  leur  ville  au  comte  de 
Fuentes ,  ôc  même  à  Mansfeld  ,  qu'à  des  conditions  fi  hon- 
teufes  &  fi  dures ,  que  ces  Généraux  crurent  qu'il  étoit  auflî 
dangereux  que  déshonorant  pour  eux  ,  de  fe  fervir  d'un  pareil  , 

faufconduit.  Mansfeld  ayant  voulu  bâtir  un  Fort  entre  leur 
ville  Ôc  Crevecœur ,  dans  le  deilein  ,  difoit-il ,  d'arrêter  Iqs 
courfes  de  l'ennemi ,  ces  bourgeois  inflexibles  s'oppoferent 
encore  à  cet  ouvrage  ,  &:  le  firent  cefTer. 

Mansfeld  ayant  envoyé  une  partie  de  fes  troupes  en  Frife, 
fe  rendit  à  Bruxelles  avec  le  refle  de  l'armée  ,  fans  avoir  pii 
rien  faire  de  toute  la  campagne.  Les  Efpagnols  furent  irri- 
tés contre  ce  vieux  Capitaine,  quoiqu'il  fiit  des  plus  atta- 
chés à  leur  fervice ,  &  le  blâmèrent  de  ce  que  voyant  l'im- 
pofTibilité  de  faire  lever  le  fiége  de  Gertruydenberg  ,  il  n'a- 
voit  pas  aiîîégé  une  ville  voilîne  de  quelque  conlèquence, 
pour  faire  diverhon  &  divifer  les  forces  de  l'ennemi. 

Le  prince  d'Orange,  après  une  campagne  aulîi  heureufe, 
mit  des  garnifons  dans  Tlfle  de  Bommei  ,  ôc  envoya  une 
partie  de  fes  troupes  en  Frife  ,  à  Guillaume  Louis  de  NaiFau 
gouverneur  de  cette  Province,  qui  s'y  étoit  rendu  depuis  ' 
quelque  tems.  Il  chargea  George  Eberard  comte  de  Solms , 
d'aller  en  Flandre  ,  pour  y  réduire  les  païfans  aux  envi- 
rons de  Hulfl  &  d'Axelle  ,  qui  refufoient  de  payer  les  contri- 
butions aufquelles  ils  avoientèté  taxés.  Le  comte  de  Solms' 
entra  ,donc  dans  le  pais  de  W^aes  le  24.  de  Juillet  avec  huit 

00  00  ij 


é^o  HISTOIRE 

- cens  chevaux  ,  trois  mille  hommes  de  pied  ,  Sc  cinq  cens 

Henri  pionniers.  11  s'attacha  d'abord  au  Fort  de  S.  Jean ,  que  les 
I  V.  Efpagnols  avoient  fortifié  ,  auffi  bien  que  le  Fort  de  XY^aerc 
I  fo2  fur  le  bord  de  l'Efcaut.  Il  défit  enfuite  près  de  S.  Nicolas, 
un  parti  d'environ  quatre-vingt  chevaux  3  s'empara  du  Fore 
S.  Jacque ,  &  de  tous  ces  autres  Forts  que  les  Efpagnols  aban- 
donnèrent 5  6c  fit  payer  les  contributions  à  tous  les  habitans 
de  ce  pais  ,  que  la  crainte  des  Efpagnols  ,  àc  les  menaces 
qu'ils  leur  avoient  faites  de  brûler  leurs  maifons  ,  leur  avoic 
jufqu'alors  empêché  de  payer.  Mais  ayant  appris  que  Chri- 
flophle  de  Mondragon  gouverneur  de  la  citadelle  d'Anvers, 
venoità  fa  rencontre  avec  deux  mille  hommes  d'inf-anterie, 
&  fix  Enfeignes  de  cavalerie ,  il  fè  retira  de  bonne  heure , 
fans  recevoir  aucun  échec ,  ôc  avec  un  butin  de  quatre  mille 
bêtes. 

Cependant  Louis  Guillaume  de  Naflau  ,  qui  étoit  déjà 
paiïé  en  Frife  ,  étant  parti  d'Oofthorn  pour  fe  rendre  à 
Rheyde  vis-à-vis  d'Embden  ,  s'étoit  campé  le  13.  d'Avril 
avec  la  petite  armée  qu'il  commandoit ,  à  Bellingworderziel, 
dans  le  delTein  de  fortifier  cette  place ,  pour  couper  le  paf. 
fage  à  la  Boërentanghe.  On  travailloit  encore  à  ces  ouvra- 
ges ,  lorfque  François  Verdugo  gouverneur  de  Groningue, 
vint  avec  deux  mille  cinq  cens  hommes ,  tant  d'infanterie  que 
de  cavalerie,  pour  empêcher  le  deffein  du  comte  de  Nafîàu.A 
Ja  vue  de  ces  nouvelles  fortifications  ,  qui  étoient  déjà  afîèz 
élevées  pour  pouvoir  y  foutenir  un  afTaut ,  il  fe  retira  ^  mais 
ayant  reçu  un  renfort  de  trois  mille  hommes  de  pied  &  de 
huit  compagnies  de  cavalerie ,  il  fe  préfenta  tout-à-coup  à 
Guillaume  ,  qui  fe  repofoit  tranquillement  dans  le  Fort  de 
Newort ,  à  demie-lieuë  de  Groningue  3  &c  qui  y  attendoic 
l'arrivée  des  troupes  qu'il  avoit  envoyées  au  prince  d'Oran- 
ge. Elles  parurent  heureufement  après  la  prife  de  Gertruy» 
denberg  ,  lorfque  Verdugo  fe  préparoit  déjà  à  attaquer 
Guillaume.  Ce  fecours  étoit  compofé  de  vingt  Enfeignes 
d'infanterie,  &  de  douze  compagnies  de  cavalerie. 

Verdugo  fe  retira  aufîîtôc  3  &  dans  le  mois  d'Août,  Guil- 
laume devenu  plus  puilTànt,  attaqua  avec  fix  pièces  de  ca- 
non &  prit  Grinbergh ,  &  tous  les  Forts  qui  étoient  autour 
de  cette  place.  Ayant  enfuite  ravitaillé   Coëvorden  ,   & 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CV.         CGi 

Ootmerfum  ,  il  parue  à  la  vue  du  château  de  \!^edde  ,  ' 

place  très-forcifiee  ,  qui  cependant  fe  rendit  à  l'approche  Henri 
du  canon.  Les  ennemis  abandonnèrent   Winfchoten  ,  &       IV. 
Guillaume  maître  de  tout  le  paflage  de  la  Boërentanghe  ,     i  ^o^. 
forma  le  defîein  d'y  bâtir  un  Fort  à  quatre  angles.  Il  prefla 
cet  oK-ivrage  avec  toute  la  diligence  poflible.    Le  mur  fut 
bientôt  élevé  jufqu'à  la  hauteur  d'une  longue  pique,  avec    . 
un  folié  de  quatre- vingt  pieds  de  large.    Il  fit  encore  faire 
un  arcenal  &;  des  cafernes  ,  2c  ouvrir  un  chemin  ,  pour  tirer 
à^s  vivres  de  la  'W^eftphalie.   Les  ennemis  ne  pouvoient  le 
troubler  dans  tous  ces  defleins,  qu'avec  des  troupes  confidé- 
rables  j  &  fuppofé  qu'ils  euflènt  tenté  de  le  faire,  il  falloir 
qu'ils  palTalTent  en  s'en  retournant ,  dans  le  comté  de  Ben- 
theim.    On  mit  cinq  compagnies  d'infanterie   en  garnifon 
dans  ce  nouveau  Fort ,  &:  on  en  donna  le  gouvernement  au 
capitaine  Frédéric  de  Jonghe.  Guillaume,  en  bâtiflànt  cette 
nouvelle  place  ,  elpéroit  qu'en  la  confervant  pendant  quel- 
que tems ,  Groningue  feroit  réduit  aux  dernières  extrémi- 
tés ,  U.  ferendroit  bientôt. 

D'un  autre  côté  ,  le  comte  Frédéric  de  Berghe  ayant  re- 
<^u  deux  mille  quatre  cens  hommes  d'infanterie,  &:huit  cens 
chevaux  que  Mansfeld  lui  envoyoit,  ôc  avec  huit  pièces  de 
canon  ,  palTa  par  Bocholt,  &  fe  rendit  le  5.  de  Septembre  à 
Linghen  ,  pour  y  attendre  un  plus  grand  nombre  de  trou- 
pes qui  venoient  de  Namur  ,  Ôc  qui  étoient  déjà  à  Rure- 
monde.  Les  Etats  Généraux  ayant  appris  cette  nouvelle  , 
envoyèrent  François  Véer  àZutphen,  avec  quatre  compa- 
gnies d'infanterie  &  deux  cornettes  de  cavalerie ,  pour  dé- 
fendre la  Veluve  &;  en  chaflèr  l'ennemi.  Frédéric  voyant 
tous  les  paflages  de  la  Boërentanghe  bouchés ,  defcendit 
dans  la  Twente  ,  &:  affiégea  Ootmerfum.  Cette  place  elîuya 
le  feu  de  lix  canons  pendant  un  jour  entier  j  mais  Frédéric 
s'étant  emparé  du  rempart  ,  l'obligea  de  capituler ,  à  con- 
dition que  la  garnifon  en  fortiroit  fans  armes  &  fans  bagage  ^ 
qu'elle  ne  ferviroit  point  en  Frife  pendant  fîx  mois  3  &  que 
les  capitaines  &  tous  ceux  qui  avoient  quelque  commande- 
ment dans  l'armée  ,  refteroient  prifonnîers  de  guerre.  Cela 
fe  pafla  le  i  3.  du  même  mois  de  Septembre. 

Après  la  prife  d'Ootmerfum,  Frédéric  joignit  à  Noortlaren 

O  O  o  o  iij 


^<^i  HISTOIRE 

fcs  croupes  avec  celles  de  Verdugo.  Les  habicans  de  Gro. 
H  E  N  ïii  ningLie  lui  refuférenc  du  canon  3  cependant  il  emporta  de 
I  V.  vive  force  le  château  de  \^edde  ,  cù  il  y  eut  cent  dix-fepc 
foldats  de  la  garniion  tués.  Le  comte  de  Câpres  prit  auiïî 
^'^  d'emblée  le  Fort  d'Auwaerderziel  fur  le  Grocnîngherdiep  j 
&  le  capitaine  Cornelio  Gafparini  de  Lucques  s'empara  de 
Schloderen  ,  de  Grylemyncken  ,  &C  de  Granfberghe  (i). 
Frédéric  s'approcha  enfuite  de  Cocvorden.  Ne  ie  lentanc 
pas  allez  puilTant  pour  en  faire  le  iiége  dans  les  formes, il 
lit  bâtir  des  Forts  tout  au-tour  pour  réduire  cette  place 
par  un  long  blocus.  Les  habicans  de  Groningue  le  prefTé- 
rent  de  marcher  contre  Reyde,  ÔcBellingworderziel ,  pour 
empêcher  le  paiTage  des  vivres  dans  la  Boërentanghe ,  &  lui 
offrirent  fix  pièces  de  canon  pour  cette  expédition  •  mais 
Verdugo  6c  le  comte  Herman  Vandenbergh  qui  étoic 
avec  lui ,  ne  voulurent  point  accepter  cette  proportion , 
dans  la  crainte  que  Guillaume  de  Nalîàu  n'entrât  aupara- 
vant eux  dans  Schloderen,  èc  qu'en  s'emparanc  du  che- 
min de  Groningue ,  il  ne  les  empéchâc  de  cranfporter  cette 
artillerie.  Ils  réfolurent  donc  d'aller  vers  Groningue ,  & 
d'attaquer  à  Timprovifte  les  lignes  du  comte  Guillaume, 
qui  fe  tenoit  renfermé  dans  fon  camp  en  attendant  les  trou- 
pes que  le  prince  d'Orange  lui  envoyoit  fous  la  conduite  de 
Veer. 

Il  fut  en  effet  attaqué  par  Verdugo  au  commencement 
d^Odobre ,  &  cette  furpriie  eût  peut-être  eu  fon  effet,  fi  un 
foldat  ne  fût  accouru  pour  en  avertir  Guillaume,  qui  fe 
prépara  auffitôt  à  la  défenfe.  On  combattit  avec  chaleur  j 
mais  Verdugo  eut  du  défavantage  ^  &  après  avoir  inutile- 
ment tenté  d'attirer  Guillaume  en  pleine  campagne,  il  fe 
retira  à  Groningue.  Dans  cette  adion ,  qui  dura  pendant 
fix  heures,  &  julqu'à  la  nuit ,  AlefTandro  Gherardi  Milanois, 
qui  conduifoit  la  première  Hgne  des  arquebufiers  reçut  une 
bleffure  dangereufe.  Du  côté  de  Guillaume,  le  colonel  Bal- 
four  qui  commandoit  les  Ecofïbis ,  reçut  un  coup  d'arque- 
bufe  dans  le  pied.  Il  y  en  eut  quelques  autres  blelTés ,  de 
plufieurs  tués. 

Les  deux  partis  fe  retirèrent  enfuite  dans  leurs  quartiers 

(i)    Ou  Crimberghe. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  663 


d'hiver  •  mais  la  plupart  des  foldacs  qui  ëtoienc  au  fervice  du  i 
roi    d'Elpagne  ,  défertérenc  à  cauie  des  incommodités  des  Henri 
lieux ,  &:  de  l'intempérie  de  l'air  j  &  quelques  uns  d'eux  pri.       I  V. 
rent  parti  dans  l'armée  des  Etats  j  enlorte  qu'on  donna  or-     1595. 
dre  au  duc  de  Saxe   Lauwembourg  de  lever  un  régiment. 
Verdugo  partit  de  Linghen  pour  aller  au  devant  de  ces  nou- 
velles troupes  j   mais  avant  qu'il  eût  pu  les  joindre  ,  les 
garnirons  de  Doctecom  ,  de  Lochem  ,  éc  des  autres  places 
voifines  les  attaquèrent  dans  la  Gueldre  ,  les  battirent,  les 
mirent  en  fuite ,  &  firent  prifonnier  le  colonel  Diftling,  qui 
commandoit  ce  régiment  en  qualité  de  Lieutenant  Colonel. 
-    La  fortune  varioit  dans  les  autres  parties  de  la  Flandre. 
D'un  côté,  la  garnifon  de  Breda  qui  elcortoit  un  convoi  fuc 
battue  par  les  Efpagnols  au  mois  d'Août  proche  Macftrichr. 
De  l'autre,  un  parti  de  cavalerie  forti  de  Bergh-Op-Zom 
tomba  fur  deux  compagnies  de  troupes  Allemandes,  ôc  fe 
fervant  de  l'avantage  des  lieux  les  poulFa  avec  vigueur  ,  ôc 
les  mit  en  fuite.  Les  Chefs  furent  pris  3  on  les  conduifît  à 
Breda  ,  &;  les  drapeaux  furent  envoyés  au  prince  d'Orange 
à  la  Haye. 

Dans  la  Gueldre  ,Gonthier  comtedc  Schwartzenbourg, 
qui  avoit  fept  cens  hommes  de  cavalerie  Allemande  ,  &  qui 
attendoit  l'arrivée  d'Ernefl:  d'Autriche,  nommé  gouverneur 
des  Païs-bas ,  fut  forcé  dans  fon  camp  par  les  garnifons  qui 
étoient  dans  les  villes  voilînes  appartenantes  aux  Etats  Gé- 
néraux ,  &  fit  une  perte  confidérable.  Ces  mêmes  garnifons 
firent  dans  le  mime  tems  de  fréquentes  courfes  furie  terri- 
toire de  Limbourg  ,  &  elles  ravageoient  toutes  ces  contrées. 

Au  mois  de  Septembre,  Mansfeld  envoya  tin  parti  de 
troupes  d'élite  pour  furprendre  Calais.  Il  fi^avoit  qu'après 
la  mort  deGirault  de  Mauleon  de  Gourdan  ,  qui  avoit  été 
gouverneur  de  cette  place  ,  &  qui  s'y  étoit  fait  diftînguer  par 
Ton  courage  &:  fa  fidélité ,  François  de  Saint-Paul  de  Bi- 
dofTan  qui  y  commandoit  n'avoit  pas  le  loin  d'y  faire  faire 
des  gardes  éxadcs.  Mais  le  complot  fut  découvert  j  &  les 
troupes  qui  vinrent  d'Angleterre  &c  de  Zélande  rendirent 
cette  entreprife  inutile.  Quelques  compagnies  de  troupes 
Angloifès  &  Francoifes  calmèrent  auili  les  craintes  que  les  ha* 
bitans  d'Ofcendeavoient  d'être  alFiégés.  •> 


664.  HISTOIRE 

-^^^-  . i  Les  Efpagnols  formèrent  enfuite  une  entreprife  fur  les 
H  E  N  i^  1  ifles  de  Zirickzée  &  de  Tergoës,  donc  Chriftophe  de  Mon- 
IV.  dragon  avoic  voulu  i>'emparer  quelques  années  auparavant, 
JÇQ2  Mansfeld  reprit  le  même  projet  à  cette  occalion.  Jean 
Antonien  ,  très  riche  laboureur,  &  intendant  des  levées  de 
l'ifle  avoit  été  enlevé  &  fait  prilonnier  pendant  la  nuit.  On 
avoit  employé  les  menaces  &c  les  tortures  pour  tirer  de  lui 
une  rançon  plus  grolfe  qu'il  ne  vouloit ,  ou  qu'il  ne  pou  voie 
la  payer.  Entin  on  fît  elpërer  à  cet  homme  attache  à  ks  af- 
faires domeftiques,  &  laife  de  tous  les  mauvais  traitemens 
qu'il  avoit  (oufferts ,  qu'on  luirendroit  la  liberté  s'il  mon- 
croit  les  gués  pour  entrer  dans  les  ifles.  Antonien  ayant  ac- 
cepte cette  propofîtion  recouvra  fa  liberté  ^  mais  étant  de- 
venu fufpeâ:  il  fut  mis  à  deux  différentes  fois  en  priion  ,  6c 
néanmoins  relâché  faute  de  preuves.  Enfin  un  transruge 
Italien  l'ayant  accufé  d'être  d'intelligence  avec  les  enne- 
mis, il  fut  arrêté  dans  le  tems  même  qu'il  allpit  mettre  à 
exécution  les  promeflès  qu'il  leur  avoit  faites  •  &  la  preuve 
en  étant  certaine  ,  il  eut  la  tête  tranchée  à  Middelbourg.  Sa 
mort  fît  évanouir  les  efpérances  qu'avoit  Mansfeld  de  s'em- 
parer de  ces  ifles. 

Le  prince  d'Orange  n'eut  pas  un  plus  heureux  fuccès  dans 
le  projet  qu'il  avoit  formé  de  furprendre  Bruges  pendant  la 
nuit.  Il  avoit  afTemble  fes  troupes  proche  de  >^illemflatc , 
nouvelle  ville  ,  ainli  appellée  du  nom  de  Guillaume  prince 
d'Orange.  Philippe  de  Naflau  l'accompagnoit  dans  cette  ex- 
pédition ,  èc  avec  une  flote  de  deux  cens  cinquante  voiles  , 
ôc  un  grand  attirail  de  guerre  ,  il  étoit  aborde  pendant  la 
nuit  entre  TEclufe  &  Blankenbergh  fiir  les  côtes  de  Flandre. 
Le  comte  deSolms  qui  commandoit  l'avant-garde,  eut  ordre 
de  prendre  les  devants  avec  une  troupe  d'élite ,  ôc  étoic 
déjà  arrivé  à  Dam  •  mais  [qs  foldats  prirent  différentes  rou- 
tes,  &  s'égarèrent  j  foit  que  les  guides  les  euflent  trompés, 
foitque  les  ténèbres  les  eufTent  fait  fortir  du  véritable  che- 
min ,  enforte  qu'ils  ne  purent  faire  qu'un  demi  mille  pen- 
dant toute  la  nuit. 

Le  prince  d'Orange  qui  les  fuivoic  avoit  prefque  étéfub- 
merge  dans  les  eaux  qui  couvroient  la  campagne.  Le  joui* 
étant  venu,  il  fit  battre  la  retraite ,  &  rentrer  les  troupes  dans 

leur$ 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.      6és 

leurs  vaiiîeaux,  dans  le  tems  que  la  garnifon  delà  place,  "- 

qui  avoir  tout  découvert  étoic  en  armes ,  6c  auroic  pu  ,  com-  H  e  n  r.i 
me  on  l'a  cru ,  défaire  facilement  des  gens  fatigués  6i  dif-       1  V. 
perfés.  ^  1593- 

L'entreprife  ayant  ainfi  échoué  ,  le  prince  d'Orange  prit 
la  route  de  Zélande,  mais  il  furvint  tout-à-coup  une  fu- 
rieufe  tempête  qui  brifa  la  plupart  des  vaifïeaux  ,  &  entre- 
autres  cent  quarante  bâtimens  très-bien  montés,  àc  qui 
ctoient  à  l'ancre  entre  les  ifles  de  Texel  &  de  Nielandt  ^  pour 
enfuite  tirer  du  côté  du  Nord.  Il  s'éleva  un  vent  con- 
traire, &  qui  foufRant  fans  interruption  ,  ôc  toujours  avec  la 
même  violence ,  les  faifoit  heurter  les  uns  contre  les  au» 
très ,  ou  les  poufFoit  contre  des  rochers.  L'agitation  des  flots 
étoit  également  terrible  j  bc  malgré  tous  les  efforts  des 
matelots  pour  /étirer  du  danger,  cette  flote  fe perdit pref- 
que  entièrement.  Quarante  vailTeaux  furent  engloutis  dans 
les  eaux  avec  plus  de  mille  hommes ,  foldats  ou  matelots. 
Ce  naufrage  caufa  un  grand  préjudice  ,  non  feulement  â 
à  ceux  qui  en  coururent  les  dangers ,  mais  encore  aux  mar- 
chands qui  étoient  fort  éloignés ,  ôc  qui  malgré  les  pertes 
qu'ils  firent  dans  ce  défaftre  commun  ,  eurent  bien  de  la 
peine  à  perfuader  à  leurs  créanciers  qu'il  étoit  jufle  de  leur 
accorder  des  termes  pour  payer. 

Il  y  eut  cette  année  enFrance  de  bien  plus  grands  événemens  Affaires  de 
qui  ne  regardent  pomt  la  guerre,^;  qui  trompèrent  également 
l'attente  des  deux  partis.  D'un  côté  les  Ligueurs  feflatoienc 
que  l'afîèmblée  des  Etats ,  &  les  conférences  qu'ils  auroienc 
avec  les  Royaliftes  feroient  favorables  à  leurs  affaires ,  ôc  ne 
ferviroient qu'à  rendre  plus  odieux  le  Roi,  dont  la  fermeté 
ne  s'étoit  point  encore  laiffé  fléchir  par  les  prières  de  (es 
fujets.  Les  Royaliftes  au  contraire,  quoique  très  attachés 
à  leur  Prince,  incertains  de  fes  fentimens ,  fouhaitoient  un 
accommodement  que  la  politique  &  les  ru  fes  de  leurs  adver- 
faires  leur  procurèrent  iorfqu'on  l'efpéroit  le  moins  Depuis 
longtems  ,  Philippe,  ôc  le  Pape  à  foninfligation  ,  prefToient 
d'afïèmbler  les  Etats  généraux ,  pour  y  faire  élire  un  Roi 

Catholique.  Au  contraire,  le  duc  de  Mayenne  ne  penfoic 
à  rien  moins  qu'à  l'éleclion  d'un  Roi  j  6c  il  lui  auroitécéin- 
iiipportable  de  voir  donner  à  un  autre  une  dignité  qu'il  ne 
Jome  XI,  P  P  F  P 


^é^  HISTOIRE 

pouvoir  pas  obtenir  pour  lui-même,    Cependanc  comme  îB 

H  EN  Kl  avoir  beloin  pour fe  loûcenir  de  l'aucoricé&  des  fecours  de 

IV.      ces  deux  Puiflances,  ii  ne  voulue  point  paroicre   ouverce- 

î  59  3'     ^^^^^  contraire  à  leurs  vues  &  à  leurs  ientimens.  Cet  habile 

politique  voyoittant  de  difficultés  dans  l'affaire  del'éledion, 

qu'il  s'imaginoit  qu'on  ne  pourroit  jamais  la  terminer  ^  ainfi 

quoique  dans   le   fond  il   fût  fort  éloigné  d'y  contribuer, 

cependant  il  voulut  bien  courir  le  hazard  d'une  afiemblée 

des  Etats ,  dans  l'idée  que  l'effet  en  feroic  tout  contraire  à 

celui  que  le  roi  d'Efpagne  6c  le  Pontife   en  attendoient  j  èc 

qu'en  parlant  aux  députés  des  Provinces ,  il  pourroit  rani- 

iricr  l'ancien  efprit  de  la  Ligue,  dont  l'ardeur  diminuoic, 

Se  trouver  de  nouveaux  fujets  de  haine  contre  le  Roi. 

Leduc  de  Mayenne,  foit  par  modération,  foit  par  foi»- 
bleiîe ,  ôc  par  une  lenteur  naturelle,  n'en  vint  jamais  aux  ex. 
trémités  où  le  poulToient  les  Efpagnols  5  il  prit  toujours  un 
milieu  èc  de  fages  tempéramens.  Il  attendoit  fans  doute 
le  moment  favorable,  où  fans  blefîer  fa  dignité,  nipréju- 
dicier  à  ies  intérêts ,  il  pourroit  fe  dégager  des  nœuds  qui 
le  retenoienc  dans  une  fadion  où  il  ne  voyoit  que  des  épi~ 
nés  &  des  écueils.  Il  n'ignoroit  pas  d'ailleurs  les  difcours  def. 
avantageux  que  tenoient  contre  lui  les  Efpagnols ,  qu'on 
répandoit  chez  le  Légat  du  Pape,  6c  qu'on  tâchoit  par-la- 
de  féduire  (qs  partifans,  Aînfî  pour  diminuer  leur  haine  ^ 
&  gagner  l'amitié  des  Députés,  il  avoit  publié  fur  la  fin  de 
l'année  dernière,  par  le  confeil  de  les  plus  intimes  amis  ^ 
un  Manifefte  dont  voici  le  précis. 
Manifefte       j|  y  expofoit  :  Que  cc  floriilant  Royaume  n'étoic  venu 

du  duc  de        ,  r   ^  ^       j  '       'A  "T  •       •    1    u  I 

Mayenne.  a  un  11  liaut  degrc  depuniance,  que  par  un  inviolable  atta- 
chement à  la  véritable  Religion  :  Qiie  nos  Rois  très-Chré- 
tiens,  6c furnommés , à  caufe  de  leur  foi,  fils  aînés  deVE^- 
glife  ,  avoîent  autrefois  entrepris  de  longs  voyages  pour 
faire  la  guerre  aux  ennemis  du  Chrillianif  me ,  &  à  ceux  qui 
Touloient  détruire  les  anciens  Dogmes ,  &  introduire  de 
nouvelles  fecles  :  Que  la  Noblefïè  Françoile  avoit  eu  le 
même  zéîe ,  6c  n'avoit  jamais  ménagé  ,  ni  fon  bien  ,  ni  fon' 
fang,  pour  fuivre  fes  Princes  dans  ces  faintes  expéditions;: 
Que  ce  zélé  de  la  Religion  avoit  donc  toujours  éclaté  dans- 
iez Rois  5  6c  dans  la  Noblefle ,  jw^^'^'à  ces  malheureux  teras  5. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CV.        ^67 

GÎi  âcs  fedaîres  impies  avoienc  commencé  à  infecter  Je  monde  "" 

Chrétien  du  poifon  de  leur  dodrine  :  Que  ces  nouvelles  opi-  Henri 
nions  avoienc  non-feulement  divifé  les  Catholiques,  que  la  IV. 
charité  àc  l'uniformité  de  fentimens  dévoient  unir  enfemble  5  1595. 
mais  encore  les  avoienc  armés  les  uns  contre  les  autres ,  6c 
avoient  allumé  dans  l'Etat  une  guerre  civile  :  Que  les  héré- 
tiq-ues  en  déguifoient  les  motifs ,  &:  difoient  hautement , 
pour  retenir  les  Catholiques  dans  leur  parti  :  Que  cette 
guerre  qui  déchiroic  rEcac,n'étoic  pas  une  guerre  de  Reli- 
gion ,  &  qu'elle  n'avoic  été  fufcitée  que  pour  envahir  le 
Royaume  :  Qu'on  avoit  malheureufement  inipiré  ces  dan- 
gereux fencimens  au  feu  Roi  3  ce  qui  avoic  faic  naîcre  de 
funeftes  dividons  dans  fon  Royaume,  6c  avoic  été  caufe  de 
fa  mort,  dont  le  coup  étoit  parti  comme  du  Ciel,  ^  de  la 
main  d'un  homme  foible  deftitué  de  tout  fécours  humain, 
-Se  à  l'infçu  même  de  ceux  qui  auroient  eu  des  raifons  légi- 
times de  fe  défaire  de  ce  Prince  (i)  :  Que  depuis  ce  cems-là 

(i)  Ces  fentimens  du  duc  de  May  en-  [  qui  n'a  jamais  paru ,  eft  entre  les  mains 
ne  font  conformes  à  ce  qu'on  lit  dans  !  de  M.  le  Duc  de  Va'cntiroîs  ,  qui  a 
une  lettre  qu'il  e'crivit  à  Philippe  II.  bien  voulu  nous  permettre  d'en  pren-. 
imme'diatement  après  l'airaiTinat  de  jdre  copie 
Henri  III.  L'original  de  cette  Lettre  , 


Lettre  du  Duc  de  Mayenne  a  Philippe  IL  Roi  d'Efpagne ,  interceptée  par 
le  A^aréchal  de  Matignon  ^  «[ui  fit    arrêter  à  Bordeaux  le    Courier 


^ut  en  etoit  porteur. 


Sire, 

^3  II  a  plu  à  Dieu  nous  ôter  un  Roi 
85  qu'il  avoit  laiffé  quelque  tems  pour 
w  affliger  fes  fujets  ;  l'entreprife  de  fa 
?3  mort  a  été'  faite  ôc  exécutée  par  un 
3>  Jacobin ,  de  fon  mouvement ,  com- 
oï  me  par  infpiration  divine ,  8c  fans 


II.  Août  ijS^. 


M  ou  il  eft.  Le  prince  de  Bearn ,  qui 
«  prend  aufTi  le  titre  de  Roi ,  n'oublie 
»  rien  de  fon  côté  pour  s'en  faifir  6c 
'ï  rendre  maître  ;  8c  je  crains  que  ceux 
3:»  qui  le  tiennent ,  ne  foient  plus  difpc- 
3'  fés  à  fuivre  fon  intention  que  la  nô- 


33  qu'il  y  ait  été  aidé ,  ni  poulTé  d'au-  |  ='  tre.  Si  cette  caufe  8c  les  Catholi- 
35  tre  perfonnc,  Dieu  ayant  voulu  choi-  h>3  qucs  de  ce  miférable  8c  défolé 
35  fir  un  inttrument  fi  foible  pour  éxé-  '  35  Royaume  ont  eu  befoin  par  le  pafTé 
35  cuter  cette  vengeance ,  afin  que  cha-  j  55  de  l'appui  &  du  fecours  de  Votre 
P5  cun  connut  qu'elle  étoit  du  tout  fien-  j  55  Majefté  ;  s'ils  ont  expérimenté  fa 
35  ne.  J'ai  fait  déclarer  par  fa  mort  Mon-  ^d  bienveillance  8c  fa  bonté ,  elle  leut 
05  fieur  le  Cardinal  de  Bourbon  Roi.  1 55  eft  encore  plus  néceffaire  que  jamais  » 
05  N.OUS  faifons  tout  ce  qui  nous  eft  35  aujourd'hui  qu'ils  ont  un  ennemi , 
«'PoiEble  pour  le  retirer  de  la  prifon  ^  ^^  chef  dç  Ihéiéfie ,  oui  va  être  aftifté 

PPppij 


66^  HISTOIRE 

■  ^  il  ne  s'écok  propofé  que  de  défendre  la  caufe  de  la  Religion,' 

Henri  de  conferver  l'Etat ,  &  de  maintenir  la  paix  avec  les  droits 

IV.       èc  hs  anciennes  maximes  du  Royaume  :  Qiie  par  cette  raifon 

i  cQ-t^     il  avoit  fait  proclamer  Roi  le  cardinal  de  Bourbon,  qui  le- 

lon  la  déclaration  du  feu  Roi ,  &  les  ades  qu'on  en  avoic 

drelTés ,  &  qui  avoient  été  enregiftrés  dans  les  Parlemens 

du  Royaume ,  étoit  le  plus  proche  héritier  de  la  Couronne  ; 

Qu'il  avoit  réfoiu ,  du  conientement   de  toute  la  Nation , 

de  rendre  au  Cardinal ,  s'il  eût  été  en  liberté,  toutes  fortes 

de  refpeds,  &  de  lui  donner  toutes  les  marques  poffibles 

d'obeïiïance  &  de  foûmiffion  :  Que  plutôt  que  d'entretenir 

le  feu  de  la  guerre ,  il  eût  déféré  les  mêmes  honneurs  au 

loi  de  Navarre,  Ci  comme  il  le  devoit ,  il  eût  attendu  la 

mort  de  fon  oncle ,  &  que  cependant  il  eût  eu  ibin  de  fe  faire 

inftruire  pour  rentrer  dans  le  fein  de  la   vraie  Religion,  6c 

fe  réconcilier  avec  l'Egliie  :  Que  puifque  ce  Prince  perfé- 

véroit  dans  fes  erreurs,  il  ne  convenoit  pas,  ou  il  n'étoic 

pas  même  poflîble  qu'une   Nation  qui  vouloit  fuivre  la  foi 

de  l'Eglifè  Catholique  ,  Apoftolique  ôc  Romaine  ,  reconnue 

pour  héritier  de  la  Couronne  un  Prince  excommunié  ,  &  qui 

par-Iâ  fe  rendoit  indigne  du  Trône  :  Que  cela  étoit  direde- 

ment  oppofé  à  la  loi  la  plus  refpedable  de  l'Etat  5  puifque 

depuis  Clovîs"  aucun  Prince  n'avoit  porté  la  couronne  de 

Prance  ,  qu'il  ne  fût  Catholique,  &  qu'il  n'eût  juré  de  vivre 

»  de  tous  les  Princes  qui  fe  font  féparés '»  fureté ,  &authorité,  n'y  avoir  re'gle 
3'  de  TEglife  ,  &  ïeû  de'ja  de  la  reine  ='  en  ma  conduite  que  celle  qui  viendra 
3' d'Angleterre ,  &  de  plufieurs  en  ce  ^  de  fes  commandemens,  lui  rendrai 
3>  Royaume  ,  qui  fous  le  nom  de  Ca-  1 35  très  -  liumble  ôc  perpétuel  fervice. 
2'  tholiques  ont  toujours  eflaye'  d'e'ta-  { 3'  J'envoyerai  incontinent  à  Votre 
^>  blir  l'he're'fie.  Nous  la  fupplions  très-  !  '>  Majefte'  ;  &  entrerai  aufïï  en  confe'- 
3'  humblement  d'employer  fa  gran-  1  ^j  rence  de  l'e'tat  de  nos  affaires  avec 
3>  deur ,  fon  authorite' ,  ÔC  fon  nom  =>  Monlieur  le  Commandeur  Mores , 
3>  pour  notre  confervation  ,  qui  lui  ac-  i  ^^  auflîtôt  qu'il  fera  ici ,  où  je  l'attens 


=>  que'rera  ce  titre  immortel  ;  comme  il 
«  efl  le  plus  grand  Monarque  du  mon- 
3>  de ,  qu'il  eft  auflî  le  feul  dz  vrai  pro- 


3>  au  premier  jour ,  afin  qu'elle  en  'foit 
3'  au  plutôt  inftruite  ;  &  cependant  je 
"  prierai  Dieu  que  pour  le  bien  de  la 


»  tedeur  de  l'Eglifè ,  8c  des  Catho-  "  cliofe  feule  il  conferve  Votre  Ma- 
^>  liques  par  toute  la  Chre'tienté  ;  &  =>  jefté  ,  S  I R  E  en  très  parfaire  fante', 
=i  fur  nous ,  qui  aurons  conferve  notre  "'  très-heureufe&  longue  vie.  De  Paris 


='  Religion  ôc  notre  Etat  par  fon  bien- 
35  fait,  une  obligation  fi  grande,  que 
=>i  nous  confcfferons  <k  reconnoîtrons 
3ï  à  jamais  lui  devoir  tout  ;  ôc  moi  en 
?'  particulier  qui  ne  veux  efpérer  bien, 


«  le  1 1 .  jour  d'Août  1  j  8p. 

Votre  tres-humble  (^  trés-obéif- 
faut  fervtteur  Charles  DE 
Lorraine  duc  db  Mayênke, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.        66^ 

èc  de  mourir  dans  cette  Eglifê ,  de  protéger  la  Religion  ,  6c  ??■?-?:????■= 
d'extirper  toutes  les  fedes  contraires  :  Que  cette  loi  avoit  Henri 
été  généralement    reconnue   dans  les  Etats    de  Blois.en      IV. 
1576.  comme  une  maxime  qui  fervoit  de  fondement  ôc     1593, 
d'appui  à  la  Religion  :  Que  dès  ce  tems  on  avoit  envoyé 
des  Députés  au  roi  de  Navarre,  &.  au  prince  de  Condé, 
qui  vivoit  encore  alors  ,  pour  leur  reprélenter  le  danger  dans 
lequel  leur  obftination  les  jettoit,  &   les  exhorter  de  ren- 
trer de  bonne  heure  en  eux-mêmes  :  Que  cette  même  loi 
avoit  été  renouveliée  par  l'Edit  de  Rouen  de  1588.  &  par 
une  féconde  afTemblee  des  Etats  tenue  à  Blois:  Que  le  feu 
Roi  avoit  ioufcrit  à  ce  décret  fi  falutaire  j  qu'il  en  avoit 
juré  l'exécution  fur  la  fainte  Hoftie  ^  6c  que  même  après 
avoir  tait  aHaifiner  le  duc  de  Guile,  éc  le  cardinal  de  Lor- 
raine, &  dans  un  tems  où  il  ne  redoutoit  plus  ces  illufbres 
morts ,  &  où  il  méprifoit  ceux  qui  refloient ,  ce  Prince  avoic 
renouvelle  les  mêmes  fermens. 

>j  Convaincu  par  ces  raifons,  continuoit-il ,  j'ai  pris  les 
>î  armes.  J'efpérois  en  même  tems  que  les  Catholiques  qui 
33  s'étoient  engagés  avec  le  feu  Roi  fe  réitniroient  tous  après 
«ia  mort  pour  défendre  la  Religion,  qui  eft  un  lien  des  plus 
3>  forts  j  mais  le  contraire  effc  arrivé  ^  éc  me  regardant  com- 
55  me  l'auteur  de  la  mort  du  Roi  ,  à  laquelle  cependant  je  n'ai 
33  point  participé ,  ils  ont  prétexté  l'horreur  qu'ils  en  avoienc 
33  pour  demeurer  dans  leur  camp  ,  &;  abandonner  l'intérêc 
33  de  leur  Religion.  Le  roi  de  Navarre  leur  ayant  alors  pro- 
33  mis  de  venger  Henri  IIL  Se  de  fe  faire  inflruire  dans  trois 
33  mois ,  ils  ont  eu  l'imprudence  &  la  foibieiTe  de  s'engager 
33  dans  fon  parti ,  &de  lui  prêter  leurs  fecours.  Jufqu'àpré- 
33  fent  je  les  ai  inutilement  priés  de  fe  joindre  à  moi,  pour 
35  pourvoir  enfemble  aux  befoins  de  l'Etat,  &  finir  les  maux 
35  d'une  guerre  fî  funefte.  J'ai  même  fait  des  propoUtions 
33  avantageufes  à  leur  chef ,  6c  lui  ai  fait  efpérer  que  tout 
35  lui  obéïroit,  s'il  quîttoit  fes  erreurs ,  6c  s'il  fe  réconcilioic 
33  avec  l'Eglife  ,  6c  avec  le  Souverain  Pontife  •  mais  ce  Prince 
33  obftiné  dans  fon  heréfie  m'a  répondu  feulement ,  qu'il  ne 
î5  vouloit  pas  recevoir  la  loi  de  ies  fujets,  6c  que  lorfqu'ils 
33  ieroient  foûmis,  il  pouroit  fe  faire  inflruire  dans  un  Con- 
,>3  cile  libre  6c  général  3  comme  s'il  étoit  encore  befoin  de 

PPppiij 


^7«  HISTOIRE 

«g«»in>»firaa  î;>  nouvellcs  dëcîfions  ,  après  que  Terreur  a  été  Ci  fouvent 

H  E  N  K I  "  proicrice  par  l'Eglile ,  particulièrement  dans  le  Concile  de 

J  V .       "  Trente  ,  le  plus  célèbre  qui  ait  été  tenu  jufqu'â  prefent. 

,  ,^  ,  >î  Après  la  bataille  d'Yvry  ,  j'ai  cru  qu'il  m'étoit  peu  con- 

î3  venable  dans  ces  tems  racheux  d  ortrir  par  moi-même  au 

>5  roi  de  Navarre  les  mêmes  conditions  j  mais  je  lui  ai  fait 

>3  propofer  par  des  hommes ,  que  leurs  dignités  6c  leur  mé- 

»3  rite  rendoient  refpectables ,  ÔL  qui  ne  cherchoient  que  le 

95  repos  de  leur  patrie.  Les  mêmes  proportions  ont  été  réï- 

»  térées  pendant  le  fiége  de  Paris  j  tout  cela  n'a  fait  aucune 

M  imprelîion  fur  l'efprit  de  ce  Prince. 

«  Le  duc  de  Parme  ayant  fait  lever  le  ilége  de  cette 
»3  grande  ville  ,  fuivant  les  ordres  6c  avec  les  troupes  du  roi 
u5  Catholique  ,  qui  parla  puiflànte protection  qu'il  a  accordée 
s9  à  une  fi  jufle  caufe  ,  mérite  toute  la  reconnoiflance  de  la 
«  Nation  j  le  roi  de  Navarre  rabattit  de  fa  fierté ,  6c  de  fes  in- 
î-a  juftes  prétentions.  Mais  après  le  départ  des  troupes  auxi- 
»3  liaires  ,  il  reprit  bientôt  fa  première  hauteur  3  6c  demanda 
»s  de  nouveau  qu'avant  toutes  chofes  on  mat  bas  Iqs  armes, 
«  qu'on  lui  prêtât  le  ferment  de  fidélité  ,  6c  qu'après  cela  il 
n  pehferoit  à  ce  qui  regardoit  la  Religion. 

vj  Si  Ton  acquiefçoit  à  cette  demande  ,  au  mépris  des  or- 
39  dres  du  fouverain  Pontife  ,  èc  des  confeils  du  roi  d'Ef- 
î^  pagne,  6c  des  autres  Potentats  Catholiques  ^  fi  ce  Prince 
«  avec  les  Sedaires  qu'il  traîne  à  fa  fuite,  reftoit  la  force ôc 
«  les  armes  à  la  main  ,  tandis  que  les  Catholiques  defarmés 
«3  6c  fupplians  fe  jetteroient  à  fes  pieds  pour  l'aflurer  de  leur 
55  obéïilànce,  peut-on  douter  que  la  Religion  ne  fût  bientôt 
55  réduite  aux  abois  ,  èc  exppfée  aux  plus  grands  dangers? 

>5  On  ne  peut  reprocher  aux  "Catholiques  ,  qu'ils  ayent 
>5  pris  les  armes  contre  le  légitime  héritier  de  la  cou- 
53  ronne,  puifqu'ils  Tont  fait  pour  la  défenfe  de  la  foi.  Le 
v;  roi  de  Navarre  lui-même  doit  fe  Ibuvenir ,  que  lorfqu'il 
33  portoit  le  flambeau  de  la  guerre  dans  ce  Royaume,  pour 
«  y  faire  entrer  avec  lui  les  nouvelles  opinions  -,  il  foutenoit 
«par  des  libelles  répandus  de  tous  côtés  qu'une  telle  guerre 
*3  étoit  juite  ,  6c  qu'il  étoit  permis  de  réfifler  aux  Magiftrats, 
93  pour  maintenir  la  Religion  6c  la  liberté  des  coniciences, 
;>  lleft  injafte  de  dire  qu'il  n'efl  pas  permis  aux  Catholiques 


DE  J.  A.  DE  THOlJ,Liv.    CV,         6^1 

>3  défaire  pour  la  Religion  de  leurs  pères  ,  ce  que  les  Sec- 

»  taires  ont  ofé  entreprendre ,  pour  introduire  leur  nouvelle  H  e  n  k  k 

j>  dodrine.  I  V. 

»  Perfonne  n'ignore  combien  il  feroit  dangereux  d'obéir  1^02. 
w>  à  un  tel  Prince.  Les  Peuples  imitent  ordinairement  les 
«  mœurs  de  leur  Roi  ^  ils  fuivroient  par  confëquenc  fes  fen- 
35  timens  fur  la  Religion  -,  la  Noblefïc  ne  manqueroit  pas  de 
»  s'y  conformer  ou  par  intérêt ,  ou  par  crainte.  On  voit  dé- 
>5  ja  une  preuve  éclatante  de  cette  vérité.  Plufieurs  Catlio- 
n  îiques  font  attachés  au  parti  du  roi  de  Navarre  ,  quoiqu'ils 
M  voyent  leurs  parens ,  leurs  frères ,  leurs  amis  ,  ou  tués ,  ou 
»  dépouillés  de  leurs  biens.  Les  monumens  de  la  piété  de 
>5  nos  ancêtres  font  arrachés  de  nos  Temples  par  dQs  facri- 
>î  léges&  des  impies.  Leur  Chef  n'eft  pas  le  feul  qu'il  faille 
s>  craindre  -y  les  Catholiques  unis  enfemble  pourroient  le  vain- 
»î  cre.  On  doit  tout  appréhender  des  Sedaires  ,  qui  étants  en 
55  grand  nombre  ,  ôc  le  voyants  foûtenus  de  la  faveur  d'un 
»  Roi  de  même  lentiment  qu'eux  ,  entreprendront  ôc  ofe- 
î3  ront  tout  contre  les  Catholiques.  Les  véritables  fidèles  font 
5>ddja  noircis  de  leurs  calomnies  ,  6c  on  les  regarde  dans^ 
M  toutes  les  villes  comme  des  féditieux  &  des  rebelles.  Les 
53  Brefs  des  fouverains  Pontifes  Grégoire  XIV.  &:  Clément 
M  Vin.  ont  été  indignement  rejettes,  fous  le  prétexte  des 
3>  privilèges ,  &:  des  libertés  de  i'Eglife  Gallicane  j  des  Ma- 
33  giflrats  &  des  Seigneurs  qui  fe  glorifient  d'être  Catholiques 
33  ont  ofé  fouler  aux  pieds  avec  le  dernier  mépris  ces  décrets 
33  refpedables. 

33  Mes  ennemis  ont  grand  tort  de  me  faire  un  crime  d'a- 
»  voir  imploré  Tafliftance  du  roi  Catholique.  Lorfqu'ils  me 
53  font  ce  reproche  ,  on  voit  qu'ils  ne  tendent  qu'à  me  fur- 
53  prendre  au  dépourvu  &:  fans  defenfe.  Si  j'ai  demandé  les 
33  fecours  d'un  Prince  allié  de  la  France ,  ôc  qui  me  les  a 
53  accordés  volontiers ,  fans  exiger  aucun  traité  en  fa  faveur^ 
33  je  ne  l'ai  fait  que  parce  que  j'étois  contraint  par  la  nècef- 
33  ficé  de  défendre  la  foi  qui  couroit  un  fi  grand  danger. 

>9  Je  prie  mes  adverfaires  mêmes ,  &  je  les  conjure  par  la- 
33  miléricorde  de  Dieu  ,  &  par  le  fein  de  cette  Eglifè  ,  dans 
33  laquelle  ils  veulent  vivre  èc  mourir  ,  de  quitter  le  parti  des 
«  Héi^etiques ,  ôc  de  fe  joindre  avec  moi.  Par  ce  moyen  oia^ 


^^71  HISTOIRE 

î5  trouvera  avec  la  grâce  de  Dieu  quelques  remèdes  à  des 
Henri  »maux  prefque  defefpérés  j  6c  de  crainte  que  quelqu'un  àes 
IV.  »  Princes  du  Sang,  ou  quelque  autre  des  Princes,  Seigneurs  àc 
i  fo-  ^  "  Officiers  qui  lonc  attachés  au  roi  de  Navarre  ,  ne  prétexte 
»  qu'il  n'a  pas  été  appelle  à  l'alTemblée  des  Etats ,  ou  qu'il 
>3  n'y  feroit  pas  reçi  avec  l'honneur  dû  à  fon  rang  jje  pro- 
»  mets ,  &  je  m'engage  de  faire  tout  ce  qui  fera  néceffaire 
5}  pour  y  maintenir  la  fureté  ,  ôc  y  faire  rendre  les  honneurs 
>3  diis  au  rang  ,  &  à  la  qualité  des  perfonnes  qui  y  viendront^ 
»>  mais  à  condition  que  les  Catholiques  fe  fépareront  au  plu- 
î3  tôt  des  Sedaires  ,  &  rompront  ces  injuftes  liaifons  qui 
>3  caufent  la  calamité  publique.  Ils  doivent  lèntir  qu'il  eft  im- 
>5  pofîible  de  faire  cefîer  tous  ces  maux  ,  s'ils  ne  quittent  touc 
«  pour  le  fervice  de  Dieu  ôc  de  fon  Egiife.  La  Religion  doit 
î3  l'emporter  fur  tout  ,  ôc  rompre  tous  les  engagemens  j  6c 
ï5  c'eft  une  fauiîé  prudence  que  d'oublier  [qs  devoirs  par  rap^ 
ï3  port  à  un  objet  il  important. 

Le  duc  de  Mayenne  fînilToit  fon  écrit ,  en  exhortant  les 
Catholiques  Royaliftes,à  envoyer  leurs  Députés  à  l'aiïemblée 
des  Etats  Généraux  du  Royaume  qu'on  ailoic  tenir  au  pre- 
mier jour  à  Paris,pour  y  traiter  de  la  Religion  6c  de  la  paix.  II 
leur  promectoit  qu'on  leur  donneroit  toutes  fortes  de  lûretés , 
6c  qu'il  les  fatisferoit  en  tout  ce  qui  lui  leroit  poffible.  Il  re- 
prefentojt  enfin  que  s'ils  le  refufoient ,  d>c  qu'en  abandon- 
nant les  autres  Catholiques ,  ils  l'obligeallènt  malgré  lui  d'a- 
voir recours  à  des  remèdes  extraordinaires ,  il  prenoità  té- 
moins Dieu  6c  les  hommes  ,  qu'on  devoit  leur  imputer  les 
maux,  les  divifions  ^  les  calamités  qui  entraîneroient  in- 
failliblement la  ruine  de  l'Etat  :  Que  pour  lui ,  il  n'y  trempe- 
roit  point  ,  puîfqu'il  n'avoit  jamais  refufé  un  accommode- 
ment raifonnable ,  6c  qu'il  propofoit  encore  des  conditions 
équitables  :  Que  s'ils  les  acceptoient ,  il  ne  doutoit  point  que 
les  Catholiques ,  après  la  réunion  des  efprits ,  joignants  leurs 
forces  enfemble,  ne  défiiîènt  entièrement  les  Sedaires  qu'ils 
avoient  autrefois  coutume  de  vaincre. 

Cet  écrit  ètoit  fignè  par  le  duc  de  Mayenne  &  fcellè  du 
grand  Sceau  ,  qui  reprefentoit  un  trône  vuide ,  au  lieu  de 
l'image  du  Roi.  Il  fut  enregiftré  le  cinq  de  Janvier  au  Par- 
lement fur  la  requificion  du  Procureur  Général  3  6ç  l'on  le 

fit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  C  V.  675 

fie  auffî-tôt  imprimer,  afin  qu'il  vînt  à  la  connoiilance  de  tout 

le  monde.  Henri 

Il  parut  dix  jours  après  une  grande  lettre  du  cardinal  de        I  V. 
Plaifance  adrelTëe  aux  Catholiques  qui  fuivoient  le  Parti  du      1593. 
roi  de  Navarre.  Il  y  faiibit  d'abord  remarquer  le  zéie  avec      Lenre  du 
lequel  il  ao-iiîoit  dans  fa  Lécration  ,  pour  rétablir  dans  Ton  '^='/^'."^'  ^^ , 
luftre  leRoyaume  de  France  qui  avoit  toujours  été  fi  florifiant,  gat.  ' 
tant  que  l'ancienne  Religion  Catholique  ,  Apoftolique ,  ôc 
Romaine  s'y  étoit  maintenue  j   mais  que  la   fureur  d'une 
cabale    hérétique  déchiroit  miférablement  ,  ôc  dont  elle 
avoit  prefque  renverfé  les  fondemens.  Il  ajoûtoit  que  les 
ténèbres  dont  les  Partifans  du  roi  de  Navarre  étoient  aveu- 
glés ,  étoient  venues  de  cette  héréfie, comme  d'une  fource 
infedée  de  toutes  fortes  de  maux  :  Qu'étants  les  enfans  lé- 
gitimes de  i'Eglife  ,  ils  avoient  jufqu'alors  confervé  la  fou- 
niillîon  &  le  refped  dû  au  fuccefiTeur  de  S.  Pierre  ,  &  ne  s'en 
étoient  écartés  que  par  les  artifices  Ôc  les  fourberies  des 
Seétaires. 

>3  Les  Hérétiques,  dîfoît-iî,  accufent  faufiement  le  Saint 
»>  Père,  de  favorifer  de  d'approuver  le  démembrement  de 
"  cet  Etat.  QLiel  fruit  en  pourroit-il  retirer  ,  &  quel  préju-~ 
»5  dice  au  contraire  n'en  devroit-il  pas  craindre  ?  On  n'cfb 
»  point  encore  éloigné  de  cqs  heureux  tems,  où  les  Fran- 
5î  çois  élevoient  jufqu'aux  Cieux  la  bonté  paternelle  des  fou- 
>3  verains  Pontifes,  qui  par  leur  reconnoiilance  ,  èc  les  fer- 
5>  vices  qu'ils  rendoient  à  ce  Royaume, s'acquictoient  avec 
îî  ufure  de  tous  les  bienfaits  que  le  Saint  Siège  a  autrefois 
»  reçus  de  la  piété  &  de  la  hbéralité  des  Rois  très-Chrétiens, 
î5  La  France  reçut  avec  plaifir  les  troupes  que  Pie  V.  en- 
55  voya  à  Cbarle  IX.  pour  dompter  les  Sedaires.  L'affechioa 
->•>  des  Papes ,  ôc  leur  zèle  pour  les  intérêts  de  ce  Royaume 
55  a  toujours  paru  avec  éclat  dans  la  bonne  intelligence,  qui 
w  s'eft  confervée  entre  la  cour  Romaine  èc  la  cour  de  France, 
95  par  des  puilîàns  fecours  d'hommes  de  d'argent,  &  par  de 
:>5  fréquentes  Légations.  Mais  ce  poifon  de  l'herèfieefl:  Ci  per- 
55  nicieux  qu'il  corrompt  le  jugement  ,  &  fait  prendre  en 
?5  mauvaife  part  tout  ce  que  l'on  jugeoic  autrefois  digne  de 
«  reconnoifiTance  de  d'éloge. 

»  Ce  monftre  enfante  tous  les  jours  mille  abfarditès  6c 


^74  HISTOIRE 

«  mille  contrariétés  qui  ont  cours  entre  vous.  Vous  foute- 
Henri  »  nez  que  fuivant  les  privilèges  &  les  libertés  de  l'Eglife  Gal- 
IV.  >3  licane,  on  peut  obëïr  en  France  à  un  Hérétique,  à  unre- 
j  -  ^  îî  laps  ,  à  un  excommunié.  Ce  fyftême  ne  peut  être  forti 
)5  que  de  l'imagination  d'un  Phrénétique  èc  d'un  infenfé, 
55  Cette  opinion  n'eft  qu'une  fuite  du  venin  de  l'erreur  ,  &  a 
55  été  caule  des  mauvais  traitemens  qu'on  a  faits  au  cardinal 
55  Gaëtano  ,  quoiqu'il  ne  fût  envoyé  en  France  parle  Pape 
55  Sixte  V.  que  comme  un  Ange  de  paix  ^  non  pour  y  intro- 
55  duire  une  nouvelle  doctrine  à  la  place  de  ces  loix  auffi  an- 
55  ciennes  que  refpectables  -,  mais  pour  y  affermir  par  fa  pié- 
M  té  &  (qs  confeils  la  véritable  Religion  ,  ôc  les  maximes  que 
33  nous  avons  recrues  de  nos  pères.  Il  vous  a  fait  d'inutiles 
55  remontrances ,  fur  ce  qu'oubliant  les  fentimens  ôc  la  piété 
53  de  vos  Ancêtres,  &  fans confidérer les  périls  aufquelsvous 
55expo{iez  votre  patrie ,  vous  vous  attachiez  à  un  excom- 
35  munie  dénoncé  publiquement  ,&:que  vous  avez  dans  une 
33  aiîembiée  des  Etats  déclaré  incapable  de  porter  la  cou- 
35  ronne  ;  à  un  Sectaire  qui  n'a  jamais  verfé  d'autre  fang  que 
53  celui  des  Catholiques  j  à  un  infradleur  de  toutes  les  loix 
33  divines  &c  humaines ,  qui  a  retenu  dans  les  fers  &  fait  mou- 
53  rir  d'ennui  &  de  chagrin  un  Prince  refpeclable,  le  cardi- 
33  nal  de  Bourbon  fon  oncle. 

>5  Après  la  mort  de  Sixte  V.  &  fous  le  Pontificat  de  Grc- 
55  goire  XIV.  Marfilio  Landriano  vint  en  France  au  mois 
53  de  Mars  fuivant,  &  joignit  aux  Brefs  dont  il  étoit  chargé^ 
33  des  difcours  pleins  d'aSedion  ôc  de  bonté.  Vous  avez  fait 
53  d'abord  bien  mal  de  ne  point  écouter  les  avis  de  ce  fage  Lé- 
«  gatj  mais  c'en  eft  un  bien  plus  grand  de  n'avoir  payé  fon 
53  zèle  que  par  les  plus  indignes  calomnies  ,au  lieu  delà  vive 
33  reconnoiftance  qui  lui  étoit  due.  On  a  méprifé  non  pas  un- 
53  papier  inanimé  ,  &  un  fmiple  Bref  expofitif  des  volontés 
55  de  ^a  Sainteté,  mais  le  nom  &  l'autorité  même  du  chef 
35  de  l'Eglife  &  du  vicaire  de  Jefus-  Chrift.  Enfin  par  une 
33  fuite  de  la  même  fureur, un  écrit  impie  qui  renfermoitau- 
53  tant  de  blafphêmes  qu'il  contenoit  de  mots ,  parut  dans 
>3  le  même  tems.  Je  veux  parler  des  deux  prétendus  arrêts 
55  des  conventicules  de  Tours  &  de  Châlons. 

>5  Vous  étiez  fourds  au  bruit  de  ces  impiétés  que  vous 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    C  V.        675 

avîez  cependant  droit  de  punir  par  vous-mêmes.  Vous 
avez  encore  palTé  fous  iilence  ce  que  quelques  Eccléfiafti-  H  e  n  r.  i 
ques  avoient  ofë  faire  dans  raiîemblée  du  Clergé  de  I  V. 
Chartres.  Innocent  IX.  dans  le  peu  de  durée  de  fon  Pon-  i  ^03. 
tificat  a  fait  voir  une  foUicitude  égale  à  celle  de  fes  pré- 
déceffeurs  pour  le  falut  de  la  France.  Clément  VIII.  lui 
ayant  fuccédé  ,  attira  l'attention  de  les  yeux  de  tout  le 
monde  Chrétien  ,  qui  le  regarda  comme  une  émanation 
de  la  lumière  célefte ,  que  Dieu  Père  de  toute  confola* 
tion  envoyoit  fur  la  terre  ,  pour  y  diffiper  les  épaifTes  té- 
nèbres de  ce  fiécle.  On  efpéroit  qu'il  n'y  auroft  perfonne 
qui  n'ouvrît  fon  ame  pour  y  recevoir  les  rayons  de  cette 
clarté  falutaire,  &  qui  àlaviiëd'un  fi  digne  Chef  ne  ren- 
trât fous  les  étendarts  de  la  Religion  Catholique  j  mais  au 
contraire ,  on  vit  alors  fortir  de  Châlons  un  autre  arrêt 
qui  attaquoit  le  Bref  que  j'apportois  en  France.  Ceux  qui 
o|3éï{roient  à  l'hérétique  tolérèrent  tous  ces  attentats,  dans 
la  frivole  efpérance  que  leur  Prince  fe  convertiroit  ,  dès 
que  le  Pape  leveroit  l'excommunication ,  ôc  voudroit  bien 
lui  donner  fon  abfolution. 

»  Vous  devez  être  enfin  convaincus  de  fon  obfbînation  dans 
l'héréfie  3  vous  devez  donc  vous  joindre  aux  autres  Ca- 
tholiques du  Royaume  ,  ôc  vous  alTembler  tous  pour 
élire  un  Roi  très- Chrétien  ,  &  véritablement  Catholique. 
La  prudence  dièle  cette  rèfolution  -,  mais  il  faut  du  courage 
pour  la  fuivre.  Former  un  pareil  defTein  èc  fçavoir  l'exé- 
cuter ,  c'efl  l'effet  d'une  vertu  accomplie.  Le  moyen  le  plus 
fur  6l  le  plus  convenable  pour  y  réuifir ,  efl  la  convoca- 
tion de  raiîemblée  des  Etats. 

53  |e  vous  exhorte  à  agir  de  concert  avec  le  fouverain 

Pontife  ,  &  à  faire  fans  retardement  ce  que  l'Egiiiè  ,  la 

3  Religion  ,  &  votre  patrie  exigent  de  vous.  Unilîez-vous  de 

>  fentimens  avec  le  duc  de  Mayenne.  Ce  Prince  auffi  admi- 
3  rable  par  fa  piété  confiante ,  que  par  fa  grandeur  d'ame, 
î  fait  tous  fes  etFortspour  conferver  la  couronne  de  France, 
j  la  Religion  Catholique,  &  les  véritables  Libertés  de  l'E- 
5  glife  Gallicane,  qui  conliflcnt  particulièrement  à  vousaf-- 
3  franchir  du  joug  d'un  Hérétique.  Séparez-vous  du  corps  des 

>  Seélaires  3  demandez  toutes  les  furetés  qui  vous  paroîtronc 


C>'^(>  HISTOIRE 

-  >5  néceffaires ,  afin  de  pouvoir  aller  &  revenir  ,  dire  &  faire 


Henri  «  tout  ce  qui  convient  pour  rëclaircifTement  d'une  affaire 
IV.       »  fi  épineufe.  Le  duc  de  Mayenne  s'efl:  engagé  envers  vous, 
j  -g  -       >5  &:  vous  a  cour  promis.  Vous  avez  encore  ma  proteâ:ion,ou 
>3  plutôt  celle  du  fouverain  Pontife  &  du  Saint  fiége. 

Ces  écrits  ayant  été  apportés  à  Chartres  où  étoit  le  Roi, 
firent  différentes  impreffions  fur  les  efprits.  Les  uns  fe  mo^ 
quoient  ou  étoient  indignés  de  ce  que  des  hommes  attaches 
à  une  fadion  qui  n'avoit  plus  de  refiburces  ,  fe  laiiToient  al- 
ler à  toutes  les  lueurs  qu'on  leur  prefentoit  ,  &:  de  ce  que 
tranquilles  au  milieu  des  dangers  de  la  guerre^ils  n'étoient  que 
comme  fpeAateurs  d'une  comédie  &  d'un  jeu  ,  fans  confidé- 
rer  qu'il  ne  s'agifîbitpas  de  négocier  vainement, rnifs  de  com- 
battre, &  qu'il  falloit  faire  plus  d'attention  aux  iuites  d'une 
bataille  décifive  ,  qu'à  tout  ce  qu'on  pourroit  ordonner  dans 
ces  ridicules  afîémbîées.  D'autres  jugeoient  que  quoiqu'il  fùc 
hors  de  faifon  depenfer  à  l'éledion  d'un  Roi ,  &:  que  tout  ce 
qui  fèroit  décidé  dans  des  afTemblées  pareilles  ne  dût  avoir  au- 
cun effet  j  cependant  toutes  ces  propofitions  d'accommode- 
ment fe  faiioient  par  les  artifices  du  Roi  d'Efpagne  &  du 
Pape  qui  le  fervoit  à  l'aveugle  ,  afin  d'engager  les  Peuples 
dans  de  nouveaux  liens  ^  de  rendre  impoifible  un  accom- 
modement qu'on  pourroit  encore  terminer  j  &  de  faire  en- 
forte  que  les  Efpagnols,  qui  dans  ces  troubles  n'avoient  en- 
core qu'une  autorité  précaire  ,  devinilent  abiolument  né- 
ceflaires  en  fermant  toutes  les  voyes  de  la  réconciliation. 
Entretien  de  Gafpard  de  Schomberg  comte  de  Nanteuil ,  homme  au/il 
«caTT^A^dc  recommandable  par  fa  grandeur  d'ame,  que  par  fa  mode- 
Thon,  au  fu-  ration  ,  &  d'un  attachement  inviolable  à  la  France  ,  étoic 
'^^^ ^^  ^^^'""^  alors  à  la  Cour.  Jacque  Augufte  de  Thou(i),que  les  mê- 
affaires.  Hics  fcntimens  uniffoient  particulièrement  avec  ce  Seigneur^ 

s'y  trouvoitaufîî ,  à  cauie  de  quelques  affaires  pour  leiquelles 
le  Roi  l'avoir  rappelle  auprès  de  lui.  Un  jour  s'entretenant 
enfèmble  ,  félon  leur  coutume ,  de  l'état  prefént  des  affaires, 
&  ayant  à  la  main  le  nouvel  écrit  du  duc  de  Mayenne , 
Schomberg  prit  la  parole  ,  &  dit  qu'il  plaignoit  le  fort  d'un 
Royaume  autrefois  fi  florifiant  :  Qj-fil  craignoit  le  funefte 
démembrement  de  la  Monarchie;,fi  l'on  continuoic  la  guerre^, 
(i)  C'eilTAuteur  de  cette  hilloire. 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.    CV.         677 

6c  qu'à  la  faveur  de  ces  troubles  les  Efpagnols  &  les  autres  - 
étrangers  n'envahiflent  le  Royaume  :  Que  ne  voyant  aucune  H  £  n  k  1 
apparence  de  terminer  la  guerre  par  la  voie  des  armes ,  il       1  V* 
avoit  déjà  propofé  celle  de  la  négociation  j  mais  que  puif-     i5$;3r 
que  les  conférences  particulières  avec  le  duc  de  Mayenne,&: 
{es  Partifans  n'avoient  pas  rétiffi  ,  il  falloit  avoir  recours  à 
une  affemblée  générale,  dans  laquelle  les  Chefs  conféreroient 
publiquement  6c  dans  une  entière  liberté ,  des  affaires  de 
i'Etat,  2c  des  moyens  néceiïaires ,  pour  détourner  des  dan- 
gers qui  menaçoient  également  les  deux  Partis  :  Que   le 
duc  de  Mayenne  étoit  très-cloigné  de  confentir  à  une  con^ 
férence  publique  ôc  générale,  &  qu'on  ne  pouvoit  efpérer 
qu'il  y  donnât  volontiers  les  mains  3  parce  qu'il  avoit  fon 
intérêt  particulier  à  ménager ,  de  qu'il   craignoit  pour  lui 
feul  3  mais  qu'il  falloit  l'y  contraindre  ,  en  obtenant  un  con- 
fentement  unanime  de  tous  ceux  qui  défiroient  la  fin  des 
calamités  publiques ,  &  que  foit  qu'il  le  voulût  ou  non ,  il 
ne  pourroit  refifîer  à  cette  autorité. 

De  Thou  lui  répondit  que  l'exécution  de  ce  projet  ne 
lui  paroilîoit  pas  difficile  :  Que  vrai-femblablement  le  duc 
de  Mayenne  n'avoit  donné  que  malgré  lui  ce  dernier  écrit, 
ôc  feulement  pour  diminuer  la  haine  qu'on  lui  portoit^  mais 
qu'il  s'étoit  lui-même  eneaeé  dans  la  néceflîté  de  confentir 


'&"&' 


à  une  conférence  publique  ,  en  invitant  à  l'afFemblée  des 
Etats  les  Princes  du  fang,  les  Seigneurs ,  èc  les  Evêques  atta- 
chés au  Roi,  &  en  leur  permettant  de  dire  librement  tout 
ce  qu'ils  penléroiqnt  pour  le  bien  de  la  Religion  &;  de 
l'Etat  :  Qu'on  devoit  iàillr  l'occalion  prelèntée  par  la  der- 
nière claufe  de  fon  écrit  3  êc  que  comme  dans  une  bataille 
navale  on  accroche  les  vailleaux  pour  fe  battre  ,  il  falloic 
le  forcer  à  la  paix  ,en  l'obligeant  d'en  venir  à  une  confé- 
rence :  Que  cela  ne  pouvoit  qu'être  favorable  aux  affaires 
du  Roi  j  parce  que  les  Seigneurs  des  deux  Partis,  qui  juf^ 
qu'alors  s'étoient  traités  en  ennemis ,  fe  regarderoient  alors 
comme  frères ,  &  que  le  duc  de  Mayenne  ,  &  les  autres 
Chefs  qui  efpèroient  tirer  un  avantage  particulier  des  mal- 
heurs publics ,  &  qui  craignoient  la  paix  ,  voyant  les  efprirs 
réunis  ,  feroient  contraints  de  recourir  eux-mêmes  à  un  ac- 
commodement :  Qii'il  falloic  feulement  prendre  garde  de  ne 

0.0.4  q  'H 


(îyS  HISTOIRE 

pas  compromettre  l'autorité  du  Roi ,  &  qu'on  ne  devoîtrien 

Henri  entreprendre  fans  fon  agrément  -,  parce  que  la  première 

I  V.      ciiofc  qu'on  devoit  ménager   avec  toutes  les  précautions 

i  ccfi,     poffibles  étoit  le  maintien  ,  Ôc  la  confervation  de  l'obéïflànce 

ôc  du  rerped  dû  au  Prince  ,  Se  qu'on  ne  pouvoit  manquer  à 

la  fidélité  qu'on  lui  avoit  jurée  ,  lans  porter  à  l'Etat  un  coup 

funefte  qui  cntraîneroit  le  renveriement  de  la  Religion  :  Que 

ce  Prince  plein  de  bonté  &  de  clémence  ,  qui  avoit  toujours 

çu  en  horreur  la  guerre  civile,  de  qui  jamais  ne  s'étoiteloi- 

gné  des  moyens  qui  pouvoient  procurer  la  tranquillité  de 

i'Eglife ,  accepteroit  volontiers  ce  parti. 

Louis  de  Revol ,  l'un  des  quatre  fecretaires  d'Etat ,  per- 
sonnage d'une  intégrité  6c  d'une  prudence  reconnue  ,  étoic 
prefent  à  cet  entretien.  Il  le  goûta  ,  &  ajouta  feulement 
que  pour  hâter  la  négociation  ,  il  falloit  y  faire  confentir 
le  Roi.  Schomberg  dont  l'éloquence  étoit  auffi  douce  que 
perfuafive ,  de  qui  étoit  aimé  du  Prince ,  fe  chargea  de  lui 
en  faire  la  propofîtion  j  &L  en  ayant  obtenu  une  audience  fe- 
crette,  il  lui  parla  ainfi. 
Din:outs  de       "  ^^  ^^  tcms,  Sire,  de  remédier  aux  calamités  qui  aug- 
Schombcrgau  «  mentent  tous  les  jours  j  ou  fi  vous  négligez  plus  longtems 
Roipour4ui    „  jg  Iq  faire,  on  croira  que  Dieu  a  abandonné  notre  caufe, 

perluacici'  de  ,  ,  ^  ,  ' 

iûire  la  paix.  "  dc  qu'il  celIè  de  protéger  votre  Royaume.  Quoique  Iqs 
»  chefs  de  la  Ligue  ne  fe  fervent  du  prétexte  de  la  foi,  que 
3>  pour  cacher  leurs  pernicieux  defîeins  j  de  que  comme  un 
35  d'eux  l'a  dit  avec  efprit  ,  ils  fe  falTent  du  manteau  de  la 
?î  Religion  un  habit  à  l'Eipagnole  ,  vous  devez  cependant 
îj  être  perfuadé  que  tant  de  villes  opulentes  qui  fe  font  ré- 
M  yoltées  contre  votre  prédécefTeur  ,  de  qui  perfévérent  en- 
?î  core  dans  leur  rébellion  ,  fbûticnnent  fans  feinte  2c  de 
53  bonne  foi  leur  Religion  ,  de  ie  verront  plutôt  réduites  en 
î>  cendres  que  de  Tabandonner.  Vous  avez  donc  à  foûtenir 
•n  de  longs  de  de  dangereux  combats  contre  l'ambition  des 
s>  uns  de  la  fermeté  des  autres.  .Qiioiqu'avec  le  fecours  du 
}y  Ciel ,  nos  armes  ayent  jufqu'à  preient  prolpéré  de  tous 
»3  côtés  j  cependant  quel  a  été  le  fruit  de  tant  de  batailles, 
»?  de  combats  de  de  fleges  ?  Vos  ennemis  ont  trouvé  en  vous 
>s  plutôt  un  redoutable  vainqueur  ,  qu'ils  n'y  ont  recon- 
;,?  nu  un  Prince  légitime  héritier  de  la   Couronne.    Çei^^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.         éyc, 

»  qui  vous  fuivent  dans  vos  vidoires ,  les  attribuent  à  la  pro-  r 

M  tcdion  de  u  divine  providence  ,  qui  favorife  toujours  la  H  en  Ki 
"  caufe  des   Rois ,  lorfqu'elle  eft  au(îî   jufle  que  la  vôtre  j       I  V. 
"  mais  vos  fujets  rebelles  n'en  jugent  pas  de  même,ils  croyenc     i  c  q  ^ , 
î3  qu'une  telle  profpérité  n'eft  que  la  faveur  d'une  fortune 
»  inconftante  ,  qui  s'attache  tantôt  aux  uns ,  6c  tantôt  aux 
55  autres.  Etants  en  fureté  du  côté  de  la  confcience ,  &c  ap- 
>3  puyés  au-deliors  par  les  forces,  ôc  le  fecours  de  tant  de 
ï3  Princes  qui  partagent  déjà  nos  Etats  en  idée,  leurs  pertes, 
»  &  leurs  défaites  ne  les  font  point  changer  de  fentimens, 
«  de  ils  attendent  de  l'inconflance  de  la  fortune  le  même 
yj  bonheur  que  vous  avez  eu  julqu'à  prefent.  Il  eft  digne  de 
»5  votre  fàgelTe,  Sire,  de  penîér  à  l'advcrficé  dans  la  prof- 
it péricé.  Souvenez-vous  toujours  de  la  fragilité  des  chofes 
»  humaines  3  de  trop  heureux  fuccès  la  font  difparoître  à  nos 
>5  yeux.  Vous  connoiiTez  l'inftabilité  6c  les  caprices  de  la  for- 
>î  tune ,  dont  les  faveurs  ont  prefque  toujours  quelque  fâ- 
»  dieux  retour.  Si  elle  vous  a  fuivi  jufqu'à  prefent ,  craignez 
>î  enfin  qu'elle  ne  s'épuife  à  votre  égard ,  èc  ne  puiiTe  fuffire 
>5  pour  vous  garantir  des  dangers  que  votre  courage  vous 
>3  tait  courir  fi  fouvent.  Si  elle  vous  manquoit  une  feule  fois, 
J3  quelle  étonnante  révolution  verrions.nous  ?  Ne  vousflac- 
w  tez  pas ,  Sire  ,  que  s'il  vous  arrivoit  quelqu'un  de  ces  triftes 
«revers,  que  tous  les  hommes  doivent  craindre,  votre  cou. 
55  ronne  pafiTeroit  à  votre  héritier  ,  Se  que  ces  ennemis  qui 
53  vous  font  une  cruelle  guerre  ,  refteroient  en  repos  après 
«votre  mort.  Non,  Sire  ,  vous  laiiîeriez  un  foible  enfant 
»  aux  prifes  avec  fes  oncles  (i).  Enfin  ,  ou  vous  rétablirez 
>î  votre  Royaume  dans  fon  ancienne  gloire,  ou  il  périra  avec 
«  vous.  L'incertitude  de  l'avenir  qui  allarme  vos  fidèles  fu- 
»  jets,  flatte  l'eipoir  de  vos  fi.ijets  rebelles.  Nous  fouhaitons 
«  ôc  nous  efpérons  que  de  tels  malheurs  n'arriveront  pas. 
«  Mais  quel  peut  être  le  fruit  d'une  guerre  aufii  funefte  aux 
«  vainqueurs  ,  qu'aux  vaincus  ?  Lorlque  le  Royaume  fera 
«  épuifé  par  le  fang  des  Franc^ois  verfé  de  part  &  d'autre  ^ 
«  ces  fuperbes  étrangers   qui   entretiennent  parmi  nous  la 
53  difcorde  ,   feront   éclater   leurs   injuftes  prétentions  ,  Se 
53  fous  prétexte  d'offrir  leur  fecours  ou  leur  médiation,  ils 
(3)  Le  prince  Henri  de  Conde. 


^8o  H  r  ST  O  I  R.  E 

—  »  anéantiront  les  droits  des  deux  partis  ,  Se  faifiront  l'ob- 

Henri  «jet  de  leur  contcftation.   Pendant  que  la-^'eligion  nous 

I  V,      >î  arme  les  uns  contre  les  autres ,  nous  leur  facilitons  les 

1593.     »3  moyens  de  renverfer  l'Etat  &  la  Religion  même.    C'eft 

«  pourquoi ,  Sire ,  n'employez  plus  la  force ,  puifque  la  guerre 

53  vous  feroic  peut-être  auffi  fatale  qu'à  vos  ennemis.  Songez 

»3  plutôt  à  réunir  tous  vos  fujets  par  une  paix  folide. 

î>  Plufieurs  circonftances  fâcheufes  ont  été  jufqu  a  préfenc 
»  des  obftacles  au  retour  de  cette  lieureufe  paix.  D'un  côté 
?5  on  portoit  tout  à  l'extrême  j  les  efprits  étoient  échauffés  3 
■  ^>  la  guerre  a  des  charmes  dans  fes  commencemens  ,  lorL 

M  qu'on  n'en  a  point  encore  éprouvé  les  fuites  funeftes.  L'au- 
53  tre  parti  fe  fioit  trop  fur  [qs  richeffes  &  fes  forces,6c  quelques 
»5  heureux  fuccès  l'avoient  enorgueilli.  Les  fujets  de  haine 
«  étoienc  récens.  Des  villes  trop  puilFantes  étoient  agitées 
^5  par  un  efprit  de  fédition  •  6c  la  Religion  les  rendoit  fu- 
>î  rieufes.  Mais  à  préfent  la  haine  s'eft  ralentie  ;  Temporte- 
»  ment  eft  moins  vif  j  la  vérité  commence  à  éclairer  les  eC 
*î  prits  j  les  peuples  accablés  par  les  maux  de  la  guerre ,  fe 
^j  repentent  de  leurs  fureurs  j  les  villes  font  épuifées  par  une 
33  fî  longue  interruption  de  commerce  •  la  Nobleflé  même 
M  s'ennuye  d'une  guerre  ,  qui  devient  de  jour  en  jour  plus 
^3  onéreufe  3  en  forte  que  le  tems  a  fait  en  quelque  façon 
M  mûrir  cet  accommodement ,  qui  paroifToit  auparavant  fl 
M  difficile. 

33  Vos  ennemis  tâchent  de  nouer  une  conférence  5  vous 
35  pouvez  profiter  de  l'occafion  que  le  duc  de  Mayenne  même 
•i3  vous  préfente.  J'avoue,  Sire ,  qu'un  grand  nombre  de  vos 
«  fujets  fidèles  fe  font  endurcis  à  tous  ces  maux  ,  &c  paroiL 
33  fent  être  certains  d'un  heureux  avenir.  Ils  femblent  pré- 
^3  férer  ia  guerre  à  une  négociation  fi  épineufe  ,  ôc  environ- 
«  née  de  tant  de  difficultésjmaisdans  le  fond,  on  voit  qu'ils 
33  craignent  feulement  de  fe  rendre  fufpeds  en  vous  propo- 
^3  fant  une  conférence.  Ils  craignent  que  dans  cqs  tems  mal- 
35  heureux  ,  où  non  feulement  le  Royaume  eft  déchiré  par 
35  des  factions ,  mais  où  votre  Cour  même  n'eft  pas  exempte 
^a  de  divifions ,  on  ne  les  accufe ,  en  vous  excita;it  à  la  paix , 
M  de  taxer  d'injuftice  la  guerre  que  vous  avez  faite  j  de  fa^ 
5  3  yorifer  vos  ennemis ,  de  rejetter  .fur  vous  la  hv^ine  que  ces 

longue? 


iritaMk 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  C  V.        68r 

«  longues  divifîons  ont  caufée  ^  êc  de  préférer  des  engage- 

»3  mens  particuliers  >  à  la  gloire  de  Votre  Majefté.    Vous  Henki 

M  comprenez  ,  Sire ,  ce  que  je  veux  dire  j  ôc  j'ai  remarqué       I  V. 

»  que  tous  les  troubles  du  dehors  vous  font  moins  de  peine  ,      1593. 

»  que  les  difTentions  domefbiques ,  qui  diminuent  peu-à-peu. 

»  vos  forces  ,  retardent  vos  delîeins ,  &c  vous  font  perdre 

>3  ces  heureufes  occafîons ,  qui  décident  de  la  victoire. 

>5  Pour  moi ,  je  ne  crains  point  d'être  fufpeâ:  j  je  fuis  Saxon 
«  &  étranger  j  mais  j'ai  l'efprit  èc  le  cœur  tout  François. 
>î  Ainfî  j'oie.  Sire,  vous  conleiller  de  faire  une  utile  &  né- 
53  ceiîaire  paix  ,  qui  vous  couvrira  de  gloire.  Efb-il  rien  de 
>3  plus  glorieux  pour  un  grand  Prince  tel  que  vous ,  que  de 
M  donner  au  Royaume  dont  vous  êtes  le  légitime  héritier, 
>3  une  paix  que  tous  vos  fujets  fouhaitent ,  &  qu'ils  n'ofenc 
«  efpérer  ?  Eft-il  rien  de  plus  digne  de  vous  ,  Sire  ,  que  de 
«  rendre  à  i'Eglife  ,  les  Temples  d'où  les  Miniftres  facrés 
>3  ont  été  chaflés  par  la  fureur  de  la  guerre  ^  de  renvoyer 
»  votre  NoblelFe  dans  [qs  maifons  ,  pour  y  goûter  le  repos 
îï  après  tant  de  fatigues  j  Se  de  rétablir  dans  vos  villes  la  lî- 
«  berté  du  commerce  ?  Eft-il  rien  enfin  de  plus  utile ,  que 
«  de  remettre  dans  l'ordre  tout  ce  que  la  guerre  a  confondu  j 
>5  c'eft-à-dire,  de  faire  rentrer  dans  le  devoir  tous  vos  fujets, 
»  ôc  de  rétablir  votre  autorité  ?  Vous  devez ,  Sire ,  efpérer 
îî  que  la  paix  vous  procurera  tous  ces  avantages  ^  àc  pour 
>3  l'obtenir  ,  je  crois  que  vous  ne  devez  rien  épargner.  Si  les 
>3  conditions  en  font  trop  dures  en  apparence  ,  elles  ne  peu~ 
n  vent  que  vous  être  dans  la  fuite  avantageufes.  La  guerre 
a  civile  rend  les  Princes  èi  les  peuples  égaux  ^  mais  dès  que 
>5  la  paix  cft  faite  ,  quelques  traités  &  quelques  conditions 
»  qu'on  ait  pu  faire  ,  pour  tenir  la  balance  égale  entre  les 
»  deux  partis ,  le  Prince  reprend  bientôt  la  fupériorité  que 
J3  la  guerre  lui  avoir  fait  perdre ,  &  les  peuples  ont  toujours 
M  le  defTous  3  en  forte  que  dès  qu'ils  auront  mis  bas  les  armes  ; 
«  tout  le  droit  qu'elles  leur  donnoient  s'anéantira  ,  &  ne  fer- 
»  vira  qu'à  affermir  votre  autorité, 

î3  Je  crois  donc ,  Sire  ,  que  ceux  qui  n'ofent  vous  parler  de 

»  la  paix  ,  de  crainte  qu'on  ne  les  foupçonne  de  fouhaiter  la 

>î  diminution  Se  l'avilifîement  de  la  dignité  Royale  ,  agillènc 

M  avec  peu  de  prudence.  Qiioique  j'aye  été  nourri  dans  les 

Tûme  XU  RRrr 


é8i  HISTOIRE 

. >5  camps ,  &  que  j'aye  faic  en  France  une  fortune  confîdë- 

Henri  >3  rable  par  le  métier  des  armes  ,  je  ne  crains  pas  néanmoins 
I  V.  53  de  vous  confeiller  la  paix. 
I  c  o  3 .  »  Je  vous  ai  dit ,  Sire  ,  qu'elle  étoit  néceiïaire  ,  parce  que 
->•>  je  prévois ,  (  &:  Votre  Majefté  ne  l'ignore  pas ,  )  que  cette 
î3  gueire  à  laquelle  vous  vous  êtes  accoutumé  ,  6c  que  vous 
"  faites  depuis  il  longtems  contre  des  peuples  furieux  ,  6c 
33  contre  une  fadion  appuyée  par  le  Pape  6c  par  l'Efpagne , 
33  enfantera  bientôt  d'autres  divifions  ,  dont  les  femences 
33  font  cachées,  6c  dans  le  fein  même  de  votre  Cour.  Vous 
35  en  feriez  accablé  ,  Sire ,  malgré  votre  fermeté  5  6c  votre 
33  Royaume  même  ,  quoique  très-puilîant  ,  mais  déjà  dé- 
33  chiré  par  des  troubles  domeftiques  ,  n'en  pourroit  foûtenir 
33  la  violence.  Qu'attendez- vous  de  plus  d'une  victoire  fan- 
33  glante  6c  dangereufe ,  que  de  foûmettre  vos  fujets  rebeL 
33  les  ?  La  paix  vous  donnera  cet  avantage  fans  courir  tanc 
33  de  riiques  ;  car  le  Roi  eft  toujours  victorieux  ,  dès  que  le 
33  peuple  traite  avec  lui.  Faites  donc  cette  paix  qu'on  attend 
33  de  vous.  Etouffez  les  fentimens  de  l'elpérance  ou  de  la  co^ 
33  1ère  ,  dont  les  motifs  font  fi  trompeurs.  Il  eft  honorable  à 
33  un  Prince  fage  ,  que  Dieu  a  instruit  dans  la  bonne  6c  dans 
33  la  mauvaile  fortune  ,  de  fuivre  plutôt  la  voie  que  lui  mon- 
33  tre  la  raiion  ^  que  celle  d'un  halard  incertain  6c  trompeur  5 
>3  àc  de  préférer  la  paix  à  l'efpérance  flateufe  de  la  viâoire. 
33  Pour  nous ,  Sire,  qui  avons  toujours  tâché  de  vous  donner 
33  de  fages  confeils  ,  notre  foin  fera  d'empêcher  qu'on  ne 
33  bleflc  dans  cette  négociation  le  refpcct  6c  l'obeifTance  due 
33  à  Votre  Majefté.  Si  nous  parlons  de  paix  ,  nous  n'agirons 
33  point  par  nous-mêmes  ^  mais  afin  de  donner  des  preuves 
33  autentiques  de  notre  dévouement  ^  de  la  fidélité  que 
33  nous  vous  avons  jurée.  Le  Hérault  qui  fera  envoyé  aux 
33  ennemis  ,  pour  convenir  du  lieu  de  la  conférence  ,  ne  par- 
33  tira  qu'avec  la  permiifion  ,  6c  par  les  ordres  de  Votre 
33  Majefté. 
^,     ^  ,        Le  Roi  l'interrompit  alors  ,  6c  lui  dit  ,   33  T'ai  toujours 

Réponfc  du        ri-'i  •  r  'w         i       T-  '  t 

i^ei.  »  louhaite  la  paix  que  vous  me  conleiliez  de  taire.   Je  me 

53  réjouis  de  trouver  Poccafion  de  finir  la  guerre  ,  dans  le 
33  tems  que  la  fortune  m'eft  favorable ,  perfuadé  qu'on  ne 
33  dok  jamais  compter  fur  ïqs  plus  grandes  faveurs.  Lqs  motifs 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.         ^83 

n  quî  m'engagent  à  defirer  la  paix  ,  ne  font  pas  la  crainte  ; 

"  des  confpirations  ,   ni  Tincercitude  des  ëvénemens  ,   qui  H  e  n  k.  i 

j>  dans  la  guerre  trompent  les  eipérances  les   mieux  fon-       I  V. 

»  dées  j  mais  l'amour  de  ma  patrie  ,  &  la  mifére  de  mes      j  59  u 

«  peuples,  qui  gsmiiîènt  ious  le  poids  accablant  d'une  guerre 

>3  fi  funeite,  ôc  que  je  voudrois  finir,  au  prix  de  tout  mon  lang. 

»5  On  m'obj.cij  ma  Reii(j;ion  j  mais  vous  fçavez  que  je  n'y 

w  fuis  pis  attache  avec  obilination.  Si  je  fuis  dans  l'erreur, 

>5  que  ceux  qui  m'attaquent  avec  tant  de  fureur,  m'inftrui- 

»  lent  ,  6c  me  montrent  la  voie  du  lalut.   Je  hais  ceux  qui 

»>  agiiFjnt  contre  leur  confcience  ^  je  pardonne  à  ceux  qui 

»  iont  conduits  par  un  véritable  motif  de  ReHgion  ^  &  ce- 

J5  pendant  je  luis  prêt  de  recevoir  en  grâce  les  uns  6l  lesau- 

î3  très ,  pourvu  que  le  defir  de  la  paix  ,  6c  non  le  chagrin  de 

5î  leur  mauvaife  fortune  ,  les  dégoûte  de  la  guerre.    Il  fauc 

«feulement  prendre  garde  que  pendant   les  conférences, 

»î  l'ardeur  de  mes  fujets  fidèles  ne  iè  ralenciiîe  j  que  les  for- 

>3  ces  de  mes  ennemis  n'augmentent  ;  &  que  je  ne  paroilTè 

»3  plutôt  leur  demander  la  paix  ,  que  la  leur  donner.  Je  crois 

53  avec  vous  que  dans  les  guerres  civiles,  le  Prince  qui  donne 

M  ou  qui  demande  la  paix ,  y  gagne  toujours  ^  6c  que  celui 

î5  quia  la  juftice  de  fon  côté  ,  trouve  par  l'événement  un 

9>  avantage  certain.    Qi-ioi  qu'il  en  foit  ,  je  remets  à  votre 

»>  prudence  le  foin  de  voir ,  avec  les  autres  perfonnes  qui  font 

^j  zélées  pour  mon  lervice  ,  Ci  nos  ennemis  n'agiiLmt  pas  ainlî 

M  pour  fe  tirer  d'un  mauvais  pas ,  oia  leur  témérité  les  a  en- 

55  gagés  •    d'examiner  fi  pendant  que  nous  les  invitons  de 

53  bonne  foi  à  une  conférence,  ils  ne  cherchent  pas  l'occafion 

53  de  nous  nuire  -,  6c  enfin  de  ne  pas  compromettre  mon  au- 

53  torité ,  non  feulement  par  rapport  à  eux  j  mais  encore  à 

53  l'égard  de  mes  autres  fujets.  « 

On  avoit  d'abord  jugé  à  propos  de  demander  un  fauf- 
conduit  au  duc  de  Mayenne,  6c  d'envoyer  à  Paris  une  per- 
fonne  du  Confeil  de  S  M.  pour  traiter  dans  l'ail^mblée  des 
Ligueurs  au  nom  des  Princes,  Prélats  ,  6c  eigneurs  Catho- 
liques, qui  étoient  dans  l'armée  du  Roi.  Mais  ce  Prince  crai- 
gnit de  ié  compromettre  ,  en  faifant  voir  un  fi  grand  defir  de 
la  paix  j  6c  que  fa  bonté  rendant  les  Ligueurs  plus  infolcns, 
ils  ne  recufient  pas  le  Député  avec  l'honneur  qui  lui  étoic 

RRrr  ij 


684  HISTOIRE 

dû  ,  &c  lie  formaffcnt  de  plus  grandes  difficultés  ]  par  rap- 
Henri  port  à   raccommodement   qu'on   méditoit.    Il  aima   donc 
I  V.       mieux  qu'on  s'expliquât ,  à  l'exemple  du  duc  de  Mayenne, 
2  C03.    par  un  écrit  qui  parut  le  27.  de  Janvier. 

Il  étoit  au  nom  des  Princes ,  Prélats ,  Seigneurs  ,  &  autres 
<ie  la'pa^n  dés  Catlioliqucs ,  fîdéles  fujets  du  Roi.  Ils  expofoient  dans  cet 
Catholiques  écrit ,  que  la  continuation  d'une  guerre  fî  malheureufe  &c  fi 
oya  i.  tes.  £^^^q{Iq  ^u  Royaume  ,  le  feroit  également  d  la  Religion  Ca- 
tholique :  Qiie  prévoyants  avec  douleur  toutes  ces  calami- 
tés ,  ils  s'étoient  attachés  à  leur  Roi  légitime  j  &;  que  dans 
ja  vue  d'empêcher  la  ruine  de  l'Etat ,  6c  de  détendre  la  Re- 
ligion qui  étoit  dans  un  auffi  grand  péril ,  ils  avoient  toujours 
fervi  fîdélemenr  le  Prince  que  Dieu  leur  avoit  donné ,  com- 
me ils  y  étoient  obligés  par  le  droit  naturel  :  Que  les  enne- 
mis de  la  Nation  s'étoient  introduits  en  France  à  la  faveur 
des  guerres  civiles ,  pour  partager  le  Royaume  entr'eux  ,  ôc 
le  ravager  ,  en  y  nourriilànt  le  feu  d'une  longue  divifion.' 
Qiie  leurs  pernicieux  defleins  tendoient  en  même  tems  à 
renverfer  l'Etat  Eccléfiaftique  ,  à  ruiner  la  Nobleiîe  ,  èc  à 
cpuifer  les  Villes  3  ce  qui  cauferoit  enfuite  la  perte  totale  de 
la  Religion  :  Qii'ainfi  tous  les  Fran(^ois,  qui  avoient  encore 
quelque  amour  pour  leur  patrie  ,  dévoient  faire  de  communs 
ejB-orts  pour  prévenir  ce  danger ,  qui  mena(^oit  la  Religion 
6c  l'Etat  :  Qiie  la  paix  étoit  le  feul  moyen  pour  y  parvenir: 
Que  dès  que  cet  heureux  traité  feroit  conclu  ,  l'ancienne 
Religion  répareroit  fes  pertes  j  le  Clergé  conferveroit  fa  di- 
gnité &  fes  privilèges  j  les  Magiftrats  jugeroient  avec  équiu 
té  3  la  Noblcfle  recouvreroit  de  nouvelles  forces  ,  pour  la 
défenfe  de  l'Etat  3  les  Villes  retrouveroient  dans  le  commerce 
leurs  anciennes  richeiGTes  5  les  arts ,  qui  foûtiennent  le  peuple, 
fe  rétabliroient  3  l'étude  des  belles  lettres  refleuriroit  3  6c  en- 
fin les  campagnes  incultes  6c  prefque  dcfertes ,  feroient  cul- 
tivées avec  un  nouveau  foin  :  Que  dès  que  la  paix  renaîtroic, 
chacun  rentreroic  dans  fes  devoirs  3  Dieu  ieroit  adoré  en 
efprît  6c  en  vérité  3  6c  le  peuple  jouiflànt  d'un  repos  fi  doux, 
combleroit  de  fes  bénédidions  les  auteurs  d'un  iî  grand  bien  5 
comme  il  chargeroît  de  malédidions  ceux  ,  qui  par  leur  am- 
bition 6c  leur  obfthiation  ,  feroient  naître  des  obftacles  au 
retour  de  cette  tranquillité ,  que  tout  le  monde  deiiroic  avec 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  685 

tant  d'ardeur  :  Qiie  le  duc  de  Mayenne  ,  tant  en  Ton  nom ,  s^!=!=: 
qu'au  nom  de  ceux  qui  écoient  attachés  à  (a  faction ,  ayant  H  en  ri> 
publié  un  écrit ,  par  lequel  il  déclaroit  qu'on  avoit  indiqué  I  V. 
une  allemblée  à  Paris ,  pour  travailler  à  calmer  les  troubles  i  <q7 
de  la  Religion  ëc  de  l'Etat ,  (  ce  qu'on  n'ofoit  efpérer  ,  puifl 
que  les  palFages  n'étoient  pas  libres ,  )  les  Princes  ,  Prélats , 
éc  Seigneurs  qui  étoient  auprès  de  S.  M.  tant  pour  eux  ,  que 
pour  les  Catholiques ,  qui  en  foutenant  leur  Religion  ,  per- 
îévéroient  dans  la  fidélité  qu'ils  dévoient  à  leur  Prince  ,  dé- 
claroient  pareillement ,  avec  la  permiiîîon  du  Roi ,  au  duc 
de  Mayenne,  aux  Princes  de  fa  maifon  ,  aux  Prélats ,  ôc  â 
tous  ceux  qui  étoient  allemblés  à  Paris  ,  que  s'ils  vouloient 
envoyer  quelques  perfonnes  diflinguées  d'entr'eux  dans  un 
lieu  commode  ,  entre  Paris  èc  S.  Denis  ,  pour  y  traiter  à 
l'amiable  des  affaires  de  la  Religion  &  de  l'Etat ,  ils  y  en- 
voyeroient  en  même  tems  leurs  Députés  :  Que  fi  le  duc  de 
Mayenne  èc  fes  parcifans  refufoient  cette  conférence  j  s'ils 
aimoient  mieux  en  venir  aux  dernières  extrémités ,  contre 
les  loix  du  Royaume  ,  &:  expofer  la  Religion  oc  l'Etat  à  un 
péril  évident  •  fi  enfin  dégénérants  de  la  vertu  de  leurs  an- 
cêtres ,  ils  laiiFoient  leur  patrie  en  proie  à  l'avidité  des  EC 
pagnols  ,  qui  déjà  triomphoient  inlolemment  de  la  fureur 
des  François  5  le  parti  Royalifte  proteftoit  de  fon  innocence , 
-6c  rejetteroit  avec  raifon  fur  eux  ,  la  faute  de  tous  les  mai- 
Jieurs  qui  fuivroient  3  puifque  aveuglés  par  leur  ambition , 
ils  auroient  rejette  toutes  les  propofitions  d'accommodement, 
&  préféré  des  avantages  particuliers  à  la  gloire  de  Dieu  ,  èc 
au  ialut  de  leur  Patrie. 

Cet  écrit  fut  figné  par  Louis  de  Revol ,  6c  l'on  en  chargea 
un  Trompette,  pour  leporter  à  Paris.  Deux  jours  après,  le 
Roi ,  par  l'ordre  de  qui  on  l'avoit  drefié  ,  donna  un  Edit 
pour  réfuter  l'Ecrit  du  duc  de  Mayenne.  Sa  Majcfi:é  ,  après 
avoir  dit  quelques  mots  fur  fon  amour  pour  fes  peuples ,  y 
parloit  ainfi. 

«  Nous  fommes  fâchés  d'être  venus  dans  ces  tems  mal-    Eaitdu  Roî 
>3  heureux,  où  la  plupart  de  nos  fuicts ,  tcrniflants  la  çloire  j""^'^ ^^"^^ 

'  r      r  .  .,,■''  ,  ».         du  duc  de 

)5  que  leurs  ayeux  s  croient  acquiie  par  un  attachement  m-  Mayenn»:, 
5î  violable  â  leurs  Princes,  attaquent  de  toutes  leurs  forces 
«l'aucoricé  Royale  ,  ^  couvrent  leurs  attentats  d'un  faux 

RRrr  iij 


6^^  HISTOIRE 

■'  , .,'    î>  prétexte  de  Religion  :  car  doit-on  attribuera  des  motifs 

Henri  »  légitimes ,  la  guerre  déteftable  qu'ils  ont  faite  à  deux  dif- 
I  V.  »>  té  rentes  fois  au  Roi  Henri  d'heureufe  mémoire  ?  Efb-ce 
T  c  r,  î  "  par  l'effet  d'un  véritable  zèle  de  Religion  .  qu'ils  ont  alîîé- 
ï5  ge  dans  Tours  ce  rrmce  ,  qui  avoir  alors  les  armes  a  la 
»  main  contre  ceux  qui  s'éloignoient  de  la  Foi  catholique, 
«  à  laquelle  il  avoit  toujours  ecé  très- attaché  ?  Sur  le  même 
»>  prétexte ,  ils  nous  font  la  guerre  avec  la  même  fureur.  Mais 
>î  leur  perverfité  efl:  à  prefent  manifcfte  3  plus  ils  tâchent  de 
>î  pallier  leur  crime  ,  plus  il  éclate. 

îî  11  eft  enfin  certain  que  cette  faction  de  quelques  mau- 
»5  vais  citoyens,  qui  ont  formellement  confpire  contre  leur 
«  patrie ,  n'a  jamais  eu  la  Religion  pour  motif ,  mais  qu'il 
»>  faut  attribuer  toutes  leurs  démarches  à  rrois  eau  lés  égale- 
M  ment  odieufes.  En  premier  lieu  ,  à  la  méchanceté  de  ceux 
w  qui  brûlants  du  defir  d'ulurper  la  Couronne,  ou  de  la  dî- 
»3  vifer ,  fe  font  mis  à  la  tête  d'un  parti  déteftable.  En  fe- 
>3  cond  lieu  ,  à  la  noire  politique  ,  ôc  à  la  haine  invétérée- 
>3  des  ennemis  de  l'Etat,  qui  profitants  d'une  occafion  qu'ils 
>3  n'avoient  jamais  trouvée  ,  de  renverfer  un  trône  qui  leur 
»3  fait  ombrage  ,  ont  échauffé  cette  caballe  ,  ôc  lui  ont  vo- 
»  lontiers  donné  toutes  fortes  de  fecours.  Enfin  à  la  fcélé- 
»  rateiFe  de  quelques  hommes  aulîi  mépriiables  que  crimî- 
55  nels ,  qui  abandonnés  delà  fortune,  &  jaloux  de  la  prof. 
ïj  périté  des  autres ,  ont  groffi  le  parti  des  ennemis  de  l'Etat, 
îî  dans  l'cfpérance  de  s'enrichir  impunément. 

«  La  Providence  divine  ,  dont  tous  les  co'ips  font  admî- 
>»  râbles ,  &  qui  fouvent  tire  un  plus  grand  éclat  des  cri- 
»  mes  même  les  plus  noirs  ,  paroît  aujourd'hui  dans  tout 
îî  fon  jour  ,  &  fe  manifeile  dans  un  illuftre  exemple.  Le 
>5  duc  de  Mayenne  vient  enfin  de  dévoiler  fés  vues  criminel- 
«  les  j  &  s'accule  lui-  même  par  l'écrit ,  qu'il  vient  de  publier 
»5  pour  raflemblée  des  Etats  â  Paris. 

»  Tout  fon  difcours  ne  tend  qu'à  fe  couvrir  du  voile  de 
»  la  probité  j  il  ofe  fé  donner  pour  homme  de  bien  ,  dans  le 
»  tems  même  que  fans  refped  pour  fa  patrie  ,  il  fournit  con- 
»  tre  lui-même  une  preuve  éclatante  de  la  témérité  la  plus 
>j  inoiiie  ,  en  poulîant  l'audace ,  jufqu'à  faire  un  Edic  fcellé 
>»  du  Iceau  royal ,  pour  la  convocation  dQs  Etats  généraux 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  ^87 

du  Royaume.  Il  n'appartient  qu'aux  Rois   de  convoquer   '  ■ 

leurs  lujets.  Celui  qui  prend  ainfi  les  marques  de  la  Sou-  Henri 
verainetë  ,  de  qui  olé  en  ufurper  les  droits  facrés ,  ne  pa-       I  V. 
roît-il  pas  vouloir  forcer  les  barrières  du  Trône  pour  y      1593» 
monter  3  &.  ne  le  rend.il  pas  par   cette  démarche  crimi- 
nel de  leze-Majefté  ?  ce 

5î  Ce  que  dit  enfuite  le  duc  de  Mayenne  eft  aufli  évi- 
demment faux.  Il  ofe  avancer  que  la  loi  falique  ,  cette 
loi  fi  ialutaire  à  l'Etat ,  de  auiîi  ancienne  que  le  Royaume  ^ 
cette  loi ,  à  laquelle  tous  les  François  font  foûmis  en  naif- 
fant ,  de  dont  ils  fucent  les  maximes  avec  le  lait ,  fans  qu'il 
foit  befoin  de  les  en  înftruire  -,  cette  loi  reçue  de  Dieu  ,  de 
à  laquelle  on  doit  attribuer  le  florifTant  état  de  ce  Royau- 
me depuis  une  fi  longue  fuite  d'années  qu'il  fubfifte  j  cette 
loi  enfin  ,  qui  par  la  grâce  de  Dieu  nous  a  donné  la  Cou- 
ronne, il  ofe  avancer  que  cette  loi  doit  empêcher  nos 
fujets  de  reconnoître  notre  autorité.  Lorfqu'appuyés  d'un 
droit  il  refpedable  ,  nous  voulons  prendre  les  rênes  du 
gouvernement ,  on  ofè  mettre  en  conteflation  ce  quiétoic 
certain  depuis  l'établilîèment  de  la  Monarchie.  Telle  efl 
la  force  de  la  loi  falique  ,  qu'aucune  conftîrution  nouvelle 
ne  peut  y  déroger  j  de  que  les  Rois  de  France,  arbitres 
desloix  ,  font  elfentiellement  foûmis  à  celle-ci.  « 
»3  C'efl  donc  en  vain  qu'on  objede  l'Edit  de  Blois  de  i  5  S  8. 
puifque  c'eft  la  loi ,  de  non  le  Roi  qui  régie  l'ordre  de  la 
fuccelîion  de  la  Couronne.  Quel  eft  d'ailleurs  l'homme 
fenfé  ,  qui  regardera  comme  légitime  cette  prétendue  af- 
fembléc  des  Etats  ,  où  la  liberté  des  fufFrages  fut  gênée, 
&  où  l'on  prépara  tout  pour  anéantir  l'autorité  du  Roi 
futur  ,  6c  pour  former  contre  lui  cette  conjuration,  donc 
la  France  fent  à  préfent  les  funeftes  effets  ?  Il  eft  certain 
d'un  côté  que  cette  affemblée  rebelle  fit  violence  au  roi 
Henri  j  car  efl-il  croyai)le  que  ce  fige  Prince  ait  voulu 
donner  atteinte  à  une  loi  qui  avoit  ouvert  le  chemin  du 
Trône  au  roi  François  I.  fon  ayeul  ?  Mais  d'un  autre  côté 
ils  n'ont  pas  fuivi  eux-mêmes  leur  énorme  décret.  Car  s'ils 
penfoient  que  l'édic  de  Blois  dût  avoir  lieu,  &: être  exé- 
cuté, pourquoi  le  duc  de  Mayenne  a-t'il  pris  la  qualité  de 
Lieutenant  général   du  Royaume ,  de  non-pas  celle  de 


€28  HISTOIRE 

■il "-  »  Lieutenant  du  cardinal  de  Bourbon  ?  Pourquoi  ne  lui  a-t'il 

Henri  >î  pas  donné  le  titre  de  Roi ,  dès  que  le  feu  Roi ,  par  un  at- 
I  V.  »  tentât  inoiii  ,  a  été  dégradé  de  la  Royauté  3  &  auffitôc 
I  59  î.  «après,  qu'il  a  été  tué  par  le  plus  exécrable  parricide  ? 
»  Pourquoi  enfin  a-t'il  ufurpé  pendant  trois  mois  les  fonc- 
«  tions  Royales,  fans  mettre  le  nom  du  Cardinal  dans  les 
«  aâ:es  publics  ?  Ce  procédé  n'a-t'il  pas  marqué  qu'il  femoc- 
îî  quoit  de  ce  décret  de  Blois ,  dans  le  même  tems  qu'il 
«  l'alléguoit ,  &  le  vantoit  fî  hautement  ?  Dans  la  fuite  il  s'effc 
>5  fervi  du  nom  d'un  autre  (i) ,  pour  colorer  ion  ufurpation, 
î>  &;  atteindre  infenfiblement  à  la  puillance  fouveraine ,  èc 
53  monter  au  Trône.  c< 

»  Si  nous  n'avons  encore  pu  nous  faire  facrer ,  un  Fran- 
>5  çois  qui  aime  fa  patrie  doit-il  fous  ce  prétexte  manquer 
»  à  la  fidélité  èc  à  l'obéifTance  qu'il  doit  à  fon  Prince  ?  La 
>î  Majefté  Royale  fe  foûtient  par  elle-même  ,  ôc  n'a  befbin 
«d'aucun  appui.  Après  qu'un  Prince  a  été  reconnu  pour  Roi 
>5  légitime  j  ne  peut-il  pas  fe  trouver  des  obfbacles  qui  re- 
>3  tardent  fbn  Sacre  ?  On  ne  peut  fe  prévaloir  de  ce  délai. 
>3  Qiioiqu'il  ne  fbit  pas  facré ,  il  n'en  eft  pas  moins  Roi  ^  6c 
>3  fes  peuples  ne  doivent  pas  pour  cela  le  fouftraire  à  To- 
«  beïflànce  qu'ils  lui  doivent.  Il  n'y  a  point  de  milieu  entre 
«  l'autorité  Royale  ôc  le  titre  de  Roi  j  &:  gouverner  un  Etat , 
>î  c'eft:  régner.  Tous  les  Rois  nos  prédécefleurs  ont-ils  été 
»  facrés  ?  u 

»  Nous  avons  fouvent  déclaré  ,  que  nous  ne  refufions 
«point  de  nous  faire  inftruire,  &c  de  reconnoître  nos  er- 
«  reurs  fi  l'on  pouvoit  nous  en  convaincre  ,  6c  nous  les 
«  faire  voir  clairement.  Nous  fommes  encore  dans  les  mê- 
»  mes  difpofitions  j  nous  nous  fbûmettrons  volontiers,  s'il 
M  eft  nécefTaire ,  aux  cérémonies  que  l'antiquité  a  toujours 
«  obfervées  dans  le  Sacre  des  Rois  j  6c  nous  ferons  tout  ce 
«qui  nous  eft  pofTible  pour  gagner  l'amour  de  nos  fujets, 
«  &  difTipper  leurs  fcrupules.  Mais  nous  nous  en  rapportons 
«  à  l'équité  des  Catholiques  ,  pour  décider  fî  nous  devons 
«  quitter  tout-à-coup  une  Religion  dans  laquelle  nous  avons 
«  été  élevés ,  ôc  en  prendre  une  autre  ,  fans  auparavant  nous 

(i)     Du  cardinal  de  Bonrbon ,  à  qui  la  Ligue  déféra  la  Royauté  fous  le 
com  de  Charle  X. 

"  êtrç 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  CV.  ^8^ 

»  être  fait  instruire ,  &;  fans  avoir   découvert  Ja   vérité.  Il  '  — ■ 

î»  faut  dans  cette  affaire  prendre  d'autant  plus  de  précau-  Henri 
î5  tions ,  que  notre  falut   éternel  en  dépend  ,  &  que  notre      I  V. 
»>  exemple  entraînera  un  grand  nombre  de  nos  lujets.  «  159^. 

>5  Nous  avons  fouvent  demandé  un  Concile  3  non  que 
>5  nous  attaquions  l'autorité  des  Conciles  précédens ,  comme 
»  les  Rebelles  ont  la  témérité  de  le  dire  3  mais  afin  d'y  dé- 
Ȕ  couvrir  les  erreurs  qu'on  nous  objede  3  &:  que  ceux  qui 
wfuivenc  la  même  doctrine  que  nous  ,  foient  inftruits  6c 
»  éclairés  avec  nous.  S'il  n'étoit  pas  permis  de  revoir  &  de 
»  traiter  une  féconde  fois  ce  qui  a  été  décidé  dans  un  Con- 
îj  cile ,  il  faudroit  dire  que  les  Conciles  poffcérieurs  qui  ont 
M  confirmé  des  Conciles  précédens  ne  font  pas  légitimes. 
»  Cependant  fi  l'on  peut  trouver  quelque  voie  plus  faci- 
»  le  ,  nous  ne  nous  en  éloignerons  point.  Nous  nous 
»  lommcs  afièz  expliqués  fur  cet  article  ,  lorfque  nous  avons 
»  permis  aux  Seigneurs ,  aux  Prélats ,  ôc  à  nos  autres  lujets 
î3  qui  nous  font  fidèles ,  d'envoyer  une  ambaffade  au  Pape  3 
»  nous  avons  d'ailleurs  plus  d'une  fois  exhorté  nos  ennemis 
«à profiter  des  trêves  pour  chercher  les  moyens  les  plus 
M  propres  à  notre  ioftrudion  ,  6c  pour  noiier  une  conférence 
59  à  ce  fujet.  « 

«  Ils  fe  font  contentés  de  ne  pas  rejetter  tout-à-fait  ces 
)3  propofîtions ,  tandis  que  d'un  autre  côté  ils  éxigeoienc 
»  tout  ce  qu'il  leur  plaifbit  des  Efpagnols ,  en  leur  faifanc 
"  craindre  la  paix.  Dans  le  fond  ils  ne  veulent  point  accepter 
"  nos  offres ,  6c  ils  craignent  même  une  conférence  3  car 
"  par  leur  dernier  écrit  ils  veulent  infmuer  que  ce  moyen 
î5  d'accommodement  n'eft  paspoifible,  quoiqu'ils  ne  l'ayenc 
5:>  jamais  tenté  ,  ni  propofé.  Dès  que  le  marquis  de  Pifany  , 
53  perfonnage  aufîî  illuftre  par  la  nobleffe  de  fon  fang ,  que 
53  par  fa  Religion  6c  fa  piété  ,  partit  avec  notre  permifîion 
53  pour  Rome  ,  ils  envoyèrent  une  ambaflàde  contraire  3  ils 
53  communiquèrent  leurs  deff^ins  à  la  faction  Efpagnole  ,  6c 
53  firent  tout  pour  empêcher  que  le  Pape  n'accordât  une 
55  audience  à  lambaiîadeur.  Toutes  les  fois  que  l'occalion 
53  s'eft  préfentée  de  parler  de  notre  retour  à  la  Religion 
53  Catholique,  ils  ont  toujours  affecté  de  dire  qu'ils  étoient 
7J  fournis  à  l'autorité  du  Pape ,  6n:  qu'ils  fuivroient  tout  ce 
rome  XI.  S  S  ii: 


G^o  HISTOIRE 

»  qu'il  ordonneroic.  Nous  efpérons  que  le  Pontife  par  Tes 
H  E  N  K 1  »  lumières  ordinaires  découvrira  leurs  artifices ,  6c  jueera 
1  V.       »  avec  equice.  et 

I  59  3.  53  Les  Rebelles  ne  doivent  pas  croire  que  leurs  rufes  obli- 

»  geront  les  Catholiques  de  le  joindre  à  leur  cabale  impie, 
»  ëc  d'abandonner  la  dëtenfe  de  leur  patrie.  Ils  feroienc 
»  beaucoup  mieux  eux-mêmes  de  palîer  du  côté  à^s  véri- 
M tables  François,  &  des  Catholiques  qui  foûtiennent  les 
53  intérêts  de  leur  Prince  ,  &;  de  s'unir  à  toute  la  Nation  ^  car 
>3  à  l'exception  de  la  maifon  de  Lorraine  ,  qui  eft  étran- 
5>  gère,  les  Princes  du  Sang,  les  Prélats,  les  Seigneurs  du 
33  Royaume ,  les  Magiftrats ,  6c  prefque  toute  la  Noblefle  , 
53  qui  forment  enlèmble  le  corps  de  la  République  Fran- 
33  çoife,  nous  font  fidèles ,  6c  défendent  avec  nous  les  intè- 
33  rets  de  la  Couronne  ,  6c  de  l'Etat.  Au  contraire  les  Rebel- 
33  les  tâchent  de  mettre  \ç.^  débris  embrafés  de  leur  patrie 
53  fous  le  joug  desEfpagnols  qui  ont  porté  le  feu  dans  fon 
53fein.  Ils  devroient  iè  fouvenir  que  ces  étrangers ,  dont  l'or 
53  les  éblouit ,  6c  à  qui  ils  ouvrent  les  chemins  du  Trône 
53  par  le  crime  le  plus  horrible  6c  le  plus  honteux,  font  ces 
53  mêmes  ennemis  contre  qui  ils  ont  tant  de  fois  combattu, 
33  6c  avec  qui  leurs  ancêtres  ont  eu  de  fi  longues  guerres  pour 
r>  coniérver  leurs  frontières.  « 

55  Mais  pourquoi  s'étonner  de  ces  forfaits  ?  Non  ieule- 
53  ment  ils  ont  vil  afiafiîner  leur  Roi  fans  en  être  touchés  3 
55  mais  encore  ils  ont  regardé  comme  un  coup  du  Ciel  ce 
53  crime  affreux  ,  dont  l'horreur  fera  une  tache  éternelle  au 
M  nom  François.  Il  ne  fuffit  pas  de  nier  le  fait  pour  faire  croire 
53  qu'ils  n'y  ont  point  participé.  S'ils  eufTent  voulu  le  perfua- 
33  der  ,  il  ne  failoit  pas  faire  des  rèjoiiifîances  publiques,  6c. 
53  rendre  sraces  à  Dieu  de  cet  aiîalfinat .  ni  révérer  la  mé- 
53  moire  de  l'auteur  de  cet  exécrable  parricide.  Ils  eufîènc 
53  dû  au  contraire  être  pénétrés  de  douleur  ,6:  détefter  l'ai- 
53  liance  d'une  nation  cruelle,  dont  les  mœurs  font  fi  éloi- 
55  nées  de  la  candeur  Françoife.  Lareconnoiilànce  pour  leur 
53  patrie  ,  qui  les  a  nourris  bi  comme  échaufïés  dans  fon  fein, 
53  qui  a  tiré  quelques-uns  de  la  pouffière  pour  \(t^  élever  aux. 
53  plus  grandes  charges ,  qui  \ts  a  prefque  égalés  aux  Sei- 
53  gnears  les  plus   qualifiés  ,  6c  les  a  comblés  de  biens  , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.         ^91 
ïséxiseoit  d'eux  ces  fentimens.  Si  des  motifs  fl  intérefTans  les  — 


M  touchent  peu ,  ils  feront  au  moins  impreffion  fur  le  cœur  Henri 
»  de  nos  fujets  fidèles  3  &  quoique  les   Rebelles  penfent  le       I  V. 
»»  contraire  de  ce  que  nous  venons  d'expofer  ,  il  eft  à  croire     i  cg  ^. 
»  que  ceux   qui  jufqu'à  préfenc  ont  défendu  les  droits  de 
53  notre  Couronne  ,    feront  encore    leur  devoir  avec  plus 
îj  d'ardeur.  c< 

>5  Nous  leur  montrerons  toujours  l'exemple  ,  fans  mena- 
î>  ger ,  ni  nos  peines  ,  ni  notre  fanté  ,  ni  notre  fang.  La  con- 
«  duite  équitable  que  nous  avons  tenue  à  l'égard  des  Ca- 
»>  tholiques  ôd  du  Clergé,  eft  alTez  connue,  èc  nous  avons 
55  fait  tout  ce  que  nous  avons  promis  à  notre  avènement  à 
«la  Couronne.  Mais  quoique  nous  ayons  rempli  nos  obli- 
55  gâtions ,  pour  difliper  néanmoins  entièrement  Ïqs  fcrupu- 
53  les ,  nous  jurons  encore ,  &  nous  promettons  que  nous  tien- 
55  drons  conftamment  la  même  conduite  ,  jufqu'au  dernier 
»3 moment  de  notre  vie.  Nous  atteftons  la  Majefté  divine, 
a  que  nous  ne  fouhaitons  rien  avec  plus  d'ardeur  que  de 
53  faire  d'une  manière  utile  &  convenable  tout  ce  qu'on 
53  exige  de  nous,  &  que  nous  nous  propofons  de  l'exécuter, 
33  avec  la  grâce  de  Dieu,  et 

53  Cependant  après  avoir  pris  les  avis  des  Princes,  Pré- 
53lats,  Seigneurs,  Magifbrats  6c autres  perfonnes  prudentes 
55  qui  compofent  notre  Confeil,  nous  déclarons  que  la  con- 
55  vocation  àcs  Etats  généraux  du  Royaume  faite  par  le 
53  duc  de  Mayenne  eft  un  attentat  aux  loix  les  plus  facrées 
5»  de  la  Monarchie  -,  &  nous  calions  d'avance  de  notre  pleine 
53  autorité ,  6c  annulions  tout  ce  qui  lera  dit  &  ordonné 
33  dans  cette  alTemblèe,  ce 

Cet  Edit  fut  lu  ,  publié ,  &  enregiftré  à  Tours.  Il  y  étoic 
encore  défendu  à  toutes  perfonnes,  de  quelque  qualité  & 
condition  qu'elles  fulTcnt,  aux  Villes  &  Univerfités  ,  d'al- 
ler à  l'alTemblée  indiquée  par  le  duc  de  Mayenne,  d'y  en- 
voyer des  députés,  de  favorifer  &  de  donner  aucun  fecours 
à  ceux  qui  oferoient  y  aller  ,  ou  qui  en  reviendroient ,  à  peine 
contre  les  contrevenans ,  &  contre  le  Syndic  de  cette  af- 
femblèe,  d'être  punis  comme  criminels  de  leze-Majeftè  au  A» 

premier  chef.   On  accordoit  un  délai   de  quinze  jours,  à  ••'• 

compter  du  jour   de  la  publication  de   l'Edit,  aux  villes,  ,  ,^.,. 

S  S  ff  ij 


Cc^i  HISTOIRE 

aux  communautés  ,  &  aux  particuliers  ,  pour  quitter  le  mau- 

Henri  vais  parti  qu'ils  fuivoient ,  ôc  pour  prendre  acle  de  leur  foû- 

IV.       mifFion    dans    \qs    Parlemens,  dans  le   reiFort   defquels  ils 

i^^j.      étoient ,  avec  promeflè  d'une  amniftie  générale  s'ils  obéïfl 

ioient  dans  ce  tems. 
sentimens       La  Déclaration  des  Princes  &:  des  Prélats  Royaliftes  qui 
fr  arirT  ^^^^^  ^^^  portée  à  Paris  par  un  Trompette  ,y  fut  lue  en  lè- 
lEcrit  Hts     cret.  Les  Ligueurs  qui  y  étoient  préfens  jugèrent  que  cette 
Catholiques    affaire  étoit  très-épineufe  ,  &  méritoit  toute  leur  attention. 
Ils  crurent  en  meme-tems  que  cet  écrit  n  avoit  ete  rait,  que 
pour  troubler  malicieufement  l'aiîemblée  des  Etats  ■  rendre 
odieux  les  Députés  qui  y  affifteroient,  li  l'on  rejettoit  \qs 
propofitions  d'accommodement  j  Se  faciliter  par  ce  moyen 
le  chemin  du  Trône  au  roi  de  Navarre.  Ils  furent  particu- 
lièrement   frappés   de  ce   que  cet  écrit  mettoit  les  droits 
de  la  Religion    après    ceux  de  la  Couronne,    6c  les   loix 
de    l'Etat    avant   celles  de  l'Eglilè  3    de  ce  que  les  Roya- 
liiles  y  déclaroient  n'agir  qu'avec  la  permiilion  du  Roi  que 
Dieu  leur  avoit  donné  ,  6c  que  le  droit  naturel  les  obligeoit 
de  refpeder  •  &  enfin  de  ce  que  cet  écrit  n'étoit  figne  que 
par  Louis  de  Revol  Secrétaire  du  Cabinet. 
I!  efl;  con-       Queiques-uns  furent  d'avis  de  n'y  pas  faire  de  réponfe. 

damne  par  Ja  ^^       }  i.-  »•  ,      .^   ,      . 

Sorbonne.  '  Le  Cardinal  de  Plaifance  décida  d'abord  que  cet  écrit  étoic 
pernicieux  ôc  rempli  de  fentimens  impies  Se  hérétiques.  Afin 
de  le  prouver  ,  comme  la  foi  y  écoit ,  félon  lui ,  intèreflée , 
il  choilit  à^s  Théologiens  pour  examiner  &  condamner 
cet  écrit.  Ons'aiFembla  en  Sorbonne  à  cet  effet  ^  &  l'on  y 
rendit  un  jugemenc  motivé,  6c  fondé  fur  plusieurs  paiïàges 
de  l'Ecriture  faince ,  ^  des  SS.  Pères.  La  Cenfure  portoic 
que  l'écrit  étoit  abdirde  ,  hérétique,  fchifmatique,  rempli 
d'impiétés,  àc  didé  par  un  efprlt  de  révolte  contre  l'E- 
glife  ,  en  ce  qu'on  y  foûrcnoi:  qu*un  hérétique  relaps,  con- 
damné 6c  excommunié  |ouvoit  avoir  quelque  droit  lur  la 
Couronne  de  France,  qu'il  devoir  êcre  regardé  comme 
Prince  légitime,  établi  de  Dieu,  ^  à  qui  le  droit  naturel 
.^    ,,'    obhVeoit  d'obéir. 

Affemblee  r^     r  r         i-  i  l  •  1         J  MM    ' 

des  Ligueurs,  On  lulpendit  pendant  quelques  jours  \qs  délibérations, 
&  leur  'Jéb-  jufqu'à  ce  que  les  Princes,  6c  les  autres  Ordres,  à  qui  l'écrit 
fujeV^'^    '^^  étoic  adxeffé  fe  fuffenc  affemblés.  Enfin  le  zj.  de  Février 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.        6c,^ 

l'affaire  fut  agitée  dans  une  aflemblée  nombreufe  j  les  fenti-  '  ""? 

mens  furent  partagés ,  ôc  l'on  y  parla  beaucoup  de  part  &  Henri 
d'autre  avec  chaleur.   D'un  côté  ,  l'on  foûtenoit  qu'il  étoit       IV. 
certain,  &  que  les  anciennes  hiftoires  prouvoient  par  des      ^59}» 
exemples  fameux,  que    les   conférences   fur    la    Religion 
étoient  toujours  dangereufès,  &  n'avoient   que  des   effets 
funeftes  ,  parce  que  les  hérétiques  pouvoient  bien  être  vain- 
cus par  la  force  de  la   vérité  3  mais  qu'on  ne   pouvoit ,  ni 
les  convaincre  ,  ni  \qs  perfuader  :  Qiie  ,  comme  le  difoit  autre- 
fois Sifinnius  à  Théodofè,  bien  loin  que  de  telles  négocia- 
tions puifTent  ramener  la  paix ,  &  être  de  quelque  utilité  , 
elles  faifoient  naître  de  nouvelles  difputes ,  &  irritoient  les 
efprits,  bien  loin  de  les  concilier. 

On  objedoit   au   contraire ,  que  le  refus   d'une  confé- 
rence étoit  auiîi  dangereux  qu'odieux  ,  puifqu'on  fembleroic 
par-là  rejetter  un  moyen   propre  à  finir  les  troubles,  ôc  à 
ramener  la  paix  dans  l'Eglife ,  6c  dans  l'Etat  :  Que  ceux  qui 
fuivoient  le  roi  de  Navarre  difoient  hautement  qu'ils  n'a- 
voient point  d'autres  vues   que  de  faire  un  accommode- 
ment •  &:  protefloient  que  fî  l'on  n'acceptoit  pas  leur  pro- 
po{]tion,les  calamités,  qui  accableroient  dans  la   fuite  le 
Royaume ,  ne  feroient  imputées  qu'à  ceux  qui  refuferoienc 
la  conférence  :  Qu'on  prenoit  déjà  en  mauvaife  part  le  re- 
tardement des  Confédérés  dans  cette  affaire  :  Que  leurs  en- 
nemis s'en  fervoient  pour  les  décrier-  &  débitoientde  tous 
côtés  que    l'ambition  de  quelques  particuliers ,  dont  l'in- 
térêt s'oppofoit  à  la  paix ,  empêchoit  qu'on  ne  prît  des  ré- 
folutions  falutaires  &  convenables  à  la  trifte  fituation  des 
affaires  :  Qu'il  falloit  encore  confîdérer  les  miféresdespeu* 
pies,  les  maux  que  fouffroit  la  ville  de  Paris,  &  l'incerti- 
tude où  l'on  étoit  de  l'arrivée  des  troupes ,  fans  lefquclles- 
on  ne  pouvoit  rien  exécuter  qui  fût  digne  de   l'affemblée 
des  Etats  Généraux  :  Que  le  duc  de  Mayenne  y  avoit  in- 
vité les  chefs  du  parti    contraire  :  Qu'il  étoit  donc  abfurde 
de  leur  refufer  la  conférence  qu'ils  demandoienr  3  puilqu'on 
devoit  entendre  leurs  raifons  dans  une  ailèmblee  plus  celé~ 
bre  qu'une  fimple  conférence  :  Qu'elle  auroit  toujours  un 
bon  effet  :  Que  d'un  côté  l'on  pouvoit  efpérer  que  les  Ca- 
tholiques fe  fépareroient  des  féclaires  pour  fé  joindre  aux 

SSffiij 


6^4-  HISTOIRE 

"  !  Confédérés  :  Que  de  l'autre,  (î  cela  n'arrivoic  pas,  la  haine 

Henri  dont  le  parti  contraire  vouloit  les  charger,  retomberoit  fur 
I  V.  lui-même  :  Que  les  peuples  feroient  alors  convaincus  que 
1)93.  fon  obftination  étoit  le  lèul  obftacle  qui  empêchoit  qu'on 
ne  remédiât  aux  maux  de  la  Religion  dc  de  l'Etat  ^  èc  que 
la  conduite  de  la  Ligue  feroit  approuvée  de  tout  le  monde  , 
puiiqu'on  auroit  été  obligé  d'en  venir  aux  dernières  ex- 
trémités. 

Cet  avis  l'emporta ,  èc  du  confentement  des  trois  Or- 
dres ,  on  arrêta  qu'on  n'auroit  diredement  ,  ni  indirecte- 
ment aucune  conférence  avec  le  roi  de  Navarre  ,  ou 
quelque  autre  hérétique  que  ce  fût  ,  en  ce  qui  regardoic 
la  Religion  &  l'Etat  3  mais  qu'après  avoir  conlulté  le  legac 
du  Pape ,  on  pourroit  conférer  avec  les  Catholiques  du 
parti  contraire  fur  ce  qui  concernoit  la  Religion ,  le  faluc 
du  Royaume,  ôcla  réconciliation  des  Hérétiques  avec  TE- 
glife  Cathohque ,  Apoftolique  &;  Romaine  :  Qu'on  répon- 
droit  à  leur  écrit  dans  les  termes  les  plus  modérés  qu'il  fe- 
roit poffible  :  Qi-ie  cependant  dans  cette  réponfe ,  &  dans 
la  conférence ,  on  foûtiendroit  toujours  qu'un  hérétique  , 
ou  quelque  autre  Prince  qui  ne  feroit  point  profeflîon  de 
la  Religion  Catholique  ,  Apoftolique  èc  Romaine  ne  pou- 
voit  être  roi  de  France. 

Tout  fut  communiqué  au  Légat  par  les  Députés  -,  6c  il 
approuva  cette  réfolution ,  eipérant  que  dans  la  conférence 
on  pourroit  ébranler  la  fidélité  des  Catholiques  Roya- 
liftes.  On  rédigea  cette  réponfe  le  4.  de  Mars ,  &  l'on  af- 
fecta de  faire  paroître  qu'elle  avoit  été  faite  dans  l'aflèm- 
blée  des  Etats.  Elle  étoit  adreffée  aux  Princes ,  Prélats , 
Seigneurs ,  &  Gentilshommes  Catholiques  qui  fuivoient  le 
parti  du  roi  de  Navarre.  Un  Trompette  la  porta  à  Char- 
tres. Elle  étoit  au  nom  du  duc  de  Mayenne  ,  qui  y  pre- 
noit  la  qualité  de  Lieutenant  Général  des  Royaume  &c 
Couronne  de  France ,  &  au  nom  des  Princes ,  Prélats  , 
Seigneurs,  6c  Députés  aflemblés  à  Paris.  Les  Secrétaires 
des  Députés  des  trois  Ordres  l'avoient  lignée  5  àc  elle  étoîc 
Réponfe  des  conçuë  en  ces  termes.^ 

Ligueurs  aux       js  Nous  avôns  reçû  votre  Lettre ,  qu'un  Trompette  nous 
Roydlfte""    w  a  rendue  il  y  a  quelques  jours.  Nous  fouhaitons  qu'elle 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  ^95 

^,  foîc  véricablemenc  de  vous  ,  &  qu'elle  aie  été  dictée  par  ce  , 

„  zélé  ,  &c  cette  afFecUon  que  vous  aviez  autrefois  pour  l'E-  Henri 

„  glife,  le  Ibuverain  Pontife  ,  &.  le  Saint  Siège.  S'il  en  efl       IV. 

,,  ainii,  nous  nous  réunirons  bientôt  avec  a'ous,  pour  tour-      1595. 

„  ner   toutes  nos   forces  contre  les  Hérétiques.  Nous  n'a- 

3,  vons  pas  befoin  d'autres  armes  pour  renverfer  ces  nou- 

„  veaux  Autels  qu'on  tâche  d'élever  fur  les  débris  de  nos 

,j  temples  ,  &  pour  empêcher  les  progrès  de  cette  héréfie 

,,  qui  eft  tolérée  depuis  fî  long-tems,  qui  même  eft  hono- 

,,  rée ,  êc  trouve  des  récompenlès,  de  qui,  lorfqu'on  devroic 

,,  la  pourfuivre  avec  le  fer  6c  le  feu  ,  non-feulemenc  veut 

„  être  reçue  ôc  approuvée  en  France  3  mais  encore  y  éta- 

„  bhr  effi'ontément  Ton  fiége  ,  ôc  y  dominer  à  la  faveur  de  la 

y,  protection,  que  lui  accorde  un  Prince  Hérétique. 

»  Cette  lettre  n'eft  pas  fignée  de  ceux  ,  au  nom  defquels 
>5  elle  eft  écrite ,  àc  cela  nous  fait  douter  avec  raifon  de  ihs 
>5  auteurs  ;  mais  quoique  nous  foyons  certains  qu'elle  ne  con- 
53  tient  point  vos  véritables  lentimens  ,  &  que  ceux  à  qui 
n  vous  êtes  attachés  vous  ôtent  la  liberté  des  fuffrages  dans 
wles  affaires  qui  regardent  la  Religion  &le  falut  de  l'EtaCj 
jî  cependant  nous  y  aurions  plutôt  fait  reponfe  ,  fî  nous 
55  n'euflîons  attendu  .les  députés  des  Provinces  qui  s'étoienc 
53  déjà  mis  en  chemin  pour  venir  à  Paris.  Dès  qu'ils  ont  été 
53  arrivés  en  nombre  fuffifant ,  nous  n'avons  point  différé  de 
33  vous  écrire  ,  de  crainte  que  notre  filence  ne  fût  pris  en 
53  mauvaife  part. 

33  Nous  proteftons  donc  en  prefence  de  Dieu  ,  èc  après 
>3  avoir  reçu  le  Corps  facré  de  Jefus-Chrift  ,  &  la  bénédic- 
33  tion  du  Légat ,  que  toutes  nos  vues ,  nos  défirs ,  &  nos  dé- 
33  marches,  tendent  uniquement  à  conferver  la  Religion 
33  Catholique ,  Apoftolique  &  Romaine  ,  dans  laquelle  nous 
53  nous  proposons  de  vivre  &  de  mourir.  La  vérité  éternelle 
53  qui  ne  peut  nous  tromper,  nous  a  dit  elle-même  de  cher- 
33  cher  avant  toute  choie  le  Royaume  de  Dieu.  Nous  efpé-  . 
33  rons  qu'en  fuite  la  bonté  divine  répandra  fur  nous  avec 
33  abondance  les  biens  dont  nous  avons  beloin  dans  cette 
et  vie  mortelle.  Après  avoir  fbngé  à  la  confervation  de  la 
33  Religion,  les  intérêts  de  l'Etat  méritent  tout  notre  foin, 
«Mais  nous  les  foûtiendrons  mal  ,  &  nous  travaillerons 


6^6  HISTOIRE 

Il     I        I    "  in-Litiiement ,  fi  nous  cherchons  d'autres  fecours  que  ceux  de 
H  £  N  K  I  »  1^  divine  Providence  ,  6c  fi  nous  laifiànc  gouverner  parles 
I  V.       >»  conïeils  de  la  providence  humaine, nous  avons  recours  à 
î  en  2,      "  des  moyens  iajultes  ,  6c  indignes  du  nom  Cadiolique. 

)j  Ainfi  oubliants  les  dangers  que  riiérëfie  nous  fait  crain- 
>î  dre,  nous  iommes  prêts  de  confentir  à  tous  \qs  moyens 
>3  convenables  qui  nous  feront  propofés  pour  diminuer  6c 
53  guérir  entièrement  nos  maux  j  car  une  trifte  expérience 
»  nous  a  appris  combien  la  guerre  civile  efl  funefi;e  ,  6c  nous 
M  n'avons  pas  befoin  qu'on  nous  montre  nos  playes  pour  les 
M  fentir  vivement.  Dieu  connoît  les  auteurs  de  ces  calamités^ 
«  il  nous  fuffit  de  fçavoir,  comme  l'Eglile  nous  l'enfeigne , 
>3  que  nous  ne  pouvons  être  en  lûreté  de  confcience ,  ni  joiiir 
M  du  repos  défiré  ,  qu'en  mettant  la  Religion  à  couvert  des 
>3  coups  qu'on  veut  lui  porter. 

«  Nous  voyons  donc  que  la  réconciliation  que  vous  nous 
>j  propofezeft  également  utile  bi.  nécefiaire  aux  deux  Partis. 
«  La  charité  Chrétienne  nous  la  fait  fouhaiter  avec  l'ardeur 
«  la  plus  fincére,  ^  nous  vous  conjurons  d'y  travailler,  fans 
M  que  les  invedives  6c  les  calomnies,  que  les  Sedaires  dé- 
>5  bitent  contre  nous  ,  foient  capables  de  vous  arrêter. 
>3  Qiiant  à  l'ambition  dont  ils  nous  accufent ,  vous  pouvez 
«  nous  fonder  6c  nous  éprouver  ,  6c  examiner  fi  ce  n'eft 
33  pas  la  Religion  feule  qui  nous  fait  agir.  Séparez-vous  des 
>3  Hérétiques  aufquels  vous  êtes  attachés,  quoique  vous  les 
33  déteftiez  ^  6c  après  cette  heureufe  defunion,  dont  ,  \qs 
33  mains  élevées  vers  le  Ciel  ,nous  rendrons  grâce  à  Dieu,  vous 
33  verrez  les  effets  de  notre  attachement ,  6c  de  notre  amour 
»  pour  vous.  Nous  vous  chérirons,  6c;  nous  vous  refpede- 
33  rons  comme  vous  le  méritez  ,  ^  comme  nous  y  fommes 
35  obligés.  Alors  vous  reconnoîtrez  notre  probité  ^  notre 
33  modération ,  ^  vous  ferez  convaincus  que  nous  nous  fom- 
33  mes  volontiers  expofés  à  toutes  fortes  de  dangers ,  dans  le 
^  33  feul  motif  de  défendre  la  foi  6c  de  foûtenir  la  gloire  de 
33  la  Nation.  Si  nous  vous  traitons  autrement ,  vous  pourrez 
33  vous  élever  contre  nous, 6c  démaiquer  notre  criminelle  diflî- 
33  mulation.  Vous  pourrez  condamner  publiquement  notre 
33  méchanceté  ôc  nos  fourberies  ,  6c  exciter  contre  nous  l'in- 
33  dignation  de  Dieu  6c  des  hommes.  Vous  nous  arracherez 

les 


DE  J.  A.  DE  THOTJ,  Liv.  CV.        ^97 

■J9  les  armes  des  mains ,  où  nos  forces  feronc  Ci  épuîfëes  que 

>3  vous  nous  accablerez  facilement.  Henri 

»  Vous  devez  cependant  fuir  le  poifon  de  l'héréfie ,  6c       IV. 
53  plutôt  craindre  cette  pefte  ,  qui  fait  tous  les  jours  de  £      1593. 
«  grands  ravages  ,  que  cette  ambition   imaginaire  qu'on 
5)  nous  impute.  Suppofé  qu'il  s'en  trouve  parmi  nous ,  elle 
>3  eft  Cl  foible  ,  qu'elle  ne  trouvera]  aucun  appui  ,   dès  que 
w  la  Religion  n'y  fera  plus  intéreflée. 

»  On  nous  objecte  encore  par  une  noire  calomnie  que 
»  nous  introduifons  les  étrangers  dans  le  Royaume.  Nous 
»  devons  défendre  la  Religion,  notre  gloire  èc  nos  biens, 
ï3  àc  nous  oppofer  à  ces  Sedaires  qui  ne  ibuhaitent  que  notre 
«perte.  Contraints  par  une  dure  néce(îité,  &  réduits  aux 
»  dernières  extrémités  par  la  force  de  vos  armes  que  vous 
«  avez  tournées  contre  nous ,  nous  avons  eu  recours  à  la 
"  PuifTance  de  nos  alliés.  Le  fouverain  Pontife  &:  le  Saint 
«  Siège  nous  ont  fecouru  ,  6c  aucun  des  Papes ,  qui  pendant 
«  ces  troubles  font  montés  fur  la  chaire  de  Saint  Pierre  ne 
M  nous  a  encore  abandonnés,  preuve  éclatante  delajull:ice 
îî  de  notre  caufe.  Nous  avons  encore  imploré  les  fecours  du 
}>  Roi  Catholique  ,  ce  Puiflant  allié  de  la  France ,  êc  qui  eft 
«  aujourd'hui  le  feul  Prince  en  état  de  foûtenir  avec  fuc- 
«  ces  la  Religion.  Il  nous  a  fecourus  généreufement  ,  fans 
53  efpérer  d'autre  récompenfe  que  la  gloire  d'un  Ci  grand  bien- 
55  fait.  Nous  avons  imité  plulieurs  de  nos  Rois  qui  fe  font 
55  fervis  des  troupes  du  Pape  6c  du  Roi  Catholique  ,  pour 
55  dompter  ces  mêmes  Hérétiques.  Nous  n'avons  fait  aucun 
55  traité  préjudiciable  à  l'Etat  ,  ni  qui  nous  Toit  honteux  , 
55  quoique  nous  fuffions  réduits  aux  plus  fâcheufes  extré- 
55  mités. 

53  Bien  loin  de  nous  en  faire  un  crime:  rep-ardez  vous- me- 
ï>  me  les  Anglois  qui  font  tous  leurs  efforts  pour  introduire 
55  chez  nous  l'héréfie  :  voilà  ces  anciens  ennemis,  qui  parles 
î3  titres  6c  les  qualités  qu'ils  ufurpent  encore  aujourd'hui , 
45  vous  rappellent  leurs  odieufes  prétentions  fur  le  trône  de 
55  nos  Rois,  6c  qui  ont  encore  les  mains  teintes  du  fang  de 
>5  tant  de  Catholiques  innocens,  qui  par  les  ordres  injuftjs 
w  d'une  Reine  cruelle  6c  inhumaine  ont  foufFert  conïlam- 
«5  ment  la  mort  pour  la  Religion, 

Tome  XI.  T  T  t  c 


Henri 
IV. 

1593. 


Amours  de 
Catherine 
fociir  du  Roi 
&  du   'omte 
Je  SoiiTons. 


^98  H  PS  T  O  I  R  E 

53  CeiTez  donc  de  nous  traiter  de  Rebelles ,  parce  que  nous 
5  refufons  de  reconnoître  un  Prince  hérétique.  Vous  dites 
3  que  le  droit  naturel  nous  oblige  de  lui  obéïr  ,  comme  à 
3  notre  Roi.  Mais  en  vous  attachant  trop  aux  loix  hu- 
3  maines  ,  prenez  garde  d'oublier  les  préceptes  divins.  Ce 
3  n'efl  ni  le  droit  naturel, ni  le  droit  pofitil:  qui  nous  font 
3  obéïr  à  nos  Rois  3  c'eft  la  loi  de  Dieu  &c  de  Ion  Eglife ,  qui 
3  doit  être  notre  guide  dans  robéïfTance  due  aux  Princes 
3  de  la  terre.  Cette  loi  n'exige  pas  feulement  dans  la  fuc- 
»  ceiîion  du  trône  la  proximité  du  fang  ,  a  laquelle  vous 
3  vous  attachez  uniquement -elle  requiert  encore  la  catho- 
3  licite  du  Prince  qui  doit  nous  commander.  Cette  loi  eft 
3  le  plus  folide  appui  de  l'Etat  j  elle  a  toujours  été  obfervée 
3  par  nos  ancêtres  ,  elle  efb  immuable  j  &  quoique  l'autre 
3  loi  qui  regarde  les  droits  du  fang  ,  ait  fouvent  changé ,  la 
3  puillance  ôc  la  dignité  du  trône  n'ont  jamais  été  ébranlées, 
33  Pour  parvenir  à  cette  réconciliation  fî  néceiïàire  ,  &: 
3  que  nous  délirons  avec  tant  d'ardeur ,  nous  acceptons  vo- 
3  lontiers  la  conférence  ,  &  nous  vous  propofons  pour  le 
0  lieu  de  l'allemblée  un  endroit  entre  Paris  éc  Saint  Denis  5, 
3  près  de  S.  Maur  ,  ou  la  maifon  de  la  Reine  au-deflbus  de 
3  Chaillot. 

Michel  Martel ,  Nicolas  Pile  ,  Jean  Jacque  Cordier ,  èc 
Séraphin  Tieleman  fecretaires  des  États  Généraux  lignèrent 
cette  lettre.  Le  duc  de  Mayenne  étoit  alors  à  l'armée  ,  ôc 
alTiégeoit  Noyon  •  &  le  Roi  étoit  allé  à  Tours ,  pour  re- 
cevoir Catherine  fàfœurqui  venoit  de  Bearn. 

Sept  ans  auparavant ,  on  avoit  parlé  ouvertement  du  ma- 
riage de  cette  Princelle  ,  avec  Charle  de  Bourbon  comte  de 
Soillons ,  fon  coufin  germain,  lorfqu'ayant  quitté  le  parti  du 
Roi  Henri  IIÎ.  il  paila  dans  celui  du  roi  de  Navarre.  Ce 
mariage  fut  rompu  dans  la  fuite  ,  &  le  Comte  en  conferva 
toujours  un  fecret  refléntiment^  mais  il  ne  difcontinua  pas 
d'aimer  la  Princelfe,  àc  ils  s'ecrivoient  fecrétement  fans  la 
permiiîion  du  Roi,  qui  cependant n'ignoroit  pas  tout-à-fait 
cette  liailon. 

Corilande  d'Andoins  de  Guiche  ,  veuve  du  comte  de 
Grammont  tué  à  la  Fere  en  Vermandois ,  avoit  été  autre- 
fois aimée  par  le  Roi.  Cherchant  à  fe  venger  du  mcprii  de^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CV.  ^99 

fjL  beauté ,  elle  favonfoic  en  fecrec  les  amours  de  Catherine  - 


&  du  comte  de  SoiiFjns.  Elle  confeilla  donc  à  ce  Prince  ,  Henri 
pendant  que  le  Roi  étoit  occupé  au  fiége  de  Roiien,  de  le       I  V. 
rendre  à  Tours,  fous  prétexte  d'y  voir  la  mère  qui  y  étoit      1593. 
malade,  &L  de  paiïer  enfuice  en  Bcarn  ,  avant  que  le  Koi  pût 
en  être  informé.  Il  s'en  fallut  peu  que  ce  projet  ne  réiilsîtj 
car  les  deux  amans  s'étoient  fait  des  promeffès  réciproques 
de  mariage  ,  6c  les  avoient  (Ignées.  Mais  les  perfonnes  que 
le  Roi  dépêcha ,  employèrent  l'autorité  du  Parlement  de 
la  Province,  pour  empêcher  la  célébration  du  mariage  ,  ôc 
obligèrent  le  comte  de  Soilibns  de  fortir  de  Pau.  Le  Roi  fie 
enfuite  venir  fa  ibeur  à  la  Cour,  &c  alla  même  au-devanc 
d'elle  jufqu'à  Saumur  fur  la  fin  de  Février.  Il  rappella  aulîl 
de  Bretagne  Henri  de  Bourbon  duc  de  Montpenfîer  ,  qu'il 
deftinoit  pour  époux  à  fà  fœur. 

L'abfence  du  Roi  empêcha  le  cardinal  de  Bourbon  qui 
étoit  refté  à  Chartres  avec  quelques  Confeillers  du  Conleil 
privé ,  de  répondre  fur  le  champ  à  la  lettre  des  Ligueurs  j 
car  il  étoit  néceûTaire  de  l'envoyer  auparavant  au  Roi ,  & 
de  le  confulter  fur  la  réponfe  qu'il  jugeroit  à  propos  qu'on  y 
fît.  Enfin  le  29.  de  Mars  le  Cardinal  écrivit  avec  la  per- 
mifîion  du  Roi.  Après  s'être  excufé  de  fon  retardement,  il 
manda  que  des  que  les  Seigneurs  qui  s'étoient  difperfès  en 
différens  endroits  du  Royaume  pour  y  continuer  la  guerre, 
fe  feroient  alîemblés  de  nouveau  à  Mantes  ,  ils  répondroienc 
vers  le  15.  du  mois  prochain  :  Qu'il  prioit  cependant  les 
Confédérés ,  en  attendant  l'expiration  de  ce  délai  pour  ac- 
célérer la  conférence,  de  déclarer  les  noms  èc  les  qualités 
des  perfonnes  de  leur  parti  qui  y  alFifleroient. 

Les  I  igueurs  répondirent  le  cinq  d'Avril,  quilsefpèroîenc 
qu'on  conféreroit  dès  le  i  5.  du  mois  courant  fans  aucune 
autre  remife ,  &  ils  demandoient  qu'on  pourvût  à  la  fureté 
des  Députés ,  &  qu'on  donnât  de  part  &  d'autre  des  fauf- 
conduits ,  écrits  de  telle  forte  qu'il  reftat  un  efpace  en  blanc, 
pour  y  inlérer  les  noms  de  ceux  qui  feroient  employés  i 
cette  négociation. 

Cependant  le  Roi  ayant  appris  que  l'armée  de  la  Ligue 
avoit  afllégé  Noyon  ,  fe  rendit  à  Ivlante  avec  toute  la  Cour, 
Se  y  ayant  laiiïe  fa  lœur,  marx;ha  en  diligence  avec  une  troupe 

TTttij 


700  HISTOIRE 

la^EEËE^ÊE^^  d'élite  du  côté  de    la  Picardie ,  afin   que  s'il  ne  pouvok 

Henri  fecourir  Noyon  ,  il  pût   du  moins  combattre  le   duc    de 

I  V,       Mayenne  &  le  comte  de  Mansfeld. 

1593»  Ôrielque  tems  auparavant,les  députés  des  Provinces  6c  des 

Aficmbiée    Villcs  engagées  dans  la  Ligue  s'étoient  rendus  à  l'allèmblée 

^es  Ligueurs  des  Etats  indiquée  par  le  duc  de  Mayenne.  Lqs  Députés  de 

i'Ifle  de  France  étoient  en  grand  nombre  ,  &c  on  diitinguoic 

entre  autres  Gilbert  Genebrard,  Moine  Bénédidin,  qui  a  voie 

été  ProfeiTeur  de  la  langue  Hébraïque  ,  èc  qui  étoit  alors 

archevêque  d'Aix.  Il  avoit  été  élevé  à  cette  dignité  pendane 

les  troubles ,  &  lans  l'autorité  du  Roi.  Ce  Prélat  qui  étoic 

fort  fçavant ,  a  fait  beaucoup  d'ouvrages.  Mais  foit  qu'il  fût 

partial ,  foit  faute  de  génie ,  bien  des  gens  trouvent  qu'il  a 

.écrit  avec  peu  de  difcernement. 

Noms  des  ^^  voyoit  encore  entre  les  Députés  de  l'Iile  de  France, 

lincipaux      Jean  Boucher  curé  de  Saint  Benoift  ,  homme  d'une  pro- 

Depiues.        fonde  érudition  ,  mais  dont  les  difcours  &  les  écrits  em-. 

portés  n'étoîenc  pas  tolérables  j  êc  Jacque  Cueilly  docleur 

de  Sorbonne  ,  &,  curé  de  Saint  Germain  de  l'Auxerrois.  La 

NoblelTe  avoit  député  Louis  de  l'Hôpital  Vicry    ôc  Louis 

du  Croc  de  Chenevieres.  Etienne  de  NueiUy,  Jean  le  Maître, 

èc  Guillaume  du  Vair    Confeiller  au   parlement  de  Paris 

aiîiftoient  à  cette  alTemblée  pour  l'ordre  des  Magiftrats,  qui 

dans  cette  Province  ont  un  rang  particulier  aux  afïémblees 

dQs  Etats. 

Jean  Louis  de  Pontallîer  de  Tailemé  ,  Etienne  Bernard  , 
Jean  Saulnier  évêque  d'Autun  ,  François  Rabutin  de  la 
Vaux  ,  Cirus  de  Thiard  nommé  à  l'évêché  de  Châlons-fur- 
Saone ,  Claude  Languet  ,  Joachim  de  Damas  du  RoufTel  , 
&  Claude  de  Lenoncourt  de  Loches  étoient  députés  de  la 
province  de  Bourgogne.  La  Normandie  avoit  député  Jean 
Dadré  dodeur  en  Théologie  ,  Antoine  de  Magnerer  baron 
d'Hermanville,  Guillaume  Pericard  abbé  de  Saint  Taurin, 
6c  François  Pericard  evêque  d'Avranches.  La  Guienne  avoit 
envoyé  Gafpard  le  Franc  chanoine  de  Poitiers  ,  &  René 
Daux  du  Bournais.  La  Bretagne  avoir  choifi  Jean  Daradon 
évêque  de  Vannes,  &. Louis  de  Montigni.  La  Champagne , 
Oudard  Hennequin  Doyen  de  l'églife  de  Troyes  ,  Nicolas 
de  Pradel  de  Mcnrhoiinj  Claude  de  Senailly  de  Rïmancourr, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.         701 

&  Anfelme  de  Marify.  Robert  de  la  Menardiere  abbé  de  ~ 
Sainte-Colombe,  &:  Hedor  de  Saint  Blaiie  étoient  députés  H  e  n  k  1 
de  la  ville  de  Sens.  Claude  de  Coquelet  évêque  de  Digne  ,  I  V. 
de  celle  de  Meaux.  Godefroy  de  Billy  abbé  de  S.  Vincent,  1595. 
de  celle  de  Laon.  Rheims  avoit  député  Nicolas  de  Pellevé 
Cardinal  qui  avoit  été  pourvu  de  l'Archevêché  de  cette 
ville,  fans  la  nomination  du  Roi,  &  de  Pipemont.  Soiflbns 
avoit  député  Jérôme  Hennequin  fon  Evêque.  Godefroy  de 
la  Martonie  évêque  d'Amiens  étoit  auflî  député  de  cette 
ville ,  avec  Jacque  Sagier  do(5teur  en  Théologie ,  François  de 
Paillard  de  Choqueufe,  èc  Robert  de  Monchi  de  Landroii. 
Orléans  avoit  nommé  Claude  de  la  Chaftre  gouverneur 
de  rOrléannois  êc  du  Berry.  Les  Députés  de  l'Anjou  ,  du 
Maine  6c  de  l'Angoumois ,  étoient  des  gens  inconnus.  Pierre 
d'Elpinac  archevêque  de  Lyon  êc  Prefident  du  Clergé  dans 
cette  ailemblée  étoit  député  du  Lyonnois,  avec  Marc  de  Sa- 
connay  Chambrier  èc  comte  de  Lyon.  Le  Forêt  avoit  dé- 
puté Anne  d'Urfé  marquis  de  Bangey.  Le  Dauphiné,  Jérôme 
de  Villars ,  chanoine  de  l'Eglife  cathédrale  de  Vienne.  La 
Provence  Eleazar  Raflellet  évêque  de  Riez  ,  Gérard  Beran- 
ger  nommé  à  l'évêché  de  Frejus,  Bertrand  de  Fourbin  de 
Bonneval,  Fionoré  du  Laurent  Avocat  Général  au  parle- 
ment d'aix  ,  &  Jean  Jacque  Cordier  de  Marfeille. 

On  avoit  fixe  l'ouverture  de  l'afTemblée  au  25.  de  Jan- 
vier ,  jour  de  la  fête  de  la  converlion  de  Saint  Paul  3  mais 
les  Députés  n'ayant  pu  s'allèmbler  ce  jour  là  ,  on  ne  com- 
j-nença  que  le  lendemain  ,  jour  de  la  fête  de  S.  Polycarpe.  • 

L'alîemblée  fe  tint  dans  le  Louvre  où  l'on  avoit  drelîe  un 
théâtre.  Ce  retardement  fut  fâcheux  pour  le  cardinal  de 
Pellevé  qui  avoit  préparé  un  difcours  fur  la  converfîon  de 
S.  Paul ,  &  qui  fit  des  efforts  aufîî  inutiles  que  ridicules,  pour 
ajufl:er  ce  qu'il  avoit  à  dire  à  la  fête  de  S.  Polîcarpe.  Après      Difcours 
que  le  duc  de  Mayenne  eut  fait  un  petit  difcours ,  le  Cardi-  ^i^'cuie  du 
nal  parla  en  vieillard, &  dit  bien  des  chofes  inutiles, 6c  hors  de  "àievX 
faifon  3  enforte  que  bien  loin  d'attirer  l'attention  de  l'afTem- 
blée ,  il  fit  rire  la  plupart  de  ceux  qui  la  compofoient.  En 
fai(ànt  l'éloge  de  la  France  ,  il  afîûra ,  en  prefence  de  Dom 
Diegue  d'Ibarra  ambafTadeur  d'Efpagne  ,  que  la  Norman- 
die, dont  le  Cardinal  étoit  originaire  ,  éc  d'une  maifon 

TTttiij 


702  HISTOIRE 

difl:inguée,écoic  plus  écenduë  &  plus  opulence  que  le  Royaume 
H  E  N  tu  de  Naples.  Il  die  encore  que  Iqs  Princes ,  comme  les  hom- 
I  V.       mes  de  la  plus  balle  condition  ,  étoient  également  expofés 
i^qz,     ^"^x  caprices  de  la  fortune  &  aux  maladies.  Il  jetta  en  mê- 
me tems  la  vue  fur  le  duc  de  Mayenne ,  &  fembla  lui  adreC 
ièr  ces  paroles.  Il  ofa  même  employer  pour  preuve  de  ce 
qu'il  avançoit  l'exemple  de  ce  Prince   qui  ,  comme   tout 
le  monde  le  içavoic  ,  relevoic  d'une  maladie  (  honceufe.  ) 
*  MS.  Samm. 

Prefque  toutes  les  perfonnes  fenfées ,  qui  étoient  alors  a 
Paris  defaprouvoient  cette  afTemblée,  comme  faite  à  contre, 
tems  j  on  prévoyoic  qu'elle  n'auroit  aucun  effet  j  que  les  Ef^ 
pagnols  èc  leurs  Partifans  agilToient  imprudemment,  &  per- 
doient  leurs  peines.  Hors  de  Paris ,  on  s'en  moquoic  hau- 
tement 5  êc  l'on  étoit  indigné  de  voir  que  le  duc  de  Mayenne, 
malgré  fon  expérience ,  lé  laifsât  emporter  jufqu'à  ce  point 
pari'efprit  de  faction  ,  &:  fervît  lionteulemenc  la  pofTeflion 
des  Eipagnols,  qu'il  fçavoit  être  (es  ennemis  fecrecs. 
Il  parut  dans  le  même  tems  une  Satyre,  fous  le  titre  de 
ou'vra^c'com-  C^ifhoUcon  ,  auffi  ingénieufe  que  piquante  ,  &  qui  tournoit  en 
tneiici  par  un  ridicule  les  préparatifs  ôc  les  différentes  fcenes  de  cette  ai- 
Sian?  ^°^~  "^^^rri^i^^-  L'auteur  de  cet  ouvrage  fuppofe  des  tapilléries  , 
qui  peignent  au  vif  toute  l'hifloire  de  la  Ligue  ,  ôc  en  fait  la 
deicription.  11  attribue  enfuite  des  difcours  d'un  ferieux  co- 
mique au  duc  de  Mayenne  ,  au  légat  du  Pape  ,  au  cardinal 
de  Pellevé,  à  l'archevêque  de  Lyon,  à  Guillaume  Rolle  évê- 
que  de  Sentis ,  à  Claude  d'Aubray  ,  &:  à  Rieux  ,  qui  peu  de 
tems  après  fouffrit  à  Compiegne  le  dernier  fupplice  à  caufe 
de  ï^es  brigandages ,  6c  parce  qu'il  ne  vouloit  pas  rendre  le 
château  de  Pierrefond  en  Valois  ,  dont  il  s'étoic  emparé. 
On  croit  qu'un  prêtre  Normand  homme  de  probité,  en- 
nemi des  factions ,  &.  qui  avoitété  aumônier  du  cardinal  de 
Bourbon  .commença  cette  Satyre  ^  maïs  n'ayant  pu  faire  que 
les  premières  fcenes  de  cette  ingénieufe  comédie  ,  un  autre 
travailla  fur  fon  plan  ,  ^  le  porta  heureufemcnc  à  fa  per- 
fection ,  par  les  traits  d'une  plaifanterie  auffi  naturelle  que 
fine  &  délicate  j  enforte  que  dans  tout  le  tems  de  ces  guerres^ 
il  ne  parut  rien  qui  futplus  applaudi  5c  mieux  reçu,  par  les 
beaux  efprics  des  deux  partis. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.    CV.         703 
L'afTemblée  fur  interrompue  après  cette  première  féance , 


par  rabfence  du  duc  de  Mayenne  ,    qui  après  la  prife  de  Henri 
Noyon  ,  alla  au-devant  des  troupes  auxiliaires  de  Flandre  ,       I  V. 
&  ne  put  fe  rendre  à  Paris  que  fur  la  fin  de  Mars.   Dès  qu'il     1503.. 
fut  revenu,  raiTemblée  recommença  au  Louvre  le  2.  d'Avril, 
&  fut  très  nombreufe.    Le  duc  de  Mayenne,  le  Cardinal 
Sega  Légat  du  Pape  ,  Charle  duc  de  Guife  ,  Charle  duc 
d'Elbœuf ,  le  Cardinal  de  Pellevé  ,  &c  les  principaux  Sei- 
gneurs èc  Prélats  de  ce  parti  y  afliftérent.   Laurent  Suarez 
de  Figueroa  de  Cordouë  ,  duc  de  Feria  ,  ambalTadeur  d'EC 
pagne  ,  que  (on  maître  avoir  envoyé  depuis  peu  avec  Inigo 
de  Mendofe ,  y  fut  admis  ,  êc  lit  un  difcours  Latin  dont  voici 
le  précis. 

'>  Meifieurs ,  le  traité  de  paix  fait  entre  le  F.oi  Catholique ,     ^^tmit  Ja 
5s  &  Henri  H.  Roi  de  France  ,  ayant  été  confirmé  par  le  difcours  du 
»  mariage  d'Elifabeth  de  France ,  avoit  fait  efpérer  une  Ion-  'l^'^.'^'^JV''' 

-C>,  r  'n'     '  •         1  •    '       r        t     '     '      AmbaOadeur 

«  gue  oc  neureule  tranquillité  j  mais   de  pernicieuies  hère-  d'Efpagne. 

«  lies ,  appuyées  &  foutenuës  avec  obftination  par  de  puifïans 

"  Princes ,  &  par  un  grand  nombre  de  Sçavans  ,  fe  font  glif- 

î3  Cécs  dans  ce  Royaume  ,  où  la  Catholicité  fleurilToit  de- 

»  puis  tant  de  fiécles.    La  mort  prématurée  de  Henri  IL 

»  ayant  empêché  le  Roi  mon  maître  de  donner  des  preuves 

>3  autentiques  de  fon  attachement  à  fon  beau-pére  ,  S.  M.  C. 

53  a  confervé  les  mêmes  fentimens  pour  fa  belle-mére  ècfQs 

w  parens.  Que  n'a-t-elle  point  fait,  pour  empêcher  que  rien 

«  ne  pût  troubler  la  paix  qu'on  venoit  de  conclure  ?  Elle  a 

33  pris  encore  tous  les  foins   que  les  bons  Princes  doivent 

33  avoir  pour  la  défenfe  de  la  Religion    de  nos  ancêtres. 

33  Elle  a  envoyé  à  Charle  IX.   une  armée  commandée  par 

33  Carvajal.  Le  comte  d'Arembergh  eft  venu  dans  la  fuite  de 

5«  Flandre  avec  des  troupes  choifies.   Le  comte  de  Mansfeld 

53  efl  aulîi  pafTé  en  France  avec  une  puiflànte  armée.  Tous 

33  ces  Généraux  vous  ont  rendu  de  grands  fervices  3  &  quoi- 

53  que  le  Roi  mon  maître  fe  foit  en  cela  couvert  de  gloire  , 

33  il  eft  encore  plus  glorieux  pour  lui ,  &  il  mérite  plus  de 

33  louanges  ,  de  ce  que  toutes  les  injures  qu'il  a  reçues  ne  lui 

53  ont  point  fait  changer  de  fentiment.   Car  la  Reine  Cathe- 

53  rine  oubliant  tous  ces  bienfaits  a  envoyé  deux  armées  na- 

53  vales  ,  pour  appuyer  les  troubles  de  Portugal ,  &  le  duc 


704  HISTOIRE 

55  d'Alençon  Ton  fils  s'efl  emparé  de  Cambray ,  Se  de  la  plus 
Hen  RI  "  grniide  partie  de  la  Flandre.    Henri  III.  lui-même  les  a. 
1  V.       »  aidés  dans  ces  entreprifes ,  ou  du  moins  ne  s'y  eft  pas  op.- 
55  pofé  ,  comme  il  auroic  dû  ,  &  comme  il  pouvoic  le  faire. 

.  )5  Le  delir  qu'avoir  S.  M.  C.  de  conferver  une  véritable 
>s  union  ,  &:  une  fincére  amitié  avec  le  roi  Henri  III.  étoufFa 
53  le  vif  reiTcntiment  de  ces  outrages  réitérés  j  &  quoique  le 
53  Roi  mon  maître  eût  pu  fe  venger  ,  comme  tout  l'Univers 
53  le  fcait ,  cependant  il  aima  mieux  abandonner  [es  intérêts , 
33  Se  le  manquer  à  lui-même  ,  que  d'ôter  à  des  Princes  fes 
53  parens ,  les  moyens  de  Te  repentir  ,  6c  de  changer  de  con- 
31  duite  à  fon  égard. 

53  Après  la  mort  du  duc  d'Alençon ,  le  prince  de  Bearn  (  i  ) , 
53  ce  terrible  ennemi  de  notre  Religion ,  lit  éclater  fes  pré- 
53  tentions  fur  le  trône  de  vos  Rois ,  Se  le  roi  Henri  III.  lui 
53  accorda  publiquement  fa  faveur  Se  fa  protedion.  Le  duc 
53  de  Guife  Se  le  cardinal  de  Lorraine  ,  ces  deux  ilkiftres  fré- 
>3  res  ,  qu'on  ne  peut  ailèz  loiier ,  ne  fongérent  que  fore 
3:)  tard  à  remédier  à  ces  maux.  Comme  il  leur  falloit  de 
5?  puilTans  fecours  d'hommes  Se  d'argent,  ils  firent  avec  le 
33  Roi  mon  maître  ,  un  traité  très- onéreux  pour  lui.  Vous 
35  pouvez  confulter  la  copie  de  ce  traité.  Vous  n'y  trouverez 
33  que  desfentimens  de  la  plus  haute  piété.  Les  gens  de  pro- 
53  bité ,  Se  ceux  qui  auront  la  Religion  pour  principe  ,  n'y 
33  verront  rien  qui  foit  fufceptible  de  la  moindre  cenfure,c 
33  S.  M.  Ç.  vouloit  prévenir  les  calamités  dont  la  France 
53  étoit  menacée,  Se  craignant  que  fans  fès  fecours  ce  puiiTanp 
53  Royaume  ne  pérît  entièrement  ^  elle  fournit  alors  de  gran- 
S3  des  fommes  d'argent ,  Se  Henri  III.  fut  obligé  de  prendre 
t3  des  fentim^ens  plus  Religieux.  Si  ce  Prince  avoit  agi  fin- 
33  cérement ,  les  feux  que  T'héréfîe  a  allumés  dans  ce  Royaa. 
53  me  ,  feroient  éteints  ^  mais  le  Démon  s'y  oppofa  de  toutes 
^3  les  forces ,  Se  lorfque  le  roi  Catholique  croyoit  être  par- 
53  venu  au  but ,  il  (e  trouva  encore  au  commencement  de  la 
>3  carrière  3  il  fut  encore  obligé  de  prodiguer  les  tréfors  ,  Sc 
?3  il  s'exppfa  à  tous  les  dangers  de  la  guerre. 

(1)  L'Ambaffadcur  ne  donne  ici  au  i  de  Navarre ,  parce  qu'il  fuppofe  que  le. 
roi  Henri  IV.  que  le  titre  de  prince  de  j  Royaume  de  Navarre  appartient  à  Phî- 
J>caj:n ,  ôf  lui  rcfufe  même  celui  de  roi  i  lippç  roi  d'Efpagne. 

»I| 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.    CV.         705 

M  II  efl:  vrai  que  les  troupes  Efpagnoles  ont  été  battues  à 


»j  Yvri  5   mais  l'arrivée  du  duc  de  Parme  changea  la  face  Henri 
>j  des  affaires.   Ce  Général  arracha  Paris  des  mains  des  en-       IV. 
ïsnemis  ,  fous  la  puiflànce  de  qui  cette  grande  ville  alloit      1593. 
ï»  tomber ,  après  s'être  longtems  détendue  par  la  fermeté 
>3  &:  le  courage  de  (es  habitans.   La  même  chofe  eft  arrivée  â 
>3  Roiien  •  &:par  un  exemple  peut-être  unique,  de  généro- 
»  fîté  6c  d'amitié  ,  le  Roi  mon  maître  a  facrifîé  tous  fQs  in- 
w  térêts  au  bien  6c  à  la  confervation  de  ce  Royaume. 

»  Depuis  le  commencement  de  cette  guerre ,  il  a  toujours 
Ȕ  eu  quelqu'un  de  Cqs  Miniftres  en  France,  pour  vous  fou. 
»  tenir  ,  vous  confoler  ,  6c  vous  rendre  tous  les  fervices  pofîî- 
"  blés.  Ses  foldats  font  prêts  à  verfer  leur  fang  pour  votre 
M  défenfe.  Il  a  prodigué  plus  de  fîx  millions  d'écus  d'or , 
>j  fans  avoir  tiré  aucun  fruit  de  tant  de  travaux ,  6c  de  tant 
M  de  dépenfes.  S.  M.  C.  eft  même  allée  plus  loin.  Toujours 
•>3  inquiète  du  falut  de  ce  Royaume ,  elle  a  preflé ,  èc  ellQ  a 
>3  ménagé  enfin  cette  aifemblée  des  Etats  généraux.  Elle  a 
M  engagé  les  Souverains  Pontifes  à  prendre  la  France  fous 
>j  leur  protedion.  Elle  m'a  enfin  chargé  de  vous  expofer  fcs 
>j  fentimens. 

»  Elle  croit  qu'il  eft  de  votre  intérêt  de  mettre  fur  le  trône 
55  de  wos  Rois  un  Prince  catholique  ,  qui  foit  afîèz  puilFanc 
»5  pour  procurer  la  paix  à  cet  Etat,  remédier  aux  calamités 
53  qui  vous  accablent,  vous  défendre  6crepoufrer  lesinfultes 
»  de  vos  ennemis.  Dès  que  vous  aurez  élu  un  tel  maître , 
>3  perfonne  ne  peut  douter ,  qu'avec  la  grâce  de  Dieu  ,  la 
»  Rehgion  Se  l'Etat  ne  reprennent  leur  ancienne  fplendeur. 
>3  Je  vous  prie  donc,  6c  je  vous  conjure,  Meffieurs ,  d'agir 
53  vivement  dans  cette  importante  affaire,  fans  aucunes  vues 
33  d'intérêt  particulier.  Le  moindre  retardement  ne  peut 
33  être  que  dangereux.  Pour  lever  tous  les  doutes  6c  tous  [qs 
33  fcrupules ,  le  Roi  mon  maître  vous  offre  volontiers  toutes 
33  fes  richeffes ,  s'il  en  eft  befoin  j  6c  vous  promet  de  plus 
33  grands  fecours  ,  que  ceux  qu'il  vous  a  procures  jufqu'à 
33  préfent.  De  votre  côté  travaillez  avec  tout  le  foin  pofîî- 
33  ble  à  la  conclufion  de  cette  affaire  ,  qui  mérite  toute  votre 
>ï  attention,  ce 

L'Ambafladeur  offrit  enfuite  ks  fervices  particuliers  j  6c 

Tûme  XI,  V  V  vv 


70Ô  HISTOIRE 

f  préfenta  une  lettre  du  roi  d'Eipagne  datée  de  Madrid  au 

H  E  N  K  1  mois  de  Janvier  précédent.  Le  cardinal  de  Pellevé  la  reçut, 
IV.       ôcla  remit  fur  le  champ  à  Nicolas  de  Piles  abbé  d'Orbais, 
i  CQ7,     Secrétaire  de  la  chambre  du  Clergé  ,  afin  qu'il  la  lût.  Phi- 
lippe ,  après  une  longue  énuméracion  de  tous  les  iervices 
phmppe  aux  ^^ndus  à  la  France ,  èc  de  Tes  bienfaits  confirmés  par  tant 
Etats  aifcm-    d'illuftres  témoignages  ,   exhortoit  par  ces  lettres  i'aflem- 
biésauLou-    ^i^g  ^  ^c  point  le  féparer  ,  fans  élire  pour  Roi  un  Prince 
Catholique  ,  qui  ne  méritât  cet  honneur  que  par  [çs  hautes 
qualités,  êc  qui  pût  rétablir  l'ancienne  Religion ,  èc  remet- 
tre dans  fon  luflrela  gloire  de  la  Nation.  Ilajoûtoit  qu'on  ne 
devoit  agir  que  pour  la  gloire  de  Dieu  j  &:  que  le  duc  de  Feria. 
fon  Ambafladeur,  expliqueroit  les  autres  intentions. 
Sentimens  de       Ceux  que  l'efprit  de  facTiion  aveugloic,  entendirent  avec 
l'aiTembiée     plaifir  la  Icclure  de  cette  lettre  ,  èc  de  tout  ce  qui  étoit  die 
fur  cette  let-  j^  |^  ^^^^  ^^  j.^'  cl'Efpagne  ^  mais  les  plus  fages ,  qui  con- 

fervoient  toujours  quelques  loupçons  des  deUeins  d'une  Na^ 
tion  ennemie  ,  jugeoient  que  les  Efpagnols  profîtoient  de 
l'occahon  que  leur  préientoient  les  calamités  publiques  , 
pour  augmenter  leur  puiflance  ,  6c  fe  venger  des  injures  de 
des  pertes  qu'ils  avoient  iouffertes  :  Que  ces  apparences  de 
bonté  &  d'amitié  cachoient  leurs  vûësambitieules  ,  &;  qu'ils 
agilloientà  peu  près  comme  Philippe  de  Macédoine,  qui,' 
au  rapport  de  Thucydide  &  de  Trogue  Pompée ,  (  ou  Ju- 
ftin  ,  )  voulant  dompter  les  Oriciens  fes  ennemis  ,  envoya 
chez  eux  une  armée  ,  fous  prétexte  de  les  fecourir  contre 
des  féditieux  qui  troubloîent  leur  République. 

Le  cardinal  de  Pellevé  ,  tout  zélé  qu'il  étoit  pour  la  Li- 

fée^&"m5b!e'  gue  ,  ne  put  foufFrir  ces  lettres  remplies  de  reproches ,  ôC 

du  cardinal     qù  Torgueil  Efpagnol  fe  manifeftoir.    (Quoiqu'on  ne  fût  'pas 

de  Pellevé.     pj-^venu  en  fa  faveur  ,  on  avoua  néanmoins  que  fa  réponfe 

au  difcours  du  duc  de  Feria  ,  fut  fenfée  èc  vive  ,  &:  qu'il 

foutint  l'honneur  de  la  France,  avec  autant  de  liberté  &  de 

nobielTe  ,  que  ces  tems  fâcheux  le  permettoient.    Après 

avoir  dit  que  les  trois  Ordres  étoient  fort  redevables  à  S. 

M.  C.  de  leur  avoir  écrit  &c  fait  expliquer  fes  intentions  , 

par  la  bouche  de  fon  Ambaflàdeur  ,  il  ht  l'éloge  du  duc  de 

Feria,  à  qui  on  avoir  confié  cette  importante  ambafîâde, 

comme  à  celui  qui  de  toute  la  cour  d'Efpagne  en  étoit  le 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  CV.        707 

plus  digne.  Il  rappella  l'ancienneté  &  la  noblefle  de  la  mai-  1 

ion  de  ce  Seigneur.  Il  parla  auffi  de  fa  mëre  ,  Angloilè  de  H  e  n  r.  i 
nadon  ,  qui  comme  une  autre  Hélène  mëre  de  Conilancin ,       I  V. 
avoit  répandu  ies  libéralités  fur  les  Ecolfois ,  les  Irlandois ,     1593. 
ôc  les  Anglois ,  chafles  de  leur  païs  pour  la  Religion  ,  àc  con- 
traints de  chercher  un  aille  en  Efpagne. 

Le  Cardinal  pourfuivit  enfuite  en  ces  termes.  >3  Toutes 
"  les  choies  humaines  ont  leurs  révolutions  6c  leurs  viciilitu- 
M  des.  Ce  Royaume  autrefois  il  floriflknt ,  &:  qui  maintenant 
w  eft  accablé  de  mille  calamités  ,  efl:  un  trifte  exemple  de 
»  l'inconftance  de  la  Fortune.  Tant  que  nos  Rois  ont  été  les 
»  défenfeurs  de  la  Foi ,  ils  ont  donné  des  loix  à  pluiîeurs  Na- 
>î  tions  puilTantes  ^  ils  ont  étoufFé  fans  peine  les  fectes ,  qui  s'é- 
>3  levoient  contre  la  véritable  Religion,  &  porté  de  tous  côtés 
M  leurs  armes  victorieufes.  Il  y  a  plus  de  onze  cens  ans  que 
M  Clovis  ,  le  premier  de  nos  Rois ,  qui  ait  embralFé  le  Chri- 
93  ilianifme  ,  àc  pour  qui  le  Ciel  envoya  la  Sainte  Ampoulle  , 
»  dompta  les  Vilîgoths ,  ces  protecteurs  obftinés  de  î'Arria- 
îî  nifme.  Le  fiége  de  leur  Empire  étoit  à  Touloufe  ,  de  ils 
»3  étoienc  maîtres  de  tout  le  païs ,  qui  eft  entre  la  Loire  èc 
>5  les  Pirenées.  Ce  Prince  auffi  brave  que  Religieux ,  les  vain- 
)5  quit  dans  le  Poitou  ,  tua  de  fa  propre  main  Alaric  leur  Roi, 
M  éc  ramena  toutes  ces  Provinces  à  la  vraye  foi.  Cette  vic- 
»3  toire  ouvrît  à  la  Religion  Catholique  le  chemin  ,  pour  pé- 
>3  nétrer  en  Efpagne  ,  où  Almaric  fils  d'Alaric  s  etoit  retiré. 
33  Car  Childebert  iîls  de  Clovis  ayant  accordé  la  paix  à  Ai- 
>3  marie,  lui  donna  en  mariage  la  fœur  Clotilde ,  à  condi- 
w  tion  que  le  prince  Goth  embralFeroit  la  foi  Catholique  j 
33  mais  Childebert  voyant  qu'Almaric  ne  quittoit  point  Cqs 
35  erreurs ,  ôc  qu'il  maltraitoit  fa  femme  Clotilde  ,  qui  étoit 
33  Catholique  ,  ne  le  put  fouffrir.  Il  paiTa  deux  fois  en  Efpa- 
33  gne  avec  une  nombreufe  armée  ,  vainquit  Almaric  ,  per- 
33  fécuta  l'Arrianifme ,  6c  rétablit  dans  ces  contrées  la  Foi 
33  que  S.  Jacque  y  avoit  autrefois  prêchée  ,  &  que  le  tems 
33  avoit  prefque  fait  oublier.  Pour  lailFer  à  la  poftérité  un 
33  monument  célèbre  de  tant  de  victoires ,  ce  Prince  fît  bâ- 
33  tir  à  Paris  le  monaftére  de  S.  Vincent  (  i  }  ,  qu'on  appelle 

(  I  )   On  commença  de  bâtir  cette  i  acheve'e  que  vers  l'an  j'j'*?.  L'Eglifc  fut 
Abbaïe  vers  Tan  542.  ôl  elle  ne  fut  1  dédie'e  cette  année  par  S.  Germain ,  au 

VVvv    ij 


7o8  HISTOIRE 

■_„^ ■ >î  à  prëfent  i'Abbaïe  de   Saint  Germain   des   Prés. 

Henri  »  Cliarle  Martel ,  qui  fur  la  fin  du  régne  des  Rois  Mero- 
I  V.  »>  vingiens  ,  &  à  la  faveur  de  leur  foiblefle  ,  prit  en  main  le 
I  ço  5  »  gouvernement  de  la  France ,  &  ouvrit  le  chemin  du  Trône 
»  àPepinfon  fils,  en  éloignant  Childeric  III.  lit  furies  bords 
53  de  la  Loire  un  affreux  carnage  de  ces  troupes  immenfes  de 
»3  Sarazins  ,  qui  avoient  inondé  l'Afrique  èc  i'Efpagne.  Il 
î>  tailla  en  pièces  les  Sarazins  &  les  Viiîgoths ,  qui  réunis 
>3  enfemble  avoient  fait  une  irruption  dans  le  Languedoc. 
»î  Comment  Charlemagne  fils  de  Pépin  a-t-il  mérité  les  ti- 
55  très  magnifiques  de  Grand ,  de  Saint,  &  d'Invincible  ?  Les 
w  vidoires  qu'il  a  remportées  en  faveur  de  la  Religion  ,  & 
>3  les  défaites  des  Sarazins  qu'il  a  fi  fbuvent  domptés  ,  &: 
w  qu'il  obligea  enfin  de  fe  renfermer  dans  leur  pais ,  lui  ont 
»  fait  donner  ces  noms  illuftres. 

»5  Alphonfe  le  Chafte,  roi  de  Galice  &  des  Afturies,  par 
»  reconnoiffance  de  tous  les  bienfaits  qu'il  avoit  reçus  de  ce 
55  Prince  ,  (é  fit  gloire  de  fe  dire  vaflàl  de  Charlemagne.  Les 
33  nies  de  Majorque  &,  de  Minorque  fe  foumirent  à  ce  Mo- 
35  narque  ,  qui  les  avoit  défendues  contre  toute  la  puifîànce 
33  des  Maures  &  des  Sarazins  3  &  ce  Prince  ne  donna  le 
35  royaume  d'Aquitaine  à  fon  fils  Louis  le  Débonnaire  ,  qu'a- 
33  fin  qu'il  fût  toujours  prêt  à  combattre  ces  ennemis  du  nom 
>3  Chrétien. 

33  Je  ne  puis  pafïèr  fous  filence  ce  que  les  hiftoriens  EC 
33pagnols  rapportent  du  connétable  Bertrand  du  Gucfclin. 
>3  Ce  grand  Capitaine  avoit  été  envoyé  en  Efpagne  par  le 
33  roi  Charle  V.  Il  détrôna  Pierre  le  Cruel  roi  de  CalHile, 
33  qui  par  (qs  barbaries  ,  &  la  protedion  qu'il  accordoit  aux 
53 Juifs,  avoit  attiré  fur  fa  tête  les  anathêmes  d'Urbain  V. 
53  II  fit  monter  fur  le  Trône  Henri  de  Trillemare  (  i  )  j  ôc  ceux 
33  de  Caftille&  de  Léon,  par  ordre  de  du  Guefclin  recon- 
3>nurent  Henri  d'autant  plus  volontiers,  qu'ils  afliiroient 

rapport  de  Grégoire  de  Tours  ,  en  I  Childebert ,  que  le  portail  de  la  princi- 
rhonneur  de  la  Sainte  Croix  &  de  S.  !  pale  entrée  de  TEglife ,  6c  le  gros  clo- 
Vincent  Martyr  ,  à  caufe  que  Childe-  ^  cher  qui  eft  au  bout.  La  partie  fupé- 
bert  avoit  donné  à  cette  Eglife  une  rieure  qui  eft  au-defTus  des  cloches ,  efl 


croix  enrichie  de  pierreries  ,  ôc  la  tu- 
nique de  S.  Vincent.  II  ne  refte  rien 
aujourd'hui  de  ce  qui  a  été  bâti  par 


plus  récente. 
(1)  Ou  Traoftamare. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.  709 

»  que  par   les   anciennes   loix  de  l'Empire  Gothique,   ils         ■' 
»>  pouvoient  Ce  foufkraire  à   robéïlTànce  d'un  Tyran,  de  fe  H  F.  n  r  i 
"faire  un  autre  Roi,  fans  obferver  l'ordre  de  la  kicceffionj        I  V. 
>j  enforte  que  fî  une  pareille  révolution  arrivoit  de  nos  jours ,      i  c  o  t 
»  elle  nedevroit  point  paroîcre  nouvelle,  après  un  éxem-  - 
»  pie  fî  fameux.  « 

"  L'inclination  des  François  pour  les  Efpagnols  a  encore 
>5 éclaté  parles  alliances  qu'ils  ont  faites  avec  eux.  Saine 
M  Louis  étoit  fils  de  Blanche  de  Caftille.  Des  PrincefTes  Ef- 
Mpagnoles  ont  donné  le  jour  à  Philippe  L  6c  à  Philippe 
"  Augufte.  De  notre  tems  François  L  a  époufé  Eléonore 
"  fœur  de  Charle  V.  Philippe  qui  régne  aujourdhui  avec 
«  tant  de  gloire  a  partagé  fa  Couronne  avec  Elifabetli  fille 
»>  de  Henri  II.  Charle  IX.  fils  du  même  Henri  IL  a  époufé 
53  Elifabeth  d'Autriche  fille  de  MaximiHen  ,  &  nièce  du  Roi 
»  Catholique ,  Princefle  que  fes  vertus  &  fa  piété  ont  toû- 
->->  jours  rendue  chère  à  la  France.  Depuis  ce  tems  ,  les  deux 
»  Nations  ont  été  unies ,  6c  fe  font  rendu  des  fervices  ré- 
>5  ciproques.  ce 

»  Le  Roi  Catholique  a  été  touché  du  trifle  fort  de  ce 
"  Royaume,  qui  tomboit  en  décadence  3  6c  ce  Prince  qui 
«  foûtienc  fî  bien  le  titre  de  Catholique  j  ce  Prince  donc 
aies  fujets  font  auffi  rehgieux  que  lui ,  &  dont  le  zèle  fur- 
«pafîe  celui  des  anciens  Empereurs  Chrétiens  ,  qui  non 
>5 feulement  conferve  la  pureté  de  la  Religion  dans  iès  Etats  , 
»  mais  encore  la  protège  6c  la  défend  chez  les  Nations 
5j étrangères,  contre  tous  les  efforts  des  infidèles  6c  deshé- 
î5  rètiques  •  ce  Prince  enfin  ,  qui  a  trouvé  le  premier ,  6c  qui 
»  a  montré  aux  Chrétiens  les  moyens  de  vaincre  les  Turcs , 
?5  qui  a  porté  le  flambeau  de  la  foi  dans  des  pais  inconnus 
>5  aux  fîécles  précèdens  ,  6c  jufqu'au  bout  du  monde  ^  ce 
«fage  Prince  par  une  bonté  fans  exemple  nous  a  préfenté 
>3une  main  fecourable  pour  empêcher  la  ruine  totale  de 
»  cette  Monarchie.  « 

Le  Cardinal  ajoiita  à  ce  pompeux  éloge  quelques  traits 
ëclatans  de  la  vie  des  Empereurs  Trajan  6c  Théodofe ,  qui 
ctoient  Efpagnols.  11  éleva  Philippe  au-deffus  de  Ferdinand 
6c  de  Maximilien  fes  ayeux ,  6c  même  de  Charle  V.  fon 
père  3  >3  Car  ,  dic-il ,  combien  de  guerres  ce  Monarque  a-t'ii 

V  V  u  u  ii] 


710  HISTOIRE 

_.  îsfoûtenuës  pour  la  défenfe  de  nos  Autels  Se  de  nos  biens, 

Henri  »  pour  la  gloire  du  nom  Chrétien ,  de  pour  le  maintien  de 

I  V.       >ï  la.  Religion  Catholique  ,  Apoftolique  &  Romaine  ?  Il 

i  cq  z       "  nous  a  délivrés  de  la  tyrannie  d'un  hérétique ,  lorlqu'étanc 

>î  étroitement  preiFés  par  un  fiége  ,  il  envoya  à  notre  fe- 

"  cours  le  duc  de  Parme,  ce  Capitaine  aufiilageque  cou- 

»3  rageux.  Sa  Religion  étoufïe  les  iéntimens  d'ambition  que 

»  l'éclat  d'une  nouvelle  Couronne  pourroit  lui  infpirer  j  6c 

>j  à  l'exemple  de  Jovinien  ,  qui  après  la  mort  de  Julien  l'A- 

«  poflat  étant  falué   Empereur   par    fcs  foldats,  n'accepta 

»  l'Empire  qu'à  condition  qu'ils  émbralFeroient  tous  la  Re- 

>3  ligion  Catholique ,  Philippe  n'a  jamais  régné  fur  aucun 

>5  peuple ,  que  J.  C.  n'ait  régné  a^ec  lui. 

"  C'eft  ainfî  que  François  I.  donna  autrefois  un  exemple 
»  remarquable  de  fa  piété  ôc  de  fa  Religion ,  lorfqu'il  refufa 
«  d'entrer  dans  la  ligue  des  Princes  Proteftans  d'Allema- 
>5  gne  contre  l'Empereur ,  quelques  avantages  qu'on  lui 
>5  en  fît  efpérer.  L'intérêt  de  la  Religion  qu'il  craignoic 
î3  de  mettre  en  danger  ,  &  qu'il  vouloit  conferverdans  toute 
>3  fa  pureté.  Le  toucha  plufque  le  foin  de  fe  venger  des  in- 
«  jures  qu'il  avoit  reçues. 

"Henri  IL  marcha  fur  les  traces  de  fon  père,  6c  imita 
«  fa  piété.  Lorfque  les  Miniilres  des  deux  Couronnes  tra- 
ïî  vailloienc  au  traité  de  Cambrai ,  on  avertit  ce  Prince  de 
«  veiller  avec  plus  de  foin  à  la  confervation  de  fes  droits  j 
M  mais  il  répondit  :  Qu'il  gagneroit  aiTez ,  fi ,  comme  il 
M  l'efpéroit,  il  pouvoir  à  la  faveur  de  la  paix  étouffer  les 
>3  héréfies  naiiTantes  qui  s'élevoient  dans  fon  Royaume  : 
>3Quele  bonheur  de  fon  Règne  dépendoit  davantage  du 
3î  faluc  des  âmes,  que  de  l'étendue  de  fes  Provinces,  6c  du 
îj  nombre  des  Peuples  qui  lui  obéïroient^  èc  que  fon  pre- 
«  mier  devoir  étoit  de  maintenir  la  Religion,  u 

»  Les  Princes  delà  maiion  de  Lorraine  ont  toujours  fait 
jj  éclater  leur  zélé  pour  la  Religion.  Comme  d'autres  Ma- 
îschabées,  dès  que  la  Religion  a  paru  en  danger  ,  ils  ont 
33  prodigué  leurs  biens  6c  leur  iang  pour  fa  défenfe.  Depuis 
33  que  l'héréfie  ravage  ce  Royaume,  fept  ou  huit  Souve- 
33  rains  Pontifes,  6c  particulièrement  Clément  VIÏI.  donc 
33  la  France  éprouve  tous  les  jours  la  bonté  paternelle  ,  ont 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.         yir 

«  foûtenu  par  de  puiflans  fecours ,  6c  par  leurs  fages  confeils,     "   ■'  '   ;' 
>î  la  caufe  de  la  Religion.  <t  H  e  n  k  i 

»  Philippe  les  a  tous  furpaflës  j  &  comme  il  ëtoit  le  plus  I  V. 
«  puilTanc,  il  a  écé  aufli  le  plus  généreux  ,  êc  le  plus  ma-  1593. 
53  gnifîque.  Ses  bienfaits  plufqu'humains  ,  &.  donc  la  më- 
î>  moire  doit  être  éternelle,  méritent  toute  la  reconnoilTance 
«pofliblej  &  nos  remercimens  ne  pourront  jamais  égaler 
>i  la  grandeur  de  nos  obligations.  Faites  donc,  MelTieurs  , 
«  éclater  votre  zélé  èc  votre  attachement  pour  un  Prince  à 
M  qui  vous  êtes  (i  redevables ,  èc  qui  a  été  le  libérateur  de 
>5  votre  Patrie.  c< 

La  Séance  finit  après  ce  difcours.  Qiielques-uns  trouvè- 
rent peu  de  folidité  dans  ce  qu'avoit  dit  le  Cardinal  au 
fujet  de  François  I.  &  qu'il  avoir  imputé  à  Henri  II.  ce 
qui  s'étoit  palîë  à  Ion  infçû  entre  les  Guifes  èc  les  Miniflres 
Espagnols. 

On  avoit  agité  dès  le  ^mmencement  de  railèmblëe  des    Examen  du 
Etats  la  queftion  du  Concile  de  Trente.  Le  Lecrat  en  pref-  S?"!'!^,r^ 
foit  vivement  la   publication  ^  &  loûtenoit  que  fans  la  ré-  les  Etats  de 
ception  pure  &:  fimple  de  ce  Concile,  on  ne  pourrcitmain-  ^^  Ligue, 
tenir  la  Religion  ,   pour  laquelle  on  combattoit  depuis  lî 
longtems.  La  chofe  ayant   été  mile  en  délibération  le  5^, 
d'Avril  ,  plulîeurs  objedérent  les  droits  &  les  privilèges  du 
Royaume,  ôc  les  libertés  de  l'Eglife   Gallicane.    Ainfi  la 
publication   du    Concile  ayant  été    julqu'alors    difrérée  , 
on  choifit  Jean  le  Maître,  que  le  duc   de   Mayenne  avoîc 
fait  Prélfident   au    Parlement  ,    avec   Guillaume  du   Vai-r 
Confeiller,  tous  deux  éloignés  de  l'cfprit  de  faction,  qui 
avoient  autant  de  probité  que  de   lumières ,  pour  en  exa- 
miner les   actes,  6c  remarquer  ce  qu'ils  trouveroient  être 
contraire  à  la    difcipline  ,  aux  loix   6c  aux  ufages  de  ce 
Royaume. 

Ces  CommifTaires  après  un  mur  examen  jugèrent  que  le    ^^  conci/e 
contenu  en  la  quatrième  Seffion,  qui  ordonne  que  les  Auteurs  eft  jugé  con- 
&  les  Imprimeurs  des  livres  défendus  feront  punis  par  ks  ^^-^^^^^^^^^l^^' 
Evêques,  ainii  qu'il  appartiendra  ,  comme  des  corrupteurs  France, 
de  l'Evangile  &:  de  la  parole  de  Dieu  ,  étoit  contraire  à  l'è- 
dit  de  Henri  II.  donne  à  Fontainebleau  en  i  547.  à  celui  de 
Chateaubriand  de  i  5  5 1,  6c  à  l'ordonnance  de  Charle  IX, 


712  HISTOIRE 

■  __  faite  dans  le  tems  des  Etats  Généraux  d'Orléans ,  &renou- 

Henri  veilée  à  Moulins  en  1566.  Qtie  le  chap.  r.  de  la  fixiéme 

I  V.       SeiTion ,  qui  permet  au  Pape  de  dépofer  les  Evêques  qui  n'ob- 

j  -  g  5      fervent  pas  la  refidence  ,  îk;  d'en  mettre  d'autres  à  leur  place, 

lorfqu'ils  fe  lailîent  condamner  par  contumace  ,  dérogeoic 

aux  droits  du  Roi  ,  &  au  Concordat  d'entre  Léon  X.   ÔC 

François  I. 

Que  dans  la  Sefîion  feptiéme,  chap.  i  5.  la  vingt-unième, 
chap.  8.  la  vingt-deuxiémc  ,  chap.  8.  &:  la  vingt-cinquième, 
chap.  8.  les  Evcques  ,  comme  commiiîaires  du  Saint  Siège  , 
étoient  déclarés  exécuteurs  des  donations  pies  faites  ,  tant 
entre  vifs  ,  que  par  teftament  ,  Ôc  ordonnance  de  dernière 
volonté  :  Qu'on  leur  donne  un  droit  d'infpedion  fur  les  Hô- 
pitaux ,  Chapitres ,  Fabriques ,  Confréries  laïques,  &  Uni- 
verfîtés ,  avec  pouvoir  d'en  difpenfer  ,  6c  d'en  féqueftrer  les 
revenus,  d'exiger  des  comptes,  de  cafTer  les  administrateurs 
infidèles  ou  négligents ,  èc  d'en  i^bftituer  d'autres  en  leur 
place  j  mais  qu'au  contraire  les  èditsde  i  544.  i  560.  i  545. 
&  de  l'année  fuivante  attribuoient  la  connoiiïànce  de  la  red- 
dition des  comptes ,  &  de  toutes  ces  fortes  de  ehofes  aux 
juges  Royaux  ,  pour  empêcher  qu'on  ne  préjudiciât  aux 
droits  du  Roi  ,  qui  feul  a  une  inipection  générale  fur  tous 
les  biens  fîtuès  dans  fon  Royaume ,  tels  que  ceux  des  Hôpi- 
taux ,  Fabriques ,  Chapitres  6c  Univerfîtès. 

Que  la  Seffion  24.  chap.  5.  qui  révoquoit  les  lettres  de 
privilège  6c  les  juges  confervateurs ,  fans  diftinclion  des  juges 
Ecclefiaftiques  ôc  des  Laïques ,  attaquoit  l'autorité  Royale, 
en  ce  qu'elle  n'exceptoit  point  les  juges  Royaux  ,  ôc  qu'elle 
dètruiloit  les  difpofitions  de  plufîeurs  arrêts  du  Parlement, 
qui  avoient  approuvé  6c  confirmé  lajurifdidion  desjuges  con- 
fervateurs Eccléfiaftiques  :  Que  la  permiffion  accordée  dans 
cette  même  SelTion  chap.  i.aux  Evêques  de  procéder  contre 
ceux  qui  concradent  des  mariages  clandeftins  de  contre  les 
témoins  ,  étoit  oppofée  à  nos  ufages  6c  à  la  Jurifprudence 
des  arrêts  du  Parlement ,  fuivant  lefquels  le  juge  Ecclèfia- 
flîque  ne  peut  connoître  que  du  Sacrement  ,  avec  dèfenfes 
de  porter  aucun  jugement  îlir  ce  qui  regarde  la  dot ,  les  dom- 
mages ,  intérêts ,  6c  les  peines ,  dont  la  connoifiànce  eft  ré- 
fervèeaux  juges  Royaux,  comme  il  a  été  ordonné  dans  les 
Etats  de  Blois.  Que 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C  V.        -71^ 

■Qiie  la  Seffion  2  5.  cliap.  9.  attribuoic  aux  Evêqiies  la  con-  . 

iioiffance  des  conceftations  mues  à  l'occafion  des  droits  de  H  en  ri 
patronage  tant  Ecclëfîaftique  que  Laïque  5  au  lieu  que  con-  I  V. 
îormément  au  droit  Franc^ois  &  aux  arrêts  des  cours  Sou-  j  ^g, 
veraines ,  non-feulement  le  poiTefToirej  &  le  pétitoire  d'un 
droit  de  patronage  Laïque ,  mais  encore  les  complaintes  , 
pour  le  polTefToire  d'un  patronage  Ecclëfiaftique  doivent 
être  pourfuivies  devant  les  juges  Royaux  ,  les  Evêques  ne 
pouvants  connoître  que  du  pétitoire  des  droits  de  patro- 
nage Ecclëfiaftique  :  Q_ue  la  Seilîon  2  i .  chap.  4.  par  laquelle 
il  eft  ordonné  que  fuivant  le  jugement  de  l'Evêque  on  don^ 
neroit  une  portion  congrue  dQs  biens  de  l'Eglife  matrice  aux 
Prêtres  qui  délFerviroient  les  Egliiës  érigées  de  nouveau 3  ôc 
que  s'il  en  étoit  befoin,  on  pourroit  contraindre  les  Peuples 
de  fournir  ce  qui  eft  nëcelîàire  pour  la  fubiiftance  de  cqs 
Prêtres ,  eft  contraire  à  nos  ufages  j  l'autorité  des  Evêques 
ilir  \qs  Laïcs  étant  bornée  au  fpirituel ,  êc  ne  pouvant  s'é- 
tendre fur  ce  qui  regarde  le  temporel ,  comme  eft  une  quef. 
tion  pour  les  alimens  des  Curés  :  Que  par  cette  même  Seffion, 
chap.  8.  il  eft  enjoint  aux  Evêques  de  vifîter  \qs  Preft^itéres 
oc  lesbâtimens  qui  en  dépendent ,  d'avoir  foin  d'y  faire  faire 
les  réparations  &  les  réédifications  néceftaires,&  d'y  con- 
traindre les  titulaires,  même  par  le  lequeftredes  fruits  dQs 
Bénéfices^  mais  que  les  arrêts  des  Parlements  ont  fouvenc 
prononcé  au  contraire  que  ces  queftions  qui  ne  regardent  que 
je  temporel,  doivent  être  portées  devant  les  juges  Royaux, 
privativement  à  tous  autres  :  Que  l'ufage  de  ce  Royaume  ne 
permet  pas  que  les  Evêques  falTl^nt  faire  des  failles  ou  des 
lèqueftres  3  6c  que  ce  pouvoir  eft  reftraint  aux  juges  Royaux, 
êc  autres  juges  Séculiers. 

Que  l'autorité  Royale  &  celle  àQs  Magiftrats  ,  qui  feuls 
pouvoient  interdire  pour  toujours ,  ou  pour  un  rems  les  of- 
Jiciers  Royaux,étoit  bleffée  par  la  difpofîtion  de  la  Seffion 
Suivante ,  chap.  10.  fuivant  laquelle  les  Evêques  ,  comme 
Commifîaires  du  Saine  Siège  pouvoient  informer  contre  les 
J^otaires ,  tant  de  cour  Ecclëfiaftique,  que  de  cour  féculiére 
&  Laïque  3  leur  faire  fubir  des  examens  ,  pour  connoître 
s'ils  font  capables  bc  fuffifans  3  s'ils  font  ignorans ,  ou  en  cas 
ï^u'ils  ayent  prëvâriquëjlçs  fuipendre  de  leurs  fondions,  ^ 
7Qme  XI.  XX  XX 


714  HISTOIRE 

leur  défendre  pour  toujours  l'exercice  de  leurs  cliargeS' 
Henri  dcins  les  affaires ,  procès,  ôc  caufes  Eccléfiaftiques, 

IV.  Que  la  Seffion  23.  cliap.  6.  confirmative  de  la  conftitiî- 

j  ro  r^  tion  de  Boniface  VIII.  fuivant  laquelle  les  fimples  tonfurés 
non  bigames,  quoique  mariés ,  font  fournis  à  la  jurifdidion 
Epifcopale  ,  tant  au  civil  qu'au  criminel ,  atcaquoit  directe», 
ment  la  puilFance  6c  la  jurifdidion  Royale  j  êc  que  fuivanc 
nos  ufages  les  Laïcs  mariés  ,  quoiqu'ils  ayent  rec^û  la  ton- 
fure  ,  ne  reconnoifToicnt  Tautorité  des  Evêques  qu'en  ma- 
tière fpirituelle  :  Que  la  Sefîion  24.  chap.  8,  fuivanc 
iaquclle  les  Ordinaires  pouvoient  pouriuivre  les  adultères  ^ 
èc  les  concubinaireSjblelFoit  également  l'autorité  Royale,  ôc 
celle  des  Magifbrats ,  qui  fculs  pouvoient  connoître  des  cri- 
mes d'adultère  &:  de  concubinage  entre  Laïcs  :  Que  la  fup- 
preffion  des  induits  èc  droits  de  prefentation  accordés  aux 
Chapitres,  Univerfités,  Parlemens,  ôc à  des  perfonnes  parti» 
culières, étoit  une  difpofition  faite  en  haine, &  au  préjudice 
du  parlement  de  Paris, 

Qiie  la  Seiîion  2  5.  ch.3.  permet  aux  monafléres  &  maifons 
Religieufes,  tant  d'hommes  que  de  femmes,mêmeâux  Men- 
dians ,  à  l'exception  des  Maifons  des  Frères  de  S.François, 
des  Capucins  &  de  ceux  qu'on  appelle  Mineurs  de  l'étroite 
Obfervance,de  poiTéder  des  immeubles,quoique  leurs  Confti- 
tutions  le  leur  défendent ,  ou  qu'ils  n'ayent  pu  encore  ob- 
tenir à  ce  fujet  aucune  difpenfe  du  S.  Siège  j  mais  qu'une  telle 
permilîion  étoit  contraire  à  Tinftitution  des  Religieux  men- 
dians  ,  qui  avoit  été  approuvée  ôc  confirmée  par  plusieurs 
arrêts  du  Parlement ,  aufquels  on  ne  pouvoit  déroger,  quant 
au  temporel, (i  ce  n'étoit  de  l'exprès  commandement  du  Roi, 
&  par  des  lettres  Patentes  enregiftrées  dans  les  Cours  Sou- 
veraines :  Que  par  le  chap.  3.  de  la  même  Seflion  le  Con- 
cile accorde  aux  Ordinaires  le  droit  de  procéder  ,  même 
contre  les  Laïcs,  dans  les  caufês  civiles  foûmifes  de  quelque 
façon  que  ce  foit,  au  tribunal  Eccléliaftique,  de  condamner 
â  des  amendes  pécuniares  ,  ordonner  des  faifies  ,  décerner 
des  contraintes,  de  faire  emprifonner  par  les  appariteurs  de 
la  cour  Eccléfiaftique  ou  autres ,  de  priver  des  Bénéfices ,  & 
d'ufer  des  autres  voyes  de  droit  femblables  j  ce  qui  attaquoic 
encore  un  ancien  ufage  confirmé   par  un  grand  nombre 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  CV.       715 

d^arrêcs,  qui  défendent  aux  juges EccléGaftiques  qui  n'ont  ?^,.__l^* 
point  de  territoire  ,  de  faire  exécuter  leurs  fentences  par  em-  Henri 
prifonnement  ,&  par  faifie  des  biens  des  condamnés  -jenforte       I  V". 
que  lorfqu'ils  veulent  fe  fervir  de  ces  voyes,  ils  doivent  avoir     1593, 
recours  au  bras  Séculier. 

Que  la  difpo/îtion  de  ce  même  Chapitre ,  qui  laifle  aux 
Evêques  la  liberté  d'accorder  ou  de  refufer  des  monitoires, 
qui  leur  ordonne  d'en  examiner  avec  foin  les  caufes  6c 
les  motifs ,  fans  que  l'autorité  du  Magiftrat  qui  a  permis  de 
Iqs  obtenir, puilfe  les  obliger  de  fulminer  l'excommunica- 
tion, qui  foûmetletout  à  leur  examen  &  à  leur  jugement, 
&  fuivant  lequel  c'eft  un  crime  à  un  juge  Séculier  de  défendre 
à  un  Evêque  de  lancer  une  excommunication  ,  ou  de  lui 
enjoindre  de  lever  celle  qu'il  a  lancée  ,  eft  un  attentat  à  l'au- 
torité des  Parlemens,  qui  ont  droit,  &  qui  peuvent  en  cas 
d'appel  comme  d'abus  de  fentence  d'excommunication  ,  or- 
donner que  par  provifîon  l'excommunié  fera  abfous  adcau^ 
teUm  j  êc  contraindre  l'Evêque  ou  fon  grand  Vicaire  par  fai- 
fie du  temporel  de  donner  cette  abfolution  :  Que  les  juges 
Eccléfîaftiques  ne  pouvoient  contcfter  en  cela  l'autorité  des 
Parlemens ,  puifqu'ils  avoient  eux-mêmes  décidé  que  les  cen- 
fures  pouvoient  aider  le  bon  droit  des  parties  :  Qiie  le  Con- 
cile n'a  pu  fans  attenter  à  l'autorité  Royale,  excommunier 
dans  la  même  SeffionjChap,  i  9.  le  Prince ,  qui  permettroit  le 
duel,  &  confifquer  la  ville  8c  le  lieu  où  il  auroit  permis  que 
Je  combat  fe  iix.  3  parce  qu'on  ne  peut  ôter  au  Roi  aucune 
partie  de  fon  domaine  ^  &  que  quant  au  temporel,  ilnere- 
connoît  point  de  Souverain. 

Que  le  chap.  fuivant,  dans  lequel  le  Concile  ordonne  que 
les  faints  Canons,  tous  les  Conciles  généraux,  &:  toutes  \t% 
conftitutions  Apoiloliques  données  en  faveur  des  Eccléfiafti- 
ques,. des  privilèges  du  Clergé,  &  contre  ceux  qui  ont  la 
témérité  de  \q.s  violer,  foient  exadement  obfcrvées  en  tous 
lieux ,  &  par  toutes  fortes  de  perfonnes ,  eft  trop  étendu  ôc 
mérite  une  reftridion  j  parce  que  fi  cette  difpofition  avoic 
lieu,  il  faudroit  admettre  toutes  les  Décret^les,  le  fixiéme 
livre  ajouté  par  Boniface  VIII.  toutes  les  Extravagantes,  & 
par  conféquent  les  Régies  de  la  Chancelcrie  Romaine  , 
dont  la  plupart  ne  font  point  reçues  en  France:  Qiie  l'autorité 

XXxxij 


71^  HISTOIRE 

|?!L^ '■  Royale  feroic   énervée  èc  fans  force  ,   ôc  qu'à  la  faveur 

Henri  des  immunités  que  le  Clergé  veut  ufurper  ,  tout  le  poids  des 
I  V.  impôts  de  des  fubfides  que  le  Roi  exige  de  fes  iiijets,  pour  la 
j  ^02,     dèfenfe  de  fon  Royaume, retomberoic  fur  le  Tiers-Etat. 

Les  Commiffaires  ajoutèrent  encore  que  le  chap.  ir,  de 
la  même  Seffion  porte  que  tout  ce  qui  a  été  décidé ,  Qc  ar- 
lêté  dans  Je  Saint  Concile  pour  la  réformation  des  mœurs, 
île  peut  6c  ne  pourra  préjudicier  aux  droits  &  à  l'autorité 
du  Saint  Siège  j  «  mais  cette  exception  ,  difoient-ils  ,  ne 
5>  peut  être  admife,  parce  qu'elle  eft  contraire  à  plufieurs  ar- 
>5  rets  qui  ont  prononcé  qu'il  n'étoit  point  permis  au  fouve^- 
»  rain  Pontife  d'accorder  des  difpenies  dans  des  matières 
>3  décidées  par  les  Saints  Canons  &  les  Conciles.  Autant  de 
îî  fois  qu'il  a  paru  des  Brefs  qui  contenoient  quelques  dif- 
»3  pofitions  contraires  aux  décifions  des  Conciles ,  ils  ont 
>3  été  déclarés  nuls  èc  abufifs.  Outre  cela  cet  article  dé- 
î5  truiroit  les  appels  comme  d'abus  ^  cet  heureux  moyen 
M  qui  en  France  a  toujours  coniérvé  dans  leur  vigueur  les 
»  décrets  émanés  d'une  autorité  aufli  refpedable  ^  5c  uns 
»  telle  réferve  anéantiroit  tous  les  faints  Conciles,  ians  mê- 
>î  me  en  excepter  le  Concile  de  Trente. 

»  Les  Conciles  Provinciaux,&;lesMetropolitainsfontJuges 
"  compétens  des  crimes  imputés  aux  Evêques  ,  &c  tout  au 
>3  moins  de  ceux  qui  ne  méritent  pas  la  dépofition.  Cepen- 
>5  dant  la  treizième  Seiîion ,  chap.  8.&  la  vingt-quatrième, 
«  chap.  5.  ordonnent  que  les  caufes  criminelles  des  Evêques , 
-yy  fans  même  en  excepter  l'accufation  de  concubinage,  feronc 
53  portées  en  cour  de  Rome  ,  pour  y  être  terminées  par  le 
>i  Pape  j  la  même  difpofition  bleiïe  auffi  l'autorité  du  Roi  ôc 
»  des  Magiftrats  ,  qui  feuis  font  Juges  compétens  àcs  cas 
33  Royaux  ,  6c  privilégiés  privativement  au  Pape  ,  6c  à  tous 
V3  autres  juges  Eccléfiaftiques ,  quoique  les  accufés  foientho- 
33  norés  de  la  dignité  Epifcopale. 

53  La  Scfîion  vingt-quatrième,  chap.  20.  décide  qu'il  y  a 
33  plufieurs  caufes,  qui  fuivant  les  conftitutions  Apoftoliques 
33  doivent  être'agitees  en  cour  de  Rome  j  qu'il  y  en  a  d'au- 
33  très ,  que  le  Pape  dans  des  circonftances  particulières  peut 
33  évoqi^er  à  lui,  ou  fur  lefquellesil  peut  nommer  des  Com- 
?3  miilàires  par  un  Bref  fpècial  ligné  de  fa  main  j  mais  c'eft 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CV.      717 

5>  aller  contre  les  Libertés  de  l'Eglife  Gallicane, &  le  décret 

»  de  caufis  de  la  Pragmatique  Sanction  ^  qui  eft  tranfcrit  fur  H  £  n  r  i 

w  les  Conciles  de  Conffcance  &:  de  Baile.  I  V. 

>3  Ce  qui  eft  ordonné  par  la  feptiéme  Seffion  ,  chap.  G.  là  i  59  5-, 
*s  vingt-quatrième  ,  chap.  i  3.  &  la  vingt-cinquième,  chap. 
»3  c;.  qui  portent  que  le  Pape  peut  confirmer  les  unions  des 
>î  Bénéfices ,  quoique  nulles  ou  faites  contre  les  régies  ,  ac- 
J3  corder  des  proviiîons  en  forme  gracieufe  (i)  ,  &  changer 
»  les  difpoiîtions  des  teftamens ,  eft  contraire  à  l'autorité  des 
»  Conciles ,  &  aux  arrêts  des  Cours  Souveraines ,  qui  fouvenc 
>5  ont  déclaré  nulles  &  abufives  tant  les  unions  des  Bénéfices 
>5  faites  hors  les  cas  de  droit ,  que  les  provifions  en  forme 
93  gracieufe  accordées  au  mépris  des  décrets  des  Conciles  , 
»  &  de  l'autorité  fouveraine  du  Roi  ôc  des  Magiftrats  qui  eii 
w  font  les  dépofitaires. 

»  Le  Concile  dans  la  Seffion  5,  chap.  i.ôc  2.  la  feptiéme, 
»chap^6.  &  8.  la  vingt-uniéme,  chap.  3.  ôc  fuivans  jufqu'au 
33  huitième  ,  la  vingt-deuxième  ,  chap.  5.  6.  6c  8»  la  vingt-cin- 
ft  quiéme  ,  chap.  9.  n'attribue  aux  Êvêques  la  connoilfance 
ï3  de  certains  cas ,  que  comme  à  des  CommilTaires  du  S.  Siège, 
T3  quoiqu'ils  l'aient  en  qualité  d'Ordinaires.  De  telles  déci- 
33  fions  répugnent  à  la  Jurifprudence  des  arrêts,  qui  déclarent 
»  abufives  ^  onéreufes  au  Clergé  ces  commiffions  du  Saine 
53  Siège ,  &  ce  qui  eft  fait  en  confèquence.  Les  caufès  des 
T>  Eccléfiaftiques  doivent  être  portées  en  première  inftance 
w  devant  l'Ordinaire  ,  ôc  par  appel  devant  le  Métropolitain  y 
»  mais  fi  l'on  fe  foûmettoit  aux  difpofitions  mentionnées  ci- 
«  delTus,  ils  fèroient  obligés  d'aller  ou  d'envoyer  à  Rome, 
33  pour  faire  nommer  des  CommifiTaires  j  ce  qui  anéantiroic 
33  la  jurifdidion  des  Métropolitains. 

33  Enfin  le  Concile,  dans  les  mêmes  endroits ,  &dans  plu- 
j3  fieurs  autres  ,  défend  les  appels  des  jugemens  des  Evêques^ 
33  ce  qui  fermeroit  totalement  la  voye  des  appels  comme  d'à 
»  bus, dont  par  un  ancien  ufage  fondé  fur  nos  Libertés,  onfe  j 
33  lert  ordinairement  en  France, lorfqu'il  paroît  quelque  chofè 
»  de  contraire  aux  Saints  Concilcs,êiaux  ordonnances  de  nos 

(  ])  On  appelle  en  Chancelcrie  Ro-  ^  mœurs  ,  en  vertu  de  quoi  on  fe  met  en 
jmaine  des  provifions  de  Be'néfices  en  ;  poflcflîon  fans  demander  le  vila  de  l'Or- 
forme  gracieufe,  Icfquelles  font  accor-;  dinaire, 
^'e§  fur  une  information  de  vie  ôc  de  j 

X  X  X  X  ifj 


7i8  HISTOIRE,  kc: 

»  Koîs,  ou  capable  de  préjudicîer  à  la  junfdicflion  Royale; 

Henri       Jean  le  Maître  &  du  Vair  firent  leur  rapport  dans  l'af- 

I  V.       femblée  des  Etats  Généraux  de  tout  ce  qu'ils  avoient  re- 

I  ro^.     marqué  qui  pouvoit  blelîer  les  Libertés  de  l'Eglife  Galli- 

Le  grand    cane ,  Ics  droits  6c  Ics  privilèges  du  Royaume.  Quelques-uns 

L°"iie?rs^eft   ^^9"^^^^^  ces  remarques  avec  plaifîr ,  6c  donnèrent  de  grandes 

choqué  (ks     louanges  aux  Commifîaires  j  mais  le  plus  grand  nombre  en 

remarquesiu-  f^^^  choQué. 

dicieules  lur  _      _.    /  ,      -^  ^         .  .  < 

ie  Concile  de  L^  Lcgat  du  Pape  a  qui  on  communiqua  le  tout ,  craignant 
Trente.  qvie  cette  afFaire  ne  causâç  de  la  divi/lon  entre  les  Dépu- 
tés ,  6c  ne  troublât  l'afTemblée ,  dilîimula  Ton  refîentiment  j 
&  crut  devoir  attendre  une  occafion  plus  favorable  pour 
agir  5  car  on  entendoit  déjà  dire  hautement  que  la  publica- 
tion du  Concile  de  Trente  étoufFeroit  la  liberté  publique, 
de  qu'il  ne  feroit  plus  permis  de  fe  plaindre.  D'ailleurs  le 
tems  de  la  conférence  indiquée  avec  les  Royaliftes  appro- 
choit  j  6c  les  plus  fages  jugeoient  qu'il  étoit  dangereux  d'ea^ 
trer  alors  dans  la  difcuffi on  d'une  affaire  fi  épineufep 


i=*/>  £/u  Livre  cent-cinquième ^ 


7Ï9 

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HISTOIRE 

D  E 

JACQ^UE    AUGUSTE 

DE   T  H  O  U 


te: 


LIVRE  CENT-SIXIEME. 


C 


Omme  le  tems  de  la  conférence  approchoic ,  on  en- 


rence 


voya  des  Commiflaires  pour  choiiîr  un  lieu  qui  fût  con-  H  E  n  r.  i 
venable.   La  plupart  des  maifons  de  campagne  &  de  plai-       I  V. 
fanceaux  environs  de  Paris,  ayant  été  ruinées  pendant  la     1593» 
guerre  ^  les  deux  partis  convinrent  du  village  de  Surêne  ,     ç^^^^^ 
où  le  2  I .  d'Avril  on  marqua  les  logemens  pour  les  Députés,  de  Surêne, 
Deux  jours  après  ,  les  Ligueurs  nommèrent  de  leur  parc 
Pierre  d'Efpinac  Archevêque  de  Lyon ,   Franc^ois  Pericard 
évêque  d'Avranches,  Godefroi  de  Billy  Abbé  de  S.  Vin- 
cent de  Laon  ,  André  de  Brancas  de  Viilars ,  que  le  duc  de 
Mayenne  avoit  fait  Amiral  de  France ,  pour  le  récompenfer 
des  fervices  qu'il  avoit  rendus  dans  le  fiége  de  Roiien  ^  Fran- 
çois de  Faudoas ,  dit  d'Averton  de  Serillac  ,  comte  de  Belin 
Gouverneur  de  Paris  j  Pierre  Jeannin  Préfident  au  Parle- 
ment de  Dijon  j  Jean  Louis  de  Pontallier  de  Tallemé  j  Louis 
de  Moncigny  ^  Nicolas  de  Pradel  de  Montolin  j  Jean  le 


720  HISTOIRE 

Maître  Panfien ,  Etienne  Bernard  de  Dijon ,  Sc  Honoré  dii 
Henri  Laurent  Avocat  du  Roi  au  Parlement  d'Aix. 

I  V.  i-e  fîxiéme  jour  après  ,  fête  de  S.  Pierre  Martyr  ,  ils  en- 

j  jo  ^^  tendirent  tous  la  Mellc,  6c  reçurent  la  bénédiction  du  Lé- 
gat ,  qui  avec  le  cardinal  de  Pellevé ,  leur  donna  d'amples 
inftruàions.  Ils  Te  rendirent  à  Surêne  fur  les  deux  heures 
après  midy.  Renau.d  de  Beaune  Archevêque  &  Patriarche 
de  Bourges  3  François  le  Roi  de  Chavigny  vieux  Capitaine , 
auffi  diftingué  par  fon  courage ,  que  par  fa  probité ,  &  qui 
ctoit  aveugle  j  Pompone  de  Belliévre,  qui  ayant  été  exilé 
dans  iti  maifon  par  le  feu  Roi ,  avoit  été  rappelle  à  la  Cour 
depuis  peu  de  jours  j  Nicolas  d'Angennes  de  Rambouillet  j 
Gafpard  de  Schomberg  comte  de  Nanteuil  ^  Godefroi  le 
Camus  de  Pontcarré  5  jacque  Augufte  de  Thou  d'Emery  j 
&  Louis  de  Revol  ,  députés  du  parti  Royalifte  ,  étoienc 
arrivés  les  premiers  au  lieu  de  la  conférence.  Aucun  d'eux 
ne  prit  de  qualités  ,  ni  de  titres  •  &  ils  prièrent  les  députés 
de  la  Ligue  d'en  agir  de  même  ,  de  crainte  que  la  difpute 
pour  les  rangs ,  ne  caufât  quelque  préjudice  à  l'un  ou  à  l'au« 
tre  parti  j  &  ils  l'obtinrent. 

Dominique  de  Vie  gouverneur  de  S.  Denis  affifta  à  la  con- 
férence avec  les  Royaliftes ,  quoiqu'il  ne  fut  point  compris 
dans  les  lettres  Patentes  données  parle  Roi  à  ce  fujet  ^  à  le 
parti  contraire  ne  s'y  oppofa  pomt ,  à  condition  cependant 
que  Nicolas  de  Neufville  de  Villeroi ,  pût  auiTi  y  être  pré- 
sent ,  quoique  le  duc  de  Mayenne  ne  l'eût  point  nommé. 

Il  s'éleva  d'abord  une  conteftation  au  fujet  de  Rambouillet, 
avec  qui  les  Ligueurs  ne  vouloient  point  conférer.  Ils  le  re- 
gardoicnt  comme  complice  de  raiTairinat  du  duc  de  Guife  j 
i&cpour  lui  donner  l'exclufion ,  ils  dirent  que  Guillaume  Rofe 
évêque  de  Senlis ,  qui  n'ignoroit  pas  la  haine  que  les  Roya- 
liftes  lui  portoient ,  avoit  refufé  par  cette  feule  raifon  d'alTi. 
fter  comme  Député  i  cette  négociation.  Les  Royali.ftes  ré- 
pondirent qu'il  ne  dépendoit  pas  d'eux  d'exclure  Rambouil- 
let :  Qiie  d'ailleurs  la  mémoire  du  feu  Roi  étoit  intéreilée  dans 
.cette  action ,  Se  que  ce  feroit  renouveller  le  fouvenir  de  ces 
maux  paiïes ,  qu'il  falloit  enfevelir  dans  un  éternel  oubli. 

Les  Députés  fe  promirent  réciproquement  une  fureté  in- 
yiolable ,  ôc  dirent  tous  qu'ils  étoient  prêts  de  ligner  leurs 

promciTcs 


DE  J.   A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.        711 

promefles  de  leur  Tang.   Le  refle  du  jour  ayant  été  employé 

à  ces  préliminaires  ,  on  remit  la  conférence  au  lendemain.  Henri 

Les  Royaliftes  couchoient  à  Surefne',  6c  les  Ligueurs  retour-      I  V. 

noient  à  Paris.  Ils  revinrent  au  jour  marqué  ,  6c  firent  en-      1593, 

core  la  même  difficulté  par  rapport  à  Rambouillet  j  mais  ce 

Seigneur  pour  les  calmer  ,  parla  en  fecrec  à  quelques-uns 

d'eux ,  fans  demander  l'avis  de  [qs  Collègues  j  6c  tâcha  de 

diffiper  leurs  foupçons  ,  en  ajoutant  même  à  ce  fujet  plu- 

fleurs  chofes ,  dont  il  croyoit  être  de  fon  intérêt  d'inflruire 

le  jeune  duc  de  Guife  6c  fa  mère. 

On  pourvut  enfuite  à  la  fureté  du  lieu  de  la  conférence  j 
&  trois  jours  après,  les  Députés  s'affemblérent  ,  quoique 
l'Archevêque  de  Lyon  fut  malade  à  Paris.  Dès  qu'on  eut 
appris  que  le  Roi  n'avoit  pas  voulu  permettre  que  Ram- 
bouillet fe  retirât  ,  on  trouva  bon  de  communiquer  d'abord 
les  pleins  pouvoirs ,  qui  fervoient  de  fondement  à  toute  la 
négociation  ,  6c  fans  lefquels  elle  étoit  inutile.  Ceux  des 
Royaliftes  étoient  les  plus  amples  -,  mais  quoique  ceux  des 
autres  Députés  ne  leur  permiiîent  que  d'écouter  ce  qu'on 
leur  propoîeroit ,  pour  en  faire  enfuite  leur  rapport  à  ceux 
au  nom  defquels  ils  agilFoîent  j  cependant  l'archevêque  de 
Bourges  dit ,  qu'il  eftimoit  afTez  les  Députés  du  parti  con- 
traire ,  pour  croire  que  tout  ce  qu'ils  trouveroient  bon  6c 
raifonnabie  ,  feroit  auffitôt  approuvé  ôc  ratifié.  On  convint 
dans  la  même  féance  d'une  fufpenfion  d'armes  aux  environs 
de  Surefne ,  dans  les  limites  que  de  Vie  6c  le  comte  de  Belin 
avoient  marquées  j  6c  l'on  envoya  de  part  6c  d'autre  des  or- 
dres aux  Gouverneurs  des  places  voifines ,  pour  y  faire  ob- 
server cette  trêve. 

Le  lendemain  ,  l'archevêque  de  Lyon  fe  rendit  à  Surefne 
avec  fes  collègues.  L'archevêque  de  Bourges  ouvrit  la  féan- 
ce. Il  commenta  par  rendre  des  actions  de  grâces  à  Dieu, 
de  ce  qu'il  avoit  enfin  jette  un  œil  de  mifericorde  fur  les  ca- 
lamités des  peuples ,  éc  donné  aux  deux  partis  des  fentimens 
de  paix  6c  de  réconciliation.  Il  remercia  encore  la  Bonté  di- 
vine ,  de  ce  que  l'archevêque  de  Lyon  6c  fes  Collègues  , 
dont  on  connoifibit  le  zèle  pour  la  Religion  ,  6c  l'amour 
pour  leur  Patrie  ,  avoient  été  chargés  de  cette  négociation. 
Il  déplora  le  trifte  état  de  cette  Monarchie ,  6c  parla  avec 

Tome  X h  YYyy 


72Î  HISTOIRE 

î=!^!^^5?  modération  ,  quoique  fort  au  long,  contre  les  haines  Se  les 
Henri  inimitiés  paiticulieres  ,  l'ambition  ,  l'avarice  ,  &  le   deiir 
I  V.       de  la  vengeance  ,  qui  avoienc  enfanté  tous  les  maux  donc 
I  C03       nous  étions  accablés ,  èc  ouvert  aux  ennemis  du  nom  Fran- 
çois ,  les  barrières  de  ce   Royaume  autrefois  fî  HorilTant , 
pour  l'envahir  Se  le  déchirer.  Il  expofa  avec  autant  de  force 
&  d'éloquence  les  avantages  de  cette  heureufe  paix  ,  fî  né- 
cefTaire  pour  entretenir  la  piété  ,  6c  ranimer  la  charité  Chré- 
-    tienne.   Après  avoir  exhorte  tous  ceux  qui  étoient  préfents, 
à  une  amitié  réciproque  ,  qui  devoit  régner  entre  des  conci- 
toyens,  il  les  conjura  de  quitter  les  lentimens  d'orgueil  & 
de  vengeance  ,  d'oublier  toutes  les  vues  criminelles ,  &  de 
facrifîer  les  rellentimens  particuliers  à  la  tranquillité  publi- 
que j  afin  que  revenus  de  ces  violens  accès  de  fureur  donc 
ils  avoient  été  agités ,  ils  pufTent  prendre  un  parti  convena- 
ble j  faire  de  communs  efforts  ,  pour  remédier  à  des  maux 
qui  les  faifoient  gémir  tous  également  j  ôc,  comme  le  dit  le 
prophète  ,  aimer  &  rechercher  la  paix. 

L'archevêque  de  Lyon  parla  enfuite.  Il  dit  que  ceux  de 
la  Ligue  en  prenant  les  armes ,  n'avoient  eu  d'autres  motifs 
que  de  défendre  la  Religion  :  Que  dès  qu'elle  feroit  hors  de 
danger ,  ils  étoient  prêts  de  finir  une  guerre  qui  avoit  une 
fî  jufle  caufe  ^  mais  que  fî  la  foi  couroit  encore  le  moindre 
rilque  ,  ils  verferoient  jufqu'à  la  dernière  goutte  de  leur  fang, 
plutôt  que  d'abandonner  la  Religion  ,  dans  le  fein  de  la- 
quelle tous  nos  Rois  étoient  nés  àc  avoient  été  élevés ,  èc 
avec  laquelle  ils  avoient  porté  l'empire  François  à  un  fl 
haut  point  de  gloire  ,  pour  qui  leurs  ancêtres  avoient  tanc 
de  fois  combattu  ,  &  qu'ils  étoient  eux-mêmes  obligés  au 
péril  de  leurs  vies  de  lailler  à  leur  pofbéric.é  aufîî  pure  qu'ils 
lavoient  reçue  de  leurs  Pérès, 

»  Pourquoi  ,  ajoûta-t-il ,  nous  faire  une  fi  vive  defcrip- 
53  tion  de  nos  calamités  >  Nous  les  Tentons  afTez  3  &  quoique 
»  notre  douleur  nous  étouffe  la  voix  ,  nous  en  fommes  au- 
5-3  tant  pénétrés ,  que  ceux  qui  en  parlent  avec  tant  d'énergie, 
»  peut-être  dans  la  vue  d'exciter  la  haine  àc  l'animofité.  Il 
33  faut  remonter  à  l'origine  de  tous  ces  maux.  C'eft  l'héré- 
53  fie  qui  détruit  nos  Temples  ,  qui  renverfe  nos  Autels  ,  qui 
33  perfécuce  les  Miniftres  iacrés,  qui  ravage  nos  campagnes ^ 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.        72T 

•»s  &  qui  porte  la  défolation  dans  nos  villes.   Quoique  ces  ca- 

55  lamités  foienr  accablantes  ,  la  mifére  des  peuples  ,  &  la  Hen  ri 

3î  perte  de  nos  biens  nous  touchent  moins ,  que  celle  de  tant        I  V 

"  d'ames  ,  dont  le  falut  éternel  eft  en  un  fi  grand  danger.     ,  ^g, 

»  Il  faut,  à  la  vérité ,  fouhaiter  &  rechercher  la  paix  •  mais 

»  celle  que  Dieu  donne  à  fon  Eglife  ,  à  Tes  véritables  fer- 

>î  viteurs  ,  èc  qui  feule  peut  entretenir  la  tranquillité   des 

«  Royaumes.    Fuyons  au  contraire  cette  faulîe  paix  ,  que 

>3  les  hommes  corrompus  cherchent  ordinairement ,  pour  fa- 

J3  tisfaire  leurs  paiïions.  Ne  délirons  que  cette  véritable  paix 

>3  utile  à  la  Religion  ,  pour  Tétabliflement  de  laquelle  Dieu 

>3  a  dit  qu'il  étoit  venu  fur  la  terre ,  afin  de  diviièr  le  père 

>3  d'avec  le  fils  j  nous  ordonnant  de  renoncer  à  tout  pour 

«  elle  ,  de  de  lui  facrifier  nos  parens ,  nos  amis  ,  6c  tout  c<î 

w  que  nous  avons  de  plus  cher  en  ce  mcnde.    Enfin ,  fi  on 

»  condamnoit  la  guerre  que  nous  avons  entreprife  pour  la 

"  défenfe  de  la   Religion  ,   il  faudroît  avoir  perdu  la  mé- 

«  moire  de  ces  Saints  Martyrs  ,  que  l'Eglife  nous  ordonne 

»  de  révérer,  &  qui  ont  fcellé  de  leur  lang  la  vraye  fol, 

>5  Je  crois  donc  qu'il  faut  d'abord  fonger  aux  moyens  de 
M  mettre  la  Relio;ion  à  couvert  des  dano-ers  où  elle  eft  ex- 
>3  poiee  j  &  quoique  les  Députés  des  Provinces  n'ayent  au- 
sî  cun  pouvoir  de  traiter  de  la  paix  au  nom  de  ceux  qui  \qs 
»  ont  envoyés  ,  parce  qu'on  n'a  pu  prévoir  la  conférence 
55  préfente  j  cependant  ils  fe  croiront  aŒcz  autorifés ,  ôc  leur 
35  amour  pour  leur  patrie  eft  afiez  grand  ,  pour  ne  point 
>3  rejetter  toutes  \qs  propofitions  raifonnables  qu'on  leur  fera, 
«  èc  qui  tendront  à  la  confervation  de  la  Religion.  Une  par- 
«  faite  union  entre  les  Catholiques,  &  une  entière  oppofi- 
»  tion  aux  Sedaires  ,  feront  les  plus  lolides  fondemens  de 
j>  cette  paix  ,  que  les  deux  partis  femblent  defirer  avec  la 
»3  même  ardeur.  Nous  ayons  toujours  efpéré  que  cette  réii- 
55  nion  feroit  le  fruit  de  cette  conférence  ,  &  nous  prions 
^5  Dieu  qu'il  înfpire  ces  fentimens  à  tous  les  François  •  afin 
»  que  la  gloire  que  nos  ancêtres  ont  acquife  par  la  déf^nCQ 
»3  de  leur  toi  ,  brille  avec  plus  d'éclat  qu'auparavant  dans 
î3  leur  poftérité.  et 

Dès  que  ce  difcours  fut  fini ,  l'archevêque  de  Bourges  fè 
;retira  avec  ks  Collègues  dans  une  falle  voifine  ,  pour  y 

YYyy  ij 


at 


724  HISTOIRE. 

■-^i.       "-»  prendre  leurs  avis  ,  6c  rentra  quelque  tems  après  dans  I 
Henri  lieu  de  la  Conférence.  Il  dit  encore  quelque  chofe  de  la  né- 
I  V.       ceffité  de  la  paix  ,  &  ajouta  qu'il  ne  pouvoit  y  avoir  d'autre 
^  -  moyen  d'y  parvenir ,  que  de  conftater  &  de  reconnoître  l'au- 

torité d'un  Souverain  ,  auquel  on  feroit  obligé  d'obéïr ,  &: 
qui  rcûniroit  tous  les  membres  difperfés  de  la  Monarchie. 
53  En  effet ,  continua-t-il ,  on  ne  peut  fans  cela  pourvoir  à  la 
>5  fureté  de  la  foi.  Tant  que  le  Royaume  a  été  déchiré  par 
55  àQs  raclions ,  &:  que  la  licence  d'une  guerre  plus  que  civile 
53  a  continué  ,  la  Religion  a  été  méprilée.  Nous  avons  vu 
«  nos  Temples  renverlës ,  ou  employés  à  à^s  ufages  pro- 
53  fanes  ôc  indignes.  Les  Pafteurs  les  ont  abandonnés  ,  6c 
55  toutes  les  perfbnnes  pieufes  en  ont  gémi.  Qiioique  l'Eglifè 
)3  l'emporte  fur  l'Empire  par  fa  dignité  &  fon  excellence  5 
55  elle  n'efl  cependant  qu'une  partie  de  l'Empire  ,  qui  la  ren- 
5î  ferme  ^  en  forte  que  fa  deftinée  dépend  de  celle  de  la  Ré- 
53  publique. 

33  Nous  travaillerons  donc  inutilement  pour  l'intérêt  de 
55  la  Religion  ^  tant  qu'il  y  aura  entre  nous  de  l'incertitude 
53  fur  le  Prince  qui  doit  nous  commander.  Pouvons-nous  en 
33  choifîr  un  ,  qu'il  ne  foit  de  cette  illuftremaifon ,  qui  depuis 
53  S.  Louis ,  &  durant  tant  de  fiécles ,  nous  a  donné  fans  in- 
53  terruption  des  maîtres  ?  Un  des  premiers  commandemens 
93  de  Dieu  eft  d'obéïr  à  nos  parens.  Ce  Précepte  doit  être 
33  entendu  ,  non  feulement  de  ceux  qui  nous  ont  donné  le 
33  jour  3  mais  encore  <^qs  Pérès  de  la  patrie,  c'eft  à-dire  ,  des 
53  Princes ,  dQs  Magiflrats  3  car  toute  puilTance  vient  de  Dieu, 
53  dit  l'Apôtre,  &;  ceux  quirefufent  de  s'y  foumettre,  réfi- 
53  ftent  à  l'ordre  du  Ciel.  Le  premier  devoir  eil:  de  rendre  à 
53  chacun  ce  qui  lui  appartient  3  par  conféquent ,  de  payer 
53  les  tributs  à  celui  à  qui  il  font  d\xs  ,  c'eft- à-dire ,  au  Prince , 
33  qui  félon  S.  Pierre  ,  porte  fur  le  front  un  caradére  divin  ^ 
33  èc  l'image  de  Dieu-même. 

53 Des  motifs  fi  bien  fondés  ont  engagé  \qs  Princes,  les 
>3  Prélats ,  les  Seigneurs  ,  &  tous  les  autres  Catholiques  que 
33  nous  repréfentons ,  de  conferver  une  fidélité  inviolable  à 
«5  notre  Roi ,  perfuadés  qu'ils  ne  pouvoient  en  fureté  de 
33  confcience  ,  ie  foufiiraire  à  l'obéïflànce  qu'ils  lui  doivent. 
33  Ce  Prince  eft-ii  Idolâtre  ,  ou  Mahometan  i  II  a  reçu  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVL         715 

»3  Baptême  dans  l'Eglife  Chrétienne ,  &  il  profeffe  le  même 

)3  Simbole  de  foi  que  nous.   S'il  n'eft  pas  entièrement  dégage  Henri 

w  de  quelques  erreurs ,  il  a  toujours  offert  de  fe  faire  inflruire  j       I  V. 

î5  robeïfTance  unanime  de  tous  (es  fujets,  procureroit  bien-     i  cq  ^. 

M  tôt  ce  qui  manque  à  la  perfedion  de  fa  foi.  Joignons  donc 

53  nos  prières  6c  nos  cœurs ,   àc  prouvons  lui  par  notre  fou- 

)3  miffion  ,  qu'on  n'a  jamais  haï  fa  perfonne  ,  &  que  les  peu- 

»  pies  ôc  les  Seigneurs ,  en  lui  faifant  la  guerre  ,  n'ont  atta- 

33  que  que  fes  erreurs.  Si  vous  vous  uniiTez  à  nous ,  la  Reli- 

33  gion  fera  bientôt  hors  de  danger ,  ôc  l'Etat  jouira  d'une 

33  paix  folide.  Nous  ne  connoiiïbns  point  d'autres  moyens  de 

33  Faire  cefTer  nos  troubles.  « 

L'archevêque  de  Bourges  ayant  ainfî  parlé ,  on  fe  retira 
de  part  ôc  d'autre  pour  aller  dîner.  Après  midi  la  confé* 
rence  recommençaj  l'archevêque  de  Lyon  ayant  eonfulté  les 
autres  Députés  de  fon  parti ,  renouvella  la  proteftation  qu'il 
avoit  déjà  faite  ,  èc  dit  qu'à  la  vérité  l'on  ne  pouvoit  faire 
une  paix  folide ,  fi  les  deux  Partis  ne  convenoient  du  fujet 
dans  lequel  l'éfidoit  l'autorité  Souveraine  5  mais  qu'il  falloir 
avant  toutes  chofes  traiter  de  ce  qui  regardoit  la  foi ,  puif- 
qu'on  travailleroit  en  vain  à  calmer  les  autres  troubles  ,  iî 
l'on  ne  terminoit  les  difputes  de  Religion. 

33  Une  funefte  expérience  de  trente  années ,  continua-t-il,    Difcours  de 
33  ne  prouve  que  trop  que  la  paix  ne  peut  régner  entre  ceux  ^'Archevêque 

1       r.     1-    •         j    r      '  n        n.  1         ?       r         i-         j       ae  Lyon. 

33  que  la  Religion  delunit  ^  car  elle  elt  le  plus  fort  lien  de 
33  la  fociété  ^  èc  nous  ne  pouvons  efpérer  de  véritable  union, 
33  que  lorfqu'à  la  faveur  de  l'unité  d'une  même  croyance, 
33  la  paix  àc  la  juftice  fe  rejoindront ,  &  pour  ainfi  dire  ,  s'em- 
33  brafTeront  (  i  ).  Il  faut  avant  toutes  chofes  chercher  Je 
>3  Royaume  de  Dieu,  qui  nous  donnera  tout  ce  qui  efl  né- 
33  ceflàire.  Ceux  qui  prennent  une  autre  voye  pour  parvenir 
33  à  la  paix,abandonnent  le  corps  pour  ne  fuivre  que  l'ombre. 
ï3  La  Religion  marche  toujours  la  première  dans  un  Etat 
33  bien  réglé  3  elle  doit  y  gouverner  &  y  occuper  la  même 
33  place  que  l'ame  dans  le  corps  j  &  c'eft  dans  ce  fens  qu'on 
33  peut  dire  que  l'Eglife  efl  renfermée  dans  la  République , 
13  &  qu'elle  en  fait  partie. 

33  Nous  avons  toujours  ardemment  fouhaité  que  Dieu  nous 

(ï^  Jujlftia  éf  p^x  ofctiîdtAfunt.  Tfalm. 

Y  Y  y  y  iij 


qzG  HISTOIRE 

■Il  I.  »  »  donnât  un  Prince  ,  mais  un  Prince  véritablement  très- 

He  N  R  1  »î  Chrétien  ,ôc  qui  ne  dégénérât  point  delà  piété  de  Tes  an- 

I  V.      M  cêtres.  C'cft  en  vain  qu'on  nous  objecle  les  exemples  des 

j^g,      s>  anciens  Chrétiens  ^  ^  ces  difFérentes  autorités  dont  les 

j>  Sedaires  abulent  en  les  tournant  à  leur  avantage.  C'eften 

»  vain  qu'on  rapporte  ce  palFage  de  l'Apôtre.  Obêïjfez.  aux 

^3  /  rince.''  ,  qn^iq-ie  méchans  quiis  Joîe?it  (i).  Le  droic  divin  , 

9i  èc  le  droit  des  gens  ,  les  Saints  Canons ,  de  les  Conciles 

»  œcuméniques ,  l'ulage  de  l'Eglife,  les  loix  fondamentales 

»  de  cette  Monarchie  ,  détruilent  toutes  les  objedions  de 

>3  nos  advc'  laires. 

îî  II  étoit  défendu  par  l'ancien  Teftament  d'élire  unRoî, 
53  qui  ne  fiit  du  nombre  des  enfans  d'Ilraël,  de  crainte  qu'il 
s?  ne  ramenât  le  peuple  en  Egypte  ;  c'eft  à-dire  ,  que  luivanc 
35  la  loi  divine  ,  il  ne  nous  eft  pas  permis  de  choiflr  un  Prince 
33  qui  n'auroit  pas  la  même  foi  que  nous  ,  èc  qui  pourroit 
33  infeder  toute  la  Nation  du  poiion  de  l'hérélie.  Ainli  toute 
33  la  tribu  de  Levi,  les  Prêtres  &  les  facriiicateurs  qui  étoienc 
w  les  fages  &  les  Dodeurs  du  peuple  Juif,  quittèrent  Jero- 
33  boam  ,  &  ne  fe  détachèrent  jamais  du  Royaufne  de  Juda. 
33  Edom  &  Lobna  ,  villes  /acerdotales ,  fe  révoltèrent  contre 
33  l'impie  Joram  ,  parce  qu'il' avoit  abandonné  le  Dieu 
33  de  ie5  pères.  Joram  lui-même  périt  mifèrablem^ent  3  les 
33  peuples  fe  réjouirent  de  fon  m.alheur  ,  &c  l'on  ne  le  mit 
33  point  dans  le  tombeau  de  fcs  ancêtres.  Amalîas  qui  au  com- 
?3  mencement  de  fon  régne  ayant  été  fidèle  à  Dieu  ,  quitta 
53  dans  la  fuite  fon  culte  pour  adorer  des  idoles ,  vit  tous  fcs 
3,3  fujets  armés  avec  juftice  contre  lui.  Ce  Prince  s'étant  avec 
53  peine  fauve  à  Lachis  ,  y  fut  afTailli  par  les  habitans  de  Je- 
33  rufalem  ,  &  enluite  condamné  juridiquement  à  mort.  La 
S3  fuperbe  Athalie  fur  renverfèe  du  trône,  &  par  les  ordres 
î3  du  grand  Prêtre  Joïada  elle  foufFrit  la  peine  de  toutes  iqs 
M  impiétés. 

53  Nous  puifons  dans  la  loi  nouvelle  les  mêmes  maximes, 
V3  bc  TEva^ngile  nous  ordonne  de  regarder  comme  un  Payen, 
53  &  comme  un  Publicain  celui  qui  refufe  d'obèïr  à  l'Eglife, 
S3  Comment  peut-on  donc  élever  fur  le  trône  cekii  qui  eft 
y>  déjà  féparé   de  cette  Eglife?  Saint  Jean  nous  défend  de 

(i^  Ob édite  Tr&fojîtis  etieim  d^ [colis. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lïv.    CVI.         727 

53  faluer  un  excommunie  ,  ce  qui  n'efl:  qu'un  devoir  de  bien- 

w  féance ,  de  le  recevoir  dans  nos  maifons,  èc  d'avoir  avec  lui  Henri 

55  la  moindre  liailon.   Saint  Paul   reprochoir  aux   premiers       1  V. 

»  Chrétiens  de  ce  qu'ils  plaidoient  devant  les  juges  Payens  ,      159  3» 

w  comme  étants  indignes  de  leur  rendre  la  juftice,&  de  les 

>3  gouverner.  L'hérelie  rompt  les  nœuds  les  plus  làcrés,  elle 

>5  ell:  une  caufe  légitime  de  la  diilolution  des  mariages. 

55  Les  Saints  Conciles  nous  fou rni lient  auffi  des  preuves  dans 

«  leurs  décrets  contre  les  Seétaires.  Le  Concile  général  de 

»  Latran  fous  Innocent  III.  enjoint  aux  Rois  de  poursuivre 

53  de  d'exterminer  lesHérétiques  dénoncés  par  l'Eglife  j  ôc 

"  porte  que  les  Princes  qui  négligeront  de  le  faire,  encou- 

>î  reront  eux-mêmes  l'indignation,^  que  leurs  fujets  feront  dé= 

î5  liés  du  ferment  de  fidélité.  Ce  Décret  a  été  reçu  en  France, 

>5  comme  il  paroît  par  le  ferment  que  les  Rois  font  obligés 

33  de  faire  à  leur  facre.  Le  quatrième  Concile  de  Tolède  dé- 

33  fend  de  reconnoître  le  Roi ,  s'il  n'a  juré  ,  avant  de  pren- 

33  dre  les  rênes  du  gouvernement,  de  ne  foufFrir  jamais  au- 

33  cun  Hérétique  dans  fes  Etats  ^  6c  en  cas  qu'il  n'exécute 

55  pas  fes  promefles,  il  ordonne  de  l'avoir  en  exécration,  6c 

53  de  le  regarder  comme  un  excommunié.  L'on  ne  doit  pas 

33  objecter  que  ce  Décret  ne  regarde  que  le  Royaume  où  il 

33  a  été  fait.  Ne  feroit-il  pas  honteux  de  méprifer  en  France 

53  ce  qui  a  été  fi  fagement  ordonné  en  Efpagne  j6cque  les 

53  François  dont  le  zélé  pour  la  Religion  a  paru  avec  plus 

33  d'éclat  que  chez  tous  les  autres  Peuples ,  le  cédalTent  dans 

33  cette  matière  aux  Efpagnols  ? 

33  Outre  le  droit  divin  ,  combien  les  anciennes  hiftoires 
33  ont -elles  d'exemples  en  notre  faveur?  Mathatias  & 
'53  les  Machabées  n'ont  mérité  tant  de  louanges  ,  que  par 
50  la  réfifbance  qu'ils  ont  faite  à  Antiohus.  Les  peuples  eu- 
33  rent  droit  de  îé  révolter  contre  Licinius  &  Maxence  qui 
53  avoient  quitté  la  Religion  Catholique ,  6c  le  grand  Con- 
53  ftantin  les  fit  mouriravecjuflice.  Parlerons-nous  de  Con- 
33  ftance  fon  fils  ?  Ce  Prince  Arien  ayant  chafTé  Saint  Atha- 
53  nafe  de  fon  fiége,  ne  fut-il  pas  réprimé  par  l'empereur 
53  Conflans  fon  frère  ?  Lifons  les  ouvrages  de  Saint  Atha- 
53  nafe,  de  Saint  Hilaire,  de  Saint  Jean  Chrifofl;ôme,de  Saine 
»  Grégoire  de  Nazianze,  6c  d€  5ainc  Cyrille,  ces  coioiines 


7iS  HISTOIRE 

'~L..   ■    ,   ..!  «  de  TEglife.  Avec  quelle  liberté ,  6c  quelle  véhémence  onc- 

H  £  N  R  I  >5  ils  écrie  contre  les  Princes  qui  s^écartoienc  de  la  foi  ?  Les 

I  V.      îï  noms  de  loups ,  de  chiens ,  de  ferpens ,  de  tigres ,  de  dra- 

j  <Qi.     "  gons ,  de  lions  raviiFans  èc  d'antechrift  ,  font  les  expreffions 

53  que  Lucifer  évêque  de  Cagliari  employoit  hardiment , 

35  lorfqu'il  écrivoit  contre  l'empereur  Confiance. 

55  Les  loix  humaines ,  telles  que  les  conilitucions  des  Em- 
■sî  pereurs ,  àc  entre  autres  de  Conftantin  ,  de  Theodofe  ,  de 
»î  Marcien  6c  de  juftinien,  défendent  d'admettre  aux  char- 
»5  ges  publiques  les  hérétiques  &  leurs  adhérans.  En  France, 
55  ians  parler  du  tefbament  de  Saint  Remy  ,  ni  des  anciennes 
M  loix  de  la  Monarchie ,  les  fermens  que  les  Rois  font  à  leur 
55  facre  ,  ne  les  obligent -ils  pas  de  défendre  la  Religion 
53  Catholique  ,  Apoflolique  6c  Romaine ,  &  d'extirper  les 
55  héréfîes  ^  enforte  que  la  Nation  ne  leur  prête  le  fer- 
53  ment  de  fidélité ,  qu'à  cette  condition  r'  Ainfî  dans  les 
55  premiers  Etats  de  Blois ,  les  trois  Ordres ,  du  confente- 
53  ment  du  Roi ,  firent  avertir  le  prince  de  Navarre  .^  &  le 
.33  prince  de  Condé  d'abjurer  leurs  héréfiesj  .&  les  déclarérenc 
.5?  indignes  de  fuccéder  à  la  couronne  ,  s'ils  ne  fe  conver- 
35  tifToient.  Dans  les  derniers  Etats  du  Royaume  tenus  dans 
55  la  même  ville,  ce  Décret  fut  de  nouveau  confirmé  avec 
53  l'applaudifTement  de  tous  les  gens  de  bien  qui  craignoienc 
53  pour  la  Religion.  Quoique  le  funefte  èc  tragique  çvéne- 
55  ment  qui  termina  cette  allemblée  ferve  de  prétexte  pour 
53  l'attaquer  j  cependant  les  Députés  ont  toujours  perfévéré 
>3  dans  leur  premier  fentiment  à  ce  fujet  j  &  le  Roi  lui-même 
î3  a  approuvé  enfuite  par  un  Edit  foiçjniiel  j  la  loi  faite  par 
53  les  Etats. 

55  Mille  exemples ,  Bc  mille  preuves  plus  claires  que  le  jour 
«vous  perfuaderont ,  combien  il  efl  dangereux  d'obéir  à  un 
33  Prince  hérétique.  Il  eft  vrai-fembkble  qu'il  fera  tous  Tes 
33  efforts  pour  donner  cours  à  fes  erreurs  êc  opprimer  la  vé- 
35  ritable  Religion.  Le  peuple  d'Ifraël  fut  fidèle  à  fon  Dieu, 
33  fous  les  régnes  de  David  ,  d'Ezechias  ,  6c  de  Jofias. 
53  L'exemple  de  Jéroboam  le  fit  tomber  dans  l'idolâtrie. 
3j  Confiance  fit  pancher  du  côté  de  rArianifme  ces  mêmes 
35  Chrétiens ,  dont  la  foi  avoit  été  fi  pure  fous  Conftantin  fon 
?3  père.  En  Angleterre ,  combien  le  fçhifaie  de  Henri  VIIL 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.    CVI.         719 

«  a-t-îl  eu  de  partifans  ?  Avec  quelie  facilité  Edouard  Ton  —— — 

>5  fils  a-t-il  profcric  la  véritable  Religion  ?  La  Reine  Marie  Henri 

jî  rétablit  peu  de  tems  après,  Tes  autels,  qu'Elifabeth  fafœur       I  y, 

>3  renverfa  prefque  aufîi-tôt  ,  pour  fubftituer  les  erreurs  qui 

>3  y  régnent  depuis  fî  long.tems.  Les  éledeurs  Jean  Frédéric,        J  ^  ^^ 

>5  Maurice,  &:  Augufte  établirent  le  Lutheranifme  en  Saxe. 

^>  Chriftierne,  fils  d'AugLin:e,y  introduifir  le  Caivinifme, que 

w  les  Regens  ou  Admîniftrateurs  étouffèrent  après  la  more 

ïj  de  ce  Prince,  pour  y  récablir  le  Lutheranifme. 

>3  Que  n'arriveroit  -  il  point  en  France  ,  où  les  Peuples 
>s  imitent  fi  facilement  leurs  Princes,  qu'ils  regardent toû- 
»3  jours  comme  leurs  modèles  ?  Il  y  a  déjà  un  nombre  infini 
»  d'Hérétiques,  qui ,  à  l'exemple  du  Prince  auquel  ils  fe  font 
>î  attachés  ,  ont  abandonné  la  Religion  de  leurs  ancêtres. 
w  QLielle  révolution  verroit-on  ,  fi  un  Roi  hérétique  em- 
»3  ployoit  la  violence ,  s'il  éloignoit  de  fa  Cour  ceux  qui  au- 
>3  roient  des  fentimcns  oppofés  aux  fiens ,  s'il  les  dépoûilloic 
»  de  leurs  charges ,  &  ne  répandoit  (es  grâces  6c  Cqs  faveurs 
M  que  fur  les  Sedaires  ?  Qtiels  maux  les  Catholiques  n'onc- 
)3  ils  pas  foufFjrts  fous  le  régne  de  Confiance ,  de  Valens , 
w  de  Genferic  ,  de  Hunneric,  deThrafimond  ,  ôc  des  autres 
»  princes  Ariens  ?  Si  faint  Achanafe  ,  faint  Grégoire  de  Na- 
»  zianze  ,  Rufin  &  Vidor  d'Utiquene  nous  en  avoient  laifiTé 
>î  l'hiflioire  ,  à  peine  pourrions-nous  croire  toutes  les  cruau- 
»  tés  que  ces  hérétiques  ont  exercées  contre  les  véritables 
M  fidèles.  Ce  que  les  Catholiques  ont  fouffert  fous  le  régne 
ï5  d'Eiifabeth ,  6c  qu'ils  foufFrenc  encore  en  Angleterre  paiFe- 
>9  ra  dans  les  fiécles  futurs  pour  une  fable ,  6c  on  pourra  à 
Î.3  peine  le  croire. 

>5  On  fe  fouvient  encore ,  avec  quelle  fureur  \qs  Sedaires 
M  fe  font  déchaînés  en  France  au  commencement  de  ces 
)j  guerres ,  dans  le  tems  que  les  rois  Catholiques  leur  ré- 
•>:  fifloient.  Que  feroient-ils  donc  ,  s'ils  avoient  à  leur  tête 
>3  un  Prince  hérétique  6c  excommunié  comme  eux  ?  Doit-on 
>»  trouver  étrange  que  les  Catholiques  fe  foient  réunis ,  pour 
îj  détourner  Forage  qui  les  menaçoit  ? 

»  On  ne  peut  pas  dire  que  les  François  foient  obligés 
»j  par  le  droit  naturel  d'obèïr  à  un  Prince  hérétique  j  puifl 
jf  que  dans  un  royaume  Chrétien  ,  le  droit  naturel ,  le  droit 
Tome  XI,  Z  Zzz- 


750  HISTOIRE 

I' -  '3  des  gens ,  6c  toutes  les  loix  humaines  ,  doivent  céder  aiî 

Henri  î>  droit  divin.  C'eft  par  la  grâce  de  Dieu  que  les  Princes  font 
I  V.  >î  Rois  j  de  Jefus-Chrill  Roi  des  rois ,  èc  dont  le  peuple  faine 
I  S9  3»  "  ^^  l'héritage,  ne  donne  aux  Princes  de  la  terre  qu'une 
M  autorité  fubordonnée  à  la  Tienne  ,  6c  ne  leur  foûmet  les  Na- 
55  tions  fidelles  que  pour  fa  propre  gloire  ôc  l'accroillèment 
5>  de  fon  Eglife.  La  puifTance  qui  n'eil  point  établie  de  Dieu, 
î3  &  qui  n'eft  point  approuvée  par  les  Minières  ,  &:  [qs  Vi- 
55  caircs  en  terre ,  n'eft  jamais  légitime  ,  6c  doit  être  regar- 
25  dée  comme  une  tyrannie. 

55  Ces  maximes  l'emportent  fur  la  proximité  du  fang  èc 
55  les  droits  de  fuccefTion.  La  foi  doit  être  préférée  à  la  pa- 
55  rente  ,  6c  aux  alliances  terreftres  ^  6c  l'héréfierend  indigne 
55  de  la  couronne,  quelque  droit  qu'on  puilîe  y  avoir.  Saint 
55  Louis,  ce  zélé  défenfeur  de  la  foi ,  reconnoîtroit-il  pour 
55  (es  anciens  fujets  ceux  qui  attaquent  aujourd'hui  nos  au- 
55  tels  avec  tant  de  fureur  ?  Un  vrai  fuccelfeur  de  ce  faint 
55  Roi  eft  plutôt  le  Prince  qui  imite  fa  foi ,  que  celui  qui  efb 
5A  aiîîs  fur  fon  Trône, 

55  Plufîeurs  raifons  nous  empêchent  de  nous  unir  avec 
55  vous.  La  foi  eft  un  don  de  Dieu  ^  les  proteftations  &  les 
53  interpellations  ne  la  font  pas  naître  dans  les  cœurs  j  elle 
55  eft  l'ouvrage  du  faint  Efprit  6c  de  la  grâce.  Aux  Etats  de 
55  Blois  ,  on  envoya  des  députés  au  prince  de  Navarre,  pour 
55  le  prefter  de  rentrer  dans  le  fein  de  la  Religion  de  {qs 
55  ancêtres  5  èc  des  que  Henri  III.  fut  mort,  il  promit  que 
53  dans  fîx  mois  il  rempliroit  les  voeux  des  Catholiques ,  6c 
55  qu'il  fe  feroit  inftruire.  Mais  ayant  trompé  ceux  qui  font 
55  attachés  à  fon  parti ,  comment  pouvons-nous  efpérer  qu'il 
55  obfervera  les  traités  que  nous  ferons  avec  lui  ?  Le  duc  de 
»  Mayenne  a  employé  la  médiation  de  plufieurs  perfonnes 
>3  pour  l'engager  à  fe  convertir.  Toutes  ces  négociations  6c 
55  toutes  les  remontrances  qu'on  lui  a  faites ,  ont  été  Inu- 
53  tiles. 

55  Qii'on  ne  regarde  point  cette  conférence ,  comme  une 
55  marque  de  notre  foûmiffion ,  6c  une  preuve  de  fon  auto- 
53  rite.  Nous  proceftons  que  nous  ne  devons, ni  ne  voulons 
v>  lui  obéir.  Nos  fermens  réitérés  nous  en  empêchent,  6c  nous 
53  ne  pourrions  reconnoître  fon  autorité  fans  ofFenfer  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Ltv.   CVI.        731 

?»  fouverain  Pontife ,  qui  par  un  Bref  folemnel  a  lancé  fur  '     " 

93  ce  Prince  les  foudres  de  l'Eglife  ,  &  nous  a  défendu  de  Henri 
»  traiter  6c  d'avoir  aucun  commerce  avec  lui.  IV, 

>3  Peut-on  dire  qu'il  fait  efpérer  une  prochaine  conver-  1593, 
5j  fion  ?  Ces  efpérances  font  fi  foibles  èc  Ci  mal  fondées ,  qu'il 
»  n'eft  prefque  pas  befoîn  d'en  faire  voir  l'illufion.  L'ambaf. 
M  fade  du  marquis  de  Pifany  ne  peut  être  attribuée  au  prince 
>3  de  Navarre  ,  puifqu'elle  n'eft  qu'au  nom  des  Catholiques 
»î  de  fon  parti.  Ainfî  cette  démarche  ne  doit  point  être 
'5  regardée  comme  une  preuve  de  fa  foumifiîon  au  faine 
"  Sicge  •  mais  combien  en  avons-nous  de  fon  obftination 
5>  dans  l'erreur  ?  Il  a  promis  de  ne  quitter  jamais  les  nou- 
»  velles  opinions  qu'il  a  embrafTées.  Il  accorde  publiquement 
ï>  fa  protection  aux  Hérétiques  •  il  leur  donne  les  charges 
»  de  l'Etat  ^  il  leur  confie  la  garde  des  plus  fortes  places. 
93  Leurs  miniftres  ont  des  appointemens  ôc  des  revenus  dans 
>3  tout  le  Royaume.  Il  a  fait  une  féconde  fois  publier  les 
»  édits  de  Janvier  &  de  Juillet  ,  &  il  vient  de  donner  un 
w  nouvel  édit ,  pour  empêcher  les  informations  qu'on  a  cou- 
«  tume  de  faire  au  fujet  de  la  Religion,  lorfqu'on  rec^oic 
M  des  Magiflrars  en  charge.  Enfin  l'on  a  intercepté  des  let- 
»  très  qu'il  écrivoit  en  Angleterre,  &  qui  prouvent  allez  fa 
>5  diflîmulation ,  &  fa  coupable  incertitude  fur  la  Religion. 

»5  Vous  devez  donc  nous  excufer  j  fî  nous  ne  pouvons  vous 
55  fatîsfaire  fur  ce  que  vous  demandez  de  nous.  Si  nous  y  ac- 
ïî  quiefcions ,  on  nous  accuferoit  de  prévarication  ,  2c  d'avoir 
>3  trahi  la  juftice  de  notre  caufe.  Celiez  plutôt  vous-mêmes 
»  d'attaquer  les  Catholiques  ^  féparez-vous  des  Secftaires  ^  èc 
55  comme  le  difoit  autrefois  Moyie  au  peuple  d'Ifracl ,  éloi- 
w  gnez-vous  des  impies,  de  crainte  de  participer  à  leurs  im- 
55  piétés.  « 

Chavigni  attendît  â  peine  que  l'Archevêque  eût  fini  pour 
lui  répondre.  Il  dit  que  bien  loin  d'attaquer  la  Religion , 
les  Catholiques  de  fon  parti  y  avoient  toujours  été  attachés^ 
qu'ils  n^'avoienc  eu  recours  aux  armes  ^  que  pour  la  défenfe 
du  Royaume  qu'on  tâchoitde  divifer^ôc  qu'ils  étoient  prêts 
de  verfér  jufqu'à  la  dernière  goûte  de  leur  fang  ,  pour  pa- 
rer les  coups  qu'on  vouloit  porter  à  l'Etat  &:  à  l'ancienne 


Religion. 


Z  Z  z  z  ij 


75i  HISTOIRE 

'  Les  Royallftes  allèrent  en  fuite  conférer  enfembîe.  Dès 

H  E  N  K  I  qu'ils  furent  rentrés ,  l'archevêque  de  Bourges  dit  qu'il  avoir 

IV.       appris  avec  joyeparle  difcours  de  l'archevêque  de  Lyon  ^ 

I  J03.     que  ceux  delà  Ligue  n'avoient  d'autre  but,  que  de  confer- 

ver  la  pureté   de   la  foi  Catholique  ,  Apoftolique  ôc  Ko- 

inaine  :  Que  les  deux  partis   écoient  en  cela  d'accord,  dc 

que  le  Royaliftes  ne  defiroient  rien  avec  plus  d'ardeur. 

Dlfcouts  de       „  On  ne  peut  nier ,  continua-t-il ,  que  Dieu  n'ait  défendu 

rarcneveque  r    t     \        \      •  r  '  1  n     •       \ 

de  Bourges.  "  ^"'^  Juifs  de  choilir  un  étranger  pour  leur  Roi ,  de  crainte 
53  qu'il  ne  fit  rentrer  le  peuple  en  Egypte  j  c'ell-à-dire  ,  qu'il 
>3  ne  le  fît  retomber  dans  l'Idolatrie.Joiias  ayant  rec^û  le  livre 
53  de  la  Loi  des  mains  du  Grand  Prêtre  Elcias ,  fit  alfem- 
53  bler  tous  les  Lévites  &  tout  le  Peuple ,  pour  leur  faire  re- 
53  nouveller  leur  aUiance  avec  Dieu  ,  &c  leur  ancien  ferment 
»  de  fuivre  toujours  la  même  Loi.  Mais  onze  ans  après,  Je- 
53  remie  par  l'ordre  de  Dieu  avertit  Jechonias  de  reconnoître 
>3  l'autorité  de  Nabuchodonofor ,  qui  entroit  en  Judée  avec 
53  une  puillante  armée.  Jechonias  obéît  à  la  voix  du  Pra- 
>3  phéte,  £c  fe  foûmit  aux  Affiriens  avec  fa  femme,  [qs  enfans, 
53  ôc  tout  le  peuple  d'Ifraël.  Au  contraire  Sedecias  qui  vou- 
33  lut  dans  la  fuite  fecoiier  le  joug  de  ces  étrangers ,  &  qui 
53  méprifa  les  avis  de  Jeremie ,  relfentit  bientôt  les  terribles 
53  effets  de  la  colère  du  Ciel.  Ses  enfans  furent  maiTacrés  en 
53  fa  prefence  ,  on  lui  arracha  les  yeux  j  le  Temple  ,  le  Pa- 
33  lais  des  rois  de  Juda ,  èc  Jerufalem  même  furent  la  proie 
33  des  flammes,  &:  tout  le  Peuple  fut  emmené  en  captivité. 
53  Notre  Roi  eft-il  idolâtre  ,  bc  adore-t.il  ks  dieux  deNa- 
33  buchodonofor  ?  Le  royaume  de  Juda  étoit  éledif  j  mais 
5)  notre  Roi  ne  doit  point  fa  couronne  a  l'éledion  des  Peu- 
53  pies.  Le  Trône  lui  appartient ,  parce  quil  eft  du  fang  de 
33  nos  Princes  j  il  lui  appartient  de  droit ,  6c  fans  qu'il  ait 
33  befoîn  du  choix  èc  du  confentement  des  Peuples,  après  la 
33  mort  de  fon  prédéceiîeur.  C'eft  Dieu  même  qui  l'a  fait 
53  Roi ,  par  la  loi  de  la  nature  ,  &  l'ordre  légitime  des  fuc- 
53  ceflions.  S'il  fuit  quelques  opinions  contraires  à  la  pureté 
53  de  la  foi ,  ne  faut-il  pas  efpérer  qu'il  changera  de  fenti* 
33  ment?  Tous  ceux  qui  lui  obéïlTent  attendent  de  jour  à  autre 
ï5  cet  heureux  changement.  Il  demande  lui-même  à  être 
ninflruic^  ^  il  eft  difpofé  à  quitter  ks  erreurs  dès  qu'il  ks 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lïv.  CVI.        733 

»3  reconnoitra.  Ne  doiE-on  pas  excufer  ce  Prince ,  qui  dhs 

»3  fon  enfance  a  fuivi  ces  opinions ,  de  qui  n'a  péché  ,  comme  H  e  n  r  ï 

»  Saine  Paul,  que  par  ignorance  ?  Il  n'eft  pas  Héréiiarque,       1  V. 

w  &  ce  n'efl  pas  lui  qui  le  premier  a  donné  cours  à  une  per-      i  cor 

«  nicieufe  dodrine.  Il  a  été  élevé  dans  la  Religion  qu'il  pro-  "^ 

»  fefle,  6c  il  l'a  fucée  avec  le  laie.  Nous  ne  croyons  donc 

>3  pas  qu'on  doive  le  regarder  comme  un  Sectaire ,  puifqu'il 

>5  faic  tous  les  efforts  pour  trouver  la  vérité ,  prêt  à  la  lui- 

»  vre  dès  qu'elle  paroîtra  a  lès  yeux< 

»5  Saint  Auguftin  dont  le  fentiment  eft  rapporté  dans  le 
»  décret  de  Gratien  ,  croit  qu'il  ne  faut  pas  mettre  au  nom. 
w  bre  des  Hérétiques  celui  qui  ne  foûtientpas  avec  obftina- 
»  tion  des  erreurs  dont  il  n'efb  pas  le  premier  auteur,  &  qu'il 
w  a  reçues  de  Tes  parens  qui  les  avoient  embraflees. 

»  Il  eft  défendu  aulîî  expreffément  d'avoir  aucune  liaifon 
>3  avec  les  pécheurs  publics,  qu'avec  les  Hérétiques  5  de 
>3  crainte  que  leur  commerce  ne  fcandalife  &  ne  corrompe 
M  les  juftes.  Ces  maximes ,  il  eft  vrai ,  ont  été  obfervées  dans 
>3  les  premiers  liécles  de  l'Eglife,  lorfque  les  Chrétiens  n'é- 
>3  toient  encore  qu'en  petit  nombre  j  mais  aujourd'hui  la  foi 
>3  Chrétienne  eft  répandue  dans  toute  l'Europe  ,  &;  l'on 
93  trouve  de  tous  côtés  des  Hérétiques.  Comment  donc  ob- 
?3  ferver  ce  précepte  ?  Il  ne  peut  plus  avoir  lieu  ,  puifque 
33  l'Apôtre  fembleroit  impofer  la  néceffitc  de  fortir  entiére- 
)3  mène  du  monde ,  &  de  fuir  le  commerce  de  tous  les  vi- 
33  vans.  C'efl  ainfi  que  le  dodeur  Martin  Azpilcuete  ,  fameux 
>3  Cafuifle ,  explique  le  pafTage  de  l'Apôtre  qui  a  été  cité. 

33  II  eft  permis  en  Allemagne,  dont  la  plus  grande  partie 
>3  eft  infedée  de  l'héréflej  &  en  France ,  où  il  y  a  un  fi  grand 
33  nombre  de  Sedaires,  deconverfer  avec  eux.  Nous  pouvons 
33  donc  à  plus  forte  raifon  demeurer  attachés  à  un  Roi ,  à 
33  qui  l'on  ne  peut  fe  difpenfer  de  parler  èc  d'obéir.  Jefus- 
33  Chrift  cherchoit  la  compagnie  des  ufuriers,  des  publicains , 
33  &  des  femmes  de  mauvaiië  vie  pour  \qs  convertir.  Nous 
35  devons  donc  en  agir  de  même  •  mais  de  telle  façon  , 
>3  comme  dit  le  Sage  ,  que  nous  touchions  à  la  poix ,  fans 
33  en  être  fouillés  (  i). 

33  Nous  devons  à  notre  Roi  une  obéïiTance  égale  à  celle 

(i)  EccUjiaftic,  ch.  15.  ")^,  i, 

Z  Z  z  z  il) 


IV. 


734  HISTOIRE 

î5  qui  efk  (iûë  par  les  fujecs  à  tous  les  Princes  de  la  terre  en 
Henri  »  général.  Car  la  loi  qui  enjoint  une  entière  loûniiifion  aux 
»  lujets  ,  eft  éternelle,  immuable  ,  èc  ne  foufFre  point  de 
>3  diftindion.  Quand  la  loi  appelle  un  Prince  à  la  fucceflion 
M  de  la  couronne  ,  il  ne  faut  avoir  égard  ni  à  Tes  défauts  per- 
»  fonnels ,  ni  à  la  force  ou  à  la  foibleilè  de  [qs  fujets  -,  on  ne 
«  prouvera  jamais  qu'on  puilTe  dire ,  que  dans  l'ancienne  loi 
>5  le  peuple  Juif  fe  ioit  révolté  contre  quelqu'un  de  ks  Rois, 
>3  quoique  la  plupart  ayent  eu  un  culte  repréhenlîble.  Les 
"  Prophètes  infpirés  de  Dieu  leur  faiioient  de  vives  repro- 
»  ches  de  leur  infidélité  j  mais  ils  ne  les  ont  jamais  aban- 
"  donnés  j  ils  les  ont  au  contraire  aidés  de  leurs  prières ,  ôC 
»  de  leurs  avis  falutaires,  Elie  a  toujours  été  prêt  de  fecou- 
"  rir  Achab  ^  &  un  Prophète  conléiila  à  ce  Prince  de  mar^ 
'5  cher  avec  peu  de  troupes ,  contre  l'armée  nombreufe  de 
>5  Benadad  qui  afîiègeoit  Samarie.  Elie  ne  quitta  Achab  que 
w  pour  quelque  tems  ,  ^  feulement  pour  éviter  les  fu- 
«  reurs  de  Jefabel.  L'exemple  de  la  révolte  de  la  petite  ville 
'5  de  Lobna  n'efb  d'aucune  confidération  ,  puifque  les  autres 
"  villes  Sacerdotales  ne  l'imitèrent  pas.  Q^iant  à  Jefabel  qui 
"  avoit  perfécuté  les  Prophètes  ,  qui  en  avoir  fait  mourir 
«quelques-uns,  &  qui  avoir  fait  tuer  injuflement  Naboth, 
>5  elle  reçut  la  punition  dd  tous  (^ss  crimes.  Sa  poftèrité  fuc 
«  éteinte,  &  Jehu  monta  fur  le  trône  de  Samarie. 

>3  Mais  le  Roi  traite-t-il  ainfî  les  Catholiques ,  èc  fouille- 
«  C-il  fes  mains  du  fang  des  innocens  ?  Il  nous  a  au  contraire 
»  toujours  protégés  &c  défendus  avec  bonté.  Ce  qu'on  a 
>5  rapporté  d'Amafias  ne  prouve  pas  qu'il  foit  permis  de  fe 
>3  révolter  contre  un  Prince  légitime.  Les  livres  faints  ne 
?>  dilent  pas  que  la  Religion  ait  été  le  motif  de  la  révolte 
»  contre  Amalias  ^  us  la  traitent  au  contraire  de  conjuration, 
»  pour  montrer  qu'elle  n'avoit  pas  une  caufe  légitime.  Ils 
>3  ajoutent  qu'on  expia  le  crime  commis  par  le  meurtre  de 
55  ce  Prince  5  que  fon  corps  fut  rapporté  avec  honneur  de 
«  Lachis  a  Jerufalem  •  qu'on  i'inhuma  dans  le  tombeau  de 
J5  {es  ancêtres  ,  &  qu'Ozias  ,  ou  Azarias  fon  fils  lui  fuccéda. 
î>  Ainfi  l'on  ne  peut  aflûrer  que  le  peuple  Juif  ait  aban- 
>3  donné  fes  Rois  pour  caufe  de  Religion.  C'eft  a  Dieu  feui 
53  qui  a  dans  fe$  mains  les  cœurs  des  Princes ,  &c  qui  les  a 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVL         735 

»faîc  pancher  du  côté  où  ii  veut,  à  les  juger. 

w  Dix  Tribus  fe  révoltèrent  contre  Roboam  qui  les  ac-  Henri 
n  cabloit  d'impôts  5  ôC  fe  Ibumirent  à  Jéroboam  ,  quoiqu'il       I  V. 
«adorât  des  Idoles.   L'exemple  des  Machabées  ,  qui  refu-     i  593. 
"  férent  de  reconnoitre  Antioclius  ,  ne  mérite  aucune  at- 
»  tention.  Ce  Prince  envahilToit  la  force  à  la  main  un  Royau- 
n  me  ,  fur  lequel  il  n'avoit  aucun  droit ,  2c  vouloit  forcer  les 
»  Juifs  à  un  culte  abominable.   Mathatias  animé  d'un  zélé 
>3  légitime  ,  put  alors  avec  juftice  réfiffcer  à  ce  Prince  impie  5 
5>  &  tuer  de  la  main  celui ,  qui  le  premier  ofa  fléchir  le  genou 
M  devant  les  idoles  &  iacrifier  aux  faux  Dieux, 

«  Examinons  maintenant  les  exemples  que  nous  fournit  " 
5^  riiiftoire  du  Chriftianifme.  Jefus-Chrifb  ôc  fa  fainte  Mère 
»  ne  fe  font-ils  pas  foumis  au  dénombrement  ordonné  par 
53  un  Empereur  payen.  Le  Rédempteur  du  monde  n'a-t'îl 
«  pas  fait  un  miracle,  afin  de  payer  pour  S.  Pierre  &:  pour 
»>  lui ,  les  tributs  que  les  Empereurs  éxigeoient  ?  N'a-t'il  pas 
«  ordonné  de  rendre  à  Céfar  ce  qui  eft  à  Céfar ,  &  à  Dieu 
>3  ce  qui  appartient  à  Dieu  ?  Il  a  reconnu  le  tribunal  de 
»  Pilate  ;  à  a  même  dit  que  ce  Gouverneur  payen  n'auroic 
M  aucune  autorité  fur  lui ,  fî  le  Ciel  ne  la  lui  avoit  donnée. 
55  Les  apôtres  6c  les  difciples  de  Jefus-Chrift  ont  comparu 
j>  devant  les  Gouverneurs  ôc  les  proconfuls  Romains.  Ter- 
55  tuUien  nous  apprend  dans  fon  Apologétique  ,  que  l'obéïf- 
«  fance  aux  Princes  &  aux  Magiftrats  étoit  alors  la  princi- 
»  pâle  vertu  des  Chrétiens  :  Qu'ils  foufFroient  avec  patience 
»5  les  maux  dont  ils  étoient  accablés  :  Qu'ils  n'excitoient  ni 
53  troubles  ni  féditions  dans  l'Empire  j  &  qu'ils  prioient  pour 
»  les  Princes  ,  qui  ne  font  foumis  qu'à  Dieu  j  qui  occupent 
5>  la  première  place  après  Dieu  ^  &  qui  font  des  hommes  au- 
33  delTus  de  tous  les  Dieux  chimériques  que  le  Paganifme  ré- 
as  vére.  S'imaginants  que  la  fin  du  fiècle  feroit  accompa- 
33  gnée  de  toutes  fortes  de  malheurs ,  ils  croyoient  que  de  la 
33  durée  de  l'Empire  Romain  ,  dépendoit  celle  de  l'Univers  j 
M  &  que  le  terme  fatal  de  l'un  feroit  celui  de  l'autre, 

33  On  ne  peut  objetSter  que  les  premiers  Chrétiens  n'ont 
33  tenu  cette  conduite,  qu'afin  que  les  Martyrs  puiTentcf- 
>î  menter  de  leur  fang  l'Eglife  naifîante  ,  que  Jefus-Chrift 
M  avoic  fondée  en  verfant  le  fien  3  &  que  dans  la  fuite  U^ 


73^  HISTOIRE 

■  >î  peuples  fidèles  ne  fouftrirenc  plus  avec  la  même  patience 


H  E  N  Kl  «  l'oppreffion  des  Arriens.  Car  pourquoi  fuppofer  une  difFé- 
I  V.  »»  rence  de  fentimens  &c  de  conduire  dans  une  feule  &  même 
i  <<)  ^ ,  ^>  Eglife  ?  S.  Paul ,  en  dilànt  que  les  Chrétiens  doivent  porter 
»  leur  Croix  ,  a-t'il  voulu  faire  une  diftinction  des  tems  > 
»  Pourquoi  Gratien  dans  Ion  décret  ,  fait-il  un  11  grand 
>5  éloge  de  la  dodrine  de  S.  Ambroife  £c  de  S.  Auguftin  fur 
ïî  i'obéï/îance  qu'on  doit  aux  Princes  de  la  terre  ?  Les  foldats 
>3  Chrétiens  fervoient  dans  l'armée  de  Julien  i'Apoftat.  Dès 
»  qu'il  s'agifToit  de  l'intérêt  de  la  Religion  ,  ils  ne  recon- 
j>  noifîbient  d'autre  maître  que  celui  qu'ils  adoroient  j  mais 
»3  s'il  falloit  combattre  ,  ils  march oient ,  ils  voloient  à  la  voix 
î)  de  leur  Empereur.  Sçachants  dillinguer  ce  qu'ils  devoienc 
»3  à  Dieu  ,  6c  ce  qu'ils  dévoient  à  leur  Prince  ,  ils  croyoienc 
î>  obéir  à  leur  Maître  éternel  ,  en  obéïilant  à  leur  maître 
îî  temporel.  S.  Athanafe  fut  autrefois  accufé  par  les  Arriens 
îj  d'avoir  voulu  troubler  l'Etat ,  ôc  d'avoir  entretenu  des  in- 
»  telligences  fecrétes  avec  le  tyran  Maxence ,  qui  avoit  tué 
»5  Confiant.  Comment  le  S.  Evêque  tâcha-t'il  de  fe  difcul* 
)5  per  du  crime  qu'on  lui  imputoit  ?  Il  dit  dans  fon  Apologie 
5j  dédiée  à  l'empereur  Confiance  même  ,  quoique  protec^ 
»  teur  de  l'Arrianîfme  :  Que  les  Chrétiens  n'avoient  pas 
?5  coutume  d'en  agir  ainfi.  Qtie  fit-il  pour  fe  mettre  à  couvert 
»î  des  cruelles  perfécutions  de  Syrien  ^  il  fe  cacha  dans  des 
î3  cavernes  j  le  tombeau  de  fon  père  lui  fervît  de  retraite  5 
>î  &  un  feul  domeftique  fidèle  ,  à  qui  il  avoit  confié  fon  fe^ 
îî  cret ,  lui  apportoit  ce  qui  lui  étoit  néceiïaire  pour  fa  fub- 
ï3  fiflance.  Ce  feul  exemple  ne  devroit-il  pas  iliffire  ,  pour 
»3  rendre  inconteftables  les  maximes  que  nous  venons  d'a^ 
?î  vancer  ,  fur  robéïffànce  due  aux  Princes  par  leurs  fujets. 
»5  Si  quelques  anciens  Pérès ,  emportés  par  leur  zélé  ,  ont 
»  parlé  avec  un  peu  trop  de  vivacité  contre  les  Empereurs  , 
î3  qui  s'éloignoient  de  la  véritable  Religion  3  &:  Cx  quelque^ 
»  fois  ,  à  l'exemple  d^s  Prophètes  ,  ils  leur  ont  reproché 
>5  leurs  égaremens  avec  trop  de  liberté  j  jamais  ils  n'ont  ex^ 
>3  cité  les  peuples  à  la  révolte.  Confiance  exile  Athanafe  j 
»  le  faint  Evêque  obéît.  Aimé  du  peuple  Catholique  ,  ^ 
i3  foûtenu  de  plufieurs  Seigneurs ,  il  eût  pu  éluder  les  ordres 
\9  du  Priqce  j  cependant  il  fe  foum.et.   Jamais  ie$  Chrétiens 

perfécutçç 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         737 

-ïî  perfécucës  ne  fe  font  fouflraits  de  la  foumiflion  qu'ils  de-  i; 

-Î3  voient  à  leurs  Princes  ,  quoiqu'ils  eufïènt  alFez  de  forces  H  z  n  k  1 
-îj  pour  leur  réfîfter.  ^  IV. 

'î  Pluiieurs  paflages  de  S.  Cyprien  &  de  Tertullien  Ton  ^59}* 
w  maître,  le  prouvent  ailëz.  L'exemple  d'Eufebeévêque  de 
5î  Samofate  effc  convainquant.  Ayant  été  profcrit  par  l'em- 
55  pereur  Valens ,  il  reçut  fans  murmurer  la  nouvelle  de  fon 
95  exil ,  &  défendit  qu'on  la  divulguât.  Dès  qu'il  eut  affifté 
>j  aux  prières  du  foir  ,  il  partit  accompagné  d'un  feul  do- 
>5  meftique  ,  dans  un  profond  filence  ,  fans  dire  adieu  à  fon 
>î  peuple  qui  l'adoroit ,  6c  qui  fe  feroit  oppofé  à  fon  départ. 
55  II  paffa  î'Euphrate  ,  &  arriva  le  même  jour  à  Zeugma.  Ses 
î5  amis  s'étant  apperçus  de  fa  fuite  ,  coururent  après  lui ,  ÔC 
93  l'ayant  trouvé  dans  cette  ville ,  firent  tous  leurs  efforts  pour 
>3  le  ramener  3  mais  il  leur  cita  le  paflàge  de  S.  Paul ,  fur  la 
>5  foumilfion  due  aux  Princes  3  &c  comblant  de  bénédidions 
>3  Ces  ennemis ,  il  continua  fa  route  vers  la  Thrace ,  ou  il  étoic 
55  relégué. 

55  Procope  s'étant  révolté  contre  Valens  3  &  Maxime  con- 
55  tre  Valentinien  le  Jeune  ,  ils  périrent  milérablement  , 
»5  quoique  ces  deux  Empereurs  fuÂTent  Arriens.  Procope,  èc 
53  Maxime  furent  déclarés  après  leur  mort  ,  ennemis  de  la 
93  République  Se  tyrans.  Si  dans  ces  tems  on  a  dit  ou  fait 
55  quelque  chofe  ,  qui  pût  bleffer  le  refped  dû  aux  Princes , 
î5  il  faut  l'attribuer  à  la  corruption  des  mœurs ,  fans  jamais 
55  s'écarter  d'une  régie  établie  fur  le  précepte  divin  ,  ôc  la 
»5  dodrine  des  Saints  Pères.  A  Rome  môme  ,  les  Papes 
'3  Félix  ,  Anaflafe,  Symmaque  ,  Hormifdas ,  Jean  ,  Agapet, 
35  &  Silvere  furent  toujours  foumis  à  Theodoric  &  à  ies  fuc- 
33  cefTeurs  ,  quoiqu'ils  fufïent  Arriens.  Agapet  fe  chargea 
33  d'excufer  l'alîaiîînat  de  la  reine  Amalaibnte.  Jean  alla 
35  trouver  l'empereur  Juftinien  ,  pour  l'engager  à  donner  la 
30  paix  à  ces  Princes,  dont  les  erreurs  mettoient  la  Religion 
33  en  péril  3  ôc  ajouta  que  Iqs  chefs  de  l'Eglife  dévoient  faire 
35  voir,  qu'ils  étoient  d^s  pafteurs  &  non  des  perfécuteurs. 
33  Plufîeurs  anciens  monumens  nous  apprennent ,  que  Saine 
33  Germain  éveque  de  Paris ,  diftribuoit  en  Bourgogne  les 
M  aumônes  d'un  roi  Arrien  ,  pour  la  rédemption  des  cap- 
M  tifs.  Il  nous  faudroit  plufieurs  jours  ,  pour  rapporter 
7û?^/e  XI,  AAAaa 


738  HISTOIRE 

__.   •         >5  les  exemples  pareils ,  que  THiftoire  nous  fournie. 

Henri  53  Quant  au  concile  de  Tolède  ,  il  ne  regarde  que  les 
I  V.  >5  rois  d'Eipagne  ,  qui  la  plupart  ont  été  longtems  attachés 
j  ÇQ7^  »  à  de  pernicieufes  erreurs.  Les  rois  de  France  ne  fe  font 
53  point  fournis  à  ces  décilions ,  non  plus  qu'au  concile  de 
33  Latran.  Les  décrets  de  ce  dernier  Concile  ont  été  à  la 
33  vérité  reçus  &:  approuvés  en  ce  qui  regarde  la  dodrine  5 
33  mais  il  n'en  faut  pas  conclure  qu'ils  puiflènt  préjudicier  à 
33  l'autorité  royale  ^  &  que  leurs  difpoiitions  s'étendent  fur 
33  le  temporel  de  nos  Princes ,  qui  lelon  les  fàints  Canons  , 
33  ne  reconnoiiTent  point  en  cela  de  fupérieurs.  D'ailleurs  le 
33  Concile  ne  parle  pas  exprefTément  des  Empereurs  êc  dçs 
53  Rois,  (  ce  qu'il  auroit  dû  faire  j  )  mais  des  Puiilànces  tem- 
33  porelles  en  général  :  Il  dit  feulement  qu'ils  feront  avertis 
53  de  leur  devoir  ,  6c  requiert  que  les  cenfures  foient  fulmi- 
53  nées  dans  le  Concile  provincial  ,  avant  qu'on  puifle  dif- 
>3  penfer  les  iujets  du  ferment  de  fidélité. 

35  Si  lesloix  civiles  ôc  impériales  ont  exclu  les  Manichéens^ 
53  &  les  Arriens  ,  des  dignités  ,  des  magiftratures  ,  &  des 
53  charges  publiques  ,  elles  ne  pouvoient  être  appliquées 
53  qu'à  des  juges  inférieurs ,  &non  aux  Souverains,  qui  ne 
33  peuvent  être  privés  de  leurs  droits  ,  fans  renverfer  un 
55  Etat  ^  6c  qui  n'ont  d'autre  juge  que  Dieu.  D'humbles  ré- 
53  montrances  font  plus  d'impreiTion  fur  le  coeur  des  Rois  , 
55  de  les  ramènent  plutôt  qu'une  violence  pernicieufe.  Agapec 
>5  employa  hs  voies  de  la  douceur ,  pour  dégager  Juftinien 
53  des  erreurs  d'Eutichès.  Gelafe  ordonne  de  iuivre  les  mê- 
53  mes  maximes.  S.  Auguftin  eft  auffi  de  ce  Sentiment  dans 
55  fa  lettre  à  Boniface  •  &:  ce  S.  Dodeur  dit  dans  un  autre 
55  endroit,  que  les  révoltes  &  les  fchifmes  font  des  moyens 
55  funeftes  ,  ambitieux ,  cruels ,  6c  ordinairement  infrudueux,. 
55  Nos  adverlaires  alleo-uent  en  vain  le  décret  des  Etats 
53  de  Blois.  Tout  le  monde  içait  combien  cette  afTemblée  fut 
53  tumultueufe  6c  partiale. Non  feulement  l'équité  exige  qu'on 
33  en  perde  la  mémoire ^mais  encore  il  eft  néceilaire  de  l'oublier 
55  ;  ntiérement ,  lîl'on  veut  tirer  quelque  fruit  de  cette  con- 
53  férence, 

53  On  ne  doit  pas  faire  craindre  aux  peuples  ,  qu'en  re- 
5>  connoiflànt  un  Roi  qui  n'eft  pas  encore  dans  le  lein  de  la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.       739 

M  véritable  Religion  ,  la  foi  Catholique  foie  expofée  aux  r: 


>3  dangers  fous  lefqueîs  elle  a  fuccombé  en  Angleterre ,  &;  Henri 
>î  dans  quelques  autres  païs  de  l'Europe  j  car  en  France  les       I  V. 
ï5  Seigneurs  les  plus  puifïans  ôc  les  plus  riches ,  font  trop  at-      i  593, 
"  tachés  à  la  Religion  de  leurs  pères  ,  pour  qu'on  puifïè 
>3  rien  appréhender  du  petit  nombre  de  ceux  qui  voudroienc 
M  l'attaquer.  c< 

L'archevêque  de  Bourges  finit  fon  difcours  en  difant, 
que  tous  ces  motifs  obligeoient  les  Royaliftes  à  obéïr  à  leur 
Prince  ,  &  qu'il  confeilloit  à  tous  leurs  concitoyens  de  tenir 
la  même  conduite  :  Qj-ie  les  deux  partis  étant  réunis  par 
les  liens  de  la  charité  chrétienne  ,  èc  de  l'amitié  qui  dévoie 
régner  entre  des  perfonnes  qui  avoient  une  même  Patrie  6c 
une  même  Religion  ,  ils  dévoient  faire  des  prières  ôc  des 
remontrances  communes ,  pour  engager  le  Roi  à  quitter  [qs 
erreurs ,  afin  qu'en  rentrant  dans  le  fein  de  l'Eglile  catho- 
lique ,  Ces  autres  fujets  qui  s'en  étoient  écartés  avec  lui ,  fui- 
vilfent  fon  exemple  ,  ôc  changeaient  comme  lui  :  Que  ks 
Royaliftes  fouhaitoient  cette  réunion ,  afin  que  ceux  de  la 
Ligue,  qui  avoient  beaucoup  de  crédit  à  la  cour  de  Rome, 
.2c  avoient  la  faveur  du  fouverain  Pontife  ,  fillent  en  forte 
que  le  marquis  de  Pifany  ,  bien  loin  d'être  traverfé  de  leur 
part  dans  fon  Ambaflade,  eût  une  audience  favorable,  dc 
obtînt  ce  qu'il  demandoit  avec  tant  de  juftice. 

La  journée  étant  fort  avancée  ,  on  leva  la  féance.    L'ar-    Rcpiîqucdc 
chevêque  de  Lyon ,  qui  avoit  la  goutte ,  fut  obligé  de  re-  l'archevêque 
ffcer  à  Surefne.  Le  lendemain  ,  comme  il  ne  pouvoit  pas  fe  ^^  ^J'°°' 
lever  de  fon  lit ,  on  s'allembla  l'aprèfdînée  dans  fa  cham- 
bre. Il  fit  fa  réplique  au  difcours  de  l'archevêque  de  Bour- 
ges,  &  dit:  Qiie  l'exemple  de  Sedecias  ne  méritoit  dans 
les  circonftances  préfentes  ,  aucune  confidération  j  parce 
que  ce  Prince  avoit  fait  ferment  de  fidéfité  à  Nabuchodo- 
nofor  •  mais  qu'il  n'y  avoit  aucune  promeile  ,  ni  aucune  obli- 
gation d'obéir  au  roi  de  Navarre  :  Que  dans  les  Etats  de 
Blois,  toute  la  Nation  avoit  plufieurs  fois  juré  de  ne  point 
le  reconnoître  pour  Roi  ,  &  que  par  conféquent  on  ne  le 
pouvoit  faire  en  fureté   de  confcience  :   Qlic  le  fouverain 
Pontife,  le  Prophète  des  Chrétiens,  l'Ange  du  Seigneur, 
/•empli  de  fon  cfprit,  avoit  expreilément  défendu  d'obéir  à 

AAAaa  ij 


740  HISTOIRE 

"   '  ce  Prince  :  Que  fîx  Papes  confécutifs  avoîent  eu  les  mêmes 

Henri  fentimens  à  ce  fujec  :  Qiie  Grégoire  XIII.  Sixte  V.  Urbain 

I  V.      VII.  Grégoire  XIV.  Innocent  IX.  &c  Clément  VIII.   qui 

I  f93«      gouvernoit  pour  lors  l'Eglife  avec  tant  de  lagefTe ,  ôc  qui 

avoit  donné  tant  de  preuves  éclatantes  de  fa  juflice  &  de  fa 

piété ,  avoient  tous  tenu  la  même  conduite  :  Que  plufieurs 

s'éfoient  flattés  que  Clément ,  cet  illuftre  Pontife  ,  étant 

originaire  de  Florence  ,  fe  conduiroit  par  les  voies  de  la 

prudence  fi  naturelle  à  fa  Nation  ,  êc  ne  prendroit  pas  la 

même  route  que  fes  prédécelFeurs  j  mais  qu'ils  s'étoienc 

trompés  dans  leurs  vaines  conjeclures. 

53  Au  furplus,  ajoûta-t'il,  on  n'a  pas  rapporté  fidèlement 
53  les  exemples  des  Prophètes  ,  lorfqu'on  a  foutenu  qu'ils 
33  n'avoient  employé  que  les  prières  de  les  remontrances  , 
33  pour  ramener  dans  leur  devoir  les  Princes  qui  s'en  écar- 
33  toient.  En  effet  Elie  excita  le  peuple  contre  les  prêtres  de 
33  Baal ,  fit  defcendre  le  feu  du  ciel  fur  les  envoyés  du  Roi  j 
33  2c  rEccléfiafi:ique  le  loue  de  ce  qu'il  avoit  renverfé  le 
55  trône  des  Rois.  Elifée  s'en  efi:~il  tenu  aux  prières  &  aux 
53  exhortations  ,  lorfqu'il  ordonna  à  Jehu  de  ruer  Achab  dc 
33  Jefabel  5  6c  lorfqu'il  dit  à  Joram  qui  vouloir  faire  la  paix  , 
35  que  les  crimes  ôc  les  fornications  de  Jefabel  ,  duroienc 
«  encore  ? 

33  Avec  quelle  liberté  les  anciens  Pères  ont-ils  parlé  aux 
55  Princes  qui  s'écartoient  de  la  Foi  ?  S.  Hilaire  dit  que 
»>  c'étoit  la  foi ,  &:  non  la  témérité  j  la  raifon  ,  &c  non  l'im- 
î3  prudence  3  la  confiance  qu'ils  avoient  en  Dieu  ,  &  non  la 
3>  fureur  ^  la  vérité  ,  &  non  un  faux  zèle ,  qui  le  faifoienc 
M  parler  ainfi.  On  n'a  point  fait  de  rèponfe  raifonnabie  aux 
33  exemples  de  Lobna  ,  d'Fdom  ,  ôc  des  Machabées.  Le 
33  pafiage  de  S.  Paul  dans  fon  épître  aux  Corinthiens,  ne 
35  peut  être  appliqué  au  commerce  que  les  Chrétiens  pou- 
33  voient  avoir  avec  les  Gentils  ,  qui  n'avoient  pas  été  in» 
33  ftruits  des  vérités  de  la  foi.  Il  étoit  impoifible  de  ne  pas 
>3  les  fréquenter  ,  ^l'on  pouvoir  le  faire  fans  un  grand  dan- 
os  ger.  S,  Paul  a  donc  voulu  parler  de  ceux ,  qui  ayant  été 
»  initiés  aux  faints  JVlyftères ,  avoient  abandonné  leur  Re- 
33  ligion.  C'étoit  les  apoftats  ,  qu  'il  falloit  éviter  &  féparer 
n  de  la  communion  de  l'Eglife ,  parce  que  leur  fréquentation 


mÊOiAt 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  v.  CVÏ.       74Î 

»  étok  plus  dangereufe  ,  que  celle  des  payens.  Il  faut  dire  «*— ■ 
»  la  même  choie  des  Empereurs  idolâtres  ,  à  qui  les  pre-  Henri 
)î  miers  Chrériens  ont  été  fi  foumis  pendant  les  perfécu-      I  V. 
>5  tions.  On  ne  peut  pas  les  appeller  hérétiques ,  puifqu'ils     j  cor, 
>5  n'avoient  jamais  reçu  la  foi. 

)î  L'Eglile  n'a  pas  perdu  Tes  droits  ,  quoiqu'elle  ait  obéi 
»î  à  des  Princes  hérétiques ,  comme  Confiance  &  Valens , 
>5  qui  étoient  Arriens  ;  Julien  l'Apoftat  j  Anaftafe  ,  qui  étoic 
»5  Eutichéen  -,  Heraclius  j  Conftantin  Copronyme  j  &  quel- 
?5  ques  autres.  Les  Catholiques  n'ont  agi  ainfi  ,  que  parce 
35  qu'ils  ne  pouvoient  réfîfler  à  leurs  ennemis  ,  dans  des  tems 
w  où  l'Egliie  encore  peu  nombreufe  ,  ne  pouvoir  fignaler  fà 
>3  foi ,  que  par  le  fang  de  Tes  Martyrs.  Dès  qu'elle  a  été  aiïèz 
>3  puilFante,  pour  employer  utilement  la  force  &  l'autorité  , 
î3  elle  s'eft  fervie  de  tous  fes  droits.  Lorfque  les  Oftro- 
î3  goths  étoient  maîtres  de  l'Italie  ,  que  les  Vifigoths  ré- 
>3  gnoient  en  Efpagne ,  &  que  l'Afrique  étoit  foumife  aux 
>3  Vandales  ,  l'Egliie  ne  pouvoit  que  s'écrier  d'un^  voix  plain- 
>3  tive  avec  David  (  i  )  :  Pourquoi  les  Nations  onî-elics  frémi, 
M  ^  les  Rois  de  la  terre fe  font-ils  élevés  ?  Mais  cnfuite  on  a 
«  vu  l'accomplifiement  de  cette  prophétie  :  Vous  [es  co,7- 
ï5  auirez,  avec  une  verge  de  fer.  Le  roi  de  Navarre  n'eil:  pas 
»  afièz  puiflant  pour  nous  obliger  de  lui  obéïr  5  nous  avons 
î3  au  contraire  afîez  de  courage  ^  de  force  ,  pour  lui  réfifler 
M  avec  fuccès. 

33  Le  pafTage  de  S.  Ambroife  qu'on  nous  objecte ,  eft  fa-' 
33  vorable  à  notre  caufe  ,  bien  loin  de  nous  être  contraire, 
33  11  prouve  que  les  foldats  de  Juhen  l'Apoftat  n'obéiifoient 
33  pas  à  fes  ordres  ,  lorfqu'il  leur  commandoit  de  combattre 
33  contre  àes  Chrétiens.  Des  Catholiques  ofcnt  cependant: 
>3  aujourd'hui  prendre  les  armes  contre  leurs  propres  frères, 
53  qui  fe  conforment  aux  préceptes  divins  ,  ôc  qui  réfiftenc 
33  courageufement  aux  fectaires. 

33  Le  concile  de  Latran  enjoint  aux  Princes  d'extermî- 
M  ner  les  hérétiques  ,  &  s'ils  n'exécutent  le  décret  ,  il  lej 
M  menace  des  peines  qui  y  font  portées.  Dans  \qs  circonf. 
w  tances  préfentes,  l'Eglife  a  non  feulement  dénoncé  5  mais 
w  encore  elle  a  condamné.  Elle  a  non  feulement  exhorté  tous 

CO  ^Ijtartfremuexuntgentti  ,  é^  Keges  tcrrA  afliterunt  ?  Pf.  z. 

AAAaa  iii 


74*  HISTOIRE 

■ ■^^■■n—  î3  les  fidèles  à  fuir  les  hérétiques  j  mais  encore  elle  leur  a  or- 

Henri  "  donaé  de  regarder  le  roi  de  Navarre  comme  leur  chef  ôc 
I  V.  "  leur  procedeur.  Berenger  a  fouvenc  été  condamné  par 
i  CQ7  "l'Eglifej  cependant  les  Conciles  qui  ont  profcrit  fa  doc* 
53  trine ,  n'ont  point  été  afïèmblés  directement  contre  ceç 
"  Héréfiarque  j  parce  qu'il  n'efl:  pas  néceflaire  que  l'Eglife 
"  condamne  nommément  chaque  hérétique,  6^  qu'il  fuffitde 
M  profcrire  leurs  erreurs  en  général.  Ainfi  dans  tous  les  Con- 
«  ciles  qui  ont  été  célébrés  de  notre  fiécle  ,  dans  ceux  de 
>5  Rome  &;  de  Verceil,  fous  Léon  IX.  dans  celui  de  Tours, 
53  fous  Vidor  II.  ôc  dans  celui  de  Ron\e  fous  Nicolas  IL  ces 
>3  mêmes  erreurs  que  Calvin  a  renouvellées  ont  été  pro- 
»  fcrites  &  foudroyées.  Berenger  les  avoit  lui-même  abju- 
«  rées  ,  &  brûlé  les  livres  qu'il  avoit  compofés  à  ce  fujet  , 
»  quoique  dans  la  fuite  il  foit  retourné  à  ion  vomiiîèment. 

«  L'héréfie  qui  eft  un  crime  de  léze-Majefté  divine  , 
53  anéantit  tous  les  privilèges  ,  êc  dégrade  tous  ceux  qui 
î3  la  fuivent.  Un  Prince  hérétique  eft  d'autant  plus  crimi- 
53  nel,  qu'il  eft  particulièrement  obligé  de  défendre  la  Re- 
33ligion,  ôc  que  fon  exemple  eft  beaucoup  plus  dangereux 
»3  que  celui  d'une  perfonne  privée.  Par  conféquent  ce  Prince 
•...  33  attaché  à  cette  lede  impie  ,  qui  fait  aujourd'hui  tant  de 

'  33  ravages,  doit  être  regardé  éc  dètefté  comme  un  fedaire  j 

>3  car  dès  que  l'Eglife  a  jugé ,  l'on  ne  peut  foûtenir  fans  fe 
53  rendre  coupable  d'orgueil  &  d'obftination  ,  ce  qu'elle  a 
î3  condamné  j  ôc  celui  qui  défend  des  maximes  contraires  à 
?3  Çqs  dècifions ,  eft  inconteftablement  hérétique.  Le  roi  de 
>3  Navarre  eft  non-feulement  attaché  à  des  erreurs  plufieurs 
33  fois  profcrites  ^  mais  encore  il  foûtient  fes  opinions  par  la 
33  force  des  armes ,  êc  s'eft  mis  à  la  tête  des  fedaires  j  s'il 
»  veut  fe  faire  inftruîre ,  comme  il  tâche  de  le  faire  croire, 
33  il  peut  confulter  des  dodeurs  habiles  ,  qui  lui  montreront 
?)  fes  erreurs. 

)3  11  eft  contraire  aux  textes  des  loix  civiles  6c  cano- 
î)  niques,  qui  ont  été  faites  contre  les  Hèréfiarques  ,  de  foû- 
îj  tenir  que  ces  mêmes  loix  ne  regardent  pas  les  Princes.  Elles 
î)  renferment  non-feulement  les  auteurs  des  nouvelles  opi- 
î>  nions ,  mais  encore  leurs  fauteurs  èc  adhérans  ^  elles  dé- 
;>  clarentexpreflement  que  les  Princes  hérétiques  font  founiis 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVL  743 

«  fans  exception   aux  peines  générales  ^  6c  comme  leurs  __        ^^nm 

>  égaremens  font  d'un  pernicieux  exemple,eUes  délient  leurs  H  e  n  r,  i 

>  fujets  du  ferment  de  fidélité.  La  conlérvation  de  la  Keli-       I  y. 

>  gion  Catholique  ,  Apoftolique  6c  Romaine ,  eft  la  première      j  ^  q  -2 
j  loi  du  Royaume  5  c'eft  cette  loi  qui  a  porté  à  un  fi  haut        " 

3  point  la  gloire ,  àL  la  puiiTance  de  cet  Etat ,  6c  qui  par  con- 
3  léquent  l'emporte  fur  toutes  les  autres  loix  ,  avec  d'autant 
î  plus  de  raifon ,  que  cette  loi  eft  la  loi  de  Dieu  même. 

ï5  Si  nous  refufons  de  nous  réunir  avec  vous ,  nous  n'a- 
5  gifTons  âinfî  que  par  refpecl:  pour  les  ordres  du  fouverain 
5  Pontife ,  &  par  (es  déciiions  qui  établillent  fi  clairement 

>  la  juftice  de  notre  caufe.  Si  nous  les  méprisons,  on  nous 
3  reprocheroit  nota*e  mauvaife  foi ,  5c  on  diroit  que  nous  ne 
î  regardons  que  nos  intérêts  particuliers.  Nous  ne  pouvons 
3  traiter  de  la  paix  avec  un  Prince  hérétique ,  fans  enfrain- 
î  dre  nos  fermens  ^  6c  ce  feroit  en  quelque  façon  reconnoître 
3  pour  Roi  celui  à  qui  nous  avons  toujours  refufé ,  ôc  à  qui 

>  nous  refufons  encore  d'obéir. 

L'archevêque  de  Lyon  finit,  en  difant  que,  quant  à  Tarn- 
baflàde  du  marquis  de  Pifany ,  on  devoit  être  perfuadé  que 
ceux  de  la  Ligue  ne  la  rraverleroient  point  :  Q^e  cependant 
ils  ne  l'appuïeroient  pas ,  6c  que  l'évêque  de  Lifieux  6c  des 
Portes  Baudouin  n'avoient  reçu  aucune  inftrudion  qui  pût 
lui  préjudicier  :  Qiie  le  Pape  toujours  attentif  à  conferver  la 
pureté  de  la  foi  n'avoit  fuivi  que  les  mouvemens  de  fa  piété 
6c  de  fa  prudence  ,  Ôc  avoit  donné  à  tous  les  Catholiques 
un  exemple  éclatant  du  foin  avec  lequel  on  devoit  éloigner 
de  la  Religion  tous  les  dangers  qui  la  menaçoient. 

L'archevêque  de  Bourges  ayant  conféré  pendant  quelque  Rjpiique  de 
tems  avec  fes  collègues ,  répondit  qu'on  rapportoit  des  deux  l'archevêque 
côtés  des  pafîàges  ,  ^  des  exemples  dont  chaque  parti  vou-    ^  ^«"'^S'^s. 
loit  fe  prévaloir  ^  mais  qu'il  falloit  en  demander  le  véritable 
ufage  ôc  l'intelligence  à  Dieu  ,  après  avoir  invoqué  fon  faint 
Efprit  :  Que  cependant  la  dodrine  de  Jefus-Chrift  6c  de  (qs 
Apôtres  fur  la  fidélité  dûë  aux  Rois ,  étoit  claire  ^  cer- 
taine :  Qu'il  falloit  craindre  Dieu  ^  honorer  les  Rois ,  rendre 
à  Dieu  ce  qui  étoit  à  Dieu  ,  &:à  Cefàr  ce  qui  appartenoit  à 
Cefar  ;  Que  tous  les  fujets  fans  diflindion  dévoient  être  fou- 
rnis aux  Puifïànces ,  ôc  que  celui  qui  leur  réfiftoit ,  rcfiftoic 


744  HISTOIRE 

'-'  '  *  à  Dieu  même ,  &  troubloit  la  tranquillité  publique  :  Que  les 
Henri  féditieux  êc  les  rebelles  avoient  toujours  éprouvé  les  ter- 
I  V.  ribles  effets  de  la  vengeance  célefte.  »  Mais ,  ajoûta-t-il,  ne 
ï  Î9  3«  ^'  i^ous  arrêtons  plus  à  tous  cesargumens,  &;  agitons  main- 
"  tenant  ce  point  delà  conteflation  que  nous  avons  jufqu'à 
>3  prefent  évité  comme  un  écucil.  Répondons  enfin  à  ce  qu'on 
fi  nous  objede  fur  l'autorité  du  Pape.  J'ai  tout  le  refped 
î>  poffible  pour  les  Souverains  Pontifes  3  mais  je  ne  puis  voir 
«  îans  douleur  que  quelque  bonnes  intentions  qu'ils  ayenr, 
35  ils  foient  comme  les  efclaves  de  l'Efpagne ,  qui  parce  qu'elle 
î>  s'eft  rendue  redoutable,  les  aflujectit  à  [es  paffions  6c  à  Tes 
5î  caprices.  Combien  leur  partialité  n'a-t-elle  pas  éclaté  dans 
93  les  Brefs  qu'ils  ont  donnés  en  faveur  des  Efpagnols  ,  contre 
»3  le  Roi ,  ôc  contre  ceux  qui  lui  font  attachés  j  6c  cela  fans 
>5  fuivre  les  voyes  ôc  les  formalités  ordinaires  ?  Sont-ce-là  les 
«  moyens  convenables  pour  faire  rentrer  dans  ie  fein  de 
î3  l'Eglife  les  Princes  qui  s'en  font  écartés  ?  Les  anciens  Papes 
S3  en  ont  agi  bien  autrement  dans  de  pareilles  circonflances. 
îî  Ils  alioient  au  -  devant  d'eux  ,  6c  leur  rendoient  toutes 
:»3  fortes  de  refpeds  6c  d'honneurs.  C'eil  ainii  qu'Anaftafe  en 
>3  agit  à  l'égard  de  l'empereur  Juftin.  Telle  a  été  la  conduite 
ï3  de  Jean  envers  Juftinien,  qui  étoit  attaché  à  l'héréfie  d'Eu- 
>3  tichès.  Une  implacable  févérité  a  porté  le  fer  6c  le  feu  dans 
'ji  plufieurs  royaumes  chrétiens  ,  comme  en  Angleterre  ôc 
.«  en  Hongrie  5  S^  un  zélé  trop  amer  a  occafionné  le  ravage 
.33  6c  la  défoiation  des  plus  belles  provinces  de  la  Chrétienté. 
>3  J'efpere  cependant  que  Le  fouverain  Pontife  ayant  re- 
^3  couvre  toute  fon  autorité ,  agira  enfin  dans  cette  affaire  en 
^3  médiateur  défintéreffé  ,  6c  comme  le  père  commun  des 
>3  Chrétiens,  6c  fera  voir  par  des  traits  éclatans  de  fa  bonté, 
-33  qu'il  a  les  mêmes  fentimens  que  [es  prédéc^lfeurs  pour 
j>3  une  Nation  qui  a  rendu  tant  de  fervices  au  S.  Siège. 

3.3  Notre  Roi  efl  aulîî  puifFant  que  courageux.  Son  âge  le 
îs  rend  capable  de  gouverner  par  lui-même  les  peuples  qui 
i'3  lui  font  fournis.  Il  peut  non-feulement  repoulTer  les  enne^ 
.33  mis  de  l'Etat  ^  mais  encore  fe  faire  craindre  àc  refpeder 
??  par  tous  ies  voi{îns.  L2.  nature  lui  a  donné  toutes  les  qua- 
:.3  lires  d'un  grand  Prince  .3  il  ne  lui  manqué  que  la  vraye 
5?  £0}  ;  fi  DleiiJe^Qriver.dt,  quel  Pui/îant  proteAeur  pour  la 

Religion  « 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.      745 

«  Religion  i  QLiels  fecours  au  contraire  peuc-on  attendre  des  -__.iJ_L-,? 
»  Efpagnols?  Leur  Roi  infirme  &  épuilë  trompera  par  une  H  E  n  el  i 
>5  mort  prochaine  les  efpérances  de  ceux  qui  comptent  fur       I  V. 
>3  les  lecours  de  ce  Prince,  pour  fe  tirer  des  dangers  où  iis     i5  95« 
M  fe  font  engagés.  C'eft  u^^e  muraille  quipanche  j  une  mafure 
n prête  a.  tomber  (  i  ). 

»  Les  Brefs  du  Pape  n'ont  pas  été  dûcment  fignifiés,6c 
>5  nous  pouvons  dire  que  nous  n'en  avons  point  de  connoif- 
î>  fance  par  une  voye  Canonique.  D'ailleurs  ils  font  con- 
>3  traires  à  nos  Libertés  6c  aux  immunités  du  Royaume  , 
>3  (uivant  lelquels  par  un  droit  fpécial ,  non-feulement  le  Roi, 
>3  mais  encore  les  Seigneurs ,  les  Magiftrats ,  &  les  peuples 
>3  qui  lui  obéïfTent ,  ne  peuvent  être  excommuniés. 

»  Quant  aux  prétendues  lettres  écrites  à  la  reine  d'An. 
>î  gleterre,  &  qui  félon  vous  ont  été  interceptées  j  ce  font 
>3  nos  ennemis ,  qui  par  la  fourberie  la  plus  infigne  les  ont 
>3  fabriquées  ,  pouf  rendre  odieux  â  la  cour  de  Rome  le 
>3  marquis  de  Pifany. 

L'archevêque  de  Bourges  ajouta ,  que  fi  les  Royalifles 
prioient  ceux  de  la  Ligue  d'aider  le  marquis  de  Pifany  dans 
fon  amballade  ,  ils  ne  le  faifoient  que  pour  éviter  les  lon- 
gueurs 3  mais  que  puifque  ceux  de  la  Ligue  refufoient  d'em- 
ployer leur  crédit  à  Rome  à  ce  fujet ,  on  n'infifteroit  pas 
davantage  fur  cette  demande. 

Il  réfuta  enfuite  quelques  exemples  allégués  par  l'arche- 
vêque de  Lyon.  Ce  dernier  ayant  voulu  répliquer  ,  le  pré- 
lat Royalifte l'interrompit, 2clui  dit.  >5  II  eft  inutile  de  dif. 
J5  puter  plus  long-tems  ^  il  faut  enfin  venir  au  fait,&:  cher- 
53  cher  les  moyens  de  terminer  heureufement  la  conférence, 
33  fans  entrer  dans  de  plus  grandes  difputes. 

Il  s'éleva  enfuite  une  nouvelle  conteftation  fur  le  privi- 
lège qui  met  les  Rois  à  couvert  des  cenfures ,  ôc  au  fujec 
des  Libertés  de  l'Eglife  Gallicane.  Cette  queftion  fut  agi- 
tée avec  chaleur ,  par  les  deux  partis.  Les  Ligueurs  foûtin- 
rent  que  ces  privilèges  étoient  imaginaires  :  Que  ni  les  Bulles 
de  Martin  6c  d'Eugène  ,  ni  les  Extrnnjagantes  de  Clément 
Be  contenoient  rien  de  femblable^  6c  que  l'ufas-e  étoitcon- 
traire  a  ces  prétendues  immunités. 

(  I  )  Pjalm.  61. 

Tome  XI,  B  B  B  b  b 


74^  HISTOIRE 

Les  Royaliftes  répondirent  qu'une  queftion  lî  difficile  n'a- 
H  E  N  Kl  voit  été  agitée  que  depuis  les  troubles  ,  &  que  nos  ancêtres 
1  V.  n'avoient  jamais  douté  de  l'affirmative  :  Qiie  Dieu  n'avoic 
jcQi  pas  entièrement  abandonné  la  France,  puii'qu'il  avoit  in- 
fpiré  aux  Seigneurs ,  &  aux  peuples  qui  s'étoicnt  attachés  à 
leur  Roi, une  réfolution  confiante  de  lui  demeurer  fidèles:: 
Que  fî  tous  les  François  avoient  eu  les  mêmes  fentimens,  ôc 
avoient  agi  comme  ceux  de  la  Ligue  ,  les  droits  de  l'héritier 
de  la  couronne  étant  révoqués  en  doute  ,  la  France  ainlî 
divilée  &;  livrée  en  proye  à  la  cupidité  des  Efpagnols  &  des 
étrangers  n'auroit  pu  éviter  fa  ruine  entière  :Que  ce  Royaume 
étoit  héréditaire  j  ôc  quoiqu'on  dît  que  les  princes  Carlovin- 
o-iens  dévoient  leur  élévation  aux  fouverains  Pontifes ,  (  en- 
vers  qui  ils  s'étoient  d'ailleurs  acquittés  avec  ufure  par  les 
fervices  qu'ils  avoient  rendus  au  Saint  Siège  )  5  cependant 
Hugues  Capet  chef  de  cet  illuftre  maifon  ,  dont  le  Roi  def- 
cendoit  en  droite  ligne  ,  n'étoit  monté  fur  le  trône  que  par 
les  fufFrages  des  Seigneurs  ôc  des  peuples  ,fans  que  les  Papes 
y  euflent  eu  la  moindre  part,6c  n'avoit  obligation  de  fa  cou- 
ronne qu'à  la  Nation  feule  qui  la  lui  avoit  déférée. 

Schomberg  pour  fiiire  fentir  aux  Ligueurs  les  dangers  où 
ils  expoferolent  l'Etat,  s'ils  continuoient  de  fervir  la  paffion 
du  Légat  6c  des  Efpagnols ,  dit  en  pafîant  ,  que  tant  que  le 
Roi  vivroit ,  il  ne  falloit  pas  penfer  à  en  élire  un  autre  :  Qiie 
tous  les  gens  de  bien  efpéroient  que  ceux  qu'on  difoit  être 
afTemblés  à  Paris,  n'oferoient  jamais  procéder  à  une  élec- 
tion ,  qui  aux  troubles  qu'on  pouvoit  encore  calmer ,  feroit 
fuccéder  une  guerre  éternelle. 

Les  Ligueurs  fe  plaignirent  des  arrêts  donnés  à  Châlons 
&  à  Tours  contre  l'autorité  du  Pape  6c  du  S.  Siège,  &;  dirent 
à  ce  fujet  que  cqs  François  qui  s'étoient  iervis  de  termes  fi 
-injurieux  à  la  Majefté  divine,  avoient  entièrement  oubhé  la 
piété  de  leurs  pères ,  6c  cette  refpecflueufe  obéïflance  avec  la- 
quelle on  recevoit  autrefois  dans  ce  Royaume  les  décrets 
des  fouverains  Pontifes  :  Qiie  l'aflemblée  du  Clergé  à  Char- 
tres n'étoit  pas  moins  criminelle  ,  quoique  l'écrit  qu'on  y 
avoit  fait  contre  les  Brefs  du  Pape ,  fût  dans  des  termes  plus 
niodérès. 

Les  Royaliftes  répliquèrent  que  fouvent  nos  ancêtres  dans 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   C  V  I.      747 

de  pareils  troubles  avoient  pris  cette  liberté  :  Qu'on  avoir  - 
donc  pu  en  agir  de  même,  fur-tout  dans  une  circonltance  auffi  Henri 
intéreiTante  ,  iorfqu'on  vouloir  dépouiller  un  R.oi  légitime       I  V. 
pour  couronner  un  ufurpateur,  &  qu'on  vouloir  couvrir  ces      i  cg  2 
attentats  de  l'autorité  du  Pape  :  Que  la  cour  de  Rome  n'a- 
voit  pli  produire  rien  de  plus  odieux  j  qu'ainfîJ'on  ne  de- 
voir pas  trouver  mauvais  qu'on  eût  réfifté  à  Ces  injuftes  De- 
cretSjôi  qu'on  eût  agi  en  ennemi  contre  un  ennemi  fî  déclaré. 

Tout  le  jour  s'étant  pailé  dans  ces  difputes,  Schomberg 
avec  la  permiiîîon  du  Roi  ,  prit  un  fauf-conduit ,  ôc  alla  à     Schomberg 
Paris  avec  le  comte  de  Belin,  pour  parler  au  duc  de  Mayenne  j^  duc"]!*^ 
qui  étoit  arrivé  depuis  peu  de  l'armée.  Il  lui  reprefenta  com-  Mayenne! 
bien  il  y  auroit  de  témérité  ,  de  de  danger  à  élire  un  Roi, 
&c  que  n  le  choix  tomboît  fur  le  duc  de  Guife  ,  comme  les 
Efpagnols  le  fouhaitoient ,  moins  pour  contribuer  à  l'éléva- 
tion de  ce  jeune  Duc  ,  que  parce  qu'ils  liaïiïoient  le  duc  de 
Mayenne  3  ce  dernier  devoir  craindre  que  pour  le  perdre  , 
ils  ne  fe  fervifTent  du  nom  de  ce  Roi  imaginaire ,  qui  ne  tien- 
droit  que  d'eux  fon  autorité. 

Le  duc  de  Mayenne  reçut  honorablement  Schomberg  j 
mais  quoiqu'il  connût  la  fincérité ,  èc  la  prudence  de  ce  Sei- 
gneur qui  étoit  fon  ancien  ami ,  ce  Duc  néanmoins  par 
une  lenteur  ôc  une  incertitude  qui  lui  étoient  naturelles ,  de 
qui  d'ailleurs  croyoit  avoir  raifon  de  foupçonner  tout  ce  qui 
lui  venoit  de  la  part  des  Royaliftes ,  parut  peu  touché  des 
remontrances  de  Schomberg ,  6c  le  renvoya  fans  aucune  ré- 
ponfe  précife. 

Ainiî  le  dix  de  Mai,  c'eft-à-dire ,  quatre  jours  après,  on 
s'afTembla  de  nouveau  à  Surefne.  Les  Royaliftes  prelférenc 
les  députés  de  la  Ligue  de  s'expliquer  clairement ,  &  de  pro- 
pofer  plus  au  long  les  conditions  de  la  paix  qu'ils  défiroienc 
avec  tant  d'ardeur.  L'archevêque  de  Lyon  foûtint  qu'il  avoir 
fait  des  réponfes  à  routés  les  demandes  du  parti  contraire  : 
Que  le  furplus  dépendoit  de  la  volonté  du  Pape,  à  qui  la 
Ligue  vouloir  toujours  obéir  •  &:  que  puifqu'on  faifoir  efpé- 
rer  que  le  Roi  rentreroit  dans  le  fein  de  l'Eglife  Catholique, 
il  fouhaitoit  que  fon  retour  fûtfincére,  dc  qu'il  fe  réconciliât 
avec  le  fouverain  Pontife. 

L'archevêque  de  Bourges  prit  aulîî-  tôt  la  parole  ,  &:  lui  dit. 

B  B  B  b  b  ij 


74^  HISTOIRE 

L—  »  Il  faut  fans  difFërer,  remédier  à  des  maux  prefTans  j  fî  Ton 

Henri  w  nous  envoyé  à  Rome,  les  Alpes  retarderont  par  terre  notre 

I  V.        î5  voyage,  &  par  mer  quels  obltacles  ne  pourrons-nous  pas 

'Î9  3»     "trouver  ?  Le  moindre  retardement  fera  fatal  aux  deux 

55  partis  5  faites  donc  voir  que  vos  démarches  tendent  vérù 

»  tablement  à  la  paix  ,  ôc  que  l'aimable  férénité  de  votre 

53  vifage  cft  l'image  de  vos  fentimens  pacifiques ,  6c  de  votre 

«  amour  pour  la  tranquillité  de  l'Etat. 

L'archevêque  de  Lyon  ayant  témoigné  qu'il  ne  pouvoît 
pas  faire  de  plus  grandes  avances ,  l'archevêque  de  Bourges 
prit  en  particulier  les  avis  de  (es  Collègues  ,  &  demanda 
une  furféance  de  quelques  jours  pour  rapporter  ce  qui  s'é- 
toit  pafTé  à  ceux  au  nom  defquels  il  agilToit ,  &  pour  faire 
une  réponfe  précifè  ,  après  qu'il  \qs  auroic  confultés.  La 
trêve  fut  continuée  pendant  ce  temps. 

Cependant  on  fît  à  Paris  une  proceflîon  magnifique  Se 
pompeufe  pour  l'heureux  fuccès  de  la  conférence,  6c  pour 
î'éledion  d'un  Roi  très-Chrétien  ,  d<.  véritablement  Catho- 
lique. Le  légat  du  Pape,les  archevêques  de  Lyon, de  Glafcow 
6c  d'Aix,  les  évêques  de  Viterbe  ,  d'Amiens ,  de  Rennes,  de 
Riez  ,  de  Senlis  ,  d'Autun  ,  d'Avranches,  de  SoilFons ,  de 
Vannes  d>c  de  Frejus  y  affiftérent ,  6c  portèrent  des  Reliques. 
Les  Confeiilers  qui  étoient  reftés  à  Paris  fuivoient  en  robes 
rouges,  6c  treize  d'entre  eux  portoient  fur  leurs  épaules  la 
chafTe  de  S.  Louis.  La  chambre  des  Comptes ,  6c  la  plupart 
des  difFérens  Ordres  de  la  ville  y  aOîftérent  auflî.  Le  car- 
dinal de  Pellevé  dit  la  meile  à  Nôtre-Dame,  6c  Jean  Bou- 
cher dodeur  de  Sorbonne  ,  cet  ennemi  furieux  de  la  maifon 
Royale  ,  ce  Fanatique  qui  s'étoit  autrefois  déchaîné  fi  in- 
dignement dans  {qs  fermons  contre  Henri  III.  y  fit  un  dit 
cours  plein  d'emportement  de  de  fureur. 

Schomberg  6c  Revol  furent  envoyés  par  les  députés 
Royaliftes  ,  pour  inftruire  le  Roi  de  tout  ce  qui  s'étoit 
paiîé  à  Surelhe ,  6c  lui  reprcfenter  qu'il  étoit  temps  de  dé- 
clarer à  fcs  fujets  fes  fentimens  fur  la  Religion ,  6c  renver- 
fer  par  ce  moyen  tous  les  defiTeins  des  Rebelles, 
lettre  du        Henri  de  la  Tour  duc  de  Bouillon  ,  Seigneur  d'une  illuftre 

Prefident  de  •/y'  j>  j        '     •     o      j>  j  o,         • 

Thouau  duc  nailiance,  d  un  grand  génie  6c  d  un  grand  courage  ,  6c  qui 
de  Bouillon,  avoic  eu  le  fouverain  commandement  des  armes  dans  la 


à 


DE    J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.      ^49 

Guyenne  ,  pofTédoic  alors  toute  la  faveur  du  Prince.  Com-    . 
me  il  écoit  attaché  à  la  doctrine  des  Proteftans ,  on  craignoic  Henri 
qu'il  ne  s'opposât,  ou  qu'au  moins  il  n'apportât  quelque  re-       I  V. 
tardement  à  la  converiîon  de  Henri.  La  moindre  remifè      1503. 
étoit  d'une  conféquence  extrême ,  &  auroit  frappé  refpric 
des  peuples  qui  étoient  attentifs  à  riiîuë  qu'auroit  la  confé- 
rence. Ainfi  de  Thou  (i)  l'un  des  députés  Royaliftes ,  lui 
écrivit  fur  le  champ  ,  ôc  lui  reprefenta  particulièrement  qu'il 
étoit  trop  prudent  pour  ne  pas  voir  ,  que  pour  fauver  l'Etat, 
il  falloit  faire  la  paix ,  &  par  conféquent  s'accommoder  au 
plutôt  avec  les  Catholiques  rebelles  au  Roi  :  Qu'on  ne  pou-, 
voit  conclure  aucun  traité  ,  fi   Sa  Majefté  ne  les  fatisfaî- 
foit  fur  la  Religion ,  ôc  ne  remphfibit  les  efpérances  qu'on 
avoit  du  fuccès  de  la  conférence  :  Qiie  fi  cette  conférence 
n'avoit  aucun  efFet  ,  l'un  des  deux  partis  s'attireroit  toute 
la  haine  des  Peuples  ,  ôc  qu'on   devoit  craindre  un  grand 
changement  dans  les  efprits  :  Que  la  paix  étoit  non  feulement 
néceifaire  à  ceux  qui  fentoient  toutes  les  calamités  de  la  guer-  ; 

re  j  mais  qu'elle  étoit  encore  utile  à  toute  la  Chrétienté  ,  à 
qui  le  démembrement  de  la  France  ne  pouvoit  être  que 
très-préjudiciable  :  Que  tout  ce  que  le  légitime  héritier  de 
la  Couronne  feroit  pour  calmer  les  troubles  de  fon  Royaume, 
&  réprimer  les  impiétés  qui  régnoient  impunément  à  la  fa- 
veur des  guerres  civiles ,  ne  pouvoit  être  que  très.agréable 
à  Dieu  :  Que  toutes  les  démarches  de  Sa  Majefté  ne  pour- 
roient  être  attribuées  qu'à  un  véritable  amour  pour  ia  pa- 
trie 3  &  qu'on  n'oferoit  jamais  l'accufcr  d'ambition  :  Qtieles 
Proteftans  même  dévoient  fouhaiter  d'avoir  un  Roi  Catho- 
lique ,  quife  comportât  dans  les  affaires  de  la  Religion  avec 
une  équité  qu'on  n'avoit  point  eue  jufqu'alors,  &  qui  après 
avoir  donné  la  paix  à  fon  Royaume  ,  travaillât  à  la  procu- 
rer à  l'Eglife  :  Que  ceux  qui  croy oient  en  Dieu  ,  &:  en  Jefus- 
Chrift  fon  fils  qu'il  a  envoyé  pour  nous  fauver ,  &  qui  ef- 
péroient   un   même   bonheur   éternel ,   ne  pouvoient    dé- 
firer  autre  chofe   que  de   voir  l'unité   de  la  foi  former  ^ 
établir  une  paix  durable  ,  afin  qu'étants   de  même  fcnti- 
mens  fur  la  Religion  ,  Dieu  nous  fût   propice  ,  de  versâc 

(1)  C'eft  l'auteur  de  cette  Hifloire. ,  confond  ceux  qui  pre'tendent  qu'il  fav<> 
Cette  lettre  politique  ôc    Chrétienne  rifoit  la  Religion  Froteftante. 

BBBbbiii 


M93 


7ÎO  HISTOIRE 

fur  nous  tous  les   dons   de  fa   miféricorde. 

D'un  autre  côté ,  dans  la  crainte  que  les  Proteflans  ne 
s'oppoiafTent  à  ce  projet ,  les  Princes  6c  les  confeillers  d'Etac 
du  Koi ,  qui  étoient  alors  auprès  de  Sa  Majefté  ,  promirent 
par  écrit  qu'on  ne  préjudicieroit  point  dans  la  conférence 
de  Surefne  aux  édits  ,  ôc  déclarations  données  par  les  Rois 
précédens,  de  que  les  chofes  demeureroient  dans  le  même 
état  où  elles  étoient ,  jufqu'à  l'alTemblée  indiquée  à  Mantes 
pour  le  vingt  de  Juillet.  Schomberg  fe  chargea  de  porter 
cet  écrit  aux  Députés  -,  il  étoit  ligné  par  Franc^ois  d'Or- 
léans comte  de  Saint-Pol  ,  Philippe  Hurault  Chancelier, 
Charle  de  Montmorency  de  Meru ,  Roger  de  Bellegarde , 
François  Chabot  de  Brion  ,  Gabriel  de  Schomberg  ,  iSc  Jean 
de  Levi  marquis  de  Mirepoix.  Cela  fe  palla  le  1 6.  de  Mai. 
Le  Roi  dé-  ^^  ^^'^  ayant  appris  tout  ce  que  les  Députés  avoient  fait 
ciare  qu'il  à  Surefne ,  tint  un  Confeil  fecret  avec  les  plus  intimes  amis, 
re"ai?e  in-  ^  déclara  enfin  que  quoiqu'on  eût  parlé  de  lui  avec  peu  de 
ftruire.  refped ,  èc  qu'il  foufFrît  avec  peine  les  difcours  pleins  d'ani- 
mofîté  &  d'aigreur  que  les  Ligueurs  avoient  tenus  ,  cepen- 
dant pour  faire  voir  que  l'amour  de  fes*  Peuples  étouffoit 
en  lui  le  fouvenir  des  injures  ,  il  vouloit  bien  oublier  tout  le 
pa{Té,&  qu'il  avoit  réfolu  de  fe  faire  inftruire  pardesEvê- 
ques  de  des  Dodeurs  ,  comme  il  l'auroit  déjà  fait  ,  fi  ks 
ennemis  n'avoient  pas  apporté  d'obftacle  à  fes  bons  deflèins. 
«  Nous  n'agifTons  pas  ainfî ,  continuoit-il ,  pour  fatisfaire  le 
ï5  parti  contraire ,  qui  dans  la  conférence  de  Surefne  a  mis 
»  notre  retour  à  la  Religion  Catholique  ,  pour  première 
»j  condition  de  la  paix  àc  de  fon  obéïflknce ,  mais  feulement 
>3  pour  lever  tous  les  fcrupules ,  ôc  faire  taire  ceux  qui  par 
)3  ignorance  ,  ou  par  mauvaife  volonté ,  difent  que  nous  fom- 
«  mes  peu  touchés  de  notre  fàlut ,  ôc  de  la  conlérvation  du 
"  Royaume.  Nous  voulons  donc  qu'on  déclare  notre  réfo- 
>5  lution  de  nos  deflèins  aux  députés  de  la  Ligue  •  ôc  afin 
î5  qu'ils  ne  puiiTent  fe  plaindre  qu'on  les  leurre  par  des 
>5  promefTes  incertaines ,  de  qui  n'auront  aucun  effet ,  nous 
»  ordonnons  qu'on  leur  apprenne  que  nous  avons  déjà  écrit 
»  aux  Evêques  de  aux  Théologiens,  aux  Princes,  aux  Sei- 
î3  gneurs  qui  font  abfents ,  de  à  nos  cours  de  Parlement, 
>3  pour  nous  déterminer  par  le  confèil  de  leurs  Députés  , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         751 

»  far  ce  qu'il  y  a  de  plus  convenable  à  faire  dans  les  affaires  ^iss^ir!^!^^ 
M  de  la  Religion  &  de  l'Etat ,  &  que  nous  avons  indiqué  pour  Henri 
»  cela  une  alîèmblée  générale  à  Mantes ,  où  nous  leur  avons       i  y^ 
>3  ordonné  de  fe  rendre  le  15.  de  Juillet.  ï  S9  ^. 

Le  Roi  finifToit^en"  difant  que  pour  ne  pas  perdre  de  temps, 
&  remédier  au  plutôt  à  toutes  les  calamités  publiques  ,  il 
étoit  néceflaire  de  travailler  aux  conditions  de  la  paix  ,  donc 
on  fufpendroit  la  publication  tant  que  les  deux  partis  le  ju- 
geroient  à  propos  :  Que  fî  les  Députés  alléguoient  un  défaut 
de  pouvoirs ,  ou  quelqu'autre  empêchement  ,  il  falloit  du 
moins  faire  une  trêve  générale  ,  de  crainte  que  la  guerre 
n'aigrît  encore  les  efprits  ,  &  n'éloignât  la  réconciliation: 
Qiie  pendant  cette  trêve ,  &;  après  que  le  Roi  auroit  exé- 
cuté toutes  {es  promefles ,  on  pourroit  traiter  de  la  paix  j 
mais  que  fî  les  Ligueurs  rejettoient  ces  moyens ,  les  Députés 
Royalifles  dévoient  faire  des  proteflations  qu'on  rendroic 
publiques  j  afin  de  faire  voir  que  d'un  côté  ,  le  Roi  avoir  pro- 
pofé  des  conditions  équitables  ,  &  qu'il  avoit  toujours  été 
difpofé  à  recevoir  celles  qu'on  lui  feroit  •  6c  que  de  l'autre^ 
toute  la  haine  que  méritoit  le  refus  obfliné  d'un  accommo- 
dement raifonnable  ,  retombât  fur  le  parti  contraire. 

Cette  Déclaration  fut  donnée  à  Mantes  le  même  jour  i  6» 
de  May.  Le  lendemain  Schomberg  &  Revol  revinrent  a 
Surefne ,  où  les  députés  de  la  Ligue  s'étoient  auffi  rendus. 
L'archevêque  de  Bourges  ayant  conféré  avec  fes  coUégues- 
prit  la  parole  ,  &;  après  avoir  fait  des  excufes  du  retardement 
qu'on  n'avoir  pu  prévoir,  ôc  que  l'abfence  du  cardinal  de 
Bourbon  &  la  maladie  de  Schomberg  avoient  occafionné  ,  il 
dit  que  cette  remife  n'avoit  pas  été  fans  fruit  j  puifque  fes 
deux  Collègues  avoient  apporté  un  acte  ôc  une  déclaration 
autentique  des  heureufes  difpofîtions  où  fe  trouvoit  le  Roi, 
qui  avoit  pris  enfin  fur  la  Religion  ,  des  fentimens  confor- 
mes aux  vœux  de  fes  fujets.  »  Ce  Prince,  dit^il ,  n'a  point 
«  été  touché  des  difcours  emportés  &  licentieux  ,  qui  pou- 
»  voient  blefTer  le  refpeâ:  dû  à  Sa  Majeflé  •  le  malheur  du 
>o  tems  les  lui  fait  oublier.  Se  laifTant  fléchir  au  milieu  de 
«  (es  vidoires ,  il  va  exécuter  au  premier  jour  ce  qu'il  médi- 
»  toit  depuis  fi  longtems ,  &  il  eft  difpofé  à  fe  faire  infrruire, 
>3  Quoiqu'il  voulut  lui-même ,  &  que  les  Princes ,  les  Prélats  3, 


7J1  HISTOIRE 

■  >î  6c  les  Seigneurs  qui  lui  font  attachés ,  fouhaita/îent  égale- 

Henri  »menc  que  fa  réconciliation  avec  l'Eglilè ,  le  fit  par  i'auco- 
IV.  «rite  du  Pape  ,  èc  que  ce  grand  événement  fîgnalat  ibn 
I  co  j,  »  Pontificat  j  cependant  hs  faclions  dont  la  cour  de  Rome 
»  eft  agitée  ,  nous  tont  craindre  des  remilès  inutiles ,  &  nous 
>î  empêchent  d'elpérer  qu'on  ne  puiiîc  finir  ce  grand  ouvra- 
is ge ,  aulîi-tôt  que  nos  maux  ,  qui  augmentent  tous  les  jours, 
>i  le  requièrent.  Ainfî  fans  préjudicier  aux  droits  du  S.  iiege, 
«  6c  fans  blefTer  le  refped  &c  la  déférence  qui  lui  font  dus  , 
>j  Se  dont  on  lui  donnera  des  témoignages  dans  la  fuite  ,  le 
»  Roi  a  jugé  à  propos  d'écrire  aux  Evêques ,  &  aux  Théo- 
«  logiens  ,  pour  fe  faire  inflruire  ,  &c  rentrer  dans  le  féin  de 
>3  l'ancienne  Religion  ,  que  les  préjugés  de  l'éducation  lui 
M  ont  fait  abandonner.  Recevez  avec  joye  une  fi  heureufe 
)3  nouvelle. 

»  Nous  vous  prions  de  prendre  de  juftes  mefures  avec  ceux 
>3  qui  vous  ont  député  ,  &  de  travailler  avec  eux  pour  la  con- 
»  clufion  de  la  paix.  Car  cette  conférence  ne  fera  d'aucune 
»  utilité  ,  fî  vous  n'avez  pas  des  pouvoirs  fuffifans  pour  f-aire 
»  ce  traité  ,  qui  doit  finir  tous  nos  maux.  Un  plus  long  re- 
>5  tardement  ne  peut  être  que  très-dangereux.  Les  étran- 
>î  gers  établiiTent  de  plus  en  plus  leur  puifîance  dans  ce 
>3  Royaume  j  Se  fi  les  troupes  qu'ils  envoyent  troublent  une 
>3  fois  cette  négociation  ,  on  ne  pourra  la  renouer  dans  la 
jj  fuite  que  très-difEcilemenc.  On  peut ,  ajoiita-t'il  ,  laifîer 
>3  en  fufpens  les  articles  qui  regardent  le  Roi ,  jufqu'à  ce  qu'il 
M  fe  foit  réconcilié  avec  l'Eglifé  Catholique  j  mais  de  crainte 
53  que  la  c;ucrre  ne  le  détourne  d'une  fî  louable  entreprife  , 
53  ù.  pour  faciliter  la  récolte  des  grains  ,  il  confcnt  dhs  à 
55  préfènt  qu'on  fafTe  une  trêve  générale  pour  trois  mois  , 
53  quoiqu'elle  foie  préjudiciable  à  fés  intérêts.  Tous  les  gens 
53  de  bien  le  f-îattent  que  dans  cet  intervalle,  on  pourra  con- 
55  dure  la  paix.  D'ailleurs  par  ce  moyen  ,  les  habicans  des 
55  villes  6c  des  campagnes  auront  l'année  f  ûvanre  des  bleds 
53  pour  fe  nourrir  ^  ce  qu'on  n'ofera  efpérer,  lorfque  les  hor- 
53  reurs  de  la  guerre  régneront  de  tou:  cotes  ce 

Un  difcours  fi  peu  attendu  frappa  iVirchcvêque  de  Lyon, 
Les  Royalifles  avoient  pris  toutes  les  mefures  po^Tibles  ,  pour 
empêcher  que  cette  nouvelle  ne  tianfpiiât  chez  ks  Ligueurs. 

Ce 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CVI.        755 

Ce  Prélat ,  pour  cacher  fon  trouble,  dit ,  tant  en  Ton  nom      '    '    '    .' 
qu'au  nom  de  Tes  collègues  j  mais  fans  prendre  leurs  avis ,  H  E  n  ki 
qu'il  fe  réjoiiifloit  de  ce  que  le  roi  de  Navarre  avoit  formé        I  V. 
la  réfolution  d'embralTer  la  Religion  de  (qs  ancêtres  ,  pour-      1593. 
vil  qu'il  agît  de  bonne  foi  de  fans  ditîimulation. 

Il  fe  retira  enfuite  pour  conférer  avec  fes  collègues  ^  &  ils 
arrêtèrent  enfemble  que  l'Archevêque  ne  feroit  qu'une 
courte  réponfe  :  Qu'il  demanderoit  un  délai  pour  confulter 
le  Légat  du  Pape  ,  les  Princes,  les  ambaffadeurs  d'Efpagne, 
&  les  députés  dss  Etats  du  Royaume  :  Qi-i'il  repeteroit  feu- 
lement ce  qu'il  venoit  de  dire  ,  &  qu'il  feroit  fentir ,  que 
quelques  efpérances  que  ceux  de  la  Ligue  puiTent  avoir  d'une 
paix  prochaine  •  cependant  les  édits  que  le  Roi  venoit  de 
donner  en  faveur  des  Proteilans  ,  au  fujet  de  l'entretien  de 
leurs  Minières ,  étoient  contraires  à  des  promeiïes  fî  magni- 
fiques ,  &  que  les  eff:^ts  ne  répondoienc  pas  aux  paroles. 

L'archevêque  de  Lyon  ayant  parlé  avec  beaucoup  de 
véhémence  contre  ces  édics ,  àc  contre  ceux  par  le  confeil 
de  qui  ils  avoient  été  faits  j  l'archevêque  de  Bourges  lui  ré- 
pondit qu'il  y  âvoîc  déjà  deux  ans  que  ces  édits  avoient  été 
accordés  aux  Proteflians  ,  dans  un  tems  où  la  guerre  étoit 
plus  violente  ,  ^  où  l'on  ne  pouvoit  rien  leur  refufer  :  Qiie 
cette  année ,  les  Proteftans  ayant  tâché  d'obtenir  la  même 
chofe  ,  il  s'étoit  oppofé  à  leurs  demandes  avec  le  cardinal 
de  Bourbon.  îs  Tout  cela  ,  continua-t'il ,  ne  nous  a  point  in- 
M  dilpofés ,  &  ne  nous  a  point  fait  douter  de  la  fîncéricé  ,  &: 
55  de  la  bonne  volonté  du  Roi  5  au  contraire ,  nous  devons 
55  faire  de  plus  grands  efforts  pour  le  ramener  à  la  véritable 
55  Religion  ,  parce  que  dès  qu'il  fera  converti ,  nous  n'aurons 
V  plus  ripn  à  craindre  de  fembiable.  c« 
,  Enfin  le  Prélat  royalifbe  pria  l'archevêque  de  Lyon  ,  de 
recevoir  par  écrit  le  dernier  difcours  qu'il  venoit  de  faire  au 
ï>om  du  Roi ,  pour  le  communiquer  aux  Confédérés.  Il  de- 
manda çncore  qu'on  ne  rendît  pas  publics  les  ades  de  la 
conférence  ,  qu'ils  n'euflent  été  rédigés  ,  6c  revus  par  les 
deux  partis  j  de  crainte  qu'on  ne  les  altérât ,  àz  qu'on  n'en 
prît  occaiion  d'augmenter  l'animofité  ,  par  des  fuppo/itions 
^  des  calomnies. 

L'archevêque  de  Lyon  refufa  de  recevoir  une  copie  de  ce 

^eme  XL  CCCcc 


754  HISTOIRE 

■      '      difcours  ,  que  Revol  lui  préfcnta.    Il  craignoîc  qu'en  Tac- 
Henri  ceptanc ,  fans  en  communiquer  avec  ceux  au  nom  defquels 
I  y.      il  agilîoic  ,  on  ne  lui  reprochât  de  l'avoir  approuvé.  Ainfi 
j  -g  ^^     l'archevêque  de  Bourges  demanda  que  du  moins  un  des  dé- 
putés le  reçût,  comme  iîmple  particulier.   Il  l'obtint  avec 
peine  j  on  lui  accorda  auffi  ce  qu'il  avoit  demandé  au  fujec 
des  ades  de  la  conférence.  Cependant  Honoré  du  Laurent, 
l'un  des  députés  de  la  Ligue  ,  les  lit  imprimer  à  Paris ,  quoi- 
qu'on eût  promis  le  contraire  aux  Koyaliftes.    Il  y  ajouta 
pluHeurs  chofes  qui  pouvoient  encore  aigrir  davantage  les^ 
efprits  j  il  y  fit  des  fuppreffions  infidelles  &  artificieufes.  En- 
fin  il  y  inféra  des  traits  qu'on  auroit  pu  lupprimer  du  con- 
fentement  des  deux  partis ,  ou  étendre  davantage ,  ou  ex- 
primer autrement. 

Ceux  qui  entendirent  le  difcours  de  l'archevêque  de  Bour- 
ges ,  en  furent  frappés  différemment.  Jean  le  Maître  èc  tous 
ceux  quiaimoientêc  fouhaitoient  la  paix,  l'écoutérent  avec 
plaifir  ,  &  furent  ravis  qu'on  l'eût  donné  par  écrit.  Mais 
lorfque  les  députés  de  la  Ligue  furent  de  retour  à  Paris , 
ceux  que  l'efprit  de  fadion  tranfportoit ,  firent  fupprimer  la 
feule  copie  de  ce  difcours ,  qu'on  y  avoit  portée.  La  plupart 
l'interprétoient  en  mauvaife  part  ,  &  diloient  hautement , 
que  cette  déclaration  du  Roi  n'avoit  été  inventée ,  que  pour 
étouffer  dans  fa  naiiTance  le  parti  des  Politiques  ,  tromper 
les  peuples  trop  crédules  ,  èc  les  leurrer  par  une  vaine  efpé- 
rance  de  la  paix  ,  &;par  des  promeffes  artificieufes. 

Le  Maître  qui  fçavoit  le  contraire ,  &  qui  penfoit  autre- 
ment ,  écrivit  fur  le  champ  à  de  Thou  ,  pour  le  prier  de  lui 
envoyer  au  plutôt  le  plus  de  copies  qu'il  pourroit  de  ce 
difcours.  Il  en  fit  faire  lui-même  pendant  la  nuit  un  grand 
nombre  fur  celles  qui  lui  avoient  été  envoyées ,  &.  les  diftri- 
bua  de  tous  côtés  ,  pour  faire  voir  le  menfonge  ôc  la  four- 
berie des  fadieux.  Trois  jours  après ,  l'archevêque  de  Lyon 
fit  fon  rapport  au  Confeil  de  la  Ligue.  Le  duc  de  Mayenne, 
le  Légat  du  Pape  ,  le  cardinal  de  Pellevé  y  afiîftérent.  L'Ar- 
chevêque fit  lire  l'écrit  des  Royaliftcs  ,  Se  donna  des  expli- 
cations à  tous  les  chefs  qu'il  contenoit.  La  connoiflance 
qu'on  en  avoit  déjà ,  ôc  la  ledure  qu'on  en  fit  ,  excitèrent 
différens  mouvemens  dans  l'efprit  des  ailîftans.  Lqs  fadieux 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         755 

qui  vouloienc  couper  toutes  les  voies  de  conciliation  ,  en 
parurent  indignés  •  &:  il  y  en  eut  même  qui  dirent  fourde-  Hen  ki 
ment  que  la  conférence   de  Surefne  devoit  faire  craindre        I  V. 
que  les  peuples  trompés  par  i'efpérance  qu'on  leur  donnoit,      1593. 
de  la  réconciliation  du  Roi  avec  l'Eglife  ,  ne  refufalTent  de 
continuer  une  guerre  ,  qu'ils  avoient  foutenuë  jufqu'alors 
avec  tant  de  courage  &  de  zélé. 

L'archevêque  de  Lyon  piqué  de  ces  paroles  ,  ne  put 
s'empêcher  de  faire  voir  une  vive  émotion  ^  Se  répliqua  aulîî- 
tôt  ,  que  le  Roi  n'avoit  parlé  ainlî ,  que  pour  étouffer  le 
Tiers  parti  qui  commençoit  à  s'élever  ;  Qu'on  ne  pouvoît 
raifonnablement  fe  faire  un  prétexte  de  fa  déclaration  ,  pour 
attaquer  la  conférence  ^  &  qu'au  lieu  de  perdre  le  temps  en 
plaintes  inutiles ,  il  falloit  fonger  à  répondre  à  cet  écrit. 

Le  duc  de  Mayenne  dit  que  les  Députés  avoient  fait  leur 
devoir ,  èc  agi  prudemment  dans  cette  affaire  -,  &  il  leur  en 
fit  de  grands  remercimens.  Ayant  enfuite  prié  ceux  qui 
étoient  préfens  de  conférer  enfèmble  ,  il  demanda  un  délai 
pour  prendre  les  avis  des  Princes  ,  du  Parlement  6c  des  con- 
feillers  d'Etat  5  &  il  ajouta  qu'il  indiqueroit  au  plutôt  le 
jour  ,  où  l'on  pourroit  s'affembler  de  nouveau. 

Cette  affaire  étant  devenue  publique  ,  les  fadieux  jugè- 
rent que  la  conférence  feroit  non  feulement  infrudueulè  j 
mais  encore  très-préjudiciable  à  la  fainte  Ligue  :  Que  cette 
négociation  indifpoferoit  le  roi  d'Efpagne  ,  ce  Prince  puif. 
fant ,  qui  étoit  leur  feul  appui  :  Que  le  peuple  flatté  par  les 
apparences  de  la  paix  ,  qu'il  goûteroit  pendant  une  trêve 
de  quelques  mois ,  ne  reprendroit  les  armes  que  très. diffici- 
lement ,  quelque  juftice ,  &  quelque  néceffité  qu'il  y  eût 
de  continuer  la  guerre  :  Que  le  but  des  Royaliffces  étoit  de 
conduire  par  toutes  fortes  de  voies ,  le  roi  de  Navarre  au 
trône  j  &  que  la  prudence  des  enfans  du  fiécle  l'emportoic 
fur  celle  des  enfans  de  lumière. 

Le  duc  de  Mayenne  étoit  très-inquiet  du  fuccès  de  la  con-     u  Ligue 
férence  ,  qui  contre  [qs  efpérances  paroifloit  devoir  être  P^"':^^*^,^^^*^'" 
très -préjudiciable  a  Ion  part!.  Les  Eipagnols  attentirs  a  tous  R^oi^ 
les  événemens  ,  faifirent  une  occafion  fî  favorable  à  leurs 
delfcins  5  èc  après  avoir  conféré  avec  le  Légat  du  Pape ,  ils 
^firent  tous  leurs  efforts  auprès  du  Duc ,  que  la  vue  du  péril 

CCCcc  ij 


7  5^  HISTOIRE 

rcndoic  timide  &  incertain  ,  pour  le  déterminer  à  confentîr 
Henri  qu'on  procédât  dans  l'afremblée  des  Etats  à  l'éledion  d'un 
I  V.       Roi,  On  choifit  donc  entre  tous  ceux  qui  Gompofoient  cette 
i  yq  j,     afTemblée ,  fix  dépurés ,  pour aflifter  à  toutes  les  conférences 
particulières,  qu'on  dévoie  avoir  avec  le  Légat  du  Pape,, 
&  les  ambalTadeurs  d'Efpagne.    L'archevêque  de  Lyon  ,  6£ 
Guillaume  Roièévêque  de  Senlisy  alFiftérent  pour  le  Clergé j. 
on  choifit  pour  la  Noblelle  Claude  de  la  Chalbe  6c  Monto- 
lin  ;  &  pour  le  Tiers  Etat ,  la  Chapelle-Marteau  Prévôt  des 
Marchands ,  &  Etienne  Bernard  de  Dijon.   Ils  fe  rendirent 
Je  2  o.  de  May  chez  le  Légat  du  Pape ,  où  le  duc  de  Mayenne,. 
les  ducs  d'Eibœuf  6c  d'Aumale  Tes  coufîns  ,  6c  le  cardinal  de 
Pellevé,  étoient  déjà  arrivés.   Le  duc  de  Feria ,  Jean-Bap- 
tifte  Taxis  ,  bc  Dom  Diegue  d'Ibarra  s'y  trouvèrent  aufîi. 

Les  députés  ayant  demandé ,  comme  on  en  étoit  convenu  ,^ 
aux  ambâiFadeurs  d'Eipagne,  fi  Philippe  ne  les  avoit  pas  char- 
Difcours  de  gés  de  plus  amolcs  inflrudions ,  Feria  prit  la  parole.  Il  s'é- 
d'Eipagae.  tendit  tort  au  long  fur  les  louanges  de  1  Inrante  Claire  Eu* 
génie  Ifabelle,  dont  il  exalta  particulièrement  la  piété  ,  la, 
bonté ,  la  douceur ,  àc  la  libéralité  -,  il  fit  auffi  un  pompeux 
éloge  de  la  généreufe  piété  du  Roi  Ton  maître  ,  qui  fans  au- 
cuneefpérance  d'augmenter  fa  puiflànce ,  avoit  dépenféavec 
tant  de  libéralité  fix  millions  d'écus  d'or  ,  pour  conferver 
en  France  l'ancienne  Religion. 

>3  J'ai  toujours  fouhaité  ,  ajoûta-t'il ,  que  la  conférence  de 
15  Surefne  eût  un  heureux  fuccès  ,  àc  que  les  Catholiques , 
>5  qui  font  attachés  aux  Sedaires ,  fe  laifTants  toucher  par  les 
«  fçavans  difcours  6c  les  fages  exhortations  de  l'archevêqus 
î5  de  Lyon  ,  fe  foumifîent  à  l'Eglifé  -,  car  la  charité  chrétienne 
55  exige  que  nous  nous  intéreffions  pour  le  falut  de  tous  nos 
î3  frères  •  mais  après  avoir  travaillé  fans  retirer  aucun  truis 
)5  de  tous  nos  efforts ,  il  faut  prendre  garde  que  ce  que  l'a- 
>3  mour  du  prochain  nous  fait  faire,  ne  foit  préjudiciables 
>3  la  piété  6c  à  la  foi ,  &  que  trop  d'indulgence  pour  les  Sec»- 
>5  taires  ne  porte  des  coups  funefles  à  la  Religion. 

J5  Peut-on  d'ailleurs,  fans  offenfèr  un  Prince  à  quila  France 
55  a  tant  d'obligations  ,  traiter  avec  fes  ennemis  ,  dans  le 
>3  temps  même  que  vous  demandez  bc  que  vous  attendez  les  ■ 
wiecours  du  Roi  mon  maître  votre  ancien  allié,  dans  le- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CVÎ.         757 

3*  temps  qu'il  vous  offre  toutes  Tes  richeiïès ,  &  qu'il  vous  fa-  "*■"■■■"*— "--^ 
^5  crifie  fes  propres  intérêts  ?  Il  eil:  donc  jufte  de  rompre  une  H  en  rt 
>9  négociation  ,  qui  ne  peut  être  qu'inutile  8>i  préjudiciable  à       IV. 
»  la  Religion.  Cherchez  plutôt ,  de  concert  avec  de  fmcéres     1^02. 
>5  alliés ,  les  moyens  de  rcpoulîer  les  ennemis  déclarés  de  cette 
»  Monarchie. 

>5  Le  Roi  mon  maître  eft  perfuadé  qu'il  n'y  a  pas  d'autrô 
»  voie  plus  certaine  ,  que  de  donner  tous  vos  fuffrages ,  & 
»i  de  déclarer  Reine  l'Infante  d'Efpagne  ,  qui  a  pour  mère 
.95  Ifabelle,  fille  aînée  de  Henri  II.  G'eft  à  elle  que  la  cou^ 
>i  ronne  appartient ,  fuivant  toutes  les  loix  divines  &  humai- 
>3  nés ,  au  défaut  des  enfans  mâles  de  Henri.  Le  fouverain 
w  Pontife  approuvera  cette  élection  ,  perfuadé  qu'un  tel- 
55  choix  mettra  la  Reh'gion  à  couvert  des  dangers  qui  la  me- 
'>  nacent ,  &  que  le  Royaume  recouvrera  fa  tranquillité.  Le 
?5  duc  de  Lorraine  ,  les  autres  Princes  de  cette  iliuftre  niai- 
53  fon  ,  les  Seigneurs ,  6c  la  NoblelTe  Françoife  ,  ne  doivent 
»i  pas  douter  que  ce  choix  ne  leur  procure  un  puiflant  ap-- 
»  puî ,  èc  de  grands  avantages.  Si  vous  agréez  la  propoiî- 
si  tion  ,  je  vous  prie  de  me  faire  au  plutôt  une  réponié  pré- 
>^  cife  3  car  je  fuis  prêt  avec  mes  collègues ,  de  traiter  des  à 
îi  préfent  avec  vous ,  èc  nous  avons  des  pouvoirs  6c  des  in-- 
»  ftruclions  particulières  à  ce  fujer.  Il  y  a  déjà  fur  la  fron- 
9!>  tiére  une  armée  de  huit  mille  hommes  de  pied  ,  6c  de  deux 
îi  mille  chevaux  ,  avec  tout  l'appareil  de  guerre.  Elle  fera 
î5  luivie  d'une  autre  aulli  nombreufe  au  mois  de  Septembre 
«  prochain  3  àc  toutes  ces  troupes  feront  entretenues  pen- 
M  dant  deux  ans  aux  dépens  du  Roi  mon  maître.  Il  offre  en-- 
^  core  de  payer  régulièrement  tous  les  mois  dix  mille  hom- 
îi  mes  de  pied  ,  6c  trois  mille  chevaux  de  troupes  Françoifes ,-, 
n  qui  feront  levées  par  le  duc  de  Mayenne.  De  û  grandes 
53  forces  feront  fans  doute  de  grands  progrès ,  6c  l'on  peut 
)i  efpérer  que  dans  la  fuite  le  Royaume  pourra  iupporter  une 
îî  partie  desfrais  de  la  guerre.  Enfin  le  Roi  catholique  don- 
M  nera  fix  cens  mille  ducats  pour  l'entretien  des  autres  trou- 
»  pes  Françoifes.  Il  vous  promet  même  de  plus  grands  fc- 
51  cours,  fî  l'Infante  fa  fille  ,  par  un  droit  légitime,  par  votre 
5>  choix,  ou  en  joignant  l'cledion  à  fes  juftes  prétentions,  eft^ 
9»;  déclarée  Reine.  «<■ 

G  C  C  c  c  iijj 


7î^  HISTOIRE 

!•      L'évêque  de  Senlis ,  ce  Ligueur  paffionné,  poufîe  par  i 


H  E  N  B.  I  niocît  inconnu ,  interrompit  en  cet  endroit  le  duc  de  Feria, 

IV.      &  ofa  lui  dire:  >î  Les  Politiques  ont  eu  raifonde  foûtenir 

I  ^q  î.      "  ^"^  votre  ambition  étoit  couverte  du  manteau  de  la  Re- 

L'évcque  de  "  lïgion.  J'ai  tâché  avec  les  autres  Prédicateurs  animés  d'un 

seniisimer-    »  véritable  zéle  pour  la  fainte  Union  ,  de  réfuter  tous  leurs 

bSeur!'"'   >'  difcours  j  mais  j'apprends  par  ce  que  vous  venez  d'avan- 

»  cer  que  ce  que  je  prenois  pour  une  calomnie  inventée  par 

>3  les  Sedaires  ,  font  les  véritables  fentimens  &  les  vues  des 

>5  Efpagnols.  S'ils  n'abandonnent  pas  ces  pernicieux  projets , 

>5  içachez  que  tous  les  Catholiques  avec  moi  les  regarde- 

»  ront  eux-mêmes  comme  une  fadion  de  Politiques.  Depuis 

55  douze  cens  ans ,  la  loi  falique  eft  en  vigueur  en  France  j 

35  de  ce  puilTant  Royaume  ,  à  l'exemple  de  celui  de  Juda  , 

53  n'a  jamais  eu  pour  maîtres  que  des  mâles  du  fang  Royal. 

53  Si  l'on  enfreint  cette  loi  relpedable  ,  en  mettant  fur  le 

î3  trône  une  femme  3  ne  devons-nous  pas  craindre  qu'elle  ne 

53  fafle  palTer  le  Sceptre  dans  les  mains  d'un  Prince  étranger, 

35  &  que  cette  Monarchie  qui  doit  fa  gloire  &  fapuiflanceà 

33  une  loi  inviolable  ne  s'anéantille  dans  la  fuite. 

Le  duc  de  Feria  ,  Ôc  les  Efpagnols  furent  très- étonnés  de 
la  liberté  que  cet  homme  fe  donnoit  de  parler  hors  de  fon 
rang ,  &  fans  en  être  requis.  Le  duc  de  Mayenne  excufa  cette 
adion,  èc  leur  reprefenta  qu'ils  ne  dévoient  pas  fe  mettre  en 
peine  de  ce  qu'avoit  dit  ce  Prélat  dont  on  connoilloit  le 
zéle  &:  l'attachement  pour  la  fainte  Ligue  j  mais  qui  avoic 
de  tems  en  tems  de  violens  accès  de  fureur,  &c  qui  avançoic 
fouvent  hors  de  propos  des  chofes  dont  il  fe  repentoit  dans 
la  fuite.  En  effet  on  dit  que  l'évêque  de  Senlis  fut  fâché 
d'avoir  parlé  11  librement. 

Feria  demanda  donc  qu'on  communiquât  à  raflemblée 
des  Etats  les  propoiitions  qu'il  avoit  faites  ,  &  qu'on  don- 
nât une  audience  favorable  aux  ambalTadeurs  d'Efpagne  ,  ôc 
particulièrement  à  Inigo  de  Mendoza  qui  étoit  Juriiconfulte, 
de  que  les  gens  de  guerre,  qui  font  ordinairement  ennemis 
des  lettres, appelloient  par  dérifion  le  Lctiré -^  on  promit  de 
l'entendre  neuf  jours  après.  Dans  cette  féance,  Jean-Baptifle 
Taxis,  l'un  desambafTadeurs  d'Efpagne,pour  empêcher  qu'on 
^e  crût  que  les  Efpagnols  vouloient  attaquer  les  loix  de  cette 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.       759 

oiiarchie ,  prie  d'abord  la  parole  ,  &C  die  qu'il  n'y  avoic  pas 
d'autre  remède  aux  calamités  publiques  ,  que  de  déclarer  H  i.  n  k  i 
Reine  l'Infante  d'Efpagne,très-chére  fille  du  Roi  Ton  maître,       1  V. 
ce  Prince  le  plus  puifTant  de  la  Chrétienté  ,  &:  qui  fe  trou-     i  ce  -, 
veroit  obligé  par  un  gage  fi  précieux  ,  de  foiUenir  en  France 
la  véritable  Religion  :  Qu'il  prioit  l'aflemblée  d'écouter  fa- 
vorablement Inigo  de  Mendoza  ,  qui  expliqueroit  plus  au 
long  les  droits  de  la  Princefie ,  fur  la  couronne  :  QLi'il  ne 
falloit  pas  croire  que  le  but  de  ce  Jurifconfulte  fût  d'agiter 
litigieufement  la  queftion  de  la  fucceiFjon  au  trône  j  mais 
qu'on  devoit  être  perfuadé  que  le  roi  Catholique  ,  qui  avoic 
la  Religion  pour  premier  motif  j  vouloit  fè  conformer  en  touE 
à  ce  qu'on  jugeroit  être  le  plus  utile  ,  ôt  le  plus  convenable 
aux  circonftances  prefentes. 

Le  lettré  Mendoza  prononça  enfuite  avec  tout  l'appareil    Difcoui-sdu 
d'un  pédant  un  difcours  médité  depuis  long-tems,  6c  qu'il  J";"^'^^o"^^ite 

.r,  .  r        .,    .^  1/1  Mendoza. 

avoit  divile  en  lept  pomts,  avec  un  corollaire  ou  conciulion. 
Son  but  étoit  de  prouver  que  parle  décès  de  tous  les  enfans 
de  Henri  II.  la  couronne  appartenoit  â  l'infante  d'Efpagne: 
Qii'il  falloit  procéder  à  l'éledion ,  6c  confirmer  parunjufte 
choix  le  droit  de  la  Princefié:Que  ceux  qu'on  regardoit  com- 
me les  plus  proches  héritiers  .du  trône,étoient  ou  hérétiques, 
ou  fauteurs  des  Sedaires  :  Qu'ils  s'étoient  rendus  indignes  du 
trône ,  foitpar  leur  propre  fait,foit  par  la  déclaration  du  fou- 
verain  Pontife,  Juge  fuprême  dans  ces  matières.  Il  rapporta 
à  ce  fujet  un  nombre  prodigieux  deloix,  de  canons,  de  ca- 
pitulaires ,  ôc  mille  pallàges  ennuyeux  de  Docteurs  en  droit 
Civil  &  Canonique,  Cet  Efpagnol  fier  de  la  puiflance  de  fon 
maître ,  dont  les  forces  étoienc  le  feul  appui  de  la  Ligue , 
parla  comme  un  étranger  qui  ignoroit  entièrement  les  cou- 
tumes ,  l'hiftoire ,  &;  les  loix  de  cette  Monarchie.  On  pou- 
voir conclure  de  [qs  argumens  que  les  droits  chimériques  des 
Anglois  fur  la  couronne  de  France  étoient  bien  fondés  j  6c 
que  le  trône  leur  appartenoit,à  l'exclufion  même  de  l'Infante. 
Quelques-uns  des  aififtans  dirent  qu'il  n'étoit  pas  étonnant 
que  Feria,  cet  Efpagnol  fils  d'une  Angloife,  décidât  avec 
tant  de  hardiefie  fur  la  queftion  de  la  fucceffion  du  trône ,  6c 
favorisât  les  anciennes  prétentions  des  Anglois  fur  ce 
Royaume, 


7^0  HISTOIRE 

Les  factieux  corrompus  par  l'or  Efpagnol ,  reçurent  avec 

'Henri  applaudiflemenc  les  dilcours  de  Feria  &:  de  Mendoza  -,  les 

IV.       plus  fages  s'en  moquèrent  j  quelques  autres  en  furent  indL 

ï  593:.     gnës.  Il  parut  un  cciit  qui  fut  affiché ,  par  lequel  on  réfutoic 

Ecrit  publié  ks  arguniens  de  Lorenzo  Suarez  EfpagnoLAnglois ,  6c  de 

contre  les       ç^^  lUiteradê  Jnivo.  On  diloit  à  peu  près  dans  cet  écrit , 

pie. entions  -^      ,  ,        .*  ^  .  ^  ^     ,        ' 

des  Efpa-      que  non-ieulement  les  François  devenoient  traîtres  a  leur 
;^"°'^"  patrie  ,  en  la  livrant  à  Tes  ennemis  les  plus  déclarés ,  5c  nom- 

mément aux  Efpagnols ,  &;  en  violant  la  loi  la  plus  facrée 
-  de  la  Monarchie  ^  mais  qu'ils  pouiToient  encore  la  folie  juL 
qu'au  dernier  point ,  en  confiant  la  défenfe  de  la  Religion  à 
une  Nation  intidelle  ,  prefque  toute  Marane  (  i  ) ,  &  qui  ne 
croyoît  pas  que  ce  fût  un  grand  péché  de  ne  point  con« 
noitre  Dieu  :  Q^î'il  leur  étoit  auffi  honteux  d'abandonner  , 
ôc  de  facrifîer  ce  qu'ils  avoient  de  plus  cher ,  leurs  femmes, 
'  leurs  enfans ,  &  ce  qu'il  leur  reftoit  de  biens, à  la  cruauté, 

à  l'avarice ,  &:  à  la  brutalité  de  ces  Maures  blanchis ,  donc 
Jes  autres  peuples  qu'ils  tenoient  fous  le  joug,  pouvoienc  à 
peine  fupporter  les  mœurs  ôc  les  coutumes  odieufes  :  Que 
toutes  les  Nations  voilines  à  qui  l'ambition  Efpagnole  étoic 
juflement  fufpede  s'éléveroient  avec  raifon  contre  ces  lâches 
f  rançois ,  les  accableroient ,  &:  en  tireroient  dans  la  fuite  une 
vengeance  éclatante  :  Qu'en  ^^tx.  les  Efjpagnols  ne  faifoienc 
briller  un  faux  prétexte  de  Religion  ,  que  pour  étendre  leur 
tyrannie  :  Qii'iis  trompoient  \^s  gens  allez  iimples  pour  leur 
ajoûtej.-  foi ,  .&;  permett oient  impunément  toutes  fortes  de 
crimes  6c  de  méchancetés  :  Qu'on  ne  pou.voit  s'appuyer  fans 
imprudence  Ôcfans  danger  fur  un  roleau  déjà  fêlé,  ou  fur 
june  muraille  qui  tomboic  en  ruine  :  Que  ce  Prince  Mori- 
bond, dont  ils  acténdoient  les  fecours,  étoit  hors  d'état  de 
fe  défendre  lui-même  :  Que  ^^s  forces  diminuoient  tous  les 
jours  :  Que  fes  Etats  divifés  en  différents  cHmats  feroient  dé-, 
membres  dés  qu'il  feroit  mort ,  ôc  que  tout  y  annonçoit  une 
révolution  prochaine.  On  avoir  ajouté  à  cet  écrit  cette  inf« 
cription  tirée  de  l'Ecriture  fainte  :  (2)  Les  lis  ne  travaillent, 
ni  ne  Jilent ,  pour  fîgnifier  que  les  femmes  ne  pouvoienc  jrç^ 
gner  en  France. 

(  I  )   C'cft  -  à  -  dire  ,  defcendant  des  1      (i-)  Lilia  non  îalorant ,  Tienne  nettt. 
Jaurès»  ] 

Cependant 


De  J.  A.  DE  THOU,Liv.    CVI.       -jGi 
Cependant  les  députés  Royaliftes  qui  n'ignoroient  pas  ce  « 

,:  /^   „./7\:-  >    n-„:,      _...• l c r.-„ n.       ^    r-    .    ,, 


qui  ie  palîbità  Paris,  quittèrent  Surefne  pour  aller  à  faint  Henri 
Denis ,  où  ils  écrivirent  plulieurs  lettres  aux  Ligueurs,  pour       \  V. 
les   preiïer    de  leur  faire  réponfe.  Ces  Ecrits  furent  aulîi-      \<qx 
tôt  répandus  dans  la  ville,pour  rendre  la  Lifue  plus  odieufe.    Réponfe  des 
Les  Ligueurs  s'alFemblérent  3  &  après  bien  desdifputes,  ils  Ligueurs  à 
arrêtèrent  le  2.  de  Juin  que  ce  feroit  avouer  la  défaite  de  [-ondiiToi. 
leur  parti ,  que  de  laiiTer  lans  réponfe  l'écrit  des  Royaliftes. 
Dans  leur  réponfe  ils  invectivèrent  d'abord  contre  la  décla- 
ration donnée  par  le  Roi,  comme  contre  une  pièce  remplie 
d'artifice  6c  de  mauvaife  foi.  Ils  accumulèrent  pour  la  dé- 
truire àQ.s  paiîages  de  Jeremie  ,  de  S.  Epiphane,  de  S.  Jérôme, 
de  S.  Cyprien,  de  S.  Bernard  abbé  de  Clervaux  &  "d'Ive  de 
Chartres.  Ils  dirent  qu'on  verroit  plutôt  un  Nègre  devenir 
blanc ,  &  un  Léopard  perdre  les  taches  de  fa  peau ,  qu'un 
hérétique  fe  convertir  fîncérement  j  qu'une  erreur  dans  la 
foi  étoit  prefque  incorrigible  3  &  qu'il  falloit  une  grâce  très- 
garticuiîére  du  Ciel,  pour  faire  rentrer  un  fedaire  dans  Je 
fein  de  l'Eglife.  En  voulant  perfuader  que  le  Roi  agiflbic 
plutôt  pour  la  couronne  de  France  ,  que  pour  le  royaume 
des  Cieux  ,  ils  rapportèrent  ce  que  Prétextât  difoit  autrefois 
par  dèrifîon  au  Pape  S.  Damafe  :  Faites-moi  évèque  de  RomCy  I 

^  je  me  ferai  au[ji-tôt  Chrétien, 

Ils  finilToient  en  difant  que  le  fectaire  qui  fe  cachoit  fous 
les  dehors  du  Catholique  étoit  plus  à  craindre,  qu'un  héré- 
tique déclaré  :  Qii'^infi  il  étoit  plus  à  propos  de  s'en  rap- 
porter à  la  décifîon  du  S.  Siège,  où  la  foi,  comme  dans  un 
port,  à  couvert  de  toutes  fortes  de  dangers  ,  ne  pou  voie 
faire  naufrage  :  Qu'il  falloit  remédier  à  toutes  les  pertes  que 
la  Religion  avoit  faites ,  dans  le  lieu  où  elle  n'avoit  jamais 
été  altérée  :  Que  la  feinte  &  la  diffimulation  ne  trouvoienc 
point  d'accès  auprès  du  trône  de  S.  Pierre  :  Que  l'églife  Ro- 
maine diflîpoit  cous  les  pteftiges  de  l'hèrèfie  :  Qu'elle  ne  fa^ 
vorifoit  point  les  fectes ,  ôc  que  par  une  prérogative  particu- 
lière elle  avoit  toujours  été  pure  :  Qiie  le  Pontife  auroit  foin 
de  tenir  toujours  lié,  en  vertu  de  la  puiiïance  des  clefs  don- 
nées à  Pierre,  celui  qui  fe  difoit  repentant  de  i<i^  erreurs  j  & 
que  s'iè  obtenoitfon  abfolution,  &  qu'il  fut  relaps ,  comme 
cela  lui  ètoic  déjà  arrivé ,  il  feroit  bien-tôt  refferré  par  les 
rome  XI,  VDDàà 


7^^  HISTOIRE 

■  "" ■  '  '  "  mêmes  lîens  qu'on  auroic  rompus  en  fa  faveur,  excommu- 

Henri  nié  àc  prolcric  de  nouveau  :  Qu'en  ce  qui  regardoic  la  crève 
I  V.       propofée  ,  on  ne  pouvoir  traicer  de  cette  affaire  ,  que  le  Pape 
I  <ax,     n'eût  donné  fa  décifion. 
Nouvelle        Trois  jours  après, les  députés  Royaliftes  vinrent  dès  le 

conférence  à  ^latin  à  la  Roquctte  ,  mailon  de  Plaifance  qui  appartenoic 
autrerois  au  chancelier  de  Cheverny  ,  ce  qui  n  clt  pas  éloi- 
gnée de  la  porte  S.  Antoine  j  l'archevêque  de  Lyon  ,  &c  les 
autres  députés  de  la  Ligue  s'y  rendirent  peu  de  tems  après. 
Ce  Prélat  répondit  à  la  déclaration  donnée  par  leRoi,&: 
aux  propofitions  que  les  Royaliftes  avoient  faites  au  fujec 
de  la  trêve  Se  de  la  paix  :  Que  les  fentimens  du  roi  de  Na- 
varre étoient  juftement  fulpeds  ;  Qiie  fî  ce  Prince  vouloic 
iincérement  rentrer  dans  le  fein  de  TEglife  ,  il  n'uièroic 
pas  de  tant  de  remifes  :  Que  ces  délais  affedés  &  hors  de 
faifon  dans  une  affliire  Ci  preiTante  ne  pouvoienc  être  que 
l'effet  d'une  criminelle  diliimulation  :  Qu'il  devoit  bien  plu- 
tôt imiter  l'Eunuque  de  la  reine  Candace  ,  que  l'apôtre 
Philippe  avoit  baptiié  dans  le  chemin  même  où  il  l'avoic 
trouvé  5  ou  fuivre  l'exemple  de  S.  Paul ,  qui  de  perfécuteur 
du  Chriftianiime ,  écoit  devenu  tout  à  coup  Chrétien  j  ôc 
montrer  de  dignes  fruits  de  pénitence  :  Que  c'étoitau  fouve- 
rain  Pontife  à  juger  de  la  fincérité  de  fa  converlion  :  Qu'ils 
ne  dévoient  dans  les  circonftances  prefentes  faire  aucun  trai- 
té de  paix,  de  crainte  de  blefïer  l'autorité  du  S.  Siège  en 
agiflant  avant  qu'il  eût  décidé  ^  &  qu'ils  ne  pouvoient  re- 
connoître  l'autorité  du  Pape,  avant  que  le  Roi  l'eût  re^û  en 
grâce  :  Qii'ils  répondroient  précifément  à  la  propolition  de 
la  trêve  ,  après  qu'on  les  auroit  fatisfaits  fur  ces  deux  points, 
Difcoursde       L'archevêque  de  Bourges  parla  enfuite.  Après  avoir  don» 

l'archevêque   ^^  ^^  ai^andes  louan^cs  au  zèle  que  lesConfédérés  faifoienc 

de  Bourges.  .         b  •      •     ^  j     i      r»     ^'-  mût        j      j' 

voir  pour  le  maintien  de  la  Religion  ,  il  tacha  de  détruire 
leurs  foupçons  contre  la  fincérité  &  la  bonne  volonté  du 
Roi  ,  &  cita  quelques  exemples  qui  prouvoient  que  des 
Princes,  quoique  très -bien  intentionnés,  avoient  jugé  à 
propos  par  de  puifTantes  raifons  de  différer  la  cérémonie,. 
èi.  la  déclaration  publique  de  leur  converfion  :  Que  quoi- 
que Conftantin  fût  Chrétien  dans  le  cœur  ,  il  avoit  ce. 
pendant  paru  long-tems  attaché  à  l'idolâtrie  -,  ôc  que  Ciovis 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVL       7(^3 

éclairé  par  les  lumières   du  S.  Efpric  ,  ne  s*ctoic  pas  faic  » 

baptiier  fur  le  champ  :  Qu'un  rerardemenc  de  quelques  mois  Henri 
ne  pouvoir  être  dangereux  :  Qu'au  contraire  en  n'agillanc       I  V. 
dans  une  affaire  de  cette  importance  qu'après  un  mur  exa-      i  v-qj 
men  6c  fans  précipitation  ,  un  grand  nombre  de  François 
fuivroient  Texeraple  de  leur  Roi   qui  auroit  embrafTé  vo- 
lontiers ,  &c  fans  contraînte,la  Religion  catholique  ;  Qiie  ce 
Prince  avoir  rëfolu  d'envoyer  une  ambafTadeà  Rome,&:  de 
prouver  la  fîncérité  de  fes  démarches  par  toutes  fortes  de 
refpecls  envers  le  S.  Siège  ,  6c  en  rendant  au  louverain  Pon- 
tife de  plus  grands  honneurs  qu'il  n'en  avoir  reclus  d'aucun 
roi  de  France. 

îî  Au  lurplus,  ajoûta-t-îl,  je  croîs  que  vous  aimez  trop  votre 
>i  patrie  ,  pour  permettre  que  le  Pape  ,  fous  le  prétexte  des 
>5  cenfures  qu'il  a  lancées ,  ou  pour  quelque  autre  caufe  qui  y 
»  foit  connexe ,  fe  donne  le  droit  de  décider,  il  un  Prince 
»  eft  digne ,  ou  incapable  de  porter  la  couronne.  La  connoifl 
M  fance  ôc  le  jugement  d'une  affaire  Ci  importante  ne  peuvent 
î3  appartenir  à  des  étrangers^  les  privilèges  de  la  Monarchie, 
w  Ôc  les  Libertés  de  l'Eglife  Gallicane  y  font  contraires.  Tous 
>5  les  Princes  voifins  fe  font  toujours  oppofés  aux  entreprifes 
M  de  la  cour  de  Rome  fur  le  remporel  des  Rois.  Pour  ne  pas 
M  chercher  plus  loin  des  exemples ,  le  roi  d'Efpagne  même 
M  ne  permit  pas  que  le  Pape  fe  mêlât  de  l'affaire  du  Royaume 
>î  de  Portugal ,  fur  lequel  le  S.  Siège  prétend  avoir  des  droitsj 
55  6c  il  renvoya  le  Légat ,  fans  avoir  voulu  lui  accorder  au- 
55  dience.  Je  ne  rapporte  pas  ce  trait  pour  rendre  odieux  le 
55  Roi  catholique,  ce  puiiPant  Prince  ,  à  qui  il  ne  manque 
53  que  la  couronne  de  France ,  pour  parvenir  à  l'Empire  de 
55  tout  l'Occident  j  car  quoiqu'il  foit  à  prefcnt  l'ennemi  le 
35  plus  déclaré  de  ce  Royaume  ,il  peut  changer  de  fèntimens, 
33  àc  devenir  fon  plus  fidèle  allié. 

35  Pourquoi  balancez-vous  de  faire  la  paix?  Qiioique  le  Roi 
33  ait  promis  de  rentrer  au  plutôt  dans  le  féin  de  l'Egh'iè  ,  ce 
53  n'eft  pas  avec  lui  que  vous  traiterez  j  mais  avec  des  Catho- 
53  liques  qui  ont  le  même  zèle  que  vous  pour  l'ancienne  Re- 
33  ligion.  Si  vous  avez  quelques  fcrupules ,  l'autorité  du  lègac 
33  du  Pape  peutles  lever.  D'ailleurs  tous  les  traités  que  vous 
53  ferez  avec  nous  auront  pour  bafe  ôc  pour  fondement  la 

DDDdd  ij 


7<^4  HISTOIRE 

■I    I  «prochaine  converfion  du  Roi  •  6c  ne  feront  exécutés,  qu'à 

Henri   >'  condition  qu'il  accomplira  (es  promeffcs. 

I  V.  "  Quant  à  Ja  trcve  propofée  ,  il  eft  certain  qu'elle  fera 

I  «o  2  "  préjudiciable  à  ks  intérêts  5  il  Ta  néanmoins  offerte ,  pour 
«  parvenir  à  la  paix  ^  &  de  crainte  que  les  efprits  s'aigrillans 
>j  de  plus  en  plus,  une  négociation  qu'on  ne  peut  terminer 
ï5  que  dans  le  repos  ,  ne  tût  interrompue  par  le  bruit  dQs 
>5  armes. 

L'archevêque  de  Bourges  dit  enfin  qu'il  étoit  néceiTaîre 
de  tranfcrire  fidellement ,  tout  ce  qui  s'étoit  dit  dans  la  con- 
férence ,  ôc  d'en  faire  du  moin^  des  fommaires  j  parce  que 
toute  la  négociation  feroit  inutile ,  fi  les  ades  n'en  étoienc 
conftans ,  éc  avoués  par  les  deux  partis. 

L'archevêque  de  Lyon  dans  fa  réponfe  à  ce  dîfcours  tâcha 
de  détruire  les  efpérances  que  leRoi  donnoit  de  fa  converfîonr 
w  Car  à  quoi  tencienf,dit-il,toutes  fes  remifes?Ne  devons-nous 
«  pas  croire  qu'il  a  plus  de  ménagement  pour  la  reine  d'Angle- 
53  terre  èc  quelques  autres  Princes^hérétiques,que  pour  les  Ca- 
55  tholiques  qui  fouhaitent  Ion  falut  ?  Conftantin  a  abattu  hs 
55  autels  des  faux  Dieux, dès  qu'il  a  pu  le  faire  en  fureté. Clovis 
55  réfifta  long-temps  aux  foliicitations  de  Clotilde  ,  qui  le 
55  prelToit  de  fe  faire  Chrétien  j  mais  après  cette  grande  vie- 
53  toire  qu'il  ne  remporta  que  par  le  fecours  du  vrai  Dieu  , 
>5  ne  voulut-il  pas  aufTi-tôt  fe  faire  inftruire  &c  recevoir  le 
35  Baptême?  C'eft Grégoire  de  Tours  qui  nous  rapporte  ce 
33  fait.  Cet  hiflorien  ajoute  que  l'évêque  Avit  voyant  que 
53  Gondebauld  roi  de  Bourcrogne  ne  vouloit  fe  faire  inltruire 
53  qu'en  fecret,  de  crainte  que  les  peuples ,  dont  la  plupart 
33  ctoient  idolâtres ,  ne  fe  révoltaffent  contre  lui,  le  faint  Prc- 
53  lat  lui  reprocha  fa  lâcheté,  6c  lui  dit  :  Si  'vous  avez,  une  vraie 
foi  ^  faites  ce  que  Jefus-Chrift  uons  a  enftigné î  ^  que  njotre 
bouche  faj/e  éclater  en  public  ^  ce  que  vous  niaffàrez,  que  vous 
croyez,  de  cœur. 

53  Nous  apprenons  avec  plaifir  tout  ce  que  vous  nous  avez 
53  dit  fur  \^s  honneurs  que  le  roi  de  Navarre  a  deflèin  de 
33  rendre  au  S.  Siège,  pourvu  qu'il  agifle  fans  diflimulationj 
33  qu'il  fe  comporte  envers  le  fouverain  Pontife  ,  comme  un 
33  fils  envers  ion  père  ^  &  qu'il  lui  remette  fans  refbridion ,  6c 
33  fans  aucune  condition  ,  la  décision  de  toute  cette  affaire. 


Henri 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.        7^5 

»  S'il  n'a  une  entière  roûmiffion  ,il  arrivera  un  fchirme  per- 

"  nicieux. 

«  Les  rois  de  France  ne  dépendent  que  de  Dieu  fenl  I  V. 
>5  quant  au  temporel  >  &  des  Fran(^ois  qui  connoiiîènc  les  loix  1593. 
>5  du  Royaume  n'oieront  jamais  dire  que  leurs  Princes  ibienc 
»  en  cela  foûmis  à  aucune  autrePuiirance-mais  la  connoifTance 
>5  de  ce  qui  concerne  la  foi ,  comme  la  levée  des  cenfures 
»  Eccléfiaftiques  &  la  reconciliation  des  hérétiques  avec  l'E- 
i^  glife ,  appartient  au  Pafteur  fuprême  qui  gouverne  l'Eglife 
>3  univerielle ,  qui  en  a  reçu  le  pouvoir  de  Jeius-  Chrift  même, 
35  qui  peut  lier  &  délier  ,  &;  dont  la  toi  par  une  prérogative 
>3  que  Dieu  lui  a  accordée,  eft  inaltérable. 

«  Vous  nous  demandez  qu'on  rédige  par  écrit  les  ades  de 
»  la  conférence,  nous  ne  nous  fommes  jamais  éloignés  de  ce 
»  lentiment ,  &  nous  confentons  qu'on  charge  de  cette  com- 
»  miifion  un  député  de  chaque  parti,  et  On  parla  enfuite  con^ 
fufément  de  l'autorité  du  Pape  ,  de  la  diftindion  des  deux 
Puillances  dans  le  gouvernement  politique  ,  des  Libertés 
de  l'Eglife  Gallicane  ,  de  des  cenfures  que  les  Royaliftes 
foûtenoient  n'être  que  des  monitions ,  ou  de  fimples  décla- 
rations.   ♦ 

L'archevêque  de  Lyon  qui  étoît  naturellement  magni- 
fique ,  &L  qui  voulut  faire  voir  que  l'abondance  régnoic 
encore  à  Paris ,  quoiqu'on  crût  qu'on  y  manquoit  de  tout 
ce  qui  peut  fervir  à  la  bonne  chère ,  donna  aux  députés 
un  dîner  fuperbe  &  très-délicat.  Après  le  repas ,  Domi- 
nie  de  Vie  èc  le  comte  de  Belin  eurent  une  converlacion 
particulière  fur  les  affaires  prefèntes.  Belin  étant  rentré 
dans  le  lieu  de  la  conférence  rapporta  à  fes  collègues  que 
de  Vie  lui  avoit  dit,  que  fi  la  négociation  n'avanqoit  pas 
davantage,  on  la  rompioit  fur  le  champ.  «Je  vous  prie, 
»  ajoûta-t-il,  de  ne  pas  prendre  en  mauvaife  part ,  fi  con- 
ï3  noifîant  les  maux  dont  Paris  efl  accablé  ,  je  vous  exhorte 
>5  à  y  remédier  au  plutôt  j  comment  le  peuple  recevra-t-il 
«  la  nouvelle  de  la  ruî^ture  de  la  négociation ,  lur^tout  fca- 
>3  chant  que  les  Royalilles  même  ont  offert  une  crève  ? 

Les  Ligueurs  conférèrent  auiîi-tôt  cnfemble,  &:  jugèrent 
à  propos  de  parler  encore  aux  Royalilles.  L'archevêque  de 
Lyon  ht  une  légère  récapitulation  de  ce  qu'il  venoit  de  dire, 

^    DDDddiij 


-!(>(>  HISTOIRE 

■  6c  ajouta  que  les  Catholiques  qui  avoient  encore  quelque 

Henri  zélé  pour  la  Religion  &  quelque  charité  ,  dévoient  prendre 

VI.       garde  que  le  Ichilme  ôc  la  divilîon  ne  fe  filFentdans  l'en- 

j  ^g-      droit  même  où  l'on  avoit  coutume  de  les  accommoder  6c 

de  les  finir  Ces  paroles  étoient  priles  de  la  cent  dix-neuviéme 

lettre  de  S.  Bernard. 

L'archevêque  de  Bourges  lui  répliqua  qu'il  avoit  déjà 
dit ,  que  le  Roi  vouloit  envoyer  une  anibalFade  à  Rome  j 
mais  qu'il  n'oloit  ailiirer ,  fi  ce  Prince  le  feroit  avant  ou 
auprès  la  réconciliation  avec  l'Eglile.  «Je  crois  ,ajoùta-t-il, 
»  (  &  je  fuis  certain  que  mes  Collègues  ne  défaprouveronc 
«  pas  mes  fentimens  )  je  crois  quil  eft  à  propos  que  le  Roi 
ï>  demande  une  abiolution  ad  cautela?n  j  qu'il  affilie  aufainc 
55  lacrifice  de  la  Méfiée  ,  &  qu'après  (on  abiolution  il  envoyé 
>j  au  Pape  des  Ambafldeurs  d'obédience.  Je  me  1ers  de  ce 
«  mot  ,  (  ajouta- t-il  ),  parce  qu'il  cft  ufité  à  la  cour  de  Rome. 
>5  Je  ne  vous  déguile  pas  ce  que  je  penle  ^  ni  le  Roi  ni  les  per- 
>3  lonnes  de  Ton  Conleil  ne  font  pas  d'avis  qu'il  s'expole  dans 
»3  une  affaire  fi  importante  aux  hazards  du  jugement  des 
M  étrangers ,  qui  fous  prétexte  que  cette  grande  quellion  efl 
»3  connexe  à  celle  de  l'excommunication,  voudroient  décider 
»  s'il  eft  capable  ou  indigne  de  porter  la  couronne.  Cette 
w  prétendue  excommunication  n'eft  qu'une  fimple  declara- 
35  tion  i  6c  nous  avons  en  France  contre  elle  tous  \qs  remèdes 
33  néceflàire5,/àns  avoir  befoin  de  fortir  hors  du  Royaume,  ni 
55  prendre  des  voyes  extraordinaires.  11  ne  nous  manque  ni 
53  exemples  ni  preuves  ,  pour  montrer  que  les  évêques  du' 
53  Royaume  peuvent  abfoudre  le  Roi  3  ôc  les  Libertés  de 
53  l'Eclife  Gallicane  leur  donnent  inconteftablement  ce  droit. 
53  Qu'arriveroit-il,  Ci  le  Pape  refuloit  d'entendre  le  Roi , 
53  fous  prétexte  qu'il  eft  relaps ,  impénitent,  &:  condamné  ? 
55  Quels  reproches  ne  feroir-on  point  à  ceux  qui  auroienten- 
53  gagé  le  Prince  à  faire  une  telle  démarche  ?  Quelles  calami- 
53  tés  accableroient  ce  Royaume  ,  où  l'autorité  Royale  fe- 
53  roit  foulée  aux  pieds,&où  les  Gouverneurs  des  places,ôcles 
33  Officiers  de  guerre,  comme  autant  de  tyrans ,  mettroient  la. 
33  confufion  &  le  deiordre?  S^achez  donc  que  nous  ne  fouf- 
53  frirons  jamais  quelesUltramontainsconnoilïènt  6c  décident 
53  de  l'état  de  notre  Roi  ni  de  i<zs  droits  fur  la  Couronne. 


DE  J.   A.  DE  THOU^  LiV.  CVI.        ^^7 

Les  Ligueurs  perfiftérenc  toujours  dans  leurs  fentimens , 


êc  demandèrent  qu'on  prouvât  par  les  faines  Canons ,  èc  par  Henri 
des  exemples  autentiques ,  que  les  Evêques  ont  le  pouvoir       I  V. 
de  révoquer  ce  qui  avoir  été  ordonné  par  le  faint  Siège, &:     i  cg  *. 
par  fix  Papes  conlécutifs.  Ils  foûtinrenc  que  de  tels  décrets 
dévoient  êcre  regardés  comme  des  décilîons  fuprêmes  du 
faint  Efprit ,  ôC  dont  par  conféquent  l'interprétation  ôc  la 
connoiiîance  appartenoît  au  faint  Siège  ieul  j  avec  d'autant 
plus  deraifon  ,  que  les  fouverains  Pontifes  par  les  Brefs  don- 
nés à  ce  fujet ,  (  èc  qui  contenoient  non  pas  une  iîmple  dé- 
claration ,  mais  une  excommunication  exprefle  )  s'étoient  ré- 
fervés  la  faculté  d'en  connoître ,  &  l'avoient  interdite  à  tous 
autres  Juges  :  Que  dans  le  crime  d'héré(îe,il  n'y  avoir  au- 
cune prérogative  à  alléguer  3  &  que  les  Princes  n'avoient  pas 
plus  de  privilège  que  les  particuliers  ,  dont  ils  fuivoient  les 
erreurs. 

Schomberg  ne  put  foufFrir  l'obflinatîon  des  Ligueurs ,  & 
quoiqu'il  fût  d'ailleurs  très-prudent  6c  très  modéré, il  prit  la 
parole  ,  &c  dit  avec  émotion  :  «  Vous  prétendez  donc  ,  Mef- 
î5  fieurs ,  que  le  Roi  doit  refter  dansl'inadion  ,  tandis  que  le 
M  duc  de  Mayenne  les  armes  à  la  main  ufurpera  les  fonctions 
53  Royales  3  6i  que,  comme  un  curateur  aune  fucceffion  va- 
«  cante,ii  fera  tout  pour  empêcher  qu'on  ne  termine  cette 
>3  affaire  ? 

Il  vouloir  en  dire  davantage^  mais  l'archevêque  de  Bourges 
l'interrompit.  »  Qiiel  rapport  (  dit  ce  Prélat  aux  Ligueurs  ) 
5>  voulez-vous  que  nous  faffions  à  ceux  qui  nous  ont  député  ? 
»  Quel  fera  le  fruit  de  cette  conférence?  Uniffez-vous  à  nous, 
">3  àc  faites  enforte  que  le  duc  de  Mayenne,  dont  oh  connoîc 
ï3  le  pouvoir  &  le  crédit, engage  le  fouverain  Pontife  à  écouter 
w  favorablement  les  prières  de  la  Nation  ,  6c  à  donner  des 
»>  pouvoirs  néceflaires  au  cardinal  de  Piaifance  fon  Légat, 
>3  pour  confommer  une  affaire  ,  dont  nous  défîrons  l'accora- 
M  modement  avec  une  fi  grande  ardeur  ,  &  pour  rendre  la 
33  paix  à  la  France  ,  en  y  retablilîant  la  Religion  dans  fa  pre- 
33  mière  fplendeur. 

L'archevêque  de  Lyon  répliqua  que  cette  demande  ne 
le  regardoit  point  :  Que  les  Royaliftes  dévoient  s'adrefTer  au 
iaint  Siège ,  dont  le  lein  ell  toujours  ouvert  ,  6c  qui  reçoit 


7^»  HISTOIRE. 

-- .  "  les  pécheurs  à  pénitence  feptante  fois  fept  fois  :  Qiie  le  duc 

Henri  de  Mayenne  ne  forriroit  jamais  des  bornes  du  refped  qui 

I  V.       étoic  dii  au  iouverain  Pontife  ,  &  ne  feroit  rien  qui  pût  blef- 

I  cnî       ièr  l'autorité  du  faint  Siège,  ou  préjudicier  aux  droits  de  ce 

tribunal  fuprême  j  mais  que  ce  Prince  qui  s'étoit  réfigné  avec 

tout  ce  qui  lui  appartenoit  à  la  volonté  du  Pape  ,  approuve- 

roit  tout  ce  que  Rome  décideroit  dans  cette  affaire. 

Ce  difcours  aigrit  encore  davantage  les  efprits  ^  ôc  l'on  en 
vint  à  une  difpute  fort  vive  de  part  &.  d'autre  j  enlorte  qu'on 
crut  que  la  conférence  alloit  fe  rompre.  Mais  l'archevêque 
de  Bourges  fe  leva  ,  Se  dit  avec  modération  ;  >j  Permettez- 
>3  nous ,  Meilleurs ,  de  nous  retirer.  «  Beliiévre  le  fuivit,  &c 
tandis  qu'ils  parloient  en  particulier  avec  quelques-uns  des 
leurs,  plufîeurs  Députés  s'écrièrent  confufément. •»>  A  Dieu 
»  ne  plaife  qu'on  fe  fépare  ainfî ,  fans  avoir  rien  conclu,  u  Ils 
ajoutèrent  qu'il  falloit  envoyer  Schomberg  à  Mantes  pour 
prendre  de  nouvelles  infbrudions  de  ceux  au  nom  deiquels 
il  agilToît ,  &  que  les  députés  de  la  Ligue  de  leur  côté  rap- 
porteroient  le  vendredi  Saint  à  leui*  Conleil  ce  qui  fe  feroic 
paffé.  Comme  la  trêve  venoit  d'expirer ,  les  députés  de  la 
Ligue  demandèrent  qu'on  la  prolongeât. 

Lqs  Royaliftes  le  refuférent,  6c  dirent  qu'ils  n'avoient  au- 
cun pouvoir  à  ce  fujet  j  qu'on  vouloit  gagner  du  tems  pour 
attendre  l'arrivée  des  troupes  étrangères  j  qu'il  fe  paiîoit 
plufîeurs  chofes  contre  les  conditions  de  la  trêve  5  6c  qu'on 
en  profîtoit  pour  faire  entrer  des  vivres  dans  Paris. 

Enfin  après  quelques  difcours  fort  vifs, on  convint  que  la 
fufpenfîon  d'armes  feroit  continuée  pour  trois  jours.  De  mê- 
me que  les  députés  Royalifles  avoient  remis  un  écrit  à  ceux 
de  la  Ligue  ,  ces  derniers  demandèrent  qu'on  rcqûz  aufîi  une 
réponfe  de  leur  part  ^  6l  que  il  l'on  refufoit  d'accepter  cet 
écrit  de  tous  les  députés  en  général ,  on  le  reçut  du  moins 
d'un  d'entre  eux,  comme  particulier. 

Par  cet  écrit  les  confédérés ,  après  avoir  rappelle  ce  qui 
s'étoit  pafTé  dans  les  premières  féances  de  la  conférence  , 
tâchoient  d'un  côté  de  juftifier  leur  conduite,  en  difant  que 
le  Pape  l'avoit  approuvée  ,  6c  qu'ils  n'avoient  pris  les  armes 
que  pour  la  défenfe  de  la  Religion.  De  l'autre  côté,  ils  allé- 
guoient  que  Henri  étoic  hérétique  ,  6c   par  confèquenc 

indigne 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         jC^ 

mdîgnede  la  couronne.  Ils  encalîoienc  enfuire  plufleurs  ar- 
gumens  pour  détruire  les  efpérances  que  ce  Prince avoic  don-  Henri 
nées  de  rentrer  au  plutôt  dans  le  fein  de  TEglife  ,  &  ceniu-  I  Y. 
roient  avec  aigreur  tout  ce  que  l'archevêque  de  Bourges  ^  ^q? 
avoit  dit  à  ce  iujet.  Ils  difoient  encore  que  rambaiïàde  du 
marquis  de  Pifany  étoit  une  démarche  imprudente,  que  les 
Princes ,  les  Prélats  ôc  les  Seigneurs  attachés  au  Roi  avoient 
faite  ,  6c  contraire  même  au  refpecl  qu'exige  la  dignité  du 
fouverain  Pontife.  Ils  ajoûtoienc  qu'ils  fouhaitoient  que  le 
roi  de  Navarre  agît  {incérement,&;  fans  difTmiulation  ^  mais 
qu'ils  ne  pouvoienc  conclure  aucun  traité  fans  le  confente- 
ment  6c  l'autorité  du  Pape  :  Que  tout  ce  qu'ils  pouvoienc 
faire  étoit  d'envoyer  une  ambaiîàde  à  Rome  ,  pour  reprefen- 
ter  au  fouverain  Pontife  le  miférable  état  de  ce  Royaume, 
donc  l'intérêt  cependanc  les  touchoit  moins  que  celui  de  la 
Religion  ,  pour  laquelle  ils  facrifieroient  volontiers  ce  qu'ils 
avoienc  de  plus  cher  :  Qu'ils  attendroient  avec  refped  les 
ordres  du  faint  Siège  :  Qu'ils  feroienc  voir  par  leur  con- 
duite qu'ils  n'avoient  en  vue  que  la  paix  6c  la  tranquillité 
publique  j  mais  qu'il  n'étoit  pas  jufte  défaire  un  traité  fans 
attendre  la  décifion  de  Rome,  Ils  demandoient  auffi  que  fi 
le  Pape  accordoit  i'abfolution  au  roi  de  Navarre,  il  leurfûc 
permis  de  conférer  des  conditions  de  la  paix  avec  le  fou- 
verain Pontife  ,  êc  des  moyens  propres  à  maintenir  la  Reli- 
gion , avant  de  rien  conclure  avec  le  Prince,  ou  avec  ceux 
de  fon  parti.  Enfin  ils  foûtenoienc  qu'on  ne  pouvoit  conclure 
une  trêve  ,  qu'on  n'eût  répondu  préalablement  à  ces  deux 
Chefs.^ 

Après  que  Técrit  eut  été  reçii  ,  on  fe  retira  de  part  6c 
d'autre.  L'archevêque  de  Lyon  ne  fit  fon  rapport  que  cinq 
jours  après ,  ^  le  confeil  de  la  Ligue  approuva  prefque  touc 
ee  qu'il  avoic  fait.  Cependanc  quelques  Ligueurs  prirent  fon 
dernier  écrit  en  mauvaîfe  parc  ,  parce  qu'il  fembloit  faciliter 
I'abfolution  du  roi  de  Navarre  ,  6c  lui  ouvrir,  pour  ainfi  dire, 
une  voye  pour  aborder  le  fouverain  Pontife.  Mais  les  autres 
Députés  excuférent  le  Prélat ,  en  reprefentant  que  cet  écrie 
bien  loin  de  paroître  au  nom  6c  de  la  part  de  l'aficmblée , 
n'étoit  pas  même  au  nom  des  Députés,  ^  n'avoir  été  pre- 
fencé  que  par  un  particulier.  Les  Ligueurs  arrêtèrent  qu'il 

Tome  XL  EEEee 


77©  H  I  S  T  O  I  R  E 

^  falloit  retourner  a  la  conférence  ,  6c  attendre  la  dernière' 


FI  E  N  R  I  réponfe  des  Royalifles. 

I  V.  Schomberg  éc  Revol  étant  revenus  de  Mantes  ,  où  ils 

1593,     écoicnt  allés  pour  parler  au  Roî ,  les  dépurés  des  deux  partis 

s'alFemblérent  l'onze  de  Juin  fête  de  S,  Barnabe  ,  à  la  Vil- 

fcrcnccVia""  lette,  village  fitué  à  une  lieue  &  demie  de  Paris.  Villeroi,. 

Viikctc.        Claude  de  la  Chaftre  ,  &  Chrétien  de  Savigny  de  Rofne  y 
alFiftérenr ,  quoiqu'ils  ne  fuiïènt  pas  du  nombre  des  dépu- 
tés 5  ôc  fe  placèrent  hors  les  rangs.  L'archevêque  de  Bour- 
ges, comme  on  en  étoît  convenu  dans  la  dernière  féance, 
préfenta  un  écrit ,  par  lequel  on  expofoit  fidèlement  6c  en 
peu  de  mots ,  tout  ce  qui  s'étoit  pafle  dans  les  conférences,, 
de  ce  que  le  Roi  avoit  réfolu  de  faire ,  en  appellant  près  de 
lui  àes  Evêques  &c  des  Théologiens.    On  offroit  en  dernier 
lieu  une  trêve  générale  j  Se  on  avoit  ajouté  des  protefta rions 
en  cas  de  refus  de  la  part  des  Ligueurs.   Les  députés  de  ce 
parti  s'étant  retirés  à  l'écart  pour  conférer  enfembie  ,  ré- 
pondirent qu'ils  recevoient  l'écrit ,  quoiqu'il  nefiitpastour 
à  fait  conforme  à  la  vérité  des  faits  ,  &c  qu'on  y  trouvât  plu- 
fîeurs  chofes  autrement  exprimées   qu'elles  n'avoient  été 
dites  :  Qii'ils  trouvoient  plus  à  propos  d'écrire  en  entier  les 
ades  de  la  conférence  :  Que  quant  à  la  trêve  ,  il  étoit  fur- 
prenant  de  voir  les  Royaliftes  demander  ce  traité  avec  tant 
d'ardeur,  tandis  que  d'un  côté  ils  prelToient  fi  vivement  le 
iiége  de  Dreux  5  6c  que  de  l'autre ,  le  duc  de  Mayenne  avoic 
écrit  au  comte  de  Mansfeld  ,  pour  faire  fortir  de  France  Iqs 
troupes  étrangères ,  &  lui  empêcher  de  continuer  le  fiège 
des  châteaux  qui  étoient  fur  la  frontière  :  Qu'ils  feroient  au 
furplus  ce  qu'ils  croyoient  être  le  plus  falutaire  à  la  Répu- 
blique :  Qu'ils  ne  pouvoient  palTer  fous  filence  l'emporte- 
ment de  quelques  prédicateurs  RoyaHftes ,  qui  vominoienc 
dans  la  chaire  de  vérité  ,  des  blafphemes  hérétiques  :  Qu'ils 
n'entendoient  point  parler  des  Miniftres  Proteftans  5  mais 
de  quelques  prétendus  Catholiques  ,  qui  fous  l'habit  de  pa- 
lpeurs, ofoient  débiter  des  dogmes  pernicieux,  6c  dont  il 
étoit  de  l'intérêt  public  de  réprimer  les  difcours. 

L'archevêque  de  Bourges  répliqua  qu'il  fuffifoit  de  ré- 
diger par  fommaires  les  adcs  de  la  conférence  :  Qu'il  ne 
i^'àgiiToit  plus  du  liège  de  Dreux  ;  Que  quant  aux  prédicateurs^ .. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Li  V.  CVL       771 

on  informeroit   contre  eux  ,  &  que  s'il   fe  trouvoic  des  - — -^^-^ 
témoins,  on  puniroic  les  accufés  comme  ils  le  mcricoient.      Henri 

L'aflemblée  fut  enfuite  congédiée.  L'archevêque  de  Lyon  I V. 
fîc  Ton  rapport  deux  jours  après.  Dès  que  la  MelTe  fut  dite,  ^  59  5» 
il  remit  l'écrit  des  Royaliftes ,  qui  fut  lu  publiquement.  Les 
Ligueurs  jugèrent  à  propos  de  n'y  répondre,  qu'entendant 
publics  les  ades  de  la  conférence ,  qu'Honoré  du  Laurent 
avoit  fait  imprimer ,  &  dont  on  avoit  déjà  envoyé  aux  Roya- 
liftes  des  copies  en  feuille.  Cette  démarche  étoit  contraire  à 
une  condition  dont  on  étoit  convenu  5  car  on  s'étoit  promis 
réciproquement  de  ne  rien  faire  imprimer  ,  que  du  confen- 
tement  des  députés  des  deux  partis. 

On  ne  fçait  par  quel  moyen  les  Ligueurs  avoîent  trouvé 
une  copie  de  cet  écrit ,  dont  on  a  déjà  parlé  ,  par  lequel  les 
Catholiques  Royaliftes  promettoîent  aux  Proteftans  de  ne 
rien  faire  dans  la  conférence  de  Surefne,  qui  pût  leur  porter 
préjudice.  La  Ligue  s'éleva  contre  cet  écrit ,  &:  dit  haute- 
ment, que  les  Royaliftes  qui  fembloient  avoir  un  véritable 
zèle  pour  la  Religion  ,  l'expofoient  cependant  à  un  danger 
évident ,  &  contribuoient  aux  progrès  de  l'hcréfie.  Ils  ne 
faifoient  pas  attention  qu'on  ne  pouvoit  rendre  la  tranquil- 
lité à  l'Etat ,  fans  fatisfaire  les  Proteftans.  Ils  peignirent  cet 
écrit  des  plus  noires  couleurs,  &;  employèrent  mille  hyper- 
boles pour  rendre  le  parti  contraire  plus  odieux.  Les  Li- 
gueurs parlèrent  enfuite  de  la  trêve  3  la  Chaftre  ai  de  Rofnes 
fe  trouvèrent  de  fentimens  contraires  à  ce  fujet.  Cette  que- 
ftion  fut  agitée  entre  les  gens  de  guerre  j  car  une  fuipenfîon 
d'armes  les  regardoît  particulièrement.  La  Chaftre  foute- 
noit  que  dans  les  circonftances  préfentes ,  les  peuples  étant 
fatigués ,  àc  ne  confentants  à  la  guerre  que  parce  qu'ils  ne 
pouvoient  efpérer  la  paix  ,  les  villes  étant  épuifées ,  &  les 
troupes  étrangères  encore  hors  d'état  de  fe  mettre  en  mar- 
che ,  la  trêve  étoit  utile  &c  néceftaire  :  Que  pendant  cette 
trêve  on  reprendroit  haleine  :  Que  les  peuples ,  qu'une  guerre 
continuelle  avoit  prefque  abattus ,  jouiroient  de  quelques 
momens  de  repos ,  &  reprendroient  enfuite  les  armes  avec 
plus  de  courage  ,  lî  les  Royaliftes  perfiftoient  avec  obftina- 
tîon  dans  leurs  premiers  fentimens:  Qii'on  feroit  encrer  des 
vivres  dans  les  villes  qui  en  avoient  un  befoin  extrême  : 

EEEee  ij 


77^  HISTOIRE 

Qu'enfin  on  pourroîc  attendre ,  fans  rien  craindre  ,  rarrivée 

Henri  des  troupes  auxiliaires. 
I  V.  De  Rofnes  difoic  au  contraire  que  la  trêve  énerveroit ie^ 

I  595,  courages  ,  ôc  que  dès  que  les  peuples  auroient  goûté  le  repos 
de  cette  paix  paflàgére,  ils  ne  voudroient  plus  iupporter  les 
travaux  de  la  guerre  :  Qiie  d'ailleurs ,  un  tel  traité  étoit  con- 
traire aux  fermens  que  les  confédérés  avoienc  faits ,  de  ne 
conclure  ni  paix  ni  trêve  avec  les  Sedaires ,  fans  confulter 
le  Pape  &  le  roi  d'Efpagne  :  Que  la  trêve  qu'on  propofoit 
feroit  perdre  Toccafion  de  créer  un  Roi  catholique  ,  pour 
réiedion  duquel  les  Etats  du  Royaume  étoient  ailemblés  : 
Qii'on  ne  devoit  pas  commencer  cette  importante  affaire, 
qui  tenoit  la  France  &  toute  la  Chrétienté  en  lufpens ,  fi  le 
parti  n'étoit  appuyé  par  une  puiffante  armée ,  qu'on  ne  pour^ 
roit  lever  pendant  une  fufpenfîon  d'armes. 
Lettre  du        Le  ^^^  de  Mayenne  naturellement  irréfolu  ,  ne  pouvoic 

legac.  fe  déterminer  fur  le  choix  de  l'un  ou  de  l'autre  fentiment. 

Le  Tiers  Etat  &  la  NoblelFe  fuivoient  celui  de  la  Chaftre. 
Le  Clergé  au  contraire  préféroit  la  guerre  à  la  paix.  L'auto- 
rité du  Légat  du  Pape  l'emportav    Le  cardinal  de  Pellevé 
préfenta  une  lettre  qu'il  avoit  reçue  de  lui ,  (  car  il  étoit  ma- 
lade ,  )  &  il  la  lut  à  l'afTemblée.    Le  Légat  y  expofoit  que  , 
puifque  la  conférence  ne  produifoic  pas  l'effet  qu'on  en  at- 
tendoit ,  àc  que  les  Catholiques  attachés  au  roi  de  Navarre 
refufoient  d'abandonner  les  Sedaires ,  pour  s'unir  aux  au- 
tres Catholiques ,.  il  falloit  rompre  entièrement  la  négocia- 
tion ,  ôc  ne  plus  parler ,  ni  de  ce  Prince  hérétique ,  ni  de  Ces 
fauteurs  &adhérans.   Il  menaçoit  ceux  qui  agiroient  autre- 
ment ,  des  ccnfures  eccléfiaftiques  ,  &  leur  declaroit  qu'ils 
encourroient  la  difgrace  du  (ouverain  Pontife  qui ,  quoiqu'il 
eût  promis  de  foûtenir  une  fi  jufte  caufe  ,  feroit  néanmoins  fî 
-irrité  de  cet  outrage ,  qu'il  abandonncroit  ceux  qui  au  mé- 
pris de  fon  autorité  ,  oferoient  traiter  de  la  paix  ,  ou  ména- 
ger une  trêve  avec  un  hérétique  èc  un  relaps  :  Que  pour  ne 
pas  compromettre  la  dignité  du  S.  Siège  ,   &  le  caradére 
dont  il  etoit  lui-même  revêtu  ,  6c  pour  latisfaire  aux  inftru- 
dions  qu'il  avoit  reqûës  du  Pape  ,  il  fortiroit  de  Paris  &  du 
Royaume ,  fi  l'on  ne  fuivoit  (es  avis.   Il  prioit  donc  le  car- 
dinal de  Pelleve  d'exhorter  le  Clergé  au  nom  du  fouverafn 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         775 

Pontîfe  &  de  fon  Légat ,  de  conferver  la  fidélité  &  le  refped  ; 


dû  au  S.  Siège ,  &  de  facrifier ,  s'il  en  étoic  befoin  ,  leurs  vies  H  £  n  ri 
pour  le  maintien  de  la  Religian.  Il  prioit  encore  le  Cardinal       I  V. 
de  repréfenter  aux  autres  Ordres ,  qu'ils  dévoient  perfévérer      ^  .    .  ^ 
avec  la  même  fermeté  ,  6c  prendre  garde  qu'une  délibéra- 
tion faite  fans  examen  ,  &  avec  trop  de  précipitation  ,  ne 
ternît  la  gloire  qu'ils  s'étoient  acquife  par  une  eourageufe 
piété ,  &  au  milieu  de  tant  de  dangers.    Enfin  il  exhortoit 
tous  les  Ordres  à  élire  au  plutôt  un  Roi  véritablement  Ca- 
tholique ,  èC  qui  eût  toutes  les  qualités  néceiTaires  pour  la 
défcnlè  de  la  Religion  èc  de  l'Etat.   11  finilîoic ,  en  dilant  que 
le  Pape  demandoit  d'eux  une  prompte  élection  ,  perfuadé 
que  c'étoit  le  feul  moyen  de  conferver  le  Royaume  &  la  foi. 
La  NoblelTe  parut  peu  touchée  de  ce  difcours.  Cependant , 
pour  fembler  accorder  quelque  chofe  au  Légat ,  on  remit  à 
un  autre  temps  la  délibération  fur  ta  trêve. 

Comme  on  avoit  propofé  pour  Roi  l'archiduc  Ernefc  d'Au-  -Rénonfe  c3es 
triche  gouverneur  des  Païs-bas ,  à  qui  Pon  donneroit  en  ma-  Erats  de  ii 
riage  l'Infante  d'Elpagne ,  les  Etats  de  la  Ligue  répondirent,  ^'^'"^* 
après  avoir  donne  quelques  louanges  à  ce  Prince,  qu'ils  ne 
pouvoient  en  cela  fuivre  les  avis  du  Roi  Catholique  :  Que 
les  loix  &L  i'ufâge  de  ce  Royaume  ,  qui  n'avoit  jamais  eu 
pour  maître  un  Prince  étranger  ,  étoient  contraires  à  cette 
éledion  :  Que  fi  les  Etats  donnoient  la  Couronne  à  l'Archi- 
duc ,  toute  la  Nobleffc  Françoife  &  tous  les  peuples  dcfap- 
prouvants  leur  choix  ,  s'éiéveroient  contre  eux  ,  &  (e  join- 
iroient  à  leurs  adverlaires  :  Que  cependant  pour  témoigner 
leur  reconnoiflance  à  Sa  Majcfté  Catholique  ,  &  montrer 
qu'ils  vouloienc  encore  augmenter  les  obh"gations  qu'ils  lui 
avoient  déjà ,  ils  la  prioient  de  leur  permettre  de  choifir  quel- 
que Prince  François  pour  leur  Roi ,  &  de  lui  accorder  l'In- 
fante d'Efpagne  en  mariage  :  Qiie  fi  les  ambafiàdeurs  de  cette 
Couronne  ne  rejettoieht  pas  cette  propofition  ,  &c  avoient 
des  pouvoirs  fuffifans  ,  l'afiemblée  étoit  diipofée  à  traiter 
des  conditions  de  ce  mariage. 

Pendant  que  les  Efpagnols  délîbéroîent  entr'eux ,  on  agira, 
laqucftion  de  la  trêve  5  car  les  Royalifbes  demandoient  une 
réponfe  précife.  Dans  une  féance  qui  fe  tint  le  lendemain 
fur  le  même  fujet ,  Gilbert  Gcncbrard ,  qui  prenoit  la  qualité- 

EEEee  iij 


774  HISTOIRE 

I  ■>■!■  d'archevêque  d'Aix  (  i  )  ,  s'emporta  dans  la  chaleur  de  îa, 

Henri  difpuce  contre  Jérôme  Hennequin  évêque  de  Soillons  ,  ^ 
1  y.  contre  Aimar  Hennequin  évcque  de  Rennes  fon  frère  ,  de 
1595  les  traita  de  brouillons  ôc  de  prévaricateurs.  Ces  deux  Pré- 
lats ofFenfés  s'en  étant  plaints ,  Genebrard  fut  obligé  de  leur 
-demander  pardon  ,  même  par  un  écrit  iigné  de  fa  main  ,  & 
de  fe  dédire  avec  autant  de  honte  ,  qu'il  avoit  parlé  témé- 
rairement. 

,j  Le  peuple  ayant  appris  que  le  Légat  s'oppofoit  à  la  trêve , 
■ççurut  enfouie  à  la  Maiibn  de  ville.  Guillaume  Aubert  avo- 
cat général  <^n  la  cour  des  Aides ,  parla  pour  ie  peuple.  Ce 
jMagillrat  fit  voir  la  néceffité  de  conclure  une  trêve,  &  de 
finir  la  guerre.  Il  repréfenta  que  fî  l'on  ne  donnoit  quelque 
iatisfadlion  à  cette  populace ,  l'émeute  deviendroit  bientôt 
une  vraye  fédition.  Marteau  (i)  Prévôt  des  marchands  ob- 
tint un  délai  ,  6c  renvoya  l'affaire  au  duc  de  Mayenne  ,  qui 
ufa  de  différentes  remilès ,  tantôt  fous  prétexte  d'une  ma- 
ladie ,  àc  tantôt  à  caufe  de  ks  autres  occupations ,  ôc  par  h 
crainte  d'ofFenfer  le  Légat. 

La  fufpeniion  d'armes  étoit  expirée  ,  fans  que  les  Ligueurs 
euflent  répondu  aux  Royaliftes.  Le  peuple  commençant  à 
s'émouvoir  ,  on  envoya  d'abord  le  comte  de  Belin  à  S.  Denis , 
^  enfuite  Louis  de  l'Hôpital  Vitry  ,  ôc  Pontallier  de  Talle- 
niay  ,  afin  d'obtenir  une  fufpenfîon  d'armes  pour  dix  jours. 
On  leur  en  accorda  une  de  quatre  ,  &c  fur  le  reffce  on  confulta 
le  Roi  j  qui  étoit  encore  au  fiége  de  Dreux.  Jacque  Augufle 
de  Thou  ,  qui  avoit  d'autres  affaires  à  communiquer  a  S.  M, 
fut  encore  chargé  de  celle-ci.  Le  Roi  jugea  à  propos  d'ac- 
corder aux  Ligueurs  ce  qu'ils  demandoient  ^  afin  que  pen- 
dant qu'ils  délibéroient  fur  la  trêve  générale  ,  il  put  alîlfber 
plus  facilement  dans  ce  temps  de  repos ,  à  l'affemblée  des 
Evêques  &  des  Théologiens  ,  qu'il  avoit  indiquée  pour  le 
înois  prochain. 

(1)  Il  renoit  cet  Archevêché  de  la  trer  fous  peine  de  la  vie.  C'e'toit  le  plus 


Ligue  ,  &  il  en  avoit  pris  pofrcfTion  au 
mois  de  Septembre  de  cette  année.  Il 
fe  comporta  dans  la  fuite  avec  beau- 
coup d'imprudence,  il  fut  banni  du 
Royaume  par  Arrêt  du  Parlement 
4'Aix  i'ïin  ij^6,  «ivec  défenfe  d'y  reA- 


ardent  &  le  plus  fou  des  Evêques  Li- 
gueurs. Il  a  fait  néanmoins  de  beaux 
ouvrages, 

(z)  La  Chapelle  -  Marteau  ,  nomme 
Prévôt  des  Marchands  par  la  Ligue, 


"     DE  J.  A.  DE  THQU',  tiv.  CVL       77^ 
te  Roi  écrivit  de  Manres  à  René  Benoift  curé  de  S.  Eu- 


ilache  ,  le  9.  de  ce  mois  de  Juin  ,  pour  l'engager  à  le  venir  H  e  n  r'  P 
trouver  ,  étant  dans  la  réfolution  de  Te  faire  inftruire  des       I  V. 
vérités  de  la  foi.   Benoill:  par  le  confeil  du  duc  de  Mayenne ,      1595^ 
ayant  montré  au  Légat  la  lettre  du  Roi ,  ce  Prélat  loiia  là 
fidélité  du  curé  de  S.  Euftache  ,  &:  lui  dit  de  répondre  avi 
prince  de  Navarre  ,  qu'il  ne  pouvoit  l'aller  trouver  fans  la 
permiflion  du  Pape. 

Le  Légat  fe  rendit  par  là  encore  plus  odieux.  Les  peuples 
qui  étoient  las  de  la  guerre  ,  &;  qui  cherchoient  un  remède 
aux  maux  dont  ils  étoient  accablés  ,  difoient  hautement  : 
Qu'il  s'éloignoit  de  la  conduite  d'un  pcre  commun  ,  &  d'un 
médiateur  défintéreilé  :  Qu'il  fe  laifToit  gouverner  par  les 
Efpagnols ,  êc  n'agiiFoit  que  par  leurs  confsils  :  Que  bien  loin 
de  iuivre  l'exemple  du  bon  Pafteur  ,  qui  ramenoit  fur  fes 
épaules  la  brebis  égarée  ,  il  empêchoic  les  autres  de  s'ac-î 
quitter  de  leur  devoir. 

Cependant  l'affaire  de  la  trêve  s'avançoit.  tJn  député  de' 
rOrleanois  affûra  qu'il  étoit  porteur  d'un  pouvoir  donné  à 
la  Chaftre  par  les  trois  Ordres  de  cette  province  ,  pour  traii 
ter  avec  le  duc  de  Mayenne  ,  &  conclure  la  paix  ,  ou  dit 
moins  ménager  une  trêve,  avec  proteftation  ,  que  fi  l'oû 
n'apportoir  au  plutôt  quelque  foulagement  aux  calamités 
publiques,  cette  province  fongeroit  elle-même  à  fon  falut,- 
Le  Légat  n'en  fut  pas  moins  inflexible ,  &  livré  tout  entier 
aux  factieux  ,  il  tâcha  d'allumer  encore  davantage  le  feu  de 
Ja  diviiion  dans  Paris.  Il  permit  même  qu'on  répandît  des 
libelles  contre  ceux  qui  approuvoient  la  conférence  ,  ôc  quel- 
ques bons  citoyens  s'en  étant  plaints ,  on  leur  répondit  avec 
impudence  que  ces  libelles  avoient  été  faits  par  les  Poli* 
tiques,  pour  défunir  ceux  de  la  Ligue, 

Le  duc  de  Mayenne  permit  cependant' qu'on  informât 
contre  les  auteurs  de  ces  écrits  3  mais  pour  éluder  une  fi  jufte 
pourfuite,  on  fit  un  crime  à  quelques  citoyens  amateurs  de 
la  paix  ,  6c  entre  autres  à  Charle  Elin  ,  àc  à  Bonard  ,  de  ce 
que  dans  la  dernière  conférence  tenue  à  la  Villette  ,  ils- 
avoient  paru  à  la  tête  de  la  populace  ,  qui  demandoir  aux 
députés  Royâlifi:cs ,  ou  la  paix ,  ou  une  trêve.  Ces  deux  bour- 
geois dirent  pour  leur  défenfe  ,  qu'ils  ne  s'étoicnt  poinc 


776  HISTOIRE 

addréfTés  aux  Royaiiflçs  ^  maïs  à  ceux  de  leur  parti ,  qui  en- 
Henri  troienc  confuiemenr  avec  les  députés  dans  le  lieu  de  la  con- 
I  V.       fërence.  Le  Lieutenant  civil  ordonna  aux  Commiiraires  Jac- 
j  ,  ^  V      quet  ôc  Bazin  ,  hommes  factieux  ,  Ôc  qui ,  comme  on  leur  re- 
procha au  Parlement,  avoient  encore  les  mains  teintes  du 
i'ang  de  BriiTon  ,  de  l'Archer  ,  6c  de  Tardif  j  d'informer  con- 
tre les  auteurs  de  la  prétendue  fédition  de  la  Villctte.  On 
comprenoit  dans   la  même  ordonnance   ceux  qui  avoienc 
tenu  quelques  difcours  contre  le  Pape,  fon  Légat,  ôc  les 
Princes  qui  étoient  attachés  à  la  Ligue. 

Tout  Paris  ctoic  indigné  de  voir  l'inquifition  Efpagnole 
^'introduire  peu  à  peu  en  France  ,  à  la  faveur  de  ces  odieufes 
recherches ,  &  de  ce  qu'on  fondoit ,  pour  ainfi  dire  ,  les  ef- 
prits ,  pour  tenter  fî  l'on  pourroit  poulTer  plus  loin  la  vio- 
lence. Le  Parlement  ayant  eu  connoilîance  de  cette  affaire, 
le  Lieutenant  civil  fut  reprimendé  d'avoir  commis  des  hom- 
mes fi  fadieux  &  Ci  fufpects ,  pour  faire  le  procès  à  des  ci* 
toyens.  Les  Enquêtes  s'étanc  alTemblées  dans  la  grande 
Chambre  ,  tous  les  Confeillers  parurent  également  allar» 
niés  du  danger  où  étoit  Paris ,  èc  convinrent  qu'il  falloit  fè 
fervir  de  leur  autorité  ,  pour  fecourir  la  République.  On  ar- 
rêta donc  que  les  informations  qui  çtoienc  déjà  faites ,  fe- 
roient  remifes  au  Procureur  général  ,  avec  défenfes  de  les 
continuer.  On  défendit  encore  au  Lieutenant  civil, -de  dé- 
léguer des  Commillàires  dans  des  procès  criminels ,  contre 
des  domiciliés  &  bourgeois  de  Paris.  Ceci  fe  palTa  le  19. 
de  Juin  ,  &  des  députés  du  Parlement  allèrent  en  informer 
le  duc  de  Mayenne.  Il  parut  le  même  jour  un  édit  du  Con- 
feil  de  la  Ligue  ,  par  lequel  on  défendoit  fous  peine  de  mort, 
les  alîcmblees  particulières  qui  excéderoient  le  nombre  de 
fîx  perlonnes. 

Le  Parlement  ayant  Indiqué  une  afiTemblée  générale  de 
routes  les  Chambres ,  pour  conférer  fur  l'état  préfent  des 
affaires,  les  Efpagnols  crurent  qu'il  falloit  prévenir  cette  dé- 
libération. Ils  propoferent  donc  de  nouvelles  conditions ,  ôC 
demandèrent  que  pendant  qu'on  les  è^iamineroit,  on  fufpen- 
dît  l'airemblée  du  Parlement. 
De  Rofncs  Le  duc  de  Mayenne  envoya  le  comte  de  Belin  pour  faire 
&  lachaftre  remettre  cette  afTembléç  à  quelques  jours  3  6i  afin  d'amufer 

le 


mamm 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         777 

ie  peuple  par  quelque  fpedacle  dcktanc ,  Rofnes  prêta  au 
Parlement ,  où  il  y  eut  un  très-grand  concours  de  monde  ,  H  e  n  r.  j> 
ie  ferment  de  Maréchal  de  France.    La  Chaftre  avoit  reçu       I  V. 
le  même  honneur  quatre  jours  auparavant.   Cette  cérémo-     i  co  ?. 
nie  fe  fit  le  matin. 

Après  midi ,  il  fe  tînt  une  afTemblée  dans  le  Louvre.   Le  chaux  dT' 
duc  de  Mayenne ,  le  Légat ,  le  cardinal  de  Pelievé ,  &:  douze  France  par  la 
députés  des  Etats  y  afliftérent.   Le  duc  de  Feria  y  fit  parler  ^'2"^' 
Jean-Baptifte  Taxis ,  qui  dit  que  le  roi  Catholique  s'étoit      AiTembiéc 

!_A-  T'i/"  'iT-»!**  .,.  />        \du  Louvre. 

toujours  propole  de  lecounr  la  Religion,  qui  etoit  prête  a     Difcoursde 

fuccomber  fous  la  force  des  armes  du  prince  de  Bearn.  Taxis  pour 

«  Quoique  le  Roi  mon  maître  ,  continua-t'il ,  puifîe  fe  plain-  |^f'^'^'°? 

»  are  de  ce  qu  après  tant  de  travaux  &c  de  depenles  ,  les  Etats 

»  du  Royaume  ne  lui  ayent  pas  accordé  fes  demandes  j  ce- 

J3  pendant  comme  l'intérêt  de  la  Religion  eft  le  principal 

>5  motif  de  fes  démarches,  il  vous  déclare  par  la  bouche  de 

>5  fes  Ambafiadeurs  ,  que  fi  vous  élifez  l'Infante  Ifabelle,  6c 

>5  celui ,  qui  entre  les  Princes  François  (  y  compris  les  Prin- 

>3  ces  de  la  maifon  de  Lorraine,)  fera  nommé  par  Sa  Majeflé 

>î  Catholique,  elle  s'oblige  de  donner  en  mariage  à  ce  Prince 

>î  l'Infante  fa  fille.  Elle  veut  bien  encore  confentir  que  tout 

»  ce  qui  aura  été  fait  en  faveur  de  l'Infante ,  foit  nul ,  fi  elle 

>3  n'époufe  le  prince  François  j  &  l'on  fera  à  ce  fujet  une  ré- 

>j  ponfe  précife  dans  deux  mois.   Si  toutes  ces  propofitions 

»5  ont  leur  effet ,  il  y  aura  un  mois  après  l'éledion  ,  une  ar- 

»  mée  fur  votre  frontière.  Deux  autres  mois  enfuite ,  cette 

«  armée  fera  fuivie  par  un  fécond  corps  de  troupes  5  de  tous 

>3  les  fecours  qu'il  vous  a  promis  paroîtront  régufiéremenc 

M  dans  les  tems  fixés.  c< 

Taxis  ajouta,  qu'il  fembloit  cependant  raifonnable  de  di- 
minuer les  troupes  que  fon  maître  s'étoit  engagé  de  fournir. 
Il  fit  enfuite  de  magnifiques  proteftations  de  la  fincérité  du 
roi  Catholique ,  &  de  fon  zélé  pour  les  intérêts  de  la  Fran- 
ce &:  de  la  Religion  j  &  il  en  prit  à  témoins  le  légat  du  Pape  , 
le  cardinal  de  Pelievé  ,  &  les  autres  Princes  2c  Seigneurs  qui 
étoient  préfens.  Il  répéta  fouvent  que  fi  l'on  n'acceptoit  au 
plutôt  les  propofitions  qu'il  avoit  faites  ,  le  danger  auquel 
ie  Royaume  &  la  foi  feroient  expofés,  ne  toucheroient  plus 
Sa  Majefiré  Catholique. 

Jome  XI.  FFFff 


77^  HISTOIRE 

l'i  I  Le  Légat  prît  enfuice  la  parole ,  &:  après  avoir  fait queî- 
H  F  N  R.  I  ques  excules  de  fon  abiènce  caufée  par  une  maladie ,  il  die 
IV.  que  les  Elpagnols  l'avoienc  prié  d'être  témoin  des  condi- 
j  -g,  tiens  qu'ils  propofoienc  :  Qu'il  n'avoit  pu  leur  refuler  cette 
demande,  de  qu'il  n'avoit  différé  de  dire  Ion  ientiment,  que 
parce  que  ces  propositions  étoient  chargées  d'un  grand  nom- 
bre de  difficultés  ,  &  paroilFoient  contraires  aux  ioix  &c  aux 
privilèges  du  Royaume  :  Qiie  les  ayant  examinées  avec  foin, 
il  ne  pouvoit  plus  s'empêcher  de  dire  ce  qu'il  en  penfoit  : 
Que  le  fouverain  Pontife  vouloitconierver  dans  ce  Royaume 
la  religion  Catholique  ,  Apoftolique  de  Romaine ,  ce  qu'on 
ne  pouvoit  faire  fans  élire  un  Roi  de  cette  même  Religion: 
Qu'on  ne  pouvoit  rejetter  fans  imprudence,  6c  fans  fe  ren- 
dre coupable  d'une  efpéce  d'apoftalîe  ,  les  propoiîtions  des 
Efpagnols  :  Qu'ainfi  il  exhortoit  &:  conjuroit  au  nom  de  Sa 
Sainteté  tous  les  François  à  les  accepter  au  plûtôtj  de  crainte 
que  ,  tandis  que  le  roi  d'Efpagne  ne  manquoit  à  rien  de  tout 
ce  qu'on  pouvoit  attendre  d'un  Prince  fi  religieux  de  fi  or- 
thodoxe ,  ils  ne  femblafient  de  leur  côté  manquer  à  ce  qu'ils 
fe  dévoient  à  eux-mêmes. 
Brigues  pour  Ce  difcours  parut  aux  Efpagnols  6i  au  Légat  comme  un 
l'éiedion.  tocfin  ,  qui  alloit  mettre  en  mouvement  les  Princes  &  tous 
les  feigneurs  François,  dans  l'incertitude  où  ils  feroient  de 
celui  iur  qui  tomberoit  le  choix  de  Philippe,  pour  lui  faire 
époufer  l'Infante.  Charle  de  Savoye  duc  de  Nemours,  jeune 
Prince  emporté  par  une  ambition  démefiirée,  avoit  envoyé 
le  baron  de  Thenifiay  à  Paris  pour  conférer  de  l'affaire  de 
l'élection  avec  le  duc  de  Mayenne  fon  frère  utérin.  11  lui 
avoit  fait  offrir  tous  fes  fervices  pour  lui  procurer  Iqs  fuf- 
frages  des  Députés  àcs  provinces  ^  mais  en  mênie  tems  il 
lui  avoit  demandé  que ,  s'il  croyoit  que  les  Efpagnols  ne 
conlentilfent  point  à  fon  éledion ,  il  l'aidât  à  fon  tour  (lui 
duc  de  Nemours  )  à  obtenir  une  place  qu'il  ne  pouvoit  oc- 
cuper lui-même. 

Le  duc  de  Guife  appuyé  d'un  fi  grand  nom ,  briguoît  aufîî 
le  trône.  La  mémoire  encore  récente  du  duc  fon  père ,  bc 
la  faveur  des  fadieux  le  lui  firent  efpérer ,  &  les  Efpagnols 
panchérent  à  la  fin  de  fon  côté. 

Le  duc  de  Mayenne  maître  des  affaires ,  dépofitaîre  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.   CVÎ.        775 

.l'autorité  fuprême,  &  lieutenant  générai  de  la  Couronne,  -  '        "   '■ 
n'avoit  pas  perdu  toute  efpérance  ,  quoiqu'il  fçdt  que  les  Henri 
Efpagnols  le  haïffoient  5  il  fe  flattoit  encore  de  la  préférence       I  V. 
&c  il  lé  laifla  tromper ,  jufqu'au  point  de  permettre  qu'on  pro-     1593. 
cédât  férieufement  à  l'éledion. 

Cependant  le  bruit  fe  répandit  qu'on  avoit  nommé  fécré-      ^"^.'''^  ^^' 
tement  quatre  Princes  de  la  maifon  de  Lorraine ,  &  que  le  roi  RoyaHiks" 
d'Efpagne  choifîroit  au  plutôt  l'un   d'eux.  Les  députés  du  aux  députés 
parti  Royalifte  qui  étoient  à  Saint  Denis ,  oùilsattendoient  poul^croibkr 
la  réponfe  des  députés  de  la  Ligue ,  leur  écrivirent  le  24.  rékaion, 
de  Juin ,  jour  de  la  fête  de  S.  Jean-Baptifle ,  dans  le  delTein 
que  cette  lettre  devînt  publique ,  &  troublât  le  projet  de 
l'éledion.  Les  Royaliftes  s'attachoient  principalement  dans 
cet  écrit  à  faire  voir  les  indignes  artifices  des  Efpagnols  qui 
preiïbient  l'élection,  afin  de  couper  toutes  les  voyes  de  ré- 
conciliationj  ils  reprefentoienc  aux  Ligueurs  qu'en  accordant 
à  Philippe  la  perraiiîion  de  nommer  un  roi  de  France,  ils 
rendroient  maîtres  de  ce  Royaume  les  ennemis  déclarés  de 
l'Etat.  Ils  exhortoient  enfuite  les  Ligueurs  à  la  paix  ,  en  leur 
faifant  fencir  qu'une  plus  longue  défunion  feroit  également 
fatale  au  Royaume  ôc  à  la  Religion  :  Qu'il  n'y  avoit  point 
■d'autre  moyen  de  finir  les  troubles ,  que  de  fe  foûmettre  à 
l'autorité  du  Prince,  qui  par  le  droit  de  fuccelîîon  étoit  leur 
Roi  légitime  :  Qu'ils  dévoient  peu  fe  confier  aux  foibles 
fecours  des  Efpagnols  qui  n'exécuteroient  rien  ,  quoiqu'ils 
promifient  beaucoup ,  6c  qui  n'avoient  d'autre  but  que  d'al- 
lumer une  haine  irréconciliable  entre  les  deux  partis ,  pour 
les  accabler  &  exterminer  enfuite  l'un  ôc  l'autre. 

Les  Royaliftes  écrivirent  auffi  à  l'archevêque  de  Lyon. 
Ce  Prélat  iupprima  la  première  lettre3  mais  on  en  répandit  de 
tous  côtés  des  copies,  &:  elle  devint  publique.  L'afFaire  ayant 
•été  portée  dans  TaiTemblée  des  Etats  ,  les  ardens  fadieux 
avancèrent  qu'il  falloit  accepter  les  propofitions  faites  par 
les  Efpagnols,  ôc  que  la  France  en  tireroit  un  crrand  fruit, 
Plufieurs  au  contraire  foûtinrenc  que  ces  propofitions  écoienc 
captieufes.  «  Car  pourquoi ,  difoit-on ,  laiiîer  fi  long-tems  en 
>î  lufpcns  l'éledion ,  ou  pourquoi  les  Etats  ne  peuvent- ils  eux- 
-«  mêmes  y  procéder  en  liberté  ?  Les  Efpagnols  n'agifi^ent 
53  ainfi ,  qu'afin  qu'en  acceptant  les  propoficions  qu'ils  ont 

FFF  ff  ij 


7So  HISTOIRE 

^  :.  !  »  faites ,  &  qu'ils  n'exécuteront  jamais ,  on  ne  puîfîè  pluspar- 

Henri  «  1er  de  paix  avec  ceux  qui  fuivent  le  parti  du  roi  de  Na- 

I  V.      )5  varre.  S'ils  ne  font  pas  en  état  d'accomplir  ces  magnifi- 

I  co  2,     »  ques  promelîès  qu'ils  nous  font  ,  ne  nous  eft-il  pas  plus 

«  avantageux  ,  pendant  que  les  chofes  font  encore  en  état , 

»3  de  traiter  à  des  conditions  railonnables  avec  le   roi  de 

»  Navarre  ,  que  de  nous  engager  dans  une  guerre  éternelle, 

>3  &  d'enrichir  des  étrangers  aux  dépens  de  notre  patrie  ? 

Tel  étoit  le  fentiment  de  la  Chaftre.  Ce  Seigneur  le  foû- 
tint  avec  tant  de  fermeté  ,  qu'il  obligea  les  Espagnols  de  ne 
plus  différer  à  nommer  enfin  le  Prince  qu'ils  vouloient  cou- 
ronner. Le  vingt-huit  de  Juin  ,  Villeroi  fortit  de  Paris,  après 
avoir  dit ,  comme  on  le  crut  alors, le  dernier  adieu  au  duc 
de  Mayenne.  Pluiîeurs  en  tirèrent  un  mauvais  augure  ,  com- 
me fi  la  fadion  des  Efpagnols  l'emportoit  fur  ceux  qui  étoienc 
animés  d'un  véritable  zélé  pour  leur  patrie. 
Arrêt  du  Le  même  jour,le  Parlement  s'aflembla.  On  délibéra  mûre- 
Paris "^o"r^^  ment  fur  l'état  prefent  des  affaires,  &  la  Cour  donna  un  ar- 
l'exciufîon  fèt,  par  lequel  après  avoir  protefté  de  fon  zélé  pour  ladé- 
d'un  Prince  fenfe  de  la  religion  Catholique ,  Apoftolique  &  Romaine  , 
&  des  droits  du  Royaume,  fous  la  protedion  d'un  roi  très- 
Chrétien  ,  èc  François  de  nation,  elle  ordonnoit,  que}  Jean 
le  Maiftre  Prefîdent  portant  la  parole,accompagné  d'un  nom- 
bre fuffifant  de  Confeillers ,  ôc  en  prefence  des  Princes  &c  des 
Seigneurs  qui  étoient  alors  à  Paris,  on  prieroit  le  duc  de 
Mayenne  de  ne  faire  aucun  traité  qui  tendît  à  transférer 
la  couronne  à  quelque  Prince,  ou  à  quelque  PrincefTe  d'une 
autre  Nation  ^  de  veiller  au  maintien  des  loix  de  l'Etat  5  ÔC 
de  faire  exécuter  les  arrêts  de  la  Cour  donnés  pour  i'éledion 
d'un  roi  Catholique  ^  François  :  Qu'on  lui  reprefenteroit 
encore  que  puifqu'on  lui  avoit  confié  l'autorité  fuprême,  il 
devoit  prendre  garde  ,  que  fous  prétexte  de  Religion ,  on 
ne  mît,au  préjudice  des  loix  du  Royaume ,  une  maifon  étran- 
gère fur  le  trône  de  nos  Rois  :  Qu'il  étoit  également  obligé 
de  chercher  de  prompts  remèdes  aux  calamités  extrêmes , 
fous  le  poids  defquelles  le  peuple  gémiiïbit. 

Au  lurplus,  l'arrêt  du  Parlement  annulloitôc  caflbit  com- 
me contraires  à  la  loi  Salique  ,  ôc  aux  autres  loix  fondamen- 
tales de  la  Monarchie,tous  les  traités  &  conventions,  ou  qu'os. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  CVI.         781 

avoîc  déjà  faits ,  ou  qu'on  pourroic  faire  dans  la  fuite  pour  -U 

1  eledion  d'un  Prince  étranger,  ou  d'une  PrincefTe  étrangère.  Henri 

On  ne  put  faire  ces  remontrances  le  même  jour  ,  parce       I  V. 
que  le  duc  de  Mayenne  refuià  (ous  quelque  prétexte  ,  de  les      i  cqi. 
entendre.  Le  lendemain,  les  députés  du  Parlement  fe  tranll  /;Remomrâiv 
portérent  à  l'hôtel  de  Nevers,  où  étoit  ce  Duc  3  le  Prefident  "s  du  Paiie- 
le  Maiftre  lui  dit ,  qu'il  étoit  chargé  de  lui  faire  des  remon-  de^Mayenne. 
trancesfur  deux  principaux  objets  :  Qu'il  le  prioit  d'aboid 
de  faire  enforte  que  dans  l'éledion  d'un  Roi ,  on  n'eût  au- 
cun égard  à  l'infante  d'Efpagne.  »  En  efFet ,  continua-t-ii , 
"  rien  n'eft  plus  contraire  à  la  loi  Salique ,  cette  loi  il  reli- 
5>  gieufement  obfervée  depuis  le  régne  de  Clovis ,  &  qui  ex- 
»  dut  les  femmes  du  trône  de  nos  Rois.  Nos  ancêtres  l'ont 
5>  établie  en  France  pour  deux  raifons  particulières.  Ils  vou- 
>s  loient  d'abord  empêcher  que  la  couronne  ne  pafsât  dans 
»  une  maifon  étrangère  ,  ce  qui  arriveroit  fî  les  femmes  pou- 
»3  voient  y  avoir  quelque  droit  par  fucceffion.  En  fécond  lieu, 
w  ils  craignoient  que  les  François ,  cette  Nation  belliqueufe, 
>î  &  qui  iurpafle  en  courage  tous  les  peuples  de  la  terre  ,  ne 
53  fe  viflent  fournis  ci  l'Empire  d'une  femme,  &  ne  dégéné- 
»  raflent  de  la  vertu  mâle  de  leurs  pères ,  fous  un  fi  foible 
53  6c  honteux  gouvernement. 

33  L'expérience  nous  a  appris,  ajoûta-t-il ,  que  la  domina- 
53  tion  des  femmes  eft:  funefte  à  la  France.  Combien  de  fé- 
33  ditions  ôc  de  guerres  civiles  Fredegonde  &  Brunehault  onr- 
33  elles  caufè  fous  la  première  race  de  nos  Rois  ?  Dans  lafé- 
33  conde  ,  quels  troubles  a-t-on  vu  à  l'occafion  de  Judith 
53  femme  de  Louis  le  débonnaire  ?  Dans  la  troifième,  combien 
33  s'en  font  élevés  fous  la  régence  de  Blanche  mère  de  Louis 
33 IX.  Efpagnole  de  naiflance  ?  Enfin  on  fe  fouvient  encore 
33  avec  horreur  des  fanglantes  tragédies  ,  dont  la  France  a 
M  été  le  théâtre  fous  Catherine  de  Medicis. 

33  Par  les  lettres  Patentes  qui  ont  été  enrégiflrées  au  Par- 
33  lement ,  il  y  a  quelques  mois ,  &  publiées  à  fon  de  trompe, 
35  dans  tous  les  carrefours  de  la  ville ,  vous  avez  vous-mênie 
33  confirmé  de  nouveau  la  loi  Siilique  ,  en  promettant  de  con- 
)3  ferver  toutes  loix  du  Royaume,  Par  l'arrêt  du  Parlement 
5>  donné  dans  le  même  temps ,  les  Chambres  alFemblces  le 
33  vingt-un  de  Novembre ,  6c  qui  a  été  publié  ,  afin  qu'il  fût 

FFFffiij 


7^2  HISTOIRE 

.Mm^-uaimM».;  „  notoiVc  &  cûc  la  force  d'une  loi,  il  eft  porté  exprefîemenc 

H  E  N  K 1  >5  que  raflèmblëe  des  Ecacs  ne  pourroic  transférer  la  coaron- 

I  V.       »5  ne  dans  une  maifon  étrangère.  Ainli  pour  déclarer  l'infante 

J593.      '*  d'Efpagne  reine  de  France,  il  faut  détruire  toutes  les  loix 

>j  de  l'Etat,  renverfer  la  loi  Salique ,  ôc  anéantir  vos  lettres 

«  Patentes  &  l'arrêt  du  Parlement  j  ce  qu'on  ne  peut  faire 

>î  fans  allumer  dans  ce  Royaume  des  troubles  que  rien  ne 

»  pourra  terminer. 

j>  La  NoblefTe  qui  s'eft  attachée  au  roi  de  Navarre,  &  qui 
>5  fait  fa  principale  force ,  ne  fuit  fon  parti ,  que  parce  qu'elle 
53  croit  que  nous  ne  fommes  engagés  dans  cette  guerre  ,  qu'à 
M  l'inftigation  des  Efpagnols ,  &  pour  favorifer  leurs  ambi- 
»î  tieux  projets  :  Que  ne  ne  feroit-elle  pas ,  fî  elle  voyoit  Ces 
»î  foupçons  juflifiés  par  nos  démarches  ?  Tout  ce  qu'il  y  a  de 
>5  Gentilshommes  attachés  à  la  Ligue ,  &  toutes  les  villes  , 
5>  s'éleveroient  bientôt  contre  une  éleAion  fi  contraire  à 
îj  toutes  les  loix  du  Royaume  ,  &  pafleroient  auffi-tôt  du  cô- 
»3  té  de  nos  ennemis.  Il  eft  même  certain ,  quoi  qu'on  en  dife, 
»j  que  le  fouverain  Pontife  ôc  tous  les  Princes  de  l'Italie  &  de 
M  la  Chrétienté  défaprouveroient  notre  conduite.  Les  Pro- 
«  vinces,  comme  le  Languedoc  ,  le  Dauphiné  &  l'Auvergne 
»3  qui  n'ont  point  envoyé  de  députés  à  l'aflemblée  des  Etats, 
«  foufcriroient-elles  à  un  tel  choix  ?  Celles  qui  en  ont  en- 
»î  voyé  pour  l'éledion  d'un  roi  Catholique,  èc  François  de 
M  nation  ,  ont-elles  eu  intention  de  donner  leurs  fufFrages 
M  pour  une  étrangère? 

>3  Mais ,  dira-t-on ,  la  puiflance  &  la  grandeur  de  Philippe, 
33  qui  feul  eft  l'appui  de  la  Ligue,excufera  notre  choix.  Quels 
33  fecours  peut-on  attendre  de  ce  vieux  Roi  ?  Depuis  cinq  ans, 
33  quel  fruit  la  Ligue  a.t-elle  tiré  de  la  prétendue  protedion 
>;>  de  ce  Prince  ?  Qiiels  progrès  fera-t  il  dans  un  Royaume 
33  étranger,  lui  qui  pendant  trente  ans  a  inutilement  employé 
33  toutes  [es  forces ,  de  toutes  fes  richelTes  ,  fans  pouvoir  ve- 
33  nir  à  bout  de  réduire  les  Provinces-Unies?  Lorfque  toute 
3î  la  nobleiïe  du  Royaume  ,  ennuyée  de  la  domination  des 
33  Etrangers ,  fe  fera  jettée  du  côté  du  roi  de  Navarre  ,  quel 
33  reilburce  aurons-nous  du  côté  de  TEfpagne? 

33  On  ne  peut  nier  que  la  Ligue  n'ait  de  grandes  obliga- 
33  tions  à  S.  M.  C.  des  troupes  qu'elles  lui  a  fournies  depuis 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.   CVI.         7^5 

peu  j  mais  Iqs  Efpagnols  n'ont-ils  pas  auffi  de  grandes  obli-       ,'■  '  '"     '' 
gâtions  aux  Franc^ois  ?  Ne  leur  font-ils  pas  redevables  d'à-  H  e  n  ki 
voir  porté  le  flambeau  de  la  foi  dans  leur  Pais ,  ôc  d'en       I  V"^ 
avoir  autrefois  extirpé  l'héréfie  ?  Les  bienfaits  du  roi  Ca-      i  503. 
tholique ,  quelque  grands  qu'ils  foient  ,  peuvent-ils  être 
comparés  avec  ce  fer  vice  fîgnalé  ?  Nous  ne  pouvons  croire 
que  les  orgueilleufes  proportions  des  ambafîàdeurs  d'Ef- 
pagne  ayent  été  faites  de  l'aveu  de  Philippe ,  Prince  qui 
a  autant  de  modération  que  de  Religion  j  il  fçait  fans  douce 
qu'il  lui  feroit  honteux  de  paroître  s'être  engagé  dans  cette 
guerre ,  plutôt  pour  augmenter  fa  puilîànce ,  que  pour  pro- 
curer  la  gloire  de  Dieu  ,  &  conferver  la  foi ,  qui  dans 
ce  Royaume  étoit  expofée  à  un  fi  grand  danger. 
>5  Sur  ces  motifs,  la  cour  de  Parlement,  perfuadée  qu'on 
ne  peut ,  fans  fe  couvrir  d'une  infam.ie  éternelle,  faire  pafTer 
la  couronne  dans  une  maifon  étrangère,  a  jugé  à  propos 
de  vous  prier  d'interpofer  Tautoricé  dont   vous  êtes  le 
dépofîtaire ,  pour  empêcher  que  dans  l'éledion  d'un  roi 
Catholique,  on  ait  égard  aux  prétendus  droits  de  l'infante 
d'Efpagnejôc  a  déclaré  nulles  toutes  les  conventions  faites 
ou  à  faire  à  ce  fujet. 

»3  Qiiant  aux  calamités  publiques ,  il  eft  inutile  de  vous  en 
faire  le  détail ,  parce  que  vous  en  avez  une  entière  con- 
noiflànce  ,  &  que  vous  en  gémiflez  vous-même.  Ayez  donc 
foin  d'y  remédier  au  plutôt ,  de  crainte  que  la  patience  de 
ce  peuple  ,  prêt  à  tout  foufFrir  pour  la  Religion  ,  ne  fe 
tourne  en  défefpoir.  Nous  f^çavons  qu'ayant  le  deflein  de 
foulager  nos  maux ,  ôc  de  fecourir  la  garnifon  de  Dreux 
réduite  aux  dernières  extrémités ,  vous  n'avez  pas  rejette 
la  trêve  générale  que  les  Royalifles  ont  offerte  ;  Que  la 
Nobleffe  &  le  Tiers-Etat  ont  fuivi  votre  fentiment  j  mais 
que  le  légat  du  Pape  s'efl  oppoféà  un  confeil  lî  fa  lu  taire. 
Eft-il  vrai-femblable  que  ce  Légat  ait  agi  par  \qs  ordres 
du  fouverainPontife?Le  Papeauroit-ildélaprouvé  la  trêve, 
lui  quia  jugé  à  propos  d'en  faire  une  pour  lui-même  avec 
Lefdiguieres ,  ôc  d'employer  fecrétement  la  médiation  de 
perfonnes  interpofées  pour  conferver  Avignon. 
»  Si  vous  vous  fcrvez  li  peu  de  votre  puiflance  ,  ôc  fî  vous 
5>  déférez  aveuglément  aux  avis  d'un  Légat,  dans  une  affaire 


784  HISTOIRE 

—         '  »  qui  regarde  le  gouvernement  politique  ,  vous  vous  rendrez 

Henri  jj  vous-même  meprilabie  j  vous  avilirez  l'autorité  qu'on  vous 

IV.      »  a  confiée  j  vous  deshonorerez  votre  Confeil  3  de  vous  en- 

I  CQ  j.     "  freindrez  les  fermens  que  vous  avez  faits ,  de  conferver  les 

»3  loix  ëc  les  privilèges  du  Royaume,  qui  confiftent  particu- 

>5  liérement  à  ne  point  connoître  l'autorité  du  Pape  Ôc  defes 

>3  Légats ,  dans  les  matières  qui  ne  font  point  foûmifes  à  la 

»  Jurifdiclion  Eccléfîaftique ,  comme  les  traités  de  paix  ,  ôc 

»  les  trêves. 

»>  Toutes  les  fois  que  les  Papes  ont  voulu  forcer  les  Rois 
5>  à  fuivre  leurs  avis  ,  nos  ancêtres  ont  réfifté  avec  fermeté. 
»  En  1232  le  Pape  ayant  voulu  faire  une  trêve  entre  Phi* 
Ȕ  lippe  Augufle,  de  Henri  III.  roi  d'AngleterreJe  confeil  du 
>5  Roi  prononça  que  le  fouverain  Pontife  n'avoit  aucune  au- 
>3  torité  dans  cette  matière ,  ôc  que  le  Roi  n'étoit  pas  tenu 
>3  de  lui  obéir.  En  i  295.  (i)  comment  Philippe  le  Bel  re- 
J3  çut-il  les  ordres  du  Pape  qui  le  vouloit  obliger  à  faire 
«  une  trêve  avec  Albert  d'Autriche  ,  6c  Edouard  I.  roi  d'An- 
>3  gleterre  ? 

»  Nous  vous  exhortons  donc  ,  &,  nous  vous  conjurons  de 

>5  foulager  au  plutôt  le  peuple ,  qui  eft  accablé  fous  le  poids 

53  de  fes  maux.  Soyez  inflexible  aux  follicitations  du  Légac 

î3  ôc  de  fes  autres  fadieux ,  à  qui  les  calamités  publiques 

33  caufent  un  plaiiîr  fecret ,  &  imitez  l'exemple  de  Louis  XII. 

33  votre  bifayeul  maternel,  que  l'amour  qu'il  eut  pour  fes  fu- 

33  jets  a  fait  furnommer  le  père  du  peuple. 

Réponfe         L'arrêt que  le  Parlement  avoit  donné,  fans  en  commu- 

da  duc  de       nîquer  avec  le  duc  de  Mayenne  ,  lui   avoit  extrêmement 

Mayenne  aux  j^olu  ;  mais  il  n'ofa  faire  paroître  fon  mécontentement  : 

remoncrao-       „    ^        .       ,.1    /■        a  1  ^  r  •  i 

ces.  &  quoiqu  li  lentit  que  des  remontrances  raites  avec  tant  de 

liberté  mettoient  un  frein  à  fa  puiflance  ,  il  cacha  Ces  fenti- 
mens  ,  èc  répondit  en  peu  de  mots.  >3  Depuis  qu'on  m'a 
33  confié  le  gouvernement  de  l'Etat ,  mon  premier  foin  a  toû- 
35  jours  été  de  défendre  la  religion  Catholique ,  &  de  main- 
33  tenir  les  droits  du  Royaume  j  mais  il  femble  à  prefent  que 
33  je  ne  fuis  plus  néceflaire  à  l'Etat ,  &;  qu'on  peut  fe  pafTer  fa- 
35  cilement  de  moi.  J'aurois  fouhaité  dans  la  place  où  je  fuis^ 

(1)  M.  deThou  met  12.87.  c'eft  une  i  té  furie  faint  Siège  qu'en  12^4. 
fâuce  palpable ,  Boniface  n'ayant  mon- 1 

que 


DE   J.    A.    DE   THOU,  Ltv.  CVI.  7^^ 

»»que  le  Parlement  n'eût   rieii  décidé   dans  une  affaire   de  -■ 

»  cette  importance ,  fans  me  confulter.  Quant  aux  remèdes  Henri 
»  qu'il  eft  nécelîaire  d'apporter  aux  calamités  publiques,  j'ai        ly, 
"d'abord  panché   du  coté   de  la   trêve  générale  5  mais  en     15^3. 
»  Prince  Catholique  j'ai  refpedé  les  avis  du  légat ,  &  je  n'ai 
»  rien  encore  décidé.  Au  furplus  ,  je  ferai  tout  ce  qui  me  fera 
»  pofllble ,  &  ce  qui  paroîtra  raifonnable  fur  les  deux  chefs  de 
^  vos  remontrances.  »  Ceci  fe  pafla  devant  une  nombreufe 
aiTemblée. 

Le  lendemain  le  Premier  Préiident  Lemaître  fut  mande 
par  le  comte  de  Belin.  Ce  Magiftrat  accompagné  d'EiHenne 
de  Fleury ,  &  de  Pierre  d'Amours  Confeillers ,  alla  chés  l'ar- 
chevêque de  Lion,  où  le  duc  de  jMayenne  avoir  dîné.  Ce 
Prince  éclata ,  &fit  voir  toute  l'indignation  &  le  dépit  que 
lui  caufoit  l' Arrct  du  Parlement.  «  L'injure ,  dit-il ,  qu'on  ma 
^  faite  ell  trop  fenfible ,  pour  la  difllmuler  •■,  ôc  puifqu'on  fe 
»  joue  ainfi  de  moi ,  j'ai  réfolu  de  cailer  l'arrêt  du  Parlement 
»  de  Paris.  L'archevêque  de  Lion  va  vous  expliquer  mes  fen- 
»timens,  &  les  motifs  qui  me  déterminent  à  iigir  ainfnj'ef- 
»  père  que  vous  les  approuverés. 

L'archevêque  de  Lion  aïant  eu  ordre  de  parler  ,  fît  de 
grandes  plaintes  de  l'injure  faite  aii  duc  de  Mayenne ,  &  dit 
que  par  l'attentat  le  plus  outrageant,  le  Parlement  s'étoitjoûc 
du  Prince ,  ■&  avoir  méprifé  fon  autorité,  en  agiilant  fans  le 
confulter ,  quoiqu'il  tlit  préfcnt  à  Paris. 

Le  premier  Prélident  ne   put  fouifrir  ce  terme  de  joiier.      Fermeté c!u 
que  l'Archevêque  avoir  fouvent  repéré ,  ce  Magillrat  avec  Premier  Pré- 
une  gravite  digne  de  Ion  caractère  l  interrompit ,  &  lui  dit  :  tj^.. 
»  Je  ne  puis ,  Mondeur ,  (ims  émodon  vous  entendre  répéter 
?3  ce  que  mon  rcfped  m'a  fait  difllmuler,  lorfque  le  Prince 
»  a  parlé.  En  me  regardant  comme  particulier ,  vous  pourries 
31  me  parler ,  ainfi  que  vous  le  jugeriés  a  propos;  mais  des  que 
a>  la  Compagnie  refpedablc  que  je  repreicnte  ici  ei\  bleiVée  par 
73  des  termes  injurieux,  je  dois  en  être  oftcnfé  ,  «3c  ne  le  puis 
»  fouffrir.  Sçachés  donc  que  le  Parlement  rend  à  chacun  ce 
X  qui  lui  eft  du,  qu'il  ne  trompe ,  ni  ne  joue  perfonne. 

Lemaître  ajouta  ,  qu'il  avoit  jufqu'alors  admiré  la  profonde 
érudition  de  l'archevêque  de  Lion  jmais  que  ce  Prélat  pouvoir 
içavoir  beaucoup  de  chofes  ,   fans  connoitre   l'étendue  du 
Tome  XL  ^ggè^ 


78(^  HISTOIRE 

'  refped  qui  étoit  dû  au  Parlement.  On  fe  fît  enfuite  reclpro- 
Henri  quenient  de  part  &  d'autre  plufieurs  plaintes  &  plufieurs  re- 
IV.  proches.  Lemaître  répéta  fouvent  que  rAflemblée  du  Parle- 
3  5^5.  ment  ayant  été  diferée  à  la  prière  du  duc  de  Mayenne ,  quoi- 
que le  danger  fut  preflant ,  n'avoit  pu  ctre  rcmifeàun  autre 
temps  :  Qu'on  l'en  avoit  averti  auparavant ,  &c  qu'il  ne  pou- 
voit  pas  dire  qu'on  avoit  agi  à  fon  infçû ,  &  fans  lui  rien  com- 
muniquer. 

D'un  autre  côté ,  le  duc  de  Mayenne  prétendoit  qu'on  n'a- 
voit  pas  du  traiter  d'une  affaire  i\  importante  qu'en  fa  préfen- 
ce  ,  &  qu'après  avoir  appelle  les  Princes  &  les  Pairs  du  Roïau- 
me.  Il  ajouta  que  cette  conduite  tendoit  à  la  fédition  &  à  la 
révolte.  Il  reprocha  aufli  à  Lemaître  qu'il  lui  avoit  donné  une 
charge  de  Préfident ,  fans  qu'il  eût  la  moindre  reconnoiflance 
d'un  {]  grand  bienfait.  Ce  magiftrat ,  homme  de  probité,  & 
fans  ambition  ,  répliqua  fur  le  champ  ,  qu'à  la  vérité  on  l'avoit 
fait  monter  à  une  plus  haute  dignité  ;  mais  que  fa  fortune  &  i^es 
affaires  domeftiques  fouffroient  un  grand  préjudice  de  fon 
élévation ,  &  que  ce  fbnefte  honneur  lui  étoit  à  charge ,  & 
l'expofoit  à  tous  les  traits  de  la  haine  ,.  &  de  l'envie.  Enfin  il 
ajouta  avec  fermeté ,  que  la  conduite  du  Parlement  étoit  équi- 
table &  judicieufe  :  Que  cette  Compagnie  n'éroit  jamais  for- 
tie  des  bornes  durefpeddû  au  duc  de  Mayenne,  &  que  le 
dernier  Arrêt  ne  préjudicioit  aucunement  à  l'autorité  de  ce 
Prince  :  Qu'au  contraire  ce  fage  décret  ferviroit  de  frein  aux 
féditieux ,  &  uniroit  de  plus  en  plus  les  Catholiques,  qu'on  tâ- 
choit  de  défunir  par  toutes  fortes  d'artifices. 

De  Rofnes ,  qui  étoit  préfent ,  objeda  que  le  Parlement  en 
faifant  mention  dans  fon  Arrêt  du  foulagement  des  peuples, 
fembloit  vouloir  qu'on  lui  eût  obligation  de  la  trêve  ,  &  en 
cas  qu'elle  fe  conclût ,  en  ôter  toute  la  gloire  au  duc  de  Mayen- 
ne 5  mais  Lemaître  lui  répondit ,  que  la  Cour  en  donnant 
fon  Arrêt ,  n'avoit  point  eu  ce  motif:  Qu'elle  étoit  très  éloi- 
gnée d'avoir  desfentimens  vains  &  des  vues  fi  frivoles  5  qu'elle 
n'avoit  eu  d'autre  intention  que  de  remphr  fes  obligations , 
&  conferver  fa  dignité ,  &  l'autorité  des  Loix  :  Que  le  Parle- 
ment n'agiffoit  que  pour  la  gloire  de  Dieu ,  l'utihté  de  l'Etat 
&  le  repos  de  tous  les  particuliers  :  Que  quant  à  lui,  il  aime- 
roit  mieux  mourir  que  de  s'engager,  ou  avec  la  fadion  Ef- 
pagnole,  ou  avec  les  fedaires. 


DE    J.    A.    DE    THOU,  Liv.CVI.  787 

Tout  ce  qui  s'étoit  pade  dans  cette  occafion  ,  ayant  été 


rapporté  au  Parlement,  tous  les  membres  de  ce  Corps  don-  H  e  n  r  n 
lièrent  de  grands  applaudilTemens  à  la  fermeté  du  Premier        j  y, 
Préfident.  Comme  le  bruit  couroit ,  que  le  duc  de  Mayenne     i  c  p  ^i 
toujours  perfuadé  qu'on  avoir  agi  au  mépris  de  fon  autorité  >    /-    j  •    j^ 
vouloit  caller  6c  annuller  l'arrct  du  Parlement  ;  les  Confeil-  parlement, 
Icrs  qui  étoient  préfens ,  promirent  tous  de  facrifier  leurs  vies , 
plutôt  que  de  permettre  qu'on  changeât  quelque  chofe  dans 
l'Arrêt.  On  chargea   même  Etienne   de  Neuilly  ,   Jacques 
Berenger  ,  &  Denis  de  Heere ,  de  déclarer  au  duc  de  Maïen- 
ne  les  ientimens  de  la  Compagnie  à  ce  fujet ,  &  d'ajouter  que 
la  Cour  de  Parlement  lui  donneroit  toujours  des  preuves  de 
fon  zélé  &  de  fon  attachement  :  Qu'elle  le  prioit  de  prendre 
en  bonne  part  tout  ce  qu'elle  avoit  fait  :  Qu'il  en  jugeroit 
avec  plus  d'équité  ,  s'il  méprifoit  les  vains  murmures  des  fac- 
tieux :  Qu'il  devoir  approuver  &  recevoir  avec  joie  un  Arrêt 
qui  n'avoir  été  donné  que  pour  lui  fervir  d'appuy ,  de  crainte 
qu'il  ne  fe  laiflât  vaincre  par  d'importunes  follicitations ,  con- 
tre fes  propres  Ientimens  ;  &  pour  l'empêcher  de   faire  quel- 
ques démarches  indignes  de  lui,  &  de  l'autorité  fuprême ,  dont 
il  étoit  revêtu. 


Fin  du  mziéme  f-^ohmei 


G  cr  or  o-  Or  ii 
t>  t)  &  t>  ^J 


RESTITUTIONS, 

DIFFERENTES    LEÇONS, 

OU 

VARIANTES, 

NOTES     ET     CORRECTIONS 

DU   ONZIEME   VOLUME. 


EXPLICATION    DES    AfJRQjVES 

dont  on  s^eft  fer  vi  pour  déjtgrier  les  endroits  d'où  font  prifer 
les  Refiiîi4tions  quifuivent, 

P  *.  Signifie  que  le  pafïàgereftitue'  éroit  dans  rédition  de  PatifTon ,  mfolh 

MS.  Reg.      Veut  dire  que  le  paiTage  reftituéou  !a  variante  elî  dans  le  Manufcrk 
de  !a  Bibliothèque  du  Roi ,  qrJ  eft  celui  de  i'Aucéur  même. 

MS  Sarmru  Fait  cnrendre  la  même  chofe  du  Manufcrit  de  Mclfieuis  de  Sainte- 
Marthe. 

P.  Défigne  les  variantes  prifcs  de  l'édition  de  Patifîbn. 

D,  Dénote  les  variantes  prifes  de  l'édition  des  Drouarts.  La  îetrtre  (f) 

marque  Tcdition  àzs  Drouarts  in  folio ,  (o)  la  même  in  oâavv  .- 
(d)  la  même  in  douze. 

Put.  SigniHe  qvie  la  note  ,  ou  la  corredlion  eft  de  Meflîeurs  Dufuy. 

R  ig.  Que  la  note ,  ou  corredion  eft  de  Rigault. 

C.  Que  la  noce  ,  ou  correction  eft  de  l'Editeur  Angiois. 

T-diî.  Angl.  Défigne  Tédirion  d'Angleterre. 

Ind.  Vntan.  L'index  des  noms  propres  qui  font  dans  l'Hiftoirede  M.  de  Thou, 
Tout  ce  qui  n'eft  précédé  ni  fuivi  d'aucune  marque ,  eft  de  nous. 


LIFRE    ^UÂTRE-nNGT-DIX'SEPTIEME. 

PAGE  22.  ligne  34.  La  Bulle  d'excommunication  lan- 
eée  ,  ajout,  fuivant  toutes  les  règles  de  la  juftice  -Se 
de  l'équité ,  par  6cc.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 
Pag.  25'.  1.  27.  Martin- G life  ,  not.   On  l'appelle  aujourd'hui., 
Martin-Egîife  ;  parce  que  l'Eglife  Paroilfiale  eft  dédiée  à 
Dieu  fous  l'in vocation  de  S.  Martin. 

Ggggg  iij 


7po  RESTITUTIONS, 

Pag.  33.1.  17.  Sanlary,  oh  S.  Laiy. 

Pag.  35).  1.  3  3.  D'Eftrce ,  ajom,  homme  peu  vigilant ,  avec  ôcc 
MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  yp.  1.  3  5".  Les  Jacobins,  lif.  les  Dominicains. 

Pag.  6^.  1.  33.  Gafcogne  ,  not.  La  Guienne  comprend  le  Poi- 
tou ,  la  Saintonge  &  le  Bourdelois,  ou  plus  proprement  le 
feul  Bourdelois.  DelàBourdeaux  jufqu'aux  Pyrénées,  tout 
eit  Gafcogne  où  font  ces  neuf  peuples  qui  ont  donné  le 
nom  à  la  Province.  Fut, 

Pag.  6<).\.  ip.  Avec  le  Roi ,  ajout.  Ce  Prince  lui  répondit  fuc 
chaque  article  avec  une  précifion  &  une  netteté  admira- 
ble. Le  difcours  qu'il  lui  fit  à  ce  fujet ,  mériteroit  fans  doute 
d'être  tranfmis  à  la  pofterité  j  mais  comme  les  tems  ont 
changé ,  je  ne  crois  pas  qu'il  foit  néceîTaire ,  peut-être  même 
•  ne  feroit-il  pas  à  propos  de  le  rapporter.  Ce  Prince  par- 
tit &c.  MSS,  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig.  V.  les  mémoires 
de  la  vie  de  M.  de  Thou ,  p.  182. 

Pag.  6" (5.1.  34.  De  Chefle  ,  ajout.  Florent  Chrétien  fe  trouva 
aulTi  du  nonibre  des  prifonniers.  C'étoit  un  homme  d'un 
efprit  fort  cultivé ,  qui  avoit  été  autrefois  précepteur  du 
Roi ,  &  qui  fçavoit  parfaitement  le  Grec  &  le  Latin.  On. 
en  peut  juger  par  plufieurs  pièces  de  poëfie  ,  qu'il  nous 
a  laifTées  dans  ces  deux  la-ngues.  Il  s'étoit  établi  à  Vendô- 
me '■>  &  quoiqu'il  fut  également  oppofé  de  religion  &  de 
fentimens  à  ceux  qui  foutenoient  le  parti  de  la  ligue ,  il 
avoit  été  forcé  de  s'accommoder  au  tems ,  &  de  fe  prêter 
à  toutes  les  manœuvres  de  Benehart.  Au  relie ,  il  fut  relâ- 
ché aufTi-tôt  après  à  la  folHcitation  des  amis  qu'il  avoit 
dans  le  parti  du  Roi.  De  ce  nombre  étoient  Pierre  Delbe- 
ne ,  Jean  de  Thumery ,  &  Jacque  Auguftc  de  Thou.  Le 
Roi  lui-même  eut  la  bonté  de  payer  pour  fa  rançon  mille 
écus  au  Colonel  de  Brigneux  ,  qui  l'avoir  fait  prifonnier. 
Cet  exemple  de  féverité  ôcc.  MSS  Reg.  &  Samm.  Put.  & 
Rig. 

Pag.  d'y.  1.  1 1.  Fit  beaucoup  d'accueil ,  ajout,  ôc  de  promefTes 
à  ce  &c.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 
1.  3  6.  D' Augennes ,  lif.  d' Angennes. 

Pag.  75:.  1.  28.  A  peine  le  Duc  &c.  iif.  Après  avoir  efTuyé  deux 
cens  coups  de  canon ,  la  place  fe  rendit  le  22.  d'Août.  Elle 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  &c.  7pi 

étoit  défendue  par  une  garnifon  d'environ  trois  cens  hom- 
mes ,  qui ,  quoique  par  la  capitulation  on  leur  eut  accordé 
la  vie  fauve ,  furent  tous  maflacrés  dans  le  fauxbourg  avec 
Aubert  leur  Commandant ,  &  celui  qui  faifoit  les  fondions 
de  Miniftre  dans  cette  ville.  Les  Genevois  avoient  fait  une 
grande  faute  de  confier  à  Aubert  la  garde  de  Bonne.  Outre 
qu'il  étoit  fort  ignorant  dans  le  métier  de  la  guerre ,  il  y 
avoir  dix  ans  qu'on  l'avoit  dépcfé  de  fa  charge  de  Séna- 
teur, fur  ce  qu'il  étoit  foupçonné  d'un  adultère.  Depuis  ce 
tems-là  il  avoir  toujours  vécu  obfcur ,  inconnu ,  jufqu'à  ce 
qu'on  lui  donna  enfin  le  commandement  de  cette  place, 
où  il  ne  fe  diftingua,  difoit-on ,  que  par  une  attention  ex- 
trême à  s'enrichir.  Cependant  les  Suiffes ,  c'eft- à-dire  ceux 
du  Canton  de  Berne,  regardoient  ces  ravages  d'un  air  tran- 
quille. Auffi  avoient-ils  déjà  fait  leur  traité  fecret  avec  le 
Duc  de  Savoye,  &  avoient  repris  la  route  de  leur  pays, 
dans  l'efperance ,  dit-on ,  que  le  défefpoir  obligeroit  en- 
fin les  Genevois  à  en  pafier  par  tout  ce  qu'ils  voudroient. 
De  là  le  Duc  marcha  ôcc.  Ed,  Gen.  1626,  &c  MSS.  Reg.  à* 
Samm, 
Pag,  83.1.  10.  Toute  l'efpace ,  lif.  tout  l'efpace. 
1.  1 5 .  Propofa  ,  lif.  demanda. 


LITRE  J^UATRE-FINT-^DIX-HUITIEME. 

Pag.  P5'.  1.  2 1.  Le  Duc  Cafimir,  not.  Jean  Cafimir  frère  de  Frî- 
deric  III.  Electeur  Palatin  du  Rhin  5  oncle  de  Frideric  IV. 
alors  Eledeur,  mais  en  bas  âge  ,  fut  chargé  de  la  tutelle 
de  fon  neveu  &  de  l'adminiftration  de  l'Eledorat  pendant 
fa  minorité.  M.  de  Thou  fuppofe  ici  que  fon  ledeur  n'a 
pas  oubhé  cette  circonftance. 

Pag.  107. 1.  10.  Les  Bcafnois,  lif,  le  Bearnois. 

Pag.  127. 1.  5.  Des  cris,  lif  les  cris  de  joye  6c  les  applaudif- 
femens. 

Pag.  158.1.  ip.  Chapas,  lif  de  Chappes. 

Pag.  142.1.38.  De  Rozehere , ///^  de  la  Razelierc. 

Pag.  145.1.  13.  De  Hertré  de  Loré.  Mettez  une  virgule  entre 
ces  deux  noms  3  ce  font  ceux  de  deux  perfonnes. 


^p2  RESTITUTIONS, 

Pag.  i4<^.  I.  3^.  Chamlivaut,  lif.  Champlivault. 
Pag.  147.1.  3.  Brie,  lif  Bray,  &  ailleurs. 

Ibid.  Attaches,  lif,  attachées. 
Pag.  1^4.  l.  12.  Flavancourt,  If  Flavacourt. 

1.  derii.  Jufqu  à  la  fuperftition ,  ajout,  qualité  dont  il 
étoit  redevable  aux  moines ,  parmi  lefquels  il  avoir  été  éle- 
vé ,  &  qu'il  aimoit  paflionnément.  Du  refte  libéral ,  volup- 
tueux ,  fainéant ,  perdu  de  débauches ,  &  ce  qu'il  y  avoir 
encore  de  pire,  crédule  jufqu'à  l'excès  &c.  AdSS,  Rcg.j& 
Samm.  Put.  &  Kig. 
pag.  iJJ.l.  13.  Ce  vieillard  ,  ajout,  furieux.  MSS.  Reg.  .& 
Samm.  Put.  &  Rig. 

■   i.  23.  Qui  que.  If  quoi  que. 
i.  27.  Sur  lui ,  If  fur  ce  vieillard  infenfé.  MSS.  Reg» 
.'é^  Samm.  Put,  &  Rig. 

L IFRE   £ UJ TR E-VING T-D IX-NEUFIFJME, 

Pag.  i6j.\.  15'.  Frère  de  Chaftillon,  ajout.  On  crut  dans  la 
fuite  qu'il  s'étoit  lailTé  prendre  à  delfein  ;  car  les  Parifiens , 
malgré  la  haine  qu'ils  avoient  autrefois  pour  l'Amiral  Gaf- 
pard  de  Coligni  fon  père  ,  le  comblèrent  de  carefles  & 
il'ixonneurs.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

1.22.  Leur  père,  ajout.  &  l'attacher  la  tête  en  bas 
au  gibet  de  Montfaucon,après  <$cc.  MS.  Samm. 

1.  34.  A  fept  lieues,  lif  à  dix  lieues.  AIS.  Samm. 

Pag.  178.  ip.  Sur  la  ville ,  parlèrent,  lif  fur  la  ville,  ils  parlè- 
rent. 

Pag.  181.  i.  ip.  De  ce  Prince,  ajout,  qui  tomboit  du  mal  ca- 
duc. MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  15)8. 1.  20.  Crecy  ,  lif  Crefcy. 

Pag.  200.1.  dern.  D'Efcony,  lif  d'Efcouy. 

Pag.  220.  L  37.  Chaburdes ,  lif  Chaburd. 

pag.  223.1.  dern.  Rochegiron,  not.  C'eft  peut-être,  Pujgîron. 
Put. 

Pag.  22(5. 1.  28.  D'Armanfe ,  ou  d'Hermance. 

Pag.  :338.l.  y.  D'occampQ,  ou  de  l'Ocampo, 

LIVRV. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  &c.  yp  j 

■mi  <  ■   I  r  ■■  ■  i  I  ■    ■!        I 

L  I  F  R  E     C  E  N  T  I  E'  M  E. 

Pag.  240.1. 4.  Leur,  /if.  lui. 

Pag.  241.1.  13.  Jean  de  Fernel.  Meteren  le  nomme ,  de  Fernez. 
Pag.  243.1.  3.  Capitaine  dans  le  régiment,  lif.  Sergent  de  la 
Compagnie. 

1.  1 7.  Son  régiment  pour  le  donner ,  lif.  fa  Compa- 
gnie pour  la  donner, 

1.  3  5'.  Fort  de  Norden ,  lif.  fort  de  Noordam. 
Pag.  24^.1.  33.  Fort  d'Immetille  ,  lif.  fort  d'Immetiel. 
Pag.  24(^.1.  33.  Du  Wefel,  lif.  de  Wefel. 
Pag.  247. 1.  6.  La  Campigne ,  ou  le  Kempenlandt. 

1.  3f.  Butinghe.  Alcteren  F  appelle  Benting. 
Pag.  245?.  1.  5:.  de  Bont.  Alcteren  t  appelle  de  Bout. 

Ibid.  Leynfel,  lif  Le  y  ni  en. 
Pag.  25:0. 1.  6.  Leur  répondirent,  ajout,  le  23.  de  Septembre, 
Pag.  254. 1.  2(5.  Toujours,  lif.  prelque  toujours. 
Pag.  255. 1.  15.  La  Briele  ,  ou  la  Brille. 

1.  34.  Or  une  verge  ,  not.  Le  calcul  qui  fuit  ejî  de 
Ivl.  Dupuy.  On  lit  feulement  dans  le  texte  de  Pédition  de  Lon- 
dres  '■>  Or  le  pied  étant  évalué  à  cinq  florins ,  il  s'enfuit  que 
toutes  ces  levées  ont  dû  coûter  autrefois  cinq  cens  foixante 
mille  livres  de  gros  de  Flandres,  c'eft-à-dire  trois  millions 
trois  cens  foixante  mille  florins. 
Pag.  25*7. 1.  17.  Narva,o;/  Nerva,  &  ailleuif-s. 
Pag.  25*5?.  1.  2j?.  Paul  Duchanscki ,  Itf  Uchanszki. 

1.30.  Belzet,  lif  Belz,  &  ailleurs. 
Pag.  26'3. 1.  12.  Enfuite ,  lif  dans  la  fuite.  Ce  ne  fut  que  Pannéâ 
fuivante. 

1.27.  Cette  Colonne,///?  cet  Obelifque. 
1.37.  Sainte  Marie  Majeure  ,  lif  iainte  Marie  du 
peuple. 
Pag.  2^4. 1.  10.  Il  fit  établir,  lif  réparer. 

Ibid.  Deux  colonnes ,  not.  Ce  font  la  colonne  Traja- 
ne ,  &  la  colonne  Antonine. 

1.  1 2.  En  Tranfylvanie  ,  ajout,  en  Valachic ,  &  eu 
Moldavie. 

1.  24.  Une  grande  maifon  dans  la  vigne  du  canton  ^ 
Tome  XL  Hhhhh 


794  RESTITUTIONS, 

lif.  un  palais  dans  la  vigne  Monralte  près  de  fainte  Marie 
Majeure. 

1.34.  Lorfqu'il  fe  faifoit  quelque  cérémonie,  lif, 
lorfqu'ii  tenoit  chapelle. 

1.  37.  Du  Settizonio,  ou  Septizone.  not.  C'ctoit  un 
ancien  édifice  bâti  par  l'Empereur  Severe. 

Pag.  2(^5.1.  I.  Rue  Julienne,  lif.  rue  Julie. 

1.  3^.  Qui  borne  d'un  côté  la  vigne  du  Pape,  lif 
qui  pafle  derrière  la  vigne  de  Montalte. 

Pag.  2^(?.  1.  8.  La  porte  Salara,  lif  Salaria. 

1.  14.  Dans  le  Palais  Papal,///?  Il  fit  bâtir  un  efca- 
lier  fpatieux  &  magnifique ,  pour  defcendre  du  Vatican  dans 
la  Chapelle  Grégorienne  fans  fortir  dehors. 

1.  1 6.  Il  plaça  &c.  lif  Dans  l'endroit  oii  Pie  IV.  avoit 
fait  confcruire  un  théâtre ,  pour  des  fpedacles  ,  dont  les  gra- 
dins étoient  de  marbre ,  il  fit  bâtir  une  grande  falle  où  il 
•  plac^ala  fameufe  bibliothèque  du  Vatican.  Cet  édifice  &c. 
1.  20.  Trois  cens  trcnte-fept,  ///?  trois  cens  dix-huir. 

Pag.  26'8.1.  18.  S.  Diegue,  lif  S.  Didace. 

Pag.  26c)A.  II.  Sortiroit  de  la  Chapelle ,  not.  Ce  font  les  pro- 
pres termes  de  M.  de  Thou.  Cependant  il  faut  lire  n'af- 
fîjlcroit  point  à  la  cérémonie.  En  effet  l'Ambafiadeur  d'Ef- 
pagne  ne  pouvoir  fortir  de  la  Chapelle  fans  y  être  aupa- 
ravant entré  ;  or  s'il  y  fut  entré  il  auroit  nécellairement  pris 
place  au-deifus  ou  au-deflbus  du  Marquis  de  Pifani  ,  ce 
qu'on  vouloir  éviter. 

Pag.  271.1.  18.  Conftantin ,  lif  Coflanzo. 

Pag.  273. 1.  2 1.  Fit  croire  à  ceux,  lif  aux  Efpagnols  qui  étoient 
déjà  fort  prévenus. 

Pag.  274. 1.  5".  Vives  querelles,  ajout.  Les  Efpagnols  ne  fe 
contentèrent  pas  de  décrier  la  conduite  de  ce  Pape ,  tan- 
dis qu'il  vivoit,  &  d'avoir  mis  en  oeuvre  les  proteftations 
les  plus  injurieufes  à  fon  autorité ,  pour  l'engager  à  envoyer 
des  fecours  aux  ligueurs  de  France ,  dans  la  viië  d'épuifer 
ces  tréfors,  qu'ils  appréhendoient  que  Sixte  n'employât  à 
leur  faire  la  guerre.  Ils  portèrent  contre  lui  leur  vengeance 
jufques  même  après  fa  mort;&  ils  n'oublièrent  rien  pour 
rendre  fa  mémoire  abominable  par  les  libelles  diffamatoi- 
res, qu'ils  répandnent  contre  lui  de  toutes  parts.  J'en  ai  vii 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  &c.  7^5» 

îiiol-même  quelques  exemplaires.  Sixte,  difent-ils  ,  qui  par 
îe  moyen  de  la  magie  étoit  depuis  longtems  en  commerce 
avec  le  dcmon  ,  avoir  fait  pad  avec  cet  ennemi  du  genre 
humain  de  fe  donner  à  lui  à  condition  qu'il  le  teroit  Pape , 
&  qu'il  lui  donneroit  (ix  ans  de  règne.  En  effet ,  Sixte  fut 
élevé  fur  la  Chaire  de  S.  Pierre ,  &  pendant  cinq  années 
qu'il  gouverna  dans  Rome  ,  il  fignala  fon  Pontificat  par 
des  adions,  qui  furpallent  la  foible  portée  de  l'efprit  hu- 
main. Enfin  au  bout  de  ce  terme  ce  Pape  tomba  malade  ; 
&  dans  cet  état  le  démon  s'étant  apparu  à  lui  pour  le  fommer 
de  fa  parole ,  Sixte  s'emporta  fort  contre  la  mauvaife  foi  de 
l'Ambafladeur  d'enfer,  lui  reprochant  que  le  terme  dont 
ils  étoient  convenus  n'étoit  pas  échu  ,  &  qu'il  s'en  man- 
quoit  encore  un  an.  Mais  le  démon  le  fit  fouvenir  qu'au 
commencement  de  fon  Pontificat  ayant  condamné  un  jeu- 
ne homme  contre  les  Loix,  parce  qu'il  avoir  lui  an  de 
moins  qu'il  ne  falloit  pour  pouvoir  être  fait  mourir ,  il  l'a- 
voir cependant  fait  exécuter ,  en  difant  qu'il  lui  en  donnoit 
un  dçs  iîens5  que  cette  année  jointe  aux  cinq  autres  qu'il 
avoit  régné,  faifoient  les  fix  ans  complets  qu'il  lui  avoir 
promis ,  ôc  que  par  conféquent  il  avoit  tort  de  fe  plaindre , 
qu'il  vînt  le  fommer  de  fa  parole  avant  le  terme.  Sur  quoi 
Sixte  confus,  &  qui  n'avoit  rien  à  répondre ,  demeura  muet, 
&  s'étant  tourné  vers  la  ruelle  de  fon  ht ,  fe  prépara  à  la 
mort  au  milieu  des  agitations  terribles  que  lui  caufoient 
les  remors  de  fa  confcicnce.  Au  refte  ,  je  ne  donne  ce  trait 
que  comme  un  bruit  répandu  par  les  Efpagnols  ;  &  je  fe- 
rois  très- fiché  d'en  garantir  la  vérité.  Après  la  mort  «5cc. 
MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  274. 1.  24,  Légat  ordinaire ,  lif.  Nonce  extraordinaire. 
1.  3  6.  Ce  chemin  ,  lif.  cet  ouvrage. 

Pag.  275".  1.  10.  Qu'une  chofe ,  lif.  qu'il  étoit  furpris  qu'une 
chofe  fi  légère  fût  d'un  fi  grand  poids  pour  un  homme. 

Pag.  282. 1.  38.  D'y  venir, ^^'o«f.  &  qui  avoit  prétexté  une  ma- 
ladie ,  pour  fe  tenir  éloigné  de  la  Cour.  Sur  la  nouvelle  (^c. 
MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  283.  l.  23.  Importante,  lif.  Ç\  importante. 

Pag.  288.1.  II.  La  Pouille ,  lif.  la  Marche. 
1.25.  Montacuti,  lif  Montauti. 

Hhhhh  ij 


75?^  RESTITUTIONS, 

Pag.  25?o.I.  2  1.  Attaqua,  ajoitt.  à  Belmonte. 

Pag.  2<? 1. 1.  31.  Son  parent,  lif.  fon  oncle.  A4S.  Samm. 

Pag.  2^7. 1.  15?.  Ferhat  Grand  Vizir,  lif.  le  Bâcha  Ferhat. 

Pag.  300.1.  I.  Sanloique ,  lif.  Salonique. 

Pag.  503. 1.  13.  Wratiilaw  ,  lif.  Breflaw  ,  &  ailleurs. 

1.  30.  Qu'il  étoit  informé,  lif  qu'il  ne  pouvoit  lui 
cacher  que  par  les  intelligences  qu'il  avoit  à  la  Porte ,  & 
par  le  rapport  des  Ambalîàdeurs  des  autres  Princes  Chré- 
tiens, il  avoit  été  informé,  qu'un  des  plus  puiflans  motifs 
qui  euffent  engagé  les  Turcs  à  attaquer  la  Pologne  dans 
un  tems  où  ils  ne  cherchoient  qu'une  occafion  favorable 
de  prendre  les  armes ,  c'étoit  qu'on  leur  avoit  fait  enten- 
dre ,  que  la  divifion  regnoit  entre  les  Grands  du  Royau- 
me, que  les  Polonois  avoient  encore  tout  à  craindre  du 
côté  de  l'Allemagne  &  de  la  Mofcovie,  &  qu'ils  n'étoient 
pas  en  état  d'entretenir  longtems  des  troupes  étrangères 
à  leur  fervice.  L'aOemblée ,  &:c. 
Pag.  304. 1.  37.  Sigifmond ,  Augufte  ,  /{/T  Sigifmond  Augufle.. 
Pag.  306".  1.  12.  Il  ajouta,  ajout,  qu'il  leur  faifoit  donc  défenfe 
de  tenir  une  féconde  ailemblée  ;  que  cependant  comme  il 
avoit ,  &c. 
Pag.  307.1.3.  De  l'Eté,  ajout,  dans  Nerva  &  dans  les  envi- 
rons. 
Pag.  50p.  1.  26.  Le  vingt-un  de  Juin,  lif  le  vingt -deux  de 

Mai. 
Pag.  3 1 1. 1.  20,  Ranucci ,  Hf  Ranuce. 

1.  23.  Charle  de  Mansfeld.  Aîeteren  le  nomme  Oda- 
vio. 
Pag.  3  12. 1.  20.  Glimes.  MeterenT appelle  le  Seigneur  de  Gleyn. 
1.2  1.  Le  Prince. d'Orange,  lif  le  Prince  Maurice, 
&  ailleurs. 
Pag.  313.1.  I.  D'un  côté ,  lif  d'un  autre  côté. 
Pag.  3  14. 1.  7.  Palentin ,  lif.  Salentin.  ^ 

1.  3  6.  N'étoit  pas  fans  fondement ,  lif  ne  fut  pas  inu- 
tile. 
Pag.  3  18.1.  8.  De  fes  illuftres,  lif  de  fes  auguftes. 
1.  28.  Leyden,  lif  Leyde. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  &c.  7^7 


LITRE     CENT-UNIEME. 

Pag.  524. 1.  7.  Le  Chancelier  Williams  Cecill ,  lif.  le  Chance- 
lier Williams ,  pour  Cecill. 

1.  5).  Ces  deux ,  lif.  ces  trois. 

Pag.  325'.  1.  12.  Du  Frefne,  lif.  fieur  de  Frefne. 

1.  16,  Des  Princes  Lorains ,  ajout,  gens  ambitieux; 
AÎSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

1.  18.  Des  JéfuitCo,  ajout,  leurs  émiiTaires.  MSS.  Regl 
Tut.  &  Rig. 

Pag.  333.1.  I  y.  Le  dix  Juillet, ///7  dans  le  dix  Juillet. 

Pag.  334. 1.  dern.  De  Miine  ,  lif.  Meiilen. 

Pag.  33  5'.1.  22.  Général  d'armée  ,  ajout.  &  comme  il  étoit  ja- 
loux de  fa  réputation,  c'étoit,  difoit-il,le  principal  motif 
qui  Tengageoit  de  palVer  en  France.  IvlSS.  Reg.  &  Samm, 
Put.  &  Rig. 

Pag.  .3  3  5. 1.  1 2.  Le  douze  Août ,  lif.  le  vingt-unième  d'Août. 

Pag.  3  3  7.  i.  dern.  Jeune  Seigneur  ardent,  lif  homme  d'un 
caradere  féroce,  &  qui  bravoit  tous  les  dangers,  s'offrit. 

Pag.  338. 1.  34.  L'épée  fleurdelifée  ,  //yCl'épée  Royale. 

Pag.  3  3p.l.  i<5.  Se  réjouirent ^  ajout,  au  contraire. 

Pag.  541.1.  II.  De  Baujeu  de  Jauges,  If.  de  Beaujeu  fieur 
de  Jauges. 

1.  12.  De  Marins  de  Forcez,  lif.  de  Marins  &  de 
Forcez. 

Pag.  342. 1.  r.  Où  la  galiotte  les  attendoit,  lif  où  on  iroit  les 
prendre  dans  une  barque. 

1.  6.  Deux  cens  chevaux ,  lif  deux  cens  arquebii* 
fiers. 

Pag.  345".  1.  I.  Le  vingt-un  Mai ,  lif.  le  douze  de  Ma)v 

Pag.  34^.  1.  I.  Cent  Gendarmes ,  Tf.  cent  Lances. 

Pag.  348. 1.  23.  Qui  joignoit ,  lif  qui  joignoit  à  l'efprit  impé- 
rieux d'un  pédagogue  ,  qui  ne  pou  voit  plus  lui  ctre  d'ufage, 
toute  la  fouplefle  d'un  Courtifan  5  &  David  &c. 

1.  28.  Ce  jeune  homme,  ajout,  fils  d'un  petit  Minif? 
tre  Proteftant  avoit  un  tour  &c.  AISS.  Reg.  Rut.  &  Rfg. 

i.  31.  Son  élévation ,  ajout.  Du  rcfte  il  avoit  beau- 


7PÏÏ  RESTITUTIONS, 

coup  de  prefence  d'efprit ,  &  parloit  fans  comparaifon  beau- 
coup mieux  qu'il  n'écrivoir.  Comme  après  la  mort  du  Roi 
Henri  III.  il  fe  trouvoit  prefque  fans  relîburce ,  il  chercha 
à  fe  tirer  de  la  mifere.  Dans  cette  vue  il  s'appliqua  à  ga- 
gner l'amitic  de  Touchard ,  qui  le  fit  entrer  dans  la  mai- 
fon  du  Cardinal  de  Bourbon  ;  &  comme  il  ctoit  naturelle- 
ment flateur,  carelfant ,  railleur,  qu'il  excelloit  furtout  en 
effronterie,  talent  fi  utile  à  la  Cour,  il  ne  lui  fut  pas  dif- 
ficile de  s'infinuer  dans  les  bonnes  grâces  du  Prélat  difpofé 
à  donner  fa  confiance  au  premier  qui  s'olfriroit  pour  s'en 
emparer.  En  effet ,  le  Cardinal  de  Bourbon  étoit  naturelle- 
ment indolent.  Uniquement  occupé  des  plaifirs  que  le  pre- 
fent  lui  offroit,  &  peu  en  peine  de  l'avenir,  crédule  juf- 
qu'à  l'excès,  aifé  à  prévenir  par  de  faux  rapports  &  par  les 
bruits  les  plus  mal  fondés ,  il  étoit  en  tout  le  refte  d'une 
înconftance  extrême ,  d'une  bigoterie  qui  alloit  jufqu'à  la 
fuperftition ,  portant  la  dévotion  jufqu'à  la  momerie,  à  l'e- 
xemple du  feu  Cardinal  de  Bourbon ,  fon  oncle ,  auquel  il 
ctoit  d'ailleurs  fort  inférieur  par  une  avarice  fordide  qui  le 
deshonoroit  ;  mais  il  fe  piquoit  d'aimer  les  lettres ,  &  on 

'  peut  dire  que  e'étoit-là  le  feul  endroit  par  où  il  fembloit 
en  quelque  forte  foutenir  fa  dignité.  Du  rell:e  il  n'avoir  ni 
la  gravité ,  ni  la  conduite  que  fon  rang  exigeoit  de  lui  5  ce- 
pendant il  avoir  encore  la  vanité  de  vouloir  paroître  appli- 
qué aux  affaires.  Avec  de  telles  difpofitions  il  ne  lui  fut 
pas  difficile  de  s'accommoder  d'un  homme  du  caradere 
de  du  Perron.  Il  fe  brouilla  avec  tous  fes  autres  amis ,  qui 
lui  confeilloient  pour  fes  propres  intérêts  &  pour  ceux  de 
l'Etat ,  de  vivre  en  bonne  inteUigence  avec  le  Roi ,  & 
d'obéir  à  ce  Prince ,  &  jettalesfondemens  ôcc.  MSS.  Reg. 
Put,  &  Rig, 

Pag.  3  5" 0.1.  5).  De  pofterité,  ajout.  Que  fon  droit  à  la  Cou- 
ronne ne  pouvoit  pas  non  plus  lui  être  contefté  par  ce  jeune 
enfant,  que  les  Proteftans  difoient  fauffement  être  fils  du 
Prince  de  Condé  fon  frère ,  puifqu'il  y  avoir  tout  lieu  de 
douter  de  fon  état.  Que  fi  &c.  MSS.  Reg.  Put.  &  Rig, 

Pag.  351.1.  I.  Magdeleine  d'Angoulême ,  /if.  Diane, 

Pag.  552.1.  13.  D'Andoini,  lif.  d'Andoins. 

Pag.  5  5 5. 1.  23 .  En  liberté  ,  h/l  à  couvert. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s  ,  &c.  7pp 

Pag.  5  5'<^.  1.  24.  Un  peu  ,  lif.  beaucoup. 

Pag.  5^0.1.  10.  A  fouhaiter,  ajout,  finon. 

Pag.  361.1.  28.  De  Moy,  lif.  àç.  Mouy. 

Pag.  353.1.28.  Bienveillance,  ajout.  On  Tavoit  averti  qu'il 
fe  laifleroit  aifément  gagner  par  les  promefles  :  il  lui  en  fit, 
ôc  par  ce  moyen  il  n'eut  pas  beaucoup  de  peine  &:c.  AISS. 
Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  564..  1.  13.  Gaëtano^  lif.  Cajetan,  &  ailkurs. 

Pag.  367. 1. 5*.  Sur  d'autres  fujets ,  lif.  tout  contraires. 

Pag.  370. 1.  1 8.  L'auteur ,  ajout.  Dans  le  fond  il  étoit  Flamand 
natif  du  Brabant ,  &  Religieux  du  célèbre  Monaftere  de 
Gemblours ,  ou  Giblou ,  à  deux  milles  de  Namur.  Il  écri- 
vit d'abord  contre  Grégoire  VII.  dans  le  différend  qu'eut 
ce  Pape  avec  l'Empereur  Henri  IV.  Il  compofa  auffi  des 
Annales  hiftoriques ,  qui  commencent  à  la  mort  de  l'Em- 
pereur  Valens ,  &  qu'il  continua  jufqu'à  fon  tems ,  c'eft^ 
à-dire  juiqu'à  l'an  1 1 10.  Les  Liégois  fuivoient  le  parti  de 
leur  Evêque,  qui  dans  ce  différend  avoir  embraffé  lui-même 
celui  de  l'Empereur  ,  dont  il  étoit  vaffal.  Or  dans  cette 
lettre  ,  dont  je  viens  de  parler,  ils  prétendoient  que  Rome 
ctoit  une  véritable  Babylone,  foutcnant  que  dans  les  cir- 
conftances,  on  pouvoit  lui  donner  ce  nom  à  bien  plus  julle 
titre ,  que  ne  l'avoit  fait  autrefois  l'Apôtre  S.  Pierre ,  à  caufc 
diQS  abus  monftrueux,  qui  depuis  ce  tems -là  s'étoient  in- 
troduits dans  l'Eglife.  Ils  ajoutoicnt,  que  dans  l'Evangile  on 
ne  trouve  que  deux  efpeces  de  glaives  ,  dont  l'exercice 
pLiiffe  appartenir  au  Pape  en  qualité  d'Ange  du  Seigneur 
qu'il  reprefente  ;  le  glaive  fpirituel,  dont  J.  C.  a  parlé,  lors- 
qu'il a  dit  qu'il  n'étoit  pas  venu  apporter  la  paix,  mais  le  glai- 
ve 5  &  le  glaive  du  martyre  ,  qui  par  la  mort  au  peclié  cou- 
ronne la  conftance  des  glorieux  Confeffeurs  de  la  foi  ■■>  Qu'à 
l'égard  de  la  troificme  eïpece  de  glaive,  elle  convient  uni- 
quement au  Magidrat  féculier  ■■>  &  que  par  conféquenr  ceux 
qui  font  aflis  fur  la  Chaire  de  S.  Pierre  ne  peuvent,  fans 
abufer  d'une  manière  indigne  de  l'autorité  &  de  la  dignité 
Apollolique  ,  oublier  le  caradere  d'Apôtres,  dont  ils  font 
revêtus,  &  mettre  le  glaive  à  la  main  des  puiffances  de  la 
terre  pour  faire  la  guerre  aux  fidèles ,  Que  la  prière  &  les 
larmes  étoient  les  feules  armes  du  Sacerdoce  '■>  6c  que  lorfquc 


'Soa  -RESTITUTIONS, 

quelqu'un  ofoit  fe  montrer  réfradaire  aux  ordres  de  l'Egli' 
le ,  il  fufïifoit  qu'il  fut  regardé  par-tout  le  refte  des  mem- 
bres qui  la  compofent ,  comme  un  Payen  &  un  Publicain  ; 
<2ue  félon  tous  les  anciens  Pères  ce  châtiment  étoit  beau- 
.  coup  plus  terrible ,  qui  Fi  on  faifoit  mourir  le  coupable  par 
le  glaive,  qu'on  le  livrât  aux  flammes,  ou  qu'il  fut  expofé  aux 
bêtes  pour  en  être  dévoré  ;  Qu'imbu  de  ces  fages  princi- 
pes ,  lorfque  fous  le  Pontificat  de  Grégoire  I.  im  certain 
Maxime  s'empara  par  force  du  Siège  de  Theflalonique,  on 
ne  vit  point  ce  S.  Pape  mettre  en  ufage  contre  cet  intrus 
d'autres  armes,  que  celles  qui  convenoient  à  fon  minille- 
re  5  que  pour  ne  pas  donner  occalion  à  un  fchifme ,  il  ne 
facra  point  Honorât ,  à  qui  lui-même  avoit  deftiné  cet  Eve- 
ché;  Ôc  que  content  d'ufer  contre  le  rebelle  des  Cenfures 
Ecclélîa(liques ,  il  l'avoit  enfin  engagé  par  cette  conduite 
à  rentrer  dans  le  devoir ,  Que  Pafchal  au  contraire  s'étoit 
comporté  d'une  manière  toute  différence  ;  Qu'on  l'avoit 
vu  exciter  lui-même  Robert  Comte  de  Flandres  à  prendre 
les  armes  contre  ceux  de  Cambray ,  ôc  mettre  deux  Evêques 
aux  mains  tians  la  même  ville. 

Les  Liégeois  confirmoient  ce  qu'ils  venoient  d'avancer 
|)ar  l'exemple  de  PrifcilUen ,  condamné  par  le  Pape  Dama- 
fe ,  &  exécuté  à  mort  contre  l'avis  &  malgré  le  fentiment 
contraire  de  S.  Martin  &  des  autres  Evêques  Orthodoxes. 
Ils  montroient  enfuite  ,  qu'étant  les  membres  du  même 
corps,  ayant  été  régénérés  dans  le  fein  de  la  même  Eglife, 
faifant  tous  également  profeiïion  de  la  même  foi  ,  qu'ils 
tenoient  de  J.  C.  on  avoit  tort  de  les  traiter  d'une  manière 
û  criante ,  tandis  qu'on  ne  pouvoit  leur  reprocher  d'autre 
crime  que  d'être  foumis  aux  puiflances  établies  de  Dieu 
pour  leur  commander ,  &  de  garder  à  l'Empereur  &  à  leur 
Evêque  la  fidélité  qui  leur  étoit  due  5  Qu'en  effet  c'étoit 
de  S.  Paul  lui-même  qu'ils  avoient  appris,  que  toute  ame 
fans  exception  doit  être  foumife  aux  puilTances  fupérieures, 
&  que  qui  que  ce  foit  n€  peut  fe  foufl:raire  à  l'obeiffancedûë 
au  Magiftrat  légitime  ;  Que  cependant  pour  anéantir  la  force 
de  ce  précepte  de  l'Apôtre ,  on  voyoit  aujourd'hui  de  nou- 
veaux Dodeurs  introduire  une  dodrine  jufqu'alors  inouïe, 
(ans  craindre  le  même  reproche ,  que  le  Sauveur  fait  aux 

rharifiej:î5 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  (Sec.  8or 

Pharifiens  dans  S.  Matthieu ,  fans  appréiHender  qii'oa  leur 
dife  ,  comme  à  ces  hypocrites ,  {a)  Pourquoi  pourfuivre  vos 
traditions ,  îranjgrejfez  -  vous  le  commandement  du  Seigneur 
Dieu  /  Qu'ils  ne  voyoient  donc  pas  pourquoi,  ni  comment, 
ou  par  qui  ils  avoient  pu  être  ieparés  de  la  communion  des 
fidcles  5  Que  ce  n'étoit,  ni  par  aucun  Evêque ,  ni  par  un 
Archevêque  5  Que  ce  ne  pouvoir  pas  non  plus  être  par  le 
Pape  f  puifqu'il  n'étoit  pas  pofllble  qu'il  ignorât  cette  parole 
de  Nicodéme ,  qui  fe  trouve  dans  l'Evangile  de  S.  Jean  ,{b) 
Notre  Loi  condamne-f  elle perfonne fans  T avoir  entendujé^  avant 
qiion  ait  informé  contre  /^//Qu'ainfî  Dieu  n'avoir  voulu  pro- 
noncer la  condamnation  de  Sodome,  qu'après  avoir  été  lui- 
même  témoin  de  fes  défordres  5  Qu'à  la  vérité  en  parcou- 
rant la  terre ,  l'homme  ennemi  avoir  femé  Tyvroie  parmi 
le  bon  grain  ;  qu'il  avoir  mis  la  divifion  entre  l'Empire  Ôc 
l'Eglife ,  entre  le  Trône  &  le  Sacerdoce ,  mais  qu'il  falloit 
attendre  le  tems  de  la  moiflbn  5  qu'alors  les  Anges  envoyés 
du  Seigneur  fçauroient  bien  féparer  l'yvroie  &  la  mettre 
en  gerbes,  pour  êore  enfuite  jettée  au  feu.  "  Et  que  peut- 
»  on ,  ajoutoient-ils ,  reprocher  à  notre  Evêque  ?  Il  fuit,  dit- 
»  on ,  le  parti  de  fon  Prince  5  mais  n'a-t'il  pas  juré  de  lui 
3»  être  fidèle ,  &  y  a-t'il  un  plus  grand  crime  que  le  parjure  ? 
»  Dieu  feul  exemt  de  changement ,  ne  craint  point  de  fe 
»  parjurer.  Mais  l'inconftance  eft  le  partage  de  l'homme  ;  & 
»  c'eft  pour  cela  qu'il  lui  eft  défendu  d'engager  fa  parole , 
DO  s'il  ne  veut  en  même-tems  s'engager  devant  Dieu  à  être 
»  fidèle  à  fon  ferment  ?  Perfuadés  de  ces  vérités ,  qu'ont  donc 
»  fait  les  auteurs  du  fchifme  malheureux ,  qui  défoie  aujour- 
»  d'hui  l'Empire  &  l'Eglife .?  Ils  ont,  fans  aucun  fondement, 
39  habilement  imaginé  un  moyen  merveilleux  pour  fomen- 
»  ter  cette  funefte  divifion.  Ils  ont  abfous  les  fujets  du  fer- 
»  ment  de  fidélité  qu'ils  avoient  fait  à  leur  Prince.  Mais 
»  ont-ils  oublié  la  terrible  fentence  prononcée  par  la  bou- 
3j  che  d'Ezéchiel  de  la  part  de  Dieu  même  contre  le  Roi 
»  Sedecias  ,  qui  s'étoit  révolté  contre  Nabuchodonofor , 
j>  qu'il  mourroit  pour  avoir  violé  fon  ferment  ?  S.  Jérôme 

(z.)  §l!care  'vos  tran/gredimini  mandutum  Dei  propter  traditionem  'vefiram. 
jM,ittli.  15. 

(b)  Kunajuià  lex  nojlra  judicdt  homintm ^  nijî  prius  audkrit  ab  ipfo  &  cogno- 
*u,rit  mid  faciat  ?  Joan.   ?# 

Tome  XL  liiii 


?02  RESTITUTIONS, 

•  X  ne  prend-il  pas  occafion  de  là  de  nous  avertir ,  qu'il  n'eft 

•  »  jamais  permis  de  manquer  de  parole,  même  à  un  ennemi  y 
»  qu'on  doit  moins  regarder  qui  eft  celui  à  qui  l'on  promet , 
»  que  celui  qu'on  a  pris  pour  garant  de  la  prcmefle  qu'on  a 
^  faite  5  ôc  que  de  deux  hommes ,  dont  l'un  fe  laiile  tromper 
»  fur  la  foi  d'un  ferment  qu'il  révère  ,  tandis  que  l'autre 
3»  abufe  du  nom  de  Dieu  pour  faire  tomber  un  ennemi  dans 
»  le  picgCj  le  premier  eft  fans  contredit  le  moins  à  plain- 
:"  dre ,  d'autant  plus  que  le  ferment  du  dernier  lui  a  fait 
»  un  ami  de  celui  qu'il  pouvoir  regarder  auparavant  corn- 
»  me  un  adverfaire  ?  Perfonne  n'ignore  ce  que  le  Décalo- 
»  gue  nous  commande  au  fujet  du  ferment  ;  &  qui  doute , 
»  que  quiconque  ne  rend  pas  à  fon  Prince  l'obéïfTance  qui 
»  lui  eft  dûë  ,  quiconque  eft  aflez  impie  pour  abufer  du 
30  nom  de  Dieu  qu'il  a  pris  à  témoin  de  fes  promeifes ,  & 
30  pour  refufer  à  fon  fouverain  rkommage  que  S.  Pierre 
30  ordonne  de  lui  rendre ,  ne  pèche  grièvement  contre  ce 
30  précepte ,  &  ne  foit  dans  le  chemin  de  la  réprobation  ? 

Ils  concluoient  de  là,  qu'il  étoit  donc  inutile  de  cher- 
cher à  les  intimider  par  la  crainte  des  excommunications 
lancées  par  Hildebrand ,  par  Odon  qui  avoit  pris  le  nom 
d'Urbain  II.  &  par  Pafchal  5  Qu'au  lieu  de  fe  laifler 
épouvanter  par  ces  vaines  menaces,  ils  s'en  tenoient  à  la 
dodrine  des  SS.  Pères ,  pour  laquelle  ils  auroient  toujours 
un  vrai  refpeâ:  5  Que  c'étoit  d'eux  qu'ils  av oient  appris, 
que  le  gouvernement  de  l'Eglife  ne  reflembloit  point  à 
celui  des  puiflances  de  la  terre ,  mais  à  celui  d'un  troupeau 
fidèle  >  Que  c'étoit  par  ce  principe  qu'on  ne  les  avoit  ja- 
mais vu  reprendre  qu'avec  douceur  les  Princes  &  les  Ma- 
giftrats  féculiers,  lorfqu'ils  étoient  tombés  dans  les  fautes 
les  plus  griéves  ;  Que  fouvent  même  ils  avoient  jugé  plus  à 
propos  de  dillimuler  leurs  défordres ,  que  de  les  relever  ; 
Que  l'Evêque  de  Liège  communiquoit  avec  fon  Souve- 
rain ,  qu'il  ne  le  traitoit  point  en  excommunié ,  parce  que 
,  par  un  ufage  établi  depuis  plufieurs  fiécles  ,  &  obfervé  par 
tant  de  faints  Prélats  fes  prédecefteurs  ^  qui  avoient  con- 
ftamment  rendu  à  Cefar  ce  qui  appartient  à  Cefar  ,  &  à 
Dieu  ce  qui  appartient  à  Dieu ,  il  avoit  juré  à  fon  facre 
d'être  toujours  fidèle  à  ce  Prince  j  Qu'en  payant  k  tribut 


CORRECTIONS,  &c.  So^ 

^Cefar,  le  Sauveur  s'étoitfervi  d'une  pièce  de  monnoïe, 
-qui  portoit  empreinte  l'image  de  l'Empereur  ;  que  par  là 
il  avoir  voulu  nous  faire  entendre ,  qu'en  fe  foimiettant  à 
la  Loi  commune ,  il  ne  donnoit  rien  qui  lui  appartînt ,  qu'il 
ne  faifoit  que  rendre  à  Cefar  ce  qui  étoit  à  Cefar;  Qu'en 
effet  la  terre  eft  du  reffort  des  Rois  &  des  Princes  de  la 
terre  j  que  par  une  fage  difpofition  de  la  providence  ils 
font  la  fource  de  tous  les  biens  que  nous  poifedons  5  que 
tous  nos  droits  dérivent  de  leur  autorité  fouveraine  ;  Que 
par  conféquent  tout  Evêque  vaflal  de  quelque  Prince  fé- 
culier  que  ce  foit,  ne  peut  éviter  avec  trop  de  foin  de  tour- 
ner contre  fon  Prince  les  armes  qu'il  lui  a  mifes  à  la  main  ; 
c'eft-à-dire  qu'il  devroit  fe  regarder  comme  le  plus  déte- 
ftable  de  tous  les  hommes  ,  s'il  étoit  jamais  allez  ingrat 
pour  abufer  contre  fon  Souverain  des  bienfaits  qu'il  auroit 
reçus  de  fa  main  libérale  j  Qu'en  effet  à  examiner  fans 
prévention  la  dodrine  répandue  dans  tous  les  livres  Saints, 
on  trouveroit  évidemment  que  les  Rois  &  les  autres  Sou- 
verains ne  peuvent  abfolument  être  excommuniés,  ou  que 
fi  cela  eft  poftible ,  on  ne  doit  du  moins  en  venir-là  qu'à 
la  dernière  extrémité  5  Qu'il  eft  bien  permis  de  les  avertir, 
de  les  reprendre ,  d'ufer  même  envers  eux  de  quelques 
-corredions  falutaires,  pourvu  qu'elles  partent  de  gens  dont 
la  probité  &  la  piété  ne  foient  point  douteufes  5  mais  qu'on 
ne  peut  pafler  au-delà  ;  Que  rien  au  refte  n  eft  plus  fagc 
que  cette  difpofition  de  la  providence ,  puifque  Dieu  étant 
lô  Pvoi  des  Rois,  il  a  dû  fe  réferver  à  lui-même  &  au  fe- 
cret  ineffable  de  fes  jugemens,le  droit  de  prononcer  du 
fort  heureux  ou  malheureux  de  ceux  qu'il  a  lui-même  éta- 
blis pour  le  reprefcnter  fur  la  terre  5  Que  c'étoit  donc  à 
tort  que  Pafchal  traitoit  de  faux  Clercs  &  d'excommu- 
niés un  Clergé  toujours  obéiftant  à  fon  Evêque  &  à  fon 
Archevêque  ,  incapable  d'admettre  jamais  aucune  varia- 
tion en  matière  de  dodrine ,  &  conftamment  fournis  aux 
faints  décrets  des  Conciles  de  fa  Province ,  où  Ton  tenoit 
pour  première  maxime  de  ne  point  s'adrcfler  au  Pape  pour 
tout  ce  qui  y  avoit  été  une  fois  décidé  par  l'autorité  des 
Saintes  écritures  5  Qu'à  la  vérité  ils  n'avoient  aucune  dé- 
férence pour  fes  Légats ,  parce  qu'au  lieu  de  travailler  à 

liiii  ij 


8o4  RESTITUTIONS, 

la  reformation  des  mœurs  &  de  la  difcipline  ,  uniquement 
occupés  de  leur  intérêt  particulier ,  ils  ne  fembloient  pa- 
roître  dans  leurs  Provinces ,  que  pour  autorifer  les  meur- 
tres &  le  carnage  ,  les  brigandages  &  la  défokition  de  leurs 
Eglifes  5  qu'en  cela  ils  ne  faifoient  que  fuivre  l'exemple  des 
Conciles  d'Afrique ,  qui  refuferent  toujours  conftamment 
de  reconnoître  les  Légats  des  Papes  Zozimc,  Celeftin  & 
Boniface  ?  qu'ils  prioient  donc  Pafchal  de  rabattre  un 
peu  de  fa  fierté  &  de  (es  hauteurs ,  &  d'examiner  mûrement 
avec  fon  Confeil  par  quels  artifices  fes  prédecefleurs  de- 
puis Silveflre  jufqu'à  Hildebrand  étoient  parvenus  à  ce  haut 
point  de  puiflance  ,  où  l'on  voyoit  les  Souverains  Pontifes 
élevés  i  de  quels  crimes  jufqu'alors  inoùis  leur  ambition 
les  avoit  rendus  coupables ,  &  de  fe  rappeller  au  contrai- 
re avec  combien  de  zélé  &  de  modération  ces  mêmes 
Rois  ,  ces  mêmes  Empereurs  qu'ils  attaquoient ,  avoient 
arrêté  les  funefles  fuites  des  fchifmes  que  ces  Papes  avoient 
eux-mêmes  excités  dans  l'Eglife  5  Que  ce  parallèle  fuffifoit 
feul  pour  faire  connoître  combien  la  religion  avoit  tiré  plus 
d'avantage  de  la  piété  des  Princes  féculiers ,  que  des  vains 
foudres  d'Hildebrand  ,  d'Odon  ,  ôc  de  Palchal  ;  Qu'il 
ne  devoir  point  au  refte  trouver  mauvais  qu'on  lui  fît  la 
corredion  5  Que  S.  Paul  avoit  ofé  réfifler  en  face  à  S.  Pierre 
lui-même  ^  &  que  la  modération  Chrétienne  avec  laquelle 
ce  Prince  des  Apôtres  avoit  reçu  ces  avis  étoit  un  exem- 
ple ,  qu'il  avoit  voulu  donner  à  fes  fuccefletu-s  de  la  ma- 
nière dont  ils  dévoient  fe  comporter  en  pareilles  cii^on- 
fiances  ;  Que  de  leur  côté,  au  cas  qu'il  y  eût  quelque  chofe 
à  reprendre  dans  leur  conduite ,  ils  étoient  prêts  de  fe  cor- 
riger ,  «5c  difpofés  à  accepter  le  châtiment  de  leur  faute  dans 
leur  ame  &  dans  leurs  biens  j  Qu'au  refle  il  devoir  faire 
attention  que  comme  la  première  efpece  de  punition  étoit 
fans  contredit  du  reflbrt  de  celui ,  à  qui  Tufage  du  glaive 
fpirituel  a  été  confié  ,  de  même  l'autre  n'appartient  uni- 
quement qu'aux  puiflànces  féculieres  ;  Que  Hildebrand 
avoit  été  le  premier  Pape  qui  fe  fût  arrogé  ce  droit  5  Que 
d'abord  il  avoit  lancé  pubhquement  les  foudres  de  l'ex- 
communication contre  l'Empereur  Henri, &  avec  lui  contre 
tous  fes  fujets  3  Que  cependant  il  s'étoit  adouci  dan^  la 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  &c.  '^of 

fuite  ,  &  avoit  excepté  de  fes  cenfures  ceux  qui,  par  de- 
voir étoient  néceflairement  obligés  de  refter  attachés  à  ce 
Prince  j  Qu'au  lieu  de  fuivre  un  Ci  pernicieux  exemple , 
Pafchal  devoit  bien  plutôt  imiter  S.  Pierre  dont  il  fe  van- 
toit  d'occuper  la  place  5  Qu'il  devoit  fe  contenter  d'avoir 
coupé  l'oreille  à  Malchus  &  fonger  à  remettre  l'épée  dans 
le  foureau.  «En  effet,  difoient  -  ils ,  l'Empereur  e(l-il  plus 
»  coupable  que  Malchus  ?  Le  Pape  a  beau  le  traiter  de 
»  fauteur  d'hérétiques,  d'ennemi  de  Dieu,  d'ufurpateur  de 
»  l'Empire ,  d'Idolâtre  &  de  Simoniaqueul  a  beau  le  dé- 
X  clarer  excommunié  par  les  Princes  des  Apôtres  &  leurs 
^  fucceffeurs.  Fut -il  tout  cela  ,  feroit-ce  une  raifon  pour 
35  prendre  les  armes  contre  lui  ,  ôc  pour  vouloir  lui  ôter 
î5  l'Empire  ?  Prier,  pleurer,  conjurer  le  Tout-puiflant  de 
»  changer  fon  cœur,  ne  feroit-ce  pas- là  en  pareil  cas  le 
3>  devoir  de  tout  fidèle  ?  S.  Paul  ordonne  de  prier  publi- 
»  quement  pour  tous  les  Princes  5  cependant  de  fon  tems 
»  les  maîtres  de  la  terre  étoient -ils  Catholiques  ?  étoient- 
»  ils  même  Chrétiens  ?  Combien  de  fois  n'entendons-nous 
»  pas  dans  les  Prophètes  Dieu  ordonner  à  fon  peuple  de 
»  prier  pour  Nabuchodonofor  &  pour  Balthafar  fes  fervi- 
»  teurs  f  Rien  de  plus  défu-able  qu'un  Roi  vertueux  5  mais 
»  s'il  ne  l'efl  pas,  doit-on  le  rejetter  pour  cela  ?  Ne  doit-on 
»  pas  au  contraire  regarder  ce  partage  des  bons  &  des 
»  mauvais  Princes,  comme  un  effet  des  fecrets  impénétra- 
»  blés  de  la  providence  ,  qui  veut  ainfi  punir  ou  récom- 
30  penfer  les  nations  qu  elle  leur  a  foumifes  ?  «  De  là  ils 
concluoient  que  S.  Grégoire  avoit  eu  raifon  de  dire ,  que 
celui  qui  gémit  fous  le  gouvernement  d'un  mauvais  maître, 
ne  doit  point  attribuer  fa  peine  à  celui  qui  en  paroît  l'au- 
teur 5  que  s'il  fe  voit  fournis  à  une  domination  tyrannique , 
c'eft  uniquement  parce  qu'il  l'a  mérité  5  &  qu'il  doit  plu- 
tôt regarder  fon  malheur  comme  un  châtiment  de  fes  pro- 
pres fautes ,  que  comme  un  effet  de  l'injuflice  de  celui 
qui  le  gouverne,  puifqu'une  des  menaces  que  Dieu  fait  à 
fon  peuple,  c'eft  de  lui  donner  des  Rois  dans  fa  fureur.  Ils 
ajoutoient ,  que  nous  avions  donc  grand  tort  de  nous  plain- 
dre de  voir  au-delfus  de  nos  têtes  ceux  que  Dieu  nous  a 
deftinés  dans  fa  vengeance  pour  être  nos  maîtres  î  Qu'ea 


'So(?  RESTITUTIONS,' 

effet,  on  voyoit  foiivent  arriver  que  ceux  qu'on  avoit  le  plus 
fouhaité  d'avoir  pour  Princes,  revêtus  du  pouvoir  fouve- 
rain ,  ne  fe  rendoient  odieux  à  leurs  peuples  que  par  la 
faute  de  leurs  fujets;  Qu'on  en  avoit  un  exemple  remar- 
quable dans  Saùl  que  le  trône  changea  abfolument  5  que 
la  conduite  de  ceux  qui  gouvernent  eft  tellement  dépen- 
dante du  génie  de  ceux  qui  leur  font  foumis ,  que  malgré 
les  meilleures  intentions  du  Pafteur ,  il  participe  très-fou- 
vent  à  la  contagion  dont  le  troupeau  eft  infedé  •■>  Que  les 
vices  ôc  les  vertus  des  Rois  ont  une  liaifon  réciproque  avec 
la  conduite  bonne  ou  mauvaife  des  peuples,  qui  leur  obéif- 
fent  ;  Que  fouvent  il  ne  faut  qu'un  mauvais  maître  poui* 
communiquer  fon  iniquité  à  tous  les  peuples ,  qui  recon- 
noiflent  fon  pouvoir  j  &  que  fouvent  finiquité  des  fujets 
donne  au  monde  de  mauvais  Princes  •■>  Qu'il  n'appartient 
donc  point  aux  fujets  de  vouloir  juger  ceux  qui  ne  recon- 
ïioiffent  que  Dieu  pour  Juge. 

Les  Liégeois  finilfoient  leur  lettre ,  en  déclarant  qu'ils 
regardoient  l'excommunication  lancée  contre  l'Empereur 
.&  contre  eux,  non-feulement  comme  injufte,  mais  encore 
comme  abufive  &  paflant  les  pouvoirs  du  Pape ,  &  en  pro- 
teftant  qu'en  conféquence  ils  n'y  auroient  aucun  égard.  On 
réfolut  ôcc.  MSS.  Reg.  &  Samm. 

Pag.  370.1.  2p.  Lampini,  lif.  Lampineti- 

Pag.  372.1. p.  Le  25.  du  même  mois,  lif.  le  24.  de  Septem- 
bre. 

Pag.  385.1.  ï6.  De  Chauvigny ,  lif.  de  Chaumeray. 


L  I  F  R  E    CENT-DEUXIEME, 

Pag.  3pi.  l.  6".  Qui  s'étoit  jette ,  lif  qui  par  la  plus  noire  in- 
gratitude &  la  plus  infigne  de  toutes  les  perfidies  ,  s'étoit 
jette  &c.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Rut.  &  Rig. 

1.  7.  Parti ,  ajout.  Le  Marquis  étoit  un  jeune  homme 
perdu  de  réputation  pour  fon  avarice ,  fes  brigandages  & 
fes  cruautés.  Comme  il  pofledoit  de  grands  biens  en  Bre- 
tagne au-delà  de  la  Loire,  foit  du  côté  de  fa  mère,  foit 
de  la  libéralité  de  nos  Rois ,  pour  les  conferver  dans  ces 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s ,  ôcc.  807 

tems  douteux ,  où  il  étoit  encore  incertain  de  quel  côté 
tourneroit  la  vidoire  ,  &  s'aflurer  par  le  même  moyen  la 
pofleilion  de  ceux  qu'il  avoir  en  Normandie  &  aux  en- 
virons de  Paris  j  il  convint  avec  fon  père  &  fa  mère  de 
pafler  en  Bretagne ,  &  d'embrafler  le  parti  du  Duc  de  Mer- 
cœur.  Sa  mère  accoutumée  au  manège  &  aux  plaiiirs  de 
la  Cour  devoir  y  refter ,  ou  fe  retirer  du  moins  dans  quel- 
qu'une des  villes  qui  tenoient  pour  le  Roi.  Le  père  prit  le 
parti  de  s'exiler  lui-même  en  Tofcane ,  où  fous  le  faux  pré- 
texte d'une  feinte  maladie ,  &  par  une  épargne  fordide , 
-  il  refta  caché  dans  ime  Abbaye  voifme  de  Florence.  Saint 
Laurent ,  dont  l'habileté  &c.  ^6^^^.  Reg.  &  Samm.  Put.  & 

R'g- 

Pag.  301. 1.  3(^.  Bocherel,  lif,  Becherel. 

Pag.  592. 1.  1 1.  De  Tremblaye ,  iif.  de  la  Tremblaye  brave 
Officier,  qui  avoir  &c.  AÎSS.  Sa?vm. 

P^S-  5P4- 1-  4-  Guyon,  /if.  Gouyon, 

P^ô-  5P7-1-  33'  Sa  fille,  not.  C'étoit  la  petite  fille  de  fa  fem-i 
me.  Put. 

Pag.  400.1.  2  1.  De  Sarrouet ,  ^^*(?af .  de  Trefumeî. 

Pag.  4-0 1. 1.  3 5.  Gaulthier ,  not.  Lifés  de  Coniers.  Les  mémoi- 
res de  Montmartin  le  nomment ,  fieur  de  Coniers  Juge 
de  Laval ,  &  le  faut  ainfi  nommer.  Put. 

Pag.  402. 1.  3.  Chantoit  bien,  ajout.  &  il  avoit  pafle  avec  lui 
une  partie  de  la  nuit  précédente.  MS.  Reg.  Ce  procédé 
rendit  le  Duc  odieux.  Il  voulut  fe  juftifier,  &  y  travailla  inu- 
tilement. Enfin  après  bien  des  raifons,  qu'il  allégua  pour 
fe  difculper,  toutes  auiTi  mal  imaginées  les  unes  que  les 
autres ,  il  ne  trouva  point  de  meilleur  moyen  pour  excufer 
un  procédé  fi  brutal,  que  de  dire  ,  qu'il  ne  voyoit  pas  qu'on 
dut  lui  faire  un  procès  pour  avoir  facrifié  à  fa  jufte  ven- 
geance la  vie  d'un  homme  de  néant  ,  qui  d'ailleurs  étoit 
infeclé  du  poifon  de  l'heréfie  5  ajoutant,  que  s'il  étoit  vrai 
qu'on  eût  tué  fcs  gardes  ,  les  prifonniers  du  château  de 
Nantes  pouvoient  compter  d'avoir  le  même  fort  que  le 
Juge  de  Laval  II  vouloit  parler  de  quelques  Officiers  du 
parti  du  Roi,  qu'il  avoit  fait  enfermer  dans  les  cachots  de 
cette  place ,  où  on  les  traitoit  par  fon  ordre  de  la  manière 
la  plus  indigne.  C'étoient  le  Marquis  de  la  Roche  ,  qui 


8oS  RESTITUTIONS, 

avoit  été  fait  prifonnier  en  trahifon  au  commencement  de 
cette  guerre,  la  Tremblaye,  &  de  Launoy  Confeiller  au 
Parlement.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

Pag.  405".  1.  8.  Emmanuel  de  Savoye^  wor.  I^ïÏqz  Emmanuel 
Philibert  des  Prez.  Honoré  de  Savoye  Marquis  de  Villars 
Maréchal  de  France ,  mourut  l'an  1 580.  fans  enfans  mâles, 
ne  laiflant  qu'une  fille  unique  ,  Henriette  de  Savoye  Mar^ 
quife  de  Villars,  qui  de  fon  premier  mari  Melchior  des 
Prez  fîeur  de  Montpezat,  eut  Emmanuel  Philibert  des  Prez 
Marquis  de  Villars  ,  &  Henri  (  nommé  à  l'Evéché  de  Mon- 
tauban ,  qu'il  quitta  )  Marquis  de  Montpezat.  /^.  l'hijî,  Ge^ 
neal.  de  France  par  le  P.  Anfelme ,  -p.  6^1.  C. 
1.  15'.  De  Cahors,  lif.  du  Quercy. 
1.  18.  De  Limoges,  lif.  du  Limoufin. 

Pag.  41 1. 1.  ip.  De  Blacons ,  not.  Il  porte  tous  ces  noms  à  cau-i 
fe  de  diverfes  fubftitutions.  Put. 

Pag. 412. 1.  33.  Alphonfe  Roho,c^«  Alphonfe  Aif-Roho. 

Pag.  415.1.  28.  de  Charra,  ou  de  Charre. 

Pag.  427.1.  ip.  Angaraino,  lif.  Angarano. 

'Pag.  455).  1.  2p.  Martin ,  l'Anglois ,  ///7  Martin  l'Anglois.  Cejî 
une  feule  perfonne. 

Pag.  440. 1.  26^.  Du  Parlement ,  <3/W.  &  facrifiant  tout  à  ime 
avarice  fordide ,  il  n'eut  pas  ôcc.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put. 
&  Rig. 

Pag.  441.1.  15.  Gouldin,  lif  Gourlin. 

1.23.  On  joignit,  ajout.  Chriftophle  Sanguin  Cha- 
noine de  Notre-Dame ,  Jean  Hamilton  &c.  MSS,  Reg.  ^^ 
Samm.  Put.  &  Rig, 

Pag.  44(5. 1.  6.  Le  Dodeur  Martin  ,  ajout,  par  Sanguin,  par 
Genebrard  &c.  MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  .&  Rig. 

Pag.  447. 1.  26.  Afin  qu'on  ôtât,  lif.  par  laquelle  ,  en  avouant 
qu'il  étoit  un  de  ceux  qui  s'étoient  trouvés  en  armes  au 
Parlement ,  quand  on  le  conduifit  à  la  Baftille ,  il  deman* 
doit  qu'on  ôtât  à  la  Cour  la  connoiflance  de  ce  qui  le 
regardoit ,  &  que  le  décret  donné  contre  lui  ne  fut  point 
exécuté  5  ce  qui  le  réduiroit,  ajoutoit-il,  à  la  mendicité, 
MSS.  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rig. 

fag.  45: 1. 1.  25.  Y  avoit  été  tué  deux  ans  auparavant ,  lif  y  fut 
tué  dix  ans  après  la  mort  de  fon  perç.  MS,  Samm. 

Pag.  4;  5, 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  &c.  809 

^^S-  ^H-I-  32.  De  grofles  arquebufes,  itf.  de  moufquets. 
Pag.  45-4. 1.  8.  Le  onze  de  Novembre  ,  lif.  un  Lundi  onze 

Novembre. 
Pag.  45*5'.  I.  7.  Fauxbourg  de  Cauchoife  ,  lif.  Fauxbourg  Cau* 

chois. 
Pag.  45*7. 1.  3  T.  Maillé  de  Benehart,  lif,  de  Maillé  Benehart. 
Pag.  45-8. 1.  2p.  Le  huit  de  Décembre  ,  ajout,  qui  étoit  un 

Dimanche. 
Pag.  46'o.l.  25.  S'étant  défait ,  lif.  Ayant  afTafllné  par  Tordre; 

ou  du  moins  avec  l'agrément  du  Duc  de  Mayenne,  Flo- 

rimond  d'Haï win  &c.  MSS,  Reg.  &  Samm.  Put.  &  Rtg. 
Pag.  46" 6".  1.  16.  d'Ibarra,  lif.  de  Rocanova. 
Pag.  4^7. 1.  dern.  Mardi-gras,  lif.  Mercredi  des  Cendres. 
Pag.  4(58. 1.  37.  Rainuce ,  lif.  Ranuce  ,  &  ailleurs. 
Pag.  471. 1.  I.  Le  dix-fept  de  Février,  lif  le  dix-huit. 
1.  20.  Che verni ,  If.  Chi verni. 
1.24.  Le  vingt-cinq  de  Février,  lif  le  vingt-fix. 
1.  2p.  Gorge ,  lif  George. 
Uid.  Frère  de  Villars ,  If.  André-Baptifte  de  Branca? 

fîeur  de  Villars.  Edit.  AngL 


L  I  F^RE     C  E  N  T-T  R  0  I  S  I  F:  M  E. 

Pag.  47<5. 1.  20.  Donna ,  ajout.  le  2p.  Mars. 

1.23.  Le  ip.  Mars.  Otez  cette  datte. 
Pag.  484. 1.  16.  De  Alayenne , ///7  de  Parme. 
Pag.  48(5. 1.  38.  Quillebœuf,  ajout,  ou  Ville-Henry. 
Tag.  4P3. 1.'2  3.  ViUieres,  lif  Villiers. 
Pag.  501.  l.  27.   Un   diable,  lif  un  Pape   diabolique.   MS. 

Samm. 

1.38.  De  Rovere,  lif  de  la  Rouere. 
Pag.  504.1.  20.  Giuftiniano ,  ou  Juftiniani. 
Pag.  joj.  1.  30.  De  Février,  ajout,  qui  étoit  un  Dimanche. 
Pag.  508.1.  3^.   Que  s'étant  à  la  vérité  &c.  lif.  Que  s'étant 

mis  en  chemin  fans  être  chargé  d'aucun  ordre  du  Roi,  & 

feulement  pour  fatisfaire  au  defir  qu'il  avoir  de  rendre  fcs 

devoirs  à  S.  S.  il  ne  croyoit  pas ,  Ôcc. 
Pag.  551.1.23..  Le  huit  de  Novembre,  lif  le  dix-huit. 
Tome  XL  l^kkkk 


Iro  RESTITUTIONS, 

Pag.  5"  I  r.  I.  24.  Deux  jours ,  lif.  trois  jours. 

Pag.  yiy.l.  22.  De  Février  j  ajout,  fur  le  foir. 

Pag.  5-17. 1.  5.  Son  fils,  ajout.  On  le  conduifit  à  Loches  j  Ôc 
il  ne  fut,  &c. 

1.  30.  Infedoit,  lif.  infeftoit. 

Pag.  5"  2 1 . 1.  6".  Promtement,  ajout,  de  Sufanne. 

Pag.  5*28. 1.  24.  La  Perrière  Andiran ,  lif.  la  Perrière ,  par  An- 
diran. 

Pag.  ;2^.  1.  3  I.  Leur  Commandant,  lif.  Sergent  Major. 

Pag.  5" 32. 1.  52.  Des  peuples,  ajout.  Le  Maréchal  Guillaume 
de  Joyeufe  fon  père  étoit  mort  quelque  tems  auparavant. 
On  l'accufoit  d'avoir  été  peu  reconnoilTant  des  biensfaits  du 
Connétable  Anne  de  Montmorency.  Il  eft  vrai  que  k  Ma- 
réchal n'étoit  encore  qu'Evêque  d'Aleth ,  lorfque  ce  Sei- 
gneur l'honora  de  fon  alliance ,  en  lui  faifant  époufer  Ma- 
rie de  Baftarnay ,  nièce  de  Mad-.  de  Montmorency  fon 
époufe,  &  partagea  avec  lui  un  des  gouvernemens  des  pkis 
confidérables  du  Royaume.  Il  n'avoir  pas  montré  moins 
d'ingratitude  envers  le  feu  Roi,  qui  l'avoit  coliiblé  d'hon- 
neurs ,  lui  &  toute  fa  famille ,  &  qu'il  abandonna  cepen- 
dant lâchement ,  pour  fuivre  le  parti  de  la  ligue.  On  doit 
rendre  cette  juftice  au  Cardinal  fon  fils ,  qu'il  s'oppofa  de 
tout  fon  pouvoir  à  cette  réfolution  de  fon  père  ,  &  que  tant 
que  Henri  III.  vécut,  il  fut  toujours  conftamment  attaché 
à  ce  Prince ,  à  qui  il  étoit  fi  redevable.  Il  ne  reftoit  donc 
plus  alors  de  toute  cette  nombreufe  famille ,  qu'Antoine 
Scipion  de  Joyeufe ,  qui  fut  en  état  de  commander  les  ar- 
mées. Ce  Seigneur  ayant  reçu  &c.  MSS.  Samm.  Put.  û^ 
R,g. 

Pag.  533.1.  18.  De  Loriéres,  lif.  de  Laufiéres. 

1.21.  D'Efpernon  fon  frère  ,  ajout,  qui  venoit  de 
prendre  Villebois  en  Angoumois ,  étoit  fur  le  point,  &c. 
1.  2p.  Languedoc ,  lif  Gafcogne. 

P^g-  5" 54- 1-  3S'  Milices,  ajout.  Les  ennemis  fe  vengèrent  de 
cette  perte  par  la  prife  d'environ  deux  cens  boeufs ,  dont 
ils  fe  rendirent  maîtres  proche  de  S.  Leofaire.  L'ardeur 
des  afilégeans.  MSS.  Reg.  &  Samm. 

Pag.  5 3 5. 1.  3 d.  Quinze  cens,///?  fix  cens.  MSS.  Samm.  Li- 
fez  cinq  cens,Ielon  les  mémoires  de  la  Ligue.  T.  5.  p.  1 77* 
Fut. 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  &c.  8ii 

Pag.  5" 3 8. 1.8.  Mille  hommes,  lif.  quinze  cens.  MS,  Samm. 

Pag.  54.1.1.  17.  GinafTervy , ///^  Ginaileroy. 

Pag.  5-42. 1.  7.  Douze  cens,  /if.  cent  vingt. 

Pag.  j  47.  La  note  qui  ed  au  bas  de  la  page  eft  inutile ,  puifque 
M.  de  Thou  n'a  pas  dit  auparavant  qu'il  n'y  avoit  que  douze 
cens  hommes  d'affemblés  5  mais  feulement  qu'on  comp- 
toit  déjà  douze  cens  hommes  d'infanterie ,  fans  parler  de 
la  cavalerie.  Outre  cela ,  depuis  l'avis  donné  à  Lefdiguie- 
res ,  il  pouvoit  encore  être  arrivé  de  nouvelles  trouves  au 
Duc  de  Savoye. 

LIFRE    CE  NT'O^UÂTKIE  ME. 

Pag.  ^j*^.  1.  8.  Berlaymont,  lif.  Barlaymont,  &  ailleurs. 

Pag.  5'5'p.l.  34.  Saelsleldt, /^  Saesfeldt. 

Pag.  ;(5^.  1.  20.  De  Vorp  ,  lif  Dorp. 

Pag.  5'(57.  L  10.  Drente,  lif  Tuente. 

Pag.  j 72. 1.  3  I.  La  fortune ,  not.  Voici  d^  quelle  manière  Me- 
teren  rapporte  ce  fait  dans  fon  hiftoire  des  guerres  de  Flan- 
dres, page  337.  «  La  navire  Angloife  avec  fon  artillerie 
»  étoit  eftimée  valoir  cent  trente  mille  florins  :  les  Anglois 
«  ne  laiiTerent  pour  cela  de  continuer  toujours  en  leur  def- 
^  feing ,  &  de  tâcher  à  faire  quelque  dommage  aux  Efpai- 
»  gnols ,  &  l'année  prochaine  ils  recouvrèrent  fort  riche- 
M  ment  leur  perte.  Car  une  navire  Angloife  nommée  TA- 
»  mitié  ,  allant  pour  trafiquer  en  Barbarie ,  fur  laquelle  étoit 
3î  Patron  un  certain  Thomas  Whyt  de  Londres ,  avec  en« 
»  viron  quarante-cinq  hommes  ^  après  qu'il  eût  déchargé 
»  fa  Frette ,  &  qu'il  étoit  contraint  d'attendre  quelques  mois 
3^  pour  avoir  fa  charge  &  fon  retour ,  devant  que  de  pou- 
»  voir  retourner  à  la  mayfon ,  s'en  alla  en  attendant  haut 
»  en  mer ,  en  un  endroit  où  il  fçavoit  que  les  navires ,  lef- 
»  quelles  alloient  ou  retournoient  des  Indes,  prenoient  leur 
»  cours  à  la  hauteur  de  trente-fix  degrés.  Etant-là,  il  ren- 
w  contra  deux  petites  navires  Efpaignolcs ,  lefquelles  étoicnt 
»  chargées  de  la  part  du  Roy,  &  av oient  été  convoyées 
w  auparavant  par  quelques  galères  :  ces  navires  le  penfoienc 
»  venir  prendre ,  mais  elles  furent  prinfes ,  l'une  devant , 
»  l'autre  après  j  non  fans  grand  danger  j  car  ils  y  trouve- 

Kkkkkij 


» 


» 


3} 


3} 


» 


8i2  RESTITUTIONS, 

rent  cent  vingt-fept  hommes  vivans ,  &  huit  morts ,  ri  les 
amena  fur  la  rade  en  Barbarie,  &  ayant  prins  fa  charge, 
il  les  emmena  à  la  mayfon.  Il  y  avoir  en  ces  deux  navires 
plus  de  quatorze  cens  coffrets  d'argent  vif,  chaque  cof- 
fret pefant  cent  &  cinquante  livres,  ou  un  quintal  &  de- 
my,  avec  plus  de  cent  tonneaux  de  vin,  ôc  la  pefanteur 
de  dix  tonneaux  de  miflaulx  &  bulles  du  Pape,  jufqu'au 
nombre  (fuivant  les  lettres  &  notices  qu'on  en  trouva  es 
navires)  de  deux  millions  &  foixante  &  douze  mille  :  qui 
„  fervoyent  pour  les  âmes  des  vivans  &  des  morts  ^  &  lef- 
:,,  quelles  on  debvoit  diftribuer  es  pays  &  provinces  de  la 
„  nouvelle  Efpaigne,  comme  Incatan ,  Ouatimala ,  de  Hon^ 
„  dura ,  &  de  Philippines,  Cet  argent  vif  &  ces  bulles  coii- 
„  toient  au  Roy  environ  trois  cens  mille  florins ,  &  il  en  eût 
„  bien  fait  cinq  millions  d'or  j  en  quoi  l'on  peut  voir  quel 
„  trafîcq  fait  le  Roy ,  &  que  c'eft  un  marchand  qui  fait 
;,,  grand  gain ,  tellement  qu'il  ne  fe  fault  pas  étonner  d'où 
lui  viennent  toutes  cqs  richelfes  qu'il  tire  des  Indes.  Pour 
bien  entendre  cecy ,  il  faut  fçavoir  que  ces  bulles  étoient 
taxées  à  deux  reaulx  la  pièce ,  &  encores  une  partie  de 
dix-huit  mille  à  quatre  reaulx  la  pièce  (  comme  l'on  trouva 
par  les  inftrudions  &  mémoires  lefquelles  étoient  es  na- 
„  vires ,  &  par  lefquelles  le  Roy  commandoit  de  les  vendre 
„  aux  habitans ,  qui  font  contraints  d'en  achapter  )  deforte 
jj  que  cela  eût  bien  valu  au  Roy ,  avec  encores  dix  bal- 
„  les  de  millaulx  tous  dorés ,  plus  de  quatre  cens  mille  du- 
„  cats  :  &  l'argent  vif  près  de  deux  millions  de  ducats  5  ayant 
^  fait  deffendre ,  que  nul  fur  peyne  de  la  vie ,  n'en  envoyât 
,,  es  Indes ,  iinon  lui  ,  car  fçachant  que  c'eft  une  matière 
fi  néceffaire  ,  que  fans  icelle  on  ne  peut  raffiner  l'or  & 
l'argent  qu'on  tire  des  mines,  il  a  fait  tel  accord  avec 
les  mineurs  qu'il  faut  qu  ils  lui  donnent ,  pour  chaque  li- 
>i  vre  d'argent  vif,  une  livre  de  fin  argent  épuré.  Edit.  AngL 
'^^è'S19'^'3^'  Le  Cimeterre,  lif.  le  Poignard. 
1.  5  5'.  D'Elamado,  lif.  de  del  Punnal, 
1.  3<5.  Son  fabre,  lif.  fon  poignard. 
Fag.  j  8  6'.  1.  3  2.  De  Saxe  ,  ajout,  qu^il  avoir  répudiée  à  caufe  de 
fa  mauvaife  conduite ,  une  fille  unique  &c.  M^S.  Reg.  c^ 
Samm,  Put.  &  Rig. 


3) 
33 
3» 


33 
33 
5> 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  s,  &c.  813 

V3.g'  5;Sp.  1.  J.  De  Mondovi,  wo?.  On  l'appelloit  ordinairement 
le  Cardinal  de  Mondovi.  Edit.  Angl. 

Pag.  5'i?o.  1.  17.  La  plus  reculée,  ajout,  ôc  fa  fageffe  jointe  à 
beaucoup  de  candeur  &  à  une  érudition  profonde  lui  mé- 
rita de  Jufte  Lipfe  le  furnom  de  Thaïes  François.  Il  fut  élu 
6cc.  MSS,  Reg,  &  Samm. 

1.26.  A  Paris,  ajout.  Ainfi  je  n'ai  pas  cru  pouvoir 
me  difpenfer  de  lui  rendre  ici  un  devoir  du  à  l'amitié  qui 
fut  entre  nous ,  &  à  Tellime  que  je  fais  de  fes  vertus.  Il 
me  refte  &c.  MS.  Samm. 

Pag.  ^^^.  1.  4.  Ilkirckern ,  lif.  Ilkircken. 

1  26.  De  Wic,  lif.  de  ce  Bourg. 

Pag.  6o2.\.  2^.  Steinbach,  ajout.  Miniftre  de  Drefden. 
•Pag.  6^12.1.  18.  Quarata,  lif.  Quaranta. 

Pag.  di 3. 1.  25".  La  Sclavonie ,  lif  îa  Hongrie ,  la  Sclavonie, 
&  la  Dalmatie. 

Pag.  6i6.\.^.  Spalatro,  lif.  Spalato. 

Pag.  (5ip.  1.  2.  Erfa  ,  lif  Erla. 

Pag.  52 1 . 1.  r.  Ferracine ,  lif.  Terracine. 

Pag.  62^.  \.  6.  Neuheufel,  ou  Neuhaufel. 


LIF  RE     CE  NT-CI  N^U  I  EME. 

Pag.  543.1.  $.  Sledein,  lif  Sleiden. 

Pag.  545. 1.  p.  De  Tuentes ,  lif.  de  Fuentes. 

1.  20.  Malafpini ,  lif.  Malefpine. 
Pag.  548.1.  i^.  En  dedans  ,  ajout.  Mais  comme  ces  travaux 
avoient  été  fort  précipités ,  il  ne  paroiflbit  pas  qu'ils  fuilent 
en  état  d'arrcter  rennemi.  En  tirant  ôcc.   MSS.  Reg.  & 
Samm.  Rut.  &  Rig. 
Pag.  5^5.1.  23.  Sur  la  tranchée,  lif.  fur  le  bord  du  foffé. 
Pag.  55*  5.1.  8.  Jean  André  Gambarella  Sergent  Major,  lif 
Jean  André,  &  pour  Sergent  Major  Gambarella,  fous  la 
conduite  &c. 

1.  1 1.  S.  Omer,  ajout.  Bapaume. 
1.31.  Hufden,  If.  Huefden,  &  ailleurs^ 
Pag.  55o.  1.  2.  Fort  de  S.  Jean ,  ou  Steinfort. 
1.38.  Grinbergh  ,  lif  Gransberg. 


8i4  RESTITUTIONS, 

Pag.  66iA.  i.  Ootmerfum  ,  oh  Ootmaerfen. 

Pag.  6" (S" 3.1.  38.  Et  Françoifes,  ajout,  qui  arrivèrent  de  Nor* 

mandie. 
Pag.  666.1.22.  Qu'on  répandoit,  ///7  qu'on  les  répandoit. 
Pag.  6jo.  1.  6.  Je  lui  ai  fait ,  /if.  je  les  lui  ai  fait. 
Pag.  6^6.1.  3.  Providence  humaine,  hf.  prudence  humaine» 
Pag.  6çS.l.  23.  Martel,  lif.  Marteau. 
Pag.  701. 1.  18.  Bangey ,  hf.  Baugey. 
Pag.  702. 1.  25.  Rolle ,  lif,  Rofe. 


LIP^RE    CE  NT'S  IX  I  F  M  E. 


Pag.  720. 

Pag-  7^7- 
Pag.  748. 

Pag.  750. 

P^.75'4- 
Pag.  7(52. 

que  le 

Pag.  7(58. 
Pag.  781. 


.  2.  Avocat  du  Roi ,  lif.  Avocat  Général. 
.13.  L'indignation,  iif.  PexcommmiicatiorL 
.  ip.  Glafcow,  oîi  Glafgow. 
.  J3.  Gabriel  de  Schomberg,  lif.  Gafpard. 
.  24.  Le  parti  des  Politiques ,  lif.  le  Tiers  parti. 
.  27.  Du  Pape ,  avant  que  le  Roi ,  lif  du  Roi ,  avant 
Pape. 

.  I p.  Le  Vendredi  Saint,  ///Tle  Vendredi  fuivant. 
.  2^.  S'en  font  élevés,  lif.  fe  font  élevés. 


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