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HISTOIRE
DE
J A C Q U E-A U G U S T E
DE THOU
TOME ONZIEME.
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H I syo I R E
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU,
Depuis 1543. jufqu'en 1607,
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES.
TOME ONZIEME.
1589.
1593
A LONDRES.
M. D C C. XXXIV.
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SOMMAIRES
DES LIVRES
CONTENUS DANS CE ONZIEME VOLUME.
SOMMAIP.E DU LIVRE XCVIL
Vite des affaires de France. Sentimens dijfé^ H e^^^
rens des Seigneurs ^ autres Officiers de t armée \ y.
Royale après lamort de Henri III. Confeil terni par ijg^,
le roi de Na^varreà toccafion de cette révolution. Sajicy
engage les Suijfes à refier dans le ca-mp. Ils <viennent
offrir leurs féru ic es au roi de Na^'arre. Ce Prince fe
rend à Saint Cloud, Confeil tenu par les Seigneurs au
fujet de fes droits a la Couronne. Henri IV. reconnu
Roi par toute t armée. Le duc d' Efpernon fe retire à
Angouléme. Difcours du Roi à loccafîon de cette re^
traite. KéduSiiondeCompiégne^deMeulan^deGi-
fors ^ de Clermont en Beauvoifis à ïobéifj^ance de ce
Prince ^ Il pajfe en Normandie. Le Pont-de-l Arche ^
Dieppe , ^ Ca'én le reconnoiffent. Prifè de Neuf-
Chatel par Guitry ^ du Halot. Lettre du duc de
Tome XI, 'a
Henri
îj SOMMAIRES.
Mayenne à toccafion de lu monde Henri III, Il écrit
, ^ au roi dEfpagne _, pour lui demander du fe cour s, Edit
^ des Ligueurs en faveur du cardinal de Bourbon, L£
Ko i fait tranf porter ce Prince du château de Chinon à
Fontenay en Poitou. Arrêt du Parlement de Bourde aux
pour la tranquillité de l'Etat. Arrêt du Parlement de
Touloufè y qui ordonne des procejjions publiques ^ pour
remercier Dieu de la mort de Henri III. t^ fait défen^
fes de reconnoître le roi de Navarre. Entrevue du duc
de Mayenne ^ du prince de Parme. Camp dArqt^s, Le
duc de Mayenne y ajjiége le Roi. Bataille d Arques. Re-
traite du Duc. Arrêt du Parlement de Rouen en fa^
fveur de la Ligue. Attaque desfauxbourgs de Paris. Le
duc de Mayenne vient au fecours de cette Capitale. Ré'^
duciion di Ijfouduyiatobêiffance du Roi. Hoftilitês en
Champagne. Nouvelle fedition à Touloufè. Sédition
de Limoges. Confpiration de Tours découverte , t£ les
complices punis. P lacet des Ligueurs enfa<veurdu car-
dinal de Bourbon. Arrêt du Parlement de Paris ^ qivi
ordonne de reconnoître ce Prince fous le yiom de Char le X.
Arrivée du cardinal Gaëtano en France en qualité de
Légat. Prife d! Eftampespar Henri IV. Il donne au-
diance a Châteaudun aux ambafadeurs d.es Cantons
Suijfes. Ce Prince reconnu par les Vénitiens. Prifi
de Vendôme par l armée du Roi, Il fait fon entrée a
Tours^ Prife du Mans ^ de quelques-autres places^.
Lettre du duc de Sa^oye au Parlement de Grenoble
au fujet de la mort de Henri III.^ Exploits de la,
Valette en Pro'vence. Le duc de Savoyefaitpajfer des
troupes dans cette Province, Il continue la merre contre
les Genevois. RéduBion £ Alenqon^d' Argentan^ de Dom-
front ^ de Falaife ^ de Lifieux ^ ^ de plufieurs autres
places de la Normandie à lobéifance du Roi..
SOMMAIRES. iij
SOMMAIRE DU LIVRE XCVIII.
P
Kife de Pontoi/e par le duc de Mayenne. Siège de rr
Meulcin. Action couYageufe de deux fblduts de la, j y
garnifon> Le Koi vient au fe cour s de la place. Levée i^go
dufîége. Prife de Verncuil par le comte de Soijfons.
Succès d,e la négociation de Sancj en Allemagne. Dé-
faite des troupes Allemandes par le duc de Lorraine.
Tentative du maréchal d' Aumont fur Monbart. Arri-
vée du duc de Luxembourg à Rome. Arrikjée du car-
o
diyial Gaetano a Paris. Arrêt du Parlement de Tours
contre le Légat ^ café par celui de Paris. Décret de la
Sorbonne en fa^veur de la Ligue. Lettres du Légat à.
tous les Archevêques ^ E<vêques du Royaume. Arrêt
du P arhinent de Paris en fa^'curdu cardinal de Bour-^
bon. Manifefle d,u roi d' Efpagne à cûfujet. Punition
du père Edmond Bourgoin Jacobin. Siège de Dreux par
r armée du Roi. Le^'éedufége. Bataille d'Jvry. Ordre
de bataille des deux armées. Harangue du Roi â/es
troupes. Défaite de l armée de la Ligue. Fuite du duc
de Mayenne a Mante. Lettre de ce Duc au Pape & au
roi £ Efpagne aufujet de cette déroute. Sentimens diffé-
rons fur la conduite de Sixte V. a t égard de la Ligue.
Défaite des troupes de la Ligue en Au^jergne. Prife
d^ I foire par le parti du Roi. Entre-jue du Légat t3 du
maréchal de Biron à Noifi, Plaifinterie de Gi-
^ry en cette occafon. Réduction de Corbeil 6f de Lagny
a. l obéiffance du Roi. Défaite des Efpagnols dans le pais
Mcjfnpar les troupes de ce Prince. Défaite de Lan-
fkc dans le Maine. Saint A4alo firpris par le duc
de Mercœur Prife de M elun par T armée du Roi. Ré.
ducîio?2 de Moret/tc Crcfcy^ de Pro<z'ins^de Montereau ,
âij
IV
SOMMAIRES.
Î590,
-- dû Pont fur Seine , de Bray, ^ de Nogent fur Seine^-
Henri j^ntreprife du Roi fur U ville de Sens, Négociation de
tE^êque de Cenedci a, U Cour^ de Upurt dt4. Légat, Prife
de Verneuil par les troupes de la Ligue. Avantages
remportés par le parti du Roi. Siège de Paris. Le Roi
fefaifît du pont de Charenton ^ ^ de Sdint Maur. Re-^
duciion de la Perte-Bernard. Mort du cardinal de Bour-
bon j ^ fon caraEiére. Voyage du duc de Mayenne en
Flandre ^ pour hâter lefecours. Préparatifs des Pari-^
fiens pour fout enir le [tége. Cas de confcience propofé i;
la Sorbonnèparles Seizs. ProceJJîon de la Ligue o
SOMMAIRE DU LIVRE XCIX.
Rife de Meun ^ de Châteaudun par les Ligueurs^
Continuation du Siège de Paris. Arrêt du Parle--
ment de Paris , qui défend de propofer aucun accommo-
dement a^ec le Roi. Prife de Saint Denys ^ de Dajn^
martin par les troupes de ce Prince. Retour du chancelier
de Che^'erny a la Cour. Arrinjée du duc de Ne^ers ^ ^
du vicomte de Turenne au camp du Roi. Entreprife des
Ligueurs fur Senlis. Entre^vue du Légat ^ du mar^
quis de Pifany. Prife desfauxbourgs de Paris par tar"
mée duRoi, Extrémité des Pan fiens. Députation des
Parifiens au Roir Réponfe de ce Prince aux Députés. Il
écrit au duc de Nemours. Entrée du prince de Parme en
France. Le Roi fait fortifier le château de NanteuiL-
Mort de t abbé d^Elbene. Le^'ée du fiége de Pans. Le
Roi préfente la bataille au prince de Parme ^ ^ au duc
de Mayenne, Prife de Lagnypar les Efpagnols. Lettre du
Roi aux Gou^ernetifs des Proojinces au fui et de la le^ee
du fiége de Paris. Ce Prince congédie fe s troupe s. Mort
diiprefident d! Bfpejfes. Prife de Clermont enBeawvoifis
SOMMAIRES, y
paf les troupes du Roi, Progrès des Koydifles contre les
Ligueurs. Tentative fur Troy es en Champagne, Frife Henki
de Corbeil par le prince de Parme, Gi'vrji reprend I V.
Corheil^ Lagnjo Entreprife du duc de Lorraine fur M^^*"
Sainte Menehoud, Retour du prince de Parme en Flan^
dre. Prife de Corhiepar les troupes du Roi, Deputation
du Parlement de Bourde aux à ce Prince. Prife de Ville-
franche en Champagne par le capitaine Saint-PauL Ex-
ploits du prince de Dombes en Bretagne, Prife de Hen-
nebond y ^ de quelque s ^autres places. Arrivée de ï ar-
mée Efpagnole en Bretagne. Elle reprend Hennebond^
Lettre du prince de Dombes aux Etats de la Province au
fujet de t arrivée des Efpagnols, Prife de quelques pla-
ces par les troupes du Roi, RéduEiionde la Guyenne à
tobéïffance de ce Prince. Révocation des Chambres éta-
blies en fci<veur des Proteftans. Exploits de Lefdi^
guiéres en Provence ^ en Dauphiné. Prife de Briançon,
Deputation du Parlement d'Aix au duc de Savoye. En-
trée de ce Prince dans cette ville. Réduction de Grenoble
a robéijfance du Roi, Suite de la guère de Genève. Dé faite
des Genevois par les Savoyards. Tentative de ceux de
Genève fur Efvianjls battent a leur tour le s Savoyards.
Morts illuftres j de François Hotman j de Cujas j de du
Bartass de Robert Garnier -, de fean-BaptiJle Benedittij
de Jafbn de Nerex. s de fuie Alexandrin s de Flaminio
Nobilij de Jérôme Zanchio s de Jacque Andréa j de Jac-
que Marquis de Bade y de NicodemeTrifchlin s de Fran^
çois deSalinas sdAmbroife Moralez^ j de MarcBragadino,
Slllj
vj SOMMAIRES.
Henri
IV.
1590.
SOMMAIRE DU LIVRE C.
Z^ite des affaires de Flandre. Prifè de Khinberck,
par le comte Char le de Mansfeld, Mutinerie des
troupes EJpagnoles, Secours envoyés au Roi par les
Etats ^ par la Reine d'Angleterre. Bredafurpris par le
prince d Orange, Il forme lefiége de Nimégue , ^ chan-
ge lefîége en blocus a r arrivée du corate de Mansfeld.
Guerre en Frife, Exploits du comte Maurice dans cette
Province après le départ du duc de F arme pour entrer
en France. Tentative des Efp^imols fur Lochem. Af-
femblée des Cercles du Rhin ^ de Saxe à Cologne ^ ^
enfuïte a Francfort. Répoyife des Etats a leurs Députés,
Sentiment de Champigny aufujet de l expédition desEf^
pagnols enFrance.Mort d' Emmanuel de h al ain marquis
de Renty ^t^ dcG uillaume de Lalain comte d Hooghjirate»
Affaires du Nord, Les Plénipotentiaires de Suéde ^
de Mofco^ie traitent fans fucc es d'un accom^nodement^
Les hcflilités recommencent. Hoftilités des Turcs con-^
tre la Pologne aufujet descomfes des Cofaques, Vam^
baffadeur d Angleterre accommode ce différent. Mort:
de Charle Airchiduc d'Autriche. Mort du Pape Sixte V^
Son caractère i^ fon éloge. Election dVrbain VII. Sa
mort. Divifion dans le Conclave. Elécîiond^u cardinal
Sfondrate , qui prend le nom d.e Grégoire XIV. Son
Ci^raciére, Lettre du duc de Luxembourg aux Cardinaux
affemblés dans le Conclave , Ç5* ^u nom du Pape. Excès
commis par les bandits pendant l interrégne. Alfonfe
Picolomini fe met aleur tête. Sa fin malheur eufe. Fa^
mine dans Roine ^ dans les eyivirons. Affaire du dn-.
che de Ferrare. Le duc Alfonfe négocie a Rome fans fuc^
ces. Jérôme Lippomani , Baile de Venife a la Porte ^
SOMMAIRES.- vij
efè foupçonné d'intelligence a'vec les Turcs, Son rappel ___
•^ fi mort. Décret du Sénat de Venïfe contre les Je- H e n p. i
fuites de Padou'è, Renouvellement de U guerre entre le ^^ -
Grand Seigneur ^ U Ferfe, Difgrace de Sinan ^59^'
Grand Vi/ir, Le Bâcha F erhat obtient fa place. Affai-
res de Pologne.AmbaJfade desTartares au roi Sigifmond,
Réhabilitation de Chriflophle Sboro^nuskj» Projet d'ac-
cord entre la maifon £ Autriche ^ la Pologne ^ au moyen
du ?nariage du roi Sigifmond avec f Archiducheffe Anne
fœur de f Empereur, Sédition a Cracovie aufujet de U
Religion. Mauvais fuccès des Suédois contre les Mof
covites, AjTemblée des villes Anfeatiques a Lubeck*
Suite des affaires de Flandre. Tournhout ^J VVefterloo
furpris par les troupes des Etats, Prife de Zutphen^
de Deventer par le comte Maurice. Il fe rend maître
de Hulft. Expédition des Anglois contre la flote à! Ef pa-
gne revenant des Indes, Morts illuftres j de fean comte
d'Oofifrife ; de Chrifiiern Elecîeurde Saxe ; de Bernard
de VValdech^ évéque à! Ofnahrug j de facque Amyot s
d'Antoine Chandieu y de Hugue Doneau j d'Adolphe
de Meetkercks s de Vt[ior Chijlin j du cardinal An-
toine Carajfe ; de Henri Gravius y de Laurence Stro^vj.
■ Il I ' ■■ ■ I II I 1 1 I 1 1 1 1 ■
SOMMAIRE DU LIVRE CI.
AMbaJfade de la reine Elifabeth vers les Princes ■ 'nhhhi
de r Empire ^ pour les exhorter à donner du fe- ' 55? ^-
cours au Roi. Ce Prince leur députe le vicomte de Tu-
renne pour le même fujet. Négociation de ce Seigneur
en Angleterre ,. en Hollande , ^ en Allemagne, Les ha-
bitans deStrafhourgprofitent de l'occcifion de J(.nv(ya^e^
pour obtenir la deflrucîiond'unmonciftére de Chartreux
voifiii de leur ville. Revue de t armée auxiliaire k
viij SOMMAIRES.
i__. Hoche im.On en donne le comm^tndcment au prince d' An^
Henri hait ^ ^ enfitite au vicomte de Turenne. Entreprifè des
I V. Pari/iensjur Saint Denys. Mort du chevalier £ Aumale.
^ 59^* Tentatioje du Roi fur Paris, La journée des farines.
Lettres dtv Pape Grégoire X IV, au cardinal de Plai-
fance fon Légat à Paris ^ & au Confeil de l'Vnion.
Hercule sfondrate duc de Montemarciano déclaré Gé^
néral des troupes du Pape pour la Ligue, Le duc de
Mayenne fait demander inutilement au Saint Père la
permijfwn d aliéner le patrimoine Eccléfiafiique.Infîan^
ces de Philippe JI,pour le même fujetfansfuccés, Re--
^ué des trotipcs du Pape a Lodi, Siège de Chartres par
r armée du Roi, Origine du Tiers parti. Le jeune car-.
dinal de Bourbon fe met à fa tête, Prife de Chartres,
Edit du Roi pour Vohfervationde la difcipline militaire.
Révocation de la chambre de V Amirauté établie a la
Rochelle, Réduction de Me aux à f obéi (fane e du duc de
Mayenne, Prife d'Aune au ^ de Dourdan par le mare --
chai de Biron. Ajf emblée des princes Lorrains ^ du duc
de Sa^voye à Parts, Le Pape à tinftigationde Philippe
prejfe léleciion d'un roi Catholique. Jaloufte entre les
pretendans. Députât ion des Ligueurs en Efpagne.
Lettre du duc de Luxembourg au nouveau Pape, Ar-^
ri<vée de Marfîlio Landriano Légat en France. Ré^
duSîion de Château - Gaillard ^ de Lou^iers à robéif-
fancc du Roi, Le prince de Conti ^va commander en Poi-
tou- Arrêt du Parlement de Chalons contre les pourvoir s
du Légat du Pape, Révocation de tEdtt de Juillet
donné par Henri III. Arrêt du Parlement de Tours
conforme À celui de Châlons, Arrêts du Parlement de
Paris contre ceux de ces deux Cours, Tentative des Li-
■i
gueurs fur Mante, Tranflation du Grand Confeil à
Chartres, Affcmblée des Prélats Royalifles dans cette
ville
I59I'
SOMMAIRES. ix
cvilïe. Décret de cette Ajfemblée contre le Légat. Am- !^ ""
bajfade des Catholiques Koyaliftes du Fdpe. Le Parle- j y^
ment s'ji oppo/e. Ecrits publiés pour & contre ïlnter-
dit, Prife de Noyon par le Roi, E'va/ton du duc de
Guife du Château de Tours, Tentative de la Chaf^
tre fur Aubigny en Berri, Défaite des Koyaliftes i
Saint Trier-le -Perche en Limoufîn, Tentative des
Ligueurs fur Belac en Poitou, Exploits du prince
de Conti dans cette Province, Il fe rend maître de
Celles en Berri,
SOMMAIRE DU LIVRE CIL
S Vite des affaires de France, Guerre en Breta-
gne, Défaite des Ligueurs dans cette Province,
Progrès du prince de Dombes, Prife de Plimeu^de
Pimpol , ^ de Guingam, Siège de Lamballe par les
Koyaliftes, Mort de de la Noue, Son éloge. Le^vée du
fége de Lamballe, Prife de Chaftillon, Violence du duc
de Mercœur en cette occapon. Prife du Château de
Blain par ce Duc, Mort de Tournemine de la Hunau^
daye. Tentative des Ligueurs fur Maleftroit, Ils font
défaits proche de Saint Brieuc, Guerre en ^ercy.
Défaite des Ligueurs proche de Roquemadour par
Anne de Lenuis de Ventadour. Guerre contre le duc
de Savoy e, Exploits^ de l'Efdiguiéres en Dauphiné , en
Proqjence y ft) en Saz'oye, Défaite des Savoyards,
Tentati<ve duDuc fur Marfeille, Seconde défaite des
Sa'voyards a, Vinon, Guerre aux environs de Genève,
Prife de Buringe :, de Verfoy ^ CsJ* dEfvianpar IcsGe^
nevois. Guerre dans la Bourgogne ^ Provinces "voi-
fines, siège d' Autun par le maréchal d'Aumont. En^
treprife de ce Général fur la citadelle de Châlons,
7 orne XI, S
X SOMMAIRES.
, Le<vée du fiége £ Autun, Mon de Grégoire XIJ^l
Henri Son caraSiére. Elccîion d Innocent IX, Sa mort ^.
I V. fhn caracîére. Suite des affaires de France. Fureur
^59^' des Ligueurs de Paris. Entreprifès du cardinal de
Flaifance légat du Pape. Portrait du Préfîdent
Briffon, Il efl pendu par la faction des SeiTS- Le
pré f dent Larchcr ^ Tardif ont le même fort, Let-^
tre des Ligueurs au Roi d'Efpagne. ^atre des Sei%e
pendus par ordre du duc de Mayenne. Mariage de
charlotte de la Marl{^ a<vec le vicomte de Turenne.
Mort de Coligny fils de t AmïraL Son éloge. Siège
de Rouen par l'armée du Roi, Difcours du duc d' Ai-
guillon gouverneur de cette ville pour la Ligue aux
hahttans. Lettre du Roi a la ^ille de Rouen. Ré^
ponfe des habit ans. Lettres du duc de Parme &d'l-
barra au roi d'Efpagne interceptées. Arrêt du Par-
lement de Rouen contre les Royalifies, Arrivée du
duc de Parme au fecours des a(fiégés. Il fe rend
maître £ Aumale & de Neuf-Châtel. Exploits de ViL
lars pendant le cours du fiége, Méfintelligence entre
les Officiers généraux de t armée auxiliaire.
SOMMAIRE DU LIVRE CIIL
Vite du fiége de Rouen. Le duc de Parme mar^
^^^^> C^ che au fecours. Le Roi le^e le fiége. Le Duc
cfi hlcjfe près de Caudebec, Il fe rend maître de
cette place. Origine du Royaume £ l'vetot. Avan-
tage remporté par le Roi fur r armée d.u duc de Par-
me. Pitoyable état des Efpagnols. Ils repaffent la
Seine, Belle retraite du duc de Parme, Mort du
duc de Montpenfier ^ ff) du maréchal de Biron,
Eloge de ce dernier, Prife d'Efpernay par larmé^^
SOMMAIRE S. X)
du Roi. Infiances des Ei/eques Roynîiftes pour cnga- ~~ —
ger le Roi i envoyer une amhdj^dde au Pdpe, Pro- t y
jet pour faire un Patriarche en France, Remontrance
de lE'vêque de Beauvais au fujet des Economes éta-
hlis par le Grand Confeil, Le projet d'un Patriar-
che eft rejette:^ Révocation des Economes, Autres
réglemens pour la difcipline EccUfiafiique, Affaires
du Conclave, EléUion de Clément VIII, Voyage
du cardinal de Gondi a Rome, Sentimens du Pape
à regard de ce Prélat, Il fe jufiifie , & obtient la
permijflon d entrer a Rome. Bref du Pape au cardia
nal de Plaifance pour téléciion d'un Roi, Enregiflre-
ment du Bref au Parlement de Paris, Arrêt du Par-
lement de Chalons contre le Légat, Surprife du Pont-
de-r Arche par les Ligueurs, Prife de la Guierche ^
de ChâteaU'dlfie par les Royalifies, Autres expédi-
tions, siège de Craon par les troupes du Roi, Le
duc de Mercœur marche au fecours de la place. Le-
vée du fîége. Défaite des Royaliftes, Siège de Ro-
che fort par le maréchal d'Aumont. Levée du fiége,
Prife de Ghiintin par le duc de Mercœur. Défaite
des Anglois par les Ligueurs, Confpiration contre
le duc de Montpenfier découverte. Combat de Beau-
-mont entre les Royalifles ^ les Ligueurs. ViSioire
du duc de Bouillon. Entreprife fur Dunparce Duc,
yConfpiration du Gouverneur de F ont arable découverte.
Expédition en Guyenne, Guerre dans le ^crcy ^
le Languedoc, Le duc de J(yeufe efi battu , ^ fe
noyé. Le comte du Bouchage quitte l habit de Ca-
pucin pour fe mettre a la tête de l armée des Ligueurs,
Expédition en Provence, Mort de la V ailette. Les
Ligueurs s emparent de Vienne ^ ^ des Efcheiles,
Prife (£ Amibes par le duc de Savoye, Exploits
xij sommaires:
■ de Lefdiguiéres en Provence ft) dans le Piémont,
j y Divifion en Normandie dans le parti de la Lioue.
155,2.
SOMMAIRE DU LIVRE CIV.
S Vite des affaires des P aïs -Bas, Extrémités des
E/pagnols de ce côté-la. Tentati^'e de r armée
dis Etats fur lEclufe & fur Maftricht. Képonfe
des Etats aux Ambajfadeurs de l' Empereur. Prife
de Steen^v^ick^ ^ d'Oetmarfen par le comte Maurice,
Il fe rend maître de Co'é^orden. Mort du duc de
Parme, Son éloge. Ses obféques. Le comte Pierre-
Ernefl de Mansfeld lui fuccéde jufquà t arrivée de
l Archiduc aux Pais -Bas. Prife s faites par les An-
glois fur les Efpagnols. Difgrace d Antoine Pere^,.
Conduite de Philippe IL i fon égard, Percz^fe re-
tire i Pau en Bearn. Morts illufires • de Guillau-
me duc de Cle<ves s du Prince Jean Cafimir fils de
r Eleveur Palatin j d'Elifabeth d'Autriche ojeui'e de
char le IX. De Ghiflin de Boejbecq j de Vincent
Lauro , çrand médecin & cardinal ; de Michel
de Montagne j de Frédéric Furio Ceriolano j de
Guillaume Landgrave de Hejfe j de Jean roi de
Suéde. Mariage de Sigifmond roi de Pologne avec
t Archiduchejfe Anne fœur de F Empereur. Affaire de
ïéléElion dUn Eve que de Strafpourg. Eléciion de
Jean-George de Brandebourg. Eléciion du cardinal
Charle de Lorraine par la faBion oppofée. Mena-
ces du Cardinal. Guerre à ce fujet, IJ Empereur
interpofe fon autorité. Troubles dans la Saxe au
fujet de la Religion. Pefle dans l îfle de Candie,
Délibération du Di^an au fujet de la guerre. Rai-
fons pour la continuer en Perfe, Raifons pour la
SOMMAIRES. xiij
déclarer au roi de Vct^ ^ de Maroc, Raijons pour ■■ -
attaquer Malthe, Kaifons pour faire la guerre au Henri
roi i Efpagne ^ ou aux vénitiens, Kaifons pour att a ^ IV.
quer l'Italie ^ ou la Pologne. On fe détermine à la ^59^*
guerre de Hongrie. Afan Bâcha de Bofnie entre dans
ce Royaume a la tête d'une armée. Prife de VVihifz
par les Turcs, P aima place importante bâtie parles
vénitiens fur la Frontière du Frioul. Sédition des
Spahis a Conftantinople. Suite de la guerre de Hon-
grie. Siégé de Sijfeck^par Ajfan. Défaite des Turc s ^
t^ levée du fiége. Prife de Sijfeck. Siége de Fi^
leck^ par les Impériaux- Prife de la place. Défaite
des Turcs, ^elques peuples Catholiques de Bohême
deraandent la communion fous les deux efpéces. Faits
extraordinaires. Dent d'or née a un enfant de Siléfe.
Mort de Latino Latini , t^ de Leuncla^ius.
jl\
SOMMAIRE DU LIVRE CV.
Ffaire s d'Allemagne. Troubles a Leipfck& à
maaassnnn
Brunf^^ich^au fujet de la Religion. Suite de ^^^^
la guerre de Strajhourg. La conteftation efl mife en
arbitrage. Les Efpagnols chajfés de Nuys. Mariage
de lElécieur Palatin avec la fille de Guillaume prince
d'Orange. Mort du duc de VVirtemberg. Voyage
du roi de Pologne en Suéde. Couronnement de Chrif
îierne IV. roi de Dannemarch, Mariage du Land-^
gra^e de Hejfe a<vec la fille du comte de Solms. Suite
des ajfliires de Flandres. Charle de Mansfeld entre
en France à la tête des troupes Efpagnoles. Prife
de Noyon. Autres expéditions de Mansfeld. Edit
cruel de Philippe II, au fujet des prifonmers de
^ ...
e iij
xiv S O M M A I Pv E S.
7j~ guerre. Siège de Genmydenherg par le comte Mau^
lY rice. Le comte de Mansfeld tente inutilement d'y
/ Î9 3. A^^^^' dît fe cour S. Reddition de la place. Tentative
des Ejpagnols fur le Fort de Crevecœur. Ils Je ren-
dent maîtres d'O'étmarfèn ^ dw château de VVedde ^
& de quelque s -autre s petites places en Frifè. Ten^
tative du comte de Mans feld fur les ifles de Zirickzje
^ de Tergo'és. Tentative du prince d'Orange fur Bru-<
ges. Suite des affaires de France, Convocation des
Etats de la Ligue pour féléSiion dun roi Catholique.
Déclaration du duc de Mayenne , ^ lettre du cardinal
de Plaifance à ce fujet, Képonfe des Catholiques
Rojalifies a l' Ecrit du Duc. Bdit du Roi à ce même
fujet. Cenfure du Légat ft) de la. Sorhonne pronpncée
contre la réponfe des Catholiques du parti du Roi,
Les Ligueurs mettent en délibération s' ils y répondront.
L'avis pajfe pour ï affirmative. Ecrit des Ligueurs i
ce fujet. Le Roife rend a Mante avec la prince ffe Ca^
therine fa fœur, Affemhlée des Etats de la Ligue ^
Paris. Ouverture des Etats. Harangue du cardinal
de Pellevé. Le Catholicon ^ ou Satyre Ménippée. Dif
cours du duc de Feriaaux Etats au nom de Philippe II „
Lettre de ce Prince a ce fujet. Réponfe du cardi^zal de
Pellevé a cette harangue, A la follicitatioyi du Légat
on commence dans les Etats par examiner la matière
du Concile de Trente. Commiffaires nommés à cet
effet. Leur rapport. Cette affaire efi remifè à un au^
tre tems.
SOMMAIRES. XV
SOMMAIRE DU LIVRE CVI.
OVverture des Conférences entre les Catholiques
du parti du Roi ^ les députés de la Ligue, On ^J^^^
s ajfemble à S urefne. Difficultés fur^enu'ès au fujet de
Rambouillet. Première féa?2ce. Difiours de Renaud de
Beaune arche^véque de Bourges^ ou après a^oir fait
woir les avantages de la paix ^ il montre par t Ecri^
ture ^ par des exemples ^qu on ne peut Je flatter dy
parvenir^ qu'en fe Joumettant au Roi, Réponfe de
Pierre d Efpinac archevêque de Lyon ^ qui prétend
prouver qu'avant toutes chofes on doit pourvoir a la
fureté de la Religion, Réplique de ï archevêque de
de Bourges , qui après avoir réfuté les raifons allé^
guées par l archevêque de Lyon ^ fait voir que ^ ni dans
r ancienne Loi , ni dans la nouvelle , il ri a jamais été
permis de fe foulever contre fon Prince fous prétexte
de fa Religion, Seconde féance. Difcours de ï arche ^
vêque de Lyon ^ où il tache de répondre aux exemples
•^ aux raifons avancées par l'archevêque de Bourges,
Voyage du comte de Schomberg à Paris ^ pour détour-
ner le duc de Mayenne de faire un Roi, Troifiéme
féance. Les Catholiques demandent du tems pour ren-
dre compte au Roi de ce qui sefi pajfé, Députatton
de Schomberg Csf de Revol à ce Prince pour ce fujet y
& pour rexhort er à fe faire inflruire. Lettre de de Thou
au duc de Bouillon , pour l'engager à ne fe point op-
pofer a la converfîon du Roi, Ajfûrance par écrit don-
née aux Proteflans par les princes ^ feigneurs Ca-
tholiques du parti du Roi , quil nefepajfera rien a leur
préjudice dans les conférences de Sure /lie. Le Roi déclare
quil efl difpcfé à fe faire infiruire, ^atriéme féance.
IV.
^595'
xvj SOMMAIRES.
- L' Archenyéque de Bourges fait part aux députés de la
Henri j^ig^^ ^^^ difpofîtions du Roi, Ils demandent du tems
pour en inftruire ceux de leur parti. Diojijton kcefujet
parmi les Ligueurs, Ajf emblée tenue à ce Jujet dans le
logis du Légat. Le duc de Feria demande quon recon^
noijje incejfamment pour Reine t Infante d'Efpagne.
Réponfe de Rofe évoque de Senlis a cette propofition des
Efpagnols, Difcours d'Inigo de Mendoç^a aux Etats
de la Ligue en faveur des droits de l'Infante, Cinquième
féance des Conférences tenues a la Roquette, Difcours
de t archevêque de Lyon ^ qui renvoyé au Pape la
connoijfance de la con^erfion du Roi. Réponfe de V ar-
chevêque de Bourges, Dernière féance tenue a la ViL
lette. Le Légat prejfe de nouveau Vêle El ion d'un Roi,
Les Efpagnols propofent fans fuccès l* Archiduc Ernefl
au moyen de fon mariage avec l Infante, Tumulte de
Paris aufujet de la rupture des Conférences > Les Ef-
pagnols demandent que les Etats s^ obligent à reconnoî-
tre pour Roi celui qui fera nommé par Philippe. Les
Députés s y oppofent. Arrêt du parlement de Paris
pour U confervation de la Loi Salique. Différend du
duc de Mayenne avec le Préfident le Maifire au fujet
de cet Arrêt.
pin des Sommaires du onzie'me Volume,
HISTOIRE
HISTOIRE
D E
J A C QJJ E AUGUSTE
DE T H O U
IIFRE ^ATRE - VINGT DIX-SEPTIEME.
Près Ici more du Roi Henri III. qu'un coup
malheureux venoit d'enlever à la France au
milieu du cours de les vidoires , les fentimens
des principaux Seigneurs &; Officiers de l'ar-
mée Royale fe trouvèrent afièz partagés. La
plus faine & la plus nombreufe partie jugeoit
qu'il n'y avoit aucune efpérance de conlerver l'Etat , qu'en
gardant l'ordre de la fuccelîîon établi par les loix : Qtie fi
Ton s'en écartoit , on verroic s'élever en France autant de
Rois , ou plutôt de cruels tyrans , qu'on comptoit de pro-
vinces , de villes , 6c de gouvernemens dans ce floriifant
Royaume : Qu'en effet _, en donnant Texclufion à celui à qui
Tome XL A
i
^^^S
^^Stt^^S^^B
H E NKI
IV.
1589.
Suite des
affaires de
France.
Sentimens
difFérens des
Seigneurs &
Officiers de
l 'armée roya-
I; , après la
inorc de
Henri III.
2 HISTOIRE
- la Couronne appartenoir de droit , c'étoic en laîiTer la dé-
Henri cifion à la force leule , ou à la fortune : Qiie l'unique moyen
I V. d'éviter ce démembrement étoit donc de fe foûmettre tous
j - g j, de concert au roi de Navarre , comme au légitime héritier :
Qii'il y avoir beaucoup d'apparence que le feu Roi ne l'avoic
fait venir des extrémités de la Guienne , & ne s'étoit récon-
cilié avec lui , que pour lui confier le maniement des affaires
pendant fon vivant , èc pour lui aflurer le trône à fa mort ,
conformément aux loix du Royaume : Que la Religion ne
devoir point être un obftacle à cette réiinîon des fujets avec
leur légitime Souverain : Qu'elle feroît plus en danger par
la diviiion , fuite inévitable de l'exclufion du roi de Na-
varre , que par l'avènement de ce prince à la Couronne j 6c
qu'ayant donné dans mille autres occafions tant de preuves
de fa bonne foi &c de fon équité , il n'y avoir pas lieu de rien
craindre de fa part dans celle-ci : Que la confervation du
Royaume mettoit la Religion à couvert : Qii'au contraire k,
ruine de l'Etat l'expofoit à un péril inévitable j parce que
les hérétiques qui fe trouvoient foibles par l'union de toute
la nation , deviendroient redoutables fî elle étoit une fois
divifée : Qiie perfonne n'ignoroit en eflFet que la Religion
n'étoit qu'un prétexte dont les factieux fe fervoient pour
brouiller l'Etat , & pour fomenter l'efprit de révolte , en
amufant le peuple imbécille de ce vain fantôme : Que le
malheur tout récent du feu Roi , devenu la vidime de la
guerre qu'on avoir déclarée aux Proteflans , en étoit une
preuve convaincante ; Qu'il n'y avoit pas lieu de croire que
celle qu'on entreprendroit contre le roi de Navarre , fût
fondée fur des vues plus légitimes : Qu'en changeant d'ob-
jet , les factieux n'avoient point changé de but : Que leurs
defTeins étoient toujours les mêmes : Qu'outre cela il feroit
honteux pour la nation de ne pas tirer vengeance d'un par-
ricide aufîî exécrable ^ & qu'ils ne pouvoient efpérer que
perfonne s'y portât avec plus d'ardeur qu'un Prince , qui par
la difpofîtion de la loi étoit appelle à fuccéder à la Cou-
ronne : Qu'ils dévoient donc s'abandonner aux ordres de
la Providence , qui fembloit conduire le roi de Navarre
comme par la main j & reconnoître ce Prince pour leur
Souverain , après avoir exigé de lui c^'il s'engagât à
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVIL $
maintenir la Religion de leurs ancêtres : Que leur foûmifl ~
iîon ne pouvoit et e trop prompte èc trop /încére : Que de He N m
là dépendoient le falut de l'Etat , & la coniervation de la I V.
Religion. / ^ ^ ic8o.
D'autres loûtenoient au contraire : Qu'il falloit com-
mencer par mettre la Religion à couvert j Ôc que les inté-
rêts de Dieu toujours infiniment jaloux de Ton culte , dé-
voient marcher avant tout le refte : Que des Chrétiens vé-
ritablement zélés pour leur Religion , ne daignoient pas
faire attention à des dangers tels que ceux qu'on venoit de
repréfenter , perfuadés qu'ils étoient qu'avant toutes cho-
fcs il falloit chercher le Royaume de Dieu , 6c que c'étoit
le moyen d'obtenir de fa bonté les fecours nécelTaires pour
joiiir d'une vie heureufe & tranquille : Qiie Dieu qui de toute
éternité avoit choifi l'Eglife pour fon époufe , èc avoit pro-
mis de la protéger jufqu'â la fin des lîécles , n'abandonnoit
jamais fes véritables ferviteurs 5 èc qu'on devoit aînfî fe re-
mettre de tout le refte aux foins infinis de fa Providence
bienfaifante. Telles étoient les raifons fpécieufes , dont fe
fervoient ceux qui ne cherchoient qu'un prétexte honnête
pour fe retirer.
Enfin il y avoit encore un tiers parti compofé de ceux
qui n'en prenoient aucun dans les circonftances préfentes 5
6c ce n'étoit pas le moins nombreux. Ceux-ci uniquement
attentifs à leur fureté particulière , ne croyoient la trouver
nulle part mieux que dans le camp , où s'étoit raflemblée
toute la Noblefîe Françoife , qui tant que la guerre dure-
roit l'emporteroit toujours fur les autres Etats du Royaume.
C'étoit même , à leur avis , le parti le plus honnête qu'on
pût choifir. C'étoit la , félon eux , le pofte le plus avanta-
geux pour attendre que la fortune eût décidé ce grand dif-
férend j après quoi le fort des armes s'étant déclaré , il leur
feroit libre , difoient-ils , de fe joindre au parti du vain-
queur , parce qu'ils trouveroient toujours un afyle afluré
dans les villes , dont les portes ne feroient jamais fermées à
quiconque voudroit s'y retirer.
Tandis que le camp étoit dans ces agitations , le nouveau
Roi , qui ne fcavoit encore fur qui compter, tenoit Confeil
à Meudon oii il étoit logé , avec Jean la Fin fieur de Beauvais
Aij
tion.
4 HISTOIRE
la-Nocle , Jean de Chaumont fieur de Guitry, Jacque de
H E N K I Segur , & quelques autres de fes plus zélés ferviteurs , fur
j y^ le parti qu'il avoità prendre. La plupart prétendoient, que
I çSo, ^^^^ ^^^ commencemens ce Prince devoir d'abord penfer à
fa fureté j qu'ainfî il falloit qu'il marchât vers la Loire â
Confeil tenu la tête des troupes qu'il pourroit retenir à fon fervice , 6c
par le Roi de ^q^^ l'afFedion lui feroit connue 5 que par fapréfence, ôc
l'occafioV de Celle dc fon armée , il s'afRireroic de Tours , où le feu Roi
cette révolu- avoit mîs , comme en dépôt, tout ce qui a coutume d'an-
noncer la préfence & la majefté de nos Souverains , ôc qu'il
s'afliireroit auffi de toutes les villes voifines : Qu'elles fer-
viroient comme de rempart à la Guienne, que ce Prince
laiiïèroit derrière lui 3 Et que de-là il lui feroit aifé dans la
fuite de porter la guerre dans les Provinces iituées en de^à
de cette rivière.
Le Roi paroiiToit d'abord afiez difpofé à prendre ce parti,
qui en effet lui paroifloit le plus fur. Perfuadé que de vou-
loir conferver en même tcms le païs iitué en deçà de la
Loire, & celui qu'il poiîedoic au delà, c'étoit rifquer de
perdre l'un & l'autre : pour s'alfûrer àcs Provinces , dont il
le voyoit déjà le maître , il etoit prêt d'abandonner lerefte
pour quelque tems , lorfque Guitry le fit changer d'avis.
C'étoit un homme de poids , d'une éloquence mâle , de dif-
tingué également par fa bravoure, &L par fa prudence. Il
repréfenta que les ennemis ne manqueroient pas d'attri-
buer à la peur la retraite du Roi , & de la regarder comme
une fuite : Qiie les premiers fuccès d'une guerre dépen-
dolent de la réputation qu'on fe faifoit d'abord 3 & que
pour s'attirer l'eftime des peuples , fî nécelTaire à l'affermiflê-
ment d'un nouveau régne , on pouvoir fans crainte rifquer
quelque chofe : Qiie d'ailleurs le danger n'étoit pas auffi grand,
qu'il le paroiffoic du premier coup d'œil : Que parmi la No-
blelfed'en deçà de la Loire, on comptoir encore plufieurs
Seigneurs zélés pour le fervice du Roi , qui , fî ce Prince te-
noit bon , fe feroient un point d'honneur de ne pas le livrer
à fes ennemis j èc qu'au contraire s'ils s'appercevoient qu'il
eût la moindre défiance de (es forces, & qu'il fongeât â
abandonner les Provinces d'en deçà de la Loire , où ils
avoien: tous leurs biens , ils ne manqueroient pas de le-
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 5
retirer fur le champ. Il ajouta qu'on devoir compter par-
ticulièrement fur les troupes SuilFes nouvellement arrivées: Henri
Que M. de Sancy avoit fur elles beaucoup de crédit ôc d'au- I V.
torité 'y & que par fon entremife il ne feroitpas impoffible 1580.
de les retenir au fervice du Roi , fl elles le voyoient dans
la réfolution de refter en deçà de la Loire : Qu'au contraire ,
{î ce Prince s'éloignoit de la Seine , elles ne manqueroienc
pas de demander leur congé , fous prétexte que leurs or-
dres étoient expirés par la mort de fon prédecefTeur : Qii'ainfî
il étoit d'avis qu'on tentât d'abord ce moyen, avant que
de fe déterminer à aucun parti.
Cet avis l'emporta j &c il fut réfolu qu'avant toutes chofes
on commenceroit par négocier avec les Suiflès. Il arriva . Les Sui/Tes
heureufement que , fans être prévenu , Sancy avoit déjà ™"eu"rs ferl
formé le defTein de rendre au Roi le fervice , que Guitry vices au Roi,
avoit afTuré qu'on pouvoit attendre du zélé &; de l'afFec-
tion de ce Miniftre. A peine fut-il inftruit de la mort du Roi
Henri III. qu'il affembla tous les Officiers généraux des trou-
pes Suifles , & leur fit un difcours plein de feu , dans lequel
il leur repréfenta que de leur zélé, ôc de leur attachement
dépendoit le falut du Roi èc de l'Etat : Qiie la noblefle
Françoife qui , malgré f^ss bonnes intentions pour le nou-
veau Roi , ne pouvoit cependant s'empêcher de trembler
à la vue de la révolte précipitée de tant de villes , n'atten-
doit que le moment qu'ils fe déclarafîènt , pour fuivre auffi-
tôt leur exemple : Que s'ils paroiflbient balancer un inftanc
à prendre leur parti , on alloit voir cette Nobleilè fe déban-
der, &c abandonner le falut dn Royaume, pour chercher
dans la retraite les moyens de pourvoir à fa propre ilireté.
Il les conjura donc par les nœuds facrés de l'alliance qu'ils
avoient contradée avec nos Souverains, de refier dans le
camp , & de s'engager à fervir le Roi , du moins encore
pendant quelque tems j ajoutant que ce fervice feroit non-
feulement avantageux à leur Nation , qui avoit toujours
regardé la France comme le plus fur appui de leur Répu-
blique -, qu'il leur feroit même un honneur infini , & que
la poflérité la plus reculée leur feroit à jamais redevable
d'avoir préfervé d'une ruine prochaine un des plus puiilàns
Etats de l'Europe , dont le falut intéreffoit non-feulement:
A ii>
ê HISTOIRE
* la nation Françoife , mais même tout l'univers Chrétien ;
Henri Qiî^ ^^ ^^^ certainement ne prendroit Ton parti , que fui-
j Y vant la ré/blution à laquelle ils fe détermineroient j & qu'il
regarderoit leur déclaration , quelle qu'elle fût , comme un
ï 597- prefage infaillible du bon , ou du mauvais fuccès deièsen-
treprilès.
Il y avoir dans cette afïèmblée quelques Officiers , qui
n'étoient pas trop bien intentionnés pour le Roi. Ils n'olé-
renr à la vérité s'oppofer ouvertement au parti que M»
de Sancy leur propofoit ^ mais pour fe difpenlèr de l'accep-
ter , ils repréfentoient qu'ils n'avoient point d'ordres -, que
leurs pouvoirs étoient expirés par la mort du feu Roi 3 ôc
qu'il ne leur étoit pas permis de fe déclarer , fans avoir au-
paravant inftruit les Cantons des proportions qu'on leur
faifoit. Sancy remontroit au contraire que c'çtoit moins
avec Henri III. que le corps Helvétique avoit fait alliance ,
qu'avec la couronne de France , qui ne meurt jamais j ôc
qu'étant légitimement dévolue à Henri de Bourbon par
droit de fucceffion , il devoit être regardé dès-lors comme
Monarque fouverain de l'Empire François : Que le Roi ne
meurt point en France , où le mort faifît le vif : Qu'ainfî
l'alliance fubliftoit toujours : Qiie le Roi n'empêcheroit pour-
tant point qu'ils ne fatisfiiTent à ce qu'ils croyoient que
leur devoir exigeoit d'eux : Qu'ils pourroient députer
quelques-uns de leur corps , pour informer \qs Cantons
de ce changement j mais qu'en attendant qu'ils en eufïenc
reçu, réponfe , ce Prince leur demandoit une grâce , qu'ils
ne pouvoient lui refufer , fans donner atteinte aux traités 5
que c'étoit de ne point fe retirer , Ôc de refter encore quelques
mois à fon fervice , fans exiger cependant le payement de
' leurs appointemens 3 que dans les circonftances fâcheufes ,
où le Roi fe trouvoit , il ne conviendroit pas de lui faire
une pareille demande , qui pourroit d'ailleurs caufer de nou-
veaux troubles.
Après que les Suiffes eurent délibéré fur ces proportions
de Sancy , les fentimens fe trouvant encore partagés , ce
Miniffcre, pour les intimider, fit agir fous main quelques-
uns des Officiers qui étoient dans (qs intérêts , & fur lef-
quels il comptoit. Ceux-ci firent entendre aux autres que
DE J. A.DE THOU, Liv. XCVII. 7
s'ils prenoienc le parti d'abandonner le nouveau Roi, ils
ne pouvoienc manquer d'être attaqués dans leur retour par •" ^ ^ r 1
les garnirons de tant de villes ennemies, qui fe trouvoient
fur leur pafTage j ôc que peut-être ils feroient obligés de fe i 5^9»
foumettre à des conditions honteufes , qui déshonoreroient
toute leur Nation. Ce dernier motif contribua , dit-on ,
plus qu'aucun autre , à les déterminer. Il fut réfolu, que fur
le champ ils iroient reconnoître le nouveau Ro i 3 qu'ils s'en-
gageroient à refter encore deux mois à fon fervice 5 & que
cependant ils députeroient aux Cantons , pour leur deman-
der de nouveaux ordres. Il ne fut pas enfuite difficile de
les faire confentir à ne point exiger le payement de leurs
appointemens. Ils conçurent aifément , que fans cela le Roi
leur feroît fort peu obligé du fervice, qu'ils prétendoient
lui rendre , en reliant dans fon camp. D'ailleurs ils fçavoient
que ce Prince n'étoit pas alors en état de leur fournir de
l'argent comptant.
Sancy , après cet accord , étoit' fur le champ monté à
cheval , fuivi de.quarante de leurs principaux Officiers , pour
aller trouver le Roi , lorfqu'il rencontra Guitry , que ce
Prince lui envoyoic • celui-ci n'eut pa:> plutôt appris de Sancy
ce qu'il avoit négocié avec les Suifles , & que l'affaire qui
l'amenoit , dont il avoit fait efpéfer au Roi uh heureux fuccès,
étoit déjà conclue , qu'après avoir félicité ce Miniffcre , &c
lui avoir fait les complimens que méritoit un fî important
fervice, il retourna à toute bride en donner avis au Roi,
tandis que Sancy accompagné des SuifTes s'avançoit au pe-
tit pas.
Henri reçut une véritable joye , en apprenant cette nou-
velle j & il ne fut plus mention de l'avis , qui avoit paru
d'abord balancer celui de Guitry. Dès-lors on ne parla plus
de marcher vers la Loire j & il fut réfolu tout d'une voix
de faire la guerre en deçà. Le Roi s'avança d'un air riant,
pour aller recevoir cette députation. Sancy eut l'honneur
d'être embrafTé de ce Prince , qui donna enfuite le plus
gratieufement du monde fa main à baifer à tous les Officiers
SuifTes , en leur faifant mille remercimens , &. les afTûranc
qu'il n'oublieroit jamais que c'étoit à eux qu'il étoit re-
devable du falut de faperfonne & de fon Etat, Dq-H il prit
t HISTOIRE
■ I la route de faînt Cloud , où il alla loger à la maifon de du
Henri Tillec fîtuée au bas du bourg , afin d'éviter le trifte appa-
IV. reil de celle de Gondy bâtie fur la hauteur, où le feu Roi
1589. ^coit mort le matin. La il fe fit un grand concours de Sei-
gneurs , &c de Gentilshommes qui vinrent du camp , pour
làluer ce Prince. Cependant il prit le deiiil tel que nos
Rois ont coutume de le porter, &L fit tendre tous fès appar-
cemens des tapifleries , 6c autres ameublemens violets , qui
fervoient aduellement à fon prédecelTeur , lorfqu'il fut aflafl
fmé , parce qu'il étoit en deiiil depuis la mort de la Reine
mère. Ainiî la Cour ne changea point de face, en chan-
geant de maître.
Néanmoins on murmuroit encore alTez hautement dans
le camp au fujet de la religion du nouveau Roi, A la vé-
rité tout le monde convenoic que dans les circonftances pré-
fentes, où les plus fermes appuis du Trône étoien : ébran-
lés , il n'y âvoit qu'un coup du Ciel qui , pour afliirer la
fucceflîon à la Couronne , eut pu donner à la France un
Prince doiié de tant de vertus , & célèbre par tant de fuccès.
Mais on ne trouvoit pas encore que cela fufFit , pour mettre
/la Religion eu furecé. Ain(i l'après-midi , ce qui fe trouvoit
'dans le camp de Seigneurs Se de Confeillers d'Etat , prefque
tous gens d'épée, s'affemblérent dans la maifon de Gondy.
Là on délibéra fi on reconnoîcroit le Roi de Navarre 5 & les
avis furent d'abord alTèz partagés. Il s'en trouva qui pré-
tendoient qu'on devoit renvoyer cette affaire à la décifîon
des Etats , qu'on convoqueroit pour ce fujet j & que cepen-
dant il ne failoic faire aucune démarche qui pûcpréjudicier
à la liberté de cette afîemblée. Ceux-là , lorfqu'ils parloienc
du nouveau Roi , l'appelloient encore le Navarrois 3 & ajoû-
toient que ce Prince étoit à un degré trop éloigné de la
Couronne , pour qu'on dut fe déclarer en fa faveur , fans
y avoir auparavant penfé mûrement , fur- tout s'il y a voie
à craindre que cette démarche ne mît l'Etat en danger , &
ne l'exposât à une ruine irréparable. D'autres , fans s'éloi-
gner de ce fentiment , étoient bien d'avis de remettre la
décifion de cette affaire au jugement des Erats j mais pour
ne pas paroître révoquer abfolument en doute les droits
de Henri, ils croyoienc qu'en attendant il falloit toujours
reconnoître
DE J. A. DE THOU Liv. XCVII. 9
i-econnoître ce Prince pour Généraliiïîme de l'armée , &: en
cette qualité lui prêter obéïflance. Le plus grand nombre H e n k i
foûtcnoit au contraire, qu'il n'y avoit point de tems à per- I V.
dre , & qu'il falloit inceflammenc le reconnoître pour Roi , 158^.
Tans mettre aucunes bornes à l'obéifTance qu'on étoic obligé
de lui jurer j que le moindre retardement pouvoir être d'un
préjudice infini 3 & qu'en laiiîànt douteux le droit de ce
Prince à la Couronne , on donneroit le tems aux différents
partis qui s'étoient formés dans le Royaume , de fe réunir j
ce qui les rendroit beaucoup plus difficiles à détruire dans
la fuite.
Ce fentiment l'emporta enfin , &: il fut réfolu qu'après f-^^^ri iv.
r / '\ ' A ' r J /^ J ' reconnu Pat
avoir pris toutes fes furètes , on preteroïc lerment de nde- ^o^^ j.J.
iicé à Henri de Bourbon , comme à l'héritier légitime de méc.
la Couronne. En conféquence ce Prince , fuivant la formule
du ferment ordinaire aux Têtes couronnées , s'engagea ,
foi 6c parole de Roi , à conferver dans le Royaume la Re-
ligion Catholique , Apofloiique de Romaine dans toute fa
pureté J à ne faire aucune innovation , ni changement dans
Tes dogmes &c fa difcipline j &: à ne conférer les bénéfices ,
ôc autres dignités Eccléfiaftiques , qu'à des fujets capables,
d>L faifans profefTion de la Religion Catholique , conformé-
ment à ce qui s'étoit toujours pratiqué jufqu'alors. Enfuite
il renouvella l'affûrance qu'il avoit donnée plufieurs fois
avant fon avènement à la Couronne , de fe îbûmettre au
fujet de la Religion à la décifion d'un Concile général
ou National , qu'il auroit foin de faire afTembler dans le
terme de fix mois , s'il étoit pofïïble , promettant de ne fouf-
frir cependant dans toute l'étendue du Royaume, l'exer-
cice public d'aucune autre Religion , que de la Catholique ,
Apoftolique , ôc Romaine , excepté dans les places dont
les Proteflans étoient aictuellement en pofTefiion , confor-
mément au traité palFé au mois d'Avril dernier entre ce
Prince & le feu Roi j ce qui auroit lieu jufqu'à ce qu'il en
eut été autrement ordonné , ou par une pacification géné-
rale , ou par une afTemblée des Etats qui lé tiendroit dans
iix mois, il s'engagea outre cela à ne confier le comman-
dement des villes èc places du Royaume dont il fe rendroic
^naître dans le cours de cette guerre , qu'à des Catholiques,
10 HISTOIRE
excepté cependant de celles , dont il avoit été autrement
Henri ordonné par le traité pafTé avec le feu Roi j comme aufîî de
I V. ne nommer que des Catholiques aux charges , gouverne-
1580. rnens , & autres emplois publics , avec la reftridion précé-
dente en faveur des places qui étoient entre les mains des
Proteftans. Enfin il promit de maintenir les Princes , Ducs ,
& Pairs du Royaume , les grands Officiers de la Couronne,
les Seigneurs , Gentilshommes , & autres (es fidèles fujets ,
dans la poflèfîîon paifible de tous leurs biens , emplois , im-
munités , libertés , & privilèges j de prendre un foin par-
ticulier des fidèles ferviteurs du feu Roi 3 ôi de tirer une
vengeance rigoureufe èc à jamais mémorable , du parricide
aiFreux commis dans la perfonne de ce Monarque.
Après avoir fait jurer au nouveau Roi l'obièrvation de
ces articles , les Princes du fang , les Ducs & Pairs , les
grands Officiers de la Couronne , les Seigneurs , & Gen-
tilshommes qui fe trouvoient alors au camp , reconnurent à
leur tour Henri IV. roi de France & de Navarre, pour leur
•^ légitime Souverain , conformément aux loix du Royaume 5
lui prêtèrent ferment de fidélité j & lui firent offre de leurs
biens , de leurs vies , de de leurs fervices , pour exterminer
les rebelles qui afpiroient à fe rendre les tyrans de la Nation j
le tout aux conditions que j'ai rapportées 3 c'eft- à-dire , de
convoquer les Etats , & de fatisfaire aux engagemens que
ce Prince avoit pris au fujet de la Religion. En même tems
ils demandèrent qu'il leur fût permis de députer au Pape ,
pour l'informer de la démarche qu'ils venoient de faire ,
aufli bien que des raifons qui les y avoient engagés , de pour
obtenir de S. S. ce qu'ils jugeroient le plus avantageux ôc
le plus néceflàire pour le bien èc la confervation de la Re-
ligion , du Roi , 6c de l'Etat. Enfin ils fuppliérent ce Prince,
en qualité de fouverain protedeur des loix , & de père
commun de tous fQs fujets , aux biens & aux maux defquels
il devoit être également fenfible , de punir , comme ils le
mèritoient , les auteurs du perfide attentat , de l'afTaffinac
cruel , de l'abominable parricide , commis dans la perfonne
du feu Roi leur Seigneur , & le meilleur de tous les Princes,
& d'en faire un exemple dont le fouvenir pût palTer jufqu'à
la poftérité la plus reculée.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. n
Cette reconnoiiTance fe fie le 4. d'Août j & on en cîreflà ■■*"■" ""■""'^
un ade qui fut figné d'un côté par le Roi j de l'autre , par Henri
François de Bourbon prince de Conti , François de Bour- 1 V.
bon duc de Monpenfier, Henri d'Orléans duc de Longue- 1589.
ville , François de Luxembourg duc de Piney , Louis de
Rohan duc de Monbazon , Armand de Biron , & Jean d'Au-
mont maréchaux de France , Joachim de Dinteville lieu-
tenant de Roi de Champagne , les deux frères Nicolas ôc
Louis d'Angennes, Joachim de Châteauvieux , Charle de
Balfac fieur de Clermont , & Jean d'O fieur de Alanou , tous
rrois capitaines des Gardes du corps , François du PlelTis
fieur de Richelieu grand Prévôt de l'Hôtel , Charle & Fran-
çois Martel , le baron de Renty , Gilbert de la Curée, ôc
plufîeurs autres.
Parmi les Seigneurs qui fe trouvoîent alors au camp , il Retraite ^^
y r ••>•! rr r ^ duc d'Elper-
y en eut plulieurs qui , quoiqu ils approuvalient rort cette non.
démarche , quoique même ils eufîènt été des premiers à
preiTer l'exécution de ce qui venoit de fe faire , refuférenc
cependant de foufcrire cet acte , pour ne pas préjudicierà
leur rang. De ce nombre fut Jean Louis -de Nogaret duc
d'Efpernon. Comme fa qualité de Duc & Pair le mettoic
au-deiïus des maréchaux d'Aumont & de Biron , il refufa
defigner après eux.' Ceux-ci foûtenoient au contraire qu'à
l'armée leur charge ne leurpermettoit point dereconnoître
de fupérieur , &c que par conféquent ils avoient droit de
(îgner les premiers immédiatement après les Princes. Ce
qu'ils demandoient leur fut accordé j & c'en fut afîez pour
mécontenter le Duc. Auffitôt après , fous prétexte de quel-
ques affaires domeftiques , à l'occafion defquelles il avoit
déjà obtenu , difoit-il , un congé du feu Roi, il partit fuivi
de (qs troupes ^ &. de plufîeurs autres qui ne cherchoienc
qu'une occafion pour fe retirer ^ palîa par la Touraine , d'où
il arriva à Loches , une des places des plus confidérables du
Royaume , dont il avoit donné lui-même le gouvernement
à Sallerm , traverfa le Poitou , 6c fe rendit enfin à An^ou-
leme. ^
Le Roi quoique très-fenfible à cette retraite , qui pouvoit Difcours du
avoir de facheufes fuites , diflimula fagement fon relfenti- Ro> à cette
ment. Cependant, comme à l'exemple du duc d'Efpernon, °"^^°"'
B ij
12 HISTOIRE
■ ' la plupart des autres Seigneurs demandoient aufTi leur congé,
Henri ce Prince ks affembla , & leur parla en ces termes. » Vous
I V. « fçavez tous quels ordres le feu Roi mon prëdécelîeur d'iieu-
i <2q, " reufe mémoire m'a donnés , &: ce qu'il m'a recommandé en
» mourant. C'eil principalement de maintenir mes fujets ,
î3 foit Catholiques, ou Proteftans , dans une liberté égale,
»jurqu'à ce qu'un Concile canonique, Général, ou Natio-
î3 nal ait décidé ce grand différend. Je lui ai promis 6c juré
>3 d'exécuter fidèlement ce qu'il m'ordonnoit j de je regarde
>î comme un de mes premiers devoirs d'être exad à ma pa-
» rôle. Je vous parle de la force , parce que j'ai appris qu'il y
>3 a certains particuliers dans mon armée , qui le font fcru-
>3 pule de refter à mon fervice , à moins que je n'embralîe
3(3 la Religion Catholique. Sans doute ils m'ont crû afïèz
)3 foible , pour s'imaginer pouvoir me forcer par là à abjurer
>3 ma Religion , & à manquer à ma parole. Mais je fuis bien
53 aiie de leur déclarer ici en préfence de vous tous , que j'ai
»3 exprès afTemblés pour ce fujet , que j'aimerois mieux que
33 ce jour i'iit le dernier de ma vie , que de faire aucune dé-
33 marche qui pût donner lieu de me foupçonner d'avoir
33 chancelle dans ma foi , ou d'avoir fongé à renoncer à Ix
33 Religion dont j'ai fait profeffion jufqu'ici , avant que d'a-
33 voir été mieux inftruit par un Concile légitime , à l'auto-
33 rite duquel je me foûmets. Que quiconque a fi mauvaife
>3 opinion de moi fe retire donc dès qu'il lui plaira, je compte
33 plus fur cent bons François , que fur deux cens qui au-
33 roient des (entimens fi indignes. En effet Dieu protège
33 toujours les gens de bien. A l'égard de ceux qui tiennent
33 ces fortes de difcours , on voit bien qu'ils ont pris il y a
33 déjà longtems , des engagemens avec les ennemis de
33 l'Etat , & qu'ils n'oferoient paroître dans des lieux où il
33 faut faire preuve d'une véritable vertu : Qu'ils demandent
33 donc leur congé dès qu'ils le jugeront à propos j ils me
33 trouveront plus difpoié à le leur accorder , qu'ils n'ont
33 d'envie de 1 obtenir. Tout ce qui me fait de la peine , c'eft
» qu'ils déshonorent par là le nom François. Du refle quand
3> même vous m'abandonneriez tous , ce que je n'ofe penfer ,
■>> il me refle encore afiez d'amis pour pouvoir fans vous , Se à
•>:fc votre honte 5. avec le feul fecours de leurs bras ^ maintenir:
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIÎ. 13
» les droits de pxTon autorité. Mais dûs- je me voir privé mê-
» me de ce fecours , Je Dieu qui , comme vous en avez été H e n k i
» témoins vous-mêmes , m'a conduit depuis mon enfance I V.
55 comme par la main , ôc m'a comblé de d grands bienfaits , r « g o
M qu'ils palîent la portée de l'efprit humain , ne m'abandon-
M nera jamais. Oui , je ne croîs pas que le Seigneur fe foie
î3 déclaré pour David avec plus de bonté , de ait opéré en
>3 fa faveur tant de merveilles , que lorfque contre l'attente
53 de tout le monde , il m'a conduit lui-même jufque fur le
>3 Trône par tant de travaux èc au travers de tant de dan-
>3 gers 5 je ne doute nullement qu'après m'y avoir placé
>3 malgré tant d'obftacles , il ne m'y conferve , & ne me pro-
33 tége contre les efforts de mes ennemis j non pour l'amour
33 de moi , mais pour le lalut de tant d'ames , qui gémiflant
33 fous le joug de la plus cruelle tyrannie , implorent fans
33 cefTe fon fecours , éc pour la liberté defquelies il a daigné
33 fe fervir de mon bras. Qiie ces boutefeux apprennent donc
33 a fe taire ; èc qu'ils fe mettent une fois bien dans l'efprit ,
33 que je n'eflime pas afîèz le royaume de France , ni Tem-
>3 pire même de l'Univers entier, pour, dans la vue d^ÏQ
53 polTéder , renoncer à une Religion que j'ai , pour ainfi
33 dire , fucée avec le lait , ou pour embrafTer jamais une au'-
33 tre dodrine , que celle qui me fera propofée par un Con-
35 cile canonique , comme je m'en fuis déjà expliqué. Vous
53 fçavez que je fuis François , que j'ai le cœur franc , fîncére,
33 & ennemi de toute duplicité. Depuis plus de dix-fept ans
33 que je fuis roi de Navarre , je ne penfe pas avoir jamais
» manqué à ma parole , quoique j'aye eu plus d'occafions
>3 que perfbnne , de me venger de la manière indigne donr
33 j'avois été traité par mes ennemis. Du relie confîdérez ,.
33 je vous prie , s'il ne doit pas être bien dur 6c bien fâcheux
53 pour moi qui fuis votre maître , tandis que je vous laifle
33 une entière liberté de confcience , de voir parmi vous des-
33 gens des moins difbingués , prétendre me forcer à me con-
n former à leurs opinions chimériques. Cette prétention'
» efl-elle raifonnable ? Je m'en rapporte à votre jugement ,
33 & à celui de toute la Nation. En même tems je vous prie
33 d'à drefîer pour moi vos vœux au SeiG;neur , afin qu'il m'c-
Mckire dans mes vues, qu'il dirige mes delleins, qu'il béniiFe
B iij.
14 H I S T O I R E
" mes efForts. Priez-le , au cas que je fafle quelque faute ,
Henri " car je reconnoîs que je fuis homme comme un autre , ou
I v. " que je manque à quelqu'un de mes devoirs , de me faire
j çgg « la grâce de m'en corriger, & de m'aflifber dans toutes mes
» démarches des lumières de fon Efprit-Saint , pour l'ac-
» croiHèment du royaume de Jefus-Chriffc , la tranquiUité
» de la France , àc le foulagement de mes lujets. et
Il n'y eut que Louis de l'Hôpital fieur de Vitry , & quel-
ques autres Gentilshommes qui abandonnèrent abfolumenc
le parti du Roi. C'étoit par principe de confcience ,difoit Vi-
try , qu'il faifoit cette démarche. Qiioi qu'il en foit , il
montra en cette occalîon qu'il n'étoit pas du moins fî ten-
dre fur la reconnoiiïànce. il y avoir peu de tems que le feu
Roi lui avoit donné le gouvernement du château de Dour-
dan en Beaufle ^ èc au lieu de fonger à tirer vengeance du
déteftable parricide commis dans la perfonne de fon bien-
faideur , il abandonna cette place ^ pour faire voir , difoit-il ,
qu'il ne cherchoit pas à tirer avantage de fa retraite. Jacque
Argenti Ferrarois , qui étoit au fervice du duc de Nemours,
s'en mit fur le champ en pofleffion. Cependant l'ade conte-
nant les afliirances que le Roi avoit données à fon avène-
ment à la Couronne , & le ferment qui en conféquence lui
avoit été prêté par les Princes , Ducs, & Seigneurs de l'ar-
mée , fut lu 6c publié le 14. d'Août au Parlement féant à
Tours, avec un applaudifTement général. On en répandit
enfuite des copies dans les provinces ^ ocelles ne contribué-
rent pas peu à contenir pluheurs particuliers dans le devoir.
Réduaion Après avoir mis ordre à fes affaires , autant que les con-
âc pUificius jondures pouvoient le permettre , & s'être affiirè des Seî-
Royaume à g^^urs , le nouveau Roi commenta fon régne par une action
lobcïiîance que fa piété lui infpira. La fureur des Ligueurs contre Henri
deHenniv. m n'avoit que trop éclaté du vivant de ce Prince, par
l'horrible attentat commis fur fa perfonne. Henri IV. ap-
préhenda , qu'après un coup fi déteftable , ils ne portafTent
des mains facriléges jufque fur fes cendres ^ ôc pour préve-
nir cet accident , il réfolut de mettre en lieu fur le corps du
feu Roi. Ainfiil partit pour Compiégne , fuivi de route fon
armée. Sur fa route il fe rendit maître de Meulan , de Gi-
fors , & de Clermont en Beauvoifis. Enfuite après avoir mis
. DEJ. A. DE THOU,Liv. XCVIÏ. i^
à Compiégne le corps de Henri 111. en dépôt dans Pëglife
de S. Corneille , il tint Confeil avec les Seigneurs 6c chefs Henri
defon armée , fur le parti qu'il avoit à prendre. Là il y fut I V.
réfolu , puifque Pennemi ne paroifToit point en campagne , 1589.
de partager l'armée. On donna une partie des troupes au
duc de Longueville gouverneur de Picardie , qui avoit à fa
dévotion prefque toute la Noblefîe de cette province. Le
maréchal d'Aumont eut le commandement d'un autre corps,
avec ordre de pafîèr en Champagne , pour tenir en bride
les villes de la Ligue , 6c maintenir les bonnes intentions de
la NoblefTe qu'on renvoyoit dans {qs terres , 6c à qui il au-
roit été difficile de faire reprendre les armes , iî elle n'eût
vu dans fa province un Chef du parti du Roi , toujours en
état de fe mettre à fa tête. Au refte ces deux corps dévoient
fe rejoindre , au cas que l'ennemi attaquât l'une ou l'autre
de ces provinces.
Henri fe réferva le commandement du troifiéme corps ,
qui étoit le plus nombreux. A la fuite de ce Prince étoient
le prince de Conti j le duc de Monpenfier j Charle bâtard
d'Orléans Grand-Prieur de France , Colonel général de la
cavalerie légère j le maréchal de Biron ( i ) ^ Charle de Mon-
morenci fîeur de Damville colonel des SuilTes 3 Francjois de
la Tugie fîeur de Rieux , maréchal de Camp j François de
Coligny de Chatillon colonel de l'infanterie Françoife 5 Jac-
que Nompar de Caumont fîeur de la Force -, &c grand nom-
bre d'autres .Gentilshommes. Cette armée étoit compofée
en tout de mille chevaux tous en bon ordre , de deux régi- ^
mens SuifTes , 6c de trois mille hommes d'infanterie Fran-
çoife. A la tête de ces troupes , le Roi abandonna le projet
de s'approcher de la Loire , 6c de marcher vers Tours où il
avoit convoqué les Etats pour la fin du mois d'Odobre ^
mais pour ne pas laifïèr trop loin derrière lui Pontoife , Sen-
lis , Etampes , 6c Meulan , dont il n'étoit maître que depuis
peu-, 6c pour s'afîîirer en même tems une retraite par terre àc
par mer , en cas d'accident j il prit la route de Normandie,.
Son defTein étoit de fortifier par fa préfence le peuple 6c la
(i) Armand de Gontaut Seigneur de
Biron , qu'Henri III. avoir tait Ma-
réchal de France en 1577. père de
Charle duc de Biron , qui eut le bitoai
en 1S94'
i^ HISTOIRE
' Noblefîè de cette province , ( une des plus confidërables du
Henri Royaume , 6c d'où pendant tout le tems de la guerre il
I V. tira de très-grands fecours , ) dans les bonnes dilpofitions
j ego. où ils étoient déjà à Ton égard. D'ailleurs il efpéroit , en
feignant de vouloir faire quelque entreprife fur les villes qui
tenoient de ce côté-là pour la Ligue , pouvoir empêcher
les ennemis d'attaquer les places qu'il occupoit autour de
Paris , & donner par là à fon parti le tems de s'y fortifier.
Dans cette vue , ce Prince côtoyant toujours la Seine ,
- arriva au village du Pont S. Pierre , où du Rolet gouverneur
du Pont-de-l'Arche , petite ville lltuée à quatre lieues au-
delTus de Rouen , de jufqu'où monte la marée , vint le faliier
ôc l'alfûrer de fon obéïllance. De là Henri fe rendit à Dar-
netal , bourg voifîn de Roiien , fameux par [qs manufactu-
res de draps , où il campa , àc d'où il alla à la tête de qua-
tre cens chevaux , faire une courfe jufqu'aux portes de
Dieppe.
Cette ville fîtuée fur la mer , a un port très.avantageux ,
pour recevoir les fecours qu'on peut tirer de l'Angleterre ôc
de la Hollande. Aymar de Chaftes commandeur de l'Or-
dre de Malthe , & proche parent du duc de Joyeufe , en
ctoit alors gouverneur. C'étoit un homme d'une probité
reconnue , également diftingué par fa valeur & par une fi-
délité à l'épreuve , vertu bien rare dans ce tems-là. De
Chaftes n'eut pas plutôt avis de la marche du Roi , qu'il
lui envoya Philippe Canaye fieur de Freines , qui depuis peu
étoit arrivé d'Angleterre à Dieppe , avec ordre d'offrir de
fa part cette ville à. ce Prince pour s'y retirer quand Bon
lui fembleroit. Du refte il n'exigeoit de lui aucunes fùretés j
ce qui étoic directement contraire à ce que pratiquoient alors
la plupart des gouverneurs , qui ne recevoient guéres dans
leurs places de Seigneurs plus puilfans qu'eux , ni le Prince
même leur Souverain , fans prendre auparavant beaucoup
de mefures , ou fans tirer d'eux des fommes confidërables.
Tout devoir être naturellement fufpect à Henri au com-
lïiencement d'un nouveau régne. Ce Prince n'avoit d'ailleurs
encore aucunes preuves de la fidélité du Comm^mdeur. Mais
d'un autre côté il étoît pour lui d'une confequence infinie
d'ayoir en Noi:mandîe une placç cjui lui férvît dans^ le
tefoin p
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIL Ty
befoîn , comme d'une retraite affiirëe ,' d'où il pût de loin ' ■ .j
JaiiFer gronder l'orage , tandis qu'il prendroit tranquillement Henri
£qs melures. Cette réflexion le détermina j il réfolut de IV.
tenter l'avanture, Se de voir par lui-même , il l'efFet répon^ 1^89.
droit aux promeiles qu'on lui failoit.
De Chaftes de Ton coté écoit trop fenfé & trop équitable ,
pour ne pas s'appercevoir de l'embarras où il mettoit le Roi
par la propofîtion qu'il lui avoit fait faire. Ainlî pour don-
ner à ce Prince une preuve fignalée de fon attachement, &
lever en même tems tous fes ombrages , il alla le recevoir
hors de fa place à la tête de toute fa garnifon ^ èc après lui
avoir rendu fes devoirs, il lui dit : Qu'il ne reftoit plus de
troupes dans Dieppe : Que la ville 6c le château étoient ou-
verts à S. M. Qu'elle pouvoit en envoyer prendre poflTeffion
par qui bon lui lembleroit : Que pour lui il n'y remettroit le
pied que quand elle y auroit fait entrer garnifon , & s'en fe-.
roit parfaitement aflilrée. ^j II eft vrai , lui repartit le Roi
« avec bonté , & j'aime mieux me voir obligé de me jufti-
» fier , que de le nier. Oui , j'ai paru douter de votre fidé-
" lité 5 ic c'eft ce qui vous engage à venir avec tant d'eni-
» prelïement 6c de générofité , vous foùmetrre à dQs loix,
« que d'autres auroient le front de vouloir m'impofer. Pre-
» nez-vous en aux trilles circonftances où je me trouve, qui
5î me forcent à ne me fier à perfonne. Aujourd'hui donc
" qu'il ne m'eft plus permis de douter de votre attachement,
53 après k témoignage éclatant que vous m'en donnez , c'eft
S3 à moi à répondre par une confiance entière à un zèle fi
« fincére 6c fi obligeant. Je ne pouvois certainement en faire
33 l'épreuve dans une conjondure plus délicate , ni plus prefl
33 fance. AulFi fi j'avois à chcifir dans mon armée quelqu'un à
53 qui je vouluife confier la ville 6c le château de Dieppe , je
î3 n'y trouverois perionne qui en fut plus digne que vous.
33 Rentrez donc dans la place vous 6c vos troupes ^ continuez.
33 à y faire votre devoir j 6c contentez-vous du témoignage
33 autentique que je rends en ce jour à vous-même, èc à
33 toute la nation , aulfibien qu'à toute la poflerité , que
îj c'eft à votre zélé que je fuis redevable de mon falut , 6c
îj de celui de tout mon Royaume.
Après ce compliment , le Roi einbrafiiâ de CJiafles , â quL
7 (/me XI, C
"N
i8 HISTOIRE
■ *" il donna milles marques de fa reconnoiiTance. Enfuite il s'a-
Henri vança vers la ville , faifanc toujours marcher le Comman-
j ^ deur à fes côtés ^ 6c il y fut recju avec toutes les démonftra-
^ ' tions de joye qu'il pouvoit fouhaîter. Gafpard de Pellet (ieur
^ ^* delà Verune gouverneur de la ville &du château de Cacn,
place très-forte , èc parent du commandeur de Chaftes , ne
fut pas longtems fans fuivre fon exemple j & il envoya auiîi-
tôt après alîûrer le Roi de fon obéïlTance. Par là Henri fe
vit maître tant que la guerre dura , de toute la bafle Nor-
mandie j &: il en tira des fonds confidérables pour l'entre-
tien de fes troupes.
Tandis que ce Prince étoît à Dieppe , cette ville lui porta
fes plaintes contre la garnifon de Neuf-Châtel , petite place
du pais de Caux , éloignée d'environ deux lieues & demie.
Le fieur de Châtillon Gentilhomme de la province en étoic
gouverneur , ôc les Dieppois fè trouvoient infultés en paf.
Tant dans ce voifînage. Ainfi fur leurs remontrances , de
Guitry ôc du Halot ayant eu ordre de marcher de ce côté-
là , fe rendirent maîtres de la place , & taillèrent en pièces
fept cens païfans qui marchoient pour la fecourir.
Délivrés de cette inquiétude les Dieppois formèrent de
plus grands delTeins. Ils propofèrent au Roi défaire le liège
de Roiien , & offrirent pour cela leurs bourfes & leurs fer-
vices. Ce Prince comprit toute la difficulté de l'entrcprife ,
& que dans les circonftances prèfcntcs il ne devoit pas s'y
engager témérairement. Cependant comme il étoit perfuadé
d'ailleurs , que pour donner de la réputation à {çs armes il
étoit bon qu'on crût qu'il méditoit de grands projets , il ne
rejetta point abfolument les offres de ceux de Dieppe , ôc
leur promit d'en conférer avec les Officiers généraux de
fon armée qu'il avoit laillès au camp. De Dieppe il fe rendit
à Darnetal • 6c après avoir communiqué ce projet au duc
de Monpenfier ôc au maréchal de Biron , ils convinrent en-
tr'eux de faire tous les mêmes préparatifs*, que fî le Roi eût
eu réellement deffein de former le fiége de Rouen , perfua-
dés que ces apparences contribueroient du moins à rompre
les vues que les ennemis pourroient avoir fur les places que
ce Prince poflèdoit autour de Paris. On commença donc par
brûler 2c ruiner tous les moulins qui étoient aux environs de
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVII. 19
Roiien , ce qui caufa un dommage confidérable à cette - ■ -i
ville 3 & c'en fut allez pour faire reùlTir le deifein du Roi. Henri
Auflicôt le duc d'Aumale &: le comte de Briifac , qui étoient I V.
dans Roiien à la tête d'une cavalerie nombreufe , niiandérent 1589.
au duc de Mayenne de tout quitter pour marcher à leur fe-
cours. Ce Duc de fon côté ne négligea , ni le péril qui les
menac^oit , ni le danger auquel cette place étoit expofé. Sur
le champ il fe mit en marche à la tête d'une armée nom-
breufe j pafla par Mantes j &: fe rendit à Vernon fuivi de qua-
tre mille chevaux , &c de quinze mille hommes de pied.
AulTitôt que la nouvelle de la mort du Roi , Ôc du châ- Lettres
timent précipité du parricide, fe fut répandue dans Paris, Mayenne^
ce Duc avoit commencé par relâcher tous ceux qu'on avoit loccafion de
arrêtés la veille dans cette Capitale-, ce qui prouve mani- '^■^"^" ,
r n 1 T • K ' ' ^ rrk ' roi Henri IIL
leltement que les Ligueurs ne s en etoient allures que pour
fervir de caution de la vie de Jacque Clément. Enfuite il
écrivit à toutes les villes 6c à tous les gouverneurs du parti :
Qiie ce qui venoit d'arriver ne devoir point être regardé
comme un effet d'aucun confeil humain ^ mais comme un
coup de la Providence admirable du Tout-Puiffant , qui
par une faveur finguHére , 6c une grâce inefpérée , avoit pris
lui-même en main la défenfe de fa propre caufè , 6c avoic
vengé la Religion de l'oppreffion , êc de l'état déplorable
où {qs ennemis l'avoient réduite : Que c'étoit ce qui dévoie
engager tous ceux qui s'intérelToient à fa confervation 6c au
falut de l'Etat , à faire de plus grands efforts que jamais ,
pour profiter d'un fi grand bienfait , & pour ne pas laifîer
échapcr une il belle occafîon de procurer la gloire de Dieu
& le falut des hommes : Que jufque là ils n'avoient eu à com-
battre que contre les ennemis fecrets de la Religion : Qu'à
préfent c'étoit aux hérétiques eux-mêmes, ennemis décla-
rés de TEglife , qu'ils avoient affaire : Qu'ainfi il n'y avoic
point lieu de douter que le roi d'Efpagne, le plus puillant,
comme l'unique défenfeur qu'eût la Religion , après les
avoir auparavant favorifés fous main , ne prît dorefnavanc
ouvertement la défenfe d'une fî jufte caufe : Que du vivant
du roi Henri III. les égards que S. M. C. avoit pour ce
Prince , l'avoient empêchée de fe déclarer hautement , 6c
de leur envoyer les fecours nécefïàires , afin de ne pas donner
Cij
îo HISTOIRE
occafîon de croire qu'elle agiiToit plutôt pour Ces propres
intérêts que pour ceux de la Religion , & pour ne pas s'at-
tirer par- là la haine des autres Puilîances j mais qu'après
la mort de ce Monarque , elle ne feroit plus arrêtée par au-
cun icrupule.
Le Duc avoit aufîi écrit au roi d'Efpagne dans le même
ftile j & après lui avoir prodigué avec une balîè flatterie,
les titres glorieux de dét-cnfeur êc de vengeur de la Religion,
il le prioit d'employer génereulement cette puiflance redou-
table dont Dieu avoit bien voulu récompenfer fes vertus ,
à délivrer un des plus floriflans Royaumes de la Chrétienté
de la tyrannie des hérétiques ^ ajoutant que tous les Catho-
liques de France attendoient cette grâce de Ton zélé pour la
Religion 3 &L que c'étoit uniquement par fon fecours qu'ils
efpéroient recouvrer leur première grandeur ôc leur ancienne
hberté.
Edit en fa- Après avoir pris d'abord ces mefures , le duc de Mayenne
veur du cal- fît publier au Parlement le fept d'Août , tant en fon nom , êc
dinai de ^^ qualité de Lieutenant général de l'Etat Royal , qu'au
nom du conieii de 1 Union établi a Pans , en attendant qu on
pût aflcmbler les Etats généraux , un Edit par lequel il aver-
tilîoit , exhortoit, & prioit tous les Princes , Seigneurs, &
autres Gentilshommes ou Eccléfiaftiques , puifqu'un coup
favorable de la Providence ôc de la juftice divine les avoic
délivres de la domination du protedeur de l'héréfie dans le
Royaume , de fe réunir tous avec lui , pour rendre de con-
cert à leur Roi catholique , qui feul étoit leur légitime ôc
naturel Souverain , c'eft-à-dire , au cardinal de Bourbon,
l'obeïlîance qui lui étoit dûë 3 & de s'engager par un ade
autentique paiïé pardevant les Gouverneurs de leurs pro-
vinces , à vivre U mourir dans la Religion Catholique , Apo-
ûolique, & Romaine, à travailler à fon aggrandiiîèment ,
& à n'aider les hérétiques , ni de leurs forces , ni de leurs
confeils -, promettant , au cas qu'Us fe conformaflcnt à ce
règlement de les remettre en polîèiîion de tous les biens
& emplois dont ils a voient été dcpoiiiilés. Deux jours après
il écrivit de iemblables lettres à tous les Gouverneurs des-
Drovinces.
Henri ayant été inftruit de cet Edit, commença à craindre
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 11
pour le cardinal de Bourbon, Ce Prince étoic toujours
prifonnier au château de Chinon fur la Vienne, où le feu Henri
Roi Tavoit confié à la garde de François le Roi fieur de Cha- I V.
vigny. C'etoit un homme d'une fidélité à l'épreuve, mais 1589.
déjà vieux Ôcqui avoit perdu la vue. Ainfi Henri appréhen-
dant qu'à caufe de fon incommodité le Cardinal ne fût pas
afiéz fûrement entre fes mains, chargea Philippe du Pleflis-
Mornay de traiter avec lui , retira par ce moyen de Chinon
le Prince prifonnier , ôc le fit transférer à Fontenay en Poi-
tou fous la garde de Charle Efchalard fieur de la Boulaye,
gouverneur de cette place , dont la valeur &: la fidélité lui
ctoient connues.
Tacque de Goyon de Matîenon maréchal de France com- ^rrc^t cîu
-'1.1 T, 1 P 1 I parlement de
mandoit dans Bourdeaux , &: quelque penchant que cette Bourcieaux à
ville eût d'ailleurs à la révolte , il avoit fçu julqu'alors la l'occafion de
contenir dans le devoir , en l'intimidant par la crainte du H^'ïJr^^fi^,
château Trompette , qui n'étoit pourtant pas une place de
grande défenfe. Cependant depuis la mort du feu Roi , il
voyoit tout le Parlement , 6c même les Magifbrats delà ville,
à la tête defquels il étoit , fort oppofés à Henri IV. à caufe
de fa Religion. Ainfi le Maréchal jugeant fagement que dans
ces circonflances il n'étoit pas à propos d'en venir aux voies
de fait , négocia adroitement avec le Parlement • &; perfua-
dé que ce feroit toujours rendre quelque fcrvice au Roi ré-
gnant , en qualité d'héritier légitime de la Couronne , que
d'engager cette Compagnie à rendre juftice à la mémoire de
fon prédécefTeur , il alla au Palais où il fit rendre un arrêt
qui portoit : Que la Cour ayant été inftruite de la funefte 6c
déplorable mort du Roi 3 oiii fur ce le Procureur Général,
&. de l'avis du maréchal de Matignon , exhortoit tous \qs
Archevêques , Evêques , 6c Curés du reffort du Parlement ,
à prier Dieu pour le repQS de l'ame du feu Roi , pour la tran-
quillité de l'Etat , 6c la confervation de la Religion -, enjoi-
noitaux Gouverneurs Magiftrats , 6c Confuls des villes du
reiïbrt , de veiller à ce qu'il ne fe fît aucun changement dans
la Relifiion . ni dans le o-ouvernement • ^ de faire obferver
exactement les Edits publiés pendant la tenue des Etats de
Blois aux mois de Juillet &; d'Gdobre de l'année précé-
dente , auffi-bien que les déclarations à^^ mois de Décembre
C 11],
2î HISTOIRE
de d'Avril derniers enregiftrées au Parlement j èc ordonnoic
Henri entin à tous Gentilshommes , aux villes , & autres quels
I V. qu'ils fuirent , Gouverneurs , ou Officiers qui avoient pris
I C89. ^^^ armes contre le feu Koi , de les mettre bas , de fe retirer
tranquillement chez eux , ^ de fe conformer aux Edits 6c
Arrêts mentionnés ci-deflus , juiqu'à ce que Dieu par fa
grâce 6c fa mifëricorde eût autrement ordonné du gouver-
nement 6c de la Religion.
Cet arrêt fut rendu, le 19. d'Août les Chambres afîem-
biées , fans qu'il fût fait aucune mention de Henri IV. com-
me le Maréchal l'auroit fort fouhaité j mais il ne put jamais
obtenir ce point du Parlement. Ainfi il remit cette affaire à
un tems plus favorable. Cependant il ne laiiïa pas de fe fer-
vir de l'autorité de cet Arrêt pour contenir dans le devoir
toute la Guienne , à l'exception de quelques villes en très-
petit nombre , dont les Ligueurs s'étoient rendus maîtres.
Arrêt du Trois jours après le Parlement de Touloufe rendit de mê-
paiiement de nie un Arrêt , les Chambres afTemblées , bien différent de
ia°même oc- celui-là. Il portoit en termes exprès : Q)^ie la Cour ayant été
cafion. informée de la furprenante 6c terrible mort du Roi Henri III.
ordonnoit de nouveau â tous Princes , Prélats , Seigneurs èc
autres , de quelque qualité 6c condition qu'ils fulFent , de
réunir leurs conlèils , leur crédit , 6c leurs forces , pour la
défenfe de la Religion , Catholique, Apoftoiique , 6c Ro-
maine, èc pour la confervation des Princes , Seigneurs , &c
villes qui s'étoient unis pour la même caufe , exhortant les
Evêques 6c Curés de fonreffbrt , à faire des prières publiques
pour la délivrance de Paris de des autres villes du Royaume j
ordonnant de plus que tous les ans , pour rendre grâces à
Dieu d'un fî grand bienfait , on feroit le premier d'Août des
proceffions publiques j d>c défendant fous les plus griéves
peines de reconnoitre Henri de Bourbon , foi difant roi de
Navarre , 6c de l'affifter d'aucun fecours. Enfin elle enjoi-
gnoit à tous Evêques 6c Cures du reflbrt , de publier de nou-
veau , 6c de faire obferver exadement la Bulle d'excommu-
nication lancée par le Pape Sixte V. contre ce Prince , en
vertu de laquelle la Cour le déclaroit une féconde fois indi-
gne de incapable de fuccéder à la Couronne , comme atteint
6c convaincu de plufîeurs crimes notoires mentionnés dans
cet Arrêt.
DE J. A. D THOU, Liv. XCVII. 23
Cependant le duc de Mayenne pafla en Flandre , &: s'a-
fe
cr-
boucha à Bins en Haynaulc avec le prince de Parme , qui Henri
revenoic alors des eaux de Spa. Le Duc dans cette entrevue I V.
tira parole de lui d'envoyer incelTamment du fecours en 1589.
France j après quoi il repartit fur le champ , ôc vint fe re-
mettre à la tête de fon armée. Ce fut au retour de ce voya-
ge i qu'il fe rendit à Vernon. Le Roi qui en feignant de le «îuc de
vouloir faire le fîége de Roiien , avoit du moins ga^në d'em- ^^y^"»f "
'^ L P ' J? 1 » .-1 -^1 w-T' J rendaV<
pécher 1 ennemi d attaquer les places qu il avoit laiilees der- mm.
riére lui , n'eut pas plutôt avis de fa marche , qu'il décampa
de Darnetal , 6c entra dans le comté d'Eu , qui fait une par-
tie confidérable du païs de Caux , ôc que pofTé doit alors Ca-
therine de Cleves veuve du feu duc de Guife , en titre de
Comté & Pairie. Le troifiéme jour de fa marche ce Prince
arriva devant la ville fituée fur la rivière de Bethune , &
fortifiée d'un château. De Launoy y commandoit avec qua-
tre cens hommes de garnifon j mais il n'attendit pas qu'on
ouvrît la tranchée devant la place , ni qu'on fît approcher
le canon 5 6c il fe rendit d'abord. La garnifon eut permiilion
de fe retirer ^ 6c la ville obtint qu'elle ne feroit point mife
au pillage. C'eft pourquoi le Roi y fit entrer Châtiilon ,
pour arrêter par fa préfence l'avarice 6c la violence du
foldat.
Ce Prince logea ce jour-là à Treport , bourg fîtué à un
quart de lieuë au^deflous de la ville d'Eu , 6c qui a un port
très-commode. Ce fut là qu'il eut le premier avis des forces
du duc de Mayenne. Celui-ci ayant pafîe la Seine étoit venu
camper à Gournay , dont le duc de Longueville s'étoit rendu
maître peu de tems auparavant j 6c menoit une armée beau-
coup plus nombreufe que Henri ne fe l'étoic d'abord ima-
giné. En effet Chriflophle de Balfompierre lui avoit amené
depuis peu trois cornettes de Reîtres j 6c Jean de Monluc
fîeur de Balagny Tavoit joint à la tête des milices du Cam-
brefîs. Outre cela Henri de Lorraine marquis de Pont-â-
Mouifon s'étoit rendu auprès de lui , fuivi de mille chevaux ,
6c de deux mille hommes de pied ^ &c le prince de Parme lui
avoit envoyé tout récemment un fecours de cavalerie èc
d'infanterie.
Sur ces avis le Roi qui ne s'étoit pas attendu à fe voir tant
^4 HISTOIRE
de forces flir les bras , envoya fur le champ au duc de Lon-
Henki gueviile & au maréchal d'Aumont , pour les inftruire de
I V. l'embarras où il le trou voie , 6c les avertir de marcher in^
j çgo, cellammenc à ion fecours avec le plus de troupes c^u'il leur
feroit poflibie. Cependant ce Prince , que les accidens les
plus imprévus n'étoient pas capables d'étonner , ne perdit
encore rien en cette occahon de fa fermeté ordinaire. Il prie
avec les Officiers généraux de fon armée , toutes les mefures
nécelîaires j 6c alla camper à Arques , bourg tout ouvert èc
fans murailles , fitué à une lieuë éc demie de Dieppe , mais
défendu d'ailleurs par un château.
En fortant de Dieppe on rencontre deux collines féparées
feulement par la rivière de Bethune qui pafîe par Eu , àc où
la marée remonte deux lieues au-defîùs de fon embouchure.
A droite cil un marais avec quelques prairies prelque tou-
jours inondées , qui s'étendent de part & d'autre le long de
la rivière jufqu'au pied des collines. Le bourg d'Arqués fe
voit fur la gauche -, de du même côté fur la colline s'élève le
château qui commande une plaine aflez étendue qu'on trouve
fur la hauteur,
ç, A fon premier voyage à Dieppe le Roi avoir remarqué
d'Arqués. cct endroit comme un pofte , où il feroit aifé de fe fortifier
avantageufement. Il y fit travailler en diligence par l'avis de
Biron (1)3 6c les troupes animées par l'exemple de leurs
Officiers , fe portèrent avec tant d'ardeur à cet ouvrage ,
qu'en trois jours tout le camp fe trouva environné d'un re-
tranchement de huit pieds de hauteur pour le moins. Henri
en confia la garde aux Suiiïès , jufqu'à ce qu'il l'eût fortifié
par de nouveaux ouvrages. Cependant il fit palier dans le
château du canon , qui par un feu continuel foudroyoit tou-
tes les avenues du camp , Sien rendoit les approches extrê-
mement difficiles. Enfin , comme du côté que le château
commande le bourg, les deux collines s'inclinant infenfible-
ment forment entr'elles un vallon , ce Prince jetta une par-
tie de ia cavalerie dans ce pofte , où elle étoit à couvert de
l'artillerie des ennemis , &c d'où elle pou voit aifement fondre
fur leur intanterie , au cas qu'ils pénétralfent jufqu'aux
(i) Quoique BIron le fils fût avec | ne'c d'Arqués ; c'cH du pe're que parle
Henri , Bc le fervit utilement à la jour- ! notre Hiliorien,
lignes.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. i.j
lignes. Après s'être ainfi fortifie dans ce camp , le Roi avec >
des forces beaucoup inférieures foiitinc bravement tous Iqs He n Rk.
efforts de l'armée nombreufe des ennemis. I V.
Déjà le duc de Mayenne avoit repris Gournay , où An- i 58c;,
toine de Bourbon fleur de Rubenpré qui y commandoit,
avoit été fait prifonnier avec quelques autres Officiers. Il
venoit d'enlever de même NeuLChâtel 6c Eu , places donc
le Roi s'étoit rendu maître peu de tems auparavant 5 ôcces
premiers fuccès fembloient lui répondre qu'il emporteroic
Arques avec la même rapidité. Mais ayant été informé par
fes efpions de l'arc d>c de la diligence avec laquelle Henri
s'étoit fortifié fur la colline qui fe rencontroit fur fa route j
il prit un grand détour , alla paflér la Bethune au-delTus
d'Arqués , & vint camper fur la colline oppofée.
Cette manœuvre fit changer de batterie au Roi. Il ap-
préhenda que le deffein du Duc ne fût d'attaquer le bourg
d'Arqués , de couper par là toute communication encre
Dieppe ôc l'armée royale , de d'aller enfuite s'emparer du
faubourg du Pollet , qui étoit affez vafte pour loger com-
modément fes troupes , &; qui outre cela commandoic le
port. Pour le prévenir , ce Prince fit tirer de ce côté-là à la
tête du bourg , un retranchement dont il confia la garde à
un régiment Suifie. Enfuite il pointa fur ce pofle quelques
pièces de canon , & pofa un corps de garde d'infanterie
Françoife dans une Chapelle ou Maladrerie , fituée à mille
pas du bourg. Il ferma ainfi le paflàge à l'ennemi , & l'em-
pêcha de fortir du village de Martin-Giife, pour aller fon-
dre fur Arques de l'autre côté de la rivière. En même tems
comme le Pollet étoit tout ouvert , il y fie tirer une tranchée
qui renfermoit un moulin bâti à la tête de ce faubourg , 6c
un chemin creux j 6c enfin fermer toutes les avenues par des
paliiîàdes de pieux 6c de tonneaux. Les foldats 6c les liabi-
tans fe portèrent d'eux-mêmes avec tant d'ardeur à tous ces
ouvrages , qu'en trois jours tout fut achevé j après quoi le
Roi détacha Châtillon 6c Guitry avec quelque infanterie ,
pour aller à la garde de ce pofle.
Ce fut le I 3. de Septembre que le duc de Mayenne vinc
camper fur la colline oppofée aux Royalifles. Il pafTa les
trois jours fuivans dans l'inaclion , 6c ne forcic point de fes
Tome XI, D
i6 HISTOIRE
recranchemens , quoique les Chevaux-légers de l'année du
PIe nki Roi allaflèncrinfuicer jufques dans Ton camp, en force qu'il
I V. paroifToic vouloir garder Tes croupes pour une adion géné-
1 cSo. ^^^^' -^^ ^^^^ ^^ I 6. il parue en bacaiile -, & après avoir dé-
taché dès le grand matin une partie de fa cavalerie 6c de ion
infanterie , pour marcher contre le Pollet , il commanda le
refte de fon infanterie avec la plus grande partie de fes Che-
vaux-légers, pour aller s'emparer de Marcin-Gli(e. Le Roi
de ion coté ayant eu avis de fon deiîein , laifTa Biron pour
commander dans le camp d'Arqués , fe rendit en perionne
au Pollet , & commença par border fon retranchement de
quelques troupes d'élite. Là on efcarmoucha pendant tout
le jour j mais dans ces petits combats les ennemis eurent tou-
jours le deiTous. A in il il ne fut pas difficile aux deux partis
de tirer dès-lors de ces petits commencemens un prefage
aiTûré des llu'tes que cette guerre devoir avoir , en voyant
les troupes du Roi , quoique beaucoup intérieures en nom-
bre , remporter toujours l'avantage j tandis que les Ligueurs
maigre la iupériorité de leurs forces , ne fe retiroient jamais
qu'avec perte. Il fembloit que Dieu voulût punir ceux-ci de
leur opiniâtreté à foùtenir un mauvais parti , en leur faiianc
tomber les armes des mains 3 & qu'il donnât au contraire du
courage aux autres qui combattoient pour le ialut de leur
Prince & de leur patrie. Sur le ibir le duc de Mayenne
voyant lés troupes fatiguées , fît fonner la retraite 3 & logea
quatre régimens dans un village voifin , où ils furent fort
mal à leur aifé , parce que les Royalifles en avoient brûlé
les maiions , à la vûë même des ennemis.
Le lendemain ils furent encore plus maltraités à Arques.
Ils étoient fortis de Martin-Glife dans le defféin de paiîer
la rivière, & de fe rendre du'côté du bourg. Mais lesar-
quebufiers de l'armée du Roi qu'on avoir poftés derrière
quelques haïes , & ceux de la Maladrerie où étoit le maré-
chal de Biron firent fur eux un feu fi continuel , qu'ils fu-
rent obligés de fe retirer avec perte. Le Grand-Prieur qui
étoit à la tête des Chevaux-légers , & le fieur de Damville
firent des merveilles en cette occafion. l es ennemis y per-
dirent plus de cent cinquante hommes j outre cela Mone-
ftier cornette du duc de Nemours , àc le jeune de Vieuxpont
y furent faits priibnniers.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 27
Après cet échec , les ennemis reftérenc pendant deux otMM^mmmMvim
jours dans l'inadion. Cependant les troupes du Roi étant Henri
forties du Pollet allèrent attaquer le village voifin , & en IV.
chafïërent les Ligueurs , après leur avoir tué plus de cent r ^Qq
hommes. Le même jour les ennemis pointèrent trois pièces
d'artillerie contre la Maladrerie &: le retranchement qu'on
avoit tire au-deflous , èc canonnérent ce pofle pendant quel-
que tems alLez inutilement. Mais le Roi y ayant fait con-
duire deux pièces de canon , on dreiGlà une contrebatterie
qui incommoda fî fort les troupes logées dans le village où
elles étoient tout à découvert , qu'après avoir fait partir
leur cavalerie èc leur bagage , elles furent enfin obligées de
l'abandonner. Depuis ce tems-là les Ligueurs ne penférenc
plus au Pollet , & ils tournèrent tous leurs efforts contre la
Maladrerie qu'ils attaquèrent trois jours de fuite in-
utilement.
Enfin le 2 i. le Duc rangea toutes fes troupes en bataille combat
avant le jour, & fe mettant en marche fans tambour de fans «^^rques.
trompette , alla en filence pafTer la rivière qui fèparoit fon
camp de celui du Roi. Ce Prince de fon côté fe doutant
de ce mouvement , fe mit à la tête de cinq cens chevaux , &
fe rendit à la Maladrerie fuivi de Biron. Là à deux mille
pas du retranchement qu'on avoit élevé par fon ordre à la
tête du bourg d'Arqués , il fit tirer une tranchée depuis le
haut de la colline , jufque dans la prairie qui étoit dans le
vallon , & la pouffa au-delà de la Maladrerie 3 afin de s'ap-
procher davantage de l'ennemi , de de l'éloigner du retran-
chement que ce Prince avoit réfolu de défendre.
De la Maladrerie par où l'ennemi devoit faire fon atta-
que , on découvre deux plaines -, Tune du côté d'un petit
bois qui s'élève jufque fur le haut de la colline 3 & l'autre du
côté de la prairie. Elles font fèparées par un chemin creux,
plein de ravines & bordé de haïes fort hautes. Enfin derrière
cette Maladrerie eft une autre prairie qui s'étend depuis le
pied de la colline jufqu'au retranchement qu'on avoit élevé
pour couvrir le bourg.
L'aurore commen(^oit à paroître , lorfque le Roi décou-
vrit les ennemis. Auffitôt il détacha huit cens arquebufiers,
qu'il jctta dans la Maladrerie , & confia la garde de la
D ij
i8 HISTOIRE
nouvelle tranchée qu'il avoir fait faire à la hâte , à deux
Henri compagnies de Lanfquenets & autant de Suifïès avanturiers,
I V. aufquels il joignit quelques compagnies d'infanterie Fran-
/ îSo, ^oiie. EniLiite il poftaau-deflbus de la Maladrerie trois com-
pagnies de Chevaux-légers commandées par Jean d'Aram-
bure , de Lorge de Mongommery , ôc le capitaine Fournier ,
ayant à leur tête le Grand- Prieur. Au cas qu'ils fuflent for-
cés ils dévoient être loutenus par trois cornettes de Gen-
darmerie que commandoit Jacque Nompar de Caumonc
fieur de la Force , Charie Martel de Bacqueville , ôc de Gri-
moville fieur de Larchant. Un peu plus bas étoient poftés
les Princes de Condé & de Conty de la maifon de Bour-
bon ,avec leurs cornettes de cavalerie j &un peu plus haut,
Biron avec les compagnies de Châtillon & de Maligny , èc
un détachement de Gentilshommes.
Jean Babou comte de Sagonne qui commandoit les
Chevaux-légers dans l'armée du Duc , commença l'attaque
à la tête de quatre cens maîtres. Mais après une réiîftance
alTez opiniâtre , ils furent culbutés par les trois cornettes de
Gendarmerie dont je viens de parler , fur un gros de cava-
lerie qui les fuivoit. L'aclion fut très- vive en cet endroit j
& le comte de Sagonne y fut tué de la main même du Grand-
Prieur , qui fembloit tremper fes mains avec joye dans le
fang des meurtriers du feu Roi fon oncle. Enfuire les Roya-
liftes ié rallièrent , 6c firent une nouvelle charge dans la-
quelle ils percèrent jufqu'à la Cornette- blanche. Cependant
Damville colonel des Suiiîes s'étoit avancé à la tête du ré.
giment que commandoit le colonel Galaty , au-delà du re-
tranchement gardé par un autre régiment Suilïe , pour fa-
voriier la retraite des troupes du Roi , ôc il s'en acquitta avec
beaucoup de bonheur de de bravoure. Lui /èul loûtint tout
l'efFort des ennemis , tandis que les Royaliftes ie rallioient
ôc prenoient haleine • & les Ligueurs de leur côté voyant
la refolution des Suiifes, & fe trouvant d'ailleurs expofés
au feu continuel des arquebufiers qut^ Damville avoit poftés
le long des haies , ôc à celui de l'artillerie qui Iqs foudroyoit
du château ôc de l'autre bord de la rivière, ceiFèrent de
les pourfuivre fî vivement.
Dans une autre charge les Lanfquenets du duc de
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 29
Mayenne , foit qu'ils euflenc poufTé plus loin qu'ils n'au- ' ' ' '-^^
roienc voulu j foie avec vue , èc par un defîein prémédité H e n k i
d'exécuter ce qui arriva ; ou parce qu'ils avoient réellement I V.
réiolu de palier dans le parti du Roi , s'approchèrent du , ^q«
nouveau retranchement qu on avoir eleve a la hâte , &;
firent figne qu'ils fé rendoient. Ceux qui gardoient cette
tranchée eurent d'abord l'imprudence de donner dans le
panneau -, mais le maréchal de Biron qui vint fur ces entre-
faites,ôc qui ignoroit ce qui s'étoit pafTéjVOulut d'abord fon-
dre fur eux comme fur des troupes ennemies. Il s'arrêta
cependant fur ce qu'ils demandèrent quartier, ôcafFûrérent
qu'ils s'étoient rendus. Ils s'avancèrent jufqu'au quartier du
Roi qui étoit de même tenté de les charger, lorfqu'ils pro-
relièrent une troifième fois qu'ils fe rendoient , demandant
feulement qu'on leur tînt compte des appointemens qui
leur étoient dûs par le duc de Mayenne, & que S. M. s'en-
gageât à les payer. Cette proportion arrêta encore les efforts
du Roi. Ce Prince les avoit renvoyés à Biron pour régler
cette affaire avec lui , lorfque la cavalerie ennemie ayant
fait une charge nouvelle , les Lanfquenets fe joignirent à
elle contre les troupes du Roi, êc fe faiiirent du petit bois,
d'où ils firent tomber une grêle de coups d'arquebufes fur
le corps que Biron commandoit. Ce Maréchal fut lui-mê-
me démonté , & les RoyaHftes fe virent enfin obligés d'a-
bandonner ce retranchement, & par coniéquent la Mala-
drerie. Les traîtres dépouillèrent tout ce qu'ils trouvèrent
dans la tranchée , &c enlevèrent deux enfeignes de Lanf-
quenets du parti du Roi , avec une autre de Suilfes avan-
turiers.
Mais les ennemis n'eurent pas long tems le plaifîr de fe
glorifier d'une fi infigne perfidie. A peine ètoient-ils les
maîtres de ce pofle , qu'on vit arriver au fecours des trou»
pes du Roi le duc de Monpenfier à la tête des deux
Cornettes de cavalerie, & Chatillon fuivi d'une troupe
fraîche de cinq cens arquebufîers. A leur approche les Li-
gueurs abandonnèrent la Maladrerie & le retranchement 5
après quoi le Roi y fit conduire fur le champ quelques
pièces de canon , qui firent un ravage terrible dans le ré-
giment Suiiîè , & dans la cavalejrie qui fermoit l'arricre-
D iij
3© HISTOIRE
garde des ennemis. Il en refta plus de quatre cens fur la
Henri pl^ce : de ce nombre furent, outre le comte de Sagonne ,
I V. Jacque d'Agout baron de Saint André frère du feu comte
Q de Sault , Claude du Châteiet fîeur de Duiily gentilhomme
^ ^* Lorrain Ènfeigne de la compagnie du marquis de Pont à
Moulfon , 6c piufieurs autres Officiers. François de Faudoas,
dit d'Averton , fîeur de Belin & de Sérillac Maréchal de
Camp , fut fait prifonnier avec Louis de Beauvau fîeur de
Tremblecour. Le Roi au contraire perdit fort peu de monde
à cette adion. Jofîas de la Rochefoucault comte de Roulîy,
jeune Seigneur , qui ne fe diftinguoit pas moins par fa va-
leur & par fon efprit , que par l'éclat de fa naiflànce , y
perdit la vie j de l'Archant avec Charle Martel de Bacque-
viile y fut blelTé dangereufement , ôc ce dernier en mourut
peu de tems après j enfin Hercule de Rohan comte de Ro-
chefort frère du duc de Monbazon qui combattoit à côté
du Roi , & Jacque de Beauvau fîeur de Rivau furent lâ-
chement faits prifonniers par les Lanfquenets dans le tems
qu'on crut qu'ils s'étoient rendus.
Les Ligueurs s'attachant moins â la vérité des faits, qu'à
ce qui pouvoit leur concilier la faveur du peuple , firent une
relation toute différente de cet événement. Ils publièrent
que dans une charge il étoit refté plus de cinq cens hom-
mes des troupes du Roi fur la place, &que les SuifTes aufîî
bien que les Allemands qui fervoient dans l'armée du Roi,
avoient été fî conffcernès d'une fi grande défaite , que fix
compagnies SuifTes &; deux Allemandes, entre autres celle
de Strafbourg , avoient abandonné leurs enfeignes aux vain-
queurs • que c'étoit dans le tems que les fîeurs de Belin èc
de Tremblecour traitoient avec eux, que ces deux Officiers
avoient été faits prifonniers par un gros de Royah'ftes qui
les avoir chargés alors j & que le maréchal de Biron qu'ils
difoient fauflement avoir été pris par les troupes de leur
parti , avoir profité de cette occafîon pour s'échaper de leurs
mains. Ce qu'il y a de certain , c'efl: qiie le Roi refta maître
du champ de bataille j que le duc de Mayenne , quoique
beaucoup fupèrieuren forces , fut battu 6c mis en fuite dans
toute les occalîons ^ & que n'ofant plus faire tête à la for-
tune du Roi toujours vidorieufe , il fe garda bien de
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIT. 31
rifquer dans la fuite d'en venir aux mains avec lui. ■
Après cette adion , deux jours fe palTérenc aflez tran- Henri
quiliement ^ enfin le vingt-quatre qui écoit un Dimanche, I V.
le duc de Mayenne décampant à petit bruit fit le tour du t ^q«
coteau J & au bout de trois jours de marche alla cam- Rcna.re
per fur le coté oppofé de la colline , entre Arques 6c la ''" '^ '^ ^=
ville de Dieppe. Le Roi informé de ce mouvemenc , ^>'^""'^-
après avoir lailfe dan5 Arques la Garde l'un des Meftres
de Camp , avec une partie de fon régiment , marcha
vers Dieppe à la tête de toute fon armée. Il en logea une
partie dans les villages voifins de cette ville. Pour lui , il
alla camper dans les fauxbourgs avec le refte j & fe fai-
iît d'une éminence qui n'étoit pas éloignée de plus de quatre
cens pas des ennemis ^ en forte qu'il etoit difficile de déci-
der qui étoient les affiégeans ou les afliégés. En efFet les
Ligueurs, quoique beaucoup fupérieurs en forces , fe tenoienc
en fîience & dans l'inaction derrière leurs retranchemcns y
tandis que les troupes du Roi qui , félon toutes \qs appa-
rences , dévoient être les affiégés alloient les infulter juf.
que dans leur camp par de fréquentes efcarmouches. En-
fin les ennemis ayant fait une courfe du côté d'Arqués ,
furent repoufiés avec perte par la Garde qui leur tua plus
de cent hommes. Ils élevèrent enfuite une batterie de huit
pièces , & tirèrent quelques volées de canon contre les mai-
ions qui étoient à l'entrée du faubourg. Mais comme elles
fe trouvoient hors de portée , les boulets n'enlevèrent que
quelques tuiles. Le Roi de fon côté fit dreflér une contre-
batterie , qui des premiers coups démonta une de leurs
pièces j ce qui les obligea à retirer leur canon , crainte de
pire. Enfin ce Prince fit avancer à mille pas de difbance de
fes retranchemens deux grofles pièces d'artillerie, qui firent
un fi grand ravage dans un corps avancé de cavalerie qui
ëtoit pofté de ce côté-lâ, que le duc de Mayenne fe rè-
folut enfin de faire retraite j ce qu'il exécuta le cinq d'Oc-
tobre.
Tandis que l'ennemi empioyoit la force ouverte contre '^"^^ ^«
le parti du Roi, le parlement de Roiien mettoit fon auto- Roucîî^cn^'fa!
rite en ufage pour le décréditer dans la Province. Il rendit ▼nir de Ja
le vingt -trois de Septembre un Arrêt qui fupprimoit les ^'S«^'
32 HISTOIRE
»f^^i,^.,^i-_ Charges des officiers du Parlement , de la Chambre des
Henri Comptes , de la Cour des Aydes , ôc du Bureau des Tréfo-
I V. riers de France qui s'ëtoient retirés à Caën , au Pont de
j rgg^ l'Arche, à Dieppe , & au Ponteaudemer j caflbit tous les
Arrêts rendus contre la NoblelTe qui étoit au fervice de la
fainte Union ^ enjoignoit à tous les Peuples du reffbrt d'ob-
ferver l'édit du duc de Mayenne du cinq Août^ declaroic
les rëfradaires coupables de leze-Majefté divine &; humaine,
ennemis de Dieu ôc de l'Etat , déchus , eux , &; leurs def-
cendans , de tous leurs droits , privilèges , nublefîe ôc di-
gnités , 6c confifquoit tous leurs biens ^ ordonnoit à tous
ceux qui étoient en état de porter les armes , de joindre
l'armée pour travailler à la défenfe de la religion Catho-
lique , Apoftolique ôc Romaine 3 &; enjoignoit aux Vicomtes
dedrefler une lille de tous ceux qui refteroient chez eux ,
après la publication de cet Arrêt , afin d'agir contre eux fui-
vant toute la rigueur des loix , comme contre des rebelles,
de des dcferteurs de la bonne caufe.
Sur ces entrefaites arrivèrent à Dieppe quatre mille An-
glois envoyés par la reine EHfabeth , & commandés par
Roger Williams. Ce fecours avoit été précédé par Edouard
comte de StafFord qui s'étoit rendu au camp du Roi , où
il avoit amené fort à propos des vivres & de l'argent. Ce-
pendant le duc de Mayenne après avoir évité la rencontre
du comte de SoifTons , du duc de Longueville, & du maré-
chal d'Aumont,qui s'étoient réunis pour marcher au fecours
du Roi , s'avan(ja du côté de la Somme.
Attaque des Le Roi ayant laifTé dans Dieppe le maréchal de Bi-
fnuxbourg?. ^j|^ ^ l^ ^^^^ ^>^^^ détachement recevoir les fe-
dc Pans. ' . i i-^ a /-rr
cours qu'on lui amenoit 3 oc avant que le Duc eut palle
la Somme , il reprit fous fes yeux la ville d'Eu , & le châ-
teau de Gamaches fitué fur la rivière d'Epte. De-là après
être retourné à Dieppe , où il refta quelques jours pour
donner à {qs troupes le tems de fe rafraichir , il en partie
le vingt-un d'Odobre. Ce Prince avoit eu avis que le duc
de Mayenne ne marchoitdu côté de la frontière, que dans
le delfein de livrer au prince de Parme en nantiffement quel-
ques villes de Picardie. Ainfî pour rompre fa marche, &le
détourner d'un projet fi pernicieux à la France , il s'avança
du
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 35
du côté de Paris. Ilpafla donc la Seine à Meulan ^ & étant ■ ■ ■
arrivé à Bagneux fur la fin du mois, il logea (es troupes He nri
dans Mont-rouge , Genrilly, IfTi , 6c Vaugirard , villages voi- I V.
fins de la Capitale. Enfuite il alla, fuivi des Officiers gêné- i çgo»
raux de Ton armée, reconnoître en perfonne le retranche-
ment qu'on avoit tiré à la tèze des fauxbourgs j ôc réfoluc
de les attaquer le lendemin premier de Novembre.
Voici l'ordre qu'il obfèrva â cette attaque. Le maréchal
de Biron fut chargé de donner du côté des fauxbourgs
S. Vidor & S. Marceau. Il avoit pour féconds Charlc de
Biron fon fils 6c de Guitry j 6c étoit fuivi de quatre mille
Anglois, de deux régimens d'infanterie Fran(^oife , 6c d'un
régiment SuilTe, Le maréchal d'Aumont eut le comman-
dement du fécond corps compofé de quatre régimens d'in-
fanterie Francoife , de deux régimens SuiiTes commandés
par Damville, 6c de quatre compagnies d'Avanturiers. Le
Roi lui avoit auiîî donné pour féconds Roger de Sanlary
de Beliegarde Grand Ecuyer , 6c François de la Tugîe de
Rieux Maréchal de Camp. Il y avoit aufli plufieurs Sd-
gneurs dans ce Corps 3 6c il eut ordre de marcher contre
les fauxbourgs S. Jacque 6c S. Michel. Enfin la Noiie de
Chatillon furent commandés pour conduire l'attaque du
faubourg S. Germain , du côté des portes de Nèfle 6c de
Bufly , à la tête de dix régimens d'infanterie Francoife ,
d'un régiment Allemand dont Théodoric Schomberg étoic
Colonel , 6c d'un régiment SuifTe. Chaque corps étoic fuivi
de deux pièces de canon , de deux coulevrines , 6c d'un dé-
tachemenc de Gentilshommes qui fervoient comme un corps
de réferve , 6c qui dans les accidens imprévus dévoient com-
battre à pied avec les autres troupes. Le Roi partagea de
même fa cavalerie en trois Corps 3 garda pour lui le com-
mandement du plus nombreux ; 6c mit à la tête des deux
autres le comte de SoiiFons , 6c le duc de Longuevile.
L'attaque commença avant le jour, de dura jufqu'après
le lever du foleil par un brouillard fort épais. La réfiftance
ce fut pas grande j de dans une heure de tems Iqs Roya-
lifles emportèrent les fauxbourgs , fans avoir fait une grande
perte. Du nombre des morts fut Gédeon de Vienne fils de
Claude-Antoine de CIervant,dont j'ai fôuvçnt parlé. C'étoic
Tûme XI, E
54 HISTOIRE
un jeune homme qui promettoit beaucoup. Du côté des
Henri PariHens au contraire il refta plus de huit cens hommes
I V. fur la place j on fit grand nombre de priionnicrs, &. de ce
jîSo. nombre fut Edme Bourgoin prieur des Jacobins, convain-
cu d'avoir pluficurs fois depuis la mort du feu Roi lait l'a-
pologie de ce parricide 5 on le prit combattant armé d'une
cuiralFe.
Le carnage fut beaucoup plus grand au faubourg S=
Germain où l'aclion fut très^vive. Au leul carrefour de la
rue de Tournon , on compta plus de trois cens morts en-
taflës les uns fur les autres j ëc la confternation des Pari-
jîens fut il grande , que iî on eût fait plutôt avancer le
canon pour rompre les portes de la ville , avant que les
ennemis euffent eu le tems de les fortifier en dedans , le
Roi auroit pu fe rendre ce jour-là maître de Paris. Dans
la chaleur du combat la Noue ayant percé jufqu'à la porte
de Nèfle , defcendit dans la Seine , fuivi de lés gens , au
pied de la tour bâtie dans cet endroit , où Teau etoit bafle,
ëc après plufieurs ordres réitérés , le Roi eut beaucoup de
peine à l'empêcher d'entrer dans la ville. Ceux des affiégés
qui purent échapper à l'épée du vainqueur , fe réfugièrent
à l'Abbaye de S. Germain, comme dans un afile afîùré , èC
après y avoir tenu tout le jour, ils le rendirent enfin fur le
ioir. Cependant on abandonna les fauxbourgs au pillage ^
mais dans le défordre qui fuit toujours cette licence , le Roi
eut foin qu'on ne touchât point aux Eglifes , 6i que dans
la folemnité du jour on ne troublât point le fervice divin ,
auquel plufieurs Seigneurs affiflérent avec autant de tran..
quillité , que fi on eût été dans la paix la plus profonde.
Cependant le duc de Mayenne qui marchoit vers la fron-
tière , afin de prendre avec les Eipagnols des mefures pour
la fuite de cette guerre , n'eut pas plutôt avis du defîein du
Roi , qu'il jugea à propos de revenir fur les pas au plus vite,
de peur que fon abfence ne causât quelque défordre dans
Paris. Henri de fon côté s'étoit bien douté qu'il prendroit
ce parti. Auffi avant que de tenter l'attaque des fauxbourgs,
il avoit envoyé ordre à Guillaume de Monmorency de
Thoré qui étoit à Senlis , de jetter des troupes dans
Ponc S. Mexent , où le Duc à fon retour devoit palTer la
I
DE J. A. DE THOU, Lit. XCVII. 35
rîvîére d'Oife , & de l'y arrêter quelques jours. Mais comme '■
Thoré ëcoic au lie malade , ceux qu'il chargea de cette Henri
commiffion furent fî nëgligens à s'en acquitter , que le Duc V I.
pafla fans rencontrer aucun obftacle 5 ôc le lendemain de i 5 8 q.
la prife des fauxbourgs entra dans Paris par le côté op-
pofé.
Aulîitôt que le Roi fut informé de cette nouvelle, il
comprit qu'il n'y avoir plus moyen d'attaquer la Capitale,
fans Texpofer à une ruine infaillible j ce qu'il vouloir évi-
ter. Il la tint eh refped encore tout le jour , 6c le lende--
main de l'arrivée du Duc il décampa. Cependant il refta
encore quelque tems en bataille à la vue de Paris , pour
voir {1 les Parifiens feroient d'humeur à en venir aux mains.
Enfin l'ennemi n'ofant paroître , il fe mit en marche fur le
midi , & alla loger à Montlehery.
Le carnage avoit été grand à la prife des fauxbourgs ;
& on y avoit fait grand nombre de prifonniers qui ap,
préhendant pour leur vie avoient payé de grofles rançons,
pour obtenir qu'on les relâchât. Paris retentilToit des cris que
poufToient les femmes des uns & des autres. Ainfi pour
donner quelque efpéce de fatisfadion à cette multitude éplo-
rée, il parut le vingt de Novembre un édit du Confeil de
l'Union , par lequel il étoit ordonné qu'on nommeroit des
Commiffaires ponr dreffer un mémoire exact de tous ceux
qui avoient été faits prifonniers à l'attaque des fauxbourgs,
bc des rançons qu'ils avoient payées, avec une lifte de tous
ceux qui avoient été tués en cette occafîon j leur permet-
tant de faire la recherche de tous les biens des hérétiques,
ou de leurs fauteurs qui n'avoient point été confifqués juf-
qu'alors, & de les vendre à l'encan, pour dédommager les
compiaignans de la perte qu'ils avoient foufFerte. Mais l'il-
lufîon de ce règlement étoit manifefte : il n'y avoit dans
les maifons des particuliers , ni coin , ni recoin , où les feize
n'cufTent fouillé 5 en forte que les malheureux intéreffés
eurent tout lieu de croire , que cette nouvelle ordonnance
n'étoit imaginée que pour les amufer.
Au refte les Parifiens furent d'autant plus confternés de
cet accident, que fur les nouvelles que Madame de Mon-
penfier avoit eu foin de répandre , ils s'étoient fiâtes quelque
E ij
5^ HISTOIRE
!; rems auparavant d'un fuccès tout diflPerent. Il arrivok a
11 • ^ "Tï * • * 1
î;8c,.
Henri toute heure des couriers à Paris , qui annonçoient que le
I V. Roi étoit aiîiégé dans Dieppe ^ qu'il ëtoit pris -, qu'on l'al-
loit inceflamment voir arriver lié & garotté. Ce mil érable
peuple trompé parles émiflaires de la Ligue étoit affèz extra-
vagant pour s'imaginer que ce Prince ne pouvoit abfolu-
ment pas échaper au duc de Mayenne. Déjà une multitude
de femmes également oifives & crédules , avoient eu foin
de retenir des fenêtres qu'elles louoient fort cher , & qu'elles
avoient parées magnifiquement pour voir paffer ce triomphe
chimérique dont leur folle efpérance leur avoit fait faire
tous les préparatifs avant la vidoire. Ce qui avoit encore
fervi à augmenter l'efpoir des Pariiîens, c'eft que le duc de
Mayenne leur avoit envoyé les trois drapeaux qui, comme
je l'ai rapporté , avoient été enlevés par les Lanfquenets,
Pour donner plus de luftre à la prétendue vidoire , Ma-
dame de Monpenfier n'avoit pas manqué d'en augmenter
le nombre avec fon impudence accoutumée , èc elle y en
avoit joint onze autres avec iix étendarts qu'elle avoit ti-
rés de fon coffre à fon ordinaire.
Dans le même tems on débitoit mille nouvelles des heu-
reux fuccès de la fainte Union , les unes vraies , d'autres
qui avoient quelque fondement , ôc plufieurs aulîî abfolu-
ment fauiïes. On publioît que Henri Gouffier de Bonnivet,
après avoir perfécuté le parti dans le Beauvoilîs , avoit
été forcé par Florimondd'Hallewin , marquis de Pienne de
fe jetter dans Breteuil , bourg fameux par une ancienne
Abbaye qui porte ce nom 3 que s'érant réfugié dans un
grenier , après s'y erre défendu pendant quelque tems avec
la dernière opiniâtreté , fécondé de ceux qui l'avoient fui-
vi , on avoit enfin mis le feu au foin • ce qui l'avoit obligé
de fe rendre à demi mort j que cependant les Ligueurs
n'avoient pas laifTé de le tuer , &c que de Pienne lui. même
avoit porté fa tête à Beauvais au bout d'une pique , pour
fervir de fpedacle au peuple de cette ville qui haïlloit
mortellement Bonnivet. En racontant ce fait , les prédica-
teurs ne manquoient pas de donner les éloges les plus ma-
gnifiques à cette adion du Marquis , qu'ils regardoient com-
me la preuve la plus fignalée d'un vrai zélé pour le parti ^
a*MMMBih^*(
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 37
parce que de Pienne étant proche parent de Bonnivet , puif-
que leurs pères étoient frcres de mère, l'amour delà Reli- Hen îli
gion l'avoic alors emporté , difoient ils , fur les fentimens de I V.
la nature. 1^89
Il faut avouer que la nouvelle étoit véritable j mais on
ajoûtoit faulTement que le comte de Soiflons , le duc de
Longueville èc de la Nolie qui menoient dufecours au Roi,
avoient été défaits en chemin par le duc de Nemours : Qiie
ce Duc avoit taille en pièces deux régimens d'infanterie
fur la fin de Septembre : Que le chevalier d'Aumale s'étoîc
rendu maître d'un grand vaifleau Anglois qui portoic des
troupes à Dieppe , avec des vivres èc de l'argent en abon-
dance: Que le comte de BriiTac avoit démonté &; défarmé
un corps de Reîtres à Conarrc dans le Maine 3 enfin que
d'Ampus avoit enlevé en Provence les fecours que le duc
de Monmorency gouverneur du Languedoc envoyoit à la
Vallette. Aulli eft-il vrai que dans ces commencemens les
fuccès étoient allez partagés.
François de la Grange fieur deMontigny qui comman- HofWkésen
doit en Berry au nom du Roi , avoit fait jufqu'alors la Berry&en
guerre aflez heurculement. Sur la fin de Juillet le fieur de ^'^^"^P^S"^'
Gamache , fécondé de quelques habitans d'IlToudun qui
étoient dans le parti du Roi , avoit furpris cette ville, qu'on
regarde comme la Capitale du haut Berry. De Matefelon
qui y commandoit fous les ordres delà Châtre gouverneur
de toute la Province , y avoit été dangereufement bleiïé èc
fait prifonnier. Pour profiter de ces avantages, Gamaches
après avoir fait fur Vierzon une tentative qui ne lui rèùlîic
Eas, parce qu'il manquoit de canon, marcha contre l'Ab-
aye de la Prée , que le feu Roi lui avoit donnée autre-
fois.
Ce poUe qui n'ell qu'à deux lieues d'Iiïbudun , efl dans
une fituâtion avantageùfe , 6c fe trouvoit alors défendu par
une garnifon commandée par Vaverille. Gamaches s'y ren-
dit à la tête de cent chevaux , & de deux cens arquebufiers,
fuivi de Florimond du Puy de Vatan le cadet , &: de
Louis Gaucour j ôc il fepréparoità l'attaquer, lorfque Jean
de Neuvy le Barois qui commandoit dans la Province peru
dant l'abfence de la Châtre , s'étant fait joindre par ks gar-
E fij
3g HISTOIRE
nifons de Meuii fur Yeure , ôc des autres places voîfines,
Henri s'avança à S. Florent. De- là après avoir renforcé fa troupe
I V. ^s cinquante cavaliers Albanois commandés par le capî-
o taine Louis, il marcha vers l'Abbaye ^ livra bataille à
^* Gamaches qu'il tailla en pièces, ôc le fit luLmême pn'fon-
nier. Gancour fut bleffé à mort dans cette adion j Se les
ennemis firent outre cela grand nombre de prifbnniers qui
•furent conduits à Bourges. Ce combat au refte futtrès-
fanglant : les ennemis y perdirent de Mefneuf qui y re<^uc
une blefTîire mortelle , ôc quelques Albanois. Cette adion
fe pafTa le trois d'Août.
Sur ces entrefaites Jean Louis de la Rochefoucauld comte
de Randan gouverneur d'Auvergne , qui à la foUicitatîon
de Fulvia Pic fa mère , 6c de François de la Rochefou-
cauld évêque de Clermont fon frère , tenoic dans cette Pro-
vince pour le parti de la Ligue , écrivit de Riom après la
mort du feu Roi , àes lettres dattées du cinq d'Août , dc
adreflees à toutes les villes qui étoient reliées fïdéies au Roi,
Il les exhortoit très-vivement à s'engager dans la fainte
Union que toutes les autres villes du Royaume avoiencem-
brafTée pour le maintien de la Religion Catholique, Apofto-
iique & Romaine en France.
D'un autre côté il y eut quelques adions alTez vives en
Champagne , Antoine de Saint Paul à la tête de fes trou-
pes , Se de celles du duc de Lorraine étant allé camper
entre Efpernay & Chalons pour couvrir ceux de Reims qui
faifoient leurs vendanges , en quoi confident toutes leurs
richeffes j Robert de ]oyeufe comte de Grandpré eut avis,
que la garnifon de Vitry-le-François commandée par He-
douville, & fortifiée de quelques petites pièces de cam-
pagne , étoit allée faire le fiége de Vitry-le-Brûlé , oti le
maréchal d'Aumont n'avoit lailfé qu'une garnifon très-foî-
ble. Sur cette nouvelle , le Comte marcha au fecours des
affîèsès , fuivi de Claude Tourteron fon frère , des fîeurs
d'Eté , d'Apremont de Vendy , de Vaubecourt , de Neten-
court, de Louppe , de la Tour, & de quelques autres qu'il
avoir fait venir de Sedan ^ attaqua l'ennemi au moment qu'il
s'y attendoit le moins , & le mit en déroute.
Peu de tems après ^Charie deRoulIy baron de Termes
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 3^
vint le joindre avec fon régiment ^ èc Je capitaine Saint- "»
Paul rélolu de venger la mort de les gens s'etant prcfenté H e n k i
à la tête de quinze cens hommes de pied , & de quatre I V.
cens chevaux, le Comte dont le grand cœur ne refuibit ja- 1589^^
mais aucune occafion de fe fignaler , après avoir ruiné le
château de Vitry-le- brûlé, alla à la rencontre de l'ennemi
avec un nombre de troupes à peu près égal , & ie mJt en
bataille dans la vafte plaine qui s'étend entre Vitry & faine
Amand. Le combat dura depuis une heure après midi juf-
qu'au foir avec la dernière opiniâtreté , ians qu'aucun des
deux partis put s'attribuer l'avantage. Cependant les prin-
cipaux Officiers du parti du Roi y furent , ou bleffés dange-
reufement , ou faits prifonniers. Le comte de Grandr"é per^
ce de dix huit coups fut porté à Châlons , où il me peit
de jours après. Les (leurs de Tourteron , de Vouy , de Ne-
tencour, & de Bolandre, dont le frère périt dans cette
adion , furent pris. Cette bataille fe donna le 8 . d'Octobre,
Le baron de Termes s'étoit réfugié dans un village voifîn
avec fon régiment , qui n'étoit prefque point endommagé
réfolu d'en revenir aux mains dès le lendemain. Mais Saint
Paul qui appréhenda qu'on ne lui envoyât du fecours de
Châlons, ce qui arriva en efFet , fit venir aufiîtôt du canon
de faint Dizier , dans le delTdn de forcer le Baron dans ce
pofte qui étoit très-foible , avant qu'il fût venu de nou-
velles forces. Cependant quelque diligence qu'il fit il ne put
empêcher que Joachim de Dinteville & Philippe Thoaiaf-
iîn ne lui amenaiïënt des troupes fraîches. Alors il leva le
iîége ', & ie Baron rentra heureufement dans Châlons avec
fon artillerie. Ce fuccès afFoiblit le parti du Roi dans cette
province j &; les ennemis fe remirent auflitôt après en pojt
ielTion de VitryJe-brûlé.
Dans le même mois on furprit la Fére en Vermandois,
où commandoit Antoine d'Eftrée avec une garnifon très-
foible. Michel de Gouy d'Arfy avoit été dix ans au-
paravant gouverneur de cette place dans le tems qu'elle fut
prife par le prince de Condé. Il en connoifîbit toutes les
avenues, &: avoir outre cela quelques intelligences fecretes
dans la ville. Il communiqua Ion delîèin à un Eccléfiaftique ,
èc ils convinrent qu'il feroit reçu dans la place par un
'40 HISTOIRE
f endroit voîfîn du château où d'Arfy avoit remarqué qu*on ne
H £ N K I faifoit pas la garde fort éxadement. Enfuite il donna avis
I V. de ce quifepaflbit àFlorimondd'Hallewin marquis de Mei-
I îSo. E^'^^^^y •> ^^^ ^^^^^ ^^^ d'avoir trempé Tes mains dans le fang
de Ton coufm de Bonnivet faifoit le dégât avec fon régi-
ment dans route la Picardie. Aulîitôt le Marquis fe mie
en devoir de profiter de cette occafion : il partit fuivi
de Bouchavannes, de Mévilliers , de Brouilly, & de quel-
ques gentilhommes en petit nombre qui avoient embrafTé
fon parti. Le i6. d'OAobre les échelles furent appliquées
à la muraille fur les cinq heures du matin , fans que la gar-
nifon ni \qs habitans eufîènt aucun avis de ce qui fe paflbit j
le Marquis entra ainfi dans la ville dont il fe rendit maître
ians obftacle , &c prefque fans tirer l'épée 3 ôc fit prifon-
niers les fîeurs d'EÎtrée 6c de Soyecourt, avec les enfansdu
comte de Schomberg qui n'étoient pas encore en état de
porter les armes.
Les ennemis trouvèrent dans cette place des tapifTerîes
& des houfles de prix en quantité -, beaucoup de vaiffelle
d'or Se d'argent , & de pierreries que les Seigneurs de la
province, qui font les gentilshommes de France les plus
riches en ameublemens , & piufîeurs autres de différens en-
droits du Royaume, avoient retirées dans cette ville con%
me dans un heu de fureté. Le comte de Schomberg lui-même
y avoit fait tranfporter au commencement des troubles tous
les. meubles de fon château de Nantcuil , qui étoient fore
riches ôc en grand nombre. Dans la fuite fon fils aîné trompa
la vigilance de fes gardes , àc s'échappa -, à l'égard du ca-
det qui avoit à peine dix ans, d'Ariy qui avoit d'ailleurs
mille obligations au père, eut la cruauté ou la lâcheté de
le retenir prifbnnier, jufqu'à ce que le duc de Mayenne s'é-
tant rendu à la Fére le fit relâcher 3 foit qu'il eût honte de
voir un enfant prifonnier j foit qu'il eût compaflion de fa
jeunefïe,
sédition à Peu de tems auparavant il s'étoit élevé une fédition à
Toyioufc. Touloufe. L'auteur étoit celui-là même qui avoit été la
caufé des premiers troubles dont cette ville fut agitée , &C
de l'affreux carnage qui en fut la fuite , je veux dire l'é-
v.çque de Comminges, Ce Prélat que ces premiers excès
avoienç
gjiâiu.uiia»
DEJ. A. DE THOU,Liv. XCVII. 41
avoienc rendu odieux à tous hs gens de bien , commencjoic ^
à leur devenir fufpect plus que jamais, à caufe d'une Con- Henri
frérie dufaint Sacrement qu'il avoit établie. A la faveur de I V.
cette nouvelle inilitution il enroUoit dans Je parti tout ce i ^89.
qu'il y avoit de fcélerats de la lie du peuple , ôc entrete-
noit correfpondance avec les Espagnols. Ain il pour préve-
nir fes mauvais dellèins on fît venir à Touloufe le maréchal
de Joyeufe , qui quelque tems auparavant, c'eft-à-dire fur
Ja fin du mois d'Août , avoit conclu une trêve avec le duc
de Monmorenci gouverneur de la Province j 6c après une
mûre délibération le Parlement &c la ville le déclarèrent
gouverneur général , non feulement de la place , mais en-
core de tout le Languedoc j &: révoqua les pouvoirs que tout
autre auroit pu avoir obtenus auparavant. En même tems
on prof cri vit tous ceux qui pafToient pour avoir des intelli-
gences avec l'Efpagne.
L'évêque de Comminges qui fentoit bien que tout cela
le regardoit , difîimula d'abord 3 enfuite il fe difpofa à en
venir à la force ouverte ; il fe retira dans l'ifle de Tunis
avec un certain Moine qui étoit à la tête du parti dans
Touloufe. De-là il appella à fon fecours Becat , & Mon-
derat fon Lieutenant ^ &: dès qu'ils furent arrivés il rentra
dans la ville le premier d'Odobre -, fit prêcher fon Moine
dans l'églife de la Dalbade , ou ce furieux vomit mille
imprécations contre le Roi , dc contre tous ceux qui étoient
bien intentionnés pour la paix • après quoi le Prélat, tou-
jours précédé de fon Moine qui tenoit le crucifix d'une main ,
&: de l'autre faifoit la roue avec une épée , fortit de l'E-
glife armé lui-même d'une cuiralTe , &L l'épée à la main. Ils
étoient accompagnés de quatre autres Moines qui. fe mê-
loient aufîi de prêcher en faveur du parti ^ & ceux-ci étoient
fui vis d'environ cinquante malheureux de la lie du peuple.
Dans cQt équipage TEvêque parcourut toute la ville , tan-
dis que cependant le tocfm fonnoit de toutes parts, comme
il arrive dans les féditions. En même - tems ces furieux
crièrent aux armes, & répandirent le bruit qu'on en vou-
îoit à la Religion &: à la fureté publique , faifant entendre
que le maréchal de Joyeufe étoit de concert avec les héré-
pques , & qu'il avoit réfolu de les introduire dans la ville
Tffme XL F
V
42 HISTOIRE
— --— î?^?^ pour abolir la Religion catholique , 6c exterminer tous les
H £ N RI habitans. Ces calomnies étoient écrites fur un grand carton
I V. que l'Evêque porroit à la main haut élevé , atin que tout
I iSg. ^^ peuple le pût voir. Ce cortège fe rendit de la forte à la
JVIaifon de Ville , ôc en ayant trouvé les portes fermées , le
Moine fut alTez impie pour ordonner qu'on les lui ouvrît ,
en y frappant avec le crucifix.
Cependant le Maréchal s'étoit retiré à l'églife de faîne
Etienne, fuivi des principaux bourgeois j ôc il avoic eu foin
de pofer un corps-degarde aux avenues pour arrêter le pre-
mier feu des féditieux. Le lendemain le Parlement fe ren-
dit auprès de lui , afin de prendre de concert des mefures
pour appaifer le peuple. L'Evêque en fut averti. Auffitotil
aiTsmbla fes partilans , ôc marcha vers l'égUfe de faint Etienne
à la tête d'environ fîx cens hommes armés qu'il avoit ra-
malTés au fon du tocfîn, menaçant fi le Maréchal nequit-
toit inceflàmment la ville, qu'il alloit piller &; brûler les
maifons de tous ceux qui étoient avec lui. Ces menaces
épouvantèrent ceux qui avoient fuivi le Maréchal, 6c ils lui
confeillérent de fe retirer pour quelque tems , afin de calmer
le peuple -, avec luifortirent le préfidenr Bertrandi, 6c ce qu*ii
y avoit de plus confidérable dans la ville 6c dans le Parlement.
Après cette retraite, que le moine regardoit comme une
grande vidoire qu'il avoit remportée , il ne refta pas en fî
beau chemin. De concert avec l'Evêque, il changea leur
courfe tumultueufe en une procefFion guerrière. Il s'arma
lui - même d'une cuiraflè , de mit à la tête de la mar-
che les quatre autres moines portants chacun une croix. A
ceux-ci s'étoient joints tous ceux du Clergé qui étoient dans
le parti , fur-tout les Jéfuites, ( i ) avec environ deux cens hom-
mes de la lie du peuple, armés d'une manière grotefque d'è-
pées 6c de pertuifànes toutes rouillées. A côté du moine mar-
choient fans ordre le prélldent de Paule couvert d'une cui-
raffe, 6c en longue robe de damas, le confeiller Barret, ^
autres gens de cette efpèce. Le Moine tenoità la main le cru-
cifix j de fe tournant tantôt d'un côté , tantôt d'un autre ,
)î Eh-bien, difoit-il, y-a^t'il quelqu'un qui refufe de s'en-
M rôler dans cette fainte milice ? S'il s'en trouve d'alTez
< I ) M. Dupuy veut qu'on efface ces mots.
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVII. 43
>5 lâche pour ne pas fe joindre à nous , je vous donne la per- 'n^^^f^r^ar^^^
>5 miffion de les tuer, fans craindre d'en être repris. «Après Henri
avoir fait un grand tour, la proceflîon fefépara. Cependant IV.
quelques-uns de ces mutins ne s'étant pas encore alfez ven- rfSç.
gés à leur gré , paflërent à l'Archevêché , où logeoit le ma-
réchal de Joyeufe, 2c le pillèrent. Ils n'épargnèrent pas
non plus les maifons de ceux qui fuivoient le parti du Maré-
chal. De là ils retournèrent au logis de l'evêque deCom-
niinges , où après avoir arrofé d'eau bénite tous (hs appar-
temens, & donné mille malédidions au Roi , ils s'écrièrent :
Qu'ils rendoient grâces à Dieu de ce qu'il venoit de fauver
la ville de la fureur des hérétiques , &: des mauvais delTeins
de Joyeufe.
D'un autre côté ce Maréchal outré de l'affront qu'il ve-
noit de recevoir, envoya ordre à tous les Seigneurs de la
province de fe rendre auprès de lui. En même-tems il trans-
féra le Parlement dans la ville la plus prochaine. Enfin il fe
difpofoit à en venir aux voies de fait , lorfque les fadieux ap-
préhendant que cette guerre ne fortifiât le parti du Roi en
Languedoc , lui députèrent au nom du Parlement , 6c pa-
rurent allez diipofès à fe foûmettre aux moyens qu'il pro-
poferoit pour rétablir la concorde. Le Maréchal leur dé-
clara de ion côté , qu'ils n'avoient point d'accommodement
àefpèrer, qu'ils ne commençafTent par lui livrer l'evêque
de Comminge, que dansfa colère il appelloit l'Ante-Chrift
avec tous fcs émifiaires. Il demandoit outre cela qu'ils le
rec^uilent dans la ville avec bonne garnifon, & qu'ils rèta-
blitlent dans tous leurs biens & dignités les membres du
Parlement , & les bourgeois de fon parti. Mais les efprits
étoient encore trop animés pour que ces conditions paiïailèntj
& il n'y eut rien de conclu. ,,. . ,
Peu de tems après il s'éleva à Limoges une fcdition qui Limoges.
eut un fuccès tout diffèrent. Le gouvernement de la pro-
vince étoit entre les mains d'un jeune Seigneur également
diftingué par fa nobleffeôc par fes grands biens j c'etoitAnne
de Levi comte de la Voulte, que le feu Roi avoit fait paifer
en Limoufin après la mort des Gui fes. Depuis ce tems-làil
avoit pris par efcalade le i 3. d'Avril de cette année la ville
de Brives, qui s'ètoit révoltée à la foliicication d'Edme de
Fij
44 HISTOIRE
~ Hautefortj toute la garnifon avoit été pafTëe au fil de l'é-
Henri pée j & par cette exemple de févërité le nouveau Gouver-
I V. neur s'étoit rendu fi redoutable dans toute la province, que
1585). peu de tems après Tulles fe fournit au Roi, tandis qu'en
même-tems les Li2:neurs abandonnoient les Forts d'Emouf-
tiers & de Bellechaflaigne dont ils s'étoient emparés.
Qiîelque tems auparavant , la Cour avoit fait paiîer en
Limoufin Mery de Vie maître des Requêtes pour fervir de
Confeil au jeune Gouverneur. C'ctoit un homme d'efprit ,,
de d'une fidélité à l'épreuve. De Vie fe rendit à Limoges
capitale de la province • &; ayant remarqué que la ville ne
s'étant point encore déclarée à caufe des difFércns partis qui la
divifoient,la préfence ôcl'autorité du Gouverneur pourroient
aifément la déterminer en faveur du parti du Roi ^ il pria
Levi de palTer à Limoges , 6c d'amener peu de fuite avec
lui , afin de ne pas donner à ce peuple farouche &: défiant
occafion de fe foulever. Le Comte s'y rendit auffitôt 3 ce
fut à peu près dans le tems qu'il reçut avis de la mort du
Roi. D'abord il ne jugea pas à propos de publier cette nou-
velle • il commença par fonder les difpofitions des princi-
paux bourgeois 3 6c lorfqu'il crut s'en être afîiiré , il rendit
public cet horrible parricide 3 en fit fentir toute la noirceur 3
anima les habitans à en tirer vengeance 5 6c obtint enfin
qu'ils fe foûmettroient à Henri IV. comme au feul 6c légi-
time héritier de la Couronne , qui avoit déjà été reconnu
par toute l'armée , ce qu'ils firent tous avec beaucoup d'ar-
deur 6c de zélé.
Depuis ce tems- là tout fut afTez tranquile à Limoges ,
jufqu'à ce que le parti de la Ligue eût pris de nouvelles for-
ces. Alors Henri de la Martonie Evêque de cette ville,
après avoir communiqué fon dellëin à ce qu'il y avoit de
bourgeois attachés à ce parti , èc enfuite à Louis de Pom-
padour , à George de Villequier de la Guierche, au baron
de Gimeil, aux fieurs de Raftignac , de Selles, de la Cha-
pelle-Biron , 6c autres Seigneurs de la province fur lefquels
il comptoit, leur donna rendez- vous pour le i 5. d'Odo-
bre 3 de on convint qu'ils fe trouveroient tous avec leurs
troupes dans les fauxbourgs. Ce jour-là, qui étoit un Di-
manche , Levi s'étant rendu à la Maifon de Ville , fon
DE J. A. D THOU, Liv. XCVII. 45
logis Fucinvefti par environ fept cens hommes armés , criants
tous Liberté , ôc La potence -, êc ces mutins ne l'ayant pas trouvé Henri
chez lui , dreiïérent des barricades • Te faifirent de l'eglife I V. ^
de faint Michel j mallacrérent un des Confuls , bi bleiîerent i jgc;.
l'autre dangéreuiement.
AulTitôt que le Gouverneur fut informé de ce défordre,
il fongea à y remédier. Secondé des confeils de Vie, qui
ne l'abandonna point en cette occafion , il commença par
fe faifir d'une àts portes de la ville , la fit fermer , &
empêcha ainfî de ce côtédà l'entrée aux troupes qu'on lui
avoit dit être arrivées aux fecours des fadieux. De -là
il retourna à la Maifon de Ville , où à un lignai qu'il donna
il fe vit joint par cinq cens des principaux bourgeois tous
bien armés. A la tête de ce fecours il marcha contre les mu~
tins , les chargea , &: après un combat allez opiniâtre, diffi-
pa enfin toute cette canaille. Cette adion de rigueur le ren-
dit le maître dans la ville 3 6c ayant appris que les troupes
du parti s'étoient rendues dans les fauxbourgs, il alla les
attaquer le lendemain de grand matin , fe fiifit à(ts autres
portes dont il n'étoit pas encore le maître , &: força ainfi
les rebelles de fe retirer. En même-tems il fît arrêter les au-
teurs de la fédition , qui furent condamnés à mort par le
Confeil de guerre , &: exécutés publiquement devant le logis
du Gouverneur. Enfuite l'Evêque s'étant retiré avec Pom-
padour,la cité qui ell féparée du refte de la vdle par la
Vienne, &; défendue par le Palais Epifcopal , ouvrit {q^
portes au vainqueur. On drelTa après cela une lifte de tous
ceux qu'on foupçonna d'être malintentionnés pour le gou-
vernement j 6c leurs noms ayant été envoyés au Roi , à la
folliciration du parti contraire, ce Prince qui avoit alors
grand befoin d'argent les condamna à une grollè amen-
de, qui lui aida enfuite à fournir aux frais de la guerre.
Au milieu de tous ces troubles le Parlement féant à Pa-
ris n'oubiioit rien pour maintenir fon autorité. Dans cet-
te vue voulant mettre un frein à la licence qui régnoit
dans le parti , il donna un Arrêt le onze de Septembre ,
toutes \zs Chambres affemblées, bL fur le réquilîtoire du
Procureur général, par lequel après avoir profcrit l'exer-
cice de toute autre Religion que de la Catholique,
F nj
4^ HISTOIRE
- Apoflolique c-c Romaine , k Courfaifoitdéfenres de donner
Henri aux hérétiques ou à leurs fauteurs , aucun fecours d'hommes
I V. d'argent , ou de confeiis , de quelque manière , èc fous quel-
1589. que prétexte que ce pût être 5 déclarant les contrevenans
criminels de Leze - majefté divine àc humaine j défen-
doit de plus de faire aucune violence à perfonne • d'ar-
rêter dans Paris qui que ce fiit , ou de fe faifir de fes biens
fans un ordre exprès du Magiilrat j de tenir aucune aflèm-
blée fans fa permifTion ^ 6c de lever aucun fubllde fans une
ordonnance du Conféil de l'Union j enfin d'expofer en vente
aucun libelle diffamatoire -, recommandant particulièrement
à tout le monde de reipeder la Juftice , à tous ceux qui
font chargés de l'exercer.
Confpiiatioiî Peu de tems auparavant, c'eft-d-dire , vers le commen-
Tours. cenient du mois de Septembre , on avoit découvert à Tours
une grande confpiration , à la tête de laquelle étoient le
P. Robert CheiTé Cordeiier, &c Gille du Vergier ancien
Lieutenant général de cette ville. ( C'étoit le même qui
au commencement du mois de Mai précédent avoit engagé
le duc de Mayenne à attaquer les fauxbourgs de Tours. )
Cette entreprilè n'ayant pas réii/îi , du Vergier s'étoit re-
tiré à Vendôme , où il entra d'abord en liaiibn avec ChefTè.
Ce Moine étoit un homme vain , toujours prêt à courir
après une ombre de gloire j du refte peu brouillon. Il avoir
même été d'abord fort afFeclionné au feu Roi^ mais ayant
changé , il s'étoit enfuite abfolument déclaré contre Henri
IV. Ainiî il ne fut pas difficile à du Vergier de le faire en-
trer dans fes idées. Chelfé ne celfoit d'aigrir l'efprit du
peuple par fes prédications violentes , tandis que quelques
autres Moines de fon Ordre, qui étoient en grand nombre
à Tours & à Blois, travailloient par leurs intrigues à ex-
citer quelque foulévement. Du Vergier qui avoit long-
tems exercé fa charge avec dignité, de qui s'étoit acquis
une certaine réputation de droiture de d'impartialité , avoir
lui-même plufieurs partifans dans Tours 5 ôcilcfpéroitbien
qu'ils ne lui manqueroient pas au befoin. Il ne rcftoit plus
que de trouver quelqu'un capable de mettre cette ma-
chine en mouvement j du Vergier s'adrefîà pour cela a
René Marrier , qu'il fit venir de Blois, C'étoit un jeune
DE J. A. DE THOU, Liv. XC VIL 47
débauché qui pouvoir librement aller à Tours. Ain{î il ne fut ■
pas difficile de lui perfuader d'exécuter le généreux deffèin Henri
de délivrer cette ville de la tyrannie des hérétiques-, c'eft I V.
aînfi que les rebelles traitoient les Magiftrats fidèles au i c g o
Roi. _ ^ ^ ^ ^*
Ce jeune homme fans expérience ne fit attention, ni à
Ténormité du crime qu'on lui propofoit , ni au danger qu'il
pouvoit courir. Il palFa à Tours 3 s'aboucha avec quelques
particuliers de la lie du peuple que du Vergier lui avoic
indiqués , fur- tout avec un certain huilfier nommé Corbeau ;
& ils convinrent , fuivant la grande maxime èc la pratique
ordinaire du parti , qu'il falloit commencer par répandre le
bruit que les hérétiques étoient venus pour piller la ville 3
qu'à ce fignal les Conjurés prendroient les armes , & fe-
roient main-bafie fur les cardinaux de Vendôme &: de Le-
noncourt, &c les autres Seigneurs du Confeil • fur le préfi-
dent Jacque de Paye fieur d'EfpelTes 3 fur l'Avocat général
Servin , qu'ils regardoient comme leur ennemi mortel 3 en-
fin fur Gille de Souvré gouverneur de Touraine 3 & en gé-
néral fur tous les Magiftrats qui étoient dans Tours 3 qu'en-
fuite ils y feroient entrer de la Châtre, èc le vicomte de la
Guierche , qui dévoient leur amener des troupes à un cer-
tain jour qu'on leur avoit marqué 3 qu'avec ce fecours ils
fe rendroient maîtres de la ville, £c la réduiroient. à l'obéïf-
fance de la fainte Union.
Florent Guyot fieur de Lefi^art étoit alors à Tours, où
il commandoit une des trois compagnies que le Roi y avoic
mifes en garnifon. On lui avoit ôté le gouvernement de
Saumur , lorfque cette ville fut remife au roi de Navarre 3 dc
comme depuis la mort du feu Roi , de qui , difoit-il , il at-
tendoit de grandes récompenfes , ilfeignoit beaucoup demé-
contentement de ce qu'on lui avoit ain fi enlevé fa place,
les conjurés crurent ne pouvoir mieux faire que de le met-
tre de leur partie. Ce fut lui qui révéla tout le projet de
leur entreprife au cardinal cie Vendôme èc à Souvré. Après
cette découverte, quoiqu'on n'eût d'abord aucune preuve
convainquante, cependant la fuite de l'huifiier Corbeau,
dont j'ai parlé , de qui s'évada fur ces entrefaites , ayant con-
firmé les foupçons qu'on avoit déjà, Marrier fut arrêté en
48 HISTOIRE
^ '"■ habit déguiré. Il fut d'cabord convaincu par des lettres qu'on
Henri intercepta , ôc par des témoins qui dëporérent contre lui ;
- ^ on l'appliqua enfuite à la queftion-j &: ayant tout avoué,il
^ * fut condamné à la mort. Son corps fut mis en quatre quar-
^ "* tiers , 6c expofé enfuite fur autant de gibets aux portes de
la ville. On arrêta en même-tems ceux de Cqs complices
qu'il avoit déclarés. De ce nombre fut un Chanoine de Saine
Martin nommé N.le Tourneur. 11 voulut d'abord protefter
contre l'incompétence de fes juges j mais on jugea que l'é-
normité de fon crime le rendoit indigne de joiiir des immu-
nités accordées 'à fon état ^ &; il fut condamné à la more
avec quatre autres. Cependant par refpecl pour le Sacer-
doce dont il étoit revêtu , & à la prière du cardinal de
Vendôme , on fe contenta de le tenir en prifon j il y refba
longtems , ôc fut enfin relâché.
Les Ligueurs prirent cette occafîon pour fe déchaîner
contre les Royalilles , qu'ils accufoient de rendre les Prêtres
&c les Religieux la victime delà haine aveugle qu'ils avoienc
pour la Religion , ians aucun égard pour leur caradére ,
ôc fans relpecl pour les loix les plus inviolables. En con-
féquence le parlement de Paris donna le onze de Septem-
bre un Arrêt, par lequel pour faire cCiïer, difoit.on , les
murmures des fédicieux qui fe plaignoient des fupplices
cruels que les juges de Tours faifoient foufFrir aux bons
Catholiques en haine de la Religion ^ oiii fur ce le Procu-
reur général, fe portant pour appellant de toutes les fèn-
tences de cqs juges , comme étant incompétens • la Cour
cafloit ^ annuUoit lefdites fentences ^ défendant fous les
peines les plus griéves à tous juges, quels qu'ils fuflènt, de
prononcer aucun jugement contre les CathoHques pour
caufe de leur Religion ôc de leur attachement à la fainte
Union ^ &c permettant aux parties d'appeller des fentences
de ces fortes de juges , ôc de les ajourner au Parlement pour
venir rendre compte de leur conduite au Procureur gé-
néral.
Cette démarche enhardit le Confeil de l'Union. Il donna
le même jour un Edit qui fut remis à un trompette pour
être fignifié au parlement de Tours , par lequel les Ligueurs
au nom du Confeil de la fainte Union , du Prévôt des
Marchands.
DE J. A. DE THOU,L£v. XCVII. 49
Marchands, & des Echevîns de la ville de Paris, faifoienc
fçavoir aux juges de Tours , que fi à l'avenir ils ne s'abfte- Henri
noient des cruautés qu'ils avoient exercées jufqu'alors con- IV.
tre les Catholiques, èc fur-tout contre les Eccléfîaftiques, i cHo
ils les regarderoient comme des déferteurs de la Religion
Catholique , Apoftolique & Romaine , 6c comme des traîtres
à la patrie dans la guerre qu'elle avoit entreprife contre les
hérétiques j & qu'ils les traiteroient comme des ennemis dé-
clarés, les profcrivant eux , leurs femmes , leurs enfans , de
leurs parens , confifquant leurs biens, & leur faifant fubir
la peine du talion , c'eft-à-dire, tenant envers eux le même
procédé qu'ils tenoient à l'égard des autres.
Le trompette partit pour Tours, ôc ayant été pris par
Papillon Capitaine d'une compagnie de la bourgeoilie, le
Parlement chargea un huiffier de s'informer des ordres
dont il était porteur. Auffitôtque la Cour en fut inllruite,
Je Procureur général de la Quelle intervint , ôc s'étendit
fort au long liir l'audace èc l'opiniâtreté de ces rebelles,
qui non contens d'avoir fou.ievé toute la France fous le fpé-
cieux prétexte de la Religion , & d'avoir apofté des a/îaf-
fms pour tuer le feu Roi , avoient encore le front de re-
nouveller ks erreurs de Wiclef , de Jean Hus , & des Bo-
hémiens , profcrites parle Concile de Confiance , & de pré-
tendre qu'il fut permis à des fujets de renoncer félon leur
caprice à l'obéilTance du Souverain. Il die ; Qu'à tant d'ex-
cès ils ajoiitoient encore les calomnies , les jnvédives , &:
plulîeurs faits éloignés de la vérité , comme lorfqu'ils pu-
blioient fans fondement que la Cour des Pairs que le feu
Roi avoit été obligé de transférer, félon le droit qu'il en
avoit, de Paris à Tours à caufe de leur révolte, perfécu-
toit Iqs Catholique^ en toute occafion : Qii'on ne pouvoic
pas dire en effet que ce fut fans raifon qu'elle fefiit portée
depuis peu à châtier certains Religieux &: quelques Ecclé-
fîaftiques, puifqu'elle s'étoir vue obligée d'ufer de cette
févérité pour prévenir les funeftes effets d'une conjuration
cruelle prête à éclater : Qiiede tous les Conjurés on n'en
avoit puni que fix , après les avoir convaincus auparavant
par des lettres , par la dépo/îtion des témoins , par leur
propre aveu , qu'à la follicitacion de Cheffé qui exerçoiç
Tûme J /. Q
^o HISTOIRE
aduelJement le minîfbëre de la prédication à Vendôme, &:
Henri de du Vergier banni de la ville de Tours , qui avoient fait
I V. entrer dans leurs vues criminelles René Marrier Cordelier
jrgo, de Blois , jeune homme abîmé dans la débauche , ils
avoient pratiqué des afTaffinspour exciter une fédltion dans
Tours , &: malîàcrer des Princes du Sang , des Cardinaux ,
le Gouverneur de la ville, les principaux membres du Par-
lement, & les autres Magiftrats : Qiie le même Marrier
avoit été arrêté travefti dans un habit qui ne convenoit
nullement à fon état j &c que par-là s'étant rendu indigne
de jouir du privilège qui y efb attaché , ce qui autrement
lui auroit été accordé , il avoit porté la peine duc à fon
crime : QLi'au contraire le chanoine de faint Martin , quoi-
que condamné à mort avoit été feulement refferré en prifon
par refped pour fon caradére, jufqu'à ce que S. M. tou-
jours équitable en eût autrement ordonné : Qp^onne pou-
voir accufer la Cour d'avoir ufé de trop de févérité,&
donné atteinte aux loix pour avoir puni de mort des va-
gabonds , des efpions , des traîtres , des afTaihns : Que
ceux qui confeilloient , approuvoient ou donnoient les mains
à de tels attentats, faifoient bien voir qu'ils ne fuivoienc
pas les maximes de l'Egliiê CatlioHque, Apofl:olique&: Ro-
maine , comme ils avoient le front de s'en vanter ^ mais
qu'ils avoient puifé leur doctrine empoifonnée dans les
lources impures du Mahométifme : Qii'on devoir donc les
regarder comme les defcendans de cette race perfide , qui du
tems de laint Louis ne pouvant fe défaire ouvertement des
Princes Chrétiens , fe dévoûoit à la mort pour Iqs ailàlîi-
ner : Qii aduellement encore cette engeance n'étoitpasraf-
fafîée de fang humain , puifqu'on la voyoit continuer fes
attentats contre les Princes de la famille Royale qui tî-
roient leur origine de ce faint Roi : Qiie cela n'empêchoic
cependant pas que dans le Royaume plufieurs perfonnes
prévenues par les calomnies & les faux bruits que ces re-
belles répandoient dans le public , n'eulFent mauvaife idée
de l'équité de S. M. de celle des Princes de fon fang, &c
des "Seigneurs qui fui voient fon parti , & par conféquent de
la juftice de la Cour : Qu'il requéroit donc que la Cour
ordonnât que la déclaration du Roi du 4 . Août enregifkrée
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. sj
âu Parlement dix jours après , par laquelle S. M. s'enga-
geoic à maintenir la Religion Catholique, Apoiloiique ôc Henri
Romaine dans'le Royaume, enfemble les réglemens con- IV.
cernans les devoirs des Prédicateurs, Théologiens, Ordres Tcgn
mendians , &c autres Religieux , auflî-bien que l'obéïlTance
diië au Roi , feroient publiés à Paris par un Huilîîer que la
Cour y députeroit à ce fujet.
Après ce réquilitoire du Procureur général , le Parlement
rendit un Arrêt qui ordonnoit que la déclaration , enfemble
les réglemens mentionnés ci-delFus , feroient publiés à Paris
par un Trompette -, défendoit aux Juges èc Magistrats de
cette Capitale de prendre le titre de Parlement , Chambre
des Comptes, Prévôt des Marchands , ou Echevins j ni de
donner aucuns Arrêts , Edits, ou Déclarations j enfemble
aux Paridens , de autres du relTort , de leur obéir , ou de leur
fournir de l'argent pour les frais de la guerre , ou pour quel-
qu'autre fujet que ce fiit ^ &c enjoignoit à tous les fujets du
Roi de s'oppofer à l'exécution de ces forces de commande-
mens , même à main armée , &: en foûlevanc les païfans au
fon du tocfîn contre ceux qui en feroient chargés, les dé-
clarant pour le préfent & pour l'avenir indignes de polTéder
aucune charge , comme criminels de léze-Majedé , àc confîf.
quant tous leurs biens, dont un tiers feroît appliqué au pro-
fit de ceux qui les prendroient & repréfenteroient en Juftice
morts ou vifs ^ ordonnant enfin que (i la révolte des Parifiens
empêchoit le Trompette de faire cette publication dans Paris
jnême , dûëment , èc avec les formalités requiies , elle feroic
faite dans les lieux les plus voifins où il y auroit fureté pour
lui j & feroit cenféeauflî valable , que fi elle étoit faite dans
la Capitale même • que cependant le Trompette envoyé par
les Parifiens refteroit en prifon jufqu'à ce que S. M. en eût
ordonné.
Cet arrêt fut rendu le 29. de Septembre j Scie même jour
la Cour en donna un autre par lequel , furie réquifitoire du
Procureur général , elle ordonnoit que les infinuations des
teflamens , donations , & autres ades iemblables , qui avoient
coutume de fe faire dans la jurifdiclion des lieux où les biens
des parties contractantes étoient fitués , ou dans lefqucls
elles avoient leur domicile , fè feroient au g-refFe de la Cour ,
j2 HISTOIRE
■■ au cas que la révolte empêchâc les parties de pouvoir s'a-
Henri drelîer Uiremcnt aux jurifdictions ordinaires , de qu'elles au-
I V. roient la même force que Ci elles euflent été pailées dans les
I îSo. lieux prefcrits par Tordonnance.
piacet des I^cja près de quatre mois s'étoient écoulés depuis la mort
ligueurs du fcu Roi , fans que cependant il fût mention parmi les fa-
*" j^.^*^^^,'^" dlieux de foncrer à qui devoit lui iuccédér. La fureur de la
cardinal de ^ T ^ j l • J w
Bourbon. JLîgue portant les excès dans tous lesrecomsdu Royaume^
avoit foulé aux pieds l'autorité royale. Ceux-là même qui
.du vivant de Henri III. avoîent paru d'abord porter avec
tant d'ardeur , au préjudice des loix du Royaume , les droits
du cardinal de Bourbon à la couronne contre ceux du roi
de Navarre , fembloient l'avoir mis entièrement en oubli
depuis fa prifon , comme s'il n'eût plus été au monde j & il
ne paroiffoit plus d'arrêts, d'édirs , ni de déclarations que
fous le nom du Parlement, du Confeil de l'Union , & du duc
de Mayenne. Il fe trouva cependant encore quelques per-
ionnes zélées , qui pour rappeller le fouvenir de ce Prince
infortuné , qui avoit jufqu'alors fervi de joliet aux Ligueurs ,
parlèrent de lui afîigner une penfion fur l'Etat. Antoine Hot-
man préfenta même au conlèil de l'Union une requête qui
portoit , que le cardinal de Bourbon leur Roi iûpplioic
qu'on lui accordât cette grâce, Hemar Flennequin evêque
de Rennes faifoît alors les fondions de Préfident dans cette
alTembiée. Il s'avifa par une févérité mal placée de repri-
lîiender Hotman fur ce que fa réquête étoit conçue en des
termes qui convenoient peu à la Majefté royale , ajoutant
I qu'un Roi ne devoit point ufer de fupplications envers [qs
iujets. Sur quoi Plotman ayant avoue qu'il avoit fait une
faute 3 & prefTant néanmoins l'allèmblée de fatisfaire à fa
demande fur ce qu'il importoit peu , difoit il , que fa re-
quête fût conçue de vive voix ou par écrit , pourvu qu'il
obtint ce qu'il iouhaitoit , après une longue délibération
que tinrent les Ligueurs , comme s'ils leulîéntjoiié la comé^
die , le Confèil lui fit cette réponfe ridicule : Qu'ayant une
il grande guerre à foûtenir , leurs fonds ne leur permertoient
pas d'accorder au Roi cardinal une penlion fur l'Etat : Qu3
cependant l'Union auroit foin de le remettre inccifamment
en polïèffion des bénéfices confidérables , dont fes ferviteuri;
DE J. A. DE THOU Liv. XCVII, 55
fe plafgnoient que les ennemis de Dieu & de la Nation s'é-
toienc empares j & que ces revenus confidërables feroient Henri
fuffifans pour ion entretien &. celui de fa maiibn , jufqu'à la I V.
fin de la guerre. ^ ^ , . ^ 1589.
Comme il n'y avoit perfonne qui ne vit que c'ëtoit là fe
joiier de la Majefté royale , & fur-tout des Princes du fang ,
bien des gens furent indignés de ce procédé. On n'enten-
doit de toutes parts que des murmures confus j on fe plai-
gnoit que fous prétexte de travailler à maintenir la Reli-
gion , ce qui demandoit beaucoup d'ordre àc de fagefïè , on
introduisît un dérangement uni verfel dans le gouvernement,
en lâiiFant le trône vacant , ôc en établilTant un interrégne
qu'on auroit dû éviter fur toutes chofes , à la faveur duquel
il étoit permis de tout oier , tandis que la Religion dont le
falut dépendoit de la confervation de l'Etat, couroit rifque
de fe voir détruite elle-même par fon démembrement : Que
c'étoit là ce que leurs ennemis leur avoient prédit , 6c ce
qu'ils avoient eu tant de peine à croire. « Et que ne-vont-ils
» pas dire , ajoûtoit-on , qii'eft-ce que le peuple ne fera pas
» en droit de penfer , lorfqu'ils verront qu'on ne fait aucun
55 cas des Princes du (àng , & qu'on ne veut dans le parti , ni
55 Roi , ni loi ? S'il eft vrai que le Navarrois foit exclus de la
55 fucceifion à la Couronne par le droit de fon oncle , comme
5) on le foûtenoit du vivant du feu Roi 5 fi ce Prince s'efb
55 rendu d'ailleurs indigne de régner par fon attachement à
55 l'héréfie j pourquoi ne fait-on aujourd'hui aucun cas du
55 Cardinal ? Pourquoi lui fait-on l'afFront de ne pas fonger
5j à lui , comme fi lui même étoit indio-ne de la couronne ?
>3 Ce procédé ne fait-il pas voir clairement, que ce n'eft point
53 des intérêts de la Religion qu'il s'agit dans cette guerre ,
53 comme nos ennemis nous l'ont fi fouvent reproche j que
53 c'cft au Royaume même que l'on en veut , pour la con-
j3 fervation duquel ils fe vantent de leur côté d'avoir pris les
33 armes j & qu'on ne cherche qu'à le détruire en le démem-
53 brant , fuivantle caprice des Espagnols , ou à le faire pafTer
33 à une famille étrangère, ce que les François ont toujours'
33 fi fort appréhendé.
Le duc de Mayenne étoit inftruit de tous ces murmures,
L'mcerré2;ne étoit fort de fon goûtj il fcavoit d'ailleurs que
G iij
54 HISTOIRE
l'incencîon du Pape écoit de tenir ïqs efprits en fu/pens fur le
H £ N »,i choix du Prince , qu'il vouloic de ion aucoricc placer fur le
I V. trône , comme s'il eut été vacant , ôc de lailTer cette affaire
I j go. indécife jufqu'à l'arrivée du Légat , qu'il fongeoit à envoyer
,. , en France. Cependant comme il ne voulait pas auiTi s'expo-
Le cardinal r \ i i • i i* o >m r i • • i> /
de Bourbon ^^^ ^ 1^ hame puDlique j OC qui! louhaitoit a un autre cote
déclaré Koi d'aiFoiblir la faction d'Efpagne qui profitoit de l'anarchie
d°"cbarkx. F^^'^ ^^ fortifier de jour en jour dans le Royaume , il fît don-
ner un Arrêt qui fut rendu au Parlement le 2 i. de Novem-
bre , à la réquifition du Procureur général , toutes les Cham-
bres afTemblees , par lequel il étoit ordonné à tous les fujets
du Royaume, de quelque condition qu'ils fufTent , de re-
connoitre pour leur Roi Charie X. héritier légitime de la
couronne, de lui être fidèles ôc fournis, ôc d'employer leurs
biens 6c leurs vies , pour le tirer de fa prifon & le remettre
en liberté j ajoutant que cependant , le titre èc l'aucorité de
Lieutenant général de l'Etat refteroient au duc de Mayenne,
jufqu'à .ce que le Roi joiiît d'une pleine. ôc entière liberté j
qu'en attendant tous les arrêts, & autres acles publics , fe-
joient rendus fous fon nom , &c que les monnoies léroienc
frappées à fon nom , & porteroient ion image.
Huit jours après, le Parlement rendit un autre arrêt, par
lequel il étoit ordonné aux Princes , Ducs & Pairs , Maré-
chaux de France , aux grands OfHciers de la Couronne , èc
aux Gouverneurs des provinces , de le rendre aux Etats que
le duc de Mayenne avoit convoqués à Melun pour le mois
de Février fuivant , afin de délibérer en commun des moyens
de mettre le Roi en liberté , de maintenir la Religion Ca-
tholique , Apofloiique de Romaine dans le Royaume j &C
de prendre de concert les melures qui feroient jugées con-
venables au bien public.
Arrivée du II efl Confiant que le Duc ne fe hâta de convoquer les
cardinal Gaë- ^tats , que pour pretîèr l'arrivée du cardinal Henri Gaëtano,
rano en , i r ' m j • i j ' c^
France eu ûont les Ligueurs apprehendoient que le départ ne hit re-
quaiité de tardé par les lettres de François de Luxembourg duc de
l 'A^t. Piney. Ce Seigneur avoit écrit au Pape , pour le prier au
nom de tous les Princesse Seigneurs du Royaume qui fui-
voient le parti du Roi , de ne point faire partir fon Légat
pour la France , avant qu'il fut arrivé lui-même à Rome,
o
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVII. ^^
Sixte ayant reçu ces lettres , avoit d'abord fait efpérer au
Duc de lui donner cette iatisfaction , témoignanc qu'il Henri
ieroit bien aife d'être inftruit par lui-même de i'étac des IV.
affaires de France j mais Lazare Coqueley étant venu à 1580,
la traverfe j & ayant remontré au Pape que ce délai que
l'on demandoit , n'étoit qu'un prétexte dont on fe fervoit
pour brouiller de plus en plus les affaires , ôc qu'il y auroit
du danger à l'accorder , le Légat eut ordre de partir 3 & fe
mit en chemin fur la fin d'OAobre chargé des inftrudions
de S. S. Il fe rendit d'abord à Lyon , où il fit quelque féjour,
&: de-là il paflà à Dijon , où il refta encore quelque tems at-
tendant une efcorte , avant que d'entrer plus avant dans le
Royaume.
Par fes inflructions datées de Rome du 7. du même mois,
le Pape après avoir fait l'éloge de la France , & des grands
fervices que nos Rois avoient rendus au S. Siège dont , du
foit-il , la mémoire feroit éternelle 3 après avoir rappelle le
fouvenir des eraces & des bienfaits du S. Siège envers nos
Souverains , qui avoient toujours été regardés comme les
fils très-chers de la fainte Eglife Romaine , &c des témoi-
gnages éclatans que les Souverains Pontifes leur avoient
donnés de leur tendrefîè paternelle , ôc de leur affection ré-
ciproque 3 enfin après avoir déploré le trille état où ce fîo-
riiîant Royaume fe trouvoit alors réduit , difoit : Qu'à
l'exemple de Ces prédécefîcurs , pour apporter un remède
convenable à tant de maux , de l'avis du facré Collège, il
avoit nommé le cardinal Gaetano pour fon Légat en France^
afin qu'aidé de la grâce de Dieu , il y arrachât , détruisît ,
diffipât , bâtît & plantât , félon qu'il le jugeroit nécelTaire
dans le Seigneur , pour la plus grande gloire de Dieu 6c le
falut des âmes j que fuivant les fages confeils qu'on lui avoit
donnés , il prit les moyens les plus propres pour maintenir
la Religion Catholique dans toutes les parties du Royaume,
&c ramener les hérétiques à l'union , & au fein de l'Eglife
notre fainte mère 3 èc qu'enfin après avoir rétabli par-touc
l'exercice de la Religion Catholique, la paix de la tranquil-
lité de l'Etat , il fît en forte que toute la nation réunie fous
un Roi débonnaire , pieux , & véritablement très- Chrétien ,
pût trouver fon bonheur dans fa foûmiffion à «e Prince ^ oc
56 HISTOIRE
■ ' en rendre à Dieu d'immortelles actions de grâces. Enfin il
Henri exhortoic , prioit , conjuroic par les entrailles de la miieri-
i V. corde, tous les Princes, Seigneurs, & en général tous les Etats
ï «89, ^^^ Royaume , d'imiter enfin le zélé vraiment catholique de
leurs ancêtres , en mettant tout en œuvre pour fe préierver
du poifon mortel de l'héré/ie dont ils avoient guéri tant de
fois auparavant les autres nations j de couper Se d'écrafer les
têtes de cette hydre cruelle , tant de fois renailîantes , dc
toujours prêtes à dévorer les âmes rachetées au prix du fang
précieux de Jerus^Chrift ^ d'arracher jufqu'aux moindres
racines de la divifîon & de la difcorde qui regnoient entr'euxj
d'en oublier jufqu'au fouvenir , afin qu'après les fureurs de
la guerre , le règne de la paix fe trouvant par-tout rétabli ^
êc le troupeau du Seigneur réiini dans une même bergerie,
tous de concert rendiitent à un même Roi Catholique 6c lé-
gitime , l'obéifTance qui lui étoit due j fur-tout de recevoir
fon Légat avec le refped & l'honneur qui lui étoient dûs j
defuivre fes confeils falutaires j 6c d'obéïr à fes oi*dres , afin
de mériter de la bonté du Seigneur , fource des véritables
biens , toute forte de bonheur dans cette vie, ôc une recom-
penfe éternelle dans le ciel.
Ceux des Ligueurs qui étoient les plus équitables , voyant
que dans ces inftrudions on ne faifbit aucune mention du
rnalheureux Cardinal prifonnier , ôc qu'on y parloit feule-
ment d'une manière vague ôc équivoque du choix d'un Roi
légitime , jugeoient que par toute cette manœuvre on n'a-
voit d'autre deflein que d'exclure abfolument de la Cou-
ronne , toute la famille Royale. » En effet, difbient-ils ,
>î pourquoi laifTer cette décifion incertaine ? Pourquoi ne
>> faire aucune mention du Cardinal , que nous devons re-
»? garder comme notre Roi légitime , s'il eft vrai que le Roi
53 de Navarre fe foit rendu indigne du trône pour les raifons
91 qu'on nous a fî fouvent alléguées ? « Ce procédé contribua
donc encore à augmenter le mécontentement , fans que la
publication toute récente des arrêts du Parlement fût capa-
ble d'étouffer les plaintes &i les murmures. Ceux du parti
qui penfbient de la forte regardoient ces réglemens , plutôt
comme un appas dont on fe ïervoit pour appaifer les gens de
Jpjen , quç comnie une fuite des intentions du Pape , & de
ceu3^
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 57
ceux qui ne fe gouvernoienc en France que par fes ordres. .;
Ainfi cette idée en engagea plufîeurs à Te décacher de la Henri
Ligue, I V.
Cependant le duc de Luxembourg après avoir reçu les 1589.
inrtrucl:ions des Princes &, Seigneurs du parti du Roi , iuivant
la permiiîîon que ce Prince leur en avoic donnée lorfqu'iis
lui avoient prêté ferment de fidélité , datées du camp de
Neuilly du 16. d'Août, êc lignées par Louis de Revol Se-
crétaire d'Etat , s'étoit mis en chemin pour fè rendre à Rome.
Mais comme il avoit pris fa route par la Suifle èc par le païs
des Grifons , il n'arriva qu'allez tard en Italie. Il palTa d'a-
bord par Ferrare , par Mantouc, par Florence &: par Ve-
nife i afin de ialuer cet illuftre Sénat , &: les Souverains de
ces autres Etats , leur rendre les lettres que le nouveau Roi
leur écrivoit j obtenir d'eux des recommandations auprès
du Pape & des Cardinaux ^ & les engager à lui être favo-
rables dans une occafion où il s'agilfoit du iaiut de la France ,
auquel ils dévoient s'intéreiîer , aufli-bien que toute l'Italie.
D'un autre côté , le Roi qui après la prile des fauxbourgs prife d'E-
de Paris s'étoit avancé jufqu'à Montlehery , ayant eu avis j^"?P*^5 P^"^ ^^
qu'Alexandre de Caftelnau comte de Clermont dans le Dio-
cèfe de Lodéve en Languedoc , jeune Seigneur diftingué par
fa nailTànce , mais fort étourdi , avoit embraffé le parti de
la Ligue j &: que foit à delïein , foit par hafard , il s'étoit en-
fermé dans Etampesavec environ cinquante Gentilshommes,
marcha droit de ce côté-là, & arriva devant cette ville le 5.
de Novembre fur le foir. On difoit que le comte de Cler-
mont s'attendoit à êtrefecouru par le duc de Mayenne. On
en fut même alTûré par des lettres qu'on intercepta 3 & c'eft
ce qui fit efpérer au Roi que ce pourroit être une occafion
pour lui d'en venir aux mains avec le Duc. Les fauxbourgs
furent d'abord emportés, & peu de tems après la ville même
fut abandonnée par la garnifon qui fe retira dans le château
avec toute la Nobleflc qui avoit fuivi le Comte. Enfin com-
me le fecours ne paroilFoit point , la place fe rendit huit jours
après , à condition que huit des principaux Officiers rcfte-
roient prifonniers , & ne ièroienc relâchés que lorfqu'iis au-
roient obtenu la liberté d'autant de Royaliftes qu'on leur
.nomma , àc qui avoient été pris par les Ligueurs. Le Roi
Tor/je XI, H
5^ HISTOIRE
î=îîï=!ïî!!î?? permit cependant au con-ite de Clermont &c à deux Colonels
Henri de fe retirer fur leur parole. Au refte ce Prince ayant corn
IV. ^ '
1585).
paffion de cette ville , qui en très-peu de tems avoit été crois
rois prife ôc pillée, en confia la garde aux habitans après avoir
fait rafer le château , afin qu'elle ne fût plus expolëe à être
infultée par les troupes.
Tandis que le Roi étoit à Etampes , il reçut une lettre de
la. reine Louife veuve de Henri III. avec une requête par la-
quelle cette PrincelTe prioit S. M. & tous les Seigneurs de
ion parti , de tirer vengeance du parricide exécrable com-
mis dans la perfonne du feu Roi fon prédécefTeur 3 les fup-
pliant de lui en faire avoir la fatisfadion par les voies de la
Juflice. Dès le 6. de Septembre le Roi avoit déjà reçu une
lettre femblable de cette Princefle. Lorfque cette requête
fut lue au Confèil , il n'y eut aucun des Seigneurs qui n'en
fût touché. Tous fondirent d'abord en larmes , qui furent
fuivies d'une indignation générale, & d'une forte réfolutîon
qu'ils prirent de venger le meurtre du Roi. Henri envoya
cette requête au Parlement avec ordre de travailler aux in-
formations , afin qu'il pût les examiner lui-même , 6c afTifter
en perfonne au jugement qui feroit prononcé en conféquence.
Dans la lettre qu'il écrivit à ce fujet , il faifoit d'abord un
grand éloge de la piété & de la modération de la Reine fa
iœur , qui remettoit aux loix la vengeance de ceux qui n'a-
voient pas craint de violer toutes les loix divines & humai-
nes 5 proteftant que pour lui , il fe réfèrvoit à la venger d'une
autre façon par la voye des armes.
t^ependant comme l'ennemi ne faifoit aucun mouvement ,
le Roi partagea fes troupes. Il en donna une partie au duc
de Longueville Se à la. Noue , avec ordre de pafTer en Pi-
cardie pour contenir cette province dans le devoir. Il ren-
voya auffi dans la Brie Anne d'Anglure de Givry , qui lui
avoit amené des troupes quelque tems avant la prifè des
fâuxbourgs de Paris. Pour lui il marcha vers la Loire , afin
de mettre ordre aux affaires des provinces fituées de ce côté-
là j & ayant traverfé la Beaufle , après avoir repris Janville ,
il fe rendit par Blois à Châteaudun.
Ce fut là qu'il donna audience aux colonels des SuifTès ,
qui après la mort du feu Roi avoienc été députés vers leurs
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. s0
Cantons , pour prendre d'eux de nouveaux ordres , 6c ren- ;=!==;
dre enfuire compte au Roi des difporitions où ils étoient dans Henri
ces conjonclures. Us âfTiirërenc donc ce Prince à leur recour , I V.
que les Cantons, avoient rëfoiu de le fervir avec le même 1589.
zélé , qu'ils avoient fervi fon prédëcefTeur j qu'ils ordon-
noient aux troupes Suillès qui étoient dans ion armée , de
refter à Ibn fervice j & qu'ils ne fouhaitoient rien tant, que
de renouveller avec lui l'ancienne alliance qu'ils avoient
faite avec les autres rois de France Tes prédéceireurs d'heu-
reufe mémoire. Avec eux étoit arrivé Jacque Augufte de
Thou. Après avoir quitté à Vérone, Scnomberg qui avoic
pris la route de Trente , ce Magiftrat avoit traverfé le païs
des Grifons , les Cantons de Zurick & de Baie, la Franche-
Comté , Se le païs de Langres, dans la compagnie des Offi-
ciers SuifTes , expofé fans celle à mille dangers. Enfin de re-
tour auprès du Roi il lui rendit compte de ce qui s'éroit
pafTé en Italie après la mort de fon prédéceileur : voici ce
qui étoit arrivé.
De Thou étoit à Venife , lorfqu'on y reçut la première Henri iv.
nouvelle de la mort du roi Henri III. D'abord on n'y ajouta J.""""*^ ^^'^
aucune foi. Jean Mocenigo ambafladeur de la République le^sVenScns!
â la cour de France étoit refté à Tours avec le Parlement
ôc le Confeil , lorfque ce Prince alla joindre fon armée j il
avoit écrit fur le premier bruit qui s'étoit répandu 3 il étoit
éloigné du lieu où le Roi étoit mort -, c'en fut alTez pour que
les plus fages jugeaflènt qu'il falloit attendre la confirma-
tion de cette nouvelle. Cependant fuivant la coutume des
Italiens , il fe fit beaucoup de gageures à Venife fur cet évé-
nement. En même tems cette nouvelle ayant été mandée
de Milan , de Ferrare , & de Florence , où elle pafToit pour
confiance, les gageures redoublèrent ,& on vit un deiiil 6c
une conflernation générale dans toute la ville , comme fî la
République elle-même eut été fur le panchant de fa ruine.
Les plaintes fe tournèrent enfùite en indignation , èc l'ani-
mofité devint fi grande contre les Jacobins , que quelques
jeunes Nobles ayant rencontré fur la brune deux Religieux
de cet Ordre hors de leur couvent , en maltraitèrent un
très-fort, ôcjettèrent l'autre dans le grand canal , où il cou-
rut rifque de la vie. On eut beau fe plaindre le lendemain
H ij
éo HISTOIRE
■ de cette infulte • les Sénateurs avec leur prudence ordinaire
H E N K 1 éludèrent toutes les pourfuites , en répondant qu'il ne con-
I V. venoit point à des Religieux de fortir de leur maifon pour
o courir pendant la nuit • & que dans les circonftances où l'on
(e trouvoit , il n'étoit pas pollible d'empêcher ablolumenc
certains défordres dans une ville libre ou il y avoit un con-
cours général de toutes fortes de nations.
Telle fut la fîtuation de Venile depuis le 1 4. d'Août , qu'on
y apprit la première nouvelle de la mort du Roi , juiqu'au
21. Ce jour-là on recrut une féconde lettre de Mocenigo
qui confirmoit la première , & ajoûtoit de plus que le roi de
Navarre avoit été reconnu unanimement par tous les Prin-
ces , Seigneurs , &: Officiers de l'armée , comme héritier lé-
gitime de la Couronne , & que toutes les troupes lui avoient
prêté ferment de fidélité. Cette dernière nouvelle non feu-
lement calma la douleur dont on étoit pénétré de la mort de
fon prédéceilèur • elle fit même concevoir au Sénat que cet
événement inquiétoic , une eipèrance certaine de voir rele-
ver ce Royaume il florifTant , le plus puiflànt de toute la
Chrétienté j qui tient, pour ainfi dire , la balance égale en-
tre les autres Potentats, 6c met leurs intérêts dans un julle
équilibre pour empêcher que le plus foible ne foit opprimé
par le plus fort. Ce Corps fi lage ne douta plus que ce Royau-
me,que les politiques croyoient devoir être abattu du dernier
coup qu'il venoit de recevoir , ,ne reprît de nouvelles forces
avec fon ancienne vigueur , par la valeur du roi de Navarre
dont ce Prince avoit donné tant de preuves dansletemsde
fa mauvaife fortune. En effet les Vénitiens étoientperfuadés
que dans ces conjondures il n'y avoit point d'autre moyen
de fauver la France , que de iuivre l'ordre de la fucceffion
établi par les loix j qu'ainfi le roi de Navarre ayant un droit
légitime à la Couronne , les Princes &: les Seigneurs ne pou-
voient agir plus fagement pour le bien de l'Etat ôc pour leurs
propres intérêts, que de fe déclarer en faveur de ce Prince3
que les François & les étrangers même avoient une (i gran-
de idée de fon mérite & de fa valeur , que ce qu'il ne pourroic
exécuter pour le bien de l'Etat , il étoit inutile de l'attendre
& de l'efpérer de tout autre j enfin que le confentement una-
nime des Princes , àas Seigneurs , 6c de toute la Nobleflè
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. ^r
Françoife , étoit une raifon légitime d'efpérer qu'il rccabli-
roic ce Royaume qui s'etoic vu à deux doigts de fa ruine. Henri
En ciFjt, s'il ne fe tut trouvé aucun héritier légitime du IV.
trône, (^'auroic été à eux à fe choiiir un Roi ^ 6c ainfi s'é- 1589.
tant tous réunis pour reconnoître le roi de Navarre , à qui
la Couronne appartenoit de droit , & qui d'ailleurs s'en
étoit rendu fî digne par fes vertus , il n'y avoit aucun lieu
de douter que fon avènement à la Couronne ne fut fuivi
du fuccès le plus heureux. Par conféquent tous ceux qui
s'intéreiïoient au falut de la France dévoient bien augurer
de fon régne, 6c aider de leurs confeils , de leurs forces, de
de leur crédit un Prince que fa naiflance , fon mérite, de le
confentement général de toute la Noblefle , venoient dépla-
cer fur le trône comme de concert.
Deux jours fe palTérent à faire 6c à pefer ces réflexions j
6c pendant ce tems-là le Sénat ayant permis, félon l'ufage
de la République, d'oppofer à ces raifons tout ce qu'on
croiroit capable de les affoiblir, il n'y, eut perfonne qui ne
fût d'avis de reconnoître le roi de Navarre pour roi de
France. Il fe trouva feulement quelques Sénateurs qui cru-
rent qu'il feroic à propos d'attendre quelque tems à fè dé-
clarer, à caufe de l'obftacle qui fe rencontroit dans la Re-
ligion de ce Prince, 6c pour ne pas faire de peine au Pape
qui étoit leur voifin de trop près. L'Ambafladeur de Savoie
demandoit ce délai avec beaucoup d'inftance. D'un autre
côté le roi d'Efpagne qui depuis dix - fept ans n'avoic
point eu d'Ambafladeur à Venife , y en avoit envoyé un
ïlir l'avis qui lui avoit été donné , à ce qu'on croit , de l'ex-
communication que le Pape devoit lancer contre le Roi 5
èc ceMiniftre de concert avec TAmbaflàdeur de l'Empe-
reur prefloit vivement le Sénat de ne point reconnoître le
roi de Navarre , que S. S. avoit déclaré depuis peu indigne
de fuccédcr à la Couronne.
Cependant le Nonce du Pape ne s'endormoit pas. Ani-
mé par l'ambaiTadeur d'Efpagne, il mettoit tout en œuvre
pour détourner le Sénat d'une li fage réfolution , jufqu'à le
menacer s'il reconnoilloit le roi de Navarre, qu'il fortiroîc
de Venife ^ de que pour lui apprendre à faire fi peu de cas
de fes cenfureSjle Pape l'excommunieroit lui-même. Mais
Hiij
êz
HISTOIRE
- '■ ' le Sénat lui fie réponfe : Qu'il ne méprifoic point hs fou-
Henki dres de S. S. Qu'au refte il ëcoit de l'intérêt de la Répu-
I V. blique qu'il y eût en France un Roi reconnu pour tel , avec
I cSo. qui elle pût entretenir correfpondance : Qu'ayant donc ap-
pris que la Nation s'étoit déclarée pour le roi de Navarre,
ils ne pouvoient fe difpenfer de lui rendre les mêmes de-
voirs que les Rois fes prédéceflèursavoient reçus de la Ré-
publique , fur-tout étant bien informés qu'il avoit été re-
connu , même par des Cardinaux qui compofent le Confeil
de S. S. & qu'ils s'étoient foûmis à lui comme à l'héritier
légitime de la Couronne : Qu'à l'égard de fa Religion c'é-
toit une affaire qui ne les regardoit point , & dont ils laif-
foient le foin au S. Père : Qu'ils fouhaitoient èc prioient mê-
me inftamment S. S. de travailler avec zélé à l'inftrudion
de ce Prince ; Que pour eux ils ne fe mêioient que de ce
qui les touchoit j & que leurs intérêts ne leur permettoient
pas de différer plus iongtems à prendre une réfolution fixe :
Qii'ils fupplioient donc S. S. de ne point prendre de fibon^
nés raifons en mauvaifè part , &; de ne point fe porter
pour cela contr'eux à aucune extrémité : Qu'autrement fi
elle prenoit mal- à- propos contr'eux quelque réfolution
injufte & violente , elle les obligeroit réellement de fe mo-
quer- de fes cenfures dont on les accufoit à tort de faire peu
de cas (i) .
En conféquence le Sénat fit un décret par lequel il re-
connoiffoit dès-lors le roi de Navarre pour roi de France.
Le lendemain à la réquifition de Monfignor Marc-Antoine
Barbaro un des Procurateurs de faint Marc, il fut arrête
tout d'une voix qu'on écriroit inceflàmment à ce Prince ;
que dans les lettres on lui donneroit le titre de Roi Très-
Chrétien 3 qu'en même-tems on enverroit ordre à l'Am-
bafladeur de les préfenter au Roi à la première occafion
de la part du Sénat • 6c qu'on lui expédieroit de nouveaux-
pouvoirs pour continuer fes fondions auprès de S. M. juf.
qu'à ce que la République en eût nommé un autre pour le
( I ) Lcti ajoure que le Nonce ,
après cette réponfe du Se'nat partit
de Venife avec autant de pre'cipita-
tion que s'U eût pris la fuite , ôc fe ren-
dit en pofte à Rome ; qu'à fon arrive'e
le Pape ne voulut pas feulement le
voir ; 8c qu'il lui fit dire de retourner
à Venife auffi vite qu'il en étoit venu.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. ^3
remplacer. Le Sénat fie part de cette délibération à André
Hurault fieur de MeiiTe , ambairadeur de France auprès de la Henri
République, qui n'avoit point encore rec^u de nouvelles ni I V.
de pouvoirs du nouveau Roi ^ le priant de continuer néan- i ego.
moins de réfider à Venife 3 6c l'airûrant qu'on lui conferve-
roitlçs mêmes privilèges dont il jouiiToit du vivant du roi
Henri III.
Tout cela fè pafla avec une joie qui paroiiToit peinte jufques
fur les vifàges.Il fembloit que ce Royaume, dont on regardoic
laperte comme certaine,au grand préjudice delà République
fût miraculeufement relïufcitè. Bientôt aprèsjcette joie éclata
par des tran (ports qui furent portés jufqu'à l'excès. Quelqu'un
aïant rencontré fur ces entrefaites dans la boutique d'unPein-
tre un vieux portrait tout poudreux,dont les traits prefqu'en-
dérement effaces repréfentoient , difoit-on , Henri IV. non-
feulement on l'expofa en public j mais en très-peu de tems
on en tira à la hâte une infinité de copies qui furent auffi-
tôt mifes en vente. Quelques peintres même enexpoférent
jufques fur les dégrés du palais de faint Marc j enhardis
par quelques-uns des Nobles qui vouloient, difoient-ils,
faire de la peine à l'ambafiTadeur d'Efpagne , & aux autres
Minières étrangers ennemis de la France qui étoient obli-
gés de pafler par-là pour aller au Sénat. Enfin pendant quel-
ques jours il y eut un fi grand concours de monde à voir
& a acheter ces tableaux , que liis Peintres n'y pouvoient fuf-
fire , ôc que la ville fe trouva tout d'un coup remplie de ^
ces portaits du Roi , la plupart fort mal tirés.
De Thou pafia à Vérone fur les avis de Schomberg j &
ce Seigneur l'ayant enfuite mandé à Mantouë , où il étoic
déjà arrivé, il fe rendit aufiîtôt dans cette ville. De-là,
après avoir eu enfemble quelques conférences , ils retour-
nèrent de compagnie à Vérone 3 6c de Meiiîe étant arrivé
fur ces entrefaites ils reprirent encore le chemin de Man-
touë où ils conférèrent avec le duc Vincent , qui pendant
leur abfence avoit reçu des Lettres du Grand Duc oncle de
la Duchefie fon époufe.
Le rèfukat de leurs conférences fut : Qiie puifque ces
deux Princes ne pouvoient pas fe déclarer ouvertement
pour le Roi, 6c ne le dévoient pas même dans les circonilances
64- HISTOIRE
■ préfentes , ils agiroient fous main de concert avec les Véni-
H E N K i tiens qui venoient de le reconnoître hautement, pour appuyer
I V. de tout leur pouvoir les intérêts de ce Prince en Italie, &:
1^80 principalement à Rome ^ fur -tout pour rompre l'alliance
que le roi d'Elpagne ménageoit avec les Suilles , & à la-
quelle travailloient avec ardeur le Nonce quele Papeavoic
envoyé aux cinq petits Cantons, àc Léon de Lelcot con-
feiller au parlement de Paris , que les Ligueurs avoient- dé-
puté auparavant à Lucerne , tous deux fécondés par le
colonel Louis Phiffer , dont j'ay déjà parié : Qiie pour
cela ils feroient palîèr quelque argent en SuiHè, afin de
calmer un peu la Nation pour le préfent , èc d'appaifer fes
mécontentemens en lui faifant efpérer qu'elle toucheroit
înceiTamment le refte de ce qui lui étoit du , & que dans la
fuite [qs troupes feroient mieux payées. En même-tems
comme le Grand Ducavoit retenu l'argent qui étoit pro-
mis au feu Roi , & qu'on avoit déjà fait pafler en Allema-
gne pour être employé à y lever des troupes, ayant pour
cela arrêté le voyage du chevalier Guicciardin qui avoit
ordre de l'y conduire j ce Prince pour donner au nouveau
Roi une preuve de fon affection &: de fon attachement ,
chargea de Thou à fon retour en France de négocier le
mariage de la Princelle Marie fa nièce avec quelqu'un des
Princes du Sang , lui défignant particulièrement Henri
prince de Dombes , afin que cette alliance fdt comme le
gage de l'amitié fecréte que le Grand Duc vouloit entre-
tenir avec le Roi. Ce Miniilre avoit ordre de faire entendre
à ce Prince qu'il tireroit de ce mariage les mêmes avanta-
ges qu'on avoit fait efpérer à fon prédécefleur 3 que Ferdi-
nand donneroit à fa nièce trois cens mille écuspour fa dot,
& que le Roi pourroit en difpofer , en alignant en échange
à la Princefl^j quelques-unes des villes dont il étoit maî-
tre en Gafcogne, où il poffédoit une grande étendue de
païs.
Le duc de Mantoue ajouta : Qii'il recommandoit par-
ticulièrement au Roi le duc de Nevers fon oncle , qui aulîî-
bien que lui étoit proche parent de S. M. puifque Fran-
coife & Anne d'Alençon ayeules, l'une de Henri, &: l'au-
tre du Duc étoient locurs : Qii'il le prioit de lui pardonner
s'il
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. ^5
s'il lui avoir été peu favorable auparavaiic : Que ce n'a-
voic été que par une tendrelTe de confcience que la diffé- Henri
rence de Religion lui infpiroic : Qiie c'écoic ce qui le fai- i y.
foie hëficer encore à fe déclarer en fa faveur : Qu'au refte i ^gg,
il chargeroic fon Réfidenc à la Cour de France, à qui il
avoicdéja envoyé ordre derefter auprès de S. M. de parler
à fon oncle , de le guérir de fes fcrupules , ôc de le raccom-
moder avec le Roi.
Ainfl fe termina cecce négociation , après laquelle les Mi-
nîftres du Roi retournèrent à Vérone. Là ils fe féparérent j
le fieur de MeilTe reprit le chemin de Venife j Schomberg
palla en Allemagne , attendants l'un 6c l'autre les ordres du
nouveau Roi. A l'égard de Tliou , ayant reçu de nouveaux
ordres au fujet des affaires d'Allemagne , il reprit en dili-
gence le chemin de France j il paiTa par Soleure pour voir
Nicolas Brulart de Sillery , â qui il rendit compte de
ce qui ^'étoit paiïe en Italie j deJà il continua fa route , &;
arriva enfin à Chateaudun , où il eue un long entretien
avec le Roi.
Ce Prince partit de cette ville le 14. de Novembre, 5c PrifedeVen-
alla coucher le lendemain à Mellay , après avoir fait quel- dôme par-
ques détachemens pour aller invertir Vendôme. Cette place ^^^^'^ '^
dont la {ituation eft très-avantageufe , dc qui étoit encore
fortifiée d'un bon château, avoit pour gouverneur Jacque
de Maillé Benehart, que Henri IV. lui-même y avoit mis
avant fon avènement à la Couronne, de qui à l'infigne tra-
hifon qu'il avoit faite au feu Roi avoit joint l'artifice le plus
indigne contre le comte de SoilTons.
La ville de Vendôme eft fituéefur la Loire, environnée
d'un foifé, & revêtue de bonnes murailles. Le château cft
bâti fur un rocher qui la domine , fort efcarpé du côté de
de la ville, 6c fortifié du côté de la campagne de murs, de
tours, 6c d'un foflè profond. Ce fut de ce côté-là que le
Roi jugea à propos de faire (es attaques. Benehart de-
manda d'abord à traiter avec François du PlefFis de Riche-
lieu Grand Prévôt de l'Hôtel. Ils eurent enfemble plu-
fîeurs entrevues • mais lorfqu'il fallut convenir des articles
le Roi voyant que Benehart ne cherchoit qu'à l'amufer ,
fie avancer le canon le lendemain, êi drcfla une batterie
Tûme XL I
GG HISTOIRE
contre deux des tours du château, dans le defïein, après
Henri y avoir fait brèche , de battre le mur de communication
I V, qui les joignoit. Mais il ne fut pas nécelTaire d'en venir-là :
I <89. ^^ canon n'eut pas plutôt tait dans l'une de zts, tours une
ouverture par où deux ou trois loldats pouvoient à peine
pafler de tront , que les troupes du Roi l'attaquèrent Të-
pëe à la main, montèrent julques fur le haut de la tour ^
ôc s'emparèrent du retranchement intérieur que les affié-
gës abandonnèrent lur le champ pour fe retirer en confu-
ïion dans la ville par la porte du château. Les Royaliftes
les pourfuivirent • Centrants pêle-mêle, en trois heures de
tems ils fe virent maîtres de la ville & du château, fans avoir
prelque trouvé la moindre reliftance. Auflitot Charle de
Biron Maréchal de camp, êc Châtillon qui commandoic
l'infanterie, entrèrent dans la place pour arrêter le premier
feu du loldat , qui commençoit déjà à courir au pillage , 6c
pour mettre les Egliles & les femmes à couvert de leurs
infultes. Benehart & Robert ChelTè Cordelier dont j'ay
parlé un peu plus haut, furent faits prifonniers. CheiFé fut
d'abord livré à l'exécuteur pour être pendu, à la follicita-
tion des habitans mêmes , qui l'accuioient d'être l'auteur
de leur révolte j oc il alla au lupplice avec une confiance Se
une tranquillité admirables. A l'égard de Benehart il mon-
tra autant de foi bl elle , que le moine avoit fait paroitre de
fermeté ^ il le jetta aux pieds de Biron pour lui demander
grâce. Mais ce Seigneur lui tourna le dos , en lui difanc
qu'il ètoit indigne de vivre, puifqu'il n'avoir, ni alïëz de
courage pour le défendre, ni affez de prudence pour ca-
pituler. Ces paroles furent un coup de foudre pour ce mifé-
rable, en qui la peur fit alors un de fës cfFets ordinaires..
Il s'abandonna aux larmes 6c aux gémiflèmens comme un
enfant -, &: on eut beaucoup de peine à le conduire jufqu'à
la place publique, où il eut la tête tranchée auprès du corps
de Cheflè. Cet exemple de févérite exercée à propos con-
tre un petit nombre de rebelles fut falutaire aux garni-
fons de Laverdin 6c de Montoire , petites places du du-
ché de Vendôme , aulTi-bien qu'à celk de Château-du-
Loir dans le Maine , qui fe rendirent à la première fom-
mation>
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. C-j
Comme le Roi ne fe trouvoic éloigné de Tours que de
douze lieues il s'y rendit en pofte 3 & n'y étant arrivé que Henri
bien avant dans la nuit , il fit ion entrée dans cette ville I V.
aux flambeaux 3 toutes les fenêtres étant illuminées, & le 1589.
peuple étant attroupé dans \ç.s rues fur fon paflàge pour ^^^^^^ da
jouir d'un fpedacle fi agréable. Après avoir embrallé d'à- Roi à Tours-
bord le cardinal de Vendôme fon parent , &: le cardinal de
Lénoncourt, ce Prince palTa le refte de la nuit au milieu
ào-s acclamations & des cris de joie. Le lendemain il donna
audience aux Députés du Parlement ; & ce fut le premier
Préfident de Harlay qui porta la parole. Henry fit beaucoup
d'accueil à ce Magiftrat, qui depuis la mort du feu Roi étoic
enfin forti de prifon où il avoir beaucoup foufFert, en payant
dix mille écus de rançon. Jean Mocenigo ambailadeur de
Venifè eut enfuite audience du Roi. Il présenta à ce Prince
la lettre du Sénat , priant S. M. d'excufer fi la Républi,
que ne lui avoir point encore envoyé d'Ambaiîadeurs pour
la complimenter , fuivant la coutume , fur fon avènement
à la Couronne 3 5c l'aflurant que les mauvais chemins, & la
rigueur de la faiion étoient la iéule caufe qui l'eufient em-
pêchée de s'acquitter de ce devoir aufiitôt qu'elle l'auroit
Ibuhaité 3 que cependant elle n'avoit pas voulu différer plus
longteras à renouer avec elle la bonne intelligence qui avoir
régné de tout tems entre nos Rois & le Sénat 5 qu'ainfi en
lui envoyant de nouveaux ordres pour relier auprès de S. M.
elle l'avoit chargé en même-tems de faire agréera S M.
qu'il s'acquitat de cet emploi. Le Roiparuttrcs-fatisfaitdc
CQs excufes 3 &; comme il fçavoit ce qui s'étoit pafic en
Italie &: à Venife , il fit mille remercimens à l'AmbaiTadeur
du zélé que le Sénat faifoit paroître pour fi perlonne &
pour fon Etat.
Au bruit de l'arrivée du Roi, de Marolîes qui comman- Prifcdu
doit dans Montrichard fur le Cher en Touraine , rendit Mans-
auffitôt cette place. Cependant ce Prince ayant réglé les
affaires qui fe trouvèrent à Tours marcha contre le Mans,
& iè fit précéder par Philippe d'Augennes fieur du Fargis,
qui avoir été chaifé honteufement de cette ville, &: qui
venoit de fortir de la priion , où les Ligueurs l'avoicnt en-
fermé à Paris avec le premier Préfident de Harlay. C'ètoic
T ••
II)
6Z HISTOIRE
^—555555!? un dçs pIus bravcs Officiers de l'armée du Roi. II emporta
Henri d'abord les fauxbourgs qui font très, grands, ëc ejueksLi-
IV. gueurs avoicnt fortifies de quantité d'ouvrages. Avant que
I îSq. ^^ les abandonner Urbain de Laval iîeur de Bois-Dauphin
qui commandoic dans la place y fie mettre le teu j 6c à l'ex-
ception de l'Hôpital, Ôc de l'abbaye de la Couture, que les
flammes épargnèrent, toutes les maiions des particuliers
/furent réduites en cendres. Les habitans mirent auffilefeii
au faubourg de iaint Jean, qui eft au-delà de la rivière de
Sarte , quoic]u'iis euilent moins à craindre de ce céié-Là. Ce-
pendant après avoir éteint du mieux qu'il tut pollible, l'in-
cendie qui avoit déjà fait de grands ravages en deux jours
de tems, Charle de Biron èi. Châtillon fe rendirent maîtres
de tous les ouvrages extérieurs. Enfin le Roi lé rendit au
iiége. Ce Prince à Ton départ de Tours étoit allé coucher
le 27. de Novembre à Yvray-l'Evêqae , d'où il arriva à l'a-
baye de la Cojture , où il prit fon logement, perfuade que
ce fiege feroit long, àc que les aiîkges, après avoir ruiné
tant de mailbns , ce qui ne leur failoit pas d'honneur , ne
manqueroient pas de faire une vigoureufe réfiftance. Mais
fon attente fut trompée ^ Payant fait battre quelques tours
de la ville , cinq jours après Ion arrivée les allieges deman-
dèrent à capituler.
Il y avoit dans la ville environ cent Gentilshommes, ôC
vingt compagnies de gens de pied Outre cela le comte de
Brilîàc s'étoit avance julqu'à la Ferté- Bernard à la tête de
deux régimens d'infanterie , dans le delTein de fecourir les
afliégés. Mais ayant appris qu'ils avoient capitulé , il retourna
fur les pas ^ & étant tombé fur un quartier de Reîtres , il
en démonta quelques-uns j après quoi il fe retira fans avoir
fait aucun autre exploit dans fon voyage. Enfin la capitu-,
lâtion fut fignée -, 6c le Roi qui manquoit d'ailleurs de pou-
dre ôc de boulets , accorda des conditions fort honorable*?^
Cependant les habitans mu rmuroîent,& fe plaignoient amè-
rement de ce qu'on avoit ruiné tant de maifons pour fe pré-
cipiter fi fort à le rendre. D'un autre cote la Nobleiïe& Iqs.
troupes qui étoient dans la ville s'imputoient réciproque-
ment les uns aux autres la faute cie cette précipitation. Les
Gentilshommes accufoient les croupes d'avoir refufé de fe
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. ^9
battre ^ l'infanterie reprochoît à la NoblefTe , qu'elle avoic
capitulé malgré fes oppoficions. Tandis qu'ils s'amufoient H e n iv
ainfi à contefter entr'eux, la ville fe rendit le i.deDécem- I V.
bre i & le maréchal de Biron eut ordre d'y entrer avec des 1589.
troupes pour empêcher qu'elle ne tût mife au pillage. Un
foldat ayant été lurpris volant un calice , ce Maréchal le
fît pendre iur le chump pour fervir d'exemple aux autres.
Avant toutes choies le Roi remit du Fargîs en pofTeifion
de ion gouvernement , dont il avoit été dépouillé j & ren^
dit à Claude du Fargis Ion Frère l'Evêche de cette ville qu'il
pollcdoit auparavant. Peu de tems après, le château de Beau-
mont, celui de Tuvoi qui appartenoit à l'Eve ]ue, êc où
commandoit Gui de Saint-Gelais (ieur de Lanfac , Sable,
Laval. Château-Gonthier , &: quelques-autres petites places
des environs ie fournirent au Roi.
Sur ces entrefaites ce Prince , qui s'étoit engagé à Ton
avènement à la Couronne à convoquer incefîamment une
allemblee nomiDreuie de Seigneurs, pour régler de concert
avec les Etats généraux du Royaume, les affaires de la
Religion & de l'Etat, repréfenta que la délobeïilance opi-
niâtre des Ligueurs lui fulcitant tous les jours de nouvelles
guerres qui l'obligeoient à refter à la tête de fes armées ,il
ne lui éroit pas poiîible de vaquer aux autres affaires du gou-
vernement. Ainfî il remit au i 5. de Mars fuivant l'afîém-
blée qu'il avoit déjà convoquée • auquel tems , difoit-il , il
y avoit lieu d'efperer qu'avec l'aide du Seigneur il auroin
levé tous ces obflacles , &. ceux qui pourroicnt encore naî-
tre dans la fuice. Ces paroles furent regardées depuis com-
me une efpece de prophétie j car ce fut en efE.'t ce jour-lâ
même que fé donna la bataille d'Y vry qui décida enfin du
fort de ce Prince j 6c affermit dans l'obeïiîance ceux de
fes fujets qui jufqu'alors avoicnt balancé à le reconnoître.
Cependant il y avoit une grande diferte d'argent dans le
camp 5 & à mefure que le Roi prenoit quelque ville, ou
quclqu'autre pi ce , il ne manquoit point de la condam-
ner à une amende qui étoit deftinée à entretenir les trou-
pes étrangères. A l'égard des troupes Franc^oifès elles n'a-
voient que le pain qu'on leur fournifloit tous les jours j du
refte on les retenoic par i'efpérance du butin. Déjà les
liij
70 HISTOIRE
■i.ii. ■ SuifTes ecoient fore diminués ,6c il n'étoic pas poflible de leur
Henri IP^J^^ en entier leurs appointements à chaque montre qui fe
I V. i"aiioit tous les mois • ce qui n'étoic pas moins à charge au
I iSo, ^^^ ^^'^ ^"^ mêmes. On penfa donc à congédier le régi-
ment du colonel Galaty 3 mais il falioic pour cela de l'ar-
gent comptant, ou des aflurances pour en toucher , &, le
Roi n'en avoic point. Dans cet embarras il fe fouvint des
offres que le duc de Mantouë lui avoit fait faire depuis
peu par Ferdinand Ghifone fon Réfident à la Cour de
France , qui lui avoic recommandé le duc de Nevers de
la part de fon maître. Il fçavoit que ce Duc avoic mis en
tlépôc chez un Banquier de Francfort furie Meyn une
fomme de trente-trois mille écus d'or, qui lui revenoit pour le
refiant de fa légitime. Ainfi il réfolut de profiter de cette
occafion. Il lui envoya de Thou , qui depuis peu étoit de
retour d'Italie, avec ordre d'emprunter de lui cette fom-
me , di de travailler à mettre dans Ces intérêts un Seigneur
de cette confidéracion , qui n'avoic différé jufqu'alors à fe
déclarer en fa faveur , qu'à caulé de quelques fcrupules
qu'il avoic au fujec de le Religion du Roi 3 en lui fai-
fanc efpérer que ce Prince lui confieroic la conduice de la
guerre qu'il avoic deffein de faire au duc de Savoie , pour
tirer raifbn des oucrages que la France avoic reçus de ce
Prince.
De Thou partit donc du Mans • èc ayant traverfé la
Touraine èc le Berry , où les ennemis faifbient des courfes
continuelles, il arriva à Nevers, où par refpcd: pour le
caradére dont le Roi l'avoic revécu , le Duc le reçue avec
beaucoup d'honneurs, 6c lui fie bien des amitiés, en con-
fîdération de celle qu'il avoit eue pour le père de ce Ma-
giftrat. Le cardinal Gaëtano étoit alors» à Lyon. Le duc de
Nevers lui avoit écrit pour le prier de paifer à Nevers ,
parce que comme il faifoit profelîion de n'embrafîèr aucun
parti , 6c qu'il ne fouhaitoit que le bien de la Religion &
fie l'Etat , il étoit plus capable que perfonne de le mettre
au fait des affaires du Royaume ^ ajoutant : Que comme il
y venoit revêtu de l'autorité du S. Siège pour être l'arbitre
des difïerens qui divifoienc la France , il étoit de fa pru-
dence de ne pas paroîcre pencher plutôt pour un parti que
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIÎ. 71
pour l'autre -, afin de ne pas donner lieu aux foupçons qu'on '^ ' ?
pourroic concevoir au préjudice de l'idée qu'on î>'ecoic for- Henri
mée de Ton équité ^ & qu'il devoit au contraire travailler à IV.
bien établir s'il vouioit réuffir à pacifier le Royaume: 1589,
Qti'en etablidant Ion iéjour dans fa capitale, il pourroic
fans rien perdre de cette réputation d'impartialité qu'il s'é-
toit acquilè, s'inftruire à fondb &, iàns prévention de toute
cette a-ffaire , & en décider enluite en vertu de l'autorité
qu'il avoit en main : Qu'autrement s'il s'adrelloit à quelqu'un
de l'un ou de l'autre parti , il y en auroit un certainement
qui le regarderoit comme Ion ennemi ^ ce qui le rendroit
inutile à tous les deux. Mais ceux qui obiédoient le Légat
lui firent entendre que l'ambition Teule portoic le Duc à
lui écrire de la forte , de que fon dellein etoit de fe rendre
l'arbitre des afEiires au préjudice de l'autorité qui lui avoit
été confiée. Ainfi il meprila ces avis j quitta la route de
Lyon qui l'auroit conduit à Nevers j àc côtoyant la Saône
fe rendit enfin à Dijon.
D'un autre côté le duc de Nevers qui ignorolc encore
la réfolution du Cardinal , ayant une fois fait profeffion
d'être neutre , voulut continuer à le paroître. Ainfi il fe
défendit modeftement de recevoir la lettre du Roi , de la
rendit à de Thou toute cachetée j de peur, dit-il, qu'on
ne crût que ce fût par fierté qu'il n'y répondoit pas. Du
refte il offrit fort obligemment une quittance, de là pro-
curation , pour toucher la fomme que le Roi demandoit,
après que de Thou lui eut donné au nom de ce Prince des
afiiirances convenables. Il accepta de même avec plaifirla
propofition que le Roi lui faifoit , de fe charger du com-
mandement de l'armée deftinée à recouvrer le Marquifat
de Saluées , èc il écrivit de fa propre main un mémoire où
il expliquoit toutes les mefures qu'il falloir prendre pour
l'exécution de cette entreprife. Au refte comme on étoit
dans un rems où les .Prédicateurs fe donnoienc la liberté
de dire tout ce qui leur plaifoic , Arnaud Sorbin à qui le
feu Roi avoit donné l'Evêché de Nevers , ofa un jour
dans un fermon où le Duc afliftoit , le cenfurer en fa
propre préfence , en di-fant qu'il écoutoit trop facilement les
courtiers des hérétiques 3 car c'efl le nom qu'il donnoit aux
/ -
HISTOIRE
'j'—»— "^ Magiftracs du parti du Roi. Mais le Duc l'obligea de le
Henri récrader dans un autre fermon où de Thou fe trouva , èc
l V. de réparer ainfi publiquement l'outrage qu'il avoit fait à
içSo. i^ peribnne du Roi & à la fienne.
Lettre du Cependant le duc de Savoie ne reftoit pas tranquille.
aucdeSa- Auffitôt qu'il eut rcçu la nouvelle de la mort du Roi, ce
voie au Par- _^ . \ . > . ^ i n ♦
lement d& Pruice qui voyoït toute la France en combuition , commen-
Grcnobîe au ca à eipércr qu'il pourroit profiter de la décadence d'un
mi" deHcn- Royaume fi voifin de Tes Etats. Dans cette vue il députa
ri III. le baron de Jacob général de l'artillerie , & Duvizio Con-
feiller au Sénat de Chambery , à Grenoble dont les
habitans follicités par Charle de Simiane d'Albigny ,
commençoient à pencher vers le parti de la Ligue, avec
une lettre de créance pour le Parlement. Ces Députés
ayant donc été introduits on lut la lettre du Duc, dans la-
quelle après avoir témoigné à cette Compagnie combien
il avûit été fenfible à la mort du Roi , àc l'avoir aflùrée
de fa bienveillance dans les termes les plus honorables
qu'elle pouvoit fouhaîter, il la prioit très-inftamment de
faire attention au droit qu'il avoit à la Couronne, comme
étant par fa mérecoufin germain du feu Roi. Il repréfentoit :
Qiie les plus proches parens de ce Roi, ou avoient perdu
le droit qu'ils avoient de lui fuccéder par leur obftina-
don à demeurer dans l'héréfie , ou s'étoient rendus indi-
gnes du trône, en favorifant les hérétiques, & adhérant
à leur parti : Qu'il avoit du courage &: des forces de refte
pour défendre les droits que fa naiiîànce lui donnoit ^ 6c
que fi les fiennes ne fuffifoient pas , il pourroit difpofcr
dans le befoin de celles du Roi fon beau-pére : Que d'ail-
leurs le voifinage lui donnoit une grande facilité pour s'em^
parer d'un fi grand Royaume : Qi'ainfi comme il étoic
perfuadé qu'ils n'avoient rien plus à cœur que le bien de
la Religion , & la tranquillité publique qui feroienc
^xpofées s'ils reconnoiifoient d'autre Roi que lui , il pa-
roilToit à propos qu'ils délibéraflent inceflarnment entr'eux,
&; qu'ils acceptaflént les proportions qu'il leur faifoit , afin
que leur exemple fervît à engager les autres villes du
Royaume à contribuer de même à la tranquillité publia
^ Loriqu'oa
DE J. A. DE THOU, Liv. X C V I L 75
Lorfqu'on eue fait la lediire de cette lettre, le Parle-
ment après avoir remercié le Duc d'une marque fî fmcére Hem ki,
de la bienveillance répondit : Que ce que demandoit S. A. I V.
était de nature à ne pouvoir être décidé par la Compa- 1589,
gnie : QLi'il n'y avoit que les Etats généraux du Royaume
qui pulîent connoître d'une affaire de cette importance 3 ôc
que comme ils dévoient s'alTembler inceflamment , il étoic
à propos de la leur renvoyer : Qu'en effet on ne doutoic
point que cette aifemblée ne nommât pour héritier légitime
du feu Roi un Prince capable de protéger la Religion , 6c de
maintenir la tranquillité de l'Etat : Que cependant la Com-
pagnie prioit inftamment S. A. de ne point faire entrer de
troupes dans le Dauphiné , pour ne pas donner occafîon au
colonel d'Ornano & à Lefdiguiéres de rompre la trêve qu'ils
avoient faite , 6c de troubler le repos qu'elle procuroit à cette
province , après tant de maux aufquels elle avoit été expo-
iée pendant la guerre. Les Députés furent congédiés avec
cette réponfe • 6c comme elle n'étoit pas telle que le Duc
l'avoit elpérée , il changea de batterie par le confeil d'Al-
bigny. 11 remit à un tems plus favorable (qs projets fur le
Dauphiné , 6c alla porter la guerre en Provence , pour y
faire montre de fès forces , &c obliger ainli les provinces voi-
/înes à fe foûmettre fans rèfiflance. .
Bernard de Nogaret de la Valette , qui commandoit Fxploîtsdc
pour le Roi dans cette province , avoit mis le liège vers '^^ Ja'c"e en
Je milieu du mois d'Août devant Lambefc , bourg ap-
partenant à la maifon de Guife, 6c s'en étant rendu maître,
il avoit fait pointer le canon contre le château , où com-
mandoit le capitaine Balaty avec une garnifon de deux cens
hommes. Après quelques volées de canon les aflîégés avoienc
demandé à parlementer , 6c Onufre d'Efpagne de Rame.,
fort avoit été commandé pour dreffer avec eux les articles
de la capitulation , lorfqùe voulant aller au rendez-vous, il
fut bleffé à mort d'un coup d'arquebufe qu'on lui tira du
château. Cet accident rompit la négociation ^ 6c la Valette
outré de la mort d'un Officier qu'il aimoit, 6c qui avoit été
tué contre le droit des eens , fit donner l'alfaut au château 6c
l'emporta. Toute la garnifon fut paffée au fil de l'épée, 6c
la place abandonnée au pillage, après quoi on y mit le feu,
Tpme XI, K.
L'ovcnce.
74 HISTOIRE
Après cet exploit la Valette envoya d'Eilampes deman--
Henri der du fecours à du Perauld gouverneur de Beaucaire en Lan-
I V. guedoc, & un des principaux Officiers du duc de Monmo-
j ^g rency gouverneur de la Province , dont il avoit époufé la
ûllc. Le Duc accorda ce qu'on fouhaitoit , & cent chevaux
eurent ordre de paiïer le Rhône. D'Eftampes qui marchoic
à leur tête voulant entrer dans Tarafcon , les habitans lui en
fermèrent les portes. De Pontevez comte de Caifes qui
étoit dans le voifînage profita de cette occafion , il attaqua
ces troupes mal diiciplinées , & qui ne s'attendoient à rien
moins 3 en tailla en pièces une, grande partie 3 &: lit grand
nombre de prifbnniers du nombre defquels fut d'Efuampes
lui-même. Plufieurs s'étant jettes dans le Rhbne dans refpé-
rance de le pafTer à la nage , furent emportés par la rapidité
des flots ôc y périrent.
Il y avoit dans Tarafcon grand nombre de Gentilshommes
attachés au parti du Roi , qui furent très-fâchés de cet acci-
dent. Ce fut pour eux une occafion de fonger à fe rendre
maîtres de cette ville. Ils firent part de leur deilein à du Pe-
rauld , qui tenoitgarnifon dans Beaucaire de l'autre coté du
Rhône, afin qu'il leur amenât du fecours dans le tems qu'ils
lui marquèrent j après quoi , voici comme ils procédèrent à
l'exécudon de leur projet. Il y avoit à quelque diftance de
Taraicon un petit bois qui avoit fervi à couvrir la marche
du comte de Carfes , lorfqu'il s'étoit avancé jufqu'au pied
de la place & avoit taillé en pièces les fecours qui venoienc
du Languedoc. Ces Gentilshommes firent entendre aux
habitans que ce bois incommodoit la ville confidérable-
ment , & que (i on ne le coupoit au plutôt , il y avoit à crain-
dre que la Valette irrité de la défaite de fes gens ne fe fervic
de la même retraite , pour furprendre la ville. Ceux-ci qui
avoient encore devant les yeux l'exemple tout récent de ce
qui venoit d'arriver , donnèrent aifément dans le panneau.
Après une délibération fort précipitée , telle qu'on peut en
attendre d'un peuple effrayé , ils fortirent en foule la coignée
à la main pour aller abattre le bois. Alors les Gentilshommes
fe voyant les maîtres de la ville où il n'y avoit plus d'habî-
tans , en fermèrent les portes. En même tems les troupes de
du Perauld parurent à l'heure qui leur avoit été marquée 5
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 75
eii forte que Iqs bourgeois voulant rentrer dans la ville après
avoir coupé le bois , s'en virent exclus , &. n'y furent reçus Henri
qu'après avoir été défarmés , àc avoir prêté lerment de fî- 1 V.
délite à la Valette. i 589»
Ce coup frappa Jean de Garde de Vins , qui s'étoit mis à
la tête du parti de la Ligue dans la Provence. Il deman-
da du fecours au duc de Savoie ^ & comme ce Prince n'etoic
pas content delà réponfe que le Parlement de Grenoble lui
avoir faite , il lit paifer dans cette province les troupes qu'il
deftinoit pour le Dauphiné. Elles étoient commandées par
Alexandre Vitclli , &c confiftoienten trois cornettes de che-
vaux-Légers , & en trois compagnies d'arquebufîers à cheval.
Le Duc attendoit d'Efpagne un nouveau renfort. Outre
cela une partie de fes troupes étoit occupée à la guerre con-
tre les Genevois , qui depuis le départ de Sancy s'étoit ra'lu-
mée plus vivement que jamais , à l'occafion de la mort du
Roi.
Les hollilités commencèrent par la ville de Bonne. Com- suite de la
me le duc de Savoye avoit réfolu de reprendre cette place ?,^^^^^ <^^
qu'il avoit perdue, il alla y mettre le lîege. Bonne eft une voye contre
petite ville îituée à trois lieues de Genève à l'Orient d'hy ver. Genève.
Elle eft divifée en haute & balTe ville. La haute ville eft en-
vironnée de murailles à l'antique , qui peuvent bien la met-
tre à couvert des efcalades , mais qui ne font pas à l'épreuve
du canon , ni des nouvelles machines de guerre qui ont été
inventées de nos jours. La baffe étoit un faubourg alors tout
ouvert , ôc qui peu de tems auparavant avoit été defolé par
le feu. A peine le Duc avoit fait tirer deux cens coups de
canon contre la haute ville , que Jean Aubert qui y com-
mandoit pour les Genevois une garnifon de trois cens hom-
mes , demanda à parlementer , Se offrit à ceux que le Duc
nomma pour traiter avec lui , de fe rendre , à condition que
dans ce jour là-même la garnifon fortiroit fur le loir fans ar-
mes , & leroit conduite en lieu de fureté. La propofîtion fut
acceptée , & la ville fe rendit le 2 2. d'Août. En confèquence
Aubert defcendoit de la haute ville Iituée fur un coteau ,
pour fe rendre dans la bafîe j il étoit fuivi de fes trois cens
hommes à la tête defquels étoient les Officiers qui les
commandoient , de du Miniftre Guillaume de Mogne de
Kij
7<^ HISTOIRE
Mariî , lorfqu'on entendit les cris de quelques foldats , o^vi
H E N Kl fe pkignoient qu'avant que de fe retirer , lesaiîiégés avoienc
I V. mis le feu à un baril de poudre , dont les éclats avoient tués
1589. ^^^ blelTés plufieurs foldats Italiens Se Efpagnols qui s'en
ëtoient approchés. Sur ces plaintes les ennemis fondirent
aulîîtôt fur Aubert & ^qs gens qui étoient fans défenfe , ^
qu'ils mailLicrérent tous , à l'exception de quelques-uns en
petit nombre qui fe fauvérent à la faveur des ténèbres.
De là le Duc marcha vers le pas de la Clufe pour entrer
dans le Baillage de Gex ^ ôc dans tous ces lieux fes troupes
Jaillérent des marques funeftes de leur avarice , de leur cruau^
té , & de leurs excès. Plus de quatre-vingt villages furent
pillés & réduits en cendres 3 &: dans cette rencontre , ni l'âge,
jii le fexe ne furent refpeclés. Ces défordres durèrent jufqu'à
la fin de Septembre ^ enfin la contagion commençant à fe
mettre parmi les troupes du Duc , avant que de les congédier
il entreprit de fortifier Verfoy fitué lur le lac Léman , ou de
Genève.
Cette place qui efl fort étendue , étoît autrefois une vill-e
libre fort peuplée. Elle eft à deux lieues de Genève , ayanc
cette ville au Midi d'Eté , le bailliage de Thonon & le lac
Léman à l'Orient, le mont Jura à l'Occident , & au Nord
le païs de Vaux. Elle eft arrofée par la Verfoy , rivière qui
lui donne fon nom , & qui prenant fa fource dans les mon-
tagnes voifines fe divifeenfuite en deux bras , dont l'un pafîe
au travers du bourg, l'autre coule au pied de (qs murailles ,
6c de là continue fon cours vers Genève. Son château étoic
autrefois très-fort & environné de murailles très- hautes j
mais elles étoient tombées en ruine. Le duc de Savoye ré-
folut de les relever & de les fortifier d'un rempart , atin de
tenir les Genevois en bride ^ £cil y employa tant de monde,
que l'ouvrage fut achevé en très-peu de tems. Il éleva du
coté du lac une plate-forme , & y plaça deux petites pièces
de canon , pour tirer fur les barques & fur les bateaux qui
palToient par là pour aller à Genève. Outre cela il confia au
baron de la Serra la garde de S. Mauris , pofte très-fort , &
qui étoit fourni de toutes fortes de provifions. Il y fit entrer
fix cens hommes de garnifoa, avec quatre canons , 6^ toutes
les munitions nécelFaires j après quoi, tandis que les pionniers
DE T. A. DE THOU, Liv. XCVII. 77
schevoient de mettre en état ce qui manepoit à {^s nou-
velles fortifications , il traverfa la Savoye & pafla les monts H p i<f j, j
fur la fin d'Octobre. j y
A peine le Duc s'étoit retiré, que les Genevois qui regar-
doient cette nouvelle forterefle comme une barrière que ^5°9'
leur ennemi leur oppofoit pour les tenir en bride , réfolu-
rent de s'en rendre maîtres & de la rafer, avant qu'elle fût
abfolument en état de défenfe. Dans cette vue ils donnèrent
xendez-vous à toutes leurs troupes pour le 7. de Novembre j
& ce jour étant venu ils partirent iur le foir après avoir fait
la prière , fuivis de cinq cens arquebuficrs , de deux cens
avanturiers , de deux compagnies d'arquebulîers à cheval ,
êc de deux autres de gendarmes. De Lurbigny qui com-
mandoit pour le Roi les troupes réglées de Genève , étoit à
à leur tcte j & ils portoient avec eux des pétards , des échel-
les , & des madriers , pour conllruire un pont Iur la Verfoy.
Le lendemain au point du jour ils pailérent cette rivière
en grand filence proche d'un moulin , &; arrivèrent enfin à
la vue de Verfoy. Là après que le Miniftre eut fait la prière ,
ils partagèrent leurs troupes en quatre corps. L'infanterie
eut ordre de marcher vers la porte de Vaux , où l'on dévoie
attacher le pétard ; la plus grande partie de la cavalerie fuc
commandée pour fe faifir de toutes les avenues 3 un autre
corps fut chargé d'efcalader un autre endroit de la ville j 6c-»
unpaïfan qui connoifîbit le terrain , conduifit un quatrième
corps entre le bourg & le lac, dans un endroit où le mur •
n'étoit pas fi difficile à cfcalader. Le païfan y monta le pre-
mier. Cependant la garnifon fatiguée de la veille de la nuîc
précédente étoit enlevelie dans un profond fommeil. Car il
avoit paru dans le ciel quantité de feux dont ils avoient été
épouvantés , qu'ils avoienc pris pour de mauvais augures ,
Se qui les avoient empêchés de dormir. Lorfqu'ils prenoienc
un peu de repos &: qu'ils fe croyoîenc hors de danger , les
Genevois tombèrent tout-â-coup fur eux. D'abord \qs Sa-
voyards encouragés par leurs Officiers voulurent fe mettre en
défenfe ^ mais les Genevois en ayant fait un grand carnage ,
le refte fut obligé de plier & de fe retirer dans le château
avec le baron de la Serra. En effet le pétard ayant en même
tems fait fauter la porte de Copet , l'infanterie qui étoic
K iij
gcj'-^za»'»**^-**
78 HISTOIRE
encrée dans la place paiïbic au fil de l'épée tout ce qu'elle ren-
Henri concroic , tandis que d'un autre côté ceux qui avoient efca-
I V. ladé la muraille , faifoient main baiîè fur tout ce qui fe pré-
j c8 9. fentoit fur leur paflage. Trois cens hommes des aiîieges re-
flètent fur la place. 11 y avoit dans le château quatre canons
avec toutes les munitions de guerre nécelîaiies ^ mais on y
manquoit de provifions de bouche ,, parce que les magafins*
ëtoient dans le bourcr. Ainfî les aflie^és furent bientôt ré-
duits à la dernière extrémité. Maigre cela cependant le ba-
ron de la Serra ayant envoyé demander du fecours à toutes
les garniions voiiines , faifoit un feu continuel fur les Gène-
vois fans les incommoder beaucoup , parce qu'ils s'étoienc
avancés jufques dans le foffé , & que leurs logemens ëtoient
à couvert de toute infulte. Enfin le baron après avoir tenu
pendant deux jours avec la dernière opiniâtreté , voyant que
le fecours ne paroilTcit point, & qu'on lui avoit coupé l'eau
dont il avoit un befoin extrême , demanda à capituler. Il
Tut donc arrêté que la garnifon forciroit en armes , mèches
éteintes , portant fes tambours fur l'épaule , avec deux dra-
peaux plies , & tout fon bagage , &c qu'on l'efcorteroit jufl
qu'a Gex. Après la reddition de la place on fit palier à Ge-
nève quatre pièces de gros canons & deux moindres qui s'y
trouvèrent , deux drappeaux , avec plufieurs Turcs &: quel-
ques autres forçats , dont le duc de Savoye s'ètoit fervi pour
travailler à fes fortifications. Les Genevois les employèrent
• de même aux travaux publics ^ mais ils rendirent enfuite la
liberté aux Turcs, afin d'inviter le Grand-Seigneur par ce
rare exemple de générofité , à traiter les Chrétiens avec plus
d'humanité èc de douceur. Cependant ils rafèrent toutes
les fortifications de Verfoy , èc réduifirent même en cendres
les maifons du bourg , afin qu'elles ne pufîent être d'aucun
uiage aux ennemis. Ce fut ainfi qu'ils rétablirent la liberté
de la navigation fur le lac. Le refte de l'année iè palTa en ef^
carmouches èc en courfes dans le païs ennemi. On s'ètoit
imacriné que les Savoyards feroient le fiège du fort d'Arve j
mais ils abandonnèrent ce projet. Cependant on arrêta à
Genève quelques particuliers , qui ayant été convaincus
d'entretenir des intelligences fecretes avec l'ennemi, furent
condamnés à mort. D'autres que l'on foupçonnoic d'être
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVII. 79
du complot , furent bannis de toutes les terres de la Répu-
blique. Henri
Cependant tandis que le duc de Savoye tournoit Ces ar- I V.
iTies contre la Provence , la Valette qui etoit alors à Tou- 1589.
Ion fongeoit à fe rendre maître du château : &; il en vint à
bout, en profitant de la diiîimulation même du Gouverneur ,ie Toulon ^'^
pour le tromper. C'ëtoit de Berre qui commandoit dans la furpris par
place avec deux cens hommes de garnifon entretenus aux ^^ Valette,
dépens du duc de Savoye. Du refte cette intelligence étoic
fecrete • même pour ne donner aucun ioupçon le Gouver-
neur avoir grand foin de cultiver l'amitié de la Valette. Il
lui rcndoit des vifîtes afïèz fréquentes , mangeoit fouvenc
chez lui , & l'avoit à fon tour pkiiîeurs fois invité à aller voir
les fortifications de fa place , dont il ne manquoit pas de re-
doubler la garde lorfque cela arrivoit. Voici donc l'artifice
dont fe fervit la Valette pour exécuter fon projet. Il fit venir
d'une garnifon voifine un nommé de Montault , dont il con-
noiilbit le courage ôc l'habileté 3 àc un jour qu'ils étoient à
table avec de Berre , ayant fait tomber la converfationfur
les fortifications du château , dont il parla comme d'un ou-
vrage admirable , il ajouta qu'il étoit fôché que de Mon-
tault ne fe fût pas trouvé avec lui lorfqu'il étoit allé les vi-
iiter j fur quoi de Berre invita de Montault à les venir voir.
Celui-ci le prit au mot , il fe rendit au château fuivi de vino-c
hommes tous bien armés lous leurs habits , &c pour ne donner
aucun foupçon , il les lailïa à la porte. Il en prit feulement
un ou deux avec lui pour l'accompagner , èc lorfqu'il fe vit
proche de la première garde , il feignit de iefentir attaqué
d'une maladie fubite , èc tomba par terre comme mort. Aufîi-
tôt toute la garde accourut a lui 3 on le releva & on le porta
comme un homme prêt d'expirer dans une chambre voifine.
Cependant tandis que les foldats de la garde étonnes d'un
accident aufiî imprévu s'emprefToient tumultuairement de
donner du fecours au prétendu malade , & couroient cha-
cun de leur côté , ne penfant à rien moins qu'au piège qu'on
leur tendoit , ceux qui étoient refiés à la porte du château
profitèrent de ce défordre , & quelques foldats qui étoient
encore au corps de garde n'ayant pas eu l'efprit de les arrê-
ter , ils entrèrent tous à la file. Alors de Montault voyant
■xjMJi'JjTgrw
So HISTOIRE
- tout fon monde arrive , fortit tout d'un coup de faletargîe,
Henri ^ commença par le laifir des premières armes qu'il trouva
I y. lous fa main. A ce (îgnal ceux de fa iuite tirèrent en même
^ ^ o tenis les arquebufes qu'ils tenoient cachées lous leurs habits ,
mirent 1 epee a la main , ce chargèrent la garde , qui le trou-
vant en delordre fut taillée en pièces , ou obligée de fe ré-
fugier dans le château. Enfuite ils fe failirent de la porte y
firent entrer la Valette qui étoit dans le voifinage , &. le ren-
dirent ainlî maîtres de la place.
RcducHrion D'an autre côté , le Roi s'etoit rendu à Laval dans le
dcpiufieurs Maine , une des villes des plus riches du pais , èc qui donne
Normniidie à ^^" ^''^''^^ ^ ^^^"^^ ^^^ P^*^^ illuftres mailons du Royaume. Là
l'obéiirance Henri de Bourbon prince de Dombes vint de Bretagne ,
" ^°'' dont il étoit Gouverneur , à la tête d'un corps de Noblellé
pour faluer S. M. qui lui ht beaucoup d'accueil. Ce Prince
s'étoit rendu maître de Chateaubriand. Henri refta quel-
ques jours à Laval d'où il fe rendit à Mayenne , après avoir
renvoyé le prince de Dombes dans fon gouvernement , 6c le
maréchal d'Aumont en Champagne , pour recevoir les fe-
cours qui lui venoient d'Allemagne.
D'Alençon. L^ l^<^i avoit fait marcher Ion armée du côté d'Alen-
çon Capitale du Perche , fous la conduite du maréchal de
Biron j èc René de Saint-Denis de Hertré eut ordre d'en
faire le fîége. Le capitaine Lago commandoit la garnilôii
de cette place. D'abord on le lomma de fe rendre , 6c fur
fon refus on difpofa tout pour le fiége. Mais l'artillerie qui
étoit reftée longtems derrière à caufe que les chemins étoienc
entièrement rompus , fut à peine arrivée , que les bourgeois
fe rendirent ^ 6c Lago fe retira dans le château avec envi-
ron trois cens hommes. Cependant le Roi fe rendit au camp
fept jours après le maréchal de Biron , c'eft à>-dire , le i 5.
de Décembre. Ainfi Lago appréhendant pire , 6c ne voyant
d'ailleurs aucune efperance de fecours , rendit la place le
lendemain , à condition qu'il en fortiroit , lui ôc fes gens ,
vies 6c bagues fauves. Le Roi traita les habitans avec beau-
coup de douceur , quoiqu'on les foupçonnât d'ailleurs de
favorifer le parti de la Ligue. On leur confia la garde de leur
ville , 6c on donna le gouvernement du château à de Hertré.
D A'iençon l'armée marcha versFalaIfe,ôc reprit en chemia
Argentan ,
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIL 8r
Argentan, où le comte de Briiïàc avoit fait entrer trois _■
compagnies d'infanterie. Tandis que le Roi étoit dans cette H E n k i
ville , il reçut avis de la révolution arrivée depuis peu à IV.
Domfront, autre ville de Normandie qui n'eft pas éloip-née » «-f^^
le delîein d'appuyer le parti de la Ligue j mais il fut pré-
venu par ceux qui cenoient pour le Roi , qui fe failîrent de
lui , 6c par ce moyen fe rendirent maîtres du château. Aufiî-
tôt ils en informèrent le Roi par quelques-uns de ceux qui
étoient dans les mêmes intérêts -, &; ce Prince leur ayant
envoyé à propos les fecours dont ils avoient befoin , rédui-
sît par là fous fon obéïlTance cette ville avec (qs habitans ,
à qui il accorda une amniftie générale pour tout le palTé,(àns
exiger d'eux aucune amende.
Falaiiceft une ville forte par fa fituation , bâtie furie pan . d^ f Jaife
chant d'un coteau , dont le pied eft environné d'un étang
qui ne tarit jamais. Son château eft après celui de Caën le
plus fort de la province. Le comte de Brifîac étoit gouver-
neur de cette place, C'ctoit là qu'il avoit mis en dépôt la
plus grande partie du débris des effets précieux qu'il avoic
pu fauver du pillage du château d'Angers j &, c'etoit aufîi
ce qui l'animoit plus que tout le rcfteà faire une vigoureufe
réfiftance. D'ailleurs il comptoit beaucoup fur le régiment
du chevalier Picard , avec lequel il devoit , difoit-il , non
feulement défendre les places que le Roi affiégeroic , mais
encore reprendre celles que ceux de fon parti avoient per-
dues par leur lâcheté. Charle de Biron fut commandé à la
tête d'un détachement de cavalerie & d'infanterie , pour
aller inveftir cette ville. Il arriva devant pendant la nuit,
& ce fut fort à propos pour conferver le bourg delà Guibray,
qui eft comme un des fauxbourgs de la place , & l'endroit
de la province le plus renommé pour la Foire qui s'y tient
tous les ans. Les habitans de Falaife étoient fortis dans le
deilein de le réduire en cendres , afin que le Roi n'en pût
tirer aucun avantage ^ mais Biron les repoufla , & ils ne
purent mettre le feu qu'à quelques maifons détachées ,
^ui étoient les plus voifines de la ville.
Tome XL L
82 HISTOIRE
Le Roi après avoir reconnu le place , j»-^ge«i à propos de
H E N K I commencer par attaquer le château , perluadé que s'il le
I V. prenoit une fois , il leroit infailliblement aulîitot après maî-
1589. ^^^ ^^ ^^ ville 3 au lieu que s'il commençoit parla ville, il
prévoyoit qu'il feroit enluite beaucoup plus difficile de faire
le fîége du château. Cette place eft commandée par un
rocher tout hériiré de pointes , qui n'en eft féparé que par
un précipice affreux ,elcarpë de tous côtés. Ce Prince y fie
placer deux coulevrines , qui par leur feu continuel incom-
modoient fort les alîîégés , lorfqu'ils vouloient palfer par
la place du château pour aller au logement intérieur , ou
le comte de Brilîàc s'étoit enfermé. Un peu au-deiŒous on
avoit drclTé deux autres batteries c|ui foudroyoient les
tours du château de ce côté-là, afin qu'après les avoir rui-
nées , on pût enfuite battre le mur plus facilement. Cepen-
dant le Comte ayant été fommé de,.fe rendre , répondit
qu'il ne le pouvoir en confcience , parce qu'il avoit promis
à fon parti fur le- S. Sacrement , de ne jamais confentir â
aucune capitulation. Il ajouta que dans fix mois il donne-
roit une plus ample réponfe. Sur quoi le Roi repartit en
colère qu'il auroit foin de réduire ces Cix mois à fix jours,
dans l'elpace defquels il fçauroit bien dégager Briilàc de
fon ferment -, mais qu'il lui en payeroit les frais.
L'effet fuivit de près la menace. Après quatre cens coups
de canon , tout le haut de l'une des tours qui couvroit le
mur qu'on avoit delîein de battre , tomba , èc il fe trouva
à l'autre une ouverture afTez grande pour pafTer un hom-
me. Auffitôt le Roi crut devoir profiter de cet avantage 5
iàns attendre qu'on eût fait brèche au mur , il donna or-
dre à quelques foldats d'entrer dans cette tour , & de voir
s'ils ne pourroient pas s'y loger pour quelque tems , afin
de foûtenir de ce pofte qui étoit élevé , le refte des trou-
pes lorfqu'elles monteroient à l'afîaut , après qu'on auroic
fait brèche au corps de la place. Ces ordres furent pon-
duellement exécutés ^ ces foldats s'introduifirent dans la
tour , & la trouvant fans défenfè , ils firent figne à d'au-
tres de les fuivre. Ainfi fe tirant les uns les autres avec
de longues perches àc des hallebardes , ils gagnèrent l'é-
tage d'en haut. De là ils pafTérent dans le château , de
DE J. A. D THOU, Liv. XCVII. S3
le gliflancs un à un par un petit fentier qui ëtoit en de- -
dans le long du mur , ils le détournèrent du logement Henri
intérieur qu'ils laifférent à main gauche , de arrivèrent I V.
ainfi à la porte du château qui conduit à la ville , l'en- 1589.
foncèrent , & fe rendirent maîtres de la ville , qu'ils mi-
rent au pillage. Il faut remarquer que pendant ce tems-
là , la garnilbn qui s'ètoit retirée dans le logement inté-
térieur n'avoit oie faire aucun mouvement , à caufe des
boulets que ces deux coulevrines dont j'ai parlé , faifoient
continuellement voler fur toute l'efpace qui s'étendoit
entre ce logement 6c les murs du château. On fe dif-
pofa enfuite à forcer la garnifon. D'abord elle propofa
à capituler 5 mais le Roi fit réponfe qu'il n'y avoit point
d'autre capitulation à attendre , que de fe rendre à dif-
crétion. Cependant il accorda enfuite au comte de BrifTac
la permifîion de le venir trouver fur fa parole • 6c il obtint
enfin avec la même facilité de ce Prince plein de clè-
inence que de toute la garnifon il y en auroit quinze avec
lui à qui on feroit grâce de la vie , & qui refteroient feu-
lement prifonniers. Briiïac abandonna le refte à la difcré.
don du Roi qui en fit mourir très-peu , encore l'avoient-
ils bien mérité pour d'autres crimes. Car tout ce qu'il y
avoit de fcélérats , de gens qui avoient lieu de craindre la
rigueur de la juflice , le jettoit dans le parti de la Ligue ,
dans l'efpérance de l'impunité que les Prédicateurs leur
promettoient libéralement dans leurs Sermons. Au rcfle le
Roi donna au baron de Biron pour fa part du butin , tous
les riches effets que le comte de BrifTac avoit fait tranfpor-
ter dans le château.
Après la prife de cette place , le Roi marcha à Lifîeux, DeLifieux,
ville confidérable par ion Evêché. Lonchamp qui y com- ^^ Ponteau-
mandoit fe rendit à la feule approche du canon. Le Pon- JoXrEvt
teaudemer , le Pont-l'Evêque , & Bayeux , fe foûmirent auffi que, & de
dans le même tems. Bayeux.
Il ne refloit plus au Roi pour fe voir maître de tout le DeHonflcur.
païs maritime qui effc en deçà de la Seine , que de fe met-
tre en polTefiîôn de Honfieur. C'eft un château fitué à
l'embouchure de cette rivière , ôc environné de collines de
toutes parts. Thomas Breton chevalier de Grillon frère de
Lij
84 HISTOIRE
" " Louis Breton , commandoic dans cette place avec une bonne
HiNR-i garnîfbn , qui étoit continuellement fortifiée par de nou-
I V. velles troupes , des convois de vivres & de munitions de
1589. gLierre , qu'André de Brancas de Villars lui envoyoit du
Havre 6c du pais de Caux , qui eft de l'autre côté de la
Seine.
Ce fiége arrêta le Roi pendant quelque tems. On avoic
déjà poulTë la tranchée jufque fur le bord du foflë j & on
n'en étoit pas plus avancé. Enfin on fit couler à fond un
vaiiïeau à l'entrée du port , qui en boucha l'avenue , èc
coupa ainfi toute communication entre Grillon & Villars.
Alors les affiégés demandèrent à capituler , Si on convint
d'une trêve. Dans cet intervalle Belfontaine Gentilhom-
me de la province , diftingué par fa valeur , & qui avoic
été Maréchal de camp en Flandre dans l'armée du duc
d'Anjou , s'étant allé promener fur la foi publique au-delà
d'un voile qu'on avoir iufpendu dans un faubourg voifin ,
pour empêcher les afTiegés de vifer à nos gens lorfqu'ils
paiToient par là , &: de les tirer à coup fur , fut tué lâche-
ment d'un coup d'arquebufe par un foldat qui s'étoit mis
en embufcade , de qui l'avoit pris pour le Roi à qui il réf.
fembloit efFedivement alTez par la taille de par l'habille-
lïient. Auffi dès qu'on le vit tomber , on entendit allez
proche de là un grand cri de joye , comme fi le Roi eût
été tué. Il n'y avoit prefque perlbnne dans l'armée qui ne
jugeât qu'on devoit punir un tel attentat avec la dernière
rigueur. Mais foit que le Roi eût une extrême envie de fe
rendre au plutôt maître de la place j foit qu'il ne fît que
fuivre fon inclination naturelle qui le portoic à la clé-
mence , il difîimula cet outrage , 6c accorda aux afliégés
une capitulation honorable.
Ce lîége fut fécond en accidens. Jean de Durfort de
Born qui commandoit l'artillerie , avoit été dangereufe-
ment bleflë d'un coup d'arquebufe. Tandis que fa blelTure
le retenoit au lit , t<, que de Renty commandoit l'artille-
rie en fa place , un canonnier eut l'imprudence de mettre
le feu à une pièce de canon , pendant que de Ferriéres
frère d'Ambleville s'entretenoit par ordre du Roi avec
un de {qs amis , qui étoit forti de la place pour conférer
DEJ. A. DE THOU,Liv. XCVII. 85
avec lui , &. le tua. Cette mort caufa un regret fenfible au ■■■*■'"■■""■-'■
Roi. H E K R I
Ce fut auffi dans ce tems-là que le château de Toucques I V.
fe fournit à des conditions que le Roi accorda fans beau- r ySo.
coup délibérer, afin de voler au fecours de Meulan que DeXoucque?.
les ennemis prelToient vivement.
Fm du Livre quatre-vingt dtx-feptiéme.
%6 HISTOIRE
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HISTOIRE
D E
JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE .^ATRE^VIGNT DIX - HVltlÉMR
"" '' ■ * A N D I s que le Roi écoit occupé en Normandie , le
Henri Jl duc de Mayenne chagrin de n'avoir pu réùflir à ion
I V. expédition de Dieppe , 6c d'y avoir perdu beaucoup de fà
15Q0. réputation, alla faire une tentative fur Pontoife. Le feu
,ar-. , Roi avoit donné le commandement de cette place à Pierre
France. de Momay de Buy. Le Duc prit le moment que ce
Le duc de Gouverncur étoit forti de Pontoife j mit le fiége devant
Mayenne cette ville j & la ferra de li près qu'aucun fecours ne pou-
toife. vant y entrer , le Lieutenant de Mornay fut obligé de fe
rendre. On Ibupçonna cependant cet Officier d'avoir été
d'intelligence avec l'ennemi , 6c d'avoir livré fa place. Qiioi
qu'il en ioit, le Duc profitant de cet avantage, marcha
de- là contre Meulan ,réfolu d'en faire le fîége.
Meulan eft une petite ville fur la Seine. Joachim de Be-
MeùS. rengueville en étoit alors Gouverneur, & y tenoit garni-
fon pour le Roi. C'étoic un brave Officier , homme
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVIII. 87
d'expérience, qui fit une fi -belle dëfenfeen cette occafion, ■
qu'il donna le tems au Roi de venir à la tête d'un détache- Henri
ment faire lever le fiége. Saint- Marc commandoit d'à- I V.
bord dans cette place au nom de la Ligue 3 &; il y avoit j ego.
environ un an qu'il avoit embralFé le parti de Henri III.
lorfque ce Prince faifoit le fîége de Pontoife. Henri III.
ayant été aflaffiné , Henri IV. qui ne comptoitpas trop iur
Saint-Marc , & qui regardoit Meulan comme un pofte
avantageux pour pafïèr la Seine , donna ordre au maréchal
d'Aumont , dont le zélé &. la valeur lui étoient connus,
de s'y tranfporter afin de vifiter la place,&: de voir fi elle étoic
en état de défenfe. Le Maréchal s'acquita exadement de
fa commiffion j èc après avoir retiré Saint-Marc de Meu-
lan , il y avoit fait entrer Berengueville mcftre de Camp
du régiment de Cambray avec cinq compagnies qui fai-
foient moitié de fon régiment , fçavoir la Colonelle , &
celles des Capitaines la Fontaine, la Chapelle, Guimar,
& Chailly.
Cette ville efl commandée par une colline , fur le haut
de laquelle étoit autrefois un château dont on voit encore
aujourd'hui les ruines. Elle eft compofée de quelques mai-
fons répandues le long de la Seine qui coule au pied. Du
refte fes murs font bas , faits feulement de .pierre &, de boue,
fans tours, ôc fans être défendus par aucun rempart. Un
pont de communication joint à la ville une ifle de fix ar-
pens d'étendue , où fe voit un Fort flanqué de quatre tours ,
dont la plus confidérable fert de défenle à la pointe de la
Baftille j deux autres couvrent les flancs de cet ouvra-
ge ^ & la quatrième appellée communément la Tour aux
Chiens regarde l'ifle de faint Côme. De-là on pafl"e la Seine
fur un pont dont la tête fur le rivage oppoié efb défen-
due par une tour nommée la Sangle , fans autre fortifica-
tion. Cette tour eft commandée par une colline j èc de
l'autre côté l'Eglife de Notre-Dame commande de même
la Baftille. Le premier foin de Berengueville fut de pour-
voir aux fortifications de la place. On commença par fon
ordre à travailler à un rempart pour foutenir les murs de
la ville j il fit élever quelques cavaliers dans les endroits
qu'il jugea en avoir befoin , àc tira à la tête du petit ponc
8S HISTOIRE
^? qui regarde la ville deux retrancliemens qu'on fortifia avec
Henri de la terre. En même tems il détacha le Capitaine la
I V. Chapelle avec fa compagnie pour aller le faiiîr du ponc
15^0. de Poiifi fur la Seine , afin de fermer ce palTage à l'en-
nemi.
L'ouverture du fiége fe fit le 9. de Janvier j & le duc
de Mayenne ayant fait pointer une batterie contre la porte
de Beauvais , dont la Fontaine avoit la garde , on com-
mença à tirer le lendemain. Après cent coups de canon la
brèche fe trouva confidérable, ôc la tour fort ébranlée 5
mais la nuit qui furvint empêcha les ennemis de tenter un
afîaut ce jour-là j de donna le tems aux afîiégés de réparer
le défordre que l'artillerie avoit fait.
Il n'y avoit en tout que quatre -vmgt chevaux, &: fîx
cens hommes de pied dans la place. Deux jours après
quatre- vingt arquebufiers & trente cuirafîiers tirent une
fortie avec tant de fuccès qu'ils fe virent longtems maîtres
du canon des ennemis Ils auroient même pu l'enlever fî la
porte de la ville n'eût été murée. Ainfî dès le lendemain
les afîiégeans changèrent leurs batteries , èc en élevèrent
une fur le coteau compofée de trois grofîes pièces de canon,
& de trois coulevrines , qui commencèrent à foudroyer le
mur oppofé qui è^ioit très-foible , ôc dont on avoit confié
la défenfe au capitaine Guimar 6c à fa compagnie. En
même tems quelque artillerie pointée du cimetière làint Ni-
colas contre la Tour quarrèe àc le mur voifin y fît bientôt
une brèche de quarante pas de l'argeur.
Comme il y avoit de l'apparence que les ennemis tente-
roient un afiaut de ce côté-là, Berengueville qui ne fe
voyoit pas en état de conferver la ville plus longtems , ne
voulant cependant pas abandonner Cqs gens à la merci de
l'ennemi , feignit de fe difpofer à marcher à leur fecours.
Dans cette vue il fit pafîèr quelques troupes dans la ville
par le petit pont à la vue des afFiégeans , qui étoientdèja
en bataille prêts à monter à la brèche. Ce mouvement fit
faire alte aux ennemis , èc donna le tems aux afTiègés de
fe retirer heureufement en bon ordre. Alors les Ligueurs
entrèrent par la brèche fans trouver la moindre réfiiiance,
& fe répandant aulFitôt dans les Eglifes , où les habitans
s'écoienc
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 8^
'S^étoîent réfugiés avec leurs femmes & leurs enfans , pil- . ' , .»
lérent tout ce qui fe trouva à leur difcrétion. Ils élevé- Henri
renc enfuite contre la tour du petit pont un bon retranche- I V.
ment compofé de tonneaux pleins de terre. La nuit même i ^oo«
2I fut attaqué èc prefque emporté dans une fortîe que lit
Berengueville , qui en renverfà une grande partie avec des
crocs.
Cependant comme lesaffiégés étoient réfolus à tenir fer-
me julqu'au bout, on fongea à ménager les provilîons qui
étoient dans la place. Ainlî on nomma cjuelques-uns des
bourgeois pour départir à chacun la ration de pain & de
vin qui fut affignée par tête. Il faifoit alors un froid très-
piquant. La rivière étoit entièrement glacée au-deiîus èc
au-defl:bus des ponts , 6c favorifoit ainîî les approches â
l'ennemi. Pour remédier à cet inconvénient Berengueville
commanda cinquante Suiiîes qu'on avoit jettes dans la
place quelque tems avant l'arrivée du duc de Mayenne,
pour aller rompre les glaces à coups de haches , de pics ,
& de marteaux , avec ordre de tirer un retranchement en-
tre i'ifle faint Nicaife èc la tour qui couvroit la pointe de
la Baftille jufqu'au petit pont. Les SuilIes s'acquittèrent
avec ardeur de cette commiiîion • ce qui fut d'un grand
fecours pour les affiégès • car le duc de Nemours étoit
dans le voifinage , où il tenoitdes bateaux tout prêts pour
faire palTer des trouppes dans l'ille. La nuit fuivante un
grand pan du mur, qui de lui-même étoit très foible ,
ébranlé d'ailleurs par le bruit du canon s'écroula j enforte
qu'il fe trouva une brèche de plus de quarante pas de l'ar-
geur • mais Berengueville la lit réparer aulTitôt avec de la
terre.
Quelque preiTés que fuflent les alTiégès, jufques-là tout
leur avoit réuffi. Un nouvel incident contribua encore à
augmenter leur courage. Deux foldats de la garnifon ayant
choifi une nuit fort noire, malgré la rigueur de la faiion ,
malgré les glaçons dont la rivière étoit couverte, & mal-
gré la rapidité de l'eau qui fe trouvoic relTerrèe fous les
ponts, s'approchèrent à la nage des bateaux ennemis 3 cou-
pèrent ÏQs cables qui les retenoient j les troiicrent avec des
carrières dont ils avoient fait provifion j en coulèrent à
r^w^ X/. M
90
HISTOIRE
■'■ ■".' ■' fond une partie , ôc emmenèrent le refte avec eux. Ce
HfNRi coup hardi fut depuis d'un grand fecours aux affiégés , à
I V. qui il ouvrit un chemin pour faire des courfes par la rivière.
1590. Berengueviile ne fut pas longtems fans en tirer avantage.
Ayant eu avis que le duc de Mayenne avoit laiiïe une partie
de les munitions dans la bafTe-cour du château de Frêne,
il détacha le Maréchal des logis de fa compagnie de ca-
valerie avec quelques loldats pour aller les enlever. L'en-
treprife réuffit, ôc cet officier ayant furpris la baflè-cour
pendant la nuit , rapporta bonne provifion de poudre èc
de mèche dans la place , où l'on commençoit à en avoir
grand befoin.
D'un autre côté le duc de Mayenne ennuyé de la lon-
gueur du fiège détacha le 22.de Janvier le colonel Jaulge
avec fon régiment compofé de mille fantaffins , avec or-
dre d'aller palFer la Seine à Mantes , de fe rendre de-là au
villase des Mureaux de l'autre côté de cette rivière ,& de
fe faifir de la tour de Sangle ^ ce qui s'exécuta. Déjà le Co-
lonel commençoit à fe fortifier dans le village lorique Be^
rengueviile le chargea fort à propos à la tête de quatre-
vingt arquebufiers, &: de trente cuiraffiers 3 fit plufieurs pri-
fonniers , &c renverfa la plus grande partie de (qs retranche-
mens faits avec des tonneaux , fans avoir perdu un feul hom-
me. Ainiî les ennemis furent obligés de s'éloigner & de fe
fortifier dans l'Eglifè.
Alors un foldat entra dans la place à la nage , &c rendit
au Gouverneur des lettres par iefquelles le Roi lui donnoic
avis de fon arrivée. Au reffce la marche de ce Prince n'étoic
pas ignorée des ennemis , fur-tout de Chrétien de Savigny
de Rofne , à qui le duc de Mayenne avoit donné ordre
de fuivre le colonel Jaulge avec un détachement de fcs
troupes. Après plus de cinq cens coups de canon tirés con-
tre la porte de la Sangle, cet Officier voyant une brèche
à la muraille de plus de quarante pas de largeur, y fie
donner un aiTaut général le 11. de Février 3 mais il fuc
rec^u vigoureufement par Berengueviile qui s'étoit retranché
en dedans , Se qui combattant aux premiers rangs l'obligea
de fè retiter. La phipart des afiaillants périrent à cette at-
taque 3 5c de Rofne ayant demandé permifïïon de fmQ
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIÎ. 91
retirer leurs corps de la brèche afin de les enterrer , Be- ■^"' ' i i 't
rengueville la lui accorda de grand cœur. Le lendemain Henri
les ennemis tentèrent un nouvel afTaut par la chauiTée j I V.
mais les afliëgés ayant pointé quelques petites pièces de i coq,
campagne contre cette porte, ils les obligèrent d'abandon-
ner la chauflèe en dèfordre. Ainiî cette nouvelle tentative
ne rèiifîît point.
Cependant fur le bruit de la marche du Roi , de Rofne
crut devoir prévenir le danger auquel il alloit fe voir ex-
pofè. Ainiî dès -la nuit fuivante il fit retirer fon artillerie
trois heures avant le jour, èc alla pafiTer la rivière à Triel ,
où on lui tenoit des bateaux prêts , ayant pofté à fon ar-
rière-garde quelques troupes d'élite pour arrêter les Roya-
iifles au cas qu'ils entreprillent de le troubler dans fa re-
traite. Enfin le 13. l'armée du Roi parut à la vue deMeu-
lan. Ce Prince entra lui-même dans la place par la porte
de la Sangle accompagné du comte de Solfions , du comte
de Saint-Paul , du Maréchal de Biron , & de Maximilien de
Bethune de Rony 5 enfuice après avoir donné de grands
éloges à la valeur des afliégès , èc avoir vifité la place , il fe re-
cira dans fon camp.
Après le départ de ce Prince le duc de Mayenne qui
ëtoit campé de l'autre côté de la rivière tranfporta toute
fon artillerie fur le coteau èc à l'Egliiè qui eft au pied , èc
recommença de-là à battre la Baftille. Cinq cens coups de
canon fufiîrent pour ruiner le mur qui étoit très-foible , ôc
pour ébranler la tour. Ainfi le Duc fe difpofa à marc-her à
l'attaque. Alors les afiîégés ne fe trouvant pas en état de
foutenir cet effort, fe rallièrent auprès des arches du pont j
firent tête à l'ennemi, 6c donnèrent avis au Roi du danger
où ils étoient. Sur cette nouvelle ce Prince accourut à leur
fecours avec du canon ^ §c l'ayant fait mettre en batterie â
propos vers la porte de la Sangle il reprit une des arches du
pont dont les aifiègeans s'étoient rendus maîtres , & fit
pafi^er dans Pifle faint Nicaife des troupes qui Iqs chafi^-
rent auffi de ce polie. Le Roi ravitailla enfuice la place j èc
y ayant fait entrer une compagnie de Lanfquenetsà la place
des SuiUès qu'il eh retira , il ramena l'artillerie au camp,
rèfokï dès-lors d'aller faire le fiège de Dreux.
Mij
5)1 HISTOIRE
Sur ces entrefaites le duc de Mayenne eut avis que ceux
Henri qui tenoient dans Roiien le parti du Roi s'ëtoient iàifis du
I V. vieux palais • èc comme il appréhendoit de plus fâcheufes
15S9. Suites de cet accident, il décampa le 27. de Février &; mar-
cha de ce côté-là avec une partie de ion armée. Il eut la
Levée du précaution de couler à fond une partie des bateaux qu'il
^t'S^- avoit préparés pour afîaillir Meulan du côté de la Seine ^
& il fit defcendre la rivière aux autres , de peur que les af-
fîégés n'en profitaient. Le lendemain le refte de l'armée
de la Ligue mit le feu à fes retranchemens , & abandonna
la ville. Cependant les ennemis reparurent encore le 2. de
Mars. Le jour fuivant ils fe mirent en bataille comme s'ils
eufient eu deflein d'attaquer la tour qui couvroit la pointe
de la Baftille ^ &; ils mirent quelques troupes à la porte de
J'Eglile 6c dans les mailons voifines. Mais les affiégés ayanc
fait iur eux une fortie vigoureufe, il y eut une action très-
chaude , pendant laquelle les afliégeans firent leur retraite.
Après leur départ les habitans commencèrent par rendre
grâces à Dieu de la levée du lîége ^ &: le Clergé de la ville
St une proccffion folemnelle , où affilia Berengueville avec
tous les Officiers de la 2;arnifon. En même tems le Roi dé-
tacha le comte de Soillons pour aller reprendre Verneuil
dans le Perche j l'entreprife eut le fuccès qu'on en efperoît -
le Comte mit une forte garniion dans la ville 6c le château ;-
êcil en donna le commandement à Théodore de Ligneris,quî
avoit fuivi le parti de la Ligue, ôc qui prêta ferment de fi-
délité au Roi.
Succès du Oe fut vers ce tems-là que le Roi reçut des nouvelles
voyage de qui ne lui firent pas trop de plaifir , au fujet du iuccèsqu'a-
h"?ne*"^^' ^^^^ ^^ ^^ voyage de Sancy en Allemagne. Henri IV. après
la mort de fon prédéceffeur l'avoit chargé de s'y rendre
pour lever de nouvelles troupes. Il lui avoit donné pour
cela les pouvoirs les plus amples , avec des lettres pour les
princes Proteftans de l'Empire. Elles contenoient en fub-
fiances : Qiie depuis trente ans les Efpagnols entretenoienc
la divifion en France , dans le deiTein d'alTûrcr à Philippe
par la ruine de ce florilîant Royaume cette Monarchie
univerfelle dont Charle V. fon père avoit formé le projet ;
Qii'en effet tant que cette Couronne fubiiileroit ils avoienu
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 93
toujours un rival à craindre , oc une barrière que Dieu fem-
bloic avoir oppofëe à leur ambition infatiable , qui arrecoic 77^ 77TT
le cours de leurs projets , ôc qui les empecnoit d envahir y y
les Etats des autres Princes moins puifîans , qui ne fe foii-
tenoient que par la protecT:ion de l'Empire , 6c que cette ^5^^*
nation injufte avoit déjà dépouillés en idée ; Qu'ils avoienc
mis tout en œuvre pour venir à bout de leur entreprife :
Qu'enfin par une guerre civile de tant d'années ils avoienc
afloibli & épuifé ce puilEant Etat 3 mais que voyant qu'il
reftoit encore dans le cœur de la nation un attachement
naturel pour Tes maîtres, ilsavoient fufcité le duc de Guife,
qui s'étoit acquis un grand crédit parmi les Catholiques,
à l'avoient engagé à tourner contre le Roi même des ar-
mes qui avoient été deftinées à écrafér les Proteftans :
Que depuis ce tems-Ià ce Prince infortuné chafTé honteu-
fement de fa Capitale, s'étoitvu réduit par l'ambition du
Duc à la funeil:e néceiTité de chercher fa fureté dans la
perte de ce rebelle : Qii'après fa mort le duc de Mayenne
îbn frère avoit marche lur les mêmes traces ^ bc que ce que
l'un méditoit de faire à Blois , l'autre l'avoit exécuté à la
vue de Paris , en allant choifir dans l'Ordre des Dominicains
un parricide déteilable pour afïaiîiner le Roi : Qiie tous les
Souverains , èc fur-tout les Princes de l'Empire , étoienc
intéreflés à ce qu'un attentat auffi abominable donc le
fouvenir feroit à jamais en horreur, ne reftât pas impuni :
QLi'après s'être crus autorifés à fecourir le feu Roi contre
ies fujets rebelles ^ après l'avoir lui-même aflifté toujours lî
à propos avant que la mort de ce Prince lui eût ouvert un
chemin au trône où il avoit été appelle par une fuccelTion
légitime 3 à préfent qu'il s'agiiloit de tirer vengeance d'un
crime fi affreux , 6c de purger le Royaume de la race im-
pie de ces exécrables aflallins, ils étoient obligés de met-
tre tout en œuvre pour contribuer autant qu'il étoit en eux
à rétablir en France une paix à laquelle on voyoit plus de
difpofition que jamais : Que depuis le coup malheureux
qui avoit enlevé le feu Roi les ennemis de l'Etat , à qui il
ne reftoit plus que cette feule relîource , avoient mis en œu-
vre la fraude & il'artirîce pour femer la divifion parmi Jes
Seigneurs Ôcles o-randi Officiers de l'armée du Roi, dans
-K /r •••
54 HISTOIRE
' ■' h vue de Içs détacher de fon fervice , de de les attirer à
Henri leur parti : Que cependant tous s'étoient enfin réunis pour
I V. le reconnoître , à condition que dans iix mois il ne feroic
I s 90. ^'Jcun changement au iujet de la Religion, ce qui étoic
l'article principal des prétentions des rebelles, julqu'à ce
qu'une allèmblée des Seigneurs de la nation , ou des Etats
généraux du Royaume , ou un Concile légitime , général ou
national , en eût autrement ordonné : Qu'à la vérité la
crainte ou l'efpérance avoic engagé quelques Seigneurs à
l'abandonner 5 mais que comme il les connoilloit pour être
peu afFedionnés à fa perfonne , & au bien de fon Royau-
me, ils l'avoient trouvé plus difpofé à leur accorder leur
congé , qu'ils n'avoient d'envie de l'obtenir -, 6c qu'il avoic
lailTé à la honte dont ils s'étoient couverts par cette dé-
marche , àc aux remords que leur perfidie devoit leur eau-
fer , le foin de le venger de leur retraite : Qu'au refte voyant
que le voilînage de Paris rendoit de jour en jour la défer-
tion plus à craindre , il avoit réfolu de s'en éloigner :
Qu'il s'étoit donc retiré avec une partie de fon armée dans
la province de Normandie voifine de la Capitale j de qu'il
avoit partagé le refle de fes troupes entre le duc de Lon-
guevilie gouverneur de Picardie , &c le maréchal ci'Au-
mont qui étoit palfé en Champagne pour aller recevoir fur
la frontière les fecours qu'il attendoic : Qiie c'étoit pour
les hâter qu'il avoit député vers eux Nicolas Harlay de
Sancy : Qu'en attendant l'arrivée de l'armée nombreufe
qu'ils avoient promis de fournir à fon prédecefleur il étoic
chargé de faire entrer en France quelques troupes dont il
ne pouvoit fe paiFer dans les conjondures préfèntes , èc de
recevoir d'eux cent cinquante mille écus d'or à compte lur
les trois cens mille qu'ils s'étoient de même engagés à faire
toucher au feu Roi : Qii'il en avoit un très-grand befoin ;
de que fans ce fecours il lui feroit très-difficile de retenir Çqs
troupes dans un tems de révolte tel que celui oii il fe
trouvoit : Qu'il n'y avoit donc poinc de tems à perdre ;
& que le moindre délai feroit autant de tort à fon parti
qu'un véritable refus : Qu'il étoit menacé d'un côté par
le duc de Lorraine , de l'autre par le prince de Parme 5 de
qu'il y avoic lieu de croire qu'ils alloient mettre tout eu
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 95
cÊUvre pour l'empêcher de s'affermir fur un trône où il ■
venoic à peine de monter : Qu'cà l'égard des autres cent Henri
cinquante mille écus reflans il les deftinoit avec l'argent 1 V.
que lui avoit promis la reine d'Angleterre à lever une 1500.
puiflànte armée qu'on feroit palTer en France dans la fuite -,
mais dont le fecours lui dcviendroit inutile fî on lui refu-
foit celui dont il avoit beioin aduellement pour maintenir
fon parti : Que dans cette vue il avoit chargé Sancy de
tous les pouvoirs nécelTaires pour leur donner à eux Se à
{qs autres créanciers toutes les fûretés qu'ils pouvoientfou-
haiter j avec (ydre de leur engager pour cela , ou les re-
venus de la Couronne, &c telles villes du Royaume qu'ils
demanderoient j ou, s'ils aimoient mieux, les grands do-
maines qu'il polTédoit en France de fon chef, bc qui n'é-
toient point encore chargés des dettes que fes prédécef.
feurs avoient contractées.
Muni de ces inftruclions Sancy fe rendît à Baie j & y
ayant trouvé Antoine de Moret des Reaux , qui avant la
mort du feu Roi étoit pafTé en Allemagne avec Gafpard
de Schomberg , il l'engagea à retourner avec lui à Hei-
delberg , afin de prendre des mefuresavecle duc Cafimir,
qui gouvernoit alors l'Eledorat, fur le fujet de fon voyage.
Le réfultat des conférences qu'il eut avec ce Prince, fut
que de Lenty leveroit incefTamment un régiment de Lanfl
quenets , Se le colonel Dammartin quinze cens Reîtres j 6c
que ces troupes fe rendroient à un certain jour dans les
pleines de Strafbourg , où on en feroit la revue.
Sur ces entrefaites arriva à Heidelberg Armand Frentz,
qui depuis quelque tems campoit autour d'Aix-la-Cha-
pelle avec quinze cens chevaux qu'il avoit levés par ordre
de Louis de Gonzague duc de Nevers. Ce Seigneur ne
pouvant plus fupporter l'jnfolence du capitaine Saint-Paul ,
qui avoit été afîèz lîardi pour prendre le titre de duc de
Rhjtelois , ôc qui défoloit ce pais par des courfes conti-
^ nuelles, avoit réfolu avec l'agrément du feu Roi de lui
faire la guerre à fes dépens. Mais la mort de ce Prince
ayant changé la face des affaires , le Duc s'étoit fait un
fcrupule de pourfliivre cette entreprife j & n'avoît point
donné l'argent qu'il avoit promis pour faire fes levées.
[.jihubmIm
9^ HISTOIRE
Ainfi Frcntz, qui appréliendoic de porter toute la perte
Henri de ce contretems ayant appris que le nouveau Roi levoic
I V. des troupes vint offrir Tes iervices à Sancy , l'alTûrant que
1389, £qs gens étoient fur pied , &: en état de marcher. Il écoit ce-
pendant vrai que la plus grande partie ennuyée d'un fî
long retardement avoit delerté. "Sancy accepta la propor-
tion 3 &c il donna rendez-vous à Frentz êc à Wambach,
qui avoit promis de lever aufîî un régiment de Lanfque-
nets pour le trouver à Francfort à un certain jour donc
ils convinrent, afin de prendre de concert les mefuresné-
celîaires. ^
Cependant Sancy accompagné de des Reaux pafla à
Caflèl pour conférer avec Guillaume Landgrave de HelFe,
un des Princes des plus fages de fon tems , &c des plus
anciens alliés de la France. Le Landgrave approuva les
niefures qu'on avoit prifes avec le prince Palatin, ô^nefe
lit pas prier pour fournir à la dépenfe. En même tems il
confeilla à Sancy d'emprunter auiïî de l'argent à Ulm èc
à Nuremberg j &: il lui donna des lettres de recomman-
dation pour ces deux villes. Ce Miniftre chargea de cette
négociation ,des Reaux 6c Louis Perrot fécretaire du Roi j
& ils s'en acquittèrent heureufement.
Défaite des Déjà le colonel Dammartin s'étoit rendu à Strafbourg
troupes Al- a^vec les troupes qu'il avoit fait partir avant lui. Les foL
Udac U^^ dats de Lenty arrivoientauffî tous les jours à la file , lorfque
Lorraine. je duc de Lorraine ayant eu avis de ces nouvelles levées
forma le deflein de les tailler en pièces avant qu'elles euflenc
palTé en revue, & fulTent en état de fervir. Dans cette vue
il rappella Henri marquis de Pont-à-MoulTon fon fils qui
avoit fuivi le duc de Mayenne à fon expédition de Dieppe
à la tête d'un corps de bonnes troupes , le capitaine Saint-
Paul 6c quelques autres Officiers , à qui il donna rendez-
vous à Nancy pour le 29. de Novembre. Enfuite il fe mie
en marche accompagné de François comte de Vaudemont
fon fécond fils, 6c de Charle - Philippe de Croy marquis
d'Havre 3 alla en paffant en dévotion à faint Nicolas ; 6c
prit fa route vers Blamont 6c Phaltzbourg. De.là ayant
palTé le mont de Vofge , il fe rendit en cinq jours de
parche à SavemCjôc fit la revue de fon armée à Waftenhein,
Ell^
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 97
Elle ëtoit compofée de deux mille chevaux , cous en bon -'
ordre j de deux mille hommes d'infanterie Françoife com- Henri
mandés par le capitaine Saint-Paul 3 & de deux mille Lanf- I V.
quenecs fous la conduite de Jacque marquis de Bade, i ^^o,
Monltreuil Maréchal de Camp ayant détaché Saint-Paul
Je fuivit auffitôt après à la tête de trois Cornettes de Che-
vaux-legers , ôc de trois compagnies d'arquebufîers à cheval-,
&; ayant paiîc la rivière d'Ille, derrière laquelle les troupes
de Lenty fe croyoient fort à couvert , il les chargea à
Botzen , 6c les défit. Trois compagnies fe rendirent à Tin-
ftanc même ^ 6c deux autres deux jours après proche de
Bretencn.
Cet échec embarrafTa Sancy , qui n'avoit encore rien de
prêt, 6c quife lafToit d'attendre Frentz 6c; Wambach, qui
tardèrent à fe rendre plus qu'il n'efpéroit. Cependant il ne
perdit pas courage en cette occafion 5 il perfuada au colo-
nel Dammartin 6c à îbs troupes , que pour éviter de tomber
entre les mains des ennemis^ils dévoient laiiFer leurs chariots
6c leur bagage, qui ne ferviroient qu'à les embarralTer dans
leur route, &L fe retirer du côté de Baie avec ce qu'ils pour-
roient rallier des ibldats de Lenty ^ leur faiiant entendre
que de-là il leur feroit aifè de prendre la route de Langres
au travers du comté de Monbeliard 6c de la Franche-
Comté , 6c de fe joindre au maréchal d'Aumont qui avoic
ordre de les attendre de ce côté-là à la tète d'un détache-
ment de l'armée Francoife. Cet avis fut fuivi avec joie par
les Allemans. Ils partirent accompagnés de ce qui refîoit des
gens de pied de Lenty , 6c de ceux de NY^ambach. Ani-
més par les promelFes de Sancy , ils traverférenc courageu-
fement à la nage, en fe tenant à la queue des chevaux,
les rivières èi les ruifFeaux dont le débordement avoic
inondé la campagne. Comme ils étoient pourfuivis par les
ennemis , pki (leurs périrent dans les eaux j les autres ar-
rivèrent heureufement en lieu de fureté , d'où ils paffé-
rent enfuite en France , de fe joignirent au maréchal
d'Aumont.
Cependant Sancy avoit traité avec le duc Frideric de
Wirtemberg comte de Monbeliard • 6c en lui engageant
les domaines que le Roi pofFèdoic de fon chef dans la
Tû^e XI. N
98 HISTOIRE
>»' Flandre, il en avoic obtenu un fecours d'argent fort con-
Henri fidërable. De-là il retourna à Strafbourg pour attendre les
I V. troupes de Frentz, qui arrivèrent enfin à la file. Sancy qui
i^oo. voyoit ces nouvelles levées expoiées chaque jour aux in-
fultes de l'armée Lorraine, obtint pour elles du corps de
ville la permiilion d'aller camper au delà du Rhin. Déjà le
colonel Dammartin étoit arrivé fur la frontière, ôc il n'y
avoir pas d'apparence que les troupes de Frentz puflenc
le joindre. Ainlî de concert avec le duc Cafimir il fut ré-
folu que pour obliger les Lorrains à tourner leurs forces
ailleurs, elles rcbroufleroient fur leurs pas ,&: fe rendroient
à Metz , qui fe voyoit fans ceflè expofé aux courfes conti-
nuelles des ennemis, d'où elles feroient la guerre au duc
de Lorraine. En conféquence Frentz , après avoir fait la re-
vue de Ces troupes , qui fe trouvèrent monter à cinq cens
chevaux , traverfa le duché de deux Ponts accompagné
de des Reaux 3 &; décampant pendant la nuit, il lit tant de
diligence qu'il arriva de-là le lendemain à Metz fans avoir
perdu un fcul homme.
Les Lanfquenets qui étoient au fervice du duc de Lor-
raine pallèrent enfuite en Champagne fous la conduite du
capitaine Saint-Paul, 8c de-là en Bourgogne, oii ils prirent
le cardinal Gaëtano à Dijon , & Tefcortérent jufqu'à Paris,
On ne peut exprimer les excès qu'ils commirent fur toute
cette route. Les Eglifes même ne furent pas à couvert de
leurs infultes ^ ôc quoique l'on fût en carême ils ne fai»
foient point difficulté de manger publiquement de la vian-
de 3 ils en badinoient , difant qu'ils le pouvoient faire en
confcience , parce qu'ils menoient avec eux le Légat du
Pape. Ce Cardinal chemin faifant leur donnoit tous les
jours l'abfolution , ôc leur ouvroit les tréfors du Ciel.
D'un autre côté le maréchal d'Aumont ayant été ren-
forcé des troupes du colonel Dammartin , alla mettre le
lîége devant Montbart en Bourgogne , place appartenante
au duc de Nemours. Debadet y commandoit -, &c elle avoit
pour garnilon un détachement des habitans mêmes. Dans
l'armée du Maréchal étoient de Dinteville , de Tavan-
nes, de Cipierre,& de Beaujeu. On commença par battre
la place j ôc après y avoir fait une brèche peu conlîdérable
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVIII. 99
Beaujeu y donna Paflauc, & y fut tué avec quelques-uns de '
ceux quil'avoient fuivi. C'étoit un vieil Officier qui depuis Henri
long-tems s'étoic diftingué par fon expérience & Ton habileté I V.
dans la guerre. Ce iîége dura depuis le huit de Février juC j ^^^^
qu'au premier de Mars , que le Maréchal le leva fur un
ordre du Roi qui le rappeiioit. Ce Prince étoit alors devant
Dreux • èc comme il n'attendoit qu'une occafion favorable
pour livrer bataille à l'ennemi ,il avoit alors befoin de toutes
les forces.
Déjà François de Luxembourg duc de Piney ayant tra- Arrivée du
verfé la SuiiTe & les Grifons étoit arrivé en Italie. En p^flant duc de Lu-
il falua d'abord les Vénitiens qui le reçurent parfaitement it^aTie.°"'^^ ^"
bien ^ enfuite les ducs de Mantouë , de Ferrare , ôc de Tof-
cane ^ après quoi contre l'avis de ces Princes , il fe dé-
termina enfin lur les feules lettres du cardinal de Montalte
à continuer fa route fans prendre d'autres fûretés , èc fe ren-
dit à Rome le huit de Janvier. Quelques jours après fon ar-
rivée , le Pape lui ayant donné audience , ce Seigneur après
lui avoir déclaré qu'il avoit été député par les Princes du
fang , les Maréchaux de France , les principaux miniftres de
S. M. 6c en général par tous les feigneurs Catholiques du
parti du Roi, pour venir baifer les pieds de S. S. &lui ren-
dre les devoirs dûs au fouverain Pontife vicaire de Jefus-
Chrift en terre , 6c fuccelîeur de S. Pierre , il lui expofa les
motifs de fon voyage , 6c les raifons qui avoient retardé Ion
arrivée.
Il dit en fubfbance qu'il étoit chargé d'inftruire S. S. des
raiibns qui avoient porté la Noblefîè Franc^oife à fe foumet-
tre au roi de Navarre : Qi;ie les feigneurs Catholiques de fon
parti avoient été très-mortifîés de fe voir obligés de recon-
noître pour leur Roi un Prince qui faifoit profeflion d'une
Religion différente , 6c qui avoit même été depuis excom-
munié par S. S. Qiie cependant ils n'avoient pu s'en
défendre : Qu'après la mort déplorable du feu Roi alTaffiné
par la main d'un moine Jacobin , les Princes, les Maréchaux
de France, ^ les autres Seigneurs qui étoicnt dans l'armée
de ce Prince s'étoient a{remblés,6c qu'après avoir examiné
mûrement l'état préfent où le Royaume fe trouvoit, après
avoir confidéré les dangers où la divilion alloit expoièr ,
Nij
loo HISTOIRE
' non-feulement la tranquillité publique, mais même la Re-
Henri iigion Catholique dont ils faifoient profclîion , ils étoienc
I V". convenus tout d'une voix , que pour le bien de l'Eglile èc
1500. derEtat,ie roi de Navarre dévoie être reconnu pour hé-
ritier légitime de la couronne : Qu'ainli après avoir exigé de
ce Prince toutes les lûretés nécefTaires, ôc en avoir même
tiré un acT;e liî^né de fa main , ils l'avoient tous de concerc
reconnu pour leur Roi , 6c lui avoient prêté ferment de fi-
délité conformément aux loix du Royaume : Qu'eniuite pour
marquer leur attachement au S. Siège , &: rendre compte
à S. S. d'une démarche également néceflàire & fakitaire à
l'Etat , ils avoient avec l'agrément du Roi fait choix de
fa peribnne , dont l'attachement à la Religion étoit con-
nu,& qui tenoit un rang des plus diftingués dans le Royaume,
pour s'acquitter de ce devoir : Que par leurs intrigues mal-
îieureufes Ïqs Ligueurs en couvrant leurs pernicieux projets
du voile fpécreux de la Religion, & en excitant outre cela
le peuple à fccouer le joug Ibus la vaine eipérance qu'ils lui
avoient donnée de le foulager , de de le décharger des im-
pôts , étoicnt venus à bout de faire foulever tout le Royaume,
èc de troubler la tranquillité publique : Qiie non contens
d'avoir allumé en France le feu de la guerre civile ious ce
beau mafque de Religion, ils avoient fuborné un religieux,
qui s'étant introduit auprès du feu Roi à la faveur d'un ha-
bit , pour qui ce Prince avoit toujours eu beaucoup de ref-
pecl , lui avoit porté un coup mortel : QLi'un crime ii abo-
minable avoit excité dans tous les ferviteurs du feu Roi un
jufte reifentiment -, & qu'ils étoient perfuadés de même
que S. S. n'avoit pu apprendre fans horreur la nouvelle d'un
attentat qui déshonoroit à jamais le Clergé : Qu'après ce fu-
nefte accident , les feigneurs François qui étoient à la fuite
du feu Roi également partagés entre l'indignation & la
douleur la plus vive, avoient refolu d'un commun accord
de montrer pour ce Prince mort le même zèle & le même
attachement qu'ils avoient eu pour lui de fon vivant, & de
mettre Cqs cendres à couvert autant qu'il feroit en eux , des
outrages que leur preparoient les rebelles : Que dans cette
vue ils avoient cru necellaire de mettre à leur tête un
chef capable d'entretenir parmi eux l'union de la bonne
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIÎ. loi
intelligence : Qu'ils avoient pour cela jette les yeux fur le roi
de Navarre , à qui félon les loix de la guerre après la mort Henri
de leur Générai , ils étoient obligés d'obéïr comiiie à celui I V.
qui coniQ-iandoit l'avant-garde de l'armée Royale: Qu'au 1590.
refte de plus fortes raifons les avoient encore déterminés
à ce choix : Qii'ils avoient fur-tout confîdéré en lui fa qua-
lité de premier Prince du fang,ôi d'héritier préfomptif de
la couronne : Que ce Prince à la vérité étoit éloigné de la
Religion Catholique dans laquelle ils étoient réiolus de
vivre èc de mourir 3 mais qu'ils avoient fait attention que
s'ils difFéroient à le reconnoître , ils l'obligeroient par-là à
prendre des mefures qui auroient des fuites beaucoup plus
funeftes pour la Religion , & à fe lier plus étroitement
que jamais avec les hérétiques ^ qu'au contraire depuis
qu'il avoit re(^û des Seigneurs Catholiques du Royaume
une preuve iî marquée de leur attachement pour fa per-
fonne , on le voyoit tenir une balance égale entre Iqs deux
partis , fe comporter en père commun à l'égard des uns de
des autres , & n'avoir en vue principalement que d'éteindre
infenfîblement dans le cœur de fes iujets l'efprit de faction
il contraire à toute puiiîance légitime : QLi'au fujet de fa
Religion , il paroiffoit: plus difpolè à fe faire inftruire , & à
reconnoître fon erreur , qu'à vouloir y perfifter avec opi-
niâtreté : Qu'ils fjpplioient donc S. S. avec toute l'humilité
dont ils étoient capables , de prendre en bonne part une
démarche fage que les conjondures juftifioient aiïez, a la-
quelle ils ne s'étoient portés eux-mêmes , que parce qu'ils
s'y étoient vus forcés dans la vue de conlerver la Religion^
qu'ils fupplioient auifi S. S. de féconder leurs bonnes inten-
tions avec cette fàgefle & ce zélé pour le falut du plus flo-
riiîant Royaume de la Chrétienté dont elle avoit donné
tant de preuves , &; de prendre les mefures les plus conve-
nables pour fatisfaire aux louables défirs du grand Prince
qu'ils avoient retonnu pour leur maître , & qui occupé du
foin de fon falut, ne fouhaitoit rien tant que de fe faire inf.
truire j que rien ne feroit plus digne de la place que S. S. oc-
cupoit, plus agréable à Dieu, plus glorieux pour elle-mê,
me 5 & que par ce procédé elle s'attireroit dans les fîécles
futurs autant d'éloges , que quelques-uns de fès prédéceffeurs
N iij
102 HISTOIRE
^r^^^^r^^^T!^ ëcoient aujourd'hui blâmés avec raifon cics plus gens de bien,
H £ N R i pour avoir par leur négligence laiiTé perdre des Royaumes
I ^' entiers qu'on avoir vus le féparer de l'Eglilè.
I joo. Le duc de Luxembourg infifta 11 bien lur toutes ces raifons
àc fur plufieurs autres 3 il peignit fi vivement au Pape le
danger , où la divilîon pouvoir mettre non-feulement l'Etac
mais même la Religion, qu'il détermina enfin Sixte V. qui
d'ailleurs étoit réfbiu de prendre fon parti félon que nos af-
faires tourneroient, à. répondre à la lettre des Princes & Sei-
gneurs du parti du Roi. Il leur adreifa donc un Bref où il difoic
en fubftance; Qii'au milieu des chagrins de des inquiétudes
que lui caufoient les troubles du Royaume , il avoir eu beau-
coup de confolation d'apprendre par les lettres que le duc
de Luxembourg lui avoir remifes, le zélé qu'ils avoient pour
la confervatiog de la Religion ôc pour la tranquillité de
l'Etat : Qiie cette nouvelle lui avoir caufë beaucoup de joye:
Qu'il en avoit donné des marques à ce Seigneur par la ré-
ception pleine de tendrefTe qu'il lui avoit faite , èc par les
audiences fréquentes qu'il lui avoit accordées : Qu'en con-
féquence il avoit réfolu de fe prêter , autant que fa dignité
èc fon devoir pouvoient le permettre , aux inftances de la
noblelTe Francoife ôc de fon illufbre Député : Qu'il loiioic
donc leurs bonnes intentions , àc les fages delTeins qu'ils
avoient formés pour l'entreprife du monde la plus intéref-
fante & la plusavantageufeau Royaume, c'eft à-dire, pour
l'agrandiilement de la Religion Catholique : Qu'il les exhor-
toit à perfifter dans des difpofitions fî lalutaires , 6c à faire
en forte que les effets répondifïènt à leurs difcours , comme
il croyoit avoir lieu de l'efpérer : Que rien ne feroit plus
digne de la piété de leurs ancêtres, qui avoient efTuyé en
plus d'une occafion tant de travaux , & bravé généreufè-
ment tant de dangers pour la défenfe de la Religion & du
S. Siège : Que s'ils marchoient fur leurs traces & travailloient
avec autant de zélé qu'ils le lui promettoitnt , à la confer-
vation de la Religion en France , & au rétabliflèment de
la tranquillité publique 3 il s'engageoit à faire de fon côté
tout ce qui dépendroit de lui , autant que la juflice , fà
dignité de fon devoir pourroient le permettre pour contri-
buer à leur bonheur 6c à leur fatisfadion. Ce Bref au refle
cano à Pari'î
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 105
eft poftérieur a la bataille d'Yvry , dont je vais parler in-
celîamment. AulFi fcut-on bien que le Pape quoiqu'il afFec- Henri
tât d'y parler d'une manière ambiguë, ne ie ieroit jamais IV.
exprimé de la forte, fi dès-lors il n'eût pas réfolu defedécla- 1590.
rer pour le parti que la fortune favorilèroic.
Cependant le Légat approchoit de Paris , ÔC le bruit de Arrivée .î.i
fon arrivée s'étant répandu dans cette Capitale , releva beau- cardinal Gai-
coup le courage aux fadieux. Saintion , un des Capitaines
de la bourgeoifie , fe fîgnala en cette occafion. Il étoit Avo-
cat au Châtelet,& s'étoit rendu célèbre dans fà profeffion.
Du refte c'étoit un homme d'un eiprit modéré , mais qui ou
par inconfliance , ou pour s'accommoder au tems, s'étoit jet-
té dans la Ligue. Il affembia les autres Capitaines fes con-
frères le cinq de Janvier , & il leur fit un difcours très. vif,
par lequel il les exhorta à travailler avec plus d'ardeur que
jamais à l'établifTement de la fainte Union , à l'exemple du
duc de Mayenne qui en étoit le chef , àc fous les aufpices
de Charle X. Cardinal de la fainte Eglife Romaine 3 enfuitc
il difcuta fort 'au long le droit que ce Prince avoir à la cou-
ronne , à l'exclufion de Henri de Bourbon roi de Navarre,
fils d'Antoine de Bourbon ; de montra que ie Sacerdoce ne
le rendoit en aucune forte inhabile à luccéder à la couronne.
Il dit que Melchifedec avoit été Roi & grand Prêtre tout
enfemble : Que dans la fuite les rois des Juda avoient tou-
jours réiini en eux ces deux qualités julqu'à Hérode Anti-
pas : Qiie les rois d'Ethiopie joùilFoient encore aducUemenc
du même droit : Qu'après la mort de D. Sébafticn roi de
Portugal , D. Henri fon oncle, quoiqu'il fût Cardinal,n'avoit
pas lailfé de monter fur le trône j enfin que le prince Phi-
lippe fils de Louis le Gros ôc archidiacre de Paris , quoi-
qu'il fût dans les Ordres facrés , avoit été re(^û à partager
avec fes frères. Par ces raifons èc ces exemples il prouvoic
que rien ne devoit les empêcher de fe foumettre tous de
concert au cardinal de Bourbon, comme à l'héritier légitime
de la Couronne.
Dans le même mois , c'eft-à-dire le vingt-fix de Janvier,
les Bulles du cardinal Gaëtano furent lues , publiées & en-
régiftrées au Parlement, oiiifur ce , & requérant celui qui
faifoit les fondions de Procureur générai, Enfuite lefixdQ
104 H I S T O I Pv E
' Février on y publia de même à la requifition du Procureur
H £ N RI général les pouvoirs particuliers ou Faculces donc le Légac
I V. étoic chargé , par leiquelles au préjudice des droits & pri-
r 590. viléges de la Nation, le Pape lui donnoit une Jurildidion
fort étendue fur les Laïques en ce qui concerne Iqs crimes
d'ufure , de faux , de rapt , d'incendie , 2c en femblables
autres cas , avec l'autorité de connoître des caufes civiles ,
& d'accorder aux particuliers inhabiles à teller la permilîion
& le pouvoir de faire des teftamens.
Après ces préliminaires , le Légat lui-même fuivi d'un
grand cortège , alla prendre féance au Parlement. A fon
arrivée il eut Tinlolence de vouloir fe placer fous le dais qui
eft réfervé pour le Roi ^ & il auroit peut-être exécuté
cet orgueilleux deifein , fi le Préiîdent Brilfon , qui faifoit
alors les fondions de premier Préfîdent, ne l'eût arrêté par
le bras,& ne l'eût fait defcendre pour s'alîeoir fur un banc
au rang des autres immédiatement après lui. Enfuite après
que ce Prélat eut fait un difcours fort grave fur la puiiFance
du Pape , ôc fur les bonnes difpofitions où écoit S. S. à
l'égard du Royaume àc du Parlement , ce Magiftrat pre-
nant la parole, en fît lui-même un autre en latin, où il s'é-
tendit fort au long fur la puiiîànce de la France , & far l'au-
torité de cette illuftre Compagnie.
. . , ^ Le Roi oppofa à ces arrêts du Parlement de Paris une dé-
Jemcnc de claracion qu il adrelia a la Cour de Parlement leant a 1 ours
Tours contre q^ ^^^q J^ j^i^-jq ^g Février , au fuiet de l'arrivée du cardi-
'^^ ' nal Gaëtano, foi difant Légat du Pape. Cette Compagnie
prît fait &L caufe j èc le Procureur général du Roi dans fon
réquihtoire fe déchaîna vivement contre le Cardinal. » Il
»eil,dic-ii, parent de Boniface VIIL &L frère du duc de
» Sermonete qui fert aduellement en Flandre dans l'armée
» du roi d'Efpagne j ayant été envoyé par le Pape Légat en
" France de concert avec Henri de Gufman comte d'Oli-
15 varez , il n'a choifî pour fon (éjour que des villes attachées
53 au parti de la Ligue ^ il efl entré dans le Royaume fans
>5 avoir préalablement demandé l'agrément du Roi, fuivanc
)3 pLifage ordinaire 3 &c il n'a point fait apparoître de ies pou.
>3Voi rs. Cl Sur ce requifitoire, la Cour donna un arrêt par le-
quel elle défendoit au Peuple, à la Noblelfe 6c au Clergé,
d'avoir
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. Î05
'd'avoir aucun commerce avec les ennemis du Roi, fur-tout ;
avec ledit Cardinal, 6c d'entretenir avec lui aucune cor- Henki
refpondance , foit par foi-même ou par un tiers , fans la per- I V.
million exprefle du Roij jufqu'à ce que fuivant les loix de i coq»
l'Etat , les droits du Royaume &c les Libertés de l'églife Gal-
licane , ledit Cardinal fe foit préfenté au Roi conformé-
ment à l'uiage établi j à peine contre \qs contrevenans d'être
traités comme criminels de léze-Majefté , fans efpérance
de pouvoir jamais obtenir le pardon de ce crime. Ordon-
noit au Procureur général d'informer en vertu de cet Arrêt
contre ceux qui fe montreroient réfradaires aux ordres de
la Cour5 èc de procéder même à cette recherche par la voye
des Cenfures Eccléfîa{lique»j 6c enjoignoit aux Archevêques
6c Evêques de veiller à ce que les monitoires obtenus à cet
efFet^ fulîent publiés dans leurs diocèfes. Le même jour la
Cour à la requifitiondu Procureur général donna un autre
arrêt contre quiconque donneroit retraite aux rebelles, ou
à ceux qui à la faveur de la guerre s'empareroient des biens
des fujets du Roi j déclarant ceux' qui fe trouveroient con-
vaincus de ce crime coupables de léze-Majefté j 6c ordonnant
de rafer les châteaux èc les maifons des perfonnes qui au-
xoient recelé ces ennemis de l'Etat 6c de la fureté pu-,
blique.
Le Parlement de Paris ayant été informé de l'arrêt ren-
du contre le cardinal Gaëtano, donna le vingt de Février
un arrêt contraire, par lequel il caflbit 6c annuloit celui de
Tours , comme ayant été rendu par des Juges incompétens,
6c qui n'avoient aucun pouvoir , de défendoit d'y obéir 5 en-
joignant à toutes perfonnes , de quelque qualité 6c condition
qu'elles fuifent , d'honorer 6c de révérer le S. Siège , 6c d'a-
voir pour le cardinal Gaëtano le refped qui lui eft du , le
Pape l'ayant nommé fon Légat en France pour affermir
dans le Royaume la Religion Catholique , Apoftolique 6c
Romaine , maintenir la Nation dans la foumiiîîon légitime
qu'ils dévoient à leur Roi , exterminer l'héréfie , 6c afïurer
la tranquillité publique.
Qtielque tems auparavant les Ligueurs voyant avec cha-
grin qu'il y en avoit déjà beaucoup parmi eux, qui rebu-
tée d'une guerre dont la caufe ne leur paroiiToit pas trop
Tûme X /. O
5o^ HISTOIRE
' légînme,commençoîencà en dégoûter les autres parles funeC
H E N K 1 tes préfages qu'ils tiroient de l'avenir- que iesPrédicateurs mê-
I V. me ne s'accordoient point dans les diicours qu'ils tenoient au
ïîoo peuple, ôcparloient allez difFéremment fur cette matière,
ils aiïemblcrent la Sorbonne le dix de Février pour cher-
cher les moyens de maintenir la concorde &: l'union dans
le parti. Là après une Meflè du S. Efprit , la Faculté dans fa
délibération » pria &: exhorta les Docteurs & Bacheliers
w de Te fouvenir de ce qui faiioit le premier de tous leurs
« devoirs , &: de ne pas fouiFrir qu'il fe trouvât parmi eux
55 des divilions , de une différence de fentimens qui pourroit
55 Ibandalifer le peuple &; déshonorer leur miniftére. Et parce
55 que l'expérience nous apprend* ajoûtoit-on, que l'homme
59 ennemi travaille fans celle à lèmer l'ivraye parmi le bon
55 grain j ôc que les hérétiques &: politiques fermant leurs
55 yeux à la vérité ^ abufant de leur raifon pour marcher par
w le chemin de l'erreur j ne pouvant plus fouffrir la faine
55 doctrine j ayant l'efprit gâté ce le cœur corrompu^ étant
55 pervertis dans la foi 3 &: ayant néanmoins une extrême
55 demangeaifon d'entendre ce qui les flate, ont recours à des
55 maîtres propres à fatisfaire leurs défirs , & toujours dif-
w pofés félon la menace d'Ezechiel , à faire des oreillers
55 pour les mettre fous tous les coudes j la facrée Faculté
55 défend à tous fes membres d'ufer à l'avenir dans leurs
55 entretiens tant publics que particuliers , d'obfcurité , d'é-
55 quivoques , de détours , ou de fîaterie 3 &c leur ordonne
>5 au contraire de tenir toujours , &; de publier hautement dc
55 ouvertement une . dcdrine capable de contribuer , félon
55 Dieu, à l'avancement de lafainte Union 3 priant, exhor-
55 tant leurs auditeurs 3 les reprenant même vivement dans
59 le befoin , afin de les engager à perfévérer conftammenc
55 dans la foi, èc à ne fe pas laiilér féduire par les ennemis-
55 de la vérité 3 rejettant conféquemment toute doctrine ve-
55 nant de l'ennemi de notre falut, qui ne cherche qu'à en-
55 traîner les fimples dans le piège par le moyen de Ces mi-
55 niftres d'iniquité , pour les éloigner de cette implicite
55 dans la foi qui ne fe trouve que dans le Seigneur 3 dé-
55 teftant ces maximes empoifonnées , les combattant,- les-
?5. réfutant , mettant tout en œuvre jufqu'à expofer leur vie
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 107
M pour les détruire, comme contraires à i'efpric de l'Eglife.
" De ce nombre continuoit la Faculté , font les propofitions Henri
53 luivantes : On peut, ou on doit même reconnoître pour I V.
w Roi Henri de Bourbon : On peut en conlcience tenir fon 1590.
>5 parti , 6c payer les impôts & tributs qu'il exige : On peut le
w reconnoître pour Roi fous condition qu'il le fera Catho.-
» lique : Un hérétique relaps &: excommunié peut avoir droit
» à la couronne de France : Les Papes n'ont pas droit d'ex-
>3 communier nos Rois : Il efl: permis &: même nécelTaire de
« traiter avec les Bearnois èc les hérétiques. La Faculté or-
ï5 donne à tous fes membres de détefter de tout leur cœur
" telle èc femblable doctrine ^ puifqu'il eft certain que tous
>î les ans le fouverain Pontife afîis fur la chaire de S. Pierre
» excommunie le jour du Jeudi Saint tous les fauteurs 6c pro-
» tedeurs des hérétiques ^ nommément ceux qui reconnoif
î5 fent pour Roi Henri de Bourbon j en forte que dès-lors
5) on doit les regarder comme étant en état de péché mor-
« tel 6c de damnation. Enfin elle défend de tenir aucun dif.
>3 cours peu refpedueux à l'égard du S. Siège , ou de Mon-
» ieigneur l'illuftrillime Légat du Pape , de défaprouver les
53 fecours étrangers qu'on re(^oit des Princes Catholiques ,
55 de rendre odieufe la iainte Union fous prétexte de quel-
53 quesabus quels qu'ils (oient j (déclarant néanmoins que s'il
33 i'y en efl introduit quelques-uns, elle les déplore , les déla-
55 prouve 6c les détefte ) • 6c de rien dire enfin , quelque véri-
33 table qu'il foit , s'il eft plus capable de nuire à la caufe
53 commune , 6c de fcandalifer le peuple que de l'animer à
53 la perfévérance 6c de le confoler j déclare les contreve-
33 nans ennemis de Dieu , parjures 6c délobéïlTans à l'Eglife
33 notre fainte mère, 6c dignes d'être retranchés du corps
53 des Fidèles comme des membres pourris 6c gangrenés. «
Ce Décret fut fait fauf le jugement du S Siège , 6c de l'avis
de Monfeigneur le Légat, de l'Evêque d>c des Curés de Pa-
ris , qui ayant été invites de fe trouver à l'aflemblée , s'y
rendirent, approuvèrent ce qui avoit été décidé , jurèrent
fur les faints Evangiles de s'y conformer , de le fignérent de
leur propre main. On le publia enfuite dans Paris 3 6c on y
joignit des lettres du Pape 6c du cardinal Alexandre de
Montalte,en date du 2. d'Odobre 6c du 30.de Décembre
Oij
ic8 HISTOIRE
adreiïees à tous les Dodeurs de Sorbonne , par lefqueîle.*'
HfNRi S. S. & le Cardinal fon neveu faifoient de grands éloges
I V. de leur piëté,& de leur zélé à maintenir dans la faince Union
1590. tous les Catholiques du Royaume,
Lettre du En conféquence, le Légat publia le premier de Mars des
Cardinal Lé- jetrres adreiîées à tous les Archevêques & Evêques deFrance.
gâta tous les 11 -i jt • .-i . ,^ . r - ^ 1
Archevêques pat lelquelles u diloit qu il avoit ece informe que quelques-
&Evêquesdu ^^is d'entre eux, ou peut-être tous en p-énéral, avoientété
Royaume. • - ' j r J n n- j m-i ■ j 1
invites de le rendre a Tours pour délibérer des moyens de
ramener <à la foi Orthodoxe Henri de Bourbon , foi difant
roi de France: Que quelque apparence de piété qu'il y eût
dans ce projet , il fembloit cependant tendre direc1:ement â
la ruine de la difcipline Eccléiîaftique : Qu'en efFet ils écoîent
invités â cette allemblée par des gens qui n*avoient aucun
droit de convoquer les Evêques , fur-tout tandis qu'il y avoic
dans le Royaume un Légat du S. Siégea qui feulapparte-
noit de les aiTembler , au cas qu'il le jugeât néceifaire :
Qu'outre cela on les prioit de fe rendre dans une ville où
ils ne pouvoient fe trouver en confcience , parce qu'elle étoic
foumife à un Prince déjà excommunié par S. S. Qu'enfin on
les aiîembloit au fujet d'une afFaire qui pouvoit fe terminer
fans eux , où à laquelle ils ne pouvoient s'employer fans fe
rendre infiniment coupables : Qu'en effet fî Henri de Bour-
bon demandoit humblement à être inftruit dans la foi Or-
thodoxe , il n'étcit pas befoin pour cela d'une afiemblée
d'Evêques 5 que fans fatiguer inutilement tant de Prélats,
. il y avoit aiTez de Dodeurs 6cde Prédicateurs Catholiques
dans cette ville qui pouvoient également travailler à fon
inftrudion 3 que pour entreprendre une converfîon pareille
il n'étoit pas nécelTaire d'être revêtu d'aucune autorité 5
qu'il fufîifoit même d'une érudition allez médiocre ôc fort
ordinaire 3 ôc que Henri de Bourbon ne pouvoit pas igno-
rer quelle étoit la croyance de l'Eglife Romaine, puiiqu'il
en avoit autrefois fait profeffion : Que fî au contraire
on prétendcit dans cette alFemblée décider de nouveau
des points controverfés entre l'Eglife Ramaine de la Sy-
nagogue de Calvin , comme il avoit lieu de le croire ,
c'étoit dès-lors révoquer en doute les décrets du S. Concile
de Trente , 6^ ruiner l'autorité d'un Synode œcuménique y.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 109'
giii avoic depuis long-tems profcric toutes les erreurs de '
Calvin , 6c dont les décifions dogmatiques n'étoient pas Henri
Bioins reqûës de refpedées en France,que dans toute la Chrë- I V.
tienté : Que c'étoit faire triompher les hérétiques de TE- i 590.
glife Catholique, 6c comme dit faint Hiiaire , lé jouer de
la Religion : Qyie quiconque détefle véritablement les er-
reurs, ïc fouhaite de connoître le chemin de la vérité, n'a
befoin que de quelques Théologiens pour lui expliquer les
dogmes contenus dans le Concile de Trente , ou dans le
Catéchifme Romain , ou dans la Confeiîion de foi publiée
par Pie V. Ôc entièrement conforme aux décifions de es
Co.ncile : Qii'il étoit par conféquent inutile de tenir dans
cette feule vue, ou un Concile, ou une aiïèmblée d'Evê-
ques : Qu'à ces caufes il défendoit à cous les Prélats du
Royaume, en vertu de l'autorité dont S. S. l'avoic revêtu,
de ié rendre à Tours , de de s'alîèmbler en quelque manière
que ce fût j leur dénonçant que lî malgré les défenfes ils
paiïbient outre , il prorelTioit dès-lors qu'il regarderoit leur
alTemblée comme un conventicule , callant 6c annulant par
avance tout ce qui y feroic fait 6c réglé , 6c déclarant lei
Evêques qui s'y trouveroient , excommuniés de dépofés.
A ces lettres du Légat écrites en latin étoit jointe la co^ Arrcc du par-
pie d'une autre lettre françoife adrelTèe à la NoblelTe , & Jument de Pa-
fabriquée vrailèmblablementpar les Ligueurs dans laquelle du cardinal"
on s'attachoit à juftifier fort au long le parti contre ce qu'on ^'^ Bourbon.
lui imputoit ordinairement , de n'avoir en vue que de mettre
la confufîon dans tous les Etats, de rendre la Noblelîé dé-
pendante du peuple , de de laiïïer la fucceiTion à la Cou-
ronne dans l'incertitude, ce qui tendoit manifeflement à la
deftruclion de l'Etat, 6c par conféquent à la ruine delà Re-
ligion môme qui fervoit de prétexte aux faclieux pour co-
lorer leur révolte. En même tems pour donner plus de poids
d cette lettre, ils engagèrent le parlement de Paris à rendre
un arrêt le ^. de Mars, par lequel la Cour ordonnoit à toutes
perfonnes , de quelque qualité de condition qu'elles fuiîènt,
de reconnoître Charle X. pour leur ieul 6c légitime Souve-
rain 5 de lui rendre en cette qualité tout le refpeci; de toute
robéïiîance que tout fujet fidèle doit à fon Prince 5 d'o-
h£ir aux ordres de Charle de Lorraine duc de Mayenne
Oiij '
y ro
HISTOIRE
Lieutenanc général de l'Etat Royal & Couronne de
Henri France 5 &: d'employer leurs biens de leur crédit pour re-
I V. tirer le Roi de la dure captivité où il étoit retenu par Henri
1590. ^^ Bourbon j défendant pareillement à tous particuliers
d'avoir par d'autres ou par eux-mêmes , aucune liaifon avec
ledit Henri de Bourbon ou Ces partifans , & de traiter avec
eux de vive voix ou par écrit , à peine de mort contre les
contrevenans , de de confifcation de tous leurs biens j & au
cas qu'on eût connoiflance que quelqu'un entretînt avec lui
quelque intelligence , ou fit quelque démarche qui pût pré-
judicier à la foûmiiîion Se à l'attachement dûs au Roi , ou
à la tranquillité publique , il étoit enjoint de le dénon-
cer fur le champ au Procureur général , afin de lui faire
fouffrir le châtiment que méritoit un tel crime , à peine
auffi de mort 6c de confifcation de biens contre les contreve-
nans.
Six jours après , l'Union fut encore confirmée par un nou«
veau ferment. Pour en rendre la cérémonie plus augufbe ,
on s'afljmbla dans l'églife des Auguftins , où après une Méfie
folemnelie célébrée par Jofeph Foulon abbé de Sainte Ge-
neviève , à laquelle afTifta le Légat fous un dais 5 après le
Sermon que fit Dom Bernard Doyen de l'Ordre des Feiiil-
lans , le Prévôt des Marchands , les Echevins , Colonels dc
Capitaines de la bourgeoifîe , jurèrent fur les Saints Evan-
giles entre les mains du Légat , de vivre &: de mourir dans
la Sainte Union fous les aufpices du roi Charle X. èc du
duc de Mayenne fon Lieutenant , pour l'extirpation de l'hé-
réfie 5 s'engageant à ne faire jamais , ni paix , ni trêve , ou
aucun accord avec le roi de Navarre , & à mettre tout en
œuvre pour procurer la liberté à leur Roi prifonnier. La
même cérémonie fe réitéra enfuite au Parlement 6c dans
les autres Tribunaux ^ 6c on drelTa des actes pubHcs de ce
ferment.
M Tcfte (Quelques jours auparavant le roi d'Efpagne avoit en-
du roi dEf- voyé de Madrid une déclaration , par laquelle après un
pagne à ce préambule magnifique où il s'étendoit fort au long fur le
"'"* zélé qu'il avoit toujours eu pour l'avancement de la Reli-
gion , il difoit : Que c'étoit ce qui l'avoic engagé d'a-
bord â faire la paix avec le roi lienri II. 6c à donner
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. m
enfuite du fecours à Charle IX. fils de ce Prince , & fon ^h^^e^he^^^!^
beau-frére, pour extirper l'héréfie en France: Que le prince Henri
d'Orange ayant depuis roûlevé les Païs-bas , il avoit feu I V.
châtier les rebelles , & délivrer du poifon de l'erreur la plus i coq.
grande partie de ces provinces : Que de même maigre les
efforts qu'avoient fait les hérétiques de France ôc d'Angle-
terre pour lui ravir la couronne de Portugal , qui par la more
de D. Sébaftien lui étoit dévolue légitimement , il ctoit
venu à bout de fes juftes prétentions fur ce Royaume :
Qu'ainii voyant la Chrétienté en danger de devenir la proye
des infidèles par l'artifice de ces mêmes hérétiques , qui fe-
moient la dilcorde de toutes parts , il ne pouvoit s'empê-
cher de s'intérelfer fur-tout pour la France , que la guerre
civile défoloit depuis tant d'années : Qu'il exhortoit donc
tous les Princes Catholiques à fe réunir avec lui pour l'ex-
tirpation de l'héréfie & la délivrance du roi Charle X. dé-
tenu injuftement en prifon par les hérétiques • afin qu'après
avoir purgé ce floriffant Royaume de cette pefte qui caufoic
fes malheurs , ils puiTent tous de concert joindre leurs for-
ces pour bannir l'erreur de toute la Chrétienté , & tourner
enfiiîte leurs armes du côté de la Terre Sainte , pour le re-
couvrement de laquelle la Noblelfe Catholique avoit au-
trefois combattu avec tant d'ardeur , bc fi heureufement ^
protcflant au refte , que s'il faifoit quelques préparatifs de
guerre , c'étoit uniquement dans la vue de contribuer à
l'agrandiifcment de la Sainte Egllfe Catholique, Apoftolj-
que ôc Romaine notre mère j au repos &; à la tranquillité
des vrais Catholiques fous la domination de leurs légitimes
Souverains j à l'extirpation de l'héréfie , &; à l'union Aqs
Princes Chrétiens j êc déclarant qu'il étoit prc, de facrifier
non feulement fes forces , mais fa vie même , pour une fi
fainte entreprife • n'étant pas poflible , difoit il , de verfer le
fang pour la défenfe d'une plus jufiie caufe , que de celle où
l'honneur de Dieu &; de fon Eglife , & l'avantage de toute
la Chrétienté , étoient également intérefiîes. Ce Manifefte
étoit daté du 8. de Mars.
Le lendemain , Philippe fit fçavoir par le Commandeur
de Caftille à Gafpard de Quiroga archevêque de Tolè-
de j comine grand Chancelier 6c fouverain Préfidenc de
ti% HISTOIRE
. l'Inquirition, qu'ayant befoin d'argent pour fournir aux frais
H £ N R I de cette guerre , &c pour arrêter les levées qui fe faifoient en
I V. Allemagne dans le deflein d'aller au premier jour répandre
en France le poilon de i'iiéréne , il étoit à propos qu'il con-
voquât félon l'ufage , les Conciles provinciaux, à: ordon-
nât une levée de deniers qui feroit repartie également fur
chaque Diocéfe.
Peu de tems auparavant , on avoit arrêté à Lyon quelques
particuliers foupçonnés d'avoir complotté avec le duc de
Monmorency , le colonel d'Ornano , 6c Lefdiguieres , pour
livrer la ville au Roi. C'étoit, difoit-on , le jour même de
S. Mathias , que l'entreprife devoir s'exécuter. Quelques-
uns des conjurés furent punis de mort j les autres prévin-
rent le danger , en mettant de bonne heure leur vie â
couvert.
Le 19. du même mois de Février, le château de Rouen
tourné du côté du chemin de Dieppe , fut furpris par les
capitaines Louis , de la Cave qui y étoient en garniion , 3c
qui avoient de loin tramé ce complot avec quelques Offi-
ciers de l'armée du Roi. A cette nouvelle quelques bour-
geois ayant répandu l'allarme dans la ville , le marquis de
la Londe mît le fiége devant la place. En même tems arriva
le chevalier d'Aumale qui fit venir de l'artillerie 3 Se après
trois volées de canon les Ligueurs iè difpofoient à monter a
l'aflaut , lorfque les afTiégés fe rendirent , après avoir été
maîtres de ce pofte pendant quatre jours. Quatre furent
pendus ^ &; le refte eut la vie fauve conformément aux ar-
ticles de la capitulation.
Punîtîon Ce même jour 25. de Février, Edme Bourgoîn Domî-
d'Edme nîcaîn fubit l'interrogatoire à Tours a la requête de la reine
Bourgoîn Louife veuve du feu Roi , 6c fur le requifitoire du Procu-
reur gênerai. Ce Religieux dans quelques lermons qu il
avoit faits après la mort du Roi , Se où il s'étoit trouvé un
grand concours de peuple , avoit donné les plus grands élo-
ges à Jacque Clément de fon Ordre , auteur de ce parri-
cide j jufqu'à comparer la levée du fiége de Paris avec la
levée de celui de Bethulie , Jacque Clément avec Judith ,
te Holoferne avec Henri III. Au refte , comme dans le tems
que cet attentat arriva , Bourgoin étoit Prieur du couvenc
dou
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 115
d'où cette furie étoit fortie , & qu'il avoîc loué en Chaire
cet exécrable airaflînat , il étoit ailé de le foupçonner d'avoir Henri
€té auteur ou complice de ce crime , &c de l'avoir confeillé , I V.
iur-tout dans des circonftances où les efprits étoient extrê- i cao,
jiaement aigris. On produifit contre lui des témoins qui af-
iùroient , non feulement qu'il avoit loiié publiquement en
Chaire le régicide , ce qu'il avoua lui-même j mais encore
qu'il avoit eu l'imprudence de fe vanter dans les prédica-
tions d'avoir confeillé à Jacque Clément de tuer le Roi ,
lorfqu'il l'avoit confulté lur fon deflein. Bourgoin nia tou-
jours conftamment ce dernier article. Cependant comme
il fe trouvoit convaincu en partie par fon propre aveu , ôc
en partie par la dépofition des témoins , le Parlement, toutes
les Chambres aflemblées , le condamna à la mort 5 & pro-
nonça qu'étant atteint d'avoir été un des auteurs &c com-
plices du cruel & abominable parricide commis dans la per-
ionne du feu Roi , de l'avoir confeillé , & après l'exécution ,
d'avoir loue èc approuvé dans Cqs fermons le crime 6c le
criminel ^ fon corps feroit d'abord tiré à quatre chevaux ,
qui eft l'ancienne peine ordonnée par les loix contre les traî-
tres èc les parricides , enfuite réduit en cendres, lefquelles
feroient après jettées au vent.
Lorfqu'on le conduifit au fupplice , il fît paroître une con-
fiance admirable , ne fe plaignant pas tant de la févérité du
jugement , que de la mauvailé foi des témoins. Il convenoic / ,
que les juges avoient eu raifon de le condamner , puifque
ÏQs dépofitions étoient contre lui j mais il s'infcrivoit en faux
contre les témoins , décefloit le crime , & foûtenoit que qui^
conque avoit été l'auteur ou le complice du meurtre du
Roi , méritoit les plus grandes peines. Il ajoûtoit que pour
lui il n'avoit rien fçu de ce cruel attentat avant qu'il fût
exécuté 3 qu'il avoit encore moins confeillé de le commet-
tre j àc qu'il étoit très-faux qu'il s'en fût vanté en Chaire ,
comme les témoins le dépofoient. Après qu'on lui eut pro-
noncé fon arrêt, on l'appliqua à la queftion pour l'obliger à
révéler fes complices 3 mais il l'endura avec la même fer-
meté , avouant feulement qu il avoit rendu grâces à Dieu
dans (qs fermons de la levée du fîége de Paris , ôc l'avoic
icomparé à celui de Béthulie j qu'à l'égard du meurtre du
Tome XI, P
114 H I S T O I R E
Roi , îl n*avoît jamais lotie cet attentat énorme j qu'au
Henri contraire il le déteftoit de tout fon cœur. De là il fut con-
IV. duit au fupplice , & après une prière très-fervente qu'il
1590. adreffa à Dieu à voix haute , il eut foin de ranger lui-même
fes habits pour n'être pas vu dans une poflure indécente ,
& mourut ainii au milieu des tourmens.
Siège de Cependant le Roi après avoir fait lever le iîége de Meu~
preux par ]^j^ ^|]^ f^j^-g çQ\^J^\ ^q Dreux , àc campa le dernier de Fé-
1 armée du . , , -r^ t- 1 j ^ 1 •
Roi. vrier devant cette place. De Falandre y commandoit pour
la Ligue , de avoit avec lui une garnifon nombreufe. Henri
étoit accompagné du maréchal d'Aumont , de Charle d'An-
goulême Grand-Prieur de France , & d'Anne d'Anglure
de Givry , qui lui avoient amené des troupes , le premier
de Champagne , ôc les autres de la Brie. Du Rolet lui
avoit auffi envoyé quelque fecours du Pont-de-l'Arche. D'a-
bord il y eut une adion fort vive dans les fauxbourgs qui
furent enfin emportés par \qs troupes du Roi , & les enne-
mis obligés de îè renfermer dans leurs murailles, Enfuite
après quelques volées de canon on pointa l'artillerie contre
le château , Se le Roi ayant commencé à battre la place un
Samedi matin 3 . de Mars vers Midi , toutes les troupes fe
difpoférent à monter à l'afTàut.
Levée du L'attaque commença par quelques volées de canon , qui
fiége. d'abord incommodèrent beaucoup les ennemis. Enfuite les
troupes du Roi marchèrent contre la place , mais elles fu-
rent reçues vigoureufement par les affiégés, qui les obligè-
rent enfin de fè retirer avec perte. La nuit fuivante fut em-
ployée par les ennemis à réparer la brèche , & à fe fortifier
en dedans par un bon retranchement. Ils fe difpofoient le
lendema-in à foûtenir un nouvel alTaut 3 mais comme on man-
quoit de poudre & de balles dans le camp du Roi , ce jour-
là &. les fuivans fe payèrent dans l'inadion ^ 6c Givry eut or-
dre de fe rendre à Meulan à la tête des chevaux-légers pour
faire venir au camp les munitions nécciïaires. Cependant:
pour tenir les affiègès en haleine, le 7. le Roi fît tirer quel-
ques volées de canon contre une éclufe & une tour qui en
étoit proche. Enfin ayant eu avis de la marche de l'armée
ennemie , il fît retirer fon artillerie de devant la place , ôC
décampa après treize jours de fiége.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIir. 115
D'un autre côté le duc de Mayenne avoit fait un voyage ■»*— »— ^1
a Bruxelles pour obtenir du duc de Parme les fecours que Henri
Philippe avoit promis 3 car ce Prince s'étoit enfin déclaré I V.
Scfoûtenoit ouvertement les rebelles. Après qu'on eut fait i coq.
efpérer au Duc qu'il auroit inceflamment ce qu'il loubaitoit ,
il retourna en poflefe mettre à la tête de fon armée 5 & ayant
été joint peu de tems après par les troupes Efpagnoles com^
mandées par le comte d'Egmond , il marcha au fecours de
Dreux. Le i o. de Mars il arriva à Dammartin ,& ce jour-
là-même le comte d'Egmond pafla la rivière d'Eure , qui
venant de Chartres va couler au pied des murs de Dreux.
De là le Duc détacha Jean de Saulx vicomte de Tavannes
Maréchal de camp , Louis de Monceaux de Villars-Hou-
dan , Chrétien de Savigny de Rofne Commandant des che-
vaux-légers , & Aimar de Chaftes de GefTan , pour aller re-
connoître le camp du Roi. A leur retour il apprit que ce
Prince avoit levé le fîége ^ ôc qu'ayant pofté fes chevaux-lé-
gers à la tête defquels étoit le Grand-Prieur , en deçà de la
rivière d'Eure qui paflè parHoudan, il étoit allé camper
plus loin aux environs de Moteile 5 que le maréchal d'Au-
mont qui avoit fon logement à Ivry au pafîage de l'Eure ,
l'avoit abandonné pour aller rejoindre le Roi j 6c que les
troupes qui ètoient à Garennes en avoient fait de même j
qu'on avoit feulement laifTè quelques arquebufîers dans le
château d'Anet que Henri IL avoit autrefois fait bâtir pour
Ja ducheflè de Valentinois , & qui appartenoit alors au duc
d'Aumale. Par ce rapport il paroilToit que le defTein du Roi
étoit qu'on ne crût pas qu'il eût abfolument abandonné les
vues qu'il avoit fur Dreux , & de fe pofher cependant fî avan-
tageufement en fe couvrant de toutes ces rivières , qu'il pût
profiter de toutes les occafions qui fe préfenteroient , de com-
battre l'ennemi à fon avantage , fans qu'il fût pofiible de le
forcer d'en venir aux mains malgré lui. En effet , fur le bruit
qui s'étoit répandu de l'approche du duc de Mayenne , il
arrivoit tous les jours au camp du Roi de nouveaux fecours.
Outre cela on attendoit encore inceflamment du Poitou
Claude de laTrimoùillc , qui étoit en marche avec Philippe
du PleiTis-Mornay , ôc Jean Baudean de Parabére , à la tête
d'uncorps confidèrable de Noblefle ôc de troupes choifies j
P ij
né HISTOIRE
;. du coté de la Picardie devoit arriver dans peu le duc de
Henri Longueville , avec François la Noue , & Cbarle d'Humiéres>
IV. ^ le Commandeur de Cliaftes avoir auffi déjà quitté la Nor-
j - mandie pour le rendre au camp.
^g^^ .,.' Deux jours après , le Roi arriva au bourg de Nonan-
d'ivry. court , qui peu de tems auparavant avoit été emporté
d'emblée 5 Payant fait fonder le gué il ordonna que touc
le monde fe tînt prêt à donner bataille le lendemain. En-
fuite ce Prince drefïa lui-même de fa propre main fon or-
dre de bataille j & après l'avoir communiqué aux maré-
chaux de Bironôc d'Aumont, qu'il ne manquoit jamais de
confulter dans ces fortes d'occafions , 6c qui le trouvèrent:
admirable, il donna ordre au baron de Biron fils du ma-
réchal , & grand maréchal de camp , d'en faire part à tous
les Officiers de fes troupes. En même tems il nomma Do-
minique de Vie officier, dont le zèle de la valeur étoiens
connus, 6c qui avoit vieilli dans les armées,pour parcourir les
rangs , & faire ce jour-là l'office de Sergenr de bataille.
L'efpérance d'en venir bientôt aux mains avec l'ennemi
avoit répandu la joie dans tout le camp. Auffitôt on y fit
des prières publiques , de le Roi donna lui-même l'exemple
à toutes fes troupes en proteftant : Qtie ce n'étoit , ni par
aucun defir de vengeance, & de répandre le fang de fes
ennemis , ni par une vaine ardeur de fe fignaler qu'il fe
préparoit au combat : Qu'il n'avoit uniquement en vue
que le bien de l'Etat & de la Patrie 3 & que fçachant qu'il
€«toit né pour en faire le bonheur , c'étoit tout ce qu'il
fouhaitoit du fuccès de cette journée : Qu'il prenoit Dieu
fcrutateur des cœurs à témoin de la pureté de ks inten-
tions : Qii'il le prioit donc avec toute Thumilité dont il
etoit capable de décider du fuccès de cette bataille , félon
que fa bonté infinie le jugeroit utile àc néceflaire pour le
bien du Royaume j 6c de ne veiller à fa confervation par-
ticulière , qu'autant qu'il croiroit être expédient pour le re-
pos de fes lujets. Après la prière, le Roi voyant toutes fes
troupes animées du défir d'en venir aux mains, & déjà
pleines par avance de l'efpérance de la victoire, fit mar-
cher au village de faint André , éloigné de quatre lieues
de Nonancourt en tirant wQvs îvry, où l'on croyoit l'en-
:iemi déjà arrivé,
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 117
Au-delà de faînt André efl une vafte plaine toute fermée ~
de villages , èc d'un petit bois. Ce fut là que le Roi ran- He n k i
gea [qs troupes en bataille. Il partagea fa cavalerie , qui I V.
faifoit tout le fort de fon armée, en fept corps dilFerens, i 590.
formant chacun un efcadron ^ car ils n'avoient point de ordre de ba-
lanciers , &i étoient feulement armés d'arquebufes. Chaque taille des
efcadron avoit fur fes flancs un corps d'infanterie pour le ^^^'^ armces.
couvrir , & étoit précédé par quelques avanturiers 3 &: tou-
tes ces troupes rangées de front s'avançoient cepenflanc
aflèz fur les ailes pour former une efpéce de petit croilîànt.
A la tête du premier corps de cavalerie compofé de trois
cens chevaux , & pofté fur la gauche , étoit le maréchal
d'Aumont, ayant lur fes flancs deux régimens d'infanterie
Françoife. Le duc de Monpenfler commandoit le iecond
compofé de .pareil nombre de troupes, & foûtenu fur fa
gauche par cinq cens Lanfquenets, éi fur fa droite par cinq
cens Suilîes. Les Chevaux-légers au nombre de quatre cens
hommes formoient le troifléme efcadron , 6c marchoient à
la tête des deux premiers partagés en deux corps , com-
mandés par le Grand-Prieur ,&: par Givry. Gui de Laval
marquis de Nèfles , quoiqu'il commandât une compagnie
de Gendarmes combattit ce jour-là à la fuite du Grand-
Prieur. Ce corps avoit fur fa gauche quatre grofl^es pièces
de canon , de deux coulevrines. Sur la gauche marchoic
aulîî prefque de front avec les Chevaux-legers le quatrième
efcadron compofé d'environ deux cens cinquante chevaux ,
& commandé par le baron de Biron. Le Roi étoit à la tête
du cinquième compofé de flx cens chevaux d'élite , qui
furent joints enfuite par les troupes du prince de Conti,
de la Trimouille , du Plelîis Mornay , & de la Guiche
Grand-Maître de l'artillerie. Ce corps étoit couvert fur
fa gauche par le régiment Suifle du Canton de Glaris, èc
par un autre de Grifons , êc fur fa droite par les régimens
du Canton de Soleure , de du colonel Baltazar Grifl[àc.
Quatre autres régimens d'infanterie Fran(^oife étoienc
encore commandés pour le foûtenir 3 fçavoir le régiment
des Gardes , &: ceux de Brîgneux , de Vignoles , & de
Saint-Jean. Le flxiéme corps de cavalerie formoitle corps
de réièrve compofé de cent cinquante chevaux d'élite 5
P iij
ïiS HISTOIRE
6c le Roî en avoic confié le commandement au maréchal
H E N K I de Biron , fur la bravoure & fur la prudence duquel ce
I V. Prince comptoic beaucoup pour rétablir le combat , au cas
IS90, ^^^^^ arrivât quelque accident. Ce corps étoit auffi fbûtenu
par deux régimens d'infanterie Francoife. Enfin les Reîtres
formoient le dernier efcadron , & avoient à leur tête Theo-
doric de Schomberg.
Le Grand-Prieur &: Givry avoient d'abord eu ordre de
s'avancer pour reconnoître l'ennemi , 6c le furprendre au
palTagc de la rivière d'Eure ^ mais ils arrivèrent trop tard
pour exécuter ce deilein. Le duc de Mayenne , qui lur l'a-
vis qu'on lui avoit donné que le Roiétoit à Nonancourt,
s'étoit imaginé que ce Prince prcnoit le chemin de Verneuit
dans le Perche, avoit fait tant de diligence qu'il avoit dé-
jà pafTé cette rivière avec toute fon armée , réfolu de le
fuivre j &C marchoit à faint André. Mais fcs coureurs lui
ayant rapporté qu'ils avoient découvert l'armée du Roi, il
commanda de Rofne, de GefTan, ôc de Bois-Dauphin à
la tête d'un détachement pour aller reconnoître de quoi
il s'agifToit , &: lui en rendre compte. Ainfi il apprit à lenr
retour que le Roi étoit dans le voifinage avec toute fon
armée 3 6c qu'ils étoient trop avancés l'un 6c l'autre pour
reculer. Sur cette nouvelle , le Duc rangea auffi fes troupes
en bataille. Il partagea les SuifTes en deux corps , foûtenus
fur les ailes par l'infanterie Francoife 6c Allemande. Il
plaça fon artillerie fur leur gauche, de pofla fa cavalerie
entre ces deux gros bataillons fur la même ligne que l'in-
fanterie Francoife. Ces deux armées rangées en cet ordre
reftérent en préfence depuis midi jufqu'au foîr, qu'elles fe
retirèrent après quelques légères efcarmouches , fans qu'il
fe paflât rien entr'elles de plus confidèrable. Le même jour
arrivèrent au camp du Roi des troupes d'Evreux , de Dieppe,
6c du Pont-de-1'Arche 5 elles étoient commandées parle
commandeur de Chafles gouverneur de Dieppe , Pierre de
Grimoville de Larchant , S>c du Rolec -, 6c elles allèrent
joindre le corps à la tête duquel étoit le duc de Mont-
penfier gouverneur de Normandie. Le Roi après avoir
donné ordre à ^tous les Officiers de fe retirer dans leurs
tentes , 6c d'aller prendre quelque repos , refta feul à cheval
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIÎ. 119
avec les maréchaux d'Aumonc ôc de Biron ôc quelques 5
autres , & palla une partie de la nuit à aller reconnoître Henri
de près le camp des ennemis. Enfuite il fe retira à Foucrain- I V.
ville où il avoitfon quartier. i 590,
Cependant on tenoit confeil de guerre dans le camp du
duc de Mayenne, où l'on mit en délibération : Si l'on riL
queroit une bataille , & au cas qu'on prît ce parti , s'il feroic
à propos pour prévenir tous les retardemens qui ne pou-
voient. que leur être très-défavantageux , d'aller attaquer
Je Roi jufques dans Ton camp, afin de le forcer d'en venir
aux mains ? C'étoit l'avis général de toute l'afTemblée. On
repréfentoit : Qiie toute la campagne dont ils fe voyoient
les maîtres , étoit déferte èc déiblee : Qiie l'armée du Roi
au contraire avoit derrière elle un pays abondant , d'où il
lui venoit chaque jour de nouveaux fecours : Qu'elle atten-
doit encore incefTamment de nouvelles troupes qui lui al-
loient arriver de Champagne &c d'Allemagne : Qu'eux au
contraire n'attendoient aucun fecours : Que d'ailleurs il
étoit trop tard de penfer à reculer après s'être avancés à
une lieue les uns des autres ^ & qu'il y auroit un danger ma-
nifefte à vouloir faire retraite en préfence d'une armée en-
nemie : Qu'ainfi il étoit de leur intérêt d'en venir aux mains
de bonne heure , tandis que leurs forces étoient à peu près
égales j de peur qu'en voulant différer , la néceffité ne les
obligeât un jour de combattre à leur défavantage. Le comte
d'Egmond fur-tout jeune homme fans expérience j vouloir
en venir aux mains à quelque prix que ce fût ^ &; il avoit la
fotte vanité de dire , que fi les François avoient peur d'une
bataille , ils n'avoient qu'à le laiflèr faire 3 que lui feul avec
{qs troupes fcauroit bien mettre le Navarrois à la raifon ,
{ ce font les propres termes dont il fe fervit. ) Quelque
injurieux qu'ils fuflènt pour lui 6c pour la nation , le duc
de Mayenne difïîmula cependant pour untcms cet outrage,
de peur d'ofFenfer Philippe j ce qui n'auroit pas manque
d'arriver s'il eût voulu paroître fenfible à ce difcours , parce
qu'il n'auroit pu le relever fans faire un affront fanglantau
Comte.
Le fuccès delà journée d'Arqués avoit fait connoîtreau
Duc toute la fupériorité du Roi. Il fentoit qu'il étoit ie plus
I20 HISTOIRE
I foible , & n'auguroît pas bien du combat que fou parti
Henri ^enibloit fouhaiter. Cependant les raifons dont s'appuyoienc
I y. ceux qui étoient d'avis d'en venir à une action l'obligé-
j rent d'y acquiefccr. Ainfi le lendemain, qui ëtoit un Mer-
credi, il rangea Tes troupes en bataille dès le grand matin.
Il partagea les Suiiîès en deux corps qu'il jettailirla droite
& fur la gauche fous le commandement de Berling ôc de
Louis PhifFer. Au milieu paroifToit la Cornette blanche fou-
tenuë de trois cens chevaux d'élite j c'étoit-là qu'il avoic
pris fon pofte avec le duc de Nemours Ton frère & le che-
valier d'Aumale. Il avoit fur fa droite le comte d'Egmond
à la tête de quatre cens chevaux Flamans , èc trois cens
autres fur fa gauche. Environ cinquante chevaux comman-
dés par de Tremont èc du Terrail précédoient la Cornette
blanche de cinquante pas. Les régimens de du Pefcher ôc
de Ponfenac précédés d'un gros d'avanturiers couvroîent
les aîles du corps , à la tête duquel étoit Berling , & con-
duifoient quatre pièces de canon. A l'égard de Phifteril
étoit foutenu d'un côté par les régimens de Louis de Beau-
vau de Tremblecour & du baron de Theniflay , 6c de l'autre
par le capitaine Saint-Paul à la tête des Lanfquenets. Les
Reîtres avoient leur pofte fur une éminence entre ces deux
corps d'infanterie , &c étoient couverts fur la gauche de cent
chevaux François tirés des compagnies de Fontaine Martel ,
de Perdriel , éc deLonchamp , ôc fur la droite des-Chevaux
légers Efpagnols formant un corps de deux cens hommes.
Tandis que de Rofne &c le vicomte de Tavannes étoient
occupés à ranger leurs troupes en cet. ordre , le Roi qui a
fon ordinaire, quoiqu'il fît trcs-froid , s'étoît jette feule-
ment fur une paillafTe pour prendre un peu de repos , in-
quiet du fuccès de cette journée s'éveilla avant le jour.
Les premiers objets qui le frappèrent furent les feux qu'il
apperçut dans le camp des ennemis , & le filence étonnant
qui y régnoit. Il crut d'abord qu'ils avoient repafTé la ri-
vière d'Eure 3 c'étoit aufïî le fentiment de (es coureurs , qui
rapportoient qu'après ces feux allumés ils avoient vu beau-
coup de mouvement dans le camp. Mais bientôt après on
fut afliiré du contraire. Ainfî fur les dix heures du matin
le Roi rangea aufïi fon armée en bataille dans le même
ordre
«part
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. m
ordre que la veille j 6c marchant enfuite droit aux enne- î!5^
mis , loriqu'il fut à une demie lieuë de leur armée , il tourna Henri
fuT la gauche. IV.
Le duc de Mayenne qui jufques-là n'avoir fait aucun 1590,
mouvement, appercevant celui de l'armée du Roi, .-Ima- Harancruedu
gina que le deiiein de ce Prince étoit de fe faifir d'un vil- Roi à' fes
lage voifîn, afin d'avoirfur lui l'avantage du terrain. Dans '^°"P"-
cette idée il envoya ordre au vicomte de Tavannes de faire
avancer l'aile droite, où étoient les Reîtres , ôc la cava-
lerie Efpagnole ^ &: à de Rofne de marcher avec l'aîle
gauche comporée de la cavalerie Flamande, des Suiiîès,&:
de l'artillerie. Pour lui, il refla dans fon pofte avec la Cornette
blanche. Son defTein en faiiant ce mouvement etoit, ou
de détourner le Roi de fe faifîr du village, ou de le pren-
dre en jflanc , & de rompre fon ordre de bataille.
Le Roi déclara depuis dans un écrit qu'il publia , que
ce n'étoit nullement dans le defTein de fe faifir du village
qu'il avoit fait ce mouvement j mais uniquement dans la
vue de fe mettre le vent & le foleil à dos , afin que la fu-
mée de la moufqueterie n'incommodât point fes foldats j
qui efl un trait d'habileté dans ce Prince. Aulïï fe tournant
tout d'un coup vers fes troupes , >3 MM. ditJl, tout ce que
'> je demande aujourd'hui à Dieu, c'eft de réùfîîr comme
"j'ai toujours fait julqu'ici , non pas pour ma propre gloire :
"peut-être dans majeunefTe ai-jeeu cette foiblefTe 3 ocelle
" m'a été commune avec tout ce qu'il y a jamais eu de grands
ïî hommes à la tête des armées. Aujourd'hui fî je fouhaite
"de vaincre, ce n'cfl que pour le bien du Royaume Ôc
" votre propre confèrvation -, Se j'ai lieu d'efperer avec
" la grâce de l'Auteur de tous les biens , &; fécondé du bon-
» heur qui m'a toujours accompagné, de voir mes defîrs
" accomplis. La juflice delà caufe que je foutiens m'en af-
" fûre. J'ai les armes à la main contre des impoffceurs qui
" fous un malque hypocrite ont abufé pour tromper les
"peuples du nom fpécieux delà Religion. Or Dieu qui efl
>• la vérité même , & qui aime à difllper \qs ténèbres dont
" le menfonge cherche à s'envelopper. Dieu jufte vengeur
" de l'iniquité a fur-tout les fourbes en abomination. La
" feinte a bien pu réufîir jufqu'ici devant les hommes j ils
iit HISTOIRE
M ■ j ^3 font ordinairement aveugles &; prévenus. Aujourdliuî
JH £ N R I " nous voici en préfence du Dieu des armées , devant le-
IV. '' qi-icl s'évanouilîent l'artifice & le menfonge j la vidoire
155)0. >5 va décider en ce jour de quel parti eft la vérité. Vous
>5 f(javez vous-mêmes combien les raifons qui nous mettent
» de part & d'autre les armes à la main font différentes. Mes
53 ennemis foûtiennent , dilent-ils , la caufe de la Religion j
» moi je dépens celle du Royaume : je vous laiire à juger,
M qui de nous parle plus fincérement. Dans le tems que ma
55 patrie a le plus beioin de fecours , élevé que je me vois
«contre mon efpérance par les loix du Royaume, 6c par
w vos fuiïrages , fur un trône de la confervation duquel dé-
« pendent également 6c ma gloire, 6c votre falut, quels
55 que fbient mes vœux , que puis-je ibuhaiter autre chofe,
>5 finon que la bonté divine veille également fur l'une 6c
w fur l'autre ? Voilà quel a été jufqu'ici le but de toutes mes
îî actions. Les effets ont été garands de ma droiture. A des
î5 intentions fi pures qu*ofent oppofer nos ennemis ? Ils fe
53 font des peurs chimériques de l'Angleterre ^ ils vont cher-
53 cher au-delà des Alpes 6c des Pirénées un prétexte pour
» authorifer la guerre du monde la plus injufte ^ c'effc-là
5j qu'ils vont mendier du fecours ^ ils ié vantent de défen-
se dre la Religion par lefang 6c par le carnage 5 6cronfçait
55 qu'elle ne peut fè foûtenir que par la paix , 6c en éta-
53 blifiant la tranquillité publique ^ en un mot ces hommes
5> nés pour la honte 6c pour le malheur de la France cher-
55 chent leur patrie hors d'elle-même. Car quel autre but
55 peut-on imaginer de leurs entreprifes, lorlqu'on les voie
» entretenir une intelligence criminelle avec l'ennemi mor~
55 tel du nom Franc^ois, taire la guerre fous fes aufpices , mar-
53 cher fous fes "en feignes, èc fervilement foumis à fes or-
33 dres porter l'aveuglenient jufqu'à tourner i'es armes con-
53 tre leurs propres entrailles pour les déchirer ? Jettezvos
33 regards fur cette armée j voyez floter fous vos yeux les
>3 étendarts de TEfpagne. Voilà ceux qui depuis trente
33 années travaillent à la ruine de la France. Tant de trou-
33 blés qui ont agité ce Royaume , ce font leurs artifices ,
33 ce font leurs intrigues iécrettes qui les ont excités
33 & entretenus. La Religion a fervi de prétexte 3 c'étoic
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIL 123
5 à la Couronne que Ton en vouloir en effet. Peut-on en -
5 rouhaicer une preuve plus convainquante que ia mort Henri
5 déplorable de mon prédéceilèur j ce Prince à qui nous ^ ^*
3 fommes fi redevables, èi par qui les auteurs même de ij^o-
î cette guerre malheureufe ont été comblés de tant de bien-
î faits ? Malgré la haine qu'il portoit à ceux qu'il leur plaît
î d'appeller les hérétiques , ne les a-t'on pas vus tourner
5 leurs armes contre lui-même, lui enlever la meilleure
5 partie de fes Etats, ôc par le plus affreux de tous les par-
3 ricides trancher enfin le fil de {qs jours ? C'efl pour tirer
3 vengeance d'un attentat auffi énorme que vous êtes ici
3 venus. Il éft inutile de vous en dire davantage. Du fuc-
3 ces de cette journée dépendent vos vies, votre honneur,
i de vos biens. Cen'eflplus à des François, c'ell à des Ef-
3 pagnols déclarés que vous allez avoir affaire. Je laiffe à
3 votre valeur fi fouvent funefte aux ennemis de la France
) à faire le refle. Pour moi j'ofe bien vous promettre qu'a-
3 vec la grâce de Dieu, fî vous avez éprouvé jufqu'ici quel-
3 ques marques de ma bonté , vous ne me verrez pas au-
3 jourd'hui avec moins de bravoure vous montrer le che-
3 min de l'honneur 6c de la victoire. c<
De l'autre part le duc de Mayenne parcouroit les rangs
de fbn armée, ôcexhortoit fes gens à marcher courageu-
fement à l'ennemi. Il les faifoit fouvenîr : Qiie c'étoit la
caufè de Dieu qu'ils défendoient : Que ce n'étoit pas tant
pour la confervation de cette vie mortelle, 6c toujours ex-
pofée à mille revers qu'ils alloient combattre , quoiqu'ils
euflent même de ce côté-là tout à craindre des hérétiques
toujours altérés dufang des Catholiques , que pour s'affurer
une béatitude immortelle dans l'éternité: Que la guerre
pour laquelle ils avoient pris les armes étoit fainte: Qu'elle
ctoit jufîe 6c nécefTaire : Qii'ils ne pouvoient l'abandonner
fans devenir traîtres envers Dieu , ôc envers la patrie : Qiie
c'étoit fous les aufpices de Dieu même , qui donne & ôte les
Royaumes à fon gré , èc de fon Vicaire en terre , qu'ils l'a-
voient entreprife : Qj-^e de douter du fuccès c'étoit révo-
quer en doute la providence même qui régie tous lesévé-
nemens , èc vouloir en donner la gloire cà la fortune èc au
liazard : Qu'ils allalTent donc tous de concert à l'ennemi
■ QJ)
124 HISTOIRE
J — avec cette confiance que dévoie leur inipirer rauthorirë du
H E N K I S. Siège , fous la protedion duquel ils etoient , & fous \qs auf-
I V. pices du roid'Elpagne, le plus puiilanc Prince delaChré-
ï 590» ï^i^ï^f^î dont la grandeur n'avoic pour terme que la gloire
de Dieu même : Qu'ils dévoient être perfuadés que cette
vîdoire, en exterminant i'héicfie,6^ délivrant de la tyran-
nie le plus floriflant Royaume du monde , leur mcriteroic
une gloire dont le fouvenir ne përiroit jamais 3 ou que du
moins s'ils avoicnt le malheur de ne pas réiiflu' , la couronne
immortelle due aux défenfeurs de la Religion les attendois
dans le CieL
Après ces harangues chacun fe difpofa au combat de parc
& d'autre. Mais quoique l'ardeur fût égale dans \qs deux
armées , elles formoienr cependant Tune & l'autre un
fpecflacle bien difFérent. Celle du Roi toute hérilEée de
fer, fans ornemens, àc fans écharpes , infpiroit plus de
terreur : l'autre avoit plus de magnificence , les armes
èc les écharpes y etoient fuperbes , èi l'or y brilloit de toutes
parts.
Dcf'tt Cependant le Roi toujours adif &; vigilant voyant qu'il
du duc de étoit rems de donner le fignal du combat, envoya ordre
Mayenne par à la Guiclie de Commencer par une décharge générale de
Roi!" ^ ^ l'artillerie j de elle fut fi bien fervie &: fi à propos , qu'on
vit partir neuf volées de canon de fuite avant qu'on eût
feulement mis le feu à celui du duc de Mayenne. Ce pre-
mier avantage contribua beaucoup à la victoire que rem-
porta le Roi. Ce Prince voyant t]ue fon artillerie avoit mis
le défordre dans l'armée ennemie fit fonner la charge j ôc
dans cette occafion les Reîtres qui fervoient dans l'armée
du Duc , expofés à tout le feu du canon du Roi , n*eurent
pas plutôt fait leur décharge , qu'au lieu de faire un tour
en efcadronnant, & d'aller en avant , comme ils ont cou-
tume de faire , ils fe culbutèrent fur le centre , où étoit
la Cornette blanche. Le duc de Mayenne qui voyoit l'ar-
mée du Roi prête à lui tomber fur Iqs bras , fut obligé
pour prévenir le danger , d'ordonner qu'on leur mit la
lance dans les reins pour les repoufièr. Ils ne furent pas
mieux traités parle comte d'Egmond & par fes Flamands,
donc CCS fuyards entraînèrent une partie avec eux».
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. nj
Chriftophle de Bcaiïbmpierre fît d'inutiles efForts pour
les rallier j il fut enfin obligé d'aller joindre le duc de Henri
Mayenne. En même cems le vicomte de Tavannes fe difpo- I V.
foità charger les troupes du Roi à la tête des compagnies i caq
de cavalerie de Fontaine-Martel, ioriqu'il fut reçu vigou-
reufement par le maréchal d'Aumont, qui le poufîà jud
ques dans le bois voiiin, ôc le mit hors de combat. Les
Chevaux-légers de l'armée du Roi , qui étoient' les plus
expofés , ayant été rompus d'abord par la vigoureufè dé-
charge que les Reîtres avoient faite, ayant encore depuis
foutenu le choc du vicomte de Tavanes commençoient à
plier, lorique le duc de Monpenfier qui vit le maréchal
d'Aumont éloigné, acccourut à leur iecours. A fon arrivée
il eut fon cheval tué fous lui , ôc fut renverfé j mais on le
remonta auiîitôt après , & le combat recommença plus vi-
vement que jamais.
Alors les deux centres s'ébranlèrent 5 èc quatre cens Ar-
quebufîers à cheval armés de cafques de de cuirafîes , for-
tis du gros du duc de Mayenne ayant fait leur décharge
à vingt-cinq pas du corps où étoit le Roi , y mirent d'a-
bord beaucoup de defordre. En même tems Henri Pot de ^
Rodes , jeune homme diftingué par fa bravoure , qui portoic
la Cornette blanche reçut dans les yeux un coup mortel ^
qui augmenta la confufîon. Outre que la demi pique qui
foutenoic l'étendart royal fût brifée entre fes mains , il fut
emporte par un cheval fougueux, qu'il étoit d'autant moins
pofîible de gouverner , que les rênes avoient été coupées , &
que la grande abondance de fang qui couloit de fa blefTure
ne lui permettoit pas de voir où il alloit. Plufieurs s'ima-
ginèrent que le Roi fe retiroit de la mêlée, & fuivirenc
l'étendart par-tout où il plaifoit au cheval de le promener.
Il efl vrai que le Roi , dont la prudence prévenoit tous les
inconveniens qui pouvoient arriver , avoit fait mettre ce
jour-là lur fon cafque une aigrette blanche, afin d'êtrere-
connu de plus loin j & il avertit en même tems qu'au cas
que fon drapeau fûtabatu, comme il arrive allez fouvenr,
on prît garde à l'aigrette blanche , & qu'on la fuivît. Aufîi
les gens fages n'y furent point trompés j àc comme ils
avoient toujours les yeux attachés fur ce fîgnal , cet accident
iiG HISTOIRE
_ ne fut pas capable de leur faire abandonner leur pofte,
Henri Mais il en arriva un autre en même tems qui caulà en-
I V. core un nouveau défordre. Un jeune Seigneur pour ie ren-
i <c)o. ^^^ P^^^^ remarquable ce jour-là, avoit eu l'ambition de
vouloir porter aufîî une aigrette blanche ^ cela trompa
bien des gens, qui le voyant (uivre l'étendart royal , pri-
rent de-là l'occafîon ou le prétexte de fe retirer • mais le
Roi fçut encore par fa valeur remédier à cet accident. Auiîitôc
que la retraite des Reîtres lui donna la commodité de s'é-
tendre , il fit avancer les troupes qu'il conduifoit contre
celles du duc de Mayenne , enlorte que ces deux corps fe
touchoient j & paroiflant lui-même aux premiers rangs avec
l'aigrette blanche qui le diftinguoit, fans craindre le péril
auquel il étoit expofé , après une courte harangue qu'il fie
encore à fes troupes d'un air riant , comme fi la victoire eût
déjà été à lui , il donna le premier l'épée à la main fur les
ennemis.
Le duc de Mayenne reçut le chocavec vigueur à la tête
de (qs lanciers. La vidoire fut longtems en balance j cha-
cun accourant de ce côté-là, & défendant courageufemenc
le pofte qu'il occupoit, fans pouvoir fe réfoudre à reculer.
Mais on reconnut encore en cette occafion combien il eft
plus avantageux de combattre en corps ferrés , qu'à la file.
Les troupes du Roi rompirent enfin les lanciers ennemis ,
6c les mirent en déroute ^ enforte que le duc de Mayenne
le trouva prefque feul fur le champ de bataille avec \qs ducs
d'Aumale &: de Nemours , ôc environ trente autres qui
avoient fait ferme. Il y refta longtems tandis que les Roya-
liftes étoient à la pourfuite des fuyards 3 ôc fit tous (qs efForts
pour rallier {ç:s troupes. Enfin voyant qu'il n'y avoit plus
d'efpérance d'en venir à bout, il fe retira lui-même à Ivry
avec quelques autres en petit nombre j bc laifi^ entre les
mains des Royaliftes Charle de Beaufoncle de Cicogne qui
portoit fa Cornette blanche , àc qui fut fait prifonnier. Le
duc de Nemours 6c le chevalier d'Aumale s'enfuirent à ,
Chartres, fui vis de BafiTompierre , du vicomte de Tavannes,
de Rofne , &: de quelques autres. Cependant le Roi
dans la chaleur du combat s'étantlaiiTé emporter à la pour-
fuite , difparut pendant quelque tems 3 ôc donna beaucoup
DE J. A. DE T H OU, Liv. XCVIII. 127
d'inquiétude à fes troupes j elles commenc^oient à craindre ■ .
pour fa perfonne , lorfqu'il parut couvert de fang Ôc de pouf- Henri
iiére, bc futrecjude toute l'armée avec des cris de joyeque I V.
inéritoitune vidoire fî complette. Sur fa route il avoit ren- 1585)-
contré trois cornettes de cavalerie Flamande , remarqua-
bles par leurs croix rouges , qui s'étant trouvé pofbées par
hafard entre les deux corps de SuilTès de l'armée du Duc ,
étoient les feuls reftes de cette grande déroute. Il les char-
gea , 6c après quelque légère réfiftance , il les tailla en pièces
èc leur enleva leurs drapeaux.
Peu de tems après arrivèrent auprès de ce Prince le ma-
réchal d'Aumont avec fes troupes encore toutes fraîches ,
le Grand-Prieur , de Givry , & le baron de Biron. Alors on
délibéra ce qu'on feroit des SuiiTes qui étoient reflès fur le
champ de bataille fimples fpedateurs de cette défaite. D'a-
bord on étoit d'avis de faire marcher contre eux toute l'in.
fanterie Françoife , &; quelque détachement de cavalerie 5
mais le maréchal de Biron s'y oppofa j êcil confèilla de faire
plutôt avancer du canon contre eux , comme s'il s'agifîbic
d'emporter un baftion , afin de les défaire fans rifquer les
troupes du Roi après une lî grande vidoire , ou de les obli-
ger à demander quartier. Ce fut le parti que l'on prit. Ce-
pendant tandis qu'on faifoit avancer le canon , on les envoya
fommer de fe rendre , ce qu'ils acceptèrent d'autant plus ai-
fèment , qu'il ne leur reftoit plus aucune efpérance de tenir,
& qu'ils voyoient devant leurs yeux tout ce qu'ils avoient à
craindre. Ainfi ils envoyèrent leurs enfeignes au Roi pour
marque de leur foûmiffion , &: ce Prince eut la bonté de les
leur faire rendre fur le champ.
Vers le commencement du combat, Charle d'Humiéres
Lieutenant de Roi de Picai die , Ifaac de Vaudray de Mouy ,
& quelques autres , étoient arrivés au camp fuivis de deux
cens chevaux ^ 6c le Roi qui ne vouloit pas déranger fon
ordre de bataille , les avoit réfervés pour le befoin. A fon
retour il fe mit à leur tête fuivi du prince de Conty , du duc
de Monpenfier , du comte de Saint-Paul , du maréchal d'Au-
mont, & de la Trimouille , réfoîu de pourfuivre les reftes
de fa vidoire Mais tandis qu'on s'amufoit à traiter avec les
SuiiTes ôc à rallier les troupes débandées , il s'écoula un tems
ii8 HISTOIRE
fi confiderable , que le duc de Mayenne eut celui de pafîer
Henri la rivière à Ivry. Cependant comme les premiers avoienc
I V. coupé le pont afin de n'être pas pourfuivis , il y eut encore
j -fvQ^ une aâiîon très-vive dans ce bourg dont les rues etoient fort
étroites j prefque tous les Reicres furent taillés en pièces 5
de ce fut dans cette occafion que mourut malheureuremenc
la Goutte Rochelois , que fon cheval précipita dans la fange
où il périt. C'étoit un jeune homme de beaucoup d'efpric,
comme il paroît par le peu d'ouvrages qui nous relient de
lui , 6^ qui le feront à jamais regretter par toutes les perfon-
nes de bon goût. Il y eut plus de fàng répandu alors, que fur
le champ de bataille même.
Comme les ennemis avoient rompu le pont ^ que le gué
n'étoit pas trop iûr , on jugea à propos d'aller palfer la ri-
vière à Anet ^ mais ce détour donna encore quelque relâche
au duc de Mayenne , qui en profita pour prendre les de-
vants. Cependant le Roi le poufia jufqu'aux portes de Man-
te , où ce Duc à force de prières , eut bien de la peine à ob-
tenir des habitans que le fuccès de cette journée avoit dé-
tachés du parti , qu'on lui donnât retraite. Le Roi pourfuî-
vit les fuyards jufqu'à la nuit , 6c de là il alla coucher à Rofni
qui n'eft qu'à une lieuë de Mante , afin d'être à portée, au
cas que les habitans de cette ville fongeafient à le foûmettre
à lui , comme il elpéroir , ce qui arriva en effet le lendemain.
Ce Prince fe mettoit à table , lorfqu'on vint lui dire que le
maréchal d'Aumont à qui , après le Roi , on étoit redeva-
ble du fuccès de cette journée , arrivoir. A cette nouvelle
Henri fe leva pour aller le recevoir au bas de l'efcalier , ôc
l'embrafi^a tendrement : 55 Puifque vous avez honoré mes
55 noces de votre préfence , lui dit-il , il eft jufte qu'à mon
î3 tour je vous falîè les honneurs de chez moi. u Après quoi
il le for(^a de s'afileoir à table avec lui.
Il n'y eut guéres que la cavalerie qui en vînt aux mains
dans cette bataille j aufii les ennemis y perdirent-ils plus de
huit-cens hommes , en comptant ceux qui reftérent fur le
champ de bataille , de ceux qui périrent à Ivry dans la fange ,
ou en voulant pafier la rivière. Les Lanfquenets furent tous
pafiés au fil de l'épée , 6c l'infanterie Fran<^oife jetta fes ar-
mes 6c fe fauva. Le duc de Mayenne perdit prefque tous fcs
drapeaux
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 129
drapeaux & coût fbn bagage. Les morts de diftinction furent
le comte d'Egmond qui porta la peine de fa téniérité , Eric H e n ri.
bâtard de Brunfwick , d'Arconac , èc Jean de Vivonne de I V,
la Cliateigneraye , frère de Fabien de Vivonne que les Ef- j ^^^^
pagnolsavoient fait mourir lâchement huit ans auparavant
àl'Iile de S. Michel aux Açores. Le comte d'Ooftfrife qui
commandoit les Keîtres , y fut fait prifonnier , auiTi-bien
que Bois-Dauphin , Cigogne , Charle François de Rouxel
de Medavy , de Theniiîày , François Fontaine Martel , de
Longchamp , Lodon , de Falandre , la Caftcliere , & plu-
fleurs autres. Au refbe cette vidoire coûta cher au Roi j il y
perdit Charle de Balfac de Ciermont Capitaine des gardes
du corps j Theodoric de Schomberg Commandant des Reî-
tres , qui combattit ce jour-là aux côtés de ce Prince j de
Lonquaunay Gentilhomme de bafle Normandie âgé de plus
de foixante èc dix ans , qui fut emporté d'un boulet de ca-
non dès le commencement du combat ^ de Crenay cornette
du duc de Monpenfier j Se de Pas de Feuquieres. Le marquis
de Nèfle reçut plufîeurs blefFures dans cette adion , & fut
tranfporté de là au château d'Eclimont appartenant au Chan-
celier de Cheverni fon beaupère , où il mourut le i 5. d'Avril.
De la Vergne , qui après avoir été Capitaine des gardes du
duc d'Alençon , avoit depuis fervi fous le duc de Joyeufe
dans le Velay , 6c fe reflentoit encore des blellures qu'il avoic
reçues dans cette expédition , fut auffi bleilé fi dangereufe-
ment dans cette bataille , qu'il en mourut peu de jours après.
On compta encore au nombre des blelîès François d'An-
gennes de Monloiiet , Jacque de l'Hôpital comte de Choify,
Français de Daillon comte du Lude , François d'O Surin-
tendant des finances , Maximiiien de Bethune de Rofny , àc
plufieurs autres.
Dès le lendemain le duc de Mayenne fortît de Mante , Lettres
où il ne fq^croyoit pas trop en fureté 5 & paifant la Seine il (è Mavcmie a^u
rendit à Pontoife , &; de là à S. Denis , où le cardinal Légat , fmet de la ba-
D. Bernard deMendozaambafiadeur d'Efpagne , & le Com- "'^^"^ ^'^"^^^ »
mandeur Moreo allèrent le confoler , 6c lui promirent de la
part de leur maître de nouveaux fecours. Il y reçut auiTi plu-
fieurs vifites de l'archevêque de Lyon , ôc de Madame de
Monpenfier 3 ÔC il reila quelques jours dans cette ville,
Tome XI, K
'tso HISTOIRE
n'ofànt pas fè montrer aux Pariflens dont il appréhendoît Je:?
Henri reproches après une défaite fi confîdérable. Ce fut de cette
I V. retraite qu'il écrivit au roi d'Efpagne , pour lui rendre compte
I f 90. ^^^ raifons qui i'avoient engagé à rilquer une bataille, ce
qu'il avoit toujours éwké julqu'alors. Il lui repréfentoit :■
Que c'étoit l'unique moyen de faire lever le fiége de Dreux ,
place importante & fort afïedionnée au parti de la Ligue,
< qui avoit déjà foûtenu deux alîàuts : Qii'outre cela (es forces
étoient fupérieures à celles du roi de Navarre , à qui , depuis
que nous eûmes palîé , difoit-il , la rivière d'Eure , il eft ar-
rivé plus de troupes que nous ne l'avions efpéré : Que d'ail-
leurs les SuiiTes de Ton armée fe mutinoient , & menaçoient
de fe retirer lî on neleurpayoit fur le champ ce qui leur étoic
dû de leurs appointemens , ôc file cardinal Gactano ne s'ob-
ligeoit envers eux au nomduPape, pour ce qui pourroit leur
être dû à l'avenir : Que les troupes Allemandes qui étoienc
déjà fort diminuées , ne fe montroient pas plus loûmifes :
Qtie la plupart des villes du Royaume fe lafloient de la lon-
gueur de cette guerre , 6c commençoient à murmurer : Qu'on
l'accufoit lui-même de chercher à la prolonger pour fatis-
faire fon ambition , & retenir toujours cependant le com-
mandement : Qiie ces raifons avoient déterminé les princi^
paux Officiers de ion armée à rifquer une bataille : Qu'il'
avoit eu tout lieu de s'en promettre une heureufeiffuc : Que
les troupes du roi de Navarre avoient d'abord été culbutées 5
mais que les Reitres qui fervoient dans fon armée expofés à
tout le feu du canon des ennemis , ayant enfuite été repouiîés,-
s'étoient renverfés fur fon corps de bataille , &: I'avoient ar-
rêté au moment qu'il fe difpofoit à charger le Navarrois i
Que ce défordre avoit mis la confu/ion dans £es troupes qui
5'étoient enfuite rompues j en forte que le roi de Navarre
profitant de ce contretems pour les attaquer , il lui avoit
été aifé de les défaire contre l'efpérance dont on s'^toit flatté
d'abord: Que cet échec n'avoit cependant point découragé
fon parti : Qii'aucune des villes de l'Union ne s'étoit encore
démentie : Qiie Paris fur-tout donnoit l'exemple d'une fi-
délité à toute épreuve 5 mais qu'il étoit à craindre que ce
zélé ne durât pas encore longtems , s'il ne recevoir quelques
fecours d*argent dont il avoit trçs-grand bçCoin ; Qu€ plus-
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 131
cette Capitale étoit peuplée , plus il lui falloic de vivres 6c =
de toutes les chofes néceffaires à la vie j àc qu'elle ne pou- H e n b^ i
voit manquer de fe voir bientôt réduite à la dernière milére, I V.
fî S. M. C. ne leur envoyoit inceiTamment quelque nouveau i cap
fecours plus confidérable que tous les précédens : Qiie s'il
arrivoic à propos , il ofoic raiTûrer qu'il lui feroit aifé , non
feulement de reprendre tout ce que le parti avoit perdu ,
mais même d'empêcher que l'ennemi ne profitât de fa der-
nière vidoire : Qpe cependant , quand même les hommes
devroient l'abandonner , il proteftoit à S. M. C. comme il
i'avoit déjà fait en préfence de Jean-Baptifle de Taffis & de
fes autres Miniflres , qu'il répandroit jufqu'à la dernière
goutte de fon fang pour la défenfe de la caufe de Dieu , qui
n'abandonne jamais Tes ferviteurs.
Le même jour le Duc écrivit aufli au Pape , pour lui ren-
dre compte du malheur imprévu qui venoit d'arriver. Il con^
tinuoit d'en attribuer la faute aux Ailemans 6c aux autres
troupes étrangères qui fervoient dans fon armée , 6c de qui
faute d'argent , difbit-il , il étoit impofTible de fé faire obéïr.
Il fe plaignoit enlliite très^vivement au Pape de ce qu'il n'a-
voit fourni aucun fecours , ni d'hommes , ni d'argent , pour
la défenfe d'une fî jufte caufe ^ 6c il fe juftifîoit de ce qu'on
difoit de lui , qu'il traînait la guerre en longueur , èc qu'il
abufoit de l'autorité fbuveraine dont on I'avoit revécu , pour
travailler à fes intérêts particuliers ^ 6c il faifoit voir au Pape
tous les inconvèniens qui pouv oient naître de la conduite
qu'il tenoit : Qiie cette indifférence donnoit le tems au roi
de Navarre chef des hérétiques de France , de s'affermir fur
le trône , &c de fe fervir des Catholiques mêmes pour ruiner
la Religion : Que quoique la domination du feu Koi fût lé-
gitime , quoique ce Prince fît du moins en apparence pro-
fefîion de la Religion catholique , S. S. n'avoit cependanc
pas balancé à approuver qu'on prît les armes contre lui :
Qu'à plus forte raifon elle devoit autorifer une guerre qui
n'étoit entreprife que contre un hérétique opiniâtre qu'elle
venoit d'excommunier : Qi-i'il étoit donc étonnant que S. S.
fe fît tant prier pour fournir les fecours qu'elle avoit promise
Qii'on ne voyoit pas à quels ufages elle deflinoit tant de ri-
.cheffes qu'elle avoit amaffees avec un iî grand foin , puifqu'ii
R ij
13 2 'histoire
— ëtoit certain que ces créfors ne pouvoient être mieux em-'
Henri ployés qu'à la confervation d'un Royaume à qui le S. Siège
I V. étoit fî redevable , èc du faluc duquel dépendoic le repos de
ï 55)0. toute la Chrétienté : Qiï'il ne falloit pas efpérer que le roi
de Navarre fe convertît jamais , & ramenât par ion exem-
ple les autres hérétiques du Royaume : Qu'au contraire ii'
y avoir tout lieu de craindre que Ci la victoire venoit à fe dé-
clarer pour fon parti , comme quelques-uns par défiance de
la bonne caufe fe l'imaginoient fans fondement , ii n'en de-
vînt que plus animé contre les Catholiques , & plus opiniâ-
tre d fe montrer réfraclaire aux ordres du S. Siège : Qu'i[
convcnoit au relie au chef des Fidèles , qui leur tient la place
' dt Dieu en terre , d'être autant éloigné d'entretenir en lui
ces fortes de fentimens purement humains , qu'il approche
davantage de la divinité : Qii'en effet ces attentions fen-
roient trop les vues chimériques d'un efprit uniquement oc-
cupé du foin d'amaflèr des tréfors , qui cherche à éviter la
dépenfe , & qui cependant reile tranquille fpectateur oifif de
la calamité publique : Qii'ainfi il prenoit le ciel & la terre à
témoin que c'étoit fans l'avoir mérité qu'il fe voyoit aban-
donné du Vicaire de J. C. dans la caufe de Dieu même :
Qif on trahifîbît la Religion , &; qu'il étoit bien aife que la
poftérité eût ce témoignage de fes jufles plaintes. En même
tems , dans i'inftrudion qu'il envoyoit à fès députés à la
cour de Rome , il leur recommandoit de diminuer aux yeux
du Pape la perte de la journée d'Ivry , &c de lui faire enten-
dre , qu'à l'exception de l'Infanterie qui avoir été défàrméc,
le Duc avoir fauve tout le refle , quoique fes forces fufîènt
beaucoup inférieures à celles du Roi , puifque fon armée
n'étoit guéres compofée que de huit mille hommes , au lieu
que ce Prince en avoir onze mille.
Il eft confiant que le duc de Mayenne n'auroit jamais ofé
écrire de la forte au Pape , s'il n'en eut été follicité par Phi-
lippe. Ce qui le prouve, c'efl qu'en même rems Henri de
Gufman comte d'Olivarez ambafTadeur d'Efpagne à Rome
prcfToit vivement le Pape de fecourir ouvertement les Li-
gueurs, ôc d'excommunier tous les Princes 6c Seigneurs qui
fuivoient le parti du Roi. La chofe alla même fî loin , que
fur les délais continuels du Pape , ce Minillre étoit fur l^
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 133
poînc de protefter publiquement contre lui , lorfque pour pa- ~
rer ce coup , Sixte déclara qu'il étoic mécontent du comte Henri
d'Olivarez , qui , difoit-il , lui aveit manqué de refpeâ: , &: IV.
manda à Philippe de lui envoyer un autre AmbafTadeur. Le 1590..
Pape fe juftifîa enfuite en préfence des Cardinaux par un dif-
cours très- vif j 6c en nomma quelques-uns pour connoître
du différend qu'il avoit avec le roi d'Efpagne à ce fujet. Ce-
pendant Philippe fit venir du royaume de Naples Gonzalez
de Cordoiie duc de Seila , pour remplacer le comte d'Oli-
varez i mais ce nouvel Ambafladeur n'arriva à Rome , que
lorfque Sixte commença à être attaqué de la maladie donc
il mourut.
On prétend que ce qui empêcha le Pape d'envoyer à la
Ligue les fecours qu'elle attendoit de lui , c'eft qu'il ne vou-
loit pas rifquer fur des efpérances incertaines les fonimes im-
menfes qu'il avoit amalîees avec tant de foin , de qu'il defli-
noit à la réunion du royaume de Naples au S. Siège , au cas
que Philippe vînt à mourir. D'ailleurs il en ufoit ainfi de
crainte que fî le roi de Navarre avoit du deflbus , le roi d'Ell
pagne qui ne cherchoit qu'à agrandir {qs Etats , ne voulut fe
dédommager dss Recours qu'il auroit donnés aux Ligueurs ,
en partageant le Royaume avec eux , & n'augmentât par là
fa puiiTance^qui n'étoit déjà que trop redoutable à fès voifins.
On crut aulfi que le Pape efpéroit que le Roi pourroit ren-
trer dans la Religion Romaine, pour laquelle on l'afTiiroic
^ue ce Prince n'avoit point d'éloignement , pourvu qu'il pût
Je faire avec bienféance. C'eft ainfi que le lui perfuadoit le
dire de Luxembourg , &c que la converfion du Roi ne feroit
pas fort difficile, pourvu que S. S. ne fe déclarât pas contre
lui. Du refte il lui faifoit entendre que ce Prince avoit un
trop puifîant parti dans le Royaume , èc une trop groffe ar-
mée , pour qu'on pût par la force s'oppofer à Cqs delîeins , 6£
que c'étoit perdre de l'argent à plaiiir , que de vouloir lui
faire la guerre. Aind ce vieillard avare qui n'avoit en vûë
que la conquête du royaume de Naples où il trouvoit beau-
coup plus à gagner , mettoit tout en œuvre pour ne point
envoyer de fecours au duc de Mayenne. A peine les Ligueurs
pûrent-ils tirer cinquante mille écus d'or que leur délivra le
Légat après la perte de la bataille d'Ivry 3 encore le Pape ea
R H
134 HISTOIRE
iic-il paroître du mécontentement , & il ne les leur accorda
Henri que de peur qu'ils ne perdillènt ablolument courage.
I V. Le jour même que le Roi combattant en perionne dans, la
1590. plaine d'Ivry remportoit fur Tes ennemis cette victoire mé-
morable , Ton parti triomphoit des forces de la Ligue i Y £-.
troupe de h ^011*^ ^n Auvergue. Cette ville fituée au pied des Cevennes
Ligue cil Au- dans le canton le plus délicieux de la Limagne étant un pofte
vergne. £qj.^ avantageux , il ne faut pas s'étonner iî ceux qui étoienc
à Ja tête de l'un èc de l'autre parti dans la Province , mec-
toient tout en œuvre pour s'en alTûrer la poUelTion. Jean
Louis de la Rochefoucauk comte de Randan s'en étoit iàiil
l'année précédente au nom de la Ligue. Ceux de Clermont
tous zélés ferviteurs du Roi , animés encore par Paul TiC-
fandier Echevin de cette ville , formèrent le deffein de la
lui enlever. Ils commencèrent par faire reconnoître exade-
ment la place , la hauteur des murs , la profondeur des foù
fés j enfuite ils confièrent la conduite de cette entreprife au:^
capitaines BalTet , la Sale èc Bobier frère de Barmontct , à
qui ils joignirent les compagnies de la Guefle & de la Croix.
Ces troupes portant leurs échelles avec elles partirent le 1 7,
de Février de Clermont , qui n'eft qu'à iîx lieues d'YfToire j
èc étant arrivées au point du jour devant la place , quoi-
qu'elles euiïent été découvertes par la fentinelle , elles ne
lailTèrent pas de defcendre dans le folTè , appliquèrent leurs
échelles , cl efcaladérent la muraille , guidées par Hautero-
che d'Ylîbire , que les Ligueurs avoient contraint d'aban-
donner cette ville. Enfuite s'avançant vers S. Paul , & ren-
contrant la garde , elles la pafTèrent au fil de l'épée. De là
. elles tournèrent contre le château • mais après y avoir ap-
phqué deux fois le pétard , voyant que la vigoureufe dé-
fenlè de la o-arnifon rendoit tous leurs efForts inutiles , elles
mandèrent à Clermont qu'on leur envoyât incellamment le
fecours qu'on leur avoit promis.
Aulîitôt Claude de la Queille de Florat Sénéchal d'Au-
vergne eut ordre de partir pour aller commander en che£
Il fe mit en marche accompagné de Chauvigny de Blot j
de Barmontet , de Fredevilie , èc delà Mothc-Arnaud , avec
environ cent crendarmes ; & ils arrivèrent tous heureufe-
ment à YlToire le lendemain. Alors ces Officiers partagèrent:
^ DE T. A. DE THOU, Liv. XCVIIÎ. 135
■^ •
encre eux les quartiers de la ville. De Florac ayant invefb^ j
le château fit travailler à fortifier un moulin voifin de fon H e n k i
logement ^ le capitaine BaiTet ôc la Salie le chargèrent de I V.
détendre le quartier voifm du château jufqua une rue qui j ^00,
mené à la ville. La défenlè du canton qui s'étend depuis
cette rue jufqu'à un ruilïëau qui fert à faire moudre les mou-
lins , échut à Fredeville , &c on donna à Blot &: à Barmon-
tet celle du quartier qui s'étend depuis la gauche de ce
ruifleau jufqu'aux murailles de la ville. Ces deux furent joints
par de Bobier & de Murât Procureur du Roi de Riom, qui
par un rare exemple de fidélité avoit abandonné fa patrie
pour fervir dans le parti du Roi,
Chacun étoit occupé à pouller fes tranchées , â fapper le
mur ôc à le miner , lorfque les ennemis parurent le z8. de
Février venant au fecours des affiégés. Ils avoient enlevé
en chemin quelques troupes que ceux de Clermont en-
voyoient à YlFoire 3 en forte que de Florat qui faifoit le fiége
du château , fe trouva lui-même affiégé dans la ville. Il n'y
étoit pas fort à fon aife ; il manquoic de fourage j èc avoit
fort peu de vivres. Cependant réiblu de ne point lever le
iiége , il envoya de toutes parts demander du fecours au
comte Raimond de Raflignac de MeffiUac, â Henri de Bour-
bon vicomte de Lavedan , à Gilbert de Chaferon , ôc à Fran-
(çois de Chabanes marquis de Curton. Tandis que ces Sei-
gneurs qui tenoienc le parti du Ror fe jéunilîbient , 8c mar-
choient du côté d'Aurillac pour fe rendre à Clermont , il
fe pailà quelques adions peu confîdérables devant Yffoirej
& les ennemis enlevèrent deux ou trois fois les fecours qui
venoient de Clermont -, ils fe failirent même des fauxbourgsj
êc le comte de Randan fit entrer quelques troupes dans le
château , d'où l'on pointa trois pièces de canon contre la
ville. Mais de Chalus qui avoit ordre de ruiner les moulins
ayant fait une fortie pour s'acquitter de cette commiffion,
le capitaine Bafiet le chargea fi vigoureufement qu'il le tail-
la en pièces, &; l'obligea de prendre la fuite. Chalus perdit
trente hommes à cette aclion , avec Saint Hilaire fon Lieu-
tenant qui y fut fait prifonnier.
Déjà étoit arrivé au camp des ennemis Jean de Neufvy le
Baroisavec 300. chevaux. D'un autre côté , fur les inllances
13 5 li I S T O I K E
'. deFloratjChriflophle de Chabanes de Rocliefort& Henrî
Henri delà Roche , tous deux fils du marquis de Curton , du Says
I V. de Rivoire , de la Forell de la GriiTe , du Vernec , èc de Tal-
ijoQ. lezat Enfeigne de la compagnie de Chaferon s'écoienc mis
en marche, réfolus de fecourir leurs gens qui fe trouvoienc
ferrés de fort près dans la ville , lorfque pour encourager les
Royaliilies , de la Grifle attaqua la nuit le camp des Ligueurs,
força les gardes,& fe rendit auprès de Florat à la tête de vingt
braves. Animées par ce nouveau renfort , les troupes du par-
' ti du Roi foûtinrent bravement Se repoulTérentla garnifon du
château, qui après avoir fait une décharge du canon fur la vil-
le , avoir fait une vigoureufe lortie. Les ennemis changèrent
enfuite leur batterie , & pointèrent le lendemain leur canon
contre le retranchement que les Royaliftes avoient élevé
fur leur droite. Dans le tems qu'arrivèrent le vicomte de
Lavedan&le comte de Raftignac, de Neufvy accompagné
du vicomte d'Eftain , de Levy comte de Charlus 6c de Cha-
lus s'etant préfentés en bataille , Florat détacha contre eux
Fredev'ilie à la tête de vingt braves. Celui-ci ayant mis des
foldats en embulcade dans quelques mafures dufauxbourg,
s'avança contre les ennemis pour les attirer au combat j
mais à peine furent -ils aux mains , que les RoyaHlles for-
tans à i'improvifte du lieu où ils avoient été poftés , char.,'
gèrent les ennemis , &; leur tuèrent beaucoup de monde.
De Neufvy y fut blelIè avec Chateauneuf. Peu de tems
après Fredeville faifant la ronde fut tué de loin d'un coup
d'arquebufe auquel il ne s'attendoit pas 3 6c Barmontet fut
fait maréchal de Camp à fa place.
Cependant le marquis de Curton forti de Clermont,
fuivi de Rochefort 6i de la Roche (es deux fils , de Ri-
voire , de Chappes èc de Blot , 6c d'environ quatre cens
bourgeois armés d'arquebufes, marcha à Alagniat pour rece-
voir les fecours qui venoient d'Aurillac. Là les deux trou-
pes fe joignirent , & fe rendirent enfuite à Clermont, où.
elles relièrent encore quelques jours en attendant l'arrivée
de Chaferon. Pendant ce tems-là les ennemis tranfportérenr
leur artillerie à Villeneuve château appart.enant à Saint-
Herem un des feigneurs de la Province , &C l'en retirèrent
enfuite. En même tems de Saint-Marc lieutenant de George
de
DÈJ. A. DE THOU,Liv. XCVIII. 137
de Villequier vicomte de la Guierche gouverneur de la
Marche amena des troupes aux Ligueurs , qui ayant dreiïe Henri
une batterie contre les murs de la ville entre Saint- Paul &c IV.
le retranchement intérieur des Royaliftes y firent bientôt 1590»
une brèche confîdérable. Alors on parla d une trêve 5 mais
tandis qu'on ne longeoit qu'à négocier de part & d'autre ,
les Ligueurs donnèrent l'allaut à la brèche, d'où ils furent
<:ependant repouiTès avec perte. Les troupes du parti du
Roi perdirent au contraire fort peu de monde en cette oc-
calion. De la Griiîè y fut feulement bleiïë d'un éclat d'ar-
quebufe qui fe brila. Cette adion fepaflale treize de Mars.
Enfin de Chaferon étant arrivé à Clermont fur les inf-
tances de Florat le fecours fe mit en marche. Il étoit corn-
pofè d'environ trois cens Gendarmes & de cinq cens ar-
quebufiers , dont deux cens étoient tirés des habitans de
Clermont & de Montferrand. De Chaferon conduifoit Ta-
vant-garde j le marquis de Curton qui commandoit en chef
ee fecours, étoit à la tête du corps de bataille, ayant fous
lui le vicomte de Lavedan , le comte de Raftignac , & Gil-
bert Coëffier de Deffiat jde Rivoire &. de Chappes faifoient les
fondions de maréchaux de Camp^enfin l'infanterie conduifoit
quatre petites pièces de campagne, & deux chariots char-
gés de moufquets. De Florat averti de leur arrivée laiffa Ces
rroupes dans Cqs retranchemens, 6c fe mit à la tête d'un dé-
tachement de quatre-vingt Gendarmes. Après avoir faitfes
prières, il fortit delà ville, fuivi de Bermontet, de Blot,
du capitaine Baflèt de de la Mothe-Arnauld , rèfolu de
joindre le fecours.
Il y avoit entre la ville & une montagne voifîne, nom-
mée de Croz-Roland une vafle plaine par où devoir pafîèr
le fecours. Les ennemis s'y rangèrent en bataille , &: jettèrent
quelques arquebufiers dans^une efpèce de défilé que formoit
un petit bois qui étoit fur la gauche. Les Royaliflres s'en
étant apperçûs firent avancer un détachement de leurs
croupes , &: marchant avec le refle par le côté oppofé de la
montagne , après avoir mis en fuite quelques pelotons que
les Ligueurs avoient jettes dans le vallon , ils fe rendirent
fur la hauteur d'où ils pou voient reconnoître à leur aife le
jiombre & l'ordre de bataille des ennemis, De-là ils tirèrent
13^ HISTOIRE
fur eux quelques volées de eanon qui les obligèrent à faire
H t N K I une contre-marche pour fe mettre à couvert , après avoir'
I V. réduit en cendres quelques maifons qui étoient dans le val-
I ego. ^^^ y ^^" qu'elles ne fuiknt d'aucun ufage aux Royaiiftes.
Ceux-ci cependant précédés de leur artillerie & de leurs ba-
gages qui tormoient devant eux une elpéce de retranche-
ment, deicendoient la montagne j &, pailant à la vue de
l'ennemi qui s'etoit retiré fur la gauciie , prenoient le che-
min de la ville au travers delà vallée, lorfque le comte de
J^andan abandonnant la plaine , fit doubler le pas à fes trou-
pes dans le delîein de fe laifir de la hauteur , afin de char-
ger l'ennemi en queue èc en flanc. Ce mouvement fut avan»
tageux au fieur de Florat qui cherchoit le moyen de joindre
le lecours , & qui voyant l'ennemi abandonner la plaine
pour prendre le chemin de la montagne , profita habilemenr
de cette occafion,
11 fut reqû avec joye du marquis de Curton , qui après
les premiers complimens , lui affigna ion pofte à l'avant-garde
entre Chaferon , Rivoire èc Chapas , fans rien changer
d'ailleurs à fon ordre de bataille. L'ennemi au contraire'
fit tant de changemens , qu'à la fin il s'en trouva mal. En
effet le comte de Randan voyant les Royaliftes après la
jor/dion de Florat continuer leur marche dans le même
ordre qu'auparavant , defcendit lui même de la hauteur ,
& fe mit en bataille dans la plaine , où il rangea fes trou-
pes fur trois lignes. L'avant-garde étoit commandée par
Chalus , Saint Marc 6c de Monfan, A vingr pas de diftance
fuivoit le corps de bataille conduit parSiogheat, Flagheat,
Cormillon ôc (i) de Cons. Enfin le Comte étoit lui-mê^
me à la tête de l'arriére-garde, fuivi du vicomte de Cha-
teauclou & de Mont-Reveh II y avoit dans cette armée cinq
cens chevaux & autant d'arquebufiers. Le combat commen-
ta par Chalus qui fut reçu d'abord par environ cent ar-
quebufiers de l'armée du Roi ^ mais faifant enfuiteun mou--
vement , il alla charger Florat , Rivoire & Chappes ,
qui appréhendants d'être pris en flanc par le corps de ba-
taille , foutinrent ce premier choc fans s'ébranler. Ce-
pendant comme la féconde ligne ne donnoit pas allez
0) La relation imprimée le nomme de Conige.
DE J, A, D THOU, Liv. XCVIIL 139
prompcement , le vicomte de Chateauclou qui étoit à i'ar- ^
riéregarde, la prévint , & marcha en défordre contre l'avanî:- K e n k t
garde des Royaliiles. Là il y eut une adion très-chaude. I V.
Enfin après une réliftance aflèz vigoureufe, les ennemis fu- 1590.
rent battus de mis en déroute. D'un autre côté leur avant-
garde àc leur corps de bataille s'étant ralliés , étoient re-
tournés à la charge , & donnoient beaucoup d'affaires au
marquis de Curton, au vicomte de Lavedan , à Chaferon ,
& au comte de Rafiignac. Néanmoins après une réfiftance
longue &: opiniâtre , ces deux corps furent auffi taillés en
pièces. Le comte de Randan ayant été fait priionnier par -
la Mothe-Arnaud , &: conduit â IfFoire , y mourut peu
d'heures après d'une blefTure qu'il avoit reçue dans l'aine.
les ennemis perdirent outre cela près de cent Gentilshom-
mes, du nombre defquels furent de Saint-Marc , de Saine
Gervaly lènéchal de Clermont , de Monfan l'aîné , d'Ar-
bouze , de Ronzay , de la Villatte , de Neufviile l'aîné, de
la Salie , de Rochemore & plufieurs autres , avec grand
îîombre de fbldats. Du nombre des prifonniers furent le vi-
comte de Chateauclou qui fut pris par Florat j fon Lieu-
tenant & fon Enlèigne^ de Mont-Revel, de Saint-Michel qui
mourut depuis de lès bleflures à Clermont^ de Frecinct,6c
plufieurs autres. Les Royalifles de leur coté perdirent du
Vernet lieutenant de Chalèron èc deux autres Gentilshom-
mes • ils y eurent peu de foldats tués , de environ huit bleffés.
De ce nombre furent de Rochefortfils du marquis de Cur-
ton , de la Creine èc du Roiie.
De-là les Royaliltes tournèrent leurs armes victorieufes
contre le château , dont la garniion informée de la mort du
.comte de Randan 6c de la perte de la bataille fe rendit le
même jour, &: livra tout le canon & toutes les munitions de
guerre qui étoient dans la place. Le lendemain les vainqueurs
iirent chanter une M elle lolemnelleen adion de grâces de
cet heureux fuccès. Enfuite ils tinrent confeil de guerre après
le dîner , & confièrent la garde de la ville & du château
d'YlToire à Bermontet , à qui ils laifférent une garnifon con-
venable. Cependant comme ils manquoient de vivres ôc de
fouragcs, ils décampèrent auffitot après , emmenant l'artil-
lerie avec eux , 5c arrivèrent le lendemain à Clermont où ils
Sij
140 H I S T O I Pv E
— enrrérent en triomphe , & où le 7e Deum fut encore criante"
Henri en cérémonie dans TEglile Cathédrale aux acclamations de'
1 v'. tous les habicans de cette ville. Le fuccès de cette journée
I j^o. qui affermit le parti du Roi en Auvergne & dans les Pro-
vinces voifines, & qui concouroit fi parfaitement avec celle'
d'Ivry , fut un préiage certain de la fortune toujours vido-
riculé, qui accompagna depuis dans toutes fes entrepriles ce
Prince né pour le bonheur de la France.
Entrevue da Tandis que l'armée du Roi étoit encore à fe rafraichirâ^
Léchât du ma- Mante qui venoit de fe foumettre , le cardinal Gactano fie
réchai de Bi- demander une entrevue au maréchal de Biron. Ce Seip;neur
ion a Noily. ; v . ' t ' ^ r j j
après avoir envoyé au Légat tant de la part qu au nom de
S. M. fureté pour fa perfonne àc pour ia fuite , fe rendit
avec l'agrément du Roi à Noif y accompagné de la plupart
des feigneurs ôi gentilshommes de la Cour. Noify efVun châ-
teau magnifique, bâti par le duc de Retz qui étoit alors en
Italie. Là on fé fit d'abord beaucoup de complimens de parc
& d'autre avant & après le dîner j mais lorfqu'on voulut en-
trer en quelque négociation , le Légat trouva les affaires
dans une fituation toute différente de ce qu'il s'étoit îma-
, giné 5 & les fervireurs du Roi fî réfolus de défendre jufqu'à
ia mort la caufe de l'Etat contre leurs ennemis communs ,
qu'il ne remporta que de la confufion de cette entrevue.
Ce fut alors qu'il apprit par lui-même combien on jugeoit
différemment des affaires de France à la Cour de Rome ,
entre les Cardinaux & autres gens oifîfs peu fenfîbles à des
maux qui ne les touchoient point , de ce qu'en penfoienr
en France même la NoblefTe, ôc tous ceux qui y étoient la
plus intéreffés.
Anne d'Anglure de Givry qui avoît accompagné le ma-
réchal de Biron , donna en même tems une fcene qui ache-
va de rendre cette entrevue très-mortifîante pour le Légat,
^ Il n'y eut point de carefles & de flateries que ce Prélat ne
mît en œuvre pour l'engager à abandonner le parti du Roi.
Il lui parla de fbn mérite , delà réputation qu'il s'etoitac-
quifej enfin voyant qu'il ne pouvoit en venir à bout, il l'exhor-
ta à demander du moins en qualité de bon Catholique au
Pape , & à celui qui le reprefentoit ,1e pardon de tout le
paffé j lui faifanc entendre qu'on ne demandoit pas mieua
DE J, A. DE THOU, Liv. XCVIII. 14.1
^•ue de le lui accorder. Sur quoi de Givry naturellement 1 ■■
plaifant fe jecrant à genoux aux pieds du Légat , & ajuftant Henri
fa mine au rôle qu'il jouoit , déclara qu'il demandoic par- I V.
don de tous les maux qu'il avoir faits aux Parifiens. Enluite j cgn
après une paufe , pendant laquelle le Cardinal lui donna fa
bénédidion , il ajouta du plus grand férieux du monde qu'il
prioit qu'on lui accordât auffi l'abfolution de l'avenir, parce
qu'il avoit réiolu de faire aux Parifiens encore pis qu'au-
paravant 3 & à ces mots il fe releva avec un grand éclat de
jire, & fe retira de devant le Légat qui fur le ciiamp révoqua
1-a grâce qu'il venoit de lui accorder. Cependant fî Gi-
vry refufà avec fermeté toutes les offres du Légat , il ne fe
montra pas toujours auffi ennemi des Parifiens qu'il le fai-
foit paroître en cette occafîon 3 on Içaît que par le pont de
Chamois où il commandoit,il fit fouvent palîer des vivres
à l'infcû du Roi dans la Capitale, & contre les intentions de
ee Prince qui efpéroit forcer cette ville rebelle à le rendre
èc à fè foumettre à la raifon, en l'affamant feulement &lans
être obligé de la perdre.
Cette entrevue ne fut pas la feule tentative que firent
les Ligueurs pour fonder les intentions du Roi. Dans le
même tems Vilieroi fur un ordre fecret du duc de Mayenne,
fous prétexte d'aller voir fon père qui étoit à Allincour
proche de Mante , demanda un pafTeport , ôc vint à la Cour,
où avec l'agrément de S. M. il rendit vifîte à du Plcffis-
Mornay, en qui ce Prince avoit alors beaucoup de con-
fiance. Là après avoir déploré les maux aufquels la France
ctoit expofee , & aufquels il étoit fî fenfible , difoit-il, qu'il
avoit réiolu de demander permiffion à S. M. de fortir du
Royaume , afin de n'être plus témoin de tant de malheurs,
il fit adroitement tomber la converfation fur le befoin qu'au-
roit l'Etat d'une bonne paix , failànt entendre que le duc
de Mayenne n'en étoit pas fort éloigné. Cet entretien fut
poufïe fort loin , jufque-là qu'on parla des moyens différens
de négocier un accommodement , foit. que le Roi fe con-
vertît , foit qu'il continuât à faire profeffion de la Religion
Proteftanre. Mais comme Villeroy difoit n'avoir aucun pou-
voir du duc de Mayenne pour entrer en négociation , il fe
jecira fans rien conclure. Du re£te en prenant congé de
S iij
î4i HISTOIRE
Duplcffis , il lui promit de rendre compte au duc de Mayenne
Henri de leur entretien , ^ de lui donner aviî> eniuite de ce c^aii
I V. auroit négocie avec lui.
I 590. Le vingt-huit de Mars le Roi partit de Mante ,& arri-
Suite des va le lendemain à Chevreufe , château appartenant à la jiiai-
progics du f^^ ^Q Guile où il mit garnifon De-là prenant la route par
j)am a v . ^Qj-jj-^^^j^çj-y ^ [\ ^\i^ mettre Ic ficge devant Corbeil qui ih
rendit le premier d'Avril. Le lendemain Lagny , pofte avan-
tageuîf à caule de Ton pont fur la Marne , luivit le même
exemple. Le deflein du Roi ëtoit de ie rendre maître de tous
les ponts qui font lùr la Seine &c fur la Marne , au-delFus
ôc au-delïous de Paris , afin de forcer cette Capitale à fe
rendre, fans être obligé de Taffiéger dans les formes.
Tandis que ce Prince étoit à Corbeil , il re<^ut avis de la
vîdoire que Roger de Cominges de Sobole , éc Antoine de
Moret des Reaux qui s'étoît joint à lui dans ie pays Melfein,
avoient remportée lur les Efpagnols , à qui ils avoient taillé
en pièces le régiment de Nerveze. Il y apprit aulTi par les
lettres du duc de Luxembourg que le Pape commençoit à
fe dégoûter fort de la Ligue ^ 6c que depuis que ce Seigneur
Pavoic mis au fait de la fituation où etoient les afraires da
Royaume, il étoit réfolu de ne point envoyer aux rebelles
les fecours qu'il leur avoit promis 3 qu'il étoit même forç
mécontent du Légat , parce qu'il s'étoit déclaré pour les
Ligueurs de Paris, au lieu de s'unir avec les Cardinaux de
Vendôme 6c de Lenoncourt qui luivoient le parti du Roi,
comme le portoient fes inftrudions.
Le Roi reçut encore quelque tems après la nouvelle delà
défaite de Gui de Saint-Gelais de Lanfac dans le Maine. Lan-
fac luivi de quatre régimens d'infanterie , f^avoir le fien ,
& ceux de du Bellay delà Feuillee^de MontefTon, &; des
Chefnays d'auprès de Sablé , étoit ailé le cinq d'Avril fur-
prendre la ville de Mayenne 3 après quoi il avoit mis le liège
devant le château. A cette nouvelle Arnauld de Beauviiie
de l'Eftelle gouverneur de Domfromt étoit accouru avec
fon régiment au fecours des afliégés , après avoir donné
avis de ce qui fe palToit à René de S. Denys de Herrré
Commandant pour le Roi dans le Perche. Celui-ci fuivi de
Rozeiiere àc de quelques croupes d'élite , fe rendit deu3^
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVIir. 145
jiûurs après à Lafïay, & de-ià à- A-m bières , qui n'efl qu'à
deux lieiies de Mayenne. Y ayant appris que de Vicques Hen ri
s'avancoic du côté de la baOè Normandie pour venir au le- I V.
cours des Ligueurs, il doubla le pas , & détacha cepen- i 590.
dant Gilbert de Lorè à la tête de trois cens arquebu fiers,
pour aller ie faifir des fauxbourgs qui font au-delà de la ri-
vière.- En même tems ( i ) de Cofïc ville arriva avec pareil
nombre d'arquebufierso
Le lendemain onzième jour d'Avril de l'avis du con-
feil de guerre,le capitaine Gapaiilere fut commande avec cin-
quante loldats du régiment de Lorè , pour aller fe laifir
de quelques maifons défendues par le château. Il fut fuivî
de Hertré de Lorè , de Jean de Madaillan de Montataire'
lieutenant de la compagnie de cavalerie du prince de Con-
dé , de Colîè , de Mimbrè, de Sanfay , dei Rofiers , &: de
plulîeurs autres Gentilshommes qui ailaiiiirent vigoureufè-
nient les retranchemens ennemis , 5c firent alte devant les
halles. Bizeuil , dit le capitaine la Croix , de la garnifon
d'Alençon fe diftingua beaucoup à cette attaque. Il ètoic
fuivi de l'Eftelle & de ColTeville avec le gros des troupes.
Cependant les affiègeans fe voyant fi mal menés , rallièrent
environ cinq cens arquebiiiiers & foixante chevaux, & firent
ferme d'abord devant les halles j mais après quelque lé-
gère rèfiftance ils commencèrent à reculer , èc furent
enfin poulTès hors de la ville. Alors de Hertré qui combat-
toit à pied, montant à cheval , fécondé de Montataire ,
de Torchant, des Rofiers & de Saint Roch , chargea Iqs
ennemis dans leur retraite. En même tems de Lorré iuivi
de fes arquebufiers les prit en flanc , & ayant rencontré
Lanfac dans un défilé , le battit, & l'obligea de prendre la
fuite. De Montefi^ôn qui portoit la Cornette blanche fut
tué en cette occafion par des Rc fiers. Sur ces entrefaites
arriva Brandelis de Champagne marquis de Vilaines à la
tête de cinquante Gentilshommes , qui fe joignant à
des Rofiers & de Montataire , alla au fccours de Her-
tré , de l'Eftelle & de Cofieville , que l'ardeor du com-
bat avoit emportes trop loin à la pourfuite des fuyards.
Trois cens hommes qui rcfloient de cette déroute furent
(i) La relation le nomme de CofTeffe ville. ^
144 HISTOIRE
=?^!î=î chargés par ce nouveau renforc dans un pofle peu avan*
Henri tageux , ôc obligés d'abandonner leurs armes pour pren-
I V. dre la fuite. Les Royaliftes perdirenc fort peu de monde à
1500. cette adion. Les ennemis au contraire y curent trois cens
hommes de tués , du nombre defquels ^ outre MonteiFon ^
fut des Chefnays qui faifbit les fondions de maréchal de
.Camp.
' Saint Maio Tant de fuccès furent troublés par un revers qui afFoi-
furprisparie [^jj^ bcaucoup le parti du Roi en Breta2:ne. Honorât de
duc de Mer. ^t -] j -r ^ ■ ^ - - ■ i.- C -J
cœur. Bueil de roncaine qui avoit ete autrefois ravon du roi
Charle IX. étoit devenu ililpecl au duc de Mercceur gou-
verneur de la Province, à cauié de fa naillance diftinguée
èi de (qs richelles immenfes. En effet on voyoit peu de ces
fortes de perfonnes embraffer le parti de la Ligue. De Bueil
étoit maître de Saint Malo , une des places des plus confi-
dérables de la Bretagne , liège d'un Evêque , tameufe par
fon port & le grand commerce de fes habita ns. Le port étoic
commandé par un château , juiqu'au pied duquel les vaifl
féaux pouvoienc venir mouiller , fans qu'on y trouvât à re-
dire. C'eft-là que de Bueil avoit mis en dépôt, comme dans
un afile ailûré, fes effets les plus précieux ^ 6c ces richelîes
furent l'origine de la conjuration que les Ligueurs formèrent:
contre lui , à la foUicitation du duc de Mercgeur. Ils iîrenc
entendre au Peuple que le Gouverneur en vouloitaux bien?
des bourgeois, êc qu'il ne cherchoit qu'une occalion de pil-
ler la ville. Par-là ils mirent dans leurs intérêts la plus grande
partie àçs h{îbitans. Enluire ayant remarqué un endroic
foible ôc mal gardé , par pu il leroit ailé d'entrer dans le
château en montant le long de quelques mâts , ils gagnèrent
encore un valet de chambre qui ayoit été élevé tout jeune
dans la mailon du Gouverneur, &: qui leur promit de leur
faire fçavoir par un iignal l'heure à laquelle les gardes ie
retireroient. Enfin après avoir pris toutes ces meiures , la
nuit du I 3, de Mars ils s'introduifîrent dans le château avec
ceux qui étoient du complot , ôc firent main-balTe fur quel-
ques foldats en petit nombre qui oférenc fe mettre en dé-
fenfe. De Bueil qui s'écant éveillé au bruit , s'ètoit mis à une
fençtre fur le port pour voir de quoi il s'agilToit , fut tué
d'un coup d'arquebufe par un homme qu'ils ayoicnt poftç
exjprèf
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 145
exprès pour faire ce coup. Après cela les conjurés maîtres 1
du château fe payèrent de leurs peines fur l'argent & les Henri
effets précieux du Gouverneur qu'ils partagèrent entre eux. I V.
Cependant ils en cédèrent une partie aux Echevins pour j coq.
être employés à Tufage de la ville , afin d'avoir quelque pré-
texte fur quoi fe juftifier de ce vol , au cas qu'ils vinflent
un jour à être inquiétés à ce fujet. Dans la fuite le duc de
Mercœur approuva tout ce qui s'étoit palfé dans cette en-
treprife, comme ayant été faite par [qs ordres. De leur co-
té Iqs habitans de Saint Malo fe déclarèrent pour la Ligucj
mais en même tems ils refufèrent toujours conftamment de
recevoir garnifon j 6c le château refta à la garde des bour-
geois jufqu'à la fin de la guerre. Du refte ils fe préparèrent
à tout événement j &; fè doutant bien qu'après leur révolte
ils avoient tout à craindre des Anglois leurs voifins , ils ré-
fol urent d'interrompre pour quelque tems leur commerce.
Ainfi comme ils avoient beaucoup de correfpondance avec
ceux de Marfeille qui avoient auifi embrafTé le parti delà
Ligue , èc dont la puiiTance n'eft pas moindre fur la Médi.
terranée , que celles de Malouïns lur l'Océan , ils leur écri-
virent pour leur faire part de leur réfolution 3 ôc les prièrent
de ne pas trouver mauvais s'ils interrompoientle commerce
pour quelque tems , jufqu'à ce que la fortune eût décidé du
fort de la France.
Cependant le Roi attentif à profiter de fes fuccès ètoic PrifedeMc-
encore à Corbeil , lorfqu'il donna fes ordres pour inveffcir '"7 P'^"" ^"^j^-
Melun fitué un peu plus haut fur la Seine. Cette ville quoi-
que petite, efb cependant triple comme Paris. Deux ponts
de pierre en font la communication. Au milieu eft le châ-
teau d'une ftrudure antique. Le côté qui regarde la Brie
eft le plus étendu. Ce fut par-là que le Roi fit fes attaquesj
6c on éleva par fon ordre. deux batteries de fept pièces de
canon 6c de deux coule vrines qui commencèrent à fou-
droyer la place en deux endroits.
Fourronne commandoit dans Melun avec une garnifon
compofée de foixante chevaux 6c de trois régimens d'infan-
terie , qui ne fâifoient pas plus de quatre cens hommes.
C'étoient des troupes fraîches qu'on lui avoit envoyées de
Paris , 6c qui ne s'étoient point trouvées à la bataille d'ivry.
Tome XI, T
14^ HISTOIRE
Mw»u— uwiM. Outre cela il y avoir dans la ville cinq cens bourgeois tous
H £ N R. 1 bien armés , qui travailloient fans relâche à fe fortifier dans
I V. les rues, bien réfolus de fe défendre. La porte que le Roi
I S 90. attaquoit étoit couverte par un petit ouvrage avancé conf-
truit à la hâte. Les affiégeans le battirent de deux cens coups
de canon 3 cnfuite dès qu'il y eut une fimple ouverture à la
tour, les troupes du Roi impatientes d'en venir aux mains,
èc accoutumées à mëprifcr un ennemi qu'elles avoient fi
fouvent battu, Palîaillirent. Qiioiqu'il y eût plus de vingt
pies de hauteur à furmonter , cependant les ioldats en vin-
rent à bout à la faveur de quelques cordes , avec lefquelles
leurs camarades les tiroient en haut l'un après l'autre. Ce
fpedacle glaça d'effroi la garnifon 3 aufii après une réfiftance
très- légère, où les ennemis perdirent environ cinquante
hommes , & qui ne répondoit nullement à leurs forces ni à
tant de retranchemens , dont ils avoient barricadé les rues
de leur place , ilsfe retirèrent dans la ville intérieure, après
avoir mis le feu à un château qui étoit à la tête du pont avec
une matière compofée de poix , afin que l'èpaiflèur 6c la
puanteur de Ja fumée empêchafTent les Royaliftes de les
pourfuivre. Un moment après ils parlèrent de capituler, ôc
eurent la fotte vanité de demander deux jours, promettant
de fe rendre au bout de ce terme s'ils n'étoient fècourus par
le duc de Mayenne. Le Roi leur accorda ce délai j &; comme
le duc n'avoit garde de paroître , puifqu'il étoit â plus de
quatre journées de-là , Melun fe rendit fuivantla capitula-
tion l'onze d'Avril après cinq jours de fiége.
Ce jour-là même Villeroi arriva au camp , & il commen-
ça à négocier tout de bon de la part du duc de Mayenne,
après avoir cependant proteflé que fî on ne s'accommodoit
pas , il étoit réfolu à fortir du Royaume. Pendant ce tems-
îà Moret , Crecy petites places des environs , & Provins
capitale de la Brie, ville très-riche, mais extrêmement foi-
ble, fe fournirent au Roi.
De-là ce Prince prenant fa route par Nangîs , èc remon-
tant toujours la Seine , détacha René de Viouft de Cham-
livaut pour aller fe faifîr de Montereau , ce qu'il exécuta.
Ce pofbe étoit d'autant plus avantageux, que la Seine reçoit
l'Yonne en cet endroit, Auffi le Roi y mit une forte garnifon,
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIL 147
& en confia la garde à de Chamlivaiic même. Enfuice il con- »
dnua fa marche le i 8. d'Avril 3 èc ayant appris en chemin H e n k i
Ja reddition de Pont.fiir-Seine de de Brie , il ie rendit ce I V.
jour-là même à Brie , d'où il envoya fommer la garnifon 1590.
de Nogent-iur-Seine de rendre la place. Les habitans qui
ne fe lenroient pas aiïez forts pour faire réfiftance, ôc qui
fçavoient d'ailleurs la clémence avec laquelle le Roi avoic
traité tous leurs voifins, prirent le parti d'obéïr. Ainfî ils
firent fortir la sarnifon de leur ville ôc fe fournirent. En même
tems Mery , petite place peu éloignée, fut prife par efcalade,
& mife au pillage par le foldat qui ne refpiroit que fang 6c
que butin. Les Officiers eux-mêmes fe prêtèrent en quel-
que forte à ce défordre, perfuadés que dans un tems où l'on
avoit fi grand befoin de troupes , il valloit mieux* permettre
quelque chofe au foldat , aux dépens de quelques particu-
liers, que de lui donner occafion de pafler au fervice de
l'ennemi , en voulant le retenir dans une difcipHne trop
exacte.
Pendant les fêtes de Pâques , tandis que tout le monde Eiurepiifc
ëtoit en dévotion, le Roi envoya fommer la ville de Sens du Roi fur la
de le reconnoître. Cette place, une des plus attachés qu'il
y eût à la Ligue, avoit pour gouverneur Jacque de Harlay
Chanvallon 3 du refte la garnifon étoit très-foible. Il avoit
avec lui Fortunat marquis deMalavicino avec quarante Gen-
darmes de la compagnie du duc de Nemours j le capitaine
Pelofo de Crémone, homme de main, 6c le capitaine la
Mothe Coutelas gouverneur d'Auxerre qui étoic venu voir
Chanvallon. Ceux de Sens ayant répondu à la fommation
qui leur fut faite , qu'ils prioient qu'on leur donnât le tems
d'y penfer , 6c qu'ils rendroient une réponfe certaine après
les fêtes , on leur envoya un Trompette pour fcavoir leur
dernière réfolution 3 mais ils ne lui firent point d'autre ré-
ponfe, finon qu'ils aimoient mieux rifquer tout, que de pa-
roître préférer leur intérêt particulier au bien général de
la Religion.
Le Roi ne jugea pas à propos d'entreprendre pour lors
de forcer ces obftinés. Il étoit tout occupé du fiége de Paris
qu'il vouîoit ferrer de près 3 ôc il ne doutoit pas que cette
Capitale ne fe vît bientôt réduite à la dernière nécelîîté
T'J
14^ HISTOIRE
.'■ depuis qu'il s'ëroit rendu maicre de toutes les villes qui font
H JE N RI fur la Seine depuis Troyes, &; qu'il lui avoit encore bouché
IV. la rivière d'Yonne en le fiifiiîant de Montereau. Il fedif-
1590. poioit donc à fe mettre en marche, lorfqu'il fe vit arrête
par les nouvelles propofitions que fit de Chanvallon. Ce
Gouverneur qui, à ce que l'on dit,avoit réfolu d'amufer leRoi,
comme les Pariiîens le publièrent dans la fuite , avoit en-
voyé difFérens couriers au maréchal d'Aumont , dont la
droiture etoit connue des ennemis même, pour entrer avec
lui en négociation, àcii étoit venu à bout de lui perfuader
qu'il ne ièroit pas impolTible d'engager ceux de Sens à fe
foûmettre. En même tems pour faire donner encore plus
aiiément le Roi dans le piège, il lui avoit envoyé la Mothe-
Coutelas,'le Lieutenant particulier de la ville, èc un des
Echevins qui s'etoient rendus à Brie où étoit ce Prince. Là.
avoient été dreflés les articles de la capitulation ^ àc même
les députés avoient prié S. M. pour s'alliirer des habitans^
de fe rendre elle-même à Sens , afin de réunir tous les
cœurs par ia préfence.
En coniéquence le maréchal d'Aumont reçut ordre de s'y
cranfporter ^ mais à peine y fut-il arrivé, que le peuple fe
fouleva contre le Gouverneur , de concert avec le Gouver-
neur même , & l'obligea d'aller chercher un afîle dans
l'Archevêché Cependant le Maréchal écrivit au Roi la fî-
tuation où étoient les choies dans cette place, & lui con-
feilla de s'avancer inceflamment avec fon armée , parce que,
difoit'il, lorfque les mutins lé verroient en quelque forte
afliégés , d'un côté par les troupes de S. M. 60 de l'autre
par Chanvallon & fa garnifon , ils feroient nécefîàirement
obligés de fe tenir tranquilles ôc de ié foûmettre. Le Roi
avoit peine à différer l'exécution de les deilèins fur Parisj
cependant comme il n'imaginoit pas qu'on cherchât à le
tromper , il ne voulut pas paroître négliger une h belle
occafion. Il parut donc à la vue de Sens ^ &: après avoir
battu la place, il y fît donner un allàut , où Charle de
Choiiéuil de Pralin fut bleilé dangereufement dans l'aine,
aufîi-bicn que le jeune Avantigny qui mourut peu de jours
après de fes blefîures. Le Roi y perdit aufîî quelques fol-
dats. Au refte ce Prince ayant remarqué que pendant.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 149
l'attaque on n'avoit entendu aucun bruit dans la ville , ni ■ «
rien qui pût faire croire qu'il y eût de la méfintelligence , Henri
comprit auffitôt que c'étoit un tour qu'on lui avoit jolie. I V.
Ainfi il leva le fiége , &: dit en partant , que comme il n'avoit i ç 9 o,
levé le fiége de Dreux que pour gagner la bataille dlvry ,
de même il ne décampoit de devant Sens que pour aller fe
rendre maître de la Capitale.
Cependant le cardinal Gaëtano voyant Paris invcfti de Négociation
toutes parts , comprit que cette ville ne pouvoit manquer de cened^ à
d'être bientôt réduite à la dernière extrémité. Pour don- laCom- delà
ner donc aux Ligueurs quelques momens de relâche , pen- ^^" " ^^^'^'
dant lefquels ils pourroient faire entrer des provifîons dans
cette Capitale , il écrivit au maréchal de Biron qui étoic
alors à Provins , occupé à faire tous les préparatifs nécef-
faires pour l'expédition que l'on médicoit , lui marquant
qu'il avoit des chofes de la dernière conféquence à lui com-
muniquer, èc lui demandant un fauf-conduit pour Marc-
Antoine Mocenigo évêque de Ceneda, noble Vénitien qu'il
avoit delTein de lui envoyer. Auffitot le lauf-conduit fut ex-
pédié avec l'agrément du Roi j & le Maréchal s'etant ren-
du à Brie , où le Roi étoit déjà de recour ,^ il y fît prépa-
rer un logement très-propre pour le Prélat tout proche du
lien.
L'évêque de Ceneda arriva donc à Brie fur la fin d'Avril,
6i il y refta deux jours, pendant lefquels il eut quelques entre-
tiens avec le maréchal de Biron. Toute la négociation duPré-
lat Italien tendoit à obtenir une trêve de quelques mois ,
afin de pouvoir , diioit-il , envoyer à Rome & en Eipagne
pour traiter de la paix. Mais Biron , après lui avoir dit qu'il
ne falloit point parler de trêve , lui repondit , comme il en
étoit convenu auparavant avec le Roi : Que Ci on vouloic
entrer en négociation pour une paix générale, le Roi, les
Princes 6c Seigneurs de fon Royaume etoient prêts d'y don-
ner les mains j ôc que S. M. ne louhaicoit rien tant que
de voir une bonne paix conclue de quelque manière que ce
fût, pourvu que fes droits êc fa gloire n'y fulTent point in-
térelfés : Qu'au refte elle ne prétendoit point dans cet ac-
cord prendre les PuilFances étrangères pour arbitres : Qu'il
y alloic trop de fes intérêts 6c de l'honneur de la France ^.
Tiij
ryo HISTOIRE
^■*—— -^""^ èc que fi on ne prenoic inceiîammenc une bonne réfolutîon
Henri là-delTus , S. M. avoic réiolu de pouriuivre à toute outrance
I V. la guerre qu'elle avoit entreprife pour le faiut du Royaume
1590. contre les anciens ennemis de la Nation.
Avant que de partir de Brie , l'évêque de Ceneda , foie
que le maréchal de Biron l'en eût prié , foit par pure cu-
riolité, ôc pour voir iî le nombre de Catholiques étoit grand
dans cette Cour, fut bien aife de célébrer laMeife Pontifi-
calement36c le Roi ordonna que tous les Princes , Seigneurs,
Chevaiiers,& principaux Officiers de fon armée y aflillairent.
Ce Prélat eut enfuite un entretien avec le duc deLonfrueville,
le comte de S. Paul fon frère, 6c le grand Prieur^ôc fur ce qu'il
apprit de ces Seigneurs, cet homme iage de qui ne tenoit pour
aucun parti , comprit que les affaires étoient dans une fîtua-
tion toute différente de ce qu'on en publioit dans Paris.
L'évêque de Ceneda partit de Brie fans faluer le Roi ,
parce que le Légat ne lui en avoit pas accordé la permifl
iion. Cependant comme il fouhaitoit extrêmement d'avoir
cet honneur , l'abbé d'Elbene qui joignoit à un efprit très-
cultivé un grand ufage de la Cour , trouva moyen de le
contenter , & on convint que le Roi rencontreroit ce Pré-
lat comme par hafard -, &c que ce Prince prendroit cette
occafion pour lui parler. Suivant ces conventions , l'Evêque
avoit pris congé de tous les Seigneurs , oc lortoit de Brie ,
lorfque fur fa route il rencontra le Roi qui revenoit de la
chafle. D'aulfi loin qu'il l'appercut , il mit pied à terre , 6c
fàlua ce Prince , qui l'ayant fait remonter, s'entretint long-
tems à cheval avec lui. Dans cet entretien le Roi regardant
l'Evêque non comme un Prélat député du cardinal Gactano,
mais comme un des membres de cette République , dont
les Rois ihs prédécelFeurs & lui en particulier avoient il fou-
vent éprouvé l'affedion , fe plaignit hautement à lui de la
conduite du Légat, qui après être entré , difoit-il , dans le
Royaume en ennemi déclaré , avoit préféré la haine à fon
amitié ^ qui ne choifiiTànt pour le lieu de fa réfidence que
6es villes dévouées à la Ligue contre l'intention du fouve-
rain Pontitc, avoit mieux aimé jufqu'ici s'unir avec des re-
belles , que d'agir de concert avec les cardinaux de Ven-
dôme 6c de Lenoncourt 5 6c qui enfin oubhant lerefped dû
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 151
aux têtes couronnées, ôc les inftrudions qu'il avoit reçues ■ 1
de S. S. pour fuivre les intentions de fon frère qui fervoit H e n k
en Flandre fous les ordres du roi d'Efpagne, favorifoiten- I V.
core ouvertement le parti des Efpagnois ôc des fadieux. Il 1590.
ajouta qu'on ne parloit de trêve, que pour donner le tems
aux fecours de Flandre d'arriver j mais qu'il fçauroit bien
montrer aux féditieux qu'il n'étoit pas indigne de fuccéder
à tant de Rois qui l'avoient précédé ^ & qu'il étoit rélolu
de donner incellàmment à la France un Roi légitime , ou
d'épargner le fang 6c les biens de tant de malheureux , en
failant lui-même un facrifice de Tes propres jours aux mânes
de {es ancêtres. Du refte quant à la perfonne du Prélat ,
ce Prince lui lit beaucoup de carelîès de d'amitiés, & il re-
prit le chemin de Paris comblé des bontés du Roi , mais
îans avoir pu rien obtenir.
En même tems arrivèrent différentes nouvelles qui furent
auffi reçues difteremment. Au mois de Février dernier les
troupes du Roi avoicnt pris Verneuil dans le Perche 5 de
on avoit donné le commandement du château à Théodore
de Ligneris j mais pour ne pas être à charge aux habitans,
il n'y entretenoit qu'une garnifon très-foible. Ce fut ce qui
facilita à Charle François de Rouxel de Medavy le fuc-
cès de fon entreprife. 11 furprit cette place pendant la nuitj
cependant ce ne fut pas fans y trouver beaucoup de ré-
fifbance. En cette occalîon fut tué les armes à la main Jean
de Dreux de Morinville. Il étoit de l'iiluftre maifon de
Dreux , d'où font fortis les comtes de Monfort , & enfuite
les ducs de Bretagne, èc defcendoit fans contredit de Louis
le Gros. Il efl: vrai qu'on avoit prétendu lui contefter fon
état 3 mais le parlement de Paris avoit conffcaté Ces droits
par un arrêt rendu en fa faveur. Du refte il étoit également
homme de bien èc homme de cœur. Après avoir palTè {à
vie au milieu des combats, il n'avoit cependant encore ja-
mais reçu la moindre blelTure , lorfque la première qui lui
fut portée dans l'aine l'enleva à l'âge de plus de cinquante
ans. Il fut le dernier de cette illuftre maifon , & ne laifla
en mourant aucuns enfans.
Le parti du Roi fe dédommagea de la perte de Verneuil
par la défaite de deux régîmens des troupes de la Ligue.
ijî HISTOIRE
î!î!;!!??!?!5!?fî L'uii fut ccluî dc Jean de Saulx vicomte de Tavanes, qiïi
Henri fur le bruic de la priie de Verneuil ayant quitté Rouen où
I V. il commandoit pour marcher de ce coté-là , fut taillé en
1590. pièces parle duc de Monpender gouverneur de Norman-
die , qui lui enleva tous ii^s drapeaux. A peine put-il iàuver
cent hommes de tout fon régiment. L'autre appartenoit a
Ponfenac. Il avoit été recrute en partie depuis la bataille
d'Ivry, 6c étoit en marche pour aller joindre le duc de
Mayenne à Soillons , lorlqu'il fut de même prefque entiè-
rement paffé au fil de i'épée proche de Compiégne par
Charle d'Humiéres.
Le Roi recrut encore fur ces entrefaites la nouvelle de
la vidoire remportée dans le païs Meffin par des Reaux.
hes troupes du duc de Lorraine tenoient Félin affiégé fore
étroitement, èc s'en étoient rendus maîtres, les Rovahftes
n'ayant pu arriver alTez-tôt pour le fecourir. Du moins
réfolurenr-ils de ne fe point féparer fans être dédommagés de
cette perte. Les Lorrains fuiyis de leur artillerie revenoienc
triomphans de leur expédition , lorfque les troupes du Roi
les chargèrent iî à propos, qu'elles leur tuèrent trois cens
hommes de pied , 6c environ foixante chevaux j le refle
trouva fon falut dans la fuite. Les ennemie perdirent toute
leur artillerie , leurs drapaux , & environ cinquante de leurs
gens , qui furent faits prifonniers. Les principaux étoient
les capitaines Artigoty &; Gaftine. Cette adion fe paila le
18. d'Avril.
On intercepta en même tems quelques lettres venant de
Rome, 6c adreflees au cardinal Gaetano, qui firent beau-
coup de plaifir au Roi. On y marquoit que le Pape avoic
eu une grande conteftation avec le comte d'Olivarez am-
bafl'adeur d'Efpagne , qui vouloir que S. S. fit lortir de Ro-
me le duc de Luxembourg , 6c excommuniât tous les Sei-
gneurs 6c autres du parti du Roi , le menaçant qu'autre-
ment (i) S. M. C. fongeroit à faire élire un autre Pape j
que Sixte avoit été fi piqué de la hardiefiTe de ce Minière,
que fur le champ il avoit aflemblé le Confiftoire , où il
( I ) Ce dcffein fut effeélivement
propofé dans le Confeil de Philippe II.
au fujet de la verfion Italienne de la
Bible que le Pape avoit publie'e. Leti ,
Vie de Sixte V. L. lo.
avoic
/
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 153
avoit mis en délibération , s'il ne devoir pas chafTerdeRo- ■■"■-"■" ' '
me le comte d'Olivarez lui-même 5 ôc que peu s'en ecoit Henri
fallu qu'il ne l'eût exécuté. 1 V.
Cependant le Roi s'etoit faiiî de tous les ponts de la icoo.
rivière d'Yonne depuis Sens jufqu'à Montereau • ôc de tous ^-^^ ^j^
ceux qui font fur la Seine depuis Troyes. Après avoir en. Pans.°
core krmé le palîage de la Marne par la prile de Lagny , il
lé rendit à Chelles le 9. de Mai^ èc le lendemain s'etanc
avancé jufqu'à Paris, il fit attaquer le faubourg faine
JMartin, où il y eut une adion trcs-chaude entre fes trou-
pes & les Parifiens. De la Noue emporté par l'ardeur
àvL combat y courut rifque de la vie, ayant eu un cheval
de prix , dont le Roi lui avoit fait prcicnt , tué fous lui ,
& ayant re(^u un coup d'arquebufe dans la cuilTe, dont il
fut guéri peu de tems après. En même tems le Roi le ren-
dit maître du pont de Charenton &: de faint Maur,
où il mit garnifon • èc ayant furpris par derrière celui qui
commandoit à Charenton , il le fit pendre pour avoir ofé
tenir contre une armée Royale dans une place aufîî foible
que celle-là.
Le Roi avoit confié la garde de Charenton & de Con-
flans 5 village voifin , où la JVIarne fe jette dans la Seine , à
Anne d'Anglure de Givry, 6c lui avoit donné tout ce qui
ctoit nécclîaire. Il avoit une garnifon nombreufe compo-
fée de l'élire de tout ce qu'il y avoit de cavalerie èc d'in-
fanterie dans l'armée , fournie d'ailleurs d'artillerie , en-
forte que ce périr corps refïèmbloir à une véritable armée.
Son camp éroir forrifîé comme celui du Roi , & il avoir
ourre cela fair jerrer un ponr fur la rivière pour ailurerla
communication de fcs quartiers. On l'accufa d'avoir été
caufe de ce que Paris tint fi longtems. Ce jeune Seigneur
également fpirituel 6c galant, profitant de l'avantage du
pofte brillant qu'il occupoit , pour faire plaifir au cardinal
Gactano , aux ducheffcs douairières de Nemours , de Mon-
penfier, & de Guife , 6c aux autres Dames 6c Seigneurs
qui étoient dans la Capitale, y lailToir entrer tous les jours
à l'inii^û du Roi des vivres & des rafraîchifTemens , qui re^
itardoient d'autant la mifére où elle auroit été réduite fans
^e fecours. A Ion exemple les autres Seigneurs de l'armée
Terne X /. V
154 HISTOIRE
-f!^:^?!?!!???? voulants fe montrer aiilTi compatiiïanrs envers les aiîîégës ,,
Henri firent échouer l'entreprife que le Roi avoit formée fur
I V. cette ville. Le maréchal d'Aumont fe chargea de la garde
IJ90. du pont de faint Cloud. Enfuite on commença par mettre
le feu à tous les moulins à vent qui étoicnt autour de Pa-
ris 3 ôc de Poutrincourt rendit le château de Beaumont fur
Oyfe. L'iile Adam , &; fainte Honorine au confluent de
rOyfeôc de la Seine fe foûmirent auili en même-temsj Se.
on s'afRira de tous ces poftes par de bonnes garnifons.
Sur ces entrefaites le Roi qui s'étoit rendu à Gonelle ,
£t un voyage à Gilors dansleVcxin François, parce qu'il
ne comptoicpas trop fur la fidélité dcFlavancourt qui com-
mandoit dans le château. Ainfi iilui ota ce eouvernement^
êc le confia à Chriftophle marquis d'Alégrc. Enfuite il donna
un détachement de cavalerie au comte de Saint-Paul , avec
ordre d'arrêter les convois qui pourroient venir par-là deNor»
mandie , &: d'empêcher que ceux de Beauvais ne fifîènt
pafîér par terre des vivres dans Paris. De là ce Prince fe
rendit à Argenteuil , où il apprit la rédudion de la Fertc
Bernard. Cette ville une des plus riches du Maine appar-
tenoit au due de Mayenne j êile comte de Briffac en avoir
donné le gouvernement à Dragues de Comnene 3 mais les
habitans en chalferent le gouverneur , fè rendirent maî-
tres de la place , àc fe foûmirent au Roi.
Mortducsr- Le jour même que le Roi arriva à Chelles, ce Prince
bon. ^ °"'^' -reçut la nouvelle du décès du cardinal de Bourbon, more'
de la pierre au château de Fontenay en Poitou , âgé de
plus de foixante & fix ans. Ce Prélat fembla né pour de-
venir le joiiet de la Maifon la plus augufte , èc du plus fio-
rifTant Royaume de toute la Chrétienté. Après avoir été
longtems le miniftre de l'ambition du duc de Guife, qui
abula de fon nom pour travailler à la ruine de la Maifon
de ce Cardinal , & de tout l'Etat 3 après avoir fervi de fan-
tôme pour amuferle peuple, dont l'efprit de vertige s'é-
toir emparé, il fut lui-même l'artifan de fon malheur, en
allumant dans le fein de fa patrie une guerre inteftine,
dont le feu penfa embrafer toute la France après la more
de l'un ôc de l'autre. Le cardinal de Bourbon fut dévot
jufqu'à la fuperftition , du relie libéral , volupteux , crédule
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIIÎ. 155
turqu'à l'excès : il crue pouvoir ajouter foi aux prédic- ï
i-^. j„_ ArL.'i „„>M r./u. r ^„. /:.„ r,.^. / . i
tions des Aftroiogues , qu'il confulta fouvenc fur fon fore , Henri
ôc qui par l'efpérance qu'ils lui donnèrent, de pouvoir un IV.
jour monter fur le trône , devinrent la caufe de fà perte. 1590.
Dès- lors il commença à fe détacher infenfiblement des
Princes de fa Maifon , à fe dégoûter du préfcnc auquel au-
paravant il étoit entièrement livré, pour'porter (qs regards
fur un avenir flatteur, qui plus il lui paroifToit éloigné ,
plus il allumoit dans lui le feu d'une ambition fecrete , qui
le lafîànt enfin d'une trop longue retenue , de franchiffanc
les bornes, lui fit au préjudice de ia patrie de de fes proches
fuivre le duc de Guife au travers de tous les précipices par
OTi il lui plut de le conduire. D'ailleurs ce vieillard , tout
vieillard qu'il ètoit , nemanquoit, ni de manège, ni de dé-
tours qui mirent fouvent à bout le duc de Guile lui-même.
Il a voit autrefois penfé à époufer Mademoifelle de Mon-
penfîer fœur de ce Duc j de Ci lorfque les Ligueurs le recon-
nurent pour leur Roi , il eût été en liberté , on croit qu'il
auroit exécuté ce deflèin dans la vue de faire pafîèr après
lui la Couronne aux frères de cette DuchefTe- ce qui ne lui
auroit pas été difficile au cas qu'il fût mort fans lailTer
d'enfans.
QLuque la mort du cardinal de Bourbon , à qui les Unis
avoient donné le titre de Charle X. de au nom duquel on
avoit battu monnoie dans les principales villes du Royaume,
ne fît pas perdre cœur aux rebelles , parce qu'ils n'avoienc
jamais compté fur lui , de qu'ils fe fervoient feulement de
fon nom pour entretenir les troubles du Royaume 5 cet
accident ne laifîa pas de les embarrafîèr. Dès-lors on com-
mença à douter dans le parti, au nom de par l'autorité de
qui dévoient fe rendre les Arrêts, \qs Edits ^ les Déclara-
tions de Ordonnances 3 & dès-lors les Efpagnols , qui at-
tendoient depuis longtems ce fatal moment, autorifés par
la mort du Cardinal, qui laifToit le parti dans un interré-
gne , commencèrent à faire joiier toutes fortes d'intrigues
pour mettre le Clergé de les Ligueurs dans leurs intérêts.
Depuis ce tems-là le plus grand embarras du duc de Mayenne
fut de fe conduire fî habilement , que fans donner dans les
pièges que les Efpagnols lui tendoient à chaque inftant , il
Vij
WgkLfigggBi
156 HISTOIRE
entretînt cependant Philippe dans les bonnes dîfpofT-.
Henri tions où il étoic à (on égard , afin d'en tirer les fecours
I V. dont il a voit bcfoin pour le foûtenir contre le Roi, 6c pour
I 590, empêcher en même tems que la Couronne ne pailat à un
Prince étranger. L'unique moyen qu'il imagina pour iortir
de cet abîme, fut de hâter l'afTjmblée des* Etats, où l'on
devoit traiter de l'tledion d'un Roi Catholique , & pren-
dre des melures pour aflurer la Religion 6c le repos de
l'Etat. Il les avoit d'abord convoqués à Melun • il les tranf-
fera à Paris 5 6c cependant il retint toujours la même
autorité 6c les mêmes titres qu'il avoit avant que le
Cardinal eût été proclamé Roi fous le nom de Charle X.
Ce Duc étoit alors en Flandre , où il avoit fait un voyage
pour obtenir quelque fecours du duc de Parme. Il fcavoit
que Philippe avoit inffcamment recommandé à ce Prince de
fecourir la ville de Paris, ajoutant qu'il devoit profiter de
cette occafion, s'il vouloit lui faire oublier la perte de cette
flote nombreufe qu'il avoit mife en mer il y avoit deux ans ,
6c qui étoit deftinee à conquérir l'Angleterre. Le Duc eut
donc une entrevue à Condé avec le duc de Parme , qui
lui déclara qu'il avoit réiolu d'entrer lui-même en France
à la tête d'une puiflante armée. Cependant il lui donna
toujours d'avance une partie des troupes qu'il deftinoit à
cette expédition 5 fçavoir le régiment Efpagnol qui s'étoit
foulevé depuis peu commandé par D.Antoine de Zuniga ;.
un régiment Italien conduit par Camille Capizucchi ^ 6c
trois cens hommes de Gendarmerie Flamande. A la tête
de ces forces il rentra en Picardie. En même tems pour
donner le change au Roi , S^c le détourner d'employer la
force pour fe rendre maître de Paris, ce qui lui eût été aife
alors, il fit courir le bruit que le comte de Mansfeldt feule-
ment entreroit en France -, & que cependant le duc de Par-
me refteroit dans les Pais- bas pour s'oppofér aux entre-
prifes du comte Maurice de Naflau. Chemin faifant le duc
de Mayenne pafîà par Cambray , où il vit Balagny j 6c où-
après avoir levé tous les ombrages qu'il avoit conçus dii
duc de Parme , il obtint encore quelques fecours.
A fon retour le Duc penfa être furpris par le Roi. Ce
Prince s'étoit mis en marche à la tête de douze cens
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIir. 157
Gendarmes, de trois cens Keîtres, Se d'environ cinq cens Ar- ^
quebuficrsà cheval • àc ayant fait dix. huit lieues en un jour, Henri
il s'étoit avancé jufqu'à Crecy dans le voiiinage de Laon. I V.
Mais quelque diligence qu'il tît il ne put prévenir le Duc , i coq,
qui ayant eu avis de fon arrivée alla le rérugier à Laon, ôc
fe retrancha dans les fauxbourgs de cette ville. Le Koi l'y
£t attaquer par le baron de Biron à la tête de cent che-
vaux j mais après deux tentatives inutiles , dans l'une cIqÙ
quelles les troupes du Roi en vinrent aux mains avec Ca-
rondelet Franc- Comtois, ce Prince voyant qu'il n'étoitpas
poffible d'attirer le Duc à une bataille ^ & ayant eu avis que
le capitaine Saint-Paul elcorté de huit cens chevaux con-
duifoit par Meaux un grand convoi à Paris , décampa auffi-
tôt le 8. de Juin , 6c reprit la route de la Capitale.
Cependant les Pariiiens n'oublioient rien pour Te prépa- , Préparatifs
\ii. 1-,- 1 Ti •• ^1 ^1 '^^Ali 'es Parifiens
rera le bien détendre. Us avoient alors a leur tête Cbarle pourfoûtenir
de Savoie duc de Nemours frère de mère du duc de Je fiége.
Mayenne. C'étoit un jeune Prince brave, adif, vigilant,
qui par de belles qualités avoit mérité cette place que l'on
avoit ôtée au duc d'Aumale qui s'etoit rendu fufpcd aux
Princes même de fa Mailbn par fon malheur ou la lâcheté.
Au refte comme le duc de Nemours , quoiqu'encore lans ex-
périence, avoit naturellement allez d'eiprit pour prévoir
qu'il auroit moins à craindre du dehors , parce qu'il étoîc
bien perfuadéquele Roi n'en viendroit jamais aux dernières
extrémités, que du dedans, où il n'étoitpas aifé de manier
à fon gré l'efprit d'un peuple indocile qui alloit éprouver
par lui-même tous les malheurs de la guerre, il commença
par engager les Prédicateurs à exhorter les habitans à la
patience , & à les diipoier à tout endurer pour la defenfe
île la Religion.
Dès le mois d'Avril le.Parlement de Roiien avoit donné c-is àe con-
un Arrêt par lequel il ordonnoit à tous Gentilshommes ou ^ciena pro-
* 1 I r • 1 T-. • I r • Po(c a a Sor-
autres portants les armes pour le lervice du Roi , de le retu'er bonne par le*
dans leurs maifons dans le terme de huit jours, avec pro- Seize,
mcfl'e de ne plus lèrvir dans cette guerre , ou d'aller joindre
încelîamment l'armée que commandoit le duc de Mayenne.
Le Parlement de Paris avoit fou vent réitéré des ordi-es
feniblabks d peine de mort ^ de confifcationjde biens rcntie
V iij
152 H I S T O I R. E
!= les contrevenans comme rebelles. Mais comme cous ces
Henri Arrêts faifoicnt peu d'effet pour contenir le peuple, non
I V. feulement de la Capitale , mais de toutes les villes du Royau-
i çao. ^^^ ^^'^ ^"'^ ^^ gouvernoient guéres que par l'exemple de Pa-^
ris , les Seize préfentércnt même avant la mort du cardinal
de Bourbon une requête à la Sorbonne au nom du Prévôt
des Marchands, des Echcvins , &: de plufieurs des plus no-
tables bourgeois de cette ville , par laquelle ils deman-
doient , fi avenant la mort de leur bon roi Charle X. ou au
cas que dans fa prifon, où il étoit détenu injuftement, il fe
démît de Tes droits en faveur de Henri de Bourbon , le
peuple François pouvoit ou devoit en confcience reconnoî-
tre pour Roi ledit Henri, ou tout autre Prince fauteur
d'hérétiques , quand même il auroit obtenu l'abfolution de
fon crime, ôc des cenfures qu'il avoit encourues, eu égard
au danger évident auquel on expoferoit par-là la Religion
Se le Royaume ? Si on devoit regarder comme fuipccl d'hé-
réfie , ou comme fauteur d'hérétiques quiconque s'employoic
aménager la paix avec ledit Henri , ou ne l'empêchoitpaj
quoiqu'il fut en état de le faire ? Si cela étoit permis de
droit divin, &; fi des Catholiques poavoient fans péché
& fans rifquer leur faluc tenir une telle conduite ? Enfin fi
celui qui s'oppofoit de toutes fes forces aux defieins ik. en-
treprifes dudit Henri, méritoit devant Dieu, uc fi ceux
qui lui réfifteroient jufqu'à répandre leur fang , devoicnc
être regardés comme de véritables martyrs?
Le 7. de Mai la Sorbonne afiTemblée en corps , après avoir
à l'ordinaire imploré les lumières du Saint Efprit, répondic
à ces trois chefs • Que de droit divin il étoit défendu aux
Catholiques de reconnoître pour Roi un hérétique, ou fau-
teur d'hérétiques , ennemi déclaré de TEglife, à plus forte
raifon un relaps féparé nommément par le Saint Siège de
la Communion des fidèles : Que Ci quelqu'un de ce ca-
ractère obtenoit dans le for extérieur l'abfolution de fon
crime, 6c des cenfures qu'il auroit encourues, & que cepen-
dant il y eût à craindre que fa converfion ne fût pas fin-
cére , ou un danger manifefle pour la Religion , il feroic
dans le même cas, & devroit être exclus de la Couronne ^
ôc que ceux qui cravaiiieroienc à le faire reconnoître ^ oiî
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. 159
îjln lui donneroienc aide ou. Faveur, ou même qui ne Tem-
pcGheroient pas de monter fur le trône, quoiqu'ils fufTent Henri
en état &: obligés de s'y opoofer, dévoient être regardés 1 y.
comme refradaires aux faines décrets, lufpeds d'heréiîe,
&C ennemis de la Religion & de l'Eglile , &: que par conlé- ^ ^
quent on pouvoit, ou même que l'on devoit agir contre
eux comme tels , de quelque rang & condition qu'ils fu fient :
Qii'ainli comme Henri de Bourbon étoit notoirement hé-
rétique & fauteur d'hérétiques , ennemi déclaré de l'E-
glile , relaps , & excommunie nommément • comme d'ail-
leurs il étoit à craindre , au cas qu'il obtint l'abfolution de
fon péché , que (a converfion ne fût pas lîncére, ôc ne ten-
dît à la ruine de la Religion, les Fran(^ois étoient obligés
d'empêcher qu'il ne montât fur le trône des Rois Très-
Chrétiens, quand bien même il auroit obtenu l'abfolution ,
ou que l'héritier légitime viendroit à mourir, ou à fe dé-
mettre de fes droits en fa faveur : Qu'il leur étoit défendu
de faire ni paix , ni trêve avec lui : Qiie ceux qui lui
donnoient aide ou faveur étoient refradaires aux faints dé-
crets, iulpeds d'héréfie , & ennemis déclarés de l'Eglife ^
& qu'on devoit s'employer de toutes fes forces à les châtier
& à les corriger, comme convaincus de ces crimes : Qu'au
refte comme ceux qui favoriioient &; foûtenoient ledit
Henri dans fes prétentions à la Couronne , dévoient être
regardés comme des deferteurs de la foi , & vivoient con-
tinuellement dans un état de péché mortel , avec rifque de
leur falut , de même ceux qui s'oppoloienc à fes dcfleins
pour la défenfe de la Religion , méritoient beaucoup de-
vant Dieu 6<c devant les hommes j ôc que de même que
les premiers feroient éternellement punis pour avoir con-
tribué à affermir le régne de l'ennemi du genre humain ,
de même auiîi il n'y avôit point de doute , que fî les der-
niers combattoient ju/qu'à répandre leur iàng pour la foi ,
ils ne dûlfent en être éternellement recompenfés , ôc que
la Couronne du martyre ne leur fût préparée dans le
Giel,
On fît de cette décifîon un décret qui fut imprimé en
Latin &; en François, & envoyé au nom des bourgeois de
Paris â toute les villes de l'Union ,, avec une pieface dans
i6o HISTOIRE
' I laquelle ils difoienc de la Sorbonne : Que c'éroît à elle â
Henri décider entre la léprc &: la lèpre , 6c que fes réfoludons
I V. avoienc toujours été d'un Çi grand poids dans l'Egliie, que
J590. ^^ Saint Sicge n'avoit jamais manque de les approuver, &
de prononcer en conformité : Qu'ainfi comme eux-mêmes
recevoient ce dernier décret qu'elle venoit de faire comme
un oracle forti de la bouche da Saint Elpric , àc étoienc
réfolus de s'y conformer juiqu'à la mort, ils les exhortoienE
aufli tous en général à les imiter , ëc à facrifier plutôt leurs
biens ôc leur vie mcme , que de s'écarter de cette régie ;
perlliadés que par cette conduite ils s'aiFiireroienc un bon*
heur durable dans l'Eternité.
Proceflion de Après des décifions aulîî férieufes , la poitérité aura peine
^^S^C' ^ croire , & je ne puis rapporter iàns rire ce qu'ils imagi^
nérent ôc exécutèrent pour animer encore ce peuple infenlé.
En préf^^nce du cardinal Gaëtano , & de tant de Prélats qui
i'avoient fuivi d'Iraiie , de François Panigarola évêque
d'Aft , &. du Jefuite Robert Bv^llarmin, qui (emblérenc
donner leur approbation, ils firent par les rues les plus fré^
quentées de Paris une proceffi )n d'un goût tout nouveau,
èc telle qu'on n'en avoit jamais vu de lemblable. A la tête
Guillaume Rofe évêque de Senlis , Scie Prieur des Char^
treux , cous deux tenants chacun dune main un Crucifix,
iSc de Tautre une halebarde , ouvroîenc la marche, comme
premiers ôc principaux adeurs de cette comédie , ôc fouft-
froient agréablement qu'on les appcllât les braves Ma-
chabées. Après eux vcnoient de fuite les Pères Capucins,
Eeuillans , iMinimes, Cordeliers, Jacobins &: Carmes, tous
ayant leurs robes retroufîées , 6c le capuchon abatu , le caf-
que en tête , ôc la cuiraûè fur le dos. Les anciens mar»
choient les premiers avec un air menaçant , des yeux en-
flammés , grinçant des dents , 6c contrefaifant , autant qu'il
étoit en eux , par tous leurs gefles 6c leurs attitudes , une
mine fiére 6c guerrière. Après eux fuivoient les jeunes Moi-
nes dans le même équipage, 6c armés d'arquebufes , qu'ils
avoient l'adrelîe de décharger iouvent dans la tête de ceux
qui étoient accourusà ce fpeclaçle. C'efl ce qui arriva à (i) un
( 1 ) Le Grain , qui pouvoir avoir 1 Légat maltraités en cette occafion,
yù la chofe , j- arle ai deux voleta du Dec. de Henri le Cr. L. i>
DE J. A. DE THOU, Liv. XCVIII. î(^r
des domeftiques du Légac, qui regardanc pafler cette pro- ^^
ceiîîon fut tué par un de ces nouveaux arquebuliers. Il Henri
n'étoic pas poffibie qu'un tel accident ne caufat une grande I V.
rumeur- mais elle fut appaifëe auffitôt après par un bruit j ^^o,
qui fe répandit parmi le peuple, que cet homme ayant été
tué dans une G. fainteadion , Ton ame s'étoit envolée droit au
Ciel parmi \qs ConfeiIeursj&: qu'il falloit le croire , parce que
Monfeigneur le Légat , qui fça voit bien ce qui enétoit, ralfu-.
roit ainlî. C'étoit fur-tout un plaifir de voir un jeune Feuillant
boiteux , nommé le P.Bernard, ouïe petit Feuillant, qui
avoit été prédicateur de Henri III. de que Iqs Sermons
avoient rendu fameux dans Paris , joiier d'un Efpadon ,
tou-jours en mouvement, tantôt à la tête, tantôt à la queue
de cette nouvelle milice , avec tant d'activité , que fon boi-
tement ordinaire devenoit à peine fenfîble. Ils mêloient
tout cela de chants , difant qu'ils repréfentoient ainfi la
face de l'Eglife militante. Ils répetoient fur-tout de tems en
tems ces paroles de Job, que la vie de l'homme eft un combat
perpétuel, dont ilsfëroient , difoient-ils , récompenfés un
jour dans l'Eglife triomphante, qui eft au Ciel. Cette farce
n'eut guéres l'approbation que de ceux quienétoient les au-
teurs. La plupart la regardéj;entavecétonnement j mais les
gens fages ne purent voir fans indignation qu'on fê jouât ainll
par cette cérémonie ridicule, de la patience de tant de mal-
heureux qu'on expofoit fans nécefii té, fous un faux prétex-
te de Religion , à tous les maux dont ce flége fut fuivi (i).
Après avoir ainfi prévenu l'efprit du peuple, le duc de
Nemours ne négligea pas \qs fecours vérftables de eiTen-
tiels. Il lit venir dans Paris Louis de l'Hôpital fîeur de
Vitry qui , comme je l'ai rapporté , avoit quitte le parti du
Roi après la mort de Henri III. avec fa Compagnie de cent
cinquante chevaux , à qui on donna des appoîntemens
conlidérables. D. Bernardin de Mendoza ambaffadeur du
roi d'Efpagne s'y rendit aulTi fur la lin de Mai. On rappella
quinze censLanfquenetscommandés par le comte deCollalte,
( I ) Que l'Auteur du Journal du tion & amufement de gens , qui n'ont
Roi Henri III. s'écrieroit bien à la que faire , ôc ouvrage de Moines !
^a de cette narration : Belle occupa- 1
i6i HISTOIRE
qu'on avoic répandus auparavant dans les différen-
Henri tes garnifons des places voifînes de la Capitale. Enluice le
I V. jour même de rAlcenfion on fit une proceflion générale
3 ego, <^ss plus magnifiques, où furent portées toutes les Reliques
& toutes les Challes de Paris. Là on ne vit plus de Moines
armés d'une façon ridicule 5 c'étoient le duc de Nemours
lui-mcme, êcle chevalier d'Aumale colonel de l'Infanterie,
qui y afliftérent avec tous les Seigneurs & Officiers qui
étoient dans la ville, 6^ qui arrivés à la Cathédrale jurè-
rent fur les Saints Evangiles de vivre & de mourir pour
*» la défenfe delà Religion, & de défendre la ville contre
tous les efforts du roi de Navarre. Tous les Officiers & les
Alagîftrats firent après eux le même lérment. Après cela
pour les raflûrer on fit la le<5ture des lettres que le duc de
Mayenne ecrivoit de Perone , par lesquelles il leur pro-
mcttoit d'aller inceflàmment à leur fecours. Enfuite par le
dénombrement qui fut fait de ceux qui étoient dans Paris,
& des provifions qu*on avoit, il fe trouva deux cens mille
âmes , hc du bled pour les nourrir pendant un mois. On y
trouva aulli quinze cens muids d'avoine qu'on mit en re-
ferve pour la necellité. En même tems on ordonna parle
confeil d'Antoine l'Ami marchand, un àas plus zélés pour
rUnion, qu'on choifiroit dans chaque quartier un boulan-
ger à qui on délivreroit du bled à raiibn de quatre écusle
icptier, qui fait la douzième partie du muid , à condition
qu'il feroit obligé de donner du pain au peuple à fix blancs-
la livre. Telles furent les mefures que Ton prit alors pour
ne point manquer de vivres. Mais comme d'ailleurs il n'y
avoit point d'argent , on commença à murmurer & à fe
plaindre de ce que les fomm^s im.menfes qu'on avoit ti-
rées de tous côtés de la vente àQs biens de ceux qui avoienc
abandonné la ville, & d'ailleurs, n'avoient été qu'au profit
de quelques particuliers qui en avoicnt difpofé à leur fan»
îaîfie, ôcs'en étoient accommodés. Ainfî pour étouffer d'a-
bord ces commencemens de /édition , le cardinal de Gondy
Evêque de Paris ordonna que toutes les Egliics &: Paroilîes
de la ville donneroient tous les ornemens d'or &: d'argene
qu'elles avoient pour être fondus , promettant qu'on leur
DE J. A. DE THOU,Liv. XCVIir; 1^5
en payeroit le prix au/îîtôc après la levée du fiége. Outre ' ' ' '"
cela le Légat fit des aumônes de l'argent qu'il avoit enfin Henri
tiré du Pape , quoiqu'avec peine. Enfin l'ambafiadeur d'Ef- I V.
pagne promit de donner tous ÏQs jours aux pauvres pour fix i 590,
vingt écus d'or de pain.
jFi» dfà quatre-vingt dix-huit éme Livre,
Xfj
ï54
HISTOIRE
Henri
IV.
1590.
Prife de
Weiin & de
Châtcaudun
par les Li-
gueurs,
nnnnnnnnn tiîtnnntnnn
%^^im^%^i^m^^ ^l#^%^^#^
STO
D E
J A C Q_U E AUGUSTE
DE T H O U
LIFRE ^ATRE-VINGT DIX-NEVVIEME,.
TAndis que l'armée du Roi ëtoîc occupée à continuer,
le blocus de Paris , George Babou de la Bourdaiiîére
crue pouvoir profiter de cette occafion pour faire quelque
entreprife. Dans cette vue ii fortit d'Orléans à la tête d'un
corps de troupes 3 & jfuivi de quelques pièces de canon , il
alla învefcir Aleun , château fitué fur la Loire appartenant à
l'évêque d'Orléans, Ce pofte n'étoit défendu que par une
garnilon très-foible , auffi ne fît-il pas de réfillance ^ après
quelques volées de canon , Palluau de Villeneuve qui y com-
iiiandoic rendit la place aux ennemis. De là les Ligueurs
marchèrent contre Châteaudun , ville riche appartenante
à la maiibn de Longueville j mais peu fortifiée , &: environ-
née de faux bourgs qui valent mieux que la ville même. Auffi-
dès que \qs ennemis s'en furent rendus maîtres , \qs habitans
qui y avoîent toutes leurs richelTes ne fongérent plus à tenir ^
Se fe rendirent.
La perce de cette place n'inquiéta pas fore le Roi , ç\h
DE J. A. DE TrIOU, Lir. XCIX. 1^5
^coî't aîfëe a réparer. Cependant comme fon armée campée
autauT de Paris avoic lur-touc bcibin de vivres pour conti- Henri
nuerim fi longfiége, &: qu'il les tiroic principalement de la I V.
Beaufle ëc des environs , il comprit qu'il leroicaiié aux enne- ^ ^gx).,
mis maîtres de Châteaudun d'arrêter les convois qui lui ve-
noient de ce côté-là. Ainfi il détacha fur le champ le maré-
chal d'Aumont pour aller reprendre ce pofte. Ce Général
fut joint par le prince de Conti , qui dans l'abfencc du Roi
commandoit dans la Touraine , dans le Maine , & dans le
Poitou. On emporta les fauxbourgs d'emblée , àc auiïitôt
après, la ville fë rendit à difcrétion j mais foitque ce fut un
effet du hafard , ou du dépit qu'eurent les ennemis de ne
pouvoir conferver ce pofte , le feu fur ces entrefaites prit aux
îkuxbourgs & les réduiiit en cendres. Les habitans y iirenc
une perce confidérable , èc qui fut eftimée cent mille écus ;
aulîî le Maréchal crut-il devoir les venger , &: en revanche
il fit pendre une partie de la garnifon.
Qiielque tems auparavant \qs Parifiens , fous prétexte de contînùatioa^
vouloir entrer tout de bon en accommodement avec le Roi , àa fiége ds
firent demander un faufconduit à ce Prince pour envoyer ^^^^^'
des Députés au duc de Mayenne ^ afin de lui déclarer , di-
lûient-ils , que s'il ne concluoit inceiîlimment une paix gé-
nérale , ils étoient réfolus de pourvoir à leurs intérêts par-
ticuliers. Ceux qu'on avoit nommés pour cette députation
étoient l'archevêque de Lyon, de Vitry , deux Confeillers
au Parlement, & Brîgard Procureur de la ville. Le Roi qui
ne fouhaitoit rien tant que la paix s'étoit d'abord prêté à
leurs^intentions 3 mais ayant depuis intercepté des lettres
par lefquelles il connut que leur but étoic tout différent de
ce qu'ils vouloient lui faire entendre 3 qu'au contraire ces
Députés étoient chargés d'afliirer le duc de Mayenne que
les Parifiens étoient refolus de tenir jufqu'ii la dernière ex-
trémité , pourvu qu'il les affûrât de leur amener du fecours 5
& qu'ils dévoient traiter avec lui & avec les autres chefs des
troupes de la Ligue , des moyens de faire lever le fiége 3 Sa
Majeftc retira les faufconduits qu'elle leur avoit accordés,
St. les convainquit par ces lettres là du peu de fincéritédont
ilsuloient avec lui. Enfuiteil leur écrivit le r 5. de Juin d'Au-
l^erviiliers ou il avoit pris fon quartier à fon retour de Picardie, ,
X iij,
i^^ HISTOIRE
pour leur rendre compte des raifbns qui Tavoienc porté à rc^
Henri ^^^^^ ^^ parole qu'il avoir donnée à leurs Députés. Puis il les
I y. exhortoit à penfer de bonne heure à leurs véritables înté-
_ - ïètS'y à ne pas prêter plus iongtems l'oreille aux pernicieux
confeils de quelques particuliers qui n'avoient d'autre but
que de profiter de leur défefpoir de de leur témérité jÔc à avoir
plutôt recours à fa clémence, que de s'expoier à devenir la
victime de l'ambition &c de l'aveuglement d'autrui j ajou-
tant qu'il n'y avoit encore rien de gâté de part ni d'autre :
Que comme il étoit encore difpofé à leur pardonner , ils
étoient de leur côté en état de mériter [qs bonnes grâces en
fe foûmcttant : Qii'ainfi il leur conieilloit de ne pas attendre
la dernière extrémité j de peur que leur retour vers lui ne de-
vînt alors inutile ^ & que le mépris qu'ils feroient de [qs grâ-
ces ne changeât la bonne volonté qu'il avoit pour eux en
une jufte indignation.
Ces lettres ne furent point lues j ou fi elles le furent, les
Ligueurs prirent ces avis en mauvaife part -, en forte qu'ils
ne produifirent aucun effet fur ces efprits obftinés dans leur
révolte. Au contraire pour faire parade de leur fermeté , ils
eurent la fotte vanité de faire donner le même jour par le
Parlement un Arrêt qui défendoit fous peine de la vie à qui
que ce fût , d'être afièz hardi pour proposer aucun accom-
modement avec Henri de Bourbon ^ enjoignant de plus à
toutes fortes de perfonnes d'obéïr fans réplique aux ordres
du duc de Nemours gouverneur de la ville de Paris , 6c Com-
mandant général des troupes de cette Capitale.
Tout le mois de Juin fe pafTa en efcarmouches. Le Roi
fit dreffer d'abord une batterie à Montfaucon -, enfuite elle
fut tranfportée à Monmartre , d'où elle commença à fou-
droyer Paris. Le i 2. il y eut une action très-vive de part Sc
d'autre j & trois jours après, de Vitry fit une fortie qui donna
occafion à une rencontre très-chaude entre lui & Givry,
Tous deux étoient parents fort proches , & d'ailleurs très-
grands amis. Auffi commencérent-ils d'abord par s'embraf.
fer j après quoi ils parurent pendant quelque tems s'entre-
tenir de fort bonne amitié , lorfque tout d'un coup on les
vitfe féparer & mettre l'épée à la main. Le difiPérend com-
mença par quelques injures que fe dirent leurs foldats , Se
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 1^7
dégénéra en un combat très. fanglant. Pliifîeurs de ceux qui
ctoientà la fuite de Givry y furent dangereufement bleflës. Henri
On y perdit entr'autres le jeune Sarret , qui peu de tems 1 V.
après mourut des bleiTures qu'il avoit reçues dans cécie ren- j 590.
contre. Le capitaine Saint-Paul ayant quitté l'armée du duc
de Mayenne fe rendit à Meaux 3 de là côtoyant toujours la
Marne afin d'efcorter le convoi qu'il conduiioit, il furprit, en
pallànt la forêt de Livry , un bateau qu'il rencontra fur la
rivière 5 èc malgré la vigilance des troupes du Roi , arriva
enfin heureufement à Paris , où cet homme vain entra com-
me en triomphe , fier du fècours qu'il amenoit aux Parifiens,
èc dont , à fon gré , ils ne pouvoient lui marquer aiTez de re-
connoiilance.
Au mois de Juillet fuivant les afïïégés firent une fortie où
fut pris Charle de Coligny d'Andelot frère de Chatillon.
On ne peut exprimer avec quelle joye il lut reçu des Pari-
siens , qui mirent tout en œuvre pour le gagner par leurs ca-
xefTes. Chatillon qui ètoit alors dans l'armée du Roi Rz à fon
frère les reproches les plus amers , de ce qu'il abandonnoit
la défenfe de fon Prince pour embrailer le parti dQs ennemis
mortels de leur maifon , èc de ces Parifiens qu'on avoit vus
traîner ignominieuièment par Iqs rues le corps de leur père ,
après avoir foufFert qu'on rallaflinât par la plus infigne de
toutes les trahiibns. Les reproches furent inutiles 3 d'An-
delot fe laiiTa aveugler par l'efpérance des honneurs qu'il
crut trouver parmi les factieux j il iigna l'Union , àc fe mie
au fervice du duc de Nemours.
Cependant toutes les avenues de Paris &c les pafîàges des prifcdes'
rivières étoient tellement bouchés, qu'il n'entroit aucunes Denis & de
provifions dans cette ville. Il ne refboit plus au Roi que de ^^n^mania.
iè rendre maître du château de Vincennes , polie très-fort à
une lieuë de la Capitale 3 de Dammartin bourg fort riche &
abondant , fortifie d'un château bâti à l'antique , fitué dans
i'Ifle de France à fept lieues de Paris , Se appartenant à la
maifon de Monmorency ; &: de S. Denis qui étoient encore
aux t igucurs. Ce Prince fit attaquer en même tems ces trois
places. Il chargea Charle Robert de la Marck comte de
Maulevrier de la conduite du fiège de Dammartin. Pour
lui, il alla en perfonne faire celui de S. Denis 3 ôc il ferra la
ro8 HISTOIRE
place de fî près qu'il l'eut bientôt réduire aux dernières ex-
Henri trémitës. La diletce y étoit très-grande j & il y avoit peu
1 V. d'apparence que les afliégés puiïenc être lecourus par les Pa-
j r op. nTiens ^ui depuis quelque rems ne vivoient plus eux-mêmes
que de pain d'avoine j iorfque quelques cavaliers forcis de
Paris fe gliiîanc le long des bleds qui étoient déjà fort hauts ,
trompèrent la vigilance des fentinelles, êc entrèrent dans la
ville avec quelques pains qu'ils portoient. Ce fut inutile-
ment qu'on voulut les pouriuivre 3 de Brigneux Meftre de
camp d'un régiment re^ut en cette occafion un coup de fau-
conneau dans la cuilTe , 6z mourut enfuite de cette bleilure
fort regretté de toute l'armée. Cependant les aiiiègés voyant
par la petite quantité 6c la qualité du pain qu'on leur porta,
rextrémicé où les Parifiens étoient eux^mêmes réduits , n'at-
tendirent pas plus longtemsà prendre leur parti. Ainfi le 5.
de Juillet ils convinrent de fc rendre, au cas que dans trois
jours on ne fît pas entrer des vivres &c des troupes dans la
place. Dans tout cet intervalle le Roi fit faire une garde fore
exade , & paiTa lui-même la nuit à cheval. Enfin le quatrié*
me jour la ville iè rendit , & il s'y trouva fept cens hommes
de garnifon commandés par les capitaines Picard de Vau-
dargent , du Bourg êc la Chanterie , qui fuivant les articles
de la capitulation , forcirent de la place fuivis d'une coule-
vrine bâtarde , êc furent conduits en lieu de fureté. Dam-
martin fe rendit auiTi quelque tems après , & le Roi y ayant
fait encrer des troupes , en donna le commandement à un
Gentilhomnie du voilinage nommé le Boutheiller de Vi-
gneul. A l'égard du château de Vincennes , les Royaliftes
n'en vinrent pas il aifément à bout. Ils firent plufieurs tenJ
tatives pour le furprendre j mais celui qui y commandoic,aufÏÏ
rufé qu'eux, rendit tous leurs efforts inutiles -, & les Ligueurs
reftérent en pofîelîîon de ce pofle julqu'à la réduction de
Paris.
Retour du Ce fut dans ce même tems que le Roi envoya au chance-
chanceiier (le ijej- ^^^g Chevcrni Tacque Aug;ufle de Thou fon beautrère.
Cour. â.vec des lettres tres-gracieuies par kiquelles ce Pnncc le
prioit de venir reprendre fa place à la Cour. Depuis que ce
MinifLre avoit été exilé par le feu Roi , il étoit toujours reflé
.dans ion château d'Eclimont au pais Chartrain , vivant fore
bieû
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. i6cj
bien avec les habicans de Chartres Tes voilins , & ménageant ^
cependant fous main , autant qu'il étoit en lui , les intérêts H e n k i
du Roi. Après la mort de Henri III. foit que François de I V.
Montholon eût remis les Sceaux , ou qu'on les lui eût otés^ 1590»
Henri IV. les avoic donnés d'abord au cardinal de Vendô-
me i enfuite comme ce Prélat étoit refté à Tours , & fe trou-
voit trop éloigné de la Cour , le Roi qui vouloit avoir les
Sceaux auprès de lui Iqs lui avoit envoyé redemander , fans
néanmoins en donner la commiffion à perfonne en particu-
lier j en forte que depuis ce tems-là ils étoient reftés à la
garde de Martin Ruzé Secrétaire d'Etat. Or il arrivoit que
le maréchal de Biron qui commandoit \qs armées dans l'ab-
fence du Roi , & François d'O Surintendant des finances ,
qui ne s'accordoient pas trop bien enfemble , avoient fou-
vent de la difpuce dans le Confeil , lorfqu'il falloir fccller les
expéditions. D'ailleurs comme ils n'étoient au fait ni des
Ordonnances ni du droit ancien ou François , ce qui cepen-
dant eftabfolument nécefîaire dans celui qui tient les Sceaux,
cette ignorance caufoit beaucoup de dérangement dans les
afrliires au préjudice de l'autorité du Roi. Ainiî d'O propofa
de rappeller le Chancelier , & fon avis fut fuivi. Aullitot ce
, MiniPcre obéît , &; arriva à Aubervilliers la veille de la ré-
dudion de S. Denis. Il y fut très-bien reçu du Roi qui lui ût
mille carelTes. Le maréchal de Biron lui ~ même ravi de voir
que l'arrivée de Cheverni alloit mettre fin aux conteflations
ennuyeufes qui naifToient tous lesjours entre lui& le Surinten-
dant , fit paroître beaucoup de joye de fon retour.
Le Roi avoit alors dans fon armée dix mille hommes de
pied ôc trois mille chevaux. Mais elle devint bientôt plus
nombreufe par les fecours qui lui arrivèrent de toutes parts
à la nouvelle de la fameufe victoire qu'il venoit de rempor-
ter fur fes ennemis. Le premier qui le joignit fut le prince
de Conti, qui après avoir repris Châteaudun lui amena quel-
ques troupes du Poitou , de l'Anjou , du Maine , & de la
Touraine. Il fut fuivi de Louis de Gonzague duc de Nevers,
qui après avoir longtems balancé à fe déclarer, voyant que
le cardinal Gaëtano (i) avoit embrafTé ouvertement le parti
(i) Les Hifloriens varient extrême- 1 G<ïèV^«(j , C/«<'74i« , ou Cafetan. Vind,
ment fur ce nom. On trouve Gaétan , \ Thnan^ dit Gaétano. Nous le fuivoas.
Tome X/, Y
I70 HISTOIRE
1—1—1 de la Ligue , Se qu'il n'y avoir plus d'efpérance de réunir'
Henri les efprits , avoir enfin été déterminé par le fucccs de la ba»
I V. taille d'Ivry. Il députa d'abord au Roi Mario de Bîrague
I îoo po^ï" juftifîer fa conduite pafTée , Se fe rendit enfuite lui-mê-
me auprès de ce Prince à la tête d'une troupe de Noblefle
fort lefte. Enfin Henri de la Tour vicomte de Turenne qu'on
attendoit depuis fi longtems ,- arriva de Guienne fuivi de
mille chevaux 6c de quatre mille hommes de pied tous en
bon ordre. Ce Seigneur relevoit à peine d'une maladie dan-
gereule qu'on avoic crue longtems mortelle , £c étoit encore
obligé de fe faire porter en litière. On reçut aufli fur ces
entrefaites la nouvelle de la défaite du duc d'Aumale par
Charle d'Humiéres qui l'avoit battu à platte couture. Il
étoit beaucoup inférieur en forces au Duc , mais lorfqu'il s'a-
gifi:bit de combattre des ennemis fi fouvent vaincus , il n'y
a voit rien qui pût réfifter à la fortune vidorieufe des troupes
du Roi , & à la valeur d'Humiéres.
Entrepiife ^^ ^^^ encore dans le même tems qu'on eut avis d'une en-
des Ligueurs treprlfe que les Ligueurs avoient faite pour furprendre Sen-
furiaviliede jj^ ^ gr quj j^g réûffit pas mieux. C'étoit Dezonville frère
de Vieuxpont de Saintine , qui avoit conduit toute cette in^
trigue. Ayant été pris par les troupes du Roi quelque tems
auparavant 6c envoyé prifonnier à Senlis , pendant le long
féjour qu'il y fit il avoit propofé à quelques Eccléfiafi:iques ,
gens la plupart oififs qui fourmillent dans cette petite ville,
de livrer cette place au parti ^ & il etoit convenu avec eux
cIqs moyens d'en venir à bout. Cependant depuis que les
habitans avoient fécoiié le joug de la Ligue , ils étoient ex-
trêmement fur leurs gardes. Il y avoit outre cela dans Sen-
lis plufieurs perfonnes des meilleures familles de Paris , qui
fuyant la perjyécution avoient abandonné leurs maifons , em-
portant avec elles ce qu'elles avoient d'effets les plus pré-
cieux, pour venir chercher un afyle dans cette ville qu'elles
regardoient comme une retraite afiurée. Ceux-là avoient
encore tout à craindre des Ligueurs 5 aujffi n'étoient-ils pan
moins ardens que les bour2;eois mêmes à obferver toutes les
démarches du Clergé &: de quelques autres fainéans de la
lie du peuple, qui leur paroilToient autant de perfonnes fuf-
pedes. La conjuration fut découverte par un Brafîèur qui
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 171
travailloit pour les Cordeliers. Un jour'qii'il s'encretenoic
avec quelques-uns de ces Religieux qui buvoient tandis qu'il Henri
travailloit auprès du feu , le vin leur monta û bien à la tête, I V.
qu'ils dirent en fà préfence que dans peu ils fçauroient bien i cqo
reprendre leur première autorité dans la ville , fëcoûer le
joug des hérétiques , 6c fe venger des Politiques qui la per-
vertilFoient : Que iî le projet réuffiiroit , on n'épargneroit
aucun des Pariiiens , de de ceux des bourgeois qui avoienc
engagé Iqs autres à abandonner le parti de l'Union • &: qu'on
ëtoit bien réfolu de n'en pas laifTer un en vie. Quoique cet
artifan frémît d'abord d'iiorreur en entendant parler d'une
fî cruelle boucherie , il fe retint èc continua la converfa-
tion , afin de fçavoir quel jour devoit fe faire cette terrible
exécution. Enluite lorsqu'il en fut inffcruit , il alla découvrir
tout le myfbére à Monmorency de Thoré , l'avertiiîant de
doubler les gardes cette nuit- là, qui étoit celle du 3. au 4.
de Juillet , & de veiller à la fureté de la ville , fans cepen-
dant lui déclarer le nom des complices qu'il feignit d'igno-
rer , afin de ne pas expofer des gens avec qui il vivoit d'ail-
leurs en bonne amitié.
Chrétien de Savigny de Rofne étoit à la tête de cette en-
treprife j voici comme elle fut conduite. D'abord douze fol-
dats braves gens &c hommes de main entrèrent dans la ville
déguifés en païfans chargés de hottes , comme s'ils euiïenc
porté des cerifes , des pois , des fèves , ou des légumes au
marché. Enfuite ils fe répandirent dans différentes auber-
ges , d'où ils fe réunirent à la maifon d'un Chanoine de S,
Rieulle nommé Guillot , fîtuée vis- à vis du rempart où étoit
le rendez-vous , ôc où quelques Ecccléiiaftiques de quelques
Moines avoient déjà apporté à la faveur de leurs habits , des
armes que ces foldats avoient laiflees dans un bois voifin
hors de la ville. De ce câté-là le rempart étoit très-bas ôc
fort étroit , le foffé peu profond & en pente ^ en forte qu'il
n'étoit pas difficile d'entrer par là dans la place. Au jour
marqué de Rofne s'avança à la tête de huit cens hommes.
Enfuite étant defcendu dans le fofTé à la faveur d'une nuic
fort noire , il fit appliquer les échelles ^ & ceux qui étoienc
deftinés à cette première attaque commencèrent à monter.
Déjà ils ctoienc au haut du mur , lorfqu'arriva Louis de
lyi HISTOIRE
- Monmorency deBoucteville commandant pour Thoré , qui
Henri Tavoic averti du danger dont la ville étoit menacée. Peu
I V. de tems après il fut iuivi de la Porte Ion Lieutenant. Bout-
I ÎQO. teville qui à force de recevoir de femblables avis, com-
men(^oit à n'en plus tenir compte, étoit venu feul, 6c n'a-
voit pour toutes armes que fon^ épée. Il s'adrcfla d'abord
à la fentinelle, à qui il demanda fi elle n'avoit point entendu
de bruit dans le foiïc , 6c qui lui répondit hardiment que
non. Cette réponfe ne fervit qu'à le rendre plus attentif
èc plus circonfped ; il prêta l'oreille 3 6c entendant ceux des
ennemis quiétoient au haut de l'échelle parler bas , comme
s'ils fe fuilent adrclFés à leurs camarades j il leur répondit
de même à voix baffe , comme s'il eût été du complot. Ce-
pendant cet accident auquel il ne s'étoit point attendu
l'embarraiToit d'autant plus , qu'il croyoic n'avoir pas moins
à craindre de la fentinelle, que des ennemis mêmes. Mais
comme il avoit naturellement beaucoup de préfence d'ef-
prit , il ne perdit point la tête en cette occafion ^ au con-
traire voyant un foldat accrocher un créneau avec une main
de fer , il courut de ce côté-là , 6c fît un H grand efForc
qu'il abattit le créneau, renveriànt en même tems dans le
fofTé , 6c les échelles , 6c ceux des ennemis qui étoîentdeflus.
Pendant ce tems-là les foldacs qui étoient dans la maiion
voifine ne firent aucun mouvement , quelques inllances que
fît le chanoine Guillot pour les engager à attaquer le rem»
part, jufqu'à leur reprocher leur lâcheté. Leur inadion
fàuva la ville 3 6c bien des gens étoient perfuadés que s'ils
eullent crû leur hôte , i'entreprife auroit réliffi.
Le bruit des échelles brifées , èc 6.qs foldats renverfés
avant éveillé la Q;arde , elle fe mit auffitôt fous les armes.
En même tems les habitans fe levant au Ion du tocnn ac^
coururent avec des flambeaux , 6c prêts à repouiTer les en-
nemis s'il y en avoit. Boutteville appuyé de ce renfort,
qui auparavant fe voyant fans armes appréhendoit quelque
crahifon parcourut tranquillement le rempart. Il remarqua
dans fa vifite que les ennemis avoient aufli planté leurs'
échelles du côté du rempart où on avoit fait brèche du
tems du fiége 3 mais qu'ayant compris par le fracas qu'ils-
entendirent que leurs, camarades étoient découverts j ils.
DE J. A. DE THOU, Liv. XC IX. 173
^voient abandonnés leur encreprife & pris la fuite. Le refte .i«i
de la nuic fe pafTa encre la crainte ôc la joye de Te voir dé- Henri
livrés de ce danger , ôc à faire la recherche de ceux qu'on I V.
foupçonnoit d'être complices de cette conjuration. Au point 1590.
du jour on trouva dans le folle un foldac ayant la jambe
caiïée que Tes camarades avoient abandonné. De-là il fut
porté dans la ville j èc fur l'efpérance qu'on lui donna de
lui accorder la vie , il découvrit tout le fecret & tous les
complices de cette confpiration. Ce fut fur fa dépofîtion
qu'on arrêta les douze foldats cachés dans la maifon du cha-
noine Guilloc,à la tête defquels ëcoit le capitaine Gra-
tian 3 de ceux-ci ayant été mis à la queftion découvrirent
tous les autres complices qui étoienc dans la ville. On ar-
rêta auiîitôt vingt- fept tant Moines qu'autres Eccîéfiafti-
ques , qui tous ayant été interrogés , de convaincus d'avoir
trempé dans ce complot furent pendus lut le champ avec
les douze foldats dans le même habit qu'ils portoient lorf.
qu'ils avoient été arrêtés, fans égard, ni pour leur carac-
tère, ni pour leurs privilèges, comme traîtres pris en fla-
grant délit. Il fe trouva parmi eux quelques jeunes gens
qui reconnoilTant en ce moment la faute qu'ils avoient faite ,
avouèrent d'eux-mêmes que pour les engager dans cette
confpiration de Rofne leur avoit promis la jouilfance des
plus belles femmes & filles de la ville, fur-tout de celles
qui appartenoient aux exilés j & qu'on en avoit même
déjà fait le partage , afin que chacun fait à quoi s'en tenir.
Le mauvais fuccès de cette entreprife étonna les Parifiens. Entrevue dû
La famine étoit dans la ville , on n'y vcyoit plus ni chevaux , ^^^^^ ^ ^^
• A • 1 • «1 • I î ! • ' r 1 marquis de
m anes , ni chiens, ni chats, m rats 3 les habitans relolus Pifany.
de tenir jufqu'à la dernière extrémité avoient coniumé tou-
tes leurs providons 3 il ne leur reftoit pas même dans cette
afFreufe néceffité le pouvoir de fe nourrir des chofesquela
nature a en horreur. Ainfipour gagner du tems jufqu'à l'ar-
rivée du duc de 2vlayenne, qui leur promettoit de jour en
jour de venir à leur fecours, ils engagèrent le cardinal
Gactano à demander une entrevue avec le Marquis de
Pifany , qui avoit été autrefois ambafïadeur du Roi à Rome,
Gn. prit pour cela Ces fûretés de part de d'autre 3 après
q^uoi le Légat s'ètanc tranfportè avec l'èvêque de Paris à
Y iij.
174 HISTOIRE-
— l'hôtel de Gondy au faubourg faîne Germain , le marquis
Henr.1 de Pifany s'y rendit auffi avec l'agrément du Roi. Là ils
I V. eurent un entretien fort vague fur le danger que couroient
1590. également l'Etat &: la Religion qu'il n'étoit paspoiîible de
conièrver iî l'Etat venoit ci le perdre. Mais comme le Car-
dinal demandoit qu'on remît au Pape la décifîon de ce
difFcrend , de qu'en attendant que S. S. en eût ordonné ,
le Roi levât le fiége , & que les hoftiiités ceflallent de parc
de d'autre j le Marquis prétendant au contraire qu'il y au-
roit de l'imprudence au Roi de mettre les armes bas avant
que les Parifiens ih fulïént foumis à fon obéïflance ^ on
IQ fépara , lans avoir pu convenir de rien. Les afîiégés ten-
tèrent encore deux fois la même voye 5 mais elle ne leur
réiiiîît pas mieux. Dans le même tems Villeroi fous prétexte
de demander un fauf-conduit pour fortir du Royaume,
fît auiïî fonder les intentions du Roi par Meri de Barbezié-
res de Chemerauld qui étoit alors au camp.
fauxboiu^s ^ "-^^^ autre cote ce Prmce qui l(^avoit que Pans etoïc
de Pans. réduit à la dernière mifére , réfolut de le ferrer encore
de plus près , ôc de fe rendre maître des fauxbourgs.
Dans cette vue il commanda le baron de Biron èc Guil-
laume de Hauitemer de Fervaques pour attaquer , l'un
Je faubourg faint Martin, à la tête des règimens de Jean
de la Garde, 6c de Jean de Bodean de Paraberej &: l'au-
tre celui de Saint-Denys, avec les règimens de Vigneles , dc
de la Motte -Tibergeau. François d'Efpinay de Saint-Luc
fuivi du rècriment de Ma^efieu eut ordre de fe faifîr de
la porte Monmartre j èc le maréchal de Biron fe chargea
d'attaquer le faubourg faint Honoré avec le régiment des
Gardes Françoîfes , de un autre régiment Suillç. Le ma-
réchal d'Aumont de Jean de Beaumanoir de Lavardiii
Maréchal de Camp , furent détachés pour pafler la Seine ,
de fe rendre maîtres du faubourg faint Germain ^ de s'a-
vancer enfliite jufqu'aux portes de Bufly de de Nèfle.
Enfin Châtillon qui depuis peu étoit arrivé de Langue-
doc à la tête de quinze cens hommes de pied , de de
quatre cens chevaux , fut chargé d'agir du côté des faux-
bourgs faint Michel, faint Jacque , faint Marceau , ôC
faine Victor.
DE J. A. DE THOU,Liv. XCIX. 175
Ce fut au milieu de la nuit du ( i ) i 5. de Juillet , que l'ac-
tion commença à la vue du Roi qui s'étoit pofté à Mont H e k R ^
martre pour être témoin de ce fpedacle. Toutes les troupes j y^
commandées pour l'attaque donnèrent à peu près en même
tems èc emportèrent les fauxbourgs prefque fans réfiftance. ^^
Les affiégès parurent fur le rempart 6c firent de là un allez
grand feu de leur moufqucterie 3 mais il ne fut pas capable
d'arrêter l'effort des aflaillans. Le lendemain le maréchal
de Biron fit pointer deux pièces de canon contre la porte
S. Honoré , dont il ruina toutes les défenfes. Quoique le
Roi fiit maître du faubourg S. Germain, l'Abbaye tenoit en-
core. Le capitaine Antonio de Modéne s'y étoit jette avec
cinquante foldats , 6c il s'y défendit pendant deux jours , ne
vivant que d'herbes & de racines ^ jufqu'à ce que le Roi s'y
étant préfenté en perfonne, il lui remit ce pofte. On apprit
enfin au camp du Roi des nouvelles certaines de l'arrivée du
duc de Mayenne j car on ne içavoit encore fi le prince de
Parme entreroiten France en perfonne , ou s'il donneroit la
conduite des troupes Efpagnoles deftinées à fecourir Paris ,
au comte Charle de Mansfeldt. Sur cet avis le Roi qui fe
voyoit une armée nombreufe èc floriilante , avoit d'abord ré-
folu d'en laiiîèr une partie au fiége , & d'aller lui-même avec
le refre préfenter la bataille à l'ennemi 3 & la fécurité étoit fi
grande dans le camp , qu'il fembloit qu'on ^ut déjà maître
de Paris. Soit pour fe faire de £ètQ-j loit pour détourner le
Roi d'attaquer la ville , les flatteurs n'apportoient à ce Prin-
ce que des nouvelles favorables ; déjà le prince de Parme
ctoit à Meaux avec fon armée , &: le Roi n'avoit eu aucun
avis certain de fa marche j cependant on ne fit aucune entre-
prife contre Paris prêt à fe rendre, fi les afiiègeans fe fufiTenc
mis feulement en devoir d'y donner l'afiîaut.
En effet la confternation étoit extrême dans cette Capî- Extrémîté
taie 3 èc la difette avoit tellement affoibli , non feulement les des Paiifieus,
habitans , mais même les troupes étrangères qui étoient ve-
nues à leur fecours , que bien loin d'être en état de repoufiér
les efforts d'une armée florilîànte , à peine pouvoient-ils por-
ter leurs armes. On ne fçavoit plus dans cette ville ce que
(1) Pierre Corneïo dans fa relation du fiege de Paris , dit que ce fut la nuit
du 27.
17^ HISTOIRE
c'ecoic que îa vûuide 3 5c les pauvres ne vivoîent que de
feuilles , de racines , de d'herbes qu'ils alloîenc arracher
d'encre les pierres. On ne voyoit au coin des rues les plus
I ^90. fi'équencées &c des places publiques , que des chaudières
pleines de bouillies faites de fon d'avoine , donc i'ambailà-
deur d'Efpagne avofc donné le fecrec , &c d'herbes cuices fans
fel. C'écoic là lanourricure du peuple, ôc fur-couc des en-
fans , qui ordinairemenc fonc plus voraces que les perfonnes
raifonnables. Ces mifëres furent fuivies de plufieurs mala-
dies. On voyoic ces malheureux enfles 6c hydropiques , com-
ber de foiblelTe au milieu des rues , en force qu'il en mouroic
tous les jours une quantité prodigieulé. Malgré ces calami-
tés les Prédicateurs avoient encore le fronc de vouloir leur
perfuader qu'ils écoient bienheureux 3 ils faifoienc un éloge
pompeux de leur confiance à défendre la caufe de la Reli-
gion 3 àc ils les alîiiroienc qu'ils feroienc inceiïammenc fe-
courus. Avec cecte confiance ils renvoyoient contens de ré-
folus à tout endurer , leurs crop crédules auditeurs qui é-
toient venus au fermon le défelpoir dans le cœur. On
prétend que dans l'efpace de trois mois il mouruc fans exa-
gérer , plus de douze mille perfonnes dans cecce grande
ville. Les rues recentiiToient des gémiflemens 6c des cris pi-
toyables des moribonds 3 &c au milieu du fîlence de la nuic
on n'cntendoic que les trilles regrets de ces miférables cou-
chés fur le pavé , dont les murmures plaintifs alloient trou-
bler jufque dans leurs lits 6c interrompre le repos de ceux
qui étoient en fanté. On épargnait le pain jufque dans les
plus grandes maifons j 6c chez le Légat 6c l'ambaifadeur
d'Elpagne, on n'en donnoît que fix onces par jour aux do-
mefliques 3 il manqua même abfblument pendant plufieurs
jours dans les Couvens. Les Allemands gens naturellement
féroces , que des perfonnes aifées entretenoîent pour la fu-
reté de leurs maifons , fe mettoient au guet au coin des rues
pour arrêter au paiïàge tous les chiens qu'ils appercevoient ,
quoique la plupart pleins de galle 3 de après les avoir attirés
à eux à force de careiFes , ils leur jettoient au col un lacet
avec lequel ils les étrangloienc , 6c les mettant en pièces les
dévoroient enfuite tout cruds à la vue de tout le monde. Les
peaux mêmes de cB animaux étoienc pour eux un régal.
jEnfia
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 177
' Enfin on vit fe renouveller dans cette malheureufe ville , ce
qu'on raconte de plus tragique du iîëge de Jérufalem -la H e n «. j
ciiair humaine devenir la nourriture de ces aftamés ^ Se des I V.
mères fe nourrir des cadavres de leurs enfans. Mais les Pré- 1590.
dicateurs & ceux qui ëtoient à la tête des affaires , eurent
foin de cacher cette circonftance , de peur que l'iiorreur
d'un fait auffi étrange ne rallentît l'ardeur avec laquelle ce
peuple aveuglé s'obftinoit à ne fe pas foumettre. La boiflbn
ordinaire n'étoit pas meilleure que la nourriture. Les caba-
rets où fe vendoîent auparavant les excellens vins , s'étoient
changés en manufactures de bières infipides Se de mauvaifes
tifannes. Un jour même TambafTadeur d'Efpagne ayant rap-
porté que dans une place des Turcs affiégéc par les Perfes ,
la garnifon réduite à la dernière extrémité avoit mangé du
pain fait avec des os de morts mis en poudre j ce confeil fut
d'abord pris en mauvaife part , comme venant d'un Efpa-
gnol , qu'on foupçonnoit de n'avoir propofé cet expédient ,
que pour voir jufqu'où pouvoit aller la patience des Fran-
çois , qu'il regardoit déjà comme afTervis à fon maître. Ce-
pendant la néceffité devint Ci grande (r) que cela fe prati-
qua à la fin. Par une fuite nécellaire tout étoit d'une cherté
extrême j la livre de pain blanc fe vendoit un écu , le beurre
valoit jufqu'à deux écus la livre , le feptier de bled cent écusj
enfin le bois même étoit fi rare , qu'on fut obligé de pren-
dre les planchers èc les couvertures des maifons, pour brûler.
Accablés de ces miféres , les Parifiens écrivirent au duc
de Mayenne le 5. d'Août, pour lui repréfenter l'état déplo-
rable où ils étoient réduits : Que le danger dont leur ville
étoit menacée regardoit également la Religion : Qu'ainfi ils
le prioient de faire en forte, qu'après avoir été les premiers
à donner l'exemple à toutes les provinces du Royaume , ôc
à les exciter à demeurer fermes dans le parti , leur ruine ne
leu-r apprît de même à ne pas porter trop loin leur conffcance
& leur fidélité. Deux jours après Henriette de Savoye époufe
du Duc lui écrivit auiîî pour le prier d'avoir au moins corn—
paiFionde fes enfans ^ ajourant que pour elle , cllefe mettoic
(i) M. du Puy dans fes notes fur la 1 en avoit loiic l'invention , 8c que cela
Satyre Menippee dit , qu'on le nomma dura peu , parce que ceux qui en man-
ie pain de Madame de Monpenfier , qui I gèrent en moururent.
Tome X /. Z
17? HISTOIRE
•^^^^a^^fE^n^r^^^^ peu en peine de la vie j mais qu'au cas qu'il ne fût pas déjà
Henri en chemin avec le duc de Parme pour venir faire lever le
I V. iiége , elle le conjuroit de lui mander nettement èc fans fard
I 590. quelles mefures il vouloir qu'elle prît pour la confervation
de fa perfonne & de celle de Tes enfans , que le moindre re-
tardement ne pouvoit manquer d'expofer à devenir la vidi-
rae d'un ennemi cruel , à la difcrétion duquel ils feroienc
obligés de fe remettre.
Cependant une troupe d'habitans s'étant foûlevée , courue
au Palais demandant avec des cris confus la paix ou du pain.
Mais le chevalier d'Aumale &: les Seize ayant diflîpé cette
troupe de dérefpérés , Renarvl procureur au Châtelet accufé
de s'être mis à leur tête , fut arrêté prilonnier ôc enluite pen-
du pour l'exemple.
Dépuration Ce Commencement de fédition fie appréhender au Légat
des paiifiens ^ à l'ambalîadeur d'Efpagne quelque foulé vement plus con-
au Roi. fidérable. Ain/î pouramufer le peuple de quelque lueur d'eC
pé ran ce, & arrêter les entreprifes que lesaffiégeans auroient
pu faire fur la ville , parlèrent de négocier une paix entre le
Roi qu'ils appelloient le Navarrois , ôc le duc de Mayenne.
Dans cette vue les principaux chefs du parti s'étant aflém-
blés fur un ordre du Parlement dans la lalle de S. Louis , il
fut arrêté que le cardinal de Gondy , l'archevêque de Lyon,
êc quelques autres du Clergé , iroient trouver le Roi, 6l de
là fé rendroient auprès du Duc. Le Roi leur fit expédier un
faufconduit , àc s'engagea , au cas qu'ils pufTent s'accorder
avec lui , à leur permettre d'aller trouver le duc de Mayenne.
Le lieu de l'entrevûë fut Tabbaïe de S. Antoine à un mille
de Paris , où le Roi fe rendit fuivi du chancelier de Che-
verny , du maréchal de Biron , ôc de tous les Princes & Sei-
gneurs de la Cour. Là le cardinal de Gondy portant la pa-
role , après avoir fait une peinture touchante de l'état dé-
plorable où la France étoit réduite , èc avoir apporté quel-
ques exemples pour prouver qu'on avoit vu de même plu-
ii^urs autres peuples s'expofer aux extrémités les plus cruel-
les pour la défenfe delà Religion, dit au Roi que pour re-
médier à tant de maux , ils avoientété députés vers lui par
le Parlement &: la ville de Paris , avec ordre de fe rendre de
là auprès du duc de Mayenne , afin de prendre de concert
DE J. A. DE THOU, Liv. X C î X. 179
les mefures nécefTaires pour mettre la Religion à couvert, & ^'j^
ménager entre eux un accommodement. H b n m
Après ce difcours qui fut long , le Cardinal un peu trou- I V,
blé de fe voir environné d'un fî grand nombre de Nobieiîè 1^90.
qui preflbit fort les Députés j le Roi qui n'en étoit pas moins
incommodé , leur dit agréablement, & en même tems fort
à propos, qu'ils ne dévoient pas trouver étrange, s'ilfe trou-
voit quelque fois ainfî preiïé ^ que cela venoit de ce que les
Seigneurs de fa fuite étoient accoutumés à prelîer ainfî l'en-
nemi dans les batailles. Enfuite il prit le cardinal de Gondy
èc l'archevêque de Lyon en particulier, & s'entretint avec
eux pendant quelque tems j après quoi il entra au Confeil
pour délibérer fur la réponfe qu'il devoit leur faire j & leur
envoya d'abord Louis de Révol fecretaire d'Etat pour leur
demander leurs pouvoirs.
Ils n'étoient pas en forme , & le Roi comprit en les voyant
qn'on ne cherchoit qu'à l'amufer. D'ailleurs on ne lui don-
noit pas dans cet ade les qualités qu'il devoit avoir. Cepen-
dant il palTa outre, &: ayant fait venir les Députés, il leur
répondit d'une manière très-vive : Qu'il n'y avoit perfonne
qui fût plus fenfible que lui aux malheurs de fon Royaume :
Quie chaque particulier ne fentoit que le mal auquel il étoic
expofé perfonnellement 3 au lieu que lui qui étoit leur Roi,
portoit tout le poids de la mifére de fon peuple : Qu'ainfî
on ne devoit pas douter qu'il ne fût plus porté qu'aucun à
chercher les moyens de mettre fin aux maux que le poifon
mortel de la Ligue avoit répandus dans toute la France :
Qu'il en avoit coûté la vie au feu Roi , & l'honneur à toute
la nation Francjoifè , qui par cette guerre s'étoit à jamais
déshonorée : Q}ie il c'étoit une république de Venife ou
quelque autre Puiilance alliée qui voulût fè rendre arbitre
entre lui&le duc de Mayenne fécondé des forces de l'Ef^
pagne pour les accommoder • cette démarche pourroit être
tolérable ^ mais que les Parifiens fes fujets voulufTent fe mê-
ler de ce foin , c'étoif ce qui ne pouvoit fè foufFrir : Qiie
s'ils avoient quelque chofe à lui demander , c'étoit à lui-
même qu'ils dévoient s'adrefTer : Qii'il étoit plus en état de
leur nuire que perfonne j mais qu'il n'y avoit perfonne aufîi
qui eût les moyens ôc la volonté de leur faire plus de bien
Zij %
i8o HISTOIRE
que lui: Qu'il aimoit fa ville de Paris rQtie c'étoît fa Ca-
Henri pitale èc fa fille aînée : Qu'il relFembloic à cette mère, donc
I V. il cft parlé dans l'Ecriture, qui avoic mieux aimé perdre Ton
I COQ. enfant que de le voir mettre en pièces : Qti'après avoir lou-
levé Ton peuple contre lui par les vaines terreurs dont on
l'avoic rempli juiqu'alors, on cherchoit encore à ramufei*
par des eipérances mal fondées : Que s'ils fouhaitoient voir
la fin de tous ces malheurs , ce n'étoit point aux Efpagnols
ni au duc de Mayenne qu'ils dévoient s'adrefTer : Qu'il vou-
loit qu'ils n'en fçufîènt gré qu'à lui feul j &: que par la grâce
de Dieu , ôc avec l'aide de tant de Princes , de Seigneurs ,
d'Officiers , 5c de braves Gentilshommes qui étaient à fa
fuite, il fc^auroit bien empêcher que le roi d'Efpagne n'en-
voyât des colonies en France , comme il avoit fait dans le
Brefil : Qii'au refte ils devroienc mourir de honte, eux qui
ëtoient nés François , d'avoir tellement oublié l'amour que
naturellement ils dévoient avoir pour leur patrie & leur li-
berté , qu'on les vît baifler ainfi la tête ious le joug de
J'Efpagne ^ & tandis que fous leurs yeux la faim enlevoic
tant de milliers d'ames , être aflèz lâches ou allez timides
pour n'ofer dire un mot qui lervît au falut public , dans la
crainte de déplaire au cardinal Gaëtano , à d'ibarra ou à
Mendofe : Que Dieu Iqs puniroit un jour d'avoir fait fi peu
de cas de la vie de leurs ouailles : Que fi l'on attendoit feu-
lement dix jours , il en moureroit peut être encore dix
mille, & qu'ils en feroient refponlables : Qi-i'il ne falloit point
prétendre le convaincre par des exemples : Qiie celui des
habitans de Sancerre que le Cardinal avoit cité ne prou-
voit rien : Qu'outre leur Religion , on vouloit encore leur
ôter leurs biens, leurs privilèges, de la vie : Que les Pari-
fiens au contraire n'avoient rien de femblable à craindre ,
pourvu qu'ils fongcallènt de bonne heure à rentrer en grâce
avec lui , & à le ibùmettre aux conditions qu'il leur pro-
pofoit , tandis qu'il en étoit encore tems : Qu'il ne falloîc
pas écouter ceux qui publioient que fi la ville le rendoit,
il la ruineroit de fond en comble : Qiie c*étoient des igno-
rans ou des impofbeurs qui avoient la malice ou l'impudence
d'inventer de lemblables menlonges pour détourner fcs fu-
jets de le reconnoître : Que fa bonne foi ôc fa clémence
DE J. A. DE THOU,Liv. XCIX. i8i
ëtoîenc afTez connues : Que s'il forcoic quelqu'un de fa ville ;=!===?
de Paris, après qu'elle ieroicfoûmire, ceneferoienc tout au Henri
plus que les leize , &: qu'il la repeupleroic de cent mille âmes: I V.
QLie tout le monde avoic un libre accès auprès de lui : Qii'il 1590.
ne refufoic de faire grâce à perfonne : Qiie le moindre re-
tardement lui ièmbloit être préjudiciable à fa ville de Pa-
ris & à toutfon Royaume ; Que depuis peu ilavoit chargé
le comte de Brilîac de dire au duc de Mayenne , que pour
avoir une bataille il donneroit un doit de fa main , parce
qu'il étoit bien fur de la gagner , & que pour fa paix gé-
nérale il en donneroit volontiers deux : Qu'il n'ignoroit pas
la néceiîîté extrême où les Pariliens étoient réduits : Qu'il
fçavoit qu'ils ne vivoient plus que de pain d'avoine, ôc cela
pour faire plaifir au roi d'Efpagne, qui avoit mandé depuis
peu au duc de Parme qu'il ne fe mît point en peine des
Pays-bas, pourvu qu'il lui confervât fa ville de Paris : Qu'auL
refte c'ctoit s'appuyer far une planche pourrie , que de fe
fonder fur un fi foible de auiTi fragile fecours que celui de
ce Prince : Qu'il étoit vieux 8c cafTé : Qiie d'ailleurs fon
unique but étoit de démembrer ce florillant Royaume , &
de donner autant de tyrans à la France , qu'il avoit établi
de vicerois dans les Indes : Que pour lui il avoit un avan-
tage dont manquoient peut être les autres Rois fes prédé-
celfeurs : Qu'outre le droit que fa naîiTancc donnoit à la cou-
ronne , il n'y avoit Prince ni Seigneur dans fon Royaume
dont il ne fût parent ou allié j en forte que il le trône étoit
éledif, il eft à croire qu'il feroit choifi préférablement à tout
autre : Qiie c'étoit celui qui lui faifoit efpérer de chaflcr
bientôt de fa Capitale , ôc même de tout (on Royaume ,,
les Croix rouges , c'eft-à-dire les Efpagnols qui , fi on les
foufFroit plus long-tems , mettroient dehors non-feulement
le duc de Mayenne, mais .encore tous ceux qui les avoient
appelles à leur fecours , &: feroient de Paris le théâtre fan-
glant du fpedacle le plus formidable , donc la poftérité puille
jamais entendre parler.
Après cette réponfe,les Députés préfentérent leurs pou-
voirs j quoiqu'ils fufient remplis de déirauts , le Roi pour
montrer qu'il ne s'arrêtoit pas à des termes , leur dit qu'il
étoit prêt de leur accorder huit jours pour confulter le duc
Ziij
1^2 HISTOIRE
" ■ de Mayenne j à condition qu'on commenceroic par drelîêf
Henri des articles, èc qu'ils lui donneroient des otages , afin de lui
I V. iervir de garands de ce dont ils feroient convenus : Qu'au
1590. casque dans ce terme le Duc ne l'obligeât pas à lever le
fiége, la ville fe rendroit à lui aux conditions qui auroient
été réglées : Que fî au contraire ils étoient fecourus par le
Duc, leurs otages leur feroient rendus. Enfin pour montrer
qu'il ne fouhaitoit rien tant que la paix , il permit au car-
dinal de Gondy 6c à Tarclievêque de Lyon d'aller trouver -r
le duc de Mayenne , & d'en délibérer avec lui • il s'enga-
gea au cas qu'ils convinlTent avec lui de quelque accom-
modement où la ville de Paris fut comprife,de n'avoir au-
cun égard à la capitulation qu'ils auroient conclue précé-
demment avec lui ^ &c il demanda que fî au contraire la paix
générale ne fe faifoit point , ou qu'on ne put le forcer à le-
ver le fîége dans huit jours, ils s'obligeafîcnt à lui rendre
la ville dans ce terme , fuivantles conventions qu'ils auroient
faites.
Tel fut le fuccès de cette députatîon , où tout fê pafïa
avec beaucoup de grandeur , & en même tems de modéra-
tion de la part du Roi. Outre cela ce Prince s'étendit fort
au long fur les malheurs dont cette guerre étoit la fource j
il repréfenta les campagnes défolées , les arbres coupés , les
maifons des particuliers tombant en ruines de toutes parts 5
èc montra être fenfîble à tous les maux de fes fujets avec
de véritables entrailles de père. Du refle on fe fépara fans
rien conclure ^ & pour faire honneur aux Députés , le Roi
donna ordre au Baron de Biron de les efcorter jufqu'à
ce qu'ils fuffent en lieu de fureté. On leur remit aupa-
ravant un écrit contenant la réponse de ce Prince avec
quelques changemens , qui n'étoient cependant que dans
les termes. Cet écrit fut figné de Pierre Forget de Frefne ,
de peur que quelques mal - intentionnés ne donnaffent
une interprétation maligne à ce que le Roi avoit dit ^ ôc
on les chargea d'en faire la ledure en préfence de ceux
qui les avoient députés. Le lendemain pour rendre fes dif-
cours plus efficaces , Se jetter la terreur dans l'efprit des
Parifîens , le Roi fit pointer quelques pièces de canon dans
le faubourg Saint Germain contre un endroit foible que
DE J. A. DE THOU,Liv. XCIX. i8^
le duc de Nemours fie auflicoc fortifier.
.En même cems le Roi écrivit au duc de Nemours lui- Henri
même , le priant par l'alliance qui étoit entre eux , par le I V.
danger dont il étoit menacé , par la valeur même & la fer- 1590.
mecé qu'il n'avoit que trop tait paroître pendant tout ce
CiégQ , de penfer enfin à fa fureté , 6c de ne pas s'opiniâcrer
davantage fous une vaine efpérance de fecours , à défendre
une ville auffi ailée à prendre j & qui ne pouvoit manquer
d'être ruinée &c faccagée , s'il le forçoit à y donner l'aflàur.
Il ajoiicoit que les affiegés ne pouvoient être fecourus fans
une bataille j ôc qu'il n'y avoit pas d'apparence que le duc
de Mayenne fongeât à la rifquer , après avoir été fi mai
mené dans la dernière qu'il* avoit perdue : Que fi l'évé-
nement ne répondoit pas à (es vœux, quelle feroitlacon-
dition de toute la France , après avoir vu. fon Roi légi-
time défait, finon de tomber fous le joug & la domination
des Efpagnols, \qs maîtres les plus fiers 6c les plus cruels du
monde Qu'ainfi il l'exhortoit à fe fouvenir du pafie , & à
juger de-là de ce qu'il pouvoit efpérer pour la luite. Le
Rof fit aufii rendre fous main de femblables lettres à la
veuve de François duc de Guife , êc mère du duc de Ne-
mours. Cette PrincefiTe étoit d'un caractère doux & paci-
fique , ôc pafiToit pour favorifer en fecret le parti du Roi dans
refpérance,dit-on , d'obtenir de ce Prince fa fœur en ma-
riage pour fon fils.
Le duc de Mayenne de fon côté, après avoir fait partir Entrée du duc
pour Meaux les troupes qu'il avoit autour de Laon,s'étoic ^^^^^^^'^^^
déjà rendu dans cette ville. Il étoit accompagné du duc
d'Aumale fon coufin , de Flenri de Lorraine comte de Cha-
ligny commandant des Chevaux légers que le duc de Lor-
raine avoit envoyés au duc de Mayenne , de Claude de la
Châtre un des principaux Officiers du parti , de Florimond
d'Hallewin marquis de Meignelay , de Jean de Monluc de
Balagny, ôc du capitaine Saint Paul. Peu de tems après, c'eft-
â-dire,le vingt-deux d'Août, arriva le prince de Parme lui-
même à la tête de ( i ) dix mille hommes de pied de de trois
mille chevaux. Il étoit fuivi de plufieurs Princes &c Seigneurs,
( 1 ) La relation de Pierre Corneio marque douze à treize mille hommes
d'infanterie.
i84 HISTOIRE
comme des princes de Cliimay , d'Afcoly, &: de ( i ) Château-
Henri Beltran 3 d'Emmanuel de Lalain marquis de Renty coni-
I V". mandant des Chevaux-Légers j des comtes de Berlaymond
1550. & d'Arambergh 3 de D. Antoine deZuniga qui étoic retour-
né en Flandre depuis le départ du duc de Mayenne-, de D.
Sanche de Ley va 3 de D. AlFonfe Idiaquez 3 de Pierre Gaë-
tano 5 de jean-Baptifte Taxis provedidor de l'armée j (i)6c
cinq jours après vint Valencin de Pardieu de la Motte
Grand-Maître de l'artillerie , qui amena l'arriére-garde. Le
Prince fut re^û avec beaucoup de joye j & ayant été d'a-
bord conduit à l'Eglife cathdrale , après avoir rendu grâces à
Dieu de Ton beureufe arrivée , pour lever tous les ombrages
que fa préfence auroit pu donner j &c de crainte qu'on ne
penfât que l'intention des Efpagnols fût fous prétexte de fe-
courir la France , de fe rendre maîtres des meilleures places,
il protefta publiquement qu'il n'étoit entré dans le Royaume
qu'afin d'en bannir rhéréfiej èc qu'il employeroit jufqu'à fà
propre vie pour en venir à bout. Enfuite il tint confeil avec
le duc de Mayenne fur les mefures qu'on devoir prendre
pour fecourir Paris, &: y faire entrer des vivres , 6c ils con-
clurent que le moyen le plus fur Ôc le moins dangereux d'y
réiiffir , étoit de s'emparer de toutes les places voiiines Ci-
tuées fur la Marne £c fur la Seine.
Suivant cette réfolution , le prince de Parme fit jetter
deux ponts de batteaux fur la Marne j ài ayant palGTé cette
rivière avec toute fon armée il fe mit en marche. Son
avant-garde étoit commandée par le duc d'Aumale & par
la Châtre j le prince de Parme Se le duc de Mayenne étoient
à la tête du corps de bataille, 8c le comte de Chaligny , le
capitaine Saint Paul , & la Motte fuivi de vingt pièces de
canon conduifoient l'arrière-garde. L'armée Efpagnole mar-
chant en cet ordre campoit tous les foirs fi bien retran-
chée Se fortifiée, qu'il n'étoit pas pofTible de forcer le Prince
à donner une bataille qu'il fçavoit que le Roi fouhaitoit
avec tant d'ardeur.
maifon de Croy , comme celle de Chi"
may.
(z) Selon l'auteur que je viens de
citer,ce fut feulement deux jours après.
Avant
(i)Oncroir, dit l'auteur des nou-
velles remarques fur la fatyre Menip-
pée , qu'au lieu de Château-Beltran ,
on doit lire Château-Porcien , Princi-
pauté en Champagne , qui étoit dans la
DE J. A. DE THOU, Liv. XCÏX. 185
Avant l'arrivée des Efpagnols, &: tandis que le Roi étoit
encore devant Paris , ce Prince avoir délibéré s'il ne devoir H e n Pv i
pas faire le fiége de Meaux. C'ctoit l'avis de Guitry , qui I V.
prétendoit que par la prife de cette place , on arrëceroit i coq,
non-feulement les convois qui pouvoient venir par la Marne,
ôc enfuite par la Seine jufqu'à Paris j mais qu'on ôtcroic
même à l'armée ennemie toute efperance de pouvoir jamais
approcher de cette Capitale. D'aut:es repréfentoient au con-
traire qu'il y auroit de l'imprudence d'aller affoiblir ics forces
à ce iiege , tandis qu'on pouvoit en avoir befoin pour des
occafions plus importantes 5 6c foûtenoient qu'il coûteroic
moins de tems de moins de peine pour réduire Paris, que pour
prendre Meaux. On abandonna donc ce projet ^ & on fe
contenta de fortifier le château de Nantouillet où l'on mie
une bonne jrarnifbn. Cette place que le cardinal Antoine du
Prat avoit fait bâtir avec des frais immenles , étoit environ-
née d'un folfé large ôc profond. Le duc de Nemours s'en
étoit emparé depuis la mort d'Antoine du Prat neveu du
Cardinal 3 & en avoit confié la garde à un certain Alfonfe
banquier. On l'en chafla, & le Roi la remit à Jacque Au-
guile de Thou qui en prit poilcfîion par droit de tutelle, comJ
me ayant cpoufé Marie de Barbanfbn lœur d'Anne de Bar-
banfbn mère des enfans mineurs d'Antoine du Prat. Il étoit
encore alors au lit d'une lièvre violente qui l'avoit attaqué
durant la canicule, & qui pendant vingt & un jours qu'elle
dura mit plufleurs fois là vie en danger. Ainfi on lui donna
pour fécond un brave Officier, nommé le capitaine l'An-
gevin qui entra dans le château avec fix -vingt bons foldats,
& qui répondit au Roi fur fa tête , au cas que le prince de
Parme tournât de ce côté-lâ en venant de Meaux , de Par»
rêter vingt jours devant cette place.
Dans le même tems qu^e de Thou commençoît à fe ré- Moitdc
tablir , mourut à Saint Denis de la même maladie l'abbé ['^^^'^ '^^^"
d'Elbene. C'etoît un homme d'un génie aife , d'une érudi^
tion profonde, & d'une expérience confommee. Il n'avoit
alors qu'environ quarante ans , àc fut extrêmement regrété
du Roi 6c de {qs amis. Il mourut ai^fTi dans le même tems
beaucoup d'autres perfonnci qui furent obligées dans ces
^îialadies caufée^par les grandes chaleurs , ôcpar les autres
Xi^r/je XI, A a
j2è HISTOIRE
incommodités d'un long fiége, de boire des eaux Gorrom-
H £ N R I pues par le plâtre qui lont pernicieulesaux malades,
I V. Cependant le Roi qui ne pouvoic plus douter de l'arrî-
1^90. ^^^ ^^ prince de Parme fetrouvoic fore embarrafTé j incer-
Lcv-'c Hu tain du parti qu'il avoit à prendre , ou de continuer le iiége
^lege de Pa- ^q Paris qu'il voyoit réduit à une fi grande mifére, qu'il ne
pouvoit pas , difoit-on , tenir encore plus de quatre jours j
eu de marcher avec toutes Tes forces au devant de l'enne-
mi. Ce qui le tenoit ainfi indét-erminé , c'cft que luivant ce
que la Noue lui avoit dit du général Eipagnol , il le f<^a-
voit homme à profiter habilement de toutes les occalions
favorables qui s'ofFriroieiit , ôc à ne rien rifquer téméraire-
ment. Ainfi il jugeoit que n'étant entré en France que pour
fecourir Paris, ce Prince déjà couronné de tant de lauriers
préféreroit toujours la confervation de cette ville à laquelle
Je moindre retardement étoit préjudiciable , à une taufïè
idée de vaine gloire à laquelle il ne devoit pas être fort
fenfible j que par conféquent il ne marcheroit jamais qu'à
la tête de toute Ton armée j & fe retrancheroit fi bien ^
que pour l'entamer , il faudroit l'affiéger dans les formes
comme une place forte.
Le Roi etoit toujours en doute , s'il laifîeroît une partie
de Tes troupes dans les fauxbourgs pour arrêter les convois^
ou b'il marcheroit contre l'ennemi à la tête de toutes fes
forces.Enlin il fe détermina à décamper avec toute Ton armée,
afin de ne pas commettre la même faute qui s'étoit faite
autrefois à Pavie ^ d'autant plus que dans les circonftances
préfentes elle auroit pu avoir des fuites encore plus fâcheufes.
Ce fut aulFi l'avis du duc de Nevers , des maréchaux de
Biron 6c d'Aumont , de la Guiche Grand Maître de l'ar-
tillerie , de la Noue de de Guitry , du vicomte de Turenne,
de la Trimouille êc de Chatillon, qui étoient les principaux
chefs de l'armée du Roi. Us fe fondoient principalement
fur cette raifon , que fi on vouloit continuer le fiége, il n'é-
toit pas poffible d'y laiHer un nombre de troupes allez con-^
fidérable pour repoufler les forties des affiégés ^ qu'à l'égard
des convois , il faudroif être aveugle pour compter fur leur
fidélité à les arrêter j parce que les gens de pied fur-touc
étoient la plupart G naal équipés , prefque tous nuds , fans
DE J. A. DE THOU, Liv. XCîX. lîy
chapeaux , fans fouliers , & fans chemife , qu'il y avoit tout ^ ■' < >
lieu de croire que pour quelque argent ils ne fe teroienc pas H e n r. i
un fcrupule de contrevenir aux ordres du Roi , ôc feroient I V.
même les premiers à faire entrer fous main des vivres dans 1590»
la Ville.
Mais cette raifon-Ià même jertoît encore le Roi dans un
étrange embarras , parce qu'il ne fçavoit comment faire pour
retenir iès troupes , s'il venoit à lever le fiége. En effet il
ctoit confiant que Tefpérance feule de prendre Paris enga-
geoit une grande partie de l'armée -, & on s'attendoit à la
voir fè débander, dhs qu'elle fe verroit fruflrée de fon at-
tente. Mais le maréchal de Biron trouva encore moyen de
lever cet obilacie. Par fon confeil on répandit le bruit dans
le camp qu'on ne prétendoit point s'éloigner de Paris , ni
abandonner le fiége j qu'il s'agifloit feulement d'aller livrer
bataille à l'ennemi éc de le vaincre 3 6c tous les OiHciers
eurent ordre de faire bien entendre à leurs foldats que cela
ne pouvoit manquer d'arriver. Cette efpérance fît reprendre
cœur aux troupes fatiguées de tant de travaux , &; qui fon-
geoient déjà à fè retirer. La NobielTe fur-tout qui en France
aime la gloire jufqu'à la folie, auroit tout foufFert pour par-
tager l'honneur de ce combat.
Le Roi retira donc fes troupes à^s fauxbourgs le dernier
jour d'Août , & marcha du coté de Chelles avec toute fon
armée, (i) Chelles efb un bourg connu par une Abbaye de
filles qui porte ce nom. Il eft bâti dans un terrain maréca-
geux , au travers duquel pafTe un ruiiîeau qui l'arrofc. Les
Maréchaux àQs logis de l'armée ennemie y étoient déjà ar-
rivés, lorfque celle du Roi parut j mais ils en furent aufîî-
tôt chafFés par Chatiilon & Lavardin maréchaux de Camp
que le Roi avoit détachés. Enfuite parut un gros d'envi-
ron fîx cens chevaux , où étoient, difoit-on , le prince de
Parme èc le duc de Mayenne, contre lequel le Roi qui ar-
riva fur ces entrefaîtes efcarmoucha pendant quelque tems.
Le lendemain les deux armées parurent en bataille dans
une plaine fîtuée au defTus de Chelles , & terminée à droite
& à gauche par deux colines féparées par un ruifTcau j &
(i) Chelles, autrement Sainte Bau- Mw/Z^-w/Vf^ Iranc, l. j. p. 175. chajf,
dour y ou Sainte Baupteur. Manchet ' ij.
Aaij
188 HISTOIRE
qui aboutilîent à un petit bois. An milieu de ce bois ed un
H £ N ^i château , &c au-delà en tirant vers le Sud , un marais cou-
I V. pé par une petite plaine traverfée aufîi par un petit ruiffeau ,
I Î90. ^ s'étendant de-là julqu'à la Marne entre Je château ôc le
Maraii, C'efb dans ce pofte que le prince de Parme s'ëtoic-
retranché. Le Roi avoit dans Ton armée cinq mille cava-
liers prefque tous compofcs de Nobleiîe & bien équipés ,
avec leize mille hommes de pied, y compris les Suiilès &c les
Lanfquenets. La cavaleiie étoit à l'ordinaire partagée ea
pluiîeurs corps foutenus par les Piancs par quelques pelotons
de eens de pied. L'aile droite s'étendoit julqu'à la colline,,
où le Roi avoit pofbé fix pièces de canon avec les SuilFes
couverts fur les flancs par une partie de l'infanterie Fran-
çoîle. A l'aile gauche qui formoit une efpéce d'arriére-
garde,étoient les Lanfquenets avec le refte de l'infanterie
Fran(^oire,6c une pareille artillerie. Les deux armées reftérent
ainii en prélènce depuis onze heures du matin jufqu'au foir,
ëc recommencèrent le même manège huit jours de fuite, iàns
qu'il fe pafsât entre elles aucune adion conlîdérabie. Tout
aboutit feulement à quelques efcarmouches.
Alors le Roi envoya plufieurs fois un Héraut au duc de
Mayenne pour lui préfénter la bataille j de l'inviter félon
l'ufage établi entre cavaliers , à finir dans une feule adion
les malheurs de la guerre. Mais le Héraut ayant été ren-
voyé par le Duc au prince de Parme n'en reçut point d'autre
xéponfé , finon qu'il étoit venu en France par le comman-
dement du Roi Philippe fon maître le plus puifîanc Prince
de la Chrétienté , pour faire lever le fîége de Paris , félon
qu'il le jugeroit pour le plus fur & pour le mieux 5 ce qu'il
efpéroît avec la grâce de Dieu exécuter dans peu:Qii'au refte
il y auroit de l'imprudence à un Général comme lui de rif-
quer au hazard d'une bataille ce dont il étoit déjà maître?
Qu'ainfi s'il étoit vrai que ce guerrier û fameux qui lui en-
voyoit ce défi , eût tant d'envie d'en, venir aux mains , c'é-
toit à lui de le forcer à donner bataille ^ ôi qu'alors l'expé-
rience décideroit à qui des deux devroit demeurer l'honneur
de la force de de la bravoure. Le prince de Parme parloic
de la forte avec d'autant plus de confiance, qu'il étoit bien
informé que depuis la levée du blocus , les Gouvernciu's 5c
DE J. A. DE TFIOU, Liv. XCIX. 189
les payfàns du pays Cliartrain , de la Beaufle de des places
voifincs, faifbi^nt à roue moment entrer librement dans Pa- H e n ki
ris toutes fortes de provifions. I y.
Pendant ce tems-îà le duc de Mayenne ayant fairpalTer ^ ^^^^
la Marne à fon canon , comment^oit à foudroyer Lagny Prife ne La-
place peii forte lituéeau-delà de cQZte rivière , &c alfez con- ""X P^"^ '^
nuë par une Abbaye qui porte aulîi (on nom j mais du refte farme. ^
fans rempart de fans défenfes capables de tenir contre une
armée. Jacque de la Fin commandoit dans ce pode avec
unegarniion de huit compagnies d'infanterie. D'abord les
ennemis le battirent de front de à revers avec huit pièces de
canon qu'ils avoient placées en deçà de la rivière -, enfaite ils
firent paiîer fur un pont de bateaux deux régimens de gens
•de pied, Pun de François, 6c l'autre d'Italiens commandés
par les capitaines Chiapan Milanois de André de Narni pour
aller reconnoitre la brèche. Alors les affiègcs parièrent de
fe rendre 3 mais leurs proportions n'ayant pas paru rai-
fonnables , les Efpagnols montèrent à l'aflaut. Il fut d'a-
bord foutenu avec beaucoup de vigueur par les alîiégés, à
qui le Roi envoya cependant quelque fecours par l'autre
côté de la rivière. Enfin la place fut emportée l'épée à la
main à la vue de l'armée , de fous les yeux même du Roi,
comme le prince de Parme ofoit s*en vanter 5 quoique nos
troupes fe iuftifiajGTent adèz bien de leur inaction, fur le venc
contraire qui les empechoit d'entendre le bruit du canon ,
& fur le danger qu'il y auroit eu pour elles à vouloir pafTer
la rivière. Le Roi perdit quatre cens hommes à cet aiTaur^
de la Fin lui-même y fut fait prifonnier. Les ennemis per-
dirent les capitaines Lanti de Antonîani qui y furent tués
avec plufieurs autres. La place fut prife (i)- le fix de Sep-
tembre -, de on la fît démanteler auiTitôc après.
Comme la perte de Lagny fembloit intèrelTer l'honneur
de toute la nation Françoife , le Roi également animé de
colère de de honte voulut avoir fà revanche , de prie enfin
la rèfolution de fe rendre maître de Paris de gré ou de force.
Dans cette vue il afiembla deux jours après toutes Ces trou-
pes dans la plaine de Bondy au-dciïbus de la foret de Livry,
(1) Pierre Corneio la date du 7. & 1 Lune , imprime'esà la fuite de la Satyre
l'auteur des nouvelles Régions de lalMenippce, du 8.
A a nj
Ï90 HISTOIRE
d'où fur le foîr il en déracha une partie pour aller artaquet
H E N R I le faubourg S. Germain, parce que la ville écoic plus foible
I V. de ce côté - là. Mais l'encreprilè manqua , parce que les
I S 90, échelles qu'on y avoir deftinees le trouvèrent trop courtes.
Un Efpagnoi , nomme Pierre Corneio qui étoit alors dans
cette Capitale , &c qui après avoir donné au public Thiftoire
des guerres de Flandre , a fait auffi une relation du ficge de
Paris, écrivain d'ailleurs peu exad, attribue aux Jéluites la
confervation de cette ville en cette occafîon. 11 rapporte
qu'ils accoururent les premiers au bruit qui fe fit dans le fofTé,
qu'ils parurent en armes fur le rempart prêts à repoufTer les
ennemis , &: qu'ils tuèrent même un foldat de l'armée du
Roi qui avoit déjà efcaladé la muraille.
Il y avoit auffi alors dans Paris un homme connu par {qs
longs voyages nommé Philippe Pigafetta. Il étoit venu avec
le cardinal Gaëtano-& quelques années auparavant Philippe
IL l'avoit déjà envoyé en Angleterre pour reconnoître les
côtes &; les ports de ce Royaume. Nous avons les mémoires
qu'il publia depuis à ce fujet. Cet auteur, qui eut lui-même
beaucoup à foufFrir pendant ce fiége,nous a laiffe plufîeurs
traits de la mifère extrême où les Parifîens furent alors ré-
d Jiits. Il rapporte qu'il s'étoit trouvé alors des gens prefTés
d'une faim fi furieufe , qu'ils n'avoient pas honte d'arrê»
ter les chiens èc les chats qu'ils rencontroient dans les
rues 3 Se après les avoir mis en pièces avec les mains , de les
dévorer ainfî tous cruds à la façon des Cyclopes , fans fe
mettre en peine du fang de ces animaux dont ils étoient
défigurés j ni des os qu'ils faifoîent craquer comme des bêtes
féroces. Il ajoute qu'il s'étoit trouvé un homme , qui après
avoir lutté long-tems contre un fort matin qu'il avoit dei^
fein de tuer , avoit été enfin terraflé & étranglé par ce chien
qui l'auroit dévoré lui-même, fi le peuple qui accourut â
ce funefte fpedacle ne l'eûx obligé d'abandonner fa proye,
Ainfi finit le fiége de Paris , un des plus mémorables qu'il
y ait jamais eu. S'il ne réiiffit pas , comme le Roi fembloic
avoir lieu de l'elpcrer , plufieurs chofes concoururent pour
le faire échouer j une valeur & une adivité dans le duc de
Nemours étonnantes dans un Prince de cet âge 3 la pré-
fence du cardinal Gaëtano , qui fçavoic faire fervir avec une
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 191
*drefle admirable l'autorité du Pape , pour perfuader aux
Paridens qu'il s'agillbit en cette occafion de la ruine de la H E n r 1
Religion 3 les aumônes de i'ambafladeur d'Erpagne,la per- I V.
fuafion des Prédicateurs^ les promefles que failoit de jour en i r aq^
jour le duc de Mayenne, d'amener incelîàmment du fecoursj
les nouvelles que Madame de Monpenfierrépandoit habile-
ment à fon ordinaire^ èc enfin la vigilance & le foin desjéfuites
toujours prêts à remédier à tous les accidens qui arrivoienr.
Avant que de quitter Clielles , le Roi qui appréhendoic
que la nouvelle de la levée du fiége de Paris n'indifposât a
fon égard les peuples des Provinces éloignées , écrivit le
fept de Septembre aux Gouverneurs pour leur faire fçavoîr
que l'amour qu'il avoit pour [es fujets , lui avoit fait man-
quer i'occalion de fe rendre maître de Paris , parce qu'il
n'avoit pas voulu expofer cette Capitale au pillage & à des vio-
lences inévitables fi elle eut été prife d'aflaut ^ mais que com*
me cous les paflages étoient bouchés , èc que le peu de vivres
qu'on avoit fait entrer depuis dans cette ville ne pouvoir
tout au plus durer que quelques jours , il étoit impoffible
qu'elle continuât encore long-tems dans fa révolte , 5c n^e
fût inceilamment obligée de fe foûmettre. Enfuîte voyanc
que la dernière tentative qu'il avoit faite fur Paris n'avoic
point réiiffi, ce Prince fe rendit à GonefTe, un des plus beaux
villages de i'ifle de France. Là il tint confeil de guerre où
il fut réfolu qu'on licencieroit l'armée. Le Roi ne retint au-
près de ia perionne qu'une petite partie des troupes j & il
jugea qu'il ieroit inutile de retenir le reffce qui étoit fatigué.
Il ne pouvoit même prendre ce parti fans danger j parce
que l'ennemi ayant toutes troupes fraîches, 6c venant l'atta-
quer , ou bien il feroit obligé d'éviter le combat, ce qui le
perdroit d'honneur j ou bien il feroit forcé de s'expo-
îer au péril inévitable d'être battu. Ainfi il commença par
mettre de bonnes garnilons dans toutes les places voilines,
comme dans Melun , Corbeil , Senlis , Mante , Meulan , &
les poftes des environs. Enluite il renvoya le prince de Conty
dans le Maine, l'Anjou & la Touraine j le duc de Monc-
penfier en Normandie 3 le duc de Longueville en Picardie}
le duc de Nevers en Champagne ^ & le maréchal d'Aumonc
en Bourgogne , chacun avec un corps de troupes poux
I9X HISTOIRE
contenir ces Provinces dans le devoir. En même tems comme
H E N K I S. Dcnys , donc il s'écoic rendu maître depuis peu , fe trou«
I V. voie dans le voifînage de Paris j que Tes murs étoienc très-
I 500, foibles, Ton fofTé peu profond , te ion contour fi vaftj qu'on
ne pouvoir le conlèrver que très difficilement j ce Prince y
fit encrer Jean de Beaumanoir deLavardin avec une garni-
fon nombreufe.
Ainfi après avoir perdu i'occafîon de prendre Paris , &C
l'efpérance d'en venir aux mains avec l'ennemi, fe diffipa en
un inftanc cette grande &: puiiîance armée, au grand regrec
de bien des gens qui condamnoienç hautement cette retraite
précipitée , de ne pouvoienc voir fans indignation tant de
braves gens ,1a fleur delà Noblefïè Fran(^oife, décamper
quatre jours après l'arrivée du prince de Parme devant
Chelles dans la crainte d'y erre affamés , tandis qu'on ve.
noie d'être témoins de la confiance de tant de miféra-
bles , vils relies de la lie du peuple , de portefaix , d'artL
fans , de goujats , de femmes même , qui réduits à la necef-
iîté la plus afFreuie venoienc de foûrenir avec fermeté un
fîége de fix mois fans fe plaindre , fans s'épouvanter , &. fans
fe démentir le moins du monde de leur courage 6c de leur,
première rélolution.
De Goneflé le Roi fe rendît à Senlis. Il étoic accom-
pagné du vicomte de Turenne • de la Trimouille & de Cha^
tillon 5 de David Bouchard vicomte d'Aubeterre à qui le Roi
charmé de fa bravoure avoic faic l'honneur de confier la Cor-
necce blanche, au cas qu'on en fiit venu aux mains avec
l'ennemi , 6c de plufîeurs autres Seigneurs. Ce fut- là que
Mort au ri'io^ï'ut Jacque Paye d'EfpefTe Préludent au parlement de
préfidcnt Paris, C'étoit un homme d'une érudition profonde , d'une
d'EfpeOe. éloquence rare , fameux d'ailleurs par pkifîeurs A m ballades,
par fon expérience confommée , 6c par fon attachement in-
violable au fervice du Roi. Comme il avoir fuivi ce Prince
dans tout le cours de fes expéditions , les chaleurs 6c les fa-
tigues de la guerre aufquelles ce Magiflrat n'étoit point
accoutumé , lui cauférent une maladie qui l'enleva à l'âge
de quarante-fept ans. Le Roi 6c tous les gens de bien re-
grettèrent fa perte j 6c il fut inhumé honorablement dans
i'£o;life cathédrale de SenHs»
^ Pe4à
HHa
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 155
De-là le Roi paiîa à Creii , petite place fîtuée fur la ri- ?■??
vîcre d'Oyfe , fameufe par une maifon Royale telle que nos Henri
Princes en avoient autrefois , que le Roi Charlc V. fit bâtir IV.
pour Loiiis de Bourbon fon beau -frère. C'eft-là que les 1590^
comtes de Clermont firent leur réfîdence, tant que ce Comté Pnfc de
fut dans la maifon de Bourbon , qui le pofTédoit par droit J'^"^°"5 ^^
d héritage depuis le prince Robert hls de S. Louis. Alors parie<;trou-
Clermont même , place du Beauvoifis avantageufe par fa fî- P"'^^ ^°**
tuation, de fortifiée d'un bon château à l'antique , étoit entre
les mains des Ligueurs , qui défoloient tous les environs par
les courfes continuelles qu'ils faifoient jufqu'aux portes de
Senlis & de Compiégne. Ce fut ce qui détermina le Roi à
la leur en lever. Après avoir invefli la ville , le canon ayanc
fait une brèche confidérable aux murailles &; ruiné toutes
les défenfes des afîiégés , les troupes du Roi donnèrent i'af-
faut à la place. Mais les Ligueurs ne jugèrent pas à pro-
pos de le fbutenir j ils fe retirèrent au château après avoir
mis le feu à quelques maîfons voidnes ^ èc le lendemain le
Gouverneur qui, difoit-on , avoit été autrefois valet de pied
du duc de Joyeufe , capitula. Le maréchal de Biron recrut d
ce fiège un coup d'arquebufe dans la cuifTe en voulant re-
connoître la place. La blefTure parut d'abord dangereufe 5
mais il en guérit peu de jours après.
On re^ut en même tems la nouvelle de l'avantage rem-
porté par Philibert de la Guiche , François de la Made-
leine de Ragny , Imbert de Marfilly de Cipierre , & de la
Ferté Imbault , fur Jean de Saulx de Tavanes un des plus
zélés partifans de la Ligue, de Falandre 6c quelques autres.
Ces Officiers étoient chacun de leur côté en marche pour
fe retirer , lorfque fe rencontrant au moment qu'ils y pen-
foientle moins , ils fe chargèrent l'épèe à la main, Quoique
les troupes du parti du Roi fufïènt inférieures en nombre,
elles eurent tout l'avantage de cette adion • & elles ne conti-
nuèrent leur route, qu'après avoir taillé en pièces ou mis
en fuite les ennemis , 6c pillé tout leur bagage. De Tavanes
ôc de Falandre allèrent chercher un afyle dans Dreux. En
même tems Lavardin à qui le Roi venoit de confier la garde
de S. Denys, ayant eu avis que deux régimens ennemis s'é-
îoient retirés pour fe refaire à Surêne bourg fitué dans uu
Tûme XL B b
15^4 HISTOIRE
païs charmant un peu au-dcfTous de S. Cloud , marcha auiïï-
Henri tôt de ce côté-là avec une partie de la garnilon , lurpiit les
I V. Ligueurs , les battit , les defarma , tic leurs Commandans
I J5)0. priionniers , & leur enleva trois drapeaux.
Cependant il vint des provinces plus éloignées de Paris
des nouvelles qui n'étoient pas ii agréables. En Anjou Mi-
rebeau bourg appartenant au duc de MonpLnfier , Fortifié
d'un château où commandoit de VauLillon avec une garni-
fon , Fut pris le 5 de Septembre par George de Villequier
vicomte de la Guierche , Commandant des troupes delà
Ligue de ce cote-là ^ & aulîitot après Vaucillon lui remic
le château. Quelques jours après , c'efb-à-dire le 17. les
RoyaHftes firent fur la ville de Troyes en Champagne une
entrepiile qui ne réuiîit point , &L où ils perdirent beaucoup
de monde.
^ . loachim de Dinteville Lieutenant général de la province
Jcs Royaii- avoit dcja tait quelques tentatives mutiles lur cette ville a
ftcs (ur j^ foUicitation d'Euftache de Mcgrigny qui en étoit Prefî-
^o>«' dent. Celle-ci Fut fur le point de réiilhr. Claude de Joyeufe
deTourteron Frère du comte de Grandpré (i) tue peu de
rems auparavant , avoit tiré des garnilons de Sedan èc de
quelques autres places quelques troupes de gens de pied &C
de cheval , comme fi Ton dcfi[ein eût été d'enlever les ven-
danges de Rheims. Il leur donna rendez-vous aux moulins
de Fouchy pour le 17. de Septembre fête de S. Lambert,
Cependant il avoit détaché quelques foldats déguifés en
vignerons , & la hotte Fur le dos , qui pafiânt le long des
iblFés de la ville-cn chantant quelques chanfons badines,
comme le rôle qu'ils jotioient le demandoît , avoient ordre
d'obferver fi les gardes étoient encore dans leur pofte. Ceux-
ci lui ayant rapporté que tout le monde paroifioit retiré , il
fît lur le champ appliquer les échelles dans un endroit peu
fréquenté, ferme feulement d'une palilîade de pieux & de
poutres , & où le fofl^é étoit prefque à iec. Par là fix-vingc
cuirafiiers ie jettérent dans la place 5 & marchant vers la
porte S. Jacque qu'ils trouvèrent fans défenfe , rompirent
les ferrures des deux portes , du pont-levis , 6c d'une cloiion
(0 En 1589. proche de Vitry-Ie-François en combattant contre le Capi-
taine S. Paul.
I
DE J. A. DE THOU, Liv. X C I X. 155
de boîs à coups de marteau , de coins de fer &c de leviers j
enlroncerenc la herfe , &c ouvrirent les portes au refte de leurs H E n Ki
gens. Alors deux cens chevaux 6c quatre cens hommes de I V.
pied entrèrent dans la ville • èc s'avançants vers la place de 1590,
S. Pierre & l'Evêché , où étoit Claude de Lorraine prince
de Join ville , qui depuis un an commandoit dans Troyes en
qualité de Gouverneur , avec Buffillon & quelques autres
Gentilshommes , ils allèrent planter l'étendart blanc fur le
plus haut clocher de la Cathédrale -, après quoi par leurs
cris de Five le Roi , ils mirent Tallarme parmi tous \qs ha-
bitans.
Le prince de Joinville ne fe voyant pas en état de faire
tête aux troupes du Roi , avoir été forcé malgré lui de fui-
vre le confeil de Buffillon , 6c d'aller chercher un afyle dans
la Sacriftie d'une Eglife voiiine 5 mais les bourgeois ayant
commencé à charger nos troupes de toutes parts , 6c le bruit
s'étant répandu en même tems qu'on avoit fermé les portes
de la ville , le peu d'efpoir qu'elles eurent d'être fecouruës
jetta parmi elles la confternation. Les uns s'enfuirent à l'E-
vêché , d'autres allèrent fe réfugier dans la Cathédrale 3 la
plus grande partie courut à la porte par où ils étoient entrés
d'abord , 6c la trouvant à demi-fermée , furent tailles en
pièces par les habitans qui les pourfuivoient. Plus de deux
cens hommes périrent dans la ville , ^ la NoblelTe qui étoic
à la fuite du prince de Joinville , montant à cheval pourfuivîc
jufqu'au village de Sainte-Maure ceux qui avoient pu fe fau-
ver. Ives le Tartrier doyen de S. Etienne, homme féditieux
ôc brouillon , qui par fon éloquence captieufe avoit fouvenc
travaillé à exciter quelque foûlévement dans les Etats ^ dans
îa ville , étant forti en armes au. premier bruit avoit été tué.
Cet accident mit la populace en fureur. Après avoir chafTé
les Royaliftcs , elle alla titrer de leurs maifons 6l même Aqi
prîfons ceux qu'on foupçonnoit de favorifer le parti du Roi j
bi les traita avec la cruauté la plus barbare. N. desElîarts
de Saultour d'une des familles des plus diftinguées de la Pro-
vince , qui avoit été pris les armes à la main quelque tems
auparavant, fut tué dans la maifon où on le retenoit prifon-
nier. Trois autres Gentilshommes eurent auffi le même fortj
enfin il fe commit ce jour- là des excès, qui n'étant autorifés
^h ij
19^ HISTOIRE
ni par le droit de la guerre , ni par aucunes loîx , ne purenr
Hb N R I être enfevelis dans l'oubli que par l'amniftie que le Roiac-
I V. corda quatre ans après aux habitans de cette ville.
I rgo. D'un autre côté le prince de Parme voyant que le Roi
avoit licencié Ton armée, alla le 24. de Septembre mettre
CorbeUpar ^^ ^^^g^ devant Corbeil , petite place fituée fur la Seine à
le prince de cinq licuës au-dcfllis de Paris dans un angle que forme la
Pâme. rivière qui defcendant d'Etampes , paflè par ElTone fur le
chemin de Lyon , & fermée de l'autre côté par un foffé qui
communique avec cette rivière -, en forte qu'on la prendroic
pour une efpece d'Ifle. La ville efl commandée par deux col-
lines, d'où il eft aifé de la battre en ruine. La plus éloignée
eftà fon Midi , l'autre qui n'en eft féparée que par la Seine
regarde l'Orient , 6c eft lîtuée dans la Brie. Au pied eft un
faubourg qui communique à la ville par un pont de pierre,
â la tête duquel , du côté oppofé à la ville , eft un château
bâti à l'antique.
D'abord le prince de Parme s'étant rendu maître des faux-
bourgs , emporta ce pofte d'emblée. Enfuite il commenta
à battre l'angle dont j'ai parlé , fitué du côté de l'Orient.
Il étoit défendu par une tour que les habitans croyoienc
être un ouvrage des anciens Romains. Le Prince fe perfuada
qu'il en vîendroit plus aifément à bout par la mine , que par
le canon. Il y fit travailler pendant quelques jours, au bouc
defquels ceux qui gardoient ce pofte appréhendant d'être
furpris , après s'être défendus bravement , eurent la fageflè
de l'abandonner. Le Prince tranfporta donc une batterie
de cinq pièces de canon &: deux coulevrines fur le haut de
la colline qui commande le faubourg à la droite de la Seine 5
& delà il fit un feu fi terrible contre la place , que non feu-
lement il foudroya toutes les mailbns de la ville , mais qu'on
n'ofoit pas même paroître dans les rues. La vigilance des
afTiégés remédia à cet accident , en tirant en dedans un re-
tranchement en forme de croiilànt qu'ils fortifièrent fur les
flancs avec des pieux &; des tonneaux , 6c derrière lequel ils
étoient à couvert de l'artillerie. Cependant le Prince ayant
commandé Eufebe de Sinigaglia 6c un capitaine E/pagnol ,
pour aller reconnoître la brèche , tous deux pafîèrent la ri»
viére à la nage j mais l'Efpagnol tranfî de froid alla fe rendre
DE J. A. DE THOU, LiV. XCIX. 197
aufTitôt aux affiégés , l'autre revint après avoir été blefTé lé- "-^
gérement de quelques coups d'arquebufes , & rapporta qu'il H e n k ï
îeroit dangereux d'attaquer la place par cet endroit-la. Le I V.
Prince fut donc encore obligé de tranîporter ailleurs les bat- 1590,
teries. Enfin il fit élever un cavalier vis-à-vis de l'angle que
formoit la ville , 6c pointa fur une maif on du faubourg qu'on
avoit bien terraiFée , quelques pièces de canon qui battoient
les murs à revers , éc incommodoient beaucoup les afîiégés.
En même tems il fit jetter de ce côté-là un pont de bateaux
fur la rivière, afin que fes troupes couvertes de leurs man-
telets pulTent marcher aifément à l'afîaut.
La Grange Gentilhomme du voifinage commandoit dans
la place , 6c avoit pour fécond le capitaine Rigaud Proven-
çal. C'étoit un homme de baffe nailîance qui avoit été au-
trefois Greffier j mais qui dans ces dernières guerres avoic
mérité par fa valeur d'être fait Meftre de camp d'un de ces
jégimens de nouvelle création , qui étoient alors fort à la
mode. Le Roi apprenant donc que ces deux braves gens
avoient fait une fi belle défenfe dans un pofte qui d'ailleurs
étoit fi foible , réfolut de \qs fecourir. Il partit de Chau-
mont où il s'étoit rendu , èc marchoit à la tête d'un déta-
chem.ent , lorfque rencontrant fur fa route les capitaines
Nicolo Glafîi de Dalmatie, &c Baroni Commandans des Al-
banois , avec les deux régimens d'infanterie de Poutrincour
& du capitaine Lure Bafque , il les chargea en plein jour
dans Surêne , ôc fit Glaffi & Baroni prifonniers. Lercfte fut
taillé en pièces , ou fè rendit. A l'égard de Poutricour ôc
de Lure ils n'etoient point alors à leur régiment. Après cet
exploit ce Prince fongeoit à continuer fa marche , iorfqu'il
xe^ut la nouvelle de la prife de Corbcil.
Après avoir élevé lecavaHer dont j'ai parlé , & s*être mis
à couvert de l'autre côté de la rivière , le 16. d'Odobre les
Efpagnols donnèrent TafTaut à la brèche qui étoit fort con-
^dèrable ^ ôc après un combat long àc opiniâtre , où leca.
pitaine Rigaud fut tué avec ce qu'il y avoit de plus braves
gens autour de lui , ils emportèrent la place où ils firent un
carnage horrible. Tout fut pafTé au fil de l'èpèe, & on ne
£tprefque point de quartier. Les femmes mêmes & les filles
ne furent pas à couvert de la brutalité du foldat , fur- tout
B b iij
i^S HISTOIRE
des Ëfpagnols , qui démentirent bien en cette occafîon la
Henri réputation qu'ils le vantent d'avoir , d'être de toutes les na-
I V. tions la mieux dilciplinée. La Grange fut fait prilonnier
1 S go. ^vec quelques autres en petit nombre. Du côte des vain-
queurs Attila Triilino noble Vicentin fut blelîe dangercu-
fement à cet alTaut ^ & Talfis provedidor de l'armée y reçut
une blelTure mortelle. Outre cela dès les premiers jours da
ûégQ le marquis de Rency allant reconnoîtxe la place avoic
reçii dans la cuilTe un coup d'arquebule.
Peu de tems auparavant, le cardinal Gaëtano content de
voirie fiége de Paris levé, & la ville ravitaillée , reprit la
route d'Italie fuivi des evêques d'Ail & de Ceneda , du Je-
fuite Bellarmin , èc de Pigafetta dont je viens de parler. Il
paira parle camp pour laiuer le prince de Parme ôc le duc
de Mayenne. De-là après avoir pris congé d'eux il continua
fa route marchant à grandes journées arîn de fe trouver à
l'éîedion du nouveau Pape ^ car on fi^avoit déjà en France
la mort de Sixte V. &c celle d'Urbain VI. Ion fuccefleur qui
l'avoit fuivi de près , & dont nous parlerons plus au long
dans la fuite. Il paffjit à la vûë de Crecy en Brie, lorfque
Jacque de la Vigne de la Baftide gouverneur de cette place
chargea ion arrieregarde & lui enleva une partie de fes équi-
pages. Mais lui-même s'etant trop avancé refla prifonnier
entre les mains des ennemis qui le traitèrent d'abord très-
mal , parce qu'on le croyoit complice de la mort des Gui-
{qs. Cependant à la recommandation du duc de Nemours
qui aiîûra qu'il n'avoit eu aucune part à ce meurtre, il fuc
relâché dans la fuite en payant rançon. De là le Légat pour-
fuivant ia marche au travers.de la Champagne , eicorté par
le comte de Chaligny 5c le capitaine S. Paul , arriva enfin
heureufement en Lorraine. Après la priiè de Corbeil le
prince de Parme refta vingt jours dans cette place afin de
donner le tems à (hs troupes de fe remettre des fatigues de
ce fiége. Enfin il en partit au commencement de Novem-
bre , après avoir lailPé dans cette ville deux cens Allemands
du régiment du comte de Collalte , &c quelques Ëfpagnols
commandés par Alfonfe Toraquez 3 mais en trop petit nom-
bre pour pouvoir longtems garder- ce pofte contre les troupes
du Roi donc il étoic environné.
' DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 199
Sur ces entrefaites les garnifons de Chartres, de Dour- r^;^;^^::!:^^^^
dan , ôc de Dreux , places du païs Chartrain , luivies de Henri
deux pièces de canon allèrent mettre le fiége devant le IV.
château de Maintenon appartenant à Loiis d'Angennes , un 1590.
des plus zèles ierviteurs du Roi. Comme les troupes du
Roi pafloient commodément par-là, &: par Nogent,le
dellein des Ligueurs etoit de leur ôter cet avantage par la
prile de cepofte. Mais François d'Angennes de Moniouec
îrére de Louis d'Angennes, étant accouru au fecours avec
Pregent de la Fin de Maligny, fuivis d'environ cent che-
vaux , les ennemis furent obligés de lever le fiége j ils fe re-
tirèrent avec tant de précipitation , qu'ils abandonnèrent â
l'ennemi leur canon , èc tout leur bagage. Ce fut avec le
rnême fuccès que Nicolas d'Angennes de Rambouillet mie
en déroute les ennemis à Sablé dans le Maine. Les Ligueurs
affiégeoient cette place ^ &: s'étant déjà rendus maîtres de
la ville a voient invefli le château, lorfque Rambouillet ac-
courut au fecours j fut re^u dans le château 3 & fit enfuira
une fortie fi vigouteufe , qu'il emporta tous les retranche-
mens des alîiegcans -, délivra fa femme & f^s enfans qu'ils
avoient déjà taits prifonniers ^ ôc les tailla en pièces , ou
les mît en fuite.
Mais je n'ai encore parlé jufqu'icî que des hommes illuflres
qui s'ètoient diftingues au fervice du Roi ^ la fortune favo-
rable aux jufles droits que ce Prince loûtenoit , lui réfer-
voit encore la gloire de compter des Héroïnes dans fon parti.
Marguerite Dailiy époufe de François de Coligny qui étoic
alors à la fuite du Roi , avoit été alîiégée dans Chatillon
fur Loing par Sallart de Bourron gouverneur de Montar-
gis. Déjà l'ennemi maître de la ville 5c de la balTe*cour du
château commençoit à ne plus penfer qu'au pillage, lord
que cette femme forte . animée de ces grands fentimens
dont fon mari étoit rempli , ayant raflèmble autour d'elle
dans le château même le peu de ferviteurs qui lui reftoient,
fit Ibr les aflTiégeans une fortie fi vigoureuie qu'elle les mie
en fuite, fit Bourron .lui-même prilonnier , éc reprit tout
le butin que les ennemis avoient déjà chargé fur des cha-
liots prêts à l'enlever.
Le Roi étoit alors à Gifors dans le Vexin François, où
200 HISTOIRE
9 Catherine de Bourbon fa tante abbeiîè de SoiiTons vint fè
Hem RI rendre auprès de lui, èc lui porta {qs plaintes de ce que
I V. Jérôme Hennequin Evêque de cette ville l'en avoit hon-
I cno, teufement chalTee , fous prétexte qu'elle travailloit à faire
foulever les habitans. Ce Prince lui fit tout l'accueil poflî-
ble j mais il ne fe vengea de ceux qui l'avoient traitée fî mal ,
qu'en les abandonnant à l'odieux qu'ils méritoient pour
avoir violé dans la perfonne de cette Princefle la clôture re-
ligieufe. Ce fut là auffi que le Roi délibéra des moyens
d'avoir des fecours d'Allemagne pour l'année fuivante : dc
parce que Gafpard de Schomberg comte de Nanteuil, 6c
Nicolas de Harlay de Sancy , qui étoient déjà depuis long-
tems en Allemagne par ordre du Roi, paroiflbient pour
différentes raifons peu propres dans les circonflances a
cette négociation , Henri en chargea le vicomte de Turenne ,
qui outre l'avantage que lui donnoit fa naiiïance diffcin-
guée , 6c ion habileté dans la guerre , pofledoit encore celui
de fçavoir parfaitement manier les efprits. De-là le Roi fe
rendit à Saint Père , afin de favorifer la marche du baron
de Biron qui avoit ordre de lui faire venir de Dieppe de
la poudre , 6c les autres munitions de guerre dont il avoic
befbin.
Pendant le féjour que le Roi fit dans ce lieu il apprît
que le prince de Parme fongeoit à repalTer en Flandres
avec fon armée j 6c que cependant il avoit defîeîn de fe
fervir de cette occafion pour faire quelque entreprife fur
fa route. Sur cet avis Henri ayant laiffé le foin de fon ar-,
mée au maréchal de Biron , partit à la tête d'un détache-
ment accompagné du baron de Biron , pour fe mettre
aux troufîes des Efpagnols , 6c rompre tous les projets
qu'ils pourroient former dans leur retraite. Cepen-
dant le maréchal fe rendit maître de Pafïi 6c de Nonan-
court, où il vendit cher aux Ligueurs la perte du brave
Mignonville, qui avoit été tué tandis qu'il parlementoic,
avec les rebelles. D'un autre côté le Roi accompagné du
baron de Biron 6c des troupes qu'il menoit avec lui j
ayant de plus donné ordre à Tannegui le Veneur de Car-
rouges , qui lui avoit amené de Normandie une troupe fort
iefte, de le fuivre, partit d'Efcony le 4. de Novembre dans
le
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. lor
le de/Tein de pourfuivre l'ennemi , & prît la route de Com- ^"^^^^^^^^
piëgne 5 parce que le bruic couroit que les Efpagnols mar- Henri
choient de ce côté-là. D'autres afliiroient cependant qu'ils I V.
avoient des deileins fur Château-Thierry. ^590,
Tandis que ce Prince étoit en balance fur le parti qu'il
devoit prendre, Givry gouverneur de Brie, qui étoit alors Givry rc-
à Melun , forma avec Parabere le delTein de reprendre brugcL^gny.
Corbeil. Dans cette vue il donna rendez -vous aux gar-
nirons des places voiiines pour la veille de faint Mar-
tin 3 & ayant fait appliquer les échelles pendant la nuit
dans un endroit où il avoit remarqué qu'on faifoit une
garde allez peu éxade , il emporta la place -, les troupes
Espagnoles qui y étoient furent taillées en pièces, ou reliè-
rent prifonniéres. De Corbeil il alla avec le même fuccès
fe rendre maître de Lagny^ enforte que par la prife de ces
deux places Paris retomba dans le même embarras où il
ctoic avant l'arrivée du prince de Parme.
Il y avoit une mélîntelligence fecrette entre ce Prince èC
le duc de Mayenne. La jaloufie en étoit le premier fon-
dement 5 outre cela on foup(^onnoit le Prince de n'être en-
tré en France fous prétexte d'amitié , ôc de fecourir le
parti, que pour ôter au Duc toute fon autorité, &: renou-
veller ce qu'Efope nous raconte dans fa fable du Cerf èc
du Cheval , en impofant aux François qui n'afpiroient qu'à
défendre leur liberté , un joug infupportable de rigoureux
par les garnifons qu'il mettroit dans les places dont il fe
faillroit. Ces bruits couroient même fourdement dans fon
camp. Ainfî le Prince qui connoiiToit la légèreté de la na-
tion , mettoit tout en œuvre pour efïacer cette idée peu
avantageufe qu'on avoit de lui j àc ce fut , dit-on , ce qui
l'eno-ao-ea à mettre une earnifon fî foible dans Corbeil. Auiîî
lorfqu'après la pri(è de cette place les Pariliens lui firent
une députation pour le prier de fe rapprocher avec fon ar- -
mée , ce Prince faifit cette occafion pour leur reprocher
très-vivement qu'ils connoifïoient fort mal leurs intérêts
d'avoir foufFert qu'on mît une fi foible garnifon dans un
pofbe de cette importance , & d'aimer mieux s'arrêter à de
faux bruits , que de prendre de juftes mefures pour leur
confervation. Du relie il s'excufa de leur accorder ce qu'ils
7^0me X /. Ce
202 HISTOIRE
« fouhaitoient , fur ce que Ton armée éranc fort diminuée, il y
Henri auroît , difoic-il , du danger à retourner fur {es pas aux ap-
I V. proches de l'hy ver , de à entreprendre des fîégcs dans une
I ÇQO. f^i^^" P^^^ favorable. Cependant il leur fitefpérer de les dé-
dommager dans fa retraite de la prife de Corbeil par quel-
que exploit d'importance.
Le prince de Parme vouloit parler de la ville de Château-
Thierry fituée fur la Marne au deiïus de Meaux 3 mais le
Roi qui eut le vent defon defTein , réfolut de le prévenir. Il
partit fur le champ de Compiégne où il avoir été joint
par un corps de la Noblefîè de Picardie 3 & s'étant avancé
jufqu'à Château-Thierry dont Claude Pinard vicomte de
Comblify avoir le gouvernement, il en confia la garde à
la Noue, dont le zélé & la bravoure lui étoient connus.
De-là pour harceler l'ennemi dans fa marche , il fit quel-
ques détachemens , qui étant tombés le 22. de No-
vembre fur une Cornette de cavalerie Efpagnole , la tail-
lèrent en pièces , & la defarmérent. Trois jours après, le Roi
alla en perfonne à la rencontre des ennemis à la tête d'un
détachement de trois cens chevaux j &; après quelques ef-
carmouches fe retira , fans qu'il y eût beaucoup de perte de
part ni d'autre.
Le Roi avoit donné rendez-vous au duc de Nevers , pour
venir le joindre avec fes forces , ôc harceler les Efpagnols
dans leur retraite 3 mais depuis que ce Seigneur avoit quitté
la Cour, il avoit toujours été occupé en Champagne,
que les Lorrains & les Ligueurs attaquoîent conjointement.
En effet dès le mois précédent le duc de Lorraine avoit for-
mé le fiége de Sainte- Menehoud où Dinteville s'étoit ren-
fermé. Il y avoit déjà quinze jours que les ennemis étoienc
devant cette place 3 & les affiégés avoient fait plufîeurs for-
ties où les Lorrains avoient été fort mal menés. Dans une
entr'autres le Capitaine Nervaez Efpagnol avoit été tué.
Le duc de Nevers qui comptoir afîèz fur la bravoure des
affiégés , ne fe mit donc pas en peine de leur donner aucun
fecours3 mais il marcha contre le capitaine Saint-Paul qui
défoloit tous les environs par fes couriès continuelles. Saint-
Paul étoit pafle dans le Thierache 3 le Duc en ayant eu avis
détacha de Vendy Maréchal de camp 3 & s'etant rendu
I590.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 10$
ruî-même à Charbougne le 23. d'Odobre tourna contre r????!???!!????
Poix ôi Moncigny fîcués à trois lieues de Meziéres , où il Henri
avoit été informé que Saint-Paul s'étoit retiré. I V.
A la vue de la cavalerie du Roi les ennemis fe rallièrent
auflitôt à Poix , où ils commencèrent à fe retrancher. Mal-
gré cela la cavalerie du Duc vouloit les charger j mais il les
arrêta , & les obligea d'attendre environ cinq cens hom-
mes de pied qui {uivoient , dc qui n'arrivèrent qu'à Soleil
couché. Ain 11 on palTa toute la nuit fous les armes j ôc la
cavalerie fut toujours au guet pour empêcher les afTiégés
de leur échapper, 6c pour arrêter lesfecours que Saint-Paul
auroit pu leur envoyer. Le lendemain on attaqua le vil-
lage 'j mais les ennemis retranchés dans l'Eglife 6c dans le
Cimetière, iè défendirent fî bravement , qu'ils rendirent
ce premier efFort inutile. Enfin le Duc ayant fait venir
quelque artillerie du château d'Omont fitué dans le duché
de Rethelois , d'où l'on n'étoit pas éloigné , les affiégés
demandèrent à parlementer , 6c propoférent d'abord des
conditions que le Duc rejetta j parce que, difoit-il , ils n'é-
toient pas dans un pofle alîèz de confèquence, pour mériter
qu'ils capitulaient avec lui. Ainfî il leur confeilla de fe ren-
dre à difcretion, leur faifant entendre qu'ils auroient affaire
à un Seigneur de bonne compofition. Mais la crainte de
perdre leurs bagages les arrêta, 6c fut lacaufede leur perte.
En effet les troupes du Duc les ayant attaqués fur ces en-
trefaites , emportèrent ce pofte d'aiïaut , 6c pafTèrent au fil
de l'èpée tout ce qui fe préfenta. Les ennemis perdirent en-
viron trois cens hommes en cette occafion j on n'y fit que
très-peu de prifonniers , qui furent enfuite échangés contre
d'autres.
Après cet exploit le duc de Nevers fe rendit à Mauber-
Fontaine, 6i de-là à Mont-Cornet, de à Rocroy , d'où il
tira quelques pièces de canon qu'il conduifit à Châlons j 6c
il apprit que le duc de Lorraine avoit levé le fiège de Sainte-
Menehoud , fous prétexte d'aller au fecours des troupes
affiègèes dans Poix. Ce fut-là ce qui retint le duc de Nevers
en Champagne plus longtems qu'il n'avoit efpèré. De Châ-
lons prenant fa route par Efpernay , il arriva au commen-
cement de Novembre à la Ferté en Tartenois , dans le
deiîèin de joindre le Roi» Ccij
204 HISTOIRE
Le prince de Parme décampa de Fîmes le i ^.deNovembre,
Henri 6c ayant pafle l'Ayfne à Pont-Avere , il rencontra le Roi
IV. à la tête de huit cens chevaux d'élite. Le Roi s'étoit tait
Q précéder par le baron de Biron, qu'il joignit bientôt après
, avec un détachement. Cependant il avoit donné ordre à la
Retour du ^ T . . ' > j^} n '-r^\ ' • \ :^:»,
prince de Nouë qui avoit quitte Chateau-Thierry pour venir le jom-
rarme. Jre , de lui envoyer un détachement de chaque Comète
de cavalerie , dont il forma cinq efcadrons d'environ cin-
quante chevaux chacun , à la tête deiquels il s'avança juf-
qu'au village de Bazoches. Là il y eut une adion très-vive,
où le baron de Biron fit d'abord plufieurs charges contre les
Carabiniers , qui font une efpéce d'Arquebufiers à cheval ,
armés decuirafles, qui combattent de main à main. Enfin
toute Tarmée ennemie lui étant tombée fur les bras , il fut
obligé de fe retirer. Ce ne fut pas fans danger , parce que
la retraite fe trouva plus éloignée qu'on ne l'avoit efpéré.
C'eft ce qui a donné lieu à ceux qui ont écrit la vie du
Prince de Parme de dire que nous fûmes défaits ce jour-là.
Il eft confiant néanmoins que nous eûmes beaucoup plus de
peur que de mal -, car nous ne perdîmes que deux hommes.
Au contraire le nombre des morts fut beaucoup plus grand
du côté des ennemis ^ èc entr'autres le capitaine Blaife Ca-
pizucchi Romain fut tué dans cette occafion. De-là le Roi
le retirant infenfiblement , & faifant cependant toujours tête
à l'armée ennemie qui le pourfuivoit , arriva au village de
Longueval où la nuit fépara les combattans. Ce Prince alla
ce foir-là loger à Pontarfy. Toute la nuit on fut alerte de
part 6c d'autre ^ ôc fi les troupes du Roi n'étoient pas trop
en fureté, les Efpagnols de leur côté ,quiavoient l'ennemi en
tête èc en queue , ne dormirent pas tranquillement. Le
lendemain le Roi fut joint par le duc de Nevers , Givry èc
Parabére, qui lui amenèrent quelques troupes, le premier
de Champagne, ôc les autres de Melun. Enfin le 29. de
Novembre l'armée ennemie étant arrivée à l'Arbre de Guife,
tirant du côté de Marie, Henri après avoir donné ordre à
fa cavalerie de fe trouver à Creicy , marcha contre les
Efpagnols , & détacha d'abord le baron de Biron avec
quarante hommes pour harceler leur arriére-garde. Celui-
ci futfuivi immédiatement après parle duc deLongueviik
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 205
à la tête d'un corps de cavalerie. Le Roi arriva lui- >
même avec le refte de fcs troupes. D'abord la mêlée com- Henri
mença par les Carabiniers , qui forçant d'un bois voifîn I V.
vinrent charger Biron, àc furent repoufTés fi vigoureufe- 1590.
ment, qu'ils le virent obligés de prendre la fuite. Ils fu-
rent foùccnus par George Bafta à la tête des Lanciers , qui
rétablirent le combat, èc Biron y perdit fon cheval. Le
Roi qui craignoit pour ce Seigneur ayant paru , le combat
finit par la fuite des ennemis j il y en eut un grand nombre
de tués , èc ils perdirent une partie de leur bagage. On croit
même que le fuccès auroit pu être complet , &. l'armée Ef-
pagnole entièrement défaite, fi le refte de la cavalerie fût
arrivé à tems. Le prince de Parme étant arrivé fur la fron-
tière eut un entretien particulier avec le duc de Mayenne 5
àc après s'être embrafiès , il lui laifia une partie de fes trou-
pes , & lui fit efpérer de les rafraîchir au Printems prochain
par de nouveaux fecours, Enluice il rentra triomphant en
Flandres fier du fuccès de fon voyage, ôc de la levée du
fiége de Paris.
Le Roi de fon côté tourna vers Saint-Quentin , où il en- „ ./• , ^
^ . , V . I 1 Pi^e de Cor-
tra auih comme en triomphe, après avoir battu les enne- bie par .es
mis , & les avoir obligés de fortir de fon Royaume. La troupes du
prile de Corbie mît le comble à la joye publique que cau-
foit cet événement. Cette ville fituée fur la Somme à qua-
tre lieues au-defius d'Amiens eft fameufe par une ancienne
Abbaye fondée autrefois par Charlemagne , qui en bâtit
aufli en Saxe une autre toute femblable , qu'on appelle de
même l'Abbaye de Corbie. Outre qu'elle eft dans une fitua-
tion avantageufe , comme c'eft une place frontière , elle eft
très-bien fortifiée. Pons de Bellefouriere en étoit alors gou-
verneur , àc s'étoit déclaré pour la Ligue après la mort des
Guifes , malgré toutes les follicitations du feu Roi qui tenta
inutilement de le mettre dans fcs intérêts.
Charle d'Humiéres Lieutenant du duc de Longueville ,
gouverneur de la province avoic formé il y avoit déjà lonp^-
cems le deflein de s'en rendre maître. Différentes raifons
lui a voient plufieurs fois fait perdre cet objet de vue 5
enfin il l'exécuta heureufement le 10. de Décembre. Ayant
appliqué le pétard à la place , 6c fait fauter deux portes , ii
Cciij
20^ HISTOIRE
L y encra à la tête de (es troupes , 6c s'en rendit maître après
Henri avoir pafTé au fil de l'épée la garnifon & le gouverneur lui
1 y. même. Cette prife incommoda fort la ville d'Amiens. En
j rQQ effet elle fe trouvoit par-là refîerrée entre Corbie èc Pec-
quigny , qui la tenoient comme en refped -, enforte qu'elle
ne pouvoit s'exempter de recevoir la loi de quiconque étoic
maître de ces deux places. Il y avoit dans l'Abbaye de Cor-
bie une très-belle Bibliothèque , oùfe trouvoient beaucoup
de livres anciens • déjà pillée par les curieux qui avoient
paiîé par-là , elle fut enfin entièrement détruite en cette oc
cafion. Chriftophle de Lannoy de la Boiffiere frère utérin de
Madame d'Humières s'ètanc fort diftingué à la prife de
cette place , aufli bien que Parabére , le Roi en donna le
commandement au premier , & y mit une bonne gar-
nifon.
Henry fe rendit à Senlis , où il donna audience à Guil-
laume Dafîîs premier Prèfident du Parlement de Bourdeaux.
Ce Magiftrat également refpedable par fa gravité ôc fon
éloquence étoit député de fa Compagnie avec deux Con-
feillers de la même Cour pour exhorter le Roi à abjurer la
Religion Proteftante , & à rentrer dans le fein de l'Eglife.
Comme il s'acquitta de fa commifîîon avec dignité , le Roi
lui aiïura qu'il prenoit {es remontrances en bonne part , èc
qu'auffitôt que les entrep ri fes que formoient tous les jours
les rebelles pour troubler le Royaume èc le détruire , le lui
permettroient , on verroit qu'il ne fouhaitoit rien tant que
de fè faire inftruire dans un Concile convoqué légitime-
ment, foit général, foit national, Se de leur donner fatis-
fadionîfur cet article. Le Roi congédia enfuite le duc de
Nevers , qui à fon retour en Champagne apprit que le Ca-
pitaine Saint-Paul alïïégeoit Ville-Franche place frontière
fituée fur la(Meufe. Il marcha aufîîtôt de ce côté-là j mais il
trouva en arrivant que le Gouverneur, ou par lâcheté , ou
par trahifon , avoit déjà rendu ce poffce j enforte que les
troupes qu'il envoyoit au fecours furent repoufTées avec
perte.
Exploits du Cependant les hoflilitès continuoient aufTi avec difFèrens
Dombcs en fuccès dans les autres provinces du Royaume. Henri de
Bretagne. Bourbon prîncc de Dombes , à qui le Roi avoit donné
DÉ J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 207
depuis peu le gouvernement de Bretagne ^ étant de retour '
dans cette Province partit de Rennes , où il avoit donné H e n k i
rendez-vous à Tes troupes, tirant du côté de Nantes j & IV.
ayant eu avis que le duc de Mercœur avoit détaché Vincent î 5 9 o»
de Launay de la Chefnaye Vaulouet Commandant des
Chevaux-légers pour le Duc à la tête de deux cens che-
vaux , avec ordre de rompre toutes les entreprifes du
Prince, il le furprit , le battit, &: le fit lui-même prifonnier
avec plufîeurs autres. René de Rieux de Sourdeac ôc du
Broflay fe diftinguérent fort en cette occafîon.
Delà le prince de Dombes marcha vers Ancenis petite place
fîtuée fur la Loire dans le plus beau pais du monde. Les Li-
gueurs en étoient maîtres alors , éc leur infanterie y avoic
Ion logement. Là il y eut quelques efcarmouches très-
vives où les ennemis furent toujours battus. Mais ce mau-
vais fuccès fut compenfé par la perte que nous fîmes du
baron du Pont commandant de l'infanterie royale , qui
mourut à la fleur de fon âge d'une blelTure qu'il reçut au
bras dans une de ces actions. Il ordonna par fbn teftament
que fa fille unique héritière de iès grands biens épouferoit
dès qu'elle feroit en âge le fils de René de Tournemine de
la Hunauldaye Lieutenant de Roi de la province , qui n'é-
toit encore qu'un enfant. On lui donna pour fuccefTeur dans
le commandement de l'infanterie Sébaffcien de Romadec
baron de Molac , qui rendit de grands fervices au Roi
dans toutes ces guerres.
Vitré place fituée fur la frontière du Maine dont le duc
de Mercœur avoit formé le fiége dès l'année précédente,
commençoit à être ferré de plus près par les ennemis quL
s'étoient rendus maîtres de tous les petits forts des environs,
lorfque Jean du Mas de Monmartin gouverneur de cette
ville étant forti à la tête de fa garnifon , fuivi de quelque
artillerie , les reprît tous ôc les rafà. En même tems les Capi-
taines Martinaye & Hurlaye étant accourus au fecours de
leurs gens à la tête d'environ deux cens hommes, il les tailla
en pièces. Enfin peu de tems après les garnifons de Châtil-
Ion ôc de Fougères formèrent le deflein de furprendre la
nuit le château de Vitré. Déjà quarante des ennemis
ctoient entrés dans la place , lorfqu'ayant été trahis par celui
io8 HISTOIRE
là même qui conduifoîc l'entreprife, ils furent tous tués,
Henri ou faits prifonniers. On fut en partie redevable de ce fuc^
IV. ces à Raton Sergent Major , qui peu de tems après rendit
I 5 90. encore un fervicefignale dans cette place. Monmartin ayant
reçu ordre du Roi qui faifoic alors le fiëge de Paris , de fe
rendre auprès de lui 5 de Mefneuffon Lieutenant fut allez
négligent , ou aflez perfide , pour laifler prendre le château
en fon abicnce. Raton fe mettant à la tête des habitans &C
delagarnifon fe difpofa à le reprendre. Ce brave homme,
que le danger rendoic encore plus intrépide, attacha le
pétard au pont-levis j ôc tandis que le duc de Mercœur at-
tendoit l'événement dans le voilina^e avec toutes Çqs trou-
pes,il força la place, 6c s'en rendit maître, après avoir tué
de fa propre main celui quiétoît à la, tête des ennemis. Les
aiîiégés ne firent point d'autre perte,
Hcnnebo^nd/ D'uii autre côté le prince de Dombes ayant rallèmblé
toutes fes forces , paffa dans la balle Bretagne , & marcha
vers Hennebond. Cette place éloignée de deux lieues du
port de Blavet, ôc de fept de la ville de Vannes n'étoit pas
très-forte j mais à caufe de fon port 6c de fa fituation avan-
tageufe, dont les ennemis profitoient pour incommoder les
places voifines qui appartenoient au Roi , & fur-tout la
ville de Brefl , Gui de Rieux de Châteauneuf Gouverneur
de cette dernière place fut d'avis d'en faire le iiége. II
fournit pour cela neuf pièces de canon , qui n'eurent pas
plutôt fait brèche à la muraille, que la garnifon fe rendit,
à condition qu'on lui laifleroit vies 6c bagues fauves. Le
Capitaine du Pré brave officier entra enfuite dans Henne-
bond , où on laifîa le canon qu*on avoit fait venir de Breft j
6c il eut ordre de travailler incelTamment à fortifier cette
place. En effet on parloit déjà de l'arrivée des troupes Ef-
pagnoles que le duc de Mercœur attendoit au port de
Blavet.
Après la prife de Hennebond l'armée marcha vers
JofTelin , château appartenant à la maifon de Rohan , fa-
meux par une tour quarrée , qu'on regarde comme un ou-
vrage admirable, ôc arrofé parla rivière d'Oufl, quipafîè
par Maleftroit. D'abord elle tailla en pièces les Chevaux-
légers de l'armée ennemie commandés par Gilbert du Puy
du
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 209
du Fou de Combronde. Enfuire comme on n'étoic féparé ' '
que par la rivière , on tenta de part ^ d'autre d'en venir H e n r ï
aux mains. Le prince de Dombes fouhaitoit avec pafîîon 1 V.
de donner bataille j & il crut que les vœux alloient être i <oq
exaucés fur ce que les ennemis fondèrent alors le gué au
Roc de Saint- André. Mais il parut enfuite que ce n'étoic
qu'une feinte ^ car quoique ks deux armées fuflent en pré-
fence , & que par une impatience de jeune homme le Prince
mît tout en œuvre pour attirer les ennemis au combat, ja-
mais il ne put les y engager. Il y eut feulement entre les
deux partis quelques elcarmouclies , où nos croupes em-
portées par leur premier feu eurent prefque toujours le
deiïbus. Dans une de ces rencontres la Giffardiére s'étanc
trompé aux ëcharpes dans la mêlée fut fait prifonnier par
les ennemis , & mourut quelque tems après de fes blefTures.
Enfin le Prince après avoir relié longtems campé dans une
vafte plaine nommée communément laLande duChêne-Torc,
& avoir fait d'inutiles efforts pour attirer les Ligueurs au
combat, prit la route de Maleftroit, où il lailîà tout fon
bagage , èc réfolut de donner un peu de repos à Ces troupes.
Le duc deMercœur profita de cette occafion pour faire
quelque entreprife. Il avoir dans fon armée neuf Cornettes
de Chevaux-légers ; deux Compagnies de Gendarmes com-
mandées par Gabriel de Goulenes , èc Daradon ^ les gar-
nifons de Dinan, deDol de de Fougères , que François de
Lorraine marquis de ChaufTms fon frère lui avoir amenées j
les troupes de la baffe Bretagne commandées par de Far-
vet , de Rozempon , de Coitrefaux Ôc de Querouzy ^ fi com-
pagnie de cavalerie 5 celle de Jean d'Avaugour de Saine-
Laurent • trois régimens d'infanterie j de vingt-deux com-
pagnies d'arquebufiers à cheval. A la tête de ces troupes il
marcha d'abord contre Hennebond, comme s'il eûteudef-
fein de l'attaquer , & tourna tout d'un coup contre Lope-
dran bourg fituè à l'embouchure de la rivière de Blavec,
où cous les habicans des environs, donc la plus grande par-
tie écoic actachée au parti du Roi , s'ètoicnt retirés avec
leurs femmes, leurs enfans, &, leurs effets. Le duc fit affié-
ger la place par mer 6c par terre. Du côté de la terre les
alîiégès fe défendirent bravement 3 mais ils furent forcés
Tûme XI. Vd
2IO HISTOIRE
^- du côté de la mer ^ 6c on ne peut exprimer JQfqu'où alla
H E N K I contr'eux la rage des ennemis. Ils n'eurent égard , ni an
1 V. fexe, ni à l'âge, hommes, femmes enceintes , enfans à la
jroo. mammelle , tout fut paiîé au fil de l'épée , 6c maflacréim-
pitoyablement.
A la nouvelle de ce iîëge ,auquelonne s'atcendoîtpoinCy
le prince de Dombes avoit aiîcmblé fon armée à la hâte.
Elleétoir compofée de fix Cornettes de Chevaux-légers,
de cinq compagnies de Gendarmes , de fa Cornette de
cavalerie, de trois régimens d'infanterie, ôc de dix-fepc
compagnies d'arquebufiers à cheval. Outre cela il avoit été
joint par le baron de Molac , 6c par François de Monmo-
rency du Halot qui lui avoit amené de nouvelles troupes
levées fur la frontière de Normandie. Avec ces troupes le
Prince fe mit. en marche ^ 6c ayant appris le malheur arrivé
aux affiégés , il ne laifTa pas de continuer fa route. Réfolu
de les venger il alla camper entre Hennebond àc Auray^.
où le duc de Mercœur avoit fon quartier , 6c il y fit venir
de Hennebond deux pièces de canon , &L deux coulevrines.
Au bruit de fon arrivée les ennemis, après avoir tranfporté
leur artillerie de l'autre côté de la rivière qui traverfe Au-
ray, fe retirèrent aufiitôt en défordre du côté' de Vannes.
En même-tems le Prince les pourfuivit j ôC ayant rangé fon
armée en bataille à la vue de leur camp , commença à les
harceler dans le deiîèin de les attirer au combat. Ce fut
dans une de ces efcarmouches que Gille de Loré déjoué
Maréchal de Camp , un des defcendans de ce brave Che-
valier Ambroifc de Loré qui fervit il bien le Roi Charle
VIL contre les Anglois, fut tué en forçant les lignes des
ennemis. Il fut généralement regrété de toutes les troupes.
Enfin le Prince ne pouvant engager les ennemis à en venir
aux mains, fe retira à Auray , qu'ils avoient abandonné,
afin de rafraîchir fon armée j & parce que les troupes de
Normandie défertoient tous les jours, quelques efforts que
filLenc de Molac 6c de Ruqueviile pour contenir le foldaE
dans le devoir.
Sur ces entrefaites il arriva un accident qui caufa quel-
que trouble dans le camp de ce Prince. François de
Keraldanet du Rafcol gentilhomme Breton des plus riches
DE J. A. DE THOU, Liv. XCÏX. m
de la Province, avoir levé quelques croupes en Ecofre& dans ' "■■""■"" ■■"
les Ifles dépendantes de l'Angleterre , avec lefquelies il s'é- H e n a x
toit mis au iérvice du Roi. C'etoit un homme qu'on auroit I V.
d'autant moins foupçonné d'aucun mauvais defTdn, qu'il étoic i ? c o.
Proteffcant. Mais ayant préfencé & recommandé au Prince
incertain Cordelier, quife trouva depuis avoir été envoyé
par Querouzy un des Officiers de l'armée du duc de Mer^
cœur, c'en fut afTez pour le rendre fufpect 3 on l'arrêta j on
le mit à la queftion 3 de quoiqu'il n'eût rien avoué dans tous
Iqs tourmens , cependant ayant été condamné à mort par
le Confeil de guerre comme coupable d'avoir confpiré contre
la vie du Prince 6c contre l'Etat , il eut la tête tranchée à
Auray le 17. de Juin. Ce jugement fit beaucoup d'ennemis
iecrets à ceux qui gouvernoient l'efprit du jeune Prince ^
parce qu'on prétendoit que l'accufation intentée contre ce
Gentilhomme avoit tout l'air d'une pure calomnie.
De-là l'armée marcha contre Moncontour , château du
duché de Penchievre appartenant à Marie de Luxembourg
ëpoufe du duc de Mercœur, & fitué dans le Diocéfe de S.
Brîeu. Le Prince à qui il étoit venu depuis peu de nouvelles
troupes de Qiûntin , de Limollan ôc de la Hunauldaye, avoic
entrepis le fiége de cette place dans l'efpérance de livrer
bataille à l'ennemi , au cas qu'il vint au lêcours 5 ou de fe
rendre maître de cepofte,un des plus avantageux de tous
Iqs environs. Ainfî voyant que le Duc ne paroilToît point
après avoir battu la place , il y fit donner un alTaut qui ne
réiiffit pas, mais qui répandit tellement la terreur parmi les
alTiégés , que fur le champ ils fe rendirent à des conditions
honorables.
De Moncontour le Prince alla attaquer Lambalie, autre
place appartenante aulFi au duc de Mercœur. D'abord la.
ville fut emportée d'emblée 3 & le Prince fe préparoit enfuite
à faire le fiége du château , lorfqu'ayant euavis que l'enne-
mi qui étoit logé à Maleftroit en étoit parti, & prenoit la
route de Dinan ou de S. Malo , il décampa lui-même , ÔC
abandonnant les vues qu'on avoit eues d'abord fur Guin-
gam , marcha à la rencontre du Duc, réfolu de lui livrer
bataille. Mais fur ces entrefaites il apprit qu'il avoit envoyé
S. Laurent à Dinan avec une partie de fon armée 3 6c que
D d ij
212 HISTOIRE
pour lui il s'étoit retiré à Redon avec le refte. Ainfi le Prince
HiiNRi voyant Tes troupes fatiguées fut obligé de les congédier 5
IV. & à peine put-il obtenir des Officiers qui les commandoienc
I 5po. ^^ l'accompagner jufqu'à Rennes, afin d'efcorter le canon
qu'ils avoient amené
Arrivée de Cependant l'armée d'Efpaene compofée de cinq mille
paç;necn hommes,& commandce par D. Juan d Aquila etoit for-
Bretagne, tie du porc de Laredo en Bifcaye , & étoic venue abor-
der au port de Blavec au commencement d'Odobre. Elle y
fut jointe par le duc de Mercœur à la tête de fa cavalerie
& de Ion infanterie. De-là ils marchèrent contre Henne-
bond i de ayant mis en batterie tout le canon qu'ils avoient
amené de Nantes 6c d'Elpagne , ils firent bientôt une û
grande brèche , que du Pré qui n'avoit pas été afTez dili-
gent à fortifier cette place , fut obligé de fe rendre. Outre
la perte que nous fîmes de ce pofle avantageux , nous y
lailîames encore neuf pièces de canon & des munitions de
guerre en abondance. Les vainqueurs en donnèrent enfuite
le commandement à Daradon , 6c y mirent une forte gar-
ni fon.
lettres du Le prince de Dombes qui ne fe trou voit plus en état de
prince de faire tête à tant de forces réunies , étant cependant arrivé
fuje't! ^^ ^ '^^ à Rennes , 6c voyant à regret l'Efpagnol ennemi mortel du
nom François dans la Bretagne, fur laquelle il avoit lui-mê-
me des prétentions , écrivit le feize d'Odobre aux Etats de
la province des lettres remplies d'amertume contre le duc
de Mercœur. Pour fatisfaire , difoit-il, fon ambition parti-
culiére , il ne s'éroit pas contenté d'avoir violé tous les
droits divins 6c humains, en trahifTant lâchement le meilleur
de tous les Rois auquel il étoit fi redevable , & en devenant
un des complices de fa mort ^ mais fe voyant hors d'état
de fe foutenir par lui-même dans la Province, il avoit mis
le comble à tous fes attentats en y faifant entrer les Efpa-
gnols. Enfuite il exhortoit les Etats à tirer enfin ce voile
trompeur de la Religion , que des Prédicateurs féditieux
vendus à la Ligue avoient jufqu'alors étendu fur leurs yei^x
pour les aveugler jà reconnoîcie leurs véritables intérêts 5 6£
à longer tandis qu'il en étoit encore tems , à mettre leur
liberté à couvert de la tyrannie des Efpagnols , dont hs
DE J. A. DE T HOU, L IV. XCIX. 213
excès 6c les cruautés avoient rempli tous les pays de l'Eu-
rope 5c des Indes où cette Nation avoit mis le pied. Ilajoû- H F n k s
toit que Dieu r<^auroit bientôt tirer vengeance de leurs at- I V.
tentats , ôc les empêcher de fe joîier plus long-temsde fou ^ ^go,
nom , en abufant les peuples par un vain fantôme de Reli-
gion : Qu'au refle s'il parloit de la forte , ce n'étoit poinc
qu'il appréhendât les forces des uns, ni des autres : Qu'il ne
leur demandoit point de lui ouvrir les portes de leurs for-
terelîès, de leurs villes, ni de leurs châteaux : Qu'il les prioic
feulement de fe tenir chez eux tranquilles , d'être fîmples
fpedateurs de l'événement , ôc de ne donner ni retraite ni
fecours à l'ennemi ^ les affûrant s'ils lui accordoient cet ar-
ticle , qu'avec la grâce de Dieu , de fécondé des forces de
S. M. il feroit bientôt repentir les ennemis de leurs crimes
Ôc de leur témérité , par la vengeance éclatante qu'il pré-
tendoit tirer de l'inhumanité des uns , &: de la lâche trahie
fon des autres.
Peu de tems après arrivèrent en Bretagne huit cens Lanfl
quenets envoyés par le Roi , qui venoit de licentier fon ar-
mée. Les chefs du parti de ce Prince crurent devoir profi-
ter de cette occalîon. Comme les places qui tenoient pour
le Roi dans le Maine & fur la frontière recevoient beau-
coup de préjudice des forts que les Ligueurs occupoienc
dans les environs , Brandelis de Champagne marquis de
Villaine qui commandoit dans Laval , écrivit au prince de
Dombes pour le prier de lui aider à s'en rendre maître.
Auffitôt le Prince lui envoya la Hunauldaye à la tête de cent
chevaux de de cinq cens arquebufiers. Avec ce renfort le
Marquis prit le château de Malence entre Rennes de Vitré
qui capitula à l'approche du canon. De -là il marcha
contre la Patriere , éc ayant obtenu une entrevue du capi-
taine Picaignes qui commajidoit dans cette place , il l'enga-
gea à fe foumettre. En même tems les ennemis mirent le feu
au château de Bourgeau voilln de Craon , 6c peu éloigné
de-là j après quoi ils l'abandonnèrent. La prife du château
de Coudray fîtué fur la rivière de Mayenne , 6c qui outre
l'avantage de fa fîtuation avoit encore celui d'être bien for-
tifié , coûta plus de peine. La Brochardiére , homme roue
dévoué au parti , 6c qui au commencement de cette guerre
D d iij
iï4 HISTOIRE
■f^g^y"*"-^ avolc pris Château- G ontier en Anjou, commandoît dans ce
Henri pofte. Sur le refus qu'il iic de fe rendre , après quelques vo-
I V. lées de canon le Marquis fie donner Tefcalade à la place 6c
ï55)0, l'emporta. Environ foixante des afliégës périrent à cet af-
faut j les autres furent faits prifonniers de guerre • & on fie
pendre la Brochardiére avec tous les autres féditieux qui
étoicnt dans le château. Voilà ce qui fe pafTa en Bretagne
fur la fin de l'année,
îiéjuftion D'un autre côte Jacque de Goyon de Matignon maré-
^eiaGuienne clial de France gouvcmcur de Guienne fe conduifbit avec
^u r.ol'^^^^" beaucoup de modération , èc fe contentoit de contenir dans
le devoir, à l'exemple de Bourdeaux , les autres villes 6c
les peuples de cette grande Province. Il effc vrai que la plu-
part des habitans de cqzzq Capitale gagnés par les Jéfuites
qui au commencement de cette guerre avoient été bannis
de la ville , & s'étoient réfugiés à Agen 6c à Périgueux, villes
du parti de la Ligue , 6c entretenus dans leur erreur par les
émilFaires de la Société , étoient fort mal intentionnés pour
le Roi. Mais la crainte du Maréchal qui fe trouvoit le maî-
tre de leurs fortereiïès les emp échoit de fe déclarer. A l'é-
gard du Parlement , il agiiFoit plus ouvertement^ 6c par haine
pour les Proteftans 6c pour le Roi qui fuivoit leur dodrine,
il ne s'autorifoit point encore de fon nom dans les ades pu-
blics. Ainfî (qs arrêts n'étoient encore fcellés que du fceau
du feu Roi.
Il n'y avoit rien de plus ridicule que ce procédé ^ rien
qui pût être d'un plus dangereux exemple , que de s'auto-
rifer encore du nom d'un Prince décédé , dont le pouvoir
étoit expiré par fa mort j comme fî le Royaume eût été dans
un interrégne. C'effc ce que penfoient les gens fages j 6c le
Maréchal croyant devoir remédier à ce mal , en vint à
bout de concert avec N. le Conte maître des Requêtes.
Comme il avoit entre fes mains le fceau du Parlement , le
maréchal de Matignon 6c lui firent fondre l'ancien ^ & on en
grava un nouveau où étoient le nom 6c les armes de Henri
ï V". roi de France 6c de Navarre. Cependant le Parlement
ne vouloir point admettre aucun ade fcellé de ce fceau , 6c
avoit même donné un ajournement perfonnel contre le
Conte :1e Procureur général intervint j enfin la chofe fut
DE J. A. DE THOU, Liv. X C î X. iif
mife en délibération- le Parlement s'aflèmbla en préfence
du Maréchal, qui fur d'autres prétextes fit interdire à ceux H e n k i-
des membres de cette Compagnie qui lui étoient lufpects 1 V.
la connoiilance de cette affaire j & il y eut un arrêt qui or- j r^o,.
donnoit que dans la fuite tous les ades publics n'auroient
d'autorité dans tout le rciïbrt de la Cour, qu'autant qu'ils
porteroienc le nom &. les- armes de S. M.
Quelque cems après, tandis que le maréchal de Matignon
etoit dans le Condomois , les Ligueurs profitèrent de fon
abfence pour furprendre Rions , château du Bazadois de la
dépendance du Comté d'Albret. Le couvent des cordeliers
voifin de la porte du château leur avoit beaucoup fervi à
conduire leur entreprife j ainfi comme ils appréhendoienc
d'être affiégés dans cette place, ils chafFérent auffitôt après
ces Religieux qui avoient contribué au fuccès de leur entre-
prife ,ôc ruinèrent cette maifon jufqu'aux fondemens. Mais
cette précaution leur fervit peu j au bout de quelques jours
Je Maréchal vint \qs inveflir dans ce pofte j ôc fon artille-
îie ayant fait une brèche confidérable à la place, ils furent
contraints de fe rendre vies de bagues fauves. Peu de tems
après les rebelles furprirent aufii le 29. d'Oélobre Bourg ,
ville fituée dans le confluent de la Garonne Ôc de laDor»
dogne J mais de Juviheres conferva le château où il s'ètoîc
retiré j ôc par fa ïèrmeté il donna le tems aux Bourdelois
que la prifè de ce pofte incommodoit fort, d'y envoyer des
croupes , dc au duc d'Efpernon d'accourir au fecours avec Iqs
garnifons d'Angoulême & des places voifines -, en forte que
les ennemis fe trouvants affiégés entre les troupes du Roi&
le château furent obligés d'abandonner leur prife. Depuis
ce tems-là Bourg refta au pouvoir du duc d'Eipernon , &
le Roi après bien des ordres réïtérés eut beaucoup de peine
à le retirer de fcs mains.
Le 10, de Novembre le Roi donna de fon camp de Révocation
Mante une déclaration enregiftrée dix jours après au Parle- ^«dambres
^ r, V T-, 1 ^ II M ' • 1 /^L 1 établies en
ment leant a Tours, par laquelle il revoquoit les Chambres faveur des
établies par le feu Roi au commencement de ces troubles Proteftans.
à S. Jean d'Angely en Saintonge , à Bergerac en Périgord,
&i à Montauban en Quercy j & tranfportoit leur jurifdiclion
aux- anciens Tribunaux , éc aux Parlemens dans le relForc-
2i(? HISTOIRE
defquels elles fe trouvoi^nc. Cette révocation fît beaucoup
Henri de plaiiîr aux Bourdelois , & ne fervit pas peu â augmen-
I V. ter leur attachement pour le Roi.
I ç£)o Cependant la guerre ctoit beaucoup plus allumée dans le
E>cpioicsde Dauphiné &: dans la Provence fur lefquelles le duc de Sa-
lEtdiguicres vove avoic des vues depuis long-tems , comme étant plus
en Provence - r iCT^^ry' ' ' J ^ r» • • r •
.& en Dau- voilincs dc les Etats. L année précédente ce Prmce avoit faïc
piîiué. inutilement beaucoup d'efforts pour fe rendre maître du
Dauphiné , où Alfonfe d'Ornano Corfe , èc François de
Bonnes de l'Efdiguieres commandoient pour le Roi j ainfî il
tourna cette année-ci toutes Tes forces contre la Provence ,
où étoit Bernard de Nogaret de la Valette.
Au commencement de Tannée l'Efdiguieres avoit invefli
Grenoble, où commandoit pour la Ligue Charle de Si-
niiane d'Aibigny ^ il fe contentoit de poufTer lentement ce
fiége, perfuadé que cette ville étant fort peuplée , il lui fè-
roit aifé de la réduire par la famine. Mais au mois de Mars
Antoine Olivera fit entrer dans la place des vivres &: des
fecours. D'un autre côté le Roi prefToit l'Efdiguieres dc faire
la guerre au duc de Savoye • c'cfl ce qui fat caufe que cette
ville tint plus long-tems qu'on ne l'efpéroit.
Outre les Ligueurs qui favorifoient le duc de Savoye ,
le parti de ce Prince étoit encore foutenu en Provence par
Chrétienne d'Aguerre veuve de Louis d'Agout comte de
Sault , femme d'un courage mâle. Elle étoit perfonnelle-
ment mécontente du duc d'Efpernon j & Jean de la Garde
de Vins , homme vendu au parti & au Duc qui avoit époufé
lafœur du feu comte de Sault, & qui commandoit en Pro^
vence pour les rebelles , la follicitoit fans celTe à brouiller
les affaires de cette Province. Ce fut à fa follicitation que
le duc de Savoye entra dans le pays à la tête d'une puiiîànte
armée. Au bruit de fon arrivée la Valette marcha aufîitôc
à fa rencontre ^ & dans plulieurs petits combats qui fe don-
nèrent entre eux , Jl fut toujours fi fupérieur au Duc ,
qu'ayant répandu la terreur de fon nom dans tous les en-
virons , il fe rendit maître dans les mois de Juin 6c de Juillec
du château de Pertuys , de Puymichel , de Valenfole, de
Montagnac , & de plufieurs autres places fortes qui fe foù-
niirent à lui , ou qu'il força de fe rendre. Il fut fécondé
dans
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 217
dans Ton expédition de rErdiguiéres qui étoic venu le join-
dre à la tête de trois cens chevaux ,ôc de douze cens arque- H e n ai
bufiers. I V.
Ce fut dans ce même tems que mourut le capitaine la i ego,
Cayette tué dans ion fort au pied du mont Genevre. Il
ëtoit fils d'un boucher , dit-on ^ mais dans nos guerres ci-
viles il avoit pris des fentimens fort au-deflus de Ton érac
& de fa naillance. Gagné par le duc de Savoye , la Cayette
étoit fur le point de lever des troupes pour Ton fervice ,
dans le deifein de le rendre maître de Briançon ôc d'Exilles
qui tenoient pour la Ligue, lorfque quelques amis que TEC
diguiéres avoit dans la vallée voiflne , gens attachés au
parti du Roi, allèrent l'attaquer dans ion château le 15.
de Juillet, y attachèrent le pétard, forcèrent la place, 6c
tuèrent la Cayette.
Cette mort facihta beaucoup l'exécution des deiïeins que Rc'judiondc
rEfdieuières avoit fur cette Province. Auditôt qu'il en eut ^'/anc^onà
reçu la nouvelle, il quitta la Provence èc marcha contre du Roi.
Briançon , ou il fçavoit que la plupart des habitans étoienc
âffedionnès au parti du Roi j & que les autres, confternés
par la perte de la Cayette fongeroient à fe rendre des qu'il
paroîtroit. En effet il commença par drelîer une batterie de
quatre pièces de canon qu'il avoit fait venir avec une ex-
trême diligence -, Se il n'eut pas plutôt ouvert la tranchée ,
qu'avant le premier coup de canon Clavaifon , que le duc
de Mayenne avoit mis autrefois dans cette place , deman-
da à parlementer, êc fe rendit le 6. d'Août.
De-là l'Efdiguiéres marcha du côté du mont Genevre
dans l'efpérance de pouvoir peut-être avec le même bon-
heur fe rendre maître d'Exilles , dont la pkipart des ha-
bitans étoient dans iès intérêts. Son deSèin étoit de fe
faifîr de ces pafïages des Alpes , par où les François firent
autrefois entrer du canon en Italie , & de fermer ainiî l'en-
trée du Royaume au duc de Savoye de ce côté-ld ; mais
fon entrepriie ne rètiffit point- àc il repalFa fur le champ
en Provence , où la Valette le rappella pour fecourir S.
Maximin.
Le comte François de Martinengue , qui depuis que le
4uc de Ferrare avoit rappelle le comte de Saint Martin ,
Tome XI, Ee
1 1 8 HISTOIRE
îriîîî^^;^^ commandoît en chef les troupes du duc de Savoye , avoît tel-
Henri lemenc invefli cette place , qu'après s'être détendus avec la
I V. plus grande bravoure , les aflîégcs privés de toute efpérance
I 590. ^^ lecours iongeoient à fe rendre. Déjà l'uldiguiéres s'étoic
avancé, ôcn'etoitpas loin de Barcelonnerte place apparte-
nante au Duc , lori'que de Salinas vieil Officier Elpagnol qui
y commandoit , attaqua le capitaine Boillet qui étoit a la
tête d'une compagnie d'infanterie , 6c de Biiquemaut Capi-
taine d'une compagnie de Gendarmes, qu'il avoit réiolu
d'enlever j mais il fut mis en déroute & oblige de prendre la
fuite , lailîant plus de cent des Tiens fur la place: trente
autres turent faits prifonniers ^ 6c lui-même eut beaucoup
de peine à fe iauver avec le nombre qui lui r^ftoit. La Vo--
luere Capitaine des gardes du Duc, qui après la mort du
maréchal de Bellegarde avoit livré dix ans auparavant la
citadelle de Carmagnole au père du duc de Savoye , ôc qui
avoit mérité par cette trahifon la place qu'il occupoit, fuc
pris dans cette rencontre ^ mais il mourut aulTitôt après des
blefTures qu'il avoit remues , êc évita ainfî le fupplice auquel
il étoit rélèrvé. Cette adion fe palTa neuf jours après la red-
dition de Briançon. Le lendemain Riflolles château appar-
tenant au Duc, qui en avoit confié la garde à deux com-
pagnies de gens de pied,fe rendit à l'Eldiguiéres ,à condi-
tion que la garnifon fortiroit en armes après lui avoir livré
{qs drapeaux. Enfin comme l'armée continuoit ia marche,
le comte de Martinengue leva le fiége deS, Maximin. Mais
l'Efdiguiéres qui ne vouloir pas être venu inutilement en
Provence, alla inveftir le château de Barles qui fe rendit à
difcrétion le dernier jour d'Août après huit jours de fiége.
D'un autre côté le duc de Savoye fe mit en campagne â
la tête de trois mille hommes de pied ôc de trois cens che-
vaux • 6c alla afTiéger S. Paul que l'Efdiguiéres avoit forti-
fié dans le pays même de l'obeifTance du Duc , le battit
avec trois pièces de canon , 6c l'obligea à fe rendre , à con-
dition que la garnifon fortiroit en armes , tambour battant,
6c enfeignes déployées. La prife de ce pofte arriva le jour
que Barles capitula 5 6c ce jour là même l'Efdiguiéres ac-
courant au fècours de S. Paul avec fa diligence ordinaire ,
vint camper à Vars à trois lieues de ks ennemis. Sur quoi
DE J. A. DE THOU,Liv. XCIX. ti<)
le duc de Savoyc qui apprëhendoic d'en venir aux mains ' "^^^
après s'être à peine donné le tems de pli^r bagage, fe retira H e n k i
en déiordre vers la montagne voifîne , nommée commune- I V,
ment le mont de l'arc , d'où il marclia toute la nuit aux i 590.
flambeaux Jufqu'à ce qu'il fut arrivé en lieu de lûreté. Ce-
pendant nos troupes s'étant mifes à fes trouffi^s chargèrent
•îbn arricre-garde, &; firent prisonnier D .Pedre de Vargas
Capitaine des gardes de la duchelTe de Savoye. Le lende-
main l'Efdiguiéres profitant de i(is fuccès , alla fe préfenter
devant S. Paul ^ àc comme Ton canon n'etoit point encore
arrivé, il y attacha le pétard, l'attaqua en plein jour, ôcle
força après un combat opiniâtre qui dura trois heures. Deux
cens hommes de garnif^jn que le duc y avoit mis , furent
pafTés au fîl de l'épée , bc Zapata qui en étoit Gouver-
neur , fut fait prilonnier avec Hercule Capra fbn fergenc
Major.
En même tems de Sonnas étoit entré dans la vallée
d'Exilles à la tête de trois mille hommes de pied & de trois
cens chevaux , avec ordre de ravager les environs de Brian-
çon & d'Embrun, & de rejoindre enfuite le Duc pour mar-
cher du côté de Guilleftre. L'Efdiguiéres en ayant eu avis,
réfolut de le prévenir. Dans cette vue il marcha aufîi-tôc
du coté de Brianc^on j êc ayant appris que l'ennemi étoic
campé à Chaumois,il manda aux habitans des vallées de
lui fermer le paflàge. En même tems il détacha pour les
Soutenir de Morges avec fa compagnie de cinquante Gen-
darmes , ôc deux enfèignes de gens de pied. Cet Officier
étant arrivé au moment qu'on en étoit aux mains , & voyant
la vidoire balancer entre les deux partis, chargea les enne-
mis proche d'un retranchement qu'ils avoient fait attaquer
en trois endroits par quinze cens hommes j &. les mit en dé-
route,après en avoir laifîë flx-vingt fur la place. Cette adion
fe pafTa le 9. de Septembre. "■
Qiiatre jours après, l'Efdiguiéres alla camper à deux Heués
d'Exilles. Là il eut avis que le duc de Savoye s*étoit retiré
à Nice , 6c avoic laiffé une partie de fes troupes au général
Sonnas. Sur cette nouvelle il fe rendit à Exilles même dans
le deffein d'engager l'ennemi à en venir aux mains , & fit
paffer les monts à quatre pièces de canon qu'on lui envoya
E e i j
2 10 H I S T O I H E
"»^*»»°"«" d'Embrun. Sonnas éroit alors logé à Chaumonc ^ maïs poinr
Henri evirer' le voifmage de nos troupes , il abandonna ce pote
IV. après leur arrivée, &: ie retirai Suie avec quinze cens ar-
i cao, quebuliers &; cinq cornettes de cavalerie. Lefdiguiéres de
ion côté le pourliaivit , Tatteignic , & l'attaqua ii à propos,.
qu'il le mit en déroute , après lui avoir tue plus de trois cens
hommes. De ce nombre turent de Montaigre , de Valieres ,.
Chapot l'aîné , èc pluiieurs autres Officiers. On fit auffi plu-
fleurs prifonniers , parmi Icfquels le trouvèrent Chapot le
cadet.Maréchal de camp èc Lieutenant du marquis de Tre-
fort , avec les capitaines TroilFelve , la Rauviere , Se Saint-
Honon (i). Sonnas s'étant égaré dans les ténèbres ,. fut
longtems tenu pour mort par les gens. Ceux qui le fauve-
rent de cette défaite allèrent chercher un alyle dans Sufe.
Deux jours après arrivèrent au camp Louis de Blain du
Poiiet, 6c Henri delaForeft de Blacons avec un détache-
ment de deux cens gendarmes &: de trois cens arquebufiers.
Avec ce renfort Lefdiguiéres alla mettre le liège devanc
Exilles fur la frontière. Ponfenac qui commandoit dans ce
pofte voyant les affaires du duc de Savoy e en mauvais état,
le canon des alfiègeans prêt à foudroyer la place , les trou-
pes du Roi renforcées d'un nouveau lècours , toutes les pla-
ces des environs au pouvoir des ennemis , & n'ayant au mi-
L*eu de tout cela aucune efperance d'être fecouru , fongea
de bonne heure à pourvoir à la fureté , èc rendit le château
le dernier jour de Septembre , à condition qu'il fortiroit vie
&; bagues fauves.
Entre Sufe àc la Novalaife l'ennemi avoir pollè au pied
d'une hauteur proche de Talon , huit compagnies d'infan-
terie commandées par le Général Venufte. D'abord il y
avoit eu un duel propoiè entre de Morges èc. de Sonnas. Mais
comme Sonnas pour éviter le combat , pretextoit qu'il n'a-
voit point encore re^u les ordres du duc de Savoye , Lefdi-
guiéres marcha contre ces huit compagnies , & attaqua ce
pofte 11 vivement, qu'il l'emporta après avoir tué aux enne-
mis environ loixante hommes , du nombre defquels fut le
Général , avec les capitaines CalTard 6c Chaburdes. Le ca-
pitaine Villars fut fait prilonnier avec pluiîeurs autres , 6c
(i) La relation le nomme Sainc-Honos.
DE J. A. DETHOU, Liv. XCîX. m
4|naa-c compagnies dlnfancerie commandées par Gentou
Maréchal de camp , abandonnèrent le lervice. De-là Lefdi- Henri
guiéres revint à Exilles , 6c lit repallcr Ion canon à Embrun, I V.
En même tems il en fit venir deux pièces de Gap , parce que 1590.
k route étoit plus ailée de ce côté-là , & alla mettre le iicge
devant une place du comté de Nice appartenante au duc
de Savoye , à laquelle il n'eut pas plutôt fait brèche , que
Charle de la Rovere d'Aft qui y commandoic avec trois cens
hommes de garnilon , fe rendit le 14. d'Oc1:obre'. Par la ca-
pitulation les armes , les enfeignes-, le bagage dévoient re-
fter dans la place, &: on accordoit feulement aux Officiers
de forcir l'épée au côté 6c à cheval , pourvu cependant qu'ils
ne montalTent point de chevaux de guerre. Le lendemain
Lefdig.uiéres fit battre le château de Mcrlaus lirué de ce côté-
là j mais à peine y eut-il une brèche raifonnable que la gar-
nifon craignant que la place ne fut emportée d'aflaut , l'a-
bandonna la nuit. Les ennemis laillérent ieulemcnt dans ce
pofte une garde de trente hommes qu'on y trouva le lende-
main matin , 6c qui furent faits prifonniers.
Cependant le duc de Savoye qui comptoir beaucoup plus
fur les intrigues ôc fur les intelligences fecrettes qu'il avoit
avec les Ligueurs, que fur ies forces , mit fur pied une nou-
velle armée, partit de NicCj & prenant la route de Pro^
vence le long de la côte , pafîa par Antibe , & alla fe rendre
maître au commencement d'Octobre de Fréjus fiége d'un
Evêché fort ancien Enfuite il prit Draguignan & quelques
autres petites places des environs. En même temsGafpard de
Ponrevez comte de Carfes qui affiégeoit Salon de Oraux,
ayant été attaqué par la Valette , ôc les aiïïégcs faifant en
même tems une fortie , fut taillé en pièces , & obligé de fe
retirer à Aix , où il arriva à peine avec les trilles relies de fa
déiaite.
Cette ville où réfide le parlement de Provence , étoit pour p^' ,„t;on
ainfi dire , la place d'arm^^s des factieux , 6c la comtelfe de i^es habitans
Sault fécondée par de Vins v entretenoit continuellement d'-^'xauduc
des emiilan-es p.Air conlerver cette ville au parti. Oe rut par
leur confeil que le Parlement fe réfolut entin d'envoyer des
Députés au duc de Savoye. On nomma pour cette com-
miiiion Ekazar Kaftel évé^ue de Riez , de Caftcliane-
Ee n'i
111 HISTOIRE
a'Ainpus,&: l'avocac Fabregaeî». lU écoienc chargés de prier ie
H £N K I Duc de daigner prendre cette ville ïous fa protection (Se eiî
1 V. même cems toute la Provence j afin d'employer les moyens
j 590. qu'il jugeroit les plus convenables pour la mettre à couverc
de l'invalion êc de la tyrannie des hérétiques , bc la confer-
verà celui que Dieu deftinoità devenir un jour l'héiitier lé-
gitime de la Couronne. Le Duc rc<^ut lort bien le compli-
ment des Députés j &. apiès avoii loué la fagefle & le zélé
quilesavoit portés aie choiiir entre tant d'autres Princes,
pour lui taire un honneur qu'il croyoit mériter d'ailleurs par
plufieurs endroits , il les anûra à Ion tour qu'il n'oubiieroic
rien pour répondre à l'attente qu'ils avoient conçue de lui ,
aux dépens même de les Etats & de fa propre vie ; ajoutant:
qu'il alloic incciîamment envoyer en Efpagne de Ligny pour
prendre avec S. M. C les meihres nécelFaires , èc obtenir
d'elle les fecours dont on avoir befoin.
entrée du ^^^ Députes de retour comblés de préfens &: encore plus
ànc de Sa- de promeiFcs , ayant rapporté une réponfe favorable de la
voycaAix. p^j.j. ^^^ ]3ac, la ville ie prépara à le recevoir. Cependant
ceux qui confervoicnt encore quelques fentimens Francjois,
étoient indignés de voir qu'à la honte de la nation de mal-
gré le danger auquel on s'expofoit , on allât introduire chez
eux un Prince étranger de un hôte fi redoutable. D'un autre
côté le Duc qui appréhendoit quelque émotion , èc qui ne
youloit pas s'expofer à la honte d'un refus , Te mit en mar-
che fans néanmoins paroître prendre la route d'Aix , &, s'a-
vançant lentement afin de voir comment les alïaires tourner,
roient avant que de s'engager. Enfin ayant appris que ion
parti étoit le plus fort dans la ville , il s'y rendit le 14. de
Novembre. Cependant le comte de Cariés qui après avoir
été battu peu de tems auparavant à Salon, comme je l'ai
rapporté , étoit venu ie réfugier à Aîx , tour attaché qu'il
étoit à la Ligue , avoit mis tout en œuvre pour empêcher
que le Duc ne fût reçu dans cette ville j èc ne pouvant en
venir à bout , il fe retira dès qu'il apprit que le Duc ap^
prochoit.
Il fut reçu à fon arrivée par tous les Ordres de la ville ,
qui lui préientérent même le dais ^ mais par une modeftie
^fFeclée il le refufa , ôc leur dit qu'ils dévoient rcierver ceç
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 213
ïionneur pour le Prince que le Ciel leur deftinoic. Le len- .., '
demain il le rendic au Palais , où après un dilcours qu'il fit, Henri
tous les membres du Parlement lui ayant baiie la main , cha. I V.
cun- ielon Ion rang 6c la dignité , le reconnurent comme i cao.
Protecteur & Gouverneur général de la Province 5 &. en
cette qualité jurèrent de lui être fidèles. Honore du Lau-
rent Avocat général porta la parole Dour toute la compa-
gnie» Les Ligueurs de Marfeille avoient aulFi envoyé des
Députes au Duc pour le prier de vouloir bien le rendre dans
cette ville j mais comme il connoiiloit les MarleJllois pour
être aguerris, & que d'ailleurs ils ne peiiioient pas tous de
même , il ne crut pas qu'il y eût de lûreté pour lia à s'avan-
cer de ce côté-là. Ainfi il s'en cxcuia lous prétexte que lès
affaires ne lui permettoient pas d'entreprendre ce voyage.
Leldiguiéres de retour de Provence continuoit le liège de ReMudiion
Grenoble, & avoir alfis Ton camp à S. Laurent. Enfin après ^'^^wXuc^
que d'Albigny eut mis tout en œuvre pour empêtler les du Roi.
habitans de fe Ibûmettre , malgré l'extrémité à laqielleils
ctoient réduits , la capitulation tvt lignée , & on convint t
Que la Religion Catholique , Apoiloliqucec Romaine s'exer-
ceroit comme auparavant, librement tant dans la viiL que
dans les fauxbourgs : Qiie les Eccleliaftiqnes feroient réta-
blis dans tous leurs droits : Que les Protellans n'aui oient
droit de s'afïèmbler , que dans le faubourg de Trecioître :■
Que tous les habitans prêceroient ferment de iideiiié à
Henri IV. roi de France èc de Navarre entre \qs mains de
Caiignon j ôc que le préiident de S. André , & Chatelard
conleiller au Parlement , porteroient pour eux la parole :
Que ceux qui refuleroient de (è foûmettre à ce ferment, au-
roienr la liberté de fe retirer -, & qu'en quelque lieu qu'ils
filLnt leur rèlidence, foie dedans ou dehors le Royaume,
ils auroient la joiiilîance entière de tous leurs biens , à con-
dition qu'ils n'entreprendroient rien contre le Roi ni con-
tre l'Etat : Que le iioî donncroit le gouvernement de la;
viiij a qui bon lui fcmbleroîr : C^ie cependant on accorde-
roit un délai de :roi> mois à d'Albigny ^ ëc que il dans ce
terme il s'accommo î.-it avec le Koi , 6c lui prêtoit ferment
de tiaelîté , il lerof- Ci^nfirnie dans ce poffce par S. M. Qifen
attendant de la Ruu hegiron commanderoit dans la place ;■
124 H I s T O t R E
Que ni d'Albigny , ni le Procureur de la province , ni aucua
Henri des habicans ou des Officiers ne pourroici être inquiété
I V. ou recherché au (ujet det> deniers ou contributions qu'on
I s 90. ^voit levées , ou des traités faits avec l'ennemi j & que Lef-
diguiéres iupplieroit S. M. d'en perdre le fouvenir : Que le
Roi leur accorderoit une amniftie générale pour tout le
pafTe j Se que les vainqueurs n'en conièrveroient aucun ref-
fentiment , mais qu'au contraire chacun le mettroit en oubli,
& s'efForceroit de contribuer à la concorde ôc à l'union qui
doit être entre des frères , des amis , & des concitoyens :
QLie pour travailler efficacement à cette union , Iqs membres
du Parlement , qui pendant la guerre s'étoient retirés à Per-
tuys où ils rendoient la juftice au nom du Roi , reviendroienc
inceflammcnt à Grenoble , pour exercer leurs charges de
concert avec leurs collègues : Qii'entin avec l'agrément du
Roi on aflembleroit au plutôt les Etats, pour mettre ordre
aux affaires de la Province. Ce traité fut coV.clu le 22. de
Décembre.
Suîrc de la Cependant les habitans de Genève commençoient à fen-
gucric de tir de quelle coniéquence étoit pour eux la perte du pas de
Genève. j^^ Clufc , qui avoit ouvcrt un chemin aux ennemis pour faire
des couries continuelles dans le bailliage de Gex. Déjà les
Savoyards ravageoient impunément les environs de cette
ville , U fe rendoient infenfiblement maîtres de la campagne
bc du lac. Ainfi ils firent le procès au gouverneur de cette
place j 6c ayant été convaincu d'avoir été caufe par fon ava^
rice ou par fa négligence de la perte du pofte qu'on lui avoic
confié , il fut condamné à mort par le Confeil des deux cens,
& exécuté enfin à Genève le 22. de May, malgré les inftan-
tes prières qu'il leur fit pour obtenir fa grâce. Sept jours
après il y eut un combat très-vif proche de Douvaine entre
les Savoyards 6c la garnifon de Creft, qui avoit mis à con-
tribution les habitans du bailliage de Thonon. Mais quoi-
qu'elle eût déjà été rompue 6c mife en déroute , elle eue
moins à fouffrir des ennemis , que d'un orage raclé de grêle
& d'éclairs , le plus furieux qu'on eût jamais vu , èc fuivi d'un
débordement d'eaux qui ravagea toute la campagne.
Lç S- de Juin fuivant il y eut une action beaucoup plus
jponfidérable entre ceux de Genève , ^ environ cens
cinquante
DE J. A. DE THOU,Liv. XCIX. 125
cinquante cuiraffiers ennemis fuivis de quatre cens hommes de .
pied qui pafibient fous les murs de la ville , chargés du ri- H e m r i
che butin qu'ils avoient ramajGfé dans le bailliage de Gex. I y.
Lurbigny ayant fait fur eux une fortie à la tête d'un corps
de Chevaux-légers , chargea fi vivement la cavalerie déjà fa-
tiguée d'une longue marche , qu'il la mit en déroute , ôc
poulTa l'infanterie jufqu'au village de Farges , où il en tua
environ cent : car les deux partis étoient fi animés l'un con-
tre l'autre, qu'ils obfervoîent rarement les loixdela guerre
à l'égard des prifonniers. Lurbigny cependant qui n'avoic
perdu que très-peu de monde , s'étant mis à la pourfuite des
fuyards tomba de cheval j &c comme il étoit fort gros de
d'ailleurs pefamment armé , il fe froilîa tout le corps , & fut
obligé de garder le lit pendant longtems. Les Savoyards fe
dédommagèrent delà perte qu'ils avoient tVite ce jour-lâ,
en réduifant en cendres tous les environs. Enfuite le 2 2. de
Juin les Genevois ayant fait mal â propos une fortie fans
avoir de chefs pour les commander , ils les battirent proche
de Bernay , leur tuèrent trente hommes , & firent cinquante
prifonniers, qui n'étants pas en état de payer leur rançon fur
le champ , eurent toutes fortes de mauvais traitemens à
foufFrir.
Enfin après bien des efcarmouches Se des courfes , des dé-
gâts &: des incendies commis de part & d'autre depuis la
guerre déclarée entre les Savoyards & les Genevois, Ame-
dée bâtard de Savoye entra le 6. de Juillet par le pas de la
Clufe dans le bailliage de Gex à la tête d'une armée réglée,
compofée de cinq cens chevaux èc de deux mille cinq cens
hommes de pied , àc campa à la vue de Genève. Enfuite
ayant mis quelques troupes en embufcade , il détacha quel-
ques partis pour enlever le bétail des Genevois ^ ceux-ci de
leur côté ayant fait une fortie pour reprendre ce que l'en-
nemi leur avoir enlevé , on en vint aux mains avec beau-
coup de vigueur. Dans le fort du combat les Savoyards for-
tirent de leur embufcade ,êc la cavalerie furvenant en même
tems , ceux de Genève enveloppés de toutes parts , furent
taillés en pièces. Il en refta plus de cent fur la place , & il
n échappa prelque aucun des blcflés,qui prefque tous étoienc
perces de coups de lances. Cinquante furent pris par les
Tome XI, Ff
aÊm
116 ^ HISTOIRE
m Efpagnols & les Italiens j èc comme ils ne rerpîroient que la
hTn r I vengeance, ils les malîacrërent cruellement après le com-
j y bat. Cette défaite répandit une fi grande confternation par-
mi les vaincus , que lî Lurbigny , qui pouvoit encore à peine
^ ^^^' quitter le lit , ne fe fût fait tranlporter à la porte de la ville,
êc n'eût encouragé les habitans par fa préfence , on croie
que les Savoyards feroient entrés ce jour. là dans Genève
pêle-mêle avec les fuyards, Ôcauroient pu s'en rendre maî-
tres. La défolation cependant n'étoit pas moins grande dans
Ja campagne , où les païfans ne croyoient plus avoir rien â
efpérer des Genevois. On voyoit ces malheureux abandon-
nants leurs maifons , aller chercher ailleurs un afyle , traî-
nants avec eux leurs femmes de leurs enfans. Enfin comme la
grêle , les eaux , & le feu avoient abîmé tous les grains qui
étoijnt fur pied , de ruiné totalement la campagne 6c les vil-
lages , le païs devint tout d'un coup fî défert , que dans l'é-
tendue de quatre lieues entières , entre le pas de la Clufe
6c le mont Jura , on ne trouvoit pas la moindre trace d'ame
vivante. Plufieurs même perfuadés que c'en étoit fait de
cette République , abandonnèrent Genève 6c fe retirèrent
en Franche-Comté chez leurs amis. Cependant à la fin les
Genevois reprirent courage lorfqu'ils virent Lurbigny re-
commencer à faire le devoir de fa charge , 6c ils fe rétabli-
rent infenfiblement. Ils firent quelques forties avec plus de
précaution qu'auparavant , 6c remportèrent quelque petit
avantage dans quelques rencontres peu confîdérablcs Ils
oférent même faire des courfes dans le Chablais 6c le Fofîi-
gny , 6c combattirent deux fois avec fuccès le baron d'Ar-
manfe proche le village de Branth.
Ce fut fur ces entrefaites , que Guillaume de Clugny ba-
ron de Conforgien , Officier expérimenté , fe rendit à Ge-
nève. Le jour même de ion arrivée qui fut le 23. d'Août,
il fit embarquer fur le foir trois compagnies d'infanterie dans
le dcfï^in de furprendre Efvian , petite place fîtuéefur le hc.
En même tems pour donner le change à l'ennemi , il donna
ordre à un corps de cavalerie de marcher du côté de Langin,
Mais les Savoyards ayant éventé fbn defTein, ne firent au-
cun mouvement à l'approche de fa cavalerie j èc d'un autre
côté la garnifon d'Efvian fe tint iî bien fur les gardes, que
cette entreprife échoua.
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 217
Les bateaux de Genève commencèrent enfuite à courir
le Lac , de remportoient toujours quelque avantage. Enfin Henri
comme les Genevois voyoient que l'arrivée de leur nouveau I V.
Général avoit répandu la terreur parmi leurs ennemis , ils i rgo.
réfolurent de profiter de cette difpolition pour réparer la
perte de la moilTon , & faire vendanges. A cette nouvelle
le baron d'Armanfe gouverneur du Chablais tira des garni-
fons voifînes deux cens chevaux &: cinq cens hommes de
pied , qu'il poffca à toutes les avenues , dans le deifein de
furprendre les Genevois à leur retour , & de les enlever.
Ceux-ci fe mirent en marche le 1 6. de Septembre fuivis de
leurs chariots & de leurs tonneaux , êc prirent la route de
Bonne efcortés par le baron de Conforgien à la tête de cent
cinquante fantaffins , & de pareil nombre de cuirafliers. Le
baron d'Armanfe commença â fe montrer vers un moulin ,
dont Cqs troupes s'étoient failles. A cette vue le baron de
Conforgien , après avoir fait faire la prière à fes troupes fui-
vant l'ufage des Protefbans , fe mît en bataille , 6c détacha
d'abord quelques enfans perdus pour aller efcarmoucher.
Ceux-ci étoîent fuivis d'un autre détachement de cinquante
hommes deftiné à attaquer le moulin qui ètoit fur leur che-
min. Enfin trente cuiraffiers furent commandés pour ouvrir
un palTage à tout le convoi. Ils avoient ordre de fe faifir
d'une éminence voifîne , 6c de harceler cependant la cava-
lerie ennemie , afin de lui donner ôccafion de prendre fon
parti fur le mouvement qu'elle feroit. Cependant le moulin
tut emporté après quelque réfiflance. D'un autre côté les
trente cuiraffiers ayant rencontré quelques gendarmes , s'en
dèbarraflèrent j & les laiflants derrière eux , prirent à toutes
jambes la route de Bonne. Les ennemis perfuadés que c'étoic
la peur qui les obligeoit à abandonner fi lâchement le refte
de leurs troupes , chargèrent en même tems le corps dont
les cuiraffiers ètoient fuivis -, mais dans le moment ceux à qui
on croyoit n'avoir plus affaire faifant volte-face , vinrent
prendre en flanc les Savoyards. Enfuite le baron de Confor-
gien tombant fur eux foûtenu fur ics flancs par quelque in-
fanterie , l'action devint fort vive. Après un combat opi-
niâtre cfin dura trois heures , les ennemis furent obligés de
prendre la fuite , laiflants environ trois cens morts fur la
Ff ij
228 HISTOIRE
-î;^^;?!? place. On fît cinquante prifonniers, que le baron de Con-
Henri forgien renvoya îur le champ prefque tous de l'autre côté
I V. de la rivière d'Arve , dans l'cipérance que ce procédé gë-
i rqQ néreux, pourroit contribuer à adoucir l'aigreur 6c le rclîéntî-
ment dont les deux partis s'étoient donné juiqu'alors de
jfî funeflcs marques, 6c les déterminer à faire la guerre do-
refnavant d'une manière raifonnable. Ce fut dans la même
vue que la République traita avec beaucoup d'humanité
quelques prifonniers qui étoient blefles dangereufement.
En effet on en ufa mieux dans la fuite avec les prifonniers de
guerre, ôc on fe contenta de part & d'autre de réduire en
cendres tous les villages des environs. Après cet exploit
ceux de Genève firent tranquillement leurs vendanges 3 èc
cet avantage les confola de la perte de la récolte.
Vers la fin d'Octobre le baron de Conforgien fuivi d'un
détachement marcha du côté de Crufilles pofte fîcuèàtrois
lieues de Genève , où la cavalerie Napolitaine & Espagnole,
ôc les autres Chevaux-légers du duc de Savoie avoientleur
quartier. Il y fit donner l'efcalade vers le milieu de la nuit,
éc s'ouvrit un pafîage à la faveur du pétard. Là garnifon de
fon côté réveillée à ce bruit profita des ténèbres pour
tranfporter en diligence tous les efFets dans le château &
dans le fort qui en èroit proche. Les Genevois entrés dans
la place commencèrent par mettre le feu à une maifon ^
afin d'y voir clair 3 enfuîte ils en firent de même àplufieurs
autres , palTant au fil de l'épée tous ceux qu'ils y rencon-
troient , Ôc attendant le jour avec impatience. Cependant
toute la nuit on avoit fonné le tocfîn dans les villages des
environs. De-là le baron de Conforgien conjectura que le
lendemain il alloir voir toutes les garnifons voifînes venir
lui tomber fur les bras. Ainfi comme il n'étoit pas en état
de leur faire tête , èc qu'il jugeoit que tous les environs
étants fous les armes , il feroit accablé avant que d'avoir
pu emporter le château , il fit fonner la retraite de bonne
heure, après avoir tué environ cent hommes aux ennemis,
& rentra fur le foir heureufèment dans Genève , fuivi de
grand nombre de chevaux qu'il avoit enlevésaux Savoyards.
Enfuite vers la fin de l'année les Genevois brûlèrent quelques
magafîns proche du fort de Sonvi qui appartenoit au duc
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX:. 229
de Savoie. Tels furent les exploits des deux partis jufqu'à
l'arrivée de Sancy que le Roi envoya à Genève, & qui par Henri
les lecours qu'il y amena, & ceux que la fortune lui fournit I V.
encore dans la fuite, contribua beaucoup aux fuccès de cette 1590.
Republique.
li ne me refle plus qu'à faire l'élog-e des hommes de Let- .^orts
très que la mort enleva cette année. Je commencerai par
François Hotman. Il ëtoit de Paris, fils d'un confeiller au De François
Parlement : après fes humanités il alla faire fon droit ^°"^3"'
à Orléans j il fut enfuite obligé de fortîr de France à caufe de
fa Religion , ôc profefTa d'abord à Laufane. De-là il fut ap-
pelle à diverfes reprifes , tantôt à Valence par Jean de
Monluc Evêque de cette ville, èc tantôt à Bourges par la
PuchefTe Margueritte de Berryj il y enfeigna longtems le
droit jufqu'à la faint Barthélémy. Alors obligé de dire un
éternel adieu à fa patrie , privé de fon époufe que la mort
lui avoit enlevée , il fe retira d'abord à Monbeliard, &fixa
enfin fa demeure à Baie, où il mourut d'hydropifie le 12.
de Février de cette année âgé de foixante 6c cinq ans. Le
droit, les belles lettres, ôcThifloire ancienne lui font rede.
vables de plufîeurs ouvrages qu'il mit au jour en diiférens
tems, & que le Dodeur Laët fit enfuite imprimer en corps,
tels qu'ils avoient été revus de corrigés par l'auteur même
quelque tems avant fa mort. Il fut afliflé à ce terrible
pafîage par le Dodeur Bafile Amerfbach j 6c Jean-Jacque
Griné fit fon Oraifon funèbre.
Je parlerai enfuite de Jacque Cujas de Touloufe. Ce fut Dc Cujas.
un homme né pour faire l'ornement , non feulement de la
France , mais même de tous lespaïs de la Chrétientéoù les
lettres 6clafcience des loix font en honneur 3 le plus grand
6c le feul Jurifconfulte qui nous refte après ces premiers
Légiflateurs de qui nous tenons le droit 3 &c à qui notre
fîécle 6c la poftérité feront éternellement redevables des
lumières pures 6c naturelles qu'il a répandues fur cette
fcience. Tels font les juftes éloges que la reconnoilfance pour
ce grand homme a didés à Tilluflre Pierre Pithou. Cujas
eut un bonheur dont Iqs autres s'eftiment trop heureux
de pouvoir fe flatter après leur mort 3 ce fut de jouir dès
fon vivant de la gloire que fon mérite lui attira , èc de
250 HISTOIRE
s'entendre citer par excellence fous le noxsxdu Jurifconfulte y
Henri jufque dans le Bareau où nos Praticiens font allez peu
I V. de cas de cette fcience fî eftimable du droit ancien qu'il
I Î90, enleignoit , & où on a coutume de citer les autres Au-
teurs par leur nom perfonnel. Cujas avoit la taille petite ,
le corps épais ôc quarré , le tempérament fi fort , que
malgré {q.s études continuelles ôc exceffives il n'eut preU
quejamaisdemaladies.il étoit feulement quelquefois in-
commodé d'un hocquet importun qu'il anêtoit en fe
donnant quelque relâche , ôc prenant un peu plus de dif.
lipation qu'à l'ordinaire avec i^s difciplcs. Avec une fanté
fi robuffce, il ne fit jamais qu'un feulfouhait deTaccomplifle-
ment duquel elle fembloit lui répondre j ce fut d'avoir le
même fort que Philippe Dece , qui étoic mort à Pife quatre-
vingts ans auparavant, & defe voira l'âge de quatre-vingts
ans fain de corps & d'efprit en état de donner encore des
leçons publiques. Ce fut dans cette confiance qu'il com-
mença ion excellent ouvrage d'obfervations , dont chaque
livre contient quarante chapitres , & qu'il avoit deflein de
poufi^er jufqu'au quarantième livre. Mais nos guerres civiles
s'étant allumées fur ces entrefaites, ce grand homme, qui
par fon caractère , autant que par fa profeffion , aimoit vé-
ritablement la jufi:ice, voyant la divifion fouler aux pieds
tous les droits divins & humains, détruire cette noble fim-
plicité dans laquelle il avoit été élevé , 6c anéantir à force
d'artifices 6c de déguifemens, dont la Religion étoit le
prétexte , cette aimable candeur dont il faifoit tant de
cas , aflîégé dans le lieu de fa demeure , ou plutôt jufque
dans fa propre maifon , obfervé fans celle par des fcélé-
rats , qui déjà avoient juré de le perdre j au-lieu de cette
longue vie qu'il n'avoit fouhaitée que pour être utile au
public , n'afpira plus qu'à arriver aune meilleure j &: tomba
dans un chagrin mortel qui l'enleva à Bourges, où il enfei-
gnoit alors dans le mois de Septembre (i) âgé de foixante
& huit ans , après avoir rendu tant de fervices à la focieté.
La ville lui fit des obféques magnifiques , 6c il fut inhumé
(i) M. de Thou dit V. Non. c'eft'Ie z. jour de Septembre. Moreri dit
une faute fenfîble ; on ne peut dire , le ij",
que IV. Non. Septembris , & ce feroit I
DE J. A.DE THOU, Liv. XCIX. 251
à Saîiit Pierre d'Auroii,où Claude Maréchal qui avoir été ï?
fon difciple, ôc qui étoic alors confdller au Parlement de Henri
Paris, Magiftrac égalemenc diflingué par fon efpric & par I V.
fa probité , fît fon Orailon funèbre. Cujas ne lailîà qu'une i5qo»
fille qui étoit alors fort jeune j 6c il ordonna par fon tefla-
ment que {qs livres qu'il avoit enrichis de notes écrites de
fa propre main , èc qu'il avoit revus fur les meilleurs ma-
nufcrits , feroient vendus après fa mort , afin qu'ils tombaflènt
en différentes mains , & le difperfaffent par ce moyen. Son
deffein en faifant cette difpofition étoit d*empêcher que
quelques curieux peu habiles ne formaient le projet à
l'occafion de fes remarques , dont ils ne prendroient pas le
vrai fens, de donner au public quelque ramas mal digéré 3
ce qui auroit pu arriver fi fa bibliothèque eut tombé entre
les mains d'une feule perfonne : tant il eft vrai que ce grand
homme né pour le bien delà Société portoit fes foins pour
la République des Lettres , même jufque dans le tom-
beau.
Après avoir fait l'éloge de ces hommes fameux , je ne DcduBartas.
puis m'empêcher de parler de Guillaume Sallufte du Bartas.
Né de parens nobles de la ville d'Aufch , &c élevé dès fon
enfance dans les exercices militaires , il fçut adoucir ce que
les armes ont de rude & de barbare par l'aimable com-
merce qu'il entretint avec les Mufes j & il fit de fi grands
progrès à leur école, que quoique par un vice de fon pais
il ne parlât pas notre langue bien purement, quoiqu'il n'eût
vécu que dans les armées, éloigné du commerce des gens
de Lettres, il mérita par ce célèbre ouvrage qu'il intitula,
la Semaine , dont il s'efl fait tant d'éditions , 6c dont on a vu
â l'envi tant de tradudions Latines & Italiennes, d'être
mis au nombre des plus illuflres Poètes de notre tems , &:
d'être regardé par bien àes gens comme tenant en ce
genre la première place après Ronfard. Je fçai que quel,
ques critiques trouvent fbn ftile trop figuré, ampoulé, &
rempli de gafconnades. Pour moi qui ai connu fa candeur ,
& qui l'ailouvent entretenu familièrement , tandis que du
tems des guerres civiles je voyageois en Guienne avec lui,
je puis alîûrer que je n'ai jamais rien remarqué de lemblabie
dans ie^ manières. En eiFet , malgré fa grande réputation il
232 HISTOIRE
■ parloit toujours avec beaucoup de modeflîe de luî-même
Henri Se de fes ouvrages • fe plaignant fouvent de ce que Téloi-
I V. gnement defon pais 6c les conjondures où il s'étoit trouvé
1590. ^c ii-ii avoienc pas permis de confulter les gens d'efprit 6cde
goût , de qui il auroir pu apprendre à connoître Tes défauts ,
& les moyens de les réparer. Il avoit réfolu de s'en dédom-
mager par un voyage qu'il vouloit faire à Paris auiîîtôt que
nos troubles feroientappaifés ^ mais comme il fervoit aduel-
lement à la tête d'une Cornette de cavalerie fous le Maré-
chal de Matignon gouverneur de la province , les chaleurs,
les fatigues de la guerre , 6c outre cela quelques blefllires qui
n'avoient pas été bien penfées , l'enlevèrent à la fleur de fon
âge au mois de Juillet âgé de quarante-fix ans. Il n'y avoic
que peu de tems qu'il étoit de retour de l'ambaflade d'E-
coiîé , dont il s'étoit acquitté avec beaucoup de zélé 6c de
prudence, 6c pendant laquelle le Roi Jacque VI. dont il
avoit été parfaitement bien reçu , lui avoit fait les pro-
portions les plus avantageufes pour l'engager à refier à fa
Cour.
De Robert "^^^ ^^ ^^^^^ après mourut Robert Garnier dans un âge
Garnicr. un peu plus avancé 5 car il avoit alors cinquante-fix ans.
Garnier étoit du Maine, ôc s'étant confacré comme du
Bartas à la poëfîe , il travailla fur-tout pour le théâtre j il
réuffit Cl bien en ce genre, qu'au jugement même de Ron-
fard , neuf pièces qu'il donna après celles .de Jean de la
Perulè , 6c d'Etienne Jodelle , lui ont mérité parmi-nous le
titre de Prince des Poètes tragiques. Il étoit Confeiller au
grand Confeil , 6c au commencement des troubles il s'étoit
trouvé engagé dans le parti de la Ligue plutôt qu'il ne l'a-
voit embrallé. Qiielque tems avant la mort fes domeftiques
voulurent l'empoifonner ^ 6c il n'échapaà leurs defleins per-
nicieux , qu'aux dépens de fon époufe. Enfin cet homme cé-
lèbre accoutumé à traiter d'un œil fec tant d'évènemens
tragiques qu'il alloit puifer chez les Anciens, ou parmi les
Nations étrangères , ne put les voir retracer continuel-
lement fous i'es yeux fans en être pénétré 3 6c il en mourut
de cha2;rin.
Ba tifte Bc- ^^^ Françoîs je pafîè aux étrangers ^ & je commence par
nedeui.'^ Jean-Baptifle Benedetti de Venife , qui fe vantoit faufTement
d'être
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 135
<î'ctre d'une famille noble de ce nom établie dans cette <
vville. Son përe étoic un médecin natif de Valence en Ef- Henri
pagne , & à ce qu'il difoit, originairement François. Be- I V.
nedetti étoit excellent Mathématicien. Il fe mit d'abord au j ^oq.
ièrvice d'OdaveFarnefe duc de Parme. Enfuite à la recom-
mandation de Frideric Alinari comte de Camerano, ii
pafîa à la Cour d'Emmanuel Philibert duc de Savoie , à qui
il prédit que la France lui reftitueroit Pignerol &; Savillan j
ce qui arriva en efFet la même année, lorfque Henri III.
pafîà par Turin à fon retour de Pologne. Il n'avoit qu'une
iille nommée Louife , à laquelle il furvêcut , ôc dont il pré-
dit aufli la mort long-tems avant qu'elle arrivât. Il f(çavoic
fort peu de Latin 3 enibrte qu'ayant befoindela plume d'au-
trui pour écrire, il fe fervit prefque toujours de Fran(^ois-
Marie Vialardo qui faifoit (es études dans TUniverfité de
Turin. C'efl de lui qu'eft l'ouvrage des proportions com-
pofé contre Silvio Pelio. Nous avons aulîi de lui des fpécu-
Jations Phyfîco-Mathématiques , & un traité des Cadrans ,
où on croît qu'il a réiiffi à remettre en vogue \qs Cadrans
folaires. Ilavoic aufli beaucoup écrit fur l'Optique, fur la
Mufîque, fur les Méchanîques. Ces ouvrages qui n'onc
point encore vu le jour,& qu'il recommanda en mouranc
à Bernard Trollo , qui lui fèrvoit alors de Secrétaire , font
aujourd'hui dans le cabinet du duc de Savoie j de il eft à
fouhaiter pour le public qu'ils foient imprimés dans la luite.
Benedetti mourut à Turin âgé de foixante ans le zo. de
Janvier , comme il l'avoit prédit, dc fut enterré aux Au^
guftins.
QLielque tems après, la mort enleva Jafon de Nores Cy- ^^ J^^on <i«
priot de naiiïance , & d'une famille originaire de Norman- °"*'
die , également diftingué par fa noblelle & par fon érudi-
tion , qui depuis treize ans elifeignoit la Morale dans l'Uni-
verfîté de Padouë. Après la perte immenfe que firent les
Chrétiens dans la prilè de Cypre par les Turcs , il eut la
douleur de voir un fils unique qu'il avoit, banni pour avoir
tué un noble Vénitien avec qui il s'étoit battu dans une
difpute J & il en mourut de chagrin. Entr'autres ouvrages
il nous en relie un de lui fur l'art poétique, où ayant con-
idamné les Pafloralesqui font aujourd'hui en vogue en Italie ^
TomeX/, G g
234 HISTOIRE
;^____— comme des monftres dont les Anciens ne nous fournîiTorent:
Henri aucun exemple , & qui n'avoient été introduits fur la fcéne
I V. que contre toutes les régies de la Poëfîe par des gens igno-
5590, ^^^'^^ de la docle antiquité, le Chevalier Guarini Ferrarois ,
qui venoit de faire paroître avec tant de fuccès fon t'ajîor
Fi do , croyant qu'il y alloit de fon honneur de repouflèr
une iniulce qu'il s'imaginoit s'adrefler à lui , prétendit jufli-
£erfous le nom du Verato , ce genre de Poëfie. 11 fut refuté
auifitôt après par une Apologie contraire que compo(a de
Nores ^ & il préparoit une réplique lorfque ce Philofophe
mourut. On peut dire qu'il ne pouvoit éviter fon fort ^ car
fi le malheur arrivé à fon fils n'eût pas avancé la fin de ï^s
jours , il n'eût pu iurvivre à la lecture du fécond Virato. Eil
effet, cet écrie etoit fi vif, fi plein de fiel Ôc d'amertume y
fi outrageant pour de Nores , qu'on ne craignoit pas de dire
que le pocte Archiloque dans fes Ïambes contre Lycambe
n'a voie rien de comparable â la force du Guarini dans cec
ouvrage (1) .
DcTuîc J'ay été fur le point de pafier fous filence Jule Alexan-
Alexandnn. jj.jj^ mort cette année à Trente à l'âge de quatre-vingc
quatre ans. Il s'étoit rendu fort habile dans la Médecine,
à l'avoit exercée avec fuccès à la Gourde Vienne. Il avoic
même compofé plufieurs ouvrages. 11 avoit fi bien gagne les
bonnes grâces de l'Empereur Maximilien , Prince d'un tem-
péramment délicat, que non content de l'élever aux plus
grands honneurs , il eut encore tant de confidération pour
lui, qu'il accorda la furvivance de tous fes emplois à fes
enfans , quoiqu'il n'en eût aucun de légitime,
î^c Tîaminio Sur la fin de l'année mourut aufîi Fiaminio Nobili de
Nobih. Lucques. Il étoit né d'une famille noble 5 & après s'être
rendu très-habile dans la Philofophie , il avoit confacré \(is
dernières années de fa vie à la Théologie. Enfin après avoir
travaillé avec fuccès à l'édicion Latine delà Bible, qui fut
faite à Rome par ordre de Sixte V. de retour dans fa pa-
trie il pafTa à une meilleure vie âgé de cinquante huit ans,
& Fut porté à l'Eglife de fainte Marie, où Antoine Nobilî
fon neveu le fit inhumer.
(i) Que feroit donc devenu le Phi- 1 que pour les vers d'Archiloque Ly«
Icfophe à la Iciliixe de cet Ecrit , puif- 1 canibe fe pendit de dowleut ?
DE j. A. DE THOU, Liv. XCIX. 235
L'Italie produire encore Jérôme Zanchio de Bergame , ?
^qui peu de cenis après la fuite de Pierre Martyr Te retira H e n k i
^uffi à Stralbourg pour le même fujet, &c fut nommé pour I V.
lui fuccéder, lorfqu'en 1554. ce Dodeur Proteftant fut 1590.
appelle en Angleterre. Il profcfla enfuite à Chiavennes Dejcrome
dans le païs des Grifons j de-lâ à Baie, où il rcila jufqu'à Zanchio.
l'an I 578. èc enfin à Spire j après quoi il alla mourir à
Heidelberg le 19. de Novembre âgé de foixante &; quinze
ans , & fut inhumé honorablement dans l'Eglife de laine
Pierre. Il nous refte de lui plufieurs ouvrages, qui feront
des monumens éternels de fon profond f(^avoir en matière
de Théologie. QLitlques-uns parurent dès fon vivant, &: les
autres ont été mis au jour après fa mort par fesfils. Il traita
toujours les points de dodrine avec beaucoup de modéra-
tion , de ne fe montra jamais éloigné de fe prêter à la paix de
l'Eglife. Il n'en faut point d'autre preuve que la profeflîonde
foi qu'il adreila à. l'âge de foixante ans à UlifTe Martinengue
comte de Barco, êc qu'il fit imprimer, tant en fon nom,
qu'au nom de toute la famille, par laquelle il protcftoit;
Qu'il ne s'étoit point féparéabfoiument de l'Eglife Romaine,
ni dans tous les points de fa dodrine j mais feulement dans
les articles dans lefquels elle-même s'étoit éloignée de
la dodrine des Apôtres , 6c de fa première pureté : Que
même il ne s'en étoit féparé que pour y rentrer dès qu'elle
fe feroit réformée fur le modèle de la primitive Eglife^ prêt
en ce cas à fe réunir, & à communiquer en tout avec elle :
Qu'au refte il prioit de tout fon cœur la divine bonté que
ce changement arrivât 3 puifqu'il n'y avoit rien que dût
fouhaiter avec plus d'ardeur un citoyen zélé pour fa patrie,
que de vivre 6c de mourir dans le même lieu où il avoit été
régénéré parles eaux facrées du baptême , pourvu que Dieu
ôc laconfciencen'y fulTent point ofFenfés.
L'Allemagne perdit encore cette année un ennemi du Dejicquc
Pape & de l'Eglife Romaine , beaucoup plus violent que ce- Andrca.
lui dont je viens déparier j ce fut Jacque Andréa qui avoit
fuccédé à Jean Brentius ou Brentzen dans la charge de
Chancelier ôcRedeur de l'Univerfité de Tubingen. Il entra
fouvent en lice avec les Miniftres de Genève 3 il avoit eu
même cinq ans auparavant une difpute à Monbéliard avec
23^ HISTOIRE
Théodore de Beze. Il s'écoic encore trouvé depuis peu à l^
Henri conférence qui fetenoic à Bade, 6c donc l'ouverture s'écoiî
I V. faite fur la fin de l'année précédente ^ èc avoit difputé en
I" ioo, préfence de Jacque marquis de Bade , contre Jean Piftorius.
Mais n'ayant pas réùflî comme il l'efpéroit , â peine fut-il de
retour chez lui, qu'il mourut au commencement de Janvier,
ou de cha2;rin , ou de vieilleire 6c de fatig-ues.
De Jacque D'un autre côté, après la clôture des conférences , le
^aàT^^ ^ marquis de Bade chalfa de tous les païs de fa dépendance
les minières de la Confeflîon ci'Aufbourg , & y rétablit la
Religion de fes ancêtres j mais ce changement ne fut pas de
longue durée. Peu de tems après il fut attaqué de la diflen-
terie , ëc mourut le 7. d'Août , laiilant enceinte Elilabeth
fille de Floris baron de Culembourg en Hollande Ion époufe.
Cette Princede quelque tems après mit au monde Ernefl:
Jacque héritier du Marquifat. En même tems le Prince
Erneft Frideric de Bade oncle du feu Marquis s'étant mis
en polîeffion de la tutelle, chafla à fon tour tous les Ca-
tholiques de ce petit Etat , èc rappella fur le champ les Mi-
nières Luthériens.
DcNicomede Je ne dois pas non plus pafler fous filence Nicodems
îrilchlm. Friichlin né à Paling , très-petire , mais ancienne ville de
Suabe. Je crois cependant devoir ici prévenir mes Ledeurs
fur ce qui le regarde. C'écoit un homme d'efprit , bon Poëte ,
habile Aftronome 3 mais fi dérangé , &: fi peu maître de fa
langue, qu'il ternit par ce mauvais endroit la réputation
qu'il avoit acquife par [qs autres bonnes qualités. Par fcs
vices il ruina fa fortune, & mourut enfin d'une manière tout-
à'fait indigne d'un homme de Lettres. En effet , après
avoir travaillé plufieurs années à l'éducation de lajeunefièà
Gratz en Stirie j à Labach enCarniole , tandis que les Mi-
nifkres de la Confefiion d'Aufbouro- écoient tolérés dans
ces provinces qui appartiennent à la maifon d'Autriche j
puis à Fribourg en Brifgaw 5 & enfin à Brunlwich en Saxe 5
de retour en Suabe il eut à peine continué quelque tems d
profefil^ dans l'Univerfité de Tubingen, que ia mauvaife
langue le fit arrêter. Il fut enfermé fous bonne garde dans
le château d'Hohcn - Aurach appartenant au duc de
X^^irtemberg 3 d'où ayant voulu fe fàuver à la faveur d'une
DE J. A. DE THOU, Liv. XCIX. 237
corde , le long de laquelle il fe laifTok gliflèr, elle caiTa, Se '■■ i.i
le malheureux Frifchlin tombant de rocher en rocher, Henri
mourut miiérablement les os brifës le dernier jour de No- IV.
vembre à peine à l'âge de quarante-quatre ans. i 5 QO»
Te finirai par François de Salinas èc Ambroife Moralez.
c- 1 • ' > r» I T r- 1 • • . , , r • De François
balmasnea Burgos de Jean Sannas, qui avoit ete autreirois aeSaUnas.
dans les finances fous le règne de Charle V. avoit à peine
dix ans, qu'il perdit la vue. Comparable en ce point avec
Didyme d'Alexandrie, doiié d'un heureux naturel, il içut
fi bien fe dédommager de Tavantage que cet accident lui
avoit ôté , que non feulement il apprit parfaitement le
Grec de le Latin 3 mais devint encore très-habile dans
les Mathématiques , fur - tout dans la Mufique , fur la-
quelle il nous refte de lui plufieurs ouvrages fi efti-
més des connoifieurs , qu'à peine peut-on s'imaginer que
l'efprit de l'homme ait pu feul pénétrer jufque-là. Ces
occupations férieufes ne l'empêchèrent cependant pas
de s'appliquer auiîi à la Poëfie 3 6c il traduifit afTez heu-
reufement en fa langue quelques pièces du Pocte Martial
qui avoit étéEfpagnol comme lui. Il futeftimé de Paul IV.
éc du fameux duc dAibe, qui pendant fa Vîceroyauté de
Naples lui donna la riche Abbaye de faint Pancrace. D.
Juan Alvarez de Tolède, Gafpard deQiiiroga , D. Rodri-
gue de Caftro , & le cardinal de Granvelle furent en liaifou
avec lui 3 mais la conformité des inclinations &: des fenti-
mens lui fit lier fur-tout une amitié fort étroite avec Louis
de Léon de l'Ordre des Hermites de faint Auguilin , qui
expliquoit l'Ecriture fainte dans l'Univerfité de Salaman-
que , ôc dont il nous refte un commentaire fort f(^avant fur
le Cantique des Cantiques. Ce fut -là qu'il vieillit dans
l'exercice de fa charge de prcfcfTeur en Mufique , & mou-
rut enfin au mois de Février âgé de foixante & dix-fept ans.
A l'égard de Moralez, il étoit de Cordouë , fils d'An- D.^j^broSfe
toine Moralez Médecin très-efbimé3 6c il fe diftingua fur- Moralez.
tout par fon habileté dans les belles Lettres, 6c par les re-
cherches f<çavantes qu'il fit au fujet des antiquités de fon
païs. Il étoit entre d'abord dan^ l'Ordre des Dominiquains 3
mais il en fut chafic . parce que par un zèle furieux de mal
entendu , pour arrêter les effets de la concupifcence , ii
G g iij
2 3 s H I S T O I R E , &c.
avoic imité Orîgene. Il reprît donc alors Tes premières occu-
Henri pations 3 profelîà l'éloquence à Alcala, où il avoic fait Tes
I V. études 3 ôc enrichit l'hiftoire de Ton païs de pluiieurs obfer,
1390. varions qu'il donna au public ^ & parla continuation de celle
qu'avoit commencée Florian d'Occampo , qu'il conduific
jufqu'à la mort de Bermudo III. roi de Léon, c'eft-à-dire ,
jufqu'à l'an 1037. Enfin il mourut cette année dans cette
Univerfîré âgé de plus de foixante ans.
De Marc Marc Bra^adino , Cxirnommé Mamu^/M , mourut au mois
iji.i^auno. ^l'^o^^^- d'une manière digne de la vie qu'il avoit menée juf-
qu'alors. Il étoit natif de l'ifle de Candie , & originaire d'une
famille Vénitienne dontilportoit le nom. D'abord il s'étoic
fait Capucin 3 mais ayant enfuite quitté le froc , il avoit eu
l'adrelTe de fe faire un grand nom par les preftiges dont ilfe
fervoit 3 vivant dans le fafte , ôc voulant faire croire qu'il
avoit le fecret de faire de l'or. Il avoit même fait l'épreuve
de fon fecret à Venife dans le palais de Jacque Contarini
noble Vénitien , en préfence de qui il changea le Mercure
en or , mais en petite quantité 3 ce qui attira un concours
de monde étonnant à Padouë où il s'étoit retiré Jufqu'à ce
que Iqs artifices &; la vie déréglée de cet impofteur s'étanc
découverts infenfiblement , il prit la fuite , èc pafla à la Cour
de Bavière. Voulant y continuera faire le même manège,
il fut arrêté par ordre du Duc , Se eut la tête tranchée a
Munich. On tua en même tems à coups d'arquebufes deux
chiens noirs qui le fuivoient , ôc qu'on croyoit être deux
démons familiers dont il fe fervoit pour amufer le monde
par [qs preftiges.
Fift df4 quatre - 'vingt dix - neuvième Livre.,
i59
HISTOIRE
DE
JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE C EN T I É M E.
LEs affaires des Efpagnols , qui écoient déjà en mauvais rj ^ „ ^
état dans les Pays-bas avant que le duc de Parme vînt t y
en France/oufFrirenc beaucoup de rabfence de ce Prince. Au
commencement de l'année quelques Officiers des troupes de ^ X'^^*
Sclienk mort depuis peu , qui defcendoient le Rhin pour d^s pays-ba».
porter de l'argent à Arnheim, furent arrêtés par Snater , l'un
des trois Gouverneurs de Nimegue.
Sur la fin de Janvier, Rhinberck ville de l'éledorac
de Cologne , fe voyant fans efpérance de fecours après le
malheur arrivé au comte de Meurs, comme nous l'avons
rapporté ci-dcfTus , fe rendit au comte de Manvfeld à des
conditions très- honorables j on permit à la garnifon de for-
tir avec armes ëc bagages , tambour battant, cnfeignes dé-
ployées , mèches allumées , & balles en bouche. Cette der-
nière conquête fut le terme fatal du bonheur dej*Efpagnols3
ôc dans la fuite tout leur devint contraire.
tatmmsm
140 HISTOIRE
^ En effet le régiment Efpagnol que commandoit Emanuel
H E N Kl de Vega , & qu'on avoic fait venir depuis peu de Frife , fe
l V. révolta bientôt après à caufe de plufieurs mois de folde qui
I j^o. J^"!" étoient dûs. Les féditieux s'emparèrent de Courtray
dans le tems que les habitans affiftoient tranquillement , ôc
fans fe douter de rien , au dernier fupplice de deux crimi-
nels qui avoient été au fervice des Etats Généraux , & qu'on
avoit condamnés à être brûlés. Dans la fuite ils pillèrent
Herentals, Diefte & Leewe 3 mais ils s'appaiférent iur la pro-
pofition qu'on leur fit de les mener en France. Ces foldats
avides de butin èc plus encore de gloire , promirent de fuivre
le duc de Mayenne, qui étoit venu trouver le duc de Parme
pour lui demander des troupes.
Depuis que Jean Richardot étoit revenu d'Efpagne , on
avoit femblé abandonner les affaires de Flandre , pour ne
fonger qu'à cette expédition dont on faifoit depuis long-
tems les préparatifs.
Secours en- ^es Etats Généraux des Provinces-Unies , & Maurice de
voyé au Roi Naflau Gènéraliffime de leurs troupes, perfuadés qu'il falloir
par les Pro- profiter de cettc occafion , fe préparèrent auffi de leur côté
Vinces-Unies. r . ' r r
a contmuer la guerre avec plus d ardeur qu auparavant.
Convaincus qu'il étoit de leur intérêt que le Roi réiifsît dans
{es projets, ils lui envoyèrent des provifions de guerre , 6c
cent mille francs , avec une ambaffade honorable , dont Bre-
derode ôcjuftin de NafTau amiral deZèlande furent chargés.
Et par la Dans le même tems , Elilabeth reine d'Angleterre envoya
reine dAn- auiîi fort à propos au fecours du Roi quatre mille Anglois
g ecu.e. commandés par le baron deWilloughby avec deux cens mille
francs. L'heureux fuccès de l'entreprife formée fur Breda
en Brabant anima encore davantage les Etats Généraux.
Cette ville qui appartenoit aux Princes de la maifon de
Nairau,efl fituéefur la rivière de Mercke, à trois lieues de
Hoochftrate , à fix de Bofleduc, & à huit d'Anvers. Ses ri-
chefres,ôc la citadelle ou plutôt le Palais que Henri de Nail
fau y avoit fait bâtir , la rendoient une des villes des plus
confidèrables de la Province. Paul Antoine père du capitaine
Lancia Vecchia ( à qui l'on avoit donné le même lurnoni
qu'au capitaine Edouard gouverneur de Gertruydenbergh )
écoic dans la citadelle avec cent hommes depiè. Il y avoic
en
" DE J. A.DE THOU, Liv. C. 241
en garnifon dans la ville cinq compagnies d'infanterie
Italienne Ibus la conduite de Fran(^ois marquis de Vintimi- Henri
glia, de Celar Guerra, de Dominique Repetta , de Pierre ^ V.
Jérôme Gratiani, ôc de Jacque Gianfigliazzi. Il y avoiten- 1590.
core ioixante & dix cavaliers de la Cornette du marquis
du Guaft, commandés par Tarlatino di Citta di Caftello.
Maurice fut l'auteur du ftratagême par lequel on furprit , stratagème
• ii^^-v t ' /r II' I > r-< /- ' 1 de Maurice
cette ville. On chargea un vaiileau appelle 1 Elperance, de pourfurpica-
tourbes , que faute de bois on brûle en ces pays-là. Ces dre Breda.
rourbes font des morceaux de gazon qu'on tire des ma-
récages. Maurice fie cacher deffous ces tourbes foixante-
huit foldats tirés des garnifons voifines , & leur'donna pour
.chefs Jean Logier , Matthieu Helt , Jean de Fernel , di Gé-
rard des Prez. Ils dévoient tous obeïr à Charle de Herau-
gieres brave gentilhomme du Cambrefis , très-attaché au
îcomte Maurice , qui lui joignit pour le ieconder Lambert
Charle, homme d'expédition
Qi-ielques difficultés fufpendirent l'exécution du flrata-
gême depuis le 2 5. de Février jufqu'au trois de Mars, &c ce
retardement fembla rallentir l'ardeur des foldats. Mais le
courage de Heraugieres qui partageoit le danger avec eux,
Jes (butint cC les anima. Le vaiiïeau étant arrivé par le ca-
nal aux pieds de la citadelle, Jérôme RolFo , &; David Cre-
mel furent envoyés par François Marie Grallo pour en faire
la vifite : n'ayant trouvé que des tourbes , èc le maître du
vai/îèau leur ayant donné quelque argent, ils retournèrent au
plûcôtreprendreJeurjeu,qu'ilsn'avoient quitté qu'avec peine.
Sur le fuir il vint des portefaix pour décharger les tourbes
dont la garnifon pouvoit avoir bcfoin j mais lorfqu'ils furent
parvenus au plancher qui couvroit les foldats , le maître du
vaiiTeau fît apporter du vin , & dit qu'on avoit alFez tra-
vaillé , de qu'on acheveroit le refte de l'ouvrage au clair de
h Lune. Le vaiileau faifoit eau de tous cotés , ibit qu'il fut
iifé, foit que les glaces l'euflènt ouvert, les foldats qui étoient
au fond de cale en fouffroient beaucoup d'incommodité , &c
le froid les faifoit toulFer pour la plupart. Un d'entre eux ne
pouvant étouffer fa toux, & craignant de découvrir fes compa-
gnons parle bruit qu'il faifoit,eut le courage de leur préfenter
/on épee , & les pria de la lui palier au travers du corps.
14.1 HISTOIRE
■->»"■—'■' —- Pour empêcher qu'on ne les entendît , les Matelots fë
H E N R. 1 mirent à agiter la pompe fans difcontinuation , comme pour
I V. vuider le fond de cale , & pompèrent encore avec plus de
1 \90 violence &; de bruit , lorfque ces braves foldats fortirent de
l'endroit où ils étoient caches. Heraugieres les ayant exhor-
tés à bien faire leur devoir , partagea fa petite troupe en
deux corps. Il donna la conduite de l'un aux capitaines Lam-
bert &: Fernel , avec ordre d'aller attaquer le corps. de-garde
pofté à la porte de la citadelle. Heraugieres fe mit à la tête
de l'autre corps, prit par le derrière de l'Arcenal, & mar-
cha au corps-de-garde qui étoit à une des portes de la ville»
Ayant été découvert en. cet endroit , il fut contraint de
commencer l'attaque, ôc tua de fa main la iéntinelle. Alors
im Enfeigne qui lortit le blelTa au bras : le petit nombre
de foldats qui défendoient ce pofbe ayant été repoufle , les
allàillans tirèrent lur eux par les trous des planches qui les
enfermoicnt. Ces malheureux foldats voulurent le rendre ^
mais comme on ne pouvoit pas perdre le tems à capituler,
on fit main baflè fur eux , 6c l'on les tua tous. Paul Antoine
au premier bruit qu'il avoit entendu, s'étoit retiré dans l'inté-
rieur de la citadelle,d'oùil fitunefortieà la têtede trente-fix
hommes , fur le corps que Lambert àc Fernel commandoient»
Ce dernier recrut une blefibre dangereufe 3 mais Paul An-
toine ayant été également blefTé , fe retira dans la citadelle
avec un petit nombre de fes gens. L'arrivée de Heraugieres
2c la défaite du corps-de-garde qui étoit dans le grand baftion
l'obligèrent bientôt de ie rendre , vie fauve.
Maurice qui attendoit l'iiïuë de l'entreprife , fe préfenta
pour entrer dans la citadelle avec Philippe de NalTau , les
comtes de Solms , François de Huefda ( i ) Grand maître
de l'artillerie, Juftin de Nafïàu , François Veer , & avec
un détachement de troupes d'élite : mais n'ayant pu entrer
par la porte qui regarde la campagne, parce que toutètoic
inondé & couvert de glaces , il palTa avec {qs troupes par
delîùs une palifTade près de l'Eclufe où le vailleau étoic
abordé.
L'épouvante failit auffitôt les foldats de la garnifon qui
étoient dans la ville , &: la divifîon ié mit parmi eux^
(1) D'autres Hiiloriens l'appellent Verdoeç.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 243
Tarlatino foutiiic d'un côté que la cavalerie ne pourroic """"■"^■"■"'
combattre dans des rues étroites j de l'autre^Vincent Capra Henri
Capitaine dans le régiment de Vintimiglia tâcha de ranimer I V.
leur courage ^ il leur reprefenta la honte dont ils alloientie j coq,
couvrir par leur lâcheté , ôc les conjura avec les termes les
plus forts , de ne rien faire qui deshonorât le nom Italien ,
<5c qui ne répondît pas à l'opinion que le duc de Parme avoit
eue de leur valeur , en leur confiant la défenfe d'urle place
fi importante. La crainte l'emporta , les uns s'enfuirent à
Herentals , èc les autres à Anvers.
Le duc de Parme dans la fuite tira une veno-eance écla-
tante de la perte de Breda caufée par la lâcheté de ces
Italiens. Cefar Guerra , Tarlatino & Gratiani furent punis
à Bruxelles du dernier fupplice. On pardonnai Vintimiglia
en confidération de fon alliance avec le duc de Terra-
nova gouverneur du Milanez 1 on fe contenta de lui ôter
fon régiment pour le donner au comte Vincent Capra.
Après la retraite des Italiens , les Bourgeois capitulèrent
5c ouvrirent leurs portes a Maurice , qui n'exigea d'eux que
le payement de la folde de fes troupes. Vander-Noot capi-
taine des Gardes fe rendit maître de la maifon de ville
& de quelques endroits fortifiés. Maurice donna le gouver-
nement de la place à Heraugieres qui avoit été chef de
l'entreprife 3 ôc Lambert Charle fut nommé fergent- Major
de la garnifon. On fit frapper des médailles pour conferver
Je fouvenir de cet événement.
Après la prife de Rhinberck , le comte de Mansfeld
étoit revenu à Anvers j le duc de Parme lui donna ordre
d'airiéger Zevembergh , petite ville fituée à l'embouchure de
la rivière de Mercke au-dellous de Breda , dans l'efpérance
de reprendre cette place , èc pour s'oppofèr aux courfes des
Hollandois. Zevembergh fut pris d'emblée, & tous les fol-
dats de la garnifon furent mafTacrés avec la dernière inhu-
manité. Les Efpasnols trouvèrent plus de réfiftance dans le
ri lo 1 ii«t
fort de Norden fitué un peu plus bas. L'attaque du huit de
Mai fut inutile. Les afTiégeans conftruifirent un pont , èc
firent venir un vaiflcau où ils mirent des canons pour battre
la place de plus près. Le Pont fut emporté par le reflus de
h mer , & ils firent une perte confjderable. Cependant ii
H h ij
244 • HISTOIRE
entra dans le fort un fecours de trois cens hommes , qui
Henri joints avec la cr-^rnifon foûtinrenc courasieufcmenc un aflaut
I V. général. Le vailFeau fut iur le point de périr à l'embouchure
2 590. <^e la rivière ^ le comte de MansFeld perdit un grand nom-
bre de foldats, avec les capitaines Horace Fontana de Mo-
dene, ôc Jean François Pagano de Naples. Alexandre Caf-
farelli Romain, &c Horace Gaieotto NapoHtain furent dan-
gereufemcnt blclIés.
Le comte de Mansfeld voyant le peu de fuccès de fcs ac^
taques , ie contenta de faire bâtir dans le même endroit ua
fort où il mit quatre cens hommes en garniion , de marcha
vers la Gueldre , où il avoir ordre de palfer en diligence
pour s'oppofer à Maurice qui y faifoit vivement la guerre.
Dans le tems qu'il fe difpoioit à partir , les foldats de la
garnifon de Breda tirent mal à propos une fortie, 6c tom-
bèrent fur un détachement commandé par Decio Manfredi
de Reggio qui les attendoit de pied ferme. Ayant été re-
poulîés avec perte ils voulurent fe retirer 3 mais on leur cou-
pa le chemin de la retraite, & Corneille Gafparini de Lucques
les poarfuivit vivement, ils perdirent 120. hommes, ôc là
refte ne fe retira dans Breda qu'en prenajic honteufemenc
la fuite.
Après avoir tenté inutilement de furprendre Nîmegue
en pétardant la porte de Hezel , Maurice attaquoit cette
place à force ouverte, &c en prefloit vivement le fiége. Cette
capitale du pays de Gueldre ellfituéefurle Wahal , quiefl
un bras du Rhin. Mansfeld parut au commencement de
Juin à la vue du camp des aiîîégeans , avec une armée d^
lëpc mille hommes de pié & de deux mille chevaux. Mau-
rice avoit déjà fait battre les murs de la place , & la tour
de Saint Etienne étolt fort ébranlée , ayant efluyé plus de
trois mille coups de canon. L'arrivée de Mansfeld obligea
les Hollandois de diicontinuer peu à peu leurs attaques. Ib
bâtirent à la hâte dans un endroit peu éloigné un fort à
qui ils donnèrent le nom de Knodfenbourg , à caufe des
longs bâtons qu'on mit dans ce fort , èc donc ils devoienc
fe fervir , difoient-ils , pour dompter les habicans de Ni-
megue. Le capitaine Gérard de Jonghe y fut mis en garnifon
avec quatre cens foldats di de l'arcilleriç,
DE J. A. DE THOU, L i v. C. 245
C'efl ainfi que le NVahal devint comme la frontière des
Provinces- Unies , &c que la Betuwe fe vit afFranchie des Henri
contributions que les Efpagnols avoîent coutume d'y lever. IV.
Pour empêcher l'abord de leurs vaifleaux , on fortifia tous j ^g^^
les châteaux qui étoient depuis l'iUe de Bommel jufqu'à
Tolhuys , autrement le fort de Schenck dont nous avons
déjà parlé : car le bruit couroit que Mansfeld , qui iè voyant
le plus foible s'étoit reciré dans le pays de Liège , devoir
repaiîer au plutôt le Wahal avec de nouvelles troupes. Dans
le même tems les Etacs Généraux pour la commodité de
la navigation firent creufer au milieu du pays de Betuwe ^
au-defTous de Nimegue , un canal qui joignoit le Rhin au
\^ahal : on éleva un fort pour défendre ce nouvel ouvrage^
en forte qu'en prenant au-deiîous de Nimegue , on pour-
roit naviger des deux côtés fur le fleuve. Ce canal &; les
digues qui régnoient tout au long, mettoient à couvert le
pays de Betuwe jufqu'à Dordrecht , de le garantiffoient des
inondations. Le comte de Solms fit aulîi bâtir un autre fore
dans l'iilede Voorn ,près de Herwerden au-deilus de Bom-
inel.
Tant d'aAions pleines deVaîeur, & tous ces ouvrages faits
& conduits avec tant de fagelTe de d'induflrie firent beau--
coup d'honneur à Maurice , èc engagèrent les peuples de
Gueldre touchés du mérite de ce Prince à lui déférer le
gouvernement de leur pays , pour s'oppofer à Marc de Rie
marquis de Varambon, gouverneur de ce Duché pour le
roi d'Efpagne.
Comme François Verdugo étoit dans la Frife fans argent
& fans troupes , le duc de Parme jugea à propos de lui en-
voyer Herman comte de Bergh , avec vingt-deux compa-
gnies d'infanterie Efpagnole & Flamande, 2^ cinq Cornettes
^e cavalerie. Avec ce renfort Verdugo fe rendit maître du
fortd'Immetille . & alla camper à Nieuziel ^ ce qui mécon-
tenta beaucoup les habitans de Groningue qui fe plaigni-
rent qu'on attentoit à leur liberté. D'un autre côté , Guil-
laume de Naflàu fit de nouvelles levées au nom des Etats
Généraux j & ayant encore reçu un renfort de cinq cens
chevaux que lui amena le comte d'Eberftein par l'ordre de
Maurice, ilfe retrancha à CoUum. Les deux partis rcflércnc
H h iij
24-6 H I S T O î Pv E
enfuice dans l'înadion , 6c fè contentèrent de faire des courfes
H £ N RI dans la XSTeftphalie, dans les diocèfes de Munfter 6c de Pa-
I V. derborn , 6c dans les Etats de Cologne 6c de Cleves. Mais les
I 590. ibldatsEfpagnols,todjours prêts à fë maciner,pouiIërent leurs
brigandages plus loin que les Hollandois ^ comme on ne les
avoit point payés depuis plusieurs mois , ils fe crurent au-
torifés à pilier , 6c à fubfîller aux dépens des peuples de ces
Provinces.
Dans le même tems , le duc de Parme entra en France
par les ordres du roi d'Efpagne. Avant de partir , il rappella
de la Gueldre le comte Cliarle de Mansfeld pour venir fe-
courir pendant fon abfence le comte Piere Erneil. Charle
avant de fortir de Gueldre avoit fortifié le fort de Doden»
dael , dont il avoit confié la défenlë à Boeille natif d'Amfter-
dam 3 mais Maurice après avoir fuivi en queue le Comte qui
fe retiroit, de harcelé continuellement fon arriére- garde , fe
rendit maître à difcrétion de ce fort fur la fin de Juillet ^
dans un tems que le marais qui faifoitfa principale défenfe
ctoit à fec.
Boeille fut puni du dernier fupplice comme traître à fa
patrie j car il étoit Hollandois , 6c l'on renvoya le refte de
la garnifon.
En Brabant les garnîfons de Berg-Op-Zom 6c de Bred^
s'étant jointes enfemble pillèrent Géelle, 6c eurent l'audace
de venir jufqu'aux portes d'Anvers où ils jettérentla ter-
reur. Dans le même tems Thienem f i) fut faccagé.
Dans le mois de Septembre , Maurice fe mit à la tête
d'un détachement de troupes d'élite, dans le deiïein d'atta-
quer les forts que les ennemis avoient élevés fur les bords
du Rhin 6c de la Meufe. Le fort d'Hemert fut pris le vingt-
fept du même mois • fix jours après le château de Heyl dans
l'ille de Bommel fe rendit , 6c le fort de Burick fitué vis à-
vis du \i^efel eut, enfuite le même fort. Ces heureux fuc.
ces furent luivis de la prife de Grave dans le duché de Cléves,
où il y a un fameux couvent de Chartreux. Peu après Mau-
rice emporta de vive force le château de Lutte- Kenhouen
que les habitans du pays reprirent j mais dont les Anglois
s'emparèrent une féconde fois» Maurice entra enfuite dan§
(i) OaTillçmont,
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 147
le Brabant ,où il fe rendit maître de Rofendal ,& du fore
de Teriieyden que Mansfeld avoit depuis peu fait conftruire Henri
à l'embouchure de la rivière de Breda,&; le fît démolir, IV.
Sceenberghe lui ouvrit fes portes. Ayant enfuîte envoyé un ifqo.
détachement des garnifcns de Berghe 6c de Breda pour
faire des courfes dans la Campigne,ces troupes efcaladérenc
Tillemont, grande ville qu'on abandonna après l'avoir pil-
lée , parce qu'on ne pouvoit la conierver. Le Prince mit en-
fuite en quartier d'hyver ion armée qui s'étoit chargée de bu-
tin dans toutes ces expéditions.
Les habitans de Venlo fur la Meufe en Gueldre ne pou-
vant plus foufFrir la garnifon Allemande 6c Italienne qui
ëtoit dans leur ville , formèrent le deflein de fe mettre en
liberté , 6c de brifer le joug qui les accabloit^ mais comme
ils étoient trop foibles pour attaquer ces foldats tandis qu'ils
feroient unis enfemble , ils eurent recours à un ftratagême ^
èc jettérent la divifion entre les deux Nations. Ils firent
entendre aux Allemans que les Italiens les méprifbient 6c
les traîtoient d'yvrognes , qu'ils s'emparoient dQs meilleurs
logemens , àc laifToient les mauvais aux Allemans , comme d
une nation vile 6c malpropre, qu'enfin ils parloient mal d'eux
entouteoccafion.Cerapportirrita extrêmement lesi^llemans,
qui promirent aux principaux habitans qui conduifoienc
l'entreprife, que s'ils ne fe joignoient à la bourgeoifie lorf-
qu'on attaqueroit les Italiens , ils refteroient du moins neu-
tres, 6c ne lèroient que fpedateurs du combat.
Ainlî les bourgeois n'ayant rien à craindre du côté des
Allemans prirent les armes, 6c ayant mis des corps-de-garde
dans les places, ils firent fignifîer par un trompette aux Ita-
liens de fortir de la ville fous peine de mort. Ces derniers
fe voyant abandonnés parles Allemans enlevèrent leurs ba-
gages &c fe retirèrent. Les Allemans étant trop foibles pour
rèlifter aux bourgeois que ce premier fuccès avoit animés ^
furent aulîî obligés de fortir de Venlo après avoir rec^ii plu-
sieurs outrages. Le capitaine Butinghe Lieutenant du mar-
quis de Renti étoit alors à Bruxelles pour demander l'ar-
gent nècelTiiire au payement de la garnifon. Dès que les
habitans l'eurent chafTée , ils écrivirent au comte Pierre
Ernefl de Mansfeld ^ rinfolence du fbldac dans une ville
24S HISTOIRE
- ' ' libre leur fervîc de prétexte pour excufer une acflîon û har;
Henki die, & ils promirent de demeurer toujours fidèles au Roi,
I V. Dans le même tcms les Efpagnols tentèrent de furprendre
î 590. P^i* ^^ ftratagême Lochem ville de Gueldres fituée fur la
rivière de Berkel,àdeux lieues deZutfen.Ils firent entrer dans
la place trois chariots chargés de foin, & fuivis par des foldats
d^guifés en payfans avec des fourches à la main. Mais le pre-
mier chariot s'ètant arrêté fous la herfe du pont-levis,lcs gar-
des prirent quelques bottes de foinj Se ayant découvert le pied
d'un de ceux qui y étoient cachés, ils coururent aufTitôt aux
armes. Les foldats Efpagnols quoique découverts plutôt qu'ils
ne s'y attendoient , fortirent des chariots , & tuèrent la fen-
tînelle. François Ballochi fergent Major accourut , avant que
la cavalerie Efpagnole qui devoit les foutenir fut arrivée j
ils furent chaiîës au-delà da pont , & le fergent Major de
Zutfen , auteur de cette entrepriié , fut tué dans la ville.
Les Efpagnols pour fe rendre maîtres de la Meufe avoient
bâti un château à Huy petite ville qui n'eft qu'à cinq lieues
de Liège ^ ua torrent voifin qui eil: fouvenc groffi par les
pluies , 6c qui va fe jetter dans le fleuve avec beaucoup
d'impètuoficé ,lui a donné fon nom: cette place efb encore
fortifiée parla Meufe qui l'arrofe dedeux côtés. Grobben-
donck la djèfendoit avec cent hommes de garniion j mais
n'efpéranc aucun fecours , il fe rendit vie fauve , èc laifîa.
entre les mains du vainqueur {qs bagages, & un butin confia
dérable qu'il avoît fait en pillant tous les pays circonvoifîns^
D'un autre côté Maurice entra dans la province de
Flandre avec trois mille hommes de pied èc mille chevaux,
pour attaquer Dunkerque que Nicolas Meetkercke fils du
PréfidentAdolfe fe propofoit d'efcalader pendant la nuit ^mais
un vent contraire,qaelque retardement au-delà de l'heure fîv
xée pour l'exécution , bc d'autres obftacles firent découvrir ôc
échouer Pentreprife. Lesibidacs firent une defcente^le comte
de Solms,Veer , & Ivieetkercke qui étoient venus par terre ,
reçurent quelques légères blefîiires.Six jours après, la garnifor^
d'Odende furprit Oudenbourg où il y avoit quatre cens hom-
rnes de garnifbn, pillèrent cette place, ëc y mirent le feu.
Maurice ne voulut pas que la marche qu'il avoic faite
pour furprendre Dunkerque fut tçuc à fait jnutilç , il
prdonn^
^DE J. A. DE THOU,Liv. C. ' 249
ordonna donc à cinq vaifleaux très-bien ëquippés, qui Ta. '
voient luivi dans cette expédition, de croifer fur Iqs côtes de H e n r. 1
Prance , & d'y chercher quelque bâtiment ennemi pour le I V.
combattre. Cloyer commandoiten qualité d'Amiral j il avoic 1 çqo.
Cales pour Lieutenant, Evrard deBont, & Pierre Leynfel
iervoient aulîî fur cette efcadre. Ils découvrirent fur la côte
de Normandie , 6c attaquèrent un vailleau de deux cens
tonneaux , qui appartenoit à André de Brancas de Villars
gouverneur du Havre de Grâce pour la Ligue j ils s'en
emparèrent après un combat obftiné • mais le feu s'y min
par hazard , & le foldat vidorieux étant plus occupé à pil-
ler qu'à s'oppofer à l'incendie , le vaifîeau fut entièrement
brûlé. Ce funefte accident fit périr prefque tous les prifon-
niers, & il ne s'en fauva que douze. Cela fe pafTa le i 5.
d'Odobre.
Enfin les fréquentes plaintes des peuples de la frontière Diète d'Aï-
d'Allemagne fatigués par tant de courfes de de ravages , lemagne.
engagèrent leurs Princes à indiquer à Cologne une diète
des cercles du Rhin &: des Etats de Saxe. On y entendit
les députés de W^eftphalie èc du duc de Cleves , qui y ex-
pofèrent toutes les courfes que Verdugo & Emanuel Vega
avoient faites dans le diocèfe de Munfter &: dans le Comté
de Bentheim j les ravages de Charle de Mansfeld dans le
duché de Juliers èc dans le Comté de Lippe • &: ceux de
Jean Manrique de Lara dans le diocèfe de Cologne. Ils fe
plaignirent aufîi des Etats Généraux dont les troupes cau-
Ibient de grands dommages fur les terres de leurs voifîns.
De fî jufl:es plaintes firent alors peu d'imprefîion 3 le cré-
dit du roi d'Efpagne èc de ceux qui lui étoient attachés
l'emporta 3 ainfî l'on indiqua une autre diète à Francfort-
fur-le-Mein. Cependant on envoya des Députés au duc de
Parme ôc aux Etats Généraux des Provinces-Unies pour les
engager à démolir les forts qu'ils avoient fait bâtir , & à
rendre ceux dont ils s'étoient emparés dans les pays du
Rhin à l'occafîon de cette guerre 3 & pour leur dénoncer
que les Ordres de l'Empire prendroient de juffces mefures
dans la dière prochaine, pour contraindre par la force des
armes ceux qui refufèroient de faire la reflitucion des places
ufurpées.
250 HISTOIRE
' " Les Députés allèrent d'abord à Bruxelles où les minières
Henri Efpagnols ne leur donnèrent que des paroles. Ils palFerenc
I V. enfuice en Hollande, & eurent audience à la Haye le i 3»
I 590. d'Août. Ayant expoié le fujet de leur ambalTàde, Iqs Etats
Dépurés cîe Généraux les remercièrent dans les termes les plus hono-
ladiéte cii- fablcs , & leur répondirent qu'ils étoient fâchés de ce que
lande. Ré- " leurs voifîns foufFroient de la guerre qui fe faifoit dans les
ponfedes Pays-bas j mais qu'on devoit plutôt plaindre la iituation
où étoient les Etats Généraux, que \qs acculer d'être les au-
teurs de toutes ces calamités : Qii'il n'étoit pas étonnant
que la fadion Efpagnole ayant allumé un funcfte incendie
dans les Pays, bas , il fe répandît quelque étincelle de ce feu
dans les pays voifins : Qu'ils défavoiioient tout ce qui s'étoic
fait contre leurs Edits , & contre les régies de la difcipline
militaire qu'ils avoient eux-mêmes établies 5 mais qu'il etoic
impofîible défaire obicrver exadement dans une guerre ci-
vile : Qii'on devoit excufer la conduite des Etats dont la
caufe étoit fi jufte, ôc qui en défendant leurs pays , travail-
loient pour le lalut commun de tous leurs voifîns : Qu'autre-
ment il faudroit fléchir fous le joug le plus dur & le plus
cruel. » Qii'y a-t-il, coniinuérent-ils, de plusinfupportable
13 pour des peuples libres , que cette Inquifîtion , digne in-
>3 vention de la barbarie des Sarazins ôc des Maures ( i ) , &:
53 que l'Efpagne vei.t introduire fous un faux prétexte de
53 Religion ? Qii'y a-t-il de plus impie que de défendre aux
53 fidèles l'ufage de la parole de Dieu , 6c la lecture de l'Ecri-
53 ture Sainte, pour y fubfliruer des condamnations de pro-
53 p( fîtions &: des anathêmes , afin d'impofer aux fîmples j
53 que d'établir une jurifdidion altérée de fang , des formules
55 de jugement inufitées , de un tribunal qui fappe tous les
53 fondemens de la liberté Chrétienne? A quoi tendent toutes
53 ces nouveautés ? Le monde entier en connoit à préfentles
55 motifs odieux. On veut abolir les droits \qs plus facrés,
53 les privilèges , les libertés , les coutumes èc les loix des
53 Peuples. L'Efpagne tend toujours à la Monarchie univer-
53 felle , projet ancien àc monflrueux qui a déjà coûté tanc
53 de fang à l'Allemagne. Voilà Iqs motifs de Tèredion faîte
(1) L'idée de l'Inquifition vient des i tiennent leur Religion par la force des
Mahométans qui ont établi & qui fou- 1 armes^Sc non par celle de laperfuafion.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 151
>j en Flandre depuis quelques années de ce grand nombre ■??!!???!!■???!=
55 d'Evêchés , enrichis des biens enlevés à des monaftéres , Henri
55 que leur ancienneté dévoie faire reipecler • & de 1 opprell I V.
55 fion de tant de Princes 6c de Seigneurs qui ont été la vie- j ^«q^
55 time de la tyrannie Efpagnole.
55 Les Napolitains , les Milanois , les Grenadins , & les In-
55 diens nous ont appris ce que doivent craindre les Peuples
55 malheureux qui obéïlTent aux Efpagnols.'lls ont dépouiL
55 lé Antoine roi de Portugal (r). L'Angleterre ôc l'Ècofle
55 ont penfé fuccomber fous les différentes confpirationsfor-
55 mées par eux contre ces Etats. Ils troublent encore à
55 préfènt l'Irlande. Enfin leur ambition paroit au grand
55 jour dans la guerre qu'ils ont allumée en France, où ils
55 foutiennent publiquement que les Peuples peuvent pren-
55 dre les armes contre le légitime héritier de la couronne.
55 Quels attentats contre la Majeflé des Rois i Cependant
55 ils ofent nous reprocher que nous fommes des criminels
55 de léze-Majeflé ^ nous qui n'avons pris les armes que lorl-
53 que nous nous y fommes vus contraints par la plus dure
53 néceffité , èc après avoir employé inutilement les plus
55 humbles &c les plus refpedueufes remontrances pour nous
53 procurer la liberté de confcience.
53 II efb donc injufle de nous regarder comme des per-
55 turbateurs du repos public , &: de nous accufer de vou-
53 loir ufurper le bien d'autrui. Car en ce qui regarde le fore
53 de Schenck , on a déjà prouvé que Schenck, dont il porte
53 le nom , l'a fait bâtir en Gueldres aux dépens des Etats
53 Généraux, & qu'après la mort de cette Officier nous avons
55 fait de plus grandes dépenfes pour empêcher que cette
53 place ne tombât entre les mains des Efpagnols , qu'il ne
55 nous en avoir coûté pour la faire conftruire. On doit même
53 être perfuadé que nous ne l'avons pas fait bâtir pour in-
53 commoder ôc vexer nos voiiïns , mais feulement pour ar-
55 rêter les courfes de nos ennemis.
53 Cependant nous ferons celTer les plaintes du duc de
55 Cleves , & nous le fatisferons en tout ce qu'il demande,
33 pourvu qu'on prenne de juftes mefures pour la fureté 6c
(i) Après la mort du cardinal Roi , préjudice d'Antoine , qui à la vcrité
Philippe II, s'empara du Portugal, au
étoit bâtard.
251 HISTOIRE
■^L-LL'""— . >3 la défenfe de ce pays. Mais n'avons-nous pas droit de faire
Henri jj pour la confervation de ce qui nous appartient , ce que
I V. >3 ceux qui fe plaignent des Etats Généraux permettent aux
1590, >5 Efpagnols de faire impunément pour envahir le bien d'au-
5î trui ? Perfonne n'ignore qu'ils ont voulu furprendre de-
» puis peu Goch & Rees, ôc perfonne ne s'eft plaint de cet
» attentat.
>5 D'ailleurs les Etats Généraux n'ont pas été les premiers
» à s'emparer de quelques places de leurs frontières 3 leurs
>5 ennemis avoient déjà oie le faire avant eux. Car on ne doit
53 pas nous imputer \qs démarches de Gebbard Truchfes
55 ekdeur de Cologne 5 ce Prince a agi en ion nom , & pour
îjfoutenir fcs droits particuliers. Qiioique nous lui ayons
53 donné quelques fecours , comme il nous étoit permis de
33 faire , & que nous ayons détourné l'orage qui étoit prêt
33 à tomber i'ur ia tête, on ne peut pas dire néanmoins que
33 nous foyons la cauie des déiaflres qui ont luivi cette iu^
33 nefte guerre.
Ils ajoutèrent que les Etats Généraux s'étoîent a la vé-
rité rendus maîtres de Luttekenhoven &c de Burick • mais
qu'après avoir enlevé de force ces places à l'ennemi qui
s'en étoit emparé , ils étoient prêts de les rendre aux Sei-
gneurs à qui elles appartenoient, pourvu qu'on leur donnât
àcs cautions fuffiiantes : Qii'on devoit les excuier, fî con-
traints par la néceffité de défendre leur liberté, ils étoient
quelque fois à charge à leurs voiiins : Qii'ils gardoient tous
les menagemenspoiîibles, & que pour prévenir les deiorJres,
ils payoient régulièrement \qs foidats qui étoient à leur folde:
Qti'au contraire l'Eipagne ne faifoit fubiifter fes troupes
qu'aux dépens des Peuples , & permetroit qu'elles demeu-
laiîènt pendant des mois entiers dans des pays qui n'étoient
point de fa domination : Qu'il falloit encore les excufer ,
s'ils avoient établis de nouveaux impôts , puifque fans cela
il leur feroit impo/Tible de continuer la guerre , & que l'Erac
ne pourroit plus fub/îfler 3 mais que de leur côté ils avoient
quelques demandes à faire aux Princes,&. aux villes de l'Em-
pire.
Ils repréfentérent donc qu'on devoit reflituer à la Dame
de Walbourg , veuve du comte de Meurs ^ les biens qu'on
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 253
lui avoit enlevés par des voyes de fait contre toute équité ■■
& contre les conllitutions de l'Empire j &c rendre judice^à Henri
leur recommandation , à la veuve d'un Seigneur qui avoit -t V.
rendu de très-grands iervices aux Etats Généraux. Nicolas i 590.
Link Secrétaire de la ville de Cologne avoit prié les Etats
de faire obferver la neutralité par cette Dame, èc ils y avoienc
confenti j à condition que le iénat de Cologne prefleroit
l'Archevêque & le Chapitre de rendre les biens de \\^al,.
bourg, dont on s'étoit injuftement emparé.
Quant aux Liégeois , les Etats Généraux n'eurent pas les
mêmes ménagemens, &c ils leur reprochèrent vivement qu'ils
donnoient retraite aux troupes Efpagnoles : Qii'ils leurs four-
nilToient des vivres :Que leur Evêque entrerenoit une étroite
liaifon avec Philippe : Qu'ils perlecutoient les Proteftans :
Qu'ils faifoient laihr èc confifquoient les biens de ceux qui
s'enrôloient au fervice des Etats ^ Se qu'au contraire ils laif-
foient impunis tous les crimes & les brigandages des Efpa-
gnols , 6c les favorifoient autant qu'il leur étoit polFible. Ainlî
quoique les Etats ne voulurent pas encore rompre entière-
ment avec eux , cependant ils demandèrent du tems pour
délibérer fur ce qu'ils avoient à faire.
Eniin les Liégeois ayant promis d'obferver dans la fuite
une exade neutrahtè , ëc donné des cautions fuffifantes de
leurs proraelTes , les Etats Généraux leur accordèrent la,
même grâce , Se leur permirent de faire leur commerce par
Breda avec Iqs Hollandois , à la charge de payer les im-
pôtSj dont cependant ils feroient exempts, lorfqu'ils auroienc
été dépouillés parles garnifons Italiennes d'Herentals 6c de
Diefle , qui faifoient ordinairement des courfes dans ce
pays.
Quoique les Etats Généraux femblaifent difpofès à éva-
cuer les places dont ils s'étoient emparés , ôc à réparer les
dommages que leurs troupes avoient faits fur les terres de
l'Empire -, cependant Jean Philippe comte d'Eberftein qui
étoit au fervice de Maurice, entra en W^eftphalie au nom
& fous les aufpices de Gebbard Truchfes , &c faccagea
Schonvliet èc XV^'ambeck , après avoir ravagé toute la cam-
pagne aux environs. Il taxa la Wcftphalie , èc Cologne
àdix-huic mille florins de contribution , en exigea onze
1 1 "j
254 HISTOIRE
M. M j mille de Tévêque de Paderborn , &c tira une grande fomme
Henri d'argenc de l'ëvêque de Munfler.
I V. L'Empereur Rodolphe à l'exemple de l'Empereur Maxi-
I î9b. niilien Ion père , craignant de plus grands revers pour la
maifon d'Autriche , prelîoit vivement la conclufîon du traité
de Cologne , qui étoit demeuré en fufpens depuis plufieurs
années. Mais les Etats généraux prièrent S. M. I. de ne pas
travailler inutilement à une négociation qui ne pouvoit avoir
aucun fuccés , ôclui repréfèntoient pour excufer leurs refus ,
que les Efpagnols n'agilîoient pas de bonne foi dans cette
ajBFaire, 5c qu'en offrant la paix ils n'avoient d'autre but que
de pallier leurs pernicieux delTeins , comme les lettres que
Guillaume de Saint-Clement écrivoit à Philippe, ôc qu'on
avoit interceptées , le prouvoient manifeftement. Cependant
l'Empereur n'abandonna pas fon entreprife , ôc nomma des
AmbaiTadeurs pour fe joindre â ceux des Princes , 6c renouer
une conférence qui avoit été tant de fois interrompue.
Cette année qui fut iî heureufe pour les Etats-Généraux,
vit jetter les premiers fondemens de leur République , èc
finir l'autorité de Philippe fur Iqs Païs-bas. Pendant que
les Efpagnols alloient porter la guerre en France , les Hol-
landois devinrent plus hardis. Leur puiffance égala bientôt
leur courage j après s'être longtems tenus fur la défenfive,
trop heureux d'abord de pouvoir repoufïèr leurs ennemis ,
ils commencèrent à les attaquer , 6c leur arrachèrent enfin
les Provinces voifînes. La victoire les fuivit toujours fur
mer 6c fur terre , dans les fièges comme dans les batailles.
Les Flamands Royaliftes étoient indignés de voir leurs
forces employées à la conquête d'un Royaume étranger ,
tandis qu'on abandonnait imprudemment leurs païs , êc ils
prévoyoient que dans une guerre dont une aveugle ambition
étoit le feul motif , les Efpagnols n'auroient pas plus de
fuccès que les chiens d'Efope , qui ayant vu des peaux fur
la furface de la mer , tentèrent de la mettre à fec , mais qui
crevèrent à force de boire avant de parvenir à ces peaux.
Ils lescomparoient encore à cet autre chien d'Efope qui na^
geoit en portant à la gueule un morceau de viande -, l'eau
lui reprèlcntant fa figure,, il crut voir un autre chien avec
fa proye : trompé par cette fauflê apparence , il lailTa aller
DE J. A. DE THOU, Liv. C, i^^
ce qu'il portoic , Tans pouvoir atteindre l'objet de ù eu- ni'rr'^;^^:'^'^
pidicé. Henri
Frédéric Perrenot de Champigny frère du cardinal de I V.
Gianvelle , fe fervoit quelquefois de ces exemples avec 1590,
beaucoup de liberté , comme je l'ai remarqué dans des let-
.L : ' i„„r_.,^ :.^.^:. j.^. l '^ j., n „: Sennmens
cuot
très qu'on intercepta lorfque j'étois dans l'armée du Roi. dePeir
Perrenot qui avoit autant de prudence que d'amour pour fa ^^ champi-
patrie, s oppoia toujours aux ientmiens de Jean Kicnar- dciapoiià-
dot , fur la conduite qu'il falloit tenir dans le gouvernement que des Ef-
de l'Etat , & fit repréfenter au roi d'Efpagne qu'il devoit P'^S"°'^*
abandonner la guerre de France : Que cette entreprife hors
de faiibn lui faiibît peu dlionneur , èc ruinoit les Païs-bas :
Qii'à la faveur de cette guerre , les Hollandois s'afFermi-
roient dans leur révolte , & feroient bientôt alFez puilFans
pour attaquer la Flandre d'un côté , tandis que les Anglois
y entreroient de l'autre : Que les forces &: les ricbelTes de
i'Efpagne s'épuiferoient inutilement à foûtenir un parti in-
jufte , ou du moins odieux : Qtie les François après s'être dé-
chirés pendant quelque tems , calmeroient enfin la haine
qui les armoit les uns contre les autres , dès qu'ils iêntiroient
diminuer leurs forces 5 que touchés de l'amour de leur pa-
trie , 6c le repentir fuccedant à la fureur , ces peuples in-
conflans &; légers reprendroient bientôt leurs anciens fen-
timens de haine contre les Efpagnols.
Lorfque Philippe après la mort de Dom Juan d'Autriche,
traitoit iecretement avec le duc de Guife , le cardinal Gaf-
pard de Qiiiroga archevêque de Tolède , & Pierre Fajardo
marquis de Vêlez , lui avoient remontré , comme nous l'a-
vons déjà rapporté , que tous les efforts qu'il feroit du côté
de la France lèroient infrudueux , èc qu'il ne pouvoit atta-
quer ce Royaume , fans expofer à des dangers évidens Iqs
États de Flandre j mais aveuglé par la haine invétérée que
ce Prince avoit contre la France , il dédaigna de confulter
fa prudence ordinaire , 6c il aima mieux expofer une partie
confîdérable de {qs Etats à tous ks hafards d'une guerre in-
certaine, que de ne pas profiter d'une occafion favorable à
la vengeance des injures qu'il croyoit avoir re<^iics.
Ainfi tandis que les forces de I'Efpagne étoient occupées
en France , Se que tous ks projets de cette Couronne
is6 HISTOIRE
'- n'avoient pour unique bue que cette expédition injufle , h
H E N Kl Flandre ëtoit dans la plus trifte fituation j les Etats-Géné-
I V. raux des Provinces-Unies profitèrent de ce repos pour mec-
1590. tre ordre à leurs affaires. Ils firent de nouvelles loix , réglè-
rent Tadminiflration de leurs finances , de réformèrent leurs
troupes. Ils avoient vingt mille hommes de pied &; deux
mille chevaux , qu'on payoit régulièrement fur les impôts
& fur les contributions que fourniffoient les Provinces. La
reine d'Angleterre leur donnoit tous les ans trois cens mille
florins , outre les troupes de cavalerie 6c d'infanterie qu'elle
entretenoit dans les Païs-bas , fuivant le traité fait avec les
Provinces-Unies. Outre cela , des Banquiers avoient ordre
de payer pour Ton compte tous les deux mois , cent vingt-
cinq mille deux cens foixante èc dix florins aux garnifbns
de la Briele èc de Flefhngue.
„ ... „ Avec ces forces , la Hollande & la Zélande , deux des
richciTe des dix-fcpt proviuccs des Païs-bas , non feulement ont fbutenu
Hoiiandois. pendant quatorze ans la guerre contre l'Efpagne j mais elles
ont paru afîez puifTantes pour chafler de toute la Flandre
ces formidables ennemis. Le commerce qui efl facilité par
la fureté 6c le grand nombre des ports , enrichit les peuples
qui habitent ces contrées. Leurs manufactures de foyes , de
laines , de toiles , & de tapifTeries 3 6c la fertilité du païs ,
contribuent aufîî beaucoup à leur opulence : ils ont du fel ,
du beurre , du fromage , &c des harangs fecs de falés en fi
grande abondance , qu'une feule Province en fournit tous
les ans dans les païs étrangers pour plus de deux cens mille
florins. Les dépenfes excefîives qu'ils ont été obligés de
faire pour élever des digues 6c des dunes , qui puifTent fèrvir
de barrières à l'Océan , eft la plus grande preuve de leurs
richefTes. En effet on peut remarquer en pafîànt, que la Zé-
lande qui eft fortifiée par ces digues , peut avoir quarante
lieues de circuit. Chaque lîeuë eft compofée de quatorze
cens verges , 6c chaque verge de douze pieds. Or une verge
étant évaluée à dix livres de gros de Flandre , ou foi-
xante florins , chaque lieuë a dû coûter quatorze mille livres
de gros de Flandre , ou quatre-vingt quatre mille florins j
çn forte que les frais pour toutes ces digues 6c ces levées ,
ont monte à trois millions crois cens foixante mille florins.
Peu
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 257
Peu de tems après le retour du duc de Parme en Flandre ,
Emanuel de Lalîain de Monrigny marquis de Renty , qui FI e n r i
s'éroic diftingué par plufîeurs belles adions , & qui avoic I V.
autrefois rendu de grands fervices aux Etats , mourut à 1590.
Mons en Hainault , d'une blefTure qu'il avoit reçue à Cor-
beil. Dans le même tems , cette maiion perdit encore Guil-
laume de Lallain comte de Hoocftrate , fils d'Antoine de
Lallain , qui dans le commencement de cette guerre s'étoic
attaché au prince d'Orange : il avoit ëpoufé Marie Chri-
liine fille de Lamoral comte d'Egmond , que Bruxelles avoit
vii mourir fur un ëchafaud 5 & il en eut un fils qui lui fur-
vécut. Marie en avoit déjà un de fon premier mariage avec
Oudard de Bournonville comte de Henin ^ Seigneur de
Câpres.
Le Nord n'étoit pas exempt des mouvemens qui agi- Affaires du
toient la Flandre. Au commencement de Janvier , Jean roi Nord.
de Suéde avoit envoyé à Narva Nicolas Bielk , èc Guftave
Banner gouverneur de Livonie , pour conclure un traité
avec les Mofcovites, Mais quoique ces derniers euiîent juré
fur le Crucifix de ne faire aucun ade d'hoftilité pendant la
conférence , on apprit néanmoins que le jour-même que les
fermens avoient été faits , les avantcoureurs de l'armée
Ruffienne avoient pillé ôc brûlé Jamogrod. Les Mofcovites
défavoiiérent ce fait , &: demandèrent -la continuation de
la conférence 3 mais fur la nouvelle qui fe répandit que le
Czar Théodore étoit en marche avec une armée de cent
mille hommes , les Suédois fe retirèrent à Narva.
La garnifon de la citadelle de Jamogrod à quatre milles
de Narva , ouvrit {qs portes au Czar , qui fit ponduelle-
ment obferver les articles de la capitulation. Après la priie
de cette place , les Miniftres Suédois ne fe croyants pas en
fureté à Narva , dont la garnifon commandée par Charle fils
de Henri étoit peu nombreufe , fe réfugièrent à Wefem-
berg avec un petit corps de troupes qu'ils avoient j & comme
la rigueur de l'hyver empêchoit qu'on ne leur envoyât des
fecours . ils furent oblicrés de relier longtems dans cette ville.
Borilfow fils de Théodore èc Général de l'armée Ruffienne ,
fit pourfuivre les Suédois par un parti de Tartarcs , qui les
harcelèrent jufqu'à la rivière de Purtz à dix milles de
Tomis KL K.k
258 HISTOIRE
Narva. Ils arrêtèrent Jean Meidel , ôc Otlion Wrangel
Henri nobles Livoniens , Se s'emparèrent de leurs chariots ôc
I V. d'une partie des bagages : en s'en retournant pour rejoindre
1590. l'armée, ils ravagèrent tout le territoire d'Alentakia. Une
partie de Tartares fè répandit auflî en Finlande , 6c ne trou-
vant aucune rèiîftance , parce qu'il n'y avoir point de trou-
pes dans cette Province , ils firent un grand nombre de pri-
îonniers , enlevèrent les troupeaux , 2c répandirent la dè-
folation de tous côtés.
Le Czar (crachant que la Suède 6c la Pologne avoienc
formé une ligue ofFenfive 6c défenfive dans la conférence
que Jean avoir eue l'année dernière avec fon fils Sigiimond ^
éc redoutant la puillance de ces Rois réunis contre lui ,
avoir traité avec les Tartares de Crimée , 6c leur avoir fait
un prèfent de cinquante mille ducats , à condition qu'ils en-
treroient dans la Ruffie Polonoife. Son but étoic d'occuper
les Polonois à la défenfe de la Podolie , 6c de les empêcher
d'envoyer des troupes au iécours de la Suède , qui attaquoic
les Mofcovites du côté de la Livonie.
Ces derniers alFiégérent Narva le 4. de Février , ÔC firenc
bientôt en deux endroits une brèche de la longueur de
trente demi-piques j car ils avoient des canons d'une gran-
deur dèmèfurèe. Ils envoyèrent Meidel, qui étoit depuis
peu leur prifonnier , fommer les affiégés de rendre la place
èc les autres châteaux dont ils s'étoient emparés. Sur leur
refus les Mofcovites donnèrent un aiïàut dans lequel la plu-
part des affiégés périrent ou furent bielfés j mais quoiqu'ils
eulîènt repoulTé l'ennemi , les loldats de la garnifon èc le
peu d'habitans qui reftoient , remontrèrent à Charle leur
gouverneur , qu'il y avoic de la témérité à réfifter plus long-
tems , 6c qu'ils ne pouvoient efpérer d'être lecourus.
Ainfi ils demandèrent à parlementer , 6c l'on donna des
otages de part 6c d'autre. Ignace Petrowitz Tatiifou , 6c
le chancelier Drufina Penfelin fe rendirent dans des tentes
diefîées proche de Narva , 6c convinrent avec Charle , que
la Suéde rendroit Jwanogorod ou Narva de Ruffie , 6c Co-
poria j 6c que hs Mofcovites leveroient le fiége de Narva
de Livonie qui refteroît aux Suédois. On fit encore une
trêve jufqu'au 5. de Janvier fuivanc , afin que les Princes
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 259
pufîènt faire la paix pendant ce tems-là. . — .
En exécution de ce traité , les Suédois rendirent au chan- H e i^ R i
celier Penfelîn les clefs de Jwanogorod , avec la citadelle , I V.
ôc quatre groiles pièces de canon que Pontus de la Gardie 1590.
y avoit trouvées. Le lendemain 27. Février , Théodore en-
tra en triomphe dans la ville fur un char de bois , où il y
avoit un fourneau de parfums , &C que des hommes traî-
noient. Il écoit vêtu d'un habit blanc broché d'or , èc cette
entrée fe fit avec une magnificence extraordinaire. Le Prince
ne refta qu'une nuit à Narva , & retourna en Rufïïe après
avoir fait fortir fon armée de la Livonie.
Dès que le roi de Suéde eut appris ce qui s'étoit pafîe , il
en fut indigné ^ s'étant réconcilié avec Charle fon frère , il
lui donna le commandement des troupes deftinées à la guerre
de Mofcovie , pour reprendre les places que la Suéde ve-
noit de perdre. Mais ce Général ayant inutilement attaqué
Narva , on mit l'armée en quartier d'hyver.
Comme l'alliance de la Suéde avec la Pologne avoit été
juftement fufpede au Mofcovice , la Porte prit ombrage du
craité fait entre les Polonois 6c lamaifon d'Autriche, cette
ennemie déclarée de l'Empire Ottoman. L'infolence des
Cofaques qu'on appelle aufTi NiiFoviens , Ufcoques , & Mar-
telofTes , comme je l'ai déjà remarqué, fut une nouvelle in-
jure qui rompit la paix. En effet ces brigands après avoir
impunément fait des courfes à l'embouchure du Nieper ôc
du Nieller , oférent encore attaquer ôc piller des vaiffcaux
marchands , qui fe croyants affez défendus par le Pavillon
Ottoman , 6c par la foi des traités faits avec la Pologne ,
étoient à l'anchre furie rivage de la mer Noire. Paul Du-
chanfcki Palatin de Belzet , ambalTadeur de Pologne à la
Porte , tâcha d'excufer cette adion. Sur les remontrances
qu'il fit , que ces voleurs publics avoient agi ainfi fans le
confentement , 6c contre la volonté de fon maître , Amu-
rath diiîîmula l'injure , & parut facrifier fon rcfTentiment à
fon amitié pour le roi de Pologne.
Le palatin de Belzet étant mort à Conftantînople , Ni-
colas Zifowski fon collègue fe trouva charo-é de taire le
rapport au Sénat de Pologne , des intentions du Sultan. A
peine ce Miniftre fut-il parti, que les Cofaques poulFérenc
Kk ij
2^o HISTOIRE
leurs cour fes encore plus loin , pillèrent la Cherfonnefe Porr-
H E N K 1 tique , & y firent un cruel carnage,
IV. Amurath irrité ne crut pas devoir dilTimulcr davantage ,
I 55)0, ^ manda furie champ à Tes Bâchas de raiîembler des troupes,
de d'entrer en Pologne. 11 ordonna aulîi aux Tartares, que
le Mofcovite avoit déjà excités , de mettre tout-à-feu 6c à
jfang lur les frontières de ce Royaume. Ces Barbares avides
de butin exécutèrent fur le champ les ordres de la Porte ^
& prévinrent l'armée Ottomane de crainte de partager les
dépouilles avec elle. Ils furent battus par les Polonois , ôc
Iqs vainquirent à leur tour ^ mais comme ils s'en retournoienc
dans leur païs avec leurs prifonniers &; leur butin , ces mê-
mes Cofaques qui avoienr caufé cette guerre , les taillèrent
en pièces lur les bords du Nieper , Se tuèrent dans la mêlée
le i:rére de leur Can.
Cependant les Turcs attendoienten Valachie l'événement
qu'auroit l'incurlîon des Tartares • Jean Sarius Zamoyskî
Général de l'armée Polonoife écrivit au Beglerbey , pour
fe plaindre de l'infraction du traité , &c lui demanda s'il ve-
noit comme allié ou comme ennemi.
Le Beglerbey répondit qu'Amurath n'avolt point eu def-
fein de rompre avec les Polonois • mais que fa propre gloire
èc l'intérêt du Public l'obligeoient de prendre les armes ,
& de punir la témérité des Cofaques : Qii'on devoit donc
exterminer ces brigands , &: détruire les châteaux qui leur
fervoient de retraite fur la frontière 3 & que il les Polonois
acceptoient de ii juftes proportions , ils pourroient efpérer
que le Sultan auroit pour eux la même amitié qu'auparavant.
Le Beglerbey demanda encore le tribut annuel , & que dans
rélec1;ion des Rois , l'ambaifadeur Turc pût dans la fuite
donner fon fufFrage.
Le 14. de Mars Zizowski ayant expofé dans l'aiïèmblée
des Etats à Varfovie les demandes des Turcs , Zamoyski
exagéra le danger qu'il y avoit de s'engager dans une guerre
avec la Porte , qui n'avoit rien à craindre du côté de la Perle.
Jl peignit des plus noires couleurs l'audace &l l'infolence des
Cofaques • & défîgnant aflfez ouvertement quelques Sei-
gneurs qui lui étoient contraires , il ajouta que des perfonnes
puiifantes excufoient ^ protégeoient ces brigands , qui , 11
iaaiJe*.iJtaMWdam
DE J. A. DE THOU, Li V. C. i6î
l'on lie rÊprimoic leur dangéreufe tëméricé , engageroient
la Pologne dans de fâcheux démêlés avec le Turc , comme Henri
l'avoic déjà prévu le roi Etienne : Que les Polonois ne pou- I V.
voient fans imprudence oublier les lages confeils de ce bon i 590.
Prince , qui difoic fouvenc que dans toutes les démarches
qui intérelFoient la République , la guerre de Turquie de-
voit être pour eux l'objet le plus prefent j & que pendant
la paix il falloit préparer ce qui étoit nécellaire pour foutenir
une guerre (î dano-ereufe.
L'autorité de Zamoyski fît impreffion 5 Sc comme le bruit
de l'armement des Turcs étonnoit les plus courageux , on
impofa de nouvelles taxes fur les peuples , ^ l'on nomma
des CommilTaires pour les recevoir de les rapporter au tréfor.
jVlais ces premières craintes fe diihpérent peu à peu , 3c plu-
Tieurs Seigneurs ayant appris , ou répandu artifîcieufement
que la Perfe avoit rompu avec le Turc , s'aflemblérent à
Colo pour diminuer l'autorité du Roi ou de Zamoyski, ôc
ils firent fupprimer les nouvelles importions , dont la caufë
ne fubfiiloit plus , avec défenfe aux CommilTaires de les le-
ver fur le peuple. On apprit enfuite que l'ambalFadeur d'An-
gleterre avoit beaucoup contribué à appailèr la colère d'A-
murath ; dc Sigifmond remercia Elifabeth de fes bons oifi-
ces , par des lettres du 2 2. d'Août. ♦
Tous ces événemens avoient été précédés par des effets Effets extra-
extraordinaires de la nature. L'Autriche , la Moravie , &: ordinaires de
la Bohême éprouvèrent d'affreux tremblemens de terre. Plu- ^ "^^^^^'
iîeurs maifons furent renverfées à Vienne fur le Danube. La
tour de S. Etienne en fut fi ébranlée , que pour en prévenir
la chute on fut obligé de l'abattre. L'Eglifé du couvent des
Ecollbis , Se une auberge voiline enfevelirent fous leurs rui-
nes un grand nombre de perfonnes. Le château de Canife
-fur les frontières de Hongrie fut tout-à.coup renverfè , &;
^prefque toute la garnifon y périt. Proche de Vienne en Au-
^triche la campagne exhala une odeur infupportable , & la
terre fut couverte d'un nombre étonnant de fauterelJes , qui
pétant foulées aux pieds jettoient. une puanteur peftilentielle.
On reg,arda encore comme une, efpèce de prodige l'incendie
de l'eglife de Bonn fur le Rhin , dédiée par Hélène en l'hon-
• neur de S. Caiîîus , de S, Florent ;, 6^ -des autres martyrs
- Kk iij
2(^2 HISTOIRE
Tiiebaîns , ôc qui brûla en plein jour. En effet k foudre
H E N a 1 étant tombée fur la tour , y mit le feu avec tant de violence ,
I V. que le plomb dont le bâtiment étoit couvert , fe fondit , de
I 590. découlant de tous cotés par les goutiéres Se les ouvertures
du lambris , empêcha que les liabitans ne pulTent appro-
cher pour éteindre Pembrafement ^ en forte que la moitié
de l'Eglife fut confuméeen leur préfence.
Mort de Dans le même tems , Charle archiduc d'Autriche, fils
charie ar- de Ferdinand , êc frère de l'Empereur Maximilien II. ôc de
tddK '^ '^"" l'archiduc Ferdinand , mourut le premier de Juillet. Ce
Prince étoit déjà très caflTé , quoiqu'il n'eût pas encore cin-
quante ans. Par un exemple déjà afièz commun dans la
maifon d'Autriche , il avoit époufé Marie de Bavière fille
d'Anne fa fœur , £c dont il eut quinze enfans. Entre les
mâles on diftingue Ferdinand , Maximilien évêque de Paf.
{âw , Charle , 6c Leopold , à qui Charle cardinal de Lor-
raine céda les droits fur l'évêché de Strafbourg , contre Jean
George de Brandebourg. Il eutplufîeurs filles j & entre les
autreSjAnne qui époufa Sigifmond de Suéde roi de Pologne 5
Marguerite qui fut mariée à Philippe III. roi d'Efpagne j ôC
Marie Chriftine femme de Sigifmond Bathory prince de
TranfTilvanie.
Mort de ^^^ ^^ ^^^^ après , mourut aufli le Pape Sixte V. Soit
Sixte V. qu'il prévît que la Ligue ne réulfiroit pas dans la guerre
qu'elle faifoit au Roi -, foit qu'il eût defbiné à d'autres expé-
ditions les tréfors immenfes qu'il avoit amaiTés , il ne donna
aucun fecours aux Ligueurs pendant le fiége de Paris , ovl
ils furent réduits à de fi rudes extrémités. Quatre mois avant
fa mort il avoit eu quelques accès de fièvre. Cette première
indifpofition ne lui fit point interrompre [qs occupations or-
dinaires , 6c ne l'empêcha pas de boire à la glace. Le Samedi
20. d'Août , il fe trouva plus incommodé •, mais s'étanc
levé de fon lit , parce que la maladie fembla être diminuée,
il affifta à rafiiemblèe de la congrégation du S. Office. En-
fin neuf jours après il fe fentit rrès-opprelTè , & s'étant fait
donner l'Extrême-Oncbion , il expira fur le fbir âgé de 70.
ans , après cinq ans , quatre mois , 6c trois jours de Pon-
tificat.
Ses exactions , 6c les nouveaux tributs qu'il impofa , k
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 2^3
firent cellemenc haïr , que dès que le Siège fut vacant , le ^—~
peuple courut au Capitole pour y brifer fa ftatuë , qu'on y Henri
avoit érigée de fon vivant. Ce qui donna occaiion à une loi , 1 V.
par laquelle on déclara infâmes ôc incapables des charges -j rço,
publiques , les particuliers ou les perfonnes conftituées en
dignité , qui propoferoient jamais d'élever des ftatuës en
l'honneur du Pape régnant.
La nuit fuivante on enleva le corps du Pape de Monte-
Cavallo où il étoit mort , & on le porta dans une litière à
S. Pierre , où à caufe des circonftances du tems , on le mie
fans cérémonie dans un petit tombeau. Mais le cardinal de
Montalte lui fit faire enfuite de magnifiques funérailles, dc
le transféra à Sainte Marie majeure , où il fut inhumé dans
une Chapelle qu'il avoit lui-même deftinée à fa fépulture.
Avide de gloire jufqu'à la vanité , il fe diftingua plus qu'au- Caradére
cun de Cqs prédéceflèurs par la grandeur èc par le nombre &.a<^ions
des adions qu'il fit pendant le peu de durée de fon Ponti- de^cePoiuife.
fîcat. Les unes font dignes de louange , & les autres ne peu-
vent produire que de l'ctonnement. Outre ce que j'en ai déjà
rapporté , il me paroît à propos de les ramafîer ici dans un
feul point de vue j je commencerai parles ouvrages publics
dont il embellit la ville de Rome, & quelques-autres villes
de l'Etat Eccléfiaftique.
Il fit réparer un grand Obélifque à demi rompu , qui étoic
devant l'églife de S. Roch , où avoit été autrefois le Mau-
folée d'Augufte. Cet Empereur avoit fait élever à Rome
cette colomne , &c l'avoit confacrée au Soleil , comme l'an-
cienne infcription le témoignoit j Sixte V. la fit ôter à grands
frais de cet endroit, pour la transporter devant la Bafilique
de Sainte Marie majeure.
Il employa encore les plus habiles ouvriers pour réparer
deux autres Obélifqucs ornés d'Hierogliphes, & qui écoienc
dans le grand Cirque enfcvelis fous des ruines. Le premier
ctoit de l'Empereur Conftantin. On ne croyoit pas qu'il y
en eût de plus grand à Rome , & il fut drefle dans la place
de S. Jean de Lacran. Le fécond fut élevé dans celle de
faince Marie Majeure j & tous les deux furent confacrés à
la fainte Croix.
Sixte dans les derniers momens de fa vie employa de.
15^0.
164 HISTOIRE
grandes Tommes d'argent avec peu de prudence, pour faire
bâtir à la hâte dans i Eglife de fainte Marie-Majeure une
chapelle, pour laquelle il fit faire des ornemens travaillés
avec tout l'art poliîble , &; où il fut inhumé. Il y transféra
auiîi la crèche dans laquelle J. C. efl né à Bethléem ,&qui
étoit à Rome en grande vénération. Dans la même Eglife
il éleva par reconnoiiTance un fuperbe tombeau à Pie V. qui
l'avoît fait Cardinal , 5c y fit mettre le corps de ce Pontife ,
qui étoit auparavant dans la Bafilique de iàint Pierre.
Il fit établir deux colomnes d'un ouvrage achevé 5 une
fculpture de marbre qui repréfentoit l'expédition deTrajan
en Tranfilvanie , ornoit la première- ôc fur la féconde, qui
étoit dédiée à Antonin le Pieux , on avoit reprefenté les
conquêtes faites fous les aufpices de cet Empereur en Mo-
ravie Se en Bohême par Marc-Aurele fon gendre. Il fie
mettre fur ces deux obelifques deux, ftatuës de bronze
doré qui repréfentoient S. Pierre & S. Paul. Il plaça fur le
Mont Cavallo deux excellentes flatucs équeftres de mar-
bre de Paros que linjure des tems avoit fort défigurées ,
ôc qui font faulîèment attribuées à Phidias &c à Praxitèle.
Sur la même montagne il augmenta le Palais où , parce
que Pair y eft très-pur, les Papes avoient coutume de pafier
l'été j & y fit conftruire un logement pour deux cens Suilfes
de la garde. Il fit encore bâtir une grande maifon dans la
vigne du canton de fainte Marie-Majeure.
11 embellit S. Jean de Latran d'une galerie , où il mit des
tableaux dQs meilleurs maîtres 3 &; il y bâtit un vafte ôc fu-
perbe Palais , qui pourroit loger plufieurs Princes. Ce bâ-
timent avoit trois cens quarante palmes de longueur du
côté de l'obelifque qu'il avoit lui même élevé dans la
place, trois cens trente-fept de largeur du côté de la ba-
lilique de Sainte Marie , & cent trente-fept de hauteur. Il
avoit afligné à chacun dss Cardinaux un appartement où
ils pouvoient loger commodément lorfqu'il le faiioit quel-
que cérémonie , ou qu'on tenoit un confiftoire à Saint Jean
de Latran. Les marbres qu'on tira par (on ordre des ruines
du Settizonio de Severe lervirent beaucoup à ces ouvrages :
il détruifit entièrement cet ancien monument, ècces mafies
énormes , pour les employer à la conflrudion de ces nouveaux
édifices. Il
DE J. A. DE THOU, Liv. G. 16^
Il bâtît un grand hôpital au haut de la rue Julienne (i)
vis-à-vis le pont Sixte, pour y recevoir les mendians ôc les Henri
invahdes , ôc où deux milles perfonnes pourroient demeu- i y". '
rer commodément j il donna à cette maifon quinze mille j^qo
écus de revenu , 6c trois mille autres à une Société pour la ^ '
rédemption des captifs.
Pour réprimer les courfes des Pirates , il fonda un ar-
mement de dix galères à Civita-Vecchia j &pour leur en-
tretien il ordonna par un bref que la Marche d'Ancone^
la Romagne , i'Ombrie ou le duché de Spolete, Boulogne ,
Jlomeméme, la Campagne de Rome, le Patrimoine de
Saint Pierre en Tofcane , Fermo , Afcoli , & Citra-di-Fano
fourniroient tous les ans foixante &: dix-huit mille écus
d'or. Il ordonna encore que pour radouber ces galères on
prendroit vingt-cinq mille écusfur les impôts de Benevenc-,
ôc de Rome , ïc fur les décimes que payoit le Clergé.
Il pourvut auflî à l'abondance des vivres 5 6c comme le
porte Ton bref, il y deftina deux cens mille écus de fes épar-
gnes annuelles j exhortant (qs Succefléurs à en agir de mê-
me , èc à augmenter cette fomme , plutôt que de la diminuer.
Il fit nétoyer la Fontaine de les baflins de Martîa , dans
la terre appeiiée de Colonne, ôc fit conftruire un aqueduc fur
le chemin de Pale{lrine,pour faire venir ces eaux dans Rome,
èc les conduire dans un efpace de vingt-deux milles. Il ap-
pella, cette nouvelle fontaine, y^éjrua Felice ^ du nom qu'il
portoit avant fon Pontificat. Cet ouvrage lui coûta deux
cens foixante 6c dix-mille ducats, dont il en donna vmgr-
cinq mille à Martio Colonne Seigneur du lieu. Il partagea
enfuite ces eaux en plufieurs canaux conftruits avec beau-
coup d'art, 6c en remplît la fontaine de la place Sainte Su-
fanne proche les Thermes de Diocletien fur le Mont Ca-
vallo, laquelle étoit à lec.Il fie aufii monter ces eaux fur
le Mont Palatin , le Mont Celio, & le Mont Viminal.
Il fit paver plufieurs rues dans Rome , dont deux com-
mencent hors la porte de Saine Laurent j l'une conduit à
Sainte Marie- Majeure j êc l'autre, qui borne d'un côté la
vigne du Pape , mène jufqu'aux Thermes de Diocletien.
Une troifiéme commence à Sainte Marie-Majeure , 6c aboutie
(i) la. Straâa, Ginlia.
'Tome XL L I
!(,(, H I S T O I Pv E
au Palais de Saine Marc. Il fie faire aufîî une rue neuve
Henri qu'il appellade Ton nom la Strada fclke{i) depuis Sainte
I V. Marie-Ma|.^ure jufqu'à Sainte Croix de Jerufalem , & depuis
2590. cette Eglile jufqu'à celle de la Trinité du Mont. LUeeit ii
large , que cinq carofles peuvent y aller de front. On avoic
dellein de continuer cette rue trois mille pas plus loin , juf-
qu'à la porte deipopolo. La cinquième va de Saint Jean de
Latran au Colifëe 3 ôc la fixiéme qui commence à la porte Sa-
lara , aboutit à la Strada Pia,.
Sixte V. conftruifît un nouveau Palais dans le Vatican j ôc
acheva une galerie ornëe'de peintures , que Léon X. Pie IV.
6c Grégoire XIII. avoient laiflée imparfaite. Il augmenta,,
embellit, 6c perfectionna prefque entièrement la magnifia-
que Bafilique de Saint Pierre , dont il acheva la nef. Dans
le Palais Papal il ménagea avec art un efcalier dérobé
pour defcendre dans la chapelle Grégorienne. Il plaça
la fameufe Bibliothèque du Vatican dans cette fale que le
Pape Pie IV. avoit fait eonftruire pour des fpedacles,6c
dont tous \qs gradins étoient de marbre. Cet édifice qui
avoit trois cens trente-fept palmes delongueur, 6c foixante
6c neuf de largeur , fut décoré des plus belles peintures. Mu-
tio Panfa en a donné au public la defcription b<. l'explica-
tion dans un ouvrage particulier- les curieux pourront
y voir ce que je ne puis rapporter ici qu'en abrégé, de
crainte d*ennuyerle LLâ;eur.
Eibiîorliéque Cette fameufe bibliothèque a été formée à l'imitation
«îaYa:ican. de la bibliothèque Hébraïque de Moïfe , de la Caldéenne
de Daniel, de la Grecque de Pifîftrate, de l'Alexandrine
de Ptolomée Evergete , de la Romaine par Tarquin le
Superbe, 6cperfecT:ionnée par Augufte, de celle de Jeru-
falem formée par l'Evêque Saint Alexandre fous l'empire
deDecius, £c de celle deCélàrée recueillie par le Martyr
Saint Pamphile. Saint Pierre qui ordonna qu'on confervâc
dans l'Eglilë Romaine le tréfor des livres facrès en a jette
les premiers fondemens 5 née, pour ainfi dire , avec le Chri-
ftîanifme,elle s'eft depuis accrue confidérablement par \qs
foins des fuccelfeurs du premier Vicaire de J C. Lorfque
les perfécutions eurent celïë , cette bibliothèque tut
(0 On diroic en François la rue Félix.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. xCf
placée à Saint Jean de Latran j \ts Papes ia firent enfuite r^f^f??'????;
transférer au Vatican j Nicolas V. l'augmenta 5 Sixte IV. H e n r. i
l'enrichit j enfin Sixte V. y fit faire un large veftibule , avec 1 V.
des chambres autour, û. au-delTous pour les biblioché- 1590,
quaires & les autres perfonnes qui y font employées. Les
efcaliers, les portiques , les fîéges , les cabinets d'étude, ôc
enfin tout le corps & les fondemens de cet édifice font
l'ouvrage de ce Pape, qui tira les livres du lieu obfcur 6c
malfain 011 ils étoient auparavant , pour les placer dans ce
grand ôc magnifique vaiiFcau qui eft élevé ôc très-clair j
c'eft ce que porte une Infcription gravée fur une pierre de
marbre dans un endroit de la bibliothèque ^ une autre
pareille contient des défenfes à toutes perfonnes , de quel,
que qualité & condition qu'elles fbient , au bibliothéquaire
même , aux gardes &; copifles de la bibliothèque de pren-
dre & de tranfporter ailleurs les livres imprimés ou manu-
fcrits , fous peine d'excommunication , &; de cas refervé au
Pape contre les contrevenans , & contre ceux qui ofèroienc
dérober ou déchirer exprès &; endommager les livres.
Sixte V. établit encore une imprimerie dans le Vatican
près de la bibliothèque, pour y imprimer en beaux ca-
radtéres , ôc en toutes fortes de langues , les ouvrages àç.s
anciens Pères , ôc d'autres. Il confia la direction de cette
imprimerie à Dominique Bafa, & afin d'acheter tout ce
qui y étoit nécefTaire , il lui fit prêter pour dix ans vingt
mille ducats qu'on prit dans le tréfor. Tels furent les mo-
numens dont Sixte V. orna la ville de Rome.
A Boulogne il fonda un Collège pour les écoliers natifs
de la Marche d'Ancone , province où il étoit né. Sans
compter les maîtres & les domefliques du collège ; trente
étudians dévoient y être nourris gratis. Il donna à cette
ville, qui cft la première de l'Etat Ecclèfiaftique , un témoi-
gnage éternel de fa bienveillance, en faifant conftruire des
fontaines dans la vieille ville pour y fournir de l'eau , dont
elle avoit un extrême befoin. Il donna à Lorette le titre
&; les droits de Cité , l'entoura de murailles , y transfera le
Siège Epifcopal de Recanati , & y éleva en l'honneur de
la Sainte Vierge une Eglifè où il fit de grands prefens , 6c
que la dévotion des Pèlerins a rendue très-célèbre.
Llij
68 HISTOIRE
A Montalce, qui fut fa patrie, &c qui lui donna Ton nom
H £ N R I il jetta les fondemens d'une nouvelle ville , qu'il érigea en
I V. Evêché j 6c afin qu'elle fût d'une plus grande étendue , il
ijQO. s'engagea allez mal-à-propos dans une depenfe peu fenfée
pour applanir une montagne voiline. Il entreprit auflî de
faire dellecher les marais formés par la rivière de Chiana
en Tofcane, de ceux de Terracine appelles Pontins , qu'on
n'avoit pu julqu'alors tarir. On crut au commencement
qu'on y rciiiîiroit. On ne doit pas oublier le Pont qu'il fit
conftruire iur le Tibre, entre Borghetto & Utricoli dans la
Sabine. Il ié fervoit pour tous ces travaux de Dominique
Fontana habile Ingénieur, qui en a fait la defciiption dans
un livre.
Caiîonirntioa ^^ ^^^^ j^ ^^^^ ^^^^ maintenant concerne les mœurs de
de s Dic^ue ce Pape, fa conduite au fujet de la Religion ôc dans le gou-
E?âii^r vernement de l'état Eccleruftique. Sur le rapport du car-
° ' dinal Marc-Antoine Colonne qu'il avoit nommé commif-
faire, il canonifa Saint Diegue d'Alcalade Hennares , ainft
appelle du nom de cette ville d'Efpagne où il avoit vécu,
liétoitné dans le château de Saint Nicolas Diocèfe de
Seville en Andalouile , de parens de bafle condition , ôc en-
tièrement inconnus. On ignore même le jour de fa nailîance.
Il avoit embraflé l'étroire oblèrvance de Saint François , ôc
étoit mort le douze de Novembre mil quatre cens foixante-
trois. Philippe &Dom Carlos Ion fils avoient déjà demandé
à Pie IV. ôc à Grégoire XIII. la canoniiation de ce Saint ,
fans avoir pu i'obcenir. Enfin on en fit la cérémonie dans
la Bafilique de faint Pierre l'an 1588.
Contcflation E)ans cette cérémonie l'ambalfadeur d'Efpagne voulue
enrreiesAm- avoir le pas fur l'ambafladeur de France lous prétexte
hairadeurscie que la canonîfation du Saint, qui étoit Efpagnol , intéref-^
d'Efpagne. ioit particulicrement 1 Efpagne. Mais un courageux deten-
ièur des droits de la France, ( c'etcit Jean de Vivonne
marquis de Pifany ) lui refifta avec fermeté , ôc foûtint que
dès que l'ambafladeur Elpagnol auroit fait ce qui concer-
lîoit Ion miniftere, il devoit , ou fortir de la chapelle, ou
iè placer au-deiïous de l'ambafladeur de France. L'c^mballà-
deur d'Efpagne s'etant réduit à demander qu'on luia;.cor-
dâc la pxelcance pour cette fois ièuiemcnt y ^ tomme par
DE J. A. DE THaU, Liv. C. 16^
une grâce fpëciale , Pifany y confentit , à condition que cet — — -
exemple ne pourroit être tiré à conféquence , ni porter Henri
aucun préjudice à fes droits j bc que la première fois que le I V.
Pape tiendroit chapelle , l'ambafTadeur d'Efpagne, qui pour j j^^^
ne pas paroître céder au notre ne s'y trouve jamais , feroic
tenu d'y allifter , &: de fe placer au-defTous de lui. Le Mi-
nière Efpagnol ne voulut point accepter la proportion j ôc
peu s'en fallut qu'après quelques conteflations les deux
parties n'en vinlTent aux mains. Enfin par la médiation de
perfonnes deiintéreflTées , on convint à l'amiable que l'am-
bafladeur d'Efpagne fortiroit de la chapelle : Qiie Je car-
dinal Pierre Deza feroit les fondions ^ ù. que Pilanygarde-
roit fa place ordinaire.
Sixte V. inftitua plufieurs fêtes nouvelles, comme celle
de la Préfentation de la fainte Vierge , celles de faint Fran-
çois de Paule ^ de faint Nicolas de Tolentin , de faint An-
toine de Padouë, de faint Janvier Evêque, & de (qs com-
pagnons Martyrs , de faint Pierre Martyr, & enfin de faine
Placide & de les frères Eutichius 5c Vidorin cardinaux (i),
& de leur fœur Flavia , dont il inféra les noms dans le
Calendrier Romain.
On dit qu'en 541. Eutichîus , Vidorin & Flavia qui aL
loient en Sicile pour voir leur frère Placide à Mefîine, où
il avoit fait profefîion dans un Monafbére de faint Benoît,
furent pris par Mamuca Lieutenant d'Abdala roi des Sara-
2,ins,& qui fortoit d'Afrique avec fa f^ote : Qii'ils refuferent de
renier la foy • & qu'après les plus cruels fupplices que ce bar-
bareperfécuteur du nom chrétien leur avoit fait foufïrir, ils
méritèrent par leur confiance la couronne du Martyre. Leurs
corps avoient été longtems cachés, quelques recherches
qu'on en eût faites • mais enfin les abbés Cefar Minutolo,
éc Siiveftre Maurolyco commiiîàires nommes à cet effet les
avoient découverts par hazard dans les ruines de la Bafi-
liquede faint Jean. La ville de Mefhne fit éclater fa joie
pour cette heureufé découverte , ôcl'on y ordonna des pro-
ceffions folemnelles. Sixte confirma la célébration de la fête
de ces bienheureux Martyrs. Sa Bulle datée dui 3. Novembre
(i) Ce n'éroient pas des Cardinaux que cette dignité ell fort moderne,
comme ceux d'aujourd'hui. On f£airj
Lliij
jKBBEBl^^SIV
270 HISTOIRE
1588. rappella le fouvenir de ces Saints qu'on avoîtpref-
Henri que oubliés.
I V. Cependant il ne paroît pas vraî-femblable que Jultinien
i CQQ^ le Grand, comme on le dit, ait écrit au pape Vigile qu'il
étoit proche parent de Placide , & que cet Empereur aie
attefté par un édit public une circonftance qui femble fi fa-
buleufe. Cette prétendue lettre efl rapportée par Philippe
Gotho gentilhomme Meiîinois , qui a fait un livre exprès
fur l'invention des corps de ces Saints. Elle eft tirée du fup-
plément de la Cronique du Mont Caffin • mais le ftile 6c la
Chronologie prouvent manifeftement que la lettre eft luppo-
fée. Car comment peut-on dire qu'Abdala roi des Sarazins
ait vécu devant ou vers le tems de Juftinien , pendant que
l'Hegire de Mahomet fondateur de leur Empire, 6c qui a
répandu le poifon de fa fede longtems avant Abdala, ne
commence qu'en 611. fous l'Empire d'Heraclius, qui n'a
régné que plus de 60. ans après Juftinien.
Thomas Fazello éxad écrivain de l'hiftoire de Sicile , non
feulement ne fait aucune mention de faint Placide, 6c de
les compagnons ^ mais encore il afîiire expreflément que ce
ne fut que fous l'empire de Conftans 6c de Conftantin , fuc-
ceiïeurs d'HeracHus, 6c fous le Pontificat deVitalien premier,
plus de cent ans après Juftinien , que les Sarazins commen-
cèrent à infefter les mers chrétiennes, 6c qu'ils parurent d'a-
bord à Rhodes 6c dans les ifles de l'ArchipeJ.
J'ai remarqué que le fameux Auteur des Annales Ecclé-
fiaftiques s'étoit apper^û de ces contradidions , 6c que pour
empêcher que cette hiftoire de faint Placide ne tombac
entièrement , il avoit fait de vains efforts pour tranf-
former les Sarazins en Goths, 6c faire pafîer Abdala ou
Mamuca pour Theudis.
Des abfurdités telles qu'on en trouve dans la Vie des
Saints , 6c mille fables de cette efpéce démenties par l'hif-
toire , 6c inventées par des dévots trop zélés pour exciter la
piété dans les âmes des fimples , n'ont point eu autrefois
de contradicteurs j mais aujourd'hui l'étude 6c la pénétration
des Sçavans ont porté de tous côtés le flambeau de la vé-
rité j 6c je n'ai jamais cru qu'il fût d'aucune utilité de don-
ner des faits équivoques éc incertains pour des hiftoires.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. tji
véritables & confiances, nî que la Religion pût tirer aucun
fecours de ces Romans qu'on introduit dans l'Eglife fous Henri
Fombre dureiped dd aux décrets du Pape.. 1 V.
Au refte on peut s'abftcnir prudemment de tous ces nou- j ^ ^q,^
veaux cultes fans blefler l'autorité de l'Eglife , ni l'union
Catholique. Au contraire il y a de la témérité à les foûtenir j
nous ne pouvons le faire lans donner prife fur nous à ceux
qui fe font féparés de l'Egliie Romaine , ni même fans fcanda-
liler plufieurs perfonnes qui ont encore la même foi que nous..
Saint Bonavanture ne à Baenarea en Tofcane , 6c Corde- ^^'""^ ^om^^
lier , etoit mort en 1 174. a Lyon, ou il avoit ete enterre déclaré Doc»
dans la même année que laint Thomas d'Aquin. Sixte IV. t^urde l'E-
qui avoit été lui-même Cordelier, l'avoit mis au nombre àQs \-^^l^^ y^
Saints.. Sixte V. voulant donner à cet Ordre un nouveau
luftre bL une plus grande autorité , le déclara Dodeur de
l'EghTe , Ôc lui fit le même honneur qu'à faint Jérôme , faint
Auguftin , faint Ambroife, 6c faint Grégoire. Il chargea le
cardinal Conftantin Sarnano , qui étoit du même Ordre ,
de ramafïèr tous les ouvrages du faint Dodeur , 6c de \qs don-
ner au public comme canoniques , fans \qs fbûmettre à l'exa-
men, Maurice BrefTius de Forez , qui avoît enfeigné en
France les Mathématiques , 6c qui ayant quitté fa patrie
etoit alors Profelleur de langue Grecque à Rome, fie à ce
fujetun difcoursle 14. de Mars.
Sixte V. fit encore plufieurs nouveaux àécrQZs. Avant lui
les Papes ne tenoient chapelle que dans le Vatican. Sixte
dès le commencement de Ion Pontificat la tint dans plufieurs
autres Eglifes de Rome. Il condamna comme une étude
déteflable l'Affcrologie judiciaire , 6c défendit de s'y appli-
quer. Il donna une tameulé Bulle en faveur des Cardinaux,
qu'il égala aux Rois 6c aux Princes. Il fixa leur nombre i
foixante 6c dix , 6c ordonna que leur promotion ne pourroit
fe faire que dans les quatre. tems de Décembre, luivant la
conftitution de Clément VI. mais il la viola lui-même dans
la promotion extraordinaire du cardinal Guillaume Alan
deLancaftre, 6c de Jean-François Morofini Vénitien. Il
partagea le facré Collège en quinze Congrégations , 6c
ajoiira aux treize quartiers de Rome un quatorzième , qui
fut le faubourg ou efl le Vatican,
172 HISTOIRE
■ La paffion qu'il eue d'élever fa famille fut extraordinaire.
Henki Rome vie avec indignation, & ne put cependant s'empê-
I V. cher d'admirer la fuperbe entrée qu'y fit Camille fa fœur.
On fe fouvenoit encore qu'elle a voit été blanchilleufe j
' fon mari étoit d'une condition fiabjede , que Sixte ne vou-
lut jamais qu'on fcûtfonnom : deux neveux èc deux nièces
furent comblés de richelïcs , èc honorés des plus grandes
dignités. En effet Sixte donna bientôt le chapeau à Alexan-
dre , quoiqu'il ne fût encore qu'enfant, •& luiaffigna cent
mille écus de rente. Il fitpréfent de plufieurs grandes ter-
res à Michel , de peu de tems avant fa mort il lui acheta
pour le prix de deux cens mille écus la Seigneurie de
Montafier en Piémont , qui appartenoit à Jeanne de Coëme
veuve du prince de Conti (i), comme en ayant hérité avec
fes filles qu'elles avoit eues de Louis fon premier mari 5 mais
le prix n'en ayant pas été payé , cette vente n'eut aucun
effet. Il maria (qs deux nièces à deux Seigneurs des plus
qualifiés de Rome , &c qui étoient les aînés de leur Maifon.
Outre la dot qu'il donna à Marc-Antoine Colonne , il lui
fit prêter des deniers du tréfor quatre cens mille ducats
pour payer fes dettes , fans exiger aucuns intérêts d'une
lomme fi confid érable.
Par ces dépenfes immenfes il fit voir qu'il avoit l'ame
grande j il pouifa néanmoins l'économie jufqu'à l'avarice ^
il exécuta à grands frais de prodigieufesentreprifes, &fçut
amaffer en même tems de grands tréfors. D'un côté,
vivant comme un fimple particulier , il réforma fa table Se
fa maifon : de l'autre , il augmenta les impôts , introduifîc
trente-cinq nouvelles taxes , 3c vendit toutes les charges ,
même celles qui ne s'étoient jamais vendues. Il fit exiger
les nouvelles impofitions avec tant de dureté, que quoiqu'il
écoutât volontiers toutes les plaintes qu'on lui faifoit, il
ferma toujours l'oreille à la voix de ceux qui fe plaignoient,
& de l'excès des taxes , & de la cruauté des traitans.
Par ces moyens odieux il accumula des tréfors immenfes,
\
(i) François Prince de Conti, fils | i^oi. dont il n'eut point d'enfans. Il
de Louis premier tue' à la bataille de i e'poufa en lôoj. Louife Marguerite de
Jarnac. II avoit e'poufe' Jeanne de Coë i Lorraine fille de Henri premier duc de
aie, dame de Bonneftable , morte en I Guife. Il mourut en 1514.
de
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 273
5c dès la première année de fon Pontificat il fît porter un ■„ '
million d'écus d'or dans le château faint Ange ^ Siiidefen- Henki
dit de toucher à cette fomme , fî ce n'étoit pour la conquête I V.
de la terre Sainte , ou pour une guerre générale contre les rcgo.
Turcs , lorfque l'armée Chrétienne auroit pafle la mer , &
fèroit dans le païs ennemi. Il en étendit auflî l'ufage à ces
tems de calamités , qui demandent les plus puiiïàns lécours,
comme dans une pefte , ou une famine , 6c permit encore de
s'en fervir pour réduire une ville qui le feroit révoltée con-
tre l'Eglife, ou pour fecourir une province attaquée parles
Infidèles. Il jura lui-même d'oblèrver exadement toutes
ces conditions, ôc ordonna que Tes fuccefîeurs fifTent le même
ferment.
Danslatroifîéme année de fon Pontificat il fit encore
porter dans le château Saint Ange une pareille fomme , ôc
il y joignit enfuite trois cens mille écus d'or pour le même
ufage, &c fous les mêmes défenfes -, ajoutant qu'outre les
cîrconflances ci-deflus marquées , on pourroit employer ces
tréfors pour reconquérir fur les ennemis de l'Eglife Romaine
quelque Royaume qui lui appartenoic. Cette dernière claufe
fit croire à ceux qui étoient prévenus contre ce Pape , que
£ Philippe fut mort avant lui , il auroit porté la guerre dans
le Royaume de Naples pour l'enlever à la Maifon d'Au-
triche.
LesEfpagnoIs animèrent contre lui quelques Prédica-
teurs, qui oubliant leur devoir , ëcle refpectduà l'autorité
iiiprême du fouverain Pontife , négiigeoient d'annoncer la
parole de Dieu pour parler de l'état oii fe trouvoit la
France , & répandre de faux bruits. Leur fédicieufe élo-
quence n'avoit que cet objet j Scils ofoient taxer indiftinc-
tement le Pape de nonchalance & d'avarice, pour exciter
peu à peu la haine du peuple contre lui. Le feu commenc^oit
à s'étendre , èc cette cabale alloit devenir plus puiilànte,
lorfque Sixte crut devoir s'oppofer à ce funcfte progrès.
Ainiî par les ordres du Pape le cardinal Jérôme Rufticucci
Vicaire Général, 2c juge ordinaire de la Cour de Rome
fit un décret le 1 7. de Juin , portant défenfes aux Prédica-
teurs , fous peine d'interdiction , de traiter dans leurs fer-
mons d'autres fujets que ceux qui regardoient l'inftruction
Tome XI, M m
274 HISTOIRE
I I II des fidèles & la Relio-ion. Cette nouvelle loi dëcernoîc en-
H H NK I core des peines afflictives contre ceux qui, comme il arrivoic
I V. fore fouvent , dirputoienc dans des allemblées particulières
I 590. ^^^^ ^^^ faufles nouvelles qu'on répandoit dans Rome, ôc y
excitoient de vives querelles.
Elefliondu Aprës la mort de Sixte V. dès que les neuf jours de
pape Urbain prières furent expirés , les Cardinaux entrèrent danb le con-
^^^' clave. Pendant fix jours le cardinal Marc-Antoine Colonne
fembla rèiinir tous les fuffrages 3 mais des difficultés q\:i s'é-
levèrent tout à coup empêchèrent fon elcdion j les Cardi-
naux donnèrent unanimement leurs voix au cardinal Jean-
Baptifte Caftagna (i ) du titre de Saint Marcel. Ils remirent
cependant l'èledion au lendemain , 6c ne le déclarèrent
Pape que le 1 5. de Septembre après dix-huit jours de va-
cance du liège Pontifical.
11 étoit ne à Rome d'une famille noble , & il eut pour
père Côme Génois de Nation, 6^ pour mère une Dame
Romaine de la maifon de Ricci. Dans fa jeunciTe il s'appli-
qua à l'étude du droit Civil 6c Canonique j 6c ayant mon-,
trè beaucoup d'habileté dans le maniement des affaires. Pie
IV. l'envoya au Concile de Trente. 11 obtint la légation
d't fpngnc,6c enfuite celle de Venifè , où il vit Henri III.
lorlquc ce prince revenoit de Pologne. 11 fut encore envoyé
à Cologne en qualité de Légat ordinaire , pour affifter de
la part du Pape aux conférences du traite que l'èvêque de
Liège ménageoit entre le roi d'Efpagne 6c les Provinces-
Unies. Pour le rècompenfer des fervices qu'il avoit rendus
dans ces différentes négociations , Grégoire XIII. l'honora
du chapeau de Cardinal.
Etant un jour avec Sixte V. qui fe propofoit de conduire
jufqu'à la porte Del - Popolo , la rue qui va de l'Eglife
de Sainte Croix de Jérufaiem à Sainte Marie Majeure, 6c
dv)nc nous avons parlé ci dciTus , le Cardinal de Saint Mar-
cel eut un prefage de fa future élévation. Le Pape incertain
du fuccès de Ion entreprife fè tourna vers lui , 6c lui dit : Vous
arh'jverez un jour ce chemin. Ce premier pronoftic fut
confirmé par un fécond. On fervit à Sixte V. quelque rems
avant fa mort des poires , dont il coupa quelques-unes qui
(î)OuCaftanée.
DE J. A. DE THOU, Lir. C. 275
jfè trouvèrent pouries en dedans , en force que le Pape en "
paroiflanc dégoûté , dit fur le champ : Oiés ces poires j il ne Henri
faut que des châtaignes. On prétend qu'il fe défîgnoit par I V.
les poires , car il avoit porté le nom de Peretti , & cela Tavoit 1 c q o
engagé de mettre des poires dans fon EcuiTon j ôc que par -' :
les châtaignes il marquoit fon fuccefléur (i).
Le nouveau Pape prit le nom d'Urbain. La première pa-
role qu'il pronon(^a après fon élection parut pleine de fa-
geflè ôc de modération. En lui mettant un Rochet d'une
toile très-fine , & par confèquent très-léger, il dit qu'une
chofe fi légère étoit pour lui d'un bien grand poids : il fit
voir par-là qu'il connoifiToit la pefanteur du fardeau donc
on venoit de le charger.
Le premier jour de fon Pontificat fut marqué par les bien-
faits êi les préfens qu'il fit à fes amis j il remit à quelques-uns
d'eux les fommes qu'ils dévoient au Fifc, 6c à lui en parti-
culier. Il dit à ^^s parens que fon élévation ne devoit point
leur faire efpérer de nouvelles dignités ni les enorgueillir ;
êc il ajouta qu'il vouloit laifier à {zs fuccelTeurs un exemple
de l'affedion qu'il étoit permis aux Papes d'avoir pour leur
famille.
Il défendit à îqs Officiers de porter des habits de foie j
il fit écrire les noms de tous les pauvres de Rome , & leur
diftribua de grandes aumônes. Son plus grand foin fut d'en-
tretenir l'abondance dans Rome , &: il témoigna publique-
ment qu'il n'épargneroit pour cela aucunes dépenfes ^ perfua-
dé que Jéfus - Chrifl en recommandant à Saint Pierre de
paître fès brebis , avoit auflî ordonné à fes Vicaires de pour-
voir aux befoins temporels du troupeau qui leur étoit con-
fié. Enfin ce Pontife donna un exemple remarquable de fa
modération, ôc une preuve finguliére de fa reconnoiiîànce ,
en donnant des ordres précis pour faire achever tous \<is
ouvrages commmandés par Sixte V. en y faifant mettre les
armes ôc le nom de ce Pape.
Urbain tomba malade le lendemain de fon élection , &
plufieurs prirent dès-lors pour un mauvais augure le nom
de Marcel (2) dont il avoir porté le titre étant Cardinal.
(i) Par allullonà fon nom de Caftagne.
^ (x) A caufe de Marcel II. élu Pape en ij^f^. 8c qui mourut 21. jours après fon
çledion.
Mniij
ilG HISTOIRE
" ' ' En efFet il fembla que Dieu n'avoic voulu que le montrer
Henri à fon Eglife , fans permettre que ce iaint Pape la gouver-
I V. nât plus long-tems. Il ne fut pas même couronné j il ne créa
1590. point de Cardinaux ^ il ne conféra aucune dignité, &: 13.
Mort d'Ur- jours après fon élecbion , il mourut avec tranquillité. Avant
bain vn. ^£ rendre le dernier foûpir , il dit avec la même modéra-
tion qu'il avoit fait voir pendant toute fa vie : >î Dieu donc
53 les décrets fbntauffi fages que refpedables,m'avoit jugé in-
55 digne de cette dignité fuprême 3 la foiblellè qui nous eft
55 commune à tous, & qui nous retient dans les liens du pé-
« ché m'auroic fait fuccomber facilement 5 &; combien
>5 ma chute de la place que j'occupe auroit-elle été funefte!
>5 Mais heureufement la Bonté divine vient de me décrager,
» & rappelle à foi Tame qu*elle m'avoit donnée. Pompée
>5 Hugonio fit fon oraifon funèbre.
Il y eut plus de difficulté dans le choix de fon fuccelîeur,
qu'il n'y en avoit eu pour fon éledion. Les Cardinaux au
nombre de cinquante-deux entrèrent dans le Conclave le
huit d'Odobre, 6c dans la fuite le cardinal d'Autriche &:
le cardinal Henri Gaëtano qui rev^enoit de fa légation de
France , fe joignirent encore à eux. Ils étoient divifés par
plufîeurs factions. Le cardinal Madrucci étoit à la tête de
la fadion Efpagnole 5 le cardinal François Marie del-Monte
étoit chef de celle du Grand duc de Tofcane , & François
Sforce de celle des Grégoriens ( i ) ^ enfin Alexandre de Mon-
talte difpofoit des fufFrages de vingt-fîx Cardinaux créatures
de Sixte V.
Par les brigues d'Afcagne Colonne, on propofa d'abord
le cardinal Marc-Antoine Colonne , 6c l'on parla encore
de lui dans la fuite : mais la deflinée de ce Cardinal étoit
d'être toujours jugé digne du fouverain Pontificat, 6c de
n'être jamais élu. Enfuite par les brigues de Sforce ^ d'A-
lexandre de Montalte, Jean Vincent Lauro cardinal de Mon-
dovi parut fur les rangs. Une majeflueufe gravite le rendoic
refpedable jfon affabilité 6c fa douceur le faifoient aimer 5
il joignoit à une profonde érudition 6c à un flile délicat 6c
poli beaucoup d'expérience 6c d'habileté pour la conduite
des affaires.
CO Ceû-à-dire des créatures de Grégoire XIII.
DE J. A. DE THOU, Liv..C; 277
Le but de Montalte écoic d'exclure Jule Antoine San-
torio , Gabriel Paieotco , Madrucci , Pcoiomée Gallo car- Henri
dinal de Corne , Marc-Antoine Colonne , Jean Antoine I V.
Fachinetro , 6c Nicolas Sfondrate que les Efpagnols propo- j ^qq
Ibient. Philippe s'inrérelîoit particulièrement pour les trois
premiers j il rejetcoit nommément Alexandre de Medicis j
& il avoit enjoint exprelTëment à Madrucci d'empêcher fon
ëledion, ainîi que celle d'Antoine Marie Salviati , d'Augufte
ValeriOjde Lauro , de Scipion Lancilotto , èc de tous les
Cardinaux de la création de Sixte V.
Montalte au contraire qui fçavoit que les Efpagnols haïC
foient la mémoire 6c les créatures de ion oncle , avoit pour
première vue d'exclure les Cardinaux attachés à leur fac-
tion j il tâchoit en fécond lieu que le Pape futur n'eût obli-
gation qu'à lui feul de fon élévation, fans qu'aucun des
Princes qui avoient chacun un puiiïant parti dans le Con-
clave,en partageât la gloire avec lui. Ainfi il ne voulut point
agir de concert avec les Tofcans y il fe joignit feulement
avec le cardinal Sforce , qui lui étoit inférieur 6c dont ii
n'avoit rien à craindre. Ils s'intéreflérent tous Iqs deux avec
beaucoup de chaleur pour le cardinal Lauro de Mondovi.
Ce Prélat n'empruntoit l'apui d'aucun Prince ^ tous îqs con-
frères l'aimoient ^ 6c l'on elpéroit que plulîeursdeceux qui
ëtoient engagés dans le parti Efpagnol 6c dans celui de
Tofcane pourroient , s'il en étoit beîoin , lui donner leurs
fulFrages.
Mais les Efpagnols s'y oppoférent ; 6c de vains fcupçons
leur firent oublier les fervices importans que ce digne Car-
dinal avoit rendus à la Chrétienté 6c à Philippe même. Ils
objedérent qu'il s'étoit autrefois intéreffé en faveur d'An-
toine roi de Navarre, 6c père de notre R.oi qui étoit en-
core dans fa première jeunellè j 6c ils conclurent de-là que
Lauro étoit appuyé par une cabale fecrette des François.
On leur répondit que le Cardinal n'étoit entré dans la
maifon d'Antoine , qu'à la recommandation de quelques
Seigneurs François des plus zélés pour l'ancienne Religionj
que depuis ce tems il avoit marqué fon dévouement pour
Philippe, 6c pour le duc de Savoye fon gendre , dans les
dijŒcrentes légations dont ii avoit été chargé -, éc que Iqs
Mm iij
178 HISTOIRE
l'ervîces qu'il leur avoit rendus dévoient perfuader ces Princes
Henri de la droiture des intentions , & des inclinations du Car-
I V. dinal. Quelque convainquantes que fulFent ces raifons , les
I roQ^ Espagnols ne voulurent pas fe rendre, &: empêchèrent que
Lauro n'eût un nombre fuffifant de fuffrages.
On propola de nouveau Marc-Antoine Colonne, & J^^n
Jérôme Albano.Le premier fut exclus par fon mauvais deftinj
le fécond parut trop vieux & incapable de porter le poids
d'une il grande dignité . à l'âge de 84. ans. Montalte ayant
gagné Sforce , le cardinal Alexandrin voulut encore faire un
eilài de l'autorité & de la puilFance qu'il avoit dans le Con-
clave 3 il parla pour Hippolyte Aldobrandin 5 il s'en falluc
peu que la chofe ne réùlsît.
On parla enfuite de Jule Antoine Santorio. L'Efpagne ,
le Grand Duc , & Sitic d'Altemps neveu de Pie IV. avec
le refte de fa faction qui étoit prefque éteinte , firent tout
pour ce Cardinal , àc fe flatérent d'un heureux fuccès.
Mais Alexandrin appuyé par les Cardinaux de Pie V. qui
ëtoienc encore puillans s'y oppofa , 6c la haine de ce Car-
dinal l'emporta îur les difpofitions favorables dans lefquelles
on étoic pour Santorio. Il perfuada à Montalte qui avoit
plus de pouvoir qu'aucun des autres Cardinaux , que fi San-
torio devenoit Pape , il fe laifTeroit conduire par les Efpa-
gnols j èc qu'adoptant l'animofité de ces étrangers contre la
mémoire de Sixte V. àc de fes créatures, il feroittout pour
perdre Montalte.
Ainlî Santorio fut rejette j & Montalte qui employoîc
tout pour faire un Pape de fon parti qui ne fût dévoué à
aucun Prince , fît une tentative pour Jérôme de la Rovere.
On l'avoit vu en France dès fa jeuneffe , èc il avoit paru
dans un emploi honorable à la Cour de Henri II. mais il
ne put avoir un nombre fuffifant de voix.
L'éleAion devenant alors plus difficile , Madruccî vint
trouver Montalte, & le prefîa de choifir l'un des fept Car-
dinaux propofés par le roi d'Efpagne. Il lui reprefénta qu'il
lembloit que cette affaire ne dût jamais finir: Que tous ces
retardemens feroient funeftes à la Religion j êc qu'ils fcan-
dalifoient le monde Chrétien : Que la récolte n'ayant
pas été abondante dans la Pouille ôc dans la Sicile , qui
DE J. A. DE THOU,Liv. C. 27^
fournifToIenc ordinairement des bleds à Rome, cette ville man- ■■ ■■■'" ' '■" "
quoic abfolumenc de vivres- & que dans le défordre & la Hen ki
conFufion caulës par une il longue vacance de fiége , on IV,
dévoie craindre de la voir bientôt réduite aux dernières 1590,
extrémités.
Montalte ayant conféré avec les Cardinaux de Ton parti,
répondit avec fermeté : » la dignité de l'Eglife dont j'ai
ï5 toujours été obligé de défendre les droits làcrés, 6c dont
M la gloire m'eft aulîî chère que ma propre vie , ne me per-
>3 met pas d'accepter les proportions qu'on me fait. Après
« qu'elle a brifé le joug des Empereurs , je ne fouiFrirai ja-
'5 mais que les Princes de la terre faflènt revivre des pré-
55 tentions anéanties , & qu'à la faveur de la lâcheté, de l'a-
>j varice , oa de quelque autre motif aulîi odieux qui anime
53 quelques-uns de mes confrères , \qs Rois fè rendent maî-
>3 très de l'éledion du Vicaire de Jefus-Chrift. Je ne per-
)3 mettrai jamais que l'orgueil Efpagnol gêne la liberté de
5j nos fufFrages , ni que d'injuftes Etrangers nous impofenc
3î la nécefîité d'élever au fouverain Pontificat un homme
« qui leur fera tout dévoué , fans nous permettre d'élire
35 celui qui nous paroitra le plus digne de remplir cette im-
33 portante place.
Chacun de ceux qui y prétendoîent faifant naître routes
ces difficultés,^: tant de conférences ôc de proportions ayant
été jufqu'alors fans aucun fruit , on crut enfin avoir trouvé
un moyen d'accommodement , & l'on propofa fept Cardi-
naux du nombre de ceux qui n'ayant pris aucun parti, ne
paroifloient pas fufpects. Ils formoient comme une troidéme
claflè, &: l'on étoit refté jufqu'alors dans le filence à leur
égard. Ces fept Cardinaux étoienc Jean Antoine Serbellone,
Inigo d'Avalos d'Arragone Napolitain, Nicolas de Pellevéj
Jérôme Rufticucci , Julien Cananio , Scipion Lancilotto ,
& Guillaume Alan Anglois ^ mais on craignit que plufieurs
d'entre eux ne panchaflent en fecret pour quelque parti 3 &
tous les fufFrages parurent fe réunir tout à coup en faveur
de Paleotto. Ce Cardinal fe faifoit refpccler par fon âge ,
par fa piété , & par la pureté de fes mœurs j il étoit par fâ
ïcience un des plus beaux ornemcns du iàcré Collège • rien
ne lui fut plus contraire que la chaleur avec laquelle les
zSo HISTOIRE
Cardinaux Efpagnols prelTërenc Ton éledion , quoiqu'on fut
H £ N K I perlaadé qu'il aimoic peu cette Nation. Dans Rome on le
I V. crut Pape j iès armes furent élevées de tous côtés , de l'on
1590. dépêcha des couriers dans les Provinces pour en répandre
la nouvelle • mais les Cardinaux étant allés au Scrutin, Mon-
talte à qui il déplaifoit fît tant qu'il lui manqua une ou deux
voix.
Dans la chaleur de toutes ces brigues, on parla plusieurs
fois de Jean Antoine Fachinetto Cardinal du titre des quatre
Saints. Il étoit habile Théologien & Juriiconfulte 5 ôc il joi-
gnoità ces connoiiïànces une expérience de cinquante an-
nées qu'il avoit pafTées dans difFérens emplois de la cour de
Rome 'j mais il ne devoit pas être fîtôt Pape ^ èc ne 'dévoie
l'être que pour peu de tems j le moment fixé par les décrets
de Dieu n'étoit point encore arrivé ^ 6c la haine du Grand
duc de Tofcane fut alors un obftacle infùrmontable à fon
cledion.
Un parti détruifoit ce qu'avoit fait l'autre j 6c chaque
prétendant formoit des difficultés à l'élévation de fon con-
current. Enfin après deux mois de conteftations inutiles ,
Madrucci parla une féconde fois à Montalte , 6c lui ayant
repréfenté les calamités d'un peuple infortuné que la famine
prelToit , 6c les dangers aufquels non-feulement Rome , mais
encore toute l'Eglile étoit expofée , il le conjura de fe dé-
terminer fur le choix d'un des fept Cardinaux propofés par
le roi d'Efpagne. » Vous ferez, lui dit-il , une chofe agréable
« au fils aîné de l'Eglife^ ( les Efpagnols donnoient alors ce
îî titre à leur Roi) 6c dans la trifte fituation où font toutes
)5 les chofes , vous déchargerez votre confcience.
Montalte fut inflexible pendant quelque tems j mais les
Cardinaux de fon parti lui remontrèrent qu'on parloit en-
encore de Paleotto : Qiie s'il vouloit l'exclure, il ne devoit
plus faire de difficulté d'accepter la propoficion de Madrucci:
Qiie fa fermeté pouvoit lui devenir funeftcj 6c que dans cette
extrémité il falloit fléchir plutôt que de voir malgré lui
créer un Pape , àc élever fur fa tête un fi terrible ennemi.
Ainfi tout fé réunit en faveur du Cardinal Sfondrate. Gon-
zague avoit toujours craint fon élévation ^&c s'y étoit oppo-
fé autant qu'il lui avoit été poiFible , parce que Sfondrate
étoic
DE J. A. DE THOU, Liv. C. t^t
ëcoît en conteftation avec le duc de Mancouë pour quelques __• — Linoti]
terres , èc que ces intérêts oppofés avoient excité entre eux Henri
de grandes querelles. I V.
Dans l'ardeur des difFérentes faclions 6c des brigues tu- 1590.
multueufes qui agitèrent ce Conclave , chaque prétendant
au PontiHcat tâchoic de tromper , & leurrer Ton rival par
des promefles qui étoient bientôt oubliées, &: qu'on violoi-c
fur le moindre prétexte j en forte que pour défigner un
homme de mauvaiie foi, on difoit par un efpéce de proverbe,
qu'il donnoit des paroles de Conclave.
Des le matin du cinq Décembre veille de Saint Nicolas
patron de Sfondrate cardinal de Crémone, qui fçavoit déjà
ion éledion , Montalte à la tête des Cardinaux de fon parti,
fe rendit auprès du nouveau Pape 3 6c tous les Electeurs s'é-
tant alTemblés , fe jettérent à fes pieds , & le déclarèrent
fouverain Pontife. Il étoit lils de François Sfondrate Séna-
teur de Milan , qui ayant fait éclater en plufieurs occaiîons
fon érudition ôc fa prudence , avoit été employé par Charle
V". dans des négociations importantes. Après la mort de fa
femme, qui étoit de la maifon de Vifconti , Paul III. qui
fçavoit diflinguer èc récompenfer le mérite , lui avoit don-
né le chapeau de Cardinal, & Jules III. l'avoit fait enfuite
cvêque d-e Crémone. Son fils Nicolas fut d'un tempéramenc
plus délicat & plus foible que le fien. Il étudia d'abord le
droit Civil à Padouë , & s'attacha enfuite à la cour de Rome.
Après la mort de fon père, Pie IV. qui aimoit "tous les Mi-
lanoiSjlui donna Pévêché de Crémone. Il affilia au Concile
de Trente, & fut du nombre des Evêques Italiens qui foû-
tînrent que la réfidence étoit ordonnée aux Evêques de droit
divin. Les Courtifans crurent que Sfondrate qui paroilToic
avoir deffein de s'élever & de briguer les honneurs, avoic
sgi imprudemment en fcûtenant cette opinion. La fimplicité
dms laquelle il vécut toujours , êc l'égalité de fa conduite
îe firent beaucoup eftimerde Grégoire XIII. qui dans ceitQ
iameufe promotion de 1583. l'honora du chapeau de Car- '
^dinal.
Des qu'il fut Pape , tous les Cardinaux repentirent les
eflèts de fa libéralité , & il leur fit donner à chacun mille
^cns d'or pour les indemnifer , difoit-il , des dépcnfes qu'ils
Tffme XI. N n
1^2 HISTOIRE
avoientété obligés de faire pendant un Conclave quiavoit
H E N K 1 dure il long-tcms. Il fit auflî de grands prclens aux Mo-
I V. naftéres , ôc prenant une conduite oppoiée à celle de [on
I i^o. prédécefleur , il donna à Tes domeftiques une livrée magni*
iique, comme font les grands Seigneurs.
Dès le lendemain de fon élection, il fentit les atteintes
d'une maladie qui lui devint ordinaire j malgré cette inconi*
modité, il ne voulut point difFcrer fon couronnement , 6c
la cérémonie fe fit le huit du même mois de Décembre ^
jour de la fête de la Conception. On le vit fourire plufieurs
fois , 6c faire des geftes ridicules au bruit des applaudifle-
mens & des acclamations du peuple qui demandoit des vivresj
& quoique ce fût plutôt par un défaut naturel , & par la
mauvaife habitude qu'il avoit prife de paroitre fourire à tous
rnomens en ouvrant la bouche , que par un fentiment de va-
nité & de fotte joye , cependant il efluya à ce fujet plufieurs
traits de fatyre , ÔC donna par-là occafion de le méprifer.
Cinq jours après fon couronnement , il alla à Saint Jean de
Latran pour achever la cérémonie de fon inffcallation. Il
paiïà fous des arcs de triomphe qu'on avoit élevés dans \qs
îuës , & le peuple Ty fuivit avec de grandes acclamations»
Mais quoiqu'il tâchât de prendre un air de gravité qu'on
affède dans ces occafions, il ne put cependant s'empêcher
de fourire fottement à fon ordinaire, comme pour remercier
la populace de [qs vœux.
Il rendit d'abord au Sénat & aux particuliers les charge?
& offices que le trop avare Sixte V. leur avoit ôtés. Il don-
na le chapeau de Cardinal à Paul Sfondrate , fils de feu Paul
Sfondrate fon frère , quoiqu'il fût abfent , & ne voulut faire
aucun règlement avant fon arrivée. Les Milanoîs pour com-
plimenter leur Concitoyen lui envoyèrent une magnifique
ambafTade, dont ils chargèrent le marquis de Cufano , le
comte Charle Borromée , Alexandre Serbellone , ôc Corio--
ian Vifcontî.
Après la mort de Sixte V. & pendant qu'on proeédoic
à l'élection d'un nouveau Pape , le duc de Luxembourg étoie
forti de Rome pour aller en Tofcane,voir Albert de Gon-,
dy duc de Retz qui l'avoit invité d'y venir. Sur la nouvelle
de l'éledion d'Urbain , il avoit réfolu de revenir à KoxnQ
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 283
pour traiter des affaires de France avec le nouveau Pape , -
ôc il s'étoit déjà mis en chemin 5 mais ayant appris la mort Henri
précipitée de ce Pontife , il jugea à propos de s'arrêter jufqu'à I V.
ce qu'on lui eût donné un iuccefleur , avec lequel on put 1590.
continuer la négociation qui étoit déjà entamée. Mais cn^
iiuyé de voir que l'élection tiroit en longueur j ôc ne jugeant
pas qu'il pût en fureté 6c avec honneur faire un plus long
iéjour à Rome , ni en Italie , il écrivit le 1 6. d'Odobre d'une
ville appellée Aquapendente , aux Cardinaux qui étoienc
dans le Conclave.
Par cette lettre , il leur reprefentoit que les Seigneurs lettre cîu dud
Prançois, &: les premiers Magiftrats du Royaume nereltoient J^Luxem-
>CJ'J 1^ • ^ 1 ^r • "'i I r- j 1 bourg au
iideles au Roi , que pour le raire rentrer dans le lem de la conclave.
Reh'gion de fes ancêtres , de qu'on ne pouvoit douter des
iieureufes difpofitions où étoit le Prince à cet égard. ■>» En
» effet, continuoit-il , il nous a promis de changer au plû-
>î tôt de fentimens , & il en a donné fa parole par un écrie
w public qui a paru il y a quatre ans. Sixe V. qui le lut en
" fut touché , ôc fe propofa d'employer l'autorité Apoflo-
»> hque pour aider le Roi dans l'exécution de ce pieux delfein.
Ȕ Mais puifque la mort a furpris ce Pape -, prenez , je vous
« prie, les fentimens qu'il avoir, & ne nous refufez pas vos
" fecours pour terminer une affaire importante. Craignez
'3 d'aigrir par une févérité indifcrette & hors de faiion ,
>s un Roi qui occupe le premier trône de la Chrétienté ,
î5 qui joint à la valeur & au courage toutes les autres ver-
5> tus d'un grand Prince , & qui en même tems docile à
î> votre voix ne refufe pas de fe faire inftruire. Craignez que
>» le zélé imprudent dont le funefle effet a troublé l'Alle-
ï5 magne & rAngleterre,ne porte encore en France des coups
>5 aufli fâcheux à la Religion &c à l'Etat. Craignez enfin de
î> vous laiifer féduire par la voix artificieufe des fachieux^Sc re-
îï cevez favorablement les jufles plaintes de ceux qui veu-
5ï lent conferver en même tems &: la Religion & l'Etat.
" N'écoutez point ces indignes François qui fe vantent d'être
» les confervateurs &c les défenfeurs de la capitale du
î5 Royaume , car on doit craindre que tout ce qu'ils ont fait
»> pour fe maintenir dans Paris , ne foit un jour funefte non-
» feulement à cette ville , mais encore à la France entière.
Nn ij
îS4 HISTOIRE
■I ' ' » Soyez fourds aux diTcours de cet ancien ennemi du nom
Henri " Francjois. Aveuglé par l'ambition la plus criminelle , il fait
I V. '5 briller un faux prétexte de Religion pour envahir ce
I COQ, '* Royaume,pour le déchirer après en avoir épuifé les forces,
53 èc le coniumer par le feu de la guerre civile. Si fes per-
53 nicieux delleins réiiffillbient , avec quel orgueil , avec quelle
33 arrogance , avec quelle barbarie même en agiroit-il avec
33 le Saint Siège ? Le fouvenir de ce qui s'ell pafle fous
ï3 Sixte V. doit vous faire juger de ce qui arriveroit , fî ce
33 Prince inhumain n'avoît plus rien à craindre de la France,.
33 qui jufqu'à préfent a tenu la balance égale.
53 Ecoutez la voix de toute la Noblefle Fran(^oife. Corn-
35 bien de fervices n'a-t-elle pas rendus à l'Eglife Romaine ?
33 Que n'a-t-elle pas fait pour la défenfe de la Religion ? Au
33 contraire combien nos hiftoires nous fourniilent-elles de
55 monumens immortels de la honte ôc des défaites de nos
33 adverfaires? Rempliilez nos vœux • recevez favorablement
35 nos prières , de montrez que vous êtes les Sénateurs de
33 l'Eglife univerfelle,6cles pères communs de tous les Chré*
33 tiens. Imitez ce tendre père de famille qui reçut à bras
53 ouverts un fils prodigue, mais repentant. Suivez l'exemple
3î de ce bon Pafteur qui quitte tout le troupeau pour cher-^
w cher la brebis égarée, qui la rapporte fur ("es épaules , èc
3i qui la remet dans le bercail. Prenez la défenfe d'un
33 Royaume attaqué de tous côtés ^ fécondez une brave Ne-
33 bleflè qui implore votre fecours ■ parlez à un Roi qui vous
33 écoute , & qui efl tout difpofé à recevoir vos inftrudionSi.
>3 Enfin confervez-nous notre foi , notre Roi, notre Royaume,
33 Si prévenus &: féduits par un faux zèle pour la difci-
5^ pline , vous lancez des excommunications contre Ja No»
» blefTe Françoilé, craignez le mécontentement de tant de
33 braves gens qui vous font attachés , ôc prenez-garde de
« câufer un fchifme funefte dans l'EgHfe j car n'en doutez
33 pas , l'Eglife Gallicane fe fépareroit alors de l'Eglife de
53 Rome. Je vous expofe mes craintes j le refped que j'ai'
33 pour le Saint Siège me fait gémir des malheurs que je
33 prévois j c'eft à vous de prévenir par une conduite pru--
?3 dente une fatale divifion.
>> Vous êtes les colonnes de TEglife , &:pour ainfi dire, les
E J. A. DE THOU, Lrv. C '2S5
J5 pivots fur lefquels fes portes inébranlables font appuyées. *■■■*■■"" «^
w Vous devez donc quitter tous les motifs humains , & vous Henri
>î abandonner aux Inlpirations du Saint Efprit dans le choix I V.
» de celui qui doit gouverner cette Egliie. Choillflez un i5?«>»
" homme qui ne foit dans le cœur ni François, ni Allemand, ni
» Italien^ un fouveraîn Pontife doit être impartial,6c craindre
>j de blelîer les droits de qui que ce foit j il doit prendre
>î l'équité naturelle, ôc la loi de Dieu pour régie de Cqs fen»
9) timens , de fes volontés &: de fes démarches. Il doit fur-
»3 tout ménager & foutenir le fils aîné de l'Eglife , l'ancierî
« protedeur du Saint Siège , & le plus zélé défenfeur des
>3 Papes perfécutés. Place fur le premier trône de PEglife,
w ne doit-il pas être l'image de Jefus-Chriffc , comme il en
>j eft le Vicaire? Mais peut-il mieux imiter le Sauveur qu'il
» repréfente , & fe conformer autrement à la fagefïè de fes
« décrets , qu^en procurant le falut de tous les peuples donc
53 le foin lui eft confié , 6c qu'en recevant tous ceux qui
» viennent à lui ?
Il finiifoit en leur difant qu'avant de punir Sodome Sc
Gomorrhe , Dieu fembla entrer dans le détail de tous les
Grimes de ces villes , & voulut connoître par lui-même tous
leurs forfaits ; Il \qs conjuroit de tenir une conduite aufll
modérée, d'infpirer ces fentimens au Pape futur, èc d'être
enfin perfuadés de fon entier dévoilement.
Le duc de Luxembourg ayant appris dans la fuite î'élec» Lettre <î«
tion du cardinal Sfondrate,quipritlenom de Grégoire XIV. ~^^^
lui écrivit de Venife avec la même liberté, & il envoya en Pape.
même tems une copie de fa lettre aux Cardinaux, parce qu'il
craignoit que la fadion Efpagnoie qui prévaloir dans le Con-
clave , n'en eût empêché la lecture. Rappellant le fouvenir
des premières démarches des Ligueurs , il repréfentoit au
Pape qu'ils avoient d'abord publié un manifelle, où ils expo=
ibient qu'ils n'avoient pris les armes, que pour faire diminuer
les impôts dont le peuple étoit accablé : Que leur butétoic
d'émouvoir la populace en leur faveur , fous le prétexte du-
bien public , & d'entraîner dans leur révolte ceux qui ai-
noient la nouveauté : Qiic ce moyen n'ayant pas réulîî , ils
avoient pris une autre voye , & que pour fafciner le peuple^
ils s'écoient fervis de la Religion , dont les motifs font un
Nniij
même au
nouv&a»
i%6 HISTOIRE
' elFec jfî violent fur lesefprics.jjQiioiqu'ilseuflent, ajoûtoît-il,
H E N K I » un Roi le plus religieux de tous les Rois qui ayenc rigné
I V. » depuis Saint Louis , ils le noircirent de calomnies , ôc ils
ï ioo. " olerent l'accufer de fe joindre aux hérétiques pour atta-
» quer l'ancienne Religion, ils poulTérent la témérité juf-
»5 qu'à prendre les armes contre lui j ils s'emparèrent de
« pluiieurs villes, & de celles même où il n'y avoic aucun
jj hérétique j enfin ils chaflérenc leur Roi de la capitale de
îî fon Royaume. Voilà les commencemens des troubles qui
>j déchirent la France, & de ces cruelles divifions qui ont
>j produit des parricides & des afladîns.
>5 On ne peut nier , continuoit-il ,que toutes ces tragédies
j) ne foient les triftes effets de la colère d'un Dieu vengeur.
« Quoiqu'il foit miféricordieux , il n'a pu fouffrir que fon
*) nom refpeâ:able 5c facré fervît à des impies & ?. des fa-
>j criléges pour fatisfaire leur criminelle ambition ^ êc un
» crime fî déteftable eft fuivi d'une jufte punition. Cepen-
J5 dant il fe trouve un Roi qui entretient encore le feu de
83 ces divifîons , qui protège ouvertement les fadieux , qui
5î leur fournit de l'argent oc d^s troupes , & qui foûtienc
» en France autant de Tyrans qu'il y a de provinces dans
î> ce Royaume. Son but eft de renverfer un trône qui lui
î3 fait ombrage -, & de parvenir à cette monarchie univer-
' s> felle , ,donc le monftrueux projet a été enfanté depuis
» long-tems. Tout ce qu'ont allégué les Ligueurs eft fans
i> fondement. Ces horribles calamités dont la France eft
» accablée depuis qu'ils ont pris les armes , les pertes qu'a
5> faites ce Royaume depuis leur révolte , 6c qui font plus
îî coniidérables que toutes celles qu'il avoic fouffertes pen-
J3 dant les trente années précédentes , prouvent évidem-
9) ment que tous leurs prétextes font faux.
Il finilloit , en dilant que la France avoît befoîn du fe-
cours 6c des foins du Souverain Poncife , pour foulager des
maux qui néanmoins n'avoient pas befoin de remèdes vio-
lens : Qu*il auroit fouhaité avoir l'honneur d'entretenir Sa
Sainteté à ce fujet ^ ôc que comme il étoit obligé de retour-
ner en France , il avoit cru qu'il étoit de fon devoir de le
fupplier humblement de ne pas oublier \qs intérêts de ce
Royaume : Qu'il efperoit que S. S. ne fe lailTeroit pas
DE J. A. DE THOU, Liv. C 287
farprendrepar les ennemis du nom François,qui s'efForçoienc
de la féduire j & qu'enfin le S, Père auroic la bonté de fufl Henri
pendre fbn jugement , jufqu'à ce que les Princes , les Sei- I V.
gneurs, de les Magiftrats qui écoient attachés à leur Roi , j ^qq^
lui euflènt donnés de plus grands éclaircilTemens , comme
ils fe difpofoient à le faire par une AmbalTade qu'ils dévoient
au plutôt lui envoyer. Mais le duc de Luxembourg parloic
â des fourds, de ces lettres firent peu d'impreffion.
Pendant l'interrègne , les Bannis devenus plus infolens '/frairesd'i.
qu'auparavant , s'étoient jettes dans la marche d'Ancone , '!!'^"
dans la Campagne de Rome , êc fur les frontières du Royau- tre les bri-
me de Naples. Peu de tems avant la mort de Sixte V. ils S''"'^^'
avoîent pour chefs Marc de Sciarra , 6c Battiftella del Ara-
tro 5 ôc ils étoient en fi grand nombre , que Jean Zuniga
comte de Miranda Viceroi de Naples , fut obligé d'envoyer
contr'eux une armée de quatre mille hommes , fous la con-
duite du baron Charle Spînelli.
Le Pape defon côté réprima pour quelque rems leur au-
dace par de févérés châtimens -, mais ils recommencèrent
leurs courfés. Le Pape voyant fon autorité méprifée par ces
brigands, donna contre eux une Bulle le premier d'Août,
par laquelle il mettoit leurs têtes à prix j & promettoit â
ceux qui auroient tué, ou fait prifonnier quelqu'un de ces
bandits , le droit de rappeller de l'exil un banni. Il accorda
la même grâce aux bannis mêmes qui tueroient, ou livre^
roientau Magiftrat un de leurs compagnons. On donna or-
dre à Ottavio Cefis de fe placer avec cinq cens hommes fur
le chemin de Rieti , afin que tandis que les troupes du Pape
environneroient ces brigands d'un côté , les Efpagnols puf-
fent les attaquer de l'autre. Mais les foldats que comman-
doit Spinelli fe révoltèrent , Se refufèrent de marcher con-
tre des défefpérés , contre lefquels ils ne gagneroient que
des coups , fans pouvoir efpérer aucune récompenfe.
Ceiîs n'attendant aucun fecours des troupes Napoliraîj
nés , &c ne voulant pas néanmoins refter dans une entière
înadion , affiègea un village nommé Antona de Paolo Mat^
tel , où une troupe de bandits s'étoit fortifiée j mais fes ef-
forts furent inutiles : car comme on nègligeoit de monter
des gardes dans cette petite armée , ils s'échapérent
tSS HISTOIRE
pendant la nuît. Cela fe pafîà vers le tems de la more de Sîxte
Henri V. Urbain VII. ayant été élu , Virginio des Urfîns fils de
I V» Latino marquis de Lamentano marcha contr'eux avec cenc
î 5 ooj chevaux 3 mais fe voyant trop foible , & dans la crainte d'un
danger qui étoit évident , il le retira.
Sur ces entrefaites , Alfonfe Piccolominî , qui étoit de-
puis long-tcms vagabond dans toute l'Europe , de qui au
commencement de nos troubles s'étoit attaché au duc de
Guifè , prit le dangereux parti de fe mettre à la tête des
Bannis. Dans ce deiîèin il voulut faire quelques nouvelles
levées à Monte Marciano dans la Poiiille -, mais le Gouver-
laeur de la Province s'y oppofa , fuivant les ordres qu'il avoic
reçus de ne pas foufFrir qu'on levât des troupes pendant la
vacance du Siège. Piccolomini s'en plaignit aufFitot au col-
lège des Cardinaux. Mais comme les affaires du Conclave
les occupoient aiTez , on ne lui fit aucune réponfe. Il pafîà
enfin dans l'Abruzze province du royaume de Naples , où
Sciarra s'étoit retiré avec fes troupes , après avoir pillé la
Campagne de Rome.
Sciarra étoit intime de Pierconte Gabutîo -, &c ce dernier
avoir une haine extrême pour Piccolominf qui l'avoit ofFenféj
mais ils facrifîérent leurs refTentimens à leur intérêt com-
mun • & le péril qui les menaçoit leur fit mutuellement ou-
blier leurs inimitiés. Sciarra , Battiflella , Pietrangelo , Tu-
tio de Petralta , de Pierconte de Montacuti joignirent donc
leurs forces j & ayant Piccolomini pour chef , entrèrent
dans la Campagne de Rome avec une troupe de fept cens
hommes déterminés. Ils poufToient leurs courfes jufqu'aux
portes de cette grande ville avec plus de fureur qu'aupara-
vant. Leurs ravages avoient jette le défordre &c la confufîon
dans Rome , qui d'ailleurs manquoir de vivres. Pour remé-
dier à tous ces maux , on rappella Paul Vagelieri , qu'Ur-
bain avoir envoyé contre les Bannis , & l'on donna la con-
duite de cette guerre à Virginio des Urfins , qui y étoit ani-
mé par un intérêt particulier , car on lui avoir rapporté que
Piccolomini le menaçoit , de avoir tenu de lui quelques dif-
cours injurieux. Jean François comte de Bagno accompa,
o^na Virginio dans cette expédition par l'ordre du grand Duc
de Tofcane , qui l'avoit envoyé à Rome pour y foûtenir fes
îiicèrêts pendant le Conclave, ǧ
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 28^
Ce Prince donna encore à Camille marquis del Monte,
Lieutenant général de fQs armées, un corps de huit cens hom- H e n k t
mes de pied , de de deux cens chevaux , pour exterminer ce s IV.
brigands qui mettoient tout à feu & à fàng. 1593.
Virginio qui s'étoit mis en marche pour joindre Ces trou-
pes à celles del Monte contre l'ennemi commun ,• fe laifla
tromper par un faux avis que Piccolomini luiavoit fait don-
ner, ôcpenfa tomber dans une embufcade proche de Storta j
mais comme il avoit fait prendre les devants au capitaine
Trajano Ciaccia de Tivoli , il fe tira de ce mauvais pas avec
peu de perte ; & même le guide qui avoit voulu le tromper
Kit tué dans la mêlée.
Virginio & del Monte s'étant réunis aflîégérent enfemble
Sciarra , qui s'étoit enfermé dans Olgiato. Piccolomini
s'étant avancé pour fecourir la place , on combattit de parc
& d'autre avec une égale valeur: Del Monte fut bleflé à la
main , Hercule de Pife Sergent major , Alexandre Vanni ,
& quelques autres furent tués. Piccolomini de fon côté fut
contraint de prendre la fuite 5 6c cent de Cqs foldats furent
ou tués,ou dangereufement blefTés.
Del Monte le retira pour faire panfer fa bleflure , &: Vir^
ginio continua le fiége j mais pendant qu'il attendoit des
canons de de la poudre qu'on devoir lui envoyer de Rome,
les Bannis firent une fortie , dans laquelle il reçut lui même
deux blefTures. Combattants en défefpérés & pour leurs
vies, ils fe firent jour au travers des corps-de-garde, & fe
retirèrent en lieu defiireté.
Cela fepafia la veille de l'élec1;ion de Grégoire XIV. Ce
Pape ne tarda pas à donner un Bref de citation contre Picco-
lomini 6c quinze autres chefs des Bannis. N'étant pas com-
parus , ils furent condamnés par défaut, 6c le Pape adiugea
d Hercule Sfondrate fon neveu la feigneurie de Monte Mar-
ciano , comme étant tombée en Commife , par la contu-
mace 6c la félonie de Piccolomini Seigneur de cette ville.
Comme la fociété des brigands n'eftnifure ni conffcante,
à la follicitation de Pierconte Gabutio , Sciarra 6c les autres
Bannis abandonnèrent bientôt leur malheureux Chef. Pic-
colomini pourfuivi de tous côtés fortit de la Campagne de
Rome, 6cpallapar Narni 6c Foliglio villes d'Ombrie, pour
Tome XL Oo
25)0 HISTOIRE
fe réfugier dans la Marche d'Ancone , dans i'efpérance d'^y
Henri trouver quelque petit bâtiment , & d'échapper à Tes ennemis
IV. en s'embarquant fur le golfe de Venife.
I 5 5?o. Mais ayant lailîë Jefi fur la gauche , êc \qs pafTages étant
fermés , il erra quelque tems dans le territoire de Céféne,
Enfin il fut arrêté par le colonel Bifaccione , qui étoit au
fervice du Grand Duc de Tofcane , & qui le fît palier par
Imola pour le conduire a Florence. L'infortuné Piccolominî
.- y fut condamné à mort , de foufïrit au commencement de
I 55) I. l'année fuivante un fupplice qui déshonora Ion illuftre mai-
fon : il fut pendu comme un voleur , de ion corps fut expofé
fur un gibet , pour fervir de fpedacle & d'exemple.
Peu de tems après , Honoré Gaëtano duc de Sermoneta
furprit une troupe de Bannis qui s'étoient retirés fur iès
terres dans un pofte peu fortifié , & en tua quelques-uns»
Dans le territoire de Rieti , Virginio desUrfins ne put les
dompter. Ils y étoient en grand nombre , èc enlevoient les
bleds qu'on tranfportoit par le Tibre de la Sabine à Rome ^
en forte qu'on fut obligé de lever des troupes dans la marche
d'Ancone , & dans l'Ombrie. Avec ce renfort Virginio les
attaqua ^ mais il penfa périr dans ce combat , qui dura un
jour entier. Voyant enluite qu'on avoit peu de reconnoif-
fance de tous Ces fervices 5 que cette guerre avoit pour lui
des dangers prefque inévitables- de que d'ailleurs il y avoîc
peu de gloire à vaincre des brigands de des fcélérats , il
quitta le commandement, & fe retira. Le Pape le trouva
mauvais , S< en conferva contre ce Seigneur un fecret ref-
fentiment.
Marc Sciarra , ce fameux Capitaine des bandits , profita
de la retraite de Virginio. Il ravagea avec plus de fureur
les Etats du Pape , fit prifonniers tous ceux qu'il rencontra ,.
ou exigea de groflés rançons , de le cardinal Giuftiniani gou-
verneur de la Campagne de Rome, put à peine lui réfifter,.
Charle Spinelli qu'on avoit envoyé Tannée dernière contre
lui ,' s'étoit retiré à Naples , fans pouvoir finir une guerre fî
dii^cile ^ de l'on mit à fa place Gambacorti , qui ne réiilîît pas
mieux que lui.
Dans le même tems , Jean Antoine des Urfîns fe croyant
ofFenlé par les habitans de Civitella , afïïéga cette petite
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 291
place , la battit avec quelques canons , tua le Gouverneur , - ^
& fatisfit pleinement la vengeance ^ mais craignant la co- H £ n k
1ère du Pape , il fe joignit aux Bannis pour faire des courfes 1 v.
dans la Campagne de Rome 3 & ces brigands en devinrent
plus entreprenans. ^ ^
Cependant la famine rëduifit Rome &c prefque toute
ritalie aux dernières extrémités. Tandis qu'on attendoit la
iîote quiapportoit des froments de Sicile , le bled monta à
un prix exorbitant. On fut obligé de fixer la nourriture de
chaque perfonne à dix-neuf onces de pain par jour 3 & com-
me la flore ne paroiifoit point encore , on n'en donna plus
enfuite que dix onces. Enfin au commencement de May la
ilote ramena l'abondance , &: les peuples cellérent de crain-
dre pour l'avenir. Dans les Etats de la République de Ve-
nife , le Sénat foulagea par une prudente prévoyance la mi-
fere des peuples j il n'y eut que la Dalmatie 6c l'Elclavonie
qui foufFrirent beaucoup à caufe du voifînage des Turcs ,
qui enlevoient tout ce qui leur étoit poffible.
Les ambalTàdeurs des difFérens princes d'Italie s'étoient
déjà mis en chemin pour aller complimenter le nouveau "^
Pape 3 mais des tems fi malheureux n'étoient pas propres à
ces fortes de cérémonies , &c l'on jugea à propos de les dif-
férer. Venife avoir chargé de cette ambafiade Jacque Fof-
carini , Marin Grimani , nobles Vénitiens &c Provediteurs
de S. Marc , Zacharie Contarini , 6c Léonard Donati. Al-
fonfe duc de Ferrare avoir envoyé N. d'Efte marquis de
Sanmartino , qu'il avoit rappelle depuis peu de Savoye le
comte Cefa , &: le comte Galeazzo TaiFoni.
La queftion iur l'ordre de la luccefîion de ce Prince, fut ^^. , .
enfuite agitée à Rome avec de grandes conteftations. N'ayant fuccemondc
point d'enfans , il vouloit adopter Cefar fils d'Alfonfe fon ferrare.
parent , de l'inftituer héritier de fon Duché. Ferrare étoic
un fief mouvant du S. Siège. Cette ville a longtems appar-
tenu à l'ancienne &; illuftre maifon d'Efte. Les Seigneurs de
cette maifon ne furent d'abord que Gouverneurs ou Marquis
de Ferrare 5 ils en acquirent dans la fuite la propriété , &, les
Papes la leur donnèrent à titre de fief en 1320. Cette Prin-
cipauté fut autrefois comprife dans la donation faite au S.
Siège par la comtelFe Mathilde , Princeflé d'un grand
Oo ij
ic)i HISTOIRE
- courage , qui fe voyant fans poftérité , enrichit les Papes d'un
Henri opulente iucceffion qu'elle leur laiiTa , &; qui mourut à Man-
I V. touë en 1 1 1 5 . âgée de plus de 70. ans.
- j On diioit à la cour de Rome qu'Alphonfe étoit bâtard ;
Qiie par conféquent Ton fils que le duc de Ferrare vouloic
adopter , étoit incapable de recueillir cette grande héré-
dité : êc que ce Prince venant à mourir fans enfans , le fief
retournoit par droit de déshérence au S. Siège, ôc au Pape,
pour en dilpofer en faveur de qui il jugeroit à propos.
Le duc de Ferrare fentit que pour réullir dans Ion delîéin ,
il avoit befoin de la faveur du Pape, & du facré Collège. Il
crut pouvoir gagner facilement plufieurs Cardinaux , & fe
flatta de fe rendre Grégoire favorable. Il avoit toujours en-
tretenu une étroite liailon avec le nouveau Pape , Se il avoic
dans le facré Colle2;e un grand nombre d'amis. Ainfi il ré-
folut d'aller à Rome , afin de finir cette affaire , pour la-
quelle il avoit déjà fait plufieurs tentatives inutiles. Il s'ar-
rêta en chemin à Pefaro , pour y voir Jean François de la
Rovere duc d'Uibin fon beau^frére , & s'entretenir avec
lui d'une affaire qui les intérelToit également tous les deux :
car le duc d'Urbin qui étoit feudataire du S. Siège , n'avoit
point d'enfans , & le trouvoit par rapport à fa fuccefîion ,
dans les mêmes circonftances que le duc de Ferrare. On ne
pouvoir douter que le jugement qui feroit rendu fur l'afFaire
de ce dernier , ne fût un préjugé en faveur du duc d'Urbin,
Le duc de Ferrare arriva à Rome le i o. d'Août , il y fut
reçu avec de grandes magnificences , & logea au Vatican.
Le Pape nomma treize Cardinaux pour commifTaires de
cette aiïàire 5 & ordonna de difcuter pardevant eux , (i la
Conftitution de Pie V. empêchoit que le fouverain Pontife
ne pût difpofer d'un fief, qui n'étoit pas encore dévolu au S.
Siège , & le transférer à qui il jugeroit à propos , fur-tout
lorlque l'Eglife pouvoir retirer un grand fruit de cette dif-
poficion , ôc qu'il y avoit même une nécelîité de le faire ?
Cette queflion ayant été agitée , non feulement les Com-
millaires , mais encore les Auditeurs de Rotte qui furent
confulrés , décidèrent unanimement que tant que la Con-
ftitution de Pie V. fubfifteroit , on ne pouvoir accorder au
duc de Ferrare ce qu'il demandoit 3 ôc que pour le iatisfaire.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 293
il falîoîcquele Pape de fa pleine puifTance ôc autorité , dé-
rogeât exprefTément à cette loi. Henri
Grégoire déclara qu'il ordonneroit dans un confiftoire ce I V.
qu'on y jugeroit être le plus convenable. Mais la plupart i çoi,
des Cardinaux dirent hautement qu'ils ne confentiroient ja-
mais qu'on anéantît la Conftitution de Pie V. Ainfî l'on
chercha un milieu , 6c l'on propofa que le Pape , fans déro-
ger à cette Conilitution , mais feulement par un Bref donné
de fon propre mouvement , accorderoit l'Inveftiture du lief
en queftion , à condition que le duc de Ferrare donneroic
une fomme d'argent pour fubvenir aux befoins prefFans de
l'Eglife , èc augmenteroit la redevance annuelle , dont il
étoit déjà chargé.
Mais ce Prince ayant raifon de craindre que le fuccefTeur
de Grégoire ne révoquât ce que ce Pape auroit fait , fit
d'autres proportions j il offrit d'augmenter la redevance
des deux tiers , dc de payer un million d'ecus d'or , à con-
dition que le Pape & le facré Collège , en abandonnant Fer-
rare , prendroient d'autres terres , comme par compenfa-
tion. Il ajouta encore que fi dans la fuite des tems Ferrare
revenoit une féconde fois à l'Eglife Romaine , les dépenfes
êc améliorations qu'on croyoit monter à des femmes im-
nienfes , ne pourroient être répétées , èc retourneroient au
profit du S. Siège.
Pie V.déteftant l'ambition de fes prédécefFeurs qui avoienE
engagé de aliéné ce qu'ils appellent le Patrimoine de faine
Pierre , pour enrichir leurs fils , leurs neveux , leurs parens ,
voulut empêcher fes fuccefTèurs de faire ce qu'il ne fe croyoit
pas permis à lui-même. Il crut que l'adminiflTation du tem-
porel faifbit partie de ce terrible compte que les Papes doi-
vent rendre à Dieu de leur conduite j 6c fuivant les traces
de Grégoire IX. de Jean XXII. 6c de Paul III. qui avoienc
défendu de telles aliénations , il fit cette célèbre Conftitu-
tionlei^. de Mars 1566. Grégoire XIII. 6c Sixte V. con-
firmèrent cette loi par de nouveaux Brefs , 6c firent jurer les
Cardinaux de l'exécuter.
Le duc de Ferrare ne crut pas devoir accepter \qs propo-
rtions du Pape, 6c le facré Collège refufa les conditions
propofées par ce Prince 5 ainfi la négociation fe rompit j le
Oo iij
194 HISTOIRE
—>■■■'■ "I" Dlic fâché de toutes les dépen fes inutiles qu'il avoir faîtes.
H E N n I ie retira , & remit à un temsplus favorable la conclufion de.
I V. cette affaire.
i cqi Le bruit de l'armement des Turcs , &: des préparatifs
qu'ils faifoient pour attaquer l'Europe s'étant répandu de
tous côtés, les Vénitiens qui avoient à foûtenir les premiers
efforts des infidèles, & qui craignoient pour Candie, le-
vèrent des troupes, & donnèrent des compagnies de quatre
cens hommes chacune, à Frideric Fregofe , au comte Alexan-
dre Pompée de Vérone, à Louis Tondini , à Mutio comte
de Porto de Vicenze , 6c à Marc-Antoine Sacromoro j car
le comte Malatefta Martinengo, &: Simon de la Rovérene
voulurent pas fervir dans cette guerre. Ces troupes s'embar-,
quérent à Venife le feize d'Avril ^ mais une violente tempête,
éc des maladies qui furvinrent en firent périr la plus grande
partie.
Affaires de Les Vénitiens firent encore de nouvelles levées , dont ils
Tenife. donnèrent la conduite à Hercule Montecuculi , à Odavio
Vimercato, au comte Frideric de Pepoli, à Paul Conti, & au
chevalier Avolio de Ferrare. Ils prirent encore à leur férvice
le marquis de Lamentano , à qui ils donnèrent de grands
appointemens. On dit que ce Seigneur fe fervit de ce pré-
texte pour refufer le commandement des troupes deftinées
contre les Bannis , de de celles qui dévoient palier en France,
où le Pape vouloir envoyer une grande armée.
On étoit encore incertain de quel côté les Turcs porte-
roient la guerre j Ôc il couroit à ce fujet plufieurs bruits
difFérens. Les uns débitoient malicieulément qu'Amurath
ne prenoit les armes, qu'à la foUicitation du Roi, d'Elifa-
beth reine d'Angleterre , àc d'Antoine, à qui Philippe avoic
enlevé le Royaume de Portugal. Les autres foûtenoient que
le Turc vouloir fe venger des injures qu'il avoit reçues des
Cofaquesj & tandis que l'Afie étoit paifible , attaquer l'ifle
de Candie , oulaDalmatie.
Dans le même tems , Jérôme Lippomano noble Vénitien ,
qui étoit ambalTadeur de Venife à la Porte, fut foupçonné
de trahifon. On envoya à fa place Laurent Bernardo, fans
que Lippomano, ce vénérable vieillard qui croyoit avoir
allez vécu, s'embarrafTàt de prévenir le danger quimenaçoic
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 295
fes jours. Il foufFric qu'on le mît fur une galère pour aller ' '
à Venife répondre à fès accufateurs. Dès qu'il tut â la vue Henri
de cette ville , une fecrète horreur lui glaça les fens fi fubi- I V.
tement qu'il tomba dans la mer fans que perfonne s'en apper- i cqi
çut. Le vent qui iouffloit , joint aux efforts de la Chiourme,
emporta bientôt la galère loin de l'endroit où il ètoit tombé,
5c il fe noya avant qu'on pût le fecourir.
Voilà comme la plupart rapportent cet événement j
mais il eft plus vrai de dire , que comme la NoblefTe Véni-
tienne fe fait gloire d'un attachement inviolable à fa patrie,
6c que la moindre tache deshonore une famille, fes gardes
le jettèrent dans la mer par les ordres fecrets du Sénat, qui
voulurent ménager les parens de Lippomano , & leur épar-
gner la honte qui auroit rejailli fur eux par fa condamnation.
On trouva fon corps, & l'on permit de l'enterrer.
Les Vénitiens eurent auffi à craindre pour leurs Etats de
terre ferme. En effet Philippe fît lever dans le Milanez une
grande armée , qui fut autant à charge à cette Province y
qu'elle parut terrible aux PuilTances voifines. Leurs foupçons
augmentèrent encore fur ce que dans un tems fi tâcheux
l'Efpagne revouvelloit l'ancienne conteflation fur les limites
des frontières qu'Odavien Valiero gouverneur de Bergame ,
6c le Sénateur Pontone Milanois avoîent accommodée huit
ans auparavant. Outre cela le Sénat fut informé que les Ef-
pagnols avoicnt envoyé fécrétement des Ingénieurs pour
prendre le plan des citadelles de Bergame èc de Brefcia.
Ainfî par le confeil de Jule 6c de Mario Savorgnagni no-
bles Vénitiens , aufïî zélés pour l'intérêt de leur patrie,
qu'inftruits de tout ce qui regarde la guerre , on fortifia à
la hâte ces deux places. Ces prudens Républiquains , de
crainte de choquer Philippe en faifant paroître quelques
défiances , firent courir lehruit que ces nouveaux ouvrages
n'avoient été entrepris que pour fournir au menu peuple
quelques moyens de fubfifter dans des tems où la famine le
réduifoit aux plus dures extrémités.
Dans le même tems ils firent élever à Rialto fur le grand
canal de la ville un pont de marbre 6c de pierre. Il étoic
d'une ftruclure admirable j 6c l'on employa à le faire bdcir
ï'argent provenant d'un legs fait à la République par
ic)6 • HISTOIRE
mw. m„mm,m. Barthelemî Coglione de Bergame , l'an des grands capitaines
Henri de Ton fiécle.
I V. Les Profefleurs &c Syndics de l'Univerfîtë de Padouë (i) ,
I ^0 1. ^^^^ ^ rinftigation du Senac de Venife , comme on le crue
alors , foit par un motif plus particulier , firent cette année
icSenatde de grandes plaintes contre les Jéfùites. En effet, ces Pères
ftnd aul^jc'- ^y^^^ ouvert un Collège dans cette ville , èc s'étant in-
fuites d'en- gérés mal-à-propos de dider des traités fur toutes fortes
fcigncr pu- 2e fciences : les jeunes o-ens avides de nouveautés . fans con-
Padouc. liderer que de telles léchons ne pouvoient leur être utiles,
abandonnoient les autres écoles , & négligeoient de faire
leur cours ordinaire. L'Univerfité députa pour foûtenir
fes droits, François Piccolomini Génois, CélarCremonino
de Ceneda , & Hercule de SalFonnia de Padouë Profefleurs
de Philofophie. Pierre Alzano de Bergame , & Auguftin-
Dominique de Foligno fe joignirent encore à eux. Le Doge
leur donna audience dans le Collège (2), ôc Cremonino
porta la parole. On traduifît en Italien le difcours qu'il fît,
ôcTonen donna des copies à tous les Clarillimes(3) , quifa-
vorifoient d'abord les Jéfùites.
L'afFaire ayant été renvoyée au Sénat (4) , on y lut l'ex-
trait du difcours de Cremonino ^ &; fur la fin de Décembre
le Sénat donna un décret par lequel il fut enjoint à Jean-
Baptifte Vitturi , &: à Vincent Gradenico Podeftats de
Padouë, de faire défenfe aux Jéfùites, de la part du
Sénat , de contrevenir aux flatuts & privilèges de l'Uni-
verfitè de cette ville j leur permettant feulement d'avoir des
écoles particulières pourl'inftruclion des jeunes gens de leur
Société. Enfin on condamna & profcrivit la coutume per-
nicicufe de dicter publiquement des traités, comme on le
faifoit déjà dans quelques Collèges qui s'étoient conformés
aux mauvais exemple des Jéfùites. On crut que le Senac
avoit lui-même fufcité fous main cette affaire aux Jéfùites ,
pour avoir lieu de rendre contr'eux un décret qui les humi-
liâtjcar il accorda à rUniverfité beaucoup plus qu'elle n'avoic
(i) Padouë eft de l'Etat de terre de Venife
ferme de Venife. (4) C'eft le grand Confeil , qui
(z) Ce Collège ainfi appelle' eft un élit la plupart des Magiftrats, & fait
Collège compofé de z6. Seigneurs. [toutes les loix qu'il juge nécelTaires.
Ci) On appelle ainfî les Nobles
demande j
DE J. A. DE THOU, Liv. C 297
demandé j lorfqu'elle ne demandoic , difoic-on , que de '
la pluye, on lui a accordé un orage pour accabler ce nou. Henri
vel Ordre. 1 V.
Depuis ce fameux décret le Collège des Jéfuites a été i 591.
fermé à Padouë. Cependant la mailon des Cornari, donc
écoit Frideric Cornari, depuis Cardinal, les protégeoie ou.
vertement 5 & plufîeurs Nobles Vénitiens leurs confîoienc
l'éducation de leurs enfans. L'affaire fut revue pluficurs fois j
& foit du confentement exprès , fbit par la tolérance des
Profefîeurs de l'Uni ver fité, on fe rehicha infenfîblenient de
la rigueur du jugement ^ mais dans cette fameufe querelle
qui s'éleva quinze années après entre le Pape & la fereniiîî-
me République , les Jéfuites crurent ne devoir plus demeurer
dans un Etat interdit &; foudroyé par le Vatican 3 ôc ils
demandèrent au Sénat la permiffion de fe retirer à Rome.
Conftantinople dont les mouvemens faifoieiit trembler tou- Affaires de
te la Chrétienté, n'étoit pas elle-même exempte de trou- "^^"*'-
bles ôc de crainte j on y apprit que les Perfans avoient en.
fraint la paix. Ferhat Grand-Vifîr, qui avoit pris la place
de Sinan avoit conclu un traité de paix , ou plutôt une
longue trêve avec Mehemet Hodabendej 6c le petit-fils du
Sophi avoit été mis comme en otage entre les mains d'A-
murath 3 mais Hodabende étant mort peu de tems après
dans une extrême vieilleire, Emir-Chan fon fécond filsétoic
monté fur le Trône j car l'aîné avoit été tué par la trahi-
fon la plus noire , de l'on n'avoît pas voulu contîer les rênes
du Gouvernement à fon fils qui étoit trop jeune. Emir-Chan
jeune Prince d'un naturel féroce, de qui avoit autant de
témérité que peu d'expérience , fcachant que les Turcs
avoient fait pafler toutes leurs forces d'Afic en Europe ,
leva une armée 6c fe mit en campagne. Pour commencer la
guerre fous quelque prétexte , il n'attaqua pas direcT:emenc
les Turcs 3 mais il tourna fès armes contre Ufbcg. Ce der-
nier poflèdoit de grandes Provinces fur les bords de la mer
Cafpicnne 3 & à la ioliiciration des Turcs il avoit envahi
dans 11 dernière guerre le Royaume de Chorafan dépendant
de celui de Perie,
Ufbeg attaqué par Emir-Chan demanda du fecours aux
Cachas des places voilines: ceux-ci lui répondirent qu'il
Tome XI* Pp
l^S HISTOIRE
I — dévoie s'adreiTer au Grand-Seigneur. Le Sulran Amuratîi,
Henri qui fe prëparoît à la guerre de Hongrie, écrivit à Ufbeg,
IV. que la Porte en avoir afîez fait, en diminuant les forces
1 5 9 I • 6c la puiflance de l'ennemi commun : Qu'il pouvoir aifémenc
foûcenir cette guerre par lui-même , & qu'il ne devoir atten-
dre aucun iecours des Turcs contre la Perle que l'Empire
Ottoman avoit lubjuguée.
Ufbeg réduit à ces fâclieufes extrémités, prefTé par un
ennemi puiflant, & abandonné par fon fidèle allie, fe déter-
mina à faire la paix. Il époufa la fœur d'Emir-Chan ,& ren-
dit aux Perfans les Provinces qu'il avoit ufurpées lur eux.
Il leur montra la lettre qu'Amurath lui avoit écrite , dans
laquelle ce Sultan difoit que les Perfans avoient été vaincus
& îubjugués par les Turcs.
Emir-Cban tranfporté de colère trouva bientôt un pré-
texte pour déclarer la guerre aux Turcs. Il prétendit
qu'Imaculy-Chan , qui avoit fait avec Ferhat Bâcha ce
traité de paix , ou la trêve dont nous avons déjà parlé ,
s'étoit lailîé corrompre ou intimider par le MiniftreTurc,
ôc avoit pafTé (qs pouvoirs : Qi-i'à la vérité Hodabende
avoit eu intention de céder aux Turcs Genge, Cars, Tau-
ris, & Shirvan, où ils pourroient mettre desgarnifons aufîî
nombreufes qu'ils le jugeroient à propos j mais que (^'avoic
été à condition que le territoire 6c la jurîfdiclion de ces
villes , 6c fur-tout les domaines de Tauris, 6c de Shirvan
refteroient à la Perfe : Que par l'infidélité ou la foibleflè
d'Imaculy-Chan cette claufe avoit été omifè.
Ce Miniftre fit de vains efForts pour le juflifîer 3 il allé-
gua que Ferhat avoit employé les menaces &c la violence
pour extorquer fon confentement j mais Emir-Chan ne le
voulut point écouter , àc lui fît trancher la tête. Le frère
d'Imaculy-Chan, qui dans le defTein de venger fa more
avoit voulu faire un parri, fur brûlé vif, pour prévenir les
confpirarions par la crainre d'un fupplice fi cruel : quelques
autres Seigneurs furenr aufîî punis de mort.
Emir-Chan avoir dans fon armée foixante &C dix mille
chevaux. Animé par ces premiers fuccès, appuyé des for-
ces d'Ufbeg, il fit fommer Gîafer Bâcha de Tauris de
rendre les quatre villes comprifes dans le traité fait avec
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 299
Ferhatj & joignit à cette fommacion les plus iiéres mena- "
ces, s'il ne les rendoit au plutôt. Giarer répondit cju'il n'a- Henri
voit point ordre de rendre ces villes : Qu'il écriroit au I V.
plutôt à la Porte, de qu'il exécuteroit ce que fon maître 1591,
lui ordonneroit.
Cette nouvelle arriva à Conftantînople fur la fin de
Mai. Amurath en fut troublé , &: écrivit fur le champ à
Giafer èc à Cigala Bâcha de Bagdat , & leur ordonna de
s'enfermer dans leurs places , ôc d'y faire entrer des vivresj
leur promettant qu'ils fcroient promptement fccourus. En
même tems il fit équipper à la hâte dans les ports de Si-
Jiabe(i) 6c de Trebizonde fur la mer noire une grande
flote, deftinée d'abord pour l'Europe, & qui étoit com-
pofée de trois cens galères , de dix-huit Brigantins , & de
trois cens autres bâtimcns de différente ftructure. Elle de-
voit mettre à la voile fur les premiers ordres du Sultan,
attaquer Malte, &: croilerfur les côtes de la Fouille 6c de
la Calabre dès que la guerre contre les Perfans féroit ter-
minée j ou s'il en étoit befoin , tranfporter des troupes en
Perfé.
Amurath chargea de ce foin Sînan Grand-Vifir, qui prefl
foit la guerre de Hongrie^ AfEan Beglerbey de Grèce, qui
par fa connoifîance dans l'Aflrologie judiciaire , fur laquelle
les Turcs comptent beaucoup , avoit gagné les bonnes grâ-
ces d'Amurath • 6c Afïàn Renégat Vénitien Bâcha de la
mer, qui avoit été Aga des Janiiîliires, ^ qui changeant
de Religion étoit devenu le plus ardent ennemi de fa Pa-
trie , comme le font ordinairement tous les Renégats. Ce-
pendant cette année fut funefte à tous les trois. L'Aflrolo-
gue Afiàn donnoit de vaines terreurs à Amurath j èc pour
difpofer entièrement de fon efprit, il retenoit le timide Sul-
tan dans fon ferail , par la. crainte d'être aflafliné s'il en
fortoit. Enfin Amurath fuivit de meilleurs confeils , ôc trouva
qu'il y avoit autant de honte que de danger à croire cet
împolleur. Adan fut dépouillé de ics charges , ôc relé-
gué dans une petite maifon de campagne ( 2 } proche de
(0 Les Turcs rappellent Sinopi ; I (z) Campana nomme ce lieu Chior-
d autres binope. ' durquc.
Ppij
300 HISTOIRE
? Sanloiqiie(i). Amurath détrompé parut enfuite en public fur
Henri fon balcon j y reçut les plaintes , èc écouta les demandes de
I V. {es fujets j corrigea plulicurs abus qui s'étoient glillés dans
I roi. ^^ Gouvernement js'appliqua aux affaires, êc fut plusattentif
à veiller fur la conduite que tenoientfes Miniftres.
Le Vénitien Allan , fécondé par les Juifs aufquels on
afferme les impôts qui fe lèvent dans l'Empire Ottoman ,
fe plaîgnoit tous les jours à l'avare Sultan , que les couriès des
Colàques diminuoient les péages 6c les droits impolés iur
les marchandifes. Ce Bâcha étoit entièrement occupé d
l'armement de la grande flote dont nous venons déparier,
iorfque peu de tems après la difgrace de l'Aftrologue Allàn , il
mourut fubitement au commencement de Juillet des reftes
d'une maladie honteufe. Il avoit époufé la Reine de Fez,
& avoit plufieurs enfans de cette Princeilè,6c de plufieurs
autres Elclaves j mais ils ne recueillirent riendelaiucceflion
de leur père 5 ôc les richelfes immenfes que ce Renégat avoic
amalTées par toutes fortes de moyens, furent portées au tréfor.
Sinan naturellement fier , & que les Services qu'il avoit
rendus rendoient encore plus préfomptueux , fe plaignit
trop ouvertement du mauvais traitement qu'on failoitaux
enfans d'AlFan. Qiioique la liberté de fes difcours lui eût
été funefte, & que fon indifcrétion lui eût dcjx fait per-
dre une fois fa charge , un jour néanmoins s'entretenant
avecFerhat Bâcha qui occupoit après lui la première place
dans l'Empire , il ne put s'empêcher de déplorer la mal-
heureufe condition de tant de braves gens , qui après avoir
facrifié leurs vies pour des Maîtres injuftes ëc peu recon-
noifTans, ne pouvoient efpérer aucune récompenfe de leurs
fer vices , Ôc laiflbient leurs enfans réduits à la dernière né-
ceiîîtè.
Ferhat , qui étoit le rival fecret de Sinan , èc qui ne laif-
foit pafler aucune occafion de diminuer le crédit de ce
Grand Vifir , rapporta ce difcours à Amurath , qui en fut
il irrité qu'il relégua Sinan à Marmara , maifon de plai-^
fance qui lui appartenoit , à quarante milles de Conftanti-
nople. Le dénonciateur eut pour récompenfe la première
( I ) C'eft l'ancienne Theflaîonique , | ou Selenic.
maincencinc Salonique , ou Salonichi ,.
DE J. A. DE THOU,Liv. C. 501
dignité de l'Empire. En même.tems Cigala , qui avoit été ' i^»
rappelle du Carahemid , fut pourvu de la charge d'Amiral H e k R i
à la place du Renégat Ailàn. j y^
Pour foûrenir les frais de la guerre qui venoit de fe rallu-
mer entre l'Empire Ottoman &:la Perfe, ou pour attaquer ^'
l'Europe , comme le vouloient tous les Bâchas , Amuratli
établie de nouveaux impôts , & exigea de grandes contri-
butions des petits Princes qui lui étoient foûmis. D'ailleurs
comme le corps des Janiflaires , d'abord fixé à douze mille
hommes avoit été augmenté jufqu'à vingt-deux mille , il
falloit faire de nouveaux fonds pour les payer. Ainll le SuL
tan déclara qu'il vouloir être l'unique héritier de tous les
Bâchas êc de tous ceux qui laifleroient une riche fucceffionj
ôc il ordonna que quoiqu'ils eullènt des enfans , tous leurs
biens après leur mort lui appartiendroient à leur excIuHon.
Pierre BogdanVaivode de Moldavie fur le rivage de la mer
noire,fut taxé à cinquante mille Sultaninsparan. LeDefpote
de V^alachie fut contraint de fournir une pareille fomme 5
èc l'on exigea le double du prince de Tranlîîlvanie , outre
un grand nombre de toiles pour faire des voiles de na-
vires.
Ces mouvemens excités au dedans de au dehors de l'Empire,,
empêchèrent que l'armée navale ne fît voile cette année ,
oc fufpendirent la guerre commencée en Hongrie ,6c contre
la Pologne. Cependant Bogdan Yaivode de Moldavie , qui
avoit tâché d'abord de fe rendre médiateur entre la Porte
ëc la Pologne, fut fî effrayé des préparatifs des Turcs , que
defefpérant de tout, ôc craignant le même fort que le
Vaivode de >^alachie , qui pour fauver fes jours avoit été
contraint d'abandonner la Religion Chrétienne, il s'enfuie
en Allemagne avec ce qu'il avoit de plus précieux.
La République de Venife, &: l'ambaiîadeur d'Angleterre
firent tous leurs efforts pour ménager un accommodement ,
ôc Barthélémy Brutti de Dulcigno interprète de la Répu-
blique offrit cent fbixante mafTes de peaux Zibelines , pour
le dédommagement des pertes occaîîonnées par les rava-
ges des Cofaques. Les Polonois ayant appris que toutes ces
précieufes fourures dévoient être fournies en un feul paye-
ment 5 ne voulurent point y confencir , ôcla négociation fus
P p iij
•4
30Z HISTOIRE
rompue pour quelque cems j mais fur la nouvelle de la guerre
H £ N B. 1 de pLMle, les Turcs rabattirent de leurs prétentions ^ &: par
I V. la médiation de Tambailadeur d'Angleterre ils conlentirenc
1591. enfin a un accommodement railonnable.
L'armée Ottomane qui devoitagir en Pologne,entra fur
les frontières des pais de la Maifon d'Autriche. En effet ,
le Bâcha de Bolnie ayant palFé la Save commença à faire
des courfes dans la Croatie , la Stirie , &; la Carniole. Mais
lorfqu'il s'avançoit vers Canife, Nicolas Palfî, 6c François
Nadafty allèrent à fà rencontre : on combattit plufieurs fois
avec un avantage égal de part &c d'autre.
AiTemblcc L^ p^jx étant conclue entre la Porte èc la Pologne , les
Pologne." Polonois donnèrent audience en plein Sénat aux ambaiîa-
deurs Tartares. Ces barbares en entrant fléchirent le ge-
nouil droit , s'appuyants fur leur main droite j ils firent la
même chofe en baifant le bout du manteau de fa Majefté
Polonoife , & fe mirent enfuite à genoux pour expofer le
fujet de leur AmbalTade. Ils firent de grandes plaintes des
courfes & des cruels ravages que les Cofàques avoient faits
dans la Crimée ( i ) pendant le tems des foires , tuants ou
emmenants en captivité ceux qui tomboienc entre leurs
mains ; ils demandèrent qu'on les dédommageât des pertes
qu'ils avoient foufFertes ^ qu'on leur payât la folde qui leur
étoit due pour les années précédentes ^ 6c qu'on leur don-
nât des faufconduits pour s'en retourner chez-eux.
On leur répondit qu'il n'étoit pas jufle que les Polonois
payaiTent les dommages faits par les Cofàques , tandis que
les Tartares eux-mêmes avoient fi fouvent fait des courfes
fur les frontières de Pologne. On refufa de leur payer les
arrérages qu'ils demandoient : on promit feulement tous
\qs ans vingt mille ducats d'Hongrie. Enfin on leur accorda
des faufconduits , 6c on leur fit préfent de peaux de Mou-
ton , qui chez-eux font fort eftimées 5 après quoi ils furent
congédiés.
Les Polonois délibérèrent enfuite fur l'état préfent de
leur République , 6c firent plufieurs décrets fur les revenus
du Roi, fur les impôts , 6c fur le payement des troupes. Ils
réglèrent les préfens qu'on devoit faire à Amurath , aux
(i) L'ancienne Cherfonnefe Taurique,
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 303
Bâchas , &c aux Tartares ^ enfin ils taxèrent les Juifs à un ' "'
ecu d'or de Pologne par tête. Henri
A la prière de la Noblelïe Polonoife , Chriftophle Zbo- IV.
row ski frère de Samuel qui avoit foufFert le dernier fup- 1591,
plice , fut renvoyé abfous du crime de trahifon , de déchar-
gé de l'infamie & de la peine qu'il avoit encourue 5 mais
à condition qu'il s'abfenteroit de Pologne pendant vingt ans,
& qu'il ne feroit doréfnavant aucune entreprife contre
l'Etat.
On rappella les Bannis qui avoient donné leurs fuiFrages
à Maximilien d'Autriche , & ils promirent d'être dans la
fuite fidèles au Roi.
André évêque deWratiflaw , que l'empereur Rodolphe
avoit envoyé en Pologne avec un magnifique cortège de
Gentilshommes & de Seigneurs , demanda au nom de S. M.
Impériale, ôc de l'archiduc Erneft , qu'un des articles de l'or-
donnance faite l'année précédente dans l'afîemblée des Etats
fut révoqué & annulé comme injurieux à la maifon d'Au-
triche. Cet article faifoit défenfes à toutes perfonnes de don-
ner fon fuffrage à aucun Prince de cette maifon , à peine
contre les contrevenans d'être déclarés infâmes par le feul
fait. Le Prélat promit que fi les Polonois fatisfaifoient en
cela S. M. Imp. Maximilien feroit volontiers le ferment dont
on étoit convenu 5 ôc que l'Empereur èchs Archiducs per-
niettroienr qu'on fît des levées , 6c qu'on achetât ûqs vivres
fur les terres de leur obéïflance , en cas que la Pologne fiic
attaquée par les Turcs.
Quoiqu'on eût remis a un autre tems de faire une ample
réponfe à l'Ambafiadeurj cependant Sigifmond lui répliqua
fur le champ en préfence de tous les Seigneurs , qu'il étoit
informé par les intelligences qu'il avoit à la Porte, & par
le rapport de plufieurs AmbafTadeurs des princes Chrétiens,
que le Turc toujours attentif aux occafions dans lefquelles
il lui eft avantageux de prendre les armes , ne trouvoit point
de cîrconftance plus heureufe pour attaquer la Pologne, que
lorlque la divifion régnoicdans ce Royaume , ou que cet
Etat n'avoit pas de paix certaine avec l'Allemagne & la
Mofcovie j & que d'ailleurs les richcfTes du pays où les
troupes étrangères pouvoient fubfifler Ion g- tems ^excitoient
304 HISTOIRE
~ encore l'avidité de ce puiflant ennemi.
Henri L'alîemblée des Etats étant finie, on traita cette affaire
I y. avec plus d'attention , èc l'on répondit à Tévêque deWra-
j tiflav que les Polonoîs n'avoient drefTé cet article qui re-
gardoit la maifon d'Autriche , que dans la crainte d'un plus
grand mal : Qiie fi Philippe roi d'Efpagne, & l'Archiduc
Maximilien vouloient faire le ferment dont ou étoit conve-
nu, ôc obfervoient les traités , les Polonois de leur côté or-
donneroient fur cet article ce qui leur paroîtroit le plus jufte
&c le plus convenable à l'état préfent ,de leur République :
Qiî'au refle , Ci les Princes de la maifon d'Autriche aban-
donnoient la caufe de Maximilien , l'effet de cet article ne
tomberoit que fur cet Archiduc ^ mais que s'ils embrafloienc
fa defenfe , cette difpofition enveloperoit toute la mailbn
d'Autriche.
L'Ambaffideur qui ne s'attendoit pas à une rcponfe fî
dure,fut eniuite congédié. Mais pour réunir dans des cir-
conffcances fi fâcheuiès les deux Nations dont les efprits
ëtoient également aigris, il confeilla à l'Empereur de finir
toutes ces conteftations par quelque mariage. L'on convint
donc queSigilmond épouleroitAnne fille de l'archiducCharle
qui étoit mort l'année précédente , ôc on fixa le jour des
noces au dix de Novembre > mais les nouveaux mouvemens
que firent les Turcs retardèrent cette cérémonie jufqu'à
l'année fuivante.
L'ambalTadeur d'Angleterre fut reçu avec de grands hon-
neurs dans cette affemblée des Etats de Pologne ^ on le re-
mercia des foins qu'il avoit pris pour ménager un accom-
modement avec les Turcs j & à la prière de ce Miniflre ,
on permit aux négocians Anglois de demeurer encore quel-
que tems à Elbing en Pruffe.
Dans la même affemblée, on donna audience aux dé-
putés des Etats de Prufîé. Ils fe plaignirent qu'on attaquoit
leurs privilèges 6<: leurs libertés : Qu'on donnoit des Gou-
vernemens à des Etrangers : Qii'on avoit établi un nouveau
péage à Weilîènbourg fur le Nogat : Qu'au préjudice de la
permilfion accordée par les Rois Sigifmond , Augufle &:
Etienne, on empêchoit le tranfport du fcl : Qiie les mar-
chands Pruifiens qui négocioient en Pologne écoient accablés
d'éxadions
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 's^y
^'éxa^lîons : Qu'on apporcoic en Prufle de l'argent des -' '"'.■"l!*.'J!ri.
Pays-bas èc de toutes lortes de Pays , & qu'on frappoit en Henri
Pologne,^: dans les provinces de fa dëpendance,de nouvelles I V.
monnoies beaucoup plus légères que les anciennes 3 ce qui x 591,
leur étoit plus préjudiciable , que 11 on les attaquoît à force
ouverte.
Pour éluder de fî juftes demandes , les Polonoîs en re-
mirent l'examen de jour à autre j & arrêtèrent enfin qu'on
traiteroit de cette affaire , dans le camp (i) qui fe tiendroic
à Warfovie. Cependant elle fut accommodée à Grodno ^ de
l'on convint que les Pruiîîens payeroient encore pendant
deux ans les tributs 6c impofitions 3 & que le péage établi
â WeifTenbourg feroit fupprimé pour toujours, fans néan-
moins qu'on pût dire que les Etats de Prufle l'euflènt ra-
cheté.
Les écoliers de l'Unîverfité de Cracovie , animés com-:
me on le crut alors par les Jéfuites , excitèrent dans cette
ville une fédicion meurtrière. Le jour même de l'Afcenfîon
une troupe de ces jeunes gens environnèrent la maifon , oijt
les Proteftans s'ètoient aflemblés pour entendre le fer-
mon , & pour réciter leurs prières. Des Gardes accou-
rurent inutilement pour empêcher la violence^ on força cette
maifon , & la plupart furent tués ou dangereufement blefles.
La populace fe joignit aux féditieux j ils mirent le feu à la
maiibn , &: la détruifirent entièrement.
Cette action irrita les Evangéliques,( c'efl le nom que por-
tent en Pologne les Protefbans ) ils fe rappellèrent le maC
facre de la Saint Barthélémy 3 & croyants que cette première
violence n'étoit qu'un coup d'eflai , pour éprouver leur pa-
tience de tenter fî on ne pourroit pas aller plus loin , ils s'af-
femblèrent en tumulte à Czcrmielsko. Le rèiultat fut d'en-
voyer des députés au Roi, pour lui reprefcnter qu'ils ne
s'ètoient aflembJès fans fa permilFion , que parce qu'ils y
avoient été contraints par une néceffité indifpenfable , éc
après un attentat qui bleflbit également la Majeftè Royale
èc la fureté publique ; ils déclarèrent encore au Roi qu'ils
avoient rèfolu de s'afTembler en plus grand nombre à Ra-
dom , 6c que la noblefle de Lithuanie s'y rendroit auffi ; il$
j^a) Ou les jugemens fe rendent par la NoblelTe à cheval.
loG HISTOIRE
le prièrent enfin d'accorder aux Evangeliques un Heu dans
Henri Cracovie , où ils puflent faire les exercices de leur Religion^
IV. & d'indiquer au plutôt une affemblee des Etats pour réta^
j rg I. blir la paix au fujet de la Religion.
Sigifmond n'ecoutaqu'avec peine le difcours à^s Députés,^
&: leur fit une févére reprimende de ce qu'ils avoient ofé
s'afTembler de leur autorité privée , quoiqu'il eût promis aux
députés des Palatinats de Sandomir ôc de Cracovie, d'em-
ployer tous les moyens poffibles pour entretenir la paix , 6S
de faire informer contre les auteurs de la fédition pour les
punir de leur crime , dès qu'il en auroit des preuves fuffi-.
làntes. Il ajouta cependant que comme il avoit promis à fon
facre de laififer à chacun la libre profeffion de là Religion ^
il leur permettoit de rétablir les maifons qu'on avoit abat-;
tues , &; de s'y alTembler.
La Pologne attentive à un événement qui pouvoît avoir
des fuites fi dangereufes , fut encore troublée par les nou-
velles fâcheufes qu'on re^ut de Livonie. Le roi de Suéde
pour fe venger des injures qu'il avoit reçues l'année der-
niére^faifoit la guerre aux Mofcovites , mais avec peu de
fuccès. Il avoit gagné les Tartares par de grands prefens ,
& cette nation vénale étoit dans fes intérêts. Il avoit en-
core levé en Suéde &. en Allemagne une grande armée y
dont Nicolas Fleming avoit le commandement. Tandis que
ce Général affiécreoit Wibourg , les chevaliers de Livonie
fçachants quelesMofcovitess'étoient réunis pourréfifter aux
Tartares , firent au mois d'Août une irruption dans le ter-
ritoire de Pleskow. Ils rencontrèrent les troupes Mofcovites
en tuèrent un petit nombre , &: firent quelques prifonniers^
mais ils perdirent entre autres Blaife Hogrew brave hom-
me , dont le père avoit été tué par les Mofcovites au com-
mencement de la guerre de Livonie.
D'un autre côté les Tartares entrèrent dans la Ruffie
înèridionale,&: pénétrèrent jufqu'àMofcou.Ils foutinrent le
combat pendant plufieurs jours , & quoique rompus, ils fe
rallièrent : mais il fallut fuccomber j éc deux de leurs Chefs
ayant été fait prifonniers , le refte de l'armée fe diffipa.
La pefte furvint , foit qu'elle fût une fuite funefte de la
guerre , foit qu'elle fût caulée par l'intempérie de Tair, La
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 307
contagion emporta cinq mille hommes dans la feule ville ' ' "
de Revel , èc fie des ravages afFreux pendant tout l'hyver , Henri
^ la plus grande partie de l'Eté. I V.
Les villes Anfcatiques aiîbciées pour le commerce mari- j ^^j^
time firent cette année une aflemblée â Lubek , où fe trou-
vèrent les députés de Koftock, de Dantzick, de Bremen,
ôc de Hambourg : ils y traitèrent de leurs droits & privi-
lèges, âufquels ils fe plaignoient que la reine d'Angleterre
derogeoit tous les jours: ils lui écrivirent donc, mais avec
trop de vivacité 6c de chaleur. Elifabeth méprifa les empor-
temens de ces négocians grofliers ^ de quoiqu'elle leur fît
fentir qu'elle fe moquoit de leurs menaces , elle voulut bien
néanmoins attribuer les termes peu refpedueux de leur let-
tre à l'imprudence de leur Secrétaire. Ils envoyèrent aufli
des députés à l'Empereur pour le fupplier de leur accor-
der fa médiation, afin d'obtenir du roi d'Efpagne la liberté
du commerce.
Les Pays- bas Se la France étoient encore dans une plus Affaires des
trifte fituation. Au commencement de l'année le duc de ^^y^-bas.
Parme étant de retour à Bruxelles , convoqua \qs Etats
Généraux au fi.ijetde la guerre des Pays-bas, & de celle de
France, ôc pour obtenir les lommes d'argent qui lui étoienc
nécelEaires. Les Flamans offrirent cinq mille florins, pourvu
que la guerre ne fe fit pas dans leur pays -, &c comme au
grand préjudice de la province , prefque toutes les terres
reftoient en friche , & étoient abandonnées par les proprié-
taires , on fit un édit par lequel il étoit permis à toutes per-
fonnes de fe mettre en pofleffion des terres incultes , & de
les cultiver à leur profit , fans obligation de payer aucun
prix de ferme, jufqu'à ce que les propriétaires y miflènt des
Laboureurs pour les cultiver.
Pendant qu'on déiibéroit à Bruxelles , Edouard Norris
gouverneur d'Oftende furprit pendant la nuit le village de
Blanckenberghe &c le Fort qu'on y avoit bâti. Les foldats
de la garnifon fe retirèrent fur les Dunes , & ne répondirent
qu'à coups de moufquets au Trompette qui les fomma de
fe rendre. Mais étant preflés de plus près , & manquants de
.poudre, ils furent forcés dans leurs polies 3 on en tua plus
de cent , ôc il n'y eut qu'un petit nombre qui fe fauva. Le
3(5S HISTOIRE
Fort fut rafé • on rompit les cclufes -, ^ les vainqueurs em-
Henri portèrent avec eux trois pièces de canon. Après que les An^
I V. glois fe furent retirés , les Efpagnols rebâtirent ce fort. Le
I 59 I. capitaine Litelton forma auffi une entreprife fur TEclufe , èc
enfuite fur Hulft , mais fans aucun fuccès. Le jour de la
prife de Blanckenberghe , un parti des troupes des Etats
Généraux tenta inutilement de furprendre Carpen proche
de Cologne. Il fit quelques prifonniers qu'on fut obligé de
relâcher à Tarrivèe des troupes qui fortirent de Nuys ôcde
Meurs.
Le comte d'Eberftein de François Veer , qui agilToient au
nom de Gebbard Truchfes, ayant attaqué inutilement Stra-
Jen en Gueldre, s'emparèrent du château de Kalleborg près
d'Ordingen dans le territoire de Cologne. Les paylans y
accoururent auffitôt, comme pour éteindre un incendie qu'ils
avoient tous à craindre. La garnifon refulâ de capituler ,
étant honteux à des foldats d'être vaincus par des payfansj
mais elle fe rendit à l'arrivée de quelques troupes qui fe
joignirent aux afliègeans. Milendonck rentra dans Kalle-
borg , & l'on fit pendre à une des portes Jean Gulich , qui
avoit été chef de l'entrcprife formée fur cette place.
Dans le même tems , Odet de la Noue de Teiigny for-
tit enfin de la citadelle de Tournay , où il ètoit en prifbn
depuis fept ans. 11 avoit été pris en allant de Lillo à An-
vers. On l'échangea pour quelques Efpagnols qui dans la
défaite de leur flore étoient tombés entre les mains des
Hollandois , êc qui étoient enfermés dans le château de
Rammekens en Zèlarde. Teiigny dut fa liberté à la bonté
delà reipe d'Angleterre, 6c aux prefTantes foliicitations d'Ho-
race Palavicin qui vouloit époufer la fœur de ce Seigneur.
D'un autre côté quelques traîtres allèrent trouver fecréte-
ment le duc de Parme , 8c lui propoférent de furprendre
Breda en Brabant, Se Lodiem en Gueldre j mais l'entreprife
ayant été découverte , les auteurs de ce complot furent pu-
nis du dernier fupplice. Le deux d'Avril la garnifon de Breda
s'empara du château de Tournhout par le hardi ftratagêms
d'un Brafîèur. Tandis qu'un chariot ètoit arrêté fur leponr-
levis , de crainte qu'on ne baifsât la herfe , il précipita dans
l'eaii i'uA des fentinelles , ac tua raut;-e. Après cette aclioa
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 305)
les foldats qui écoienc embLifquës dans les ruines d'une mai-
fon voifine parurent auflitôt èc encrèrent dans la place. Les H e n r. i
mêmes foldats furprirent encore >^efl:erloo pendant l'ab- I V.
fence du jeune Merode qui étoic allé à la chafle. Cette 155^1.
place obfervoic la neutralité 5 mais elle étoit dans une fi-
tuation trop avancageufe pour exiger des contributions ^ &
les Etats avoient intérêt qu'elle ne tombâtpasenlapuiilance
des ennemis.
Jufqu'ici tout s'étoic palTé en embufcades , en furprifes ,
&en efcarmouches. Enfin Maurice i la tête d'une floriiTante
armée marcha du côté de Breda , comme s'il eût voulu at-
taquer Bofleduc ou Gertruydenberg, Il fe mit enfuite fur
la Meufe avec une flote de cent vaillcaux de différente gran-
deur -j de tirant vers le Rhin, il remonta le flcîuve pour al-
ler à Arnheim : baiiTant fur la gauche, il entra dansi'Yïïel,
& fe fervant d'un vent de Nord qu'il avoic en poupe, il ar-
riva à l'improvifte à la vûë de Zutfen. Quinze foldats de
la garnifon de Doëfbourg , fous la conduite du chevalier
Veer fe déguiférenc en payfans, & marchèrent vers un fort
litué vers les bords de l'YiTel vis-à-vis Zutfen. Appuyés fur
leurs bâtons ils étoient chargés d'œufs, de beurre de de froma-
ges, comme pour porter ces denrées au marché. Dès que la
porte fut ouverte ils entrèrent dans la place , at-raquèrenc
le corps-de-garde, firent prilonniers le peu de foldats qui fe
trouvèrent dans ce pofle , & s'emparèrent de la place fans
verfer de fàng. Ceci fe pafïa leving-un de Juin.
Six jours après , le comte Maurice ayant appris ce premier ^j^,^^ ^^
fuccès s'avança vers Zutfen avec toute ion armée. 11 ût ve- prifedcZut-
nir du canon de Doëfbourp; ; &: ayant ietté un pont de ba- ^'^" ^^'^ J^
taux lur le rieuve , on commença le iiege. Le comte d h- nce.
berftein en vifîtant un pofbe avec peu de précaution , fut tué
d'un coup de moufquet ^ la garnifon de la place ayant fait
en même tems une fortie , ce ne fut qu'avec peine qu'on
enleva fon corps. La tranchée fut bientôt ouverte ^ on drelîa
des batteries avec la même diligence , &: les afîiègès trop
foibles pour fe défendre ne pouvants efpérer que des fe-
fecours éloignés , & manquants d'ailleurs de vivres 6c de
poudre, battirent de bonne heure la chamade. Ils obtinrent
la vie fauve 3 6c on leur permit de forcir avec leurs èpèes ^
yçntei'.
310 HISTOIRE
èc tout ce qu'ils pourroienc emporter fur leurs épaules;
Maurice maître de Zutfen envoya devant lui fon armée
à Deventer , qui n'en eft éloigné que de deux lieues. Il fe
1 501. rendit enfuite au camp qui étoit fur les deux bords du fleuve,
sic<re & ^ dont les quartiers étoient joints par deux ponts de com-
prifeiieDc- municâtion , fur lefquels on pouvoit palier en fureté. Le ^,
^Q j^.^^ ^ .^^^ ^^ ^^ Pentecôte , dix-huit pièces de gros canon
commencèrent à foudroyer deux pans de murailles entre
lefquels étoit une porte de la ville. Peu de tems après on
envoya un Trompette pour fommer les affiégés de fe rendre.
Herman comte de Bergh Gouverneur de la place répondit
au Trompette , qu'il le chargeoit de fàluer de là part Maurice
Ion parent , de de lui dire que tant qu'il lui refteroit quelque
force , il conlèrveroit le pode que fon Roi lui avoir confié.
Ainli le feu des batteries recommença de nouveau avec tant
de violence , qu'on tira plus de quatre mille coups de canon
en un feul jour. A la faveur de ces terribles décharges , on
fit avancer quelques vaifleaux jufqu'à l'entrée du porc, ôC
i'on drelTa deilus un pont pour monter à l'aflaut.
Les Anglois furent chargés de la première attaque , com-
me ils l'avoient demandé. Les Ecofîois eurent lelecondpo-
fte 3 le comte de Solms , Floris de Brederode de Cloetinghe ,
5c un corps de troupes d'élite dévoient les foûtenir j mais
le pont fe trouvant trop court , 6c ne pouvant atteindre a
l'autre quay , l'entrepriië fut fans luccès. Il y eut feulement
quelques Anglois , qui emportés par l'ardeur de leur cou-
rage fe jettérent dans l'eau , & gagnèrent la brèche à la
nage : ils montèrent delfus , êc l'un d'eux y arbora un dra-
peau qu'il tenoit à la main.
Les affiégés parurent difpofés à foûtenir le plus violent af-
faut , quoique le feu des batteries les incommodât extrê-
mement. Le comte de Bergh recrut une bleflîire dangereulë
d'un éclat de pierre. Du côté de Maurice, Nicolas Mect-
kercke Officier plein de valeur, fut blelTé à mort. Cepen-
dant les foldats de la garnifon ayant palTè le relie du jour
&; toute la nuit à panier les blelfés , &; à boucher les brè-
ches , fe trouvèrent le matin fi fatigués , que craignant
d'être forcés s'ils actendoient plus longtems , ils battirent
la cham.ade du confentemenc de leur Gouverneur, Us
DE J. A. DE THOU, Li V. C. 311
fortîrent de la place avec armes & bagages. L'armée march?^ .. '
enfuite du côté de Scenwick , &; le 2. de Juillet emporta Henr s
fans combattre le fore de Delfziei dans le territoire de Gro- IV.
niiîgue. i^^r,
La garnifon du fort d'^Opiîach voulut d'abord réfîfter,
& fouffrit le feu de l'artillerie. Mais à la vue de la brèche
ces foldats manquèrent de cœur , èc trop heureux de con-
ferver leurs vies ils fortirent du fort fans armes ni bagages*
Les Forts d'Immentilôc de Dam aux environs de Groningue
eurent peu après le même fort.
Cependant le duc de Parme s'ètoit mis en marche pour
aller au fecours de Deventer. Il prit fa route par le duché
de Cleves , ôc pafTa le Rhin au-deflbus de >^efeh Mais
ayant appris que la place avoit capitulé , il retourna en Bra-
bant. Les habitans de Nimégue fe plaignoient des courfes
& des ravages que faiioit dans leur territoire la garnifon du
fort de Knodfenbourg , que les Etats Généraux avoient fait
bâtir dans le pais de Betuve , vis-à-vis de Nimegue , de
l'autre côté du fleuve, Ainli le duc de Parme marcha de ce
côté - là avec (es troupes , ôc y trouva fon fils Ranucci qui
venoit d'Italie.
On forma le fîège de Knotfenbourg le 13. de Juillet, Se sieVede
l'on afîigna aux différents Chefs leurs quartiers. Charle de Knocfen-
Mansfeld ètoit avec fon régiment vers le Couchant , & Far-
néfe de Barlaymontà l'Orient, Le comte de Boflli, Beau^
rain , & les autres Colonels étoient placés aux environs. La
cavalerie occupoit le village de Lent au Septentrion. Va_
lentin de Pardieu de la Mothe , Grand-Maître de l'artille-
rie , pouffa la tranchée avec beaucoup de diligence. Les
Efpagnols perdirent un grand nombre de braves gens , en-
tr 'autres, Frideric Caraffe Napolitain , Achille Trilîino de
Vicenfe , oC Octavio Mansfeld officier d'un o-rand courage ^
qui re^ut un coup mortel fans qu'on pût fçavoir d'où il étoîc
parti. Le 22. de Juillet on dreffa deux batteries, l'une de
îîx pièces de canon , &: l'autre de trois. Quoique la brèche
ne fût pas conlldérable , les Irlandois èc quelques Efpagnols
montèrent à l'affaut ^ mais ils furent repoufTés.
Sur la nouvelle de ce fiégc , Maurice fit paffer le Rhin à
fes troupes fur un pont conftruit à la hâte. Ayant envoyé
bour
5 r î HISTOIRE
■ devant le comte de Solms , & le chevalier Veer colonel des
H E N M Anglois , il drelTa une embufcade dans un lieu qu'il crue
■'' ^' avantageux. Quatre cens chevaux des ennemis y tombèrent
î 55?!. 6c furent prefque tous taillés en pièces à la vûë du duc de
Parme , qui regardoit Tadion du haut d'une Dune. Pierre
François Nicelli qui les commandoit , Alfonfe d'Avalos
frère bâtard du marquis du Guaft, Antoine de Sinigaglia,
le comte Decio Manfredi Lieutenant de Jérôme CarafFe ,
Jacque Amatucci , de Antoine Padilla, qui peu de tcms après
mourut à Arnheim de les bleiïures , furent faits prifonniers.
' Le duc de Parme cherchoit à venger cet affront , lorfque
Charie de Coflë comte de BrilTac arriva pour le prier de la
part du duc de Mayenne , de venir au plutôt fecourir les Li-
gueurs. Dans le même tems Philippe lui ordonna de quitter
tout pour entrer en France avec fon armée, & pour y foû-
tenir la Ligue que les armes du R,oi avoient prefque ac-
cablée.
Le Duc fut donc obligé de lever le fiége j il fortifia Ni-
mégue autant que les circonftances préientes le permet-
toient , êc en donna le gouvernement à G limes. Il char-
gea François Verdugo de fuivre toujours le prince d'O-
range , ôc de le tenir en échec par de fréquentes efcarmou*
ches , pour l'empêcher de rien entreprendre. Pour lui , com^
me il le trouvoit déjà fort indilpofé , il alla par l'avis des
Médecins prendre les eaux de Spa.
Maurice fçut profiter de cette occafion. Il fît d'abord une
faulîe marche du côté du Rhin 3 mais tournant tout-à-coup
fur la droite , il entra dans le pais de Waës en Flandre ,
èc mit le fiége devant Hulfl à quatre lieues de Rupelmonde.
Cette place eft la première des quatre villes appellées ordi-
nairement les Offices , & le Gouverneur en étoit alors abfent,
A l'approche du canon la garnifon compofée de deux cens
cinquante hommes fe voyant trop foible pour ofer réfifler,
capitula le 20. de Septembre , à condition entr'autres ar-
ticles , que pendant l'efpace de deux ans , on ne changeroic
rien dans le culte extérieur de l'ancienne Religion 5 èc que
George Evrard comte de S olms nouveau Gouverneur de la
place n'y pourroit avoir plus de cinq compagnies. Le prince
d'Orange remonta enfuite k N^ahal , 6c entra en Gueldre.
D'un
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 313
D'un côté, Chriflophle de Mondragon forcic d'Anvers
avec cinq mille hommes de pied , àc entra dans le païs de H £ n a i
Waës en Flandre , où il reprit les Forts dont Maurice s'etoit 1 V.
emparés aux environs de Huift , & ceux qu'il y avoic fait i cai,
bâtir. Maurice fît auffi en chemin une cntrcprile fur Grave, .,
& ayant fait paflérfes troupes fur un pont de bateaux , allié- de "Nimé'cr" e!
gea Nimégue le 14. d'Odobre. On employa huit jours à
travailler aux tranchées , 6c à difpofer quarante- deux pièces
de canon. Ceoendant Chriftiern Huy2;hens fécrétaire des
Etats Généraux , qui avoit été prilonnier dans la place , tâ-
cha de noiier une conférence avec les habitans , 6c alla fou-
vent du camp dans la ville. Verdugo ne paroiilant point
dans le tems marqué pour la fecourir , la (^arnifon & la bour-
geoifie fe diviférent. Les foldats paroilîoient dilpofés à fe
défendre , &: les habitans au contraire vouloient capituler.
Ceux qui étoient dans les intérêts du prince d'Orange,
lui facilitèrent le moyen de faire entrer dans la place deux
compagnies de deux cens hommes chacune. A l'aide de ces •
troupes , ils forcèrent le parti contraire à capituler le zi.
d'Odobre. Il y avoit dans Nimcgue trois compagnies corn-
mandées par Glimes Gouverneur de la place, Nicolas de
Snater , èc Jean de XSiT^eerdt. Ils fortirent avec leurs armes ,
& enfeignes déployées, &: fe retirèrent à Grave.
Verdugo parut quelque tems après avec le fecours ; mais
Nimegue avoit capitulé j &; comme cette ville ne s'étoic
rendue qu'à caufe du petit nombre de fes défcnfeurs , il
pourvut à la fureté de Grave , en y mettant une forte gar-
pifon. Philippe de NafTau fut pourvu du gouvernement de
jNimégue , &; on lui donna une nombreufe garnifon pour la
défendre. Ce nouveau Gouverneur fit enterrer honorable-
ment dans le tombeau des ducs de Gueldre le corps de
Schenck , que Marc de Rie marquis de Varambon avoic
fait détacher du gibet &; enfermer dans un cercueil , après
que la fureur des habitans fe fiit ralentie , 6c qui jufqu'alors
^toit reflé dans une tour.
Tant de fuccès affermirent la puilTance des Etats Géné-
raux , 6c donnèrent une nouvelle force aux réglemens qu'ils
avoient faits l'année dernière pour le gouvernement poli-
dque. Zutfen , Deventer, 6c Nimégue , villes dont la
Tome XL Rr
314 HISTOIRE
firuation eft la plus avantageufe , & qui dominent fur le
Henri XY^ahal de l'illel , deux bras du Rhin , venoient de luccom-
I V. ber prefque en même tems fous les efforts du prince d'O-
j f o I, range j en forte que la Hollande , où l'on peut dire que les
Provinces -Unies ont mis le ficge de leur empire , devenoic
impénétrable aux Efpagnols.
Peu de tems auparavant dans le mois de Septembre , Pa-
lentin comte d'Ylfembourg , Simon comte de Lippe, Jean
de Perneftein , & le baron de Rheyde furent charges pour
l'Empereur , à la prière du roi d'Efpagne, de ménager un
traite avec les Etats Généraux. Ces Ambalîadeurs palFérenc
par Cologne , & arrivèrent à Bruxelles dans le tems que
le duc de Parme , dont l'armée étoit déjà à Mons , alloic
pafler en France. Ce Prince ayant appris que les Miniftres
de l'Empereur dévoient venir à Bruxelles , prit la pofte pour
fe rendre dans cette ville avant leur arrivée y il vouloit leur
rendre les honneurs qui leur étoient dûs , 6c conférer avec
• eux de l'état préfent des Païs-bas.
Ils pafTérent enfuite en Hollande , & eurent de longues
conférences à la Haye avec les députés des Provinces - Unies.
Mais les Elollandois étoient trop aigris, ou trop tiers de leurs
dernières conquêtes 5 & cette négociation fut inutile. Ce-
pendant pour faire croire qu'elle n'étoit pas entièrement
rompue , le baron de Rheyde reffca dans les Païs-bas juf-
qu'au commencement de l'année fuivante, quoique fes col-
lègues fe fulTent retirés.
ta flore Cette année Elifabeth reine d'Angleterre fît équîpper une
a'Efpr,p;ne armée navale , dont elle donna le commandement au
de^vaiffelux ^omte de Cumberland pour aller attaquer la flote Efpa-
Aivglois. gnole qui revenoit des Indes 5 mais l'entreprife fut , dit-on ^
découverte par les Jèfuites qui étoient cachés dans cette
Ifle, ou par leurs EmiiTaires j & ils en inftruifîrent la Cour
d'Efpagne. On dépécha fur le champ un Brigantin pour
avertir les Commandans de la flote de fe tenir en garde
contre l'armée navale d'Angleterre. L'avis donné par les
Jèfuites n'étoit pas fans fondement. En efFet, le duc de
Cumberland attaqua la flote des Indes dans des détroits
de la mer Atlantique j mais comme les Efpagnols s'étoient
préparés au combat , ôc s'étoient poftés avantageufement ,
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 315
îl fut repouiïë avec perce , &: contraint de prendre la fuite. î=???f^??"!??
L'amiral Thomas Howard qui couroit ces mers avec fix Henri
vaifleaux de guerre dans le même deilèin que le comte de I V.
Cumberland, eut le même fort. Il fut furpris proche les 1591.
Açores par Alfonfe de Bacan frère du Marquis de Sainte-
Croix 3 mais il prit heureuiement le deilus du vent , & fe
fauva avec la Capitane , & quatre vailîeaux.
Richard Grenvill Vice - Amiral , qui montoît un grand
yahîeau appelle U Revenge , fut attaqué vers \qs côtes de
la Floride par une flote de cinquante-quatre vailfeaux.
Entouré d'ennemis, il lit de vains efforts pour leur échapper.
Après un combat de quinze heures la poudre lui manqua j
Çqs foldats , ou blelTés , ou accablés de lafîitude étoienc
hors d'état de fe défendre plus longtems ^ &: les Efpagnols,
qui craignoient un coup de defefpoir de la part des Anglois,
& qu'ils ne brûlalîent quelques vailîeaux de la flote , pa-
roilfoient difpofés à traiter avec eux. Cependant Grenvill
préférant la mort à la plus honorable compofition , foie
par la haine qu'il portoit à {q:s ennemis, foit par une obfti-
nation naturelle à fa Nation , refufa de fe rendre j &: tant
qu'il le put il voulut combattre j enfin tout couvert de
blelTures, lans forces, ôc prêta expirer il fut contraint de
fe retirer, & il fe cacha dans le fond de cale. On le tira '
de cet endroit pour le faire paffer fur la Capitane Efpa-
gnole , où il tranfigea avec Alphonfe, que les Matelots pour-
roient fe retirer dans leur païs ^ que les autres refteroienc
priionniers jufqu'à ce qu'ils eullènt payé leur ranc^on.
Les Efpagnols reftérent maîtres du vailleau • ôc Grenvill
prefqu'aulîitôt qu'il en fut forti expira à la vue des ennemis,
foit de douleur d'être vaincu , foit de fes bleffures.
La flote des Indes n'ayant plus rien à craindre des An-
glois aborda aux Acores , & arriva enfin heureufement en
Efpagne. Philippe en recrut la nouvelle avec de grandes
marques de joye. Ses finances étoîent epuifees par les dé-
penfes qu'il étoit contraint de faire 5 ôc dans l'embarras de
mille affaires dont il étoit obligé de foutenir le poids ,
cette flote étoit fa dernière reflburce. Cependant le bruit
courut que la tempête en avoit détaché quelques Galions
qui avoient échoué , 6i encr'autres le Navire pris fur
R r i j
liG ^ HISTOIRE
Grenvill , & monté par deux cens Efpagnols.
H EN Kl Les vailleaux Anglois commandes par Howard, & qui
1 V. s*écoienc échappes fî heureufement des mains des Efpagnols,
j ^gj^ firent des priles confiderables fur les marchands de cette
nation , ôc lé dédommagèrent avec uilire de la perte du
vaiileaa de Grenvill. Le comte de Cumberland Tçut aufîi
effacer la honte du mauvais luccès qu'il avuit eu. Il enleva
près de l'ifle Tercere deux Galions qui s'étoient écartés
de la riote , brûla celui de Sainte Croix ^ & s'empara d'un
autre appelle la Mère de Dieu : c'étoit un bâtiment de
quinze cens tonneaux , èc chargé de prétieufes marchandilés.
Le Duc conferva cette riche prife, ôc l'emmena comme un
triomphe en Angleterre.
Mort du Le vingt-neuf de Septembre mourut Jean comte d'Em-
ComtedEm- clen(i). Ce Prince plein d'humanité donna une retraite
aiîdrée dans fes Etats à tous les François qui étoient obli-
gés d'abandonner leur patrie pour caule de Religion ^ 6c
ia bonté pour eux fit croire qu'il étoit plus attaché à la
Doctrine des Proteftans de France , qu'à la Confeiîion
d'Aufbourg.
Mort de Chriftien Electeur de Saxe, fils du fameux Augure, qui
chriftien tant qull vécut donna la loi dans l'Empire, mourut le
Saxe.^^^ cinq d'Odobre de cette année à la fleur de Ion âge ^ car à
peine avoit-il trente ans. Il fut le plus riche héritier que
l'Allemagne eût jamais vu. Les tréfors que lui lailFa fon
père lui firent former de vafte projets , qu'une mort pré-
cipitée fit échouer. Au mois de Novembre fuivant les fu-
nérailles fe firent avec de grandes magnificences à Drefden
OÙ il étoit mort ^ &: prefque tous les Princes de l'Empire
y affiftérent, ou y envoyèrent des Ambalïadeurs. On dé-
pofa fon corps dans i'Eglife de Sainte Croix , d'où il fut
transféré àFriberg, & mis dans le tombeau des Princes de
cette Maifon.
Ce Prince laifla deux fils mineurs qu'il eut de Sophie fille de
Jean George Eledeur de Brandebourg. La minorité de Chri-
ftien fon héritier & fon fucceflèur obligea les Etats de déférer,
avec l'agrément de l'Empereur , la régence ou adminiflratioo
à Frideric Guillaume de Saxe coufin du jeune Eleèleur.
(i) Ou de 1^ Frife Orientale,
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 317
Chrift^en eaené , dit-on , par lean-Cafimir Eledeur Pa-
latin {on beauirrére, prit fur la Religion une conduicc difïë- Henri
rente de celle que ion përe avait tenue. Augufke fcrupu- 1 V.
leufement attaché à la Confeffion d'Aulbourg, perlëcuta 1591.
& chalîli de Tes Etats tous ceux qu'il foupçonna de fuivre chrifticn
les fentimens de Zuingle. Hubert Languct prit la fuite • plus favora-
Gafpard Pcucer gendre de Melanchton iouffrit une longue ^j^'^"^''^ ^^^'
prifon^ 6c plufieurs autres furent maltraités à ce fujet. Mais qu'aux Un
Chriftien leur rendit leurs biens , 6c leur liberté -, il favo- thériens.
rifa ceux qu'on appelle en Allemagne Calviniftes, & fît re-
cevoir leur dodrine dans fon Palatinat , ôc dans tous les païs
de Ion obeïilance.
Dès qu'il fut mort , Nicolas Crcll fon Chancelier , qui
ëtoit l'EmilFaire de Jcan-Cafimir , pour introduire le Calvi-
nifme dans la Saxe , fut arrêté par l'ordre de l'Adminiftra-
teur, Renfermé dans le château de Holienftein. Le Ma-
giftrat fe faifît de ks papiers , & en lit un inventaire. Dans
le même tems Urbain Pierius profeflcur de >^irtemberg
fut mis en prifon pour I2 même fujet. Chriifophle Gun-
derman qui enfeignoit à Lipfic,en futallarmé, & prit la
fuite. Mais quoiqu'il changeât fouvent de demeure , & qu'il
ie cachât ioigneufement , il fut découvert èc arrêté. Le
Gouverneur èc le Conful de la ville viiitérent fa bibliothè-
que , & y mirent le fcellé.
Bernard de la maifon des comtes de \Y^aIdcck , & évêque j^q^c
d'Ofnabrug , mourut avant ces deux Princes le r i . de Mars, de l'Evêque
Cet Evêché fut brigué auffitôt par Henri de Saxe fils de ^'O^^^'^^ras
François duc de La\jirenbourg , &; par Philippe Sigilmond
de Brunfwick évêque de Verden , fils deJulesdeBrunf\vick5
ils étoient l'un ôc l'autre Protefbans. Ils eurent pour concur-
rens Antoine comte de Schawenbourg Evêque de Minden ,
ôc Théodore de Furftemherg Evêque de Paderborn j l'un
£c l'autre étoient Catholiques. Brunlwick eut le plus grand
nombre de fufFrages j fon eleétion caufa une joye univer-
felle, parce que les Catholiques mêmes efperoient beau-
coup de fon équité , dont il avoit déjà donné des preuves
éclatantes.
En France Jacques Amiot mourut au mois de Juillet âgé ^^ jacquc
de plus de foixance ans. Il ccoic natif de Melun , & fils d'un Amiot,
K r iij
3i8 HISTOIRE
'— """^'^""-^ boucher. Sonérudicion ic fir juger digne d'êtrePrécepteur de
Henri Charie IX. 6l d'Henri 111. Ce^ deux Princes lui contërérenc
IV, de riches bénéfices j il fut Evêque d'Auxerre , & Grand
1551. Aumônier de France. Les infirmités de la vieillefle , ou ion
devoir,le firent demeurera Auxerre. Mais il n'eut pas la fer-
meté de s'oppoier à la fureur des habitans de fa ville épifl
copale, èi on l'accufe de n'avoir pas eu alTez de recon-
noilïance de cous les bienfaits qu'il avoic reçus de fes il-
luftres Elèves. Il a fait une heureufe tradudion des Ethio-
piques d'Héliodore (i ) ^ ôc des Paftorales de Longus (1),
Ces ouvrages ne portent point le nom du tradudeur, ôc
l'on peut les regarder comme les premières productions de
fon elpric. Dans la fuite Ces travaux furent plus confidé-
rables & plus férieux j il traduifit en François Diodore &C
Plutarque ^ mais il s'eft plus attaché à l'élégance du ftile
qu'à traduire avec fidélité.
D'Antoine Antoine de Chandieu Gentilhomme de Forez mourut à
dechaadieu. Qeneve d'une fiévre eti-juele5.de Mars à l'âge de cinquante-
fepc ans, Il fe donna d'abord le nom Hébreu de Zamariel,
ôc enluite celui de Sadael. II écrivit, & enieigna pendant
trente-lîx ans, & fut crès-eilimé dans Ion parti ^ mais il eue
un grand nombre d'adverfaires : François Turriano Jefuite
publia en Allemagne plufieurs ouvrages contre lui.
De Hugue Je ne puis oublier un fçavant Jurifconfulte , François^;
Donneau. Hu^ue Donneau de Châlons fur Saône: il enfeisina fort
longtems à Bourges • mais les troubles de Paris l'obligèrent
de quitter la France , & il alla s'établir pour quelque tems
à Leyden. Y étant devenu fulpect au lujet de la Religion ,
la célèbre Univerfité fondée à Altorfï par la République
de Nuremberg fut l'afile où il fe réfugia dans fa vieillefTe.
Il mourut le quatorzième de Mai, dans la même année
que Cujas j mais avec d'autant moins de réputation , que
toute fa vie il fe fit un jeu d'écrire & de parler contre ce grand
homme.
De Adolfe Meeckercke Gentilhomme de Bruges, commen-
Meetkercke. ^qJj- ^ [q livrer touc entier à l'étude des belles Lettres,
lorfque les troubles des Païs-bas vinrent interrompre les
(i) Roman de Theagene & Ca-
riclée.
(2) Amours de Paphnis ôç dp
Cloë.
DE J. A. DE THOU, Liv. C. 319
travaux. Il fut premier Confeiller des Provinces-Unies, & ' ""
palFa toute fa vie dans différentes amballades 6c négocia- Hen ki
dons dont il kit chargé par les Etats Généraux. Il mourut I V.
à Londres où il étoit Ambalîadeur le i 6. d'Octobre , fix icqr,
mois après ion année climatérique , on crut que ce fut
du chagrin qu'il eut de la mort de Nicolas Meetkercke
fbn fils , OfKcier de valeur , & qui avoit été tue à De-
venter.
Vidor Ghiflin n'étoît pas d'une auflî illujflre naiflance que » -,.^
Meetkercke 3 mais li ne lui rut pas inirerieur dans 1 empire ciuflin.
des Lettres. Ce Sçavant naquit à Santvorde village ficué
près d'Oftende, où les Ancêtres avoient tenu un rang ho*
norable j car il tiroit Ton origine de Corneille Ghiflin. Il fie
{es premières études à Louvain avec Jufte Liplè , êcjanus
Lernutius • & alla avec eux à Dole en Franche-Comté. Se
voyant fans bien, ôc prefque fans aucune rcflource, il prie
dans cette ville le bonnet de DoAeur en Médecine , &c
Jufte Lipfe fit fon panégyrique. La fameufe édition des
Métamorphofes d'Ovide prouve aflez que les Mufes , &
un doux repos l'occupoient plus que la profeiîîon de Ton
art. Il fit une nouvelle édition de Prudence, avec un grand
nombre de notes fur ce Poète chrétien : mais ne pouvant
achever cet ouvrage, il en confia l'exécution à Janus Ler-
nutius. Pendant nos troubles il fe retira à Bergh- Saint-
\)^inox , ville connue par fon Abbaye célèbre, ôc peu éloi-
gnée de Dunkerque. Il y fut appelle par l'Abbe nommé
Mofline . qui lui donna une penfion. Enfin accable d'in-
firmirés il mourut d l'âge defoixanteans. Son art lui avoîc
fait prévoir l'inftant de ia mort, & elle ne le furprit qu'un
jour plutôt qu'il ne s*y étoit attendu.
Le cardinal Antoine Caraffe mourut à Rome le 12. Du Cardinal
Ane i nrâtrc
de Janvier âgé de cinquante-trois ans. Il étoit d'une il-
luftre Mailon du Royaume de Naples , & eut pour père
Regnaud Caraffe , & pour mère Jeanne de la même fa-
mille J il s'appliqua de bonne heure à l'étude fous la con-
duite de Guillaume Sirlet fon précepteur , 6c acquit une
parfaite connoiffance de la langue Grecque. Il commença
dès fa jeuneffe à briller à la Cour de Rome ibusPaulIV.
fon parent. Mais après la more de ce Pape , il fuccomba
3 20 HISTOIRE
' ' ious les traies de l'envie qu'on portoir aux CarafFes ^ &
Henri Pie IV. lui ota cous les bénéfices. Pie V. protedeur des
I V. CarafFes les lui rcndic, & mie le comble à cette faveur en
i cai, l*-^i donnant leCbapeau deCardinal.Rtvêtu de cette nouvelle
dignité il fit éclater fa pieté & fon érudition. Il corrigea
pluiieurs endroits défedueux du droit canonique 3 il fît un
recueil de Décretales • fé fervit de Pierre Morin Prêtre du
Diocèié de Paris , d'Antoine Aquifi , de Flaminio Nobili de
Lucques, de Fulviui Urfînus , ôi d'autres f(^avans pour i'é-
dicion de la bible Grecque àc Latine qui fut entreprife fous
les aufpiccs de Sixte V. èc dont il s'étoic chargé 3 il fuccéda
à Sirlet fon précepteur dans la charge de Bibliothéquaire,
èc fut Supérieur du Collège des Maronites fondé par Gré-
goire XIII. La mort l'ayant furpris lorfqu'iitravailloit à une
colledion de Conciles Grecs êc Latins , il lailFa la o-loire
de cet ouvrage au cardinal Frédéric Borromée l'imitateur
de fes vertus. Thomas Bofio d'Eugubbio , Cefar Baro-
nius, ce célèbre écrivain des Annales Ecclefîafliques , èc
Fran(^ois Benci fîrent chacun l'oraiion funèbre du car-
dinal CaratF^. 11 fut enterré fans aucune magnificence,
comme il i'avoit ordonné, dansl'Eglifé de Saint Silveftre
furie mont Cavallo.
De Hcnii Le dcux d'Avril Henri Gravius mourut dans la même
Gravius, ville à l'âge de cinquante-cinq ans. Après avoir enfeigné
pendant vingt ans la Théologie à Louvain , Sixte V. dC
Grégoire XIV. le mandèrent à Rome pour le charger de
la corrccTiion des ouvrages des Saints Pères. Mais dans le
tems qu'il pouvoit efpérer les plus grandes dignités , la mort
vint le iurprendre : il fut enterre dans i'Egliie de Sainte
2vlarie des Allemands.
DeLorenïa jj^q Dame auffi refpedable par la fainteté de fa vie,'
qu'illuftre par une érudition au-deiîus de fon fexe, & donc
l'humble vertu ne voulut jamais paroître au grand jour^
eft digne de tous nos éloges. Je parle de Lorenza Strozzi ,
qui mérite d'éfacer la plupart de ces femmes que la vanité
de leurs compatriotes ou le préjugé ont rendues célèbres. Elle
étoit fille de de Zacharie Strozzi, & fœur du fameux Ky-
jrico , donc nous avons parlé en fon lieu. A l'âge de fepc
ans elle lit vœu d'embralîer la vie Religieufe , 6c s'enferma
dan§
DE J. A. DE THOU, Liv. C 311
dans le Monaflére de Saint Nicolas de Prato en Tofcane ' '■ ■■■
de l'Ordre de Saint Dominique. Dans cette folitude elle Henri
apprit parfaitement le Grec èc le Latin , ôc fît des hymnes I V.
Latins pour toutes les fêtes de l'année, fuivant Tufage du ij^i*
Bréviaire Romain j Elle prit pour modèle les Odes d'Ho-
race , & les imita avec fuccès. Enfin ayant pàlTé tout letems
de fa vie dans les exercices de la piété , Se dans l'applica-
tion à l'étude , elle mourut dans fa cellule d'une fièvre
pourprée le 10. de Septembre à l'âge de Toixante ôc dix-fepc
ans. ^ ' : H= ,
jF//? d/é centième Livre*
tome XI*
Sf
312 HISTOIRE
HISTOIRE
D E
JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U>
n
LIVRE C ENT^V N I É M E,
y{^^ ^i T L efl nécefïàîre de rapporter en cet endroit l'AmbaiTade
j Y^ ^ de Henri de la Tour vicomte de Turenne , envoyé par
le Roi vers les princes d'Allemagne , pour lever une armée
^° * auxiliaire. Elifabeth reine d'Angleterre , que les Efpagnols
Ambaffade avoient fi fouvcnt attaquée par la voye de l'intrigue ôc des
du Vicomte . ./-. *■ *• r ^ • jJi-r • ^
de Turenne armes , Comprit ailcment que li le roi d Elpagne venoit a
TcrsiesPrin- s'emparer delà France , il tireroit de grands avantages de
maenf.^'^' ^^ Conquête , pour opprimer la liberté des Païs-bas , pour
porter la guerre en Allemagne , & faire des defcentes en
Angleterre. Cette Princefïè habile ne ceHbit de prefler \qs
princes Proteftans de l'Empire de penfer férieufement à fe-
courir le roi de France , & de fe réunir de bonne heure pour
prévenir un péril qui leur feroit commun. Elle avoit envoyé
à la cour de Chriftien éledeur de Saxe , Horace Pallavi-
cini habile négociateur , qui avoit quitté Gennes fa patrie ,
au fujet de la Religion.
Chriftien étoic alors le plus confîdérable entre les Princes
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 313
Proteflans. Soup<^onnë de favorifer en iecrec les Calvini-
ftes qui ëcoient odieux en Allemagne , on le croyoit par H e n fTï
cette raifon plus porté à prendre les intérêts du Roi. Pal- j y
lavicini obtint aifëment de ce Prince tout ce qu'il voulut j
& étant retourné en Angleterre, il dit à la Reine qu'il y ^^^*
avoit toute apparence de réùfîîr auprès des princes d'Aile -
inagne ôc de l'Eledeur ^ qu'il falloit pour cela qu'elle ôcle
roi de France leur envoyalTent des Ambaflàdeurs.
Le Roi par le confeil d'Eliiabeth chargea de cette Am-
bafTade le vicomte de Turenne vers la lin de l'année précéden-
te, à Girors,oùce prince étoit alors. Ses inftruclionsportoienc
qu'il iroit d'abord en Angleterre -, qu'il remercieroit la Reine
de fa bienveillance pour le Roi &, pour la France , dont elle
avoit donné des marques par tan: de bienfaits , de qu'elle
avoit fîgnalée depuis peu , en envoyant fi à. propos cent mille
francs pour payer les troupes étrangères , qui fans cela fe
feroient débandées. Le Vicomte avoit ordre de dire à cette
Princelîé , qu'il venoit pour lui rendre raifon de fon Ambafl
/àde , de pour n'agir que par lès ordres dans cette affaire. Il
devoitla prier de lui permettre d'emmener avec lui Pallavi-
cini , dont les Princes de l'Empire , Ôc fur-tout l'Electeur de
Saxe connoilîànts l'habileté ôc l'attachement , fe determî-
neroient plus facilement à accorder au Roi les fecours de
troupes & d'argent qu'il leur demandoit , lorfque cet hom- •
me de confiance les aiîiireroit que la Reine avoit promis des
fecours de fon côté. Il étoit encore chargé de demander à
cette PrincelTe des lettres de recommandation pour les Erats
des Provinces-Unies, afin de les engager à prêter au Roi
trente mille écus d'or , & de la prier elle-même de faire
tenir prêts quatre mille hommes d'infanterie pour faire une
defcente en Bretagne lorfque le Roi le jugeroit à propos :
il ne devoit demander ces tr-oupes que pour fèrvir deux mois
en France. En cas que la Reine s'excufat de fournir ces fol-
dats fous prétexte de la guerre de Flandre , il devoit l'en-
gager du moins à faire débarquer à Ollende, dans le tems
que le duc de Parme entreroit en France , quatre mille
hommes , ou même un plus grand nombre , pour arrêter
r*_fïbrt des Efpagnols , ou pour aider le Roi à faire des pro-
grès dans l'abfence des troupes d'Efpagne.
Si ij ^^
324 HISTOIRE
Jean de la Fin de Bcauvais , AmbaiTadeur pour le Roî
Henri depuis deux ans à la cour d'Angleterre , ayant demandé
I V. qu'on le rappellât , Paul Chouarc de Buzenval partir avec
I Î9I. ^^ vicomte de Turenne pour aller remplir ce pofte. Buzen-
val avoir ordre d'accompagner le Vicomte dans les Païs-
bas , & de retourner eniuite en Angleterre. Le Roi donna
des lettres à Ton Ambalîadeur pour le chancelier Williams
Cecill Grand-Tréiorier , 6c pour Robert d'Evreux comte
d'ElTex -j êc il lui ordonna de traiter avec ces deux Miniftres.
Jean Morlat fut chargé de porter des lettres de créance à
Jacque roi d'Ecofle , èc de faire des excufes à ce Prince de
ce que les cîrconflances , qui ne permettoient pas au Vi-
comte de faire un plus long féjour en Angleterre , l'avoient
empêché d'aller lui-même le trouver.
L'AmbafTadeur palîa enfuite en Hollande avec Pallavl-
cini &C Buzenval. Il eut plufieurs conférences avec les Etats
èc avec le prince d'Orange. On lui dit qu'on ne pouvoit lui
donner les fommes qu'il demandoit j mais qu'on fourniroic
au Roi deux mille hommes de pied payés des deniers des
Etats , pour lervir deux mois. Il renvoya enfuice Buzenval
en Angleterre , 2c s'étant embarqué il fe rendit à Ham-
bourg. Il alla par terre trouver l'éledeur de Saxe à Drefde.
Après les com.plimens qui font d'ufage entre des Princes al-
liés , il lui expofa fa commilHon ^ il commença par faire
des excufes à l'Eledeur du malheur des troupes que Ni-
colas de Harlay de Sancy avoit levées en Allemagne , èc
qui avoient péri miférablement par la faute de Sancy ôc des
autres Officiers -, èc de ce qu'on avoit mis à la tête de l'ar-
mée auxiliaire Galpard Schomberg comte de Nanteuil en
qualité de Colonel générai des Allemands.
Le Vicomte lui dit que le Roi avoiioit que Sancy avoir
fait une faute 3 qu'à l'égard de Schomberg , il ne l'avoir mis
dans ce pofte , qu'en confidération de fon attachement donc
il avoit de bonnes preuves par les lettres que l'Elcdeur lui-
même lui avoir écrites à ce îujet , èc par tout le bien que lui
en avoit dit le prince de HelTe , donc le témoignage avoic
beaucoup de pouvoir fur fon efprit : Qu'au refle il connoif.
foit par lui-même l'expérience èc l'habileté du Comte >
qui en avoic donné des marques en plufieurs occaiîons 3 èc
uKMUitm'miu*
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 315
qu'il avoit cru que Schomberg ne pouvoir manquer d'être
agréable à Son Alteflè ElecVorale , qui avoir honoré delà He>3 ai
première dignité de fa Cour le frère de cer Officier. Que I V.
d'ailleurs il avoir confîdcré qu'il feroir difficile de nommer 159!,
un Général Francjois , fans l'expofer à l'envie, aux jalou-
iîes fecretes , èi peur-ccre fans faire un pafledroir à quel-
qu'un. Mais qu'ayanr appris que l'Eledeur prenoir cela fur
lui , il confentoit volontiers qu'il nommât qui bon lui fem-
bleroit , fans toucher cependant au droit êc à la dignité de
Schomberg.
L'Ambafladeur ajouta que le Roi avoit député vers les
Princes d'Allemagne , Philippe Canaye du Frefne , êcjac-
que Bongars , pourvu cependant qu'ils fuilènt agréables â
S. A. E. Il remonta enfuite à la fource de cette guerre , 6c
rapportant tout ce qui s'étoit pafle depuis la mort du feu
Roi : 53 Les Eif agnols , dit-il , fe font fervis des princes '
Lorrains , pour exercer leur haine. Ils ont répandu un
efprit de rébellion dans le peuple , par les intrigues des Jé^
fuites. La Religion leur a fervi de prétexte pour entraî-
ner dans la révolte les François , qui ont toujours eu pour
leurs Princes légitimes plus d'attachement que toutes Iqs
autres nations n'en ont pour leurs Souverains. Ces fe-
mences de haine , ces féditions ont produit un parricide
d'un exemple dangereux , 6c qui fait horreur. Les Efpa-
5 gnols , ces auteurs des maux de la France , ne mettront
5 point de bornes à. leur fureur , qu'ils n'ayent écrafé celui
> qui fait tête à leur faclion , & qu'ils n'ayent entièrement
3 épuifé ks forces de l'Etat. Tout leur but eft de chafFer
3 l'héritier légitime de ion Royaume: ils projettent depuis
3 longtems de fe liguer avec les Papes , pour accabler ceux
î qui ne font pas de leur Communion. Les rois de France
3 n'ont jamais voulu entrer dans cette Ligue. Voilà la fource
3 de ces haines implacables qui ont uni ces deux Puiflances
3 dans le delFein de s'emparer de la France , ou de la démem-
3 brer. Votre AlteiTe Elecliorale & les autres Princes de l'Em-^
3 pire verront iàns peine quel efl le but de ces projets. Il ne
3 lera pas néceflaire de preflér beaucoup pour perfuader
M qu'il faut aller de bonne heure audevanc d'un danger corn-
33. mun, ôc faire échouer les pernicieux deffeins des Efpagnols,.
S f ii]
32(J ^ HISTOIRE
Il dit enfuite que le Roi fe contenteroic de fix mille che-
Henri vaux àc de huit mille hommes de pied , donc deux mille fèr-
IV. viroient de pionniers: Q^i'à l'cgard des canons, il Hiffifoic
I COI ^'^^ fournir iix , qu'il ieroîc facile de faire cranfporter , (i
on les failoic fondre en Allemagne de la grandeur &c de la
grolFcur ordinaire des canons de France, 6c en employant
un métal compofé , dont il avoit apporté un elFay avec lui :
Qiie il on iuivoit cet avis, on en retireroit le double avantage
de n'avoir pas befoin d'un fî grand nombre de chariots , pour
tranfporter des boulets dont on avoit un alFez bon nombre
en France du calibre de ces fix canons , &: d'en tirer de plus
grands fervices , parce qu'ils feroienc plus propres à taire
plufieurs décharges de luite : Qu'au relie le Roi conlentoit
que le prince d'Anhwilc nommé par S. A. E. fe mît à la tête
de l'armée.
Le Vicomte avoit ordre de prier ce Général au nom du
Roi , de le charger de la conduite des troupes , de lui pro-
mettre les mêmes penfions qu'avoit eues autrefois le prince
Jean Guillaume de Saxe , de de traiter avec lui , en cas qu'il
vouiiic exiger des conditions plus avantageufes. Il dit à
l'Electeur que le Roi fouhaitoit que les troupes fuiFent prêtes
au mois d'Avril 3 parce que dans cette faifon les campagnes
déjà couvertes d'herbes pourroient nourrir les chevaux :
Que ce Prince avoit formé la réfolution d'aller audevant de
ces troupes jufque fur la frontière avec une bonne armée ,
afin d'empêcher l'ennemi de retarder leur marche : Qu'il
auroît loin de leur faire donner la paye quand il le fau-
droit : Qii'ayanc appris de Pallavicini que la reine d'An,
glecerre èc les princes de l'Empire n'avoient d'autres vues
dans cette guerre que de le maintenir dans fon Royaume ,
de cahncr les troubles de Religion , ôc d'alTûrer la liberté
de confcience aux Réformés , il proteftoit de fon côté qu'il
ëtoic dans le même deiîein , que la continuité de la guerre ne
lui avoit pas permis jufqu'alors d'exécuter : Qu'une affaire
de cette importance ne pouvoit être terminée, que dans
l'afiemblce des Etats du Royaume : Que li l'on s'ingéroîc
d'en décider fans l'avis de ces mêmes Etats , les faclieux
qui ne lailFoient échapper aucune occafion de fomenter la
révolte , le ferviroient de celle-ci avec artifice, pour détacher
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 317
du parti du Roi les Catholiques qui combattoienc fous fcs 555!!?!?!!??!?
écendarts : Qu'il feroit tous les efforts , auiitôt qu'il k [ç. Henri
roit affermi fur le trône , par les fecours de l'armée qu'on I V.
devoir lui envoyer , pour affembler les Etats , afin de termî. i c o i,
ner au gré de tout le monde la grande affaire donc il s'agif-
foit : Qu'en attendant il donnoit fa parole Royale de fe-
courir en général & en particulier^ ceux qui auroient befoin
de lui dans une telle occafion. Le Vicomte ajouta que le
Roi fourniroit de fon côté deux mille chevaux èc fîx mille
hommes d'infanterie payés pour trois mois. Il promit outre
cela de faire vérifier , recevoir , & ratifier par les Parlemens
du Royaume, &: par les Chambres des Comptes, les trai-
tés , ôcles obligations , qui feroient faites à ce fiajet , comme
la reine d'Angleterre , & les Princes de l'Empire le dé-
iîroient.
Le vicomte de Turenne avoir ordre de traiter avec les^
autres Princes alliés du Roi , 6c avec les villes Impériales..
Il alla donc trouver l'éledeur de Brandebourg à Berlin : il
fît de grandes plaintes â ce Prince de la conduite de l'Empe-
reur , qui l'avoir confulté dans le doute, où il étoit, s'il de«
voit donner au Roi les titres qu'on ne pouvoir lui refufer..
Il ajouta , pour marquer le mépris qu'il faifoit de cette dé-
marche de l'Empereur , que cette aàion ne préjudicioit en-
aucune manière à la Majefle ôcaux droits du Roi, &: qu'elle
étoit plutôt capable d'attirer des reproches publics à celuF
qui l'avoir faite : Que le Roi n'étoit pas fort inquiet de la
jaloufle de l'Empereur , & des princes de la maifbn d'Au-
triche : Qu'il n'en avoir rien à craindre , appuyé comme il
reçoit, par la reine d'Angleterre , par les éledeurs, les prin-
ces , & les villes de l'Empire.
L'ambafladeur de France alla enfuite à Heidelberg j il y
vît le prince Jean Cafimir frère du dernier Eledeur. Ce
Prince qui avoir époufé la fœur du duc de Saxe , écoit
alors administrateur du Palatinac pendanc la minorité de
l'éledeur Frédéric fils de fon frère. Le vicomte de Turenne
propofa l'affaire au prince Cafimir, & traita enfin avec lui j
mais ce ne fut qu'après avoir applani un grand nombre de
difficultés qui naiffoienc à chaque inftanc. Gafpard de Schom*
berg qui écoit préfenc â la négociation , vinc à bouc par fw
3iS HISTOIRE
douceur Se fa dextérité à manier les efprîts , de lever tous
Henri les obftacles.
I V. Schomberg incertain du rang qu'on lui afîigneroit à la
I f o r. cour de Henri s'etoic retiré en Allemagne immédiatement
après la mort du feu Roi. Il voulut donner un exemple ou
une preuve de l'attachement qu'il avoit toujours eu pour la
France. Il conleilla dans ces vues à Chrillien éledeur de
Saxe de prendre dans ces tems de troubles la conduite de
l'armée auxiliaire qu'on devoit envoyer en France. Ce jeune
Prince d'un efprit vafte comptant fur fa puilîance &; les ri»
chelles formoit de grands projets: Schomberg lui reprefen-
ta que fon exemple engageroit les princes Confédérés à four-
nir des fommes plus conlidérables pour cette guerre j il fçut
prendre ce Prince par l'on foible , en lui difant qu'il alloic
commander une armée floriiïànte 6c nombreufe , mériter la
reconnoifTance d'un grand Roi , &c rendre fon nom fameux
dans l'Allemagne ôc dans l'Europe entière -, que retournant
dans fa patrie couvert de lauriers , la fortune lui ouvriroit
fans aucunes brigues de fa part un chemin au thrône Im-
périal, fur lequel la maifon d'Autriche chanceloit; il lui avoic
fait entendre qu'il devoit compoièr fon armée de fix mille
chevaux ôc de dix mille hommes de pié.
L'éledeur de Saxe avoit d'abord goiité l'avis de Schom-
berg 5 il fe hâta d'achever cette affaire , dans l'efpérance
d'empêcher les levées que le roi d'Efpagne faifoit faire dans
TEmpire pour les envoyer au duc de Parme en France ^ il
alla donc trouver Jean George électeur de Brandebourg
dont il avoit époufé la fille, &. le langrave de HelTe^ il com-
muniqua fon deffein à ces deux Princes fes alliés. Ils ap-
prouvèrent le projet, àc perfuadérent au' Duc de prendre
pour fon Lieutenant général le prince Cafîmir fon beau-
frére^afin d'aller audevant de toute jaloufie. Cafmiir ayant
été inftruit du réfultat de l'entrevûë de ces Princes accepta
volontiers en apparence la Lieutenance générale 3 mais il fie
affez paroître qu'il n'en étoit pas content au fonds par la
conduite qu'il tint depuis ce tems-là. Il mit en œuvre toute
forte de moyens pour empêcher la réuffite de cette affaire
qui étoit en bon train.
On avoit aiTez de foldats pour cette grande expédition:
les
OX^^SBOiBE'SKSSSia
DE J, A. DE THOU, Liv. CL 319
les Officiers s'emprefloienc à l'envi à fervir fous les ordres
d'un cheFfi confidérable qu'on ne nommoit cependant qu'en H ii n k r
fecrer. L'argent ne manquoit pas 5 l'éledeur de Saxe en tour- I V.
niflbit autant lui lèul , que deux Princes qui en auroient con. i ^ o r,
tribué beaucoup ^ & il ofFroit de faire les avances pour ceux
qui vouloient le difpenfèr d'entrer dans cette contribution,
fous prétexte qu'ils n'avoient point d'argent comptant. Uat\
faire ne fe conduifoit d'abord que fecrétement-, mais il fut
impofîible de la cacher plus long-tems, à caufe du grand
nombre d'Officiers avec qui on eut à traiter.
L'empereur Rodolfe voyant que cet orage fe formoit con-
tre le roi d'Efpagne chef de la maifon d'Autriche, interpo- Conduite de
fa fon autorité iur le champ par le moyen des Ambalîà- ^p^'^^J^J"^
deurs qu'il envoya à l'éledeur de Saxe,& aux autres Princes,
pour les détourner d'une entreprife qui feroit funefte , à ce
qu'il difoit , à l'Empire & à leur dignité. Chriftien averti de-
puis long-tems par fes amis, s'étoit attendu à cette démarche
de l'Empereur ^ il prit le parti de lui envoyer uneambafTade
pour lui repreiènter qu'il falloir profiter des diiTentions des
rois de France èc d'Eipagne , pour rendre à l'Empire tout
l'éolat que la difcorde de fes Princes lui avoit fait perdre
autrefois , & pour fe remettre en polTeffion des villes ufur-
pées en Allemagne par ces deux Souverains : Qii'on avoit le-
vé dans ce delïein avec l'argent que les princes Confédérés
èc lui-même avoient fourni, une armée qu'il s'étoit offert de
conduire à une fi glorieufe expédition : Qu'il ne doutoit point
qu'elle n'eût tout le fuccès qu'il s'en promettoit , de concert
avec ceux qui ne cherchoient que la gloire de l'Empire ,
pourvu que S. M. Impériale voulût bien favorifer l'entre-
prife , & fe charger du foin de la conduire.
Cette adrefle de l'Eledeur jerta l'Empereur dans un grand
embarras ^ il craignit , s'il s'oppofoit ouvertement aux deC
feins des Confédérés , qu'ils n'exécutaflent malgré lui le pro-
jet qu'ils avoient formé fans fa participation. Il crut donc
qu'il falloit diffimuler ^ c'efl pourquoi ne voulant pas paroî-
tre défaprouver dès le commencement la réfolution des
princes de l'Empire , il accepta la propofition de prendre
fur lui le foin de faire la guerre. Il demanda du tems pour
délibérer & prendre (es mefures ^ afin de laifîèr palier le
Tome Xh T C
330 HISTOIRE
. tems d'agîr , & qu'on n'apportât point d'obflacles aux îe-
PIenri vées que Philippe fai Toit faire en Allemagne.
IV. Ceux qui ne cherchoient qu'à éloigner cette dangereule
î S9I. expédition , firent entendre à l'élecTieur de Saxe qu'il fal-
loit députer vers les Princes Catholiques , afin de leur ôter
le foupqon qu'il n'avoit levé des troupes que pour fecourir
Je roi de France, & non pas dans l'intention d'afiurer la li-
berté de l'Empire. Nicolas Crell chancelier de TPHedeur
avoit beaucoup d'éloignement pour cette expédition 3 Ibic
qu'il n'augurât pas bien de l'événement j (bit qu'il eût été
gagné par les Éipagnols , comme on le difoit communé-
ment, il eut de fecretes conférences avec Je^n Cafimir • il
perfuada à ce Prince foup(^onneux ôc fufceptible de jaloufie ,
que ^Qs envieux ne lui avoient fait donner la Lieutenance
■^ générale de l'armée, que pour lui en arracher le comman-
dement qui étoit dû à Ion mérite : Qiie ce n'étoit pas en con-
Hdération de la dignité de i'éledeur de Saxe qu'on l'avoir
fait Général de l'armée auxiliaire : Qiie ce Prince ne pou-
voit s'éloigner de Tes Etats fans danger : Qu'il ne pouvoic
fans une témérité préjudiciable à fes intérêts tenter des ex-
ploits qu'on attendoit de la valeur ôc de TexpériencQ, du
prince Cafimîr : Qii'il devoir donc par ces motifs fe faire
donner le commandement de l'armée, ou faire échouer une
entreprife fi téméraire.
. -c j Tean Cafimir qui vouloît que tout roulât fur lui en Aile-
Artifices de -^ , ^ ii i •/- «i r i • • J
3ean Cafimir. magne , ccouta Crell avec piaiiir ^ il louhaitoit avec ardeui
de faire voir au Roi , qui s'étoit d'abord adrefié à l'éledeur
de Saxe , & au Landegrave de HefiTe qu'il eût dûs'adrefi^er à
lui. Il commença donc par s'afiûrer des principaux Con-
feillers de l'éledeur de Saxe. Il prétexta enfuite ces motifs
pour diifuader ouvertement le projet de cette expédition : Il
dit que cette entreprife avoit été propofée par un homme
fufped aux Proteftans^ il vouloir parler de Schomberg: Qu'à
la vérité la Saxe l'avoit vu naître -, mais qu'il n'avoit pas con-
fervé l'amour de la patrie : Que les rois de France l'avoienr
depuis peu naturalilé Francjois : Qu'il avoit toujours fuivi
ces Princes dans les guerres civiles deFrance contre les
Proteftans : Qu'il n'avoit d'autre but dans cette cntrepriie,
que de fe faire confidérer du nouveau Roi , de forcer les
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 331
princes Catholiques de l'Empire à prendre les armes , lorf-
qu'iis verroient que les Proteflans les avoienc prifës 3 ^ de Henri
les commettre eniemble pour la perte de l'Allemagne ôc IV.
pour le ibuiagement delà France où fa famille ëtoit éta- 1^01,
blie. Les Coniëillers des Souverains d'Allemagne qu'il ic^a-
voit avoir de l'éloignement pour cette expédition , ( parce
qu'ils ont plus de crédit dans la paix que dans la guerre ) ap-
plaudirent à CQs raifons. Le Chancelier Crell vint enfin à
bout de rendre Schomberg rufpect â l'éledeur de Saxe. Cet
homme artificieux faifoit naître à chaque inftant de nou-
veaux obftacles ; il les faifoit fans ceflè envifager à ce jeune
Prince, dont il étouffa par ce moyen l'ardeur pour la gloire^
enfin il fe joignit au prince Cafîmir pour l'engager à écrire
au Roi,afin de le prier d'envoyer un autre Général pour com-
mander les AUemans. /'
Schomberg ayant été informé de ces nouvelles , dépê- zék de
chaau Roi quife repofoit à Mante des fatigues de la bataille Schomberg.
d'Ivry , Baradat, jeune homme brave Se plein de feu, pour
écarter tout foupçon de fa conduite j & afin de faire voir au
Roi que ces variations étoîent le fruit des manœuvres de
Cafîmir, qui n'ayant perfonne au-deffus de lui dans l'Em-
pire , ne vouloir point foufFrir d'égal : Que ce Prince préve-
nu en fa faveur méprifoit les deffeins des autres , ou les fai-
foit échouer, en répandant des foupçons : Qu'il avoit hau-
tement fait paroître qu'il vouloit que les affaires de France
j'oulaiîènt fur lui feul en Allemagne : Qiie lorfqu'il avoic
amené quatorze ans auparavant une armée au duc d'Anjou,
il avoit fait inférer dans Iqs articles du traité , qu'il auroic
dans la fuite le commandement général des troupes Alle-
mandes : Que dans cette occafion Schomberg de les autres
Officiers s'étoient élevés contre lui, apportants pour raifon
que cela étoit contraire à l'ufàge reçu en Allemagne , avec
déclaration de leur part qu'ils ne lui obéïroient pas : Que
ç'écoit-là le principe de la haine de Cafimir contre lui : Que
cependant il étoit prêt pour faire voir qu'il préféroit l'in-
térêt public à fes droits , de renoncer à fon emploi : QLi'ii
fouhaitoit feulement que le Roi bien informé delà conduite
qu'il avoit tenue en Allemagne , ne le foupçonnât point d'a-
voir manqué d'attachement , d'ardeur de de foins pour faire
Tcij
33^ HISTOIRE
rëiiiîir l'entreprîfe : Qii'à l'égard de l'état des Proteftans
•Henri dans l'Empire, l'électeur de Saxe étoit le plus puiffànt par
I V. fes richefles 3 qu'il écoic en apparence 6c pour la montre à
I COI, ^^ ^^te des affaires 5 mais qu'au fond le prince Jean Caiimir
étoit le maître des délibérations : Qii'ii exerçoit fa haine &
vengeoit fes querelles particulières par le moyen de l'Elec-
teur, qui la plupart du tems ignoroit toutes ces démarches de
Cafimir ; Schomberg infinua ce dernier article avec beaucoup
d'adrefle.
Le Roi qui par le befoin qu'il avoit de l'Eleéteur , & de
Ca{imir,fe rendoit à leurs volontés, écrivit à Schomberg de
choiiir entre ces deux partis j ou de venir le trouver, l'alîii-
rant d'un rang honorable dans fon armée &: à la Cour 3 ou
de faire des levées particulières dans l'Empire. Schomberg
prit ce dernier parti 3 emprunta de l'argent du Landgrave
de HelTe avec qui il étoit lié d'une étroite amitié , & leva
fîx cens chevaux. Il n'abandonna pas le vicomte deTurenne
d'un moment pendant qu'on faifoit ces levées, afin de faiu
fîr toutes les occalîons de fervir le Roi,
La ville Je On traita auffi avec les villes Impériales. Le Vicomte ayant
StrafDourg demandé de l'arsent à emprunter à ceux de Strafbours; 3
s empare de & r . o ■>
lachartrcufe ils prohtcrcnt de 1 occafion pour accomplir un projet qu lis
par un traité avoient formé depuis long- tems. Il y avoit hors des murs
Rei^ " une Chartreule qui commandoit la ville en quelque façon.
Ayant conçu le delfein de la détruire , ils commencèrent
à penfer ferieufement à en venir à bout , & à s'approprier
les revenus de ce monaftére. Ils aflurérent d'abord l'Am-
bafîadeur de leur bonne volonté pour le Roi 3 6c faifants pa-
roître de la reconnoiflance des bienfaits qu'ils avoient re-
çus de Ces prédécelîeurs , ils lui dirent qu'ils ne pouvoient
fournir les lubiides qu'on leur demandoit , qu'à condition
que ce Prince leur céderoit fes droits fur ce monaftére. Ils
ajoutèrent qu'ils auroient pu. s'en emparer étant fitué dans
leur territoire , pnrce qu'il étoit permis par les traites de
paix faits dans l'Empire aux Princes U aux villes Impériales
de la ConfeiTion d'Aufbourg, de réunir à leur domaine les
biens Eccléfialliques qui étoient dans leur Jurifdiétion :
Qu'on l'avoit fait en plufieurs endroits, fans en avoir reçu au-
cune plainte j mais que fçachançs que ce monaftçre dépendoit
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 333
ée ïa grande Chartreufe qui efl de la jurifdidion de France,ils
n'avoient pas voulu paroîcre en la décruilànt,violer l'alliance H e n k i
ou ofFenfer la Majefté de nos Rois , eux qui avoient toû- l y.
jours eu pour ces Princes les égards qui leur font dûs : Qii'ils ^ ^ q ^
prioient donc le Roi de leur céder fes droits , & de leur per- ^ ^
mettre de détruire cette Chartreufe dont les biens étoient ré-
gis depuis long-tems par le miniftére d'Economes &: de Pro-
cureurs nommes par la République j ce qu'ils prouvèrent en
produisant des lettres Patentes données eni542. par Fran-
çois I. qui avoit interpofé Ton autorité dans cette affaire.
Le vicomte de Turenne leur ayant fait réponfe qu'il n'a-
voit point d'ordre à ce fujet , ils lui firent entendre qu'ils
ne pouvoient contribuer qu'à cette condition. On convint
enfin de part &c d'autre que les habitans de Strafbourg don-
neroient le 10. Juillet douze mille florins pour leur cotte-=
part des fommes que \qs Princes de les villes de l'Empire
avoient promifes au Roi :QLi'ils ne pourroient demandera
ce Prince la réparation des dommages qu'ils avoient fouf-
ferts du pafTage de fes troupes fur leurs terres ; Qii'ils le
tiendroient quitte des quarante-deux mille florins qu'ils lui
avoient prêtés depuis trois ans ^ qu'ils rendroient les obliga-
tions qu'en avoient faites les ambaiîàdeurs de France :
Qii'outre cela ils compteroient aduellement douze mille flo-
rins. Le vicomte de Turenne leur céda au nom du Roi, en
vertu du pouvoir fouverain de S. M. les bâtimens , les do-,
maines , ôc les revenus de la Chartreufe , pour en faire ce
que bon leur fembleroit ^ avec promeflfe de faire ratifier aux
principaux de l'Ordre cette aliénation , pour laquelle le Roi
leur donneroit des terres en échange, &; contenteroit tous
autres qui pourroient à ce fujet inquiéter la République.
11 fut permis par cette tranfaction aux Chartreux de ce
monafliére , de fe retirer dans la maifon qu'ils avoient dans
la ville, &: d'emporter les ornemens d'Eglife , les vafes fa-
crés,& tous leurs meubles avec eux. Cela (é pafla le trois
Juillet à Strafbourg. On envoya fur le champ des ouvriers
en grand nombre pour démolir les bâtimens à la hâte , de
peur qu'on n'y formât quelque oppofition. Plufieurs écrivains
ont parlé de ce fait avec partialité , de ont voulu infinuer que
ceux de Scralbourg avoient agi de leur autorité privée , ôc
T t iij
3 34 HISTOIRE
I avcienc ufé de violence , fans J'inrcrvencion de Vantomé
Henri Royale.
I V. Theodoric de Schomberg de Bechevillier baron d'AL
I ^91. ^^^^ ' parent du comte de Nanteuil , avoit traniîgé fix ans
auparavant pour la même affaire. Dom Boette & Doni
Pierre Charbonnier Chartreux etoicnt venus fur les lieux
par ordre de leur Général 3 & ayant examiné toutes chofés,
ils avoient fait leur rapport au Chapitre tenu dans la grande
Chartreufe , ÔC avoient dit que la dilcipline régulière étoîc
abolie dans le monaftére de Strafbourg. On avoit fait mon-
ter les bâtimens & les revenus de la Chartreufe à trente
mille écus d'or 3 le Baron avoic fait un tran(port au géné-
ral des Chartreux , jufqu'au payement de cette lomrne ,
d'une rente annuelle de quinze cens écus d'or fur l'Hotel-
de-ville de Paris qui lui étoit due par le Roi , le tout fans
préjudicier en rien à l'autorité du Pape.
Cette tranfadion avoit été lue &c ratifiée dans le Cha*
pitre général de la grande Chartreufe près Grenoble le 30.
Avril 1587. Mathias Courtin Vicaire ôc coadjuteur du gé-
néral de l'Ordre abiént pour caufé de maladie , Dom Jé-
rôme le Long prieur de Milan , Dom Bernardin d'Alva
prieur de Majorque de la province de Catalogne , Dom
Pierre Charbonnier prieur de la maifon de Brunn prcs de
Brème , dans la bafTe-AUemagne , Dom Fiacre Billard pHeur
de la Chartreufe d'Alyon , dom Etienne Baragis prieur de
celle de Pavie , ôc Dom Jérôme Marchant prieur de la nou-
velle Chartreufe de Lyon , fignérent cet acte de vente.
Theodoric de Schomberg ayant enfuite été tué à la ba-
taille d'Ivry , la guerre fut caufè que la penfîon convenue
ne fut point payée aux Chartreux. Lqs héritiers du more
n'accomplilToient point d'ailleurs les conditions du contrat de
vente. Ain fi les Chartreux reftérent en polIèfTion du mo-
naflcre jufqu'à l'arrivée du vicomte deTurenne , qui voyant
que l'ordre entier avoit conlenti à cette vente, traita avec
le fénat de Strafbourg aux conditions que nous avons rap<
portées. Le Roi les ratifia -, 6c ayant obtenu des héritiers de
Schomberg une cefîion de leurs droits , il tranfîgea cinq ans
après avec les prieurs de l'Ordre. On dit que ce monaflére
avoic été fondé ôc bâti par Jean de Milhe^par Gérard de Saxe^
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 335
èc Werner de HeiTe trois riches habitans de Scrafbourg en ■
I 340. On employa le mois d'Août tout entier à abattre l'E- Henri
glife & la tour , ôc le refle fut réuni au domaine de la ville I V.
de Strafbourg. i 591.
Les Officiers arrivèrent de tous côtés, de Siléfîe, de Saxe, ^rmée anxi-
de Brandebourg , de Tliuringe , de Mifnie , ôc s'alEemblérent Haire d'Aiie-
pour recevoir leurs appointemens. Les premiers qui étoienc "^^S"^-
allés faluer le prince d'Anhalt à Geianfen eurent ordre d'al-
ler à Urfel &c à Francfort fur le Meyn. On lit enfuite pu-
blier au fujet des vivres un règlement , par lequel on fixa
le prix du bled , de l'avoine , du vin , de la bierre & des
autres chofes néceffaires à la vie , avec défenfe aux foldats
de piller les jardins , d'emmener les troupeaux , de gâter les
moiiîbns. Enfin le i i. Août tous les Colonels s'allemblérent
à Hocheim où l'on avoit coutume de faire la revue des
troupes 3 on palTa d'abord en revûë mille chevaux fous les
ordres de Thomas baron de Crehanges , de un pareil nom-
bre conduit par le baron de Dohna, qui avoit commandé
cinq ans auparavant l'armée auxiliaire en Chef. Il ne crue
pas au-deflbus de lui de venir réparer en qualité de firnple
Colonel les mauvais fuccès qu'il avoit eus par la faute d'au-
trui,lorfqu'il écoit Général d'armée. Venoit enfuite l'artil-
îerie avec douze cens mineurs ou pionniers. Le vicomte de
Turenne fuivoit à la tête du régiment de France compofé
de feize cens hommes de cavalerie èc d'infanterie 3 le prince
d'Anhalt commandoit enfuite douze cens chevaux^^: George
Guillaume de BerbifdorfF conduifoit mille hommes de ca-
valerie.
Le prince d'Anhalt ne fê réferva que le pouvoir de don-
ner l'ordre, 6c confentît que le vicomte de Turenne prît le
commandement de l'armée , jufqu'à la jonction de ces trou-
pes à celles du Roi. Le prince d'Anhalt devoit après cette
jondion prendre la place du Vicomte. Après qu'on eut fait
la revûë de ces troupes , elles firent ferment en élevant les
mains , de fervir fidèlement pendant trois mois fous les dra-
peaux du Roi. Le bruit du canon fè mêla au fon des trom-
pettes , & annonça la joye de l'armée. On fit dans une partie
d'une vafte plaine coupée par un petit retranchement ,
la revûë de l'infanterie compofée de fîx mille hommes
33<^ HISTOIRE
commandés par Herman comte de\\^ecla, &par le baron
Henri de Lency. Ces troupes paiîërenc le Rhin avec la cavalerie
IV. à Walhaufen fur 70. barques &; fur quelques grands ba*
I COI, teaux qu'on leur renoit prêts.
Qiiclque rems après, Arnauld Frentz fe rendît au camp
fuivi de lîx cens chevaux 5 Olivier Tempel en amena deux
çens,& deux mille hommes d'infanterie. Ifelftein & Quad
vinrent à la tèiQ , chacun de deux cens hommes de cavale-
rie de de lîx cens hommes de pied. Le lieutenant de Re-
bours qui faifoit alors des levées en Hollande , arriva avec
cent chevaux & quatre cens hommes d'infanterie. Le vicomte
de Turenne &; le prince d'Anhalt étant arrivés le i 2. Août
à Newenhoff ville du Palatinat , réglèrent ainfî la marche
de l'armée. Le vicomte de Turenne fe chargea de l'avant-
garde j le prince d'Anhalt fe mit au corps de bataille j Ber-
bifdoifF conduifoit l'arriére-garde. Qiiatre cens hommes
des troupes d'Ifelflein venoient enfuite,avec un pareil nom-
bre commandé par le lieutenant de Rebours. Le baron de
Crehanges fuivoic avec fa cavalerie j on voyoit après lui
Bernard prince de Defïàuv parent du prince d'Anhalt a
la tête de la compagnie des Gardes â cheval de ce Prince.
Le baron de Dohna marchoit après lui accompagné de
inille chevaux. Les troupes du baron de Lenty & du comte
de >^eda fuivoient ^ le comte Herman s'étoit mis à la tête
de quatre cens chevaux 3 & Tempel commandoit quatre cens
hommes^d'infanterie & deux cens chevaux. Chriftophle Eller
conduifoit l'aile gauche compofée d'un bataillon d'infante-
rie. Le comte de XY^efterbourg étoit au milieu avec un dé~
rachement d'infanterlcj^; trois mille chars fervants de retran-
chement fermoient la marche de l'armée. La conduite de
l'artillerie 5i des munitions de guerre échut par le fort au
baron de Dohna.
Le comte de Mansfeld l'aveugle , Se le comte de Barby
vinrent de Thuringe joindre l'armée dans fa marche. Gaf.
pard Schomberg fe rendit par un autre chemin au travers
des montao-nes à Strafbouro; , où il pafTa le Rhin. Rebours
qu'on avoitempêché de pafler ce fleuve, & qui devoit lui-
vre le vicomte de Turenne , fe voyant abandonné par la
plupart de fes foldats , fe joignit à Schomberg. Le duc Jean
DE J. A.DE THOU, Liv. CI. 537
Cafimir alla au-devant de l'armée ; on fie à fon arrivée des ?^^
décharges d'artillerie. Il eut une Conférence de quelques Henki
heures fur l'état des affaires avec le vicomte de Turenne, I V.
& le prince d'Anhalt j ils continuèrent enfuite) leur route 1591.
vers Hombourg,Forbach èc Saint Avol (i) après quelques
conteftations. Us attaquèrent la première de ces places, èc
furent repoulTès avec perte 3 les deux autres furent priles
d'aflaut , 6c mifes au pillage.
Sur ces entrefaites la guerre s'échaufFoit en France. Les Les Ligueurs
Parifiens ouvrirent la campagne par la tentative qu'ils firent att-quent
r r • T\ ' ira.* J • - Saine Denis.
lur Samt Denis, que les ractieux regardoient comme une
citadelle qui les tenoit en bride. Cette place eft éloignée
de Paris d'un peu plus de quatre mille pas 3 elle cft dans une
afliéte avantageufe, dans un terrain coupé de marais 3 fes
murs étoient alors de plâtre , peu élevés & fans defenle 3 il
n'y avoit point de rempart fortifié en dedans , & fes foiïés
etoient étroits & fans profondeur, Biron y avoit autrefois
fait élever à la hâte , lorfque le duc d'Alençon quitta la Cour
feize ans auparavant , des fortifications qui n'ayant point
été achevées étoient entièrement ruinées par le tems ^\es
injures de l'air. Les foldats de Lavardin , qui avoient été
chargés de défendre la place, avoient ravagé les maifons
qui etoient inhabitées , ôc les hôteleries où l'on reçoit les
marchands qui viennent en grand nombre deux fois l'an-
née aux foires qui fe tiennent dans cette ville. Ils avoient
ruiné lesbâtimens pour vendre les mate riaux , ou s'en étoient
fervis à faire du feu à caufe de la rigueur de 1 hiver qui
commençoit à fe faire fentir. Dominique de Vie qui venoit
de fuccéder depuis huit jours à Lavardin voyant la ville
en fi mauvais état , & ruinée en plufieurs endroits , fe trouva
fort embarrafié 3 il avoit befoin d'un bon nombre de ibldats
pour garnir la place qui eft afiès grande , & de beaucoup
de travailleurs que le froid qui avoit glacé les marais ren-
doit pour lors inutiles. La rigueur de la faifon facilitoit
aux ennemis les approches de Saint Denis 3 car un cavalier
pouvoit en paffant fur la glace venir au pied du mur,ês:le
franchir avec Ion cheval.
Claude de Lorraine chevalier d'Aumale , jeune Seigneur
(i) Les AUemans l'appellent Santafort,
Tome XL V u
338 HISTOIRE
f I ardent , impétueux , èc courant après les dangers sVflFrît
Henri èc partit aulFitôt pour cet expédition à la tête de huit cens
IV. hommes d'infanterie &: de deux cens chevaux, pendant
I jo I. la nuit ,1a veille de iainte Geneviève. Les Ligueurs le Hâtè-
rent que cette Sainte feroit rëCiffir i'entrepriic , parce qu'elle
étoit la patrone de Paris. Tout fut d'abord pour eux j 6c les
ibldats s'étant facilement approchés du mur à la faveur de
la glace , entrèrent dans la ville par les brèches qu'ils
rencontrèrent en plufieurs endroits : ils percèrent fans rè-
iiftance de la part des corps-de-gardes , qui étoient en petit
nombre à caufe de l'étendue de la place ,juiqu'à la porte
de Paris j èc ayant brife les herfes , ils ouvrirent la porte à
la cavalerie. On courut auffitot en foule à l'Abbaye, en
poulîant de grands cris , comme fi on eût été déjà maître
de la ville. Le chevalier d'Aumale plein de joie d'entendre
lesloldats qui crioient 'vive a Aitmale ^ marchoit à pied à
leur tête l'èpèe à la main,
du Comce"ae 1-^ gouvemeur de Vie , officier brave &: d'un attachement
Vie. inviolable à ion devoir , étonné de voir les ennemis dans
fa place , ( ce qu'il avoit cependant bien prévu ,) iortit à che-
val de l'Abbaye, accompagné de fept Gentilshommes
de fcs amis 3 il ne conlulta que fon deiefpoir j il crut que
quoiqu'il n'y eût point de la faute , & qu'on ne pût l'ac-
culer d'avoir manqué de fidélité, il ètoit du moins de fon
honneur de ne pis furvivre à la perte d'une place de fi
grande importance, &.fur laquelle on avoit fondé Tefpé-
rance de revenir aiîièger Paris. Malgré fon dèfefpoir il ne
fe déconcerta point j & ayant ordonné à un Trompette de
fonner la charge, comme s'il avoit eu unenombreufè cava-
lerie , il jetta l'épouvante parmi les ennemis qui marchoienc
au haiàrd au milieu des ténèbres. Comme il ne cherchoic
qu'à mourir , il s'élança fur l'ennemi , dont il enfonça les
premiers rangs -, il poulTa même le chevalier d'Aumale
jufque dans l'hôtellerie de l'èpèe fleurdelifèe j ce qu'on
, V reearda comme un pronoftic favorable. Un des fept com-
Le chevalier b , ,r- ^ /• • • i /-^i r o i r 1
d'Aumale eft pagnons de Vie y pourluivit le Chevalier , oc le tua lans le
tué.& les connoître. Le bruit de la mort du chef fe répandit parmi
Liciucurs font . ^ , , i n . ,^ ^ , ^ r ^^
xepouiTé?. les foldats 3 la conltcrnation hit fi grande , qu on ne longea
plus à refter dans la ville. On ne pcnfa plus qu'à fuir j le
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 339
défordre fe mit dans les rangs • ils fe renverfèrent les uns h ■ 1
fur les autres j les officiers le difperférent de difFérens côtés, Henri
fans pouvoir reconnoître les leurs dans l'obrcurite. Lagar- IV.
nifon fe rendit alors auprès du Gouverneur, àc tailla en j cqi
pièces deux cens ennemis. Le nombre des priibnniers ne
fut pas conlidérable -, le refte s'enfuit , 6c courut s'enfermer
dans Paris.
Les Ligueurs accuférent Sainte-Geneviève de les avoir
abandonnés , de s'être retirée de la ville , pour accorder
fa protection aux Royaliftes , 6c d'être paiîée dans leur
camp. On a remarqué que cet accident avoit beaucoup
refroidi la dévotion des Parifiens envers leur patronne. Lqs
fadieux furent concernés de ce revers. La plupart des
bourgeois préférants pour leur fureté de voir Saint Denis
plutôt entre les mains du Roi 6c du comte de Vie qui étoic
modéré , que fous la puifîance d'un nouveau maître , fe re-
jouirent ouvertement du malheureux fuccès de cette ten-
tative 5 car le bruit s'étoit répandu que le Chevalier d'Au-
male n'ayant point de citadelle à Paris, avoit rciôlu d'en
faire une de la ville de Saint Denis , afin d'y enfermer ceux
que leur opulence d>C leur inclination pour la paix lui ren-
doitfufpecls , après les avoir fait prendre par fes éniifîaires.
Son corps fut mis dans un cercueil de bois , faute d'en
avoir de plomb , 6c dépofé dans une chapelle baffe de
l'Abbaye. On remarqua dans la fuite que les rats attirés
par une odeur de corruption, ou par une autre caufe,
s'étoient gliffés dans fa bière 6c a voient rongé tout iOii
corps.
Le R.oi ctoit à Senlis , lorfque Jean de Turin , fils de ce
fameux Jérôme natif, de San-Sépolcro en Tofcane , vinc
lui apprendre la faufîè nouvelle de la prife de Saint Denis.
Turin malade d'une fîévre quarte s'etoit retiré la veille
fur le foir de la campagne dans cette ville , à caufe de fa
maladie. Il s'étoit logé dans une hôtellerie voifine de la
porte de Paris, dont on s'étoit d'abord fàifi. Dès qu'il vie
l'ennemi dans la ville, il crut qu'il devoit avertir le Roi,
jugeant qu'il feroit auffi facile à ce Prince de reprendre
cette place fans défenfe Se ouverte de tous côtés , qu'il
Tavoïc été aux Ligueurs , s'il arrivoit afi'ez à tems pour
Vuij
340 HISTOIRE
r-^n-^r^^^^^r^ furprendre les Vainqueurs encore occupés au pillage. Sadilf-
HfNRi gence eue un autre fore qu'il ne l'avoic efpéré. On reçue
IV. une heure après fon arrivée une lettre du comte de Vie,
j cpi, qui apprit au Roi qu'il avoit chafTe les ennemis de fa place.
Il difoit dans fa lettre, qu'il avoit, par une faveur lîngu-
liére de Dieu , 6c féconde de la bonne fortune du Roi ,
fauve Saint Denis du péril qu'il avoit couru , èc vu périr
le chef des ennemis. Tous ceux qui étoient pré(ens regar-
dèrent Turin j quelques-uns fe mirent à rire , & plufieurs
le raillèrent de la trop grande diligence, à laquelle ils don-
noient le nom de fuite : » Car pourquoi , difoient-ils , ne pas
ï5 aller combattre de pied ferme aux côtés de Vie ? Et
53 pourquoi venir affliger le Roi par de fàcheufes nouvelles
53 au fujet d'une affaire dont il n'étoit pas bien iiiftruit, fous
53 prétexte de rendre fervice ? et Le Roi & les plus prudens
de fa Cour éxcufoient Turin j mais rien ne put leconfolerj
& il fut fi fenfible aux réproches qu'il venoit d'entendre,
qu'il fe retira de la Cour où il étoit connu , qu'il aban-
donna le camp , 6c fortit de France , où il laiffa fa femme
ôc fes enfans , pour aller fe cacher en Tofcane • ôc il y mou-
rut quelques années après. Le Roi loiia la fidélité 6c la pré-
fence d'efprit du comte de Vie: il ordonna de rendre de
folemnelles adions de grâces à Dieu -, 6c ayant fait appeller
un Minifbre , il affifta aux prières qui fe firent dans fa maifon,.
où l'on chanta par fon ordre un Pfeaume j 6c il ordonna aux
Catholiques d'aller à la Cathédrale, pour y rendre grâces
à Dieu. 11 donna à de Vie, pour le récompenfer, l'abbaye
du Bec diocèfe de Lifieux , que le chevalier d'Aumale pofîè-
doit avant fa mort.
Tentative Qtielque tems après, le Roi réfolut d'employer la rufe,
à\i Roi fur pour faire rèiiiîir fur Paris une tentative femblable à celle
^^^^' qui avoit échoué fur Saint Denis. Il fit courir le bruit qu'il
alloit mettre fes troupes en quartiers d'hiver • il ordonna
au duc de Nevers de lever le fiége de Provins. Le Duc
voulant ôter tout foupçon aux Parifiens qu'on leur drelTâc
des embûches , vint à Lagny , comme s'il eût eu defTein de
remettre fes troupes entre les mains du Roi , 6c de s'en re-
tourner enfuite dans fes terres , fous prétexte que ce Prince
n'avoitpas exécuté dans le tems marqué la promeilé qu'ii
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 341
avoîc faîte au fujet de la Religion. Dans le même tems le ■
duc d'Efpernon ayant amené les troupes à Beaumont , vint Henri
à Saint Denis, où d'Angîure de Givry, ayant fait palier la ^ V.
Marne à Tes foldats proche Lagny, fe rendit aulîî. i 59 !•
Ces mouvemens ne purent être fî fecrets, que le bruit ne
s'en répandit bientôt. Fran<^ois d'Averton de Belin gouver-
neur de Paris fit tous les préparatifs pour fe mettre en
état de défenfe. Il avoit avec lui dans Paris de Serillac Ton
frère, du Saulfay frère du cardinal de Pellevé , Théophile
Roger de Grammont, Louis de Beauveau de Tremblecourt,
Tiercelin de la Chevalerie , de Gauville , de Beaujeu de
Jauges , de Marins de Forcez , avec les régimens de
Florimond d'Halewin marquis de Menelay àc de Trem-
blecourt , avec le régiment Allemand du comte de
Colalte. On diftribua les officiers & les foldats dans les feize
quartiers de la ville, pour être prêts à tout événement,
quand on leur donneroit le lignai 3 on doubla les gardes .
le dimanche 20. de Janvier , jour auquel on devoit faire
des proceffions , pour rendre grâces à Dieu de l'heu-
reux avènement de Grégoire XIV. au fouverain Pontificat.
L'aliarmefe répandit dans la ville au milieu de la nuit,
fur ce qu'on rapporta que les ennemis avoient paru allez
près de Paris : on fit fonner les cloches 3 6c tout le monde ,
jufqu'à ceux même qui étoient fufpecls , fe mirent fous les
armes. On avoit ordonné la veille que chacun fe rendroic
à fon quartier : en armes , au jfîgnal qui feroit donné , finon
qu'on le tireroit de fa maifbn par force pour le conduire
en prifon.
Les Royaliftes avoient ainfi difpofé l'ordre de leur entre-
prife. Des Officiers choîfis , déguifés en païfans , chalToienc
devant eux des ânes chargés de lacs de farine. Ils arrivèrent
à trois heures du matin à. la porte Saint Honoré , qu'on
avoit bouchée la veille en dedans avec de la terre & du fu-
mier, fur la nouvelle de l'approche des ennemis ; ils deman-
dèrent qu'on les fît entrer dans la ville : on ne fe doutoit en-
core de rien ^ car on fçavoit que ceux qui apportoient des
vivres à Paris ne marchoient que la nuit, à caufe des gar-
nifons Royaliftes des environs. Tremblecourt fit réponfè
aux prétendus paylans , qu'on ne pouvoit ouvrir la porte 5
V u iij
341 HISTOIRE
qu'ils allâflenc fur le bord de la Seine , où la galiotte les at-
Henri tendoic. Soixante autres Officiers auffi déguilës en payfans
I V. s'étoient joints dans le faubourg voifin près du Couvent des
I CQ I Capucins j ils avoient amené des charetces Ôc des chevaux
pour embarralfer la porte de la ville, fitôt qu'elle feroit ou-
verte. Lavardin hs îuivoit avec cinq cens cuiraiîiers & deux
cens chevaux ^ Charle de Biron venoit après eux à la tête
de huit cens hommes d'infanterie , ôc de quatre cens cuî-
rafliers j de la Noue , de Givry , de Marivaux , de Sourdis ,
de Balfac de Dunes avoient chacun leur pofteen différents
endroits avec des détachemens 3 les Suilles conduifoientdeux
pièces d'artillerie , &; portoient des échelles , des mantelets ,
des marteaux, des haches, 6c d'autres machines de guerre
pour brifer ce qui pourroit les arrêter.
Le Roi étoit venu jufqu'à l'entrée du faubourg , où il
s'arrêta avec Longueville & d'Efpernon tous à pied.Jl n'y
eut que le duc de Nevers,qui ayant pris un cheval, à caufe
de la foibleflè de fa cuifTe , refta avec la cavalerie. Les Roya-
h'ftes ayant renvoyé leur bagage bien loin derrière Mont-
Martre , gardèrent un profond filence , pendant que tout
rcntreprlfe ^^-^-j. ^^ mouvement dans la ville. LeRoi jugeant par le grand
bruit quon faifoit dans Paris que tout étoit découvert,
affembla le Confeil de guerre , pour fcavoir s'il pourfuivroic
fon entreprife. On fut d'avis de prendre le parti le plus fur,
&: de ne rien hafarder j ainfi on ramena les troupes , après en
avoir laifle dans le faubourg pour couvrir la retraite de
l'arriére-garde.
Les Parifiens délivrés du péril qu'ils avoient couru ren-
dirent des aèlions de grâces à Dieu , avec leurs tranfports
de joie ordinaires j & ils réfolurent de célébrer tous les ans
la journée des farines, comme ils célébroient le jour de la
fuite du feu Roi, la levée du fiége de Paris, èc la tenta-
tive des échelles manquée. Les fa«flieux Se les partifans des
Efpagnols tirèrent avantage de cette occafion ^ ils iirenc
confentir les Parifiens à recevoir garnifon Efpagnole &c Ita-
lienne • ce qu'ils avoient refufé de faire jufqu'alors. On for-
tifia la ville de Meaux, qui fourniffoit quantité de vivres à
Paris 3 &on y mit une garnifon d'étrangers, comme iîles
troupes auxiliaires de Philippe euffent été les feules relTources
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 345
qu'on pût oppofer à la fortune , & aux armes victorieules
de Henri. Henri
Philippe de Sega Evêque de Plaifance reçut le même 1 V.
jour un Bref du nouveau Pape Grégoire XIV. & on en ré- i 591,
pandit des copies dans la ville, afin de raffermir les efprits
du peuple qui écoit ébranlé. Grégoire faifoit entendre c'recjoke ^^*^
dans ce Bref, qu'il avoir employé tous [qs foins depuis fon xiy.
exaltation à extirper l'hérélle dans ce Royaume florlifant,
afin d'y rétablir la Religion Catholique , éc la paix , en ap-
paifant les troubles & les différends : Qti'il falloit pour en
venir à bout , élire un Roi Catholique àc ami de la paix 3
que c'étoit le fëui moyen d'y réiiffir : Qi.i'il croyoit que
pour accomplir ce projet, il étoit néceffaire de mettre à
couvert des infultes de l'ennemi la Capitale du Royaume,
qui étoit comme le boulevard de la Religion Catholique :
Que fçachant à quelles extrémités cette ville étoit ré-
duite , &c combien elle avoit été incommodée par les gran-
des dépeniès qu'on avoit été obligé de faire dans le der-
nier fiége , il avoit formé la réfolution d'envoyer à fon fe-
cours des troupes dont la paye fe prendroit fur le tré-
for Apoftolique , qui fourniroit tous les mois quinze
mille écus d'or pendant tout le tems que cela feroit né-
celîaire : Qifil vouloit faire voir aux Parifienspar cette con-
duite, que n'ayant pour but que la défenfe de la Religion,
6c la fin des troubles de l'Etat, il ne vouloit pas fe conten-
ter de donner des louanges flériles à la confiance qu'ils
avoient fait paroître , en s'oppofants aux entreprifcs des
hérétiques 3 mais qu'il s'étoic déterminé à les fecourir de
troupes 6c d'argent , dans un tems où ils en avoient un
befoin fi prellant : Qif il avoit jugé à propos d'écrire à ce
fujet au Confeil de la fainte Union , aux principaux Sei-
gneurs, êc à la Noblefle,.&: qu'il avoit confié ces lettres à
un des Prélats de là Maifon , pour les rendre en dili-
gence.
L'Evêque de Plaifance en rendant public le Bref du Pape, Lettre de
y joignit une lettre le zo. de Février. Il commençoit par ^'^^^.p^'^ ^^
s'applaudir en termes pompeux d'avoir reçu de fi bonnes
nouvelles de la part de fa Sainteté 3 il difoit que la lecture
de [qs lettres confirmeroit Iqs gens de bien dans leur
344 HISTOIRE
réfolurion , réchaufFeroicles tiédes , &c coiifondroîtceiix c)ue
Henri leur obftination , ou plutôt un fatal enchantement avoic
I V. enchaînés à la fuite des hérétiques ^ fiir-tout en voyant avec
I 55; I, quelle promptitude , de avec quel empreflément fa Sainteté,
par une infpiration du Ciel , avoit préparé de fa propre
main , comme un prudent Médecin , des remèdes qu'elle
appliquoit aux maux delà Capitale, qui étoit , pourainfî
dire , le cœur de l'Etat : Qu'il arriveroit de-là qu'on verroic
bientôt cette ville hors de danger : Qiie la Capitale n'ayanc
plus rien à craindre , on déféreroit l'autorité Royale à un
Prince qui feroit en état de défendre la Religion Catho-
lique , &: de ramener dans le Royaume la paix qui pour-
roit feule faire fa fureté ôcfon bonheur : Qiie le cœur ayant
repris fes forces , le refte des membres les reprendroit auffi :
Qiie les uns demanderoient du fecours pour fortifier leur
foiblefTe : Que les autres confidérants mûrement combien
on en agit mal à leur égard, & preflés des remords de leur
confcience , découvriroient enfin une playe cachée qui les
faifoit périr peu à peu , & ne rejetteroient plus les remèdes
falutâires qu'on leur ofFroit pour leur guérifon.
Le Pape , afin d'accomplir fes promeflès , faifoit faire à
Rome tous les préparatifs pour cette guerre étrangère. Il
avoit à fon avènement à la Chaire de Saint Pierre nommé
au cardinalat fon neveu Paul Sfondrate j & ayant réfolu
de faire paiTer fur la tête d'Hercule frère du Cardinal ks
biens de fa Maifon , il lui fit d'abord époufer la fille du
prince de MalTa. Le Grand duc deTofcane voulant gagner
les bonnes grâces de fa Sainteté , demanda que les fian-
çailles fuflenc célébrées à Florence , ce qui lui fut accordé.
Les deux époux fe rendirent enfuite à la Sforzefça, où Paul.
Sforce les reçut avec de grands honneurs , Se ils y confom-
mérenc leur mariage. Le Pape donna le gouvernement de
la fainte Eglife Romaine èc du Vatican à Hercule ^ ôc lui
ayant donné le bâton en cérémonie , il nomma Ermes Vif-
conti pour fon Lieutenant. Il le déclara au mois de Mars
Général de l'armée qui devoit aller en France , ôc le fit duc
de Monte-Marciano, petite ville de la Marche d'Ancone,
qui étoit revenue au Saint Siège par la more d'Alexandre
Piccolomini 5 il lui donna l'inveftiture de ce duché avec
beaucoup
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 345
Beaucoup de pompe le 1 1 . Mai dans TEglife de Sainte Marie il. "" ' ^
Majeure , de lui préfenta deux drapeaux qu'il prie de fa main. H E n k i
Hercule Sfondrate écoic encore à Rome , lorfque le I V.
cardinal de Lorraine y vint de la part des Ligueurs. Il icor.
étoit accompagné de Deiportes-Baudouin Secrétaire du duc
de Mayenne ^ ils avoient ordre de demander au Pape de
l'argent , dont on avoit grand befoin , ou la permilTion
d'aliéner les biens de l'Eglife dans ce Royaume pour fub-
veniraux frais de la guerre fainte , comme ils l'appelloient j
ils dévoient prier fa Sainteté défaire pafTer en Lorraine l'ar-
mée qu'on alloit envoyer , afin de couper le paiîàge aux crou-
pes que le Roi faifoic venir d'Allemagne.
Leduc de Sefla s'étoit auffi rendu dans cette ville pour
prendre la place de l'ambafîadeur d'Efpagne Henri de
Gufman comte d'Olivarez , nommé à la Viceroyauté de
Sicile. Le nouvel Ambalfadeur prefla fa Sainteté de permettre
au Roi d'Efpagne de prendre fur les biens eccléfiaftiques de
{qs Etats de quoi contribuer aux frais de la guerre 3 mais le
Pape n'écouta à ce fujet, ni le cardinal de Lorraine, ni le
duc de SeiFa. On députa en SuilTe pour lever fîx mille hom-
mes de pié, ôc afin de tranfiger avec hs cinq Cantons des
cent mille ducats dûs à Louis PhifFer, dont le frère en fol-
licitoit le payement à Rome auprès du cardinal Gaërano,
qui s'étoit rendu caution de cette ibmme lorfqu'ii étoit àParis.
Les troupes que le Pape avoit deftinées à marcher en
France , & celles que Marco Pio de Salfuolo, & Gutierra
gouverneur d'Alexandrie dévoient mener dans les Païs-bas, T,^°"P"j
ctoient déjà levées dans le Milanois. Elles firent de grands pape.
ravages dans la campagne, qui furent d'autant plus infup-
portables , qu'ils étoient cauiés par des gens , dont on ne
devoit attendre rien de femblable. On fit au commence- ^
ment de Juillet la revue de l'armée du Pape à Lodi. Elle
étoit compoiée en partie de mille chevaux-légers divifés en
dix compagnies. Pierre Gactano qui étoit revenu depuis peu
des Païs-bas , commandoir la compagnie des Gardes 3 les
autres étoient commandées par Afcagne de la Cornia , Oc-
tave Cefis , Antoine Marie Pallavicino , Pierre François
Vifconti , Louis Arcimboldo , Léonard Avolio , Marie
Rafponi , Octave Pignatelli , & Fabrice Dentici. Il y avoic
Tome XL Xx
34^ HISTOIRE
- outre cela cent Gendarmes appartenants au Général Sfon-
H lî N R I drate , qui étoient commandés par le chevalier Meizi Ton
I V. Lieutenant j 6c la Garde de ce Général compofée de quatre-
1591. vingt arquebuliers^à cheval, marchoit fous les ordres de
Celar Rigoletti. Toute l'infanterie fut partagée en neuf
compagnies , dont on donna le commandement à Borfo
Acerbo Sergent- Major , à Rodolfe Baglioni de Péroufe
Meftre de camp d'infanterie , à Jcan-Baptifte Gottifredi de
Rome , à Belilàire Simoncelli d'Orviette , à Simon Capi-
zuchi de Rome , à Antinozo de Cordella de la ville de Fer-
mo, à Raphaël Torello de celle de Fano , à Vincent Naldi
de Faenza , & à Frédéric Ghililieri de Bofco.
Sur ces entrefaites , le Roi voulant réduire Paris par la
famine , réfolut de couper les convois , qui alloient du païs
Le Roi fait Chartrain ôc de la BeaufFe , à cette Capitale du Royaume j
le fiége de &. de s'cmparer pour cet effet de Chartres ôc des villes des
Chartres. environs. Il laiila longtems les ennemis dans l'incertitude
de quel côté il tourneroit ies armes , afin de les furprendre,
avant qu'ils euilent pu fe mettre en défenfe. Ce Prince ayant
d'abord paffé de Senlis dans la Brie , èc fait femblant d'affié-
ger Provins avec le duc deNevers, écrivit au maréchal de
Biron qu'il avoit envoyé à Dieppe, pour y recevoir les trou-
pes de débarquement qui lui arrivoient d'Angleterre , qu'à
fon retour de Normandie à Mante , il allât en Beaufle com-
me s'il avoit delTein de le venir joindre , & que rebroulîant
auffitôt chemin , il fût affiéger Chartres avant qu'on eût
jette du fecours dans cette place. Le Maréchal exécuta le
^ 9. de Février ces ordres du Roi. Le capitaine la Croix par^
tit d'Orléans avec un détachement de cavalerie & d'infan-
terie , dans le delFein de fecourir les affiégés j mais il fut
battu en chemin , 6: il eut beaucoup de peine à entrer dans
la ville avec un petit nombre des fîens.
Le Roi arriva devant Chartres deux jours après , avec
le duc de Nevers , le maréchal d'Aumont , Charle de Biron ,
François de Coligny de Châtillon , & d'autres Officiers.
George Babous de la Bourdaiiiere,& Louis du Val du Pefche-
jay commandoient dans la ville. Les habitans fe préparèrent
à la défenfe avec beaucoup d'ardeur. Leur confiance
ctoit fondée , ( 5c ils le difoienc hautement , ) fur ce qu'ils
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 347.
croyoîent que les hérétiques ne pouvoienc forcer une ville '
qui écoic fous la procedion de U vierge qui denjoit enfanter ( i ). H E N K i
Le peu de fuccès qu'avoic eu le prince de Condé 23. ans 1 V.
auparavant devant cette place , avoit donné occafîon à cette i 5 9 1 ♦
croyance. Leur confiance augmenta pendant quelque tems ,
en voyant qu'on cliangeoit Tordre du fiége , qu'on avoic
formé à la hâte j & que les chefs de l'armée du Roi n'é-
toient pas d'accord à ce fujet. Les affiégeans ayant jugé à
propos de changer la batterie de place , il s'écoula un tems
confidérable à faire venir du Perche , des poudres , àts
boulets , ôc d'autres machines de guerre ^ il ne s'en fallut
même rien qu'on ne levât le fiége. Le Roi avoit coutume
de faire la guerre fans aucuns préparatifs , & fans fe pro-
curer d'autres avantages que ceux qu'il trouvoit dans le fuc-
cès i en forte que s'il ne réùffilloit pas du premier abord ,
il abandonnoit fon entreprife.
Mais la vigilance ôc le crédit de Hurault de Cheverny
chancelier de France , 6c gouverneur de Chartres , l'em-
porta. C'étoit lui fur-tout , qui avoit confeillé au Roi d'af-
iîéger cette ville , parce qu'il avoit dans le païs Chartrain
de grands biens dont il demandoit la reftitution. Il fit tous
les frais du fiége , 6c il aiïiira le Roi , que fi l'on reftoit de-
vant cette place , elle fe rendroit bientôt : Que les Ligueurs
avoient maltraité plufieurs habitans , 6c entr'autres Nicolas
de Thou évêque de Chartres , 6c plufieurs perfonnes de
confidération d'entre les premiers de la ville , qui n'alpî-
roient qu'après un changement. Cheverny ajoûtoit qu'il
étoit de l'honneur du Roi de ne pas lever le fiége , comme
s'il l'avoit témérairement entrepris : Que non feulement les
Ligueurs ^ mais encore plufieurs du parti du Roi , qui mé-
contcns de la guerre préfente , cherchoient tous les jours
à exciter de nouveaux troubles , prendroient cette démar-
che pour un aveu de fa foiblefle.
Les conjedures du Chancelier n'étoîent pas fans fonde- Troifi^mc
ment. Il y avoit dès-lors entre les Royaliffces une Ligue fe- f''"^'°" '^^"^
crête , qui fit que de l'une des deux fadions qui divifoient l^eTe tÎcÏ"
pârci.
(i) II y a dans l'Eglife de Chartres une I Vierge , avec cette infcription : Virglni
ancienne ftatuë,qu on pre'tend être celle far iturA.
que les Druides avoient confacrée aune ,
Xx ij
34S HISTOIRE
le Royaume , il s'en détacha une troiiîéme , qu'on appelle
Henri le Tiers parti. La fource de cette divifion étoit dans la
I V. MaiTon Royale. On répandit un écrit anonyme en forme
i<qi, clc requête au Roi , pour le fupplier d'abjurer l'héréfîe , &
êcde [q faire Catholique , afin de pacifier les troubles de la
France , élevés à l'occafion de la Religion. On difoit dans
ce libelle , qu'autrement la plupart de ceux qui avoient fuivi
le parti du Roi , comme du légitime héritier de la Couronne,
dans l'efpérance de le voir rentrer dans le fein de l'Egliie ,
ne balanceroient pas à l'abandonner , ôc prendroient les nou-
velles mefures , que les circonftances leur fuggéreroient. Ce
libelle contenoit beaucoup d'autres raifons 3 on s'étoit fervi
pour adoucir ce qu'il y avoit de trop dur dans cet écrit , de
termes fuppliants arrangés avec art , afin de faire croire
qu'il ne partoit que d'un homme afFedionné au Roi.
Il étoit cependant certain qu'on ne l'avoit fait que par les
ordres du cardinal de Bourbon , & qu'il avoit été imprimé
dans la ville d'Angers , qui n'étoit retenue dans le devoir
que par la citadelle. Les auteurs du libelle avoient craint
qu'on ne les découvrit , s'ils l'eufTent fait imprimer à Tours,
Ju Perron ^ ^^ ^^ Parlement faiioit fa réfîdence. Touchard , homme plein
auteurs d'un d'idécs ambitieufes ôc chimériques , autrefois précepteur du
écrit impri- cg^rjjnal de Bourbon, qui ioienoit toute la foupleiTe d'un
meadreiie t ^ i. j> r • >-i ' • i o t^ -J
au Roi. Courtifan a i art d enieigner qu il n exerçoit plus -, & David
du Perron encore plus délié que Touchard , habile dans la
Philofophie Péripatéticienne , & fçavant dans la Théologie
fcholaftique , qui doit fon origine à cette Philofophie ,
avoient fabriqué ce libelle. Ce jeune homme avoit un tour
d'efprit agréable & plaifant , éc faifoit aifément des vers
Franc^ois. Il s'étoit introduit à la Cour à la recommanda-
tion de Defportes , à qui il dut toute ion élévation. Il avoic
d'abord été Proteftant 3 mais ayant enfuite changé de fen^
timent , il s'appliqua à gagner l'amitié de Touchard , qui le
fît entrer dans la maifon du Cardinal. Ce Prince n'avoit ni
la gravité ni la conduite que fon rang éxigeoit de lui 5 mais
il fe piquoit d'aimer les belles lettres , &; c'étoit la feule chofe
. qui loutint fa dignité.
Le cardinal de Bourbon s'étant brouillé avec tous ^qs
amis , qui lui confeilloient pour £qs propres intérêts 2c pour
..^ DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 349
ceux de l'ëtac , de vivre en bonne intelligence avec le Roi , ■ ''
èc d'obeïr à ce Prince , jetca ainfi les fondemens d'une croi- Henri
Hëme fadion. Il fiçavoic que la Religion étoic le prétexte I V.
dont on fe fervoit pour faire la guerre , & qu'on n'avoit pour i 5 9 1 •
but à Rome , que de mettre la couronne de France dans une
rnaifon dévouée au S. Siège , à l'exclufion du légitime hé-
ritier. C'efl: ce qui l'engagea avant la publication de l'écrit ♦
dont nous venons de parler , à envoyer au Pape un homme
de confiance pour traiter avec lui. Touchard jetta les yeux
fur Scipion Balbani de Lucquei. qui avoir perdu tous [qs biens.
Le Cardinal ne voulant point qu'on foupçonnât cette dé-
marche en aucune manière , demanda au Roi la permiffion
d'envoyer à Rome pour porter à S. S. des lettres de fa part,
pour lui rendre fes devoirs : le Roi lui accorda /a demande.
Le Cardinal fît partir Ton Envoyé fecret , & le chargea intrigues da
d'afTûrer S. S. de fa fbumilîîon envers elle & le S. Siège j èc cardinal de
de lui dire qu'il ne falloir pas imputer à aucun attachement ^o^r^on ^u-
pour les hérétiques, ou pour leurs lentunens, qu u avoit tou-
jours eus en horreur & qu'il déteftoit encore , le long féjour
qu'il avoit fait dans le camp du roi de Navarre j mais que
ne voyant aucune fiireté pour lui dans le parti oppofé , il
avoit été contraint à. la mort du feu Roi , de fuivre le chef
de fa maifon , qui avoit les armes à la main : Qiie ce Prince
lui avoit donné parole de conferver faine & entière la Reli-
gion Catholique , qui d'ailleurs couroit de grands rifques
làns fon intervention : Qu'il lui avoit même fait cfpérer de
fe faire infbruire , d'abjurer [qs erreurs , ôc de retourner dans
le fein de l'Eglife : Que l'ayant plufieurs fois prefTé d'accom-
plir [qs promefîès , qu'il paroiiToit que Cqs fuccès ou le deiTein
formé de refter attaché à fa fccke lui avoient fait oublier , il
craignoit avec raifon de paroître aufîî de fon côté , s'il dif-
iimuloit plus longtcms , entretenir le mal , &c mettre en dan-
ger la Religion dont il avoît défendu les intérêts jufqu'alors :-
Qu'il apprehendoit que S. S. ne donnât à fes actions d'autres
motifs, que ceux qui avoient toujours réglé fa conduite : Qiie
par ces raifons il avoit fouhaité qu'elle fut informée de fès
vrais fentimens : QLi'étant le premier Prince du fang après
celui qui fe rendoit indigne de la Couronne par fon atra.
chement à l'erreur , ^ q^ui abufoic trop longtems de l^
Xx u'i
$5ô HISTOIRE
z — . — — patience des fiens ^ il fapplioic le Pape de garder l'ordre
Henri légitime de fucceiïion j d'interpofer Ton autorité pour le faire
IV. monter lur le trône, au défaut d'un hérétique que les Ca-
I 5p I, tholiques ne pouvoient plus iupporter j de de donner les or-
dres à ce fujet aux partilans de la Ligue , par le moyen de
fes Nonces à Paris : Qiie le prince de Conti fon frère ne de-
voît y former aucun ôbftacle , parce qu'il étoit muet , èc
qu'ayant été taillé de la pierre dans fon enfance , on ne
croyoît pas qu'il pût jamais avoir de poftérité : Que fi S. S.
vouloit avoir égard à ces raifons , il lui donnoit la parole
que cous les vrais Catholiques du parti du roi de Navarre
abandonneroient aulTitôt fon camp , de que toutes les villes
fe fouléveroient contre lui.
Avant que Balbani eût pu avoir une audience , qu'il n'ob-
tînt qu'en fecret , Defportes envoyé du duc de Mayenne a
Rome pour prelîèr les fecours qu'on en attendoit , ayant
fait connoillance avec lui dans le voyage , vint à bout de
tirer fon fecret , de d'avoir , fans qu'il s'en apperçût , fes in-
ftrudions dont il tira des copies. Il prévint le Pape au fujet
de l'ambaiïàde de Balbani. Celui-ci ayant eu audience , de
expofé fes ordres , n'eut d'autre réponle du Pape , Ci non
qu'il étoit content de la foumiifion du Cardinal au S. Siège :
Que ce Prince ne pouvoir mieux faire, que de fuivre les avis
du Nonce : Qiie pour lui il n'avoit en vûë , que la défenfe de
la Religion qui devoit être aufli lemotif du Cardinal : Qi^'à
l'égard de fes demandes , il vouloit avant d'y répondre ,
mettre la Religion en fureté : Qu'après cela il feroit ce qui
feroit convenable de conforme à l'équité : Qu'il l'exhorcoit
de fuivre , en attendant, le parti de la fainte-Union , de de
donner l'exemple aux Catholiques attachés au Navarrois ,
de ne rien faire au défavantage de la Religion , fous pré-
texte d'être les défenfeurs de l'Etat , vain titre dont ils fe
faifoient honneur. Balbani s'en retourna avec cette réponfej
de voulant flater le Cardinal , il abufa de fa crédulité en dé-
guifant les réponfes du Pape , &: en y ajoutant des chofes
qu'il n'avoit point dites. Defportes avoit envoyé au duc de
Mayenne une copie des inftrudions de Balbani , qui tom-
bèrent entre les mains du Roi.
Dans le même tems le cardinal Philippe de Lenoncourt,par
DE J. A. DETHOU, Liv. CI. 351
leconfeil de Magdeleine d'Angoulême, écrivit fecrëtement ■"■■■ ""■■ ■
au Roi , pour TinTlruire de ce qui fè tramoic à Tours contre Tes H e n k i
intérêts par les Princes de ion fang. Mais cette lettre ayant I V.
enfurte été tirée des mains du Roi par la perfidie d'un hom- i c 0 i
me de fa maifon , qui étoit de la première Noblefîe , elle fut
envoyée à ces Princes. Irrités contre le Cardinal, ils le traitè-
rent avec la dernière indignité 3 6c peut-être qu'ils auroienc
pafTé outre , s'ils n'euiîent été retenuspar fon caradére.
Le libelle dont j'ai parlé fut répandu après l'ambaflade
de Balbani. Les ferviteurs zélés du Roi réfutèrent à l'envi
CQt écrit dangereux. Leur réponfe fe réduifoit à peu près à
dire que le but des auteurs de cette requête n'étoit pas d'en-
gager le Roi à fe faire Catholique : Qu'ils ne cherchoicnt
au contraire qu'à faire retomber fur S. M. la haine publique ,
ôcà faire regarder ce Prince comme un homme entêté de
ies fentimens, de qui ne tenant point fa parole , ne feroit pas
favorable dans la fuite aux Catholiques.
L'incertitude de l'événement du fiège de Chartres , donna Fidélité es
la hardiefîe à ceux du Tiers parti de fe découvrir davantage. Souvré Gou-
G;il^ jc '/" ^ J: J "-n ... .~ verncur de
nies de bouvre (gouverneur de Tours , qui joignoit une xours.
fidélité inviolable à beaucoup de douceur , bc à une grande
modération , avoit rejette peu de tems auparavant \qs offres
que le duc de Mayenne lui avoit fait faire , pour l'attirer à
Ion parti. Il lui avoit promis de lui faire compter cent mille
écus d'or , & de lui donner le commandement de mille hom-
mes d'infanterie 6c de deux cens chevaux , qui feroient payés
pour un an. Souvré avoit fait réponfe qu'il aimeroit mieux
mourir , que de trahir fon honneur de la fidélité qu'il dévoie
au Roi 5 & que ces deux devoirs n'avoient point de prix.
Ceux du Tiers parti faîfoient courir des bruits fourds pour
ébranler ce Gouverneur 3 leurs èmifîàires publioient que le
Roi , qui n'avoit de confiance que dans les Sectaires ,
avoit rèfolu de lui ôter fon Gouvernement, fur des foup-
^ons qu'il avoit conçus à fon fujet : Que ce Prince fe rendroic
en Touraine après la prife de Chartres , ou après la levée
du fiège de cette place , afin d'exécuter fon projet : Qiie ce-
pendant , fi Souvré vouloir ne pas s'abandonner lui-même ,,
il trouveroit de l'appui dans des Princes 6c des Seio^neurs ,,
^ui ne demandoient pas mieux que de le maintenir dans foa
3jî' HISTOIRE
LL-__ pofte : Qu'il dévoie profiter du cems , &c prendre /es mefures?
Henri de bonne heure , pendant que le Roi etoic retenu devant
1 V. Chartres, pour ne pas être pris au dépourvu.
je ai, Souvré ne donna point dans le piège ^ toujours ferme &:
conftanc dans ion attachemerrt pour Ton Prince, il répon-
dit qu'il avoit toujours fervi le Roi avec alTez de zélé , pour
n'en rien attendre de fembiable : Qu'au refte , quand même
ces bruits auroient quelque fondement , il ne vouloit pas
laifler ébranler fahdelité par de vaines menaces & des crain-
tes chimériques , après avoir tenu bon contre de grandes of-
fres d'argent 6c des promefles magnifiques.
Amours ^^ arriva dans le même tems une choie qui caufa beau-
du comte de coup d'inquiétude au Roi. Il avoit aimé Coriianded'Andoini
soifTons&dc yeuve du comte Philibert de Grammont, tué onze ans au-
Madame Ca- x i i- , r i • r i i , 1 1
therine. paravant a la r ère en Vermandois. La douleur qu elle avoit
de (è voir abandonnée de ce Prince , lui fît chercher les
moyens de s'en venger. On avoit autrefois parlé de faire
époufer la princeile Catherine fœur du Roi au comte de
SoiiTons. Elle écrivit en iecret à ce Prince & à cette Princefîè,
6c ralluma par fes lettres féduiiantes , leur amour qui étoic
prefque éteint. On difoit de tous cotés , Ôc ces bruits avoient
quelque fondement , que ce mariage ailoit fe faire à l'inic^u
du Roi , ôc même malgré lui. Ce Prince fut allarmé de
cette démarche j ôc jugeant bien qu'elle ne fe faiioit que
pour lui montrer le mépris qu'on avoit pour lui ^ voyant
d'ailleurs qu'on fèportoit à ces extrémités , comme fîfes af-
faires eufîent été dans un état déplorable , il fe periuada
qu'il falloitagir avec vigueur , 6c faire un coup d'éclat , afin
de rétablir la réputation de iës armes.
Suite du fié- Dans ces diipofîtions il n'eut pas de peine à fe rendre aux
ge de char- inftances du Chanceher èc de Biron , qui lui confeilloient
de continuer le Hége de Chartres. Il fit tranfporter la bat-
terie devant la porte de Dreux. AufTitôt que la brèche eut
été ouverte , il fit donner un afïàut vigoureux. Les afTaillans
ne furent pas entièrement repoufles j mais n'ayant pu percer
jufque dans la ville , ils fe retranchèrent fur le rempart. La
viéloire étoit incertaine, lorfque du Pefcheray en qui les ha-
bitans avoient mis leur efpérance , fut bleiTé mortellement
dans cette attaque: fa morç découragea beaucoup les aiTiégés,
On
très.
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 355
On appliqua contre les murs une machine de l'invention de ???????!:?^-??;
Châtillon , avec un pont pour foudroyer ceux qui combat- Henri
toient fur le rempart. Les Royaliftes conçurent alors l'ef- I V.
pérance de s'emparer de la place. i ^ q r .
Enfin on parlementa le jour du Dimanche de la Paiîîon ,
& on convint que fî le duc de Mayenne, qu'on difoit être rend.^
alors à SoifTons , ne venoit pas au fecours de la ville dans
huit jours , on la rendroit au Roi.
Le Duc ne fe mit pas en peine de la fecourir j il envoya
feulement un petit nombre des fiens pour encourager les af-
iîégës à fe défendre j c'eft pourquoi les habitans prirent le
parti de capituler le 19. Avril. Le Roi permit par le traité
aux Officiers 6c à la garnifon , de fortir en armes & avec
leurs drapeaux , pour être conduits en lieu de fureté. La
Bourdaifiere fortit de la place le lendemain fuivi de fix cens
hommes de la garnifon • il emmena avec lui un grand nom-
bre de Dames de condition , &: ne vint point faluer le Roi.
Charle de Biron Maréchal de camp , entra dans Char-
tres à la tête d'une garnifon de douze cens hommes d'infan-
terie , £c de trois cens chevaux. Le Roi confirma les privi-
lèges & les franchifes de la ville , & promit d'y conferver
l'exercice de la Religion Catholique. 11 défendit même de
profelTer publiquement la Réforme , mais il obligea les ha-
bitans à lui donner une certaine fomme d'argent , & a four-
nir une grande quantité de bled qu'on tireroit des environs
de Chartres dans l'étendue de la Jurifdiclion de cette ville.
François d'Efcoubleau de Sourdis , qui avoit toujours été
du parti du Roi , avoit été Gouverneur de cette place 5 mais
n'ayant point de garnifon pour s'y maintenir , il en avoîc
été chaffé par les habitans. Il fut fait Lieutenant fous Che-
verny qui eut le gouvernement.
Pendant le fie^e de Chartres le Roi donna un Edit le EdircîuRoi
^. Mars pour foulager le païfan , qui payoit non feulement Edes'"'
des contributions à l'un èc à l'autre parti 5 mais qui étoit troupes.
encore expofé au pillage des foldats qui les levoient. Il éta-
blit une difcipline pour les troupes , & défendit fous peine
de mort, d'enrôler fans un ordre exprés de fa part. Il or-
donna par cet Edit aux Gouverneurs des provinces de mar-
cher contre ceux qui s'empareroienc de quelque place , & la
Tûme XL Y y
3 j4 HISTOIRE
feroient fortifier , & de les faire pendre -, avec défenfe de
Henri faire des levées d'argent , d'enlever des vivres & des foura-.
I V. ges , & de forcer les gens de la campagne à fe louer pour
5 <qi^ travailler aux fortifications des places, ians un ordre (igné
de l'un des quatre Secrétaires d'Etat , de adrelTe directemenc
aux Trcforiers de France j d'emmener les bêtes de labour
au défaut du payement de la contribution ^ de faire prifon-
niers de guerre les païfans , ôc d'exiger d'eux des rançons
fous prétexte qu'ils payoient tribut à l'ennemi ^ pourvu ce-
pendant qu'ils ne portaflent point les armes au fervice des
Ligueurs , àc ne leur fourniflent point des vivres ^ de ne
point aulfi exiger de rançon des Prêtres èc des Religieux ,
à moins qu'ils ne portalîènt les armes. Cet Edit portoit en-
core qu'avant de fixer le prix des rançons , les Gouverneurs
des provinces , les maréchaux de camp, & les maréchaux
de France éxamîneroient fi les prifonniers l'étoient par le
droit de la guerre : Qu'on ne pourroit prendre , fous quelque
prétexte que ce fût ,. les femmes & les filles , ni les jeunes gens
au-deflbus de l'âge de quinze ans : Que perfonne n'eue à
s'emparer de fon autorité privée , des biens des ennemis.
Le Roi donna un autre Edic le 20. du mois , pour révo-
quer la chambre d'Amirauté établie à la Rochelle fous le
régne de fon prédécelTeur , & la transférer à Tours , où étoic
le ilége de l'Amirauté. Il donna enfuite l'édit de Révoca-
tion du fécond Dixième , qui fe prenoit fur les prifes faites
en mer. Ces deux Edits furent vérifiés & enregiftrés le 4.
Avril au Parlement , 6c trois jours après à la chambre des
Comptes.
" , . La prife de Chartres avant coupé la communication de
Thierry fur Paris avcc le pais des environs , réduiht cette grande ville a
Marne pris la dernière extrémité. Les Ligueurs la tirèrent de ce mau-
gueurs. ^' ^^'^^ P'^s î ^° forçant , ou plutôt en prenant à compofition la
ville de Château-Thierry fur Marne , au-defTus de Meaux j.
ils éloignèrent par ce moyen pour quelque tems , la nèceffité
où l'on croyoit Paris de fe rendre bientôt. Le duc de Mayenne
partit de Soiflbns pour aller faire le fiège de Château-Thier-
ry , après avoir compofé avec Claude Pinart autrefois Secré-
taire d'Etat. Pinart etoit bien éloigné d'être du parti des fa-
^ieax y mais il ne pouvoic fe réfoudre à perdre les grands-
' DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 555
Liens qu'il avoir aux environs de cecce ville. Dans la crainte ï^*»^
de s'en voir dépouillé iî la ville écoic prife d'aiîàuc ^ &; d'en H e n k i
perdre le gouvernement , il perfuada au vicomte de I V.
Combiiiy fon ^\s , qui commandoic dans Château-Thierry , i 59 £,
de ne pas s'opiniâtrer à ibutenir le fiége ^ de ne faire de ré-
fîftance que pour mettre fon honneur ôc fa réputation à cou-
vert , & de capituler enfuite facilement.
Le Duc fit tirer des lignes de circonvallation , & trois Trahifondc
jours après l'artillerie ouvrit la brèche, qui fe trouva très- Pin^rt & dt
efcarpee. Une partie des aiîîégés qui n'avoient pas le fecrec
du Gouverneur , fe préparoient à une défenfe vigoureufè ^
mais ils furent entraînés par le plus grand nombre , qui di~
rent qu'il falloir s'enfermer dans la citadelle. Les afîiégeans
entrèrent dans la ville qui avoit été abandonnée , & la mi-
rent au pillage. Les Efpagnols y commirent des excès af-
freux , l^oit par avarice , foit par la haine qu'ils ont naturel-
lement pour les François.
On pointa enfuite le canon contre la citadelle , comme
on en étoit convenu. Malgré le mauvais état de la place ,
la NoblelTe qui fe trouvoit avec le Gouverneur , vouloit fe
défendre. Pinart intervint alors , 6c leur ayant remontré
qu'ils s'expofoient inutilement au péril tandis qu'ils pou-
voient l'éviter, Ôc mettre leur vie & leur honneur en liberté j
il leur fît voir, pour les convaincre de ce qu'il avanc^oit , les
conditions honorables que le duc de Mayenne offroit de
leur accorder ^ elles furent enfin reçues d'un commun con-
fentement. Pinart &; fon fils traitèrent en particulier avec le
Duc , qui leur laifTa la jouiffance de leurs biens , & leur
donna une penfîon de la valeur des appoîntemens qu'ils re-
tiroient du gouvernement de la place.
Le Parlement de Châlons , que la prife de Château-Thier- lîs font eoa.
ryincommodoit beaucoup, cita devant lui Pinart 6c Ion fils, ^^r^^l^x^
Ils furent fommès à fon de trompe pendant trois jours de p-n-icmencds
marché : n'ayant pas voulu comparoir , on les condamna à chalons.
mort comme contumaces , 6c leurs biens furent confifqués,
comme ayant été traîtres 6c rebelles. Le Roi donna cette
confîfcation à Anne d'Anglure de Givry , afin de le mettre
en état de payer les grandes dettes qu'il avoit faites pour
Subvenir aux frais de la guerre. Mais ces biens ayant été
Y y ij
35^ HISTOIRE
■ L^ réunis au Domaine , de manière qu'on ne ponvoîc les en fé*
Henri parer , le Roi vit bien que Givry ne proficeroit pas de fa li-
I V. béraiité. C'eft pourquoi il révoqua l'Arrêt prononcé contre
i^or. Pii^art, qui en lut quitte pour trente mille écus d'or. Le
Roi donna la moitié de cette Tomme à Givry j le refte fut
defliné aux frais de la guerre.
Biron , après avoir arrangé toutes cliofes à Chartres ,
ayant eu ordre de fe rendre àTarmée, prit à compofition
Auneau de Dourdan , où commandoit le capitaine Jacque
Ferrarois- mais ce ne fut qu'après quelques jours de fiége ,
de lorfque les travaux commen^oient à endommager le
mur.
D'un autre côté le duc de Mayenne mit une forte gar-
niibn dans Château-Thiery. 11 donna le gouvernement de
cette ville èc de fon territoire à Robert de Lencncourt abbé
d'ElTome , frère du Cardinal j l'abbé de Lenoncourt quitta
les Sceaux pour prendre ce gouvernement- on lui donna pour
Lieutenant Mercure de Saint- Chamant du Pefchè. Pen-
dant ce tems-là le duc Charles de Lorraine, les Princes
de fa Maifon ,& l'envoyé de Savoye s'allemblérent à Rheims
pour prendre des mefures fur l'état prefent des affaires. Le
cardinal de Pellevé , nommé depuis peu à l'archevêché de
Rheims, fe trouva auiîî à cetteaiîèmblèe. Ce prélat natureL
lement fin èc délié , mais dont la vieiilelTè avoir un peu
affoibli l'efprit , s'étoit vanté à Rome , où il avoit demeuré
vingt ans , de facrer un jour le Prince que la Ligue devoit
mettre fur le thrône. Le Pape & les Efpagnols feflatoienc
de faire tomber les fufFrages à leur gré , fi jamais onprocé-
doit à l'èledion d'un Roi Catholique , à l'exclufion du légi-
time héritier.
Cette efpérance les engageoît à prefFer les fadîeuxd'af-
llZaams? Sembler les Etats à cet effet. C'étoit auffi le but des Lor-
rains, qui vouloient avoir part à l'èledion. Maisla jaloufîe
de concurrence règnoit entr'eux : le duc de Lorraine chef
de fa maifon prétendoit que la Couronne étoit due à fon fils
qu'il avoit eu de fon mariage avec la fœur du dernier Roi.
Mais les Seigneurs Lorrains établis depuis cent ans en
France étoient fecretement oppofés à fes prétentions j ils
r^avoient que les François du parti de la Ligue avoientplus
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 357
de penchant & d'amour pour le nom de Guife que pour ce- 11
lui de Lorraine ^ & fe fentanc d'ailleurs tout le courage & Henri
les grandes qualités que doivent avoir ceux qui fondent I V.
les empires, ils voyoient bien qu'ils l'emportoient de ce côté- ^ 3 9 ^»
la fur les enfans du duc de Lorraine.
L'efpérance flateufe de commander divîfoit encore les
Lorrains établis dans le Royaume. Le duc de Mayenne qui
iurvivoit à fon frère aîné par un heureux effet du hafard,
fe trouvant à la tête de la Ligue , fe flatoft , fur-tout pen-
dant laprifon du duc de Guife, qu'on mettroit fur fa tête,
& dans fa famille , la Couronne au préjudice de tous les au-
tres, fî jamais on en venoit à élire un Roi. Il avoit formé
la réfolution , s'il arrivoit qu'il fût trompé dans fes efpé-
rances , d'apporter toute forte d'obftacles à l'élection , 6c de
retenir le plus longtems qu'il pourroit la Lieutenance gé-
nérale du Royaume qui le rendait le maître de l'Etat.
Ivlais les uns & les autres ne faifoient point paroître ce qu'ils
defiroient j au contraire ils fe cachoient réciproquement,
2c fur-tout au roi d'Efpagne les prétentions qu'ils avoient,
de peur que la concurrence ne fît agir avec lenteur ^ 6c que
Philippe , dont tout le fuccès de la Ligue dépendoit , ne fe
refroidît 6c ne fe prcflat pas d'envoyer des fecours.
Leréfultat de cette aiïèmblée fut de faire partir unam-
bafîadeur pour l'Efpagne , avec ordre de prier le Roi de con-
fidérer que la Religion 6c la caufe commune alloient rece-
voir un grand échec , s'il n'envoyoit des fecours plus puif-
fans : Que les forces de l'ennemi s'augmentoient tous les
jours au milieu de fes vidoires : Que la reine d'Angleterre
6c les princes Proteffcants d'Allemagne prenoient le parti du
Navarrois : Qu'on n'avoit pu perfuader à la Noblelle Fran-
^oife , dans qui réhde la principale force de la guerre ,
de fe détacher du parti .victorieux de ce Prince, pour
s'unir à la Ligue , voyant que les fecours étrangers ,
qui n'arrivoient de loin qu'avec lenteur étoient trop foibles
pour la foutenir : Qu'il étoit donc nécelTaire de mettre en
meilleur état les affaires de la Lisue, avant d'alTembler les
Etats pour Telection d'un Roi : Qu'ils fc^avoient que c'étoit
le moyen de mettre la Religion en fureté j mais qu'il étoit
de l'honneur 6c de la majeflc du roi d'Efpagne , de ne riea
Yyiij
^ 5'S HISTOIRE
* réfoudre dans ces Etats qu'on ne piic enfuite exécuter : Ec
Henri qu'enfin il n'y avoic qu'un heureux luccès qui pût juftifier ces
I V. fortes d'entreprifes.
159 r . Pierre Jeanin préfident au parlement de Dijon fut chargé
de cette ambailadcj c'ëtoit un homme pénétrant èc rompu
jeamir^n'voïé ^^^^ ^^^ affaires. Le duc de Mayenne , dont il étoit ami in-
en Efpngne timc, l'avoit prié en fecret de Ibnder le roi d'Efpagne , &:
lia'ente'^ ''*^ de tâclier de découvrir iî ce Prince feroit d'humeur à fe
déclarer en la faveur dans les Etats afiemblés pour l'éleclion.
Il le chargea d'offrir à Philippe des conditions très-avanta-
geuies , qu'il feroit plus en état de remplir que les autres
qui avoient les mômes prétentions. Le préfident Jeanin fe
rendit fur la tin du mois d'Avril à Marlèille, où il s'em-
barqua-il alla trouver Jean André Doria à Loano dans le
Genovefat , afin de prendre en cet endroit les ambafîk-
deurs de Savoye , 5c de Lorraine , pour pa^fler enfemble en
Efpagne.
Le bruit s'étoit déjà répandu de tous côtés , que le Pape
alloit envoyer des troupes au fecours de la Ligue ^ ôc faire
prendre les devants à un Légat , avec des ordres îévéres ,
comme il l'avoit mandé à. l'évêque de Plaifance. Le Roi
jugea à propos que François de Luxembourg duc de
Piney, qui avoit fourenu à Rome l'honneur du nom Fran-
çois , quoiqu'il n'eût pas tout - à - fait réiiflî dans fon am-
baiTade , écrivît au Pape pour l'empêcher d'envoyer ce
Léo-at , & pour retarder les fecours qu'il devoit faire
partir.
Le duc de Le Roi étoit encore au fiége de Chartres , lorfque le Duc
Luxembourg écrivit le 8. d'Avril à fa Sainteté. Il commença parrappeller
vsToTd^cdl la négociation qu'il avoit eue l'année précédente avec
^oJ' Sixte V. fon prédécefTeur : il difoit enfuite qu'après la mort
de Sixte il n'avoit cefTé d'écrire au Conclave depuis fon
retour en France : Que prévoyant que fes lettres feroient
fupprimées par ceux qui étoient mal intentionnés pour le
Roi, il les avoit adreflees au futur Pontife : Qu'il avoit ap-
pris qu'elles avoient été remifes à fa Sainteté, qui les avoit
reçues avec bonté j 6c qui avoit même fait efpérer qu'elle y
répondroitj mais que s'appercevant que prévenue par la
fadion oppofée , elle n'avoit pas jugé à propos de l'honorer
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 3 55^
d'une manière fi éclatante, ilavoit unjufte fujet de craindre 1
que ceux dont le pouvoir avoit été afîèz grand fur fon ef. Henri
prit pour l'engager à tenir cette conduite à fon égard , ne IV.
viniîent à bout de lui inipirer des fentiments contraires à ijQf,
ceux qu'elle devoit avoir touchant les affaires de France,
Se qu'elle ne donnât des ordres en conféquence. » C'eft
"pourquoi, ajoûtoit le Duc, je prie &: conjure inftammenc
» votre Sainteté de n'écouter pas fi facilement des gens qui
ï> ne cherchent que la perte de la France, ôc qui veulent
» vous engager dans une guerre injufire, afin d'épuifer les
" tréfors amaflés par votre prédécefieur, pour reconquérir
» le Royaume de Naples , comme ils le penfent eux-mêmes,
»i èc les faire fervir aux projets de leur ambition. Nous
« fommes accoutumés dès longtems au bruit des armes en
>5 France , ôcla guerre ne nous effraye point. Je ne fc^aurois
w diflimuler à votre Sainteté, que les François indignés de
>î fe voir abandonnés par le iaint Siège, qui ne doit, fes ri-
5î chefles àc ià puifiance qu'à la Noblefle Fran(^oife, ne peu-
M vent foufFrir que le Père commun des fidèles , qui dévoie
M fervir de médiateur , ait pris parti contr'eux. On a trompé
» d'abord par les mêmes intrigues le prédécefi^eur de votre
>î Sainteté ^ mais il a bientôt découvert la vérité. Dès qu'il
>5 a changé de conduite à notre égard , les Efpagnols l'onE
"indignement déchiré par des calomnies afFreufès, & lui
» ont fait des outrages langlants. L'événement qui fera
» voir fon difcernement , & la témérité de ceux qui s'en-
" gagent dans cette guerre injufte , rendra fa mémoire plus
» glorieufe. Je frémis , très-faint Père, en prévoyant les
>î malheurs qui feront les fuites funefi:es de ces troubles.
» Car enfin qu'arrivera-t'il , fi les François zélés pour leur
M patrie ont plutôt recours aux dernières extrémités, que
» de fe foumettre à une domination étrangère 3 & fi ne le
« fentants pas afi^ez de force pour s'y foufkraire , ils font con-
n traints d'implorer les fecours des Princes, qu'ils regarde-
» roient d'ailleurs comme des ennemis par rapport à la
55 Reh'gion ? Jelaifie à juger à votre Sainteté quel préjudice
j> en loufFrira la Foi Catholique, & quels feront aux yeux
M de Dieu ceux qui l'auront expofèe à des dangers fi mani-.
»feiles , de les vrais auteurs de cane de maux. «
3^0 HISTOIRE
' t3 On die publiquement, continuoît-il , que votre Sainteté
Henri ^j envoyé des lecours de troupes &c d'argent aux Parifiens qui
I V. »3 ont donné l'exemple de la révolte ^ 6c qu'elle a réfolu de
i 59 1. " faire partir un Légat pour s'inftruire de l'état du Royaume,
)3 ôc découvrir les cauies des troubles préféns. En vérité je
>3 ne fçaurois me perfuader que votre Sainteté ait pris le
55 premier parti , parce qu'il ell injufte de nous condamner
55 fans nous entendre, & de nous porter préjudice de cette
55 manière. Pour ce qui regarde l'envoi du Légat, votre
55 réfolution eft très-loiiable ^ ^ il ne nous refte à fouhaiter
55 que ce Prélat n'époufe point de parti j qu'il ne fuive point
55 l'exemple de Tes prédécelFeurs 5 qu'il ne foit , ni préoc-
55 cupé par les Elpagnols , ni aveuglé par l'avarice , ou par
95 l'ambition j que ne penchant d'un côté ni de l'autre,
55 mais gardant un jufte milieu entre la Ligue & le Roi, il
55 ne vienne point en France dans le deflein de vendre fa
55 protedion à l'Efpagne. ce
55 Votre prudence 6c votre amour pour la juilice , faine
55 Père , me raiTûrent, 6c m'empêchent de croire ce que les
55 fadicux ofenr publier de votre Sainteté. Ils difent haute-
55 ment que vous vous laiffez obieder par les Miniftres du
55 roi d'Eipagne, &c par les partifans de l'Union ^ que vous
55 n'écoutez que leurs confeils j qu'ils vous préviennent aifé-
î5 ment contre nous. Encore une fois, je ne peux mêle per-
53 fuader , fur-tout lori'que je me rappelle ce que votre
55 Sainteté me fit l'honneur de me dire l'année précédente ,
55 quand j'allai au-devant d'elle à Torniceri en Tofcane ,
M lorfqu'elle alloit à Rome pour le Conclave , après la mort
X5 de Sixte V. Je mefouviens encore de vos paroles ; vous
53 me dîtes qu'il falloir, pour entretenir la paix dans la,
53 Chrétienté , que le roi d'Efpagne confervât [qs Etats , 6c
53 que le roi de France pofïédât ce qui appartenoit à la
» France , afin que les deux Rois fulFent , pour ainfi dire ,
55 une barrière à leur ambition réciproque, ce
Leduc de Luxembourg difoit encore dans fa lettre qu'il
avoit rapporté ces paroles à ceux qui l'avoient envoy è,6c qu'il
n'avoit ceiTé de les oppofer aux bruits que l'on faiioit courir j
q.ue la Noblefle ayant réfolu d'envoyer une perfonne defon
Corps à fa Sainteté > pour la féhciter de fon heureufe.
exaltation ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. ^Ci
cxalcâtîon , & pour i'aiïiirer de Ton obéïiTancc , il ne vouloic ^
pas qu'on l'accafâc de négligence , & de manquer a fa parole : H e n m
Qu'il écoic de /on devoir de mander tout ceci au Souve- I V.
rain Pontife ^ & de radûrer en même - rems des fenci- 1501-,
mens & des difpofitions de la Noble/le Françoife à
l'égard de la Religion 6c du légicimc héritier de la Cou-
ronne, auquel elle s'étoit crue obiicrée de fe foumettre d'à-
bord j refoluc de l'exhorter à fe faire inftruire , &: à embralîer
la Religion Catholique avec le fecours de Dieu , &: par les
foins de fa Sainteté : Qu'il ne pouvoit y avoir de plus
grand obftacle dans cette affaire importante , que la con-
tinuation de la guerre 3 parce qu'on ne pouvoit pendant ce
cems-là inftruire le Roi àQs vérités de la Religion : Qu'il n'a-
vo'ii pli fe difpenfer de faire ces repréfèntations à fa Sainteté :
Qi-ie c'étoit à elle à prendre des mefures dans le Coniiftoire ,
pour trouver des moyens de procurer la gloire de Dieu ,
8c de donner la paix à la Religion , Ôc a la France.
La lettre du duc de Luxembourg arriva trop tard. La warfiiiotan-
Cour de Rome étoic déjà prévenue contre le Roi. La «iriano Nonce
puifFance , la faveur , & le crédit àQs Efpagnols avoient vl-é^e^n Fi^an"
captiva les efprits. JVlarillio Landriano etoit depuis peu ce.
arrivé en France en qualité de Nonce , avec des ordres
terribles ^ très-préjudiciables au Roi , pour obliger le
Clergé Royalifte à fe ranger du côté des Ligueurs, fous
peine d'excommunication. Il étoit chargé d'avertir la No-
bleile de prendre le même parti , fans cependant la mena-
cer d'aucunes Cenfures Eccléfiaftiques.
Le Roi fe rendit fur ces entrefaites à Vernon. De Moy
de Richebourg , gouverneur pour la Ligue de Château-
Gaillard fur Seine ouvrit les portes à ce Prince, qui appric
en cet -endroit que les habitans de Louviers gardoient cette
yille avec beaucoup de nég,ligence ; Que François de Fon-
taine-Martel , Commandant de la place , faifoit des courfes
fréquentes à la tête de fa garnilbn , compofée de cent
cuiralfiers: Et qu'il ne lailFoit qu'un petit nombre defol-
dats pour la garde de la ville. Elle n'ell éloignée de Châ-
teau-Gaillard, que de deux lieues- affez forte par fa ficua-
tion , & bien approvifionnéc. Le Roi pouvoit en tirer de
grands avantages pour le fiége de Roiicn , qu'il m.éditok
Jpme XI, Z%
3^2 HISTOIRE
depuis longtems. Toutes ces raifons le déterminèrent à ga-
H E N RI gner , par le moyen de du Rolet gouverneur du Pont-de-
I Y. Larche , un certain Prêtre que celui-ci connoifToit. Pendant
I SOI. ^^^ ^^ fentinelle , qui ëtoit chargée de fonner leToclln,
lorfqu'elle découvroit de la cavalerie , ou d'autres troupes
qui s'approchoient de la ville, alloit prendre iès repas , ce
Prêtre montoit à la tour , dont il gardoit auffi les clefs.
Du Rolet prit jour avec lui pour le 6. de Juin j ils arrêtè-
rent enfemble que lorfque Fontaine-Martel feroit forti fur
le midi , il s'enfermeroit dans la tour , èc donneroit le tems
aux troupes du Roi de s'emparer de la porte, avant de Ton-
ner l'allarme.
prifcaeLou- Charle de Biron s'avança , comme on ëtoit convenu, â
Royaifftes. l^, têtc d'un bataillon ferré. Du Rolet prit les devants avec
un détachement de foldats déguifés en payfans. Il arrive
à la porte, met l'épée à la main, furprend la garde , en
égorge une partie, ôc poufTe l'autre jufque dans la ville.
Biron furvint alors avec fon bataillon : le Prêtre qui étoic
dans la tour croyant avoir fatisfait à fon engagement , dans
l'incertitude de l'événement fonna le tocfîn. Les habitans
accoururent auffitôt en armes. Fontaine-Martel qui étoit
forti par une autre porte , revint promptement fur ies pas.
Il y eut dans la ville un combat fort vif, où les habitans
& la garnifon perdirent plus de cent hommes. Cependant
Biron demeura maître de Louviers. Le Gouverneur fe retira
avec le refle de fa garnifon à la porte de Rouen , dont on
avoit fait une efpece de citadelle j mais quelques heu-
res après il fe rendit à difcrétion au Roi , qui y arriva
avec toute fon armée. Les Royaliftes perdirent en cette oe-
cafion vingt hommes , du nombre deiquels fe trouvèrent
cinq Capitaines. On prit dans la ville Claude de Saintes
Le fanatique évêque d'Evreux , fameux Théologien , zélé Ligueur, ôc
sahites évè. ^'^^ ^^^ plus obflinès ennemis du Roi. On s'empara de ks
eue d'Evreux livres ^ & on trouva parmi fes papiers un écrit où il juftifîoit
cft pris. l'alTaffinat de Henri III. & s'éfForçoit de prouver qu'il étoit
permis de tuer le roi de Navarre : c'eft pourquoi on ne le
traita pas comme un prifonnier de guerre j mais on l'en-
voya à Cacn fous bonne garde, pour lui faire fon pro-
cès, ôcle punir comme un criminel de léze-Majellé : car
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 3^3
on n*a point d'égard en France aux prérogatives du Cler-
gé , lorlqu'il s'agit d'un crime d'iitat j & la févérité des loix H e n Eii
tombe indifféremment en ce cas fur les Evêques de fur les I V.
Prêtres, comme iur les Laïcs. Il ne s'en fallut rien que ce j ^«j^
féditieux Prélat ne fût condamné à mort. Il fut atteint &
convaincu. Il ofa même défendre opiniâtrement les mal-
heureufes & extravagantes opinions dont il étoit entêté.
Le cardinal de Bourbon , & le Clergé du parti du Roi in-
tercédèrent pour lui ; on obtint que la peine de mort , qu'on ^^M ^°"''
avoiioit qu'il avoit encourue félon nos loix , feroit com- grâce à une
muée en une prifon perpétuelle , où il mourut peu de tems P",[°" P"^^
après. Le Koi nomma du Rolet gouverneur de Louviers j
& lui ayant donné une garnifon nombreufe , il ramena l'ar-
mée à Mantes.
Le Roi avoit mandé le cardinal de Bourbon après la ré-
dudion de Chartres , fous prétexte de raflèmbler le Con-
feil d'Etat , dont une partie étoit reftée avec lui à Tours
après la mort du feu Roi. Le véritable motif de cette dé-
marche étoit de déconcerter les projets du Tiers parti qui
Venoit de fe former. Le Cardinal n'obéît qu'après avoir
reçu plufieurs ordres 3 le Roi voulant lui ôter toute forte
d'ombrage , fortit de la ville pour aller au-devant de lui • il
defcendit même de cheval dès qu'il rapper(^ut , ôc fît de
grandes carefïes à ceux qui étoient venus avec lui. Tou-
chard & du Perron étoient de fa fuite. Henri ne fît point
d'accueil à Touchard , qu'il lailla gouverner en pédant la
maifon de fon maître 3 mais pour du Perron , il le recjuc
avec de grandes marques de bienveillance, &n'eut pas beau-
coup de peine à tirer de lui le fecret de la Conjuration,
Enfuite il donna le commandement de l'armée, qu'il étoit
obligé d'envoyer en Poitou, au prince de Conti , afin de le
réparer de fes frères ( i ). Le comte de Soifîbns ne murmura
point de cette préférence en faveur de fon aîné , que Cqs
défauts naturels rendoient d'ailleurs incapable de com.
mander.
Le Roi ifTembla dans la ville de Mantes, où il étoîc
alors , les Princes , les Seigneurs , & les Evêques qui étoient
avec lui , afin de fe prémunir, lui 6c fon parti , contre les
(i ) Le cardinal de Bourbon , & le comte de SoifTons.
Z z ij
3^4 HISTOIRE
démarches de la Cour de Rome , en attendant Tarmée
H£ N Kl auxiliaire j afin de fluîsfaire aux jufles demandes & plaintes
IV. des Proteftans, donc il profelloit encore la Religion ^ &c
1591. afin de les prévenir au iujet du changement qu'il niédicoit.
Le Parlement de Châlons n'attendit pas les ordres du Rot
xlt^^dTpr^rk. ^" ^'■'i^^ ^^^^'^ ^"^^^ ^^^ ^^^P^ apportée en France par Lan-
mcntdechâ- driano. Dhs qu'il en fut tombé entre fes mains des éxern-
lonsconae nJaires imprimés à Rheims, il rendit le 10. de juin un ar-
les Bulles du ^^ ] -n r- - ' ? n "^ j) j
Pape, & cou- ^'^^ ; reçut le Procureur General appellant comme d abus
tic le Nonce de i'impétration 6c éxccution des ordres du Pape, des ex-
communications ce rulmmations lancées a Rome contre le
feu roi Henri III. de crlorieufe mémoire, èc contre le
Roi régnant 3 & en outre dQs ordonnances du cardinal Gaë-
tano j 6l enfin des monitoires donnés à Rome le premier de
Islars 3 &: delà publication que Marfilio Landrianoen avoic
faite en France : Lui enjoignit de procéder contre ledit Lan-
driano Nonce du Pape , qui étoit entré dans le Royaume
fans permiiTion de Sa M aj elle : Ajourna perfonnellement le
Nonce 3 &: faute d'avoir comparu , le décréta de prife de
corps : Déclara toutes les Bulles précédentes à ce fujet nul-
les & abufives, fcandaleufes , pleines d'impoftures, tendantes
à la révolte , &: contraires aux faints Décrets , aux Confti-
tutions Canoniques , aux Réglemens des Conciles reçus y
•aux droits &: libertés de l'Eglife Gallicane , enfin nulles
de toute nullité. Il ordonna que fi quelqu'un avoit en-
couru les Cenfures en vertu de ces Bulles ,il en fûtabfous :.
Que ces Bulles &: les ades faits en conféquence pour les.
mettre à exécution , feroient brûlés par la main de l'éxécu^
teur de la Juftice dans la place publique : Que Landriano ,
foi difant Nonce du Pape , qui avoit ofé entrer dans le
Royaume fans la permifion de Sa Majefté , Cerok pris &c
appréhendé au corps , & fubiroit l'interrogatoire .-Que fi on
ne pouvoit l'arrêter, il feroit cité par trois jours de mar^
ché à fon de trompe : Que celui qui le iivreroit auroit dix
milles livres : Défendant fous peine de mort à qui que ce
foit de le recevoir ou loger chez lui 3 èc à tous Archevê-
ques , Evêques , & autres membres du Clergé , fous peine
d'être traités en criminels de leze-Majefté , de publier ou
faire publier ces Bulles , ou autres Décrets venants de la
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 3(^5
parc de Landriano. Il déclara déchus de tous les bénéfi- s
ces qu'ils pou voient poflédcr en France, les Cardinaux , les Henri
Archevêques, les Evêques, & tous autres Eccléfiaftiques IV.
étants à Rome , qui auroient confeillc de donner ces içqi.
Bulles d'excommunication, ou qui les auroient foulcritesj
qui auroient loiié ou approuvé le déteftable parricide
commis par trahifon fur laperfonned'un Roi très-chrétien,
iîncérement attaché à la Religion Catholique. Il ordonna
que le Procureur Général mettroit en féqueftre cqs béné-
fices. Il défendit de plus à tous d'envoyer de l'argent à
Rome pour l'obtention des Bulles, ou d'en faire compter
par les Banquiers ^ jufqu'à ce que Sa Majefté en eût autre-
ment ordonné. Le Parlement par le même Arrêt donna
ade au Procureur Général de Ion appel au futur Concile
de l'éledion de Grégoire XIV.
Le Roi trouva cet Arrêt digne de la fermeté du Par- r>. ,
1 1 1 iM ' -- 'r •! 11 Declnintion
Jement , &c de la hberte t^rançoiie, & il voulut l'appuyer au Roi à ce
& le confirmer par fon autorité. C'eft pourquoi il jugea à ^"^^"^'
propos de donner le 4. de Juillet un Edit fous le titre
de Déclaration. Il commença par confirmer celle qu'il
avoit faite à fon avènement à la Couronne j il difoit en^
fuite qu'il fbuhaitoit d'être inffcruit davantage dQs articles
de la Religion Catholique, & il demandoic à cet effet la
convocation d'un Concile général , afin d'examiner les
points controverfés , èc de terminer la difpute , avec pro-
niefîè exprefle de fa part de ne rien innover pendant ce
tems-là dans la Religion Catholique , Apoftolique , &c Ro-
maine j mais de la maintenir dans l'Etat : Qiie cette décla-
lation de fa part auroit dû contenter ceux qui difbient n'a-
voir pris les armes , que pour la défenfe de la Religion j fi
l'envie de démembrer le Royaume, & de le partager entre-
eux , c'eft-â-dire, entre lesXfpagnols , & les ducs de Savoye
6c de Lorraine , ne leur eût mis les armes à la main , plu-
tôt que les motifs de Religion , donc ils couvroient leur am-
bition criminelle.
« C'eft , ajoûtoit le Roi , ce que le Pape Sixte V. a dé-
« mêlé de bonne heure. Il avoit formé la réfolution de
>5 lever l'excommunication lancée fur nous à la follicita-
w don de nos ennemis , ^ de la faire retomber fur eux..
Z z iij
iC^G HISTOIRE
» Sa mort a faîc place fur la Chaire de Saint Pierre à ua
Henri « Pontife , qui a prêté facilement l'oreille à l'impofture. Les
IV. «rebelles ont abufé de fa crédulité, en lui faifant entendre
j^oi. "que nous rejettions abfolument toute inftrudion , & que
» nous introduirons des nouveautés dans la Religion. Aveu-
>j glé par nos ennemis, il a envoyé un Nonce dans nos
>5 Etats avec des ordres rigoureux , dans le deilcin de dé-
« tacher de notre fervice les Princes , les Cardinaux , les
" premiers Magiftrats de notre Royaume , les Archevêques
» ôcEvêquçs qui nous font demeurés fidèles. Ce Nonce eft
«entré en France fans notre aveu, & fans nous faire f<^a-
» voir fon arrivée ^ il eft allé trouver nos fujets rebelles.
î> Confidérant que ces démarches de la Cour de Rome don-
« nent atteinte à notre autorité , aux loix du Royaume , à
>î fes droits, 6c aux libertés de l'Eglife Gallicane, à lacon-
ïî fervatîon defquelles nous nous croyons obligés de veiller 5
" que d'ailleurs la fureté publique y eft intéreilée j nous
« n'avons rien voulu ftatuer ôc ordonner de notre autorité
» royale à ce fujet • 6c nous avons jugé à propos de renvoyer
« l'afFaire à nos Parlemens , â qui la connoiiTance en ap-
55 partient, comme étant de leur compétence , pour en fta^
>3 tuer 6c ordonner , d'une autorité pleine 6c entière , en
« conformité des loix de l'Etat. Nous exhortons les Car-
î5 dinaux , Archevêques , Evêques , 6c autres Prélats às'af.
» fembler au plutôt, pour prendre des mefures conformes
»> à la juftice 6c à la raifon , félon \qs faints Décrets, 6c les
« Conftitutions canoniques , au fujet des Cenfures décer-
>3 nées ^ mifes à exécution contre toutes les régies de droit,
« afin de conferver la difcipline , 6c de retenir dans leurs
» fondions les Pafteurs : ^ de peur que les peuples ne foient
» privés de Tufage des chofes facrées , nous proteftons de
«regarder comme des déferteurs de l'Eglife Gallicane, 6c
« de {(ts> libertés, ceux qui manqueront à leur devoir dans
« ces circonftances j 6c les déclarons dès-à-préfent déchus
>î du droit de jouir 6c d'ufer de ces libertés 6c autres. c<
ui.cours du j^^ j^^j £j. gnfuite un lone difcours 6c plein de force dans
Rai dans 1°" , ^ ^ ., ^ r ' i t r i t» i i
Confcii, au Ic Conlcil , OU le trouvèrent le cardmai de Bourbon, les
fujetdesPro- ^utres Prélats , les principaux Seigneurs, ^ les Confeillers
îrance. d'Etat , pout prouvct k néceffite de faire un Edit en fayewf
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 5^7
des Proceftants. Il die que perfonne n'ignoroic fous quels
fu nèfles au fpices fon prédéceireur d'heureufe mémoire avoir Henri
révoqué l'Edic de 1577. à la foUicitation des auteurs des 1 V.
troubles prélens qui lui avoienc arraché par force des Edits i 59 i,
fur d'autres fujets ^ mais combien de malheurs cette révo-
cation n'avoit elle pas entraînés ! Qu'on avoir enfin été
contraint, pour foutenir l'Etat fur le penchant de fa ruine,
de s'unir à ces mêmes Proteflants que les rebelles vouloienc
détruire &c anéantir 5 qu'on n'avoir fait alors une trêve,
que pour parvenir à cette jondion fi fortdéfirée, & dont
l'événement avoitfait voir l'avantage, fans révoquer néan-
moins hs Edits donnés contre fa propre perfonne , ôc contre
Iqs fiens.
» Mais , ajouta ce Prince, ces Edits ont été abolis &
>3 condamnés comme par un préjugé général. En ejfFet, s'ils
ïî avoient paifé en force de loi , nous lèrions déchus de nos
55 droits au thrône , nous à qui vous marquez tant d'atta-
>3 chement & de fidélité , comme au légitime héritier de
53 la Couronne. Les Proteftans ne mériteroient aucune grâce:
53 Vous-mêmes vous mériteriez d'être punis comme traîtres,
»> puifque vous avez arrêté par votre courage , par vos ef-
33 forts , les progrès de ceux qui fe fondent fur ces Edits,
35 ôc que vous les avez empêchés de réufîir dans leurs pro-
53 jets. Il efb donc néceffaire de leur oppofer d'autres Edits ,
33 de une loi ancienne pour annuler la nouvelle , afin que
53 notre dignité Royale , &: nos droits ne nous foient point
33 conteflés ^ que les Reformés jouiffent des droits de nos
33 fujets Catholiques ^ & qu'enfin vous puiffiez vous-mêmes
33 nous rendre l'obéifTance qui nous eft due , & vivre en
53 paix avec les Proteftans , qui fous les yeux & du con-
î3 lentement de ceux qu'une haine de parti n'aveugle point,
33 jouiflent de ces mêmes droits malgré les Edits. Il n'eft- pas
33 à propos de tolérer plus longtems ces fortes de chofes.
33 En effet, rien n'eft plus pernicieux dans un Etat, que d'y
33 foufFrir des fadions , fource inépuifable des troubles ,
33 fur-tout lorfque celui qui doit rendre la juftice fans par-
33tiâlité, fe laifFe entraîner de l'un ou de l'autre côté par
33 l'animofîté , ou par la faveur. Ne vaut-il pas mieux que
3> nous leur donnions la loi , que de la recevoir d'eux ?
3^3 HISTOIRE
n II eft à craindre qu'il ne s'élève d'entr'eux un chef de parti ,
Henri >j comme autrefois l'amiral de Coligni , qui mérita le titre
1 V. >5 de protedeur des Proceflans , en prelcntant au Roi une
I 59 I. »' requête au nom de tous 3 titre qu'ils lui ont confervé pen-
» dant ià vie. Mais puifque les loix du Royaume nous ont
>3 appelle feuls à la Royauté , il eft de notre gloire de ne pas
» foufFfir plufieurs Rois , tels que font, pour ainfî dire , Iqs
" chefs de parti j la fureté publique même & le repos de
>5 l'Etat demandent que réunis tous fous un feul Prince , àc
» fous l'autorité de I'qs Officiers , tous obéïflent aux loix du
>3 Prince & du Magiltrat.
» Nous avons encore , continua-t'il des motifs plus pref-
Ȕ fans d'accorder cet Edit aux Proteftans. Vous n'ignorez
"pas que la reine d'Angleterre, èc que les princes de l'Em-
55 pire qui vont arriver à la tête d'une armée auxiliaire , ne
» manqueront pas de faire des demandes exorbitantes , afin
?5 d'obtenir des conditions avantageufes en faveur des Pro-
» teftans de France. Jufqu'où ne porteront-ils pas leurs pré-
>î tentions, fi cette affaire fe trouve à leur arrivée dans l'étac
îî où elle efi: ? Que pourrons-nous alors leur refufer avec bien-
)î féance , fur-tout dans des circonftances où leurs prières
îj foutenuës de la préfence d'une nombreufe armée, feront
>■) en quelque forte des commandemens ? Il efb de notre in-
îî térêt de ne pas avoir pour ennemies ces troupes étrangères.
î) Il faut donc prévenir leurs demandes , il faut abolir 6c an-
î5 nuUer ces Edits violens 6c fanguinaires , qui ont occafion-
» né tant de maux , pour faire revivre cet Edit falutaire que
M notre prédéceflïeur de glorieufe mémoire , appelloit pro-
î? prement fon Edit. Nous fouhaitons donc avec ardeur que
)j vous concouriez avec nous dans ce projet? fi nécefilaire 5
53 c'efl le feul moyen de parer aux demandes extraordinaires
35 que les princes Proteftans font prêts à nous faire j rien
« n'eft plus conforme à la juftice & à la raiion j ceux qui
33 penfent autrement doivent condamner la guerre que nous
35 faifons pour défendre l'Etat , & ils ne cherchent que l'oc-
ïîcafion de femer la divifion parmi vous a
Conduite du Toute l'afiTembiée applaudit par fon filence à la prudence
cardinal de ^ ^ l'équlté du Roî. Il n'y eut que le cardinal de Bourbon ,
qui voulant engager le Tiers parti à fe déclarer , fe leva
commQ
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 3(^9
comme pour fe retirer , après avoir die quelques mots en — — —
bégayant. Le Roi voyant que l'archevêque de Bourges , les H e n r.i
cvêques de Nantes , de Maillezais , de de Bayeux , ne fe I V.
mettoient point en devoir de le fuivre, le rappeila d'un ton i cor.
de mépris , oc le fît alTeoir dans fa place. La plupart accu-
jfoienten lecret fon imprudence , de faire éclater mal à pro-
pos &: avec tant de foibleflè , Ces deiTeins , au fujet' d'une
chofe qu'il ne pouvoit empêcher.
Le Roi ne trouvant point d'autre oppofition dans Ton Le Roi don-
Confeîl , donna un Edit de révocation de celui du mois ne un Edit
de Juillet , par lequel il annulla tout ce qui s'étoit fait en p"oteftans."
conléquence ^ êc rétablit les Edirs qui avoient été faits
en faveur des Proteftans ^ avec cette claufe que ce dernier
Edit n'auroit lieu que jufqu'à ce que la paix étant établie
dans Cqs Etats , avec l'aide de Dieu , les différends de Re-
ligion pufTent fe terminer du confentement de tous les
Ordres du Royaume , lorfqu'ils fe feroient remis fous fon
obéïfîance , comme il avoit donné fa parole Royale à fon
avènement à la Couronne , de travailler à ce grand ouvra-
ge. Cette claufe fut ajoutée , pour que cet Edit ne parût pas
confirmer le fchifme , &c ôter tout-à-fait l'efpérance de le
faire ceffer.
Jacque Augufle de Thou ( i ) qui avoit afîjfté à cette af- jacque Au-
femblée , & qui avoit confeillé d'ajouter la claufe dont nous guitc de
venons de parler , pour fermer la bouche à la calomnie , fut °^^ ^^"
r f > . 11 prunte de
chargé de porter à Tours la Déclaration concernant les BuL rargenr pour
les du Pape , &: l'Edit en faveur des Proteftans , pour les ^^ ^°*-
faire vérifier & enregiflrer au Parlement. On lui donna or-
dre en même tems d'emprunter de tous côtés , ôc de prendre
de l'argent de ceux qui voudroient en donner , pour payer
l'armée auxiliaire , qui étoit fur le point d'arriver.
Il s'acquitta de fa commiiîion avec foin , fie fit à Tours
& dans les autres villes de la Touraine 6c de l'Anjou , au
Mans , & à Limoges , une fbmme de trente mille écus d'or ,
que lui fournirent les Chapitres , les Corps de villes , & plu-
Heurs particuliers. Il fit tranfporter cet argent au camp du
Roi , dans le tems où l'armée Allemande arriva.
Lorfqu'il préfenta le premier Edit , 6c qu'on eut fait la
(i) C'eft l'Auteur de cette Hiltoire.
Tome XI, AAa
370 HISTOIRE
■ le«flure dans le Parlement des Balles du Pape , les e/prîcs
Henri s'allumèrent excraordinairement. On parla avec beaucoup
I V. de force , de fermeté , 3c d'indignation contre ces énormes
155^1» attentats de la Gourde Rome. On fe rappella les tems de
l'Empereur Henri IV. que Pafchal II. avoir excommunié,
& dont il avoit aufîi retranché les fujets Eccléfiaftiques &:
autres , de la Communion des fidèles. On y rapporta que
ce Pape ayant envoyé une Bulle à Robert comte de Flan-
dre , pour l'engager à faire la guerre à l'Empereur , comme
il l'avoit déjà faite à ceux de Cambray , 6c afin de l'animer
contre ceux de Liège , les habitans de cette ville s'alTem-
blérent , & lui écrivirent pour détourner l'orage & dans la
vue de l'adoucir. Cette lettre des Liégeois à Pafchal IL fe
trouve dans les ades des Conciles imprimés à Cologne , de
compilés par le Chartreux Laurent Surius. Elle a été fuppri^
mee dans les autres éditions des Conciles. Sigebert , que
Tricheme dit être un écrivain François , pafTe pour en être
l'auteur. On réfolut de fe fervir de cet exemple , qui parue
convenir au tems préfent. La lettre de Sigebert fut traduite
en François , pour la faire courir dans tout le Royaume.
Arrêt du ^^ Parlement de Tours donna un Arrêt , oui & ce requé-
Parkmentde rant le Procureui général , èc Antoine Seguier Avocat du
k°Bui!e°s"ciT ^°^ portant la parole. Cet Arrêt déclaroit les Bulles moni-
Pape & con- toriales données à Rome le premier de Mars, nulles, abu-
trcieNoncc. f^^Q^ ^ féditieufes , condamnables, pleines d'impofbure 6c
d'impiété, contraires aux SS. Décrets, aux droits, immu-
nités &c libertés de l'Eglife Gallicane. Il fut ordonné par
cet Arrêt que tous les exemplaires des Bulles fcellées du ca-
chet de Marfilio Landriano , fignés Sextilio Lampini , fe-
roient lacérés par la main de l'exécuteur , & brûlés devant
la porte du Palais où ie rendoit la Juftice j avec défenfe â
tous Evêques , Curés , Vicaires , 6c autres Eccléfiaftiques ,
de les publier , 6c à tous autres, de quelque état 6c condition
qu'ils fulFent , d'y déférer , de les avoir , ou de les garder ,
fous peine de crime de leze - Majefté 3 d'envoyer fous les
mêmes peines de l'argent à Rome , ou d'y en faire tenir par
le moyen des banquiers , pour avoir des Bulles 3 enjoignant
à tous Juges de n'avoir aucun égard à celles qui y auroienc
été impétrées. L'Arrêt ordonnoit encore que Landriano
J'
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 371
foî difant Nonce du Pape , 6c porteur de ces Bulles ^ feroic ■
appréhendé au corps' , fe rendroic aux pieds de la Cour , & H e n r i
feroic interrogé en prifon : QLie (î on ne pouvoic le prendre, I V.
on le citât par trois jours de marché à fon de trompe , & i en r
dans un lieu fiir &: voifîn de SoilTons.
Lemême Arrêt déclaroit Grégoire foi difant Pape XIV. LePapeGre-
de ce nom , ennemi de la tranquillité publique , de la paix , s^'^e xiv.^
&: de l'union de l'Eglife Catholique , Apoftolique , &; Ro- le même Ar-
maine , du Roi ôc de l'Etat , fauteur des rebelles , complice '^^^•
des deflèins ambitieux des Efpagnols , & du déteftable par-
jricide commis par trahifon fur la perfonne de Henri III.
roi très-Chrétien , 6c très-attaché à la Religion Catholi-
que. Il fut ordonné que la Déclaration (tu Roi 6c cet Ar-
rêt lignés d'un Greffier de la Cour , feroieni affichés à la
porte des Eglifes , dans les grandes rues 6c les places de
Tours , dans les villes ^ autres lieux foumis à la Jurifdi-
ctîon du Parlement , enreglftrés 6c pubHés par les Arche-
vêques 6c Evêques dans leurs Diocèfes , afin de rendre pu-
bliques les bonnes intentions de Sa Majefté. Cet Arrêt fuc
rendu le 5. Août. Le lendejnain l'Edit en faveur des Pro-
teftans fuc vérifié 6c enregiftré d'un confentement unani-
me, comme nécelfaire j oiii fur ce, 6c ce requérant le Pro-
cureur général. Trois jours après la chambre des Comptes
en fit autant. Le Parlement de Châlons avoic déjaenregi-
ftré les deux Edits le Z4. de Juillet. Il inféra dans le pre-
mier Edit concernant les Bulles de Rome, quelques articles
de l'Arrêt rendu le i o. Juin.
A la nouvelle de cette démarche du Parlement de Châ- L'Arrêt du
Ions, le Parlement de Paris, les Chambres alfemblées, in- rh^^f^^ireft*^
terpofa fon autorité , à la requiiîcion du Procureur général , caiTé par le
qui loiia dans un long difcours la follicitude paternelle du Parlement de
Pape pour les affaires de France. L'Arrêt de. Châlons fut damnéaufcô.
déclaré nul, fcandaleux , tendant au fchifme , rempli d'er-
reurs , 6c ne refpirant que révolte contre l'obéïlTance due
au fucceffeur de S. Pierre , dans les points qui font foumis
à la puiffance 6c à l'autorité qu'il a re(^ûë de Dieu. Il fut or-
donné que cet Arrêt feroic lacéré à l'audience , 6c enfuite
brûlé par la main de l'exécuteur , avec déFenlè à toutes per-
fonneSjde quelque état 6c condition qu'elles fuiîènt , d'y
AAa ij
Tours.
372 HISTOIRE
■ 'J — obéïr, & de reconnoîcre d'autre Parlement dans toute Té-
Henri tendue de la jurifdidion du Parlement de Paris , que celui
I V. qui fiégeoit dans cette ville ^ enjoignant en outre d'avoir
I j^ I, pour les ordres de Sa Sainteté , le relped de l'obeiflance qui
leur ctoient dûs. Le Procureur général fut chargé d'infor-
mer contre \qs auteurs de cet Arrêt , èc de drelîer des pro-
cès verbaux fur les chefs y contenus. Cet Arrêt donné le 8.
d'Août fut mis à exécution le i 8.
Arrêt du Le 2 5. du même mois , on apprit à Paris tout ce qu'avoît
jncmc Parle- f^jc [q Parlement de Tours. Les Chambres s'aflemblérenc
condamne tine feconde fois , 2c la Cour rendit à la réquisition du Pro-
l'Arrêc du cureur général , un Arrêt contre celui de Tours. Elle y die
Parlement de ^^'^[)qj.^ q^g tout*fon but étoit de conferver la Religion Ca-
tholique , Apoftolique , & Romaine j de maintenir la difci-
piine de l'Eglife , de contribuer de tout fon pouvoir à ex-
tirper l'héréfie , èc défendre tous les droits de l'Etat & du
Prince. Enfuite elle déclare l'Arrêt du Parlement de Tours ,
( en termes plus remplis de fiel que ceux de fon premier Ar-
rêt , ) nul , exécrable , abominable , fait par des gens fans
pouvoir, fchifmatiques , hérétiques, qui avoient violé leur
ferment , infidèles à Dieu dont ils avoient abandonné &
trahi la caufe. Cet Arrêt contenoit les mêmes chefs que le
premier ; on y avoit ajouté que tous & chacun en particu-
lier eulîènt à portera Grégoire XIV. fouveraîn Pontife aiîis
fur le S, Siège , Thonneur & le refpect qui lui étoient dûs en
qualité de Vicaire de Jefus-Chrift , de iucceflèur de S. Pierre,
êc de Chef univerfel de l'Eglife -, de d'obéïr à fes Bulles , qui
n'avoient d'autre principe que fa piété , fa charité , fa pru-
dence , & fa follicitude paternelle. La Cour ordonna , pour
retenir les peuples dans l'attachement &c la foumiffion à l'E-
glife , & afin d'appaifer la colère de Dieu , des prières pu-
bliques & des procédions , aufquelles elle aiTiIteroit tous hs
Jeudis.
Le Roi avoit exhorté les Evêques de fon parti , à pren-
dre de bonne heure des mefures , afin de fe mettre eux & le
Clergé à couvert des Bulles de Rome. C'eft pourquoi tan-
dis que ce Prince étoit à Compiégne , où il fe préparoit à
afîiéger Noyon , les Prélats s'arfèmblérent à Mante. Le car-
dinal de Bourbon , qui foutenoit le Tiers parti , fit paroitre
DE J. A.DE THOU, Liv. CI. 373
fes mauvais defleins par tous les obllacles qu'il forma à cette ■
aflemblée , afin de la retarder. Henri
Il arriva alors une choie, dont on le foupçonna d'être com- I V.
plice. Leduc de Mayenne accompagné de François Aver- 159-1,
ton de Belin , de Louis de l'Hôpital de Vitry , de Charle de
Neuville d'Alincour , Gouverneurs de Paris, de Meaux , 6c j^ ducde'^^
de Pontûile , £c fuivi de la garnifon de Dreux , fe rendit de Mayenne fur
nuit à Mante dont il tenta l'efcalade. On avoit déjà appli- oujan^^^*^
que les échelles , quand Pierre de Mornay de Buy , Lieu-
tenant de François d'O , accourut fur le rempart avec Sa-
lomon de Bethune de Rofny. Ceux qui étoient d'intelli-
gence avec l'ennemi n'oférent paroîcre : ainll la tentative
du duc de Mayenne n'eut aucun effet.
Le régiment des Suiiïes de Soleure qui étoit à la folde du
Roi , ayant reçu fa paye , & fe préparant à s'en retourner en
SuifTe , s'étoit retiré à Oudan alFez près de Mante. Le duc
de Mayenne le fit d'abord attaquer 3 mais fans fuccès. 11
prit enfuite le parti d'employer les menaces &: les carelTes ,
afin d'engager les Officiers à prendre de lui un faufconduit ,
pour pouvoir palFer par les villes de la Ligue, il ne fut pas
plus heureux dans cette négociation qu'il l'avoit été les ar-
mes à la main. Ces braves gens qui avoient l'honneur plus
en recommandation que la vie , rejettérent ces offres.
Le Roi transfera enfuite , à la follicitatîon de Jean Mo-
cenigo ambafTadeur de Venife , fon Confeil , èc l'afTemblée
des Prélats à Chartres, Cette ville étoit par fa fltuation
avantageufe , par les forces de la garnifon , & enfin par la
citadelle nouvellement bâtie, où Gafpard de Valiraud co-
lonel du régiment de Navarre commandoit , plus capable
de réfiftance que la ville de Mante. Les Prélats afTemblés
à Chartres firent le 2 i . de Septembre un Mandement qu'ils
adreflérent à tous les Ordres , aux villes , & aux Catho-
liques du Royaume , dans la forme qui fuit.
» L'Apôtre S. Paul ayant eu foin d'avertir les Pafteurs Mandement
33 de veiller fur le troupeau racheté du précieux fang de Je- «^esEvécjuej
)5 fus-Chrifl , & dont la garde leur a été confiée j nous avons afTcmbiérà
33 cru qu'il étoit de notre devoir d'empcchcr que les âmes Chartres.
53 commifes à nos foins ne s'écaxtafîent de la voye des
n Commandemens de Dieu , ôc ne négligealTent (es divines
AAa iij.
374 HISTOIRE
— » loix. C'eft pourquoi ayant été informés que Grégoire
Hjsnki >3 XIV. tenant aducilemcnt le Siège de Rome , malinfor-
I V. » mé de l'état du Royaume , de nos lentimens , & de ceux
1591. "de notre Clergé j èc trompé par les artifices 6c les intri-
» gués des ennemis de l'Etat , avoit envoyé certaines Bulles
» monitoires , èc venoit de fufpendre , interdire , êc excom-
5j munier les Evêques , les Princes , laNoblefTe , &; les Ca-
55 tholiques de France , qui n'avoient pas voulu fe ranger du
îî parti des rebelles 5 après une mûre délibération, fondés
M fur les autorités tirées des Saintes Ecritures , des SS. De-
» crets , des Conciles généraux , des Conftitutions cano-
>î niques , & ayants examiné avec foin les exemples que nous
M ont laifTés les SS. Pérès en pareille circonftance j exemples
>3 dont l'antiquité eft remplie j 6c les libertés 6c les droits
» de l'Eglife Gallicane , par le moyen defquels les Evêques
î> nos prédécefTcurs fe font mis à couvert contre de fembla-
îî blés entreprifes : Confîdérants d'ailleurs que l'exécution
M de ces Bulles , qui en quelque forte eft impoffible , ne man-
55 queroit pas d'occafionner un grand nombre d'événemens
53 dangereux , tendans à la perte ôc à la ruine de la Re-
55 ligion :
55 A ces caufes : Nous déclarons ces excommunications
35 nulles dans la forme 6c dans le fond , injuftes , foudroyées
53 à la fuggeftion des ennemis de la France , 6c incapables
33 de lier , ni les Evêques , ni les autres Catholiques Fran-
33 cois fidèles au Roi j 6c cela , fans préjudicier au refpect de à
35 l'honneur dii au Pape. Nous vous avertirons de ces cho.
33 fes j nous vous les iîgnifions 6c dénonçons , afin que les
33 foibles d'entre vous ne fe laifTent ni prévenir , ni détacher
35 de la foumiffion 6c de robéïiTance que vous devez à votre
35 Roi 6c à vos Pafteurs. Nous prenons fur nous , 6c nous nous
«5 chargeons , pour ôtertout fcrupule aux vrais Catholiques,
33 qui font fidèles à leur Prince , d'envoyer une ambaiîàde à
53 Rome , afin d'inftruire plus amplement de la bonté de no-
33 tre caufe , 6c pour contenter dans tous les points , le fou-
53 verain Pontife , dont nous devons attendre la même rc-
53 ponfe , que le Pape Alexandre écrivant à l'archevêque de
33 Ravenne , lui fit en ces termes : Nous attendrons avec pa-
>î tience , pourvu que vous ne fafjlezj point ce qu'on nous a
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 375
'i'i infinuê avec méchanceté que vous vous propojïez, de faire. ■ ■■
>3 En attendant nous avertiflbns au nom de Dieu tous les H e n k i
>j Chrétiens , de quelque état qu'ils foient, les vrais Catho- I V.
«liques, ceux qui font zélés pour l'honneur dunompran- 1591,
« çois , & fur-tout le Clergé , de s'unir à nous , pour obte^
>3 nir par nos prières de la divine bonté , qu'elle veuille
>î bien éclairer l'efprit de notre Roi , ôc le conduire dans
ï3 le fein de l'Egliie Catholique , comme ce Prince nous
jj l'a fait efpérer à fon avènement à la Couronne , avec
î3 promeiîé étroite de conferver la Hiérarchie Ecclé/îafti-
>3 que , {ç,^ droits , fes franchifes , & fes libertés. «
Il fut enfin ordonné à tous Curés 6c Vicaires de faire af-
ficher à^^ copies de ce Mandement ou Décret à la porte
de leurs Egliîes, 6c de les pubHer aux prônes. L'original
fut foufcrit par les cardinaux de Bourbon 6c de Lenon-
court , par Regnaud de Beaune archevêque de Bourges ,
par Philippe du Bec évêque de Nantes , par Nicolas de
Thou évêque de Chartres, par Nicolas Fumée évêque de
Beauvais Comte 6c Pair de France , par Henri d'Efcou-
bleau évêque de Maillezais , par Claude d'Angennes évê-
que du Mans , par Claude ClauiTe évêque de Chalons
Comte ^ Pair de France , par René de Daillon nommé à
i'évêche de Bayeux , par Jean Touchard abbé de Bello-
fanne, par Jacque David du Perron, 6c par Claude Gouin
Doyen de Beauvais.
On réfolutauffi d'envoyer un AmbafTadeur au Pape fous
le bon plaifir du Roi. On jetta les yeux lur François de
Luxembourg duc de Piney , qui avoit déjà heureufemenc
foutenu l'honneur du nom François dans fes deux ambafïà-
des à Rome. On ne voukit pas charger de cette commif-
iîon un Evêque, ou quelqu'un du Clergé, parce qu'il n'é-
roit pas fur de \q.s envoyer au Pape, qui étoit très-malin-
tentionné pour le Roi , 6c pour ceux de fon parti. Il de-
voir demander un fauf-conduit pour les Evêques ou autres
du Clergé qu'on devoir faire partir , afin d'infbuire fa
Sainteté plus à fonds de l'état des chofes.
Le Parlement Royalifte s'oppofaà cette ambaiîàde, fous
prétexte que les Arrêts qui dcfendoient d'envoyer à Rome,
6c qui avoient déclaré Grégoire XIV. ennemi du Royaume^
37^ HISTOIRE
écoient trop récens. Le duc de Piney fe défendit même
Henri de remplir cet emploi 3 c'eft pourquoi l'affaire fut différée
I V. jufqu'à ce que les chofes ayant changé de face , le cardinal
I ^9 r . Pierre de Gond y , & Jean de Vivonnc marquis de Pizani al-
lèrent en ambalîade à Rome.
Ecrit contre Le Parlement de Paris ayant fait tout ce qui dépen-
ds Arrétsdes Jqjj. jg i^ii la Ligue ne voulut point qu'on l'accuiât de fe
Parlemens de ^ , i ^ a r i > • ' r i • r n 1 ^ ^^
châionssc fonder plutôt lur 1 autorité que lur la raiion 3 elle chargea
de Tours. donc le Jurifconfulte Zampini de Recanati de répondre à
tout ce qu'on avoit fait du côté du Roi. Zampini s'aquitta
de fa commifTion dans un long écrit , qu'il intitula : Rcpor.Je
aux Calomnies (^ aux impojfures des faux Parlemens de Cha^
Ions (^ de Tours , d^ du Conciliabule de Chartres contre le
Fape Grégoire XIV. d^ fis lettres monitoires. Zampini ne
réiiffit pas mieux , que dans l'Apologie du cardinal Charle
de Bourbon (i) contre fon neveu (z) , fils de (on frère aîné
Antoine de Navarre 3 il défendit une mauvaife caufe par
à^s raifons encore plus mauvaifes. D'un autre côté on jufti-
fîa dans plufîeurs Ecrits les Arrêts des Parlements Roya-
lifles 3 & on fit voir la nullité , l'injudice, & l'abus des Bul-
les du Pape , qui étoient pleines de lupercheries. On em-
ploya pour cet effet l'autorité de l'Ecriture , & des Conciles 5
\ts exemples 6c les témoignage des anciens Pérès de l'E-
glife 3 &: les Conftitutions des Papes , pour fervir de défenfe
à l'autorité des Princes & des Magiftrats , &: pour mettre
leur liberté à couvert des entrepriles téméraires, desufur-
pations, & des cenfures injuftes des Pontifes Romains.
LeRoiaflTié- Tandis qu'on répandoit dcs Ecrits de part &: d'autre, le
geNoyon. i^q[ avoit mis le fiége devant Noyon, dont la garnifon
incommodoit beaucoup dans fes fréquentes forties les Villes
de Corbie , de Chauny , de Saint Quentin , & de Compié-
gne j la foiblefTe de la garnifon qui étoit dans cette ville fut
un des motifs du Roi pour l'affiéger. La ville de Noyon eft
arrofée par plufieurs petits ruiiTeaux , & eft environnée au
Seotentrion de coteaux couverts de vignes: cette fituatioii
ne permit pas de fermer entièrement les pafTages. Le par-
tifan Rieux gouverneur de Pierrefond,place avantageufemenc
. (i) Reconnu pour Roi par la Ligue I (z) Henri IV.
fous le nom de Charle X. ]
iîtuée
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 377
iîtuée au duché de Valois , èc dont la garnifon ëtoic - .
nombreufè , connoifTant le païs, fe glîfla pendant la nuit Henri
au travers de la forêt avec un détachement de cavalerie I V".
de cinquante hommes , qui portoient en croupe chacun un moi,
arquebufier : il fe jetta dans la ville avant que toutes les trou-
pes du Roi fuilent arrivées, La Chanterie Meftre de Camp
d'un régiment, ayant voulu fuivre l'exemple de Rieux,fut
défait par la garnifon de Chauny ,& eut beaucoup de peine
à entrer lui treizième dans la ville. Beauvais de Tremble-
cour partit avec fon régiment pour fe jetter dans Noyon j
mais il ne fur pas plus heureux que la Chanterie : car la gar-
nifon du Caftelet ôc de Corbie le taillèrent en pièces.
. Jean de Saulx vicomte de Tavannes , commandant des
milices de Picardie, qui avoit engagé la Chanterie & de
Tremblecour à aller encourager les habitans de Noyon à
foutenir le iîège , crut qu'il y alloit de fon honneur de jet-
ter des fecoursdans la ville. Il partit le premier d'Août de
Roye , qui n'eft éloigné de Noyon que de quatre lieues , à
la tête de quatre cens chevaux , & de cinq cens arquebu-
fiers. Il marchoit en grand filence dans la forêt, lorfqu'il
rencontra un corps-de garde d'environ quarante cavaliers
alTez proche de la ville avant le point du jour : ils don-
nèrent auffitot le fîgnal pour avertir les Royaliftes , qui ac-
coururent. Les troupes du Vicomte prirent tellement l'al-
larme qu'elles fe débandèrent: pour lui, il fe mit à la queue
du dernier bataillon , qui fe retiroit 3 de ayant été bleiTé , il
fut fait prifonnier avec quelques Capitaines. On ne fçait
pas le nombre des ennemis, qui furent tués pour la plupart
dans les ténèbres. Les payfans aflbmmérent dans la campa-
gne ceux qui avoient échappé à la défaite j le refbe jetta
les armes pour fe fauver plus facilement. .
Il ne reftoit plus dans la Province que d'Aumale, qui
s'en difoit Gouverneur. Celui-ci voulant réparer la faute ,
ou remédier au malheur des autres , alla d'Amiens à Ham,
qui n'eft éloigné de Noyon que de quatre lieues. Il fit
prendre les devants à du Hamel de Bellinglife Maréchal
de Camp • & fe mit lui-même à la tête de trois cens che-
vaux , & d'autant de fantalîins, le 7. d'Août pendant la
nuit , avec Lonchamp ^ Robert de Grouches de Griboval ^
Tome XL ^^\>
37S HISTOIRE
dans le delTein d'enlever \qs quartiers des ChevauxJ
Henri légers du Roi, &: d'avancer plus avant, félon le fuccès. li
I V. attaqua les Royaliftes , que ion arrivée imprévue avoic
I çg I. d'abord étonnés j mais ils reprirent cœur à la vue de Louis
d'Ognies delà Hargeiie, tils du comte de Chaulnes, qui
vint à leur fecours avec Chriftophle de Lanoy fon frère
utérin , à la tête de leurs compagnies de cavalerie. Le
combat devint opiniâtre. Enfin les ennemis, dont le nom-
bre fupérieur les accabloit, commenc^ant à fe retirer peu à
peu , ils cefîérent auffi de combattre j mais ayant entendu
rempJrré par retentir le nom de Charle de Biron , qui arriva à la tête
lesRoyaliftes. d'une poignée de foldats, leur ardeur fè réveilla j ils re-
tournèrent au combat avec plus de furie qu'auparavant.
L'ennemi ne put foutenir ce derniet effort j il lâcha lepié,
ôc fut pourfuivi vivement par les vainqueurs juique fous les
murs de Ham. Il perdit dans cette affaire foixante hommes,
& entr'autres François de Guevara capitaine des Chevaux-
légers.
Le vicomte de Tavannes interrogé pourquoi fes foldats
avoient pris la fuite fans rendre de combat , en rejetta la
faute fur Loncliamp qui fut pris : il difoit que c'étoient Iqs
foldats de cet Officier qui avoient les premiers commencé
la déroute. Lonchamp ayant appris ce difcours du Vi-
comte , lui en fit des reproches ^ ils fe dirent de part ôc
d'autres des paroles piquantes, & ils furent lur le point de
fe battre j mais comme ils etoient priionniers de guerre, 6c
qu'ils ne pouvoient en venir là fans la permifîion du Roi ,
ce Prince jugea qu'il ne convenoit pas de les mettre aux
mains comme deux gladiateurs pour s'égorger tant qu'ils
feroient en fon pouvoir : ils remirent donc à ie faire raifon
à un autre tems. L'affaire fut depuis accommodée par leurs
amis communs. Les Royalifèes ne perdirent qu'un petit
nombre des leurs 3 mais ils firent une perte confîdérable
par la mort d'un Maréchal des Logis d'une compagnie de
cavalerie du Roi. Cet Officier emporta avec lui les regrets
de l'armée.
Le duc de Mayenne qui avoît manqué fon coup fur la
ville de Mante , &: dont hs Suifîes avoient rejette les of-
fres à Oudan , fe rendit à Ham fur ces entrefaites ^ il écrivit
DE J. A. DETHOU, Liv. CI. 379
de-Ià à de Rofne en Champagne, où de Leyva prince d'Af- -™-^""—
coli i'étoic venu joindre de la parc du duc de Parme avec Henri
huic cens chevaux èi. trois mille hommes d'infancerie , de IV.
venir le trouver pour faire lever le fiége de Noyon. De icgi
Rofne fe rendit à ces ordres , ôc il s'avança jufqu'à laFere,
où il fe joignit au Duc. Le Roi penfa furprendre le même
jour cette ville par flratagême. Le duc de Mayenne retour-
na â Ham avec toute fon armée , qu'il difperlà au-delà de
la Somme , quelque envie qu'il eût en apparence de faire
naître l'occalion d'en venir aux mains j mais cette démar-
che fit voir qu'au fonds il ne cherchoit qu'à l'éviti^r , ÔC
qu'il n'avoit mis la rivière entre-deux que pour n'être pas
forcé à une adîon.
Cependant le Roi prelToit Noyon de près ^ & ayant fait Suite du fiége
attaquer l'Abbaye de Saint Barthélémy, que les alFiégés ^^°y°"'
avoient fait fortifier dans les fauxbourgs, elle fut empor-
tée d'afifaut avec perte d'environ vingt des ennemis. Le
Roi accorda la vie à quarante-cinq autres , qui s'étanc
cachés fur la voûte de i'Eglife , fe rendirent à difcrétion»
La prife de ce Fort jerta la terreur dans la ville.
L'armée du duc de Mayenne étoit compofee de dix mille
hommes d'infanterie , ôc de deux mille chevaux. Le Roi
n'avoit que douze cens hommes de cavalerie Françoife ,
quatre cens chevaux Allemans, & fix mille hommes de
pied. Malgré cette inégalité de forces , le Roi donna or-
dre au maréchal de Biron , grand Général , fameux par
fon habileté conibmmee , & par le bonheur de ies entre-
prifes , d'aller à la tête de cinq cens chevaux reconnoître
l'ennemi , & de choihr un champ de bataille. Ce Prince
avoit réfolu de faire battre la muraille ce jour-là j mais
faiiànt paroître plus d'ardeur pour livrer le combat que
pour prendre Noyon, il remit au lurlendemain à entamer
la brèche. Le Maréchal revint au camp, & rapporta au
Roi qu'il s'ecoit avancé jufqu'aux portes de Ham , fans
avoir vu l'ennemi en aucun endroit. Il alla le lendemain à
la découverte , avec ordre d'amufer l'ennemi , s'il le trou-
voit fous les armes , jufqu'à ce que le Roi edr ran^é fur le
champ & fans bruit [qs troupes en bataille.
Une batterie de douze pièces commença le famcdi 1 7,
B B b i J
^8o HISTOIRE
. • Août à foudroyer les murs. La brèche fut ouverte, & les
Henri troupes commandées pour l'aflaut ayant à leur tête Charle
I V. de Biron , qui les encourageoit de la voix & du gefte à
1591, bien faire, de Villes gouverneur de la place fît battre
la chamade. Il convint, en cas que le duc de Mayenne ne
préfentât pas la bataille le lendemain, ou qu'il ne £k pas
entrer mille hommes dans la ville, de fe rendre le Lundi
fuivant furie midi, à ces conditions : Qu'il abandonneroic
l'artillerie, les vivres, &: toutes les munitions de guerre :
Qtie lui & la Noblcfle pourroient for tir en armes , emme-
ner leurs chevaux 6c leur bagage j & la garnifon les armes
èc (qs chevaux feulement : Qtie le Roi leur pardonneroit ,
dès qu'ils auroiènt fatisfait à leur devoir : Qj-ie la mère du
Gouverneur auroit la liberté de relier dans la ville. On
permit à de Villes d'envoyer Brouilly de Mevilliers au duc
de Mayenne , pour l'inftruire du traité de capitulation,
Enfuite Rieux èc quatre autres otages furent livrés à la dif-
crétion du Roi. Deux Capitaines entrèrent dans la wille :
afin d'empêcher qu'on n'y fit rien contre le traité , qui-
fut fîgné de part de d'autre.
Le maréchal de Biron , qui avoit eu ordre d'aller voir Ci
l'ennemi fe prèparoit au combat, revint au camp, & rap-
porta qu'il n'avoit découvert aucuns préparatifs j qu'il avoir
feulement rencontré un gros de cavalerie Italienne, qu'il
avoit taillée en pièces , â dont il avoit fait prifonniers en-
viron vingt hommes. Cependant Brouilly trouva tout en
mouvement dans le camp du duc de Mayenne , comme s'il
eût dû combattre. Les Officiers généraux n'ctoient pas-
d'accord. Les Efpagnols craignoient le bonheur du Roi ,
6c difoient qu'il ne falloit pas commettre le fort des afFai^
res au hafard d'une bataille. C'efb pourquoi de Villes ren-
^ .. dit la place au jour ôc à l'heure marques. On croit que
icNoyon. Gabriele d'Eftrée , que le Roi aimoit éperduëment , l'avoic
engagé à affièger cette ville. Il mit dans la place , à fa.
recommandation, Antoine d'Eftrée fon père, avec une bonne
garniion.
d fde^c" r** ^"^ ^^^ entrefaîtes le Roi apprit la nouvelle de l'éva-
fion du duc de Guife , que de Rouvray gardoit dans le
château de Tours, Le Duc avoit pris jour avec Claude de
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 381
k Cha{lre& Ton fils pour le 15. d'Aoûc fête de la Vierge ■
pour fe fauver. Il communia , dans la vue de mieux trom- H E n k 1
per Tes gardes , èc de leur ôter tout foupçon qu'il pensât I V.
à s'échapper. 11 remarqua qu'on avoic coutume de fermer
les portes après le dîner, & qu'on en portoit les clefs chez
un Echevin:il choifit cetems pour exécuter Ton deiTcin. Il
monta avec beaucoup de vîtelTe dans une haute tour qui
donnoit fur le pont hors de la ville j 6c ayant enfermé Tes
gardes dans une grande falle où ils mangeoient , il tira la
porte de la tour fur lui , èc la ferma au verrouil , pour avoir le
tems de le fauver pendant qu'ils la romproient. Tout lui
réiiilità fouhait. Son valet de chambre qui l'aidoit dans
cette occafion , attacha à une corde, qu'il tenoit prête
pour cet effet, un morceau de bois en travers, fur lequel
le Duc s'affit pour couler fans danger, Enfuite le valet de
chambre lâcha doucement la corde. Voyant fon maître
en bas , il attacha fortement cette même corde â un po-
teau , 6c fe lailîa couler avec plus de danger que fon mai- ^.
tre, qu'il atteignit à faint Corne en fuivant le cours du
fleuve. Les gardes du Duc , ôc fur-tout Rouvray furent
dans une grande confternation. Il envoya de tous cô-
tés pour répandre la nouvelle de la fuite de ce Duc^
afin qu'on prît les armes , àc qu'on fe mît fur ies traces. Il
fît rompre la porte de la tour j ceux qu'il employa à la
brifer n'ayant trouvé perfonne, fe joignirent à leurs com-
pagnons qui couroient dans la ville. Il fe palTa beaucoup
de tems jufqu'â ce qu'on eût apporté les clefs pour ouvrir la
porte du pont, Ôc les autres portes. Dans l'incertitude où
l'on étoit de quel côté il auroit tourné , on envoya de
toutes parts, mais inutilement j car il s'étoit fauve du côté
où des gens de fon parti armés l'attendoient , èc lui te-
noient des chevaux prêts. Il alla trouver la Chailre , & ie
rendit le même jour à Celles en Berri,
Gille de Souvré gouverneur de Tours avoit avec lui
Louis Breton de Grillon, qui fe tenoit chez lui depuis deux
ans qu'il avoit été blefTé dans le faubourg. Le Tiers parti
qui s'augmentoit tous les jours leur rendoit tout fulpecl-.
Ayant même appris que la Chaftre , avec fon fils, étoic
parti de Celles quelques jours auparavant à la tête d'un
B B b iij
^»u MUH^
3^1 HISTOIRE
= décachementj qu'il faifoit des courfes aux environs j qu'il
Henri envoyoic même des couriers fous difFérens prétextes à
IV. Tours i ils mirenc de nombreux corps-de-garde où il n'y en
150X. avoir point auparavant, èc doublèrent les lentinellcs. Ils
faifoient eux mêmes éxadement la ronde de nuit j touc
occupés du roup(^on qu'il fe tramoit dans la ville une con-
fpiration pour ouvrir les portes à l'ennemi , ils ne penférenc
en aucune manière que le duc de Guife entreprit de s'é-
vader ; fa fuite leur fit appréhender des fuites encore plus
fâclieufes • c'eft ce qui leur fit mettre des gardes dans des
lieux fufpecis. Le voifinage de la Reine douairière, qui
étoit à Chénonceaux augmentoit leurs craintes. Elle n'a-
voit dans fa Cour que des gens mal -intentionnés pour le
Roi. Les Dames de fa luite écrivoient fréquemment à
Tours. On intercepta quelques-unes de leurs lettres , par
le moyen defquelles on apprit qu'elles avoient fait des
vœux pour l'évafiùn du Duc, &; que cette évafion leur
^ avoit caufé de la joye. Le Parlement informa d'abord
contre les gardes du Prince, & contre de Rouvray. Achille
de Harlay premier Préfident fe rendit au château accom«
pagné du Procureur Général pour les interroger • mais on
lailfà , à la follicitation de Souvré , ces gardes de leur chef
çn liberté , fur la parole que donna ce dernier de fe re-
préfeiiter au Roi avec les fiens.
La nouvelle de l'évaficn du duc de Guife fit beaucoup
de peine au Roi. Il ne voyoit qu'avec douleur qu'un pri-
fonnier de cette qualité &c de cette importance, qui etoiE
le gags de la paix, lui fût échappé. Il craignoit de ne plus
avoir, après cette perte, d'otage qui lui répondît de la vie
^ des Grands de fon parti qui auroient le malheur de tom-
ber entre les mains de l'ennemi. Cependant il iè confoloit
à la vue des mouvemens que la prèlence du duc de Guife
alloit caufer. Il prévoyoit que la Ligue , qui n'ctoit pas en
trop bonne intelligence avec elle-même en ioufFriroitplus,
qu'elle n'en tireroit d'avantage, Il ne pouvoit manquer de
naître des jaloufies entre l'oncle &c le neveu. LeRoin'igno-
roit pas que le duc de Guife fondoît de grandes préten-
tions iur les fervices de fon père, & que le duc de Mayenne
çroyoit qu'on devoir beaucoup aux iiens 3 enfin que l'unêg
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 383
l'autre ne vouloienc dépendre de perfonne. Ce Prînce ha- ni>
bile ne fe trompa point dans [qs conjedures , comme on le Henri
verra dans la iiiice. j y
On ne reftoic pas dans Pinadion dans les autres parties du i <q'i
Royaume. La Chaftre avoitafiiégé Aubigny ville du Berri ,
dont ii leva le fiëo-e à l'arrivée d'Antoine de la Granee d'Ar. ,vt?' ,^^J""
quien , qui accourut au fecours des habitans : il le retira parc & d'au-
avec tant de vîrelTe , qu'il voulut faire croire qu'il n'avoic "^'
eu dclîcin que de faire une tentative fur la place.
Quelque tems aprè,s, les Royaliftes eurent du défà vanrage
à S. Yrier en Limoufin. Le Commandant de cette place
ctoît Louis dj Pierrebuffiere de Chambaret, jeune GentiL
homme , qui avoit toutes les belles qualités du corps &: d'ef-
prit ^ & qui joignoit à beaucoup de courage ècde polirefîè,
beaucoup de pénétration de d'habileté. Louis de Pompa-
dour èc Henri Defprez de Montpefat , Gouverneurs pour la
Ligue du Limoulin , du Qiiercy , ôc du Perigord , vinrent
mettre le (îége devant S. Yrier. On croyoit déjà Chamba-
ret réduit à s'enfermer dans le château. Mais Charle Tur-
quant , que le Roi avoit donné à Anne de Levi de Ventadour
gouverneur du Limoufin , pour arranger les affaires de là
Province , écrivit de Limoges où il étoit , à la NoblefTe des
environs , pour l'engager par la vue du danger qui la me-
naçoit , à fecourir Chambaret. Les Barons & les Gouver-
neurs du voifmage alTemblérent des troupes au nombjre de
quatre cens chevaux & de £x cens arquebufiers à cheval.
Mais peu d'accord entr'eux , les uns ne vouloient pas obeïr
aux autres , & la jeune NoblelTe fiére de fa naifTance , mé-
prifoit les Officiers qui avoient blanchi fous les armes.
L'armée fut rangée en bataille fous le canon de l'enne-
mi. Pompadour èc Montpefat s'étant joints à Fourou &c à
Tailleier, tombèrent fur l'armée des Royaliftes , & s'étant
divifés enfuite en deux bandes , ils les enveloppèrent. Ceux-
ci furpris de fc voir attaqués fi vivement , fe laiiferent poufîèr
dans d'affreux bourbiers, où l'ennemi les fit mafîacrer par
les foldats & les goujats de l'armée. Nous perdîmes dans
cette occafîon François comte de la Rochefoucault , Gabriei
de Rie de la Cofte de Mefieres , gouverneur de la Marche j
Rochefort père ôc fils , Châteauneuf, ôC autres. Ce malheur
3S4 HISTOIRE
r"^ ne déconcerta point Chambaret 5 le danger augmenta fou
Henri courasie & fou induftrie. Il fît taire de nouvelles fortiti-
I V. cations au dedans de fa place, 6c Toutint avec vigueur trois
I COI. aflauts. Les aflaiilans fatigués d'une fi belle relillance , fu-
rent contraints de lever le fiége 20. jours après l'avoir
formé.
Le Roi donna le gouvernement de la Marche à Louis
Chateigner d'Abin , après la mort de Mefieres , brave hom-
me , & qui étoit ennemi jure de la Ligue par des reirentimens
particuliers. George de Villequier vicomte de laGuierche
avoit été autrefois gouverneur de cette Province. Il cruE
qu'il étoit de fon honneur de fe remettre en poiïèiïïon de
fon gouvernement par la voye des armes. C'efl pourquoi
formant la réfolution de profiter de l'abfence d'Abin , ôc
du prince de Conti Général àcs armées du Roi en ces quar-
tiers , qui étoit alors occupé dans l'Anjou pour faire des le-
vées d'argent & refaire fès troupes ; il partit du Poitou ,
s'empara de l'abbaïe de S. Savin , deBelarbre, de Blanc
en Berry , 3c entra dans la Marche à la tête de huit cens
arquebufiers 6c de trois cens chevaux ; il avoit fait conduire
trois pièces d'artillerie. Il arriva le troifiéme jour à Ma-
gnac, fans déterminer s'il iroit ci Belac ou à Orat, vulgai-
rement appelle le Dorât. Il envoya de Magnac un Trom-
pette aux habitans de Belac le %. May , avec une lettre
dansjaquelle il promettoit de les prendre fous fa protedion,
s'ils fe rendoient à (qs ordres , & les mena^oit de ruiner leur
ville en cas de refus.
Belac eft une petite place dont la principale forterefïè
appcllée le Portail, eft environnée d'un grand faubourg,
qui cl]: même plus étendu que la ville. Les habitans étoienc
partagés en deux fadions j ceux qui avoient de l'inclination
pour la Ligue, n'ofant la faire paraître à découvert, vou-
loient qu'on leur donnât un Gouverneur favorable à leur
parti , éc qui pût s'accorder avec le vicomte de la Guierche,
On tâchoit cependant de fe rendre maître du Portail , par-
ce que c'étoit le moyen d'obliger la faction opppfée de faire
ce qu'on voudroit. Enfin le bon parti l'emporta , 6: le com-
mandement fut donné à la Coufture , qui étoit expéri-
iiienté dans le métier jdes armes , 6c zélé ferviteur du Roi,
Jeai}
DE J. A. DE THOU, Liv. CI. 385
Jean de la Sale jeune homme plein de feu 6c de courage , '.'
eut ordre d'aller en Limoufm , pour amener du fecours. Il Henri
s'acquitta de fa commiiïïon avec promptitude , 6c revinc IV.
auffitôt à Belac. 1591.
L'ennemi s'étant emparé du fauxbourg , il n'y eut qu'un
petit nombre d'habitans qui fe préparèrent à la défenfe j
hs fentimens fe partagèrent encore 5 la plupart étoient d'a-
vis de Te rendre , fous prétexte que la place n'étoit pas tena-
ble. Le jeune la Sale employa d'abord la prière pour Iqs en
difTuader 3 mais voyant que ce moyen ne lui réuftilToit pas ,
il eut recours aux menaces , ôc mettant l'épée à la main il
obtint ce qu'il demandoit. Dans cette réfolution on fortifia
le rempart à la hâte, &:oncreufa au -dedans de la place un
foflë dont la terre fervit à élever des retranchemens des
deux côtés. La batterie de l'ennemi étoit dreflee , lorfque
de Chauvigny , la Paye , la Ferté , & la Vallée , envoyés
par d'Abin , qui s'étoit rendu au Dorât , paflTérenr avec
vingt-trois foldats d'élite le foffé , où ils eurent de l'eau juf.
qu'à la ceinture • la Robertiere que la Sale avoit envoyé la
veille à d'Abin , leur fervit de guide.
L'arrivée de ce petit renfort raifûra les affiégés , qui en
avoient befoin : car la brèche ayant été ouverte , l'ennemi
donna à plufieurs reprifes unafTaut, qui dura depuis quatre
heures du foir jufqu'à fept. Les braves dont je viens de par-
ler, fécondés de la Sale , de la Coufture, de Foucaud , de
Genebrias , 6c de la Vallée Confuls , firent des prodiges de
valeur. Les aflîégeans furent repoulîés avec perte d'environ
foixante des leurs 3 il n'y eut qu'un feul homme bleffè parmi
les aifiègès , dont il n'y eut aucun tué. Cette attaque fe fît le
I 2. May. La brèche fut vilitée 6c réparée aux flambeaux,
avec des terres qu'on apporta pour la boucher.
Le lendemain l'artillerie battit les murs avec plus de furie
qu'auparavant. On ne fe contenta pas d'avoir fait brèche
d'un côté , on fît brèche encore d'un autre. Le capitaine la
Ferté ne prit avec lui qu'une poignée de foldats , à caufe du
petit nombre qu'il y en avoit dans la ville , 6c fe chargea de
défendre cette féconde brèche. L'ennemi appliqua les échel-
les en deux autres endroits , 6c marchant à l'aflàut au fon des
trompettes 6c du tambour, fît de grands efForts pour forcer
Tûme XI, C C c
38^ HISTOIRE
la garniTon. On le re^uc avec beaucoup de vîguear, Se iî
Henri fut contraint de iè retirer après une heure d'un combat opi-
V. niatre.
1591, ^^ ^^ enfùite pour quatre jours une trêve , également
fouhaitëe des affiégeans &, des affiégës. Le vicomte de la
Guîerche manquoit de poudre & de boulets. Les habitans
de leur côté abattus par des veilles continuelles ne cher-
choient qu'à fe repofer de leurs fatigues. D'Abin fuivi d'au-
tres Officiers ne put venir à bout d'enlever le convoi qu'on
portoit au camp ennemi. On fut dans des inquiétudes mor-
telles dans la ville , lorfqu'on eut appris que le vicomte de
la Guierche avoit dépêché un courier pour hâter la marche
de Pompadour qu'il attendoit.
La trêve étant expirée , les affiégeans canonnérent le
Portail ôc Tes tours, & pouffèrent contre cette forterefle une
machine faite en forme de pont. On difoit qu'elle avoit été
faite par l'avis du capitaine la Croix , fur le modèle de celle
qu'il iè fouvenoit d'avoir .vue de l'invention de Châtillon au
fîége de Chartres. Les habitans dans ces frayeurs s'afîem-
blérent j le plus grand nombre fut d'avis d'accepter les offres
du vicomte de la Guierche. Mais Jean Chateigner du Ber-
nay fils d'Abin , étant parti du Dorât par l'ordre de fon
père avec le capitaine Bois à la tête de vingt hommes d'é-
lite , pafla la rivière auffi heureufement que les premiers , &
ralFùra les afiiégés par fon arrivée j il entra dans Belac par
la porte de Prade. L'ennemi fit approcher des murs la ma-
chine , 6^ ayant tiré quelques coups de canon contre le ponc
de bois , ils efpérérent de le renverfer en brifant les chaînes,
& par ce moyen s'approcher plus facilement du Portail. Le
fuccès ne répondit pas à leur efpérance , parce que les affié-
gés avoient arrêté le pont en dedans avec des chevilles de
fer. Ceux qui étoient dans la machine étant expofés au ca-
non pointé contre eux , abandonnèrent leur entrcprife.
Enfin on pouiFa jufqu'au pied du mur la machine qui étoît
portée fur des roues , pour couvrir les travailleurs qui com-
mencèrent à miner. On fit dans la ville des contremines ,
par où les affiégés firent une fortie , 6c ayant taillé en pièces
quelques mineurs & mis les autres en fuite , ils brûlèrent le
1 9. May la machine de bois, La batterie ennemie ayant tiré
DE J. A. DE THOU, Liv. CL 387
pendant quatre jours &renverfc les tours, les mineurs s'at- ==;=!?=:
tachèrent une féconde fois au mur. Henri
Cependant les affiégés voyants que l'ouvrage s'avançoit , I V.
demandèrent à capituler j l'ennemi donna un des fiens en i J^r.
otage , &, la Coufture qui avoit remis le commandement à
Bernay , alla au camp où l'on fit des conditions concernant
la garnifon ôc les habitans. La Sale ne put empêcher les
foldats de traiter pour eux 3 mais il fît en forte de ne rien dé-
terminer par rapport aux bourgeois , qui refuférent par cette
raifon de donner des otages : l'affaire fut donc rernife au
lendemain. Chambaret qui avoit fait une fî belle défenfe
dans S. Yrier , après la défaite des Royalifles , paiïà la ri-
vière avec Pierre -Gourde , Ôc quelques Gentilshommes.
Ils entrèrent dans Belac fuivis de fbixante cuiraliîers , & d'un
pareil nombre d'arquebufiers.
Chambaret ayant vifîtè les mines , afTiira les habitans
qu'il n'y avoit point encore de danger. Sa prèfence les raf-
fermit j il fut le premier d'avis de rendre à la Couflure , afin
d^èluder le traité fait avec l'ennemi , le commandement que
Bernay avoit ufurpé fur lui. En effet les affiègeans ayant
demandé qu'on exécutât la capitulation , Bernay qui l'avoic
£gnéc tout feul , répondit qu'il n'avoit point d'autorité dans
la ville : Que la Coufture y commandoit : Qu'il étoit prêt
d'exécuter le traité de tout fon pouvoir , & d'aller avec les
otages au camp , pourvu qu'on lui donnât un faufconduit ,
& qu'on renvoyât les otages dans la ville ; Que les bourgeois
qui n'a voient pas figné étant les plus forts , ôc foutenus par
de nouveaux fecours , ne vouloient point accepter les con-
ditions.
Les affiègeans irrités de fe voir joiiés de la forte , recom-
mencèrent le lendemain avec ardeur à poufîer les travaux.
Chambaret ne reflapas dans l'inadion 3 mais encourageant
les travailleurs par Ion exemple pendant la nuit , il ne per-
doit point de tems. Il ne pouvoit en faire autant le jour , fa
prèfence étant nècefTaire ailleurs. Le capitaine la Ferté &
la Coufture defcendirent dans le fofTé , & tuèrent quelques
mineurs. Chambaret fit creufer en dedans un puits , par où
Ton pouvoit faire des forties & placer des tonneaux , à Ja
faveur defquels on pût chafler les travailleurs.
CCc ij
388 HISTOIRE
La Guîerche redoutant le courao;e ôc rinduftrie de Cham-
Henri baret , ôc d'ailleurs apprenant de tous côtés que le prince
IV. de Conty alloit arriver avec fon armée, leva le fiégele 28,
I 59 1. May. Ce Général partit du Pont de Ce , & fit de fi grandes
marches , qu'il ié rendit en fix joursà LufiTac fiir la Vienne,
qui en eft éloigné de foixante & dix lieues, avec fon infanterie
êc Iqs pièces d'artillerie que de Chourfes de Malicorne lui
avoit données. Claude de la Trimouille qui commandoic
les troupes que Louis de Saint-Gelais lui avoit envoyées ,
fit occuper ce pofte par Hedor de Préaux gouverneur de
Chatelleraut , & ayant rencontré l'ennemi près de Mont-
morillon , il le poufla jufque dans cette ville 3 mais ne s'y
croyant pas en fureté , il abandonna fon canon & fon in-
fanterie , & partit avec tant de promptitude , que malgré
toute la diligence de la Trimouille , qui avoit fait prendre
les devants à Pierre de Chouppes , pour lui couper le che-
min , il devança les Royaliftes ôc fe rendit à Chauvigny ,
d'où après avoir donné un peu de repos à fes foldats , il alla
droit à Poitiers.
Lept-ince de Conti mit le fiége devant Montmorîllon qu'il
prit d'alTaut , fur le refus que firent les foldats de la Guierche
de fe rendre. Ils y périrent au nombre de trois cens. On
5'empara de trois canons. On reprit en même tems Bourg-
Archambault , Belarbre , le Blanc , S. Savin , DifiTay &
Chauvigny , deux châteaux de l'évêque de Poitiers. On
mit dans Chauvigny qui étoit fortifié , une garnifon fous les
ordres de Pierre Pidoux , dit le capitaine Nede. Le prince
de Conti ayant répandu au loin la terreur de fes armes , alla,
mettre le fiége devant Mirebeau ville du duché de Mon-
penfier , dans le gouvernement de Saumur , 6c força d'abord
la place. Il fit enfuite pointer du canon contre la citadelle ,
qui fe rendit à compofition. Le duc de Monpenfier vouloir
nommer un Gouverneur 3 mais Antoine de Silly de Roche-
pot Lieutenant de Roi dans l'Anjou , gouverneur de Sau-
mur &: Maréchal de camp , obtint du prince de Conti qu'on
lui confiât la ville & la citadelle. Il en donna le comman-
dement à Cieftre de Villebois , qu'il regardoit comme un
homme attaché à fes intérêts j mais qui fous prétexte de
quelques conteftations avec le duc de Monpenfier , palla
DE J. A. DE THOU, Li V. CI. 385^
depuis , par une infîgne trahifon , dans le parti ennemi. ■
On ailîégea enfuice Celles en Berry. Claude de la Chaftre Henri
avoir donné le commandement de cette place à du Bois , I V,
qui fatiguoit tous les voifîns par les courfes àci^Qs briganda- 15 90.
ges ^ &c qui s'avançoit fouvent julqu'aux portes de Tours.
Ce fut François de la Grange de Montigny qui confeilla au
prince de Conti de faire ce ficge , àc qui lui fournit ce qui
ctoit nécelTaire pour cette entreprife. Pendant qu'on ouvroit
la tranchée , Paluau de Villeneuve reçut un coup de mouC
quet à la cuiflè 5 tandis qu'on l'emportoit , un autre coup
mortel lui ôta la vie. Enfin Celles fut pris par compofîtion.
Dans le même tems les ennemis furent battus devant Mont-
morillon. Le prince de Conty en fortant de cette place , avoic
ordonné de la démanteler • mais les habitans mal inten-
tionnés y firent auffitôt entrer deux cens ennemis. Le capi-
taine Nede à qui on venoit de donner le commandement
de Chauvigny , les attaqua la nuit avant qu'ils eulTent rétabli
êc fortifié la place 3 il les furprit le 4. d'Odobre dans leurs
logemens 6c les défit. Plus de cinquante furent tués , on fit
encore plus de prifonniers , ôc on enleva un grand nombre
de chevaux.
Fw di* cent ' unième Livre:,
ccc iij
390
HISTOIRE
HISTOIRE
DE
3 A C Q_U E AUGUSTE
D E T H O U
LIVRE CENT DEVXIEME.
ON iîc cette année la guerre en Bretagne avec beau-"
coup de vigueur , & avec difFérens fuccès de parc ôC
IV. d'autre. Phiiippe-Emanuel de Lorraîne duc de Mercoeur,
I 591. gouverneur de cette grande province, outre les avantages
Affaire de ^^^ ^^ flatoit de retirer ào.^ troubles du Royaume , préten-
France. doit cncorc faire valoir fur la Bretagne les droits de la
Guerre en j^^ifon de Pentiévrc, dont il avoit époufë l'hëritiëre. Ce
Bretagne. . . ' r^r ^i n >-i •
Prince ayant joint aux troupes Elpagnoies celles quilavoïc
dans la province, ravageoit le Maine & l'Anjou, oùilfai-
foit des courfes. Cependant Chevriéres qu'il avoit envoyé
au commencement de l'année dans cette dernière province
pour y faire des levées , fut défait le ii. de Janvier près
de Chambellay par Donadieu de Pichery , gouverneur de
la ville &: de la citadelle d'Angers , qui vint l'attaquer à la
tête de laNoblelTe à^s environs.
Parmi les Gentilshommes de Bretagne qui étoient dans
DE J. A. DE THOU, Liv. CIT. 391
les Intérêts du duc de Mercœur , les principaux étoient ■■ ' ■
Gabriel de Gouleines Commandant des Chevaux-légers, Henri
Guébriand Commandant de l'infanterie , 6c d'Avaugour de I V.
Saint-Laurent Maréchal de Camp. Le Duc avoit encore 1591*
avec lui Charle de Gondi marquis de Belle-Ifle, fils d'Al-
bert duc de Rets , qui s'étoit jette depuis peu dans Ton
parti. Saint-Laurent , dont l'habileté dans le métier des ar-
mes étoit rarement fécondée par la fortune , ayant furpris
au mois de Mars la ville de Moncontour au Diocèfe de
Saint-Brieuc^ inveftit aulTitôt la citadelle, dans l'efpérance
de s'en rendre maître. A cette nouvelle Jean marquis de
Coetquins'étant avancé à la tête de cent vingt chevaux, &
d'un détachement d'arquebufîers jufqu'à Loudeac , allez
près de Moncontour , accompagné de Guemadeuc fils du
comte de Combourg , de la Bouteillerie , de Boisfeuillec
Lieutenant de la Hunauldaye , 6c du baron de Molac co-
lonel d'infanterie, dans le defiein de fecourir les a/Fiégés,
Saint-Laurent ne laifîa que quelques arquebufiers devant la
citadelle, & alla au-devant du marquis , dont il avoit époufé
la fille. Ce général préférant le fervice du Roi à la ten-
drelTe qu'il avoit pour fon gendre ne balança point à mar-
cher contre lui , & ayant tiré fes troupes de Loudeac , il
les rangea en bataille, ôc les mena droit aux ennemis. Le
baron de Molac à la tête de fon infanterie , qui fit^les mer-
veilles dans cette occafion , les mit bientôt en déroute. Il
y eut environ trois cens hommes tués du côté des enne-
mis , dont la plupart furent faits prifonniers. Le malheur
de Guemadeuc , qui fut tué en courant de rang en rang pour
encourager les foldats, diminua beaucoup la joye qu'on eut
de cette vidoire. La Bouteillerie reçut dans le choc une
dangereufe blefTure, 'dont il guérit néanmoins en peu de
tems.
Henri de Bourbon prince de Dombes , gouverneur
pour le Roi de la province de Bretagne , ayant reçu
la nouvelle de la prife de Moncontour, afîembla {qs trou-
pes à Saint-Aubin du Cormier , & fe rendit à Bocherel , où
il apprit la défaite de Saint- Laurent. Ayant eu avis au
même endroit que trois Cornettes de Chevaux-légers s'é-
toient jettes avec quelques arquebufiers dans Piimeu , qui
392 HISTOIRE
-- eft: dans le volfînage de Betherel, il alla mettre le fîége
Henri devant la place. Il lomma d'abord lesaiïîégés de fe rendrej
I V. ceux-ci ayant refufé de le faire , on fut oblige de battre la
I 5 9 I . P^^ce , qui fuc enfin emportée d'aiTaut. On fit pendre prefque
toute la garni ion.
Q^ielqae tems après , les fecours que la reine d'Angleterre
envoyoic en Bretagne débarquèrent à Pimpol , qui apparte-
noità d'Avaugour. Ces troupes etoient au nombre de deux
mille cinq cens hommes de pied ,ôc environ cinq cens de ca-
valerie, commandés par le général Norris. Pimpol eft un
bon port fitué au Diocèfe de Treguier , où la Grefîlle de
Tremblaye, qui avoit fait fortifier cette place comman-
doit avec une forte garnifon. Auprès de cette ville eft la
petite ifle de Brehal, fertile, & bien peuplée , quieftcom-
prife dans les domaines delà Maifon de Penthiévre. Le duc
de Mercœur y avoit fait bâtir un Fort , où il avoit mis gar-
iiifon. Les habitans de cette ifle , naturellement belliqueux,
infeftoicnt la côte avec des barques armées en guerre. Après
l'arrivée des Anglois, la Tremblaye 6c Kergomart firent
une defcente dans l'ifle , & invertirent le Fort. La garnifon
fe défendit d'abord avec beaucoup de vigueur. Enfin la
place fut emportée d'aiîàut. On fît pendre quinze foldats
de la garnifon à des ailes de moulins à vent. Après cette
expédition les infulaires demeurèrent toujours fournis au
Roi.
Le prince de Dombes ayant formé un corps d'armée avec
les troupes auxiliaires d'Angleterre , aufquelles il joignit
huit cens AUemans , de les milices de la Province, alla
mettre le lîége devant Guingam , où il y avoit une nom-
breufe garnifon fous les ordres de Kergouton , qui avoit
avec lui quelques Gentilshommes de bafle Bretagne. La
tranchée ayant été achevée, le canon ouvrit la brèche.
On donna fans fuccès un aflaut , dans lequel le baron de
Molac , & Mongommeri de Courboufon fe fîgnalérent.
Enfin la place fe rendit à compofîtion , & Kergomart en fut
fait Gouverneur. A la nouvelle du iiége de cette ville le
duc de Mercœur s'étoit mis en marche pour donner du
fecours aux afiiégés. Mais ayant appris en chemin qu'ils
avoient capitulé , il s'arrêta , malgré la fupériorité de fes
forces^
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 393
forces, à Courlays, qui n'eft qu'à trois lieues de Guingam. ' ' ■
Son armée ecoic beaucoup plus nombreufe que celle des Henri
Iloyaliiles j elle ëtoic compolëe de quatre mille Efpagnols I V.
fous les ordres de Jean d'Aquila (i) , Se d'un pareil nombre 1591.
de troupes Françoiiës , commandées par des Colonels la
plupart tirés de la Noblellè de la Province , de mille
cuiralîîers , & de trois cens arquebulîers à cheval.
Son arrilleiie étoit de Cix pièces de canon. La jondion
d'Urbain de la Val de Bois-Dauphin, qui iervoit fous lui
en qualité de Lieutenant général , ôc celle du marquis de
Belle-Iile Commandant des Chevaux-légers , n'avoientpas
peu contribué à augmenter Ces troupes.
Le prince de Dombes n'avoit au contraire que cinq
cens cuiralliers à cheval , deux cens arquebufîers aufîi à
cheval , deux mille cinq cens hommes d'infanterie Angloife,
huit cens Lanfquenets, &c deux cens hommes de pied de
troupes Françoifes , avec quatre canons. Ce Général alla
prendre fes quartiers à Château Laudran , d'où il envoya
Jean du Mas de Montmartin gouverneur de Vitré à la tête
d'un détachement de cent chevaux, pour aller à la décou-
verte de l'ennemi. Cet Officier avoir été fait Maréchal de
camp après la mort du brave la Conclaye tué devant le
Château de la Latte , & après la retraite de Charles de
Cambes comte de Monforeau, qui avoit eu cet emploi
dans l'armée. Montmartin s'étant avancé jufqu'à deux
lieues de Courlays , rencontra des fourageurs & des foldats
ennemis , qui s'étoint écartés de l'armée. Ils lui apprirent
que le duc de Mercœur étoit en chemin 5 6c l'ayant lui-
même apperçu de loin fans bagages, il jugea qu'il avoic
deiïein d'en venir à une action. Il dépêcha aullitôt par
différens chemins vers le prince de Dombes , pour lui don-
ner avis de la marche & du nombre des ennemis. Il char-
gea enfuite Sarroiiet &c la Tremblaye du foin de combattre
à l'arriére- garde, &: fe mit en devoir d'aller rejoindre fon
général j mais quelque diligence qu'il pût faire, lorfqu'il
arriva, les avancoureurs de l'ennemi avoient déjà attaqué
le quartier de la cavalerie légère commandée par Baftenay.
Le ,duc de Mercœur campa ce jour-là dans un endroit
(i) On l'appelle aulTi d'Aguilar dans notre Hiftoire.
594
HISTOIRE
vulgairement appelle , la Croix de Malhara.
Hen K I René Tournemine de la Hunauldaye, Jean marquis de
I V. à.Q Coetquin , Jean de Rieux marquis d'Ailerac , Jean d'An-
ifQï geignes de Poigny , Charle Guyon de la MoulFaye, Lif-
coiiec, de Kergomart, de Boisfeuillec , la RochegifFarc ,de
Tremufel , & Marconay de Froze, qui avoienc amené de
la cavalerie en bon érat , écoient dans l'armée du prince de
Dombes , auprès de qui Hardi d'Ecampes Maréchal des
Logis s'étoit aufTi rendu. Il y avoit encre les deux armées une
vafte plaine couverte de bruyères. Le duc de Mercœur
avoit aiîis fon camp derrière un bois taillis ^ entre les villes
de Guingam èc de Quintin. D'un autre coté le prince de
Dombes s'étoit retranché dans le bas delà plaine derrière
un folîé très-profond. Le Confeil de guerre s'alîembla le
lendemain ii. de Juin, pour délibérer lur ce qu'on dévoie
faire en cette occalion. Le général Norris vouloit que l'ar-
mée gardât Ton pofte en-deçà du foiFé ^ mais Tournemine ,.
Montmartin , & les autres ne furent pas de cet avis. Ils Fou-
tinrent au contraire qu'il falloit paflèr ce foilë pour aller
ranger l'armée en bataille à l'entrée de la plaine. Cet avis
l'emporta dans le Confeil , èc Sarroiiet eut ordre de par-
courir les rangs en qualité de Sergent-Major. On forma
quatre bataillons de l'infanterie, dont le premier ôc le Fé-
cond furent compofés d'Anglois , & les deux autres de
troupes Françoifes &c Allemandes. On difpoFa entre ces ba-
taillons quatre corps de cavalerie j le corps de réferve fut
pofté un peu au-deiFous de ces troupes , qui avoient devant
elles àes pelotons d'infanterie. La cavalerie légère précédée à
la gauche par les enfans perdus, & par quelques pelotons de
gens de pied ,fut rangée Fur deux lignes j ôc le Général
prit fon pofte derrière l'artillerie placée Fur une hauteur.
Le duc de Mercœur parut Fur les huit heures du matin,
en bon ordre à l'entrée de la plaine j il fit d'abord attaquer
la cavalerie légère , qui Fut contrainte d'abandonner Fon poF-
te. Le prince de Dombes s'écantapperçû de ce mouvement^
fit avancer Montmartin par l'avis de Tournemine , pour
reprendre à la pointe de l'èpée le terrain que l'ennemi ve-
noic de gagner. Auflitôt Montmartin fuivi de Norris , de
la Tremblaye , èc de Sarroiiet , partit à la tête d'un
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 395
<îétachemenc de François, d'AUemans , 6c d'Anglois 3 èc '-' —
donnant tête baiiïëe fur l'ennemi , qui loutinc le premier Henri
choc à la faveur du foile dont il s'étoit emparé , il le força IV.
enfin par Ces efforts redoublés à fe retirer. Dans cette action 1 5 9 i»
Guébriand , qui commandoit l'infanterie, & qui la pique
à la main combattoit à pied aux premiers rangs, ayant été
abandonné par Ces foldats , fut pris par la Tremblaye, 6c
conduit au prince de Dombes. On fe canonna le lendemain j
tout l'avantage fut du côté de l'ennemi, dont l'artillerie
tirant de delîus une hauteur , faifoit beaucoup pkis d'effet
que celle des Royaliftes, qui tiroit de bas en haut. Ceux-
ci perdirent environ cinquante Allemans , 6c quelques ca-
valiers qui furent emportés par le canon. Un éclat bleilâ
dangereufement à la cuiffe Boisfeuillet , qui mourut quel-
ques jours après, fort regreté de l'armée. On fe contenta
de fe canonner feulement toute cette journée 3 l'une 6c l'au-
tre armée, qui n'étoient féparées que par un ruilTeau très-
facile à pafîèr , attendit chacune de fon côté que l'ennemi
commençât la charge. Mais les deux Généraux prirent le
parti de fe retirer fans rien faire. Le duc de Mercœur re»
tourna à Courlays • èc le prince deDombesàChâteau-Lau-
dran , où François de la Noue vint le trouver quelques
jours après, de l'agrément du Roi, avec la compagnie de
cavalerie du comte de Montgommeri. Ce brave Officier ne
vint dans fa patrie que pour y perdre une vie qu'il avoit
confervée au fervice de fon Prince 6c de l'Etat.
Deux jours après , le 30. de Juin, l'armée quitta Châ-
ceau-Laudran pour aller à Quintin à trois lieues de Cour-
lays, où l'on prit la réfolution dans le Confeil de guerre de
marcher à l'ennemi. La Noue difpofa l'armée de la ma-
nière que nous allons dire. Montmartineut ordre de prendre
les devants à la tête de fa compagnie de cavalerie avecSar-
roûet,à qui l'on donna cinquante Chevaux-légers, 6c un
détachement d'arquebufiers à cheval. Baftenay 6c la Trem-
blaye Kirent commandés pour côtoyer avec le refte de la
cavalerie léG;ére ces avancoureurs , en prenant néanmoins un
chemin difîrerenc. La Noue les fuivitd la tête de cinquante
cuiraiîiers à cheval, 6c fix cens hommes d'infanterie Fran-
^oife. Le prince de Dombes , la Hunauldaye , le marquis dç
D D d ij
59^ HISTOIRE
Coecquin , &c Norris fuivi de quinze cens Angloîs , fer*
Henri moienc la marche de l'armée. On avança le lendemain fut
I V. les iix heures du matin jusqu'aux quartiers des Chevaux-
I 59 I. ^^g^i's , &: des arquebufiers à cheval de l'ennemi , que l'on
attaqua en cet endroit peu éloigné de Courlays. La Trem-
blaye fut dangereufement bleile à la cuiiîe d'un coupd'ar-
quebu(e. Malgré tous les efforts que purent faire les enne-
mis, on leur enleva leurs quartiers, 6l leur bagage.
On iémitenlin fous les arn^s du côté de l'ennemi. Ces
deux armées ayant été rangées en bataille reftérent plus
de deux heures en préfence l'une de l'autre, comme 11 elles
euiîènt été furie point d'en venir aux mains ^ mais ni le duc
de Mercœur , ni le prince de Dombes ne fe mettants poinc
en devoir d'avancer , ce dernier ramena fes troupes à Quin-
tin, d'où il étoit parti. Il y refolut d'afiiéger la citadelle de-
Lamballe dans le duché de Penthiévre , ficuée au-deilous
de la ville , qui eft grande ^ elle avoit été fortifiée depuis'
peu par le duc de Mercœur, qui y avoit mis une bonne gar-
lîifon. Ce fiége fut accordé par le prince de Dombes aux
inftances de la Hunauldaye , Se du marquis d'Alferac, qui
voulants mettre à couvert les châteaux qu'ils pollédoienc
dans levoiiinage de Lamballe, n'avoienc en vue que leur
avantage particulier , de non l'intérêt public dans cette
expédition. L'armée manquoit prefque entièrement de mu-
nitions de guerre ^ 6c on n'avoit que deux canons pour toute
artillerie ^ encore étoient-ils en fort mauvais état. Outre
ces deuxinconvéniens ,on n'avoit point d'argent pour payer
les loidats , qu'on ne peut néanmoins confërver que par ce:
moyen. D'un autre côté le duc de Mercœur étoit aux envi«
rons avec des troupes fupérieures à celles des Royalifles.
siécrc de Montmartin & Poigny , pour détourner le prince de
lambaîie par Dombes de Cette périlleuie entreprife , lui repréienté-
ksRoyahlics. j.^^^^ ^^^^'j! [q^-qI^ enfin obligé de lever honteufement le
jfîége , après avoir perdu beaucoup de monde. La Noue na-
turellement entreprenant , &: qui n'avoit jamais contredit
perfonne avec opiniâtreté , fe rendit d'autant plus facile-
ment à l'avis du Général , qu'il ne connoiifloit pas l'aiîiéte
de Lamballe j mais à la vue de cette place, il avoiia que
i'entreprife étoit au-dclTus des forces que le Prince avoic
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 397
alors. Il lui dit qu'il n'y avoic pas d'apparence qu'on pût fe =?
rendre maître de la place,à moins que la frayeur ne s'emparât Henri
des aiFiecTcs. Les loUiciracions des Seigneurs Bretons î'em- I V.
portèrent fur tous ces avis. Les deux pièces de canon ayant i coi,
fait une petite brèche, fans entamer le rempart, qui etoit
bien fortifié avec des facines de du gazon , Montmartin
eut ordre d'aller recannoître cette brèche accompagné
d'Ingénieurs. Il revint dangereulement blelIé , &: rapporta ,
de concert avec ceux qui i'avoient fuivi , qu'il n'y avoic
pas de fureté à donner un aOaut.
Auiiitoc la Noue ayant quitté fon cafque , pour être La Noue 7
moins e m barra lié , monta lur une échelle plantée derrière ^^'^^"^'
des ruines. Dans le tems qu'il éxaminoit la brèche avec
attention , une baie d'arquebufe , qui ne fit que lui effleurer
le front , lui froiila tellement l'os, que la cervelle ayant été
ébranlée du coup ,ii fecalFala tête entonibant 3 & demeura
iulpendu par un pied, qui s'embarraiîa dans les echellons.
On accourut auifitot à ion fecours , & on le tranfporta*
dans fa tente, où il fut deux heures entières fans mouve-
ment. Avant enfin repris fesefprits,on le transtera trois jours
après à Moncontour avec Montmartin. Il y eut une con-
iultation de Chirurgiens au fujet des grands maux de tête
dont il fe plaignoit ^ tous, à la réferve d'un feul , en qui la
Noue avoir trop de confiance , étoient d'avis de le rrépa-
îier , pour empêcher qu'il ne fe formât un ablcès dans la
tête. Mais celui qui s'oppofoit à cette opération, eut l'ef-
fronterie d'ailûrer que le malade feroit bientôt guéri de fa
blefiure,fans avoir recours à ce moyen. Ses maux de tête
augmentèrent quinze jours après au point de l'empêcher
entièrement de dormir. Il fe fit lire les Picaumcs, & ayant
déploré le mauvais état de fes affaires domeftiques , qu'il
avoir négligées pendant fa vie, pour ne penfer qu'à fervir
l'Etat, il le conlola par l'efpérance du mariage de fa fille
avec Amaury deGouyondc la Moullaye, qui le fit en effet
peu de tems après fa mort. Le retour prochain de ion fils ,
qui venoic d'être remis en liberté, fut encore pour lui un
autre motif de confolation. Enfin il commença àfuccomber
à fes maux 5 fa langue s'épaillît, & il ne parla plus qu'en
bégayant. Sentant alors que fa dernière heure approchoit,
D D d iij
39S HISTOIRE
. I ' - il pria qu'on lui lût le pafTage du livre de Job fur la réfur-
Henri redioii des corps. Moncmartin lui ayant alors demande s'il
I V. croycit cet article de foi , il tourna les yeux vers le Ciel ;
ifoi. fit les prières en verlant des larmes en abondance, & ré-
pondit qu'il avoit vécu dans cette croyance , 6c qu'il mou-
roit dans refpcrance de rellufciter un jour. Enfin la parole
lui ayant tout-à-fait manqué , il donna jufqu'au dernier
foupir des témoignages de fon efpérance & de la foi.
Son Eloge. Ce grand homme , que fon courage , fon habileté con-
fommee dans la guerre , & fa prudence faifoit aller de pair
avec les plus grands Capitaines de fon iiécle , l'emporta
lur la phipart d'entr'eux , par l'innocence de fes moeurs,
par fà modération , par ia droiture & fon équité. Lqs
grandes dettes qu'il contraâ:a pour fubvenir aux frais de
ia guerre, &: non pour entretenir un vain luxe, ou pour
faire de grandes dépenfes , qu'il avoit toujours eues en
averfion , quelque penchant qu'il eût à la libéralité, fonc
une preuve de ce que j'avance. Son fils , digne héritier d'un
fi vertueux pérc, revint en Bretagne quelque tems après
fa mort, & paya dans la fuite ces dettes avec beaucoup
d'éxaditude. La Noue vécut foixante ans , durant Iciquels
il jouit toujours d'une fanré robufte , qu'il devoit en partie
à là tempérance. Il mourut le 4. d'Août, dix-huit jours
après qu'il eut été bleiTé.
Le prince de Dombes , concerné de la mort de ce brave
Officier , dont la valeur 6c la prudence n'étoient pas fa
moindre reiiource, leva le fiége de Lamballe, &:fe retira
à Saint Brieuc, où Jean de Beaumanoir de Lavardin , à
qui il avoit mandé de quitter le Maine pour le venir trou-
ver, lui amena environ cent chevaux, de huit cens arque-
bufiers commandés par Germincourt de Buffcs , par fon
cadet, & par Saint-George de Biac, Le duc de Mercœur fe re-
tira de fon côté à Ponrivy , & à joilèlin , pour donner
quelque repos a Tes troupes • mais ayant appris l'arrivée de
Lavardin, &: craignant une féconde fois pour Lamballe,
il fe rendit promptcmcnt à Jugon , place "peu fortifiée en-
tre Dinnn & Lamballe. Il fit tenir fa cavalerie légère loin
du relie de fes troupes, à la manière accoutumée. Le gé-
lierai Royalifte la fit attaquer par Baflenay , par Ig,
T
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 399
Trembla ye , par Tremufel , Sarrouec èc de Froze. Ces Offi- _
ciers lai enlevèrent d'abord les quartiers j àc l'ayant poullee H e n k i
juiqu'à Jugon en tuèrent la plus grande partie. La Trem- I V.
blaye s'etant trop avancé dans l'obfcurite , fans garder fes j ^ox.
rangs , fur pris par l'ennemi. Le prince de Dombes s'ap-
procha de Jugon , èc les deux armées furent encore ran-
gées en bataille en préfence l'une de l'autre , fans en venir
aux mains. 11 n'y eut que la troupe de Lilcouet , qui ayanc
été attaquée ^ reçut Tennemi avec beaucoup de valeur.
Le gênerai Anglois voyant que les maladies cauiées par '
l'intempérance de ics foldats, en emportoient un grand
nombre, confeilla de ramener l'armée à Saint Brieuc, afin
de lui donner le tems de le remettre de fes fatigues j elle
eut quelques jours de repos en cette ville, d'où l'on réfo-
lut d'aller, en tirant du coté de Rennes , à Saint Main ,
dont le duc de Mercœur avoit deflèin de s'emparer. La
marche de l'armée étoit retardée parla difficulté du tranC
port de deux groffes pièces de canon , que plufieurs bœufs
traînoient à peine au milieu des boues, dans des chemins
fort étroits. On chargea Lavardin d'aller à la tête de fes
foldats Te faifir de Saint Main avant l'ennemi 3 & Mont-
martin partit eniuite à la tête de mille Anglois, du refte
de la cavalerie ^ ôc de l'infanterie , pour fe rendre au même
endroit.
Le premier ayant trouvé la place vuide , fe préparoit à
y refier paifiblement -, & le fécond qui étoit venu après
lui, avoit déjà examiné les quartiers de la ville, pour don-
ner des logements à ces foldats , lorfque Saint-Laurent y
arriva dans le même deffein ^ mais voyant qu'on l'avoic
prévenu , il retourna fur fes pas. Enfuite le duc de Mer-
cœur s'étant retiré , Saint Laurent rangea fes troupes en
bataille au-defFous de Saint Main , ayant un bois-taillis
entre lui & la ville. Le nrince de Dombes averti de l'arri-
vee des ennemis , doubla ;le pas avec la Hunauldaye, 6c
Norris. Il fit faire alte à les troupes auprès d'un moulin à
vent, où il tint Confeil de guerre. Hardy d'Eflampes qui
lurvint dans le même tems, ayant donné avis que l'afTiic
d'un canon s'étoit brifc en chemin , & que les Allemans
ctoienc reliés à fa garde pendant qu'on le raccommodoic.
400 HISTOIRE
on ne jugea pas à propos de rien entreprendre de l&
Henri journée.
I V. Ce fut ce qui fauva l'armée du duc de Mercœur , qui
jfor, n*eût pas manque d'être défaite , comme pludeurs l'ont
prétendu, iî ie:> Royaiiifes l'euflenc attaquée dans le tems
qu'elle y pcnioit le moins. Le Duc alla paffcr la nuit à
Saint Jean , place dont la fituation eft avantageuie. Le
prince de Dombes ayant mandé la Nobleflè qui a voit
quitté l'armée après la mort de la Noue, ôc lui ayane
fait efperer qu'on donneroit bataille , il fe rendit plus de
deux cens Gentilshommes au camp en deux jours. Ainli
l'armée fe trouva forte de quatre cens chevaux , de cinq
cens arquebuliers , de quinze cens Anglois , d'un pareil
nombre de troupes Françoiiés , & de lix cens Lanfque-
nets.
La réfolution ayant été prife dans le Confeil d'aller
attaquer l'ennemi , l'armée fe mit en marche pendant la
nuit, & arriva au point du jour dans l'endroit où le mar-
quis de Belle-Ifle, Commandant des Chevaux-légers avoic
ies quartiers. Lavardin , qui menoit Tavant-garde , fit pren-
dre les devants â Baftenay , qui fut accompagné de Sar-
toiiet , ôc de Froze. Enfuite Montmartin fit cacher l'ar-
mée dans des bruyères, plaça fon canon fur une hauteur,
èc partagea fes troupes en quatre bataillons. Les Anglois
formoient les deux premiers ^ le troifîéme étoit compofé
de François , de le dernier de troupes Allemandes. Cenc
cuiralfiers à cheval , tous de la première Nobleflè , fe ran,
gèrent autour du prince de Dombes. Baftenay ayant percé
le premier les barricades, fe jetta dans les retranchcmens
de Tennemi, que Montmartin attaqua avec de plus gran-
des forces. Tout plia devant lui -, il tailla en pièces tout
ee qui iè rencontra , lit un grand nombre de prifonniers ^
& fe iaifit des chevaux, & du bagage.
Le marquis de Belle-Ille, 6c Bois-Dauphin à qui on ve-
noit d'enlever leurs quartiers , fe retirèrent vers le duc de
Mercœur , dans la penfée que les Royaliftes , qu'ils ne
croyoient pas devoir être contens de l'avantage qu'ils ve-
noient de remporter , prèfenteroient la bataille à ce Géné-
ral, Mais ils fë trompèrent dans leurs conjeclures -, car.
JJaftenay
DE J. A. DE THOU, Liv. CIT. 401
Baftenay ne marchant qu'avec lenteur fous prétexte qu'il 1 1 n
ctoit difficile de s'approcher de l'ennemi , à caufe des petits Henri
ruifleaux dont les chemins font coupés en ce païs-là , Norris I V.
officier d'une prudence confommée , qui étoit pénétré de la j -<, j
plus vive douleur en voyant les ravages que les maladies fai-
îoient parmi Tes Anglois , fut d'avis de ramener l'armée.
Beaumanoir & Montmartin furent commandés pour l'arrié-
re-garde , qui ne fut point attaquée dans fa retraite j mar-
que certaine de l'épouvante des ennemis.
Les maladies qui tourmentoient les troupes Angloifes s'éu
tant augmentées , Norris demanda du tems pour leur don-
ner du repos. Enfuite Lavardin voulant reprendre le chemin
du Maine , on réfolut pour ne pas laiiTer l'armée dans l'in-
adion , d'aller camper devant Chaflillon , entre Fougères
& Vitré , à la fbllicitation de Montmartin , qui fit mettre en
peu de tems fur les affûts fix pièces de canon qu'on avoit en-
voyées devant. René de Marec de Montbarot gouverneur
de Rennes , que l'on chargea de faire tous les autres prépa-
ratifs de guerre pour cette expédition , de de fournir des
bœufs pour les tranfporter , s'acquitta de fa commiffion avec
beaucoup de diligence. Enfin Montmartin inveftit la place j
ôc les afîiégés , qui étoient au nombre de deux cens avec
quelques-uns des gardes du duc de Mercoeur , ayant deman-
dé à capituler , furent forcés pendant ce tems-là , & prefque
tous palîés au fil de l'épée , à la réferve des gardes du Duc.
Le feu prit par hafard aux poudres j 6c la place fut plus en^
dommagée par cet accident , qu'elle ne l'avoit été par le ca-
non. Plufieurs perfonnes, & entr'autres deBeaujeu Gentil-
liomme , qui étoit au fervice du prince de Dombes , périrent
dans cet incendie.
La nouvelle de la prife de Chaflillon caufa beaucoup de
chagrin au duc de Mercœur , qui étoit déjà de retour à
Nantes. Qiielqu'un lui ayant dit qu'on avoit tué dans ce violence
iîége fes gardes , que Montmartin lui renvoya quelque tems ^^ ^"^ '^^
après fains ôc faufs , il fe mit dans une fi grande colère , qu'il ^^"'^"'''
iic pendre fur le champ Jérôme Gaulthier Sénéchal de La-
val , fans vouloir l'entendre, de quoiqu'il ne fut convaincu
d'aucun crime. C'étoit un jeune homme qui avoit du fça-
.yoi;- & un efpric agréable. Le Duc lui laifToit afTez dç
Tome XI^ ^l.^
40% ^ HISTOIRE
1^,,^ liberté, depuis un an qu'il écoic prifonnier , il s^amufoîr même
Henri avec lui à caufede fon habileté à toucher des inftrumens , 6S-
I V. parce qu'il chantoit bien.
j -g j^ Ce ne fut pas la leule violence que commît le duc de'
Mercœur. Il donna ordre à Faroct. frère de Gouleines^
d'aiîiégcr le château de Coctniian appartenant à un GentiU
homme du même nom , de la première Noblelîe de Bre-
tagne. Ce Gentilhomme qui etoit du parti contraire , 6C-
qu'il haïlîbit beaucoup , ayant été obh'gé de fe rendre , après-
s'être défendu avec beaucoup de valeur jufqu'a l'extrémité ,,
Faroëtpar la capitulation lui permit de iortir avec armes 6C-
bagage , 6c d*emmener fes chevaux où il voudroit. Mais le
duc de Mercœur refufa de ratifier ce traité. Coctnifan mal-
gré la capitulation fut mis dans une étroite prilon , d'où il
ne fortit longtems après , qu'en payant trente mille écus d'or
pour fa ranc^on. Le Duc fit encore rafer fon château 6c cou-
per fès bois.
Bremanfani fut fait gouverneur de Chaflillon. Il yavoîc
toute apparence qu'on s'empareroit de Fougères , h on fè-
préfèntoic devant cette place j mais les maladies qui ré-
gnoient toujours parmi les Anglois , empêchèrent le prince
de Dombes de profiter de l'occafion. Norris mena fes trou*
pes dans le Maine , pour les remettre de leurs» fatigues. Le
Général royalifle s'arrêta à S. Aubin après avoir envoyé fon
artillerie à Vitré , d'où il étoit aiié de la tirer , en cas qu'on
le déterminât à faire le hé2;e de Fougères ou de Craon.
Sur ces entrefaites le duc de Mercœur alla camper de-
vant le château de Blain , appartenant à la maifon de Rohan,
Cette place fortifiée par l'art , &: recommandable par la-
beauté de fes édifices , eft éloio-nèe de fix lieues de Nantes.-
Les affiégeans ayant battu la place pendant quelques jours-
avec douze pièces de canon , le Goufl: qui en étoit Gou-
verneur, craignant qu'on ne mît le feu au château , Se qu'on',
ne l'abandonnât au pillage , comme la choie arriva en effet,,
demanda à capituler. Pendant qu'on convenoit des otages,
k duc de Mercœur mit en ufage le ftratagême dont il fe
fouvint qu'on s'étoît fervi à Challillon ^ & il donna ordre â
fes Efpagnols de montera l'alfaut. Ainfi ce château fut em-
porté le dernier d'Odobre ,, abandonné au pillage , 5C-
/
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL i^os
entièrement brûlé ^ foie par repréfailles , fbît que le feu v eût " " "■
pris par hafard , corame le Duc voulut le faire croire. L'in- Henri
cendie confuma prefque entièrement ce château bâti fuper- I V.
bernent j les archives 6c beaucoup de riches meubles furent i coi,
la proye des fiâmes. Le prince de Dombes , qui s'étoit avan-
cé jufqu'à Marcille avec Lavardin , pour donner du fecours
aux aiîîégés , alla rejoindre Norris , afin de prendre avec lui
des melures pour la guerre.
■ Cependant la Hunauldaye , qui étoit déjà vieux , tomba Mort ^e '
malade des fatig-ues continuelles , qu'il n'etoit pas en état Jouin<:mine
de lupporter dans un âge ii avance. La maladie le retint daye.
trois jours à Vitré , d'où ayant voulu ie faire tranfporter en
litière à Rennes , où le prince de Dombes s'étoit déjà ren-
du, il mourut en chemin. La Hunauldaye, outre l'attache
inviolable qu'il avoit toujours fait paroître pour le Roi, étoic
zélé au dernier point pour l'honneur du nom François. Il
ii'avoit qu'un fils unique , ièul héritier de Ton illuftre maifon ,
j5c qu'il laiira chargé de dettes.
Dans le même tems , le duc de Mercoeur ayant envoyé
.du canon & quelques compagnies d'Efpagnols à Saint-Lau-
rent, ce dernier alla mettre le fiége devant la ville de Mal-
eftroit , qui n'avoit pour toute défenfe que la fidélité de
fes habitans , & le courage du Gouverneur appelle la Ville-
voyfin. La brèche ayant été ouverte on donna deux alîauts ,
où les affiègeans furent repoufiés avec perte de deux cens
hommes. De Boureil brave Gentilhomme de la Province,
fut tué en combattant fur la brèche à côté du Gouverneur.
Sa mort n'abattit point le courage des afiiégés. 11 y eut mê-
jne parmi eux un prêtre nomme Dom Gilles , qui foutenii
par la haine contre les Efpagnols , fe trouvoit toujours le
premier fur la brèche , rouloit de groilès pierres , & lan-
coit des feux d'artifices fur l'ennemi. Saint Laurent fut en-
ûn obligé de fe retirer honteulément. Il renvoya les Efpa-
gnols au duc de Mercœur , èc voulant réparer la faute de
cette malheureufe expédition , il fe mit à la tête des troupes
Françoifes & Lorraines qui lui reftoient , &: d'environ deux
cens chevaux , ic fe rendit en balle Bretagne , où il afiié-
gea fur la côte la Tour de Sefibns , dans le voifinage de S,
Ëricuc,
EEe ij
"404 • H r S T a I R E
Auflitôt de Rîeux de Sourdeac , gouverneur de Breiî 1
H £ N K 1 la place de Gui de Chateauneuf fon frère mort depuis peu ^
1 V. manda la Noblelîe des environs , & leur affigna le rendez-
1591. vous à S. Brieuc. Pecréan gouverneur d^ Guingam , Ker-
somard ôc Kermonan fon frère , Lifcouet, èc d'autres Gen-
îîlshommes , s'y trouvèrent. Sourdeac outre fon infanterie
Allemande , avoir encore environ qua^tre cens hommes de
troupes Franc^oifes , de cent cinquante chevaux. Les deux
armées ayant été rangées en bataille , on combattit avec
opiniâtreté de part Ôc d'autre 3 enfin les ennemis furent obli-
ges de plier devant les Royaliftes , qui les taillèrent erv
pièces. S. Laurent fut fait prifonnier par le boureau des Al-
lemands , qui s'ètant faili de la bride de fon cheval , l'ar-
rêta dans fà courfè. Il fut conduit à Guingam d'où il fe
fauva peu de tems après. Prefque toute fon infanterie péric
dans cette aAion j on épargna ceux qui s'étoienc réfugiés
dans une Eglile voiiine. La plupart de la Noblefîe qui étoic
avec S. Laurent fut prife. Nous ne perdîmes qu'un petit
nombre de fbldats , é. il n'y eut que Pecréan qui fut blelïe
en combattant à pied.
Sur ces entrefaites , Pierre le Cornu du PlefTis gouverneur
de Craon , ayant gagne un certain Moïfe le MalFon dome-
ftique du baron de Criqucbœuf , concre qui il avoit des fu-
jets de haine particuliers , ( outre l'animoiitè qui régne tou-
jours entre des gens de diffèrent parti , ) lurprit par la per-
fidie de ce domeflique , le château de Montjan place forte
du comte de Laval , dont le baron croit Gouverneur. Du-
pleffis , pour tromper plus furement fon ennemi , avoic faic
avec lui une trêve , êc lui avoit promis par écrit qu'il n'en*
treprendroit rien pendant tout ce tems-lâ. Le MafTon lui
ouvrit les portes du château la nuit du 17. au 18. d'Oèto-
bre. La cruauté du gouverneur de Craon acheva de mettre
le comble à cette indigne trahifon j car longtems après la
prile de l'infortuné Criquebœuf , qui lui avoit même alors
payé lix mille écus de rançon , il le fit impitoyablement maf-
facrer par Franc^ois Domigny de la Rambodiere , pour faire
voir qu'il ne s'ètoit faifî du château de Montjan , que pour
contenter fa vengeance particulière. Il porta fept ans après
une partie de la peine que mçritoic une adion fi noire ^ car
DE J. A* DE THOU, Lïv. CIL 40J
quoiqu'il eût obtenu un Edic , pour fe mettre à couvert des i
pouriuites au fujet de ce meurtre , il fut néanmoins cité en Henri
Juftice par la veuve du Baron j & ayant été condamné à lui I V.
payer une grande fomme d'argent , il ne déroba fa tête au 1591,:
îupplice , qu'à la faveur de i'Ldit de Sa Majefté , qu'il al-
légua pour ia défenfe.
Quelque tems après , les troupes du Roi eurent tout l'a- Guerre ejj
vantage en Quercy auprès de Roquemadour. Emanuel de Quercy.
Savoye marquis de Villars , & Henri de Moncpefat fon
frère, ayant alfemblé dans le Perigord &; dans le Limoufin,
deux mille liommes de pied & quatre cens chevaux , ils par-
tirent de Cahors capitale de la Province , en ayant tiré deux
pièces de canon 3 ôc ils palîèrent par la vicomte de Turenne
pour aller à S. Ceré. AulTitôt Pont de Lozieres de Temi-
nes 2:ouverneur de Cahors écrivit à tous les Gouverneurs
des environs , pour les engager à lui donner du fecours , afin
de s'oppofer à l'ennemi commun. Anne de Levis de Venta-
dour gouverneur de Limoges , à qui l'ennemi en vouloir ^
fe mit le premier en marche. Ayant traverfè la Dordo2;ne
au port de la Sale, il fe rendit le i 8. de Novembre auprès
de Carennac à la tête de cent Gentilshommes à cheval, èc
de deux cens arquebufiers aufîî à cheval , avec Henri de
Noailles , de Montmege , Saillant , Saulvebœuf àc Chava-
gnac. Temines vint le joindre en cet endroit le lendemain ,
accompagné de laDcveze , de Gourdon, de Beynac , & de
Moneins , tous Barons de cette Province. Il avoitaulîi avec
lui de Vivans fameux Capitaine de chevaux^ légers , deux
cens hommes de cavalerie, la plupart tirés de laNoblefîè,
& environ mille arquebufiers. De la Boifiiére gouverneur
du païs de Turenne , amena aulîi quelques cuiraffiers & quel-
ques arquebufiers à cheval. Après la jonction de toutes ces
troupes , on déféra le commandement en chef à Ventadour^
Vivans fut fait Maréchal de camp , &: le baron de Moneins
Meflre de camp d'infanterie,
Meffillac comte de Raftignac partît d'Auvergne j Bou-
chard vicomte d'Aubeterre , de Perigord j & Jacque Nom-
par de la Force de Caumont , de l'Agennois ^ pour joindre
l'armée. On rangea les troupes en bataille deux jours après
en prefence de l'ennemi qui fe tint dans [qs retranchcmens^
EEe iij
4o(î HISTOIRE
'^'n^ On crut qu'il avoîc deflein d'aller à Carennac j c'efl pour-
Henri quoi Vcntadour le prévint ^ &: ayant rangé fes troupes en
I V. bataille le z 3. Novembre , il poullà les ennemis jui'qu'à Te-
j f Q I . gra , place forte par fon aiîiete , où ils avoient mis leur ar^
tillerie. Le marquis de Villars en fortit le lendemain, &:
marcha vers Roquemadour. Après ia retraite , l'armée
s'empara de la ville & de l'abbaïe de Carennac , dont Te-
inines augmenta la garnilon , de forte qu'elle fut en état
d'empêcher l'ennemi de pafler la Dordogne en cet endroit.
Le comte de Raftignac arriva le lendemain au camp avec
foixante cuirailiers à cheval , ôc cent cinquante arque-
bufiers.
On reçut le même jour la nouvelle de la mort de Louis
vicomte de Pompadour , arrivée au lieu appelle l'Hofpital.
Ce Seigneur étoit grand ennemi du Roi , 6c s'étoit toujours
rencontré dans les partis oppofés à ce Prince. Enfuite l'ar-
mée alla camper devant l'abbaïe de Fioux , à une lieue de
Roquemadour , où l'ennemi avoit tranfporté fon canon,
Dès qu'on eut fortifié le camp , on en fit iortir les troupes
à la vue de l'ennemi , pour l'attirer au combat. Temines
qui commândoit l'avant-garde , ayant apperçu environ cin-
quante chevaux h^'jrs du bourg , proche le château nommé
jes Aliz qui tomboit en ruine , les fit envelopper 6c atta-
quer par fon infanterie , qui les obligea à fe retirer. Tout
l'effort de fes troupes tomba fur l'infanterie ennemie , qui
foxcée d'abandonner le bourg , fe fauva à Roquemadour,
les ennemis perdirent fix cavaliers & vingt- cinq arque-
bufiers , avec un Meftre de camp nommé la Garrigue.
Le lendemain , Ventadour qui devoit , comme on l'avoît
réiblu dans le Confeil de guerre , s'avancer jufqu'à Bel- Ca-
rtel , pour atteindre l'ennemi qu'on croyoit qui devoit faire
retraite , s'étant rendu avec Temines ^ Vivans en cet en-
droit , il vit de loin , en attendant le rcfte de fes troupes ,
l'ennemi qui marchoit vers Souillac , pour pafîèr la Dor-
dogne près de cette place , dans le defTein d'entrer en Pé-
rîgord. Il ne jugea pas à propos d'attendre plus longtems,
& ayant détaché Vivans, Temines & Moncins, pour aller
attaquer P'ennemi , à la tête de quelques arquebufiers , il
fuivit bientôt avec le gros de l'armée.Cette attaque imprévup
DÉ J. A. DE THOU, Liv. CIL 407
remplit l'ennemi d'une fî grande frayeur , qu'après s'être à —
peine mis en état de défenfe , il fut enfoncé & diffipé dès H i. n r î
le premier choc , à la réferve d'un bataillon ferré , qui fe I V.
retira à Peyrac. Les Royaliftes n'ayant plus en tête que 1591^
l'infanterie , qui plioit inicnfiblement , la rompirent eniin
après une décharge de moufqueterie. Le vicomte de Rafti^
gnac , Deveze , ic Gourdon arrivants iur ces entrefaites ,
taillèrent entièrement en pièces fix cens des ennemis , qui
s'etoient défendus pendant quelque tems dans un endroic
inaccellible plein de ronces &c de builTbns.
D'un autre coté , Temines , Vivans , Se le baron de Mo-
neins , pourfuivirent Viiiars 6c Montpeiat juique dans les
portes de S, Projet , château appartenant à Clermont de
Lodeve. Enfuite on fe rendit devant Peyrac ^ où de Meyras
frère de Monmege ayant mis pied à terre , recrut dans le
bas ventre , en encourageant les loldats de la voix & par Ion-
exemple , un coup de moufquet dont il mourut deux heu-
res après. L'ennemi fe voyant enveloppé de tous cotés ^
prit le parti d'abandonner le bourg , pour le fauver dans
î'Eghfe & dans le château , qui fut rendu bien avant dans
la nuit. Il y eut environ foixante Gentilshommes faits pri-
fonniers j Charle Bouchard abbé de S. Cibar frère du vi-
comte d'Aubeterre ,. la Brangelie Maréchal de camp , la
Foreil: , & autres furent de ce nombre. Plus de cinq cens
furent rués 5 èc les chariots , le bagage , & les munitions de
guerre , tombèrent entre les mains des Royaliftes. Cette
aelion le paifa le 26. Novembre.
La guerre fe fit avec plus d'éclat dans le voîfmage de l'Ita- Guerre con*
lie, en Provence , en Savoye , dans la Brelîe, & aux en- savoye,"*^ ^"^
virons de Lyon. François de Bonnes de Lefdiguieres ( i )
s'ctant rendu maître de Grenoble le premier de Mars , il
tira deux canons de cette place , èc alla mettre le fîcge de-
vant les Echelles , ville frtuee fur les terres de Savoye , dans
un lieu étroit & fort élevé. La place ayant été emportée
d'adaut le lendemain , les alFièsies fe retirèrent dans la ci--
radelle , contre laquelle on pointa le canon deux jours après.
Enfin de Corbeaux Gouverneur de la place capitula le 5.
(i) On l'appelle vulgairement par abus , de Lefdiguieres, iJ faudroit dirCj,
•fcs Diguieies, -
:4.0s HISTOIRE
^ Mars , après s'erre fait tirer cinquante-fept coups de canon»
H E N K I Les conditions du traité furent : Qu'on lailleroit aux habi-
I V. tans la liberté de profefTer la Religion Catholique , Apo.
i^oi. ftolique, àc Romaine , â l'ordinaire : Qu'on ne toucheroic
point aux biens du Clergé : Que le gouverneur &c fes foL
dats feroient conduits en lieu de filreté , avec leurs armes ,
leur bagage , 6c mèche allumée : Qii'enfin les munitions de
bouche de de guerre , 6: les drapeaux , appartiendroient â
Lefdiguieres,
Ce Général avoit encore à fe faifir du Pas de la Grotte ,
au-dellus d'un bourg, d'où les ennemis qui s'en étoient em-
parés 5 harceioicnt fans celTe notre armée. On rangea deux
fois en bataille de part ôc d'autre les troupes , qui n'étoient
réparées que par une rivière , qu'il étoit aifé de pafler à
gué 'y on l'appelle par cette raifon la Guye. Briquemault la
paiïa , ôc ayant attaqué foixante arquebufiers à cheval , il
en tua douze. Eiiluite Biain du Poiiet voyant que la cava-
lerie ennemie fe^ettoit en mouvement , s'avança à la tête
de cinquante cuiraffiers ^ mais on ne fît qu'efcarmoucher de
part àc d'autre. Chambaud de Maugiron gouverneur de
Vienne , place que Henri de Savoye marquis de S. Sorlin
tâchoit de furprendre , foUicitoit Lefdiguieres de venir le
dégager 3 mais ce Général prefTé d'un autre côté par la Va-
lette , fur qui le fort de la guerre étoit tombé , fe mit en
marche pour la Provence , après avoir fait entendre à Mau-
giron qu'il ne pouvoit fe rendre à fès infiances. Il partit de
Serres , fe rendit en quatre jours à Sederon & reprit Aureau,
le Revefl , & Sainte Trinité dans le comté de Sault le pre-
mier d'Avril. Il traita avec les habitans de Meulhon ^ &c
comme ils n'agifToient pas de bonne foi , il en fît approcher
fes troupes j mais fans iuccès. Il fe rendit le 5. d'Avril aux
Mées , d'où étant parti quelques jours après , &c ayant pafîë
par Vallenibl , il alla joindre la Valette à Vinon le i 3 .du mê-
me mois , dans le deflein de jetter enfemble du fecours dans
la ville de Berre , qui étoit afîîégée.
Lefdiguieres eut avis que l'armée ennemie étoit compofée
/de mille hommes de cavalerie armés de toutes pièces ,pref-
que tous Gentilshommes, &; de quinze cens arquebufiers Pro-
lirencauXj Savoyards, 2c Efpagnols 3 que l'avant-garde étoip
DE J. A.DE THOU, Liv. CIL 409
à Efparron , le corps de bataille à Rians , 6c l'arriére-garde — —
â Saint Martin de Palliëres , poftes éloignés d'une demie Henri
lieuë l'un de l'autre, èc à deux lieues de Vinon ^ &: qu'on IV.
difoit hautement parmi les ennemis , qu'on nes'étoicavan- 1591.
ce jufque-là, que pour en venir aux mains avec les Roya-
lifl:es,dont on fe promettoit la défaite. Nos Généraux
tinrent alors Confeil de guerre, ôcréfolurent d'aller cher-
cher l'ennemi. Les milices du Dauphiné furent mifes à la
tête de l'armée. Du Poiiet commandoit les avantcoureurs,
fuivis immédiatement par de Mures avec fa compagnie de
cavalerie, &: avec celle de Lefdiguiéres. La Valette étoic
an centre de l'armée j &: de Buous fermoit la marche. Nos
troupes étoient compofees de huit cens hommes de cava-
lerie bien armés èc bien montés , prefque tous Gentils-
hommes, èc de deux mille arquebulîers. On rencontra près
d'Efparron l'ennemi , qui ne s'attendoit pas à voir fitôt les
Royaliftes. Il avoir rangé fes troupes en bataille à la hâte
iur une hauteur oppoiée , qui dominoit la plaine où l'ar-
mée venoit d'entrer j l'arricre-garde des ennemis vint re-
joindre le refte de leurs troupes. Après ce mouvement Lef-
diguiéres détacha un corps d'infanterie , dans la vue de
\qs attirer, en les prenant en flanc , dans un endroit plus
propre pour combattre j l'ennemi abandonnant auffitot le
pofte dont il s'étoit emparé , gagna la colline prochaine.
Alors les Royaliftes s'étant avances fe faifirent du terrain
que l'ennemi venoit de quitter. Lefdiguiéres fit partir de-
vant lui le comte du Bar à la tête de deux cens chevaux 5
& s'étant rendu par un long détour derrière la colline où
étoit l'ennemi , le prit en queue à l'improvifle. A lavuë de ce
Général les ennemis, après avoir déjà plié deux fois, pri-
rent la fuite, & abandonnèrent leur infanterie, & environ
trois cens cavaliers , qui couroient çà &c là dans le bourg.
Les vainqueurs pourluivants les fuyards rencontrèrent cinq
cens chevaux commandés par le comte de Martinengue ,
qui venoit de Rians. Les vaincus raiTurès par fa prélence
fe rallièrent, & fe défendirent pendant quelque tems. Mais
ne pouvants foûtenir l'impctuofîte Françoife , ils plièrent
une féconde fois fous les efforts redoublés du foldac, qui
les pourfuivit pendant quelque tems. Les ennemis perdirent
Jûme XI. FFf
4IO HISTOIRE
— deux cens hommes de cavalerie ,&: trois drapeaux. Le refle
He N R.1 de l'armée s'étant débandé jetta fes armes, &; fe diffipa,
I Y. On attaqua le même jour i 5. d'Avril le bourg de Rians ,
où l'ennemi s'étoit retranché avec des barricades^ mais
* comme le ioleil étoit déjà couché, on remiic l'affaire au
lendemain. Deux cens hommes qui s'étoient fauves , par-
tie dans une Eglilé, partie dans un colombier, & dans un
moulin , le rendirent à difcrérion j on doçna la vie au plus
grand nombre d'entr'eux , & le rell:e fat pendu , pour in-
timider l'ennemi. Ceux qui s'étoient réfugiés à Efparron ,
tourmentés par la faim & par la foif , infectés parlapuan*
teur des cadavres, èc n'ayant d'ailleurs aucun fecours-à
efpérer ^ fe rendirent aulli , mais fans autre condition que
la vie fauve. On defarma trois cens hommes de cavalerie ,
& mille hommes d'infanterie, qui demeurèrent tous pri-
fonniers de guerre. Ceux qui avoient échapé au carnage,
& entr'autres Alexandre Vitelli , Saint-Romain , &: trente
Capitaines , foit d'infanterie , foit de cavalerie , lurent par-
tagés entre Lefdiguiéres &; la Valette , aulTi-bien que quinze
drapeaux, &l un grand nombre de chevaux, qu'on avoic
pris fur l'ennemi. Le duc de Savoye perdit à cette défaite
cinq cens hommes de cavalerie tués ou faits prifonnîers,
6c quinze cens arquebuliers. Le jeune de Buous fut tué
dans cette affaire avec environ vingt foldats fans nom 5 &
nous eûmes cent bleffés. Enfuite l'armée alla paffer , après
fèpt jours de marche , à la viië d'Aix , dont l'ennemi étoit
maître, & fe rendit à Marignane, que la Valette prit à
compolîtion le Z4. d'Avril. On s'approcha le lendemain
de Gian, à une demie licuë de Selon 5 la place fut empor-
tée , après qu'on eut planté les échelles , de fait joiier le
pétard. Tout ce qui fe préfenta fut pafïc au fil de l'épée j
& on fit pendre les autres. Les deux Généraux fe féparé-
rent en cet endroit , après s'être fait des complimens de
des remercimens de part & d'autre. Lefdiguiéres fe ren-
dit en dix jours à Gap, où ayant appris que la ville de
Briançon couroit grand rifque d'être prife par la négli-
gence de la garnifon , il partit pour s'y rendre -, mais Pra-
baud l'ayant affiiré dans le chemin qu'on avoit changé la
garnifon, de que celle qu'on venoit d'y mettre étoit très.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL . 411
attachée au Roi , il retourna fur Tes pas 3 pafTa par le Mont ^*''^*^— '■
d'Argenciére j alla à Guiilcftre, àc enfin à Embrun le 1 1. Henri
Mai. Cinq jours après ion arrivée dans cette ville, il prie le 1 V.
chemin de Grenoble , pour alîiltcr aux Etats de la Province, i 5 9 i.
& fe rendit enfuice dans le Viennois , afin d'arrêter les
ravages que l'ennemi faiioit en ces quartiers , èc pour être
à portée de jetter du fecours dans les Echelles qu'on avoit
delfein d'affiéger. Il eut avis dans fa marche que l'jnnemf
avoit retiré Ton artillerie du Pont de Beauvoifin ,&déinan-
telé cette place fur la frontière de France &c de Savoye , fé-
parées en cet endroit par un petit ruiiPeau qui coule entre-
deux. Cette nouvelle ne l'ayant point empêché de s'avan-
cer jufqu'à SaintGenis, accompagné du colonel d'Ornano,
qui l'étoit venu joindre avec les troupes ^ il attaqua les
ennemis à la fortie du Pont de Beauvoifin. Le combat fut
très-léger- & on fe retira de part & d'autre, ap.ès avoir
efcarmouché pendant trois jours. Les Savoyards allèrent
prendre des quartiers à Chamberi de aux environs.
HeAor de Mirabel de B laçons emporta d'allaut le châ-
teau de Montfleury. Gouvernet 6c d'Aurîac fe joignirent
alors à Lefdiguiéres, qui retira fes foldats de Saint Genis,
pour aller attaquer dans hs Vallées quelques troupes des
ennemis, qui étoient forties de leurs retranchement. lien
tua ioixante le i i . de Juin. Enluite ayant abandonné le Pont
de Beauvoifin , on fit lans fuccès une tentative fur Chamberi.
Ornano traita avec les Députés du duc de Savoye pour
le retablificmetlt de la liberté du commerce & de la cul-
ture des terres 5 mais n'ayant pu convenir des conditions,
Lefdiguiéres fit des courfes jufqu'aux portes de Lyon avec
Gouvernet, du Poliet, & de Blacons ^ il perça même juf^
que dans le fauxbourg de la Guillotiére , qui eft au-delà du
Rhône j & en fut maître pendant deux heures. L'ar-
mée partit enfuite d'Erieu , pour aller, a la follicitacionde
Maugiron, mettre le fiége devant Givords dans le Lyon-
nois , place qui incommodoit beaucoup la ville de Vienne.
Le I. de Juillet on fit tirer le canon dès la pointe du jourj
èc le feu de l'artillerie ayant duré trois heures , on ie mit
en devoir de forcer la brèche. Givords fut emporté d'af-
faut , ôc le foldac tailla en pièces tout ce qui iè renconrra
F F f ij
411 HISTOIRE
rr^r^rrm^ furjbn pafTage. Le refte fe fauva dans la citadelle , que la.
Henj^i garnifon vaincue par la frayeur rendit fur le champ. L'ar-
IV. niée alla enluite à Vienne , d'où elle.fe rendit en cinq
159^» jours de marche à Ventavon , le 16. de Juillet.
La Valette qui yétoit venu au-devant de Lefdiguiéres ^
l'entretint pendant quelques tems ^ 6i auflitôt Leldiguiéres
retourna à Serres, & de-là à Puymore , château fitué fur
une hauteur qui commande la ville de Gap. Ayant ap-
pris en cet endroit que l'ennemi avoit delTein de lurpren-
dre Exiles , il fe rendit à Embrun j ôc voyant qu'il s'étoit
retiré à fon arrivée, il marcha du côté de Briançon pour
vifiter la place, qui lui avoit caufé de l'inquiétude. Sur
l'avis qu'on lui donna que l'ennemi avoit réfolu d'alFiéger
Grenoble , il reprit le chemin de cette ville , dans le defléin
de s'oppofer en même- tems aux ravages que le duc de
Savoye faifoit dans la Vallée de Grelivaudan , célèbre par
la quantité de Noblefîèqui l'habite. Dans cette vue on fit
filer des troupes en Savoye , où quelques fourageurs de
l'ennemi donnèrent dans une embufcade qu'on leur avoir
drefTée. Enfuite on alla en cinq jours à Goufelin. Il y eue
le 8. d'Août un léger combat j & les Royaliftes rompirent
le pont de bois, & en abbatirent douze toifes, malgré le
grand feu du canon de la citadelle. De Galle de la BuilTe
reçut dans la cuiflè une moufquetade , donc il ne fut pas
lonctems incommodé.
Lefdiguiéres retourna à Grenoble , où il eut avis que
les troupes du Pape étoient arrivées à Montmelian , d'où
elles s'étoienc miles en chemin pour Chambery. Elles con-
lîftoient en fix compagnies compofées chacune de trois
cens hommes d'infanterie, commandés par le comte Bel-
gioiofo, par Alexandre Rangone, par Annibal Vifconti,
par Fran(^ois comte de Stampa , par Gafpar Landriano , 6c
par le chevalier Alphonfe Roho, tous à la folde du Pape.
Dans le même-tems la Valette ayant engagé Lefdiguiéres
par {q.s> inftances à marcher au fecours de Berre , ville fa-
meufe parfes falines 6c par fon commerce dans le Golfe de
Martigue , ce dernier palTa par Trêves , par Saint Maurice ,
par Serres , 6c fe rendit en trois jours à Ribiers. Il y ap-
prit que la ville de Berre avoic été prife au mois de Juillet,
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 413
après un long fiége , par les comtes François Martinen- :
gue Malpaga , Bonifacio Vinciguerra, & par d'autres Of- Henri
Sciers du Duc de Savoye. Il entra cependant dans cette I V.
Province, s'avança jufqu'à Caftel-Arnoux , & de-là aux 159Î,
Mées , où il s'arrêta quatre jours. Il afliëgea dans le même-
rems le château du Luz, qui appartient à l'Archevêque
d'Aix. Il y avoit deux cens hommes de pied, 6c quarante
chevaux dans ce Château , qui eft fitué fur une hauteur.
La difette d'eau obligea les airiégés à compofer le 2. de
Septembre , après qu'on eut tiré trois cens coups de canon.
Le Général François à qui les chevaux & le bagage ap-
partenoient par le traité , les rendit généreufemcnt à l'en-
nemi , Se ne retint que les drapeaux. *
Après la prife de cette place , on alla camper près de
Saint Pol, où l'on réfolut d'aller mettre le fiége devant
la ville de Digne , pendant que la Valette ferreroit de près
Gravefon 3 mais ayant reçu une lettre par laquelle il ap-
prit que les ennemis étoient devant Moretel, qu'il avoit fait
fortifier à l'oppofite de Montmelian , pour arrêter les cour-
f€s des Savoyards , èc que le duc de Savoye s'étoit avancé
en perfonne à la tête de huit cens chevaux , & de deux
mille arquebufiers jufqu'à Vallenfole, il ne jugea pas à pro-
pos de s'engager au iiége de la ville de Digne , aux envi-
rons de laquelle il s'empara de Chantarfier &l de Courbon.
Lefdiguiéres pafTa par Gap, revint à Grenoble, & ayanc
pris avec lui trois cens hommes de cavalerie , tirés la plu-
part de la Noblefle , de deux mille fept cens arquebu-
fiers , il s'avança jufqu'au pont de Charra 3 mais l'ennemi
averti de fon arrivée avoit déjà levé le £ége de Mo-
retel.
Pendant que Lefdiguiéres étoit retenu dans fon lit par
un catharre , Belliers frère de la Builîè ayant attaqué un
corps -*de - garde de cavalerie, en tailla une partie en
pièces. Le lendemain de Mures & de Mortes voulurent en
iaire autant. Le Général ayant recouvert /a fanté revint au
camp j 5c ayant été reconnoître lui-même hs retranche-
mens de l'ennemi , il jugea à propos de fe conduire le Icn-
main de la manière que nous allons bientôt dire. Le due
de Savoye ayanc difpofé iqs troupes de façon que la têrc^
414 HISTOIRE
de l'armée croit tournée du côté de Grenoble, il pofla
Henr.1 Ton infanterie à la gauche iur un coteau de vignes au-
I V. deilbus du château Bayard , & fie trois corps de ia cava-
legi, Icrie, qu'il plaça dans la prairie voi{îne, entre ce coteau
&; la rivière d'Ifere, qui coule à la droite. Il mit enluite
quarante chevaux dans un champ , d'où l'on ne pouvoic
pénétrer dans la prairieT[ui eft au-defîbus , que par un dé-
filé très-étroit j les pallàges en étant d'ailleurs efcarpésde
toutes parts.
Leidiguiéres en s'approchant de l'ennemi fit faire alte a
fes troupes dans un fond, entre des arbres fur les bords de
rifere, afin de dérober à l'ennemi la connoiiîànce du
• nombre de fes troupes ^ il chargea Prabaud de marcher
vers le coteau dont nous avons parlé, à la tête de quinze
cens arquebufiers partagés en deux troupes, dont l'une
gagna le fommet pour en chaffer l'ennemi , 6c l'autre fe
rendit au pied du coteau , afin d'enlever ce pofteà l'infan-
terie des ennemis, qui couvroit leur cavalerie. Dansletems
que Prabaud s'avançoit , le Lieutenant de la compagnie de
cavalerie de Briquemauit, appelle Guillaume Bude de Ve-
raiîe, petit-fils du célèbre Guillaume Budé , fi connu par
fa probité & par Ion érudition , eut ordre de prendre les
devants avec un détachement de cavalerie 2c d'infanterie
pour aller attaquer les quarante chevaux que l'ennemî
avoit poftés dans le champ qui commandoit la prairie.
Dès qu'il eut chafi^e ce corps-de-garde de cet endroit,
Leidiguiéres y rangea fon armée de cette manière j
il mit fon infanterie à la droite fous les ordres de Pra-
baud j fit prendre la gauche fur le bord de la riviè-
re à Mefplez avec un bataillon quarré , 6c divifa en
trois corps fa cavalerie, qu'il pofta au milieu des troupes -
de Prabaud £c de Mefplez. Le premier efcadron étoic
commandépar de Mures 6c de Morges ^ la Cornette du Gé-
néral étoit dans le fécond fous les ordres de Poligny • Lef-
diguiéres fc mit à la tête du troifième avec cinquante-
deux hommes d'élite, rangés de manière qu'ils paroifibient
être au nombre de cinq censt Venoient enfuite fix vingts
arquebufiers , fuivis de tous les goujats de l'armée qui mar-
choient l'épée nue , pour épouvanter l'ennem.i. Les
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 415
avantcoureurs commandés par Briquemault ëtoicnc devant
eux comme une efpëce d'avant- garde j & le bataillon quarré Henri
dont nous avons parlé couvroit l'aîie gauche de î'efca- 1 y.
dron de Poligny. i îoi
L'infanterie ayant commencé la charge , la cavalerie fe
mêla bientôt, bc la victoire ne fut pas longtems incer-
taine. L'ennemi fe retira peu à peu j Ôc n'ayant fait qu'un
feul bataillon de toutes fes troupes , pour éviter le car-
nage dans fa retraite , il fit face dans la prairie , comme
s'il avoic voulu combattre ^ mais prelTés plus vivement par
les vainqueurs, ils fe débandèrent, prirent la fuite, àc fu-
rent pourluivis jufqu'aux portes de Montmelian. Les uns fe
difperiérent de tous côtés 5 les autres fe fauvércnt dans
les bois à Aiguebelle , à la Kochette , &c â Miollans. Le
nombre des morts fut plus grand qu'il ne dcvoit l'être , eu
égard au nombre de troupes qu'avoit le duc de Savoye 3
car il y eut deux mille cinq cens hommes de tués j prefque
tous les Colonels 6c les Capitaines de l'armée furent faits
prifonniers. On prit auffi trois cens chevaux , une Cornette
6c dix^iuit drapeaux. Amedée frère naturel du duc de
Savoye fe fauva à Miollans ^ le marquis de Trevico , &
d'Olivera demeurèrent long-tems cachés dans les bois. Cette
défaite arrivale19.de Septembre. Le lendemain deux
mille hommes des troupes du Pape, 6c du Milançz, qui
s'étoient fauves au château d'Avalon avec le ' comte de
jBelgioiofo leur chef, fe rendirent à difcrétion. On ne put
arrêter la furie du foldat , qui en malîàcra cinq cens dans
le premier feu. Les autres furent renvoyés avec un bâton à
la main , cc conduits en lieu de fureté , après leur avoir
fait promettre de retourner en Italie, ôcdene jamais por-
ter les armes contre le Roi.
Lefdiguiéres ayant fait examiner avec grand foin ce qu'il
pouvoit y avoir de morts &. de blefîès de notre côté , on
trouva qu'il n'y eut que de Valoufe, avec un Chevau-léger,
& deux fantaiîins de tués . & deux autres fantaffins de
bleilès. Le butin fut fi confidérabie, que fans i'eftimer au-
delà de la jufte valeur , on le fit monter à deux cens
mille écus d'or. Il y avoit des chaînes d'or , des colliers ,
de i'or ôc de l'argent monnoyé , de la vailîèlle d'argent ,
4i6 HISTOIRE
des couvertures de lie , dQs chevaux , &; d'autres muni-
Henri tions de guerre. Quelques perfonnes remarquèrent que ce
I V. fut au pied du château Bayard qu'on fit unii grand carnage
1591. des plus grands ennemis de la France ^ comme fi on avoit
eu defiein de les immoler aux mânes du brave Pierre du
Terrail, fiarnomme Bayard du nom de ce château, qu'il
avoit fait bâtir. Ce guerrier il fameux dans notre hilloire
avoit autrefois fignalé par des prodiges de valeur fon zélé
pour l'honneur du nom Fran(^ois. Le Roi Fran(^ois Premier
conçut une fi haute eftime pour ce grand homme , qu'il
voulut être arme Chevalier de fa main. Bayard n'avoic
laifie d'une maîtrelFe qu'il avoic eue à Milan qu'une fille
naturelle , qui dans la fuite fut mère de Chaftelard , à
qui la reine d'EcolFe fit trancher la tête , ôc de Bochofel
Confeiller au Parlement de Grenoble.
Trois jours après cette défaite , Poligny tâcha inutile-
ment de lurprendre Marches, place entourée de murs, ôc
dont l'afiiéte cil avantageuie. Enfuite Lefdiguiéres ayant
ramène l'armée , qu'il fit repofer pendant quelques jours,
il réfoiut d'alTieger Barcelone dans le Comté de ce nom ,
appartenant au ducde Sayoye, entre Gap & le territoire
d'Embrun. Il partit de Puymore le i 2. Octobre • &: s'étanc
rendu au Lauzet , & deux jours après à Saint Pont, il
campa devant Barcelone. Mirabel furprit quatre jours
après Caumars château voifin. L'artillerie ayant été poin-
tée contre les murs de Barcelone, on la tranfporra dans un
autre endroit- après quelques coups de canon , tant parce
qu'elle ne faifoit pas beaucoup d'effet de ce côté-là , par
ou iln'étoit pas facile de monter à ra(Iàut,que parce que
les munitions de guerre étoient prefque toutes gâtées.
Enfin du Sauzé gouverneur de la place , qui avoit une
garnifon de quatre cens arquebufiers, capitula le 2 r . d'Oc-
tobre , à condition que les chevaux , les armes , les dra-
peaux, & le bagage appartiendroienc à Lefdiguiéres : Que
le Gouverneur de fa garnifon auroient la vie lauve, & l£-
roient eicortés par Poligny jufqu'au Chaftelat. On fit pro-
mettre à ces troupes qu'elles rcpalFeroient les Monts j
qu'elles ne s'arrêteroient , ni à Démont place dépendante
de la France entre Coni ^ Cental au-delà des Monts , 6c
dont
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 417
dont le duc de Savoye ëcoic alors maître ^ ni à Digne , ni '■rr^^::::^^^^-^
aux Aliosj &: qu'elles ne ferviroient point contre le Roi Henf>i
pendant trois mois. I V.
Deux jours après , Lefdiguiëres alla du côté de Digne , i ^9 i,
afin d'être à portée de féconder la Valette qui fliifoit le
fîége de cette place. Ce dernier ayant fait conduire du ca-
non devant le bourg de Gaubert, que l'ennemi avoit fait
fortifier aux environs de Sifteron , &c dont la garnifon in-
commodoit beaucoup nos troupes par ies fréquentes for-
tiQs^ elle fe rendit à difcrétion. La Valette fit pendre
tous les foldats , à la referve de deux feulement. On tira
auiîî le trois de Novembre quelques volées de canon contre
un petit Fort, dont la garnifon le retira à Digne, qui étoic
un peu au-deffous. L'artillerie ayant été pointée dans le
même tems contre une Eglife bors d^s murs de la ville ,
trente foldats qui s'y étoient enfermiés furent fur le point
de^fe rendre à difcrétion. La place ayant capitulé lelende.
main , on leur accorda la vie par le traité , dont les con-
ditions furent : Que le Roi pardonneroit aux habitans de
Digne : Qii'on les traiteroit comme les autres villes fou-
jnifes à Sa Majefté : Qu'ils payeroient cinq mille écus d'or
à Lefdiguiéres pour les frais de la guerre , en leur accor-
dant une remilè des fommes qu'ils avoient promifes à la
Valette : Qu'à l'égard de celles qu'ils lui dévoient avant
leur révolte , on s'en rapporteroit à des arbitres : Qu'on ne
Jeur feroit point porter la peine du paiTé : Qu'ils feroient
garantis du pillage, & ne feroient obligés à recevoir d'au-
tre garnifon que celle que la Valette mettroit dans la
.ville.
On apprît enfuite que le Puy de Sainte Reparade ( i ) où
commandoit Palamede Forbin de Saint- Canat, étoit af-
iiégé parle duc de Savoye, qui faifoit déjà battre les murs
de cette place. Lefdiguiéres èc la Valette partirent des
McQs , &: fe rendirent à Sainte Tulle dans le deifein de
iecourir les aiîîégés. Ils fe préparoient à traverfer la Du-
rance , lorlque l'ennemi parut lur la rive oppofce 5 mais le
foleil étant prêt à fe coucher, Leidiguiéres alla palier la
nuit à la tour d'Aiguës , ôc la Valette à Pertuys 3 tous deux
(i) Vulgairement le Puech.
lome XI. GGg
41 8 HISTOIRE
- dans ja rëfolution de donner bataille le lendemain , fi l'oc-
-Henri cafion s'en prërentoic. Le duc de Savoye craignant d'avoir
•IV. du defavantage contre ces deux Généraux, décampa la nuit
j. çg j.^ fuivante , après avoir inutilement tiré deux mille coups de
canon, ôcié retira promptement à Aix. EnfuiteLefdiguiéres
fe fépara de la Valette.
Le duc de Savoye fier de la prife de Berre empioyoit la
rufe, les brigues & l'argent, pour engager les habitans
<Je Marfcille , ville marchande du plus grand abord de
toute la Méditerranée, & qui eft, pour ainii dire, la ca-
pitale de toute la Provence, à lui laiifer faire au mois de
Mars fuivant Ton entrée dans leur ville, en qualité de Gou-
verneur, & de Protedeur, pour leur tenir lieu de l'un &
de l'autre , jufqu'à ce qu'on eût mis un prince Catholique
fur le trône. Il étoit fécondé dans ce defîèin par Chriftine
d'Aguerre, veuve de Fran(^ois d'Agouft comte de Saule,
qui étoit en état, par le grand nombre de créatures qu'elle
avoit dans cette ville , d'avancer beaucoup les affaires du
Parti qu'elle avoit embraiïé. Mais foit que le Duc ne rem-
plît pas les promeiïes qu'il avoit faîtes à la Comtefïe , foie
que les effets ne répondifïènt pas aux paroles, elle aban-
donna fon Parti, &: lui débaucha la plupart de la No-
blefTe. Quelques-uns croyent que le véritable motif d'un
changement fi prompt fut le fouvenirdu refusqueleDuc
lui avoit fait efiliyer, lorfqu'après la prife de Berre elle lui
avoit demandé pour une de fQs créatures le gouverne-
ment de cette place, qu'elle ne croyoit pas qu'on putre-
fufer à fes fer vices.
Le duc de Savoye qui fe regardoit déjà comme en pof-
fefiion de Marfeiile , ne voulant pas lâcher fa proye , fe
fervit d'un ftratagême pour la retenir de force. Ses Emif-
faires répandirent le bruit que les Bigarrars, ou, Bigar^
xés (i) , qui étoient fecrétement dans les intérêts du Roi ,
avoient des deflèins fur Marfeiile. Sous ce prétexte Pierre
Bon baron de Meuihon fe faifit de l'Abbaye de Saint Vic-
tor fituée fur une éminence d'un côté du port, près du
château communément appelle Notre-Dame de la Garde.
(i) Gens habillés de divcrfes couleurs , qui faifoient des courfes, ôc rava-
geoient le pais.
I
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL ^19
La fédicion s'étant élevée en même^tems dans la ville , le ■
duc de Savoye s'ofFric comme médiateur pour l'appailer , Henri
afin d'avoir occafion de faire filer dans la place les" trou- i y^
pes, qui s'en étoient approchées par fes ordres. Mais les i^^t,
chofes ayant tout à coup changé de face , les Marfeillois
ennemis d'une domination violente & tirannique ne pen-
férent plus aux Bigarrats, dont on avoit voulu leur faire
peur , & fe réunirent enfemble pour aller forcer le Baron
dans l'Abbaye de Saint Vidor. lis vinrent enfin à bout de
le chaiTer de leur ville, malgré l'appui du duc de Savoye,
qu'il appella plufieurs fois à fon lecours. Depuis cet évé-
nement la protection de ce Prince fut toujours fufpedèaux
habitans de Marfeille.
Tandis que ce Prince étoît aux environs de Marfeille ,
la Valette alla le 10. de Novembre afliéger Beynes au pied
(Iqs montagnes , après la prife de Digne , afin de foûmettre
entièrement les places de la dépendance de cette ville.
Mais voyant que fon artillerie ne faifoit pas beaucoup d'ef-
fet, & que d'ailleurs le renfort que Lefdiguiéres devoit lui
envoyer n'arrivoit pas aufiitôt qu'il s'en étoit flaté , il crut
qu'il fuffifoit pour le préfent de faire une efpéce de blocus.
C'eft pourquoi il fit faire des retranchemens à une dem'L
lune , dont il s'étoit emparé , afin d'y loger fes foldars. Mais
comme l'affaire de Marfeille finit heureulèment plutôt qu'on
ne l'avoic efpéré 3 que l'Abbaye de Saint Victor fut reprife
fur le baron de Meulhon , qu'on avoit chaflè de la ville j
& que le duc de Savoye vint à Beynes avec toutes fes
forces -J la Valette en leva le fiége à la hâte , & fit conduire
fon artillerie au bourg de Mezeuil , qui eft aufîi au pied
des montagnes allez près de Beynes. le Duc chargea
Pontevez comte de Carces,de jetterdes vivres èc des fol-
dats dans cette place. ^ '■
C'étoit fait de l'armée des Royaliftes , lî le Comte les eut
attaqués dans la confternation où fon arrivée Iqs avoir
jettes- mais leur ayant donné le tems de fe raffurer, le
brave la Valette ne fe déconcerta point ^ &c ayant laifTé
un nombre de foldars fufïîfant à la garde de fon canon, il
fortit de Mezeuil fur le foir à la tête de fes troupes , pour
aller infulter le camp des ennemis. La nuit quifurvintmir
CGg.-j
420 H I S T O I RE
I !■ I ■ fin au combat, qui n'avoir pas duré longtems. On Te retira
Henri de part & d'autre dans Tes retranchemens. L'ennemi iatis-
I V. f^ait d'avoir jette en pallant des fecours dans la ville de
I ^gi, Beynes, fe mie en marche à la faveur des ténèbres ,&:alla
paiTer la rivière à Vinon , malgré la pourfuite des Roya-
liftes. Arrivé dans cet endroit la Valette en trouva la fi-
tuation très-avantageufe. Il refolut de fortifier un pont, qui
lui parut très-propre à faciliter Cqs entreprifes, èc par le
moyen duquel on pouvoit arrêter les courfes de l'ennemi,
& couper les convois qui alloient à Aix j il en confia la
garde à Mefplez avec quatre cens arquebufiers ; & ayant
renvoyé fes troupes à Manofque,il fe rendit promptement
à Beynes , pour élever des Forts autour de cette place.
Ils ètoient à peine commencés , qu'il eut avis que le duc
de Savoye affiégeoit Vinon avec deux coiilevrines , & qu'il
s'étoit emparé du fauxbourg , qu'on avoit abandonné lôrf-
que la place avoit été démantelée. Ainfi les palTages étant
fermés par cet endroit, la Valette vit bien qu'il étoit im-
poflible d'y faire entrer des troupes, la rivière de Verdon
qui coule de l'autre côté n'étant pas guéable. Au défaut
de fecours la garnifon , que le mauvais état de la place ne
put ^branler , fe fit un rempart de fon courage.
Deux jours après, la batterie de l'ennemi ayant renverfé les
fortifications , qui n'étoient que des pierres entafTèes les unes
fur les autres fans ciment , le duc de Savoye écoit fur le point
de donner un afTaut, lorfque la Valette parut à la tête de cinq
cens chevaux , ôc de fix cens arquebufiers , n'ayant point
encore re(^û les renforts que Lefdiguiéres lui avoit fait ef^
pérer. A la vérité Gouvernet lui avoit amené cinquante
Gentilshommes- mais cette jonction ne diminuoit pas beau-
coup la fupériorité de l'ennemi. Malgré cette inégalité ,1a
Valette fe détermina à rifquer une bataille , dans la réfo-
lution de périr plutôt que de foufFrir qu'on pût lui repro-
cher d'avoir abandonné les afîiégés dans le péril qui les ame-
na (^oit.
Ayant donc rafTem.blé fes troupes auprès de Vinon le
2 1. de Décembre, dans un endroit où il leur avoit donné
rendez - vous , il les rangea en bataille de cette manière.
11 donna le commandement de l'avant-garde , compofèe
DE J. A. DE THOU, Liv. Cîî. 421
de cent cinquante chevaux à Buous j & pofta Saint-Canat à la "
gauche avec vingt cuiraffiers loûtenus de quelques arque- Henri
buliers , àc de quelques enfans perdus. Enfuite il plaça I V.
Montault derrière eux avec cent cinquante chevaux ran- 1591.
gës de la même manière j & fe mit lui-même à la tête de
deux cens foldats , après avoir chargé Gouvernée de la con-
duite du corps de referve.
L'armée s'etant avancée dans cet ordre jufqu a Vinon^
elle rencontra le duc de Savoye qui avoit palTé leVerdori
pour venir au-devant d'elle à la tête de huit cens chevaux,
êc de cinq cens hommes de fon infanterie , dont il avoic
laifîe le refle à la garde de fon artillerie dans le fauxbourg
deVinon, de l'autre côté de la rivière. Sa cavalerie s'éten-
doit fur trois lignes le long du rivage. De Buous ayant com-
mencé la charge avec beaucoup de valeur, Saint Canat à~
la tête de fcs enfans perdus , prit en flanc l'ennemi {] à
propos, qu'il le fit plier 3 de manière que Buous Tenfonça'
aifément. Enfin Montault étant encore furvenu par l'or-
dre de la Valette, qui couroit de rang en rang, pour ani-
mer fes foldats à bien faire, il preila fi vivement l'ennemi ,
qu'il abandonna fon pofle , êc prit la fuite. Il y en eut un
grand nombre de tués fur la place 3 plufieurs fe noyèrent
dans le Verdon , qui ètoit près de là. Ceux qui fe fauve-
rent à la nage allèrent fe rejoindre à leurs compagnons,
qui gardoient l'artillerie dans le fauxbourg.
Le duc de Savoye fe fauva à la faveur de la nuit , qui fui-
vît de près le combat qu'on n'avoit commencé qu'un peu
avant le coucher du foleil. L'ennemi ayant levé le fiège en
défordre au milieu de la nuit , Mefplez fortît de (es retran-
chemens , &: tailla en pièces le corps-de-garde qui ètoit
dans le fauxbourg. L'ennemi perdit cent hommes , dans le
nombre defquels Vinciguerra comte de Saint- Bdoniface, &c
Fortîas d'Avignon capitaine de cavalerie fe trouvèrent com-
pris. Il n'y eut que fix des nôtres tués , & autant de blefles.
Saine- Canat qui avoit fait des prodiges de valeur , de donné
àes preuves de fon habileté dans la guerre fut du nombre
de ces derniers. Les fuyards fe réfugièrent à Saint Pol & à
Rians. Après cette vidoire, la Valette fe rendit à Efparron ,
& continua fa route vers Martigues, dans^l'efpèrance de
G Giij
422 HISTOIRE
-5 reprendre Berre j Martîgues 6c tous les Forts des environs
Henri de Marfeille fc rendirent à lui.
I V". Tandis que ces choies fe pafToient en Provence ôc en
irQi, Daupbiné, on ne rcftoit pas dans i'inadion aux environs
de Genève. Nicolas de Harlay de Sancy , qui après la more
de Henri III. a voit eu commiffion de taire des levées en
Allemagne, n'ayant pu conferver les troupes quilavoient
fuivi , s'étoit retiré en SuilTe. Ayant eu enfuite quelques
conférences avec le vicomte de Turenne , qui alloit en am-
baflade en Allemagne, il vit bien qu'on n'avoit plus belbin
de fes fervices auprès des Princes de l'Empire. Il prit donc
le parti de fe retirer à Baie , où il eut avis par un de [qs
efpions que des gens déguifés en foldats apportoient d'I-
talie un convoi de cent mille écus d'or pour le roi d'Efpa-
ne. Il lesfîtfuivre par un détachement , qui les ayant con-
duits dans une embufcade dans la forêt deRheinfeldt,leur
enlevèrent cette fomme confîdérable.
Cet argent vint à propos pour payer trois compagnies de
cavalerie qu'André Hurault de MaifTe amhaflàdeur de
France à Venife avoit levées dans les Etats de la Républi-
que. Elles étoient commandées parPaufania^ Braccioduro,
par le comte Mucio Porto, qui avoit avec lui Léonard fou
frère, tous deux de Vicenze, 6c par Nicolas Naii Flo-
rentin , fi connu en Italie 6c en France par le jeu qu'il avoic
coutume de joiier. Cet Officier , qui confervoit toujours l'in-
clination qu'il avoit eue pour la France , mit ces troupes
en bon état à fes dépens , èc avec l'argent que Mucio lui
prêta généreufement. Ces troupes ayant été payées de l'ar-
gent du roi d'Efpagne , Sancy fe rendit à Genève, pour
porter la guerre en Savoye de ce côté-là , afin de faire di-
verfion des forces du Duc, qui ravageoit alors la Provenu
ce. Cet argent fervit aulîî à lever un régiment de Suifîes ,
dont on donna le commandement à Diefpach gentilhomme
de Berne. Sancy s'étant mis à la tête de ces troupes fè
joignit à Lurbigny gouverneur de Genève pour le Roi,
6c au baron de Conforgîen, qui avoit fait l'année précé-
dente une heureufe campagne. Ils allèrent au commence-
ment de Janvier mettre le fiège devant Buringe , dont ils
firent battre les murs. Dans le même tems un corps de
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 423
cavalerie Napolitaine 6c Milanoife étant arrivé à la Ro- '
che, Braccioduro, le comte Porto, & Nafi , quoiqu'avec Henri
peu de forces , ne laifférent pas de l'atraquer èc de le mettre I V.
en déroute avec le lecours de quelques arquebufiers , qui i cgi.
étant accourus au bruit prirent les ennemis en flanc & leur
tuèrent cinquante hommes , du nombre defquels fe trouva
un Efpagnol nommé Guevara.
On rapporte que le ftratagême dont Braccioduro fe Ser-
vit , ne contribua pas peu à le tirer de ce mauvais pas. Cet
Officier voyant qu'il falloit repouiTer le danger , en le fai-
fant craindre à Tennemi , fit courir le bruit parmi [qs trou-
pes , qu'il leur arrivoit du fecours par derrière. Ce bruit
ayant pafTé dans les rangs Efpagnols , ils fe mirent à fuir .
pour n'être pas enveloppés de tous cotés. Le canon ayant
continué le lendemain de tfrer contre Buringe , les afTiéçrés
commencèrent à perdre courage , èc demandèrent à capi.
tuler 5 mais ayant propofé des conditions exorbitantes ,
qu'on ne pouvoit leur accorder , on les fomma de fe rendre
à difcrétion , avec menace de pafTer tout au fil de l'épèe , fi
la place ètoit emportée d'afîaut. EfFrayès de ces menaces ,
ils fortirent de la ville par un guichet qui s'ouvroit fur le
pont , où l'on ne faifoit point la garde , parce qu'il ètoit au-
defTous de la citadelle , 6c fe fauvérent à Bonne. Il y en eut
huit de tués 6c trois pris , dont un qui fervit de bourreau pour
pendre les deux autres , racheta fà vie par ce moyen. On
garda pendant quelque tems Buringe , qu'on fit enfuite dé-
manteler. Le duc de Savoye la fortifia de nouveau dans la
fuite. On employa le refle du mois à faire des courfes fur
Iqs terres de l'ennemi.
Dans le même tems Jean Chaumont de Guitry , Officier
d'une expérience confommée , dont nous avons eu fouvenc
occafion de parler, fe rendit de l'ordre du Roi à Genève,
avec d'Anglure d'Autricour fon Lieutenant , à la tête de
trois cens chevaux , 6c de quinze cens hommes d'infanterie.
Son arrivée ayant entièrement raffûré les Genevois , le ré-
giment des SuifTes pafTa du bailliage de Gex , où il ètoit,
dans celui de Thonon. Guitry fit braquer le premier de
Février , cinq pièces de canon contre les murs de Verfoy ,
dont le duc de Savoye s'ètoit emparé depuis peu. La place
424 HISTOIRE
^^i^r^^:^:;;^!^ fut emportée du premier afîàuc, après une légère réfiflance
H E n: R I de la parc de la garnifon compofëe de deux cens cinquante
I V. hommes. Nos foldacs , donc la licence n'ëcoic point alors
ifgi, réprimée par une fage difcipline , commirenc des cruaucés
inoiiies dans cecte ville , ôc la mirent au pillage. La garnifon
fuc palîee au fil de l'épée à l'exception de quatre-vingts hom^
mes , qui fe fauvérenc dans la citadelle , donc Compois
écoic gouverneur. Ayanc éce fommé le lendemain de fe ren-
dre , il fie une réponlé pleine de hauteur. Les afliégeans tour-
nèrent aulîîtôt le canon contre les murs de la citadelle du
côté de rOrient d'Eté j mais voyant que le mur , qui étoic
de pierres de taille &: de briques, réfiftoit par Ton épailTeur
â l'efForc du canon , donc on avoic déjà ciré cent coups fans
beaucoup d'efFec , on fie creufer des mines où l'on mie le feu
le 6. de Février. Elles firenc faucer trence foldacs , donc le
malheur effraya tellement le refte des aflîégés , qu'ils fe ren-
direnc à compofîcion. On permic au Gouverneur ôc à trois
Capitaines , de fortir de la place armés du poignard ôc de
J'épée , &: Ton renvoya fans armes & fans bagage cinquante
hommes qui reftoienc encore de la garnifon. Les vainqueurs
trouvérenc dans la cîcadelle un grand amas de munirions
de bouche , donc on fie moncer le prix à fix mille écus
d'or.
Après la prife de Verfoy , l'armée alla faire le fiége d'EC
vîan , fur le bord du Lac de Genève. Bonvillars aucrefois
gouverneur de Montmelian écoic alors dans Efvian avec croîîf
cens hommes de garnifon. Ce Gouverneur ayanc écé fom-
mé au nom du Roi de rendre fa place , refufa d'en ouvrir
les porces. On fuc donc obligé de tirer le canon j & la place
ayant été emportée d'aflàut avec perte alTez confiderable
des nôtres , on brifa les portes de la ville par le moyen du
pétard , 6c on y commit les mêmes excès qu'à Verfoy. Le
foldat non content d'avoir fait un butin confiderable , ôc
d'avoir ruiné les édifices publics, alloit mettre le feu dans
la ville , par un dernier traie de cruaucé j ( car à la ré-
ferve de l'incendie , cette ville avoic été expofée à toutes
forces de violences , ) lorfque les habitans fe préfervérenc
de ce malheur , en donnant caution de payer une fomme
de deux mille écus d'or. Bonvillars gouverneur de la
citadelle ,
avoic Henri
un I V.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 415
citadelle, fe rendit vie de bigues fauves trois jours après. Cette
place , qui par Ta ficuation dans un lieu marécageux , n'avi
rien à craindre de la mine , écoit d'ailleurs Fortifiée d*
bon rempart , & bien fournie de vivres. i Î9r
L'armée ayant fait le dégât dans la campagne aux envi-
rons , marcha vers Bonne fur la fin du mois de Février. Les
chemins étant fort mauvais , on eut beaucoup de peine à
conduire deux canons au pont de Buringe. Dès qu'on les
eut braqués contre le château de Poulinge , la garnifon (q
rendit auintot.
f A la nouvelle de la marche d'Amedée (i) , qui s'avan-
çoit avec Olivarez , le marquis de Trefort , Sonnas , le comte
de Châteauneuf , & d'autres Officiers , fui vis de huit cens
cuiraiîîers à cheval , & de quatre mille hommes d'infante-
rie , Italiens , Eipagnols , & Savoyards , on renvoya l'ar-
Eillerie à Genève , & l'on fe prépara à faire retraite. Oliva-
rez , dont l'avis étoit appuyé par le Bâtard de Savoye , ne
vouloit pas qu'on avançât plus loin , ou que l'on s'engageât
témérairement dans quelque entreprife. Mais Sonnas , 6c
les autres Officiers bien inftruits du mauvais état de nos
troupes qui diminuoient de jour en jour , foutenoient au
contraire qu'il étoit de leur honneur de réprimer la licence
defoldats étrangers , qui ravageoient impunément les terres
de Savoye. Ils confeiliérent donc à leur Général de rifquer
iine bataille.
Nos troupes ayant abandonné les châteaux de Poulinge
& de Vifery , fins s'arrêter dans le Foffigny , fe rendirent
aux environs de Genève , de peur d'être enveloppées par
l'ennemi , qui avoit l'avantage du nombre. Après leur dé-
part , Amedée rétablit le pont de Buringe .5 6c ayant fait
pafïèr delFus fon infanterie , il la dîfperfa dans les bourgs
aux environs de Bonne. L'armée ennemie étoit compofée
de cinq mille hommes de pied , de iix cens cuiralîîers , êc
de quatre cens arquebufiers à cheval. Nos Généraux ran-
gèrent leurs troupes en bataille au-delTus de Monthou le
I 2. de Mars. Ils ne s'attendoient pas à en venir aux mains j
ils croyoient qu'on fe retireroit de part 6c d'autre , après
avoir fait montre de (es forcps. L'événement leur apprit le
(i) Bâtard de Savoye.
Towe XL H H h
42^ HISTOIRE
!rrr=r:r=z Contraire. Cinq cens arquebuiiers tirés de tous les régîmens
Henri ennemis commencèrent la charge , en allant attaquer un
I V. corps de troupes qu'on avoit pofté à mille pas du refle de
I 5 () I . l'armée , pour garder un bois taillis , des haïes , èc des murs
ruinés , au pied d'une colline. Ces arquebuiiers furent fui-
vis par Olivarez , à la tête de huit cens autres aulFi tirés de
tous les régimens.
Guitry voyant que nos troupes plioîent & avoient été
chalTées de leur pofte, fit avancer quatre cens arquebufîers
des régimens de Chantai &c de Saint-Cheron , qui furent
fou tenus de trois compagnies du Roi commandées par Saint-
Remi. Les Savoyards s'étant rendus maîtres des murs Se
des haïes , defcendoient dans la plaine , comme s'ils eulîent
déjà remporté la victoire j ils per(^oient même jufqu'au pofle
des Suifles , quand le baron de Conforgien faififlant l'occa-
fion , fe jetta entre ceux des ennemis qui avoient paiTé la
haïe , èc ceux qui étoient encore derrière j il les attaqua
dans cet endroit où ils ne pouvoient paiTer qu'à la file , 6c
les tailla en pièces avant qu'ils pufTent fe rallier. Sonnas qui
combattoit à la tête des ioldats , fut tué avec la plupart de
la NoblefTe. La mort du chef jetta la conffcernation parmi
les foldats , qui fe retirèrent au-delà des haïes , & furent
pourfuivis par les nôtres jufqu'au fofTé , fur l'autre bord du-
quel Amedée ôc Olivarez étoient avec le refte de l'armée.
Tous les arquebufîers de l'ennemi ayant fait feu fur les vain-
queurs , le combat fe rétablit en cet endroit.
Nos foldats acharnés de tous côtés au carnage s'étant
enfin ralliés , reprirent leurs rangs , & pafTèrent le refte de
la journée en préfence de l'ennemi , qui fe tenoit fur la dé-
fenfive. Il y eut deux cens hommes tués du côté des Sa-
voyards , fous les yeux defquels on les dépouilla , pour ainfî
dire , à loifir. Ils fe retirèrent la nuit fuivante à la Roche &:
à Bonneville , au-delà de la rivière d'Arve , après avoir rom-
pu le pont de Buringe derrière eux.
Les Royaliftes ennuyés depuis longtems de la guerre , &
d'ailleurs à charge à la ville de Genève , partirent le 1 3'.
Mars , ôc fe retirèrent chez eux par la Franche-Comté , èc
par Roman Monftier. Sancy fe rendit au camp du Roi , où
tout le monde le félicita des heureux fuccès de cette
DE J. A. DETHOU, Liv. CIL 427
campagne. Cliaumont qui prie la place du baron de Confor- ' ;
gien , &. le capitaine Caron relièrent jufqu'à la fin de l'année H e n ».x
à Genève. Enluite on fe contenta de parc ôc d'autre de faire I V.
des courfes dans le païs ennemi. Le baron d'Armenfe ayant i J9 !•
été fait prifonnier le i 6. Juin dans une de ces courfes , fut
conduit à Genève , d'où ayant voulu fe fauver , il fut gardé
plus étroitement jufqu'à ce qu'il payât une grofîè rançon
pour être mis en liberté.
Cependant le maréchal d'Aumont faifoit la guerre avec Guerre dms
plus de courage que de bonheur dans la Bourg-ogne , dans [^ Bourgogne
f ^lii • o.p' & Provinces
Je Bourbonnois , ce dans les autres provmces voinnes , con- voifines.
tre Charle de Savoye duc de Nemours. Il écrivit à Guitry
de le venir trouver. Celui-ci s'étant mis aulTitôt en chemin
avec les régimens qui lui refboient , de avec les cornettes de
Braccioduro , du comte Porto, & de Nafi , il eut mille obfta-
cles à furmonterdans fa marche. Le marquis de Trefortgou-
verneurdela BrelTe, furpritles compagnies de Braccioduro,
& du comte Porto ^ il leur enleva armes &; bagages , &: fie
prifonniers Leonardo Porto , le comte Tarquinio Angara-
nio fon Lieutenant , &c Thomas Fregofe , qui fervoic en
qualité de volontaire fous Guitry. Le comte Barthelemî
Nievo de Vicenze ayant été bleiTé , n'échappa qu'avec
beaucoup de peine , auffi bien que Braccioduro , qui fut
contraint de fe cacher dans les bois avec fes foldats , & vint
enfin à bout de fe fauver , après avoir perdu les chevaux de
fa troupe & fes bagages. Ce fut un bonheur pour eux qu'ayant
à pafTer le Ladon , la rive d'où ils defcendirent dans la ri-
vière , fe trouva plus élevée que la rive oppofée , où Balan-
fon de Trefort les attendoit j de forte qu'ils combattoient
en quelque façon de delTas une hauteur. Ils furent d'ailleurs
fecourus par Guitry , qui avoit palFé la rivière dans un au-
tre endroit. Au refte , leur courage invincible leur fit fou-
tenir tous les dangers qu'ils eurent à eiïuyer dans une lon-
gue marche , de la part d'un ennemi brave , qui les pre-
noit tantôt en flanc , tantôt en queue , &c toujours avec l'a-
vantage du nombre.
Ils arrivèrent enfin le i y. de May au camp du maréchal slégcd'Au-
d'Aumont , qui penfoit alors à faire le fiége d'Autun. Qi.ieî- réciS d'Aiî-
ques-uns prétendent que cette ville , qui eft aujourd'hui la mom.
HHh ij
41 & HISTOIRE
Capitale de la Bourgogne , avec un fiége Epifcopal , eft l'an-
Henri cienne Bibracle du tems de Jule Cefar : Que cette ville , qui
I V. fut appellée Augufiodunum ,, du nom d'Augufte , prit dans la
I SOI, f*jice le nom de Flavia Heduorum , qui lui fut donné par
Conftantin (i) fils de Claude, comme on peut le voir dans
Je panégyrique du rhéteur Eumenes. Qiioi qu'il en foit, elle
a été autrefois très-grande 6c très-peuplée j la vaffce en-
ceinte de fes murs , qui ont fept milles de tour , un ancien
théâtre, un grand nombre de colomnes, de pyramides, de
ftatucs , & d'autres monumens de l'Antiquité qu'on y voiE
encore ^ les vafès, les médailles , &: autres antiques , qu'on
y trouve tous les jours en creufant la terre , font une preuve
que cette ville étoit autrefois très- célèbre. Aujourd'hui pref^
que déferte , elle renferme dans '^o.s murs des jardins & des
vergers. Au Midi de cette ville s'élève le mont Cenis , dont
la pente efb alTez douce en cet endroit. La citadelle eft bâtie
au pied de cette montagne. La ville eft environnée entre le
Midi &: le Couchant , d'un mur qui fépare cette citadelle
de la ville , au milieu de laquelle on voit le Champ de Mars,,
qu'on appelle encore de ce nom. Ce quartier de la ville au-
tour duquel on a bâti depuis peu un mur de la longueur de
mille pas , ell très peuplé. L'Arroux , qui coule au Sep-
tentrion , fcrt, pour ainfi dire , de rempart à la ville , qui en
eft plus forte de ce côté là.
Le maréchal d'Aumont s'étant confirmé dans /à réfolu-
tion à l'arrivée de Guitry , fit dreflèr une batterie de petits
canons fur le mont Cenis ^ qui commande la ville ^ la ci-
tadelle j fans autre deifein que de jetter l'épouvante dans la
ville. On fit foUiciter fecrettement les habitans , pendant
qu'on faifoit venir de gros canons & de la poudre de S. Jean
de Laulne. Tout l'effort du fiége tomba fur la citadelle ,
dont la prife devoit félon toutes les apparences , entraîner
celle de la ville. Outre le feu des batteries qui foudroyoic
les murs , on fit encore creufer des mines. Pendant qu'on y
travailloit , d'Aumont voyant qu'il y avoit efpérance de
(i) Conftantin le Grand s'appelloitîquel, à la vérité, defcendoit de Claude
Tlavius , ik. ainfi il pourroit avoir don- j II. Empereur ; & c'eft de là que Con-
né à une ville le nom de TLzvia JEduo-
rum ; mais il n'étoit pas fils de Claude.
Son père étoit Confiance Chlore ; Ic-
ftantin a tiré le nom de Flavius. Si M.
de Thou parle d'un autre Conftantin ,
il devoit le mievuc caraétérifer.
15^1
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 419
s*emparer de la citadelle de Chalons , place la mieux forti-
fiée de tout le pais , ne voulut pas négliger une occafion il H e n ki
favorable. De l'Artufie commandant de la place , que le I V.
Roi avoit autrefois mis à la tête de la compagnie» qu'il a voie
eu deflein d'envoyer en garnifon à la Mirandole , paroifToit
difpofé à traiter avec le Maréchal. Ce Gouverneur ne de-
mandoit pour toutes conditions , que trente deux mille écus
d'or , pour payer ce qui étoit dû à fes foldats. Le Maréchal
convint d'envoyer un détachement, que l'Artufie devoit in-
troduire dans la ville , afin d'obliger à confentir au traité,
ceux des habitans de de la garnifon , qui refuferoient de s'y
foumettre. Les plus riches d'entre les bourgeois , qui ai-
moient mieux retourner à l'obéillànce du Roi , que refter
plus longtems fous la domination delà Ligue , qui leur étoic
odieufe , croyant l'affaire férieufè , &c que le Gouverneur
agifFoit de bonne foi , s'obligèrent fans difficulté à fournir
la fbmme qu'on demandoit ^ ils donnèrent même vingt mille
écus comptant , avec promefîe de payer le refte dans l'an-
née. Le duc de Mayenne avoit permis à l'Artufie de fe fér-
vir de ce ftratagême ^ pour tirer cette fomme confidérable
des habitans , & pour découvrir en même tems ceux qui
étoient mal intentionnés pour fon parti.
Le maréchal d'Aumont ayant laifTé la conduite du fiége
d'Autun à Guillaume de Saulx de Tavannes Lieutenant de
Roi de la Province , &à Imbert de Marfilly de Sipiere (i)
Maréchal de camp , fe retira dans un château des environs ,
afin de mieux dérober à l'ennemi la connoifTance de fon def-
fein. Tavannes de Sipiere ne pouvant s'accorder entr'eux ,
fe prefîérent de donner un afîàut avant le retour du Général.
C'efl pourquoi ils firent mettre le feu aux mines ^ & fans at-
tendre que la terre , qui eft légère de fabloneufe en ce païs-
Jà , fe fût afFaiffée , ils donnèrent les ordres pour rafîaur.
On planta d'abord les échelles , di les foldats s'etant avan-
cés en bon ordre vers les murs , furent enfevelis dans les fa-
bles jufqu'à la ceinture. On fit alors un fofTé au dedans de
la ville , de les RoyaHfles montèrent à l'afTaut d'un autre
côté , d'où le feu de l'artillerie , qui rafoit la brèche en cet
endroit , ècartoit les afîiègés. On ne remporta d'autre
(i) Ow Cipierre.
H H h iij
430 HISTOIRE
avantage dans cet afTaut qui fe donna le 2. de Juin , que de
Henri iè retirer avec moins de perte que les affiégés , dont il périt
I V. deux cens hommes , n'y en ayant que trente de tués ou
1591, bleiFés de notre côte. Les ennemis fe vengèrent le lende-
main, & nous tuèrent beaucoup de monde dans une fortie,
où François de la Magdelaine de Ragny , chevalier des deux
ordres , fut dangereulément bleiïé.
Sept jours après, Sipierre fit partir cent arquebufîers , 6c
cinquante cuiraffiers fous les ordres de Berge, pour aller
trouver l'Artufie , comme on en ètoit convenu. Les arque-
bufîers dévoient defcendre dans le fofTe èc les cuirafTiers
avoient ordre de refier à la porte de la ville , en attendant
que la garnifon fortît hors de la place pour fe joindre â
eux. Dans letems que nos foldats s'approchoîent de Châ-
Ions à la faveur des ténèbres, l'Artufie fit fècretement ar-
rêter ceux qui lui ètoient fufpeds , &: fur-tout les bourgeois
qui s'ètoient obligés à remplir les conditions du traité. Il
fit mettre enfuite fur le rempart qui regardoit le folié ,
où les Royalifles dévoient fè rendre, de petits canons char-
gés à cartouche. Enfin de Berge , qui venoit d'arriver avec
fa troupe dans le fofîë , étant entré dans une cafemate,
pour conférer avec l'Artufie , il fut arrêté par fes ordres
avec ceux qui l'avoient fuivi en petit nombre.
Dès que le fignal eut été donné fur le rempart , on fit
une décharge de canon fur les arquebufiers , qui furent mis
en pièces , à la réfèrve de ceux qui fe fauvèrent à la faveur
de la nuit vers les angles des bafbions. Le bruit du canon
ayant fait conjecl:urer aux cuiraffiers , qui attendoient à la
porte de la ville ce qui en ètoit , ils fe retirèrent prompte-
ment. Le Gouverneur tira par ce moyen des plus riches
bourgeois , qu'il menaça de faire pendre , non feulement la
fomme dont on ètoit convenu par le traité , mais encore
vingt mille écus d'or au-delà. Il exila une partie des habi-
tans , condamna les autres à lui payer certaines fommes, ôc
en fit mourir quelques-uns.
Le maréchal d'Aumont , au défefpoir d'avoir donné
dans ce piège , revint au camp devant Autun 3 &; voulant
réparer par quelque coup d'éclat la perte & la honte que
fa crédulité venoit de lui attirer , il fit dreffer de nouvelles
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 431
batteries avec le canon qu'on lui avoic amené de Saint Jean iw
de Laulne , afin de battre les murs de la citadelle avec plus Henri
de force qu'auparavant. On fit joiier la mine le 18. Juin. IV.
Les Royaliftes divifés en quatorze bataillons donnèrent au i cq i
fon de la trompette un aflaut général, que les affipgés
foutinrent avec un courage invincible , en fe moquants de la
crédulité du maréchal d'Aumont, qu'ils railloient de s'être
lailFé tromper par l'Artufie. Nos troupes qui avoient le déf- Le fiége efl
avantage de combattre contre un ennemi qui étoit au- ^^^^•
delTus d'eux , furent repouiïées. Enfin on ne jugea pas à
propos de s'opiniâtrer plus longtemsau fiége de cette vil-
le 3 èc fur le bruit de la marche du duc de Nemours , qui
s'avançoit à la tête des troupes que le duc de Lorraine lui
avoit envoyées , le Maréchal qui voyoit d'ailleurs îqs fol-
dats abattus , fit conduire à la hâte deux canons à Sauiieu ,
ôc fe retira lui même avec le refte de fon armée à Semur,
d'où il fe mit en marche pour Langres , après avoir laifiTé
une partie de fes troupes àFlavigny. Il réfolut d'attendre
à Langres Gafpard de Schomberg comte deNanteiiil , qui
lui amenoit fix cens hommes de cavalerie Allemande.
Après la défaite de l'armée de Savoye au pont de Charra,
les troupes du Pape ayant été jointes à Chamberi par le
régiment des SuilTes , fe rendirent par la Brefie en Franche-
Comté j le nouveau duc de Monte-Marciano eutàLyon-le-
Saunier un grand démêlé avec Pierre Gaëtano fon Lieute-
nant. L'afFaire feroit devenue plus férieufe fans l'archevê-
que Matteucci Commifiaire général de l'armée , qui con-
feilla à ce dernier de céder au tems , & de fe retirer avec
l'agrément de fa Sainteté. Appio Conti , qui étoit Maréchal
de Camp , fut fait Lieutenant à la place de Gaëtano , qui
s'en retournant en Italie par la SuifiTe, y fut arrêté, fous
prétexte que le Cardinal fon frère s'étoit rendu caution
pendant fon féjour à Paris, de la paye qui étoit duc aux
SuilTes j Gaëtano ne fut mis en liberté qu'après bien des
prières , qui approchoient de la bafléfiîe, & après avoir ré-
clamé le droit de gens , qu'on violoit , difoit-il , en le re-
tenant ainfi de force.
Le duc de Nemours , jeune prince d'un génie vafte ,
qui avoit donné de grandes preuves de valeur ôc de
431 HISTOIRE
prudence au fiëge de Paris , etoic parti avec Tagrcment des
Henri liabicans de cette ville pour fon gouvernement du Lyon-
I V. nois , où il fe trouvoit plus à portée d'exécuter les projets
ijf^i. ambitieux qu'il avoit formés. Il faifoit la guerre en per-
fonne, & par ies Lieutenants dans le Bourbonnois, dans
le Forez , dans l'Auvergne , &, dans la Bourgogne. 11 s'étoic
faifî depuis quelque tems des châteaux de Bifïy en Mafcon-
-' nois , & d'Efpoiiïè , par la trahifon d'un homme que Louis
d'Anfinville de Revillon feigneur de ces Châteaux , avoic
reçu avec bonté dans fa maifon. Ce Prince ne fe len-
tant pas aflez de forces pour foucenir la guerre en tant
d'endroits difFérens , fît partir pour Milan Charle de Co-
ligny d'Andelot, fils de Gafpard d'Andelot, qu'il avoit at-
tiré à ion parti , après qu'il eut été fait prilonnier l'année
précédente aux environs de Paris. Il le chargea de négocier
avec les miniftres d'Efpagne , afin de les engager à faire paf-
fer par fon Gouvernement les croupes auxiliaires qu'on dé-
voie envoyer à la Ligue j mais ce fut inutilement j il ne pue
mcme obtenir que les troupes qui étoienc en Franche-
Comté palTafTcnt en Bourgogne , parce que le duc de Monte-
Marciano avoit réfolu de fe joindre avec le duc de Parme
avant de rien entreprendre.
Ce Général ayant donc continué fa route par la Lor-
raine fè rendit à Verdun , où les ducs de Lorraine èc de
Mayenne , accompagnés de Capizucci , que le duc de Parme
avoic laifTé en France l'année précédente , lorfqu'il repric
le chemin des Pa'ïs - bas , vinrenc lui cémoigner la joyc
qu'ils avoienc de fon arrivée. On fie la revue de l'ar-
mée pendant qu'elle traverfbic la ville j ôc l'on donna la
montre aux foldats. La cavalerie étoit encore dans fon en-
tier ^ 6c l'infanterie, donc les maladies, les travaux, êc les
difficultés d'une longue marche avoienc emporcé un grand
nombre , fe trouva fore délabrée. On la difperfa dans les
bourgs aux environs de Verdun , afin qu'elle pûc fe remec-
tre de fes facigues. On demeura filongtemsen cet endroit,
qu'on y appric la more du Pape Grégoire , avanc d'en dér
camper. Cette nouvelle confterna le Général èc les Offi-
ciers , & fut caufe qu'ils n'agirent plus enfùite qu'avec len-
teur ^ négligence.
François
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 433
François cardinal de Joyeufe s'éranc rendu depuis quel- "
ques mois à Rome pour y lolliciterdes Tecours en faveur de Henri
fon frère Antoine Scipion de Joyeufe , qui faifoic la guerre I V.
dans le Languedoc, briguoic avec beaucoup d'ardeur la lé- 1591.
gation d'Avignon , afin d'être à portée , en Te trouvant en-
tre la Provence &c le Languedoc, d'avancer les affaires de
la Ligue dans ces deux Provinces. OdaveParravîcino, qui
venoic d'avoir le Chapeau , fut nommé pour la légation
de France , à caufe de fon dévouement aux intérêts du roi
d'Efpagne , ayant été élevé à fa Cour. Il étoit fur le point
de partir avec le cardinal de Joyeufe , pour fe rendre à
l'armée auxiliaire j mais la mort du Pape les retint l'un ôc
l'autre à Rome pour aiTifter au Conclave.
Grégoire ayant eu depuis fon avènement au Pontificat Mort de
quelques attaques d'une fièvre continue, avoir auffi été fu. ^'^'^^^^^^
jet à un flux de ventre caufépar la violence des tranchées,
qui lui déchiroient continuellement les entrailles. A ces deux
incommodités fe joignoit encore une rétention d'urine, qui
venoit; d'une gravelle invétérée. Son mal s'étant augmenté
avec tant de violence vers la fin de Septembre, qu'on l'a-
voit cru mort , le cardinal Gactano avoic été appelle en
qualité de Camerlingue pour cafTer , fuivant la coutume ,
l'Anneau du Pefcheur. Le Pape ayant repris fQs efprits
avoit paru en beaucoup meilleur état 5 mais il fut emporté
par une féconde attaque le i 5. d'Odobre. Il fit appeller
les Cardinaux avant de mourir ^ les ayant remerciés de
l'avoir élevé fur le trône del'Eglife, il s'éxcufafur fes in-
firmités , de la négligence de ion gouvernement j il les
exhorta à choifir auiîitôt après fa mort un homme capa-
ble de remplir la grande place qu'il alloit quitter. Enfin
leur ayant recommandé le cardinal Sfondrate &. fes autres
neveux , il donna une Bulle pour défendre l'aliénation du
Patrimoine de l'Eglife , en conformité de celle de Pie V.
Son corps fut ouvert après fa mort j on trouva dans la
veffie une pierre quarrée de la pefanteur de deux onces. Il
fut porté la même nuit dans la Bafilique de Saint Pierre ,
& inhumé fans cérémonie dans la chapelle de Saint Gré-
goire. Il étoit âgé de cinquante.fept ans , & mourut dix
mois 6c dix jours après fon exaltation.
Tome XI. 1 1 i
434 HISTOIRE
■- Dans le peu de rems qu'il fut afTis fur la Chaire de Saint:
Henri Pierre , il diffippa le trëfor de cinq millions d'écus d'or,,
I V. que Sixte V. avoit amalfé avec tant d'épargne èc d'avi-
i rqj dite. La plus grande partie fervit à fournir aux frais de la.
guerre de France, dont rëvénemcnt fut aufli malheureux,
que ÏQS motifs en ëtoient injuftes , àc l'eatreprife témé-
raire. Il compatit avec beaucoup de tendrefîè à la milére
du peuple dans une famine qui arriva fous fon Pontificat y
& donna libéralement cent mille ccus Romains pour lou.
lager (es befoins. La cherté fut fi grande à Rome , & dans
les autres villes d'Italie , que la mefure de froment , com-
munément appellée Rabbio , fut vendue trente écus d'or , &:
même plus 3 encore y eut-il beaucoup d'endroits où la di-
fette fut il grande qu'un nombre infini de peuple mourut
miférablement de faim 3 on les trouvoit expirants dans les
campagnes , ayant encore dans la bouche l'herbe qu'ils
avoient arrachée pour s'en faire un aliment. Le bled étant
venu à manquer abfolument, on fit du pain d'orge, de îé-
ves , de millet , Se d'autres légumes de cette elpéce 3 on per-
mit pour le foulagement au petit peuple , de manger
de la viande dans le Carême, tems où. la famine commen-
ça à devenir beaucoup plus grande. On tua de tous cocés
des oifeaux , dont la plupart mangeoient ians diflindion.
Outre ce terrible Heau , il régna encore ious Ion PontL
fîcat des fièvres malignes , qui ne furent pas à la vérité
contagieufes 3 mais qui étant accompagnées de flux de ven-
tre, & de vents dans cette partie du corps , caufoient le tranf-
port au cerveau. Ceux qui étoient attaqués de cette ma-
ladie , avoient d'abord mal à la tête, & ne pafioient pas le
dixième jour. Les médecins attribuèrent ces fièvres à i'in^
tempérie de l'air corrompu par les pluies continuelles , &
par \qs inondations de l'année précédente , qui avoient été
îuivies de grandes chaleurs. La mauvaife nourriture qu'on
avoit prife pendant la famine pouvoit encore contribuer à:
fortifier le mal, auquel on n'oppofa d'autre remède que
d'ouvrir la veine du bras , qui répond à la tête, &les autres
veines qui en rapportent le fang ( i ). Les hommes qui avoienc
atteint l'âge de trente ans, bL ceux qui n'étoient pas
(i) L'Auteur s'exprime félon l'ancien fyftêrae.
DE J. A. DE THOU, L£v. CIL 435
encore fortis de leur cinquantième année , furent plus fujets !
que d'autres à cette maladie , qui fuivant la remarque qu'on Henri
fit alors , n'emporta qu'un petit nombre de femmes. L'Om- I V.
brie, la Romagne, la Tolcane & la Lombardie furent ra- i jqIc
vagées par ce fléau , qui fe fît fentir avec plus de mali-
gnité dans quelques villes qu'il dépeupla entièrement,
I)qs familles entières en furent emportées dans d'autres en-
droits j il fit de (î grands ravages depuis le mois d'Août
qu'il commença , jufqu'au même mois de l'année fuivante,
où fa fureur fe rallentit , qu'on a de la peine à croire ce
qu'on en rapporte. On fait monter le nombre des morts dans
Rome durant cet intervalle à environ foixante mille.
Le pape Grégoire étoit crédule , fimple & facile j il
avoit toujours la bouche ouverte , 6c rioit fans celle. Cette
mauvaife habitude le rendoit ridicule. Au refte il étoic
pieux , libéral , & maître de {qs paffions ^ on ne croit pas
même qu'il ait jamais eu de commerce avec aucune femme.
Il fut beaucoup plus eftimé tant qu'il vécut dans un étac
privé, que lorfqu'il fut monté furie Saint fîége. Il défen-
dit par une loi exprefle toutes fortes de gageures &c \qs
annulla. Il accorda aux inftances de Michel Bonelli , ( ap-
pelle le cardinal Alexandrin de l'ordre de Saint Dominique)
le chapeau rouge aux Cardinaux Moines , qui le portoienc
auparavant de la même couleur que l'habit de leur ordre.
En conféquence ayant célébré la MelTedanslaBafîliquede
Saint Pierre le 9. de Mai , il donna en cérémonie le chapeau
rouge à Bonnelli Dominicain , à Conftantin Sarnano Fran.
cifcain , à Jérôme Bernerio de Correggio Dominicain , &
à Petrochino de Montelparo de l'ordre des Hermites de
Saint Auguflin. Vincent Blaife Garcias de Valence fit l'o»
raifon funèbre de ce Pontife. ^, „.
r r ■ 1 ' 1 • • Election
Le Iiege ayant demeure vacant pendant qumze jours, d'innocent
les Cardinaux s'alTemblèrent après qu'on eut fait un fer- i x.
vice pour le feu Pape j & la faction de Sixte V. èc celle du
roi d'Efpagne s'étant réunies, Jean-Antoine Fachinetti de
Boulogne , qui prit le nom d'Innocent IX. fut élu tout
d'une voix fur le foir du Mardi 29^. jour d'Octobre, deux
jours après qu'on fut entré dans le Conclave. Il avoit déjà
eu quelques voix pour ion çlcdion dcpujs la mort de Sixte V,
1 1 i ij
43^ HISTOIRE
^r^^"^^^^ On regarda comme un préfage de fa future grandeur , que
Henri pendant qu'il prêtoit à genoux le ferment au pape Gre-
I V. goire fon prédëcefTeur , la bandelette de la tiare de ce
I Î9I. Pontife fût tombée fur fa tête -, ôc que dans la difbribution
àts cellules du Conclave , celle où la Chaire du Pape fe
place ordinairement , quand on tient le Conlîftoire , lui fûc
échue en partage.
Dans le tems qu'on le revêtoit éits habits pontificaux ,
il confirma la Bulle qui défend d'aliéner les biens de l'E-
glife 'y & déclara qu'il vouloit avoir un foin tout particulier
d'entretenir l'abondance dans Rome , afin que les vivres y
fuilènt à un prix raifonnable , pour le foulagement du menu
peuple. Le 2. de Novembre, qui tomboit le Dimanche, la
cérémonie de fon couronnement ne fe fit pas comme on
faifoit auparavant , fur les dégrés de l'Eglife de Saint Pierre j
mais dans un lieu plus commode , qui avoir vûë néanmoins
fur ces dégrés. Il diminua de mil écus d'or les frais de cette
cérémonie.
Le lendemain ayant affemblé le Confiftoire, il remer-
cia d'abord les Cardinaux de fon exaltation, & propofa
enfuite plufieurs defleins qu'il avoir formés pour le bien de
l'Etat , comme d'avoir un tréfor particulier 6c fecret , pour
fubvenir aux befoins du Saint Sié^e , & aux néceiîités des
peuples dans les occafions preflàntes. Il déclara que fî l'on
faifoit à^^ provifions, ou fi l'on achetoit des marchandi-
ies, il vouloit abfolument que ce fût en argent comptant.
Il dit qu'ayant toujours été très-éloigné , pendant qu'il n'é-
toit que fimple Evêque , ou Cardinal , de rien prendre à
crédit, il ne vouloit pas s'écarter de cette coutume après
fon exaltation. Sa lenteur naturelle dans le maniement des
affaires fut caufe qu'on n'en put terminer aucune fous fon
Pontificat. Il remit toutes celles qui étoient importantes au
commencement de l'année prochaine.
Le I 8. Décembre , il augmenta le facré Collège de deux
Cardinaux , qui furent Antoine Fachinetti petit-fils de fà
fœur , & Philippe Sega évêque de Plaifance , qui étoit Lé-
gat en France. Ce dernier eut le chapeau à la recommanda-
tion du roi d'Efpagne & du duc de Parme , qui connoifîoient
toute l'averfion qu'il avoir pour le nom François. Ce Pape
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 437
réfolut de donner par mois pour les frais de la guerre de '
France , cinquante mille ëcus d'or , qu'il devoir commencer H e n k i
à compter du jour que le duc de Parme entreroit dans le I V.
Royaume avec fon armée , jufqu'à l'éledion d'un Roi C'a- i 591.
tholique. Il avoit auffi conçu le deflein , ( comme fes parens
le publièrent après fa mort J de faire nétoyer le port d'An-
cone , pour faciliter la navigation ^ & de creufer un canal
près du château S. Ange , au quartier del Borgo au delà du
pont , afin de mettre la ville de Rome à couvert des inon-
dations du Tibre j mais la mort vint interrompre tous ces
grands projets. Innocent dont le tempéramment naturel-
lement iec , étoit d'ailleurs ruiné par l'abflinence , ne put ré-
iifter à une fièvre qui l'emporta en huit jours de tems. Il
mourut le 29. Décembre vers la treizième heure delà nuit,
âgé de 72. ans, deux mois après fon exaltation.
Il y eut une Eclipfe de Lune dans le même temsj & la
belle Eglifè de San-Salvatcre in Lauro fut confumèe par un in-
cendie qui arriva par accident. Ce Pape étoit très-fobre ,
& ne faifoit qu'un repas par jour fur le foir 5 grave dans fes
mœurs & dans {ç.s difcours , il étoit affable à l'égard de
tous ceux qui avoientà traiter avec lui , & les recevoir tou-
jours avec beaucoup de politefïè. Ilméditoit, & écrivoit
beaucoup ^ il avoit même deflein de donner quelques-uns
de fes ouvrages au public. Comme il étoit d'une grande
taille, & d'un tempéramment fec , il aimoit beaucoup à fe
promener pour prendre l'air. Sa chaleur naturelle s'étant
prefque entièrement retirée des extrémités de fon corps ^
il étoit obligé de donner audience & d'étudier dans fon
lit 5 ce qui fit qu'on lui donna le nom de C Unie us (i).
Ayant donné {ts premières années à l'étude des loix ^
il s'attacha dans la fuite entièrement aux affaires. La lectu-
re de tout ce qui avoit été écrit fur la politique devine
par cette raifon le plus grand de fesplailirs. Sa fortune qui
s'accrur dans la fuite avoit commencé dans la maifon du
cardinal Farnefe, qui lui fit donner l'évêché de Nicaflro
en Calabre par le pape Pie IV. Sonfucccffeur Pie V. l'ayant
envoyé en ambaffade à Venife pour ménager une hgue
entre le Saint Siège , le roi d'Efpagne , & la République ,
(i) Mot qiii vient du Grec , ôc qiii fignifîe un homme alite-
1 I 1 11)
43^ HISTOIRE
-— ' contre l'Empire Ottoman , il rendit de grands ferviccs dans
Henri cette négociation. Grégoire XIII. l'ayant fait entrer en-
.1 V. fuite dans le iàcré Collège , il fut enfin élu Pape d'un con-
i^^i. fentementuniverfel , après avoir été longtems jugé digne de
remplir cette place eminente. Le faint Siège ayant été va^
cant pendant un mois &: un jour, il n'y eue prefque point
.pendant tout ce tems - là de troubles dans Rome , où il ar^
rive néanmoins ailez ordinairement que chacun prend les
armes pour venger fes injures particulières après la more
des Papes.- La vue des ravages que la famine avoit caufés
.dans la ville, où d'ailleurs on n'étôit pas encore délivré de
la crainte dçs maladies donc nous avons parlé , donna lieu
à cette tranquillité extraordinaire.
AfFairesde Tandis quc l'Italie étoic occupée à confîdérer (es maL
France. licurs , la factîon Efpagnole fe fortifîoit de jour en jour à
laLku"!''^ Paris par le moyen des Seize. Cesfcélérats, qui donnoienc
Pansf le nom de Zèle à la fureur, ne craignoient rien tant que
Je retour de la paix, Ils perfécucoient comme des politi^
ques & des fauteurs d'herefie ceux qui étoienc ennemis des
troubles, & ne cherchoient fans ceflè que l'occafion de leur
enlever , fous prétexte de quelque crime apparent , leurs
biens, dont ils brùloienc du défit de s'emparer. Ces fa-
natiques ayant ufurpé dans ces tems de troubles & de di^
vifions la fouveraine puiilance furies Officiers militaires,
fur le Clero;é &: fur les Magiflrats , s'afîèmbloient de leur
autorité privée en difFerens endroits , pour mieux dérober
la connoillànce de leurs complots. C'étoit dans ces airem-
blées iècretes que fe formoient , à l'infçu du duc de Mayenne,
des réfolutions funcftes à l'Etat j & que l'on confpiroitcon,
tre les gens de bien, & contre lui-même. Le Légat n'igno-
xoit point toutes ces démarches ténébreufes -, au contraire
il en étoit l'ame & le confeil ^ &: tout le but de fes intrigues
p'étoit , comme on peut le voir par fes lettres au duc de
Parme , qui tombèrent entre les mains du Roi , que de
dépouiller de toute autorité le duc de Mayenne , & le
comte de Belin gouverneur de Paris, qu'il appelloit pai'
mépris le Coloile Se le Renard • que de détruire les anciens
jMagiftracs , pour leur en fubilituer de nouveaux à fa dévo,
çion qui pulTènc établir dans le Royaume l'autorité du Rpj
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 439
Catholique. 11 infinuoit dans cette lettre au duc de Parme,
qu'il étoic nëceilàîre de répandre de l'argent parmi fes créa- Henri
turë^s, â^n de faire réuflîr Tes projets. I V.
Ce fut ce Légat , ennemi juré du nom François , qui 1591.
pour tourmenter les gens de bien qui vouloient la paix,,
propofa comme un point capital de renouveller le ferment
de l'Union tant de fois violé ^ 6c d'obliger le cardinal de
Gondi évêque de Paris à prêter lui-mcme ce ferment.
Le Cardinal dont on avoit indignement failî le temporel
à caule de fon abfence , avoit demandé qu'avant tout il
pût venir à Paris en fureté, d^ d'une manière convenable à
ia dignité. Enfuite ne pouvant ioufcrire aux articles du fer-
ment qui donnoienc l'excludon de la Couronne à tous les
Princes de la Maifon Royale , ce Cardinal écrivit le 24.
de Juin une lettre au Prévôt des Marchands , ôcaux Efche-
vins de la ville , datée de Noify , château appartenant à
fon frère , où il s'étoit retiré. Il juftilioit fort au long, fx
conduite • ôc blâmant enfuite la témérité , ou l'imprudence
du Légat ( i ) , qui avoit ofé palTer Cqs pouvoirs en prefcrivanc
fans aucun ordre de fa Sainteté une formule de ferment, telle
qu'il l'avoit propofée, il difoit :Que SixteV. ne lui avoit point
impofé une pareille obligation , &: que ce Pape ne lui avoir
point fait de réponfe lorfqu'il lui avoit écrit pour fçavoir
quelles étoient fes intentions à ce fujet : Qiie le pape Grégoi-
re XIV. qu'il avoit aullî confulté,ne lui avoit point répondu.
Le cardinal de Gondi ayant envoyé à Paris ces lettres,
dans lefquelles il fe plaignoit avec tant de juftice ôc de
force, Jean Boucher cure de Saint Benoit, Poncher , Def-
prez , Martin , l'Anglois , 6c Nicolas Brette y répondirent
par un long écrit, où ils foûtenoient que Sixte V. 6c fes fuc-
ceiîèurs n'ayant jamais défapprouvé le ferment dont il étoit
queftion, dans tous les l^refs qu'ils avoient envoyés en
France 5 qu'ayant même donné des louanges dans ces mê-
mes Brefs au zèle des membres de l'Union , ce lîlence ÔC
ces louanges étoient une preuve tacite de l'approbation des
Papes. Ils prétendirent prouver au cardinal de Gondi,
qu'il devoit Ioufcrire aux articles du ferment avec les autres,,
qui penfoient comme lui par rapport à la Religion 3 ils le
(i) Sega évêque de Plaifance , fait depuis peu CardiJial,
440 HISTOIRE
preflbîenc de le faire au plûrôc , afin de fe purger du foup-
Henri çon que fa conduite avoic fait naître dans refprit de plu-
IV. lieurs, lorfqu'aprcs fa dëputation vers l'ennemi , dans les
1591, extrémités où l'on s'étoit trouvé l'année précédente , il
s'étoit retiré dans Tes terres,au-lieu de retourner à Paris, pour
confoler & pour encourager le peuple qu'il avoit abandon-
né j comme Ci tout eue été déiefpéré , ou que la mifére èc
les calamités de ce peuple n'euffent point excité dans Ton
cœur les tendres mouvemens dont un père effc agité à la vue
du malheur de fesenfans. Ces féditieux ayant eu l'effronterie
d'écrire de cette manière à leurEvêque,dans le deiTein défaire
violence à fa confcience , s'il revenoit àParis j &c fe flatant , en
cas de refus de fa part , de pouvoir le traiter comme con-
tumace , réfolurent enfuite d'attaquer le Parlement même ,
& de commencer par un horrible attentat fur la perfonne du
premier Préfident , afin d'effrayer les autres Magifbrats.
Portrait de Barnabe Brifîon , qui avoit une difpofition merveilleufe
Briiron. pour les belles Lettres, èc pour les affaires, occupoit alors
cette grande place. S'étant fait d'abord une grande répu-
tation , en fuivant le Barreau , il devint Avocat Général
après Gui du Faur de Pibrac , & enfuite premier Prefident
à la place de Pompone de Bellicvre. Il s'étoit diftingué
parmi les gens de Lettres , par plufîeurs ouvrages qu'il
avoit mis au jour 3 dans l'Etat , par fon habileté dans les
affiires , &C fur-tout dans le Barreau , où il brilloit. Mais
plein d'une ambition démefurée de fe voira la tête du Par-
lement, il n'eut pas de peine à confentir à demeurer à Paris
après la fuite ou laprifon des autres Préfîdensfes collègues,
fans confîdérer que le Parlement étoit fans autorité, en
ayant été privé par le feu Roi en punition de la révolte
des Pariiiens. Il fe fîata de manier l'efprit d'une populace
furieufe, auffi aîfément qu'il expédioit les affaires- & de
conferver, comme il le difoit lui-même, cette ville à fon
Roi légitime , en empêchant par fa prudence èc ion habi-
leté que l'ennemi ne vînt s'en emparer. Il fe rrompoit 3 plus
propre à percer les obfcurités des procès , qu'à tenir le ti-
mon des affaires, il s'appercut, mais trop tard, qu'il avoit
fait des fautes irréparables, qui ne manqueroient pas d'en-
traîner fa perte. On l'entendit même plufîeurs fois dire à
fes
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 441
fes amis avec de profonds foupirs que les Seize le refer- -'
voient pour la boucherie. Henri
Ces funeftes préfages ne fe trouvèrent malheureufement I V.
que trop vrais. Les plus furieux d'entre les Ligueurs voyant icgi,
que Briiïbn difîimuloit leurs entreprifes, qu'il s'accommo-
doit au tems , qu'il confîdéroit l'avenir , di. qu'il panchoit
vers la paix, crurent qu'il falloir commencer par lui, pour
faire relFai de la patience du peuple 6c du duc de Mayenne,
êc afin de preiïèntir jufqu'à quel point ils pourroient dans la
fuite poufler leurs attentats.
C'cft pourquoi Bouriier , Louis Morin Cromé confeiller
au Grand-Confèil , Pelletier Curé de S. Jacque de la Bou-
cherie , Gouldin , la Bruyère Apoticaire , &: Matthieu Lau-
noy , s'aflemblërent au mois de Novembre. Launoy qui
avoit été Prêtre Catholique , s'étant fait Minifhre , après
avoir abandonné la Religion de (qs pères , époufa une femme
que le dégoût lui fit quitter enfuite , pour rentrer dans l'E-
gHfe. Ceîcélérat préiîdoit aux ailémblées des factieux , qui
changeoient tous les jours de demeure. Il fut enfin arrêté ,
qu'il étoit nécelTàire pour le bien de la caufe commune, de
choifir parmi eux dix des plus zélés , pour expédier avec
plein pouvoir les affaires fecrétes , dont ils feroient cepen-
dant leur rapport à l'afièmblée générale. On joignit Jean
Hamilton Curé de S. Cofme , & B. Martin Docteur de Sor-
bonne , aux dix fur qui le fort étoit tombé.
Ils furent chargés de préfenter une requête au Parlement,
pour fe plaindre de la mauvaife procédure qu'on avoit faite
dans l'affaire de Brigard Procureur de la ville. Ce fut le
prétexte dont on fe fervit pour colorer ces fréquentes affem-
blées , & pour écarter les loupcons qu'elles pouvoienc faire
naître dans les efprits. On propofa le 8. Novembre de prê-
ter ou renouveller le ferment de l'Union 3 & Jean Bufii-le-
Clerc , le plus furieux de tous les Ligueurs , ayant , pour
ainfi dire , été introduit en ce moment fur la fcene par la
Bruyère , dans la maifon de qui fe tenoit l'affemblée , il exi-
gea des afiiftans qu'ils le prêtallent fur le champ. Ce fourbe,
afin de tromper facilement les plus fimples, 6c voulant les
engager à appuyer les entreprifes d'un petit nombre des plus
déterminés , dit qu'il ne falloit pas drelîèr la formule de ce
Tome XI, K K k
«M
'44î HISTOIRE
- ferment y parce que cela demandoic trop de tems j & leiif
H E N B. I ayant alors préfentë un papier blanc daté du jour de l'af-
1 V. femblée , ils mirent feulement leurs noms au bas en laiiïànc
I 5 9 I . de la place , pour écrire la formule & les articles du ferment.
Cet artifice de Bufly donna occafion aux plaintes de quel-
ques-uns de ces féditicux , qui ne foufcrîvirent qu'à regrec
un ade , dont ils ignoroient la teneur. Mais voyant que le
plus grand nombre avoit figné , ils lignèrent auffi fans ofer
' murmurer • jugeant , par la conduite qu'on tenoit à leur
égard dans cette allemblëe , qu'il y avoit des projets déplus
grande importance encore , que ceux qu'on y propofoit en
apparence.
Enfin , un des féditieux qui n'étoit pas du fecret , voyant
que l'afFâire de Brigard , dont on parloit toujours fans y
travailler en aucune manière , n'étoit qu'un prétexte , de-
manda à l'un des complices ce qu'on avoit réîolu dans l'ail
femblée. Il n'eut d'autre réponle , fî-non que BufTy étoic
chargé de confuker les Dodeurs de Sorbonne fur un de/Fein
de la dernière conféquence , afin de fçavoir d'eux , fî l'on
pouvoit l'exécuter en fureté de confcience. Cette réponfe
augmenta le foupçon , qu'il fe tramoit en efFet quelque coup
d'éclat. Enfin après plufieurs de ces fortes d'afîemblées dans
la maifon de la Bruyère & de Launoy , on parla toujours ,
pour écarter tout foupçon , de renouveller le ferment de
l'Union , dont Buify produifoit toujours Tacte en blanc avec
les fignatures.
Les conjurés fè trouvèrent en armes la nuit du 14. au i 5.
de Novembre , devant la maifon de Pelletier , qui alla lui-
même de grand matin avec la Bruyère, trouver près de S.
Euftache , un Efpagnol appelle Ligoreto. Il avoit en main
un mémoire figné de Bufly , de Louchard , de Crucé , de
Soly , & de Saintion , dans lequel ils rendoient raifon des
motifs qui leur avoient fait prendre les armes. Hamilton
fuivi d'autres féditieux , alla porter un femblable écrit figné
par les mêmes perfonnes , à Alexandre de Monti chef des
troupes Napolitaines. On détacha en même tems des gens
pour conduire au petit Châtelet le Préfident Brifibn , qui
alloît au Parlement. L'ayant rencontré fur le pont S. Mi-
chel , ils le firent pafTer par une rue qui eft à droite , en lui
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 443
difant qu'on l'attendoic à l'Hôtel de ville. Lorfqu'il vint à ' m 1
paffer fous le petit Châtelet, ils le forcèrent d'entrer dans He n ri
cette prifon. I V.
Cromé , ennemi juré de ce Magiftrat , fe préfenta d'abord i c 9 [ .
à lui revêtu d'une cotte d'armes. Enfuite lui ayant ôté fon
chapeau , il le fît mettre à genoux , & lui lut fa fentence ,
qui le condamnoit à la mort , comme atteint èc convaincu
du crime de léze-Majefté divine & humaine. Frappé d'eton-
jiement à cette lecture , BriiTon demanda par quels Juges ,
& fur quels indices il avoit été condamné , & quels etoienc
les témoins qui dépofoient contre lui. Les aflillans s'étanc
mis à rire de la manière dont il le défendoit , on lui dit qu'il
n'avoit point de tems à perdre. Ce Magiftrat eut alors re-
cours aux prières , ôc demanda à être enfermé pour achever
un ouvrage , dont fa mort alloit priver la République. Mais n cfi pendu
ks ennemis demeurant inflexibles , il eut même de la peine pariafadtion
à obtenir aiîèz de tems pour fe confefler. Cromé prefTanc " ^^'^^*
l'exécution de la fentence , ce Magiflrat fut pendu à une
cchelle attachée à une poutre.
On amena le même jour devant Buiïy 6c Tes complices , i^ Préfident
deux Magidrats qu'on avoit arrêtés. Le premier étoit Clau- Larcher &
'ir i .^,. 11 ^ 'j> Tardif ont le
de Larcher, qui eroit cruellement tourmente dune goûte même fort.
nouée. Ce Magiflrat, dont les mœurs étoient pures & in-
nocentes , n'eut pas pltitôt apperçu le corps du Préhdenc
BriiFon , qu'il interrompit Cromé qui lui lifoit fa fentence,
& s'écria que la vie lui étoit à charge , après l'indigne trai-
tement qu'on avoit fait à ce grand homme. Enfuite s'étanc
confeûTé , il fe prépara à la mort avec beaucoup de conftan-
ee. Le fécond fut Jean Tardif du Ru confeiller au Châtelet,
homme fîmple èc plein de candeur , à qui les fadieux fi-
rent le même traitement. Son prétendu crime étoit d'avoir
parlé un peu librement contre les Seize dans une allemblée
publique , &c d'avoir répandu dans Paris un écrit lur l'ori-
gine des troubles de France , rempli de fiel & d'amertume
contre les princes de la maifon de Lorraine ôc contre les Li-
gueurs , adrefîè au Pape Sixte V. par Louis de Gonzague
duc de Ne vers, dans la maifon de qui Tardif 6c (a famille
avoient commence leur rortune.
Les corps de ces trois Magiftrats ayant été tirés le
KKk ij
444 HISTOIRE
■j : lendemaîn de la pnTon , furent attachés à trois gibets devant
H £ N R. I l'Hôtel de ville dans la place de Grève , avec des ecriteaux
1 V. contenant des faulïetés. Après avoir été expofés pendant
1591, deux jours à la fureur de la populace, enfin quelques amis
les enlevèrent durant la nuit, & leur donnèrent la fepul*
ture. Outre l'attachement que Cromè avoic pour les Elpa-
gnols , on dit qu'il avoit encore des motifs particuliers de
haine contre le Prè/ïdent BrilFon , qui l'avoient porté à cet
horrible attentat. Son père , qui étoit Trèibrier de TEpar-
gne , ayant été accufè de péculat vingt-cinq ans aupara-
vant par les Etats de Bourgogne , Brillbn alors Avocat le
chargea de l'affaire des Etats ^ &c ayant prononcé à ce fujet
quelques plaidoyers fort éloquens &c fort travaillés , il ga-
gna la caufe , 6c conftata le crime de l'acculé. Cromé con-
lerva toujours depuis un vif relfentiment de cette affaire j
& quoique le tems dût en avoir effacé le fouvenir , au juge-
ment des perfonnes équitables , àc que Brilfon fût excufable
par la qualité de fon miniflére , rien néanmoins ne put ap-
paifer Cromé , ni éteindre le defir ardent qu'il avoit de fe
ven2;er , juiqu'à ce qu'il eût trouvé l'occafion d'aflbuvir fa
fureur.
Après cette adion hardie , les Seize croyant avoir dé-
truit le Parlement , & éteint la lumière de la Juftice dont
ils ne pouvoient foutenir l'éclat , ils fe flattèrent d'avoir ré-
duit le duc de Mayenne même , qui, comme ils le difoient ,
fermoit les yeux fur plufieurs choies , & ne gouvernoit pas
l'Etat à leur gré. Ils s'applaudiffoient de n'avoir plus d'ob-
ftacles à leurs delfeins ^ de pouvoir félon leur caprice dif-
poler de PEtat , & appelier qui bon leur fembleroit à la fuc-
celfion de la Couronne j fucceffion qu'ils regardoient com-
me vacante ôc incertaine 3 car ils ne doutoient point que
toutes les villes du Royaume ne fuiviifent l'exemple de la
Capitale , dont la révolte avoit entraîné celle de la France
entière,
lettre aes Ainfi voulant rendre leurs intentions publiques , ils écri-
Ligueursau virent le 20. de Novembre au roi d'Efpagne , & chargè-
loidtfpa- ygj^j. jg jg^jj- lettre le Te fui te Claude Mathieu (t) , qui leur
gnc. -^
. (i) Le P. Daniel dit que ce Mathieu j mort , félon lui , trois ans auparavant
n'étoit point le P. Matthieu Jefuite , | en Italie.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 445
en avoîc apporté plufieurs de la parc de Philippe. Ayant ■'
d'abord remercie dans cette lettre ce Prince,qu'ils appelloi^^nt Henri
leur père & leur protedeur , de tous les bienfaits dont I V.
il les avoit combles, ils lui recommandoient fort au long 1591.
Charle de Guife fils de Henri de Guife , qu'ils honoroient
du titre de premier Martyr de la France j ils diloient qu'ils
avoient ret^u la nouvelle de (on évafion de la citadelle
de Tours , dans le mois dernier ^ mois toujours favora-
ble aux Catholiques : Qiie c'étoit dans ce même mois
qu'étoic arrivé en i 572. le maflacre des Proteftans , dans
lequel avoit été enveloppé l'amiral de Chatillon , dont la
mort avoit délivré les Païs-bas de la crainte de la guerre,
qu'il avoit delTein d'y porter : Qiie c'étoit encore dans ce
mois que le Roi Henri III. avoit été tué par un coup du
ciel , devant les murs de Paris qu'il affiégeoit , pour tirer
vengeance àes habitans de cette ville , en la ruinant de fond
en comble : Que dans le mois de Novembre de l'année pré-
cédente , cette ville réduite aux dernières extrémités , vain^
eue par la faim , 6c qu'on ne penfoit pas pouvoir tenir plus
de trois ou quatre jours , avoit été fecouruc à tems par le
duc de Parme , qui ne faifoit qu'exécuter les ordres de Sa
Majefté Catholique. Us ajoûtoient que dans les circonftan-
ces où la France fe trouvoit après tant de malheurs , les par-
ticuliers, ainfî que l'Etat , ayant perdu leurs revenus j le
commerce , qui faifoit toute la force du Royaume , étant
ruiné , on étoit prefque réduit au défefpoir • èc qu'il ne leur
reftoit plus d'autre refTource , que la protection de Sa Ma-
jefté : Qiie voyant que les aftaires empiroient de jour en jour 3
que les loix divines & humaines étoient confondues dans
l'Etat 3 que les Francjois accoutumés à reconnoître un Mo-
narque , ne pouvoient fe pafîer plus longtems d'un Roi 3 ils
afluroient Sa Majefté que tous les gens de bien fouhaitoient
avec ardeur de le voir prendre en main les rênes du gouver-
nement , ou les confier au moins à celui qu'il voudroit ho-
norer du mariage de l'Infante Sereniffime , dont ils admi-
roient & refpectoient les vertus héroïques de l'augufte génie ,
qu'ils efperoient devoir être un jour aufîî favorable à la
France , que l'avoit été celui de la reine Blanche de Caftillç
mère de S. Louis.
K K k iij
44^ HISTOIRE
Outre cette lettre , Matthieu , fur qui ces féditîeux pou-
H £ N RI voient compter, avoit de fecretes inftrudions , qu'il ne de.
I V. voit communiquer que de vive voix au roi d'Efpagne. Cette
IÎ9I. lettre que Gilbert de Chaferon gouverneur du Bourbon-
nois envoya au Roi , après l'avoir furprife en chemin , étoîc
fignée par le Dodeur Martin , par Genebrard aulfi Docteur
& ProfelFeur royal , par Soly , Turquet , Olivier Ménager,
Rainfant , Nicolas Ameline , Louchard , L. M. de Cromë ,
Hhard la Capelle de Nice , Jean Hamilton , Crucé , Acarie
maître des Comptes, Matthieu Launoy , & la Bruyère. Mais
ces fadieux furent trompés dans leur efpérance 3 car le duc
de Mayenne , dont le courage ëgaloit la prudence , voyant
que ces coups partis de la main des Erpagnols ne tendoienc
qu'à le dépouiller de Ton autorité , & n'étoient portés que
pour lier le peuple à leur parti par le crime , Se le déferpoir
d'en obtenir le pardon , de manière qu'il ne pût s'en déta-
cher enfuite , il réfolut de fe rendre inceflamment à Paris ,
pour arrêter ces funeftes complots.
Il partit de SoilTons accompagné de Louis de l'Hofpital
de Vitry , pour aller à Paris , quoiqu'il fut fur le point de
fe joindre au duc de Parme , qui venoit à la tête de l'armée
auxiliaire. Le roi d'Efpagne avoit alors un Ambafïàdeur
dans cette Capitale , nommé D. Diegue d'Ibarra , homme
très-vif àc très fier , qui avoit trempé dans la mort des Ma-
giftrats dont nous avons parlé. Cet Efpagnol voyant les ef.
prits aigris ôc aliénés par cet attentat , au lieu d'en être con-
cernés & abattus , comme il s'en étoit flatté , faifoit tous
fes efforts pour affoupir l'affaire , 6c n'étoit pas de l'avis du
duc de Mayenne , qui vouloit faire un exemple , afin de
reprimer une licence fî effrénée. L'Efpagnol infmuoit fou-
vent dans {qs difcours qu'il ne falloir pas dans un parti fuivre
toujours le droit à la rigueur -, àc qu'il étoit néceflaire de fer-
mer les yeux fur bien des chofes 3 qu'autrement on révol-
teroit plutôt les efprits , qu'on ne les retiendroit dans la
foumiffion en voulant les alfujettir à des régies trop févéres •
que chacun ne fe conduifant dans ces fortes de partis que
par des vues particulières , un Prince fage devoit diflimuler ,
iufqu'à ce qu'ayant conduit les chofes à fes fins , il n'eût plus
beloin de ceux , dont il avoit les crimes en liorreur. Il ajoûtoit
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 447
â ces raifons les menaces des fadieux , qu'il rapportoic au __i__jj[
duc de Mayenne , pour le détourner de Ton deflein , en lui H £ n r i
faifant appréhender une fédicion. Mais ce Prince rélblu de I V.
conferver le pouvoir qu'on vouloir lui enlever, répondit à i 591»
Ibarra qu'il etoit néceiFaire de faire un exemple , pour dé-
tourner la haine publique , que l'ennemi voulut faire tom-
ber fur lui , en publiant dans les autres villes qu'il ne lailloit
commettre ces crimes , que pour abandonner enfuite dans
tout le Royaume , les plus riches familles à la difcrétion de
ces fcélérats de la lie du peuple , àc que dans le deilein de
fonder un nouvel empire en France , après avoir renverfé
les loix de l'Etat , &; détruit l'ancienne Noblelîè.
Le Duc nefe lailTant donc point ébranler par les raifons
fpécieufes de l'Efpagnol , fut encore affermi dans fa réfo-
lution par le baron de Vitri , qui prenant fur lui tout le péril
que les Efpagnols vouloient faire appréhender , s'ofFrit d'ar-
rêter lui-même les coupables. Le duc de Mayenne traita
d'abord avec BulTy qui remit la Baftille entre les mains , à
condition qu'on ne le rechercheroit point à l'occafion de la
mort de BrilTon &; des autres Magiftrats. Il mit garnifon
dans cette ForterefTe fous les ordres du brave du Bourg , de
la fidélité duquel il étoit affûré. Enfuite il chargea Vitry
d'arrêter Louchard , Barthelemi Anroux Banquier , Jean
Emonot Procureur , &: Nicolas Ameline. Ce dernier avoic
préfenré depuis quelques mois une requête à l'afîemblée des
Ligueurs , afin qu'on ôtât la connoilTance de fes affaires au
Parlement , & pour obtenir que le décret donné contre lui
ne fût point exécuté ^ parce que , difoit-il , dans cette re-
quête, il étoit un de ceux qui s'étoient trouvés en armes au
Parlement , quand on le conduifît à la Baftille,
Ces fadieux ayant été enfermés au Louvre , furent pen^.
dus dans une falle bafîè le 4. Décembre. Ce fut le terme de
la tyrannie que les Seize éxerçoient dans Paris. La liberté
commença alors à y renaître en quelque hi^on , &: le duc
de Mayenne y raffermit fa puiffance. Ces fcélérats furent
aufTi méprifés & aufïî odieux , qu'ils avoient été puilfans ôc
formidables. On fît inutilement chercher Cromé , qui s'é-
toit retiré parmi la garnifon étrangère. Il vécut miférable-
ment depuis , julqu'à l'entrée du Roi à Paris , d'où il fe
44^ HISTOIRE
'EË^ recira dans les Païs-bas avec hs troupes d'Efpagne , fans eC
Henri pérance d'obtenir jamais fa grâce. Les Miniftres Efpagnols
I V. empêchèrent le duc de Mayenne d'étendre plus loin la pu-
I 55) t, nition des factieux.
Jean Boucher Curé de S. Benoît Ligueur des plus furieux,
eut l'audace de fe plaindre de leur fupplice au nom des Ca-
tholiques & des zélés , dans un difcours qu'il prononça de-
vant le duc de Mayenne. Il poufla même l'effronterie , juf-
qu'à donner le nom de cruauté à la jufte punition de ces fé-
ditieux , qu'il honora avec impudence du glorieux titre de
Martyrs de Dieu. Le Duc répondit en peu de mots avec fa
prudence ordinaire j que l'obéïlîànce étant nécefTaire dans
un parti formé pour la défenfe de la Religion , il avoit fallu
faire un exemple fur quelques-uns , pour intimider les autres,
afin de les retenir dans la foumilîion : Qu'au refte il auroic
foin de délivrer les bons Catholiques de la crainte , où le
Curé de S. Benoît difoit qu'ils étoient.
Il donna enfuite un Edit , dans lequel , après avoir détefté
l'horrible attentat des furieux qu'il avoit fait punir du der-
nier fupplice , il déclara que la vindide publique étoit fatis-
faite , êc fit grâce aux autres qui avoient trempé dans ce
crime ^ à l'exception de Cromé , d'Adrien Cochery , 6c du
Greffier j avec défenfes exprefles fous peine de mort , de te-
nir ces aflémblées fecretes , qui avoient occafionné ces exé-
crables complots. Cet Edit fut enregiftré au Parlement le
10. de Décembre d'un confentement général. Le Greffier
ayant été arrêté à Melun , fut puni du dernier fupplice ^ 6c
le bourreau qui s'étoit prêté à la fureur des conjurés , fut
pendu après la rédudion de Paris.
On fit alors une recherche éxade des complices de la
mort de BriiFon &: des deux autres Magîftrats. Ceux qui
ctoient dans la ville , & qui avoient couru les mêmes rifques,
facrifiérent les coupables à leur vengeance particulière , fous
prétexte de punir le crime. Les Royaliftes fe vengèrent dans
la fuite avec beaucoup plus de modération que les Ligueurs j
ayant étouffé tout reiïentiment après la prife de Paris , ils
ne voulurent point donner atteinte par la févérité des loix ,
à l'amniftie générale que le Prince avoit accordée. Ils di-
foient à ce fujet , qu'il étoit indigne ,6c contre toute raifon,
de
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 449
<3e s'acharnera venger Tes injures particulières, tandis que ■■
la mort du feu Roi , qui intéreiToit tout l'Etat , demcuroit H e n k i
mipunie. I V.
Pendant que le duc de Mayenne rafFermiffoit ainiî fa 1591.
puiiïance dans la capitale du Royaume , le Roi après la prife
de Noyon s'étoit avancé avec quelques troupes jufque fur
la frontière, pour fe joindre à l'armée auxiliaire que le vi-
comte de Turenne , ôcle prince d'Anhalt lui amenoient d'Al-
lemagne. Il fe détourna de fon chemin , afin d'aller à Sedan
pour y ménager le mariage du Vicomte avec Charlotte de Mariage de
la Marck , que Guillaume-Robert de la Marck fon frère , Fî^rh'^ ^'^
mort depuis trois ans a Genève , avoit fait Ion héritière le vicomte de
univerfelle, à condition qu'elle èpouferolt un Proteftant. Tmennt.
Charle duc de Lorraine fouhaitoit ce mariage pour fon fils,
afin de joindre à f^^s Etats Sedan & Jamets , places fortes
par leur affiète. Ce Prince ayant fait la guerre à Charlotte
de la Marck, après la mort de fon frère, il ne vouloit lui
donner la paix qu'à cette condition. Louis de Gonzague
duc de Nevers , qui ètoit alors du parti du Roi , &: qui
poiTèdoit le duché de Rherelois dans le voifinage de ces
places , briguoit aufli en fecret cette alliance pour fon fils.
Jl ne doutoit pas que fi Charlotte époufoit un Catholique,
le Roi, fans le confentement duquel elle ne pouvoit fe ma-
rier, ne préférât le duc de Rhetelois fon fils au prince de
Vaudemont. Mais Henri ètoit bien éloigné de fe rendre
auxdéfirs de l'un &: de l'autre.
Le duc de Lorraine s'èroit déclaré fon ennemi juré pen-
dant tout le cours de la guerre 3 ôc le duc de Nevers lui croit
fufped à caufede fes fcrupules continuels au fujer de laRe-
L'gion. Il jetta donc \qs yeux fur le vicomte de Turenne,
pour ôter toute efpérance aux deux autres. Ce Seigneur,
qui avoit autrefois commandé les armées des Proteftans ,
joignoit beaucoup d'efprit & de valeur à une très - haute
Eaiirance. Le Roi avoit fes vues , en lui procurant l'alliance
de Charlotte de la Marck j il couvrait par ce moyen la
frontière , en y mettant pour veiller à fa fureté , le vicomte
de Turenne. L'oppofant également à un ennemi déclaré,
& à un ennemi iufped , il l'éloignoit en même-tems dc$
grandes terres qu'il poifèdoit en Auvergnc,dans le Rouergue,
Tome XL LLl
4fo- HISTOIRE
dans le Qnercy, en Limoufîn , & dans le Perîgord,
Henri Ce mariage ayant été accompli, le Roi fe rendit à Ac-
I V. tigny le i. Octobre 3 & f^achanc que les troupes du Pape-
î S9 r. étoient déjà arrivées à Verdun , il s'avança avec mille ca-
valiers François, 6c trois mille chevaux Allemands jufqu'à;
Grand Pré , qui appartient à la Maifon de Joyeufe. Il
apprit en cet endroit par des efpions, que la cavalerie
Lorraine campoit avec une partie des troupes de Mayenne
fous les ordres d'Africain Anglure d'Amblife, à Mont-
Faulcon fur la Meufe , à cinq lieues de Grand-Pré. Il eue
enfuite avis dans fa marche, que d'Amblife marchoit entre
Stenay ôc Ville-Franche , dans le deifein d'aller attaquer les
troupes qu'il avoit lailfees fur l'Aumon. Mais ce Générai
ayant eu nouvelle de l'arrivée du Roi fur la Meufe , &c que
ce Prince tiroit du côté de Verdun , il fe retira à Dam-
villiers. Le Roi fit partir le brave Fournier à la tête d'un-
détachement, qu'il fit fuivre par Givry , Commandant de
la Cavalerie légère en l'abfence du comte de Clermont,
afin d'attirer au combat les ennemis , qu'ils pouriuivirent
jufqu'aux portes de Verdun. Les ennemis ayant paru eii'
bataille après un grand orage que nos troupes avoient efluyé,-
on envoya contr'eux Charle Praflin de Choifeuil , Gilbert,
de la Curée ('i), & Charle d'Ognies de la Hargerie, qui
furent fuivis de Charle de Luxembourg comte de Brienne,
& de Claude de l'Ifle de Marivaux 3 on fe contenta d'efl
carmoucher de part & d'autre.
Le Roi prévoyant qu'on pourroit bien les prendre en
queue dans la chaleur de l'adion , fit avancer Charle de
Biron à la tête d'un détachement , avec François Juvenai
de la Chapelle aux Urfins , pour empêcher qu'on ne les
envelopât par deniére. Les ennemis perdirent fix des leurs,
La Curée , & Choifeuil eurent leurs chevaux tués fous eux,
& ne furent point bleiîés. Jean de Vivonne marquis de Pi-
fany, qui étoit avec le Roi , ayant rencontré par hafard un-
cavalier Romain de fa connoifTance , apprit de lui que l'ar-
mée ennemie , dont les maladies 6c les fatigues d'une longue
marche avoient emporté un grand nombre de foldatSjn'é-
roit compofée que de huit mille chevaux , de douze cens
(,i) Le Père Daniel iappclh Defcures,
DE J. A. DE THOU, Liv. CïL 45T
iiommcs d'infanterie , & de crois mille SuiiFes.
Le Roi campa à la vue de Verdun 5 mais ne voyant 77
point paroîcre l'ennemi , il fè retira le lendemain j èc s'étant J^^
emparé du Fort de Mont-Faucon , il revint en deux jours
à Attigny par Grand.Préle 5. d'Odobre. Quelque tems M9i
après il recrut en cet endroit la nouvelle delà mortdeFran-
EN RI
qui n'avoit guérès ph _ .
déjà couru à cet âge une infinité de dangers , èc s'étoit ac-
quis une fi grande réputation , qu'on n'avoit pas de peine
à croire qu'il auroit un jour furpaflë la réputation de Ton
père, 6c de fon ayeul dans le métier des armes, fî la mort
ne l'en eût empêché. Il joignoità beaucoup de politefleune
connoiflance parfaite de l'arc Militaire, Ôc des Mathémati^
ques 5 il étcit même très-habile Machinifte. C'étoitlui qui
avoic facilité la prife de Chartres par fon induftrie. Lorf-
que la mort le furprit, il faifoit équiper dts vailTeaux pour
le voyage des Indes ^ il étoic Amiral de Guyenne, charge
que le Roi continua à ics enfans en récompenfe des grands
fervices que cette maifon lui avoit rendus. Chaflillon avoic
eu de Marie d'Ailly de Picquigny trois fils , qui héritèrent
de fon courage , éc de la valeur de leurs ancêtres. L'aîné
appelle Henri, Colonel d'un régiment, après avoir donné
de grandes preuves de fon courage au fîége d'Ofbende , y
avoic écé tué deux ans auparavant. La mort de Chaftillon
renouvella la douleur que celle du brave de la Noue avoic
caufée au Roi. La perte de ces deux Officiers généraux lui
fut auflifenfible, que lui eût été la perte de deux batailles.
SaMajefté, dont les forces étoienc augmentées par la _ _ . _,
jonaion de 1 armée auxiliaire, rcloluc pour le bien de les ge ruucu.
affaires de redoubler fes efForcs , afin d'avoir en fa puiil^mce
quelque riche Province d'où il pûc tirer des fecours d'ar-
gent pour fubjuguer les autres Provinces avec plus de fa-
jcilité. Depuis longtems il avoit defîèin d'aiTiéger Rouen
capitale de la Normandie , dont la prife devoir le mettre
jen pofFefTion de la plus floriiTante province du Royaume.
Après un long fiége,il s'étoit rendu maître d'Avranches,
ville épifcopale , que le duc de Monpenfiervenoit d'obliger
LL 1 ij
452 HISTOIRE
?5if?!!!?'?î?!!!?! à capîculer. Il lui refloic encore à prendre le Havre-de-
Henri Grâce , & Honiieur qui avoic été furpris depuis peu par
IV. le chevalier de Grillon. Il y avoit toute apparence que ces
I for. deux villes, iîtuées à l'embouchure de la Seine, de l'un ÔC
de l'autre côté de ce fleuve , ne tiendroient pas longcems
après la prife de Rouen 5 du moins on pouvoit les bloquer
de telle manière, qu'elles n'empêcheroient pas le Roi de
jouir paifiblemenc de fa conquête.
Les autres villes de Normandie fournirent à l'envi de
l'argent 6c des munitions de bouche pour cette expédition.
On lit de grands préparatifs à Evreux, à Dieppe , auPon^-
teau-de-Mer, à Cacn, de au Pont^de-l'Archc. L'abondance
de bleds qu'on avoit trouvée depuis peu à la priië de Lou-
viers , fut un puiflant motif pour faire le fiége de Rouen ,
que la reine d'Angleterre, dont on fuivoit exactement les
avis dans cette guerre, confeilloit aulFi , dans la crainte qu2
la Ligue ne prk le delTus en Normandie & en Bretagne , ce
qui pouvoit porter préjudice à fes Etats, Elifabeth avoit
fourni l'argent d'une partie des levées en Allemagne j & elle
entretenoit en France un grand nombre de troupes à fes
frais. Le Roi avoit dépêché vers cette PrincefTe au mois
de Septembre la Place de Ruiîy pour hâter l'embarque-
ment des fecours qu'elle devoit envoyer. A tous ces motifs
fc joignoit encore la facilité défaire aborder en cet endroit
plus aifément qu'ailleurs la flote des Holiandois , dont on
iè flatoit de tirer de grands avantages pour le fiége de
Rouen.
Les habitans de cette ville ne re/loient pas dans l'inaclion.
Le duc de Mayenne leur écrivit du Vermandois , où ii
étoit alors , pour les encourager à une vigoureufe défenfe.
Il avoit donné le gouvernement de Rouen à Henri d'Ar-
guillon fon fils. Mais comme fa grande jeunelTe le mettoit
hors d'état de bien remplir un pofte de cette importance,
André de Villars Brancas gouverneur du Havre-de-Grace,
quitta cette place pour fe rendre à Rouen en qualité de
Lieutenant du Gouverneur & de Commandant. En atten-
dant fon arrivée , les Députés du Clergé , du Parlement ,
de la Chambre des Comptes, le Maire de la ville, êc les
Efchevins s'ailemblércnt le 4. d'Octobre.
DE J. A. DE THOU, Li V. CIL 453
Le jeune Gouverneur leur ayant repréfenté la grandeur ?
de l'affaire dont il s'agilTbic , leur propofa l'exemple des Henri
Pariliens , pour les encourager à foûtenir le iîége avec vi- j y.
gueur. >j Rien ne doit vous ébranler, dit-il j le roi de Na- i 591.
varre , dont les troupes (ont épuifees par des marches in-
certaines , pourra-t'il refter lonsitems devant vos murs , fur- ,^'î;^"" -f^
' r I 1,1 • ^ 1 r r 1 1 ducd Aiguil-
tout aux approches de 1 hiver , dont les loldats auront ion aux habt-
à loûtenir la rigueur^ auffi bien que l'effort de nos armes? ""^•
î Le fort de la France, ôc le falut de TEtat dépendent de
î la réfiftance que vous ferez. Jettez les yeux fur la fer-
3 meté des Parifiens, objet de l'admiration du monde en-
> tier. Regardez d'un autre côté quels mépris la foiblefle
) des habitans de Chartres leur a attirés 3 èc vous ne ba-
> lancerez point à faire un choix digne de vous. Si vous
5 preniez le parti d'ouvrir vos portes à l'ennemi , dans quel
î affreux défefpoir ne jetteriez-vous pas la Capitale du
5 Royaume , &c les autres villes de l'Union .' Rappeliez- vous
5 la conftance des habitans de Paris après la malheureufe
3 bataille d'Ivry. Toujours animés de la même ardeur dans
3 la confternation générale , quoique les plus expofés au
3 danger , ils ont foûtenu jufqu'à la dernière extrémité les
3 efforts de l'ennemi, 6c les ont enfin rendus inutiles. Nous
3 ne fommes point encore dans le trifte état où fe trouvoic
3 Paris j les pafïages éroient fermés de tous côtés j pour
3 nous, nous avons toute liberté du côté de la mer. Honfieur
3 d'une part ,& le Havre-de-Grace de l'autre font à nous.
3 Qu'avons-nous donc à craindre ? Il fuffit pour le préfenc
3 de mettre de bonnes garnifons dans le Fort de Sainte Ca-
3 therine, &dans les autres Forts de la vitle. «
Trois jours après , Villars arriva à la tête de fix cens
chevaux, 6c de douze cens hommes de pied, dont il y en
avoit deux cens armés de groffes arquebufes , commandés
par Aimar de Chaftes de Geffan , coufin du gouverneur de
Dieppe. On donna la garde du Fort Sainte Catiierine , du
Château, du vieux Palais, 6c de la porte de Saint Hilaire
à ces troupes. Les Suiiïès 6c les habitans furent poftés dans
les différents quartiers de la ville. Le Confeil s'etant affem-
blé le lendemain à Saint Oiien , on chaffa de la ville ceux
qui étoient fufpeds.
L L 1 il]
454 H I S T O I Pv E
Cependant: la reine d'Angleterre iic embarquer , à lafol-
Henri lîcitacion de Rufly , fous la conduice de Robert d'Evreu^
I y, comte d'Eflex , ûx cens chevaux , 6c deux mille cinq cens
i rqj- liommes d'infanterie , qui abordèrent le dernier jour d'Oc-
tobre a. Bouloo;ne , où Henri d'Orléans duc de Longue-
ville, gouverneur de Picardie, vint les recevoir dix jours
après. Ces troupes auxiliaires s'étant jointes à l'armée Roya-
le , on commença le ficge de Rouen le 1 1 . de Novembre,
jour de la fête de Saint Martin. Edouard d'Evreux fils du
iVére du comte d'EfTex , Colonel de l'inflmterie Angloife
ayant éri tué quelque tems auparavant à la tête des An-
glois , près la porte Cauchoife , qu'il avoic été infulter ,
dans une des courfes que Je maréchal de Biron faifoit au-
tour de Rouen, fut la première victime du iiége de cette
place. Les Anglois mirent fon corps dans un cercueil de
plomb , &; le confervèrent jufqu'à leur départ, dans lede(^
iein , comme ils le diforent eux-mêmes, de le faire entrer
dans la ville par la brèche , Ci i'occafion de donner un aC
faut fe préfentoit ; voulants l'y tranfporter par un chemin où
il les auroit conduits , fi la mort ne l'en eut empêché. Mais
n'ayant pu rendre à leur chef cet honneur militaire , ils rem-
portèrent fon corps en Angleterre.
La ville de Rouen eft renfermée au Midi par la Seine (i).
Cette place eft jointe par un très-beau pont de pierre (2),
au fauxbouro; Saint Sever fitué de l'autre côté du jBeuve.
Au Septentrion elle cft environnée d\me chaîne de hautes
inontagnes , au pied defquelles coule la petite rivière d'Au-
bette, qui va paifer à Darnetal (3) , bourg connu par fa ma-
Bufadure de Draps. On voit aux environs de la ville, 6c
comme dans un de fes fauxbourgs , une très-belle prairie. A
l'Orient , au-delTus du chemin de Paris, efblefort de Sainte
.Catherine , bâti fur une montagne plus haute que toutes
les autres, aufquelles elle efb contiguë. Les Royalifbes s'é-
toient d'abord emparé de ce Prieuré , que Gabriel de
Montgorameri avoit fait fortifier trente ans auparavant.
( I ) L'Auteur dit , Sequant, Mflua- ' batteaux , dont la ftruélure eft curieufe.
yi«w2 , parce que la marée monte juf- ■ On voit encore quelques pilesdel'an-
qu a Rouen , & au-delà. I aen pont.
(i) Ce pont a été' miné depuis;! (3) A une petite Ueuë de Rouen.
|1 n'y a pliis aujourd hui qu'un ppnt de j
DE J. A. DE THOÛ,Liv. Cîî. 455
On ajouta de nouvelles fortifications aux anciennes, La
petite rivière de Robec coule de ce côté-là j elle entre dans He n r.ï
la ville près de la porte de Saint Hilaire , y fait tourner I V.
onze moulins, &; le jette enfuite dans la Seine, entre la j cqi^.
porte du Bac ôccellede Guillaume-Lion. Le vieux Palais
eft un Fort quarré , fitué à l'un des bouts de la ville, 11 re-
garde d'un côté le fauxbourg de Caucboifè , èc de l'autre
il domine fur la Seine. Le duc de Mayenne en avoit donné
le gouvernement au Préfident de Bauquemaure du Mefnil ,
avec une garniion. Le Cbâteau qui tombe en ruines eft fi-
tué au Coucbant, entre la porte Cauchoife , 6c la porte
Bouvreuil, dont il eft plus proche que de la première.
Les Colonels de la milice bourgeoile firent faire des for-
tifications en difFérens endroits, à la tour du Colombier,
à celles de Saint Hilaire & de Robec, à la Poterne Saint
Romain , &: aux portes Beauvoifine , Bouvreuil & Cauchoife,
Charle de Gerouille fit conftruire un Fort furie quay, en-
cre la porte Guillaume-Lion &c celle de Saint Eloy. Enfin
pour dégager entièrement la ville , on ruina les fauxbourgs,
donc on avertit les habitans d'enlever de bonne heure
les matériaux , pour les mettre en lieu de fureté. On
diftribua enluite les Officiers dans les quartiers de la ville.
Du Mefnil eut celui delà porte Beauvoifme j Marc celui de
Ja porte Cauchoife -, Haie Mouflaines celui de la porte Mar-
tinvillej & Chantelouve (i) celui de la porte Saint Hilaire,
Charle Sidnolfi Napolitain fut char2;é du foin de l'artille-
rie 5 & Laurent Anquetil , habile Marin , eut ordre de mon-
ter les barques armées en guerre , pour être maître de la
Seine , au-deiTus, & au-deflous de la ville. Les principaux
régimens étoient ceux de Grillon gouverneur de Honfleur,
du capitaine Boniface , du chevalier Picard , ôc du capitaine
Jacomo Italien.
Avant de s'engager davantage au fîége de la place , le ma-
réchal de Biron traita avec Falaife gouverneur du château
de Gournay , & avec Courcy qui cornmandoic à Caude-
bec , afin d'avoir un champ plus libre, ôc pour n'être pas
continuellement expoié à fé voir harceler par la garniion
de ces places. Il détourna la rivière de Robec , èc rendit
(0 Ou Chanteloupe,
45<^ HISTOIRE
- inutiles les moulins à eau, que les affiégés remplacèrent par
H E M R I des moulins à bras. Le capitaine Bonîface ie mit à la tête
J V. de la première fortie qui fefîn à Saine Gervais aiFez près de
1591, Darnetal.
Enfuite les afîiègeans traitèrent avec Graveron capitaine
de cavalerie, qui etoit dans la place. Il promit de livrer la
porte Beauvoifine j mais cette entreprife fut fans fuccès ,
parce que Graveron avoit découvert l'intrigue à Villars. Il
s'échappa enfuite des mains des aifiègeans , au camp def.
quels il etoit pafle comme en otage, pour les tromper plus
iiirement. Les affiègès firent alors deux forties , &; l'on com-
battit près du Fort Sainte Catherine , &: du bois de Turinge,
qui efb au-defTus de la Seine en cet endroit. Le chevalier Pi-
- card &: le comte d'Eflex s'envoyèrent mutuellement un car-
tel de défi , fans aucune fuite , parce que l'Anglois ne voulue
fe battre que contre Villars, qui s'en excufa par rapport
au commandement qu'il avoit dans la ville,
lettre diiRoi Le Roi étant parti de Franqueville à la fin du mois Cq
à la ville de j- v xr i> ^ 'i ' • • ) • r^ ■ i
Rouen, rendit a Vernon , a ou il écrivit le premier Décembre aux
Maire & Efchevins delà ville de Rouen, afin de tenter tou-
tes fortes de voyes pour ramener ie peuple à fon devoir. Un
héraut nommé d'Aleniçon fut chargé de porter la lettre de
Sa Majefté , qui y témoignoit d'abord fon alFedion pater-
nelle pour les habitans de Rouen , qu'il regardoit, difoit-il ,
comme fes enfans. Le Roi ajoûtoit que la manière dont il
en avoit ufé envers les villes qui l'avoient reconnu pour leur
Roi , devoit alTez leur faire comprendre ce qu'ils pouvoienc
attendre de fa clémence : Qiie malgré ces exemples de fa
bonté, ils avoient néanmoins perfifté dans leur dèfobéïl-
fance , 6c s'étoient laififès féduire par les calomnies , & les
intrigues des Efpagnols , qui n'avoîent pour but que de pri-
ver la France de fon Roi , & d'enlever la Couronne à l'hé-
ritier légitime : Que c'étoit dans ces vues que ces ennemis
de l'Etat rèpandoient le bruit, qu'on ne faifoit la guerre
que pour abolir la Religion Catholique ; mais que tous ces
bruits calomnieux étoient heureufement détruits par letè^
moignage du grand nombre de villes où l'on profeiToit li^
trement èç en fureté de confcience la Religion Catholi-
que j depuis qu elles s'étoient foûmifes à lui : Qu'il avoic
voulu
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 457
Voulu leur faire fi^avoir ces chofes , &: les exhorter à re- ■
devenir Franc^ois , ôc à fecolier le joug odieux des Efpagnols , Henri
en fe foûmettant à l'exemple des autres villes du Royaume : ^ V.
Que s'ils perfiftoient dans leur révolte , il ieroit obligé d'em- i 5 9 i .
ployer contr'eux les forces & le pouvoir qu'il tenoit de Dieu ,
ôc d'abandonner , quoiqu'avec douleur , leur ville au pil-
lage : Qu'ils ne comptaiîent point fur le duc de Parme ,
dont vainement ils imploreroient le fecours • n'étant pas
vrai-femblable que ce Général , qui ne pouvoit pénétrer
jufqu'à eux fans livrer un combat, eût lîtôt oublié fa dé-
faite à Ivri, 6c qu'il voulût encore courir les mêmes rif-
ques.
On fit la ledure de cette lettre à THôtel-de-Ville, en Réponfe des
préfence du Gouverneur de la ville • èc enfuite au Parle- ^abitans.
ment. Ce héraut fut chargé de dire à Sa Majefté pour toute
réponfe, que fes menaces n'avoient pas fait beaucoup d'im-
prefîion fur l'efprit des habitans : Que Dieu ne l'avoit pas tel-
lement comblé de fcs faveurs , qu'il n'eût du moins ré-
fervé quelqu'une de fes grâces pour les Catholiques : Que
la foûmilîion du grand nombre de villes dont il parloitdans
fa lettre , n'étoit point une preuve de la faveur du Ciel à
fon égard : Que fuppofé même que tout fecours humain leur
manquât , le fecours d'enhaut ne leur manqueroit pas :
Qu'ils ne doutoient point qu'avec l'affiftance de Dieu ils ne
vinllent à bout de défendre contre les hérétiques leur ville,
où l'Edit de l'Union avoit été folemnellement reçu trois ans
auparavant: Qu'ils connoiffoient alfez le génie du roi de
Navarre 3 ôc que perfbnne n'ignoroit de quelle manière on
en avoit agi à Etampes , à Louviers , dont on s'étoit em-
paré depuis peu , &: enfin à Vendôme , où l'on avoit fait
mourir Maillé de Benehart, & le Cordelier Chelfé : Que
ces exemples leur avoient appris à connoître , pour ainlî
dire , le Lion par ies ongles • & qu'enfin ils n'avoient pas be-
foin d'un hôte tel que lui. Que pour ce qui regardoit les
Efpagnols , dont il faifoit un portrait fi odieux , il avoit
mauvaiié grâce d'en parler , lui qui avoit rempli le Royaume
d'Allemans &. d'Anglois , tous hérétiques, &: ennemis ju-
rés de la France : Qu'enfin ils fe flatoient de montrer
autant de courage pour la défenfe de la Religion Catholique,,
lûme XI, MM m
45^ HISTOIRE
îî!?;5!ïi= que les Calviniftes en faifoient paroîcre pour foûtenir leuf
Henri déteftable héréfie.
I V. Le héraut étanc retourné vers le Roi , Sa Majefté fe ren-
I <ûi. <iic au quartier de Darnetai , &: alla inlulter le premier la
porte Cauchoife. Il s'empara de l'Eglife de Saint André,
d'où les afficgés délogèrent fes troupes par le moyen de
deux coulevrines. Le fils de Courcy , qui étoit dans le camp
du Roi fut fait prifonnier dans cette attaque , de mourut
quelques jours après dans la ville d'une bleilure qu'il avoic
reçue. Les aiîiégeans ayant entièrement invefti la place ^
fermèrent tous les pafTages., à l'exception de celui de la
mer, par où il arrivoit de momens à autres des barques ar-
mées de Honfleur & du Havre-de-Grace.
On examina ce qu'il pouvoit y avoir dans la ville de mu-
nitions de bouche j &L il s'y trouva quatre mille muids de
bled, fans y comprendre lé fégle, l'avoine, l'orge, & les
autres légumes , qui compofoient encore plus de quinze
cens muids. On. acheta des deniers publics quinze cens
muids de bled, qu'on devoit diftribuer au petit peuple à
un prix modique j enforte que la livre de pain ne fut ven-
due durant le fiége que huit deniers (i). On mit cinq cens
muids à part pour la nourriture des foldats. Enluite on fit
choix des habitans qui étoicnt capables de porter les armes.
Ceux qui ne fe trouvèrent pas en état de le faire , furenc
deftinés à travailler aux fortifications du Fort Sainte Ca-
therine, du vieux Palais, ôc du Château. On fit fortirdela
ville les payfans 6c les étrangers., un. . un u^ ;
Enfuite on fe tourna du côté de la Religion , prétexte
dont on fe fervoit toujours ^ 2c il y eut le 8. de Décembre
une Proceffion générale, avec un grand concours de tous
les Ordres de la ville , 6c du menu peuple. .L'évêque de
Bayeux célébra la Méfie dans l'Eglife de Saint Ouen. Jean
Dadré Théologien fit lun difcours convenable au temps ^ ôc
ayant pris pourfon Texte ce Verfet de la féconde Epitre aux
Corinthiens , Ne vous alliez point aux Infidèles ( 2 ) , cet
homme emporté fe flata d'avoir prouvé par l'interprétation
de ; ces paroles, qu'il étoit défendu de reconnoîcre un;
"'f/yVXês Mémoires. ^ de la Ligue, 'deniers-'^»/,
dont côt efiâïoit eift tire , mettent zo. j' (z) NoZ/Vé- jugum dncerecum Infidelihtts,
m Ua iV* .^ .». -....v ..
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 45^
hérétique pour Roi ^ 3c qu'il étoit de précepte divin de don- mmiu . . ■ ^
ner, ôc fes biens , ôc fa vie pour la défenfe d'une caufe aulîl H e n il ï
jufte que celle de la Ligué. Sur la fin de fon diicours il en^ \ V,
2ap;ea Tes auditeurs, à l'exemple de ce qu'avoit fait Lin- T^r.T
celtre a Pans deux ans auparavant, a lever leurs mains,
pour montrer qu'ils faifoient ferment de mourir plutôt que
de reconnoître pour roi de France , Henri de Bourbon foi
difant Roi , ne pouvant fe foumettre à un hérétique relaps,
déclaré tel par Sixte V. & par Grégoire XIV. On ordonna
un jeûne de trois jours par femaine , pour appaifer la colère
de Dieu, comme le diloient les Prédicateurs. D'autres cru^
rent que ce n'étoit que pour ménager les vivres , qui dimi-»
nuoient de jour en jour.
Pendant ce tems-là,le Roifît drefTer une batterie contre
la porte S. Hilaire , que le Gouverneur avoic fait murer en
dedans avec de la terre. Les affiégés firent en même tems
par la porte Cauchoife une vigoureufe fortie , où l'on fç
battit opiniâtrement de part ôc d'autre. Les Royaliftes y per-
dirent cent hommes , & repouiFérent l'ennemi , qui n'en per^
dit que cinquante , du nombre defquels fe trouva Saint-Sul-
pice , qui fut fort regretté des affiegés. On attaqua enfuite
le Fort de fainte Catherine défendu par les régimens du ca-
pitaine Jacomo & du chevalier Picard. Mais foit que les
Royaliftes afFedailent d'agir avec lenteur, foit qu'ils eulFenc
trop de confiance , l'ennemi eut le tems de commencer &
d'achever à la vue de notre armée , les fortifications de ce
pofte , qui n'avoit d'autre défenfe que fon afîiéte avantageufe
fur une très-haute montagne.
Pendant ce tems-là; le duc de Parme prefTé de fe mettre
en chemin par Charle Coffé de Briflàc , fe préparoit à quit-
ter les Païs-bas. Ce Prince voulant gagner l'afïedion des
peuples , publia une ordonnance contre les brigands & les
corfàîres, ôc permit de trafiquer avec les provinces de Hol-
lande , de Zélande , avec les autres nations , & avec les vil-
les , qui avoient fécoué le joug du roi d'Efpagne. Il excepta
néanmoins certaines marchandifes , comme les armes , le
bronze , le houblon , le coton, ôc autres chofes défendues
par l'Edit de Bruxelles du 6. Décembre. Il fe rendit enfuicc
en dix jours à Landrecy , d'où il envoya D. Dieguc d'Ibarra
MM m ij
4^0 HISTOIRE
■ à SoifTons , pour convenir avec le duc de Mayenne , qui ëtoic
Henri alors dans cette ville , de Tendroic où fe feroic la jondion
IV. de leurs troupes. Il avoit aulîi ordre de lui demander une
I Î9 I. p'âce forte , où l'artillerie Espagnole pût être en fureté. Le
duc de Parme avoit jette les yeux fur la Fere fur Oife en Pi-
cardie. Cette ville lui avoit paru favorable pour Iqs delîeins ,
par fa fituation fur la frontière.
Le duc de Mayenne fe défendit longtems de livrer cette
place , fous prétexte qu'elle lui appartenoit en propre , du
chef de Marguerite de Navarre fa femme, qui lui avoit fait
une ceiîion de tous les droits qu'elle lui avoit apportés en
dot. Mais voyant le duc de Parme dans la réloiution de
ne point entrer en France , fans cette condition ^ n'ayant
d'ailleurs aucune autre place fortifiée à donner à ce Géné-
ral , qui le fommoit de tenir fa parole , il y confentit enfin
d'autant plus volontiers , qu'il craignoit que Colas , qu'il
avoit fait depuis peu gouverneur de la Fere, déjà gagné par
Jes préfens éc les promelfes des Efpagnols , ne la Jeur livrât
malgré lui.
Ce Gouverneur Vicefénéchal de Montelimart en Dau-
phiné, ( charge de robe àc non d'épée comme ailleurs, )
portant fes vues d'ambition au delà de fon état , s'étoit déf-
honoré par des afTairmats. S'étant défait de Florimond
d'Halwin marquis de Menelay , qu'il avoit faullemenc
acculé d'avoir des intelligences avec le Roi , le duc de
Mayenne lui donna en récompenfe le gouvernement de
la Fere. Colas craignant qu'on ne tirât vengeance d'une ac-
tion fi indigne , fe lia dès lors avec les Efpagnols.
Cependant le duc de Mayenne , pour le conférver en quel-
que manière dans la po/RlGon de la Fere , ftipula que la gar-
nifbn Efpagnole de quatre cens hommes , qu'on mit dans
cette ville à la garde des canons , en fortiroit lorfqu'on en
retireroit l'artillerie. Cette condition déplut à D. Diegue
d'Ibarra , qui fut indigné que le duc de Mayenne , qui ne
cefToit de demander de l'argent & des troupes à l'Hpagne,
ne ie déterminât qu'après de grandes difficultés , à faire quel-
que chofè pour les Efpagnols ^ foit par haine pour une nation,
qui étoit fufpede à ce Pri'nce ^ foit qu'il crût que ce qu'il ac-
cojrdoic aux étrangers , diminuoic d'autant fon autorité»
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 4<$i
D'Ibarra peignoir toujours le duc de Mayenne avec ces cou- ' ' ' ;
leurs dans le Confeil, en fa prëfence même, &. dans les lec- Henri
très qu'il écrivoic au roi d'Efpagne. Le duc de Parme plus 1 V^
modéré diilimuloit en préfence du Duc , &: fe concer.coic j .^^^
d'infinuer au roi d'Efpagne ce qu'en diloic Ibarra.
Ne voulant pas néanmoins qu'on pût lui reprocher de
n'avoir pas profité de l'occafîon qui ié préfentoit , de dé-
dommager ion maître des frais confidérables qu'il avoit
déjà faits , ôc de ceux qu'il étoit prêt de faire , il jugea à
propos , avant de s'engager plus avant , de découvrir les
intentions de Philippe au duc de Mayenne , aux autres Prin-
ces , 6c aux principaux chefs de la Ligue , afin de fçavoir
de quelle manière ils avoient delîèin d'y répondre. Il (è ren-
dit donc à Guife dans cette réfolution. Catherine de Cleves
mère du duc de Guile , lui ayant repréfenté le mauvais état
des affaires de fon fils , qui venoit de fe fauver de fa prifon ,
elle le conjura de prendre fes intérêts en main, Le Duc la con-
fola , en lui faifant efpérer que le roi d'Efpagne auroit foin
d'elle & de la fortune de fon fils. Il fe retira enfin à la Fere,
où l'on tint, auffî-bien qu'à Nèfle , plufieurs conférences au
fujet des affaires.
Ibarra, Jean-Baptîfl:e Taxis qui étoit revenu depuis peu
de Paris , bc le Préfidenc Richardot y afliftérent pour les
Efpagnols. Le duc de Mayenne y envoya d'abord le Préfî-
dent Jeannin , fuivi bientôt de Claude de la Chaftre maré-
chal de camp , pour défendre les intérêts du duc de Guife,
qui avoit envoyé en Efpagne , par le conleil de la Chaftre ,
François Pericard évêque d'Avranches. Les Efpagnols de-
mandèrent qu'on aflémblât au plutôt les Etats généraux ,
afin d'y faire proclamer reine de France par un décret fo-
lemnel , à l'exclufion de tous autres prètendans à la Cou-
ronne , & malgré tous leurs droits , l'Infante Séréniffime ,
qui feroit enfuite choix d'un époux avec l'agrément du Roi
fon père , & par le confeil des Princes èi des Seigneurs
Fran(^ois.
La Chaftre & le préfident Jcannîn , qui vouloient éluder
les demandes des Efpagnols , répondirent qu'il ne falloic
pas précipiter cette afllmbièe des Etats ^ que n'étant qu'un
accéfloire à l'èledion de i'Infance , il fuiKfoit à préiènt
MM m iij
4^1 HISTOIRE
" - d'abolir la loi Salîque du confencement des Princes 6c des Seî-
Henri gneurs 3 qu'enfuice l'afFaire dépendroic entièrement du duc
I V. de Mayenne , qui feroit agir les Etats à Ton gré : Qii'il fal-
I jQ I, loic au préalable , traiter d'une affaire de cette importance
avec le duc de Lorraine ôc fes enfans , avec les ducs de Guife,
de Nemours , de Mercœur , & avec les principaux de la Na-
tion , & les Commandans des places fortes : Qu'il étoit à
propos de gagner ces derniers par des préfens ôc des récom-
penses : Qu'il étoit néceflàire de prendre des mefures , afin
que les Dignités , les Gouvernemens , & les charges de Ma-
giftrature ne fulfent données qu'à des François , à i'exclufion
des étrangers : Qu'on devoit pourvoir à la confervation des
privilèges , droits , 6c prérogatives de la Nation : Qu'ils at-
tendoient qu'on leur donnât des afîiirances que le Royaume
ne pourroit être démembré 5 & que les loix de l'Etat & les
anciennes maximes & coutumes feroient maintenues. Ils
ajoutèrent que cette éledion devant ôter toute efpérance
de traiter jamais avec l'ennemi , il falloit deftiner pour les
frais de la guerre , qu'il n'y avoit pas d'apparence de termi-
ner en moins de deux ans , un fond de dix millions d'écus
d'or : Que le Roi devoit commencer à fournir ces fecours
d'argent , dès qu'on auroit proclamé reine l'Infante , qui fe
rendroit en France dans les fix mois, à compter du jour de
fon éiedion , afin de fe marier au plutôt par le confeil des
Princes & des Seigneurs François : Qu'avant tout il falloir
marcher au fecours de Roiien , de peur que cette ville ve-
nant à fe rendre pendant les longueurs de la négociation ,
fon exemple ne jettât les autres villes dans la confternation ,
& ne les engageât à fe foumettre à l'ennemi.
Le duc de Mayenne fit examiner une féconde fois cette
affaire , en préfeiice de François comte de Vaudcmont, qui
avoit amené quinze cens chevaux , ôc de Henri comte de
Chaligny frère du duc de Mercœur. On convint enfin qu'auf-
fîtôt que l'Infante d'Efpagne auroit été déclarée reine de
France , le roi Catholique entreriendroit à fes frais dans le
Royaume vingt mille hommes de pied , & cinq mille che-
vaux pendant deux ans , 6c feroit compter par chaque
année douze cens mille écus d'or au duc de Mayenne ,
pour les diftribuer aux Officiers , ou pour les faire fervir
DE J. A. DETHOU, Liv. Cil. 41^3
àM'aucres belbins , comme il le jugeroic à propos.
Le Roi ayanc intercepté les lettres du duc de Parme 6c Henri
d'ibarraau roi d'Elpagne en datte des 10. Décembre, ii. IV.
& I 8. Janvier , fut inftruit par ce moyen de toute cette in- 1591.
trîgue. Ces lettres informoient le roi Catholique de la méf-
Lettres du
intelligence qui régnoit entre les ducs de Guife&de Mayenne, duc depL'!
Le duc de Parme ôc Ibarra y difoient que le duc de Mayenne me & d'i-
étoit fi foupçonneux 6c fi jaloux de Ton autorité , que quel- ^^iraauroi
ques allurances qu il donnât de le loumettre a Sa Majelte interceptées.
Catholique, il étoit toujours dans la défiance de Tes Mi-
niftres : Qiie le duc de Monte-Marciano voyant que tout le
tems fe paiFoît en délibérations , avoit voulu fe retirer avec
ks troupes, fi3us prétexte d'ordre précis, qu'il difoit avoir
à ce fiijet , en cas que le duc de Parme n'entrât pas en France
à la tête de l'armée auxiliaire avant le i 5. de Décembre j'
& qu'on avoit eu beaucoup de peine à le réfbudre de ne point
tirer à conféquence un retardement de quelques jours , qui
n'avoient pas été employés inutilement , 6c de ne pas inter-
préter les ordres du Pape contre les intentions de Sa Sainteté.
Le duc de Parme félicitoit le roi d'Efpagne de ce qu'il
avoit obtenu le Chapeau pour l'évêque de Piaifance , de dé--
ploroit en même tems la perte que Sa Majefté venoit de
faire, auflibien que lui, parla mort du Pape Innocent , au-
trefois créature de la maifon de Farnefe , 6c qui étoit entiè-
rement dans les intérêts de l'Efpagne. Le Duc ajoûtoit qu'il
avoit un grand befoîn d'argent : Que des deux cens cinquan-
re-huit mille écus d'or qu'il avoit apportés en France , il en
avoit donné cent mille au duc de Mayenne , cent vingt mille
à l'armée auxiliaire pour la folde d'un mois , trente- deux
mille pour celle des troupes Françoifes , aufquelles il avoit
promis d'en compter encore onze mille dans le mois pro-
chain , de manière qu'il fetrouvoit fans aucun argent.
Les promefi^es ne coûtoîent rien au duc de Mayenne , à
la Chaftre , & aux autres qui étoient avec lui , pour engager
l'Efpagnol à marcher au fècours de Rouen j n'ignorant pas
qu'il y avoit des obftaclesinfurmontables à l'éledion de l'In-
fante , que les Efpagnols prcfibient avec tant d'impntience ,
ils fe flactoîent que le hafard feroit naître l'occafion de dé- '
gager leur parole , fans accomplir leurs promelîes.
4^4 HISTOIRE
I Tandis que l'armée ennemie s'avançoicau fecouts des af-
Henri fiëgés , du Rolec, qui ecoic au quartier du comte de SoilFons
I V. dans le fauxbourg S. Sever, traita avec Langone Lieutenant
I J9 r. du capitaine Marc , qui promit de lui livrer le Fort du bout
du pont 6c le vieux Palais j ils prirent jour enfemble pour
le 16. Décembre. Du Rolet s'etant rendu le jour marqué à
ce pont , pour s'aboucher avec Langone , celui-ci Te faifit de
fa perfonne , & le for<^a d'entrer dans la ville. Villars irrité
contre lui , parce qu'il avoir abandonné le parti de la Ligue ,
le traita avec beaucoup de dureté , ôcle menaça même de le
faire mourir , s'il ne remettoit le Pont-de-l'Arche entre Tes
mains.
Sur CQS entrefaites , on découvrit une confpiration très-
1591. ferieufe. On arrêta , ilir l'avis de Mauclerc avocat au Par-
lement , la Fontaine fergent de la compagnie du capitaine
Saint-Saturnin, accufé d'avoir traité avec les ennemis , pour
leur livrer la porte Cauchoife. Ayant été appliqué à la que-
ftion , pour tirer de lui l'aveu de fon crime & le nom de fes
complices, il accufa Champhuon procureur au Parlement,
& Haillier huilTier de la chambre des Comptes. On les fit
pendre le lendemain 4. de Janvier dans la place publique.
Le capitaine Saint-Arnaud , qu'on accufoit aulîi d'avoir trem-
pé dans cette affaire , fe fauva au camp des affiégeans.
Arrctdu Le Parlement de Roiien donna trois jours après, à cette
Pariementde occafion , un Arrêt févére & très-injurieux contre les par-
fenfurefEc- tifans de Henri de Bourbon , & contre ceux qui ne révéle-
ciéfiaftiques roîent pas les conjurations tramées en fa faveur. On ne fè
RoyaUftcs. Contenta pas de cette voye , les cenfures & les ordonnances
Eccléfiaftiques furent employées , pour contraindre les con-
fciences. On ordonna même qu'on renouvelleroit tous les
mois le ferment de l'Union. Le Parlement donna commif-
fîon à Martial de Loynes confeiller de la Cour , d'aififter à
l'exécution de Ton Arrêt. De Loynes ayant fait drclfer des
potences dans les carrefours , fit publier l'Arrêt du Parle^
ment par un crieur public.
Tandis que ces chofes fe pafFoient dans la ville , les Roya-
liftes ayant attaqué la porte Beauvoifine , plantèrent les
échelles fans aucun fuccès , 6c furent même repoulFés avec
perte. Le iB. de Janvier on tira du Fort Sainte-Catherine
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 46^
le chevalier Picard , èc le capitaine Jacomo à la place def- .
quels on mie le capitaine Boniface , pour leur donner un Henîli
peu de relâche , après des travaux ôc des veilles continuel- I V.
les. Le lendemain , les afîiégés firent deux forties , par les 159^.
portes Cauchoife 6c S. Hilaire. Villars à la tête de ies fol-
dats attaqua vivement les Royaliftes , qui le reçurent avec
la même vigueur. De Maubec Lieutenant de (es gardes fut
biefle mortellement , ôi il y eut quelques-uns des affiégeans
tués dans cette occalîon. Deux jours après, il y eut auprès
des Chartreux (i) , qui font hors la ville , entre la porte
Ivïartinville & le Fort fainte Catherine , une aftîon où plu-
lieurs Ligueurs furent bleffës , èc la plupart mis en pièces
par le canon.
Le 26.de Janvier ies Allemands fortîrentdu couvent des
Capucins fous les ordres du capitaine Jacomo , & vinrent
donner avec beaucoup de valeur fur les afîiégeans. Villars ,
te la^Londc qui commandoic après lui dans la ville , étant
furvenus , le combat devint fî vif, que Villars eut fon cheval
tué fous lui , de que le jeune Brebion ayant été blefTé 6c pris ,
ils furent enfin forcés de reculer avec perte confidérable des
leurs. Les capitaines Laurier ôc Parmentierc , Collin capi-
taine des gardes de Villars , Brebion l'aîné 6c Boispoulin
reftérent fur la place. De Mollart mourut le même jour des
blelTures qu'il avoir recrues quelques jours auparavant. Trois
jours après , le chevalier de Varneviile fut tué par un boulet
de canon , en s'entretenant dans le Fort Sainte Catherine
avec le capitaine Picard , qui ayant eu auffi lui-même la cuille
emportée par le canon , mourut le 8. Février de cette blef-
fure. De la Croix de Mallet Lieutenant de Fours Qui^
try , fut tué le même jour d'un coup de canon.
La tranchée ayant été pouflee jufqu'au Fort Sainte Ca-
therine, les Royaliftes, après avoir tiré fix cens coups de
canon en deux fois , fe rendirent enfin maîtres du fofié , du
côté du bois de Turinge. Ils s'y mirent à couvert des huiles^
de la poix bouillante , èc des feux d'artifices qu'on faifoit
pleuvoir fur eux , par des planches 6c des mantelets couverts
déplâtre 6c de gazons. Le lendemain 7. Février, on fit par
|a porte Beauvoifine une vigoureufe fortie , dans laquelle Iq
(^ I ) Ils ne font plus aujourd'hui en cet endroit.
.Terne XI, NNn
46C HISTOIRE
^ Curé de Govlîle , qui fans refpect pour Ton état , s'etoic
Henri rendu fameux par le fang qu'il avoic verfé , périt au grand
I V. regrec d'une populace infenfée. François de Monmorency
I c^2., ^^^ Halloc ayant été bleffé à la cuiffe d'un coup d'arque-
bufe , tomba avec fon cheval qui fut tué fous lui. Il eut beau-
coup de peine à guérir de cette bleifure , & il ne put marcher
dans la fuite qu'avec le fecours des béquilles. S'étant enfin
retiré à Vernon , pour y paiTer tranquillement le refte de {es
jours , Chriftophle marquis d'Alegre , avec qui il avoit ea
quelques démêlés , alla le faluer dans fa retraite , fous le
■voile d'une flncére réconciliation ; êc par un trait de la plus
noire perfidie , il le poignarda dans le tems qu'il l'em-
braffoit.
Le Général Efpagnol , qui étoit déjà dans le voifînage de
Rouen , fit donner avis de fon arrivée à Villars par D. Die-
gue dlbarra , qui fe rendit dans cette ville par le Havre de
Grâce. A la nouvelle des approches de l'ennemi , le Roj prie
le parti d'aller à fa rencontre. Dans cette réfolution , il laifla.
le maréchal de Biron devant les murs de Roiien , pour en
continuer le fiége ^ & s'étant mis à la tête de fa Noblefïè oc
de [es meilleurs Officiers , il marcha vers Aumale ville fituée
fur la rivière d'Epte , qui termine la frontière de la Nor-
mandie en cet endroit. Ayant laiifé quelques arquebufîers à
la garde de la place , il s'avança bien au-delà , pour aller re-
connoître l'ennemi , qui marchoic dans cet ordre. Le duc
de Guife , qui avoit pour Aides de camp la Chafkre vieil Of-
ficier , & le baron de Vitry , conduifoit i'avant-garde. Les
ducs de Parme , de Mayenne , 6c de Monte-Marciano me-
noient la bataille. L'arriére-garde étoit commandée par le
duc d'Aumale , par le comte de Chaligny , par Boisdauphin,.
par Balagny, Se par Saint- Paul , tous Officiers généraux.
Chriftophle de BafTompierre & Valentin de Pardieu de la
Motte à la tête des Suiflés , conduifoient l'artillerie.
Dès que le Pvoi fut en préfence , il fît charger l'avant-
garde par le baron de Biron , par René Viouft de Chanli-
vault , par Charle Choiieuil de Praflin , & par François de
la Grange de Montigny. Mais les arquebufîers , qui cou-
vroient les flancs de l'ennemi , s'étant avancés , nos troupes
îe retirèrent peu à peu , àc marchèrent vers Aumale avec
DE J. A. DE THOU, Liv. CIT. 467
afTez de défordre. Le Roi même confondu dans la foule , »
recrut dans les reins une balle d'arquebufe , qui ne fie que lui Henri
effleurer la peau , ayant perdu beaucoup de fa force avanc I V.
d'arriver juiqu'au Roi. Ce Prince ayant rcpalî'c le pont , i cqi,
fe retira promptement au-delà d'Aumale , où il laiiîa Louis
de Gonzague duc de Nevers , qui termoit la marche de Cqs
troupes.
Tandis que ce Duc étoît occupé à rafTembler la garnifon ,
qui s'étant difperfée dans la ville , ne fe predoit pas d'obeïr
à [es ordres , l'ennemi entra par une autre porte, que celle
qui étoit gardée par les Royaiiftes. Il y eut dans ies rues un
combat fanglant , dans lequel Anne d'Anglure de Givry ,
Commandant des chevaux- Légers , qui éroit alors avec le
<iuc de Nevers , eut fon cheval tué lous lui. Ayant eu les
membres démis dans un lieu étroit où il étoit tombé , il
fortit enfin d'un fî grand danger , après avoir été remis à
cheval avec aflez de peine. Le duc de Nevers ayant ramené
tous Ces ioldats en lieu de fureté , fignala par cette belle re-
traite fa prudence 6c fa valeur. Enfin l'ennemi voyant que
la nuit approchoit , fes foldats étant d'ailleurs acharnés au
pillage dans la ville, n'avança pas plus loin. Cette aclion fe
pafîà le 5. de Février.
Le Roi fut un peu troublé de cet accident j & craignant
que le bruit public venant à grolîîr l'avantage des ennemis,
ils ne pourfuivilTent leur route fans délay , & n'entraflènt
dans la ville de Rouen , après avoir renverfé lans beaucoup
de peine tout ce qui le préfenteroit à eux , il renforça de
trois cens cuiraiïiers la garnifon de NeuflChâtel. Il y avoic
toute apparence que les ennemis ne lailTeroient pas derrière
eux cette place , qui fe trouvoit fur leur chemin. Givry s'of-
frit à la défendre pendant quelques jours , toute foible
qu'elle étoit • croyant qu'il rendroit un grand fervice au
Roi , s'il pouvoit arrêter le duc de Parme , jufqu'à ce que
le Roi , de la préfence duquel dépendoit le fuccès de la ba-
taille , fi elle fe donnoit , fut guéri de fa blelTure , àc fè trouvât
en état de monter à cheval.
Le duc de Parme ayant fait pointer l'artillerie contre les
murs de Neuf-Châtcl , y fit une grande brèche. Le jour du
Mardi-gras la capitulation fut lignée , à des conditions
NNn ij
4^8 HISTOIRE
^ . honorables , que le duc de Parme accorda 5 fok en confît
Henri dération de Givry , à la gloire duquel il s'intéreiloic y foie à
I V. la recommandation de la Chaftre qui étoic Ton beau-pére.
I co 2, On difputa longtems fî Fabien de FÎebours , qui étoic avec
Givry dans la place , feroic compris dans la capitulation y
parce qu'étant Colonel , on n'y avoit pas fait une mention
particulière de lui. Le duc de Parme remit généreufemenc
la déciflon de cette affaire au jugement du Roi 3 le Confeil
s'étant enfuite aflembié , Rebours y expofa Ton affaire dans
les termes donc il étoic convenu avec l'ennemi , & fuc dé-
claré libre.
Cependanc le duc de Parme s'avançoic toujours "à petites
journées. Obligé de camper en rafe campagne , il avoit foin
de fc fortifier cous les jours , de peur d'êcre enveloppé par
le Roi , qui ne négligeoic jamais les occafions favorables
qui s'offroient. Malgré cette précaution , le Roi à la tête
d'un détachement de troupes d'élite , tomba fur \qs quar-
tiers des ducs de Mayenne & d'Aumale , & ne fe retira qu'a-
près avoir fort maltraité l'ennemi. Il marcha enfuite vers
le quartier du comte de Chaligny , où il tailla en pièces un
grand nombre de Ligueurs. Le comte de Chaligny lui-mê-
me fuc pris par Chicoc fameux bouffon de la Cour , & qui
aimoic beaucoup à fe baccre. Chicot , quoique blefîe dan-
-gereufement à la tête par le comte de Chaligny , en ufa en-
vers fon prifonnier avec beaucoup de modération êc de gé-
iiérofité j &il ne fe vengea de lui , qu'en l'accablant de bons
mots ôc de railleries. Du refte, il ne négligea rien pour con-
foler le Comte , qui étoic au défefpoir qu'on dîc qu'un Prin-
ce de la maifon de Lorraine étoit le prifonnier d'un fou. Le
Roi qui furvinc alors , confola le comte de Chaligny , que
Chicot lui donna libéralement. Ce bouffon mourut quel-
que tems après de fa bleffure au Pont-de-l'Arche. Le comte
de Chaligny fut rendu dans la fliite , &: fix. partie de la ran-
çon qu'on paya pour la ducheffe de Longueville & pour Çq$
filles , retenues prifonniéres à Amiens , contre toutes \qs loix
(de la guerre.
Rainuce fils du duc de Parme ne courue pas un moin-
dre danger. Les Royaliftes l'avoient accaqué à l'improvifte,
n'ayant que peu de monde avec lui. Son père eut longtems
DE J. A. DE THOU, Liv. Cil. 4^9
de l'inquiétude à fon fujet , jufqu'à ce que l'approche de ■_ ' ^1 '
la nuic eût terminé le .combat. Le trouble étoit gêné- Henri
rai dans le camp des ennemis. Le quartier du duc de I V.
Guife ayant été attaqué en fon abfence , l'étendart, qui 1592^
étoit au chevet de fon lit , en fut arraché &c apporté au
Roi. Blanchard du Clufeau fut pris dans cette même adion,
& conduit fous bonne garde au Pont-de-l'Arche.
Comme ces deux camps étoient fort voifins l'un de l'au-
tre , les ennemis aflembîérent le Confeil de guerre pour
délibérer fur le parti qu'on avoit à prendre. Il y avoit long-
tems que George Baffca ^capitaine de cavalerie très-dillin- *
gué , étoit d'avis d'envoyer un détachement de cuiraffiers ,
& d'arquebufiers , pour fe giiiîér à la faveur de la nuit ,
fous la conduite de quelques guides, dans les retranche-
mens àQs Royaliftes, afin de les furprendre, de tailler en
pièces les fentinelies, de combler la tranchée, & de dé-
truire tous \qs ouvrages des affiégeans. On parla de nou^
veau dans le Confeil de guerre de ce projet , qui parut té^
méraire 6c dangereux au duc de Parme. Les François fu-
rent d'avis de donner une partie de l'armée au duc de
Mayenne pour exécuter le deffein de Bafba. Mais le duc
de Parme s'oppofa fortement à cet avis. Il foûtint qu'il
y auroit non feulement de la témérité , mais encore de l'im-
prudence à partager fes ti~oupes dans le voifinage d'une
puiilànte armée , commandée par un Prince infatigable ,-
qui fçavoit profiter de tous fes avantages, jj Qu'arriveroit-il
>î en effet , ajoûta-t'il , fi le duc de Mayenne étoit défait en
«chemin, & fi les vainqueurs, dans l'ardeur que leur inf-
>î pireroit ce premier fuccès , venoient fondre au/Titôt fur
» le refle de l'armée , dans la confi:ernation où l'auroic
» jettée la défaite d'une partie de nos troupes ? Le maL
» heur des François à la bataille de Pavie , continua le
» duc de Parme , efb une leçon pour les Généraux dans
« tous les fiécles a venir y cet exemple leur apprendra qu'il
»3 ne faut jamais divifer fes troupes en préfence de l'ennemi,
» Ainfi j^ crois qu'il eft plus à propos de s'avancer en bon
«ordre avec l'armée entière pour donner du fecours aux;
» afCégés. a
Les ducs de Parme ^ de Mayenne di/fimuloient peu U
N N n iii
470 HISTOIRE
«' "' ' jaloiille qu'ils avoiencTun de l'aurre. Les Efpagnols ëtolent
Henri lufpeds aux François , de les François aux Elpagnols. L'une
I V. ôc l'autre nation vouloit attirer à elle toute la gloire des
jcoi. /uccès. Le duc de Mayenne, & les François qu'il avoic
avec lui , craignoient que i'Eipagnol ne s'emparât de Rouen,
l'une des premières villes du Royaume , & d'un grand abord
pour les vaiHèaux , Ibus prétexte de la lecourir , comme ils
s'étoienr rendus maîtres delà Fere, ious prétexte d'y met-
tre leur artillerie. Viilars, homme extrêmement ambitieux^
craignoit plus que perfonne que cela n'arrivât. Il dépêchoic
* couriers fur couriers au duc de Mayenne , pour l'avertir de
prendre Cqs mefures. Voulant le délivrer de ces craintes , il
faifoit lui-même tous fes efforts pour le mettre en état de
ne point demander aux Efpagnols les fecours qu'il pour-
roit trouver dans fon courage, èc dans celui des François.
C'efl pourquoi ayant fait connoifTance avec la plupart de
ceux qui fortoient fouvent de la ville, pour aller porter
des nouvelles au camp du Roi, pendant les fufpenfions
d'armes de ce fiége, qui traînoic fi fort en longueur, il
apprenoit de momens à autres par {qs efpions , tout ce que
failoient les Royalifles.
Outre ces avis, ayant été informé par un déferteur Ir^
îandoîs qu'on faifoît rarement la garde au Fort Sainte Ca-
therine en l'abfence du Roi- 3c ce miférable lui ayant die
en quel endroit, dans quel tems, & de quelle manière les
aOiégeans faifoient travailler aux mines, il forma la réfolu-
çion de faire une fortie vigoureufe à la tête de toute fa
garnifon. Pendant ce tems-ià, iesaiîiégeans fe hâtoient d'a-
vancer les travaux j & le mur ayant déjà été entamé, on
attacha le Mineur au corps de la place j mais (oit par la.
lâcheté des foldats , fbit par l'ignorance des Mineurs, foie
à caufe des contremines des affiégés , on ne fit pas grand
ufage de ces travaux. Le fécret n'étoit point gardé parmi
les Royaliftes ^ defleins , entreprifes, préparatifs , tout tranf-
piroit au-dehors par le moyen des efpions. Il y avoir fîpeu
de régie & de difcipline parmi les troupes , qu'on pafToic
fans celle de la ville au camp , pour l'examiner de près ,
Ôc du camp à la ville, où l'on rapportoit à Viilars tout ce
qui fe paiïbit dans l'araiée des ennemis. Ainfî le feu ayanc
DE J. A. DE THOU, Liv. CIL 471
été mis à la mine le 17. de Février , on n'en retira pas l'a- —
vantage qu'on s'en écoic promis 3 car l'ennemi parut fur le Henri
rempart en état de le défendre , avant que les affiégeans I V.
fuflènt prêts à l'attaquer. On voulut le lendemain furpren- 1591,
dre les aiïîégés j mais ils fe trouvèrent furies murs, &re.
pouffèrent vivement les ennemis, qui étoient déjà montés
îlir la brèche. Deux jours après , le feu ayant été mis , ( par
accident à ce qu'on croit, ) à l'autre mine, elle ouvrit une
large brèche , fans caufer néanmoins beaucoup de perte à
Tennemi • car elle ne fit fauter que Courcy le père , qui
avoit rendu Caudebec , Nourry habile Ingénieur , du
Moulineau , la Chevalerie , de de Marquette. Us furent en-
fcvclis dans la terre , d'où on les retira promptement en-
core vivants.
Pendant ce tems-là, Villars réfolu de faire les derniers
efforts , faifit l'occaiïon de l'abfence du Roi , qui école allé
du côté de Dieppe avec le baron Charle de Biron , &: la
fleur de la Noblelïè, après avoir laifle à Darnetal , où il
avoit fon quartier, Biron le père, le cardinal de Bourbon ,
le chevalier de Cheverni , éc les autres Confeillers d'Etat ,
pour gouverner les affaires. Villars conduifit ainfi fon en-
treprife. Ayant tiré 25. hommes de chacune des douze
compagnies de bourgeois , il leur donna ordre de fe trou-
ver à cinq heures du matin le 2 5. Février à la porte Saine
Hilaire , fous les ordres de la Londe , &C fit tenir le refle de
ces compagnies en armes far le rempart. Enfuite il fortic
lui-même par le Fort dans cet ordre. Le capitaine Boniface
eut ordre de prendre les devants avec fon régiment , fuivi
de Gorge de Brancas chevalier d'Oyfe , frère de Villars ,
de la Braquetière , oc de la Rivière, avec leurs compagnies
de cuirafîiers • & de s'avancer vers le bois de Turinge. Le
capitaine Jacomo avec fon régiment , foûtenu d'un efca-
dron de cavalerie, qui avoit mis pied à terre, tourna du
côté des Chartreux vers Darnetal. Charle Gouftiminil de
Boîfrozé , à la tête de fa compagnie d'infanterie , de le ca-
pitaine Pericard de la Lande, lortircnt de la ville par un
des côtés du vieux Palais. Ce dernier avoit avec Uii fon
régiment. Canonville &c Qiiitry couvroient ces- -troupes
avec leurs compagnies de cuirafliers. Perdrier s'avança plus
47i HISTOIRE
loin aveefbn efcadron de cavalerie, &: fe mit entre les /îeni
Henri Sc ceux qui les foûcenoient, afin d'être à portée de fecou-^
I V. rir ceux qui fe recireroient.
l^^i„ Le fîgnal ayant été donné par un coup de canon , Boîs^
rozé fe jetta iiir les batteries des afîîégeansj il le faiiît d'a-
bord de trois canons , qu'il fit précipiter dans le fofle , ôC
en encloiia deux autres. Les capitaines Jacomo , Boniface
& Pericard ne trouvèrent prefque point de réfiftance dans
la tranchée, où ils firent un grand carnage. Enfin on cria
aux armes de toutes parts. Le maréchal de Biron étant ac-
couru avec l'élite delà Noblellê, fé mit à la tête des Sui£
fes , & poufîà jufqu'au boulevard , les ennemis qui s'étoienc
trop avancés. Le maréchal fut blefTé à la cuiflé d'un coup
d'arquebufe dans l'action. Nicolas de Grimoville de TAr*
chant capitaine des gardes, connu par fa bravoure , & par
fon attachement au Koi , étant monté à cheval fans bottes
au premier bruit pour fuivre le maréchal de Biron, reçut
au pied une blefiure dont il mourut peu de jours après a
Darnetal.
Avant que le Maréchal fût arrivé , l'ennemi avoît déjà
tué quatre cens hommes , du nombre defquels fe trouva
Clermont de Piles le cadet. Les afîiégés publièrent qu'il
avoit été tué par le Curé de la paroiiEe de Saint Patrice ( i ).
Son frère aîné colonel d'un régiment ayant été bleflé en
plufieurs endroits à la tête , fut pris & tranfporté enfuite
îur fa parole à Louviers, où il mourut. De Belfunce co.
ionel fut auffi du nombre des morts. Et Pierre Efcodeca
de Boece fut fait prifonnier. On combla la tranchée j on
éventa les mines j les mineurs furent ètoufFés , avec Iqs
Anglois qui les fecondoient dans ces travaux ^ &la poudre
fux gâtée. Les alTiégés ne perdirent qu'environ cinquante
hommes. C'ètoit unfpedacle affreux de voir de tous côtés
des membres épars, des armes brifées , la tranchée inon^-
dée de fang ^ enfin de toutes parts des cadavres dépouillés
& défigurés par des blefifures terribles. Les deux partis con-
fentirent à une trêve de deux heures pour enfevelir le$
morts.
Villars envoya un courier au duc de Mayenne , pour
.(i) ParoifTe de la ville,
l'informer
DE J. A. DE THOU, L i v. CIL 473
l'informer de l'avantage qu'il venoîc de remporter. Il ne .
lui demandoic plus de croupes, comme auparavant • mais feu- Henri
lemenc de l'argent pour payer fa garnilon. Son courierar- IV.
riva dans le tems qu'on tenoit leConfeilde guerre, où l'on 1592.
avoit arrête que l'armée entière dëcamperoit pendant la
nuit dans un profond filence, pour lurprendre le lendemain
les aifiégcans. Une partie devoit rompre le pont de bat-
teaux conftruit au-deifus de la ville , afin d'empêcher \qs
_ troupes qui étoient au-delà du fleuve de venir au fecours
de celles qu'on attaqueroit de l'autre côté. L'autre par-
tie devoit attaquer la tranchée , dc fe failir de Dar-
netal.
Le duc de Parme, fur la nouvelle de la victoire de Vil-
lars , repréiénta vivement aux Officiers généraux qu'il fal-
loir iuivre la fortune, qui fembloit les appeller à une vic-
toire aifée , & fondre fur l'ennemi avant de lui donner le
tems de fe ralTûrer, ôc au Roi celui de revenir avec toutes
{qs forces. » Les raifons, dit- il , qui m'ont tenu juiqu'à pré-
ï3 fent dans l'incertitude ne fubliftent plus ^ je crois qu'il
weft autant de la prudence d'un habile General de faifîr
>3 l'occafion que le Ciel lui préfente, que de ne rijn haiar-
>3 der témérairement, et Ce fut alors que la jaloufiedes Gé-
néraux parut avec plus d'éclat qu'auparavant. Le duc de
Mayenne s'oppofa opiniâtrement à la refolution du duc de
Parme , & il refufa de faire avancer les troupes, 's Jj ne fuis
M venu, dit-il, que pour fecourir les aiîiégés ^ & puilque la
w fortune l'a fait fans nous, il ne nous relie plus qu'à ra-
95 mener l'armée en lieu de fureté , fans avoir (buffjrt au-
55 cune perte. Si je n'étois que particulier , je fuiverois par-
55 tout le duc de Parme 3 mais en qualité de Lieutenant
55 général de la Couronne , je ne puis confentir à rien rif.
55 quer avec témérité , quand la nécelîîté ne m'y oblige
93 point. «
Cette mefintelligence fut le falut de l'armée Royale:
car il eft certain que (î l'avis du duc de Parme eût été
fuivi, elle fe fût trouvée dans un grand danger, n'é"anc
foûtenuc , ni par la préfence du Roi qui etoit abfent, ni
par celle du maréchal de Biron , que fa bleiîûre obligeait
de garder le lit , fur-tout dans la conflernation que la perte
Tumc XI, O O o
474 H I S T O I R E , &c.
qu'on venoic de faire, avoir répandue dans lesefprits. Ainfî
Henri la jaloufie des Généraux obligea l'armée àrepaiîér la Som-
I V. me 3 elle prit ion chemin par le comté d'Eu , àc par Pont-
i^^i, Dormy. Pour ne la pas lailTer dans l'inadion , on inveftic
Saint-Efprit de Rue, à l'inftigation du duc d'Aumale, qui
avoit fait efpérer que l'on pourroit delTecher le foflé , èc
prendre le Baftion , capable d'incommoder extrêmement les
ibldats dans la tranchée. Cette place, munie d'une Ci-
tadelle , &. forte par Ton aflîéte dans un lieu marécageux
§c peu éloigné de la mer , eft fituée dans le comté de Pon-
thieu 3 5c André de Bourbon de Rubembré la défendoic
avec unegarnifon.
Le duc de Parme étoit encore fur ce fiége d'un avis
différent de celui des François j il ne croyoit pas qu'il fût
de la prudence d'un Général de fatiguer Tes troupes à l'at-
taque d'une place dont la prife étoit peu importante. On
tenta néanmoins l'attaque , mais fans fuccès. Les troupes
du Pape étoient déjà beaucoup diminuées. Le Commiilàire
qu'on avoit envoyé de Rome en ayant fait la revue, il ne
fe trouva de toute la cavalerie que la Cornette de Louis
Melzi qui fût demeurée avec Hercule Sfondrate. Les deux
mille Suilles qui relloienc paroiflbient • fort mal inten-
tionnés.
Fi» du ccfit' deuxième Livre,
^^ «oes®^ <OS?-«' -^KS*» «^fS*»
HISTOIRE
D E
JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE CENT-TROISIEME.
P
Endanc que les habicans de Rouen , qui venoienc de
faire des Procellions , & même un Vœu à Notre-Dame Henri
de Lorette , pour remercier le Ciel de les avoir délivrés du I y.
péril , fe flaccoienc de n'avoir plus rien à craindre , le Roi j
de recour devant Tes murs faifoic avancer infenflblement la
tranchée, & ferroit la place de plus près. Michel Huraulc ^"'^^ ^".?^-
de rHofpical chancelier de Navarre , monta par Tes ordres ^^
un vaiiTeau de guerre , fuivi de quelques chaloupes armées ,
pour tenir la rivière au-delTus de la ville , tandis que les qua-
tre vaifTeaux Holandois , qui avoient apporté trois mille
hommes de troupes en boa état , commandés par Philippe
de NalTau , fermoient \q.s paiïages de cette même rivière au-
delTous de la place, avec huit canons & quatre coulevrines ,
dont le teu écartoit les vailTeaux , qui venoient de Honfleur
& du Havre-de-Grace.
Après la ruine des travaux , qui avoient coûté tant de
peines, le Roi fît drelTer dans le bois de Turinge des bat-
teries, qui donnoient fur le foflé , pour empêcher \cs afliégés
OOo ij
47'^ HISTOIRE
d'en retirer Ton canon qu'ils y avoient jette. Il mettpic en-
Henri core par ce moyen la nouvelle tranchée qu'il avoit fait ou-
I V. vrir , à couvert des iniultes de l'ennemi j mais les affiégés
I 592. vinrent à bout, malgré le feu de l'artillerie , d'enlever ces
canons , que la populace infolente conduifit , comme en.
triomphe , devant le Palais de l'Archevêque , où Villars
avoit pris ion logement. Il entra même le 8. de Mars dans
la place par la porte Beauvoifine , fans aucune réfiftance de
la part des affiégeans , huit cens hommes de troupes auxi-
liaires, tirées du régiment de Bourg , commandé par Joa-
chim de Perrière de la Patriere , & des régimens du capi-
taine Lure Bafque, du comte de BolTut, de Robert de Bar-
banfon frère d'Aremberg , & de Claude la Bourlotte. De
Haultcmer de Fervaques , qui avoit laiiTé palier ces troupes,
en rejettoit la faute iur les ientinelles , qui étoient de garde
la nuit que ce fecours entra dans la ville. Les alliégés ayant
enfuice fait une forcie fur le bois de Turingc , y renverférenc
les gabions &: les batteries. Enfin Villars , après deux forties
qu'il fit fur les travailleurs , voulant montrer aux Royalifles
le mépris qu'il avoit pour eux , propofa des prix , & donna
un tournois devant la porte S. Hilaire hors de la ville, com-
me s'il eût été dans une profonde paix.
Le Roi fe rendit le i 9. Mars a CroifTet j &c ayant armé
quelques barques , il conflruifit un nouveau Fort près de
l'églife de S. Gervais. Peu de tems auparavant , le mur qui
eft entre le baftion de la porte Cauchoiîè 6c la tour S. Domi-
nique , étant tombé de lui-même à la longueur de plus de
Soixante pas , le feu continuel de l'artillerie des afliégeans in-
commoda fort les travailleurs , qui réparoient ces ruines ,
auffi-bien que ceux qui relevoient le mur contigu à la porte
S. Hilaire , qui s'étoit écroulé de la longueur de vingt-fepc
pas. Peu de tems après , le capitaine la Vigne , qui étoit fortî
de la ville pour faire des courfes , traita avec l'Hofpital du
Fay , 6c convint de livrer au Roi la porte Cauchoife , à con-
dition qu'on lui donneroit dix mille ecus d'or pour lui , &c
cinq cens pour fes foldats. Mais ce Capitaine ayant décou-
vert toute l'intrigue à Villars , celui-ci lui confeilla d'attirer
Iqs afliégeans dans le piège. Du Fay , après avoir pris Ces
mefures avec la Vigne , dont il avoit néanmoins q^uelque
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIÎ. 477
défiance , lui écrivit qu'il lui envoyoic deux foldats , pour l . .
reconnoîcre l'endroit , par où il devoit l'incraduire dans la H e n k 1
ville. De Valiegrand confeiller au Parlement , & de Go- I V.
merville frères de du Fay fe déguiférent en ibldats , ôc s'écanc i 5 5^ 2,
rendus au lieu marqué , la Vigne iortit de la ville pour con-
férer avec eux. Défelpérant d'attirer du Fay lui-mcme , il
fe faifit de fes deux frères , & les conduiiit au Gouverneur.
Le 30. Mars, il y eut dans le fauxbourg S. Sever au-delà
du fleuve , dans la prairie au-deflbus du Prieuré de Gram-
mont, un combat où Givry , qui commandoit la cavalerie
légère , fut bleifé mortellement à l'épaule. Le Roi en eue
un grand chagrin , & défefpérant de la vie de cet OfEcier ,
il dit publiquement qu'il ne voyoit perfonne , qui fut capable
de remplir la place qu'il occupoit. Ces paroles piquèrent au
vif plufieurs Officiers. On croit môme que ce fut le feui mo-
tif qui détacha François Juvenal de la Chapelle-aux-Urfins
du parti du Roi. 11 crut que le Roi l'avoir déclaré incapable
de pofTéder un emploi , auquel il afpiroit depuis longtems.
Le 5. Avril , les ailiégés furent battus dans une fanglante
ibrtie près de la porte Cauchoife. La Londe , Saint-Amand ,
Saint-Oiien y furent blelfés , & Franqueville mourut avec
plufieurs autres , des bleilures qu'il y avoit re^^ûës. Il n'y eue
durant quarante jours que de légères efcarmouches , éc les
affiègeans eurent plus à foufFrir des maladies , qui règnoient
au camp , que de la part des affiégès.
Enfin la ville fe trouva réduite à de fi grandes extrémités , ^e duc de
que Villars, qui peu de tems auparavant enflé de fes fuccès , Parme vient
s'étoit flatté de n'avoir rien à craindre , fut forcé d'avoir re- ^0^5*;°'^"'^^
cours au duc de Parme. Il fit dire à ce Général qu'il rendroit
la place au Roi , s'il n'étoit fecouru avant le 20. du mois
d'Avril. Le duc de Parme nepenfa plus alors qu'à marcher
à fon fecours ^ èc ayant laifl^è à FIcdin la plus grande partie
de fon bagage , dont il pouvoit fe palier , il fe prépara à fe
mettre en chemin , après avoir eu beaucoup de peine à enga-
ger les Suiflies à le fuivre. Dès que la marée le fut retirée ,
il paflà la Somme entre Crotoy èc S. Valéry , près du lieu
appelle Blanchetache , parce que les bords du fleuve , dont
le lit efl: fort large en cet endroit , étant très- bas , tout pa-
roîc blanc de loin aux environs. On fit enfuite la revue de
O O o iij
47 s HISTOIRE
l'armée , qui fe trouva compofée de cinq mille chevaux Se
H E N i^ I tic douze mille hommes d'infanterie. Le duc de Parme ren-
I V. contra le quatrième jour le cardinal Sega Légat , qui venoic
, ^ ^ , de Rheims au-devant de lui. Ce Prélat ayant auflî voulu
faire le lendemain la revue de l'armée, donna fa bénédic-
tion aux foldats enpailant dans les rangs, ôc reiolut d'ac-
compagner le General Efpagnol dans fon expédition.
Le Roi lève Le Roi apprit l'arrivée des ennemis avec quelque éton-
le(icge. nementj il fut furpris qu'ils eufTent pu faire en fix jours une
marche qui lui en avoit coûté vingt depuis peu ^ néan-
moins il n'en fut pas déconcerté. Il avoit pris de fî juftes
meiures , que la NobleiPe, qui s'étoit retirée dans Ces terres
pour fe repofer pendant l'hiver , devoit fe raflèmbler au
premier ordre qu'elle en auroit. Charle d'Humiéres revint
en diligence au camp avec deux cens chevaux • le duc de
Monpenfier en amena avec lui quatre cens -, Saint-Denis
Maillot , Sourdis&Souvré accoururent aulfi chacun de leur
province avec de bonnes troupes. Le Roi , qui étoitalléà
Dieppe pour voir le Gouverneur qui étoit dangereufemenc
malade, àc dans la vue de raffurer cette ville par fa pré-
îence contre les defleins des ennemis, étant revenu devant
les murs de Rouen, réunît le lo. d'Avril toutes fes troupes,
qu'il avoit été obligé de partager en quatre corps pour
afliéger la place en autant d'endroits. Il retira enfuite fon
artillerie du Fort Saint Gervais , ôc fes troupes du faux-
bourg Saint Sever. Ayant diipofé fon armée devant le
Fort Sainte Catherine, le feu devint plus violent des deux
" côtés, qu'il nel'avoit été durant toutlefiége. Henri donna
ordre à ics foldats de fe rendre à Bans j & ayant renvoyé
fon bagage au Pont-de-l'Arche , il chargea Henri de la Tour
duc de Bouillon , à qui il venoit de donner le bâton de
Maréchal , de fermer la marche de l'armée avec huit cens
chevaux pour foûtenir l'efFort de l'ennemi , s'il venoit à faire
une fortie dans le tems qu'on décamperoit deDarnetal. Le
Maréchal s'aquitta de fa commiffion avec beaucoup de foin
& de bonheur.
Le duc de Parme étoit d'avis de tomber avec l'élite de
l'armée fur celle du Roi dans fa retraite j mais le duc de
Mayenne s'oppofa à cette réfolution , fous prétexte que ce
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 4S9
ieroîc inutiiemenc , parce que le Roi pouvoit fe retirer par
le P on t:« de- l'Arche , ou faire palier la Seine à Tes troupes par j,
le moyen des batteaux qu'il avoic au-deilus &; au-dellôus ,^^ ^ ^
de Rouen j il rep ré Tenta que la campagne étant entière-
ment ruinée aux environs, il falloic tirer des vivres de ^59^-
quelqu'autre endroit pour en fournir la ville : Qu'on n'en
auroit pas même allez pour la ibbliftance de l'armée,
il l'on s'arrctoit inutilement à les confommer en préfence
de l'ennemi , pour le torcer d'en venir aux mains : Qu'il
étoic plus à propos d'aller affiéger Caudebec au-deilbus
de Rouen : Qu'on s'empareroit facilement de cette place ,
où l'on trouveroit une grande abondance de munirions de
bouche ôc de guerre , qu'il feroît aifé de tranfporter à Rouen j
y ayant toute apparence que la flore Holandoife , qui blo-
qudit cette place du côté de la rivière , fe retireroic pen-
dant qu'on feroic le fiége de Caudebec. On fuivit l'avis
du duc de Mayenne, malgré le Général Efpagnol , qui fut
enfin obligé de s'y rendre. Les Généraux étant allés eux-
mêmes à Rouen firent abattre les Forts que les Royaliftes
avoient élevés au Prieuré de Sainte Catherine , êcàla Char-
treufe. Trois jours après, l'armée alla inveftir Caudebec,
où la flote Holandoife , que les ennemis attaquèrent d'a-
bord , avoit été mouiller. On envoya un détachement de
Wallons, qui repoufTèrent ceux des affiégés qui étoienc
iortis de la ville pour fe faifir des défilés.
Le lendemain, le duc de Parme s'étant avancé trop près ^e ducde
des murs avec Rainuce fon fils , 6c de la Mothe, afin de l'arme eft
choifir un endroit pour établir fes batteries , fut blefîé d'un caudebec! '^^
coup de moufquet au-delTous du coude. La baie, dont l'ef-
fort étoit déjà amorti , effleura les deux os de cet endroit
du bras , & demeura dans la chair , n'ayant pas afîèz de
force pour pénétrer davantage. Ce grand homme continua
à parler fans changer de couleur : mais ceux qui l'environ-
noient s étant apperçus de cet accident par le fang qui
ruilTeloit de fon bras , le prièrent de fe retirer. La flote
Holandoife , dont l'Amiral avoit été fort maltraité , fe re-
tira à Qiiillebœuf , place au deflbus de Rouen à l'embou-
chure de la Seine. Les habitans de QLiillebœuf font pref-
que tous bons marins j ^ leur commerce continuel avec
48o HISTOIRE
les Anglois les a rendus Proteftans pour la plupart. Quoî-
H EN RI que les eaux femblenc devoir être balFes en cet endroit,
IV. à caufe de l'extrême largeur du fleuve, cependant les vaif-
j cg j, leaux font portes par la marée dans le port , qui efl très-
liir. C'cft pourquoi on commença à fortifier cette ville, à
laquelle on donna alors le nom de Henriville, à l'honneur
du Roi, qui en donna le gouvernement à Roger de Belle-
garde grand Ecuyer de France , ôc Premier Gentilhomme
de la Chambre.
prifcdcCau- La flote Hollandoifc s'étant retirée de devant Caude-
du^" p^^r-*^ ^^^1 ^ l'ennemi ayant fait brèche avec quelques coups de
me. canon, la Garde Meftre de Camp d'un régiment que le
Roi n'avoit mis dans cette ville de peu de défenfe , ôc com-
mandée preique de tous côtés par des hauteurs , que pour
arrêter l'ennemi pendant quelques jours avec une garnifon
de trois cens hommes d'intanterie , àc de cinquante che-
vaux, voyant Cqs foldats découragés commença à parler
de fe rendre, malgré PaufaniasBraccioduro, qui étoit venu
s'enfermer dans la place après la mort de Nafî , que la ma-
ladie avoit emporté au quartier de Darnetal. Quelque ré-
iîftance que pût faire ce brave Italien pour ne point fouf-
crire au traite, où il ne voulut jamais être compris ^ la
Garde le conclut, &c l'ennemi s'engagea à conduire en lieu
de fureté les Officiers &: toute la garnifon avec les armes,
les chevaux & le bagage. On accorda aux bleflés la per-
miiTion de relier dans la ville jufqu'àleur entière guérifon.
Braccioduro, qui etoit obligé de garder le lit fut d'abord
retenu prilonnier de guerre, pour s'être hautement défen-
du d'être compris dans le traité 3 mais il fut mis en liberté
peu de tems après par le duc de Mayenne. Tout fut mis
au pillage dans Caudebec , à la relerve des vivres, qu'on
fit pafler à Rouen en diligence. Le foldat briiloit de venger
fur les Royaliftes la blelTure de fon Général , qui fit nean-
* moins défenfe à fes troupes de paUèr outre.
La NobleflTe effrayée du péril où le Roi étoit expofe
accourut promptement auprès de fa perionne. Il vint au
camp quatre mille hommes de pied j enforte que fans
compter trois mille chevaux Allemans , èc un pareil nom-
bre de cavalerie Françoife5 l'infanterie ie montoit à douze
mille
DE J. A. DE THOU, Liv. GIIL 4S1
jmîlle hommes. Après la prife de Caudebec le duc de Parme, -
inftrulc du nombre des troupes Royaliftes , afTembla le Henri
Confeil de guerre j il y propofa de fe retirer à Lillebonne , I V.
place avantageufement fituée , appartenante au duc d'El- 1592.
bœuf, fous prétexte qu'on y leroit à portée de tirer faci-
lement par derrière des vivres du Havre-de-Grace. Le duc
de Mayenne , toujours oppofé au Général Efpagnol , fut
encore d'un avis contraire j il foûtint que fi on abandonnoit
Caudebec, la ville de Rouen retomberoitdans le péril donc
on venoit de la délivrer , à caufe de la défolation de la
campagne , fur-tout depuis que le Roi avoit mis garnifon
à Quillebeuf, où il avoit encore une flote j ajoutant que ce
Prince ne manqueroit, pas de fe porter entre la ville & l'ar-
mée , èc reprendroit Caudebec avec autant de facilité qu'il
l'avoit perdue j qu'ainfi il falloit demeurer dans cette ville,
&; la défendre par la force des armes. Cependant le duc de
Parme gardoit le lit à caufe de fa bleifure. On avoit été
obligé de lui faire deux incifions pour retirer la baie des
chairs otielle étoit entrée j on appréhendoit même que la
gangrène ne fe mît au bras de ce Prince, qui étoit d'ail-
leurs d'une mauvaife confticution. Le duc de Mayenne prie
donc le commandement de l'armée, à la referve des trou,
pes de Parme, que Rainuce fon fils commandoit en qualité
de Lieutenant général.
Le Roi s'étant avancé le dernier Avril avec fon armée à
la vue de l'ennemi, qui étoit à Ivetot, campa vis-à-vis en-
viron à une demi lieuë. Le bourg d'Ivetot appartient aujour-
d'hui, avec titre de Royaume, à la Maiibn du Bellay,
recommandable par fon ancienneté , & par les grands fer-
vices qu'elle a rendus à la France. L'origine de cette Sou-
veraineté eft fondée fur une conceffion du Roi Clothaire,
qui s'étant trouvé à Soilîons vers l'an de grâce 534. y
rencontra Gaultier feigneur d'Ivetot, ^ui revenoit de la Origine du
guerre contre les Sarrafins. Ce Prince ayant reconnu ce d-ivetoT
Seigneur , qu'il haïflbit depuis longtems , le perça d'une
épee qu'il arracha à l'un de fes gardes. Ce fut dans une
Chapelle le jour du Vendredi-Saint que le Roi commit ce
crime énorme. Le Pape Agapet le menaça de l'excommu-
nier, s'il ne faifoit fatisfaclion à la veuve 2c aux enfms de
Tome XI, P P p
48i HISTOIRE
I Gaultier , dont le meurtre ëtoic accompagné d'un facrî-
Henri lége. On rapporte que ce Prince , pour expier fon crime ,
IV. l^Lir donna en fouveraineté le Fief qu'ils cenoient à foi èc
j hommage de lui.De-là vint que la Seigneurie d'I vetot ne rele-
vant d'aucun autre Fief prit le titre de Royaume. C'eft ainli
que ce fait eft rapporté dans nos Annales écrites ou com-
pilées par Nicole Gilles. Cependant Grégoire de Tours
qui a écrit avec beaucoup d'éxaclitude l'hiftoire de la pre-
mière race de nos Rois , n'en fait aucune mention , auiîî-
bien que l'hiftorien Aimoin. Ainfî Nicolas Vigner a pu
révoquer le fait en doute , quelques raifons qu'on puifîe ap-
porter pour le foûtenir. Quoique l'eflentiel de cette hiftoire
loit vrai , perfonne ne peut nier qu'i\ n'y ait beaucoup de
chofes fufpedes dans le fait. Pourroit-on nous dire en efFec
quel eft ce Gaultier qui revenoit de la guerre contre les
Sarrazins , dont il eft certain que le nom n'étoit pas en-
core connu dans la Chrétienté ? D'ailleurs croira-t'on faci-
lement que le pape Agapet aie excommunié Clothaire à
caufe du meurtre de Gaultier, ne l'ayant point fait à l'oc-
cafîon de la mort des neveux de ce Roi , que ce Prince
cruel avoir impitoyablement mallacrés ? Il ne fera pas aifé
de fe le perfuader , fur- tout fi l'on confîdére que ce Pontife^
dont le régne ne fut pas de longue durée, alla vers ce tems-
là à Conftantinople, où il mourut bientôt après fon ar-
rivée. Quoi qu'il en ibit , Ivetot porte de nos jours le titre
de Royaume , & ne doit point la foi àc hommage au Roi.
On peut dire pour concilier ce fait avec la vérité , que
Clothaire remit lès droits à la veuve & aux enfans de Gaul-
tier de fon propre mouvement pour réparer fà faute , fans y
avoir été obligé par aucunes Cenfures Eccléliaftiques.
L'armée Royale étant campée en préfence de l'ennemi ,
dont elle n'étoit fëparée que par un bois , il y eut de légè-
res efcarmouches pendant trois jours. Enfin le Roi voulant
le 3. de Mai en venir à une action décilîve, rangea fon ar-
mée en bataille, & détacha un corps d'infanterie pour fe
faifir d'un pofte qui luifacilitoit un chemin vers le camp des
ennemis. Les Royaliftes fè fortifîoient déjà en cet endroit,
lorfque Camille Capizucci vint fondre fur eux à la tète de
£es Itahens , & d'une troupe d'Efpagnols, ôc les for^a i
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 485
abandonner les travaux déjà commencés. 11 fît en même- ' '^ ■■■
tems élever à la hâte un Cavalier environné de fofles, fur He n ri
lequel on mit de l'artillerie. Le Roi n'ayant pu réuflir de I V.
ce côté-là ,rérolut d'attaquer l'ennemi par un autre endroit, içoz^
C'cll pourquoi il alla camper à Ivetot , ayant derrière lui
Dieppe & Saint Valeri,d'où il pouvoit tirer des vivres en
abondance, pendant qu'il les coupoit à l'ennemi par l'adîéte
de fon camp.
S'étant ainfî fortifié , il harceloit fans cefle l'ennemi , Avantage
r /\ • 1, 1 remporte par
quineanmoms remportoit prelque toujours 1 avantage de par le Roi.
ces petits combats , jufqu'à ce qu'enfin le jour étant déjà
bien avancé , l'efcarmouche fut fur le point de devenir
une affaire générale , par la chaleur des troupes des ducs
de Guife 6c de Mayenne , qui fe laiflerent emporter trop
loin. Rainuce ayant eu fon cheval tué fous lui , courut grand
rifque d'être pris par les Anglois qui l'entourèrent. La nuit
finit le combat, où l'ennemi perdit un grand nombre de
foldats. On fit prifonnicr Louis de la Chaftre fils du Ma-
réchal de camp de ce nom.
Lqs vivres devinrent fi rares au camp des Efpagnols ,
que les douze onces de pain s'y vendirent d'abord dix , bc
enfin vingt fols , & le demi feptier de vin trente fols. L'eau
même fut taxée, parce qu'on s'apper<^ut que l'eau de la
Seine qui couloit dans le voifinage, étant troublée par la
marée n'étoit pas bonne à boire, & caufoit desincommo.
dites. Outre ces inconvéniens ,les foldats eurent encore à
efi^Liyer des pluies continuelles pendant plufieurs jours j ils
n'avoient pas même de paille pour fe repofer defifus. La di-
fette des fourages fit périr un nombre confidérable deche-
vaux de grand prix ^ & le Général pour comble de mal-
heurs manquoit abfolument d'argent , qui eft néanmoins ,
fur-tout à la guerre , le feul. remède à tous les maux , foie
pour confoler les foldats , foit pour les encourager à la pa-
tience. Le Roi n'en avoit pas davantage de fon côté 5 mais
l'abondance régnoit parmi fes troupes.
La NoblefiTe, qui étoit accourue dans l'efpérance de don-
ner bataille , fe voyant trompée dans fon attente, fongeoic
à fe retirer. Ce contretems caufoit beaucoup d'inquiétude
au Roi , qui réfoluc d'attaquer \qs ennemis pour la retenir
PPpij
'4^4 HISTOIRE
!?!!? auprès de fa perfonne. Etant donc forti de Tes retranche-
Henri mens la nuit du 13. au 14. du mois de Mai , il marcha
IV. avec toute Ton armée vers un bois allez près de la plaine,
1102 oùTes deux armées étoient campées. Ayant furpris les fix
cens hommes de troupes Fran(^oifes , Flamandes àc Efpa-
gnoles que le duc de Mayenne y avoit poftés, il s'empara
du bois après un combat fanglanr. Le comte de Nailau
fut chargé en même-tems de défendre ce pofte avec deux
mille hommes de troupes Angloifes, EcolToifes 6c Hollan-
doifes qui s'y retranchèrent à la hâte. L'ennemi fe trou-
vant très-incommodé par cet avantage du Roi , qui avoic
rangé fon armée en bataille dans la plaine , & jette l'épou-
vante àc la terreur dans le camp , le duc de Mayenne à la
tête de i'avant-garde , qui commençoit à reculer, la foûtinc
avec la cavalerie Espagnole que Rainuce fit avancer. Le duc
de Mayenne, tout malade qu'il -étoic, quitta le lit pour
monter à cheval , & alla reconnoître le poftc dont les Roya-
liftes s'étoient faifis. Voyant qu'ils pouvoient par-là péné-
trer jufqu'au milieu de fon camp, il réfolut de Iqs en dé-
loger , à quelque prix que ce fût. La préfence du péril réii-
rit les Généraux, qui avoient jufqu'alors toujours été
d'avis contraire. Le duc de Parme partagea fur le champ
fix mille hommes d'infanterie en deux bataillons précèdes
d'une troupe d'avantcoureurs. Il fit braquer du canon fur
une hauteur pour couvrir l'un des flancs de cette troupe 3
& donna ordre à un efcadron de cavalerie de s'avancer
afin de foûtenir l'impétuofité des François. Les Siiilîès
relièrent dans le camp pour former un corps de réferve.
Le Roi ayant marché au-devant des ennemis , il y eut de-
puis cinq heures du matin juiqu'à fix heures du loir de con-
tinuelles efcarmouches , où l'ennemi perdit beaucoup de
monde. Qiioique l'on fe fût canonné de part 6c d'autre , on
n'en vint pas néanmoins à une adion générale , parce que
le duc de Mayenne retint toujours fesfoldats. Car foir qu'il
ne fût pas ,en état de donner bataille , ou qu'il crût
qu'il y auroit de l'imprudence à le faire pendant que le
duc de Parme feroic obligé de garder le lit , il ne voulut
rien hafarder.
Les Ligueurs voy oient que les .vivres venoient à leux
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 485-
manquer abfolument j que les foldats tourmentés par la '■:
faim dëfertoient chaque jour , ou que les Royaliftes les tail- Henri
loient en pièces lorfqu'ils alloient chercher de quoi vivre j y,
dans la campagne , ce qui diminuoit l'armée de jour en 1591.
jour. D'ailleurs le duc d'Aumale alluroit les Généraux qu'il
lui feroit impoflible de retenir plus longtems la cavalerie
Fran^oife. On jugea donc à propos décéder au tems. Dans
cette réfolution l'armée décampa dans un grand filence ,
fans tambour, &: fans trompette j on alluma feulement des
feux pour donner le fîgnal aux troupes qui allèrent camper
â une demie heuë de Caudebec, dans un endroit fortifié
par la nature, & plus voifin de la Seine que le premier
camp. Le brouillard & la pluie empêchèrent les Royaliftes
de s'appercevoir fitôt de ce mouvement des ennemis. Ivai-
nuce qui étoit chargé de la conduite de l'arriére-garde
ayant fait prier le duc d'Aumale de faire alte pendant quel-
que tems , fauva quelques canons que la précipitation avoic
fait oublier dans le camp , où l'on n'a voit point laifFé de
chevaux pour les traîner.
Le duc de Parme toujours incommodé de fa bleiîure
étoit obligé de garder le lit à Caudebec- les foiblelîèsoii
il tomboit fans ceile, Se fon mal que l'inquiétude èc les
infomnies avoient augmenté, firent appréhender pour fa vie.
Le duc de Mayenne etoit lui-même abattu par une mala-
die invétérée qu'il négligeoit depuis longtems. Le fils dir
duc de Parme étoit trop jeune, pour commander l'armée
en chefj il étoit d'ailleurs rnéprilé des François^ ainfi la
confufion 6c la négligence régnoient parmi les ennemis. La:
Tuë du péril &c la néceffité étoient feules capables de les'
contenir dans le devoir.
Sur ces entrefaites , le Roi attaqua vivement le 8. de
Mai , fur les huit heures du marin, la cavalerie légère , dont L-ar^fe des^
le commandant George Bafta étoit malade au lit, & la Liç:i;ciirs re-
cavalerie Flamande commandée par Charle de Croy prince rail*; la Seme,-
de Chimay. Après un léger combat, il enleva le bagage &
ks quartiers de vingt cicadrons, qui s'étant lailîé pouffer
entre des chariots où ils ne pouvoient fé défendre, &; l'in-
fanterie n'arrivant pas aiTez-tôt pour lesfoûtetîir , ilscurenr
beaucoup de peine à fefauverpar la fuite. L'ennemi affoibli
p pp iij.
486 HISTOIRE
par tant de pertes , voyant que la difette de toutes chofes
Henri devenoit plus grande de jour en jour , les ducs de Parme
IV. 5c de Mayenne tinrent Confeii eniemblej 2c Ton réfolutde
j . faire repaiTer la Seine à l'armée. Il y eut auiTitôt des or-
dres envoyés à Rouen pour y conftruire des pontons fecré-
tement èc en diligence. Eniuite on lit élever fur les bords
xlu fleuve deux Forts à l'oppofite l'un de l'autre pour arrê-
ter l'efFort des Royaliftes , s'ils chargeoient l'armée en queue
dans fa retraite. Le comte de Bollu fut mis avec une forte
garnifon &. quelques pièces de canon dans le Fort qui étoic
du côté du camp j & le colonel Claude la Bourlotte dans le
fécond de l'autre côté de la Seine. Dhs que tout fut prêt
pour la retraite, on en fixa le jour au ii. de Mai. Les pon-
tons étant arrivés le même jour, unis enfemble & couverts
de poutres en travers , la cavalerie Francjoife pafla la pre-
mière avec une partie des bagages de la cavalerie Allemande,
& des autres troupes armées de toutes pièces.
Le Roi qui ne s'apperçut de la retraite de l'ennemi , que
lorfque fix mille hommes d'infanterie , les munitions de
guerre, ôc les canons étoient déjà de l'autre côté du fleuve , fie
marcher cinq censarquebufiers à cheval, &l mille hommes
d'infanterie , pour fe faifir d'une hauteur voifme du Fort où
commandoit le comte de Boffu, afin d'y braquer du canon
contre les pontons , pour empêcher l'ennemi d'achever fa
retraite. Le duc de Parme fit aulFitôt avertir Rainuce, qui
étoit à l'arricre-garde , de détacher mille hommes d'infan-
fanterie , qui combattirent avec tant de courage contre \e$
Royalifbes, que pendant que ceux-ci prenoient un long dé-
tour pour fe rendre fur le rivage, ils donnèrent le tems au
refte de la cavalerie de gagner Rouen avec les bagages , 6c
la cavalerie Allemande , & de pafTer la rivière en cet endroit.
L'infanterie qui étoit reftèe avec le comte de Boflh pafTa fur
les pontons fans danger avec l'artillerie. Il ne refîoit que
trois canons qu'on avoir mis fur un bateau j Rainuce voyant
que l'efïroi des pionniers les leur avoit fait abandonner,
iit tous fes efforts pour lesfauver. Le bateau étoit déjà au
milieu du fleuve, lorfqu'onapperçut une galère desRoya.
liftes qui venoit de Quillebeuf.
Les troupes du Roi s'étanc emparées de la hauteur donc
DE J. A. DE THOU, Li v. CIIÎ. 487
nous avons parlé, y pointèrent du canon qui commença à '■ '
tirer fur le bateau & contre le Fort du colonel la Bour- Henri
lotte 5 mais cette batterie tirant de haut en bas ne fît pas I V.
beaucoup d'effet 3 ceux qui ëtoient dans ^e bateau allèrent i ç g ^
aborder à la Meilleraye pour éviter les coups de canon. Cette
place qui appartient à la Maifon deMaiiy ,cflbien fituéeêc
bien conflruite. Le jeune Rainuce,qui étoit accouru dans
cet endroit , voyant que les galères du Roi venoient fondre
à force de rames fur le bateau , & croyant fa gloire inté-
relTée à ne pas laifler tomber ces canons au pouvoir de
l'ennemi , fît avancer un régiment Efpagnol • mais ces trou-
pes n'arrivants pas afïèz promptement , & les Royaliffces
étants fur le point de joindre le bateau , Rainuce fauta
dedans avec la Mothe Lieutenant d'artillerie , Saint-Paul ,ôc
trois Gentilshommes , afin de raflTûrer les matelots par fa
préfence. L'intrépidité de ce jeune Prince empêcha les
Royalifles d'avancer pkis loin. Enfuite ayant mis fes ca-
nons en fureté avec l'aide des Efpagnols qui arrivèrent
alors, il mit le feu aux pontons & aux bateaux, pour que
les Royalifles ne puiTent s'en fervir , 6c rejoignit prompte-
ment les ducs de Parme & de Mayenne.
Le Roi s'étant apperçu trop tard que fa proye lui écha-
poit , détacha Souvré pour aller par le Pont-de-l'Arche â '^
la pourfuite de l'ennemi, qui s'étoit avancé bien au-delà de
cette place. Souvré ne rencontra dans un bourg qu'un petit
nombre des ennemis que la laffitude avoit empêchés de fui»
vre le gros de l'armée 3 il les attaqua , & les ayant pouiTés
îufque dans une Eglife que les paylans avoient fortifiée, ils
îe retirèrent dans la tour. Mais il les contraignit à fe rendre,
en y mettant le feu.
Le duc de Parme hâta la marche de fon armée, dans la Marche de
crainte que le Roi pafTant par le Pont.de-l'Arche ne vînt [•'^y/urs'^^^
fondre avec des troupes fraîches fur fes foldats demi morts
de faim & de lafïïtude j il palla par le Neubourg qui fut brûlé
par accident , & peut-être à defTcin , & fé rendit en deu^r
jours au Pont de Saint Clou, que les bourgeois de Paris ^
qui n'en eft qu'à deux lieues , avoient rompu depuis quel-
ques jours, pour n'être pas expoiés aux courfes de lagar-
nifon de Saint Denis. Alexandre del- Monte,, dont le
488 HISTOIRE
■ régiment ëtoît en garniTon à Paris , fie conftruire à k hâte
Henri un pont de bateaux au-defTous de cette ville. Le duc de
IV. Parme fit palTer par ce moyen Ton armée dans la Brie,
ICO 2. afin de lui donner le tems de fe remettre des fatigues que
l'extrême dilecce lui avoit fait efiuyer depuis deux mois.
Les duchelTes Douayrieres de Nemours, de Monpenfier,
&c de Guilè fortirent de Paris pourfaluerle duc de Parme,
&: le complimentèrent fur les fuccès de cette campagne. Ce
Général fe rendit enfuite à Château-Thierry , où il s'arrêta
pendant quelque tems, jufqu'à ce qu'il eût reçu de l'argent
des Pays-bas, pour donner la- montre à fon armée ^ car
depuis fix mois entiers que {es folcjats étoient entrés en
France, ils n'avoient eu pour vivre que deux écus d'or par
tête. Cette confiance des foldats du duc de Parme fut une
preuve de fon autorité fur les troupes , ou plutôt une mar-
que de l'afFeclion qu'elles lui portoient à caufe de fa va-
leur.
Le duc de Mayenne fatisfait d'avoir fauve l'armée auxi-
liaire , & fait lever le fiége de Rouen , demeura dans cette
ville pour s'y faire traiter à fond de fa maladie , qui s'étoic
encore augmentée. Cette belle retraite mérita de grands
éloges au duc de Parme de la part du roi d'Efpagne , & de
tous les grands Généraux du tems. On ne peut s'empê-
cher de blâmer le trop de confiance, èc la négligence des
Royaliftes, qui laifTérent échapper une armée alFoibliepar
tant de défaites, àc prefque réduite aux abois par la fa-
mine i &: de lui avoir laifTe pafîèr la Seine vers fon embou-
chure, où elle efl d'une grande largeur (i) , lorfqu'il étoic
fi facile d'envoyer par le Pont-de-1'Arche une partie de leur
nombreufe cavalerie , pour empêcher l'ennemi de pafler
le fleuve , ou le t;iiller en pièces au pafTage.
Villars appréhendant que les Royaliftes , après avoir bâti
les fortifications de QLiillebeuf qu'on fe hâtoit d'achever,
n'empéchaflent la liberté de la navigation par le moyen
de cette place , & qu'infenfiblemcnt la ville de Rouen
ne fût réduite une féconde fois à l'extrémité, la campagne
étant fur-tout défolée aux environs , mena des troupes â
(i) Nous avons un peu réformé
cet endroit ; car il s'en faut bien que
l'embouchure de la Seine ne foit où M.
de Thou femble la placer.
Quillebeuf
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIT. 4S9
Quîllebeuf avec quelques pièces de canon. L'Hofpkal du >
Fay s'écoit chargé ^ en l'abfence du duc de Bellegarde , de H e n r i
fortifier cette place., donc la garnifon étoic coniporée des IV.
rëgimens de Fabien Rebours & d'Olivier Tempei. Ayant i<gy,
donné avis au Roi du defTein de Villars , ce Prince fie mar-
cher à leur fecours le régiment des Gardes, commandé par
Louis Breton de Grillon , fi connu par fa bravoure ôc par fa
hardielFe à s'expofer dans les adions. Cet Officier foutinc
deux aiTauts avec beaucoup de vigueur , quoique les fortifi-
cations ne fufient pas encore achevées.
Après la levée du fiége , èc le départ de Grillon , du Fay
voulant, au préjudice du duc de Bellegarde, s'emparer du
gouvernement de la place , faifoît des brigues parmi les Of-
ficiers. Le Roi inftruic de ce qui fe palFoit , lui envoya deux
fois Philippe du Pleflis-Mornay , qui ayant averti les Offi-
ciers de leur devoir, ôta toute efperance à du Fay de venir
à bout de fon defiein. Il en conçut tant de douleur, qu'il
en tomba dangereufement malade. Tout plein de fon projet ,
il ie repaiiïbit encore durant fa maladie de vaines efperances
à ce fujet. Sur le point de mourir, il recommanda , pour fè
confoler du moins par l'apparence d'une poireflion imagi-
naire , de dépofer après fa mort pendant vingt-quatre heu-
res , fon corps dans le grand baftion qu'il avoit fait bâtir 5
& donna ordre à la garnifon de l'y garder pendant tout ce
tems-là.
Sur ces entrefaites , Français de Bourbon duc de Mon- Mort du duc
penfier gouverneur de Normandie, mourut à Lizieux le 2. ^eMonpea»
de Juin. Il n'avoit pas encore cinquante ans j mais les fati-
gues de la guerre avoient entièrement ruiné fon tempéra-
ment. Ce Prince avoit un grand courage , &; beaucoup d'at-
tachement pour le Roi j il ne laifla en mourant qu'un héri-
tier des grands biens qu'il pofTédoit dans le Royaume. Ce
fut Henri prince de Dombes, dont l'heureux naturel don-
noit de grandes efperances. Il fuccéda à fon père dans le
gouvernement de Normandie j U le maréchal d'Aumonc
alla prendre fa place en Bretagne à la tête des armées.
.Quelque tems auparavant , arriva au commencement de
l'année , la mort de Jean de Chaumont de Guitri. Ce brave
maréchal de camp s'étoic acquis une grande réputation
Tome XL QSlSi
45?o HISTOIRE
parmi les Proteftans, par Ton éloquence militaire, par Ton cou-
H B N R 1 rage , ôc par le nombre de fes exploits. De retour de i'expé-
I V. dition de Genève , il tomba malade à Soïon en Beauvoiiîs ,
I 592, ^'^^ s'étant fait tranfporter à Gournay dans le Vexin, il
mourut d'cpuifement , âgé de près de 60. ans.
Villars , dont la fierté naturelle étoit encore augmentée
par la levée du fiége de Rouen, ne pouvant s'emparer de
Quillebeuf , ne voulut pas s'en retourner fans rien faire j
il fe iàifit du Ponteaudemer afTez près de QLiiilebeuf. Vieux-
pont d'Aqueville gouverneur de cette place , s'étant laifîé
gagner par argent , lui livra cette place. Ce Gouverneur
étoit frère de Vieuxpont baron de Neubourg , qui demeura
toujours attaché au Roi» Villars furpriten même tems plu-
lîeurs des Royaliftes , qui palToient par le Ponteaudemer ,
ou qui s'y repofoient des fatigues de la guerre , après le fiége
de Rouen.
Le duc de Guife fe rendit dans le même tems en Cham-
pagne à la tête des troupes , que lui avoient données le duc
de Mayenne fon oncle , &. le duc de Parme , qui avoit repris
le chemin des Païs-bas. Il s'empara dans fa marche de la
ville d'Efpernay , après en avoir foudroyé les murs. Il y a
une Abbaïe dans cette ville , dont la fituation fur la Marne
eftaiïèz avantageufe 5 aurefte, elle n'eft pas beaucoup for-
tifiée. Saint-Etienne en étoit Gouverneur, lorfque le duc
de Guife s'en rendit maître.
Le duc de Ne vers ayant fait entendre au Roi , qu'il étoit
de la dernière importance de reprendre Efpernay , ce Prince
n'alla pas camper d'abord devant les murs de cette place 5
mais ayant envoyé le Duc devant lui , pour y conduire l'ar-
tillerie & les munitions de guerre , il s'avança au-delà de
cette ville , & fe rendit à Châlons.
Le maréchal Le maréchal de Biron ayant voulu reconnoître la place
de Biron eft en paiTant , eut la tête emportée d'un boulet de canon. Ce
*^^' Seigneur , que fa longue expérience , fa vivacité , fon cou-
rage àc fa vigilance , égalent aux plus grands Capitaines de
ce iîécle , avoit paffé par tous les poftes fubalternes , avanc
d'arriver au Commandement. Ayant d'abord étudié les
belles lettres avec affèz de fuccès , il ne fut pas plutôt fortî
de ia première jeunefle , qu'il devint fuccefïïvement ^
DE J. A. DETHOU, Liv. CÎII. 491
Capîraine d'infanterie, Colonel , Brigadier dans la cavalerie, ■
Maréchal de camp , Grand-Maître de rartiilerie , &. enfin Henki
Maréchal de France. Il s'étoit élevé à tous ces honneurs par I V.
fon mérite , ians le iecours du crédit ou de la faveur. Trop i cqi
fier pour le plier aux iouplefles des courtifans , il étoit au
contraire , impérieux , emporté , envieux , &c jaloux de la
gloire des autres , qu'il s'effor<^oit toujours de rabailTër. Au
refte , il avoit tous les dehors de la politelFe ^ il étoit galant ,
êc aimoic la dépenfe 5 il avoit commandé dans iept batailles
rangées , & montroit un pareil nombre de bleifures qu'il
avoit recèdes dans i'eftomac. Il s'étoit fignalé dans un grand
nombre de combats , de à plufieurs iîéges. Employé toute
fa. vie à d'importantes négociations , il fut chargé de plu-
fieurs Ambailades. Il dormoit peu , &c aimoic le plaifir de
la table, où il étoit toujours gai 6c enjoué. Après fon pre-
mier fommeil , il réveilloit fon Secrétaire, qui couchoit au
pied de fon lit , &c lui dictoit ce qu'il avoit delTein de faire
pendant la journée 5 enfuice il fe rendormoit , &: fe faifoic
lire à Ion réveil ce qu'il avoit diclé ^ il en retranchoit, ou
il y ajoûtoit fouvent , félon les nouvelles idées qui lui étoienc
venues. C'étoit alors qu'il deftinoit les Officiers aux diffé-
rentes chofes , où il avoit deiîéin de les employer. Il écri-
voit exactement un journal de ce qu'il faiioit • mais foit par
fa faute , ou celle de (on fils , nous avons perdu ces Mémoi-
res , qui auroient fait un grand honneur à la Nation. Il a
compofé un livre , où il expliquoit fort au long tous les de-
voirs d'un Maréchal de camp , ôc dans lequel il rapportoîc
plufieurs exemples de ce qu'il avancoir. Son fils m'avoit plu-
îîeurs fois promis de me le remettre entre les mains ^ mais il
trouva enfin qu'on le lui avoit pris. Biron étoit âgé de 6 8.
ans lorfqu'il fut tué , joiiillant encore d'une ianzc robulle,
malgré toutes fes bleflures , dont une Pavoit rendu boiteux.
On remarqua à l'ouverture de fon corps , qu'ayant écé taé
une heure après avoir beaucoup mangé , la digeftion étjic
déjà faite. Preuve certaine de fà chaleur naturelle dans un
âge aflëz avancé.
Le R.oi'très-touché de la mort d'un fi grand Capitaine,
continua fa route ^ &c ayant appris que le duc de Nevers
avoit pris Raucourt , il revint à Efpernay avec plus d'ardeur ,
49^ HISTOIRE
à la foUîcîtation du fils du maréchal de Biron , alors Mard-
Henri chai de camp , qui croyoic fa gloire intëreflee à la prife d'une
I y. place , devant les murs de laquelle fon père avoir été tué.
Il y avoic dans cette ville douze cens hommes de garnifon ,
^ ^ * dont le régiment de la Bourlotte , qui en étoit forti la veille ,
faifoit partie. Le Roi ayant été informé de la fortie de ces
troupes , fit avancer en diligence Givry , qui étoit dans fon
château de Bourfault , afièz près de Damery 3 &; lui donna
ordre de Te mettre entre la ville & les troupes auxiliaires. 11
chargea en même tems le baron de Biron , & d'Efpinay de
Saint- Luc , de paroître avec leurs croupes à l'heure qu'il
leur marqua. Ceux-ci s'étant un peu avancés avec le peu de
monde qu'ils avoient , apper<jurent l'ennemi , qui fe glifloi^c
à la faveur d'un chemin couvert d'arbres de tous côtés , fur
une montagne, d'où il eft facile de fe rendre par de petits
fentiers bordés de vignes dans la ville , qui eft commandée
par cette hauteur. Biron , Saint-Lac ,. ôc Givry attaquèrent
l'ennemi , qui malgré tous leurs efforts avanc^oit toujours
vers l'endroit qu'il vouloir gagner. Il n'étoit même plus qu a
trois cens pas du foffé , lorfqiie le Roi furvenant avec Gil-
bert delà Curée , détacha cet Officier avec trente hommes
d'élite pour border le foffè , afin de couper l'ennemi , qui fe
prelToit d'arriver à la ville. Le Roi lui-même ayant rencon-
tré les ennemis au nombre de trois cens hommes bien ar-
més , &: regardant comme un coup de partie , pour s'empa-
rer de la ville , d'empêcher ces troupes d'y entrer, réfoiuc
de les attaquer avec le petit nombre de Gentilshommes qui
ëtoient à iQs côtés j il les exhorta à bien faire , ôc ayant laiile
palTer Iqs trois premiers rangs , il mit l'épée à la main , &c
poufiant fon cheval dans l'un des flancs du bataillon , il ren-
verfa tout ce qui fe préfencoit à lui , & dillipa le refte. Les
fuyards ayant rencontré d'un côté la Curée, & de l'autre
Biron , Saint- Luc , &; Givry , furent entièrement taillés en
pièces à la vûë des aflîégés , qui étoient fur le rempart. Plu-
îieurs des nôtres furent blellès à coups de piques, & nous
perdîmes un grand nombre de chevaux. Le baron du Fort ^
& Patras Lieutenant de Givri , furent tués dans cette adion.
On ferma k même jour tous les paflages, afin d'empêcher
que Saint- Paul 5 qui faifoic tous ks efforts pour confervej:
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 495
une place qu'il avoic prife , n'y jettâc du fecours. C'efl: pour- '"
quoi le Roi ayant fait tirer des lignes de circpnvallation fort H e n K 1
longues 6c fort tortueufes , prit avec lui Biron pour les dé- 1 V".
fendre d'un côté , tandis que le duc de Nevers les garderoit 1592,
de l'autre, avec Saint-Luc de Givri , qui eurent ordre de le
joindre , en attendant que le duc de Longueville, qui étoit
en Picardie , le duc de Bouillon , £c Schomberg revinfTent
au camp avec la cavalerie &c l'infanterie Allemande, de que
Charle de Luxembourg comte de Brienne , Praflin , Charle
de Ciermont Tallard comte de Tonnerre, Charle d'Efcars
baron d'Ais , & d'autres Officiers arrivaient de Bourgogne ,
& même de Champagne. On avoit déjà deiïeché le fofle ,
& le Roi faifoit dreller une batterie de quatre pièces , lorf-
qu'en avançant infenfiblement , on fe laifit , fans tirer un
feul coup , du baftion qui donnoit fur le folFé de ce côté-là.
Le baron de Biron y fut dangereufement blefTé à l'épaule
d'un coup d'arquebulë , en s'y retranchant.
Enfin tout étant difpofé pour i'aflaut , les affiégés, qui s'é-
toient défendus jufqu'alors avec beaucoup de vigueur, com-
mencèrent à perdre courage , & demandèrent le 8. d'Août
un pourparler avec Givri. Mais y ayant eu des difficultés
pour les conditions du traité , l'artillerie recommença le len-
demain à foudroyer les murs. Enfin Villieres Gouverneur de
la place envoya des députés , qui convinrent des conditions.
Le traité portoit qu'on livreroit au Roi , la ville , l'artillerie ,
ôc les munitions de guerre : Que la garnifon pourroit em-
porter (es armes , fes bagages , ôc emmener \qs chevaux :
Qu'elle fortiroit delà place furie foir, mèche éteinte , fans
drapeaux , fans tambours , de fans emporter rien qui appar-
tînt aux habitans : Qu'enfin elle feroit efcortée juiqu'à
Rheims. L'article des drapeaux fut conçu de cette manière,
pour la confolâtion des aiîiégés. Le Roi retint trois enféi-
gnes du régiment du comte de BofRi.
A la nouvelle du fiége d'Efpernay , le duc de Guife s'étoit
rendu à Rheims à la tête delà cavalerie Lorraine. Mais cette
place étoit déjà prife , lorfqu'il y arriva. Le Roi alla enfuite
mettre le fiége devant Provins Capitale de la Brie. Cette
ville , qui efl preique délérte , eft de peu de défenfe , à caufe
de fa iituation dans un terrain inégal. Le 2;ouvcrneur de
Q.Q.q "j
494 HISTOIRE
cette place appelle Paftoureau de la Rochette , qui avoîc
Henri été lié autreFois d'une étroite amitié avec le cardinal de
I V. Guiiè , ouvrit ihs portes au Roi , quelques jours après qu'on
I V9 2. ^^^ épouvanté la garniion , plutôt par l'appareil d'un liège ,
que par un (îege en forme.
Le duc de Nevers ayant confeillé au Roi de bâtir un Fore
à Gournay (i), environ à quatre lieues de Paris, afin de
couper les vivres qui alloientà cette ville par la Marne , on
ruina de fond en comble un Prieuré de l'Ordre S. Benoît,
dont on fît fervir les démolitions à conftruire les fortifications.
A la place du pont de bois , qui avoit été rompu 6c détruit
durant la guerre , on en jetta fur la rivière un de bateaux ,
& le Roi en confia la garde à Odet de la Noue , dont il con-
noilToit le courage &, la fidélité. Cette dernière qualité fe
trouvoit rarement alors dans les Gouverneurs , qui ie laif-
fant gagnera force d'argent , malverloient dans leurs poftes,
& laiiFoient palîer , contre les défenfés expreiïes de Sa Ma-
jefté , des vivres pour Paris. Le Roi étoit perfuadé qu'il n'y
avoit que cette manœuvre qui reculât la prife de la Capi-
tale } mais oblige dedifîîmuler dans les circonftances , il mit
du moins dans le Fort de Gournay un Commandant fur la
fidélité duquel il pût fe repofèr.
Les Parillens , qui recevoient auparavant de grands con-
vois de Meaux & de Château-Thierri , fe trouvant fort in-
commodés par ce nouveau Fort , engagèrent le duc de
Mayenne à l'aiîiéger. S'étant donc rendu à leurs inftances ,
il alla camper vis-à-vis , ayant la rivière entre le Fort ôc (es
troupes. Le Roi averti de fbn defTein accourut promptemenc
au fècours de la Noue. Le duc de Mayenne décampa après
quelques efcarmouches , où il n'y eut qu'un petit nombre
de foldats tués de part &: d'autre,
inflanccs des Nicolas Fumée èvêque de Beauvais,homme de probité, qui
Evêques fouhaitoit avec ardeur le rétablilTement de la paix, étoit venu
royaiiftes , ttouver le Roi longtems auparavant, lorfqu'il etoit encore de-
pour engager , , c> ,1 • ' i ' ' ■r» •
le Roi a en- vant Jcs muts deRoiien.Il avoit ete députe vers ce Prmce par
voyerune \çs Prèlats Rovaliftes , qui avoient fait un décret contre les
âu Papc.
(i) Cette petite ville qui eft près de ' te , & d'un autre Gournay , bourg de
TAbbaïe de Cliellcs , cft diffcente de iTllle de France en Picardie.
Gournay ville de Normandie fur l'Ep- ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 495
Bulles du Pape. On l'avoic chargé d'exhorter Henri à.ren- 5^
trer dans le lein de l'Eglile , èc d'obtenir de lui la permiffion Henri
d'envoyer à Rome un AmbafTadeur , fans toutefois choquer I V.
l'autorité du Parlement, qui avoit fait d'exprelTes défenfes 1592.
d ce fujet. Le but de cette AmbafTade étoit de rendre raifon
.au Pape du décret de ces Prélats , qui fe flatoient encore ,
comme ils le difoient eux-mêmes , que le S. Père étant mieux
informé par ce moyen de l'état des affaires de France , il fe-
roit aifé de le guérir de [qs préventions en faveur de la Ligue,
pour lui faire prendre enfuite le caradére de médiateur , ôc
l'engager à examiner en juge équitable , les raifons de parc
& d'autre , afin de chercher les moyens de réconcilier le Roi
à l'Egiife , & de faire rentrer les Ligueurs dans le devoir.
Le Roi fentant toute l'importance de cette affaire , qui Projet pour
demandoit de mûres réflexions , avoit fait venir de Tours ^^•'■^""P^-
Achille de Harlay premier Préiident , Jean Thumery , Jac- France.
que Gillot , ôc Jean Villemereau Conlèillers , pour exami-
ner la chofe avec eux. Ces Magiftrats firent de grandes in-
flances auprès de Sa Majefté , pour la détourner d'envoyer
à Rome ; parce que cette démarche donneroit atteinte à
l'Arrêt du Parlement , qui y étoit formellement contraire.
Renaud de Beaune archevêque de Bourges, qui avoit eu la
charge de Grand-Aumônier à la mort de Jacque Amiot ,
étoit préfent à ces délibérations. Il couroit un bruit qu'il fe-
condoit les intentions du Parlement , qui vouloit qu'on éta-
blît en France une diicipline indépendamment du Pape, qui
ne devoit plus être regardé , que comme l'ennemi du Royau-
me. Les ennemis de ce Prélat', qui étoit déjà Patriarche ,
( dignité qui n'appartient en France qu'au feul archevêque
1^. de Bourges , ) difoient qu'il vouloit être regardé dans le
Royaume , tant que le fchifme y régneroit , comme le chef
des Evêques , par rapport aux difpenfes , èi. la collation des
Bénéfices. Le cardinal de Lenoncour , qu'on avoit accufé
à Rome d'avoir les mêmes deileins , étant mort quelques mois
auparavant à Blois de chagrin , par rappoi-t à une injure donc
on ne l'avoit point vengé , tout le monde foupçonna l'arche-
vêque de Bourges d'avoir fuccédé à. Ces prétentions. Le car-
dinal de Bourbon , qui n'étant pas encore dans les Ordres
faciès , ne pouvoit poiîéder la dignité de Patriarche , ne
49 ^ HISTOIRE
— voulant pas en voir un autre, revêtu de cette dignité ;;
Henri s'oppofa à ce projet, fous prétexte que ce coup d'cclac
I ^* alloit fortifier le fciiifme. Il infinua qu'il y avoir eipérance
IJ92, de faire revenir le Pape en faveur du Koij 6c qu'au con-
traire on en feroit par ce moyen un ennemi irréconci-
liable. ^ •• ^
Remontran- L'évêque de Beauvais ayant eu audience du Roi, com-
ccs cje 1 Eyc- j^gj^ç^ ^ déplorer les malheurs de l'Eeiiie de France : il re-
çue de Beau- 3 1 -ni r ■ n«
vais au fuiec préfcnta a Sa Majelte que , fans refpeder ni les Conltitu-
des Economes ^[q^^ Canoniques , ni les Réo;lemens de nos Rois , la difci-
grand Con- pHnc Eccléfîaftique avoir été corrompue. Il dit qu'on n'a-
^cil- voit point d'exemple de l'établiflement d'Economes fpiri-
tuels : Qu'on n'avoir même jamais connu ce nom d'Eco-
nomes , qui pufïènt difpofer à leur gré des Evêchés 6c des
Abbayes vacantes par la mort ou par la révolte des Titu-
laires, 6c conférer les Bénéfices réguliers 6c féculiers, à
charge, ou fans charge d'ames , ou qui euilent le même
pouvoir que les Evêques , dont ils éxercoient tous les droits :
Qii'un Arrêt du grand Confeil permettoit à ceux qui avoienc
la nomination de Sa Majeflé pour \qs Bénéfices confifto-
riaux ou éledifs , d'en prendre auiTitôt pofTeiTion : Que d'au-
tres Arrêts du même tribunal avoient donné à ces Eco-
nomes fpirituels le pouvoir de difpenfer dans les degrés
prohibés , d'accorder d'autres difpenfes , 6c de recevoir
les réfîgnations eri faveur : Que \qs Cours Souveraines
avoient luivi l'exemple du grand Confeil : Que le Parle-
ment de Paris, qui rend la jufbice à Tours, avoir donné
un Arrêt en conformité , p'our attribuer aux Evêques le
même pouvoir que celui du Pape : Que toutes ces démar-
ches étoient d'un exemple dangereux pour le prefent, 6c
préjudiciables pour l'avenir : Qu'elles donnoient de grandes
atteintes à la difcipline Eccléfîaftique, 6c la détruifoienc
entièrement : Qu'il (upplioit donc Sa Majefté, au nom de
tous fes confrères, de prévenir les maux qu'il y avoir tant
de fujet d'appréhender, ôc de pourvoir en même-tems au
fàlut des âmes, 6c au repos des confciences , en révoquant
par un Edit exprès ces Economes établis par le grand Con-
feil. Ce Prélat ajouta : Qii'il plût à Sa Majefté régler par
le même Edit , que perfonne ne pourroit prendre pofTefFion
des
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIL 497
des Bénéfices confiftoriaux en vertu feulement de la nomi- ^^f???^'??^
nation Royale, fans autre titre, ni les adminiftrer quant H £ n r. r
aux droits fpirituels : Quelle révoquât les Arrêts qui I V".
permettoient à ces Economes de recevoir les réfignations 1591.
en faveur , & de conférer les Bénéfices électifs , ou autres
Bénéfices : Que le Roi voulût bien cafler les Arrêts du Par-
lement de Paris, ôc des autres Cours Souveraines , qui don-
noient aux Evêques nommés d'office le pouvoir de difpen-
fer dans les Cas réfervés au Saint Siège , & n*avoir aucun
égard à tous les Réglemens que le grand Confeil &les Par-
lemensavoient faits jufqu'alors contre les Conflitutions Ca-
noniques , & la difcipline reçue dans l'Eglife.
Le Confeil du Roi balança fur la reponfe qu'on feroit Le projet
aux demandes de l'évêque de Beauvais 5 jugeant cependant chreft^"-^"^'
qu'il étoit plus à propos d'avoir une nouvelle difcipline ac- jette.
commodée au tems , que de n'en point avoir du tout , on
ouvrit difFérens avis. On rejetta bien loin la propofition
d'établir un Patriarche , dont l'autorité embraUeroit la
France entière. Il parut plus fage ôc plus conforme à la
prudence de contenir l'Etat Eccléfiaftique dans les bornes
d'un rang confidérable dans l'Etat , que d'y attacher une
fouveraineté qui feroit un fujet de jaloufie entre un li grand
nombre de concurrents. C'eft pourquoi on prit un moyen
pour remédier, fans d'autre atteinte à la dignité ôcà la dif-
cipline de l'Eglife, aux inconveniens quinaîtroient du fchif-
me j ce fut de partager comme par degrés entre tous les
Evêques Royaliftes cette puillance qui paroîtroit exorbi-
tante dans un feul , & qui lui fufciteroit mille ennemis.
Suivant cette réfolution , on fit au nom du Roi un régie- Les Econo-
nient, par lequel ce Prince, après avoir parlé du zèle de "^'^ font lé-
fes prèdècelEeurs pour l'Eglife , &: rappelle lur ce fujet l'èxem- ^°^^^ '
pie de Clovis , de Louis le Débonnaire , de Lothaire , de
Saint Louis, bi des autres Rois, avec les moyens dont ils
s'étoient fervis pour rétablir la paix dans l'Eglife, rèvo-
quoit les Economes , comme n'étants pas de légitimes di(l
penfateurs des choies faintes.
Il ordonnoit enfuite que les nominations qu'il feroit dans Autres Ré-
trois mois après la publication de cet Edit, aux Evêchès , Ricmcns pour
Abbayes, Bénéfices éledifs ôc autres qui viendroient à '''"^/r^'P)'"*^
Tome XI, R R r
45)2 HISTOIRE
vaquer , foie par ré/ignation, foit parla mort àes titulaires 5,
Henri ou pour crime de rébellion , feroient confirmées par l'Ar-
I V. chevêque dans la Aletropole duquel TEvêché fe trouve-
1592, ^^^^ j ^ ^^'^^ cette confirmation auroit autant de force , que
les Bulles du Pape : Que l'Archevêque feroit tenu de facrer
dans le tems prefcrit avec les autres Evêques, celui qui fe-
roit nommé par Sa Majellé , s'il étoit trouvé capable de
remplir le Bénéfice : Qiie s'il arrivoit que les Métropoli-
tains eulTent abandonné le parti du Roi ^ ou que refulànts
de fe conformer à cet Edit , ils traînaffènt l'affaire en lon-
gueur, le Métropolitain le plus prochain prendroit leur
place: Que par rapport aux Abbayes 6c autres Bénéfices à
nomination qui viendroient à vaquer , les Evêques dans
le diocéfe defquels ces Bénéfices feroient fitués , en expé-
diroient les Bulles : Qiie fi l'Evêque fe trouvoit du par-
ti des rebelles ^ qu'il fît refus , ou tirât les chofes en
longueur, l'Archevêque feroit faifî de l'affaire : Qii'à l'é-
gard des Bénéfices à collation qui vaqueroient, les Arche-
vêques, Evêques, Chapitres, Abbés Se autres Ordinaires
Gonferveroient leurs droits : Qu'au refte la réfignation foie
en faveur , foit avec referve d'une penfion , feroit reçue par
Iqs Archevêques &c Evêques dans le diocèfe defquels les
Bénéfices feroient litués avec les claufes & conditions d'u^
fage en Cour de Rome: Qu'ils pourroient accorder les mê-
mes difpenfes que le Pape -, fauf néanmoins les droits de
Patronage,^ ceux de nomination , appartenants aux Uni-
verfités des villes qui font foûmifes au Roi : Et comme la
plus grande partie des Archevêques, Evêques , Chapitres,
Abbés & autres CoUateurs ordinaires avoient pris le parti
de la Ligue, le même Règlement caffoit ôcannulloit toutes
les Concefîions faites par eux 6c par leurs Grands Vicaires
depuis la publication des Edits donnés par le feu Roid'heu-
reufe mémoire 3 défendant en outre à tous les fujets du Roi
de s'en fervir , &; aux Juges d'y avoir aucun égard en ju-.
géant • avec exprefîe injoncl:ion au Procureur Général , oa
à (es Subftituts , d'informer éxaâement & fans relâche con-
tre ceux qui fe trouveroient en contravention , ou qui au-
roient envoyé à Rome , & de les punir comme des pertur-
bateurs du repos public , Se des criminels de Jeze-Majefté,
DE J. A.DE THOU, Liv. CIIÎ. 499
Cet Edic laifïbitla liberté , même aux rebelles qui avoient
^roit de nommer à des Cures , de difpofer de ces Bénéfices. Henri
Par rapport aux autres Bénéfices à la nomination des re- I V.
belles, le Roi fe réfervoit le droit de les conférer à des 1 592.
fujets dignes & capables de les poflëder. Ce Règlement
obligeoit ceux qui auroient la nomination du Roi d'en im-
pétrer la confirmation de l'Archevêque , ou de l'Evêque
dans le diocèfe duquel le Bénéfice feroit fitué 3 il donnoic
aufîî aux Evêques 6c Archevêques, chacun dans leurs dio-
cèfes , le pouvoir d'accorder les mêmes difpenfes que le Pape,
& de la même manière que cela fe pratiquoit à Rome ,
avec cette claufe , que ces pouvoirs feroient confirmés par
les Cours Souveraines 5 enjoignant aux Archevêques , Evê-
ques & tous autres Ordinaires , de faire des procès verbaux
de ces Ades , dont copie feroit délivrée aux parties par leurs
Secrétaires un mois après qu'on leur auroit préfenté TAde
de la prédation de ferment ^ que s'ils refufoient de fairece
ferment, toutes les Conceflions feroient nulles. Et pour pré-
venir les faufTetés , ces Ades dévoient être datés du jour
que la copie en feroit délivrée. Il vouloit que les Ordon-
nances de nos Rois fur ce fujet, ôc particulièrement l'E-
dit donné en 1551. par Henri II. concernant la prife de
pofTeflion , la publication & l'infinuation , feroient éxadement
obfervè : Qj.ie fuivant les anciennes coutumes aucun étran-
ger , quoique Regnicole , ne pourroit poficder des Béné-
fices fans l'agrément du Roi 3 qu'autrement la nomination
faite de fa perfonne feroit déclarée nulle, 6c que les Juges
n'y auroient aucun égard.
Le Roi ajoûtoit dans cctEdit, que la rébellion ayant
régné dans prefque toute la France , on avoit challe de
leurs diocèfes la plupart des Prélats qui lui étoient demeu-
rés fidèles : Que par cette raifon les collations des Bénéfi-
ces qu'ils avoient données , & les fentences portées par eux
ou par leurs grands Vicaires hors de leur jurifdidion pou-
vants foufFrir des difficultés , il confirmoit de fon autorité
Royale comme bon & valable, tout ce qu'ils avoient fait,
tant par rapport aux Bénéfices , que par rapport à la Ju-
rifdidion. Enfin il nommoit deux Prélats à la place de
l'Abbé de Sainte Geneviève, & du Chancelier de l'Univerfité
R R r ij
50O HISTOIRE
■ de Paris , pour délivrer au Ciiancelier , aux PréfiJens ,
Henri aux Maîcres des Requêtes, èc aux Confeillers du Parle-
I V. mène de Paris l'Induk que le Pape leur avoic accordé. Ce
I 592. Règlement fut obfervé en partie pendant quatre ans, mal-
gré les atteintes fréquentes qu'on voulut y donner.
Le Roi s'étant alors rendu à Argenteuil , les Evêques ,
fécondés par le cardinal deGondi, qui furie point d'aller
à Rome faiioit de grandes offres de fervice au Roi , obtin-
rent de ce Prince qu'il envoyeroit un Ambaffadeur au Pape.
Jean de Vivonne marquis de Pifany , dont la fidélité étoic
reconnue , 6c qui avoit été longtems Ambaffadeur à la
Cour de Rome^fut choifi pour cette ambaffide.On lui donna
des inftrudions pour Sa Sainteté , qu'il devoit fupplier au
nom des Princes, des Evêques àc des Seigneurs du parti
du Roi, de recevoir ce Prince en grâce. Le Sénat de Ve-
nife promit de foiliciter la même chofe par fes Ambaf^
fadeurs.
AfFaiies du Avant d'entrer dans un plus grand détail de cette am-
Conclave. bafl'ade, je vais rapporter ici ce qui fe pafTa dans Rome
après la mort du Pape Innocent IX. à l'occafion de l'élection
de fon fucceffeur. Dès qu'on eut fait lesfervices accoutumés
pendant neuf jours pour le feu Pape, les Cardinaux s'en-
termérent dans le Conclave le i i . de Janvier fur le foir au
nombre de cinquante-trois. Les fuffrages de trente d'entre-
eux llifHfoient pour l'éledion d'un Pape j mais l'oppofition
de dix-iept étoit capable de la traverfer. La fadion Elpa-
gnole , dont Louis Madrucci étoit le chef, propofa , de
concert avec l'AmbalIadeur d'Efpagne , de choiilr un Pape
dans le nombre des cinq Cardinaux fuivants j Santorio^
Ptolomée Gallio de Como , Madrucci lui-même, Gabriel
Paleotto, & Marc-Antoine Colonne.
L'Ambaffadeur de Philippe fè rendit au Conclave peur
procurer i'cledion du Cardinal Jule- Antoine Santorio ^
dont il avoit pris les intérêts. Son deflein étoit de le faire
élire ce jour-là même avant la clôture du Conclave. Une
fe retira que vers la quatorzième heure de la nuit ; & les
Cardinaux de la fadion oppofée attendirent qu'il fût forti
pour fè mettre au lit. Dès que la fadion Efpagnole crut les
autres Cardinaux endormis^ ellefe leva comme on en étoit
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIL 501
convenu , & fe rendit prompcement à la Chapelle deftinëe ■ " ' '
â l'adoration èc au fcrucin, pour y reconnoître Santorio Henki
fouverain Pontife. Au bruit que firent les Efpagnols , les IV.
Cardinaux de la faction oppofée croyants déjà la chofe faite , 1592»
coururent imprudemment, comme il arrive dans l'obfcu-
rite , pour fe rendre à radoration. Le cardinal François
Sforce s'ëtant levé fur le champ prit fa robe de cérémonie 6c
courut dans la Cour Royale voifine de cette Chapelle ,
où il arrêta ceux de- fa fadion qui alloient fe faire un
mérite de leur emprefTement auprès du Pape qu'ils croyoient
déjà élu, ôc les fit entrer dans la Chapelle Sixtine.
L'éledion de Santorio auroit été confirmée, file cardinal
Afcagne Colonne le cadet , qui dans la même erreur s'é-
toit prefiTé d'entrer dans la Chapelle, n'en fût forti par le
confeil de Sforce, malgré tous les eflForts que les cardinaux
Henri Gaëtano , & Jérôme Matthei firent pour le retenir.'
Colonne fe joignit au cardinal Sforce , qui protefta fi hau-
tement, en préfence de fes collègues, de la violence Ôcde
la cabale de la fadion oppofée, qu'il fe fit entendre hors
du Conclave^ il rejetra publiquement Santorio, comme un
fimoniaque , un furieux , èc un homme intraitable j il me-
na<jamême, fi l'éledion ne fe faifoit dans les régies ordi-
naires , d'oppofer la force à la violence , ôc de faire couler
lefang depuis les degrés du Conclave jufqu'à la Bafilique
de Saint Pierre. Marc Siticod'Altemps ,& le cardinal Iniga
Davalos fe joignirent au cardinal Sforce. Davalos dit à haute
voix , tout en colère , que Santorio étoit un diable ^ que ce
Cardinal lui avoit promis huit mille écus d'or, &: le Cha-
peau pour Thomas fon neveu , s'il vouloit lui donner foo
îufFrage.
Après que le cardinal Colonne eut pafiTé dans la Chapelle
Sixtine , on y célébra la. Méfie , à la fin de laquelle tous
les Cardinaux communièrent de la main de Paul Sfondrate.
Ils firent enfuite un fcrutin entr'eux ^ & la faction oppofée
en fit un autre dans la Chapelle où elle étoit afiemblée.
De trente-cinq Cardinaux qui la compofoient, il ne s'en-
trouva que dix-huit qui donnèrent leur voix à Santorio-,
Jérôme de Rovere , Guillaume Alan , Augufiiin Cufano ,
Marc-Marie Salviati, Augufte Valerio , 5c Tcan. François
R Rriij
501 HISTOIRE
Morofinî s'ëcoient retirés , dans la crainte que la proteftâ-
Henri tion du cardinal Sforce ne fît un fchifme. Les partifans de
I V. Santorio, diminuant ainlî peu à peu , ion éledion d^emeura
j^roj, indécife & incertaine , malgré tous les efforts de Peretti
de Montalte, qui vouloit le faire élire , &: quoique par une
efpéce de prodige , il fiit agréé par le roi d'Efpagne , par
le Sénat de Venife ^ ôc par Ferdinand duc de Tofcane, qui
avoient d'ailleurs des intérêts différents ^ preuve certaine
que roppofîtion eft plus nuilible dans ces fortes d'afïèm-
blées , que la faveur ne peut y fervk.
Santorio , que [qs ennemis accufoient de briguer le fou-
verain Pontificat par des promefîès illicites, fe plaignit de
l'injure qu'il prétendit qu'on lui faiioit j il fe comporta ,
comme s'il eût été déjà Pape , avec les Cardinaux de fa
faction j il regardoit même les compliments &: les embraffa-
dQs de fes partifans comme des marques d'une légitime
éledion. Il fit plulîeurs proteflations à ce fujet dans les
Conclaves fuivants.
Les Efpagnols ne voulants rien oublier de ce qui pouvoic
contribuer à l'exaltation de Santorio, écrivirent aux car-
dinaux André d'Autriche , Charle de Lorraine , & même
au cardinal de Gondy ( comme on le publia ) pour les en-
gager à venir à Rome j mais ce fut inutilement. Le cardinal
de Joyeufe, qui s'en retournoit en France, ôc qui étoitdéja
arrivé à Vado ou Vai ( i) , fut rappelle à Rome par la fac-
tion d'Efpagne ^ il alla defcendre -en arrivant à la maifon
du Commandeur de Diou, oii l'ambaiîàdeur d'Efpagne
vint le trouver. Il entra au Conclave le i 5. du mois de
Janvier.
Le Grand Duc voulant gagner le cardinal Plata en fa-
veur de Santorio , lui offrit une fomme confîdérable , qu'il
refufa généreufement. Ce Prince ayant fait les mêmes of-
fres à Confiance Sarnano , ce Cardinal les accepta, di-
fanc qu'il étoit permis de prendre de l'argent d'un fî grand
Prince j il n'en conferva pas moins la liberté de fon fuf.
frage. Enfin on en vint au point de donner entièrement
(i) Ville avec un port dans l'Etat ] 8c c'eft le nom que donne M. de Thou
de Ge'nes , qu'on croit être celle que , au lieu dont il s'agit,
les Anciens appelloient Sabatia. Vada ; ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIL 503
réxclufion à Santorio , & dix-huit Cardinaux s'obligèrent " ' ■ »•
•par écrit, ôc firent ferment de ne jamais confentir à fon H en ri
éledion. IV.
Pendant toutes ces agitations du Conclave, les fuffrages 1591;,
fe réunirent prefque tous en faveur de Salviati , qui dans un
fcrutin eut vingt-huit voix , aulquelles quatre fe joignirent
encore 3 il n'y en eut que trois & la fienne qui ne furent
pas pour lui. Salviati ayant eu enfin l'exclufion , il fe répan-
dit un bruit dans Rome que Paleotto avoit été élu j mais
ce bruit fe diffipa bientôt. Les Cardinaux partagés en diffé-
rentes factions fe donnoient ainfi réciproquement l'exclu»
fion. Les Efpagnols voyant que les chofes traînant en lon-
gueur , l'affaire ne feroit pas facile à terminer , informèrent
le roi d'Efpagne de ce qui fe pafFoit à Rome.
Dans ce tems-là, les Romains , pour témoigner le mépris
& l'indignation que la conduite des Cardinaux faifoit naî-
tre dans les efprits , attachèrent dans la ville deux tableaux
en regard , comme une efpéce de Pafquinade. Dans l'un
de ces tableaux , Santorio étoit peint attaché à une croix ,
pour fignifîer que déchiré par fon ambition, il étoit au
furpius entre l'efpérance &: la crainte. Il avoit à ies côtés les
deux larrons. Paleotto étoit repréfenté fous la figure de
celui qu'on appelle vulgairement le bon larron , parce que
ce Cardinal avoit enfin confenti à fon élection. L'autre lar-
ron repréfentoit Paul Sfondrate , qui s'étant d'abord dé-
claré contre Santorio , n'avoit jamais voulu revenir en fa.
faveur. Dans la foule des Juifs qui étoient au pié de la
croix , le cardinal d'Arragona repréfentoit Caïphc , d'AL
temps Herode , Afcanio Colonne Judas , & les autres fai^
foientle perfonnage de difïerens Juifs. Dans l'autre tableau,
les chefs de la fa*flion oppofée paroifToient fous la figure des
douze Apôtres, vis-à-vis de Santorio , qui repréfentoit
Simon le magicien. Les Cardinaux de fa fadion , peints au
naturel étoient à ks côtés. Il paroilToit demander avec ef-
fronterie à Saint Pierre , le pouvoir de conférer le Saint
Efprit. Madrucci & Montalre, l'un chef de la faction Efpa-
gnole , &; l'autre de la Sixtine , qui étoient aux côtés de
Santorio , ofïroient de l'argent à Saint Pierre, & à tous les
Apôtres , afin de les gagner en faveur de ce Cardinal
jo4 HISTOIRE
^ Tandis que les Romains portoient la licence jufqu'à joiier
H £ N K I le facré Collège, occupe de cette grande afFaire , les Car-
I V. dinaux Jean Vincent de Gonzague autretois chevalier de
I çQi. Malthe, Jean Mendofe & Jérôme de la Rovere moururent
à Rome. Après l'entière exciufion de Santorio , dont l'élec-
tion qui avoit été regardée comme une choie faite , avoic
tenu les elprits en Iblpens pendant dix jours , on parla d'é-
lire le cardinal Madrucci. Quelques Cardinaux de la fac-
tion Sixine dont on briguoit pour lui les fufFrages , ne pa-
rurent pas s'éloigner de Ton éledion. Le cardinal de Mon-
talte prefle par le cardinal Spinola de le déclarer en faveur
de Madrucci , lui fit efpérer qu'il penferoit férieufement à
traiter de cette afFaire avec les Cardinaux de fa fadion ^ il
lui promit même de le fèrvir efficacement , s'il ne trouvoic
point d'oppolîcion parmi euxj mais n'ayant donné de fl belles
efpérances à Spinola , que pour fauver les apparences à caufe
du roi d'Efpagne , èc pour dégager par ce moyen la parole
qu'il avoit donnée , il ne fut point choqué de l'oppofîtion
des cardinaux Alexandre de Medicis , Jean-François Moro-
fîni & Benoît Giuftiniano j on croit même qu'il y eut quel-
que part. Il s'en lit un prétexte pour s'excufer auprès du
cardinal Spinola, avec qui- il fut néanmoins obligé de de-
meurer lié d'intérêts. Madrucci qui avoit ordre de tout
mettre en ufage pour entretenir l'union des fadions Efpa-
gnole 6c Sixtine, travailla moins à procurer fon éledion ,
qu'à exécuter les ordres du roi d'Efpagne , ôc n'encra plus
dans aucune brigue.
Le cardinal Marc-Antoine Colonne ne s'oublia point dans
ces circonftances. Brûlé du défir defe voir afTis fur la chaire
de S. Pierre , il fondoit ks efpérances fur fes fèrvices ^ mais il
ne fut bientôt plus queftion de lui dans le Conclave. Peretti
voyant qu'on avoit donné l'exclufion à Santorio, à Madrucci
& à Colonne , n'ignorant pas d'ailleurs que le cardinal
Hippolyte Aldobrandin étoit un de ceux que le roi d'Efl
pagne avoit eus en vue , propofa l'éledion de ce Cardinal
dans le tems qu'on y penfoit le moins , après avoir deman-
dé l'agrément de Madrucci. Ce fut le 29. de Janvier fur le
foir, avant que les Miniftres du Grand Duc qu'il fçavoic ne
devoir pas être favorables à Aldobrandin, puirencs'oppofer
a
DE J. A. DE THOU,Liv. CIII. 505
a fou éledion. Elle fut enfin réfoluë d'un confentemenc =
unanime , après une longue conteftation pleine de chaleur^ H e n k i
& tout le monde paroiflbit diipofé à fe rendre à l'adoration^ I V.
cependant l'affaire fut différée jufqu'au lendemain. i 59^'
Aldobrandin ayant eu quarante Cardinaux pour lui, fut Aidobrandia
élu èc conduit à la chapelle Pauline -, il ne voulut s'aiTeoir ^^ ^'"•
fur la chaire qu'on lui avoit préparée, qu'après s'être profter-
né devant l'autel 5 il y demanda avec beaucoup de ferveur
à Dieu de faire fervir fon exaltation à la gloire de fa divine
inajefté & à l'avantage de la Chrétienté ^ le conjurant, s'il
prévoyoit que le contraire dût arriver , de lui infpirer de ne
point confentir à fon éledion , & de lui ôter plutôt l'ufage
de la parole. Ce Cardinal qui étoit originaire de Florence,
étoit d'une noble famille de Fano fur les côtes de la mer
Adriatique , entre Pezaro & Sinigaglia, afîez près du fleuve
Métro. Son père qui s etoit acquis beaucoup de réputation
en quahté d'avocat Confiftorial, s'appelloit Silveftre , ôc fa
mère Leza-Deti. Aldobrandin avoit commencé fes études à
Rome fous la protedion d'Alexandre Farnefe 3 il avoit en-
fuite étudié le Droit à Ferrare ôi à Boulogne fous le doc-
teur Paleotto. Le Cardinal Jean Aldobrandin fon oncle
l'ayant fait venir à Rome , il pofFéda fucce/Fivement toutes
\qs dignités de cette Cour , qui furent autant de degrés par
lefquels il s'éleva à la dignité de Cardinal , fous le Pontifi-
cat de Sixte V. qui lui donna le chapeau. Ce Pape l'envoya
Nonce en Pologne pour affifber à la diète , oii l'on devoit
élire un nouveau Roi, $c afin d'interpofer l'autorité du Saint
Siège dans cette éledion j il fut enfin élu fbuverain Pon^
tife le 30.de Janvier à la dix-neuvième heure , âgé de 56.
ans. La cérémonie de fon facre fe fît le i . de Février par Al-
phonfe Gefu.aldo évêque d'Oftîe. Huit jours après,il prit les
marques du fouverain Pontificat des mains du Cardinal
Sforce , doyen des Cardinaux diacres , ôc voulut être appelle
Clément VILL
Il eft tems de revenir aux affaires de France. Le cardî- \°/^^^i^ç
nal de Gondi s'étant mis en chemin au mois d'Odobre avec condi à
le marquis de Pifany , ils ne paiïèrent que par les villes fou- "^omç.
mifes au Roi. Dès qu'ils furent arrivés aux Alpes des Gri-
iofls, le Marquibs'arrçtaà Deiènzano fur le lac de Garde,
Tûmc XI. S 3 f
5^^ HISTOIRE
— Cette place qui appartient aux Vénitiens eft dans la pi m
Henri belle fituation du monde. Le Cardinal continuant fa route
I V. vers Rome, y envoya de Florence ion Secrétaire devant lui,,
I 599. po^r détruire les faux bruits que la fadion Efpagnole avoiD
sentimens au Fait couHr fur fon compte,à deflèin de le rendre odieux ^ mais
Papeàfon" fl n'en étoitplus tems. Le nouveau Pape s'étoît laill'é pré-
venir contre lui fi fortement , qu'il lui dépêcha un Domi-
nicain appelle Alexandre Francefchini , pour lui défendre
de mettre le pié lur les terres de l'Etat Éccléiiaftique , 6c lui
reprocher , Qii'il ne s'étoit comporté dans les troubles de
France , ni en bon Chrétien, ni en bon Cardinal j s'étant /i
ouvertement déclaré pour le Navarrois, hérétique relaps, de
excommunié par le Saint Siège : Qu'aucun de ceux qu'on;
avoit envoyés de Rome en France, n'avoit été content de
lui : Que cherchant toujours des tempéramens, il ne s'étoit,
pour ainfi dire , étudié qu'à paUier les maux de la Religion ,.
^ qu'à y mettre des emplâtres , dans le deiGTein de mettre la
couronne fur la tête d'un Hérétique : Qu'il avoit ofé avoir
une conférence avec lui avant de partir pour Rome , contre
la défenfe expreffe des Apôtres S. Jean & S. Paul : Qli'îI avoit,,
en venant en Italie, paiîe par des villes foumifes aux Héré-
tiques , alFedant d'éviter celles du parti contraire , comme
lui étant fufpedes : Qii'il avoit ofé répandre par-tout fur fon;
palTàge le bruit qu'il n'alloit à Rome, que par les ordres du
Pape j rule diabolique, dont il s'étoit lërvi pour rendre Sa
Sainteté fufpede aux Catholiques : Qu'il avoit ofé affûrer
qu'il recevroit le Navarrois en grâce , ôc Tadmettroit à la-
fuccelîion de la Couronne , en lui donnant l'abfolution ,
aufîî-tôt que ce Prince auroit aflifté une fois à l'a Melle : Qiie
toutes ces démarches s'étoient faites au mépris des ordres^
du cardinal de Plaifance , qui lui avoit écrit de ne point
fe donner la peine d'aller à Rome , parce que fi fon delTein
étoit d'y défendre les intérêts du Navarrois , fon voyage ne
pouvoit être que fort inutile -, étant bien inftruit que Sa Sain^
teté ne vouloit point entendre parler de ce Prince 3 ôc qu'elle
étoit dans la réfolution d'épuiler tous (es tréfors , & de ver^
fer fonfang, s'il le falloit , pour l'empêcher de monter fur
le trône, comme il s'en flatoit.
le cardî- j^q cardinal de Gondi ne répondit autre chofe à tous lesi
aal k iultihc. ^
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. '507
reproches que le Dominicain avoît mis en écrie , finon qu'ils ??
écoienc fans fondement: Qu'à la vérité il avoic eu une en- Henri
trevûë avec le roi de Navarre 3 mais que la nécefîké l'y I V.
.avoit obligé, ne pouvant refufer d'entrer en conférence avec 1592,
un Prince qui étoit en état de l'y contraindre , maître com,
me il l'étoit de prefque tout le Royaume: Que s'il eût at-
tendu qu'on en fût venu à ces extrémités, on auroit pu le
blâmer d'avoir commis la dignité dont il étoit revêtu : Qu'au
reite il lui étoit bien douloureux de voir qu'on l'eût con-
damné fans l'entendre, & avant de pouvoir inftruire de vive
voix Sa Sainteté du véritable état du Royaume : Qu'il ve-
îioît , s'il étoit coupable , pour fe purger des crimes qu'on lui
reprochoit , & pour fubir la peine qu'ils méritoient, fuivann
cequ'en ordonneroitSa Sainteté :Qu*il avoit remarqué que
les Papes avoient toujours fouhaité avec ardeur , d'avoir en
leur puiiîance les Cardinaux accufés de quelques crimes 5
pendant que ceux-ci, s'ils fe fentoient coupables , avoient tou-
jours marqué beaucoup d'éloîgnement pour fe rendre à
Romct QLi'aind la défenfe d'y venir qu'on lui faifoit faire,
avoit de quoi le furprendre : Qifil voyoit bien que ce ne
pouvoit être que l'effet des intrigues de gens aveuglés par
la haine èc Tambition qui faifoient tous leurs efforts pour
empêcher Sa Sainteté de connoître l'état & les malheurs
de la France 3 ajoutant qu'il vouloit bien qu'il fçût qu'il y
avoit dans le Royaume plus de quarante Évêchés vacans ,
dont les revenus étoient en proye à des loldats, à des fem-
mes & à d'autres Laïques ■ ce qui caufant la perte des âmes
qui n'avoîent plus aucune nourriture fpirituelle , étoit auiïî
la honte 6c le deshonneur du Clergé : Qii'il lui apprenoic
encore que ces prétendus zélés qui n'avoienten public que
la défenfe de la piété , l'honneur du Saint Siège , ou l'agran-
diflement de la Religion, dans la bouche, ne penfoîent à rien
moins dans le fond del'ame: Que leur ambition avoit ame-
né les chofes au point, que fi Sa Sainteté ne (e hâtoit d'y
apporter du remède , il ne feroît plus tems de le faire , lorf.
qu'elle en fentiroit toute la néceflité : Qii'on ne faifoit te-
nir cette conduite au Pape à fon égard, que pour épouvan-
ter tous les autres j les empêcher de lui découvrir les maux
de l'Etat ; & leur faire comprendre qu'on ne pouvoit à
SSlij
5o8 HISTOIRE
l'avenir parler en faveur deHenri. Il dît qu'il étoît prêt à faire
Henri voir qu'il n'avoic rien dit ni rien fait , qu'il ne pût avouer en
IV. qualité d'évêque de Paris, de Cardinal , de premier Con-
1592. ieiiler d'Ecac. Que s'il n'avoic pas toujours approuvé les deC
feins des Princes qui étoienc à la tête de la Ligue, ce n'étoic
que pour s'être apper^û que la haine, plutôt que d^autres
motifs les avoit inipirés : Qu'il ne s'étoit pas écarté pour
cela des régies du devoir j n'ayant jamais perdu de vue la
défenfe de la Religion , & le foin de rendre la paix à la
France : Que malgré les préventions que ies ennemis a-
voienc données contre lui à Sixte V. ce Pape avoit don-
né ordre au cardinal Gactano de lui communiquer fes
defleins touchant les affaires de France : Qu'aupara-
vant même il l'avoic chargé d'examiner plus à fond les
décifions de la Sorbonne , qui avoient fait tant de bruic
dans toute la Chrétienté au lùjec du feu Roi , dont la Ca-
tholicité n'avoit jamais été iufpecT;e : QLi'après l'aiTaflinac
de ce Prince , ceux même qui le noirciiîbient aujourd'hui
dans l'efprît de Sa Sainteté , avoient voulu l'obliger à prê-
ter le ferment de l'Union •. Qu'ayant refufé de le faire , ils
lui en avoient fait un crime auprès de Grégoire XIV. donc
la décifion lui avoit été favorable: Que ce Pape avoit jugé
dans cette affaire avec connoilTance de caufe, & qu'il avoit
approuvé les motifs de fon refus.
Le Cardinal dit encore qu'il n'avoit jamais penfé à pren-
dre des tempéramens , ni à pallier le mal, comme on l'accu-
foit : Qii'il n'avoit ni aifez de témérité , ni afiez d'impudence
pour fe flatter qu'un foible Cardinal fût capable de foute-
nir l'Etat fur le penchant de fa ruine, ou que les emplâtres
dont on lui avoit parlé pufTent adoucir les maux de laFrancer
Qii'ilcroyoit au contraire qu'il étoit befoin pour opérer cette
guérîfon de toute la force du bras de Dieu, de l'autorité
&c des confeils falutaîres de fon Vicaire en terre , èc de ceux
du iacré collège: Que cette perfuaiion lui avoit fermé la
bouche . &C qu'il ne s'étoit jamais ingéré de parler d'affaires
au-defliis de fa portée & de (es forces : Qiie s'étant à la vé-
rité mis en chemin fans ordre de Sa Sainteté , mais feulement:
pour remplir ion devoir , il ne croyoit pas avoir rien faic
contre les avis du cardinal de Plaifance , qui ne lui avoîs:
DE J. A. DE THOU,Liv. CIII. 509
défendu d'aller à Rome, qu'en cas qu'il eût deflein d'y mé- - ' ' • •'- ^
nager les incërêcs du roi de Navarre. Henri
Le Dominicain ayant rapporté cette réponfe au Pape , 1 V.
fa colère s'appaifa j &: il permit au cardinal de Gondi de ve^ 1^02.
nirà Rome , à condition qu'il ne favoriferoit ni les Héré- 11 obcienc
tiques ni leurs fauteurs,ôc qu'il fatisferoit avant tout au De- [? permiffioi*
crée de Grégoire XIV. auquel on l'avoit accufé de ne s'être Rome?" *
pas conformé.
Clément VIII. ne fongeoit alors qu'A faire élire un Roi BrefduPape
Catholique en France 3 il ic^avoit que les Efpagnols preflbient ^u cardinal de
avec beaucoup d'impatience cette élection , pour laquelle pour rég-
ies Etats Généraux étoient indiqués pour le commencement tion d'unUoiV
de l'année prochaine 5 il envoya le i j. d'Avril au cardinal
de Plaifance un Bref par lequel , après avoir i appelle tous
les fervices que les Rois très-Chrétiens avoient rendus aux
Pontifes Romains dans les tems de calamités Jldéléeuoic
ce Cardinal pour procurer l'elecliion d'un Roi , protedeur
du repos de l'Etat , qui plein de zélé pour la foi Catholique
pût réprimer bientôt tous les e^orts de l'héréïîe. Il lui re-
commandoit de faire en forte dans cette grande affaire que
tous les gens de bien déféralTent d'un confentement unanime
la fouveraine Puillance à celui qui paroîtroit l'avoir méri-
tée par fa piété , par un refpe<fl particulier pour la Religion
Catholique , par des vertus dignes du trône , & par la fcience
du gouvernement^ afin que ce Prince pût régner fur les Fran-
çois qui perfévéroient encore par la grâce de Dieu dans la
foi Catholique. Il ajoûtoit que ce Prince devoit être pé-
nétré dans l'ame de la vérité de la Rch'gion Catholique,
qu'il feroit ferment de défendre 3 ferment que la vérité , le
jugement & la juftice dévoient accompagner : Qii'un Prince
qui détruifoir la foi Orthodoxe , perfecutoit les gens de
bien & les Catholiques , les animoit tous les jours les uns
contre les autres , au lieu d'appaifer leurs diifeniîons , &: pro-
tégeoit les Hérétiques, ne pouvoir jamais remplir le trône
de la France : Qu'il falloit choifir un Roi d'une modération
& d'une prudence confommée»
Le Pape témoignoit enfuite dans ce Bref qu'il vîendroit
alors volontiers en France , à l'exemple de Tes prédéceifcmrsi
6c q^Lie s'il écoit nécelïàirede donner fon fang pour la gluire^
SSfii^
5ro HISTOIRE
de Dic\\ , la défenfe de U foi Cacholîque, Se la tranquîllîré
Henri des Peuples, il fouhaicoic avec ardeur de le répandre : Que
I V. fes occupations l'empêchants de fuivre ion inclination , il fe
j - déchargeoit du foin de cette affaire fur le Cardinal Légat,
dpnc il efpéroit qu'il répondroît pleinement à fon attente ,
& aux vœux des bons Catholiques , par le delmterelIemenE
avec lequel il fe comporteroit dans cette éledion. Enfin il
avertilfoic, exhortoit , conjuroit les Princes , les Prélats ôc
les autres membres du parti Catholique, de fe rappeller le
zélé de leurs ancêtres , Ôc de perlevérer dans leurs bons
delTeins , &: dans leur attachement pour la Religion de leurs
pères. Il prefToit auiîi ceux qui avoient favorilé les Sedaircs,
ou pris leur défenfe,d'abandonner leur parti, de le feparer de
ceux avec qui il ne peut y avoir de véritable union j 6c de
concourir avec les autres Catholiques autant qu'il féroit pof-
fîble à l'éleclion d'un Roi , qui pût après avoir mis la foi
Catholique en fureté , 6c rétabli la paix , réprimer les efforts
des Hérétiques , raflurer les Catholiques , àc faire régner la
paix 6v la joye dans tous les cœurs orthodoxes,
te Erefeft ^^ Bref ne fut enrégiflré que long-tems après au parle-
cnréj^ifué au mcnt de Paris le 27. d'Oétobre ^ oiii fur ce , & ce requérant
parkicencde j^^ Procureur Général. On enrégiflra le même jour les pou*
voirs donnés, au cardinal de Plaiiance j auffioiii fur ce , & y
confentant le Procureur Général , avec cette réferve , fans
préjudice de l'autorité 6c de la Jurildidion Royales , ^ des
Libertés de l'Eglife Gallicane.
Arrêt di Auiii-tot qu'on eut appris à Châlons la publication de ce
Parlement Bref, Ic Procureur Général en interjetta appel , 6c le Par-
féam à châ- lèvent féant en cette ville donna à fa requiiîtion un décret
Légat dccré- d'ajoumemenc perfonnel contre Philippe de Sega Cardi-
té d'ajourné- nal évcque de Plaifance , du titre de Saint Onufre ^ portant
n^^ent f er.on- ^^^^ |^^ fommatîons dc comparoir faites à haute voix par le
çrieur public dans la ville de Châlons feroient auffi bonnes
ôc valables, que (i elles lui avoient été fîgnifîées à fon domi-
cile. Le Parlement avertilToit dans cet arrêt les Prélats, les
Princes , les Seigneurs èc tous autres de quelque état 6c
condition qu'ils puflènt être, de demeurer in violablement at-
tachés au Roi • de n'entrer dans aucune fadion 3 de ne point
[q lailler féduire par les intrigues de ceux , qui fous des
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 511
apparences de zélé pour laReligion,n'avoient d'autre but que
de s'emparer du Royaume, d'y introduire les Efpagnols ôc H e n ai
d'autres ufurpateurs. Cet arrêt faifoit d'expreiîes défenfes 1 V.
d'avoir ou de publier ce Brefj de donner du fecours aux re- 1 <:c)z„
belles -y d'aller dans leurs villes , ôc d'avoir aucun commerce
avec elles , fous peine de dégradation pour la Noblefle , èc
de la privation du polTelToire des Bénéfices pour le Clergé-,
déclarant fans diffcindion tous & un chacun qui Contrevien-
droient à cet arrêt, criminels de léze-Majefbé , comme traî.
très à la patrie , & perturbateurs du repos de l'Etat , fans
efpérance de grâce ou d'abolition de leur crime -, ordonnant
en outre que perfonne n'eût à loger les fadieux ôc les re-
belles , qui iroient dans les villes pour affîfter à la préten-
due élevftion ^ que l'endroit ou la ville où cette afTemblée
fe tiendroit, léroit détruite de fond en comble, fans pou-
voir être jamais rebâtie, pour être à la poftérité un monu-
ment éternel de la vengeance exercée contre la trahifon èc
la perfidie des rebelles j enjoignant à tous les fujets du Roi
de courir fus aux faélieux qui fe rendroient au lieu de l'aflem-
blée, & de fonner le tocfîn fur eux , & au Procureur Gé-
néral d'informer contre les auteurs de ces confpirations, $c
contre ceux qui les exécutent.
Cet arrêt ayant été rendu le 8. de Novembre, fut cafïe t'Anêtdc
par un autre arrêt rendu à Paris deux jours avant la fête p^„^'°"'^^.
de Noël , ôc fut brûlé publiquement le lendemain au pié des ^ ^ *
grands degrés du Palais en preiènce du duc de Mayenne.
Quelque tems auparavant, le Parlement féant à Paris vou-
lant foulager en quelque manière la mifére du Peuple, re-
mit les deux tiers des loyers de mailons dont les baux avoienc
été faits pour fept ou neuf ans en juftice, fans le confente-
ment des parties , avant le i 5. Avril de l'année 1589: .Ôc
la moitié du prix de ceux faits depuis le i 5. Avril , jufqu'au'
premier du mois d'Août de la même année j enfin un tiers
des baux faits après la levée du fiége j à commencer diî
premier jour du dernier mois d'Odobre , avec défenfe
de procéder aux criées 6c vente des biens de ceux qui
n'auroient pas payé les loyers. Cet arrêt fut rendu le 8. de
Janvier. Enfuite le peuple venant en foule fe plaindre des con-
traintes rigoureufes , qu'on exerçoit contre lui dans un tems
SIX HISTOIRE
Il " Il ,",1 où l'on avoît perdu tout Ton bien j on défendit par un autre
H E N K I arrêt du i o. d'Avril aux Parilîens de s'afTembler ainfi , parce
IV. qu'ils relîèmbloient plutôt à une troupe de féditieux ,qu'à
1 591. ^^^ fupplians. Malgré toutes ces plaintes , on. permit aux
créanciers de faifîr les biens meubles des débiteurs, à con-
dition néanmoins qu'ils ne pourroient être ni vendus ni en-
levés. On donna trois mois auxhabitans des fauxbourgs de
S, Lazare, S. Martin ôc S. Denis, dont les maifons avoientété
détruites àc les jardins ravagés pour la plupart durant le
iiége. Ce délai leur fut accordé pour prendre des arrange-
mens avec leurs créanciers 6c les propriétaires des maifons
devant leurs Juges ordinaires , fans qu'on pût inquiéter pen-
dant tout ce tems , ni eux , ni leurs cautions pour le paye-
ment.
Les Députés des feize quartiers de la ville ayant parlé
défaire la paix, GoulFancourt 6c du Vair proposèrent avec
beaucoup de liberté dans une délibération du Parlement ,
d'envoyer des députés au Roi , 6c de chalïèr de Paris la gar-
nifon Efpagnole qui étoit fufpecle. Le duc de Mayenne s'é-
tant rendu à l'Hôtel-de-ville le 6. de Novembre , excufa
Içs murmures du peuple, à caule de l'extrême difetce à la-
quelle on étoit réduit alors dans Paris j il donna des louan-
ges à la patience avec laquelle on fupportoit ces maux , 6c
fit efpérer d'y apporter du remède dans les Etats Généraux,
qu'on étoit lur le point de tenir,6c de récompenfer la con*
rtance des Pariliens après tant de calamités. Il donna en
même tems le bâton de Maréchal de France à Chrétien de
Savigny de Rofne , 6c le fît gouverneur de l'ifle de France
par un brevet qui fut enrégiftré au Parlement. Le Duc le
iît partir auiTi-tot pour les Pays-bas, afin de prefTer le duc
de Parme de hâter la marche de l'armée auxiliaire qui de-
voir appuyer les Etats. Le Légat, le cardinal de Pcllevé 6c
l'archevêque de Lyon allèrent à Rheimsavecla plupart dQS
Députés des villes pour aiîîfler à cette aiïemblée.
Le château Pendant que les Parifiens fe plaignoicnt des maux auf-
l*arche"efl:^ qucls ils étoient expofés , le Roi eut quelque chagrin de la
furpns par perte du châtcau du Pont de l'arche. L'ennemi s'en étoit
les Ligueurs, çj^p^j-^i ^\^^^ l'abfcnce de du Rolet qui étoit alors détenu pri-
ibpnier à Rciien. Du Clufeau, 6c Loiiis de la Chaftre jeune
homme
DE J. A.DE THOU, Liv. CIIL 515
homme d'une très-belle figure, étoient prifonniers de guerre ■ '
au Pont de l'Arche. Ce dernier ayant gagné ou trompé les Henri
femmes qui étoient dans le château , vint à bout de s'en I V.
rendre le maître. La ville eft fituée au-delà du fleuve, & i 591.
jointe au château par un pont que les Royaliftes forci fièrent
auflî-tôt. Le Roi ayant appris que le canon du château in-
commodoit beaucoup la garniion de la ville, s'y rendit en
diligence , afin de fortifier un pafiage fi favorable , èc dans
le deflein de bloquer fi étroitement le château, dont il n'a-
voit pas le tems de faire le fiége , qu'il ne pût incommoder
la ville.
Le Roi fut dédommagé de cette perte par la prife de Ro-
croy fur la frontière de Champagne. Cette place venoit d'ou-
vrir Cqs portes au duc de Nevers. Champigny qui en étoic
Gouverneur , craignant de mauvais traitemens de la part des
deux frères Pemols , aufquels le duc de Guifè & S. Paul
vouloient donner fa place, il les chaiTa de la ville avec les
ibldats qui lui étoient fufpeéls • enfuite voyant que les Lor,
rains irrités de cette ad;ion ailoient tomber fur lui avec
toutes leurs forces, il ne demanda au duc de Nevers, pour
remettre la place au Roi , que les dépouilles de ceux qu'il
âvoit chaflés de Rocroy , &c fe rendit à cette condition.
Sur ces entrefaites , Baillet deVaugrenan gouverneur de
Saint Jean-de-Laulne , tailla en pièces dans le voifinage de
Dijon dix compagnies d'infanterie commandées par le ba-
ron de TeniiTay lieutenant du duc de Nemours, & fe faific
des drapeaux & du bagage. Le baron de Biron qui s'étoic
un peu remis de la bielFure qu'il avoit reciië à Efpernay ,
étant allé en Guyenne pour y confoler fa mère de la more
du Maréchal , en revint par Tours, où par une grâce fingu-
liére le Roi lui donna ran^ de Confeiller au Parlement ; il
prêta le lendemain vingt-unième jour de Décembre le fer,
ment d'Amiral ^ on fit publiquement fon éloge j on vanta
ks fervices de fon père , èc ceux qu'il avoit rendus lui-
înême à l'Etat.
Pendant tout ce tems , on fe battit avec différens fuccès
départ 6c d'autre en différens endroits du Royaume. Claude
de Villequier dont les grands biens héréditaires étoient en-
core ac,cru$ des libéralités de nos Rois , pofiTèdoic à cinq
Tome XI, T T ç
itf HISTOIRE
lieues de Loches la ville de Guierche. Cette place efl fl-
Henr.1 tuée avec un pont fur la Creufe , de l'autre côté èc au-
I V". deiïbus de Rochepozay j cette rivière qui termine la Guyenne
î 55;i. du côté du Septentrion , fépare la Touraine d'avec le Poi-
tou. Le duc d'Efpcrnon avoit mis un Gaicon appelle Ar-
nauld de Sallerm avec une bonne garnifon dans Loches. fur-
Indre, dont la citadelle eft après le château d'Amboife, la
plus forte de tout le païs. Ce Gouverneur s'ètant comporté
avec une grande modération, avoit toujours eu beaucoup
de déférence pendant route la guerre pour Souvré lieutenant
de Roi de la Province j mais ayant changé tout d'un coup,
èc fe laiiTant aller à l'idée flateufe de faire un butin conlî-
dérable à la Guierche , il chercha les moyens de furprendre
cette ville. Villequier qui étoic déjà vieux , s'y croyoît en
fureté à l'abri d'une fauve-garde, que le duc de Mayenne
ôc le Roi lui avoient accordée.
Surprîfe fur Le gouvemeur de Loches , pour donner une couleur à fon
la Guierche. entreprife , accufa Villequier d'avoir donné retraite au Vi-
comte fon fils , qui faifoit la guerre en Poitou pour la Ligue,
& de lui avoir laifTé libre le paiîàge du pont de la Guierche
pour faire des courfes dans la Touraine, Après s'être fait
un prétexte , fans confulter Souvré, il fit partir devant lui
î^ 2. de Février Patras de Champagnol le cadet à la tête
d'un détachement. Ces troupes étant arrivées à la Guierche,
en efcaladérent les murs le jour fuivant , ôc fe faifirent de la
ville. Chaftiére qui en étoit Gouverneur étant accouru au
bruit fut tué par les foldats de Patras. Il n'y eut que quel-
ques maifons mifes au pillage , & l'on épargna le refte ,.
jufqu'à ce que Sallerm averti de ce fuccès fe fût rendu dans
cette ville , èc qu'il eût réduit la citadelle, où Villequier s'é-
toit enfermé. Sallerm ayant prié dans le même tems de Vau-
vré frère de Montigni , fans néanmoins lui communiquer fon
defïèin, de lui donner trente cuiraffiers & cinquante arque-
buficrs à cheval commandés par du Bois de la Vigne , &C
ayant mandé la garnifon de Chaftillon-fur-Indre , qui étoic
fous les ordres de Courcelles , 6c les compagnies de la
HoufTaye ôc de Merey compofées de foixantearqucbu fiers,
il envoya devant lui Sainte-Anne , des Clufèaux & Saint-
Michel Capitaine du régiment de Vatan , pour féconder
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIL yrj
Campagnol. Il leur donna deux coulevrinesfur leurs affûts , " ' i
qu'il fie conduire par la Vallade Capiraine d'une compa- Henri
gnie des ioldats de la garnifon de Tours j ( car il avoir IV.
obtenu du Maire de cette ville, en rabfence du Gouver- ij^i.
neur , que cet Officier le fuivîc à cette expédition qu'il mé-
ditoit. )
Sallerm ayant aflemblë toutes ces troupes fortit de Loches
à la tête de cinquante foldats armés de toutes pièces , & fe
rendit fur le foir à la Guierche , où il eue avis que le Vi-
comte accouroit au fecours de Ton père avec deux cens cui-
raffiers , un pareil nombre d'arquebufiers à cheval , deux
cens hommes d'infanterie Françoife , ^ deux cens d'Efpa-
gnole avec une pièce de campagne. Sur cet avis il dépêcha
lur le champ vers Chateigner d'Abin qui étoit dans le voifî-
nage. Celui-ci lui envoya Ion fils avec trente cuiraflîers d'é-
lite ôc cent arquebufiers à cheval. Sallerm ayant mis le ré-
giment de Vacan à la garde du pont , tourna tout l'effort
de Tes troupes contre le château , où la plus grande partie
de la Nobleffe des environs s'étoit enfermée. Il les menaça
de ruiner leurs maifons autour de la Guierche, s'ils ne for-
toient au plutôt de la place. Epouvantés par ces menaces ils
fe retirèrent le 5. de Février fans avoir pris auparavant
aucunes iûretés 5 & malgré tous les efforts que fie pour les
retenir le vicomte de la Guierche, qui fe plaignoit qu'on
l'abandonnât auiTi lâchement à la merci d'un Gafcon affa-
mé i c'étoit ainfi qu'il appelloit Sallerm.
Après leur départ Campagnol le cadet entra dans la place
avec vingt foldats. Cependant Sallerm preffoit Villequier
de lé rendre , prévoyant que il le Vicomte venoit au fe-
cours de fbn père, il feroit plus difficile de prendre le châ-
teau j d'Abin étant arrivé lui-même le lendemain, on laifla
un nombre fuffifant de foldats dans la ville, pour aller avec
le refte des troupes au-devant du Vicomte. D'Abin &: Sallerm
rencontrèrent une compagnie de foldats qui s'étoient avan-
cés jufqu'à Château-Vieux , bourgade à trois lieues de la
Guierche, & les taillèrent en pièces. Les fréquentes courfes
qu'on faifoit de part &: d'autre empêchant nos foldats de
bien reconnoître l'ennemi, qui fe retiroit par les bois & par
des chemins couverts d'arbres, d'Abin de Sallerm marchèrent
TTcij
Si6 HISTOIRE
g— ■■ ' ' vers la tour d'Oiré qui efl fur une hauteur à la droite' ,
Henri 6c quittèrent les traces du Vicomte.
I V. Le jeune d'Abin &: la Vigne à la tête de fes coureurs le
1 <Qi. pourfuivoient pendant ce tems-là. Ayant été joints par un ren-
fort de la garnifon de Cbatelleraut , que Heclor de Preau
leur avoic amené en côtoyant la Vienne , ils chargérenE
l'ennemi , dont l'infanterie ëtoit poftée dans un lieu forti-
fié entre un fofTé, des hayes fort hautes, & un moulin au-
deflous du Château-d'lfle. De Preau corn mènera la charge
avec les Gardeuil frères, Meffignac , de Creufe , de Cornefat,
de Vauvrè , Boifredon 6c la Bruere. Après un combat opi-
niâtre s'ècant mis à couvert d'un grand feu de l'artillerie de
Châreau-d'Ifle , ils vinrent à bout de pouflèr l'infanterie
Efpagnoie jufqu'au corps de bataille, qui fut attaqué en mê-
me tems par le jeune d'Abin, 6c par la Vigne à la tête d'un
détachement qu'on envoya pour foutenir \qs premiers. Ils
n'eurent pas beaucoup de peine à mettre en déroute \qs en^
uemis qui plioient déjà , dans l'épouvante que leur caufoit
la défaite des leurs. Les fuyards voyants les paiïages fermés
par d'Abin 6c par Sallerm du côté de Chauvigny k jettérent
dans la Vienne , 6c fe fauvèrent partie à la nage , partie fur
des bateaux qu'ils cherchèrent de taus côtés. Le Vicomte
ayant fauté lui-même dans une barque pour fe fauver eut
une grêle de moufqueterie à eifuyer. La barque où il étoit
fut abimée dans la rivière fous le poids de la multitude qui
s'y jettoit en défordre. La rivière parut auiîî-tôt couverte
de morts.
C'étoit un fpeffcacle effrayant devoir furnager des bras,
des têtes 6c des jambes , 6c floter fur l'eau des cottes de
maille , des chapeaux 6c àts manteaux j des cris horribles
fe mêlants au cliquetis des armes augmentoient la terreur.
Il y eut plus de quatre cens des ennemis noyés ^ cinquante
pris , 6c un grand nombre taillés en pièces. Le Vicomte lui-
même , de Bonnes de Perigord fon Lieutenant , Grammont
neveu de ce dernier , 6c François Paluftre qui étoit le prin-
cipal auteur des troubles à Poitiers , furent du nombre des
morts. La nuit qui furvint arrêta la pourfuite àQs vainqueurs.
De Preau invcftit auffi-tôt Château-d'lfle où l'ennemi avoit
mis fes bagages 6c fon canon. Le capitaine Spineta fe rendit
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 517
a la première fommatîon qui lui en fut faite. Sallerm ayant
remercie d'Abin, donc l'arrivée avoic principalement con- H e n k i
tribué à fa victoire , retourna à la Guierche , d'où il em- I V.
porta de riches meubles 5 il fît prifonnier le vieux Villequier 1592..
qui avoit à pleurer Ton malheur dc Ton fils 5 il ne fut remis
en liberté que long-tems après , en payant une groile ran-
çon. Le Roi fit prefent à Sallerm de tous les emplois mili-
taires ôc offices vénaux de la nobleiTe Poitevine qui avoit pé-
ri dans cette affaire.
Les Ligueurs vengèrent bientôt cette perte par une autres c:^-
grande défaite des Royaliftes. François de Bourbon prince péditions^
de Conti , Général des troupes du Roi dans la Touraine ,
l'Anjou , le Maine & le Poitou , fe rendit à Laval pour join-
dre ÎQs troupes à celles du prince de Dombes gouver-
neur de Bretagne , & pour prendre enfemble des mefures
fur l'état des affaires. Le prince de Conti avoit avec lui An-
toine Silly de la Rochepot , & Brandelis de Champagne
marquis de Villaines. Le prince de 'Dombes avoit dans ion
armée Jean marquis de Coefquen , Jean Bourneuf de Cuilé,
Jean d'Angennes de Poigny, Roch de Sorbiers des Pruneaux
Jean du Mas de Montmartin gouverneur de Vitré, & de la
Courbe de Brée , qui s'étant jette enfuite dans les troupes
du duc de Mercœur , en reçut pour récompenfe le grade
de Maréchal de Camp. Il y a toute apparence que cet Offi-
cier découvrit au Duc tous les defTeins qu'on prit alors. Après
ime mure délibération , les Princes réfolurent d'afîiéger avec
toutes leurs forces Craon fur l'Oudon, ville appartenante à
la maifon de la Trimouille. Cette place étoit munie d'une
bonne citadelle. Le Cornu du Meffis qui en étoit gouver^
neur avec une forte garnifon infecMt par fes courfes le Maine,
l'Anjou èc la frontière de Bretagne qui en étoit voifme. Le
prince de Dombes ayant donné jour à fes troupes partit de
Rennes à la tête de douze cens fantaffins Anglois ôi fepn
cens Allemans , de quatre cens cuiraffiers à cheval , 6c de
huit pièces de canon en bon état. Il avoit avec lui les mar»
quis de Coefquen &: de Rieux d'AfTerac , Charle Gouyon
de la Moufîaye , Auger de Crapado , Boifrouault , des Pru-^
neaux 6c autres Officiers. Fournier 6c de l'Eilrellequi avoienc
été chargés de faire des recrues en Normandie , Province
TTtiii
i«nta
518 HISTOIRE
voifine de la Bretagne , eurent ordre de prendre les devants,'
H ii N R. I Les ioldats n'avoient pas encore poulie la licence fî loin ,
I V. que dans cette expédition 3 ce qui fut de mauvais augure
I 59 z. P^^^ 1^ rélilTite de l'entreprife.
La ville de Craon fut inveftie le 14. d'Avril par [qs Koya-
sicge de Jiftes , qui fe faifirent de l'Abbaïe ôc du fauxbourg de S. Cle-
ï^aon. ment , d'où l'ennemi , qui vouloit y mettre le feu , fut vive*
pient repoufTé. Le prince de Conti fe rendit au camp onze
jours après, avec Charle de Monmorency Damville, Her-
cule de Rohan duc de Monbazon , Antoine Silly de la Ro-
chepot , Nicolas d'Angennes de Rambouillet , Pierre Do^
nadieu de Pichery , èc Claude de Beuil de Racan maréchal
de camp. Il avoit outre cela trois cens gendarmes & douze
cens hommes de pied. Son artillerie arriva trop tard j ôc
aind le commandement étant partagé dans l'armée , tout
s'y faifoit avec tant de négligence , que tandis que les trou,
pes du prince de Conti pouiîbient la tranchée de travaîl-
loient à defTecher le folTé qui étoic très-profond , il s'écoula
quarante jours fans rien faire.
Le duc de Mercœur bien inftruît de tout ce qui fe pafToîc
an camp , par le moyen de la Courbe , qui venoit d'aban-
donner l'armée des Royalifbes , pour fe jetter dans fon parti,
eut le tems d'àlTembler fon armée , èc de venir au fecours dQs
afîîégés. Ce Général s'écant avancé jufqu'à Chatellaye , hs
Royaliftes tinrent Confeil , pour fe déterminer far le parti
qu'il y avoit à prendre dans ces circonftances. L'arrivée im-
prévue de l'ennemi fut caufè de la confufîon àc du trouble
qui régna dans le Confeil. Enfin on réfblut que le prince de
Dombes feroit repailer l'Oûdon à fes troupes, que cette ri-
vière féparoit de celles du prince de Conti 5 &c rameneroic
auffi fon canon , pour n'être pas obligé de foutenir feul tout
l'effort de l'armée ennemie. Cette jondion dévoie encore
mettre les RoyaliAes plus en état de former une armée,
qu'on piit ranger en bataille.
Les troupes du prince de Dombes pafférent la rivière fur
àQs bateaux , fans avoir la précaution de rompre le pont der-
rière elles. Le duc de Mercœur fit paffer delTus le lende-
main fon armée , qui confiftoit en fix mille hommes de pied
ê^huitcens chevaux. Nos Généraux rangèrent leurs troupe?
I:)E J. A. DE THOU, Liv. Cîlî. 51^
en bataille le long du FofTé en deçà de l'Oudon dans un ^^"^^'^^^
terrain ëtroic ôc défavantageux , fous le canon de la cita- Henri
délie. On avoic renvoyé le jour d'auparavant l'artillerie à IV.
Château-Gonthier. Les foldats ayant enlevé de tous côtés , i 5 0 i,
dans les ravages qu'ils faifoient à la campagne , les bœufs 6c
les chevaux , on n'en trouva point pour tranfporter le canon,
qu'on fut obligé de lailler fur le grand chemin , à l'excep-
tion d'une pièce que Ton jetta dans la rivière j on entoiiic
aufîî les boulets dans la terre, parce qu'on ne put les tranf-
porter. Des Pruneaux qui faifoit dans cette journée la fon-
ction de Maréchal de camp avec Racan , avoit d'abord con-
feillé de charger ceux des ennemis qui avoient paiïé le pont,
fans attendre que le refte de l'armée fût arrivé. Mais le par-
tage du commandement &; la méfîntelligence des Maré-
chaux de camp , furent caufe qu'on négligea un confeil iî
fage.
Le duc de Mercœur informé par les déferteurs des difpo-
iîtions de nos Officiers , hâta la marche de fes troupes , qui
arrivèrent à la vue des Royalîftes plutôt qu'ils ne s'y atten-
doient. Ces derniers prirent alors la funcfke réfolution de
faire retraite en préfence de l'ennemi , malgré tout ce que
put dire Damville, qui les aiïiiroit qu'on perdoit toujours
beaucoup plus de monde en fe retirant , ou dans une fuite ,
que dans un combat. Il leur repréfenta inutilement que cette
faute avoit été la feule caufe à S. Q^ientin de la défaite du
Connétable de Monmorency fon père , qui d'ailleurs étoic
un Général d'une expérience confommée. Le prince de
Conti qui menoit l'avantgarde étoit environné d'infanterie,
parce que le terrain étoit coupé de folFés &c de haïes en cet
endroit. L'arriéregarde étoit commandée par le prince de
Dombes , qui avoit fa compagnie de cavalerie foutenuë
d'autres cavaliers d'élite , fuivis d'une troupe d'infanterie
Allemande. Les Anglois qui fermoient la marche de l'ar-
mée avoient avec eux la cavalerie légère qui les couvroit. On
avoit laijGTé derrière , les lanciers & les arquebufiers Fran-
çois , pour efcarmoucher contre l ennemi dans la retraite.
Le prince de Conti ayant laiiïè Craon à fa gauche , s'avan-
coit déjà du côté de Château-Gonthier , fuivi du prince
de Dombes. Nos foldats ejfFravés à la vue du péril
520 HISTOIRE
marchoient en défordre , lorfque Boifdanphin à la tête de
Henri l'avant-garde ennemie , voyant le prince^de Conti déjà pafle,
I V". - chargea les Royaliftes enqtieuë. Il fut d'abord repouflë par
1592. le duc de Monbazon , fécondé de Pichery &: de Sarroiiet â
la tête de fa compagnie de cavalerie. Les Allemands &; les
Anglois le battirent avec un courage héroïque. Le prince
de Dombes capitaine 5c foldat , animant les liens de la voix
& par ion exemple , retourna trois fois à la charge ^ mais
voyant que le feu de fa moufqueterie commencoit à fe rai-
kncir faute de balles , 6c que les coups de fes arquebufiers
n'avoicnt plus d'eflFet , il ie retira enfin prefque feul , avec
Saint- George colonel d'un régiment. Ce fut ainfî que le duc
de Mercœur , qui n'étoit venu que pour fecourir les affiégés ,
fans aucun delîein de donner bataille , remporta une victoire
dans le tems qu'il y fongeoit le moins.
Le maiïacre fut plus gra,nd après le combat , que le car,
nage dans l'adion. L'infanterie courant en défordre çà & la
entre des haïes èc des folfes , fut alFommée par les païfans.
Nous perdîmes ilx cens hommes dans cette défaite , avec
Baferon capitaine'des gardes du prince de Dombes , &c Tre-
fumel qui avoit rendu de grands lèrvices au Roi avec fa
compagnie de chevaux -légers , durant le cours de cette
guerre. Varannes de la maifon de Soudun ayant été laiiïé
pour mort fur le champ de bataille , tomba entre les mains
de Fontenelle , &. le duc de Mercœur fe faifit du canon qui
étoit refté en chemin. Cette défake arriva le 24. de May.
Les Royaliftes fe retirèrent à Château Gonthier après cette
perte , qu'ils auroient pu réparer , s'ils ne fe fulFent pas fé«
parés j mais fe laiflants aller à la frayeur, ôc la NoblelTe le
prelFant de fe rendre dans (qs terres , pour les mettre à cou-,
vert des infukes de l'ennemi , ce fut une néceiTité de parta-
• ger les troupes. C'eft pourquoi on fît fortir la garnifon de la
place , où l'on ne lailîa que la Lande-Congrier , qui ayanc
îait , pendant que l'armée fe retiroit , une réponfe équivo-
que à la première fommation defe rendre , qui lui fut faite
par le duc de Mercocur , capitula à l'arrivée des troupes en-
nemies. Boifdauphin voulant profiter de ce fuccès parut de-
vant les murs de Laval & de Mayenne , qui lui ouyrirenE
leurs po;-te5 ^ à l'exemple de Chiteau-G.onthierp Le prince
de
DE J. A. DE THOU, Liv. CI IL 511
dt Contî fe retira à Sablé fur la Sarce dans le Maine, le prin- ';:!r:n^rr'^'r^
ce -de Dombes à Rennes avec ce qui lui reftoic d'Allemands , Henri
& les Anglois , bleiTés pour la plupart ou défarmés , furent I V.
envoyés à Vitré. * I59i.
Le Roi ayant appris , lorfqu'il pourfuivoit le duc de Par-
me , la défaite des Princes , envoya promptement Mont-
martin à Vitré , pour rafTûrer par fa préfence cette ville ,
qui étant fur la frontière de Bretagne , étoit avantageufèment
fituée pour les affaires de la guerre , & fur laquelle il fça-
voit que le duc de Mercœur avoit depuis longtems des def-
feins. Montmartin logea les Anglois dans le fauxbourg , ôc
leur fît donner avec beaucoup d'humanité tout ce qui leur
étoit nécelîaire. Lavardin eut aufli ordre de fe rendre à fon
gouvernement du Maine , afin d'empêcher que cette Pro-
vince voifine de la Bretagne , ne foufFrît en aucune manière
de cette défaite , & pour être à portée de féconder le prince
de Conti dans toutes les occafions. Le maréchal d'Aumonc
fut nommé gouverneur de Bretagne à la place du prince de
Dombes , que nous appellerons déformais le duc de Mont-
penfier. Ce Prince ne quitta la Bretagne, que pour fuccé-
der à fon père après fa mort , dans le gouvernement de
Norm.andie. D'ailleurs le Roi , qui vouloit lui faire époufer
Ja princeife Catherine fa fœur , étoit bien aife de l'avoir au-
près de lui. On donna pour Lieutenant au Maréchal , Fran-
çois d'Efpinay de Saint-Luc , Officier d'une grande expé-
rience, & qui avoit beaucoup d'efprit. Saint-Luc étant allé
àBroiiage dont il étoit Gouverneur, leva dans la Saintonge
trois rçgimens d'infanterie , & quelques compagnies de ca^
Valérie.
Le duc de Mercœur s'étoit déjà mis en chemin , dans le
deflejn de mettre le iîége devant Vitré , fe flattant d'en ré-
duire aifément les habitans confternés de la mort de du Pey-
rat Lieutenant du Gouverneur, qu'un accident fâcheux, ou
plutôt , comme on le croit , un artifice des ennemis , venoic
de faire périr. Mais ayant appris que Montmartin étoit ar-
rivé , 6c qu'il y avoit dans la ville environ douze cens hom-
mes , il rabâtit fur Maleftroit. Le duc de Montpenfîer écri-
vit auflitôt à Montmartin , à Sarroiiet , à Moufche , 6c à
(d'autres Officiers , de fe rendre auprès de lui , 6c les fie
Tpme XI. V y y
52i HISTOIRE
■ marcher au fecours des affiégés. S'ëtant avancés jufqu'à Ploer-
H £ N K 1 niel , qui n'eft éloigné de Maleftroic que d'une demi4ieuë ,
I V. ils apprirent que la place avoir déjà capitulé.
i cqz, Peu de tems auparavant , de Vicques brave Officier , qui
faifoit la guerre en baiïè Normandie pour le duc de Mer-
cœur , fut rué devant Pontorfon , place frontière de cette
Province èc de la Bretagne. Sa mort délivra Jacque de Mon-
gommery Gouverneur de cette ville , d'un ennemi dange- -
reux. Après la prife de Maleftroit , le duc de Monpenfier
chagrin de ne point trouver i'occafion de fe fignaler , 6C
voyant que les Anglois ôc les Allemands femutinoient , par-
ce qu'on les tenoit en garnifon à la défenfe des places , les
en tira dans le dellein de féconder René de Rieux de Sour-
deac , qui faifoit le fîége de la tour de SelFonne , appellée
autrement le Fort de S. Brieuc , mais ayant appris en chemin
qu'il avoit levé le (iége aux approches de l'armée Efpagnole ^
commandée par le duc de Mercœur , de qu'environ trois
cens Lorrains nouvellement entrés en Bretagne , s'étoienc
jettes dans Dinan ^ dont ils oc'cupoient les Fauxbourgs , il
s'en approcha dès le point du jour dans un grand filence ^
liiivi de deux cens chevaux &; d'un détachement d'infante--
rie. Il chargea Montmartin d'attaquer ces Lorrains , & leur
enleva leurs quartiers , après en avoir tué plufieurs. Les au-
tres fe réfugièrent dans une Eglife voifine , où ils fe défen-
dirent contre les Royaliftes.
Le maréchal d'Aumont s'étoit déjà rendu à Tours , 6s
avoit envoyé avant fon arrivée les lettres du Roi aux Gou-
verneurs des places voifînes. Il avoit avec lui Gille de Sou-
vré gouverneur de Touraine. Ayant mandé plufieurs Offi-
ciers , Lavardin quitta le Maine , Montigni le Berri , ôc
George de Clermont d'Amboife l'Anjou , pour ie rendre
auprès de lui. Bouille comte de Créance , du Bourneuf
fon frère , Brandelis de Champagne marquis de Villaine,
ÔC d'autres Gentilshommes des environs, lui amenèrent des.
troupes, qui confiftoient en trois cens cuiraffiers à cheval,
èc deux mille cinq cens hommes de pied. Lavardin lui four-
nit deux groiles pièces de canon , & l'on en fît auffi venir
deux autres d'Angers. Le Maréchal alla camper avec ces
troupes devant Mayenne dans le Maine. Cette place efk
DEJ. A. DETHOU,Liv. CIIL 523
fîtuée fur la rivière de Mayenne , qui pafTanc d'abord à Laval, ?==='??!=??
coule à Châceau-Gonthier , éc recevant enfuice la Sarte Henri
dans Ton fein à Carcene , arrofe la ville d'Angers , 6c va fe IV.
perdre dans la Loire , un peu au-deiïbus de cette place. Au i cg 2.
bout de quinze jours de tranchée ouverte , Mayenne ouvrit
fes portes, après avoir été battue par l'artillerie. On ne Ht
durer Ci longtems ce fiége , que pour attirer Boisdauphin ,
qui étoit à Laval. Le Maréchal efpéroit que ce Seigneur
venant au fecours de la place , il y auroit occafîon de lui don-
ner bataille. Mais il fut trompé dans fon attente 5 car Bois-
dauphin demeura toujours à Laval , que d'Aumont avoit
delîein d'affiéger après la prife de Mayenne. Le duc de
Monpenller l'en faii'oit même prefTer par Montmartin , qu'il
lui avoit dépêché.
Les Angevins ayant auffi député vers lui , pour le prier
d'avoir égard aux dangers qui les environnoient , lui repré-
fentérent que leur ville étant en ces quartiers , comme un
rempart contre les entreprifes du duc de Mercœur, ils étoienc
continuellement expolés aux infultes de ce puiffant ennemi j
2c que la garnifon de Rochefort , dans les fréquentes forties
qu'elle faifoit même jufqu'aux portes d'Angers , en mettoit
les fauxbourgs à contribution. Ils ajoutèrent qu'ils ne pou-
voient plus loufFrir une audace qui les couvroit de honte ,
6c qui étoit d'ailleurs d'un exemple dangereux j car quelle
récompenlè de leur fidéHté pourroient efpérer les autres
villes , fi elles voyoient la ville d'Angers abandonnée aux
infultes de l'ennemi. Ils le conjurèrent donc de fe rendre à
leur prière. Ils lui dirent , pour l'engager à mettre le fiége
devant Rochefort ; Qu'il n'étoit pas fi difficile de forcer
cette place : Qu'il ne falloit que faifir l'occaiîon , qui ne pou-
voit être plus favorable : Qu'on lui fourniroit tout l'argent
néceiïaire pour payer (hs foldats : Que le duc de Mercœur,
dans la confiance que lui infpiroit fa victoire , étoit fort éloi-
gné : Que les foldats de l'ennemi , qui s'étoient retirés char-
gés de butin dans leurs maifons , n'en fortiroient pas aifé-
ment pour feraffembler autour du Général : Qu'enlever Ro-
chefort à l'ennemi , c'étoit lui ôter plufieurs places : Que la
ville de Laval n*étoit pas affez importante , pour lui faire
négh'ger l'expédition qu'on lui propofoit , & tourner toutej
V V v ij
514 HISTOIRE
■ Tes forces contre elle : Qu'il fe laifTât fléchir -, qu'il dctruisk
Henri cetce retraite de brigands , èc délivrât par ce moyen d'une
I V. tyrannie infupportabie , Angers , tout l'Anjou , le Maine , le
3 551 2. Poitou , & la Touraine.
La demande des habitans d'Angers parut d'autant plus
raifonnable au maréchal d'Aumont , qu'elle étoic accompa-
gnée de grandes ofFres d'argent , & de munitions de bouche
dont il manquoit abrolument. C'effc pourquoi , s'étant ex-
cufé auprès du due de Montpenfier d'alTiéger Laval, il ne
penfa plus qu'à faire le fiége de Rochefort. Il donna ordre
à Montmartin 6c à Pichery de le devancer pour invertir la
place, & les fuivit bientôt avec le refle de l'armée. Lavar-
din y vint auffi avec René de Saint-Denis Hertré , accom-
pagné de quelques troupes d'élite. Peu de jours après , le
prince de Conti fe rendit au camp avec fa compagnie de ca-
valerie. On fit conduire devant la place dix grofles pièces
de canon , parmi lefquelles il y en avoit deux , & autant de
coulevrines , que Philippe du Pleflîs-Mornay avoit envoyées
de Saumur.
sicgc de Rochefort eft iitué fur le bord de la Loire au-defTous d'An^.
paTksRoya- ê^^^ 5 comme dans une Peninfule entre Chalone fur la ri-
ixihs, viére de Laïon, & un petit ruiiîèau, qui coulant de l'étang
de BrifTac , va fe rendre dans la Loire auprès de Meurs.
^ Cette place a pris fon nom de la nature du lieu ou elle eft
bâtie 5 car elle eft iituée fur un rocher d'ardoife efcarpé de
tous côtés. Il y a un grand nombre de mines de cette forte
de pierre en ce païs-là. Rochefort commande la ville de S»
Symphorien , à laquelle elle eft jointe par un pont. Cette
dernière place , qui appartenoit autrefois à la maifon de la
Trimouille , a paiTé par un mariage dans celle de Levis de
Mirepoix. A Toppofite de Rochefort,s'éleveun autre rocher
plus haut appelle la Gueufye , fur lequel il y avoit eu au-
trefois un château , qui avoit été ruiné dans les guerres des
Anglois. Ce fut en cet endroit qu'on fit braquer du canon
fans beaucoup d'efFet, à caufe de la diftance qu'il y avoit de
là. à Rochefort. On battit plus fortement la tour , la batterie
étant de niveau. La tranchée ayant été achevée , on atta-
cha le mineur au corps de la place. La bafterie fut changée
de place plusieurs fois , & il s'écoula deux mois entiers lans
DE J. A. DE THOU, Liv. CIÎI. 52^
tien faire. Saint-Luc étant arrivé au camp avec deux régi-
mens , le fîége n'en avança pas davantage , par la méfin- He n b. i
Eelligence des Officiers. I V.
Enfin la longueur du fiége, plutôt que les efforts des aflié- 15^ 2,
geans , ayant réduit les ennemis à une extrême difette , ils
députèrent vers le duc de Mercœur , pour l'engager à venir
à leur fecours , fî-non qu'ils capituleroient avec le maréchal
d'Aumont. Ces députés pafTérent & repaflérent libremenn
au milieu de nos quartiers , à la faveur des intelligences
que félon toutes les apparences ils avoient avec quelques-uns
d'entre les Royaliftes. Etant rentrés dans la place , ils en-
couragèrent les affiégés à tenir bon jufqu'à l'arrivée des fe-
cours qu'on leur avoit promis. Les approches de l'hiver ,
leseauxqui commençoient à groffir , èc l'arriv-ée du duc de
Mercœur , à la tête de troupes fraîches contre des gens
épuifés de fatigues , firent échouer l'entreprife.
La place étoit défendue par François Hurtauk de Saint--.
Oflfange , & par Almeric fon frère. Ils avoient d'abord été
dans le parti du Roi , qu'ils abandonnèrent après s'être laif^
fés lèduire par le defir de s'enrichir du pillage. S'étant faifis
de la perfbnne de Scipion Sardini d'une famille de Sénateurs
de Lucques , qui alloit d'Angers à Tours , ils exigèrent de
lui une rançon de dix mille écus d'or. Enfuite craignants;
qu'on ne les punît d'une action fi violente, ils comblèrent
leur crime en fe jettant dans le parti des ennemis. Ils te-
Boient le fleuve avec une galère armée , & ravageoient les
environs dans les defcentes continuelles qu'ils y faifoient.
Parn^ii les cruautés qu'ils exercèrent dans cette guerre , la
principale fut de faire mourir leurs prifonniers de guerre ,.
qu'ils foupçonnoient d'être Proteftans, comme fi leur fen-
tence eût été prononcée..
Le duc de Mercœur , par mépris pour l'autorité Royale^
avoir tranfportè d'abord là Jurifdidion d'Angers à Roche-
fore, & il enavoit fait Préfident Jean de Launay le Maçon,
proche parent de Saint- OfFange , qui avoit été acculé en
Juftice d'avoir afiTaffiné le baron de la Motte- Serrant. Le
Maçon s'étoit fait connoître par la facilité qu'il avoit X
railler , par fon adrelle à éluder les preuves qui le trouvoicnc
contre lui ,. ôc à recufer des témoins. Il devoit cette fubtilito
VVv U'i
51^ HISTOIRE
■ à feize ans d'une pnTon ennuyeufe j & elle lui donnoîc les
Henri moyens d'embarralFer Tes accufateurs , & de fe faire des af-
I V. faires à lui-même , par les décours de la procédure la plus
I jf?!. embarralTée. Le duc de Mercœur voyant que \qs plaideurs
ne pouvoienc fe rendre- à Rocheforc , transféra cette Jurif-
didion à Nantes.
On traita dans le même temsavec la dernière inhumanité
un Proteftant. Ayant eu ordre d'aller chercher du bois , 6c
d'en faire un feu de joye , à caufe de quelque heureux fuccès
qu'on avoit eu , ce malheureux fut jette dans le feu &c brûlé
vif à la viië des Saint-OiFange , qui applaudirent à cette
barbarie. Il y eut plus de deux mille coups de canon tirés
à ce fiége , où nous ne perdîmes qu'un petit nombre de fol-
dats avec Saint-George colonel d'un régiment que le Roi
donna à Terchant fils de Montmartin. Pichery fut blefTé
d'un coup d'arquebufe au vifage , & Jacque de la Vigne de
la Baftide au côté. Le capitaine Magnan reçut à la cuiflè
une bleflure dont il demeura eftropié.
Le duc de Mercœur, à la nouvelle de la levée du fiége,
lie voulant pas demeurer dans l'inadion , rebroulTa che-
min , êc par ies marches &; contremarches , il mit tout le
monde dans l'incertitude de ce qu'il avoic deflein de faire.
Enfin il alla camper devant Quintin au comté de Laval , où
il fçavoit que Lifcoiiet s'étoit retiré depuis peu avec l'agré-
ment du duc de Monpeniicr , pour y donner du repos à fcs
foldats. Cette ville efl de peu de défenfe , à caufe de fa fitua-
tion défavantageufe. Lifcoiiet ne fe fentant pas afTez de
forces pour foûtenir un fiege , rendit la place, vie & bagues
fauves , pour lui & pour les Allemands , dont le Duc exi-
gea une fâcheufe condition, qui fut de fortir de Bretagne,
éc de n'y porter jamais les armes à l'avenir pour le fervice
du Roi.
Cette perte fut fuivie d'une plus confidérable. Les An-
glois s'ennuyant de refier dans l'inadion en l'abfence d'E-
douard Norris , qui croit pafTé en Angleterre pour faire de
nouvelles levées , firent demander par leur Commandant
au duc de Monpenfier la permillion de fe retirer à Dom-
fronr , afin que le changement d'air pût arrêter le cours des
maladies qui régnoient parmi eux , & pour être plus à portéç
DE J. A. DE THOU, Lrv. CIII. 527
(îe fe joindre à leurs compagnons , qui dévoient bientôt
arriver par Caën. Le duc de Monpenfîer , qui n'approuvoit Henri
point ce deffein , leur repréfenta qu'ils feroient obligés de 1 V.
palTer à travers un païs ennemi , où ils s'expoferoient à être i çg i.
afTommés parlespaïTans du parti de la Ligue. Mais n'ayant
pu les faire changer de fentiment , ils partirent au nombre
de lept cens fous la conduite de leur Commandant j s'étanc
arrêrës à Ambrieres , bourgade à trois lieues de Mayenne ,
ils y féiournérent pendant quinze jours.
Sur ces entrefaites, Boifdauphin ayant aflemblc les gar- lesAnglcis
nifons de Laval . de Craon , & de Fougères , vint les atta- ^o"^^^""^
, 1 j ., ^ , ' ' . , , par lesLi-
quer dans le tems que deux cens a entr eux croient ailes gueurs.
acheter des vivres à Caën. Qiioiqu'ils fufîent enveloppés,
le combat fut opiniâtre , l'ennemi y eut même beaucoup de
monde tué 5 mais il vint enfin à bout de tailler les Anglois
en pièces àc de les diiîiper. Il n'en refta tout au plus que qua-
tre cens , même en comptant ceux qui ne s'étoient pas trou-
vés à cette affaire. La plupart furent faits prifonniers avec
leur Commandant, auquel le duc de Monpenlier avoit écrit
plufieurs fois de revenir le joindre avec lés troupes , pour
éviter le danger qui les menaçoit. Vincent Launay la Chef-
naye- Vauloiiet gouverneur de Fougères , reçut dans ce com-
bat une blellure dangereufe , dont il mourut après avoir
langui pendant quelques mois.
Le duc de Monpenfîer découvrît à la fin de l'année une Confpiratiou
confpiration , dont il punit iëvérement les auteurs. La dé- «^^couYcrtc
faite de Craon ayant caufé la défedion de plufîeurs d'entre
les Royaliftes , Jean de Rieux marquis d'Aflerac , jeune
homme d'un naturel bouillant & d'un efpiit turbulent, fut
de ce nombre. Voulant fîgnaler fon changement par quel-
que coup d'éclat , il trouva le moyen , foit à force d'argent ,
foit autrement , de corrompre la fidélité d'Auger de Cra-
pado , qui ayant été élevé dans la mailon du duc de Mon-
penfier, avoit toujours paru avoir beaucoup d'arrachement
pour le Roi. Il le détermina à livrer à l'ennemi la ville de
Rennes & le duc de Monpenfier lui-même. Crapado , pour
mieux couvrir les delTeins , ic£t nommer, à la recomman-
dation du Duc , un des députes des Etats vers le Roi j mais
fa trahifon ayant été découverte par des indices certains,
523 HISTOIRE
il fur arrêté furie champ. On ne lui eut pas plutôt arrache
He n: R I l'aveu de fon crime, que le Confeil de guerre, donc leju-
I V. gement fut ratifié par le duc de Montpenfier, le condamna
I J92, à avoir la tête tranchée. Sa mort caufadegrands murmures j
6c la plupart furent indignés que fous les yeux du Parlement,
^ dans la Capitale de la Province, un homme d'une no^
blefle diftinguée eut été condamné â mort par d'autres Juges
que par içs Juges naturels.
Lorfque le maréchal d'Aumont partit pour fe rendre en
Bretagne , le duc de J3ouillon fe retira à Sedan avec la
permiirion du Roi. Il apprit dans cette ville qu'Africain
d'Anglure d'Amblife , grand Maréchal dç Lorraine , avoic
alfemblé les garnifons de Verdun ^ de Villefranche , & de
pun, pour en faire une armée de deux mille hommes
d'infanterie , ôc de fept cens chevaux, avec cinq pièces de
canon montés fur leurs afFuts , &c qu'après avoir brûlé le
bourg de la Mark , il avoit mis le fiége devant Beaumonc
place de peu de défenfe dans la forêt d'Argonne. Ayant
réfolu de marcher au fecours des alîiégés , il manda aulîi-
tôt les Gouverneurs des villes foûmifes au Roi, ôçleurre-
préfenta que la prife de cette petite place cxpofoit Mou-
Ion, qui étoic de plus grande importance • il fît venir auprès
de lui les garnifons de Stenay ôç de Doncheri , comman-
dées par la Perrière Andiran, ^ par Remilly j &: fe mit en
chemin le 13. d'Odobre avec d'tflivaux, de Hauves , ôC
d'autres Gentilshommes , qui faifoient quatre cens cava..
Jiers. Dès qu'il fe fut approché de Beaumont, il s'avança
avec un détachement décent hommes, à la faveur d'une
efcarmouche qu'il engagea, ^ fit glifler quelques cavaliers
dans cette place, lorfque les affiégeans , après avoir batti;
vivement les murs, s'apprêtoient à forcer la brèche,
ÎCombat en j^^ ^^^^ ^^ Bouillon contcnt de les avoir empêchés par
liftes & les fa préfence, & d'avoir rafTûré les afîiégés , fe retira à Rau-
Ligueurs. cour place de fon Duché. Mais penfant enfuite qu'après la
prife de Beaumont , les ennemis alîlégeroient Moulbn , donc
Ja perte cauferoit un grand préjudice aux intérêts du Roi
fur la frontière, ôc aux fiens propres , il réfolut de rifquer
une bataille. Ayant grofîi fes troupes de cent cuiralîiers à
cheval , que Mailly de Rumenil gouverneur de Maubert lui
envoyoiç^
DE J. A. DE THOU,Liv. CIIL 529
cnvoyoît, & de trois cens chevaux qu'il leva de tous cô-
tés, il marcha contre les ennemis. Deux efcadrons de ca- Henri
Valérie commandés par Marry Lieutenant d'Eftivaux , par I V.
de Hauves & R^emilly , eurent ordre de prendre les devants , 1591.
& de fe pofter entre l'ennemi , 6c l'infanterie qui fut mife
à la gauche près de quelques mafures. Ses troupes étant
ainfî difpofées, le Duc chargea l'ennemi avec beaucoup de
vigueur. DambhTe avoit mis fur la gauche pour la garde
de fon canon , de l'infanterie Francjoife , Allemande ,& Lor-
raine i trois bataillons s'étoient avancés par fes ordres fur
une hauteur, dont le duc de Bouillon, fuivi de la Perrière
d'Andiran, de Pouilly,de Loppes, qui ne faifoit que d'arriver
de Stenay avec fes ioldats , de Corné & de Rumenil , vou-
loit auiGi fe faifir. Le combat s'échaufFa dans cet endroit ;
l'ennemi en fut enfin chalTé , ôc mis en déroute en fe reti-
rant vers l'infanterie.
Le Général périt avec la plupart des fîens dans cette viaoîre du
adion ^ & le duc de Bouillon y reçut deux blelTures, l'une ducdeBomir
au-deflbus de l'œil droit , de l'autre dans le bas-ventre. Cet ^°"*
accident l'empêcha de pourfuivre davantage les fuyards j
mais il donna ordre à Rumenil ôc à Betancourt d'attaquer
l'infanterie , qui continuoit à battre les murs de la place
avec beaucoup de violence. Les aflîégés ayant fait dans le
même-tems une fortie pour féconder T'eifort des Royaliftes ,
les Ligueurs enveloppés de toutes parts furent enfin taillés
en pièces. On s'empara de leur canon de des drapeaux,
tant de l'infanterie que de la cavalerie. Ils perdirent plus
de cinq cens hommes ^ nous n'eûmes qu'un petit nombre
de foldats tués j il n'y eut que Haraucourt èc quelques autres
faits prifonniers. On défarma trois cens Allemans, qui fe
rendirent avec Nicolas Granvilliers leur Commandant. La
vie leur fut accordée , à condition de ne point fervir de
toute cette année contre le Roi , 6c contre ceux de Stras-
bourg.
Qiielque tems après , Noël Richer , homme de beau- Entreprifc
coup décourage & d'induflrie , donna au duc de Bouillon {^"cfc^de^"
le plan de la ville de Dun fur la Meufe à cinq lieues de Bouillon.
Sedan. Ce Général découvrit par ce moyen qu'il étoic fa-
cile d'approcher de la haute- ville, qui avoit trois portes ,
Tûfr,e XI. XXx
530 HISTOIRE
& qu'on pouvoir aiTcmenc faire fauter avec le përarcî les
Henri deux portes intérieures , qui n'étoient féparées que par une
I V. herfe , qu'il étoit aifé de tenir fufpenduë en mettant des
I f 9 2, appuis deffous j enforte que le foldat pût le glilTer par-là fans
danger dans la ville.
Le Duc , dans la réfolution de fe fervir de ces connoilTan-
ces, partit le 6. de Décembre à la tête de fes troupes, avec
des Autels, de Morgny, de Fontaines, de Vaudoré,de Vendy
& de Rémilly. Ils arrivèrent vers le milieu de la nuit de-
vant la place , après avoir lailTé leurs chevaux dans le voifi-
nage. Ceux qui dévoient appliquer le pétard , d>c arrêter la
herfe , marchèrent devant , fuivis de dix cuiraffiers , & d'un
pareil nombre d'arquebufiers commandés par Marry. De
Caumont marchoit après eux avec deux cens arquebufiers^
qui ayant fait quelque bruit en avançant au-delà du faux-
bourg oppofé s'approchèrent de la porte. La fentînelle 6c
Mouza gouverneur de la place leur ayant demandé qui ils
étoient, Richer, quîconduifoit l'entreprife répondit , après
avoir appliqué le pétard , que c'ètoit le duc de Bouillon
qui vouloir dîner dans la ville. Le pétard ayant brifé la
première porte, on le fît jouer aufTitôt contre la féconde,
qui en fut renverfèe. La garnifon ayant lâché la herfe ^
Richer fut écrafé par une pierre j èc comme on ne put ap-
porter à tems les appuis pour arrêter cette herfe, on fut
obligé delà faire fauter avec deux pétards. Environ foîxante
foldats s'ètant jettes dans la place par l'ouverture, ils fu-
rent bientôt fuivis d'un plus grand nombre , malgré le
danger.
Il y avoît deux efcadrons de cavalerie avec une compa-
gnie d'infanterie dans la haute-ville, & quatre dans la bailè,
qui ne purent venir au fecours de leurs compagnons , parce
que les Royalifles avoient fermé le guichet. On combattit
longtems dans les ténèbres avec difFèrens fuccès depuis
trois heures du matin jufqu'à fept. Caumont ayant été
dangereufement blelfé , fut conduit par les ennemis dans
une hôtellerie voifîne, êc la victoire demeura incertaine.
La garnifon couroit fur le rempart en criant vidoire, afin
d'épouvanter les Royaiiftes qui entroient à la file.
Le duc de Bouillon lui-même, dans l'incertitude de
DE J. A. DE THOU, Liv. cm. 531
révénement, tournoie autour de la place pour voir fi Tes fol- "— — "^^
dacs ne lui donneroient aucun fignal.Dans le mêinecems, Henri
de Loppes ayant planté des échelles près du guichet fe jetta I V.
dans la place avec un détachement. Le combat fe rétablit 1591,
à fon arrivée j la garnifon, déjà épuifée de fatigues fe retira
dans la tour , où elle fe rendit enfin environ à l'heure de
midi. Ceux qui étoient dans la ville- bafie , effrayés du mal-
heur de leurs compagnons, fe fauvérent à la hâte, après
avoir mis le feu à la ville. Le Duc y mit une nombreufe
garnifon , répara le dommage caufé par l'incendie , 6c revint
en triomphe à Sedan.
La guerre ne fe fit pas avec beaucoup de vigueur cette confpration
année dans la Guyenne. On découvrit au mois d'Août une duGouver-
confpiration formée par le gouverneur de Fontarabie , pour "^g'^fg^^/^"*
livrer aux Efpagnols Bayonne, ville confidérable fur la couverte,
frontière. Ce Gouverneur entretenoit commerce avec un
Médecin de Bayonne nommé Blancpignon , par le moyen
d'un Efpagnol qui demeuroit depuis longtems dans cette
ville. Il offrit à cet homme avare de grandes fommes d'ar-
gent pour l'engager à commettre cette trahifon. Ce dé-
teftable complot iè découvrit par des lettres interceptées,
où Blancpignon diloit en termes de médecine , qu'il étoit
nécelTaire de faire promptement une faignée abondante
pour la guérilon de la maladie dont il parloit. Le porteur
de ces lettres ayant été faifi avoiia quelque chofe de la
confpiration , dont on tira le refle de la bouche du mé-
decin 6c de l'Efpagnol , qu'on avoit arrêtés fur le champ ÔC
mis à la queftion.
Le brave la Hilliére Gouverneur de la ville, qui avoic
beaucoup d'attachement pour les intérêts du Roi , ayant
appris des coupables que la flote qu'on armoit dans le voî-
finage étoit deîlinée à fair^ réufiir cette entreprife, réfolut
d'attirer les Efpagnols dans le piège où ils avoient voulu
le faire tomber. Il promit donc à l'Efpagnol de lui donner
fa grâce, s'il vouloir écrire de fa main une lettre que lui-
même avoit compofée , pour que les Efpagnols ne fe dé-
fiants de rien , vinfTent fè livrer à fa difcrétion 5 mais ce
malheureux, fans être ébranlé par la crainte de la mort,
qu'il fcavoit être une fuite néceiTaire de fon refus , fie
XXxij
53 i
HISTOIRE
- paroître autant de fermeté pour ne point trahir fa patrie^
Henri que le Médecin s'ëtoit lâchement déterminé à livrer la
I V. fienne aux ennemis • ôc facrifia généreufement fa vie pour
jcqz, fauver (es compatriotes. Le Médecin (i) êclui furent exé-
cutés dans la place publique.
Expéditions Sur la fin de l'année , le maréchal de Matignon com-
cn Guyenne, j^^^ndant en Guyenne, inveftit le Fort de Villandrade^
que le pape Clément V, avoit fait bâtir autrefois. Lagar-
nifon de cette place faifoit continuellement des courfes juf-
qu'aux portes de Bordeaux. Le Maréchal prit à compofi-
tion ce Fort , où il perdit Vivans ce fameux capitaine de
chevaux-Légers , qui avoit fait plufieurs campagnes fous
Henri avant qu'il fut roi de France. Peu de tems avanc
les fêtes de Noël , on mit , à la follicitation des habicans
de Bordeaux 6c des environs, le fîége devant la ville de
Blaye , appellée autrefois la Militaire , fituée à l'embou-
chure de la Garonne. Jean- Paul d'Efparavers ou d'Efpar-
bez deLufTan, qui en étoit Gouverneur pour la Ligue,
piratoit fur toute la Garonne , qui eil: la rivière la plus
marchande du Royaume. Commeonprévoyoicque le fiége
tireroit en longueur , on fie de grands préparatifs , ôc on
amaffa beaucoup d'argent ^ mais ce fut fans aucun fuccès ,
comme nous le verrons dans la fuite.
Guerre dans Qn fit la guerre avec de plus grandes forces dans le Qiiercy
d^an^feTan- ^ dansle Languedt)C.AntoineScipion dejoyeufe agilToitplus
guedoc. pour Ï.Ç.S propres intérêts que pour ceux de la Ligue & du duc
de Mayenne. Ce jeune Seigneur plein de bravoure joignoic
à la ipîendeur de fa Mailon qui étoit très- puifiante dans
cette Province , au fouvenir d'Anne de Joyeufe fon frère
tué à la bataille de Coutras , ôc au crédit du cardinal
François & de Henri comte de Bouchages fes autres frères,
des qualités brillantes , 6c l'amitié des peuples. Ayant reçu
de la part du roi d'Efpagne des croupes Allemandes & d'au-
tres troupes , il avoir pris plufieurs villes en Languedoc,
& s'étoit faifi tout récemment de la ville-bafTe de Carcafibne,
ayant toujours été maître de la haute-ville, où le palais
(i) Ce Blancpignon étoit natif de
Troyes en Champagne , 8c ne fut point
sxécuté pour cette confpiration, ayant
ve'cu fort longtems depuis > ôc jufqu'à-
I âge de 8o, ans, P« P^'j»
DE J. A. DE THOU, Li v. CIII. 535
Epifcopal eft bâti. Après avoir manqué fon coup au moîs -
de Mars fur Lautrec en Albigeois , il s'empara de Trapepar Henri
force ôc par artifice. I V.
De- là tournant vers le Quercy, & ayant ravagé la cam- 15^2.,
pagne aux environs .de Montauban , èc répandu au loin par
le îer & la flamme la terreur de ion nom 3 il fe rendît aifé-
ment maître de Monbequin , Monbeton èc Monbartier. Il
prit enfuite à compo/îtion le Fort de la Barte 5 mais il
ne garda pas les conditions du traité de la capitulation.
Après la prife de Saint Mauris il demeura pendant quelque
tems campé devant Maufac , dont la garnifon ayant efTuyé
quatre cens coups de canon , fe rendit enfin à compofî-
tion. Il fit toutes ces conquêtes dans le mois de Juin. Enflé
de ces fuccès , il alla mettre le flége devant Villemur
place fîtuée fur le Tarn, entre Rabafteins 6c Montauban.
Reniers défendoit avec une garnifon de trois cens hommes
cette ville, au fecours de laquelle les Confuls de Montauban
appellérent Pons de Loriéres de Themines , qui y fît entrer
cinquante cuirafîiers fous la conduite du brave de Pedouë.
A la nouvelle de la mort de la Valette, que nous rap-
porterons bientôt , le duc d'Efpernon fon frère étoit fur le
point de partir pour la Provence avec de bonnes troupes,
Themines avoit obtenu de lui qu'il prendroit fon chemin
par le Quercy pour fecourir Villemur. Ce Général avoir
avec lui cinq cens cuiralTiers à cheval , de autant d'arque-
bufîers 3 à fon approche le duc de Joyeufe, dont les forces ,
étoient inférieures, jugeant qu'il étoit à propos de céder
au tems, leva le fiége & fe retira. Leduc d'Efpernon l'ayant
appris s'en retourna en Languedoc , êc laifla généreufement
ies troupes à Themines , qui s'en fervit pour réprendre
Maufac , & fe rendre maître du Fort de la Court dans le voi-
fmage de Montauban.
Le duc de Joyeufe ayant été averti que les arquebuflers
du duc d'Efpernon marchoient en défordre, fondit fur eux
dans le tems qu'ils s'y attendoient le moins. Ce fut vers le
milieu de la nuit du 18. de Juin. Il en tua quatre cens, &
leur enleva deux coulevrines. Themines arrivant Jorfqu'ii
poufToit fa pointe , l'arrêta par fon courage, reprit le canon ^
& le ramena à Montauban,.
XXxiîi
554
HISTOIRE
■ti' Le duc d^Efpernon frappé de cecce défaite revint prompte-'
Henri ment fur Iqs pas avec de nouvelles troupes ^ & ayant puni
I y la licence de les foldats , qui avoient eux-mêrnes donné oc-
i^g^ cafîonà l'ennemi de les lurprendre, il continua fa route
vers la Provence , où il arriva enfin le mois fuivant après
une longue èc pénible marche. Son départ remit le duc de
Joyeufe en liberté de recommencer le liége de Villemur
avec plus de vigueur qu'auparavant. Il ouvrit la tranchée
Je I o. de Septembre , ôc battit la place avec huit grolTes piè-
ces de canon, ôcdeux coulevrines. Reniers gouverneur de
la ville y ayant lailfé Maufac , Cambert , ôc laChaife,
braves Officiers, accourut à Montauban pour y concerter
avec Themines les moyens de fecourir les alTiégés. Defme
ie rendit auiîi dans cette ville avec quelques troupes d'éHte.
Themines réfolu de jetter du fecours dans Villemur, à
quelque prix que ce fût, fe mit en marche le i «>. de Sep-
tembre à neuf heures du foir à la tête de lix vingts cuî-
rafîiers , èc de deux cens arquebufîers choifis , avec la Mag-
delaine , Bonecofte , d'Entragues, du Gros, Baffignac , de
Mures, Moftolac, de Bure, Calvet , Bourjade , d'Alégre,
CapbolTu , Confiant , ôc Subfbl. Dès qu'il fut un peu avancé,
il fît mettre pied à terre à ies troupes , renvoya les chevaux
à Montauban, &c continuant fa route dans un profond fî-
lence , il entra fans danger dans Villemur avec tous fés fol-
dats. La brèche ayant été ouverte le lendemain ,1e duc de
• Joyeufe donna un afïaut , qui fut foûtenu avec perte du côté
des affiégeans.
Themines fit une fî belle réfîflance , que l'ennemi défcC-
pérant de réufTir dans fon entreprifé fongeoit à l'abandon-
ner , lorfqu'il recrut de Touloufe un régiment d'infanterie,
avec des boulets , de la poudre, des piques , &L des fourches
de fer. Ce renfort èc ces munitions l'engagèrent à continuer
le fîége. Les afTiègés taillèrent entièrement en pièces dans
une fortie ce régiment , qui n'étoit compofé que de nou-
velles milices. L'ardeur des affiégeans venant à fè ralentir,
ils n'agirent plus qu'avec lenteur , malgré tous les efforts
que faifoient Onoux & Monberault principaux Confeillers
du duc de Joyeufe , & fes premiers Officiers, pour s'emparer
de la ville avant l'arrivée des troupes auxiliaires.
DE J. A. DE THOU, Liv. CÎII. 535
Pendant ce cems-là , Henri de Montmorency gouverneur
de Languedoc , regardant comme une ehofe indigne d'à- Henri
bandonner tant de braves gens , & Themines lui-même I V.
qui étoitallé s'enfermer avec les affiégés , au danger qui les i co ^^
menaçoit, donna ordre à Antoine de Pleyx de Leques , vieil
Officier, à Chambaut, de àMontoifon, d'aller avec leurs
troupes faire lever le fiége , à quelque prix que ce fût. Ces
Officiers s'étant rendus à Montauban s'y arrêtèrent pen-
dant quelques jours, fur le bruit qui courut que le marquis
de Vilîars amenoit de nouvelles troupes au duc dejoyeufe.
Ce bruit s'étant trouvé faux , ils apprirent que Saint- Vincent
gouverneur de Roiiergue , ôc le baron d'Apcher , avoient
amené de Gevaudan , d'Auvergne, Si du Velay douze cens
arquebulîers aux ennemis. C'eft pourquoi ayant jugé à pro-
pos d'attendre quelque tems , ils écrivirent au maréchal
de Matignon de leur envoyer des renforts 5 mais celui-ci
s'en étant excufé , ils s'adrellérent à Meffillac de Raftignac
gouverneur d'Auvergne , homme d'un courage infatigable ,•
& le prièrent de marcher au fecours de Themines avec ce
qu'il avoir de troupes. Meflillac partit à la tête de cent
Guiraffiers à cheval, ôc de deux cens arquebufîers en bon
état , & fe joignit à ces trois Officiers, avec lefquelsil
fe rendit à Beilegarde, oii le duc de Joyeufe alla bientôt les
attaquer à la tête de l'élite de fa cavalerie & de Ces arque-
bufiers , après avoir laillé un nombre fuffifant de fbldats à
la tranchée.
Il y eut en cet endroit un rude combat, où les Royalifles
furent d'abord forcés- maisLecques &: Chambaut étants
furvenus rétablirent le combat, en tournant à propos la
bouche du canon contre les ennemis. Le capitaine du Mas,.
Bataille, Rentière, Pujol, Saint-Genys, & la Vernaye fe
iîgnalérent en cette action. Les deux armées fe retirèrent
fans qu'on pût s'attribuer lavidoire de l'un ou de l'autre
côté. Leducde Joyeufe étant retourné au lîége fit allumer
des feux de joye pour jetter la confternation parmi les affié-
gés, en leur faifant croire qu'il avoît battu les Royaliflcs^
Ses foldats même fe réjouifloient hautement de la préten-
due défaite des troupes auxiliaires • mais Themines ne don-
nant point dans le piège , éxliorta les affiégés à fe défendre'
53^ HISTOIRE
jufqu'à rextrémîté, ôc les aiFermit dans cette gënéreufe ré-
Henri folution par Ton ardeur à partager le péril avec eux.
I V. Le vicomte de Gourdon, & bientôt après Gifcard étant
i<Qi, arrivés au camp des Royaliftes avec quelques troupes , on
afTembla le Conieil de guerre, où l'on propofa de s'empa-
rer d'abord des Forts du Cloz, ôc de la Baftide dans le
voifinage. L'auteur de cet avis l'appuya , en difant que nos
troupes s'étant faifies de ces poftes , la proximité de notre
armée empêcheroit l'ennemi de donner des afîauts , èc l'obli^
geroit enfin à lever le fiége , lorfqu'on l'auroit longtems fati-
gué en lui faifant enlever ies convois par des partis. Ceux qui
n'approuvoient pas cette réfolution/odtenoient au contraire ;
Qu'il étoit à craindre que les alTiégés ne perdiiFent cou»
rage : Qu'il arriveroit du moins qu'ils conlumeroient inu-
tilement tout ce qu'il y avoit de vivres dans la place,
tandis que l'ennemi n'en manqueroit pas , étant auflî près
deTouloufe, d'où il tireroit non feulement des troupes,
mais encore tout ce dont il auroit befoîn : Qu'il étoit donc
plus à propos , puifqu'on étoit réfolu de fecourir la place ,
de tenter le fort des armes : Que l'ardeur des foldats étoit ,
pour ainfî dire, un fur garand de la vidoire: Que les enne-
mis épuilés de fatigues n'étoient pas d'ailleurs fîfupérieurs
en nombre : Que le voyant enveloppés d'un côté par les
affiégés , ôc de l'autre par les troupes auxiliaires , ils n'au-
roient d'autre parti à prendre, que celui de lever le fiége. Cet
avis l'emporta dans le Confeii j Maufac l'approuva le pre-
mier, de fut fuivi de Lecques & de Gourdon, vieux Offi-
ciers , qui retenus par une longue expérience , & par leur
prudence naturelle, s'étoient d'abord déterminés à ne rien
hafarder.
Dans cette réfolution , l'armée ayant été rangée en ba-
taille, Meflillac eut le commandement de l'avant-garde.
Cet Officier avoit rélolu , même au péril de fa vie , d'ar-
racher Themines fon ami intime au danger où il le trou-
voit expofé. Chambaut menoit le corps de bataille jôc Lec-
ques étoit à l'arriére-garde. On comptoit quinze cens cui-
raffiers à cheval , ôc environ trois mille arquebufiers dans
l'armée des Royaliftes. Celle du duc dejoyeufe étoit com-
pofée de quinze cens chevaux, de de quatre mille hommes
d'infanterie ,
DE J. A. DE THOIT, Lîv. cm. 537
d'infanterie, y compris quinze cens Allemands. Les coureurs jl_-— '
qu'on avoir envoyés à la dëcouverce ayant rapporté que Henri
ie duc de Joyeufè ne foupconnant rien du defïèin de nos IV.
Généraux , avoir difperlé fa cavalerie dans les bourgs aux i coz.
■environs j on jugea à propos de faifir Toccalion favora-
ble qui fe préfentoit. C'eftpourquoi l'armée ayanr mis l'ar-
tillerie à Saint Leophaire , pourfuivit fa route au milieu des
ténèbres , avant que l'ennemi fût inftruit de la marche de
nos croupes.
De Clâufel eut ordre le Lundi 10. d'Odobre d'occuper
avec cinq cens arquebufiers le bois de Villemur, pofte
avantageux , afin d'avoir une retraite aflurée , s'il arrivoit
qu*on eût du deiîbus. L'armée s'écant avancée plus loin parut
enpréfence du duc de Joyeufe , qui frappé de l'arrivée im-
prévue de nos troupes fît tirer trois coups de canon , fignal
dont il étoit convenu pour rappeller fa cavalerie. Il failoic
d'abord chaiîèr deux cens hommes de la première tranchée,
qui conduite depuis le boisjufqu'à la ville, fermoit le che-
min qui étoit entre-deux. De Ciaufel & Montoifon com-
inandés pour cette attaque tombèrent avec tant d'impé-
tuofîté fur ces troupes déjà effrayées , que la tranchée fut
bientôt nétoyée, fans beaucoup de réfifbance de leur part j
ôc malgré quatre cens hommes de troupes fraîches qu'on
envoya contre les Royalifles. Le capitaine Labia d'Avignon
périt dans cette occafion.
Le duc de Joyeufe ne fe démonta point à la vue dupé- Le duc de
ril : ôc quoiqu'il s'apperçût que fes foldats commençoientà î°^^"^VÎ.
T o ^ J r /• ' ^ 1 1 ^-o • -1 J • 1 \- battu, & le
plier , ùc a deleiperer de la victoire, il en devint plus terme, noyé.
6c diftribua promptement , avec beaucoup de préfence d'ell
prit , des foldats pour défendre les retranchemens élevés
aux angles de la féconde tranchée. Courant lui-même de
rang en rang , il exhortoic. {qs foldats de la voix , 2c par
ibn exemple 3 mais l'armée des Royaiiftes qui avoit eu
beaucoup de peine à palîér des défilés, ayant paru toute en-
tière, on donna fur la tranchée défendue par toute l'infan-
terie des ennemis , & on combattit avec beaucoup de chaleur
en cet endroit pendant une demie heure. L'avantage étoic
égal des deux côtés, lorfque Themines étant venu à faire
]LUie fortie à la tête de fa garn.ifon , les ennemis enveloppés
Tûmc X/o Y Yy
53
HISTOIRE
- ■' de coûtes parts furent forcés de plier. Les uns fe précîpL
Henri térenc dans la rivière , & le refte fut taillé en pièces 6c diffipéa
I V. Le duc de Joyeufe qui fe retiroit en bon ordre avec un petit
j cqz, nombre de Gentilshommes à Condomines où il avoir mis
•fon artillerie , trouvant qu'on avoit rompu le pont de ba-
teaux qu'il avoit jette lur le Tarn , poulla ion cheval dans
cette rîviére,malgré tous les efforts de Courtete Ôc deBidonetj
&; s'y noya. Il y eut mille hommes de tués du coté des Li-
gueurs, à qui l'on prit vingt-deux drapeaux , trois canons ô£
deux coulevrines qui furent tranfportées à Montauban. Les
ennemis fauvérent avec eux à Fronton le refte de l'artille^
rie. Les vainqueurs pourfuivirentles fuyards iufqu'à Baffieres.
Ce fut ainû que le duc de Joyeufe après avoir inutiiemenc
tiré deux mille coups de canon, fut obligé de lever le liège
de Villemur qui fut caufe de fa mort. Il ièmbloit que la for-
tune ne lui avoit jufqu'alors été 11 favorable , que pour le
traiter enfuite , comme Anne de Joyeufe (on frère , en le fai--
fant périr après l'avoir comblé de les faveurs.
Cette nouvelle ayant été apportée à Touloufe , on y dé-
plora le malheur de cette ville & de tout le Languedoc ,
qui perdoit en la perfonne de ce Seigneur un puilîant pro-
tecteur dans ces tems de troubles & de calamités ^ tout le
monde plaignoit le malheur du Duc , qui venoit d'être en-
levé à la fleur de fon âge avec tant de vertus, après avoir
donné de 11 belles efpèrances , fans lailler de fuccellèur de
fa maifon qui pût fe charger du foin de la guerre. Le car-
dinal de Joyeufe qui étoit à Touloule en ayant été décla-
ré Gouverneur par arrêt du Parlement, s'excuioit de 1-aire
îa guerre ^ d'un autre côté Henri comte du Bouchage fon
frère s'étoît fait Capucin. L'afFedion du peuple fut un fou-
lagement à la douleur que leur caufoit la mort d'un frère
qu'ils aimoient tendrement.
Le Cardinal ayant auffi-tôt mandé ceux qui s'étoîent fau^'
vés de la défaite de Villemur , ôc ceux qui ne s'étoîent pas
trouvés à cette afRiire , Montberault , Onoux , S. Vincent,
Cornuflon , Apcher , Clermont de Lodeve Louis de Voilins
d'Ambres , Hauterive , MoulToiens , &: de Cons , Gentils-
hommes de la première NobleUe , tous attachés à la maifon
de Joyeufe , fe rendirent auprès de lui le lendemain , ê^
DE J, A. DE THOU, Lîv. CIIL 53^
rengagèrent après quelque oppofition de fa part, à perfuader " t
à Ion Frère de prendre la conduite de l'arnlëe. Ils Ijî avoienc Henri
reprefenté pour l'y déterminer, que puifqu'il s'excufoit de IV".
fe mettre lui-même à la tête de l'armée , ious prétexte qu'il 1591,
n'avoit jamais porté les armes , cette raifon ne fubiiftoic
point par rapport au comte du Bouchage qui n'ignoroit pas
l'art militaire. Henri s'excufoit à Ton tour , alléguant d'a-
bord pour Tes raifons que cela troubleroit Ton repos 3 en-
fuite que fa confcience s'y oppofoit. On fit une afTemblée
de Théologiens , de Curés , èc d'Evêques , qui répondirent
fuivant l'ordre qu'ils en avoient, que non-feulement le comte
du Bouchage pouvoit quitter le Cloître en fureté de con-
fcience pour commander l'armée j mais qu'il y étoit même
obligé fous peine de péché mortel , dont il fe rendroit cou-
pable , s'il ne prenoit en main la défenfe de la Religion ,
dans un tems où elle en avoit un fi grand befoin.
Auffi-tôtles principaux de la Nobleffè s'étant rendus en le comte d*
foule au couvent des Capucins , l'obligèrent à venir avec Bouchage
eux au palais Archiepîfcopal où logeoit le Cardinal , qui de Capudn^'^
confirma en fa prefence la décifion des Théologiens j c'efi: pour fe met*
pourquoi ayant quitté l'habit de l'Ordre , il parut le lende- T f: '"''^^'^
mam en habit de deuil , ôc ainita a la Méfie devant le peu- des Ligueurs»
pie , qui le reçut avec de grandes acclamations de joye. Oi\
députa vers lui , pour le prier de venir au Parlement j s'y
étant rendu , les Magiftrats l'engagèrent à partager le gou-
vernement avec le Cardinal qui le chargea des affaires, pen-
dant que le Comte commanderoit l'armée.
Avant tous ces événeip.ens , Bernard Noo;aret de la Va- Expéditions
I ' rr ' > v\ 1 i> en Provence.
lette avoit alliege en Provence au commencement de Tan-
née avec fes troupes, & les renforts que du Pafiage (i) lui
avoit amenés depuis peu , la forterefl^e de Roquebrune
dans le voifinage de Frejus: Le duc de Savoye étoit maître
de cette place , dans laquelle on fit conduire deux canons
qu'on amena de Cifteron ^ Se on tranfporta deux coulevrines
à Moleque (i). La Valette alla le 25. de Janvier camper
(i) Du Partage ne mena jamais au- 1 quatre canons qui fervirent au fie'ge de
cun fecours ni d'hommes , ni de canon ' Roquebrune , furent pris à Frejus 8c a
à la Valcte durant le fiege de Roque- I Toulon , Ôc y furent reconduits ap'-ès
brune. Put. la prife de la place. MoIccjhc. Ceux du
" (i) Tout cet endroit cft fautif, les païs n'en ont jamais olii parler. Tnt,
Y Y y ij
540 HISTOIRE
■ -lu devant Roquebrune 3 êc l'artillerie ayant ouvert la brèche,'
Henri il fît donner un aiïaut qui fut repoufîë avec perte de fes fol-
I V. dats. Le canon recommenc^a à battre les murs , jufqu'à ce
1592. ^^^ voyant qu'on ne pouvoit réiilTir de ce coté, & que la
brèche étoit dcja reparée, ontranfporta l'artillerie dans un
cft tul^'^"^ autre endroit. La Valette s'étant avancé trop inconfidérd-
ment pour faire établir fes batteries , fut blefle d'un coup
d'arquebufe, dont il mourut deux heures après.
Le Roi fut vivement touché de la perte de ce brave Of-
ficier qui l'avoit toujours fervi avec beaucoup d'ardeur & de
fîdeh'te. Ce Seigneur avoit un courage invincible 3 jamais
ébrj.n\à dans le péril 3 ferme dans radverfîté3 modefte dans
la bonne fortune 3 libéral , poli 3 habile dans le maniement
des affaires , il n'eut d'autre défaut que d'être Ibupçonné
de trop de fîneiîe 3 ce qui fut caufe que tout le monde fe
défia d'abord de lui 3 mais foit qu'il eût changé , foit qu'il
afFectât beaucoup de candeur , il étoit venu à bout d'efFa-
cer les fâcheufes imprefîions qu'on avoit de lui. Il étoit plus
à fa place à la tête d'une armée , ou dans un Confcil , que
dans un état privé. Il avoit époufé Anne de Baftarnay tante
des Joyeufes qui étoit morte fans enfans quelque tems au-
paravant.
Le duc d'Efpernon fon héritier , fe voyant privé d'un
frère quilaimoit fincèrement , ôc l'appuy d'une fortune bril-
lante qui lui attiroitun fi grand nombre d'ennemis, fut pé-
nétré d'une vive douleur , en apprenant cette trifle nou-
velle 3 il prit occafion de cet accident , pour redemander
au Roi le gouvernement de Provence que le feu Roi lui
avoit donné 3 ôc s'étant mis en chemin à la tête de fes trou^
pes par le Quercy , le Roiiergue, êc le Languedoc , comme
nous l'avons dit plus haut , il fè rendit à Mondragon le 1 2>
d'Août , 6c fut trois jours à faire traverfer la Durance ifQs
troupes.
Lefdiguieres ayant appris la mort de la Valette congé'
dia les Etats le i 2. de Février ^ & fe rendit à Tullinspour
prendre des mefures avec Ornano au fujct des affaires de
Provence, donc les Députés vinrent le trouver à Grenoble
le H. de Mars, pour l'engager à fé rendre au pkitôc dans
cette Province j afin de la garantir du danger , jufqu'à ce.
DE J. A. DE THOU, Liv. ClII. 541
que le Roi, qu'Alexandre d'Efpagne de Rameforcavoitin- '■
formé de la more de la V ailette , eût nommé un autre Gou- Henri-
verneur. Le parlement d'Aix qui avoit été transféré à Cifte- I V.
ron , députa aufîi vers Lefdiguiéres , qui s'avancja jufqu'à icgi,.
Puymore avec Gouvernée. Le marquis d'Orailon vint le
trouver en cet endroit , pour prendre des melure^ avec
lui fur la guerre de Provence.
Lefdiguiéres étoit furie point de pafTer en Piémont pour
empêcher le duc de Savoye d'entrer en Provence. Il avoic
même donné rendez-vous à toutes fes troupes à Gap , dans
le deiîein de marcher à cette expédition j mais il la remit
à un autre tems à la prière des Députés • dc s'écant rendu
fur la fin du mois d'Avril à Embrun , il alla à Selonet. Ayanc
enfuite pafTé par^rufquet 6c Vallenfole ,.il alTiéga Bene, donc
le chevalier de Moyres lui ouvrit les portes le 13. de Mai,
moyennant une fomme de cinq mille écus d'or. Poh'gni fut
tué à ce fiége d'un coup de moufquet. Rians, Ginaflervy,
& Beaudun ouvrirent aufli leurs portes en même tems. On
alla enfuite à Caftellane qui s'étant rendue à l'exemple de
ces peuples reçut trois compagnies en garnifon.
Sur ces entrefaites Aups ( i ) , Barjols, Cotignac, Peyrolles-,
Joucques , 6c S. Pol places fur la Durance fe rangèrent à
robéïfTance du Roi , hc reçurent Lefdiguiéres. Draguignan>
Moans àc Chateau-Neuf ouvrirent leurs portes à Montaulc
qu'on y avoit envoyé. De Vallenfole , l'armée ayant pafîe
par Fayence , fe rendit en fept jours à Antibes. Briquemaut
qui s'etoit retiré à Cannes , ayant fait pafler à fes troupes
le Var , rivière qui divife la France d'avec l'Italie en cet
endroit, alla attaquer des retranchemens 6c quelques Forts,
que le duc de Savoye avoit fait élever fur la rive oppofée du
côté de Nice.
Lefdiguiéres le fuivit avec le refte de l'armée le 4. dejuin^ôc
ayant forcé les Savoyards d'abandonner leurs retranchemens^
il les pour fui vit jufqu'aux portes de Nice^ àc leur enleva leur
bagage , leurs chevaux , 6c leurs bêtes de charge. Deux jours
après,onafriégeaVence,àlafollicitation duSeigneur de cette
(i) Il y a dans le texre ylpta Julia, ' lieu nommé en Latin Alpenfn ( Aups ) * '
ce qui eft une faute, il ne s'agit point ou les mostagnes commencent. Put.
ici d'Apr, ville Epifcopale j mais d'unj
y Y y iij
54î HISTOIRE
place, qui fut prife après qu'on l'eût battue avec trois cou-
Henri Icvrines j de on ne put le rendre maître de la citadelle , qui
I V. eft extrêmement forte. Lefdiguieres- revint enfuite à An-
i cai, tibes où ayant mis une nombrcufe garnifon fous les ordres
du comte de Bar j il palîa par GrafTe , & alla mettre le fîége
devant Muy le i8. de Juin. Un détachement des ennemis
compofé d'environ douze cens foldats ayant voulu forcer
les corps- de- garde pour fe jetter dans la place , fut entiére-
rnent taillé en pièces j il n'y entra que quelques Officiers qui
avoient échappé au carnage. Huit jours après, les murs ayant
été battus de quatre pièces de canon & de deux coulevrines,
la place fut rendue fur le midi , à condition que la garnifon
en Ibrtiroit en armes, vie & bagues fauves. On trouva dans
Muy trois coulevrines , dont on en envoyafdeux à Frejus èC
la dernière à S. Tropez , où Lefdiguieres avoit été reçu avec
de grands honneurs.
L'armée alla enfuite en cinq jours à la Cadiere , qui ca-
pitula le 4, de Juillet, après avoir eiluyé cent coups de ca-
non. Les habitans furent obligés de donner une fomme de
quinze mille écus d'or pour fe racheter du pillage, dont le
Caftelet qui fe rendit le jour fuivant aux mêmes conditions,
fe garantit en payant trois mille écus d'or qui furent diftri-
bues aux foldats. Le même jour , l'armée s'empara de Signe,
de la Ciutad , de Cerefte éc de Roquefort. On ne mit au-
cune de ces places au pillage, à la prière des Marfeilloisquî
donnèrent vingt mille écus d'or pour les en exempter. D'Ef-
caravagues fît une vaine tentative fur les Evenes, où il en-
voya cent volées de canon , fe flattant d'en effrayer afTez hs
habitans pour les obliger à fe rendre,
tes Ligueurs La nouvelle de la perte de Vienne troubla la joye de tant
î^^ieime <i'l^e'-ireux fuccès. Scipion de Maugiron qui en étoit Gou-
verneur , s'étant laîfTé gagner à force d'argent par le duc de
Nemours , lui livra cette place avec le château de Pipet ,
& les Forts de Sainte Colombe Si de la Baftide, dont le
Duc donna le gouvernement au marquis de Saint Sorlin fon
frère, avec une forte garnifon de SuilTes. Il afTiègea enfuite
Saint Marcellin , &L le prit à compofîtion , après avoir fait
pointer de l'artillerie contre cette place. Après ce fuccès, il
alla camper avec Don Olivarez devant les Echelles , place
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 543
frontière de Savoye , que Lefcliguieres avoic faic fortifier.
Aufficôc que la batterie qui étoit de fept pièces de canon H e n 11 1
eut faic brèche , l'aflauc fut donné le 4. d'Août parles mar- I V.
quis de Trevico ôc de Treforc , à la tête de quinze cens i caz,
chevaux & de dix mille hommes d'infanterie. Les affiégeans PiiCe des
étant entrés dans la place s'emparèrent de la grande rue : Echelles pas
o t .-- . ^. , , ,r ' ■ r 1 T- !•/• les ennemis."
6c la garnilon qui avoit ete pouilee julquedans unehghle,
fe rendit quelques heures après ^ tout fut paflè au fil de
l'èpèe , d^ le foidac n'épargna qu'à peine les femmes ôcles
enfans.
Nous eûmes encore le malheur de perdre Antibes que sîége&pnTe
le duc de Savoye affiègea^ prit, après le dépare de Lefdi- je'ducdrs^-
guieres. Ce Prince voulant venger la défaite des fiens près voye.
du Var , donna ordre au colonel Aimo Scalengo Pièmon.
tois de lever deux mille hommes d'infanterie ^ èc ayant rec^d
environ trois cens chevaux de troupes Milanoifes comman-
dés par François comte de Villa , par Jofeph Martinelli , èc
par le comte TroiloSanfecondo , il paiTa cette rivière avec
Cefar Davalos fon Lieutenant général. Il attaqua d'abord
la Gagne place forte à la vérité par fon affiéte 3 mais com-
mandée par une hauteur voiline. L'ennemi s'étant emparé
de ce pofte , fit foudroyer les murs de la ville , dont la gar-
îiifon lé rendit vie & bagues fauves.
Son armée alla enfuite mettre le fiège devant Antibes,.
d'où le comte de Bar qui en étoit Gouverneur,dans la crainte
que le duc de Savoye qui étoit fon ennemi particulier , ne lui
fit un mauvais parti , fe retira fous prétexte d'aller hâter la
marche des troupes auxiliaires , après en avoir confié la garde
à fon frère. Cette place donc une partie ferc comme de faux-
bourg au refte de la ville, efk ficuée fur le bord de la merj
l'ancienne ville eft au-defTous avec une citadelle ^ ôc unbaf-
tion qui donne fur la mei% Le bruit qui s'étoit répandu que
Lefdiguîeres &d'Eiipernon accouroient au fecours des afîié-
gès s'augmencanc , Davalos mit une bonne garnifon à la
Cagne , de refoluc de fortifier auffi Cannes , ville forte par
fon aiî^iére , &c défendue d'une citadelle qui mec à couvcrc
d'iniulce le port qui cil au-deiTous, 6l la campagne des cn^
virons. Il ne prit ces précautions, que parce qu'il crut que
Jss fecours arriveroient par cec endroit. Le duc de Savoye'
544 HISTOIRE
i craignant de fe voir harceler par la garnifon de GrafTe^y
Henri envoya une compagnie de cavalerie, &; deux d'infanterie ,
î V. qu'il fit bientôt fuivre de trois autres , aux approches du duc
^5$i. d'Ef pernon.
On commença à foudroyer les murs d'Antibes à la porte
Saint Sebaftien , avec deux gros canons qu'on avoit fait ve-
nir par mer. La batterie ayant fait une grande brèche le
31.de Juillet, la nouvelle ville fut emportée d'aflaut. On
pafTa ians diflindion au fil de l'épce la garnilon & les bour-
geois 5 le foldat n'épargna que les femmes ôc hs enfans qui
s'étoient fauves dans une Eglife ^ ceux qui échappèrent au
carnage fe fauvérent partie dans l'ancienne ville , partie dans
j€ baftion qui donne fur la mer. Le duc de Savoye tourna,
toutes fes forces contre la citadelle , où ayant fait une aiïèz
large brèche avec trois canons , il donna un alfaut qui fut
vivement repouflTé ^ les afiiég-és lui tuèrent beaucoup de
monde j il fut lui-même fur le point d'ctre emporté d'un
boulet de canon , en courant inconfidèrèment de rang en
rang pour animer [qs foldats. Après cet aiTaut l'artillerie re-
commença à battre les murs. La largeur de la brèche ne
put ébranler le courage des affiégès ^ ils firent au contraire
de continuelles fortîes fur l'ennemi , jufqu'à ce que ne pou-
vant plus compter fur un fecours de trois cens hommes qui
fut tailiè en pièces en voulant fè jetter dans le baftion , ils
fe rendirent vie & bagues fauves , à condition de laifièr leurs
armes &: leur^ drapeaux. Il n'y avoit plus que le Baftion où
commandoit le frère du comte de Bar , qui tînt encore • mais
ayant reçu fous main , comme on le croit , une grande fom-
me d'argent , il fortit de ce Fort à des conditions honorables
le 7. d'Ao^ût. Les ennemis fe rendirent maîtres dans le port
des deux galères , où plufieurs des alîiègés s'étoient fau-
ves , àc prirent deux grolTes pièces de canon de bronze,
èc feize petites de fer.
/ Le butin que Pon fit dans cette ville fut eftimè deux cens
mille ècus d'or ^ mais il y a toute apparence que ceux qui
ont écrit la relation de ce fiège , n'ont fait monter le butin
â une fomme Ci confidèrable,que par oflentation,^ pour flat-
ter le duc de Savoye. Ce qu'il y a de certain , c'eft que les
Jiabirans-qu'on avoit chafïès de leurs maifons payèrent trente
mille
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 54^
înîlie écus d'or pour y rentrer. Franc^ois Martinengo eut le .
commandement du territoire d'Antibes , & Scalengo fut fait H e n k r
Gouv'erneur de la place Le Duc qui ne comptoit pas beau- I V.
coup fur les Italiens &: \qs Provençaux , mit dans le baftion 1592.
vfix compagnies de troupes Elpagnoles.
Sur ces entrefaites , Lefdiguieres au défefpoîr de voir le Exploits de
mauvais train que prenoient \qs affaires du Roi par la perte ^^^^'n^eres
J \T' 1 f • -^ » *■ n« -r^. 1- ' « 1, ,1 -^-i dans la Pro-
de Vienne , de Samt Marcelhn en Dauphme , Ôc d Antibes vencc & dans
prife d'afTaut , jugea à propos de prévenir le péril le plus ^^ i^iemonr.
prochain 5 c'eft pourquoi ayant eu une conférence avec Or-
nano qui s'étoit joint à lui, ils allèrent attaquer le 27. d'Août
le Moilard dans le voifmage de Saint Marccilin. La garni-
fon de cette place l'abandonna à l'arrivée des Généraux
François , qui campèrent le lendemain devant Saint Mar-
celiin 3 que la garnifon effrayée rendit aufTitôt, vie ôc bagues
fauves, à condition cependant de conferver fes armes. En-
fuite on alTiégea le château de Chaftes , dont une famille de
la première NoblelTe, diftinguée par fon courage &: fa fidé-
lité , à prefent transplantée dans le Velay au- delà du Rhône,
a pris fon nom. L'armée paffa par la côte Saint André.
Le duc de Savoye, à la nouvelle de l'arrivée de nos trou-
pes , abandonna le pont de Beauvoifm , de fe retira au cœur
de la Savoye. Les François ayant paflé par Septeme , qui
avoit ouvert fes portes trois jours auparavant , firent des
courfès jufque fous les murs de Vienne fans aucun avantage.
C'eft pourquoi d'Ornano,&: Lefdiguieres ayant partagé leurs
troupes, ce dernier reprit le deiïein qu'il avoit eu de faire
la guerre au duc de Savoye au-delà des Alpes. Ayant donc
envoyé des Officiers vers le duc d'Efpernon, pour agir de
concert avec ce Général en Provence où il venoit d'entrer,
il alla de Puymore à Briançon le 24. de Septembre j 6c ayant
traverfé le mont Genevre , il divifa deux jours après , fon
armée, qui étoit de fîx cens chevaux &; de trois mille cinq
cens hommes de pied, en deux corps , dont l'un eut ordre
d'aller fe faifir dans la vallée de Pragela , qui n'efl prefque
habitée que par les Vaudois, de la Peroufç ou de Pignerol.
L'autre fut commandé pour aller du côté de Sufe dont on
fîu-prit les fauxbouro-s. On fit une tentative inutile fur Pi^ne-
roi , parce que l'une des échelles donc on .fe fervit pour
To^;e XI, ZZz
54^ HISTOIRE
l'efcalader , fe trouva trop courte , 6c l'autre fe rompre
Henri fous les pies des foldats. On fut plus heureux à la Peroufe,
I V. dont on fe rendit maître la nuit du 26. au 27. de Sep-
X5P2. tembre.
Après que les troupes qu'ion avoir envoyées à Sufe en
eurent abandonné les fauxbourgs qu'il ne leur étoit d'aucun
avantage de conferver , & furent revenues au camp , on tour-
na toutes les forces de l'armée contre le château de la Pe-
roufe, oùCaquerano qui en étoit gouverneur pour le duc
de Savoye, tenoit encore après la prife de la ville 5 il fe ren-
dit enfin le dernier jour de Septembre, à la vûë des canons
qu'on avoit pointés contre la place..
Lefdiguieres ayant mis une forte garnifon à la Peroufè,
l'armée s'avani^a juiqu'à la tour delà Luzerne qui fe rendit
à fon arrivée. La garnifon de Mirebouc capitula le" lende-
main, fans attendre qu'on fît joiier le pétard qui étoit déjà
appliqué. Elle en fortit vie & bagues fauves avec les armes.
Cette vallée qui eft au-delà des Alpes, eft habitée comme
celle de Pragela par des Vaudois,& appartient au duc de
Savoye. Le duc Philibert , père de Charle qui régnoit alors,
y avoit fait conftruire, pour en contenir les habitans dans le
devoîr , ces fortereifes après la guerre qu'il leur avoit faite
inconfidérément trente-deux ans auparavant. On peut en-
trer par cette vallée, du Dauphiné , ôc de la vallée de Queras
qui appartient à la France , dans la plaine qui eft au pied
des Alpes ( i ) j 6i même y tranfporter du canon pendant
l'Eté.
Le Général François s'étant rendu à Briqueras en trois
purs , apprit par fes^ Coureurs , que l'ennemi afTembloit à
Vigon {qs troupes, qui s'y trouvoient déjà au nombre de douze
cens hommes d'infanterie 3 qu'elles s'étoient retranchées en
cet endroit 3 & qu'on attendoit de jour en jour le régiment
de Purpurat gouverneur de Pignerol , èc d'autres troupes
d'infanterie ôc de cavalerie. Il jugea à propos d'aller attaquer
l'ennemi , avant qu'il eût rafîcmblé toutes (es forces 3 & s'é-
tant mis à la tête de quatre cens cuiraffiers , & de fîx cens
arquebufiers à pié & à cheval , il arriva le 3. d'0(fl:obre à
la vûë du Vigon , qu'il fît inveftir par fa cavalerie à neuf
(1), Le Piémont.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. 547
licures du matin. Enfuite l'infancerie alla par {qs ordres ■■ '-*'^-»—
enfoncer les barricades élevées par l'ennemi, qui fut forcé Hen ri
de fe reiirer au cœur de la place , où l'on combaccit de pied I V.
ferme pendant deux heures avec la dernière opiniâtreté. 1^92;
Enfin les Savoyards furent défaits avec perte de douze cens
hommes (i). Le colonel Bourniquet fut tué dans l'adion ,
& nous primes les autres Officiers , les Sergens , êc dix dra-
peaux. 11 y eut de notre côte quelques Capitaines blefTés, 6c
dix foldats tués. On s'empara quatre jours après de l'abbaye
de Staffarde , & l'on fe hâta de fortifier Briqueras. Le Géné-
ral donnoit l'exemple à (qs foldats , il étoit le premier à por-
ter du gazon pour en revêtir les fortifications en dedans^ tout
le mois d'Oclobre fe pafTa à mettre cette place en état de
•défenfc.
Le premier de Novembre , Lefdiguiéres fit publier une
Ordonnance pour afTembler les habitans des vallées d'An-
grogne , de la Peroufe , de Saint Martin , de Luzerne , &
d'autres vallées fujettes du duc de Savoye. Tous ces peuples
prêtèrent avec beaucoup de joye en apparence , le ferment
de fidélité à Lefdiguiéres lieutenant général du Roi au-delà
des Alpes. Il en envoya le procès verbal au Roi dans le pays
Chartrain , où ce Prince étoit alors. L'armée Françoife ayant
enfuite afTiègé la tour du pont près de Château-Dauphin ,
les Savoyards accoururent au fecours de la place & furent
repoulTesavec beaucoup de perte en voulant forcer les corps-
de-garde , ôc s'emparer de la tranchée.
Pendant ce tems-là nos foldats fécondés par les habitans
des Vallées , qui travailloient jour &: nuit avec beaucoup
d'ardeur ,fe prelToicnt d'achever les fortifications de Brique-
ras, qui n'eft éloigné de Turin que de fèize milles d'Italie.
Cette place eft fituée au-de(Tous de Luzerne, à l'entrée du
Val Bobio , dans un terrain d'une extrême fertilité. On mit
en quarante jours les baftions en état de foutenir toutes les
attaques de l'ennemi. Lefdiguiéres pour gagner l'afFcclion des
habitans des Vallées, aménager ceux du pays, fe conduifit
(1) M. deThou vient de dire qu'il n'y j explique le mot cecidere, x>^t fnreyit dé-
cn avoir encore que douze cens d'aftem- \faits^mis en déroute , dtjp.pés , & non pas
ble's. Comment peut-il faire monter ta I tués,
perte à douze cens ? Si ce n'eft qu'on I
Z Z z ij
548 HISTOIRE
avec beaucoup de prudence ^ il conferva à ceux-cî le libre
Henri exercice de la Religion Catholique 3 6c il permit aux habi-
I V. tans des Vallées qui (ont prefque tous Proteffcans^ d'avoir
1592, un Pafteur ou JVliniflre qui prêchoin en Italien dans fa
maifon. Il eut encore grand foin de faire obferver exadement
la dilcîpline militaire j défendit les juremens3&; donna {qs
ordres pour empêcher les Ibldats , autant que les circonC
tances pouvoient le permettre , de piller le payfan. Ces ré-
glemens étoient fondés fur la néceiiîté qu'il y avoir de con-
tenir fon armée (bus fcs drapeaux , 6c fur la nature àcs lieux j
car pour peu que les foldats s'écartalFent , l'ennemi qui étoic
aux environs, ne nianquoic pas de les enlever. On ne pou-
voir palier que par les défilés de Mirebouc , 6c le Cledat (i,)
de Seianne 3 6c Lefdiguieres faifoit fi étroitement garder ces
p UFages , qu'il étoit impolTible de retourner en France fans
Ion congés à moins de s'expofer à une perte certaine.
Le duc de Savoye lurpris de voir nos troupes au-delà des
Alpes , 6c craignant qu'elles ne s'emparalTent de Saluées ^6.t
des propodtions de paix par le moyen de fes émiflaires, 6c
promit de rendre Berre , Salon , GraiFe , ôc Antibes , donc
il s'éroit faifi en Provence. Mais Lefdiguieres voyant que le
Duc n'avoir d'autre defïèin que de gagner du tems, pour-
fuivit fa pointe. Ayant appris que les habitans d'Orbalîan
dans le voifinage de Briqueras, avoientpris les armes pour
appuyer le refus qu'ils faifoienc de payer les contributions
qu'on leur avoir impofées , il marcha contre eux , ^ les fie
rentrer dans le devoir 3. enfuite il s'avança le 14. de No-
vembre vers Pignerol , pour y recevoir le canon &c les trou-
pes qu'on lui amenoit. L'artillerie confîfboit en trois groilès
pièces ôc en deux coulevrines qu'il avoir mifes à Exiiles au-
defllis de Sufe. On vint enfin à bout de la faire pa (Ter au*
delà des Alpes par le chemin de la Peroufe 6c des Portes ,
Je long de la rivière de Clufon qui divife cette Vallée 5 on
fut obligé de la traîner à force de bras , parce qu'on ne fe
fert point en ce pais de bêtes de charge pour les voitures j
les habitans des Vallées fè relayoient fur fon paflâge pour
aider à la tranfporter.
Gouvernée ayant traverfé le mont Genevre fc rendit
(i) Cledat eft un treillis de bois en un détroit.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIIÎ. 545?
auprès de Lefdiguieres avec deux cens cuiraffiers & cent ' ""
arquebufiers à cheval , qu'Ornano lui avoir donnés. De H e w k i:
Buous lui en amena autant. Le duc d'Eipernon , qui avoit I V.
donné ces troupes à Buous , ne fît que ie préfenter de- i 591,
vant GraiTe èc Antibes pour reprendre ces deux places ,
dont la prife avoit tant coûté au duc de Savoye. Les fol-
dats qui y étoient en garniibn ayant pris l'épouvante , de-
mandèrent eux-mêmes à capituler. Leldiguieres, de Bouous,
de Gouvernée s'écant réciproquement complimentés , èc
embralTés , on £t en réjouiirance de leur arrivée quelques
décharges d'artillerie , dont le bruit fut porté par l'écho
àcs montagnes , jufque dans Turin. On renouvella dans
ce païs le Ibuvenir des armes Françoifes , qui n'étoit pas
encore effacé de l'elprit des Piémontois , &. l'on vit enfin
après un grand nombre d'années , reparoître en Italie des
canons iemés de fleurs de lys.
Lefdiguieres alla enfuite à Cavors avec toute l'armée ,
qu'il fit marcher en ordre de bataille , afin d'être prêt à com-
battre en cas qu'il rencontrât le duc de Savoye , qui étoic
allé à Saluées. L'avantgarde étoit commandée par Gouver-
net èc Buous , chacun à la tête de deux cens cuirafTiers à
cheval , entre lefquels marchoit d'Auriac fuivi d'un bataillon.
Lefdiguieres menoit le corps de bataille , avec la Cornette
blanche , fa compagnie de cavalerie , de celles d'Abel Beren-
ger de Morges , &; de Mures. Poiiet couvroit fa gauche avec
ia compagnie de cavalerie , & celles de Briquemault , de
Blanie , du Rivail, de la Pierre , &: de la Buiflè. Au milieu
de ces troupes, Prabaud conduifbit un gros bataillon d'in-
fanterie armé de longues piques & d'arquebufcs.
Le duc de Savoye s'érant rendu de Saluées à Villcfranche,-
le Général Fran(^ois partit de Briqueras le 17. de Novem*
bre , dans l'efpérance de donner bataille. Mais ayant appris
dans fa marche que l'ennemi avoit pris le chemin de Vigcn ,
il fît refber longtems {qs troupes en bataille , & leur diftribua
fur le foir des logemens à Cavors. Cette place cft fîtuée fur
.la rivière de Pelles , dans laquelle le Clufon , qui donne fon
Bom à une vallée , va fe perdre afîèz près de Vigon. Les
murs de Cavors font de briques j fîtuée au pied des monta-
gnes , elle efl comme un Fort ou plutôt comme une guérite ,,
Z Z z ïii
55^
HISTOIRE
u d'où l'on découvre au loin dans la campagne. Sa citadelle
H £ N R. 1 eft bâtie iur le fommet d'un rocher inacceffible de tous côtés,
IV. dont on gardoît exactement les palFages , pour la fureté des
I 5^ î, troupes qui étoient dans cette ville. Leidiguieres , fans être
arrêté par les difficultés qui paroifToient infurmontables à
caufe de la fituation de cette fortereflè , fît venir trois canons
de Briqueras &: deux coulevrines , pour en faire le fiége. A
l'oppofîte delà citadelle, s*eléve un rocher efcarpé de tous
côtés , qui en ell: éloigné de cent pas en droiture , fur lequel
on a bâti en forme de demi-lune une tour , qu'on appelle
communément la tour de Bremefan. Cette tour qui n'eft
commandée par aucune hauteur , fert de ce côté-là de dé-
fenfe a. la citadelle.
Lefdiguieres ayant jugé à propos de fe rendre d'abord
maître de ce Fort , envoya des troupes pour fe faiflr du co-
teau oppofé. On n'en vint à bout qu'avec beaucoup de peine,
en tranîportantfur cette hauteur des pierres & des facs rem-
plis déterre, dont la cavalerie de l'infanterie avoient eu or-
dre de fe munir. La pente de la colline étoit fî roide , qu'il
n'y avoit pas moyen d'y monter avec ces fardeaux. On iiir-
montacetobdacle, en difpofant fur le penchant de la mon-
tagne des foldats , qui fe donnoient les lacs de main en main ,
julqu'à ce qu'ils fulîent portés jufqu'au lommet. On fît par
ce moyen un terrain folide fur un rocher étroit &: efcarpé ,
& l'on y put pofler des foldats &: mettre du canon , qui fut
enfin pointé avec beaucoup de travail Se d'art contre la tour
de Bremefan.
Tandis que les foldats faifoîent tous ces préparatifs , on
eut avis que le duc de Savoye approchoit , dans la réfolution
de fecourir les affiégés. Le'Conféil de guerre s'étant auffitôc
afTemblé , on y ouvrit difFérens avis. Les uns difoient qu'il
falloit continuer le fiége , d'autres l'abandonner , afin d'aller
au-devant des ennemis, pour n'être pas enveloppes de tous
côtés , & obligés de faire en préfence de l'ennemi , une re-
traite , qui expoferoit l'armée à une perte certaine. Lefdi-
guieres , qui ne vouloit pas abandonner fon entreprife , con»
ciha ces deux avis , de prit le parti d'aller chercher l'ennemi,
fans difcontinuer le fiége. Il dit , pour appuyer fa réfolu-
çion , qu'un petit nombre de foldats fufHfôit pour bloquer
DE J. A. DE THOU, Liv. CIII. jp
la tour , ôc tenir en bride les affiégés : Que d'ailleurs il avoit
aiTez de forces pour battre un ennemi déjà tant de fois vaincu, Henri
&: qui n'avoit pour toutes refTources que la rufe 6c l'artifice. I V.
D'autres ajoutèrent à ces raifons , que nos armes étoient ap- 1592.,
puyees par la juftice & l'équité : Que les troupes comman-
dées par un Général , que le bonheur accompagnoît tou-
jours , accoutumées à vaincre fous lui , n'ayants d'autre re-
traite que des montagnes couvertes de neiges , fe trouvoienc
dans la même fituation , que ceux qui auroient la mer à dos
après avoir brûlé la flore qui les auroit apportés. Cet avis
l'emporta dans le Conleil j ôc Lefdiguieres voyant que l'ar-
tillerie n'avoit fait qu'abattre les parapets du mur , en fie
recommencer le feu le 2 r. de Novembre, depuis dix heures
du matin jufqu'à cinq heures du foir , &c la tour fut empor-
tée d'ailaut à la vue de la citadelle.
Le lendemain , les fentinelles qu'on avoit pofèes fur le
haut du rocher pour découvrir l'ennemi , rapportèrent qu'ils
avoient entendu un bruit de moufqueterie du côté de Bri-
queras. Ils ne fe trompoient pas. Le duc de Savoye étant
parti la nuit de Vigon , à la tête d'un détachement de fol-
dats d'élite , à qui il avoit ordonné de mettre des chemîfes
fur leurs armes , étoit venu attaquer les fortifications de
Briqueras , qui n'étoient pas encore afièz élevées ( i ). Ayant
jenverfé les palilîades , il s'étoit déjà faifi de deux baflions
avancés , lorlque nos troupes s'étant réveillées au bruit ,
marchèrent avec courage à l'ennemi , combattirent long-
tems de pied .ferme , & le repouiFèrcnt enfin à coups d'èpèes,
de piques , d'arquebufes , ôc de pierres. Il fut même con-
traint d'abandonner fes échelles & fes morts dans le foiTé.
A la première nouvelle qu'en eut Lefdiguieres , il fit pren-
dre les armes à fes foldats , & rangea fes troupes en bataille
fur le chemin de Briqueras; Enfuite ayant appris que le duc
de Savoye s'étoit retiré , il laifla d'Auriac devant la cita-
delle pour en continuer le fiége , & fe mit à la pourfuite des
ennemis avec fa cavalerie , &. deux cens arquebufiers , fe
flattant de difTiper aifément des troupes , qui fe retiroienc
(i) Quelques pages ci-dciTus, les! mi ; ici elles ne font pas encore affez
fortifications croient allez hautes pour 1 e'Ieve'es. C'eftune petite conrradidionj.
ibutenir toutes les attaques de Tenue- 1 nous ne pouvons la corriger.
55^ HISTOIRE
' en défordre , après avoir manqué leur coup. Il les atteignît
Henri fur les neuf heures du matin près de Garzigliana , bourgade
I V. environnée de jardins de d'un grand nombre d'arbres , qui
jro2, foutiennent des vignes. Ces arbres rendoient l'accès de ce
bourg aulTi difficile à notre armée, qui n'étoit prefque com-
pofée que de cavalerie , que l'ennemi , dont l'infanterie étoic
nombreufe , pouvoir s'en approcher aifément. Lefdiguieres
n'avoir avec lui que quelques carabiniers & deux cens ar-
quebuiîers j le refte de l'armée qui le fuivoit , ne confiftoît
que dans un corps de cavalerie -, & il n'étoit pas facile de
mettre la cavalerie en bataille dans ces fortes d'endroits. De
Poiiet s'étant laifle emporter trop loin par fon courage , on
combattit longtems fur un petit ruillèau , qui couloît entre
les deux armées. Les piquiers du duc de Savoye ayant été
mis en déroute , femérent inutilement fur le chemin les bois
de leurs piques qu'ils avoienc brifées j car nos arquebufiers
ayant mis pied à terre s'avancèrent en bon ordre , malgré
la confufîon avec laquelle les Officiers donnoient les ordres ,
. èc quoique l'avant-garde ne fût pas encore bien rangée en
bataille. Enfin le Général François s'étant avancé lui-mê-
me , après avoir difpofé des arquebufiers , d'un côté dans des
mazures , & de l'autre dans des jardins , chalTà les Savoyards
de cette bourgade. Les ennemis perdirent cent hommes^
èc le chevalier de la Mante commandant de la cavalerie lé«
gère , fut fait pri fon nier.
Les affiégés confternés de la défaîte des Savoyards , de-
mandèrent à capituler j mais s'étant raffûrés fur l'efpérance
que leur donna le due de Savoye de les fecourir , ils rom-
pirent la négociation le lendemain. C'eft pourquoi Lefdi-
guieres ayant fait fortifier Ces retranchemens , boucha les
pafTages des jardins, pour faire voir à l'ennemi qu'on étoic
dans la réfolution de préfixer le fiége , loin de penfer à l'aban-
donner. Pendant ce tems-là, on recommença à faire joiier
l'artillerie du côté qui regarde la ville j èc l'on fe fervit le
26.de Novembre, pour monter deux grofies pièces de ca-
non fur une hauteur, du moyen que nous allons expliquer.
Dès que les travailleurs furent arrivés vers le milieu du ro-
cher , où l'on pouvoit fe tenir , on y plaça deux efpéces de
grues, par le moyen defquelles on monta avec des cordes
de LUC
DE J. A. DE THOU, Liv. CIîI. 553
deux canons fur leurs affûts , l'un après l'autre ^ enfuîte les ■"
ayant laifles dans cet endroit , on tranfporta les grues au Henri
fommet du rocher , où l'on vint à bout de guinder ces ca- IV.
nons delà même manière. On employa pour cela les pion- i coi.
niers , avec des clayes , des madriers , & aut^e? machines,
afin de pouvoir remédier aux embarras que cauloient les
trous & les ronces dont ce rocher ëtoit rempli.
Lefdiguieres ayant ainfi trouvé le moyen de vaincre la na-
ture,concre l'attente des afîîégés, & au grand etonnement de
fes propres foldats, qui ne croyoient pas qu'il pût jamais venir
à bout de Ton deilein , il fit pointer des canons fi près de la
citadelle qui étoit au-deflbus, que les boulets portoient de-
dans. Il abattit d'abord quelques tours , 6c fit enfuice une
large brèche. Le duc de Savoye , pour encourager les afîié-
gés à fe bien défendre , envoya de Vigon , où il étoit alors ,
un détachement de cent cinquante hommes chargés chacun
d'un fac de farine de quinze livres , dont on commençoit à
mam]uer dans la citadelle. Ils étoient déjà arrivés au milieu
du rocher , lorfqu'ayant été découverts par les François , ils
furent enveloppés ^ taillés en pièces. Il en refta foixante-cinq
fur la place j on en prit vingt-deux , àc les autres jettérenc
les facs qu'ils portoient , pour fe fauver.
Les aiîîégés ayant appris du petit nombre de ceux , qui en-
trèrent dans la citadelle dansèreufement blelTès , le malheur
de leurs compagnons , commencèrent à perdre courage , dc
ayant demandé du tems pour enfevelir les morts , ils prirent
de-là occaflon de faire des propofitions. Enfin la place fe
rendit le 5. de Décembre , après avoir effuyé plus de cinq
cens coups de canon. Les aiîîégés ayant fait eux-mêmes le
traité , Emmanuel comte de Luzerne , &; Jérôme Vercel
gouverneur de la citadelle l'envoyèrent à Lefdiguières , qui
le figna fans balancer. Le lendemain, la garnilbn compofée
de quatre cens hommes pafïa au milieu de l'armée fans au-
cune infulte, de futefcortée jufqu'à Vigon , qui eft à deux
lieues de Cavors. Depuis ce jour jufqu'au 20. de Décembre,
on employa le cems à fortifier la place & à lever les contri-
butions dans le païs.
pans le même tems , il y eut une rencontre à Raconîs , où
pn petit nombre de François ayant été enveloppés par quatre
r^ms XI, AAaa
Ï592'
Troubles en
Normandie
parmi les Li-
gueurs.
^^4 HISTOIRE^
cens des ennemis , fe battirent bravement en retraite d\ï^
H E N K I rant l'efpace de trois lieues , & rejoignirent enfin le gros de
I V. l'armée fans aucune perte. Lefdiguieres le rendit eniuice à
Briqueras , où il ne refta que deux jours pour donner Tes or-
dres au fujet de la nouvelle garnifon de cette place. Malgré
le froid qui étoit excelTif , il fe mit en marche par Fcneftrel-.
\qs dans le val de Clufon , par Sefanne ôc Briançon , ôc fe ren-
dit enfin à Puymore.
Il y eut de grands troubles en Normandie fur la fin de
l'année parmi les Ligueurs. Les gouverneurs des places de
cette Province ne vouloient point plier fous la fierté 6c l'ex-
trême hauteur de Viilars-Brancas , que la levée du fiége de
Rolien enfloit encore d'un nouvel orgueil. François de Fon-
taine-Martel gouverneur de Neuf-Châtel , êc le chevalier
Grillon gouverneur de Honfleur dans le pais de Caux (i) ^
refuférent de prendre de lui des ordres , comme du Lieute-
nant du gouverneur de la Province. Ils en écrivirent même
de grandes plaintes au duc de Mayenne , auquel ils proteflé-
xent de demeurer toujours attachés j quoique réfolus de
ne point déférer aux ordres impérieux du gouverneur de
Roiien.
Dans le même tems , Charîe Gouftimînil de Boifrozé,
brave Gentilhomme du païs de Caux , furprit avec la der-
nière hardieiîè le Fort de Fefcamp bâti par Villars. Il fit eu
calader le i o. de Novembre ce Fort , du coté que le rocher^
dont le pied effc baigné par la marée , a trois cens toifes de
hauteur. Pour fe rendre en cet endroit , il faut paifer par
des marais fî difficiles à traverfer , que les foldats de Boif.
rozé eurent beaucoup de peine à faire une lieuë en dix heures.
Il arrivèrent enfin à la faveur des ténèbres au bas du rocher
d'où la mer s'étoit retirée. On ne faifoit prefque point la
garde en cet endroit à caufe de la marée. Ce fut par là qu'ils
tentèrent l'efcalade. Les fentinelles furent égorgées , & la
garniion de quatre cens hommes défarmée & chaflee. Boif-
lûzé écrivit au duc de Mayenne qu'il ne s'étoit porté à cette
entreprife , que pour la fureté publique , pour fe mettre à
(i) Neuf-Cbâtel eft dans le païs de
Caux ; mais Honfleur eft dans le Licu-
yin , qjje la Seine fe'pare du païs de
Caux. M. de Thou n'auroit-îl pas vou-
lu dire Harfleur , entre Montivillier Sfc
le Havre de Grâce ?
DE J. A. DE THOU, Liv. CîII. 5^5
couvert des infultes d'un homme violent & emporté , & qu'il —
n'en feroit pas moins attaché à la Ligue. Villars bouillant Henri
de colère , n'attendit pas les ordres du duc de Mayenne pour I V.
affiéger Fefcamp. Mais ne pouvant forcer la place au gré de i c 9 2,
fon impatience , il fit un blocus qui dura jufqu'à la conclu-
fwn de la trêve de l'année fuivante , où Boifrozé prit le parti
de Te remettre à la difcrétion du Roi.
Tf^ du Livre cent-troifiémel,
AAaa ij
HISTOIRE
HISTOIRE
D E
] A C Q_U E AUGUSTE
DE THOU
LIVRE CENT QVATRIEME,
7T 'TT^Andis que les Erpagnols s'opiniâtroîent à faire Ja
TV JL Z^^^^^ ^^ France , leurs aflFaires alloient fore mal
dans les Païs-bas , à caufe de rabfencedu duc de Parme. Le
^59^' comte Pierre Erneft de Mansfeldt qu'il avoir laifTé dans
AfFairesdes ces Provinces pour y commander en la place, n'ayant pref-
Pais-bas. ^^g point de troupes Se d'argent , n'étoit pas en état de
réfifter aux efforts du prince d'Orange (t), ôc de l'armée
des Etats Généraux. Les comtes d'Aremberg & de Berlay-
mont avoient deux régimens que les Chefs ne pouvoienc
contenir dans le devoir , faute de payement ^ 6c qui vivoienc
à difcrétion dans le territoire de Limbourg. Gafton Spinola
Sicilien avoit aulîi un régiment Italien de quatorze com-
pagnies , qui furent difperfées dans les villes des environs,
parce qu'elles ctoient en mauvais état, & ravageoient la
campagne. La compagnie àas gardes étoit à Sichem j les
deux que commandoient Gherardi , & Doria (2) , avoiene
(1; JWsiuriçÇt (1) Jean-Jerôme,
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 557
été envoyées à Lillo 3 Pangratio de Parme étoit à TeiTel -^
avec la fîenne ^ les dix autres commandées par le marquis Henri
Lucio Pallavicin , par les chevaliers Guidiccioni , & Car- I V.
cano, par les comtes Jean-Jacque Belgioiofo, Vincent Capra, 1^92,
Sv: Alexandre Rangone , 6c par Pompée Giuftiniani , Louis
Botta, Baltafar Vico, èc Gabriel BattagHa, avoient leurs
quartiers à Dieft. Capra avoit refait la fîenne, & elle étoit
la plus complète. Ces Italiens fe mutinèrent, à l'exemple
des Efpagnols, accoutumés à fe foulever faute de paye-
ment j Bino de Peroufe parcouroit les quartiers pour exci-
ter les foldats à la révolte. Ces mutins ayant arrêté leurs
Officiers , élurent pour leur chef Vergerio de Genève , &:
mirent fous lui un certain caporal appelle Tefta. Mais d
l'arrivée de Pallavicin, qui étoit à la tête du régiment, en
l'abfence de Spinola , la iédition s'appaifa par les foins même
de Vergerio , & fur-tout après que les foldats eurent reçu
leur paye. TeiVa , Bino , Bareto , àc AlelTandro , convaincus
d'avoir été les auteurs de la révolte , furent punis du der-
nier fupph'ce, & fervirent d'exemple aux autres. Vergerio
fe mit à couvert par la fuite.
On apprit dans le mêmetems que les garnifons deRhin-
berck , ou Rhinbergen , de Nuys , èc de Bonn fe foulevoienc
auffi faute de payement. Mansfeldt les appaifa pour un tems,
en leur envoyant quelque argent , ÔC en leur donnant de
meilleures efpérancespour l'avenir. Il ne fut pas fî facile d'ar-
rêter les plaintes des habitans de Groningue. Le comte
Guillaume-Louis de NaiTau avoit élevé des Forts autour de
leur ville , après s'être emparé des environs , de les avoit ré-
duits à d'étranges extrémités. Ils écrivirent à Mansfeldt
pour le conjurer de les fecourir ^ mais les lettres ayant été
îurprifes , Verdugo gouverneur de la place fut obligé d'al-
ler à Bruxelles, afin de repréfenter plus vivement la dé-
plorable fituation de Groningue 3 il ne put néanmoins ob-
tenir de Mansfeldt que neuf mille florins pour foulager la
mifére du petit peuple. Il traita dans le tems même avec la
Compagnie des marchands de Hambourg , qui lui promi-
rent d'envoyer des vivres & des poudres aux habitans de
Groningue , que de lî foibles fecours ne purent ralïïircr coa-
cre la crainte de fe voîrrefTerrer de plus près dans la fuite.
A A a a ii)
^^^ HISTOIRE
^= Dans ces extrémités, ils députèrent vers l'empereur Ro-
Henki dolplie, pour lui repréfenter â quelles conditions ils s'é-
I V. toient donnés à la maifon d'Autriche , par le traité qu'ils
I 5 9 i. avoient fait avec CharleV. en 1536. Après avoir rappelle les
fervices qu'ils avoient rendus à cette Maiion , ils implorérenc
la protedion de Sa Majefté Impériale, en la priant d'inter-
poiér les bons offices 6c Ton autorité pour engager le roi
d'Efpagne à leur envoyer au plutôt des fecours luffilàns j de
crainte que leur fidélité , qui jufqu'alors leur avoir été pré-
judiciable, n'entraînât enfin leur ruine totale. L'Empereur
reçut les Députés avec bonté , & les exhorta à conferver
leur attachement pour leur Souverain ^ &: fans perdre de
!tems, il fit partir un ambafifadeur pour l'Efpagne, avec or-
dre de preiler le Roi Catholique d'envoyer des fecours
plus confidérables en Frife , ôc fur.tout à la ville de Gronin-
gue , qui avoit donné aux autres provinces des Païs-bas
un G. grand exemple de fidélité j & de la délivrer du péril
auquel fon attachement Tavoit expofée.
Le roi d'Efpagne remercia d'abord l'Empereur de Thon-
îieur qu'il lui faifoit par fa magnifique ambafïade • & pro^
mît enfuite de fecourir Groningue. Il écrivit aufficôt à Mans-
feldt de quitter tout pour fe rendre en Frife , Si délivrer
Groningue, que les ennemis tenoient bloquée.
Mais on ne vouloit que fauver les apparences ^ les Efpa^'
gnols étoient trop foibles en ces quartiers pour exécuter
les ordres du Roi. On fe contenta défaire partir pour cette
expédition, fous la conduite de Verdugo , d'Herman, &:
de Frédéric comtes de Bergh , deux mille hommes de pied
levés à la hâre fur la frontière j mais ces troupes, furent plu-
tôt à charge , qu'elles ne furent utiles à la Province j toup
leur effort fe réduifit à prendre quelques Forts , que le
comte de NafTau reprit aulîitôt.
Sur ces entrefaites , les Etats voulant profiter deTabrence
,du duc de Parme levèrent une armée j èc pendant qu'elle
s'alTembloit, les garnifons des environs de l'Eclufe firent fur
cette place une tentative qui ne réuflit pas. On attaqua bien-
iEÔt Maeftricht avec de plus grandes forces. Le prince d'O-
range , après s'être abouché lécretenîent avec le baron de
Pefch 5 pour concerter les moyens de furprendre là ville ^
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5^9
fit prendre les devants au comte d'HohenIo , avec quatre
mille hommes levés danslaCampigne ou le Kempenlandt, He n ».i
Lesfoldacs deflinés à cette expédition pafTérent la Meufe IV.
à la faveur de la nuit, dans des barques dont on s'étoic 1592-.
alTuré pour cet effet , &c fe raifemblérent a Wiick , qui eft
une partie de la ville Htuée fur l'autre bord du fleuve 3 mais
Iqs échelles s'étant trouvées trop courtes, & les foldats
deftinés à faire diverfion n'ayant pas attaqué de l'autre côté
de la ville dans le tems convenu , l'entreprife n'eut aucun
fuccès.
Le baron de Pefch , qui avoit manqué fon coup , /è
voyant découvert, paffa en Hollande au fervice des Etats ,
qui lui donnèrent le commandement de la cavalerie. Afin
que cette expédition ne fût pas entièrement infrudueufe,
on prit Bercheyck dans la Campigne , & on le fortifia.
L'armée s'empara auffi de quelques châteaux autour d'An-
vers j mais Mondragon , qui étoit forti de cette place avec
trois mille hommes èc cinq pièces de campagne, les re-
prit aufîitôt. Tout aboutit enfin de part ôc d'autre à faire
des courfes dans le pais ennemi.
La garnifon de Nimegue entra dansTEyfFel, païs du
duché de Cleves , & pour venger fes compagnons qu'on y
avoit maltraités, fans être retenue par la fainteté dulieu,
força l'Abbaye de Steinfeldt , qui n'efl pas loin de Sleiden,
èc y commit beaucoup de violences.
Les foldats , animés par l'avidité du gain n'obfervoient
plus la difcipline militaire -, les Etats d'Overiifel , & le comte
Herman de Bergh (i) convinrent, pour arrêter ces défor-
dres , de rafer de part & d'autre les Forts qui iervoienc de
retraite à ces brigands. Les Efpagnols ruinèrent d'abord
Goort ôc Twycklooj ôc les Etats démantelèrent Dorthet
èc Verwoerden.
Dans le même tems, Gérard Beversfort furprit le châ-
teau de Saelfleldt , par la négligence du gouverneur Leu-
kama j mais le comte Herman , après quelques contefla-
tions à ce fujet , déclara qu'il n'éxécuteroit hs conven-
tions qu'il avoit faites avec les Etats, qu'à condition qu'on
lui rendroit ce château.
(i) Ou Vanden Berghe,
S^o HISTOIRE
; La garnifon de W^^eflerloo étant fortie pour aller en parti,
H EN Kl rencontra entre Bruxelles ôc Louvain les Efpagnols, qui la
I V. taillèrent en pièces 3 de des payfans maflacrerent auprès de
TCO 2^ Dieft ceux qui avoient échappe aux Eipagnols. Le refbe de
la garnifon épouvante abandonna 'W^ellerloo , qui ouvrit
£ès portes à Mondragon j §l Tournhout ne fit pas plus de
rèfîflance.
Quelque tems auparavant, le baron de Rheyde qui , com-
me nous Pavons dit, s'etoit rendu l'année dernière dans
les Païs-bas avec les ambafTadeurs de l'Empereur , pour ap.
paifer les troubles de ces Provinces, & qui étoit paiTè en
Hollande avec les iriflrucTiions de Tes Collègues , fut ren-.
N voyè le 7. du mois d'Avril , après plufieurs conférences
avec les Etats généraux.
Réponfe Us remercièrent d'abord l'Empereur de l'attention parti-
"^frT p'^'*4 culière qu'il avoit marquée pour rendre le calme à leurs
a Hollande . T^ . ^ ^ ., ^, , . . . ,
aux ambaiîa- Provmces , ajoutant : Qu'ils iouhaitoient depuis longtems
deurs de jg trouver le moyen de faire une bonne paix ; Qu'ils avoienc
fait tous leurs eflorts pour y reuiïïr 3 mais que 1 expérience
leur avoit appris qu'on ne pouvoit compter fur la bonne foi
des Efpagnols , ni traiter avec eux en fureté : Qu'ils avoienc
violé le traité fait avec le prince d'Orange en i 574. & celui
de Breda de l'année fuivante : Que cette paix n'avoit été
qu'un prétexte aux Efpagnols pour enlever plufieurs places
aux Etats : Qii'ils avoient auffi violé le traité de Marche en
Famine , fait trois ans après avec Dom Juan d'Autriche ;
Qu'ils avoient donné atteinte à la paix, en s'emparant de
Gand , de Charlemont, de Namur , &: de Marienbourg j
bc que le baron de Selles n'avoit apporté d'Efpagne des con-
ditions de paix , que pour être luivies d'infradions mani-
fefles : Qu'ils avoient encore engagé les provinces d'Artois
de de Hainault à fe fèparer des Provinces-Unies j & que
la p^rte d'Utrechc, & de Bofledix en Brabant avoit été
tout le fruit que les Etats avoient retiré de la paix de Co-
logne.
Que la perfidie des Efpagnols n'avoit jamais plus éclaté,
que dans le Congrès qui s'étoit tenu quatre ans auparavant
avec les ambafiàdeurs de la reine d'Angleterre , èc les dé-
putés des Etats , pendant que l'Efpagne armoit cette flore
redutabiê
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5^1
redoutable qui dévoie fubjuguer l'Angleterre &c les Pais- -
has-j mais qui étant partie lotis de malheureux aufpiçes, Henri
avoir fait prefque entièrement naufrage entre les côtes de I V.
France ôc d'Angleterre , après avoir combattu longtems, 1592.
plûrôt contre les orages que contre les hommes.
Qiie non- feulement leur propre danger , mais encore celui
de leurs voifins , leurapprenoient à fe défier des Efpagnols,
dont les djlFeins fur la France étoient alTez connus : Qu'ils
y avoient iecouru hs rebelles contre leur Roi ^ Se qu'ils
avoient formé le complot odieux de le faire aflairiner :
Qif il paroilToic aflez qu'ils ne s'emparoient en France des
meilleures places à la faveur d'une guerre civile , que pour
en chafler le légitime héritier, qui s'oppofoit à leurs en-
treprifes , pour envahir ce Royaume, & fonder enfin cette
Monarchie univerfelle qu'ils projettoient depuis fî long-
tems.
Que ce n'étoit pas fans delT^in qu'ils avoient envoyé de
Flandre tant de troupes auxiliaires en France fous la con-
duite du duc de Parme, 6c qu'ils avoient tiré des troupes d'Ei^
pagne pour faire des defcentes en Bretagne, 6c d'un autre
côté en Languedoc : Qu'ils augmentoient les foupçons
qu'on avoit conçus de leur peu de fîncérité , & failoienc
bien voir qu'ils ne vouloientpas la paix j puilqu'ils l'avoicnc
propofée dans TalTemblée de Francfort, lorlque le duc de
Parme fe préparoit à entrer en France- 6c qu'ils avoient
difFéré la négociation après fon retour, jufqu'à ce qu'il piic
y rentrer avec des forces plus confidérables : Qu'ils ne fai-
foient de nouvelles propofitions que parce qu'il étoitabrent j
de qu'on alloit prendre des mefures dans la dijtte pour re-
tirer de leurs mains les terres qu'ils avoient ufurpees dans
l'Empire : Qu'au refte ce n'étoient pas de foibles conjjdu-
r^s ; Qu'ils étoient afllirés des delfeinsdes Efpignols par les
lettres que Martin de Idiaquez premier Secretaiie du roi
d'Efpagne écrivoit à Guillaume de Saint-Clement ambairi-
deur en Allemagne, qu'ils avoient furprifes : Qu'ils n'avoi^Mic
pas encore oublié le traitement qu'on avoir fait aux habi-
tants d'Aix-la-Chapelle à la foUicitation du roi d'Efpjgne.
Que perfonne n'ignoroit avec quelle licence les EÏpa-
gnols , toujours portés à s'emparer du bien d'autrui ,
Xo^e XI, BBbb
155^2.
5b^2 HISTOIRE
■ ravageoient le duché de Cleves , donc ils avoient ôté i'ad--
Henri miniflration aux légitimes hériders 3 & quels artifices ils
I V. avoient employés pour fe l'attribuer. Enfuice reprenant les
choies de plus loin , ils diloient : Qii'ils avoient toujours
devant les yeux ces maximes odieules de la Cour de Rome^
qui dirpenfent de garder la foi jurée aux hérétiques ôC aux
rebelles , au nombre defquels l'Efpagne les comptoit lî in»
juflement depuis tant d'années : Qj^ie les Etats ne pouvoienc
par ces raifons conléntir à la paix , ni prendre aucunes ré-
lolurions fans en avoir auparavant conféré avec la reine
d'Angleterre, leur alliée , èc fous l'avis du Roi très-Chré-
tien.
Que c'étoit par ces motifs qu'ils auroient fouhaité dès le
commencement, que l'Empereur n'employât point (a média-
tion dans une affaire qu'il auroit le déplaifir de ne pas voir
réiifTir iQii'ils conjuroienc Sa Majefte Impériale de prendre
en bonne part tout ce qu'ils avoient fait ,&. leurs dernières
ré/olutions. Ils s'exculoient enfin fur la rigueur de l'hiver^,
de fur la difficulté des chemins, qui avoient empêché les.
dépurés des Etats de le ralTembler, de ce qu'on avoit été
il longtems fans donner la réponfe à [qs Ambaflàdeurs.
Les Erats publièrent la réponfe qu'ils avoient faite à l'Em-
pereur , & firent l-rappt r ^n mémoire , des médailles d'argenc
èc d'airain , félon leur Cv>ûtume. On voyoit fur un côte de
ces médaillv'S , une férvante Hollandoife qui dormoit dans
un jardin , &: des ennemis qui paroiffoient vouloir la fur-^
prendre, & d'autres qui l'attaquoient à force ouverte j on
y liioit ces mots :(i) : ax pat et iiijidiis. Sur le revers, une
femme éveillée paroifloit environnée d'une bonne garde 5
la légende écoit: (1) Tuta faUs bcl'c.
Pendant ce tems-là le prince d'Orange ne reftoit pas dans
l'inadion , il convint avec les Etats des chofes ncceffaires
pour la guerre , 6c partit enfuite pour Middelbourg. Il
reprît d'abord le chemin de la Haye 3 Se marcha vers
Utrecht , pour arrêter les troubles qui s'étoient élevés
dans cette ville. Il y avoit deux factions j l'une de Jacobites ,
&, l'autre de Confiftoriaux. Elles s'étoient formées fous le
(i) r:eft-à efire : Le chemin de la
paix eft rempli de pièges.
(2) Ce qui fignifie ; La guerre aflïirj
notre bonheur.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5^3
gouvernement du comte de ( i ) Leyceilre dès le tems que les ?î^
nouveautés qu'il vouloit introduire dans ces Provinces H en r i
avoient prelque caufé fa difgrace. Elles avoient pris leur I V.
nom du Miniftre de la paroille de Saint Jacque, dont la 1591,
morale ctoit afTés relâchée -, & du Confiftoire , qui vouloit
faire obferver une difcipline févére.
Les Confiftoriaux appuyés par le comte de Leyceftre
avoient chaiîc de la ville les plus confidérables d'entre les
Jacobites j mais ceux-ci ayant trouvé une occafion favora-
ble, prirent les armes de grand matin j & ayant furpris les
Confiftoriaux , les chaiîerent à leur tour, & entr'autres
Jean de Brakele , Bourguemeftre , d'une naiflanceilluflre j
Se rappellérent ceux des leurs que les Confiiloriaux avoienc
forcés à quitter Utrecht.
Le prince d'Orange pacifia ces troubles , rappella les Stccnw'ck
exilés, de donna un Gouverneur à la ville. Il manda eniuite p";!,;^^ Jq-^
les garnirons pour affembler Ton armée, qui lé trouva com- range.
pofee de huit mille hommes d'infanterie, ôc de deux mille
chevaux. Les principaux chefs , après le comte d'Hohenlo ,
étoient Barchon Maréchal de camp , Philippe de Nailiu qui
étoit à la tête de la cavalerie, de Levin de Famars Com-
mandant de l'artillerie, de Grife Général des vivres, la
Creflonniére Sergent major , Guillaume de Nafîau , le
comte de Solms , François Veer , de Brederode, Jacque
Balfour Ecoiïbis , Dorp , Groonevelt , & autres Capitaines
diftingués.
Le prince d'Orange fit prendre à fon armée le chemin
de Steenwick, & campa le 28. Mai devant cette place.
Elle avoit fait autrefois , lorfque les Etats en étoicnt les
maîtres , une vigoureufe réiiftance contre le comte de
Rennebourg , qui l'afFiégea dans le tems qu'il étoit au fer-
vice du duc de Parme. Jean-Baptifte Taxis l'avoit prilè
dans la fuite , & l'avoit fortifiée d'un terre-plein. On croyoic
que les Etats, après la prife de Deventer , l'attaqu-^rcienc
à la première campagne , Il l'arrivée du duc de Parme ne
les en empêchoit.
Le capitaine Antoine la Cocquîelle , vieil Officier , étoit
dans la place avec quinze compagnies. La garnilon étuic
(0 Ou de J-eicefter.
BBbb ij
5(^4 HISTOIRE
compofée d'Anglois , qui avoient pris parti dans les troupes
Henri d'Efpagnej d'autres Anglois pris à Gertruydenberg ,• &. de
IV. Vallons qu'on avoit renvoyés après la prife de Deventer ,
j ç à condition qu'ils ^ne porteroienc pas les armes contre les
Etats.
Ces motifs, & l'intérêt delagarnifon faifoient attendre
d'elle une refiftance opiniâtre. La Cocquielle exhorta fes
foldats j àc fans leur dilfimuler la grandeur du péril , il leur
lit promettre avec ferment de ne penfer à fe rendre , qu'a-
près avoir fait les derniers efforts pour conierver la place
qui leur avoit été confiée juiqu'au retour du duc de Parme,
qu'on attendoit de jour à autre ^ &: fi^achant que les muni-
tions de poudres manquoient , il les pria de ne s'en fervk
qu'avec ménagement , & dans l'extrême néceiîité.
Le prince d'Orange ayant fait tirer les lignés , fit élever
un cavalier de terre à la hauteur de dix-neufs pieds, ôc fie
placer dellus trois canons pour incommoder les aQiégés,
qui voyants que les feux d'artifice qu'on lancjoit de ce ca-
valier avoient embrafé les maifons voifines du rempart^
les démolirent, 6c comblèrent le terrain. Enfin le 8. du
mois de Juin, les batteries étant prêtes à foudroyer les murs,
il fut tire iept mille coups de canon fans beaucoup de fuc-
cès j car Ibit que ce fut la faute des canonniers , ou que
les canons s'échaufFalIent trop , on s'apperçut que les boulecs
avoient paifé pardelïus la ville pour aller tomber dans le
camp du comte Gillaume de Nafïàu , où ils avoient tué
quelques-uns de les foldats,
Lqs ennemis , armés feulement de balais , courroient fur
les remparts, qu'ils balayoient par derifion à la vue des
afiiégeans , & efifuyoient la place des coups , comme s'il n'y
eût eu que de la poufiiére. Le feu de l'artillerie recom-
men(^a cinq jours après, depuis quatre heures du matin jufl
qu'a fix heures du loir. Cinq bataillons furent commandés
pour l'afTaut j mais les Chefs n'ayant pas trouvé la bréclie
alfcz large , changèrent de defiein.
On commença à creufer des mines du côté que les aÏÏîé-
geans écoient le plus expofés 3 &: pendant qu'on y travail-
ioit, les ennemis firent deux vigoureufes forties , & enlevèrent
un drapeau, après avoir taillé en pièces quelques foldats^
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. s^5
Enfin le 1 7. du mois les afïïégés étant fortis de nuit en '
camifade, au nombre de cinq cens hommes d'élite, tail- Henri
lérent en pièces la x:ompagnie du colonel Okhoven , twé- 1 V.
rent fon Lieutenant, & même quelques-uns d'entre-eux jcqi
dans robfcurité.
Enfuite Cornput, Meftre de camp du régiment de NY^eft-
frife , fit conftruire avec des mâts une tour à ( i ) trois éta-
ges. On pouvoit l'abaiflèr & l'élever par le moyen de vis de ;
ter. Les ioldats à couvert dans cette tour étoient élevés
au-deillis de la ville ^ enforte que les affiégés n'ofoient plus
paroître dans les rues. Ils percèrent d'abord des maifons ,
pour avoir la liberté d'aller & de venir fi^r les remparts , de
drefierentune batterie qui abattit le faîte de cette machine,
mit en pièces les foldats qui y étoient enfermés , & la ren-
dit inutile. Mais parce qu'elle avoir fait plus de mal aux
afiîégeans qu'aux affiégés , les foldats l'appellérent par dé-
rifion , la perche aux gluaux, que l'on met dans les jardins
pour prendre les oifèaux.
Vers la fin du mois, Verdugo, inquiet fur l'événement
du fiége , fit avertir les affiégés qu'il leur envoyoit deux
cens cinquante hommes d'élite , chargés chacun d'un fac
de poudre , 6c de faire une fortie dans le tems que ce fe-
cours approcheroit de la ville. Mais celui qu'il avoit en.
voyé tomba entre les mains des ennemis , qui étant pré-
venus coupèrent ce convoi, en tuèrent deux censhommies
avec d'autant plus de facilité que les affiégés ne fortirent
point à l'heure marquée 5 lerefte fut diiperfe • il en entra peu
dans la ville 5 & ce ne fut que pour y jetter l'allarme. Ils
apprirent aux affiégés , qu'il ne leur reftoit plus aucune ef.
pérance de fecours ^ que les garnifons voifines , fous pré-
texte qu'on ne les payoit point , avoient refulè de marcher
à leur îècours , quoique le, comte de Mansfeldt eût fait tous
fes eflPorts pour les y engager.
Ces trilles nouvelles découragèrent entièrement les affié-
gés , qui commencèrent à parler de fe rendre. Il y eut des
difficultés pendant quelque tems, parce que le prince d'Q-
range vouloit qu'on lui livrât les Anglois qui s'étoient
(i) A^o^. Lifez à neuf étages , félon Mctcren p. 541. & Lauriers de NafTau
î>. 103. Put:
BBbbiij
5^6 HISTOIRE
jH .* donnés à J'Efpagne , 6c ceux qui avoient ouvert Gertruy-
Henri denberg à Tennemi. Dans cette incertitude , on mit le feu
1 V. aux mines , de loixante-cinq canons abattirent une grande'
I K9 1, p^^*^^^ ^^^ murs , 6c mirent en pièces plufieurs d'entre les
alliégës. Le prince d'Orange voulant voir de trop près les
mines , reçut dans le vifage un coup de feu qui lui affleura la
joiie.
Enfin tout étant difpofé pour l'aflaut , les afîiègés qui
avoient perdu leurs plus braves Chefs , entre autres le
comte Louis de Bergh , le capitaine Blondel , Heilel, les
lieutenans de Steinbach &: de Camega , ôc d'ailleurs afFoibiis
par le grand nombre de blefïès , capitulèrent le 5. de Juillet.
On leur permit de le retirer fans armes , à condition que de
fix mois ils ne ferviroient point au-delà dit Rhin.
Il n'y eut , fuivant les hifloriens Efpagnols , que mille
hommes de tués du côté du prince d'Orange j mais
les hiftoriens de fa vie en font monter le nombre jufqu'à
quinze cens , èc rapportent qu'il y eut vingt-neuf mille
coups de canon tirés à ce fiége. François Veer , & Horace
fon frère y furent dangereufement blelTès, & de Vorp mou»
rut quelque tems après de [qs blelTures. Berenllein , brave
Capitaine , fut mis dans la place avec quatre compagnies.
On combla la tranchée , & on renverfa les Forts que les fol-
dats avoient élevés. On répara aulîî la brèche , ôc le rem-
part fut fortifié au dedans. La Cocquielle, & Waterdik fon
Lieutenant furent conduits en fureté, avec les bleiTès &le
bagage à Benthem , fur la frontière de >5reftphalie. Les
transfuges &L ceux qui avoient pris parti dans les troupes
d'Efpagne , pour fe dérober au fupplice , ne furent pas com-
pris dans le traité.
Après la prife de Steenwick, le prince d'Orange en-
voya devant lui douze cens hommes , & alla camper de-
vant Oetmarfen. Alfonfe de Mendoze gouverneur de la place
defefpèrant de pouvoir la défendre, en lortit à l'arrivée des
ennemis avec foixante chevaux , &: s'ouvrit un chemin l'épèe
à la main pour fe retirer en lieu de iliretè. Il avoit promis
à la garnilon de lui amener les fecours qu'il alloit demander
à Verdugo.
Cependant le prince d'Orange fit les approches de la
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5(^7
place. Pendant que de Famars donnoic [qs ordres pour ^^f^^^^igg^»
drefîer des batteries contre la ville, il reçut dans la tête un Henri
coup d'arquebufe donc il mourut. Sa mort affligea fenlible- I V.
ment le prince d'Orange, qui perdit en lui un lage confeil, i co -.
un ami fîdéle, habile au métier de la guerre, de très-expé-
rimenté dans l'artillerie. Les afîîégés craignants qu'on ne
vengeât cette more fur eux , s'ils relîfloiencpluslong-tems,
prirent le parti de fe rendre, la vie fauve.
Le même jour, le prince d'Orange alla au camp devant
la ville de Coëvorden au païs de Drente. Sonoy l'avoit au-
trefois munie d'un rempart, 2^ l'avoit environnée de fofTés.
Le Gouverneur mit le feu aux fauxbourgs , & aux maifons
voiiînes , pour rendre les approches de la place plus difficilesj
mais cela ne fervit qu'à les faciliter 5 car les (oldats du prince
d'Orange couverts par la fumée de i'embraièment , tirè-
rent les lignes de circonvallacion , 6c s'étant emparés de
del'Eclufe, mirent à fec le fofTé , briférent les chaînes du
pont-levis de la citadelle, 6c le renverlérent j 6c ayant fait
par-delTous le foiTé des galeries qu'ils couvrirent de gazon,
ils s'avancèrent jufqu'au pied du mur 3 le comte Guillaume
mit lui-même la main à l'ouvrage.
Dans ce tems-là , le duc de Parme de retour en Flandre
de fon expédition de France , alloit prendre les eaux de Spaj
les Etats , pour l'empêcher de pafTer le Rhin à Berck , don-
nèrent commiflionau colonel f 1) Steenberg de lever un ré-
giment , dont le comte de Hohenlo fit la revue â Arem-
berg. >
Sur ces entrefaites, Phih'ppe de NafTau que les Etats
avoient envoyé au fecours du roi de France, revint à pro-
pos dans les Païs- bas avec fes trois mille hommes de trou-
pes, qu'on retira des garnifons prefque auffi-tôt qu'on les y
eut difperfées , pour les eiivoyer à Gravenweerdt , parce
qu'on craignoit que le duc de Parme ne fît quelques tenta-
tives de ce côté- là dans fon palTage. Ceux de Zwol four-
nirent fix gros canons , 6c autant de coulevrines , & por-
tèrent une grande abondance de vivres dans le camp.
Vcrdugo prelfatanc le duc de Parme, qu'il en obtint en-
fin le commandement desrègimens de Charle de IVlansfeld,
• (0 Meteren le nomme Stolberg.
5^S HISTOIRE
de Mondragon , d'Odave de Gonzaguc , d'Aremberg ,& de
Henri Berlaymonc, & de quelques autres troupes de cavalerie que
I V. commandoit Alonfo d'Avalos-, en l'abfcnce du Marquis ion
IJ9Z, frère. Il fit paiTer le Rhin à fes foidats , entre Rhinberk 6c
Xi^efel , après qu'ils eurent élevé un Fore de l'autre côté du
fleuve. De-là ces troupes s'avancèrent jufqu'à GroU, & arri-
vèrent à la vue d'Oldenzeel le 7. du mois de Septembre.
Verdugo partit d'abord pour Herdenberg , où. il dévoie
camper , comme on le difoit 5 mais ayant changé de delTein,
il marcha vers Ulien , 6l enfuite vers Emlichen village du
Comté de Benthem , qui n'eft éloigné de Coëvorden, que
d'une heure de chemin.
Il Te propofoit de jetter du fecours dans cette place j mais
le païTan qu'il avoit envoyé pour en donner avis à la gar-
rjfon , ayant été pris par les ennemis , fut contraint de dé-
couvrir que Verdugo devoit pafTer par le quartier du comte
d'Hohenlo qu'on gardoit avec négligence. Le prince d'O-
range fît doubler la garde de ce côté-là , &: ordonna à fes
foidats de fe tenir prêts pendant toute la nuit. Verdugo s'é-
tant prefentè, fut repouflé avec cent trente-fîx des liens j
il y en eut beaucoup de blefTès , & plufîeurs chevaux périrent
dans ces endroits marécageux. Le prince d'Orange n'y per-
dit prefque point de foldats,il n'y eut que le comte Guillaume
de Nafîàu qui fut légèrement blefïe au bas ventre. Cette,
rufe n'ayant pas réuffi , Verdugo fit prendre le lendemain
des fafcines à fes foidats, pour fe faire à force ouverte un
chemin jufqu'à la ville au travers de ces marais j mais ayant
trouvé plus de difficulté qu'il ne s'y étoit attendu , il fe con-
tenta de tirer deux fois le canon pour avertir les habitans
de fon arrivée. Le canon de la ville lui répondit autant de
fois. Il fè retira enfuite à Velthuifen dans le comté de
Benthem.
Les habitans de Coëvorden n'ayant plus de fecours
à efpérer , capitulèrent enfin avec le prince d'Orange
qui s'ennuyoit de la longueur du fiége. Il accorda par le
traité de capitulation à Frédéric de Bergh &: à fon frère
Herman , qu'il appelloit fes coufins germains, ôc qui s'étoient
enfermés dans la place pendant le fiège, 6c à leur confidè-
ration , aux autres Officiers 6c à la garnifon , la permiffion
de
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5^9
àe fe retirer où ils voudroienc , & de fortir de la ville , en-
freignes déployées , mèches allumées , avec leurs armes , leurs Henri
chevaux &. leur bagage j à condition cependant d'y laifïèr IV.
l'artillerie , les vivres &c les munitions. Le Clergé eut aufli i foz.
la liberté de fe retirer, & on fournit des chariots pour em-
porter leurs meubles, à ceux des habitans qui voulurent quit-
ter la ville. Cela fut exécuté le 1 1. du mois de Septembre.
Le prince d'Orange fit relever les murs , àc mit la place
en état de défenfe j il arriva à Zwol fur les traces des Ef-
pagnols , fe réfervant à prendre fon parti fur celui que pren-
droit l'ennemi.
Lqs régimens de Berlaymont & d'Arembergh ayant quit-
té le gros de l'armée, pafïerent le Rhin à Berckj & Verdugo
mit le refte de fos troupes en quartier aux environs de Oi-
denzeel, GroU , Goor, Enfchede , èc Linghen. Il fe pafla
beaucoup de tems, fans rien faire de part ôc d'autre j 6c comme
l'automne s'avançoit, èc que les chemins étoient devenus
impraticables à caufedes pluies , le prince d'Orange fe ren-
dit à Arnhem le 8. de Novembre , êc diftribua auiîî Ces trou-
pes en quartiers d'hyver.
Peu de tems après, le duc de Parme, afin d'être plus a Mort du duc
portée de faire £es préparatifs pour rentrer en France , quit- <^^ Pâme.
ta Bruxelles & fe rendit à Arras. Il plaça fon quartier dans
l'abbaye de S. Vaffc, où l'incommodité de fa dernière blef-
fure jointe à fon ancienne maladie, & le dépiaifir de voir
tomber en décadence les affaires en Flandre, tandis qu'on
l'obligeoit à porter la guerre dans un Royaume étranger ,
augmentèrent fon mal , &: le réduifirent à l'extrémité. Enfin
le iecond jour de Décembre, fentant que fes forces dimi-
iiuoient : C'er^ eft-fait ^ dit ce Prince, les remèdes font inutiles»
Le comte Cômc Mazi fon Secrétaire étant alors entré , 6c
l'alTûrant avec joye qu'il feportoit mieux : /'r^i'^^/y/^/^j-^tf^^r,
dit-il , tant cjite mes forces pourront le permettre -, & ayant
iigné pendant quelque tems des lettres, on le remit fur fon
lit. Jean Sarafin abbé de S. Vall: lui ayant adminiftré l'ex-
trême-Ondion fur le ioir, ce Prince mourut peu après, âgé
de quarante- fept ans.
Ce fut un des plus grands Capitaines de notre fiécle, qui Son éloge,
joignit à la prudence , l'habiletc , la vigilance, la fermeté,
'Ji^me Xi, C C c c
570 HISTOIRE
èc le bonheur, auquel contribuoîc encore le fouvenîr de lâ/
Henri ducheiTe de Parme fa mère , qui avoit gouverne les Païs-bas
1 V. avec beaucoup de modération & d'equicé , & dont le rappel
I COI. avoir caufé le n-alheur de ces Provinces. En mémoire de
cette fage Gouvernante , les Flamands qui avoient marqué
une averlion infurmontable pour l'orgueil &: la domination
des autres gouverneurs Efpagnols, dont le iuccès les jettoienc
dans le delefpoir , voyoienc au contraire avec tranquillité
les vic1;oires du duc de Parme , àc fe livroient â fa bonne foi.-
Les Efpagnols faifoient allez éclater la jaloufie que leur cau-
foit cette affedion des Flamands ^ c'eft ce qui augmenta le
foupçon qu'eurent les peuples qu'il avoir été ernpoifonné.
Mais on fut convaincu du contraire à l'ouverture de Ion;
corps j & il parut que fa maladie venoit du défaut des par-
ties intérieures, 6c qu'il ne pouvoir pas vivre long-tems , à
caufe de la folblelle de fon tempérament.
Il avoit rendu de grands fervices à l'EfpagnCj mais la perte
de cette flore qui avoit épuifé tant de treiors les avoit effa-
cés. Ses envieux répandirent le bruit qu'il n'avoit pas voulu
fecourir cette flote , avec des vailleaux plats dans le rems
qu'elle luttoit contre les vents ^ ce qui l'avoic fait foup-
çonner de vouloir plutôt prolonger que terminer la guerre,
éc d'avoir conçu de la jaloufie de ce qu'on avoit confié à un
autre qu'à lui l'expédition d'Angleterre. Ses fuccès en France
avoient en quelque fa(^on écarté ces louperons 3 il y avoic
fait lever le fiégè de Paris 6c de Roiien , &: s'etoit acquis
par-là une fî grande réputation , qu'on ne croyoit rien au-
dellus de fon habileté miiitaire.il etoit forti avec honneur
de la lice où il éroit entre avec un grand Roi , qui n'étoic
pas moins bon Capitaine , &; acoùtume à vaincre. Il mou-
rut, pour ainfi dire, dans la fleur de fes fuccès. On ne put
jamais lui rien reprocher du coté de la fidélité pour fon
Prince , ni du côte de la guerre , ce qui mit le comble à fon
bonheur.
On lui fît une magnifique pompe funèbre à Arras. Pierre
Ernefl: de Mansfeld;, fon Lieurenant fuivoic immédiatement
le corps. Il s'éleva une dilpute entre les Italiens & les Eipa-
gnols pour le pas 5 mais les Italiens l'emportèrent ,ôceurcnc
la place d'honneur dans les funérailles d'un Prince ôc d'un
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 571
grand Capitaine de leur Nation , qui avoir non-feulement
réveillé la gloire des armes , & la icience militaire éteintes Henri
depuis long-tems en Italie 3 mais qui \ç.s avoit encore por- IV.
tées plus loin , que les Capitaines qui l'avoient devancé. 1^92.
L'Evêque de Saint Orner lic l'oraifon funèbre du duc de
Parme. Hubert Rodolphe abbé de Cîteaux compofa auill
un panégyrique en fon honneur.
Robert de Barbançon marchoit devant le corps qui fut
porté à Bruxelles avec une pompe militaire le 8. Décembre,
de dépofe dans la chapelle du Palais. Il fut enfuite tranf-
porte en Italie par Mario Farnefe , efcorté d'une troupe de
cavalerie en detiil 3 palla par la Lorraine , la Franche-Com-
té & la Savoye 3 & arriva enfin à Parme où il fut inhumé
dans l'églile de la Paix , fans appareil , couvert d'un habit de
Capucin , comme on difoit qu'il l'avoit ordonné par fon
teftament. Il fut mis dans le tombeau de Marie de Portu-
gal fa femme , qui l'avoit ainfi fouhaité par Ion teftament.
Enfuite avec la permillion du Pape , on lui fit à Rome ,
d'où il étoit originaire , de fuperbes obféques , &: un fervice
folemnel dans l'églile dQS Capucins d'ylra cœLi , en mémoire
Ats grandes choies qu'il avoit faites pour la Religion , &
comme à un bon Citoyen, & au gouverneur héréditaire de
la Sainte Eglifè Romaine 3 êc fuivant l'ancienne coutume ,
on lui érigea une ftatuë de marbre par un décret du Sénat
(5c du peuple Romain dans le Capitole. Gabriel Ceiarini
prononça fon oraifbn funèbre 3 François Benci , &: Vincenc
Blaife Garcie compoférent des éloges funèbres en fon hon^
jieur. Aurelius Urius Romain fit fon Epitaphe en vers.
Il laiflà deux fils de Marie de Portugal. Ranuce l'aîné ,
qui peu auparavant la mort de fon père etoit parti de France
pour ritalie avec le marquis de Guaft après la levée du (iége
de Rouen, lui fuccéda. Son fécond fils Odoard fut Cardinal
dans la fuiie. Marguerite fa fille avoit époufé Vincent prince
de Mantouc3mais n'étant pas propre au mariagc,àcaufe d'une
certaine îndifpofition naturelle ( i ) , elle fè rerira dans un
couvent de Plailance , après que fon mariage eût été cafTé.
Le roi d'Efpagne informé de la maladie du duc de Parme3
^ craignant que fa mort ne jettàt la confufion dans \q.%
(1) §hiod arciior ejfet , dit le texte Latin.
Ç C c c ij j
57* HISTOIRE
. ; affaires des Païs-bas, y avoir envoyé de bonne heure Dot>
Henri Pedro Henriquez d'Azevedo comte de Fuentcs , avec deS'
I V. ordres fecrets. Mais quoiqu'il hic arrivé à Bruxelles fur la
i ro2, ^^ de Décembre, il ne pue voir le Duc avant fa mort. On
ouvrit les paquets qui contenoient les ordres du Roi. 11 y
donnoît le gouvernement de ces Provinces au comte Pierre
Erneft de Mansfeld , jufqu'à l'arrivée en Flandre de l'ArchL
duc Erneft frère de l'Empereur. Il recommandoit d'avoir
pour lui toute la déférence qui étoit dùë à un Prince de la
maifon d'Autriche 5 il y difpofoit auifi du gouvernement des-
Provinces en particulier , en faveur des principaux Sei-
gneurs.
Philippe de Croy duc d'Arfchot eut la province de Flan-
dre -j Charlefon fils prince de Chimay , le Hainault ^ Charle
comte d'Arembergh , la Gueldre 3 Marc de Kye, marquis de
Varambon , l'Artois •, le comte de Berlaymont , Namur • de
Billy eut Lille, Douay ôcOrchies ^ le baron de Molembaya
que le roi d'Efpagne avoit renvoyé avec de grandes pro-
melîes , & fait comte de Solre , eut Tournay Ôc le Tournciis,.
Charle de Mansfeld , fils du comte Erneft , fut fait Ami-
ral. Louis de Berlaymont qui avoit été dépouillé de l'Ar-
chevêché de Cambray , fut pourvu de l'évêche de Tournay,
à la place de Vendeville qui étoit mort depuis peu. Lamo-
rai d'Egmond rentra dans les biens de fa famille. Frédéric
Perrenot de Champigni ( l'un des gardes du tréfor Royal ,
que le duc de Parme peu de tems avant de mourir avoit
dépouillé de fa charge, &: chaiTé honteufement de Bruxelles,
à caufe de la haine qu'il lui portoit depuis long-tems ) fut
rétabli dans fon pofte avec honneur ,, quoiqu'il fut alors
abfent.
prifes confi. La fortunc fuc favorable aux Anglois cette année j s'ils
dérabies j^g purent pas tirer une vengeance entière de l'injure qu'ils
Jaitcs par les . ^ " . , ,
Anglois fur avoient re^ûë l'année d'auparavant , ils fe dédommagèrent
ksEfpagnoif. Ju moins avcc ufure de la perte d'un vailTeau qu'on eftimoic
cent trente mille guinées, ôc de la prife de l'Equipage. Tho-
mas \i^hyt marchand originaire de Londres équipa un
vaifîàu , fur lequel il mit quarante-cinq hommes choifis pour
faire un voyage en Afrique, oà il devoir s'arrêter &,laifîèr
£qs marchandifes , ôc en prendre de nouvelles pour ks côces^
DE J. A,. DE THOU, Liv. CIV. 573
pnr refquelles les vaiifeaux Espagnols qui revenoienc des Indes
dévoient pafler. Ayant pris ion tems , il attaqua deux petits Henri
vaiiïbaux équipés par l'ordre du roi d'Elpagne , ôc eicortés IV.
par quelques galères ^ & s'en rendit maîtres après trois heures j ^^. ^^
de combat. Il les emmena fur la côte d'Atrique , ôc de-U
en Angleterre avec toutes leurs marchandiies.
On rapporte qu'il y avoit dans ces vailîèaux quarante
mille cailles remplies de vif-argent , mille tonneaux de vin ,
êc cent tonnes pleines de Bulles de Rome , & de livres pro-
pres à célébrer les iaints myftéres pour les Philippines , Se
pour d'autres Ifles. On découvrît par des lettres qu'on y
trouva auffi , que le roi d'Efpagne avoit obligé par un traité
les Indiens à ne prendre que de lui ce vif-argent qu'il efb
défendu: de faire palTer aux Indes ôc en Efpagne ^ 6c qu'il
prenoit d'eux en échange un poids égal d'argent fin 5 qu'à
l'égard des Brefs &: des livres d'Eglilé , il les vendoit cha-
cun en particulier la douzième partie d'un écu d'or, & quel-
quefois le tiers au-delà de leur jufte valeur- Reparla fup-
putation que l'on fit alors il parut qu'il devoit gagner quatre
cent mille ducats fur ces marchandées qu'il achetoit à bas
prix j ce que je lailTe à difcuter à ceux qui font plus infiruics
^ue moi de ces fortes de chofes.
Quelque tems après , proche les A(^ores , dîx-huit fré-
gates montées par des coriàires Anglois rencontrèrent deux
brigantins Efpagnols chargés de riches effets , de parfums ,
& d'autres marchandifes étrangères qui revenoient des Indes
Orientales. Un vent violent qui s'éleva les écarta l'un de
J'aurrc. Les Anglois ayant réiini leurs forces, attaquèrent le
premier appelle le Saint-Croix ^ mais les Efpagnols s'étanc
défendus jufqu'à la nuit , profitèrent d'un vent favorable
pour relâchera la côte voifine. Ils débarquèrent fans perdre
de tems les marchandifes , èc mirent le feu au vaifTeau. Lqs
Anglois ayant perdu l'efpérance de s'en emparer, fe jetté-
lent fur l'autre brigantin qui venoità eux j &: foutenus par la-
flote du comte de Cumberiand qui arriva alors, le prirent,
èc l'emmenèrent en Angleterre.
La dilgrace de Perez fecretaire d'Etat caufa cette année Difc^mce de
le malheur des Arragonois 6c des habitans de SarragofFe. J''''^""j^°pr.
Il et oie fils de Gonfalo Perez aufîi fecretaire d'Etat Ibus le lii^pdi. àraô.
C C c c iij ^gaf'i.
\
tMtaiMi
574 HISTOIRE
régne de Charle-Qi-iinc , âc même ibus celui de Philippe ,
Henri &; defcendoic de Montréal d'Ariza. Il avoic d'abord appo-
I V. fé la fin de non-recevoir, à Taccufation de l'airaffinat de Don
I 5 9 i- ]^^^ d'Efcovedo , intentée contre lui par Mathieu Vafquez,
après avoir été traduit en juftice par Pedro d'Efcovedo fils
du mort. Il avoit fou vent écrit au roi d'Efpagne , par les
ordres duquel il avoic fait périr Efcovedo , pour l'enga-
ger à arrêter les pourfuices qu'on faifoit contre lui ^ Ss. il
î'avoic aiTûré qu'il feroic tous Tes efforts pour empêcher que
la caufe-de cet ailaffinat ne tranfpirâc dans le public 3 parce
qu'il écoit de l'honneur de Sa Majefté qu'elle demeurât ca-
chée. Il lui demandoic en recompenie de iè fouvenir de Ton
attachement, ôc lui reprefcntoit que fa réputation étoiciil-
cérellée à ne pas lailTer périr un homme qui I'avoic fervi fî
fidèlement.
Le Roi lui fie efpérer qu'il ne fouiFiiroic pas qu'on lui fi\L
citât de mauvaifes affaires à ce iujec 3 que cependanc comme
il vouloic fauver les apparences , il lui conieilloic de fe dé-
fendre de l'accufation au tribunal d'Antonio de Pazos Pré-
fidenc du confeil Royal de Cafèille. Perezne (é rendic qu'à
regrec aux confeils du Roi , les Arragonois n'étanc pas obli-
gés , à caufe de leurs privilèges ôc franchifes, de reconnoître
d'autre Juge, que leur Juge naturel j mais afiuré de l'inté-
grité de Pazos , &c comptant fur la protedion de Don Pedro
Fajardo marquis de Vêlez qui cenoic un grand rang à la
Cour , il y confentic enfin.
Pazos , après que l'affaire eue été portée devant lui , per-
fuada à la veuve ô^aux enfans d'Efcovedo de fe défifter de
leur pourfuite. Don Diego de Chaves confeffeur du Roi ré^
concilia enfuite Mathieu Vafquez avec Perez, & avec Donna
Anna de Mendoça de la Cerda princeffe d'Eboli , veuve de
Riiy Gomez de Silva , ce courtilan fi fameux à la cour de
Charle-QLiint , & même de Philippe. Mais pour remonter
à la fource de l'intrigue que je vais raconter , il effc nécefiaire
de fcavoir que le R.oi d'Efpagne aimoic éperdùëment cette
femme qui étoic d'une grande beauté , quoiqu'elle eut perdu
un œil.
Il avoic fait confidence de fa pafiion à Perez qui abufa
de fa confiance , en devenant amoureux de la princefîë
est^ AjK.mwi .mtjftf
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 57^
(d'Eboly dans les fréquentes vifices qu'il lui rendit, fous pré-
texte de l'entretenir de la paifion du Roi. Le bruit couroit H e n k 1
même qu'elle ne rejectoit pas l'hommage de ce nouvel amant. I V.
Cette intrigue fe pafïbit dans le tems que Don Juan d'Efco- i 55) i.
vedo étoit à la tête du Confeil de Don Juan d'Autriche
dans les Païs- bas. Efcovedo avoit été élevé dans la maifon
de Gonzalo Perez , 6: avoit dans la fuite pouffé fa fortune
fous la protedion de Riiy Gomez. Etant alors arrivé en Ef-
pagne , & fçachant que Perez traverfoit les deffeins de Don
Juan , il faifit l'occaiion de fon intrigue avec la veuve de
Riiy Gomes fon bienfaicleur, qu'elle deshonoroit 5 ôc réfoluc
de le perdre entièrement , en rapportant au Roi qu'il fe ré-
pandoit des bruits honteux au fujet de leur commerce.
Philippe en fut frappé au dernier point , ne pouvant fouf-
frir que Perez fût fon rival ^ fe défiant d'ailleurs d' Efcovedo
dont il connoifToit le génie entreprenant, t<. n'approuvant pas
les confeils hardis qu'il donnoit à Don Juan, il forma la ré^
Solution de faire périr Efcovedo 6c Perez l'un par l'autre.
C'effc pourquoi ayant tenu un Confeil fecret au fujet d'Ef-
covedo , avec Gafpard de Qiiiroga cardinal de Tolède, êc ,
avec le marquis de Vêlez qu'il confultoit dans \qs affaires
importantes ^ il fe détermina facilement à la perfuafion de
Perez qui étoit de ce confeil, à faire afTaffiner Efcovedo,
plutôt que de le renvoyer à Don Juan d'Autriche dans les
Païs-bas -, &; il jugea à propos de donner cette commiffion à
Perez, pour éloigner de lui le foupc^on d'une action fi odieufe.
Perez exécuta l'ordre du Roi avec tant de promptitude ,
qu'il donna depuis lieu de penfér que c'étoit plutôt à la fu-
reur de la princefîe d'Eboly irritée contre Efcovedo, de ce
qu'il avoit découvert au Roi fon intrigue, qu'il le facrifioit,
qu'à la vengeance du Roi. Lorfqu'Efcovedo eut été affadiné
par la main de Garcie Arzé , il reftoit encore à Philippe un
homme à ficrifier , qui étoit Perez fon rival. La veuve & les
enfans d'Efcovedo le pourfuivirent en judice avec la prin-
ceffe d'Eboly , que le Roi vit avec d'autant plus d'indifïe-
rence traîner honteufement en prifbn , que toute la haine de
l'aflàlîinat d'Efcovedo retomboit fur Perez , qui avoit fervi
Ja vengeance d'une femme outrée de colère 5 & qu'on ne
parloit aucunement du Roi en cette affaire 3 en forte que
57^ HISTOIRE
^' ' ■ D. Juan lui-même, qui accendoic Efcovedo aux Païs-baSe
Henri ne pouvoir en avoir aucun ioupçon.
I V. Le Roi écrivit pluiieurs billets à Perez dans fa prifon ,
I <Qz, pour l'engager à garder le fecret j il le raiîîiroit en lui pro-
mettant de faire tinir cette affaire , qui, comme il pouvoic
en juger , ne devoit pas traîner en longueur. Perez conferva
avec grand foin ces billets & d'autres ordres fecrets , écrits
de la main du Roi , & ne les publia que longtems après. S'é-
tant alors réconcilié avec Va^quez , &: l'affaire ayant été
alFoupie pour un tems , on lui donna la maifon de Madrid
pour prifon. Quoiqu'on lui eut ôté fés penfîons & tous Cqs
appointemens , il ne laifîà pas de travailler aux affaires
d'htât , par le moyen de Cqs Secrétaires j il le fît pendant iix
ans , jufqu'en 1585,
On ne parloit plus alors de la mort d'Efcovedo j mais on
fufcita une nouvelle affaire à Perez , qui re^ut un exploit de
cenfure , qu'on appelle en Efpagne , rifnntipn , ou recher-
che. C'eft un examen fuivi d'un Jugement , qui fert à in-
quiéter ceux qui ont été dans le fecret des affaires. On re-
çoit à ce tribunal les dépofîtions contre i'accufé , fans éxa^
miner quels font les témoins , & fans écouter ce que I'accufé
pourroit dire pour les récufer 5 ainfi l'ordre de la Juflice n'y
eft point obfervé. Ce fut devant ces Juges , que Perez fuc
traduit 6ç trouvé coupable de péculat. Toutes les preuves
qu'on en rapporta furent, qu'il avoit reçu dix mille ducats
du Grand-Duc de Tofcane , pour avoir fait confirmer au roi
d'Efpagne , en faveur de ce Prince , la donation qui lui avoic
été faite du domaine de Sienne : Qu'il s'étoit comporté
d'une manière peu convenable avec la princeffe d'Eboly :
Qu'il avoit révélé à Dom Juan plufieurs fecrets du Confeil
du Roi , qu'il étoit plus à propos de cacher , que de décou^
vrir : Qu'il avoit coutume , en expliquant au Roi les lettres
écrites en chifres , d'ajouter 6c de retrancher ce qu'il vou-
loit.
Pendant que fon affaire s'inflruifoit , D. Diego de Chaves
lui rendoit de fréquentes vifîtes , 6ç le raffûroit fur l'événe-
rnent, en lui difant qu'il ne lui en coûteroit pas beaucoup;
mais qu'il ne produisit point les billets du Roi , comme il
pouvoit le faire pour fe juflifier. Perez fuivit c^^ çonfeils j
J ^
DE J. A. DE THOU, Li v. CIV. 577
ce qui n'empêcha pas Tes Juges de porter contre lui une fen-
tence , que néanmoins ils ne prononcèrent ôc ne fignérent Henri
point. Elle le condamnoit , comme atteint & convaincu des I V,
crimes dont il étoit accufé , à payer trente mille ducats j elle i ca 2.
lui ôtoit encore fa, charge de Secrétaire d'Etat ^ & le con-
damnoit à deux ans de prifon , après Icfquels il feroit obligé
de s'éloigner pour huit ans de la Cour.
On fît entendre en fecret à Perez , que cette fentence ne
feroit point exécutée , s'il rendoit au R.oi ibs billets. Le
ConfelEeur Chaves faifoit tous Tes efforts pour l'engager a
les lui remettre. Perez lui en donna un ^ mais Chaves nia
clans la fuite qu'il l'eût reçu. Comme Perez refufa de fe dé-
faî'ir dQs autres , on envoya des Alcaydes , pour exécuter la
fentence rendue contre lui. Il s'enfuit à leur arrivée, & fe
fauva dans une Eglife voifiiie , dans la penfée de fe fouftraire
à la Jurifdiction royale , & croyani: devenir par là fujet au
Tribunal eccléfîaftique. Mais il en fut tiré par force , & con-
duit dans la forterefîe de Turegano , où ayant été chargé
de fers , il fut traité avec la dernière rigueur par Torres
d'Avila.
Enfin Perez écrivit de fon propre fàng une lettre à fa fem-
me , & lui ordonna de donner la caiTette & fcs papiers au
comte de Barajas, qui avoir ordre de les prendre. Il avoic
auparavant arverti fa femme de détourner les billets du
Roi , qui étoient les pièces qui pouvoient fervir davantage
à fa juftifîcation. Perez ayant ainfî en apparence fatisfait à
ia demande du Roi , fut tiré de cette rigoureufe prifon pour
un tems j & demeura pendant quatre mois à Madrid , fans
être fi étroitement gardé. Il avoit la liberté de voir (es amis
& d'aller à l'Eglife.
Les enfans & la veuve d'Efcovedo renouvellérent alors
leurs pourfuites contre Perez j & l'afiÇàire fut portée devant
Ivoderico Vafquez préiîdent du Confeil de l'Audience royale,
dix ans après qu'elle avoit été commencée. Le Confelfeur
Chaves fe mêla encore de cette affaire , de confeilia à Perez
d'avouer qu'il étoit l'auteur de l'afTafîinat d'Efcovedo, & de
garder le (ilence fjr les motifs. Perez lui repréfenta que le
foupçon retomberoiî par là fur le Roi , & que tout le monde
penferoit qu'il ne caciioit la caufe d,e la mort d'Efcovedo,,
Tome XI, DD dd
57^ HI ST O I R E
'■■■ que parce que le Roi y auroîc eu parc j que d'ailleurs cet
Henri aveu feroic dangereux pour lui ; Qu'il feroic donc plus à pro-
I V. pos de fermer la bouche aux héritiers & à la veuve du mort,
j r o 2,. en leur donnant de l'argent. Le Roi goûta l'expédient , foie
qu'il jugeât qu'il étoit de Ja prudence d'en agir ainfi , foit qu'il
fe fît un plaifîr fecret de nuire à un homme qu'il haïlToit
mortellement , en lui ôtant par ce moyen des lommes con-
jfidérables. Il en coûta vingt mille ducats à Perez , pour fe
délivrer de ce procès.
Le Roi changea dans la fuite j 6c ordonna par le confeil
de Vafquez , de travailler de nouveau à inftruire cette af-
faire , quoique terminée par une tranfadion , afin de faire
rendre contre Ferez un Arrêt folemnel , pour faire ceflèr le
bruit qui fe répandoit , qu'Efcovedo avoit été affaffiné par
les ordres du Roi , dont la réputation fe trouvoit blelîée par
ces injurieux foup(^ons. Ferez fe défendit en difant que ces
bruits odieux étoient un effet de la malignité de fes enne-
mis , qui ne craignoient pas de compromettre l'honneur de
Sa Majefté , pourvu qu'ils pufTenc trouver le moyen de le
perdre, m Qiiel eft leur but , difoit-il , en réveillant le fou-
M venir de la mort d'Efcovedo , & en y faifant tremper le
53 Roi ? Pourquoi , ajoûtoit-il , Ci j'avois exécuté les ordres
îj de Sa Majefté , m'auroit-on obligé à donner vingt mille
ï3 ducats ? Si donc on recherche le motif de cet afTadînat fi
35 longtems après , ce ne peut être que pour me rendre
>5 odieux , aux dépens même de l'honneur du Roi. « Vaf->
quez voyant que rien ne pouvoir engager Ferez à parler
contre le Roi, pour fa propre juftification , le fit mettre à
la queftion. Il la foufFrit d'abord avec confiance j mais vaincu
par la violence des tourmens , il avoua la chofe comme elle
ctoit , &c montra les billets du Roi , pour appuyer ce qu'on
l'avoît forcé d'avouer.
Ferez vit bien qu'on vouloit le perdre entièrement , & qu'il
ne pouvoir plus compter fur les promefFes que le Roi & (es
Miniflres lui avoient faites dès le commencement de l'affaire.
La mort du marquis de Vêlez , fur la protedion duquel il
avoit fondé toute fon efpérance , & qui étoit complice du
meurtre d'Efcovedo , étant arrivée fur ces entrefaites , il
comprit qu'il ne lui refloic plus d'autre reiTource ^ que ccUq
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 579
de tromper fes gardes. Il le fit, Se s'enfuit en Arragon (ur
dQs chevaux qu'on avoit tenu prêts , par li^s foins de fa fem- Henri
me , & de Gille de Mefa Arragonois fon proche parent. Mai- I V.
gré la foibieile que kii avoic caufé la queftion , il ne trente i cqi
lieues dans un jour. Il ne voulut pas aller d'abord à Sarra-
gofle , dans la crainte d'ofFenfèr le Roi , & il s'arrêta à Ca-
talayud , qu'on dit être la ville de Bilbilis , célèbre pour
avoir vil naître le poëte Martial. Là il fe retira dans le cou-
vent des Dominicains , d'où il écrivit le 24. d'Avril une
longue lettre au Roi , dans laquelle il lui rendoit raifon de
ia fuite , èc des raifons qui l'avoient engagé à prendre ce
parti.
Le Roi , pour toute réponfe , lui envoya un Alguafil, pour
le tirer de force de fa retraite , s'il refufoit d'obéir. Les Re-
ligieux n'ayant pas voulu reconnoîcre l'ordre du Roi , l'Al-
guafîl conftitua Perez prifonnier dans une cellule du Mo-
naftére. Cependant le Roi envoya des ordres plus précis,
pour enlever Perez , qui malgré l'oppolîtion des habitans
de Catalayud , fut conduit à Sarragolfe.
Les Arragonois ont des exemptions & des libertés d'une
grande étendue. Ils prétendent qu'elles ont paiTé en force
de loi dans le royaume d'Arragon , depuis que le comte Ju-
lien , pour venger l'outrage que le roi Roderic lui avoit fait
en violant fa fille , avoit appelle en Efpagne les Sarrazins,
qui en ont été les maîtres pendant fepc cens ans : Qu'alors
on avoit établi un Tribunal appelle ,ia Juftice , pour juger
conformément à ces Droits. Ils élurent enfuite des Rois,
qui jurèrent far les Saints Evangiles , à genoux & tête nuë ,
en préfence des Magiftrats, ( avant de recevoir d'eux & de
la NoblefTe le ferment de fidélité , ) de maintenir 5c con^
ferver ces libertés du Royaume , qui fut eledif jufqu'au
régne de Dom Pedre furnommé del Ptmnal , ou le Ci-
meterre. Ce Prince ayant fait confentir les Etats afîemblés,
à rendre la Couronne héréditaire , on lui donna le furnom
d'Elamado , parce qu'il mit publiquement en pièces avec
fon fabre la Loi d'éledîon. Au refte , l'Arragon joiiit tou-
jours dans la fuite des mêmes privilèges j & pour les rendre
inviolables , on fit la loi d'Union qui renfermoit deux dif-
pofiitions. Par la première, il étoit permis aux Arragonois,
DDdd ij
5^0 HISTOIRE
™ de fe choiiu' un nouveau Roi , en cas que le Prînce violât
Henri les loix du Royaume. Par la féconde difpofition de cette
I V. loi , ils pouvoient s'unir enfemble contre leur Souverain ,
X <e)x^ ^ns encourir le crime de lëze-Majefté , & fe liguer même
avec les Princes voifîns , pour défendre leurs libertés.
Les Caftillans gouvernés par des Rois abfolus , &c jaloux
des privilèges de l'Arragon , avoient poulFé Ferdinand
d'Arragon (i), qui avoit époufé Ifabelle de Caftille à abo-
lir des droits qui étoient , à ce qu'ils difoient , contraires a
l'autorité Royale. Mais foit que Ferdinand diffimulât ^ foie
qu'il fdt un Prince naturellement modéré , il répondit avec
beaucoup de fagefTe qu'il avoit juré d'obferver ces loîx, dc
de conferver les privilèges de la Nation ^ que d'ailleurs, il
eroyoit que la tranquillité de l'Etat étoic fondée fur une
efpéce de partage de la puiiTance entre le Roi ôc les peuples j
& que le Prince ou les fujets périroient infailliblement, dès
que le pouvoir deviendroic plus grand de l'un ou de l'autre
A /
cote.
Il y avoit encore un Tribunal auffi ancien que le Royau-
me, appelle vulgairement la Manifeftation , où l'on appeL
loît des jugemens des autres Sièges , & même des fentences
de la Juriididion eccléiiaftique. Il étoit cornpofé de ce Tri-
bunal fouverain , que les Arragonois nommoient la Juftice ,
&: de dix-fept autres Magiftrats fubalternes. Le Roi lui-mê-
me n'étoit regardé dans ce Tribunal, que comme Partie &
jamais comme Juge ou Magiftrat. Perèz fe préparant à y
porter fon affaire , fit un mémoire pour fe laver des crimes
dont on l'accufoit , lorfque les Miniftres du Roi le traduifi-
rent à la chambre des Inquifitions ou Recherches , qui efb
dans l'Arragon la même Jurifdidion , que celle de la Vifita-
îion en Caflille , dont nous avons parlé un peu plus haut».
I^es Rois d'Arragon l'avoient établie , pour examiner la
conduite de ceux , qui avoient eu le maniement des affaires ^
& dans le defTein de porter atteinte aux privilèges du
Royaume.
Le Roi déclara qu'il fe défilloît , après avoir pris des let-
tres de séparation , de {es pourfuites contre Perez , dont il
a.voic, difoit-il , grand fujet de fe plaindre 5 parce qu'il fe
(1) Ferdiaand V. ayeul maternel de Charle V,
V
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 5S1
îéjouîïïbit des faccès du roi de France , & faifoic paroître 'j
de la triftefle quand il lui arrivoic quelque chofe de fiicheux • H e n r: i
qu'au contraire il s'affligeoic de la profpérité des Efpagnols , 1 V.
donc il voyoic les pertes avec joye j qu'il mëdicoic fa retraite 1592»
en Bearn , d'où il dévoie palier en Hollande 6c en Zé-
lande.
Ces chefs d'accufation contre Ferez , n'ayant pas paru
afTez folides aux Juges de la chambre des Inquifitions , ils le
renvoyèrent. Cependant Galacien Cerdan , qui étoit le
Salmedina de SarragolTe, ( on appelloit ainfi le premier Ma-
giftrat de la ville , ) ïut mis en priion , pour n'avoir pas trou-
vé des preuves capables de faire périr l'accufé , qu'on atta-
qua d'une autre manière. Les émilfaires du Roi tirèrent
Ferez de la Jarifdidion ordinaire , par le moyen de l'In-
qûiiîtion ^ &: l'ayant fait fortir des prifons de la ville , ils
le eonduifirent à main armée dans celles du Saint Office.
Mais la populace fe fouleva j & s'ètant attroupée autour de
Inigo de Mendoça marquis d'Almenaca , que Iqs femmes
& \qs enfans appelloient traître à la patrie , elle le traîna
ignominiéufement en prifon , après l'avoir chargé de coups,
& il y mourut quelque tems après. Il y eut dans cette émeute
populaire plulleurs maifons brûlées , de plulleurs perfonnes
y perdirent la vie. Cette fçdition arriva le z^.dQ May de
l'année précédente.
Perez fut ramené dans les prifons de la Manlfeftatîûn,
Enfuite treize Jurifconfultes délibérèrent , à la foUicitation
de Ludovico Marano , Çv l'Inquilîcion pouvoit connoître de
l'afFaire de Perez. Ils décidèrent d'abord que les préten^
rions du S. Office dans cette afFaire , alloient contre les pri-
vilèges & les libertés du Royaume , qui annullent de plein
droit les adjudications des biens , faites dans cette Jurifdi-
â;ion. Mais ayant été ébranlés par la crainte de la colère
du Roi , ou corrompus à force d'argent , ils déclarèrent
Perez fujet au tribunal de l'Inquilicion. Les Minières du Roî
balancèrent longtems , de quelle manière & dans quel tem5
ils èxècuceroient cette décifîon. Enfin ayant alîèmblé un
grand nombre de Seigneurs , avec de la cavalerie & des gens
de pied , pour prêter main forte aux officiers de l'Inqui/î-
tion 5 ils fixèrent le jour au zo. Août. Les Inquifireurs ne
DD dd iij
5S2 HISTOIRE
■I s'étanc pas préfentés dans le cems marqué , on remit cette
Henri expédition au 24. Septembre. Le Viceroi pofta Tes troupes
I V. dans les rues , pour appuyer les Inquifîteurs , qui s'étant ren-
I ^çi. dus à la porte des priions de la ville, fommérent le geôlier
de leur remettre Perez &: Majorini de- Gènes , qu'on accufoic
d'être fon complice.
La populace voyant qu'on avoit déjà mis les fers aux pieds
& aux mains de Perez ôc de Majorini , de qu'on les faiioit
monter fur des chariots , fe fouleva fans avoir de chef. Le
nombre des féditieux s'augmentant , il ne manquoit qu'un
homme de tête pour animer & foutenir le peuple. Gilie de
Mefa ami de Perez ne voulant pas l'abandonner dans un
danger fî prelTant , fe mit à la tête des féditieux. On cria
de tous côtés , liberté , & on vit difparoître en un moment
tous les préparatifs du Viceroi , qui s'enfuit lui-même avec
les InquiHteurs. Perez & Majorini ayant été remis en li-
berté , furent confiés à Diego de Heredia , pour calmer la
fureur du peuple, qui mena^oit les Officiers du Roi de \e^
mettre en pièces. Perez & Majorini parurent bientôt après
à cheval dans les rues , &; fe retirèrent enfuite dans les mon-
tagnes , pour fe mettre à couvert du danger. Quelques jours
après, Martin de la Nuça frère de Jean de la Nuça prèfîdenc
de la Juflice d'Arragon , engagea Perez à revenir dans U
ville , & le fît cacher dans fa maifon pendant quelque tems.
A la nouvelle de ces troubles , Philippe entra dans une
grande colère j 6c croyant que cette révolte donnoit atteinte
à fon â-utorité , & bleffoit la Majefté royale , il faifit avec
chaleur l'occafion que les rois d'Eipagne cherchoienr depuis
longtems , de diminuer les privilèges de l'Arragon Le mal-
heur de Perez , qui étoit la caufe de la fédition de Sarra^
gofîè , lui en fournit un prétexte. C'eftainfi qu'il ^'étoit au-
trefois fervi de la haine de ce même Perez , pour fe défaire
d'Efcovedo. On leva par fes ordres une armée dont Alonfo
de Vargas eut le commandement. Ce Général faifoit cou-
rir le bruit , en s'approchant des confins de l'Arraojon , qu'il
avoit ordre d'aller en France , où la guerre étoit alors alku
mée. Mais les Arragonois fe doutants de ce qui en étoit ,
virent bien que cet orage alloit fondre fur eux. On s'adèm-
i>la fur le champ j & après avoir lu le fécond article des
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 583
privilèges généraux qui porte : Que les Arragonoîs pour- 1 .
ront prendre les armes, pour fe mettre à couvert de Top- Henri
preflîon des troupes étrangères, quand même elles feroient l v.
entrées dans le Royaume fous la conduite du Roi, & de
l'héritier préfomptif de la Couronne j toutes les voix fe
réunirent dans le Tribunal fouverain de la Juftice pour
prendre les armes , ôc particulièrement contre l'armée Caf-
tillanne. Le Clergé s'unit aux Magiftrats par un Décret
conforme au leur • & les Prédicateurs montèrent en Chaire
pour encourager le peuple àfe mettre en défenfe. On fit fu
gnifîer l'arrêté du Tribunal fouverain à Vargas fur la fron-
tière, par le moyen des Huiffiers de des Greffiers publics-
mais le Caftiilan répondit fans s'étonner que le roi d'Ef.
pagne envoyoit cette armée en France, & qu'il n'avoit au-
cun deifein fur l'Arragon , dont il défendroit lui-même les
privilèges au befoin. Vargas continuant enfuite fa marche
envoya aux principaux Seigneurs, ôc à la NoblefTe , des
lettres du Roi remplies d'afFedion & de bienveillance j 6c
leur écrivit auffi dans les mêmes termes , pour leur oter ouc
foupc^on touchant cette expédition.
D'un autre côté , les Magiftrats donnèrent ordre de lever
des foldats j & ayant alTemblé les milices du Royaume, ils
donnèrent le 4. de Novembre un décret, qui déclara Mar-
tin de la Nu^a Maréchal de camp. Mais à l'arrivée de
Vargas on fentit toute la fupèriorité d'une armée royale
commandée par un Général , fur des troupes levées à la
hâte, ôc commandées par pluiieurs Généraux. Elles fe dé-
bandèrent à la vue de l'armée Caftillane j les Seigneurs
même & la Noblellè abandonnèrent leurs drapeaux. Ferez
s'enfuit dans les montagnes voifines avec Diego de Heredia,
& Don Manuel Lope, la veille que Vergas entra dans la
ville. François de Ayerbe^, & Martin de la Nuça reftérenc
à Sarragofle , dans l'efpèrance d'encourager les habitans à
fe défendre • mais voyants que la confternation s'étoît em-
parée de tous les efprits , ils prirent le parti defe retirer auffi
dans les montao-nes.
Des que Vargas fut maître de Sarragofle , il fit mettre en
prifon Iqs premiers de la ville, & entr'autrcs le duc de Vilia-
hermofa , le comte d'Aranda , & le préfident Jean de la
5S4 H î S T O î k E
Nuça. Il envoya enfuice ces deux Seigneurs en Caftillefous
Hen R.1 bonne garde j & ayant reçu des lettres du Roi qui lui or-
I V. donnoic de faire périr de la Nuça fans autre forme de
i<^i^ procès, il lui lit trancher la tcte. Le contenu de ces lettres
portoit :Que l'intention de Sa Majdle etoit d'être infor-
mée de la mort de ce chef des rebelles , -^vant d'apprendre
fon emprifonnement ^ 6c qu'au lieu de fc-ntence , un crieur
public annonçât à haute voix, que la volonté du Roi €toic
qu'on tranchât la tête à ce chevalier, comme à un traître
qui étoit l'auteur de la fédition , èc qui avoit levé l'éten.
dard de la révolte contre Ton Roi : Que Ces biens fufTent
confifqués , fes maifons èc châteaux raies j ajoutant qu'on
feroit le même traitement à ceux qui l'avoient imité. Cette
formule de condamnation jufqu'alors inoiiie dans un Royau-
me libre , jetca la conrternation dans i'efprit des peuples. On
en mit un grand nombre en prifon de tous états à la follici-
cation des Inquisiteurs 3 de on leur fit foufïrir différents
tourments.
La princeiTe Catherine, fœur du roi de France, donna
«n afile à Ferez à Pau en Bearn. Peu de tems après. Hère*
dîa, èc Ayerbe ayants ramalTé dans les Pirénées une troupe
de vagabonds accoutumés au brigandage , s'avancèrent
jufqu'à Birviefcas, dans l'efpérance de faire foulever la Pro.
vince i mais ayant été trompés dans leur attente , ils furent
enveloppés par Vargas , qui tailla leurs troupes en pièces 5
ies fit eux-mêmes prifonniers , ^ leur fit trancher la tête.
On fit le même traitement à Jean de Luna, qui fut pris
dans la Navarre, où on l'accuioit d'exciter les peuples à la
révolte. Il y eut pendant deux ans à SarragofTe une garni-
fon qu'on n'en retira, qu'après avoir fortifié le Palais du
Saint Office 3 qui eft hors la ville, &c dont on fit une ef-
péce de citadelle , oii Ton mit garnifon pour tenir Sarra-
golîè en refped. Au refte on fit de grandes promefies à
Ferez pour le faire revenir en Espagne 3 mais le défiant de
ces offres magnifiques, il fentit que tout ce qu'on lui pro-
iHiettoit n'étoit que pour le perdre. Cependant phifieurs fcé-
. Jérats qu'on avoit payés pour le faire périr par le fer, ou
par le poifon furent arrêtés. On avoit offert à Majorinî fa
2,4-ace , à condition qu'il tuerok Ferez. Mais Maiorîni
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 58;
refîifa cette offre , èc en avertit Ton ami. Ferez s'étant retiré - '
€n Angleterre , on découvrit à Londres , ôc enfuice à Paris , Henri
plufîeurs émillaires des Efpagnols , qui furent punis du der- I V.
nier fupplice , 6c entr'autres Rodrigue de Mur ieigneur de i ^oi,
la Pinilla , banni d'Efpagne à caufe de Tes crimes , qui s'étoic
chargé, à la follicitation de Mathieu d'Aguirre moine défro-
qué , d'aflaffiner Ferez.
• Cette année eft remarquable par la mort de plufieurs Mort de
Princes. Guillaume duc de Cieves mourut à Duiïeldorp ducde^cL
au commencement de Janvier à l'âge de Soixante & feize ves.
ans , après avoir été fujet pendant plufieurs années à
des vapeurs. Ce Prince dans fa jeunefîe attaché à la
France' , avoit été fiancé avec Jeanne d'Albret , héri-
tière du Royaume de Navarre j ôc le mariage avoic
été différé jufqu'à ce que la FrincelFe fût nubile. L'em-
pereur CharleV. ayant alors attaqué le Duc, l'obligea â
renoncer à l'alliance de la France , &c à. Ces engagemens
avec la princefïe de Navarre. Il lui fît époufer Anne d'Au,
triche fille de Ferdinand roi des Romains , qui fut tour-
mentée prefque pendant toute fa vie des mêmes maux que
fon mari. Il en eut deux fils , ôc quatre filles. Eléonore l'aî-
née époufa Albert-Frederic de Brandebourg duc de Prufle.
Les princefFes Anne &: Magdelaîne fœurs d'Eléonore furent
mariées à Philippe-Louîs,ôc à Jean de Bavière ducs de Deux-
Ponts. La dernière fille du duc de Cieves, appellèeSibille,
époufa longtems après, Charle marquis de Burgaw. Le
Prince,filsaîné deGuiilaume,étoit mort à Rome dix-fèpt ans
auparavant. Son fécond fils Jean , qui avoit été évêque
de Munfter , malgré les vapeurs dont il étoit attaqué,
comme fon père &; fa mère , époufa Jacqueline de Bade.
Cette Princefïe qui haïfFoit les Proteflans fè lailla facilement .
perfuader par les Princes de la maifon d'Autriche, de ne
pas laifFer tomber entre les mains des ducs de Deux- Ponts
ïès beau-frères l'adminiftration du duché de Cieves , pen-
dant la maladie du père 6c du fils qui n'étoient pas en
état de gouverner. La princefïe Eléonore déjà veuve , 6c fes
deux fœurs , furent préfentes à la mort de leur père avec
Iqs ducs de Deux-Ponts leurs maris , dont la préfence n'o-
péra rien en leur faveur , parce que les Etats s'oppofèrent i
l'orne XJ, EEee
58($ HISTOIRE
leurs prétentions , à caufe des raifons que nous avons rap-
Henri portées.
I V. Schencleren gouverneur du château de Julliers, place la
I JQ 2. mieux fortifiée du Duché , craignant que les ducs de Deux-
Ponts ne vouiufTenc entreprendre quelque chofe fe retira à
Julh'ers , qu'il fit fortifier de nouveau par le confeil du duc
de Parme , qui avoit defiTein , à ce qu'on difoit , de marier
fon fils Ranuce à Sibille fille du duc Guillaume, auquel on
fit de fuperbes obfeques à Dulîèldorp le lo. de Mars.
Mort du Quelque tems après , Jean Cafimir , fils de l'éledeurFre-
P^'"^*^. J^^" deric Palatin, mourut le 16. Janvier. Il avoit eu l'admi-
dcV'Eièdieur niftration du Palatinat 8>L de l'Eledorat pendant la mino-
Palatin. l'ité de Frédéric fils de Télecbeur Louis fon frère -, de a
l'exemple de ion père, il avoit embraifè la Rch'gion des
Proteftants de Suille Se de France. Ce Prince d'un efpric
élevé ôc fier s'étoit rendu illuflre par deux expéditions qu'il
fit en France ^ mais ayant voulu dans la dernière faire don-
ner le commandement des troupes auxiliaires au baron Fa-
bien de Dhona, il devint iufpect aux François, par les le-
crêtes liaifons qu'il entretenoit avec les Guifes & leurs
amis. Ce fut à leur confideration qu'il empêcha de faire la
paix , qu'on efpéroit de conclure , & qu'il expofà de nom-
breufes troupes à la boucherie, il allaenfuite dans les Païs-
bas, &: en Angleterre j mais il ne répondit pas toujours a
la haute opinion qu'on avoit par-tout de lui. Il eut du déù
avantage au commencement de la guerre de Cologne 3
qu'il abandonna eniuite à l'occafion de la mort de fon frère.
Ce Prince qui.vouioit qu'on le regardât comme le plus
puilîànt ôc le plus accrédité des Princes Proteftans d'Alle-
magne, ne faifoit prefque rien, & s'oppofoit aux defieins
de touslesautres.il lailTa d'Eiifabeth fille d'Augufte éledeur
de Saxe, une fille unique, qui èpoula après la mort de fon
père , Chriftiern prince d'Anhalt, qui tient fa Cour à Af-
cherfl.;ben.
Après la mort de Cafimir , Richard Simmern , proche
parent du jeune Frédéric, prétendant que l'adminiAration
du Duché lui appartenoit , envoya des perfonnes de fa
part à l'Empereur, qui lui accorda facilement fa demande,
parce que Richard lui promit de chafîer du Duché les
cuve
DE J. A. DE THOU, Li V. CIV. 587
Miiiiftres que Ton ayeui Frédéric ôc Cafîmir y avoient inrro- _ig
duics , èc d'y rétablir l'exercice de la Conirelîîon d'Aufbourg , Henri
'èc la diicipline qui avoir été en vigueur fous l'Eledorat du I V.
prince Louis. Les Etats du Palatinat s'oppoférentàfes pré- 1592,
tentions, & foûtinrent que Frédéric ayant atteint lage de
dix-huit ans , il étoit en état de gouverner par lui-même
iès Etats , ôc d'adminiftrer fon Eledorat, fuivant la Bulle
d'or de l'empereur Charle IV. Cependant Simmern s'em-
para par la rufe ôcpar la force de quelques gouvernemens.
Tout fe difpofoit à la guerre. Les Efpagnols qui étoient oc-
cupés dans les Païs-bas , n'étoient pas fâchés de voir s'élever
des troubles parmi les Proteftans, qui les laifleroient en
repos pendant ce tems-là 5 mais d'autres Princes s'étanc
mêlés de cette afFaire , Richard rendit les gouvernemens,
èc tout fut pacifié.
Sur la fin du même mois, mourut EHfabeth fille de Maxi- Mort d'EH-
milien IL fœur de Rodolphe IL veuve de Charles IX. roi ^^^^^^^ ^'^^"-
de France. Cette Princeiïè remplie de fentimens élevés & decharic
d'une piété folide , & recommandable par la régularité ^^•
de fes mœurs, a été juilement mife en parallèle avec Eli- .
iàbeth deTuringe, dont elleportoit le nom. Elle donnoic
fon bien aux pauvres , ôc l'employoit en d'autres bonnes
oeuvres. On ne put jamais la réibudre à pafler à de fécondes
noces ^ quelque envie que le roi d'Efpagne«eiit de l'époufer
après la mort de la princeiTe Anne fa première femme , fœur
d'Elifabeth. Elle avoiten France des revenus confidérables,
à caufe de fon mariao-e avec Charle IX. Elle en donnoic
par les mains de fes Intendans la troifiéme partie aux pauvres.
Ses Intendans avoient un ordre exprès de ne tirer aucune
finance des charges de Judicature , contre la coutume de
France, où elles fe vendent , au grand malheur des peu-
ples, & à la honte de la juftice , qui doit fe rendre fans in-
térêt. Elle leur avoit enjoint de pourvoir de ces Offices
ceux qui feroient plus en état de les exercer. Auger de
Ghiilin de Boefbecq (i) fut fon Agent auprès du roi Henri
IV. tant qu'elle vécut ^ Ghiflin étoit homme d'érudition ,
propre à manier les affaires , ôc recommandable par fa can^
aeur&fa probité. Il avoit été deux fois en amballàdeà la
(0 D'autres l'appellent Busbecq,
EEeeij
588 HISTOIRE
-_j Porte de la part de l'empereur Ferdinand. Nous avons des
Henri lettres de lui très-curieufès èc fort bien écrites , où il fait
I V. le détail de fes deux ambafTades. Ces lettres m'ont fourni
1592. beaucoup de traits pour l'hilloire que j'écris. Ghillin après
Ja mort de cette Princcllè, à qui il avoit rendu de grands
fervices , ayant obtenu d^s paileports du Roi , èc de la Li-
Mort de gue , pour s'en retourner avec ia famille dans les Païs-bas
Ghifjinde ç^ patrie, fut arrêté par les Ligueurs proche de Dieppe en
Normandie. On pilla tout ce qu'il avoit , &c on le traita fore
mal. Il en conçut un chagrin mortel , qui joint à fa vieil-
leilè le mit au tombeau , pendant qu'on attendoit une ré-
ponié du duc de Mayenne. Sa more arriva le 28. d'Oc-
tobre.
Ce que je viens de dire de Ghifîin de Bocfbecq m'aver-
tit de rapporter ici la mort de quelques autres hommes re-
commandables par leur érudition & leur dignité , avant
que de parler des Princes qui moururent cette année. Le
premier de ces hommes illuftres dont je parlerai , ell Vin-
De Vincent ^^^^ Lauro né à Tropea , ville célèbre en Calabre , de pa-
Lauro, grand ^ ^ • j, i ^ j-'t
Médecin & rens allez pauvres- mais dune honnête condition. Lauro
Cardinal. ayant été élevé dans la maifon des CarafFes ducs de Nocera ,
étudia avec le prince Alfonfe à Naples ,&:enfuiteâ Padouë,
où ayant appris les langues Greque èc Latine , il s'appliqua
à l'étude de la Philofophie & de la Médecine. Il fit de
grands progrès dans cette dernière fcience , de s'attacha au
cardinal Pierre-Paul Parilio de Cozenze. Il gagna fî bien
l'amitié de Hugue Buon-Compagno, dans la maiion du car-
dinal Parifio, que lorfque Hugue fut monté dans la fuite
fur la Chaire de Saint Pierre , il le fit cardinal en mémoire
de leur ancienne amitié. Avant d'entrer dans le facré Col-
lège, àc après la mort deParifîo, il offrit fes fervices à Ni-
colas Gaddi , & enfùite au cardinal de Tournon en Fran>
ce, qui lui donna des Bénétices confîdérables en Auvergne.
Le cardinal de Tournon étant mort, le duc deGuife crai-
gnant qu'Antoine de Bourbon roi de Navarre n'embrafTàt
le parti des Proteftans , à la perfuafion de fa femme , &: de
ceux qui étoient à fa fuite ,fit entrer Lauro dans la maifon de
ce Prince, qui mourut fèpt mois après, Lauro s'en retourna
à Rome avec Hippolyte cardinal de Ferrare, alors Lég^t
DE J. A. DE THOU,Liv. CIV. 589
en France. Ses habitudes à la Cour , ôcfon commerce avec
les Grands avoienc ajouté à fa fcience dans la Médecine , Henri
une grande habileté dans les affaires. I V.
Pie V. connoiilant tout le mérite de Lauro lui donna Té- i soi,
vêché de Mondovi en Piémont , 6c le choifit entre tant d'ha- ^
biles gens qui étoient à Rome, pour être fon Légat. La
légation qui lui a le plus fait d'honneur eft celle dont il fut
chargé par le pape Grégoire XIII. auprès de Sigifmond-
Auguffce roi de Pologne , & qu'il continua après la mort de
ce Prince, lorfque Henri de Valois duc d'Anjou fut élu roi
de Pologne. Etienne Bathori ayant enfuite monté fur le
Thrône abandonné par Henri de Valois , Lauro fît encore
auprès de lui la fonction de Légat. Il eut l'habileté d'enga-
ger Jean roi de Suéde, qui avoit époufé une fœur de Sigif-
mond-Augufte , &c d'Anne femme d'Etienne Bathori, à re-
cevoir dans fa Cour le Jefuite Antoine PofTevin , qui joignoic
à la connoilîànce des Lettres une grande dextérité à manier
Iqs affaires les plus délicates. Pollèvin ramena à la Religion
Romaine Sigilmond fils de Jean , & toute fa famille. Le Pape
en reconnoifïànce des fervices de Lauro , 6c de leur ancienne
amitié , lui donna le chapeau de Cardinal j èc le regardoic
déjà comme devant bientôt monter fur le Thrône de l'E-
glife. On fe confirma dans cette penfée par un accident
qui avoit penfé lui être fatal. La première fois qu*il vint à
Rome dans fa jeunefîè , pour voir les fpedacles qu'on a
coutume de donner la veille de la fête des BB. Apôtres
Saint Pierre 6c Saint Paul , il rencontra un taureau furieux
qui l'enleva avec [qs cornes , 6c le laifla tomber fans qu'il fe
blefTât. Il eft certain qu'après avoir été promu au Cardi-
nalat , il eut un grand nombre de voix dans les Conclaves
de Sixte V. d'Urbain VII. de Grégoire XIV, d'Innocent IX.
6c de Clément VIII. 6c que la lèule chofe qui empêcha fon
exaltation , fut le féjour qu'il avoit fait à la Cour du roi
de Navarre père de Henri IV. La faction Efpagnole fè fer-
vit de ce prétexte pour le rendre fufpecT:. Ce n'eit pas que le
cardinal de Mondovi fût beaucoup dans les intérêts de la
France -, mais les Efpagnols f^avoientbien qu'il n'étoitpas fa-
vorable à leur Nation. C'etoiclâfon véritable crime. Enfin
après avoir été tant de fois fur le point de monter fur la
E E e e ii j
55)0 HISTOIRE
f"?*?^"?!?"^^?^ Chaire de Saint Pierre , il mourut à i'age de fôixante Sc
Henri dix ans le i 6. Décembre. Il donna par Ton teftament tous
I V. fes meubles , qui ëtoient de grand prix, aux hôpitaux ,dans
I J92. la vue d'avoir pour héritiers les malades, dont laguérifon
avoit été l'objet de la fcience , qui fut l'origine de fa for-
tune. Son corps fut enterré à Saint Clément, dont il avoic
pris fon titre de Cardinal , fans pompe , de avec un éloge
fort fuccinct.
' De Michel Qiielque tems auparavant , Michel de Montagne , Gen-
ieMontagne. tilhommc Perigourdin , mourut âgé de fôixante ans le 1 7.
Septembre à Montagne en Perigord , d'où fa famille avoic
pris fon nom. Il avoit été Confeiller au Parlement de
Bourdeaux avec Etienne de la Boetie , dont il cultiva tou-
jours l'amitié tant qu'il vécut , èc qu'il honora après fa
mort. Montagne faifoit profeffion d'une noble franchife ,
comme il paroîc par fes ouvrages intitulés , £J/(iis , qui en
feront de fûrs garants à la poftérité la plus reculée. Il fuc
élu Maire de Bourdeaux pendant qu'il étoit à Venife 5 di-
gnité qui eft la première de la Province , èc qui ne s'accorde
qu'à des Gentilshommes diftingués , &: aux Gouverneurs.
Jacque de Matignon gouverneur de Guiennne lui donna
une place dans Ton Confeil pendant les troubles de cette
Province. La conformité de nos études ôc de nos inclina-
tions nous avoit unis enfemble parles liens d'une vraie ami-
tié dans mon féjour en Guienne ^ èc lorfque je me trouvai
dans la fuite avec lui à la Cour, & à Paris.
FuHo Cerio! ^^ ^^ ^^^^ ^ parler de Frédéric Furio Ceriolano, de
lano» ' Valence en Efpagne , qui peut marcher de pair avec Mon-
tagne. Ceriolano ayant d'abord étudié à Paris , alla enfuite
à Louvain , où il eut de grandes difputes avec Bononia de
Sicile profefleur en Théologie , au fujet de la traduction
des Livres faints en langue vulgaire. Etant en Allemagne il
publia à ce fujet un livre, qui fut cenfuré par plufîeurs
Docteurs Catholiques. Mais l'empereur Charles V. qui f(^a-
voit difcerner les efprits , charmé de fa rare érudition, dc
confidérant d'ailleurs la pureté de (es intentions , &; fon
zélé , le prit fous fa proteâ:ion , & l'envoya en Efpagne à
Philippe fon fils, auprès duquel il demeura toujours dans
la fuite. Il fit tous [qs efforts , comme nous l'avons dit
DE J. A. DE THOU, L i v. C I V. 591
ailleurs,pour pacifier les troubles des Païs-bas.ll a compofë un -'
livre des Confeils , ôc du devoir des Confeillers. Il mourut Henri
cette année à Valladoiid lans être marié , de beaucoup plus I V.
âgé que Montagne. i 5 9 i .
Guillaume , Lando;rave de HelTe , fils du Landgrave Phi_
lippe, qui reçut de 11 mauvais traitemens de Cnarle V, a Landgrave
qui il avoit fait la guerre, mourut le 3. de Septembre âgé de Hcffc
de foixante & dix ans. Ce Prince étoit d'une haute pru-
dence , & d'une grande droiture. Ses lettres que Ticho.
Brahé , Gentilhomme Danois , a mifès au jour après fa
mort, ieront un monument éternel des connoiilances de ce
Prince dans les Mathématiques. Sa foiide piété lui failoit
envifager la mort fans effroi ^ il craîgnoit feulement de
mourir fubitement , parce qu'il étoit fort gras. Cette crainte
falutaire l'engagea à faire fon teftament de bonne heure.
Tous les jours, iorfqu'il alloit fe coucher, il demandoit
pardon aux aififtans , après avoir fait les prières en préfence
de tous [es domeftiques j &. il diloit adieu à tous les amis,
comme s'il eût dû mourir cette nuit. Il obferva cette pra-
tique religieufe pendant dix ans. 11 eut de fa femme Sa-
bine , fille de Chriffcophle de Wirtemberg , fœur de Louis
du même nom, un fils unique appelle Maurice, qui étoic
ablent Iorfqu'il mourut. Il l'avoit fait inflruire dans les
beaux arts. Ce jeune Prince , à l'exemple de fon ayeul ôc
de fon père , demeura ferme dans l'alliance de nos Rois.
Le dernier Prince dont nous rapporterons la mort , eft De Jean roi
Jean roi de Suéde, fils de Guftave, ou Guilâw , & petit- ^^ Pologne.
Sis d'Eric, qui mourut le 25. de Novembre. Il fut allez
heureux pour voir en mourant fon fils Sigifmond , par l'al-
liance qu'il venoit de contracter avec la Maifon d'Autriche,
affermi fur le trône de Pologne , où il étoit monté par élec-
tion. Jean fut plus heureux que fon frère aîné Eric, qui
l'avoit tenu long-tems en priion. Eric s'étant rendu indio-ne
de régner, Jean fut mis en fa place , fans qu'il lui en coû-
tât des crimes, & fans être foupçonné d'ambition 3 enforte
qu'Eric ne pût imputer la perte de fa Couronne qu'à lui-
même. Jean , à l'exemple de fon père, fuivit la Confefîîon
d'Aufbourg ^ mais fans avoir trop de prévention pour fà
Religion 3 car il voulut bien que fon fils Sigifmond, qu'il
591 HISTOIRE
«^*iu*.«mi5 avoiteu de Catherine fœur de Sigifmond - Aiigufte roî de
Henri Pologne , fûc élevé par cette PrincefTe dans la Religion de
I V. {es ancêtres. Pour lui , foit qu'il ne fut pas favorable à la
1592. Religion Romaine , foit qu'il crût devoir diifimuler pour
un tems, il ne fit aucun changement dans la Religion que fon
père avoir fait recevoir dans toute la Suéde. Ce Prince vou-
lant aflurer les peuples qu'il n'innoveroit en aucune ma-
nière dans la Religion , leur donna comme en otage Charle
duc de Finlande Ion frère qui étoit très- attaché à la nouvelle
dod:rine,& il le fit par fon teftament Régent du Royaume
en l'abfence de fon fils.
Sigifrnond roi de Pologne, bien éloigné de penfer comme.
le Roi Jean fon père, &: ne voulant pas fe conformer aux rè-
glemens qu'il avoit faits , fe jetta dans un grand embarras.
Il fut fur le point de perdre fon Royaume héréditaire , en
fuivant aveuglement des confeils imprudens. Le Roi Jean
eut avant de mourir la joye , après avoir réiifii dans fes au-
tres entreprifes , de voir fon fils Sigifmond réconcilié avec
ÏQs Princes de la maifon d'Autriche, àc délivré par l'alliance
qu'il venoit de contrader avec eux, de la crainte qu'il avoic
que ces Princes ne lui fiiTent la guerre j ôc enfin en état de
gouverner fes deux Royaumes.
On parloir depuis long- tems de faire époufer à Sigifmond
la princefie Anne fille de l'Archiduc Charle j mais des diffi-
cultés qui furvenoient à chaque inftant avoient toujours faic
remettre cette affaire. Il y avoit même des Polonois qui
détournoient le Roi de cette aUiance. Jean Sarius Zamoyski
chancelier du Royaume,à qui Sigifmond avoit de grandes ob-
ligations , irrité au dernier point contre ce Prince, qui ne re-
connoilToit pas fes fervices comme il le devoir, ofa faire écla-
ter en public les fujets de plaintes qu'il avoit contre le Roi,
& eut même la hardieffe de demander à la République & à
la diète des Etats la réparation des injures qu'il prètendoic
avoir reçues de ce Prince. Le principe de l'oppofition de
Zamoyski venoit des liaifons qu'il avoit avec Maximilien
d'Autriche. Lorfque ce Prince étoit prifonnier en Pologne,
la PrincefTe fa femme ayant mis au monde un fils , il avoic
prié Zamoyski de tenir l'enfant fur les Fonts Baptifmaux.
On croyoic qu'il avoit voulu par cette déférence gagner le
Chancelier
DE J. A. DE THOU, Liv. CîV. ^93
Chancelier, avec qui il entretint un commerce d'amitié après ■■
ia prifon. Quoique Maximilien eût renoncé par des traités H e n K i
.aux droits qu'il prétendoit avoir fur la Pologne , il en avoit I V.
pris les armes ôc le titre de Roi, ayant toujours i'efpérance 1592,
-de rentrer dans ce Royaume.
Sigifiiiond envoya enfin en ambaffade à l'Empereur ,
comme au Chef de la maifon d'Autriche , le cardinal
Georges Radzivil , l'évêque d'Ouladomirie, & plufieurs
autres Seigneurs. Les Ambaflkdeurs arrivèrent à Prague le
13. Mars, ayant à leur fuite deux cens quatre- vingt che-
vaux richement caparatjonnés & trente -deux chaifes de
pofte, avec quelques Tartares èc Mofcovites qui fervoienc
à la pompe de l'ambaflade. L'Empereur les reçut avec de
grands honneurs ^ & ayant arrêté avec eux les articles du
înari,age,il leur donna une nombreuié efcorte pour les con-
duire par la Moravie dans l'Autriche & à Vienne, où la Prin«
çq^Tq devoir fe rendre.
Elle y arriva le premier du mois de Mai , accompagnée Manage i^
(de fa mère &: d'Erneft frère de l'Empereur 3 l'archiduc Ma- sigifmond
thias alla au devant d'elle. Le lendemain , les Ambafîadeurs 5°^ lvcc°ia
.eurent l'honneur de la faluer , 6c ayant eu audience trois fœurdeiEm-:
jours après , le fuivant fut deftiné à célébrer les fiançailles P"
& d épouferla PrincelTe par Procureur. On fe rendit à TE-
glife des Hermites de Saine Auguftin qui eft proche le Pa-
lais. L'évêque de Vienne ayant prononcé un difcours La-
tin , le cardinal Radzivil époufa la PrinceiTe au nom du Roi,
^ lui mit un anneau au doigt. Le refte du jour fe pafla dans
les feftins &; les divertiiTemens. Les Ambaiîàdeurs emmenée
rentla PrincefTe en Pologne, ôc la conduifîrent à Plefz où
elle arriva le 24. de Mai. Le Roi la reçut avec la pompe
que nous allons décrire.
Il fit dreffer dans une grande plaine , à un demi mille de
Cracovie deux tentes pour lui , à huit pas de diftance de
deux autres dejflinèes pour fa nouvelle époufe ^ il y avoit dans
cette efpace un dais foûtenu par quatre colonnes. Le Roi ac-
compagné de fa fœur & de la Reine Douairière , veuve
(l'Etienne fon prédécefTeur , fe rendit à fa tente, fuivi de
quatre mille hommes de cavalerie vêtus fuperbement à la Po~
ioxioife ; & de quatre mille hommes de pied ranges fous vingç
Tome XI, ¥¥^i
;reui
J94 ' H î S T O I R E
* '"" ; drapeaux. On fie entrer réponfe du R.oi dans la tente qu'oif
Henri lui avoit préparée , où la Reine Douairière 6c la fœur du
I V. Roi la reçurent. Elle fut conduite par l'évêque de Bre{law,&:
I 592. ^ parle Grand Maître de la maifon du Roi ious un dais
à l'endroit où le Roi étoit. Ce Prince accompagné de Tar-
chevêque de Gnefne 6c du chancelier Zamoyski avec qui
il s'étoit réconcilié , s'avança au-devant d'elle. Ils montèrent
dans les chars qu'on leurtenoit prêts, ôc entrèrent dans la
ville au bruit des acclamations du peuple , avec la même
pompe dont nous venons de parler. Ils traverfèrent les rues
ornées de tapis de Turquie , èc lé rendirent à l'Eglifé. Un-
Enfeigne Allemand attira l'admiration de ceux qui aififtoienc
à cette fête. Ce foldac de bout fur le faite de la grande
Eglife, faifoit tourner delà main droite fon drapeau fans
chanceler, quoiqu'il ne fût appuyé en aucune manière, 6s
malgré le vent qui faifoit floter fon Enfeigne. Le Te Beum
ayant été chanté en mufique, on jetta au peuple des pièces
d'argent , qui contenoient à.Q% fîmboles de la rèiinion de
ces deux grandes maifons , 6c enfuite on alla à la citadelle.
Le mariage fut célébré cinq jours après. On donna des jeux,
des fpeclacles , 6c il y eut des tournois pendant huit jours.
Le Roi partît enfuite avec la Reine fon èpoufe pour fe ren--
dre à la diète de \i^arfovie.
Affaire au La mort du comte de Mandercheyt ocGafîonna de grands
fujetde l'é- troubles cctte année en Allemagne. Ce Seigneur ayant été
év'éàae de"" ^vêque de Strafbourg pendant vingt-trois ans , mourut à
Scralbourg. Savernc le 2. Mai dans un âge avancé. Le Chapitre de cette
ville rempli de factions ne s'accordoit , ni fur le fucceflèur
qu'on devoit lui donner, ni fur Tendroit où l'on feroit l'é-
ledion. Les Catholiques vouloient que ce fût à Saverne j les
Protefbans prétendoient que ce devoit être à Strafbourg.
Ces derniers apportoient pour raifon la coutume 6c l'exemple
de leurs ancêtres. Suivant cette coiitume,l'éleâ:ion, pour être
légitime , devoit fe faire dans la ville par les Chanoines ^ de
l'autorité des Magiftrats. Les Catholiques difoientde leur cô-
té que les chofes ayant changé, 6c que ne leur étant plus libre
de venir dans la ville d'où on les avoit honteufement chaiïèsj^
Ils avoient réfolu de demeurer à Saverne , parce que l'élcc-
sion ne feroic jamais libre dans une ville > où leurs ennemis
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 595
^éroîenc les maîcres. Ils écrivirent: fur ces entrefaites à l'Em-
pereur qu'ils fcavoienc leur être favorable, pour l'informer, H E n i^i
comme ils le devoienc , de la more de leur Evêque , &: le IV.
prier en même tems de leur donner l'adminiflracion de 1591.
l'Evêchë pendant la vacance du fiége.
L'Empereur leur fie réponfe le 8 . de Mai,ôc leur manda qu'il
croit fenfîblement touché de la perce de leur Evêque, qui lui
avoir rendu de grandsfervices auflî-bien qu'à l'Empire^qu'ilen-
voyeroit au premier jourdesCommifTaîrespourprendreloîn de
rEvêché.ll leur recommanda de garder les citadelles, lesviiles
èc les châteaux , & de n'y laiiTer entrer perfonne jufqu'à l'arri-
vée de Tes commifTaires. Il écrivit enfui te au Sénat, & le prefTa
de ne point foutenir les Chanoines qui troubloient lapaixdu
piocéfe^maisau contraire de les détourner de leurs mauvais
defleins. Les Proteftans avoient fixé le} o. de Mai pour procé-
der à Téledion d'un Evêque dans la ville, & dans l'endroit or-
dinaircj & ils engagèrent Charle de Brunlwic qui préfidoit à
,réle(fl:ion,d'écrire aux Catholiques pour leur faire fçavoir ce
qui avoit été réfolu. Ceux-ci refufants de fe trouver à cette
cledion,les Proteftans s'aflembiérent au jour marqué. Le
DoAeur Jean Pappus monta en chaire, & fit un difcours tiré
de l'épître de 5- Paul à Timothée fur les vertus de les qualités
d'un bon Evêque 5 il exhorta les Chanoines à ne faire tom-
ber leur choix que fur un homme qui ne fut partifan d'au-
cune fede , mais attaché à la faine dodrine , renfermée dans
hs Prophètes , dans les faints Evangiles , dans les Ades des
Apôtres 6c dans leurs Epîtres , dans les trois premiers fym-
boleSjôc dans les quatre Conciles généraux, 6c conforme à la
Confeiïîon d'Auibourg fans aucune altération.
Après ce difcours Ôc les Prières ordinaires , félon l'ufage Ele>aioa c(e
des Proteftans , on procéda à l'éledion. Jean George de Jean-Georgt
Brandebourg fut élu d'un xonfentement unanime. Les Pro- bouia," ^'
teftans fentoient bien qu'ils avoient befoin d'un Evêque
puiftant , pour foutenir fon éledion contre celui que les Ca-
tholiques pourroient élire de leur côté. Jean-George de
Prandebourg ratifia par Procureur l'éledion qu'on avoic
faite de fa perionne^ôc ayant écrit dans tous les lieux de la dé-
pendance de l'Evêché, aux Gouverneurs & aux Magiftrars,
il leur ordonna de lui obéir, comme à leur Evêque de à Icu^
Frmce légitime. FFffij
59^ HISTOIRE
ê!L """ ' Le fénat de Srrafbourg confidërant les fuîtes qu'auroîk
Henri cette éledion , jugea qu'elle pourroic caufer une guerre 31
I V, c'eft pourquoi il avoit fait lever trois compagnies d'infante-
i^Qz. rie & fix cens chevaux, qu'il envoya devant Kocherfberg
avec fept canons. Ce château de la dépendance de TEvê-^
ché étoit de peu de dëfenfe , &: il n'y avoit qu'une foible
garnifon commandée par un Sergent-Major. On fomma fur
le foir les afTicgés de fe rendre ^ mais ayant refufé de le faire,
rartiilerie fut pointée iur le champ contre les murs & les
abattit. Le lendemain qui étoit le 4. de Juin , la garnifoii
voyant qu'elle ne pouvoit tenir plus long-teras , fe rendit à
diicrétion. On ne lui fit aucun mal 3 il n'y eut que le Gou«
verneur qui fut pendu. La garnîfon de Dachftein épouvan *
tée par le fupplice de ce malheureux Gouverneur , aban-
donna la place.
Eieaion du Les Chanoines qui étoient à Saverne ayant appris la perte
cïaik de ^^ ^^^ dcux pkces j voyant d'ailleurs qu'ils attendroient inu«
Lorrnine par tilcment plus long-tems les Commiflaires que l'Empereur de-
iafadionop- ^^jj- i^^j. envoyer , & l'archiduc Ferdinand fon oncle,prirenc
^° ^^ jour pour le 9. Juin ^ ô^ s'étant aiïemblés , ils élurent Charle
cardinal de Lorraine, qui fouhaitoit depuis long-tems d'être
ëvêque de Strafbourg. On fît répandre à Cologne , & en
d'autres lieux au nom du baron de Crehanges ( i ) doyen
du Chapitre un long manifefte , où l'on rendoit raifon de
la manière dont l'éledion s'étoit faite. Le cardinal de Lor-
raine ayant accepté i'Evêché , partit pour en aller prendre
polTeiîion. Il écrivit le lendemain au Sénat pour fe plaindre
de ce qu'on avoit ofé s'emparer des châteaux du domaine
de fon Evêché. Il en demanda la reflitution avec menaces ,
en cas de refus , de fe faire raifon par la voye des armes. Un-
Trompette fut chargé de porter ces lettres , 6c d'en rap-
porter la réponfe.
Le Sénat répondît qu'il n'avoît aucune part â la prîfe de
ces châteaux, qui avoient été afliégés par les ordres du lé-
gitime Evêque, dont l'élection avoit été faite dans la ville,
àc appuyée de l'autorité du Sénat : Qii'au refce ils fupplioient
fon Eminence de n'en point venir à la force avec eux , qui
avoient toujours cultivé avec grand foin l'amitié de la
(1) Il s'tciit en Allemand Kriechingen,
:)È J. A. DE THOU, LfT. CIV. 597
îïîaiTon de Lorraine, dont ils ne s'étoienc jamais départis,
êc qu'ils conferveroient toujours, pourvu qu'on ne les atta- Hen ri
quât point. On fe plaignit enfui ce de la licence efFrenée des I V,
troupes Lorraines. i i9 2>
Le Cardinal écrivit une féconde fois au Sénat, de lui fît Menaces du'
des réprimendes , d'avoir dit que l'éleclion de fon conçut- Cardmai.
lent étoit légitime, parce qu'elle étoit appuyée de fon au*
torité j il lui reprocha de s'arroger le droit de choifir 6c de
dépofer l'Evêque , ôc de régler Ion domaine. Ces Magiftrats
fe juftifiérent , en rejettant la mauvaife opinion que le Car^
dinal avoit conçue fur des gens malintentionnés , qui em-
poifonnoient leurs réponfes jajoûtant qu'ils n'avoient de droits
fur l'Evêque de fur fon domaine , que ceux que leur don^
noient leurs privilèges, & les traités qu'ils avoient fait avec
les Evêques jôc qu'ils avoient toujours eu grand foin de n'être à
charge à perfonne, 6c de ne point uiurper les droits des autres^
C'eft ainfi qu'on s'éloignoit en apparence de la force ou- Gueneà:c
verte de part éc d'autre , tandis qu'au fond on ne fongeoic ^"J^*^-
qu'à la guerre. Le cardinal de Lorraine ayant aiTemblé fon
armée forte de dix mille hommes,commença les ades d'hofti^
lité par la prife de Binsfeldt. Il envoya enfuite des Partis
jufqu'aux portes de Scrafbourg. Un Trompette eut ordre
d'aller commander de fa part aux habitans de cette ville de
chafler les Chanoines féditieux de la faction oppofée ,6s: de
rendre aux Chanoines de fon parti les biens 6c les maiibns
qu'on leur avoit enlevés, ou plutôt qu'on avoit enlevés au
Chapitre 6c à l'églife de Strafbourg 5 de lailTer célébrer les
faints myftéres, fuivant le Rit Romain dans leur Cathédrale^
& de réparer les pertes que cette guerre avoit caufées au
domaine ,au Chapitre 6c à d'autres qui y étoient intéreiïesj
qu'à ces conditions on étoit prêt à leur conferver leurs pri-
vilèges & leurs immunités- mais qu'ils feroient , en cas de
refus , regardés comme ennemis. 11 y eut enfuite des efcar-
mouches aux environs de Moltzein 6c d'Andla^)(^ jufqu'au
22. de Juin.
Oa fît le même jour la revue de cinq cens chevaux de3
troupes de Brandebourg , aufquels on afîigna des quartiers
à SehafFoltzheim. Les Lorrains à la nouvelle de l'arrivée de
ces troupes , partirent au nombre de quinze cens pour aller
F f ff iij
59
8 HISTOIRE
«?^ les attaquer pendant la nuit. Le combat fut opiniâtre des
H E N Eli deux cotes. Les Lorrains mirent le feu à quelques maifons ^
IV. & fe retirèrent fans autre avantage que de s'être emparés
159 2. d'une grande partie du bagage de l'ennemi. Ils iurprirenc
enfuite un château proche Geifpitzen , par la trahiîbn de
quelques foldats de la garnifon , qui ayant été pris dans la
iuite , furent punis du dernier iupplice.
L'Empereur avoit donné i'adminiftration de l'évêché de
Strafbourg , & le foin d'appaifer les troubles qui pourroienc-
s'éleverjà fon oncle Ferdinand , dont les Ambalîadeurs trou-
vèrent à leur arrivée la guerre déjà allumée , à quoi ils ne
s'étoient pas attendus. Us allèrent trouver le cardinal de
Lorraine à Moltzheim , ôc l'exhortèrent à mettre bas les
armes , à licencier fes troupes , 6c à fe remettre à l'Empe-
reur pour la décidon de l'afFaire. Le Cardinal avec qui cela
fe faifoit^ de concertée rendit facilement , à condition cepen->
dant que les habitans de Strafbourg , ôc le prince de Bran-
debourg en feroient autant de leur côté. Les Ambaifadeurs
iirent les mêmes proportions au Sénat &: au prince Evêque.
Mais ils ne trouvèrent pas la même facilité j on leur répon»
dit que la décifion de cette affaire regardoit autant les
princes de l'Empire que l'Empereur j 6c que d'ailleurs on ne
pouvoît rien faire fans le confentement de i'éledeur de
■|3randebourg.
Le cardinal de Lorraine ayant perdu l'efpérance de ter»
miner le différend par un traité , prit le parti de foûtenir
fes droits à la pointe de l'épée ^ 6c ayant formé le fiège de
Kocherfberg le 27. juin, la place fut emportée après une
vigoureufe attaque. On fit périr toute la garnifon , à l'excep-
tion d'un foldat qui fervit de bourreau à fon Comman-
dant. Bubenhofer ancien Sergent-Major , qui étoit depuis
long-tems au fervice du Sénat, abandonna à l'arrivée de
l'ennemi Dachftein où il commandoit. On lui fit up crime
de fa retraite à Strafbourg , 6c on le mit en prifon. Les Lor»
rains s'emparèrent avec la même rapidité de \Y^affelshcim ,
château du domaine du Sénat, parce que le fecours qui de-
voir entrer dans cette place, n'arriva pas afïèz à rems. Ce-
pendant les princes de l'Empire refuférent d'employer leur
médiation dans cette affaire , qui paroiiToit trop difficile a
à terminer.
BE J, A. DE THOU, Liv. CîV. 599
Les troupes de Brandebourg ne voulants pas demeurer e
mutiles , attaquèrent les ennemis dans leur camp à Ernftein, H e n b» i
èc furent repouiTées avec perte. L'armée Lorraine reçut un IV.
grand échec à Ton tour dans l'attaque du Bourg d'Ilkirckern j 5 9 2^,
pendant la nuit. L'ennemi averti de ce deilein par fes Cou-
reurs s'étoit préparé à la bien recevoir. Il y eut cent Lor-
rains de tués. Les cantons de Zurich , de Berne , &. de Baie,
envoyèrent des troupes auxiliaires à ceux de Strafbourg leurs
alliés. Le prince de Brandebourg ayant reçu ce renfort , fie
marcher le 3. d'Août fes troupes au camp d'Ernftcin. On
s'empara dans la marche de Figersheîm & de Rinaw qu'on
brûla. On campa deux jours après devant Moltzeîm, Les
h'gnes étant tirées , & la tranchée poulTée, on prefTa le fiègej
la garnifon lit de fréquentes forties , dans lefquelles ils tuè-
rent Albert comte de Tubinge, 6c Jeremie de Newenar gou-
verneur de l'Arcenal. LesambalFadeurs de l'Empereur^ des
Cantons Suifîes propolèrent inutilement des accommode-
mens.
Cependant on fît à Strafbourg la revue d'une nouvelle
compagnie d'infanterie compofée de fix cens hommes, com-
mandée par Jean de Nuremberg -, on la fît partir pour le
camp , avec la paye d'un mois pour toutes les troupes de
Brandebourg. Le comte de Vaudemont qui s'étoit joint au
Cardinal fon frère , tomba fur cette troupe à Dieppiken j
& ayant taillé en pièces la cavalerie qui efcortoit la caifle,
il pouiîli l'infanterie dans le temple de Wic ^ & la força de
iè rendre , en l'attaquant jufque dans le Cimetière où elle
s'étoit retirée. Le Comte s'empara du bagage & de l'argent,,
& prit prifonnier Jean de Nuremberg qu'il renvoya aufiî-
tôt à Strafboure; Cette trifte nouvelle confterna les Offi»
ciers qui étoient au camp devant Moltzeim , dont ils furenc
obligés de lever le fiège ,^ à caufe de la mutinerie des fol-
dats. Cette retraite fe fit le i 6. Août. Les Suifîes ôc la ca-
valerie fe retirèrent à Strafbourg. Huit compagnies Alle-
mandes retournèrent d'abord à Saint Arbogaft , & enfulte
dans leurs premiers quartiers , à Ilkircken , &c à Graf-
fenftad.
Pendant ce tems-là , Erneft de Bavière èlevHieur de Co-
logne ^ après avoir long-tems prefTé les Efpagnols d'évacuer
^oo HISTOIRE
'-! les places de PEledorac , traira avec la garnifon de Bonn ^
Henri par l'entremife de Tiizlings que le duc de Parme ayoic mis
I V. dans la place. Les Efpagnols ayant reçu une fomme confL
I 592, dérable de l'Electeur, en lortirent le 24. Août. L'Eledeur
donna le gouvernement de Bonn à Herman de Linden.
Deux jours auparavant, Chriftiern prince d'Anhalt , que le
yoi de France avoit renvoyé avec de grands témoignages
.de bonté , ayant été abandonné par ks foldats , qui déchi-
rèrent leurs drapeaux pour s'en retourner par bandits dans
leurs païs , vint à Strafbourg avec deux cens chevaux. Ce
Prince ayant fait fes conditions avec le Sénat , prit la con-
.duite de l'armée qu il mena contre les Lorrains. Il mit en
fuite l'ennemi , 2c lui tua deux cens hommes. Cette déroute
arriva le 3. Septembre.
Chriftiern battit encore le premier Novembre les enne-
mis , de mit en fuite quatre cens chevaux 6c trois cens hom,
jîies d'infanterie. Codwitz brave Capitaine , à qui il avoic
fait prendre les devants , avec un détachement, tomba dans
ime embufcade , &; fur fait prifonnier ^ il attaqua dans l'en^
droit, où l'on diftribuoit la paye , \qs nouvelles levées que
le cardinal de Lorraine avoit mandées , 6c les mit en dé*
joute. Les Lorrains pour fe venger de tant de pertes , s'em*
parèrent de Vangen où ils mirent tout à feu ôc à iang. Enfin
le prince d'Anhalt ennuyé de faire la guerre fans règle , ^
voulant fe iignaler par quelque coup d'éclat , traita avec
le nouvel Evêque Jean-George de Brandebourg , & fe ren^
jdit enfuite au camp, accompagné d'Othon, ôc de François,
princes de Lunebourg,de Charle de Brunfwic , du baron
île Dhona 6c d'autres Officiers j j8c ayant campé pendant 1
nuit entre Strafbourg 6c Moltzeim , il donna beaucoup d'ia-
quiétude aux Lorrains, qui ne pouvoient deviner fon deilèin.
.On mit une forte garnifon à Saverne , dans la crainte qu'il
Xi 'en voulût à cette place. Chriftiern ayant donné ordre à uta
jégiment d'inveflîr Dachftein pour brider l'ennemi, aflié^
gea en perfonne Moltzeim le 14. Novembre • il fit venir de
Partîlleiie, & ayant ouvert la brèche en trois endroits , on
monta à l'afTaut le dixième jour du fiège. Mais les affiégeans
furent repoulFés avec perte. Jean Ulric baron de Hohen-Saxen
Mefti'C de Camp d'un régiment 5 Daniel DienaO: lieutenant
Colonel
a.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 6oî
Colonel du rcgiment de Landen , & Chriftophle 'W^olfFlieu- --■■
tenant colonel de Hohen-Saxen périrent dans cette attaque. Henri
Les afîiégés perdant toute efpérance de fecours fe rendi- I V.
rent, à condition que le Clergé èc les habitans qui voudroient 1591.
abandonner la ville , en fortiroient Tains & laufs , avec tous
les meubles qu'ils pourroîent emporter j que la garnifon com-
pofée de trois cens hommes auroit la liberté de fe retirer
où elle voudroit , & de lortir en armes , mèches allumées,
avec tout le bagage.
Sur ces entrefaites , Erneil Frédéric marquis de Bade
ayant pris fa marche par les Etats de Philippe comte de
Hana\^^, de fait d'étranges ravages fur la route , amena au
camp mille chevaux , Ôc deux mille hommes de pied. Les
peuples du comté de Hanaw parlèrent hautement contre
la conduite des troupes de Bade , & en portèrent leurs
plaintes à la Chambre de Spire. Le prince d'Anhalts'étanc
engagé dans un défilé pour aller à Moltzeim rencontra deux
cens Lorrains , qui le reconnoiflant, l'attaquèrent vivement.
On fe battit avec vigueur de part & d'autre, malgré lafu-
périorité des Lorrains. La garnifon de Moltzeim qui atten-
doit le Prince, ne le voyant point venir, fe douta qu'il lui
étoit arrivé quelque chofe , 6c fortant au devant de lui , elle
le trouva aux mains avec l'ennemi. La victoire jufqu'alors
incertaine fe déclara pour le Prince à l'arrivée des fiens qui
mirent les ennemis en déroute. Frédéric ôc David comtes
de Mansfeld furent dangereufement bleiTés, 2c les Lorrains
perdirent un grand nombre des leurs.
L'Empereur voyant que les mouvemens de part 6c d'autre LEmperoir
n'aboucilFoicnt à rien , interpofa fon autorité. Il envoya fur inteipofcfoa
la fin de l'année un Hérault à Strafbourg. Ce Hérault cou- ^"'^^''^•
vert d'un habit , fur lequel étoient les armes de l'Empire ,
& tenant à fa main un bâton doré , expofa dans la place pu-
blique les ordres dent il étoit c barge , 6c commanda au
Chapitre 6c au Sénat de la part de l'Empereur, de quitter
les armes , 6c de remettre le jugement de leur difîcrend
avec le cardinal de Lorraine entre les mains des Commifl
faires , qui feroient nommés à cet effet. Il alla enfuite trou-
ver le Cardinal , auquel il fit entendre la volonté de l'Em-
pereur.
T^me XL G G g g
Henri
IV.
€01 HISTOIRE
Tandis que les deux prétendans à l'évêché de Strafbourg
s'en difput oient la poflcffion , les armes à la main, il s'éleva
de grands troubles dans la Saxe, à l'occallon de ce que j'ai
1591. dit dans le dernier Livre. On empriionna Pierre Crell ,
Troubles &; Charle Gunderman , 6c autres loupçonnésau fujet de la
frruiet^dcL l^cligion. L'adminiftrareur ( i ) Frédéric Guillaume indi-
Rcligion. qua Une afîèmblée à Torgaw, dans laquelle les Etats inten-
tèrent une accufation contre ces prifonniers. On y deman-
da la prolcription , par autorité du Prince , des libelles diffa-
matoires compofcs par les Sacramentaires , &; la punition des
auteurs de ces écrits : Q^ie dans la vifite qui de voit le faire, on
iit une exade recherche des Calviniiles cachés & qui diffi-
muloient leur dodrine : Qti'on leur ôtât l'éducation de la
jeunelle , le gouvernement des Egiiles t<. le maniement des
affaires publiques : Qu'on interrogeât plus amplement les
Théologiens prifonniers , comme des parjures qui avoienc
contrevenu fans foi au formulaire de la Concorde qu'ils
avoient (igné , 6c comme des complices de Crell. Enfin on
fupplia l'Adminiilrateur de veiller de près à l'éducation du
jeune Prince, 6c de mettre auprès de lui pour le former ,
un Gouverneur qui joignît la fcience à la piété , 6c fût zélé
pour la R eligion du pays.
L'Adminiftrateur leur accorda leur demande 3 6c on fit en
conformicé un décret , dont Gunderman craignant l'exé-
cution rétrada Çqs ientimens par un écrit figné de fa
main, y promettant de les rétrader à haute voix. En confé-
quence de cette déclaration , on le mit en liberté au com-
mencement du mois de Juin , & on le conduifit à Calaw fa
patrie. David Steinbach voulant fe fauver de la citadelle de
Stolm , où il étoit enfermé , fé -caiîa la cuiffe en tombant
delà fenêtre en bas. Il renoncja à fes opinions le 8. Juillet
entre les mains du miniftre Zacharie Revader. On fit la vî-
iite à Lipfic , à Wirtemberg , à Jena , 6c dans toute la Saxe
pendant tout le mois de Juillet àL d'Août. Dans le cours de
cette vifite, on enregiftra les articles propofés par Nicolas
Selnecer 6^ par Poly carpe Leifer. On obligea ceux qui étoient
fufpeds à fe conformer à ces articles ^ on mit aulîi par é-
crit les points dans lefquels la dodrine de Calvin 6c dQ$
(î) Ou Régent de Sa:>:c>
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 603
Sâcramencaires , diffère de la Confeffion d'Aufbourg 6c du
Luthéianiime 3 ôc on obligea encore ceux qui étoicnt CiiC H £ n Pv 1
peds , de les abjurer. La reine d'Angleterre employa fa I V.
médiation Tannée fuivante pour Pierius , qui fortit le 12. 1591.
Février de la prîfon rigoureufe , où il avoir été confiné juf-
qu'alors. Il s'engagea par un écrie fîgné de fa main , à ne
rien dire, ni écrire contre la doctrine reçue en Allemagne.
Cependant la confternation étoic générale en Europe ,
au fujet du formidable armement des Turcs. La Républi-
que de Venife , dans la crainte que cet orage ne vînt fon-
dre fur {qs frontières , ou dans les liles de fa dépendance
enclavées dans les terres des Turcs , avoit levé l'année pré-
cédente , des foldats qu'elle avoit envoyés dans l'ide de
Candie , lous la conduite de fes meilleurs Chefs. La pefte
qui fe mit dans les vaiiFeaux , obligea de relâcher dans Tlfle
de Corfou , où Je comte Mutio Porto de Sacromofo mou-
rurent. Le comte Alexandre Pompei &; fon fils Albert arri-
vèrent dans rifle de Candie , fans avoir été attaqués du mal
contagieux , & fe logèrent dans le monaftére des Francif-
cains , bâti magnifiquement par le Pape Alexandre V. qui
étoit de Candie , dans la ville qui porte Je même nom.
Pompei ayant été averti en fonge qu'il y avoit dans ce Pcftedans
couvent des Moines attaqués de la pefte , qui cachoient leur M^^^ ^^ ^^"'
mal , ie rendit dès le matin à l'Eglife cathédrale de S. Tite,
où fe tenoit le Confeil de la ville , & déclara ce qu'il avoic
appris en fonge j c'ètoit fur la fin de Mars. Jérôme Capello
gouverneur de Candie (1) , Philippe Pafcaiigo fon Lieute-
nant , Jean Mocenigo Provediteur de la fiote , & Je comte
Honoré Scoto Général des troupes de l'Ifle , firent alors
bâtir liors des m,urs de la ville , une maifon pour loger les "
malades , & on y transfera les peftiferés , &c ceux qui ctoienc
iufpeds. En même tems Benoît Quirîni, 6c Laui-fet Vitturi
Evêque de la ville , de concert avec les Officiers généraux
dont nous venons de parler , dîllribuérent de l'argent au
petit peuple , pour foulager fa mifére, & prirent toutes les
mcfures poffibles ^ pour arrêter le cours du mal. La pefte fit
de cruels ravages depuis la fin d'Avril, jufqu'au commence-
ment de Juillet. Elle eniportoit cous hs jours deux cens
;(i) Ilportoit le titre de Da'c^ ///' C^»^;^.
'^04 HISTOIRE
g!?— — T- perfonnes. Cependant elle diminua au mois de Septembre,.
Henri d<. on crut au commencement d'Octobre qu'elle etoic touc-
I V". à-fait éteinte , lorfqu'ellc recommença avec plus de Fureur.
1591, Capelio fut obligé d'ufer d'une plus grande févérité
contre ceux qu'on loupçonnoit d'être attaqués de la pefte.
Il fit enfermer les malades dans leurs maifons , avec defenfe
d'en fortir. La contagion emporta Frédéric comte de Pe-
poli , les capitaines Torello de Fano , François Ronca de
Modene , Taranto d'Albanie , èc l'Ingénieur Jean Fava ,
^ auquel fuccéda Angelo Odi de Padoiie. Les fimptomes de
cette maladie incurable étoicnt affreux. Il s'élevoit fur tout
le corps un grand nombre de boutons livides , plus larges
£c plus épais que les taches de la maladie du pourpre , auf-
quelles ils étoient du refte affez femblables. Il y avoic d'au-
tres peftiférés , dont tout le corps étoit couvert de tumeurs
en forme de bubons 5 le milieu étoit livide , de les bords en^
flammés 3 c'eft ce qu'on appelle vulgairement des charbons,
La plupart de ceux qui étoient attaqués de cette dernière
efpéce de pefte , ne paiïbient pas le quatrième jour. Ils
avoient une £évre ardente, ils relîentoient de grands maux
de tête ôc des douleurs cruelles. La troilléme eipéce n'étoit
pas fi dangereufe ^ elle caufoit dans l'aine une tumeur de la
grolTeur d'un œuf, autour des oreilles , 6c dans les endroits
que les Médecins appellent Emunctoires. La plus grande
partie du peuple fut attaquée de cette dernière efpéce de
pefte , qui n'emporta pas beaucoup de monde.
La pefke , fuivant ce qu'on en rapporte , fit périr vingt
mille .hommes dans la ville , jufqu'au mois d'Août , qu'elle
fe rallentit beaucoup. Elle enleva encore un grand nombre
de païfans dans les bourgs aux environs , & plufieurs Turcs
que le commerce a voit attirés dans l'Ifle. Les ravages qu'elle
fit parmi 4es troupes , firent craindre que les Infidèles ne
prilîént occafion de la foiblefi^e des foldats , pour faire une
defcente dans l'Ifle. C'efl pourquoi les Officiers généraux
envoyèrent Horace Longo Con-rmandant des milices de
Sitia &: de Girapietra , à Spinalonga ^ & le colonel Sanmar-
tino gouverneur de Retimo , au port de la Suda. On donna
îe gouvernement de la forterefîè du port de Grabuze , à
Dominique Carrolari Florentin. George Murmuri Général
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 605
de la cavalerie Albanoife eut ordre de faire des marches de
tous côtés , pour être prêt à tous événemens. Henri
La nouvelle qu'on re^ut alors , que Cigala Bâcha de la I V.
mer armoic une flote à Carifto aflez près de Negrepont , re- 1592.
doubla les foupçons des Vénitiens. Il s'approcha de Zante ,
Ifle de la dépendance de la République , pour y faire ai-
guade , à ce qu'on croie , 6c pour prendre ce qui lui étoic
nécelTaire. Ayant rencontré un vailîeau Anglois nommé la
Bretonne , il demanda quelque chofe avec hauteur au Ca-
pitaine , qui lui répondit en brave homme qu'il ne lui don-
neroit rien , & qu'il étoit prêt à fe défendre fî on l'atta-
quoit. Cigala ne paiïa pas outre ^ il fit même lâcher prife à
des Corfaires , qui emmenoient en Affrique un vailTeau ,
qu'on avoit mis dans le port de Zante pour aller à la dé-
couverte. Cette conduite des Turcs ralFûra les Vénitiens
du côté de la mer. On faifoit courir le bruit à la Porte ,
que toutes les forces de l'Empire Ottoman alloient fe réunir
pour fondre fur la haute 6c la balîè Hongrie , ôc pour fe
venger des courfes des Cofaques j 6c qu'on commenceroic
par la Croatie.
Amurath changea de réfolution j voyant la guerre ter- r)/,ij[,jiatio^
ininée en Perfe , il ne penfoit qu'à joiiir du repos. Mais les du Divan su
Bâchas confîderants que l'Empire Ottoman , qui eft un eou- ^"'" ^^* ^^
','- *■ .,'4 ,,t> euerre.
vernement tout militaire , ne peut avoir la paix au-dehors ,
fans fe voir expofé à des troubles inteftins , s'alîèmbiérenc
pour délibérer de quel côté on porteroit la guerre. Les uns
vouloient qu'on la continuât dans la Perfe , où on i'avoit
faite jufqu'aiorsavec fuccès , 6c qu'on poulTât fes conquêtes
dans ce paï's , prétendant que fî on laiflbit le Sophi en paix,
il attendroit que le Sultan fût engagé dans une guerre éloi-
gnée , pour venger fes pertes , 6c pour attaquer les Turcs.
Que cette conjeéture n'étoit pas lans fondement , puifque
le roi d'Efpagne pouvoit envoyer des fecours en Perfe par
Iqs Indes , &c fournir au Sophi des troupes , des munitions ,
6c des Ingénieurs dont il manquoit abfolument : Que ks
Géorgiens, naturellement légers 6c amis des troubles , pren-
droient , pour fe foulever, le tems que les forces Ottomanes
feroient occupées d'un autre côté : Que le Cam des Tar^
tares du Zagathay 6c le prince de Gilan , dont les Etats
GGgg iij
6o6 HISTOIRE
s'étendent fur les bords de ia mer Cafpienne ( i) , laiflroienc
Henri l'occaiion de fe révolter quand elle fe préfenteroit : Qu'il
I V. falloit fe délivrer de ces craintes , 6c hâter des expéditions
i <Qi, qui ieroient fuivies de ia vidoire : Qiie les Turcs avoient un
grand nombre de bons arquebulîers , & que la cavalerie Per-
ianne tirée de la Caramanie 6< de l'Arabie du tems d'Amu-
rath , s'étant multipliée dans ces deux endroits , avoit beau-
coup perdu de fa première vigueur , 6c avoit donné des
marques de lâcheté , en fuyant tant de fois dans les derniè-
res guerres : Que les Géorgiens , dont on craignoit fl fore
la légèreté , fuppofé qu'on difcontinuât la guerre , ne re-
mueroient point fi on la faifoit dans la Perfe : Qiie la plus
grande partie de ces peuples étoient vaiTaux de leurs Princes,
èc qu'ils feroient allez contens de mettre à couvert leur li-
berté , à la faveur de l'afîîéte de leur païs qui étoit inac-
celîible , fous la protcdion de leurs Rois Simon 6c Alexandre.
D'autres Bâchas étoient d'avis de faire la guerre au Che-
rif, c'eft-à-dire, au roi de Fez ^ de Maroc, Prince très-
puiiîant j mais qui a plus de troupes que d'argent. Ils ap-
portoient pour motif de cette guerre , qu'il étoit de la gloire
de l'Empire Ottoman, déporter (qs armes dans cette troi-
sième Partie du Monde : Q}-f on ne pou voit mettre Alger 6c
Tunis à couvert , qu'en rangeant ces belles provinces de
Barbarie fous la puiiTance d'Amurath : Qu'on airûreroit la
navigation dans ces mers , en s'emparant du cap d'Aguer 6c
du port de Larache , qui eft au-delà du Détroit , 6c où les
corlàires Anglois fc retiroicnt avec leurs prifes : Qiie la re-
ligion Mahometane , qui étoit celle du Cheril- , 6c fa dé-
pendance de l'Empire Turc , ne l'avoicnt point empêché
d'entretenir dans les dernières guerres , de lecretes corref-
pondances avec le roi d'Elpagne 6c avec les Chevaliers de
Malthe j ce qui avoit été caule qu'ils avoient prc^fque furpris
Tripoli : Qi-fil étoit dans \qs intérêts du roi de Carvan ^
•du prince Marabut, qui remuoienc en Affrique : Qu'on ne
.devoir pas être détourné de ce dcifein , par la confidéra-
îion des places forces de Marfaquivir , d'Oran, de Pennon
4e Vêlez , de Tanger , d'Arzilla , de Mazagan , bc de Ccuta,
|)ar le moyen êc le voifinage dciquclles les Elpagnols , qui
(i) 0\\ de B?.cîç'.j pu de Sala*
*"— ^""^ ^BlUlli J I il'H
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^07
en écoicnt les maîtres , pouvoienc s'allier avec les Maures :
Qu'on pouvoic remédier à cet inconvénient , en mettant Henri
une flote en mer pour brider les Espagnols , qui prendroient I V.
le parti de relter chez eux , pour êcre à portée de s'oppofer i 59 i,
aux defcentes qu'on pourroit Faire en Espagne : Que d'ailleurs
on fc^avôit par expérience qu'il n'y auroit pas de Ci grandes
difficultés dans cette expédition ^ 6c que la prife de Tunis
&; delà Goulette , qu'on croyoit imprenables , en étoit une
preuve : Qj-ie Sinan avoir emporté en peu de tems ces deux
places ( dont la conquête l'avoit comblé de gloire, 6c avoic
fait honneur à la Nation.
Le troifiéme avis fut d'aller attaquer l'Ifle de Malthe , dont
les Chevaliers empêchoient laHberté du commerce dans la
Méditerranée , par* leurs Caravanes continuelles , 6c trou-
bloient les pèlerinages de la Meque. On difoit qu'il étoic
de riionneur du petit-fîls de Soliman , de rétablir par la con-
quête de Malte , la gloire de ce grand Prince , qui avoic
échoué dans cette entreprife , dont le mauvais fuccès: faifoic
autant de tort à la réputation d'Amurat : Qii'il falloit faire
cefïèr à Conftantinople èc aux environs , les cris êc les gé-
mi(îemens des femmes , qui pleuroienr leurs maris 5 des pères
6c des mères , qui redemandoienc leurs enfans , que ces cor-
faires avoient emmenés en captivité : Qiie ce motif avoit au-
trefois animé Soliman à la conquête de l'Ille de Rhodes ,
fameufe retraite de ces pirates en Orient : Qu'enfin le fe-
cours qu'ils avoient donné aux rebelles de Barbarie , 6c la
tentative qu'ils avoient faite fur Modon dans la Morée ,
étoient de nouveaux motifs de leur déclarer la guerre.
On propofa auffi de porter la guerre en Elpagne. Les
Bâchas qui ouvrirent cet avis , dilbient qu'un Prince qui
vouloit fe rendre maître de l'Univers , devoit abattre la plus
puiffanre Monarchie de la ( hrétienté : Qti'on ne dévoie pas
craindre pour Alger , dont les fortifications étoient en
meilleur état , que du tems de Charle V. Que l'Efpagne en-
tière unifToit en vain fes vœux pour la prife de cette ville,
regardée par elle comme une retraite de brigands , qui écu-
moient fans celTe les côtes aux environs j 6c que le roi d'Ef-
pagne avoit trop de prudence pour rifquer cette entreprife ,
qui attireroit la guerre dans les Etats : Que Iqs Efpagnols
^o8 HISTOIRE
■■■ ' n'iroienc pius courir les côtes de l'Afîe dans la Méditerranée,
Henri de peur d'être trop éloignés de leurs ports : Qu'outre ces
I V". motifs , il étoit certain que Philippe avoit de vaftes defleins j
1591. ^ 4^^^ ^^ grandeur & l'embarras de Tes affaires, ou d'autres
raifons , l'empêcheroient de s'embarquer de lui-même dans
une guerre contre l'Empire Ottoman : Qu'il avoit évité
d'envoyer des troupes au fecours de la Preveza àc de Na-'
varrin , fîtués dans le golte de l'Arta j ôc qu'ayant pii fe-
courir les Perfes dans Iqs dernières guerres , il n'avoit pas
voulu le faire , ou avoit pris des prétextes pour s'en difpen-
fer : Qi-ie d'ailleurs il ne pourroit le mettre en défenfe, par-
ce qu'il étoit obligé d'entretenir de nombreufes armées
dans \qs Païs-bas , dont les peuples combattoient pour leur
liberté , avec tant d'opiniâtreté &c de cclnftance , qu'on n'a^
voit pu les réduire depuis pludeurs années : Que ces peu-
ples défendus par i'alîîéte des lieux , trouvoient encore des
îècours de troupes ôc d'argent dans l'amitié de la reine
d'Angleterre , qui faifoit pourfuivre les vailleaux Efpagnols
qui alloient aux Indes , fomentoit les troubks de Portugal,
ù. venoit de faire ravager la Corogne fur la côte de Galice :
-Que les François ne donnoient pas moins de jalouiîe aux
Elpagnols , qui obfervoient leurs démarches , & n'ofoienc
s'écarter , pour être à portée de leur faire tête : QLie fup-
pofé que le roi d'Elpagne n'eut rien à démêler avec fes voi-
fins , il éviteroit autant qu'il feroit pofîible ^ d'en venir à
une guerre ouverte avec la Porte , fçachant que les Turcs
pouvoient encore , comme ils Tavoi^nt fait du cems d'Al-
îonfe d'Albuquerque , envoyer une liote dans le golfe de
Balfora , oc fermer les pafTages aux vaiileaux qui reviennent
des Indes par ce chemin , chargés de parfums ôc d'autres
marchandifes , en quoi confident prefque les principales ri^
cheires des Efpagnols : Qu'on pourroit encore facilement
porter la guerre des port& d'AfFrique , fur les c6t:s d'El-
pagne : Que iî on prenoit ce parti , le roi de France entre-
• r,oit dans ie royaume de Navarre , dont il prétend que les
Efpagnols ont dépouillé fes ancêtres j èc que Ja reine d'An-
gleterre feroit faire une defcenre en Portugal : Que Jcs exilés
qui étoienc en AfFrique & à Conftantinople alîliroient ces
çhoÎQs^ CDDÊrmées d'ailleurs par Iqs nouvelles qu'on recevoir
fous
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. éo^
tous les jours de Grenade & d'Andaloiifie , de la parc
des Maures , qui mandoienc qu'il y auroic des révoltes en H e n k t
Efpagne , dès que la guerre feroit allumée dans le Royau- I V.
me : Que Philippe ne pourroit tirer de Tes Etats épuifés icgi.
d'hommes , ( ayant tous Tes foldats , ou dans la Flandre , ou
di/perfés dans les garnifons d'Italie , ou dans les Indes , )
des forces capables d'arrêter ces mouvemens : Qu'on pou-
voit juger par la dernière guerre que les Maures avoienc
faite en Andaloufie vingt-quatre ans auparavant , quel en
auroit été le fuccès , fi Selim eût fuivi le confèil de Mech-
met, &: eiit alors , en faveur des Maures Mahometans , tour-
ne contre l'Efpagne avec plus de juftice & de gloire , Ces
armes victorieufes employées à la conquête de l'Ifle de
Chypre.
Ceux d'entre les Bâchas , qui ne confidéroient que la fa-
cilité de l'expédition & l'utilité pré fente , confeilloient la
guerre contre Venife , &: appuyoient leur fenciment d'un
grand nombre de raifons folides. Ils difoient qu'on avoit en-
levé plufieurs places aux Vénitiens dans les dernières guerres,
& qu'ils âvoient été forcés d'acheter la paix : Que cette Ré-
publique n'avoit d'autre but, que d'entretenir la paix avec fes
voifins j ôc que fuivant fon ancienne maxime , elle n'entre-
prenoît la guerre, que lorfqu'elle y étoit forcée, &dans la
dernière extrémité : Qu'elle aimoit mieux éloigner la guerre
par des traités , avant que fes Etats fufient entamés , que
d'attendre à compofer apçès fes pertes , comme elle avoic
fait après la conquête de l'Ifle de Chipre : Que d'ailleurs
les Vénitiens n'étoient pas en état de réîifter feuls aux forces
de l'Empire Ottoman • & qu'ils étoient même encore foibles
avec les fecours qu'on pou voit leur fournir : Que l'Efpagne
n'en envoyoit jamais qu'avec lenteur , comme on l'avoit vu
dans la guerre de Chipre ,. ce qui avoit obligé les Vénitiens
à faire la paix , fans la participation des Elpagnols : Qi-i'il
falloit encore confidérer , que la République ayant un grand
nombre de Forts , &: en faifànt bâtir tous les jours , fes trou,
pes étoient difperfées dans fes garnifons , & (es finances épui-
lées : Qu'elle ne pouvoit pas compter fur de grands fecours
de la part du Pape, des ducs de Florence aide Savoye, ni
de la part des Chevaliers de Malte , qui tous enfemble
Tome XI. H H h h
éio HISTOIRE
I '■ ■ pouvoîenc à peine équiper vingt galères.
Henri Le Divan étoit affez d'accord iur la facilité qui fe trou-
I V. voit dans la guerre de Venife j mais les voix fe partagèrent
I 592, ^"^ la manière de l'exécution. Sinan, dont le crédit l'empor-
toit fur celui des autres , parla d'aller d'abord à Corfou
pourôter aux Vénitiens l'empire de la mer Adriatique,
dont ils font les maîtres par le moyen de cette iile. Il
rappella le fouvenir de la prife de la Goulette qu'il avoic
forcée dix-huit ans auparavant , quoique ce Fort paf-
fât pour imprenable j & propofa fon projet avec une
fierté qui faifbit bien voir qu'il avoit delîein de fe faire
donner la commifîion d'aller s'emparer de la Forterefîè
d'Ariac ( i ). Il apporta pour motif de cette expédition , ( car
quelque injuftes que foient les Turcs , ils veulent toujours
donner une couleur à leurs entreprifes) : Que les Vénitiens
ne payoient plus le tribut pour la Baftia, fîtuée fur le riva-
ge de l'Albanie dans le golfe de Calamata (1) , 6c éloignée
de douze mille de Corfou , où la Bafbia eil: aifez proche des
Salines des Turcs , qui ont donné cette place aux habirans
de Corfou en 1537. moyennant un tribut de trois cens
fequins, afin de faciliter le tranfport des marchandifes qui
viennent de Grèce en cette ifle. Ferhat natif d'Oronicoen
Albanie , jaloux du crédit de Sinan , s'oppofa à fon projet -
& lui ayant reproché fon ambition, il fit voir que cette en-
treprife étoit dangereufe , que le fuccès étoit incertain , de
qu'il feroit plus à propos d'attaquer Cataro (3), qui bridoic
Callel-novo , outre que c'étoit la dernière place delà Dal-
matie , &: de la dépendance de Venife de ce côté- là.
Tandis que Sinan & Ferhat vouloient l'emporter l'un
fur l'autre dans le Divan, Cigala , auffi grand capitaine que
ces deux Bâchas, &c ennemi juré des Vénitiens, propofa
la conquête de Tifle de Ceriguo (4) fur la côte AÎeridio-
nale de la Morèe. Cette ifle efl une efpèce de donjon qui
(i) Not. Ainfi appellée à caufe de! tiens depuis l'an 1420. avec fon terri-
fa hauteur ôcfituation. -«/. L. ltoiie,oli il y a dix-fept villages ou
(2) Entre la ville de Butrinto & châteaux aux environs, qui connnenc
celle de Perga , ôc vis-à-vis de Tifle d'un côte' avec les terres de laRe'pu-
de Corfou. [bliquede Ragufe ; 8c de l'autre avec
(3) Sur la côte du golfe ou canal j celles desTurcs du côte' de Montenero.
de ce nom. Elle appartient auxVeni-j (4) C'efl la fameufc iflede Cithe're.-
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. Cii
domine fur l'Aïchipcl , d'où l'on peut découvrir les vaif^
féaux Turcs, Sa fituation efl: fi avantageufe , que Dema- Henri
rathe(i)crut autrefois devoir s'en emparer d'abord, pour IV.
venir à bout du projet qu'il avoit formé de fubjuguer la 1591.
Grèce. Les fentimens étoient partagés dans le Divan ^ &
il étoit encore incertain auquel on s'arrêteroit , lorfqu'on
ouvrit encore un autre avis • ce fut de prendre Butrinto
en Albanie, Ceux des Bâchas qui aimoient l'argent ap-
puyoient cette propofition , parce qu'ils s'imaginoient que
les Vénitiens retiroient tous les ans cent mille Sequins de
cette place, &: qu'ils feroient moins en état de fe défendre
fi on leur ôtoit des fo m m es fi confidérabies. Il y eut des Bâ-
chas qui furent d'avis d'aller aiîiéger d'abord Zara (2) &:
Novigrad en Dalmatie( 3), pour arrêter les brigandages des
Ufcoques fur les terres des Turcs , & pour faire porter aux
Vénitiens les pertes que ces brigands caufoient tous les jours
aux marchands Turcs. La plupart des Bâchas fçachant qu'il
cfi: facile d'entrer dans les terres de la Répubh'que , voi-
fines de celles des Turcs , étoient d'avis de ne point prendre
de réfolutions fixes pour attaquer une place en particulier':,
6c qu'il falloit , afin de mieux tromper l'ennemi , foit qu'on
partît de la Prevefa(4) , ou de la Valona (5), foit qu'on
levât l'ancre dans le golfe de Lepante (6) , ravager les deux
côtes du golfe de Venife , & fe jetter à l'improvifte fur la
première place dont l'attaque feroit plus facile.
On réfolut fecretement d'aller à Polaen Iftrie , ville mé-
diocrement peuplée, éloignée de cent vingt milles de Ve-
nife, Se dont la fituation efi: avantagaufe 6c très-belle. On
réfolut d'attaquer en même tems la République de Ra-
gufe, qui après Corfou efi: la féconde entrée du golfe de
Venife , & qui contient des ports fûrs & capables de con-
tenir les plus grandes flotes qu'on voudroit envoyer faire
des defcentes en Italie. Les motifs de cette réfolution
(i) Capitaine de Sparte.
(z) Ville capirale deDalmatic avec
nom au petit golfe de Novigrad.
(4) Ville de Gre'ce dans la baffe
un Archevêché , fur la côte du golfe de ; Albanie , & dans la Province de
Venife
l'Arta.
(5) Il y a trois villes de Novigrad. (y) Ville delà Turquie dans la
Celle-ci eft furie golfe de Venife, avec : haute Albanie.
un château fur un rocher près des fron-
tières de la Croatie. Elle donne fon
(6) Ou de Corinthe.
HHhhij
6ii HISTOIRE
.. ëcoient : Que les Turcs n*avoient prefque point de pof ts de
Henri ce côté-là : Que le port de Durazzo, autrefois fi célèbre,
I y. d'où l'on pouvoit paffer à Brindes, étoit comblé ,& pou-
j voit à peine contenir quatre galères, à caufe de la quantité
de bafles qui i'y trouvoient : Qu'on voyoit à douze milles
au-delà de Durazzo , la Petra , appellée aujourd'hui Lachi,
dont le porc, qui n'étoit pas trop fur , ne pouvoit contenir
que vingt vaifTeaux : Qii'outre cela les eaux étoient encore
fi mal-faines aux environs , que les matelots n'en appro-
y choient que lorfqu'ils y étoient forcés : Que le port de la
: Valonane pouvoit contenir que trois galères : Que celui
de Ragufe, qui en étoit éloigné de huit milles, en conte-
noit à la vérité trente j mais que les vents de Tramontane
& de Poncnt le rendoient peu fur: Qu'on rencontroithors
de la mer Adriatique le long des côtes d'Albanie, ou même
dans cette mer, ( qui s'étend, fi on en croit les Anciens,
jufqu'aux montagnes de la Chimère , ) le port de Santi
Qtiarata qui étoit très-étroit j &; un peu plus loin, Orco
( où les vailîêaux qui partoient d'Otrante venoient mouiller
autrefois,) avec un bon port, afiez grand pour quarante
galères : Qii'entre les cinq ports de la république de Ra-
gufe le port de Sainte Croix l'emportoit , & que fa rade
étoit très-fûre : Qu'outre ces avantages il n'étoit pas éloi-
gné des montagnes d'Albanie, où il y avoit une grande
quantité de bois propre à conftruirc des vaifieaux j ce qu'on
ne trouvoit pas avec la même abondance dans les autres
porcs des environs,
Plufieurs Bâchas repréfentoîent : Qii'il étoit à propos ^
pour l'honneur 6c l'agrandifiement de l'Empire, de faire la
conquête de Candie, parce que \qs Maltois, les Efpagnols,
6c les chevaliers du grand duc de Tofcane ( i ), qui donnoienc
la chafTe aux vaifTeaux marchands qui alloient de Confban-
tinople à Alexandrie d'Egypte , 6c à ceux qui portent dQs
pèlerins à la Meque , trouvoient une retraite afiurée dans
les ports de cette ifle : Que les divifions qui y régnoienten
rendoient la conquête ailée : Que parmi le peuple les uns
tenoient pour le Rit Grec , ^ les autres pour le Rit Latin :
Qu'il y avoit de la NoblefiTe Vénitienne ennemie de la
(i) Les Chevaliers de Saint Etienne.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^13
Noblefle du païsj des têtes libres & exemptes de tribut ,& des '"
efclaves qui le payoient : Qu'il s'ëlevoit tous les jours des Henri
plaintes èc des murmures dans l'iflv.^ , où l'on n'attendoit I V.
qu'une occafion pour fe foulever : QLie fa Situation au milieu i c 9 1.
de la Méditerranée , 6c du monde entier , devoit engager
les Turcs à s'en emparer : Qu'étant environnée d'un côte par
la Natolie , la Caramanie , l'Archipel , àc la Morée 5 èc de
l'autre par l'Egypte & l'Afrique, elle étoit comme enclavée
dans les terres de l'EmpirerQu'on ne manqueroit pas de trou-
ver un grand nombre de Candiots exilés qui s'étoient ré-
fugiés à Conftantinople, ou que le commerce y avoit at-
tirés , &: qui s'y étoient établis : Que ces gens donneroienc
de bons avis pour cette conquête : Qu'ils Taideroient même
de leurs richelTes , èc y contribueroient de leur induftrie :
Que ces Candiots trafiquoient dans la mer noire , & ti-
roient de Candie d'excellens vins, qu'ils faifoient remonter
par l'embouchure du Danube pour la Yalachie ^ia Molda-
vie, & la Pologne.
On propofa un fîxiéme avis. Quelques Bâchas préten-
dirent qu'un peuple qui vouloit pofleder l'empire de l'uni-
vers , devoit réunir (qs forces par terre &C par mer pour
aller fondre fur iltalie : Que les Romains avoient été maî-
tres de l'univers , tant qu'ils l'avoient été de cette contrée :
Que les Huns ayant formé le deiTein de fubjuguer le monde
entier, avoient traverfé la Sclavonie pour venir en Italie:
QLie les Alains, après avoir ravagé la Grèce , avoient pafTé
par la Bolnie ôc la Croatie avec les Goths , pour s'empa-
rer de cette même Italie, où les Vandales étant aufîi ve-
nus palîérent en Afrique par l'Efpagne : Qtie les Francs ,
les Allemands, & les Elpagnols avoient plufieurs fois mis
au pillage Rome capitale de l'Italie : Que Soliman diioic
fouvent que cette ville ayant été demjinbrée de l'Empire
par Conftantin , & aliénée dans la luire par fes lâches iuc-.
cefleurs, elle appartenoit à l'empire des Ottomans, dont on
ne pouvoir employer plus glorieufemenc Se avec plus d'utiliré
les forces, qu'^à fubjuguer cette heureufe contrée, qui tft,
pour ainfî dire , la reine de toutes les autres : Qi-i'on y voyoic
des hommes mieux faits qu'ailleurs ^ des femmes d'une gran-
de beauté j d'intrépides foldats j lesarts dans leur pcrfedion 3.
H H h h iij
6i4- HISTOIRE
des efprks excellens : Qii'elle étoîc iituëe fous un ciel doux
Henri & tempéré , & fréquentée par l'abord de toutes ks Na-
I V. tions : Qu'elle avoit un grand nombre de ports fur Tes côtes :
Que les vents y etoient modérés , ôc les eaux en abondance :
^^~' Qii'il régnoin dans ics forêts une éternelle fraîcheur : Que
les animaux, ailleurs les plus fauvages, n'y étoient point
féroces : Et qu'enfin les terres y étoient fertiles & abon-
dantes en pâturages. Ces barbares n'ignoroient pas les élo-
ges magnifiques que les anciens ont donnésà l'Italie.
Un des plus grands motifs qu'on allégua , fut que Rome
étoit le centre de la Religion Chrétienne ^ que les Turcs
cherchent principalement à détruire : Que l'Italie étoic
fous la domination de plufieurs Princes qui avoient des in-
térêts différents , àc qui accablant les peuples d'impôts ,
craignoient autant leurs propres fujets que les ennemis
du dehors : Qu'une longue paix avoit diminué le courage
de ces peuples , dont -le nombre s'étoit II fort accru pen-
dant ce temsdà : Que fî on entroit en Italie par différents
côtés un peu avant la moiffon , il feroit facile de prendre
les villes , où les peuples réfugiés manquant de vivres , ac-
cepteroient fans réiîltance toutes les conditions qu'on vou-
droit leur impofer : Qu'aujourd'hui même les moiffons qui
fe recueilloient dans la paix n'étoient pas fuffifantes , & qu'on
étoit obligé de faire venir de la Sicile , de l'Orient , de la
France , ôc même des païs Septentrionaux des bleds à grands
frais : Qii'outre cela la plupart des Italiens vivoient du tra-
vail de leurs mains , dont l'interruption à l'occafion de la
guerre feroit naître des divifions , &. fouleveroit les peuples :
Que cçs grandes villes, contraintes par la famine & par la
mifére, fe foûmettroîent facilement à payer un tribut à la
Porte, 6c à lui obéïr : Qu'on ne verroit point les foldats re-
fufer de marcher à cette expédition : Qu'on pafferoit avec
joye dans la plus belle Province du monde , où les trou-
pes n'auroient point de deferts à traverfer, ni la difficulté
des neiges & des glaces à furmonter : Qii'on feroit faci-
lement des ports voifms de l'Italie une defcente dans ce
païs : Que celles qu'on avoit faites autrefois, même en par-
tant des ports éloignés de cette Province , avoient toujours
eu d'heureux fuccès.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^15
Enfin la guerre contre la Pologne fut propofëe dans le
Divan. Les raifons étoient : Qu'en fubjuguant ces Provin- Henri
ces , on s'ouvriroit des paiTages plus commodes pour entrer ^ V.
en Hongrie 6c en Allemagne : Qu'il étoit de la gloire des 1591.
Ottomans de rabaifler l'orgueil des Polonois , qui rejettanc
fièrement les ordres des Sultans , refuloient de payer un
tribut: Que les troubles du pais, la dividon, & les diffé-
rents intérêts des principaux de l'Etat , étoient de fûrs ga-
rants de la réuffite de cette guerre, pour laquelle le voifî-
nage de la Pologne avec la Turquie donneroit de grandes
facilités: Que d'ailleurs on tireroit des fecours des Mol-
daves valTaux de la Porte, qui étoient auffi dans le voi/î-.
nage 3 &c des Tartares , qui font toujours prêts à faire ce
qu'on demande d'eux : Que le feul moyen de conteni»^dans
le devoir les deux Valachies, étoit de foûmettre k Polo-
ne , afile ordinaire de ceux qui après avoir amafîë des rî-
cheflcs par des moyens odieux fous la protedion des Turcs
abandonnoient la Turquie : Qj-i'il n'y avoit que cette voye
pour fe venger du pillage de Coflovie (i) dans la Cherfo-
nefe Pontique ( 2 ) , 6c des autres infultes des Cofaques:
QLi'on n'ouvriroit jamais le chemin de la Mofcovie aux
marchands Turcs, que par la conquête de la Pologne:
Que cette conquête étoit d'autant plus aifée , qu'il n'y avoic
point de places fortes dans ce Royaume dont les peuples
étoient amolis par une longue paix : Que le hafard ièul , ôc
non le courage des deux partis , avoft terminé la guerre
des Polonois avec l'empereur Maximiiien , peu de tems
après qu'elle eut commencé : Qii'â l'égard de celle que le
roi Etienne avoit faite à la Moicovie , les troupes Hon-
groifes qui entendent l'art des fiéges y avoient eu plus de
part que les Polonois, qui l'ignorent prefque entièrement.
Le relîentiment des injures que la Porte avoit reçues de
la part des Ufcoques réunit tous les Bâchas contre l'Empe-
reur, qu'on regardoit comme l'auteur des courles de ces
peuples, qui félon toutes les apparences ne s'en tiendroienc
pas là , il on n'en prenoit pas une prompte vengeance. C'efl
(0 Ou Coflow. _ ou Tauric^ue elt la Tartarie de Cri-
Ci) Clierfonefe en Grec fignifîe mée.
prefcx^'ifle. La Cherfonefe Pontique |
(>iG . HISTOIRE
pourquoi on arrêta qu'on marcheroit en Hongrie. Les Ba-
Henri ^^'^^ ecoient irrités qu'oii eût forcé les marciiands Turcs à
I V. palier par Spalatro , en \q.s empêchant de faire tranfporter
1592. îsur^ marchandiies par Narenta (i)j outre qu'on n'étoic
plus en fiireté dans tout ce canton. Ils étoient encore aigris
en particulier contre l'Empereur, qui fe fervoit des Uico-
ques pour garder fes frontières ; qui avoit pris le tems que
le fultan Amurat étoit occupé dans la Perfe , pour différer
de payer le tribut à la Porte ^ 6c découvroit par cette
conduite quels étoient i^s defTeins. Ils ne trouvèrent pas de
grandes difficultés à faire réiiffir leur projet, en faifant en-
crer en même tems des troupes en Croatie , & en Autriche.
Ils fe reprcfentoient encore que les Turcs étant maîtres
de B»de, de Belgrade , (2) d^Albe Royale, & de la plu-
part des meilleures places delà Hongrie, d'où il feroit fa^
cile de fournir des vivres aux troupes par le moyen delà
Save 2^ du Danube, ils auroîent une retraite alliirée dans
ces villes , en cas que cette expédition n'eut pas la réûlîîte
qu'on en attendoit : Que l'Empereur lui-même , depuis
longtems en paix , n'étoit plus accoutumé au métier des
armes : Qu'une guerre de Religion divifoit les autres prin-
ces d'Allemagne, qui d'ailleurs ennuyés de la domination
de la maifon d'Autriche étoient oppoiés à l'Empereur, ôC
fouhaitoient que l'Empire fortît de cette Maifon, dans la-
quelle il étoic depuis fl longtems : Que le roi de Polo-
logne, & le Vayvode de Tranfllvanie ne donneroient poinc
de fécours à Rodolphe, dans la crainte où ils étoient pour
leurs Dropres Etats : Que le roi d'Efpagne , chef de la maifon
d'Autriche, avoit aflez d'occupation dans fon Royaume:
Qiie le Pape , qui exhortoit les princes Chrétiens à la
guerre contre les Turcs , n'étoit pas en état de fuppléer
par fes forces, ou par {ts confeils, aux fecours que l'Empe-
reur pourroit efpérer de tant de côtés , mais qui lui manque-
roient abfolument : Que les Princes d'Italie ne pourroient
donner que de foibîes lecours pour la montre , êc quifervi^
joient plutôt à prouver au Pape leur attachement à laRe-
Jigion , qu'ils ne feroient utiles à l'Empereur : Qu'enfin une
{i) Ou Naron , ville de la Tur- 1 (z) E» -rf//. Stul-Weiffenbourg.
quie d'Europe dans la Dîilmatie, '
armée
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^17
armée auxiliaire, néceiTairement compofée de Nations donc .
la Religion , le langage , & les mœurs font û différens , ne Henri
pourroic jamais s'accorder , ôc n'agiroic indubitablement IV.
qu'avec lenteur , èc fans aucun fuccès. ^59^»
Telles furent les délibérations des Bâchas dans le Di-
van , au rapport de ceux qui ont écrit l'hiftoire de ce
tems-là avec plus de foin. Ils difcnt qu'il ne doit pas nous
paroître furprenant que les Turcs euiïent des connoiflances
îî certaines des affaires des Chrétiens , ayants grand foin de
s'en informer par le moyen des Juifs , éc d'autres efpions ,
& par les exilés & les renégats j de même que les princes
Chrétiens font inftruits des deffeins de la Porte par leurs Am-
bafladeurs , qui mettent tout en ufage pour les découvrir,
en gagnant à force d'argent ceux qui peuvent les leur ap-
prendre.
Sinan voyant que le projet qu'il avoit propofé n'avoit c^errcdes
point été approuvé , fe rangea du côté d'Affan Bâcha de Turcs en
Bofnie , homme entreprenant , qui mettoit fans ceffe les Hongrie.
courfes des Ufcoques fous les yeux du Sultan. Ilpreffa vi-
vement la guerre de Hongrie , à laquelle il détermina
Amurath , qui donna des ordres pour faire entrer une ar-
mée en Croatie. Les Turcs font aujourd'hui maîtres d'une
grande partie de cette province, qui fait partie de la Scla-
vonie , à qu'on appelloit autrefois Liburnie 3 ils l'ont extrê-
mement raragée.
Ils ouvrirent la campagne par la prife deWihitz ou Bihatz
fur le fleuve d'Unna, qui coulant au Midi près de Dubitz
va fe jetter dans la Save à deux journées de-\à. Cette place
& fa citadelle ont été pendant un fiécle &, demi le boule-
varc des Chrétiens contre les Turcs , qui faifoient des cour-
fes en ces quartiers.
Afîari Bâcha de Bofnie ^ où les Triballes habitoîent au-
trefois , partit de Bamaluch capitale de fon gouvernement
avec une armée nombreufe. Ayant attaqué "W^ihitz à l'im-
provifte , & renverfé les fortiHcations , il obligea les affié-
gés, qui n'avoient aucune efpérance.de fccours , à capi-
tuler. On conduifît en lieu de fureté la garnifon Alle-
mande , compofée de quatre cens hommes. Les Turcs
n'exécutèrent pas le traité avec la même bonne foy à
T&me XI, I lii
6i8 HISTOIRE
l'égard des habicans, qu'ils tourmentèrent cruellement,
Henri Après la prife de cette ville , il arriva des troupes de tous
I y. côtés au Bâcha , qui voyant Ion armée forte de cinquante
Ï592, mille combattans, s'avan(ja fur le fleuve de Kulp , iur le-
quel il fit jetter un pont de bateaux pour le palfer fans
danger. Il fit élèvera la hâte, pour couvrir ce pont, des re-
tranchemens de gazon au bourg de Petrina , entre Perna
& Chraftowitz j ôc lailTa un détachement avec du canon à
la défenfe de ces retranchemens, un peu audefTus de Za-
grabia, qui étoit autrefois un village, èc eft aujourd'hui
une ville épifcopale fur la Save , dépendante de l'Arche-
vêché de Colocza. Son deflein étoit d'avoir une retraite
afTiirée en repaffant le pont à la faveur des nouveaux re-
tranchemens, au retour de fes courfes au-delà du Kulp,
Pendant que les foldats preflbient l'ouvrage , on apprit que
quatre mille Croates s'étoient alTemblés dans un endroit
fortifié. Les Turcs marchèrent en 2;rand nombre contre
eux, èc les ayant inveftis de tous côtés, ils les taillèrent en
pièces , à la referve de quelqu'uns qui échappèrent au car-
nage. Les plus confidérables des Chrétiens qui périrent
dans cette adion furent George Prefbach , Jacque Prantz,
& Jean XiTeliwerdufF. Abraham Valhauzen fut fait pri-
fonnier.
Petzeim , qui s'ètoît habilement comporté à la Porte 5
où il étoit allé plufieurs fois en ambafTade de la part de
l'Empereur , ayant négocié auprès des princes de l'Empire ,
les engagea à envoyer des fecours , qui arrivèrent de tous
côtés. Ernefl: frère de Rodolphe s'étant rendu avec cinq
mille hommes à Gratz ( qu'on croit être l'ancienne Sa-
barie ), y reçut un renfort de troupes levées en Carinthie.
La guerre fe faifoit de part &; d'autre avec des fuccès èc
des pertes réciproques. Les Turcs s'étant avancés' jufqu'à
Scutari (^ i ) , l'attaquèrent inutilement le 15. de Juin à
la faveur d'une poulFiére épaifTe , dont ils étoient cou-
verts. Us revinrent le lendemain en plus grand nombre j
& ayant brûlé quelques bourgs aux environs , il en em-
menèrent le bétail. Quatre jours après, les Chrétiens eurent
dudéfavantageprès de Tockay,
(i) Les Turcs rappellent Ifcodar,
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 919
Dans le même tems (i) \irar gouverneur d'Agria, ou
Erfa , combaccic d'abord avec fuccès dans une adion contre Henri
les Turcs, donc il tailla un grand nombre en pièces j mais IV.
il eut bientôt du delïbus par la faute des milices, qui ve- i ^92.
nant à fe renverfer fur les ailes, furent caufè de la déroute
de l'armée , 6c de la perte de l'infanterie. Aflan s'empara
de Chraftowiil fur la fin de Septembre j &c ayant pafle le
Kulp , il campa entre ce fleuve èc la Save j enfuite étant
entré dans l'ille de Turopolie , environnée du Kulp, de la
Save, èc du Gurck. Il y mit tout à feu & à fang, & s'em-
para du château. L'hiver qui commença alors fut fi rigou-
reux , qu'on n'en avoit point vii de fembiable depuis dix
ans. On ramena les troupes au-delà du Kulp , à travers les
neiges & les glaçons 3 de on les envoya en quartier d'hiver
dans les villes des environs.
Ces préludes de guerre répandirent au loin la terreur ,
& donnèrent de plus grandes craintes pour l'avenir. Les
Vénitiens â peine rafliirés fe mirent en état de défenfe ,
pour n'être pas accablés au dépourvu. Ils envoyèrent à l'en-
trée du printems Nicolas Donato en qualité de Provédi-
teur de la flote à la place de Mocenigo en Candie qui
n'étoit pas encore remife des ravages de la pefte de l'année
précédente. Hermolao Tiepolo , Provédiceur de la flote
en Dalmatie , eut commiiîion d'empêcher les Ufcoques
de faire des courfes fur les Turcs , qui en prenoient occa-
iion de faire la guerre j on lui recommanda aufîi de veiller
à la garde de la frontière , &c de l'ifle appellèe autrefois
Curida , de aujourd'hui Veggia , avec les galères qui étoient
dans le port de cette ifle.
L'Italie &c la République de Venife étoient inquiétées Bandits d'i-
depuis longtems d'un autre fléau 3 c'étoit une troupe de "^'^'
bandits, qui faifoient des ravages continuels. Les Vénitiens
pour s'en délivrer , convinrent avec eux , de leur donner la
paye , pour les engager à paffer en Dalmatie , 6c de-là dans
l'ifle de Candie. Tiepolo ayant en^ibarqué fur les côtes de
la Marche d'Ancone Marc Sciarra , 6c Baptifliella, fameux
_(i) Not. Lifez un Caporal d' A- i Hongr. Ainfi M. de Thon fait du nom
gria , qui commandoit dans "vVar ; d'une place War, celui d'un homme.
ce font les propres paroles de rHift-|r«f.
Iliiij
^20 HISTOIRE
Il chefs de ces bandits , les pafTa fur la côte oppofée. Les
Henri Efpagnols irrités au dernier point accuférent à Rome le
IV. Senac de Venife d'avoir fouftrait ces brigands â la punition
1Î9 2. <l^^'on leur préparoit," pour avoir ravagé l'Abbruze. Le Sé-
nat répondit, que les plaintes des Efpagnols etoient hors
de failbn ^ 6c on s'excuia fur la guerre des Turcs, contre
lefquels il étoit de l'intérêt des Vénitiens, 6c de toute l'I-
talie , de fe précautionner par toutes fortes de moyens.
Malgré toutes ces raifons on n'en étoit pas moins pré-
venu contre eux à Rome. Ils ne l'ignoroient pas ^ c'eft ce
qui leur iit prclTer , par prières, êc par menaces, l'embar-
quement pour Candie par le moyen de Tiepolo. Les ban«
dits, qui étoient en garnilon dans l'iîled'Arbe(i) , accou-
tumés au brigandage, ne pouvoient fe réfoudre à changer
leurs habitudes , ôc à quitter l'Italie pour aller dans un
païs éloigné vivre dans la dilcipline , èc dans l'oblerva-
tion des loix. Enfin tout étant prêt pour le départ , on
leur envoya le colonel Pier Conte, 6c l'évêque d'Arbe,
dont ils s'afTiirérent pour leur fervir d'otages, parrapporc
à la fauvegarde qu'on leur avok promifé. Tiepolo prit oc-
cafion de cette violence pour marcher contre eux à la tête
de trois mille hommes de milices des environs , & des in-
fulaires. Ces bandits n'étants pas en état de fe défendre , à
caufe de la fupériorité des troupes de Tiepolo , fe rendirent
à difcrétion. Mais pendant ce tems-là Baptiflella 6c Sciarra
fe fauvérent adroitement avec vingt des leurs. A l'égard
de ceux qui tombèrent entre les mains de Tiepolo, il y
en eut feize pendus , vingt noyés , &c cent mis aux galères.
Sciarra,. qui avoit échappé tant de fois à ceux quivouloient
le faire périr , étant revenu dans la Marche d'Ancone , fut
tué avec quatre des fiens à Monre^Moroproche Afcoli par
Baptiflella , qui efpéroit avoir fa grâce par ce moyen. Le
Pape en récompenfé de cette noire adion , lui donna la
commifîîon de pourfuivre les proicrits , dont il connoifToic
les retraites &c la manière de fe défendre, La perte que
ces bandits avoient faite de ces deux chefs ne les empêcha
(i) Ifle du goîfe de Venife fur les 'milles. Ceux du païs la nommenît
côtes de Dalmatie , dont elle fait par- 1 Rab, Elle eft aux Vénitiens^
tie , & qui n'en eft quà quatre ou cinq |
Il Tfciiilll'l I
DEJ. A. DE THOU, Liv. CîV. (Tîî
pas de continuer leurs brigandages aux environs de Ferra- -
cine , & dans la campagne de Rome. Ils fe jettérenc fur la Henri
ville d'Aquino , où l'un de ces fcélérats voulant violer une I V.
femme, dont il venoit de tuer le mari, elle fe débarraflà 1592»
de [qs mains & fe jetta dans la rue par une fenêtre , pour
mettre fon honneur à couvert même aux dépens de fa vie.
Les Vénitiens commencjants à refpirer , Se fe voyants à
Tabri du danger qui les avoit menacés de iî près , profi-
tèrent du tems pour exécuter le delTein qu'ils avoienc con-
^û depuis long^tems de bâtir un Fort , afin de couvrir la
frontière du Frioul , pendant que les Turcs ëtoienc occu-
pés d'un autre côté. Le Sénat avoit en vue de faire bâtir
une place affez forte pour foûtenir un long fiége contre une
grande armée , telles qu'étoient ordinairement celles des
Turcs 5 qui fût capable de contenir une nombreufe garnî-
fon 5 & tellement fîtuée , qu'il fût aifé d'y faire entrer des
fecours de des vivres , 6c difficile aux ennemis d'en faire ap-
procher les convois. Le but des Vénitiens étoit de fatiguer
les Turcs par la longueur d'un fiége , s'ils atraquoient la
frontière par cet endroit. On comptoit bien que les Turcs
qui entendent le métier de la guerre ne lailleroient pas der-
rière eux un Fort de cette importance 3 d'où il arriveroft
qu'une armée aufli nombreufe, compofèe de peuples fi dif-
férents , contrainte de relier fî long-tems devant cette place,
laiïee d'ailleurs par la difficulté d'avoir des vivres , èc expo-
fée aux injaresde l'air , & à tous les maux qu'entraîne nè-
ceflairement un long liège, ne manqueroit pas de fe décou-
rager , &c enfin de ie débander tout à fait : Qu'enfin fuppofé
que les Turcs s'en emparaifent , on auroit au moins le tems
de fortifier les environs , d'aifembler de plus grandes forces,
ôc de faire venir des fecours^ôc que tombant avec des troupes
fraîches fur une armée épuifée par la longueur d'un fiége
opiniâtre , on en viendroit facilement à bout,
Buonajuto Lorini ingénieur Florentin , jecta k plan du Paîma, place
Fort, de concert avec le vieux comte Mario Savorenano. "yporrantc
,r^ c ' • / ' 1 1 bâtie par les
Ce bcigneur en avoit propoie long-tems auparavant lepro- vénitiens,
jet au Sénat. On choifit une place en-deçà du fleuve dehu
zonzo , entre les bourgs ds Palmacîa, de San-Lorenzo , &:
de KoncluSjà dix milles de la ville d'UdinCj à laquelle ovi
I u iii
Gii HISTOIRE
jiL fie de nouvelles fortifications avant tout , &: à huit milles de
Henri Marano , à deux milles de Strafoldo , oc à quatre milles
IV. d'Aquilëe du côté del'Orient. Du côté du Couchant, cette
r f 9 2. pl^ce n'étoit éloignée des terres d'Autriche que de cinq cens
pas. Le plan en ayant été dreflé , le Sénat envoya dans le
Frioul Marin Grimani , qui fut Doge dans la fuite, Jacque
Fofcarini, Léonard Donato , Marc- Antoine Barbaro procu-
rateur de Saine Marc , &: le chevalier Zacharie Contarini,
qui tinrent confeil avec Jean-Baptifte del Monte Général
àts troupes de terre de la République , avec les marquis de
Malatefla & de Malavicino,6cavec les comtes Mario Savor-
gnano , ôc Marc-Antoine Villachiara , avec le colonel de
Pezaro , & Danefe Brelciano envoyés par le duc de Parme,
& enfin avec Lorini , Horace Guberno , Denis Boldo , 6c
François Malacreda , tous ingénieurs à la folde de la Ré-
publique.
Après avoir examiné les chofes avec une férieufe atten-
tion , on commença au mois de Septembre â bâtir dans
l'endroit que nous avons décrit, une ville, à qui Ton donna
le nom de Palma. La place étoit de figure ronde 3 flanquée
de neuf baftions avec un bon fofré,ôc environnée de retran-
chemens. Au milieu de la ville , on fit élever une citadelle
à cinq baftions , où le gouverneur Vénitien devoit demeu-
rer. Les gens du païs accoururent de tous côtés , &; travail-
lèrent avec ardeur â qzx. ouvrage pour la fureté publique.
La place fut mife en peu de tems en état de défenfe , & four-
nie d'une grande quantité d'artillerie. On creufa un canal
depuis les lagunes de Caorli 6c de Marano , afin que les
bateaux pufTent approcher de la nouvelle ville. On n'oublia
pas de pratiquer des cérémonies reHgieufes , en jettant les
fondemens de la ville. Le nom de Dieu fut invoqué , &:
on mit fous la pierre angulaire des médailles dor & d'ar-
gent, fur lefquelles on voyoit l'image de S. Marc , & au re-
vers la ville de Palma, au-defTous d'une Croix , avec cette
exergue : In hocfigno tuta{ i ) . La légende étoit : Fort Ju lit ^ Ita^
li.i & chrifUanjiJïdei pYGpugnaciilum {^i). Le Sénat avoir en-
voyé le plan au roi de France l'année précédente , & lui
(i) C'eft-à-dire : Cefignefaitfafà-, (z) CeR-à-dhe:Le boulevart duTrionl,
reté. I (le l'Italie , o» de tonte la Chrétienté.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. 61^
avoir, fâ.ic demander Ton avis , comme à Ton allié , par Jean —
IVIocei.îg o ambailadeur de la Republique. Le Roi écoic alors H e n k i
à Chartres. 11 donna ion avis avec joye , en rcconnoilîànce I V.
des fervices que la République lui avoic rendus. l5^^*
La guerre etoit cependant très-allumée entre les Turcs
& les Impériaux. Nicolas Palfi gouverneur de Neuheufel fe
tira par un bonheur particulier, ou par Ton courage, d'une
embufcade de trois mille Turcs. Ceux-ci ayant fait cacher
àQs foldats dans un pofte avantageux , envoyèrent un Parti
qui s'avan(5a jufqu'à cet endroit, comme s'il avoit eu defTein
de piller. Palfi trompé par l'apparence fit une fortie , ôc pour-
fuivant vivement les Turcs pour leur arracher le butin qu'ils
avoient fait , s'avança au-delà de l'embufcade. Les Turcs
parurent à l'infbant, éc coupants la garnifon , attaquèrent la
ville , que les habitans défendirent avec beaucoup de vi-
gueur. L'artillerie fut d'un grand fecours aux afiiégés qui
repoufTérent enfin l'ennemi. On étoit alors dans le mois de
Janvier.
Nicolas Nadafdy,un des feigneurs de Hongrie, fe joî- ij^j»
gnit au commencement de l'année avec huit mille chevaux
à Charle d'Autriche marquis de Burgaw fils de Ferdinand,
qui avoit feize mille hommes d'infanterie , &: une troupe de
Chevaux-légers commandés par le comte de Montecuculî,
Le duc de Bavière & l'archevêque de Saltzbourg dont le
Pape avoit terminé les différends , envoyèrent de leur cô-
té àts troupes joindre le gros de l'armée. Cependant l'Em-
pereur ayant convoqué la diète à Prague en Bohême le j»
Mars , & à Prefbourg en Hongrie , afin d'avoir de l'argent
&: des troupes pour foûtenir la guerre , n'en retira pas un
grand fruit.
Erneft apprit à Gratz , où ilattendoit des troupes , que le
bâcha de Bofnie étoit forti de Petrina , & qu'étant entré
dans rifle de Turopolia, il l'avoit ravagée,^: s'étoit emparé
du Fort de Martenhaufen qu'il avoit brûlé après y avoir
maflàcré ou fait efclaves fept cens hommes. Les Turcs
s'emparèrent avec la même rapidité de X^okovina , & k
pillèrent. Le comte de (i) Zrin les attaqua lorfqu'ils reve-
noient du pillage fans fe défier de rien , ôc \qs ayant taillés
(1) Ou Serin.
(?24 HISTOIRE
en pièces, il reprit tout Je butin qu'ils avoient fait.
H E N a 1 Le bruit qui ie répandit alors, que les Turcs avoient deflèin
I V. d'alîiéger Segny, ville maritime de Croatie, engagea i'Em-
^593» P^^^^i^ ^ preiïer le Pape de régler au plutôt avec le princes
d'Italie Iqs fccours qu'ils vouloient lui envoyer, parce que
le danger de l'Empire étoit commun à l'Italie. L'arcliiduc
Ferdinand voyant que cet orage le menaçoit aufFi, envoya de
bonne heure à Zagrabie avec un détachement , Robert
d'Eggenberg lieutenant Général de l'archiduc Ernell , en
i'âbience du marquis de Burgaw , afin de faire les prépara-
tifs néceflaires pour foûtenir un fîége. Un régiment Alle-
mand s'étant mutiné faute de payement , fe failît de la per-
fonne d'Eggenberg. La ville couroit un grand rifque j mais
Montecuculi qui accourut avec fa cavalerie , calma la fédi-
tion, & contraignit les mutins à lâcher Eggenberg.
Scdit' d Tandis qu'on commençoit ainfî la guerre de part&d'au-
5pahis. tre , les Gardes à cheval du Grand-Seigneur, qu'on appelle
Spahis, accoutumés à fe foulever pour des fujets légers , èc
à. voir toujours leurs révoltes impunies , fe mutinèrent tan-
dis qu'on comptoic l'argent de leur paye dans le bureau,
Amurath croyant que fa prefence feroit ceflèr la fédition ,
fe montra fur un balcon. La prefence du Sultan ne fit ^au-
cune imprelTion fur l'efprit de ces mutins. Amurath étoit
prêt à leur faire diftribuer de l'argent pour les appaifer , lorC
que le Vifir Schiaus , qui par fon mariage avec une fœur du
Sultan , étoit rentré en faveur , s'y oppofa. Il jugea qu'il
falloit faire un exemple fur ces mutins , pour n'être pas obli-
gé de les appaifer avec de l'argent , toutes les fois qu'ils fe
fouleveroîent. Il fit donc marcher contre eux mille Azamo-
glans bien armés. Les Spahis n'avoienc alors pour toutes
armes que des bâtons. La fédition s'augmenta, èc les Aza-
moglans furerent obligés de fuir. Amurath voyant que la
force ne faifoit rien, fit apporter des facs , &; appaifa la fu-
reur de fes gardes par fes largelTes. Schiaus foupçonné d'a-
voir pouffé les chofes à l'extrémité , foit par artifice, foit par
imprudence , fut encore difgracié , ôc Sinan fut fait Grand-
Vifir pour la féconde fois.
François Savary fieur de Brèves étoit alors ambaiïàdeur de
France à la Porte , à la place de Jacque Savary de Lencome
fon
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV: ^25
foîî parent , que Henri III. y avoic autrefois envoyé dans la
même qualité. Lencome gagné par les Guifes 6c par lesEf- H e n «. i
pagnols , trahifToit ouvertement les intérêts de ion Roi de î V.
de fa patrie. Il fut renfermé à la foUicitation du fieur de i C92
Brèves dans la tour noire. Le nouvel Ambafladeur racheta
les meubles de Lencome , 6c fes chevaux qui étoient de grand
prix ,pour les (àuver du pillage , & les lui rendit enluite ,
pendant qu'il ctoit en prifon. De Breve$ faifoit tous fes ef-
forts pour empêcher qu'on ne le foupçonnât en France 6c
à la Porte , d'avoir éloigné Lencome par jaloufie ou par
avarice.
Ce Mîniftre predà les Bâchas d'envoyer une flote dans
la mer de Tofcane pour courir les côtes d'Efpagne , dans
la vue d'obliger Philippe à garder les côtes d'Italie , d'Ef-
pagne 6c des Ides voifines, 6c à rappeller pour cet effet les
troupes qu'il faifoit marcher en France. Il engagea même le
Sultan à écrire au Roi , pour l'aiTûrer qu'il ne manqueroic
pas d'y envoyer l'année fuivante une flote à fon fecours j
il y a apparence que Charle Cigala Génois, qui fous pré-
texte d'aller voir fon frère le Bâcha, s'étoit renduàConf.
tantinople , où il étoit l'Efpion du roi d'Efpagne,détourna ce
coup. Cependant le Bâcha Cigala ne voulant pas laifTer tout
à fait en paix la Méditerranée, mena fa flote en haute mer j
mais il n'entra point dans la mer de Tofcane, comme de
Brèves le fouhaitoit • il avoit ordre de réprimer les courfes
des Uicoques en Sclavonie j Cigala prit un prétexte léger ,
pour faire une querelle à la République de Ragufe. Tiepolo
ayant appris que le Bâcha devoit aller en Sclavonie fit adroi-
tement retirer à Corfou trois galères, qui étoient deftinées
à la défenfé du golfe de Veniiè , pour découvrir de cette
îfle où aboutiroient les defTeins de Cigala. Les Turcs prirent
quelques vaifTeaux aux Ragufîens , 6c firent prifonnier Lifti,
capitaine de la République , qui fut obligé de donner une
fomme confidérablepour fa rançon , Cigala n'ayant point
voulu recevoir ies excufes,
La république de Venife ayant appris que la guerre fe Guerre dans
faifoit en Croatie fut délivrée de fes craintes. Aflàn affic^ea ',^,J^°"^-^1^*
le I 3 . de Jum , le château de Siileck qui appartient au Ciia- siilcck.
pitre de la ville de Zagrabie , fitué entre la Save 6c le Knlp,
Tûme XL KKkk
626 HISTOIRE
. . L'année précédente le Gouverneur qui y commandoic, avoît
Henri amufé par une réponfe équivoque ce Bâcha , qui le fommoit
I V. de fe rendre. On croit qu'Afîan irrité de fe voir joiié de la
i ^Qï, forte , commenta la guerre par le fiége de cette place pour
s*en venger. Les murs ayant été renverfés par un feu conti-
nuel de l'artillerie, ôc les aflîégés ne pouvant plus les défen-
dre , le Général Turc fit pafler à Ces troupes le pont qu'il
avoît fait jetter fur le fleuve. Les Turcs montèrent à
TalTaut le 20. du mois de Juin, & firent tous leurs efforts
pour s'emparer de la place j mais on les reçut avec la même
vigueur j ôc on les repoulTa avec perte de leur côté. AfTati
prit le parti de faire repafTer le pont à feize mille hommes,,
& en laiiîa autant au-delà du Kulp devant SifTeck , qu'un re-
commença à battre avec plus de furie 5 une grande partie
des murs en fut encore abattue.
Avant le fiége de cette place,lorfqu*on étoît encore incer-
tain des deflèins du baclia Afîan, Eggenberg avoir donné
jour pour le 1 7. Juin au comte de Zrin , à Nicolas Palfi , à
Budiani , & à Nadafdi, pour fe trouver avec leurs troupes au
rendez-vous. Budiani fut le leul qui s'y rendit avec cinq cen5
chevaux. Comme la garnifon de Siffeck étroitement affié-
gée menaçoit de fe rendre, fi on ne la fecouroit promp-
tement , on tira des garnifons voiilnes André Averfperg
gouverneur de Karlftatt, le comte de Montecuculi, Mel-
chior Rhedern baron de Silefle , Thomas Erdel Vayvode
de Sciavonie -, ils tinrent conièil enfemble fur le parti
qu'on prendroit. Eggenberg ayant reprefenré le danger où
étoit Sifïeck , fît voir qu'on ne pouvoir l'en délivrer ,
qu'en marchant promptement à fon fecours • il ajoiita qu'on
déféroît fûrement l'armée Turque qui fe débandoit pour al-
ler au pillage , & ne fe tenoit point fur fes gardes. Le Vay-
vode fut d'un fentiment contraire , & foûtint qu'il étoit dan-
gereux , & qu'il feroit peut-être fatal à la Chrétienté, de
marcher avec des forces il inégales contre les nombreufés
troupes de l'ennemi : Qiie SifTeck n'étoit pas d'une afïez
grande importance,pour hazarder toute la Hongrie: Que la
témérité des Chrétiens avoit toujours eu des fuites funeftes
dans ce Royaume: Que cette dangereufe confiance avoit été
caufe de la défaite de Ladifîas par Amurath, ôc de la perte
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. Ci-]
de la bataille de Moachz contre Soliman : Qii'il ruffifoît pour
fauver l'honneur de leurs armes de s'être montrés ^ &; qu'il Henri
falloir n'écouter que fon défefpoir , & être fans expérience I V.
dans la guerre, pour aller plus loin. M 9 3»
Eggenberg répondit qu'il ne falloit pas s'efFrayer du grand
nombre des ennemis ^ mais qu'on devoir plutôt confidérer
l'occafîon & les circonftances. >3 En effet, ajouta cet Officier^
M qu'arrivera-t-il après la perte de Silfeck ? Zagrabie pour-
» ra-t,elle réliiler long-tems ? &. fi cette dernière place tombe
>j entre les mains des Turcs , dans quel état malheureux ne
>3 feront point alors Vcs affaires des Chrétiens fur-tout lorfl
» que nos ennemis feront maîtres de la Save?Confidérez donc
»> s'il eft à propos de profiter de l'occafîon , & fî elle eft affez
»5 favorable pour fecourîr les alîiégés : Eh • Pourquoi balan-
î5 cerions-nous à marcher à leur lècours ? N'a-t-on pas vu
» des armées nombreufes taillées en pièces par des troupes
» inférieures en nombre, commandées par des Chefs expé-
*> rimentés qui ont remporté la vidoire , foit par leur ha-
« bileté, foit parce qu'ils ont fçû profiter à.Q.s circonflancesj
)5 la prudence même ne regarde point comme l'ouvrage d'une
» témérité aveugle ce qui n'efl: qu'un effet de lanécefîîté. «
Eggenberg 6c le Vay vode étants d'avis fi différents , on de-
manda le fentiment des autres Officiers. Averfperg dit qu'il
étoit prêt à fuivre par-tout Eggenberg j le baron de Silefie,
& tout le reftedu confeil de guerre applaudirent à Averfperg.
C'efl pourquoi le fecours de SifTeck fut réfolu , fans beau-
coup d'oppoficion de la part du Vay vode. On fe prépara a
marcher le 1 1. Juin, qui étoit un Mardi ^ & ce jour-là l'ar-
mée s'avança fans bruit à la vue du camp des ennemis , qui
alloient donner le premier affaut à la place. Pierre Erdel
frère du Vayvode &; Montecuculi partirent avec de la cava-
lerie pour aller s'emparer du pont , afin d'en fermer le paf-
fage à l'ennemi , & pour empêcher les Turcs qui étoient de
l'autre côté du fleuve , defccourir leurs compagnons dans
l'adion.
L'armée fut rangée en bataille , & on fit cinq corps de
troupes. Le Vayvode eut le commandement de l'aîle droircj
Budiani fut mis à la gauche j l'avant-garde fut compofcc des
arquebuflers de Karlflatt , Se de la cavalerie de Croatie 2c
KKkkij
6iî HISTOIRE
de Carînthie armée de lances èc de boucliers • ces troupes
Henri lonr connues fous le nom de HouiTars ^ cinq cens arquebu-
1 V. iîers des troupes de Siléfie furent mis au corps de bataille j
j ^g, l'élite de l'infanterie formoit l'arriére-garde. Les Houilars
ayant chargé d'abord , ils furent repoulTés. Ils auroient été
rompus , fi Montccucuii qui arriva avec {qs arquebufiers à
cheval , n'eut rétabli le combat. Les Turcs ne pouvants foû-
tenir l'efFort des troupes de Karlftatt èc de Plez prirent la
fuite , èc voulants gagner le pont , ils furent bien étonnés de
le trouver occupé par les troupes Chrétiennes, Les fuyards
vivement pouriuivis fe précipitèrent dans le fleuve j M
s'en noya une partie j àc les autres voulants pafler à la nags
le fleuve que les pluies avoient grofll , & dont les bords
étoient efcarpés des deux côtés , furent accablés par ceux
qui tombèrent fur eux. Il y eut un fi grand maflàcre d'hom-
mes & de chevaux , que le fleuve fut couvert de cadavres
pendant deux heures : Preuve manifefte que ce n'efl; point
au nombre 6c à la force des troupes qu'il faut attribuer la
victoire • mais que le Dieu des armées la difpenfe à fon gré.
Les Turcs En effet cinq mille Chrétiens défirent alors une armée de
font battus, 8c feize mille Turcs. Il n'y eut que cent Chrétiens qui périrent
levé!^^ ^ ^^^^ ^^ fleuve , ou qui furent étouffés par les leurs dans la
chaleur du combat. Les Turcs perdirent plus de douze mille
hommes. AiTan lui-même & neuf autres Turcs de diftinc-
tion , tant Beglerbeys que Bâchas , furent enveloppés dans
le nombre des morts. Amurath fils d'une lœur du Grand
Sultan périt dans cette bataille à la fleur de fon âge, après
avoir donné de grandes preuves de valeur.
On prit une grande abondance de vivres & fept grofTes
pièces de campagne. On reprit auffi la fameufe place de Ca-
ilaner , ainfi appellée du nom de Jean Cafianer , qui com-
mandant en chef les troupes de Ferdinand , avoit été défait
cinquante-lîx ans auparavant par Mechmet bâcha de Bofnie
avec perte de vingt-cinq canons. Les Turcs d qui le bâcha
Afi^an avoit laifle la garde de rartillerie,ayânr appris fa défaite,
jettérent leurs armes , & s'enfuirent de tous côtés. Nos fol-
dats entrèrent en foule dans le camp ennemi , èc mirent le
feu aux poudres qui biûlèrent tout le bagage , dont il ne
refta que dçs piques de fer. Les vainqueurs ne firent pasua
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^19
grand butin après une vidoîre fî complette , parce que les ■ ■ >
Turcs n'ont que leurs chevaux, leurs armes , ôc fort peu de Henri
bagage , différents en cela de nos Officiers , dont les équi- I V.
pages occupent plus de place dans un camp que les fol- i coi
dats.
Le bâcha de Bude ne parut pas beaucoup étonné à la nou-
velle de la défaite de l'armée , foie en haine d'AflTan , foie
pour rabaliFer la vidoire des Chrétiens. Il écrivit à l'Archi-
duc Mathias , que le bâcha de Bofnie ayant entrepris la
guerre à l'inf^û du Sultan, il avoit juftement porté la peine
de fa témérité. Les Chrétiens trompés par cette conduite
du bâcha de Bude efpéroient faire une trêve j mais on s'ap-
percjut que ce n'étoit qu'une adrefle de l'ennemi pour ga-
gner du tems, jufqu'à ce que Sinan eût amené fon armée
en Hongrie. Pendant cetems-Ià,le Beglerbey de Romelie
ayant mandé les garnifons , ailembla fon armée, &c rétablie
les affaires des Turcs , autant que \qs circonftances pou-
voient le lui permettre. Il remit le fîege devant Siireck 5
dont la garnifon étoit beaucoup diminuée.
Les Chrétiens fe croyants en fureté après une vidoire
fî complette , avoient négligé de réparer les brèches de la
place , & de remettre les • fortifications en état. Les diffé-
rends des Officiers qui refuibient de prendre l'ordre les
uns des autres , & qui avoient chacun leurs vues particu-
lières, furent caufe de cette négligence. Mathias Général
de l'armée étoit encore à Gratz. Eggenberg pour tenir fes
troupes en haleine s'étant joint au comte de Zrin , qui ne
s'ctoit pas trouvé à la bataille , tailla en pièces cinq cens
Turcs qu'il rencontra , ôc ayant rèfolu d'aiîîéger le Fort de
Petrina , il l'inveftit le 12. du mois d'Août j mais ayant
trouvé que la place étoit plus capable de réiîftance qu'il
n'avoit penfé • 6c d'ailleurs défendue par une forte garni-
fon , il leva le fiége le dixième jour. Il avoit encore un
autre motif de l'abandonner ^ il fe laiiîà tromper par un
transfuge Turc qui faifànt femblant de vouloir embrafTer
la Religion Chrétienne lui donna un faux avis de l'approche
du Beglerbey de Romelie.
Quelque tems après , la garnifon de SifTeck ayant efTuyé ^" '^°''"
desaifauts violens de la part des Turcs, fe rendit le 3. de Siiick,
K K k k uj
6^Q HISTOIRE
Septembre. Les ennemis remirent la place en bon érac, en
H E M K I y taifant faire de nouvelles fortifications , après avoir réparé
I V. les brèches. Ils aggrandirent auiîî le foiTc , dans lequel ils
I jrt, firent entrer l'eau des fteuves des environs. Sinan à la tête
d'une armée de quarante mille hommes , entre lefquels ou
comptoit douze mille Jannillaires , étoit déjà dans la Hon-
grie , où il avoit formé le fiége du château de Vefprin fur la
rivière de Sar\»^y2ze. Ferdinand de Sainte-Marie comman-
doit dans la place , qui fut emportée d'alTaut le 6. d'Odo-
bre, malgré la réfiilance de la garnifon. Tout fut palTé au
fil de lépée , à la referve de Sainte- Marie , de Nicolas HufF-
kircken célèbre capitaine Allemand , & de deux cens foL
dats qui échappèrent au carnage. Le grand Vifir marcha
enfuite à Palotta , château fitué dans \çs montagnes. Le
gouverneur Pierre Ornandy voyant les murs ébranlés par
l'artillerie , demanda de bonne heure à capituler. Mais les
Turcs , fans avoir égard au traité qui étoit déjà fait , mon,
' térent à Taiîliut , & malTacrèrent entièrement la garnifon ,
à l'exception d'Ornandy ôc de deux Capitaines. L'armée
s'empara le i 3. d'Octobre avec la même rapidité de Vizze,
quin'étoit pas éloignée de Palotta. Les maladies qui fe mi-
rent parmi les foldats , & un flux de fang qui en emportoic
un grand nombre , arrêtèrent Sinan dans fa marche , ôc
rempêchérent de rien entreprendre.
Sieste de Fi- Pendant Ce' tems-là , les Chrétiens n'étoient pas dans Tin-
leck par les adion, Chriftophle baron de Tieffenbach ayant attaqué
avec une armée de douze mille hommes , la ville de Sa^
botzka peu éloignée du fleuve Gran , qui donne fon nom à
Strigonie , la prit par compofition. Il alla enfuite camper
devant Fileck , qui fit une vigoureufe réfiftance. Le Gou*
verneur de la place acquit beaucoup d'honneur à ce fiégej
car malgré ia fupèriorité des afiiègeans , il ne voulut jamais
fe rendre aux inftances de la garnifon , qui le prelloit de
prendre de bonne heure ies mefures , à l'exemple de Sa-
botzka. Il raflura les afliègés , en leur promettant de lewr
amener au-plûtôt du fecours. En effet il fortit de la place
pendant la nuit, & ayant tiré des garnifbns des environs,
dix-huit mille hommes de troupes , tant Turcs que Tartares,
que Sinan avoit lailfés à Bude en quittant la Hongrie ^ iï
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. Ct^i
prît avec lui le Bâcha de Temefwar , & trois autres Gouver-
neurs de places , &; ie mie en chemin pour lecourir Fileck. H en ki
Il ne put engager ie Bâcha de Strigonie à fe joindre à lui. I V.
Ce dernier ayant appris que Sigilmond Bathory Vaivode irq?.
deTranfilvanie , s'écoit mis en campagne avec un corps de
troupes , ne voulut pas abandonner là place , dans la crainte
de quelque furprife. En efFet le Vaivode s'ëtant avancé jufl
qu'à Tiefl-enbach , fe faifît d'un défilé par où les Turcs dé-
voient pafTer. Il n'avoit avec lui que lept mille hommes, vicftoiredcs
qui mirent en déroute l'ennemi fort fuperieur en nombre , chrâiens.
& lui tuèrent fix mille hommes. Le Bâcha de Teme(war ôc
]e gouverneur de Fileck qui étoit à la tête de ce détache-
ment , furent faits prifonnîers. On fit un grand butin de
chevaux 6c de bétail , que les Turcs menoient à Fileck.
Les tentes , les drapeaux, Tartillerie, enfin tout le bagage
tomba entre les mains des Chrétiens. L'armée prit en s'en
retournant le château de Kowat ^ où il y avoit garnifon
Turque.
Palfv & Martin Lafla ayant appris ces nouvelles , par- r. -r 2 -^
j j Ail D 1 "^ -1 1 -/r 1 PnfedeFx-
tirent de devant Albe- Royale, ou ils laiiierent les autres leck.
Chefs , & fe rendirent auprès de Tieffjnbach. Enfin tout
étant prêt pour Taiïaut de Fileck, on le donna le 24. de
Novembre. La place fut emportée fans beaucoup de perte
de part & d'autre. La garnifon , après une foible réfiffcance ,
fe fauva dans la citadelle, qui étoit bien fortifiée, & dans
une afliéte avantageufe. On s'en empara deux jours après,
& les affiegés le retirèrent encore dans une forterefîe , qui
étoit au milieu de la citadelle. Ils capitulèrent enfin , & en
iortirent vie &: bagues fauves." Fiuit cens Turcs furent con-
duits en lieu de fureté , avec leurs femmes , leurs enfans , 6c
tous leurs bagages. Laprîiède Fileck délivra de la tyrannie
des Turcs quatre-vingts bourgs allez f-ortifiés aux environs.
Cependant Ferdinand comte de Hardeck gouverneur de
Javarin (ij , étoit encore devant Albe- Royale , dont il
avoit commencé le fiege avec Palfy ôc Lafla. Le comte de
Zrin , Pierre Erdel Commandant à(^s HoulTars , Nadafdi , 6c
les autres qui étoient encore avec lui , s'avancèrent le 31.
d'Odobre jufqu'aux portes de la ville , à la faveur d'un nuage
(i)OuRaab.
^31 HISTOIRE
de poufTiëre , &: emmenèrent du bétail & des troupeaux,
H E N K I iàns aucun empêchement. Le lendemain on choi{it iids en-
I V. droits ÏQs plus i-oibles de cette grande ville , pour l'attaquer j
i CQ^ mais fans aucun iuccès , par la réfiftance opiniâtre des aiîîé-
gés. Erdelfejetra pendant la nuit dans les fauxbourgs , Ôc
s'en étant emparé , il fit pointer dès le matin contre la place,
du canon que lui envoya le comte de Hardeck , qui n'ap-
prouvoit pas Ton entreprife hardie. Les affiégés dreflerenc
une contrebatterie , qui tua beaucoup de monde à Erdel.
La garnifon ayant alors fait une fortie fur lui , il courue
grand rifque de fà vie. S'étant à peine retiré vers les quar^
tiers de Hardeck , il fut obligé d'abandonner trois pièces
de campagne à l'ennemi.
Défaite des ^^^ apprit que le Bâcha de Belgrade, avec d'autres Gou-
Turcs. verneurs des environs , s'approchoit à grandes journées
avec une armée de quinze mille hommes , dans le deilèin
de charger les Chrétiens en queue , s'ils fe retiroient. Le
Confeil de guerre fut affcmblé , & on y réfolut d'attendre
les Turcs , dans l'idée qu'il feroit honteux de reculer de-
vant un ennemi , qu'on avoit battu tant de fois. L'armée
Turque étant arrivée en préfence , on rangea les troupes
en bataille. Les Chrétiens n'avoient que neuf mille hom-
mes. L'aîle droite étoit commandée par Pain , 6c Nadafdi
menoit la gauchç. Les comtes de Hardeck , de Zrin , &: Bu-
diani , fe mirent au centre de l'armée. PalH commença le
combat avec tant de vigueur , que les Turcs s'ébranloienc
déjà devant lui. Hardeck s'étant apperçu que les ennemis,
dont le nombre étoit fupérieur , s'étendoient pour l'enve-
lopper , fit marcher Pierre Er<iel avec fes Houiîars , efcor,
tés d'un détachement d'arquebufiers à chçval , 6c de deux
cens arquebufiers Allemands , pour s'oppofer à ce mouve-
ment des Turcs. Erdel ayant fait face en cet endroit , l'ac-
tion y devint des plus vives. Les Turcs qui fembloient plier,
ranimés à la voix de leurs Officiers , rétablirent le combac
avec ardeur , & balancèrent longrcms la vicloire. La cava-
lerie Hongroife , qui lit des prodiges de valeur dans cette
bataille , tombant fur les ennemis , les poufTa d'abord j 3c
enfin fécondée par l'efFort général de l'armée , rompit les
Turcs , dont on fit un horrible carnage , qui fut fuivi d'une
déroute
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^33
déroute générale. Le nombre des morts du côté de l'en- z:z=— - '-":
nemi monta à fîx mille j les Chrétiens ne perdirent que mille H e n c. 1
foldats. 1 V.
Après la défaire du Bâcha de Belgrade , Palfi êcNadafdi i .03,
étoient d'avis d'alhegerAlbe- Royale , donc le Gouverneur
avoit brûlé les fauxbourgs , pour fe renfermer dans la ville.
Ils difoient qu'il ne falloic pas lui laiilér le tems de fe raflli-
rer : Que d'ailleurs la rigueur de la faifon l'empêchant de
compter lur des fecours qui étoient Ci éloignés , il feroic
obligé de fe rendre. Hardeck n'étoitpas de cet avis. Il pré-
tendoit au contraire que la prudence avoit plus de part que
la crainte , à cette conduite du Bâcha , donc le but étoic
d'incommoder les affiegeans , & de ménager fa garnifon , en
ne confervant dans les circonftances où il lé trouvoic ,
que le terrain qu'il pouvoic défendre & garnir de foldats.
La difpute de ces Officiers fut caufe qu'on fe retira fans
rien faire. Hardeck retourna à Javarin avec le comte de
Zrin j & Palfi fe rendit auprès de TiefFembach. Il n'y eut
de remarquable cette année que la défaite de fix cens Turcs,
que Pierre Erdel tailla en pièces proche Palotta , dont ils
s'étoienc emparés depuis peu. Ils marchoient vers cette ville
fous la conduite d'un nouveau Gouverneur , à la place d'A-
rnurach , que Sinan avoit fait étrangler , fur des loupçons
d'intelligence avec les Chrétiens. Dans le même tems GraC
win rencontra trois mille Turcs , qui étoient fortis de Sif-
feck , de Petrina, &: de Chraftowitz , pour aller en parti
au-delà de la Save j les ayant chargés à ion avantage , il y
en eut fept cens tués ou noyés dans le Kulp.
L'Empereur rendit de folemnelles actions de grâces à
Dieu , êi fit faire des proceffions pour tant d'heureux fuc-
chs. Cependant les troubles , qui s'élevèrent dans la pro-
vince de Goritie ( i ) , au fujec de la Religion , interrompirenc
ia joye publique. Les peuples de cette Province preiloient de-
puis longtems Sa Majefté Impériale , de leur accorder la
permiffion de profelTer ouvertement la Confeffion d'Auf.
bourg. Ces troubles furent bientôt appaifés par la prudence
4e Sigifmond de la Tour gouverneur de ce Comté. Dans le
(0 C'efl le Comté de Goritz ou Goricc , proche le Frioul.
Tome X U L.Lll
é34 HISTOIRE
^ même tems les habitans de Cadana (i) , quoique Cacholi-
Henri ques , demandèrent la permiiTion de Communier Ibus les
I V. deux efpéces. L'Empereur Ferdinand & le duc Albert de
I CQ3. Bavière, en avoient déjà fait faire la demande au Concile
, de Trente par leurs Ambailadeurs j André Dudith évêque
Catholiques^^ clc Tina , ambafladeur du Roi de des Etats de Hongrie , avoic
demandent la appuyé cette demande par un difcours plein de force. Mais
SiTks"de°ux ^^^ Pérès du Concile avoient renvoyé par un Décret parti-
efpe'ces. culicr cettc affaire à Sa Sainteté , pour ordonner ce qu'elle
jugeroit de plus convenable au bien de la Chrétienté , &
pour le falut de ceux qui failoient cette demande. Après le
Concile de Trente , l'Empereur Ferdinand èc enfuite Maxi-
milien fon fils , firent inutilement les mêmes inftances au-
près du Pape , comme nous l'avons dit ci-defllis.
Faits extra- ^" trouve dans les relations de ce tems-là , plufieurs faits
ordinaires, extraordinaires , qui arrivèrent cette année. On rapporte
qu'il naquit une fille avec deux têtes , au bourg de Wolmer-
fiat dans l'evêché de Munfter j èc qu'une autre vint au
monde au mois d'Odobre , avec une tête & deux corps,
aux environs de Francfort fur l'Oder. Il arriva encore cette
année un effet prodigieux de la nature , plus étonnant que
les deux autres , Se qu'on n'avoit jamais vu juf qu'alors -, pro-
dige attefté d'ailleurs par le témoignage public des peuples
de Silefie. Chriflophle Muller âgé de fept ans , né à We-
gelfdorff, ( bourg appartenant à la maifon d'un Gentiliiom-
nie nommé Frédéric Gelorn , ) ayant perdu de bonne heure
fon père Jean Muller , charpenn'er de profeffion , pauvre ^
mais honnête homme , fut élevé par fa mère fuivant fa con-
dition. En allant apprendre à lire à l'école avec d'autres
enfans , il lui tomba dans fa feptiéme année , ( qui efl clîma-
clériqne, ) une dent , à la place de laquelle il en vint une
d'or. Une fille de l'âge du jeune Muller , s'en apperçut la
première avec étonnement j enfuite les principaux Seigneurs
& une grande partie de la NobleiTe de Silefie , virent cette
dent avec la dernière furpriiè.
Jacque Horft Profelîèur en Médecine dans l'Univerfîté
de Helmfbat, fondée par le duc Jule de Brunf>)7ick , étant
venu à Wcgclfdorff pour guérir les fièvres du fils de
(i) Ville du Royaume de Bohême.
DE J. A. DE THOU, Liv. CIV. ^35
Frédéric Gelorn, engagea ce Gentilhomme à faire venir Mul- -
ier. Horft fie ouvrir la bouche à cet enfant , &: fut convaincu Henri
de ce prodige , en voyant briller l'or de cette dent , qui étoic I V.
à la mâchoire inférieure. Il porta le doit deffus 6c la trouva 159 3-
de figure ronde, ayant la luperfîcie rude, les quatre coins
élevés , Ôc la même cavité que les machelieres , dont elle
égaloit & furpaiïbit même la grofTeur. Elle étoit la dernière,
bien pofée , ftable de immobile , environnée enfin d'une gen-
cive fouple , & de couleur tirant fur le rouge. Il ne s'en tint
pas là , & ayant fait apporter des alimens , il fit manger Pen-
fant , qu'il fit venir au milieu du repas , pour voir Ci cette
dent d'or lui fervoit à broyer les alimens , & il en trouva
dQ{R\s de mâchés. Enfuite il lui fit laver la bouche avec de
l'eau , ôc ayant pafie la pierre de touche fur cette dent , il
trouva que l'or en étoit aulFi pur , que l'or d'Allemagne &c
de Hongrie. Il remarqua en même tems que les autres dents
ctoient entières , de qu'il ne manquoit que celle d'à côté,
qui n'étoit pas encore revenue , afin de lailîer voir plus dî-
ftindement cette dent d'or. Enfin Horft voulant examiner
les chofes avec la dernière attention , s'attacha à confidérer
le tempérament de cet enfant , qu'il trouva fec & chaud.
MuUer avoir la taille déliée , les membres bien proportion-
nés , un efprit vif, folide èc curieux. Horft fit une difi^èrta-
don , dans laquelle il affiire qu'il n'y avoic point de trom-
perie dans cet enfant. Il y examine avec grand foin, fi cette
dent d'or eft née naturellement , Ci c'eft un prodige ou non ,
fi on peut expliquer ce prodige , & quelle eft à ce iujet la
penfée la plus raifonnable. Martin Ruland fils , qui exer-
coit la Médecine à Ratifbonne , foutint que ce fait furpre-
nant étoit naturel ^ & il réfuta dans un long écrit le fen-
dment contraire de Jean Ingolfteters Médecin à Nuremberg.
Ces écrits font entre les mains des Sçavans ^ fi on veut en
fcjavoir davantage , on peut les confulter. Je n'ai eu deflein
en écrivant cette Hiftoire , que de rapporter fimplement les
faits, (i)
Latino Latîni de Viterbe mourut le 2 1 . de Juin de cette Mort de La-
cino Latini-
(i) On découvrit depuis que le fait
étoit fuppofé ; 8c par cette dccou verte
cous les raifonnemens de part ik d'au
tre fe trouvèrent confondus. II en eft
ainfî de plufîeurs prodiges prétendus.
LLll ij
(>l6 HISTOIRE, &c.
— année à Rome , âgé de 80. ans. Il écoit le dernier de la fa"
Henri mille, comme on le voie dans fon épicaphe qu'il fit lui-mê-
IV. me , éc qui eft à Sainte Marie in via iata , où il eft enterré.
ira 7 II pafTa route la vie à rétablir les écrits des Saints Pérès ^
ôc lur-touc de TertuUien , en les comparant avec les ma-
nufcrits.
L'Allemagne, ^\qs autres endroits du monde, ou l'on
cultive les lettres , firent une perte irréparable , par la more
de Leunclavius , ou Lewnclaw, Gentilhomme d'Amelbue-
ren en "Weftphalie , qui poflédoit parfaitement la langue
Grecque & Latine , 6c fi^avoit à fond les loix Grecques &
Romaines. Il étoit encore trcs-verfé dans l'Hiftoire des
Turcs. Il fit un voyage à Conftantinople , où il apprit \^
langue Turque , & i'Hiftoire Grecque des derniers tems*
Son efprit jufte 6c fon diicernement paroifient allez dans les
ouvrages qu'il a publiés de fon vivant , & dans ceux qui onc
vu le jour après fa mort, arrivée à Vienne en Autriche au
mois de Juin , n'ayant pas encore foixante ans. Cet homme
illuftre digne d'une plus longue vie , fut généralement re-
gretté. Il a voit deflèin de faire une Hiftoire de Conftauti-
nople i la more l'empêcha d exécuter ce projet.
Fin du Livre cent-quatrième.
^37
£'dù';
'Gâ\
HIST
IRE
D E
JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE C E NT-C I N OV I EME.
LA crainte de la guerre de Turquie caufa quelques al- _..,,.^
larmes en Allemagne j mais fi l'on excepte quelques hT ^ » t
nouvelles querelles qui s'élevèrent dans la Saxe entre les t y
Calviniftes & les Luthériens , tout y fut d'ailleurs aflez
tranquille. Ils iedécliiroient réciproquement par des libelles ^55^3»
remplis de reproches amers, 6c d'injures atroces, 2c où il _. ,. ,
ne s'agilîbit aucunement de la Religion. Les Luthériens ^^^ç^^ d'Al-"
difoient hautement : Que David Stcinbach qui , comme kmagne.
nous l'avons rapporté ,avoit voulu l'année dernière s'évader
par une fenêtre, s'étoit fervi pour cela du fecours du Diable;
Que les Calviniftes employoient l'art magique , 6c les en-
chantemens , pour gâter les fruits de la terre 3 & qu'ils
avoient tenté de mettre le feu dans Leiphk , pour piller
dans la confufion de l'incendie les plus riches maifons , &
chaiïèr ceux qui av^oient d'autres fentimens.
D'un autre côté les Ecoliers de l'Univerfité de cette ville
excitèrent de grands troubles. Ils pillèrent la mai/on d'A-
dolphe Han , chez qui quelques SuilTes AqÇqs amis étoienc
L L 1 1 iij
<53S HISTOIRE
J..'. ' ' ! venus loger j ils la détruiiîrent prefque entièrement j & ils
Henri avoient déjà élevé dans la place publique une potence pour
IV. y pendre ce citoyen , s'il ne fe fut de bonne heure échapé
I 59 3' ^^ leurs mains. Le Magiffcrat n'appaifa qu'avec peine les ié-
ditieux ^ & il fallut accorder à leur fureur l'exil de quinze
bourgeois qu'ils défîgnérent. Mais quoique l'Adminiftra-
teur ne favorilàt pas Tes Calviniftes, cependant des qu'il fut
informe de cette adion, il vint à Leipfik ^ ôc croyant que
pour maintenir la 'fureté & la tranquillité publique, il
étoit néceflaire de s'oppofer aux violences tumultueufes des
particuliers, il fît monter en chaire George Muller Théo-
logien , pour repréfenter au peuple combien il étoit dan-
gereux ôc criminel d'employer les voyes de fait au mépris
de l'autorité légitime du Magîftrat. Le Chancelier de l'U-
niverfité parla après Muller , & fit un long difcours fur le
même fujet. Les bannis furent rappelles j ëc on les mit fous
la protedion du Magiftrat.
L'Adminiftrateur ( i ) fit enfuite une Ordonnance , qui
portoit que tous particuliers feroient tenus dans pareils cas
de prêter main-forte au Magiftrat , à peine de mort s'ils
refufoient leurs fecours ^ & que les auteurs de la dernière
fédition feroient punis. On en arrêta quarante j mais on
n'en fit mourir que quatre, èc on crut que cet exemple fufK-
roit pour retenir les autres.
Ces troubles étoient arrivés fur la fin de Mai 3 & comme
le tems des foires approchoit , l'Adminiflrateur craignant
que les marchands n'eulTent de la répugnance à venir dans
une ville agitée de fédition • &; qu'une pareille interruption
du commerce n'y caufât un préjudice confidérable, ilpro.
mit par un écrit public toutes fortes de fûretés à ceux qui
viendroient aux foires de Leipfik.
L'efprit de fédition fe glifloit dans ce païs , comme une
efpéce de contagion. Onavoitvûpeu de tems auparavant
les mêmes troubles à Brunfwik,où Jean Bugenhag Pome-
ranien avoir autrefois enfeigné la dodrine de Luther. Poly-
carpe Leyfer , & Nicodême Frifchlin s'étoient oppofés
par leurs difcours de leurs écrits aux nouveautés qu'on
vouloit introduire dans la Religion ; 6c avoient tellement
(i) C'efl-à-dire le Regcnt de Saxe , Frederic-Guillawme.
DE J. A. DE THOU, L i v. CV. 639
animé le peuple , que Leyfer , à la prière de l'Adminiflra- 'i ' ' ■
teur,écanc allé à Wiccemberg pour rerablir l'ordre dans Hen m
rUniverficé de cette ville, les léditieux crurent qu'on fe IV.
fervoit de ce prétexte pour éloigner leur Miniftre , atinque j j ^o , g
pendant fon abience les Calviniftes pufTenc répandre avec
plus de facilité le poifon de leur Doclrine. Ainfî fans ref-
pect pour le Magiftrat , ils demandèrent avec fureur qu'on
leur livrât Michel Mafc , ôc Jérôme Neven Sindics de la
ville , qui leur étoient fufpecîs j Ôc ils répondirent au Ma-
gillrat, qui les exhortoit â rentrer dans leur devoir, qu'ils
ne quitteroient point les armes qu'on n'eût exilé de la ville
ces deux particuliers.
Ce pernicieux exemple rendit ceux de Leipfik plus auda-
cieux j &: ils oférent afficher fecrétement aux portes de la
grande Eglife un écrit, pour engager l'Adminiftratcur â
chalfer tous ceux qui étoient fulpeds de Calvinifme, Ils
taxoientenfuice avec aigreur le Sénat de favorifer fous main
un certain citoyen qu'ils liaïfToient extrêmement. Ils répro-
choient en troifiéme lieu aux Miniftres leur légèreté , 6c
leur perfidie , parce que leurs difcours 2c leurs levons étoient
plus modérés. Ce reproche tomboit fur George Muller ,
6c fur Martin Mir, dont la fage conduite leur étoit deve-
nue infupportable.A lapriére du Magiftrat 6c de l'Adminiftra-
teur , ces deux Miniffcres parloient avec moins d'emporte-
ment , 6c donnoient aux autres un exemple de retenue.
L'Adminiftrateur craignit avec raiion qu'une licence fî
effrénée n'aigrît dans la fuite entièrement les efprits , 6c
n'occafîonnât un fchifme. Il écrivit donc aux Miniftres,
qu'on appelle les Surintendans des Eglifes , àc tâcha de les
engager d'avoir foin que les Prédicateurs retinffent le peu-
ple dans le refped 6c l'obcïllànce , 6c fe conrentafTent de
parler contre la doclrine qu'ils défapprouvoient , 6c de la
réfuter en chaire, mais en ménagciyit la perfonne de leurs
adverfaires J puifque félon le devoir des Pafteurs, 6c les
régies de la charité chrétienne , ils étoient obligés d'inC
truire 6c de ramener à la vérité ceux qui s'en écarrofent,
fans les déchirer par des invectives qui faifoient meprifèr
l'autorité du Magiflrat , les rendoient eux-mêmes odieux,
6c excitoient le peuple à la fédition.
^40 HISTOIRE
Les Surintendans répondirent froidement : Qii'il ne leur
Henri paroiiloit pas à propos de prefcriredes régies aux Palpeurs
IV. dans leurs difcours contre les Calvinifles ; Que ces hommes
159 3' Superbes ^ encouragés par cette indulgence, foûtiendroienc
leurs erreurs avec plus d'audace, & que le peuple en ieroic
plus animé : Que cependant , pour conferver la tranquil-
lité de l'Eglile ôc de l'Etat, oc pour ôter tous les prétextes
qui pourroient troubler la paix , ils avertiroient en parti-
culier les Pafteurs de ié renfermer dans les bornes de leur
miniftére j mais qu'au refte l'Adminiftrateur devoit le fou-
venir qu'il leur avoit toujours promis de ne commander
aux Eccléfiaftiqucs aucune chofe qui pût troubler la liberté
de leur état. L'Adminiftrateur voyant qu'il ne pouvoitrien
obtenir d'eux en général , fe fervit du Magillrat, pour les en-
gager chacun en particulier y & il obtint par cette voie que
les Prédicateurs ieroient modérés. Le peuple n'ayant plus ces
boute-feux , fut dans la fuite plus tranquille &;plustraitable.
La guerre de Strafbourg continuoit , mais foiblement , dc
fans qu'il fé fit aucune adion mémorable. Sur la fin de Jan-
vier , les troupes Lorraines tentèrent inutilement de fur-
prendre Schleftadt ville Impériale 3 elles nièrent le fait,
parce qu'il étoit trop odieux. Enfin les deux partis étanc
las de la guerre , 6c par l'entremife de l'Empereur, on con-
vint, après avoir mis les armes bas , licencié les troupes,
& fait la paix, de s'en rapporter pour les conditions à Cix.
Princes qu'on nommeroit de part & d'autre , de de leur re-
mettre le jugement des conteftations qui avoient caufé la
divilîon. Volfang Brendel archevêque de Mayence , Jule
évêque de Wirtzbourg , Ferdinand Archiduc d'Autriche,
Louis Landgrave de Hefle , Philippe- Louis de Bavière
comte Palatin, & Frédéric Guillaume adminiftrateur de
l'éledorat de Saxe , furent choifis pour arbitres de cette
affaire. Avant qu'elle fût décidée, on convint encore rQuie
le cardinal Charle retiendroit Saverne en Alface ,Binsfeld,
& les autres gouvernemens mentionnés dans les traités ;
Qu'on lui rendroit encore Moltzheim , dont le prince d'An-
halt s'ètoit emparé depuis peu : Que d'un autre côté on
xemettroit Dachfbein à l'èlecTieur de Brandebourg avec un
même nombre de bailliages dont on eflimeroit les revenus ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^41
& qu'on rendroit à la ville de Strafbourg Waffelsheim , ^^•^•^rr'^!^
avec les canons qu'on y avoir trouvés. On figna ce traité Henri
préliminaire le dix de Mars. I V.
Dans le mois d'Avril, les Princes arbitres envoyèrent 1593.
leurs Députés à Spire , où le congrès fut remis au mois
de Juin j mais après de grandes conteftations , fans qu'il fût
polîible de rien terminer , ils arrêtèrent au mois de Juillet :
Qii'on renvoyeroit à l'Empereur, tout ce qui avoit été écrit
dans cette affaire, avec une relation de ce qui y avoit été
dit, pour recevoirfa décifion ; Qiic l'alFemblée fe tiendroic
à Francfort fur le Mein le i 5. de Novembre : Que cepen-
dant tout refteroit dans l'état préfent où étoient les cho-
fes , fans qu'on pût faire aucun changement , tant dans la
Religion que dans le Gouvernement , à peine contre les
contrevenans d'être punis comme infracteurs des traités ,
conformément aux Ordonnances Impériales.
L'Electeur de Cologne preiToit vivement la reftitution
de fes places, dont on s'étoit emparé â l'occalion de la guer-
re, &c avoit obtenu avec beaucoup de peine que la gar-
nifon de Bonn fortiroit de cette ville. Il y indiqua auffitôc
une allemblée des Etats de la Province j mais le Chapitre
refufa d'envoyer des Députés dans cette ville , & demanda
la tranflation de l'aflemblée à Cologne , à quoi l'Eledeur
confentit facilement. Il s'étendit fort au long fur les dé-
penfes qu'il avoit été obligé de faire, tant pour la défenfe
dupais, que pour payer les foldats, & pour l'évacuation
des places qu'ils tenoient comme affiégées. Il réprélenta
enfuite , que comme il étoit nécelTaire dans un tems iî fâ-
cheux de mettre des garnifons dans les villes , pour ré-
poufler les infultes des différens partis qui couroient la
campagne, il failoît afTigner à l'avenir des fonds pour payer
les troupes , fans qu'elles fuflent à charge aux particuliers j
êc de crainte que le défaut de paye ne les obligeât d'a-
voir recours à leurs pillages ordinaires. Enfin on agita la
queftion du bailliage de Biberen,dont le comte W'^erner de
Rifferfcheit étoit en pofTefllon , ôc que les Etats des Païs-bas
vouloient qu'on rendît à la veuve d'Adolphe de Newe-
nar , avec menaces fi l'on ne les fatisfaifoit pas , de s'en
venger lur le païs de Cologne.
Tome XI, M M mm
(J4i HISTOIRE
Dans le tems même de cette aflemblée , les habîcans de
Henri Nuys , fatigués depuis longtems par une garniion que le
IV. duc de Parme avoit mife dans leur ville , voyants d'ailleurs
I îos. ^^^^ ^^ Cour d'Efpagne éludoit toujours les prières réïtërées
de l'archevêque de Cologne ^ 6l que le duc de Parme
étant mort il falloit attendre de nouveaux ordres pour le
rappel de ces troupes, réfolurent de s'affranchir eux-m.êmes
de cette fervitude. L'occafion favorable fe préfenta pen-
dant qu'une partie de la garnifon étoit fortie pour piller.
Les bourgeois fe réunirent donc le 19. de Juillet, de at-
taquèrent la nuit les difFérens corps-de-garde qui étoienc
dans la ville. Les foldats ne firent prefque pas de réfiftance 5
car ils étoient en petit nombre. On les enferma dans des
foLiterrains , après les avoir défarmés. Il reftoit encore une
garde compofee de dix hommes aune des portes de la ville.
Ces loldats ayant entendu le bruit que faifoient les habi-
tans après ce premier fuccès , firent fortir par une porte de
derrière un des leurs , pour avertir Meldedonck Gouver-
neur de la place de tout ce qui s'étoit pafTè. Il accourut
auffitôt , &c efTaya inutilement de fléchir les habitans j en-
forte que les foldats qui occupoient encore une des portes
de la ville, étants fans efpérance de fecours, 6c voyants un
grand feu que les habitans avoient allumé à côté de leur
pofte, & dont la fumée les étoufFoit fe rendirent â difcré-
tion. On les renvoya fans leur faire aucun mal , & après
les avoir fait déjeuner. Ainfi Nuys recouvra par fes pro-
pres forces une liberté que le duc de Parme lui avoit pro-
mis tant de fois de lui rendre, fans tenir fa parole.
Frédéric Electeur Palatin, âgé d'environ vingt ans avoir
Mariage de pris l'année précédente le gouvernement de fes Etats après
réiedeur |^ mort de Jean Cafimir. Ce jeune Prince , à la perfuafîon
de Philippe de Marnîx de Sainte-Aldegonde , fit deman*.
der en mariage Conftantine-Aloïïe-Julienne , fille de Guil-
laume de Nafiau Prince d'Orange , & de Charlotte de
Bourbon. Plufieurs Princes, parens & amis de l'Electeur,
qu'il avoit confultés fur fon mariage , comme l'on fait or-
dinairement, tâchèrent de l'en dilîuader , dans la crainte
que cette alliance avec le prince d'Orange ne formât une
trop grande union entre l'Èledeur èc les Provinces-Unies,
DE J. A. DE THOU,Liv. CV. 64.1
& n'âttîrâcen Allemagne la guerre qui fe faifok en Flan- ^'????=î?:^
dre. Les Etats généraux dotèrent la jeune PrincefTe , qui H e n k i
n'avolt d'ailleurs aucun bien, 6c lui firent préfent d'une ri- I V.
che toilette. Le comte Jean de Naflau l'ayant conduite icg-»,
jurqu'à Sledein , elle le rendit par terre à Dillenbourg , où
Frédéric vint en pofhe la faluer, àc où il la fiança le i 5. de
Mai. Il alla enfuite trouver Louis Langrave de HelTe, qui
âvoit jufqu'alors refufé de venir à Tes noces , quoiqu'il l'y
eût invite par lettres ôc par plufieurs ambaiïades , ôc ne
l'engagea qu'avec peine à y affifber. Elles furent célébrées
avec peu de magnificence.
Louis duc de \l^irtemberg , neveu de Chriftophle-Fran-
çois Ulric mourut quelque tems après. Ce Prince étoit déjà j^or^ du duc
très- valétudinaire , quoiqu'il n'eût que quarante ans , de wircem-
& ne lailla aucuns enfans. Frédéric fils de George comte ^'^^'
de Montbeliard , dont nous avons parlé fort fouvent , lui
fuccéda.
Sîp-ifmond roi de Pologne ayant obtenu l'agrément des Voyage du
Etats du Royaume, le preparoit a palier en buede pour gne en Suéde,
prendre polFeUion de ce Royaume, dont la mort de fon père
le failoit héritier , ôc pour y rétablir , s'il étoit pofiible , l'an-
cienne Religion ^ mais la groflelFe de la Reine le rétine
pendant quelque tems. Dès qu'elle futaccouchée,& après la
tenue des Etats, il s'embarqua fur la Viftule avec la Reine
6c fa fœur. Un grand nombre de PolonoisSc cinq cens Houf-
fars l'accompagnèrent dans ce voyage. Il palFa par Marien-
bourg , Thorn,&: Elbing villes de Prufle , où il fut reçu
avec toute forte de magnificence. Il aborda le 2. d'Août â
Dantzick, où il établit un tribunal compofé de quelques
confeillers de PrulTe , & d'autres perfonnes , pour juger
toutes les affaires de la Province, Il rendit aux Catholiques
d'Elbing ôc de Thorn les principales Eglifes de ces villes.
Le Sénat de Dantzick avoit refufé la même grâce à Rof-
feradeck évêque de Wladiflaw, qui lademandoit pour les
Catholiques de Marienbourg j & quoique le Roi fouhai-
tât de leur faire cette faveur , cependant fur les remon-
trances de l'ambafladeur de Suéde , qui lui fit fentir que
fes nouveaux fujets pourroient prendre en mauvaife parc
un tel changement dans la Religion , Sigifmond renvoya
M M m m ij
^44 HISTOIRE
I cette affaire à la première aifemblée des Etats.
H E M R I l^ ctoit encore à Dantzick, lorfque le i 3. d'Août il s'y
j. y, éleva une furieufe fédition pour une caufe tort légère. Un
Polonois ayant bleiîé un porte-faix qui l'avoit rudemene
^^ heurté, un grand nombre d'autres portes-faix, dont cette
ville marchande efl remplie , s'attroupa ; & l'émeute devint fi
grande en peu de tems, qu'on en vint au point de tirer le canon,
& que trois boulets pénétrèrent jufqu'à la maifon oùlogoic
le Roi. Onavoit déjà appelle les HoulTars qui étoient dans
les fauxbourgs ^ & cette foldatefque accoutumée au car-
nage èc aux rapines alloit entrer dans la ville , lorfque par
bonheur en liauflant un pont-levis qui étoit fur le fleuve
Motlaw , on arrêta ces troupes dont on devoit appréhen-
der les pernicieux fécours. Alors les Confuls &; les Ma-
giltrats, pour prévenir le défordre & le carnage que la
fureur de la fédition leur faifoit craindre , employèrent \qs
prières , les promefTes , & les menaces pour calmer les ha-
bitans , qui enfin s'appaiférent après que les Polonois fe
furent retirés. Il y eut vingt. trois hommes tués , de cîn-
quanre blelîës dangereufement. Les portes furent fermées
pendant deux jours ^ ^ les Polonois qui avoient caulé la
Guerelle , 6c qu'on trouva dans la ville , furent mis en arrêt.
On informa contre ceux qui avoient tiré le canon fur la
maifon où étoit le Roi 3 6c un Trompette promit publique-
ment cent fequins au dénonciateur , avec menaces de punir
du même fupplice que les auteurs de cet attentat, ceux qui
le diiTimuleroient. La tranquillité étant rétablie dans cette
ville , le Roi defcendit à l'embouchure de la Viftulej &
après un retardement de fix jours, qu'il crut convenable à
fes affaires, il faifit un vent favorable pour s'embarquer j
mais le tems aïant chan2;é , les vents contraires retardèrent
fa navigation , & il n'arriva avec faflote d Stocholm capitale
de Suède que le dernier de Septembre , quoique cette ville
ne foit éloignée de Dantzick que de quatre- vingt milles d'Al-
lemagne.
^°^d°"Roî Chriflierne IV. roi deDannemarck avoit à l'âge d'onze
de Danne- ans fuccédè à fon père Frideric II. lous la tutelle de trois
'°^'^^- Seigneurs nommés par le feu Roi. Ce jeune Prince ayant
atteint fa dix-huitieme année, fé rendit à Flenlbourg, ville
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^45
fameufe par fon commerce,& ficuëe dans le Sud-Jutland fur la -J
mer Orientale. Il y arriva le i o. de Septembre accompagné Henri
d'un grand nombre de Seigneurs , après avoir traverfé la I V.
principauté de SleiVick. Les Etats étoient afleinblés à 1593.
Flenfbourg & des le lendemain de fon arrivée , en pré-
fence de Sophie mère d'Ulric duc de Mekelbourg , qui
étoic lui-même préfent à cette cérémonie, Chrillierne fie
ferment de conferver les privilèges 6c les libertés du Royau-
me, 6c fut couronné roi de Dannemarck. Il recrut enfuite
le ferment de fidélité de ics fujets , remercia les Règens de
leur fàge adminiflration , de déclara qu'il vouloit tenir lui-
même les rênes du gouvernement.
Guillaume Landgrave de HefTe étoit décédé depuis peu. Mariage da
Maurice fon fils, Prince d'une érudition héréditaire dans Landgrave
cette Illuflre mailon , époufa à Caffel Agnès fille de Jean- ^^ ^^ ^°
George comte deSolms. On choifit pour la célébration du
mariage le 22. de Septembre, ( vieux ftile), jour de la
fête de Saint Maurice, patron du Prince. Louis-George de
HefFe, Chriftophle duc de Lunebourg , Bernard d'Anhalt ,,
Louis de NafFau , Jean-George comte de Solms père d'A-
gnès, avec Otlion, Eberard, Reinard , 6c Philippe fesfils,
François comte de N^aldeck , Gonthier comte de Schwazt-
zenbourg , Frideric comte de Hohenio , Simon comte de la
Lippe, Louis comte de Witgenflein , George comte de
Kirchberg , Louis comte de Lowenflein , Erneft comte de
Schawmbourg , 6c les ambalfadeurs de pJufieurs autres
Princes afliftérent à ces noces.
La Flandre étoit alors dans une fîtuation bien différente j Affaires de
au-lieu de ces rèjouilîances 6c de ces tètes pompeulès occa-
iionnées par le mariage des Princes, 6c le couronnement
de deux Rois , on y voyoit toutes les horreurs de la guerre.
Les affaires des Efpagnols alloient tous les jours de pis en
pis j car fî l'abfènce du duc de Parme , qui fur les ordres
de la Cour d'Efpagne pafloit fî fouvent en France, avoit
caufé de fi grands avantages aux Provinces-Unies , la more
de ce grand Capitaine, à qui Ton ne put donner un fuccefl
leur capable de le remplacer, fut un revers qui porta aux
Efpagnols un coup encore pkis funcfte. Ils ne pouvoicnc
iàns diminuer leurs forces en Flandre continuer une guerre
M M ni m iii
64^ HISTOIRE
!?? étrangère dans laquelle ils s'ccoienc engagés j cependant le
I comte Pierre Ernelt de Mansfeld , à qui l'on avoit donné en
attendant le gouvernement de la Flandre , nomma Ion fils
IS93' Charle pour Général des troupes qui dévoient palier en
France, & lui donna deuxrégimens Allemands de nouvelles
levées, & qui étoient commandés par Anglarte Curtio,6c
le baron Jean Perneflein , avec quelques compagnies de
W'allons. A l'égard de Mansfeld , il refta en Flandre avec
Dom Pedro Henriquez d'Azevedo comte de Tuentes , de
Etienne d'Ibara, de retint autant de troupes qu'il put pour
rélifter aux eiForts du prince d'Orange.
charledc Au Commencement de Février, Charle de Mansfeld vînt
Mansfeld ^ Guife avec Tes troupes , ôc palFa de-là à Montcornet , où il
entre CQ i ' 1. '
France à la joignît les Italiens oc les Allemands , que Grégoire XIV.
têce des trou- avoit cnvoyés , 6c qui avoîent pour Chefs Camille Capizuccî,
pes pagno- ^ Appio Conti. Hcrculc Sfondrate duc de Montemarciano
avoit été rappelle en Italie après la mort de fon oncle.
Les autres troupes Italiennes à la folde du roi d'Efpagne ,6w
qui avoient palîé l'hyver en France, fe joignirent encore à
Charle de Mansfeld , fous la conduite du marquis de Mala-
fpini, ôc de George Bafta. Il y avoit aufTi deux régimens Ef-
pagnols , dont les Colonels ennuyés de lervir fous les ordres
de Charle s'etoient retirés.
On marcha d'abord du côté de Han,&; Charle étoit à
SoilFons , lorfque le gouverneur de Lnon vint le prier de ré-
duire le château de Neufville , qui , à ce que foûtenoit ce
Gouverneur , incommodoit SoilFons êc Laon , & fervoit de
retraite à l'ennemi. Il reprefenta en même tems que ce
château ne retarderoit l'armée que de quelques jours , ôc
que la place fe rendroit , dès qu'il paroîtroit qu'on vouloic
l'affiéger. Il obtint facilement ce qu'il demandoit, êc Charle
donna ordre au baron de Perneftein de s'emparer de cette
petite place. Le Baron prit avec lui fon régiment, celui de
Curtio , commandé en l'abfence du Colonel par le comte
Vefpafiend'Arco, deux elcadrons de cavalerie quifervoient
fous la conduite d'Appio Conti,& deux canons. Le Seigneur
de Neufville qui obiérvoit la neutralité, n'avoit aucun ioup-
çon de l'entreprife formée contre lui. Il vint au-devant des
Chefs , de leur donna du vin 6c d'autres rafraichilFemens j
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 647
mais s'apperqevant que ces troupes n'étoienc pas venues fur ^5!55?!!!!?îî
iès terres pour s'y refaire , & qu'on faifoit approcher le ca- H e n r. i
non , il fe retira à propos avec fes gens , & fît entendre I V.
par une décharge de moufqueterie , qu'il étoit rëfolu de Te j ^«^^
défendre. Mansïeld n'avoit pas eu la précaution d'envoyer
ce qui étoit néceiîaire pour un fîége , parce que le gouver-
neur de Laon lui avoir allure que ce château fe rendroit à
l'approche du canon ; ainfi pendant qu'on attendoit des
boulets , 6c avant d'avoir reconnu la place , les ennemis
firent une faufTe attaque, dans laquelle Pagello Pagelli de
Vicenze, volontaire, fut bleflé dangereufement. Mais Claude
de la Bourlotte qui , de Chirurgien dans la maifon de
Charle , étoit par fon mérite devenu Colonel , fît recon-
noître la place , 6c drefler des batteries. Charle l'avoit en-
voyé exprès à cette petite expédition , fans lui donner au-
cun commandement, & feulement pour veiller aux fautes,
que l'imprudence de quelques particuh'ers pourroit caufer.
La brèche étant fufîîfante, il fit monter à l'afTaut les \^al-
lons , fuivis de deux compagnies de troupes Italiennes , fous
la conduite de Jofeph Valmarana ôc de Virginio Banca. Les
aiîîégés , au nombre de quarante , fé retirèrent dans le de-
dans de la place, & la nuit fuivante fe rendirent à difcrétion
au baron de Perneftein. Charle ayant fçû depuis la vérité
des chofes , &; connoifTant qu'on avoit plutôt fervi la haine
particulière du gouverneur de Laon , qu'on n'avoit agi fur
un jufte motif de guerre , rendit au feîgneur de Neufville
fon château , & lui fit faire des excufes de tout ce qui s'è-
toit pafîe.
Le Colonel la Bourlotte fut enfuite envoyé avec un dé-
tachement, pour furprendre pendant la nuit Noyon , que
le Roi avoit repris deux ans auparavant. Cette entreprife fut
fans effet, parce que la garnifon en ayant étèinformèe,fe tint
fur fes gardes , & parut fur les remparts. La Bourlotte s'étant
apperc^û que les défenfeurs de la place fè croyants hors de
danger, s'ètoient retirés à la pointe du jour pour prendre
du repos , tenta une féconde efcalade dans l'endroit où le
fofTé avoit moins de profondeur ^ mais les échelles le trou-
vèrent trop courtes ^ èc cet inconvénient ayant donné le
tems à la garnifon de reprendre les armes ^ les ennemis
<$4â HISTOIRE
furent repouiïcs avec perte.Le gouverneur de Laon & le frère
Henri delà Bourlotce re(^urenc quelques légères blelîures.
I V. Mansfeld arriva le même jour devant la place avec toute
Tcn^ l'armée. Avant fait auflitôt élever des retranche mens , il
Sicgcck afîigna un logement aux Italiens commandes par Capizucci
Noyonpar yers la partie fupéiieure de la ville, où eft l'abbaye de S.
Elov. Appio Conti Général des troupes du Pape étoit à leur
gauche, avec le régiment Allemand de Chaileaubiin. Les
régiments Allemands de Perncftein & de Curtio étoient
placés fur la droite. Les troupes W^alonnes occupoienc
l'efpace qui étoit entre eux &. la ville. On fît en cet en-
droit un retranchement , fur lequel on éleva une batte-
rie de quatre pièces de canon. En même tems les affiégés
élevèrent à la hâte quelques tours avec un mur èc un baftion
en dedans. En tirant lur la droite derrière un Ravin , les £f-
- pagnols avoient fait un retranchement plus élevé, pour cou-
vrir le régiment de la Bourlotte , & pour y dreflcr la princi-
pale batterie de dix grolïès pièces de canon. Cinq cens Al-
lemands commandés par le comte Jacque de Collait, &i le
xq(\:q de la cavalerie que le dernier hyver avoic beaucoup di-
minuée , étoient poftès de l'autre côté de la ville , en des
endroits avantageux pour empêcher le fecours.
Sur ces entrefaites, le duc de Mayenne fe rendit au camp
avec les troupes qu'il commandoic, &: on fit une revue gé-
nérale de l'armée , qui fè trouva compoiée de douze mille
hommes de pié,6c de deux mille chevaux^mais elle manquoic
de vivres , 6c le défaut de payement faifoit murmurer les fol-
dats. D'ailleurs les Chefs , jaloux les uns des autres , etoienc
peu d'accord entre eux , ôc n'agilToient qu'avec lenteur ^ en
iorte que plufîeurs ont crû, que fî le Roi eût alors attaqué
les allicgeans avec une troupe d'élite , il auroit pu facilement
les tailler en pièces ^ mais il étoit alors aflez occupé en Tou-
raine. Après piufieurs forties vigoureufes,& un lîege de vingt-
trois jours , pendant lequel la ville ne reçut pour tout fe-
cours que quelques foldatsqui y entrèrent, chacun avec un
fac de poudre, la garnifon compofée de fix cens hommes,
partie Fran<^ois , èc partie Suillcs , fut obligée de fe rendre.
La ville fe Les Conditions qu'on leur accorda furent honorables 3 ils
fortirent vie ôc bagues fauves , avec leurs armes ôc enfeignes.
Ils
rend.
DE T. A. DE THOU, Liv. CV. 64.9
Ils obtinrenc encore comme une marque plus particulière de
leur valeur , qu'ils ne rendroient la place que dans trois jours, Henri
de que il dans ce délai le Roi,venoit à les fecourir, la capi- IV".
tulacion n'auroic aucun efFet. Mais le fecours n'ayant point i y^^,
paru , ils forirent de Noyon , ôc furent conduits comme on
étoit convenu, jufqu'en païs de fureté.
Franc^ois Blanchard du Clufeau obtint le gouvernement Autres Ex-.
de cette ville , & on y mit une nombreufe garnifon de>^aL ^:'^'"r ?j '^'^
ions ôcd Allemands. Les ennemis marchèrent enluite contre
Bohain , château appartenant alors à la maifon de Luxem-
bourg , de qui appartient aujourd'hui au Roi. Il e(l iltué
avantageufement au milieu d'une forêt, £c il y a voit alors en
garnifon quatre-vingt hommes de pic , & vingt cavaliers qui
refuférent de fe rendre. IlseiTuyérent une violente batterie ,
qui ne fît qu'une petite brèche. Mais dès qu'ils virent que
Germanico Strafoldo, Virginio Banca , avec leurs compa-
gnies , & Pagello P^elli fe prèparoient à l'afTaut , & qu'ils
fçurenc qu'on n'a voit envoyé aucun fecours à Noyon , ils fè
rendirent à la Bourlotte , vie 6c bagues fauves.
Charle prefTè par les lettres de fon père de retourner en
Flandre , prit fa route le long des côtes de la mer , pour
faire quelque entreprile dans la marche. S. Valéry place fi-
tuée à l'embouchure delafomme où commandoit Collevill
de Wemys EcofTois, ouvrît fes portes fans beaucoup de rè-
fiftance. Capizucci , à qui Charle avoit fait prendre les de-
vants avec l'infanterie Italienne , 2>c les troupes Allemandes
commandées par Don Juan Manrique de Lara, s'empara
d'Eftaples qui foûtint un fîége de quelques jours. Ce château
efl fitué à l'embouchure de la rivière de Canche, èc eft de-
venu illuftre par la naiiïance de Jacque le Fevre j ce fça-
vant homme , qui le premier de notre tems , a facilité par
ùs lumières l'étude des belles lettres en France.
Les forces des Efpagnols étant occupées à la guerre de Affairesc^c
France , ils cherchèrent quelques moyens pour rétablir leurs Flandre, f.dic
rr ' r-i 1 y-^ Al 1 y^ r •! 1 -iiT-r cruel de Fni«
attaues en rlandre. On arrêta dans le Confeil du roi d El- ijppe.
pagne , qu'on ne rendroit plus les prifonniers de guerre ,
ôc qu'on n'en feroit aucune échange ; afin que hs troupes qui
étoient à la folde des Etats Généraux , quittafîent le fer-
vice ou fe foûmifîent. On défendit fous peine de mort les
Tome XI, N N n n
6so HISTOIRE
I contributions que les païTans payoient aux deux Partis, pour
Henri racheter leurs biens de l'incendie & du pillage, & on interdit
I V. fous la même peine , les fauve-gardes, que les Eccléiîaftiques
j ^02, donnoient à prefque tous les Gentilshommes , èc à quelques
autres particuliers , pour mettre leurs biens à couvert de la
violence.
Le comte Pierre Ernefl de Mansfeld publia le cinq de
Janvier une ordonnance en conformité , qui indigna prelque
tous ceux qui étoient le plus attachés aux intérêts du roi
d'Efpagne , 6c qui leur fit craindre de voir renouveller les
mêmes barbaries que le ducd'Albe avoit autrefois exercéesj
puifque le foldat alloit être réduit à la cruelle néceiîîté de
îe faire tuer , ou de foufFrir un fupplice ignominieux. Car
on prévoyoit que l'ennemi uferoit de reprefailles. En effet
les deux Partis en agirent ainfi pendant quelque tems. Dès
que l'ennemi paroifloit, on en donnoitle lignai du haut des
tours. Les payfans prenoient les armet, s'allembloient dans
un lieu marqué , à fe joignoient aux troupes qui avoienc
befoin de leur fecours. Si quelqu'un d'eux avoit le malheur
d'être pris , il ne lui étoit pas permis de racheter fa vie , &
on le pendoit fur le champ.
Mais les Etats Généraux eurent horreur de ces énormes
cruautés, & firent un édit contraire le 27. de Février, par
lequel ils reprefentoient tous les funeftes eiFets de la bar-
barie Efpagnole , qui pour ruiner la Flandre , fe lervoîc
des Flamans mêmes. S'adreflants enfuite à toute la Nation,
ils prioient tous les Flamans en général, & en particulier,
de fonger à leur confervation 3 d'avoir quelques égards pour
leurs femmes, leurs enfans , &c leur poflérité- de joindre leurs
conieils 6c leurs forces pour défendre leur liberté, ëcs'op-
pofer à des ennemis fi inhumains, Se à l'exécution de leurs
ordres tiranniques. Les Etats Généraux par ce même Edic
donnoient un délai pour délibérer jufqu'au premier d'Avril,
avec menaces de reprefailles contre ceux qui refuferoient hs
contributions, & qui fuivroient les ordres de la cour d'Ef-
pagne. Cet édit fit ceflèr de part &. d'autre les cruautés ^ &
la guerre fe fit comme auparavant , & avec plus d'huma-
nité.
Pendant que le prince d'Orange alïèmbloit fon armée ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 6^i
Philippe de Nafîau fuc envoyé en Parti dans le territoire -^^^«^-^-'^«»
de Luxembourg, avec quatre mille hommes , tant d'infan- Henri.
terie que de cavalerie. Il attaqua inutilement S. \^ix: 5 mais I V.
il pilla tout le pais. Ayant enluite appris que le comte de 1595.
Berlaymont venoit au iecours des Royaliftes avec des trou-
pes Italiennes & Efpagnoles tirées des garnifons de Ma-
lines , Bruxelles & Liere , Philippe longea à la retraite ^ ôc
après avoir traverfé le territoire de Limbourg , 6c faccagé
Hannut en Brabant , il revint avec tout Ton butin.
On avoit réfblu le fiége de Gertruydenberg , place que
lesEfpagnolsavoient prilé trois ans auparavant, plutôt par
la trahiion , ou à la faveur de la révolte de la garnifon , que
par leur propre valeur. Le prince d'Orange avoit préparé
avec foin tout ce qui étoit néceflaire pour ce Tiége, &avoic
envoyé difFérens partis aux environs , pour empêcher qu'on
ne fît entrer des vivres dans la place. Les Efpagnols n'avoienc
encore pu fçavoiroù tomberoit l'efFort du prince d'Orange,
èc ils craignoient plutôt pour Bofleduc & pour Grave. Enfin,
toute l'armée parut devant Gertruydenberg le vingt-huit -
de Mars.
Cette place ell: fur les frontières de la Hollande & du s\égs de
Brabant , Oc on doute de laquelle de ces deux Provinces elle be^^ pr k*
dépend. La pêche y eft abondante ôc commode. Elle a au pnnce d'O-
Septentrion la Meufe qui eft déjà fort large, par la jonction
du Wahal , qui tombe dedans à Dordrecht. Du côté du
Levant , elle eft arrofée par la Donghe , qui avant de fè
jetcer dans la Meufe , où le >^ahal fait un long circuit ,
forme une Ifle â trois cens pas de la ville. Le terrain y eft
fort humide , ce qui rendoit les approches de la place plus
difficiles 3 mais on rémédia à cet inconvénient en faifant des
levées êc des Eclufes en difFérens endroits. Le prince d'O-
range avoit pris fon quartier vers le Couchant , avec les ré-
gimens de fon frère Henri Frédéric , de George Eberard
comte de Solms , de Groenevelt, 6c de Balfour. Le comte
de Hohcnlo avec les régimens de Brederode , de Locren,
& quelques autres troupes fe campa vers l'Orient, du côté
d'Oofterhout , dans le village de Ramklonck , au-delà de
la rivière de Donghe.
Lqs Efpagnols s'étoient retranchés fur la levée 6e Stelhoof
N N n n ij
range.
6s^ ^HISTOIRE
■ le long de la rivière , & y avoîenc élevé à la portée du mouC
He N RI (JLiec un retranchement avec des ravelins 6c des fofles. lis
IV. couvroient de ce pofte la ville afîiégée , êc fe confervoienc
un chemin pour s'y retirer. Le comte de HohenlG,qui en
étoit fort incommodé , s'expofa à un danger évident de fa.,
vie , en faiTant pafTer du canon de la levée dans l'ifle donc
on a déjà parle. Le capitaine du Tou quicommandoit dans
ce polie voyant le chemin de la retraite coupé , manqua de
cœur,&; fe rendit le 7. d'Avril. Marc de Rye , marquis
de Varambon , le punit dans la fuite de cette lâcheté , en
le faifant mettre ignominieufementen prifon»
Après la prife de ce retranchement , le comte de Hohen-
10 fit faire deux ponts iur la rivière pour la communication
des quartiers. Le plus grand pont étoit fait de bateaux , ôc
on avoit confbruit le petit fur des mats de navire. Des vaiC
iëaux de guerre mettoient les ponts à couvert des deux cô-
tés. On conftruiiit auiTi dans des lieux commodes des mou-
lins à eau & des éclufes, que les inondations &, le reflux de
la mer renverfoient detcms en tems. Du côté de la rivière
on avoit difpofé une partie de la flote en forme de croilîant ,
èc le feu de ces vailleaux arrêtés fur leurs ancres , de liés en-
iemble avec des cables, incommodoit beaucoup les afîiégés»
11 y avoit encore d'autres bâtimens qui voguoient de tous
côtés pour veiller à la fureté du fiége. Dans l'efpace qui
etoit entre la ville &c la demi lune formée par l'armée na-
vale , on avoit mis en fentinelle des brigantins , qui prirent
im efpion du comte Pierre Erneft de Mansfeld. Bien loin de
le maltraiter, on lui fit voir tout le camp, & on le renvoya,,
à condition défaire un récit fidèle à Mansfeld de la forme
de de l'état du fiége. Les vailleaux de charge étoient plus
éloignés de la ville , entre le Levant èc le Couchant , hors
de la portée du canon. De ce côté-là la flote enfermoit un
elpace de deux milles d'Allemagne. Tous les régiments
avoient chacun leurs vaifl^*aux marqués , où étoient leurs
vivres ^ 6c pour empêcher qu'on n'y pénétrât à la faveur des
endroits marécageux , & le long du rivage , on boucha les
gués avec une haye de pieux , & on les fit garder par des
brigantins. Les Matelots avoient leur quartier dans cet ef.
pace , êc pour tromper l'ennemi ils mirent devant eux des.
DE J. A. DE THOU, Lrv. CV. ^53
pièces de bois & desvaiireaux vuides, furlefquels les afTië-
gës firent des décharges continLielies,&; auiîî violentes qu'in- Henri
utiles j en forte qu'ils manquèrent bientôt de poudre. I V.
Du cQté de la terre ferme, le quartier du prince d'Orange^ i 5 $) 3»
jufqu'à celui du comte de Hohenlo occupoit unefpaceégal
de deux milles d'Allemagne. Ce quartier avoit des retran-
chemens entourés de fofîés profonds, ôc fianqués de quatre
grands Forts, dans chacun defquels il y avoit une batterie
de deux pièces de canon. Devant leretranchement,^ pour
en boucher le paflage , on avoit creuié un folFé de trente
pieds de larges , foûtenu en dedans par des pieux fort fer-
rés , de crainte que les eaux , dont le terrain étoit humedé,.
ne lifTent ébranler la terre. Il y avoit le long du fofTé des
pointes de fer de la hauteur de quatre pieds , pour percer
ceux qui tenteroient d'en approcher pendant la nuit , &c 011
avoit femé de tous côtés de grands doux ,. èc des chaufîè-
trapes pour en empêcher l'abord.
Outre cela , comme le terrain étoit humide, Se que le bois
manquoit aux afTiégeans , ils fe fervirent pour étayer la tran-
chée &c la rendre lolide, de fafcines, de tonneaux d'ofier ,
èc de coins de bois dtrrcis par le bout. Par ce moyen , ils
poufTérent fans rien craindre leurs travaux jufqu'au pied du
mur , & ils drefTérent des batteries fur la tranchée j ce qui
étonna les afîîégés qui ne s'y attendoient pas. Outre les rem-
parts de la ville, ils avoient élevé deux ravelins, dont l'un
étoit f'oudroyé par les batteries des Nort-HoUandois & des
Ecofrois,ôc l'autre, par celle des Hollandois ôc de ceux
d'Urrecht. L'eflFct de ces batteries fut fî terrible , que la par-
tie de la ville qui étoit au-defTous des ces ravelins en fut ren-
verfée , & qu'il ne refta pas une maifon entière , en forte que
le Palais même du prince d'Orange ( car Gertruydenberg ap-
partient à la maifon deNafîàu ) fut très endommagé. Tout
travailloit volontiers dans le camp- & les foldats , à l'exemple
des légions Romaines qu'on leur propofoit pour modèle ,
faifoient l'office de pionniers. Leur adivicc fut fi grande , que
ce vafte camp qui renfermoic même le vnllage de Ramfdonck
fut en peu de jours fortifié en dedans contre les fortics des
afîiègès , & contre tous les efforts qu'on pourroic faiie au-
dehors pour forcer les lignes ,6c faire entrer du fecours dans-
N N n n iij
^54 HISTOIRE
la ville. Mais ce qui mérite plus d'admiration , c^eft que les
Henri laboureurs du voilînage travailloient pendant ce fiége à leurs
I V". terres , comme en pleine paix , & que tous les paylans, fans
I 593. crainte d'être inlultés vendoient dansle camp des œufs, des
fromages , du beure èc de la viande , comme dans un mar-
ché public.
Les affiégés de leur côté ne fe manquoient pas à eux-mê-
mes , & quoiqu'on crût les avoir reflerrés de près , cepen.
dant cinq cens Franc>Comtois , vieilles troupes , fous la con-
duite de Mafîéres homme de courage & Lieutenant de Va-
rambon faifoient de furieufes forties. Ils fe virent encore plus
prefTés après la perte des deux ravelins , dont nous avons
déjà parlé j enforte que Mansfeld fe crut obligé de ra-
nimer leur courage , fur i'efpérance d'un fecours aufïï in-
faillible que l'Evangile j car il ie fervoit de cette com-
paraifon dans içs lettres, qu'un pigeon portoit ordinaire-
ment à Gertruydenberg , en retournant à fes petits. Dif-
mas de Barges avercifFoit auffi les affiégés par les mêmes let-
tres d'élever davantage le cavalier de terre du côté du
village de Ramfdonck , ôç de faire des fîgnaux du haut de
la tour, pour favorifer \qs fecours 5 mais le prince d'Orange
intercepta les lettres , ôc après en avoir contrefait d'autres
à fa fantaifie, il en chargea le mêa-ie pigeon qui portoit celles
des Efpagnols. Le comte de Hohenlo ayant conjeduré par
ces mêmes lettres que Malîeres Gouverneur de la place
montoit fouvent dans la tour avec fes Officiers , pour y exa-
miner la fîtuation du camp , fit pointer contre cette tour
tous les canons^ Mafieres fut tué avec prefque tous les Chefs
qui commandoient dans la place. Après la mort du Gouver-
neur , Gefan Capitame expérimenté prit fa place, du con-
fentement de tous les Officiers,
Cependant Mansfeld qui n'avoit que trois mille hommes
d'infanterie & cinq cens chevaux , jugeant que d'un côté c'é-
toit trop rifquer que d'attaquer le prince d'Orange dans fes
retranchemens , avec un iî petit nombre de troupes j 6c que
de l'autre, il y alloit de fa réputation de fecourir la place
affiégée,(ongea d'abord àrappeller de France Ion fils Charle,
dont le retour fut arf êcé par un ax:cident imprévu. Il étoic
déjà à Auxi, château appartenant à la maifon d'Egmond ,
DE J. A. DE THOU, Li v. CV. 6^5
Bc qui eft fîtué fur la frontière de France 6c d'Artois , où
voulant punir un Efpagnol , qui avoit violé une femme à H e n k 1
Hedin , les croupes auxiliaires fe révoltèrent faute de paye. I V.
ment. La fédition alla fi loin , que les troupes Wallonesqui i 593.
foûtenoient leur Général, furent obligées de prendre la fuite,
& que toute la vaiflelle d'argent de Mansfeld fut pillée. Les
fedicieux calTérent enfuite leurs Colonels, ôi élurent folem-
nellement pour Chef , Jean André Gambarella Sergent-
Major , fous la conduite duquel ils s'emparèrent de Saine
Paul où ils fe fortifièrent. Ils mirent à contribution toute
la partie fupérieure de l'Artois, entre Aire , S. Orner , Arras,
Bethune , hc Hedin j ôc cette révolte dura plus d'un an.
A leur exemple, les "W^allons & les Italiens commandés
par Camille Capizucci qui étoient au Pont -fur. Sambre en
Haînault fc révoltèrent aulîi , èc ces furieux eurent l'info-
lence de taxer Mons, capitale de la Province , à neuf cens-
florins par jour. Les ioldats de la garniion de Rhinberck
portèrent la fédition encore plus loin. Le riche commerce
de ce pais ex<i|a leur cupidité,^: ils mirent de grands impôts
fur toutes les marchandifes ^ mais ils étoient peu d'accord
entre eux , Se fe faifoienttous les jours de nouveaux Chefs.
Enfin Mansfeld vint de Bruxelles à Anvers , où fuivanc
le fèntiment du comte de Fuentes , il alTembla Ion armée.
Charles fonfils étoit arrivé. On fit encore venir les Italiens,.
les Efpagnols, les Allemands 6c les Suiiïès qui avoient fer-
vi dans la guerre de Strafbourg. On choifit dans les mi-
lices des Provinces quatre mille hommes de pied, & quatre
mille chevaux , 6c il y avoit dans cette armée dix-huit pièces
de canon , plufieurs barques, 6c tout l'attirail nèceifaire. Le
marquis de Varambon prit les devants pour s'oppofer aux
courfes que la cavalerie ennemie qui étoit à Breda, à Hufden,
6c à Bergh-Op-Zom , faifoit jufqu'aux portes de Tournhout.
On y combattit le neuf de Juin. De R.iioire, Marcel Back,
6c le colonel Edmond pouflèrent les Royaliftes , 6c le comte
de Berlaymont qui avoit cinq cens chevaux, fut chaifè de
la place , èc obligé de fe retirer avec perte dans la citadelle.
Mansfeld s'ètanc approché de Gcrtruydenberg, fe re-
trancha d'abord fur la levée de Steelhoof , d'où ayant exa-
miné les lignes des afliegeans , 6c jugeant qu'elles ècoienc
ecnvTTsar*
^5^ HISTOIRE
trop fortifiées pour en tenter l'attaque , il fe retira â Oofler-
Henri hout , & enfuite dans les bourgs de Waefbeck &: de Capelie
I V. fîtuesà l'Orient, proche le quartier du comte de Hohenio ,
I j^ 3, pour y attendre l'occalîon de combattre.
François Veer paiîa auffitôt au fecours du comte de Hohen-
io , avec cinq cens Anglois & mille foldats de Frife. Dans
le même tems , un Trompette du prince d'Orange ayant par
hafard rencontré Mansfeld , ce Général lui demanda pour-
quoi Ton jeune maître , qui étoit dans un âge , où l'amour
de la gloire enflame davantage les grands cœurs , fe renfer-
moic dans un camp fortifié avec tant de foin , fans ofer en
fortir, pour combattre en pleine campagne • le Trompette
lui répondit fort ingénieufement , que Maurice tout jeune
qu'il étoit , vouloit faire voir par fa prudence , qu'il reflem,
bleroit un jour â Mansfeld.
Le comte de Fuentes envoya encore de nouveaux régi-
mens de cavalerie & d'infanterie , avec quatre pièces de
canon 6c de grandes fommes d'argent pour payer les fol-
dats , qui déjà commençoient à murmurer. Qlipendant il fe
fit pendant plus de vingt jours de fréquentes efcarmouches
entre les deux armées , qui étoient fi proches l'une de l'autre,
L'adîon la plus vigoureufe fut celle du 24. de Mai (i). Le
comte de Hohenio 6c Veer repoufîérent vivement les Ef,
pagnols j 6c à la vue des afTiégés qui faifoient inutilemenc
des fisnaux du haut d'une tour élevée , ils tuèrent un o-rand
nombre d'ennemis , 6c firent quarante prifonnîers , entre
lefquels fe trouvèrent trois Capitaines.
Les foldats de Mansfeld s'étoient vantés que le jour de
ia S. Jean , auquel on a coutume d'allumer par-tout des feux
de joye , ils en feroient un au milieu de Gertruydenberg ,
après en avoir fait lever le fîége. Mais au contraire , le len-
demain de cette Fête, un brave foldat de la compagnie du
capitaine Haën de Tournay , ayant franchi fur le midi le
fofTé de la place fans être entendu , fe hafarda de monter
fur le baftion oppofé à la porte de Breda , 6c qui étoit pref-
quetout renverfé par l'efFort du canon. Ayant grimipe fur
les ruines du baftion , il obferva les corps-de. garde des enne-
mis -j S^ voyant les foldats de la garnifon , ou endormis ou
(i) Au lieu de IX. Kal. Jttn. 24. May , il faut lire IX. Kal. JhI îj. Juin.
occupé?
DE J. A. DE THOU, Liv. C V. ^57
occupés à prendre leurs repas , & dans une entière fécurité, ':
il fît ligne à les compagnons qui le regardoient de loin , de Henri
le fuivre au pliuôc. Le capitaine Haën le mec à leur tête, 1 V.
Bevery le joint à lui avec la compagnie ^ ils ferrent leurs 1595,
rangs , delcendent dans le folîë, montent fur ce baftion , ÔC
s'en rendent maîtres, après avoir tué les loldats qui y étoienc
de garde. Gefan gouverneur de la place accourut inutile-
ment au bruit avec une troupe d'élite ^ il fut frappé à la tête
d'un coup de mortier , èc tomba mort fur la place j le Ser-
gent-Major reçut aufli une blelTure dangereule. Cet acci-
dent étonna lesalîîégés ^ ilsavoient vu tuer leurs deux Gou-
verneurs , & les vains efForts que faifoit Mansfeld depuis
tant de tems , leur ôtoient toute elpérance de fecours.
D'ailleurs le folié par où les croupes Ecolfoilès alloient mon-
ter à la brèche , étoic prefque comblé , & ils fe lentoient
hors d'état de foucenir un aifaut qu'on pouvoit donner de
tous côtés.
Dans cette extrémité , ils envoyèrent quelques-uns des La ville fc
leurs au prince d'Orange , & entr'autres un Capitaine , couc rend.
hleffé qu'il ètoit. Ces députés capitulèrent avec le Prince^
à condition que les loldats , les Officiers du roî d'Efpagne,
& les Ecclélîaftiques pourroient fe recirer librement , & ians
qu'on leur fit de peine, avec leurs epees , leurs chevaux , 6c
leurs bagages : Qu'ils (eroient conduits en fureté & dans
l'endroit qu'ils choifiroient : Que le Prince leur prêteroic
des chariots 6c des vaiifeaux , pour lefquels ils donneroient
des cautions fuffifantes : Qu'on donneroit aufli des otages,
qui refteroient dans la ville , jufqu'à ce qu'on eût rendu fans
fraude les Archives , les Acles , & les Chartres , qui concer-
noient les droits de la ville 6c de la maifon de Naflau : Que
la garnifon pourroit porter fes drapeaux plies , julqu'au der-
nier pont de la ville j mais pour être remis enfuite au vain-
queur. On excepta de la^ capitulation ceux qui trois ans
auparavant avoient livré la ville aux Efpagnols , &c tous ceux
qui avoient trempé dans ce complot. On en pendit trois ,
donc le chariot, où ils étoient cachés fous de la paille , fe
renverfa par hafard , lorfqu'ils fe fauvoient. Il fortit de la
place fepc cens hommes de garnifon , qui furent conduits i
Anvers. On envoya les drapeaux à la Haye -, àc cecce
Tffwe X U O O o o
6^S HISTOIRE
: ' . ■■ conquête fut enfuice célébrée par des feux de joye^qu'on alîu-
Henri ma dans le camp &c dans la ville , & par une décharge gé-
IV, nérale du canon.
i55>3. Cependant Mansfeld îgnoroit encore que la place fiic
rendue 5 & le jour même de la reddition , il fit un détache-
ment pour attaquer le quartier du comte de Hohenlo j mais
ce parti fut défait par le colonel Cloët , de Véer à la tête
de fa Compagnie de cavalerie. Henri Frédéric frère du
prince d'Orange fut pourvu du gouvernement de Gertruy-
denberg. On lui donna pour Lieutenant Duyvenwoorde ,
qui fit auflitôt combler la tranchée 6c abattre les retranche-
mens du camp.
Mansfeld fâché d'avoir vu prendre Gertruydenberg fans
avoir pu le fecourir , fit marcher fes troupes vers Bolduc ^
& vint affiéger Crevecœur fur la Meufe , au confluant de la
Deynle. Cette place bâtie par les Efpagnois , pour fervir de
frein aux villes de la Meufe , avoir fort incommodé les HoL
landois , & traverfoit le commerce des navires de Dordrechc
avec le païs de Liège , &c les autres villes voifines j en forte
que les pertes qu'en foufFrirent ces peuples , & la douleur
qu'ils en eurent , la firent appeller Crevecœur. Les Etats
Généraux s'en étant depuis rendus maîtres , Bolduc en fouf-
frit par la même raifon beaucoup d'incommodités, par l'in-
terruption de fon commerce avec Hufden , Gorcum , &;
Dordrecht.
Autres exré- ^^ prince d'Orange informé du deiïein de Mansfeld, fit
ditionsci^ns prendre les devants à Floris de Brederode Seigneur de Cloë-
les Païs-bas. tinghcn , avec fon régiment. La flote qui portoit les pon-
tons & l'artillerie , eut ordre de le luivre au plutôt. Brede-
rode fe mit fur la rivière^ àc par un vent favorable , arriva
à Crevecœur avec toutes (es troupes. Il jetta l'ancre , ôc
fe rendit maître des deux bords de la rivière , malgré tous
lesefFjrts de Mansfeld. Bientôt après , ôcdans le tems mê-
me que ce Général alloit battre la place avec toute fon ar-'
tillen'e , le prince d'Orange parut avec fon armée. Il fè re-
trancha dans rille de Bommel vers le village de Heel , de
l'autre côté de Crevecœur , & fit venir du canon pour afiu-
rer davantage fon camp. La préfence du Prince anima la
garnifon , qui agit avec plus de courage. Daillcurs , Mansfeld
DE J. A. DE THOU, Liv. C V. 659
étoit fort incommodé par les eaux , qui inondoîenc Tes ^
retranchemens de Tes travaux j en forte qu'il fut obligé de H e n a i
tranfporcer Ton camp à une demie lieuë au-delà , dans des 1 V.
lieux plus élevés j car leshabitans de Gorcum ayant bouché 1^93.
le canal , la Dommele &c l'Aa , rivières qui pallent à Bolduc,
écoi^^nt débordées , ôc couvroienc toute la campagne de leurs
eaux. Ainfi après avoir gâté tous les houblons , qui fervent
à faire la bière , ( ce qui caufa un dommage confidérable
dans ces contrées , ) èc après un retardement inutile de quel-
ques jours , il décampa enfin êc marcha vers Bolduc.
Son but étoit d'introduire une garniion dans cette ville ,
fous prétexte de la défendre contre les ennemis qui en étoient
il proche ^ mais les habitans rejettérent fa propofition , ôc
ôtérent les armes aux EcclelialHques qui parurent fufpects.
Ils n'accordèrent un pafîlige dans leur ville au comte de
Fuentes , ôc même à Mansfeld , qu'à des conditions fi hon-
teufes & fi dures , que ces Généraux crurent qu'il étoit auflî
dangereux que déshonorant pour eux , de fe fervir d'un pareil ,
faufconduit. Mansfeld ayant voulu bâtir un Fort entre leur
ville Ôc Crevecœur , dans le deilein , difoit-il , d'arrêter Iqs
courfes de l'ennemi , ces bourgeois inflexibles s'oppoferent
encore à cet ouvrage , &: le firent cefTer.
Mansfeld ayant envoyé une partie de fes troupes en Frife,
fe rendit à Bruxelles avec le refle de l'armée , fans avoir pii
rien faire de toute la campagne. Les Efpagnols furent irri-
tés contre ce vieux Capitaine, quoiqu'il fiit des plus atta-
chés à leur fervice , & le blâmèrent de ce que voyant l'im-
pofTibilité de faire lever le fiége de Gertruydenberg , il n'a-
voit pas aiîîégé une ville voilîne de quelque conlèquence,
pour faire diverhon & divifer les forces de l'ennemi.
Le prince d'Orange, après une campagne aulîi heureufe,
mit des garnifons dans Tlfle de Bommei , ôc envoya une
partie de fes troupes en Frife , à Guillaume Louis de NaiFau
gouverneur de cette Province, qui s'y étoit rendu depuis '
quelque tems. Il chargea George Eberard comte de Solms ,
d'aller en Flandre , pour y réduire les païfans aux envi-
rons de Hulfl & d'Axelle , qui refufoient de payer les contri-
butions aufquelles ils avoientèté taxés. Le comte de Solms'
entra ,donc dans le pais de W^aes le 24. de Juillet avec huit
00 00 ij
é^o HISTOIRE
- cens chevaux , trois mille hommes de pied , Sc cinq cens
Henri pionniers. 11 s'attacha d'abord au Fort de S. Jean , que les
I V. Efpagnols avoient fortifié , auffi bien que le Fort de XY^aerc
I fo2 fur le bord de l'Efcaut. Il défit enfuite près de S. Nicolas,
un parti d'environ quatre-vingt chevaux 3 s'empara du Fore
S. Jacque , & de tous ces autres Forts que les Efpagnols aban-
donnèrent 5 6c fit payer les contributions à tous les habitans
de ce pais , que la crainte des Efpagnols , àc les menaces
qu'ils leur avoient faites de brûler leurs maifons , leur avoic
jufqu'alors empêché de payer. Mais ayant appris que Chri-
flophle de Mondragon gouverneur de la citadelle d'Anvers,
venoità fa rencontre avec deux mille hommes d'inf-anterie,
& fix Enfeignes de cavalerie , il fè retira de bonne heure ,
fans recevoir aucun échec , ôc avec un butin de quatre mille
bêtes.
Cependant Louis Guillaume de Naflau , qui étoit déjà
paiïé en Frife , étant parti d'Oofthorn pour fe rendre à
Rheyde vis-à-vis d'Embden , s'étoit campé le 13. d'Avril
avec la petite armée qu'il commandoit , à Bellingworderziel,
dans le delTein de fortifier cette place , pour couper le paf.
fage à la Boërentanghe. On travailloit encore à ces ouvra-
ges , lorfque François Verdugo gouverneur de Groningue,
vint avec deux mille cinq cens hommes , tant d'infanterie que
de cavalerie, pour empêcher le deffein du comte de Nafîàu.A
Ja vue de ces nouvelles fortifications , qui étoient déjà afîèz
élevées pour pouvoir y foutenir un afTaut , il fe retira ^ mais
ayant reçu un renfort de trois mille hommes de pied & de
huit compagnies de cavalerie , il fe préfenta tout-à-coup à
Guillaume , qui fe repofoit tranquillement dans le Fort de
Newort , à demie-lieuë de Groningue 3 &c qui y attendoic
l'arrivée des troupes qu'il avoit envoyées au prince d'Oran-
ge. Elles parurent heureufement après la prife de Gertruy»
denberg , lorfque Verdugo fe préparoit déjà à attaquer
Guillaume. Ce fecours étoit compofé de vingt Enfeignes
d'infanterie, & de douze compagnies de cavalerie.
Verdugo fe retira aufîîtôc 3 & dans le mois d'Août, Guil-
laume devenu plus puilTànt, attaqua avec fix pièces de ca-
non & prit Grinbergh , & tous les Forts qui étoient autour
de cette place. Ayant enfuite ravitaillé Coëvorden , &
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. CGi
Ootmerfum , il parue à la vue du château de \!^edde , '
place très-forcifiee , qui cependant fe rendit à l'approche Henri
du canon. Les ennemis abandonnèrent Winfchoten , & IV.
Guillaume maître de tout le paflage de la Boërentanghe , i ^o^.
forma le defîein d'y bâtir un Fort à quatre angles. Il prefla
cet oK-ivrage avec toute la diligence poflible. Le mur fut
bientôt élevé jufqu'à la hauteur d'une longue pique, avec .
un folié de quatre- vingt pieds de large. Il fit encore faire
un arcenal &; des cafernes , 2c ouvrir un chemin , pour tirer
à^s vivres de la 'W^eftphalie. Les ennemis ne pouvoient le
troubler dans tous ces defleins, qu'avec des troupes confidé-
rables j & fuppofé qu'ils euflènt tenté de le faire, il falloir
qu'ils palTalTent en s'en retournant , dans le comté de Ben-
theim. On mit cinq compagnies d'infanterie en garnifon
dans ce nouveau Fort , &: on en donna le gouvernement au
capitaine Frédéric de Jonghe. Guillaume, en bâtiflànt cette
nouvelle place , elpéroit qu'en la confervant pendant quel-
que tems , Groningue feroit réduit aux dernières extrémi-
tés , U. ferendroit bientôt.
D'un autre côté , le comte Frédéric de Berghe ayant re-
<^u deux mille quatre cens hommes d'infanterie, &:huit cens
chevaux que Mansfeld lui envoyoit, ôc avec huit pièces de
canon , palTa par Bocholt, & fe rendit le 5. de Septembre à
Linghen , pour y attendre un plus grand nombre de trou-
pes qui venoient de Namur , Ôc qui étoient déjà à Rure-
monde. Les Etats Généraux ayant appris cette nouvelle ,
envoyèrent François Véer àZutphen, avec quatre compa-
gnies d'infanterie & deux cornettes de cavalerie , pour dé-
fendre la Veluve &; en chaflèr l'ennemi. Frédéric voyant
tous les paflages de la Boërentanghe bouchés , defcendit
dans la Twente , &: affiégea Ootmerfum. Cette place elîuya
le feu de lix canons pendant un jour entier j mais Frédéric
s'étant emparé du rempart , l'obligea de capituler , à con-
dition que la garnifon en fortiroit fans armes & fans bagage ^
qu'elle ne ferviroit point en Frife pendant fîx mois 3 & que
les capitaines & tous ceux qui avoient quelque commande-
ment dans l'armée , refteroient prifonnîers de guerre. Cela
fe pafla le i 3. du même mois de Septembre.
Après la prife d'Ootmerfum, Frédéric joignit à Noortlaren
O O o o iij
^<^i HISTOIRE
fcs croupes avec celles de Verdugo. Les habicans de Gro.
H E N ïii ningLie lui refuférenc du canon 3 cependant il emporta de
I V. vive force le château de \^edde , cù il y eut cent dix-fepc
foldats de la garniion tués. Le comte de Câpres prit auiïî
^'^ d'emblée le Fort d'Auwaerderziel fur le Grocnîngherdiep j
& le capitaine Cornelio Gafparini de Lucques s'empara de
Schloderen , de Grylemyncken , &C de Granfberghe (i).
Frédéric s'approcha enfuite de Cocvorden. Ne ie lentanc
pas allez puilTant pour en faire le iiége dans les formes, il
lit bâtir des Forts tout au-tour pour réduire cette place
par un long blocus. Les habicans de Groningue le prefTé-
rent de marcher contre Reyde, ÔcBellingworderziel , pour
empêcher le paiTage des vivres dans la Boërentanghe , & lui
offrirent fix pièces de canon pour cette expédition • mais
Verdugo 6c le comte Herman Vandenbergh qui étoic
avec lui , ne voulurent point accepter cette proportion ,
dans la crainte que Guillaume de Nalîàu n'entrât aupara-
vant eux dans Schloderen, èc qu'en s'emparanc du che-
min de Groningue , il ne les empéchâc de cranfporter cette
artillerie. Ils réfolurent donc d'aller vers Groningue , &
d'attaquer à Timprovifte les lignes du comte Guillaume,
qui fe tenoit renfermé dans fon camp en attendant les trou-
pes que le prince d'Orange lui envoyoit fous la conduite de
Veer.
Il fut en effet attaqué par Verdugo au commencement
d^Odobre , & cette furpriie eût peut-être eu fon effet, fi un
foldat ne fût accouru pour en avertir Guillaume, qui fe
prépara auffitôt à la défenfe. On combattit avec chaleur j
mais Verdugo eut du défavantage ^ & après avoir inutile-
ment tenté d'attirer Guillaume en pleine campagne, il fe
retira à Groningue. Dans cette adion , qui dura pendant
fix heures, & julqu'à la nuit , AlefTandro Gherardi Milanois,
qui conduifoit la première Hgne des arquebufiers reçut une
bleffure dangereufe. Du côté de Guillaume, le colonel Bal-
four qui commandoit les Ecofïbis , reçut un coup d'arque-
bufe dans le pied. Il y en eut quelques autres blelTés , de
plufieurs tués.
Les deux partis fe retirèrent enfuite dans leurs quartiers
(i) Ou Crimberghe.
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 663
d'hiver • mais la plupart des foldacs qui ëtoienc au fervice du i
roi d'Elpagne , défertérenc à cauie des incommodités des Henri
lieux , &: de l'intempérie de l'air j & quelques uns d'eux pri. I V.
rent parti dans l'armée des Etats j enlorte qu'on donna or- 1595.
dre au duc de Saxe Lauwembourg de lever un régiment.
Verdugo partit de Linghen pour aller au devant de ces nou-
velles troupes j mais avant qu'il eût pu les joindre , les
garnirons de Doctecom , de Lochem , éc des autres places
voifines les attaquèrent dans la Gueldre , les battirent, les
mirent en fuite , & firent prifonnier le colonel Diftling, qui
commandoit ce régiment en qualité de Lieutenant Colonel.
- La fortune varioit dans les autres parties de la Flandre.
D'un côté, la garnifon de Breda qui elcortoit un convoi fuc
battue par les Efpagnols au mois d'Août proche Macftrichr.
De l'autre, un parti de cavalerie forti de Bergh-Op-Zom
tomba fur deux compagnies de troupes Allemandes, ôc fe
fervant de l'avantage des lieux les poulFa avec vigueur , ôc
les mit en fuite. Les Chefs furent pris 3 on les conduifît à
Breda , &; les drapeaux furent envoyés au prince d'Orange
à la Haye.
Dans la Gueldre ,Gonthier comtedc Schwartzenbourg,
qui avoit fept cens hommes de cavalerie Allemande , & qui
attendoit l'arrivée d'Ernefl: d'Autriche, nommé gouverneur
des Païs-bas , fut forcé dans fon camp par les garnifons qui
étoient dans les villes voilînes appartenantes aux Etats Gé-
néraux , & fit une perte confidérable. Ces mêmes garnifons
firent dans le mime tems de fréquentes courfes furie terri-
toire de Limbourg , & elles ravageoient toutes ces contrées.
Au mois de Septembre, Mansfeld envoya tin parti de
troupes d'élite pour furprendre Calais. Il fi^avoit qu'après
la mort deGirault de Mauleon de Gourdan , qui avoit été
gouverneur de cette place , & qui s'y étoit fait diftînguer par
Ton courage &: fa fidélité , François de Saint-Paul de Bi-
dofTan qui y commandoit n'avoit pas le loin d'y faire faire
des gardes éxadcs. Mais le complot fut découvert j & les
troupes qui vinrent d'Angleterre &c de Zélande rendirent
cette entreprife inutile. Quelques compagnies de troupes
Angloifès & Francoifes calmèrent auili les craintes que les ha*
bitans d'Ofcendeavoient d'être alFiégés. •>
664. HISTOIRE
-^^^- . i Les Efpagnols formèrent enfuite une entreprife fur les
H E N i^ 1 ifles de Zirickzée & de Tergoës, donc Chriftophe de Mon-
IV. dragon avoic voulu i>'emparer quelques années auparavant,
JÇQ2 Mansfeld reprit le même projet à cette occalion. Jean
Antonien , très riche laboureur, & intendant des levées de
l'ifle avoit été enlevé & fait prilonnier pendant la nuit. On
avoit employé les menaces &c les tortures pour tirer de lui
une rançon plus grolfe qu'il ne vouloit , ou qu'il ne pou voie
la payer. Entin on fît elpërer à cet homme attache à ks af-
faires domeftiques, & laife de tous les mauvais traitemens
qu'il avoit (oufferts , qu'on luirendroit la liberté s'il mon-
croit les gués pour entrer dans les ifles. Antonien ayant ac-
cepte cette propofîtion recouvra fa liberté ^ mais étant de-
venu fufpeâ: il fut mis à deux différentes fois en priion , 6c
néanmoins relâché faute de preuves. Enfin un transruge
Italien l'ayant accufé d'être d'intelligence avec les enne-
mis, il fut arrêté dans le tems même qu'il allpit mettre à
exécution les promeflès qu'il leur avoit faites • & la preuve
en étant certaine , il eut la tête tranchée à Middelbourg. Sa
mort fît évanouir les efpérances qu'avoit Mansfeld de s'em-
parer de ces ifles.
Le prince d'Orange n'eut pas un plus heureux fuccès dans
le projet qu'il avoit formé de furprendre Bruges pendant la
nuit. Il avoit afTemble fes troupes proche de >^illemflatc ,
nouvelle ville , ainli appellée du nom de Guillaume prince
d'Orange. Philippe de Naflau l'accompagnoit dans cette ex-
pédition , èc avec une flote de deux cens cinquante voiles ,
ôc un grand attirail de guerre , il étoit aborde pendant la
nuit entre TEclufe & Blankenbergh fiir les côtes de Flandre.
Le comte deSolms qui commandoit l'avant-garde, eut ordre
de prendre les devants avec une troupe d'élite , ôc étoic
déjà arrivé à Dam • mais [qs foldats prirent différentes rou-
tes, & s'égarèrent j foit que les guides les euflent trompés,
foitque les ténèbres les eufTent fait fortir du véritable che-
min , enforte qu'ils ne purent faire qu'un demi mille pen-
dant toute la nuit.
Le prince d'Orange qui les fuivoic avoit prefque étéfub-
merge dans les eaux qui couvroient la campagne. Le joui*
étant venu, il fit battre la retraite , & rentrer les troupes dans
leur$
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 6és
leurs vaiiîeaux, dans le tems que la garnifon delà place, "-
qui avoir tout découvert étoic en armes , 6c auroic pu , com- H e n r.i
me on l'a cru , défaire facilement des gens fatigués 6i dif- 1 V.
perfés. ^ 1593-
L'entreprife ayant ainfi échoué , le prince d'Orange prit
la route de Zélande, mais il furvint tout-à-coup une fu-
rieufe tempête qui brifa la plupart des vaifïeaux , & entre-
autres cent quarante bâtimens très-bien montés, àc qui
ctoient à l'ancre entre les ifles de Texel & de Nielandt ^ pour
enfuite tirer du côté du Nord. Il s'éleva un vent con-
traire, & qui foufRant fans interruption , ôc toujours avec la
même violence , les faifoit heurter les uns contre les au»
très , ou les poufFoit contre des rochers. L'agitation des flots
étoit également terrible j bc malgré tous les efforts des
matelots pour /étirer du danger, cette flote fe perdit pref-
que entièrement. Quarante vailTeaux furent engloutis dans
les eaux avec plus de mille hommes , foldats ou matelots.
Ce naufrage caufa un grand préjudice , non feulement â
à ceux qui en coururent les dangers , mais encore aux mar-
chands qui étoient fort éloignés , ôc qui malgré les pertes
qu'ils firent dans ce défaftre commun , eurent bien de la
peine à perfuader à leurs créanciers qu'il étoit jufle de leur
accorder des termes pour payer.
Il y eut cette année enFrance de bien plus grands événemens Affaires de
qui ne regardent pomt la guerre,^; qui trompèrent également
l'attente des deux partis. D'un côté les Ligueurs feflatoienc
que l'afîèmblée des Etats , & les conférences qu'ils auroienc
avec les Royaliftes feroient favorables à leurs affaires , ôc ne
ferviroient qu'à rendre plus odieux le Roi, dont la fermeté
ne s'étoit point encore laiffé fléchir par les prières de (es
fujets. Les Royaliftes au contraire, quoique très attachés
à leur Prince, incertains de fes fentimens , fouhaitoient un
accommodement que la politique & les ru fes de leurs adver-
faires leur procurèrent iorfqu'on l'efpéroit le moins Depuis
longtems , Philippe, ôc le Pape à foninfligation , prefToient
d'afïèmbler les Etats généraux , pour y faire élire un Roi
Catholique. Au contraire, le duc de Mayenne ne penfoic
à rien moins qu'à l'éleclion d'un Roi j 6c il lui auroitécéin-
iiipportable de voir donner à un autre une dignité qu'il ne
Jome XI, P P F P
^é^ HISTOIRE
pouvoir pas obtenir pour lui-même, Cependanc comme îB
H EN Kl avoir beloin pour fe loûcenir de l'aucoricé& des fecours de
IV. ces deux Puiflances, ii ne voulue point paroicre ouverce-
î 59 3' ^^^^^ contraire à leurs vues & à leurs ientimens. Cet habile
politique voyoittant de difficultés dans l'affaire del'éledion,
qu'il s'imaginoit qu'on ne pourroit jamais la terminer ^ ainfi
quoique dans le fond il fût fort éloigné d'y contribuer,
cependant il voulut bien courir le hazard d'une afiemblée
des Etats , dans l'idée que l'effet en feroic tout contraire à
celui que le roi d'Efpagne 6c le Pontife en attendoient j èc
qu'en parlant aux députés des Provinces , il pourroit rani-
iricr l'ancien efprit de la Ligue, dont l'ardeur diminuoic,
Se trouver de nouveaux fujets de haine contre le Roi.
Leduc de Mayenne, foit par modération, foit par foi»-
bleiîe , ôc par une lenteur naturelle, n'en vint jamais aux ex.
trémités où le poulToient les Efpagnols 5 il prit toujours un
milieu èc de fages tempéramens. Il attendoit fans doute
le moment favorable, où fans blefîer fa dignité, nipréju-
dicier à ies intérêts , il pourroit fe dégager des nœuds qui
le retenoienc dans une fadion où il ne voyoit que des épi~
nés & des écueils. Il n'ignoroit pas d'ailleurs les difcours def.
avantageux que tenoient contre lui les Efpagnols , qu'on
répandoit chez le Légat du Pape, 6c qu'on tâchoit par-la-
de féduire (qs partifans, Aînfî pour diminuer leur haine ^
& gagner l'amitié des Députés, il avoit publié fur la fin de
l'année dernière, par le confeil de les plus intimes amis ^
un Manifefte dont voici le précis.
Manifefte j| y expofoit : Que cc floriilant Royaume n'étoic venu
du duc de , r ^ ^ j ' 'A "T • • 1 u I
Mayenne. a un 11 liaut degrc depuniance, que par un inviolable atta-
chement à la véritable Religion : Qiie nos Rois très-Chré-
tiens, 6c furnommés , à caufe de leur foi, fils aînés deVE^-
glife , avoîent autrefois entrepris de longs voyages pour
faire la guerre aux ennemis du Chrillianif me , & à ceux qui
Touloient détruire les anciens Dogmes , & introduire de
nouvelles fecles : Que la Noblefïè Françoile avoit eu le
même zéîe , 6c n'avoit jamais ménagé , ni fon bien , ni fon'
fang, pour fuivre fes Princes dans ces faintes expéditions;:
Que ce zélé de la Religion avoit donc toujours éclaté dans-
iez Rois 5 6c dans la Noblefle , jw^^'^'à ces malheureux teras 5.
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^67
GÎi âcs fedaîres impies avoienc commencé à infecter Je monde ""
Chrétien du poifon de leur dodrine : Que ces nouvelles opi- Henri
nions avoienc non-feulement divifé les Catholiques, que la IV.
charité àc l'uniformité de fentimens dévoient unir enfemble 5 1595.
mais encore les avoienc armés les uns contre les autres , 6c
avoient allumé dans l'Etat une guerre civile : Que les héré-
tiq-ues en déguifoient les motifs , &: difoient hautement ,
pour retenir les Catholiques dans leur parti : Que cette
guerre qui déchiroic rEcac,n'étoic pas une guerre de Reli-
gion , & qu'elle n'avoic été fufcitée que pour envahir le
Royaume : Qu'on avoit malheureufement inipiré ces dan-
gereux fencimens au feu Roi 3 ce qui avoic faic naîcre de
funeftes dividons dans fon Royaume, 6c avoic été caufe de
fa mort, dont le coup étoit parti comme du Ciel, ^ de la
main d'un homme foible deftitué de tout fécours humain,
-Se à l'infçu même de ceux qui auroient eu des raifons légi-
times de fe défaire de ce Prince (i) : Que depuis ce cems-là
(i) Ces fentimens du duc de May en- [ qui n'a jamais paru , eft entre les mains
ne font conformes à ce qu'on lit dans ! de M. le Duc de Va'cntiroîs , qui a
une lettre qu'il e'crivit à Philippe II. bien voulu nous permettre d'en pren-.
imme'diatement après l'airaiTinat de jdre copie
Henri III. L'original de cette Lettre ,
Lettre du Duc de Mayenne a Philippe IL Roi d'Efpagne , interceptée par
le A^aréchal de Matignon ^ «[ui fit arrêter à Bordeaux le Courier
^ut en etoit porteur.
Sire,
^3 II a plu à Dieu nous ôter un Roi
85 qu'il avoit laiffé quelque tems pour
w affliger fes fujets ; l'entreprife de fa
?3 mort a été' faite ôc exécutée par un
3> Jacobin , de fon mouvement , com-
oï me par infpiration divine , 8c fans
II. Août ijS^.
M ou il eft. Le prince de Bearn , qui
« prend aufTi le titre de Roi , n'oublie
» rien de fon côté pour s'en faifir 6c
'ï rendre maître ; 8c je crains que ceux
3:» qui le tiennent , ne foient plus difpc-
3' fés à fuivre fon intention que la nô-
33 qu'il y ait été aidé , ni poulTé d'au- | =' tre. Si cette caufe 8c les Catholi-
35 tre perfonnc, Dieu ayant voulu choi- h>3 qucs de ce miférable 8c défolé
35 fir un inttrument fi foible pour éxé- ' 35 Royaume ont eu befoin par le pafTé
35 cuter cette vengeance , afin que cha- j 55 de l'appui & du fecours de Votre
P5 cun connut qu'elle étoit du tout fien- j 55 Majefté ; s'ils ont expérimenté fa
35 ne. J'ai fait déclarer par fa mort Mon- ^d bienveillance 8c fa bonté , elle leut
05 fieur le Cardinal de Bourbon Roi. 1 55 eft encore plus néceffaire que jamais »
05 N.OUS faifons tout ce qui nous eft 35 aujourd'hui qu'ils ont un ennemi ,
«'PoiEble pour le retirer de la prifon ^ ^^ chef dç Ihéiéfie , oui va être aftifté
PPppij
66^ HISTOIRE
■ ^ il ne s'écok propofé que de défendre la caufe de la Religion,'
Henri de conferver l'Etat , & de maintenir la paix avec les droits
IV. èc hs anciennes maximes du Royaume : Qiie par cette raifon
i cQ-t^ il avoit fait proclamer Roi le cardinal de Bourbon, qui le-
lon la déclaration du feu Roi , & les ades qu'on en avoic
drelTés , & qui avoient été enregiftrés dans les Parlemens
du Royaume , étoit le plus proche héritier de la Couronne ;
Qu'il avoit réfoiu , du conientement de toute la Nation ,
de rendre au Cardinal , s'il eût été en liberté, toutes fortes
de refpeds, & de lui donner toutes les marques poffibles
d'obeïiïance & de foûmiffion : Que plutôt que d'entretenir
le feu de la guerre , il eût déféré les mêmes honneurs au
loi de Navarre, Ci comme il le devoit , il eût attendu la
mort de fon oncle , & que cependant il eût eu ibin de fe faire
inftruire pour rentrer dans le fein de la vraie Religion, 6c
fe réconcilier avec l'Egliie : Que puifque ce Prince perfé-
véroit dans fes erreurs, il ne convenoit pas, ou il n'étoic
pas même poflîble qu'une Nation qui vouloit fuivre la foi
de l'Eglifè Catholique , Apoftolique ôc Romaine , reconnue
pour héritier de la Couronne un Prince excommunié , & qui
par-Iâ fe rendoit indigne du Trône : Que cela étoit direde-
ment oppofé à la loi la plus refpedable de l'Etat 5 puifque
depuis Clovîs" aucun Prince n'avoit porté la couronne de
Prance , qu'il ne fût Catholique, & qu'il n'eût juré de vivre
» de tous les Princes qui fe font féparés '» fureté , &authorité, n'y avoir re'gle
3' de TEglife , & ïeû de'ja de la reine =' en ma conduite que celle qui viendra
3' d'Angleterre , & de plufieurs en ce ^ de fes commandemens, lui rendrai
3> Royaume , qui fous le nom de Ca- 1 35 très - liumble ôc perpétuel fervice.
2' tholiques ont toujours eflaye' d'e'ta- { 3' J'envoyerai incontinent à Votre
^> blir l'he're'fie. Nous la fupplions très- ! '> Majefte' ; & entrerai aufïï en confe'-
3' humblement d'employer fa gran- 1 ^j rence de l'e'tat de nos affaires avec
3> deur , fon authorite' , ÔC fon nom => Monlieur le Commandeur Mores ,
3> pour notre confervation , qui lui ac- i ^^ auflîtôt qu'il fera ici , où je l'attens
=> que'rera ce titre immortel ; comme il
« efl le plus grand Monarque du mon-
3> de , qu'il eft auflî le feul dz vrai pro-
3> au premier jour , afin qu'elle en 'foit
3' au plutôt inftruite ; & cependant je
" prierai Dieu que pour le bien de la
» tedeur de l'Eglifè , 8c des Catho- " cliofe feule il conferve Votre Ma-
^> liques par toute la Chre'tienté ; & => jefté , S I R E en très parfaire fante',
=i fur nous , qui aurons conferve notre "' très-heureufe& longue vie. De Paris
=' Religion ôc notre Etat par fon bien-
35 fait, une obligation fi grande, que
=>i nous confcfferons <k reconnoîtrons
3ï à jamais lui devoir tout ; ôc moi en
?' particulier qui ne veux efpérer bien,
« le 1 1 . jour d'Août 1 j 8p.
Votre tres-humble (^ trés-obéif-
faut fervtteur Charles DE
Lorraine duc db Mayênke,
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 66^
èc de mourir dans cette Eglifê , de protéger la Religion , 6c ??■?-?:????■=
d'extirper toutes les fedes contraires : Que cette loi avoit Henri
été généralement reconnue dans les Etats de Blois.en IV.
1576. comme une maxime qui fervoit de fondement ôc 1593,
d'appui à la Religion : Que dès ce tems on avoit envoyé
des Députés au roi de Navarre, &. au prince de Condé,
qui vivoit encore alors , pour leur reprélenter le danger dans
lequel leur obftination les jettoit, & les exhorter de ren-
trer de bonne heure en eux-mêmes : Que cette même loi
avoit été renouveliée par l'Edit de Rouen de 1588. & par
une féconde afTemblee des Etats tenue à Blois: Que le feu
Roi avoit ioufcrit à ce décret fi falutaire j qu'il en avoit
juré l'exécution fur la fainte Hoftie ^ 6c que même après
avoir tait aHaifiner le duc de Guile, éc le cardinal de Lor-
raine, & dans un tems où il ne redoutoit plus ces illufbres
morts , & où il méprifoit ceux qui refloient , ce Prince avoic
renouvelle les mêmes fermens.
>j Convaincu par ces raifons, continuoit-il , j'ai pris les
>î armes. J'efpérois en même tems que les Catholiques qui
33 s'étoient engagés avec le feu Roi fe réitniroient tous après
«ia mort pour défendre la Religion, qui eft un lien des plus
3> forts j mais le contraire effc arrivé ^ éc me regardant com-
55 me l'auteur de la mort du Roi , à laquelle cependant je n'ai
33 point participé , ils ont prétexté l'horreur qu'ils en avoienc
33 pour demeurer dans leur camp , &; abandonner l'intérêc
33 de leur Religion. Le roi de Navarre leur ayant alors pro-
33 mis de venger Henri IIL Se de fe faire inflruire dans trois
33 mois , ils ont eu l'imprudence & la foibieiTe de s'engager
33 dans fon parti , &de lui prêter leurs fecours. Jufqu'àpré-
33 fent je les ai inutilement priés de fe joindre à moi, pour
35 pourvoir enfemble aux befoins de l'Etat, & finir les maux
35 d'une guerre fî funefte. J'ai même fait des propoUtions
33 avantageufes à leur chef , 6c lui ai fait efpérer que tout
35 lui obéïroit, s'il quîttoit fes erreurs , 6c s'il fe réconcilioic
33 avec l'Eglife , 6c avec le Souverain Pontife • mais ce Prince
33 obftiné dans fon heréfie m'a répondu feulement , qu'il ne
î5 vouloit pas recevoir la loi de ies fujets, 6c que lorfqu'ils
33 ieroient foûmis, il pouroit fe faire inflruire dans un Con-
,>3 cile libre 6c général 3 comme s'il étoit encore befoin de
PPppiij
^7« HISTOIRE
«g«»in>»firaa î;> nouvellcs dëcîfions , après que Terreur a été Ci fouvent
H E N K I " proicrice par l'Eglile , particulièrement dans le Concile de
J V . " Trente , le plus célèbre qui ait été tenu jufqu'â prefent.
, ,^ , >î Après la bataille d'Yvry , j'ai cru qu'il m'étoit peu con-
î3 venable dans ces tems racheux d ortrir par moi-même au
>5 roi de Navarre les mêmes conditions j mais je lui ai fait
>3 propofer par des hommes , que leurs dignités 6c leur mé-
»3 rite rendoient refpectables , ÔL qui ne cherchoient que le
95 repos de leur patrie. Les mêmes proportions ont été réï-
» térées pendant le fiége de Paris j tout cela n'a fait aucune
M imprelîion fur l'efprit de ce Prince.
« Le duc de Parme ayant fait lever le ilége de cette
»3 grande ville , fuivant les ordres 6c avec les troupes du roi
u5 Catholique , qui parla puiflànte protection qu'il a accordée
s9 à une fi jufle caufe , mérite toute la reconnoiflance de la
« Nation j le roi de Navarre rabattit de fa fierté , 6c de fes in-
î-a juftes prétentions. Mais après le départ des troupes auxi-
»3 liaires , il reprit bientôt fa première hauteur 3 6c demanda
»s de nouveau qu'avant toutes chofes on mat bas Iqs armes,
« qu'on lui prêtât le ferment de fidélité , 6c qu'après cela il
n pehferoit à ce qui regardoit la Religion.
vj Si Ton acquiefçoit à cette demande , au mépris des or-
39 dres du fouverain Pontife , èc des confeils du roi d'Ef-
î^ pagne, 6c des autres Potentats Catholiques ^ fi ce Prince
« avec les Sedaires qu'il traîne à fa fuite, reftoit la force ôc
« les armes à la main , tandis que les Catholiques defarmés
«3 6c fupplians fe jetteroient à fes pieds pour l'aflurer de leur
55 obéïilànce, peut-on douter que la Religion ne fût bientôt
55 réduite aux abois , èc exppfée aux plus grands dangers?
>5 On ne peut reprocher aux "Catholiques , qu'ils ayent
>5 pris les armes contre le légitime héritier de la cou-
53 ronne, puifqu'ils Tont fait pour la défenfe de la foi. Le
v; roi de Navarre lui-même doit fe Ibuvenir , que lorfqu'il
33 portoit le flambeau de la guerre dans ce Royaume, pour
« y faire entrer avec lui les nouvelles opinions -, il foutenoit
«par des libelles répandus de tous côtés qu'une telle guerre
*3 étoit juite , 6c qu'il étoit permis de réfifler aux Magiftrats,
93 pour maintenir la Religion 6c la liberté des coniciences,
;> lleft injafte de dire qu'il n'efl pas permis aux Catholiques
DE J. A. DE THOlJ,Liv. CV, 6^1
>3 défaire pour la Religion de leurs pères , ce que les Sec-
» taires ont ofé entreprendre , pour introduire leur nouvelle H e n k k
j> dodrine. I V.
» Perfonne n'ignore combien il feroit dangereux d'obéir 1^02.
w> à un tel Prince. Les Peuples imitent ordinairement les
« mœurs de leur Roi ^ ils fuivroient par confëquenc fes fen-
35 timens fur la Religion -, la Noblefïc ne manqueroit pas de
» s'y conformer ou par intérêt , ou par crainte. On voit dé-
>5 ja une preuve éclatante de cette vérité. Plufieurs Catlio-
n îiques font attachés au parti du roi de Navarre , quoiqu'ils
M voyent leurs parens , leurs frères , leurs amis , ou tués , ou
» dépouillés de leurs biens. Les monumens de la piété de
>5 nos ancêtres font arrachés de nos Temples par dQs facri-
>î léges& des impies. Leur Chef n'eft pas le feul qu'il faille
s> craindre -y les Catholiques unis enfemble pourroient le vain-
»î cre. On doit tout appréhender des Sedaires , qui étants en
55 grand nombre , ôc le voyants foûtenus de la faveur d'un
» Roi de même lentiment qu'eux , entreprendront ôc ofe-
î3 ront tout contre les Catholiques. Les véritables fidèles font
5>ddja noircis de leurs calomnies , 6c on les regarde dans^
M toutes les villes comme des féditieux & des rebelles. Les
53 Brefs des fouverains Pontifes Grégoire XIV. &: Clément
M Vin. ont été indignement rejettes, fous le prétexte des
3> privilèges , &: des libertés de i'Eglife Gallicane j des Ma-
33 giflrats & des Seigneurs qui fe glorifient d'être Catholiques
33 ont ofé fouler aux pieds avec le dernier mépris ces décrets
33 refpedables.
33 Mes ennemis ont grand tort de me faire un crime d'a-
» voir imploré Tafliftance du roi Catholique. Lorfqu'ils me
53 font ce reproche , on voit qu'ils ne tendent qu'à me fur-
53 prendre au dépourvu &: fans defenfe. Si j'ai demandé les
33 fecours d'un Prince allié de la France , ôc qui me les a
53 accordés volontiers , fans exiger aucun traité en fa faveur^
33 je ne l'ai fait que parce que j'étois contraint par la nècef-
33 ficé de défendre la foi qui couroit un fi grand danger.
>9 Je prie mes adverfaires mêmes , & je les conjure par la-
33 miléricorde de Dieu , & par le fein de cette Eglifè , dans
33 laquelle ils veulent vivre èc mourir , de quitter le parti des
« Héi^etiques , ôc de fe joindre avec moi. Par ce moyen oia^
^^71 HISTOIRE
î5 trouvera avec la grâce de Dieu quelques remèdes à des
Henri »maux prefque defefpérés j 6c de crainte que quelqu'un àes
IV. » Princes du Sang, ou quelque autre des Princes, Seigneurs àc
i fo- ^ " Officiers qui lonc attachés au roi de Navarre , ne prétexte
» qu'il n'a pas été appelle à l'alTemblée des Etats , ou qu'il
>3 n'y feroit pas reçi avec l'honneur dû à fon rang jje pro-
» mets , & je m'engage de faire tout ce qui fera néceffaire
5} pour y maintenir la fureté , ôc y faire rendre les honneurs
>3 diis au rang , & à la qualité des perfonnes qui y viendront^
»> mais à condition que les Catholiques fe fépareront au plu-
î3 tôt des Sedaires , & rompront ces injuftes liaifons qui
>3 caufent la calamité publique. Ils doivent lèntir qu'il eft im-
>5 pofîible de faire cefîer tous ces maux , s'ils ne quittent touc
« pour le fervice de Dieu ôc de fon Egiife. La Religion doit
î3 l'emporter fur tout , ôc rompre tous les engagemens j 6c
ï5 c'eft une fauiîé prudence que d'oublier [qs devoirs par rap^
ï3 port à un objet il important.
Le duc de Mayenne fînilToit fon écrit , en exhortant les
Catholiques Royaliftes,à envoyer leurs Députés à l'aiïemblée
des Etats Généraux du Royaume qu'on ailoic tenir au pre-
mier jour à Paris,pour y traiter de la Religion 6c de la paix. II
leur promectoit qu'on leur donneroit toutes fortes de lûretés ,
6c qu'il les fatisferoit en tout ce qui lui leroit poffible. Il re-
prefentojt enfin que s'ils le refufoient , d>c qu'en abandon-
nant les autres Catholiques , ils l'obligeallènt malgré lui d'a-
voir recours à des remèdes extraordinaires , il prenoità té-
moins Dieu 6c les hommes , qu'on devoit leur imputer les
maux, les divifions ^ les calamités qui entraîneroient in-
failliblement la ruine de l'Etat : Que pour lui , il n'y trempe-
roit point , puîfqu'il n'avoit jamais refufé un accommode-
ment raifonnable , 6c qu'il propofoit encore des conditions
équitables : Que s'ils les acceptoient , il ne doutoit point que
les Catholiques , après la réunion des efprits , joignants leurs
forces enfemble, ne défiiîènt entièrement les Sedaires qu'ils
avoient autrefois coutume de vaincre.
Cet écrit ètoit fignè par le duc de Mayenne & fcellè du
grand Sceau , qui reprefentoit un trône vuide , au lieu de
l'image du Roi. Il fut enregiftré le cinq de Janvier au Par-
lement fur la requificion du Procureur Général 3 6ç l'on le
fit
DE J. A. DE THOU, Liv. C V. 675
fie auffî-tôt imprimer, afin qu'il vînt à la connoiilance de tout
le monde. Henri
Il parut dix jours après une grande lettre du cardinal de I V.
Plaifance adrelTëe aux Catholiques qui fuivoient le Parti du 1593.
roi de Navarre. Il y faiibit d'abord remarquer le zéie avec Lenre du
lequel il ao-iiîoit dans fa Lécration , pour rétablir dans Ton '^='/^'."^' ^^ ,
luftre leRoyaume de France qui avoit toujours été fi florifiant, gat. '
tant que l'ancienne Religion Catholique , Apoftolique , ôc
Romaine s'y étoit maintenue j mais que la fureur d'une
cabale hérétique déchiroit miférablement , ôc dont elle
avoit prefque renverfé les fondemens. Il ajoûtoit que les
ténèbres dont les Partifans du roi de Navarre étoient aveu-
glés , étoient venues de cette héréfie, comme d'une fource
infedée de toutes fortes de maux : Qu'étants les enfans lé-
gitimes de i'Eglife , ils avoient jufqu'alors confervé la fou-
niillîon & le refped dû au fuccefiTeur de S. Pierre , & ne s'en
étoient écartés que par les artifices Ôc les fourberies des
Seétaires.
>3 Les Hérétiques, dîfoît-iî, accufent faufiement le Saint
»> Père, de favorifer de d'approuver le démembrement de
" cet Etat. QLiel fruit en pourroit-il retirer , & quel préju-~
»5 dice au contraire n'en devroit-il pas craindre ? On n'cfb
» point encore éloigné de cqs heureux tems, où les Fran-
5î çois élevoient jufqu'aux Cieux la bonté paternelle des fou-
>3 verains Pontifes, qui par leur reconnoiilance , èc les fer-
5> vices qu'ils rendoient à ce Royaume, s'acquictoient avec
îî ufure de tous les bienfaits que le Saint Siège a autrefois
» reçus de la piété & de la hbéralité des Rois très-Chrétiens,
î5 La France reçut avec plaifir les troupes que Pie V. en-
55 voya à Cbarle IX. pour dompter les Sedaires. L'affechioa
->•> des Papes , ôc leur zèle pour les intérêts de ce Royaume
55 a toujours paru avec éclat dans la bonne intelligence, qui
w s'eft confervée entre la cour Romaine èc la cour de France,
95 par des puilîàns fecours d'hommes de d'argent, & par de
:>5 fréquentes Légations. Mais ce poifon de l'herèfieefl: Ci per-
55 nicieux qu'il corrompt le jugement , & fait prendre en
?5 mauvaife part tout ce que l'on jugeoic autrefois digne de
« reconnoifiTance de d'éloge.
» Ce monftre enfante tous les jours mille abfarditès 6c
^74 HISTOIRE
« mille contrariétés qui ont cours entre vous. Vous foute-
Henri » nez que fuivant les privilèges & les libertés de l'Eglife Gal-
IV. >3 licane, on peut obëïr en France à un Hérétique, à unre-
j - ^ îî laps , à un excommunié. Ce fyftême ne peut être forti
)5 que de l'imagination d'un Phrénétique èc d'un infenfé,
55 Cette opinion n'eft qu'une fuite du venin de l'erreur , & a
55 été caule des mauvais traitemens qu'on a faits au cardinal
55 Gaëtano , quoiqu'il ne fût envoyé en France parle Pape
55 Sixte V. que comme un Ange de paix ^ non pour y intro-
55 duire une nouvelle doctrine à la place de ces loix auffi an-
55 ciennes que refpectables -, mais pour y affermir par fa pié-
M té & (qs confeils la véritable Religion , ôc les maximes que
33 nous avons recrues de nos pères. Il vous a fait d'inutiles
55 remontrances , fur ce qu'oubliant les fentimens ôc la piété
53 de vos Ancêtres, & fans confidérer les périls aufquelsvous
55expo{iez votre patrie , vous vous attachiez à un excom-
35 munie dénoncé publiquement ,&:que vous avez dans une
33 aiîembiée des Etats déclaré incapable de porter la cou-
35 ronne ; à un Sectaire qui n'a jamais verfé d'autre fang que
53 celui des Catholiques j à un infradleur de toutes les loix
33 divines &c humaines , qui a retenu dans les fers & fait mou-
53 rir d'ennui & de chagrin un Prince refpeclable, le cardi-
33 nal de Bourbon fon oncle.
>5 Après la mort de Sixte V. & fous le Pontificat de Grc-
55 goire XIV. Marfilio Landriano vint en France au mois
53 de Mars fuivant, & joignit aux Brefs dont il étoit chargé^
33 des difcours pleins d'aSedion ôc de bonté. Vous avez fait
53 d'abord bien mal de ne point écouter les avis de ce fage Lé-
« gatj mais c'en eft un bien plus grand de n'avoir payé fon
53 zèle que par les plus indignes calomnies ,au lieu delà vive
33 reconnoiftance qui lui étoit due. On a méprifé non pas un-
53 papier inanimé , & un fmiple Bref expofitif des volontés
55 de ^a Sainteté, mais le nom & l'autorité même du chef
35 de l'Eglife & du vicaire de Jefus- Chrift. Enfin par une
33 fuite de la même fureur, un écrit impie qui renfermoitau-
53 tant de blafphêmes qu'il contenoit de mots , parut dans
>3 le même tems. Je veux parler des deux prétendus arrêts
55 des conventicules de Tours & de Châlons.
>5 Vous étiez fourds au bruit de ces impiétés que vous
DE J. A. DE THOU, Liv. C V. 675
avîez cependant droit de punir par vous-mêmes. Vous
avez encore palTé fous iilence ce que quelques Eccléfiafti- H e n r. i
ques avoient ofë faire dans raiîemblée du Clergé de I V.
Chartres. Innocent IX. dans le peu de durée de fon Pon- i ^03.
tificat a fait voir une foUicitude égale à celle de fes pré-
déceffeurs pour le falut de la France. Clément VIII. lui
ayant fuccédé , attira l'attention de les yeux de tout le
monde Chrétien , qui le regarda comme une émanation
de la lumière célefte , que Dieu Père de toute confola*
tion envoyoit fur la terre , pour y diffiper les épaifTes té-
nèbres de ce fiécle. On efpéroit qu'il n'y auroft perfonne
qui n'ouvrît fon ame pour y recevoir les rayons de cette
clarté falutaire, & qui àlaviiëd'un fi digne Chef ne ren-
trât fous les étendarts de la Religion Catholique j mais au
contraire , on vit alors fortir de Châlons un autre arrêt
qui attaquoit le Bref que j'apportois en France. Ceux qui
o|3éï{roient à l'hérétique tolérèrent tous ces attentats, dans
la frivole efpérance que leur Prince fe convertiroit , dès
que le Pape leveroit l'excommunication , ôc voudroit bien
lui donner fon abfolution.
» Vous devez être enfin convaincus de fon obfbînation dans
l'héréfie 3 vous devez donc vous joindre aux autres Ca-
tholiques du Royaume , ôc vous alTembler tous pour
élire un Roi très- Chrétien , & véritablement Catholique.
La prudence dièle cette rèfolution -, mais il faut du courage
pour la fuivre. Former un pareil defTein èc fçavoir l'exé-
cuter , c'efl l'effet d'une vertu accomplie. Le moyen le plus
fur 6l le plus convenable pour y réuifir , efl la convoca-
tion de raiîemblée des Etats.
53 |e vous exhorte à agir de concert avec le fouverain
Pontife , & à faire fans retardement ce que l'Egiiiè , la
3 Religion , & votre patrie exigent de vous. Unilîez-vous de
> fentimens avec le duc de Mayenne. Ce Prince auffi admi-
3 rable par fa piété confiante , que par fa grandeur d'ame,
î fait tous fes etFortspour conferver la couronne de France,
j la Religion Catholique, & les véritables Libertés de l'E-
5 glife Gallicane, qui conliflcnt particulièrement à vousaf--
3 franchir du joug d'un Hérétique. Séparez-vous du corps des
> Seélaires 3 demandez toutes les furetés qui vous paroîtronc
C>'^(> HISTOIRE
- >5 néceffaires , afin de pouvoir aller & revenir , dire & faire
Henri « tout ce qui convient pour rëclaircifTement d'une affaire
IV. » fi épineufe. Le duc de Mayenne s'efl: engagé envers vous,
j -g - >5 &: vous a cour promis. Vous avez encore ma proteâ:ion,ou
>3 plutôt celle du fouverain Pontife & du Saint fiége.
Ces écrits ayant été apportés à Chartres où étoit le Roi,
firent différentes impreffions fur les efprits. Les uns fe mo^
quoient ou étoient indignés de ce que des hommes attaches
à une fadion qui n'avoit plus de refiburces , fe laiiToient al-
ler à toutes les lueurs qu'on leur prefentoit , &: de ce que
tranquilles au milieu des dangers de la guerre^ils n'étoient que
comme fpeAateurs d'une comédie & d'un jeu , fans confidé-
rer qu'il ne s'agifîbitpas de négocier vainement, rnifs de com-
battre, & qu'il falloit faire plus d'attention aux iuites d'une
bataille décifive , qu'à tout ce qu'on pourroit ordonner dans
ces ridicules afîémbîées. D'autres jugeoient que quoiqu'il fùc
hors de faifon depenfer à l'éledion d'un Roi , &: que tout ce
qui fèroit décidé dans des afTemblées pareilles ne dût avoir au-
cun effet j cependant toutes ces propofitions d'accommode-
ment fe faiioient par les artifices du Roi d'Efpagne & du
Pape qui le fervoit à l'aveugle , afin d'engager les Peuples
dans de nouveaux liens ^ de rendre impoifible un accom-
modement qu'on pourroit encore terminer j & de faire en-
forte que les Efpagnols, qui dans ces troubles n'avoient en-
core qu'une autorité précaire , devinilent abiolument né-
ceflaires en fermant toutes les voyes de la réconciliation.
Entretien de Gafpard de Schomberg comte de Nanteuil , homme au/il
«caTT^A^dc recommandable par fa grandeur d'ame, que par fa mode-
Thon, au fu- ration , & d'un attachement inviolable à la France , étoic
'^^^ ^^ ^^^'""^ alors à la Cour. Jacque Augufte de Thou(i),que les mê-
affaires. Hics fcntimens uniffoient particulièrement avec ce Seigneur^
s'y trouvoitaufîî , à cauie de quelques affaires pour leiquelles
le Roi l'avoir rappelle auprès de lui. Un jour s'entretenant
enfèmble , félon leur coutume , de l'état prefént des affaires,
& ayant à la main le nouvel écrit du duc de Mayenne ,
Schomberg prit la parole , & dit qu'il plaignoit le fort d'un
Royaume autrefois fi florifiant : Qj-fil craignoit le funefte
démembrement de la Monarchie;,fi l'on continuoic la guerre^,
(i) C'eilTAuteur de cette hilloire.
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 677
6c qu'à la faveur de ces troubles les Efpagnols & les autres -
étrangers n'envahiflent le Royaume : Que ne voyant aucune H £ n k 1
apparence de terminer la guerre par la voie des armes , il 1 V*
avoit déjà propofé celle de la négociation j mais que puif- i5$;3r
que les conférences particulières avec le duc de Mayenne,&:
{es Partifans n'avoient pas rétiffi , il falloit avoir recours à
une affemblée générale, dans laquelle les Chefs conféreroient
publiquement 6c dans une entière liberté , des affaires de
i'Etat, 2c des moyens néceiïaires , pour détourner des dan-
gers qui menaçoient également les deux Partis : Que le
duc de Mayenne étoit très-cloigné de confentir à une con^
férence publique ôc générale, & qu'on ne pouvoit efpérer
qu'il y donnât volontiers les mains 3 parce qu'il avoit fon
intérêt particulier à ménager , de qu'il craignoit pour lui
feul 3 mais qu'il falloit l'y contraindre , en obtenant un con-
fentement unanime de tous ceux qui défiroient la fin des
calamités publiques , & que foit qu'il le voulût ou non , il
ne pourroit refifîer à cette autorité.
De Thou lui répondit que l'exécution de ce projet ne
lui paroilîoit pas difficile : Que vrai-femblablement le duc
de Mayenne n'avoit donné que malgré lui ce dernier écrit,
ôc feulement pour diminuer la haine qu'on lui portoit^ mais
qu'il s'étoit lui-même eneaeé dans la néceflîté de confentir
'&"&'
à une conférence publique , en invitant à l'afFemblée des
Etats les Princes du fang, les Seigneurs , èc les Evêques atta-
chés au Roi, & en leur permettant de dire librement tout
ce qu'ils penléroiqnt pour le bien de la Religion &; de
l'Etat : Qu'on devoit iàillr l'occalion prelèntée par la der-
nière claufe de fon écrit 3 êc que comme dans une bataille
navale on accroche les vailleaux pour fe battre , il falloic
le forcer à la paix ,en l'obligeant d'en venir à une confé-
rence : Que cela ne pouvoit qu'être favorable aux affaires
du Roi j parce que les Seigneurs des deux Partis, qui juf^
qu'alors s'étoient traités en ennemis , fe regarderoient alors
comme frères , & que le duc de Mayenne , & les autres
Chefs qui efpèroient tirer un avantage particulier des mal-
heurs publics , & qui craignoient la paix , voyant les efprirs
réunis , feroient contraints de recourir eux-mêmes à un ac-
commodement : Qii'il falloic feulement prendre garde de ne
0.0.4 q 'H
(îyS HISTOIRE
pas compromettre l'autorité du Roi , & qu'on ne devoîtrien
Henri entreprendre fans fon agrément -, parce que la première
I V. ciiofc qu'on devoit ménager avec toutes les précautions
i ccfi, poffibles étoit le maintien , Ôc la confervation de l'obéïflànce
ôc du rerped dû au Prince , Se qu'on ne pouvoit manquer à
la fidélité qu'on lui avoit jurée , lans porter à l'Etat un coup
funefte qui cntraîneroit le renveriement de la Religion : Que
ce Prince plein de bonté & de clémence , qui avoit toujours
çu en horreur la guerre civile, de qui jamais ne s'étoiteloi-
gné des moyens qui pouvoient procurer la tranquillité de
i'Eglife , accepteroit volontiers ce parti.
Louis de Revol , l'un des quatre fecretaires d'Etat , per-
sonnage d'une intégrité 6c d'une prudence reconnue , étoic
prefent à cet entretien. Il le goûta , & ajouta feulement
que pour hâter la négociation , il falloit y faire confentir
le Roi. Schomberg dont l'éloquence étoit auffi douce que
perfuafive , de qui étoit aimé du Prince , fe chargea de lui
en faire la propofîtion j &L en ayant obtenu une audience fe-
crette, il lui parla ainfi.
Din:outs de " ^^ ^^ tcms, Sire, de remédier aux calamités qui aug-
Schombcrgau « mentent tous les jours j ou fi vous négligez plus longtems
Roipour4ui „ jg Iq faire, on croira que Dieu a abandonné notre caufe,
perluacici' de , , ^ , '
iûire la paix. " dc qu'il celIè de protéger votre Royaume. Quoique Iqs
» chefs de la Ligue ne fe fervent du prétexte de la foi, que
3> pour cacher leurs pernicieux defîeins j de que comme un
35 d'eux l'a dit avec efprit , ils fe falTent du manteau de la
?î Religion un habit à l'Eipagnole , vous devez cependant
îj être perfuadé que tant de villes opulentes qui fe font ré-
M yoltées contre votre prédécefTeur , de qui perfévérent en-
?î core dans leur rébellion , fbûticnnent fans feinte 2c de
53 bonne foi leur Religion , de ie verront plutôt réduites en
î> cendres que de Tabandonner. Vous avez donc à foûtenir
•n de longs de de dangereux combats contre l'ambition des
s> uns de la fermeté des autres. .Qiioiqu'avec le fecours du
}y Ciel , nos armes ayent jufqu'à preient prolpéré de tous
»3 côtés j cependant quel a été le fruit de tant de batailles,
»? de combats de de fleges ? Vos ennemis ont trouvé en vous
>s plutôt un redoutable vainqueur , qu'ils n'y ont recon-
;,? nu un Prince légitime héritier de la Couronne. Çei^^
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. éyc,
» qui vous fuivent dans vos vidoires , les attribuent à la pro- r
M tcdion de u divine providence , qui favorife toujours la H en Ki
" caufe des Rois , lorfqu'elle eft au(îî jufle que la vôtre j I V.
" mais vos fujets rebelles n'en jugent pas de même,ils croyenc i c q ^ ,
î3 qu'une telle profpérité n'eft que la faveur d'une fortune
» inconftante , qui s'attache tantôt aux uns , 6c tantôt aux
55 autres. Etants en fureté du côté de la confcience , &c ap-
>3 puyés au-deliors par les forces, ôc le fecours de tant de
ï3 Princes qui partagent déjà nos Etats en idée, leurs pertes,
» & leurs défaites ne les font point changer de fentimens,
« de ils attendent de l'inconflance de la fortune le même
yj bonheur que vous avez eu julqu'à prefent. Il eft digne de
»5 votre fàgelTe, Sire, de penîér à l'advcrficé dans la prof-
it péricé. Souvenez-vous toujours de la fragilité des chofes
» humaines 3 de trop heureux fuccès la font difparoître à nos
>5 yeux. Vous connoiiTez l'inftabilité 6c les caprices de la for-
>î tune , dont les faveurs ont prefque toujours quelque fâ-
» dieux retour. Si elle vous a fuivi jufqu'à prefent , craignez
>î enfin qu'elle ne s'épuife à votre égard , èc ne puiiTe fuffire
>5 pour vous garantir des dangers que votre courage vous
>3 tait courir fi fouvent. Si elle vous manquoit une feule fois,
J3 quelle étonnante révolution verrions.nous ? Ne vousflac-
w tez pas , Sire , que s'il vous arrivoit quelqu'un de ces triftes
«revers, que tous les hommes doivent craindre, votre cou.
55 ronne pafiTeroit à votre héritier , Se que ces ennemis qui
53 vous font une cruelle guerre , refteroient en repos après
«votre mort. Non, Sire , vous laiiîeriez un foible enfant
» aux prifes avec fes oncles (i). Enfin , ou vous rétablirez
>î votre Royaume dans fon ancienne gloire, ou il périra avec
« vous. L'incertitude de l'avenir qui allarme vos fidèles fu-
» jets, flatte l'eipoir de vos fi.ijets rebelles. Nous fouhaitons
« ôc nous efpérons que de tels malheurs n'arriveront pas.
« Mais quel peut être le fruit d'une guerre aufii funefte aux
« vainqueurs , qu'aux vaincus ? Lorlque le Royaume fera
« épuifé par le fang des Franc^ois verfé de part & d'autre ^
« ces fuperbes étrangers qui entretiennent parmi nous la
53 difcorde , feront éclater leurs injuftes prétentions , Se
53 fous prétexte d'offrir leur fecours ou leur médiation, ils
(3) Le prince Henri de Conde.
^8o H r ST O I R. E
— » anéantiront les droits des deux partis , Se faifiront l'ob-
Henri «jet de leur contcftation. Pendant que la-^'eligion nous
I V, >î arme les uns contre les autres , nous leur facilitons les
1593. »3 moyens de renverfer l'Etat & la Religion même. C'eft
« pourquoi , Sire , n'employez plus la force , puifque la guerre
53 vous feroic peut-être auffi fatale qu'à vos ennemis. Songez
»3 plutôt à réunir tous vos fujets par une paix folide.
î> Plufieurs circonftances fâcheufes ont été jufqu a préfenc
» des obftacles au retour de cette lieureufe paix. D'un côté
?5 on portoit tout à l'extrême j les efprits étoient échauffés 3
■ ^> la guerre a des charmes dans fes commencemens , lorL
M qu'on n'en a point encore éprouvé les fuites funeftes. L'au-
53 tre parti fe fioit trop fur [qs richeffes & fes forces,6c quelques
»5 heureux fuccès l'avoient enorgueilli. Les fujets de haine
« étoienc récens. Des villes trop puilFantes étoient agitées
^5 par un efprit de fédition • 6c la Religion les rendoit fu-
>î rieufes. Mais à préfent la haine s'eft ralentie ; Temporte-
» ment eft moins vif j la vérité commence à éclairer les eC
*î prits j les peuples accablés par les maux de la guerre , fe
^j repentent de leurs fureurs j les villes font épuifées par une
33 fî longue interruption de commerce • la Nobleflé même
M s'ennuye d'une guerre , qui devient de jour en jour plus
^3 onéreufe 3 en forte que le tems a fait en quelque façon
M mûrir cet accommodement , qui paroifToit auparavant fl
M difficile.
33 Vos ennemis tâchent de nouer une conférence 5 vous
35 pouvez profiter de l'occafion que le duc de Mayenne même
•i3 vous préfente. J'avoue, Sire , qu'un grand nombre de vos
« fujets fidèles fe font endurcis à tous ces maux , &c paroiL
33 fent être certains d'un heureux avenir. Ils femblent pré-
^3 férer ia guerre à une négociation fi épineufe , ôc environ-
« née de tant de difficultésjmaisdans le fond, on voit qu'ils
33 craignent feulement de fe rendre fufpeds en vous propo-
^3 fant une conférence. Ils craignent que dans cqs tems mal-
35 heureux , où non feulement le Royaume eft déchiré par
35 des factions , mais où votre Cour même n'eft pas exempte
^a de divifions , on ne les accufe , en vous excita;it à la paix ,
M de taxer d'injuftice la guerre que vous avez faite j de fa^
5 3 yorifer vos ennemis , de rejetter .fur vous la hv^ine que ces
longue?
iritaMk
DE J. A. DE THOU, L i v. C V. 68r
« longues divifîons ont caufée ^ êc de préférer des engage-
»3 mens particuliers > à la gloire de Votre Majefté. Vous Henki
M comprenez , Sire , ce que je veux dire j ôc j'ai remarqué I V.
» que tous les troubles du dehors vous font moins de peine , 1593.
» que les difTentions domefbiques , qui diminuent peu-à-peu.
» vos forces , retardent vos delîeins , &c vous font perdre
>3 ces heureufes occafîons , qui décident de la victoire.
>5 Pour moi , je ne crains point d'être fufpeâ: j je fuis Saxon
« & étranger j mais j'ai l'efprit èc le cœur tout François.
>î Ainfî j'oie. Sire, vous conleiller de faire une utile & né-
53 ceiîaire paix , qui vous couvrira de gloire. Efb-il rien de
>3 plus glorieux pour un grand Prince tel que vous , que de
M donner au Royaume dont vous êtes le légitime héritier,
>3 une paix que tous vos fujets fouhaitent , & qu'ils n'ofenc
« efpérer ? Eft-il rien de plus digne de vous , Sire , que de
« rendre à i'Eglife , les Temples d'où les Miniftres facrés
>3 ont été chaflés par la fureur de la guerre ^ de renvoyer
» votre NoblelFe dans [qs maifons , pour y goûter le repos
îï après tant de fatigues j Se de rétablir dans vos villes la lî-
« berté du commerce ? Eft-il rien enfin de plus utile , que
« de remettre dans l'ordre tout ce que la guerre a confondu j
>5 c'eft-à-dire, de faire rentrer dans le devoir tous vos fujets,
» ôc de rétablir votre autorité ? Vous devez , Sire , efpérer
îî que la paix vous procurera tous ces avantages ^ àc pour
>3 l'obtenir , je crois que vous ne devez rien épargner. Si les
>3 conditions en font trop dures en apparence , elles ne peu~
n vent que vous être dans la fuite avantageufes. La guerre
a civile rend les Princes èi les peuples égaux ^ mais dès que
>5 la paix cft faite , quelques traités & quelques conditions
» qu'on ait pu faire , pour tenir la balance égale entre les
» deux partis , le Prince reprend bientôt la fupériorité que
J3 la guerre lui avoir fait perdre , & les peuples ont toujours
M le defTous 3 en forte que dès qu'ils auront mis bas les armes ;
« tout le droit qu'elles leur donnoient s'anéantira , & ne fer-
» vira qu'à affermir votre autorité,
î3 Je crois donc , Sire , que ceux qui n'ofent vous parler de
» la paix , de crainte qu'on ne les foupçonne de fouhaiter la
>î diminution Se l'avilifîement de la dignité Royale , agillènc
M avec peu de prudence. Qiioique j'aye été nourri dans les
Tûme XU RRrr
é8i HISTOIRE
. >5 camps , & que j'aye faic en France une fortune confîdë-
Henri >3 rable par le métier des armes , je ne crains pas néanmoins
I V. 53 de vous confeiller la paix.
I c o 3 . » Je vous ai dit , Sire , qu'elle étoit néceiïaire , parce que
->•> je prévois , ( &: Votre Majefté ne l'ignore pas , ) que cette
î3 gueire à laquelle vous vous êtes accoutumé , 6c que vous
" faites depuis il longtems contre des peuples furieux , 6c
33 contre une fadion appuyée par le Pape 6c par l'Efpagne ,
33 enfantera bientôt d'autres divifions , dont les femences
33 font cachées, 6c dans le fein même de votre Cour. Vous
35 en feriez accablé , Sire , malgré votre fermeté 5 6c votre
33 Royaume même , quoique très-puilîant , mais déjà dé-
33 chiré par des troubles domeftiques , n'en pourroit foûtenir
33 la violence. Qu'attendez- vous de plus d'une victoire fan-
33 glante 6c dangereufe , que de foûmettre vos fujets rebeL
33 les ? La paix vous donnera cet avantage fans courir tanc
33 de riiques ; car le Roi eft toujours victorieux , dès que le
33 peuple traite avec lui. Faites donc cette paix qu'on attend
33 de vous. Etouffez les fentimens de l'elpérance ou de la co^
33 1ère , dont les motifs font fi trompeurs. Il eft honorable à
33 un Prince fage , que Dieu a instruit dans la bonne 6c dans
33 la mauvaile fortune , de fuivre plutôt la voie que lui mon-
33 tre la raiion ^ que celle d'un halard incertain 6c trompeur 5
>3 àc de préférer la paix à l'efpérance flateufe de la viâoire.
33 Pour nous , Sire, qui avons toujours tâché de vous donner
33 de fages confeils , notre foin fera d'empêcher qu'on ne
33 bleflc dans cette négociation le refpcct 6c l'obeifTance due
33 à Votre Majefté. Si nous parlons de paix , nous n'agirons
33 point par nous-mêmes ^ mais afin de donner des preuves
33 autentiques de notre dévouement ^ de la fidélité que
33 nous vous avons jurée. Le Hérault qui fera envoyé aux
33 ennemis , pour convenir du lieu de la conférence , ne par-
33 tira qu'avec la permiifion , 6c par les ordres de Votre
33 Majefté.
^, ^ , Le Roi l'interrompit alors , 6c lui dit , 33 T'ai toujours
Réponfc du ri-'i • r 'w i T- ' t
i^ei. » louhaite la paix que vous me conleiliez de taire. Je me
53 réjouis de trouver Poccafion de finir la guerre , dans le
33 tems que la fortune m'eft favorable , perfuadé qu'on ne
33 dok jamais compter fur ïqs plus grandes faveurs. Lqs motifs
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^83
n quî m'engagent à defirer la paix , ne font pas la crainte ;
" des confpirations , ni Tincercitude des ëvénemens , qui H e n k. i
j> dans la guerre trompent les eipérances les mieux fon- I V.
» dées j mais l'amour de ma patrie , & la mifére de mes j 59 u
« peuples, qui gsmiiîènt ious le poids accablant d'une guerre
>3 fi funeite, ôc que je voudrois finir, au prix de tout mon lang.
»5 On m'obj.cij ma Reii(j;ion j mais vous fçavez que je n'y
w fuis pis attache avec obilination. Si je fuis dans l'erreur,
>5 que ceux qui m'attaquent avec tant de fureur, m'inftrui-
» lent , 6c me montrent la voie du lalut. Je hais ceux qui
»> agiiFjnt contre leur confcience ^ je pardonne à ceux qui
» iont conduits par un véritable motif de ReHgion ^ & ce-
J5 pendant je luis prêt de recevoir en grâce les uns 6l lesau-
î3 très , pourvu que le defir de la paix , 6c non le chagrin de
5î leur mauvaife fortune , les dégoûte de la guerre. Il fauc
«feulement prendre garde que pendant les conférences,
»î l'ardeur de mes fujets fidèles ne iè ralenciiîe j que les for-
>3 ces de mes ennemis n'augmentent ; & que je ne paroilTè
»3 plutôt leur demander la paix , que la leur donner. Je crois
53 avec vous que dans les guerres civiles, le Prince qui donne
M ou qui demande la paix , y gagne toujours ^ 6c que celui
î5 quia la juftice de fon côté , trouve par l'événement un
9> avantage certain. Qi-ioi qu'il en foit , je remets à votre
»> prudence le foin de voir , avec les autres perfonnes qui font
^j zélées pour mon lervice , Ci nos ennemis n'agiiLmt pas ainlî
M pour fe tirer d'un mauvais pas , oia leur témérité les a en-
55 gagés • d'examiner fi pendant que nous les invitons de
53 bonne foi à une conférence, ils ne cherchent pas l'occafion
53 de nous nuire -, 6c enfin de ne pas compromettre mon au-
53 torité , non feulement par rapport à eux j mais encore à
53 l'égard de mes autres fujets. «
On avoit d'abord jugé à propos de demander un fauf-
conduit au duc de Mayenne, 6c d'envoyer à Paris une per-
fonne du Confeil de S M. pour traiter dans l'ail^mblée des
Ligueurs au nom des Princes, Prélats , 6c eigneurs Catho-
liques, qui étoient dans l'armée du Roi. Mais ce Prince crai-
gnit de ié compromettre , en faifant voir un fi grand defir de
la paix j 6c que fa bonté rendant les Ligueurs plus infolcns,
ils ne recufient pas le Député avec l'honneur qui lui étoic
RRrr ij
684 HISTOIRE
dû , &c lie formaffcnt de plus grandes difficultés ] par rap-
Henri port à raccommodement qu'on méditoit. Il aima donc
I V. mieux qu'on s'expliquât , à l'exemple du duc de Mayenne,
2 C03. par un écrit qui parut le 27. de Janvier.
Il étoit au nom des Princes , Prélats , Seigneurs , & autres
<ie la'pa^n dés Catlioliqucs , fîdéles fujets du Roi. Ils expofoient dans cet
Catholiques écrit , que la continuation d'une guerre fî malheureufe &c fi
oya i. tes. £^^^q{Iq ^u Royaume , le feroit également d la Religion Ca-
tholique : Qiie prévoyants avec douleur toutes ces calami-
tés , ils s'étoient attachés à leur Roi légitime j &; que dans
ja vue d'empêcher la ruine de l'Etat , 6c de détendre la Re-
ligion qui étoit dans un auffi grand péril , ils avoient toujours
fervi fîdélemenr le Prince que Dieu leur avoit donné , com-
me ils y étoient obligés par le droit naturel : Que les enne-
mis de la Nation s'étoient introduits en France à la faveur
des guerres civiles , pour partager le Royaume entr'eux , ôc
le ravager , en y nourriilànt le feu d'une longue divifion.'
Qiie leurs pernicieux defleins tendoient en même tems à
renverfer l'Etat Eccléfiaftique , à ruiner la Nobleiîe , èc à
cpuifer les Villes 3 ce qui cauferoit enfuite la perte totale de
la Religion : Qii'ainfi tous les Fran(^ois, qui avoient encore
quelque amour pour leur patrie , dévoient faire de communs
ejB-orts pour prévenir ce danger , qui mena(^oit la Religion
6c l'Etat : Qiie la paix étoit le feul moyen pour y parvenir:
Que dès que cet heureux traité feroit conclu , l'ancienne
Religion répareroit fes pertes j le Clergé conferveroit fa di-
gnité & fes privilèges j les Magiftrats jugeroient avec équiu
té 3 la Noblcfle recouvreroit de nouvelles forces , pour la
défenfe de l'Etat 3 les Villes retrouveroient dans le commerce
leurs anciennes richeiGTes 5 les arts , qui foûtiennent le peuple,
fe rétabliroient 3 l'étude des belles lettres refleuriroit 3 6c en-
fin les campagnes incultes 6c prefque dcfertes , feroient cul-
tivées avec un nouveau foin : Que dès que la paix renaîtroic,
chacun rentreroic dans fes devoirs 3 Dieu ieroit adoré en
efprît 6c en vérité 3 6c le peuple jouiflànt d'un repos fi doux,
combleroit de fes bénédidions les auteurs d'un iî grand bien 5
comme il chargeroît de malédidions ceux , qui par leur am-
bition 6c leur obfthiation , feroient naître des obftacles au
retour de cette tranquillité , que tout le monde deiiroic avec
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 685
tant d'ardeur : Qiie le duc de Mayenne , tant en Ton nom , s^!=!=:
qu'au nom de ceux qui écoient attachés à (a faction , ayant H en ri>
publié un écrit , par lequel il déclaroit qu'on avoit indiqué I V.
une allemblée à Paris , pour travailler à calmer les troubles i <q7
de la Religion ëc de l'Etat , ( ce qu'on n'ofoit efpérer , puifl
que les palFages n'étoient pas libres , ) les Princes , Prélats ,
éc Seigneurs qui étoient auprès de S. M. tant pour eux , que
pour les Catholiques , qui en foutenant leur Religion , per-
îévéroient dans la fidélité qu'ils dévoient à leur Prince , dé-
claroient pareillement , avec la permiiîîon du Roi , au duc
de Mayenne, aux Princes de fa maifon , aux Prélats , ôc â
tous ceux qui étoient allemblés à Paris , que s'ils vouloient
envoyer quelques perfonnes diflinguées d'entr'eux dans un
lieu commode , entre Paris èc S. Denis , pour y traiter à
l'amiable des affaires de la Religion & de l'Etat , ils y en-
voyeroient en même tems leurs Députés : Que fi le duc de
Mayenne èc fes parcifans refufoient cette conférence j s'ils
aimoient mieux en venir aux dernières extrémités , contre
les loix du Royaume , &: expofer la Religion oc l'Etat à un
péril évident • fi enfin dégénérants de la vertu de leurs an-
cêtres , ils laiiFoient leur patrie en proie à l'avidité des EC
pagnols , qui déjà triomphoient inlolemment de la fureur
des François 5 le parti Royalifte proteftoit de fon innocence ,
-6c rejetteroit avec raifon fur eux , la faute de tous les mai-
Jieurs qui fuivroient 3 puifque aveuglés par leur ambition ,
ils auroient rejette toutes les propofitions d'accommodement,
& préféré des avantages particuliers à la gloire de Dieu , èc
au ialut de leur Patrie.
Cet écrit fut figné par Louis de Revol , 6c l'on en chargea
un Trompette, pour leporter à Paris. Deux jours après, le
Roi , par l'ordre de qui on l'avoit drefié , donna un Edit
pour réfuter l'Ecrit du duc de Mayenne. Sa Majcfi:é , après
avoir dit quelques mots fur fon amour pour fes peuples , y
parloit ainfi.
« Nous fommes fâchés d'être venus dans ces tems mal- Eaitdu Roî
>3 heureux, où la plupart de nos fuicts , tcrniflants la çloire j""^'^ ^^"^^
' r r . .,,■'' , ». du duc de
)5 que leurs ayeux s croient acquiie par un attachement m- Mayenn»:,
5î violable â leurs Princes, attaquent de toutes leurs forces
«l'aucoricé Royale , ^ couvrent leurs attentats d'un faux
RRrr iij
6^^ HISTOIRE
■' , .,' î> prétexte de Religion : car doit-on attribuera des motifs
Henri » légitimes , la guerre déteftable qu'ils ont faite à deux dif-
I V. »> té rentes fois au Roi Henri d'heureufe mémoire ? Efb-ce
T c r, î " par l'effet d'un véritable zèle de Religion . qu'ils ont alîîé-
ï5 ge dans Tours ce rrmce , qui avoir alors les armes a la
» main contre ceux qui s'éloignoient de la Foi catholique,
« à laquelle il avoit toujours ecé très- attaché ? Sur le même
»> prétexte , ils nous font la guerre avec la même fureur. Mais
>î leur perverfité efl: à prefent manifcfte 3 plus ils tâchent de
>î pallier leur crime , plus il éclate.
îî 11 eft enfin certain que cette faction de quelques mau-
»5 vais citoyens, qui ont formellement confpire contre leur
« patrie , n'a jamais eu la Religion pour motif , mais qu'il
»> faut attribuer toutes leurs démarches à rrois eau lés égale-
M ment odieufes. En premier lieu , à la méchanceté de ceux
w qui brûlants du defir d'ulurper la Couronne, ou de la dî-
»3 vifer , fe font mis à la tête d'un parti déteftable. En fe-
>3 cond lieu , à la noire politique , ôc à la haine invétérée-
>3 des ennemis de l'Etat, qui profitants d'une occafion qu'ils
>3 n'avoient jamais trouvée , de renverfer un trône qui leur
»3 fait ombrage , ont échauffé cette caballe , ôc lui ont vo-
» lontiers donné toutes fortes de fecours. Enfin à la fcélé-
» rateiFe de quelques hommes aulîi mépriiables que crimî-
55 nels , qui abandonnés delà fortune, & jaloux de la prof.
ïj périté des autres , ont groffi le parti des ennemis de l'Etat,
îî dans l'cfpérance de s'enrichir impunément.
« La Providence divine , dont tous les co'ips font admî-
>» râbles , & qui fouvent tire un plus grand éclat des cri-
» mes même les plus noirs , paroît aujourd'hui dans tout
îî fon jour , & fe manifeile dans un illuftre exemple. Le
>5 duc de Mayenne vient enfin de dévoiler fés vues criminel-
« les j & s'accule lui- même par l'écrit , qu'il vient de publier
»5 pour raflemblée des Etats â Paris.
» Tout fon difcours ne tend qu'à fe couvrir du voile de
» la probité j il ofe fé donner pour homme de bien , dans le
» tems même que fans refped pour fa patrie , il fournit con-
» tre lui-même une preuve éclatante de la témérité la plus
>j inoiiie , en poulîant l'audace , jufqu'à faire un Edic fcellé
>» du Iceau royal , pour la convocation dQs Etats généraux
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^87
du Royaume. Il n'appartient qu'aux Rois de convoquer ' ■
leurs lujets. Celui qui prend ainfi les marques de la Sou- Henri
verainetë , de qui olé en ufurper les droits facrés , ne pa- I V.
roît-il pas vouloir forcer les barrières du Trône pour y 1593»
monter 3 &. ne le rend.il pas par cette démarche crimi-
nel de leze-Majefté ? ce
5î Ce que dit enfuite le duc de Mayenne eft aufli évi-
demment faux. Il ofe avancer que la loi falique , cette
loi fi ialutaire à l'Etat , de auiîi ancienne que le Royaume ^
cette loi , à laquelle tous les François font foûmis en naif-
fant , de dont ils fucent les maximes avec le lait , fans qu'il
foit befoin de les en înftruire -, cette loi reçue de Dieu , de
à laquelle on doit attribuer le florifTant état de ce Royau-
me depuis une fi longue fuite d'années qu'il fubfifte j cette
loi enfin , qui par la grâce de Dieu nous a donné la Cou-
ronne, il ofe avancer que cette loi doit empêcher nos
fujets de reconnoître notre autorité. Lorfqu'appuyés d'un
droit il refpedable , nous voulons prendre les rênes du
gouvernement , on ofè mettre en conteflation ce quiétoic
certain depuis l'établilîèment de la Monarchie. Telle efl
la force de la loi falique , qu'aucune conftîrution nouvelle
ne peut y déroger j de que les Rois de France, arbitres
desloix , font elfentiellement foûmis à celle-ci. «
»3 C'efl donc en vain qu'on objede l'Edit de Blois de i 5 S 8.
puifque c'eft la loi , de non le Roi qui régie l'ordre de la
fuccelîion de la Couronne. Quel eft d'ailleurs l'homme
fenfé , qui regardera comme légitime cette prétendue af-
fembléc des Etats , où la liberté des fufFrages fut gênée,
& où l'on prépara tout pour anéantir l'autorité du Roi
futur , 6c pour former contre lui cette conjuration, donc
la France fent à préfent les funeftes effets ? Il eft certain
d'un côté que cette affemblée rebelle fit violence au roi
Henri j car efl-il croyai)le que ce fige Prince ait voulu
donner atteinte à une loi qui avoit ouvert le chemin du
Trône au roi François I. fon ayeul ? Mais d'un autre côté
ils n'ont pas fuivi eux-mêmes leur énorme décret. Car s'ils
penfoient que l'édic de Blois dût avoir lieu, &: être exé-
cuté, pourquoi le duc de Mayenne a-t'il pris la qualité de
Lieutenant général du Royaume , de non-pas celle de
€28 HISTOIRE
■il "- » Lieutenant du cardinal de Bourbon ? Pourquoi ne lui a-t'il
Henri >î pas donné le titre de Roi , dès que le feu Roi , par un at-
I V. » tentât inoiii , a été dégradé de la Royauté 3 & auffitôc
I 59 î. «après, qu'il a été tué par le plus exécrable parricide ?
» Pourquoi enfin a-t'il ufurpé pendant trois mois les fonc-
« tions Royales, fans mettre le nom du Cardinal dans les
« aâ:es publics ? Ce procédé n'a-t'il pas marqué qu'il femoc-
îî quoit de ce décret de Blois , dans le même tems qu'il
« l'alléguoit , & le vantoit fî hautement ? Dans la fuite il s'effc
>5 fervi du nom d'un autre (i) , pour colorer ion ufurpation,
î> &; atteindre infenfiblement à la puillance fouveraine , èc
53 monter au Trône. c<
» Si nous n'avons encore pu nous faire facrer , un Fran-
>5 çois qui aime fa patrie doit-il fous ce prétexte manquer
» à la fidélité èc à l'obéifTance qu'il doit à fon Prince ? La
>î Majefté Royale fe foûtient par elle-même , ôc n'a befbin
«d'aucun appui. Après qu'un Prince a été reconnu pour Roi
>5 légitime j ne peut-il pas fe trouver des obfbacles qui re-
>3 tardent fbn Sacre ? On ne peut fe prévaloir de ce délai.
>3 Qiioiqu'il ne fbit pas facré , il n'en eft pas moins Roi ^ 6c
>3 fes peuples ne doivent pas pour cela le fouftraire à To-
« beïflànce qu'ils lui doivent. Il n'y a point de milieu entre
« l'autorité Royale ôc le titre de Roi j &: gouverner un Etat ,
>î c'eft: régner. Tous les Rois nos prédécefleurs ont-ils été
» facrés ? u
» Nous avons fouvent déclaré , que nous ne refufions
«point de nous faire inftruire, &c de reconnoître nos er-
« reurs fi l'on pouvoit nous en convaincre , 6c nous les
« faire voir clairement. Nous fommes encore dans les mê-
» mes difpofitions j nous nous fbûmettrons volontiers, s'il
M eft nécefTaire , aux cérémonies que l'antiquité a toujours
« obfervées dans le Sacre des Rois j 6c nous ferons tout ce
«qui nous eft pofTible pour gagner l'amour de nos fujets,
« & difTipper leurs fcrupules. Mais nous nous en rapportons
« à l'équité des Catholiques , pour décider fî nous devons
« quitter tout-à-coup une Religion dans laquelle nous avons
« été élevés , ôc en prendre une autre , fans auparavant nous
(i) Du cardinal de Bonrbon , à qui la Ligue déféra la Royauté fous le
com de Charle X.
" êtrç
DE J. A. DE THOU, L i v. CV. ^8^
» être fait instruire , &; fans avoir découvert Ja vérité. Il ' — ■
î» faut dans cette affaire prendre d'autant plus de précau- Henri
î5 tions , que notre falut éternel en dépend , & que notre I V.
»> exemple entraînera un grand nombre de nos lujets. « 159^.
>5 Nous avons fouvent demandé un Concile 3 non que
>5 nous attaquions l'autorité des Conciles précédens , comme
» les Rebelles ont la témérité de le dire 3 mais afin d'y dé-
Ȕ couvrir les erreurs qu'on nous objede 3 &: que ceux qui
wfuivenc la même doctrine que nous , foient inftruits 6c
» éclairés avec nous. S'il n'étoit pas permis de revoir & de
» traiter une féconde fois ce qui a été décidé dans un Con-
îj cile , il faudroit dire que les Conciles poffcérieurs qui ont
M confirmé des Conciles précédens ne font pas légitimes.
» Cependant fi l'on peut trouver quelque voie plus faci-
» le , nous ne nous en éloignerons point. Nous nous
» lommcs afièz expliqués fur cet article , lorfque nous avons
» permis aux Seigneurs , aux Prélats , ôc à nos autres lujets
î3 qui nous font fidèles , d'envoyer une ambaffade au Pape 3
» nous avons d'ailleurs plus d'une fois exhorté nos ennemis
«à profiter des trêves pour chercher les moyens les plus
M propres à notre ioftrudion , 6c pour noiier une conférence
59 à ce fujet. «
« Ils fe font contentés de ne pas rejetter tout-à-fait ces
)3 propofîtions , tandis que d'un autre côté ils éxigeoienc
» tout ce qu'il leur plaifbit des Efpagnols , en leur faifanc
" craindre la paix. Dans le fond ils ne veulent point accepter
" nos offres , 6c ils craignent même une conférence 3 car
" par leur dernier écrit ils veulent infmuer que ce moyen
î5 d'accommodement n'eft paspoifible, quoiqu'ils ne l'ayenc
5:> jamais tenté , ni propofé. Dès que le marquis de Pifany ,
53 perfonnage aufîî illuftre par la nobleffe de fon fang , que
53 par fa Religion 6c fa piété , partit avec notre permifîion
53 pour Rome , ils envoyèrent une ambaflàde contraire 3 ils
53 communiquèrent leurs deff^ins à la faction Efpagnole , 6c
53 firent tout pour empêcher que le Pape n'accordât une
55 audience à lambaiîadeur. Toutes les fois que l'occalion
53 s'eft préfentée de parler de notre retour à la Religion
53 Catholique, ils ont toujours affecté de dire qu'ils étoient
7J fournis à l'autorité du Pape , 6n: qu'ils fuivroient tout ce
rome XI. S S ii:
G^o HISTOIRE
» qu'il ordonneroic. Nous efpérons que le Pontife par Tes
H E N K 1 » lumières ordinaires découvrira leurs artifices , 6c jueera
1 V. » avec equice. et
I 59 3. 53 Les Rebelles ne doivent pas croire que leurs rufes obli-
» geront les Catholiques de le joindre à leur cabale impie,
» ëc d'abandonner la dëtenfe de leur patrie. Ils feroienc
» beaucoup mieux eux-mêmes de palîer du côté à^s véri-
M tables François, & des Catholiques qui foûtiennent les
53 intérêts de leur Prince , &; de s'unir à toute la Nation ^ car
>3 à l'exception de la maifon de Lorraine , qui eft étran-
5> gère, les Princes du Sang, les Prélats, les Seigneurs du
33 Royaume , les Magiftrats , 6c prefque toute la Noblefle ,
53 qui forment enlèmble le corps de la République Fran-
33 çoife, nous font fidèles , 6c défendent avec nous les intè-
33 rets de la Couronne , 6c de l'Etat. Au contraire les Rebel-
33 les tâchent de mettre \ç.^ débris embrafés de leur patrie
53 fous le joug desEfpagnols qui ont porté le feu dans fon
53fein. Ils devroient iè fouvenir que ces étrangers , dont l'or
53 les éblouit , 6c à qui ils ouvrent les chemins du Trône
53 par le crime le plus horrible 6c le plus honteux, font ces
53 mêmes ennemis contre qui ils ont tant de fois combattu,
33 6c avec qui leurs ancêtres ont eu de fi longues guerres pour
r> coniérver leurs frontières. «
55 Mais pourquoi s'étonner de ces forfaits ? Non ieule-
53 ment ils ont vil afiafiîner leur Roi fans en être touchés 3
55 mais encore ils ont regardé comme un coup du Ciel ce
53 crime affreux , dont l'horreur fera une tache éternelle au
M nom François. Il ne fuffit pas de nier le fait pour faire croire
53 qu'ils n'y ont point participé. S'ils eufTent voulu le perfua-
33 der , il ne failoit pas faire des rèjoiiifîances publiques, 6c.
53 rendre sraces à Dieu de cet aiîalfinat . ni révérer la mé-
53 moire de l'auteur de cet exécrable parricide. Ils eufîènc
53 dû au contraire être pénétrés de douleur ,6: détefter l'ai-
53 liance d'une nation cruelle, dont les mœurs font fi éloi-
55 nées de la candeur Françoife. Lareconnoiilànce pour leur
53 patrie , qui les a nourris bi comme échaufïés dans fon fein,
53 qui a tiré quelques-uns de la pouffière pour \(t^ élever aux.
53 plus grandes charges , qui \ts a prefque égalés aux Sei-
53 gnears les plus qualifiés , 6c les a comblés de biens ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^91
ïséxiseoit d'eux ces fentimens. Si des motifs fl intérefTans les —
M touchent peu , ils feront au moins impreffion fur le cœur Henri
» de nos fujets fidèles 3 & quoique les Rebelles penfent le I V.
»» contraire de ce que nous venons d'expofer , il eft à croire i cg ^.
» que ceux qui jufqu'à préfenc ont défendu les droits de
53 notre Couronne , feront encore leur devoir avec plus
îj d'ardeur. c<
>5 Nous leur montrerons toujours l'exemple , fans mena-
î> ger , ni nos peines , ni notre fanté , ni notre fang. La con-
« duite équitable que nous avons tenue à l'égard des Ca-
»> tholiques ôd du Clergé, eft alTez connue, èc nous avons
55 fait tout ce que nous avons promis à notre avènement à
«la Couronne. Mais quoique nous ayons rempli nos obli-
55 gâtions , pour difliper néanmoins entièrement Ïqs fcrupu-
53 les , nous jurons encore , & nous promettons que nous tien-
55 drons conftamment la même conduite , jufqu'au dernier
»3 moment de notre vie. Nous atteftons la Majefté divine,
a que nous ne fouhaitons rien avec plus d'ardeur que de
53 faire d'une manière utile & convenable tout ce qu'on
53 exige de nous, & que nous nous propofons de l'exécuter,
33 avec la grâce de Dieu, et
53 Cependant après avoir pris les avis des Princes, Pré-
53lats, Seigneurs, Magifbrats 6c autres perfonnes prudentes
55 qui compofent notre Confeil, nous déclarons que la con-
55 vocation àcs Etats généraux du Royaume faite par le
53 duc de Mayenne eft un attentat aux loix les plus facrées
5» de la Monarchie -, & nous calions d'avance de notre pleine
53 autorité , 6c annulions tout ce qui lera dit & ordonné
33 dans cette alTemblèe, ce
Cet Edit fut lu , publié , & enregiftré à Tours. Il y étoic
encore défendu à toutes perfonnes, de quelque qualité &
condition qu'elles fulTcnt, aux Villes & Univerfités , d'al-
ler à l'alTemblée indiquée par le duc de Mayenne, d'y en-
voyer des députés, de favorifer & de donner aucun fecours
à ceux qui oferoient y aller , ou qui en reviendroient , à peine
contre les contrevenans , & contre le Syndic de cette af-
femblèe, d'être punis comme criminels de leze-Majeftè au A»
premier chef. On accordoit un délai de quinze jours, à ••'•
compter du jour de la publication de l'Edit, aux villes, , ,^.,.
S S ff ij
Cc^i HISTOIRE
aux communautés , & aux particuliers , pour quitter le mau-
Henri vais parti qu'ils fuivoient , ôc pour prendre acle de leur foû-
IV. mifFion dans \qs Parlemens, dans le reiFort defquels ils
i^^j. étoient , avec promeflè d'une amniftie générale s'ils obéïfl
ioient dans ce tems.
sentimens La Déclaration des Princes &: des Prélats Royaliftes qui
fr arirT ^^^^^ ^^^ portée à Paris par un Trompette ,y fut lue en lè-
lEcrit Hts cret. Les Ligueurs qui y étoient préfens jugèrent que cette
Catholiques affaire étoit très-épineufe , & méritoit toute leur attention.
Ils crurent en meme-tems que cet écrit n avoit ete rait, que
pour troubler malicieufement l'aiîemblée des Etats ■ rendre
odieux les Députés qui y affifteroient, li l'on rejettoit \qs
propofitions d'accommodement j Se faciliter par ce moyen
le chemin du Trône au roi de Navarre. Ils furent particu-
lièrement frappés de ce que cet écrit mettoit les droits
de la Religion après ceux de la Couronne, 6c les loix
de l'Etat avant celles de l'Eglilè 3 de ce que les Roya-
liiles y déclaroient n'agir qu'avec la permiilion du Roi que
Dieu leur avoit donné , 6c que le droit naturel les obligeoit
de refpeder • & enfin de ce que cet écrit n'étoit figne que
par Louis de Revol Secrétaire du Cabinet.
I! efl; con- Queiques-uns furent d'avis de n'y pas faire de réponfe.
damne par Ja ^^ } i.- »• , .^ , .
Sorbonne. ' Le Cardinal de Plaifance décida d'abord que cet écrit étoic
pernicieux ôc rempli de fentimens impies Se hérétiques. Afin
de le prouver , comme la foi y écoit , félon lui , intèreflée ,
il choilit à^s Théologiens pour examiner & condamner
cet écrit. Ons'aiFembla en Sorbonne à cet effet ^ & l'on y
rendit un jugemenc motivé, 6c fondé fur plusieurs paiïàges
de l'Ecriture faince , ^ des SS. Pères. La Cenfure portoic
que l'écrit étoit abdirde , hérétique, fchifmatique, rempli
d'impiétés, àc didé par un efprlt de révolte contre l'E-
glife , en ce qu'on y foûrcnoi: qu*un hérétique relaps, con-
damné 6c excommunié |ouvoit avoir quelque droit lur la
Couronne de France, qu'il devoir êcre regardé comme
Prince légitime, établi de Dieu, ^ à qui le droit naturel
.^ ,,' obhVeoit d'obéir.
Affemblee r^ r r i- i l • 1 J MM '
des Ligueurs, On lulpendit pendant quelques jours \qs délibérations,
& leur 'Jéb- jufqu'à ce que les Princes, 6c les autres Ordres, à qui l'écrit
fujeV^'^ '^^ étoic adxeffé fe fuffenc affemblés. Enfin le zj. de Février
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 6c,^
l'affaire fut agitée dans une aflemblée nombreufe j les fenti- ' ""?
mens furent partagés , ôc l'on y parla beaucoup de part & Henri
d'autre avec chaleur. D'un côté , l'on foûtenoit qu'il étoit IV.
certain, & que les anciennes hiftoires prouvoient par des ^59}»
exemples fameux, que les conférences fur la Religion
étoient toujours dangereufès, & n'avoient que des effets
funeftes , parce que les hérétiques pouvoient bien être vain-
cus par la force de la vérité 3 mais qu'on ne pouvoit , ni
les convaincre , ni \qs perfuader : Qiie , comme le difoit autre-
fois Sifinnius à Théodofè, bien loin que de telles négocia-
tions puifTent ramener la paix , & être de quelque utilité ,
elles faifoient naître de nouvelles difputes , & irritoient les
efprits, bien loin de les concilier.
On objedoit au contraire , que le refus d'une confé-
rence étoit auiîi dangereux qu'odieux , puifqu'on fembleroic
par-là rejetter un moyen propre à finir les troubles, ôc à
ramener la paix dans l'Eglife , 6c dans l'Etat : Que ceux qui
fuivoient le roi de Navarre difoient hautement qu'ils n'a-
voient point d'autres vues que de faire un accommode-
ment • &: protefloient que fî l'on n'acceptoit pas leur pro-
po{]tion,les calamités, qui accableroient dans la fuite le
Royaume , ne feroient imputées qu'à ceux qui refuferoienc
la conférence : Qu'on prenoit déjà en mauvaife part le re-
tardement des Confédérés dans cette affaire : Que leurs en-
nemis s'en fervoient pour les décrier- & débitoientde tous
côtés que l'ambition de quelques particuliers , dont l'in-
térêt s'oppofoit à la paix , empêchoit qu'on ne prît des ré-
folutions falutaires & convenables à la trifte fituation des
affaires : Qu'il falloit encore confîdérer les miféresdespeu*
pies, les maux que fouffroit la ville de Paris, & l'incerti-
tude où l'on étoit de l'arrivée des troupes , fans lefquclles-
on ne pouvoit rien exécuter qui fût digne de l'affemblée
des Etats Généraux : Que le duc de Mayenne y avoit in-
vité les chefs du parti contraire : Qu'il étoit donc abfurde
de leur refufer la conférence qu'ils demandoienr 3 puilqu'on
devoit entendre leurs raifons dans une ailèmblee plus celé~
bre qu'une fimple conférence : Qu'elle auroit toujours un
bon effet : Que d'un côté l'on pouvoit efpérer que les Ca-
tholiques fe fépareroient des féclaires pour fé joindre aux
SSffiij
6^4- HISTOIRE
" ! Confédérés : Que de l'autre, (î cela n'arrivoic pas, la haine
Henri dont le parti contraire vouloit les charger, retomberoit fur
I V. lui-même : Que les peuples feroient alors convaincus que
1)93. fon obftination étoit le lèul obftacle qui empêchoit qu'on
ne remédiât aux maux de la Religion dc de l'Etat ^ èc que
la conduite de la Ligue feroit approuvée de tout le monde ,
puiiqu'on auroit été obligé d'en venir aux dernières ex-
trémités.
Cet avis l'emporta , èc du confentement des trois Or-
dres , on arrêta qu'on n'auroit diredement , ni indirecte-
ment aucune conférence avec le roi de Navarre , ou
quelque autre hérétique que ce fût , en ce qui regardoic
la Religion & l'Etat 3 mais qu'après avoir conlulté le legac
du Pape , on pourroit conférer avec les Catholiques du
parti contraire fur ce qui concernoit la Religion , le faluc
du Royaume, ôcla réconciliation des Hérétiques avec TE-
glife Cathohque , Apoftolique &; Romaine : Qu'on répon-
droit à leur écrit dans les termes les plus modérés qu'il fe-
roit poffible : Qi-ie cependant dans cette réponfe , & dans
la conférence , on foûtiendroit toujours qu'un hérétique ,
ou quelque autre Prince qui ne feroit point profeflîon de
la Religion Catholique , Apoftolique èc Romaine ne pou-
voit être roi de France.
Tout fut communiqué au Légat par les Députés -, 6c il
approuva cette réfolution , eipérant que dans la conférence
on pourroit ébranler la fidélité des Catholiques Roya-
liftes. On rédigea cette réponfe le 4. de Mars , & l'on af-
fecta de faire paroître qu'elle avoit été faite dans l'aflèm-
blée des Etats. Elle étoit adreffée aux Princes , Prélats ,
Seigneurs , & Gentilshommes Catholiques qui fuivoient le
parti du roi de Navarre. Un Trompette la porta à Char-
tres. Elle étoit au nom du duc de Mayenne , qui y pre-
noit la qualité de Lieutenant Général des Royaume &c
Couronne de France , & au nom des Princes , Prélats ,
Seigneurs, 6c Députés aflemblés à Paris. Les Secrétaires
des Députés des trois Ordres l'avoient lignée 5 àc elle étoîc
Réponfe des conçuë en ces termes.^
Ligueurs aux js Nous avôns reçû votre Lettre , qu'un Trompette nous
Roydlfte"" w a rendue il y a quelques jours. Nous fouhaitons qu'elle
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^95
^, foîc véricablemenc de vous , & qu'elle aie été dictée par ce ,
„ zélé , &c cette afFecUon que vous aviez autrefois pour l'E- Henri
„ glife, le Ibuverain Pontife , &. le Saint Siège. S'il en efl IV.
,, ainii, nous nous réunirons bientôt avec a'ous, pour tour- 1595.
„ ner toutes nos forces contre les Hérétiques. Nous n'a-
3, vons pas befoin d'autres armes pour renverfer ces nou-
„ veaux Autels qu'on tâche d'élever fur les débris de nos
,j temples , & pour empêcher les progrès de cette héréfie
,, qui eft tolérée depuis fî long-tems, qui même eft hono-
,, rée , êc trouve des récompenlès, de qui, lorfqu'on devroic
,, la pourfuivre avec le fer 6c le feu , non-feulemenc veut
„ être reçue ôc approuvée en France 3 mais encore y éta-
„ bhr effi'ontément Ton fiége , ôc y dominer à la faveur de la
y, protection, que lui accorde un Prince Hérétique.
» Cette lettre n'eft pas fignée de ceux , au nom defquels
>5 elle eft écrite , àc cela nous fait douter avec raifon de ihs
>5 auteurs ; mais quoique nous foyons certains qu'elle ne con-
53 tient point vos véritables lentimens , & que ceux à qui
n vous êtes attachés vous ôtent la liberté des fuffrages dans
wles affaires qui regardent la Religion &le falut de l'EtaCj
jî cependant nous y aurions plutôt fait reponfe , fî nous
55 n'euflîons attendu .les députés des Provinces qui s'étoienc
53 déjà mis en chemin pour venir à Paris. Dès qu'ils ont été
53 arrivés en nombre fuffifant , nous n'avons point différé de
33 vous écrire , de crainte que notre filence ne fût pris en
53 mauvaife part.
33 Nous proteftons donc en prefence de Dieu , èc après
>3 avoir reçu le Corps facré de Jefus-Chrift , & la bénédic-
33 tion du Légat , que toutes nos vues , nos défirs , & nos dé-
33 marches, tendent uniquement à conferver la Religion
33 Catholique , Apoftolique & Romaine , dans laquelle nous
53 nous proposons de vivre & de mourir. La vérité éternelle
53 qui ne peut nous tromper, nous a dit elle-même de cher-
33 cher avant toute choie le Royaume de Dieu. Nous efpé- .
33 rons qu'en fuite la bonté divine répandra fur nous avec
33 abondance les biens dont nous avons beloin dans cette
et vie mortelle. Après avoir fbngé à la confervation de la
33 Religion, les intérêts de l'Etat méritent tout notre foin,
«Mais nous les foûtiendrons mal , & nous travaillerons
6^6 HISTOIRE
Il I I " in-Litiiement , fi nous cherchons d'autres fecours que ceux de
H £ N K I » 1^ divine Providence , 6c fi nous laifiànc gouverner parles
I V. >» conïeils de la providence humaine, nous avons recours à
î en 2, " des moyens iajultes , 6c indignes du nom Cadiolique.
)j Ainfi oubliants les dangers que riiérëfie nous fait crain-
>î dre, nous iommes prêts de confentir à tous \qs moyens
>3 convenables qui nous feront propofés pour diminuer 6c
53 guérir entièrement nos maux j car une trifte expérience
» nous a appris combien la guerre civile efl funefi;e , 6c nous
M n'avons pas befoin qu'on nous montre nos playes pour les
M fentir vivement. Dieu connoît les auteurs de ces calamités^
« il nous fuffit de fçavoir, comme l'Eglile nous l'enfeigne ,
>3 que nous ne pouvons être en lûreté de confcience , ni joiiir
M du repos défiré , qu'en mettant la Religion à couvert des
>3 coups qu'on veut lui porter.
« Nous voyons donc que la réconciliation que vous nous
>j propofezeft également utile bi. nécefiaire aux deux Partis.
« La charité Chrétienne nous la fait fouhaiter avec l'ardeur
« la plus fincére, ^ nous vous conjurons d'y travailler, fans
M que les invedives 6c les calomnies, que les Sedaires dé-
>5 bitent contre nous , foient capables de vous arrêter.
>3 Qiiant à l'ambition dont ils nous accufent , vous pouvez
« nous fonder 6c nous éprouver , 6c examiner fi ce n'eft
33 pas la Religion feule qui nous fait agir. Séparez-vous des
>3 Hérétiques aufquels vous êtes attachés, quoique vous les
33 déteftiez ^ 6c après cette heureufe defunion, dont , \qs
33 mains élevées vers le Ciel ,nous rendrons grâce à Dieu, vous
33 verrez les effets de notre attachement , 6c de notre amour
» pour vous. Nous vous chérirons, 6c; nous vous refpede-
33 rons comme vous le méritez , ^ comme nous y fommes
35 obligés. Alors vous reconnoîtrez notre probité ^ notre
33 modération , ^ vous ferez convaincus que nous nous fom-
33 mes volontiers expofés à toutes fortes de dangers , dans le
^ 33 feul motif de défendre la foi 6c de foûtenir la gloire de
33 la Nation. Si nous vous traitons autrement , vous pourrez
33 vous élever contre nous, 6c démaiquer notre criminelle diflî-
33 mulation. Vous pourrez condamner publiquement notre
33 méchanceté ôc nos fourberies , 6c exciter contre nous l'in-
33 dignation de Dieu 6c des hommes. Vous nous arracherez
les
DE J. A. DE THOTJ, Liv. CV. ^97
■J9 les armes des mains , où nos forces feronc Ci épuîfëes que
>3 vous nous accablerez facilement. Henri
» Vous devez cependant fuir le poifon de l'héréfie , 6c IV.
53 plutôt craindre cette pefte , qui fait tous les jours de £ 1593.
« grands ravages , que cette ambition imaginaire qu'on
5) nous impute. Suppofé qu'il s'en trouve parmi nous , elle
>3 eft Cl foible , qu'elle ne trouvera] aucun appui , dès que
w la Religion n'y fera plus intéreflée.
» On nous objecte encore par une noire calomnie que
» nous introduifons les étrangers dans le Royaume. Nous
» devons défendre la Religion, notre gloire èc nos biens,
ï3 àc nous oppofer à ces Sedaires qui ne ibuhaitent que notre
«perte. Contraints par une dure néce(îité, & réduits aux
» dernières extrémités par la force de vos armes que vous
« avez tournées contre nous , nous avons eu recours à la
" PuifTance de nos alliés. Le fouverain Pontife &: le Saint
« Siège nous ont fecouru , 6c aucun des Papes , qui pendant
« ces troubles font montés fur la chaire de Saint Pierre ne
M nous a encore abandonnés, preuve éclatante delajull:ice
îî de notre caufe. Nous avons encore imploré les fecours du
}> Roi Catholique , ce Puiflant allié de la France , êc qui eft
« aujourd'hui le feul Prince en état de foûtenir avec fuc-
« ces la Religion. Il nous a fecourus généreufement , fans
53 efpérer d'autre récompenfe que la gloire d'un Ci grand bien-
55 fait. Nous avons imité plulieurs de nos Rois qui fe font
55 fervis des troupes du Pape 6c du Roi Catholique , pour
55 dompter ces mêmes Hérétiques. Nous n'avons fait aucun
55 traité préjudiciable à l'Etat , ni qui nous Toit honteux ,
55 quoique nous fuffions réduits aux plus fâcheufes extré-
55 mités.
53 Bien loin de nous en faire un crime: rep-ardez vous- me-
ï> me les Anglois qui font tous leurs efforts pour introduire
55 chez nous l'héréfie : voilà ces anciens ennemis, qui parles
î3 titres 6c les qualités qu'ils ufurpent encore aujourd'hui ,
45 vous rappellent leurs odieufes prétentions fur le trône de
55 nos Rois, 6c qui ont encore les mains teintes du fang de
>5 tant de Catholiques innocens, qui par les ordres injuftjs
w d'une Reine cruelle 6c inhumaine ont foufFert conïlam-
«5 ment la mort pour la Religion,
Tome XI. T T t c
Henri
IV.
1593.
Amours de
Catherine
fociir du Roi
& du 'omte
Je SoiiTons.
^98 H PS T O I R E
53 CeiTez donc de nous traiter de Rebelles , parce que nous
5 refufons de reconnoître un Prince hérétique. Vous dites
3 que le droit naturel nous oblige de lui obéïr , comme à
3 notre Roi. Mais en vous attachant trop aux loix hu-
3 maines , prenez garde d'oublier les préceptes divins. Ce
3 n'efl ni le droit naturel, ni le droit pofitil: qui nous font
3 obéïr à nos Rois 3 c'eft la loi de Dieu &c de Ion Eglife , qui
3 doit être notre guide dans robéïfTance due aux Princes
3 de la terre. Cette loi n'exige pas feulement dans la fuc-
» ceiîion du trône la proximité du fang , a laquelle vous
3 vous attachez uniquement -elle requiert encore la catho-
3 licite du Prince qui doit nous commander. Cette loi eft
3 le plus folide appui de l'Etat j elle a toujours été obfervée
3 par nos ancêtres , elle efb immuable j & quoique l'autre
3 loi qui regarde les droits du fang , ait fouvent changé , la
3 puillance ôc la dignité du trône n'ont jamais été ébranlées,
33 Pour parvenir à cette réconciliation fî néceiïàire , &:
3 que nous délirons avec tant d'ardeur , nous acceptons vo-
3 lontiers la conférence , & nous vous propofons pour le
0 lieu de l'allemblée un endroit entre Paris éc Saint Denis 5,
3 près de S. Maur , ou la maifon de la Reine au-deflbus de
3 Chaillot.
Michel Martel , Nicolas Pile , Jean Jacque Cordier , èc
Séraphin Tieleman fecretaires des États Généraux lignèrent
cette lettre. Le duc de Mayenne étoit alors à l'armée , ôc
alTiégeoit Noyon • & le Roi étoit allé à Tours , pour re-
cevoir Catherine fàfœurqui venoit de Bearn.
Sept ans auparavant , on avoit parlé ouvertement du ma-
riage de cette Princelle , avec Charle de Bourbon comte de
Soillons , fon coufin germain, lorfqu'ayant quitté le parti du
Roi Henri IIÎ. il paila dans celui du roi de Navarre. Ce
mariage fut rompu dans la fuite , & le Comte en conferva
toujours un fecret refléntiment^ mais il ne difcontinua pas
d'aimer la Princelfe, àc ils s'ecrivoient fecrétement fans la
permiiîion du Roi, qui cependant n'ignoroit pas tout-à-fait
cette liailon.
Corilande d'Andoins de Guiche , veuve du comte de
Grammont tué à la Fere en Vermandois , avoit été autre-
fois aimée par le Roi. Cherchant à fe venger du mcprii de^
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. ^99
fjL beauté , elle favonfoic en fecrec les amours de Catherine -
& du comte de SoiiFjns. Elle confeilla donc à ce Prince , Henri
pendant que le Roi étoit occupé au fiége de Roiien, de le I V.
rendre à Tours, fous prétexte d'y voir la mère qui y étoit 1593.
malade, &L de paiïer enfuice en Bcarn , avant que le Koi pût
en être informé. Il s'en fallut peu que ce projet ne réiilsîtj
car les deux amans s'étoient fait des promeffès réciproques
de mariage , 6c les avoient (Ignées. Mais les perfonnes que
le Roi dépêcha , employèrent l'autorité du Parlement de
la Province, pour empêcher la célébration du mariage , ôc
obligèrent le comte de Soilibns de fortir de Pau. Le Roi fie
enfuite venir fa ibeur à la Cour, &c alla même au-devanc
d'elle jufqu'à Saumur fur la fin de Février. Il rappella aulîl
de Bretagne Henri de Bourbon duc de Montpenfîer , qu'il
deftinoit pour époux à fà fœur.
L'abfence du Roi empêcha le cardinal de Bourbon qui
étoit refté à Chartres avec quelques Confeillers du Conleil
privé , de répondre fur le champ à la lettre des Ligueurs j
car il étoit néceûTaire de l'envoyer auparavant au Roi , &
de le confulter fur la réponfe qu'il jugeroit à propos qu'on y
fît. Enfin le 29. de Mars le Cardinal écrivit avec la per-
mifîion du Roi. Après s'être excufé de fon retardement, il
manda que des que les Seigneurs qui s'étoient difperfès en
différens endroits du Royaume pour y continuer la guerre,
fe feroient alîemblés de nouveau à Mantes , ils répondroienc
vers le 15. du mois prochain : Qu'il prioit cependant les
Confédérés , en attendant l'expiration de ce délai pour ac-
célérer la conférence, de déclarer les noms èc les qualités
des perfonnes de leur parti qui y alFifleroient.
Les I igueurs répondirent le cinq d'Avril, quilsefpèroîenc
qu'on conféreroit dès le i 5. du mois courant fans aucune
autre remife , & ils demandoient qu'on pourvût à la fureté
des Députés , & qu'on donnât de part & d'autre des fauf-
conduits , écrits de telle forte qu'il reftat un efpace en blanc,
pour y inlérer les noms de ceux qui feroient employés i
cette négociation.
Cependant le Roi ayant appris que l'armée de la Ligue
avoit afllégé Noyon , fe rendit à Ivlante avec toute la Cour,
Se y ayant laiiïe fa lœur, marx;ha en diligence avec une troupe
TTttij
700 HISTOIRE
la^EEËE^ÊE^^ d'élite du côté de la Picardie , afin que s'il ne pouvok
Henri fecourir Noyon , il pût du moins combattre le duc de
I V, Mayenne & le comte de Mansfeld.
1593» Ôrielque tems auparavant,les députés des Provinces 6c des
Aficmbiée Villcs engagées dans la Ligue s'étoient rendus à l'allèmblée
^es Ligueurs des Etats indiquée par le duc de Mayenne. Lqs Députés de
i'Ifle de France étoient en grand nombre , &c on diitinguoic
entre autres Gilbert Genebrard, Moine Bénédidin, qui a voie
été ProfeiTeur de la langue Hébraïque , èc qui étoit alors
archevêque d'Aix. Il avoit été élevé à cette dignité pendane
les troubles , & lans l'autorité du Roi. Ce Prélat qui étoic
fort fçavant , a fait beaucoup d'ouvrages. Mais foit qu'il fût
partial , foit faute de génie , bien des gens trouvent qu'il a
.écrit avec peu de difcernement.
Noms des ^^ voyoit encore entre les Députés de l'Iile de France,
lincipaux Jean Boucher curé de Saint Benoift , homme d'une pro-
Depiues. fonde érudition , mais dont les difcours & les écrits em-.
portés n'étoîenc pas tolérables j êc Jacque Cueilly docleur
de Sorbonne , &, curé de Saint Germain de l'Auxerrois. La
NoblelTe avoit député Louis de l'Hôpital Vicry ôc Louis
du Croc de Chenevieres. Etienne de NueiUy, Jean le Maître,
èc Guillaume du Vair Confeiller au parlement de Paris
aiîiftoient à cette alTemblée pour l'ordre des Magiftrats, qui
dans cette Province ont un rang particulier aux afïémblees
dQs Etats.
Jean Louis de Pontallîer de Tailemé , Etienne Bernard ,
Jean Saulnier évêque d'Autun , François Rabutin de la
Vaux , Cirus de Thiard nommé à l'évêché de Châlons-fur-
Saone , Claude Languet , Joachim de Damas du RoufTel ,
& Claude de Lenoncourt de Loches étoient députés de la
province de Bourgogne. La Normandie avoit député Jean
Dadré dodeur en Théologie , Antoine de Magnerer baron
d'Hermanville, Guillaume Pericard abbé de Saint Taurin,
6c François Pericard evêque d'Avranches. La Guienne avoit
envoyé Gafpard le Franc chanoine de Poitiers , & René
Daux du Bournais. La Bretagne avoir choifi Jean Daradon
évêque de Vannes, &. Louis de Montigni. La Champagne ,
Oudard Hennequin Doyen de l'églife de Troyes , Nicolas
de Pradel de Mcnrhoiinj Claude de Senailly de Rïmancourr,
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 701
& Anfelme de Marify. Robert de la Menardiere abbé de ~
Sainte-Colombe, &: Hedor de Saint Blaiie étoient députés H e n k 1
de la ville de Sens. Claude de Coquelet évêque de Digne , I V.
de celle de Meaux. Godefroy de Billy abbé de S. Vincent, 1595.
de celle de Laon. Rheims avoit député Nicolas de Pellevé
Cardinal qui avoit été pourvu de l'Archevêché de cette
ville, fans la nomination du Roi, & de Pipemont. Soiflbns
avoit député Jérôme Hennequin fon Evêque. Godefroy de
la Martonie évêque d'Amiens étoit auflî député de cette
ville , avec Jacque Sagier do(5teur en Théologie , François de
Paillard de Choqueufe, èc Robert de Monchi de Landroii.
Orléans avoit nommé Claude de la Chaftre gouverneur
de rOrléannois êc du Berry. Les Députés de l'Anjou , du
Maine 6c de l'Angoumois , étoient des gens inconnus. Pierre
d'Elpinac archevêque de Lyon êc Prefident du Clergé dans
cette ailemblée étoit député du Lyonnois, avec Marc de Sa-
connay Chambrier èc comte de Lyon. Le Forêt avoit dé-
puté Anne d'Urfé marquis de Bangey. Le Dauphiné, Jérôme
de Villars , chanoine de l'Eglife cathédrale de Vienne. La
Provence Eleazar Raflellet évêque de Riez , Gérard Beran-
ger nommé à l'évêché de Frejus, Bertrand de Fourbin de
Bonneval, Fionoré du Laurent Avocat Général au parle-
ment d'aix , & Jean Jacque Cordier de Marfeille.
On avoit fixe l'ouverture de l'afTemblée au 25. de Jan-
vier , jour de la fête de la converlion de Saint Paul 3 mais
les Députés n'ayant pu s'allèmbler ce jour là , on ne com-
j-nença que le lendemain , jour de la fête de S. Polycarpe. •
L'alîemblée fe tint dans le Louvre où l'on avoit drelîe un
théâtre. Ce retardement fut fâcheux pour le cardinal de
Pellevé qui avoit préparé un difcours fur la converfîon de
S. Paul , & qui fit des efforts aufîî inutiles que ridicules, pour
ajufl:er ce qu'il avoit à dire à la fête de S. Polîcarpe. Après Difcours
que le duc de Mayenne eut fait un petit difcours , le Cardi- ^i^'cuie du
nal parla en vieillard, & dit bien des chofes inutiles, 6c hors de "àievX
faifon 3 enforte que bien loin d'attirer l'attention de l'afTem-
blée , il fit rire la plupart de ceux qui la compofoient. En
fai(ànt l'éloge de la France , il afîûra , en prefence de Dom
Diegue d'Ibarra ambafTadeur d'Efpagne , que la Norman-
die, dont le Cardinal étoit originaire , éc d'une maifon
TTttiij
702 HISTOIRE
difl:inguée,écoic plus écenduë & plus opulence que le Royaume
H E N tu de Naples. Il die encore que Iqs Princes , comme les hom-
I V. mes de la plus balle condition , étoient également expofés
i^qz, ^"^x caprices de la fortune & aux maladies. Il jetta en mê-
me tems la vue fur le duc de Mayenne , & fembla lui adreC
ièr ces paroles. Il ofa même employer pour preuve de ce
qu'il avançoit l'exemple de ce Prince qui , comme tout
le monde le içavoic , relevoic d'une maladie ( honceufe. )
* MS. Samm.
Prefque toutes les perfonnes fenfées , qui étoient alors a
Paris defaprouvoient cette afTemblée, comme faite à contre,
tems j on prévoyoic qu'elle n'auroit aucun effet j que les Ef^
pagnols èc leurs Partifans agilToient imprudemment, & per-
doient leurs peines. Hors de Paris , on s'en moquoic hau-
tement 5 êc l'on étoit indigné de voir que le duc de Mayenne,
malgré fon expérience , lé laifsât emporter jufqu'à ce point
pari'efprit de faction , &: fervît lionteulemenc la pofTeflion
des Eipagnols, qu'il fçavoit être (es ennemis fecrecs.
Il parut dans le même tems une Satyre, fous le titre de
ou'vra^c'com- C^ifhoUcon , auffi ingénieufe que piquante , & qui tournoit en
tneiici par un ridicule les préparatifs ôc les différentes fcenes de cette ai-
Sian? ^°^~ "^^^rri^i^^- L'auteur de cet ouvrage fuppofe des tapilléries ,
qui peignent au vif toute l'hifloire de la Ligue , ôc en fait la
deicription. 11 attribue enfuite des difcours d'un ferieux co-
mique au duc de Mayenne , au légat du Pape , au cardinal
de Pellevé, à l'archevêque de Lyon, à Guillaume Rolle évê-
que de Sentis , à Claude d'Aubray , &: à Rieux , qui peu de
tems après fouffrit à Compiegne le dernier fupplice à caufe
de ï^es brigandages , 6c parce qu'il ne vouloit pas rendre le
château de Pierrefond en Valois , dont il s'étoic emparé.
On croit qu'un prêtre Normand homme de probité, en-
nemi des factions , &. qui avoitété aumônier du cardinal de
Bourbon .commença cette Satyre ^ maïs n'ayant pu faire que
les premières fcenes de cette ingénieufe comédie , un autre
travailla fur fon plan , ^ le porta heureufemcnc à fa per-
fection , par les traits d'une plaifanterie auffi naturelle que
fine & délicate j enforte que dans tout le tems de ces guerres^
il ne parut rien qui futplus applaudi 5c mieux reçu, par les
beaux efprics des deux partis.
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 703
L'afTemblée fur interrompue après cette première féance ,
par rabfence du duc de Mayenne , qui après la prife de Henri
Noyon , alla au-devant des troupes auxiliaires de Flandre , I V.
& ne put fe rendre à Paris que fur la fin de Mars. Dès qu'il 1503..
fut revenu, raiTemblée recommença au Louvre le 2. d'Avril,
& fut très nombreufe. Le duc de Mayenne, le Cardinal
Sega Légat du Pape , Charle duc de Guife , Charle duc
d'Elbœuf , le Cardinal de Pellevé , &c les principaux Sei-
gneurs èc Prélats de ce parti y afliftérent. Laurent Suarez
de Figueroa de Cordouë , duc de Feria , ambalTadeur d'EC
pagne , que (on maître avoir envoyé depuis peu avec Inigo
de Mendofe , y fut admis , êc lit un difcours Latin dont voici
le précis.
'> Meifieurs , le traité de paix fait entre le F.oi Catholique , ^^tmit Ja
5s & Henri H. Roi de France , ayant été confirmé par le difcours du
» mariage d'Elifabeth de France , avoit fait efpérer une Ion- 'l^'^.'^'^JV'''
-C>, r 'n' ' • 1 • ' r t ' ' AmbaOadeur
« gue oc neureule tranquillité j mais de pernicieuies hère- d'Efpagne.
« lies , appuyées & foutenuës avec obftination par de puifïans
" Princes , & par un grand nombre de Sçavans , fe font glif-
î3 Cécs dans ce Royaume , où la Catholicité fleurilToit de-
» puis tant de fiécles. La mort prématurée de Henri IL
» ayant empêché le Roi mon maître de donner des preuves
>3 autentiques de fon attachement à fon beau-pére , S. M. C.
53 a confervé les mêmes fentimens pour fa belle-mére ècfQs
w parens. Que n'a-t-elle point fait, pour empêcher que rien
« ne pût troubler la paix qu'on venoit de conclure ? Elle a
33 pris encore tous les foins que les bons Princes doivent
33 avoir pour la défenfe de la Religion de nos ancêtres.
33 Elle a envoyé à Charle IX. une armée commandée par
33 Carvajal. Le comte d'Arembergh eft venu dans la fuite de
5« Flandre avec des troupes choifies. Le comte de Mansfeld
53 efl aulîi pafTé en France avec une puiflànte armée. Tous
33 ces Généraux vous ont rendu de grands fervices 3 & quoi-
53 que le Roi mon maître fe foit en cela couvert de gloire ,
33 il eft encore plus glorieux pour lui , & il mérite plus de
33 louanges , de ce que toutes les injures qu'il a reçues ne lui
53 ont point fait changer de fentiment. Car la Reine Cathe-
53 rine oubliant tous ces bienfaits a envoyé deux armées na-
53 vales , pour appuyer les troubles de Portugal , & le duc
704 HISTOIRE
55 d'Alençon Ton fils s'efl emparé de Cambray , Se de la plus
Hen RI " grniide partie de la Flandre. Henri III. lui-même les a.
1 V. » aidés dans ces entreprifes , ou du moins ne s'y eft pas op.-
55 pofé , comme il auroic dû , & comme il pouvoic le faire.
. )5 Le delir qu'avoir S. M. C. de conferver une véritable
>s union , &: une fincére amitié avec le roi Henri III. étoufFa
53 le vif reiTcntiment de ces outrages réitérés j & quoique le
53 Roi mon maître eût pu fe venger , comme tout l'Univers
53 le fcait , cependant il aima mieux abandonner [es intérêts ,
33 Se le manquer à lui-même , que d'ôter à des Princes fes
53 parens , les moyens de Te repentir , 6c de changer de con-
31 duite à fon égard.
53 Après la mort du duc d'Alençon , le prince de Bearn ( i ) ,
53 ce terrible ennemi de notre Religion , lit éclater fes pré-
53 tentions fur le trône de vos Rois , Se le roi Henri III. lui
53 accorda publiquement fa faveur Se fa protedion. Le duc
53 de Guife Se le cardinal de Lorraine , ces deux ilkiftres fré-
>3 res , qu'on ne peut ailèz loiier , ne fongérent que fore
3:) tard à remédier à ces maux. Comme il leur falloit de
5? puilTans fecours d'hommes Se d'argent, ils firent avec le
33 Roi mon maître , un traité très- onéreux pour lui. Vous
35 pouvez confulter la copie de ce traité. Vous n'y trouverez
33 que desfentimens de la plus haute piété. Les gens de pro-
53 bité , Se ceux qui auront la Religion pour principe , n'y
33 verront rien qui foit fufceptible de la moindre cenfure,c
33 S. M. Ç. vouloit prévenir les calamités dont la France
53 étoit menacée, Se craignant que fans fès fecours ce puiiTanp
53 Royaume ne pérît entièrement ^ elle fournit alors de gran-
S3 des fommes d'argent , Se Henri III. fut obligé de prendre
t3 des fentim^ens plus Religieux. Si ce Prince avoit agi fin-
33 cérement , les feux que T'héréfîe a allumés dans ce Royaa.
53 me , feroient éteints ^ mais le Démon s'y oppofa de toutes
^3 les forces , Se lorfque le roi Catholique croyoit être par-
53 venu au but , il (e trouva encore au commencement de la
>3 carrière 3 il fut encore obligé de prodiguer les tréfors , Sc
?3 il s'exppfa à tous les dangers de la guerre.
(1) L'Ambaffadcur ne donne ici au i de Navarre , parce qu'il fuppofe que le.
roi Henri IV. que le titre de prince de j Royaume de Navarre appartient à Phî-
J>caj:n , ôf lui rcfufe même celui de roi i lippç roi d'Efpagne.
»I|
DE J. A. DE THOU,Liv. CV. 705
M II efl: vrai que les troupes Efpagnoles ont été battues à
»j Yvri 5 mais l'arrivée du duc de Parme changea la face Henri
>j des affaires. Ce Général arracha Paris des mains des en- IV.
ïsnemis , fous la puiflànce de qui cette grande ville alloit 1593.
ï» tomber , après s'être longtems détendue par la fermeté
>3 &: le courage de (es habitans. La même chofe eft arrivée â
>3 Roiien • &:par un exemple peut-être unique, de généro-
» fîté 6c d'amitié , le Roi mon maître a facrifîé tous fQs in-
w térêts au bien 6c à la confervation de ce Royaume.
» Depuis le commencement de cette guerre , il a toujours
Ȕ eu quelqu'un de Cqs Miniftres en France, pour vous fou.
» tenir , vous confoler , 6c vous rendre tous les fervices pofîî-
" blés. Ses foldats font prêts à verfer leur fang pour votre
M défenfe. Il a prodigué plus de fîx millions d'écus d'or ,
>j fans avoir tiré aucun fruit de tant de travaux , 6c de tant
M de dépenfes. S. M. C. eft même allée plus loin. Toujours
•>3 inquiète du falut de ce Royaume , elle a preflé , èc ellQ a
>3 ménagé enfin cette aifemblée des Etats généraux. Elle a
M engagé les Souverains Pontifes à prendre la France fous
>j leur protedion. Elle m'a enfin chargé de vous expofer fcs
>j fentimens.
» Elle croit qu'il eft de votre intérêt de mettre fur le trône
55 de wos Rois un Prince catholique , qui foit afîèz puilFanc
»5 pour procurer la paix à cet Etat, remédier aux calamités
53 qui vous accablent, vous défendre 6crepoufrer lesinfultes
» de vos ennemis. Dès que vous aurez élu un tel maître ,
>3 perfonne ne peut douter , qu'avec la grâce de Dieu , la
» Rehgion Se l'Etat ne reprennent leur ancienne fplendeur.
>3 Je vous prie donc, 6c je vous conjure, Meffieurs , d'agir
53 vivement dans cette importante affaire, fans aucunes vues
33 d'intérêt particulier. Le moindre retardement ne peut
33 être que dangereux. Pour lever tous les doutes 6c tous [qs
33 fcrupules , le Roi mon maître vous offre volontiers toutes
33 fes richeffes , s'il en eft befoin j 6c vous promet de plus
33 grands fecours , que ceux qu'il vous a procures jufqu'à
33 préfent. De votre côté travaillez avec tout le foin pofîî-
33 ble à la conclufion de cette affaire , qui mérite toute votre
>ï attention, ce
L'Ambafladeur offrit enfuite ks fervices particuliers j 6c
Tûme XI, V V vv
70Ô HISTOIRE
f préfenta une lettre du roi d'Eipagne datée de Madrid au
H E N K 1 mois de Janvier précédent. Le cardinal de Pellevé la reçut,
IV. ôcla remit fur le champ à Nicolas de Piles abbé d'Orbais,
i CQ7, Secrétaire de la chambre du Clergé , afin qu'il la lût. Phi-
lippe , après une longue énuméracion de tous les iervices
phmppe aux ^^ndus à la France , èc de Tes bienfaits confirmés par tant
Etats aifcm- d'illuftres témoignages , exhortoit par ces lettres i'aflem-
biésauLou- ^i^g ^ ^c point le féparer , fans élire pour Roi un Prince
Catholique , qui ne méritât cet honneur que par [çs hautes
qualités, êc qui pût rétablir l'ancienne Religion , èc remet-
tre dans fon luflrela gloire de la Nation. Ilajoûtoit qu'on ne
devoit agir que pour la gloire de Dieu j &: que le duc de Feria.
fon Ambafladeur, expliqueroit les autres intentions.
Sentimens de Ceux que l'efprit de facTiion aveugloic, entendirent avec
l'aiTembiée plaifir la Icclure de cette lettre , èc de tout ce qui étoit die
fur cette let- j^ |^ ^^^^ ^^ j.^' cl'Efpagne ^ mais les plus fages , qui con-
fervoient toujours quelques loupçons des deUeins d'une Na^
tion ennemie , jugeoient que les Efpagnols profîtoient de
l'occahon que leur préientoient les calamités publiques ,
pour augmenter leur puiflance , 6c fe venger des injures de
des pertes qu'ils avoient iouffertes : Que ces apparences de
bonté & d'amitié cachoient leurs vûësambitieules , &; qu'ils
agilloientà peu près comme Philippe de Macédoine, qui,'
au rapport de Thucydide & de Trogue Pompée , ( ou Ju-
ftin , ) voulant dompter les Oriciens fes ennemis , envoya
chez eux une armée , fous prétexte de les fecourir contre
des féditieux qui troubloîent leur République.
Le cardinal de Pellevé , tout zélé qu'il étoit pour la Li-
fée^&"m5b!e' gue , ne put foufFrir ces lettres remplies de reproches , ôC
du cardinal qù Torgueil Efpagnol fe manifeftoir. (Quoiqu'on ne fût 'pas
de Pellevé. pj-^venu en fa faveur , on avoua néanmoins que fa réponfe
au difcours du duc de Feria , fut fenfée èc vive , &: qu'il
foutint l'honneur de la France, avec autant de liberté & de
nobielTe , que ces tems fâcheux le permettoient. Après
avoir dit que les trois Ordres étoient fort redevables à S.
M. C. de leur avoir écrit &c fait expliquer fes intentions ,
par la bouche de fon Ambaflàdeur , il ht l'éloge du duc de
Feria, à qui on avoir confié cette importante ambafîâde,
comme à celui qui de toute la cour d'Efpagne en étoit le
DEJ. A. DETHOU, Liv. CV. 707
plus digne. Il rappella l'ancienneté & la noblefle de la mai- 1
ion de ce Seigneur. Il parla auffi de fa mëre , Angloilè de H e n r. i
nadon , qui comme une autre Hélène mëre de Conilancin , I V.
avoit répandu ies libéralités fur les Ecolfois , les Irlandois , 1593.
ôc les Anglois , chafles de leur païs pour la Religion , àc con-
traints de chercher un aille en Efpagne.
Le Cardinal pourfuivit enfuite en ces termes. >3 Toutes
" les choies humaines ont leurs révolutions 6c leurs viciilitu-
M des. Ce Royaume autrefois il floriflknt , &: qui maintenant
w eft accablé de mille calamités , efl: un trifte exemple de
» l'inconftance de la Fortune. Tant que nos Rois ont été les
» défenfeurs de la Foi , ils ont donné des loix à pluiîeurs Na-
>î tions puilTantes ^ ils ont étoufFé fans peine les fectes , qui s'é-
>3 levoient contre la véritable Religion, & porté de tous côtés
M leurs armes victorieufes. Il y a plus de onze cens ans que
M Clovis , le premier de nos Rois , qui ait embralFé le Chri-
93 ilianifme , àc pour qui le Ciel envoya la Sainte Ampoulle ,
» dompta les Vilîgoths , ces protecteurs obftinés de î'Arria-
îî nifme. Le fiége de leur Empire étoit à Touloufe , de ils
»3 étoienc maîtres de tout le païs , qui eft entre la Loire èc
>5 les Pirenées. Ce Prince auffi brave que Religieux , les vain-
)5 quit dans le Poitou , tua de fa propre main Alaric leur Roi,
M éc ramena toutes ces Provinces à la vraye foi. Cette vic-
»3 toire ouvrît à la Religion Catholique le chemin , pour pé-
>3 nétrer en Efpagne , où Almaric fils d'Alaric s etoit retiré.
33 Car Childebert iîls de Clovis ayant accordé la paix à Ai-
>3 marie, lui donna en mariage la fœur Clotilde , à condi-
w tion que le prince Goth embralFeroit la foi Catholique j
33 mais Childebert voyant qu'Almaric ne quittoit point Cqs
35 erreurs , ôc qu'il maltraitoit fa femme Clotilde , qui étoit
33 Catholique , ne le put fouffrir. Il paiTa deux fois en Efpa-
33 gne avec une nombreufe armée , vainquit Almaric , per-
33 fécuta l'Arrianifme , 6c rétablit dans ces contrées la Foi
33 que S. Jacque y avoit autrefois prêchée , & que le tems
33 avoit prefque fait oublier. Pour lailFer à la poftérité un
33 monument célèbre de tant de victoires , ce Prince fît bâ-
33 tir à Paris le monaftére de S. Vincent ( i } , qu'on appelle
( I ) On commença de bâtir cette i acheve'e que vers l'an j'j'*?. L'Eglifc fut
Abbaïe vers Tan 542. ôl elle ne fut 1 dédie'e cette année par S. Germain , au
VVvv ij
7o8 HISTOIRE
■_„^ ■ >î à prëfent i'Abbaïe de Saint Germain des Prés.
Henri » Cliarle Martel , qui fur la fin du régne des Rois Mero-
I V. »> vingiens , & à la faveur de leur foiblefle , prit en main le
I ço 5 » gouvernement de la France , & ouvrit le chemin du Trône
» àPepinfon fils, en éloignant Childeric III. lit furies bords
53 de la Loire un affreux carnage de ces troupes immenfes de
»3 Sarazins , qui avoient inondé l'Afrique èc i'Efpagne. Il
î> tailla en pièces les Sarazins & les Viiîgoths , qui réunis
>3 enfemble avoient fait une irruption dans le Languedoc.
»î Comment Charlemagne fils de Pépin a-t-il mérité les ti-
55 très magnifiques de Grand , de Saint, & d'Invincible ? Les
w vidoires qu'il a remportées en faveur de la Religion , &
>3 les défaites des Sarazins qu'il a fi fbuvent domptés , &:
w qu'il obligea enfin de fe renfermer dans leur pais , lui ont
» fait donner ces noms illuftres.
»5 Alphonfe le Chafte, roi de Galice & des Afturies, par
» reconnoiffance de tous les bienfaits qu'il avoit reçus de ce
55 Prince , (é fit gloire de fe dire vaflàl de Charlemagne. Les
33 nies de Majorque &, de Minorque fe foumirent à ce Mo-
35 narque , qui les avoit défendues contre toute la puifîànce
33 des Maures & des Sarazins 3 & ce Prince ne donna le
35 royaume d'Aquitaine à fon fils Louis le Débonnaire , qu'a-
33 fin qu'il fût toujours prêt à combattre ces ennemis du nom
>3 Chrétien.
33 Je ne puis pafïèr fous filence ce que les hiftoriens EC
33pagnols rapportent du connétable Bertrand du Gucfclin.
>3 Ce grand Capitaine avoit été envoyé en Efpagne par le
33 roi Charle V. Il détrôna Pierre le Cruel roi de CalHile,
33 qui par (qs barbaries , & la protedion qu'il accordoit aux
53 Juifs, avoit attiré fur fa tête les anathêmes d'Urbain V.
53 II fit monter fur le Trône Henri de Trillemare ( i ) j ôc ceux
33 de Caftille& de Léon, par ordre de du Guefclin recon-
3>nurent Henri d'autant plus volontiers, qu'ils afliiroient
rapport de Grégoire de Tours , en I Childebert , que le portail de la princi-
rhonneur de la Sainte Croix & de S. ! pale entrée de TEglife , 6c le gros clo-
Vincent Martyr , à caufe que Childe- ^ cher qui eft au bout. La partie fupé-
bert avoit donné à cette Eglife une rieure qui eft au-defTus des cloches , efl
croix enrichie de pierreries , ôc la tu-
nique de S. Vincent. II ne refte rien
aujourd'hui de ce qui a été bâti par
plus récente.
(1) Ou Traoftamare.
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 709
» que par les anciennes loix de l'Empire Gothique, ils ■'
»> pouvoient Ce foufkraire à robéïlTànce d'un Tyran, de fe H F. n r i
"faire un autre Roi, fans obferver l'ordre de la kicceffionj I V.
>j enforte que fî une pareille révolution arrivoit de nos jours , i c o t
» elle nedevroit point paroîcre nouvelle, après un éxem- -
» pie fî fameux. «
" L'inclination des François pour les Efpagnols a encore
>5 éclaté parles alliances qu'ils ont faites avec eux. Saine
M Louis étoit fils de Blanche de Caftille. Des PrincefTes Ef-
Mpagnoles ont donné le jour à Philippe L 6c à Philippe
" Augufte. De notre tems François L a époufé Eléonore
" fœur de Charle V. Philippe qui régne aujourdhui avec
« tant de gloire a partagé fa Couronne avec Elifabetli fille
»> de Henri II. Charle IX. fils du même Henri IL a époufé
53 Elifabeth d'Autriche fille de MaximiHen , & nièce du Roi
» Catholique , Princefle que fes vertus & fa piété ont toû-
->-> jours rendue chère à la France. Depuis ce tems , les deux
» Nations ont été unies , 6c fe font rendu des fervices ré-
>5 ciproques. ce
» Le Roi Catholique a été touché du trifle fort de ce
" Royaume, qui tomboit en décadence 3 6c ce Prince qui
« foûtienc fî bien le titre de Catholique j ce Prince donc
aies fujets font auffi rehgieux que lui , & dont le zèle fur-
«pafîe celui des anciens Empereurs Chrétiens , qui non
>5 feulement conferve la pureté de la Religion dans iès Etats ,
» mais encore la protège 6c la défend chez les Nations
5j étrangères, contre tous les efforts des infidèles 6c deshé-
î5 rètiques • ce Prince enfin , qui a trouvé le premier , 6c qui
» a montré aux Chrétiens les moyens de vaincre les Turcs ,
?5 qui a porté le flambeau de la foi dans des pais inconnus
>5 aux fîécles précèdens , 6c jufqu'au bout du monde ^ ce
«fage Prince par une bonté fans exemple nous a préfenté
>3une main fecourable pour empêcher la ruine totale de
» cette Monarchie. «
Le Cardinal ajoiita à ce pompeux éloge quelques traits
ëclatans de la vie des Empereurs Trajan 6c Théodofe , qui
ctoient Efpagnols. 11 éleva Philippe au-deffus de Ferdinand
6c de Maximilien fes ayeux , 6c même de Charle V. fon
père 3 >3 Car , dic-il , combien de guerres ce Monarque a-t'ii
V V u u ii]
710 HISTOIRE
_. îsfoûtenuës pour la défenfe de nos Autels Se de nos biens,
Henri » pour la gloire du nom Chrétien , de pour le maintien de
I V. >ï la. Religion Catholique , Apoftolique & Romaine ? Il
i cq z " nous a délivrés de la tyrannie d'un hérétique , lorlqu'étanc
>î étroitement preiFés par un fiége , il envoya à notre fe-
" cours le duc de Parme, ce Capitaine aufiilageque cou-
»3 rageux. Sa Religion étoufïe les iéntimens d'ambition que
» l'éclat d'une nouvelle Couronne pourroit lui infpirer j 6c
>j à l'exemple de Jovinien , qui après la mort de Julien l'A-
« poflat étant falué Empereur par fcs foldats, n'accepta
» l'Empire qu'à condition qu'ils émbralFeroient tous la Re-
>3 ligion Catholique , Philippe n'a jamais régné fur aucun
>5 peuple , que J. C. n'ait régné a^ec lui.
" C'eft ainfî que François I. donna autrefois un exemple
» remarquable de fa piété ôc de fa Religion , lorfqu'il refufa
« d'entrer dans la ligue des Princes Proteftans d'Allema-
>5 gne contre l'Empereur , quelques avantages qu'on lui
>5 en fît efpérer. L'intérêt de la Religion qu'il craignoic
î3 de mettre en danger , & qu'il vouloit conferverdans toute
>3 fa pureté. Le toucha plufque le foin de fe venger des in-
« jures qu'il avoit reçues.
"Henri IL marcha fur les traces de fon père, 6c imita
« fa piété. Lorfque les Miniilres des deux Couronnes tra-
ïî vailloienc au traité de Cambrai , on avertit ce Prince de
« veiller avec plus de foin à la confervation de fes droits j
M mais il répondit : Qu'il gagneroit aiTez , fi , comme il
M l'efpéroit, il pouvoir à la faveur de la paix étouffer les
>3 héréfies naiiTantes qui s'élevoient dans fon Royaume :
>3Quele bonheur de fon Règne dépendoit davantage du
3î faluc des âmes, que de l'étendue de fes Provinces, 6c du
îj nombre des Peuples qui lui obéïroient^ èc que fon pre-
« mier devoir étoit de maintenir la Religion, u
» Les Princes delà maiion de Lorraine ont toujours fait
jj éclater leur zélé pour la Religion. Comme d'autres Ma-
îschabées, dès que la Religion a paru en danger , ils ont
33 prodigué leurs biens 6c leur iang pour fa défenfe. Depuis
33 que l'héréfie ravage ce Royaume, fept ou huit Souve-
33 rains Pontifes, 6c particulièrement Clément VIÏI. donc
33 la France éprouve tous les jours la bonté paternelle , ont
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. yir
« foûtenu par de puiflans fecours , 6c par leurs fages confeils, " ■' ' ;'
>î la caufe de la Religion. <t H e n k i
» Philippe les a tous furpaflës j & comme il ëtoit le plus I V.
« puilTanc, il a écé aufli le plus généreux , êc le plus ma- 1593.
53 gnifîque. Ses bienfaits plufqu'humains , &. donc la më-
î> moire doit être éternelle, méritent toute la reconnoilTance
«pofliblej & nos remercimens ne pourront jamais égaler
>i la grandeur de nos obligations. Faites donc, MelTieurs ,
« éclater votre zélé èc votre attachement pour un Prince à
M qui vous êtes (i redevables , èc qui a été le libérateur de
>5 votre Patrie. c<
La Séance finit après ce difcours. Qiielques-uns trouvè-
rent peu de folidité dans ce qu'avoit dit le Cardinal au
fujet de François I. & qu'il avoir imputé à Henri II. ce
qui s'étoit palîë à Ion infçû entre les Guifes èc les Miniflres
Espagnols.
On avoit agité dès le ^mmencement de railèmblëe des Examen du
Etats la queftion du Concile de Trente. Le Lecrat en pref- S?"!'!^,r^
foit vivement la publication ^ & loûtenoit que fans la ré- les Etats de
ception pure &: fimple de ce Concile, on ne pourrcitmain- ^^ Ligue,
tenir la Religion , pour laquelle on combattoit depuis lî
longtems. La chofe ayant été mile en délibération le 5^,
d'Avril , plulîeurs objedérent les droits & les privilèges du
Royaume, ôc les libertés de l'Eglife Gallicane. Ainfi la
publication du Concile ayant été julqu'alors difrérée ,
on choifit Jean le Maître, que le duc de Mayenne avoîc
fait Prélfident au Parlement , avec Guillaume du Vai-r
Confeiller, tous deux éloignés de l'cfprit de faction, qui
avoient autant de probité que de lumières , pour en exa-
miner les actes, 6c remarquer ce qu'ils trouveroient être
contraire à la difcipline , aux loix 6c aux ufages de ce
Royaume.
Ces CommifTaires après un mur examen jugèrent que le ^^ conci/e
contenu en la quatrième Seffion, qui ordonne que les Auteurs eft jugé con-
& les Imprimeurs des livres défendus feront punis par ks ^^-^^^^^^^^^l^^'
Evêques, ainii qu'il appartiendra , comme des corrupteurs France,
de l'Evangile &: de la parole de Dieu , étoit contraire à l'è-
dit de Henri II. donne à Fontainebleau en i 547. à celui de
Chateaubriand de i 5 5 1, 6c à l'ordonnance de Charle IX,
712 HISTOIRE
■ __ faite dans le tems des Etats Généraux d'Orléans , &renou-
Henri veilée à Moulins en 1566. Qtie le chap. r. de la fixiéme
I V. SeiTion , qui permet au Pape de dépofer les Evêques qui n'ob-
j - g 5 fervent pas la refidence , îk; d'en mettre d'autres à leur place,
lorfqu'ils fe lailîent condamner par contumace , dérogeoic
aux droits du Roi , & au Concordat d'entre Léon X. ÔC
François I.
Que dans la Sefîion feptiéme, chap. i 5. la vingt-unième,
chap. 8. la vingt-deuxiémc , chap. 8. &: la vingt-cinquième,
chap. 8. les Evcques , comme commiiîaires du Saint Siège ,
étoient déclarés exécuteurs des donations pies faites , tant
entre vifs , que par teftament , Ôc ordonnance de dernière
volonté : Qu'on leur donne un droit d'infpedion fur les Hô-
pitaux , Chapitres , Fabriques , Confréries laïques, & Uni-
verfîtés , avec pouvoir d'en difpenfer , 6c d'en féqueftrer les
revenus, d'exiger des comptes, de cafTer les administrateurs
infidèles ou négligents , èc d'en i^bftituer d'autres en leur
place j mais qu'au contraire les èditsde i 544. i 560. i 545.
& de l'année fuivante attribuoient la connoiiïànce de la red-
dition des comptes , & de toutes ces fortes de ehofes aux
juges Royaux , pour empêcher qu'on ne préjudiciât aux
droits du Roi , qui feul a une inipection générale fur tous
les biens fîtuès dans fon Royaume , tels que ceux des Hôpi-
taux , Fabriques , Chapitres 6c Univerfîtès.
Que la Seffion 24. chap. 5. qui révoquoit les lettres de
privilège 6c les juges confervateurs , fans diftinclion des juges
Ecclefiaftiques ôc des Laïques , attaquoit l'autorité Royale,
en ce qu'elle n'exceptoit point les juges Royaux , ôc qu'elle
dètruiloit les difpofitions de plufîeurs arrêts du Parlement,
qui avoient approuvé 6c confirmé lajurifdidion desjuges con-
fervateurs Eccléfiaftiques : Que la permiffion accordée dans
cette même SelTion chap. i.aux Evêques de procéder contre
ceux qui concradent des mariages clandeftins de contre les
témoins , étoit oppofée à nos ufages 6c à la Jurifprudence
des arrêts du Parlement , fuivant lefquels le juge Ecclèfia-
flîque ne peut connoître que du Sacrement , avec dèfenfes
de porter aucun jugement îlir ce qui regarde la dot , les dom-
mages , intérêts , 6c les peines , dont la connoifiànce eft ré-
fervèeaux juges Royaux, comme il a été ordonné dans les
Etats de Blois. Que
DE J. A. DE THOU, Liv. C V. -71^
■Qiie la Seffion 2 5. cliap. 9. attribuoic aux Evêqiies la con- .
iioiffance des conceftations mues à l'occafion des droits de H en ri
patronage tant Ecclëfîaftique que Laïque 5 au lieu que con- I V.
îormément au droit Franc^ois & aux arrêts des cours Sou- j ^g,
veraines , non-feulement le poiTefToirej & le pétitoire d'un
droit de patronage Laïque , mais encore les complaintes ,
pour le polTefToire d'un patronage Ecclëfiaftique doivent
être pourfuivies devant les juges Royaux , les Evêques ne
pouvants connoître que du pétitoire des droits de patro-
nage Ecclëfiaftique : Q_ue la Seilîon 2 i . chap. 4. par laquelle
il eft ordonné que fuivant le jugement de l'Evêque on don^
neroit une portion congrue dQs biens de l'Eglife matrice aux
Prêtres qui délFerviroient les Egliiës érigées de nouveau 3 ôc
que s'il en étoit befoin, on pourroit contraindre les Peuples
de fournir ce qui eft nëcelîàire pour la fubiiftance de cqs
Prêtres , eft contraire à nos ufages j l'autorité des Evêques
ilir \qs Laïcs étant bornée au fpirituel , êc ne pouvant s'é-
tendre fur ce qui regarde le temporel , comme eft une quef.
tion pour les alimens des Curés : Que par cette même Seffion,
chap. 8. il eft enjoint aux Evêques de vifîter \qs Preft^itéres
oc lesbâtimens qui en dépendent , d'avoir foin d'y faire faire
les réparations & les réédifications néceftaires,& d'y con-
traindre les titulaires, même par le lequeftredes fruits dQs
Bénéfices^ mais que les arrêts des Parlements ont fouvenc
prononcé au contraire que ces queftions qui ne regardent que
je temporel, doivent être portées devant les juges Royaux,
privativement à tous autres : Que l'ufage de ce Royaume ne
permet pas que les Evêques falTl^nt faire des failles ou des
lèqueftres 3 6c que ce pouvoir eft reftraint aux juges Royaux,
êc autres juges Séculiers.
Que l'autorité Royale & celle àQs Magiftrats , qui feuls
pouvoient interdire pour toujours , ou pour un rems les of-
Jiciers Royaux,étoit bleffée par la difpofîtion de la Seffion
Suivante , chap. 10. fuivant laquelle les Evêques , comme
Commifîaires du Saine Siège pouvoient informer contre les
J^otaires , tant de cour Ecclëfiaftique, que de cour féculiére
& Laïque 3 leur faire fubir des examens , pour connoître
s'ils font capables bc fuffifans 3 s'ils font ignorans , ou en cas
ï^u'ils ayent prëvâriquëjlçs fuipendre de leurs fondions, ^
7Qme XI. XX XX
714 HISTOIRE
leur défendre pour toujours l'exercice de leurs cliargeS'
Henri dcins les affaires , procès, ôc caufes Eccléfiaftiques,
IV. Que la Seffion 23. cliap. 6. confirmative de la conftitiî-
j ro r^ tion de Boniface VIII. fuivant laquelle les fimples tonfurés
non bigames, quoique mariés , font fournis à la jurifdidion
Epifcopale , tant au civil qu'au criminel , atcaquoit directe»,
ment la puilFance 6c la jurifdidion Royale j êc que fuivanc
nos ufages les Laïcs mariés , quoiqu'ils ayent rec^û la ton-
fure , ne reconnoifToicnt Tautorité des Evêques qu'en ma-
tière fpirituelle : Que la Sefîion 24. chap. 8, fuivanc
iaquclle les Ordinaires pouvoient pouriuivre les adultères ^
èc les concubinaireSjblelFoit également l'autorité Royale, ôc
celle des Magifbrats , qui fculs pouvoient connoître des cri-
mes d'adultère &: de concubinage entre Laïcs : Que la fup-
preffion des induits èc droits de prefentation accordés aux
Chapitres, Univerfités, Parlemens, ôc à des perfonnes parti»
culières, étoit une difpofition faite en haine, & au préjudice
du parlement de Paris,
Qiie la Seiîion 2 5. ch.3. permet aux monafléres & maifons
Religieufes, tant d'hommes que de femmes,mêmeâux Men-
dians , à l'exception des Maifons des Frères de S.François,
des Capucins & de ceux qu'on appelle Mineurs de l'étroite
Obfervance,de poiTéder des immeubles,quoique leurs Confti-
tutions le leur défendent , ou qu'ils n'ayent pu encore ob-
tenir à ce fujet aucune difpenfe du S. Siège j mais qu'une telle
permilîion étoit contraire à Tinftitution des Religieux men-
dians , qui avoit été approuvée ôc confirmée par plusieurs
arrêts du Parlement , aufquels on ne pouvoit déroger, quant
au temporel, (i ce n'étoit de l'exprès commandement du Roi,
& par des lettres Patentes enregiftrées dans les Cours Sou-
veraines : Que par le chap. 3. de la même Seflion le Con-
cile accorde aux Ordinaires le droit de procéder , même
contre les Laïcs, dans les caufês civiles foûmifes de quelque
façon que ce foit, au tribunal Eccléliaftique, de condamner
â des amendes pécuniares , ordonner des faifies , décerner
des contraintes, de faire emprifonner par les appariteurs de
la cour Eccléfiaftique ou autres , de priver des Bénéfices , &
d'ufer des autres voyes de droit femblables j ce qui attaquoic
encore un ancien ufage confirmé par un grand nombre
DE J. A. DE THOU, L i v. CV. 715
d^arrêcs, qui défendent aux juges EccléGaftiques qui n'ont ?^,.__l^*
point de territoire , de faire exécuter leurs fentences par em- Henri
prifonnement ,& par faifie des biens des condamnés -jenforte I V".
que lorfqu'ils veulent fe fervir de ces voyes, ils doivent avoir 1593,
recours au bras Séculier.
Que la difpo/îtion de ce même Chapitre , qui laifle aux
Evêques la liberté d'accorder ou de refufer des monitoires,
qui leur ordonne d'en examiner avec foin les caufes 6c
les motifs , fans que l'autorité du Magiftrat qui a permis de
Iqs obtenir, puilfe les obliger de fulminer l'excommunica-
tion, qui foûmetletout à leur examen & à leur jugement,
& fuivant lequel c'eft un crime à un juge Séculier de défendre
à un Evêque de lancer une excommunication , ou de lui
enjoindre de lever celle qu'il a lancée , eft un attentat à l'au-
torité des Parlemens, qui ont droit, & qui peuvent en cas
d'appel comme d'abus de fentence d'excommunication , or-
donner que par provifîon l'excommunié fera abfous adcau^
teUm j êc contraindre l'Evêque ou fon grand Vicaire par fai-
fie du temporel de donner cette abfolution : Que les juges
Eccléfîaftiques ne pouvoient contcfter en cela l'autorité des
Parlemens , puifqu'ils avoient eux-mêmes décidé que les cen-
fures pouvoient aider le bon droit des parties : Qiie le Con-
cile n'a pu fans attenter à l'autorité Royale, excommunier
dans la même SeffionjChap, i 9. le Prince , qui permettroit le
duel, & confifquer la ville 8c le lieu où il auroit permis que
Je combat fe iix. 3 parce qu'on ne peut ôter au Roi aucune
partie de fon domaine ^ & que quant au temporel, ilnere-
connoît point de Souverain.
Que le chap. fuivant, dans lequel le Concile ordonne que
les faints Canons, tous les Conciles généraux, &: toutes \t%
conftitutions Apoiloliques données en faveur des Eccléfiafti-
ques,. des privilèges du Clergé, & contre ceux qui ont la
témérité de \q.s violer, foient exadement obfcrvées en tous
lieux , & par toutes fortes de perfonnes , eft trop étendu ôc
mérite une reftridion j parce que fi cette difpofition avoic
lieu, il faudroit admettre toutes les Décret^les, le fixiéme
livre ajouté par Boniface VIII. toutes les Extravagantes, &
par conféquent les Régies de la Chancelcrie Romaine ,
dont la plupart ne font point reçues en France: Qiie l'autorité
XXxxij
71^ HISTOIRE
|?!L^ '■ Royale feroic énervée èc fans force , ôc qu'à la faveur
Henri des immunités que le Clergé veut ufurper , tout le poids des
I V. impôts de des fubfides que le Roi exige de fes iiijets, pour la
j ^02, dèfenfe de fon Royaume, retomberoic fur le Tiers-Etat.
Les Commiffaires ajoutèrent encore que le chap. ir, de
la même Seffion porte que tout ce qui a été décidé , Qc ar-
lêté dans Je Saint Concile pour la réformation des mœurs,
île peut 6c ne pourra préjudicier aux droits & à l'autorité
du Saint Siège j « mais cette exception , difoient-ils , ne
5> peut être admife, parce qu'elle eft contraire à plufieurs ar-
>5 rets qui ont prononcé qu'il n'étoit point permis au fouve^-
» rain Pontife d'accorder des difpenies dans des matières
>3 décidées par les Saints Canons & les Conciles. Autant de
îî fois qu'il a paru des Brefs qui contenoient quelques dif-
»3 pofitions contraires aux décifions des Conciles , ils ont
>3 été déclarés nuls èc abufifs. Outre cela cet article dé-
î5 truiroit les appels comme d'abus ^ cet heureux moyen
M qui en France a toujours coniérvé dans leur vigueur les
» décrets émanés d'une autorité aufli refpedable ^ 5c uns
» telle réferve anéantiroit tous les faints Conciles, ians mê-
>î me en excepter le Concile de Trente.
» Les Conciles Provinciaux,&;lesMetropolitainsfontJuges
" compétens des crimes imputés aux Evêques , &c tout au
>3 moins de ceux qui ne méritent pas la dépofition. Cepen-
>5 dant la treizième Seiîion , chap. 8.& la vingt-quatrième,
« chap. 5. ordonnent que les caufes criminelles des Evêques ,
-yy fans même en excepter l'accufation de concubinage, feronc
53 portées en cour de Rome , pour y être terminées par le
>i Pape j la même difpofition bleiïe auffi l'autorité du Roi ôc
» des Magiftrats , qui feuis font Juges compétens àcs cas
33 Royaux , 6c privilégiés privativement au Pape , 6c à tous
V3 autres juges Eccléfiaftiques , quoique les accufés foientho-
33 norés de la dignité Epifcopale.
53 La Scfîion vingt-quatrième, chap. 20. décide qu'il y a
33 plufieurs caufes, qui fuivant les conftitutions Apoftoliques
33 doivent être'agitees en cour de Rome j qu'il y en a d'au-
33 très , que le Pape dans des circonftances particulières peut
33 évoqi^er à lui, ou fur lefquellesil peut nommer des Com-
?3 miilàires par un Bref fpècial ligné de fa main j mais c'eft
DE J. A. DE THOU, Liv. CV. 717
5> aller contre les Libertés de l'Eglife Gallicane, & le décret
» de caufis de la Pragmatique Sanction ^ qui eft tranfcrit fur H £ n r i
w les Conciles de Conffcance &: de Baile. I V.
>3 Ce qui eft ordonné par la feptiéme Seffion , chap. G. là i 59 5-,
*s vingt-quatrième , chap. i 3. & la vingt-cinquième, chap.
»3 c;. qui portent que le Pape peut confirmer les unions des
>î Bénéfices , quoique nulles ou faites contre les régies , ac-
J3 corder des proviiîons en forme gracieufe (i) , & changer
» les difpoiîtions des teftamens , eft contraire à l'autorité des
» Conciles , & aux arrêts des Cours Souveraines , qui fouvenc
>5 ont déclaré nulles & abufives tant les unions des Bénéfices
>5 faites hors les cas de droit , que les provifions en forme
93 gracieufe accordées au mépris des décrets des Conciles ,
» & de l'autorité fouveraine du Roi ôc des Magiftrats qui eii
w font les dépofitaires.
» Le Concile dans la Seffion 5, chap. i.ôc 2. la feptiéme,
»chap^6. & 8. la vingt-uniéme, chap. 3. ôc fuivans jufqu'au
33 huitième , la vingt-deuxième , chap. 5. 6. 6c 8» la vingt-cin-
ft quiéme , chap. 9. n'attribue aux Êvêques la connoilfance
ï3 de certains cas , que comme à des CommilTaires du S. Siège,
T3 quoiqu'ils l'aient en qualité d'Ordinaires. De telles déci-
33 fions répugnent à la Jurifprudence des arrêts, qui déclarent
» abufives ^ onéreufes au Clergé ces commiffions du Saine
53 Siège , & ce qui eft fait en confèquence. Les caufès des
T> Eccléfiaftiques doivent être portées en première inftance
w devant l'Ordinaire , ôc par appel devant le Métropolitain y
» mais fi l'on fe foûmettoit aux difpofitions mentionnées ci-
« delTus, ils fèroient obligés d'aller ou d'envoyer à Rome,
33 pour faire nommer des CommifiTaires j ce qui anéantiroic
33 la jurifdidion des Métropolitains.
33 Enfin le Concile, dans les mêmes endroits , &dans plu-
j3 fieurs autres , défend les appels des jugemens des Evêques^
33 ce qui fermeroit totalement la voye des appels comme d'à
» bus, dont par un ancien ufage fondé fur nos Libertés, onfe j
33 lert ordinairement en France, lorfqu'il paroît quelque chofè
» de contraire aux Saints Concilcs,êiaux ordonnances de nos
( ]) On appelle en Chancelcrie Ro- ^ mœurs , en vertu de quoi on fe met en
jmaine des provifions de Be'néfices en ; poflcflîon fans demander le vila de l'Or-
forme gracieufe, Icfquelles font accor-; dinaire,
^'e§ fur une information de vie ôc de j
X X X X ifj
7i8 HISTOIRE, kc:
» Koîs, ou capable de préjudicîer à la junfdicflion Royale;
Henri Jean le Maître & du Vair firent leur rapport dans l'af-
I V. femblée des Etats Généraux de tout ce qu'ils avoient re-
I ro^. marqué qui pouvoit blelîer les Libertés de l'Eglife Galli-
Le grand cane , Ics droits 6c Ics privilèges du Royaume. Quelques-uns
L°"iie?rs^eft ^^9"^^^^^ ces remarques avec plaifîr , 6c donnèrent de grandes
choqué (ks louanges aux Commifîaires j mais le plus grand nombre en
remarquesiu- f^^^ choQué.
dicieules lur _ _. / , -^ ^ . . <
ie Concile de L^ Lcgat du Pape a qui on communiqua le tout , craignant
Trente. qvie cette afFaire ne causâç de la divi/lon entre les Dépu-
tés , 6c ne troublât l'afTemblée , dilîimula Ton refîentiment j
& crut devoir attendre une occafion plus favorable pour
agir 5 car on entendoit déjà dire hautement que la publica-
tion du Concile de Trente étoufFeroit la liberté publique,
de qu'il ne feroit plus permis de fe plaindre. D'ailleurs le
tems de la conférence indiquée avec les Royaliftes appro-
choit j 6c les plus fages jugeoient qu'il étoit dangereux d'ea^
trer alors dans la difcuffi on d'une affaire fi épineufep
i=*/> £/u Livre cent-cinquième ^
7Ï9
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HISTOIRE
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JACQ^UE AUGUSTE
DE T H O U
te:
LIVRE CENT-SIXIEME.
C
Omme le tems de la conférence approchoic , on en-
rence
voya des Commiflaires pour choiiîr un lieu qui fût con- H E n r. i
venable. La plupart des maifons de campagne & de plai- I V.
fanceaux environs de Paris, ayant été ruinées pendant la 1593»
guerre ^ les deux partis convinrent du village de Surêne , ç^^^^^
où le 2 I . d'Avril on marqua les logemens pour les Députés, de Surêne,
Deux jours après , les Ligueurs nommèrent de leur parc
Pierre d'Efpinac Archevêque de Lyon , Franc^ois Pericard
évêque d'Avranches, Godefroi de Billy Abbé de S. Vin-
cent de Laon , André de Brancas de Viilars , que le duc de
Mayenne avoit fait Amiral de France , pour le récompenfer
des fervices qu'il avoit rendus dans le fiége de Roiien ^ Fran-
çois de Faudoas , dit d'Averton de Serillac , comte de Belin
Gouverneur de Paris j Pierre Jeannin Préfident au Parle-
ment de Dijon j Jean Louis de Pontallier de Tallemé j Louis
de Moncigny ^ Nicolas de Pradel de Montolin j Jean le
720 HISTOIRE
Maître Panfien , Etienne Bernard de Dijon , Sc Honoré dii
Henri Laurent Avocat du Roi au Parlement d'Aix.
I V. i-e fîxiéme jour après , fête de S. Pierre Martyr , ils en-
j jo ^^ tendirent tous la Mellc, 6c reçurent la bénédiction du Lé-
gat , qui avec le cardinal de Pellevé , leur donna d'amples
inftruàions. Ils Te rendirent à Surêne fur les deux heures
après midy. Renau.d de Beaune Archevêque & Patriarche
de Bourges 3 François le Roi de Chavigny vieux Capitaine ,
auffi diftingué par fon courage , que par fa probité , & qui
ctoit aveugle j Pompone de Belliévre, qui ayant été exilé
dans iti maifon par le feu Roi , avoit été rappelle à la Cour
depuis peu de jours j Nicolas d'Angennes de Rambouillet j
Gafpard de Schomberg comte de Nanteuil ^ Godefroi le
Camus de Pontcarré 5 jacque Augufte de Thou d'Emery j
& Louis de Revol , députés du parti Royalifte , étoienc
arrivés les premiers au lieu de la conférence. Aucun d'eux
ne prit de qualités , ni de titres • & ils prièrent les députés
de la Ligue d'en agir de même , de crainte que la difpute
pour les rangs , ne caufât quelque préjudice à l'un ou à l'au«
tre parti j & ils l'obtinrent.
Dominique de Vie gouverneur de S. Denis affifta à la con-
férence avec les Royaliftes , quoiqu'il ne fut point compris
dans les lettres Patentes données parle Roi à ce fujet ^ à le
parti contraire ne s'y oppofa pomt , à condition cependant
que Nicolas de Neufville de Villeroi , pût auiTi y être pré-
sent , quoique le duc de Mayenne ne l'eût point nommé.
Il s'éleva d'abord une conteftation au fujet de Rambouillet,
avec qui les Ligueurs ne vouloient point conférer. Ils le re-
gardoicnt comme complice de raiTairinat du duc de Guife j
i&cpour lui donner l'exclufion , ils dirent que Guillaume Rofe
évêque de Senlis , qui n'ignoroit pas la haine que les Roya-
liftes lui portoient , avoit refufé par cette feule raifon d'alTi.
fter comme Député i cette négociation. Les Royali.ftes ré-
pondirent qu'il ne dépendoit pas d'eux d'exclure Rambouil-
let : Qiie d'ailleurs la mémoire du feu Roi étoit intéreilée dans
.cette action , Se que ce feroit renouveller le fouvenir de ces
maux paiïes , qu'il falloit enfevelir dans un éternel oubli.
Les Députés fe promirent réciproquement une fureté in-
yiolable , ôc dirent tous qu'ils étoient prêts de ligner leurs
promciTcs
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 711
promefles de leur Tang. Le refle du jour ayant été employé
à ces préliminaires , on remit la conférence au lendemain. Henri
Les Royaliftes couchoient à Surefne', 6c les Ligueurs retour- I V.
noient à Paris. Ils revinrent au jour marqué , 6c firent en- 1593,
core la même difficulté par rapport à Rambouillet j mais ce
Seigneur pour les calmer , parla en fecrec à quelques-uns
d'eux , fans demander l'avis de [qs Collègues j 6c tâcha de
diffiper leurs foupçons , en ajoutant même à ce fujet plu-
fleurs chofes , dont il croyoit être de fon intérêt d'inflruire
le jeune duc de Guife 6c fa mère.
On pourvut enfuite à la fureté du lieu de la conférence j
& trois jours après, les Députés s'affemblérent , quoique
l'Archevêque de Lyon fut malade à Paris. Dès qu'on eut
appris que le Roi n'avoit pas voulu permettre que Ram-
bouillet fe retirât , on trouva bon de communiquer d'abord
les pleins pouvoirs , qui fervoient de fondement à toute la
négociation , 6c fans lefquels elle étoit inutile. Ceux des
Royaliftes étoient les plus amples -, mais quoique ceux des
autres Députés ne leur permiiîent que d'écouter ce qu'on
leur propoîeroit , pour en faire enfuite leur rapport à ceux
au nom defquels ils agilFoîent j cependant l'archevêque de
Bourges dit , qu'il eftimoit afTez les Députés du parti con-
traire , pour croire que tout ce qu'ils trouveroient bon 6c
raifonnabie , feroit auffitôt approuvé ôc ratifié. On convint
dans la même féance d'une fufpenfion d'armes aux environs
de Surefne , dans les limites que de Vie 6c le comte de Belin
avoient marquées j 6c l'on envoya de part 6c d'autre des or-
dres aux Gouverneurs des places voifines , pour y faire ob-
server cette trêve.
Le lendemain , l'archevêque de Lyon fe rendit à Surefne
avec fes collègues. L'archevêque de Bourges ouvrit la féan-
ce. Il commenta par rendre des actions de grâces à Dieu,
de ce qu'il avoit enfin jette un œil de mifericorde fur les ca-
lamités des peuples , éc donné aux deux partis des fentimens
de paix 6c de réconciliation. Il remercia encore la Bonté di-
vine , de ce que l'archevêque de Lyon 6c fes Collègues ,
dont on connoifibit le zèle pour la Religion , 6c l'amour
pour leur Patrie , avoient été chargés de cette négociation.
Il déplora le trifte état de cette Monarchie , 6c parla avec
Tome X h YYyy
72Î HISTOIRE
î=!^!^^5? modération , quoique fort au long, contre les haines Se les
Henri inimitiés paiticulieres , l'ambition , l'avarice , & le deiir
I V. de la vengeance , qui avoienc enfanté tous les maux donc
I C03 nous étions accablés , èc ouvert aux ennemis du nom Fran-
çois , les barrières de ce Royaume autrefois fî HorilTant ,
pour l'envahir Se le déchirer. Il expofa avec autant de force
& d'éloquence les avantages de cette heureufe paix , fî né-
cefTaire pour entretenir la piété , 6c ranimer la charité Chré-
- tienne. Après avoir exhorte tous ceux qui étoient préfents,
à une amitié réciproque , qui devoit régner entre des conci-
toyens, il les conjura de quitter les lentimens d'orgueil &
de vengeance , d'oublier toutes les vues criminelles , & de
facrifîer les rellentimens particuliers à la tranquillité publi-
que j afin que revenus de ces violens accès de fureur donc
ils avoient été agités , ils pufTent prendre un parti convena-
ble j faire de communs efforts , pour remédier à des maux
qui les faifoient gémir tous également j ôc, comme le dit le
prophète , aimer & rechercher la paix.
L'archevêque de Lyon parla enfuite. Il dit que ceux de
la Ligue en prenant les armes , n'avoient eu d'autres motifs
que de défendre la Religion : Que dès qu'elle feroit hors de
danger , ils étoient prêts de finir une guerre qui avoit une
fî jufle caufe ^ mais que fî la foi couroit encore le moindre
rilque , ils verferoient jufqu'à la dernière goutte de leur fang,
plutôt que d'abandonner la Religion , dans le fein de la-
quelle tous nos Rois étoient nés àc avoient été élevés , èc
avec laquelle ils avoient porté l'empire François à un fl
haut point de gloire , pour qui leurs ancêtres avoient tanc
de fois combattu , & qu'ils étoient eux-mêmes obligés au
péril de leurs vies de lailler à leur pofbéric.é aufîî pure qu'ils
lavoient reçue de leurs Pérès,
» Pourquoi , ajoûta-t-il , nous faire une fi vive defcrip-
53 tion de nos calamités > Nous les Tentons afTez 3 & quoique
» notre douleur nous étouffe la voix , nous en fommes au-
5-3 tant pénétrés , que ceux qui en parlent avec tant d'énergie,
» peut-être dans la vue d'exciter la haine àc l'animofité. Il
33 faut remonter à l'origine de tous ces maux. C'eft l'héré-
53 fie qui détruit nos Temples , qui renverfe nos Autels , qui
33 perfécuce les Miniftres iacrés, qui ravage nos campagnes ^
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 72T
•»s & qui porte la défolation dans nos villes. Quoique ces ca-
55 lamités foienr accablantes , la mifére des peuples , & la Hen ri
3î perte de nos biens nous touchent moins , que celle de tant I V
" d'ames , dont le falut éternel eft en un fi grand danger. , ^g,
» Il faut, à la vérité , fouhaiter & rechercher la paix • mais
» celle que Dieu donne à fon Eglife , à Tes véritables fer-
>î viteurs , èc qui feule peut entretenir la tranquillité des
« Royaumes. Fuyons au contraire cette faulîe paix , que
>3 les hommes corrompus cherchent ordinairement , pour fa-
J3 tisfaire leurs paiïions. Ne délirons que cette véritable paix
>3 utile à la Religion , pour Tétabliflement de laquelle Dieu
>3 a dit qu'il étoit venu fur la terre , afin de diviièr le père
>3 d'avec le fils j nous ordonnant de renoncer à tout pour
« elle , de de lui facrifier nos parens , nos amis , 6c tout c<î
w que nous avons de plus cher en ce mcnde. Enfin , fi on
» condamnoit la guerre que nous avons entreprife pour la
" défenfe de la Religion , il faudroît avoir perdu la mé-
« moire de ces Saints Martyrs , que l'Eglife nous ordonne
» de révérer, & qui ont fcellé de leur lang la vraye fol,
>5 Je crois donc qu'il faut d'abord fonger aux moyens de
M mettre la Relio;ion à couvert des dano-ers où elle eft ex-
>3 poiee j & quoique les Députés des Provinces n'ayent au-
sî cun pouvoir de traiter de la paix au nom de ceux qui \qs
» ont envoyés , parce qu'on n'a pu prévoir la conférence
55 préfente j cependant ils fe croiront aŒcz autorifés , ôc leur
35 amour pour leur patrie eft afiez grand , pour ne point
>3 rejetter toutes \qs propofitions raifonnables qu'on leur fera,
« èc qui tendront à la confervation de la Religion. Une par-
« faite union entre les Catholiques, & une entière oppofi-
» tion aux Sedaires , feront les plus lolides fondemens de
j> cette paix , que les deux partis femblent defirer avec la
»3 même ardeur. Nous ayons toujours efpéré que cette réii-
55 nion feroit le fruit de cette conférence , & nous prions
^5 Dieu qu'il înfpire ces fentimens à tous les François • afin
» que la gloire que nos ancêtres ont acquife par la déf^nCQ
»3 de leur toi , brille avec plus d'éclat qu'auparavant dans
î3 leur poftérité. et
Dès que ce difcours fut fini , l'archevêque de Bourges fè
;retira avec ks Collègues dans une falle voifine , pour y
YYyy ij
at
724 HISTOIRE.
■-^i. "-» prendre leurs avis , 6c rentra quelque tems après dans I
Henri lieu de la Conférence. Il dit encore quelque chofe de la né-
I V. ceffité de la paix , & ajouta qu'il ne pouvoit y avoir d'autre
^ - moyen d'y parvenir , que de conftater & de reconnoître l'au-
torité d'un Souverain , auquel on feroit obligé d'obéïr , &:
qui rcûniroit tous les membres difperfés de la Monarchie.
53 En effet , continua-t-il , on ne peut fans cela pourvoir à la
>5 fureté de la foi. Tant que le Royaume a été déchiré par
55 àQs raclions , &: que la licence d'une guerre plus que civile
53 a continué , la Religion a été méprilée. Nous avons vu
« nos Temples renverlës , ou employés à à^s ufages pro-
53 fanes ôc indignes. Les Pafteurs les ont abandonnés , 6c
55 toutes les perfbnnes pieufes en ont gémi. Qiioique l'Eglifè
)3 l'emporte fur l'Empire par fa dignité & fon excellence 5
55 elle n'efl cependant qu'une partie de l'Empire , qui la ren-
5î ferme ^ en forte que fa deftinée dépend de celle de la Ré-
53 publique.
33 Nous travaillerons donc inutilement pour l'intérêt de
55 la Religion ^ tant qu'il y aura entre nous de l'incertitude
53 fur le Prince qui doit nous commander. Pouvons-nous en
33 choifîr un , qu'il ne foit de cette illuftremaifon , qui depuis
53 S. Louis , & durant tant de fiécles , nous a donné fans in-
53 terruption des maîtres ? Un des premiers commandemens
93 de Dieu eft d'obéïr à nos parens. Ce Précepte doit être
33 entendu , non feulement de ceux qui nous ont donné le
33 jour 3 mais encore <^qs Pérès de la patrie, c'eft à-dire , des
53 Princes , dQs Magiflrats 3 car toute puilTance vient de Dieu,
53 dit l'Apôtre, &; ceux quirefufent de s'y foumettre, réfi-
53 ftent à l'ordre du Ciel. Le premier devoir eil: de rendre à
53 chacun ce qui lui appartient 3 par conféquent , de payer
53 les tributs à celui à qui il font d\xs , c'eft- à-dire , au Prince ,
33 qui félon S. Pierre , porte fur le front un caradére divin ^
33 èc l'image de Dieu-même.
53 Des motifs fi bien fondés ont engagé \qs Princes, les
>3 Prélats , les Seigneurs , & tous les autres Catholiques que
33 nous repréfentons , de conferver une fidélité inviolable à
«5 notre Roi , perfuadés qu'ils ne pouvoient en fureté de
33 confcience , ie foufiiraire à l'obéïflànce qu'ils lui doivent.
33 Ce Prince eft-ii Idolâtre , ou Mahometan i II a reçu le
DE J. A. DE THOU, Liv. CVL 715
»3 Baptême dans l'Eglife Chrétienne , & il profeffe le même
)3 Simbole de foi que nous. S'il n'eft pas entièrement dégage Henri
w de quelques erreurs , il a toujours offert de fe faire inflruire j I V.
î5 robeïfTance unanime de tous (es fujets, procureroit bien- i cq ^.
M tôt ce qui manque à la perfedion de fa foi. Joignons donc
53 nos prières 6c nos cœurs , àc prouvons lui par notre fou-
)3 miffion , qu'on n'a jamais haï fa perfonne , & que les peu-
» pies ôc les Seigneurs , en lui faifant la guerre , n'ont atta-
33 que que fes erreurs. Si vous vous uniiTez à nous , la Reli-
33 gion fera bientôt hors de danger , ôc l'Etat jouira d'une
33 paix folide. Nous ne connoiiïbns point d'autres moyens de
33 Faire cefTer nos troubles. «
L'archevêque de Bourges ayant ainfî parlé , on fe retira
de part ôc d'autre pour aller dîner. Après midi la confé*
rence recommençaj l'archevêque de Lyon ayant eonfulté les
autres Députés de fon parti , renouvella la proteftation qu'il
avoit déjà faite , èc dit qu'à la vérité l'on ne pouvoit faire
une paix folide , fi les deux Partis ne convenoient du fujet
dans lequel l'éfidoit l'autorité Souveraine 5 mais qu'il falloir
avant toutes chofes traiter de ce qui regardoit la foi , puif-
qu'on travailleroit en vain à calmer les autres troubles , iî
l'on ne terminoit les difputes de Religion.
33 Une funefte expérience de trente années , continua-t-il, Difcours de
33 ne prouve que trop que la paix ne peut régner entre ceux ^'Archevêque
1 r. 1- • j r ' n n. 1 ? r i- j ae Lyon.
33 que la Religion delunit ^ car elle elt le plus fort lien de
33 la fociété ^ èc nous ne pouvons efpérer de véritable union,
33 que lorfqu'à la faveur de l'unité d'une même croyance,
33 la paix àc la juftice fe rejoindront , & pour ainfi dire , s'em-
33 brafTeront ( i ). Il faut avant toutes chofes chercher Je
>3 Royaume de Dieu, qui nous donnera tout ce qui efl né-
33 ceflàire. Ceux qui prennent une autre voye pour parvenir
33 à la paix,abandonnent le corps pour ne fuivre que l'ombre.
ï3 La Religion marche toujours la première dans un Etat
33 bien réglé 3 elle doit y gouverner & y occuper la même
33 place que l'ame dans le corps j & c'eft dans ce fens qu'on
33 peut dire que l'Eglife efl renfermée dans la République ,
13 & qu'elle en fait partie.
33 Nous avons toujours ardemment fouhaité que Dieu nous
(ï^ Jujlftia éf p^x ofctiîdtAfunt. Tfalm.
Y Y y y iij
qzG HISTOIRE
■Il I. » » donnât un Prince , mais un Prince véritablement très-
He N R 1 »î Chrétien ,ôc qui ne dégénérât point delà piété de Tes an-
I V. M cêtres. C'cft en vain qu'on nous objecle les exemples des
j^g, s> anciens Chrétiens ^ ^ ces difFérentes autorités dont les
j> Sedaires abulent en les tournant à leur avantage. C'eften
» vain qu'on rapporte ce palFage de l'Apôtre. Obêïjfez. aux
^3 / rince.'' , qn^iq-ie méchans quiis Joîe?it (i). Le droic divin ,
9i èc le droit des gens , les Saints Canons , de les Conciles
» œcuméniques , l'ulage de l'Eglife, les loix fondamentales
» de cette Monarchie , détruilent toutes les objedions de
>3 nos advc' laires.
îî II étoit défendu par l'ancien Teftament d'élire unRoî,
53 qui ne fiit du nombre des enfans d'Ilraël, de crainte qu'il
s? ne ramenât le peuple en Egypte ; c'eft à-dire , que luivanc
35 la loi divine , il ne nous eft pas permis de choiflr un Prince
33 qui n'auroit pas la même foi que nous , èc qui pourroit
33 infeder toute la Nation du poiion de l'hérélie. Ainli toute
33 la tribu de Levi, les Prêtres & les facriiicateurs qui étoienc
w les fages & les Dodeurs du peuple Juif, quittèrent Jero-
33 boam , & ne fe détachèrent jamais du Royaufne de Juda.
33 Edom & Lobna , villes /acerdotales , fe révoltèrent contre
33 l'impie Joram , parce qu'il' avoit abandonné le Dieu
33 de ie5 pères. Joram lui-même périt mifèrablem^ent 3 les
33 peuples fe réjouirent de fon m.alheur , &c l'on ne le mit
33 point dans le tombeau de fcs ancêtres. Amalîas qui au com-
?3 mencement de fon régne ayant été fidèle à Dieu , quitta
53 dans la fuite fon culte pour adorer des idoles , vit tous fcs
3,3 fujets armés avec juftice contre lui. Ce Prince s'étant avec
53 peine fauve à Lachis , y fut afTailli par les habitans de Je-
33 rufalem , & enluite condamné juridiquement à mort. La
S3 fuperbe Athalie fur renverfèe du trône, & par les ordres
î3 du grand Prêtre Joïada elle foufFrit la peine de toutes iqs
M impiétés.
53 Nous puifons dans la loi nouvelle les mêmes maximes,
V3 bc TEva^ngile nous ordonne de regarder comme un Payen,
53 & comme un Publicain celui qui refufe d'obèïr à l'Eglife,
S3 Comment peut-on donc élever fur le trône cekii qui eft
y> déjà féparé de cette Eglife? Saint Jean nous défend de
(i^ Ob édite Tr&fojîtis etieim d^ [colis.
DE J. A. DE THOU, Lïv. CVI. 727
53 faluer un excommunie , ce qui n'efl: qu'un devoir de bien-
w féance , de le recevoir dans nos maifons, èc d'avoir avec lui Henri
55 la moindre liailon. Saint Paul reprochoir aux premiers 1 V.
» Chrétiens de ce qu'ils plaidoient devant les juges Payens , 159 3»
w comme étants indignes de leur rendre la juftice,& de les
>3 gouverner. L'hérelie rompt les nœuds les plus làcrés, elle
>5 ell: une caufe légitime de la diilolution des mariages.
55 Les Saints Conciles nous fou rni lient auffi des preuves dans
« leurs décrets contre les Seétaires. Le Concile général de
» Latran fous Innocent III. enjoint aux Rois de poursuivre
53 de d'exterminer lesHérétiques dénoncés par l'Eglife j ôc
" porte que les Princes qui négligeront de le faire, encou-
>î reront eux-mêmes l'indignation,^ que leurs fujets feront dé=
î5 liés du ferment de fidélité. Ce Décret a été reçu en France,
>5 comme il paroît par le ferment que les Rois font obligés
33 de faire à leur facre. Le quatrième Concile de Tolède dé-
33 fend de reconnoître le Roi , s'il n'a juré , avant de pren-
33 dre les rênes du gouvernement, de ne foufFrir jamais au-
33 cun Hérétique dans fes Etats ^ 6c en cas qu'il n'exécute
55 pas fes promefles, il ordonne de l'avoir en exécration, 6c
53 de le regarder comme un excommunié. L'on ne doit pas
33 objecter que ce Décret ne regarde que le Royaume où il
33 a été fait. Ne feroit-il pas honteux de méprifer en France
53 ce qui a été fi fagement ordonné en Efpagne j6cque les
53 François dont le zélé pour la Religion a paru avec plus
33 d'éclat que chez tous les autres Peuples , le cédalTent dans
33 cette matière aux Efpagnols ?
33 Outre le droit divin , combien les anciennes hiftoires
33 ont -elles d'exemples en notre faveur? Mathatias &
'53 les Machabées n'ont mérité tant de louanges , que par
50 la réfifbance qu'ils ont faite à Antiohus. Les peuples eu-
33 rent droit de îé révolter contre Licinius & Maxence qui
53 avoient quitté la Religion Catholique , 6c le grand Con-
53 ftantin les fit mouriravecjuflice. Parlerons-nous de Con-
33 ftance fon fils ? Ce Prince Arien ayant chafTé Saint Atha-
53 nafe de fon fiége, ne fut-il pas réprimé par l'empereur
53 Conflans fon frère ? Lifons les ouvrages de Saint Atha-
53 nafe, de Saint Hilaire, de Saint Jean Chrifofl;ôme,de Saine
» Grégoire de Nazianze, 6c d€ 5ainc Cyrille, ces coioiines
7iS HISTOIRE
'~L.. ■ , ..! « de TEglife. Avec quelle liberté , 6c quelle véhémence onc-
H £ N R I >5 ils écrie contre les Princes qui s^écartoienc de la foi ? Les
I V. îï noms de loups , de chiens , de ferpens , de tigres , de dra-
j <Qi. " gons , de lions raviiFans èc d'antechrift , font les expreffions
53 que Lucifer évêque de Cagliari employoit hardiment ,
35 lorfqu'il écrivoit contre l'empereur Confiance.
55 Les loix humaines , telles que les conilitucions des Em-
■sî pereurs , àc entre autres de Conftantin , de Theodofe , de
»î Marcien 6c de juftinien, défendent d'admettre aux char-
»5 ges publiques les hérétiques & leurs adhérans. En France,
55 ians parler du tefbament de Saint Remy , ni des anciennes
M loix de la Monarchie , les fermens que les Rois font à leur
55 facre , ne les obligent -ils pas de défendre la Religion
53 Catholique , Apoflolique 6c Romaine , & d'extirper les
55 héréfîes ^ enforte que la Nation ne leur prête le fer-
53 ment de fidélité , qu'à cette condition r' Ainfî dans les
55 premiers Etats de Blois , les trois Ordres , du confente-
53 ment du Roi , firent avertir le prince de Navarre .^ & le
.33 prince de Condé d'abjurer leurs héréfiesj .& les déclarérenc
.5? indignes de fuccéder à la couronne , s'ils ne fe conver-
35 tifToient. Dans les derniers Etats du Royaume tenus dans
55 la même ville, ce Décret fut de nouveau confirmé avec
53 l'applaudifTement de tous les gens de bien qui craignoienc
53 pour la Religion. Quoique le funefte èc tragique çvéne-
55 ment qui termina cette allemblée ferve de prétexte pour
53 l'attaquer j cependant les Députés ont toujours perfévéré
>3 dans leur premier fentiment à ce fujet j & le Roi lui-même
î3 a approuvé enfuite par un Edit foiçjniiel j la loi faite par
53 les Etats.
55 Mille exemples , Bc mille preuves plus claires que le jour
«vous perfuaderont , combien il efl dangereux d'obéir à un
33 Prince hérétique. Il eft vrai-fembkble qu'il fera tous Tes
33 efforts pour donner cours à fes erreurs êc opprimer la vé-
35 ritable Religion. Le peuple d'Ifraël fut fidèle à fon Dieu,
33 fous les régnes de David , d'Ezechias , 6c de Jofias.
53 L'exemple de Jéroboam le fit tomber dans l'idolâtrie.
3j Confiance fit pancher du côté de rArianifme ces mêmes
35 Chrétiens , dont la foi avoit été fi pure fous Conftantin fon
?3 père. En Angleterre , combien le fçhifaie de Henri VIIL
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 719
« a-t-îl eu de partifans ? Avec quelie facilité Edouard Ton —— —
>5 fils a-t-il profcric la véritable Religion ? La Reine Marie Henri
jî rétablit peu de tems après, Tes autels, qu'Elifabeth fafœur I y,
>3 renverfa prefque aufîi-tôt , pour fubftituer les erreurs qui
>3 y régnent depuis fî long.tems. Les éledeurs Jean Frédéric, J ^ ^^
>5 Maurice, &: Augufte établirent le Lutheranifme en Saxe.
^> Chriftierne, fils d'AugLin:e,y introduifir le Caivinifme, que
w les Regens ou Admîniftrateurs étouffèrent après la more
ïj de ce Prince, pour y récablir le Lutheranifme.
>3 Que n'arriveroit - il point en France , où les Peuples
>s imitent fi facilement leurs Princes, qu'ils regardent toû-
»3 jours comme leurs modèles ? Il y a déjà un nombre infini
» d'Hérétiques, qui , à l'exemple du Prince auquel ils fe font
>î attachés , ont abandonné la Religion de leurs ancêtres.
w QLielle révolution verroit-on , fi un Roi hérétique em-
»3 ployoit la violence , s'il éloignoit de fa Cour ceux qui au-
>3 roient des fentimcns oppofés aux fiens , s'il les dépoûilloic
» de leurs charges , & ne répandoit (es grâces 6c Cqs faveurs
M que fur les Sedaires ? Qtiels maux les Catholiques n'onc-
)3 ils pas foufFjrts fous le régne de Confiance , de Valens ,
w de Genferic , de Hunneric, deThrafimond , ôc des autres
» princes Ariens ? Si faint Achanafe , faint Grégoire de Na-
» zianze , Rufin & Vidor d'Utiquene nous en avoient laifiTé
>î l'hiflioire , à peine pourrions-nous croire toutes les cruau-
» tés que ces hérétiques ont exercées contre les véritables
M fidèles. Ce que les Catholiques ont fouffert fous le régne
ï5 d'Eiifabeth , 6c qu'ils foufFrenc encore en Angleterre paiFe-
>9 ra dans les fiécles futurs pour une fable , 6c on pourra à
Î.3 peine le croire.
>5 On fe fouvient encore , avec quelle fureur \qs Sedaires
M fe font déchaînés en France au commencement de ces
)j guerres , dans le tems que les rois Catholiques leur ré-
•>: fifloient. Que feroient-ils donc , s'ils avoient à leur tête
>3 un Prince hérétique 6c excommunié comme eux ? Doit-on
>» trouver étrange que les Catholiques fe foient réunis , pour
îj détourner Forage qui les menaçoit ?
» On ne peut pas dire que les François foient obligés
»j par le droit naturel d'obèïr à un Prince hérétique j puifl
jf que dans un royaume Chrétien , le droit naturel , le droit
Tome XI, Z Zzz-
750 HISTOIRE
I' - '3 des gens , 6c toutes les loix humaines , doivent céder aiî
Henri î> droit divin. C'eft par la grâce de Dieu que les Princes font
I V. >î Rois j de Jefus-Chrill Roi des rois , èc dont le peuple faine
I S9 3» " ^^ l'héritage, ne donne aux Princes de la terre qu'une
M autorité fubordonnée à la Tienne , 6c ne leur foûmet les Na-
55 tions fidelles que pour fa propre gloire ôc l'accroillèment
5> de fon Eglife. La puifTance qui n'eil point établie de Dieu,
î3 & qui n'eft point approuvée par les Minières , &: [qs Vi-
55 caircs en terre , n'eft jamais légitime , 6c doit être regar-
25 dée comme une tyrannie.
55 Ces maximes l'emportent fur la proximité du fang èc
55 les droits de fuccefTion. La foi doit être préférée à la pa-
55 rente , 6c aux alliances terreftres ^ 6c l'héréfierend indigne
55 de la couronne, quelque droit qu'on puilîe y avoir. Saint
55 Louis, ce zélé défenfeur de la foi , reconnoîtroit-il pour
55 (es anciens fujets ceux qui attaquent aujourd'hui nos au-
55 tels avec tant de fureur ? Un vrai fuccelfeur de ce faint
55 Roi eft plutôt le Prince qui imite fa foi , que celui qui efb
5A aiîîs fur fon Trône,
55 Plufîeurs raifons nous empêchent de nous unir avec
55 vous. La foi eft un don de Dieu ^ les proteftations & les
53 interpellations ne la font pas naître dans les cœurs j elle
55 eft l'ouvrage du faint Efprit 6c de la grâce. Aux Etats de
55 Blois , on envoya des députés au prince de Navarre, pour
55 le prefter de rentrer dans le fein de la Religion de {qs
55 ancêtres 5 èc des que Henri III. fut mort, il promit que
53 dans fîx mois il rempliroit les voeux des Catholiques , 6c
55 qu'il fe feroit inftruire. Mais ayant trompé ceux qui font
55 attachés à fon parti , comment pouvons-nous efpérer qu'il
55 obfervera les traités que nous ferons avec lui ? Le duc de
» Mayenne a employé la médiation de plufieurs perfonnes
>3 pour l'engager à fe convertir. Toutes ces négociations 6c
55 toutes les remontrances qu'on lui a faites , ont été Inu-
53 tiles.
55 Qii'on ne regarde point cette conférence , comme une
55 marque de notre foûmiffion , 6c une preuve de fon auto-
53 rite. Nous proceftons que nous ne devons, ni ne voulons
v> lui obéir. Nos fermens réitérés nous en empêchent, 6c nous
53 ne pourrions reconnoître fon autorité fans ofFenfer le
DE J. A. DE THOU, Ltv. CVI. 731
?» fouverain Pontife , qui par un Bref folemnel a lancé fur ' "
93 ce Prince les foudres de l'Eglife , & nous a défendu de Henri
» traiter 6c d'avoir aucun commerce avec lui. IV,
>3 Peut-on dire qu'il fait efpérer une prochaine conver- 1593,
5j fion ? Ces efpérances font fi foibles èc Ci mal fondées , qu'il
» n'eft prefque pas befoîn d'en faire voir l'illufion. L'ambaf.
M fade du marquis de Pifany ne peut être attribuée au prince
>3 de Navarre , puifqu'elle n'eft qu'au nom des Catholiques
»î de fon parti. Ainfî cette démarche ne doit point être
'5 regardée comme une preuve de fa foumifiîon au faine
" Sicge • mais combien en avons-nous de fon obftination
5> dans l'erreur ? Il a promis de ne quitter jamais les nou-
» velles opinions qu'il a embrafTées. Il accorde publiquement
ï> fa protection aux Hérétiques • il leur donne les charges
» de l'Etat ^ il leur confie la garde des plus fortes places.
93 Leurs miniftres ont des appointemens ôc des revenus dans
>3 tout le Royaume. Il a fait une féconde fois publier les
» édits de Janvier & de Juillet , & il vient de donner un
w nouvel édit , pour empêcher les informations qu'on a cou-
« tume de faire au fujet de la Religion, lorfqu'on rec^oic
M des Magiflrars en charge. Enfin l'on a intercepté des let-
» très qu'il écrivoit en Angleterre, & qui prouvent allez fa
>5 diflîmulation , & fa coupable incertitude fur la Religion.
»5 Vous devez donc nous excufer j fî nous ne pouvons vous
55 fatîsfaire fur ce que vous demandez de nous. Si nous y ac-
ïî quiefcions , on nous accuferoit de prévarication , 2c d'avoir
>3 trahi la juftice de notre caufe. Celiez plutôt vous-mêmes
» d'attaquer les Catholiques ^ féparez-vous des Secftaires ^ èc
55 comme le difoit autrefois Moyie au peuple d'Ifracl , éloi-
w gnez-vous des impies, de crainte de participer à leurs im-
55 piétés. «
Chavigni attendît â peine que l'Archevêque eût fini pour
lui répondre. Il dit que bien loin d'attaquer la Religion ,
les Catholiques de fon parti y avoient toujours été attachés^
qu'ils n^'avoienc eu recours aux armes ^ que pour la défenfe
du Royaume qu'on tâchoitde divifer^ôc qu'ils étoient prêts
de verfér jufqu'à la dernière goûte de leur fang , pour pa-
rer les coups qu'on vouloit porter à l'Etat &: à l'ancienne
Religion.
Z Z z z ij
75i HISTOIRE
' Les Royallftes allèrent en fuite conférer enfembîe. Dès
H E N K I qu'ils furent rentrés , l'archevêque de Bourges dit qu'il avoir
IV. appris avec joyeparle difcours de l'archevêque de Lyon ^
I J03. que ceux delà Ligue n'avoient d'autre but, que de confer-
ver la pureté de la foi Catholique , Apoftolique ôc Ko-
inaine : Que les deux partis écoient en cela d'accord, dc
que le Royaliftes ne defiroient rien avec plus d'ardeur.
Dlfcouts de „ On ne peut nier , continua-t-il , que Dieu n'ait défendu
rarcneveque r t \ \ • r ' 1 n • \
de Bourges. " ^"'^ Juifs de choilir un étranger pour leur Roi , de crainte
53 qu'il ne fit rentrer le peuple en Egypte j c'ell-à-dire , qu'il
>3 ne le fît retomber dans l'Idolatrie.Joiias ayant rec^û le livre
53 de la Loi des mains du Grand Prêtre Elcias , fit alfem-
53 bler tous les Lévites & tout le Peuple , pour leur faire re-
53 nouveller leur aUiance avec Dieu , &c leur ancien ferment
» de fuivre toujours la même Loi. Mais onze ans après, Je-
53 remie par l'ordre de Dieu avertit Jechonias de reconnoître
>3 l'autorité de Nabuchodonofor , qui entroit en Judée avec
53 une puillante armée. Jechonias obéît à la voix du Pra-
>3 phéte, £c fe foûmit aux Affiriens avec fa femme, [qs enfans,
53 ôc tout le peuple d'Ifraël. Au contraire Sedecias qui vou-
33 lut dans la fuite fecoiier le joug de ces étrangers , & qui
53 méprifa les avis de Jeremie , relfentit bientôt les terribles
53 effets de la colère du Ciel. Ses enfans furent maiTacrés en
53 fa prefence , on lui arracha les yeux j le Temple , le Pa-
33 lais des rois de Juda , èc Jerufalem même furent la proie
33 des flammes, &: tout le Peuple fut emmené en captivité.
53 Notre Roi eft-il idolâtre , bc adore-t.il ks dieux deNa-
33 buchodonofor ? Le royaume de Juda étoit éledif j mais
5) notre Roi ne doit point fa couronne a l'éledion des Peu-
53 pies. Le Trône lui appartient , parce quil eft du fang de
33 nos Princes j il lui appartient de droit , 6c fans qu'il ait
33 befoîn du choix èc du confentement des Peuples, après la
33 mort de fon prédéceiîeur. C'eft Dieu même qui l'a fait
53 Roi , par la loi de la nature , & l'ordre légitime des fuc-
53 ceflions. S'il fuit quelques opinions contraires à la pureté
53 de la foi , ne faut-il pas efpérer qu'il changera de fenti*
33 ment? Tous ceux qui lui obéïlTent attendent de jour à autre
ï5 cet heureux changement. Il demande lui-même à être
ninflruic^ ^ il eft difpofé à quitter ks erreurs dès qu'il ks
DE J. A. DE THOU, Lïv. CVI. 733
»3 reconnoitra. Ne doiE-on pas excufer ce Prince , qui dhs
»3 fon enfance a fuivi ces opinions , de qui n'a péché , comme H e n r ï
» Saine Paul, que par ignorance ? Il n'eft pas Héréiiarque, 1 V.
w & ce n'efl pas lui qui le premier a donné cours à une per- i cor
« nicieufe dodrine. Il a été élevé dans la Religion qu'il pro- "^
» fefle, 6c il l'a fucée avec le laie. Nous ne croyons donc
>3 pas qu'on doive le regarder comme un Sectaire , puifqu'il
>5 faic tous les efforts pour trouver la vérité , prêt à la lui-
» vre dès qu'elle paroîtra a lès yeux<
»5 Saint Auguftin dont le fentiment eft rapporté dans le
» décret de Gratien , croit qu'il ne faut pas mettre au nom.
w bre des Hérétiques celui qui ne foûtientpas avec obftina-
» tion des erreurs dont il n'efb pas le premier auteur, & qu'il
w a reçues de Tes parens qui les avoient embraflees.
» Il eft défendu aulîî expreffément d'avoir aucune liaifon
>3 avec les pécheurs publics, qu'avec les Hérétiques 5 de
>3 crainte que leur commerce ne fcandalife & ne corrompe
M les juftes. Ces maximes , il eft vrai , ont été obfervées dans
>3 les premiers liécles de l'Eglife, lorfque les Chrétiens n'é-
>3 toient encore qu'en petit nombre j mais aujourd'hui la foi
>3 Chrétienne eft répandue dans toute l'Europe , &; l'on
93 trouve de tous côtés des Hérétiques. Comment donc ob-
?3 ferver ce précepte ? Il ne peut plus avoir lieu , puifque
33 l'Apôtre fembleroit impofer la néceffitc de fortir entiére-
)3 mène du monde , & de fuir le commerce de tous les vi-
33 vans. C'efl ainfi que le dodeur Martin Azpilcuete , fameux
>3 Cafuifle , explique le pafTage de l'Apôtre qui a été cité.
33 II eft permis en Allemagne, dont la plus grande partie
>3 eft infedée de l'héréflej & en France , où il y a un fi grand
33 nombre de Sedaires, deconverfer avec eux. Nous pouvons
33 donc à plus forte raifon demeurer attachés à un Roi , à
33 qui l'on ne peut fe difpenfer de parler èc d'obéir. Jefus-
33 Chrift cherchoit la compagnie des ufuriers, des publicains ,
33 & des femmes de mauvaiië vie pour \qs convertir. Nous
35 devons donc en agir de même • mais de telle façon ,
>3 comme dit le Sage , que nous touchions à la poix , fans
33 en être fouillés ( i).
33 Nous devons à notre Roi une obéïiTance égale à celle
(i) EccUjiaftic, ch. 15. ")^, i,
Z Z z z il)
IV.
734 HISTOIRE
î5 qui efk (iûë par les fujecs à tous les Princes de la terre en
Henri » général. Car la loi qui enjoint une entière loûniiifion aux
» lujets , eft éternelle, immuable , èc ne foufFre point de
>3 diftindion. Quand la loi appelle un Prince à la fucceflion
M de la couronne , il ne faut avoir égard ni à Tes défauts per-
» fonnels , ni à la force ou à la foibleilè de [qs fujets -, on ne
« prouvera jamais qu'on puilTe dire , que dans l'ancienne loi
>5 le peuple Juif fe ioit révolté contre quelqu'un de ks Rois,
>3 quoique la plupart ayent eu un culte repréhenlîble. Les
" Prophètes infpirés de Dieu leur faiioient de vives repro-
» ches de leur infidélité j mais ils ne les ont jamais aban-
" donnés j ils les ont au contraire aidés de leurs prières , ôC
» de leurs avis falutaires, Elie a toujours été prêt de fecou-
" rir Achab ^ & un Prophète conléiila à ce Prince de mar^
'5 cher avec peu de troupes , contre l'armée nombreufe de
>5 Benadad qui afîiègeoit Samarie. Elie ne quitta Achab que
w pour quelque tems , ^ feulement pour éviter les fu-
« reurs de Jefabel. L'exemple de la révolte de la petite ville
'5 de Lobna n'efb d'aucune confidération , puifque les autres
" villes Sacerdotales ne l'imitèrent pas. Q^iant à Jefabel qui
" avoit perfécuté les Prophètes , qui en avoir fait mourir
«quelques-uns, & qui avoir fait tuer injuflement Naboth,
>5 elle reçut la punition dd tous (^ss crimes. Sa poftèrité fuc
« éteinte, & Jehu monta fur le trône de Samarie.
>3 Mais le Roi traite-t-il ainfî les Catholiques , èc fouille-
« C-il fes mains du fang des innocens ? Il nous a au contraire
» toujours protégés &c défendus avec bonté. Ce qu'on a
>5 rapporté d'Amafias ne prouve pas qu'il foit permis de fe
>3 révolter contre un Prince légitime. Les livres faints ne
?> dilent pas que la Religion ait été le motif de la révolte
» contre Amalias ^ us la traitent au contraire de conjuration,
» pour montrer qu'elle n'avoit pas une caufe légitime. Ils
>3 ajoutent qu'on expia le crime commis par le meurtre de
55 ce Prince 5 que fon corps fut rapporté avec honneur de
« Lachis a Jerufalem • qu'on i'inhuma dans le tombeau de
J5 {es ancêtres , & qu'Ozias , ou Azarias fon fils lui fuccéda.
î> Ainfi l'on ne peut aflûrer que le peuple Juif ait aban-
>3 donné fes Rois pour caufe de Religion. C'eft a Dieu feui
53 qui a dans fe$ mains les cœurs des Princes , &c qui les a
DE J. A. DE THOU, Liv. CVL 735
»faîc pancher du côté où ii veut, à les juger.
w Dix Tribus fe révoltèrent contre Roboam qui les ac- Henri
n cabloit d'impôts 5 ôC fe Ibumirent à Jéroboam , quoiqu'il I V.
«adorât des Idoles. L'exemple des Machabées , qui refu- i 593.
" férent de reconnoitre Antioclius , ne mérite aucune at-
» tention. Ce Prince envahilToit la force à la main un Royau-
n me , fur lequel il n'avoit aucun droit , 2c vouloit forcer les
» Juifs à un culte abominable. Mathatias animé d'un zélé
>3 légitime , put alors avec juftice réfiffcer à ce Prince impie 5
5> & tuer de la main celui , qui le premier ofa fléchir le genou
M devant les idoles & iacrifier aux faux Dieux,
« Examinons maintenant les exemples que nous fournit "
5^ riiiftoire du Chriftianifme. Jefus-Chrifb ôc fa fainte Mère
» ne fe font-ils pas foumis au dénombrement ordonné par
53 un Empereur payen. Le Rédempteur du monde n'a-t'îl
« pas fait un miracle, afin de payer pour S. Pierre &: pour
»> lui , les tributs que les Empereurs éxigeoient ? N'a-t'il pas
« ordonné de rendre à Céfar ce qui eft à Céfar , & à Dieu
>3 ce qui appartient à Dieu ? Il a reconnu le tribunal de
» Pilate ; à a même dit que ce Gouverneur payen n'auroic
M aucune autorité fur lui , fî le Ciel ne la lui avoit donnée.
55 Les apôtres 6c les difciples de Jefus-Chrift ont comparu
j> devant les Gouverneurs ôc les proconfuls Romains. Ter-
55 tuUien nous apprend dans fon Apologétique , que l'obéïf-
« fance aux Princes & aux Magiftrats étoit alors la princi-
» pâle vertu des Chrétiens : Qu'ils foufFroient avec patience
»5 les maux dont ils étoient accablés : Qu'ils n'excitoient ni
53 troubles ni féditions dans l'Empire j & qu'ils prioient pour
» les Princes , qui ne font foumis qu'à Dieu j qui occupent
5> la première place après Dieu ^ & qui font des hommes au-
33 delTus de tous les Dieux chimériques que le Paganifme ré-
as vére. S'imaginants que la fin du fiècle feroit accompa-
33 gnée de toutes fortes de malheurs , ils croyoient que de la
33 durée de l'Empire Romain , dépendoit celle de l'Univers j
M & que le terme fatal de l'un feroit celui de l'autre,
33 On ne peut objetSter que les premiers Chrétiens n'ont
33 tenu cette conduite, qu'afin que les Martyrs puiTentcf-
>î menter de leur fang l'Eglife naifîante , que Jefus-Chrift
M avoic fondée en verfant le fien 3 & que dans la fuite U^
73^ HISTOIRE
■ >î peuples fidèles ne fouftrirenc plus avec la même patience
H E N Kl « l'oppreffion des Arriens. Car pourquoi fuppofer une difFé-
I V. »» rence de fentimens &c de conduire dans une feule & même
i <<) ^ , ^> Eglife ? S. Paul , en dilànt que les Chrétiens doivent porter
» leur Croix , a-t'il voulu faire une diftinction des tems >
» Pourquoi Gratien dans Ion décret , fait-il un 11 grand
>5 éloge de la dodrine de S. Ambroife £c de S. Auguftin fur
ïî i'obéï/îance qu'on doit aux Princes de la terre ? Les foldats
>3 Chrétiens fervoient dans l'armée de Julien i'Apoftat. Dès
» qu'il s'agifToit de l'intérêt de la Religion , ils ne recon-
j> noifîbient d'autre maître que celui qu'ils adoroient j mais
»3 s'il falloit combattre , ils march oient , ils voloient à la voix
î) de leur Empereur. Sçachants dillinguer ce qu'ils devoienc
»3 à Dieu , 6c ce qu'ils dévoient à leur Prince , ils croyoienc
î> obéir à leur Maître éternel , en obéïilant à leur maître
îî temporel. S. Athanafe fut autrefois accufé par les Arriens
îj d'avoir voulu troubler l'Etat , ôc d'avoir entretenu des in-
» telligences fecrétes avec le tyran Maxence , qui avoit tué
»5 Confiant. Comment le S. Evêque tâcha-t'il de fe difcul*
)5 per du crime qu'on lui imputoit ? Il dit dans fon Apologie
5j dédiée à l'empereur Confiance même , quoique protec^
» teur de l'Arrianîfme : Que les Chrétiens n'avoient pas
?5 coutume d'en agir ainfi. Qtie fit-il pour fe mettre à couvert
»î des cruelles perfécutions de Syrien ^ il fe cacha dans des
î3 cavernes j le tombeau de fon père lui fervît de retraite 5
>î & un feul domeftique fidèle , à qui il avoit confié fon fe^
îî cret , lui apportoit ce qui lui étoit néceiïaire pour fa fub-
ï3 fiflance. Ce feul exemple ne devroit-il pas iliffire , pour
»3 rendre inconteftables les maximes que nous venons d'a^
?î vancer , fur robéïffànce due aux Princes par leurs fujets.
»5 Si quelques anciens Pérès , emportés par leur zélé , ont
» parlé avec un peu trop de vivacité contre les Empereurs ,
î3 qui s'éloignoient de la véritable Religion 3 &: Cx quelque^
» fois , à l'exemple d^s Prophètes , ils leur ont reproché
>5 leurs égaremens avec trop de liberté j jamais ils n'ont ex^
>3 cité les peuples à la révolte. Confiance exile Athanafe j
» le faint Evêque obéît. Aimé du peuple Catholique , ^
i3 foûtenu de plufieurs Seigneurs , il eût pu éluder les ordres
\9 du Priqce j cependant il fe foum.et. Jamais ie$ Chrétiens
perfécutçç
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 737
-ïî perfécucës ne fe font fouflraits de la foumiflion qu'ils de- i;
-Î3 voient à leurs Princes , quoiqu'ils eufïènt alFez de forces H z n k 1
-îj pour leur réfîfter. ^ IV.
'î Pluiieurs paflages de S. Cyprien & de Tertullien Ton ^59}*
w maître, le prouvent ailëz. L'exemple d'Eufebeévêque de
5î Samofate effc convainquant. Ayant été profcrit par l'em-
55 pereur Valens , il reçut fans murmurer la nouvelle de fon
95 exil , & défendit qu'on la divulguât. Dès qu'il eut affifté
>j aux prières du foir , il partit accompagné d'un feul do-
>5 meftique , dans un profond filence , fans dire adieu à fon
>î peuple qui l'adoroit , 6c qui fe feroit oppofé à fon départ.
55 II paffa î'Euphrate , & arriva le même jour à Zeugma. Ses
î5 amis s'étant apperçus de fa fuite , coururent après lui , ÔC
93 l'ayant trouvé dans cette ville , firent tous leurs efforts pour
>3 le ramener 3 mais il leur cita le paflàge de S. Paul , fur la
>5 foumilfion due aux Princes 3 &c comblant de bénédidions
>3 Ces ennemis , il continua fa route vers la Thrace , ou il étoic
55 relégué.
55 Procope s'étant révolté contre Valens 3 & Maxime con-
55 tre Valentinien le Jeune , ils périrent milérablement ,
»5 quoique ces deux Empereurs fuÂTent Arriens. Procope, èc
53 Maxime furent déclarés après leur mort , ennemis de la
93 République Se tyrans. Si dans ces tems on a dit ou fait
55 quelque chofe , qui pût bleffer le refped dû aux Princes ,
î5 il faut l'attribuer à la corruption des mœurs , fans jamais
55 s'écarter d'une régie établie fur le précepte divin , ôc la
»5 dodrine des Saints Pères. A Rome môme , les Papes
'3 Félix , Anaflafe, Symmaque , Hormifdas , Jean , Agapet,
35 & Silvere furent toujours foumis à Theodoric & à ies fuc-
33 cefTeurs , quoiqu'ils fufïent Arriens. Agapet fe chargea
33 d'excufer l'alîaiîînat de la reine Amalaibnte. Jean alla
35 trouver l'empereur Juftinien , pour l'engager à donner la
30 paix à ces Princes, dont les erreurs mettoient la Religion
33 en péril 3 ôc ajouta que Iqs chefs de l'Eglife dévoient faire
35 voir, qu'ils étoient d^s pafteurs & non des perfécuteurs.
33 Plufîeurs anciens monumens nous apprennent , que Saine
33 Germain éveque de Paris , diftribuoit en Bourgogne les
M aumônes d'un roi Arrien , pour la rédemption des cap-
M tifs. Il nous faudroit plufieurs jours , pour rapporter
7û?^/e XI, AAAaa
738 HISTOIRE
__. • >5 les exemples pareils , que THiftoire nous fournie.
Henri 53 Quant au concile de Tolède , il ne regarde que les
I V. >5 rois d'Eipagne , qui la plupart ont été longtems attachés
j ÇQ7^ » à de pernicieufes erreurs. Les rois de France ne fe font
53 point fournis à ces décilions , non plus qu'au concile de
33 Latran. Les décrets de ce dernier Concile ont été à la
33 vérité reçus &: approuvés en ce qui regarde la dodrine 5
33 mais il n'en faut pas conclure qu'ils puiflènt préjudicier à
33 l'autorité royale ^ & que leurs difpoiitions s'étendent fur
33 le temporel de nos Princes , qui lelon les fàints Canons ,
33 ne reconnoiiTent point en cela de fupérieurs. D'ailleurs le
33 Concile ne parle pas exprefTément des Empereurs êc dçs
53 Rois, ( ce qu'il auroit dû faire j ) mais des Puiilànces tem-
33 porelles en général : Il dit feulement qu'ils feront avertis
53 de leur devoir , 6c requiert que les cenfures foient fulmi-
53 nées dans le Concile provincial , avant qu'on puifle dif-
>3 penfer les iujets du ferment de fidélité.
35 Si lesloix civiles ôc impériales ont exclu les Manichéens^
53 & les Arriens , des dignités , des magiftratures , & des
53 charges publiques , elles ne pouvoient être appliquées
53 qu'à des juges inférieurs , &non aux Souverains, qui ne
33 peuvent être privés de leurs droits , fans renverfer un
55 Etat ^ 6c qui n'ont d'autre juge que Dieu. D'humbles ré-
53 montrances font plus d'impreiTion fur le coeur des Rois ,
55 de les ramènent plutôt qu'une violence pernicieufe. Agapec
>5 employa hs voies de la douceur , pour dégager Juftinien
53 des erreurs d'Eutichès. Gelafe ordonne de iuivre les mê-
53 mes maximes. S. Auguftin eft auffi de ce Sentiment dans
55 fa lettre à Boniface • &: ce S. Dodeur dit dans un autre
55 endroit, que les révoltes & les fchifmes font des moyens
55 funeftes , ambitieux , cruels , 6c ordinairement infrudueux,.
55 Nos adverlaires alleo-uent en vain le décret des Etats
53 de Blois. Tout le monde içait combien cette afTemblée fut
53 tumultueufe 6c partiale. Non feulement l'équité exige qu'on
33 en perde la mémoire ^mais encore il eft néceilaire de l'oublier
55 ; ntiérement , lîl'on veut tirer quelque fruit de cette con-
53 férence,
53 On ne doit pas faire craindre aux peuples , qu'en re-
5> connoiflànt un Roi qui n'eft pas encore dans le lein de la
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 739
M véritable Religion , la foi Catholique foie expofée aux r:
>3 dangers fous lefqueîs elle a fuccombé en Angleterre , &; Henri
>î dans quelques autres païs de l'Europe j car en France les I V.
ï5 Seigneurs les plus puifïans ôc les plus riches , font trop at- i 593,
" tachés à la Religion de leurs pères , pour qu'on puifïè
>3 rien appréhender du petit nombre de ceux qui voudroienc
M l'attaquer. c<
L'archevêque de Bourges finit fon difcours en difant,
que tous ces motifs obligeoient les Royaliftes à obéïr à leur
Prince , & qu'il confeilloit à tous leurs concitoyens de tenir
la même conduite : Qj-ie les deux partis étant réunis par
les liens de la charité chrétienne , èc de l'amitié qui dévoie
régner entre des perfonnes qui avoient une même Patrie 6c
une même Religion , ils dévoient faire des prières ôc des
remontrances communes , pour engager le Roi à quitter [qs
erreurs , afin qu'en rentrant dans le fein de l'Eglile catho-
lique , Ces autres fujets qui s'en étoient écartés avec lui , fui-
vilfent fon exemple , ôc changeaient comme lui : Que ks
Royaliftes fouhaitoient cette réunion , afin que ceux de la
Ligue, qui avoient beaucoup de crédit à la cour de Rome,
.2c avoient la faveur du fouverain Pontife , fillent en forte
que le marquis de Pifany , bien loin d'être traverfé de leur
part dans fon Ambaflade, eût une audience favorable, dc
obtînt ce qu'il demandoit avec tant de juftice.
La journée étant fort avancée , on leva la féance. L'ar- Rcpiîqucdc
chevêque de Lyon , qui avoit la goutte , fut obligé de re- l'archevêque
ffcer à Surefne. Le lendemain , comme il ne pouvoit pas fe ^^ ^J'°°'
lever de fon lit , on s'allembla l'aprèfdînée dans fa cham-
bre. Il fit fa réplique au difcours de l'archevêque de Bour-
ges, & dit: Qiie l'exemple de Sedecias ne méritoit dans
les circonftances préfentes , aucune confidération j parce
que ce Prince avoit fait ferment de fidéfité à Nabuchodo-
nofor • mais qu'il n'y avoit aucune promeile , ni aucune obli-
gation d'obéir au roi de Navarre : Que dans les Etats de
Blois, toute la Nation avoit plufieurs fois juré de ne point
le reconnoître pour Roi , & que par conféquent on ne le
pouvoit faire en fureté de confcience : Qlic le fouverain
Pontife, le Prophète des Chrétiens, l'Ange du Seigneur,
/•empli de fon cfprit, avoit expreilément défendu d'obéir à
AAAaa ij
740 HISTOIRE
" ' ce Prince : Que fîx Papes confécutifs avoîent eu les mêmes
Henri fentimens à ce fujec : Qiie Grégoire XIII. Sixte V. Urbain
I V. VII. Grégoire XIV. Innocent IX. &c Clément VIII. qui
I f93« gouvernoit pour lors l'Eglife avec tant de lagefTe , ôc qui
avoit donné tant de preuves éclatantes de fa juflice & de fa
piété , avoient tous tenu la même conduite : Que plufieurs
s'éfoient flattés que Clément , cet illuftre Pontife , étant
originaire de Florence , fe conduiroit par les voies de la
prudence fi naturelle à fa Nation , êc ne prendroit pas la
même route que fes prédécelFeurs j mais qu'ils s'étoienc
trompés dans leurs vaines conjeclures.
53 Au furplus, ajoûta-t'il, on n'a pas rapporté fidèlement
53 les exemples des Prophètes , lorfqu'on a foutenu qu'ils
33 n'avoient employé que les prières de les remontrances ,
33 pour ramener dans leur devoir les Princes qui s'en écar-
33 toient. En effet Elie excita le peuple contre les prêtres de
33 Baal , fit defcendre le feu du ciel fur les envoyés du Roi j
33 2c rEccléfiafi:ique le loue de ce qu'il avoit renverfé le
55 trône des Rois. Elifée s'en efi:~il tenu aux prières & aux
53 exhortations , lorfqu'il ordonna à Jehu de ruer Achab dc
33 Jefabel 5 6c lorfqu'il dit à Joram qui vouloir faire la paix ,
35 que les crimes ôc les fornications de Jefabel , duroienc
« encore ?
33 Avec quelle liberté les anciens Pères ont-ils parlé aux
55 Princes qui s'écartoient de la Foi ? S. Hilaire dit que
»> c'étoit la foi , &: non la témérité j la raifon , &c non l'im-
î3 prudence 3 la confiance qu'ils avoient en Dieu , & non la
3> fureur ^ la vérité , & non un faux zèle , qui le faifoienc
M parler ainfi. On n'a point fait de rèponfe raifonnabie aux
33 exemples de Lobna , d'Fdom , ôc des Machabées. Le
33 pafiage de S. Paul dans fon épître aux Corinthiens, ne
35 peut être appliqué au commerce que les Chrétiens pou-
33 voient avoir avec les Gentils , qui n'avoient pas été in»
33 ftruits des vérités de la foi. Il étoit impoifible de ne pas
>3 les fréquenter , ^l'on pouvoir le faire fans un grand dan-
os ger. S, Paul a donc voulu parler de ceux , qui ayant été
» initiés aux faints JVlyftères , avoient abandonné leur Re-
33 ligion. C'étoit les apoftats , qu 'il falloit éviter & féparer
n de la communion de l'Eglife , parce que leur fréquentation
mÊOiAt
DE J. A. DE THOU, Li v. CVÏ. 74Î
» étok plus dangereufe , que celle des payens. Il faut dire «*— ■
» la même choie des Empereurs idolâtres , à qui les pre- Henri
)î miers Chrériens ont été fi foumis pendant les perfécu- I V.
>5 tions. On ne peut pas les appeller hérétiques , puifqu'ils j cor,
>5 n'avoient jamais reçu la foi.
)î L'Eglile n'a pas perdu Tes droits , quoiqu'elle ait obéi
»î à des Princes hérétiques , comme Confiance & Valens ,
>5 qui étoient Arriens ; Julien l'Apoftat j Anaftafe , qui étoic
»5 Eutichéen -, Heraclius j Conftantin Copronyme j & quel-
?5 ques autres. Les Catholiques n'ont agi ainfi , que parce
35 qu'ils ne pouvoient réfîfler à leurs ennemis , dans des tems
w où l'Egliie encore peu nombreufe , ne pouvoir fignaler fà
>3 foi , que par le fang de Tes Martyrs. Dès qu'elle a été aiïèz
>3 puilFante, pour employer utilement la force & l'autorité ,
î3 elle s'eft fervie de tous fes droits. Lorfque les Oftro-
î3 goths étoient maîtres de l'Italie , que les Vifigoths ré-
>3 gnoient en Efpagne , & que l'Afrique étoit foumife aux
>3 Vandales , l'Egliie ne pouvoit que s'écrier d'un^ voix plain-
>3 tive avec David ( i ) : Pourquoi les Nations onî-elics frémi,
M ^ les Rois de la terre fe font-ils élevés ? Mais cnfuite on a
« vu l'accomplifiement de cette prophétie : Vous [es co,7-
ï5 auirez, avec une verge de fer. Le roi de Navarre n'eil: pas
» afièz puiflant pour nous obliger de lui obéïr 5 nous avons
î3 au contraire afîez de courage ^ de force , pour lui réfifler
M avec fuccès.
33 Le pafTage de S. Ambroife qu'on nous objecte , eft fa-'
33 vorable à notre caufe , bien loin de nous être contraire,
33 11 prouve que les foldats de Juhen l'Apoftat n'obéiifoient
33 pas à fes ordres , lorfqu'il leur commandoit de combattre
33 contre àes Chrétiens. Des Catholiques ofcnt cependant:
>3 aujourd'hui prendre les armes contre leurs propres frères,
53 qui fe conforment aux préceptes divins , ôc qui réfiftenc
33 courageufement aux fectaires.
33 Le concile de Latran enjoint aux Princes d'extermî-
M ner les hérétiques , & s'ils n'exécutent le décret , il lej
M menace des peines qui y font portées. Dans \qs circonf.
w tances préfentes, l'Eglife a non feulement dénoncé 5 mais
w encore elle a condamné. Elle a non feulement exhorté tous
CO ^Ijtartfremuexuntgentti , é^ Keges tcrrA afliterunt ? Pf. z.
AAAaa iii
74* HISTOIRE
■ ■^^■■n— î3 les fidèles à fuir les hérétiques j mais encore elle leur a or-
Henri " donaé de regarder le roi de Navarre comme leur chef ôc
I V. " leur procedeur. Berenger a fouvenc été condamné par
i CQ7 "l'Eglifej cependant les Conciles qui ont profcrit fa doc*
53 trine , n'ont point été afïèmblés directement contre ceç
" Héréfiarque j parce qu'il n'efl: pas néceflaire que l'Eglife
" condamne nommément chaque hérétique, 6^ qu'il fuffitde
M profcrire leurs erreurs en général. Ainfi dans tous les Con-
« ciles qui ont été célébrés de notre fiécle , dans ceux de
>5 Rome &; de Verceil, fous Léon IX. dans celui de Tours,
53 fous Vidor II. ôc dans celui de Ron\e fous Nicolas IL ces
>3 mêmes erreurs que Calvin a renouvellées ont été pro-
» fcrites & foudroyées. Berenger les avoit lui-même abju-
« rées , & brûlé les livres qu'il avoit compofés à ce fujet ,
» quoique dans la fuite il foit retourné à ion vomiiîèment.
« L'héréfie qui eft un crime de léze-Majefté divine ,
53 anéantit tous les privilèges , êc dégrade tous ceux qui
î3 la fuivent. Un Prince hérétique eft d'autant plus crimi-
53 nel, qu'il eft particulièrement obligé de défendre la Re-
33ligion, ôc que fon exemple eft beaucoup plus dangereux
»3 que celui d'une perfonne privée. Par conféquent ce Prince
•... 33 attaché à cette lede impie , qui fait aujourd'hui tant de
' 33 ravages, doit être regardé éc dètefté comme un fedaire j
>3 car dès que l'Eglife a jugé , l'on ne peut foûtenir fans fe
53 rendre coupable d'orgueil & d'obftination , ce qu'elle a
î3 condamné j ôc celui qui défend des maximes contraires à
?3 Çqs dècifions , eft inconteftablement hérétique. Le roi de
>3 Navarre eft non-feulement attaché à des erreurs plufieurs
33 fois profcrites ^ mais encore il foûtient fes opinions par la
33 force des armes , êc s'eft mis à la tête des fedaires j s'il
» veut fe faire inftruîre , comme il tâche de le faire croire,
33 il peut confulter des dodeurs habiles , qui lui montreront
?) fes erreurs.
)3 11 eft contraire aux textes des loix civiles 6c cano-
î) niques, qui ont été faites contre les Hèréfiarques , de foû-
îj tenir que ces mêmes loix ne regardent pas les Princes. Elles
î) renferment non-feulement les auteurs des nouvelles opi-
î> nions , mais encore leurs fauteurs èc adhérans ^ elles dé-
;> clarentexpreflement que les Princes hérétiques font founiis
DE J. A. DE THOU, Liv. CVL 743
« fans exception aux peines générales ^ 6c comme leurs __ ^^nm
> égaremens font d'un pernicieux exemple,eUes délient leurs H e n r, i
> fujets du ferment de fidélité. La conlérvation de la Keli- I y.
> gion Catholique , Apoftolique 6c Romaine , eft la première j ^ q -2
j loi du Royaume 5 c'eft cette loi qui a porté à un fi haut "
3 point la gloire , àL la puiiTance de cet Etat , 6c qui par con-
3 léquent l'emporte fur toutes les autres loix , avec d'autant
î plus de raifon , que cette loi eft la loi de Dieu même.
ï5 Si nous refufons de nous réunir avec vous , nous n'a-
5 gifTons âinfî que par refpecl: pour les ordres du fouverain
5 Pontife , & par (es déciiions qui établillent fi clairement
> la juftice de notre caufe. Si nous les méprisons, on nous
3 reprocheroit nota*e mauvaife foi , 5c on diroit que nous ne
î regardons que nos intérêts particuliers. Nous ne pouvons
3 traiter de la paix avec un Prince hérétique , fans enfrain-
î dre nos fermens ^ 6c ce feroit en quelque façon reconnoître
3 pour Roi celui à qui nous avons toujours refufé , ôc à qui
> nous refufons encore d'obéir.
L'archevêque de Lyon finit, en difant que, quant à Tarn-
baflàde du marquis de Pifany , on devoit être perfuadé que
ceux de la Ligue ne la rraverleroient point : Q^e cependant
ils ne l'appuïeroient pas , 6c que l'évêque de Lifieux 6c des
Portes Baudouin n'avoient reçu aucune inftrudion qui pût
lui préjudicier : Qiie le Pape toujours attentif à conferver la
pureté de la foi n'avoit fuivi que les mouvemens de fa piété
6c de fa prudence , Ôc avoit donné à tous les Catholiques
un exemple éclatant du foin avec lequel on devoit éloigner
de la Religion tous les dangers qui la menaçoient.
L'archevêque de Bourges ayant conféré pendant quelque Rjpiique de
tems avec fes collègues , répondit qu'on rapportoit des deux l'archevêque
côtés des pafîàges , ^ des exemples dont chaque parti vou- ^ ^«"'^S'^s.
loit fe prévaloir ^ mais qu'il falloit en demander le véritable
ufage ôc l'intelligence à Dieu , après avoir invoqué fon faint
Efprit : Que cependant la dodrine de Jefus-Chrift 6c de (qs
Apôtres fur la fidélité dûë aux Rois , étoit claire ^ cer-
taine : Qu'il falloit craindre Dieu ^ honorer les Rois , rendre
à Dieu ce qui étoit à Dieu , &:à Cefàr ce qui appartenoit à
Cefar ; Que tous les fujets fans diflindion dévoient être fou-
rnis aux Puifïànces , ôc que celui qui leur réfiftoit , rcfiftoic
744 HISTOIRE
'-' ' * à Dieu même , & troubloit la tranquillité publique : Que les
Henri féditieux êc les rebelles avoient toujours éprouvé les ter-
I V. ribles effets de la vengeance célefte. » Mais , ajoûta-t-il, ne
ï Î9 3« ^' i^ous arrêtons plus à tous cesargumens, &; agitons main-
" tenant ce point delà conteflation que nous avons jufqu'à
>3 prefent évité comme un écucil. Répondons enfin à ce qu'on
fi nous objede fur l'autorité du Pape. J'ai tout le refped
î> poffible pour les Souverains Pontifes 3 mais je ne puis voir
« îans douleur que quelque bonnes intentions qu'ils ayenr,
35 ils foient comme les efclaves de l'Efpagne , qui parce qu'elle
î> s'eft rendue redoutable, les aflujectit à [es paffions 6c à Tes
5î caprices. Combien leur partialité n'a-t-elle pas éclaté dans
93 les Brefs qu'ils ont donnés en faveur des Efpagnols , contre
»3 le Roi , ôc contre ceux qui lui font attachés j 6c cela fans
>5 fuivre les voyes ôc les formalités ordinaires ? Sont-ce-là les
« moyens convenables pour faire rentrer dans ie fein de
î3 l'Eglife les Princes qui s'en font écartés ? Les anciens Papes
S3 en ont agi bien autrement dans de pareilles circonflances.
îî Ils alioient au - devant d'eux , 6c leur rendoient toutes
:»3 fortes de refpeds 6c d'honneurs. C'eil ainii qu'Anaftafe en
>3 agit à l'égard de l'empereur Juftin. Telle a été la conduite
ï3 de Jean envers Juftinien, qui étoit attaché à l'héréfie d'Eu-
>3 tichès. Une implacable févérité a porté le fer 6c le feu dans
'ji plufieurs royaumes chrétiens , comme en Angleterre ôc
.« en Hongrie 5 S^ un zélé trop amer a occafionné le ravage
.33 6c la défoiation des plus belles provinces de la Chrétienté.
>3 J'efpere cependant que Le fouverain Pontife ayant re-
^3 couvre toute fon autorité , agira enfin dans cette affaire en
^3 médiateur défintéreffé , 6c comme le père commun des
>3 Chrétiens, 6c fera voir par des traits éclatans de fa bonté,
-33 qu'il a les mêmes fentimens que [es prédéc^lfeurs pour
j>3 une Nation qui a rendu tant de fervices au S. Siège.
3.3 Notre Roi efl aulîî puifFant que courageux. Son âge le
îs rend capable de gouverner par lui-même les peuples qui
i'3 lui font fournis. Il peut non-feulement repoulTer les enne^
.33 mis de l'Etat ^ mais encore fe faire craindre àc refpeder
?? par tous ies voi{îns. L2. nature lui a donné toutes les qua-
:.3 lires d'un grand Prince .3 il ne lui manqué que la vraye
5? £0} ; fi DleiiJe^Qriver.dt, quel Pui/îant proteAeur pour la
Religion «
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 745
« Religion i QLiels fecours au contraire peuc-on attendre des -__.iJ_L-,?
» Efpagnols? Leur Roi infirme & épuilë trompera par une H E n el i
>5 mort prochaine les efpérances de ceux qui comptent fur I V.
>3 les lecours de ce Prince, pour fe tirer des dangers où iis i5 95«
M fe font engagés. C'eft u^^e muraille quipanche j une mafure
n prête a. tomber ( i ).
» Les Brefs du Pape n'ont pas été dûcment fignifiés,6c
>5 nous pouvons dire que nous n'en avons point de connoif-
î> fance par une voye Canonique. D'ailleurs ils font con-
>3 traires à nos Libertés 6c aux immunités du Royaume ,
>3 (uivant lelquels par un droit fpécial , non-feulement le Roi,
>3 mais encore les Seigneurs , les Magiftrats , & les peuples
>3 qui lui obéïfTent , ne peuvent être excommuniés.
» Quant aux prétendues lettres écrites à la reine d'An.
>î gleterre, & qui félon vous ont été interceptées j ce font
>3 nos ennemis , qui par la fourberie la plus infigne les ont
>3 fabriquées , pouf rendre odieux â la cour de Rome le
>3 marquis de Pifany.
L'archevêque de Bourges ajouta , que fi les Royalifles
prioient ceux de la Ligue d'aider le marquis de Pifany dans
fon amballade , ils ne le faifoient que pour éviter les lon-
gueurs 3 mais que puifque ceux de la Ligue refufoient d'em-
ployer leur crédit à Rome à ce fujet , on n'infifteroit pas
davantage fur cette demande.
Il réfuta enfuite quelques exemples allégués par l'arche-
vêque de Lyon. Ce dernier ayant voulu répliquer , le pré-
lat Royalifte l'interrompit, 2clui dit. >5 II eft inutile de dif.
J5 puter plus long-tems ^ il faut enfin venir au fait,&: cher-
53 cher les moyens de terminer heureufement la conférence,
33 fans entrer dans de plus grandes difputes.
Il s'éleva enfuite une nouvelle conteftation fur le privi-
lège qui met les Rois à couvert des cenfures , ôc au fujec
des Libertés de l'Eglife Gallicane. Cette queftion fut agi-
tée avec chaleur , par les deux partis. Les Ligueurs foûtin-
rent que ces privilèges étoient imaginaires : Que ni les Bulles
de Martin 6c d'Eugène , ni les Extrnnjagantes de Clément
Be contenoient rien de femblable^ 6c que l'ufas-e étoitcon-
traire a ces prétendues immunités.
( I ) Pjalm. 61.
Tome XI, B B B b b
74^ HISTOIRE
Les Royaliftes répondirent qu'une queftion lî difficile n'a-
H E N Kl voit été agitée que depuis les troubles , & que nos ancêtres
1 V. n'avoient jamais douté de l'affirmative : Qiie Dieu n'avoic
jcQi pas entièrement abandonné la France, puii'qu'il avoit in-
fpiré aux Seigneurs , & aux peuples qui s'étoicnt attachés à
leur Roi, une réfolution confiante de lui demeurer fidèles::
Que fî tous les François avoient eu les mêmes fentimens, ôc
avoient agi comme ceux de la Ligue , les droits de l'héritier
de la couronne étant révoqués en doute , la France ainlî
divilée &; livrée en proye à la cupidité des Efpagnols & des
étrangers n'auroit pu éviter fa ruine entière :Que ce Royaume
étoit héréditaire j ôc quoiqu'on dît que les princes Carlovin-
o-iens dévoient leur élévation aux fouverains Pontifes , ( en-
vers qui ils s'étoient d'ailleurs acquittés avec ufure par les
fervices qu'ils avoient rendus au Saint Siège ) 5 cependant
Hugues Capet chef de cet illuftre maifon , dont le Roi def-
cendoit en droite ligne , n'étoit monté fur le trône que par
les fufFrages des Seigneurs ôc des peuples ,fans que les Papes
y euflent eu la moindre part,6c n'avoit obligation de fa cou-
ronne qu'à la Nation feule qui la lui avoit déférée.
Schomberg pour fiiire fentir aux Ligueurs les dangers où
ils expoferolent l'Etat, s'ils continuoient de fervir la paffion
du Légat 6c des Efpagnols , dit en pafîant , que tant que le
Roi vivroit , il ne falloit pas penfer à en élire un autre : Qiie
tous les gens de bien efpéroient que ceux qu'on difoit être
afTemblés à Paris, n'oferoient jamais procéder à une élec-
tion , qui aux troubles qu'on pouvoit encore calmer , feroit
fuccéder une guerre éternelle.
Les Ligueurs fe plaignirent des arrêts donnés à Châlons
& à Tours contre l'autorité du Pape 6c du S. Siège, &; dirent
à ce fujet que cqs François qui s'étoient iervis de termes fi
-injurieux à la Majefté divine, avoient entièrement oubhé la
piété de leurs pères , 6c cette refpecflueufe obéïflance avec la-
quelle on recevoit autrefois dans ce Royaume les décrets
des fouverains Pontifes : Qiie l'aflemblée du Clergé à Char-
tres n'étoit pas moins criminelle , quoique l'écrit qu'on y
avoit fait contre les Brefs du Pape , fût dans des termes plus
niodérès.
Les Royaliftes répliquèrent que fouvent nos ancêtres dans
DE J. A. DE THOU, Liv. C V I. 747
de pareils troubles avoient pris cette liberté : Qu'on avoir -
donc pu en agir de même, fur-tout dans une circonltance auffi Henri
intéreiTante , iorfqu'on vouloir dépouiller un R.oi légitime I V.
pour couronner un ufurpateur, & qu'on vouloir couvrir ces i cg 2
attentats de l'autorité du Pape : Que la cour de Rome n'a-
voit pli produire rien de plus odieux j qu'ainfîJ'on ne de-
voir pas trouver mauvais qu'on eût réfifté à Ces injuftes De-
cretSjôi qu'on eût agi en ennemi contre un ennemi fî déclaré.
Tout le jour s'étant pailé dans ces difputes, Schomberg
avec la permiiîîon du Roi , prit un fauf-conduit , ôc alla à Schomberg
Paris avec le comte de Belin, pour parler au duc de Mayenne j^ duc"]!*^
qui étoit arrivé depuis peu de l'armée. Il lui reprefenta com- Mayenne!
bien il y auroit de témérité , de de danger à élire un Roi,
&c que n le choix tomboît fur le duc de Guife , comme les
Efpagnols le fouhaitoient , moins pour contribuer à l'éléva-
tion de ce jeune Duc , que parce qu'ils liaïiïoient le duc de
Mayenne 3 ce dernier devoir craindre que pour le perdre ,
ils ne fe fervifTent du nom de ce Roi imaginaire , qui ne tien-
droit que d'eux fon autorité.
Le duc de Mayenne reçut honorablement Schomberg j
mais quoiqu'il connût la fincérité , èc la prudence de ce Sei-
gneur qui étoit fon ancien ami , ce Duc néanmoins par
une lenteur ôc une incertitude qui lui étoient naturelles , de
qui d'ailleurs croyoit avoir raifon de foupçonner tout ce qui
lui venoit de la part des Royaliftes , parut peu touché des
remontrances de Schomberg , 6c le renvoya fans aucune ré-
ponfe précife.
Ainiî le dix de Mai, c'eft-à-dire , quatre jours après, on
s'afTembla de nouveau à Surefne. Les Royaliftes prelférenc
les députés de la Ligue de s'expliquer clairement , & de pro-
pofer plus au long les conditions de la paix qu'ils défiroienc
avec tant d'ardeur. L'archevêque de Lyon foûtint qu'il avoir
fait des réponfes à routés les demandes du parti contraire :
Que le furplus dépendoit de la volonté du Pape, à qui la
Ligue vouloir toujours obéir • &: que puifqu'on faifoir efpé-
rer que le Roi rentreroit dans le fein de l'Eglife Catholique,
il fouhaitoit que fon retour fûtfincére, dc qu'il fe réconciliât
avec le fouverain Pontife.
L'archevêque de Bourges prit aulîî- tôt la parole , &: lui dit.
B B B b b ij
74^ HISTOIRE
L— » Il faut fans difFërer, remédier à des maux prefTans j fî Ton
Henri w nous envoyé à Rome, les Alpes retarderont par terre notre
I V. î5 voyage, & par mer quels obltacles ne pourrons-nous pas
'Î9 3» "trouver ? Le moindre retardement fera fatal aux deux
55 partis 5 faites donc voir que vos démarches tendent vérù
» tablement à la paix , ôc que l'aimable férénité de votre
53 vifage cft l'image de vos fentimens pacifiques , 6c de votre
« amour pour la tranquillité de l'Etat.
L'archevêque de Lyon ayant témoigné qu'il ne pouvoît
pas faire de plus grandes avances , l'archevêque de Bourges
prit en particulier les avis de (es Collègues , & demanda
une furféance de quelques jours pour rapporter ce qui s'é-
toit pafTé à ceux au nom defquels il agilToit , & pour faire
une réponfe précifè , après qu'il \qs auroic confultés. La
trêve fut continuée pendant ce temps.
Cependant on fît à Paris une proceflîon magnifique Se
pompeufe pour l'heureux fuccès de la conférence, 6c pour
î'éledion d'un Roi très-Chrétien , d<. véritablement Catho-
lique. Le légat du Pape,les archevêques de Lyon, de Glafcow
6c d'Aix, les évêques de Viterbe , d'Amiens , de Rennes, de
Riez , de Senlis , d'Autun , d'Avranches, de SoilFons , de
Vannes d>c de Frejus y affiftérent , 6c portèrent des Reliques.
Les Confeiilers qui étoient reftés à Paris fuivoient en robes
rouges, 6c treize d'entre eux portoient fur leurs épaules la
chafTe de S. Louis. La chambre des Comptes , 6c la plupart
des difFérens Ordres de la ville y aOîftérent auflî. Le car-
dinal de Pellevé dit la meile à Nôtre-Dame, 6c Jean Bou-
cher dodeur de Sorbonne , cet ennemi furieux de la maifon
Royale , ce Fanatique qui s'étoit autrefois déchaîné fi in-
dignement dans {qs fermons contre Henri III. y fit un dit
cours plein d'emportement de de fureur.
Schomberg 6c Revol furent envoyés par les députés
Royaliftes , pour inftruire le Roi de tout ce qui s'étoit
paiîé à Surelhe , 6c lui reprcfenter qu'il étoit temps de dé-
clarer à fcs fujets fes fentimens fur la Religion , 6c renver-
fer par ce moyen tous les defiTeins des Rebelles,
lettre du Henri de la Tour duc de Bouillon , Seigneur d'une illuftre
Prefident de •/y' j> j ' • o j> j o, •
Thouau duc nailiance, d un grand génie 6c d un grand courage , 6c qui
de Bouillon, avoic eu le fouverain commandement des armes dans la
à
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. ^49
Guyenne , pofTédoic alors toute la faveur du Prince. Com- .
me il écoit attaché à la doctrine des Proteftans , on craignoic Henri
qu'il ne s'opposât, ou qu'au moins il n'apportât quelque re- I V.
tardement à la converiîon de Henri. La moindre remifè 1503.
étoit d'une conféquence extrême , & auroit frappé refpric
des peuples qui étoient attentifs à riiîuë qu'auroit la confé-
rence. Ainfi de Thou (i) l'un des députés Royaliftes , lui
écrivit fur le champ , ôc lui reprefenta particulièrement qu'il
étoit trop prudent pour ne pas voir , que pour fauver l'Etat,
il falloit faire la paix , & par conféquent s'accommoder au
plutôt avec les Catholiques rebelles au Roi : Qu'on ne pou-,
voit conclure aucun traité , fi Sa Majefté ne les fatisfaî-
foit fur la Religion , ôc ne remphfibit les efpérances qu'on
avoit du fuccès de la conférence : Qiie fi cette conférence
n'avoit aucun efFet , l'un des deux partis s'attireroit toute
la haine des Peuples , ôc qu'on devoit craindre un grand
changement dans les efprits : Que la paix étoit non feulement
néceifaire à ceux qui fentoient toutes les calamités de la guer- ;
re j mais qu'elle étoit encore utile à toute la Chrétienté , à
qui le démembrement de la France ne pouvoit être que
très-préjudiciable : Que tout ce que le légitime héritier de
la Couronne feroit pour calmer les troubles de fon Royaume,
& réprimer les impiétés qui régnoient impunément à la fa-
veur des guerres civiles , ne pouvoit être que très.agréable
à Dieu : Que toutes les démarches de Sa Majefté ne pour-
roient être attribuées qu'à un véritable amour pour ia pa-
trie 3 & qu'on n'oferoit jamais l'accufcr d'ambition : Qtieles
Proteftans même dévoient fouhaiter d'avoir un Roi Catho-
lique , quife comportât dans les affaires de la Religion avec
une équité qu'on n'avoit point eue jufqu'alors, & qui après
avoir donné la paix à fon Royaume , travaillât à la procu-
rer à l'Eglife : Que ceux qui croy oient en Dieu , &: en Jefus-
Chrift fon fils qu'il a envoyé pour nous fauver , & qui ef-
péroient un même bonheur éternel , ne pouvoient dé-
firer autre chofe que de voir l'unité de la foi former ^
établir une paix durable , afin qu'étants de même fcnti-
mens fur la Religion , Dieu nous fût propice , de versâc
(1) C'eft l'auteur de cette Hifloire. , confond ceux qui pre'tendent qu'il fav<>
Cette lettre politique ôc Chrétienne rifoit la Religion Froteftante.
BBBbbiii
M93
7ÎO HISTOIRE
fur nous tous les dons de fa miféricorde.
D'un autre côté , dans la crainte que les Proteflans ne
s'oppoiafTent à ce projet , les Princes 6c les confeillers d'Etac
du Koi , qui étoient alors auprès de Sa Majefté , promirent
par écrit qu'on ne préjudicieroit point dans la conférence
de Surefne aux édits , ôc déclarations données par les Rois
précédens, de que les chofes demeureroient dans le même
état où elles étoient , jufqu'à l'alTemblée indiquée à Mantes
pour le vingt de Juillet. Schomberg fe chargea de porter
cet écrit aux Députés -, il étoit ligné par Franc^ois d'Or-
léans comte de Saint-Pol , Philippe Hurault Chancelier,
Charle de Montmorency de Meru , Roger de Bellegarde ,
François Chabot de Brion , Gabriel de Schomberg , iSc Jean
de Levi marquis de Mirepoix. Cela fe palla le 1 6. de Mai.
Le Roi dé- ^^ ^^'^ ayant appris tout ce que les Députés avoient fait
ciare qu'il à Surefne , tint un Confeil fecret avec les plus intimes amis,
re"ai?e in- ^ déclara enfin que quoiqu'on eût parlé de lui avec peu de
ftruire. refped , èc qu'il foufFrît avec peine les difcours pleins d'ani-
mofîté & d'aigreur que les Ligueurs avoient tenus , cepen-
dant pour faire voir que l'amour de fes* Peuples étouffoit
en lui le fouvenir des injures , il vouloit bien oublier tout le
pa{Té,& qu'il avoit réfolu de fe faire inftruire pardesEvê-
ques de des Dodeurs , comme il l'auroit déjà fait , fi ks
ennemis n'avoient pas apporté d'obftacle à fes bons deflèins.
« Nous n'agifTons pas ainfî , continuoit-il , pour fatisfaire le
ï5 parti contraire , qui dans la conférence de Surefne a mis
» notre retour à la Religion Catholique , pour première
»j condition de la paix àc de fon obéïflknce , mais feulement
>3 pour lever tous les fcrupules , ôc faire taire ceux qui par
)3 ignorance , ou par mauvaife volonté , difent que nous fom-
« mes peu touchés de notre fàlut , ôc de la conlérvation du
" Royaume. Nous voulons donc qu'on déclare notre réfo-
>5 lution de nos deflèins aux députés de la Ligue • ôc afin
î5 qu'ils ne puiiTent fe plaindre qu'on les leurre par des
>5 promefTes incertaines , de qui n'auront aucun effet , nous
» ordonnons qu'on leur apprenne que nous avons déjà écrit
» aux Evêques de aux Théologiens, aux Princes, aux Sei-
î3 gneurs qui font abfents , de à nos cours de Parlement,
>3 pour nous déterminer par le confèil de leurs Députés ,
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 751
» far ce qu'il y a de plus convenable à faire dans les affaires ^iss^ir!^!^^
M de la Religion & de l'Etat , & que nous avons indiqué pour Henri
» cela une alîèmblée générale à Mantes , où nous leur avons i y^
>3 ordonné de fe rendre le 15. de Juillet. ï S9 ^.
Le Roi finifToit^en" difant que pour ne pas perdre de temps,
& remédier au plutôt à toutes les calamités publiques , il
étoit néceflaire de travailler aux conditions de la paix , donc
on fufpendroit la publication tant que les deux partis le ju-
geroient à propos : Que fî les Députés alléguoient un défaut
de pouvoirs , ou quelqu'autre empêchement , il falloit du
moins faire une trêve générale , de crainte que la guerre
n'aigrît encore les efprits , & n'éloignât la réconciliation:
Qiie pendant cette trêve , &; après que le Roi auroit exé-
cuté toutes {es promefles , on pourroit traiter de la paix j
mais que fî les Ligueurs rejettoient ces moyens , les Députés
Royalifles dévoient faire des proteflations qu'on rendroic
publiques j afin de faire voir que d'un côté , le Roi avoir pro-
pofé des conditions équitables , & qu'il avoit toujours été
difpofé à recevoir celles qu'on lui feroit • 6c que de l'autre^
toute la haine que méritoit le refus obfliné d'un accommo-
dement raifonnable , retombât fur le parti contraire.
Cette Déclaration fut donnée à Mantes le même jour i 6»
de May. Le lendemain Schomberg & Revol revinrent a
Surefne , où les députés de la Ligue s'étoient auffi rendus.
L'archevêque de Bourges ayant conféré avec fes coUégues-
prit la parole , &; après avoir fait des excufes du retardement
qu'on n'avoir pu prévoir, ôc que l'abfence du cardinal de
Bourbon & la maladie de Schomberg avoient occafionné , il
dit que cette remife n'avoit pas été fans fruit j puifque fes
deux Collègues avoient apporté un acte ôc une déclaration
autentique des heureufes difpofîtions où fe trouvoit le Roi,
qui avoit pris enfin fur la Religion , des fentimens confor-
mes aux vœux de fes fujets. » Ce Prince, dit^il , n'a point
« été touché des difcours emportés & licentieux , qui pou-
» voient blefTer le refpeâ: dû à Sa Majeflé • le malheur du
>o tems les lui fait oublier. Se laifTant fléchir au milieu de
« (es vidoires , il va exécuter au premier jour ce qu'il médi-
» toit depuis fi longtems , & il eft difpofé à fe faire infrruire,
>3 Quoiqu'il voulut lui-même , & que les Princes , les Prélats 3,
7J1 HISTOIRE
■ >î 6c les Seigneurs qui lui font attachés , fouhaita/îent égale-
Henri »menc que fa réconciliation avec l'Eglilè , le fit par i'auco-
IV. «rite du Pape , èc que ce grand événement fîgnalat ibn
I co j, » Pontificat j cependant hs faclions dont la cour de Rome
» eft agitée , nous tont craindre des remilès inutiles , & nous
>î empêchent d'elpérer qu'on ne puiiîc finir ce grand ouvra-
is ge , aulîi-tôt que nos maux , qui augmentent tous les jours,
>i le requièrent. Ainfî fans préjudicier aux droits du S. iiege,
« 6c fans blefTer le refped &c la déférence qui lui font dus ,
>j Se dont on lui donnera des témoignages dans la fuite , le
» Roi a jugé à propos d'écrire aux Evêques , & aux Théo-
« logiens , pour fe faire inflruire , &c rentrer dans le féin de
>3 l'ancienne Religion , que les préjugés de l'éducation lui
M ont fait abandonner. Recevez avec joye une fi heureufe
)3 nouvelle.
» Nous vous prions de prendre de juftes mefures avec ceux
>3 qui vous ont député , & de travailler avec eux pour la con-
» clufion de la paix. Car cette conférence ne fera d'aucune
» utilité , fî vous n'avez pas des pouvoirs fuffifans pour f-aire
» ce traité , qui doit finir tous nos maux. Un plus long re-
>5 tardement ne peut être que très-dangereux. Les étran-
>î gers établiiTent de plus en plus leur puifîance dans ce
>3 Royaume j Se fi les troupes qu'ils envoyent troublent une
>3 fois cette négociation , on ne pourra la renouer dans la
jj fuite que très-difEcilemenc. On peut , ajoiita-t'il , laifîer
>3 en fufpens les articles qui regardent le Roi , jufqu'à ce qu'il
M fe foit réconcilié avec l'Eglifé Catholique j mais de crainte
53 que la c;ucrre ne le détourne d'une fî louable entreprife ,
53 ù. pour faciliter la récolte des grains , il confcnt dhs à
55 préfènt qu'on fafTe une trêve générale pour trois mois ,
53 quoiqu'elle foie préjudiciable à fés intérêts. Tous les gens
53 de bien le f-îattent que dans cet intervalle, on pourra con-
55 dure la paix. D'ailleurs par ce moyen , les habicans des
55 villes 6c des campagnes auront l'année f ûvanre des bleds
53 pour fe nourrir ^ ce qu'on n'ofera efpérer, lorfque les hor-
53 reurs de la guerre régneront de tou: cotes ce
Un difcours fi peu attendu frappa iVirchcvêque de Lyon,
Les Royalifles avoient pris toutes les mefures po^Tibles , pour
empêcher que cette nouvelle ne tianfpiiât chez ks Ligueurs.
Ce
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 755
Ce Prélat , pour cacher fon trouble, dit , tant en Ton nom ' ' ' .'
qu'au nom de Tes collègues j mais fans prendre leurs avis , H E n ki
qu'il fe réjoiiifloit de ce que le roi de Navarre avoit formé I V.
la réfolution d'embralTer la Religion de (qs ancêtres , pour- 1593.
vil qu'il agît de bonne foi de fans ditîimulation.
Il fe retira enfuite pour conférer avec fes collègues ^ & ils
arrêtèrent enfemble que l'Archevêque ne feroit qu'une
courte réponfe : Qu'il demanderoit un délai pour confulter
le Légat du Pape , les Princes, les ambaffadeurs d'Efpagne,
& les députés dss Etats du Royaume : Qi-i'il repeteroit feu-
lement ce qu'il venoit de dire , & qu'il feroit fentir , que
quelques efpérances que ceux de la Ligue puiTent avoir d'une
paix prochaine • cependant les édits que le Roi venoit de
donner en faveur des Proteilans , au fujet de l'entretien de
leurs Minières , étoient contraires à des promeiïes fî magni-
fiques , & que les eff:^ts ne répondoienc pas aux paroles.
L'archevêque de Lyon ayant parlé avec beaucoup de
véhémence contre ces édics , àc contre ceux par le confeil
de qui ils avoient été faits j l'archevêque de Bourges lui ré-
pondit qu'il y âvoîc déjà deux ans que ces édits avoient été
accordés aux Proteflians , dans un tems où la guerre étoit
plus violente , ^ où l'on ne pouvoit rien leur refufer : Qiie
cette année , les Proteftans ayant tâché d'obtenir la même
chofe , il s'étoit oppofé à leurs demandes avec le cardinal
de Bourbon. îs Tout cela , continua-t'il , ne nous a point in-
M dilpofés , & ne nous a point fait douter de la fîncéricé , &:
55 de la bonne volonté du Roi 5 au contraire , nous devons
55 faire de plus grands efforts pour le ramener à la véritable
55 Religion , parce que dès qu'il fera converti , nous n'aurons
V plus ripn à craindre de fembiable. c«
, Enfin le Prélat royalifbe pria l'archevêque de Lyon , de
recevoir par écrit le dernier difcours qu'il venoit de faire au
ï>om du Roi , pour le communiquer aux Confédérés. Il de-
manda çncore qu'on ne rendît pas publics les ades de la
conférence , qu'ils n'euflent été rédigés , 6c revus par les
deux partis j de crainte qu'on ne les altérât , àz qu'on n'en
prît occaiion d'augmenter l'animofité , par des fuppo/itions
^ des calomnies.
L'archevêque de Lyon refufa de recevoir une copie de ce
^eme XL CCCcc
754 HISTOIRE
■ ' difcours , que Revol lui préfcnta. Il craignoîc qu'en Tac-
Henri ceptanc , fans en communiquer avec ceux au nom defquels
I y. il agilîoic , on ne lui reprochât de l'avoir approuvé. Ainfi
j -g ^^ l'archevêque de Bourges demanda que du moins un des dé-
putés le reçût, comme iîmple particulier. Il l'obtint avec
peine j on lui accorda auffi ce qu'il avoit demandé au fujec
des ades de la conférence. Cependant Honoré du Laurent,
l'un des députés de la Ligue , les lit imprimer à Paris , quoi-
qu'on eût promis le contraire aux Koyaliftes. Il y ajouta
pluHeurs chofes qui pouvoient encore aigrir davantage les^
efprits j il y fit des fuppreffions infidelles & artificieufes. En-
fin il y inféra des traits qu'on auroit pu lupprimer du con-
fentement des deux partis , ou étendre davantage , ou ex-
primer autrement.
Ceux qui entendirent le difcours de l'archevêque de Bour-
ges , en furent frappés différemment. Jean le Maître èc tous
ceux quiaimoientêc fouhaitoient la paix, l'écoutérent avec
plaifir , & furent ravis qu'on l'eût donné par écrit. Mais
lorfque les députés de la Ligue furent de retour à Paris ,
ceux que l'efprit de fadion tranfportoit , firent fupprimer la
feule copie de ce difcours , qu'on y avoit portée. La plupart
l'interprétoient en mauvaife part , & diloient hautement ,
que cette déclaration du Roi n'avoit été inventée , que pour
étouffer dans fa naiiTance le parti des Politiques , tromper
les peuples trop crédules , èc les leurrer par une vaine efpé-
rance de la paix , &;par des promeffes artificieufes.
Le Maître qui fçavoit le contraire , & qui penfoit autre-
ment , écrivit fur le champ à de Thou , pour le prier de lui
envoyer au plutôt le plus de copies qu'il pourroit de ce
difcours. Il en fit faire lui-même pendant la nuit un grand
nombre fur celles qui lui avoient été envoyées , &. les diftri-
bua de tous côtés , pour faire voir le menfonge ôc la four-
berie des fadieux. Trois jours après , l'archevêque de Lyon
fit fon rapport au Confeil de la Ligue. Le duc de Mayenne,
le Légat du Pape , le cardinal de Pellevé y afiîftérent. L'Ar-
chevêque fit lire l'écrit des Royaliftcs , Se donna des expli-
cations à tous les chefs qu'il contenoit. La connoiflance
qu'on en avoit déjà , ôc la ledure qu'on en fit , excitèrent
différens mouvemens dans l'efprit des ailîftans. Lqs fadieux
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 755
qui vouloienc couper toutes les voies de conciliation , en
parurent indignés • &: il y en eut même qui dirent fourde- Hen ki
ment que la conférence de Surefne devoit faire craindre I V.
que les peuples trompés par i'efpérance qu'on leur donnoit, 1593.
de la réconciliation du Roi avec l'Eglife , ne refufalTent de
continuer une guerre , qu'ils avoient foutenuë jufqu'alors
avec tant de courage & de zélé.
L'archevêque de Lyon piqué de ces paroles , ne put
s'empêcher de faire voir une vive émotion ^ Se répliqua aulîî-
tôt , que le Roi n'avoit parlé ainlî , que pour étouffer le
Tiers parti qui commençoit à s'élever ; Qu'on ne pouvoît
raifonnablement fe faire un prétexte de fa déclaration , pour
attaquer la conférence ^ & qu'au lieu de perdre le temps en
plaintes inutiles , il falloit fonger à répondre à cet écrit.
Le duc de Mayenne dit que les Députés avoient fait leur
devoir , èc agi prudemment dans cette affaire -, & il leur en
fit de grands remercimens. Ayant enfuite prié ceux qui
étoient préfens de conférer enfèmble , il demanda un délai
pour prendre les avis des Princes , du Parlement 6c des con-
feillers d'Etat 5 & il ajouta qu'il indiqueroit au plutôt le
jour , où l'on pourroit s'affembler de nouveau.
Cette affaire étant devenue publique , les fadieux jugè-
rent que la conférence feroit non feulement infrudueulè j
mais encore très-préjudiciable à la fainte Ligue : Que cette
négociation indifpoferoit le roi d'Efpagne , ce Prince puif.
fant , qui étoit leur feul appui : Que le peuple flatté par les
apparences de la paix , qu'il goûteroit pendant une trêve
de quelques mois , ne reprendroit les armes que très. diffici-
lement , quelque juftice , & quelque néceffité qu'il y eût
de continuer la guerre : Que le but des Royaliffces étoit de
conduire par toutes fortes de voies , le roi de Navarre au
trône j & que la prudence des enfans du fiécle l'emportoic
fur celle des enfans de lumière.
Le duc de Mayenne étoit très-inquiet du fuccès de la con- u Ligue
férence , qui contre [qs efpérances paroifloit devoir être P^"':^^*^,^^^*^'"
très -préjudiciable a Ion part!. Les Eipagnols attentirs a tous R^oi^
les événemens , faifirent une occafion fî favorable à leurs
delfcins 5 èc après avoir conféré avec le Légat du Pape , ils
^firent tous leurs efforts auprès du Duc , que la vue du péril
CCCcc ij
7 5^ HISTOIRE
rcndoic timide & incertain , pour le déterminer à confentîr
Henri qu'on procédât dans l'afremblée des Etats à l'éledion d'un
I V. Roi, On choifit donc entre tous ceux qui Gompofoient cette
i yq j, afTemblée , fix dépurés , pour aflifter à toutes les conférences
particulières, qu'on dévoie avoir avec le Légat du Pape,,
& les ambalTadeurs d'Efpagne. L'archevêque de Lyon , 6£
Guillaume Roièévêque de Senlisy alFiftérent pour le Clergé j.
on choifit pour la Noblelle Claude de la Chalbe 6c Monto-
lin ; & pour le Tiers Etat , la Chapelle-Marteau Prévôt des
Marchands , & Etienne Bernard de Dijon. Ils fe rendirent
Je 2 o. de May chez le Légat du Pape , où le duc de Mayenne,.
les ducs d'Eibœuf 6c d'Aumale Tes coufîns , 6c le cardinal de
Pellevé, étoient déjà arrivés. Le duc de Feria , Jean-Bap-
tifte Taxis , bc Dom Diegue d'Ibarra s'y trouvèrent aufîi.
Les députés ayant demandé , comme on en étoit convenu ,^
aux ambâiFadeurs d'Eipagne, fi Philippe ne les avoit pas char-
Difcours de gés de plus amolcs inflrudions , Feria prit la parole. Il s'é-
d'Eipagae. tendit tort au long fur les louanges de 1 Inrante Claire Eu*
génie Ifabelle, dont il exalta particulièrement la piété , la,
bonté , la douceur , àc la libéralité -, il fit auffi un pompeux
éloge de la généreufe piété du Roi Ton maître , qui fans au-
cuneefpérance d'augmenter fa puiflànce , avoit dépenféavec
tant de libéralité fix millions d'écus d'or , pour conferver
en France l'ancienne Religion.
>3 J'ai toujours fouhaité , ajoûta-t'il , que la conférence de
15 Surefne eût un heureux fuccès , àc que les Catholiques ,
>5 qui font attachés aux Sedaires , fe laifTants toucher par les
« fçavans difcours 6c les fages exhortations de l'archevêqus
î5 de Lyon , fe foumifîent à l'Eglifé -, car la charité chrétienne
55 exige que nous nous intéreffions pour le falut de tous nos
î3 frères • mais après avoir travaillé fans retirer aucun truis
)5 de tous nos efforts , il faut prendre garde que ce que l'a-
>3 mour du prochain nous fait faire, ne foit préjudiciables
>3 la piété 6c à la foi , & que trop d'indulgence pour les Sec»-
>5 taires ne porte des coups funefles à la Religion.
J5 Peut-on d'ailleurs, fans offenfèr un Prince à quila France
55 a tant d'obligations , traiter avec fes ennemis , dans le
>3 temps même que vous demandez bc que vous attendez les ■
wiecours du Roi mon maître votre ancien allié, dans le-
DE J. A. DE THOU, Liv. CVÎ. 757
3* temps qu'il vous offre toutes Tes richeiïès , & qu'il vous fa- "*■"■■■"*— "--^
^5 crifie fes propres intérêts ? Il eil: donc jufte de rompre une H en rt
>9 négociation , qui ne peut être qu'inutile 8>i préjudiciable à IV.
» la Religion. Cherchez plutôt , de concert avec de fmcéres 1^02.
>5 alliés , les moyens de rcpoulîer les ennemis déclarés de cette
» Monarchie.
>5 Le Roi mon maître eft perfuadé qu'il n'y a pas d'autrô
» voie plus certaine , que de donner tous vos fuffrages , &
»i de déclarer Reine l'Infante d'Efpagne , qui a pour mère
.95 Ifabelle, fille aînée de Henri II. G'eft à elle que la cou^
>i ronne appartient , fuivant toutes les loix divines & humai-
>3 nés , au défaut des enfans mâles de Henri. Le fouverain
w Pontife approuvera cette élection , perfuadé qu'un tel-
55 choix mettra la Reh'gion à couvert des dangers qui la me-
'> nacent , & que le Royaume recouvrera fa tranquillité. Le
?5 duc de Lorraine , les autres Princes de cette iliuftre niai-
53 fon , les Seigneurs , 6c la NoblelTe Françoife , ne doivent
»i pas douter que ce choix ne leur procure un puiflant ap--
» puî , èc de grands avantages. Si vous agréez la propoiî-
si tion , je vous prie de me faire au plutôt une réponié pré-
>^ cife 3 car je fuis prêt avec mes collègues , de traiter des à
îi préfent avec vous , èc nous avons des pouvoirs 6c des in--
» ftruclions particulières à ce fujer. Il y a déjà fur la fron-
9!> tiére une armée de huit mille hommes de pied , 6c de deux
îi mille chevaux , avec tout l'appareil de guerre. Elle fera
î5 luivie d'une autre aulli nombreufe au mois de Septembre
« prochain 3 àc toutes ces troupes feront entretenues pen-
M dant deux ans aux dépens du Roi mon maître. Il offre en--
^ core de payer régulièrement tous les mois dix mille hom-
îi mes de pied , 6c trois mille chevaux de troupes Françoifes ,-,
n qui feront levées par le duc de Mayenne. De û grandes
53 forces feront fans doute de grands progrès , 6c l'on peut
)i efpérer que dans la fuite le Royaume pourra iupporter une
îî partie desfrais de la guerre. Enfin le Roi catholique don-
M nera fix cens mille ducats pour l'entretien des autres trou-
» pes Françoifes. Il vous promet même de plus grands fc-
51 cours, fî l'Infante fa fille , par un droit légitime, par votre
5> choix, ou en joignant l'cledion à fes juftes prétentions, eft^
9»; déclarée Reine. «<■
G C C c c iijj
7î^ HISTOIRE
!• L'évêque de Senlis , ce Ligueur paffionné, poufîe par i
H E N B. I niocît inconnu , interrompit en cet endroit le duc de Feria,
IV. & ofa lui dire: >î Les Politiques ont eu raifonde foûtenir
I ^q î. " ^"^ votre ambition étoit couverte du manteau de la Re-
L'évcque de " lïgion. J'ai tâché avec les autres Prédicateurs animés d'un
seniisimer- » véritable zéle pour la fainte Union , de réfuter tous leurs
bSeur!'"' >' difcours j mais j'apprends par ce que vous venez d'avan-
» cer que ce que je prenois pour une calomnie inventée par
>3 les Sedaires , font les véritables fentimens & les vues des
>5 Efpagnols. S'ils n'abandonnent pas ces pernicieux projets ,
>5 içachez que tous les Catholiques avec moi les regarde-
» ront eux-mêmes comme une fadion de Politiques. Depuis
55 douze cens ans , la loi falique eft en vigueur en France j
35 de ce puilTant Royaume , à l'exemple de celui de Juda ,
53 n'a jamais eu pour maîtres que des mâles du fang Royal.
53 Si l'on enfreint cette loi relpedable , en mettant fur le
î3 trône une femme 3 ne devons-nous pas craindre qu'elle ne
53 fafle palTer le Sceptre dans les mains d'un Prince étranger,
35 & que cette Monarchie qui doit fa gloire & fapuiflanceà
33 une loi inviolable ne s'anéantille dans la fuite.
Le duc de Feria , Ôc les Efpagnols furent très- étonnés de
la liberté que cet homme fe donnoit de parler hors de fon
rang , & fans en être requis. Le duc de Mayenne excufa cette
adion, èc leur reprefenta qu'ils ne dévoient pas fe mettre en
peine de ce qu'avoit dit ce Prélat dont on connoilloit le
zéle &: l'attachement pour la fainte Ligue j mais qui avoic
de tems en tems de violens accès de fureur, &c qui avançoic
fouvent hors de propos des chofes dont il fe repentoit dans
la fuite. En effet on dit que l'évêque de Senlis fut fâché
d'avoir parlé 11 librement.
Feria demanda donc qu'on communiquât à raflemblée
des Etats les propoiitions qu'il avoit faites , & qu'on don-
nât une audience favorable aux ambalTadeurs d'Efpagne , ôc
particulièrement à Inigo de Mendoza qui étoit Juriiconfulte,
de que les gens de guerre, qui font ordinairement ennemis
des lettres, appelloient par dérifion le Lctiré -^ on promit de
l'entendre neuf jours après. Dans cette féance, Jean-Baptifle
Taxis, l'un desambafTadeurs d'Efpagne,pour empêcher qu'on
^e crût que les Efpagnols vouloient attaquer les loix de cette
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 759
oiiarchie , prie d'abord la parole , &C die qu'il n'y avoic pas
d'autre remède aux calamités publiques , que de déclarer H i. n k i
Reine l'Infante d'Efpagne,très-chére fille du Roi Ton maître, 1 V.
ce Prince le plus puifTant de la Chrétienté , &: qui fe trou- i ce -,
veroit obligé par un gage fi précieux , de foiUenir en France
la véritable Religion : Qu'il prioit l'aflemblée d'écouter fa-
vorablement Inigo de Mendoza , qui expliqueroit plus au
long les droits de la Princefie , fur la couronne : QLi'il ne
falloit pas croire que le but de ce Jurifconfulte fût d'agiter
litigieufement la queftion de la fucceiFjon au trône j mais
qu'on devoit être perfuadé que le roi Catholique , qui avoic
la Religion pour premier motif j vouloit fè conformer en touE
à ce qu'on jugeroit être le plus utile , ôt le plus convenable
aux circonftances prefentes.
Le lettré Mendoza prononça enfuite avec tout l'appareil Difcoui-sdu
d'un pédant un difcours médité depuis long-tems, 6c qu'il J";"^'^^o"^^ite
.r, . r ., .^ 1/1 Mendoza.
avoit divile en lept pomts, avec un corollaire ou conciulion.
Son but étoit de prouver que parle décès de tous les enfans
de Henri II. la couronne appartenoit â l'infante d'Efpagne:
Qii'il falloit procéder à l'éledion , 6c confirmer parunjufte
choix le droit de la Princefié:Que ceux qu'on regardoit com-
me les plus proches héritiers .du trône,étoient ou hérétiques,
ou fauteurs des Sedaires : Qu'ils s'étoient rendus indignes du
trône , foitpar leur propre fait,foit par la déclaration du fou-
verain Pontife, Juge fuprême dans ces matières. Il rapporta
à ce fujet un nombre prodigieux deloix, de canons, de ca-
pitulaires , ôc mille pallàges ennuyeux de Docteurs en droit
Civil & Canonique, Cet Efpagnol fier de la puiflance de fon
maître , dont les forces étoienc le feul appui de la Ligue ,
parla comme un étranger qui ignoroit entièrement les cou-
tumes , l'hiftoire , &; les loix de cette Monarchie. On pou-
voir conclure de [qs argumens que les droits chimériques des
Anglois fur la couronne de France étoient bien fondés j 6c
que le trône leur appartenoit,à l'exclufion même de l'Infante.
Quelques-uns des aififtans dirent qu'il n'étoit pas étonnant
que Feria, cet Efpagnol fils d'une Angloife, décidât avec
tant de hardiefie fur la queftion de la fucceffion du trône , 6c
favorisât les anciennes prétentions des Anglois fur ce
Royaume,
7^0 HISTOIRE
Les factieux corrompus par l'or Efpagnol , reçurent avec
'Henri applaudiflemenc les dilcours de Feria &: de Mendoza -, les
IV. plus fages s'en moquèrent j quelques autres en furent indL
ï 593:. gnës. Il parut un cciit qui fut affiché , par lequel on réfutoic
Ecrit publié ks arguniens de Lorenzo Suarez EfpagnoLAnglois , 6c de
contre les ç^^ lUiteradê Jnivo. On diloit à peu près dans cet écrit ,
pie. entions -^ , , .* ^ . ^ ^ , '
des Efpa- que non-ieulement les François devenoient traîtres a leur
;^"°'^" patrie , en la livrant à Tes ennemis les plus déclarés , 5c nom-
mément aux Efpagnols , &; en violant la loi la plus facrée
- de la Monarchie ^ mais qu'ils pouiToient encore la folie juL
qu'au dernier point , en confiant la défenfe de la Religion à
une Nation intidelle , prefque toute Marane ( i ) , & qui ne
croyoît pas que ce fût un grand péché de ne point con«
noitre Dieu : Q^î'il leur étoit auffi honteux d'abandonner ,
ôc de facrifîer ce qu'ils avoient de plus cher , leurs femmes,
' leurs enfans , & ce qu'il leur reftoit de biens, à la cruauté,
à l'avarice , &: à la brutalité de ces Maures blanchis , donc
Jes autres peuples qu'ils tenoient fous le joug, pouvoienc à
peine fupporter les mœurs ôc les coutumes odieufes : Que
toutes les Nations voilines à qui l'ambition Efpagnole étoic
juflement fufpede s'éléveroient avec raifon contre ces lâches
f rançois , les accableroient , &: en tireroient dans la fuite une
vengeance éclatante : Qu'en ^^tx. les Efjpagnols ne faifoienc
briller un faux prétexte de Religion , que pour étendre leur
tyrannie : Qii'iis trompoient \^s gens allez iimples pour leur
ajoûtej.- foi , .&; permett oient impunément toutes fortes de
crimes 6c de méchancetés : Qu'on ne pou.voit s'appuyer fans
imprudence Ôcfans danger fur un roleau déjà fêlé, ou fur
june muraille qui tomboic en ruine : Que ce Prince Mori-
bond, dont ils acténdoient les fecours, étoit hors d'état de
fe défendre lui-même : Que ^^s forces diminuoient tous les
jours : Que fes Etats divifés en différents cHmats feroient dé-,
membres dés qu'il feroit mort , ôc que tout y annonçoit une
révolution prochaine. On avoir ajouté à cet écrit cette inf«
cription tirée de l'Ecriture fainte : (2) Les lis ne travaillent,
ni ne Jilent , pour fîgnifier que les femmes ne pouvoienc jrç^
gner en France.
( I ) C'cft - à - dire , defcendant des 1 (i-) Lilia non îalorant , Tienne nettt.
Jaurès» ]
Cependant
De J. A. DE THOU,Liv. CVI. -jGi
Cependant les députés Royaliftes qui n'ignoroient pas ce «
,: /^ „./7\:- > n-„:, _...• l c r.-„ n. ^ r- . ,,
qui ie palîbità Paris, quittèrent Surefne pour aller à faint Henri
Denis , où ils écrivirent plulieurs lettres aux Ligueurs, pour \ V.
les preiïer de leur faire réponfe. Ces Ecrits furent aulîi- \<qx
tôt répandus dans la ville,pour rendre la Lifue plus odieufe. Réponfe des
Les Ligueurs s'alFemblérent 3 & après bien desdifputes, ils Ligueurs à
arrêtèrent le 2. de Juin que ce feroit avouer la défaite de [-ondiiToi.
leur parti , que de laiiTer lans réponfe l'écrit des Royaliftes.
Dans leur réponfe ils invectivèrent d'abord contre la décla-
ration donnée par le Roi, comme contre une pièce remplie
d'artifice 6c de mauvaife foi. Ils accumulèrent pour la dé-
truire àQ.s paiîages de Jeremie , de S. Epiphane, de S. Jérôme,
de S. Cyprien, de S. Bernard abbé de Clervaux & "d'Ive de
Chartres. Ils dirent qu'on verroit plutôt un Nègre devenir
blanc , & un Léopard perdre les taches de fa peau , qu'un
hérétique fe convertir fîncérement j qu'une erreur dans la
foi étoit prefque incorrigible 3 & qu'il falloit une grâce très-
garticuiîére du Ciel, pour faire rentrer un fedaire dans Je
fein de l'Eglife. En voulant perfuader que le Roi agiflbic
plutôt pour la couronne de France , que pour le royaume
des Cieux , ils rapportèrent ce que Prétextât difoit autrefois
par dèrifîon au Pape S. Damafe : Faites-moi évèque de RomCy I
^ je me ferai au[ji-tôt Chrétien,
Ils finilToient en difant que le fectaire qui fe cachoit fous
les dehors du Catholique étoit plus à craindre, qu'un héré-
tique déclaré : Qii'^infi il étoit plus à propos de s'en rap-
porter à la décifîon du S. Siège, où la foi, comme dans un
port, à couvert de toutes fortes de dangers , ne pou voie
faire naufrage : Qu'il falloit remédier à toutes les pertes que
la Religion avoit faites , dans le lieu où elle n'avoit jamais
été altérée : Que la feinte & la diffimulation ne trouvoienc
point d'accès auprès du trône de S. Pierre : Que l'églife Ro-
maine diflîpoit cous les pteftiges de l'hèrèfie : Qu'elle ne fa^
vorifoit point les fectes , ôc que par une prérogative particu-
lière elle avoit toujours été pure : Qiie le Pontife auroit foin
de tenir toujours lié, en vertu de la puiiïance des clefs don-
nées à Pierre, celui qui fe difoit repentant de i<i^ erreurs j &
que s'iè obtenoitfon abfolution, & qu'il fut relaps , comme
cela lui ètoic déjà arrivé , il feroit bien-tôt refferré par les
rome XI, VDDàà
7^^ HISTOIRE
■ "" ■ ' ' " mêmes lîens qu'on auroic rompus en fa faveur, excommu-
Henri nié àc prolcric de nouveau : Qu'en ce qui regardoic la crève
I V. propofée , on ne pouvoir traicer de cette affaire , que le Pape
I <ax, n'eût donné fa décifion.
Nouvelle Trois jours après, les députés Royaliftes vinrent dès le
conférence à ^latin à la Roquctte , mailon de Plaifance qui appartenoic
autrerois au chancelier de Cheverny , ce qui n clt pas éloi-
gnée de la porte S. Antoine j l'archevêque de Lyon , &c les
autres députés de la Ligue s'y rendirent peu de tems après.
Ce Prélat répondit à la déclaration donnée par leRoi,&:
aux propofitions que les Royaliftes avoient faites au fujec
de la trêve Se de la paix : Que les fentimens du roi de Na-
varre étoient juftement fulpeds ; Qiie fî ce Prince vouloic
iincérement rentrer dans le fein de TEglife , il n'uièroic
pas de tant de remifes : Que ces délais affedés & hors de
faifon dans une affliire Ci preiTante ne pouvoienc être que
l'effet d'une criminelle diliimulation : Qu'il devoit bien plu-
tôt imiter l'Eunuque de la reine Candace , que l'apôtre
Philippe avoit baptiié dans le chemin même où il l'avoic
trouvé 5 ou fuivre l'exemple de S. Paul , qui de perfécuteur
du Chriftianiime , écoit devenu tout à coup Chrétien j ôc
montrer de dignes fruits de pénitence : Que c'étoitau fouve-
rain Pontife à juger de la fincérité de fa converlion : Qu'ils
ne dévoient dans les circonftances prefentes faire aucun trai-
té de paix, de crainte de blefïer l'autorité du S. Siège en
agiflant avant qu'il eût décidé ^ & qu'ils ne pouvoient re-
connoître l'autorité du Pape, avant que le Roi l'eût re^û en
grâce : Qii'ils répondroient précifément à la propolition de
la trêve , après qu'on les auroit fatisfaits fur ces deux points,
Difcoursde L'archevêque de Bourges parla enfuite. Après avoir don»
l'archevêque ^^ ^^ ai^andes louan^cs au zèle que lesConfédérés faifoienc
de Bourges. . b • • ^ j i r» ^'- mût j j'
voir pour le maintien de la Religion , il tacha de détruire
leurs foupçons contre la fincérité & la bonne volonté du
Roi , & cita quelques exemples qui prouvoient que des
Princes, quoique très -bien intentionnés, avoient jugé à
propos par de puifTantes raifons de différer la cérémonie,.
èi. la déclaration publique de leur converfion : Que quoi-
que Conftantin fût Chrétien dans le cœur , il avoit ce.
pendant paru long-tems attaché à l'idolâtrie -, ôc que Ciovis
DE J. A. DE THOU, Liv. CVL 7(^3
éclairé par les lumières du S. Efpric , ne s*ctoic pas faic »
baptiier fur le champ : Qu'un rerardemenc de quelques mois Henri
ne pouvoir être dangereux : Qu'au contraire en n'agillanc I V.
dans une affaire de cette importance qu'après un mur exa- i v-qj
men 6c fans précipitation , un grand nombre de François
fuivroient Texeraple de leur Roi qui auroit embrafTé vo-
lontiers , &c fans contraînte,la Religion catholique ; Qiie ce
Prince avoir rëfolu d'envoyer une ambafTadeà Rome,&: de
prouver la fîncérité de fes démarches par toutes fortes de
refpecls envers le S. Siège , 6c en rendant au louverain Pon-
tife de plus grands honneurs qu'il n'en avoir reclus d'aucun
roi de France.
îî Au lurplus, ajoûta-t-îl, je croîs que vous aimez trop votre
>i patrie , pour permettre que le Pape , fous le prétexte des
>5 cenfures qu'il a lancées , ou pour quelque autre caufe qui y
» foit connexe , fe donne le droit de décider, il un Prince
» eft digne , ou incapable de porter la couronne. La connoifl
M fance ôc le jugement d'une affaire Ci importante ne peuvent
î3 appartenir à des étrangers^ les privilèges de la Monarchie,
w Ôc les Libertés de l'Eglife Gallicane y font contraires. Tous
>5 les Princes voifins fe font toujours oppofés aux entreprifes
M de la cour de Rome fur le remporel des Rois. Pour ne pas
M chercher plus loin des exemples , le roi d'Efpagne même
M ne permit pas que le Pape fe mêlât de l'affaire du Royaume
>î de Portugal , fur lequel le S. Siège prétend avoir des droitsj
55 6c il renvoya le Légat , fans avoir voulu lui accorder au-
55 dience. Je ne rapporte pas ce trait pour rendre odieux le
55 Roi catholique, ce puiiPant Prince , à qui il ne manque
53 que la couronne de France , pour parvenir à l'Empire de
55 tout l'Occident j car quoiqu'il foit à prefcnt l'ennemi le
35 plus déclaré de ce Royaume ,il peut changer de fèntimens,
33 àc devenir fon plus fidèle allié.
35 Pourquoi balancez-vous de faire la paix? Qiioique le Roi
33 ait promis de rentrer au plutôt dans le féin de l'Egh'iè , ce
53 n'eft pas avec lui que vous traiterez j mais avec des Catho-
53 liques qui ont le même zèle que vous pour l'ancienne Re-
33 ligion. Si vous avez quelques fcrupules , l'autorité du lègac
33 du Pape peutles lever. D'ailleurs tous les traités que vous
53 ferez avec nous auront pour bafe ôc pour fondement la
DDDdd ij
7<^4 HISTOIRE
■I I «prochaine converfion du Roi • 6c ne feront exécutés, qu'à
Henri >' condition qu'il accomplira (es promeffcs.
I V. " Quant à Ja trcve propofée , il eft certain qu'elle fera
I «o 2 " préjudiciable à ks intérêts 5 il Ta néanmoins offerte , pour
« parvenir à la paix ^ & de crainte que les efprits s'aigrillans
>j de plus en plus, une négociation qu'on ne peut terminer
ï5 que dans le repos , ne tût interrompue par le bruit dQs
>5 armes.
L'archevêque de Bourges dit enfin qu'il étoit néceiTaîre
de tranfcrire fidellement , tout ce qui s'étoit dit dans la con-
férence , ôc d'en faire du moin^ des fommaires j parce que
toute la négociation feroit inutile , fi les ades n'en étoienc
conftans , éc avoués par les deux partis.
L'archevêque de Lyon dans fa réponfe à ce dîfcours tâcha
de détruire les efpérances que leRoi donnoit de fa converfîonr
w Car à quoi tencienf,dit-il,toutes fes remifes?Ne devons-nous
« pas croire qu'il a plus de ménagement pour la reine d'Angle-
53 terre èc quelques autres Princes^hérétiques,que pour les Ca-
55 tholiques qui fouhaitent Ion falut ? Conftantin a abattu hs
55 autels des faux Dieux, dès qu'il a pu le faire en fureté. Clovis
55 réfifta long-temps aux foliicitations de Clotilde , qui le
55 prelToit de fe faire Chrétien j mais après cette grande vie-
53 toire qu'il ne remporta que par le fecours du vrai Dieu ,
>5 ne voulut-il pas aufTi-tôt fe faire inftruire &c recevoir le
35 Baptême? C'eft Grégoire de Tours qui nous rapporte ce
33 fait. Cet hiflorien ajoute que l'évêque Avit voyant que
53 Gondebauld roi de Bourcrogne ne vouloit fe faire inltruire
53 qu'en fecret, de crainte que les peuples , dont la plupart
33 ctoient idolâtres , ne fe révoltaffent contre lui, le faint Prc-
53 lat lui reprocha fa lâcheté, 6c lui dit : Si 'vous avez, une vraie
foi ^ faites ce que Jefus-Chrift uons a enftigné î ^ que njotre
bouche faj/e éclater en public ^ ce que vous niaffàrez, que vous
croyez, de cœur.
53 Nous apprenons avec plaifir tout ce que vous nous avez
53 dit fur \^s honneurs que le roi de Navarre a deflèin de
33 rendre au S. Siège, pourvu qu'il agifle fans diflimulationj
33 qu'il fe comporte envers le fouverain Pontife , comme un
33 fils envers ion père ^ & qu'il lui remette fans refbridion , 6c
33 fans aucune condition , la décision de toute cette affaire.
Henri
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 7^5
» S'il n'a une entière roûmiffion ,il arrivera un fchirme per-
" nicieux.
« Les rois de France ne dépendent que de Dieu fenl I V.
>5 quant au temporel > & des Fran(^ois qui connoiiîènc les loix 1593.
>5 du Royaume n'oieront jamais dire que leurs Princes ibienc
» en cela foûmis à aucune autrePuiirance-mais la connoifTance
>5 de ce qui concerne la foi , comme la levée des cenfures
» Eccléfiaftiques & la reconciliation des hérétiques avec l'E-
i^ glife , appartient au Pafteur fuprême qui gouverne l'Eglife
>3 univerielle , qui en a reçu le pouvoir de Jeius- Chrift même,
35 qui peut lier & délier , &; dont la toi par une prérogative
>3 que Dieu lui a accordée, eft inaltérable.
« Vous nous demandez qu'on rédige par écrit les ades de
» la conférence, nous ne nous fommes jamais éloignés de ce
» lentiment , & nous confentons qu'on charge de cette com-
» miifion un député de chaque parti, et On parla enfuite con^
fufément de l'autorité du Pape , de la diftindion des deux
Puillances dans le gouvernement politique , des Libertés
de l'Eglife Gallicane , de des cenfures que les Royaliftes
foûtenoient n'être que des monitions , ou de fimples décla-
rations. ♦
L'archevêque de Lyon qui étoît naturellement magni-
fique , &L qui voulut faire voir que l'abondance régnoic
encore à Paris , quoiqu'on crût qu'on y manquoit de tout
ce qui peut fervir à la bonne chère , donna aux députés
un dîner fuperbe & très-délicat. Après le repas , Domi-
nie de Vie èc le comte de Belin eurent une converlacion
particulière fur les affaires prefèntes. Belin étant rentré
dans le lieu de la conférence rapporta à fes collègues que
de Vie lui avoit dit, que fi la négociation n'avanqoit pas
davantage, on la rompioit fur le champ. «Je vous prie,
» ajoûta-t-il, de ne pas prendre en mauvaife part , fi con-
ï3 noifîant les maux dont Paris efl accablé , je vous exhorte
>5 à y remédier au plutôt j comment le peuple recevra-t-il
« la nouvelle de la ruî^ture de la négociation , lur^tout fca-
>3 chant que les Royalilles même ont offert une crève ?
Les Ligueurs conférèrent auiîi-tôt cnfemble, &: jugèrent
à propos de parler encore aux Royalilles. L'archevêque de
Lyon ht une légère récapitulation de ce qu'il venoit de dire,
^ DDDddiij
-!(>(> HISTOIRE
■ 6c ajouta que les Catholiques qui avoient encore quelque
Henri zélé pour la Religion & quelque charité , dévoient prendre
VI. garde que le Ichilme ôc la divilîon ne fe filFentdans l'en-
j ^g- droit même où l'on avoit coutume de les accommoder 6c
de les finir Ces paroles étoient priles de la cent dix-neuviéme
lettre de S. Bernard.
L'archevêque de Bourges lui répliqua qu'il avoit déjà
dit , que le Roi vouloit envoyer une anibalFade à Rome j
mais qu'il n'oloit ailiirer , fi ce Prince le feroit avant ou
auprès la réconciliation avec l'Eglile. «Je crois ,ajoùta-t-il,
» ( & je fuis certain que mes Collègues ne défaprouveronc
« pas mes fentimens ) je crois quil eft à propos que le Roi
ï> demande une abiolution ad cautela?n j qu'il affilie aufainc
55 lacrifice de la Méfiée , & qu'après (on abiolution il envoyé
>j au Pape des Ambafldeurs d'obédience. Je me 1ers de ce
« mot , ( ajouta- t-il ), parce qu'il cft ufité à la cour de Rome.
>5 Je ne vous déguile pas ce que je penle ^ ni le Roi ni les per-
>3 lonnes de Ton Conleil ne font pas d'avis qu'il s'expole dans
»3 une affaire fi importante aux hazards du jugement des
M étrangers , qui fous prétexte que cette grande quellion efl
»3 connexe à celle de l'excommunication, voudroient décider
» s'il eft capable ou indigne de porter la couronne. Cette
w prétendue excommunication n'eft qu'une fimple declara-
35 tion i 6c nous avons en France contre elle tous \qs remèdes
33 néceflàire5,/àns avoir befoin de fortir hors du Royaume, ni
55 prendre des voyes extraordinaires. 11 ne nous manque ni
53 exemples ni preuves , pour montrer que les évêques du'
53 Royaume peuvent abfoudre le Roi 3 ôc les Libertés de
53 l'Eclife Gallicane leur donnent inconteftablement ce droit.
53 Qu'arriveroit-il, Ci le Pape refuloit d'entendre le Roi ,
53 fous prétexte qu'il eft relaps , impénitent, &: condamné ?
55 Quels reproches ne feroir-on point à ceux qui auroienten-
53 gagé le Prince à faire une telle démarche ? Quelles calami-
53 tés accableroient ce Royaume , où l'autorité Royale fe-
53 roit foulée aux pieds,&où les Gouverneurs des places,ôcles
33 Officiers de guerre, comme autant de tyrans , mettroient la.
33 confufion & le deiordre? S^achez donc que nous ne fouf-
53 frirons jamais quelesUltramontainsconnoilïènt 6c décident
53 de l'état de notre Roi ni de i<zs droits fur la Couronne.
DE J. A. DE THOU^ LiV. CVI. ^^7
Les Ligueurs perfiftérenc toujours dans leurs fentimens ,
êc demandèrent qu'on prouvât par les faines Canons , èc par Henri
des exemples autentiques , que les Evêques ont le pouvoir I V.
de révoquer ce qui avoir été ordonné par le faint Siège, &: i cg *.
par fix Papes conlécutifs. Ils foûtinrenc que de tels décrets
dévoient êcre regardés comme des décilîons fuprêmes du
faint Efprit , ôC dont par conféquent l'interprétation ôc la
connoiiîance appartenoît au faint Siège ieul j avec d'autant
plus deraifon , que les fouverains Pontifes par les Brefs don-
nés à ce fujet , ( èc qui contenoient non pas une iîmple dé-
claration , mais une excommunication exprefle ) s'étoient ré-
fervés la faculté d'en connoître , & l'avoient interdite à tous
autres Juges : Que dans le crime d'héré(îe,il n'y avoir au-
cune prérogative à alléguer 3 & que les Princes n'avoient pas
plus de privilège que les particuliers , dont ils fuivoient les
erreurs.
Schomberg ne put foufFrir l'obflinatîon des Ligueurs , &
quoiqu'il fût d'ailleurs très-prudent 6c très modéré, il prit la
parole , &c dit avec émotion : « Vous prétendez donc , Mef-
î5 fieurs , que le Roi doit refter dansl'inadion , tandis que le
M duc de Mayenne les armes à la main ufurpera les fonctions
53 Royales 3 6i que, comme un curateur aune fucceffion va-
« cante,ii fera tout pour empêcher qu'on ne termine cette
>3 affaire ?
Il vouloir en dire davantage^ mais l'archevêque de Bourges
l'interrompit. » Qiiel rapport ( dit ce Prélat aux Ligueurs )
5> voulez-vous que nous faffions à ceux qui nous ont député ?
» Quel fera le fruit de cette conférence? Uniffez-vous à nous,
">3 àc faites enforte que le duc de Mayenne, dont oh connoîc
ï3 le pouvoir & le crédit, engage le fouverain Pontife à écouter
w favorablement les prières de la Nation , 6c à donner des
»> pouvoirs néceflaires au cardinal de Piaifance fon Légat,
>3 pour confommer une affaire , dont nous défîrons l'accora-
M modement avec une fi grande ardeur , & pour rendre la
33 paix à la France , en y retablilîant la Religion dans fa pre-
33 mière fplendeur.
L'archevêque de Lyon répliqua que cette demande ne
le regardoit point : Que les Royaliftes dévoient s'adrefTer au
iaint Siège , dont le lein ell toujours ouvert , 6c qui reçoit
7^» HISTOIRE.
-- . " les pécheurs à pénitence feptante fois fept fois : Qiie le duc
Henri de Mayenne ne forriroit jamais des bornes du refped qui
I V. étoic dii au iouverain Pontife , & ne feroit rien qui pût blef-
I cnî ièr l'autorité du faint Siège, ou préjudicier aux droits de ce
tribunal fuprême j mais que ce Prince qui s'étoit réfigné avec
tout ce qui lui appartenoit à la volonté du Pape , approuve-
roit tout ce que Rome décideroit dans cette affaire.
Ce difcours aigrit encore davantage les efprits ^ ôc l'on en
vint à une difpute fort vive de part &. d'autre j enlorte qu'on
crut que la conférence alloit fe rompre. Mais l'archevêque
de Bourges fe leva , Se dit avec modération ; >j Permettez-
>3 nous , Meilleurs , de nous retirer. « Beliiévre le fuivit, &c
tandis qu'ils parloient en particulier avec quelques-uns des
leurs, plufîeurs Députés s'écrièrent confufément. •»> A Dieu
» ne plaife qu'on fe fépare ainfî , fans avoir rien conclu, u Ils
ajoutèrent qu'il falloit envoyer Schomberg à Mantes pour
prendre de nouvelles infbrudions de ceux au nom deiquels
il agilToît , & que les députés de la Ligue de leur côté rap-
porteroient le vendredi Saint à leui* Conleil ce qui fe feroic
paffé. Comme la trêve venoit d'expirer , les députés de la
Ligue demandèrent qu'on la prolongeât.
Lqs Royaliftes le refuférent, 6c dirent qu'ils n'avoient au-
cun pouvoir à ce fujet j qu'on vouloit gagner du tems pour
attendre l'arrivée des troupes étrangères j qu'il fe paiîoit
plufîeurs chofes contre les conditions de la trêve 5 6c qu'on
en profîtoit pour faire entrer des vivres dans Paris.
Enfin après quelques difcours fort vifs, on convint que la
fufpenfîon d'armes feroit continuée pour trois jours. De mê-
me que les députés Royalifles avoient remis un écrit à ceux
de la Ligue , ces derniers demandèrent qu'on rcqûz aufîi une
réponfe de leur part ^ 6l que il l'on refufoit d'accepter cet
écrit de tous les députés en général , on le reçut du moins
d'un d'entre eux, comme particulier.
Par cet écrit les confédérés , après avoir rappelle ce qui
s'étoit pafTé dans les premières féances de la conférence ,
tâchoient d'un côté de juftifier leur conduite, en difant que
le Pape l'avoit approuvée , 6c qu'ils n'avoient pris les armes
que pour la défenfe de la Religion. De l'autre côté, ils allé-
guoient que Henri étoic hérétique , 6c par confèquenc
indigne
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. jC^
mdîgnede la couronne. Ils encalîoienc enfuire plufleurs ar-
gumens pour détruire les efpérances que ce Prince avoic don- Henri
nées de rentrer au plutôt dans le fein de TEglife , & ceniu- I Y.
roient avec aigreur tout ce que l'archevêque de Bourges ^ ^q?
avoit dit à ce iujet. Ils difoient encore que rambaiïàde du
marquis de Pifany étoit une démarche imprudente, que les
Princes , les Prélats ôc les Seigneurs attachés au Roi avoient
faite , 6c contraire même au refpecl qu'exige la dignité du
fouverain Pontife. Ils ajoûtoienc qu'ils fouhaitoient que le
roi de Navarre agît {incérement,&; fans difTmiulation ^ mais
qu'ils ne pouvoienc conclure aucun traité fans le confente-
ment 6c l'autorité du Pape : Que tout ce qu'ils pouvoienc
faire étoit d'envoyer une ambaiîàde à Rome , pour reprefen-
ter au fouverain Pontife le miférable état de ce Royaume,
donc l'intérêt cependanc les touchoit moins que celui de la
Religion , pour laquelle ils facrifieroient volontiers ce qu'ils
avoienc de plus cher : Qu'ils attendroient avec refped les
ordres du faint Siège : Qu'ils feroienc voir par leur con-
duite qu'ils n'avoient en vue que la paix 6c la tranquillité
publique j mais qu'il n'étoit pas jufte défaire un traité fans
attendre la décifion de Rome, Ils demandoient auffi que fi
le Pape accordoit i'abfolution au roi de Navarre, il leurfûc
permis de conférer des conditions de la paix avec le fou-
verain Pontife , êc des moyens propres à maintenir la Reli-
gion , avant de rien conclure avec le Prince, ou avec ceux
de fon parti. Enfin ils foûtenoienc qu'on ne pouvoit conclure
une trêve , qu'on n'eût répondu préalablement à ces deux
Chefs.^
Après que Técrit eut été reçii , on fe retira de part 6c
d'autre. L'archevêque de Lyon ne fit fon rapport que cinq
jours après , ^ le confeil de la Ligue approuva prefque touc
ee qu'il avoic fait. Cependanc quelques Ligueurs prirent fon
dernier écrit en mauvaîfe parc , parce qu'il fembloit faciliter
I'abfolution du roi de Navarre , 6c lui ouvrir, pour ainfi dire,
une voye pour aborder le fouverain Pontife. Mais les autres
Députés excuférent le Prélat , en reprefentant que cet écrie
bien loin de paroître au nom 6c de la part de l'aficmblée ,
n'étoit pas même au nom des Députés, ^ n'avoir été pre-
fencé que par un particulier. Les Ligueurs arrêtèrent qu'il
Tome XL EEEee
77© H I S T O I R E
^ falloit retourner a la conférence , 6c attendre la dernière'
FI E N R I réponfe des Royalifles.
I V. Schomberg éc Revol étant revenus de Mantes , où ils
1593, écoicnt allés pour parler au Roî , les dépurés des deux partis
s'alFemblérent l'onze de Juin fête de S, Barnabe , à la Vil-
fcrcnccVia"" lette, village fitué à une lieue & demie de Paris. Villeroi,.
Viikctc. Claude de la Chaftre , & Chrétien de Savigny de Rofne y
alFiftérenr , quoiqu'ils ne fuiïènt pas du nombre des dépu-
tés 5 ôc fe placèrent hors les rangs. L'archevêque de Bour-
ges, comme on en étoît convenu dans la dernière féance,
préfenta un écrit , par lequel on expofoit fidèlement 6c en
peu de mots , tout ce qui s'étoit pafle dans les conférences,,
de ce que le Roi avoit réfolu de faire , en appellant près de
lui àes Evêques &c des Théologiens. On offroit en dernier
lieu une trêve générale j Se on avoit ajouté des protefta rions
en cas de refus de la part des Ligueurs. Les députés de ce
parti s'étant retirés à l'écart pour conférer enfembie , ré-
pondirent qu'ils recevoient l'écrit , quoiqu'il nefiitpastour
à fait conforme à la vérité des faits , &c qu'on y trouvât plu-
fîeurs chofes autrement exprimées qu'elles n'avoient été
dites : Qii'ils trouvoient plus à propos d'écrire en entier les
ades de la conférence : Que quant à la trêve , il étoit fur-
prenant de voir les Royaliftes demander ce traité avec tant
d'ardeur, tandis que d'un côté ils prelToient fi vivement le
iiége de Dreux 5 6c que de l'autre , le duc de Mayenne avoic
écrit au comte de Mansfeld , pour faire fortir de France Iqs
troupes étrangères , & lui empêcher de continuer le fiège
des châteaux qui étoient fur la frontière : Qu'ils feroient au
furplus ce qu'ils croyoient être le plus falutaire à la Répu-
blique : Qu'ils ne pouvoient palTer fous filence l'emporte-
ment de quelques prédicateurs RoyaHftes , qui vominoienc
dans la chaire de vérité , des blafphemes hérétiques : Qu'ils
n'entendoient point parler des Miniftres Proteftans 5 mais
de quelques prétendus Catholiques , qui fous l'habit de pa-
lpeurs, ofoient débiter des dogmes pernicieux, 6c dont il
étoit de l'intérêt public de réprimer les difcours.
L'archevêque de Bourges répliqua qu'il fuffifoit de ré-
diger par fommaires les adcs de la conférence : Qu'il ne
i^'àgiiToit plus du liège de Dreux ; Que quant aux prédicateurs^ ..
DE J. A. DE THOU, Li V. CVL 771
on informeroit contre eux , & que s'il fe trouvoic des - — -^^-^
témoins, on puniroic les accufés comme ils le mcricoient. Henri
L'aflemblée fut enfuite congédiée. L'archevêque de Lyon I V.
fîc Ton rapport deux jours après. Dès que la MelTe fut dite, ^ 59 5»
il remit l'écrit des Royaliftes , qui fut lu publiquement. Les
Ligueurs jugèrent à propos de n'y répondre, qu'entendant
publics les ades de la conférence , qu'Honoré du Laurent
avoit fait imprimer , & dont on avoit déjà envoyé aux Roya-
liftes des copies en feuille. Cette démarche étoit contraire à
une condition dont on étoit convenu 5 car on s'étoit promis
réciproquement de ne rien faire imprimer , que du confen-
tement des députés des deux partis.
On ne fçait par quel moyen les Ligueurs avoîent trouvé
une copie de cet écrit , dont on a déjà parlé , par lequel les
Catholiques Royaliftes promettoîent aux Proteftans de ne
rien faire dans la conférence de Surefne, qui pût leur porter
préjudice. La Ligue s'éleva contre cet écrit , &: dit haute-
ment, que les Royaliftes qui fembloient avoir un véritable
zèle pour la Religion , l'expofoient cependant à un danger
évident , & contribuoient aux progrès de l'hcréfie. Ils ne
faifoient pas attention qu'on ne pouvoit rendre la tranquil-
lité à l'Etat , fans fatisfaire les Proteftans. Ils peignirent cet
écrit des plus noires couleurs, &; employèrent mille hyper-
boles pour rendre le parti contraire plus odieux. Les Li-
gueurs parlèrent enfuite de la trêve 3 la Chaftre ai de Rofnes
fe trouvèrent de fentimens contraires à ce fujet. Cette que-
ftion fut agitée entre les gens de guerre j car une fuipenfîon
d'armes les regardoît particulièrement. La Chaftre foute-
noit que dans les circonftances préfentes , les peuples étant
fatigués , àc ne confentants à la guerre que parce qu'ils ne
pouvoient efpérer la paix , les villes étant épuifées , & les
troupes étrangères encore hors d'état de fe mettre en mar-
che , la trêve étoit utile &c néceftaire : Que pendant cette
trêve on reprendroit haleine : Que les peuples , qu'une guerre
continuelle avoit prefque abattus , jouiroient de quelques
momens de repos , & reprendroient enfuite les armes avec
plus de courage , lî les Royaliftes perfiftoient avec obftina-
tîon dans leurs premiers fentimens: Qii'on feroit encrer des
vivres dans les villes qui en avoient un befoin extrême :
EEEee ij
77^ HISTOIRE
Qu'enfin on pourroîc attendre , fans rien craindre , rarrivée
Henri des troupes auxiliaires.
I V. De Rofnes difoic au contraire que la trêve énerveroit ie^
I 595, courages , ôc que dès que les peuples auroient goûté le repos
de cette paix paflàgére, ils ne voudroient plus iupporter les
travaux de la guerre : Qiie d'ailleurs , un tel traité étoit con-
traire aux fermens que les confédérés avoienc faits , de ne
conclure ni paix ni trêve avec les Sedaires , fans confulter
le Pape & le roi d'Efpagne : Que la trêve qu'on propofoit
feroit perdre Toccafion de créer un Roi catholique , pour
réiedion duquel les Etats du Royaume étoient ailemblés :
Qii'on ne devoit pas commencer cette importante affaire,
qui tenoit la France & toute la Chrétienté en lufpens , fi le
parti n'étoit appuyé par une puiffante armée , qu'on ne pour^
roit lever pendant une fufpenfîon d'armes.
Lettre du Le ^^^ de Mayenne naturellement irréfolu , ne pouvoic
legac. fe déterminer fur le choix de l'un ou de l'autre fentiment.
Le Tiers Etat & la NoblelFe fuivoient celui de la Chaftre.
Le Clergé au contraire préféroit la guerre à la paix. L'auto-
rité du Légat du Pape l'emportav Le cardinal de Pellevé
préfenta une lettre qu'il avoit reçue de lui , ( car il étoit ma-
lade , ) & il la lut à l'afTemblée. Le Légat y expofoit que ,
puifque la conférence ne produifoic pas l'effet qu'on en at-
tendoit , àc que les Catholiques attachés au roi de Navarre
refufoient d'abandonner les Sedaires , pour s'unir aux au-
tres Catholiques ,. il falloit rompre entièrement la négocia-
tion , ôc ne plus parler , ni de ce Prince hérétique , ni de Ces
fauteurs &adhérans. Il menaçoit ceux qui agiroient autre-
ment , des ccnfures eccléfiaftiques , & leur declaroit qu'ils
encourroient la difgrace du (ouverain Pontife qui , quoiqu'il
eût promis de foûtenir une fi jufte caufe , feroit néanmoins fî
-irrité de cet outrage , qu'il abandonncroit ceux qui au mé-
pris de fon autorité , oferoient traiter de la paix , ou ména-
ger une trêve avec un hérétique èc un relaps : Que pour ne
pas compromettre la dignité du S. Siège , & le caradére
dont il etoit lui-même revêtu , 6c pour latisfaire aux inftru-
dions qu'il avoit reqûës du Pape , il fortiroit de Paris & du
Royaume , fi l'on ne fuivoit (es avis. Il prioit donc le car-
dinal de Pelleve d'exhorter le Clergé au nom du fouverafn
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 775
Pontîfe & de fon Légat , de conferver la fidélité & le refped ;
dû au S. Siège , & de facrifier , s'il en étoic befoin , leurs vies H £ n ri
pour le maintien de la Religian. Il prioit encore le Cardinal I V.
de repréfenter aux autres Ordres , qu'ils dévoient perfévérer ^ . . ^
avec la même fermeté , 6c prendre garde qu'une délibéra-
tion faite fans examen , & avec trop de précipitation , ne
ternît la gloire qu'ils s'étoient acquife par une eourageufe
piété , & au milieu de tant de dangers. Enfin il exhortoit
tous les Ordres à élire au plutôt un Roi véritablement Ca-
tholique , èC qui eût toutes les qualités néceiTaires pour la
défcnlè de la Religion èc de l'Etat. 11 finilîoic , en dilant que
le Pape demandoit d'eux une prompte élection , perfuadé
que c'étoit le feul moyen de conferver le Royaume & la foi.
La NoblelTe parut peu touchée de ce difcours. Cependant ,
pour fembler accorder quelque chofe au Légat , on remit à
un autre temps la délibération fur ta trêve.
Comme on avoit propofé pour Roi l'archiduc Ernefc d'Au- -Rénonfe c3es
triche gouverneur des Païs-bas , à qui Pon donneroit en ma- Erats de ii
riage l'Infante d'Elpagne , les Etats de la Ligue répondirent, ^'^'"^*
après avoir donne quelques louanges à ce Prince, qu'ils ne
pouvoient en cela fuivre les avis du Roi Catholique : Que
les loix &L i'ufâge de ce Royaume , qui n'avoit jamais eu
pour maître un Prince étranger , étoient contraires à cette
éledion : Que fi les Etats donnoient la Couronne à l'Archi-
duc , toute la Nobleffc Françoife & tous les peuples dcfap-
prouvants leur choix , s'éiéveroient contre eux , & (e join-
iroient à leurs adverlaires : Que cependant pour témoigner
leur reconnoiflance à Sa Majcfté Catholique , & montrer
qu'ils vouloienc encore augmenter les obh"gations qu'ils lui
avoient déjà , ils la prioient de leur permettre de choifir quel-
que Prince François pour leur Roi , & de lui accorder l'In-
fante d'Efpagne en mariage : Qiie fi les ambafiàdeurs de cette
Couronne ne rejettoieht pas cette propofition , &c avoient
des pouvoirs fuffifans , l'afiemblée étoit diipofée à traiter
des conditions de ce mariage.
Pendant que les Efpagnols délîbéroîent entr'eux , on agira,
laqucftion de la trêve 5 car les Royalifbes demandoient une
réponfe précife. Dans une féance qui fe tint le lendemain
fur le même fujet , Gilbert Gcncbrard , qui prenoit la qualité-
EEEee iij
774 HISTOIRE
I ■>■!■ d'archevêque d'Aix ( i ) , s'emporta dans la chaleur de îa,
Henri difpuce contre Jérôme Hennequin évêque de Soillons , ^
1 y. contre Aimar Hennequin évcque de Rennes fon frère , de
1595 les traita de brouillons ôc de prévaricateurs. Ces deux Pré-
lats ofFenfés s'en étant plaints , Genebrard fut obligé de leur
-demander pardon , même par un écrit iigné de fa main , &
de fe dédire avec autant de honte , qu'il avoit parlé témé-
rairement.
,j Le peuple ayant appris que le Légat s'oppofoit à la trêve ,
■ççurut enfouie à la Maiibn de ville. Guillaume Aubert avo-
cat général <^n la cour des Aides , parla pour ie peuple. Ce
jMagillrat fit voir la néceffité de conclure une trêve, & de
finir la guerre. Il repréfenta que fî l'on ne donnoit quelque
iatisfadlion à cette populace , l'émeute deviendroit bientôt
une vraye fédition. Marteau (i) Prévôt des marchands ob-
tint un délai , 6c renvoya l'affaire au duc de Mayenne , qui
ufa de différentes remilès , tantôt fous prétexte d'une ma-
ladie , àc tantôt à caufe de ks autres occupations , ôc par h
crainte d'ofFenfer le Légat.
La fufpeniion d'armes étoit expirée , fans que les Ligueurs
euflent répondu aux Royaliftes. Le peuple commençant à
s'émouvoir , on envoya d'abord le comte de Belin à S. Denis ,
^ enfuite Louis de l'Hôpital Vitry , ôc Pontallier de Talle-
niay , afin d'obtenir une fufpenfîon d'armes pour dix jours.
On leur en accorda une de quatre , &c fur le reffce on confulta
le Roi j qui étoit encore au fiége de Dreux. Jacque Augufle
de Thou , qui avoit d'autres affaires à communiquer a S. M,
fut encore chargé de celle-ci. Le Roi jugea à propos d'ac-
corder aux Ligueurs ce qu'ils demandoient ^ afin que pen-
dant qu'ils délibéroient fur la trêve générale , il put alîlfber
plus facilement dans ce temps de repos , à l'affemblée des
Evêques & des Théologiens , qu'il avoit indiquée pour le
înois prochain.
(1) Il renoit cet Archevêché de la trer fous peine de la vie. C'e'toit le plus
Ligue , & il en avoit pris pofrcfTion au
mois de Septembre de cette année. Il
fe comporta dans la fuite avec beau-
coup d'imprudence, il fut banni du
Royaume par Arrêt du Parlement
4'Aix i'ïin ij^6, «ivec défenfe d'y reA-
ardent & le plus fou des Evêques Li-
gueurs. Il a fait néanmoins de beaux
ouvrages,
(z) La Chapelle - Marteau , nomme
Prévôt des Marchands par la Ligue,
" DE J. A. DE THQU', tiv. CVL 77^
te Roi écrivit de Manres à René Benoift curé de S. Eu-
ilache , le 9. de ce mois de Juin , pour l'engager à le venir H e n r' P
trouver , étant dans la réfolution de Te faire inftruire des I V.
vérités de la foi. Benoill: par le confeil du duc de Mayenne , 1595^
ayant montré au Légat la lettre du Roi , ce Prélat loiia là
fidélité du curé de S. Euftache , &: lui dit de répondre avi
prince de Navarre , qu'il ne pouvoit l'aller trouver fans la
permiflion du Pape.
Le Légat fe rendit par là encore plus odieux. Les peuples
qui étoient las de la guerre , &; qui cherchoient un remède
aux maux dont ils étoient accablés , difoient hautement :
Qu'il s'éloignoit de la conduite d'un pcre commun , & d'un
médiateur défintéreilé : Qu'il fe laifToit gouverner par les
Efpagnols , êc n'agiiFoit que par leurs confsils : Que bien loin
de iuivre l'exemple du bon Pafteur , qui ramenoit fur fes
épaules la brebis égarée , il empêchoic les autres de s'ac-î
quitter de leur devoir.
Cependant l'affaire de la trêve s'avançoit. tJn député de'
rOrleanois affûra qu'il étoit porteur d'un pouvoir donné à
la Chaftre par les trois Ordres de cette province , pour traii
ter avec le duc de Mayenne , & conclure la paix , ou dit
moins ménager une trêve, avec proteftation , que fi l'oû
n'apportoir au plutôt quelque foulagement aux calamités
publiques, cette province fongeroit elle-même à fon falut,-
Le Légat n'en fut pas moins inflexible , & livré tout entier
aux factieux , il tâcha d'allumer encore davantage le feu de
Ja diviiion dans Paris. Il permit même qu'on répandît des
libelles contre ceux qui approuvoient la conférence , ôc quel-
ques bons citoyens s'en étant plaints , on leur répondit avec
impudence que ces libelles avoient été faits par les Poli*
tiques, pour défunir ceux de la Ligue,
Le duc de Mayenne permit cependant' qu'on informât
contre les auteurs de ces écrits 3 mais pour éluder une fi jufte
pourfuite, on fit un crime à quelques citoyens amateurs de
la paix , 6c entre autres à Charle Elin , àc à Bonard , de ce
que dans la dernière conférence tenue à la Villette , ils-
avoient paru à la tête de la populace , qui demandoir aux
députés Royâlifi:cs , ou la paix , ou une trêve. Ces deux bour-
geois dirent pour leur défenfe , qu'ils ne s'étoicnt poinc
776 HISTOIRE
addréfTés aux Royaiiflçs ^ maïs à ceux de leur parti , qui en-
Henri troienc confuiemenr avec les députés dans le lieu de la con-
I V. fërence. Le Lieutenant civil ordonna aux Commiiraires Jac-
j , ^ V quet ôc Bazin , hommes factieux , Ôc qui , comme on leur re-
procha au Parlement, avoient encore les mains teintes du
i'ang de BriiTon , de l'Archer , 6c de Tardif j d'informer con-
tre les auteurs de la prétendue fédition de la Villctte. On
comprenoit dans la même ordonnance ceux qui avoienc
tenu quelques difcours contre le Pape, fon Légat, ôc les
Princes qui étoient attachés à la Ligue.
Tout Paris ctoic indigné de voir l'inquifition Efpagnole
^'introduire peu à peu en France , à la faveur de ces odieufes
recherches , & de ce qu'on fondoit , pour ainfi dire , les ef-
prits , pour tenter fî l'on pourroit poulTer plus loin la vio-
lence. Le Parlement ayant eu connoilîance de cette affaire,
le Lieutenant civil fut reprimendé d'avoir commis des hom-
mes fi fadieux & Ci fufpects , pour faire le procès à des ci*
toyens. Les Enquêtes s'étanc alTemblées dans la grande
Chambre , tous les Confeillers parurent également allar»
niés du danger où étoit Paris , èc convinrent qu'il falloit fè
fervir de leur autorité , pour fecourir la République. On ar-
rêta donc que les informations qui çtoienc déjà faites , fe-
roient remifes au Procureur général , avec défenfes de les
continuer. On défendit encore au Lieutenant civil, -de dé-
léguer des Commillàires dans des procès criminels , contre
des domiciliés & bourgeois de Paris. Ceci fe palTa le 19.
de Juin , & des députés du Parlement allèrent en informer
le duc de Mayenne. Il parut le même jour un édit du Con-
feil de la Ligue , par lequel on défendoit fous peine de mort,
les alîcmblees particulières qui excéderoient le nombre de
fîx perlonnes.
Le Parlement ayant Indiqué une afiTemblée générale de
routes les Chambres , pour conférer fur l'état préfent des
affaires, les Efpagnols crurent qu'il falloit prévenir cette dé-
libération. Ils propoferent donc de nouvelles conditions , ôC
demandèrent que pendant qu'on les è^iamineroit, on fufpen-
dît l'airemblée du Parlement.
De Rofncs Le duc de Mayenne envoya le comte de Belin pour faire
& lachaftre remettre cette afTembléç à quelques jours 3 6i afin d'amufer
le
mamm
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 777
ie peuple par quelque fpedacle dcktanc , Rofnes prêta au
Parlement , où il y eut un très-grand concours de monde , H e n r. j>
ie ferment de Maréchal de France. La Chaftre avoit reçu I V.
le même honneur quatre jours auparavant. Cette cérémo- i co ?.
nie fe fit le matin.
Après midi , il fe tînt une afTemblée dans le Louvre. Le chaux dT'
duc de Mayenne , le Légat , le cardinal de Pelievé , &: douze France par la
députés des Etats y afliftérent. Le duc de Feria y fit parler ^'2"^'
Jean-Baptifte Taxis , qui dit que le roi Catholique s'étoit AiTembiéc
!_A- T'i/" 'iT-»!** .,. /> \du Louvre.
toujours propole de lecounr la Religion, qui etoit prête a Difcoursde
fuccomber fous la force des armes du prince de Bearn. Taxis pour
« Quoique le Roi mon maître , continua-t'il , puifîe fe plain- |^f'^'^'°?
» are de ce qu après tant de travaux &c de depenles , les Etats
» du Royaume ne lui ayent pas accordé fes demandes j ce-
J3 pendant comme l'intérêt de la Religion eft le principal
>5 motif de fes démarches, il vous déclare par la bouche de
>5 fes Ambafiadeurs , que fi vous élifez l'Infante Ifabelle, 6c
>5 celui , qui entre les Princes François ( y compris les Prin-
>3 ces de la maifon de Lorraine,) fera nommé par Sa Majeflé
>î Catholique, elle s'oblige de donner en mariage à ce Prince
>î l'Infante fa fille. Elle veut bien encore confentir que tout
» ce qui aura été fait en faveur de l'Infante , foit nul , fi elle
>3 n'époufe le prince François j & l'on fera à ce fujet une ré-
>j ponfe précife dans deux mois. Si toutes ces propofitions
»5 ont leur effet , il y aura un mois après l'éledion , une ar-
» mée fur votre frontière. Deux autres mois enfuite , cette
« armée fera fuivie par un fécond corps de troupes 5 de tous
>3 les fecours qu'il vous a promis paroîtront régufiéremenc
M dans les tems fixés. c<
Taxis ajouta, qu'il fembloit cependant raifonnable de di-
minuer les troupes que fon maître s'étoit engagé de fournir.
Il fit enfuite de magnifiques proteftations de la fincérité du
roi Catholique , & de fon zélé pour les intérêts de la Fran-
ce &: de la Religion j & il en prit à témoins le légat du Pape ,
le cardinal de Pelievé , & les autres Princes 2c Seigneurs qui
étoient préfens. Il répéta fouvent que fi l'on n'acceptoit au
plutôt les propofitions qu'il avoit faites , le danger auquel
ie Royaume & la foi feroient expofés, ne toucheroient plus
Sa Majefiré Catholique.
Jome XI. FFFff
77^ HISTOIRE
l'i I Le Légat prît enfuice la parole , &: après avoir fait queî-
H F N R. I ques excules de fon abiènce caufée par une maladie , il die
IV. que les Elpagnols l'avoienc prié d'être témoin des condi-
j -g, tiens qu'ils propofoienc : Qu'il n'avoit pu leur refuler cette
demande, de qu'il n'avoit différé de dire Ion ientiment, que
parce que ces propositions étoient chargées d'un grand nom-
bre de difficultés , & paroilFoient contraires aux ioix &c aux
privilèges du Royaume : Qiie les ayant examinées avec foin,
il ne pouvoit plus s'empêcher de dire ce qu'il en penfoit :
Que le fouverain Pontife vouloitconierver dans ce Royaume
la religion Catholique , Apoftolique de Romaine , ce qu'on
ne pouvoit faire fans élire un Roi de cette même Religion:
Qu'on ne pouvoit rejetter fans imprudence, 6c fans fe ren-
dre coupable d'une efpéce d'apoftalîe , les propoiîtions des
Efpagnols : Qu'ainfi il exhortoit &: conjuroit au nom de Sa
Sainteté tous les François à les accepter au plûtôtj de crainte
que , tandis que le roi d'Efpagne ne manquoit à rien de tout
ce qu'on pouvoit attendre d'un Prince fi religieux de fi or-
thodoxe , ils ne femblafient de leur côté manquer à ce qu'ils
fe dévoient à eux-mêmes.
Brigues pour Ce difcours parut aux Efpagnols 6i au Légat comme un
l'éiedion. tocfin , qui alloit mettre en mouvement les Princes & tous
les feigneurs François, dans l'incertitude où ils feroient de
celui iur qui tomberoit le choix de Philippe, pour lui faire
époufer l'Infante. Charle de Savoye duc de Nemours, jeune
Prince emporté par une ambition démefiirée, avoit envoyé
le baron de Thenifiay à Paris pour conférer de l'affaire de
l'élection avec le duc de Mayenne fon frère utérin. 11 lui
avoit fait offrir tous fes fervices pour lui procurer Iqs fuf-
frages des Députés àcs provinces ^ mais en mênie tems il
lui avoit demandé que , s'il croyoit que les Efpagnols ne
conlentilfent point à fon éledion , il l'aidât à fon tour (lui
duc de Nemours ) à obtenir une place qu'il ne pouvoit oc-
cuper lui-même.
Le duc de Guife appuyé d'un fi grand nom , briguoît aufîî
le trône. La mémoire encore récente du duc fon père , bc
la faveur des fadieux le lui firent efpérer , & les Efpagnols
panchérent à la fin de fon côté.
Le duc de Mayenne maître des affaires , dépofitaîre de
DE J. A. DE THOU, Liv. CVÎ. 775
.l'autorité fuprême, & lieutenant générai de la Couronne, - ' " '■
n'avoit pas perdu toute efpérance , quoiqu'il fçdt que les Henri
Efpagnols le haïffoient 5 il fe flattoit encore de la préférence I V.
&c il lé laifla tromper , jufqu'au point de permettre qu'on pro- 1593.
cédât férieufement à l'éledion.
Cependant le bruit fe répandit qu'on avoit nommé fécré- ^"^.'''^ ^^'
tement quatre Princes de la maifon de Lorraine , & que le roi RoyaHiks"
d'Efpagne choifîroit au plutôt l'un d'eux. Les députés du aux députés
parti Royalifte qui étoient à Saint Denis , oùilsattendoient poul^croibkr
la réponfe des députés de la Ligue , leur écrivirent le 24. rékaion,
de Juin , jour de la fête de S. Jean-Baptifle , dans le delTein
que cette lettre devînt publique , & troublât le projet de
l'éledion. Les Royaliftes s'attachoient principalement dans
cet écrit à faire voir les indignes artifices des Efpagnols qui
preiïbient l'élection, afin de couper toutes les voyes de ré-
conciliationj ils reprefentoienc aux Ligueurs qu'en accordant
à Philippe la perraiiîion de nommer un roi de France, ils
rendroient maîtres de ce Royaume les ennemis déclarés de
l'Etat. Ils exhortoient enfuite les Ligueurs à la paix , en leur
faifant fencir qu'une plus longue défunion feroit également
fatale au Royaume ôc à la Religion : Qu'il n'y avoit point
■d'autre moyen de finir les troubles , que de fe foûmettre à
l'autorité du Prince, qui par le droit de fuccelîîon étoit leur
Roi légitime : Qu'ils dévoient peu fe confier aux foibles
fecours des Efpagnols qui n'exécuteroient rien , quoiqu'ils
promifient beaucoup , 6c qui n'avoient d'autre but que d'al-
lumer une haine irréconciliable entre les deux partis , pour
les accabler & exterminer enfuite l'un ôc l'autre.
Les Royaliftes écrivirent auffi à l'archevêque de Lyon.
Ce Prélat iupprima la première lettre3 mais on en répandit de
tous côtés des copies, &: elle devint publique. L'afFaire ayant
•été portée dans TaiTemblée des Etats , les ardens fadieux
avancèrent qu'il falloit accepter les propofitions faites par
les Efpagnols, ôc que la France en tireroit un crrand fruit,
Plufieurs au contraire foûtinrenc que ces propofitions écoienc
captieufes. « Car pourquoi , difoit-on , laiiîer fi long-tems en
>î lufpcns l'éledion , ou pourquoi les Etats ne peuvent- ils eux-
-« mêmes y procéder en liberté ? Les Efpagnols n'agifi^ent
53 ainfi , qu'afin qu'en acceptant les propoficions qu'ils ont
FFF ff ij
7So HISTOIRE
^ :. ! » faites , & qu'ils n'exécuteront jamais , on ne puîfîè pluspar-
Henri « 1er de paix avec ceux qui fuivent le parti du roi de Na-
I V. )5 varre. S'ils ne font pas en état d'accomplir ces magnifi-
I co 2, » ques promelîès qu'ils nous font , ne nous eft-il pas plus
« avantageux , pendant que les chofes font encore en état ,
»3 de traiter à des conditions railonnables avec le roi de
» Navarre , que de nous engager dans une guerre éternelle,
>3 & d'enrichir des étrangers aux dépens de notre patrie ?
Tel étoit le fentiment de la Chaftre. Ce Seigneur le foû-
tint avec tant de fermeté , qu'il obligea les Espagnols de ne
plus différer à nommer enfin le Prince qu'ils vouloient cou-
ronner. Le vingt-huit de Juin , Villeroi fortit de Paris, après
avoir dit , comme on le crut alors, le dernier adieu au duc
de Mayenne. Pluiîeurs en tirèrent un mauvais augure , com-
me fi la fadion des Efpagnols l'emportoit fur ceux qui étoienc
animés d'un véritable zélé pour leur patrie.
Arrêt du Le même jour,le Parlement s'aflembla. On délibéra mûre-
Paris "^o"r^^ ment fur l'état prefent des affaires, & la Cour donna un ar-
l'exciufîon fèt, par lequel après avoir protefté de fon zélé pour ladé-
d'un Prince fenfe de la religion Catholique , Apoftolique & Romaine ,
& des droits du Royaume, fous la protedion d'un roi très-
Chrétien , èc François de nation, elle ordonnoit, que} Jean
le Maiftre Prefîdent portant la parole,accompagné d'un nom-
bre fuffifant de Confeillers , ôc en prefence des Princes &c des
Seigneurs qui étoient alors à Paris, on prieroit le duc de
Mayenne de ne faire aucun traité qui tendît à transférer
la couronne à quelque Prince, ou à quelque PrincefTe d'une
autre Nation ^ de veiller au maintien des loix de l'Etat 5 ÔC
de faire exécuter les arrêts de la Cour donnés pour i'éledion
d'un roi Catholique ^ François : Qu'on lui reprefenteroit
encore que puifqu'on lui avoit confié l'autorité fuprême, il
devoit prendre garde , que fous prétexte de Religion , on
ne mît,au préjudice des loix du Royaume , une maifon étran-
gère fur le trône de nos Rois : Qu'il étoit également obligé
de chercher de prompts remèdes aux calamités extrêmes ,
fous le poids defquelles le peuple gémiiïbit.
Au lurplus, l'arrêt du Parlement annulloitôc caflbit com-
me contraires à la loi Salique , ôc aux autres loix fondamen-
tales de la Monarchie,tous les traités & conventions, ou qu'os.
DE J. A. DE THOU, Liv. CVI. 781
avoîc déjà faits , ou qu'on pourroic faire dans la fuite pour -U
1 eledion d'un Prince étranger, ou d'une PrincefTe étrangère. Henri
On ne put faire ces remontrances le même jour , parce I V.
que le duc de Mayenne refuià (ous quelque prétexte , de les i cqi.
entendre. Le lendemain, les députés du Parlement fe tranll /;Remomrâiv
portérent à l'hôtel de Nevers, où étoit ce Duc 3 le Prefident "s du Paiie-
le Maiftre lui dit , qu'il étoit chargé de lui faire des remon- de^Mayenne.
trancesfur deux principaux objets : Qu'il le prioit d'aboid
de faire enforte que dans l'éledion d'un Roi , on n'eût au-
cun égard à l'infante d'Efpagne. » En efFet , continua-t-ii ,
" rien n'eft plus contraire à la loi Salique , cette loi il reli-
5> gieufement obfervée depuis le régne de Clovis , & qui ex-
» dut les femmes du trône de nos Rois. Nos ancêtres l'ont
5> établie en France pour deux raifons particulières. Ils vou-
>s loient d'abord empêcher que la couronne ne pafsât dans
» une maifon étrangère , ce qui arriveroit fî les femmes pou-
»3 voient y avoir quelque droit par fucceffion. En fécond lieu,
w ils craignoient que les François , cette Nation belliqueufe,
>î & qui iurpafle en courage tous les peuples de la terre , ne
53 fe viflent fournis ci l'Empire d'une femme, & ne dégéné-
» raflent de la vertu mâle de leurs pères , fous un fi foible
53 6c honteux gouvernement.
33 L'expérience nous a appris, ajoûta-t-il , que la domina-
53 tion des femmes eft: funefte à la France. Combien de fé-
33 ditions ôc de guerres civiles Fredegonde & Brunehault onr-
33 elles caufè fous la première race de nos Rois ? Dans lafé-
33 conde , quels troubles a-t-on vu à l'occafion de Judith
53 femme de Louis le débonnaire ? Dans la troifième, combien
33 s'en font élevés fous la régence de Blanche mère de Louis
33 IX. Efpagnole de naiflance ? Enfin on fe fouvient encore
33 avec horreur des fanglantes tragédies , dont la France a
M été le théâtre fous Catherine de Medicis.
33 Par les lettres Patentes qui ont été enrégiflrées au Par-
33 lement , il y a quelques mois , & publiées à fon de trompe,
35 dans tous les carrefours de la ville , vous avez vous-mênie
33 confirmé de nouveau la loi Siilique , en promettant de con-
)3 ferver toutes loix du Royaume, Par l'arrêt du Parlement
5> donné dans le même temps , les Chambres alFemblces le
33 vingt-un de Novembre , 6c qui a été publié , afin qu'il fût
FFFffiij
7^2 HISTOIRE
.Mm^-uaimM».; „ notoiVc & cûc la force d'une loi, il eft porté exprefîemenc
H E N K 1 >5 que raflèmblëe des Ecacs ne pourroic transférer la coaron-
I V. »5 ne dans une maifon étrangère. Ainli pour déclarer l'infante
J593. '* d'Efpagne reine de France, il faut détruire toutes les loix
>j de l'Etat, renverfer la loi Salique , ôc anéantir vos lettres
« Patentes & l'arrêt du Parlement j ce qu'on ne peut faire
>î fans allumer dans ce Royaume des troubles que rien ne
» pourra terminer.
j> La NoblefTe qui s'eft attachée au roi de Navarre, & qui
>5 fait fa principale force , ne fuit fon parti , que parce qu'elle
53 croit que nous ne fommes engagés dans cette guerre , qu'à
M l'inftigation des Efpagnols , & pour favorifer leurs ambi-
»î tieux projets : Que ne ne feroit-elle pas , fî elle voyoit Ces
»î foupçons juflifiés par nos démarches ? Tout ce qu'il y a de
>5 Gentilshommes attachés à la Ligue , & toutes les villes ,
5> s'éleveroient bientôt contre une éleAion fi contraire à
îj toutes les loix du Royaume , & pafleroient auffi-tôt du cô-
»3 té de nos ennemis. Il eft même certain , quoi qu'on en dife,
»j que le fouverain Pontife ôc tous les Princes de l'Italie & de
M la Chrétienté défaprouveroient notre conduite. Les Pro-
« vinces, comme le Languedoc , le Dauphiné & l'Auvergne
»3 qui n'ont point envoyé de députés à l'aflemblée des Etats,
« foufcriroient-elles à un tel choix ? Celles qui en ont en-
»î voyé pour l'éledion d'un roi Catholique, èc François de
M nation , ont-elles eu intention de donner leurs fufFrages
M pour une étrangère?
>3 Mais , dira-t-on , la puiflance & la grandeur de Philippe,
33 qui feul eft l'appui de la Ligue,excufera notre choix. Quels
33 fecours peut-on attendre de ce vieux Roi ? Depuis cinq ans,
33 quel fruit la Ligue a.t-elle tiré de la prétendue protedion
>;> de ce Prince ? Qiiels progrès fera-t il dans un Royaume
33 étranger, lui qui pendant trente ans a inutilement employé
33 toutes [es forces , de toutes fes richelTes , fans pouvoir ve-
33 nir à bout de réduire les Provinces-Unies? Lorfque toute
3î la nobleiïe du Royaume , ennuyée de la domination des
33 Etrangers , fe fera jettée du côté du roi de Navarre , quel
33 reilburce aurons-nous du côté de TEfpagne?
33 On ne peut nier que la Ligue n'ait de grandes obliga-
33 tions à S. M. C. des troupes qu'elles lui a fournies depuis
DE J. A. DE THOU,Liv. CVI. 7^5
peu j mais Iqs Efpagnols n'ont-ils pas auffi de grandes obli- ,'■ ' '" ''
gâtions aux Franc^ois ? Ne leur font-ils pas redevables d'à- H e n ki
voir porté le flambeau de la foi dans leur Pais , ôc d'en I V"^
avoir autrefois extirpé l'héréfie ? Les bienfaits du roi Ca- i 503.
tholique , quelque grands qu'ils foient , peuvent-ils être
comparés avec ce fer vice fîgnalé ? Nous ne pouvons croire
que les orgueilleufes proportions des ambafîàdeurs d'Ef-
pagne ayent été faites de l'aveu de Philippe , Prince qui
a autant de modération que de Religion j il fçait fans douce
qu'il lui feroit honteux de paroître s'être engagé dans cette
guerre , plutôt pour augmenter fa puilîànce , que pour pro-
curer la gloire de Dieu , & conferver la foi , qui dans
ce Royaume étoit expofée à un fi grand danger.
>5 Sur ces motifs, la cour de Parlement, perfuadée qu'on
ne peut , fans fe couvrir d'une infam.ie éternelle, faire pafTer
la couronne dans une maifon étrangère, a jugé à propos
de vous prier d'interpofer Tautoricé dont vous êtes le
dépofîtaire , pour empêcher que dans l'éledion d'un roi
Catholique, on ait égard aux prétendus droits de l'infante
d'Efpagnejôc a déclaré nulles toutes les conventions faites
ou à faire à ce fujet.
»3 Qiiant aux calamités publiques , il eft inutile de vous en
faire le détail , parce que vous en avez une entière con-
noiflànce , & que vous en gémiflez vous-même. Ayez donc
foin d'y remédier au plutôt , de crainte que la patience de
ce peuple , prêt à tout foufFrir pour la Religion , ne fe
tourne en défefpoir. Nous f^çavons qu'ayant le deflein de
foulager nos maux , ôc de fecourir la garnifon de Dreux
réduite aux dernières extrémités , vous n'avez pas rejette
la trêve générale que les Royalifles ont offerte ; Que la
Nobleffe & le Tiers-Etat ont fuivi votre fentiment j mais
que le légat du Pape s'efl oppoféà un confeil lî fa lu taire.
Eft-il vrai-femblable que ce Légat ait agi par \qs ordres
du fouverainPontife?Le Papeauroit-ildélaprouvé la trêve,
lui quia jugé à propos d'en faire une pour lui-même avec
Lefdiguieres , ôc d'employer fecrétement la médiation de
perfonnes interpofées pour conferver Avignon.
» Si vous vous fcrvez li peu de votre puiflance , ôc fî vous
5> déférez aveuglément aux avis d'un Légat, dans une affaire
784 HISTOIRE
— ' » qui regarde le gouvernement politique , vous vous rendrez
Henri jj vous-même meprilabie j vous avilirez l'autorité qu'on vous
IV. » a confiée j vous deshonorerez votre Confeil 3 de vous en-
I CQ j. " freindrez les fermens que vous avez faits , de conferver les
»3 loix ëc les privilèges du Royaume, qui confiftent particu-
>5 liérement à ne point connoître l'autorité du Pape Ôc defes
>3 Légats , dans les matières qui ne font point foûmifes à la
» Jurifdiclion Eccléfîaftique , comme les traités de paix , ôc
» les trêves.
»> Toutes les fois que les Papes ont voulu forcer les Rois
5> à fuivre leurs avis , nos ancêtres ont réfifté avec fermeté.
» En 1232 le Pape ayant voulu faire une trêve entre Phi*
Ȕ lippe Augufle, de Henri III. roi d'AngleterreJe confeil du
>5 Roi prononça que le fouverain Pontife n'avoit aucune au-
>3 torité dans cette matière , ôc que le Roi n'étoit pas tenu
>3 de lui obéir. En i 295. (i) comment Philippe le Bel re-
J3 çut-il les ordres du Pape qui le vouloit obliger à faire
« une trêve avec Albert d'Autriche , 6c Edouard I. roi d'An-
>3 gleterre ?
» Nous vous exhortons donc , &, nous vous conjurons de
>5 foulager au plutôt le peuple , qui eft accablé fous le poids
53 de fes maux. Soyez inflexible aux follicitations du Légac
î3 ôc de fes autres fadieux , à qui les calamités publiques
33 caufent un plaiiîr fecret , & imitez l'exemple de Louis XII.
33 votre bifayeul maternel, que l'amour qu'il eut pour fes fu-
33 jets a fait furnommer le père du peuple.
Réponfe L'arrêt que le Parlement avoit donné, fans en commu-
da duc de nîquer avec le duc de Mayenne , lui avoit extrêmement
Mayenne aux j^olu ; mais il n'ofa faire paroître fon mécontentement :
remoncrao- „ ^ . ,.1 /■ a 1 ^ r • i
ces. & quoiqu li lentit que des remontrances raites avec tant de
liberté mettoient un frein à fa puiflance , il cacha Ces fenti-
mens , èc répondit en peu de mots. >3 Depuis qu'on m'a
33 confié le gouvernement de l'Etat , mon premier foin a toû-
35 jours été de défendre la religion Catholique , & de main-
33 tenir les droits du Royaume j mais il femble à prefent que
33 je ne fuis plus néceflaire à l'Etat , &; qu'on peut fe pafTer fa-
35 cilement de moi. J'aurois fouhaité dans la place où je fuis^
(1) M. deThou met 12.87. c'eft une i té furie faint Siège qu'en 12^4.
fâuce palpable , Boniface n'ayant mon- 1
que
DE J. A. DE THOU, Ltv. CVI. 7^^
»»que le Parlement n'eût rieii décidé dans une affaire de -■
» cette importance , fans me confulter. Quant aux remèdes Henri
» qu'il eft nécelîaire d'apporter aux calamités publiques, j'ai ly,
"d'abord panché du coté de la trêve générale 5 mais en 15^3.
» Prince Catholique j'ai refpedé les avis du légat , & je n'ai
» rien encore décidé. Au furplus , je ferai tout ce qui me fera
» pofllble , & ce qui paroîtra raifonnable fur les deux chefs de
^ vos remontrances. » Ceci fe pafla devant une nombreufe
aiTemblée.
Le lendemain le Premier Préiident Lemaître fut mande
par le comte de Belin. Ce Magiftrat accompagné d'EiHenne
de Fleury , & de Pierre d'Amours Confeillers , alla chés l'ar-
chevêque de Lion, où le duc de jMayenne avoir dîné. Ce
Prince éclata , &fit voir toute l'indignation & le dépit que
lui caufoit l' Arrct du Parlement. « L'injure , dit-il , qu'on ma
^ faite ell trop fenfible , pour la difllmuler •■, ôc puifqu'on fe
» joue ainfi de moi , j'ai réfolu de cailer l'arrêt du Parlement
» de Paris. L'archevêque de Lion va vous expliquer mes fen-
»timens, & les motifs qui me déterminent à iigir ainfnj'ef-
» père que vous les approuverés.
L'archevêque de Lion aïant eu ordre de parler , fît de
grandes plaintes de l'injure faite aii duc de Mayenne , & dit
que par l'attentat le plus outrageant, le Parlement s'étoitjoûc
du Prince , ■& avoir méprifé fon autorité, en agiilant fans le
confulter , quoiqu'il tlit préfcnt à Paris.
Le premier Prélident ne put fouifrir ce terme de joiier. Fermeté c!u
que l'Archevêque avoir fouvent repéré , ce Magillrat avec Premier Pré-
une gravite digne de Ion caractère l interrompit , & lui dit : tj^..
» Je ne puis , Mondeur , (ims émodon vous entendre répéter
?3 ce que mon rcfped m'a fait difllmuler, lorfque le Prince
» a parlé. En me regardant comme particulier , vous pourries
31 me parler , ainfi que vous le jugeriés a propos; mais des que
a> la Compagnie refpedablc que je repreicnte ici ei\ bleiVée par
73 des termes injurieux, je dois en être oftcnfé , «3c ne le puis
» fouffrir. Sçachés donc que le Parlement rend à chacun ce
X qui lui eft du, qu'il ne trompe , ni ne joue perfonne.
Lemaître ajouta , qu'il avoit jufqu'alors admiré la profonde
érudition de l'archevêque de Lion jmais que ce Prélat pouvoir
içavoir beaucoup de chofes , fans connoitre l'étendue du
Tome XL ^ggè^
78(^ HISTOIRE
' refped qui étoit dû au Parlement. On fe fît enfuite reclpro-
Henri quenient de part & d'autre plufieurs plaintes & plufieurs re-
IV. proches. Lemaître répéta fouvent que rAflemblée du Parle-
3 5^5. ment ayant été diferée à la prière du duc de Mayenne , quoi-
que le danger fut preflant , n'avoit pu ctre rcmifeàun autre
temps : Qu'on l'en avoit averti auparavant , &c qu'il ne pou-
voit pas dire qu'on avoit agi à fon infçû , & fans lui rien com-
muniquer.
D'un autre côté , le duc de Mayenne prétendoit qu'on n'a-
voit pas du traiter d'une affaire i\ importante qu'en fa préfen-
ce , & qu'après avoir appelle les Princes & les Pairs du Roïau-
me. Il ajouta que cette conduite tendoit à la fédition & à la
révolte. Il reprocha aufli à Lemaître qu'il lui avoit donné une
charge de Préfident , fans qu'il eût la moindre reconnoiflance
d'un {] grand bienfait. Ce magiftrat , homme de probité, &
fans ambition , répliqua fur le champ , qu'à la vérité on l'avoit
fait monter à une plus haute dignité ; mais que fa fortune & i^es
affaires domeftiques fouffroient un grand préjudice de fon
élévation , & que ce fbnefte honneur lui étoit à charge , &
l'expofoit à tous les traits de la haine ,. & de l'envie. Enfin il
ajouta avec fermeté , que la conduite du Parlement étoit équi-
table & judicieufe : Que cette Compagnie n'éroit jamais for-
tie des bornes durefpeddû au duc de Mayenne, & que le
dernier Arrêt ne préjudicioit aucunement à l'autorité de ce
Prince : Qu'au contraire ce fage décret ferviroit de frein aux
féditieux , & uniroit de plus en plus les Catholiques, qu'on tâ-
choit de défunir par toutes fortes d'artifices.
De Rofnes , qui étoit préfent , objeda que le Parlement en
faifant mention dans fon Arrêt du foulagement des peuples,
fembloit vouloir qu'on lui eût obligation de la trêve , & en
cas qu'elle fe conclût , en ôter toute la gloire au duc de Mayen-
ne 5 mais Lemaître lui répondit , que la Cour en donnant
fon Arrêt , n'avoit point eu ce motif: Qu'elle étoit très éloi-
gnée d'avoir desfentimens vains & des vues fi frivoles 5 qu'elle
n'avoit eu d'autre intention que de remphr fes obligations ,
& conferver fa dignité , & l'autorité des Loix : Que le Parle-
ment n'agiffoit que pour la gloire de Dieu , l'utihté de l'Etat
& le repos de tous les particuliers : Que quant à lui, il aime-
roit mieux mourir que de s'engager, ou avec la fadion Ef-
pagnole, ou avec les fedaires.
DE J. A. DE THOU, Liv.CVI. 787
Tout ce qui s'étoit pade dans cette occafion , ayant été
rapporté au Parlement, tous les membres de ce Corps don- H e n r n
lièrent de grands applaudilTemens à la fermeté du Premier j y,
Préfident. Comme le bruit couroit , que le duc de Mayenne i c p ^i
toujours perfuadé qu'on avoir agi au mépris de fon autorité > /- j • j^
vouloit caller 6c annuller l'arrct du Parlement ; les Confeil- parlement,
Icrs qui étoient préfens , promirent tous de facrifier leurs vies ,
plutôt que de permettre qu'on changeât quelque chofe dans
l'Arrêt. On chargea même Etienne de Neuilly , Jacques
Berenger , & Denis de Heere , de déclarer au duc de Maïen-
ne les ientimens de la Compagnie à ce fujet , & d'ajouter que
la Cour de Parlement lui donneroit toujours des preuves de
fon zélé & de fon attachement : Qu'elle le prioit de prendre
en bonne part tout ce qu'elle avoit fait : Qu'il en jugeroit
avec plus d'équité , s'il méprifoit les vains murmures des fac-
tieux : Qu'il devoir approuver & recevoir avec joie un Arrêt
qui n'avoir été donné que pour lui fervir d'appuy , de crainte
qu'il ne fe laiflât vaincre par d'importunes follicitations , con-
tre fes propres Ientimens ; & pour l'empêcher de faire quel-
ques démarches indignes de lui, & de l'autorité fuprême , dont
il étoit revêtu.
Fin du mziéme f-^ohmei
G cr or o- Or ii
t> t) & t> ^J
RESTITUTIONS,
DIFFERENTES LEÇONS,
OU
VARIANTES,
NOTES ET CORRECTIONS
DU ONZIEME VOLUME.
EXPLICATION DES AfJRQjVES
dont on s^eft fer vi pour déjtgrier les endroits d'où font prifer
les Refiiîi4tions quifuivent,
P *. Signifie que le pafïàgereftitue' éroit dans rédition de PatifTon , mfolh
MS. Reg. Veut dire que le paiTage reftituéou !a variante elî dans le Manufcrk
de !a Bibliothèque du Roi , qrJ eft celui de i'Aucéur même.
MS Sarmru Fait cnrendre la même chofe du Manufcrit de Mclfieuis de Sainte-
Marthe.
P. Défigne les variantes prifcs de l'édition de Patifîbn.
D, Dénote les variantes prifes de l'édition des Drouarts. La îetrtre (f)
marque Tcdition àzs Drouarts in folio , (o) la même in oâavv .-
(d) la même in douze.
Put. SigniHe qvie la note , ou la corredlion eft de Meflîeurs Dufuy.
R ig. Que la note , ou corredion eft de Rigault.
C. Que la noce , ou correction eft de l'Editeur Angiois.
T-diî. Angl. Défigne Tédirion d'Angleterre.
Ind. Vntan. L'index des noms propres qui font dans l'Hiftoirede M. de Thou,
Tout ce qui n'eft précédé ni fuivi d'aucune marque , eft de nous.
LIFRE ^UÂTRE-nNGT-DIX'SEPTIEME.
PAGE 22. ligne 34. La Bulle d'excommunication lan-
eée , ajout, fuivant toutes les règles de la juftice -Se
de l'équité , par 6cc. MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 25'. 1. 27. Martin- G life , not. On l'appelle aujourd'hui.,
Martin-Egîife ; parce que l'Eglife Paroilfiale eft dédiée à
Dieu fous l'in vocation de S. Martin.
Ggggg iij
7po RESTITUTIONS,
Pag. 33.1. 17. Sanlary, oh S. Laiy.
Pag. 35). 1. 3 3. D'Eftrce , ajom, homme peu vigilant , avec ôcc
MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. yp. 1. 3 5". Les Jacobins, lif. les Dominicains.
Pag. 6^. 1. 33. Gafcogne , not. La Guienne comprend le Poi-
tou , la Saintonge & le Bourdelois, ou plus proprement le
feul Bourdelois. DelàBourdeaux jufqu'aux Pyrénées, tout
eit Gafcogne où font ces neuf peuples qui ont donné le
nom à la Province. Fut,
Pag. 6<).\. ip. Avec le Roi , ajout. Ce Prince lui répondit fuc
chaque article avec une précifion & une netteté admira-
ble. Le difcours qu'il lui fit à ce fujet , mériteroit fans doute
d'être tranfmis à la pofterité j mais comme les tems ont
changé , je ne crois pas qu'il foit néceîTaire , peut-être même
• ne feroit-il pas à propos de le rapporter. Ce Prince par-
tit &c. MSS, Reg. & Samm. Put. & Rig. V. les mémoires
de la vie de M. de Thou , p. 182.
Pag. 6" (5.1. 34. De Chefle , ajout. Florent Chrétien fe trouva
aulTi du nonibre des prifonniers. C'étoit un homme d'un
efprit fort cultivé , qui avoit été autrefois précepteur du
Roi , & qui fçavoit parfaitement le Grec & le Latin. On.
en peut juger par plufieurs pièces de poëfie , qu'il nous
a laifTées dans ces deux la-ngues. Il s'étoit établi à Vendô-
me '■> & quoiqu'il fut également oppofé de religion & de
fentimens à ceux qui foutenoient le parti de la ligue , il
avoit été forcé de s'accommoder au tems , & de fe prêter
à toutes les manœuvres de Benehart. Au relie , il fut relâ-
ché aufTi-tôt après à la folHcitation des amis qu'il avoit
dans le parti du Roi. De ce nombre étoient Pierre Delbe-
ne , Jean de Thumery , & Jacque Auguftc de Thou. Le
Roi lui-même eut la bonté de payer pour fa rançon mille
écus au Colonel de Brigneux , qui l'avoir fait prifonnier.
Cet exemple de féverité ôcc. MSS Reg. & Samm. Put. &
Rig.
Pag. d'y. 1. 1 1. Fit beaucoup d'accueil , ajout, ôc de promefTes
à ce &c. MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
1. 3 6. D' Augennes , lif. d' Angennes.
Pag. 75:. 1. 28. A peine le Duc &c. iif. Après avoir efTuyé deux
cens coups de canon , la place fe rendit le 22. d'Août. Elle
C O R R E C T I O N s, &c. 7pi
étoit défendue par une garnifon d'environ trois cens hom-
mes , qui , quoique par la capitulation on leur eut accordé
la vie fauve , furent tous maflacrés dans le fauxbourg avec
Aubert leur Commandant , & celui qui faifoit les fondions
de Miniftre dans cette ville. Les Genevois avoient fait une
grande faute de confier à Aubert la garde de Bonne. Outre
qu'il étoit fort ignorant dans le métier de la guerre , il y
avoir dix ans qu'on l'avoit dépcfé de fa charge de Séna-
teur, fur ce qu'il étoit foupçonné d'un adultère. Depuis ce
tems-là il avoir toujours vécu obfcur , inconnu , jufqu'à ce
qu'on lui donna enfin le commandement de cette place,
où il ne fe diftingua, difoit-on , que par une attention ex-
trême à s'enrichir. Cependant les Suiffes , c'eft- à-dire ceux
du Canton de Berne, regardoient ces ravages d'un air tran-
quille. Auffi avoient-ils déjà fait leur traité fecret avec le
Duc de Savoye, & avoient repris la route de leur pays,
dans l'efperance , dit-on , que le défefpoir obligeroit en-
fin les Genevois à en pafier par tout ce qu'ils voudroient.
De là le Duc marcha ôcc. Ed, Gen. 1626, &c MSS. Reg. à*
Samm,
Pag, 83.1. 10. Toute l'efpace , lif. tout l'efpace.
1. 1 5 . Propofa , lif. demanda.
LITRE J^UATRE-FINT-^DIX-HUITIEME.
Pag. P5'. 1. 2 1. Le Duc Cafimir, not. Jean Cafimir frère de Frî-
deric III. Electeur Palatin du Rhin 5 oncle de Frideric IV.
alors Eledeur, mais en bas âge , fut chargé de la tutelle
de fon neveu & de l'adminiftration de l'Eledorat pendant
fa minorité. M. de Thou fuppofe ici que fon ledeur n'a
pas oubhé cette circonftance.
Pag. 107. 1. 10. Les Bcafnois, lif, le Bearnois.
Pag. 127. 1. 5. Des cris, lif les cris de joye 6c les applaudif-
femens.
Pag. 158.1. ip. Chapas, lif de Chappes.
Pag. 142.1.38. De Rozehere , ///^ de la Razelierc.
Pag. 145.1. 13. De Hertré de Loré. Mettez une virgule entre
ces deux noms 3 ce font ceux de deux perfonnes.
^p2 RESTITUTIONS,
Pag. i4<^. I. 3^. Chamlivaut, lif. Champlivault.
Pag. 147.1. 3. Brie, lif Bray, & ailleurs.
Ibid. Attaches, lif, attachées.
Pag. 1^4. l. 12. Flavancourt, If Flavacourt.
1. derii. Jufqu à la fuperftition , ajout, qualité dont il
étoit redevable aux moines , parmi lefquels il avoir été éle-
vé , & qu'il aimoit paflionnément. Du refte libéral , volup-
tueux , fainéant , perdu de débauches , & ce qu'il y avoir
encore de pire, crédule jufqu'à l'excès &c. AdSS, Rcg.j&
Samm. Put. & Kig.
pag. iJJ.l. 13. Ce vieillard , ajout, furieux. MSS. Reg. .&
Samm. Put. & Rig.
■ i. 23. Qui que. If quoi que.
i. 27. Sur lui , If fur ce vieillard infenfé. MSS. Reg»
.'é^ Samm. Put, & Rig.
L IFRE £ UJ TR E-VING T-D IX-NEUFIFJME,
Pag. i6j.\. 15'. Frère de Chaftillon, ajout. On crut dans la
fuite qu'il s'étoit lailTé prendre à delfein ; car les Parifiens ,
malgré la haine qu'ils avoient autrefois pour l'Amiral Gaf-
pard de Coligni fon père , le comblèrent de carefles &
il'ixonneurs. MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
1.22. Leur père, ajout. & l'attacher la tête en bas
au gibet de Montfaucon,après <$cc. MS. Samm.
1. 34. A fept lieues, lif à dix lieues. AIS. Samm.
Pag. 178. ip. Sur la ville , parlèrent, lif fur la ville, ils parlè-
rent.
Pag. 181. i. ip. De ce Prince, ajout, qui tomboit du mal ca-
duc. MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 15)8. 1. 20. Crecy , lif Crefcy.
Pag. 200.1. dern. D'Efcony, lif d'Efcouy.
Pag. 220. L 37. Chaburdes , lif Chaburd.
pag. 223.1. dern. Rochegiron, not. C'eft peut-être, Pujgîron.
Put.
Pag. 22(5. 1. 28. D'Armanfe , ou d'Hermance.
Pag. :338.l. y. D'occampQ, ou de l'Ocampo,
LIVRV.
C O R R E C T I O N s , &c. yp j
■mi < ■ I r ■■ ■ i I ■ ■! I
L I F R E C E N T I E' M E.
Pag. 240.1. 4. Leur, /if. lui.
Pag. 241.1. 13. Jean de Fernel. Meteren le nomme , de Fernez.
Pag. 243.1. 3. Capitaine dans le régiment, lif. Sergent de la
Compagnie.
1. 1 7. Son régiment pour le donner , lif. fa Compa-
gnie pour la donner,
1. 3 5'. Fort de Norden , lif. fort de Noordam.
Pag. 24^.1. 33. Fort d'Immetille , lif. fort d'Immetiel.
Pag. 24(^.1. 33. Du Wefel, lif. de Wefel.
Pag. 247. 1. 6. La Campigne , ou le Kempenlandt.
1. 3f. Butinghe. Alcteren F appelle Benting.
Pag. 245?. 1. 5:. de Bont. Alcteren t appelle de Bout.
Ibid. Leynfel, lif Le y ni en.
Pag. 25:0. 1. 6. Leur répondirent, ajout, le 23. de Septembre,
Pag. 254. 1. 2(5. Toujours, lif. prelque toujours.
Pag. 255. 1. 15. La Briele , ou la Brille.
1. 34. Or une verge , not. Le calcul qui fuit ejî de
Ivl. Dupuy. On lit feulement dans le texte de Pédition de Lon-
dres '■> Or le pied étant évalué à cinq florins , il s'enfuit que
toutes ces levées ont dû coûter autrefois cinq cens foixante
mille livres de gros de Flandres, c'eft-à-dire trois millions
trois cens foixante mille florins.
Pag. 25*7. 1. 17. Narva,o;/ Nerva, & ailleuif-s.
Pag. 25*5?. 1. 2j?. Paul Duchanscki , Itf Uchanszki.
1.30. Belzet, lif Belz, & ailleurs.
Pag. 26'3. 1. 12. Enfuite , lif dans la fuite. Ce ne fut que Pannéâ
fuivante.
1.27. Cette Colonne,///? cet Obelifque.
1.37. Sainte Marie Majeure , lif iainte Marie du
peuple.
Pag. 2^4. 1. 10. Il fit établir, lif réparer.
Ibid. Deux colonnes , not. Ce font la colonne Traja-
ne , & la colonne Antonine.
1. 1 2. En Tranfylvanie , ajout, en Valachic , & eu
Moldavie.
1. 24. Une grande maifon dans la vigne du canton ^
Tome XL Hhhhh
794 RESTITUTIONS,
lif. un palais dans la vigne Monralte près de fainte Marie
Majeure.
1.34. Lorfqu'il fe faifoit quelque cérémonie, lif,
lorfqu'ii tenoit chapelle.
1. 37. Du Settizonio, ou Septizone. not. C'ctoit un
ancien édifice bâti par l'Empereur Severe.
Pag. 2(^5.1. I. Rue Julienne, lif. rue Julie.
1. 3^. Qui borne d'un côté la vigne du Pape, lif
qui pafle derrière la vigne de Montalte.
Pag. 2^(?. 1. 8. La porte Salara, lif Salaria.
1. 14. Dans le Palais Papal,///? Il fit bâtir un efca-
lier fpatieux & magnifique , pour defcendre du Vatican dans
la Chapelle Grégorienne fans fortir dehors.
1. 1 6. Il plaça &c. lif Dans l'endroit oii Pie IV. avoit
fait confcruire un théâtre , pour des fpedacles , dont les gra-
dins étoient de marbre , il fit bâtir une grande falle où il
• plac^ala fameufe bibliothèque du Vatican. Cet édifice &c.
1. 20. Trois cens trcnte-fept, ///? trois cens dix-huir.
Pag. 26'8.1. 18. S. Diegue, lif S. Didace.
Pag. 26c)A. II. Sortiroit de la Chapelle , not. Ce font les pro-
pres termes de M. de Thou. Cependant il faut lire n'af-
fîjlcroit point à la cérémonie. En effet l'Ambafiadeur d'Ef-
pagne ne pouvoir fortir de la Chapelle fans y être aupa-
ravant entré ; or s'il y fut entré il auroit nécellairement pris
place au-deifus ou au-deflbus du Marquis de Pifani , ce
qu'on vouloir éviter.
Pag. 271.1. 18. Conftantin , lif Coflanzo.
Pag. 273. 1. 2 1. Fit croire à ceux, lif aux Efpagnols qui étoient
déjà fort prévenus.
Pag. 274. 1. 5". Vives querelles, ajout. Les Efpagnols ne fe
contentèrent pas de décrier la conduite de ce Pape , tan-
dis qu'il vivoit, & d'avoir mis en oeuvre les proteftations
les plus injurieufes à fon autorité , pour l'engager à envoyer
des fecours aux ligueurs de France , dans la viië d'épuifer
ces tréfors, qu'ils appréhendoient que Sixte n'employât à
leur faire la guerre. Ils portèrent contre lui leur vengeance
jufques même après fa mort;& ils n'oublièrent rien pour
rendre fa mémoire abominable par les libelles diffamatoi-
res, qu'ils répandnent contre lui de toutes parts. J'en ai vii
C O R R E C T I O N s , &c. 7^5»
îiiol-même quelques exemplaires. Sixte, difent-ils , qui par
îe moyen de la magie étoit depuis longtems en commerce
avec le dcmon , avoir fait pad avec cet ennemi du genre
humain de fe donner à lui à condition qu'il le teroit Pape ,
& qu'il lui donneroit (ix ans de règne. En effet , Sixte fut
élevé fur la Chaire de S. Pierre , & pendant cinq années
qu'il gouverna dans Rome , il fignala fon Pontificat par
des adions, qui furpallent la foible portée de l'efprit hu-
main. Enfin au bout de ce terme ce Pape tomba malade ;
& dans cet état le démon s'étant apparu à lui pour le fommer
de fa parole , Sixte s'emporta fort contre la mauvaife foi de
l'Ambafladeur d'enfer, lui reprochant que le terme dont
ils étoient convenus n'étoit pas échu , & qu'il s'en man-
quoit encore un an. Mais le démon le fit fouvenir qu'au
commencement de fon Pontificat ayant condamné un jeu-
ne homme contre les Loix, parce qu'il avoir lui an de
moins qu'il ne falloit pour pouvoir être fait mourir , il l'a-
voir cependant fait exécuter , en difant qu'il lui en donnoit
un dçs iîens5 que cette année jointe aux cinq autres qu'il
avoit régné, faifoient les fix ans complets qu'il lui avoir
promis , ôc que par conféquent il avoit tort de fe plaindre ,
qu'il vînt le fommer de fa parole avant le terme. Sur quoi
Sixte confus, & qui n'avoit rien à répondre , demeura muet,
& s'étant tourné vers la ruelle de fon ht , fe prépara à la
mort au milieu des agitations terribles que lui caufoient
les remors de fa confcicnce. Au refte , je ne donne ce trait
que comme un bruit répandu par les Efpagnols ; & je fe-
rois très- fiché d'en garantir la vérité. Après la mort «5cc.
MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 274. 1. 24, Légat ordinaire , lif. Nonce extraordinaire.
1. 3 6. Ce chemin , lif. cet ouvrage.
Pag. 275". 1. 10. Qu'une chofe , lif. qu'il étoit furpris qu'une
chofe fi légère fût d'un fi grand poids pour un homme.
Pag. 282. 1. 38. D'y venir, ^^'o«f. & qui avoit prétexté une ma-
ladie , pour fe tenir éloigné de la Cour. Sur la nouvelle (^c.
MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 283. l. 23. Importante, lif. Ç\ importante.
Pag. 288.1. II. La Pouille , lif. la Marche.
1.25. Montacuti, lif Montauti.
Hhhhh ij
75?^ RESTITUTIONS,
Pag. 25?o.I. 2 1. Attaqua, ajoitt. à Belmonte.
Pag. 2<? 1. 1. 31. Son parent, lif. fon oncle. A4S. Samm.
Pag. 2^7. 1. 15?. Ferhat Grand Vizir, lif. le Bâcha Ferhat.
Pag. 300.1. I. Sanloique , lif. Salonique.
Pag. 503. 1. 13. Wratiilaw , lif. Breflaw , & ailleurs.
1. 30. Qu'il étoit informé, lif qu'il ne pouvoit lui
cacher que par les intelligences qu'il avoit à la Porte , &
par le rapport des Ambalîàdeurs des autres Princes Chré-
tiens, il avoit été informé, qu'un des plus puiflans motifs
qui euffent engagé les Turcs à attaquer la Pologne dans
un tems où ils ne cherchoient qu'une occafion favorable
de prendre les armes , c'étoit qu'on leur avoit fait enten-
dre , que la divifion regnoit entre les Grands du Royau-
me, que les Polonois avoient encore tout à craindre du
côté de l'Allemagne & de la Mofcovie, & qu'ils n'étoient
pas en état d'entretenir longtems des troupes étrangères
à leur fervice. L'aOemblée , &:c.
Pag. 304. 1. 37. Sigifmond , Augufte , /{/T Sigifmond Augufle..
Pag. 306". 1. 12. Il ajouta, ajout, qu'il leur faifoit donc défenfe
de tenir une féconde ailemblée ; que cependant comme il
avoit , &c.
Pag. 307.1.3. De l'Eté, ajout, dans Nerva & dans les envi-
rons.
Pag. 50p. 1. 26. Le vingt-un de Juin, lif le vingt -deux de
Mai.
Pag. 3 1 1. 1. 20, Ranucci , Hf Ranuce.
1. 23. Charle de Mansfeld. Aîeteren le nomme Oda-
vio.
Pag. 3 12. 1. 20. Glimes. MeterenT appelle le Seigneur de Gleyn.
1.2 1. Le Prince. d'Orange, lif le Prince Maurice,
& ailleurs.
Pag. 313.1. I. D'un côté , lif d'un autre côté.
Pag. 3 14. 1. 7. Palentin , lif. Salentin. ^
1. 3 6. N'étoit pas fans fondement , lif ne fut pas inu-
tile.
Pag. 3 18.1. 8. De fes illuftres, lif de fes auguftes.
1. 28. Leyden, lif Leyde.
C O R R E C T I O N s , &c. 7^7
LITRE CENT-UNIEME.
Pag. 524. 1. 7. Le Chancelier Williams Cecill , lif. le Chance-
lier Williams , pour Cecill.
1. 5). Ces deux , lif. ces trois.
Pag. 325'. 1. 12. Du Frefne, lif. fieur de Frefne.
1. 16, Des Princes Lorains , ajout, gens ambitieux;
AÎSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
1. 18. Des JéfuitCo, ajout, leurs émiiTaires. MSS. Regl
Tut. & Rig.
Pag. 333.1. I y. Le dix Juillet, ///7 dans le dix Juillet.
Pag. 334. 1. dern. De Miine , lif. Meiilen.
Pag. 33 5'.1. 22. Général d'armée , ajout. & comme il étoit ja-
loux de fa réputation, c'étoit, difoit-il,le principal motif
qui Tengageoit de palVer en France. IvlSS. Reg. & Samm,
Put. & Rig.
Pag. .3 3 5. 1. 1 2. Le douze Août , lif. le vingt-unième d'Août.
Pag. 3 3 7. i. dern. Jeune Seigneur ardent, lif homme d'un
caradere féroce, & qui bravoit tous les dangers, s'offrit.
Pag. 338. 1. 34. L'épée fleurdelifée , //yCl'épée Royale.
Pag. 3 3p.l. i<5. Se réjouirent ^ ajout, au contraire.
Pag. 541.1. II. De Baujeu de Jauges, If. de Beaujeu fieur
de Jauges.
1. 12. De Marins de Forcez, lif. de Marins & de
Forcez.
Pag. 342. 1. r. Où la galiotte les attendoit, lif où on iroit les
prendre dans une barque.
1. 6. Deux cens chevaux , lif deux cens arquebii*
fiers.
Pag. 345". 1. I. Le vingt-un Mai , lif. le douze de Ma)v
Pag. 34^. 1. I. Cent Gendarmes , Tf. cent Lances.
Pag. 348. 1. 23. Qui joignoit , lif qui joignoit à l'efprit impé-
rieux d'un pédagogue , qui ne pou voit plus lui ctre d'ufage,
toute la fouplefle d'un Courtifan 5 & David &c.
1. 28. Ce jeune homme, ajout, fils d'un petit Minif?
tre Proteftant avoit un tour &c. AISS. Reg. Rut. & Rfg.
i. 31. Son élévation , ajout. Du rcfte il avoit beau-
7PÏÏ RESTITUTIONS,
coup de prefence d'efprit , & parloit fans comparaifon beau-
coup mieux qu'il n'écrivoir. Comme après la mort du Roi
Henri III. il fe trouvoit prefque fans relîburce , il chercha
à fe tirer de la mifere. Dans cette vue il s'appliqua à ga-
gner l'amitic de Touchard , qui le fit entrer dans la mai-
fon du Cardinal de Bourbon ; & comme il ctoit naturelle-
ment flateur, carelfant , railleur, qu'il excelloit furtout en
effronterie, talent fi utile à la Cour, il ne lui fut pas dif-
ficile de s'infinuer dans les bonnes grâces du Prélat difpofé
à donner fa confiance au premier qui s'olfriroit pour s'en
emparer. En effet , le Cardinal de Bourbon étoit naturelle-
ment indolent. Uniquement occupé des plaifirs que le pre-
fent lui offroit, & peu en peine de l'avenir, crédule juf-
qu'à l'excès, aifé à prévenir par de faux rapports & par les
bruits les plus mal fondés , il étoit en tout le refte d'une
înconftance extrême , d'une bigoterie qui alloit jufqu'à la
fuperftition , portant la dévotion jufqu'à la momerie, à l'e-
xemple du feu Cardinal de Bourbon , fon oncle , auquel il
ctoit d'ailleurs fort inférieur par une avarice fordide qui le
deshonoroit ; mais il fe piquoit d'aimer les lettres , & on
' peut dire que e'étoit-là le feul endroit par où il fembloit
en quelque forte foutenir fa dignité. Du rell:e il n'avoir ni
la gravité , ni la conduite que fon rang exigeoit de lui 5 ce-
pendant il avoir encore la vanité de vouloir paroître appli-
qué aux affaires. Avec de telles difpofitions il ne lui fut
pas difficile de s'accommoder d'un homme du caradere
de du Perron. Il fe brouilla avec tous fes autres amis , qui
lui confeilloient pour fes propres intérêts & pour ceux de
l'Etat , de vivre en bonne inteUigence avec le Roi , &
d'obéir à ce Prince , & jettalesfondemens ôcc. MSS. Reg.
Put, & Rig,
Pag. 3 5" 0.1. 5). De pofterité, ajout. Que fon droit à la Cou-
ronne ne pouvoit pas non plus lui être contefté par ce jeune
enfant, que les Proteftans difoient fauffement être fils du
Prince de Condé fon frère , puifqu'il y avoir tout lieu de
douter de fon état. Que fi &c. MSS. Reg. Put. & Rig,
Pag. 351.1. I. Magdeleine d'Angoulême , /if. Diane,
Pag. 552.1. 13. D'Andoini, lif. d'Andoins.
Pag. 5 5 5. 1. 23 . En liberté , h/l à couvert.
C O R R E C T I O N s , &c. 7pp
Pag. 5 5'<^. 1. 24. Un peu , lif. beaucoup.
Pag. 5^0.1. 10. A fouhaiter, ajout, finon.
Pag. 361.1. 28. De Moy, lif. àç. Mouy.
Pag. 353.1.28. Bienveillance, ajout. On Tavoit averti qu'il
fe laifleroit aifément gagner par les promefles : il lui en fit,
ôc par ce moyen il n'eut pas beaucoup de peine &:c. AISS.
Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 564.. 1. 13. Gaëtano^ lif. Cajetan, & ailkurs.
Pag. 367. 1. 5*. Sur d'autres fujets , lif. tout contraires.
Pag. 370. 1. 1 8. L'auteur , ajout. Dans le fond il étoit Flamand
natif du Brabant , & Religieux du célèbre Monaftere de
Gemblours , ou Giblou , à deux milles de Namur. Il écri-
vit d'abord contre Grégoire VII. dans le différend qu'eut
ce Pape avec l'Empereur Henri IV. Il compofa auffi des
Annales hiftoriques , qui commencent à la mort de l'Em-
pereur Valens , & qu'il continua jufqu'à fon tems , c'eft^
à-dire juiqu'à l'an 1 1 10. Les Liégois fuivoient le parti de
leur Evêque, qui dans ce différend avoir embraffé lui-même
celui de l'Empereur , dont il étoit vaffal. Or dans cette
lettre , dont je viens de parler, ils prétendoient que Rome
ctoit une véritable Babylone, foutcnant que dans les cir-
conftances, on pouvoit lui donner ce nom à bien plus julle
titre , que ne l'avoit fait autrefois l'Apôtre S. Pierre , à caufc
diQS abus monftrueux, qui depuis ce tems -là s'étoient in-
troduits dans l'Eglife. Ils ajoutoicnt, que dans l'Evangile on
ne trouve que deux efpeces de glaives , dont l'exercice
pLiiffe appartenir au Pape en qualité d'Ange du Seigneur
qu'il reprefente ; le glaive fpirituel, dont J. C. a parlé, lors-
qu'il a dit qu'il n'étoit pas venu apporter la paix, mais le glai-
ve 5 & le glaive du martyre , qui par la mort au peclié cou-
ronne la conftance des glorieux Confeffeurs de la foi ■■> Qu'à
l'égard de la troificme eïpece de glaive, elle convient uni-
quement au Magidrat féculier ■■> & que par conféquenr ceux
qui font aflis fur la Chaire de S. Pierre ne peuvent, fans
abufer d'une manière indigne de l'autorité & de la dignité
Apollolique , oublier le caradere d'Apôtres, dont ils font
revêtus, & mettre le glaive à la main des puiffances de la
terre pour faire la guerre aux fidèles , Que la prière & les
larmes étoient les feules armes du Sacerdoce '■> 6c que lorfquc
'Soa -RESTITUTIONS,
quelqu'un ofoit fe montrer réfradaire aux ordres de l'Egli'
le , il fufïifoit qu'il fut regardé par-tout le refte des mem-
bres qui la compofent , comme un Payen & un Publicain ;
<2ue félon tous les anciens Pères ce châtiment étoit beau-
. coup plus terrible , qui Fi on faifoit mourir le coupable par
le glaive, qu'on le livrât aux flammes, ou qu'il fut expofé aux
bêtes pour en être dévoré ; Qu'imbu de ces fages princi-
pes , lorfque fous le Pontificat de Grégoire I. im certain
Maxime s'empara par force du Siège de Theflalonique, on
ne vit point ce S. Pape mettre en ufage contre cet intrus
d'autres armes, que celles qui convenoient à fon minille-
re 5 que pour ne pas donner occalion à un fchifme , il ne
facra point Honorât , à qui lui-même avoit deftiné cet Eve-
ché; Ôc que content d'ufer contre le rebelle des Cenfures
Ecclélîa(liques , il l'avoit enfin engagé par cette conduite
à rentrer dans le devoir , Que Pafchal au contraire s'étoit
comporté d'une manière toute différence ; Qu'on l'avoit
vu exciter lui-même Robert Comte de Flandres à prendre
les armes contre ceux de Cambray , ôc mettre deux Evêques
aux mains tians la même ville.
Les Liégeois confirmoient ce qu'ils venoient d'avancer
|)ar l'exemple de PrifcilUen , condamné par le Pape Dama-
fe , & exécuté à mort contre l'avis & malgré le fentiment
contraire de S. Martin & des autres Evêques Orthodoxes.
Ils montroient enfuite , qu'étant les membres du même
corps, ayant été régénérés dans le fein de la même Eglife,
faifant tous également profeiïion de la même foi , qu'ils
tenoient de J. C. on avoit tort de les traiter d'une manière
û criante , tandis qu'on ne pouvoit leur reprocher d'autre
crime que d'être foumis aux puiflances établies de Dieu
pour leur commander , & de garder à l'Empereur & à leur
Evêque la fidélité qui leur étoit due 5 Qu'en effet c'étoit
de S. Paul lui-même qu'ils avoient appris, que toute ame
fans exception doit être foumife aux puilTances fupérieures,
& que qui que ce foit n€ peut fe foufl:raire à l'obeiffancedûë
au Magiftrat légitime ; Que cependant pour anéantir la force
de ce précepte de l'Apôtre , on voyoit aujourd'hui de nou-
veaux Dodeurs introduire une dodrine jufqu'alors inouïe,
(ans craindre le même reproche , que le Sauveur fait aux
rharifiej:î5
C O R R E C T I O N s , (Sec. 8or
Pharifiens dans S. Matthieu , fans appréiHender qii'oa leur
dife , comme à ces hypocrites , {a) Pourquoi pourfuivre vos
traditions , îranjgrejfez - vous le commandement du Seigneur
Dieu / Qu'ils ne voyoient donc pas pourquoi, ni comment,
ou par qui ils avoient pu être ieparés de la communion des
fidcles 5 Que ce n'étoit, ni par aucun Evêque , ni par un
Archevêque 5 Que ce ne pouvoir pas non plus être par le
Pape f puifqu'il n'étoit pas pofllble qu'il ignorât cette parole
de Nicodéme , qui fe trouve dans l'Evangile de S. Jean ,{b)
Notre Loi condamne-f elle perfonne fans T avoir entendujé^ avant
qiion ait informé contre /^//Qu'ainfî Dieu n'avoir voulu pro-
noncer la condamnation de Sodome, qu'après avoir été lui-
même témoin de fes défordres 5 Qu'à la vérité en parcou-
rant la terre , l'homme ennemi avoir femé Tyvroie parmi
le bon grain ; qu'il avoir mis la divifion entre l'Empire Ôc
l'Eglife , entre le Trône & le Sacerdoce , mais qu'il falloit
attendre le tems de la moiflbn 5 qu'alors les Anges envoyés
du Seigneur fçauroient bien féparer l'yvroie & la mettre
en gerbes, pour êore enfuite jettée au feu. " Et que peut-
» on , ajoutoient-ils , reprocher à notre Evêque ? Il fuit, dit-
» on , le parti de fon Prince 5 mais n'a-t'il pas juré de lui
3» être fidèle , & y a-t'il un plus grand crime que le parjure ?
» Dieu feul exemt de changement , ne craint point de fe
» parjurer. Mais l'inconftance eft le partage de l'homme ; &
» c'eft pour cela qu'il lui eft défendu d'engager fa parole ,
DO s'il ne veut en même-tems s'engager devant Dieu à être
» fidèle à fon ferment ? Perfuadés de ces vérités , qu'ont donc
» fait les auteurs du fchifme malheureux , qui défoie aujour-
» d'hui l'Empire & l'Eglife .? Ils ont, fans aucun fondement,
39 habilement imaginé un moyen merveilleux pour fomen-
» ter cette funefte divifion. Ils ont abfous les fujets du fer-
» ment de fidélité qu'ils avoient fait à leur Prince. Mais
» ont-ils oublié la terrible fentence prononcée par la bou-
3j che d'Ezéchiel de la part de Dieu même contre le Roi
» Sedecias , qui s'étoit révolté contre Nabuchodonofor ,
j> qu'il mourroit pour avoir violé fon ferment ? S. Jérôme
(z.) §l!care 'vos tran/gredimini mandutum Dei propter traditionem 'vefiram.
jM,ittli. 15.
(b) Kunajuià lex nojlra judicdt homintm ^ nijî prius audkrit ab ipfo & cogno-
*u,rit mid faciat ? Joan. ?#
Tome XL liiii
?02 RESTITUTIONS,
• X ne prend-il pas occafion de là de nous avertir , qu'il n'eft
• » jamais permis de manquer de parole, même à un ennemi y
» qu'on doit moins regarder qui eft celui à qui l'on promet ,
» que celui qu'on a pris pour garant de la prcmefle qu'on a
^ faite 5 ôc que de deux hommes , dont l'un fe laiile tromper
» fur la foi d'un ferment qu'il révère , tandis que l'autre
3» abufe du nom de Dieu pour faire tomber un ennemi dans
» le picgCj le premier eft fans contredit le moins à plain-
:" dre , d'autant plus que le ferment du dernier lui a fait
» un ami de celui qu'il pouvoir regarder auparavant corn-
» me un adverfaire ? Perfonne n'ignore ce que le Décalo-
» gue nous commande au fujet du ferment ; & qui doute ,
» que quiconque ne rend pas à fon Prince l'obéïfTance qui
» lui eft dûë , quiconque eft aflez impie pour abufer du
30 nom de Dieu qu'il a pris à témoin de fes promeifes , &
30 pour refufer à fon fouverain rkommage que S. Pierre
30 ordonne de lui rendre , ne pèche grièvement contre ce
30 précepte , & ne foit dans le chemin de la réprobation ?
Ils concluoient de là, qu'il étoit donc inutile de cher-
cher à les intimider par la crainte des excommunications
lancées par Hildebrand , par Odon qui avoit pris le nom
d'Urbain II. & par Pafchal 5 Qu'au lieu de fe laifler
épouvanter par ces vaines menaces, ils s'en tenoient à la
dodrine des SS. Pères , pour laquelle ils auroient toujours
un vrai refpeâ: 5 Que c'étoit d'eux qu'ils av oient appris,
que le gouvernement de l'Eglife ne reflembloit point à
celui des puiflances de la terre , mais à celui d'un troupeau
fidèle > Que c'étoit par ce principe qu'on ne les avoit ja-
mais vu reprendre qu'avec douceur les Princes & les Ma-
giftrats féculiers, lorfqu'ils étoient tombés dans les fautes
les plus griéves ; Que fouvent même ils avoient jugé plus à
propos de dillimuler leurs défordres , que de les relever ;
Que l'Evêque de Liège communiquoit avec fon Souve-
rain , qu'il ne le traitoit point en excommunié , parce que
, par un ufage établi depuis plufieurs fiécles , & obfervé par
tant de faints Prélats fes prédecefteurs ^ qui avoient con-
ftamment rendu à Cefar ce qui appartient à Cefar , & à
Dieu ce qui appartient à Dieu , il avoit juré à fon facre
d'être toujours fidèle à ce Prince j Qu'en payant k tribut
CORRECTIONS, &c. So^
^Cefar, le Sauveur s'étoitfervi d'une pièce de monnoïe,
-qui portoit empreinte l'image de l'Empereur ; que par là
il avoir voulu nous faire entendre , qu'en fe foimiettant à
la Loi commune , il ne donnoit rien qui lui appartînt , qu'il
ne faifoit que rendre à Cefar ce qui étoit à Cefar; Qu'en
effet la terre eft du reffort des Rois & des Princes de la
terre j que par une fage difpofition de la providence ils
font la fource de tous les biens que nous poifedons 5 que
tous nos droits dérivent de leur autorité fouveraine ; Que
par conféquent tout Evêque vaflal de quelque Prince fé-
culier que ce foit, ne peut éviter avec trop de foin de tour-
ner contre fon Prince les armes qu'il lui a mifes à la main ;
c'eft-à-dire qu'il devroit fe regarder comme le plus déte-
ftable de tous les hommes , s'il étoit jamais allez ingrat
pour abufer contre fon Souverain des bienfaits qu'il auroit
reçus de fa main libérale j Qu'en effet à examiner fans
prévention la dodrine répandue dans tous les livres Saints,
on trouveroit évidemment que les Rois & les autres Sou-
verains ne peuvent abfolument être excommuniés, ou que
fi cela eft poftible , on ne doit du moins en venir-là qu'à
la dernière extrémité 5 Qu'il eft bien permis de les avertir,
de les reprendre , d'ufer même envers eux de quelques
-corredions falutaires, pourvu qu'elles partent de gens dont
la probité & la piété ne foient point douteufes 5 mais qu'on
ne peut pafler au-delà ; Que rien au refte n eft plus fagc
que cette difpofition de la providence , puifque Dieu étant
lô Pvoi des Rois, il a dû fe réferver à lui-même & au fe-
cret ineffable de fes jugemens,le droit de prononcer du
fort heureux ou malheureux de ceux qu'il a lui-même éta-
blis pour le reprefcnter fur la terre 5 Que c'étoit donc à
tort que Pafchal traitoit de faux Clercs & d'excommu-
niés un Clergé toujours obéiftant à fon Evêque & à fon
Archevêque , incapable d'admettre jamais aucune varia-
tion en matière de dodrine , & conftamment fournis aux
faints décrets des Conciles de fa Province , où Ton tenoit
pour première maxime de ne point s'adrcfler au Pape pour
tout ce qui y avoit été une fois décidé par l'autorité des
Saintes écritures 5 Qu'à la vérité ils n'avoient aucune dé-
férence pour fes Légats , parce qu'au lieu de travailler à
liiii ij
8o4 RESTITUTIONS,
la reformation des mœurs & de la difcipline , uniquement
occupés de leur intérêt particulier , ils ne fembloient pa-
roître dans leurs Provinces , que pour autorifer les meur-
tres & le carnage , les brigandages & la défokition de leurs
Eglifes 5 qu'en cela ils ne faifoient que fuivre l'exemple des
Conciles d'Afrique , qui refuferent toujours conftamment
de reconnoître les Légats des Papes Zozimc, Celeftin &
Boniface ? qu'ils prioient donc Pafchal de rabattre un
peu de fa fierté & de (es hauteurs , & d'examiner mûrement
avec fon Confeil par quels artifices fes prédecefleurs de-
puis Silveflre jufqu'à Hildebrand étoient parvenus à ce haut
point de puiflance , où l'on voyoit les Souverains Pontifes
élevés i de quels crimes jufqu'alors inoùis leur ambition
les avoit rendus coupables , & de fe rappeller au contrai-
re avec combien de zélé & de modération ces mêmes
Rois , ces mêmes Empereurs qu'ils attaquoient , avoient
arrêté les funefles fuites des fchifmes que ces Papes avoient
eux-mêmes excités dans l'Eglife 5 Que ce parallèle fuffifoit
feul pour faire connoître combien la religion avoit tiré plus
d'avantage de la piété des Princes féculiers , que des vains
foudres d'Hildebrand , d'Odon , ôc de Palchal ; Qu'il
ne devoir point au refte trouver mauvais qu'on lui fît la
corredion 5 Que S. Paul avoit ofé réfifler en face à S. Pierre
lui-même ^ & que la modération Chrétienne avec laquelle
ce Prince des Apôtres avoit reçu ces avis étoit un exem-
ple , qu'il avoit voulu donner à fes fuccefletu-s de la ma-
nière dont ils dévoient fe comporter en pareilles cii^on-
fiances ; Que de leur côté, au cas qu'il y eût quelque chofe
à reprendre dans leur conduite , ils étoient prêts de fe cor-
riger , «5c difpofés à accepter le châtiment de leur faute dans
leur ame & dans leurs biens j Qu'au refle il devoir faire
attention que comme la première efpece de punition étoit
fans contredit du reflbrt de celui , à qui Tufage du glaive
fpirituel a été confié , de même l'autre n'appartient uni-
quement qu'aux puiflànces féculieres ; Que Hildebrand
avoit été le premier Pape qui fe fût arrogé ce droit 5 Que
d'abord il avoit lancé pubhquement les foudres de l'ex-
communication contre l'Empereur Henri, & avec lui contre
tous fes fujets 3 Que cependant il s'étoit adouci dan^ la
C O R R E C T I O N s , &c. '^of
fuite , & avoit excepté de fes cenfures ceux qui, par de-
voir étoient néceflairement obligés de refter attachés à ce
Prince j Qu'au lieu de fuivre un Ci pernicieux exemple ,
Pafchal devoit bien plutôt imiter S. Pierre dont il fe van-
toit d'occuper la place 5 Qu'il devoit fe contenter d'avoir
coupé l'oreille à Malchus & fonger à remettre l'épée dans
le foureau. «En effet, difoient - ils , l'Empereur e(l-il plus
» coupable que Malchus ? Le Pape a beau le traiter de
» fauteur d'hérétiques, d'ennemi de Dieu, d'ufurpateur de
» l'Empire , d'Idolâtre & de Simoniaqueul a beau le dé-
X clarer excommunié par les Princes des Apôtres & leurs
^ fucceffeurs. Fut -il tout cela , feroit-ce une raifon pour
35 prendre les armes contre lui , ôc pour vouloir lui ôter
î5 l'Empire ? Prier, pleurer, conjurer le Tout-puiflant de
» changer fon cœur, ne feroit-ce pas- là en pareil cas le
3> devoir de tout fidèle ? S. Paul ordonne de prier publi-
» quement pour tous les Princes 5 cependant de fon tems
» les maîtres de la terre étoient -ils Catholiques ? étoient-
» ils même Chrétiens ? Combien de fois n'entendons-nous
» pas dans les Prophètes Dieu ordonner à fon peuple de
» prier pour Nabuchodonofor & pour Balthafar fes fervi-
» teurs f Rien de plus défu-able qu'un Roi vertueux 5 mais
» s'il ne l'efl pas, doit-on le rejetter pour cela ? Ne doit-on
» pas au contraire regarder ce partage des bons & des
» mauvais Princes, comme un effet des fecrets impénétra-
» blés de la providence , qui veut ainfi punir ou récom-
30 penfer les nations qu elle leur a foumifes ? « De là ils
concluoient que S. Grégoire avoit eu raifon de dire , que
celui qui gémit fous le gouvernement d'un mauvais maître,
ne doit point attribuer fa peine à celui qui en paroît l'au-
teur 5 que s'il fe voit fournis à une domination tyrannique ,
c'eft uniquement parce qu'il l'a mérité 5 & qu'il doit plu-
tôt regarder fon malheur comme un châtiment de fes pro-
pres fautes , que comme un effet de l'injuflice de celui
qui le gouverne, puifqu'une des menaces que Dieu fait à
fon peuple, c'eft de lui donner des Rois dans fa fureur. Ils
ajoutoient , que nous avions donc grand tort de nous plain-
dre de voir au-delfus de nos têtes ceux que Dieu nous a
deftinés dans fa vengeance pour être nos maîtres î Qu'ea
'So(? RESTITUTIONS,'
effet, on voyoit foiivent arriver que ceux qu'on avoit le plus
fouhaité d'avoir pour Princes, revêtus du pouvoir fouve-
rain , ne fe rendoient odieux à leurs peuples que par la
faute de leurs fujets; Qu'on en avoit un exemple remar-
quable dans Saùl que le trône changea abfolument 5 que
la conduite de ceux qui gouvernent eft tellement dépen-
dante du génie de ceux qui leur font foumis , que malgré
les meilleures intentions du Pafteur , il participe très-fou-
vent à la contagion dont le troupeau eft infedé •■> Que les
vices ôc les vertus des Rois ont une liaifon réciproque avec
la conduite bonne ou mauvaife des peuples, qui leur obéif-
fent ; Que fouvent il ne faut qu'un mauvais maître poui*
communiquer fon iniquité à tous les peuples , qui recon-
noiflent fon pouvoir j & que fouvent finiquité des fujets
donne au monde de mauvais Princes •■> Qu'il n'appartient
donc point aux fujets de vouloir juger ceux qui ne recon-
ïioiffent que Dieu pour Juge.
Les Liégeois finilfoient leur lettre , en déclarant qu'ils
regardoient l'excommunication lancée contre l'Empereur
.& contre eux, non-feulement comme injufte, mais encore
comme abufive & paflant les pouvoirs du Pape , & en pro-
teftant qu'en conféquence ils n'y auroient aucun égard. On
réfolut ôcc. MSS. Reg. & Samm.
Pag. 370.1. 2p. Lampini, lif. Lampineti-
Pag. 372.1. p. Le 25. du même mois, lif. le 24. de Septem-
bre.
Pag. 385.1. ï6. De Chauvigny , lif. de Chaumeray.
L I F R E CENT-DEUXIEME,
Pag. 3pi. l. 6". Qui s'étoit jette , lif qui par la plus noire in-
gratitude & la plus infigne de toutes les perfidies , s'étoit
jette &c. MSS. Reg. & Samm. Rut. & Rig.
1. 7. Parti , ajout. Le Marquis étoit un jeune homme
perdu de réputation pour fon avarice , fes brigandages &
fes cruautés. Comme il pofledoit de grands biens en Bre-
tagne au-delà de la Loire, foit du côté de fa mère, foit
de la libéralité de nos Rois , pour les conferver dans ces
C O R R E C T I O N s , ôcc. 807
tems douteux , où il étoit encore incertain de quel côté
tourneroit la vidoire , & s'aflurer par le même moyen la
pofleilion de ceux qu'il avoir en Normandie & aux en-
virons de Paris j il convint avec fon père & fa mère de
pafler en Bretagne , & d'embrafler le parti du Duc de Mer-
cœur. Sa mère accoutumée au manège & aux plaiiirs de
la Cour devoir y refter , ou fe retirer du moins dans quel-
qu'une des villes qui tenoient pour le Roi. Le père prit le
parti de s'exiler lui-même en Tofcane , où fous le faux pré-
texte d'une feinte maladie , & par une épargne fordide ,
- il refta caché dans ime Abbaye voifme de Florence. Saint
Laurent , dont l'habileté &c. ^6^^^. Reg. & Samm. Put. &
R'g-
Pag. 301. 1. 3(^. Bocherel, lif, Becherel.
Pag. 592. 1. 1 1. De Tremblaye , iif. de la Tremblaye brave
Officier, qui avoir &c. AÎSS. Sa?vm.
P^S- 5P4- 1- 4- Guyon, /if. Gouyon,
P^ô- 5P7-1- 33' Sa fille, not. C'étoit la petite fille de fa fem-i
me. Put.
Pag. 400.1. 2 1. De Sarrouet , ^^*(?af . de Trefumeî.
Pag. 4-0 1. 1. 3 5. Gaulthier , not. Lifés de Coniers. Les mémoi-
res de Montmartin le nomment , fieur de Coniers Juge
de Laval , & le faut ainfi nommer. Put.
Pag. 402. 1. 3. Chantoit bien, ajout. & il avoit pafle avec lui
une partie de la nuit précédente. MS. Reg. Ce procédé
rendit le Duc odieux. Il voulut fe juftifier, & y travailla inu-
tilement. Enfin après bien des raifons, qu'il allégua pour
fe difculper, toutes auiTi mal imaginées les unes que les
autres , il ne trouva point de meilleur moyen pour excufer
un procédé fi brutal, que de dire , qu'il ne voyoit pas qu'on
dut lui faire un procès pour avoir facrifié à fa jufte ven-
geance la vie d'un homme de néant , qui d'ailleurs étoit
infeclé du poifon de l'heréfie 5 ajoutant, que s'il étoit vrai
qu'on eût tué fcs gardes , les prifonniers du château de
Nantes pouvoient compter d'avoir le même fort que le
Juge de Laval II vouloit parler de quelques Officiers du
parti du Roi, qu'il avoit fait enfermer dans les cachots de
cette place , où on les traitoit par fon ordre de la manière
la plus indigne. C'étoient le Marquis de la Roche , qui
8oS RESTITUTIONS,
avoit été fait prifonnier en trahifon au commencement de
cette guerre, la Tremblaye, & de Launoy Confeiller au
Parlement. MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
Pag. 405". 1. 8. Emmanuel de Savoye^ wor. I^ïÏqz Emmanuel
Philibert des Prez. Honoré de Savoye Marquis de Villars
Maréchal de France , mourut l'an 1 580. fans enfans mâles,
ne laiflant qu'une fille unique , Henriette de Savoye Mar^
quife de Villars, qui de fon premier mari Melchior des
Prez fîeur de Montpezat, eut Emmanuel Philibert des Prez
Marquis de Villars , & Henri ( nommé à l'Evéché de Mon-
tauban , qu'il quitta ) Marquis de Montpezat. /^. l'hijî, Ge^
neal. de France par le P. Anfelme , -p. 6^1. C.
1. 15'. De Cahors, lif. du Quercy.
1. 18. De Limoges, lif. du Limoufin.
Pag. 41 1. 1. ip. De Blacons , not. Il porte tous ces noms à cau-i
fe de diverfes fubftitutions. Put.
Pag. 412. 1. 33. Alphonfe Roho,c^« Alphonfe Aif-Roho.
Pag. 415.1. 28. de Charra, ou de Charre.
Pag. 427.1. ip. Angaraino, lif. Angarano.
'Pag. 455). 1. 2p. Martin , l'Anglois , ///7 Martin l'Anglois. Cejî
une feule perfonne.
Pag. 440. 1. 26^. Du Parlement , <3/W. & facrifiant tout à ime
avarice fordide , il n'eut pas ôcc. MSS. Reg. & Samm. Put.
& Rig.
Pag. 441.1. 15. Gouldin, lif Gourlin.
1.23. On joignit, ajout. Chriftophle Sanguin Cha-
noine de Notre-Dame , Jean Hamilton &c. MSS, Reg. ^^
Samm. Put. & Rig,
Pag. 44(5. 1. 6. Le Dodeur Martin , ajout, par Sanguin, par
Genebrard &c. MSS. Reg. & Samm. Put. .& Rig.
Pag. 447. 1. 26. Afin qu'on ôtât, lif. par laquelle , en avouant
qu'il étoit un de ceux qui s'étoient trouvés en armes au
Parlement , quand on le conduifit à la Baftille , il deman*
doit qu'on ôtât à la Cour la connoiflance de ce qui le
regardoit , & que le décret donné contre lui ne fut point
exécuté 5 ce qui le réduiroit, ajoutoit-il, à la mendicité,
MSS. Reg. & Samm. Put. & Rig.
fag. 45: 1. 1. 25. Y avoit été tué deux ans auparavant , lif y fut
tué dix ans après la mort de fon perç. MS, Samm.
Pag. 4; 5,
C O R R E C T I O N s, &c. 809
^^S- ^H-I- 32. De grofles arquebufes, itf. de moufquets.
Pag. 45-4. 1. 8. Le onze de Novembre , lif. un Lundi onze
Novembre.
Pag. 45*5'. I. 7. Fauxbourg de Cauchoife , lif. Fauxbourg Cau*
chois.
Pag. 45*7. 1. 3 T. Maillé de Benehart, lif, de Maillé Benehart.
Pag. 45-8. 1. 2p. Le huit de Décembre , ajout, qui étoit un
Dimanche.
Pag. 46'o.l. 25. S'étant défait , lif. Ayant afTafllné par Tordre;
ou du moins avec l'agrément du Duc de Mayenne, Flo-
rimond d'Haï win &c. MSS, Reg. & Samm. Put. & Rtg.
Pag. 46" 6". 1. 16. d'Ibarra, lif. de Rocanova.
Pag. 4^7. 1. dern. Mardi-gras, lif. Mercredi des Cendres.
Pag. 4(58. 1. 37. Rainuce , lif. Ranuce , & ailleurs.
Pag. 471. 1. I. Le dix-fept de Février, lif le dix-huit.
1. 20. Che verni , If. Chi verni.
1.24. Le vingt-cinq de Février, lif le vingt-fix.
1. 2p. Gorge , lif George.
Uid. Frère de Villars , If. André-Baptifte de Branca?
fîeur de Villars. Edit. AngL
L I F^RE C E N T-T R 0 I S I F: M E.
Pag. 47<5. 1. 20. Donna , ajout. le 2p. Mars.
1.23. Le ip. Mars. Otez cette datte.
Pag. 484. 1. 16. De Alayenne , ///7 de Parme.
Pag. 48(5. 1. 38. Quillebœuf, ajout, ou Ville-Henry.
Tag. 4P3. 1.'2 3. ViUieres, lif Villiers.
Pag. 501. l. 27. Un diable, lif un Pape diabolique. MS.
Samm.
1.38. De Rovere, lif de la Rouere.
Pag. 504.1. 20. Giuftiniano , ou Juftiniani.
Pag. joj. 1. 30. De Février, ajout, qui étoit un Dimanche.
Pag. 508.1. 3^. Que s'étant à la vérité &c. lif. Que s'étant
mis en chemin fans être chargé d'aucun ordre du Roi, &
feulement pour fatisfaire au defir qu'il avoir de rendre fcs
devoirs à S. S. il ne croyoit pas , Ôcc.
Pag. 551.1.23.. Le huit de Novembre, lif le dix-huit.
Tome XL l^kkkk
Iro RESTITUTIONS,
Pag. 5" I r. I. 24. Deux jours , lif. trois jours.
Pag. yiy.l. 22. De Février j ajout, fur le foir.
Pag. 5-17. 1. 5. Son fils, ajout. On le conduifit à Loches j Ôc
il ne fut, &c.
1. 30. Infedoit, lif. infeftoit.
Pag. 5" 2 1 . 1. 6". Promtement, ajout, de Sufanne.
Pag. 5*28. 1. 24. La Perrière Andiran , lif. la Perrière , par An-
diran.
Pag. ;2^. 1. 3 I. Leur Commandant, lif. Sergent Major.
Pag. 5" 32. 1. 52. Des peuples, ajout. Le Maréchal Guillaume
de Joyeufe fon père étoit mort quelque tems auparavant.
On l'accufoit d'avoir été peu reconnoilTant des biensfaits du
Connétable Anne de Montmorency. Il eft vrai que k Ma-
réchal n'étoit encore qu'Evêque d'Aleth , lorfque ce Sei-
gneur l'honora de fon alliance , en lui faifant époufer Ma-
rie de Baftarnay , nièce de Mad-. de Montmorency fon
époufe, & partagea avec lui un des gouvernemens des pkis
confidérables du Royaume. Il n'avoir pas montré moins
d'ingratitude envers le feu Roi, qui l'avoit coliiblé d'hon-
neurs , lui & toute fa famille , & qu'il abandonna cepen-
dant lâchement , pour fuivre le parti de la ligue. On doit
rendre cette juftice au Cardinal fon fils , qu'il s'oppofa de
tout fon pouvoir à cette réfolution de fon père , & que tant
que Henri III. vécut, il fut toujours conftamment attaché
à ce Prince , à qui il étoit fi redevable. Il ne reftoit donc
plus alors de toute cette nombreufe famille , qu'Antoine
Scipion de Joyeufe , qui fut en état de commander les ar-
mées. Ce Seigneur ayant reçu &c. MSS. Samm. Put. û^
R,g.
Pag. 533.1. 18. De Loriéres, lif. de Laufiéres.
1.21. D'Efpernon fon frère , ajout, qui venoit de
prendre Villebois en Angoumois , étoit fur le point, &c.
1. 2p. Languedoc , lif Gafcogne.
P^g- 5" 54- 1- 3S' Milices, ajout. Les ennemis fe vengèrent de
cette perte par la prife d'environ deux cens boeufs , dont
ils fe rendirent maîtres proche de S. Leofaire. L'ardeur
des afilégeans. MSS. Reg. & Samm.
Pag. 5 3 5. 1. 3 d. Quinze cens,///? fix cens. MSS. Samm. Li-
fez cinq cens,Ielon les mémoires de la Ligue. T. 5. p. 1 77*
Fut.
C O R R E C T I O N s, &c. 8ii
Pag. 5" 3 8. 1.8. Mille hommes, lif. quinze cens. MS, Samm.
Pag. 54.1.1. 17. GinafTervy , ///^ Ginaileroy.
Pag. 5-42. 1. 7. Douze cens, /if. cent vingt.
Pag. j 47. La note qui ed au bas de la page eft inutile , puifque
M. de Thou n'a pas dit auparavant qu'il n'y avoit que douze
cens hommes d'affemblés 5 mais feulement qu'on comp-
toit déjà douze cens hommes d'infanterie , fans parler de
la cavalerie. Outre cela , depuis l'avis donné à Lefdiguie-
res , il pouvoit encore être arrivé de nouvelles trouves au
Duc de Savoye.
LIFRE CE NT'O^UÂTKIE ME.
Pag. ^j*^. 1. 8. Berlaymont, lif. Barlaymont, & ailleurs.
Pag. 5'5'p.l. 34. Saelsleldt, /^ Saesfeldt.
Pag. ;(5^. 1. 20. De Vorp , lif Dorp.
Pag. 5'(57. L 10. Drente, lif Tuente.
Pag. j 72. 1. 3 I. La fortune , not. Voici d^ quelle manière Me-
teren rapporte ce fait dans fon hiftoire des guerres de Flan-
dres, page 337. « La navire Angloife avec fon artillerie
» étoit eftimée valoir cent trente mille florins : les Anglois
« ne laiiTerent pour cela de continuer toujours en leur def-
^ feing , & de tâcher à faire quelque dommage aux Efpai-
» gnols , & l'année prochaine ils recouvrèrent fort riche-
M ment leur perte. Car une navire Angloife nommée TA-
» mitié , allant pour trafiquer en Barbarie , fur laquelle étoit
3î Patron un certain Thomas Whyt de Londres , avec en«
» viron quarante-cinq hommes ^ après qu'il eût déchargé
» fa Frette , & qu'il étoit contraint d'attendre quelques mois
3^ pour avoir fa charge & fon retour , devant que de pou-
» voir retourner à la mayfon , s'en alla en attendant haut
» en mer , en un endroit où il fçavoit que les navires , lef-
» quelles alloient ou retournoient des Indes, prenoient leur
» cours à la hauteur de trente-fix degrés. Etant-là, il ren-
w contra deux petites navires Efpaignolcs , lefquelles étoicnt
» chargées de la part du Roy, & av oient été convoyées
w auparavant par quelques galères : ces navires le penfoienc
» venir prendre , mais elles furent prinfes , l'une devant ,
» l'autre après j non fans grand danger j car ils y trouve-
Kkkkkij
»
»
3}
3}
»
8i2 RESTITUTIONS,
rent cent vingt-fept hommes vivans , & huit morts , ri les
amena fur la rade en Barbarie, & ayant prins fa charge,
il les emmena à la mayfon. Il y avoir en ces deux navires
plus de quatorze cens coffrets d'argent vif, chaque cof-
fret pefant cent & cinquante livres, ou un quintal & de-
my, avec plus de cent tonneaux de vin, ôc la pefanteur
de dix tonneaux de miflaulx & bulles du Pape, jufqu'au
nombre (fuivant les lettres & notices qu'on en trouva es
navires) de deux millions & foixante & douze mille : qui
„ fervoyent pour les âmes des vivans & des morts ^ & lef-
:,, quelles on debvoit diftribuer es pays & provinces de la
„ nouvelle Efpaigne, comme Incatan , Ouatimala , de Hon^
„ dura , & de Philippines, Cet argent vif & ces bulles coii-
„ toient au Roy environ trois cens mille florins , & il en eût
„ bien fait cinq millions d'or j en quoi l'on peut voir quel
„ trafîcq fait le Roy , & que c'eft un marchand qui fait
;,, grand gain , tellement qu'il ne fe fault pas étonner d'où
lui viennent toutes cqs richelfes qu'il tire des Indes. Pour
bien entendre cecy , il faut fçavoir que ces bulles étoient
taxées à deux reaulx la pièce , & encores une partie de
dix-huit mille à quatre reaulx la pièce ( comme l'on trouva
par les inftrudions & mémoires lefquelles étoient es na-
„ vires , & par lefquelles le Roy commandoit de les vendre
„ aux habitans , qui font contraints d'en achapter ) deforte
jj que cela eût bien valu au Roy , avec encores dix bal-
„ les de millaulx tous dorés , plus de quatre cens mille du-
„ cats : & l'argent vif près de deux millions de ducats 5 ayant
^ fait deffendre , que nul fur peyne de la vie , n'en envoyât
,, es Indes , iinon lui , car fçachant que c'eft une matière
fi néceffaire , que fans icelle on ne peut raffiner l'or &
l'argent qu'on tire des mines, il a fait tel accord avec
les mineurs qu'il faut qu ils lui donnent , pour chaque li-
>i vre d'argent vif, une livre de fin argent épuré. Edit. AngL
'^^è'S19'^'3^' Le Cimeterre, lif. le Poignard.
1. 5 5'. D'Elamado, lif. de del Punnal,
1. 3<5. Son fabre, lif. fon poignard.
Fag. j 8 6'. 1. 3 2. De Saxe , ajout, qu^il avoir répudiée à caufe de
fa mauvaife conduite , une fille unique &c. M^S. Reg. c^
Samm, Put. & Rig.
3)
33
3»
33
33
5>
C O R R E C T I O N s, &c. 813
V3.g' 5;Sp. 1. J. De Mondovi, wo?. On l'appelloit ordinairement
le Cardinal de Mondovi. Edit. Angl.
Pag. 5'i?o. 1. 17. La plus reculée, ajout, ôc fa fageffe jointe à
beaucoup de candeur & à une érudition profonde lui mé-
rita de Jufte Lipfe le furnom de Thaïes François. Il fut élu
6cc. MSS, Reg, & Samm.
1.26. A Paris, ajout. Ainfi je n'ai pas cru pouvoir
me difpenfer de lui rendre ici un devoir du à l'amitié qui
fut entre nous , & à Tellime que je fais de fes vertus. Il
me refte &c. MS. Samm.
Pag. ^^^. 1. 4. Ilkirckern , lif. Ilkircken.
1 26. De Wic, lif. de ce Bourg.
Pag. 6o2.\. 2^. Steinbach, ajout. Miniftre de Drefden.
•Pag. 6^12.1. 18. Quarata, lif. Quaranta.
Pag. di 3. 1. 25". La Sclavonie , lif îa Hongrie , la Sclavonie,
& la Dalmatie.
Pag. 6i6.\.^. Spalatro, lif. Spalato.
Pag. (5ip. 1. 2. Erfa , lif Erla.
Pag. 52 1 . 1. r. Ferracine , lif. Terracine.
Pag. 62^. \. 6. Neuheufel, ou Neuhaufel.
LIF RE CE NT-CI N^U I EME.
Pag. 543.1. $. Sledein, lif Sleiden.
Pag. 545. 1. p. De Tuentes , lif. de Fuentes.
1. 20. Malafpini , lif. Malefpine.
Pag. 548.1. i^. En dedans , ajout. Mais comme ces travaux
avoient été fort précipités , il ne paroiflbit pas qu'ils fuilent
en état d'arrcter rennemi. En tirant ôcc. MSS. Reg. &
Samm. Rut. & Rig.
Pag. 5^5.1. 23. Sur la tranchée, lif. fur le bord du foffé.
Pag. 55* 5.1. 8. Jean André Gambarella Sergent Major, lif
Jean André, & pour Sergent Major Gambarella, fous la
conduite &c.
1. 1 1. S. Omer, ajout. Bapaume.
1.31. Hufden, If. Huefden, & ailleurs^
Pag. 55o. 1. 2. Fort de S. Jean , ou Steinfort.
1.38. Grinbergh , lif Gransberg.
8i4 RESTITUTIONS,
Pag. 66iA. i. Ootmerfum , oh Ootmaerfen.
Pag. 6" (S" 3.1. 38. Et Françoifes, ajout, qui arrivèrent de Nor*
mandie.
Pag. 666.1.22. Qu'on répandoit, ///7 qu'on les répandoit.
Pag. 6jo. 1. 6. Je lui ai fait , /if. je les lui ai fait.
Pag. 6^6.1. 3. Providence humaine, hf. prudence humaine»
Pag. 6çS.l. 23. Martel, lif. Marteau.
Pag. 701. 1. 18. Bangey , hf. Baugey.
Pag. 702. 1. 25. Rolle , lif, Rofe.
LIP^RE CE NT'S IX I F M E.
Pag. 720.
Pag- 7^7-
Pag. 748.
Pag. 750.
P^.75'4-
Pag. 7(52.
que le
Pag. 7(58.
Pag. 781.
. 2. Avocat du Roi , lif. Avocat Général.
.13. L'indignation, iif. PexcommmiicatiorL
. ip. Glafcow, oîi Glafgow.
. J3. Gabriel de Schomberg, lif. Gafpard.
. 24. Le parti des Politiques , lif. le Tiers parti.
. 27. Du Pape , avant que le Roi , lif du Roi , avant
Pape.
. I p. Le Vendredi Saint, ///Tle Vendredi fuivant.
. 2^. S'en font élevés, lif. fe font élevés.
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